1 i i Siége de Tyr, par Saladin. ,84. H I S T O I R E G E' N E' R A L E roïépar la Reine Sybile, pour implorer leur fecours, & les nformerderétat déplorable, oüelle, & tous les Peuples, fe ■rouvoient reduits , les attendrit; il eft certain, que les Rois 3eFrance, & d'Jngleterre, qui fe faifoient une cruelle guerre, fè réconcilièrent tout a coup, & prirent en même tems hCroiX de la main desLégats, & en préfence du même Archeveque de Tyr Les principaux Seigneurs de leurs Etats fuivirent 1 exemple de ces deux grands Princes, dans une conférence, quils eurent a Gizors, Ville de la Normandie. ; Les Génois, & les Fifans, de leur cöté, entrerent auffi dans cet efprit de paix, que Gre'goire leur avoit mfpire, & travaillerent également a ce qui pouvoit foulager les Chrétiens Orientaux. L'Empereur F red e'r ic , furnommé Barberousse, non moins pénétré des fortes remontrances de 1Evêque 8Mono, Légat du Pape, & de celles du meme Archeveque de Tyr, qui avoit auffi paffé en Jllemagne, recut la Croix a Maïence, & avec lui grand nombre de Prélats Pnrir ces & Seigneurs de VEmpire, qui voulurent imiter ce Monarque' Toute VEurope enfin fe mit en mouvement pour les prèparatifs de la Guerre fainte, & chacun paroiffoit emprelfe a travailler, de bonne foi, au recouvrement du Sépulcre dt Jéfus-ChriJl, & a réfréner Porgueü des Ennemis du nom Chré- Cependant, comme il falloit beaucoup de tems pour faire les prèparatifs nécelfaires au voïage de tant de grands Princes, & pour intreden des nombreufes Armées, quils mettoient fur pié: Saladin, qui ne s'endormoit pas, & qui apprehendoit ia réfolution des PuüTances $ Europe* s'empreffa d'achever la conquête de la Palejline. II affiégea la Ville de Tyr, par mer, & parterre. Les Peuples en étoient fi déconcertes, & decouragés, qu'il Pauroit emportée, comme il avoit fait tant dautres, fansfarrivée de Conrad de Montferrat, Frere de Guillaume Longue-Epe'e, foutenu de Boniface, & de ivE-  de JE'RUSA-LEM. Liv. VI. Cu. III. 28$ Re'gnier, Roi de The falie, qui la fauvèrent par leur valeur , & par leur bonne conduite. Ce brave Seigneur, qui s'étoit aquis beaucoup d'honneur, de gloire, & de réputation, dans les Guerres dItalië, pendant le Schifme, prit enfuite la Croix, pour aller au fecours de la Terre-Sainte. Palfant par Conftantinople, il fecourut fi a propos Isac Lange , que, pour Ten recompenfer, cet Empereur lui donna The'odore, fa Soeur, en mariage, avec le Titre de Céfar, & fefpérance de lui fuccéder a PEmpire. Defibeaux avantages lui firent fufpendre, pour quelque tems, fon voeu pour le voïage de Palejline; mais aïant reconnu, que , malgré les grands fervices qu'il avoit rendus a ce Monarque, il ne faifoit que 1'amufer, & ne penfoit a rien moins, qu'as'aquiter de fes promeffes, le Marquis Conrad, qui étoit fier, & hautain, s'en offenfa fi fort, qu'il réfolut de lui faire éprouver, qu'on n'abufoit point un Homme, comme lui, fans avoir lieu de s'en répentir. Pour exécuter fon deffein, il prit Ie tems qu'IsAC étoit occupé contre les Valaques. Au lieu de Palier joindre avec fes Troupes, qui étoient démeurées a Conflantinople, comme ils en étoient convenus, Conrad s'embarqua avec grand nombre de Perfonnes, qui lui étoient affidées, & fit voile vers la TerreSainte. A fon approche de Ptolomaïde, oü il vouloit débarquer, il appercut fur les Tours de cette Ville les Enfeignes de Saladin. II jugea fur Ie champ, qu'elle avoit changé de Maitre. II vira de bord, & arriva a Tyr, dans le tems que cette célèbre Ville étoit fur'le point de fuccomber. Les AlTiégés, admirant 1'arrivée de ce fecours, comme une faveur particulière du Ciel, regardèrent le Marquis Conrad, comme leur AngcTutélaire, «Sc le re eurent comme leurPatron, & leur Protefteur. Avant que d'entreprendre leur défenfe, il voulut les engager par un Acte autentique a le reconnoïtre lui, & fes Defcendans, pour véritables Maitres, & Seigneurs de leur Nn 1 Ville.  Uonteufe fuite de Saladin. Artiele 71 Progrès d Saladin dans ie Pais Antioche. HISTOIRE GE'NE'RALE Troupes, abandonna 1'affaut. Les Affiégés s'en appercurent, & firent alors une fortie fi vigoureufe, que Saladin fut contraint de quitter fon camp, & fon bagage, que le Marquis de Montferrat abandonna au pillage. Après la fuite des Barbares, il ne fut pas difficile a Conrad de s'affermir dans fa nouvelle domination. La confiance, que les Tyriens avoient prife en lui, étoit iniinie. La gloire, & la réputation, que leur dèfenfe lui avoit acquife auprès des autres Peuples & Oriënt, ne f étoic pas moins. Le Père Maimbourg avance même, qu'il fe trouva en état de faire la guerre a Saladin, & qu'entre les prifonniers Sarrafins qu'il fit, il s'en trouva un de la prémière qualité, qui fut échangé avec le vieux Marquis, fon Père.. Mais, comme les Auteurs contemporains difent au contraire, que ce vieux Seigneur n'obtint fa liberté, qu'après la prife de Ftolomaïde par les Chrétiens, & même pour une grolfe fomme d'argent; je crois, qu'il eft plus a propos de s'en tenir a ceux-ci, d'autant plus que, malgré la valeur, & la bravoure de Conrad, il avoit aflez de peine a conferver Tyr, & entretenir cette Ville bien munie. En effet, après la levée du fiége, les Barbares ravagèrent,. ' & mirent a feu & a fang les Campagnes, les Bourgs, les Vil' lages,. & les Hameaux de la Province de Pbénieie, fans qu'il y put mettre obftacle. II fe jettèrent enfuite fur la Principautc & Antioche, oü, en moins de trois mois, ils fe dédommagèrent des pertes, qu'ils avoient faites devant Tyr. Soit par force, par ftratagème, ou par compofition, Saladin fe rendit maitre de vingt-cinq Villes, qui compofoient cette Principauté, & de tous les environs de la Capitale, qu'il ne jugea pourtant point a propos d'attaquer , par raport a la force de fes remparts, & au grand nombre de peuple, qu'elle renfermoit; craignant, avec raifon, de n'en raporter que des coups, & de la confufion, comme il lui étoit arrivé devant Tyr. II en brüla pourtant toutes les avenues.; & il fe flattoit de la réduire, fans qu'ü-  HE JE'RU SALEM. Liv. VI. Crt. III, 2ps» ftfil lui en coutat un feul Homme. On dit, que les Habitans, privés des fecours de la campagne, fe trouvèrent dans une C grande difette, qu'ils convinrent de fe rendre, s'ils n'étoient puiflamment fecourus dans un certain tems. Les Républiques d'Jtalie furent les prémières a apprendrc cette nouvelle difgrace. Elles en informèrent d'abord le Pape, qui ne manqua pas d'ordonner a fes Légats d'en faire part a PEmpereur, & aux Rois de France , & d''Angleterre, qui s'étoient croijés ; & de leur repréfenter , que , s'ils vouloient effectivement fecourir les Chrétiens de la Terre-Sainte, il n'y avoit point de tems k perdre, puifque Saladin étoit fur le point d'engloutir tout ce qui leur reftoit. Ces mêmes Républiques, qui reconnurent, par Ie renouvellement de la Guerre, entre la France, & V Angleterre, que les Croijés de ces deux Nations ne feroient pas fitot prêts a entreprendre le voïage dePale/line, armèrent elles mêmes leurs Flottes; fur lefquelles s'embarquèrent grand nombre de Perfonnes de toute condition, qui s'étoient vouées a la Guerre fainte, dans 1'efpérance d'y arriver alfez promtement, pour prévenir 1'entière ruine des FiAèles. Les Vénitiens donnèrent le commandement de leur Armée a Oddon , Evêque de Ravenne. Les Pifans confièrent la leur a Ubalde Lanfranc, leur Archevêque. Divers Seigneurs Franpois, & grand nombre de Particuliers, qui ne voulurent pas différer racompliffement de leurs voeux, fe joignirent a Geoefroi de Luzignan , dit d la grande denU II avoit levé le plus de monde, qu'il lui avoit été poffible, pour aller fecourir le Roi Gui, fon Frère. Tous ces Seigneurs fè mirent a bord des VailTeaux de ces Pvépubliques. Quantité de NobleiTe Angloife, Flamande, & Hollandoife, s'unirent de leur cöté, & armèrent, a leurs propres fraix, plufieurs VailTeaux, fur lefquels ils embarquèrent leur monde. Ils donnèrent le commandement de leur Armée au . Comte J a qoj e s d'Av e n e s , 1'un des O o 2 prin- Chréticus Orientaux fecourus üar les ropéens.  .1 Desunion entre les Prinees Chrétiens m$ HISTOIRE G l'M E' R A L E principaux Seigneurs de Ta Province de Hainaut. Plufieurs aü> tres Croijés de différentes Nations prirent la route de terre, & arrivèrent, les uns après les autres, heureufement en Palejline. Pendant que 1'Empereur Fre'deric fe préparoit a ce grand voïagc, les Rois fe France, & d''Angleterre, au lieu de fuivre ion exemple, continuoient a emploïer les armes, qu'ils avoient deftinées contre les Infidèles , a fe détruire eux mêmes. Leur dèsunion fut caufe, que cette célèbre Croijade, ménagée avec tant de peines, &defoins, par les Souverains Pontifes, par fes allées, Sc vernies de tant de différens Légats, par les exhortations des plus habiles Prédicateurs, & par les fortes rémontrances de 1'Archevêque de Tyr, & des autres Ambaffadeurs fe Jérujalem, n'eut pas, a beaucoup prés, le fuccès qu'elle auroit pu avoir, fi on 1'avoit exécutée avec une bonne,. & fmcère intelligence. 11 eft indubitable, que, fi toutes ces Forces fuffent parties enfemble, & eufient agi de concert, elles auroient été plus que fuffifantes, pour remettre les Chrétiens dans la paifible pofleffion de tous les Etats, qu'ils avoient perdus; pour chaffer les Infidèles de la Syrië, Sc reflèrrer Saladin'dans un coin de ïEgypte, dans 1'impuiflance de fe réiever. L'Empereur fut le prémier en état de partir avec fes feuls Allemands. Les Franpois, Sc les Anglois, ne le fuivirent que .long-tems après. lis étoient même fi peu d'accord entre eux, quils étoient toujours difpofés a rompre enfemble; ce qui fit que les mouvemens de toute VEurope ne produifirent qiie la délivrance du Roi Gui,, le recouvrement de la Vüle de Ptolomaïde, Sc celui de quelques autres Places de moindre importance. 11 eft vrat, que la malheureufe difcorde, qui fe mit d'abord entre le Roi Gui, & le Marquis Conrad , au fujet de la Ville de Tyr, que ce prémier vouloit ravoir, comme la feule qui reftoit de fon Roïaume, & que le Marquis, qui en étoit en polfesfion, prétendoit lui être bien acquife, partagea également les efgrits des Seigneurs du Pays, Sc des Croifés, Sc ne contnbua  m JEHUSALEM. Li?. VI Ch. Hf; ^ pas peu a empêcher les progrès, qu'ils auroient pu faire fur les Infidèles. Le prémier fruit de Parmement des Princes $ Europe fut la liberté, que Saladin acorda au Roi Gui, qu'il auroit retenu plus long-tems, fans Pétonnement que lui caufèrent tous ces grands prèparatifs. Ce ne fut pourtant, qu'après en avoir exigé le ferment, qu'il ne prétendroit, ni n'entreprendroit jamais le recouvrement du Roïaume de Jérufalem. Sur le ferupule qu'il avoit de le rompre, le Patriarche, & les Evêques, Paflurèrent, qu'il n'étoit nullement obligé d'obferver une promeffe, qu'il avoit faite par contrainte a un Homme, qui, le prémier, lui avoit manqué de foi. Sur cette alfurance, il fe rendit a Tripoli, dans le delfein de fe mettre a la tête des Troupes qu'il pourroit aflèmbler, & des Croifés, qui fe trouvoient déja en cette Ville, pour tenter le recouvrement de quelcune des Places , dont on Pavoit dépouillé. II crut pouvoir entrer librement dans Tyr; fe flattant, que le Marquis Conrad le feconderoit dans fes entreprifes j mais celui-ci refufa abfolument, de Py recevoir. II foutenoit, que cette Ville, & fes dépendances, lui appartenoient a jufte tir tre, & ne devoient plus reconnoitre aucun autre Seigneur, que lui, felon la convention qu'il en avoit faite avec les Habitans, lors qu'il en entreprit la défenfe; c'eft ce qui donna lieu a la funefte mésinteligence,. qui dura fi long-tems, qui fut fi préjudiciable aux intéréts de Pun & de l'autre, & qui faillit enfin a faire naitre une Guerre entre eux. Gui, qui ne pouvoit, fans un extréme dépit, fe voir privé d'une Place fi confidérable, campa tout auprès, avec fa petite Armée; &, malgré la médiocrité de fes Forces, fon relfentiment étoit fi vif, qu'il en auroit entrepris Pattaque, fans les prudentes rémontrances du Patriarche, & du Maitre du Temple, que Saladin avoit auffi rélachés, D'ailleurs, la plupart des Croifésquoique dévoués aux ordres de ce Prince pour toutes po 3 fes; Gui mis tn liberté, par Saladin.  de JE'RUSALBM. Liy. VI. Gr. III. 2p? rniles, & au Levant par les Montagnes de Galilée, d'oü &e> tent deux petites rivières, dont Pune paffe au milieu de la Ville, & fe decharge dans le port; & l'autre, nommée Bellus, ou Pagide, traverfe cette prémière campagne, & entre dans la mer, a quelques 300. pas de la Ville vers le Sud Cette plaine, quoiqu'unie jufqu'aux montagnes, a pourtant quelques collines, fur Tune desquelles, nommée le Turen, affez voifine de h Place, etoit campée PArmée Chrétienne. Celle de Saladin etoit pofiée fur une autre colline a foppofite, mais beaucoup plus reculée dans les terres. II s'y étoit retiré, après ayoir perdu Pefpérance de couper aux Chrétiens les fecours, du cote de la mer. Cependant, quelque bien fortifiée que fut la Ville, quelque nombreufe qu'en fut la garnifon, & quelque puiffante que füt fon Armee de terre, comme il n'avoit aucune Flotte, il ne pouvoit empecher les Chrétiens de recevoir tous les fecours maritimes, qui leur venoient. Le Marquis Conrad, qui avoit pris Ie Titre de Prince de lyr, le rendit enfin aux rémontrances du Légat, & aux foiLcitations du Landgrave de Tlmringe, du Duc de Gueldres, & de divers autres Prélats, & Seigneurs. Ils lui firent envifager, quil fletnroit fa gloire, fi, après avoir fait de fi belles aéfions fidemeuroit dans Pinacïion, & dans Pindiférence, a Pégard dun Prince, que teslnfidèles avoient dépouifié de fes Etats, & qui fe trouvoit acluellenjent, & prefqu'a fes yeux, aux mains ayeceux, pour tacher d'en récouvrer quelque partie, d'autant plus que les Princes & les Peuples ÜOccident, les plus reculés, accouroient en foule, pour le fecourir. Les rémontrances de tant d'illuftres Perfonnes le firent réfou-f/ dre defe rendre avec fa Flotte, a Ptolomaïde, oü il débarquafes ? Troupes, & des Munitions, fans trouver aucun obfiacle. Ce ren-? iortgroffit beaucoup l'Armée Chrétienne, LeRoi Gui 1'accueillit E avecdegrandesdémonftrationsd'eftime, &d'amitié. Ontintd'a- PP bord kampement des deux Armées, Me de mrad, 'mee de r, de tt Ptonaïdc.  20 bo tre T P( m di VI n a h r I £ 1 1 1 Mcllent ble. 3 HISTOIREGE'NE'RALE rd un Confeil général, ponr délibérer fur ce qu'on devoit enpre„dre! contre la Vüle, ou contre 1'Armée de Salamn. ,Pute 1'Affemblée convint, que, ne pouvant fe flatter demper la Place, tant qu'ils auroient en tete une fi pmffante Aré ! U falloit abfolument lui livrer bataille, & forcer Saladw ufo rétranchemens, avec d'autant plus d'efperance den " rl bout, que leur Armée étoit tt» plus . 1'avoit jamais été aucune autre, depms que fes Cbrettens ;0ient mi k pié en Palejline. Conféquemment k cette rdbtion üs for irent de kur Camp le lendemam matm, & fe Ingèrent en brille dans la plaine, qm éto.t entre eux, & les Tetoi Gut conduifott 1'ai.e droite, le Marquis 0*M»£ ■auche- & le Landgrave de Thurmge commandoit le Corps de &' Ga*» » *™°™ > Maïtre deS Ta"pl'erl' corps de réferve. Salad.n, dont 1'Armée éto.t beaucoup krconfidérable, que celle des Chrétiens, & qm croio.t qu'ufbaule étoit le véritable moten de kur faire abandonner le fiéJe qnittn de fon cêté fes rétranchemens, & rangea toutes fo Troupes. Les deux Armées demeurèrent quelques heures, en oréfence 1'une dc l'autre, fans faire aucun mouvement. Le cLte commenca enfin, avec beaucoup d'avantage, pa» ZChrétiens; &, felon les apparences, ils aurotent remp rto une promte viöoire, Êns nn acadent de nep , qm penla CtetlarrqtfisCo«An, qui avoit commencé factiën, renverfad'alordlesEfcadrons, qu'U avoit en tête. II tofibtenfceonde par ceux qui k fmvoient, qu'il avoit déja entame k een e de PArmée Ennemie, lors que le cheval d'un de fes.Og* , cui avoit été tué, échapa vers k Camp. Qudqu Sotots, qui fomrent imprudemment de leurs rangs, pour cour r^ aprcs cc cheval, étonnérent tellement leurs compagnons, qu.ls erment que tout étoit en déroute , & que fes Prémters efcadrons  de JEHUSALEM. Liv. VI. Ch. III. 2pp avoient été entièrement défaits; &, fans favoir de quoi il s'agiflbit, ils fe dérangèrent, pour fuivre la tracé de leurs compagnons , comme il arrivé aflez fouvent, que le mouvement d'un feul Homme en fait remuër plufieurs, fans qu'ils en fachent le fujet. Tacite remarque, que, lorsqu'AiuiiNirjs, Général des Allemands , livra bataille a Varus, un cheval, qui s'étoit échapé, étant épouvanté par des cris, renverfa quelques-uns de ceux qu'il rencontra; & que tout le Camp en prit 1'allarme. Chacun, s'imaginant que c'étoit une irruption des Ennemis, courut aux portes, pour fe fauver. Cecinus, qui reconnut, que c'étoit une terreur panique, ne pouvant retenir les Soldats, fe coucha a travers la porte, & leur ferma le paffage, par 1'horreur qu'ils eurent de paffer fur fon corps. Cette bizarre avanture mit dans un inftant toute 1'Armée Chrétienne dans une étrange confufion. Les Bataillons, & les Efcadrons entiers fe retirèrent, avec précipitation, vers leurs rétranchemens, fans qu'il füt poffible aux Officiers de les raffurer. Ainfi, 1'avantage, qu'avoient eu les prémiers Efcadrons de 1'aile gauche, ceffa tout a coup; & Saladin fut fi bien en profiter, que, de demi-vaincu qu'il étoit, il devint leur vainqueur. II rallia avec, tant de promtitude, ceux des fiens, qui avoient pris la fuite, que, fans la forte réfiftance du Maitre des Templiers, qui commandoit le corps de réferve, & qui, comme 1'écrit Florent , Evêque de Ptolomaïde , témoin oculaire, foutint plus d'une heure toute fimpétuofité des Barbares, ils auroient fait ce jour-la une horrible boucherie des Chrétiens, & peut être défait toute leur flonlTante Armée. La valeur, & 1'intrépidité de ce brave Chevalier, & de fes confrères, donna le tems a Geoffroi de Luzignan, au Comte Andre' de Brienne, & au Seigneur d'Ave nes, qui étoient demeurés a la garde du Camp, de venir a fon fecours avec des Troupes fraiclies. L'Armée reconnnut fon erreur, & retour- Pp 2 na  306* II I ST OIRE GE'NE'RALE ne le portaflent a donner tête bailTée, avec fes feules Troupes, contre1'Ennemi, comme il le publioit, & n'achevat de ruiner toute chofe. On affure même, que 1'Archevêque de Cantorberi fut fi pénétré de ces désordres, & des malheurs, qui menacoient la caufe commune, qu'il en mourut de doukur. Quoi que tout ce quil y avoit de confidérable dans le Camp tut du fentiment de ce faint Prélat, fur tout a Pégard du grand fcandale que caufoit le mariage de Con*ad, & d'I sa belle, il fallut pourtant tout diffimuler, a caufe du grand befoin qu'ils avoient des fecours que fa Flotte leur apportoit. lis s'unirent tous, pour trouver quelque tempérament a une affaire fi préjudiciable a 1'honneur, & a la gloire du Nom Cbrétien. Ils agirent enfin, avec tant de zèle, & de prudence auprès des uns, & des autres, que, pour ne pas interrompre davantage une entreprife, qui leur coütoit déja fi cher, ils fe contentèrent de lailTer les chofes dans 1'état ©li elles fe trouvoient, jufqu'a l'arrivée de 1'Empereur, des Rois de Franee, & d1'Jngletterre, qui décideroient de leurs prétenfions fur la Couronne de Jérufalem; qu'en attendant le Marquis Conrad continueroit d'agir comme auparavant, & emploieroit fa Flotte pour le fervice de toute de 1'Armée, qui travailloit a forcer la Place. Cet accommodement provifionnel parut fatisfaire les parties, &. chacun fe mit en mouvement. On continua les attaques, avec différens fuccès.. II en étoit de même des AlTiégés, dont fes fréquentes forties leur étoient quelquefois favorables. & d'autrefois funeftes. Cétoit la même chofe für mer, oü le Marquis- Conrad, & les Sarrafins avoient, tour a tour, du bonheur, ou du malheur, ainfi qu'il arriva le prémier jour de Juillet,que Saladin affaillit le Camp Cbrétien, pour favorifer fes Batimens, qni venoient d'Egypte, chargés de f rovifions, pour ravitailkr la Place, laquelle en avoit grand befoin. Le  Trahifon iel'Empereur Grec envers Frédénc, .190. 308 \ H I S T OIRE G E' N E' R A«-L. E tans. II avoit mêrkie fait une trève de deux ans avec la Républiqiie de Venijé, afin de n'être pas dètourné de cette fainte entreprife; & il traitoit auffi très-favorablement tous les Croifés , qui palfoient fur fe» terres. . L'Empereur ne fit pas unla Bulgarie, dont le paffage lui fut auffi facheux, que, celui de la Hongrie lui avoit été agréable,. par les embuclies continuelles que lui . ten, doient les Barbares, qui habitoient cette Province. Comme fon Armée étoit nombreufe, &.flQriffante, il furmonta aiféi ment toutes les difficultés, & les oppofitions, qu'il trouva dans la Tbrace, par la malice des Grecs, Au lieu d'y trouver abondance de provifions, comme Isaac l'Ange, Empereur de Conftantinople, f avoit promis a fes Ambalfadeurs, il trouva par tout des gens armés, pour lui en difputer le paffage. Déloïauté, qui 1'obligea d'en venir^a des batailles,&; a faire des fiér ges, qui n'étoient pourtant pas de longue durée, paree que les Grees étoient auffi laches,. que les Allemands étoient vaillans; de forte qu'en fort peu de tems F red e'r ic s^empara de toute cette Province , Sc de tout le pays joignant,. jufqu'aux.environs de Conftantinople.-' Cette rapidité de conquêtes étanna, &abaiffa II fort Torgueil du perfide Empereur Grec, qu'appréhendant d être ren. verfé de fon Tróne, il lui envoïa demander la Paix avec emprefiement, & lui offrir tous les Batimens , qui lui feroient nécelfaires pour craverfer YHeHefpont^. Fre'd e'ri c.,. content de fa foumiffion, palfa-fhiver a Andrinsple, oü il reeut de fré^ quentes>AmbalTadesy & de. grands préfens. de la part d'IsAAC Ses Troupes ferefirent parfaitement des fatigues du voïage; &, au commencement du Printems, il s'embarqua a Galipoli, ou il fe trouva encore plus de VailTeaux, que 1'Empereur Grec n'en avoit promis,- Tant cc., lache. étoit empreffé de.voir éloigner  de JEH-tTSALE M. Liv. VI. Ch. IV; 309 dé fes-Etats , des gens qui lui avoient donné de fi terribles at larmes. • Comme Isaac joignok a la haine invétérée, qu'il avoit pour tous les Latins, un défir encore plus grand de fe vanger des mortifications, qu'il venoit de recevoir de 1'Empereur Frédéric, il fit une Alhance fécrette avec le Soudan Ülconium, afin. de linquieter par tout le pays, oü il devoit paffer, & lui fuscita tant d'Ennemis, que Fre'de'riceut bien de la peine a sen debarraffer; &, quoi qu'il les foumit enfin,--ce ne futneanmoins qu'après bien des dangers pour fa propre Perfonne < & une-diminution confidérable. de fon Armée.- La faim, & la' T^F-Jïlï Tn,trikia pas peu' Par la malice qu'avoient eue les Infidèles de faire le dégat de toutes les campagnes. L'Armée Allemande ne fe fut-pas plütöt avancée dans la Zy- caonie, qu'elle trouva le pays tout défert,-fans aucuneTubfiV tance, m pour les Hommes, ni pour-les Chevaux, malgré les promeffes du perfide Soudan-, qui, pour mieux attirer 1'Empereur dans le piége, qu'il lui avoit tendu, lui avoit envoié des. Ambalfadeurs, pour 1'affurer qu'il y trouveroit des provifions en abondance. - La difette ne fut pasie feul obfiacle, qu'il faliut furmonter,Une multitude^de Barbares, qui s'étoient pofiés dans des lieuxavantageux-, & qui harceloient continueliement- 1'Armée, lui « faifoient.tous les maux imaginables. - La valemv&. la bonne. conduite deFREDE'Ric, qui mettoit ordre a tout, avec-une prefence d'efprit admirable, lui fit éviter quelques^unes des em-' buches des Barbares, * II les écarta plufieurs fois, ,&fes Troupes en tuèrent un grand nombre en diverfes rencontres ^deforte que, malgré .tant. d'obfiacles, . ce-Monarque .parvint enfin a la vue de-la Ville dVeonium, qu'il étoit réfolu de forcer, a quelque pnx que ce fut, tant pour fe vanger de la trahifon du ■Soudan, ■ que pour.y.faire.rafraichir fon Armée. - U Soudan, qui fe flattoit de n'avoir a faire qu'a des gens ; Q_q 3 demi- >-  de JEHUSALEM. Lir. VI. Cu. IV. SI1 Mel:ch, qn'uleurfutimpoffibledeles faire avancer, ponr foutemr leur Frere, qui, avec quelqnes reftes des plus brave" driputoit encore le terrain aux Chrétiens, maia qPui f„c 2 obhge de fe fauver a bride abatue dans la Ville. L'W™ pourfumt fa vtóoire, avec tant d'ardeur, qu'aprèsinff &renverfé pendant le refte du jour.tout ce qui fe préfe^ de' vant lm ,1 fetrouva U fentrée de la nuit affel près de h pia- deLin. *" *? ^ h témÜOa de ^ kt Cependant ces &rfor«, plus accoutumés au brigandaze P ndant la „ ft' ^ÏT^ ? MmCH Ies raff™bla, pendant la nurt au debors de Ia Place. Leur préfence ne fur- deffeiP„°' Il neEDErC' & 5 P™Ce " ^ ^ aeilem. II ne voulut pas même écouter les propofitions de av^'Z f ^ L'entière conC qu^i avoit dans la prote&on du Ciel, rédoubloit fon ardeur & fon mvefur la Vlle. Jamms entreprife ne fut plus hardie, ni plus donteufe; cependant, jamais aucune n'eut „n &kmZ * ,nm'f i y ;dVUienc areiiee,par ordre de Tupiter, & qu'on dlc°a enftute changéen celui de C^.étoit alors une bel e, gran- tl é £ Zh! V'ï' ent0Urée de forEes —*> & de %Z " nee ^bdbT^ "S,™1 fimeUX ^ateau fur nne'émi. breu, oü, 1dttmamt- E"e re^rmoit un Peuple trés-nomentóes nou b .T'? ** Tr?UpeS <*" *"*»• ^ f étoient tour a^?eS f"^"" petitS C0,TS' tenoi"nt la ™» fi|êr! P 9U" ks f*0*** »'il> entreprenoient de faf-  .1 i i i i Cette Vüle tbandonnie au piUage. >i2 Hl ST.O.IRE : G E' N E'Tl Ai L E Le Duc Suabe, a qui f Empereur, fon Père, avoit donné le :ommandement d'une partie de fon Armée, & le foin d'inves:ir la Ville, s'en acquita. avec tant de bravoure, qu'il forea ion feulement.unCorpsd'Armée,qui en étoit forti fous la conduite du Soudan lui même, & le pourfuivit fi vivement dans •a retraite, qu'il y entra pêle, mêle, avec les Infidèles. 11 fit an fi grand carnage des Troupes, & des Habitans, qu'il s'eftilaèrent heureux de pouvoir fuivre leur Souverain, qui s'étoit retiró avec empreflèment dans le Chateau. Ainfi,par un bonheur rdffi. extraordinaire, qu'inefpéré , le. Duc de .Suabe fe trouva Maitre. de- cette importante Ville , fans avoir perdu un feul liomme; tant La.lacheté du Soudan, & de fes Sujets, avoit été grande dans une occafion aufli intérelfante. L'Empereur fe tenoit en bataille avec l'autre partie de* 1'Armée, pour faire tête a celle des Infidèles.qui tenoit la campagne. II en fut attaqué, avec plus de courage, qu'a leur ordinaire. La féparation des Troupes Allemandes fit efpérer aux Barbares, qu'ils en viendroient facilement a bout. Ils les inveftirent de tous cötés, avec tant .de. fureur, .que Fre'de&ic fe trouva embarralfé; Cependant,fes Soldats combatirent, avec tant de fermeté & de réfolution, que, malgré leur inégalité, animés par les exhortations de ce grand Prince, & encore plus par les grands coups qu'il déchargeoit, ils fe jettèrent fur les Ennemis comme des Lións furieux, & firent des elforts fi terribles, qu'ils les enfoncèrent enfin, ,.&.en étendirent plus de dix mille.furla place, le refte aïant pris la fuite, & abandonné le champ de bataille a leur Vainqueur. Cette langlante aétion fut terminée, avant que F red e'r ic eüt apris le honheur, qu'avoit eu le Duc de Suabe de s'emparer de la Ville. II recut cette agréable nouvelle, avec une fatisfacïion, qu'on peut mieux imaginer, que décrire, &y entra-avec fes Troupes viélorieufes. . II fut recu comme en triomphe, par fon Fils, qui s'étoit deja difpofé a former le fiége du  de JE'RUSALEM. Lm VI. Ch. IV. Chateau. Dès te lendemain, ce Monarque fit bénir la princi pale Mofquee, oü 1'on célébra 1'Office Divin «, JnA i Ciel de trés-humbles affions de grac avec 'les ■ '? umverfeltes * PArmée, a laqulT a/don a le PZ 'T cette.opulente Vüle, & en fit renverfer les Fortificatio'n g Cependant, tout vamcu qu'étoit le Soudan, comme 1'Emne l-e,k reu av01t encore une longue marche a faire fur fes Etafs& a" qu. fou hajto.t avec une égale paffion de ménager fesTro ' £sUa£ de,a fort dnmnuees, & d'arriver promtement en 5^, S da la Para a ce Prmce Mftmi qui, ne potfvasffe ong-tems dans le Chateau, la lui "faifoit demander, avec beau coupd'inftance, & de foumiffion; Mais ce ne fut JX d^onqulllmfourniroitdes „vrès, J$ ^eSgg C'eft ainfi que Fre'de'r,c fefit raifon de la trahifon, & de a trompette du Soudan AHcmium, & qu'il vangea en méme ' tems 'affront que 1'Empereur Coxaan, L Ondef a oit recu dans le meme endrozt, en 1'année i I+o. II fit rafrak ir fon Armee pendant quelques jours , des bonnes proSs dont Mille etott rempfie; apres quoi il fe remit en ma ch dan l efperance de ne plus rencontrer tant de difficultés dts le re fte de fon vmage. Cependant, quoi qu'il eut foumis ce Sol dan renverfé fa Capitale, & détruit fes meilleures Troupes ï encore beaucoup mquiété, avant que d'arriver au Mm fat >«s, & encore plus au paffage de cette grande Montafne fous les peüts Souverains des Provinces voffines, qui n! fe pes I at ™ee 7 avoient conduit leurs Trou- monta,nes t ï l£? ét°k Ü «rande> montagnes, & les vafces en étoient couvertes Leurs frequentes attaques, & la grêle de dards au'ils latent contre les iemands, étoit fi prodigieufe & les' b nnns, par ou fi kur falloit palter, li impraficables, qfffis ne Re po.  a.i4> HISTOIRE G E' N E' R A L E purent traverfer cette rapide Montagne, qu'avec des peines infmies, & des pertes très-confidérables pendant plufieurs jours. Mais aïant enfin gagné la plaine, oü ils pouvoient combattre avec commodité, ils écartèrent bien-töt les Infidèles, qui avoient ofé y defcendre, pour continuer a les harceler.. L'Empercur parvint auprès de Pbilomèle , Ville forte, & bien munie. Les- Habitans en fortirent en bon ordre, & attaquèrent PArmée Chrétienne; mais ils payèrent leur témérité encore plus cher. Fre'de'ric, déja accoutumé a furmonter tous ces obftacles, les hurta fi furieufement, qu'il les contraignit d'abord a regagner la Place, avec précipitation. Ils: ne purent même en fermer les portes alfez promptement. Les ïmpériaux, qui les pourfuivirent Pépée dans les reins, y entrèrent pêle, mêle,avec eux, & s'en rendirent maitres. Ils firent. main balfe fur tout ce qui rencontradevant eux,la pillèrent, & la détruifirent entièrement.. Cette aétion vigoureufe épouvanta tellement les Barbares, qu'ils n'osèrent plus rien entreprendre; & 1'Armée Chrétienne arriva enfin tranquilement. dans XArménie y oü elle fut parfaitement bien rec.ue du Prince Sivon, Erère de Rupin, Souverain de cette Province, qui, accompagné des principaux Seigneurs de fes Etats, fe rendit auprès de 1'Empereur, lui offrit fon bien, fes forces, & cellesde fon Frère. II voulut même 1'accompagner dans le refte de. fa route; mais, comme ce Monarque étoit déja fi avancé, & qu'il crut ne rien rencontrer, qui put arrêter fa marche, il les remercia de leur bonne volonté, & les congédia avec de grandes> marqués de reconnoiflance^ II traverfa enfuite le Mont-Aman, & entra dans la Comagèvie, oü, contre fon attente, il trouva le plus facheux de tousles obftacles. Saladin., qui appréhendoit fon arrivée en Pa~ kjline, & qui n'ignoroit pas les grands avantages, qu'il avoit remportês fur 1'Empereur de Conftantinople, fur le Soudan d74onhw,& fur tous les autres Princes de fa croïance,qui avoient ofé  de JE'RU SALEM. Lry. VI. Ch. IV. gi:J ofé Pattaquer; avoit non feulement fait ravager les campagnes, démolir les Fortifications des Villes de Laodkée, de Syrië, de' Giblet, dAntarde, de Baruth, & de Sidon, qu'il défefpéroit de pouvoir conferver, mais il avoit encore envoïé Saffadin, fon Frère, a la tête d'une pmlTante Armée aux confins de la Caramanie, pour tacher de 1'arrêter, «Sc de diminuer 1'Armée, qui venoit au fecoiirs de ceux qui affiégeoient la Ville de Ptoïomaide C'eft ce qui obligea Fre'de'ric d'en venir aux mains avec PArmée de Saffadin. II eft vrai, que fa déroute ne coüta pas beaucoup aux Impériaux, qui, dès le prémier choc, lui tuerent beaucoup de monde, & obligèrent les autres a prendre la fuite; mais ce combat fut le plus funefte de tous ceux qu'ils avoient eu a effuï?r, pendant leur long & pénible voïage L'Empereur aïant voulu pourfuivre fa Vicloire avec tropW/fc«« dardeur, entra dans le fleuve Sar, qu'on nomme aujourd'huideFridé' Seief Son cheval s'abatit fi fubitement, qu'il lui fut ^poffi-S^T ble de debarraffer fon pié de 1'étrier. Le cheval fe releva, &Saffadiotraina ce grand Prince, accablé fous le poids de fes armes,'jufqu'au bord du rivage,oüil expira entre les bras de fes Officiers. A-peine, eut-il le tems de lever les yeux au Ciel, pour recommander fon ame a fon Créateur. C'eft ainfi que Paül-Emile, & PArchevêque de Tyry Ecnvains contemporains, raportent ce funefte accident. D'autres Auteurs , entr'autres le Père Maimbourg, prétendent, que la chaleur du combat, & celle de la faifon, portèrent F re', deric a fe baigner dans ce fleuve; & que, furpris par 1 extreme froideur de fes eaux, il tomba en défaillance, & en mourut quelques heures après; mais, s'ils different a 1'égard des circonitances, ils conviennent tous du fait, & qué ce trifte accident arriva dans le même fleuve. Le Continuateur de la Guerre Sainte n'eft pas le feul bon Hiftorien, qui allure, avec eux, que ce fut dans le fleuve Selef, qui palle dans la Comagène, & traverfe ïArménie-Mineure, & Rr 2 non  1 Eloge de Fiédéric. jirticlelll. Frédéric, fon Fils, reconnu pour Cbef de l'Armii Chrétienne. Hó* HISTOIRE G E'N E'R A L E ion dans le Cydnus, qui paffe dans Ia Cilicie, que ce malheur irriva. Ainfi il eft a croire que ceux qui ont avancé que ce fut dans ce dernier, fi connu par le danger qu'y courut Alexandre le Grand, pour s'y être baigné, fe font lourdement népris avec 1'Annalifte, en confondant tous XArménie, & la Cilicie, qui font deux Provinces différentcs, aulli bien que les deux fleuves, le Cydnns, & le Selef. Mais, enfin, que ce füt dans 1'Arménie , ou dans la Cilicie, il sft du moins certain, que F r e'd e'r i c prémier, 1'un des plus grands Princes, qui aient jamais rempli le Tröne Impérial, moutut le ioe. Juin de fan 1190. & dans fa 70=. année,dans le :ems même que, rempli de zèle, & d'ardeur, il alloit pour combattre le fléau des Chrétiens de la Terre-Sainte, en vue de récouvrer le Roïaume de Jéfius. Si cette mort fut d'un préjudice infini aux Fidèles d''Oriënt, il eft a prelumer qu'elle fut précieufe devant Dieu, puifqu'elle arriva au milieu des victoires, que ce Monarque avoit remportées fur les Infidèles, & dans le tems qu'il accompliffoit fon vceu, & fon pélérinage avec tant d'édification. Ainfi, ceux qui ont ofé attribuër fa mort a une punition du Ciel, a caufe qu'il avoit fi longtems perfécuté le St. Siége, font voir une témérité condamnable a juger de ce qui n'appartient point aux Hommes; & d'ailleurs, la charité, qui eft le fond de notre Réligion, les obligeoit a ne juger des aótions du prochain, que par les endroits qui peuvent édifier. Après les prémiers mouvemens de douleur, & de confiernation, oü la mort de 1'Empereur avoit jetté tout le monde, les Princes, les Prélats, & les autres principaux de 1'Armée s'affemblèrent & reconnurent unanimément Fre'de'ric de Suabe, fon Fils, pour leur véritable Chef. Ils lui firent tous ferment d'obéiffance, avec autant de joie, qu'ils étoient capables d'en avoir dans une conjonéfure fi affligeante: bien perfuadés, que ce Prince, qui avoit déja donné tant de marqués de fa valeur, & de fa prudence, & qui avoit apris 1'art de la guer-  i> e JE'R U S A L E M. Lw. VI. Ch. IV. 3 i f guerre fous un auffi grand Capitaine, que 1'avoit été fon Père, ne manqueroit pas d'imiter fes rares vertus,& les feroit triompJier des Infidèles de la Syrië, comme ils avoient fait de ceux de tant d'autres Provinces. Ils ne tardèrent pas a en être convaincus par fa bonne conduite , & par fa fermeté, II repoulfa les nouvelles attaques de Saffadin. Cet lnfidèle aïant rallié fon monde, dans le deffein de profiter du trouble, que la mort de fEmpereur devoit avoir cauféaux Allemands, les affaillit, avec fureur, même avant qu'ils pulfent fe mettre en bataille; mais il reconnut bientöt, que la douleur de la mort de leur Prince n'avoit point avili. leur courage; & qu'il avoit toujours les mêmes Hommes a combattre. L'aótivité du Duc de Suabe a mettre ordre par-tout, & a Saffadin exhorter les Officiers, & les Soldats a ne fe point lailfer vain-itSdSZ ere par des gens, qu'ils avoient terralfés, & mis en fuite, peu JL de jours auparavant, fut II bien fecondée paria bravoure des Autricbiens, dont le quartier fut attaqué le prémier, & enfui^ te par celle de toutes les autres Troupes, qu'ils foutinrent non feulement le prémier choc des Barbares; mais, après un combat des plus fanglants, les rompirent entièrement ,& les obligèrent a prendre une fuite précipitée. Saffadin, déconcerté d'une ff grande déroute, qui lui coüta encore plus que la prémière, ne penfa, qu'a leur faire éprouver, par la faim, ce qu'il n'avoit pu obtenir par le fer. C'eft pourquoi, a 1'imitation de Saladin, fon Frère, il ravagea, brüla, & détruifit entièrement tous les Bourgs, Villages & Campagnes, par oü 1'Armée Chrétienne devoit paffer, depuis les confins de la Comagène jufqu'a Antioche; Deforte que, lorfqu'elle fe remit en marche, après quelques jours de repos, & que le Duc de Suabe eut fait embaumer le corps de 1'Empereur, fon Père,qu'il fouhaitoit de faire inhumer dans la Terre-Sainte, elle ne tarda pas a éprouver une grande difette de vi- Rr l- vres  HISTOIRE GÉNÉRALE ROl AUMES d e CHYPRE, de JÉRUSALEM, e t D' É G Y P T E. L I V R E VIL Chapitre Premier. c?M^9^ esör^w' f J^»»5 aïant recu ce renfort confidérable dAl/ci §|5 mands 5 venoi€:nt de terraffer tant de S§§ l^B Nations^r^m>rér^ rJööböbïS^ Gui,& de tous les autres Chefs, de donner ^lïlS3 un Affaut général a la Place. Le Duc Fre, . de'ric avoit a peine pris fon quartier a 1'en- droit, quoccupoit auparavant Ie Landgrave de Tburinge, qu'on Ss af-  JJJma gi nèral dunt a Ptolomaïde , par les Chiétiw Jrmption de Salac fur le ca des Cfm tiens. 322 HISTOIRE GE'NE'RALE affigna a chaque Nation Ie quartier de la Ville, qu'elles devoient attaquer. Toutes les Troupes marchèrent a 1'alfaut, avec beaucoup plus de joie, «Sc de réfolution, qu'elles n'en avoient jamais témoigné. LeRoi, les francois, les Templiers, «Sc les Pifans, firent leur attaque du cöté du Nord. Le Duc de Suabe, avec les Allemands, 1'inveftit vers le Midi, depuis le pont du Fleuve Bellus jufqu'a la Tour du Patriarche: les Vénitiens, les Hofpitaliers, & les Génois, depuis cette Tour jufqu'a la Tour maudite: les Flamands, les Danois, les Frifons, «Sc les Holèlandois, depuis la Tour maudite, jufqu'aux attaques du Roi Gui; pendant que le Marquis Conrad , avec fa Flotte, renforcée du Duc cVAutriche,&c de fes Troupes, devoit 1'attaquer "du cöté de la mer. II avoit drelfé fur un de fes VailTeaux, prés de la Tour des Mouehcs, une haute machine, dont on efpéroit beaucoup de fuccès. Cependant, quoique les Chrétiens donnauent tous en même tems; & que, par une généreufe émulation, ils Ment également des efforts incroïables pour emporter une Place, laquelle occupoit, depuis fi longtems, tout ce qu'il y avoit de braves gens en Europe, qui, pour acquérir de la gloire, ou par dévotion, y étoient accourus; &, quoi qu'ils fuffent montés, en plus d'un endroit, au plus haut des murailles, il leur fut néanmoins impofïïhle de s'en rendre maitres. Saladin, qui reconnut le danger de la Ville,quitta d'aborcï in fon Camp,«Sc fe jetta, avec fes meilleures Troupes, fi brufque? ment fur celui des Chrétiens, que ceux qui le gardoient ne purent réfifter, que foiblement, a la quantité d'Ennemis, qui leur tomboient fur les bras, ni les empêcher de pénétrer dans les retrancbemens, par divers endroits. Ils en arrachèrent les Enfeignes., «Sc y mirent le feu. Le quartier des Allemands fut le plus maltraité. Plus de cent Soldats de cette Nation y perdirent la vie. Une 11 violente irruption obligea Gui, «Sc les autres Chefs, a quitter les attaques de la Ville, pour aller défendre leur Camp, dont  de JE'RUSALEM. Liy. VII. Ch. I. dont la confervation leur étoit plus importante, que 1'efpoir de «mporter quelque avantage; d'autant plus que la diverfion de Saladin avoit fi fort rédoublé le courage des Afiiégés qu'ils avoient vigoureufement repoulTé les AiTaillans de tous cötés, & qui a merité une place fi confidérable dans 1'Hiftoire Ce ril le courage d'y monter avec lui, & fe voïant enfin réduit a être accable lui même par les Infidèles, tout couvert de fon IT & du leur, fe jetta dans la mer, & nagea jufqu'au rivage, oü ü parut encore aux yeux de la plupart 1 f Armée, Z'lnC glantc, ne lui reftant de blanc , que 1'endroit d'une écharpe dont il étoit ceint, & qu'il avoit quittée. II en fut extrème- fon gund courage, voulut récompenfer fa valeur, en lui donnant pour armes un écu fe gueules a la face dVW, que les n'enTrent^T™5 &CCèS de Ce"e tentative' WOlHW^J*,* nen firent plus aucune, ni contre la Place, ni contre Ie Camo de £édé;,c' Salamn, par raport a une efpèce de maladie conJfcS£ £■* ^Staft."» * *^>«W ^ Pe^onne's'd Ü toute condmon. Fr.edek.ic, Duc de , ftt du nombre La Allci mort de ce Pnnce, a la fleur de fon uge, déconcertaTfort ta ^Wx, qui avoient perdu 1'Empereur, & fon Fils, dans cette malheurenfe Expédition, qu'après avoir accomptné k «ur, fon Père, da ne voulurent plus reconnoitre aucun autre ss 2 Cbef,  dê JE'RUSALEM. Liv. VIL Ch. I 32j Av tous ces malheurs fe joignit encore la perte de mille de leurs meilleurs Soldats. La néceffité fit prendre aux Chefs k réfolution d'envoïer grand nombre de bêtes de charge aux Villages circonvoifins, pour y chercher des vivres, a quelque prix que ce füt. Ils firent partir ces Troupes, pour efcorter le convoi; mais, par malheur, Saladin aïant été averti de leur desfein, par un fcélerat, nommé Plofini, qui alla fe rendre a lui, il fit furprendre ce convoi, & malfacrer tous ceux qui le condmfoient; de forte qu'on ne fongea plus qu'a fe garantir des attaques des Infidèles, au milieu desquels les Chrétiens étoient campés, en attendant que la Providence leur envoïat de quoi fubfilter. II elt eertain, que, fans la générofité, avec aquelle les Seigneurs, & les Officiers, partageoient, avec les Soldats, le peu de vivres, qui leur refioient, la plupart feroient morts de faim. Mais, enfin, la Flotte du Marquis Conrad, qui étoit aliée aux Hes & Cótes voifines, pour en procurer, étant de retour, avec une prodigieufe quantité de toute forte de provifions, l'abondance fuccéda tout d'un coup a 1'extrème mifère; en forte que Ja moge de farine ne valoit plus que 3. Ecus, & tout le refte aproportion. Ils oublièrent alors leurs mifères palfées: ód'efpérance de voir dans peu paroitre les Flottes de France, & ÜJn^ gleterre, les confola entièrement. Ils netardèrent pas a avoir cette confolation, parl'arrivée des Rois de iW, &c dAngkterre. La cruelle Guerre, que ces deux grands Princes s'étoient faite depuis deux ans, & dans la] quelle ils avoient confumé beaucoup d'argent, & la plus grande partie des Troupes, qu'ils avoient mifes fur pié, pour aller au fecours des Chrétiens de la Terre-Sainte, s'étoit enfin terminée par la mort du dernier; & la paix, & la bonne intelligence, avoient fuccede au bruit des armes, entre Pmlippe-Auguste' g Kiciiard , fur-nommé Cceur-de-Lion, Fils & SuccelTeur de Menri, Roi dèAngJeterre, Ils convinrent dans uneConféren- Ss a ce,  -.3 d I Grands prèparatifs en France, «rcAngleterre,pour fecourir la Paleftine. 26 H.ISTOIRE GE'NE'RALE £, tenue \Konancour, de ne plus différer leur voïage d'outre- nér. • Ils firent un Traité a ce fujet, & fe promirent reciproque•nent une foi inviolable dans cette fainte entreprife. lis s'apli^uèrent également a lever de nouvelles Troupes, & a faire :ous les prèparatifs néceffaires. Richard, foit pour faire oftentation de fes forces, & furpaffer le Roi Philippe en magnifi:ence, dans une occafion fi éclatante; ou, par un véritable motif de piété, pour accomplir fon v'oeu, & tacher de réparer la négligence du feu Roi fon Père, qui avoit manqué aux engagemens folemnels, qu'il avoit pris de fecourir puiffamment les Chrétiens de la Paleftine, & de faire la Guerre aux Infidèles, fans qu'il fe füt jamais mis en devoir de s'en acquiter, vendit les Charges, les Honneurs & les Dignités de fon Roïaume, & démembra même plufieurs Fiefs de fon domaine. Ces resfources lui produifirent des fommes fi confidérables, qu'il fit ie plus puiflant armement, qui füt jamais forti tfjngleterre. II parut avec des équipages plus pompeux, & plus fuperbes, que n'avoit fait aucun de fes PrédécelTeurs. 11 fit équiper dans les ports de fa domination plus de deux eens Batimens pour le tranfport de fes Troupes. II fit par-tout une fi grofle dépenfe, & de fi grandes largelfes, qu'il ne fe fit pas moins admirer, qu'il s'attira des partifans. Philippe fe fervit utilement, & bien a propos, des déniers de fon épargne, & de 1'argent, qui lui reftoit encore de la dime Saladine, qui avoit été impofée pour cet effet. Quoique ce Monarque ne fit point d'auffi éclatans prèparatifs qu'avoit fut Richard, & quil füt obligé de fretter la Flotte des Génois, pour le pasfage de fon Armée, il ne fe fit pas moins diftinguer, & rendit même de plus grands fervices a la Cbrétienté. Car on ne peut difconvenir, qu'il ne dépendit de lui d'emporter la Ville de Ptolomaïde, avant 1'arrivée de Richard en Paleftine', & que, fans rien diminuer de la grandeur & de la majefté Roïale,  de JE'RUSALEM. Lm VIL Ck I. qui accompagnoit toutes fes aótions, il agït d'une manière plus modérée, & plus édifiante, que le Roi dAngkterre. Philippe recut le bourdon de fon pélérinage, avec beaucoup de piété, & de dévotion, a St. Denis en France, des mains de Guillaume, Archevêque de Rbeims, fon Oncle maternel. II recommanda le foin de fon Roïaume, & du jeune Prince Louis, fon Fils, a la Reine Adelle, fa Mère, & au même Archevêque de Rbeims, & fe rendit enfuite a Vezelai. Richard y alla le joindre. II avoit laiiTé la conduite de fes Etats a la Reine El e'o nor, fa Mère, qu'il avoit, dès fon avènement a la couronne, retirée de la prifon, oü le feu Roi, fon Père, la tenoit depuis quinfe ans. II lui avoit donné pour Adjoint Guillaume de Longchamp, Evêque dé Eli, fon Chancelier. ^ Ce Prince avoit pris fon bourdon a St. Martin de Tours; mais il en reprit enfuite un nouveau, paree que le prémier s'étoit rompu par le milieu, lorfqu'il voulut s'apuïer delfus; ce qui avoit fort allarmé les Seigneurs, qui 1'acompagnoient, & qui avoient regardé cet accident, comme un mauvais préfage de leur prochain voïage. Les Franpois, de leur cöté, avoient auffi mal auguré de la mort de la Reine Isabelle , arrivée prefque dans le même tems, en mettant au monde deux Jumeaux , qui ne lui furvécurent, que trois jours. Les deux Rois cependant, qui avoient des fentimens plus, relevés, & plus généreux, fans s'arrêter a des accidens, qu'ils * regardoient comme de purs effets de la nature, ou du hazard, après s'être renouvellés les alfurances d'une amitié réciproque, & d'une foi inviolable, prirent les mefures les plus juftes & les plus néceifaires , pour éviter les facheux inconveniens , qui étoient arrivés aux autres Croifés, & pour maintenir un bon ordre dans leurs Armées; & ils partirent enfemble pour Lion, oü ils fe féparèrent. Richard défcendit a Marfeille, oü devoit fe rendre fa Flotte; & Philippe alla a Gènes, pour s'em- barquer  328 HISTOIRE GE'NE'RALE barquer fur les Batimens de cette Republique avec toute fori Armée, dans laquelle fe trouvoient les plus grands Seigneurs de fon Roïaume, entr'autres Othon, Duc de Bourgogne, les Comtesde Ncvers, èzChartres, du Percbe, teBeaumont, de Rochefort, de Valeri, Mathieu de Montmorenci , & quantité d'autres de la plus haute NobleiTe. La Flotte de ce Prince fit voile du port de Gènes dans une faifon, qui lui faifoit efpérer de gagner bientöt celui de MeJJine, oü les deux Rois étoient convenus de fe joindre; mais elle fut furprife d'une tempête fi furieufe, quelle fut difperfée; & les mariniers, après avoir vu déchirer leurs voiles, rompre leurs mats, & brifer leurs antennes, furent contraints de jetter a la mer quantité de Chevaux, & d'équipage. Desaflre, qui 1'empêcha d'arriver en SicUe, avant la mi-Septembre. Philippe y exerca d'abord fa générofité naturelle, par des libéralités, vraiment dignes d'un auffi grand Prince. Comme plufieurs Gentilshommes, dont les équipages avoient ete jettés a la mer, n'étoient point en état d'en refaire d'autres, fans s'incommoder beaucoup, il leur fit donner largement dequoiyfubvenir; &, afin de recruter promtement fon Armée, il dépêcha en France, pour avoir des Hommes, & des Chevaux. 11 donna auffi ordre, qu'on lui envoïat des Machines, pour remplacer celles qu'on avoit jettées a la mer; fe flattant, qu'il pourroit recevoir le tout, avant 1'arrivée du Roi Richard, qui fe trouvoit encore a Marfeille, oü il attendoit des nouvelles de fa Flotte. Cependant,■ ce Prince, plus heureux que Philippe, dans ce commencement de voïage, aborda a Mejjine, vers la fin du même mois de Septembre, fans avoir rien fouffert; mais ni 1'un, ni l'autre, ne profitèrent de la belle faifon, pour continuer leur voïage. Comme il falloit du tems, pour réparer les Batimens Génois , qui avoient été endommagés, le Roi Philippe étoit bien aife de recevouTes renforts, qu'il attendoit. Richard, de fon cote,  de JE'RUSALEM. Liv. VII. Cu. I. 320 cöté, avoit quelques affairesa terminer avec Tancrede,Fils naturel de Roger, Duc de la Pouille, qui avoit fuccédé a la Couronne de Sicik. Ces affaires étoient relatives a la dot de la Reine, Sceur de Richard , & Veuve de Guillaume II. furnommé le Bon. C'eft ce qui fitréfoudre les Rois de France,Sc &Angleterre,&y paffer 1'Hiver, d'autant plus que Tancr ede leur témoignoit réciproquement la grande fatisfaclion, qu'il avoit de les retenir dans fes Etats; mais les intéréts, les inclinations, Sc les tempéramens de Philippe, & de Richard, étoient trop differents, pour que leur bonne intelligence put durer long-tems. Auffi fut elle bientöt interrompue, pas des aigreurs fi grandes, que, malgré la foi, & famitié inviolable, qu'ils s'étoient jurée, ils pensèrent plus d'une fois, tourner contre eux mêmes les armes, qu'ils avoient deffinées contre les Infidèles, pour le recouvrement de la Terre-Sainte. Philippe fe fentit offenfé, de ce qu'au préjudice du Traité qu'ils avoient fait enfemble, & par lequel Richard s'étoit engagé d'époufer la Princeffe Alin,fa Soeur, dès qu'ils feroient de retour de Palejline, ce dernier voulüt le rendre fpedateur de fon Mariage avec la Princeffe Ge'laise, ou Berange're, Fille de Don Garcie, Roi de Navarre, que la Reine Ele'onor,faMère, lui amenoit. Ainfi, fans un véritablefond de piété Chrétienne, qui portoit Philippea modérer fes tranfports, & a facnfier fon propre reffentiment au bien commun de la Chrétienté, ils en feroient venus a quelque extrémité. Les fages rémontrances des principaux Seigneurs de f Armee, & principalement du Comte de Flandres, firent enfin confentir Philippe a un accommodement, afin de ne p us retarder 1'extrême paffion, qu'ils avoient tous d'accomplir leurs voeux. Richard, de fon cöté, qui ne cherchoit qua fe degager, avec quelque bienféance, de 1'Alliance de la Princeffe Alin, qu'il avoit, en effet, de jufles motifs de refufer, par raport au violent amour, que tout le monde Tt fa.  33o HISTOIRE G E' N E' R A L E favoit que le feu Roi Henri, fon Père, avoit eu pour elle, & qui favoit même porté a la violer, tacha de terminer tranquilement fon mariage, avec laPrincelfe de Kavarre; «Se, pour cet effet, il s'en gagea par un nouveau Traité,de rendre a Philippe le Vexin, qui lui avoit été aflignépour dot, & de lui payer dix mille marcs d'argent. Philippe s'en contenta, avec d'autant moins de peine, qu'fl nignoroit pas la forte raifon qu'avoit Richard de rompre ce mariage, & d'effacer la mauvaife aft ion de fon Père, qui avoit abufé une jeune PrinceiTe, deftinée pour Epoufe a fon propre Fils, «Sc dont on lui avoit confié la garde. Ainfi , 1'orage, que cette grande querelle avoit excité , fut diffipé par ce nouvel accommodement, «Sc par une réconciliation,plus apparente, que fincère, entre les deux Nations. Elles pafsèrent alTez tranquilement le refte de Thiver, «Sc ne s'occuperent plus qu'aux prèparatifs néceffaires pour continuër leur voïage, dès le commencement du printems. Ce fut auffi ce que le Roi de France ne manqua pas de faire promettre a celui dAngleterre, dont il craignoit, que 1'amour, & les intéréts, ne retardafient encore le départ. 11 ne fe trompa point. II furvint un démêlé fi furieux entre Richard, & Tancrevde, qu'il fit craindre un nouveau rétardement du voïage de Faleftine. . Ce dernier aïant remis la Reine Jeanne entre les mains de fon Frère,fans le fatisfaire fur fes autres préteniions, Richard, naturellement emporté, fe fervit d'abord de la force,qu'il avoit en main, pour fe faire raifon par lui même; Mais le Roi de France, qui désaprouvoit tous ces emportemens, s'entremit pour terminer leurs différends, & engagea Tancr ede a céder. Cet accommodement aïant encore mis la paix, & la concorde par tout, les Rois de France, «Sc dAngleterre, recommencèrent a vaquer a leur expédition. Comme rAbbé Joachim, Calabrois de Nation, étoit alors en grande réputation de prédire 1'avenir, ces deux Vnnc^  de JE'RUSALEM. Liv. VIL Cu. I 33i également curieux de favoir le fuccès de leur entreprife, prièrent Tancrede de le faire venir a Meffine, pour le confulter. Cet Homme celèbre leur prédit, fans héfiter, „ le mau„ vaisfuccès de leur expédition en Oriënt, ou, a la verité, ils „ triompheroient des Infidèles en plufieurs occafions, mais oü „ ils n avanceroient rien pour le recouvrement de Jérufalem, „ paree que le jour fatal a la cruelle béte n'étoit point encore » arrivé, & que le foleil qui devoit voir la Terre-Sainte de„ livrée du jong des Infidèles, n'avoit point encore paru." Un raifonnement fi obfeur, & fi énigmatique, fit, que les deux Rois, & les Seigneurs, qui fe trouvoient préfens regardèrent cet Homme, plütöt comme un vifionaire, qui avoit 1'efprit g&té, que comme un prophéte, tel qu'on le croïoit en fon pays. Auffi, ajoutèrent-ils fi peu de foi a fes prédiftions, qu'ils ne voulurent plus 1'interroger fur leur voïage, ni fur leur entreprife , & le renvoïèrent dans la folitude , pour s'y faire admirer des Italiens, qui étoient plus crédules qu'eux, & qui avoient la foibleffe d'écouter, comme des oracles, toutes les chimériques rêveries, qu'il leur débitoit fur VApocalipfe. Cet Abbé fe vantoit de favoir parfaitement expliquer ce Livre mifté- Témériti rieux, & de 1'entendre auffi bien, que St. Jean, qui 1'avoit j^chfm. compofé. La rigueur de fhiver s'étant palTée tantöt en paix,& tzntbt Ankkii. en conteftations, entre les Franpois, les Anglois, & les Sieiliens, le Roi Philippe fit embarquer fes Troupes,avec les machines qu'il avoit fait conftruire; & las des remifes continuelles du Roi Richard , il s'embarqua au commencement du mois de Mars; ne prévoïant que trop, que les nouveaux, & fuperbes équipages, qu'il faifoit préparer pour fa nouvelle Fiancée, & pour la Reine Jeanne, fa Soeur, qui devoient faire le voïage de la Terre-Sainte en fa compagnie , de même que ceux qu'il deltinoit pour le retour de la Reine Eleonor, fa Mère, en Angleterre, 1'arrêteroient encore long-tems. Tt z Les  332 HISTOIRE GE'NE'RALE . iedu Les vents furent fi propices a la Flotte de Philippe, que M1Vd' U ce Prince arriva heureufement a Ptolomaïde, vers la fin du mêKdomal me mois de Mars. Le Roi Gui & tous les autres Princes, & Seigneurs Croifés, qui étoient dans la troifième année du Siége de cette Ville, le recurent avec des tranfports de joie inexprimables, le regardant comme un Ange defcendu du Ciel a leur fecours , pour leur procurer le terme des travaux infinis, des peines,& des dangers, qu'ils avoient efluïés. 11 prit fon quartier a 1'oppofite de la Tour maudite, comme la plus forte, & la plus difficile a forcer. II vifita tous les ouvrages du camp. II fit planter fes machines, aux quelles il fit encore ajouter quelques Chateaux de bois, qu'il crut néceffaires pour en hater la prife. Après quoi, on recommenca a battre la Place , avec beaucoup de vigueur. Les attaques de fes Troupes fraiches, encouragees par la préfence de leur Souverain, & fecondées par toutes les autres du Camp, qui s'étoient refaites de leurs travaux panes, déconcertèrent fi fort les Infidèles, & lés réduifirent, en peu de jours, a une fi grande extrémité, que, fans la délicatefle, & l'exa&itude, avec laquelle ce Prince voulut garder fa parole envers Richard,en fe refufant la gloire d'emporter la Place avant fa jonclion, il auroit contraint les Infidèles a fe rendre, & terminé feul un fiége fi long, fi fatiguant, & fi meurtner. Mais, comme ils étoient convenus dans le Traité, qu'ils avoient lait enfemble, quils partageroient les conquêtes,qu'ils feroient fur les Infidèles, il voulut, qu'il en füt de même de la gloire. II arrêta 1'ardeur de fes gens, qui alloient monter a 1'aflaut par une brèche confidérable, qu'avoient fait les machines, & fe contenta de la faire bien garder, jufqu'a 1'arrivée du Roi üJn* gleterre, afin d'empêeher les Afiiégés de la réparer. Richard cependant, moins fcrupuleux que lm, faifoit des acquifitions très-confidérables a fon profit particulier, par une avanture afiez extraordinaire, & qui devoit lui être plutot m> nes-  de JEHUSALEM. Liv. vii. Ch. ï: 333 nefte, qii'avantageufè, mais qui cependant lui valut la conquête d'un Roïaume entier. Car, quoique la Flotte Angloife ne partit du port de Meffine, qu'au mois d'Avril; & que la Saifon parut encore plus propre, que lorfque les Franpois en étoient partis, elle rencontra une bourafque fi terrible, qu'elle failüt a en être engloutie; elle en fut du moins difperfée, & extrèmement endommagée. Ce ne fut pas, fans des peines extraordinaires, que Richard gagna le port de Rhodes , oü , pendant qu'il attendoit fes autres VailTeaux, qui avoient été jettés de part, & d'autre, il aprit le malheur arrivé a un Navire, & a deux de fes Galères, qui avoient donné a travers fur les Cötes Mêridionales de l'Ile de Chypre, de la manière, que je 1'ai raporté au fecond Livre de cette Hiftoire, oü je renvoie mon Lecteur. La conquête d'un Etat auffi riche, & auffi floriflant, que l'Ile de Chypre, donna quelque jaloufie aux Chefs de 1'Armée Chrétienne. Ils recurent pourtant Richard, avec beaucoup d'applaudiffemens, & de grandes marqués de joie. Philippe- Aüguste, en particulier, qui ne refpiroitque le moment de chafler lts Infidèles de Ptolomaïde, fe répentit alors d'en avoir manqué 1'occafion. Cependant, foit que ce füt fincèrement, ou non, il témoigna a Richard la joie, qu'il reifentoit de fes profpérités; &, afin d'accélérer leur conquête, & que rien ne retardat la reddition de la Place, il lui préfenta d'abord toutes les machines, & autres inftrumens de guerre, dont il avoit hérité par la mort du Comte de Flandres-. Le renouvellement d'amitié entre ces deux Princes, la proxv mité de leurs quartiers, & fétat oü la Ville étoit reduite, faifoient efpérer a tous les Croifés, qu'ils en feroient bientót les maitres; mais ils eurent encore bien des alfauts a donner, & des dangers a effuïer, avant gue d'avoir cette confolation. Car, quelques attentives, qu'eulfent été les Troupes Franpoifes, a Tt 3, bien  .334 HISTOIRE GE'NE'RALE bien garder les brêches, les Infidèles, avoient trouvé les moïens de les réparer, pendant 1'intervalle de repos qu'on leur avoit donné, & même de recevoir des fecours, qui les avoient mis en état de fe foutenir encore, «Sc de repouffer affez fouvent les €hrttiem. *vh*ï(ksBrouille- - Le chagrin fécret, que Richard reffentoit d'entendre publier, \"sS- qu'il n'avoit tenu qu'a P h i l i r p e de réduire la Place avant fon ArfioTs'" arrivée, contribua beaucoup a la peine «Sc aux travaux, a caufe caujées par du peu d'éfforts , que fit ce Prince , dans les prémiers af\tesderUr &uts, qu'on donna, après fa jonction. II étoit bien aife d'en cmkHa ^re rétarder la prife, pour faire ceffer les bruits, qui dimiprémiers. nuoient la part «Sc la gloire, qu'il vouloit y avoin La négligence des Anglois offenfa les Francois, «Sc renouvella la haine, «Sc 1'antipathie, que les guerres palfées avoient caufées entre ces deux Nations. Elles en vinrent aux réproches, aux injures, «Sc enfuite a une difcorde ouverte, qui palfa 'des fimples Soldats aux Officiers, «Sc des Officiers aux Princes mêmes, furtout après un alTaut général, qu'on réfolut de donner , «Sc dans lequel les Anglois ne firent pas, a beaucoup prés, ce qu'il auroient pu faire. Mais, comme les Croijés des autres Nations s'y fignalèrent, furtout les Italiens, il réüffit encore moins mal qu'on n'auroit ofé 1'efpérer. Mioniè- \\ ne feroit pas jufte de dérober a cette Nation les louanges, GemiOxZ- que méritent leurs belles aclions ; puifqu'après avoir fait des dnFi°Ifln' Pr°diges de valeur pour furmonter 1'opiniatreté , avec laquelle Maifonde \QS Afiiégés fe défendoient, «Sc que les Soldats Italiens, a lexemBonaguifi. ^ ^ Officiers, eurent agi par tout, avec un courage extraordinaire , bon nombre d'entre eux, conduits par un Gentilhomme Floreniin de la Maifon Bonaguisi , plus heureux que les autres, forcèrent les Infidèles a leur abandonner 1'endroit qu'ils attaquèrent. Ce vaillant Homme, fecondé par fa généreufe troupe, feTailit dune Tour, oü il tua 1'OfficierSarrafin, qui tenoit a la main un grand étendart cramoili. Son ardeur fut  de JE'RU SALEM. Liv. VII. Ch. I. 33? fut fi extraordinaire, que, fans confidérer, que les Chrétiens n'avoient pas eu le même bonfieur aux autres attaques, il entrepnt de lè maintenir dans cette Tour, conferva toujours 1'étendart, & renverfa plufieurs des Barbares, qui 1'avoient environné, & qui, confus de fa réfiftance, faifoient les derniers efforts pour 1'accabler. Enfin, refté prefque feul de fa petite troupe, fans s'étonner, il régagna la muraille, & le fauva au camp, fans jamais quitter fétendart, qu'il eut la fatisfadion de porter dans la fuite en fa patrie, oü il le dépofa dans 1'Eglife de S. Jean Bdti/ie, comme un monument de fa piété,&une marqué de la gloire immortelle, que lui aquit cette aclion Jiéroïque. Cette journée dailleurs fut plus funefte, qu'avantageufe,aux Chrétiens. Outre le grand nombre de Croifés de diverfes Nations, qui y périrent, elle coüta la vie a plufieurs Seigneurs de confidération, qui, comme Bonaguisi, firent des acfions furprenantes. Les principaux furent Albe'ric Clement, Maréchal de France; Celui-ci s'étoit jetté dans la Ville, avec quelques-uns, qui avoient été aflez nardis pour le fuivre; mais ils furent maiheureufement tous maflacrés. Tibaut, Comte de Champagne, qui commandoit la Cavalerie Franfoife, le Comte de Blois , & quantité de Cfievaliers des Ordres Militaires, furent brülés par les feux grégeois, par 1'huile bouillante, la* poix fondue, & le fable enflammé, que les Afiiégés verfoient fur tous ceux qui approchoient de leurs murailles. Le mauvais fuccès de cet aflaut, & de divers autres, que les Chrétiens donnèrent dans la fuite, & dans lefquels périlToit grand nombre des plus vaillans Hommes,ne put arrêter la malheureufe difcorde, qui régnoit entre les Chefs de PArmée. Ils étoient tous plusoccupés de leurs propres paffions, qu'attentifs a procurer la fin d'un fiége, fi funefte a tant de braves gens. La mes-mtelhgence des Rois de France & ÜJngleterre, partageoit non feulement les efprits, mais augmentoit fanimofité du Roi Gui,& du Marquis Conrad,dont les prétenfions s'étoient re-  336 H I S T O I R E G E' N E'R AL E reveiilées avec beaucoup de chaleur, au fujet du Titre de Roi de Jérufalem, que le prémier vouloit garder, & que Fautre prétendoit abfolument lui appartenir; ce qui les portoit, tous les deux,plus ■ a briguer les fuffrages pour foutenir leur parti, qu'a fonger a la conquête de la Ville. Deforte que les affaires communes auroient langui encore long-tems, & peut être procuré a Saladin la commodité de conferver cette Place, fans la généreufe réfolution du Roi Philippe. Ce Prince, lailfant a part tous ces Ricomüia intéréts particuliers , fit un nouvel accommodement avec le fe"n- Roi dAngleteire, afin que chacun s'appliquat entièrement a <;ois &ks réduire les Aifiégés, tUkkiii. H ht, pour cet elfet, creufer, avec beaucoup de diligence, des fouterrains, pour arriver jufqu'au pié des murailles de la Tour maudite, dans le deffein de la faire fauter; fe flattant que, s'il pouvoit y faire quelque brèche confidérable, la nonchalance des Anglois ne retarderoit plus la prife de la Place; & quefaffaut, qu'on y donneroit enfuite, auroit un fuccès plus heureux, que tous les précédens. Ce Prince n'oublia rien, pour hater cet ouvrage. ^ Ses Ingénieurs s'y apliquèrent, avec tant de vigilance, & dadivité, qu'ils les conduifirent, en beaucoup moins de tems, qu'il n'auroit ofé 1'efpérer,aux piés des murailles,& fappèrent les fondemens de la Tour, qu'ils fufpendirent entièrement avec des étancons de bois godronné , auxquels on n'avoit plus qu'a mettre le feu pour la renverfer. II ne voulut cependant point les faire allumer, fans en donner part aux Rois dAngleterre, & de Jérufalem, auffi bien qu'aux autres Chefs de 1'Armée, qu'il exhorta même a profiter du bonheur, qu'avoient eu fes gens de réüffir dans un ouvrage , qui pouvoit leur faciliter la prife de la Place. II fit enfuite mettre le feu aux fafcines huilées & fouffrées, dont les Ingénieurs avoient eu foin d'entourer les étancons, qui foutenoient la Tour, & une partie de la muraille attenante. Le feu  óï JERUSALEM. Lm VU. Cu. i. 33? feu y prit avec tant de violence, & confuma fi bien tous ces foutiens pendant Ia nuit, qu'au point du jour onfième de TuT pant, fi cette ruine ^TéJL^^S £ fe went tout d'un coup, & d'une manière fi inopinée^édm a ladermere extrém.té. Auffi, volant bien qu'a^ une brè che fi confidérable, il leur étoit impoffible de fe mainteni plus long-tems, ils perdirent courage ie maintenir plus preftment^'1" W "f"4^*" d'autant plus d'em-^ prellement, que, depuis que les Forces de France, & $An- f™« pWétemerderéeSaU S*"™,nW fc&i terre 11 leur avoit fait entendre, „ que,dans la neceffité, oü'""- " m, uf^ fe ret!rer M ™ême' P°"r Bürc tête'aS „ Pnnces Mufulmamqui, profitant de fon éloignement, avoient „ repris une partie de la ils fiffent leur accommo „ dement le mieux qu'il kur feroit poffibfc." Les AlS ™i uraftew la peine, «Sc lembarras de 1'affaut, qu'ils fe nréna 2ST Pour avancer , qu'il avoit gagné le Vieux de la fementac, Montagne , non feulement pour le faire aifaffiner, mais encore %fmT' pour en faire autant au Roi de France. II faut cependant convenir, avec les meilleurs Hiftoriens contemporains, 6c dire, a  i>e JE'RUSALEM. Liv. Vïï. Ch. ffi 35> la louange de Richard, qu'il étoit incapable d'une penfée ft baffe, & naturellement trop généreux pour avoir recours a une lacheté, lors qu'il vouloit fe vanger de ceux dont il étoit mé- CTT^ 11 €ft ,Vrai' (3u,iIn,aimoit Point Philippe, par raport a la difterence de leurs humeurs & de leurs intéréts II n'aimoit pas non plus Conrad, paree qu'il avoit refufé d'époufer la PrinceiTe Jeanne , fa Soeur. Richard la lui avoit offerte en mariage , pourvu qu'il quittat la Princeffe Isabelle , qu'il ne pouvoit , difoit-il , légitimement garder : mais ce Prince n auroit jamais penfé a attaquer fun , ni a fe vanger du refus de 1 autre , que par une Guerre ouverte , & non par une trahifon, indigne non feulement dun auffi grand Prince, mais encore du moindre Galant - Homme.. D'autres publièrent , qu' Emfroi de Thoro*, après avoir paru long-tems infenfihle , & même indifférent a 1'infigne affront, que lui avoit fait Conrad, en lui débauchant la Princeffe Isabelle , fa Femme , s'étoit enfin vangé de ce rival, en leduifant deux vagabonds , pour 1'affaffiner. On ne tarda pascependant long-tems a reconnoitre la fauffeté de ces bruits, & la caufe de la fin tragique du Marquis. C'étoit véritablement le Vieux de la Montagne, qui avoit envoïé deux de fes Sujets a Tyr, pour le poignarder, non pas a Ia follicitation du Roi d' Angleterre, ni d'EMFROi de Thoron, mais pour fe vanger lui meme de 1'mjuffice, que le Marquis Conrad avoit fait a fes Sujets , aux quels il avoit retenu un VailTeau, richement chargé qui avoit abordé en cette Ville , fans qu'il eüt jamais voulu te reltitucr, ni leur en payer la valeur. Quoi qu'Emfroi de Thoron vécut d'une manière fort pai-Aniciem« fible, &qtfilne fit pas plus de bruit a la Guerre, que dans ^ les villes , ou il habitoit, il fut pourtant également affaffiné peu de tems après , fans qu'on püt en découvrir le fujet Par" cesmeurtres, la Princeffe Isabelle demeura Veuve de deux Mans ? dont la fin fut auffi déplorable, 1'une, que l'autre. El-le avoit eu du dernier une Fille,, nommée Marie.. Les droits-  36o HISTOIRE GE'NE'RALE mconteftables de cette jeune PrinceiTe, . fur le Roïaume de Jérufalem, firent, que le Roi DAngleterre, non moins politioue , que guerrier, fongea d'abord k la maner a quelque Seigneur, qui dépendit entièrement de lui, afin de pouvoir disfofer de la Souveraineté de cet Etat : ce qui lui paroilToit d'autant plus facile, qu'il ne doutoit point que Gui de Luzignan, k qui le Titre de 'Roi de Jérufalem , & la polTeflion de la Ville de Ptolomaïde, étoient demeures, ne lui cedat^ies droits fur cette Couronne, en échange du Roïaume de Cb pre, dont il pouvoit difpofer; les Templiers, aux quels il 1 avoit en- gagé, s'en étant démis. ::*ifc;J ë Richard ne fe trompa point dans fes comeftures. 1 perfuadafacilement a la PrinceiTe Isaeeue de -=0fm"=X veile AUiance avee Henr., Comte de Champagne,fon_Ne«l II n'eut pas plus de peine a obtenir ce qu'il fouhaitoit de Gol. Ce Prince mfortuué étoit fi fatigué des conteftat.ons, qm natffoient tous les jours pour le vain Titre d'un Roianme, enticrement détruit, ou poffédé par les Infiièles , qu'd ne fe fitpas beaucoup prier, pour lui céder, tous fes dro.ts, raifons.&aarons. L la Comonne de Jérufalem, en échange duRoraume deGtre II fe chargea même d'acqmtter les vmgt-cmq m.lle ^res d'argent /dont Rkhard étoit rédevable aux Temples. C'eft ainfi! qu'il eut 1'adreffe d'acquénr la SouverauietL d un Pay fi^f ime?, & réveré de toute la République ö,« & c'eft la raifon pourqnoi fes SuccefTeurs ont ,omt a tous leurs autresTitres ceïui dl Rois de Jérufalem , qu'Js ont toujours ^qTfocHARD, donnit 1'inveftiture du Roïaume $M rufaZ Usabeele, & au Comte de Champag,*, ü enj>gea cependant le ferment de fidélité, comme ce Roïaume, auffi bien que pour la Prmcrpaute de Q, , ^ donna en particufier il Henri , fur le meme m* »fc» q„is Conrad 1'avoit poffédée, & comme Fief dotaldelaPnn ceffe fon Epoufe. gj.  HISTOIRE GÉNÉRALE R O ï a" U M E S D E CHYPRE, de JERU ALEJVf B' É G Y P T E. LIVRE VUL Chapitre Pr e'm i e r. ttl&këkStks'1™ accord ainfi conclu, Gui ne balanca pas eüuie de " grands déplaifirs, «Sc dans lequel dreP°M- SI SB 11 n£ PrévOÏOit 9»e tr°P > ^ auroit tOU-Chypre. e^S^st^fS; 5°urs rencontré des obftacles invincibles, pour fe maintenir. II le quitta fans régret, rf „. ,, & en Partit avec joie , pour aller prendre poffeLioa dun Etat, a la vérité moins confidérable , mais oü,, . en  362 HISTOIRE GE'NE'ULE en récompenfe , il efpéroit de jouïr avec tranquilité , non feulement des plaifirs , & de la douceur de la Souveraineté, mais encore de tous les autres agrémens de la vie.. Au lieu que les concurrens, pour conferver celui qu'il leur abandonnoit, étoient obligés d'être tous les jours aux mains avec les Infidèles, öc presque toujours a la veille d'en être entièrement depouüles. Le départ du Roi Gui, & le nouveau mariage d'Is abelle avec le Comte de Champagne , qui étoit également aime des Seigneurs de VEurope, & du Levant, aïant termine tous les diiférends, qui avoient jusqu' alors troublé f Armee , & le repos des Habitans , rétablirent enfin la tranquilité des uns &des autres; de forte, qu'on ne penfa plus qu'a faire es Ffpartófi Grands néceiTaires pour 1'entreprife de Jérufalem. La belle faifon etant ÜT* de retour , le Roi DAngleterre partit le premier d Ascalone, pou T ndre a Bethelem, oü étoit le rendez-vous général Le £fa" Duc de Bourgogne , les Templiers, & les Hofptahers, le fuivirent peu après. Toutes les machines, & les munitions, y Iurent conduites. Ces prèparatifs étoient fi confiderables, quon ne doutoit pas, que, malgré la commodité, que SaJAMN avoit eue, de renforce?fon Armée , & la garnifon de la Ville, on ne la lui enlevat bientöt. Mais, parun enchainement d'accidens, & dé contrales, qui fembloient vouloir éloigner les Chrétiens de cette conquête elle fut encore interrompue; & la joie, que chacun s etoit iaite, de nouvoir promtement adorer Jefus - Cbrift dans fon famt d'arracher ce vénérable Sanöuaire des mams des Infidèles Dan le moment , que 1'Armée Chrétienne M fe mettre en marche, Richard,qui avoit déja été informé de quelquestrouSes,qni s'étoient élevés en Angleterre, reSut un nouveau Courier, qui finforma non feulement de 1'augmentat.on du desordrè daïsceRoiaume; mais encore, "que le Rot Philippe, „. non content defomenter,& de fouten* ks mecontens^avort  de JE'RU SALEM. Liv. Vllf. Ch. I. 36*3 .53 auffi pris. les armes, pour entrer dans la Normandie, &dans 3, les autres Provinces, qu'il poffédoit en France. Des avis fi intéreffans lui firent fufpendre fon entreprife, & tourner toutes fes penfées a faire un accommodement avec Saladin, afin de s'en retourner inceffamment , pour défendre, Sc tranquilifer fes propres E'tats, dont on vouloit le dépouiller, pendant qu'il tra- Etduit ■vailloit au bien commun de la Chrétientê. Richard cauje as Son naturel promt, Sc colère., ne luipermit pas de déiïïxmu-SmntmIer un feul moment ;fon dépit, Se^fon reffentiment. II ne fe contenta pas de fe déchainer contre Philifpe. II fe récria hautement contre fa conduite , & fa mauvaife foi, dans un Confeil , qu'il affembla fur le champ , & oü il déclara fa réfolution. Sa paifion fut fi violente, que , fans confidérer le grand préjudice, que les Chrétiens de Palejline alloient recevoir de fon*départ précipité , il voulut, que toute 1'Armée füt informée de finjuftice, que lui faifoit le Roi de France, Sc de la néceiïité oü il le mettoit d'abandonner la Guerre fainte. La promte publication de ce changement fut, en effet, bien funefte, & trés - deshonorable a tous les Croifés. La nouvelle de la réfolution de ce Prince pafla bientöt au Camp de Saladin; de forte que ce Soudan, qui auroit accepté auparavant telles conditions, qu'il auroit plu k Richard de lui impofer, fe fit alors réchercher,& prier. II obligea les Chrétiens a recevoir de lui la loi; Tant cette nouvelle le releva de fabattement , que fes dernières pertes lui avoient caufé. Aufli, les Perfonnes judicieufes, & zélées pour 1' avantage de la Terre - Sainte , ne purent - elles s'empêcher de blamer, Sc de condamner la vivacité Sc 1'emportement du Roi dAngleterre , qui, par fa précipitation, donnoit lieu aux Infidèles de triompher des Chrétiens, en les^obligeant a détruire eux mêmes les fortifications des Places, qui leur avoient coüté tant de foins, & de dépenfes. Car Saladin, informé des fortes raifons , qui obligeoient Article ft Richard a quitter la Palejline, Sc qu' aucune ne pouvoit lui Zz 2 faire  3c54 iriSTOIRE G'E'NE'R ALE "93- faire différer fon départ, fut fi bien profiter de 1'emprelïement,, 2hM cks- qu'il témoigna de s'accommoder avec lui , qu'il Pobligea a acmaat* 2enter une Trève, non moins honteufe pour lui, que prejudiEcff ciable aux Chrétiens. En effet, par un des Articles du Traité, tienSl qu il fit pour cinq ans, „ Richard s'obligea de faire demolir 1 toutes lesPlaces, qu'il avoit fait fortifier, depuis la prife de Ptolomaïde; Et 1'on convint, qu'il ne demeureroit aux Chré/«iu aucune autre Ville fortifiée, que celles dAntioche, Tyr, ' Ptolomaïde, & Jaffa, &.qu'ils feroient obliges de reftituer a Saladin toutes celles qu'ils avoient prifes depuis trois ans; Le Soudan,de fon cöté, promit, "de faire celfer toute forte , d'hoftilités, de ne troubler, ni inquiécer en aucune manière les Chrétiens , pendant ce terme. H leur permit meme, d'aller, en petit nombre, ^Jérufalem, pour vifiter letai* Sépulcre.,, U s'engagca,de plus, " a donner une groffefom, me d'argent au Roi dAngleterre, pour le dedommager des , grandes dépenfes, qu'il avoit faites pour les fraix de la Guerre, „ & pour les Places qu'il avoit fait réparer. «b*» Voila, a quoi aboutirentlesfuperbesappareilsdeguerre, qua^ ïfi? voient fait les trois plus puilTans Princes de la Chretienté , & mr' le mouvement de presque toute VEurope pour les feconder , & pour avoir part a leur fainte & généreufe entreprife, qui, apres tant de dépenfes , de travaux , &' de mortalite , n'aboutit a rien, & ne fut d'aucun pront a la Chrétiente. Tous fes progrès fe terminèrent k la feule prife de la Ville de Ptolomaïde. Tant il eft vrai, que 1'efprit de divilion, joint a 1'ambition, elt 1'écueil funefte des plus grandes entreprifes _ Car il eft conftant, que 1'ambition, & la aesunion des Princes, & Seigneurs Croifés, qui s'y étoient- engagés avec tant d'ardeur& de zèle, fut fumque caufe du peu de fucces de leurs armes ; au lieu que , fi une feule PuifTance avoit entrepris, b Guerre contre les Infidèles , Elle les auroit non feulement chaifés de la Paleftine mais^ encore de tous les autres Etats, qn'ils occupoient &\zSyrfo P*  de JE'RUSALEM. Liv. VIII. Ch. I. tff Après la ratiflcation de ce mauvais Traité , Richard , qui ne refpiroit que le moment de s'en retourner en Angleterre, envoïa d'abord un Prélat de fa fuite porter fon voeu-auSft, Sépulcre. Cet Ecclé-fiaftique ent le bonheur d>obteniri de la générofité de Saladin, la permiffion de laiffer deux Prêtres Latlns, & deux Affiftans, pour deffervir ce lieu faint, & un-pareil nombre a Bethelem , & a Nazareth', pour y. célébrer le fervice Divin* felon leur rite. L'air de Jaffa étant contraire a la fanté du Roi DAngleterre, il quitta le féjour de cette Ville , pour fe rendre a Ptolomaïde^ II s'y apliqua a préparer fa Flotte , fur laquelle il fit embarquer, avec le même empreffement, la Reine Be'rang e'r e, fon Epoufe, avec la Reine Jeanne, fa Soeur, qu'if fit partir avant lui. II ne fe réfèrva qu'un feul VailTeau , fans confidérer le grand danger, auquel il alloit s'expofer. Ces deux PrincelTes arrivèrent heureufement en Angleterre , pendant que ce Prince couroit, en effet, des perils trés-grands, & éprouvoit les plus facheux contretems, qui puiffent jamais arriver a un ' Souverain.- Car, étant-parti lui même peu de tems après , il effuïa une fi horrible tempête , que fon VailTeau courut risque, pendant plufieurs jours , d'être fubmergé.- Cette affreufe bourasque diminua enfin , & le jetta fur les Cötes de la Balmatie. Auffi , tout Coeur de Lion qu'on le nommoit, & quelque • courageux qu'il füt en effet , il prit terre , & ne voulut plus fe hazarder fur ce terrible élement , oü la mort, qu'il avoit vue de fi pres, lui avoit fait plus d'horreury que celle qu'il affrontoit fi hardiment dans les combats , les plus cruels, & les plus'fanglans , dans lesquels il paroiffoit■■ la méprifer, par les grandes , ■ & héroïques aftions, qu'il y faifoit toujours. II prit le parti de continuèr fon Voïage par VAllemagne; route-, qui n'étoit pas moins dangereufe pour lui, que rinconftance, & Z-z 3 ■ 1'agi-  37o HISTOIRE GE'NE'RALE li Fopulence aux Habitans; c'eft pourquoi , il fit publier u„ Edit dans les pays circonvoifins , tant. pour endetach» Z naturels Chypriots, qui s'y trouvoient, que pour inviter les Étrangers, quivoudroient venir s'étabfir en Chypre. Afin de mieux encourager les uns&les autres, U accorda a chaque^ation la be tó de vivre felon fa Religion , & d'avoir des Eglifes publi- H leuremaifons, & les biens, qu'ils avoient abandonnes fi ma - TvoZs, le r feroient bien confervés, & rendus, pourvu : ret'ournalfent en prendre poffeffion dans nn certam tems, qu'il leur fixa ; après lequel il declaroit, quil en : dirpoferoit en faveur des Peuples, qui viendroient habiter en " La d«ceur , & favantage , que les 'ff1^ gerS trouvoient dans ces offres, & dans aue quantité de Perfonnes de toute condition, foit dc la raes ZeTTjntiocbe , Ae Tripoli, & Arménie , vim-ent sy_etaZ Ils y furent tous également bien reeus, pourvus d'emptois, ou^e gratificatiën!, qui les "ettoient en étatde fubfi. ter &de s'emploïer utilement felon leur profeffion ; de forte quuseurent tous-lieu de fe louer de la bonté, & de la gene- « 10 ct ftiValorfq^ les Arméniens , les Coptes , les i/— SST» ^ohites & les <^jgSÖ Eglifes particuhercs en Cty/>*e , comme lis en avu i S*fe vfnt a > & * f-= P-t-des Habitus du K mume. O. Le Roi Gtu f^^^^SS^L 2-ion Romame , quil proienoic, vu nui 4 r , teutes les autres , que la néceflltéde V^»M^1 Sa„s s'aftermir fur le Tröne, 1'obligeoit d'y aturer &de tot.«-£«» cette tue , .1 nomma un Archevêque Lam pour la \ille de NkZL oü il faifoit fa réfidence , & des Evêques pour celles Whmm * • & d'^te" : Cat' ^ le  de JE'RUSALEM. Liy. VIII. Ch. II. 3-r Ie Roi Richard y eüt laiffé quelques Prêtres, & que les Templiers y en euflent enfuite amenés de Jérufalem, ils n'en avoient point formé de.Clergé , & il n'y avoit ni Prélats, ni Evêques. Gui recommanda a ces Palieurs de choifir parmi les Pretjes .ceux qu'ils connoïtroient les plus dignes , & les plus capahles de remplir les Canonicats de leurs Cathédrales , & de donner aux autres des Bénéfiees dans les mêmes Eglifes, chacun felon fon mérite. : II accorda de plus a I'Archevêque, & aux Evêques P. . . Latins, non feulement la prééminence fur les Grecs, qui avoient : toujours dirigé les-Habitans , depuis que Ste. He/éne avoit fait ut£* repeupler file, mais encore la meilleure partie de leurs revenus- Ev^u" ce qui caufa dans la fuite des .difputes , & des troubles infinis ^Sfift entre ces deux Clergés. Après avoir réglé les affaires de la Religion , ce Prince tra- Article// vailla a former un gouvernement politique bon , & folide, qui empêchat les desordres, & les facïions, que Ia diverfité des rites auroit pu caufer,& qui lui affjirat 1'autorité, & le pouvoir qu'un Souverain doit avoir fur fes Sujets. Comme les Loix fondamentales du Roïaume de Jérujalem lui parurent propres a fon ■deffein, il afiembla.tflos.les nobles, Feudataires, & les prineipaux Etabuffid'entre la Baurgeaifie , aux quels il déclara, que fon intention T*f étoit de fuivre les:mêmes maximes, & de gouverner le Roïaume fflS» de Cbypre, comme il avoit gouverné celui de Jérufalem. Ent?"' II donna, en même tems, la Charge de Connétable a fon Frère dansi'aeAlme'ric, quipoficdoit auffi. celle du Roïaume de Jérufalem. II difiribua les autres; Etognités aux principaux Gentilshommes, qui 1'avoient accompagné , aux quels il donna Ie Titre de Barons, &dont il forma le Confeil fupérieur de 1'Etat, qu'il nomma la Haute -Cour, avec pouvoir de connoitre des affaires principales, tant pour le Civii, que pour le Criminel. II ètablit un fecond Confeil, qu'il nomma la Cour - Inferieure, pour la conduite de la Pöüce, & des affaires Civiks. Le Chef de ce dernier Confeil avoit le Titre dtVkomte de Nicofie, réfidence or- Aaa 2 dinaire  372 HISTOIRE GE'NFRAL E Referina- tion dans les Troufes. dinaire da Roi , qui s'étoit réfervé 1'autorité fuprèrae fur ftmj & fur l'autre de ces deux Confeils. On fit enfuite la lecture des règlemens , fuivant lesquels ce Prince vouloit gouverner fes Peuples. II exigea des deuxCours, du Clergé, & de tous les Ordres du Roïaume le ferment de f> délité , & promit a fes Sujets, que les Loix , qu'il venoit d'ér tablir, feroient inviolables, & éternelles , tant pour lui, que pour fes Succelfeurs j & qu'on n'y feroit jamais aucun changement. Mais, comme ces louables commencemens, & ces bonnes inftitutions , ne lui apportoient point encore les Revenus nér celfaires pour fe maintenir en Souverain , & qu'il s'étoit privé d'une groffe partie des Fiefs , pour récompenfer la Nobleffe étrangère , qui s'étoit attachéc a lui, il fupprima les vieilles Troupes Albanoifes , appellécs Stradiots, qui fe trouvoient depuis long-tems en Cbypre, & dont le fervice étoit devenu inutile, par raport a leur attachement aux plus vils métiers, ou a la culture des terres, qui leur avoient fait entièrement oublier le mé^ tier de la guerre. 11 donna enfuite fes föins a la réparation -des Fortereffes du Roïaume ; au rétablilfement de la Ville de Neapolis , tant par* ce que celle $ Amathonte, qui en étoit voiline, avoit été entiè-, rement renverfée par le Roi DAngleterre , lors qu'il s'empara de 1'lle , qu' a caufe de la bonté de fa Rade , qui eft trés fure , & tres - commode pour fancrage des Navires. II embellit cette nouvelle Ville de deux Eglifes Cathédrales, 1'une pour les Latins, & l'autre pour les Grecs; de deux Couvents de Religieux, d'un bon Chateau , & de plufieurs beaux Edilices ; II la nomma Némofie ,■ en mémoire de fon Pays natal, quiportoit le même Nom. Les Grecs 1'appellent Némefblla neuve, & les Européens Limifol. a Afin de "rendre cette Ville plus célèbre , il y fit transférer le fiége Epifcopal D Amathonte, &travailler avec la même ardeur ala  « JEUUSALEM. Lir.VIII.CH.il. m *Z%*tZ ff, *&t Öthédr,!* de Ia Vm uc ii/^o//^ , dont il avoit privé les Grrn 1 j II * «K achevf, fa. a,rt SST idétefter ks murmures, & leurTau ^nP ' 9 n,gn°r0,t Poiut lmt* moder parfiitemen au r ' ^ ■ ^ faTOit de fefeWi Hal* n! ',"e'u«ea P01n£ a propos perfiadé '«^feftSSl IeUr de™ir' * fur tout dans un LI aan?erfu* evenement d'une révolte, ■*>"««« ' ■ i-uiiL u.ms un commencement de An> 't«s»«- paru fort pénibles & r£ i« j difficultés , qui auroient eut celle de^alrtfc^i^ & ^> Ü concurrent a rédouter mat i& de '^f reaouter, maig? comrne la profpédté des Homme& -^aa 3 - excite  374- H I S TOUE O E'N E'R AL E excite:-toujours dc la jaloufie , -fon propre Frère fut le prémier, mm conam & des Guerres de Palejline , difent au contraire, ^ que Gegffroi étoit allé , avec fes propres Troupes, fecou,1 rir, &délivrer Gui, fon Frère, alors Roi de Jérufalem, &ntimmt » que Saladin avoit fait prifonnier avec Alme'ric , fon 3> aatre Frère; qu'il avoit fait plufieurs belles acfions, pen„ dant Ie fiége de Ptolomaïde ; & qu'il s'en retourna, avec LortL » les autres Seigneurs Croifés , aprés la prife de cette Place; mjfmU. De forte, que Loredan s'eft trompé , d'autant plus, " que „ Geoefroi .étoit en poffeffion des Terres. & Fiefs de fa „ Maifon ; qu'il armoit , & entretenoit des Troupes a fes „ propres dépens ; -qu'il s'en étoit fervi pour aider fes Frè„ res ; & qu'il n'avoit., par conféquent , pas befoin de la „ ceflion de Gui, pour polTéder ce qui lui appartenoit, ni au„ cune occafion de eherdieir a lui faire de la peine. Cha-  de JE'RUSALEM. Uv.Vlll ChAU }j$ C h a p i T r e III. "tToila les progrès, que Gui avoit faits en Chypre , «Sela fitua- Artfcïej ▼ tion paifible, oü il fe trouvoit,' pendant que les Chrétiens de Syrië , au lieu de profiter de la tranquilité, que 1'établilfement de la Trève leur avoit procurée, & de travailler a fe mettre en état de réfifter aux Infidèles , lors qu'elle finiroit, fembloient plütöt vouloir fe détruire eux mêmes, Boemond III. Prince d"'Antioche , qui avoit eu depuis long-tems de grands; démêlés , «Sc même de petites guerres avec les Princes Ü Arménie fes voifins, dont la grandeur lui donnoit de la jaloufie, toujours rempli d'ambition , «Sc dépourvu de Forces fuffifantes pour les foutenir, eut recours a la rüfe, THtifa & prit fi bien fes mefures, qu'il fe faifit d'un de ces Seigneurs, ZfeZ' nommé Rupin de la Montagne. II fit même fon coup, Chriti.en' plütöt par trahifon, que par ftratagême. ' dt Syrie' Livon , Frère de Rupin , prit alors la conduite de tous leurs Etats. Irrité de la fupercherie de Boemond , non moins que de la mort de Rupin, qui arriva quelque tems après la pnfon , il leva des Troupes en diligence , «Sc entra dans la Principauté d"Antioche, oü il fit de terribles ravages. II fe rendit maitre de plufieurs Villes , «Sc eut le bonheur de s'emparer de la propre Perfonne du Prince , qu'il conduifit , a fon tour , prifonnier en Arménie. Les Infidèles auroient pu tirer de grands avantages de cette nouvelle difcorde , qui affoiblïffoit encore les forces Chrétiennes, lesquelles n'étoient déja que trop épmfées pour pouvoir leur réfifter, fi la Próvidence ne les eüt affifté dans cette occafiön , «Sc donné tant d'ocupations aux Barbares, qu'ils ne pureht profiter de leurs divilions inteftines, Le ■  Mort du grand SaWin a Damas. SafFadin s'empare du Roiaume d'Egypte. 376 II I S T OI R "E G E' N E'R ALE Le grand Saladin , qui n'auroit pas manqué de s'en prévaloir, étoit tombé malade, & mort a Damas. Le partage qu-il fit de fes Etats a neuf Enfans, qu'il lailfa, fans avoir fait aucune menden de Saffadin , fon Trère , qui favoit toujours fidèlement fervi ; foit que la violence de fon mal ne lui eut pas permis de s'en fouvenir , ou qu'il ne voulüt point diminuër 1'héritage de fes propres Enfans ; fit concevoir a Saffadin un li grand dépit de fon ingratitude , qu'il réfolut de s'en vanger fur fes Neveux ; ce qui ne lui fut pas, difficile. L'ainé, a qui Y Egypte étoit tombée en partage, mourut d'une chute de cheval. Saffadin, aimé , & favorifé des Troupes , qu'il avoit commandées en tant d'occafions, s'empara d'abord de ce beau Roïaume , .& enfuite des Provinces , que poffédoient fes autres Neveux en Syrië. ^ II les fit même tous mourir ., pour n'en avoir plus rien a craindre. Saffadin , ou Noradin , Soudan cYJlep, fut le feul des Enfans de Saladin , qui échapat a la fureur de fon Oncle. Ses Sujets lui furent aifez fidèles,pour le défendre contre fon perfécuteur , & lui firent éviter les rufes , qu'il mettoit en ufage pour le furprendre; Tant la mémoire du fameux Saladin, fon Pére, leur étoit-chére. , . ;■ ■ Ce Soudan , qu'on peut dire , a jufte titre , avoir été le plus glorieux , le plus vaillant , & le plus généreux Prince de fa croïance , fit bien voir, par la derniere acfion de fa vie, que, s'il les avoit tous furpalfés en bonheur , & en courage , il les furpafloit encore en modération, & en. prudence ; car , fentant approcher 1'heure de fa mort, ü fit venir, en fa préfence, celui qui portoit fon grand étendart dans les batailles, & lui ordonna dattacher une de fes chemifes au bout d'un lance , & de la porter .devant la bière , en forme de Trophée , afin que chacun confidénit, que, " s'il avoit triomphé pendant fa 3, vie , de tant de Peuples, la mort triomphoit de lui, comme „ du  de JEHUSALEM. Liv. VLII. Ch. IU. ^ du dernier des Hommes. II commanda de plus a ce Héraut de ener a haute voix , en expofant cette chemife ; Foilh tout cc que legrandSaladin, vainqueur de /'Afie, & Souverain de tout lEmpire d^nt, emporte de tous fes tréfors , & de toutes fes fameujes conquétes. Belle le9on fur h fragiiité des grandeur? humames, & reflexion digne d'un auffi fameux Conquérarit! Speclade, qui devroit apprendre a tous les Grands, que, ii Ia fortune les elèveen ce monde au-delTus des autres Hommes ils doivent en meme tems fe relTouvenir , que la mort ne met- ups. tra un jour aucune différence entre eux, & les plus miféraDies. Les grandes révolutions, que cauferentla mort de Saladin,& A«icicir les guerres civdes, qui s'élevèrent d'abord parmi les Infidèles, dont les uns favonfoient Saffadin, fon Frère, & les autres No-S£ radin , Ion Fils , auroient été f une des plus favorables conionc- "'f^' tures, que lesx Chrétiens euflent pu défirer pour le recouvrement » *! %• du Roïaume de Jérufalem , fi leur propre desunion ne les empeches d en profiter. Ce n'eft pas que, pour commencer a es reunir, le Comte de Champagne, &les autres Seigneurs de a Terre-famte ne s'emploïalfent, avec chaleur, aaccommoder les diflerends qui regnoient entre les Princes d' Antioche, «Sc d Armenië Es terminèrent même leur querelle par un Traité, qui fut enfuite confirmé, en préfence du Grand - Chancelier de Empire dOcadent, lors qu'il pafla en Palejline , pour donner la Couronne d' Arménie au Prince Livon. Par ce Traité üsconvinrent, " que Ia Principauté #Antioche relèveroit a 1'a5> venir de la Couronne d'Arménie ; que le Fils ainé de Boe5, mond epouferoit la Fille de Rupin de la Montagne , «Sc ,, feroit d abord reconnu Prince XAntioche. Conditions, que Boemond accepta aveuglément , pour recouvrer la liberté Sud ne pouvoit obtenir autrement. ' Bbb Mais  378 HISTOIRE GE'NE'RALE Mais cet accommodement ne fuffifoit point encore, pour mettre les Chrétiens en état de rompre la Trève. Ils jugèrent k propos d'écrire aux Princes $ Europe, pour les informer de la mort de Saladin , & de 1'achamement de fes Succeffeurs a s'entre- détruire eux-mêmes, &pour leur demander les Secours nécelfaires pour recouvrer les Saints lieux. Celestin III. qui occupoit alors la cliaire de St. Pierre, quoi que dans un age fort avancé, n'aprit pas plütöt ces grands changemens, qu'il s'emploïa avec autant d'ardeur , que fes Prédécelfeurs 1'avoient fait, pour engager les Puiffances Chrétiennes a unir , encore une fois , leurs forces, pour délivrer le St. Sépulcre. Ce Pontife envoïa d'abord fes Légats aux Rois de France, & DAngleterre , pour ménager un accommodement, ou du moins une fufpenfion d'Armes, entre ces deux Monarques, qui fe faifoient une cruëlle guerre. II écrivit, en même tems, aux Archevêques & Evêques de ces deuxRoïaumes, pour les exciter a faire prêcher la Croifade dans leurs diocèfes; mais, quelques fortes que fuffent les rémontrances du St. Père , elles ne purent porter ni Philiite , m Richard, a aucune fufpenfion d'Armes; tant ces deux grands Princes étoient animés 1'un contre l'autre. Ils étoient d'ailleurs alfez peu fatisfaits de leur voïage d'outremer , pour ne jamais penfer a en entreprendre un fecond , non plus qu'a terminer leurs dilférends, que par la voie des armes; de forte que les exCroifade bortations de Celestin furent également inutiles, pour leur £!>ró. faire détaclier une partie de leurs forces, & les envoïer en Paled ine. . Cependant, comme il défiroit extraordinairement, que les Chrétiens profitalfent de la désunion des Infidèles pour recouvrer la Terre -fainte , il ne fe dégouta point du peu du fuccès des follicitations de fes Légats auprès des Rois de France, & DAngleterre. Ils s'adrelfa a 1'Empereur Henri VI. & ü fe flattoit.  ï>e JE'RUSALEM. Lm vilt. Ch. nr. mi 'qu'il feroit bien aife de profiter de cette occafion , pour fe raccommoder avec le St. Siége. 11 lui envoïa un Légat; &, fans par er de 1'Anatheme , qu'il avoit prononcé contre lui, a caufe de la detention du Roi DAngleterre; ni de 1'interdit, qu'il avoit mis fur fes Etats, il 1'exhorta a fuivre 1'exemple de Fre'de'ric, fon Pere , pour arracfier des mains des Infidèles le Roïaume de Jérufalem , & le St. Sépulcre , dont le recouvrement étoit devenu beaucoup plus facile , qu'il ne fétoit alors ; tant par la mort du redoutable Saladin, que par raport a Ia difcorde, qui régnoit entre fes Succeffeurs. 3 4 Le Pontife eut bientöt la confolation d'apprendre , que fon Legat avoit eté accueilli trés-gracieufement par 1'Empereur, & que ce Monarque lui avoit promis d'emploïer toutes fes Forces pour une fi fainte entreprife. En effet, foit qu'il fut touché du SI f\ r 7 P°Ur ^ gl0I>' de ou qu'il vou- ut le fatisfaire dans cette occafion, ou qu'enfin la guerre fainte lui lervit deprétexte pour faire un grand armement,& s'en fervir en Italië, oü il en avoit encore befoin, il recut trés-dévotement la Croix des mains du Légat. Plufieurs Princes, & Seigneurs dAllemagne, fuivirent fon exemple, & travaillèrent tous, avec tant de diligence, a unir leurs Forces, que Henri nel*'!," , tarda pas a avoir fur pié une Armée formidable, & bien munie^'* de toutes fortes de provifions. Toutes les Provinces, & Villes «£" particulieres de lAllemagne, avoient largement contribué a une entrepnle fi glorieufe a leur Nation. Lesa^domeffi^esderEmpereiir, & peut-être la crainte d W des malheurs femblables a ceux qui étoient arrivés i Frederic fon Pere , & au Duc de Suabe , fon Frère 1'en gagerent a fe difpenfer du fvoï'age de Paleftine. II donna le fouveram commandement de cette grande Armée a Henri, Ie Dnr% * 5/aUqUd 11 j°ignit VAvch^ * Maiencc , & le Duc de Brabant, p0ur Confeiliers : Herman, Landg ave de Tburmge; Henri, Comte Palatin du Mbin; & Fre'd^ric,  de JE'RUSALEM. Liy. VIII. Gt. III. 38l milles : Sa bonté, «Sc la générofité , avec laquelle il avoit diminué ion domaine , pour recompenfer ceux qui 1'avoient fuivi, &pour établirhonorablement les Veuves, «Sc les Filles de tant de Perfonnes de difiinclion , qui avoient péri dans la guerre de Paleftine: La fondation d une Ville, 1'embellifTement des autreS> la réparation , «Sc faugmentation des Fortereïfes : Les prérogatives, «Sc les immunités, qu'il avoit accordées aux Négocians du pays, «Sc aux Étrangers; perfuadé que le Commerce étoit le plus excellent de tous les moïens de faire fleurir fon Roïaume • La création d'un Ordre de Chevalerie, nommé de VEpée, dont le colier étoit compofé de lacs d'amour , formés d'un Cordon de foie blanche , au bout duquel pendoit une ovale , avec 1'empreinte cfune épée , émaillée d'argent, la garde croifetée «Sc fleurdelifee d'or , avec ces Lettres , S. R. qui fignifioient Securitas Regni, pour diltinguer les anciennes Families du pays, & les ventables Gentilshommes Étrangers, venus avec le Rok d avec ceux qu'il avoit nouvellement ennoblis. Le prémier,qui fut mvefiï de cet Ordre, fut Alme'ric de Luzignan, Frère du Roi, Connétable du Roïaume , «Sc après lui 300. Gentilshommes , dont la plupart étoient des meilleures Maifons de France. La cérémonie de leur inftallation fe fit , avec beaucoup de magnificence , le jour de YJfcenfton de 1'année 110 ? dans fEglife de Ste. Sopbie, Cathédrale de Nicofie. Si on confidere toutes ces chofes, auffi bien que la conduite fage prudente, «Scmodérée, avec laquelle il fut fi facüement domte* ces peuples mutins, & révoltés, qui avoient meme forcé les Templiers, tout puilfans qu'ils étoient, a fe défifter de leur entreprife , «Sc qui étoient fi fatigués des oppreffions de ceux qui les avoient gouvernés auparavant, qu'il ne falloit rien moins que la bonne conduite,&l'aifabilité duRoiGui, pour lesréduire,onne fauroits empeclier de mettre Gui au rang des plus grands Princes. Ainli, apres avoir parcouru un Règne fi judicieux , & ü equitable, il efi fuprenant, que divers Ecrivains rendent fi pen Bbb z  »b JE'RUSALEM. Lm Vilt. Cu. IV. 383 Chapitre IV. A "céd?1 ImFJÏÏ?' & Co/nétabIe du Roïaume>** ,. *T '. qu 111 av01t "donné par fon Teftamenr Tl Atoé'ic. recut d'abord Ie ferment de fidélité deLs les OrdreTdu Rol fèment^r 8 eD même tems' "dW— re igieu-r'(/ „ fement les Lont fondamentales, felon que Ie feu Roi, fon „ Frere , les avoit établies feiS*^'*^*^? &aprèSlui, Ie Roi Gm eufALuélt ,T ' ffmneI1™»t pris la Couronne de Cbypre, exemole Tl / ? foibIeffe dc M P35 **T* *> * W cette k , C°ntenta de Prendre fe Titre de S«&«eur de cette ile. jl y a apparence, que Ie peu de Revenu , qu'il t ouva a taché a la Roiauté, f empecha de prendre uuè Digni- ^ KT'qaï " *' a?rès &n ^nement, „ il It dabord alfembler les Etats du Roïaume , pour leur re- " fff ter.Ia m°d,ci£é de fes R«'enus, caufée par les Ln„ des donations, q„e le feu Roi , fon Frère , avoit faite! des » merlleurs Frefs de la Couronne; & ,e peu d'ionneu 0^1 3, auroit pour eux, d'avoir , fopres S^ts: S^^T^^.Z^ " ^par,lespEtranSers , & qui le mettroit bors d'état de dl „ tendre le Pays contre les attentats des Infidèles, & des Cor„ laires, s,ls entreprenoient de troubler fon repos : Qu'il re. „ mettort, a leur prudence , & a leur aifeffion, de remédier löss? fi dansereux'& mm*m Lal  HISTOIRE G E' N E' R A L E La NobleiTe , & les Peuples furent fi touchés, & en même tems fi charmés de voir leur nouveau Souverain fi bien imiter la douceur , & la modèration du feu Roi, fon Frere , au* augmentèrent fur le champ fes Revenus des trois eens mille Lefcans annuels ; & le fuplièrent ; " de vouloir fe contenter de , en attendant que le Pays fe füt un Peu mieux 5= „ remis des pertes, que les Anglois, &les Templiers, y avoient „ caufées, pendant trois ans entiers. Alme'ric, k qui la mémoire du feu Roi, fon Frere, etoit très-chère , fatisfait de ce fecours , & de la bonne volontéte f Sujets, s'attacha a faire perfectionner la Ville de » & les autres Edifices, que fon Prédéceffeur n'avoit pas eu le tems ^ Pendant qu'il étoit occupé k ces ouvrages, & ^'jj!^ loit, avec une férieufe attention, a maintenir le Roïaume dans le bón ordre , oü il 1'avoit trouvé , & k ajigmenter 1'opulence de fes Peuples, il recut deux Ambaflades, fort JA"?'*» de f autre. La prémière altéra un peu fa tranquilité Elle vint, lèlon Loredan , de la part de Henri , Comte *<»<°m qui lui demandoit le paiement de foixante ^.^J^ feu Roi Gui lui étoit encoreredevablepourpareille fomme, quil & avoit payée pour fon compte , ^«^ ^^ faiesJ ,ü a;oi;t eu du Roi dAngleterre , fon Oncle , lui dêclarant, SSÜ TqurAl ne lui donnoit une promte fatisfaétion, il prendroit „ telles mefures , qu'il jugeroit a propos. L'autre AmbaiTade fut de la part de 1'Empereur ^nftantinople , qui, apparemment pour fe confoler de la perte de 1 Ile de Chypre, qui avoit toujours appartenu aux ^™»^» depuis que Ste. Hélène 1'avoit fait repeupler, &jpoor r^ ver en même tems une efpèce d'afcendant, 1™^^ riger cette Ile en Roïaume, de lui en donner l^veftrture, & Titre de A»'; Et, fous prétexte que lesRois Raa^&Gn*  de JE'RUSALËM. Liv. VIII. Ch. IV. 38r qui en avoient déja pris la Couronne, nVoient eu ce Titre que, par raport aux Roïaumes qu'ils poiTédoient , ou qtf& avoient poffédés, fans qu'ils eulfent eu aucun droit d'é le ce Pays en Roïaume, il faifoit comprendre a AluTJX^ 53 ne pouvoit s'attnbuër la Dignité Roïale, fans le confentemen „ d'un Empereur, de-qui dependoient tous les titres Ro aux ^lelques agreableS,& obligeantes,.que parulfent ces offres, Almeric ne jugea point a propos de les accepter de 1'Empereur Grec, -qui auroit pu, dans.la fuite, le troubler dans k polfeffion de cet Etat. C'eft pourquoi, if congédia ces AmbJf! fadeurs avec beaucoup de civilité, & avec de grandes marqué, de reconnoiflance envers 1'Empereur, leur Maitre II ne trouva pas la meme facilitda renvoïer ceux du Comte de Champagne, qui infiftoient fort fur le rembourfement des foixante mille Ecus, que ce Seigneur avoitpayés aux tZ£ * Ils propoferent a Alméric, „de remettre au défaut de cette " SITS % T;lG C°mté d£ k ^ Conné! „ taolede Jérufalem, qu'il poffédoit depuis la mort d'EMPROi " FammrR0N' & 16 Rd GüI aVOit VOuI« confervertfa „ Familie, en renoncant a la Couronne de Jérufalem Apres bien de réflexions, cette démiffion aïant paru plus doucea Alméric, que le paiement effeclif de foixanter£ Ecus en argent comptant, qui 1'auroit fort incommodé dans laconjonclureprefente, il céda le Comté de Jafa & la (ï ge de Connétabk au Comte de Champagnefi [tnt^dl ^saumanage de Huc.es de LvnoIJ, fon Fils aïné, Ivec Alix, Fille ainee de ce Comte, & d'IsAEELLE, Reine de Jérufalem. Cet accommodement & cette Alliance furent réci proquement approuvés des Cours de Jérufalem, & de ChypZ lesquelles s'engagèrentafaire accomplirle mariage de ces jfun Ws, en cas que la mort prévint leurs Parensf avant fon ex"  *&$ H I é T O I R E G E' N E' R A L E lages, qu'on peut,dire qu'elles dérobèrenta leur Nation la glofc. re des conquêtes, & des grands avantages, qu'elle auroit pu remporter fur-les Barbares. Car Saffadin, grand, & expérimenté Capitaine, qui n'értoit pas moins brave, que politique,fut fi bien faire comprendre a tous ceux de fa croïance, qui avoient pris les armes contre lui, pou- foutenir le parti de fonNeveu, la nécefflté, oü ils étoient tous, de terminer leurs querelles, & d'unir promtement leurs Forces , pour s'oppofer a leurs Enne^ mis communs, qu'ils fe rangèrent d'abord fous fes enfeignes, Sc ne penferent plus qu'a fuivre fes ordres, pour combattre les Chrétiens; deforte que cet habile Sarrafin en forma une puiffante Armée, & prévint celle des Croifés, en allant affiéger la Ville de Jaffa, que le Roi dAngleterre avoit-laiffée bien forte, & bien munie.j Prife d< Saffadin poulfa fi vivement ce Siége, que, malgré la ré> Jièiïpar ^ftance de la garnifon, la plupart Allemande, & les vigoum' reufes forties qu'elle fit, il femporta de vive force, paifa tous les Latins, qui s'y trouvoient, au fil de 1'épée, & en fit rafer les murailles jufqu'aux fondemens, pour öter aux Chrétiens 1'efpérance d'occuper davantage un pofte, fi avantageux pour favorifer leurs delTeins fur Jérufalem. II eft vrai que le funefte accident, qui arriva en ce même tems au Comte de Champagne, facilita cette conquête ^Sarrafins, & empêcha, que f Armée Allemande ne fe mit affez tot ea campagne, pour fecourir cette Place ; tant la mort précipitée de ce Comte étonna tous- les Chefs, des Croijés, & cons^ terna les Seigneurs du Pays. Ce fut, en effet, un cas bien extraordinaire, & bien trifte. Ce Seigneur fe précipita d'une fenêtre , qui étoit ^au bout d'une galerie, du plus haut de fon Palais, fans qu'on put jamais favoir ce qui avoit donné lieu a un fi grand malheur. . Les Princes, & les Seigneurs Allemands tinrent  *>£ JE'RUSALÊM, Liy.yiII. Ch, IV, 5$p un Confeil général, pour délibérer fur la conduite, qu'ils de^ vóient tenir, & fe vanger du maffacre que les Infidèles" venoient de faire de la- garnifon , & des Habitans de Jaffa, Ils partirent enfuite de Ptolomaïde , & marchèrent vers Sidon, en-vue d'aller affiéger la Ville de Baruth , oü ils fa-v oient que les Infidèles avoient fait un grand amas de provifions , & de leur donner bataille, s'ils pouvoient les rencontrer en campagne, ou qu'ils fe prefentaffent pour s'op* pofer a leur entreprife* Comme les murailles de Sidon n'avoient point été reparéés', Sidon^; depuis que Saladin les avoit fait démolir, & que ceux qiücrofk habitoient cette Ville n'ofoient plus fe flatter d'y demeurer al'abri de la Trève, ils rabandonnèrent-, dès qu'ils aprirent les mouvemens de 1'Armée Allemande, qui s'empara d'un lieu fi fertile, & fi commode, pour éviter les furprifes de Saffadin , &■ entreprendre le fiége de Baruth, avec fuccès. Les Seigneurs Croijés envoïèrent prier les Ordres Militaires de venir les joindre , afin d'aprendre d'eux les détours du Pays, & la manière de combattre contre les Infidèles. Ces Chevaliers, dont f humeur, & les intéréts étoient fi oppofés, s'accordèrent pourtant dans cette occafion , en refufant également aux Impériaux de s'unir avec eux; allèguant pour fe jufiifier, „qu'après avoir, auffi folemneli'ement "qu'ils 1'avoient fait, accepté, approuvé, & juré la Trève, " que le Roi DAngleterre avoit établie , pour cinq ans, " avec les Infidèles, ils ne pouvoient enfraindre ce Traité, fans blefler leur honneur, & contrevenir a finfiitution de » leurs Ordres. " Quelques Hiftoriens prétendent pourtant-, que ce ne fut point cette délicatelfe, qui,les empêcha de fe joindre aux Allemans; Mais plütöt le bruit, qui s'étoit-répandu, que leurs Chefs étoient fi foupconneux, & fi jaloux de la gloire qu'ils s'étoient propofés de rèmporter dans leur voïage mmmh <2U>ne vouJoient qu'aucune autre Nation, que Ccc s feéd  de JE'RUSALEM. Lm VIII Ch. V. 39t d'entretenir par-tout le bon ordre, & la tranquilité: U envoïa des Gouverneus aux douze Cantons de 111e ; favoir a Famar goujle, Baffo, Limifol, Cérines, Salines, Maffarie, Carpaffo, Mazato, Jrdimo, Crifokou, Solie , & Pentaïa ; Et il confia au Vicomte de Nicofie, Chef de la Cour inférieure, le Gouvernement de cette Capitale, avec trois lieues de territoire a Ia ronde, comme une efpèce de Banlieue. U ordonna, en même tems, que les quinze Compagnies de Soldats Albanois a cheval, qui compofoient environ mille Hommes, tous armés de lances, de coutelas, avec la rondache, que le Koi Gui avoit confervées, demeuraffent toujours dans les heux maritimes; & qu'ils fortiffent, regulièrement tous les foirs, pour faire le guet le long des plages, afin de furveiller, & empecher la defcente des Pirates. II ordonna, de plus, que les Habitans des Bourgs tinffent continuellement des fentinelles fur les hauteurs; & qu'ils y allumalfent des feux, lorsqu'ils découvnroient quelques voües en mer, pour les indiquer. II fit étabhr de pareilles vedettes fur les plus hautes Montagnes de l'Ile, arm que,lorsqu'il paroitroit plufieurs voiles enfemble, ils filfent des iignaux proportionnés a leur quantité, dont la Ville Capitale, & tout le Pays put être averti, & que les Compagnies des Stradiots y puffent accourir. * II afranchit, pour une bonne fomme d'argent, les Vénitiens blancs. C eft ainfi quon nommoit certains Sujets de cette Répubhque, lesquels, fatigués de faire la guerre en Palejline, oü fis avoient ete envoïés, comme par force, en diverfes occalions, setoient retirés en Cbypre, & établis en diversVilWs, des .e tems meme des Ducs Grecs, qui gouvernoient cette Ile Le Roi leur permit même de s'élire un Juge particulier, devant lequel ils traitment de leurs différend.,en prémière infiance,& don ils appelloient enfuite au tribunal fuprême, fans que les ^Z?SiJUrnt eY°™0Ïtre- ^ Magiftrat fe noLioit celui des. Vénitiens, Après cet alfranchiffement, ces Peuples Ddd 3» devüv  3p3 HISTOIRE GE'NE'RALE devinrent Sujets libres, & n'eurent plus a payer au Roi, qu'u» léger tribut annuel, dont ils s'acquitoient le jour de St. Marc , & une petite reconnoiffance au Seigneur du Fief, oü ils habi- 101 Comme les Gentilshommes, auxquels le Roi Gui avoit donné des Fiefs, avoient pris fur les pauvres Payfans une autorite auffi tirannique, que celle qu'on exercoit au tems des Ducs,& que les Habitans du Pays fe trouvoient encore divifés en quatre Etats différens; favoir, la NobleiTe,la Bourgeoifie,les Affranchis, &lesEfclaves; & que, contre toute forte d'humanitê, les deux prémiers Ordres traitoient les Affranclus, & lesElciaves,avec tant de rigueur, & de févérité, que, non contens de s'en fervir pour tous leurs gros ouvrages de la Ville, 6c de la campagne, fans leur donner aucune récompenfe, ils les failoient encore maltraiter pour la moindre bagatelle; les echangeoient même affez fouvent contre des chevaux, des chiens, ou des faucons: Alme'ric ordonna, "que les Maitres de ces mie„ rables ne pourroient plus les faire battre jufqu'au fang,ni les „ troquer qu'Homme pour Homme; Que ces Efclaves pour„ roient même fe racheter pour la fomme de foixante Ducats ., d'argent: Accordant, de plus, a ceux qui habitoient dans „ les Fiefs Roïaux, de pouvoir fe racheter pour la fomme de „ cinquante Ducats. . Les Peuples, qui vivoient dans cet efclavage, étoient toujours appellés Pariques, & ceux d'entre eux qui fe rachetoient étoient nommés Francomates. Leur affranchiffement ne les difpenfoit pourtant pas de 1'obligation d'aller fervir leur Seigneur, lorfqu'il en avoit befoin, pour unprix beaucoup moindre que celui qu'il payoit aux Ouvriers étrangers. Ils étoient meme obkgés de lui donner la fixième, la feptième, huitième, ou dixieme partie de tout ce qu'ils recueüloient dans leurs Terres, ou de ce qu'ils gagnoient par leur induftrie. Lorfque ces Attranchis fe marioient avec une Femme parique, les Enfans, qui en  . de JETtUSALEM. Liy. VIII. Ca V, w provenoient, étoient moitié Efclaves, & moitié Libres; &, s'ils n'en avoient qu'un, il demeuroit dans la fervitude. Alme'ric fit divers autres règlemens, non moins bons,& Leimu. avantageux pour 1'Etat, que pour les Peuples. II confia a la Cour fupérieure le Gouvernement du Roïaume, & le foin de fes Enfans. II en avoit fix: Hugues, qui, comme ainé, lui de- jïï'ilSf voitfuccéder k la Couronne; Jean, a qui il avoit donné la %%tH Charge de Connétable; Gui qui poffédoit celle de Sénechal du X* Roïaume; & trois Filles. II partit pour Ptolomaïde, accompa- mmd« gné de la fleur de la Nobleife Chypriotte, & bon nombre de £">ür.. Troupes. II y arriva en peu de jours, & y fut recu avec beau- £&fi* coup de joie, & un applaudiffement univerfcL ' 'iï^riï. Chapitre VI. peu de jours après fon arrivée en cette Ville , on y cé- Attfdei X lébra la cérémonie de fon mariage avec la Reine ISA-efiSSt belle, & celle de fon couronnement, avec de grandes ac- nment clamations de joie,& même avec plus de pompe,& de magni- fftSS?6 ficence, que Pétat préfent des affaires ne le permettoit. Cha- va3ds' cun fe flattoit, que la préfence & la valeur de ce Prince répareroient bientöt les maux, que la mauvaife fortune, ou findolence de fes Prédéceffeurs avoit caufés au Roïaume II Te9ut enfuite le ferment de fidélité du Patriarche, du Clergé, de la Nobleffe, des Ordres Militaires, & du tiers EtatEt , par fon alliance, il pignit la Couronne de Jérufalem i celle de Cbypre. La Reine Isabelle, qui en avoit dépouillé le Roi Gui quelques années auparavant, la rendit, & fe donna elle même a Alméric, fon Frère, & répara ainfi cette injure. Voila com-  '4oo HISTOIRE GENERALE; comme deux Frères de la Maifon de Luzignan épouferent, en peu de tems, deux Soeurs héritières de celle de Jérufalem, & enportèrent, tour a tour, la Couronne. Alme'ric n'en fut pas plutót pofTeffeur, qu'il s'attacha a exammer fétat du Gouvernement, & les forces qui demeuroient aux Chrétiens, dans le deffein d'affembler le plus de Troupes qu'il lui feroit poffible, pour les joindre a celles qu'il avoit amenées de Chypre, & s'unir avec 1'Archevêque de Maïence, Chef de 1'Armée Imperiale, IZ&- pour aller affiéger la Sainte-Cité. Le projet, qu'A l m e'r i c s'étoit formé, d'emporter Jcrujakm, dèsle commencement de fon règne, s'evanoüit bientöt, par favis, qu'ü recut, que les JJkmands , campés a Jaffa, umn de bien loin de penfer 'davantage a aucune entreprife contre les In[SZ-fidèles, étoient tous en mouvement, pour retourner dans leur l ** Pavs, fur la nouvelle, qu'ils avoient fraichemcnt recue de la Etm mort de 1'Empereur Henri, & de la défunion, que fa mort A!lem£fc avoit faitnaitre dans VEmpire. Comme une partie desEleéteurs aVoit élu Philippe de Suabe, Frère de 1'Empereur demnt, & ÏÏSb. les autres Othon, Duc de Saxe,Frère de Henri, mort apres la bataille de Jaffa, ces Princes, & leurs pamfans, avoient également pris les armes, pour mettre fur le Trone Impenal, & foutenir celui qu'ils avoient élu. Ces nouveautés intéreffoient trop 1'Archevêque de Maïence, & comme Eleóleur, & comme Prince de YEmpire, pour demeurer davantage en Palejline. Les autres Seigneurs Allemands ne prenoient pas un moindre intérêt, pour un parti, ou pour l'autre. Ainfi, chacun voulut abfolument partir, fans que les preffantes Lettres qu'lNNOCENT III. Succeffeur de Celestin, leur écrivit, dès qu'il aprit la mort de 1'Empereur, fuffent capables de les arrêter. Tout ce qu'on en put obtenir fut une bonne garnifon de leurs Troupes, qu'ils laifferent dans Jaffa Leur départ releva autant le courage des Infidèles, quil abbatit celui des Chrétiens',C*x, quoiqu'ils neuffent jamais efpere  bi JE'RTJSALEM. Lm VlII. Ch. VI. im de grands progrès des armes Allemandes en Paleftine. par Ie peu de cas, que faifoient leurs Chefs, des avis, que les Seigneur, expenmentes contre les Infidèles avoient voulu leur donner, elles donnoient affez d'ombrage pour les retenir. Ainfi, le Roi Alme'ric, qui n'avoit point affez de Fór-' Ardci.it ces, pour fe mettre en campagne, ne fongea plus qu'a atten- *T™ ' dre le fecours que le nouveau Pontife promettoit de lui envoïer SSi bientót. En effet, il ne tarda pas d'arriver. Le Cardinal Pierre feS» PE CAPOüE,que le St.Pere avoit envoïé Légat en France, dèsenA^ le commencement de fon exaltation, n'aïant pu réüflir a né£0cier un accommodement entre les Rois de France, & d'Jfegleterre, fit néanmoins tant, par fes infiances auprès du Roi Philippe, quM porta enfin ce Monarque a envoïer en Paleftine le Comte Simon de Montfort, vaillant, & expérimenté Capitaine^accompagné de divers autres Seigneurs,avec bon nombre de Troupes fort lelies. Leur voïage fut fi heureux, qu'ils arrivèrent a Ptolomaïde, avant meme que les Allemands fuffent entièrement embarqués Le Comte de Montfort s'efforca inutilement de les retenir. L Archevêque de Maïence, ni les autres, n'en différèrent pas leur depart d'un moment, & 1'arrivée des Franpis n'empêcha pas les Infidèles, d'aller affiéger la Ville de Jaffa, par mer, & par terre. Ils 1'emportèrent même de vive force, avant que le Comte de Montfort, qui y accourut,put la fecourir. II aprit en chemin, que la Place avoit été livrée aux Barbares, par la trahifon d'un Syrien, qui avoit ouvert une des portes aux Ennemis, la nuit de la St. Martin, pendant que toute la garnifon s'étoit fi fort plongée dans ie vin, & dans la débauche,qu'elle tfetoit plus en état de faire aucune réfiftance, ni capable de manier les armes; deforte que 1'yvreffe des Allemands donna occafion aux Infidèles de les égorger tous comme des brebis, & jna**. derenverfer de nouveau les murailles de cette malheureufe Vil-ffif11" le, qui etoit devenue le Théatre d'une guerre continuelle, Eee Le  éo2 HISTOIRE GE'NE'R ALE Le Comte de Montfort, un peu étonné de ce malheur, campa au même endroit,oü il en recut la nouvelle, pour dèlibérer fur le parti,qu'il avoit a prendre. Pendant que la plupart des Seigneurs du Confeil étoient d'avis, qu'on allat promtement affronter les Ennemis,& que les autres foutenoient,qu'il étoit plus convenable de rebroufTer chemin,afin de ne fe point commettre avec une Armée viftorieufe, dont ils ne connoHToient pas bien les forces, il furvint une pluie fi forte, & fi longue, qu'elle ne leur permit feulement pas de fortir de leurs tentes , fous lesquelles ils étoient presqu'entièrement inondés. Ce deluge fut fuivi d'un froid rigoureux. Les Soldats en furent iiabatus, que le Comte fut contraint de s'en retourner a Ptolomai, ordonnant au Maitre des Hofpitaliers, auquel il avoit une „ entiere confiance, d'envoïer une partie de fes Chevaliers &rfndef<* „ de fes propres Troupes, en garnifon dans les Fortereffes de „ cette He; tant pour y tenir les Habitans dans leur devoir » (3ue P°ur dét0^ner les nouveautés, que fon éloimement „ pourroit y caufer, & le préferver de 1'invafion des Bar* „ bares. ■ Ces rémontrances firent Beaucoup de plaifir au Pontife 11 envoïa dabord un Bref a Geoffroi le Rat, Maitre des Holptahers, dont on voit 1'original dans la Bibüothèque du Vatican, kquel Sa Sainteté s'explique ainfi: Nous vous trions conjurons, & exhortons dMccorder a notre bien aimé Fils Ar me r,ic , ilhjlre Roi de Chypre, &P de jérufalem, la promte af fflance, qu'il demande de vous; 6?, en vertu de ces Lettres Apoflohques, Nous vous commandons cl envoïer en Chypre & nombre de vos Confrères, & de vos Soldats, que ce Prince croit néeefi faire pour la confervation de fes Etats. Fous devez tailleurs vous reffouvenir, vous # votre Couvent, que vous avez concouru,avec tous les Seigneurs de la Terre-fainte, d les lui faire quitter, pour Pattirer dans la Paleftine, d'oü Une peut plus léloigner, Jans rifquer de la perdre entièrement. Le Chef des Hofpitaliers ne manqua pas de fe conformer ponctueUement aux intentions du St, Père. II envoïa dabord en Cbypre nombre de fes Chevaliers, avec une partie de fes meilleures Troupes; & ce fut alors que ces Chevaliers commencèrent a prendre pie dans cette He, oü ils ont enfuite poffédé de fi grands biens. ■ Innocent qui défiroit ardemment, que, fous fon Pontifi-Jfef*» cat, on arraohat le St. Sépulcre, & le Roïaume de Jérufalem fe7*T* d****. des Infidèles, ne fe contenta pas dWo^fSt E_ " rr bis aitx ee 3 dif-Cirtóen»..  '4.06- HISTOIRE GE'NE'R ALÏ rlifrorde des Ordres Militaires, qui pouvoient beaucoup y conmbuer Dès qu'il fut informé des brouilleries, qui setoient renouvellées parmi les Barbares, au fujet de 1'héritage de SaflTi* , il dépecha encore divers Légats aux PuilTances Cbrétiennes, pour les engager a ne point négliger une occafion 11favorable de leur enlever un Etat, qui devoit etre fi cher, & fi précieux a tous les Fidèles; de forte que, malgré ks guerres, que caufoit la divifion ócVEmpire, & auxquelles la plupart des Princes avoient pris part, prmcipalement les Rois de France, & dAngleterre; le prémier en faveur de Philippe de Suabe, ScYAngiois pour foutenir Othon, fon Keveu; e St Ferene défefpéra point de parvenir a la reunion de ces deux Monlrques, & de former une Armée fuffifante pour exécuter cette fainte entreprife. ; , ' . Afin de la faire accélérer, &de la mieux foutenir, il déclara denulle valeur la Trève, que le Comte Simon de Montport avoit établie avec les Sarrafins. 11 difpenfa auffi du ferment tous ceux qui s'y étoient engagés. 11 obligea même tous les Eccléfiaftiques k donner une partie de leur revenu pour laGuerre-Sainte, & fit en même tems prêcher la Croijade dans toutes les Provinces de YEurope. tx Te? Princes, touchés des exhortations Apoftoliques, & les {^eu^S^r les prédications de divers favans PerfonnaJ, qni n'oublioient rien pour les engager a cette fainte entreprennm la \rirCnt, a 1'envi, la Croix avec autant de zele, que d em°°* preffement D'autres, qui ne fe trouvoient point en état de KW doutre-mer, cmtribuèrent largement aux fraix, chacun felon fes moïens. Achter Plufieurs Princes, & Seigneurs, de France, & i re, en firent de même, & s'emploïèrent, avec chaleur, aux prèparatifs néceiTaires pour une fi gloneufe expédition Le Lneur, qu'avoit eu le Cardinal de Capoue de men^ga^ une Trève entre les Rois Philippe-Aüguste , & Richard  de JE'RUSALEM. Liv. VUT. Cr. VII. 4C? Coeur-de-Lion, contribua beaucoup a engager leurs Sujets. - Tnibaud, Comte de Champagne, «Sc Louis, Comte de Blois, étoient les pnncipaux de cette Croifade. Ils étoient accompagnés de Simon,& Gui de Montfort, de Louis,Comte de Savoie, de Henri de St.Pol; des ComtcsGAUTiER,& Jean deBrienne; des Seigneurs de Joinville, «Sc de Villehardouin ; d'YVes de la Val; de Mathieu de Montmorenci, de Jaques d'Avenes, Fils de ce fameux Jaques, qui étoit mort fi glorieufement en Palejline, «Sc de plufieurs autres Seigneurs de distinéhon, qui tous avoient une extréme déférence pour les trois Chefs, avec lesquels ils convinrent de faire leur voïage par mer, afin d'éviter les malheurs, & les facheux inconveniens, qui iao* étoient arrivés dans les Croifades précédentes a ceux qui Tavoient entrepris par terre. Afin d'arrêter les Sarrafins en Egypte, pendant qu'ils attaqueroient le Roïaume de Jérufalem, ils convinrent de fe partager en deux corps d'Armée, dont 1'un inveftiroit Damiette, & Pautre iroit droit en Palejline. Comme ils manquoient de VailTeaux, & que les Vénitiens avoient une puiffante Flotte en mer, ils leur envoïèrent demander des Batimens. Henri Dandolo, alors Doge de cette célèbre République; Homme, non moins vénérable par fon grand age, que par fa prudence, écouta favorablement les propofitions des Seigneurs Croifés; «Sc, du confentement du Sénat, il convint avec leurs Députés, de leur fournir tous les VailTeaux, qui leur feroient néceffaires pour les paffer avec leurs équipages, foit en Egypte, foit en Syrië. Leur Armée étoit compofée de trente mille Hommes de pié, «Sc de quatre mille cinq eens Chevaux, outre legrand attirail de machines, «Sc les vivres néceffaires, pour un an entier, a compter du jour de leur départ de Venife. Les Croifés, de leur cöté, s'obligèrent a payer une groffe fomme d'Argent, que quelques Hiftoriens font monter a quatre vingts mille mares; ce qui étoit en ce tems-Ia très-confidé- rable,  4oS HISTOIRE GENERALE rable Le Doge, & les Sénateurs, qui avoient 1'ame grande» touchés du zele, & de la générofité , avec laquelle tant de braves Seigneurs Franfois quittoient les commodites les plaifirs de leurs Maifons, pour entreprendre un voïage, & une o-uerre, dont les travaux, les périls, & les malheurs avoient dégouté les plus grands Monarques, voulurent aufii avoir part **_ a la gloire d'une fi belle entreprife. Outre les Va^aux quüs c^'w fit promis aux Qroifès, ils firent armer foixante ualures, mus par les r * Vénitiens. qu'ils joignirent a leur i lotte. Artide/zr Cependant, comme les delfeins des Hommes font fouvent Nouvelle* mterr0mpus par les fécrets impénétrables de laProvidence,ioisqu'on travailloit, fans relache,a ce puilfant armement,on apnt cMs- Irènife la 'révolte des Habitans de Zara, qui fe donnèrent, pour la cinquième fois, au Roi XHongrie. Pour furcroit de difgrace, les Députés des Seigneurs Croifés, s'en retournant en France, trouvèrent, que le Comte de Champagne, quils avoient reconnu Chef de leur Croifade, étoit mort. Cette perte imprévue les arrêta, & les embarralfa fur le choix d un nouveau Général. Après divers Confeils, ils réfolurent unanimement d'envoïer offrir le commandement de leur Armee a Boniface, Marquis de Montferrat. Ils le croïoient d'autant plus capable de les bien conduire, qu'outre fa valeur, & fon experience dans 1'art militaire, il avoit déja fait la guerre en Palejline, & n'y connoifloit pas moins le pays, que la manière de combattre les Infidèles. Boniface accepta, fans balancer, 1'honneur que tant dükftres perfonnages voulurent bien lui oftnr. II mit promtement ordre a fes affaires domeftiques, & pafla en France, oü il fut recu avec un applaudiffement general, 6? reconnu chef de la Croifade. Le Roi Philip^-Auguste en faifoit fi grand cas, qu'il lui avoit écrit, de fa propre ma n, pour le pner d'accepter une Charge , a la verite penible, & dangereufe , mais dans laquelle il ne pouvoit manquer  tfï JEXUSA.LEM. Lir.VilLCn.VU. ^ d'acquérir une nouvelle gloire auprès des Hommes, & im tres-grand merite auprès de Dieu. Un autre inconvenient, auffi faclieux , que la mort dn Comte de Champagne, fit non feulement différer la Guerre Sainte , mais failiit meme a rompre -la Croifade. Lorsque les^SeigneurB^/rötf arrivèrentkVénife, pour s'embarquer, pluiieurs de ceux qm s'y étoient engagés, foit qu'il cruffent de paffer plutot en Palefline par une autre route , ou qu'ils trouvaffcnt trop exccffive la fomme, qu'on avoifegpromife mix Vénitiens, diangèrent de fentimens. Les autres qui ne pouvoient, fans s'incommoder beaucoup , fubvenir i de li grands fraix, & qui vouloient cependant accomplir leurs voeux, k quelque prix que ce fut, fe virent dans 1» neceffite daccepter le parti que les Vénitiens leur offrirent, qui fut de leur fournir non feulement les Batimens néceffaires pour leur paffage, felon la convention.déja faite; mais encore de les aider a recouvrer la Terre-Sainte, a condition, „ quils fe joindroient a eux pour réduire la Ville de Zara, „ &les autres lieux de la Da/matte, qui s'étoient révoltés; „ Que toutes les conquêtes, qu'ils feroient dans cette Pro„ vince; Et dans YFfclamnie, appartiendroient entièrement „ alaRepublique; Et que celles, qu'ils feroient enfuite dans „ la Palejline, feroient partagées en égale part. Plufieurs Croifés, qui ne purent s'accommoder de ces conditions, ni fe refoudre a emploïer contre les Chrétiens les armes, quils avoient prifes contre les Infidèles, s'en retournerent en France ou allèrent s'embarquer dans les autres lorts de l Italië; d'autant plus qu'ils favoient, que le Roi dHongrie, a qui appartenoit la Ville de Zara, avoit pris Ia Croix, pour la même fin qu'eux ; & que le St Père avoit menacé d'Anathème tous ceux qui entreprendroient dinquieter les Croifés, pendant que dureroit la Guerre Sainte. ft  ±11 HISTOIRE GENERALE vtfenfe malgré toutes ces conteftations, les principaux Seigneurs FtvwM ^lexis cois & les Vénitiens , réfolurent unanimement de fecourir ■ Ervffl. Alexis, perfuadés que le recouvrement de Conftantinople leur £fe>? frayeroit le chemin a la conquête de hTerre-Sainte. sois. jls firent un Traité avec le jeune Alexis, les Seigneurs Grecs, & les Ambalfadeurs de 1'Empereur Philippe, qui Paccompagnoient^ par lequel les Croifés s'engagèrcat d'emploïer toutes leurs Forces, pour le mettre en poffeffion du Iröne ImJ périal, moïenant une grofle fomme d'or, qu'il s'obligea dc leur payer pour les fraix de leur armement. II s'engagea auffi a interpofer toute fon autorité, pour porter le Patriarche de Cm* tantinople, & tout fon Clergé, a fe foumettre a 1'Eglife^w/ne, & a reconnoitre le Pape comme fouverain Pontife, & Vicaire de Jefus-Chrift. Ce dernier Article appaifa les murmures de diverfes Perfonnes, qui témoignoient du mécontentement & leur exemple en retint grand nombre qui vouloient s'en retourner, ou aller chercher une autre route pour paffer en Pa* lelïine. II n'y eut que les Comtes Simon, & Gui de Montfort-, avec quelques autres Seigneurs de leur compagnie, & plufieurs Eccléfiaftiques, qu'un fcrupule plus délicat, ou quelque autre motif, fit détacher du gros de 1'Armée, pour s'aller embarquer dans les Ports de YApouilfe, pendant que le Marquis Boniface, les Comtes de Flandres, de B!ois,& de St. Pol, avec tous les autres Seigneurs, & le courageux Doge Dandolo, avec fes Vénitiens, fe préparoient a partir de Zara^ow: la fameufe entreprife de Conftantinople. «02. Tout le monde s'étant enfin embarqué au commcncemenf Départ'dc de Mars, on fit voile avec un vent favorable. Ils abordèrent vénSn- dans quelques Hes de VArchipel, oü ils furent par-tout recus Sitanti- avec foumiffion. Ils arrivèrent enfin devant Conftantinople,. & nopie .«.eureilt le bonheur de forcer ie Port de cette fameyfe Vüle, en   LEGAAT Mr. P. A. BRUGMANS, OVERLEDEN 1891  HISTOIRE GÉNÉRALE des ROÏAUMES de CHYPRE, de JERUSALEM, •'4SMÉNIE, ,t «'EGYPTE, Comprenant les c r o i s a d e s5 e t les faits, les plus mémorables, DE L'EMPIRE OTTOMAN, Avec phs dexaÜitude quaueun Auteur modern, les a encore rapportés. tome premier. ■* L E I D E, [Les FRERES MUREAF.i ,R ° M A R,f     A SA MAJESTÉ IMPÉRIALE et ROÏALE MARIE-THÉRÈSE D'AUTRICHE, IMP E'R ATRICE DES ROMAIKS, REINE DE HONGRÏE ET DE BOHÈME ARCHI-DUCHESSE IÏAVTRICHE DÜCHESSE DE WRRAINE ET DE BAR, GRAND' DUCHESSE DE TOSCANE, &c. &c. &c. Le bonheur, que fat tfêtre au fervice de Votre Majejlé Imperia- * ie  (II.) Ie & Male pour les affaires, qui fint du departement du Commerce, me fait prendre la liberté d'apporter au pié de fin Trêne /'Hiftoire des Roïaumes de Cbypre, de Jerufalem, XArmenië, & & Egypte. T>ès-que fen formai le plan, je métois propofe d'avoir l'honneur de la confa'crer d Sa Sacrée Majefté Imperiale , fin Augufie Tére de triomphante mémoire. Le goüt, que Fotre M^jep Imperiale & Roïale a pris, dès fa plus tendre jeunejfe, a la k&ure de  (III.) de tHiftoire) qui efl la veritable Ecole des Souverains, & ou Elle a puifé les excellent es Maximes du grand Art de regner y qui la rend ft chère a fes Teuples, ft refpe&able aux yeux de tout ïUnivers: Ce goüt> dis* je, me fait efperer, qüelle voudra bien prendre mon Ouvrage fous fon Augufie Trote&ion. Je regarderai eet avantage, MADAME* comme la plus glorieufe recompenfe, que je puijfe ambitionner pour prix de mon travaiL La connoijfance ? que j ai ac- * 2 qm-  (1 v-) quife des principales Langues des Tays Orientaux, pendant le long fejour que jy ai fait, & favantage que jai eu de pouvoir confulter divers Manufcrits très-rares, & des Mémoires inftru&ifs pour mon deffein, niont mis en état, MADAME, d'en compofer une Hiftoire, que jofe dire être la plus exa&e & la plus complette, qui ait paru jusqudprefent. Elle contient une infinité de faits memorables , d'autant plus interèffans, que presque toutes les Tuijfances de /'Eu- rope,  ( V.) rope y de /Afie, & de /'Afrique, y ont eu part. Les grands évene mens, qui y font rapportés* en fervant dexemples & de lefons fur la revolution des chof es du Monde , font voir en même tems, que la perte deplorable des Saints Lieux-, ou seji operé no~ tre Redemption , eji due uniquement a la divifwn des Trinces Chretiem. Je profiterois , avec la plus vive ar deur, de eet te occafwn, pour publier les hautes vertus, qui difinguent ft fort Fotre * 3 Ma*  (VI.) Majefté Imperiale & Roïale, & t out es les gr aces, dont le Ciel s'eft plu d la combler, ft je nétoispas convaincu, que ceft-la un fujetfort au ■ deffus de mes forces. <% pourrois-je d'ailleurs dire, qui ne foit connu de toute la Terre, dont Fotre Majefté Imperiale & Roïale fait l'admiration? Je me bornerai donc d joindre mes voeux d ceux de vos Sujets pour la prosperite' de Votre Sacrée Majefté Imperiale & Roïale > & pour la longue durée de fon Regne. Trop heureux, fi,en confacrant^ d  (VII) d Votre Majefté Imperiale & Roïale le fruit de mes veifles, Elle veut bien recevoir avec bonté eet te marqué de mon hommage ; Et plus heureux encore> fl je fut* tirer de mon experience dans le Commerce, qui eft Pame des Etats, & la fource de la felicité des Teuples, les moïens de le faire fleurir d favenir dans les Tajs de fa domination, avec plus de fuccès, que le malheur des troubles ne Ta permis jusqud-prefent. Ceft dans ces fentimens > pleins de zéle ö3 dattaché ment, que  (VIII.) que jat thonneur dètre avec le plus profond refpecl, & une venerat ion infinie, MADAME, VOTRE SACRÉE MAJESTÉ IMPERIALE et ROÏALE . Les très-humble, très-obèïjjant, très-fidèle Serviteur, Le Chevalier DOMINIQUE JAUNA.  P R Ê F A C E. ||W||out le monde eft aiTez perfuadé de lanécef» y « fité de PHiftoire , foit univerfelle , fbit @©^>d(?® particuJière, & que c'eft elle qui nous rem,et dans la mémoire des faits pafles, dont la connoiflance porte a Pefprit des lumières, qui Péclairent, & au coeur des fèntimens, qui le règlent, & le fixent a Paccompliflement des devoirs les plus eflentiels a la Société humaine. 11 n'y a perlönne, qui ne. •fèche, que PHiftoire, en nous raportant ce qui s'eft tf fait  P R F F A C E. fait & dit dans les fiècles les plus reculés, expofè a nos yeux comrae un tableau parlant du bien, & du mal, dans lequel nous pouvons dhcerner les chofes, qui font dignes de nos louanges, & de notre approbation, de celles qui ne meritent que nos mépris & toute notre horreur. Le public éclairé n'ignore pas non plus, que 1'expofition des aótions vertueufès, avec toutes les couleurs, qui nous les rendent aimables, attire d'abord nos attentions, & fait naitre enfuite dans nos coeurs le défir de les imiter. II eft bien convaincu que les exemples, fournis par une Hiftoire véritable, frapent ordinairement plus les Hommes, que les raifons démontrées dans la Philofophie, & dans les autres fciences, purement fpéculatives. Auffi 1'entendons nous fouventdire, que les démonftrations Philofbphiques tendent bien a prouver une propofition; mais les faits, dévelopés par un Hiftorien fmcère, paflènt outre, & excitent en nous le panchant naturel, que nous refTentons tous a imiter ce qui nous plait. Je croirois donc juger peu favorablement du Public , fi je voulois m'arrêter a lui faire voirles avantages, qu'il trouvera dans cette Hiftoire particulière des Roïaumes de Cbypre, de Jérufakm, & ó> Egypte-, je penfè, qu'il fuffit de PafRirer, qu'il y verra ce qui flatte le plus la nature, je veux dire la diverfité d'une infinitéd'évènemens tous intéreflans pour ceux qui veulent s'infhuire a fond des chofes, qui concernent ces trois différents Etats. je ifais, qu'on a déja mis au jour de bons Üu-  P R E F A C. & Ouvrages , oü les Auteurs ont imeré beaucoup d'endroits, qui ont quelque raport a ce que je donne au public; mais, outre que ce ne font que des morceaux, ou fragmens détachés, qui ne peuvent fournir une idéé nette, & générale de toute PHiftoire, ils laiffent encore a défirer les recherches néceflaires, que j'ai faites fiir Porigine, Paccroiflèment, &ladécadence de ces Roïaumes, & de ceux qui les ont fuccefTivement pofledés. Le grand nombre d'années, que j'ai pafte dans ces divers pays , & Ie fecours que j'ai tiré des langues qu'on y parle, m'ont mis a portée d'y découvrir bien des chofes , qui n'ont pu venir, ou qui ne font venues que très-imparfaitement a la connoinance des autres. J'ai lu a tête repofée les Auteurs, qui en ont traité; Je me fois fervi de plufieurs Manufcrits & Mémoires, qui m'ont été fournis; & je n'ai rien négligé pour comparer ce qu'ils en ont dit a tout ce que j'ai trouvé, & obfervé moi-mème fur les lieux & parmi les habitans de ces différentes Régions; Et je mefoisapper^u, qu'on a écrit beaucoup de chofes fur le raport peu exacl, & même très-fautif de quelques Perfonnes, qui, ou ne les avoient pas vues, ou ne les avoient pas approfrondies. C'eft le motif, qui m'a porté a former le dehfein d'entreprendre un Ouvrage, qui auroit a la vérité exigé d'autres talens, que les miens, mais qui m'a paru fi important dans la circonflance des tems, & danslaconjonclurepréfente des afTaires de VEurope, que j'ai mieux aimé expofer en quelque forte ma réputation, & me ft 2 fou-  PRE FACE. föumettre k la cenfüre du public, que de ne lui pas communiquer des faits, dont la découverte m'a paru Pintéreflèr. Si Pon ne fènt pas dans monftileces fleurs, que tout autre Auteur défireroit répandre dans fès écrits, & que Pon n'y voie pas ces tours hardis & amenés, qui flattent les elprits amateurs du brillant; j'ofè me flattcr au moins, que mon Hifloire ne préfènteraau Le&eurrien qui ne fbit conforme a la vérité la plus fëvèrement examinée; rien qui n'ait pour fondement, ou un raport véridique, ou une expérience conflante; rien qui n'ait été attefté par des gens de probité, peu faciles a croire indifféremment tout ce que Pon dit; rien enfin qui ne tende au fèul but d'un bon Hiftorien, qui eft de donner le certain pour ce qu'il eft, & 1'incertain pour ce qui eft incertain. Je ne me fuis point mis en peinedeformerdegrands raifonnemens fur les faits, que j'ai cités; mais, content de les cara&érifèr de la manière, qui m'a paru la plus convenable a leurs qualités, je n'ai point voulu prévenir le jugement du public, que je crois toujours refpeclable , & encore moins m'attacher aux portraits des perfbnnages, qui paroiflènt dans mon Hiftoire, pour les peindre au gré de mon imagination, & les rendre, ou vicieux, ou vertueux fèlon mes idéés. C'eft au Leéteur, infiniment plus judicieux que moi, a décider par les actions, & la conduite des perfonnes, fi elles font dignes de louanges, ou de mépris, &quelies ont été leurs paflions dominantes. Les  P R E F A C E. Les reflexions trop ingénieufès, trop fréquentes, trop longues, m'ont paru injurieufes a ceux, qui, en lifant un Ouvrage, font bien aifes qu'on leur laiÜe le droit, qu'ils ont de les faire eux mêmes, telles qu'ils le jugent a propos. J'ai rrouvé plus de goüt a une fimple narration, qui ne détourne point le Lecleur des chofès, qu'il veut apprendre, & que j'ai fèulement taché de lui répré/emer, comme fi elles fè pailbient aétuellement fous fès yeux, fans les apprendre par un recit étranger. Si j'ai combattu quelque fois les opinions de quelques Auteurs; c'efr que je devois rendre témoignage a la vérité, a la quelle un Ecrivain doit tout facrifier. Dailleurs, j'apporte mes raifbns fans aigreur , & ne crois pas m'être fèrvi de termes, qui aient pu offenfèr perfbnne. Je luis perfuadé, qu'un Auteur ne cite que ce qu'il croit le mieux fondé; mais je penfè, qu'il faut éviter deux écueils également dangereux, qui font une trop grande crédulité, & un excès de critique. Auffi, ai-je emploïé le terme, on dit, dans les endroits qui m'ont paru incertains, ou douteux : Et, quand il s'efl préfènté des faits, qui fembloient nepouvoirfèraporter aux loix ordinaires de la nature , telle qu'on a coutume de les concevoir , je m'en fuis tenu a unefimple expofition, & j'ai laifle a chacun la liberté de les caraétérifèr fèlon fès lumières. Au-refle, je ne faurois m'imaginer, qu'il fbit honteux d'admettre des faits miraculeux, Iors qu'ils ont pour appui des preuves inconteftables; non plus que de les rejetter, quand ils en font dépourvus. tt 3 Tour  P R E F A C E. Pour ce qui eft de la Chronologie, j'ai marqué a la marge les tems, qui m'ont paru certains, & les ai omis dans le cahos obfcur des prémiers fiècles, auxquels on rapporte Porigine & les commencemens des Etats, qui font le fujet de mon Hiftoire. Un Hiftorien, qui eft contemporain, peut & doit obfèrver forupuleufèment 1'ordre des tems. Toutes les dattes font certaines pour lui '9 mais celui, qui n'aïant pas ces avantages , veut cependant s'y attacher, prend fouvent le change, & s'expofè k de grands mécomptes, qui méritent toujours correótion. Après tout, quel travail ne fèroit-ce pas qu'un calcul exaót, qui ne fo pourroit faire que par la réduótion des Epoques, des années, & des mois, des nations, qui nous font fi peu connues, a notre époque , qui eft différente? Ces recherches fans fin ne pourroient nous afïurer a fonds, qu'il n'y eüt point d'erreur dans la fupputation;Et enfin,pourvu que les faits, & leur mcceffion fbient nettement rapportés dans leur ordre naturel, il n'importe point tant, qu'on fache a point nommé dans quelle année, dans quel mois , ou dans quel jour, ils font arrivés. J'ai cependant obfèrvé , dans le cours de mon Hiftoire, les tems les plus marqués, & qui font a mon fujet, pour fèrvir d'époque aux évènemens les plus confidérables. Hs font comme des points fixes, qui foutiennent lamémoire, & arrêtent la trop grande vivacité de 1'efprit, qui le feroit glifier trop précipitamment dans un labirinthe, oü il fo perdroit. J'ai mis plus de tems a examiner la fubftance des faits,  P R E F A C E. faits, & a les rendre évidens: mais, pour éviter les repetitions, qui auroient trop groffi mon Ouvrage, & caufe de 1'ennui aux Leóteurs, j'ai cru devoir joindre a l'Hiftoire de Cbypre, ce qui concernoit celle de Jérufalem , & $ Egypte, lors que les évènemens ont été néceflairement liés enfèmble par 1'ordre des tems. Autrement leur raport n'auroit pas été aperc.u, & la narration en eüt été mutilée , 1'efprit n'aïant pu voirla, place, oü les faits devoient naturellement fè trouver. D'ailleurs ces évènemens, tant ceux qui touchent la Religion, que ceux qui regardent Ia fiiccefTion des Souverains, qui ont régné dans ces pays, & les guerres dirférentes, qui s'y font faites, ont un enchainement fi eflèntiel entre eux, que la divifion, ou la féparation, n'en eüt fait qu'un fquélette, dont tous les membres auroient paru disloqués. Quant a V Et at pref ent de ? Egypte, que j'ai cru devoir ajouter comme une troifiéme partie de eet Ouvrage , ce n'eft proprement pas une fuite de l'Hifloire de ce Roïaume. Je penfè 1'avoir aflèz developée, depuis les endroits, oü elle a eu quelque relation aux deux autres. J'aurois pu auffi 1'écrire en ftile épiftolaire, & füppofèr , que j'eufïè répondu a des perfonnes, qui m'euflènt écrit préalablement pour s'informer des différentes matières , qui en font le fujet: Mais ce deffein m'aïant paru une efpèce de fidion, qui peut faire foup^onner un Auteur , de vouloir donner 1'eflor a fon imagination, pour étendre fa matière par des tours, qui lui font étranges; je me fuis renfermé dans la firn- pli-  P R E' F A C E. plicité d'un ftile ordinaire, plus propre a inftruire, qu'a. amufer les Leóteurs. On trouvera a la fuite de VEtat-préfent de VEgypte un examen des moïens , qui paroihent les plus faciles de faire, & de confèrver la conquêtede ces charmans, & riches Etats. Le Public jugera de la fblidité des raifbns, qui appuient ce petit Ouvrage , qui fèra fuivi d'une Diflèrtation fur les CaraÜères Hieroglifiques des anciens Egiptiens. Cette dernière pièce, fi je ne préfume pas trop, pourra être du goüt des gens de Lettres, qui y trouveront un caraótère de nouveauté, non dans la manière, dont elle eft écrite, mais dans le fond du fujet en lui même. Je fupplie le Public de vouloir bien jetter les jeux fur le fommaire de tout POuvrage, qui lui fèra préfènté conjointement avec cette Préface. Jl verra, par eet abrégé, fi le contenu dans toute fbn étendue, peut attirer fon attention. , Comme dans le corps de eet Ouvrage, je traite de la maifön de Luzignan, & en raporte la Généalogie dreffée par le R. P. LuTjgnan , a caufè que cette llluftre Familie a été longtems en poflèflion des Roïaumes de Cbypre , & de Jémfalem, c'eft-a-dire depuis Pan ii 8f jufqu'en 1474. que leun pourroit fè formalifèr de ce qu'il n'y a pas auüi été traité de la Sérénif fime Roïale Maifon de Lorraine, a caufe qu'elle porte le titre de ces mêmes Roïaumes. Mais les Le&eurs me pardonneront aifément ce pêché d'omifïion en confidération de la variété d'opi- ni-  SOMMAIRE D E L'HISTOIRE DES ROÏAUMES D E CHYPRE, de JÉRUSALEM, et D'EGYPTE. L I VR E PRÉMIER. Chapitre Premier. I. Y\ifpofnions de ïAuteur. Incertitude fur les prémiers Noms de Chypre, ILJ & de fes habitans. Raifons de cette incertitude. Origine des divers noms de File. II. Divers fcntimens des Grecs fur le mot Kupros. Situation de Chypre. FauJJe opinion des Anciens. Defcription de We. Sa divifion. Superjlition des Chypriots. Erreur de divers Hijloriens, Üombre des Villes de Chypre. Des Villages. Des Habitans. Majfacre des Chypriots par les Juifs. Maronites foumis a VEglife Latïne. Raifons de l'obfcurité de l'ancienne Hiftoire de Chypre. Erreur du Père Luzignan. Opinion ifHérodote. Villes Roïales de Chypre. Amathonte. Temple d'Adonis. De Venus. Origine du culte de Verras. Fable des Propétides. Enlèvement de 80. hïmpbes par Didon , qui les emmena a Cartage. Fable de Théfée, é? d'Ariadne, inventée a Amathonte. Dejlruction d'Amathonte. II. Paphos, Temple le plus ancien de Venus. Procejfions en l'honneur de Venus. Culte de Vénus apporté de la Palefïirie. Deux Cyniras. Cyniras, Fils de Sadoc, vient en Chypre. Fondation de Carpaflb. Cyniras, Fils d'Agriopas. Paphos ruinée. Baffo en fa .place. Citium bdti par les Phéniciens, ou Tyriens. Naifance de Zénon a Citium. lies de la vier Méditerranée apellées Kittin dans la Bible. Chypriots , connus fous le Notn de Kithiens, du tems de Moïfe; Chypriots fifrancbis du jong des Tyriens. Ville, Roïaume de, Malum. * Leut  S O M M A I R E. ; ■ 1 Leur 'ruïne. Salamine aujoürd'hui Famagoufte.,*& fondation par Teucer. Temple de Jupiter Grec. Affroni fait a la Reine Phéretime par le Roi Evelcon. Lapathos, &f Soli. Origine du mot Solécifme. Soli du nm de Solon. Chytrie, ou Kutri, Chapitre . S e c o n d. I. AmafilJ Roi d'Egypte , paffe en Chypre. Chypriots unis a Cambifès • kontre les Egyptions. 'Douceur de Darius/, 8* de Xerxes, envjrs les Chypriots. Superjlition des Chypriots. Chypre fous la domination des Perfes. JI. ChyprepJartagèe tntre les Perfes, &? les Grecs. Mort de CiraonaCitium. III. Evagoras , Roi de Salamine. Artaxerxes en Chypre. Soumijfwn ^'Evagoras aux Perfes. Prudence d'Evagoras. Mort tragique d'Evagoras, Roi de Salamine. Swcefiion de Nicocles A."EvagörasyS«'P4r#-. Flatterie tflfocrate envers 'Nicocles. Chapitre T r o i s i e m e., Il Armee rf'Ochrus en- Chypre. Protagoras, Roi de Salamine. Réfuge cTun autre Evagoras en Chypre. Sa mort tragique. Tyranie de Nicocréon en Chypre. II. Soumiffion volontaire des Chypriots a Alexandre. Libéralitè d'Ak-xandre envers les Chypriots. Parole r/'Anaxarque punie dhine mort cruelle. Conjlance de ce Pbihfopbe. Reconnoijfance des Chypriots envers Alexandre. Mort £ Alexandre. III. Ptolomée Lagus envoie une Armee en Chypre. Dejlruüiun de la Ville de Malum. Prife de Paphos, £f mort de Nïcocles. Dèfespoir d'Agyotée, Femme de Nicocles. Extinaion de teute la familie Roïale de Paphos. Défaite des Egyptiens par Démétrius, Chypre aupouvoird'Antigonus. Mortdece Princea fpfum. IV. Cenquête de toute l'Ile par Démétrius. Ptolomée la lui enlè-oe. Reflexions fur les qualités des guerriers. Chypre, Province ^Egypte , fous Ptolomée.. LIVRE SECO ND Chapitre Premie r. li Succefton de Philadelphe h fon Père Lagus. Qualités de Philadelphe. Exil de Philométor en Chypre. Retour de ce Prince a la Souveraineté. Chypre mis par les Romains au pouvoir d'Evergetes. Ariftarque gouverneur de Chypre. Retraite de Laturus en Chypre. Retour de Laturus en Eygpte. M»f rfeCléopatre, &? ^'Alexandre Jannée. II. Ptolomée Apion, Roi de Cyrène. Ptolomée, Frère j'Aulètes, Gouverneur de Chypre. Cette Ilt dédarée Province Romaine. Dèputation de Caton par le Sénat, pour en  SOMMAIRR en aller prendre pojfejfion. Richejfes immenfes mportêes de Chypre. tor Caton. III. Tréfors de Chypre èpuifés par Ptolomée , pour achttn la faveur des Romams. Mauvais fuccès de Ptolomée. IIfait mourir Bérénice, fa Fille. Mort de Ptolomée Aulètes , ou Is Fluteur. Succeffton de Ptolomée Dénis, ou Bacchus, kfon Père Aulètes. Ptolomée, ti jeune, nomme Rot de Chypre, par Céftr. Affaffmé par ordre du méme Céfar. hxtmction des Ptolomées. Chapitre Second. I. touchant les Gouverneurs , e'taMr en Chypre Romaïns Souveraineté de Chypre , a Cléopatre par Marc-Antoine. Chypre cedeeau Sénat par Augufte. Paul Sergius, Proconful Romain, Goawr- ■ neur de Chypre & Converfion au Chriftianifme ; 11 détruit le Temple ■ de Paphos. II. Temples aziles pour tous les criminels. Artémion, Gouverneur de Chypre. CaJamités arrivées en Chypre. Chypre abandonné par fes ha- ■ ktans. Tradition des Chypriots. Chypre repeuplé, Départ de Ste. Helène de Tlle de Chypre. III. Calocer, Duc de Chypre, envoïépar Conftantin. Chats entretenus pour la Dejlruftion des ferpens. Dureté du gouvernement de Calocer, qui férigea en Roi. Punitien de ce Rébelle. Trafic de payfans vendus par la Noblefc. Un Archevêque , £f douze Evêques en Chypre, réduits a quatre par Gui de Luzignan. IV. Defcente de Moavie, Grand* Amiral ^'Egypte, dans Tilt de Chypre. Vicloire de TAmiral fur TEmpereur Conftant. Chypre cédée aux Egyptieris. Cruaitté de Jérit, autre Amiral Egyptien, envers les Chypriots. L'Ile de Chypre ravagée, £ffaccagée par Aaron-el-Rafchid , Calife J'Egypte. Chapitre T r o i s i e4 m e. I. Chypre délivrée par ÏEmpereur Nicéphore. Renaud de Chatillon ravage Chypre. Ifaac Comnène, parent de ÏEmpereur du tnême Nam , s'empare de la fouveraineté de Chypre. Sa cruauté envers les Officiers prifenniers. Defcente de Richard , Coeur de Kon, en Chypre, é?punition de Comnène. Comnène chargé de chaines. Chypre érigée enRoïaume, &uni . a /'Angleterre. Vice-Roi en Chypre. II. Richeffes A Chypre. Proprietésde la pierre d'Amiante. Même quahtité de vin & de blé, quanciennement. Vin de Chypre devient balfamique, & fe conferve un Siècle. Bois propre a tout ufage- Quantité de Cbevaux, Mules, Boeufs, Bufes, Chameaux, &c. Abondance de toute forte de gibier, a Texception du Faifan. Excellence des Faucons & de Lévriers. Combat d'un Chat £? d'un Serpent. L'Ile auffl ahndqnte en poijfon , qu'en gibier. Climat de Tlïe. Excellence de Vair a Soli, Lapathos , Nicofie , CarpalTo , £? Pifcopie. Maifons bajfes. Lieux élevés beaucoup plus fains. III. Erreur de ceux qui dij"ent, que cette Ile * 2 n'efi  S O M M A I R E. eft arrofèe que par des torrens. Source de Chkrie, qui fait aller 36. mouUns. Jardin del'Auteur, contenent 12000. meuriers, & plufietirs autres efplees d'arbres. Machines nommées Alakati, ou Sakie, pour pui/er Feau des puits. Manière de cultiver les meuriers en Chypre. Soie de Chypre plus pc/ante, que celle des autres pays, &emploïée aux étofes d'or, & dargent. Abondance de Cotton. Qualité des Chypriots. Chypriots amateurs de l'oijiveté , de la bonne chère , de la magnificence, & de la volupté. Leur taille médiocre , 6? leur couleur bafanée. Habitans des lietix éloignés de la mer très-blancs. II. lllujires, &? faints perfonages de Chypre. Jofeph, ou St. Barnabé. Jean, furnommé Mare, & Ja Mère Mane. Pvicanor un des VU. prémiers Diacres. Mnafon, difciple des Apotres. Plitfieurs Chypriots Martin Evêques. St. Ephiphane, Evêque de Conftance, ou Salamine. S. Spiridion, Evêque de Tremitos. Anteraius, Evêque de Salamine. St. Jean Mumonier natif d'Amathonte. Leonce, Evêque de Limifol. Autres illufires perfonnages Chrétiens. III. Savans. Afclépiade, Mèdccin. Nicagoras, Pliftorien. Zénon, Philofophe. Dexiphanes, Arcbiteiïe. Démonax , Philofophe , modèle de vertu Paicnne. Son portrait. Autre Zénon, Medecin. Hermias Sozomène, Hijlorien Ecclêfiajlique. Onéfime , Sophijle , &f Orateur. Familie des Ophiogènes.^ IV. Chypriots de tout tems peu adonnès aux Ames. Rares qualités d'Henri Catharin de Davilla. Femmes Chypriotes, qui ont fait des aêl'wns béroïques. Axiothée. Rénée de Rochas» LIVRE TRO IS IÈ ME. Chapitre Premier. I. Diverfes opinions fur Vorigine de Jérufalem. différents Noms. Jérufalem #vréeaux Barbares. Sa dèfolation. Sa démolitionpar Titusfous Vefpafien,/e« Père.]uïïsrévoltés, Bpunis. Jérufalem ré-édifiée. Nomdejémhlemchangé en celui rf'Elia. Mare , pièmier Evêque de Jérufalem. Profanation des lieux Saints par Adrien. Conftantin fait cejfer la perfécution des Chrétiens. Efforts inutiles des Juifs pour rebdtir le Temple de Salomon. Cofroès vange la mort de Maurice , tui par Phocas. Cofroès, tué par Syroès, Son Fils. Révolte des Sarrafins contre Héraclius, livré h fes plaifirs. Etimologie du Nom des Sarrafins. Chrétiens Tributaires des Sarrafins. Chrétiens de Jérufalem expofês h la viciffitude des différentes dominations. Perfécution des Chrétiens fous le Calife Equen. Le Calife s'adoucit a la prière de Conftantin Monomaque. Somme confidérable fournie par le Gouverneur de Chypre pour le St. Sepulcre. Le Patriarche s'êrige en Souverain pour le fpirituel, fc? le temportl. Prétenjion de fes SucceJJeurs. Cha-  S OMMAIRJC. Chapitre Second. I. Permijjïon accordêe aux Araalfltains de bdtir un Temple a Jérufalem. Le Préjideni leur accorde une place vis-a vis le St. Sepulcre. lis y ètabliffent une Jbbaye de Bénédiólins. Origine de TOrdre de S. Jean de Jérufalem. Tables fur F origine de eet Ordre. Origine des Turcs, qui s'emparent de Jérufalem. Turcs unis a Artaxerxes, Rei des Parthes, contre Alexandre Sévère. Chypre mênacée par les Turcs,fous le Nom de Scytes. Turcs divifès en deux FaStions. Origine des Huns en Hongrie, ÊT des Turcs dans les Palus Méotides. II. Turcs devenus un feul Peuple avec les Sarrafins. Erreur des Hifloriens touchant les Sarrafins. Mahomet «ƒ>/>/>to« fortf les deux. Chapitre CL u a t r i È m e. I rZmpereur Frédéric eft bien repu par Bella, Roi de Hongrie. Trahifen de ÏEmpereur Grec envers Frédéric Paix entre les deuxEmpereurs. Ceux (flconium défaits, & mis en fuite par Fredenc. pStotre comp ette de eet Empereir. II. Defcription ^Icomum. CetteTtlle abandennee au tillaee. LEmpereur accorde la paix au Soudan d lcomum.1 rijle Zrt ^kdMc/vainquiurdeSaiBtën. Eloge de Trédénc 1. III. FreSJl fon Fils , recolnu pour Chef de ïArmée Chrétienne. Saffadm Um par Frédéric II. Arrivèe de t'Armée de Frédéric Duc de Suabe, ÏÏntioche. Bataillegagnée par les Chrétiens. Fredénc. 1. tnhumi t Tyr. Le Duc de Suabe «ww a Ptolomaïde. LIVRE SEPTIEM E, Chapitre Premier. 1 Affaux gènêral donnè a Ptolomaïde par ^ Chrétiens. Sn /r ft G»np **• Chrétiens. Mort de Fredenc , Duc * Srite, Ir, & 0Mr femrtr la Palefone.  S. O M. M A I R E. Arrivés du Roi de France a Ptolomaïde. Le Roi d'Angleterre arrivé, a Ptolomaïde , avec le Duc Ifaac en chaine. Brouilleries entre les Francois £p les Anglois, caufée par la lenteur des derniers a feconder les prémiers. Mion hêroïque d'un Noble Florentin de la Maifon de Bonaguifi. Réconciliation entre les Francois, les Anglois. III. Le Roi de France force les affiègés a demander Capitulation. Traité de reddition. Nombre fcf 'qualité des Seigneurs , qui périrent au Siége de Ptolomaïde. Gui de Luzignan déclaré Roi de Jérufalem. Chapitre Second. I. Origine de ÏOrdre Teutonique. Mion violente du Roi J'Angleterre, caufe du maffacre des Chrétiens. Portrait de Caracut prifonnier dans 1'Armée Francoifè. Ses avis aux Primes Chrétiens. Jugement de l Auteur fur les avis de Caracut. II. Renouvellement du démêlé entre Gui &p Conrad. Accord réïtéré entre Gui & Conrad. III. Progrès de Saladin pendant les difputes, &? la négligence des^Chrétiens. Jaffa repris, & Saladin mis en fuite par les Hofpitaliers & les Anglois. Rupture ouverte entre les deux Rois Philippe £? Richard. IV. Départ du Roi de France de Ptolomaïde, &p fon arrivée a Rome. L'Exemple de Philippe ejl fuivi par le Duc ö"Autriche, les Vénitiens, les Génois, & les Pifans. Camp de Richard affoibli. Chapitre T r o i s i ev m e. I. Saladin, inflruit de l'affoiblijfement de VArmée Chrétienne , fe prèfente h fa vue. L'Ile de Chypre engagèe par Richard aux Templiers pour 2/ooo. Marcs d'Argent. Fortifications de Ptolomaïde réparées. Sanglant combat prés d'Aflhr entre 1'Armée Chrétienne, £f celle de Saladin. ViStoire complette des Chrétiens fur Saladin. II. Négligence des Chrétiens ci prof ter de la Viel oir e. Mort tragique de Conrad, Prime de Tyr. Richard , Roi tf"Angleterre, calomnieufement accufé de cette mort. L''Auteur de ce Meurtre découvert. IJL Emfroi de Thoron ajfajjiné. Richard Roi de Jérufalem, Gui, Roi de Chypre, par échange. LIVRE HUITIEME. Chapitre Premier. I. Départ de Gui, pour aller prendre poffeffion du Roïaume de Chypre. , Grands préparatifs pour la Conquête de Jérufalem. Troubles dans les Etats de Richard, caufe de fon départ. II, Traité desavantageux pour les Chré- ** % tiens.  S O M M A I R E. tiens Reftexions de VAuteur. Richard arrêté en Autriche. Ranpon excéQive pour fa Ubertè. III. Mort du Duc de Bourgogne a Ptolomaïde, £f retour des Francois en Europe. Henri, Comte de Champagne, re* fufe condammant le titre de Roi de Jérufalem. Chapitre Second. I. Prudence, 6? douceur de Gui dans fon gouvernement. Son attention a repeupler fon Roïaume. Liberté, donnèe aux différentes fecl.es, de profejjer leur Religion en Chypre. Prèèminence accordée par le Roi aux Evêques Laüns fur les Grecs. II. Etablijfement des Loix fondamentales £f desTribunaux dans l'lle. Rèformation dans les Troupes. Rêparation des^ Forterejfes. Murmures a l'occafion des impots. III. Diffimulation du Roi dans cette conjontlure. Sentimens des Auteurs partagés. Celui de Loredan malfondé. Chapitre TroisiÈme. I. Divifton , & guerre entre les Chrétiens de Syrië. Mort de Saladin h Damas. Saffadin fon Frère s'empare de /'Egypte. Eloge du grand Saladin. II. Différends des Primes Chrétiens de Syrië terminés. Croifade prêcbée fans fuccès. Armée d Allemagne au fecours de la Paleftine. III. Mort du Roi Gui de Luzignan. Reflexion fur fes belles qualités. Idéé, ga'i/ avoit de lavantage du Commerce. Création des Cbevaliers de /'Epée. Chapitre q_ u a t r i e m e. I. Alméric, Frère de Gui, fur le Trêne. Augmentation des revenus annuels. Différents Ambaffadeurs envoïés a Alméric. II. Ilprend le Titre de Roi, de l agrément de l'Empercur a"Occident. Livon eft déelaré Roi d'Arménie. III. Arrivêê de l'Armée Impériale a Conftantinople. Prife de Jaffa par Saffadin. Sidon pris par les Croifés. IV. Le Duc de Saxe fe rend maitre de Baruih. Flotte arrivée au fecours des Chrétiens. Chapitre C i n cl u i e m e. ï. Garnifon de Baruth furprife par Saffadin. ViMre remportèe par les Al* Iemands. Mort des Ducs de Saxe,£f a"Autriche, dans le Combat. II. Armée de Saffadin renforcée. Couronne de Jérufalem offerte « Alméric, Roi de Chypre. Acceptation, quil en fait. III. Bon ordre établi e« Chypre par Alméric, avant fon 'départ pour la Paleftine. Le Roïaume de Chypre , fc? les Enfans du Roi laiffés fous la Règence du Confeil fupèrieur. Dipart du Roi pour Ptolomaïde.  SOMMAIRE. Chapitre S i x i È m e. I. Manage, 6? Couronnement «"Alméric a Ptolomaïde. Mort de ÏEmpereur Henri, caufe des brouilleries en Allemagne, & du départ des Allemands. II. Inutilité des Négociations des Ambajfadeurs du St. Pere en France, £f Angleterre. Jaffaprife par les Infidèles. Accommodement avec les Sarrafins. III. Gucrre entre les Templiers, £p les Hofpitaliers. Paix entre eux par la crainte de Texcommunicdtion. Chapitre Septiem e. I. Soins «"Alméric pour la confervation de fes Etats. Mesintelligence entre les Infidèles favorable aux Chrétiens. II. Les Primes £f les Peuples de 2'Europe prennent la Croix. Soixante Galères arme'es par les Vénitiens. III. Noüvelles fdcheufes pour les Croifés. Rèt ar dement du départdes Croifés. IV. Hijloire Alexis. Défenfe «"Alexis prife par les Vénitiens, £f les Francois. Départ de la Plotte Vénitienne pour Conftantinople. La Flotte y arrivé. Chapitre H u i t i e m e. I. Les Croifés affiègent la Place. Fuite précipitée «"Alexis, VUfurpateur. Le jeune Alexis affociè h Ifaac. Mort «"Ifaac. Alexis ètoufé par Murtzuphle. II. Conftantinople au pouvoir des Croifés. Defcription de la cmquête de Conftantinople. Rèïmion des Eglifes Grecque £f Latine. LIVRE NE U V I E M E. Chapitre Premier. I. Croifés ètabliffent Baudouin, Comte de Flandre, Empereur de Conftantinople. Remarques uti'es de ÏAuteur. II. Dandolo acquiert Vlle de Candie, & le Marquis Boniface le Roïaume de Theftalie. Origine du Titre de Sércnité^ donné au Doge de Vénife. II. Nouvaax Croifés défaits par les Infidèles. Mort de Baudouin, tiièpar les Grecs, dans une embufcade. Rétraite d"Alexis & de Lafcaris a Andrinople. Conquête de Conftantinople nuifible aux Chrétiens de la Paleftine. III. Trêve de f%% ans avee les Infidèles. Mort «"Alméric. Son Coips tranfporté en Chypre , & 'inhumé « Nicofie. Adminifration du Roïaume confiée a Gautier de Montbeillard. FV Gautier furcbargc les Peuples, & fait élever le jeune Roi dans un Chdteau. Remarques de ÏAuteur fur ïerreur de quelques Hijloriens. ** z Cha-  S O M M A I R E. Chapitre Second. I. Guerre pernicieufe entre les Chrétiens de Syrië. Les Turcs, fi? les Tartares battus en Arménie. II. Jean de Brienne èlu Roi de Jérufalem. // fe rend li Véniie. Son mariage, & fon couronnement a Tyr. Les Barbares réünis attaquent lts Chrétiens. III. Le Roïaume de Chypre mal gouverné. Le jeune Hugues, Fils iC Chrétienne Ê? cello du Soudan de Damas bcittues Ta lesCorafmins. I^mfe/^ des Chrétiens. iVfe (t#« Cl ré ens II Prife de Jérufalem par les Corafmins. Reflexions morales }V. Corafmins i«* 4 /w NaftW. Ils Jont enttère- went éteints dans un an. Chapitre C i n cl u i ^ m e. I. Troubks de flforope caufe du mauvais fuccès de la Croifade E*,*j**r <* £ fiorfe Frédéric. IIOrigine des Tartares. Leursfrogrès. St. Louis, r France Croix. J/ ƒ«> & prèparatifs pour fon tL en Sine Lx Turcomans «tr«» A jfca» *Ant,o. 32* Ils mneTtout h feu ^ <«»< & Us Ordres Militaires. Chapitre Sixieme. 1. Henri , Roi de Chypre, fait des prèparatifs St. Louis, ito ^France. «^wwe & Louis«Limiiol. iw«  S O M M A I R % tnarque crhique fur ÏHifioire du Père Daniël. Réünion de tous les fofi. dèles contre ks Chrétiens. III. Ercaltai, Grand-Cam des Tartares, vent Je faire; Chretien IV. St. Louis termine les différends entre le Pnnce d! Antioche , &f Af 2?« & le Roi rf'Arménie. * ö Mort  S O M M A I R * E. Mort cruelk du Vieux de la Montagne. IV. Damas prife par Aolon. Chapitre TroisiÈme. 1 £?!°n 6n Tartarie- Caufss & M retour. II. Molence des Soldats Chrétiens. Les Egyptiens tombent fur les Tartares. Viéloire complette du Egyptiens. UI. Zèle rf"Aolon pour le recouvrement de la Terre-Samte. Sa mort. Troubles en Occident. IV. Courage des Chrétiens de la Terre-Sainte relevê par le Pape Urbain IV. Chapitre Q_ tj a t r i È m e. I Mélecmaès, vainqueur des Tartares, ajfaffinè dans fa capitale. Méfec-el-Vaher fon Succejfeur. UI. Excès commis par ce nouveau Soudan fur les terres des Chrétiens. Secours envoié de Chypre a Ptolomaïde. Secours demandé au Pape. Prife de la Ville de Céfarée par le Soudan. II prend Ahur, fcf paffe tout au fil de ïèpèe. Secours venu de France a Ptolomaïde. IV. Avantages remportês par Mélec-el-Vaher. Ldcheté des Chrétiens pume par le Soudan. Chapitre C i n cl u i e m e. I Mort du Duc de Ntvers h Ptolomaïde. Desunion dans le Camp'der Chrétiens. Leur défaite. II. Succès des Armes du Soudan. Fffets de Ja colère. Trève conclue avec le Soudan. Reflexion politique. Traité entrr le Soudan, &> Alton, Roi 6^>r ^ & M Ie mn deS • Soudans. Chapitre Troisieme. S. ÊfX Tartares. IU. »ƒ«/« Armémensfar ter lafideles. Mort d'Abagas. Chapitre Q_u a t r i e m e.  SOMMAIRE; modernes. Le Prince Jean, Fik aïnê de Hugues, héritkr de la Couronne , éprouve la haine de fes Frères. 11 efb courronnè Roi de Jérufalem dans la Ville de Tyr. Son retour en Chypre-, cü il meurt bientot. Chapitre C i n q. u i È m e. I Prife de Margat, par Mélec-Said. Les Chevaliers de /'Höpital en fortent par capitulation. Remarque politique. II. Siége de Tripoli par Mélec-Said. Levée de ce Siége. Mélec-Said détroné par VAmiral Elpi, qui prend le mm de Mélec-Menfor. III. Siége de Tripoli par MélecMenfor. Mort de Jean, R'oi de Chypre, de Jérufalem. Henri fon frère, fucceffeur. Son couronnement. Chapitre S i x i e m e. ï. Ambaffadeurs de Henri en Europe. II rèforme les abus introduits dans . fes Etats. II. Tripoli ajfiègée & battue par' Mélec-Menfor. Tripolitains fecourus. lis refufent de fe rendre. Cruautés du Soudan exercées fur les Tripolitains , après la prife de leur Ville. La Ville ejl pillée, Ifaccagée, & briïlèe. Le Cbdteau fe rend. Mélec-Menfor prend Sidon, ê? Baruth, & afiége Tyr, quil prend. IV. Ptolomaïde Tra/ refte aux Chrétiens. Henri paffe a Ptolomaïde , avec toutes les milices du pays. Argon déclare Roi des Tartares. Chapitre S e p t i e m e. I. Argon ejl appellé par les Chrétiens de la Paleftine. Trève de cinq ans entre les Chrétiens, & le Soudan. II. Retour de Henri en Chypre. ó>cours follicité pour les Chrétiens de la Paleftine. Le Pape leur envoie 2joo. Ecus Romains. Remarque politique. III. Caufes de la desunion de Ptolomaïde. Deserdres affreux a Ptolomaïde. Chapitre II u i t i e m e. I. Satisfa&ion jufte demandée aux Chrétiens par le Soudan. Refus, quon fait de la lui donner, caufe £une nouvelle guerre. Mort de MelecMenfor, empoifonnè par un de fes Emirs. II. Mélec-Taflèraf, Fils de Mélec-Menfor, affiêge Ptolomaïde. Vigoureufe défenfe des Chrétiens. III. Le Roi Henri fe rend a Ptolomaïde. 11 fait transporter en Chypre toutes les bouckes inutiles. Contenu d'une Lettre du Soudan au Roi. ' IV. Affaut gènêral ordonné par le Soudan. Sortie des Affiègès peu avdntageufe. Les Sarraüns maïtres des portest des murailles, brülent les maifons. CïïA<  SOMMAIRE. Chapitre Neuvibmej I. Soins du Roi pour Vembarquement des Chrétiens. Arrivèe des Habitans ' «V Ptolomaïde dans l'1/e de Chypre. Refiexien morale. II. Les Templiers fe rendent au Soudan. Le Soudan leur fournit un Brigantin, pour s'en aller. UI. 11 fait dèmolir les maifons des Ordres Militaires , &? abbattre les murailles & les tours. Diffé'rentes opinions fur le Siége &f la prife de Ptolomaïde, par le Soudan Mélec-Taflèraf. Fin du Règne des Chrétiens en Paleftine. LIVRE Q,UATORZ IÈ M E. Chapitre Premier. I. Le Roi Henri dorme Limifol aux Chevaliers de /'Höpital, du Temple, afin de les retenir en Chypre. // fait agrandir, & forti fier Famagoufte eomme Ptolomaïde. II. EmbeliiJJement du Roïaume de Chypre, du cöté de la Syrië, 8* du Midi. Sollicitations du St. Siége pour une nouvelle Croifade inutiles. L'Eglife Grecque fecoue le joug du St. Siége. * Chapitre Second. I. Mort de Mélec-TaiTeraf. Mélec-NaUer fur le Trêne. ^ 11 ejl tiré d'un Chdtcau , ou il étoit enfermé. II. Les Chevaliers du Temple, de /'Höpital, ajfermis dans Limifol. Sabat, treifième Fils de Livon, Roi «"Arménie, fur le Trone après la mort de Jon Père. Troubles en Arménie pour la fucccjfion. Aiton, Fils ainè de Livon, prend pqjfejfion du Roïaume «" Arménie. Alliance entre Aiton, & Caflan, Roi de Perfe, en faveur des Chrétiens. Chapitre Troisieme. I. Moïens , par lesquels Caflan étoit parvenu a la^ Souveraineté. Sa réfolution de conquérir une feconde fois la Terre-Sainte. II. Caflan vient, a Ventrée de /'Arménie, joindre les Rois de Georgië , fcp «"Arménie. Mélec-Naflèr défait par ces Rois mis. Defcription de la perte des Infidèles. HL Prife «"Emeflè , 3 du tréfor, que le Soudan y avoit laijfe en dépot. Jérufalem Je rend ct Caflan, qui y laijfe les Ordres Militaires, & les Troupes du Roi de Chypre, en garnifon. Damas lui ouvre les portes. Cha-  SOMMAIRE. Chapitre Q_uatrieme» I. Caflan fe détermine a retourner en Perfe. // laijfe beaucoup de Troupes en Paleftine. II. Trabifon des Gouverneurs. laijfés par Caflan, funejle aux Chrétiens. Damas repris par les Sarrafins. III, Les Chypriots, les Ordres Militaires marchent vers Antarde, fur l'avis. que C ifT.n revient. Troubles en Chypre caujés par Alméric , Frèie du Roi, IV. Bonté du Roi envers fes Ênnemis. Chapitre C i n cl u i k m e. I. Exhorfations du Pape aux Primes de /'Eorope pour Ia Guerre Ste. Son Envoïé en France y gdte tout, par fon imprudence, fa fierté. II. Suites fdebeufes de la hauteur du Pape, fë? de. fon Minijlre. Boi iface \ III. prijonnier de Philippe-le-Bel. Aucun Prince de /'Europe ne vent enirer' dans la Guerre Ste. III. Caflan fe met en marche pour la feconde fois contre les Infidèles. Sa jonètion avec les Rois cT Arm én ie, de Georgië, de Chypre. Succès des Chrétiens. IV. Perte conjidérable des Chrétiens. lis fe retirent chacun dans leurs Etats. Mort de Caflan. Chapitre S i x i e m e. I. Progrès des Turcs dans Ï Empire Grec. Commencement de ï'Empire Octoman. Octoman affociè a Aladin. Ottoman prend le Nom de Sultan. II. AJfoibl'yfemcnt du Roïaume de Chypre. Révolte contre le Roi de Chypre. Difcoursféditieux «"Alméric, Frere du Roi. III. Les Barons Seigneurs fédmts par Alméric. Alméric Régent. IV. Violences d'AU méric. Retraite du Roi chez le Seigneur «Tbeiin. Réfolution vigoureufe du Roi arrctée par les Confeils de Ja Mère. Chapitre Septieme. I. Soins de lx Reine a pacifier tout par la douceur. Retraite du Roi a Strovilo, avec le Prince Hugues , Jon Neven. FJpions pojlés par tout par Alméric. II. AmbaJJade «"Alméric au Pape. Ses Ambajfadeurs chargés de préjens. La Cour de Rome ne remédié point au mal. UI. Attent at «"Alméric Jur la vie du Roi Jon Frère. Aftions indignes «"Alméric. IV. Le Roi pris par Alméric ejl envoïé a Famagoufte, Ê? de-la en Arménie- TT v Chapitre H u i t i e m e. I. Alméric rapelle les exilés, leur rend leurs biens , les comble de gr aces. Dijette en Chypre caufe de la défertion de plufieurs Families. II. AJmé- * * * * ric.  S O M M A I R E. ric pne le Roi d'Arménie, fon Beau-Tère , de redoubler te garde aitprès du Roi de Chypre. Ifabelle , ïemme d'Alméric , veut empoifnnner Ie Rot, fon Beau-Frère. Celui, qu'elle charge de -ïexècution , en a horreur. LIVRE QUINZIE ME. Chapitre Premier. I. Réfolution des Hofpitaliers de quitter Chypre pour un ont re établijfement, a l'exemple des Templiers. Les Templiers vont attaquer l Empire Grec, Ü semparent de TheiTalonie, £f d'Athènes. II. lis repajfent en France , chargés de richejfes. Leurs richejfes caufe de leurs dèrèglemens. lil. lis font tous arrêtés, par ordre du Roi. Extincton entière de l'Ordre des Templiers en France reprochée a la mémoire de Philippe-le-Bel. Chapitre Second. t Les Hofpitaliers veulent s'ètablir a Rhodes, de Yagrèment de FEmpereur Grec. Rhodes occupêe par les Sarrafins. II. Souveraineté de Rhodes donnée aux Hofpitaliers. Conduite prudente , & fécrette du Maitredes Hofpitaliers. III- Hofpitaliers dans Rhodes. lis je rendent maitres des lies voifwes. IV. Les Mattres des Hofpitaliers s'appellent GrandsMaitres; fi? les Chevaliers, Chevaliers de Rhodes. Maimbourg critiqué. Chapitre T r o i s i e m e. ï. Raifons, pour lesquelles le Malt re des Chevaliers de Rhodes ejl nommé Grand-Maitre. Cohjje de Rhodes,' & Ja dejeription. Autres chojes digiles de mémoire a Rhodes. II. Ottoman premier attaque les Chevaliers de Rhodes. Ottoman repouffé par 1'aJJiJlance du Comte de Savoie. Armoiries de Savoie cbangées. Maijon de Savoie toujours zélée pour la Religiotu Chapitre QiïïatriÈme. ï. Abondance dans Chypre. Alméric y règne en Souverain , pendant que fon Frère ejl toujours prijonnier. Alméric amuje le Pape par de belles promejfes. II. Alméric fe fortifie. 11 ne veut pas entendre parler du retour du Roi fon Frère. Alméric poignardé. III. UJurpation du Gouvernement par le Connétabk. Calomnie rf"Ifabelle contre le Roi innocent. Réfolution des Chypriots pour délivrer leur Roi.  S O M m A I R E. Chapitre C i n q. u i e m e. L t&t?^ Fuite prècipitée Tnnt^t' i n ■ TT • a "aute Cour neveut reconnoitre. rJ » , n • ^ * P^'ficatwn entre la Reine. Ie Légat, ƒ* wff Chapitre S i x i È m e. ï. Zfltotó fio, & de Loredan, HZ hl f i>CekbJTn, dU manaSe duRoi- ZSdelaPrinceJfeCon- 6 f R°l ixM5- n No«™nesfdcheufes repues du Roi, dans le Z Ajfï nV--r Roife mnSe des Génois. // fait exercerja Noblejfe. Croifade d'Avanturiers di/fpée. Chapitre Second. 1 fit^v-l S fh°£S tar ks Tmcs- Ottomane^'- taite. Vicloire des Chevaliers de Rhodes fur les Turcs. II. Affoiblijfe- ** ** z ment,  S O M M A I R E. ment & infirmitês du Roi de Chypre. II eft irouvè mort dans fon Ut. Livcrfes opinions fur les caufes de fa mort Eloge du Roi Herin. JJL San N*w» Hugues lui fuccède Réjouiffance des Famagouftains a Jon Couronnement. Son attention a règler fes Etats. IV. Le Roi fe propofe de faire des perquifitions fur la mort de fon Predecefeur. Exil d unfavon de la Reine foupconnè. Erreur de Loredan. Chapitre Troisieme. I RicbelTes produites par le Commerce. Les Marchands deviennent trèsri' cbes &f les coffres du Roi font remplis. Excès de l'Epargne du Roi. II. Hugues allarmó des Conquêtes, & des profpêrités de guerre, que font les Turcs. Son voïage en Europe, pour folliciter du fecours. Son retour en Chypre pour fe-préparer d la guerre. Deffein du Roi retardó par les malheurs , qui arrivent dans fes Etats, 3 par des brouillenes furvenues entre les Ro\s de France, &f fiTAngleterre. Chapitre CLuatrieme. I Continuation des malheurs de Vlle de Chypre. Soins du Roi hreméticr h tous les maux de fes Sujets. II eft appellé le Père du Peuple. II. Decouverte d'un morceau de la vraie Croix. 11 enrichit lEghfe,ouon le dépofa. III. Soins du Roi Hugues a fortifier fes Places, & a pounoir fes Enfans. Ses chagrins de la part de fes Enfans. IV. II les pumt Jevèrement. II leur pardonne dans la fuite, £f les marie. Chapitre C i n q_ u i è m e. I Courfes des Sarrafins «"Egypte fur le Roïaume de Chypre. Hugues de' mande du fecours. II. Ligüe entre le St. Siége, le Roi de Chypre , les Vénitiens, les Chevaliers de Rhodes, les Seigneurs de Milo, contre les Sarrafins. Toutes les Galères faffemblent a Rhodes. III. La Flotte des Confèdèrés forme le Siége de Smirne, 6f fit* empare. Mort du General de la Flotte. II eft remplacé par Picamiglio. IV. Troubles d 0criture en Egypte, la Sacerdotale, la Hiéroglifique j ?£pifbiaire, la Copte. UJages différents de ces quatre langues. Caraftères Curiologiques, oujparljms;. Caractères Jymboliqucs, ou Jignificatifs. Signijication do quantité de figitres. Origine des Allègories, & du Paganisme, randen langage des Efpagnols étoit Phénicien. La langue Phénicienne introduiie en Egypte par les Rois Bergers. Preuves. Explication dun paffags de la Génèfe.' La laflguë Puffiqme s'êxpïïque par la Phenic'ienne, ou i'ar.cien Hébreir. Ona btjoin der rejjexions des Savans pour l'éclairciffement de la - matière propofée dans cette Differlatio». REFLEXIONS SUR LES moiens de conquérir L'EGYPTE et la CHYPRE. Motijsqui ont engagèï Auteur a publier ces Reflexions. Danger, auquelen jeroit expqfé ,ji F Empire Ottaman verwit a être gouverné un Prince belliqueux, & dun génie Jupérieur. L'idée, que les Romains s'étoientfaite de ^Egypte. EJlime qu'en font les Turcs aujourd'hui. Ce Roïaume rapporteroit *** *** * 2 dou„  S O M M A '? R E. douze millions cTEcus , independammint des avantages du Commerce. Sa conquête nefl pas fi difficile , qu'on fe fimagine. Ses places font peu fortifè s, & dèpourvues \ïArtillerie & de Garnifon. Arrangemens a prendre. Etat de Chypre. Molens de conferver 1'Egypte, & Me de Chypre. De quelle fagon ces Paysfe repeupleroient. Meien de semparer de Conltantinople. La conjoneïure prèfenie ejl la plus favorable, qui puiffe je prejenter. AVIS au RE LI EUR. Le Portrait de PImpératrice devant TEpitre Dédicatoire. Le Portrait de l1 Auteur a la prémière Page. La Carte de Chypre, - -------- - Page ?. La Carte de la Terre promife 89. La Ville de Ptolomaïde. ------ -96- Le Titre du fecond Tome.devant le Livre XV. - - - 7^-- La Carte de FEgypte. - - - - l20' Piramide. - -l2™' Carte de la Grèce.    HISTOIRE GÉNÉRALE ROI A UMES D E CHYPRE, JÉRUSALEM, E T Df É G Y P T E. LIVRE PRÉMIER. Chapitre Premier. ^SiëHöHöb» E nom de WIe de CliYPRE eft devenu fi fa- Arm i. ^S^^kJR*? meux i Par Ies merveilles que Ton a racontées, ʧ§ T §§5 dans tous les tems, de lafertilité de fon terroir, è^SC L Xaï> & de la douceur de fon climat, que je ne dois 3§hbt3c*^§K Pas )u"ifier ^ deffein que fai formé, d'en ÜS^XJRRRIP donner une nouvelle Hiftoire générale. Te ne dois etre en peme que du fucces de mon entreprife, & de la manière dont faurai exécuté mon projet. A Car  L'Auteur privient le Leftsur, jur la vérité de ce rapr- fe. ♦ L'Antiquitè ejl Jouventen brouiilée lie Fablts. > HISTOIRE GE'NE'RA LE Gar, fid'un coté, un tres-long féjour dans cette Be i) & dans les Contrées voifines, m'a mis a portee de m in ftruire d une infinité de chofes qui la regardent , & de m eclaircir, par moi-même,de beaucoup.de circonftances, fauffement, ou iraparfaitement, racontées, par les Ecrivains qui m'ont precede, d'un autre cöté , ce long féjour, dans un Pays qm eft maintenant barbare, m'a prefque fait perdre le bon ufage de ma Langue naturelle; &, ce qui eft encore plus confiderablc, il m^a privé du fecours que j'aurois pu tirer de la communication des Gens de Lettres,dans un Pays plus police, & ou les Sciences fleuriffent. ^ f Pefpère néanmoins, qifen faveur de POuvrage meme \ le Public me pardonnera les défauts, qui pourroient ie trouver dans le ftüe. Les faits en font de nature a exciter la curiofité, & a foutenir 1'attentiofr des Ledeurs; fur tout, lors que ces "Faits font raportéi par unhomme, qui ne peut prctendre a aucun autre mérite, qu'a celtü .de PexaCtitade\ & dela iincénte Tous te» Pays ont leurs Fables;& PHiftoire de leurs premiers tems eft toujours envelópée dé tótóbres - éptulTes , qui ont " favorifé le goüt naturel, que les Peuples ont pour les Fidions, L'hiftoire de Ch^RE eft fujette k eet inconvément , comme les autres , & meme plus encore ; -non feulement paree que cette 11e a été fuccèffivement occupée par des Nations diiférentes dont les invafions détruifoient les Mönumens anciens , & éteignoient le fouvenir des Évènemens antérteurs ; mais encore, paree qu'il ne nous refte aucune de toutes les Hiltoires de Cette Ile, dont les titres fe lifent dans es Anciens; & qu'ü n'y a pas même d'Extraits fuivis de ces Hiftoires. 11 faut fecontenter de quelques Lambeaux découfus, de quelques Traditionsrépandues 9a& lk, dans les Ecrits des Anciens raportees, par occafion, d'une manière Peu exaóte,& qui relTemblent prefque toujours adesContes populaires, plutot qu a des Ecrits d Au-  de l'ILE de CHYPRE. Liy. t Ch. I teurs fenfés, & raifonnables. La quantité des Livres brülé par les Barbares, & même par les Evêques, a titre de Pagï nifme, & ceux que Jtjlien fit bruler, en Jiaine des Chrétien: les reftes de ces Livres de PAntiquité Païenne, qui furent mem en danger d'être condamnés aux flammes, par un des plus Saint Pontifes de Rome, Gre'goire furnommê Ie Grand, ennerr outré de tout ce qui fentoit le Paganifme; e'efr. tout cel qui eft caufe, qu'on a perdu les plus beaux Monumens de Pil ,jde Chypre. Le favant Murciüs a raffemblé ces Fragmens , & les a réi nis dans un Ouvrage, publié depuis fa mort; mais il n'y fau chercher, non plus que dans les autres Ouvrages du même Au teur, ni métode, ni éclaircifTement fur les difficultés que peu vent faire naitre ces diverfes citations, par raport même ai fond des chofes qu'elles contiennent. II s'en faut bien, que je me croie en ét-at de répandre, fui cette matière, la lumière, dont elle auroit befoin. Ainfi, je m< contenterai de donner une Notion générale de PEtat & dt PHiftoire ancienne de l'Ile de Giypre ; & j'éviterai même d'entrer dans les difcuffions, oü fe font engagés ceux qui m'ont précédé, dans le delTein d'écrire cette Iliftoire. L'Ile de Chypre a un nombre infini de difTérens noms, dans les Ecrits des Anciens: ce qui pourroit venir de ce que, dès les anciens tems , elle a été occupée fuccèffivement par des Colonies de difFérens Peuples, qui y étoient atti-rés par la fertilité de fon terroir, |>ar la douceur de fon climat , & plus encore par les avantages de fa fituation, qui la rendoit, pour ainfi dire, le centre de la communication, & du commerce entre les diverfes Nations de VA'fie M'meitre, de la Syrië, de la Phénkie, & de 1''Egypte. Peut - être auffi, ces difFérens noms venoient - ils, de ce qu'étant, en même tems, rrabitée par diverfes Nations, divifées, cliacune en plufieurs petrits Etats fépa-rés les uns des autres. A 2 ^ 3 ï !> e s 't a e t i Notion générale de t'Etot, & de l'Hiftoire ancienne de l'Ile de Chypre. Noms différens de Vlle 'de Chypre, &leurori~ Zgine  Kit, M Kittim, Cbitti. Kupros. 4 |ï i g T O I R E O E' N E' R A L E, elle n^avoit aucun nom commun. En effet, ces noms- commune n ont été , pour 1'ordinaire , ctablis que lors qu?une Nation, formoit un même Corps politique, cVpour empêcher, qu'on. ne la confondit avee les Nations voifines. L'Ile de Chypre féparée de tous les autres Pays , par la Mer, n'avoit pas befoin de cette diftin&ion de noms; & les diiïérens Peuples, qui y commercoient, défignoient l'Ile entière, par le nom particulier de la Ville, du Cap, ou de la Rade oü ils avoient abordè , dans le commenccment.- 11 femble, que cette Ile érjoit nommée, dans la Kit, o.u Kitthn , du Cap nommé par les Anciens Kittium , & au-, iourd'hui Cbitti. L'Ecriture donne le nom de Kittim a toutes, les Hes de la Méditerranée , & même en général a tous les Pays, oü 1'on alloit par merdes,Cötes de la Syrië; mais il paroit, que ce nom avoit d'abord fervi k défigner l'Ile de Chypre; & qu'il avoit été étendu, dans la,fuite,. a .tous les Pays ,Oce_identaux„ Les Grecs, qui pretendent, que cette Ile a-eu plulieurs noms, qui donnent a ces noms des origines de leur .Langue, &, lesraportentades Fables par-ticulières a leur Nationr ne la nomr, ment jamais autrement que Kupros; c'eft ainfi que 1'appek lent Home re, He'siqde , & tous les autres Poëtes. Le. nom de Kypris, ou Koupris-, donné a Ve'nus, eft,une :épitète, nar laqueUe on marquoit, que fon Culte étoit venu de. cette Ile. Le. nom moderne de Gró;(en Latin Cuprum) vient de fe-. pitète de Cyprien,, que 1'on donnoit a ce Métal, dont les Anciens n'avoient pas de meilleures Mines, que celles de Chypre. j ' Les GrecS_ ne font pas d'aecord fur- 1'origme du nom de. Kupros. Le plus grand nómbre a tranché la difficulté , en fupofant un Héros, qui a donné fon nom a l'Ile de Chypre ; deft un dénoüment facile, que les Grecs emploient vo-lontiers, pour ne pas demeurer cöurts , & pour caclier leur. igno-    de l'ILE de CHYPRE, Liv. I Ciu l' i ignorance. D'autres alTurent, que ce-nom eft celui d'une Plan te commune, dans cette He, que les Grecs appellent Kupros Cette. Pknte, que Ton confond* mat-a,propos , avec le Z/gujtrum des Latrns, a le tronc, les branches & les feuilles femblables au Grenadier;, elle fleurit k.-peu-près comme la Vi^ne& fes ^fleurs ont une .odeur très-douce, & tres-agréable Les Médecins,s>en font fervis utilement, comme on 1'aprend de Strabon : fes feuilles donnent une teinture d'un bei orangé tres-vif dont la Noblefle Cbypriote fe fervoit autrefois, pour teindre la queue des cnévaux, & .celle. des chiens de chaiTe, dont elle etoit fort curieufe: les Femmes Turques 1'emploient encore aujourd'hui, pour donner cette couleur orangée k leurs ongles, & a leurs. cheveux; ce qu'elles regardent comme une beauté, - BocHARDaremarqué, que cette Plante a laquelle les Jrtibeï donnent le nom de Kanna, ou Elkanne, eft appellée Kopher par les Hebreux; & il eft probablc, que l'Ile de Chypre en a fok k CaUfe dU grand rommei*e-qu'elle en fai- L'Ile de Chypre qui après \v Steile, eft la plug -grande de toutes les Hes de la Méditerranée, eft fituécau ,?« dégré de Latitude. A 1'extrémité Oriëntale de cette Mer • Elle a au Nord la Cilicie, aujourd'Jiui Caramanie, qui n'en eft dif tante.-que d'environ vingt Lieues Francoiles; Ja Syrië au Le vant a quaranteLieues; hPale/ïine auSud-Ouëft,a trentecinq:. 1 Egypte, au Midi , a quatre-vingt-dix ; & la Candie, au Cou" C1^uan*\ QïKlques Anciens ont prétendu, que cetoit autrefois une Prefqu'Ile, joignante a la Phénieie : d'autres ont voulu, que ce fut k Ja Caramanie;.^ h diftrfnee des Cotes de Chypre, a celles du Continent, eft- trop confidérable, pour lauTer aucune vraifemblance a ces opinions. Ceux qui ont avance, que pareille chofe étoit arrivée k la Steile, & a \Angkterre, n'ont peut-être pas plus de raifon; mais, au A 3 moin&3 \ Plante nommée Kupros, dont le fuc teint de ■ iwleur d'c* range. Le com-''' merce de cette Plante peut avoir donné1 lieu a Kommer Vlle ' Cupres. Situation ie l'Ile de Chypre.  q- h i s t o i r e g e' n e'rale forme de Me de Chypre , tfjónétendut- Divifton de Mede Chytoe. moins, ce qu'ils difent n'eft pas d'une fi grande abfurdit. La longueur de l'Ile de Chypre eft d'environ forxante & dix Lieues, de TEft a 1'Ouè'ft; c'eft-a-dire, depuis le Cap Dinarète,ou Clides, qu'on nomme prefentement de Saint André , jufqu'a celui d'A'kamante, aujourd'hui Saint Epipbane. Sa largeur, Nord & Sud, dans fa plus grande étcndue, eft depuis le Promontoire Cromium, ou Cormacbitti, jufqu'au Cap Carias, ou aes Cbats, de vingt deux Lieues ; & fa circonférence cntière de cent foixante & quatorze. Sa forme eft a-peu-près comme celle d'une Voile Latine , c'eft-a-dire triangulaire. Elle a plufieurs Caps, ou Promontoires, dont les principaux font celui de Zèpbirium , on de Mahta, al'Ouëft; Pburium, ou Cap Mme, au Sud; Calimmtftf, ou Limnito, Lemnon, ou iïAlexandrette, au Nord-Ouëft; ceux de Dades, ou Cbitti, Tlyroni ou Fi/a, Pédalium ou de \z. Grecque, au Sud-Eft. Cette Ile peut être divifée en trois Parties différentes \ par raport a la qualité du terrain. La prémière Partie eft compofée de hautes Montagnes, la plupart couvertes de Bois taillis, ou de haute futaie. Elles commencent au Cap Saint André, qui eft le plus Oriental; & continuent, fans interruption, vers la Cöte Septentrionale, jufqu'au Cap Cormacbitti; les autres traverfent l'Ile, depuis 1'ancienne Ville de Soli, jufqu'au Promontoire Mazato, oü elles recommencent a s'étcndre vers 1'Occident, jufqu' au-delTus de Baffo, autrefois Paplm. Elles fe courbent vers le Nord, en eet endroit, & regagnent Ie terrkoire de Soli; elles forment un demicercle. La feconde Partie de l'Ile confifte en Collines, & Vallées fertiles, & déUcieufes* qui font au pic des hautes Montagnes. Quelquesunes de ces Vallées font fort fpacieufes; &, prefque toutes, arrofécs par les Ruiffeaux qui en fortent, outre quatre autres grands Ruiffeaux, qui prennent leur fotrrce au pié du Mont Olinrpe, haute Montagne, que les Grecs appclient Tbivodos. Cette Montagne eft . ■ com-  l'ILE dé CHYPRE. Liv. I. Ch ï. comme détachée des autres; elle a environ dix-huit Lieues de cir conférence , & deux de hauteur. Ceft la même que Strabo: compare a une Mammelle. Sur lefommet de cette haute Mon tagne, il y avoit anciennement un Temple confacré a Ve'nus . mais dont 1'entrée étoit interdite aux Femmes. Aujourd'hui, i y a une petite Chapelle, dédiée a Saint Michel, prés de laquelk on conferve une groffe Pierre de Marbre verdatre, paree que les Chypriots lui attribuent desgrandes vertus. Ils fe font perfuadés. que le lieiijoü elle a été trouvée, marqué 1'endroitprécis oü s'ar^ rêta 1'Arche de Noe. Les Grecs, en perdant 1'idée du Paganifme, n'ont pas perdu leur ancien goüt pour les Fables;& leur fuperftition n'a prefque fait que changer d'objet, & de forme. Dans un tems de féchereiTe, on porte cette Pierre en Proceffion; & 1'on croit que cette Dévotion eft fort efficace , pour obtenir de la pluie. Les Anciens, comme je viens de le dire, donnóient a cette Montagne le nom ÜOUmpe , & les Grecs la nomment Throodos, Elle eft abondante en Boié de haute futaie, «Sc en Arbres fruitiers fauvages, de dirTérentes efpèces. Les quatre grands Ruiiïeaux, qui en fortent, arrofent une grande étendue de pays de tous cötés; ce qui fait voir Terreur de divers Hiftohens, qui avancent, qu'on ne trouve , dans l'Ile de Chypre, ni RuiiTeaux, ni Rivières, & alTurent, qu'il n'y aque quelques Torrens, qui fe forment des pluies, qui y tombent pendant 1'Hiver. La troifième Partie de l'Ile eft une belle Sc vafle Plaine, qui la traverfe , comme en écharpe, du Sud-Ell au Nord-Ouëft. Elle a feize Lieues de longueur; &, en plufieurs endroits, fix , 'huit, & jufqu'a dix, de largeur. Cette Plaine eft extrèmement fertile, tant en grains, légumes, coton, & paturages , qu'en foie. La fécondité de fon terrain lui a fait donner , par les Chypriots, le nom de Me faire, ou d''Egypte. On fait, que ce nom, chez les Arabes, fignifie proprement la Baffe Egypte: il vient de celui de Mefr,ouMeJraim3 que les Hébreux donnoient a VEgypte. On f" i Temple da i Vénus,^ terditaux ' Femmes. Partie de l'Ile nom-' méeMeife-. rie.  O Divifon p fmcierme ^ 'de l'Ile en d muf M- _ awnes, F fix Sei- £ gncuries. Iln'y refte \ plus aujtwd'bui \ que cinq , Villes. £ ( 1 1 < Jiuines des Fïlies, & des Cbdteaux.quony voit encore. De 850. Bourgs, qu'elle contenoit, il rien rejle plus qiie 300. 'Nombre ditlaoitpns. Maffacre quefirent les Juifs» des Habitans de Chypre, fous' l'Empire de ' Trajan. Hl S.'TOIRE G E' N U K A l, z On comptoit autrefois, dans Wie de Chypre, quinze ViUeg )nfidérables, outre un grand nombre de Bourgades, ou de ros Villages. De ces quinze Villes, neuf étoient Capitales 'autant de petits Roïaumes différens; & les autres avoient refque toutes des Seigneurs indépendans, qui prenoient le lire de DynaJIes. [ Aujourd'huijil ne refte plus que les ruines de ces \41es, £fc on n'en peut compter, au plus, que cinq, dans toute Wie, faoir, Nicofie , qui en eft la Capitale, auCentre de Hle; Fama■oufley furlaRive oppofée a te.Syrië, & fur les ruines de fanienne Sakmine; Cérines ,ou Ceraunia, fur laCöte Septentnonae^Enfin, Paphos, ou Bajfo, & Limifol, fur la Cöte Méridionae: mais ces deux dernières font très-peu de chofe, & ne font •emarquables quence que cc font des Siéges Epifcopaux du Rite Grec, oü laeommodk/ de leurs Rades attire quelquesBatimens. Outre ces Villes, il y avoit nombre Chateaux,.batis dans des ieux prefque inacceffibles,'oü'Ton en vöit encore les ruines, dans a chaine de Montagnes, qui eft au Nord de Nicofie. On l<$ nomme Saint Hilar ion, ou le Djeu $Amour, Cantara, & BuJfavcnto. De huk eens cinquante Bourgs, ou gros Villages, qu'on comptoit autrefois dans file , il en refte a peine trois eens, dont la plupart font a moitié déferts; de forte que le nombre des E[abitans de file monte, tout au plus, a cent quarante mille, Mahomètans, ou Chrétiens du Rite Grec. II y a quelques Chrétiens Maronites, & Arméniens, qui, en tout, ne font pas mille ames. ■ Changement bien confidérable, & nombre d'Habitans bien petk, en comparaifon de la multitude de peuple qui s'ytrouvoit autrefois ' puifqu'au raport de Nice'phqre , dans fon Hiftoire Ecclèfwf tiw, & de DionCassius, dans teFie de VEmpereur Trajan., les Juifs, révoltés contre les Romains, s'emparèrent de cette Ile, 'fous le règne de ce Monarque, & y maffacrèrent deux eens quarante mille perfonnes, en peu de jours, dans 1'efpérance de s'at-  de l'ILE de CHYPRE. Liy. I. Ch. I. franchir de la Domination Romaine, fans que les Chypriots, mou & efféminés, fe milTent en devoir d'arrêter la fureur de ce Peup] irrité. II eft vrai, que Tra jan ne laiffa pas leur cruauté impunie car, après avoir défait leur Armée en Syrië, il fit paffer en Gn pre un de fes Capitaines, nommé Lucius, avec une bonne par tie de fes Troupes, pour en chafler tous les Juifs, & fit un Dé cret, par lequel il défendit qu'aucun de cette Race put jamais s'é tablir dans file; ce qui a été obfervé, tant que les Romains 1'on pollédée, de même que fous tous les autres Princes, qui en on été les maïtres depuis; & ce qui fe pratique encore aujourd'hui fous la domination de 1'Empire Ottoman. Le même Nice'phore raporte, que les feuls Maronites, qu habitoient l'Ile de Chypre, y occupoient trente trois Bourgs, 01 Villages; que leur Nation étoit fi nombreufe, qu'en 1'année 1ió> quarante mille d'entre eux ferendirent auprès d'EMERic, Patriarch Latin $ Antioche, entre les mains duquelils abjurèrent leur erreur. &promirent en même tems obé'ïiTance auPontifeitow^; Changement doublement heureux, puifqu'en abjurant leur Schifme, ils entrèrent dans le véritable giron de 1'Eglife Orthodoxe! ce qu; fut caufe, qu'en 1'année 1193. Gui de Luzignan, qui vint prendre poiTeffion de l'Ile de Chypre, les diftingua, non feulement des autres Chrétiens Grecs, mais leur accorda même divers priviléges & franchifes. Ils en ont jouï, tant que les Chrétiens ont polTedé cette Ile , dont les Habitans étoient alors divifés en quatre Etats différens. Ces quatre Etats étoient la NoblelTe, la Bourgeoifie, les Artifans libres afranchis, & les Efclaves; les derniers étoient emploïés a labourer les terres, & aux autres ouvrages ferviles de la Campagne, & des Villes; on tiroit des autres la Milice ordinaire, pour la garde du Pays. L'ancienne Hiftoire de Chypre eft fort obfcure, par la raifon que nous en avons marquée: les Hiftoires particulières de cette 11e font perdues. On ne peut former aucune fuite du petit nombre de Fragmens, qui nous en font refiés; & les Ecrivains moder- J B nes, 9 x e > . Traj'an bannitpour t jamais les l. Juifs de 1 l'Ile de ) Chypre. i 1 Les Mai'i»nites fe foumettent au Pontife Romain. Divifior. des Peuples de l'Ile. Obfcurité de Va icienne Hiftoire /eChypre, trouvée par 'aifons.  L'. Père , Luzignan accujé d'avoir écrit fans fondement. Sentiment broit, au Mois de Juillet, 1'Anniverfaire de fa mort tragique, par es pleurs 4 & des plairtteü lugttbres, dont Saint Je'rowe parle, n exphquant tmPaffage du Prophéte Ezechiel, qui dit: Vowi >s Femmes affifes, qui pleur ent la mort de Tiiammus, quil prend our Adonis Plutarque remarque, que les Fètes & les Sacrices qu'on célébroit, dans les autres Pays, en 1'honneur de Baciius, étoient femblables ace qu'on faifoit pour Adonis, & que les 'euplesprenöient fouvent 1'un pour 1'autre, particulièrement les Ewptiens, qui prenoient Adonis pour leur Osiris. On -avdoit,dans le Temple d'AooNis ,a Amatbunte ,lc fameux ^ollierd'ERiPHiLE, qui avoit été, difok-on , d'abord donné par t/uLc\iN a Hermione, Femme de CADMus:au moins étoit-ce l'oDinion de ceux du Pays ; cependant, tout le monde n'en convelok pas. Pausanias obferve , que le Collier ÜAmathunte étoit d'Or enrichi de Pierres vertes, ou Emeraudes, au lieu que le Collier d'ERiPHiLEétokfimplementd'Or,fans aucunePierre précieufe. Ceux XAmathunte avoient une Tradition particuliere, au fujet d'ARi.dne ,Fille de Minos, & Femme de The'se'e. Ils prétcndoient, que ce Prince , a fon retour de Crête, aïant ete Jetté fur l'Ile deCiiYPREpar les vents contraires, vint aborder zAmatbunte, & rait a terre Ariadne qui étoit enceinte, & très-incommodée de la fatigue d'une Navigation facheufe. The'se'e, ajoutent-ils, etant remonté fur fon Vaiileau , fut repoulTé en Mer par un vent qw s'éleva tout a coup. Ariadxe, qui fe crut abandonnee, tomba malade :les Femmes du lieu eurent loin d'elle, & fupposerent memedes LettresdeTn'EsE'e, pour lui remettre fefprk; mais leurs foins ne purent empêcher qu'elle ne mourüt,avant que d'etre ddivreede fon fruit. The'se'e , a fon retour, accablé de douleur, celeora,fur le Tombeau de cette Princeflc,& inftkua,en fon honneur, des Fe- tes,  be l'ILE de CHYPRE. Liv.1. Ch.I. i tes, dont les Cérémonies avoient dn raport a fon Avanture. dédia deux petites Statues > Tune de bronze, & 1'autre d'argent que cette Princefie* avoit apportées avec elle-, & donna au Bois £ cré , dans lequel étoit fon Tombeau, le nom de Ve'nus Ariae ne. Plutarque , qui nous apprend ce détail, 1'avoit tiré d'jli Ouvrage de Poeon dAmatbunte , qui devort être inftruit de Traditions de fon Pays. Comme la Ville dAmathunte n'étoit pas une Colonie Grecque on a peine a comprendre comment cette opinion auroit pu s'éta blir, & comment on auroit donné le nom de Ve'nus Ari adne a Tombeau , s'iln'y avoit pas eu un fondement réel. Dans ce cas-la voici encore un nouvel exemple de la licence des Poëtes; & The' se'e n'aura pas moins a fe plaindre d'eux, que Didon. La Ville DAmathunte a fubfilté jusqu'en 1'année 1191. de Je' su-S-Chrjst , qu'elle fut ruinée par Richard Roi dAngleterre les ruines en fubfiftent encore, fous le nom de Vieux Limifol. A ï'üccident du Roïaume dAmathunte étoit celui de Paphos la Ville de ce nom, appellée d'abord Eritica, fut nommée Pa phos, par Cyniras, ou felon d'autres, parPAPiius, ou Epaphus Fils de Typhon. Cette dernière opinion donneroit une orfgini Egyptiemc a cette Ville. La datte de fa fondation, marquée pa Euse be a 1'an 234*. avant la prife de Troie , fait voir, felon He' rodote, que Cyniras,Fondateur de Paphos, eft trés-différent di Cyniras, qui régnoit en Chypre, au tems d'AGamemnon. Eu 'se'be fuppofe la fondation de Paphos du tems de Danaus , d< Cadmus, &deCE'cROPS, & du tems du Paffage des Colonie: Pbéniciennes, "& Egyptiennes dans la Grêce. On nommoit cette Ville la vieille Paphos, Paléopaphos, poui la diitinguer de la nouvelle, batie par/'^r^/mAGAPENOR,qu'unt tempète jetta fur cette Cöre , au retour de Troie. Si Cyniras, Fondateur de Paphos, avoit été le même, que celui d'H omere i il auroit été contemporain de eet Agapenor; & les deux Papbos auroient eu la même antiquita L'an- i ï ' 1 s 5 .1 Dejlru&jon ■ de la Fille ■ d'Ama' thunte, par Richard Roi ■ d'Anglcterie. - Fille de Paphos, if ' fon origine.  i6 II I S T O I R E GE'NE'IALE i 1 ] ] < i Culte qu'on reiiAtltt o Vcnus.rfanx k Tanpk de Paphos. Proceffion folemnelle des Chypriots au Temple de Vénus. Statue de Vénus, et forme de Pain de fiere. L'ancienne Paphos, felon Homere , Tacite, & Me'la, itoit batie a dix Stades de la Mer, fur le Fleuve Aphrodifios, dans equel on dit, que Ve'nus & Adonis s'alloient baigner. Cétoit a Embouchure de ce Fleuve, qu'ctoit venue aborder la DéelTe Ve'< u s, d'abord après fa naiffance. Auffi étoit-ce la proprement le :entre de fon Culte, & le plus ancien Temple,qui lui lui füt conacré, dans toute file , «Sc pour parler comme les Théologiens du ?aganifme, fon Habitation propre; & on lui donnoit le nom iïAphrodifienne. Cette Ve'nus étoit la Ve'nus Uranie, ou Céléjle, fur les Autels de laquelle on entretenoit un feu pur. On auroit cru offenfer la DéelTe, qui prélidoit a la génération, & a la producfion des Etres vivans, par la deftru&ion de ces mêmes Etres; c'eft pourquoi, on n'y offroit jamais de Sacrifices fanglans. Dans la fuite cependant, on ajouta aux Sacrifices, & aux OIFrandes,laDivination, par Tinfpecfion des Entrailles des Victimes immolées; mais cette Cérémonie ne faifoit point partie du Sacrifice, «Sc on ne brv> loit aucune partie de ces Animaux fur f Autel. L'ancienne Paphos étoit a foixante Stades de la nouvelle, batie par Agapenor. Quoique ce Prince Grec eüt transféré, dans la nouvelle Ville,les Autels & le Culte de Ve'nus établi a Golges, petite Ville, au pié du Mont Akamas, a la fource de Fleuve Barbar os, le Temple de l'ancienne Paphos avoit néanmoins confervé fes droits, & Ton y alloit en Proceffion, aux Fêtes de Ve'nus. Strabon obferve, que cette Proceffion fe faifoit encore de fon tems. On fe rendoit de toutes les autres Villes de l'Ile a la nouvelle' Paphos, d'oü Ton alloit en Proceffion, & avecpompe,al'an'cien Temple. La Statue qu'on adoroit, felon Tacite, n'étoit a proprement parler, qu'une Pierre qui repréfentoit uneBorne , ou un Pain de Sucre. La forme fymbolique de cette Statue avoit été prife de celle de Ve'nus Uranie dAfcalone dans la Païe/line', car c'étoit de-la, felon He'rodote , & Pausan i as, que 1'on avoit porté le Culte de cette DéelTe dans l'Ile de Chypre,  de l'ILE de CHYPRE. Liv. L Ch. L i 'Chypre, de l'aveumême des Chypriots. On voit fouvent la re préfentation de cette Statue fur des Médailles. Depuis .la fondation de la nouvelle Paphos» l'ancienne perd; beaucoup de fon éclat; & celfa d'être la Capitale du Roïaun* Les noms des Rois de Paphos, qu'on trouve dans les Anciens, fon( tous Grecs; ce qui fait voir, que ces Princes étoient -ceux de 1 Colonie Grecque d'Ac a p en o r. Cependant, il paroit, que le Defcendans de 1'ancien Cyniras avoient confervé a Paphos 1'In tendance du Temple, avec un rang & des revenus confidérables On Ik,dans Plvtarque, que,dans le tems que Caton fut envo* pour réduire l'Ile de Chypre en Province Komaine, il fit offrir ■ Ptolomée le Pontificat du Temple de Ve'nus Paphienne comme une place, qui lui procureroit en même tems un rang di ftingué, & de grands revenus. Les Fables des Grecs parient beaucoup de Cyniras ; mais elle confondent 'le Fondateur de Paphos, avec le Roi de même nom contemporain d'A g a memno n, &(1'Agape'nor. Je ne m'ar rêterai pas a raporter, encore moins aconcilier, les contraditions ©ü les jette laconfufion qu'ils ont fake, de deux Princes du mêmt nom. Apollodore donne la Généalogie des Fondateurs de Paphos qu'il fait remonter, par Phae'ton, & par Tithon, Fils de Ce' phale, 8c del'AuRORE, jufqu'a Ce'crops; mais on voit la une fuite de la vanité des Grecs, qui vouloient que tout fut forti de leur Pays. Ce qui femble de plus alTuré, dans cette Généalogie, c'eft que Cyniras étoit Fils de Sande'cüs, ou Sadoc , quipalTa de la Syrië dans la Cilicie, 6c y fit batir la Ville de Céïanderis, & époufa Thanace, ouPharnaoe, Fille de Megessarus. Ce fut de Cilicie, que Cyniras palTa dans l'Ile de Chypre, avec une nombreufe troupe de Syriens. II y époufa la Fille d'un Roi de Chypre , nommé Pygmalion , nom commun parmi les Tyriens. On attribue a ce Pygmalion la fondation de CarpaJJe, Ville C Ctuée 7 t 9 l 3 Cyniras. Ö> les diffé• trens fenti- mens fitr ' >Jon origine. I > i Carpaflc fon mï%ine.  i8 Sacrifica- fit ficateur,& ja Femme 0.6 avo.r man- ' gé de la ni cbair des fpenfera de m'y arrêter. j'en dirai autant, pour les autres fix Villes de file dont on ne connoit, tout au plus, que la lituation. 1'ai raporté, au fujet des neuf Villes Roïales de Chypre, tout ce que 1'on peut dire de plus autorifé, fur les prémières antiquites de cette 11e Ceux des Hiftoriens de Chypre, qui ont voulu en dire d'avantage, ont parlé d'imagination, ou bien ont adopté les Chroniques fabuleufes des Grecs poftérieurs, auffi menteurs, au moins, que leurs Ancêtfes, & beaucoup plus ignorans. Chapitre II. He'r o d o te , & Diodore conviennent, que les Habitans de cette 11e confervèrent leur liberté, jufqu'au tems d'Am\sis Roi $ Egypte: ce Prince fut, felon eux, le prémier dont les Chypriots reconnurent le pouvoir. Ces Auteurs raportent, ou'Aprie's, fon Prédécefleur, que 1'Ecriture nomme Pharaön Hophrah, après s'être rendu maïtre de Sicion, & d'autres Villes de la Phénicie, pafla en Chypre, vers 1'année 530. avant J. C, d'oü il s'en retourna, avec un butin ineftimable. Ce qm fait con•iefturer, que le grand Commerce , & la quantite dEtrangers, que la vie libertine des Qpriots attiroit dans leurs Pays, etoit la r fourc€  de l'ILE de CHYPRE. Liv. I. Cu. II. 3 fource de ces prodigieufes Richefles: carles Princes étrangers, qui s'en étoient xendus fouverains, ne s'étoient jamais mis en peine d'aboiirles déteftables maximes de leurs proftitutions. Ils ne penfoient qu'a en jouïr eux-mêmes, & a s'affermir dans leurs Etats. Cambyses,Füs de Cyrus,conquitVEgypte fur Psammonite, Fils d'AMAsis; & dans cette guerre, ceux de File de Chypre avoient pris parti pour Cambyses, contre les Egyptiens, felon H e'r o d o t e. Xenophon attribue la Conquête de cette Ile a Cyrus lui-même. Quelques autres Auteurs le confirment, & affurent, qu'il fit relever la Ville d1'Aphrodifios, pour honorer la mémoire de Ve'nus , qui y avoit pris naiffance ;& qu'il fonda celle deCeraunia, après qu'il eut foumis tous les Rois du Pays. Mais ceux-cis'unirent fi bien, dans la fuite, qu'alïïftés des Atbéniens ,ils chafsèrent de file tous les Perfes, qui y étoient en garnifon, & recouvrèrent leur Souveraineté; cependant ils furent contraints de rentrer fous la Domination Perfane, au tems de Darius prémier, après une Bataille qu'artybre, fon Général, gagna fur One'silus., Roi de Salamine. Darius traita pourtant les Princes Chypriots, avec plus de douceur, que n'avoient fait fes Prédécelfeurs. Xerxes, fon Fils, & fon Succeffeur, eut même tant d'eftime,& , de confidération, pour quelques-uns d'entre eux, furtout pour' Golgo, Roi dAmathunte, qu'il lui donna, non feulement, le Commandement d'une Armée navale, contre les Joniens, vers Fan 4.80. avant J. Christ; maisil affranchit même tout le Pays du Tribut, qu'il lui payoit, tant il étoit fatisfait de 1'amitié de ces Princes. Mais Artaxerxes, Fils, .& SueeelTeur de Xerxes, changea tout ce que que fon Père avoit fait en leur faveur. Pendant que Golgo étoit occupé du Commandement de Ia Flotte Perfane, contre les loniens, fon Frère Onesilus, Roi de Salamine, avide d'envahir fes Etats, mit le Siége devant Amathunte. Les Per fes accoururent au fecours de cette Ville, & livrèrent bataille a Onesilus, le firentprifonnier, & lui coupèrent la D tête, Chypriots unit a Cambyfes, contre les Egyptiens. Douceur de Darius, fcf ie Xerxes, •nvers les Chypriots.  Su:>erftilion des Chypriots. Chypre jifus la Dominationdes i'crfes. Jcttcb li file e l'ILE de CHYPRE. Liv. {. Ch II. 2, Evagoras le tems de fe fortifier, & d'engager plufieurs Villes. & plufieurs Princes dans la révolte. Tyr ,& quelques autres Villes de la Pbénicie, lui avoient fournides Vaiffeaux. Acoris, Roi d'une partie de VEgypte, révoltée contre la Perfe, lui avoit envoïé des Troupes, & le Roi de Cérines, fon Allié fecret, lui avoit donné des Sommes confidérables, qui 1'avoient mis en état de prendre desEtrangers a fon fervice. Son Armée étoit compofée de foixante-milie Chypriots, fans compter. les Troupes étrangères, ni celles que le Roi des Arabes, & quelques autres Princes Orientaux lui avoient fournies,en alfez grand'nombre. , Les commencemens de la Campagne furent favorables a Evagoras; mais la perte d'un Combat Naval, prés de Citium, dérangea entièrement fes aifaires. Abandonné d'une- partie de fes Alliés, il fe vit- hors d'état de tenir la Campagne. Les Perfes mirent le Siége devant Salamine, & le prefsèrent fi vivement, que ce Prince fe voïant réduit a ne pouvoir réfifter longtems, lailfa fon Fils Protagoras dans la Place,: & paffa en Egypte, pour y folliciter lui-même du fecours; mais n'aïant pu robtenir tel qu'il le fouhaitoït, il revint a Salamine, & prit le parti de fe foumettre. L'Armée Perfane avoit deux Généraux, Orante, & TeRjbasé.. Celui-ei, qui étoit le prémier, ne voulut accorder la Paix a Evagoras*,. qu'a des conditions très-dures. Non-feulement il prétendit, qu'il- renoncat a la Souveraineté de l'Ile,. «Sc fe contentat'de la feule Ville de Salamine, pour.laquelle il payeroit le Tribut accoutumé; mais il exigea encore, qu'il fe reconnüt Efclave du Grand-Roi, & qu'en cette qualité,, il fut foumis a tous fes'ordres. Evagoras, rejetta cette dernière condition, & prétendit, a fon tour, ne devoir que 1'obéïiTance qu'un Roi peut promettre a un autre Roi, fans blelTer la dignité de fon Caraclère. II n'étoit pourtant pas en état de réfifter; & fa perte étoit certaine, lorlque la [aloufie du Collègue de Te'ribase fauva Evagoras, D 3 ea Soumijpon (/'Evagoras aux Perfcs.  1 ; Prudtnce «j'Evagoras, U»rt tragique a"E vagoras, Roi de Si lamine. 0 HISTOIRÊ GE'NE'ULE :n rendant ce Général fufpect au Roi de Perfe. ïl fut arrêté. L'Armée Perfane, qui lui étoit affe&ionnée,' re'fufa de continuer le Siége; & le nouveau Général, effrayè de la mauvaife difpofition de fes Troupes, accorda la Pak k ÈVagOUas , a des conditions plus -modérées. Artaxerxes étoit alors occupé a foumettre les Caduciens, qui avoient fecoué ie joug, & allumé la guerre au coeur de 1'Empire. EVA«30ras,quineperdit rien du pouvoir des Rois fes Prédéceffeurs, par fa révolte, conferva ainfi le Roïaume de Sa/antine. Cet avantage lui attira la haine des autres petits Souverains de l'Ile; mais elle augmenta fa réputation chez les Etrangers, qui, charmés de fa valeur, & du bon ordre qu'il avoit établi a Salamine, oü tout fleuriffoit, s'y rendoient en foule, pour jouir du féjour d'une Ville fi bien policée, & vivre fous un Prince fi affable. Conon, Général des Athéniens ,& ancien Ami d'EvAGO■&as,feréfiigia auprès de lui,après la difgrace qu'il éprouva,de la défaite de la Flotte qu'il commandoit, par Lys \nder, Chet des Lacédémoniens,pres du Fleuve de la Chèvre,dzns la Cberfoitèfe. Divers autres Perfonages de diftinétion pnrent le meme parti, & furent parfaitement bien recus par ce Prince prudent, «Scgénércux. D r DiodöRE remarque, que la Guerre entre le Roi de Perfe, & Evagoras dura dix ans, mais qu'il y en eut les trois quarts confumés en prèparatifs. Evagoras régna encore dix ans apresi c'eft-a-dire, depuis 1'an 386. avant J. C. ou la Paix fut condne, iufqu'a 1'an 37^. ijB» At aflaffiné par 1'Eunuque TbraSIDe'e, comme le marqué pofinvement Theopompe, dans la Bibliotèque de Photius, de même qu'ARiSTOBULE; & l' non,par 1'Eunuque Nicocles,comme le prétendDiodore, qui €it,que la Femme de cet Eunuquefut deshonorée par le Fils de te Prince, '& que le Père refufa de punir cette violence. Thra. siDE'e donna même quelque embaras a Nicocles , Fils d EvagOf as , fur lequel, après le meurtre du Père, il ü'efforcoit encore  de l'ILE de CHYPRE. Liv. I. Ch. II. 31 d'ufurperle Roïaume, par le moïen d'un puüTant Parti, que cc fcélérat avoit eu l'adreffe de fe faire. Mais,malgré fes intrigues, Nicocles, Fils d'E vagoras, montafurie Trone. Nous avons un Difcours dlsocRATE, compofé pour êtreprononcé aux Funéraillesd'EvAGORAS, qui contient de grands éloges de ce Prince, & qui ne fait aucune mention de fa mort violente; mais, comme on fait, que les Rhéteurs, tel qu'étoit Isocrate, croient n'avoir pas moins de droit, que les Poëtes, de fe jouër de la vêrité, on ne peut rien conclure du filenced'IsocRATE, fi ce n'eft qu'apparemment on auroit mal fait fa cour a Nicocles, en lui parlant de cet Evenement, qui ne lui faifoit pas honneur, paree qu'il n'avoit pu vanger la mort de fon Père, par la punition du Meurtrier. Nous avons deux Difcours du même Isocrate, 1'un adreffé a Nicocles, fur les Devoirs de la Roïauté; & 1'autre compofé, en fon nom, fur les Devoirs des Sujets envers leur Roi. Dans 1'un, 1 & dans 1'autre de ces Difcours, Isocrate fupofe, que Nicocles étoit un Prince habile, & vertueux; ce qui ne s'accorde pas avec ce que les Anciens nous apprennent de fa Tirannie, & de fa mollefle. IIparoit, felon Diodore, que fon Règne ne fut pas fi long, puifqu'en 1'an 351. avant J. C. il y avoit un autre Roi a Salamine, qui avoit eu un Prédecelfeur, différent de Nicocles. On peut même conclure ie ce que dit Pausanias, que 1'on ne comptoit guères le Règne de ce dernier, puifqu'il alTure, que les Defcendans de Teucer regnèrent a Salamine, jufqu'a Evagoras. On doit encore conclure de-Ia, que le SuccelTeur de Nicocles étoit étranger a la Familie de Teücer. L'Eloge que le favant M'. Rollin fait d'Evagoras , dans le 4.*. Volume de fon Hifloit re ancienne, &. les excellentes qualités qu'il relève dans Nicocles, Fils, & SuccelTeur de ce Prince, dans le ?e. Volume, font fi admirables, que fans doute le Lecteur me faura gré de lui mdiquer oü fe trouve le Portrait qu'en fait cet éloquent Ecrivain. Cha- Succejfion de Nico. cles, a Evagoras Jon Père. Flatterie rf'Ifocrate envers N& cocles.  Article I- Armée d'Ochus en Chypre. Protagonu.Roi d Safomitie. f2 HISTOIRE G E'NE'R A L E Chapitre III. Comme les Anciens n'ont parle de Me de Chypre, que par occafion, il refte dans cette Hiftoire un grand vulde, qu'il eft impoffible de remplir. Par exemple, Diodore nous apprend, a 1'an 3 $i. avant J. Christ, que le Roi Artaxerxes Ochus réfolut de 'foumettretout-a-faitrile de Chypre, dont les neuf Rois ligués contre lui, avec les Sidoniens, s'étoient révoltés; que, pour y parvenir, il envoïa dans cette Ile une Armée de quatrevingts-mille hommes, fous la conduite de Phocion VJthenién,&c d'un Evagoras, qui avoit été autrefois Roi de Salamine. II nc ne défigne pas autrement le tems du Règne de cet Evagoras , fi non qu'il dit, que cet Événement eft arrivé fous ce Prince, qui régnafept ans, & après Artemise, dont le Règne en avoit duré deux. Cette Prineefle, fi fameufe , par fon amour pour Mausole, fon Frère,& fon Mari, &par le fameux Monument qu'elle fit conftruire fur fon Tombeau, monta fur ie Tröne 1'an 3 $ 3 Son Frère Idrïcus , qui lui fuccéda deux ans après, c'efta-dire, 1'an ip. avant J. C occupa le Tröne fept ans, jufqu'a Tan 34.3. . ^vagoras,& Phocion, aïant mis le Siege devant Salamine, ■ Protagokas , qui régnoit dans cette Ville, fe défendit avec courage. Evagoras , felon Diodore , prétendoit, que la Couronne lui appartenoit, a caufe de fes Ancêtres; ce qui fupofe, qu'il étoit au moins de la Familie de Teücer. On pourroit conjechirer, aveq affez de probabilité, qu'il étoit Fils d'EvAGORAS, mort 23. ans auparavant. Quelque jufte que fut la prétcnfion de ce Prince, fes ennemis le rendirent fufpecl: au Roi de Perfe. Protagoras lui fut préféré; & malgréfa révolte, il confcrva la Couronne de Salamine, en fe foumettant au Tribut ordinaire. Pour  de l'ILE die CHYPRE. Lir. £ Ch. III. 3 Pour Evagoras, après s'être juftifié auprès du Roi de Per je 2 obtint ie Gouvernement d'une Province de YAfie Mineure, plu confidérable que le Roïaume de Sakmine; mais, comme il s'y étoi malcomporté, & qu'il craignoit le courroux du Grand Roi, i fe réfugia dans l'Ile de Chypre, oü il efpéroit de trouver un dik II y fut arrêté peu de tems après, & puni du dernier fuplice; mai: 1'Hiftoire ne nous apprend pas, qui ordonna cette exécution. Oi pourroit vraifemblablement 1'attribuèr au Tiran Nicocre'on, qu avoit ufurpé une partie de l'Ile, oü il fe maintint pendant plufieurs années ; c'eft celui qui cóndamna a de fi cruels tour mens le Philofophe Anaxarque; Sc pendant la Tiranie duquel, l'Ile de Chypre paffa fous la Domination d'un Conquérant. qui fubjuga toute YAfie. Les Princes Chypriots furent étonnés de la rapidité des Conquêtes d'alexandre le Grand, qui, après avoir foumis toutes les Provinces, qui font entre la Grèce Sc la Syrië, vaincu Darius,Roi de Per je, dans les Campagnes ÜTjJiis, & conquis les Villes de Damas, de Sidon Sc de Gaza, affiégea la fameufe Ville de Tyr. Ces Princes, dis-je, confidérant, que, s'il les attaquoit, ils s'oppoferoient inutdement a fa puiiTance, prirent enfin le parti de s'y foumettre volontairement, Sc fe rendirent de concert auprès de lui. Leur conduite foumife engagea Alexandre, non-feulement a les laiffer dans la tranquile poiTeffion de leurs Etats, mais encore a, leur donner de fi grandes marqués de fon eftime, Sc de la coniiance, qu'elles lui gagnèrent entièrement les cceurs de qes petits Soiwerains, qui en effet ne contribuèrent pas peu a la reddition de la Place,qu'il affiégeoit depuis long-tems; Sc oü, felon Quinte Curce, il trouvoit tant de réfifiance, qu'il commeneoit a douter du fuccès de fon entreprife. Mais le grand nombre de VaüTeaux bien armés, que les Princes Chypriots lui amenèrent, le mirent en état de^ prefenter Ia Bataille aux Tyriens. Ceux-ci, tout expérimeutés qu'Js étoient fur Mer, n'osèrent 1'accepter, Sc furent eniin contraints de fe foumettre au Vainqueur, qui, après la prife de cet- E te 3 , Réfvge . d'un autre b Evagoras t en Chy- ! Sa mort ^ tragique, ' Tiranie de Nicocréon, én Chypre. Article ƒƒ, Soumffion volontaire des Chypriots i Alexandre.  t IJberalitis \ ri'Alexandre, envers les Chypriots» Paroles d' Anaxarque, fiunie d'une mort cruelle. Confiance decePbi- !»fophe. ft HISTOIRE GE'NE'RALE :e Ville, fit relTentir aux Chypriots les effets de fa libéralité. Alexandre fit un fomptueux Feftin a tous fes Généraux, & aux Rois de Chypre, après cette importante Conquête; il y admit aufll le Philofophe Anaxarque , dont il faifoit grand cas. Alexandre lui aïant demandé ce qu'il difoit de fon repas; An axarque luirépondit, fans héfiter, qu'il ne pouvoit être plus magnifique , ni mieux ordonné, & qu'il n'y auroit rien manqué, fi on y avoit fervi la tête d'un certain Tiran, en indiquant Nicocre'on, qui fut parfaitement diffimuler cette injure, & affeéh de n'y avoir pas pris garde. Mais , dans fon cceur, il en conferva un fi vif rellentiment, qu'Anaxarque , contraint, par une tempête, d'aborder en Chypre, après la mort d'alexandre, y fut arrêté par ordre du Tiran, qui s'en vangea d'une manière bien cruelle. II fit mettre ce Philofophe dans un Mortier, oü il le fit brifer avec des pilons de fer, tourment qu'il fuporta avec une conftance extraordinaire;car,.tant qu'il put refpirer, il brava le Tiran, en lui dilmt, „écrafe, tant que tu voudras,le vaiffeau, dans lequel „ Anaxarque eft renfermé "sparee qu'Anaxarque lüi-même n'avoit point mérité ce tourment. Comme Nicocre'on lemenaca de lui fairecouper la Langue,il lui répondit,;V fempécherai Men,hommc ïkhe, & eféminé,depoiiwir difpojer de cette partie de mon corps. En effet, il en coupa un morceau avec fes dents, & la lui cracha au vifage. Efort vraiment digne d'une éternelle mémoire, & qui termina enfin les tourmens, & la vie de ce grand Philofophe; car le Tiran, écumant dé rage, & de colère, lui fit enfuite donner des coups fi terribles, qu'il en fut entièrement écrafé ;&il fut plus content de la mort d'anaxarque, que fatisfaitde la vangeance qu'il avoit tirée de Finjure, qu'il en avoit recue, ainfi que le raporte Plutarque , après d'autres anciens Auteurs. Le renfort, que les Rois Chypriots avoient conduit a Alexax^ dre devant 7}r, ne fut pas le feul fervice qu'ils lui rendirent, pen-  de l'ILE de CHYPRE. Liv. I. Ch. lil. 35 pendant le féjour qu'il fit en Syrië. II emploïa leurs Vailfeaux dans les diverfes Expéditions qu'il fit en Grêee, pendant .ce tems-la. Ils pourvurent d'éperons, de voiles, «Sc de cordages, tous les Batimensafept rangs, qu'il avoit fait conftruire i Lampfaque, des bois qu'il avoit fait couper au Mont Liban. Aufli , les Rois de Salamine , de Citium, DAmathunte, de Paphos, «Sc de Lapitus, refte des neuf Rois, qui avoient fi long-tems partagé l'Ile de Chypre, fervirent fi bien ce grand Prince, par leur valeur, «Sc par leur adrelTe, qu'il les renvoïa dans leurs Etats, comblés de gloire, «Sc de Tichelles. Heureux, fi le vafte Empire qu'il avoit établi, fur YOrient entier , eüc eu une plus longue durée! Car, enfuite de fa mort, qui arriva 330. avant J. Christ, la trente-troifième de fa vie, moins quelques mois, & la quatrième après 4a prife de Tyr, fes Généraux s'approprièrent la Souveraineté des Provinces, dont ils avoient le Gouvernement, «Sc partagèrent entre eux 1'Empire, qui ne leur appartenoit pas: en quoi pourtant ils ne fkifoient qu'imiter leurMaïtre, qui 1'avoit ufurpé. ptolome'e,furnommé Lagus, a qui VEgypte échut en partagé, ne fongea plus qu'a étendre les bornes de fa Domination • & comme il trouva la Phénicie «Sc la Syrië fort propres a couvrir.» gypte,&cQn même tems très-commodes pour attaquer l'Ile de Chypre, il y envoïa une forte Armée, fous la conduite de Nicanor, : qui ne tarda pas long-tems a foumettre ces deux Provinces. Après j quoi, il fut informé, que Nicocles , Roi de Paphos, avoit pris'ie partid'ANTiGONüs, Roi dAJIe, fon ennemi capital, «Sc même engao-é' les Rois de Citium, de Malum, de Lapathus, & le Prince de Cé-rines, a faire Alliance avec lui. II en fut fi irrité, qu'après avoir defait De'me'e r 1 u s, Fils d'ANTiGONüs, felon Plutirque, 1'an 3i2e. avant J. Christ, dans une Bataille qu'il lui donna, prés de Gaza, il fit palier en Chypre, Me'ne'laüs fon Frère, avec unepuiffante Flotte, qui furprit ces Princes, dans le tems même qu'ils traitoient avec Antigonus; s'empara de leurs Etats «Sc fit pnfcnmcr Stasi as, R-oi de Malum, qui voulut lui réfifter- LI 2 .. rV Ruconnolp fance des Chypriots, envers AIcxandre, Mort e ltILE de CHYPRE. Liy. ï. Ch. III. | tout leur Train 5& leurs Domeftiquês, afin de lui marquer la recor noiifance tfö'if confervoit de la manière dont A en avoit agi enver lui, après la Bataille de Gaza, en lui rënvoïant également tou fes Officiers, avec leurs Bagages. Antigonus regarda cette VicW, «Sc cette Conquête, com me une chofe fi importante, que ce fut après la nouvelle qu'il ei recut, qu'il prit le Diadème, dont jufqu'alors il s'étoit abftenu par refpect pour la Familie d'A l e x a n d r e. Son exemple mi' Ptolome'e, Lysimaghüs, & Cassander, fesRivaux dans la néceffité d'en faire autant, «Sc de fe donner le même Tl tre, afin de ne pas celTer d'être égaux. L'Ile de Chypre demeura k Antigonus, jufqu'a la Bataille ülpjum, qu'il perdit, & dans laquelle il fut tué. D e'm e't r i u 5 s'embarqua pour aller en Grèce, «Se palfa auparavant k Sakmine. afin d'y laiffer la Reine Stratonice fa Mère, Veuve d'ANTicoi nus, entre les mains de fa Femme Phila, Sceur de Cassander. & Mère d'une autre Stratonice. Cette dernière eft la même qui époufa S e l e u c u s, & que ce Prince céda enfuite k fon Fils Axtiochus;. Événement connue de tout Ie monde. Ptolome'e, averti par The'ome\ne, 1'un de fes Capitaines, du malheur qui étoit arrivé a fon Frère, «Sc a fon Fils, arma d'abord une puiffante Flotte, dont il prit lui-même le commandement; mais il ne fut pas plus heureux, qu'il 1'avoit été. De'metrius remporta fur lui une Viftoire fi complette, qite Ptolomée fut obligé de s'enfuir en Egypte, avec huit feuls VaüTeaux, qui lui reftèrent de fa grande Armée; ce qui procura au Vainqueur 1'entière Conquête de l'Ile. II y mit d'abord de fortes Gar-, nifons, & la pofféda, depuis 1'année 3oóe. avant J. Christ,' jufqu'en 203. que Ptolomée la lui enleva derechef, pendant! qu'il étoit occupé contre les Lacédémoniens. P t o l o mee profi-1 ta de fon éloignement, 3f ME- ? 1 r > ' Chypre aupouvoird' Antigonus. Mort de r«r Prince a. Ipfum. Article IK Conquête 'e toute 'Ile, par )émérius. 'tolomé'e i lui enlie.  38 II I S T O LR E .CE'NE'RALE &c RéJkxiSn furies qualitit des füiiirrï&rjh L'Ile de Chypre , Province (PEgvpte, fr.us Ptolomée. H T- me'trius, une de fes Femmes (car ce Prince en avoit plufieurs) Sc quelques-uns de fès Enfans étoient enfermés dans cette Place, ce qui en rendit la prife très-importante. Ptolome'e s'attacha» pour cette raifon, au Siége de cette Ville, laforca de fe rendre, «Sc de lui livrer la Familie de De'me'trius: mais, bien loin d'abuier de cet avantage, dèfqu'elle fut entre fes mains, il la remit en liberté, par une continuation de générofïté, qui étoit alors en ufage parmi les Guerriers. II la traita non feulement avec toute forte derefpecc, «Sc de confidération; mais encore il larenvoïa, avec fes Enfans, «Sc Euridice fa Belle-Sceur, chargée de magnifiques Préfens. Ces deux Princes s'étoient toujours fait la Guerre, fins violer les droits de l'Humanité,ni même ceux de la PolitelTc, përfuadjés que c'eft 1'émulation , «Sc non la haine, qui doit animer les Princes, qui difputent entre eux pour 1'Empire. Ce qui fait dire fort judicieufement a Justin, que la Guerre fe faifoit alors avec plus d'iionêteté, que ne s'entretiennent aujourd'hui les amitiés. Ce fut enfin par la prife, «Sc reprite,que ces deux Princes firent, tour a tour, de l'Ile de Chypre, que finirent entièrement le6 neuf petits Rois, qui la divifoient depuis fi long-tems, & que Pt.olome-e la réduifit, fous un feul Gouvernement, en Province de fon Empire, oü lui, «Sc les autres Rois $ Egypte, fès SuceclTeurs, envoïoient ordinairement quelcun de leur Familie, pour la gouverner. De'me'trius recut la prémière nouvelle du Siége de Salamine, lorfqu'il étoit prêt d'afiiéger Spart e, après avoir défait le Roi ARCHiD amus a Mantinée. II aprit aufli la prife de Salamine, peu après qu'il eut é:é proclamé Roi de Macèdoine. Ces deux Évènemens font de la prémière des fept années qu'il i:éo-na en Macèdoine,c'eft-a-dire, de 1'an zgy. avant j. Christ; & c'eft ici que je finis le prémier Livre de mon Hiftoire. FIN DU PRÉMIER LIVRE.  IIISTOIRE GÉNÉRALE R O ï A U M E S D E CHYPRE, JÉRUSALEM, e t D' É G Y P' T E. LIVRE II. Chapitre Premier. tomome'e Lagus aïant réduit, comme Jrtkk$ ^«^«JFXJFXj nous venons dele dire, toute File de Chy31 T> §§B PRE en une feule Province , & donné par1 tout de bons ordres, pour empêcher les Ré- r«hcatJo裏8 volutions qui auroient pu syformer, régna <^£3PR££&> encore dix ans après cet Événement, Comme il vouloit mounr avec la gloire, qu'il s'étoic acquife durant quarante ans de Règne,ilremit le Sceptre,& la Cou- ,  t Succeffion de Philadelphe a Jon Père .Lagus. Qualités Philométor, en Chypre. [o HISTOIRE GE'NE'R ALE Couronne & Egypte, k P t o l o m e'e P h i l a d e l p h e , le plus jeune de fes Enfans , qu'il crut le plus capable de gouverner cet Etat, & de le conferver dans la fplendeur, & dans 1'opulence oü iui-même 1'avoit mis. En effet, ce nouveau Souverain, qui commenca a régner feul 1'année 283e. avant J. Christ, & que la Nature avoit doué d'une éminente Vertu, en augmenta bientöt la renommée, & la gloire,par fa grande inclination pour les Sciences, & par les foins qu'il fe donna pour faire k Alexandrie cette incomparable Bibliothèque, qui,au raport de divers Auteurs, comprenoit deux-cens mille Volumes. Ce fut ce Prince qui prit auffi la peine de faire traduire, en Grec,la Sainte Bible, par les Septante deux Juifs qu'ele'ASAR, leur grand Pontife, luienvoïa, & qui firent cette fameufe Verfion de 1'Ecriture, a laquelle on a donné le nom de Verfion des Septante. Ce Roi eut plufieurs guerres k foutenir, tant eontre les Rois de Macèdoine, que contre ceux de Syrië , dont il fortit toujours viétorieux. II devint encore plus puiffang, que n'avoit été Ion Père: heureux! fi tant d'éminentes qualités reulTeaf rendu plus humain, & moins cruël, k 1'égard de fes Frères; car, pour régner fans crainte, il en fit mourir deux; Arge'e, fous prétexte qu'il avoit confpiré contre lui; & 1'autre, né d'EuRiDicE, fur le fimple foupcon d'avoir voulu foulever l'Ile de Chypre; ou cependant il n'arriva aucun changement, jufqu'au Règne de 'Ptolome'e Epiphanes, qui y envo'ïa en exil Pt o lom e'e Philome'tqr, fon Fils ainé, a la follicitation de Cle'op atre fa Femme, qui n'aimoit point P h i lome't or, & qui vouloit, k fon préiudice, élever Ptolome'k Everge'tes, fon cadet, fur le Tróne d1Egypte; Événement que 1'Hiftoire met al, - - C h r. i s t , qui eft celle oü Ptolomée ^t -'-pj^ioient, s'empara de la Souveraineté; niaSpiS&K: i^r fon Pere, les Peuples óA:lSl!l|H||T:; lexan-  de l'ILE de CHYPRE. Liy. li. Cn. ï. 41 texandrie, gui ne fouffroient qu'a regret Foutrage que lui faifoit la Reine fa Mère, chafsèrent Everge'tes, que cette Princeffe favorifoit, «Sc qu'elle avoit déja introduit dans le Manïment des Affaires de FEtat, & rappellèrent Philome'tor. Everge'tes, qui ne pouvoit s'accommoder d'une vie privée, après avoir goüté les douceurs de Ia Roïauté,excité d'ailleurs par le Roi Antiochus, fonOncle, qui cherchoit a entretenir la méfintelligence entre fon Frère, & lui, afin de profiter de leur difcorde, fe retiraa Cyrène, «Sc appela les Romains a fon fecours. Le Sénat qui defiroit depuis long-tcms de s'ouvrir le chemin d''Egypte, le prit d'abord fous'fa protcéfion; mais, comme il s'apercut, qu'il n'étoit pas facile de renverfer fon Frère du Tröne $ Egypte, oü il étoit trop bien affermi, & aimé des Peuples, il prit le parti de mettre Everge'tes en pofTeffion de Chypre, avec d'autant plus de fondement,que, peu auparavant,cette Ile avoit couru rifque de tomber au pouvoir de De'me'trius Soter, Roi de Syrië, par la trahifon d'A r c h i a s , qui en étoit Gouverneur, vers 1'année 15*7- avant J. Christ; «Sc qui, moïennant $00. talens, s'étoit engagé de la lui livrer. Néanmoins, cette trahifon, qu'il étoit fur le point d'exécuter, fut découverte; «Sc il s'étrangla lui-même, pour éviter le fuplice que Ptolome'e lui préparoit Après la mort de Philome'tor, Ptolome'e Everge'tes, fon Frère, retourna en Egypte, «1 confia le Gouvernement de l'Ile de Chypre a Aristarojte, fameux Critique «Sc; Grammairien, pour qui Ptolome'e Philome'tor avoit eui beaucoup de confidération. II lui confia même enfuite 1'Education de Ptolome'e Laturus, fon Fils ainé, qui lui fuccéda au Roïaume, dont il ne jouït pas long-tems. Car, peu après la mort d'E verg e't es, C l e'o p a t r e fa Mère, qui ne pouvoit vivre fans régner, commenca par lui oter Cl e'o pa tre fa Sceur, & fa prémière Femme, «Sc 1'obligeaa prendre Solevne fa cadette, qu'elle lui arracha encore, quoiqu'il en eüt déja eu deux Enfans. Non contente de ces cruautés, «Sc toujours rongée de fon ambi- F tion Retour de ce Prince & la Souveraineté. L'Ile de Chypre, mifc par les Romains au bouvoir si'Evergétes. iriftarjueGsalerneur de Chypre.  1 \ R traite vi Laturus en Chypre. Retour ie Laturus en Egypte. Mort de Cléopatre, fe? d'AIjxandre Jaace. g HISTOIRE GE'NE'RALE •ion démefurée, elle fit foulever le Peuple contre lui; & le priva enfin du Roïaume, pour le donner a Ptolomée Alexandre fon Frère, qu'elle efpéroit engager a fe contenter du feul Titre de Roi, & a la laifler jouïr de 1'Autorité Souveraine. Ptolome'e Laturus , qui eut la modération de ne vouloir faire la guerre ni a fa Mère ni a fon Frère, prit le parti de quitter Alexandrie, & de fe retirer en Chypre, afile ordinaire des Princes $ Egypte, perfécutés de la Fortune. II trouva, qu'ARiTARQUE fon Précepteur, y étoit mort quelque'tems auparavant: & il y a apparence, qu'il y auroit vécu tranquillement, fans la générofité qu'il eut, de fe rendre aux folicitations des Habitans de Ptolomaïde, qui étoient affiégés par Alexandre Jane'e, & au fecours defquels il accourut d'abord, avec toutes fes forces. II ^défit les Juifs, dans une Bataille qu'il leur donna, prés du Jourdain, & dans laquelle il en périt 3000. outre les Prifonniers qui furent en grand nombre. Après cette glorieufe Expédition, P t o l o m e'e L a t u r u s repaffa Triomphant en Chypre, 1'an 101. avant J. C. Sa i Mère joignant a la haine, qu'elle avoit pour lui, la jaloufie de la gloire, & de 1'avantage qu'il venoit de remporter dans la Paleftine, envoïa promtement une Armée contre lui, & 1'obligea d'en fortir. Cette Mère dénaturée fut même fi fachée, de ne 1'avoir pas eu vif ou mort en fon pouvoir, qu'elle fit inhumainement périr le Général qu'elle avoit envoïé lui faire la guerre. Enfin, 1'ambitieufe, & cruelle, Cl e'op at re fut poignardée par fon Fils Alexandre, qu'elle avoit préféré a Laturus; & les Alexandrins indignés de ce Parricide, ne pouvant fouffrir qu'il fut leur Maitre, le chafsèrent du Tröne: ce qui 1'obligea de fe retirer dans l'Ile de Coo, oü il mourut quelque tems après. Son Frère, a qui le Roïaume appartenoit légitimement, yfut rappellé; & dans cette feconde élévation, il le pofleda tran-  be L'ILE de CHYPRE. Liv. II. Ch. ï. 4, tranquilement prés de dix-huit ans, mais fans avoir d'enfans Depuis ce tems-la,l'Etat fut occupé, pendant vingt-quatre ans par certains Princes fupofés, dont le premier, nommé Ale xandre, fe difoit Neveu de Ptolome'e Latürus, & étoit foutenu par Sylla, Capitaine des Romains, qui commen coient a prendra pié, dans 1'Héritage des P t o l o m e'e s. Ptolome'e Apion, troifième Fils naturel d'Everge' tens, Roi de Cyr^, laiffa, après vingt ans de Règne, fon Roïaume,& fon Héritage, aux Romains, en 1'année 96. avant J. C, «Sc le Sénat le joignit a la Province de Lybie, dont i] étoit déja en poffeffion. Cependant, malgré la faveur de Sylla, les Egyptiens détrönèrent non feulement le nouveau Roi Alexandre,mais encore 1'alfaffinèrent,«Scenmirent en fa place un autre, de même nom, qu'ils chafsèrent encore, en dépit de Jules Ces ar, qui le protégeoit, «Sc qui entreprit de le rétablir. Les Peuples, obftinés, ne voulurent jamais le reconnoitre, «Sc le forcèrent même de s'enfuir a Tyr ; oü, pour fe vanger de leur dureté, il fit donation aux Romains du Roïaume $ Egypte, qu'il prétendoit lui appartenir. Le Sénat 1'érigea d'abord en Province de leur vafte Empire; en forte que, pendant ces troubles, «Sc ces grands changemens, les Rois & Egypte étoient fi embaraffés a s'affermir dans cet Etat, qu'ils ne penfoient jamais a rien innover en Chypre. Ptolome'e Aule'tes monta enfin fur le Tröne d\Egypte, & la Couronne s'arrêta fur fa tête, quoiqu'il fut peu digne de la porter; car, au lieu de s'apliquer aux Affaires du Gouvernement, fon unique occupation étoit de jouë'r de la Flu- i te, «Sc de fe donner en fpeétacle au Public, confondu parmi les \ plus vils Comédiens, pendant qu'un autre Ptolome'e, qui,( felon quelques-uns, étoit fon Frère, auffi indigne que lui dei poffeder un Etat, gouvernoit l'Ile de Chypre. L'un n'étoit propre que pour le Théatre, & 1'autre ne s'apliquoit qu'a Tiranifer les Peuples, pour accumuler des Tréfors, dont Ü ne F 2 favoit i ■ Article IL Ptolomée Apion, Roi de Cjfrène. 'tolonée, Frère ^Aulètes, louverleur de Chypre.  Cette Ile diclarie Province Romaine. Caton ,envoïi parle Sénat, peut enprendre fidjejjion. H HISTOIRE GE'NE'RALE favoit faire aucun ufage: auffi, fes grandes RichefTes ne lui fervirent-clles qu'a accélérer fa propre perte. Voici de quelle manière Publiüs Claudius, qm avoit été pris par des Corfaires, dans la Mer de Pamphy/ie, & qui avoit recherché ralTiftance de ce dernier Ptolome'e, comme Allié des Romains, n'en recut quTune fomme fi médiocre, pour fa Rancon, que les Pirates mêmes, honteux de 1'accepter, aimèrent mieux donner la liberté a leur Prifonnier. Celui-ci conferva toujours un fi vif refTentiment du mépris que Ptolome'e avoit fait de fa perfonne, que ce Romain ne fut plutot parvenu a la Digmté de Tribun du Peuple, qu'il cngagea le Sénat a déclarer l'Ile de Chypre Province de 1'Empire, & a envoïer Caton, pour en prerldre poffeffion, & tranfporter a Rome toutes les RicheiTes qu'il y trouveroit,& qui paffoient pour les plus confidérables de VOriënt. Cette Entreprife fit dire a Sextus Rüffus, que les RichefTes des Chypriots avoient excité la Pauvreté du Peuple Romain a s'emparer de l'Ile de Chypre, plus par avarice, que par juftice. Ptolome'e fit encore une faute impardonnable k un Prince. II irrita tellement fes Sujets,par fes extorfions, & les impöts extraordinaires dont il les avoit chargés, qu'aucun d'eux ne voulut prendre les Armes, pour fa défenfe, lorfqu'il fut attaqué. Au lieu d'ouvrir, dans une pareille occafion, fes Trefors, pour les y engager, & pour lever des Troupes, afin de repoufler les Romains, a peine fut-il informé du Décret du Sénat , que fe lailTant aller a la peur , & au défefpoir , il aima mieux s'empoifonner lui-même, que d'ofer entamer un Tréfor, dont il étoit idolatre. Ceft ainfi que le raporte Velleius Paterculus, en 1'année 56. avant J.Chrift. Aufli,lorsque Caton arriva en Chypre, il n'eut d'autre embaras, que celui de faire embarquer les RichefTes immenfes de ce Prince avare, & efféminé, & le foin d'empêcher qu'aucun de ceux qui 1'avoient accompagné, dans cette Expédition, n'en détournaffent rien a leur profit paiticulier. ^  de l'ILE de CHYPRE. Liv. II. Ch I. +y La quantité d'or, d'argent, de pierres précieufes, &de pourpre, que Caton remporta de l'Ile de Chypre,fut fi prodigieufe, que les Romainsen furent furpris, &ne pouvoient concevoir, qu'un Pays, anffi peu étendu que cette l'Ile 1'étoit, put renfermer des Tréfors fi confidérables; ce qui les obligea de convenir,quede tous les Pays qu'ils avoient conquis, depuis leur EtablilTement, aucun n'avoit tant enrichi le Tréfor public. En effet, tous les Auteurs, qui en ont parlé, aiTurent que cet IIluftre Romain raportaplus debiensde cette feule Expédition, que n'avoit fait le grand Pompe'e, & tous les autres Chefs de la République, des Provinces qu'ils avoient fubjuguées, dans l'Orient, ou ailleurs. , Ptolom'ee, Roi $ Egypte, bien diférent de celui de Chypre, qui fe tua, pour ne pas furvivre ala perte de fes Tréfors, épuifa les fiens pour acheter la prote&ion des Romains. Afin de fatisfaire 1'inclination qu'il avoit, de vivre dans les plaifirs, & parmi les fpeclacles, il furchargea fes Sujets d'impöts fi extraordinaires, qu'ils fe révoltèrent contre lui avec tant de fureur, qu'il fut contraint de s'enfuir $ Alexandrie, pour aller chercher un afile auprès de ceux qu'il avoit enrichis, aux dépens de fes Sujets. Cet infortuné Roi prit le parti d'aller implorer 1'affiftance de Caton, qui fe trouvoit en Chypre; mais ce fageCapitaine s'excufa d'entreprendre fon rétablilTement, &lui confeilla même de ne point aller a Rome, comme il le projettoit, & d'emploïer plutöt 1'argent qu'il dépenferoit dans ce voïage, a appaifer fes Sujets révoltés, oua les réduire par la force. Ce Confeil étoit auffi fincère qu'il auroit été falutaire au Prince Egyptien; mais ilne le fuivit pas. Au contraire, il partit pour Rome; oü, après avoir perdu beaucoup de tems, auffi bien que les RicheiTes qu'il avoit pu emporter, pour fe faire des amis dans le Sénat, toutes fes intrigues, & fes profufions ne lui fervirent qu'a faire alTaiTiner, ou renvoïer, fans audience, les Ambaffadeurs F i que Richeffh immenfes emportéet de Chypre par Caton. Article III Tréfors dt Chypre ipuijés pat Ptolomée, iour acheier la faveur des  4 MauVais q fuccès de j Ptolomée. O C F c. i. ( i 1 i < llfaitmou- i «VBéréniee/a Fille. 1 Mort (fe Ptolomée Aulètes . eu le Flateur. Succejfwn de Ptolomée Denis,o« Bacchus, ijJon tére Aulètes. Ptolomée ie jeune, rjmmé Roi de Chypre par Céfar. 6 HISTOIRE GE'NE'RALE ne le Peuple $ Alexandrie envoïoit, pour feplaindre de fa conuite, cVl'informer, qu'ils avoient mis fur le Tröne Be're'nie Sceur, &FemmedumêmePTOLOMEE; ainfi tout ce qu'il ut obtenir, dansce voïage, fe réduifit a uneLettre de faveur, ue Pomp e'e lui donna pour Gabinius, Gouverneur en 'yrie. Cependant, dix mille Talens , que ptolome'e offrit au Général Romain, en lui rendant laLettre de P o mpe'e , lui fient facilement oublier fon devoir ; car, au lieu de pourfuivre 'Expédition dont il étoit chargé, il fe contenta de laiffer AnroiNE en fa place, avec une partie de fes Troupes, & alla luinême, avec les autres, remettre Ptolome'e fur le Tröne, lont il avoit été chalTé, trois ans auparavant. 11 commenea bn nouveau Règne par la mort de fa Fille Be're'nice, & l1 Archelaüs qu'elle avoit époufé, après s'être défaite d'ANnocHUS, avec qui les Alexandrins 1'avoient obligée de fe marier, en 1'élevant au Tröne. II fit enfuite tuër tous les plus riches de fon Roïaume, & s'empara de leurs biens, afin de fatisfaire aux dettes qu'il avoit contraftées, pour parvenir a fon rétabliiTement; & mourut enfin, felon Dion Cassius, & d'autres graves Auteurs, 50. ans avant J. Christ. Ptolome'e Aulètes , ou le Flateur , laiffa fon Roïaume a fes deux Fils. L'un nommé Ptolome'e Denis , ou Bacchus, & 1'autre Ptolome'e le jeune, le polfédèrent tour a tour ; car le prémier, qui avoit époufé fa Soeur Cléopatre, s'étant noïé, après avoir, par les mauvais confeils de fes Favoris, fait couper la tête au grand Pomp e'e, qui alloit fe réfugier chez lui, au retour de la Bataille de Pharfale, Ptolome'e le jeune,que Céfar avoit nommé Roi de Chypre,monta fur le Tröne $ Egypte, avec la même Soeur Cl e'o pa tre, qu'il époufa auffi. Ce fiit ce même Prince, dont la complaifance fcandaiifa fi fort la Cour Romaine; il y avoit accompagné C l e'o p at r e , &  de l'ILE de CHYPRE. Liv. II. Ch. II. A &fouffroit fonCommerce, quoique criminel, &connu de to lemende, avec Jules Ce'sar, a la perfuafion duqirt, époufa Arsinoe', fa feconde Soeur. II fut, felon Plutarqui & Justin, alfaffiné quelque tems après a Ephèfe, par ordre d même C e s a r ; & par-la, s'éteignit entièrement ïaRaee des P t o l c me'es, qui avoient polTédé Y Egypte, & l'Ile de Chypre, prés d trois Siècles, a Ia réferve du tems que De'me'trius avoit occi pè cette dernière, du vivant du Prémier Ptolome'e, & dt puis que Caton 1'avoit réduite en Province de 1'Empire R( main, oü le Sénat envoïoit des Préfèts, Proconfuls, ou Goi verneurs. Chapitre II. Les Romains poiTédoient alors un fi grand nombre d'Etats parmi lefquels 1'ile de Chypre fe trouvoit confondue, qu'i n'eft pas furprenant qu'on ne trouve, dans 1'Hiftoire, aucun Faii particulier, qui la regarde , ni même le nom de ceux qui 1'oni gouvernée, pour le Sénat , jufqu'au tems de MaRc-Antoine. qui en donna le Gouvernement a un Affranchi de Ce'sar, nommé D e'm e't r i u s. Celui-ci s'étoit attiré Pa confidération d'ANtoine, par fes belles AcTions; entre autres, paree qu'il avoit prisLABiNius, défait auparavant par Ventidius, comme nous 1'apprenons de Straron. Dans la fuite, Marc-Antoine devenu Amant de Cl e'o pa tre, céda la Souveraineté de File de Chypre a cette Reine, & a Arsinoe' fa Soeur, qui en difposèrent tant que ce fameux Romain gouverna YOriënt. Auguste aïant enrin vaincu ceCompétiteur, dans la mémorable Bataille ÜMion eu le termma leur grande querelle, qui fut fuivie de la mort d'ANtoine, il demeura maïtre de tout 1'Empire. L'Ile de Chypre tut lune des Provinces que cet Empereur céda au Sénat, qm com- .7 .it il :, JJMint, par ordre U du même m Céfar. e [- ,_ ExtinBion des Ptolo 1- méés. Vt i , AH iele L 1 Silence ■ touchant lesGeuver* '. neursétablis en Chypre, par les Ro> mains. Souveraineté de Chypre cédée d CJéopatre, par Marc-Antoine, fory Amant. L'Ile de Chyprer cédée au Sénat par  Paul Sei> gius, Prooonjul Romain, Gouverneur de Cbypre. Cenverti au Chriftianifme; il déffiiit le Temple de Paphos. 4.8 HIStOlRE GE'NE'RALE commenca a y envoïer des Magiftrats, en fon nom Comme leur Réfidence rfétoit ordinairement que dune annêe, & que même un feul Préfet, ou Proconful, gouvernoit diverfes Provinces i la fois, on ne trouve point qu'il foit rien arrivé de particulier , dans file de Chypre; ce qui fait croire, que les Habitans y étoient tellement foumis au jong des Romains, qu'ils ne fongeoient qu'a jouïr des délices, & de 1'abondance d'un fi bon Pays P \ u l SERGiuseftlefeulProconful Romain, dont 1'Ecriture falTe mention; il gouvernoit l'Ile de Chypre, vers 1'année 4.0.' de Iesus-Christ; Saint Paul, & Saint Barnabe , quiy prechoient alors YEvangile, eurent le bonheur de convertir ce Maeiftrat a la Foi Catholique. lis 1'engagèrent même a ordonner la déftrudion du Temple de Paphos, qui, comme nous 1'avons dit étoit le plus fréquenté de l'Ile, & celui oü les peuples fe rendoiènt de toutes parts, pour y célébrer les Fêtes de Ve'nus, dont le Culte n'avoit jamais ceffé. Cependant', quelqu'intereües que fulfent les Chypriots a la confervation de ce Temple, ils n'osèren'- en témoigner leur reiTentiment, que par des murmures fecrets- tant ils étoient laches, efféminés,& attachés a leur déteflables maximes. Ces peuples étoient même fi addonnés a la fuperftition, a lacrapule, & a la débauche, que malgré les exhortations de ces Saints Apótres, la Converfion de leur Magiftrat, & £ Miracle que Dieu opéra a leurs yeux, par 1'effet merveilleux des prières de Saint Paul, qui aveugla un faux Prophéte Magicien, nomméBiRJEU Elimas, qui s'efforcoit de féduire Sergius, & de 1'empêcher d'embraiTcr le Chriftianifme,il n'y en eut aucun, decePeuple incrédule,qui fütaffcztouché,pour quitter 1'idolatne, 6c le Libertinage. Cependant, il y a apparence, que ce Temple ne fut pas entierement renverfé, comme quelques Auteurs le prétendent; puifque Coëffeteau raporte, dans le 6'. Livre de fon Hiftoire Romaine, que Titus,Füs de VESPASiEN,pafTant en Chypre, pour  de l'ILE de CHYPRE. Liv. II. Ch. II. 4^ pour aller joindre 1'Armée de fon Père en Syrië, voulut voir le mperbe Temple de Ve'nus Paphienne, Sc qu'après 1'avoir vifité, &contemplé fes prodigieufesRichefTes, qui venoient des Préfens que les Rois y faifoient, il y fit immoler un grand nombre de Viccimes, & confulta le Prêtre de la DéelTe, fur fon Voïage. Ce Prêtre, ajoute-t-il, lui répondit, qu'il auroit une Navigation heureufe. Titus ne s'en tint pas la; mais, par des Queftions ambigues, &couvertes, il's'informa de fa fortune future. Socrates (c'étoit le nom du Prêtre) après avoir contemplé les Entrailles des Viclimes, & reconnu que les préfages étoient favorables, lui dit peu de chofes en public; mais peu après, il le tira a part, & lui déclara tout ce que la DéelTe lui promettoit. Titus, encouragé par une fi bonne nouvelle, mit k la voile. . Tacite nous apprend encore, au Livre 3e. que Tibe're renvoïa au Sénat les demandes des Provinces Romaines. La licence des afiles étoit montée a un fi haut point, parmi les Villes Grèques, que tous les Temples étoient remplis de Banqueroutiers, de Fugitifs, & de Criminels, fans que les Magiftrats y pufTent mettre ordre ,ni arrêter la fureur des peuples, qui protégeoient ces fuperftitions, commes des miftères. II fut donc réfolu, que les Provinces enverroient leurs Députés. Les Ephéftens, introduits les prémiers, repréfentèrent, qu'ApoLLON, & Diane n'étoient pas nés dans l'Ile de Dé/os, comme le croïoit le Peuple ignorant. Ceux de Chypre foutenoient la gloire de la DéelTe de Paphos, Sc DAmathunte, dont ils avoient deux Temples dans leur Ile, 1'un bati par Aërias , & 1'autre par fon Fils, Amathus. Ils maintenoient encore la franchife de celui de Jupiter, bati a Salamine, par Teücer, lorfque fuïant la-colère de fon Père Te'lamon, il fe réfugia dans leur Pays. II n'eft pas furprenant, que les Chypriots n'ofaffent rien entreprendre, pour s'afranchir du joug Romain, ou même pour fe dé- G fendre Article II. Temples, zftles pour 'o«x les 'Sriminek.  4 i Arthéjnion,Gouverneur de Chypre. CalamiUs, arrivées en Cbypre. Vlle de Chypre ébandonnét farjes Ha titans. Traiüion des Chyjjriots.. f o HISTOIRE GE'NE'RALE èndre contre les autres Nations, qui les vouloient détruire, puif^ue,quand les Juifs en firent un fi grand maflacre, fous le Règne de Tra jan, comme je 1'ai raporté, ils n'eurent pas feulement le courage de s'oppofcr a leur fureur. Ce fut enfuite de la vangeance qu'en prit cet Empereur, qu'il donna le Gouvernement de L'Ile Chypre a A r t h e'm ion, qui avoit déja celui $ Egypte. Cet Evenement fait conjecTurer, que , dans ce tems-la, ü ne devoit point y avoir de Gouverneur, de la part du Sénat, en Chypre. Car il n'auroit pas manqué de fe donner quelques mouvemens, pour réprimer 1'audace de ces révoltés. Si fon ne trouve aucun Auteur avéré , qui fafle mention de l'Ile de Chypre, depuis le Règne de Trajan, on en trouve encore moins dans la fuite de la Domination Romaine; «Sc le Père Luzignan , qui paroit avoir feuilletté très-foigneufement tant de Livres, pour en compofèr fon Hiftoire, n'a pu, ni bien, ni mal, remplir ce vuide. II s'eft contenté de dire, comme je fais, en le fuivant ici, faute de meilleurs Mémoires, qu'il fuffit d'apprendre au Le&eur, qu'il n'eft arrivé en Chypre, jufque vers le commencementduquatrième Siècle,que quelquesTremblemens de terre,& de grandes défolations, caufées par les Sauterelles , qui inondoient le Pays, & détruifoient tous les fruits de la Terre. Ces difgraces furent fuivies d'une fi grande fécherefTe, qu'elle contraignit tous les Habitans de Tabandonner, faute d'eau: tous les ruifTeaux, & les fontaines tarirent, & la pluie cefTa (fy tomber, pendant 1'efpace de plufieurs années; les uns diient fept, les autres y en ajoutent dix, & d'autres vont jufqu'a 36. ans. Enforte que cePays, autrefois fi délicieux, & fi abondant, demeura entièrement inculte, fee, & aride, & devint enfin PHabitation d'une infinité d'Animaux venimeux, qui s'y engendrèrent; particulièrement d'Afpics, dont la piqueure eft la plus dangereufe, «Sc ordinairement mortelle. Le même Auteur orétend; Sc c'eft une Tradition générale des Chypriots (que 'frdü long-tems pratiqués) que ces défolations ne fini-  de l'ILE de CHYPRE, Liv. li Cu. II. p finirent qifau retour de Sainte He'le'ne, Mère du Grand Constante, en revenant de Jérufalem, oö elle étoit allée, tant, pour vifiter les Saints Lieux, que J e'sus-Christ avoit fancU fiés, par fa Vie miraculeufe, & par fa Mort glorieufe; que, pour 1'accompliiTement d'une Révélation Divine, qui lui avoit infpiré d'aller chercher la Croix, ou ce Sauveur du Monde avoit été attaché, «Sc que les Gentils avoient malicieufement cachée fous terre, avec tous les autres inftrumens de fa Pajfion, qu'elle euf le bonheur de trouver, par 1'alMance, & les foins du bon Evêque Macaire , qui gouvernoit alors 1'Eglife de Jérufalem. Cette vertueufe PrinceiTe, dont tant d'Ecrivains ont fait 1'Eloge, «Sc loué lapiété, laiffala moitié de la Croix dans TEglife de Jérufalem. Elle aborda a l'Ile de Chypre, avec 1'autre moitié, «Sc les inftrumens de la Paf/ion de j e's u s-C h r i s t : elle vit, avec douleur, le déplorable état, oü fe trouvoit réduit un Pays,autrefois fi renommé par fa fertilité, «Sc réfolut d'y faire quelque féjour, dans 1'efpérance, que les facrés Dépots, qu'elle portoit avec elle, produiroient 1'effet miraculeux qu'elle imploroit, «Sc feroient ceffer les calamités qui avoient rendü cette Ile ftérile, «Sc déferte depuis fi long-tems. Elle ne fe trompa point, dans fon attente: le Ciel exauca fès voeux; la pluie du Ciel commenca a tomber peu de tems après, & les campagnes a reverdir. Cet effet fi merveilleux de la Toute-PuilTance pénétra cette pieufe PrinceiTe de fentimens de reconnoiiTance; «Sc, pour répondre a ces faveurs divines, elle emploïa une partie des gens qui 1'accompagnoient, a pofer les fondemens d'une Eglife, prés de 1'endroit oü fon VaifTeau avoit abordè, pendant qu'elle envoïa les autres, avec le même Vaiffeau,aux Cötes voifines, pour rappeller les Chypriots, qui avoient quitté leur Patrie, «Sc les inviter a la repeupler. A peine ces exilés volontaires aprirent-ils cet heureux changement, que la plupart quittèrent, fans peine, lesEtablÜTemens i quils avoient faits, dans les Provinces de Cilicie> Syrië, Palefti-' 'Jlle de "hypre epeupliei  j 1 1 1 < I 1 ( Départ de S*e.HélÖK de l'Ile de Chypre. 2 HISTOIRE G E' N E'RALE ie, & Egypte, pour revenir dans leur Pays natal, oü ils amenèent plufieurs autres Families, des Pays qu'ils abandonnoient avec )laifir ;& ce fut alors, que l'Ile de Chypre commencaafe repeupler. >te. He'le'ne les recut tous avec beaucoup de bonté, & leur donia 'la liberté d'occuper les endroits de l'Ile, qu'ils jugeoient leur :onvenir le mieux. La renommée de ces bons traitemens engarea quantitédeperfonnes des Pays d'alentour,avenirjouïr des mênes avantages , dans 1'efpérance d'améliorer leur fortune : de forte qu'en peud'années, les Villes, Bourgs, «ScVillages, fetrouvèrent non-feulement repeuplés, mais encore la plupart des campagnes cultivées, &remifes en bon état. La Sainte PrinceiTe , fatisfaite de cet heureux fuccès, rcdoubk fa pieufe reconnoüTance, pour conferver k mémoire d'un fi grand Miracle. Après avoir fait achever la petite Eglife, prés de 1'emboüchure de la Rivière, oü elle avoit abordé, & qui depuis fut appellée Bafileopothamos, ou Fleuve Roïal, elle en fit encore batir une autre, avec un Couvent, fur le fommet d'une Montagne, oü quelques vieux Chypriots lui avoient fait entendre, qu'habitoient de malins Efprits. Afin de leur faire perdre 1'idée de leur fuperftition,elle habita dans ce même Monafière, tout le refte du tems qu'elle s'arrêta en Chypre.. Ce Couvent,, «Sc la Montagne, ont depuis porté, & portent encore aujourd'liui le nom de SainteCroix. Elle fonda auffi d'autres Eglifes,. en divers endroits de file, qu'elle enrichit toutes de quelque petite partie de la vraie Croix Ces Eglifes y ont toujours été confervées, & 1'on y réyère'e'ncore aujourd'liui la Croix, malgré tous les divers cliangemens qui font arrivés, «Sc 1'invafion des Turcs,, qm s'en font rendus maïtres. Enfin, après avoir recommandé a ces nouveaux Peuples la charité,l'union, «Sc la vigilance,pour fe garantir de 1'invafion des Pirates, & Fhofpitalité envers les Etrangers, qui, a leur exemple, viendroient s'y étkWir ; &c afin qu'ils participaflent aux biens«Sc aux commodités que la Providence leur avoit accordés, elle s'embar- quïf  de l'ILE de CHYPRE. Liv. II. Ch. II. $3 qua pour Conftantinople, «Sc les affura, que 1'Empereur fon Fils ne manqueroit pas de leur envoïer un de fes principaux Officiers,, avec de bonnes Troupes, pour les gouverner, & les protéger, comme fès autres Sujets. On dit, que cette Impératrice, en traverfant le Golfe de SaU talie, y elTuïa une li terrible Tempête, que fon VaiiTeau étoit prêt a périr; mais, qu'elle s'avifa de jetter dans la Mer un des Clous de laPaffion de J. Christ, dans la-ferme efpérance d'appaifer cefurieux Élément, par la vertu d'un üicrifice fi précieux; ce qui ne manqua pas de produire un Miracle auffi efficace, que celui qu'elle avoit éprouvé en Chypre. On remarque, qu'a fon arrivée a Conftantinople, elle fit préfent des deux autres Clous a 1'Empereur fon Fils, qui en fit placer un dans fon Casque, «Sc fit emploïer 1'autre a faire un mors au Cheval qu'il montoit ordinairement; ce qui accomplit la Prophétie de Zacharie, qui dit; Erit quod in frceno eft Janclum Domino jalutari. Constantin , qui honoroit infiniment fa Mère, fut ravi du fuccès de fon Voïage,&derEtabliffemment miraculeux qu'elle avoit fait, dans l'Ile de Chypre: «Sc, comme il connoifloit 1'habileté deCoLOcer, Intendant de fes Chameaux , homme de baffe extracrion a Ia yerité, mais fortcapable de gouverner, il' le nomma, felon ZoZime, Duc de cette. Ile, pour rétablir un Pays qui pouvoit bientot devenir auffi floriflant, qu'il ï'aypit été autrefois. Ce nouveau Gouverneur, qui étoit homme de courage, perfuadé, qu'il falloit avoir de bonnes Troupes, pour garantir le Pays de 1'invafion des Corfaires, «Scpour contenir un Peuple nouveau, compofé de diffcrentes Nations , la plupart Barbares, «Sc qui augmentoit tous les jours, enrolla promtement un grand nombre iïJlbanoïs, d'Epirotes^ «Sc de Macédoniens, dont il compofa des Compagnies, qu'il diftribua dans les Cantons de l'Ile les plus expofés a la defcente des Pirates. II affigna a ces Troupes des terres, pour leur entretien; «Scforma,peu de tems après, une efpèce deConfeil, pour adminiftrer la Juftice. II impofa quelques droits fur le Peuple, tant G 3 pour Article III. Colocer, Duc de Chypre, envoïépar Conftantin.  1 1 1 j 1 Chats entretenus,pour la déflructiondes Ser pens. Duretè du Gouvernement de Colocer, gui s'érige en Roi. Punitiont ee Rébslle 4 HISTOIRE GE'NE'RALE »our rentretien de fa Maifon, que pourfubvenir aux autres dé)enfes de 1'Etat: & diftingua même les plus apparens, en leur ac:ordant des Titres de NobleiTe. Cependant, comme les Bêtes venimeufes, & principalement les Afpics, faifoient de grands ravages dans les campam:s, & même parmi les Habitans; & qu'on avoit reconnu, que es Chats étoient ennemis mortels de ces Serpens, il accorda aux Rehgieux de Saint Basile, qui étoient venus s'yétablir, quantitéde terres aux environs du Mont Olimpe, oü ils ont encore aujourd'liui plufieurs Monaftères, auffi bien qu'a une autre Maifon, qu'ils fondèrent fur le Promontoire Agrotiri, qu'on nomme encore aujourd'liui le Cap des Chats. II leur fit cette ceffion, a ia charge quelesuns,&les autres, entretiendroientuncertain nombre de Chats, pour détruire ces Animaux venimeux. Calocer fit, dans la fuite, plufieurs autres Règlemens, également avantageux & pour lui, «Sc pour les Peuples; mais h profpérité, & la douceur du Gouvernement 1'aveuglèrent bientot. II donna dans deux excès, dont 1'un lui fut auffi funefte, que 1'autre devint infuportable aux Chypriots. En eftet, non content des tailles qu'il en exigeoit, il ajouta a ces impots un droit de Capitation- & foula tellement les peuples de la campagne, quil les rendit entièrement efclaves; mauvais exemple, qui a été ftuvi par fes Succefleurs. Outre cette tirannie, il eut encore 1'audace des enger en Roi: ce qui obligea 1'Empereur Constantin, pour punir ce Rébelle de fa téméraire entreprife, d'envoïer une Armée en Chypre, fous le commandement de Dalmatiüs , fonFrere, lan ,24. comme nous 1'aprend The'ophanes. Malgre les nouvelle* , Troupes que cet Ufurpateur avoit levées , il 1Rit vaincu, fait pn■ fonnier, écorché , & brülé vif, dans la Vüle de Tharee, en °Ceux qui gouvernèrent W^^^^^^.^t virent fon exemple, a 1'égard des impotsqu'il * 1'efclavage des peuples de la campagne; ils vendoient meme ces  de l'ILE de CHYPRE. Lïv.ïï. Cii.II. pmivres gens,a ceux qui avoient eu Ie molen de s'ennoblir. Ceuxei en difpoloient encore plus durement, que ne faifoient autrefois les Romaïns, de leurs propres Efclaves; car la NobleiTe Cbypriote, non contente de fe vendrel'un a fautre ces Payfans, qu'ils nommoient Fariques, les troquoient encore pour des Chevaux, des Faucons, ou d'autres Bêtes, Ileftvrai, que, dans la fuite des tems, plufieurs de ces miférables s'affranchirent, foit par fhumanitéde leurs maitres, foit en donnant quelque argent, qu'ils avoient eu Tinduitrie de s'épargner; après quoi, on les appelloit Francoma fes, ou Ele/têres, c'eft-a-dire, Libres. Comme tous ces Peuples, quoique Chrétiens, étoient de différentes Religions, Grecs, Arméniens, Coptes, Jacobites, Neftoriens, Géorgkns, & Maronites, chaque Seéte avoit eu la permiffion de fe faire des Temples, des Evêques, & de fe choifir des Prêtres, felon leur rite. C'eft pourquoi, lorfq.ue Gui de Luzignan devint Souverain de l'Ile, il y trouva autant d'Evêques, qu'il y a de Cantons, qui la divifent. II y avoit un Archevêque i a Salamine, ou Conftance, depuis no*mmée Famagoufte: des Evê- ] ques a Car paffe, a Cblti, a Nicofie, a Cbitrie, a Lapatbos, as So/i, a Trèmitos, a Amatbunte, a Curias, a Paphos, a Arfes,\ a Limifol Ce Prince les réduifit a quatre; & les foumit tous a " 1'obé'üfance de 1'Eglife Romaine. II eut pourtant des égards pour les Maronites, qui, comme nous 1'avons raporté, avoient déja fait leur foumiffion au Patriarche órAntioche. Qn ne trouve point les noms des Ducs, qui ont gouverné l'Ile * de Chypre, après Calocer: cette Ile étoit alors Province de 1'Empire Grec; & pour cette raifon, elle jouït d'une entière tranquilité, pendant plus de trois Siècles. Les Habitans s'en étoient cxtrèmement multipliês, & les grandes RichefTes qu'ils avoient acqmfes, par le moien du Commerce étranger, & de la fertilité du Pays, les faifoient vivre dans les plaifirs, & dans 1'opulence, fans que les Gouverneurs, ou les Nobles, fe milTent en peine dexercer les Peuples au manïment des Armes, fatisfaits de les tenir Trafic dt Payfans, vendus par laNobleJJe. In Arcb^ >êque & i.Eviues, riuits li 4.' 3r Gui e Luzig» an. IrthlelP:  5,6 H 1ST0IO G E' N E' R A L E i i j 1 ] i Defcente de Moavie, Grand Amiral d'Egypte,rfa?w'l'Ile de Chypre. Pi&tnre de l'Amiral, fur 1'EmpereurConftanL Chypriots tmmenés efclaves en Pgypte. enir dansrobéïffance, «Sc dans Ia dure fervitude, dont nous ve* lons de parler. L'Empire étoit d'ailleurs au tant divifé, & affoibli, que les Sar'afins s'étoient rendus puüTans , «Sc redoutables. Auffi, ious e Califat d'0thman, ou Oman, quatrième, Succceilèur de vIahomet, les Chypriots, pris au dépourvu, fe trouvèrcnt entiè•ement hors d'état de s'oppofer a 1'invafion des Sarrafins. Moavie, Grand Amiral $ Egypte, & Commandant de laFlot:e d'OxiiMAN, aborda en Chypre, felon Marmal, «Sc d'IlERDElot, 1'année 64.9. avec une Anr.ée de 700. voiles, s'empara de la Ville de Salamine, «Sc de tous fes environs, qu'il ravagea entièrement. 11 en auroit fait autant atoute l'Ile, fans 1'avis qu'il recut, que la Flotte de 1'Empereur Constant, commandée par Carcosir, Gentilliomme de laChambre, s'avancoit pour le combatre. A cette nouvelle , la crainte qu'il eut d'être furpris fit, qu'il remonta promtement fur fes Vaifleaux avec fes Troupes, «Sc fe mit en pleine Mer, pour y attendre les Ennemis. Les deux Armées fe rencontrèrent, fur les Cótes dcPhénicie, oü elles ne tardèrent pas a en venir aux mains. Celle des Grecs fut .défaite: quelques-uns prétendent même, que 1'Empereur Constant y étoit en perfonne; mais qu'il trouva le moïen de fe fauver, a la faveur d'un habit avec lequel il s'étoit déguifé. Après cette Viétoire, le Général Sarrafin s'en retourna triomphant, «Sc chargé de burin en Egypte, oü il étala pompeufement les dépouilles desC^j priots, comme autant de Trop] é^s. La Viéloire de Moavie avoit été- trop complette, «Sc la facilité qu'il avoit trouvés, a s'emparer do Salamine trop grande, pour qu'il en demeurat en fi beau chemin. II travailla donc, pendant l'Hiver ,a réparer fa Flotte, «Sc fe remit en Mer, au commencement du Printems. Comme il ne trouva aucun obftacle a fon Entre-; prife, il ravagea toute l'Ile, & emmena une fi grande quantité d'Habitans en efclavage, qu'il lailla ce Pays presqu'entièrement défert. Les Révolutions, qui arrivèrent alors en Egypte, «Sc qui 1'obli-  de l'ILE de CHYPRE. Liy. II. Ch IL 57 Pobligèrent a y repaffer promteraent , arrêtèrent la fureur d< ce Barbare, qui ne s'étoit pas moins propofé, que de détruin entièrement toutes les Cötes de 1'Empire Grec. II fut obligt de conclure une Trève avec 1'Empereur Constant, par laquelle ceMonarque s'engagea a luipayer dix Bezans d'or, par jour. avec un Efclave, & un bon Cheval. Ce Traité fut bien obfervé, pendant le Règne de 1'Empereur Constant, & celui de Constantin Pagonat, fon SuccelTeur. L'Empereur Justinien , furnommé Nez-coupé, le renouvella, 1'an 700. avec Abdel maleh, autre Amiral, qui avoit fuccédé a Moavie ; mais, ce ne fut qu'en augmentant le Tribut , qu'il payoit au Calife. Les affaires de 1'Empire fe trouvoient alors en fi mauvais état, que, pour fubvenir a acquiter ce Tribut, 1'Empereur fut contraint de céder aux Sarrafins , les revenus des Provinces Dlbérie , d''Arménie, & de PUe de Chypre , dont les malheureux Habitans, qui avoient eu le bonheur d'éviter 1'efclavage, quarante ans auparavanc, commencoient a peine a fe remcttre de tant de défolations. Le Pays n'étoit pas encore repeuplé, lorsque J e'r 1 t , autre Amiral $ Egypte, attiré par Pappas des RichefTes, fuivit 1'exemple de fes PrédécelTeurs. Sous le faux prétcxte , que les Chypriots vouloient fe révolter , il vint aborder dans leur Pays, Pan 744.-oü il ravagea, &rpilla tout. II y exerca des cruautés inouïes, fans que 1'Empereur Le'on, qui régnoit alors, fut en état de s'y oppofer: ce qui fait dire judicieufement a un Auteur, que les Peuples de Chypre n'étoient deftinés qu'k amaffer des RichelTes, pour alfouvir 1'avidité des Sarrafins, & a retomber de défolation en défolation, fans que tous leurs malheurs , ou les fréquens changemens qui arrivèrent pendant tous ces tems-la, & dans 1'Empire, & parmi les Sarrafins, fulfent capables de leur faire ouvrir les yeux, pour changer leur pitoïable fort. En cffet, ils ne furent pas moins' malheureux fous les Règnes' II de , Trihit anmiehpayé a ■ /'Egypte, 'par l'Enftt* reur Couftant. , L'Ile de Chypre, cedee aux Egyptiens. Cruautè de Jérit. nutre ■ Amiral Eqyptien, invers les Chypriots.  58 HISTOIRE GE'NE'RALE L'Ile de Chypre faccagée, bar AaronEl - Rafchid,5e. Calife r par un Prince, qui fut auffi capable que lui, deréprimer 1'audace des Sarrafins. II les batit a platte couture, & leur enleva toutes les Places qu'ils avoient ufurpées fur 1'Empire, tant en Syrië, & en Cilicie, que dans l'Ile de Chypre. Ce qui arriva, felon Ce'dre'ne, vers Fan 970. & procura du repos aux Peuples de cette 11e, jufque vers la fin du onzième Siècle, fous le Règne de 1'Empereur Emanuel Comne'ne, celui qui caufa tant de maux aux Chrétiens Croifés, qui pafloient fur fes E'tats, pour aller au fecours de la Terre Saint e. Mais,  de L'ILE de CHYPRE. Li7. II. Ch. III. j.p Mais, par unefatalité attachée a l'Ile de Chypre, Emanuel lui-même donna lieu, par fon ingratitude, a une nouvelle défolation du Pays, de la manière que je m'en vais le dire. Thoros, Prince. &ArmMz, profitant de la foiblelfe des Empereurs Grecs , s'en faifoit redouter , & s'étoit propofé d'envahir les Provinces qui confmoient a fes Etats. Son armée étoit floriffante ; & il défoloit la Cilicie, fans que 1'Empereur, quoique vaillant, fut alors en état de s'opofer a fes Entreprifes. Cependant, Emanuel, craignant de plus grands ravages, eut recours a Raynaud de Chatillon , Gentilhomme Franpois, devenu Prince & Antioche, par fon Mariage avec Constance, Veuve de Raynaud de Poitiers, a laquelle cette Principauté appartenoit. II le pria de vouloir emploïerfes forces, pour repoulfer les attentats d'un Ennemi fi dangereux ; & Paffura en même tems, qu'outre la reconnoüTance qu'il en conferveroit, il le récompenferoit encore, d'une manière proportionnée,-aufervice flgnalé, qu'il luirendroit, dans une occafion fi prelTante. Le Prince Raynaud, qui aimoit la gloire, non moins jaloux que 1'Empereur des profpérités de VArménien, dont les Etats confmoient a ceux & Antioche, ravi de trouver une conjonccure fi favorable a fon grand coeur, & perfuadé que, fi le fuccès de fes Armes ne répondoit pas a fon attente, 1'Empereur ne manqueroit pas de lui fournir des Troupes, pour foutenir leurs intéréts communs; & que, s'il réüffilfoit dans fon Entreprife, ilen feroit largement récompenfé; ce Prince, dis-je, profitant des offres de ce Monarque, fe mit en campagne, avec toutes fes forces, & attaqua VArménien j qu'il batit en plufieurs rencontres; & le contraignit enfin, a demander la paix a 1'Empereur. Mais Emanuèé , natureUement ingrat, & grand ennemi des Latins, fans fe mettre en peine de fatisfaire k fa parole, irrita tellement le Prince Raynaud, homme vif, & entreprenant, qu'il attira contre lui les mêmes forces, que Raynaud de Chatillon avoit emploïées a la défenfe de 1'Empire. Ce fut ainfi, qu'il H 2 fut  Raynaud de Chatillon ravage Chypre. Haac Comnène, Parent de rEmpereur du même nom, s'empare de la Souveraineté de Chypre. So HISTOIRE GE'NE'RALE fut puni lui-même de fa mauvaife foi. Ce Prince Franpois paffa sn Cüypre j Tan 1160. & ravagea toute Mie, détruifit Villes, Bourgs, Cbateaux , Eglifes , & Monaftères , tant d' hommes, que de femmes ; & a fon exemple, fes foldats commirent de :ruautés exécrables. Ils emportèrent même jufqu'aux Vafes facrés, & les Ornemens des Eglifes, fans aucune réfiftance, de [a part des Chypriots , toujours auffi éfféminés qu'ils 1'avoient été auparavant. Aufli, Saint Antonin , «Sc Guillaume de Tyr raportent, que les maux, que ce Prince Chrétkn fit, dans file de'OiïPRE, ne furent pas moins grands, ni moins cruels, que 1'avoient été toutes les Invafions des Infidèles ; fi ce n'eft qu'il n'emmena aucun prifonnier, craignant peut-être, que la perfidie Grèque ne s'introduisit dans fes Etats. L'état déplorable , oü la vangeance de ce Prince laiiTa ces Peuples infortunés ne termina pas leurs miferes. L'Empereur avoit alors tant d'autres affaires fur les bras, qu'il lui étoit impoffible de leur procurer aucun foulagemcnt.^ Tout ce qu'il crut pouvoir faire de mieux, fut de donner le Gouvernement de l'Ile a un Prince fage, vaillant, «Sc fidéle. II choifit, pour cet effet, dans fa propreFamilie, Isaac Comnène, qui arriya en Chypre 1'année fuivante, aiTez bien accompagné \ mais apeine eut-il reconnu le Pays, qu'au lieu d'y gouverner pour celui qui 1'y avoit envoïé, il s'en appropria la Souveraineté, avec tant de hauteur, qu'il réduifit la NobleiTe, les Bourgeois, «Sc les Pariguesk une égale condition; de forte que, foutenu des Troupes qu'il y avoit conduites, «Sc des autres qu'il avoit levées, il s'affermit fi bien dans fon ufurpation, qu'il fut impoffible a Emanuel, fon Oncle, a Andronic, «Sc a Isaac Lange, qui lui fuccédèrent, de réduire ce Tiran a fon devoir. Succes bien diférent de celui de tous les autres, qui avoient entrepris de fe rendre maitres de l'Ile, «Sc qui y avoient réiüTi, avec tant de facilité. Le Rébelle Isaac étoit fi fort fur fes gardes, «Sc fi attentif a fe  de l'ILE de CHYPRE. Liv. II. Cu. III. 61 fe conferver la Souveraineté, qu'il engagea a 1'affifter B e'r e n* ger Margarit, Gentilhomme Catalan, & qui commandoit 4.0. Galères, que Guillaume , Roi de Steile, avoit envoïées, fous fes ordres, au fecours des Chrétiens de la Paleftine. Be'renger fe trouvoit alors de retour de la Terre-Sainte, & avoit mouillé dans le Port dAmathunte, oü Isaac faifoit fa réfidence; deforte que le Commandant de Sieile, pour le Roi, défit entièrement une Flotte de 70. Voiles, que 1'Empereur Isaac Lange y envoïoit, fous le commandement du Comte de Saint Etienne , dans 1'efpérance qu'une fi forte Armée, &fi bien pourvue, viendroit facilement a bout de détruire ce Rébelle; comme il feroit peut - être arrivé, fi la Flotte Impériale, n'avoit pas eu le malheur d'elfuïer une Bourasque 11 terrible, que la plupart des VailTeaux en furent fracaffés, & les gens de 1'Equipage fi harralTés, & fi épouvantés, qu'ils furent tous taillés en pièces, 011 faits prifonniers. Ainfi, tous les VailTeaux devinrent laproie du Vainqueur. . C o m n e n e , qui ioignoit la cruauté a la Tirannie, eut Pinhumanité de faire couperla tête a tous les Officiers qui furent pris, fans même épargner B a s i l e de R e'c a t e , qui avoit été fon i Gouverneur. Cependant, comme tant de Vaiffeaux, & tant de Prifonniers 1'embarrafloient, & qu'il vouloit d'ailleurs reconnoitre le fervice que Margarit lui avoit rendu, il lui céda les uns & les autres, pour fort peu de chofe, & lui fournit des Provifions en abondance. Ce renfort augmenta confidérablement la Flotte de Margarit , qui courut pendant le refte de la Campagne, les Cótes de la Grèce , oü il fit plufieurs riches Prifes, avec un butin ineftimable, & s'en retourna triomphant en Sieile, oü, felon Bosio, le Roi approuva toutes fes entreprifes, & le re9ut avec de grandes marqués d'eftime. Mais,fi ce Tiran Isaac fut affez heureux, pour fe défaire des Armées des Empereurs Grecs, toutes les fois qu'ils entreprirent de le foumettre , d'un autre cöté, fa brutalité, & fon avarice lui attirèrent bientöt fur les bras un Ennemi, contre lequcl il II 3 n'eut Sa crunxitè, •nvers les Officiers mfoniers.  6: pa en . L q< fu d Tl il F S l < < f l 1 • Dtfcente de Richard, CfEur dc Lion, e». Chyprcf^ punitionde Comnène. HISTOIRE G E' N E' R A L E ïut pas le mêmebonheur, &qui n'eut pas pour lui plus decomffion, qu'il n'avoit eu lui-même d'humanité pour ceux, qui avoient le malheur de tomber en fon pouvoir. Cet Ennemi fut Richard, Roi tfJngleterre ,{hmommë Cceur de Ion, qui étoit parti de Meffine, pour aller fecourir les Chrétiens, li affiégeoient la Ville de Ftolomaïde. La Flotte de ce Prince fut rprife, pendant fa route, d'uneTempête fi furicufc,qu'elle en fut Tperfée,&confidérablement endommagée. Deux de fes Galères, ;un VailTeau, eurent le malheur d'échouër fur lesCötes Méridioales de l'Ile de Chypre, pendant qu'avec le gros de fon Armée, avoit eu le bonheur d'atraper le Port de Rhodes, oü il ne tarda as d'être informé de ceNaufrage, & du mauvais traitement que ?s gens avoient recu d'IsAAC Non content de leur avoir fait enïver tout ce qu'ils avoient pu fauver de leur disgrace, il eut enore 1'inhumanité de les priver de la liberté, & les fit enfermer lans des Cachots. Outre cela, il eut encore la barbarie de refuïr 1'entrée dans fon port a un autre VailTeau, fur lequel étoit em)arquée la Reine Jeanne, Soeur de ce Prince, & Femme de feu jLtllaume k bon ,Roi de Steile, avec la PrinceiTe de Navarre, fa nancée. Auffi, Richard fut fi outré de ces violences, & de cet infigne ifront, qu'il partit de Rhodes, dès que la Flotte fut réparée, xmren tirer raifon. II s'y trouva d'autant plusporté, que ce xrfide Grec , bien loin de modérer fa brutalité , a 1'afpecl: d'une Flotte capable de 1'exterminer, poulTa encore fon audace jufqu'a répondreaux Officiers que le Roi DAngleterre lui envoïa, pour le faire revenir de fes emportemens, & de fon mauvais procédé, qu'il ne traiteroit pas mieux leur Maitre , s'il s'avifoit de mettre pié a terre. Ce progrès de fon infolenceredoubla 1'indignation de Richard a un tel point, qu'il ordonna fur le champ a fes Troupes une defcente générale, fe mit a leur tête, & combatit avec tant de fureur, & de rage, que, malgré la forte réfiftance des Grecs, qui vouloient empêcher fon débarquement, & la quantité de bra- ves  de l'ILE de CHYPRE. Liv.II. CmlII. 6 ves foldats qu'ils lui tuèrent, il les forga, les mit en déroute & les pourfuivit 1'épée dans les reins, jufqu'aux portes de la VI le;de manière qu'IsAAC, effrayé du mauvais fuccèsde ce commen cement, fe retira d'abord aux Montagnes, dans la crainte, qu fes Sujets, qu'il avoit fi fort maltraités, ne le livraffent au Vain queur. En eflët, ces Peuples, fatigués de fa Tirannie, firent de fi fo bles efförts pour fe défendre, que Richard fe rendit en peu d jours maïtre d'une Ville, qui auroit dü lui réfifter plus long tems. 11 1'abandonna au pillage de fes Troupes, & la fit ruïne de fond en comble, fans que depuis elle ait été rebatie. Cepen dant, comme il ne refpiroit qu'après la prife de 1'Ennemi, qui 1'a voit fi cruellement offenfë, il le pourfuivit a toute outrance, jus qu'au Bourg Chilani, fitué au pié du Mont Olimpe , oü il apri qu'il s'étoit fauvé. Chragrin de ne 1'y avoir pas trouvé, il fit rafe; ce Bourg, avec tous les Villages d'alentour; après quoi, pour fuivant toujours fon Ennemi, il le joignit enfin a Trémithos. Ce fut-la, qu'IsAAC,contraint de fubir le joug de fon Vainqueur, fe répen tit, mais trop tard, de s'être attiré un Ennemi fi puillant, & fi redoutable, dont il auroit pufe faire un ferme apui, s'il en avoit agi avec lui. &avec les flens,felon le Droit des gens,& le refpect que chacun doit aux Têtes couronnées. II y a apparence, que ce malheureux n'étoit propre qu'a amaffer des Tréfors, en tirannifant fes Sujets. S'il avoit eu la précaution de s'embarquer, lors qu'il s'en vit abandonné, il auroit pu palfer en Egypte , oü il auroit jouï tranquillement des RichefTes qu'il pouvoit emporter. Richard ne borna pas fa vangeance a la déftruccion des meilleurs Endroits de l'Ile, il fit encorecharger fon Prifonnier de chaines, qui, pour être d'or, n'en étoient pas moins pefantes. II acheva la Conquête de tout le Pays; &, pour couronner fon Triomphe , &. la défolation de fon Prifonnier , il s'aflura de toutes les Places fortes, y mit de bonnes Garnifons, & célébra, avec pompe, fon Mariageavec la PrinceiTe Bb'rengere,qu'il fit en même tems- 3 ï r Comnèni cbnrgé d$ cbainest  L'ïls de Chypre érigce en Roïaume, &unie a i'Angleterre. Vice- Roi en Chypre. Article 11 54 HISTOIRE GE'NE'RALE ^ems couronner Reine ÜJngleterre, & de Chypre. Afin d'auTmenter la gloire de fa Conquête, la grandeur & la magnificence dè fon Mariage, il érigea cette Ile en Roïaume, au lieu que les Empereurs Grecs ne 1'avoient érigé qu'en Duché. Ce fut auffi, a 1'occafion de fes Noces, & du Couronnement de fon Epoufe, 3ue la Mefle Latine y fut célébrée, pour la prémière fois, paree 311'il n'y avoit eu jufqu'alors aucun Habitant de cette Commumon. Enfin, ce Prince, après avoir donné les ordres néceflaires,pour la confervation de fa Conquête, & fait augmenter les provifions de fa Flotte, fe rembarqua, pour aller accomplir fon Veeu, & la promefle qu'il avoit faite a Philippe Aüguste, Roi de France, qui s'étoit déja rendu devant Ptolomaïde. II donna la Vice-Roïauté de Chypre a Robert Truhan, Sénéchal tfJnjou; & lui laiffa un nombre fuffifant de fes Troupes, pour y maintenir le bon ordre, & les Règlemens qu'il y avoit faits. II prit avec lui Isaac, fa Femme, & une Fille unique, qu'il menoit en captivité, tant pour continuer amortifier cet orgueilleux > que pour fe vanger,en quelque manière, de la perfidie, avec laquelle les Empereurs de Conftantinople ( de la Familie defquels étoit Isaac,) avoient traité les Croifés Latins, en traverfant leurs Etats. Ce fut dans ce pompeux Equipage, que Richard, comblé de gloire, & de biens, arriva a Ptolomaïde. Les Privileges, que les Chypriots avoient rachetés de lui, au prix de la moitié de leurs Effets, lui avoient produit des fommes fort confidérables. Cependant , pour ne point fouffrir la vue de fon miferable Captif, il 1'envoïa Prifonnier a Tripoli, & donna fa Fille a la Reine Jeanne, fa Soeur, qui la garda toujours avec elle, & lui fit rendre tous les honneurs düs'a fa naiflance. Voila comment l'Ile de Chypre pafia fubitement fous la Domination Jnghife, après avoir été poffédée, plus de huk Siécles, par les Empereurs ÜOrient. Tant d'Ecrivains ont parlé de la fertilité , & de la beauté de l'Ile Chypre , quoiqu'avcc peu d'exaclitude , que, fans la réfolution, que j'ai prife d'en donner une Hiftoire générale, & la mieux fuivie  be l'ILE de CHYPRE. Liy. II. Cu. III. 6; fuivie qu'il me fera poffible, je me difpenferois de répéter ce qu'il ont déja dit, fur ce fujet. Cependant, par raport a mon Syftê me, & a la connomance particulière que j'ai de fes produccions & des changemens qui y font arrivés, j'ai cru ne pouvoir évitei d'aprendre a rhesLecleurs, que ce Pays, quoiqu'également abon dant aujourd'liui, aperdu diverfes chofes très-riches, & fort curieufes, qu'on y trouvoit anciennement, & en a acquis d'autres, qu'elle n'avoit point alors. Les Mines, d'Or, d'Airain, de Fer, d'Etain, de SoufFre, de Vitriol, & d'Alun, que Ptolome'e, Strabon , Pline , Coutoüj & tant d'autres aifurent, qu'on y trouvoit autrefois, font tellement perdues, qu'on ignore même dans quels Endroits elles étoient; fi ce n'eft celles d'Or, & de Vitriol, qu'on fait,par tradition, avoir été dans le Canton de Krifacou; & je fuis témoin, qu'on tiroit encore de ce dernier Minéral, en 1684. A 1'égarddes Pierres précieufes , que les mêmes Auteurs, & après eux, lePère Luzignan, prétendent auffi y avoir été communes , on n'en trouve, ni on n'en parle plus. II ne me paroit pas même, qu'aucune de ces Mines ait jamais rien produit aux Princes Latins, qui y ont régné; a 1'exception de quelques Criftaux de roche aflez beaux, qui ont été trouvés de mon tems, dans les Montagnes attenantes au Cap Cromachiti, & a celui DAIexandrette. II en eft de même du Corail rouge, & blanc, qu'ils prétendent, qu'on pêchoit fur les Cötes DAmathunte. Peut-être pourroit-on en trouver encore aujourd'liui, fi on étoit aflez curieux, pour en faire la recherche; mais, comme les gens du Pays, ni les Etrangers ne s'y apliquent point, on n'en peut rien dire de politif. La Pierre d'Amiante, dont ils ont aulTi tant parlé, s'y trouve encore, auffi abondamment que dans les anciens tems; mais on a malheureufement perdu 1'ufage de s'en fervir. Pline prétend, qu'en la faifant bouillir dans une leffive, faite avec de 1'Indigo, & la batant bien enfuite avec un batoir, cette Pierre perd ce qu'elle I a 1 ï Propriété ie la Pierre i'Amiante.  66 IIISTOIRE GE'NE'RALE. i < I { < < ] i i Abondance de SeU Des Plan%es de Coton, {§ de Müriers, . de pierreux, & devient fi fouple, qu'on peut la füer, & en faie de la Toile, qui y étoit li commune autrefois, qu'on affure jueles Chypriots s'en fervoient, pour les voiles de leurs Navires. ille ne laifToit pourtant pas d'êtreforteftimée3 dans les Pays étranijers, fur tout des Brachmanes, & desRomains, qui en faifoient les facs, pour enfermer les Corps morts de leurs Princes, & au:res grands Perfonnages, qu'ils avoient coutume de brüler, afin 1'en recueillir les cendres plus pures, & fans aucun mélange. Cette ?ierre a la propriété de blanchir dans le feu, fins fe coniumer. La barrière s'en trouve dans une Montagne, prés du Cap Cromacbi~ 'i, qui porte le nom d''Akamantide. Quant au Sel, dont 1'abondance produifoit de fi grands revenus mx Souverains, qui ont poffédé l'Ile, après les Grecs, lelieuoü I s'engendre naturellement n'eft point différent, de ce qu'il peut avoir été. C'eft un Lac, fituéprès de la Mer, entre le Bourg de Larnaca, & celui de Bromolaxa. Ce Lac a prés de trois lieues de circonférence. L'eau de la Mer, & celle des pluies le rempliflent; Sc les chaleurs de 1'Eté le font congeler. C'eft au Mois de Septembre, qu'on en tire autant de fel qu'on veut; & dont la quantité feroit encore auffi grande , qu'elle peut jamais 1'avoir été; mais, comme on n'en charge plus pour VEurope, & que les Fermiers favent la quantité qu'ils en peuvent emploïer, foit pour 1'ufage du Pays, ou pour le tranfport qui s'en fait aux Cötes voifines, ils fe contentent d'en faire la provifion néceffaire, & négligent le refte. . II n'en eft pas de même des beaux Camelots, qu'on y travailloit avec du poil de Chèvre, & qui étoient fi fort eftimés au LevantfSc en Europe: il y a très-long-tems qu'on n'y connoit plus ces étoffes, ni la qualité du poil dont on les fabriquoit. On a auffi perdu 1'ufage des Cannes a Sucre, dont plufieurs campagnes étoient plantées. On a enfemencé ces terres avec du Coton, &l'on y a planté une quantité prodigieufe de Müriers, pour nourrirdes Vers a foie; production dont le Pays manquoit autrefois, & qui  de l'ILE de CHYPRE. hef. II. Cfi. III. 67 qui eft incomparablement plus utile, que le Sucre. La quantité de Bied, d'autres fortes de Grains, & Légumes de toute efpèce, eft toujours la même, qu'elle étoit au tems palTé; on y en recueille ordinairement au de-la de ce qu'il en faut, pour la nourriture des Habitans; auffi en charge-t-on fouvent plufieurs Navires, pour les Pays étrangers; de même que des Vins précieux, & qui font, avec raifon, fi vantés par tous les Ecrivains', qui en parient. Salomon même a parlé, avec éloge, de la Vigne de Chypre : ces Vins fe confervent un Siècle entier, & acquièrent tant de douceur, &de force, qu'ils deviennent un Antidote parfait, & naturel. On fait, par tradition, que les anciens Chypriots avoient coutume d'en remplir de grandes Jattes, a la Naiffance de leurs Enfans, qu'ils enterroient ces Vafes, & ne les ou' vroient plus, que pour leur Mariage: c'étoit le Vin de la Noce. Comme les Enfans mouroient fouvent, avant que de parvenir a cet 3ge, leVin demcuroit quelquefois enterré, & couvert, jufqu'a la troilième, & quatrième génération, principalement chez les perfonnes de condition, qui n'avoient pas befoin de s'en fervir; & c'eft par-la, qu'on a reconnu,que la vieillelfe ne faifoit qu'en augmenter la bonté. Quoique les Chypriots d'aujourd'hui n'en enterrent point,précifément a laNailfance de leurs Enfans, cependant ils n'ont pas perdu 1'ufage d'en conferver, de la même manière que le pratiquoient les anciens: de forte qu'il s'y en trouve encore, de 30. 40. & jufques a 50. ans.' J'ai eu 1'honneur, pendant ma réfidence en ce Pays-la, d'en envoïer a divers Souverains de 1''Europe, foit par leur ordre, ou de mon propre mouvement, pour les en régaler; & ils m'ont fait celui de m'en témoigner beaucoup de fatisfac]ion. II eft vrai, que tout le Vin que produit file n'eft pas de cette" exr cellente qualité; mais on peutleregarder, en général, comme 1'unj de fes principalesproduccions , puifqu'outre la quantité qu'en achètent les Navires étrangers, pour la provifionde leurs Equipages, le I 2 Roïau- Même , quar.titi de Vin & de Bied, qu'an ■ ciennement. LeVin de Chypre devient Balfamique, fjf fe conferve un Siècle entier.  < Fertilité de l'Ile de Chypre, tn général. i HISTOIRE GE'NE'RALE itoïaume ÜEgspte s'en fournit prefque entièrement, paree que le Pays n'en produit point du tout. L'Ile de Chypre n'eft pas moins fertile en excellente Huile d'Oiye, & de Sizame; c'eft ce que nous appellons graine de Navetze : mais il eft certain , que fa liqueur eft incomparablement neilleureque celle qui vient $ Europe. Auffi, pour legoüt,les gens 3u Pays preferent cette Huile a celle d'Olive. Elle n'eft pas moins pourvue de bon Miel, 6c de Ore, que deLaitage, Saffran, Capres , Térébenthine, Labdanum , Coloquinte , Mandragore, Vermillon, ColocalTe, & plufieurs autres Plantes, & Herbes Médécinales, Poudre a poudrer fort eftimée, qu'on nomme commuhément IWr* de Chypre: elle fe fait avec de petites Rofes fauvages, & fort odoriférantes. 11 y ade la Laine, du Lin, du Chanvre, du Maroquin, des Choux-fleurs d'une bonté, & groffeur furprenante, toute forte d'Herbes aromatiques, &potagères d'un goüt merveilleux, fur-toutdans les Lieux maritimes, oü la terre eft nitreufe. L'Ile n'eft pas moins abondante en Arbres fruitiers de toute efpèce, excepté des Cerifiers, & des Chataigniers, dont les Habitans font pourtant dédommagés par les Dattes, les Carrouges,& les Grenades,qui s'y trouvent en quantité. Les Montagnes font couvertes d'Arbres taillis, ou de haute futaie, dont la qualité eft excellente, foit pour la charpente des Maifons, foit pour la conftruclion, & mature des VailTeaux. On en tire auffi quantité de Poix, & de Goudron; & c'eft, aparemment, ce qui a fait dire a Apian Marcelin, que l'Ile de Chypre étoit fi remplie de toute forte de biens, qu'elle pouvoit mettre en Mer un Navire, & 1'équiper de toutes fes parties, fans aucun fecours étranger. L'Ile produit auffi d'afTez bonsChevaux, & de tres-excellentes Mules, dont 1'ufage eft beaucoup plus doux , & plus commode. Gratiani raporte, que les Magiftrats de l'Ile de Chypre furent autrefois obUgés de défendre a la NobleiTe la monture des Mules dont  he l'ILE de CHYPRE. Liv. II. Ch.III. <5£ dont ellefe fervoit, par un rafinement de commodité, pendant qu'elle négligeoit les Chevaux, de peur que la difette de ces derniers ne devïnt un jour préjudiciable a 1'Etat. Le Pays eft également pourvu d'Anes, de Boeufs, de Btrmes, Chameaux, Chêvres, Moutons, Brebis, «ScPorcs, dont la chair eit trés-délicieufe: les Jambons de ces derniers font d'un goüt exquis. On y trouve auffi des Chevreuils, Daims, Sangliers, Bceufs, & Chêvres fauvages,desLièvres en grande abondance; & toute forte de Volailles domeltiques, comme Poules, Coqs-d'Inde, Canards, Oies, & Pigeons, des plus fucculens. A 1'égard du Gibier, on peut alfurer, que ce Pays eft des plus abondans; j'en connois peu qui en foient mieux fournis, excepté deFaifans, qui y font un peu rares; mais les Francolins, ou Gelinotes de bois, Perdrix rouges, Beccaffes, BeccaiTines, Tourterelles, Canards, Cercelles, Ramiers,& autres Pigeons fauvages, Grives, Merles, Cailles, Ortolans, Alloué'ttes, & généralement tous les Oifeaux qui fe trouvent ailleurs, font dans cette Ile en grande quantité; & le goüt en eft délicieux. Les petits Oifeaux qu'on nomme ailleurs Becquefigues, & en Chypre Oifelets de vigne, y font ft délicats & fi abondans, qu'on y en confit tous les ans une quantité prodigieufe avec du vinaigre , pour les Pays étrangers, particulièrement pour Feni/è,qü ils font fi eftimés,que la Noblelïe les préfère a quelque autre méts que ce puilfe être. Ony prend auffi quelquefois desOutardes, d'une grofleur prodigieufe, dont le plumage eft extrèmement blanc, & la chair trèsdélicate. Les Grues, Hérons, & Faucons de düférentes efpèces s'y trouvent également; & les Oifeaux de proie,. comme Aigles, Vautours, Milans, Corbeaux, & autres efpèces, n'y manquent pas. Les Chiens-Lévriers y font d'une beauté, & d'une bonté incomparable, & les Chats les plus beaux, & les plus hardis du monde ; ils ont la propriété de combatre les Serpens, & de ne les point quiter, qu'ils ne les aïent tués; & c'efi: d'oü vient, comme .pnl'adit, que les Religieux, qui habitoient autrefois les Mona- I 5 ftères- Abondance de toutt forte de Gibier, a ïexception duFaifan, Excellente des Faucons , & Livrien,.  7o HISTOIRE GE'NE'RALE Combat d'un Chat contre un Serpent. L'Ile aujji abondante , en Poiffon, qu'en Gibier. Clhnatde tlle. [tères, qui font autourdu Mont Olimpe, & ceux du Couvent 8Airotirï, en nourriffoient une grande quantité,pour ce fujet: j'ai vu arriver un de ces combats, dans ma propre Maifon, oü il y apparence qu'on avoit apporté un Serpent, dans du fourage, dont on faifoit la provifion. Un de mes Chats,quelque jeune,& petit,qu'il fut, appercut ce Reptile, qui vouloit monter fiir le toit, & rampoit le long de la muraille; il s'élanca fur lui, & le fit tomber a terre. Le Serpent, après avoir demeuré quelque tems comme étourdi, reprit fk vigueur, & fe dreffa en fiflant, pour combatre fon adverfaite, qui de fon cöté, Ie poil hérillé, & les yeux étincelans, méprifa- Pafpecl: du Serpent, 1'attaqua, & après lui avoir donné plufieurs coups de fa pate, trouva enfin le moïen de le faifir, par la partie charnue, qui eft entre la tête, & le refte du corps. Le Serpent ne pouvant fe délivrer des dents de fon ennemi, fe replia tout autour du cou du Chat, & tira la langue, pour Ten percer : mais l'animal fut fi rudement baloté & fecoué, qu'il perdit enfin fes forces, & tomba vaincu, fans faire que de foibles mouvemens, qui paroiffoient plutöt des convulfions, que de nouveaux efforts. Le Chat victorieux ne lè fervit plus du Serpent, que comme d'un jouèt,qu'il balotoit, & retournoit a fon gré, comme s'il eüt trouvé du plailir dans fon triomphe. Ce fpeclacle, qui avoit attiré mon attention, me divertit extrèmement. La Mer, qui environne l'Ile n'eft pas moins poilTonneufe, que la Terre en eft fertile. II n'y manque que des gens capables de faire valoir 1'un & 1'autre, pour en retirer tous les fruits qu'on peut defirer de ces Elemens. II fèroit a fóuhaiter, que Pair d'un fi beau, & fi abondant Pays, füt un peu meilleur,& plus tempéré, pour en mieux jouïr. Les chaleurs y font fi excelL* vcs, pendant 1'Eté, & une partie de PAutomne, que les campagnes en font prefque entièrement brulées; ce qui rend Pair groffier, & malfain, & qui fait dire a la plupart des Iiiftoriens, & aux perfonnes qui y ont fait quelque féjour, que le Climat de Chypre eft générale-  de l'ILE de CHYPRE. Liy. II. Ch. III. 71 ralement malin, & très-dangereux. Cette réputation lui a même demeuré parmi les Modernes, foit qu'ils aïent fuivi 1'opinion des Anciens, ou le raport des Europééns qui y ont paffe, «Sc qui qui n'ont abordé qu'aux Cötes, oü 1'air eft effeftivement le plus corrompu, comme celui de Famagoufte, qui, par raport \ fa fituation baffe, a fes eaux faumatres, «Sc fes Dehors marécageux, formés par le Torrent Pedicus, qui s'y décharge, après avoir comme innondé, pendant 1'Hiver, la belle «Sc fertile Plaine «de Meffdrie. Larnaca, qui eft le Lieu oü tous les Francs font leur réfidence, &oü, par conféquent, les Européens qui y abordent féjournent le plus, n'eft pas un Endroit plus fain, que Famagoufte. La proximité des Salines, que Larnaca a vers rOccident, «Sc les Marécages au Levant, font que 1'air en eft pefant, «Sc mauvais, malgré le foin qu'on a commencé a prendre de deffeicher ces Marécages, «Sc d'en faire des Jardins. Les Villes de Bajfo, «Sc de Cérines font dans la même fituation ; de forte que ces Lieux maritimes,& pour ainfi dire, les plus fréquentés par les Étrangers ,font ce qui donne une réputation fi desavantageufe de toute l'Ile, que lesEcrivains décreditent entièrement. II eft a croire,qu'ils en parleroient mieux, s'ils avoient parcouru, «Sc examiné, comme j'ai fait, plufieurs fois, le refte du Pays; oü je puis aflurer, qu'on trouve 1'air auffi bon, «Sc auffi pur, qu'en aucun Lieu de France; particulièrement dans les Cantons de So/ie, Lapathos, Nico/ie, Carpajjb, Pifcopie, fesEnvirons, «Sc dans tous les Lieux élevés, qui font généralement exemts des Fièvres malignes, dont les Habitans font affligés dans les Lieux maritimes. II eft pourtant vrai, que les grandes chaleurs, en tems d'Eté, font par-tout pernicieufes; mais les Habitans en feroient moins incommodés,. fi les travaux de la Saifon leur permettoient de s'en mettre a couvert. Je crois cependant, que, quelque mauvais que foit 1'air, dans les Lieux maritimes que je viens de nommer, fi ceux qui les habi- tent Excellence de Vair, A Solie, Lapathos , Nicofie, Carpaflb, &Pc. Mnifons baljes..  Lieux êlevés beaucoup plus £ains. SoMéténé eeffdire, en arrivant en Chypre. Article lil ?z II I S T O I R E GE'NE'RALE tênt avoient aflez de foin, ou le moïen d'élever leurs maifons, au moins jufqu'a deux étages , ils ne feroient point fujets a toutes les incommodités des Fièvres, & des Coulins qui les dévorent, en tems d'Eté, paree qu'ils couchent toujours a terre, fans aucune précaution pour s'en garantir; de forte qu'il eft impoffible, que le corps ne contracte de mauvaifes humeurs, qui corrompent le fang , & engendrent les Maladies dont ils font fouvent affiigés, &c que je n'ai que trop éprouvées moi-même. II n'en eft pas de même des Lieux qui font éloignés de la Mer, quoique les habitations en général n'y föient pas plus exhauffees, excepté a Nicofie, a Limifol, &en quelques autres Endroits; car on peut, fans rifquer fafanté, coucher en pleine campagne, a la belle étoile, comme il m'eft arrivé plufieurs fois, fans en reflentir aucune incommodité. On y mange, & on y boit généralement par-tout d'auiïï bon apetit, qu'en aucun lieu de VEurope; & je crois que, pour y jouïr d'une bonne fanté, on n'auroit qu'a fe garder des ardeurs du Soleil, dans les heures qu'il eft le plus chaud, & fe modérer dans le boire, & le manger; car 1'abondance, & 1'excellence des méts y excite un peu, principalement les nouveaux venus, qui n'en confidèrent pas les conféquences. Ceux qui ont avancé, que l'Ile de Chypre n'eft arrofée que par les Torrens formés des pluies, qui tombent pendant 1'Hiver, ne fetrompent pas moins; .&marquent également leur ignorance, a 1'égard du centre du Pays, qu'ils n'ont point parcouru. Ils s'en font rapportés aux Relations des Voïageurs,quifè fonteux -mêmes bornésa parler des Lieux maritimes, oü ils ont abordé. L'Ile, a la vcrité, n'a pas degrandes Rivières; mais il s'y trouve beaucoup de RuifTeaux,qui ne tariflent jamais, a moins qu'il n'y arrivé des cas aufil extraordinaires, que celui qui obligea les Habitans de 1'abandonner, dans le quatrième Siècle, comme je 1'ai dit ailleurs. CesEcrivains font mention de deux fameux Torrens, qui font le Pédicus, qui paffe au milieu de la Ville de Nicofie, traverfè enfuite toute la Plaine feMeffarie, qu'il innonde fouvent de manière,  de l'ILE de CHYPRE. Liv. H. Ch. III. 73 re, qu'il la rend auffi grafie, & aufli fertile, que le font les Campagnes $ Egypte, arrofées par le Ml, & fe décharge enfin dans la Mer, au Levant de Famagoufte, oü il forme les Marais, dont je viens de parler ; & le Lycus, qui vient perdre fon nom prés de la Ville de Limifol, oh il trouve un débouchement lifacile, qu'il n'y croupit point du tout; cequi fait, que 1'air y eft plus pur, que dans les autres Lieux maritimes de l'Ile, oü 1'eau, qui y croupit, caufe la malignité de 1'air. Mais, outre ces Torrens, il y a, dans plufieurs Endroits de l'Ile, des Sources d'une excellente eau,& quatre ou cinq grands RuifTeaux, ou petites Rivières, qui fortent du Mont Olimpe, ou des Montagnes voifines, & ne tarilfent jamais. L'une de ces Rivières arrofe les délicieufes Campagnes du Bourg Pifcopie, & celles de la Seigneurie de Coloffe; autrefois la grande Commanderie des Chevaliers Templiers,&cHofpitaliers, auxquels ce fameuxBénéfice fut accordé, après 1'extinclion des prémiers. Une autre baigne les terres du Bourg Couvela, qui eft a 1'Orient de Baffo, & de celui dAchellia, qui n'en eft. pas loin. Les deux autres Rivières rendent également fécondes les Campagnes de Krifoukou, & celles des Lieux d'alentour. II y a encore plufieurs autres RuifTeaux confidérables, dans les autres Cantons de l'Ile, particulièrement dans 1'agréable Vallée de Solie, dans celle de Lafea, & de Lapaihos, tous Lieux délicieux. On voit par-la, que, fi ces Voyageurs avoient eu la curiofité de parcourir le Pays, ils y auroient trouvé des Sources d'eau vive , depuis un bout jusqu'k 1'autre. Sils avoient, au moins, pris la peine d'aller fe promener jusqu'a Chyti, Bourg a deux lieues de Larnaca, vers 1'Óccident, ils y auroient vu les deux beaux RuifTeaux qui prennent leur fource au pied du Mont Ste. Croix, & qui en arrofent les Campagnes. Tous ces Ruifleaux, ou petites Rivières produifent d'excelientes Anguilles, jj & desEcrevifles très-délicieufès. Outre cela, il y a encore uneSource d'eau criftaline, au deilus smm de S du Bourg de Chitrie. Cette eau, après en avoir fourni fuffifam- chitrie- K ment  74. HISTOIRE GE'NE'RALE Jardin de ÏAuteur, qui conténoit plus de 11000. Müriers. Machines nommées Alakati, pour puifer l'eau. ment 1136. Moulins qu'elle fait tourner, fert aux Habitans dece Lieu, a ceux de Pakdtro, & des environs, a arrofer une étendue trés - confidérable de Jardins. Enfin, fans m'arrêter a faire un plus grand détail des Ruifleaux, & des Fontaines qui fe trouvent dans rile, que j'ai parcourue plus d'une fois, &peut-être plus exactement qu'aucun autre Europeen, je puis aflurer, qu'il y a quantité d'excellentes Sources, même jufques dans le Canton de Carpajfo, qui eft a 1'extrémité Oriëntale & 1'endroit le plus étroit, puifqu'il n'y a qu'environ deux lieues de terrain qui féparent la Mer du Nord de celle du Sud. C'eft le même endroit oü j'ai poffédé un Jardin a foie des plus confidérables, pour ne pas dire le plus beau de toute l'Ile , puifqu'il contenoit plus de douze mille Müriers, & une grande quantité d'Orangers d'une hauteur prodigieufe, outre un grand nombre d'Arbres fruitiers de diverfes efpèces, avec une Source d'eau, qui après avoir fait tourner un Moulin, arrofoit tout le terrain. II faut pourtant convenir, que quelques nombreufes, &abondantes que foient ces Sources, il s'en faut bienqu'elles puiflentfufire a toutes les terres qui en ont befoin; Auffi les gens de la Campagne , a 1'imitation des Egyptiens, qui puifent l'eau du Ml avec des machines, ont-ils creufé de grands Puits, d'oü ils fe fourniflent d'eau; &c voici comment. Ils ont deux grandes roues, a 1'une desquelles efi: entourée une groflè corde mouvante, garnie de quantité de pots de terre, que des Mules font tourner: ces pots élèvent aflez d'eau pour fupléer au défaut des Sources. Les Grecs nomment ces machines Alakati; Les Egyptiens, qui les font tourner par des Bceufs, Sakie; & les Francs les appellent Foufaraques. Ces groffes cordes mouvantes font fakes d'un certain genét, très-abondant en Chypre, dont Gratiaini, dans fon Hiftoire des Guerres de ce Pays, parle comme d'une des chofes précieufes qu'il produit, cependant, rien n'y eft plus commun. - Les  de l'ILE de CHYPRE. Liv.II. Cm IE 7® Les Müriers y font plantés au cordeau, a environ une braffe de diftance de 1'un a 1'autre. Un feul Jardin en contient fouyent plufieurs milliers. Lorsque le tronc de 1'Arbre a cru jufqu'k hauteur d'homme, on en coupe toutes les branches, qui repoulfent tous les ans de nouveau, en fi grande quantité, & fi ferrées, qu'elles forment une ombre, que les rayons du Soleil ne fauroient pénétrer. Au lieu qu'en Europe, on laiffe croitre ces Arbres , tant qu'ils peuvent pouffer , & que 1'on fe contente d'en cueillir les feuilles. En Chypre , & dans la Paleftine, on les coupe ,& 1'on en arrache les feuilles qui étant toutes récentes ,. & par conféquent, plus tendree, donnent une meilleure nourriture aux Vers a foie. On y a grand foin de bien cultiver les terres, de les engraiffer, & arrofer régulièrement, depuis le commencement du Printems, jufqu'a la Fête de Ste. Croix en Septembre; & ce jour-la on prétend que les Arbres celfent de pouffer. Par ces foins, les Arbres fe trouvent également garnis 1'année fuivante. Les perfonnes de la profeilion n'ignorent pas, que la Soie de Chypre eft plus pefante qu'aucune autre, aufïï ne Pemploïe-t-on en France, en Angleterre, & ailleurs , qu'aux galons, franges, & autres ouvrages d'or, & d'argent, paree que les Marchands y trouvent leur compte.. La récolte du Coton, qui fe fait en Chypre , n'eft pas moins importante, que celle de la Soie: ce Coton eft même beaucoup meilleur, que celui que produifent les autres Lieux du Levant. Auffi, les Marchands d'Europe lui donnent-ils la préférence. Toutes les autres denrées, qui croiffent dans l'Ile font également excellentes. II y a des Endroits dans ce Pays, oü les terres demeurent en friclie; & 1'on y voit beaucoup d'Oliviers fauvages , principalement dans le Canton de Carpajfo, qu'on ne fe donne pas la peine de greffer. Si ces terres étoient cultivées, elles produiroient des revenus très-confidérables, paree que le terroir en eft fertile de fa nature. Le remuement empêcheroit K 2 les Soie de Chypre plus pefante, que celle des autres Pays.  76 HISTOIRE GE'NE'RALE Qualité des Cypriots. Chypriot amateurs de l'oifivetê,ie la boi ne cbère a la iriagnij, cence,& 6 hvblupté, les Afpics , & les autres Bêtes venimeufes de s'y multiplier, comme elles font. Ce n'eft pas feulcment en Chypre , que le manque d'Habitans eft caufe de fabandon des plus excellens terrains, qui demeurent fans culture: la plupart des Provinces de 1'Empire Ottoman font dans le même cas. Ces Barbares ont trop de Pays, pour y furore. D'ailleurs, leur fainéantife , leur indolence , & leur frugalité naturelles y contribuent beaucoup. Ajoutez a cela, que, comme ils n'ont ni tailles, ni gabelles, ni autres impots a payer, ils ne travaillent qu'autant qu'il eft befoin, pour s'acquiter de quelques petits Droits Seigneuriaux, tels que le Har ach, ou la Capitation que payent les Chrétiens, Sc les Juifs, nés Sujets du Grand-Seigneur; & dont les Turcs font exemts. On ne fauroit confidérer, fans une furprife extréme, les valles & belles Campagnes arrofées de plufieurs Rivières, qui fe trouvent entre Conftantinople, Sc Andrinople, Sc dont la plus grande partie n'eft pas cultivée. II n'y a que la quantité de grains, Sc d'autres denrées, qu'on tire de la Mer noire, qui entretiennent toujours 1'abondance dans la Ville Impériale; oü,malgré la pluralité des Femmes permifesaux Turcs, les Families ne font jamais fort nombreufes. L'abondance de l'Ile de Chypre, non feulement en tout ce qui eft néceffaire k 1'entretien de la vie, mais encore en tout ce qui peut la faire palfer avec douceur & agrément, en a rendu de tous tems les Peuples efféminés & fenfuels. Elle les a même toujours piongés dans une vie 11 oifive, Sc fi voluptueufe, que leur plus grande attention a toujours été a fe bien parer, & a palfer le tems en Feftins, en Danfes , Sc autres DivertüTemens. La NobleiTe, en particulier, y vivoit fi iplendidement, 5 que la magnificence de leurs Buffets, l'abondance, & la délicatefle de leurs Tables, la continuation de leurs Speétacles, & j de leurs Plaifirs, la fomptuofité de leurs Habillemens, de leurs • Meubles, Sc de leurs Equipages, tant en Domeftiques, en 'Chevaux, en Chiens Lévriers, Sc autres, qu'en Faucons ne  de l'ILE de CHYPRE. Liv. II. Ch III. 77, ne cédoient en rien k ceux des Princes. Je puis même affurer, avec vérité, que, bien qu'ils foient devenus efclaves du Ture, ils confervent encore les mêmes inclinations, &, autant qu'il leur eft polTible , les mêmes maximes de falie, de luxe, & de voluptc. Les chaleurs immodérées duClimat font, que les Habitans en général ont toujours été, fi 1'on encroit les anciens Hifioriens, &font encore aujourd'liui d'une taille médiocre, quoiqu'il paroiffe, que, depuis fintrodudion des Turcs, ils'y en trouve quantité qui font fort grands; mais la plupart font plus maigres, que gras, plus bruns, qucblancs, plus difpos, que forts & robuftes. II en eft de même des Femmes, k la referve, que, fi elles étoient autrefois aufli libertines, & débordées que les anciens Auteurs 1'afTurent, elles en font aujourd'liui fi bien corrigées qu'on peut alfurer, que la Pudeur,& la Modeftie ont fuccédé, chez elles,a 1'Incontinence, & k la Débauche. Ce n'eft pas que, dans les Cantons reculés, qui ne font point fréquentés, & oü, par conféquent, le fang a été moins mélangé, il ne fe trouve encore quantité de perfonnes de 1'un, & de 1'autre Sexe d'une blancheur, & d'un embonpoint merveilleux. Ce qui fait conjecturer, que 1'air de ces Endroits a de tout tems été plus fain qu'aux Cötes de la Mer. II faut auffi convenir, que, malgré les appas de la vie licentieufè k laquelle les Chypriots fe font de tout tems abandonnés, lorsque 1'Idolatrie, & 1'Intempérance triomphoient chez eux, plufieurs n'ont pas laiffé, dés ce même tems-lk, de méprifer la Bonne-Chère, & les Plaifirs, pour s'attacher entièrement a la Vertu. Joses, connu depuis fous le nom de Saint Barnabe', fut le prémier, qui, infenfiblek tous ces attraits, abandonna fon Pays, pour fe retirer a Jérufalem. II porta aux p:és des Apötres 1'argent d'un gros Héritage, qu'il poffédoit en Chypre , & qu'il avoit vendu, pour devenir vrai Difciple de Je'sus-Christ. Jean, furnommé Marc, Coufin de Joses, fe convertit com- K 3 me Leur taille médiocre & leur couleur bafanét. Hnbitms des Lieux éloignès de la Mer fort blancs. Saints £f illujlres perfonages de Chypre. Jofes ou St. Barnabé. Jean Marc 'tffa Mère.  78 HISTOIRE GE'NE'RALE Nicanor, un des Jep prémiers Diacres. Mnafon, Difciple dt Apttres. Plufieurs Chypriot Martin. Plufieurs Saiiits Eviqws. Saint Spi ridion,£ vêque de Trémito; me lui, avec fa Mère Marie. Touché des Miracles, qu'il vit faire au Sauveur du Monde en Paleftine, oü il s'étoit retiré quelque tems auparavant, il fe joignit au nombre de lès Difciples, &. devint un des feptante deux. On prétend même, que ce fut dans la maifon de fa Mère, que Je'sus-Christ fit la Cène avec fes Apötres, & que Saint Pierre fe réfugia, lorsque 1'Ange le délivra de prifon. Nicanor, noble Chypriot, prit le même parti, & fut un des fept Diacres, choifis par les Apötres; après quoi, rempli de zèle pour fes Compatriotes, il repaifa en Chypre, pour leur prêcher 1'Evangile, & il y recut la Couronne du Martire. Mnason , Chypriot, fut auffi Difciple des Apötres; comme on r le voit dans divers PalTages des A&es. A 1'imitation de ce Saint Homme, diverfes autres perfonnes de 1'un, Sc de 1'autre Sexe, Sc de toute condition, embraffèrent la Foi Chrétienne, & vécurent avec une modération, Sc une fobriété exemplaires. Sur tout 1 lorfquePAUL Sergius, Proconful Romain, fe convertit. Plufieurs d'entre eux foulfrirent le Martire, avec une conftance admirable, pour la défence de la Foi, comme le témoigne le Martirologe Grec, Sc Romain. 11 y a eu depuis quantité de Saints Evêques, qui l'ont foutenue, aux dépens de leur liberté, & de leur vie; & qui n'ont emploïé tout leur tems qu'a retirer les Chypriots de letir volupté, Sc de leurs erreurs, pour les attirer dans le fein de PEglifè. Saint Spiridion , Evêque de Trémitos, en eft un grand exemple. Ce célèbre Prélat, non content d'avoir donné des preuves écla;- tantes de fon zèle dans fa Patrie, foutint encore fi conftamment la Religion Chrétienne, au Concile général deMicée, en 32?. qu'il confondit un Philofophe, qui embarraflbit les plus lavans, par la fubtilité de fes Argumens. II lui fit fi bien comprendre la réalité de la Foi Orthodoxe, qu'il fe convertit, &embrafia les fentimens qu'il avoit combatus. Saint Epiphane, Evêque de Conftance, ou de Salamine, natif du  de l'ILE de CIIYPRÉ. Llv. II. Cu. ïll 79 du Bourg Marataffe, ne fut pas moins zélé pour la propagatioil de la Foi Catholiqne. II fe diftingua au Concile que le Pape Damase tint a Rome , en 368. ou 69. & alTembla un Synode dans fon Eglife Epifcopale, en 399. pour condamner les Origé-niftes, qui faifoient alors grand bruit; & interdire des Livres de la fauffe Doctrine d'O r1 gen e , déja condamnés par T h e'ofhile, Patriarche & Alexandrie. A n t h e'm i u s, autre Evêque de Salamine, fut encore plus renommé pour la fainteté de fa vie, & pour fes grandes charités, que pour avoir itrouvé en Chypre le Corps de 1'Apötre de St. Barnabe', & foutenu les prérogatives de fon Eglife, contre les Patriarches & Antioche, qui vouloient la foumettre a leur Jurisdiclion. Saint Jean , VAumonier, natif dAmathunte, & Fils d'Epiphanes, Duc, ou Gouverneur de l'Ile, pour les Empereurs de ConJIantinopIe, remplit non feulement fon Pays natal, mais encore les autres oü il palTa, d'exemples fi extraordinaires de charité, qu'il mérita le furnom dAumonier, qui lui eft demeuré. Lors qu'en 1'année 61 o. 1'Empereur He'raclius 1'obligea d'accepter le Patriarchat d'Alexandrie, il ne s'apliqua qu'a y remplir faintement les devoirs d'un Pofte fi éminent, a di-ftribuër fon bien aux pauvres, a corriger les Moeurs de fon Clergé , a abolir la Simonie, & PHéréfie, & enfin, a faire batir des Eglifes, & des Hópitaux. Mais, comme il fut obligé, vers 1'an 616.de quiter la réfidence de fon Patriarchat, pour éviter la perfécution des Hérétiques , & celle des Sarrafins , qui commencoient a fe répandre dans VEgypte, il fe retira dans fa Patrie,' ou il continua toute fa vie a exercer fes grandes charités. II mourut a Amathunte, lieu de fa nailfance, en 620. On -raporte, comme un prodige, & un effet remarquable, de fa fainteté , que les corps de deux Evêques, qui avoient été mis dans .le Tombeau oü il fut dépofé, fe rangèrent, pour lui faire place j au milieu d'eux. C'eft ce qu'affurent Nice'pho re , & Ba- ronius, Anthé mius, Evêque de Salamine. St. Jean l' Aumonier, natif de la Vüle d' Amathunte,  8o HISTOIRE GE'NE'RALE Léonce, Evêque de Limifol. Autres IIlujhrei Per foliages Chrétiens ronius. La vie de St. Jean VAumonier a été écrite par Le once , Evêque de Limifol, & approuvée par le fecond Concile de Nicée. Ce même Le'once, Evêque de Limifol, pénétré des grands exemples d'amour de Dieu, & du Prochain, que lui avoit donnés la vie de St. Jean VAumonier, les imita fi bien, qu'il édifia tous les Peuples de fon Diocèfe par fa piété , par fa douceur a les inftruire lui-même, & par fon infatigable aplication a les affifler dans leurs befoins. II feroit ennuïeux, & même fort dificile de raporter la quantité de Saints Evêques de Plle de Chypre , qui ont gouverné, avec beaucoup de prudence, & une grande fainteté de moeurs, non feulement les Eglifes de ce Pays-la, mais encore celles d"Antioche , & Alexandrie, & de Conftantinople, oü ils ont été appellés par les Empereurs. Ils ont tous également bien rempli les devoirs de leur Miniftère. Paul IVmt: fut élu, malgré lui, Patriarche de Conftantinople, après Nice'tas, vers 1'an 170. George, Archevêque dans le 8m.e Siècle, a mérité d'être mis au nombre des Bienheureux. Un autre George , Patriarchede Conftantinople, en 1234.. a compofé divers beaux Ouvrages de Morale, qui fe trouvent dans la Bibliotèque du Vatican. Un troifième George, ouGregoire, autre Patriarche de Conftantinople, en 1230. fut toujours fi zélé, pour la confervation de la Foi Orthodoxe, & pour la faire obferver dans toute fa pureté, que, malgré fon grand age, le péril, & la longueur des Voïages, il vint en Europe, pour affifter a tous les Conciles qui fe tinrent de fon tems. Ces Saints Perfonnages n'agiffoient pas avec moins d'ardeur, contre les Héréfies, qui s'élevèrent de leur tems. Dans la crainte, que celle des Monothélites n'infecfat leur Pays , ils s'afiemblèrent tous, en 64.3. pour en condamner les erreurs, pour d> fendre  de l'ILE de CHYPRE. Lry. II. Ch. III. 811 fèndre a leurs peuples la fréquentation de ces Hérétiques, «Sc la lecrure de leurs Livres. C'eft ce qui paroit, par une Lettre qu'ils écrivirentau Pape The'odose, qui loua extrèmement leur attention, «Sc leur conduite. Cette Lettre fe trouve auffi dans laBibliotèque du Fatkan. Pour ne point ennuïer leLecleur, je neparlerai point du grand nombre de perfonnes de diftinction de 1'un, «Scde 1'autre fèxe, qui ont embralfé la Vie Monaftique , ou folitaire , «Sc qui onc confumé leurs jours dans un exercice continuël d'auftérité, «Sc de toutes les Vertus Chrétiennes, quoique chacune de ces perfonnes méritat un éioge particulier. Grand nombre d'autres fe font auffi attachées a 1'étude des Sciences; «Sc elles ont laiifé d'excellens Ouvrages. Ascle'piade, qui s'ëtoit attaché a la Médecine, a écrittrèslavamment, fur ce fujet. Ze'non, natif de la Ville de Kef in, ou Citbéon, fut auffi célèbre pour faPhilofophie, que pour avoir fondé la Secle deStoïeiens qui fleurit a Atbènes, oü ce fayant homme fut jetté par une Tempête, «Sc oü il 1'enfeigna. Nicagoras n'a pas été moins renommé pour 1'Hiftoire, comme le témoignent Arnobe., «ScFulgence, quiletitent fouvent. Apollonius , natif de la même Ville de Citbéon, a été le plus favant Médecin de fon tems, «Sc a laiflé divers excellens Traités de Phifique. Dexiphanes excella dans 1'Architeclure. C'eft le même,que la Reine C l e 'o p a t r e emploïa, pour le rétablilfement de la Tour du Pbare 8Alexandrie, «Sc pour la conftruciion d'unQiiai, qui joignoit cette Tour au Continent, dont elle étoit éloignée de plus de cinq-cens pas, ou de fept Stades. C'eft ce qu'en dit Apien Marcelin ; quoique Ce'sar, «Sc d'autres Auteurs affurent, que cé fut Ptolome'e, qui emploïa Dexiphanes, «Sc fon Fils, auffi habileque fon Père, dans FArchitecfure. L De'- Article III. Savans. j Afcldpiade, JavarSt Médecin. Zénon, fa. meux Pbi~ lofopbe. Nicagoras, bon Hijlorien. Dexiphanes, excellent ArcbXtecte.  82 HISTOIRE GE'NE'RALE Démonan, Pb'hfipbe, dont Lucien t« écrit larie, fjf UsMoeurs. F~ortra.it dt Démonan Autre Z non, Ai decin. D e'm o n a n , cet homme incomparable , qui vivoit dans le prémier Siècle de Je'sus-Christ, & contemporain de Luc i e n, qui raporte ce que j'en dis, a été un Philofophe des plus renommés, «Sc un vrai modèle de Vertu Païenne. II étoit natif del'Ilede Chypre, d'une Maifon Illuftre, «Sc opulente; mais,. comme la fublimité de fon efprit furpaflbit fa fortune, il méprifa tout, pour s'adonner a la Philofophie , fans pourtant y être excité par perfonne. Quoiqu'il eüt vécu familièrement avec Agathobule, De'me'trius, Epictete, «Sc Timocrate tVHéraclée, il ne s'attacha a aucune Secte particuliere. II prenoit ce qu'il trouvoit de meilleur en chacune , «Sc laiffa indécis laquelle il eftimoit le plus. II paroit cependant, qu'il faifoit plus de cas de S o c r a t e , que des autres Philofophes, quoiqu'en fon habillement, «Sc en fa manière devivre, il imitat davantage Dioge'ne. D e'm on a n a vécu prés de cent ans. On dit qu'il ne fut jamais, ni trifte, nimalade; qu'il fervoit cordialement fes amis, lorfqu'ils avoient befoin de lui, fans leur être a charge, ni faire tort a perfonne, perfuadé qu'il n'y avoit pas de plus grand tréfor, que 1'Amitié. Lucien raporte, que les Athéniens, «Sc toute la Grèce 1'avoient en fi grande vénération, que les Magiftrats felevoient, lorsqu'il paffoit; que chacun faifoit lilence, lorfqu'il vouloit parler. Dans un age fort avancé, il logeoit indiféremment oü il fe trouvoit ; on s'eftimoit auffi heureux de 1'avoir pour hóte que fi 1'on eüt recu un Dieu; f> r.r% r.c\ r.c\ e'rusalem , qui eft une des plus nobles , 5c ^ill§§l^ des plus anciennes Villes de 1"'Oriënt, Métrog&St ^ P°lej ?33PQRCIRC3 Toseph , au 7e. Livre de la Guerre Judawue. Quelques-uns pretendent, que ce tut par Sem, Fils de NoE;d'autres en attribuent la Fondation a Melchisedec; d'au- M tres Article J. Diverfes Opiniens, fur 1'OrigU ne de Jémfalenj,  I 4 I i Jérufalem livrée aux Barbascs. )6 H I S, T, O I R E G E' N E' R A L E :resveulent,que fon Fondateur ait été Salem, Fils d'Arphaxaï>£ I Salem a jamais été un homme. 11 fe trouve une troifième Opiaion, qui attribue fon Origine aux Jébuféens, Defcendans de Cam. Les Hiftoriens ne s'accordent pas plus, fur les Noms que cette Ville a portés, que fur fès Fondateurs. Le même Joseph, & Egyripe , afTurent, qu'elle fut d'abord appellée Salima ; & qu'après Melchisedec , elle fut nommée Jérofolima : d'autres veulent, que fon prémier Nom fut Salem-, de Salem fon Fondateur; d'autres lui donnent le nom de Sure, en contidération de la quantité d'Amandiers qui y croiffoicnt en ce tems-la, & difent, qu'on ['appella enfuite Béthei, c'eft-a-dire, Maifon de Dieu.-QuelquesLins affirment encore, qu'EUe fut nommée Jébus, des Jébuféens, qui, felen eette opinion, la poffédèrent long-tems, après en avoir chafTé les Enfans de Salem; &que ces Peuples, aïant joint le nom de Jébus a celui de Salem, la nommèrent Jébufalem, Nom qu'elle a retenu jufqu'au tems du Roi David, qui s'en empara, & qui le changea en celui de Jérufalem, qu'elle a confervé jufqu'a préfent; fi ce n'eft durant le tems de 1'Empereur E l i u s Adrien, qui, après 1'avoir renverfée, 6c détruit les Juifs, la fit rebatir, & nommer , de fon propre Nom, Elia. Cependant, quel qu'ait été le Fondateur de cette célèbre Ville, & quelques noms qu'elle ait portés, elle augmenta long-tems fa Domination; &,par une faveur divine, elle fut comblée de toute forte de profpérités. Mais, enfin Dieu, irrité de 1'Idolatrie du Roi Salomon, & de 1'Impieté de fon Fils Roboam, envoïa fur elle, & fur fon Peuple des fléaux, & des punitions terribles. II permit, qu'elle devint la proie de plufieurs Nations barbares & cruelles, qui la faccagèrent, la brülèrent, & la détruifirent prefque entièrement, pillèrent, & prophanèrent fon Temple, enchainèrent, & maffacrèrent fes Rois; & pafTèrent fes Habitans au fil de 1'épée, ou les menèrent en efclavage, fans diftinólion d'age, ni de» fexe. Mais  de JE'RUSALEM. Liv. III. Ce. t pT Mais aucune de ces Défolations, quoique terribles, n'égala celle qu'elle fouftrit fous Titus Vespasien, dont il ya apparence, que Dieu fe fervit pour chatier ce peuple ingrat & impie , qui s'étoit attiré fon indignation, par la perfidie, & la cruauté, avec laquelle il avoit fait mourir ignominieufement le Sauveur du Monde. II eft vrai auffi, que, depuis cet horrible facrilége, leuraveuglement, & leur fureur, devint fi grande, qu'ils ne furent jamais en paix, ni d'accord entre eux; & qu'elle les porta enfin a fe révolter contre les Romains, qui achevèrent de la détruire, avec leur Ville. Caïus Ne'ron , qui gouvernoit alors 1'Empire, irrité de leur rébellion, envoïa d'abord Vespasien, avec une puiflante Armée en Paleftine, pour les exterminer. Ce Général devenu Empereur, dés le commencement de fon Entreprife, en laiffa le foin a Titus, fon Fils, & s'en retourna a Rome, pour s'oppofer a Vitellius , fon Concurrent a 1'Empire. Ce jeune Romain s'aquita très-févèrement de la commiflion que fon Père lui avoit laiffée. II fe rendit maïtre de Jérufalem, après un long & très-rude fiége: il fit démolir cette Ville, jufqu'aux fondemens; de forte qu'a peine en demeura-t-il quelque tracé. II y périt douze cent mille Juifs; & il en refia quatre-vingts dix-fept mille en efclavage. Voila comment cette fuperbe Ville fut détruite, après avoir été onze-cens ans le fiége de la Religion Judaïque ; c'eft ainfi que le Peuple Hébreu, fut privé de fa liberté, & entièrement dépouillé de toute fa grandeur, & de toute fon autorité. On peut dire, que jamais aucune Ville du Monde n'a été plus féconde en Prophètes, & qu'aucune n'en fut plus ennemie. Aucun Peuple ne s'accrut jamais par de plus faints Principes , & aucun ne fut enfuite fouillé de tant de vices, & de tant de crimes,ni plus juftement puni de fes iniquités. Après cette terrible déftruótion, le Roïaume de Judée demeura paifible & tranquile, fous la Domination des Romains, jufqu'au M 2 tems timu Sa démolition, par Titus, Jou Vefpafien Jon Fire. Juifs, révoltés, £y twnis.  }* HISTOIRE GFNE' R A L E Jérufalem rebdtie. Son nom cbange en celui rf'Jilia. Marc, prémier Evêque de Jéïufalem. Profanation des Lieux Saints, par tems cTElius Adrien, fous le Règne duquel les Juifsfireat une nouvelle tentative, pour fecouér le joHg. Mais, leur entreprife, & leur témérité furent bientöt punies, par le nouveau maffacred^uneinfinité d'entreeux, & la déftruétion prefqu'entière de leur Pays. Ge fut alors, que cet Empereur fit rebatir la Ville de Jérufalem, fur les ruïnes de la prémière. Afin qu'il ne reftat aucune mémoire des noms qu'elle avoit portés auparavant, il la fit appeller Elia, felon Euse'be. Ce Prince défendit exprefïément aux Juifs, non feulement d'y entrer, mais encore de la regarder de loin,. tant il. avoit concu de haine contre ce Peuple rébelle. Comme, fur les remontrances de Quadrat, Evêque cVJthènes, & du Philofophe Aristide, Adrien avoit cefle de perfécuter les Chrétiens, «Sc promis de ne les punir, que pour cri-; mes, «Sc non pour leur Religion , «Sc qu'il en - alloit un grandnombre en Pélerinage a Jérufalem, pour vifiter les Lieux oü les Miftères de notre Rédemption s'étoient accomplis, il leur accorda cette Ville, 1'an 138. afin qu'ils la repeuplaffent. Elle* commen9a bientöt a refleurir, «Sc eut alors Marc pour Evêque; & ce fut le premier des Gent ils Chrétiens, qui gouverna eette Eglife... L'efprit de Haine , & d'ldolatrie , dont Adrkn, «Sc lesEmpereurs Romains , qui 1'avoient précédé , étoient poffédéscontre les Chrétiens, le porta, malgré la donation qu'il leur avoit feite peu auparavant, de la Ville de Jérufalem, a y fairetriompher fTmpiété, dans les Lieux les plus Saints: ce que 1'Ecriture appelle rahomination, £«? la défolation. Car il érigea tin Temple a Jupiter, fur le Calvaire, «Sc un autre a Adonis en Bethléem, «Sc des figures de Porcs, fur les portes de la Ville de Jérufalem, en dépit des Juifs, qui ont cet Animal en horreur. Ces Monumens infames ont fubfifté jufqu'au tems de Gonstantin Ie Grand, qui les fit décruire, .«Sc batit des Eglifes en leur place. La  1 d> JE'RUSALEM Liv. IIT. Cu. I. 93 La même Idolatrie pouffa les SuccefTeurs d'Adrien a inquiéter, & a perfécuter de nouveau les Chrétiens. lis fouffrirent des perfécutions infinies fous les Règnes cPAntonin , de Commode Se've're, de Maximin, de Vale'rien, d'Aure'lien, & de Diocle'tien. Leurs tourmens ne fe terminèrent que par la Con ■ < verfion de 1'Empereur Constantin, qui donna enfin la paix & la tranquilité aux Chrétiens; & ils en jouïrent jufqu'au tems de j Ju li en VApoflat. Cet impie, au mépris du Chrïftianifme, \ fit ouvrir par tout les Temples des Idóles; «Sc, non content de favorifer ouvertement le Paganifme, il permit- aux Juifs de retourner a Jérufalem, «Sc même de rétablir le Temple de S alomon, pour y facrifier felon leurLoi, ce qu'ils ne purent pourtant exécuter: car, pendant qu'ils travailloient a cet Edifice, il furvint un Tremblement de Terre, qui renverfa, non feulementce qu'ils ] avoient fait de neuf, mais encore tout ce qui refloit des fonde- : mens de ce célèbre Temple.- Divers autres Prodiges, qui arrivérent dans le même tems, étonnèrent tellementles Juifs, qu'ils furent obligés d'abandonner entièrement le deffein de relever.ce Sanótuaire. Ils donnèrent auffi beaucoup de réputation, «Sc de courage aux Chrétiens, qui, loin d'en être furprisles regardèrent comme des effets de l'AiTiftance Divine, qui les délivra de la douleur, de voir un Peuple réprouvé polïeffeur de ce Saint Lieu. Ils vécurent enfuite avec aflez de repos, «Sc de tranquilité, fous les Empereurs Grecs, jufqu'au tems du cruel, «Sc vicieux, Phocas. Cosroes, R.oïc\qPerfe, irritédelaperfidie qu'avoit eue ce Tiran, , d'ufurper 1'Empire, «Sc de faire mourir 1'Empereur Maurice, «Scfes • Enfans, fe mit a la tête d'une puiflante Armée, avec laquelle, •> après avoir fubjugué la Méjopothamie, il entra Viclorieux dans la \ Syrië, qu'il mit entièrement a feu «Sc a fang. 11 traita de même la j Ville de Jérufalem, apres favoir prife par force.- II viola lès cbofès-facréis «Sc profanes. II eut Finhumanité de faire pafler trente-fix mille, Perfonnes, ou felon d'autres, quatre-vingts dix-mille, au fil M 3 de ionftan:in fait :ej]er la lerfécutitm les Chróiens.311. ïfiorts 'nntiles les Juifs, tour reMtir e Temple de Jalomoir. ^ofrocs ïoi de °erfe, mnge la ion de daurice, uê par 'hocas. ■  ANNE'E deJ.C. 614. Héraclius, Succeffeur de Phocas. 618. Révolte des Sarrafins, contre Hóradius, livré a fes plaifirs. Etimokgie dnnomdes Sarrafins. Chrétiens tributaires dei Sarrafins. 94 HISTOIRE GE'NE'RALE de 1'Epée. Chargé de Ia dépouille de ces peuples, & d'une inflnité de prifonniers, il s'en retourna en Perfe, oü il emporta même le Bois Sacré de la Croix, qui y demeura quatorze ans. He'raclius aïant enfin fuccedé aPüOCAs, & défait, dans une Bataille, F Armée de Cos ro es, qui, peu après, fut tué luimême par Syroes, fon Fils, recouvra facilement tous les Etats de 1'Empire, que le Perfan avoit occupés, auffi bien que le Bois de la Croix, qui lui fut rendu par accommodement. 11 le remporta en triomphe a Jérufalem , & le remit folemnellement fur le Calvaire, au même endroit oü Ste. He'le'ne 1'avoit autrefois placé; & il ordonna a 1'Evêque Modeste, de rebatir 1'Eglifè qui avoit été renvedée; Heureux, fi aprés cette heroïque & pieufè Action, II e'r a c l 1 u s ne s'étoit pas fi fort abandonné aux plaifirs! L'oiliveté lui fit négliger entièrement les affaires de 1'Empire; & donna occafion aux Sarrafins, Peuples errans d'A?'abie,dont une partie étoit a fa folde, de fe révolter, faute de payement. Cet effaim de Vagabonds fe répandit, comme un furieux Torrent, dans les Provinces $ Egypte , de Syrië , & de Paleftine, dont ils fe rendirent maitres ; &,par conféquent, de la Sainte Cité, lorfque 1'Evêque Modeste commencoit a faire travailler au Saint Sépulere. La Perfe fut auffi fubjuguée par ces Peuples cruels, & fauvages. Comme ils avoient des prémiers embraffé la Loi de Maiiomet , ils avoient aufli réfolu de 1'accroitre, par la force de leurs armes. Ils portoient tantöt le nom cVIfmaè'lites, & tantöt cVAgaréens; & fe difoient defcendus d'IsMAEL, Fils d'Abraham, & d'agar. Cependant, après leur Conquête, ces noms leurparurent peu honorables; & ils s'aviferent de prendre celui de Sarrafins, de Sara Femme légitime de ce Patriarche. Quelques-uns attribuent 1'Etimologie de leur nom a celui de leur Ville capitale, qui fe nommoit Sarac. Qiioique ces Barbares fulTent fort zélés pour le Mahométifme, & qu'ils eufient dans le commencemet fort maltraité les Chrétiens de la Terre Sainte, ils fe radoucirent enfuite; & moïennant un tribut, ils leur permirent de rétablir leurs Eglifes,  de JE'RUSALEM. Liv. III. Ch. I. 0j Eglifes, d'avoir un Evêque, «Sc d'exercer leur Religion. Tous ces Privileges n'empêchèrent pas 1'Eglife de Jérufalem de fouffrir de grandes tribulations, fous la dure Domination dé ces Infidèles. ] Aron Roi de Perfe, «Sc qui étoit leur Calife, lauTa enfin refpirer les Chrétiens en paix, «Sc leur donna le tems de fe rétablir de leurs calamités pafTées. II en ufa ainfi, par 1'eftime qu'il avoit pour 1'Empereur Charles-Magne , auquel même ce fuperbe Sarrafm avoit envoïé des Préfens confidérables, malgré le mépris qu'il faifoit de tous les autres Princes de la Terre. Les conteftations qui s'élevèrent après la mort de ce Prince entre les Sarrafins & Egypte, «Sc ceux de Perfe,pour la différence qui s'étoit glifiee parmi eux, au fujet de leur fauffe Croïance, allèrent fi loin, qu'ils en vinrent a une guerre ouverte entre eux. Cela replongea les Chrétiens de Jérufalem dans de nouvelles défolations , par raport aux fréquens changemens de Domination, qu'ils éprouvèrent alors, fe trouvant tantöt fujets aux Perfes, & tantöt aux Egyptiens, felon que les uns, ou les autres, demeuroient victorieux, ou vaincus. Après une longue «Sc fanglante Guerre, les Egyptiens eurent enfin le defliis , «Sc s'emparèrent de tout le Pays , jufqu'a Antioche. Ils laifsèrent pourtant encore goüter aux Chrétiens quelque tranquilité. Mais, foit que Dieu voulüt fouvent les éprouver, ou que la Judée fut deftinée a des troubles, & des rava-, ges continuels, ils fouffrirent des perfécutions beaucoup plus \ terribles, que toutes les précédentes, fous le Règne du Calife ■ Equen. Ce fcélerar, qui étoit né d'une Mère Chrétienne, apréhendantque fes Sujets ne le cruffent pas véritable Dilciple de Hali leur grand Prophéte, commen^a d'abord a les traiter avec beaucoup de févérité, & enfin a les perfécuter cruellement, dans 1'efpérance, que fa conduite rigoureufe, envers les Chrétiens, feroit perdre aux Sarrafins tous les foupcons qu'ils pourroient avoir de lui. Cet Impie ne fe contenta pas des maux infinis qu'il leur faifoit 808. Chrétiens de Jérufalem , expofésalaviciffitude dg diférentes Dominations. Perfécution {es Chréiens/ow le 3alife Eluen. 10 u.  9& HISTOIRE GE'NE'RALE 1044. Le Calife, ii la prière de ConftantinMonomaqnc,s'adoueit. Svmm; conJidérabb , faurnie par le Omverneur de CnypT", pourk St. Sépulcre. foit fouffrir, il eut encore la fureur de faire renverfer le Teitw ple du Saint Sépukre, dont le vénérable Oreste , Frère de la Mère de cq Calife, étoit Evêque. CeSanccuaire demeura 37. ans dans ce déplorable état; malheur qui fut encore plus infuportable a ce pauvre Peuple, que la perte de fes biens, & de fa liberté. Malgré la douleur qu'ils refTentirent, de la déflruécion de ce facré Monument, ils ne purent le rétablir, que dans le temque Constantin Monomaque gouvernoit 1'Empire de Conflantinople. Us lui députèrent Jean Carrianithe, Homme d'une fainte yie, qui agit avec tant d'ardeur, &d'efficace, auprès de ce Prince, qu'il fe rendit enfin a fes inftantes prières. Daber, ou Abqumentor Elmoritensab , Calife d'Egypte, confentit a le faire rebatir; & il eut même la genérofité, felon quelques Auteurs, de faire relever ce Temple, a fes propres dépens. D'autres difent, qu'il ne fit qu'en accorder la permiffion aux Chrétiens; & que ce furent eux-mêmes qui le rébatirent, aufïi bien que les autres Eglifes de Jérufalem, vers 1'année 104.4.. Guillaume de Tyr afTure pourtant, que ce Prince charitable, touch des mifères , & des fouffrances des Chrétiens, qui habitoient dans qette Ville, e. de Juillet, & palfa au fil de 1'épée tous les Egyptiens,. qui s'y trouvèrent. Voila comment les Chrétiens , qui y habitoient, parmi les Infidèles, furent délivrés de la fervitude, dans laquelle ils vivoient depuis ü\ long-tems, & fe remirent en poffeffion des biens qui leur apartenoient. On en trouva même plufieurs chargés de fers, dans des Prifons obfcures.. Le bon Gerard, Reóteur de 1'Höpital, étoit de ce nombre. Ce vieillard ne fut pas plutöt en liberté, qu'il alla , avec fon zèle ordinaire, prendre les Soldats malades, ou bleffés. II les traita avec tant de foin, & d'affeccion, que Godefroi de Bouillon, pour récompenfer fa charicé, & affermir une Maifon, dont il reconnut 1'utilité, lui fit a perpétuité Donation d'une Maifon fondée a Montboize, dans Ia Montagne froide, avec toutes fes. terres & dépendances. Cette T)onation eft, la prémière que 1'on trouve avoir été faite a PHöpita] de St. Jean de Jérufalem. Ce généreux Prince lui donna encore des biens plus confidérables; &, a fon imitation, les autres Princes Chrétiens 1'ont enrichie de tant de beaux Revenus. & les Papes de tant de Priviléges, & d'lndulgences, que la prémière Nobleffe de VEurope a fait gloire d'entrer dans 1'Ordre Militaire, qui s'en eft formé dans la fuite, & qui fait aujourd'liui fa réfidence a Maltbe. Les Seigneurs Croijés, après avoir rendu de trés-humbles graces a Dieu, qui venoit de les faire triompher fi glorieufement des ennemis de fon faint Nom, & après avoir fait purilier la Ville des horreurs& des maffacres, dont elle avoit été remplie, s'affemblèrent, pour donner un Roi a Jérufalem. Godefroi de Bouillon, qui avoit eu la meilleure part a fa Conquête, fut élu,d'un commun confentement,& élevé, a cette haute Dignité. Tous les Hiftoriens ctnviennent, quejamais Elec- O 3 tior Tous lis Egyptiens de Jéruf'.lem paf és au fil da ïépée. Délivmnce des Chrétiens captifs. . Prémière Donation' faite a l'Hópital deSt.] :an de Jérufalem. Godefroi de Bouillon, Roi de Jérufa ■ lm.  iio HISTOIRE GE'NE'RALE IIOO. Sa modejiii Mort de Godefroi tion ne fut plus univerfellement applaudie; jufqifaux moindres Soldats de PArmée donnèrent des marqués de leur fatisfaccion. Ce vaillant, «Sc pieux Prince fe dcfendit modeftement d'accepter cette Dignité, & n'y confentit qu'aux inftantes prières de toute 1'Armée. Les principaux Seigneurs aïant enfin vaincu fa réfiftance, il fut conduit dans le Temple du St. Sépulcre, qui, depuis que la Ville avoit été rebatie par 1'Empereur Adrien, fe trouvoit, comme nous venons de le dire, dans fenceinte des Murailles. Ce fut dans ce Sanébuaire refpectable, que Godefroi fut folemnellement proclamé Roi de Jérufalem, le 23. de Juillec , huit jours après la prife de cette Place. Mais il refufa ablblument de prendre la Couronne d'or, qu'on . lui prefenta, proteftant qu'il n'en porteroit jamais de ce métal, dans un lieu, oü le Sauveur du Monde, «Sc le Roi des Rois n'en avoit porté qu'une dVpines. Bel exemple de Mod ration Chrétienne, dans laquelle ce grand Prince perfévéra jufqu'a la mort, qui, au grand regret de tous les Chrétiens, 1'enleva, un an moins cinq jours, après fon élévation fur le Tröne. Ce ne fut pas fans raifon, que les Chrétiens reffentirent fi vivement la perte de leur Souverain; les grandes acfions de vertu, «Sc de valeur qu'il avoit faites, pendant la courte durée de fon Règne, étoient trop mémorables, pour qu'ils ne pleuraffent pas amèrement un Prince fi digne d'être regretté. Les belles Loix, & les fages Ordonnances qu'il avoit d'abord établies, qui ont toujours été obfervées depuis, «Sc ont fervi de règle a fes Succefièurs, fous le nom dAfpfes; le courage liéroïque, avec lequel il alla a la rencontre de l'Armée Egyptienne, qui s'avancoit, pour afliéger Jérufalem, «Sc qu'il défit prés dAfcatone, malgré ï'inégalité de fès forces; enfin, cent autres faits de piété, «Sc de prudence, caufoient les juftes regrets de fes Peuples. II avoit fondé deux Chapitres de Chanoines, 1'un dans 1'Eglife du Temple, «Sc 1'autre dans celle du St. Sépulcre. Ces derniers furent faits, dans la fuite, Chevaliers de POrdre Militaire du St.  de JE'RUS ALEM. Liv. III. Qi. III. u% St. Sépulcre, par Baudoin I. Godefroi .avoit auffi fait batir un Monaftère, dans la Vallée de Josaphat. II avoit nommé Elibert, Evêque de Pijé, «Sc Légat du St. Siége, au Patriarchat de Jérufalem, «Sc avoit établi des Evêques dans les autres Villes, qu'il avoit conquifes. II avoit fait fortifier Ie Port de Jaffa, comme le plus voifin de Jérufalem, afin d'ailurer ia Ville de ce cóté-la. Enfin, on peut dire, que ce Prince,qui poffédoit toutes les Vertus Chrétiennes, Civiles, «Sc Militaires, n'oublia rien, pour affurer ce Roïaume aux Chrétiens , qui avoient eu Pavantage d'en chafTer les Infidèles. Sa mort fut une perte irréparable, tant pour les Chrétiens d''Oriënt, que d'Occident. II fut inhumé dans une Chapelle de 1'Eglife du St. Sépulcre, oü il avoit choifi fa Sépulture, qu'on voit encore aujourd'liui, a cóté du Tombeau de fon Frère Baudouin, Comte dCEde/fe, qui lui fuccéda, & qui, moins fcrupuleux que lui, fe fit couronner, & facrer le jour de Noël, de 1'année lïói. dans PEglife de Bethléem, par le Patriarche Elibert, qui avoit fuccédé a Simeon, Patriarche Grec, mort en Chypre, pendant le fi ge de Jérufalem. Arnoul, qui avoit été élevé a cette Dignité, par des brigues, n'a point été mis dans ce Catalogue. 'baudouin, qui poffédoit auparavant le Comté d'EdeJfe, s'en démit d'abord, en faveur de Baudouin du Bourg, fon Coufin, & donna a Hugues de St. Omer, Homme Illuftre, «Sc grand Capitaine, la Ville de Tibériade, que Tancrede venoit de lui réfigner.Ce dernier, par une générofité extraordinaire, renoncavolontairement au Comté de Caiffay$c a la Principauté de Galilée, que Godefroi lui avoit données a perpétuité, tant pour lui, que pour fes Defcendans, pour récompenfer fon mérite, & les grands fervices qu'il lui avoit rendus. Tancrede, Homme droit & généreux, préferant le point d'honneur a 1'intérêt, «Sc ne pouvant oublier une injure qu'il avoit recue Ja t3 . TTr\r\TTTv h Thvsirp Vil!pdp.CMcie* aima mieux abandonner UCU.lUUUUin tv i. i nvv , . ...w j ees Sei^neuries, que de s'engager, par aucun berment ae n- deii^ Ses rar'i qualités, nor. Baudouin, Frère , £p Succejejr de Godefroi,  ii2 HISTOIRE G E' N E' R A L E Vrije de Jtitïeurs Fi.lss, par Baudouin délité, avec une perfonne qu'il ne pouvoit aimer fir.cèrement. II prit le parti de fe retirer a Antioche, oü les Habitans de cette Ville 1'avoient appellé, pour lui en donner le Gouvernement, auffi bien que de toute la Province, jufqu'au retour de Boemond, leur Prince légitime, qui fe trouvoit captif chez les Infidèles. Cependant, le Roi Baudouin,qui étoit très-vaillant, & grand Homme de guerre, k 1'imitation de Godefroi fon Frère, s'apliqua d'abord a faire quelque Entrèprife fur les Infidèles, pour tacher d'ctendre la Domination des Chrétiens. II fut fi heureux dans fes prémières Expéditions, qu'il prit fur les Barbares les Villes dAntipatride, & de Céfiarée. II défit leur Armée en bataille rangée, auprès dAficalone, oü ils eurent jooo.Hom. mes de tués. II étoit en état de pouffer fes Conquêtes, s'il ne les avoit pas pourfuivis, avec trop de chaleur, dans la Plaine de Rama. II y perdit fes meilleures Troupes, & a peine put - il fe fauver lui fixieme dans la Ville de ce nom. Néanmoins, pour réparer cette faute, & ne point donner aux Ennemis le t ems de profiter de fa difgrace, il aflèmbla fi promtement les Troupes, qui fe trouvoient en garnifon dans les Villes de fa dépendance , qu'il les furprit, & les attaqua fi brufquement, au milieu des réjouïlfances qu'ils faifoient, pour leur Vicloire, qu'il les mit en déroute, & les obligea d'abandonner tout leur Bagage. Ce Prince, affifté de la Flotte des Génois, prit enfuite les Villes de Ptolomaïde, daSidon, de Baruth, & fe rendit enfin maitre de toute cette Cöte jufqu'a Tripoli, a la réferve de la célèbre Ville de Tyr. II fit auffi batir la FortereiTe de Montréal, afin d'empêcher les courfes des Arabes, du cöté du Défert; & apres avoir confidérablement augmenté la gloire, & la réputation des Armes Cbrétiennes, en Oriënt, & joint au Roïaume de Jérufalem plufieurs grandes & belles Villes, il mourut de Ia dilfentciïe, après dix-huit ans de Règne, fans laifler aucun En-  de JEHUSALEM. Liv. ïlt. Ch. III. 113 Enfant de fes deux prémières Femmes, non plus que d'ADE'laïde, Veuve de Roger, Comte de Sicile, avec laquelle il fit une troifième alliance, après avoir répudié la Fille de Tafroc, Prince d'Arménie. Mais il ne fut pas plus religieux, a 1'égard d'ADE'laïde , qu'il renvoïa auffi en SkHexaprès avoir jouï trois ans de fa compagnie. II prit pour prétexte de ce divorce un remordde confcience, & le confeil de quelques Religieux, quoique ce ne fut en effet, que pour demeurer maïtre abfolu des grandes richeffes que cette PrinceiTe lui avoit aportées en Mariage, & dont il ne lui rendit aucun compte, en la renvoïant. C'étoient cependant les groffes fommes qu'il en avoit reeues, qui 1'avoient mis en état de faire tous ces grands progrès fur les Infidèles' car, avant la venue de cette Dame, il avoit bien de la peine a entretenir fes Troupes. Latromperie, Pinjuftice, & Faffront qu'il fit a cette PrinceiTe furent généralement défaprouvées de tous les gens de bien, ternirent beaucoup la gloire de fes belles aétions, & portèrentun grand préjudice a la Terre Sainte, Roger, Fils d'ADE'laïde, & Roi Sicile, avec tous fes Sujets, concurent tant de dépit de 1'injure qu'elle y avoit recue, qu'ils ne voulurent plus affifter ce Pays-la, & furent toujours depuis infenfibles aux misères des Chrétiens, qui 1'habitoient. -Le Corps de Baudouin, comme nous 1'avons dit, fut mhume ; dans une Chapelle de 1'Eglife du St. Sépulcre, a cóté de celui de Godefroi, fon Frère, Fan 1118. qui fut remarquable, par la mort de plufieurs grands Princes, entre autres du Pape Pascal II. auquei fuccéda Ge'lase II. & d'ALEXis Comnène, Empereur de Conftantinople, qui avoit fi fort traverlé les Chrétiens, & nui a leur Armée, qui avoit paffé fur fes terres, pour aller a la Conquête de Jérufalem. Cette Ville fut en même tems privée de Ge'rard,Reóteur de FHöpital,qui mourut après avoir édifié tout le peuple, par la grande charité qu'il y avoit exercée, tant a leur égard, qu'envers tous les Étrangers, qui y abordoient. Les Frè- P res ?a Sêpu!tu ■e 1118.  ii4 HISTOIRE GE'NE'RALE Baudbuin, Comte d'EdelTe, monte fur le Tróne. H eft fait prifonnier. res de cette Maifon, dont le nombre s'étoit fort augmenté, élurent en fa place Raymond de Podio, ou du Pui, lequel a été le prémier, qui ait porté le nom de Maïtre de 1'Hópital, & celui qui en a établi la Régie. Comme le Comte Eustache, autre Frère du grand Godefroi, & du Roi Baudouin, fe trouvoit en Europe, & que le Roïaume avoit befoin d'un Souverain, pour le maintenir, par fa préfence, en Pétat oü il étoit, & pour le défendre de 1'invafion des Infidèles toujours prêts a 1'attaquer; les Barons, & les Seigneurs de cet Etat élevèrent d'abord fur le Tröne Baudouin du Bourg, Comte d'Edeffe, qui, a fon avènement, céda a fon tour cette Seigneurie a Josselin de Courtenai , fon Parent. En effet, les Sarrafins, Sc les Turcs, qui ne pouvoient, fans jaloufie, voir Jleurir les Etats que poffédoient les Chrétiens, faifoient des courfes continuelles, pour les inquiéter, particulièrement dans la Province d''Antioche, & dans la Comté d:'Edefie. C'eft ce qui obligea le nouveau Roi de fe mettre promtement en Campagne, pour aller fecourir cette prémière Place, qu'il eut le bonheur de délivrer, II remporta ime Victoire complette fur fes Ennemis,qui Paffiégeoient: mais il ne fut pas fi heureux,quand il voulut fecourir le Comte Josselin, qui étoit ailleurs fort preffé par les Turcs. II s'avanca, pour le foutenir, 6c fut furpris parun des Chefs de cette Nation, nommé Balac, qui le fit prifonnier, & le conduifit dans une FortereiTe, oü il tenoit déja le Comte d?Edeffe, avec un de fes Parens, qu'il avoit pris peu auparavant. Quoique la captivité de ces deux Princes intéreffat tous les Chrétiens de hFak/iine,&c qu'elle dura même prés de quatre ans, elle n'aporta aucune altération aux affaires du Roïaume de Jérufalem, par les bons ordres,& la vigilance des Seigneurs de S/don, & de Céfarée. Le prémier repoufia les Infidèles, qui, pour profiter de la prifon du Roi, avoient afliégé la Ville de Jaffa; & le Comte de Céfar ée fe fervitfi utilement de la Flotte Vénitienne, qui avoit  de JE'RUS ALEM. LIr. III. Ch III. nj avoit déja batu celle des Sarrafins, qu'il fe rendit maitre de la Ville de Tvr, fi fameufe, & fi renommée dans 1'Hiftoire. Ces avantages, joints au bonheur qu'eurent enfuite les Chré-s tiens, dedéfaire 1'Armée des Turcs, qui avoient affiégé Antio-g ^kjprocurèrent enfin la liberté du Roi, en 1'année 1124. Ce Prince fe vangea bientöt après, de ce qu'il avoit foufert pendant fa captivité. II attaqua les Infidèles de tous cötés, & remporta des Victoires confidérables fur les Sarrafins d''Egypte, fur les Jfealonites, fur les P erf ans, «Sc fur ceux de Damas, qu'il alla même attaquer jufque dans le fein de leurs Etats. Enfin, après avoir donné des marqués extraordinaires de valeur, de probité, '& de conftance, pendant trois ans que dura fon Règne, il mourut a Jérufalem, au mois d'Aoüt, 1'an 1131. II laiffa de fon Mariage avec Morphie, Fille de Gabriel, Prince de Mèlétine en Arménie, quatre Filles, dont 1'aïnée , nommée Me'liseVe, fut mariée a Foulques, Comte dAnjou, qui lui fuccéda a la Couronne; Alix, qu'il maria a Boemond, Prince d'Antioche; Hodierne, qu'il donna a Raymond , Comte de Tripoli; «Sc Liesse, ou Juvre'e, qui fe fit Religieufe. Ce Prince fut inhumé auprès des Rois fes PrédécefTeurs, «Sc fut autant regretté de fa Familie, que de tous fes Sujets. Ce fut fous le Règne de ce Prince, que 1'Ordre des Templiers prit naiffance. Comme je ferai obligé d'en parler fouvent, dans la fuite de cette Hiftoire, il eft a propos de raporter ce qui donna lieu kleur EtabliiTement a Jérufalem, comme je Pai déja fait de celui de YHópital. Les Chevaliers de ce dernier, dont le nombre s'étoit fort accru, avoient pris les Armes quelque tems auparavant, tant pour efcorter les Pélerins, qui y venoient, pour vifiter les Saints Lieux, que pour affifter les Rois, dans les guerres continuelles, qu'ils avoient a foutenir contre les Infidèles. La profpérité des Hojpitaliers fit naïtre a quelques Gentilshommes Franpis,quiy étoient venus en Pélerinage,le deffein de fe dévouër au même exercice. Les principaux furent Hugues de Pagan, & p 2 Geo- m élarijfement. 1124. 1131. Drigine de 'Ordre des remsliers.  n6 HISTOIRE GE'NE'1 ALE Geofroi de St. Admar, ou St. Omer, avec fept autres, dont on ne trouve pas les noms. Ces pieux Chevaliers, autorifés par le Patriarche, auquel ils avoient communiqué leur deiTein, ne s'attachèrent d'abord qu'a aiTurer le chemin aux Pélerins, depuis le Port de Ja fa jufqu'a. Jérufalem, ou ils étoient fouvent dé vali/cs, & même quelquefois aiTaffinés, par les Arabes. Le Roi Baudouin 3admirant leur zèle, leur permit,quelque tems après, d'liabiter dans le Palais qu'il avoit auprès du Temple, d'oü leur vint le nom de Templiers. Ils furent neuf ans, fans que le nombre en augmentat,ni qu'ils portalTent,fur leurs habits,aucune marqué dè la profeffion qu'ils avoient embralTée. Diverfes perfonnes s'étant jointes a eux formèrent enfin une Communauté, que le Pape Honorius II. & le Concile de Troie approuvèrent. Ce fut alors, qu'on leur ordonna de porter le Manteau blanc, & de vivre felon la Règle que. St. bernard.leur dreffa, par ordre du même Concile. Huit ans après leur Etabliffement, le Pape Euge'ne ajouta Ia Croix rouge, fur leur Manteau blanc. La vertu, & lapiété de de ces prémiers Templiers fit,que tous les Princes Chrétiens s'empreffèrent a les enrichir, comme ils 1'avoient fait, en faveur des Hofpitaliers. Plufieurs perfonnes de diftinccion entrèrent dans leur Ordre, de forte que 1'Archevêque de Tyr, qui eft un des principaux Auteurs que j'ai fuivis,pour tout ce qui regarde les affaires du Roïaume de Jérufalem, dit que, de fon tems, ils étoient déja 300. Chevaliers, fans compter un grand nombie de Frères Sèrvans. Comme leur Religion s'augmentoit tous les jours, en biens & en hommes, a 1'imitation des Hofpitaliers, ils s'armèrent pour fecourir les Rois de Jérufalem ,.lefquels dès 1'an 11 zo. avoient divifé leur Communauté en trois Ordres. Les prémiers étoient Chevaliers, &deftinés pour la guerre; les autres Frères Servans, emploïés a recevoir les Pélerins, les foigner, & lestraiter, auffi bien.que les Malades; & les autres Eccléfiaftiques, pour deiTervir leur Eglife, & adminiftrer les Sacremens. Cet  de JE'RU SALEM Liv. III. Ch. Hl; -Mf Cet Ordre Militaire, qui avoit été approuvé par Pafcalll. «Sc . par les autres Pontifes, fes SucceiTeurs, portoit une Croix dArgent, au Champ de Gueules. Ceux du Temple, qui portoient un Manteau blanc, avec une Croix rouge, pour fe diftinguer dans les Guerres contre les Infidèles, prirent une Enfeigne noire «Sc blanche, &pour Devife le mot Vaucent, voulant faire entendre, qu'un d'eux en valoit cent.. Ces deux Religions ont rendu de trèsgrands fervices, non feulement aux Rois de Jérufalem, mais encore a tous les Princes Chrétiens de V Oriënt. ■ * Cependant, Foulques, Comte dAnjou, qui, en vertu des f droits de la PrinceiTe Me'lisexne, fa Femme, fucccda au Roi a Baudouin , fon Beau-Père, fut couronné Roi de Jérujalem. Ce \ Prince, qui n'avoit pas moins de valeur, «Sc de générolicé que fes PrédécelTeurs, commencapar défendre la Principauté $ Antioche de Pinvafion des Turcs, qui faifoient des efforts continuels pour s'en emparer.. Afin de la conferver a Constante, Fille de Boemond, qui en étoit la légitime hèritière, «Sc renverfer les projets de fa propre Mère, qui vouloit Ten exclurre, il maria-cette jeune PrinceiTe aRAYMOND, Fils du Comte de Poitiers. Comme ceieune Seigneur fe trouvoit a la Cour du Roi ÓAngkterre, Foulques lui envoïa Ge'rard Ge'bert, Chevalier de ïHópital, pourtraiter cette Alliance.. ■ . Dans le même tems, ne pouvant foufrir que les Chrétiens, qm polTédoient plufieurs Villes, «Sc FortereiTes plus éloignées quAJcalone, fiüTent tous les jours inquiétes, par les courfes de la Garnifon que le Calife $ Egypte tenoit dans cette Place, il fit rétablir «Sc fortifier Pancienne Ville de Berfabée, que les Infidèles nommoient BeithGébril, ou Maifon de Gabriel , «Sc que les Chrétiens appelloient Gcbellin, fituée a Poppofite dAfcalone. H en confia la garde aux Hofpitaliers, afin que, par. leur vigilance,«Sc leur valeur,, ils réprimalfent Pinfolence des Barbares, qui s'avancoient quelquefois jufqu'aux portes de Jérufalem. ' Berfabée étoit autrefois fur les Frontières de la Terre de Pro- P3j wifi oulques, 'omte 'Aniou, loi de Jénfalem; • Situatlofl" de Beifii-  n8 HISTOIRE G E' N E' R A L E hée, rétaiiie par Foulques. Terres des Chrétiens, ravagées par les Barbares. mijfwn, du cöté du Septentrion, comme Dam, Panée, & Céfarée ÓQ^Pbiüpe la bornoient du cöté du Midi; ainfi que le marqué rAncien Tefiament, en parlant de cette Terre, qui s'étendoit depuis Dam jufqu'a Berfabée. Le Roïaume n'étoit pas moins inquiété de 1'autre cöté, par les ravages qu'y faifoient un grand nombre de Brigands des Pays de Moab, d\4mon, & deGa/aad. Ils s'étoient fortifiés, dans une Grotte au-de-la du Jourdain, qui n'avoit d'autre accès qu'un petit fentier, coupé dans le roe a force de cifeaux; ce qui le rendoit prefque impraticable, & inacceffible. LeRoi, affifié des Hofpitaliers * & foutenu par Th e'o do me, Comte de Flandres, fon Gendre, qui venoit d'arriver en Paleftine, avec une groile fuite de braves Soldats, fe mit en campagne, pour en duffer ces Voleurs; mais il les trouva fi bien retranchés, & munis, que, pour venir a bout de fon entreprife, il fut obligé d'appeller les Garnifons des Places voifines; ce qui penfa lui être bien funefte. Les Turcs, informés de fon Expédition, & du dégarniflement de fes FortereiTes, s'aiTemblêrent en diligence, & pafsèrent le Jourdain, pour s'aller jetter fur le Pays des Chrétiens, vuide de gens de Guerre. Ils commencèrent leurs ravages par Teccua, autrement appellée la Fille des Propbètes, qu'ils trouvèrent déferte, paree que les Habitans découragés, en fe voïantprivés de ceux qui étoient capables de faire tête aux Barbares, 1'avoient abandonnée, au bruit de leur approche. Ils brülèrent, & faccagèrent, avec la même facilité, tous les autres Bourgs, & Villages de la Montagne, ou Province, qui étoit autrefois le partage de la Tribu de Jüda. Les Barbares, animés par ces avantages, auroient fait de plus grands maux, & ruïné plufieurs autres Lieux, fi Robert Bourguignon, alors Maitre des Templiers, qui étoit refté a Jérufalem, oüil aprit la défolation de ce Pays, ne fe fut promtement mis en campagne, avec fes Chevaliers, & le plus de monde qu'il put ramafler, pour arrêter leur fureur. Ceux-ci, dans la crain-  de JE'RUSALEM, Liv. III. Ch. III. 119 crainte de perdre leur butin, n'osèrent 1'attendre, & prirent la: fuite, vers Hébron, Sépulture des* Patriarches, dans le deffein de' gagner la Plaine iïJfcalone. Leur lacheté anima les Chrétiens a les pourfuivre, avec plus d'ardeur que de précaution; car, fe croïant déja affurés de la Vicloire, par la peur qu'ils avoient infpiréea leurs Ennemis, ils marchèrent avec tant de défordre, & de confuüon, qu'ils leur donnèrent lieu, non feulement de fe garantir de leurs coups, mais encore deprofiter de leur préfomption, & de leur mauvaife conduite. Eneffet, les Turcs, qui s'en étoientappercus, bien loin de continuer afuir,firent volte face,&trouvérent les Chrétiens tellement écartés les uns des autres, qu'il leur fut auffi facile de les mettre en déroute, qu'il fut impoffible au Maitre des Templiers de les rallier, & même d'empêcher que la plupart de fes gens ne périffent, en cherchant a fe fauver vers Teceua, oü ils furent vivement pourfuivis par les Infidèles. La nouvelle de cette défaite, qui coüta la vie a plufieurs Chevaliers du Temple, entre autres a Othon de Montfaucon, qui joignoit a fa haute naiffance une vertu, & un courage, qui le faifoient eftimer de tout le monde, & la perte de ce vaillant homme, furent également fenfibles au Roi, & a toute 1'Armée Chrétienne, qui étoit toujours campée au-de-la du Jourdain. Cependant, le plaifir qu'eut ce'Prince, de s'emparer de vive force, quelques jours après, du Pofte avantageux qu'occupoient les Brigands, qui défoloient fon Roïaume, & la joie qu'il eut de les avoir défaits entièrement, firent qu'il s'en retourna a Jérujalem, confolé de fa douleur. A peine eut-il pofé les armes, qu'il fut folicité, par les Infidèles mêmes, a les reprendre. Dans le même tems, il recut une célèbre Ambaffade d'amard, Gouverneur de Damas, & Prince de la Milice. Ce Gouverneur ne fe trouvant point aflez fort, pour réfifter a Sanguin, Soudan iïJlep, & de Mufiul, déja enflé de quelques fuccès de guerre, & qui, non content d'inquiéter les ^ * Cbré- Barbares nis en fuie. Article III. Défaite des Templiers. Vittoire de Foulques, fur les Barbares.  Jontïknde V Armée de Foulques è celle d'Amard, contre le Soudan d'Alep. 120 II I STOIRE. GE'NE'RALE Chrétiens, s'étoit propofé d'envahir les Etats des Héritiers de Boldequin, Roi de Damas, & Gendre d'Amard, s'avaneoit a grandes journées, pour mettre ce projet en exécution. Amard, pour être en état de repoufler cet Ennemi commun, fit offrir au Roi Foulques vingt-mille écus d'argent comptant, pour lesfraixde 1'Armement qu'il feroit pour le fecourir, & outre cela, d'aller luimême, avec toutes fes forces-, reprendre la Ville de Fanée, ou Céfar ée de Fhilipe, que Boldequln , fon Gendre, avoit enlevée aux Chrétiens quelques années auparavant, & dont le Gouverneur qu'il y avoit mis, apu'ïé de la protection des Sarrafins, s'étoit approprié la Souveraineté, dans la penfée de pouvoir s'y maintenir. Amard envoïoit en même tems des ötages, pour la fïïreté de la parole, a ce Prince; & fes Miniilres voufoient les lui conligner. Le Roi Foulques, a qui ces propöfitions ne déplaiioient pas, qui connoiiToit d'ailleursle danger qu'ilyavoit,pour fes propres Etats, d'en lahTer aprocher un Ennemi auffi puiiTant, & auffi entreprenant, que 1'étoit Sanguin , de 1'avis de fon Confeil, & des Maïtres des Ordres Militaires, accepta les offres, & les ötages d'Amard , & aiTembla en même tems le plus grand nombre de Troupes qu'il lui fut poffible, avec lefquelles il alla le joindre, dans la Ville de Maza, oü ce Prince Sarrafin 1'attendoit, avec les fiennes. Le Soudan iïAlep, & de Muffiii, qui n'étoit pas moins prudent qu'ambitieux, & qui ne s'étoit point attendu a cette union, n'en fut pas plutöt informé, que, pour ne fe point trouver dans la néceiTité de combatre contre deux Armées, dans un Pays fi éloigné du fien, il abandonna les terres qu'il avoit déja occupées, &fe retira, a grandes journées, dans la Vallée de Baccar. Sa retraite, oupour mieux dire, fa fuite aïant fatisfait Amard, qui ne cherchoit qu'a 1'éloigner du Roïaume de Damas, fans le pourfuivre davantage, il ne penfa plus qu'a fe joindre a l'Armée Chrétienne, &a accompagner le Roi, au fiége de Céfar ée de Fhilipe. U  de JE'RU SALEM. Liv. III. Ch. III. 121 II la lui remit entre les mains, après 1'avoir prife. Le Gouverneur de cette Place perfiftanéanmoins long-tems dans farébellion, malgré Féloignement de-fon Proteéteur, & le peu de fuccès de fon Expédition. Ce Rébelle foutint même, avec beaucoup de fermeté, les prémiers alfauts, &fedéfendit, pendant quelques jours, avec la même vigueur; mais, aïant perdu Fefpérance d'être fecouru, & voïant, qu'il ne pouvoit éviter defuccomber fous tant de forces, il rendit enfin la Ville, a condition d'en pouvoir fortir librement, avec les Siens, leurs Effets, & toutes leurs Families, pour fe retirer oü bon leur fembleroit. Amard , charmé de trouver Foccafion de fatisfaire par-la a fa parole, & le Roi de Jérufalem, content de recouvrer une Place fi importante, acceptèrent, fans balancer,ces conditions; de forte que ce Prince en prit poffeffion, & la remit en même tems a Raymond Bras , qui en étoit le légitime Seigneur, & auquel elle avoit été enlevée, quelques années auparavant, par les Troupes du Roi de Damas. Après cet heureux fuccès, Foulques, accompagné du Prince $ Antioche, du Comte de Tripoli, qui s'étoient rendus a F Armée, avec leurs Troupes; des Barons du Roïaume, & des Ordres Militaires,s'en retourna a Jérufalem, rendre graces a Dieu de s'être délivré, fans tirer Fépée, d'un Ennemi, dont il craignoit fi fort le voifinage, & d'avoir recouvré une Ville auffi conlidérable, que 1'étoit Bèline, ou Céfaree de Philippe. Cette Ville recut ce nom de Philippe Tétrarque, Fils du prémier Her ode, qui Fa voit agrandie & embellie de plufieurs beaux Edifices,& de Tibe're, alors Ce'sar. Elle mettoit fon Roïaume a couvert de 1'infulte des Barbares , de ce cóté-la. Auffi, ce Prince ne penfa plus qu'a le bien affurer du cöté dAjcalone, dont la Garnifon Egyptienne incommodoit toujours extrèmement fes Sujets, de même que leTort de Berfabée, ou Gibelin, qu'il avoit fait batir, quelque tems auparavant, dans le voifinage de cette Place. Cependant, comme la Fortereffe Q. n'étoit II retiurnt a Jérufalem. 1  122 II I S T O I R E G E' N E' R ALE n'étoit pas capable d'arrêter les courfes 'des Infidèles, il fit faire, en diligence, deux autres Chateaux, 1'un fur une éminence, oü fe trouvoit anciennement la Ville des Pbilifiins, nommée Geth, affez prés de la Mer. II fut bati, avec d'autant plus de facilité, qu'on y trouva beaucoup d'eau, «Sc quantité de matériaux des ruïnes de cette ancienne Ville. Comme cet endroit fe nommoit déja lbelin, le Roi Foulques lui laiffa le même nom, «Sc en donna le Gouvernement a un brave Seigneur, nommé Balian, que le Père Luzignan fait Fils de Hugues de Rama. II prit alors le furnom d'lBELiN, «Sc a été le Chef de cette illuftre Familie, qui s'eft diftinguée en Grient, par un grand nombre d'Actions de valeur & de générofité , pendant plulieurs fiècles. Le Roi fit faire la feconde ForterelTe vers la féparation d'un Détroit, par ou les Infidèles entroient dans le Roïaume, & fur une Colline éloignée de huit miles ÜAfcalone, que les Aj-abes nommoient Jeléjafi, qui fignifie Montagne noire. Ce Prince lui donna le nom de Blanche-garde. II s'en réferva la propriété, «Sc y mit une partie de fes meilleurs Soldats; de manière que les Garnifons de ces trois Places s'unilTant, dans les occafions, pour s'oppofer au ravage des Sarrafins, les réduifirent bientót a s'enfermer eux-mêmcs dans leurs propres Murailles, fans ofer davantage entreprendre de piller les palfans, «Sc ravager les campagnes, comme ils faifoient auparavant; «Sc par ce mo.icn, le Roïaume jouït enfin d'une entière tranquilité. • Cette :paix donna lieu au Roi d'aller palfer 1'Automne a Ptolomaïde, pour y procurer quelques Divertilfemens a la Reine Melis ante. Les SpecTacles, «Sc les Feftins, qui Poccupèrent pendant toute cette Saiibn, furent malheureufement fuivis d'un accident très-funefte a ce Prince. Un jour qu'il fe promenoit a cheval, avec toute fa Cour, clans la Plaine de cette Ville, fes Domeftiqucs firent par hafard lever un Lièvre, que chacun s'emprelfa de pourfiüvre, «Sc que le Prince lui-même chalTa avec  de JE'RUSALEM. Lib. ÏII. Ch. III. n% avec tant de précipitation, que fon chsval s'abattit tout a coup fous lui. Le pomeau de la Selle lui fracaffa la tête, & il en mourut au bout de quatre jours. Cefacheux accident arrivale 13. de Novembre de fan 114.2. & le onzième de fon Règne. Son corps fut tranfporté a Jérufalem, & inhumé dans 1'Eglife du St. Sépulcre, auprès de fes Prédéceffeurs. Foulques lailTa deux Fils encore fort jeunes. L'ainé, nommé Baudouin , lui fuccéda: 1'autre, appellé A l m e'r 1 c, demeura, aufli bien que fon Frere, ious la tutèle de la Reine leur I Mère, qui fit d'abord couronner l'ainé, fous le nom de Baudouin III. La Cour de Jérufalem étoit occupée aux Funerailles du Père, & au Couronnement du Fils; &-la divifon régnoit entre Raymond, Prince & Antioche, & le jeune Josselin, Comte d1Edeffe. Celui-ci, bien loin d'imiter la vertu de fon Père, avoit entièrement négligé le Gouvernement de fes Etats, & la confervation de fa Ville principale, que ce généreux & refpectable Vieillard avoit fortifiée avec de grands foins, & beaucoup de dépenfe. II s'étoit retiré a Turbefel, lieu délicieux, fitué fur les bords de VEufrate, oü il ne fongeoit qu'a fatisfaire fes plaifirs, qu'il pouifoit même jufqu'a la débauche. Sanguin, voulant proliter de ces favorables conjonótures, fe mit k la tête d'une puiffante Armée, iurpiït Edeffe, qu'il emporta de vive force, après quelques jours de fiége; & exerca toute forte de cruautés fur les Chrétiens, qui 1'habitoient. On n'attribua pas moins la perte de cette Ville a 1'avarice de Hugues , qui en étoit Archevêque, qu'a la molleiTe de Josselin. Ce Prélat, qui poffédoit de grandes richeffes, auroit pu, fans beaucoup s'incommoder, réparer la négligence du Comte, en muniffant la Place de Soldats, & de tout ce qui étoit néceffaire pour réfifter aux efforts des Infidèles, ou du moins, pour la foutenir, jufqu'a ce que les fecours des autres Princes de la Palefline y puffent arriver. Cette fordide avarice fut bientót punie; car tous fes tréfors ne 1'empêchèrent pas d'être étouffé dans la foiir Q.2 le Mort de Foulqt!ts4caufée par accident. Punition del'Archevêque de la  FtUe d'EdelTc. Diférens noms de l Vüle d Edeffe. Sanguin igorgé, ö Jes Etats ftrtagés. JrtkXelV. «43- i i 1 'i=4- H ISTOIRE G E' N E' R A L E le du peuple, qui cherchoit a fe fauver, lors que i'I'nnemi y entra. Cette Ville eft la même que la Sainte Ecriture nomme Réges, ' Strabon Bambica, & quelques autres Aracb, ou Rafe, & que nous connoilfons préfentement fous le nom ÜOrpba, Métropok très-puiffante, dans la Méfopothamie, fituée au-de-la de YEufrate, & la même oü régnoit Abagar, qui, felon Eüsebe, écrivitune Lettre aJe'sus-Christ, & en recut une réponfe, Quelques Auteurs prétendent, que ce fut Aleiti,Prince Turf, , qui prit alors cette Ville hr' ks Chrétiens; mais 1'Archevêque de Tyr alTure, que ce fut Sanguin, & que ce Soudan, étant allé enfuite affiéger Cologombat, autre forte Place fur YEuffate, fes Valets de Chambre, gagnés par les Habitans de cette Ville, fégorgèrent une nuit dans fon lit; ce qui fut caule qu'on levat le fiége. Les Etats de Sanguin furent, après fa mort, partagés entre fes deux Enfans, dont 1'aïné, nommé Sanguin Cothebedin, eut la Souvraineté de Mufful: & Noradin,qui fut dans la fuite auffi vaillant qiflieureux, eut zdk&Alep, La perte & Edeffe ne fut pas la feule difgraee, qui arriva alors aux Chrétiens Orientaux: les Turcs s'emparèrent, peu de tems après, d'un Cbateau , fitué dans la Syrië Sobal, dans la ValléedeMo'iSE, aifcde-la du Jourdam. Ce fut dans cet endroit, que ce fage Légiflateur du Peuple de Dieir fit fortir, dit-on, l'eau d'un Rocher, pour étanclier la foif des lfraëütes qu'il conduifoit.. Les Chrétiens, qui gardoient ce Fort, furent aflez ]£ches pour fe laifTer féduire, & pour le livrer aux Infidèles, qui n'eurent pas le plaifir d'en jouïr long-tems. La trahifon, & la perfidie de ces mauvais Sujets piqua^fi fort Ie Roi Baudouin, }ue fa générofité naturelle, & fon ardeur pour la gloire 1'élei'ant au-delTus de fa jeunefTe, il affembla promtement les forces 3u Roïaume, & accompagné des Ordres Militaires, il alla harliment attaquer cette Place, qu'il eut le bonheur d'arracher, en >eu de tems, des mains des Barbares. Ii la mun.it abondam- ment*  de JE'RU SALEM. Liv. ÏÏÏI W HL fcyy ment, & avec tant de foin,de tout ce qui étoit nécelTaire pour fa confervation, qu'il n'eut plus lieu de craindre un accident femblable a celui qui lui étoit arrivé, & s'en retourna enfuite a Jérufalem , auffi glorieux, que fatisfait, d'avoir fi bien réüfii, dans fa prémière Entreprife. II n'eut pas le même bonheur dans la feconde. La fortune fe laiTa bientót de lui être favorable. L'année fuivante, de 1'avis de fon Confeil, il accepta les offres d'un Seigneur Turc, nommé Stan-tai, auquel le Roi de Damas avoit öté le Gouvernement de Boflra, Ville principale de V Arabie pètrée. Ce Turc, I outré de cet afront, s'engagea de rendre Baudöuin IV. maitre de cette Place, moïennant une fomme d'argent. Baudouin fe mit en campagne, avec les Ordres Militaires, pour aller la furprendre. Mais, foit que 1'intrigue fut mal concertée, ou qu'elle eüt été découverte par les Infidèles, après avoir foufïert, pendant ce Voïage, la foif, la faim, les etaleurs exceffives, & toutes les incommodités d'une route fi longue, & fi pénible, il ne put rien entreprendre, par raport a la multitude & Infidèles que la propre Femme de Stantal y avoit introduits, en vue de ruïner les projets de fon Epoux. Bien plus, pour fortir de ce mauvais pas, Baudouin fut obligé de s'ouvrir un paffage les armes a la main,paree que Noradin, Fils de Sanguin,& Gen- ] dre du Roi de Damas s'étoit mis en campagneavec une puif- \ fante Armée, pour s'oppofer a fa retraite; de forte que ce ne < fut qu'après bien des dangers, & des peines, que ce jeune Prince regagna fes Etats. Son arrivée fit ceffer les allarmes, & les inquiétudes, que le fuccès de fon Entreprife donnoit a la Reine fa Mère, & a tous fes Sujets. Le jeune Prince Noradin, dont 1'inclination étoit auffi belli, queufe, qu'inquiette, n'étant pas plus fatisfait, que fon Frère, i du partage des Etats de Sanguin fon. Père,n'eut pas plutöt terminé 1'affaire de Bojlra, qu'il alla a Mufful, pour lui difputer kSucceffion paternelle; ce qui donna lieu aux Habitans d''Edefie r CL 3- qui ïmprudencf ie Baudouin IV. jforadin "e met en' Campagne' entre lui--  Carnage des Chrétiens d'EHeffe. HIS- 126 HIST. GETSfER. de JE'RUS. Liv. ffll Ch. III. qui ne pouvoienc s'accoutumer k fa domination, d'appeller le Prince Josselin , qu'ils introduifirent fecrettement dans leur Ville j avec toute fa lüitc, par le moïen des cordes, & des echelles qu'ils leur jettèrent pendant la nuit, dans 1'efpérance de fe délivrer des Tam,qui y étoient reftés en garnifon. Cependant, malgré leur induiuie, & leur réfolution, ils ne purent en maffacrer qu'une partie, les autres s'étant d'abord fauvés dans le Chatean, oü ils fe maintinrent. Dans cc tumulte, il n'y eut que la Ville de délivrée de leur tirannie, quoiqu'ü eüt été plus avantageux auxa7;v//m,qui l'habitoient,den'avoir rien tenté, pour fecouër le joug des Jnfidè/es. En effet, Noradin aprenant leur révolte, revint fur fes pas, avec tant de promtitude, qu'il furprit la Ville, avant qu'ils euffenteuletemsdelamunirde ce qui étoit néceffaire, pour foutenir un fiége. La difette de vivres, & de munitions, les mit dans fimpuiiTance de fe défendre, & la crainte qu'ils concurent de fe foumettre a la foi d'un Ennemi irrité, les détermina a chercher leur falut dans la fuite, en abandonnant tous leurs biens. Pour cet effet, ils ouvrirent une de leurs portes a Pentrée de la nuit,& commencèrent a fortir de la Ville, avec leurs Femmes, & leurs Enfans; mais, comme ils ne purent le faire fans bruit, par ï'empreffement que chacun avoit de fe rétirer d'un lieu fi dangereux, les fentinelles du Camp les entendirent, & donnèrent 1'allarme. L'Armée des Infidèles fe jetta fur ces malheureux, & en fit un maffacre effroïable, fans épargner, ni age, ni fexe. Le Comte Josselin, avec quelques perfonnes de fa fuite, ne fe fauvèrent qu'a la faveur de la viteffe de leurs Chevaux, qu'ils poufsèrent a toute bride, jufqu'a la Ville de Samofiate, oü ils jettèrent la confternation, par le récit de leur malheur. FIN DU LIVRE TROIS IE ME.  HISTOIRE GÉNÉRALE ROlAUMES D E CHYPRE, JÉRUSALEM, e t D' EGYPTE. LIVRE IV. Chapitre Premier. fHHH-Ki ePape Eu gene III. qui avoit fuccédé a Lur ^&?QSya&& CIUS it n'aprit pas plutöt la trifte nouvelle QRC T üü? ^s ^ ^e ^^effe, & le cruel maffacre des eJÊSC 1-, Habitans de cette Ville, qu'il envoïa des Pré- ^M^^^^S^^ dicateurs dans toutes les Provinces & Europe, Óf^f^^^^^? pour exhorter les Princes, & les Peuples a \JJ> 11 1 > -1 y->7 1 ^ . T / aller lecounr les Chrétiens a Oriënt. Le celèbre St. Bernard , Abbé de Clervaux, emploïa li efficacement fon IJ. Croifch ie. J Eugène UI.  128 HISTOIRE GE'NE'RALE Arrivèe de l'Emperew Conrad a Conftanti nople. fon éloquence, dans cette prelTante conjoncture} qu'il engagea divers Princes & grands Seigneurs a prendre la Croix. L'Empereur Conrad III. fut fi touché de fes reraontrances, & du récit déplorable qu'il lui fit des fouftrances des Chrétiens de la Paleftine, quece Monarque s'unit avec Louis VII. dit le jeune, Roi de France, qui s'étoit déja croifé, pour cette fainte Entreprife. Ces deux grands Princes firent d'abord publier la Croifade dans leurs Etats, & travaiJler en diligence aux prèparatifs néeeffaires, pour cette importante Expédition. Les peuples fuivirent leur exemple, avec tant d'empreiTement, que leurs Armées en devinrent trés - nombreufes, puifqu'outre 1'lnfanterie, il s' y trouvóit la fleur de la Nobleffe de leurs Etats, avec prés de 14.0. mille Chevaux. Les munitions, & les appareils, qu'il falut faire, pour la commoditéde ces deux puiffans Corps, pendant une fi longe route, en retardèrent aflez lon^-tems le départ. Conrad, qui fe trouva 1? premier en état de partir, fe mit en marche, avec la plus belle, & la plus fuperbe Armée qu'aucun Empereur eüt jamais eue. Après avoir traverfé divers Pays, fans aucun accident, fi non celui d'un gros orage qu'il elTuïa,dans les Campagnes de Tbrace,oü il s'étoit arrêté,pour faire repofer fon Armée, il arriva herueufement a Conftantinople, oü le Roi de France devoit le joindre, avec fes Troupes, pour faire enfemble le refte du voïage. Cependant, au lieu de fe rafraichir dans cette Ville, comme il s'en étoit flatté, & loin d'y pouvoir attendre les Francois,^ fut contraint d'en fortir inceffamment, par raport a la mauvaife réception que lui fit 1'Empereur Emaküël, qui, par fa haine mortelle contre les Latins, s'emprefla de 1'éloigner de fes Etats, & fit tout fon poffible, pour le faire donner dans le piége qu'il lui avoit tendu, fans réfléchir, qu'il étoit fon Beaufrere, & qu'il avoit époufé une des Filles de Be'renger , Comte de Soubach, & de Fuxembourg, dont lui-même avoit époufé 1'autre. fi  de JE'RUSALEM. Liv. IV. Ch. I. 129 II eft furprenant, que Conrad, après avoir été fi mal recu Ag** d'EMANUè'L, & avoir reconnu fa jaloufie, auffi bien que la malignité pereur de fes intentions, eut la foibleffe de fe livrer,comme il fit,aux GiecGuides que ce cruél Ennemi lui avoit donnés, pour le conduire. Le plaifir qu'il eut de fe voir ala tête d'une Armée,qu'il croïoit invincible , I'aveugla dans cette occafion, & lui fit négliger les précautions les plus néceffaires, dans des Pays auffi dangereux. Cet Empereur, d'ailleurs fi expérimenté, fe vit conduit , comme une Victime,oü le fer 1'attendoit. Ce ne fut pas,fans avoir recu de fages avis des Seigneurs, qui 1'accompagnoicnt, & qui, tous de concert,le prioient de prendre la route la plusvoifinede la Mer, fins fe fier a la parole fuspecTe des Grecs. Ces perfides le conduifirent dans la Lycaonie, oü, loin de trouver les rafraichifïemens, & l'abondance, dont le traitre Emanucl 1'avoit affuré , il ne rencontra qu'un Capitaine Turc , nommé Para mon, ouParame', ou felon d'autres, Mahamout, Soudan de la Ville de Cogni ou Iconium, quifejetta brusquement fur 1'Armée de Conrad. II y avoit long-tems qu'EMANUëL avoit follicité ce Barbare a unir les forces de fa Nation, pour s'opofer aupaflage des Croifés. II fut donc impoffible a ceux - ci de réfifter a la multitude d'Ennemis , dont ils furent tout-a-coup envelopés , & pourfuivis dans les défilés, oü ces Infidèles les avoient engagés. De foixante-mille Chevaux, & un nombre prodigieux d'Infanterie, dontl'Armeé de Conrad étoit compofée, a peine s'en fauva-t-il dLxmille. Ce Prince reconnoiffant, mais trop tard , le malheur oü fa préfomption 1'avoit plongé, fut contraint de rebroufler chemin,& de s'en retourner, avec ces triftesdébris,aCo«/?^/raop/(f, fans penfer , qu'il avoit tout a craindre auprès d'un Empereur Grec, qui venoit de le trahir,& de lui cauferune perte fi cruelle, & fi préjudiciable a fa gloire, & a fes intéréts. Conrad, dans 1'accablement de fes réflexions, fe retira presque fans fuite, &fans bagagej &, dans cet équipage afreux,Ü arriva  130 HISTOIRE G E' N E' R A L E i Défaite de T Armée Francoiie, fw les Iniidèles. irriva au Camp des Francois, pres de Nicée, ou ils étoient parrenus, après avoir elTuïé, de leur cöté, deterriblescontretems Sc beaucoup d'outrages, de la part du même Empereur Emanucl. Quelque penchant qu'eiit 1'Empereur Coxrad a accomplir fon Vceu, la honte de fe voir fi mal accompagné, Sclaaaintede jlelfer la Majefté Impériale, s'il avoit continué fon Vo'ïage, avec ie Roi de France, qui n'avoit rien perdu de fon Armée, 1'engagea a prendre congé de ce Prince, & d'aller hiverner a Conftantinople. Pour le Roi de France, après avoir paffé une partie dc 1'Hiver dans les Campagnes d' Epbèfie , il traverfa le Mèandre, & continua fa route vers la Paleftine. Emanucl s'entendoit toujours avec les Infidèles; Sc ces Barbares, attirés par 1'espérance d'un grand butin, attendirent au paffage de cette Rivière PArmée Franpoife, qu'ils harcelèrent continuellement, par leurs efcarmouches, fans pouvoir cependant remporter aucun avantage confidérable. II n'en fut pas de même, au paffage d'une haute Montagne, que les Francois devoient néceffairement traverfer. Ce fut-la, que les deux Corps de Bataille, dont leur Armée étoit compofée, commencèrent a s'écarter, imprudemment, 1'un de 1'autre. Les Barbares profitèrent de cette faute, & fe faifirent du fommet de la Montagne, qui reftoit entre deux: ils attaquèrent vigoureufement PArrière- Garde , hors d'état d'être fecourue. Cette aclion fut II avantageufe aux Infidèles, qu'ils y défirent presqne entièrement PArmée des Franfois,Sc que le Roi , qui s'y troüvoit eh perfonne, ne dut fon falut qu'a la ProtecTion Divine, qui foutint fon courage- En effet, il fuporta ce revers de fortune, avec antant de prudenee, que de fermeté. II rallia les reftes de fori Armée, &f rharcha, avec plus de circonfpecfion, jufqu'a Atdlie, ou Satalie, Ville Maritime de la Pampbilie ,'dont le Gouverneur lui accorda, pour un prix exceffif, & avec beaucoup' de peine,les VailTeaux néceffaires,pour paffer a Jntiocbe. Conime le njombre de Vaiffeanx n'étoit point fuffifant, pour em-  de JE'RU SALEM. Liy. W. Ch. I. 151 embarquer toutes fes Troupes, une partie fut obügée d'aller par Ami. terre jufqu'a Antioche, oü elles ne purent arnver, qu'apres a- Frater voir encore fouffert beaucoup de la raalice, & de la perfidie,des che_ Grecs, auffi bien que de la fureur des Infidèles, qui agilToient toujours de concert avec eux. Ce fut-la, que 1'Armée Franpoije eut le tems de fe rafraïcbir un peu, pas les bons traitemens de Baymond, Prince de cette Ville. Mais le Roi, qui, malgré tous ces bons accueils, n'étoit pas fort fatisfait de ce Prince, dont il eraignoit même 1'efprit violent & emporté, paree qu'il lui avoit refufé d'emploïer fes Troupes a 1'agrandiffement de fes Etats , fortit fécrettement de la Ville, avec la Reine Ele'onor , fon Epoufe, quoique cette PrinceiTe, pour laquelle , felon quelques Hiftoriens, Raymond avoit concu de 1'inclination, eüt fouliaité d'y demeurer plus long-tems. Louïs marcha toujours, a la tête de fes Troupes, vers Tripoli. L'Empereur Conrad, dont la difgrace avoit appaifé la violente jaloufie, que fa grande & belle Armée, avec tout fon pompeux attirail, avoit donné a 1'Empereur Grec, en avoit plus facilement obtenu des VailTeaux, & s'étoit déja rendu en Faleftine,0Vi il attendoit, avec impatience, le Roi de France, pour faire enfemble quelque Entreprife importante fur les Infidèles. Comme 1'Empereur, & le Roi de Jérujalem,n'ignoroient pas les ef- ' forts qu'avoit faits le Prince & Antioche, pour engager Louïs a faire la guerre dans le voifinage de fes Etats, & qu'ils apréhendoient, que le Comte de Tripoli, qui n'étoit pas moins avide de s'agrandir,n'en fit autant de fon cöté, ils lui envoïèrent,en qualité d'Ambaffadeur, Fulciier , Patriarche de Jérufalem, pour le folliciter de fe rendre dans cette Capitale, le plus promtement qu'il lui feroit poffible. Le Roi de France, qui n'avoit pas moins de paffion d'y arriver, & d'éloigner la Reine fon Epoufe d^un lieu,oü elle avoit auffi pris des engagemens, qui lui étoient défagréables, preffa fi fort fa marche, qu'il arriva beaucoup plutöt qu'on n'auroit ofé 1'efpérer.  eonfeit général, tenu a St. Jean d'Acre ,fur le: tpérations ie la Guerre. i32 HISTOIRE G E' N E' R A L E Voila comment les deux plus grands Princes de VEurope eurent le chagrin d'entrer dans la Terre-Sainte, dépouillés de la plus grande partie de leurs formidables Armées, de tous leurs prèparatifs de guerre, & des fuperbes équipages qu'ils avoient tirés de leurs Etats; malheur, que les Francois auroient évité, s'ils avoient fuivi les fages confeils de Roger,Roi de Siciie,qm, pour les garantir de la perfidie de 1'Empereur Emanucl, «Sc des Grecs, dont il connoiffoit la haine invétérée contre les Latins, avoit offert fes Ports,«Sc fes Vaifleaux, pour les palfer en PaJejline. Cependant, comme ces deux Monarques fouhaitoient également d'emploïer le peu de forces, qui leur reftoient, a 1'accomplilïement de leur Vceu, & a 1'avantage des Chrétiens de la Palejline , après les prémiers Complimens de civihté, qu'ils fe rendirent réciproquement, & après avoir vifité le Saint Sépulcre, & les autres Lieux Saints de-Jérufaletn, ils convinrent, avec le Roi Baudouin, de tenir une AfTemblée générale a Acre, oü tous les Princes, les Barons, & Seigneurs du Roïaume, pouvoient fe rendre plus facüement, afin de confulter avec eux, fur les Entreprifes, qui feroient les plus avantageufes aux intéréts communs, & a leur propre füreté. Cette Affemblée fut laplus célèbre & la plus augufte, qui fe foit jamais tenue en Palejline. L'Empereur Conrad y affifta en perfonne,avec tous les Prélats, Princes, & Barons de l'Empire,qui étoient reftésauprès de lui;de même que leRoi dzFran^,avec le Comte de L>reux,fon Frère ,The'odoricou Tierri, Comte de Flandres, avec un grand nombre d'Evêques, & de prmcipaux Seigneurs de fon Roïaume, les Cardinaux Theodin,& Gui de Provence, le prémier Légat du St. Siége, dans 1'Armée de 1'Empereur, & 1'autre dans celle de France, Baudouin , Roi de Jérufalem, la Reine Me'lise'NE, fa Mère, le Patriarche Foulquer , les Archevêques, «Sc Evêques de la Paleflim, avec tous les Comtes, «Sc Barons de cet Etat, Raymond de Podio, Mafe  de JE'RU SALEM. Liv. IV. Oi. I. 153 Maitre des Hofpitaliers, & Robert Bourguignon , Maïtre des ' Templiers, avec plufieurs autres Seigneurs, tant ft Oriënt, que ÜOccident. II y fut réfolu d'attaquer les Sarrafins de Damas, comrne les Ennemis les plus voifins, & les plus redoutables, qu'euflent les Chrétiens de la Terre-Sainte, quoiqu'ils euiTent été peu auparavant unis» avec eux, contre Sanguin , Soudan de Mufful. Pour cet effet, on donna le Rendez-vous général a Tibériade, oü tous ces Princes- fe rendirent, avec leurs Troupes, au Mois de Mai de FAnnée 114.7. ou felon d'autres, 48. Ils en partirent en bon ordre, vers la fin du même Mois, & marchè. rent de même, jufqu'aux délicieufes Campagnes, qui environnent la Ville de Damas. Le jeune Roi Baudouin , qui commandoit 1'Avant-Garde, & qui joignoit a la ferveur de Page, & a fa valeur naturelle, un ardent defir de fe fignaler, dans une occafion fi intéreffante pour lui, & a la vue de 1-Empereur, & du Roi de France,' dont Tapprobation lui étoit fi chère,- attaqua les Infidèles retranchés dans les Jardins, comme on en étoit convenu dans le Confeil, avec beaucoup d'ardeur, & de courage. Cependant , malgré fa bravoure, & celle qu'il infpiroit a fes Soldats, par fès belles aélions, il y fut arrêté long-tems. II ne put même les forcer, fans le fecours de 1'Empereur, qui s'avanca avec fes Troupes, pour le foutenir. Les Damafquins furent alors contraints d'abandonner les Jardins, pour fe retirer dans la Ville. Toute 1'Armée Chrétienne campa, avec beaucoup de commodité, le long de la Rivière, oü elle trouvoit abondance de fourage, & quantité de rafraichiffemens. Ils formèrent le fiége de la Place, & 1'auroient emportée, s'ils avoient continué, a la batre de ce coté4a; mais f avarice, & la jaloufie, pafllons auffi dangereufes, que condamnables, firent tout d'un coup changer ces bonnes difpofitions, & ruïnè- R 3 rent Réfolution d'attaquer' les Sarrafins de Damas'. 1148. Siége de Damas, par les Chrétiens,  F.iuJJe démarche des Chrétiens. Levée du r Jtëge. ,«1 1 1 *U HISTOIRE GE'NE'ULE rent entièrement une Entreprife fi importante, fi bien commencce , «Sc qui auroit été auffi glorieufe, qu'utile aux Chrétiens Les affiegés, qui fe voïoient k la veille d'ètre forcés, trouverent le moïen de gagner, a force d'argent, quelques-uns des pnncipaux Seigneurs de la Syrië. Cela joint a la jaloufie, & a lenvie quils avoient concue, de ce que fEmpereur, «Sc les ceux Rois, avoient promis la Principauté de Damas au Comte de blandres, fit qu'ils aimèrent mieux, qu'on n'en fit point la conquête, que de la voir tomber au pouvoir dfine perfonne, dont a nouvelle grandeur les inquiétoit. Ils agirent avec tant de politique, que, malgré 1'expérience des Princes, & des Seigneurs, qm compofoient le Confeil, ils firent éefcotiër leur Entreprife, en leur perfuadant de quitter 1'endroit avantageux, ou ils étoient campès, & d'oü ils batoient la Place avec fuccès, pour aller fe pofter vers le Midi, les affurant que ce cöté-la feroit plus facilc k forcer. Les Infidèles m manquèrent pas de profiter de cette fèufle demarche, qui étoit conforme a leur intention. Ils fe faifirent d abord du bon Pofte, queles Chrétiens venoient d'abandonner, & le fortiherent fi-bien, qu'on n'entreprit plus de les en chaf' fer. L Empereur, & le Roi de France, connoiffant, par la force des Murailles, «Sc la bonté des Tours, dont la Ville étoit detendue, du cöté oü ils venoient de palfer, & par l'incommodite de leur nouveau Camp, oü ils ne tromoient plus ni eau, m rafraichiflemens, qu'ils étoient la dupe de la trahifon des tagneurs de Syrië, en concurent tant de dépit, «Sc d'indi^nation, qu'ils levèrent inceffamment le fiége, pour s'en rerourner a Jérufalem. Le Roi Baudoltn les fuivit, auffi innocent,que mortifié de a mauvaife foi des Grands du Pays, aux fentimens defquels il ivoit derere, comme les autres, fans pouvoir s'imaginer, qu'ils uilent capables d'une conduite fi indigne de leur Naüfance, «Sc i contraire k leur Religion. Le  de JE'RU SALEM. Liv. IV. Cu. L 135 Le reiTentirnent de ces deux Monarques, contre les Orientaux, fut fi vif, qu'ils ne voulurent plus entendre parler,- ni de 1'Entreprife dAfcalone, qu'on leur propofa, «Sc qui n'auroit pas été plus avantageufe, que celle de Damas, ni d'aucune autre. L'Empereur partit même peu de jours après, pour retourner en Jllemagne\ «Sc, quoique le Roi de France s'arrêtat encore quelque tems dans la Paleftine, il ne voulut jamais rien entreprendre, contre les Infidèles. Ces deux Monarques, a leur retour en Europe, firent des raports fi défavantageux «les Chrétiens de la Terre-Sainte, qu'ils rallentirent entièrement 1'ardeur , «Sc le zèle qu'auroient eu les autres Princes de les fecourir. Ce fut dans cette malheureufe Expédition, qu'AME III. Comte de Savoye, qui avoit pris la Croix, «Sc fait ce Voïage, mourut, felon Güichenon, dans.la Ville de Nicofie en Chypre, oü ce Prince avoit palfé, ou par curiofité, ou paree qu'il y fut jetté par quelque Tempête. Le peu de progrès, que firent ces deux grandes Armées de Croifés, qui avoient a leur tête les deux plus puiiTans Princes de la Chrétienté, & qui faifoient trembler tout VOriënt, au feul bruit de leur approche, réduifit les affaires des Chrétiens de ce Pays-la dans un état beaucoup plus déplorable, qu'elles n'étoient auparavant. Après le départ des Allemands «Sc des Francois, non feulement les Turcs, «Sc les Sarafins, reprirent courage, mais fe croïant en état de tout entreprendre, ils commencèrent a les inquiéter de tous cötés. Noradin , profitant de leur foiblefiê, entra, avec une puiffante Armée, dans la Principauté d''Antioche, oü il s'empara du fort Cbateau de Neppa. II défit, «Sc tua, en Bataille rangée, le Prince Raymond , qui étoit allé pour fecourir cette Place; ravagea toute cette Principauté, jnfqu'aux Cötes de la Mer; «Sc auroit peut-être emporté la Capitale de cet Etat, qui fe trouvoit privée de fon Prince, «Sc dégarnie de Gens de guerre, fi le Roi Baudouin a fur 1'avis qu'il recut des progrès des Infidèles, & du mal- Artkle IL Retour de Conrad en Aliemagne,&de Louïs en France. , noradïkt, dans la Principauté d'Antioche.  i36 HISTOIRE G E' N E' R A L E Retour de Baudouin a JérufaKm. j150. malheur de ce pauvre Pays, ne fe fut mis promtement en campagne, avec les Chevaliers de VHópital, & du Temple, «Sc toute la Nohlefle du Roïaume, pour aller s'opofer a leurs progrès. Mais, foit que Noradin ne voulüt point rifquer fon Armée, ou qu'il voulüt conferver le riche butin qtril venoit de faire, il évita le combat. II fe contenta de bien munir la Fortereffe dArène , ou dAréthufe , qu'il avoit auffi prife, «Sc marcha vers Damas, dont il vouloit s'emparer, auffi bien que des Pays, qui appartenoient aux Chrétiens. Baudouin , de fon cöté, ne jugeant point a propos de le pourfuivre, prit le parti de profiter de fon éloignement, «Sc attaqua lé Chateau dÜArène, dans Fefpérance de recouvrer cette ForterefTe. Mais, après 1'avoir batue plufieurs jours, fans aucun fuccès, «Sc reconnoilTant, qu'il y confumeroit inutilement fes meilleures Troupes, il en abandonnal'entreprife,pour aller confoler,&raffurer les peuples d1Antioche, en mettant cette Place en état de défenfe, en cas que les Infidèles tentaffent de 1'attaquer. II follicita fortement la PrinceiTe Constance , Veuve du Prince Raymond, a laquelle le Gouvernement en étoit demeuré, de fuivre les fages, «Sc prudens avis de quelques Perfonnes d'expérience, qu'il lui indiqua, & d'éviter au contraire les confeils de quelques autres, dont la vanité,«Sc 1'infuffifance,lui étoient connues. Enfin, après avoir exhorté les Habitans a fe bien tenir fur leurs gardes, & a être fidèles a cette Princeffe, il en prit congé, «Sc s'en retourna a Jérujalem, oü fa préfence n'étoit pas moins néceffaire. Baudouin, qui étoit un Prince rempli de zèle,«Sc de courage, ne voïoit qu'avec douleur,la perte inévitable des Pays,qui avoient coüté tant de peines, & de fang a fes Ancêtres. II avoit le chagrin de trouver les Chrétiens ÜOccident dégoutés, par les récits défavantageux de ceux de la feconde Croifade, «Sc infenfibles aux malheurs de ceux de la Paleftine. Afin donc, d'alTurer par lui-même, autant qu'il le pourroit, la confervation du Roïaume de Jérufalem, il penfa aux molens d'enlever aux  de JE'RUSALEM. Liv; IV. Ch. I -.aux Infidèles la Ville ÜJfealonc , dont la garnifon ravageok eontinuellement les Campagnes de fes Sujets, «Sc tenoit en fujettion les Places de fa dépendance, qui en étoient voifmes. Pour 1'entreprendre avec plus de commodité, il fit ajouter un nouveau Fort aux trois, que le feu Roi, fon Père, avoit fait conftruire, .aux environs de cette Place. II choifit le même endroit, oü étoit autrefois fituée la Ville de Gaza, ou Gazara, ancienne Satrapie des miiJHns. La quantité de marbres, «Sc autres matériaux, qu'on trouva dans fès ruïnes, fit bien comprendre fimportance dont elle avoit été ; «Sc les fources d'eau vive, qui y étoient en abondance, facilitèrent extrèmement la conftruccion de cette ForterelTe, dont le Roi confia ja garde aux Chevaliers du Temple. Ils la munirent parfaitement de tout ce qui étoit néceffaire, «Sc relTerrèrent fi bien la Ville ÜAfcalone, que la Garnifon Sarrafme n'ofoitplus en fortir,pour faire des incurfions,comme auparavant. Qui plus eft, ces Chevaliers faifoient eux-mêmes de fi vigoureufes forties, que le Soudan, qui relevoit fouvent la Garnifon de cette Place, par de nouvelles Troupes qu'il y envoyoit d''Egypte, au travers du Défert, fut contraint de les faire palfer par Mer, oü fes Batimens étoient fouvent pris, par les Flottes Chrétiennes, «Sc la Ville réduite a une extréme difette de vivres. Mais, quelque favorables que fuffent ces difpofitions, pour la Conquête que Baudouin méditoit, deux accidens facheux en retardèrent fentreprife. De retour a Jérufalem , il écouta quelques efprits inquiets, «Sc mal-intentionnés, qui lui perfuadèrent, que 1'Autorité de la Reine,fa Mère, étoit trop grande,«Sc qu'Elle difpofoit feule du Gouvernement de 1'Etat, qui devoit déformais n'appartenir qu'a lui, «Sc fans aucun partage. Ces difcours envenimés caufèrent une telle difcorde, entre la Mère, «Sc le Fils, que leurdéfunion penfa tout bouleverfer. Cependant, après plufieurs conteftations, ils convinrent enfin de partager le Roïaume, «Sc que les Villes de Tyr, «Sc de Ptolomai- S - de, "NT - DiJJention entre k Roi, &•ƒ« Mère, _ Accerd e*x tre le Rei, fcf ia Reine.  Artklel Situation de Napo loufe au trefois S clien. Qrigtne, £f ftgnification du nom de Sa aiaritain. Nouvelle ■ rupture., éntre le Roi, (ffa 13S H ISTOIRE G E'NE'R ALE de, demeureroient au pouvoir du Roi, & celles de Jérufalem; & de Napouloufe, a la Reine. r/. Cette dernière Ville, qui eft Tancienne Sichen de Cananée, fi célèbre, par l'a&ion noire qu'y commirent Simeon & Levi, Enfans de Jacob, qui en maffacrèrent, dans une nuit, tous t les Habitans males, avec Emor,leur Roi, & Sichen, fon Fils, dans le fort mème de leur maladie, caufée par la Circoncifion, " pour fe vanger de la violence,que ce dernier avoit faite a Dina , leur Soeur, eft auffi la même Ville qu'ABiMELEK.,Fils naturel de Gedeon,fit rafer quelques fiècles après,& fur les ruïnes delaquelle il fit femer du fel. Je'roboam la fit enfuite rebatir, «Sc nommer Mamorta, enfuite Naples \ «Sc elle s'appelle aujourd'hui Napouloufe. Elle fe trouve fituée dans la Province de Samariey qu'on prétend avoir été ainfi nommée, a caufe des Colonies JJfiriennes, que Sexnacherib , Roi des Chaldéens, y envoïa pour tenir les Juifs en bride. Ces fujets étant enfuite devenus ennemis des Juifs, ils en furent appelles Samaritains, qui fignifie Gardiens; c'efi pourquoi, lors que les Juifs; vouloient injuriér Je sus-Qirist , ils fappclloient Samarïtain, ignorant que ce nom vouloit dire Gardieny ou Confervateur.Aiil]\le Sauveur leur répondoit,qu'il ne nioit point d'ètre Samaritain, puifqu'il étoit le véritable Gardien des Fideles. Mais, pour reprendre le fil de notre Hiftoire, le jeune Baudouin fe lalfa bien-tót d'un accommodement, auili contraire a fes interets, que préjudiciable a fa gloire; de forte que, poufTé par fon ardcur naturelle, «Sc par les mauvais confeils des flateurs, il fe mit a la tête de fes Troupes, «Sc alla s'emparer de la Ville de Napouloufe. II fe rendit enfuite maitre de Jérufalem, dont il avoit formé le fiége, malgré les remontrances du Patriarche, des Barons du R oïaume, «Sc des Maitres des Ordres Militaires. H auroit pourfuivi la Guerre a outrance, fi les mêmes perfonnes, qui reconnurent fa réfolution, & la juftice de fa caufe, Q'euffent fait envil'ager aux Habitans les malheurs,qu'alloit leur laufer une Guerre inteftine, non feulement capable de rüïner leurs  de JE'RUSALEM. LmlV. Cil L 139 leurs affaires particulières, mais encore celles de tous les Chrétiens de la Terre-Sainte. Ces remontrances les portèrent enfin a quitter le parti de la Reine, «Sc a introduire le Roi, fon Fils, dansla Ville; ce qui obligea cette PrinceiTe a fe retirer promtement dans la Tour de David., ou elle elpéroit de pouvoir fe foutenir; mais, deftituée de forces, elle fut bientöt obligée de fe foumettre a la dilcrétion du Roi, qui, par la médiation de tout ce qu'il y avoit de confidérable dans 1'Etat, & pour mettre fin a un fcandale capable de faire triompber les Infidèles, voulut bien lui rendre la Ville de Napouloufe, a condition qu'Elle ne fe mc> leroit plus des affaires du Gouvernement, ni de celles de la Couronne. Ce fut-la la première affaire facheufe, qui retarda l'u« tile, & néceffaire, Entreprife ÜAfcalone. La feconde f iit la nécefiité ,dans laquelle fe trouva, prefqifen même-tems,ce Prince, d'aller fecourir le Comté d' Edefie,qui étoit dans un état déplorable, par la mort du Comte Josselin , lequel avoit été pris dans une embufcade , «Sc conduit prifonnier a Jlep, oü il avoit péri dans les fers. Noradin étoit entré dans cette Principauté d'un cöté, pendant que le Soudan dUconium y entra de 1'autre, avec un nombre prodigieux de Cavalerie. Ces deux Princes Infidèles, y mettoient tout a feu «Sc a fang. Ce dernier s'empara même des meilleures Fortereffes, fans que la Comteffe, a qui le Gouvernement en étoit demeuré, put rien faire, pour arrêter le cours de leurs ravages, Baudouin accourut promtement a fon fecours, avec toutes les forces de fon Roïaume; mais voïant,qu'il lui étoit impoffiblededéfendre cette Province,contre deux fi puiffans Ennemis, paree que fon éloignement de Je'rusalem, &le peu de tems qu'il avoit, ne lui permettoient pas de conlerver Pun de ces deux Pays, fans rifquer Pautre, il confeüla a la Comteffe, 6c a fes Enfans, qui s'étoient retirésaTurheffel, Ville de leur dépendance, d'accepter les offres d'EMANué'l, Empereur de Conftantinople. CePrince leur avoit offert d'unir lePays S 2 ÜEdeffe Retraite de la Reine, dans la Tour de David.  Noradin fc? le Sou dan d'Icotium fe tetirent dans Edefie. Ho II I STOI R E G E'NE'RALE & Ede fie a fon Empire, dès qu'il avoit apris le rifque qu'il cour-^ roitj de tomber au pouvoir des Infidèles. Emanuce propofa a cette Dame de lui donner la poiïeffionde plufieurs Terres, dans un Pays auffi abondant, & plustranquile, que ne 1'étoit le Comté Ü Edefie, a condition pourtant. de lui remettre les Places, qui reftoient encore en fon pouvoir, Elle & fes Enfans acceptèrent ce parti, fans balancer, aimant beaucoup mieux, que ce Monarque Grec en fut lui même poffeffeur, que de 1'expofer a finvafion des Barbares. L'Acle de PEchange en fut. paffé, en préfence du Roi, des Barons de la Faleftine, qui 1'accompagnoient, & des Seigneurs Grecs, qui fe trouvèrent dans un corps d'Armée, que 1'Empereur avoit defiiné a défendre cette Province. Peu de jours après cette convention , le Roi Baudouin configna lui-même aux Députés de 1'Empereur Emanucl la Ville de Turbefjel, celles dèAntap, Revende! r Rancolet, Byte, Samofate, & divers autres Lieux; ce qu'il exécuta avec alfez de tranquilité. Le Soudan fticonium, auffi bien que Noradin , aïant quitté la Campagne, pour fe retirer dans Edefie, & dans le« autres ForterefTes, dont ils s'étoient emparés, de crainte que. PArmée Grèque, & la Latine, ne s'uniifent enfemble, &. ne les refferrauent dans quelque endroit, d'oü ils auroient eu de la peine a fe tirer, d'autant plus que ces Barbaj'es, quoique de même Religion , & afiez unis dans cette Expédition , eulTent d'ailleurs des intéréts, qui leur donnoient également de la dé^ fianee. Si les Officiers de PEmpereur Emanucl eurent la fatisfaction de termincr fi heureufement une affaire, qui intéreffoit fi fort leur Maitre, ils eurent prefqu'en même-tems le déplaifir [de yoir. dèferter la plupart des Habitans des Villes, dont ils venoient de prendre poffeffion.' Le Roi Baudouin , touché de compaffion oour ces pauvres Peuples, voulutbien les c.mduire, quoiqu'avee beau*  öë JE'RÜSALEM. LiV. IV. Cel tl %b ?;eaucoup-d'incommodité, & a travers mille dangers, en lieu deriïïrete. Ces Peuples, qui ne croïoient pas les Grecs aflez vaillans 3 ni aflez courageux,. pour les mettre a couvert de 1'infulte des Infidèles', & les garantir de devenir bien-töt leur proie, fe chargèrent-, avec précipitation, de ce qu'ils avoient de plus précieux; &, avec leurs Femmes, & leurs Enfans, ils allèrent fe réfugier dans le Camp Latin , qui fe trouva bien-töt rempli d'une infinité de perfonnes, de tout age, de tout fexe, & de toute condition,, accablés de douleur de quiter leur Patrie, & lesBiens qu'ils y poffédoient. Un fpecTacle fi touchant attendrif-foit jufqu'au moindre des Soldats, qui tous eherchoient a les foulager dans- leur difgrace, & augmenta la pitié de Baudouin, naturellement généreux,. & magnanime. Jl divifa fon Armée, en quatre Corps , & prit lui-même la con4 duite de 1'Avant-Garde. II donna 1'Aile droite aux Templiers, & la gauche aux Hofpitaliers. Le Comte de Tripoli conduifoit 1'ArrièreGarde, dans laquelle fe trouvoit la NobleiTe de la Principauté d1Antioche. On placa, par ordre du Roi, tout ce Peuple infortuné, avec fon bagage, au milieu de 1'Armée, ne doutant point que Noradin , qui poffédoit Edefie, ne mit tout en ufage, pour finquiéter dans fa marehe, fur tout lors qu'il feroit informé du grand nombre de perfonnes inutiles ,.& embarraffantes, donb il s'étoit chargéEn effet, a peine fut - il parti dè Turupan, qui n'eft qu'a; deux lieues de Turbefiel, qu'on commenca a découvrir les Infidèles , qui s'avancoient, pour attaquer 1'Armée Chrétienne , qu'ils cotoïèrent toujours jufqu'au Chateau dAntap,. fans pourtant pouvoir finfulter, ni lui nuire. Comme cette Fortereffe étoit une des plus confidérables du Comté d'Edefie, Emhiroi de Thoron , Connétable de jérufalem, & Robert Sourdeval, 1'un des plus puiffans Seigneurs dè Antioche, tous les deux auffi ambitieux, qu'imprudens, fans confidérer la bonne foi du Traité qu'on venoit de conclure avec les* S 3, Grecs, Chrétiens i'Edefle, conduits par Baudouin. -  142- HÏSTOIRE GE'NE'RALE } l Habitans d E ielTe, bien rep* ifej Seign urs, [y B -''io xfae. AitkïeïV. Grecs, fe préfentèrent également au Roi, 1'un aprés 1'autre, Dour lui en demander la poffelfion, & famircr, qu'ils fe faioient fort de s'y maintenir, avec leurs fèules forces. Mais ce Prince, plus irrité, que fatisfait de leur vanité, fans même daiEjner leur faire aucune réponfe , configna d'abord cette Place aux Grecs, comme il favoit fait de toutes les autres; enfuite de :moi, a la vue, & malgré toutes les tentatives des Ennemis, il continua la marche, avec tant d'ordre, & de précaution, qu'il fut impofiible aux Troupes de Noradin de finterrompre. Ce ne fut pas néanmoins, fans beaucoup foufrir de la quantité de fleches que tiroient les Barbares. Elles pénctroient même, jufqu'aux Chariots, & aux Bètes de charge, qui en furent fi couvertes, qu'en entrant dans la Principauté d''Antioche , eHes re£ fembloient a des Porcs-Epics. Baudouin eut pourtant la confolation d'y conduire fon Armée, & les Habitans du Comté d'£dejje, fans avoir perdu un ièul homme. Ce fut-la, que, pour couronner une fi belle oeuvre, ce grand Prince s'apliqua avec une ardeur, & une bonté inconcevaWe, a donner a ces e ilés volontaires tout ce qui pouvoit adoucir leur mifere affreufe, Sc leur faire oublier la perte de leurs Biens, & de leur Patne. Les Seigneurs, & les Bourgeois ft Antioche, y contribucrent, avec d'autant plus de plaifir, que les fréquentes courfes des Infidèles dans leur Province, oü ils n'épargnoient rien, en avoient confidérablement diminué les Habitans. Pendant que Baudouin faifoit des actions héroïques, dans le Comté ft Ede (Je, & dans la Principauté ft Antioche, le Roïaume de Jérufalem, dont ce Prince ne pouvoit prefque jamais s'éloigner, fans courir quelque rifque, pehfa être furpris d'une manière bien facheufe, a f occafion de deux Freres Turcs, nommés les Joraquins. Leur Pere avoit été Seigneur de Jerufalem, lorfqu'Ai.ef D e'li, Général du Calife ft Egypte, reprit cette Ville, & la remit de nouveau fous la Domination des Sarrafins: changement, arrivé peu de tems avant que Godefroi  m JE'RUSALEM. Liv. IV. Oi. L 143 de Bouillon, «Sc les autres Princes Croifés, en fiffent la Conquête. , _' _. , Les Joraqüins, follicités par leur vieille Mere, qui, ne pou-1 vant fouffrir cette ufurpation, leur reprochoit fi fouvent leur la- „ cheté, «Sc leur peu de courage, qu'elle les porta enfin a affem-} bier quantité de Turcs, «Sc ft Arabes, du Défert oü ils s'étoient j retirés, afin d'entreprendre le recouvrement de la fucceffion pa- 1 ternelle , marchèrent a grandes journées vers Jérufalem , dans 1'efpéranee de la furprendre; mais, comme cette multitude de gens ramafTés ne marchoient qu'en tumulte,& fans ordre, ni difcipline, la nouvelle de leur mouvement parvint bientck a Antioche, d'oü le Roi en fut fur le champ averti, Ce Prince partit en diligence, pour' s'aller oppofer a 1'Entreprife de ces Barbares; «Sc, comme il conjeéhira, que leur prémière furcur tomberoit fur la Ville de Napouloufe , paree que c'étoit la plus voifine, «Sc la moins fortifiée du Roïaume, il s'y rendit, fans même envoïer aucun Detachement a Jérufalem, Mais les Joraqüins , qui n'en vouloient qu'a la Sainte-Cité, qu'ils regardoient comme leur propre bien, trompèrent la prudence, «Sc la précaution de Baudouin. Après avoir fait repofer leur monde aux environs de Damas, ils palTèrent promtement fe Jourdain, «Sc fe préfentèrent tout a coup fur le Mont Olwet, qui eommande toute la Ville, & s'y campèrent. L'Arrivée imprévue d'une fi grande multitude de Barbares étourdit, «Sc épouvanta fi fort les Habitans, qui fe trouvèrent fans Chefs, «Sc fans Soldats,que, fi les Infidèles euffent d'abord eommencé leur attaque, ils les auroient accablés, «Sc fe feroient facilement rendus maitres de la Ville, En effet, au raport de 1'Archevéque de Tyr, cette Place étoit alors fans Murailles; & ils ne manquèrent leur coup, que pour avoir donné le tems a ce peuple effrayé de revenir de la prémière terreur, que leur afpedt lui avoit infpiré. Le même Auteur attribue cet heureux changement aux judicieufes remontran- ce* hirj! 'ures, vnmés les iraquins, ienanii trprendti órufa» ;m'. Conftemttfj'on des Habitans' is Jdrufai' tem.  'Barbares -en déroute. Leur défaite, au nombre de .50000. 144 HISTOIRE CE'NE'RALE ces de quelques vieux Chevaliers de VHópital, Sc du Temple , qui étoient demeurés a la garde de leurs Maifons, & qui fecomportèrent fi efficaceraent dans cette périlleufe conjoncture , qu "ils engagèrent les Habitans a fe mettre en état de fe bien défendre. Ils leur infpirérent même le courage de ne point attendre, dans leurs murs, les coups de ces Barbares, & de leur en porter eux-mêmes dans leur propre Camp; de forte que, par les fages confeils de ces mêmes Chevaliers, ils furprirent les Infidèles, Sc les mirent en déroute, dés le prémier choc. La terreur, qu'ils avoient caufée auparavant aux Chrétiens , les failit eux-mèmes, jufqu'a les forcer de fe précipiter dans les Rochers , qui font du cèté de Jérico , oü le chemin eft encore aujourd'liui fi étroit , fi efcarpé , & fi rapide , que les perfonnes qui y paflent avec tranquilité, & fins aucun emJbaras, ont bien de la peine a s'en tirer , enforte qu'il n'eft pas furprenant, fi , dans une telle occafion, vu le défordre., .Sc la confufion , il y périt un fi grand nombre ftlnfidèks. Car ceux qui avoient cru trouver leur falut dans la Plaine , oü les Habitans de la Ville, contens de leur Vi&oire, ne jugèrentpas a propos de les pourfuivre, n'eurent pas un meilleur fort. Ils gagnêrent du cöté du Jourdain , Sc donnèrent juftement dans 1'Armée du Roi, qui venoit de Napouloufe. Ils furent tous tués, ou noïés dans ce Fleuve: leur défaite fut fi grande, & fi compkttc, que le même Archevêque de Tyr aflure, que, dans cette Journée, qui fut le 23. Novembre de ï'An 1152. ou felon d'autres Auteurs, le 4. Décembre, en comptant ceux qui fe précipitèrent, qui furent malTacrés, ou noïés, il y périt plus de cinquante-mille Barbares. II feroit difficile d'exprimer la joie que le Roi, les Seigneurs, Sc tous les peuples refientirent d'un fi grand avantage, & d'une proteótion fi vifible du Dieu des Armées, qui avoit voulu aveugler les Infidèles, Sc permettre,qu'une poignée de gens fans expjrience les épouvantat, & les mit en déroute. Auifi, après lui  de JE'RUSALEM. Liv. IV. Ch. I. i+f lui en avoir rendu de très-humbles Aótions de grace, tant au Camp, que dans la Ville, Baudouin, profitant de 1'ardeur que cet heureux fuccès avoit infpiré a fes Troupes, fans s'arreter a Jérufalem, les conduifit a Jfcalone, ou il fit ravager toute la Campagne, pour prélude du fiége de cette Place, qu'il méditoit depuis long-tems. Les Jfcalonites, qui, malgré les Fortereffes quon avoit conftruites, pour les tenir en bride, n'avoient pas laiffe de faire quelques courfes fur les terres des Chrétiens , furent alors trés - confternés , foit que la nouvelle de la défaite des Joraqüins les eüt abatus, ou que le manque des renforts, qu'ils recevoient ordinairement d'Egypte , les eüt découragés, ils virent 1'Armée Chrétienne détruire leur Granges, & leurs Hameaux ; couper leurs Arbres ; arracher leurs Plantes, & détruire entièrement leurs Campagnes, fansofer fortir de leurs murailles, ni faire aucun mouvement, pour arrêter des ravages, qui leur étoient d'un préjudice mfiC'eft pourquoi, Baudouin, qui n'avoit penfé d'abord, qu'a faire le dégat de leurs Campagnes, jugeant de leur conftemation, par la lacheté de leur conduite, réfolut de ne plus tarder a les affiéger dans les formes. 11 fit camper fon Armée devant la Place , envoïa des Détachemens fe faifir des paffages , par oü elle pouvoit être fecourue, fit en même tems travailler aux chofes néceflaires pour la bien battre, & envoïa avertir les Barons du Roïaume de fon Entreprife, afin qu'ils vinflent inceffamment le joindre, avec leurs Troupes. Tous les Seigneurs,qui fouhaitoient auffipaffionnément,que le Roi, de chaffer les Infidèles d'une Ville, d'oü ils incommodoientfacilement la plus grande partie de la?ngumr \u fiége.  i4S HfSTOIRE GE'NE'RALE aux afiiégés, qu'ils reconnurent, qu'elle cauferoit leur perte, s'ils ne trouvoient le moïen de la détruire. Pour y parvenir, ils jettèrent, a 1'entree de la nuit, un grand tas de bois fee, dans fefpace qui reftoit entre la Machine & leur Muraille, fur lequel il verfèrent quantité d'huile , de goudron, & de fuif; ils y mirent le feu, qui s'alluma avec tant de promtitude, «Sc de violence, qu'il fut impoilible aux Chrétiens , & aux Infidèles même, a qui cet incendie devint également préjudiciable, de 1'éteindre, quelque chofe qu'ils puffent faire. Un vent impétueux, qui fe leva fubitement, poulfa les tourbillons de la flamme effroïable de ces amas de bois contre la Muraille, dont elle fut fi échaufée «Sc fi embrafée, pendant Ie refte de la nuit, que,précifément au point du jour, il entombaune partie,qui fit un affezgrand efpace, pour pouvoir entrer facilemenc dans la Ville. Un bonheur fi grand, & fi inefpéré, & qui auroit rendu dès-lors les Chrétiens maitres de la Place, s'ils y étoient entrés avec 1'union, & la prudence néceflaires, dans une occafion fi importante, «Sc fi délicate, penfa, au contraire, les obliger a *bandonner un fiége, qui leur coütoit déja fi cher; Bernard de Tre'mulai , Maitre des Templiers, qui fe trouvoit le plus proche de la brèche, vouloit que les Chevaliers de fon Ordre eufient 1'honneur d'être les prémiers a réduire les afiiégés, comme il le croïöit fort aifè; «Sc, fuivant 1'avidité qirïl avoit de s'emparer de leurs plus riches dépouilles, il fut aflez imprudent, «Sc mal-avifé, pour ne faire entrer dans la Ville que foixante de fes Chevaliers, avec un petit nombre de Troupes; comme fi cette poignée de monde eüt été capable d'eifrayer, «fe de défaire des gens, qui jufqu'alors s'étoient défendus contre toute l'Armée, & qui avoient donné tant de marqués de courage & de fermeté. II fit plus, il fe pofta lui-mêmc, avec le refte de fon monde, a 1'entrée de la brèche, «Sc empêcha les auires Troupes, qui y accoururent, d'y monter. La préfomption, Otf  de JE'RUSALEM,: Liv. W. Or. T. cmï'avarice , aveudoit le Chef d'une Réiigion, Iaquclle ne dcvois avoir en vue quefc gloire & 1'avantage commun des Chrétiens, qui, par la mauvaife conduite d'un feul homme, perdirent tous les fruits de leurs travaux, «Sc fe trouvèrent comme a recom- mencer. . . En effet, les Infidèles qui reconnurent, que le petit nombre d'affaillans n'étoit point foutenu par d'autres Troupes, les environnèrent, avec tant de promtitude, «Sc de fureur, qu'ils les mirent tous enpièces en un moment,& travaillërent,avec tant de foin, & de diligence, a réparer leur brèche, qu'ils la rétablirent parfaitement, avant même que le Roi fut informé du trifte accident qui venoit d'arriver.. H en fut d'autant plus touché, qu'il fe voïoit par-la retardé, dans la Conquête d'une Place, qui lui tenoit fi fort acceur, «Sc qu'il fembloit que la fortune avoit voulu lui procurer, par 1'ouvrage même de fes propres ennemis;. Outre ce déplaifir, ce Prince eut encore la douleur,- de voir expofés aux crénaux des Murailles les corps de tant de braves Chevaliers, «Sc de vaillans Soldats, qui avoient fi malheureufe• ment péri, pour avoir obéï a leur Chef, «Sc celui d'entendre les Barbares pouffer de grands cris de joie, & dallégreffe. lis fe moquoient en effet de lui,«Sc de fon Armée, par des geftes ïnfames, qu'ils joignoient a mille paroles piquantes, & injurieufes. Ce Prince reconnut encore, avec un doublé chagrin, le découragement des Officiers, «Sc des Soldats, qui étoient plus difpofés a abandonner le fiége, qu'a chercher les occafions d'en venir aux mains avec les Infidèles, dont ils craignoient également la réfolution, «Sc la bravoure. En-effet, le bruit s'étant répandu, dans le Camp, que Noradin s'étoit emparé du Roïaume de Damas , après la mort dAmard, qui, en qualité de Gouverneur de cet Etat, favoit confervé a fes légitimes Maitres; «Sc qu'après une Conquête fi avantageufe, ce Soudan étoit allé affiéger la Ville de Belline, T 3 poffé-  iyo HISTOIRE GE'NE'RALE Difpofoio des Chré tiens a mrlejitg, Oppofttion du Maiu de i'Hopi tal a la k vée du fu polTédéc par les Chrétiens ,il n'y eut que le Maitre des Hofpitaliers , qui, animé d'un fincère attacJiement au bien public, & d'un ardent défir de réparer le dommage, & Paffront caufé par Pimprudence du Maitre des Templiers,[ s'oppofat au fentimentde toute PAffemblée, qui opinoit pour la levée du fiége, fous prétexte Maller s'oppofer aux entreprifes de Noradin, dont 1'agrandiffement ne pouvoit être que très-funefte au Roïaume de 'Jérufalem. Le Maitre de VHöpital repréfenta, avec ardêur, la néceffité oü. fon étoit de tout fouffrir, pour terminer une Entreprife, dont ''"dépendoit le repos de tous les Chrétiens de la Terre-Sainte. II ; fit voir, qu'en ï'abandonnant, les Sarrafins, devenus plus fiers, ' & plus orgueilleux , ne manqueroient pas de redoubler leurs courfes, & ieurs ravages, avec encore plus de ftireur qu'aupara■vant. II releva la honte qu'il y auroit k décamper de devant une Place, qu'ils tenoient afïïégée depuis plus de fix mois, & qnlis -avoient réduite a une extréme difette de vivres, fans efpérance d'en recevoir: il ne faut,'leur dit-il, qu'un peu de pa, tience, pour Parracher aux Infidèles, & pour mettre tout le - Roïaume a couvert de leurs imfultes, de ce cöté-la. Ce difcours . fut prononcé avec tant d'ingénuité, & de force, qu'il perfuada enfin le Roi, & tous les Seigneurs du Confeil, de pouffer, avec la dernicre vigueur, une Entreprife fi avancée, & d'oü dependoit ou la gloire, ou le désbonneur des Armes Chrètiennes. On voit par-la, que, fi le Maitre des Templiers fit manquer la prife d'une Ville fi importante, les fages reraontrances de celui 4e 1:'Höpital en procurèrent la Conquête. On recommenca donc les attaques, avec tant d'ardeur & de réfolution; & les fioldats, animés par les exhortations, & fintrépidité de leurs Chefs, firent fi bien leur devoir, qu après fix mois, & demi de fiége, ils réduilirent enfin les Afcalonites a capituler avec les Chrétiens. Ceux-ci de leur cöté étoient entrèmement fatigués de leurs pertes, & de tout ce qu'ils avoient fouifert, pendant un fi  d» JERUSALEMi Lrv. IV. Ch. I. iji fi long fiége. Auffi ,ne crurent-ils pas devoir réduire audéfefpoir des gens capables de les arrêter encore long-tems, & de leur faire acheter plus chèrement leur défaite. Ils ne balancèrënt pas a accepter leurs propofitions, &, en vertu du Traité qu'ils conclurent,-le 12. Aoüt 11 ft- üs entrèrent triomphans dans la-Ville, que les Jfcalonitcs évacuèrent, deux jours après cet accord. \ ïls fe retirèrent, avec leurs Femmes,Enfans,& Effets portatifs, { a la Ville de Larizza, dans YJrabie dèferte, oü le Roi eut la génerofité de les faire efcorter, par un Detachement de fes jTroupes. , t> 7 r La prife ÜAfcalone intérefioit fi fort les Peuples de la PaleJtine, qu'ils s'emprelfèrent tous a donner des marqués de leur joie, par des Fêtes, & des Réjouïlfances publiques. Ceux de la campagne, en particulier, reffentoient un plaifir qu'on ne peut exprimer; ils fe voïoient en liberté de cultiver deformais leur terres, fans craindre davantage, que d'autres en fiflertt la moiffon. Le Roi aïant fait une aquifition que fes Prédecelfeurs avoient tant fouhaitée, & après laquelle lui-même avoit tant foupiré, fit d'abord purger la Ville, & purifier les Mofquêes, dont il fit autant d Eglifes. Le Patriarche, accompagnéde tous les-Prélats, célébra la Meffe pontificalement , dans la Cathédrale, & entonna le Te Deum, en AcTion de graces. Les Exercices de piété finis, on n'entendit plus que des cris & des aclamations de joie dans la Ville, & tous les Lieux d'alentour. Baudouin donna enfuite fes prémiers föins a faire réparer promtement les Murs de la Ville, a y attirer des gens de toute forte de profelfions,pour la peupler, & a y établir un bon ordre, tant pour la Guerre, que pour la Police. Afin qu'il ny arrivat aucun trouble, dont les Infidèles piment profiter , il y mit une forte Garnifon , & en donna le Gouvernement au Baron dIbèlin. Après cela, il s'en retourna a" Jérufalem, trcsfatisfait de fon Expédition, & cönterit dirMaitre de ïMpifaf qm, "54- 'rifed'Malone,ar capita%tim. AEtims de graces , après la prife de la Vüle.  Jrtkls I. Difftntiot Jcandaleufe, entre les Ecclé fialriques ö>/«Hol pitaiiers. HISTOIRE GÉ'NE'RAL E qui, par fes prudens avis, avoit fi fcrt contribué a cette fanieufe Conquête. Les aplaudilfemens, que ce Chevalier re9iit en Syrië, furent, bien-tót fuivis d un honneur, & d'un avantage très-confidérable, pour tout fon Ordre. Les Princes de 1'Europe, non moins fenfibles que ceux cïOutremer a la prife déAfcalone, louërent fi fort fon action hêroique, que le Pape Anastase IV. qui en reffentit, en fon particulier, une confolation infinie, voulant récompenfer le fervice que leMaitre de ïHöpital avoit rendu,dans cette occafion,a toute la Cbrétienté, lui expédia une Bulle,par laquelle il ajouta plufieurs privileges a ceux que fa Religion poffédoit déja. II fut déelaré a favenir indépendant du Patriarche de Jérufalem , & des autres Prélats de la Syrië, a Tégard de tous les biens, qu'ils poffédoient dans leurs Diocèfes. Ce bon Pontife ne fongea pas, que ces Immunités eauferoient bientót des défordres, & des fcandales infinis, dans un Pays , oü rien ne devoit occuper les Chrétiens , que le foin de fe maintenir dans la poffeflion de leurs terres, & de les garantir des infultes des Barbares , qui les environnoient ; fur-tout dun Ennemi auffi voifin, & auffi redoutable, que fétoit Noradin, contre le bonheur, & la profpérité duquel toute la valeur, & la prudence de Baudouin étoient mutiles. Chapitre II. ON vit bientót la jaloufie s'emparer des efprits. Le Patriarche, les Prélats, & les Hofpitaliers, plus attachés a leurs intéréts particuliers, qu'a l1honneur,& au bien général des ' Chrétiens, envinrent a de fi grandes extrémités, que, pour s'entrfr  de JEHUSALEM. Liv. IV. Ch. II. ifï s'entre-détruire,ils emploièrent les Armes, qui leurdevoient uniquement fervir contre Pennemi commun de leur Religion, & de leur Patrie. , , D'un cöté, les Hofpitaliers, autorifés par la nouvelle Bulle du Pape , réfufèrent non feulement de payer les dimes aux Evêques, mais foutinrent encore, que tous leurs Eccléhaftiques, & autres ValTaux, ne devoient plus dépendre de leurs Pafteursordinaires, ni pour le fpirituel, ni pour le temporel. De 1'autre cöté,les Prélats ne pouvant fouffrir d'être pnves des avantages, & des prérogatives, qui étoient attachés a leurs dignités, armèrent des gens pour foutenir leurs droits; mais, comme ils .étoient trop foibles, & trop peu expérimentés, pour rien gagner, par la voie des Armes, contre une Religion auffi puiffante, & auffi belliqueufe, que Pétoient les Hofpitaliers, ils en furent trés-mal menés, &perfécutés jufques dans les Eglifes mêmes; fur tout dans celle du Saint-Sépulere, oü, felon Guil- "sslaume de Tyr, on voïoit encore,de fon tems, fufpendues aux Murailles dece vénérable Temple, les flèches que les Hofpitaliers y avoient tirées contre les Eccléfiaftiques , pendant POffice Divin. x , j • v . Ces violences oUigèrent le Patriarche Fulcher, age de pres de cent ans, de s'embarquer au commencement de Pannée 11 avec les Archeveques de Tyr, & de Céfarêe, les Evêques de Sidon, de Ptolomaïde, de Tibèriade, & de Sébafle, pour en aller porter leurs plaintes au Souverain Pontife. Mais, comme VItalië fe trouvoit alors encore plus agitée , que la Palejline, & que le Pape Adrien IV. qui avoit fuccédé a Anastase ,. étoit également dans de grands embarras, par raport aux guerres , & aux féditions, caufées par Pexcommunication qu'il avoit fulminée contre Guillaume Roi de Steile, le Patriarche, & ks Prélats, n'eurent pas toute la fatisfadion, qu'ils avoient efperée, contre les Hofpitaliers. Le Saint Père, entièrement occupé des troubles du Saint Sié- V ge,  Mdffacre du Calife ^'Egypte, par le Soudan , Ebeis.. Maffacre du Soudan, prije de Noferadin, ptr las Chevaliers de l'Hópital, & du Temple. m II I S T O I R E GE' NE' R A L E ge, remit 1'examen de cette affaire ades Avocats Confiftoriaux % qm, après divers plaidoïers , & conteftations, fe déclarèrent pour les Hofpitaliers ; foit qu'AüRiEN voulüt maintenir ce que fes Prédéceffeurs avoient fait en faveur de ees Chevaliers ou que, felon le même Archevêque de Tyr, le Pontife, «Sc le facré Collége euffent été gagnés par les grands préfens des Chevaliers on les conhrma dans tous leurs Priviléges, Immunités, «Sc Exemptions, pendant que le Patriarche, & les autres Prélats, furent contraints de s'en retourner, fans aucune réparation des infultes qu'ils en avoient recües. Cette mortification ne fut pas la feule, que recurent ces Ec- cléfiaftiques.. Ils eurent encore, en arrivant en Palejline, celle que leurs ennemis avoient confidérablement augmenté leurs richefTes, & leur crédit, «Sc qu'ils cravailloient même a faire de nouvelles acquifitions, pour diminuër. encore 1'autorité, & les ré-venus de leurs compétiteurs. Cependant les Hofpitaliers, & les Templiers, qui entretenoient des efpions chez tous les Princes Infidèles du voihWe avoient été informés, que le Soudan Ebeis, alors Gouverneur gypte, fous le Calife, fe moquant du refpecf,. que les Peuples avoient pour ce Calife, qu'ils nommoient Idole de Souverain, 1'avoit mafTacré, «Sc s'étoit emparé de fes immenfes tréfors,dans le deffein d'élever fur le Trone fon Fils Noferadin; mais que Ie foulèvement du Peuple ne lui aïant pas donné le tems d'exécuter ce grand projet, il avoit été contraint de s'enfuïr, avec toute fa familie, «Sc fes richeffes, pour aller chercher un azile a Damas, Les Chevalliers profitèrent fi a propos de ces avis, qu'ils fe mirent en campagne, joignirent le Soudan, avant qu'il put arnver a Damas, le maffacrèrent avec la plupart de fa fuite, a la referve de Noferadin, fon Fils, qu'ils prirent vifs. Ils firent auffi un butin ineftimable. Les tréfors du Roi d''Egypte, que ce Soudan. emportoit avec lui, étoient,fans contredit,les plus grands, les  de JE'RUSALE M. Liv. IV. Ch. II. ïfi les plus riches, & les plus rares de tout VOriënt, malgré les grandes révolutions, qui étoient arrivées dans ce Roïaume; de forte qu'il n'eft pas furprenant, fi, après une avanture auifi extraordinaire, qu'heureufe, pour les Ordres Militaires, ils cherchoient, avec tant d'avidité, a s'en emparer, pour s'agrandir. Emphroi de Thoron, Connétable de Jérujalem, étoit alors Seigneur de Belline, «Sc fe trouvoit continuellement inquiété par Noradin, depuis qu'il poffédoit la Ville de Damas. Emphroi, voulant fe foulager des groffes dépenfes, qu'il étoit obligé de faire, pour entretenir la garnifon d'une Place fi expofée, & pourvoir mieux a fa confervation, s'accommoda avec les Hofpitaliers, auxquels il vendit la moitié de la Souveraineté, a condkion qu'ils y enverroient inceffamment un bon nombre de Troupes, avec toutes les armes, «Sc les munitions néceffaires. Comme cette acquifition faifoit autant d'honneur aux Hofpitaliers, qu'elle pouvoit leur devenir utile, Raimond de Podio, leur prémier Maitre , y envoïa promtement plufieurs de ces Chevaliers, bien accompagnés, pour en aller prendre poffeffion,, «Sc pour y conduire un grand convoi d'armes, «Sc de munitions de guerre, Le Jtégt xbcmdmn  i6o HISTOIRE GE'NE'R ALE Nouvelle entreprife contre les Infidèles. Le fii^ede Céurée, fur ÏOionte, ouTarfac. Prife de li Ville, fans le Chateau. bien pourvues, engagea le Roi a fortir d'abord, avec toute fon Armée, pour aller rencontrer ce Comte. Après les accueils, & les civilités, ordinaires, ils partirent enfemble pour Antioche, d'oü Baudouin envoïa prelfer les Ordres Militaires de venir le joindre, & follicita, en même-tems, Thoros , Prince d''Arménie, de vouloir unir les Forces aux leurs, afin de ne point perdre une occafion fi favorable de faire quelque entreprife d'importance linies Infidèles. Thoros , qui ne le défiroit pas avec moins d'ardeur, fè rendit lui-méme avec fes Troupes a Antioche, oü le Comte de Tripoli, les Chevaliers de YHópital, & du Temple, étoient déja arrivés. D'un commun confentement ils allèrent affiéger la Ville de Céfar et, que quelques-uns, nomment Ce'sar e'e, Place fort confidérable fur le Fleuve Oronte, appellé aujourd'liui Tarfac, qui traverfe la Ville d1'Antioche. Ils fe fervirent fi utilement des machines, qu'ils avoient fait conftruire pour la battre, qu'en peu de jours ils fracalfèrent les murailles, & s'en rendirent les Maitres; Mais elle avoit un fort Chateau, oü la plupart des habitans fe retirèrent. Les Chrétiens fe difpofoient a 1'attaquer, lorfquele même malheur, qui avoit accompagné toutes leurs entreprifes, fit encore échoüer celle-ci. Soit par prédilection, ou autrement, le Roi déclara dans un Confeilj que, pour conferver la Ville, dont on venoit de s'emparer, il n'y avoit pas de meilleur raoïen que de la remettre au Comte de Flandres , comme plus en état de la maintenir. Raimond de Chatillon, qui, a caufe de fon mariage avec la PrinceiTe Constante, gouvernoit alors la Principauté d1Antioche, ne s'oppofa pas ouvertement ala propofition de Baudouin; mais il fit comprendre, que celui qui polféderoit Céjarée, feroit obligé d'en faire hommage, & de prêter ferment de fidelité, au jeune Bocmond, fon Beau-Fils , légitime héritier c\c la Principauté, dont cette Ville dépendoit. Le Comte de Flandres, qui ne vouloit réconnoitre d'au- tre  be JE'RUSALEM. Liv. IV. Cm II. 161 tre fupérieur , que le Roi, méprifa la propofition de Raimond. Et les autres Seigneurs de 1'armée, foit par jaloufie, ou par d'autres motifs, prenant tous part a ce démêlé, les uns pour, les autres contre, fe dégoutèrent teliement les uns les autres, qu'au lieu de s'attacher férieufement a réduire le Chateau, comme ils 1'auroient pu facilement, ils fe débandèrent peu, a peu, &c s'en retournèrent a Antioche. Ainfi, par une conduite aufii indigne, que honteufe, ils firent évanouïr toutes les efpérances, que les Chrétiens avoient coneues de leurunion, & de leur entreprife, laquelle n'aboutit enfin, qu'a la prife d'un petit Chateau, que les Infidèles polfédoient a quatre lieues dèAntioche , & dont les Citoïens incommodoient trés-fouvent les Bourgeois de cette Ville, & ceux de la Campagne. Voila comment les difpofitions les plus favorables, & la plupart des fecours de 1'1 Europe devenoient inutiles aux Chrétiens de la Terre-Sainte. II n'eft donc pas furprenant, que les Infidèles les aïent enfin chalfés d'un Pays, oü les paffions, les intéréts, & la jaloufie, triomphoient également, & oü, par une politique inconcevable, les Souverains fe dépouillèrent de leurs Villes, & de leurs Clrateaux , pour engratifïer des perfonnes, dans desvües particulières, ce qui leur faifoit très-fouvent des ennemis plus rédoutables, que les Barbares mêmes. D'ailleurs, ils ne recevoient de ces perfonnes aucun fecours, fi non, lorfque leurs Ennemis communs attaquoient quelque endroit, qui les intérelfoit tous, & rarement, lorfqu'il faloit les attaquer fur leurs propres terres; fatalité que le Roi Baudouin , & fes Prédécelfeurs, n'éprouvèrent que trop fouvent, fans y pouvoir rémédier. Dés que ce Prince, le Comte de Flandres, & les Ordres Militaires furent de retour a Jérufialem, après 1'inutile journée de Céfiarée, il fut obligé de reprendre les armes, pour aller délivrer le Fort de Sueta. Ce Fort n'étoit, a proprement parler, qu'une Caverne, fituée fur une Montagne, prefque inaccelfible. mais dont le pofte étoit très-important aux Chrétiens, Noradiïs X Pétoil Rtflexim piitiauc. AxticUlll. Caverne At Suéca fur une mcntagnc.  i62 HISTOIRE GENERALE Défaite de Noradin. Suéta dèliwé.. Mariage de Baudouin , avecTbéodoreComr.ène,F»7le de ïEmf treur de Conftantinople. ii 59. L étoit allé affiéger, dés qu'il fut relevé de fa maladie. II auroit même réduit les afiiégés a fe rendre, s'ils n'étoient fecourus dans dix jours. L'armée du Roi aïant paru, avant ce terme , le Soudan quitta le fiége, pour 1'aller affronter dans la Plaine de Pu* thua, oü. il engagea d'abord une bataille, qui lui fut très-funefte; puifque la meilleure partie, de fon armée fut taillée en pièces, & 1'autre obligée de fe fauver en grand défordre. Ce Prince Jnfidele, qui étoit plus accoutumé a vaincre, qu'a être vaincii jfut fi déconcerté de la défaite de fes Troupes,que, fi le Roi eüt été fecondé par les Seigneurs de la Paleftine, qu'il avoit inutilement follicités dele venir joindre, fa Vicïoire auroit été des plus complettes; mais, comme les Barons n'étoient pas fort exacls a fuivre fes ordres, & qu'il n'ofoit trop entreprendre avec fes feules Troupes; tout 1'avantage, qu'il remporta dans cette grande journée, fut, qu'il délivra le Fort de Suéta, & fit celfer, pour quelque tems, le bruit de la guerre, dans fes Etats. Ce fut, pendant cette tranquilité, que Baudotjw termina fon mariage, qui avoit été traité quelque tems auparavant, avec The'odore Comnène, Fille de 1'Empereur de Conftantinople. Cette PrinceiTe fut conduite a Jérufalem. La cérémonie de leurs nóces fut célébrée, avec d'autant plus de pompe, & de magnificence, que le bruit de la guerre y avoit entièrement cesfé, & que chacun s'abandonnoit, fans crainte, a la joie, & au plaifir de voir Lx fatisfacfion de leurs Souverains. Ces Réjouilllinces durèrent même aflez long-tems. On nefait pour quelle raifon 1'Empereur EmanucL s'étoit rendu a Antioche,. Les uns attribuèrent le voïage de ce Monarque a quelques affaires fecrettes, qu'il vouloit traiter perfonnellement avec le Roi.. Les autres conjecfurèrent, que c'étoit par raport a la fatisfac tion, qu'il avoit de vifiter la Reine fa Nièce. Qiioiqu'il en foit toute la Cour de Jérufalem fe rendit a Antioche, oü les divertiffcmens recommencèrent avec encore plus d'éelat, que dans la Capi-  de JE'RUSALEM. Lm TV. Ch. I 163 Capitale. On y inventoit tous les jours différens fpeclacles . pour amufer agréablement ces Princes, pendant que les Infidèles fe faifoient la guerre entre eux, & ne penfoient qu'a s'entre-détruire; ce qui rendoit plus fenfibles les plaifirs de la Cour, & des Peuples, qui, par la continuation de la difcorde de ces Barbares , demeurèrent auffi, pendant quelques années, dans une profonde paix; Au lieu qu'ils auroient dü profiter de la difcorde de leurs Ennemis, «Sc fe fervir de cette occafion pour rétablii leurs affaires. Noradin s'étoit fi fortement acharné contre le Soudan d'Ieonium, qu'il emploïoit toutes fes forces, «Sc toute fon induftrie, pour fe dédommager,fur lui, de la honte, «Sc de la perte, qu'il avoit recuë a Putbua. II eft vrai, que le Roi Baudouin, quof. que belliqueux, & entreprenant, apparemment fatisfait de ce qu'on le lailfoit en repos, ne fit alors aucune tentative , pour profiter des embarras, oü fe trouvoit fes Ennemis; foit qu'il fe fut un peu trop abandonné aux plaifirs, qui avoient fuivi fon mariage, ou qu'il voulüt laiffer jouïr tranquilement fes Sujets, de ce tems paifible, pour fe refaire du paffé. Les Templiers, que 1'avarice, «Sc la cupidité dominoient, «Sc auxquels ce tems de paix, «Sc de tranquilité, ne convenoit point, paree qu'ils ne faifoient plus, ni courfes, ni butins, pour s'indemnifer de ce qu'ils avoient manqué de gagner, firent alors une a&ion bien indigne de leur profeffion, «Sc qui fit extrèmement crier le Prince, «Sc tous les Cbrétiens. Noseradin, Fils du Soudan Ebeys, que ces Chevaliers avoient pris, en s'enfuïant ft Egypte a Damas, étoit un jeune Seigneur de beaucoup d'efprit. II apprit, pendant fa captivité, a parler, lire, «Sc écrire la langue Latine; «Sc, après avoir été inftruit des vérités de la Religion Chrétienne, il demanda a être batifé; Mais les Templiers furent aflez cruëls, «Sc inhumains, pour le vendre aux Egyptiens, qui le recherchoient, pour fe vanger, fur lui, de l'aécion criminelle, que fon Père avoit faite, & de la X 2 fedi-^ XI5*. Aïïkn indigne dis Templiers.  u«3. ri<54. Article I. Mort de Baudouin, dgt de 33ans,le 13. Etv. 1163. Moïiratfcü dun Barbare, ipriï la mort de ƒ« imemi. 164. HISTOIRE GE' N E' R A L E fedition qu'il avoit caufée dans leur Roïaume, voulant fe délivrer, difoicnt-ils, de la crainte qu'ils avoient, que ce jeune Seigneur, qui avoit 1'efprit entreprenant, n'introduifit un jour quelques Ennemis dans leur Pays, capables d'y caufèr de nouvelles défolations. Ils en payèrent aux Templiers 70000. écus, en argent comptant, dont ils furent affez éblouïs, pour oublier la crainte de Dieu, & des Hommes. Action infame, & déteftable, qui coüta la vie a un Prince innocent, dont la confervation pouvoit devenir d'une grande utilité aux Chrétiens. Les Sarrafins ne 1'eurent pas plutöt en leur pouvoir, qu'ils 1'enfermèrent dans une cage de fer, le conduilirent au Caire, oü ils le devorèrent a belles dents.. Chapitre III. LEs Chrétiens de la Paleftine ne tardèrent pas a avoir un nouveau fujet de douleur, & d'affliction, incomparablement plus facheux pour eux, que toutes les incommodités de la guerre, dont ils étoient ravis d'être débarraiTés, depuis quelque-tems. Cefujet fut la mort inopinée du Roi Baudouin, qui mourut a Baruth, le 13. Fevrier 1163., foit de mort naturelle,ou, comme quelques-uns le foup9onnèrent, par la perfidie de fon Médecin. 11 étoit agé de 33. ans, dont il en avoit régné co. pendant lefquels il avoit fait un fi grand nombre de belles actions, qu'elles lui avoient attiré 1'amour, & l'aftechon de tous fes Sujets , 1'eftime, & la vénération de tous les Étrangers, & celle des Infidèles mêmes. Noradin, en particulier, quoiqu'ennemi juré de tous les Chntiens, dont il ne refpiroit que 1'abaiffement, & la deftruc, tion, avoit tant de confidération pour fa valeur, fa générofité, & fa prudence, que, lorfqu'après fa mort, fes Officiers lui pro- posèrent  Ét JE'RUSALEM. Liv. IV. Ch. III. ï6$ fibsèrent cfattaquer le Roïaume de Jérufalem, afin de profiter de la confternation que fa perte caufoit a fes Sujets, il fut fi généreux, qu'il leur répondit, que leur affliction étoit trop jufie, pour vouloir en tirer avantage, puifqu'ils pleuroient la mort d'un Souverain, qui les avoit gouvernés avec tant de douceur, & de bonté, & dont ils ne trouveroient jamais d'égal, dans le refte du monde. Rare exemple de modération dans un Barbare, qui, malgré fon ambition, & fon défir de conquérir, préféroit a fes propres intéréts la déférence, qu'il avoit pour le mérite & la vertu de ce grand Prince. Son Corps fut tranfoorfé a Jérufalem , & inhumé dans 1'Eglife du St. Sépulcre, a cöté de fes Prédecefleurs. Les pleurs , & les régrets, furent beancoup plus grands, que la pompe de fes funérailles. Comme il ne laiffa point d'enfans de Theodora , fon Epoufe , Alme'ric , Comte de Jaffa , fon Frère, prit d'abord 1'adminiftration du Gouvernement. II fut, peu de jours après, folemnellement eouronné, dans le même Temple, oü il recut le ferment de fidélité de tous les Ordres du Roïaume. La Reine Tiieodora Comne ne fe retira a Ptolomaïde, d'oü Elle fut enlevée, quelques mois après , par Andronic Comne'ne, fon Parent, fcélérat fi connu dans l'Hiftoire , tant par fes grandes cruautés, que pour avoir ufurpé 1'Empire fur Alexis II. fon PetitNeveu, qu'il eut rhumanité de faire étrangler, avec plufieurs Seigneurs Grecs du plus haut rang, afin de fe mieux affermir fur le Tröne, & enfin par fa propre mort tragique. Car, après deux ans de règne, on pour' mieux dire de tiranie, le peuple fatigué, proclama Empereur Isaac Lange , que ce perfide perfécutoit. Ils portèrent leur relfentiment, jufqu'a enchaïner Andronic ; &, après 1'avoir ignominieufement promené par toute la Ville deConflantinople,ils lui crevèrent les yeux,le pendirent, & le mirent en pièces, fans épargner aucun de fa Familie. Cependant, le Roi Alme'ric, ou Aime'ri, foit qu'il'aimdt la guerre,ou qu'il craigmt,que 1'oifiveté,danslaquelle lesTrou- X 3, pes Eloges de Baudouin, i«r fon en~ iemi. Suceeffm' avec fes Troupes. Le Prince ft Antioche, le Comte de Tripoli, «Sc Calmand , Gouverneur de Caramanie, avec plufieurs de leurs principaux Officiers demeurèrent prifonniers de Noradin, a qui 1'ardeur inconfidérée de fes Ennemis donna occafion de fe vanger doublement, de la perte qu'il avoit faite peu auparavant. Après cette Victoire, perfuadé, qu'il ne trouveroit plus d'oppofition a fon deffein, il alla recommencer le fiége ftArène,, dont il ne tarda pas, beaucoup a s'emparer. II marcha enfuite vers Belline, oü il avoit fi fouvent échoué.. II en fórma le fiége;«Sc,quoique cette Place lui réfiftat incomparablement plus que la prémière, la défaite du Prince ft Antioche, & du Comte de Tripoli, jointe a 1'éloignement du Roi aïant fait comprendre aux Habitans, qu'ils s'opiniatreroient inutilement a la défendre,ils prirent le parti de la rendre, a condition de pouvoir fe retirer, avec leurs effets, dans telles autres Villes du Roïaume de Jérufalem qu'ils fouhaiteroient; ce que Noradin leur accorda facilement. II demeura ainfi Maitre d'une Ville,  de JEUUSALEM. Liv. IV. Ch. IIL in Ville, qui étoit fort a fa bienfeance,foit par raport a fa proximité avec fes Etats, que paree qu'elle étoit la Clef de ceux des Chrétiens de ce cöté-la. Chapitre IV. LEs difgraces des Chrétiens ne fe bornèrent point alors a Ia perte de ces feules Places, ni aux ravages de Noradin. Syracon, non moins animé que lui, voulant fe vanger en fon particulier, de 1'obftacle que ie Roi Alme'ric avoit mis a fes projets fur Y Egypte, aïant apris, en quittant ce Roïaume, les progrès de Noradin, fon Maitre, au lieu de fe retirer droit a Damas, entra de fon cöté dans celui de Jérufalem, & fe préfenta devant la Caverne du Tiron, nommée Maara , fituée dans le Territoire de Sidon. II reconnut d'abord, par la force, & la fituation de ce Pofte,que,fi ceux qui le défendoient faifoient bien leur devoir, il y emploieroit inutilement fon Armée; c'eft pourquoi,il travailla a les gagner a force d'Argent,& y réüffit. Ces perfides, plus fenfibles a 1'attrait de ce Métal, qu'a la perte de leur lionneur, & a leur manque de fidélité envers le Prince, qui leur en avoit confié la garde, livrèrent ce Fort a cet Infidèle; &, pour fe mettre a couvert du chatiment, que méritoit leur félonie, & jouïr du bien qu'elle leur avoit procuré, ils fe retirèrent auprès de lui. Le feul Commandant, qui voulut prendre une route différente, fut pris, & conduit a Sidon y oü il recut d'abord le chatiment que méritoit fa trahifon. Syracon, encouragé par 1'heureux fuccèsde Maara-, traver* fa lè Jourdain, & mit le fiége devant une Caverne également forte, fituée au-dela de ce Fleuve, & dont la confervation n'étoit pas moins importante aux Chrétiens. On n'auroit jamais; Y % crur. Syracon, avec fin Armée, tn~ tre dans le Roïaume de Jérufalem.  Douse Cbev.iliers du Trnpk f mins,pa «rdtc d Al méric. Syracon perdlaconfiance de Noradin. 174. iriSTOIRE G W W'E'RAIE cru, que les Sarrafins eulTent emporté ce Pofte, paree qu'il étoit défendu par les Chevaliers du Temple, 11 accoutumés a être aux mains avec eux, que leurs attaques n étonnoient point, «Sc dont la fidèlité n'étoit point fufpecle, & qui enfin avoient fi fouvent donné des marqués éclatantes de leur valeur, «Sc de leur courage. Cependant, contre Patter.te publique, & au grand étonnément du Roi Alme'ric, qui étoit de retour ft Egypte, & qui s'étoit mèmê mis en marche, pour les aller fecourir, foit par lacheté, ou pour quelque autre motif, après avoir foutenu affez mal quelques aflauts, ils la rondirent a Syracon, qui leur permit d'en fortir, avec leur bagage. La lacheté de ces Chevaliers, dans cette occafion, piqua fi fort Alméric, que, dans les prémiers tranlports de fa colè' re, fans confidérer,qu'ils n'étoient ni fes Sujets, ni foumis a fa jurifdichon, il en fit pendre douze; Action violente, qui n'eut pourtant aucune mauvaife fuite. Tout leur Ordre étoit fi bien entré dans le jufte reifentiment du Roi,qu'ils n'en témoignèrent aucun mécontentement. Si le retour de ce Prince ne put empêcher la perte d*un Poft te fi avantageux, il arrêta du moins les entreprifes, que Syracon auroit continué de faire fur fès terres. Cet Infid le connoiffoit trop la valeur de fon Ennemi, pour fe rifquer a faire aucun autre fiége. II fe contenta de munir les deux Forts, dont il venoit de s'emparer, «Sc s'en alla a Damas, dans 1'efpérance, que ces Conquêtes effaceroient 1'idée du mauvais fucces de fon Voïage d1Egypte; Mais, foit que Noradin fut mécontent de ce qui s'étoit paffé, ou que 1'éloignement eüt diminué 1'inclination que ce Soudan avoit pour lui, il ne témoigna plus a ce favori la même confiance. II la redonna a ceux qu'il en avoit privés. Syracon,qui n'avoit rien a fe reprocher, fut fi mortifie d'un tel changement, qu'il réfolut, fur le champ d'aller chercher, auprès de quelque autre Souverain, la fortune qu'il venoit de perdre auprès du fien. Car, quoiqu'efclave d'origine, comme il  de JE'RUSALEM. Liv. IV. Ch. IV. 175? il n'avoit pas moins cTefprit, que'de valeur, & d'ambition, &que le Gouvernement, ft Egypte lui avoit paru digne de la remplir, il projetta un moïen infaiiüble, pour y parvenir; le voici. II s'écarta aufii-töt de la Cour de Damas, «Sc fe rendit auprès du Calife de Bagdet, qui étoit alors le plus grand Prince de TO- ■ rient, confidéré de tous les Mahométans, comme vrai, & lé-' gitime SuccelTeur de leur grand Prophéte. Les feuls Egyptiens s'étoient foutraits a fon obéïffance, & fuivoient la feéte d'HALY, fous un Calife particulier. Syracon fe flattoit, que, s'il pouvoit s'infinüer auprès de ce Monarque, il en obtiendroit des forces capables de parvenir a fes fins. Dans ce deffein, il dit , qu'il falloit réduire les Rébelles Egyptiens, a leur devoir, & faire ceffer le Schifme, & la divifion, que la faufle Interprétation d'HALY avoit introduite, parme le Peuple des Croïans. : Arrivé a Bagdet, il agit avec une adreffe fingulière auprès du Calife, qui,fans être d'un naturel plus guerrier, ni plusentreprenant, que celui du Caire, fe laiffa fiatter. Syracon 1'intéreffa par des endroits fi fenfibles, en lui faifant enviiager la gloire, «Sc les bénédicfions qu'il s'attireroit, s'il réüniffoit tous les Mufulmans fous fon autorité, «Sc punüToit le Chef des Schifmatiques révoltés, puifqu'il avoit eu 1'audace de vouloir s'égaler a lui, & lui dérober des hommages, qui lui appartenoient uniquement. II lui expliqua enfin la facilité, avec laquelle on pouvoit le dépouiller, & faire rentrer fous fa domination le riche, «Sc fertile Roïaume ft Egypte, le plus fécond du ?\fonde, en Peuples, & en belles Villes, mais dont la grande abondance rendoit les Habitans plus fenfibles aux plaifirs, & a 1'oifiveté, que propres au maniment des armes, «Sc par conféquent, très-aifés a fubjuguer, II ajoutoit, que le zèle, «Sc le refpecr., qu'il avoit pour fa perfonne facrée, ne lui aïant pas permis de voir, fans douleur, la profanation des Egyptiens, il étoit venu lui oifrir fon - bras, «Sc fes ■herche h ■'Wïmiïr mprès du Caiift. de Bagdet. - Tl fait effiêrtr ii cs Calife la Conduite d: 1 Egyjv te.  V?6 HISTOIRE GE'NE'RALE Le Calife fait ajfernbier des Troupes , pourfondre juri'Egypce. Article II. Erreur de plufieurs Auteurs, toucbant la Ville de Bagdet. fes fervices, pour faire cette Conquête, & pour le vanger des offenfes qu'il avoit recues de cette Nation rébelle. Le Calife, a qui jufqu'alors perfonne n'avoit ofé parler, de la forte, fut fi bien perfuadé, que VEgypte avoit été ufurpée fur fes Prédécelfeurs, & fe fentit en même-tems fi piqué de la concurrence de celui du Caire,qu'il fit ordonner a tous fesVaffaux, & aux Gouverneurs des Provinces de fa dépendance, d'aiTembier inceflamment des Troupes, pour aller récouvrer ce Roïaume , & chatier les Impies, qui favoient ufurpé. Ce fut ainfi, que f induftrieux Syracon fe vit a la veille d'alfouvir fon ambition, en allant dépofleder Sannar, qu'il avoit établi peu auparavant; & que la Ville de Bagdet, qui jouïflbit depuis long-tems d'une profonde paix, commenca a rétentir du bruit des armes, & des inftrumens de guerre. L'occafion, que j'ai de parler de Bagdet, m'engage a faire comprendre Terreur de divers Auteurs, qui l'ont prife pour l'ancienne Babilone des Cbaldéens, batie fur ÏEufrate, qui la traverfoit. Au lieu que Bagdet fe trouve fur le Tigre, éloigné de douze lieues, ou environ des ruïnes de cette ancienne, & fuperbe Ville, & au même endroit oü étoit autrefois Seleueie, fondée par Se'leücus Nicanor, qui s'étoit fervi des débris de la grande Babilone, pour enrichir, & embellir fa Ville. Ces Hiftoriens, peu attentifs, l'ont confondue avec Babilone, & ont attiré plufieurs autres Ecrivains dans leur erreur. Les mouvemens, & les grands prèparatifs de guerre, du Calife allarmoient cependant tous les Princes d'Orient. Chacun craignoit, que ces formidables Armées ne fuflent deftinées contre fes Etats, & travailloit de fon cöté a fe mettre en état d'y réfifter, lors que le bruit fè répandit enfin, que la tempête ne menacoit que la feule Egypte. Jl n'y eut que le Roi Alméric , qui, ne craignant plus pour la Falefline, fe trouva dans une efpèce d'obligation de con-  kb JETIUSALEM. Liv. IV. Ch. IV. 177 continuëT a lever des Troupes, pour aller fecourir .un Roïaume, qu'il avoit tant d'intérêt de conferver, par raport au tribut, qu'il en retiroit. Mais, comme ce Prince avoit épuifé fes finances, par les précédentes Expéditions, il n'étoit guère en état •d'en faire de nouvelles, fans quelque affiftance extraordinaire -de fes Sujets, qu'il nevouloitpourtantpaschargerd'aucunnouvel impöt, fans favis des Prélats, & des Seigneurs, du Roïaume. II les convoqua dans la Ville de Napouloufe, oü , après plufieurs molens, qm furent propofés dans le Confeil, on s'arrêta enfin a celui de taxer tous les Habitans a la dixième partie de leurs Meubles. Les grands, & les petits, y fatisfirent, avec tant d'exactitude, qu'ils mirent Alme'ric en état de mettre fur pié une Armée aflez confidérable. Les Ordres Militaires s'y joignirent, avec leurs Troupes. Après quoi, ce Prince marcha vers le Défert de Faran, par oü, il avoit apris, que devoit palfer Syracon, avec f Armée de Bagdet. II efpéroit par la, de pouvoir traverfèr la marche de cet Ennemi , & lui difputer 1'entrée de f Egypte. Le Roi de Jérufalem, & les Ordres Militaires, s'avancerent jufqu'a Cadésbarné, qui eft fendroit, oü les Ifraëlites attendirent, quarante jours, ceux qu'ils avoient envoïés .a la découverte de la Terre de Promijfion. Alme'ric aprit , avec chagrin, que 1'Armée Perfane étoit déja palTée; ce qui fobligea de changer de route,& de prendre celle iïJJcalone, &c de Gaza, beaucoup plus courte,quela prémière. II savanca jufqu'a la Rizza, ancienne Ville du Défert, oü il fit repofer fon Armée, & traverfaenfuite le refte du Défert, avec tant de diligence, qu'il arriva a Pélufium, non feulement avant que Syracon y vint, mais encore avant qu'il eüt traverfé la moitié du Défert, oü il fut longtems arrêté, par le mauvais tems. Sannar, par tine mauvaïfe politique, & par une négligence bien condamnable, pour un homme, qui doit foutenir le Gouvernement d'un Etat, fe lahTa éblouïr par la joie, qu'il avoit de Z fe Marche i'Alméric, vers 1'e-  i73 HISTOIRE.GE'NE'RALE Surprife rfi Sannar, c ïarrivée (f&lmé- Alméric rept gracieufementpar Sannar. Erreur dt Hiftoriem nu fujet d Caire, p r pourMea. phis. fe voirélevéa la Dignité de Soudan; &, fans fe mettre en peine des affaires étrangeres, il négligea tout-a-fait f entretien des Troupes néceffaires a la defenfe du Roïaume. Auffi, fut-il très-furpris de f arrivée du Roi Alme'ric , ne fachant point fi ce Prince étoit venu en Egypte, comme Ami, ou comme Ennemi. Ainfi, n'aïant point de Troupes a lui oppofer, il penfa d'abord a emploïerfor, & 1'argent, pour engager fon Ennemi a le laiffer en repos, & a s'en retourner chez, lui. Mais il aprit, qu'il avoit: un autre Ennemi plus dangereux a craindre, & dont il ne fe défioit point. Ce Soudan connoiffant alors, que fon falut, & celui du Calife , fon Maitre, dépendoit entièrement de l'affiftance des Chrétiens, Sc admirant la générofité, avec laquelle ils venoient a fon. i jcours, fans en avoir été piïés, voulut leur en témoignerfagratitude, & f entiere confiance qu'il prenoit en eux.. C'eft pourquoi, il dépêcha "des ordres a tous les Gouverneurs des Villes, Bourgs, Sc Villages du Roïaume, de recevoir le Roi Alméric, Sc, toute fon Armée, & de lui fournir toutes les provifions néceffaires , comme fi c'euffent été les propres Troupes du Calife; & fur f avis, que Syracon étoit parvenu a Attafé, Village fitfiê aux Confins du Défert, il envoïa prier Alme'ric de s'avancer, avec fon Armée, vers le Caire, afin de mettre cette Capitale a 1'abri des infulte.s des Ennemis. Le Roi de "jérufalem, qui conjectura, par la route qu'avoit tenue Syracon, qu'il avoit deffein de commencer fes Entreprifes fur la Ville du Caire, partit inceffamment de Pélufium, Sc 'allafe camper fur le bord du Nil, entre Boulac, & le Caire, I que quelques Auteurs ont pris pour fancienne Memphis, dont Jil eft tant parlé dans les Hiftoires. L'Archevêque de Tyr, qui fit alors le voïage, avec le Roi Alme'ric, affure, qu'il s'informa exactement des antiquités du Roïaume ft Egypte , Sc dit avoir vu des ruïnes au-dela du Nil, a environ dix milles ón Caire, lefquelles, felon leur grandeur, Sc la tra- dition  -de JE'RU SALEM. Liv. IV. Ch. IV. 179 dition des gens du Pays, étoient les reftes de la grande, ,& véritable Mempbis. Quelcmes autres donnent auffi au grand Caire le nom de Babilone, qui, felon Strabon, lui a été attribué, a caufe de la permiffion qu2une Troupe de Babiloniens obcint, de pouvoir s'établir dans les ruïnes de l'ancienne Vüle de Lito, qui avoit été détruite par Cambyses, lorfqu'il ravagea VEgypte. Ces vagabonds bacirent un Bourg, auquel, pour conferver la mémoire de leur Pays natal, ils donnèrent .le nom de Babilone; &, comme, dans la fuite du tems, la Ville du Caire fut fondée dans le même endroit, divers Auteurs ont continué a la nommerite■bilone. Le même Archevêque de Tyr raporte, que, de fon tems , on fappelloit encore de même; & c'eft auffi pourquoi, lorfqu'il parle du Campement, de f Armée Chrétienne, il dit, qu'elle avoit la noble, & magnifique, Babilone a fa droite, qui eft le vieux Caire d'a préfent, &.a fa gauche la Ville de Boulac, qui fubfifte encore dans le même état. Jene crois pas interrompre le fil de mon Hiftoire, en parlant de Mempbis, & du Gare,fiége Ro'ïal des Califes d'Egypte. Mon Lecfeur fera bien-aife de voir ici forigine des Califes, & ce qui a donné lieu a la divifion,qui règne encore aujourd'hui dans la Religion Mahométane, dont Syracon fe fervit fi utilement, pour engager le Calife de Bagdet a lui donner une Armée, pour fubjuguer XEgypte. Après la mort de Mahomet , Légiflateur ,& grand Prophéte, fes Infidèles qui décédaenviron 1'année 63 2. de 1'Ere Chrétienne, ce faux Prophéte eut pour SuccefTeur un de fes Difciples familiers, nommé Berbe'ce', ou felon quelques, Aboübecker, fon Beau-Père, & après lui Omar, Fils de Cata, auquel fuccéda The'me'ni, & a ce dernier Hali, Fils de Be'tiialeb, qui tous portèrent le nom de Calife, ainfi que l'ont confervé tous leurs Succeflèurs. Hali, qui avoit plus d'ambition, & 1'inclination plus guerrière, que fes PrédéceiTeurs, dédaignant d'être appellé Succvifcur, Z 2 •& Origine ies Califes, (fee jiei donnet 'hu a leur iivijion. ilerbécé", Succejjeur le Marionet.  i8o HISTOIRE GE'NE'RALE Mèveries rfrlali, pour s oppojir «Mahomet. MiicUIlI. TuretcUvifis en deux &Ser. & Héritier de Mahomet, & afpirant lui-même au titre ft excellent Prophéte, commenca a prècher, que 1'Ange Gabriel, que Dieu avoit envoïé avec la Loi, s'étoit mépris, en s'adreflant a Mahomet. C'eft pourquoi, cet Ange avoit été, felon lui, aigre* ment repris, & févèrement chatié de Dieu, dont il avoit mal exécuté les ordres, Gés folies-, & ces impertinences, quoique remplies de vifions ridicules, trouvèrent pourtant créance parmi une partie des Peuples, qui eurent la foiblelfe d'y ajouter foi, comme a des vérités bien fondées. C'eft ce qui donna lieu au Schifme, & a la divifion, qui règne encore aujourd'hui parmi ces gens groffiers , & ignorans; & ce qui fit naicre entre eux une haine fi irréconciliable , que rien n'a pu la diminuè'r, ni finterrompre. Les uns, qui, en leur langue, fe nomment Sümry,. prétendent, que Mahomet étoit le plus grand, & le plus excellent de tous les Prophètes, & que c'étoit a lui feul que Dieu avoit envoïé la Loi. Les autres, qui s'appellent S e'j a , foutiennent, au contraire , qirHali étoit le vrai Prophéte du Seigneur. Quoique ce dernier eüt été tué, avant que de fe pouvoir faire un Parti aflez fort, & aflez confidérable, pour contre - balancer 1'autre, «Sc qu'après fa: mort,. les Adhérens de Mahomet euflent entièrement le defliis, cependant, leurs Monarques-, ou Califes , qui s' établirent alors a Bagdet , avec tous les mauvais trairtemens qu'ils firent fouffrir aux fecfateurs d'HALi, ne purent les détruire, ni même les empêcher de perfifler dans leur croïance. Car, après avoir demeuré. long-tems dans cette oppreffion , 1'un des Difciples de ce propre Vifionaire, nommé Abdala ,. plus vaillant, & plus courageux que les autres, ne pouvant plus fouffrir, que ceux de fa Seöe fuflènt fi maltraités, & regardés comme des Mécréans,fe révoltaenyiron 1'an 286. après la.mort de Mahomet. II fortit de Séleucie, avec.une grofle fuite, pafla m Jfrique, oü il s'empara d'une grande étendue de Pays, & «rit le nom Me'hedj-, qui veut dire égalité. II y fonda un& Ville,  de JFRUSALEM. Lir. IV. Ch. IV. *f# Ville, a laquelle il donna le même nom de Me'iie'dia, ainfi que les Maures 1'appellent encore aujourd'liui. Les Grecs la» Homment Jphrodifion ,& les Siciliens, qui s'en-emparèrent longtems après, lui donnèrent le nom dAfrica. 11' y a pourtant d'autres Auteurs, qui prétendent,qu Abd ala ne fit que réparer cette Ville,qui eft fituée fur la Göte du Roïaume de Tunis. Cependant, foit qu'il la fit batir, ou ré-édifier, il eft fur, qu'il la ehoifit pour fa demeure , paix, entr Jérufalem éf'Egyp "te. H I S T O I R E G E'N E';R A-LE anée, afin de les engager a ne le point abandonner dans un fi preflant befoin. II offrit a ce Prince, non feulement d'augmenter le tribut annuel qu'il lui payoit, mais encore de le rembourcer exactement, auifi bien que les Ordres Militaires, de toutes les dépenfes, qu'ils avoient déja faites, & de celles qu'ils feroient k 1'avenir, pour Tentretien de leurs Troupes, tant que dureroit la Guerre. L'Intérêt étant la palTion dominante d'Alme'ric, il accepta, avec avidité, une propofition fi.agréable. 11 exigea dabord un nouveau Traité, par lequel le Soudan s'engagea de lui augmenter le tribut annuel-, & de lui payer aftuellement 4-00. mille écus dor pour les frais de la guerre. Ce Prince, & les Ordres Militaires, s'engagèrent, de leur cöté, a ne point quitter VEgypte y qu'ils n'euüent défait Syracon , ou qu'ils ne feuiTent du moins contraint a en fortir, ii ,conditio,n pourtant que ce Traité feroit ratifié par le Calife lui-même. Sannar, qui n'étoit point en état de fe pjflTer de leur af.fiitance, ni, par conféquent, de leur rien refufer, fe trouva ■ dans la -dure nécefiïté d'y confentir, malgré la grande répugnance, qu'il avoit de faire entrer le Calife dans des affaires, dont il n avoit point coutume de fe mêler. Après que le Roi eut figné ,ce Traité-, oü Ton inféra un renouvellement de paix entre les deux Roïaumes d'Egypte, & de Jérufalem, & que pour gage de fa foi ce Prince eut touché de fa main droite dans celle de Sannar, & des autres Miniftres Egyptiens, qui y alfiftèrent, le Soudan .conduifit lui-même Hugues de Céfar ée, jeune Seigneur d'un grand mérite, & Geofroi Eulcher, Chevalier du Temple, qui furent choifis, pour en aller recevoir la Ratification du Calife. Lorfque ces deux Seigneurs furent introduits dans le Palais de ce Monarque , ils ne purent s'empêcher de confidérer, avec étonnement, la beauté & la grandeur des appartemens, &; la magnificence, ayec laquelle ils étoient parés. En effet, Tor  de JE'RUSALEM. Liy. IV. Ch. IV. 18? 1'or, Pazur, Pémail, «Sc les perles y brilloient de tous cötés. Ils y admirèrent toutes les plus grandes raretés de V Oriënt. La chambre du Calife furpaffoit encore toutes les autres en fomptuolité, & en chofes précieufes; foit que le Calife fut bien aife d'étaler a leurs yeux fes grandes richelfes, ou que ce fut la manière ordinaire de ce Princ. Ils le trouvèrent aflis, comme une Idole, fur un tröne d'or maffif, tout couvert de pierres précieufes, & fous un fuperbe dais, qui tomboit, en forme de rideau, a une certaine hauteur, & qui étoit également frangé de perles, & de joïaux d'un prix ineftimable. Le Calife, qui avoit été prévenu de la néceffité qu'il y avoit de fatisfaire le Roi de Jérufalem, «Sc tous les Seigneurs de fon Armée , dont dépendoit alors fon propre falut, «Sc celui de fes Etats, que celui de Bagdet vouloit lui ravir; éffrayé d'ailleurs du bruit des inftrumens de guerre, «Sc des clameurs des Habitans du Caire; recut les Ambalfadeurs Chrétiens, avec un air fort gracieux, penfant que fon afTabilité fuffiroit pour la Ratihcation du Traité, dont il s'agiffoit. II leur dit, qu'il approuvoit tout ce que le Soudan avoit promis en fon nom; Mais il fut furpris , lors que le Comte de Céfar ée lui répondit, avec autant de hardielTe,que de civilité, que fes paroles étoient fort bonnes;mais qu'il faloit que Sa Majefté prit la peine de les foufcrire, «Sc de leur toucher dans la main, comme le Roi Alme'ric 1'avoit fait a fes Miniftres. Les favoris du Calife, qui fenvironnoient, Sc le regardoient comme une Divinité, demeurèrent dans le dernier étonnement, & en furent fcandalifés. Cependant, malgré 1'étonnemeht des uns «Sc des autres, la crainte de devenir la proie de PArmée de Bagdet fit, quele Calife mit fon fceau au Traité, «Sc toucha, quoi qu'avec beaucoup de peine , dans la main des Ambalfadeurs Chrétiens; après quoi il leur fit des Préfens, dignes de fa grandeur , & des immenfes richelfes qu'il poffédoit. Au retour des Ambalfadeurs vers leur Camp, oü le Soudan Aa les Defcription iu tróne iu Calife. Ratificntion du Traité de paix, par le Calife.  i88 HISTOIRE GE'NE'RALE les reconduifit très-pompeufement, ils trouvèrent toute PArmée en mouvement. La vue de celle de Syracon, qui étoit venu fe camper a Foppofite, fur fautre bord du A/Y, excitoit fi fort Pardeur des Soldats, que les Officiers avoient peine a les retenir. Le Roi, & les autres Chefs, n'avoient pas moins d'impatience d'en venir aux mains avec eux. Ce Prince fit inceffamment venir quantité de barques pour la conftruction d'un pont, fur lequel il put faire paffer fes Troupes. On y travailla en toute diligence; mais, lorfqu'il fut avancé a la portée du trait, les ennemis leur en décochèrent une quantité fi prodigieufe, qu'il fut impofiible de le continuër. On fabriqua plufieurs Chateaux de bois, pour couvrir les Ouvriers; mais leur peu d'habileté, & Ia difettede bois,fut caufe qu'il fe palfa prés d'un mois, avant que ces machines fufiènt en état de fervir; de forte qu'ils devinrent tout a fait inutiles. Syracon, qui, après avoir rafraichi fon Armée, ne 1'avoit conduite dans le pofte, oü elle fe trouvoit, que pour obferver les mouvemens des Chrétiens, & pour tcnter de furprendre la Ville du Caire, aïant confumé toutes fes provifions, fans pouvoir rien entreprendre, ni même ofer en décamper, paree qu'il étoit perfuadé, que, ii-töt que fes gens cefferoient d'iriquiéter les Chrétiens, ils achéveroient bientót le pont, qu'ils avoient comrnencé, & ne manqueroient pas de le pourfuivre, s'avifa, pour fortir de cet embarras, d'envoïer un gros Détachement fe faifir d'une petite He nommée Maelec, que formoit le Nil, a environ deux lieues de diftance de fon Camp. Le Roi, qui pénétra fon deffein, envoïa d'abord Milon de Planchi, & Chamel, Fils du Soudan, avec bon nombre de Troupes, pour lui en difputer le terrain; & ,fur 1'avis, qu'il recut, qu'ils avoient eu le bonheur de paffer au fil de 1'épée, ou de'faire noïer tous les ennemis, qui avoient débarqué dans cette Ile, Alme'ric s'y rendit lui-même avec le refte de PArmée, fit defcendre quantité de Barques, pour traverfer les deux bras,  de JE'RUSALEM. Liv. IV. Ch. IV. 189 bras du Nil, qui Penvironnent, & réfolut d'aller attaquer Syracon, dans fes propres Rétranchemens. A l m e'r 1 c décampa, a Pentrée de la nuit, dans un profond filence, afin de cacher la marche aux Ennemis: Cependant, lorfqu'il fut parvenu a l'Ile de Maelec, il s'éleva un vent fi furieux, qu'il lui fut impoiilble de traverfer 1'autre bras du Nil, qui féparoit leur Camp. 11 fut contraint de s'arrêter dans 1'lle, le refte de la nuit. Le jour ne parut pas plutöt, que Syracon découvrit fon décampement; &, ne doutant pas, que ce ne fut pour Palier furprendre, il décampa promtement, pour aller s'oppofer a fon palfage. Les Troupes Egyptiennes aïant joint 1'armée du Roi, Syracon , qui ne fe fcntoit point affez fort, pour donner bataille, fe tint fur la défenüve ,afin de trainer la guerre en longueur, pour en dégouter A l m e'r i c. II fortit donc , décampa dés la nuit fuivante, & regagna les Rétranchemens, qu'il avoit quités. Ce mouvement fubit obligea auiTi A l m e'r i c a changer de deffein. II fit deux gros Détachemens, Pun fous la conduite de Hugues d'lBELiN, & de Chamel , pour aller garder la Ville du Caire, & 1'autre fous le commandement de Gerard de Pugi, & de Mahadan, autre Fils du Soudan, pour.garder le pont, qu'il avoit entrepris de conftruire fur le Nil. II laiffa fon Infanterie, & le gros du bagage dans l'Ile, d'oü il fortit avec la feule Cavalerie; &, guidé par le Soudan lui-même, il s'avanca vers le Camp ennemi. Syracon en fortit promtement; mais il ne put éviter le combat , s'étant infenfiblement engagé, entre deux Montagnes, dans un endroit, nommé Baben, ou Porte ,oü les Chrétiens tombèrent fur lui, & le mirent dans la nécefiité d'en venir aux mains. Mais, fi le Roi A l m e'r i c , & les Hofpitaliers, eurent d'abord le bonheur de rompre le Corps de bataille, que commandoit Syracon, le Comte de Céfar ée, qui fe trouva aux prifes avec Saladin, fon Neveu, fut d'un autre cöté mis en déroute, & Aa 2 fait  Alexandrie fe rtnd 'a S racon. ipo HISTOIRE GE'NER ALE fait prifonnier avec plufieurs des fiens. Les Chrétiens furent fi mal fccondés par la Cavalerie Egyptienne, que 1'Efcadron, qui gardoit le bagage, fut défait parle jeune Saladin. Ainfi, pendant qu'un parti gagnoit d'un cöté, il perdoit de l'autre. Les deux Armées fe battirent fort long-tems, avec une égale fureur, & beaucoup d'animofité, mais Tune, & l'autre, fans ordre, & fans régie, a caufe de l'inégalité du terrain, qui ne leur permettoit point de fe ranger. Elles fe féparèrent enfin, également fatiguées d'une fi rude,& fi fanglante journée. Syracon récueillit, comme il put, fes Soldats, qui s'étoient difperfés dans les Montagnes, & dans les Vallées, & gagna le Défert , qui fépare Y Egypte de la Lybie, qu'il traverfa a grandes journées; & il alla fe préfenter devant Alexandrie, dans fefpérance de s'emparer de cette Ville, de fe dédommager des pertes qu'il venoit de faire, & de rétablir fa réputation. II réüifit lieureufemcnt dans fon projet. Les habitans d'Alexandrie, qui le croïoient occupé au Caire, comme le bruit s'en étoit répandu, furent fi furpris, & fi épouvantés de fes prémières attaques, qu'ils fe rendirent, fans aucune réfiftance; &, par leur reddition précipitée, ils mirent Syracon en état defe maintenir, & d'inquiéter extrèmement tout le Roïaume. Outre la quantité de provifions, que ce Général obligeoit les Habitans d''Alexandrie de fournir a fes Troupes, il faifoit encore faccager, & ravager, tous les Pays des environs, pendant que le Roi, & le Soudan, qui ignoroient la route qu'il avoit prife, ramafloient dans le Bourg delamonia, oü ils s'étoient arretés, les Troupes Chrétiennes, & Egyptiennes, qui avoient pris la fuite pendant le combat. Lorsqu'ils aprirent la'perte d1'Alexandrie, & qu'il ify avort plus rien a craindre pour le Caire, ils envoïèrent avertir Milon de Planchi, Gerard de Pugi, & les deux Fils du Soudan, de venir les joindre incelTamment, avec leurs Troupes. Ils firent , en même-tems,avancer plufieurs Barques,pour fermer le. j>af- fage  de JE'RU SALEM. Lrv. IV. Ch. IV. i9i fage a celles qui conduifoient des provifions a Alexandrie , perfuadés qu'a caufe de la ftérilité des environs de cette Ville , les vivres manqueroient' bientöt, «Sc qu'il ne leur feroit pas difficile de 1'afFamer, dès qu'elle ne recevroit plus de fecours étrangers. Ils firent auffi venir 1'Inf anterie , qui étoit reftée dans 1'Ifle de Maelec. Toute 1'Armée Chrétienne, s'étant enfin combinêe , marcha vers Alexandrie; le Roi la fit camper entre les Bourgs de Torgues, «Sc de Domencar, qui en font éloignés de trois lieues, étant aflez a portée d'empêcher les gens de la campagne, d'y conduire des provifions. II la tint bloquée, pendant un mois. Les Troupes de Syracon , «Sc les Habitans, y foulfrirent une fi grande difette de vivres, que les Bourgeois fe murinant, «Sc les Soldats mourant de faim, il fut contraint de laiffer dans la Ville fon Neveu Saladin, avec mille Chevaux, pour la garder; «Sc il en fortit, avec le refte de fon armée, afin de gagner quelque canton, oü il put la faire fubfifter. Ce qu'il fit fécrettement; il marcha en fi bon ordre, qu'il parvint aux environs du Caire, avant même que le Roi aprït , ou foupconnat fon départ ft Alexandrie. Alme'ric, qui défiroit ardemment de défaire, ou de fatiguer Syracon, outré du tour qu'il venoit de lui jonër, décampa , dès qu'il en aprit la nouvelle, ne laiffant au blocus ft Alexandrie, qu'autant de Troupes qu'il faloit, pour empêcher le fecours de la campagne. II s'avanca vers le Caire, a grandes journées, craignant la furprife de cette Place; mais il reconnut, par les différens avis qu'il recut en chemin, que Syracon ne cherchoit qu'a faire rafraichir fes Troupes, «Sc a procurer (juelque fecours a Saladin , qu'il avoit laiffé a Alexandrie. Le Roi fut en même-tems informé par un des Grands ftEgypte, nommé Benel Calcolle', qui avoit plufieurs Parens a Alexandrie, que la mifère, «Sc les murmures y augmentoient confidérablement, & qu'il étoit abfolument impoffible aux Habitans dc Aa 3 fub-  i92 HISTOIRE GE'NE'RALE Siége d'h kxandrie par Almé ric. Traité de Paix entre Alméric, le Soudan, £f Syracon. fubfifter encore long-tems. Ce qui fit refoudre ce Prince, le Soudan, & les Ordres Militaires, a retourner fur leurs pas, pour en aller former le fiége. Ils y firent conduire diverfes machines, pour battre Ia Place, & s'en fervirent fort utilemeat. Syracon auroit extrèmement fouhaité de la fecourir; mais il ne le pouvoit, fans en venir a une bataille, dont il craignoit trop les fuices. Saladin lui envoïoit Courier, fur Courier, pour Pinformer, qu'il ne pouvoit plus tenir,&queles vigoureufesattaques de PArmée Chrétiame, jointe au mécontentement, & aux fouftVances des Habitans, le mettoient tous les jours en danger d'être égorgé, ou de fe rendre a la difcrétion de fes Ennemis. Syracon, qui réconnut que la perte ft Alexandrie, & de Saladin, fon Neveu, qu'il eftimoit infiniment,étoit inévitablc, prit le parti d'envoïer au Roi le Comte de Cefarée, avec un Officier nommé Amulfe de Turbasse's, qui étoient fes Prifonniers, depuis la bataille de Baben, avec ordre de lui propofer un accommodement. Alme'ric, qui, de fon cöté, ne demandoit pas mieux, que de fe délivrer d'une guerre, qui le tenoit depuis fi long-tems éloigné de fes Etats, écouta favorablement fes propofitions; & Sannar , qui ne refpiroit qu'après le moment d'éloigner les uns, & les autres de VEgypte, foit pour y goüter la tranquilité, ou pour foulager les Peuples des grofies contributions, qu'on en tiroit pour 1'entretien de la guerre, confentit bientöt a la conclufion de la Paix, aux conditions fuivantes. I. Que Syracon reflitueroit d'abord au Roi, & au Soudan, la Ville ft Alexandrie. II. Qu'il rendroit, de bonne foi, tous les Prifonniers Chrétiens, & Egyptiens, qu'il avoit faits, depuis le commencement de la guerre. III. Qu'il fortiroit inceffamment ft Egypte, avec toutes fes Troupes, avec promefTe de ne jamais faire aucune irruption dans ce Roïaume , ni dans aucun autre endroit de la dépendance du Calife. IV. Que le Roi, de fon cöté, laifferoit librement fortir Saladin, & fes gens, ftA- lexan-  de JE'RUS ALEM. Liv. IV. Ch. IV. 193 lexandr'ie, avec armes , & bagages, & rendroit également a Syracon tous les Prifonniers, qu'il avoit faits, depuis fon entrée en Egypte. Ce Traité, aïant été figné de part, & d'autre, toutes les hoftilités ceffèrent. Le Roi fit publier fon ordonnance, qui défendoit expreffément a fes Soldats, d'infulter davantage ceux de Syracon. II carelfa, & regala fort gracieufement, fon Neveu Sa^ ladin, lorfqu'il lui rendit la Place; &, pour marqué de fon triomphe, il fit arborer fes étendarts fur les Murailles, & fur la Tour du Phare, n'eftimant pas moins cette conquête, qu'une grande Viótoire: fur tout, lorfqu'il réconnut le grand nombre d'Habitans,qui fe trouvoient enfermés dans Alexandrie,oü 1'on comptoit plus de cinquante mille Hommes, capables de porter les armes, outre les mille Cavaliers, que Syracon y avoit laiffés, & les Étrangers, dont le nombre étoit fort confidérable, par raport au grand commerce, qui fe faifoit alors en cette Ville. Alme'ric admira, en même-tems, le bonheur, qu'il avoit eu de foumettre cette Place, avec cinq eens Chevaux, & cinq mille Hommes d'Infanterie. C'étoit-la toute fon Armée, y compris les Ordres Militaires; car, pour les Egyptiens, ils ne lui fervoient qu'a faire nombre , & quelquefois a caufer de Ia confufion. La joie, & 1'allégrefie,fuccéda enfin,par tout, au tumulte de la guerre, & aux calamités, qu'elle avoitcaufées. Les Habitans d'Alexandrie, auffi fatisfaits d'avoir récouvré leur liberté,que les Chrétiens 1'étoient de la leur avoir procurée, ne fongèrent plus, qu'a jouïr de l'abondance de toute forte de provifions , qu'ils trouvoient dans leur Camp, & dont ils avoient un extréme befoin , pour fe refaire de leurs fouffrances paffées. A 1'exemple du Roi, les principaux Seigneurs de 1'Armée s'éforcoient a bien régaler le jeune Saladin , pendant deux jours, qu'il demeura dans leur Camp. Ils ne fongeoient pas, que ce jeune lnfidêle , qu'ils trouvoient fi aimable, & fi  ip4 HISTOIRE G E' N E' R A L E fi modefie , deviendroit un jour la terreur des Chrétiens de la Terre-Sainte; «Sc qu'il les dépouilleroit d'un Pays fi excellent, «Sc fi précieux. Ce fut ainfi qu'échoua la feconde entreprife de Syracon fur vEgypte. II étoit bien éloigné de penfer, lorfqu'il en fortit avec fon Armée, que celui, qui Fen chafloit,lui enprocureroit bientót Fentrée, & la conquête. En effet, ce même Roi Alme'ric, qui s'étoit acquis tant de gloire dans ces deux expéditions, par une conduite, auffi contraire a fes intéréts , qu'a la juftice , «Sc par Punique cupidité de pofféder des riclieflès, qui 1'aveugloit entièrement, perdit 1'honneur, «Sc la réputation ; &, en voulant s'emparer de FEgypte, il en rendit Syracon polfeffeur. Eblouï par la gloire , «Sc le plaifir , «Sc voïant,que le Calife, & Iq Soudan, également contens de fa valeur, «Sc de fa générofité, s'emprelfoient a lui témoigner leur réconnoiflance, «Sc ne s'étudioient , qu'a le renvoïer dans fes Etats , auffi fatisfait d'eux, qu'ils 1'étoient de lui,U ne penfoit de fon cóté,qu'a s'y rendre promtement. II y étoit encore porté paria nouvelle, qu'il avoit recue, qu'ernest, Evêque de Cèfarèe, «Sc Othon de St. Amand, fon Echanfon, qu'il avoit envoïés a Conjlanti'nople, avant fon départ de Jérufalem, pour traiter fon Mariage avec Marie, Fille de Jean Protosebaste , «Sc Nièce de 1167' 1'Empereur Emanuel, étoient arrivés a Tyr, avec cette PrinceiTe. Je me contenterai de parler préfentement de fa fortie triomphante $ Egypte, «Sc des Réjouiflances, quifuivirent la cérémonie de fes Nóces. Le Roi de Jérufalem partit donc , chargé de magnifiques Préfens. II fut accompagné du Soudan, «Sc des principaux Officiers du Calife, jufqu'aux confins du Roïaume d1Egypte. Alme'ric arriva, vers la fin du mois d'Aoüt, a Jfcalone , d'oü il fe rendit a Tyr. II y fut recu , avec de grandes acclamations. La cérémonie de fon Mariage y fut célébrée avec beaucoup  de JE'RUSALEM. Liv. IV. Cii.IV. iq> %T ■ '-• u üSALF.M. ÏJeV. tv ' !: sV coup de pompe, & de fomptuofité, mais non fans fcandale, puifqu'il ne contracta cette Alliance, qu'après fon divorce avec Acnes deCouRTENAi, Fille de Josselin II. Comte oVEdeffe, qu'il avoit époufée, avant fon avènement a la Couronne, & que, pour plaire au Roi, ou deifervir cette Dame, le Patriarche lui avoit fait quitter 5- fous prétexte de leur étroite parente. II eft vrai néanmoins, qu'en- faifant tort a cette PrinceiTe, ©n rendit juftice ia fes deux Enfans. On leur conferva leurs droits fur la Couronne de Jérufalem, a laquelle tous les Grands du Roïaume convinrent, qu'ils fuccéderoient, a 1'exclufion de ceux qu'Al m e'ri c pourroit avoir de ce fecond Manage. Cependant , quelque desavantageux que füt cet article pour les Enfans de la Reine Marie , cela rfempécha pas, que tous les Seigneurs Grecs, qui 1'avoicnt accompagnée, nc goütaffent parfaitement toutes les Fêtes, Sc -les Réjouifianees, qui fuivirent ces Nöces, & qui furent même de longue durée, par raport a la grande tranquilité 5 dont jouïflbit alors tout le Roïaume de Jérufalem* Bb HISTOI-  HISTOIRE GÉNÉRALE R O ï A U M E S DE CHYPRE, de JÉRUSALEM, D' É GEY P T E. LIVRE V. Chapitre Premier. nes ™ ™ mr, Ependant tous ces plaifirs if étant point caMÜS» «Slf ISIS pables de faire perdre au Rc-i fenvie fecret%£% Pte, qifil avoit concue de Vemparer de Vf êS-iï C Egypte, & de fes grandes rich efles,cevdte te. ^ deffein 1'occupoit encore plus, que les düi- g|ï|Hi|B ces du mariage. II méditoit fans ceffe les ^^CcH^ moïens de rexécuter ; mais craignant, en même tems, leblame, que lui attireroit une entreprife fi^n-  de JE'RUSALEM. Liy. V. Ch. I. i97 jufte, il eut i'adrelfe d'y faire entrer TEmpereur E m a n ü e l , & publia, que ceMonarque, qui vouloit fe prévaloir de la mollelfe, «Sc de 1'avililfement des Egyptiens, le follicitoit a lui prêter fes forces. Néanmoins Alme'ric eut beau s'éforcer de cacher fon infidélité, chacun reconnut,que fa feule avarice le faifoit agir,«5c que c'étoit lui, qui follicitoit 1'Empereur , a qui il avoit fair envifager cette conquête, comme trés-facile. Guillaume de Tyr même, quoi qu'entièrement dévoué a Alme'ric, a caufe des grandes obligations qu'il lui avoit , ne peut s'empêcher de reconnoitre, que ce Prince étoit 1'unique promoteur de la guerre ft Egypte. Cette entreprife injufte, «Sc contre la foi d'un Traité, qu'il avoit renouvellé, «Sc confirmé, par ferment, avec le Calife, «Scle Soudan, eut une fuite auffi facheufe, que funefte pour lui,' «Sc pour ceux qu'il y avoit éngagés. Ce fut le jufte chatiment, que méritoit fa mauvaife acfion. L'Empereur Emanuel envoïa a Jérufalem Alexandre , Comte de Gravine, «Sc Michel d'ütrante, fes Ambalfadeurs, pour arrêter les Articles de Confédération; Après quoi Ie même Guillaume de Tyr, qui n'étoit encore qu'Archidiacre de cette Cathédrale, paffa a Conflantinople, accompagné de ces Mmiftres, pour faire ratifier le Traité. Pendant qu'A l m e'r i c étoit tout occupé a faire les prèparatifs néceifaires pour cette expédition, «Sc pour colorer 1'emprelfement, avec lequel il levoit de nouvelles Troupes, il prétexta d'avoir été averti, que te Soudan ft Egypte, «Sc Noradin, avoient fait une Alliance fécrette contre le Roïaume de Jérufalem, afin de fedélivrer du Tribut, que ce prémier lui payoit, «Sc qu'il difoit ternir la gloire, «Sc la réputation du Calife, fon Maïtre,auffi bien que fon honneur en particulier. II faut pourtant convenir, avec le même Guillaume de Tyr, que Gilbert Astali, Maitre des Hofpitaliers, dont 1'humeur entreprenante fe conformoit aifez a celle du Roi, ne contribua Bb 2 pas Cmfédération entre ÏEmpereur Emanuël, fcf A!méric, farce rujet.  ioS II I S T OIR E GE'NE'EALE : i Halritans ie Pélufium pafji au fil de ftpée. ■)as peu a cette mauvaife expédition. II applaniffoit toutes lésJifficultés, qui s'y pouvoient rencontrer, dans 1'efpérance d'y Douvoir trouvcr de grands avantages pour fon Ordre. C'eft pourjuoi il s'engagea non feulément d'accompagner Alm e'r i c , avec :ous fes Chevaliers, &leplus de Troupes qu'il pourroit mettre fur kc ; mais, de plus, de lui fournir encore de li grolfes fommes, qu'au raport de Bosio, dans fon Hiftoire de cette Religion, il épiüfa entièrement les coffres de fon tréfor, qu'il avoit trouvés remplis a fon avénement au Magiftère. II prit même d'autres fommes a intérêt, fur 1'alfurance, que le Roi lui avoit donnée de céder a fa Religion la Ville de Pélufium, & fes dépendances, libre, & franche de tous droits, & Hommages. Av 1'égard des Templiers, quoi qu'également avides, & aufft peu fcrupuleux, que les Hojpitaliers, foit que 1'émulation qui régna depuis avec tant de fureur, & d'animofité, entre ces deux Ordres, eüt dé;acommencé, ou qu'ils ne vouluiTent point fe mêler dans une affaire, a laquelle leurs rivaux avoient tant de part, ou qu'enfin ils n'euffent pas bonne opinion de cette entreprife, ils ne voulurent jamais s'y engager, & blamèrent hautcment le Maitre de ïHópital d'y être entré avec tant d'ardcur; au lieu qu'il auroit dü faire fonpoffible, pour détournerle Roi d'une chofe auffi préjudiciable a fon honneur, & a fes intéréts. Cependant toutes leurs oppofitions, non plus que les rémontrances des Perfonnes, véritablement attachées au bien, «Sca la gloire de ce Prince, ne purent rien gagner fur fon efprit. Son impatience étoit fi vive, qu'il partit même de la Palejline, fans attendre la Flotte, que 1'Empereur Emanuel devoit joindre ii fon Armée. II traverfa le Défert avec la même ardeur; &, par fon irruption imprévue, il furprit li fort les Habitans de la Ville de • Pélufium, qu'il la prit d'alfaut; & fit prifonniers Mahadan , Fils du Soudan, qui s'y trouvoit, avec un de fes Coufins, qui en étoit Gouverneur. II ne s'en tint pas-la, mais, par une barbarie indigne d'un Prince Chrétien, il fit paffer au fil de 1'épée Hommes, Fem*  de JE'RUSALEM. Liv. V. Cu. f i99 Femmes, & Enfans, & abandonna la Ville au pillage de fes Soldats, qui y commirent des excès , qui auroient fait horreur aux plus méchans de ceux qu'ils traitoient ft Infidèles , & de Barbares. _ La prife de Pélufium, «Sc le malheureux fort de fes Habitans,étourdirent extrèmement le Soudan Sannar, & tous les Egyptiens, qui ne fe trouvoient pas alors plus en état de fe défendre', que lorfque Syracon les avoit attaqués. Si Alme'ric eut fait la même diligence, pour fe rendre devant le Caire, qu'il avoit fait pour traverfer le Défert, «Sc furprendre la Ville fePéhfmm, il fe feroit infailliblement rendu maitre de cette Capitale, avec la même faeilité. Mais ce Prince avide, «Sc entreprenant, au lieu de profiter de lafortune, qui lui étoit fi propice, la négligeafi fort, qu'il lui fut impoffible de la ratrapper, Malgré lapaffion, qu'il avoit des'emparer deYEgvpte, foit qu'il crut, que la terreur, qu'il-avoit infpirée a fes Habitans, 1'en eüt déja rendu polfeffeur, ou qu'il voulüt temporifer, pour attendre les Troupes de 1'Empereur, il marcha fi lentement vers cette Capitale-, qu'il paffa quinze jours a faire le' chemin, qu'il auroit pu faire en une feule journée. Par fa nonchalance , il donna le tems au Soudan, de revenir de fa prémière conflernation, «Sc d< appeller Noradin , Roi de Damas, a fon fecours, pour le délivrer de 1'bppreffion de celui qui avoit été peu auparavant fon Défenfeur, «Sc qui étoit préferitement venu envahir fes Etats, malgré la cordialité, avec laquelle il avoit cultivé fon amitié, «Sc non obftant le-xaditude, avec laquelle ifs'étoit acquité du paiement du tribut. Sannar, pour amufer le Roi Alme'ric, dont il connoiffoitle foible , «Sc afin d'avoir le tems de recevoir le fecours qu'il ; efpéroit du Roi de Damas , offrit de grolfes fommes d'or a Alme'ric, «Sc fut 1'amuferpar fes Propofitions, «Sc par les fréquentes Ambalfades, qu'il lui envoïa. Quoi que ce Prince eüt commencé le fiége de la Ville du Caire, «Sc même reconnu,par le peu de réfiftance, qu'il y trouvoit, qu'on ne tarderoit pas a Bb 3, lui iddrejjeit lannar.  Avaric; d' Alméric. 200 HISTOIRE G E' N E' R A L E lui en oüvrir les Portes, la même avarice, qui lui en avoit fait entreprendre la conquête, lui fit également manquer ce grand coup. Sa paffion pour les richelfes, jointe aux rémontrancesdeMilon de Planchi , qui lui fit envifager, que la prife des Villes d'affaut n'étoit avantageufe qu'aux Soldats, «Sc nullemént aux Princes; témoin le Sac de Pélufium, qui avoit enrichi 1'Armée, «Sc lui avoit lailfé une Ville, entièrement dépouillée de Biens, & d'Habitans, lui fit croire, qu'il lui convenoit beaucoup mieux de recevoir une grofle fomme d'argent comptant, «Sc de conferver 1'amitié du Calife, «Sc le Tribut qu'il luipayoit; ainfi, il fe rendit aux offres du Soudan, qui s'obligea, par un nouveau Traité , a lui payer deux millions d'or , dont il lui devoit compter, furie champ, cent mille Ecus; moïenant.quoi, Alme'ric, defoncóté, lui rendroit d'abord fon Fils, «Sc fon Neveu, qui étoient les feuls Prifonniers, qu'il avoit faits a Pélufium; «Sc il fortiroit du Roïaume avec toute fon Armée, lors qu'il feroit entièrement payé des deux millions d'or. Saxnar n'eut pas plutöt récouvré les deux Prifonniers, qu'il fit entendre a Alme'ric, que la fomme, qu'il devoit lui payer, étoit trop confidérable, pour pouvoir 1'exiger des Habitans d'une Ville afliégée; «Sc que, pour en accélérer la levée, & tranquiliferle Calife, il le prioit de faire éloigner fon camp de la Ville. Le Roi, qui n'étoit plus occupé que de la grofle fomme d'or, qu'on lui avoit promis, oubliant entièrement fon projet, décampa, fans héfiter, & alla fe pofterprès des Jardins du Baume, qui étoient a une lieue de diftance, d'oü, peu de jours après, fur les inftances du Soudan, il recula encore jufqu'a Chiriaco. Son avidité étoit fi grande, qu'il ne fe mit point en peine d'aprofondir les defleins de Sannar, qu'il croïoit tout occupé a lui recueillir 1'argent, qu'il lui avoit promis; tant il étoit aveuglé, par fon avarice. Le Soudan, fans fe faite fcrupule de tromper un Prince, qui avoit  de JE'RUS ALEM. Liv. V. Cu. I. 201 avoit le prémier faufié fa foi, profita de fon éloignement, pour faire fortifier le Caire, amalfer des Provifions, & armer le plus' de Peuple, qu'il lui fut poffible, pour le joindre a PArmée de Damas. II avoit eu avis, qu'elle ne devoit pas tarder long-tems a paroitre, & a agir en fa faveur. En effet, Noradin , qui trouvoit un doublé avantage a fecourir VEgypte, en affoibliffant les Chrétiens, dans Pefpérance qu'il concut d'y faire lui même quelque acquifition a fon profit, remit d'abord le commandement de fon Armée a Syracon , qui n'aïant plus ofé paroitre aux yeux du Calife de Bagdet, après le mauvais fuccès de fon expédition, s'étoit de nouveau retiré a Damas, & s'étoit fi bien infinué, & remis dans les bonnes graces de Noradin, que cederner lui rendit toute fa confiance.. La grande connoiffance, qu'il avoit de VEgypte, ne contribua pas peu a cette réconciliation. La haine invétérée qu'il avoit pour les Chrétiens, par les traverfes, qu'ils avoient fufcitées contre fes deffeins, rédoubloit encore fon impatience de s'en vanger, & lui fit faire une fi grande diligence dans fa marche, qu'il arriva en Egypte, même avant que Sannar eüt ofé Pefpérer. Ce Soudan, fe fentant apuïé d'un fi puilfant fecours, loin de ménager davantage le Roi A l m e'r 1 c, par la continuation de fes Préfens, & de fes Meffages, ne lui paria plus des fommes, qu'il lui avoit promifes, fe mit a la tête des Troupes qu'il avoit aifemblées, & alla joindre Syracon , a 1'entrée du Roïaume : Changement, qui fit bientöt connoitre a Alme'ric, qu'au lieu d'avoir a efpérer les deux millions d'or, dont fa lache paffion 1'avoit flatté, il auroit une forte Armée a combattre, dont le courage fuppléeroit a la molleffe des Egjptiens. Ce Prince voulut alors réparer fa faute, & fa négligence. II s'avanca, pour combattre Syracon , avant qu'il püt pénétrer dans le cceur du Pays ; mais, par une nouvelle erreur, non moins blamable que la prémière, il prit la route de Pélufium, qui n'étoit point celle, par oü Syracon devoit naturellement venir,, a. Sannar Fortifie k Caire.  -02 HISTOIRE G E' N E' R A L E ii 69. Tolitiqu! ic Syracon. Ia Soutint! ajfnj a moins qifil n'eüt voulu rencontrer les Chrétiens. Ceux-ci aprirent, qu'ils avoient perdu leur peine; & que leur Ennemi avoit non feulement eu 1c bonheur de traverfer le Défert; mais encore que Sannar f avoit joint, avec fes Troupes. Ainfi, les Chrétiens réconnoilfant, qifil leur étoit impoifible, de combattre les Barbares, & de confervcr la Ville de Pélufium , en retirèrent la Garnifon , qu'ils y avoient lailfée , s'en retournerent a Jérufalem, couverts de bonte , & de confulion , & remportèrent , pour tout fruit de leur belle campagne , 1'introduclion d'un rédoutable Ennemi en Egrpte ; la perte du conlidérable Tribut, qu'ils en retiroient; la haine, & le mépris des Turcs, & des Sarrafins; & enfin 1'indignation de toute la République Chrétienne,qui n'avoit apris leur entreprife, qu'avec beaucoup cfindignation. II n'en fut pas de même de Syracon , qui ne manqua pas fon coup. Cet liabile Capitaine, penfant plus a fes intéréts , qu'a ceux de Noradin , fon Maitre , fe voïant en état, apres le départ du Roi Alml'ric, de fatisfaire la paffion, qu'il avoit depuis long-tems de parvenir au Gouvernement de VEgypte, 1'exécuta avec toute la politique imaginable, fans même y emploïer la force, ne voulant pas y entrer d'une manière odieufe au Peuple, & fe contentant de facrifier la vie de jcelui, dont il vouloit occuper la place. En effet, il étoit campé devant la Ville du Caire, dont la prife lui auroit été facile; Cependant, bien loin de rien tenter, il ordonna expreifément a fes Troupes de demeurer paifibles dans leur pofte; &,fans donner aucun fujet de plainte,ni de mécontentement, aux Peuples de la Ville, & a ceux de la Campagne. Une conduite fi modéréc trompa fi bien le Soudan lui même, ' qu'il alloit le vifiter tous les jours dans fa Tente, fans aucune précaution. II ne penfoit, qu'a le renvoïer content, & fatisfait, lors que Syracon le fit alTafiiner un matin, qu'il alloit lui rendre fa vifite ordinaire , accompagné de Maiiadan, & de Cha-  de JE'RU SALEM. Liv. V. Cu. I. 201 Chamel , fes Fils, qui - ëvitèrent le malTacre, par la viteffe de leurs Chevaux; Mais ils n'eurent pas un meilleur fort, en arrivant au Caire. Le Calife, qui vivoit plutót en Brute, qu'en Prince, & qui n'avoit aucune connoiffance.des affaires de fon Roïaume, étonné de la mort du Soudan, qui gouvernoit tout; .& craignant lui même de perdre la Vie, & la Couronne, dans cette occafion; foit pour favorifer celui .a la merci duquel il fe voïoit réduit, ou pour fe venger fur les Enfans de la mauvaife conduite-de leur Père,les fit étrangler fur le champ; &,dès le lendemain, il reconnut Syracon, en qualité de Soudan. II s'eftimoit même heureux, s'il vouloit fe contenter de cette Dignité, & lui laifter la fienne. Ce fut ainfi que Syracon entra triomphant dans le Caire, fans qu'il s'y fit aucun mouvement; -& que 1'entreprife mal concertée des Chrétiens procura enfin le Commandement de VEgypte a 1'ambitieux Syracon, & enfuite 1'entière poflèiTion de ce Roïaume a Saladin , fon Neveu, qui leur donna lieu de fe répentir long-tems. de . leur mauvaife démarche par la longue, & terrible Guerre, ux des Princes de fa propre croïance. II n'eut pas plutöt terminé le fiége du Chateau de Camel/a, & ïuré fes conquêtes, qu'il alla a la rencontre de Cot o be'di, oudan de Mufful, qui s'avancoit avec une forte Armée au feDurs de Me'lecs ala, fon Neveu. II le joignit aux environs Alep, oü les Armées en vinrent d'abord aux mains. Salain remporta une entière viécoire, foit par le bonheur, qui pa□ilfoit attaché k toutes fes entreprifes; ou par le fécret , quil voit de favoir corrompre tous ceux qui pouvoient contnbuer a *s avantages. II affiégea enfuite cette grande Ville, dont la prib devoit décider du fort de Me'lecs ala, qui s'y trouvoit "LeTlvfaitres des Ordres Militaires, & les Barons du Roïau-, ne outrés de la mauvaife conduite du Comte de Tripoli, qm, •rahüTant fi indignement la caufe commune, les livroit au plus •édoutable Ennemi des Chrétiens, en firent leurs rémontrances m jeune Roi, & lui inlpirérent de fe mettre hu même a ia tete de fes Troupes, pour tacher de récouvrer quelqu'une des Places, dont Saladin s'étoit emparé. II étoit alors occupe au fiége dAkp; &, pour groffir fon Armée, il avoit degami la Province de Damas de gens de guerre. . Baudouin, qui, malgré fa jeunelfe, &fes mdifpofitions, ne laiffoit pas d'avoir beaucoup de jugement, & de courage, ne balanca pas k fuivre leurs avis. On fit ralfembler les Soldats, que le Comte de Tripoli avoit congédiés. Chacun fe mit en ordre L'Armée Chrétienne paffa le Jour dam, & entradans la Province de Damas; Mais, par malheur, le Roi, aulli mal euidé, qu'il avoit été confeillé, au lieu de s'attacher a quelque entreprife utile, & confidérable, qui put obliger( Saladin a lever le fiége dAkp, s'amufaa faire ravager, & br^ler les cam-  de JE'RUSALEM. Liv. V. Ch. II. 210 pagnes; &, quoiqu'il s'avancat enfuite jufqu'a Dar ia, qui n'eft qu'a quatre miles de Damas, fans même rencontrer aucune oppofition, il n'ofa rien entreprendre fur jèÉfcte Ville , «Sc fe contenta de piller plufieurs lieux ouverts, entre autres le gros Bourg de Bedegené, fitué au pié du Mont-Liban, oü les Chrétiens firerit un butin très-confidérable, par raport a la grande'fertilité de ce lieu, qui rendoit fes Habitans fort opulens. Ce fut - la le fruit de la prémière campagne du Roi Baudouin. Les Chefs de fon Armée furent caufe que la feconde -n'eut pas un meilleur fuccès. Malgré la facilité de faire quelque grand coup, pendant 1'éloignement de Saladin, & favantage qu'ils remportèrent fur Sansedol , fon Frère, qui commandoit a Damas, & qui s'étoit avancé dans la vallée de Baccar, avec le peu de Troupes qu'il avoit, pour s'oppofer a leurs ravages, les Chrétiens ne s'attachèrent qu'a ravager cette grande vallée, qu'on prétend être V'lturée-Traconitide, autrefois Tétrarchie de Philippe, Fils du vieux He'r o d e, laquelle eft nommée le Saut du Liban dans le Livre des 'Rois. Pays, qui par la pureté de fon air, la bonté de fes eaux, •& la fertilité de ■fes campagnes, étoit rempli de gros Villages très-riches, & très-peuplés; «Sc ils y mirent tout en combuftion jufqu'a l'ancienne Ville ÜAmégara, qu'on dit être l'ancienne Palamyre, colonie des Fhéniciens, ou, felon quelques Auteurs, la Ville de Thadmor, qui avoit été batie par Salomon. Les Chrétiens firent par tout des prifes très-confiderables, foit en riches meubles, foit en prifonniers, «Sc en bêtail, «Sc fe retirèrent a Tyr. Le Comte de Tripoli voulant, de fon cóté, profiter de la fortie de 1'Armée du Roi, fe mit auffi en campagne avec fes Troupes, entra dans la même vallée, oü il fit fa part de butin. Voila, a quoi fe bornèrent les entreprifes des Chrétiens, pendant que Saladin faifoit des conquêtes auffi folides, qu'importantes, «Sc glorieufes pour lui, «Sc pour fesDefcendans. On reconnut cependant que la maladie, dont le Roi étoit'II Ee 2 cruél- Artkk Jf.  zie II I S T O I R E G E'N E' R. A L E Ia lèpre du Roi Ban douin fe tnanifefte. Guillaume Lon- • gue-Epée, Régent deJérufalem. Sé i>m. Deffein de l'Êmpereui Emanuel /«ri'Egyp te. cruëllement tourmenté, dès fa tendre jeunefle, étoit la lèpre; ce qui lui fit donner le nom de Lépreux. Cette terrible infirmité le mettoit hors d'état d'agir; mais, n'ofant non plus que fon Confeil, remettre la Régence au Comte de Tripoli, après le mauvais ufage, qu'il en avoit fait, les Seigneurs confeillèrent au Roi d'envoïer réchercher Guillaume Longue-Epe'e , pour le marier avec la PrinceiTe Sybile, fa Soeur, «Sc lui confier Tadminiftrationdesaffaires,comme un vrai moïendc faire cefferles prétenlions de tous ceux qui y afpiroient. Ce Seigneur étoit Fils du vieux Marquis de Mmtferrat, «Sc s'étoit déja acquis beaucoup de réputation. Guillaume n'héfita point a accepter une propofition auffi honorable, qu'avantageufe.. II partit pour Jérufalem, dès qu'il en recut avis; «St il-ne tarda pas a confommer fon mariage avec cette PrincefTe. II prit en même tems, «Sc-avec un applaudifiement univerfel, la ccmduite des affaires de 1'Etat. Le Roi lui affigna .en dot les Villes de Jaffa, «Sc üJfcalone , dont il prit le titre de Comte. Mais il fembloit, que tout ce qui pouvoit contribuër a rétarder la perte du Roïaume de Jérufalem, «Sc a foulager le pauvre Baudouin, devoit être d'abord renverfé. Le Comte de Jaffa, dont on avoit concu de fi grandes efpérances, mourut a Afsahne, trois mois après fon mariage, «Sclaisfa le Roi, qui s'y trouvoit malade, dans la néceffité derecommencer a agir par lui même. Ce Prince étoit aufli affligé de la perte de fon Beau Frère , qu'embarraffé d'un fardeau, qui lui étoit infuportable j d'autant.plus qu'il faloit reprendre les armes, pour accomplir le Traité, renouvelïé avec 1'Empereur de Conflantinople. Ce Monarque , brülant d'envie de tranfporter, pendant 1'abfence de Saladini, la guerre en Egypte, pour fe dédom• mager de la perte, qu'il'avoit faite de'; fa. Flotte, quelques années' auparavant, avoit déja fait tous les prèparatifs nécefTaires pour cette entreprife. Andronic Lange, Alexandre de Pouille, & Jean Sïathie,. fes Ambaffadeurs, étoient partis pQur  de J£'RUSALEM;-Liv, V. Cn. II. tm póur Ptolomaïde avec 66. Galères', & plufieurs VailTeaux de tr-antfport;. & ils n'attendoient, que PArmée de Jérujalem. - Malgré les'grandes douleurs-, que reflentoit Baudouin, il fe fit tranfporter; dans cette Capitale', tant pour faire afiem. bier fes Troupes, que pour y recevoir, avec plus de commodité, Philippe, Comte de Flandres, qu'on y attendoit depuis long-tems, • & qui venoit enfin d'aborder a Ptolomaïde. Le Roi, de Pavis de fes plus chers confidens, avoit réfolu de lui remettre, non feulement le foin de la guerre d''Egypte', mais encore la conduite de fes Etats. Après cette délibération , Baudouin envoïa PArchevêque de Tyr- au Comte de* Flandres, pour lui offrir ces hautes Dignités ;' mais, foit que Phillippe n'eüt pas deffein de faire un long féjour en Palejline, ou qu'il craignit de ne point' réüflïr dans la guerre • & Egypte, par raport a la facilité, qu'avoient les Infidèles, d'inonder le Pays, il remercia le Roi de la Régence du Roïaume, & du Commandement de PArmée, au grand étonnement de ce Prince, & de fon Confeil. Les AmbaiTadéurs Grecs, - qui follicitoient fortement cette expédition engagèrent Baudouin, dont la foibleffe du corps ne donnoit aucune atteinte a la fermeté de Pefprit, de fe difpofer a y aller en perfonne. II Pauroit exécuté, pour s'aquiter de la parole qu'il avoit'donnée a 1'Empereur, fans que les mêmes Miniftres de;ce Monarque, reconnoiffant, par la promte rétraite du Comte de Flandres a Napouloufe, & par la complaifance que les1'principaux Seigneurs du Pays avoient1 pour lui , que le Roi feroit-mal accompagné dans cette expédition, & ne pourroit faire aucun progrès confidérable, le prièrent de remettre fon voïagè a 1'année prochaine. - Ces Miniftres repartirent, peu de tems après, pour Conftantinople, avec leur Flotte, pour informer PEmpereur, leur Maitre, du fujet qui les avoit obligés a prendre ce parti.- • E-c 3""3 Leur ii 76. Rtfus de la Régence, par Philippe, Comte de Flandres.  222 H I S T O I R E G E' N E' R A L E Mépris, que lui attire fa légéreté. Jtn&ion de Troupes du Prince tf Antioche, des Comtes de Tripoli, «SP de 1'lanjres, avee les Templiers, ö les Hofpitaliers. Leur départ fit bientót répentir le Comte de Flandres, naturellement inconftant, d'avoir été caufe du délai de la guerre d1Egypte. II en fit témoigner fon chagrin au Roi, avec proteftation, que, fi fes affaires domeftiques ne 1'obligeoient pas a repalfer en Europe, avant qu'il la commencat, il ne manqueroit pas d'y aller, «Sc «d'y prendre tel emploi qu'il plairoit a Sa Majefté. II ralfura, que, pour réparer ce rétardement, il étoit pret a le fervir dans telle entreprife qu'il jugeroit a propos de faire contre les Infidèles. Comme cette foible fatisfaclion ne contentoit pas fort Baudouin, ni les Perfonnes éclairées, qu'il avoit auprès de lui; «Sc que, d'ailleurs, il ne comptoit pas beaucoup fur les engagemens du Comte, dont il n'avoit que trop reconnu 1'inftabilité, il recut, d une manière fort indifférente , la propofition qu'il faifoit d'attaquer les Infidèles. Le Prince d1'Antioche, «Sc le Comte de Tripoli, profitant de ce refroidiffement, «Sc efpérant de fe fervir utilement des Troupes de Philippe , engagèrent ce Comte a fe joindre a eux, «Sc le Roi a leur acorder cent Cavaliers, «Sc 2000. Fantaffins. Les Chevaliers du Temple, «Sc de YHópital, foit pour ne point demeurer dans 1'inaction, ou pour accompagner le Comte de Flandres, qu'ils avoient toujours flatté, voulurent être de la partie. Ils compofèrent tous enfemble une Armée aflez forte pour entreprendre quelque chofe de confidérable, avec d'autant plus d'apparence, que, fur la nouvelle de la Ligue, que le Roi de Jérufalem avoit faite avec 1'Empereur de Conftantinople, Saladin s'étoit racommodê avec Me'lecs ala, & avoit repaïfé en Egypte, avec toutes fes Tröupes, pour défendre ce Roïaume contre leurs attentats. Le Comte de Flandres, «Sc les Seigneurs de Palejline, au lieu de profiter de 1'éloignement de ce Soudan par quelque entreprife digne d'eux, ne s'amufèrent, qu'a ravager les environs des Villes de Céfarée, & de Camelia. II eft vrai, quils allèrent enfui-  de JE'RUS ALEM. Liv. V. Gh. II. -23. enfuite attaquer le Chateau dArène; mais ils le battirent, avec tant de lenteur, «Sc avec fi peu d'ordre, que les Afiiégés, quoiqu'en petit nombre, «Sc fans efpoir de fecours, fe défendirent fi vigoureufement, qu'ils les obligèrent a abandonner honteufement ce fiége; Car, au lieu de s'attacher férieufement a réduire cette Place, les Seigneurs Chrétiens, négligeant entièrement leur devoir, perdoient leur tems en promenades continuelles du Camp a Antioche, qui n'en eft qu'a quatre lieues. Les plaifirs,. qu'ils trouvoient en cette Ville, les attiroient; «Sc s'y abandon- \ nant fans referve, ils oublièrent les foins, les mouvemens, «Sc' 1'attention nécelfaires, pour bien réüffir a la guerre. Les Soldats, a 1'imitation de leurs Chefs, avoient plütöt les cartes, «Sc les dés a la main, que les armes. Ils ne fongeoient a rien moins, qu'a donner des alfauts capables de pouffer leur entreprife. Saladin , qui n'épargnoit rien pour être informé des mouvemens des Chrétiens, aïant reconnu, par la relation du fiége dArène, que cette Fortereffe n'avoit rien a craindre; & que, comme la Flotte Impériale étoit retournée a Conftantinople, il n'y avoit aucun danger pour VEgypte, fe remit promtement en campagne, pour aller furprendre quelque Ville de la Paleftine. Chapitre III. Caladin, afm d'exécuter fon projet avec plus de fécret, «Sc de/ y~> dil igence, lailfa une partie de fon Infanterie, avec fon baga- ,< ge, dans Larizza, Ville de VArabie-Pétrée, traverfa le Défert aveca fa Cavalerie, «Sc la fleur de fes Troupes, & vint fondre fur las Ville dAfcalone, qu'il fe flattoit de trouver vuide de gens de guerre; mais, comme, malgré fes précautions, le Roi avoit eu avis de fa marche, «Sc que ce Prince courageux n'écoutoit point fon « Végligtii. e de ces lonfédéresl if des Sollats. irtkle J. tége 'Afcaloe, par aladin.  ft* II I S T O I R E G E' N E' R A L E fon mal, lorfqu'il s'agilfoit de la-confervation de fes Etats, il alTembla promtement le peu de Troupes, qui étoient reftées a Jérufalem, & fe jetta lui même dans Jfcalone. Ainfi, par fa diligence, il prévint fon Ennemi, lequel perfuadé qu'il en tenteroit inutilement la furprife, fe campa aux environs de la Place, dont il ravagea les campagnes, & mit .toutes les. habitaüons k feu «Sc k fang. LeRoi, fenfiblement touché de ces défolations, réfolut ennn de faire une fort ie avec le peu de Troupes, qu'il avoit, pour tiener de lesarrêter; «Sc, rempli de confiance en la protection du Ciel, il s'avan9a courageufement vers 1'Ennemi; mais, confidérant enfuite, qu'il y auroit plus de témérité, que de bravoure, k 1'attaquer avec des forces fi inégales, après quelques légères efcarmouches, il rentra dans la Ville; ce qui rendit les Infidèles encore plus hardis, & plus infolens. lis fe répandirent dans tout le Pays, «Sc le détruifirent avec tant de fureur, & de cruauté, que tout le Roïaume en fut rempli de terreur, 6c d'épouvante. Tous4es Peuples des Lieux ouverts les abandonnèrent, pour s'enfermer dans les Villes. L'allarme devint fi générale, que les Habitans de Jérufalem même commencoient a fe retirer dans la Tour de David, lors que le Roi, qui aimoit mieux rifquer fa vie, que de voir fi cruëllement ravager, «Sc brüler fes Etats, fut joint par les Barons du Roïaume avec leurs Troupes, «Sc le peu de Chevaliers des deux Ordres Militaires, qui étoient reftés k 'jérufalem. Rainaud de'Chatillon, Seigneur de MontréaU Baudouin d'Ibelin, Comte de Karna-, Balian, fon Frère; Rainaud de Sidon, & le Comte Josselin, Sénéchal du Roïaume, fe joignirent auffi k ce Prince. Avec tous ces petits fecours, Baudouin fe trouva avoir un peu plus de 3000. Hommes; «Sc, après s'être recommandé a Dieu, avec un cceur pur , «Sc fincère, il fortit tranquilement ft Jfcalone, «Sc cötoïa le rivage de la mer, afin de mieux cacher 'fa marche aux Ennemis. II fut encore oi nt, en chemin, par Othon  de JE'RUSALEM. Liv. V. Gr. lil. 22i Othon de St. Amand, Maitre des Templiers, qui, fur h nouvelle, que Saladin avoit paffé le Défert, avoit quitté k fiége ftJrène, pour entrer dans Gaza. Le Roi arriva enfin a ia vue de ia nombreufe Armée de Saladin , compofée de 25*. mille Chevaux, parmi lesquels s'en trouvoient 8000. d'élite, nommés ToaJJins, outre mille Cuiraffiers, qui fervoient de Garde de Corps a ce Prince Infidèle, «Sc qui portoient, comme lui, un furtout orange, couleur dont il s'habilloit ordinairement en campagne. Ces Gardes, qu'on nommoit Catacaughns, ou Mammehes, qui fignifie Efc/ave domejlique, étoient des Enfans que les Soudans, & Grands ft Egypte, faifoient élever avec beaucoup de foin, «Sc infiruire aumaniementdes armes, foit qu'ils naquiffent de leurs Concubines, ou qu'ils les fifient acheter des Nations étrangères; de forte qu'accoutumés, dès leur enfance, aux exercices Militaires, .«Sc encouragés par la folde, qu'on leur payoit, lors qu'ils avoient atteint 1'age viril, «Sc par les emplois, qu'on leur donnoit, pour récompenfer leurs belles actions, ils devenoient la plupart fi vaillans, «Sc fi intrépides, que c'étoit en leur Corps, que les Soudans mettoient leur plus folide efpérance dans les batailles. Auffi, cette Milice fe rendit fi puilTante, & fi rédoutable dans la fuite, qu'elle ufurpa enfin la fouveraineté de VEgypte, dont elle a été en poffeffion depuis 1'an i2?o. jusqu'en queSelimprémier, Empereur desr&ra, défit les deux derniers Soudans de cette valeureufe race, 1'un nommé Campson-Gurri, au quel il fit couper la tête, «Sc l'autre Toumon-Beig, qu'il fit pendre a une desPortes du Caire. C'eft ainfi que finit le Nom des Mammehes, «Sc que VEgypte changea de Maitre. ö Cependant, comme, fous le Règne de Saladin, cette Mi-j lice ne faifoit que de naitre,il nefaut pas s'étonner,fi, quelques5 braves qu'ils fiüfent déja, ils ne purent lui fauver 1'affront d'une Ff défai- t Origine des Mammelues, leur tducation. défaite de aladin.  zi6 HISTOIRE GE'NE'RALE 1 j ; I ] H fe [atn e avec peine «Egypte. Lcfaite, d'autant plus honteufe, qu'il avoit buit Cavaliers a opjofer k un feul de ceux du Roi de Jérujalem. Ce Prince & toute fa petite Armée, juftement irrités des ravages , & des incendies, qu'ils voïoient de toutes parts, & égaement animés par les exhortations de leur Souverain, qui, nalgré fon infirmité, laquelle s'augmentoit avec 1'age, s'ex* )oloit fi généreufement, pour les délivrer des Barbares, & )ar la vue du lacré Bois de la Croix, qu'albert, Evêque ie Nazareth, portoit devant eux, affaillirent f Armée ennemie, ivec autant de gaieté, & de hardieffc, que fi la partie avoit ïté égale. lis eurent le bonheur de renverfer les prémiers Efcadrons, enfoncèrent les feconds, & mirent entièrement en, déroute les fuïards. Saladin les fit recucillir des campagnes, oü ils étoient épars, & les ramena k la charge lui même. Mais, enfin, fortiiiés par le-Dieu des Armées, qui, dans cette occafion, fit renaitrc en eux les miracles furprenans de Ge'de'on, & de fes autres anciens Serviteurs , lesquels, par fon affiftance plütöt , que par leurs propres forces, avoient fait des accions prodigieufes, & obtenu des Viétoires, qui feront k jamais glorieufès a leur mémoire, les Chrétiens firent un earnage fi effroïable des infidèles, que ceuxei leur abandonnèrent le champ de bataille, & prirent tous une fuite précipitée. Les Chrétiens les pourfuivirent k outrance depuis le Montgifiard, oü fe donna cette mémorable bataille juiqu'au Palus, nommé VEtang des étourneaux, qui en eft k quatre lieues, & en f-ent un fi grand maflacre, que, fi la nuit ne füt furvenue, la grande Armée de Saladin auroit entièrement péri. II eut bien de la peine a fe fauver lui même, avec une centaine de fes prs Cavaliers, qui le firent monter fur unDromadaire, par lequel il fut porté, en peu de jours, en Egypte, auffi mortifié. de la perte qu'il venoit de faire, qu'irrité contre fes Ennemis., Après  de JE'RUSALEM. Liv. V. Ch. III. 22^ Après cette %nalée Vicloire, le Roi fe retira k Afealone , pour y attendre les Troupes, qui avoient pourfüivi les fuïards. Leur retour couronna fon triomphe. II eut la fatisfa&ion de les voir arriver, tous chargés des dépouilles des Infidèles. II n'y eut aucun Soldat, qui n'entrat dans la Ville, fans avoir $ fa fuite efclaves, chevaux, & bagages; & la perte des Chrétiens ne fe trouva que de cinq Cavaliers, & très-peu d'infanterie. Auffi, ce bon Prince ne pouvoit fe laffer de rendre de très-humbles actions de graces au Tout-Puiffant, d'admirer les effets furprenans dc fa providence, & dans fexcès de fa contemplation, d'exhortei tous les Seigneurs, & les Soldats, de lui adreffer des vceux finéères , pour implorer la continuation de fa fouveraine affiftance. Le bonheur des Chrétiens fut extréme de toutes les manières. Ils remportèrent cette fignalée Vicloire, vers la fin du mois de Novembre, 1177. II tomba deux jours après une fi grande quantité de pluie, &il fit un froid fi extraordinaire, que les Sarrafins. qui s'étoient fauvés du combat, & qui avoient abandonné leurs chevaux, leurs armes, & leurs habits mêmes, afin de fe mieux cacher, moururent de froid, & de mifère, dans les campagnes, Oü ils s'étoient égarés, a la referve de queiques-uns, qui, préférant 1'éfclavage a une mort fi terrible, fe rendirent volontairement aux Chrétiens. D'ailleurs, les Arabes du Défert, Peuples errans, & vagabonds, qui ne vivent que de rapines, n'eurent pas plütöt apris la déroute de Saladin, qu'ils allèrent fe jetter, avec tant de fureur, & en fi grand nombre, fur f Infanterie, qu'il avoit laiffée avec fon bagage a Larizza, qu'ils s'en faifirent, & mirent en pièces tous les Soldats; de forte que de tant de belles Troupes, & du grand attirail, que ce Soudan avoit fait fortir d1'Egypte, pour envahir la Palejline, il ne fe fauva que les cent Cavaliers, qui avoient eu le bonheur de le fuivre. Le grand avantage, que le Roi venoit de remporter, lui fit Ff 2 efpé- 1177. Article IU. Infanterie de Saladin, attaquée par les Arabes,  228 HISTOIRE G E' N E' R A L E Ltvée du fiége d'Arène,par 1 Comte de Flandres. 1178. Sbn retour dans fes Etats. efpérer, que, pour comble de joïe, il auroit bientöt la fatis. faétion d'apprendre la reddition du Chateau dArène, dont le fiége occupoit toujours le Comte de Flandres, & les autres Seigneurs, qtü 1'avoient entrepris; mais, foit que ce Comte eüt c0n9u.de la jaloufie, pour la gloire, que Baudouin venoit d'acquérir, avec une poignée de monde; ou qu'il fut chagrin du peu de progrès, qu'il avoit fait lui même, avec une Armée, beaucoup plus confidérable; ou enfin qu'il defefpérat entièrement de réüfiir dans fon entreprife, il abandonna ce fiége,. malgré les rémontrances du Comte de Tripoli, &.du Maitre des Hojpitaliers , qui firent tout leur poffible pour Ten dilfuader. Enfin le Comte de Flandres de retour a Jérufalem, y célér bra laPaque, &s'embarqua quelques jours après kLaodicée, pour s'en retourner dans fes Etats, laiflant tous les Chrétiens de la Palejline, auffi fcandalifés de fa conduite, & de fon inconftance, que le Roi peu fatisfait en fon particulier. Tout 1'avantage que le Prince d'Antioche ïeq,ut d'avoir engagé ce Comte a faire la. guerre fur les confins de fes Etats, dans fefpérance de pou-r voir réünir a fa Principauté quelqu'une des Places, qui en» avoient été démembrées par les Infidèles, naboutit qu'a une fomme d'argent, qu'il re9iit des Habitans dArène, avec les-, quels il eut Taddrelfe de s'accommoder, fitöt qu'il reconnut, que Philippe avoit réfolu d'en lever lc fiége. As Tégard du Roi, qui. avoit auffi reconnu, par le mauvais fuccès de leur entreprife, qu'il ne devoit compter, que fur ce qu'il pouvoit lui même, il emploïa fes Troupes a la conftruction d'un Fort fur la rive du Jourdain, a 1'endroit nommé le Gué de Jacob, qui eft entre les Villes de Panée, & de Nephtali, pour tenir en bride ceux de la Province de Damas. On travailla a ce Chateau, avec tant d'affiduité, & de diligence, qu'il fut en état de défenfe en moins de fix mois. II le remit a la garde des Templiers, qui polfédoient une bonne partie des Terres, oü il étoit fitué; II n'y avoit encore que deux mois que cette Forterefle étoit achevée*  de JE'RI7SALEM. Liv. V. Cu. III. 2*9 achevée, hrs que Saladin, qui avoit remis fur pié une nouvelle Armée, vint 1'affiéger. II la battit, jour, & nuit, avec tant defureur ,que lesAffiégés, accablés parunegrêle continueile de pierres, ne pouvoient plus fe montrer aux défenfes, & étoient prêts afuccomber, quand, par un coup de bonheur , Rëgnier de Maron tira une flêche, qui tua un des principaux Officiers des Ennemis, nommé Jaron. Saladin, plus fenfible a la perte de fon Favori, qu'a 1'éfpérance de fe rendre maitre de la Place, en abandonna le fiége, & alla fe camper avec toute fon Armée, entre la Ville de Belline, & le Fleuve Dam. A peine y fut-il arrivé, que, pour appaifer fa douleur, cVcommencer a fe vanger de la mort de fon Ami, il envoïa. la plupart de fa Cavalerie, ravager les Pays d'alentour. Les Clameurs du Peuple obligèrent le Roi a fe mettre en campagne, pour arrêter le cours de cette irruption. Baudouin palfa promtement les Villes de Tibériade,de Saphef, de NaaJJbn , & le Chateau de Tboron, & s'avanca jufqu'a celui de MeJJaphar, fitué au fommet de VJntiliban , d'oü il découvroit toute la plaine, le camp de Saladin,. & les dégats, qu'y faifoit fa Cavalerie de tous cótés. Comme elle s'écartoiü beaucoup du gros de 1'Armée Egyptienne, le Roi, & tous lesChefs, jugèrent a. propos d'en profiter; mais ils defcendirentr dans la plaine avec tant d'emprefiement, qu'il fut impoffible a: leur Cavalerie de les fuivre. Cependant, foit par hazard, ou par prévoïance, ils fepoftèrent fort avantageufement. La Cavalerie Ennemie avoit palfé la Rivière, qui fépare le territoirs Sidon de la plaine; de fbrte qu'elle tomba juftement au milieud'eux; «Sc, dans la confternation que cette rencontre inopinée lui caufa, les Chrétiens la défirent entièrement. Mais ils firent un fi mauvais ufage de cet heureux commence- ] ment, qu'ils n'eurent pas lieu de s'en réjouir, comme de la ba-c tzütedeMontgifard; car, au lieu de fonger, qu'ils n'avoient-! batu.qu'une petite partie.de 1'Armée Ennemie, & qu'ils avoient Ff % tout-. Défaite &e la Cavalerie de Saad in. VègMgen', de l'Arde de' -audouirij  -3o II I S T O I R E G E' N E' R A L E tout ii craindre dc l'autre , ils s'amulerent, les uns a partager les dépouilles des Infidèles , & les autres a fe- repofer avec autant de tranquilité, que s'ils n'eulfent eu plus rien a faire. Saladin, qui, dès leur approche, avoit fait tranlporter fon .gros bagage a Belline, pour être plus a portée d'accourir oü befoin feroit, «Sc qui s'étoit enfuite avancé, pour foutcnir fa •Cavalerie, profita li bien de leur négligence, qu'il ne tarda pas ii fe revanger du malfacre des fiens. 11 trouva les Chrétiens li écaités les uns des autres, qu'ü leur fut impoffible de fe rallier aifez tót, pour réfifter a fa füreur. 11 les dardoit de tous cötés. La Cavalerie Chrétienne n'avoit pu couvrir rinfanterie, qui, en defcendant de la Montagne, s'étoit campée prés de laRivière. Elle prit la fuite avec tant de précipitation, qu'elle entraina le refte de FArmée, «Sc caufa le malfacre, ou la prife d'un grand nombre de Perfonnes de diftinétion. Baudouin , Comte de Rama, Hugues de Tibe'riade, «Sc Othon de Saint-Amand, Maitre des Templiers, furent du nombre des derniers. Le malheur, «Sc la défaite des Chrétiens fut ficonfidérable, qu'il n'y eut que ceux qui fuivirent le Roi, le Comte de Tripoli, «Sc Jaubert , Maitre des Hofpitaliers, qui, après avoir traverfé la Rivière, gagnèrcnt le Chateau de Beaufort, «Sc eurent le bonheur de fe fauver, outre quelques-uns qui prirent la route de Sidon. Ceux qui voulurent régagner les Montagnes y furent tous taillés en pièces; ce qui mit Saladin en état non feulement de piller, a fon gré, tout le plat-pays, mais encore d'attaquer les meilleures Places du Roïaume. LeRoi, qui n'avoit pas, comme lui, la facilité de remettre fon Armée fur pié, par raport a la petite étendue de fes Etats, dont plufieurs Seigneurs partageoient 1'autorité, «Sc avoient leurs Troupes apart, ne put ranimer le courage de fes Sujets, ni mettre obftacle aux progrès, «Sc a la puiffance de fon Ennemi; de forte que celui-ci, peu après fa Victoire, alla de nouveau affiéger le Chateau du Gué de Jacoh. II Femporta de vive force, le ö fit  de JE'RUSALEM. Liv. V. Ch. III. 231 fit rafer jufqu'aux fondemens , & paffa au fil de 1'épée, 01 conduifit en efclavage tous les Habitans, lans que Baudouin . qui s'étoit mis en campagne, avec Henri, Comte de Champagne, Pierre de Courtenai, Frère du Roi de France, Philippe, Elu deBeauvais, & plufieurs autres Seigneurs Franpois. qui venoient d'arriver, puflënt y venir aflèz a tems, pour en empêcher la prilè. Tant de malheurs, joints aux grandes infirmités de Baudouin, commencèrent a le rendre extrêmement inquiet, & foupconneux. II craignoit même, qu'on ne rejettat ftir lui tous ees contretems facheux , & qu'on ne le crüt incapable du gouvernement, d'autant plus que le Duc de Bourgogne, a qui il avoit fait propofer, dès fannée précédente, la PrinceiTe Sybile en mariage, & fur lequel il comptoit de fe repofer pour les affaires de 1'Etat, fembloit ne plus penfer a cette Allianee, malgré la parole d'honneur, qu'il en avoit donnée aux Miniftres du Roi; foit que la confidération dun Fils, que Sybile avoit déja de fon prémier mariage, 1'en détournat, ou qu'il eüt quelque autre raifon pour ne point quitter YEurope. Les inquiétudes du Roi redoublèrent, lors qu'il fut informé, que le Prince dAntioche, & le Comte de Tripoli étoient entrésdans fes Etats avec leurs Troupes. II craignoit également leurs forces, & leurs brigues , fur ce qu'ils pouvoient s'emparer du gouvernement du Roïaume. II en étoit fi allarmé, que, pour fe délivrer de ces nouveaux chagrins, & faire celfer les prétenfions de plufieurs Grands, qui afpiroient au mariage de la PrinceiTe, fa Soeur, il la maria, tout d'un coup, a Gui deLuzignan, jeune Seigneur Francois , Fils de Hugues le Brun, ilfu, felon quelques Auteurs, des anciens Rois de Bourgogne. II lui affigna en dot les Comtés de Jaffa, & dAfcalone, comme il 1'avoit déja fait a f égard de G u 1 l l a u m e L o n g u e-e'p e'e , prémier Mari de fa Sceur. II réfigna en même tems a Gur la Régen- Gui dè Luzignan, Régent du Roïaume de Jérufalem.  -32 H I S T O I R E G E'NE'R ALE Régence du Roïaume, dans 1'efpérance qu'il auroit d'autant plus de valeur, «Sc de courage, qu'il étoit jeune, robufte, & bienfait de fa perfonne, & qu'il empêcheroit non feulement les attentats des Barons de la Syrië fur la Couronne, mais «qu'il la defendroit encore contre ceux des Infidèles. Cependant ia tranquilité, que Baudouin efpéroit de s'être procurée par le mariage de la PrinceiTe, fa S«.eur, «Sc par le choix qu'il avoit fait de Gui de Lugignan, ne fit au contraire qu'augmenter fon-trouble, & fes embarras domeftiques, «Sc mettre la difcorde, & la défunion dans tout le Roïaume. Les Seigneurs du pays, fachés que ce Prince leur eüt préféré un jeune Etranger, n'avoient aucune confidération pour fa Perfonne, ni pour fon illuftre Maifon, dont les Ancêtres avoient, en divers tems, puiflamment fecouru hTerre-Sainte, & fait de li belles aclions pour le fervice, & 1'utilité de fes Habitans. Ils le méprifoient auffi librement, & publiquement, qu'ils blamoient le Roi d'avoir fait cette alliance, «Sc de lui avoir confié le maniement des affaires. Ils firent enfin tant, par leurs discours malins, «& envenimés, qu'ils rendirent Gui -très-fufpeót a Baudouin. Quelques Hiftoriens prétendent, que Guillaume, Archeveque de Tyr, alors Chancelier du Roïaume, qui n'aimoit pas Gui, contre 1'efprit de paix, «Sc de charité, qui doit toujours régner dans le cceur d'un Eccléfiaftique, ne laiffoit échaper aucune occafion de le .deiTervir, «Sc de le tendre odieux au Roi, & a toute la Cour. Le Comte de Champagne, & les autres Seigneurs Franpois, qui fe trouvoient encore a Jérufalem, reconnoiflant par tous les mécontentemens publics & particuliers , qu'on n'entreprendroit alors rien fur les Infidèles, & que leur féjour en Palejline feroit inutile, en partirent, après avoir vifité les faints Lieux, avec une dévotion exemplaire; mais, comme ils s'arrêtèrent quelques jours a Tibériade, ils eurent le bonheur de conferver £ette jPlace, que Saladin vouloit furprendre. Le  ï>e JE'RUSALEM. Liv. V. Ch. III. 233 Le Roi avoit été informé, que ce Soudan attendoit une Flotte ft Egypte , compofée de cinquante galères, & de plufieuré autres batimens. II en craignoit d'autant plus 1'arrivée, & les entreprifes, qu'il étoit trop foible pour les empêcher; &, fur les foupeons qu'il avoit coneus de fon Beau-Frère, il apréhendoic également de lui confier le commandement des Troupes. Cette perplexité lui fit prendre le parti de propofer une trève a Saladin, qui étoit campé a Panée. 11 fe flattoit, que fon peu de fuccès fur la Ville de Tibériade, & la grande difette, qui régnoit alors dans tout le Roïaume de Damas, oü il n'avoit point plu depuis cinq ans, le porteroit a 1'accepter. II ne fe trompa point, quelques fupérieures que fufient les forces de cet Infidèles. celles des Chrétiens, 1'état déplorable, dans lequel la léchereffe avoit réduit tout ce pays-la, oü 1'on ne trouvoit plus aucun aliment pour les Hommes, ni pour les Bêtes, fit qu'il écouta favorablcment les Ambafladeurs de Baudouin, & conclut avec eux la trève qu'ils lui propoferent, tant par mer, que par terre, fans pourtant vouloir rien rélacher de tout ce qu'il avoit enlevé aux Chrétiens, ni même comprendre dans ce Traité la Principauté ft Antioche, ni le Comté de Tripoli, qu'il regardoit comme des Provinces entièrement détachées du Roïaume de Jérufalem. Ces conditions n'étoient pas fort honorables pour Baudouin , puifque jufqu'alors fes Prédécelfeurs n'avoient fait aucun accommodement avec les Infidèles, fans en retirer quelque avantage; mais les affaires avoient changé de face. Ils n'avoient jamais eu un Saladin en tête; &, lors qu'ils avoient eu a dilputer contre Noradin , Roi de Damas, 1'un de leurs plus fameux Capitaines, ils étoient en paix avec VEgypte, qui étoit même tributaire de Jérufalem. Cependant, quelque heureux que füt Saladin, & quelque puiffant qu'il fe füt rendu, en s'emparant de ces deux Roïaumes; fi les Chrétiens avoient vécu en bonne intelligence, la Gg valeur 5 Trèvi, concilie entrt Baudouin; £f Saladin. "79- Article W.  t i ] » 1 R>::our de Saladin dans fes Etats. Racommtidement entre le Comte ifcTripolii fc? Saladin.1180. ■ 34. HISTOIRE GE'NE'RALE raleur, le courage, & la difcipline de leurs Troupes 1'auroient mporté fur la multitude de leurs Ennemis; & Saladin n'au■oit eu que la gloire d'avoir fubjugué les Princes de fa croïance; 'fémoin la crainte, & la précaution, avec laquelle, après la Paix de Panée, il alla attaquer la Ville de Tripoli, oü, quoim'apuié de fa Flotte, qui avoit abordé a Baruth, & qui s'étoit ïnfuite rendue fur les Cötes de ce Comté, il détacha encore une mrtie de fa Cavalerie, pour aller ravager les campagnes, & raiTurcr des chemins par oü il devoit paffer; & enfin, quoique Darvenu a fe camper entre les Troupes du Comte de Tripoli, & les Ordres Militaires, qui poffédoient quelques Terres, & Chateaux dans le voifinage, & que fon Armée Navale fe füt même emparée de file de Tortofe, il n'ofa jamais attaquer les Tripolitains dans leurs murs, &borna fon entreprife au dégat de leurs campagnes, après quoi il renvoïa fa Flotte en Egypte, & fe retira lui même fur fes Terres. L'allarme, qu'il avoit donnée au Comté de Tripoli, &le ravage qifil avoit fait dans fes Etats , lui faifant apréhender une feconde irruption encore plus grande, le fit réfoudre a rechercher 1'amitié de cet Infidèle, & a s'accommoder avec lui, a quelque prix que ce füt. Comme Raimond n'étoit pas fort fcrupuleux, il en vint facilement a bout; mais ce ne fut que par de voies, qui, d'uncóté, affuroient fes Etats, &, de l'autre, lui faifoient fort peu d'honneur, comme on le verra par la fuite. La Cour de Jérufalem y fut fort fenfible; & la crainte qu'elle eut, que la difcorde, qui régnoit alors entre le Prince ft Antioche, & le Patriarche de cette Ville, ne portat ce Prince a fuivre 1'exemple de fon voifin, en faifant auffi fa Paix avec Saladin, fit que le Roi y envoïa , fans délai, le Patriarche de Jérufalem, Rainaud de Chatillon, Roger de Moijlins, Maitre de YHöpital; &ArnauddeTorgues, Maitre des Templiers, & SuccelTeur d'othonde St. Am and, mort en captivité.. Le Roi les avoit chargés de tacher d'apaifer le fcandale, & le  de JE'RUS ALEM. Liv. V. Ch. IIL 23? défordre, que caufoit finterdit, & rexcommunication, que le Patriarche $ Antioche avoit fulminée contre le Prince, a caufe qu'il avoit répudié Thèodore, la Femme, Nièce de 1'Empereur de Conftantinople, pour en prendre une autre nommée Sybile. lis devoient, en même tems, faire ceffer la faifie, que le Prince, de fon cöté, avoit faite de tous les BiensEccléfiaftiques, & les violences qu'il faifoit a tout le Clergé; ce qui ne pouvoit avoir que de très-facheufes fuites pour les uns, & pour les autres. La dextérité, avec laquelle les Députés de Jérufalem agirent auprès d'eux, les porta enfin a fe donner une réciproque fatisfacfion, au grand contentement de tous les Peuples de la Principauté, qui, au milieu de ces démêlés, vivoient privés des Sacremens, & des Offices Divins. Le Roi Baudouin aprit avec une égale fatisfa&ion, que cette dangereufe difcorde avoit été terminée; & que la Paix avoit été rétablie dans un Pays, qui n'étoit déja que trop défolé par les fréquentes courfes des Infidèles: Mais, comme ce Prince infirme étoit, en même tems, très-agité des foupcons, qu'il avoit concus du Gouvernement, il s'empreffa de marier la Princeffe Isabelle, fa Soeur cadette, agée de huk ans; elle étoit du fecond mariage de fon Père, avec M arie Comnen e. II lui donna pour Epoux Empiiroi de Thoron, Fils d'EMPHitoi le jeune, & d'ETiENNETTE de Samarie, afin de contrebalancer3 par cette alliance, le crédit de Gui de Luzignan. Ce mariage n'attira pas plus d'applaudiffemens a Baudouin , que celui de fa Sceur ainée. Tous les gens bien fenfés prévoïoient, que, bien loin d'appaifer les murmures, & la mtfinteligence des Grands, il ne feroit, au contraire, qu'en augmenter la défunion. La démarche que Baudouin fit, prefqu'en même tems, n'excita pas de moindres mécontentemens. Elle faillit même a lui caufer une Guerre inteftine, qui auroit achevé de bouleverfer fon Roïaume. C'étoit affez la maxime des Chrétiens G g 2 de  < I i \ 1 « 3 < Imprudence & mèjian- , «e de Üaudouin. i Indifférente, 6f baine du Comte de Tripoli, ó r«$ gard der Chrétiens. Cha ;3c5 HISTOIRE G E' N E' R A L E Ie chercher a fe détruire rautuellement, lors qu'ils étoient en aierre avec les Infidèles. Comme le Comte de Tripoli lui étoit brt fufped, & qu'il s'étoit avancé jufqu'a Giblet, avec une Toffe fuite, pour aller vifiter la Vüle de Tibériade, qui lui appartenoit, le Comte Josselin, Sénéchal du Roïaume, & quelnies autres Seigneurs, qui entendoient auffi peu les intéréts du loi, que les leurs propres, lui firent comprendre, que ce Comte ;toit trop bien accompagné, pour n'avoir d'autre deffein, que ■elui de vifiter Tibériade. Ce mauvais raport aliarma tellement ce Prince, qm devenoit roujoursplus infirme, & plus méfiant, que, fans^chercheras'é-laircir de la vérité, il envoïa défendre au Comte de Tripoli, d awncer plus loin dans fes Etats. Cet affront fit un effet fi terrible fur 1'efprit de Raimond, qui n'avoit alors rien a fe reprocher, que , fans 1'efpoirde trouver bientót 1'occalion de sen vanger , il auroit dès-lors méprifé les ordres du Roi, & fait fentir I ce Prince, & a fes mauvais Confeillers, le tort qu'ils avoient de s'attirer des Ennemis. Ce fut peut - être le fouvenir de cette injure, jointe a fa mauvaife inclination, qui le porta, dans la fuite, a faire des aélions non moins indignes de faNaisfance, que de la Religion, dans laquelle il étoit né. . Car, quelque apparence de réconciliation qu'il y eut entre Baudouin, «Sc lui, & quelques témoignages d'amitié qu'ils fe donnaffent enfuite, par les foins du Patriarche, & de quelques autres Seigneurs, feignant également d'avoir oublie ce qui setok paffê; le Comte neut plus que de 1'indifference pour les intéréts de la Couronne, & pour ceux des Chrétiens, «Sc travailla plutótaleur ruine, qu'a leur foütien. Tant ont de pouvoir la haine, «Sc le reffentiment fur les coeurs des Hommes meclians, «Sc corrompus par un efprit de vangeance.  de JEULTSALEM. Liv. V. Ch. Iv. 237 Chapitre IV. PEndant que les Chrétiens agiffoient entre eux avec fi peu d'union, & de eharité, le fier, & irréconciliable Saladin, qui ne penfoit, qu'a ufurper, &kconquérir, faché de riavoirpu profiter de la mort de Me'lecs ala, Fils deNoRADiN, & s'emparer de la Ville dAlep, qu'il n'avoit pu lui enlever, avant qu'H e're'din, Soudan de Mufful, fon Héritier, en prit pofTeifion, réfolut de rompre la Trève avec les Chrétiens, pour gagner fur eux ce qu'il croïoit avoir perdu de ce cöté-la. II commenca par fe rendre maïtre dun grand Navire Cbrétien, qui avoit échoué fur la cöte de Damiette, & fit prifonnier tout réquipage, & les Pélerins, qui s'y trouvoient a bord. II envoïa, en même tems, déclarer au Roi Baudouin, que, s'il ne lui ren doit plufieurs Marchands Arabes, que Rainaud deChatillon avoit, contre le droit des gens, pris, & dépouillés, en paffant fur fes Terres du Crac, il ne relacheroit ni les Chrétiens, ni le Vaisfeau, nileseffets, qu'il retiendroit pour dédommager les Families de fes Sujets, qui avoient fouffert; & quede plus, il tiendroit dès-lors la Trève pour rompue. Comme il ne dépendoit pas du Roi de le fatisfaire a cette occafion , & qu'il reconnut d'ailleurs le véritable motif, qui faifoit agir Saladin, il renvoïa fes Ambalfadeurs avec de fimples exv cufes; &, perfuadé, qu'aprèsla déclaration de cet Mfidèle,. il ne tarderoit pas a faire quelque irruption dans fès Etats,, il travailla aux moïens de lui réfifter. En effet, cesMiniftres ne furent pas plütöt deretour en Egypte, que Saladin affembla fes Troupes, entra dans la Palejline, & fe campa prés du Chateau de Montréal. Comme fon Armée avoit extrèmement fouffert au paffage du Défert, il ne 1'emploïa d'abord, qu'a ravager la Province de la Syrie-Sobal, dont Gg 3 Ra*. h8i. Artklt l. Saladiri rompt Ia Trève avee Is Rti de Térufalern. Trifles effets de négligence de Baudouin.  «58 K I S T O I R E G E' N E' R A L E Rainaud de Ciiatillon étoit Seigneur, du Chef de fa Femme, il la fit enfuite rafraichir aux environs de Damas, pendant quele Roi, qui avoit óté la Régence au Comte dAfcalone, «Sc repris lui même la conduite des affaires, s'arrêtoit, d'autant plus mal a propos, dans VArabie Pétrée, oü il s'étoit avancé, que les Gouverneurs de Bojlra, de Damas, de Boabei, «Sc dCEmejfe, encouragés par farrivée de leur Souverain, unirent les Milices de leurs dépendances, pafTèrent le Jourdain, «Sc entrèrent dans la Province de Galilée, dont ils brülèrent «Sc faccagèrent la meiileure partie. Ils y firent un grand butin, «Sc emmenèrent plus de 500. Chrétiens prifonniers. Ils fe jettèrent dans le Pays de Suita, y affiégèrent une Fortereffe, pratiquée dans le Roe, qu'ils emportèrent en cinq jours, malgré fa fituation avantageufe, puifqn'a peine deux Hommes y pouvoient paffer de front. La lacheté des Syriens, dont Ia garnifon étoit compofée, fut caufe de cette perte. Le Comte de Tripoli, qui fe trouvoit auprès du Roi, lors qu'on lui en aporta la nouvelle, condamna hautement FouLCiyES de Tibériade , Gouverneur de cette Province , d'avoir confié a des gens auffi laches, que 1'étoit cette Nation, un pofte, dont la perte expofoit toutes les campagnes, ar Salalin.  Levée du fiége de fiaroth, a la vue de la Flotte Chrétienne. Prife de plufieurs Villes de Méfopotamic, pat Saladin. Mufful, «mre-fois Kinive. 24.2 HISTOIRE G E' N E' R A L E aux attaques de Saladin, Baudouin fe préfenta fi a propos devant la Ville, avec 33. galères, que la feule vue de cette Flotte fit lever le fiége a ce Prince lnfidèle, qui apréhendoit que le fort ne lui fit encore perdre une troifième bataille. C'eft ainfi que, contre 1'attente publique, la Ville de Baruth fut délivrée d'un fiége, dont on avoit lieu de tout craindre. Les Habitans en furent quittes pour la perte de quelques-uns de leurs Confrères, & pour le dégat de leurs campagnes. Safadin fit éprouver le même fort a celles de Gaza, & ftAfcalone, «Sc repafla enfuite en Egypte, comme fon Frère le lui avoit ordonné, pendant que Saladin lui même, rébuté du mauvais fuccès de fes entreprifes enPalefline, pafla dans la Mèfopotamie, oü il efpéroit d'être plus heureux. "LeRoi, qui craignoit, que la route qu'avoit pris Saladin ne füt une feinte pour le mieux furprendre, alla reprendre fon Camp a la fontaine Séphorienne, afin d'être a portée «ie traverfer fes defleins: Mais fa précaution fut inutile. II aprit bientöt , que fon Ennemi avoit effectivement pris cette route; Qu'il avoit même déja paffé YEufrate; & que, par force, ou par rufe , ou par trahifon , il s'étoit emparé des Villes ftEdeffe , de Cqffara, «Sc de divers autres lieux de la Mèfopotamie; Qu'il avoit, de plus, fi bien corrompu les Officiers de H e'r e'd i n , Soudan de Mufful, «Sc ftAlep, que ces perfides avoient non feulement fait révolter la plupart de fes Sujets contre lui; mais qu'ils avoient encore eu la cruauté de 1'empoifonner, «Sc de procurer a fon Ennemi la conquête de la fameufe Ville de Mufful, qui eft l'ancienne Ninive, autre-fois fiége Roïal des Rois ftAjfyrie. II eftvrai, que la dureté, & la rigueur, avec laquelle He'redin gouvernoit fes Peuples, contribua beaucoup a fon malheur. On afliire, qu'elle étoit fi grande, «Sc fi infupportable, qu'il y avoit long-tems qu'ils le regardoient, comme le plus cruel Tiran ; «Sc il s'étoit rendu fi odieux, qu'ils ne refpiroient que le moment de pouvoir s'en délivrer. Exemple,qiü mérite reflexion. 1 Des  de JE'RU SALEM. Liy. V. Cu. IV. 24. Des occupations fi importantes, qui devoient naturellemer retenir long-tems Saladin éloigné de ki Palejline, firent réfoi dre Baudouin a profiter d'une conjoncture fi favorable, pon fe vanger des fréquens ravages, que cet lnfidèle avoit faits dan fes Etats. Dans ce. deffein, il manda d'abord les Barons di Roïaume, qui s'étoient retirés fur leurs Terres. Ils ne Peuren pas plütöt joint avec leurs petites Troupes, qu'il entra dans h Traconitide, qu'il parcourut, «Sc ravagea entièrement. II er fit de même au fameux Bourg deLora, «Sc pafla enfuite aux environs de Bofira, réfolu d'affiéger une Fortereffe, qui s'y trouvoit; Mais la fiérilité de ce Canton, tant en eau, qu'en paturages, 1'obligea a changer de réfolution. II revint dans la Province de Suita, afin de recouvrer la Caverne fortifiée, dont les Gouverneurs de Damas, de Bofira, de Boabei, «Sc ÜEmeJJe, s'étoient emparés 1'année précédente, par la lacheté des Syriens. Cette conquête étoit d'autant plus importante, qu'elle mettoit a couvert tout le territoire, «Sc les environs de Tibériade. ^ Quoique le Roi füt alfuré, que la garnifon de cette caverne n'étoit pas fort confidérable, cependant fon avantageufe fituation rendoit ce lieu fi aifé a défendre, qu'il étoit a craindre qu'on y confumeroit beaucoup de tems, «Sc de monde, fi 1'on ne trouvoit quelque expédient, qui en facilitat la prife. Pour hater ce desfein, ce Prince s'avifa de faire couper le rocher. Les ouvriers le trouvèrent fi tendre, «Sc fi facile, que la garnifon, qui reconnut fa perte inévitable, fe rendit le vingtième jour du fiége, avec la vie fauve, qu'on leur accorda. II confia la garde de ce Fort a des gens, dont la fidélité,& la valeur lui étoient connues; &, foit que fes infirmités, ne lui permiffent pas de tenir pluslong-tems la campagne, ou qu'il voulüt augmenter fon Armée, pour faire quelque entreprife plus confidérable, il s'en retourna * Jérufalem , «Sc en repartit peu de tems après, pour palfer a Céfarée, oü il avoit donné rendez-vous a tous les Seigneurs du Roïaume. Comme Hnfanterie n'y fut pas aulfitöt affemblée, Hh 2 que 3 t Ankklll. r s 1 l 1 II32. Le Roi 3andouin i Céfarée.  2 r i 1 1 < Prife »tal'ep, f»»1 Saladin. j4 HÏSTOIRE G E' N E' R A L E ue la Cavalerie, en attendant qu'elle vint, il envoïa un deS 'omtes de fa fuite avec des Troupes fuffifantes, pour faire une onveile courfe aux environs de Bofira. Ce Seigneur y arriva i fécrettement, qu'il yfurprit grand nombre de payfans, & de Dès que Ie Comte fut de retour, le Roi pafTa le Jourdain, i 1'endroit même du Guédejaeoh, & fe jetta fur le gros Bourg le Bethgené, qn'ii ruina, de même que plufieurs autres quil >alfa, en avancant vers Damas. H s'arrêta a Daria, m n'eft qu'a quatre mües de cette Ville, fans jamais sat"acher a aucune conquête d'importance, malgré le peudoppoGtion qu'il rencontroit; comme fi les Troupes n'euflent ete bonnes, qu'a battre, & a ravager les campagnes, & incapables de forcer aucune Place. La garnifon de Damas n'eut point, dans cette occahon,. fc courage de fortir, pour s'oppofer a tous ces ravages. Elle lailla même palfer tranquilement les Chrétiens fous les murs de leur Ville, chargés du butin, & des dépouilles de leurs confrères. Les Chrétiens aprirent, en arrivant k Jérufalem, que, pen. dant qu'ils s'amufoient a ces courfes inutiles, Saladin, dont les courfes étoient bien plus élevées, aprèsi s'etre empare des meilleures Places de la Mèfopotamie, & de VJjfyrie, &yavoir alTuréfesconquêtes, avoit contraint Rebehedin, Gouverneur d'A, & Frère du feu Soudan He're'din, a lui ceder cette fameufe ViUe; & qu'il étoit enfin de retour * Damas, viclorieux, & triomphant. . Ces facheufes nouvelles, & 1'approche d'un Ennemi fi puisfant, &.firédoutable, confternèrent furieufement le Roi, & tous les Chrétiens, qui ne doutoient pas que tout le lort de es armes ne tombat bientöt fur eux. Alors Baudouin , dont es flnances étoient entièrement épuifées, convoqua une aflemblee de tous les Evêques & Barons du Roïaume, afin de deliberer fiir les moïens de fubvenir a la Uéceüité, oü il fe tr0W0Jt'^  de JE'RUSALEM. Liy. V. Ch. IV. 24,? faire des levées de gens de guerre. Ils convinrent dê prendre le centième dénier liir tous les meubles, & le cinquantième fui la valeur de tous les immeubles du Roïaume, fans même er excepter ceux des Eglifes, des Couvents, ni des Hopitaux. non plus que des étrangers qui y étoient établis. Cet expédient produilit des fommes alfez confidérablës, pour augmenter les Troupes, amalfer des munitions de guerre , & de bouclie, réparer les fortifications des Plaees, principalement celles de Baruth, que Saladin avoit fort endommagées, & fai* re tous les autres' prèparatifs néceffaires pour lui réfifter.. Après ces réparations, leRoialla fe camper, afon ordinaire, a la fontaine de Séphor, d'oü il envoïa folliciter le Prince d1'Antioche, & le Comte de Tripoli, de le venir joindre avec leurs Troupes. Ce prémier, qui n'étoit pas moins- allarmé du retour de Saladin, & de fa nouvelle puiffance, & qui craignoit extrémement fes entreprifes, ne jugea point a propos de s'éloigner de fa Principauté- II vendit même la Ville de Thareè, Métropole de la Cilicie, a Rupin de la Montagne, Prinee d'Arménief crainte qu'en voulant conferver cette Place éloignée, il ne perdit fes autres Etats; au lieu que Rüpin, qui poffédoit le refte de cette Province, pouvoit facilement la défendre, & mêmey par fon acquifitionfe mettre mieux en état de réfifter a leurs Ennemis communs. Cependant, Baudouin, qui avoit plus de courage, que de force, fe vit hors d?état de tenir la campagne. Les agitations continuelles de fon efprit, jointes aux cuifantes douleurs, qu'il reffentoit dans fon corps, couvert d'une lèpre, qui lui avoit fait perdre la vue, rongé une partie de fon vifage, & fait tomber les ongles des piés, & des mains, quoiqu'il ne fut encore agé que de 23. ans, le contraignirent de fe faire porter a Nazareth, oü, après avoir fupporté tous ces maux, pendant quelques jours, avec fermeté, il fit affembler les principaux Sei- Hh % gneurs,r i Baudoufb fe démet de la Jouvcraineté,tn faveur ie Gin de Luzignan.  246 HISTOIRE GE'NE'R ALE Jaloufie 'des Seigneurs du Roïaume contre Gui de Luzignan. gneurs, «Sc Barons du Roïaume , le Patriarche, les Evêques, & les Maitres des Ordres Militaires; Ö5 'environs de cette Ville, & le Couvent meme dn Mont - Thabor. II n'en relTentit pas moins, lorfqu 1 fu intTdl la négligence, avec laquelle les Chrétiens avoient t^MZi occafion de combattre Saladin; & la facIL avec laquelle ce Prjnce ajoutoit foiaceu* qui sn rejettQient  de JE'RUSALEM. Liv. V. Cu. IV. la faute fur Gui de Luzignan, fon Beaufrère, lui fit concevoii tant de haine, & d'averfion contre lui, qu'il ne penfa plus qu'a le priver du gouvernement, qu'il lui avoit confié, & a fabaiffer, autant qu'il 1'avoit élevé. Dans cette vue, il fit afTembler tous les Seigneurs du Roïaume dans le Temple du St. Sépulcre, «Sccouronner folemnellement le jeune Baudouin, agé de cinq ans, que la Princeffe Sybile, fa Soeur, avoit eu de fon prémier mariage avec Guillaume de Montferrat. ii lui fit, en même tems, prêter le ferment de' fidélité par tous les Ordres du Roïaume, & permit a Emphroi »e Thoron de conduire la Princeffe Isabelle, fa Fiancée, au Chateau de Montréal, pour y confommer fon mariage. Rainaud de Chatillon, qui avoit époufé Etiennette de Naples, «Sc de Samarie^ Mère d'EMPHRoi, & qui, auffi bien que fon Epoufe, aimoit extrèmement la magnificence, voulant faire célébrer les nöces de ce jeune Seigneur avec éclat, y invita quantité de Nobleffe de 1'un, «Sc de l'autre fexe. II eut foin d'y faire venir des troupes de muficiens, joueurs d'inftrumens, danfeurs, & bouffons; de forte que ce Chateau, «me Baudouin prémier avoit fait batir d'une fort grande étendue, pour le rendre capable de donner afile aux Chrétiens j qui habitoient aude-la du Jourdain, «Sc qui avoit été encore agrandi par Pagin Picerne, «Sc par Maurice, fon Neven, «Sc Philippe de Naples, leurs Héritiers, «Sc Succeïfeurs, fe trouva alors rempli de théatres, de fpeclacles, , qui en étoit déja fi rempli, que plufieurs Families campoient dans les folfés avec leur bétail, le Prince Rainaud en refufa. même 1'entrée aux Habitans d'un Bourg voifin, paree qu'il fe flattoit, que ce lieu étant bati fur une éminence, oü étoit l'ancienne Ville de Petra, dont faccès étoit très-dificile, üs pourroient facilement s'y défendre. Mais il fe répentit bientöt d'avoir trop préfumé de cette avantageufe fituation, «Sc de la valeur de ceux a qui il en avoit confié la garde. Saladin, qui ne manquoit ni de coeur, ni d'expérience, attentif d'ailleurs a bien animer fes Soldats dans les occafions, aïant réconnu combien ce pofte lui feroit avantageux, pour venir a bout de fon entreprife, tenta fi fouvent de le furprendre, qu'il 1'êmporta enfin: Ce qui contraignit ceux qui le défendoient, de s'aller réfugier dans le Chateau, oü les Infidèles feroient entrés pèlemèle avec eux, fans le grand courage d'un Chevalier, nommé Yves, qui Jes arrêta feul a 1'entrée du pont-levis, «Sc les obligea de regagner le Bourg, dont ils venoient de s'emparer, «Sc oü üs trouvèrent grande abondance de grains, huile, vin, «Sc autres provifions. lis eurent la commodité d'en jouïr tranquilement, paree que les Afiiégés n'étoient point en état de faire des forties, qui pulfent les en empêcher. Qui plus eft, Saladin eut encore 1'agrément de faire planter dans ce même lieu fix machines, dont la proximité incommodoit extrèmement la Place, «Sc fes défenfeurs, auffi bien que ceux qui demeuroient enfermés dans leurs maifons, dont plufieurs  de j'EUUSALEM. Liy. V. Ch. IV. 2JI fieurs furent enfoncées par les grolfes pierres, que ces machines y decnargeoient. , A,la/a;eurde ces batteries, les Infidèles approchoient fi fort des foffes, qu'avec de gros crampons de fer ils en arrachoient le betail que les payfans y avoient conduit. Les Affié ges au contraire n'ofoient prefque plus paroltre aux défenfes; &, Par furcroit de malheur, ils commencèrent a manquer de provifions, pendant qu'ils avoient le chagrin de voir tes Barbares fe divertir, a leurs dépens, de celles qu'ils avoient trouvées dans le Bourg, & que les pauvres Habitans, qui fe trouvoient alors dans ia difette, avoient amafTées a la fueur de leur front Les Affiègès étoient enfin réduits en un état très-déplorable' lorfque le Roi, doublement obligé a fecourir cette Place pon? delivrer fa Soeur dun évident danger, & conferver un lieu fi important; tout aveugle qu'il etoit, fe mit a la tête de fes J/°?-?5 &savan?ai"%fa Ségor, Bourg fitué prés du Lac r r i ' TlU connoiffant lui étoit impoffible de faire ia i-onchon de Général, il donna le commandement de PArmée au Comte de Tripoli. Gui de Luzignan relfentit vivement 1'affront, qu'on lui faifoit par cet arrangement; maisil fut en même tems fi bien le diffimuler, qu'il ne témoigna aucune répugnance de marcher fous les ordres de fon concurrent, qui n'eutpourtant pas occafion de le commander, ni de fe fignaler lui même dans cette occafion ; puifque, par une maxime alfez furprenante, Saladin n'aprit pas plütöt la marche de PArmée Chrétienne, que, foit qu il apprehendat la valeur du Comte de Tripoli ou 1 evenement d'une bataille, il fit d'abord retirer fes machi! nes , & leva le fiege, pour retourner a Damas. La nouvelle de fa retraite, & de la délivrance de Montréah caufa au Roi une joie inexprimable. II en étoit encore a douze lieues, lors qu'il la recut, & fit redouhler la marche, tant pour confoler promtement les nouveaux mariés, & leur compaJnie, que pour faire travailler a la réparation des Murailles de cl h 2 Cha-  ji&hn peu mefurée de Baudouin, afe H1STOIRE G E' N E' R A L E Chateau, que les Infidèles avoient battu uh mois entier., & fans relache. Pendant le féjour que Baudouin fit a Montréal, rion> content d'avoir privé le Comte ÜJfcalone du commandement, il déclara le deffein, qu'il avoit rompre fon mariage. Ces dis-, cours parvinrent bientöt aux oreilles de fon. Beaufrère, qui, pour prévenir ce fcandale,. & les fuites facheufes qui enarriveroient, feignit ime indifpofition, &.fe retira a Afcalone. Ify fit venir la PrinceiTe,. fa Femme, qui fe trouvoit a Jérufalem, & fit, par cette démarche, échouër les mauvaifes intentions du Roi, fans pourtant fe mettre a couvert de fa pourfuite. Ce Prince le fit fommer plufieurs fois de comparoitre avec la Princeffe, fon Epoufe, devant le Patriarche, fans qu'il répondit jamais a ces citations. Baudouin, irrité de fa contumace, & guidé par les confeiis envenimés des ennemis du Comte, eut alors 1'inconfidération d'abailfer la Majefté Roïale, jufqu'a fe faire tranfporter lui même kJfcalone, pour la lui arracher de vive force;. mais il trouva les portes de la Ville fi bien fermées, & les murailles fi bien gardées, qu'après.y avoir frappé plufieurs fois, & commandé inutilement qu'on lesouvrit, il fut obligé de s'en retourner, plein de dépit, & chargé de confufion, d'avoir fait une démarche fi déshonorante. Pour s'en vanger en quelque manière,. il envoïa d'abord des Troupes fe faifir de la Ville, & du Comté de Jaffa, faifant défendre aux Habitans d'obéïr davantage a Gui de Luzignan. 11 fe rendit enfuite a Ptolomaïde, oü il avoit convoqué les Grands du Roïaume > pour pourvoir aux be. foins de 1'Etat, & pour envoïer une Ambaffade au Pape, & aux autres Puifiances de VEurope, afin d'en obtenir quelque fecours, pour défendre, & maintenir le Roïaume de Jefus€bnjl. Ce fut dans cette occafion que le Patriarche He'raclius, Ar?  be JE'RÜSALEM. Liv. V. Ch. 17. f| Arnaud de Torgues, Maitre du Temple, & Roger de Moi "^ Maitre de l Höpital, également zélés pour le bien d lEtat, fe jettèrent aux piés du Roi, pour lui demander la ga ce du Com e ^; ^ de f , ne ^ 5 refufer, ils lui reprefentèrent, qu'il; étoit de fa gloire, & de fo: interet, deteindre une difcorde, qui pouvoir bouleverfer li Roïaume ; puifque dans le trifte état oü il fe trouvoit alors elle etoit capable den achever la ruïne. Ils ajoutèrent a leun remon rances, qu'ils n'accepteroient, qu'a cette condition, h eommilfion de paffer en Europe, dont Sa Majefté, & fonCon feil venoient de les cliarger. Cette déclaration 1'emporta enfm fc le reflentiment, & fur la répugnance, qu'avoit le Roi de pa donner a fon Beaufrère,. quoi qu'il ne Püt oublier 1'affront, qu il en avoit re9u a Afcalone, ni la violence que le Comte venoit de faire a plufieur, Bergers Arabes, qui faifoient paitre fauf-coX!UX ^ enVir0nS ^ Dar°n> f0US k b0nne foi „™m: £n G°n^ération de ces PuiiIans ^terceffeurs, & pour fïcdïe r?arerleUrdépart' BA™voulut bienfacnfier la colere, & fes mecontentemens, & recevoir Gui dans fes bonnes graces, lui rendre le Comté de Jaffa, & fc faire Cml verneurdujeuneRoi, fonNeveu. Lecouroiernent^ avoit été regardé comme fort inutile, puifqu'il Tlrv^auZ oe le regir, 1 un par raport a fon enfance, & l'autre par fon Hifirmite, qui, après avoir épuifé les forces de fon corps avdt felon les apparences,. donné quelque atteinte a fon efor t ca^' 3: r-s ST 1 » Gui dé Luzignan ■ Gouverneur du jeune Rdf  HISTOIRE GE'NE'RALE Article I. ^mbaJTa- deurs de Jérufalem envuïés en Europe. Secours promis aux AmbaJJddeurs. .*&ij>-.«*•»•...-ca»...•..?<•.'!...'«i*. •.at'i ^^»^(^v"VM>''V;«v;-«vifv"iW.--V«'«v-•<•«>>• -<»v»vTiv -«tite? •<«»»• •■«9»' '«W Chapitre V. LE Patriarche, «Sc les deux Maïtres des Ordres Militaires , contens, & fatisfaits d'avoir enfin mis la paix dans la Familie Roïale, s'embarquèrent a Ptolomaïde, «Sc arrivèrent heureufement a Otrante, oü ils aprirent d'abord, que le Peuple R.omain, révolté contre le Pape Lucius III. 1'avoit obligé de fortir de Rome, paree qu'il avoit voulu lui öter le privilege de s'élire des Sénateurs. CePontife s?étoit retiré a Ferone, oü il avoit convoqué un -Concile général, foit pour remédier a ce ;desordre, foit pour pourvoir aux befoins de PEglife. Ces AmbafTadeurs furent aulli informés, que f Empereur Fre'de ric prémier , furnommé Barberousse , s'étoit racommodé avec le St. Siége, «Sc devoit fe rendre au Concile. C'eft pourquoi ils jugèrentapropos de n'y point aller, jufqu'a ce que ces deux grands Princes s'y trouvaffent, afin de pouvoir leur expofer plus efficacement le fujet de leur AmbaiTade. Pour ne point perdre le tems dans un lieu, oü ils n'avoient rien a faire, ils palfèrent en SiciJe, pour folliciter le Roi Guillaume, dont le nom, & les forces étoient en grande réputation, a affifter les Chrétiens de la Terre-Sainte. Ce Prince -en ignoroit d'autant moins les miferes, «Sc les dangers, què les Papes Pexhortoient depuis long-tems a envoïer fa Flotte en Palejline. Aulli aifura-t'il d'abord cesMiniftres, que, malgré la guerre, dans laquelle il étoit engagé contre Andronic, Empereur de Conftantinople, furnommé teCruël, il ne feroit pas le dernier a emploïer fes armes pour la confervation des faints lieux, «Sc pour Pabaiffement des Infidèles. II les pria d'en affurer le Pontife, auprès duquel ils ferendirent, auffi fatisfaits du bon accueil, «Sc des bons traitemens du Roi Guillaume , que de fes promeffes. Ils  de JE'RUS ALEM. Liv. V. Gr. V.. 2f Ils n'eurent pas de moindres fujets de fe teöër du St Père <5 de 1'Empereur Fre'de'ric, qui étoit auffi arrivé kFérone']} trouverent ces deux Princes, non feulement difpofés a affifte de leurs propres forces les Chrétiens Orientaux; mais encore trés emprelfes a écnre des Lettres fort touchantes pour le même fu jet aux Rois de France, ÜAngleterre, & de Hongrie. Cepen dant, malgré ces grandes démonltrations, & ces belles appa rences, les Miniftres de Jérujalem reconnurent bientöt, avec un extreme chagnn, que les intéréts particuliere, qm occupoient Lucius, & FreWric, ne les détourneroient que trop de leur bonne volonté pour la Guerre fainte. Les Brefs de Sa Samteté, & les Lettres de 1'Empereur, dont ils avoient charge les Ambalfadeurs pour divers autres Princes, ont fait dire fauffement au Chevalier Toxan, qu'ils fe partagèrent dans leur AmbaiTade, en partant de Férone; & que le Patriarche palTa enAngleterre, le Maitre du Temple en France, & celui de 1 Höpital en Hongrie. Le Continuateur de la Guerre fainte, que fai fuivi, allure au contraire, que, pour mieux faire connoitre aux Buis-iances, dont ils alloient folliciter les fecours, 1'extrème, & ur gentenéceffité des Chrétiens de \zPalejline, ils partirent de Férone tons les trois enfemble; que le Maitre du Temple tomba malade en chemm; & que fes Collêgues, aprês avoir fait humainement tout ce quidépendoit d'eux pour le foulager , eurent la douleur de le m0urir, & lui rendirent les dLiers de- chT^TV^ dfmer ' Parh- Amfl> ce ^ le Patriarche, & e Alaitre de vmp}tah & non cdu. me ce Chevalier e prétend, qui traitèrent avec le Roi kZpe. Le Prince les re9ut avec beaucoup d'honneur, & d'afieCtion V mais, comme , par raport a fa. jeunelfe, & aux intéréts de fonRoiaume, il ne pouvoit alors entreprendreUe voïal d outremer, comme ces Ambalfadeurs lefollicitoient, il fe C(m! tenta de les aifurer, qu'il feroit exhorter fes Sujets a prendre f c s r j 1184: Erreur du Chevalier Toxan, dans fon Hiftoire.  4rilckil. HISTOI R E GE'NE'RALE la Croix, & leur fourniroit même tout ce qui feroit néceflairc pour cette fainte entreprife. En elfet, ce Monarque ordonna la levée de quelques Troupes d'Infanterie, & de Cavalerie, pour fe joindre a ceux de les Sujets, -qui entreprendroient la Croifade. Ce fut - la tout c-e que les AmbaiTadeurs de Jértifakm purent obtenir de ce Prince. Ils en prirent congé pour palfer en Angkterre, dans lïefpérance d'y faire de plus grands progrès, a caufe des engagemens que le Roi Henri II. avoit pris long-tems auparavant, de conduire lui mëne une puilTante Armée en Palejline, afin d'obtenir 1'abfolution du Meurtre de St. Thomas, Archevêque de Cantorberi, qui lui avoit éte imputée. Cependant, malgré les promefles que ce Prince avoit faites au Pape, en acceptant la pénitence qu'il lui avoit impofée, qui étoit de palfer, dans trois ans, en Palejline, pour expié'r fon crime, ü s'en étoit déja écoulé plus de dix-fept, fans qu'il y eüt feulement penfé, il recut néanmoins les Ambalfadeurs très-graxieufement; mais ils lui repréfentèrent inutilement le déplorable état, oü fe trouvoient les faints lieux. Toutes leurs rémontrances firent auffi peu d'effet, que le Bref du Pape, qu'ils lui préfentèrent, & par lequel le St. Père le preflbit de s'acquitter de fon devoir. 11 leur répondit fièrement, après la délibération des Grands, qu'il avoit aflemblés, qu'il étoit encore plus obligé lila confervation de fes Etats, .& aux avantages de fes Sujets, e j E'R U S A L E M. Liv. V. Ch. V. ^ wrtement a Henri fon manque de foi, & de parole, & toi .tes les achons de fa vie, qui pouvoient le plus foifenfer C( injures ne fervirent de rien; fciln'en put obtenir unplus gran fecours, non plus que du Roi de France, auprès duquel c irelat, & fon Collègue, firent une feconde tentative fur le confins de Normandie. Ges deux Monarques eurent une con ference au fujet de la Guerre fainte; après laquelle üs répliquè jent a ce Prélat, que leurs affaires domeftiques, ne leur permet tant pas de perdre leurs Etats de vue, ils ne manqueroient pai de faire preller le départ de ceux qui avoient pris la Croix Le Patriarche, & le Maitre de VHópital, traverfèrent enfuite \Memagne, ou ils firent des tentatives auffi grandes, & auff inutiles auprès des Princes. Ils n'en obtinrent aucune affiftance, paree que les uns n'y avoient aucune inclination, & que •les autres manquoient de moïens. Ils parvinrent enfin en Hongrie* oü la connoiftance, qu'ils avoient faite avec les Ambalfadeurs, que le Roi Bella avoit envoïés en France, pour demander en mariage la Princeffe Marguerite, Fille du Roi Philippe, les aida beaucoup- a obtenir du Roi 1'affurance, que ce Prince leur donna, que, fi fes intéréts ne lui permettoient pas pour le préfent de joindre fes Armes * celles des autres lrinces'ftEurope, pour concourir a 1'abailfement des Infidèles, il favonferoit au moins tous les Croifés, qui pafferoient dans fes Etats pour cette entreprife. Après toutes ces négociations, les Miniftres de Jérufalem retournerent a Férone, pour informer le Pape du peu de fruit de leurs foins, & des follicitations de Sa Saintetè, & pour lui^ faire comprendre le peu de fond qu'il y avoit a faire k Pavenir \ fur les promelfes des uns, & des autres. Le Pontife, afin de j les confoler en quelque manière, les affura, qu'il redoubleroit' les bons offices, pour faire accélérer les fecours des Rois de France, ÜAngleterre, & de Sicile. II leur fit entendre, que K k ce 7 *~ Excufes >g des Rois j nbaj]adeurs piur Jérufalem. HISTOt a?8 HISTOIRE GE'NE'R ALE Se dernier, qu'il avoit nommé Chef de Ia Croifade, paiTeroit en Faleftine, a la tête des Troupes. En elfet, lors qifils retournè•ent a Palerme, ce Prince, qui avoit accepté le Généralat, eur promit, qu'il partiroit, dés que les fecours, qu'on devoit lui ïnvoïer, feroient arrivés; & qu'ils pouvoientcependant s'embar* quer fur deux galères, qu'il leur avoit fait préparer, pour en aller porter la nouvelle au Roi, leur Maitre, afin qu'il put fe tenir prêt a faire quelque entreprife de conféquence fur ks Infidèles.  HISTOIRE GÉNERALE ROlAUMES CHYPRE, m JÉRUSALEM, D' É GEYTP T E. LIVRE VI. Chapitre Premier. gÖSS^E^ du Patriarche, & de fon Collége fëSF*X*3S& a Jtnfitem avec de feules efpérances v 'li ï§3 attC' fecesMi*eS, par raport a leur Kk 2 Infi-  0)ógnn de Baudouin, «u retour de fes Ambqfladeurs. -6o HISTOIRE GENERALE lnfidèle principalement du fuperbé S"05u^e foccèsT, doüin, en particulier, ne put fe confoler du peu de iucccsde kur voaage. II» bcau lui penter les b°T , Pr t , öns , ou ils avoient trouve le Pape, 1'Empereur, & les autres Snees, il ne réeonnut que trop, que leurs fecours fero.ent tS & de peu dïmportance. Cétoit un preffentunent fe. crefde' ce qui devoit véritablement arriver en Europ, ou1* prèparatifs, qu'on y avoit commencés pour la Guerre Gun», se- VT™t"ntesca„feS. La prémière fut la mort du Pape luous, principal promoteur de cette Sg%*£-* AVèrla a Vtrom. Ukbain III. lui fucceda. Ce rontire, qui» & *«* * confanon rrt fit lm entra, dès fon avènement au Pontiticat, dans de u gran tecSS avec l'Empereur, qu'elles «?F-W»* S„ter„ qu'^lumat bientót Guerre entre. KSlJ& ^ èSt md,fPenfablement obligé de ndSrc unXée en |g£, & £ oWctag aucun j r o rnr,nQ de s'acauiter de ce devoir. Lt enhn, ia o-uer *lStïfflll£S», fon Pils, &S„cceflenr, étoit en- nouvelies affligèrent extrèmement le Roi Baudouin , & lui firent perdre toute efpérance de fecours Por- S q, i^rfalpiroit a rien moins, qu'a u^p«Vnvt enfin, furla puiffance de Sahd.», Aont^ TuTne St k. Terres des- CM, que ce Jtance  tfE JFRUSALEM. LiY. VI. Ch. f. 26* manqueroit pas d'envahir , comme il 1'avoit déja tenté plufieurs fois. Tous ces fujets dé doulèur dans un corps fi épuifé, &. fi languiffant, caufèrent a ce Prince un fi grand redoublement d'affficlion , qu'il ne put y réfifter. II en mourut le 16. de Mars de fannée 1185:. qui étoit la 25". de fon age, &.la 12. de fon. règne. II fut généralement régretté de fes Sujets, qui ne prévoïoient que trop-les troubles, <5t les malheurs, qui menacoient le Roïaume. Ils n'admiroient pas moins la valeur, & la prudence, avec laquelle il avoit régné, malgré-fa jeunelfe, &fes infirmités; fi 1'on en excepte les dernières années de fa vie, oü il avoit. donné quelques marqués dè foibleffe : la conftance, & la fermeté, avec laquelle il avoit fupporté une fi longue &. terrible maladie, malgré laquelle il avoit toujours été actif, & fort apliqué aux affaires du gouvernement.. Quoique privé d'une partie de foi même, il n'avoit jamais héfité a fe mettre a la tête. de fes Troupes, pour courir. oü le befoin de 1'Etat le demandoit. Son Corps fut inliumé dans 1'Eglife du St Sépulcre, dans le tombeau de fes PrédécefTeurs, avec beaucoup plus de régrets, & de larmes, que de pompe, & de magnificence, paree que la Princeffe Sybile,.. fa Soeur, étoit fi préocupée,, auffi' bien que les Grands, de leurs intéréts particuliers, qu'ils ne penfèrent guères a ce qu'ils devoient a la mémoire d'un fi bon, & fi généreux Prince. Quelques Hiftoriens raportent , comme une chofe fort extraordinaire, & comme un mauvais préfage pour le Roïaume de Jérufalem, quelques grands orages, tant maritimes-, que terrestres, qui arrivèrent en ce tems-la. Cependant , ils ne devoient pas ignorer, que ce font les changemens de faifons, qui produifent ordinairement ces effets d'éclipfes, de tremblemens de terre, de vents impétueux, de pluies exceffives, & de tonnerre épouvantable, qui arrivent , non feulement dans la Sy~ Kk 3, rie,, n85i Sa mtrt, Son Enten rement.  -62 HISTOIRE G E' N E' R A L E Faux pré jugés de quelques Hiftmen Conteflations enU les Grands du Rciaum. rie, & dans tout VOriënt, mais encore dans toutes lesRégions ds FUnivers. II faut plutot attribuër la véritable caufe de la ruine de cet Etat a la difcorde, & a la haine invétérée des Perfonnes, qui . devoient le foutenir par leur union, & leur bonne intelligence; & qui, au lieu de travailler de concert a fa confervation , commencèrent , peu de jours après la mort de Baudouin , a s'élcver les uns contre les autres, & caufèrent, par-la, les malheurs qifon a voulu être les elfets des tempêtes furieufes, que les mêmes Auteurs, & principalement le P. Maimbourg, décrivent, avec tant d'éloquence. Le Comte de Tripoli prétendoit, non feulement fe maintenir dans le Gouvernement, que le feu Roi lui avoit confié, mais encore d'avoir la Tutelle du jeune Baudouix , a fexclufion de Gui de Luzignan, fon Beaupère. La PrinceiTe Sybile foutenoit au contraire, que la Tutelle de fon Enfant, & la Régence du Roïaume, lui appartenoient de droit; & qu'on ne pouvoit la lui difputer; mais, quelques bonnes raifons queüt cette PrinceiTe fur ce point, le parti du Comte de Tripoli étoit fi puiffant, qifil contrebalancoit tous fes droits. Leur différend partagea fi fort les Grands du Roïaume, que e leur querelle y auroit caufé dès-lors quelque grand défordre, fans la prudence, avec laquelle Gerard deR.idfort, Maitre des Templiers, & Gerard de Moulins, Maitre des Hofpitaliersy s'emploïèrent, pour accommoder ce dangereux démêlé. On convoqua un Confeil général de tous les Ordres du Roïaume. Les deux Maitres des Ordres Militaires y difpofèrent fi bien les efprits , que les deux partis remirent la décifion de leur différend a cette Alfemblée, qui pronon9a que la Tutelle du jeune Roi Baudouin demeureroit k la Princeffe Sybile, fa Mère; & que les affaires du Gouvernement feroient traitées dans le Confeil, dont le Comte de Tripoli feroit le Chef Cet Accommodement appaifa, pour un tems, les trou-  »* JE'RUSALEM. Liv. VI. Cb. I 1'Etat. P e tran(3uwté aux Peuples de fata" TcaÏ^~PULV P V** «1 fa prop^ Mèrë nbUèrent "S*** *t9D8* > ^» \« dk~ °pini°n r^ m w.propre ZSSiï&SZ^g* Roi'aume dans ,e desordre, enfin, la fermS & V^'V ,h o™** ISABE,-I-E- M™ -nee', gi,e ataiul* TT * ^ teurs, foit nar r^^rr ■» 7, ' 1 emPorta fes compétiiour,/irXi'S,??^e?t1)de«h«. pendant ouelU promeffea^pwturs J ' par Préfens» «*W "nmot,eHePafclsr„ff 'X ^ f****? pas de fon & Baron £' * divm vateurs de la Couronne fr '^ P ' ** h°k W des Co"ferellefut fi bienTcnnrf,& des autres 0™™»s Roïaux. Enfin, Concutrens elleVfete^eT6' 7*" kS dWa"S de fe* Quel- Baiiouin.  Article 11. : ■ t Arrivée ie Boniface, Marquis ieMontferrat, a Jérufalem. 18* HISTOIRE C E"N E'R ALE Quelques-uns ont écrit, que Sybile n'aïant pu engager le Maitre de YUópital, qui étoit un des Confervateurs des habits Aoïaux, a lui en donner la clef, elle avoit fait, avec autant 3e réfolution, que de préfence d'efprit, enfoncer les portes du réfor; deforte qu'on vit, dans un même jour, le .couronnement "de cette PrinceiTe , & de fon Epoux, & les Funérailles du jeune Roi Baudouin. La trifteffe de Tune de ces cérémonies contrebalancoit la réjouiffance dei'autre; Tant Ja foif de régner étouffe les fentimens de la Nature. Cette paflion ne laiffoit alors a la Reine Sybile, que la joie, & le plaifir de poffeder la fouveraineté, & de triompher de ceux qui avoient voulu la lui difputer. II eft pourtant vrai, que Parnvée de Boniface, Marquis teMtmtferrat* Beaufrère de .cette PrinceiTe, qui avoit fuccédé a fon Frère Re'gnieii, Roi de Thefalie, mort fans Enfans, & qui avoit d'abord pris le parti de Sybile, ne contribua pas peu a la tranquilité de fon couronnement.^ Boniface étoit venu a Jérufalem, pour prendre lui meme la Tutelle du jeune Roi, fön Neveiu, & la Régence de 1'Etat; pais 1'aïant trouvé mort en arrivant, fans s'informer fi fa mort avoit été naturelle, ou prématurée, & perfuadé que la Couronne appartenoit de droit a la Princeffe Sybile, il apuïafibien fes prétenfions, que , malgré les murmures des Grands du Roïaume, elle fut couronnée avec Gui, fon Man. Emphroj deThoron, bien loin de vouloir leur difputer le Irene, tut le prémier a leur faire hommage, &c a leur prêter le ferment de hdélité. - Tous les autres Seigneurs fuivirent fon exemple. Ee feul Comte de Tripoli, qui n'avoit pu y mettre obftacle, ne refpirant que vengeance du tort, qu'il prétendmt avoir recu, fe retirabrufquement fur fes Terres; bien réfolu de ne nenepar£ner, pour renverfer du Tróne un Homme, qu'il en croïoit beaucoup moins digne que lui. Ceft.ce qu'il fit bientót voir, fans aucun égard a la ruine de tout un Peuple, ou a la perte d un Roïaume, qui devoit être fi cher, & fi recommandable a tous les Chrétiens.  de JE'RUSALEM. Liv. VI. Cr. I 265 Car Saladin, dont 1'addreffe, & la vigilance a profiter de leur désunion étoit infinie, aïant apris le bruit, que faifoit la rupture du Comte avec Gui, & tous les autres mécontentemens, qu'avoit produits 1'avènement de ce dernier a la Couronne, crut cette occafion la plus favorable, qui put jamais fe préfenter, pour dépouiller les Chrétkns des meilleures Places du Roïaume. Comme il connoilfoit le Comte de Tripoli capable de tout facrifier pour fatisfaire fes paffions, il lui fit fécrettement propofer fonAlliance, falfurant, que, fi, pour garant de fa fidélité, il vouloit embralfer la Religion Mahométane, il ne qmtteroit point les Armes, qu'il ne Peut mis fur le Tröne de Jérufalem, oü il le maintiendroit contre'tous ceux qui voudroient le troubler. Le Comte, qui avoit juré la perte de fon nval, n'écouta plus que ce qui pouvoit faire réüffir fon delfein, a quelque prix que ce füt, & s'engagea a lui faire hommage du Roïaume de Jérufalem, aflez aveuglé pour croire que cet lnfidèle le lui offroit de bonne foi. En conféquence de cette odieufe, & injufte convention, Saladin entra dans les Terres des Chrétiens, avec une Armée de cmquante mille Chevaux, & d'un plus grand nombre dTnfantene. II traverfa la Principauté de Galilée. Le Comte, qui en étoit le Seigneur, du Chef de la PrinceiTe, fa Femme, lui fourmt abondance de vivres, & fe traveftit avec une bande de fcelerats, comme lui, pour faccompagner au fiége de Ptolomaïde, qu'il alloit entreprendre; aucun crime, quelque grand qu'il tut, ne pouvant étonner 1'efprit violent, & vindicatif de ce Comte, lorfqu'il s'agilToit de fatisfaire fon ambition & fa haine. II ne put cependant traiter fi fécrettement avec Saladin, que la Cour de Jérufalem n'en fut informée. On dit, que la crainte, qu'eut la Reine Sybile, que la liaifon du Comte de Tripoli avec Saladin n'eüt de facheufes fuites, la porta a lui envoïer les Maitres du Temple, & de YHópital, pour le détourner d'une Alliance, qui ternilfoit la réputation, qu'il s'étoit LI aqui- 1186. Le Comte fe Tripoli re fait Furc, lans l'eftérance de igner.  1187. ,66 HISTOIRE GE'NE'RALE aquife, & qui n'étoit pas moins dangereufe pour lui, que pour tous les Chrétiens de la Syrië. On ajoute, que les Envoïés ensarèrent ce Comte, par leurs fages rémontrances, a renoncer k TAlliance, qifü avoit faite avec Saladin; que ce Prince Jnfidèle, in-ité de fon relachement, alla affiéger la Ville de Tibériade; que les deux Maitres, accompagnés de 80. de leurs Chevaliers, furent alfaillis prés de Chateau - Robert, le premier jour de Mai, par la Cavalerie de Saladin, a laquelle ils vendirent chèrement leurs vies; & que Robert de Moulins, avec la plupart de fes Chevaliers, y fut tué, ne s'en étant fauve que lort peu avec Gerard de Ridfort. Le Continuateur de la Guerre fainte, qui a écrit tres-exactement tout ce qui s'elt palTé de bon, & de mauvais, dans la Syrië, rejette abfolument cette opinion, & fait comprendre, , qu'il n'étoit pas naturel que le Roi Gui, ou la Reine Sybile, fe fervilfent du Maitre du Temple auprès du Comte de Irtpoh, puifqu'ils n'ignoroient pas la haine qu'il portoit a tout fon Ordre & a ce Chevalier en particulier , paree qu'il les avoit favorifé dans leur couronnement. H ajoute d'ailleurs, que ce ne fut que, par pure malice, & pour mieux perdre fon Ennemi, &non en confidération d'aucune rémontrance, que .e Comte feignit de fe répentir du Traité qu'il avoit fait avec Saiadin, qui fut obligé d'abandonner 1'entreprife de Ptolomaïde , apres v avoir donné divers furieux affauts, un fur-tout le preftüer jour de Mai, lors que toutes les cloches fonnoient pour fOfficc Divm; paree qu'il s'étoit flatté, qu'il trouveroit les Chrétiens moins fur leur garde; mais, par la valeur & la bonne conduite desMaitres des Ordres Militaires, qui reconnurent, que cet lnfidèle avoit pouffé toute fon Armée a 1'aiTaut, & degarni fes rétranchemens, ils fortirent fi a propos, avec a. meilleure partie de la Cavalerie, quils y mirent le feu en plufieurs endroits, & taillèrent en pièces le peu Soldats quiis y trouvèrent. ^  de JE'RTJSALEM. Liv. VI. Cu. I. 2t Ils attaquèrent enfuite les Barbares avec tant d'intrépidité & de courage, qu'ils les étonnèrent d'abord par les coups ïiirs & terribles, qu'ils leur portèrent. Le malfacre, qu'ils firent joint a 1'embrafement de leurs rétranchemens, fit qu'ils s'abatti rent, & pnrent enfin la fuite, avec tant désordre & de confu iion, que tout auroit été perdu pour eux, fi Saladin, qu reconnut fépouvante de fes Troupes, n'y fut accouru promte ment lui même, avec fon Efcadron deMammehes, & neut at temt celui des Chevaliers, dans le tems qu'ils fe retiroient foui les murs de la Place. II s'engagea alors un combat, beaucouj plus fanglant, & plus opiniatre, que le prémier. Les Barbares, animés par la préfence de leur Prince, faifoient des prodiges de valeur pour rompre la Cavalerie Chrétienne. Tous leurs efforts furent cependant inutiles; &, fans la mort de Roger de Moulins, Maïtre de VHópital, de la plupart de fes braves Chevaliers, & de plufieurs autres Perfonnes de diftinftion, les Chrétiens auroient eu la gloire de faire périr ce jour-la, avec la meilleure partie de la florilfante Armée de Saladin, le perfide Comte de Tripoli, qui, mafqué, &travefti, combattoit a fon cöté. Plus de quinze mille Infidèles demeurèrent fur le champ de bataille, outre ceux qui périrent par le feu, ou le fer, dans leur camp. LTne fi grande perte déconcerta tellement Saladin, qu'il décampa dès la nuit fuivante, & reconduifit fon Armée fur fes l erres, tant pour la rafraichir, & la renforcer, que pour donner le tems au Comte de Tripoli de lui procurer quelque occafion favorable d'avoir fa révanche, & de défaire les Chrétiens. Ce fut alors que le perfide Raymond , bien loin de fe répentir de fes erreurs, par le danger qu'il venoit de courir devant Ptolomaïde, non moins faché, que Saladin, de la mauvaife , reullite de cette entreprife, renchérit encore fur fes méchancetes a 1'égard fes Chrétiens; foit ala follicitation de ce Prince In- Ll 2. fidéle, '7 5 5 5 i - Valeur des , Chrc'tiens ' dans le i combat contrfSaladin. Fuite de Saladin. ArtklelU. Rufes du ?omte de rripoli.  268 HISTOIRE GE'NE'RALE Sa feinte rieonciiia tion avec Gui. fidéle, ou de fon propre mouvement. II affeéta de vouloir fe réconcilier avec le Roi Gui, afin davoir la commodité de le ltvrer plus commodement a celui a qui il 1'avoit vendu; & il pouiTa fa haine & fa vengeance a un point, que li elle ne couta pas la vie a ce Prince, comme ce Traitre 1'avoit projetté, elle lui couta au moins fa liberté, la perte de fes meilleurs Sujets, & celle de la plus grande partie de fes Etats, par la plus infame trahifon, dont on ait jamais ouï parler. II commenca par témoigner un véritable répentir des demar■ ches, que les prémiers mouvemens de fa colère lui avoient infpirées: &, par plufieurs foumiffions, il engagea quelques Seigneurs a alfurer le Roi des véritables régrets, qu'il en refientoit; les conjurant, en meme tems, de lui procurer fa reconciliation Ce Prince, qui étoit naturellement bon, &genereux, crut facilement, que ce Traitre s'étoit véritablement répenti de fes fautes, & qu'il étoit rentré dans fon devoir; de forte qu'il prit tant de confiance en lui, que s'il n'avoit jamais rien fait contre fes intéréts, qui dut le lui rendre fufpeéi. Alors le Comte, qui reconnut, que cette aveugle confiance alloit le mettre en état d'agir felon fon inclination, & de faire plus de mal a Gui, en paroilfant le fervir, que lors qu'il avoit eu les armes a la main contre lui, affe&a une grande foumisfion pour fe réconcilier. Par une mechanceté auffi noire, & maligne, que ce qu'il avoit déja fait, il envoïa rénoncer publiquement a 1'AUiance, qu'il avoit contraftée avec Saladin. C'étoit le fignal, concerté avec cet lnfidèle, pour 1'avertir de rentrer fur les Terres des Chrétiens. En eftet, il attaqua d'abord la Ville de Tibériade, Capitale de hGalilée, que le Comte avoit dégarnie de gens de guerre. II pafla lui même a Tripoli, oü il leva quelques nouvelles Troupes, & en fit augmenter les fortilications; faifant entendre, qu'il ne doutoit pas, que Saladin ne vint 1'attaquer, pour fe vanger de fon changement, ka  de JE'RÜSALEM. Liv. VI. Ch. I. , 260 La PrinceiTe Echine, Femme du Comte, fè trouvant enfermée dans Tibériade, & ignorant la trahifon de fon Mari, encouragea d'abord les Habitans, & quelque peu de Soldats afe bien défendre, les alfurant qu'ils feroient bientöt fecourus. En effet, fur les inlfances de cette Dame, & fur celles du Comte fon Epoux, le Roi, qui ne fe défioit de rien (contre 1'avis des plus expérimentés de fon Confeil) dégarnit toutes les Places du Roïaume, pour compofer une Armée capable de fecourir ouvertement Tibériade, & de livrer bataille a Saladin, f] 1'occafion s'en préfentoit. Gui, accompagné du vieux Marquis de Montferrat, qui étoit allé vifiter les faints lieux ; des principaux Barons du Roïaume, des Ordres Militaires, & du même Comte de Tripoli, qui étoit venu le joindre avec fes Troupes, alla camper a la fontaine de Séphor. II avoit fous fes enfeignes, felon les meilleurs Hiftoriens, prés de deux mille Chevaux, & environ quinze mille Hommes de pié, outre plufieurs Compagnies de milice, qui s'y étoient jointes. Quelques Hiftoriens font cette Armée beaucoup plus nombreufe, mais trop difproportionnée aux Forces des Chrétiens de la Palejline, lorfqu'il ne s'y trouvoit aucun Prince étranger.. Les uns prétendent, qu'elle étoit dedouze mille Chevaux, &devingt mille Fantaifins, &les autres encore moins vraifemblablement de 30000. Chevaux, & de 4.0000. Hommes de pié. Chapitre II. T ERoi, après avoir campé, pendant quelques jours, ala fon- A taine de Séphor, jugea a propos de changer de pofte, pour en aller occuper un plus commode en un lieu nommé Etin, entre Nazareth, & le Chateau de Eeïveir, par raport a IV Ll 2 bondance Imprudence du Rei Gui de Luzignan, 'tule I.  270 -II I S T O I R E G E'N E'R A L E Long &? Janglant combat en tre les Chrétiens & Saladin. bondance des eaux, & des fourages. La conduite de ce Prince étoit excellente; mais il avoit auprès de lui un eipion trop dangereux, & trop exact a informer fon Ennemi de tous fes deiTeins, pour ne pas trouver de Poppofition a fon nouveau campement. Les Infidèles 1'avoient prévenu, & s'en étoient Ü bien emparés, que, pour les en chaiTer, il fut obligé de commencer un combat, qui ne fut pas moins long, que cruel, & terrible. II dura, depuis midi, jufqu'a 1'entrée de la nuit, fans que la Victoire fe déclanit pour fun, ni pour l'autre parti, fi ce n'eft que les Barbares demeurèrent toujours maitres du terrain, qu'ils 'avoient occupé; & que les Chrétiens, accablés de lalfitude, furent contraints de camper dans des lieux arides, & très-incommodes, oü les Soldats tomboient en défaillance, faute d'une goute d'eau, dont ils avoient tant de befoin, a caufe de 1'extrême chaleur qu'on refient ordinairement, au commencement de Juillet, dans ces quartiers-la. Le trifte , & déplorable état, oü fe trouva alors 1'Armée Chrétienne commenca le triomphe du Comte de Tripoli. II fe crut a la veille d'ufurper le Tröne de Jérujalem, & de donner la loi a tous ceux qui avoient été contraires a fes delfeins. Ce fut auffi cette mauvaife fituation, qui obfigea leRoi a alTembler le Confeil pendant la même nuit, afin de le confulterfur le parti qu'on devoit prendre , pour fe tirer d'un fi grand embarras. Comme il n'y avoit pas beaucoup a délibérer, & qu'on ne pouvoit décamper, fans en venir aux mains, ni demeurer plus long-tems dans un lieu fi desavantageux, fans expofer les Hommes , & les Chevaux, a périr de faim, de foif, Sc de m'riere, il fut d'abord réfolu, qu'on fe mettroit en bataille, dès le point du jour, afin de s'ouvrir un palfage, avant que la foiblelfe, & 1'épuifement mit les Soldats hors d'état de 1'entreprendre. II ne s'agilfoit plus que de décider, fi on devoit attaquer 1'Ennemi, ouattendre, qu'il s'oppollit a leur rétraite, lors qu'un Rénégat, nommé Jean, fe jetta aux piés du Roi devant toute 1'Af-  de JE'RUSALEM. Lm VI. Ch. II. 1'Aifemblée, & lui dit, que le fincère répentir qu'il avoit concu de fon Apoftafie, & d'avoir fi long-tems fervi Saladin contre les Chrétiens, f avoit porcé a quitter cet lnfidèle, pour venir avertir Sa Majefté, & lui dire, que, puisqu'il ne pouvoit fe difpenfer de recommencer un combat, il faloit que le fort de fes Troupes s'attachaiTent afEfcadron des Mammelucs, qui environnoient Saladin, & dans lequel confiftoit toute la force & la vigueur de fon Armée; faiTurant, que fi cet Efcadron, qui étoit aifé ü reconnoitre par 1'élevation extraordinaire de fon étendart, recevoit le moindre échec, tout le refte, qui n'étoit que gens ramafies, fans difcipline, & fans expérience, les abandonneroit, & prendroit une fuite fi précipitée, que fes Soldats n'auroient plus la peine que de tuër, fans trouver aucune réfiftance. II s'offrit, en même tems, de guider cette attaque lui même, & de facrifier fa propre vie pour la gloire de JefiusChrifl, & pour elfacer fon crime, & la légéreté qu'il avoit eue d'embraiTer une fauflè Religion. L'avis de ce fugitif fut d'autant plus approuvé du Roi, & des Seigneurs du Confeil, qu'ils n'ignoroient pas que la plus grande force de 1'Armée Ennemie confiftoit dans les Mammelucs, dont le courage, & la fermeté foutenoient Saladin. C'eft pourquoi 1'opinion de toute 1'AlTemblée fut, qu'on choifit les meillèures Troupes pour 1'exécution de ce projet. Le feul Comte de Tripoli, qui étoit le bafilic de 1'Armée Chrétienne, & qui ne refpiroit que fon entière ruïne, craignant qu'on ne fuivit un avertilTement fi falutaire, s'y oppofa fortement; foutenant, qu'il ne falloit point ajouter foi, ni s'en raporter a un déloïal, & perfide Rénégat, qui n'étoit venu aifecter des rémords de confeience, que pour les tromper, & les engager dans quelque labirinte, dont ils ne pourroient fe retirer, &qui entraineroit, avec leur perte, celle de tout le Roïaume. Comme le Comte étoit grand Homme de guerre, Ie Roi, & tout le Confeil eurent pour lui beaucoup de déférence; &, com-  272 IIISTOIRE G E' N E' R A L E Ldcbeti, & perfidie du Comte a'sTripoli. Leboisdela Ste. Croix fris par les Barbares. comme on favoit, qu'il connoiiToit parfaitement le Pays, foit par foiblefle, ou par deftin, on approuva fon malin, & pernicieux fentiment. Au lieu de ferrer leurs Troupes, & d'en oppofer la fleur contre les Mamme/ucs, comme le transfuge le leur avoit indiqué, ils les divifèrent en plufieurs Corps, féparés les uns des autres, de la manière que le Comte de Tripoli le confeilla. Le jour aïant paru, la bataille commenca; & ils n'eurent plus le tems de cbanger cet ordre, qui les mettoit hors détat de pouvoir faire tête aux Infidèles. Ils s'apercurent alors, mais inutilement, de la trahifon du Comte de Tripoli. Ce perfide, profitant du désordre de 1'Armée Chrétienne, 1'abandonna au plus fort du combat, & fe retira avec fes Troupes a Saphet, & enfuite a Tripoli. Sa retraite, & la déroute des prémiers Bataillons Chrétiens, qui donnèrent, fut fuivie du découragement de toute 1'Armée, déja accablée de foif, de fommeil, & de laffitude. A' tous ces maux fe joignit 1'ardeur des rayons du foleil, qui leur donnoient dans les yeux, les brüloient, & les éblouiflbient fi fort, qu'il leur étoit impoffible de fe fervir du peu de forces qui leur reftoit. On auroit dit, que cet Aftre eut été d'accord avec les Infidèles, pour les perdre dans cette malheureufe journée. Elle fut bien funefle aux Chrétiens. Les Infidèles, dont le nombre étoit incomparablement plus grand, profitèrent fi bien de tous leurs avantages, qu'ils les envelopèrent de tous cötés, & en firent un fi grand carnage, qu'aucune autre bataille ne leur avoir couté tant de fang, depuis qu'ils polfédoient le Roïaume de Jérufalem. II n'en échapa que très-peu au fer des Barbares. Ruffin le Moine, Evêque de Ptolomaïde, qui portoitlefacré bois de la Croix, le perdit, avec la vie, dans ce malheureux jour. Les autres Prélats, qui 1'avoient por té, avant lui, dans les autres batailles, n'avoient jamais recu la moindre bleflure. Cet-  dï JK'RUSALEM. Uy. VI. Ch. ïfi * Cette fainteRelique fut préfentée ÏSaladin, comme Ie » gloneux trophée de fa Viftoire, & Ia pIus g^nde pa -Luzignan, fon Frere, qu, étoit Connétable du Roïaume 1 Marquis de Mmfb-rat, Ratnaud op. Chat,l,.on Gek\r deRidlort, & quelques autres Perfonnes de difdnaion qu. les W, faagtó, de maffacrer, C0IlfervèfeflÈ ^, dan b vue d en t,rer de groffes ran,ons. Garnier de Nap^' Maitre de VHópital, eut le bonueur de fe fauver i lX avec une petite troupe; mais il y mourut de fes bleffurf Z„ de jours apres. Saladin, dès le lendemain, fit tranche/la té te a plufieurs Cbevaliers des deux Ordres, qui tombèren ent fes mams; tant il défiroit d'éteindre deux Mlices de la vale" desquefa il avoit fouvent expérimenté, que dépendoitlatZ cipale force des CbrMens de la Palejline. P F n Le Maitre des Tempiiers n'évita ce firolice n„'„,^ : n pnères duRoi; mais /ne put obten'lSe g^ p naud de Chatillon. Saladin étoit fi o^contrr^bra^ Seigneur , de ce qu'il avoit empêcbé fes entreprife fcl Pm vmce qu ,1 gouvernoit, & sWenfa fi fort de la manièrV avec" tóSie /S' "S" déshrrant' P^ ™e _i 1L1Uigne, la Victoire, qu'il venoit de remoorter fit- vam™ *s Cm?"8 * fe ^ fci * une^c^/Smotat^rr ^ " " *"< moaeration, & la clemence, auroit cnn 17 Sssrt d§iot-& 6 puinc ue ai igence, & de conduite, pour retirer tout le fiw t1. pcrLardrre du gain de ia bLiie> « «Si, £rme' ^ueceP™ce avoit dégarni les PkcesduRoiauuie, Pour renforcer fon Armée, ünf^que Mm troi| IS Défaite & 'e ïfrmée e ne. e > » Barbarit de Saladin» trticle It.  ■« Siége & redditionde Ptolomaïde.. ^ H1STOIRE G E'N.E'R A L E ■joïs pms au pont de Tibériade, pour faire paneer fes bleffés, Sc rafraichir les Troupes. La conquête de Ptolomaïde lui tenoit trop a cceur, depuis long-tems, pour la négliger. II alla d'abord planter le fiége devant cette Ville, & n'attendit pas longtems a s'en rendre maitre. Quelque fortifiée que füt cette Place de Tours, & de Murailles , les Habitans, prefque tous gens de commerce, fe voïant privés de raffiftance des Chevaliers du Temple, & de fHópital, leurs défenfeurs, & fans fefpérance de recevoir aucun fecours, tous les Soldats aïant péri a la bataille ó'Etin, fe rendirent dès le lendemain, qu'ils furent attaqués, fur 1'alTurance que Saladin donna aux Chrétiens Orientaux, qui s'y trouvoient en plus grand nombre, de les y lailfer tranquilement jouïr de leurs biens,. & de leurs Maifons; & aux Latins, de fe retirer avec. leurs meubles oü bon leur fembleroit. Par-la, il fe trouva enfin polTelTeur de cette importante Place, fans qu'il lui en coutat un feul Homme. Effet de rimprudence qu'on avoit eu d'en tirer tous les gens de guerre.. II ne manqua pas d'y mettre tout le bon ordre, la muniflant de tout ce qu'il crut nécelfaire pour fe conferver une Ville fi importante par mer, & par terre. II marcha enfuite vers Baruth, dont les Habitans, qui fe trouvoient également fans reffource, fe: rendirent au feul bruit de fon approche, afin d'éviter fon indignation, par une réfiftance inutile. Satisfait de leur foumiffion, il les traita avec la même douceur, qu'il avoit fait ceux de Ptolomaïde. Et enfin, auffi clément, & rctenu, qu'il avoit été violent, & emporté après la bataille ftEtin, il leur laiffa le libre exercice de leur Religion, fans permettre que fes Soldats leur filfent jamais la moindre infulte. Tant de douceur, & de générofité, le rendit, en moins d'un mois, maitre de toutes les Places de la Palejline, a la referve de Jérujalem, de. Tyr, & ÜJjcalone.. Les uns lui ouvrirent leurs portes, avec empresfement ; & les Habitans des:autres le prévinrent, en lui épar- gnant;  éE JÉ'ftUSALÈM. Lm W. Cu. ïï gnant le chemin, pour le mettre, avec plus de pompe, en po feffion de leurs Villes, comme le firent ceux de Biblis LesLatins, que Saladin défiroit de chaffer entièrement ( la Syne, furent les feuls qu'il fit fortir des Villes, dont il s'en para. Les Grecs, les Coptes, les Jacobites, & les j|fc/for/«w ne firent que changer de Maitre, fans clianger de fortune Apresunefigrande fuite de profpérités, Saladin, fe flattan que rien ne pourroit réfifter a fes armes viélorieufes, alla 1 prefenter devant Afcalone, efpérant d'emporter cette Place nntCfaSTefacf^u,ilav^alTu]etti les autres; mais, foi que fes Habitans Ment plus affeétionnés a leur légitime Souve rain, ou quils fuifent encouragés par quelques Chevaliers, qu sy étoient lauves avec Gauwer deNaples, Maïtre des #2; taliers, qui, en mourant de fes bleffures, comme je viens de l dire, avoit non feulement exhorté ce refte de Chevaliers, mai encore tous les Habitans, a mourir en gens d'honneur, plutöl que de fe rendre aux Infidèles; ils rejettèrent les propoLm de Saladin, avecautant de mépris, qu'ils repouffèrentfes afta ques avec vigueur, & avec fermeté. Ils mirent le feu aux M chines, quil avojtplantées, pour les incommoder, & l'obh>èrent enfin a lever le fiége; lui criant de deffus leurs muraillL comme par infulte, qu'il ne feroit jamais le Maitre des AfialL nites, tant que dureroit Jérufalem. J Ces difcours injurieux envers un Prince accoutumé a vaincre, & auffi enfle du fuccès de fes armes, que fétoit Saladin, fenWent fi fort, qu'il conduifit, fans héfiter, fon Arm e dl mL7erAJl^bfnPer"é, qne, s'il trouvoit la même réfifiance dans les défenfeurs de cette Capitale, qu'il avoit trouvé de réfolution ceux dAfcalone, il étoit au moins certaln entanltr. ™ donneroient Pas ^ de peine a En arrivant devant Jérufalem, il mit tout en ufage, pour eng-ager les Habitans a fe rendre. B leur propofa Wpledes M m 2 amjres 3- !e ï- 9 ■y è > t i ' Saladin obligé de lever le fié ge (/'Afcalone.  Jérufalem Je rendh Saladin, por capitutttion. il6 H l STOIRE GE'NE'RALE autres Villes, qui avoient pris ce parti, & qui avoient tout lieu de fe louër cle fes bons traitemens; il ne put cependant les ga.gner. La Reine Sybile, le Patriarche, & quelques Chevaliers des deux Ordres, qui y étoient demeurés a la garde de leurs Maifons, les animèrent a fe bien défendre, afin de mériter, comme les Afcahnites, le titre glorieux de bons, & fidèles firjets a leur Prince, dont il s'agiffoit de conferver le refte de la familie, avec le fepulcre de Jefus-Cbrijl. Saladin commen9a enfuite a faire jouër diverfes machines, qu'il avoit fait placer du cöté- du Septentrion, oü il avoit r&r connu que les murs étoient en ruine. Ils en furent fi fracaffés qu'au bout de dix jours, les Peuples qu'on avoit eu bien de la peine aretenir jufqualors,, effrayés de voir cette formidableArmée Ennemie, & confternés d'ailleurs du malheureux fort de leur Souverain, ne vouloient plus écouter ni prières, ni exhortations. Ils difoient, que c'étoit vouloir tous fe perdre avec leur Ville, s'ils réfiftoient davantage, puifqu'ils ne pouvoien; efpérer aucun fecours du dedans, ni du dehors du Roïaume. Le tumulte devint fi grand , que la Reine Sybile fut enfin conr trainte a capituler, le"i4-. jour du fiége, & d'acceptcr la trifte, & dure condition ^ de fortir de la Sainte-Cifé, avec tous les Latins, auxquels il ne fut permis de retirer de tous leurs biens, que ce qu'ils purent emporter fur leurs épaules. Les Chrétiens Orientaux, quiyreftèrent,.n'eurent pas le même bonheur , que ceux des autres Villes, qui s'étoient rendues a Saladin ; car ils furent obligés.de racheter leur liberté,, par une capitation proportionnée aux facultés qu'ils poffédoient.. Quelques Hiftoriens prétendent, mal a propos, que ce fu* rent les Latins, & non les Chrétiens Orientaux, qui demeurèr rent dans Jérufalem ; & que les Infidèles, pouffés, par leur avarice ordinaire, & contre la capitulation, les forcèrent a leur payer cette rancon,. Ils ajoutent même, que plufieurs fe trouvantdans ftmpuiflance d'y fatisfaire, les. Chevaliers duJ«w/>/^  de JE'RUS ALEM. Liy. VI. Cn. II. 2? & de 1 Höpital, y fupléèrent, pourne les pas laiffer au pouvoi des infidèles. Cependant, les Auteurs, les plus approuvés aifurent, que S a l a d i n cbferva très-religieufement le Traité qui ne fit aucune violen ce aux- Latins; qu'jj leur donna mêm< de bonnes efcortes, comme a leur avoit promis;. &que, de plus fenfible aux malheurs de la Reine, & de tant de Perfonnes de diftin&on, qui témoignoient leur grand régret de quitter la W,-C^ plus qu'ils ne régrettoient les richelfes, X y laifioient, ü fut touché des pleurs, & des gémilTemens, de ce Peuple infortnné. 5 C'étoit en effet un fpectacle bien dépforable, & digne de compaffion devoir le 2. jour d'OCtobre de Tan 1187 qua tre-vmgts-hiut ans, deux mois, & 1?. jour3, apr s'cue GoDEFROi de Bouillon, & Jes autres Princes ïjjés, Wnt bre Cierger ]a gard deggue]s ^ ^ ^ ^ ^, & qui, dans les jours folemnels, avoient coutume d'y paroitre avec tant de pompe, & de magnificence. Une Reine con IprinceT de fes Enfans, fuivie de grandInolll dePnncelfes, Dames, & autres Perfonnes de qualké: d'une florifTante Bourgeoifie, & d'un Peuple nombreul, marchan ^ous comme en exil, pour fe réfugier dans les autres Villes du ! Lr ZdPqm rfTnt ?C°re k km dévotion> déP™^s ^ grandeur,, de leurs dignité,, de leurs- biens, & contraints Imme bmettre "Ws> ^gardoient aupa avan comme beaucoup au deffous d'eux afika^ qmallèrent chercher leur. d etre depouilles, par le Comte de Th^,. de ce que les Enne mis leur avoient lailfé O <^,m,w o- . T LC,ci"e Jes^nned'hurmn.va cncmie\ Scelerat aïant renonce a toute forte febaT &^T 11 raV°ltfait k 6Re%ion;, encore plus ****** plus denaturé, que les Barbare, mêmes, fit dévali,- r r > xi 87,. tie de la Reine, da fatriar■he, £f de aBourgeoi}e de Jérualem. irticlèUM,.  Entrée triomphan* te de Sa la din dans Jérulalerrj Il permet aux ChrétiensOrientaux de racbeter le St.Sepulere, HÏSTOïRE GË'NE'HAIE fet ce miférable Peuple, malgré les prières, les plaintes, & les lamentations de ces pauvres afligés, qui, réduits au défespoir par un li cruël traitement, vomirent mille imprécations contre ce perfide, afin d'attirer fur lui la vengeance de Dieu, qu'ils imploroient, & dont il ne tarda pas a reflentir les effets, & le jufte chatiment, que meritoient tous fes crimes, dont ce dernier trait combloit la mefure. Cependant Saladin, après la fortie des Latins^Q Jérufalem , y entra, comme en triomphe, a la tête de toutes fes Troupes, révêtues des riches dépouilles de tant de Princes, & Sei• gneurs. II étoit fuivi du Roi, qui avoit la douleur de fe voir, comme efclave, entrer dans une Ville, oü il avoit été affis fur le Tröne, en qualité de Souverain: de tous les autres Illuftres Prifonniers, qu'il avoit fait a la bataille êèEtin; & enfin de plus de vingt mille Chrétiens captifs. II commenca d'abord par faire abattre les faints Autels, brifer les Images, & renverfer tout ce qui fe trouvoit de faint, dans le Temple de Salomon. II fit enfuite laver ce fameux Temple avec de l'eau de rofe ,'. & parfumer avec les aromates les plus précieux, comme pour le purifier, avant que d'y entrer pour faire faire fa prière, felon fon culte. II rendit graces a Dieu de toutes les Vicfoires, qu'il venoit de remporter; &, dans 1'excès de la fatisfaction qu'il refientoit a ce moment, il dit a haute voix, que les Chrétiens, qu'il nommoit Infidèles, étoient indignes d'y entrer, encore moins de le polféder. Cet lnfidèle n'eut pas la même confidération pour les autres Eglifes. II les abandonna k la difcrétion de fes Soldats, qui, après les avoir pillées, & profanées, les changèrcnt en écuries, ou en d'autres ufages non moins vils, & profanes. Le Temple du St. Sépulcre fut le feul, que Saladin permit aux Chrétiens Orientaux de racheter pour une grolfe fomme d'argent; mais il en enleva tous les riches ornemens, & la prodigieufe quantité de vafes précieux, que les Princes Chrétiens y avoient  de JE'RUS ALEM. Lm VI. Ch. II. «l9 avoient envoïés. La vénération, que les Mahomètans ont pour Jefus-Chrijl, qu'ils regardent eomme un grand Prophéte, & la vue du profir. confidérable, qu'il efpéroit retirer des Pélerins, qui viendroient vifiter ce facré monument, le fit confentir a' fa confervation. Ce fut ainfi que la célèbre Jérufalem, qui avoit été délivrée de la tirannie des Infidèles, fous le Pontificat d'URBAW II. retomba fous la domination de ces Barbares, pendant celui d'ÜRBAiN III. de même que la vraie Croix, qui avoit été recouvréé par 1'Empereur He'raclius, que les Chrétiensperdirent également fous un Patriarche du même Nom; ce qui fut obfervé comme une chofe fort remarquable; ainfi'que fa auffi été le commencement, & la fin de 1'Empire de Conftantinople, qui avoit commencé par Constantin le Grand, & qui finit enfuite fous un autre Prince du même Nom.. Enfin Saladin, qui ne fe donnoit aucun repos, lors qu'il s'agiffoit de conquérir, ne voulant point interrompre le cours d'une entreprife fi heureufement commencée, & après laquelle il foupiroit depuis fi long-tems; avide d'ailleurs d'enlever aux Chrétiens tout ce qu'ils occupoient dans la Syrië, n'eut pas plütöt fait réparer les murailles de la Sainte-Cité,- qu'il. fe remit en campagne. 11 conduifit fon Armée devant la'. Ville de Tripoli, perfuadé que le Comte Raimond, qui venoit de lui envoïer prêter ferment de fidélité, ne manqueroit pas de 1'y introduire, dans la vue de recevoir 1'invefiiture du Roïaume de Jérufalem, felon la conventionMais. il ne fut pas au pouvoir de ce Traitre, de lui rendre ce nouveau fervice. II voulut inutilement perfuader aux Habitans,. fes Sujets, que,- pour la fureté de leurs vies,. & de leurs biens, ils ne devoient point héfiter de fe foumettre a un; Conquérant, qui rendoit heureux tous les Peuples,. qui vivoient: fous fa: domination; qui ne les chargeoit jamais d'au-  Tentatives «fe Saladin Ar la Ville JuTripoli. Rijohitioni des Tripoiitains. Mort du Comte de Tripoli. 280 HISTOIRE GE'NE'RALE cun impöt, & dont les Ennemis même étoient obligés do louër la générofité, & la clémence. Tous ces raifonnemens flatteurs ne purent les éblouïr, non plus que la confidence, qu'il leur fit de vouloir transférer le fiége Roïal dé Jérufalema Tripoli, qui deviendroit, par ce moïen, la Ville capitale du Roïaume, & fes Habitans beaucoup plus confiderés, & plus opulens, que tous les autres. Loin de fe rendre a fes follicitations, & a fes rémontrances flatteufes, ces vrais Fidèles concurent une fi grande horreur de fon impiété, & de fa félonie, qu'ils eurent encore plus de haine, & d'indignation contre lui, que contre les Infidèles mêmes. Ils 1'auroient dès lors facrifié a leur jufte relfentiment, fans la précaution qu'il prit de faire mettre fes Troupes fous les armes, autour de fon Palais; ce qui fut caufe qu'ils diffimulèrent leur colère, & leur dépit. lis eurent du moins la. prudence de lui demander du tems jufqu'au lendemain , pour perfuader leurs confrères, & Ie confulter eux mêmea fur une affaire fi importante. . Ce n'eft pas qu'ils fuflent incertains du parti qu'ils avoient a prendre, ce n'étoit que pour avoir la commodité de fe préparer a lui réfifter ouvertement, & arepoufler les attaques de Saladin: bien réfolus de périr tous, les armes a la main, plutót que de fe foumettre au joug de cet lnfidèle. Les Tripolitains travaillèrent fécrettement toute la nuit a fe bien armer, & a gagner les Domeftiques du Comte, afin de les engager a les délivrer d'un monftre, qui, contre les loix divines, & humaines, prétendoit de les. livrer aux Ennemis de leur Foi, & de leur fainte Religion. Enfin, foit que ces Domeftiques, outrés de 1'énormité de fon entreprife , reulfent étouffé eux mêmes, ou que Dieu voulut avoir pitié de ces zélés Chrétiens, & prendre foin de leur vangeance, on le trouva mort le lendemain matin dans fon lit. Vincent de Beauvais a!Ture, dans fon Miroir MJloriaue, que ce Comte avoit éte ^ récera-  de JE'RUSALEM. Liv. VI. Ch. II. ~8 rëcemment circoncis. On prétend, que Saladin, voiüant ü délivrer d'un efprit fi dangereux, & fi turbulent, & fe dégager de la promeffe, qu'il lui avoit faite de le mettre fur leTröiie de Jérufalem, contribua beaucoup a le faire périr, comme il arrivé affez ordinairement aux Traitrcs, qui deviennent odieux, & infuportables a ceux mêmes qu'ils ont fervi, & pour Jefquels ils fe font facrifiés. Bel exemple, qui apprend aux Hommes a modérer leurs paffions, & a ne rien entreprendre contre le devoir, 1'honneur, & la juftice, puifque Dieu ne manque jamais de faire retomber fur eux le mal, qu'ils préparent aux autres. La mort du Comte de Tripoli aïant mis les Habitans de cette Ville dans 1'indépendance, & en liberté d'agir par eux mêmes , ils fe mirent d'abord en mouvement , pour fe fortifier, & pour garnir leurs murailles de tout ce qui pouvoit contribuër a leur défenfe. Afin d'avoir un Chef d'expériencc, & capable de les bien conduire, ils députèrent quatre des principaux d'entre eux, pour aller prier le Prince $ Antioche de vouloir accepter le Gouvernement, & la défenfe de leur Ville; Précaution, qui, jointe a la fermeté, avec laquelle ils répondirent aux Officiers, que Saladin leur envoïa, pour les fommer de fe rendre; favoir, qu'ils étoient réfolus de conferver, au prix de la dernière goute de leur fang, la liberté, que Dieu venoit de leur accorder, fut la caufe de leur délivrance. . En elfet, Saladin, informé de la venue du Prince &An- < tioche dont il n'ignoroit pas la valeur, & la prudence, i confiderant d'ailleurs 1'avantageufe fituation de la Place, & la force de fes murailles, oü il auroit pu perdre beaucoup de tems, & la fleur de fes Troupes, fans en venir k bout, décampa peu de jours après, pour aller faire une nouvelle tentative fur Afcalone, oü il efpéroit de mieux réüffir, quoique • Nd les t laladfh ttoume i ifcalone.  Durescmditions exigées du Roi de JcrufaIcin. .82 IIISTOIRE GE'NE'RALE es fortifications rfen fuffent pas moins bonnes, ni les Habitans aioins braves, que ceux de Tripoli. 11 ne fe trompa point. Les Jfcalonites furent fi furpns de fon irrivée , & fe trouvoient fi mal fournis de provifions, qu'après avoirfoutenudiverfes attaques, & mêmerepouiféfes plusfurieux lüTauts pendant neuf jours, ne pouvant enfin réfifter a la faim, qui les tourmentoit, & qui augmentoit coniidérablement, par le défaut de vivres, qu'ils avoient coutume de recevoir de la campagne, ils furent contraints de capituler le dixième jour du fiége, a des conditions fort honorables. Saladin leur permit d'en fortir avec armes, & bagages, & promit a la Reine, & aux Habitans, qu'il rendroit la liberté au Roi, & au Maïtre du Temple. Cependant, dès que cet lnfidèle fut entré dans la Ville, & qu'il eut reconnu 1'extrème difette, oü ils étoient réduits, écumantderage, & decolère, il s'écria qu'on 1'avoit trompé; &, continuant fes exclamations avec fureur, & emportement, il les fit dépouiller, non feulèment de ce quils avoient de plus précieux, mais encore retint leRoi en fon pouvoir, pendant un an entier. 11 ne lui donna même la liberté, qu'après avoir exigé de ce Prince un ferment folemnel, par lequel il s'engagea a ne prétendre plus rien fur le Roïaume de.7^rujalem, & a n'entreprendre jamais rien pour le récouvrer; ainfi, les pauvres Jfcalonites, dont la douleur de perdre leur Ville devoit être en quelque manière foulagée, par la confolation de faire rendre la liberté a leur Souverain, & par celle d'en pouvoir fortir avec leurs elfets, furent contraints de la quitter presque nuds. Ce qui prouve, que, quelques louanges que la plupart des Hiftoriens aïent donné a Saladin, il n'étoit généreux, &magnanime, que par caprice, & non par raifon; & qu'il n'étoit jamais fcrupuleux a faulfer fa parole, & fes fermens, lorfque fes intéréts le demandoient.  i)e JEHUSALE M. Lm VI. Ch. III,' 283 itOSJ) iteiV^ .«©(Vi-''^'^-'^''^ '^<5'<:-''^'i.^**.'iiV**'/i Chapitre HL LE bruit des progrès de Saladin, de la prifon du Roi, & de rafoibliffement des Chrétiens dc toute la Palejline, qui fe répandit bientöt dans toute VEurope, caufa unétrange chan-j gement dans tous les efprits. Le Pontife en particulier relfentit' fi vivement ces malheurs, qu'il en mourut de déplaifir, & de triftelfe, pendant qu'il alloit a Vênife, pour folliciter lui même le départ des Troupes, deltinées au fecours de la Terre-Sainte. Gre'goire VIII. qui lui fuccéda au Pontificat, également zélé pour cette fainte entreprife, écrivit d'abord des Lettres très-preffantes a tous ksFidèles, pour les exhorter a prendre la Croix; leur accordant les mêmes indulgences, & prérogatives, dont avoient jouï les prémiers Croifés. II ordonna des jeunes, & des prières publiques, pour implorer l'affiftance divine. II dépêcha divers Légats aux Princes Chrétiens, pour tacher de les engager a fecourir les Orientaux, ou du moins a faire une trève entre eux, qui en facilitat les expéditions, auxquelles la charité, 1'honneur, & la Religion devoient naturellement les porter. II fe rendit lui même a Pife, pour accommoder les différendsde cette République avec celle dzGènes, afin que leurs Flottes, qui étoient alors fort confidérables, pulfent fervir utilement la Chrétienté, dans une expédition fi importante. Mais ce bon Pafteur étant auffi mort 57. jours après fon exaltation, tous les mouvemens, qu'il s'étoit donné, n'eurent pas grand lüccès. II eft vrai, que Clement III. qui lui fuccéda, aïant confirmé tout ce qu'il avoit fait, & non moins empreffé que fes Prédéceffeurs, a remédier aux maux de la Syrië, y travailla avec plus de bonheur; car, foit que la nouvelle de la perte de Jérufalem achevat de toucher le coeur des Princes Chrétiens, ou que 1'arrivée de Guillaume, Archevêque de Tyr, en- Nn 2 voïé drtkle I. [/Europe irend part tux malheurs des Chrétiens Drienaus.. u8«.  H I S T O I R E GE'NE'R ALE •Sauation deTyt. Ville. Ils y confentirent volontiers, & lui prêtèrent ferment de fidélité. Satisfait de leur foumilfion, il ne perdit pas un moment a joindre une nouvelle gloire a l'honneur, qu'il venoit de recevoir. II s'apliqua incelfamment a augmenter les fortifications de cette ancienne Ville, qu'il regardoit comme fon vêritable Patrimoine, ramalfa avec foin les Chrétiens, qui avoient échappé a la bataille d'Etin, ou qui étoient fortis des autres Places fubjuguées, fe ik donner une lifte générale de tous ceux qui fe trouvoient dans la Ville, & la munit enfin de toutes fortes de Provifions, dont fes VailTeaux étoient chargés. Cette Métropole de la Phénicie, que quelques Hiftoriens asfurent avoir été entièrement ifoléc, étoit alors une péninfule, attachée au continent de la terre ferme par une langue de terre, ou grande digue, longue de700.pas, & d'une largeur inégale, que Nabucdonosor, on Alexandre le Grand, y avoient fait conftruire, lors qu'ils 1'a.fiiégèrent; Ouvrage, bien digne de 1'un & de l'autre de ces deux grands Princes. La mer y eft ordinairement agitée , & d'une grande profondeur, d'oü 1'on peut conjeclurer les travaux immenfes, & les dépenfes exceffives, qu'il falut faire pour conftruire un ouvrage fi extraordinaire. Cette ancienne Ville, fi renommée par le fiége, qu'en fit Alexandre , ne 1'a pas moins été par fes excellentes fortifications, par la grandeur, & la magnificence de fesEdifices, par l'abondance de fon commerce, & les richelfes de fes Habitans. Les Perfonnes Illuftres, qu'elle a produits en divers tems, font également récommandables. Tyr, feptième Fils de Japhet, dont elle a retenu le Nom, en fut le Fondateur. Parmi les plus grands Hommes qu'elle ak produits, 011 compte le Roi Age'nor, Père d'Eurore, de Phe'nice, & de Cadm us, fi rénommés dans 1'Hiftoire, & fi vantés par les Poëtes; principalement ce dernier, qui fonda en Egypte la fameufe, & fuper-  de JE'RUSALEM. Liv. VI. Ch. III. 287 fiiperbe Ville de Tbèbes, qui avoit cent portes. Ce fut lui qui inventa les Lettres Grèques. Elise, ou Didon, Fondatrice de l'illuftre Cartbage, fi long-tems rivale de 1'Empire Romain t Les Fondateurs des Villes de Gadez, aujourd'hui Cadiz, düUtique, & de Septi, dont les ruines fervirent enfuite a batir la Ville de Tripoli de Barbarie: Ulpien, II favant dans la Jurisprudence, & qui a compofé le Digefle, encore fi eftimé, & 11 fuivi aujourd'liui; envoïoit au fecours de hTerre-Sainte, avec 3 000. Arbalétriers, & 2000. Hommes d'armes. Ce Commandant, qui étoit grand Homme de mer, «Sc de guerre, «Tailleurs fort entreprenant, aïant reconnu par la fumée, «Sc par les autres fignaux, qu'on lui faifoit, que la Ville étoit prelfée, «Sc les Chrétiens aux mains avec leurs Ennemis, fit rédoubler la vogue, «Sc forca tellement de voiles, qu'il aprocha bientöt du port; ce qui contraignit les Sarrafins de quitter 1'aifaut, pour fe jetter dans leurs VailTeaux, afin de pouvoir les défendre, ou de gagner le large, fi le tems & Toccafion le leur permettoit Ils ne purent cependant 1'exécuter. La promtitude, avec laquelle Margarit leur boucha le paffage, les mit en désordre. II jetta d'abord le feu a quelques-unes de leurs Galères, & aflailKt fi vivement les autres, que les Soldats, & les Matelots Sarrafins, déja effrayés de 1'incendie, perdirent tout courage. Les Troupes Siciliennes y firent des merveilles. Elles taillèrent en pièces prefque tous les Infidèles, prirent, brülèrent, ou coulèrent a fond la plupart de leurs Batimens, a la réferve de quelques Galères , qui s'arénèrent volontairement, & dont les équipages fe fauvèrent avec précipitation, afin d'éviter le fort de leurs Confrères, qui avoient été tués, noïés, ou malfacrés a leurs yeux. Après cette Viétoire, le Général Margarit entra triomphant dans le port le plus intérieur, conduifant les Batimens, dont il s'étoit emparé. Saladin, qui avoit été Speétateur de la défaite de fa Ftotte, & de fes Soldats, fans avoir pu y remédier, appréhendant également d'avoir du defTous du cöté de terre, par la nouvelle vigueur, que cette avanture, «Scce renfort, donnoient aux Chrétiens, «Sc qui décourageoit entièrement fes O 0 Trou- Défaite de laFlotse ie Saladin.  Saladin bctttu par ■les Chré• ïiens. t& H I ST OIRE GE'NE'RALE les autres entreprifes, refufoient de le fervir dans celle-ci, pour ne point tourner contre les Chrétiens les armes, qu'ils avoient fait voeu d'emploïer contre les Infidèles. Les Comtes Bertold, & Albert, Seigneurs Allemands, qui fe trouvoient auprès de Gui, avec quelques Troupes de leur Nation, & les avis, qu'il recut, que Saladin avoit quitté le fiége du Chateau de Beaufort, pour le venir attaquer, lui firent diifimuler fes mécontentemens, 11 fe difpofa k faire tête a ce rédoutable Ennemi. Alors chacun s'emprelfa de lui témoigner 1'ardent défir, qu'ils avoient de le bien feconder, & de lui donner des marqués, qu'üs ne eherchoient qu'a combattre, lorfqu'il s'agiffoit .de la gloire de Dieu, & de 1'avantage des Chrétiens. Ainfi, bien loin d'être étonnés a la vue de 1'Armée Sarraftne, qui ne tarda pas a paroitre, ils allèrent 1'affronter en fi bon ordre, & avec tant de réfolution, qu'ils engagèrent une bataille, dans laquelle Saladin fut abandonné de fon bonheur ordinaire. Ils lui tuèrent beaucoup de monde, firent quantité de prifonniers, le contraignirent a leur céder le champ de bataille , & a prendre une fuite précipitée vers le Chateau de Beaufort, oü il avoit lailTé une partie de fes Troupes. Cette lueur de fortune pour un Prince, qui venoit d'éprou\er une fi longue prifon, & qui avoit eu la douleur de voir périr fes meilleurs Sujets, & de perdre fes Etats, jointe a 1'efpérance, que lui donnoient Geofproi de Luzignan, fon Frère, & tous les autres Seigneurs Croifés, qu'il feroit bientöt fecouru par les Princes & Europe, lui fit concevoir celle de pouvoir rétablir fes pertes, ócmême de commencer dès lors a les réparer, par la réprife d'une des plus importantes Places. Dans cette confiance, il alla fe préfenter devant Ptolomaïde, oü il eut encore la fatisfaclion de voir groffir fon Camp de quantité de Latins, qui s'étoient fauvés des Villes, que Saladin avoit conquifes, & qui jufqu'alors n'avoient ofé paroitre, ni prendre aucun parti. La Flotte des Vénitiens, Sc celle des Pifanss  de JE'RUSALEM. Liv. VI. Ch. IIL sp| Pifans, ne tardèrent pas non plus d'arriver avec Abdelarde , Légat du Saint-Siége, quantité de NobleiTe Italienne, & un nombre aflez confidérable de belles, & bonnes Troupes. Ces Renforts mirent Gui en état de ferrer la Place, & de fe bien fortifier dans fes rétranchemens, qu'il fit entou-rer de larges, & profonds foffés, pour les mettre a couvert des infultes de PArmée Ennemie , & des forties des Affiégés. Saladin ne fut pas plütöt averti de fon entreprife, qu'il quitta le fiége du Chateau de Beaufort; fe flattant, qu'il Pobligeroit a s'en défilier, foit par raport au grand nombre de fes Troupes, qu'a la forte garnifon de Ptolomaïde, dont les Chefs étoient des plus braves. Cependant, quoiqu'il s'en approchat avec une Armée de prés de cent mille Combatans, & qu'il attaquat le Camp Chrétien a plufieurs réprifes , il lui fut impoffible de le forcer; ce qui lui fit prendre le parti de fe camper lui même d'une manière fort étendue, afin d'empêcher qu'il. ne put recevoir aucun fecours. II ne réülTit cependant pas mieux dans ce projet, que dans le prémier. II ne put empêcher la Flotte du Comte d'AvE'nes de prendre terre. Elle avoit touché a Meffme,, oü ellè fut jointe par plus de 80. Batimens Danois, Frifons, & Hollandois. Ces Croifés de la Baffe-AUemagne élurent auffi d'un commun confentement, le même Seigneur d'AvE'nes pour leur Général. Ce vaiilant Chef prit fi bien fes mefures,. que, par fa valeur, & fon expérience, il fit débarquer tout fon monde aux yeux même de Saladin, fans en recevoir aucun dommage. Cet lnfidèle reconnoifiant alörs, qu'il ne pouvoit faire resfentir aux Chrétiens la difette, qu'il s'étoit propofée, transporta fon Camp dans un lieu élevé:, encore plus élóigné de la Ville, en attendant farrivée de fa Flotte, qui étoit' encore en Egypte, Mais,, avant de continuer la defcription de Saladin a« recours de Ptolomaïde, affiégé 'larie Roi 3ui. 1189.  -.2 ( j jMkklII. Defcription' de h Ville de Ptolomaïde. 9-6 H1STOIRE GE'NE'R ALE le ce fiége, il me paroit a propos de faire celle de cette mnertant? Place, & des différents Noms, qu'elle a portés. Afche, Ptolomaïde, ou Acon, tire ce prémier Nom du£ herbe, dont on prétend qu'H e r c u e e fe guént des morfores de 1'Hydre; & ce Nom fut enfuite changeen ceiii d' Acre Les deux autres Noms lui viennent de 1 un des Ptolome'es, Roi ÜEgypte, ou d'AcoN, Frère de « Prince, qui en furent les Reftaurateurs. Elle eft fituée fur le bord de merde^tó. Sa forme eft triangulaire; enforte que deux de fes angles, dont Pun eft au Nord, & Pautre au Sud, aboutiffent a la mer, qui baigne tout Pefpace, qui eft entre ces deux pointes. Le troifième s'étend dans la plaine, qm eft a 1 Onent. Elle avoit une doublé enceinte de Murailles, diftantes denviron cinquante pas Pune de Pautre, outre leurs larges, & profonds foffés. Ces Murailles étoient flanquécs, la première de douze, & Pautre de feize Tours, a égale diftance. Elles avoient chacune, fur fangle le plus avancé, une Tour, plus grande, & beaucoup plus confidérable, que les autres; la prémière fe nommoit la TourMaudite: Nom, que Ie Peuple croïoit bonnement dériver de ce qu'on y avoit fabriqué les 30. Déniers, dont Judas fut récompenfé, en vendant Jefus-Chrijl aux Jufs; & la feconde fe nommoit la Tour du Roi. La Ville avoit de plus un bon Chateau, au milieu de la leconde enceinte. Un bon port, vers le Midi, dans un golphe, que forme la mer en cet endroit, a la faveur d'un grand rocher, qui s avance en pointe vers ÏOccident, oü étoit batie une haute, & forte Tour, nommée la Tour des Mouches, qui le défendoit, & lui fervoit de fanal. Ce port, quoique de médiocre étendue, étoit pourtant dune grande commodité pour le commerce, & pour la fureté des Flottes, qui y mouilloient. Elle n'étoit pas moins agreable du cóté de terre, oü s'étendoit une fpacieufe, & fertile plaine, terminée, versie Midi, par le Mont-Carrml, qui en eft ahuit    3oo HISTOIRE G E' N E' R~A L E iesChrè tiens. na a la charge. Le combat fe ralluma avec encore plus d'ardeur qu'auparavant, & les affaires changèrent de face; car, fi les Chrétiens ne remportèrent pas une vi&oire complette , comme ils fauroient pu, fi la bataille avoit été coritinuée de la manière qu'elle avoit commencé , ils eurent au moins favantage de bien fatiguer les Ennemis; &, malgré la faute confidérable, que la terreur panique leur avoit fait commettre, ils leur tuèrent beaucoup plus de monde, qu'ils n'en perdirent, n'aïant trouvé a (lire, après le combat, que le vaillant Gerard de Ridfort, Maitre du Temple, avec quelques Chevaliers de fon Ordre ; le brave Comte Andre' de Brienne, & environ deux mille Hommes de différentes Nations. Les Infidèles y perdirent huit mille Hommes de leurs meilleures Troupes, outre le Fils du Soudan, & un de fes Neveux, fon Grand-Admiral, & plufieurs de les principaux Officiers. Après cette épreuve de leurs forces, les uns, ni les autres ne penfèrent de long-tems a fe battre. Les Chrétiens s'appliquèrent a fortifier leurs rétranchemens, & a battre la Place avec toutes les machines, dont ils purent s'avifer. Saladin, de fon cöté, fit prefier la venue de fa Flotte, pour ravitailler la Ville; & ilordonna de lever des Troupes dans les Provinces de fa dépendance, pour augmenter fon Armée, 6c remplacer celles qu'il avoit perdues. Cependant les Chrétiens,, avec toute leur ardeur, leurs batteries, &. leurs attaques , ne faifoient pas grand effet. Ils s'étudioient inutilement a furprendre les Afiiégés, en les attaquant, tantöt d'un cöté, tantöt de l'autre. Ils les trouvoient par tout également fur leurs gardes, & ne réüffuToient jamais.. Ils étoient d'ailleurs fi promtement attaqués par Saladin, lorsqu?ils vouloient donner quelque affaut, qu'ils étoient prefque toujours obligés de s'en défifler, pour garder leur Camp. Ils avancèrent encore moins, quelque tems après, que la Flotte Sm:rafine arriya ÜEgyptt.. Elle etoit. compofée de cinquante Galè-  ÖE JE'RUSALEM. Liv. VI. Ch. III. 30] Galères, qui débarquèrent tranquilement leurs Troupes, & abondance de provifions, les VailTeaux Chrétiens s'étant rétirés a lyr; ce qui rendit les Infidèles maitres de la mer Pourcomblededifgrace, Guillaume, Roi de Sieile, qui etoit le ferme foutien des Chrétiens de hPaleJline, êc aux-quels nies, &de rafraicJiifiemens, étant mort dans ces entre-faites de ia difette, & les mettoit en état de fe foutenir; au lieu que les Affieges avoient été fi bien fecourus, & renforcés, par £ Flotte qifds jouiiToient de fabondance, &repoulfoientles attaques des Chrétiens. Par la bonne conduite de CaÏacaÏÏ kur Commandant, qui étoit grand Cuerrier, ils faifoient de SïSSTtt^ Terf0ient bl£n ^ett^S des Ailiegeans, & bruloient leurs machines: de forte qu'ils en étoient prefque toujours a recommencer; &, ^ an le fieg^e n'étoit pas plus avancé, que'le prémier jour - Ce peude fucces, & cette longueur exeeffive dégoutoit tellement les Seigneurs Croifés, que "plufieurs quitterenUe Camp, pour s'en retourner en Europe. Le Landgrave de Thurlle fut de ce nombre. Cependant, comme leuf départ éSSS 7ö/rParvr;-larn7éfi ^ pluli6UrS autres' ^Franpoil, 2 gto, quY*rte, onne s'apercevoit guères de leur rétrait^ fla^ndr" * " ^ ^ ^ ^ Aifiégés raleitt ^jLX * ^ Affié§eans fut extrèmement ^ e d^vi'vr s n n 7Te dU Par 1,ex^aordinaire difet- meïe v n, i f°llffnrent- La F1^e de Saladin, comme je viens de le dire, s'étoit rendue maitrelTe de Ia mer Les ^SE?'m£nr CT f°Ete de P-ifions^endant S^t rS IGnt fi affamés dans Camp , «Hfe etoientreduits a manger tout ce qui fe trouvoit de plus file, Monde Guillaume, Roi de Sieile,. appui des ChrétiensOrientaux. 'ticlilF.  I Défefmr des Chrétiens caufe de leur défaite. i02 HISTOIRE GE'NE'RALE Sc de plus dégoutant. Ces mauvais alimens ne tardèrent pas icorrompre le fang des Soldats, & a engendrer de grandes maladies parmi eux. La contagion devint enfuite fi générale, que les principaux de 1'Armée ne purent s'en garantir. Plufieurs même en moururent, au grand préjudice des affaires du Roi Gui, & de tous les Chrétiens de la Palejline. Guillaume de Tyr raporte, qu'il mourut tant de monde de cette famine , & de cette efpèce de contagion, qiie,^ fans l'efpérance de la promte arrivée de 1'Empereur Fre'de'ric, qu'on favoit être parti de fes Etats, & dont la renommée foutenoit encore ceux que la maladie avoit épargnés, tous auroient abandonné un fiége, qui avoit déja été fi funefte a tant de braves gens Cette efpérance avoit relevé d'autant plus leur courage, que le Marquis Conrad, touché des mifères publiques, & follicité par tout ce qu'il y avoit de confidérable dans le Camp, s'étoit embarqué lui même fur fes VailTeaux, pour aller chercher des provifions dans les Pays d'alentour. Mais, comme il y avoit long-tems qu'il étoit parti, & quonn'en avoit aucune nouvelle, la confternation devint générale, & le défefpoir des Soldats augmenta fi fort, qu'après avoir fait de grandes inftances aux Chefs de les conduire au combat, ou de leur permettre d'aller chercher des vivres, fans pouvoir en obtenir la permiffion, leur fureur devint fi grande, que plus de trente mille fortirent du camp, & allèrent fe jetter, comme des furieux, fur celui de Saladin, pour avoir de quoi raffafier leur faim * ou perdre la vie. Quoique leur réfolution étonnat d'abord tout le quartier quils affaillirent, 6c que leur animofité leur fit renverfer tout ce qm fe préfenta devant eux, ces forcenés fe trouvèrent bientöt envelopés, & guéris de la faim, qui les avoit portés a faire une aftion fi violente, fi contraire k fintention de leurs Commandans, & a laDifcipline Militaire. Ils furent fi maltraités, qu'a- peine  de JE'RUSALEM, Liy. VI. Ch. III. 303 peine s'en fauvat-ilquelques-uns, pour porter la nouvelle du masfacre de leurs compagnons j dont on plaignit Ie malheur, fans pouvoir vanger leur mort. Tout le Camp fe trouva dans une confternation, & dans un abattement inconcevable; foit par raport a ce funefte accident, qui privoit 1'Armée d'un fi grand nombre de fes meilleurs Soldats; foit pour la mort de la Reine Sybile, & de fes quatre Enfans, de même que de plufieurs autres Perfonnes de la prémière qualité; ou enfin a caufe de la langueur, & de la foiblelfe de ceux qui refpiroient encore. Ce fut cependant un grand bonheur, que Saladin n'allat point les alfaillir, & les mettre tous en pièces. Le Marquis Conrad arriva enfin avec fes Galères, & plufieurs autres Batimens. II apporta une fi grande quantité de grains, & de toute forte de provifions, qu'il ranima le courage des Chrétiens, en rétablilfant leurs forces, que la faim, & Ia mauvaife nourriture, avoient épuifées. Ils fe trouvèrent bientöt en état de recommencer leurs attaques, d'autant plus qu'ils furent fecourus, peu de tems après, par Henri, Comte de Champagne, qui arriva avec quantité de NobleiTe, & de trés-belles Troupes. Sa venue, & l'abondance, leur firent oublier leurs malheurs paffés. Ils ne penfèrent plus qu'a forcer la Ville, qui commencoit, a fon tour, a n'être plus fi bien pourvue, paree qu'il n'y pouvoit arriver aucun Batiment, depuis que leur Flotte étoit repartie pour VEgypte, & la Chrétienne devenue maitrelfe de la mer. Cependant, toutes ces heureufes difpofitions ne leur furent ttamemt prefque daucune utilité, & faillirent a faire échouer leur entre- difé™ds. pnie, par la nouvelle difcorde, qui furvint entre le Roi Gui, & deLuziEmfhroi de Thoron. Ce dernier, qui avoit refufé la Couron- fg$M ne, lors qu'après la mort de Baudouin le Lépreux, & du jnthü" jeune Baudouin, Ion Neveu, les Barons propofèrent de la lui donner, ne put alors réfifter a 1'ambition. II voulut arracher  3c4 HISTOIRE GE'NE'RALE la Couronne a Gui de Luzignan, qui en étoit en poffesfion. II alléguoit, que, comme celui-ci n'avoit été couronné, & reconnu Roi de Jérufalem, que par raport aux droits de Sybile , fa Femme, qui venoit de mourir, avec tous fes Enfans, il n'y pouvoit plus rien prétendre, & qu'elle appartenoit de droit a la PrinceiTe Isabelle, fon Epoufe, qui en étoit devenue 1'unique, & légitime héritière. Le Roi Gui, au contraire, prétendoit, fe maintenir dans fa dignité, par raport a fon facre, & au ferment de fidélité, qu'il avoit recu de tous les Ordres du Roïaume, & dont perfonne ne pouvoit le priver. Ce nouveau démêlé partagea les elprits de tous les Princes, & Seigneurs de 1'Armée. Chacun prit parti, felon fes intéréts, ou fon inclination. Toutes les opérations, pour 1'avancement du fiége, furent encore fulpendues. II fembloit, qu'il n'y avoit plus ni fiége entrepris, ni Ville a conquérir; tant ils étoient tous occupés de brigues, & d'intrigues. Le Roi Gui, voïant enfin, que le Comte de Champagne, &, a fon exemple, la plupart des Seigneurs, panchoient en faveur de fon concurrent; outré de 1'injuftice, qu'on alloit lui faire, malgré le peu de courage, que la plupart des Ecrivains lui attribuent, réfolut de fe maintenir, les armes a la main, contre Emphroi, & contre tous ceux qui voudroient le foutenir; déclarant ouvertement a toute 1'Armée, qu'il perdroit plütöt la vie, que de céder rAugufte caractère, dont il étoit revêtu. Au milieu de toutes ces contefiations, le Marquis Conrad, plus fin, & plus puiflant, que ces deux rivaux, fe trouvoit en polfeffion d'une Ville, & d'une Flotte, dont dépendoit le falut de 1'Armée, par raport aux vivres, qu'elle en retiroit, & fans lesquels elle ne pouvoit fubfifter. II fentoit bien, qu'après la mort de la Reine Sybile, la Couronne de Jérufalem appartenoit véritablement a la PrinceiTe Isabelle; Mais, par une ambition, & par une politique affez fingulière, il entreprit de les fuplanter tous deux. Comme Conrad poffédoit les bonnes  -de JE'RUSALEM. Liv. VI. Ch. III. ,3e, ■nesgmcesdelaReineMARiE, Mère Isabelle, qni, après la perte de Jérufalem s'étoit retirée a Tyr, il fe flatta, qu'il viendroit facilement a -bout d'une entreprife -auffi- délicate, que En effet, ilgagna' fi bien la Mère, & la Fille, qu'il les por- ^^^f^^1^^ de ™Jaïde, paree -que le Patriarche fe trouvoit au lit de la mort: &, foit fous pretexte de parenté, ou a caufe du ferment, que ^êtaZ belle, quil^avoit jamais confommé le mariage avec elle, ou enfin fur le témoignage de Balian d'Ibelin, qui, aprè la mort du Roi Alme'ric, avoit époufé la Reine Marie; de Pagan de Caiphas, & de Rainaud de Sidon, grands pW fan, de c0nrad, qui déclarèrent, „ quWLLE n'avoit jamais „ confenti afon mariage avec Emphroi ; & qu'eHe avoit au con- " 5air^Ten^^ qu'on lui avoit fai- „ te^lEvequedeP/öte^ déclara folemnellement nul le manage d Emphroi , & d'WLLE, que Conrad. époufa publiquement peu de jours après. Ils prirent alors Je Titre te Roi, & de Reine de Jérufalem , fans fe mettre en peine des murmures publics, m du fcandale detous-les gens de bien, qui ne pou.voient fouffrir une procédure, ni une-aclion fi contraire auloix divines, & humaines. Le Roi Gui, en particulier, fe voïoit en tête un rival bien plus dangereux, & plus entreprenant qu'EMPiiRoi. En effet Conrad etoit auffi grand Capitaine, qu'heureux dans fes entre' prnes; & Gui, au contraire, d'une humeur-douce>& paifible, fe contentoxt de faire grand bruit, &-de rendre odieufe la té-merite du Marquis & la collufion qu'il avoit fait commettre -a lEveque de Ptolomaïde, contre la juftice, & k rsiifon. fur c*l;rf°nde'°nn0iflbit air£2> ^ ce avoit;raifon -fur cet art cle; c'eft pourquoi plufieurs -Prélats, -.& Seigneurs, quuufqu'abrs n'avoient pris aucun parti, embralTèrent le fien dautant plus qu'ils appréhendoient, que fon dépit, • & lacolère' Qjl ne  de JEftUSALEM. Lit. VI. Ch. III. 3o7 Le Marquis Conrad, qui découvrit fon mouvement, avant que d'avoir apercu fa Flotte, mit d'abord pié a terre, avec la plupart de fes gens, pour foutenir Je Camp Chrétien: mais, malgré la promtitude, avec laquelle il fe rembarqua un mo' ment après, d lui fut impoffible d'empêcher Ja Flotte Sarrafine d entrer dans le port. II s'empara pourtant de quelques Batimens Ennemis, & coula a fond deux de leurs Galères- mais ü lm en couta beaucoup de monde, & fes VailTeaux n'en fouffrirent pas moins. Voila en quel état fe trouvoit le fiége de Ptolomaïde , pendant que 1'Empereur F red e'ric étoit e» marclie, pour venir fecourir les Chrétiens. Chapitre IV. r^E Monarque, après avoir terminé les différends de queL ques Princes, & Villes de VEmpire, fait couronner Roi des Romains le Prince Henri, fon Fils ainé, & tenu une Diète générale a Nuremberg, s'embarqua fur leLanube a Ratisbonne, oü il avoit fait alTembler fes Troupes; c'étoit vers la fin d'Avril. II defcendit a Fienne, oü Leopold, Duc $JUtriche, qui avoit auffi pris Ia Croix a Maïenee, 1'attendoit Ils contmuèrent leur voïage enfemble, jufqu'a Bude, oü Bella, Roi de Hongrie , qui étoit convenu avec PArchevêque de Maïence du mariage de fa Fille avec Frede'ric,Duc de Suabe, fecondFils de 1'Empereur, & de fournir tous les vivres nécelTaires a fon Armée, ne manqua pas de recevoir magnifiquement ce grand Prince, & de lui tenir fa parole, touchant les provifions, a fort jufte prix. Quoi que le Roi de Hongrie n'eüt point encore pris hCroix> pour pafier perfonnellement dans la Terre-Sainte, il n'en étoit pas moins zélé, pour contribuer. au foulagement de fes Hab> Qjl 2 tane. Article L L'Empereur Frédéric ejl bien regu d: Bella, Roi de Hongrie.  Ceux (Hroniumclifaits, £5 mis enfuite par Fré déric. VIBeire ■iomplette a TEmpe■reur. 310 HISTOÏRE CE'NE'RALÏ demi-morts de faim, & de laflitude, fe mit d'abord en état de lui donner bataille. Son Armée étoit prodigieufe. II ordonna a Melich, fon Fils amé, d'occuper toutes les hauteurs des environs de la Ville, afin que Palpeer de fes Troupes donnat de la terreur aux Allemands. Le nombre des Barbares étoit fi grand, & ils couvroient tant de terrain, qu'un courage, moins grand que celui de Fre'de'ric, en auroit été étonné. Cependant, bien loin d'en témoigner aucune furprife,cegrand Prince rangea lui même fon Armée en bataUle, avec beaucoup de tranquilité. II feignit enfuite de vouloir fe retirer, pour éviter le combat , dans le deflein d'attirer les Ennemis dans Ia plaine; ce qui ne manqua pas d'arriver. Trompés par ce ftratagême, ils defcendirent, en caraeolant, avec des hurlemens épouvantables, & attaquèrent ces prétendus fiüards, fans ordre, & fans mefure. Les Allemands les reeurent avec tant d'intrépidité, & en renversèrent un li grand nombre, que les autres régagnèrent les collines, avec la même précipitation, qu'ils les avoient quittées. Après ces échecs, les deux Armées demeurèrent quelques jours en préfènce 1'une de l'autre, pendant lelquels il ne fè paf. fa rien de confidérable. Elles en vinrent enfin a une bataille générale, dans laquelle les Allemands s'acquittèrent fi bien de leur devoir; & tous les Princes, & Seigneurs imitant 1'exemple de 1'Empereur, firent de fi grands prodiges de valeur, que, malgré la multitude $ Infidèles, qu'ils avoient en tête, ils les enfoncèrent dès le premier choc, & les mirent en déroute. Ils furent fi étonnés de la fermeté, avec laquelle les Allemands les combattoient, & couvroient la campagne des corps de leurs compagnons, qu'ils prirent tous une fuite précipitée, pour rer s gagner leur prémier pofte. La défaite de cette grande Armée produifit tant de terreur dans l'autre corps de Troupes,que commandoient les Frères de  Arrivèe de ï'Armee de Frédéric, J)uc de Suabe, a Antioche. ji8 HïSTOIRE GE'NE'R ALE s/res & de fourages. Malheur, qui, joint a la fatigue du chemin rude, & très-difficile en plufieurs endroits, rendit tous les Soldats fi foibles, & fi languilfans, qu'a-peine pouvoient-ils fe foutenir; ce qui rétarda beaucoup leur marche, & la rendit plus pénible. Ils arrivèrent enfin a Antioche, mais fi défaits, & fi affamés, que la quantité de bons alimens qifils y trouvèrent, leur fut encore plus funefte, que la famine, qu'ils venoient d'endurer: car le fubit cliangement d'une extréme misère en une grande abondance a des gens qui ne cherchoient qu'a fe raiTafier, & qui n'avoient nulle dilcrétion dans le boire, & le manger, en fit tomber plufieurs malades. Les infirmités s'augmentèrent fi fort, qu elles fe convertirent, en une cruelle pefte, qui en fit périr plus que tous les combats , & toutes les foulfrances qu'ils avoient endurées; deforte que cette floriffante Armée, qui avoit été compofée de cent mille Combatans, fut réduite a7ooo. Hommes de pié, & prés de 700, Chevaux. Ils auroient péri, felon les apparences, comme les autres, tant la contagion étoit violente , & terrible parmi eux, fi le Duc de Suabe, après avoir éprouvé inutilement tous les remèdes, dont on put s'avifer, n'eüt pris le parti de quitter Antioche, & d'aller fe camper a dix lieues de cette Ville. Le changement d'air opéra plus que n'avoit pu faire toute 1'habileté des Médecins, & des Chirurgiens. La maladie ceifa entièrement en peu de jours. Ceux qui en étoient échapés reprirent fi bien leurs forces, qu'ils fe trouvèrent en état de réfifter aux efforts, que fit Dodequin, un des Amiraux de Saladin, qui entreprit d'achever leur défaite. II les fuprit de manière, qu'a peine le Duc de Suabe eut le tems de ranger fa petite Armée en bataille. II fit placer le corps de 1'Empereur, fon Père, au milieu des Troupes, foit pour les engager a bien combattre dans cette  ce JE'RUSALEM. Liv. VI. Ch. IV. 31^ te périlleufe occafion, ou pour mieux conferver ce précieux dépot. Ses prémiers , bataillons furent d'abord affaillis par les Barbares, avec des cris, «Sc des hurlemens affreux, même avec une égale fureur. En effet, leur impétuofité fut fi grandè, qtr'ils- enfoncè- -Bataair rent d'abord les prémiers rangs, & continuoient leur po'm-pTies te avec fuccès, lorfque Fre'de'ric s'avan9a ala tête de faChrétiens"Cavalerie, & les invefiit avec tant de réfolution, qu'il arrêta leur fureur, & les fit même réculer. II fut fi bien foutemi, par Le'opold, Duc dAutriebe, qui le joignit avec fes gens que ces deux braves Princes forcèrent la multitude d'Infidèles a pliër, «Sc a leur abandonner enfuite le champ de bataille. Ce ne fut pourtant, qu'après s'être bien battus, & avoir perdu quinze étendarts, 4.000. Hommes, qui furent tués, «Sc -mille faits prifonniers. Après tant d'obftacles, de travaux, & de contretems, les Frédéricdébris de TArmée Impériale arrivèrent enfin a Tyr, oü fejJJÏJ^ Duc Fre'de'ric rendit les derniers devoirs a 1'Empereur, fon TyrPère, qu'il fit kihumer dans la Catfiédrale de cette Ville, avec toute la pompe, «Sc la magnificence, due a la mémoire d'un fi grand Prince. Guillaume, Archevêque de cette Ville, de qui il avoit recu la Croix en. Alkmagne, «Sc qui avoit beaucoup d'éloquence, «Sc de favoir, en fit lui même la fiarangue funèbre, avec beaucoup d'applaudiffement. Av 1'iffue de cette affligeante cérémonie, le Duc de Suabe s'embarqua , avec toutes fes Troupes , fur la Flotte' du Marquis Conrad, qui le conduifit a Ptolomaïde. Son arrivée au Camp devant cette Place réjouït infiniment le Roi Gui, «Sc tous les autres Seigneurs de 1'Armée, qui: Ie recurent, avec d'autant plus de joie, que, depuis deux; ans, que duroit le fiége, ils n'avoient encore rien avancé; & que, depuis le départ du Marquis Conrad, les Affiègès;  3zo II I S T O I R E G E' NE'RALE gés avoient fait une fi vigoureufe fortie, qu'ils avoient pénétré jufques dans les rétranchemens, dont ils avoient même brülé quelques tentes, & oü ils auroient fait de plus grands dégats, fans la valeur des Hofpitaliers, qui y accoururent, en malfacrèrent une grande partie, & pourfuivirent les autres jufqu'aux portes de la Ville. Ce qui n'étoit pourtant pas extraordinaire, puifque de femblables actions étoient plufieurs fois arrivées, depuis que duroit le fiége, tant du cóté des Chrétiens, que de celui des Infidèles. •LI-  324- H I S T O I R E G E' N E' R A L E Chef, & s'en retournèrent en leur Pays, a la referve de quelques Troupes, que le Duc tfJutriche retint a fa folde. Une fi extréme difette fe joignit a cette mortalité, qu'on y feroit mort de faim, fans les provifions, qu'y conduifoit la Flotte du Marquis Conrad. Les applauduTemens, qu'il en recevoit, furent caufe que la plupart des Seigneurs & Officiers de 1'Armée, qui tenoient le parti de Gui de Luzignan, le quittèrent, pour fe ranger du fien. La divilion de ces deus Princes devint plus grande,que jamais;& ils ne fe fecondoient point dans les entreprifes, qu'ils auroient pu faire. Lorfque Ie Roi Gui faifoit quelque attaque contre la Ville, ou contre le Camp ennemi, le Marquis Conrad demeuroit dans rina&ion; Et,fi celui-ci fe donnoit, a fon tour, quelque mouvement,Gui en reftoit fpeótateur; enforte que les opérations de 1'un , & de l'autre, devenoient infru&ueufes au bien public C'eft pourquoi les Perfonnes, les plus éclairées du Confeil, opinoient toiv jours, „que 1'empreflèment, qu'ils avoient tous de réduire une „ Place, qui les auroit fait retourner dans leur Pays, couverts „ d'honneur, & de gloire, feroit inutile, tant que la difcor„ de régneroit parmi eux; & qu'ainfi, n'y aïant aucun re„ méde, il valoit mieux ne rien entreprendre, & fe tenir fur „ la défenfive, jufqu'a 1'arrivée des Rois de France, & iïJnr „ gJeterre, qu'ils favoient être partis de leurs Etats, pour „ venir les fecourir, & dont ils efpéroient que la préfence „ termineroit enfin cette dangereufe désunion, qui avoit été „ jufqu'alors fi fatale a 1'Armée Chrétienne," ramte ex- Ils ré'ïtérèrent fi fouvent ces falutaires avis, qirils prévalurent 27wpar" enfin, par 1'extrême néceffité,a laqueUe ils étoient réduits,foit Chrétiens. par raporE aux maladies, ou au manque de vivres. La faim étoitfi grande, que les Soldats n'avoient plus, ni force, ni vigueur. Une moge de farine, qui pèfe 250. livres , fe vendoit jufqu'a 96. Ecus; une de froment, Zi-i une d'orge, 4.0.; & une de Ion, 7. Ecus,.  338 IIISTOIRE GE'NE'RALE „ donneroient la liberté a tous les Chrétiens prifonniers, qui " fe trouvoient en leur pouvoir, ou en celui de Saladin. " III Que ce Prince leur rendroit le bois de la Croix, qui " leur avoit été pris a la Bataille XEtin. IV. Qtf'üs paie" roient aux Chrétiens 200. mille Bezans d'or, argent com_ tant, moïenant quoi il feroit permis aux Affiégés, de fe re„ tirer au Camp de Saladin, ou en tel autre endroit,que bon „ leur fembleroit. " Cet accord aïant été approuvé, & figné, de part d autre, les porte* de la Vüle furent ouvertes a 1'Armée Chrétienne. Cependant Le'opold, Duc dAutriehe, felon la Mribution des attaques, avoit forcé la Tour, qui lui avoit ete aihcnée; & ignorant la reddition de la Place, il continuoit encore k faire un grand malfacre des Infidèles dans la Ville,oü il etoit entrè avec fes Troupes; Mais ce Prince fit celTer le carnage, dés qu'il fut informé du Traité; & voulut, pour marqué de fa vi&oire, faire planter fes Drapeaux fur la Tour, qu'il avoit zagnée; ce qui donna lieu a un différend, qui eut de longues & facheufes foites, «Sc qui faillit même dès-lors a meier beaucoup d'amertume a la joie & a la fatisfaftion publique. Le Roi ÜJngleterre, qui avoit fon Camp vis a vis de cette Tour, foit qu'il eüt déja quelque aigreur contre le Duc AAutriche, ou que fa fierté naturelle ne lui permit pas de fourtnr, que les Drapeaux de Le'opold y paruffent, au préjudice de celles des Têtes Couronnées , courut avec précipitation de ce cöté la, pour les faire arracher avec mépris. II les fit decnirer, & jetter dans les foffés, & en meme tems arborer les fiennes en leur place. 1 • Les Allemands, non moins fiers, & jaloux de leur gloire, &de leur honneur, qu'aucune autre Nation du Monde, n* pouvant fouffrir cet affront, ni le mépris qu'on faifoit de leur Prince; frémilTant de dépit, & de colère, fe ferrèrent dabord tous enfemble, pour affaillir les Anglois, & en tirer une prom- te  de JE'RUSALEM. Liv. VIL Cm. I. 33p tevangeance. Ainfi, la prife de Ptolomaïde, gui faifoit, depuis fi longtems, foupirer toute la Chrétienté, lui feroit deve nue encore plus funefte, par la guerre, qu'elle alloit allumer entre ces deux Nations belliqueufes, que par toutes les pertes, du Duc dAutriehe y remedia promtement. II diffimula 1'iniu- re, qui 1 venoit de recevoir, & fe fervit de fon autorité, pour „flI appaifer 1'ammofité de fes Troupes. P 9 Mais, fi ce Prince diffimula alors fon relfentiment, il en tlra dans la fuite une vangeance fi cruelle, qu'il fit, plus d'une fois, repentir Richard, de 1'avoir offenfié, comme on le verra dans la fuite. Les Chrétiens entrèrent enfin dans la Ville le 12= Tufflet' apres trois années entières de fiége. II y périt plus deJ monde, qu il nen auroit fallu pour la conquête de tout VOrient. Outre le nombre prodigieux de Soldats Allemands, Franpois, Itahens, Flamans, Anglois, Bamis, Frifons, & Levantins, qui y perirent, il y mourut beaucoup de grands Seigneurs, & aiitre NobleiTe de toutes ^ces Nations, foit de pefte , d'autres maladies, ou de leurs blelfures. Les principaux furent les quatre Enfans de la Reine Syrile, avec leur Mére; Fre'de'ric, Avnt^'RPHILIPPE' C°mte de Fknd™ ; le Comte Sg^' Andre de Brienne; Ridfort,Maitre des Templiers- qui"Mes Comtes de Chartres, de Blois , & de Ponthieu; ^2f rïl? nEMEÏT' ?larêdial de W^ & Adam> GrandCfiambellan. Plus de cinquante Archevêques , ou Evêques; fnrZ- Eve?ueJde^~^ Baudouin, Archevêque de Cantorben ; celui de Bezanpon, & 1'Evêque de Faënce, furent °UtrS ArméeS enÜèreS' ^ P^ent avant que dy pouvoir arriver ; auffi bien que 1'Empereur FreDERIC premier & ie Landgrave de Thuringe, qui fe noia? en retournant dans fes Etats. vv 3 Les  34-0 H I ST O I R E G E'N E'R A L E Gui de Lu- Les Rois te France, & SJngleterre, firent inceiTamment ISuu arborer les enfeignes du Roi Gui de Luzignan, auquel ces SS deux Monarques, & tous les Seigneurs de f Armee avoient Uigé, „que devoit appartenir la Couronne de jérujalem, „ pendant fa vie; mais, a condition pourtant, que s'il fe , rémarioit, & qu'il eüt des Enfans dun fecond mariage, ils ' ne pourroient y rien prétendre ; & qu'elle appartiendroit de droit a la Reine Isabelle, & a fes Enfans: Que ce^ " pendant le Marquis Conrad, fon Epoux, demeureroit en \ poffeffion de la Principauté de Tyr , qui relèveroit tou* „ iours de la Couronne de Jérufalem. " Ils partagèrent enfuite a toutes les Nations les depouilles, & les provifions, qui fe trouvoient dans la Ville, a la referve des prifonniers, qui demeurèrent entièrement au pouvoir de Philippe, & de Richard, afin que ces deux Princes les filfent furement condaire au Camp de Saladin, dès que ce Soudan auroit remis en liberté les Chrétiens, qui fe trouvoient en fon pouvoir, comme ils en étoient convenus. Ils accompagnèrent, en cérémonie , le Cardinal Légat, avec les Archevêques, & Evêques XEurope, & de Takfit* , qui réconcilièrent toutes les Eglifes de la Ville, dont les Infidèles avoient fait des Mofquêes ; Après quoi ces Princes, & toute f Armée, rendirent de très-humbles actions de gracesauTout-Puiffant, d'avoir enfin triomphe des Ennemis de Jefus-Chrijl.  de JE'RTJSALEM. Liv. VII. Ce. E 341 Chapitre II. peu de jours après, les Rois de Jérufalem, de France, Anklel X & dAngleterre, affignèrent aux Vénitiens, aux Génois, & aux Fifans, qui voulurent s'établir a Ptolomaïde, les quartiers de la Ville, qu'ils devoient occuper , & leur accordèrent les priviléges, dont ils devoient jouïr. Ils en firent de même envers les Ordres Militaires de VHopital , du Temple , «Sc Teutonique. Ce dernier Ordre avoit pris naif- 2jSLne fance, & s'étoit formé, pendant le fiége, par la charité de Teutontre quelques Capitaines de VailTeaux des Villes Anféatiques de !"e" Lubec, «Sc de Brème. Touchés de la mifère, a laquelle étoient réduits tant de pauvres Soldats, foit a caufe des maladies, qui régnoient dans le camp , ou par les bleffures qu'ils recevoient, & dont ils ne guérilfoient presque jamais, faute d'affiftance, ils détachèrent les voiles de leurs Batimens, «Sc en firent descabanes, fous lesquelles ils recevoient, «Sc traitoient généreufement ces pauvres malades, qu'ils avoient foin , non feulement de faire fervir, «Sc alimenter, mais encore de faire paneer a leurs propres dépens. Le foulagement, que recevoit toute 1'Armée, «Sc principalement lts Allemands, de la piété , «Sc de la libéralité de ces gens chantables, engagea divers Prélats «Sc Seigneurs de leur Nation, a contnbuër largement a cette oeuvre Chrétienne. Plufieura grands Perfonnages Danois, Frifons, Hollandois, «Sc autres de la Nation Germanique, non contens de contribuër a ce bel établilfement, voulurent fe joindre a ceux qui 1'avoient eommencéi Sc s'aphquer, indiftineïement avec eux, a fervir les pauvres infirmes. Leur exemple fut fuivi de quantité d'autres Perfonnes. II fe forma bien-tót une Compagnie alfez confidérable , qüi fut X> 3 ap-  de JE'RUSALEM. Liv. VIL O: ; H3 véritable tromperie , fans réfïêchir aux malheurs, que fa &remViolent*? alloit caufer aux Chrétiens , facrifia au dépit, qu'il en concut, Su'ït. prés de fèpt mille des prifonniers Sarrafins , qui lui étoient é- &ktem *" chus. II ne referva que les plus riches de ces miférables, dans mafficï 1'efpérance d'en retirer une groffe rancon. Acfion inhumaine ÏSJ** ócintéreffée, dont ce Prince fut extrèmement blamé, d'autant plus qu'elle caufa le maffacre d'un plus grand nombre de Chrétiens, que les Ennemis mirent en piéces, par droit de répréfailles. La conduite du Roi de France fut bien oppofée. Ce Prince, toujours prudent, & modéré, conferva fes prifonniers avec attention , & les échangea enfuite contre un pareil nombre de Chrétiens , qui languiffoient dans les fers des Barbares. Quelques Auteurs prétendent, qu'il donna ces prifonniers au Marquis Conrad; & qu'ils fervirent, comme nous 1'avons dit, a rachetter le Marquis Boniface, fon Père , que Saladin retenoit prifonnier depuis la bataille &Etin. U fe trouva, parmi les prifonniers du Roi de France, unOfïï- Portrait aevSarrafin, nommé Caracut , mal-fait de corps, & laid de vifage, mais d'un efprit vif, &pénétrant, d'un jugement fi>«^"' bon, &fifolide, qu'on prétendoit, que c'étoit, par fes pru- Sa£ dens avis, que Saladin étoit parvenu, en fi peu de tems, au tienne' faite de grandeur, oü il fe trouvoit. Philippe, & tous les autres Princes, informés des qualités de Caracut, furent curieux de voir un Homme fi extraordinaire, Sc de le confulter férieufement fur la conduite, qu'ils devoient tenir pour acquérir, & conferver le Roïaume de Jérujalem. Avant que de lui faire aucune queftion, ils 1'engagèrent, fous un étroit ferment, k avouër la vérité fur ce qu'on alloit lui demander. Après qu'il 1'eut promis, on 1'interrogea fur ce qu'on défiroit favoir de lui. II fit d'abord beaucoup de diffaculte derépondre a une queftion, auffi délicate, qu'intérellante, pour fon Maitre. Mais, enfin, preffé par 1'engagement, qu'il avoit pris, de déclarer fon fentiment, fans aucun dégui-  f 4f H1STÓIRE GE'NE'RALE Sss avis déguifement, il dit, avec autant de franchifc, que de bon auxPnn- f e les chrétiens ne devoient jamais fe flatter de pol- Ste* féder tranquilement la Paleftine, ni la Terre qu'ils appel- 1 loient , tant que P-Egypte feroit au pouvoir d'un Prince de différente Religion , paree que celui qui poffe- deroit les Villes maritimes de la balie Egypte s'empareroit '„ toujours facilement de Jérufalem, & de la Syrië. „ Qu'ainfi, puifqu'ils avoient cette affaire fi fort a coeur, il „ falloit commencer par fe rendre maitre des embouchures du Nil, c'eft a dire des Villes de Damiette, Roffet, & Alexan- " drie; ce qui leur étoit d'autant plus facile, qu'ils étoient les „ plus puilfans fur mer. II ajouta, que, fi les Rois Amaulri, „ & B \udouin avoient été foutenus par une bonne Armee na- „ vale,lorfqu'ils entreprirent la guerre en Egypte, afin de pou- l voir conferver ces poftes, les Chrétiens d'a-prelent n auroient „ pas eu befoin de le confulter fur le recouvrement, m fur la „ confervation de la Paleftine; & qu'ils auroient, des-lors, pu „ chaffer les Turcs, & les Sarrafins, de toutes ces Provinces, J détruire entièrement leur mémoire ,& demeurer paifibles pof- „ feffeurs de 1'un, & de l'autre de ces Roïaume*, fans quau, „ cune Puiflance eut jamais pu les en chafler. " Ce Sarrafin, qu'on pouvoit nommer un fecond Ls op e, leur donna plufieurs autres bons avis, dont le Roi Philippe, ni les autres Princes ne firent pas grand ufage. Ils reconnurent cependant, dans la fuite, mais un peu trop tard, que les m- ftruótions n'avoient pas été moins fincères, qu'avantageufes a leurs deneins. En effet, tous ceux qui, comme moi, con- noilTent la Paleftine, & ÏEgypte, ne fauroient difconvenir, que jusment les Villes maritimes de ce Roïaume, faciles a conquenr, & a rYutewconferver, ne foient toujours la pierre dachoppement, & fe- SST cueil qui fera échouër toutes les entréprifes qu'on pourroit fai- cut' re pour le recouvrement du Roïaume de Jérufalem , ou les Chrétiens ne fauroient faire aucun progrès fans fe rendre w± tres,  »* JB'RTJSALEM. Liv. VU. Ch. ÏI. 34- tres, comme le difoit Caracut, des Cötes maritimes de la baffe %v^>, ainfi qu'ils ne 1'éprouvèrent que trop, pour n'avoir point ajouté foi a fes falutaires avis. Le Marquis Conrad aïant réveiüé fes prétenfions fur Jèru-^ij falem, contefta au Roi Gui ie droit, qu'il difoit y avoir de fon ,JtoMBw!/ cote, fans que 1'un, ni fautre, en füt en poffeffion. Ce bat, & la difcorde, qui recommenca après la prife de Ptolo-Z^ maide entre lts Franss, & les Anglois, occupoient ff fort tous les Princes partageoient teliement toute f Ar¬ mee, qu il n'eft pas furprenant, s'ils ne firent aucune attention aux avantages, qu'ils auroient pu retirer des avis de Caracut , non plus qu'au peu de fruit, qu'ils tirèrent de cette grande Croifade Sort déplorable de toutes les Ligues, qui fe font entre différens Princes! Les intéréts particifa les agitent, & la mesintelligence empêche tous les progrès, qu'ils pourroient faire, en agifTant de concert, & avec 1'union, qui eft fi neceffaire pour réüffir en toutes fortes d'entreprifes, mais pnncipalement a la guerre, Ces Princes ne furent pas pouffer leur Viéloire, ni profiter l nfte™atlon' ^e Ia ^ Ptolomaïde avoit caufée aux Infidèles L'Armée des derniers fe trouvoit en très-mauvais etat foit a caufe des grandes pertes, qu'ils avoient faites pendant ce long fiege, foit par les grands détachemens, que Saladin avoit ete obligé de faire entrer dans la Place. II falut donc travailleraunnouvel accommodement, qui fut d'autant p.us difficile a conc urre, que le Roi de France; Othon, Duc te Bourgogne; Le'opold, Duc dAutriche; Rodolphe, Comte de Clermont; les Templiers, les Génois,\* Landgrave de ihwinge, & quelques autres Seigneurs, foutenoient, „qu'on » ne devoit point balancer a reconnoitre le Marquis Conrad " P°™.vmt*hh Roi de Jérufalem, puifque c'étoit a lui qu'ils » devoient en partie la conquête qu'ils venoient de faire ; & que,fans les fecours de vivres, qu'il avoit conduit continuel- „ lement  34.6 HISTOIRE GE'NE'RALE lement au Camp avec fa Flotte, & la valeur, avec laquelle " il avoit empêché les VailTeaux Sarrafins de rcnforcer, & de " ravitaUlerla Place,les Chrétiens auroient été contraints d'en " abandonner le fiége: Que, tailleurs, on devoit confiderer : que ce Marquis étoit alors mieux en état, que Gui, de loiitenir la Dignité Roïale, & de récouvrer les autres Places du Roïaume, qui étoient au pouvoir des Infidèles; & qu enfin, l on pouvoit dire, que Gui avoit entièrement perdu fes droits , fur la Couronne, dès que la Reine Sybile,fa Femme,avoit „ ceffé de vivre. Ajoutant, de plus, que fon couronnement l avoit meme été déclaré nul, des le vivant de cette Prmcef- fe, puifque tout le monde étoit convaincu, qu'il avoit ete fait par pneres, par négociations illicites, par tromperie, & par la mort prématurée du jeune Roi Baudouin, fon Beau Fils. Au lieu que la PrinceiTe Isabelle, Femme de Conrad, n'avoit donné aucun fujet , qui dut 1'exclurre de „ lafucceffion paternelle, qui, après la mort de fa Soeur, lm ,, appartenoit de droit. " ' '^f '", Le Roi DAngleterre, Baudouin, Comte de Flandres, qm fut depuis Empereur de Conftantinople ; Henri, Comte de Champagne, les Hofpitaliers, les Fifans, & divers autres Seigneurs, prétendoient, „que, puifque Gui avoit ete reconnu, „ depuis fi long-tems, par toutes les Nations, pour vrai, & légitime Roi de Jérufalem, & qu'il avoit jouï paifiblement de ce Titre, &"de cette Dignité, il n'étoit point jufte de ' ren priver pendant fa vie; d'autant plus qu'il n'en etoit pas moins digne alors, que dans le tems que la décifion en avoi été faite en fa faveur par tous les Princes, & Seigneurs Croifés " Les Anglois foutenoient ce parti avec cnaleur, foit qu'ils cruffent les droits de Gui mieux fondés que ceux de fonCompétiteur; ou qu'ils vouluffent être d'un fentiment oppoféa celui du Roi Philippe, & des autres partifans de Conrad. £e  de JE'RUSALEM. Lrfc VIL Ch. II. U7 Ce nouveau démêlé avoit aigri les efprits, & altéré la paix, «Scl'efpèce d'union, qui avoit régné jufqifalors entre les Rois de France, «Sc DAngleterre; en forte que, fans les bons offices de quelques Perfonnes impartiales, qui faifant réflexion furie fcandale, «Sc fur les facheufes fuites, que pouvoit avoir cette conteftation dangereufe, il y auroit eu tout a craindre. Ils répréfentèrent a ces deux Princes le grand préjudice, que la caufe commune recevroit de leur difcorde, «Sc qu'ils auroient dü fe fervir de leur autorité , pour appaifer une querelle , qui détruiroit non feulement la conquête de la Terre-Sainte , but principal de leur voïage ; mais qui empêcheroit aulli le progrès , que leurs armes vi«fforieufes auroient pu faire fur les Infidèles. Ces exhortations touchèrent enfin Philippe, & Richard, qui engagerent Conrad VmtSf fe contenter de la Ville , «Sc du Titre de Prince de Tyr; &g^LSd Gui de celui de Roi de Jérufalem, avec la Ville de Ftoloma'ide. Pendant que les Chrétiens perdoient ainfi le tems en vaines Article///. conteftations, Saladin, qui désefpéroit de pouvoir faire tête 9-faifdf * leur puilfante Armée, s'il diminuoit encore la fienne par l&piiaSjut fortes garnifons , qui auroient été nécelfaires pour garder les Places, qu'il poffédoit en Palejline, réfolut de les faire démo-dsntlets™ lir,afin de fe fervir des Troupes, qu'il y tenoit ordinairement, SJT^ & empêcher que les Chrétiens ne puffent fe prévaloir de ces mêmes Places. II fit démolirles murailles de Cérafée, de Jaffa, de Gaza, de Porphire, ou Caïphas, «Sc celles du fameux Chateau, planté au pié du Mont de Sinaï, oü étoit autre fois l'ancienne Ville d'Flans, ou Aila, que les Barbares nommoient Tour; Et il ne s'attacha uniquement, qu'a faire réparer, & augmenter celles de J _ ^ Le Roi DAngleterre, a qui rien ne paroifioit difficüe, quand il s'agiffoit de 1'accompliffement de fon vceu, & qui étoit touSowïs prêt a s'expofer aux plus grands dangers, fe chargea gaiement de la réparation des murailles de Jaffa, & partit, avec fes feuls Anglois, pour y faire travailler. il fit pouffer cet ou■vrage, avec tant de diligence, qu'ü étoit prefque perfectionr nè,  de JE'RUSALEM. Lm VIL Ch, IL U9 né, lorfque Saladin 1'attaqua fubitement avec toutes fes forces Richard, qui n'étoit pas moins prudent, que courageux, reconnoiïTant la grande inégalité des fiennes, fe retira en fi bon ordre , que les Infidèles n'ofèrent pas le pourfuivre ; tant ce Prince^ leur etoit devenu rédoutable. Aniïi leur fit-il-bientöt connmtre , que ce n'étoit , ni par foibleffe , ni par crainte, quil les avoit evités; Car, après avoir envoïé fa Flotte fe faifir de la Ville de Jaffa, & empêcher que Saladin ne fit détruire les fortifications qu'il y avoit faites , il fe remit en campagne avec les. Hojptaliers , & alla , fans balancer, aifronter ce Sou. dan, qu il chargea avec tant de réfolution, qu'il fit plier fes Troupes, des le prémier choc, & les mit en déroute. Sans la rufe, dont fe fervit ce Prince lnfidèle, pour arreter la fureur des Anglois, il n'auroit pu éviter de devenir leur captifi Pour fe retirer de ce danger évident , il envoïa deux de fes Amiraux a Richard, avec de maginifiques préfens, pour lui demander la paix a telles couditions qu'il jugeroit a propos. La nouveauté de cette démarche aïant retenu Richard , il eommanda a fes Troupes de s'arrêter. Par ce moièn , Sala- fureté ffairC & Armée' ^ mk en lieu * Le Roi dAngleterre reconnut I'addreffe du Soudan , par le mauvais difcours de fes Amiraux , qui marquoient trop 1'impreffement de leur Maitre pour la paix, & infifioient, avec trop d affedation, fur 1'affurance de ne plus troubler Richard dans fon entreprife de Jaffa Outré de dépit, il renvoïa lesMiniftres Sarrafins, & leur défendit de paroitre davantage devant lui, a moins que ee ne füt pour lui faire une entière reftitution du Roïaume de Jérujalem. II leur ordonna meme de dire a Saladin, leur Maitre, " quil n'avoit que faire de fon . conientement, pour faire acfiever les fortifications de Jaffa i . & quil ne devo* fon falut, qu'au ftratagème, dont fl"s'étoit 3 » fer-  3*o HISTOIRE GE'NE'RALE » fervi pour lui échaper ; mais qu'il efpéroit d'avoir bien tot " occafion de Pen faire répentir. Les Ennemis s'étant mis a couvert , Richard prit le parti de retourner a Jaffa. 11 fit achever , en diligence, les ouvrages de cette Place, qui fe trouva en meilleur état, qu1 auparavant. Les foins , & les peines , qu'il venoit de prendre pour cette réparation, lui firent fouhaiter, avec d'autant plus d'ardeur , de conferver cette Ville , que fon port étoit le plus voifin de Jérufalem , & , par conféquent, le plus important pour les Chrétiens. 11 y en fit venir un bon nombre, tant Orientaux, que Latins, dont il forma une Colonie. II y mit une forte garnifon, & pourvut la Place de provifions. II s'en retourna enfuite a Ptolomaïde , oü les Habitans le recurent avec tant de plaifir , & de fi grands applaudiifemens, qu'ils s'écrioient a haute voix , que le Roi DAngleterre étoit le feul Prince, qui pouvoit délivrer la Terre - Sainte du joug .des Infidèles , .& rétablir les affaires des Chrétiens Latins en Oriënt. Ces louanges furent un écueil a la vertu du Roi Philippe, qui ne put s'empêcher de concevoir de la jaloufie de la nouvelle gloire de fon rival. Le chagrin , qu'il en concut, fe communiqua bien-töt a tous les Franpois, qui, non contens de fe moquer des acclamations du Peuple , s'éfforcoient encore d'abaifTer , par leurs difcours, les aétions de Richard, & même de le calomnier d'une manière trés - outrageante. Les Anglois , de leur cöté , ne pouvant fouffrir ces injures, réprochoient aux Yrancois la nonchalance «Sc la froideur de leur Roi , qui paroifioit (difoient - ils ) tfétre <öM dia Guerre fainte , que pour etre Jpeflateur des travaux d autrui. Ces brouilleries ne tardèrent pas de palfer des Soldats aux Officiers, de pénétrer jufqu'aux principaux Seigneurs de 1'Armée , «5c de caufer enfin une rupture ouverte. En  dè JE'RÜSALEM. Liy. VIT. Ch. II. En effet , le parti des uns n'étant pas moins fort , que' celui des autres , & Panimofité augmentant toujours , il pouvoit , a tout moment , en arriver de grand désordres, d'autant plus que les deux Rois même en vinrent ade ficheufes paroles. Philippe réprochoit a Richard, " qu'il avoit " trahi la caufe commune, en laiffant échapper Saladin, " dont les riches préfens , & 1'argent 1'avoient gagné , & " 1'accufoit de syentendre fécrettement avec ce Barbare • £5? qtfenfin il afpiroit d iemparer du Roïaume de Jérufalem , 'comme il avoit fait de celui de Chypre. Richard, de fon cöté, accufoit Philippe de Lenteur, & dTrréfoMfon , & par un fouris malin , il fe moquoit, en fa préfence, de fon peu de Valeur, & de fon Ignorance dans la guerre. Ce réproche n'étoit pas , a beaucoup prés , fi offenfant , que celui que lui avoit fait Philippe; Cependant Rüptun celui-ci en fut fi piqué, que fon dépit, joint a la jaloufie, ie fit mverte réfoudre dès lors & s'en retourner en Trance , afin d'éviter des ZÊ*, déboires, qui lui étoient fi fenfibles, & les fuites funefies, qui gnRPipe' en pouvoient naitre. chard. Néanmoins , Philippe voulant faire taire la médifance, Al.ticIe/r. & empêcher , qu'on ne dit , qu'il quittoit légèrement la Paleftine , déclara , " que, comme il avoit reconnu, qu'il ne convenoit point au fervice de la Chrétienté, que deux Rois Euro" péens sy trouvafient enfemble , perfuadé qu'un feul conduiroit mieux les affaires de la Guerre, &les avanceroit toujours, " avec plus de promtitude, & de fuccès ; au lieu que la différence d'opinion retardoit bien fouvent les entreprifes & les. progrès , qu'on pouvoit y faire , il fouhaitoit d'en partir * promtement ; d'autant plus que fa fanté fe trouvoit fort altérée, & ne lui permettoit pas d'agir , comme il le défiroit, " pour 1'avantage de la Terre - Sainte. Aprés avoir fait répandre ces motifs de fon départ , pour y préparer les esprits, il fe déclara dans un Confeil général : Af-  M JE'RUSALEM. Liv. VIL Cu. II. 3.n la-gloire du quel il n'étoit pas d'humeur a s'emploïer, abandonna auffi la Palejline , dès qu'il vit que le fouverain commandement etoit refté entre fes mains; & qu'il n'avoit plus le Roi Philippe, pour contrebalancer f autorité de Richard LesFlot tes Vénitiennes, Génoifes, & Pifanes , fuivirent bientót fon exemple. Le Marquis Conrad en fit de même, malgré les pré* tenlions , qu'il avoit fur le Roïaume de Jérufalem , & qui au- »'* roient du 1'engager a agir avec un peu plus d'ardeur, qu'aucun autre pour e récouvrer. II ne demeura donc au Camp, que le Roi dAngleterre , avec fes Troupes; le Duc de Bourgogne, avec les Iranpoifes; les Bas-Allemands, fous les ordres du Com- KIV tedAvènes ; le Roi Gui, avec fa petite Armée, & lesOrdr^s # Militaires, qui ne pouvoient quitter, fans perdre les biens, qui leur appartenoient. ^ C H A P I T R E III. C al adin, qui ne fut pas long-temsaêtre informé de la di- Article/. minution de 1'Armée, Chrétienne, recommenca a infulter les Terres des Chrétiens, par de fréquentes irruptions. II s'avanca $3$ meme jUfqu a Ja vue de leur Camp. Ces bravades obligèrent le ft"*? *AngMerre, que la retraite des autres Princes avoit endant que ce Seigeur réfiftoit fi conftamment a porter le X Sceptre, & la Couronne, & qu' a la faveur du repos & de la tranquilité , que -la Trève avoit procurée aux C hrétiens de Paleftine, il ne s'occupoit qu'aux divertiffemens du jeu & de la chaffe, Gui de .Luzignan , par une conduite toute oppofée, travailloit, avec autant d'ardeur, que d'utiiité , k gagner les coeurs de fes nouvaux Sujets, &aaffurer le Roïaume de Chypre k fa Familie. Ce Prince judicieux fe conduifoit avec tant de * pru-  de JE'RUSALEM. Liy.VIII.CH.il. 3 l ^ re'enir d£S cótes circonvoifines, oü ils s étoient retirés. II ne fut pas moins attentif a réparer cette perte , que ~ i:JCOm?QnCQr de tr0is M Genfilshomm premie tous FramtSj qui favoient fuivi de Palejline. II leur d finbua des Flefs, & des Terres proportionnées'a leurs méri- Cant0?s rffilT5 ? « 11 ™öi. dans les Lantons de 1 Ile , les plus dépeuplés , une partie des Troupes, Ses cl CaTa^T < EJ,^°^ e'n deux eens Hornes dc Cavalerie , & un nombre raifonnable dTnfanterie II leur accorda des Terres, & des Habitations; & il eut iXfoin & d aVeC-IeS VeUV£S ' & l£S Filles des 0^iers, & des Soldats, qui avoient péri dans fes Guerres de Syrië! & ou il avoit auffi amenées en Chypre F ' bre^des bonnes Tf Tv* du ^ ™m- Smm] • ^ «rfonnes forties du Roïaume, qui avoit grand foin detre répeuplé, afin de le cultiver? & procfre" Par-S^ . Aaa ia>  3So HISTOIRE G E' N E' R A L E Duc DAutriehe , pour Lieutenans - Gencraux. Ils étoient accompagnés de quantité d'autres Seigneurs Allemands, tantEccléiiaftiques, que Séculiers. Ils prirent leur route par la Hongrie , & par les autres Provinces Limitrophes, jufqu' a Conftantinople. Ar»icie7U Pendant que cette multitude de Croifés marchoient vers la Terre -fainte , Gui de Luzignan éprouva en Chypre, qu'il manque toujours quelque chofe aux profpérités, & a la fatisfaction des Hommes. Après les grands foins, que ce bon Prince s'étoit donné, pour établir un gouvernement jufte , & durable, Mon it pour embellir cette Ile, & la rendre floriffante, la mort le furilteL, prit, dans le tems qu'il commencoit a récueillir le fruit de fes travaux. II n'eut pas même le plaifir de voir achever les Edifices, qu'il faifoit conftruire a Limifol, malgré 1'affiduité, avec laquelle il y faifoit travailler, pour lailfer a la pofténté un monument achevé , & digne de fa magnificence. II mourut al'dge de 6$. ans , pendant que la force de fon temperament paroilfoit lui promettre une plus longue vie. Son corps fut inhumé dans 1'EgUfe des Templiers, qu'il avoit fait achever : Cette cérémonie fe fit avec autant de pompe, qu'un E'tat nailfant , comme le fien , pouvoit le permettre ; A jnais on y vit éclater une véritable douleur, & des fincères régrets, de la part de tous fes Sujets , qui commencoient effedivement a reconnoitre , qu'il leur auroit bientöt procuré 1'opulence & la tranquilité, foit par fa bonté paternelle, foit par fon affiduité a chercher les moïens de les rendre heureux. C'eft ce qu'on ne fauroit s'empêcher de croire , fi on confi'h dère les avantageux établiffemens,. qu'il avoit faits en fi peu de tems : Les bons ordres, qu'il avoit mis dans le gouvernement, tant pour le fpirituel, que pour le temporel : Le foin, qu'il avoit pris de former des Tribunaux, oü les Magiftrats étoient obligés de rendre une exacte&promte Juftice, afin d'éviter les longues procédures, qui caufent bien fouvent la ruïne dw fa-  3$a HISTOIRE GE'NE RALE de juftice au mérite & a la mémoire de ce grand Prince ; puisque , fi on peut lui attribuër quelques fautes dans les prémières années qu'il regna a Jérufalem , on doit, en même tems , reroarquer , que la quantité de jaloux, que fa haute Dignité, & fafortune lui avoit attirés, augmentoient toujours le bruit de fes fautes; Qu'ils faifoient même fouvent échouër fes meilleurs projets; & qu'ils lui faifoient enfin un crime des fautes les plus légères, ~ A Ccft pöurquoi auffi Guillaume de Tyr, que ces Auteurs paroiffent avoir fuivi, quoi que d'ailleurs exact, auroit dü leur être un peu fuspefl fur ce point. Ce Prélat ne fut jamais des Amis de Gui. II avoit, au contraire, toujours cherché k le deffervir auprès du Roi Baudouin, le Lèpreux; & même il a affeété de ne faire aucune mention de lui dans fon Hiftoire de la Guerre fainte, que lors qu il n'étoit encore que Comte de Jaffa,&d'Afcalone, quoi qu'il fait encore contmuée trois ans, après fonavènement a la Couronne de Jérufalem. CesEcnvains auroient peut-être évité de fuivre un Auteur paffionné, s'ils euflent confulté Jaques de Vitriac , & Pierre de la Palu , Ecrivains contemporains du même Archevêque de Tyr, lesquels ont rendu plus de juftice aux bonnes qualités, &aux mérites de ce Prince", en raportant, fans palfion, tout ce qui fe pafla en ce tems - la. II faut d'ailleurs convenir, que le bel établilTement, que Ie Roi Gui avoit fait en Cbypre , réparoit aflez le peu de conduite , que les mal-intentionnés lui reprochent d'avóir eu en Palejline , pour mériter quelque confidération; & qu'enfin, après avoir tout bien examiné, il fe trouve alfurément beaucoup plus de bon , que de mauvais, dans fon Règne , qui fut d'environ douze ans; favoir trois a Jérufalem ; fix, après la perte de la Sainte Cité, entre Trr, & Ptolomaïde ; & prés de trois, en Qhypn, Cha-  3,ö HISTOIRE GE-NE'RALE ■, n Cette affaire étant terminée, Alme'ric, qui défiroit *» ÏSÖ? demm ntt P » gnité par lui même, ou la reehereher auprès , Les avis furent partagés. Les uns fon noKnt, » n„'aores le règne de deuxSouverams enCbypre, qui avoient « S 1e titr?de JW, & pris la Couronne, fans q.faucun , auw Potentat y eüt trouvé a redire, eette Ile étoit fuffifam- * ment rlnuueypo« Roïaume, & leurs Snccdfcor. « droit . de s'attribuer la même Dignité, fans avoir teto^* » autre aprobation.qui ne faifoit que diminuer kui autorite, « * ks obbf r\ une efpèce d'bommage, dont als pouvoient fe " mmt'res, au eontraire , on plus timides , on moinsïéfö Ju leur Prince, prét.ndoient, » qu'il Edoit ablolument tem He Ttee Roïalde 1'Empereur, après la reconnoiffance duquel » lun amrePuiffance ne pouvoit plus le lui difputer, non >. ^us qu'i fes Suecefleurs, qui feroient a jamais reconnus pour " légitimes Reis de Chypre. " , c! dernier fentiment bon, ou mauvais, I.. ME'RIC eut la foibleffe d'envoïer Rmnier de Giblet, ion imbaffX, a PEmpereur Henri VI pour * P£^P«^X pareffle foumiffion d'un Prince independant, fu.Ir.fenüWea kdéférence, qu'il lui témoigna, qu'il bom» fon Ordre de Chevalerie, & ordonna d'abord a Conrad, tv e VeTmZsZz, Gr^d-CtoeUer de»e,,^ paffer avec fon Armée en talejline, d'aborde en Chypre,jout y CQuronner leRoi Alméric, Le Contuiuateur de kGg*  de JE'RUSALEM. Liv. VIII. Cu. IV. 2$r Sainte prétend, que cette cérémonie fut faite par le Miniftère de fArchevêque de Maïence. A fexemple d'A l me r i c, il prit auffi envie aLivON, Prince d1'Arménie, de deveniriÊoi; &,foit qu'il eüt les mêmes raifans, que celui de Chypre, pour ne pas s'affujettir a f Empereur de Conftantinople, dont les Etats .étoient trop voifins; il s'adreffa également a 1'Empereur Henri, qui ordonna au même Evêque de Wïrtzbourg de paffer auffi a Cour co, pour y couronner Livon, dont le couronnement fut enfuite approuvé par le Pape, en confidération de la foumiffion de ce Prince a 1'Eglife Romaifie. Le Patriarche, & les Peuples reconnurent alors la fouveraineté de cette Eglife, .& recurent très-refpeéïueufement les Statuts, Conciles, Décrets, & Cérémonies. LeRoi d'Arménie, pour donner au Souverain Pontife des Livon marqués de foumiffion & de reconnoiffance, céda même au St. Smé^ Siége trois Fortereffes dans fes Etats. Bosio, dans fon Hiftoire nie.™ * de Malte, dit, „ que les Chevaliers de VHópital, a qui le St. " Père les fit configner, les ont poffédées, tant que ce Pays " a évité le jong des Infidèles. Ce fut auffi a 1'occafion du paffage du grand Chancelier de VEmpire, que fut ratifié 1'accommodement, qui avoit été fait entre Livon, «Sc le Prince dèAntioche; mais leur bonne intelligence nefut pas de longue durée, par la faute de ce dernier, qui, malgré fon peu de force, étoit toujours le prémier a enfraindre les loix de la paix, & a troubler le repos de fes propres Sujets. L'Armée Impériale, commandée par le Duc de Saxe, arriva Aniciein. ènfin a Conftantinople. L'Empereur Grec lui fournit des Vaif- f Armée t feaux,qui la tranfportèrent k Antioche, dèoü elle paffa kTyr, & [f™*" peu après a Ptolomaïde. Cependant,au lieu de profiter apropos de la difcorde des Infidèles qui étoient toujours acharnés les uns tontre les autres, les prémières Troupes Allemandes, qui déoarquèrent, impatientes d'en venir aux mains , rompirent la Trève, avec tant de précipitation, en ravageant quclgues Vil- Ccc 2 lageïg  SpG HISTOIU GE'KE'RAU ia leur eüt part dans leurs entreprifes. Ceft potirquöi auffi & les avoient fi mal commencées, en entrant dans la Bakfitm & c'eft auffi ce qui les engagca a tenir des Confeils, dans lesquels ils n'avoient jamais voulu admettre aucune des i erfonncs, qui auroient pu les inftruire des maximes, qu'il falloit pratiquer, pour attaquer les Infidèles, & les combattre avec avantage. , ., ir On fait que la Nation Allemande*, été de tout tems trop fiére, & trop courageufe, pour croire qu'il y ait que que chole au-deflus de fes forces. Ainfi,fans s'arrêter au refus des Ordres Militaires, affcélant même de faire peu de cas de leur affiftance le Duc de $axe alla mettre le fiége devant Baruth. 11 battit cette Ville avec tant de violence, qu'il 1'emporta enfin d'alfaut, malgré la vigoureufe réfiftance , que firent, alle* ïongtems, les Afiiégés, qui ne manquoient ni de courage, m de réfolution. Ils eurent la fatisfaftion, en tfemparant de cette Phce de délivrer grand nombre de Chrétiens captifs, que let Barbares retenoient dans le Chateau. Ils y trouvèrent une fi prodigieufe quantité d'armes,que le Continuateur-de la GuerreLintei quon en auroit chargé deux grands Navires. Ils n'v trouvèrent pas une moindre abondance de provifions; de forte qu'ils fe virent en état de fubfifter long-tems aux depens des Ennemis, & de faire fentreprife de Jérufalem fans crainte que les vivres leur manquaffent. Mais, comme il arrivé affez fouvent, " bien vaincre, manquent de profiter de leur Vido re , après un 3E&,. commencement fi heureux, au lieu de s'attacher a la conquête de la Sainte-dtéyOVL des autres Places,qui pouvoient la leur laciliter, ilsallèrent, mal-a-popos, affiéger le Chat eau de T» ron- entreprife, qu'ils devoient éviter avec d'autant plus dc fom', que c'étoit fendroit le plus fort, & le plus difficde a reduire, que les Infidèles poffédalTent. Ils y emploierent inutilement trois mois entiers, & confumèrent toutes les P™ita> qu'ils avoient trouvées dans Baruth > fans quau bout de ce  db JE'RUSALEM, Lx. VUL Cn.IV: 5pl> mmmfè; ils fulTent plus avancés, que le prémier jour qu'ils avoient commencé ce fiége. Ils ne firent pas plus de progrès, apres,1'arnvée de leur Année navale, fous le commandement de lEveque de Wirtsbourg, qui de Ptolomaïde, ou il avoit aborde, envoïa les Troupes des VailTeaux au fecours du Duc de Chapitre V. T e peu de fuccès du fiége de Thoron ne fut pas la feule dis- Auictó 11 ^ grace, qu eprouvèrent les Allemands, Pendant qu'ils é toient occupés a cette difficile, & épineufe entreprife, les lnl dèles furprirent la garnifon, qu'ils avoient lailfée dans Baruth, quoi que le fut affez nombreufe, & qu'elle fe défendït vaillamment Ils 1'attaquèrent avec tant d'impétuofité, qu'elle ne put leur réfifter. Saffadin s'empara de la Ville, & en fit rafer les iortirications; deforte qu'en peu de tems, cette Place fut prife,& repnfejruinée, & reparée; alternativement par lesflfer*. tiens, & par les Barbares, - " JV?^ ^ ''f Perte,& le peu ^Wnce de furmonter les obftacles, qui fe rencontroient a la continuation du fiége quil avoit perdu fi infruótueufement, 1'abandonna d'abord, & ScSed^' t0UtS f°n ArméC' ™*yaffa^il ne lui futpas difficile doccuper, paree que les murs en étoient senverfés, & a Ville depourvue d'Habitans. II fit travailler fes Troupes k la reparation de cette Place; mais, a-peine fes ouvrages commen9oienta prendre quelque forme, que 1'Armée ennemie furTint, pour 1'interrompre. " Les Allemands,^ brüloient d'impatiencede vanger faffront,' iuils venoient de recevoir h «, & le mxJs fuccès * Tb*  siS HISTOIRE CE'NE'RALE '■Tbmn, fcignirent de craindre M# des /*/Me/« dans ira ta q ü "'étoit point encore en état défenfe. Ils en fort.rcnt l omtement, pour gagner la campagne. Les Infidèles trom^S par un mouvem^fi précipité , fe content rent denvo£ Le partie de leurs Troupes, pour fe faifir de la Place, pendant que le refte de leur Armée pourfuivo.t es Ennemis,. avec pré iPi'ation,& fort en désordre.fe flattantdevamcre fans pene des gens qui paroiffoient 11 épouvantés de leur approche; Mais il reconnurent bientót leur erreur;^Car les aïant pints le lendemain au point du jour , bien lom de les trouver decou aS comme ils s'en étoient flattés, les Allemands les cbarZnt fi b usquement, qu'ils les déconcertèrent.dès le premier Scf &fc. mirent en désordre; Les Barbares, fe rallrerent enfui e, & combatirent avec beaucoup plus de fermeté, qu a Sr ordinaire; de forte ,ue k combat fut tres-op.n,atre, & M "tfviaoke étoit toujours incertaine, lorfque, dans k fort rmportèt ... . D ftAutriche aïant reconnu le Uenerai *ar- " * fon cheval avec beaucoup de fureur, & k renver& óa terre. Alors les Infidèles, abatus de la perte de kur Chef, tmm ncère„t a fe ralentir, & peu après a prendre une fmte S tée ,^ui n'empêeha pourtant pas ks Chrétiens d'en fa.re ™ g? nd maffacrc. Qpdqne avantage, que remportaffent ks S dans cette grande journée, kur fidérable oue celle de leurs Ennemis. Ils eurent la douteur a y „ „ Sre k Duc de Saxe, & celui SAutriehe; Le prémier.pour gSf S naffé de 1'extrême etaleur du combat a une trop grande SS W heiu L'autre mourut le lendemain de la bataille des bkf&SKhlWit recoes du Général Sarrafin, qu', avoi tue^ " La mor dl ces deux Princes abatit k courage de 1'Armee Jfr J£ Les autres Chefs &ks principaux Officiers s auemW Tent, & en déférèrent le commandement général a lAtchéVêóue * Matrne. II ks reconduifit d'abord .^..outaTto*  »e JE'RUSALEM. Liv. VIII. Ca V. 393 pes Serrafmesj qui étöient aüèes pour s'en emparer, n'avoient pas mieux paffé leur tems,que les autres. Celles que le Duc de Saxe y avoit laiffées, les avoient prefque entièrement défaites. Saffadin ne tarda pas a rétablir fon Armée. II la rendit Article//. meme plus forte, qu'elle ne fétoit auparavant. II s'approcha t££ de Jajja, pour provoquer les Allemands au combat. Comme rsnfmih ceux-ci avoient perdu, avec leur Général, grand nombre de leurs meilleurs Soldats, les Seigneurs de Palejline craignoient, quelle ne recut quelque nouvel échec, qui la fit réfoud?eaquitter la Terre fainte ; ce qui les auroit expofé eux mêmes atoute la fureur des Barbares. C'eft pourquoi, ils convinrent, " qu'il „ et^f ?^01^ un Souverain, qui put, par fon autorité,empêcher la divifion des fentimens, fi dangereufe pour la confervation d'un Etat fi affoibli, & auffi fouvent attaqué, que i'étoit celui de Jérufalem Apres plufieurs Confeiïs, que le Patriarche, les Seigneurs, & es Ordres Militaires tinrent a ce fujet, d'un commun conlentement, & avec 1'agrément de la Reine Isabelle, qui y prehdoit toujours, ils envoïèrent des Ambalfadeurs en Chypre, r pour offnr au Roi Almeeic cette Princeffe en mariage! &~~ la Couronne de Jérufalem pour dot; perfuadés,' que, s'i ac- ëXÉ ceptoit ce parti, fa valeur, & fon expérience étoient fumfanJl^ tes pour maintenir les débris de ceRoïaume, & même pour en ^ KT pitale'quife trouvoit * « po»^& Plufieurs de fa Familie, avoient fi généreufement aban„ donne leur patne, & expofé leurs Perfonnes. Alme'ric, qui aimoit entrèmement la Palejline, oüil avoit Ac^ paffe la fleur de fon age, d'ailleurs bien aife de fe voir Souveraindun Roïaume, qu'on avoit prefque obligé fon Frère de quitter, après avoir écouté tranquilement les avisdes uns&des autres, déclara, fans héfiter, qtiil étoit réfolu de fuivre le fentiment des dermers, comme le plus généreux, plus digne dun Prince Cbrétien. II s'apliqua d'abord aux prèparatifs néceilaires pour fon voïage,avec d'autant plus d'ardeur,&d'efpérance,que,depuis la mort deSALADiN, la réputation & les forces des Infidèles étoient beaucoup diminuées, par raport aux guerres qu'ils s'étoient fait entre eux aeO^fiSf1^ Cnm^e tCmS' deI«* affairesArticm ue Lhypre enü bon ordre, qu'il ne put y arriver aucune aké-« Ddd 3 . otion,  Chypre, f ar Alméric,avant fm départ pour Paleftine. 5o5 HISTOIRE GE'NE'RALE rat-on, pendant fon abfence. II ne défiroit pas moins d'arrêter les fcandales, que caufoient la désunion, & l^nimofite des Aenx Clergés. H fit aflèmbler les principaux Ecclefiaftiques Grecs, tkLatins, dans TEglife Cathédrale deMcofte. II aflifta lui même,avec toute la Cour fuPérieure,a cette Atfemblee,afin de prendre une entière connoilTance de leurs griefs,& de leurs conteftations. • f . . t 0 Le Grecs déclamèrent extrèmement " fur la privation du re- „ venu de leurs Eglifes, dont on avoit difpofé en faveur des Latins, qui, non contens^de les avoir depouilles de leiirs biens, vouloient encore réformer leur croiance, & les trou- % bier dans la direétion des Peuples, qui étoient fous leurcon- " tTlatlns, deleurcóté, accufoient les Grecs, "nonfeu„ lement de Simonie, mais encore de ce qu'ils entretenoient les Peuples de leur dogme dans un efprit de revolte, contre " robéifTance&lafidélité, qu'ils devoient a leur Souverami Au lieu que, s'ils avoient ceffé de les infeder de leur faufle „ doótrine, ces bretós égarées abandonneroient le fcmfme, & " entreroient dans le bon chemin. Le Roi, apres avoir bien écouté les uns & les autres, leur ordonna, fous des peines très-rigoureufes, " de vivre a 1'avenir „ avec plus de charité, fans fe chagriner aucunement les uns, ni les autres, par raport a la différence de leur Religion,& " de ne s'attacher également, qu'a la conduite des troupeaux, qui leur étoient confiés; fe refervant lui même le tempore , l auquel il auroit foin de pourvoir d'une manière, quils au, „ roient tous lieu d'être ccntens. " 1 affigna, dans la même Afiemblée , aux Carmes:, «p» avoient été les prémiers Religieux Latins, qui fe Ment etablis dans l'Ile,les revenus de quelquesVillages,pour ^t^to Couvent, & leur Eglife. Après avoir ainfi regie le afta res Eccléliafdques, il s'apliqua a pourvoir aux temporelles, alm  Vo HISTOIRE GENERALE r» fi* alors que le judicieux Dandolo déploïa toute fon lootn e " fut perfuader les Croifés, - qtfil s'agiffoit f°nufSent de réduire des Sujet, rebelles, fc non d'offen" f-rle Roi d'H««rfc dans fes Etats; Qu'amfi , 1'excommu" nication,qui étoit attachée auxBulles de hOr»/fl&,nepoa" voit avo r lieu a leur égard; au'* pouvoient donc, fans fcrupule , aidera faire rentrer ces mauvais Sujet, dans leur " deroir Et qu'ils pourroient enfuite accomplir leurs yoemc ; Se les Infidèles,'avec plus de force,& de yigueur ' raifons, & plufieurs autres gagnèrent enfin la plupart de SeiFrancois. lis s'embarquèrent avec ce généreuxV.eillard Si makré fon grand 4ge, &faffoibliffement de fa vue,voulut «, terenferfonnicom^a^der les arme. de faRépubnque,dana „ne occaL.auin intéreifante pour elle, que gloneule pour lui. Par ee mJ^,hsFénitiens profitèrent adroitement de la flo. rilTantt Armée des Croifés Franpois, & rentrèrent dans la poffeffionfc pays, qui s4toient foutraits k leur obéiffance, & auoient^d ffidlement récouvrés fans leur affiftance, mai£ grand nombre de Batimens, qu'Us avo.ent armes, & fut compofoient la plus belle, & la plus floriffante Flotte, qui ffl Ss fortie du Port de Vinife. Elle étoit de deux eens *>"'";> e Z Vo 'es parmi lesquelles fe trouvoient 60. gros \aiftr J»t de gïéres, & d'autres Batimens plats pour 1= fc°iKS' XortTla Cavalerie, des provifions, & des machines. Xo qu'Us arrivaffent devant iS™fans aucun inconvenient & S emportaflént cette Place en fort peu de tems par Ier «wTems affautaque les Croifés lui donnèrent,apres que lesGaIXeneu^nt forcé le Port, ils ne purent pourtant terminer c«e en reprife ante tot, pour continuer leur^voïage avant Sver Ils furent obligés de paffer toute cette faifon en Dalmnti, & d'v attendre le retour du Pnntems. »*K P ndtt7e tems-,a,une affaire fort imPrévue,& non moins élofgnée de leur deffein, que celle de Zara, rétarda encomla  Se JEULTSALËM. Liy. vlïï. Ch. VU 4.11 Guerre Sainte, & la fit prefqu'échouer. Ce fut le démêlé, qui m,ire furvint entre les Seigneurs £m/&, a Poccafion d'A l e x i s , 'Ata* Fils d'IsACH Lange, Empereur de Conjlantinopk, a qui fon Frère Alexis, également ingrat, & perfide, avoit eu 1'inhumanité de faire créver les yeux, après fa voir renverfé du Tróne, malgré la générofité, qu'il avoit eue de le racheter des • mains des Turcs, & de lui faire tenir le prémier rang dans fa Cour. Le jeune Alexis avoit eu le bonheur d'échaper des mains du Tiran, par la fidélité, & Pattachcment de quelques Seigneurs, qui 1'avoient conduit a 1'Empereur Philippe de Suabe,fonBezuFrère. Comme ce Prince étoit hors d'état de lui donner Paffiftance nécelfaire, par raport a Pembarras,oü il fe trouvoit lui même contre Othon, Duc de Saxe, fon concurrent ïlYEmpire, il lui confeilla d'aller implorer Paiïiftance des Princes Croifés, & celle des Vénitiens, pour 1'aider a récouvrer fon Empire, «Sc vanger les outrages,que fon Oncle avoit commis contre fon Père, «Sc contre lui. La compaffion,que les un3 «Sc les autres eurent des malheurs de ce jeune Prince, jointe aux fortes récommandations de 1'Empereur Philippe, & aux inftances des Ambalfadeurs, quiTaccompagnoient, mais encore plus aux preffantes Lettres, que Philippe-Auguste, Roi de France, leur écrivit a ce fujet, les firent d'abord réfoudre a entreprendre fon rétabïifièment, «Sc k punir le fcélérat, qui avoit ufurpé le Tröne Impérial. . Comme il étoit difficile, que tant de Perfonnes, dont les génies, & les inclinations étoient fi différentes, puffent s'accorder, plufieurs des Croifés, «Sc principalement les Prélats,«Sc les autres Eccléfiaftiques, foit par bon, ou par mauvais zèle, rejettèrent ce deffein, quelque glorieux,& avantageux,qu'il parüt aux autres. Ils s'y oppofèrent même avec tant de violence, qu'il penfa en arriver de fort grands désordres. Cependant, Fff 2 mal-  e* JEfKUSALEMi m VUL Cu. VII 4,f 'coüpant la chaine, qui le fermoit. Ils défirent enfuite Tiie'odore Lascaris, Gendre de PUfurpateur, qui étoit forti avec foixante mille Hommes, pour s'oppofer kleur débarquement, • Chapitre VI I ï. \ prés ces heureirx comméneêmens, ils formèrent le fiége de Artide /. cette importante Place, par mer-, «Sc par terre. II la battirent fi vigoureufement, & avec tant de fuccès, qu'ALEXis kfieg'ü en fut épouvanté. - IIn'eut pas alfez de courage, pour les at- *Plase' taquer dans une fortie, qu'il fit, avec un fi grand nombre dc Troupes, qu'il auroit pu les enveloper de toute part, & peut être les obliger a regagner leurs VailTeaux, fi fa lacheté nel'eüt ; empêché de profiter de fes prèparatifs, Ce fcélérat, qui n'avoit que la cruauté, «Sc point du tout la **f*>* valeur en partage, fit plus. Dès -la même nuit, il n'eut pas BJ*J$ honte d'abandonner la Ville, «Sc fa propre Familie, pour s'en->^' fuïr, avec tout ce qu'il avoit de plus précieux. Une aclion fi lacheirrita teHcment les Peuples de - Confiantinople , qui craignoient déja, que les Latinsm prilfent la Ville d'afiaut, qu'ils coururent promtement a la prifon de 1'Empereur Isach, qu'ils délivrèrent. Ils y enfermèrent, a fa place,- la Femme, «Sc les Enfans de fon perfécuteur; deforte que'les Princes Croifés eurent, en fort peu de tems, «Se- même plütöt qu'ils n'auroient ofé 1'efpérer, la fatisfaclion de s'aquitter de leur promeffe, & de remettre la Couronne Impériale fur la tête de celui ,a qui elle apparteapit légitir^ement. Fffj c:ê;  414- HISTOIRE GE'NE'RALE Ce changement inopiné fit craindre aux Seigneurs Latins Aiex^s elquc furprife de la part des Grecs, dont la foi leur étoit iüftch. * peéte. Ils conduifirent lc jeune Alexis , comme en triomphe, dans la Ville, & TalTocièrent a 1'Empire avec fon Père. Cependant , comme la fortune n'eft pas moins inconftante pour les Princes, que pour les autres Hommes, 1'Empereur Is ach , ni Alexis, fon Fils, ne jouïrent pas long-tems du plaifir de leur rétablilfement, ni de la fatisfaétion d'être remontes au taite de grandeur, dont on les avoit dépouillés. jfrtfi. Isach, plus accablé des fouffrances, & des incommodites, ftch- que lui avoit caufé fa prifon, que de fon age, mourut peu de jours après; & Alexis, auffi malheureux que fon Pere, eut la foiblelfe de s'abandonner a la feinte, & dangereufe amitie d'ALEXis Mirtile , fur-nommé Mürtzuphle, 1 Homme du monde le plus perfide, & le plus fcélérat. Celui-ci, par fes mauvais confeils, par fes menées, & par fa cruaute, porta ce ïeune Prince, prémièrement kaliéner de lui 1'affeéhon des Latins, fes protectors, par fon peu de pon&ualité a les fatisfaire, malgré la ratification folemnelle, que 1'Empereur, fon ■ Père, avoit faite du Traité, qu'il avoit paiTé avec eux: fecondement afoulever lePeuple contre lui,par le paiemento.esoommes, qu'il en exigea, pour s'aquitter envers les Croijés. Us • Mürtzuphle trouva enfin lc moïen, par fes cabales criminelS&V ics, de fe rendre maitre de la vie, & du Tronende ce Prince $i"ZU' infortuné , qu'il eut la cruauté d'étouffer lui meme dans un cachot, oü il favoit fait enfermer. . Après cette aótion barbare, il s'empara de 1'autonte Souveraine, & de 1'Empire; Mais, comme plufieurs Ecrivains ont parlé de la manière, dont ü le fit, je me difpenfe de faire ici unplus ample détail des circonftances, qui ont precede cette cataftrophe, qui d'ailleurs m'auroit trop écarté du fujet pnncipal,que je me fuis propofé, en écrivant VHiJioire des Roiaumes de Chypre, de Jérufalem, & Ü-Mgypte.  bb JFRÜSALEM Lm Vin. Ch. VUL La nouvelle iifurpation, & Ja tirannie du déteftable, & Artfcieir perfide Mürt^phle , donna occafion aux Croifés dsW parer pour eux mêmes de la Ville Impériale. Les Empereurs XOnent y avoient établi leur fiége depuis pluffs Siecles a caufe de fa fituation finguüère, fa grandeurTh magnlflcenc de fes Edilices , le nombre \J^de el Habitans , 1'extraodinaire abondance de tout ce qui eft nécefiaire a la vie fes incomparables defiors, qui font jou* de la commodite de deux mers, & des confins des deux plus b les parties du Monde; &, enfin, par tant d'av,ta Ze *m regarderr C°mme Un lieu ddHné a dominef ie refte de lUnivers. je ne pui. m'empêcher de raporter la manière , dont les Croifés en firent la conquête, & commentles Franfots eurent flionneur d'être élevés fur ce Tröne, des que les principaux d'entre eux, & le Doge deVéfurent informés de la mort tragique du jeune0Alexis ; & du peu dapparence, que fon affaffin , qui s'étoit fait proclamer Empereur, accompfit le Traité, qu'ils avoient fait avec iiu. cJÜTrZ^Y^™' C°ntraires mx intérêts des Sei-d,»,,-,,, gneurs Croifés, les firent réfoudre i diiförer encore leur paffage en Palejline, pour vanger la mort de ceWqS &t avoient rétabl, fc le Tröne, & punir 1'Ufurpateur, l^é„ etoit empare par un crime f. énorme. Ils voulóient, en meme-tems, fe payer, par leurs propres mains, des fom- do4' » t nf" enC°re d"eS' 1,5 ^"«uuencèrent dooe a battre la Place, par mer, & par terre. Quantité d tpÉ te, & ^ diffinguèrfnt par des aclions d,gneS de mémoire. Les Grecs ne fe défendoien" aPtta'ai,rC SS* d%b"> & * ^rmeté, aifils étoient attaques, Mais, enfin, après plufieurs furieux affauts, les latms remporterent un grand avantage fur Mbmw^i*! qui  ±i6 HISTOIRE GENERALE étoit forti, avec fes meiüeurcs Troupes, pour tetdafi «rendre; De forte que ce Traitre, n'ofant plu. rentrer dun» fa Ville , prit une fuite.auffi précipitée, que 1'avoit fait le TlTe mauvti!'fuccès, «Sela fuite du Chef, caufèrent du désordre parmi les Afiiégés. Les Croifés forcèrent les murailles, & fe rendirent entièrement inaitres.de la Ville, malgré les efforts de The'ooore Lascaris, que le Peuple en tumulte avoit proclamé Empereur. On vit d'abord le desordre, & la confufion , qui arrivent ordmairement dans une Ville prife d'affaut, oü 1'aviditc du pillage met toute Te Armée" en un furieux mouvement, Et tout: aUoit e re bouleverfé, fans 1'extraordinaire attention des - Uiets, qui ÏÏotntot févèrement la violence , & les excés, tant par Zrt k leur honneur, qu'a Imtérêt, qu'ils avoient de couronner leur viótoire, en confervant a leur devotion la premiere Ville de 1'Empire. Lr. Ils n'en eurent pas plütöt pris polTeffion , qu'ils fongcrent a 1'éleótion d'un Souverain , qui la gouvernat. Six Seigneurs Franpois , & un pareil nombre de Fcnittens, furenf chargés de ce foin. On n'en trouve pas es Noms dans les Hiftoire* ; mais les deux Nations furent également SaSs'de la prudence de ces^ Eledeurs.Ils s^mble rent, & raifonnèrent long-tems fur une -affaire , auffi^gra ve 'qu'importante; puisqifil s'agilToit d'un Empire & de choifir un Sujet capable de le conferver * ™ pendant fufpendus fur ce cta* £ entre =* MONTFERRAT , OS JÖAUDOUIN u x> ^ > Comte de Flandres. Cétoient, fins contre dit, les P lus capables, & les plus cn état de le défendre. Enfir .tont tien confidéré, ils fe déterminèrent en faveur de Bau»oui», qui, quelques jours après, recut la Couronne lm-  f» JERÜSALEM. Liy. VIII. Cm VIII. +I? périale, avec un applaudiffement ÏÜJ~t a. . . '„, dans le célèbre Temple de IS ^ * PAnP* Alm de donner quelque fatisfaclion au Pao? m\ • témoigné du méeontentement par rapor Conjlantinople , & au rétardement deT r len*ePnfe 02 de fuffent arrivés erTpS ? 3 & autres Seigneurs de mont™*t, avec le Comte de Lampierre Gëë 3 tré-  ^ HISTOIRE GEN FR ALE tre NobleiTe Franpoife, & Flamande, tous bien accompagnés, leur voïage fut presqif entièrement infrudueux. Au heu daider k Roi Alme'ric a repouffer les Sarrafins, qui defoloient le pavs des Chrétiens ,&cqui faifoient des ravages jufquaux por. te.de Ptolomaïde, la plupart de ces Seigneurs prirent le parti de Boemond g'Ibelin, Comte de Tripoli, contre Livon,, Roi $ Arménie, qui lui faifoit la guerre pour la che, que ce Comte avoit recu en héritage du feu Prince BoeI404 MONoTau préjudice de Rupin, fon Petit-Fils,& contre leTraité. aui avoit été fait avec le meme Livon. Oui plus eft, les Croifés eurent le malheur d'être furpra par les^fo, en allant fecourir leComte de Tnpol, * tant non feulement défaits; Mais 1'éponvante fe mi auffi tellement p^m ceux qui s'étoient échappés,quils fe rembarquerent avec Station pour YEurope; de forte que les Comtes de MonfortU de llisburi, tout grandsCapitaines & t™tjemphs fff" de zèle, qu'ils étoient pour le recouvrement des Saints heux, E"™' fc trouvèrent abfolument hors d'état de rien entreprendre; foit, pa raport au peu de monde, qui leur reftoit; foit, par raport fla maladie, qui fe mit parmi leurs Troupes, & qu. en em- P° A K^ard deceux qui avoient fait la conquête Conjlanü„op!e,b&n loin d'accomplir leurs Voeux, ils furent obl■g&ded* meurèr auprès du nouvel Empereur, pour 1'aider arcduire les deux Ufurpateurs Alexis, & Murtzüfiile, qui s'étoient iecoknés dans les Villes de la 7W,ou ils faifoient feparement tous leurs efforts pour en chaffer les Latins. M.,t, fut malheureufement tué, avant la fin de a£e- Sïft mière année de fon Tjfig, o.rai» iui avo ent dreffée, lorfqu il alloit aiueger ia \ me ^ rt oü Alexis, & TheWre Lascaris, fon Gendre , s cto.en retirés avec leurs principaux adhérens. He»., fon Fiere, fut dabord falué Empereur . fa place. Comme ce Prince avoit be-  de JE'RUSALEM. Lm IX Cu. I. 423 foin d'affiftance,il engagea le Cardinal deSt.Marcel, Légat du Pape, qui, a la follicitation de Baudouin, avoit quitté h Paleftine, pour venir a Conftantinople, a abfoudre les Croifés du voïage de la Terre-Sainte. Ce Prélat le fit fans fiéfiter,pour conferver aux Latins une conquête fi importante ,& oü le St. Siége reprenoit 1'autorité qu'il avoit perdue. Le Légat fit plus. Afin d'encourager les Croifés, il ajouta, a 1'abfolution du vceu, des indulgences pléniaires, & la rémilfion de tous les pêchés, a tous ceux qui demeureroient encore un an entier au fervice du nouvel Empereur. II n'en faloit pas tant, pour détourner les Croifés de leur prémière entreprife. Ils n'en étoient déja que trop rébutés par les incommodités, & les disgraces qui étoient arrivées a ceux qui 1'avoient pourfuivie. Cela, joint aux occupations, que donnoient a Boniface de Monferrat , aux Fénitiens, au Comte de Blois, au Seigneur de Champlite, & a plufieurs autres des plus confidérables Seigneurs Croifés, les arrangemens nécelfaires dans les Provinces, dans les Villes, & dans les Hes, - qui leur étoient échues en partage après la prife de Conftantinople, pour fe les conferver; Ces embarras, dis-je,furent caufe,que perfonne ne fongea plus a la Paleftine, ni a la délivrance du St. Sépulcre. La conquête de 1'Empire & Oriënt, que tous les Chrétiens Conquttedr $ Europe, & du Levant, s'étoient flattés devoir immanquable-j°^a™; ment leur procurer le recouvrement de la Paleftine, penfa au/w«««*/ contraire, caufer 1'entière perte de ce qu'ils y polfédoient; Car, outre que le petit nombre de Croifés, qui furent de ce voïage,tinen'y fit aucun progrès , la plupart des Chrétiens, qui fhabitoient,ne furent pas plütöt aflurés de fétablilfement des Latins a Conftantinople, qu'ils partirent pour s'y aller établir; deforte que la Paleftine demeura prefque déferte, & le Roi Alme'ric fi foible, que les Sarrafins Pen auroient facilement chalTé, 011 «YHhi fes Etats, s'ils 1'avoient entrepris. Auffi;,  rm HISTOI m E GE'NE'R ALE Artidel//. Auffi, n'aïant pu profiter de leur désunion, comme il 1'avoit efpéré, Ü seftima lieureux de pouvoir conclure avec eux une Trève de fix ans. 11 fe flattoit, que, pendant ce tems-la, les jeoeeks'ta- jj^fa s'affermiroient entièrement dans 1'Empire de Grèce, & Sd6lCE' que le Pape, qui avoit témoigné tant dWeur, & d'empreffement pour la délivrance des Saints lieux, engageroit les Puiffances Cbrétiennes dans une nouvelle Croifade, qui lui feroit plus utile, que toutes les précédentes; d'autant plus que les Armees ne rencontreroient plus les obftacles, que leur avoit fufcite la malignité des Grecs; Mais la mort, qui fe joue des projets des Hommes, quelque élevés qifils foient, ne permit a ce Prince, nide voir aucune nouvelle Croifade , ni 1'affermilfement des Francois a Conftantinople. Mam- II mourut a Ptolomaïde, foit.de maladie naturelle, ou, comBeric' me quelques-uns le prétendirent, de .la douleur, qu'il concut de la mort d'un Fils,nommé Amarin, qu'il avoit eu de la Reine Is\belle, & qui auroit dü lui fuccéder, & conferver ala Maifon de Luzignan la Couronne de Jérufalem. II ne refta de fon mariage avec Isabelle, que deux Filles, dont Pune,nommée Sybile, fut enfuite mariée avec Livon, Roi d1Arménie, & la cadete, Melisante, a Raimond-Rufin fon Petit-Neveu, & alors Prince ÜJntiocbe. C'eft de ce mariage que naquit la PrinceffeMarie,qui donna,dans la fuite,tant de peine au Roi de Cbypre, & de Jérufalem, en renoncant en faveur de Charles d'ANjou, aux droits qu'elle prétendoit avoir fur ce dernier Roïaume. tonow ' Les Barons Chypriots n'aprirent pas plutot la mort de leur «ansprti Souverain, qu'ils envoïèrent une célèbre AmbaiTade a PtolomaiIfffiS de, pour demander fon corps, qu'ils transportèrent a Nicofie y i Nicofie. en de cérémonie. 11 fut pompeufement mhume dans 1E- glife Cathédrale de cette Ville, très-régretté de tous fes Sujets. Hugues, fon Fils ainé, lui fuccéda k la Couronne de Cbypre. Cora-  de JE'RUSALEM. LfY. IX. QH. ï. ^ Comme fon age ne lui permettoit point encore de gouverner 1'Etat par lui même, la Cour fupérieure, fuivant les Loix, en donna l adminiftration a Gautier de Montbeillard , fon Beau-Frere, qui, fans confidérer 1'intérêt, qu'il avoit a fe bienr^-, acquiterde cette importante Charge, en confervant les biens Ttiondu de la Couronne, 1'opulence, & le bon ordre dans le Roïaume, SjKS sattacha au contraire a 1'opprimer, pour fatisfaire a favarice fördide,qui le dominoit, & qui, dans cette occafion,lui fit en-isrd tierement oublier fon devoir, & fon honneur, par des adions tres-indignes de fa naiffance, & très-oppofées a 1'entière confiance, que la Cour avoit eue en lui. xzo- Gautier ne fe contenta pas feulement de charger les Peu- AidcWK pies de nouveaux Impöts, de rendre les Charges vénales, &„ d'exiger de 1'argent par tous les moïens, dont il pouvoit s'avi->S% Ier, & quil detournoit a fon profit particulier. 11 eut encore «ft la malice de faire élever le jeune Roi dans un Chateau, fous pré-™'"** texte qu'il s'y appliqueroit mieux a 1'étude, mais, en effet,pour leloigner entièrement de la connoiffance des affaires,& le rendre comme incapable de les régir par lui-même. Quelque injufte, & quelque préjudiciable, que füt cette conduite, on fe contentoit cependant d'en murmurer, fans que perfonne ofat entreprendre d'y rémédier; tant le Régent s'étoit rendu redoutable, & avoit affermi fon autorité Quelque-tems après la mort du Roi Alme'ric, le Maitre des Hofmakers vapdhtes Chevaliers, & les Troupes, qu'il avoit envoïés dans les Fortereffes de Chypre, tant par raport au changement du gouvernement, que pour affranchir fon Ordre de la depenfe, que lui caufoit cette commiffion. Ce Maitre mounit prefque dans le même-tems a Ptolomaïde, & eut pour SuccelTeur le Chevalier Gue'rin de Montagu. La Reine Isabelle décéda auffi en ce tems-la, quoi qu'en dife le Père Luzignan, qui fait mourir cette Reine avant le Roi Alme'ric; &qui veut, que ce Prince quitta la Palejline ÏVmivée de Jean de KhJi Brien-  *»4 HISTOIRE GE'NE'RALE Brienne, & le fait palTer en Cbypre avec fes deux Filles, oü il dit qu'il mourut peu de tems après fon retour. II y a apparence que cet Hiftorien s'eft trompé, en fuivant Paul Emile, SeWlique, Tracagnota , & le Continuateur de la GuerreSainte, qui font de ce fentiment, & qui, dans cette occafion, ont affurément erré, comme il paroit pas une Lettre, qui fe trouve dans la Bibliothèque Vaticane. Elle eft du Pape Innocent III. & addrelTée aux Evêques de Paris, & d'Orleans 1'an 1206. le huitième de fon Pontificat. Le St. Père y fait une longue narration du pitoïable état, auquel la mort du Roi Alméric, arrivée 1'année précédente, réduifoit les Chrétiens de la Terre-Sainte, par le bas age du Prince, fon Fils,qui devoit lm fuccéder, & par le décès du Patriarche de Jérujalem. Pertes, qui laiiToient ce pauvre Pays fans gouvernement fpintuel, ni. temporel. Ceft pourquoi, le Pontife ordonnoit a ces Prélats de prier, & d'exhorter,de fa part,le Roi Philippe a y envoïer promtement quelque fecours. 1 Ham*** Cette Lettre du St. Père étant une pièce autentique, & ïnconteftable,ne lailfe aucunfieu de douter de 1'erreur decesHis■equckues tor}ens £ue prouve clairement,que le Roi Alme'ric, bien lom mmm' d'être mort, comme ils 1'avancent, après 1'élecTion de Jean de Brienne, étoit mort plus de trois ans, avant qu'on parlat de marier la PrinceiTe, & de donner la Couronne de Jérufalem a ce Seigneur. Pareilles fautes arrivent aflez fouvent aux meilleurs Auteurs,pour fuivre,avec trop peu deprécaution,le fentiment de ceux qui ont écrit avant eux. La Reine Isabelle avoit déclaré héritière du Roiaume MaRiE,fa Fille ainée, qu'elle avoit eue de fon fecond mariage avec Conrad,Marquis de Montferrat. Elle avoit recommande particulièrement cette jeune Princeffe aux Chevaliers de YHÓpitah & du Temple, pour les engager k défendre fes Etats,avec plus de chaleur,pendant qu'ils demeureroient fans Chef. Ce qui mit les deux Maitres de ces Ordres, quoique d'ailleurs très-peu unis, dans  de JE'RUSALEM. Liv. IX. Cu. I. ^T dans un égal embarras. Us craignoient toujours, que, s'il ar nvoit quelque désordre, avant qu'elle füt établie, on ne leur en attnbuat la faute. Ils réconnoilfoient auffi, que les Seigneurs du Pays, qui aspiroient a fon Alliance, commeneoient a y caufer des divifions. Pour prévenir de plus grands malheurs ces Chevaliers écrivirent conjointement au Souverain Pontife; le fupphant d'interpofer fon autorité, pour lui choilir un Epoux, qui fut digne de porter la Couronne de Jérujalem, afin d'eviter les inconveniens facheux, qui pourroient naitre de lemulation, & de la jaloufie des Seigneurs du Roïaume, qui afpiroient a cette Dignité , & qui ne paroiffoient pas difpofes a fe rien céder entre eux. " Chapitre II. Ci les Maitres des Ordres Militaires agirent de fi bonne in- Article r. ^ telligence dans cette affaire, il. n'en fut pas de meme pour I2°7' celle qui fe reveilla entre Livon , Roi ÜArménie, qui foutenoit * ie parti de Raimond-Ruhn, fon Petit-Neveu, & Boemond, Comte de Trtpoli au fujet de la Principauté d'Antioehe, que lun, & autre pretendoient leur appartenir; Car les Hojplahers folhatés par le Pape même, fe rangèrent d'abord du cóte duRoi d Armenië, & de fon Neveu; & les Templiers, fuiyant leur coutume ordinaire, de prendre toujours ie contre-pié, epouferent mceffamment le parti du Comte. Une guerre fi dangereufe *entre une poignée de Chrétiens qui recent en Syrië, faillit a les perdre Lèrement^p^ qu elle dimmuoit toujours leurs forces, & procuroit aux Infidêie les moiens de es en chafier. Cette difcorde dura deux ans, au bout desquels le Comte de Tripoli fut eontraint de céder' Hhh 2 &  *28 HISTOIRE GENERAL E & de lahTer a Raimond-Rüpln la libre poiTeffion de la Principauté $ Antioche. 'T L-.Turcs, A peine ces démelés furent terminés, que tous les Chrétiens ^toT*ar'de la Syrië fe trouvèrent obligés de reprendre les armes, pour SMVoppofer a finvafion que firent tes Turcs dans le Roïaume d'ArBlénie" ménie. Ces Peuples, qui, après avoir long-tems poffédé la Ferje, dont ils avoient chaiTé les Sarrafins, & que les Tartares Momis leur firent quitter a leur tour, reprirent leur première vilueur, fouslefage, & prudent gouvernement de Duzalpe, qu'ils avoient élu pour leur Chef, ainfi que je 1'ai raporte au lil Livre de cette Hiftoire. Et ils firent de fi grands progrès contre les Grecs, fous la conduite d'AuGUZALPE, fon Fus, qu'ils le mirent en état de fe répandre dans YAfte-Mineure. I Comme ilsne ravageoient pas, avec moins de fureur, les 1 ays des Chrétiens de laSy™?,il attaquèrent YArménie,pendant que le Pvoi Livon étoit occupé des affaires & Antioche. II eft vrai, que la promte affiftance, qu'il recut des Chrétiens de la TerreSainte, & principalement fes Hofpitaliers, empecha les Infidèles d'y faire de grands progrès. Au lieu de pouvoir püler, & ravager cet Etat, comme ils s'en étoient flattés, üs y furent " Hlement battus en diverfes rencontres, & y perdirent tant de monde, qu'ils furent obligés de 1'abandonner, & d'aller cher3305. cher fortune ailleurs. . Livon , qui étoit un Prince généreux & reconnoiflant, tut fi fenfible au fervice que lui avoient rendu les Hofpitaliers, quM donna la Ville deSelefk leur Religion. II y ajouta enfuite deux Villages voifins, 1'un nommé Chateauneuf, & l'autre Camaruo. II fit favoir cette donation au Pape afin de lui marquer touiours, de plus, en plus,fa foumiffion au St.Siége Le St.Pere rapprouva, & le loua fort de fon zèle, par un Bref, quil lui fit exoédier le y. Aout de fannée 1211. qui fut la XIII. de fon Pontiticat. Ce Bref fe trouve dans les Régitres ^Innocent 111. a la Bibliothèque Vaticane. ^  de JE'RUSALEM. Lir. IX Ch. II. 4*9 Ces troubles n'empêchèrent pas les Maitres des Ordres Mi»Article/?,. litaires de s'emploïer, & d'agir avec dextérité auprès des Seigneurs de la Palejline, qui ne pouvoient fe réfoudre a avoir un d'entre eux pour Souverain. Ils les firent enfin déterminer a envoïer, d'un commun confentement, des Ambalfadeurs au Pape, & au Roi de France, pour les prier de leur donner un Roi, qui füt capable de gouverner, & de maintenir un Roïaume, auifi affoibli,& autant expofé aux infultes des Infidèles, que 1'étok celui de Jérufalem, & pour la confervation duquel ils avoient la bonté de s'intérelfer fi fort. Innocent, & Philippe, recurent ces Minifires fort gracieus jean de fement. Parmi les Seigneurs Franfois, qui auroient mérité cet- êSTn' te haute Dignité, ils préférèrent le Comte Jean de Brienne,^»-13 qu'on nommoit le Dauphin de Vienne en Dauphiné, & qui paf-S'/féfoit pour lc plus brave, & le plus expérimenté Capitaine de fonrufalcm' tems. Après avoir accepté cet fionneur, & témoigné beaucoup de reconnoiffance au Souverain Pontife, & au Roi Philippe'Auguste, ce Seigneur mit inceffamment ordre a fes affaires domeftiques, dont il donna le foin a un de fes Frères ,&partit, en compagnie des Ambaffadeurs, pour fe rendre zRome. II étoit accompagné du peu de Troupes, qu'il avoit pu lever de fes propres déniers, ou de quelque fomme que le Roi lui avoit fait comptcr. ■ Le Pape le recut avec de grands témoignages d'honneur & d'affection. II lui donna, avec fa bénédicTion, un petit fecours d'argent, & 1'exhorta k partir le plütöt qu'il feroit poffible. Sa préfence étoit d'autant plus néceffairc k la Palejline, que les Maitres des Ordres Militaires lui avoient écrit, que Saffadin avoit fait batir une Fortereffe fur le Mont Thabor, pour etre plus a portée d'infulter les Chrétiens, & qu'il faifoit des prèparatifs extraordinaires, qui,felon les apparenccs,étoient deflinés contre eux, Hhh a u  w HISTOIRE GE'NE'R ALE »fi rend* Le Comte de Brienne,qui, en époufant la Princcne Marie, Véuife. & en acCeptant la Couronne de Jérufalem, avoit réiolu d'emploïer, jufqu'a la derniere goute de fon fang, pour la conferver, palfa promtement a Vènije. Sans s'anvter a la magnifique ré.ception, &auxFêtes, que lui avoit preparé le Sénat, il s'y embarqua d'abord fur la Flotte de la République, avec le peu de Cavalerie,& d'infanterie,qu'il avoit. II aborda aConflantinople, oü 1'Empereur Henri le recut avec beaucoup de diftinction, & lui fit tous les honneurs imaginables. II arriva enfin a Ptolomaïde, le 5. Septembre de cette même année 1209. Les Peuples, qui 1'attendoient avec une extréme impatience, s'étoient propofé de lui donner, pendant quelque tems, des Fètes & des Réjouiflances. Mais ce Prince, qui étoit entièrement occupé des affaires de 1'Etat, ne penfa qu'a s'en faire promtement ïnformer. II n'en eut pas plütöt pris connoifTance, qu'il fe rendit a Tyr avec la Reine Marie , accompagné de toute la Noblefle du Pays. Ils y célébrèrent leurs Nöces, & leur Couronnement , avec une magnificence vraiment Roïale, le 30. du même mois de Septembre. Soncmon. Cependant, quelque empreffement, qu'eüt ce nouveau Sou«Sm*Kt,éverain) embarqua fur une Galere du Comte de Tripoli, qui le conduifit kTtolomaUe. Tout jeune qu'etöit le Roi3 il reffentit vivement une fuite fi hQateufe, plus par raport au deshonneur, qui lui faifoit 1'Al- lii lian-  4.34. HISTOIRE. GE' NtfRAL E liance dun Homme, capable d'a&ions fi baffes, que, pour fes propres intéréts. - Quelques confidérables qu'ils fuffent», il aima mieux les facrifier entièrement, que le faire pourfuivre dans les Pays étrangers , oü il n'auroit fait qu'augmenter fa honte , fans faire impreffLon fur le cceur d'un Parent ü indigne, & fi delo'ïal ... II fe contenta de 1'abandonner a la juftice Divine, qui ne laiffe jamais de pareillcs iniquités impunies; & il s'apliqua areparcr, par fes foins, & par fon ceconomie, les maux que 1'avarice , & la cupidité de fon Beau-Frère avoit caufés a tout fon Roïaume. C'eft a quoi contribuèrent généreufement tous fes Sujets, par la fatisfaótion, que leur avoit procuré la manière réfolue , avec laquelle , malgré fa jeuneile, li prend u ce Prince avoit dégradé fon Parent, pour prendre lm mef,mduG,u- me le foinj & ia conduite de fes affaires; & par 1 efperan""""ce, que cette prémière aélion leur fit cpncevoir de la fuite de fon Règne. Auffi, eut-il le contentement de voir , en peu d'années, fes coffres remplis, fes Peuples dans 1'opulence, & fes Etats entièrement rétablis. tl„ Voila la fituation , dans laquelle fe trouvoient les RoïauArtidc 'iv. mes de chypre, & de Jérufalem. Le Pape, qui en fut bientöt informé , craignit, que la réünion des Infidèles ne caufit la perte entière de ce dernier, d'autant plus quon lui avoit auffi fait comprendre , que le Soudan de Damas, poffeffeur de Jérufalem , faifoit de grands prèparatifs pour ce deffein; & que les troubles, qui agitoient toute VEurope, ne permettoient pas au St. Père d'efpérer d'auffi promts fecours qu'il auroit fouhaité des Princes Chrétiens. II refolut de convoquer un Concile général, afin de ménager un accommodement entre eux, &, a 1'exemple de fes Predeceffeurs , les engager au récouvrement d'un Pays , qui devoit être 1'objet des recherches des Chrétiens. ' Mais j  J>b JERUSALEM. Liy. IX. Cu. II. ^ ; Mais, quelque empreflement qu'eüt le Pontife de pfcvfc-W*. mr promtement a fes fins, il fe pafTa encore quelques an-f^r nees, avant qu'il put y réiiffir, ni foulager, en aucune ma- tS' niere, les Chrétiens Orientaux, puifqu'au lieu de h CroifadeJïS^quil projettoiten leur faveur, il fallut en publier une autre JCroifa" contre les Albigeois, qui avoient pris les armes, pour fou-ïffi? tenir leur héréfie , & dont le parti étoit même aflez puif-ge°is' fant pour caufer de grands desordres dans le Roïaume de France; de forte qu'il fembloit que le Démon travaiilat pour accablcr la pureté de la Religion de tous cótés. Car, dans le même-tems, Mehemet-Nasser, Roi de Maroe , Prince très-puiflant de la race, que les Efpagnols appelloient de los Almoados, après s'ètre vanté de vouloir exterminer tous ceux qui adoroient la Croix, étoit entré dans a Province ÜAndaloufie avec une Armée, felon les meiileurs Hiftoriens, forte de 120. mille Chevaux, Sc de 300 mille Hommes de pié. Cependant, malgré ce nombre prodigieux de Barbares, qui, k fexemple de leur Prince, ne refpiroient que la deftruétion du Chriflianifme , Dieu ToutPuillant, qui Pa toujours relevé , lorsqu'il paroiflbit le plus en danger de fuccomber fous la Tirannie de fes perfécuteurs, permit encore que f ambitieux Chef de cette formidable Armee neut que ia honte de 1'avoir conduite a la boucherie, & le chagnn de la voir entièrement défaite par une poignee de monde. Alphonse, Roi de Caflilk, huitième, ou neuvième du Nom, fur-nomme le Noble, Sc k Bon; les Rois de Part*, gal, Sc de Navarre; Don Rodrigues , Archevêque de lolede ; Don Telles , Evêque de Placentia; les Prieurs du Temple , & de VHópital, qui fe trouvoient a la garde de leurs Benences en ce Pays-la; les Chevaliers des Ordres dc £/. jaques, Sc de Calatrava, qui tous avoient un nombre raifonnable de Troupes, s'étoient affemblés a Tolède. Iii 2 Hg  4.3* HISTOIRE GE'NE'RALE Ils fe ralrent en campagne, pour s'oppofer aux entreprifes des Maroquins; Et ils réfolurent même de leur livrer bataille. Les Barbares, informés de leur approche, & fachant que f Armée Chrétienne n'étoit pas la dixième partie de la leur, ne firent qu'en rire; fe flattant d'une Victoire affurée, & de fe rendre maitres de tout le Pays. lis fe rangèrent en.bataille, dans une vafte plaine, prés de Baeza. Ce fut-la que fe donna la fameufe, & mémorable bataille, que les Efpagnols nomment encore aujourd'liui, de las navas de Toloja, qui étoit lc lZ12' Bourg le plus prochain de cette plaine. Defcripthn On reconnut, en effet, un miracle évident. Les Maures ne tmSr purent pas feulement foutenir le prémier choc des Chrétiens. Ils Chréti"^,.prirent d'abord la fuite, en fi grand desordre, & avec tant d'6ïitit pouvante, que plus de deux cens-mille furent taillés en pièces, ÏMaSc fans qu'il en ccutat qu'environ vingt-cinq Hommes auxXfo* " tiens. C'eft ce qu'aflure le même Archevêque de Wede, qui s'y trouva préfent. journée vraiment glorieufe, & mémorable! Ce fut le 6. Juillct de fannée 1212. On en célèbre encore aujourd'hui la commémoration dans plufieurs Eglifes ÜEfparne. Lz bataille fut, en effet, la plus fanglante, & la victoire la plus complette, que les Fidèles aient remportée fm les Bar^ bar es.- Le grand avantage, que les Chrétiens venoient de remporter en Efpagne, fut fuivi d'un autre, non moins confidérable, ni moins miraculeux en France. Après que le Pape eut emploïé toute la douceur, & toutes les exhortations pollibles, pour faire revenir les Albigeois de leur erreur, & les faire rentrer dans le giron de 1'Eglife; Après qu'il eut envoïé en ce pays-la divers favans Théologiens; entre-autrcs le Grand St. Dominique , accompagné de douze Abbés très-favans, pour leur prêcher la Foi orthodoxe, & pour convaincre leurs Miniflres, comme il» le firent publiquement, fans que ces obflinés vouluffent s'encorriger;. k St. fère fit enfin publier la Croifade contre ces héré* p tiques9  de JEUUSALEM. UvAX. Ch. If. #|g; tlques, afin d'empêcher que Ie venin de leur peraicieufe doótrine, qui avoit infeété la Ville de-Touloufe & fes environs, ne » repandit encore dans les autres Provinces du Roïaume dc france. Le nombre des Croifés fut confidérable. Le Pape en donna k commandement au Comte Simon de Montfort, qui prir dabord dix,ou douze Bourgs,ouVillages,fur Raimond,Com* te deT^to>,lequel,fous prétexte de défendre fes Etats,favonfoit ces mécréans, & avoit appellé divers- Seigneurs a fon fecours Pierre II Roi d^rragon, vint le joindre en perfonne, avec de bonnes^ Troupes. Le Comte forma une Armée de prés de cent mille Hommes, & donna quelque terreur aux Cathoüques, dont le nombre étoit beaucoup inférieur; Mais, fe confiant en la juftice de leur caufe, & fur les fervente* prières dc diverfes Perfonnes pieufes, & dévotes, qui fe trouvoient dans leur camp, dont les principales étoient St. Do.viiniqjjë, fAr cheyeque de Touloufe , les Evêques d^gde, de Lodêvcs, de" Leaoure, & de Cominge, que les Hérétiques avoient -chaifés de leurs Diocefes; ils alièrent courageufement fecourir le Chateau. de Muref que: Raimond avoit affiégé, & y üvrèrent enfin cette ftnglantebata^ fi terrible, & fi-funefte aux AMeeois,qu elle renveria entièrement leur parti. Le Roi ÜArragon fut tue fur le champ de bataille, avec plus de vingt-mille de leurs adherens;. fans qu après le combat les Catholiques trouvalfent manquer, dans leur petite Armée, qu'un feul Gentilhomme, &un fort petit nombre de Soldats. Ils remportèrent cette etonnante. Victoire, au mois-de Septembre de Tan 1-13 Elle confola entièrement le Pontife.-Il en rendit de très-humbles actions de graces au Tout-PuiiTant, qui, par cet heureux évèriement, le mettoit en état de pourfuivre fon deffein pour laTerre-Sainte. ■ * ÏU 3 £ha*~  43« HISTOIRE GE'NE'R ALE Chapitre JIJ, Article 1. "pendant que les affaires paroiflbient fe tranquilifer en Europe, X par 1'élevation de Fre'de'ric II. Roi de Sicile, al1Empire; par le detrönement, & la défaite d'othon; & par celle des Albigeois, le jeune Roi de Chypre, a qui les Tuteurs d'Altx, Fille de la feue Reine Isabelle, & du Comte de Champagne, fon troifième Mari , avoient envoïé une Ambafiade, Uriage pour le folliciter a conclure fon mariage avec cette jeune Pm> ^«."Tcelfe, ainfi que leurs Parens en étoient réciproquement conveHuguesLnuSj dès leur vivant, penfa effecTivement a fe marier. Huchyprc# gues fit affembler le Confeil Supérieur, pour en prendre les avis. Le fentiment des principaux Seigneurs fut, * qu'il ne „ devoit point remplir un engagement, auquel il n'avoit eu au5, cune part; & qu'il pouvoit fe difpenfer d'accepter une Al" liance, que le feu Roi, fon Père,n'avoit contra ^Les plaifirs , & les "réjouiflances" n'empêchoient pas Hitgues d'être également'attentif aux affaires de 1'E'tat, & a procurer a fes Peuples le commerce «Sc l'abondance. Afin que la familie Roïale füt auffi fatisfaite, & tranquile, quil le défiroit, il donna au Prince Je'an, fon Frère, la Charge de Connétable. Ceft de ce Prince, & d'IsABELLE, fa Niéce, & Fille du même Hugues, que quelques Hiftoriens prétendent qu'eft defcendu le Roi Hugues III. II donna la Charge de Sénéchal a Gui, fon Cadet; & travailla a établir deux Sceurs, qu'il avoit encore, outre celle qui avoit été mariée au Comte de Montbeillard; de forte que le Roïaume auroit jouï d'une tranquilité profonde, fans Panimofité invétérée des deux Clergés: Leurs diflenfions J'lJJgf; continuelles, dans lesquelles les Peuples prenoient toujours aflez dsux Clerde part, pour caufer des troubles, & des aigreurs, ne deman-f/S^, doient rien moins, que toute 1'autorité Roïale, pour contenir les plus paffionnés dans leur devoir. • "r4> Le Patriarche de Jérufalem, avec les Ambaffadeurs du Roi Jean de Brienne fe difpofoient cependant a leur départ, pour aller aflifter au Concile général, que le Pontife avoit convoqué k St. Jean de Latran, afin de confulter les Princes Chrétiens fur les moïensles plus efficaces pour le recouvrement, & la confervation du Roïaume de Jéfus-Chrift, & les exciter lui même a unir leurs Forces pour cette fainte entreprife. Le Roi Hugues fit auffi partir fes Minifires, pour fe rendre Li Mie' k cette augufte AfTemblée, a laquelle le Pape préfida en per-2?rae« fonne. Les Patriarches de Conftantinople, & de Jérufalem, s'y Concilede trouvèrent. L'Evêque de Tortofe répréfenta celui déAntioche,\^ur qm ne put y venir, k caufe de fes infirmités. Germain, 4H»S£' chi-Diacred'^te«^,yaffifla pour celui de cette Ville, que les Infidèles empêchoient d'en fortir. Les Ambalfadeurs de Henri, Empereur & Oriënt; de F r e'd e r i c, Empereur d'Offeident; des Rois de France, d'Efpagne, DAngleterre, dejéi rufalem, de Chypre-,- & de Hongrie; foixante-fix Archcvêquess qua-  4*a HISTOIRE G E' N E' R A L E quatre eens douze Evêques, les Procureurs de plufieurs autres , & environ deux eens Abbés, ou Prieurs des Ordre» Réguliers ou Séculiers, fe trouvèrent a ce Concile. • Innocent , dont fardeur égaloit féloquence , & le zèle, pour runion des Princes Chrétiens, & 1'extirpation des héréfies, qui troubloient PEglife de Dieu, & pour délivrer les Saints lieux du jong des Infidèles, qui les occupoient depuis «fi long-tems , fit lui-même Pouverture de ce fameux Concile , par un difcours, fi grave , & fi touchant, que toute i'Affemblée en fut attendrie. 11 leur répréfenta vivement les •miferes, & les calamités , oü les pauvres Chrétiens de la Terre - Sainte étoient réduirs, a la grande honte de leurs Confrères % lesquels, pour un foible intérêt , ou pour qucl- • ques légers démêlés, emplo'ïoient plus volontiers leurs armes pour s'entre - détruire , que pour les affranchir de la dure fervitude des Barbares. Ce Difcours fit tant d'effet, touchant la * 5 ae ^ & de contmuoient k ft faire une cruëlle Kkk Guer*  44* HISTOIRE GENERALE Guerre, qui ne pouvoit être que très-préjudiciablè aux affaire» de la Palejline, par raport a la quantité de Batimens, que Tune & l'autre de ces Républiques, pouvoient fournir pour le palTage des Troupes. Cette désunion détermina le St. Père a fe tranfporter lui même a Pife, pour ménager un accommodement entre-elles; Mais les chaleurs exceffives lui caufèrent une violente fièvfe , dont il mourut, en arrivant k Péroufe,tefr luillet de cette année iti6. qui fut la dix-neuvieme de fon Pontificat, dont il avoit rempli les devoirs, avec tant de priidence, de piété, dc doótrine, & de grandeur d'ame, que üi mort fut une perte très-confidérable a toute la Chrétiente, & en particulier pour les Chrétiens Orientaux, qu'il cherchoit a foulager avec tant d'empreffementr . Art!cicir II eft vrai qu'HoNORius m fon Succefleur,de 1'ffluftre Mar^"Pfl-fon de Savelli, que les Cardinaux élurent deux jours apres la 5SS mort, fi bien dans les fentimens du défunt pour le reÏSXS' couvremöut de la Terre-Sainte,Sc pourfuivit avec tant dardeur Terre- rentreprife, que fon Prédécefieur avoit fi heureufement commencée,qrfoa.rfappeT9u^prefqaepomtdechanCar ce nouveau Pontife craignant, que la nouvelle de la most du Pape Innocent n'achevat de décourager les Peuples de la Palefline, écrivit promtement au Roi de Jérufalem, & aux Maitres des Ordres Militaires, les anima a foutenir avec fermeté les intéréts du Chrijlianifme, & les affura qu'ils feroient bientöt puiflamment fecourus. En effet, ce Pontife aprit, que, malgré 1'engagement,qua-yoit pris 1'Empereur Fre'de'ric, lorsqu'il fut eleve *\Lmptre, d'aller,en Perfonne,a la tête des Croifés, A ne fe donnoit aucun mouvement, pour s'acquiter de fajaomdfe; Et qu au contraire , plufieurs Princes & Seigneurs Allemands ,tmt Ecclefiastiques, queSéculiers, dont les principaux étoient les; Archeveques, & Evêques de Trèves, de Cologne, de Sptre,óe Maienl7 te Végt, te MwJler, de Stmbourn r & divers auttw  be JERUSALEM. Liy. IX.Ch. Hl. w Prélats; Loms, Duc de Bavière; Henri, Duc de Brabant; Le'oeol'd , Duc d'Autricbe ; Ancee, Duc de Clèves, le Comte Palatin du Rhin, le Marquis de & plufieurs au¬ tres Seigneurs de confidération, qui tous avoient pris la Croix., étoient difpofés a paffer en Palejline; Auffi bien que Boniface , Marquis de Montferrat, Neveu de celui qui avoit été Roi de The falie, avec quantité de NobleiTe Italienne, & k fleur de la jeuneffe des Républiques de Florence, .«Sc de Gènes. Pour profiter de Pardeur de tant de.Perfonnes illuftres, ce" Pontife déclara Général en Chef Andre', Roi de Hongrie, qm s'étoit auffi croifè. II nomma le Cardinal Colonne Légat de Grèce,&c de Syrië, «Sc Penvoïa d'abord, avec.les Italiens9kConJlantinople, afin de folliciter le même Roi de Hongrie a s'y rendre promtement, avec fes Troupes. Aux prémiers avis, que ce Prince recut du Légat, il ne manqua pas de fe mettre en marche, & ne tarda pas a arriver dans cette Ville Impériale, oü les Ducs ÜAutriche, & de Bavière, qui s'étoient racommodés, le fuivirent de prés. Les autres Seigneurs de la HauteAllemagne defcendirent, avec leurs Troupes, en Italië, «Sc sV.%tii embarquèrent avec le refte de la Nobleffe qui n'avoit pu fuivre j£*rie le Légat. Quantité de Gentilshommes Franfois y arrivèrentP^fali. auffi,en compagnie de 1'Evêque de Paris. ieüine' Mais, malgré cette avance, «Sc toute la diligence quils firent pour paffer de Conjlantinople en Cbypre, oü étoit le rendezvous général, ils furent précédés par les Croifés des Provinces de Hollande, de Zélande, de Frife, «Sc des environs, qui avoient équipé une Flotte de 120. voiles, «Sc qui trouvèrent les vents fi favorables,que,non obftant la longueur du chemin, ils y arrivèrent les prémiers, «Sc mouilièrent a la rade des Salines. Le Roi de Chypre, que celui de Jérufalem ayoit informé des grands préPar,. mouvemens, qu'on fe donnoit en Europe pour la Guerre-Sain-tifs du 'M te, voulant auffi avoir part a la gloire d'une expédition fi con-^Pre idéraWe, accueülit favorablement tous les Croifés, qui abordè-sGS!" Kkk 2 reQt  444 HISTOIRE G E' N E' R A L E rent clans fes Etats; on'pouvoit pourtant la franchir, «Sc furprendre les Ennemis. Comme toute 1'Armée ne pouvoit agir daris un lieu"ff étroifV «Sr que le^Roi de Jïrufialem avoit le principal intérêt a faire réüf. fir une affaire, dont le fuccès lui étoit de ladernière importance, ce Prince-voulut fe rifquer lui même a 1'exécution de ce projet. II prit," avec lui, un corps confidérable des meilleurs Soldats, «Sc partit a 1'entrée de Ia nuit, avec le Comte de Trbpoli, le Maitre de VHöpital, & bon nombre de fes Chevaliers, & de ceux du Tempte ;marchant toujours avec beaucoup de eik cónfpeébion, «Sc ordonnant a -tous ceux de fa fuite d'en faire de même, & de ne faire que -le- moins de bruit qu'il leur feroit poffiblé. - Mais, malgré toutes ces'précaütions, ïe profond filence, qu'ils gardoient, «Sc la clarté de la Lune, qui les favorifoit pour franchir ce.rude, «Sc dangerëux palfage, les chemins eii étoient fi embarraffés d'arbrifTeaüx, de ronces, «Sc de r que bruit avec leurs armes , - qui s'acróchoient a tout moment dans les brouffailles. Ils furent entendus des Infidèles, qui, ne doutairt pas que ce ne fulfent les Chrétiens ,^zcomuvent d'abord de ce cöté-la, oü ils les rencontrèrent, lorsqu'ils étoient parve* mis au bord de Ia plaine, qui eft au fommet. Ils commencèrent d'abord a les charger,avec d'autant plusje fureur, qu'ils étoient commandés par un Emir, homme brave, & intrépide, qui en étoit le Gouverneur.' Malgré 1'avantage des Barbares, qui étoient en pofTeffion de cette plaine, d'oü il leur étoit facile de repoufïer les aifaillans, ils nepurént pourtant lesempêcher de s'y loger, ni même leur réfifter; Car, tout fatigués qu'ils étoient,d'une fi longue, «Sc fi rudemontée, ils firent des cfforts fi extraordinaires, qu'ils furmontèrent tous les obftacles. La bravoure du Roi ^Jérujalem, qui tua, de fa propre main, lc CommandantKj* i Sar*  propre main, It Commandant Sai rafin. 44.S HISTOIRE GENERALE Sarrafin, anima tellement tous ceux de fa fuite, qu'ils firent, a fon ïrhitation, des prodiges de valeur , & contraignirent ' enfin les Infidèles a leur céder le champ de bataille , & a fe retirer dans leurs murailles, après avoir perdu grand nombre de leurs meilleurs Soldats. II en couta aulli beaucoup de vaillans Chevaliers, & de braves Soldats aux Chrétiens; fur tout, lorsqu'ils fe furent mêlés dans la plaine , oü le combat fut très-rude, «Se très-fanglant; Mais, par une conduite bien condamnable a des Perfonnes fi expérimentées, «Sc auffi intéreffées que fétoient le Roi de Jérufalem , & les Seigneurs de la Palejline , a la conquête d'un lieu, qui tenoit tout le Pays en fujettion, «Sc dont ils recevoient tous les jours de grandes inquiétudes, ils négligèrent les avantages, qu'ils venoient de recevoir. En effet, au lieu de pouffer une entreprife, qu'ils avoient fi heureufement commencée, «Sc de faire promtement monter les Troupes, paree qu'elles n'avoient plus d'autre obftacle a furmonter , que celui du mauvais chemin , «Sc qu'elles auroient pu fe -camper d'abord , a leur aife, dans la plaine du fommet, «Sc contraindre bientöt les Infidèles a leur rendre le Chateau ; le Roi, & fa compagnie, s'amuferent a confuitcr, s'ils devoient pafier la mit d Vendroit, oü ils fe trouvoient; ou defcendre inceffamment, pour prendre Pavis des autres Chefs fur la manière ct affiéger, de battre le Cbéiteau. Le Maitre de YHópital avec fes Chevaliers , «Sc ceux du Temple , étonnés de ce rélachement, dirent, fins hélitcr, „ qu'ils ne devoient, pour aucune raifon , abandonner le „ terrain, qu'ils venoient d'occuper, & qui leur avoit coü8, té tant de peine , «Sc tant de fang ; Que la plus 5, grande difficulté , pour réduire- le Chateau , confiftoit a », faire promtement avancer des Troupes , & monter leurs „ machines, qu'ils planteroient en toute liberté, «Sc fans au* cun empêchement; Que, d'ailleurs, s"étant déterminés a la „ con-  ïi JE'RUSALEM. Liv. IX Cir. III. M.9 & conquête de ce Fort, avant que de partir de Ptolomaïde, il „ falloit abfolument tout mettre en ufage pour en venir a „ bout ; Qu'ils s'offroient feuls k garder , pendant le refte * f*? nmt' leP°,fte dont ils venoient de s'emparer: Que „ le Roi pouvoit defcendre lui même, s'il le jugeoit a pro„ pos, afin de confulter les autres Princes, & ordonner la marche de.l'Armée, pour le lendemain matin." Aioutant de plus, "qu'outrelahonte, qu'il y auroit, pour eux tous, „ ae sen retourner , fans faire aucune autre tentative, & „ de fe contenter du petit combat, qu'ils venoient de fou„ tenir„ & qui ne décidoit encore de rien , leur retraite „ precipitee enorgueilliroit immancablement les Infidèles, qui „ ne manqueroient pas de 1'attribuër a foibleffe , & a la „ cheté, & pourroient enfin fi bien fe renforcer, qu'il leur „ feroit enfuite impoffible de les réduire. Quelques bonnes que fuffent les.raifons de ces Chevaliers, Je Comte de Tripoli, dont les fentimens n'étoient pas fin' ceres sy 0ppofa, & fut caufe qu'ils perdirent tout le irmt des avantages, qu'ils avoient remportês. II alléCTa „ quen demeurant fur la Montagne, ils fe rifqueroient eux „ memes, auffi bien que toute 1'Armée, que Coradin ne .„ manqueroit pas d'attaquer, au prémier avis, qu'il recevroit „ de leur entreprife ; Qu'il falloit confidérer , qu'elle étoit toute compofée d'étrangers, qui ne connoiffoient ni le " Pays 5 % f mamère de combattre contre les Infidèles: „ Que , sj leur arnvoit quelque malheur , pendant qu'ils „ étoient fepares , toute la faute en feroit rejettée fur » eux , paree qu'ils avoient une entière connoiflance „ des rufes , & des détours ordinaires des Barbares" S1^5 de/us' iIs devoient confidérer, que le fiége de ce „ Chateau feroit immancablement long & difficile, tant par „ raport a la force de fes Tours, & de fes Murailles qu'a „ fa fituation avantageufe, a fa forte garnifon, & a 1'abon- LM „ dance  4?o HISTOIRE GE'NE'RALE 5, dance de provifions, dont ils favoient, qu'il étoit rauni; „ Qu'il falloit, d'ailleurs, faire attcntion, que Coradin pou„ voit facilemcnt, pendant qu'ils battroient la Place, fe faifir „ du bas de la Montagne, & les y faire tous périr de faim. Concluant, enfin, "que fon avis étoit de redefcendre prom„ tement, afin d'éviter de fi facheux inconveniens. Voila, comment le Comte de Tripoli, foit par un principe de véritable zèle, ou par jaloufie, & trahifon (ainfi que la plupart des Hiftoriens le taxent) empêcha , qu'on n'aiïiégeat le Chateau du Mont Thabor, fi préjudiciable aux affaires des Chrétiens de Palejline. Car fon fentiment aïant prévalu, le Roi, & les Ordres Militaires defcendirent de la Montagne, dès la même nuit qu'ils en avoient gagné le fommet a la pointe de pépéej &le Comte, apuïé par nombre d'Officiers, qu'il avoit gagnés, foutint fon fentiment avec tant d'opiniatreté devant le Roi & Hongrie, & les autres Chefs, que toute 1'Armée décampa le jour fuivant, pour fe rendre aT/r, & a Sidon: Fatalité, qui fait bien comprendre, que les Comtes de Tripoli étoient deftinés a renverfer les meilleurs projets de la TerreSainte,& a faire échoüer leurs plus belles entreprifes!Car,quoique celui-ci ne caufat pas un fi grand malheur, que 1'avoit fait fonPrédéceffeur,a la bataille dé Et in, il fut pourtant caufe, qu'on ne fit plus rien pendant tout le refte de la campagne, & que cette célèbre Croifade, dans laquelle, outre les Tètes couronnées, fe trouvoient tant d'autres grands Princes,& Perfonnes, des plus llluftres de VEurope, devint tout-a-fait infruélueufe. CïU-  de JEttUSALEM. Liv. IX Ca. IV. ^.j, Chapitre IV. A uffi ? * fe féparèrent d'une manière, qui fit bien cn„ f^ noitre, q„e leur deffein n'étoit paS 'de'fe t ün£ !£BSi faire Ia guerre aux L'Hyver, qui commenqo t k fc êc""- fane fenur.plus ngoureufement qu'a l'ordinaire,le5 fit réfond e cereffetCen,er1°nr!e ™l &nk cet effet, ils fe dmferent en quatre Corps, pour fubfifter plus commodement dans les différens poftes, qu'ils alloient occü! r,}r^°iSHm£rie' ^ avo!t Ie Pfe" * monde, & cm ne penftut qu'a sen retourner dans fes E'tats, fe retira a 7>1T avec le Ro, de Chypre, qui voulott terminer le mariageXné de fes Scrars avec le Comte Boemond. Plufieurs autres gneurs agfi, de différente., Nations, non moins dégöutó cue le Rot SHongne de la froideur, & de I'irréfolutionT" vecfa queLe on avo.t agt, pendant la prémière campagne, pré ™ant quune fecondene réüffiroit pas mieux, par raport U'entête' dont les opinion*étoient ::Tz;/to/omt"e'pow y ^ * **»; allèrenf f öfJw>/OT'fe DucJd'^«». & ^ Hofpitaliers, fl - lO Kmttm, dans le deffein de batff quelque Fort , qm pUt mettre les Tems des am ™ We o Xerrtded? ? y ~ «nOtou ctl> ^-Vf "S ékvèrent' en Peu un uiateau, capable de réfifter a toutes leurs attaaues T il * ti Céfarée. Lil z Les  |£4 H I S T O I R E G' E N E' R A L E Les Templiers, les Teutoniques, & d'autres Croifés, prirent' leurs quartiers, entre Caïpbas, & Céfarée, fur une langue dc Terre, fort élevée, & fpacieufe, qui s'avancoit en mer, & qui étoit naturellement fortifiée, du cöté du Nord, par des précipices, qui Tenvironnoient. Ellene f étoit pas moins vers YOccident, & le Midi, par des écueils, & des rochers efcarpés, & avoit a Y Oriënt une affez. forte Tour, appellée la Toui du Fils de Dieu. Les Templiers favoient batie long-tems auparavant, pour affurer le paffage aux Pélerins, qui alloient vifiter les Saints lieux, & qui étoient fouvent dévalifés par les Arabes, dans les chemins étroits & difficiles. Ce fut-la, que ces Chevaliers, par émulation, & peut être par jaloufie des applaudiffemens, que s'étoient attirés lts Hofpitaliers leurs rivaux,' qui avoient contribué, avec tant d'ardeur, a la conftruction du Chateau de Céfarée, entreprirent dèleverune Fortereffe, qui 7"8, feroit d'autant plus utile, qu'elle empêcheroit les courfes de la garnifon du Tbabor fur les Terres des Chrétiens. En creufant les fondemens de ce nouveau Fort, les Templiers eurent le bonheur de trouver un tréfor confidérable. II confiV toit en lingots d'or , & d'argent, en quantité de monnoies,' de ces deux métaux, d'une efpèce fi antique, qu'elles leur étoient entièrement inconnues; ce qui leur donna le moïen de faire ac^ cèlérer cet ouvrage, par la forte paye qu'ils donnoient aux Soldats, &aux travailleurs; de forte qu'en moins de fix femaines il fut perfeélionné. Ils lui donnèrent le Nom de Chateau Felegrin,Cms qu'on füt par quel motif;mais il Pa toujours confervé, & le conferve encore aujourd'liui. Sa forte, & avantageufe fituation; diverfes fources d'eau vive, qu'ils y trouvèrent; & le tranfport, que ces Chevaliers y firent enfuite dc leur Couvent, y attira grand nombre d^Habitans, & le rendit très-utile aux gens de la campagne, par les fréquentes courfe» que la garnifon faifoit fur les Terres des Infidèles. Ils les pres-' iêrent fi fort dans la uute du-tems, qu'ils furent contraints d'a- ban-  i JE'R-ITS ALE'M,-'- IM DT.'iC^ IV; 4.^ frandonner, <5c de détruire enx mêmes leur Eortéreffe du Mont Thabor, qui n'eft éloignée que de -trois lieues du Chateau Pe- legrin, • Pendant que Ie Röi de Jérufalem, les Ordres Militaires, & Départ** Iepen de Croifés, qui étoient en leur compagnie, s'occupoient a ces fortifications, & fe flattoient de pouvoir faire, en leur t^rS faveur, quelque meilleure entreprife-,-que dans la campagne rop6, palfée, ils-apprirent, avec autant de furprife,' que de chagrin, que je Roi & Hongrie, bien loin de fonger a les feconder, comme ils le croï'oient, fe difpofoit a partir, fans vouloir écouter, ni-leurs priéres, ni - les rémontrances du Patriarche, Celui-ci, irrité de fon refus, & prétendant , qu'il n'avoit point accompli fonvceu, fulmina ■ enfin contre ce Prince, & contre fes ad hérens,l'anathême,dont il 1'avoit ménacé.- Violence,qui fut auffrinutile, que les preffantes inftances, que lui réïtérèrent le Roi de Jérufalem, «Sc les Seigneurs Croifés. Le Maitre de VHöpital, en particulier, pour qui Andre' avoit une confidération fi grande, qu'il avoit fait une donation a fon Ordre de fept eens mares d'argent, fit tous les efforts imaginables, & emploïa toutes les fuplications poiïïbles pour farrêterfans pouvoir en rien! obtenir,-- II partit avec toutes" fes Troupes," dès-que la Saifon ie lui? pêrmit. II eft vrai, que, pour couvrir la légèreté de ce Prince, les Auteurs, qui ont écrit 1'Hiftoire & Hongrie, particuliè» rement, Antoine Bonfini , aflurent hardiment, que, bien-loin de s'être retiré dans fes Etats, il alla, avec tous les Croifés,au» fiége de Damiette'j Cependant, tous ceux qui ont écrit, fans flatterie, aflurent pofitivement, qu'il s'en retournade la manière, que je viens de le raporter, «Sc fans avoir rien opéré pour 1'avantage des Chrétiens de la Palejline. • Le départ précipité du Roi $ Hongrie, joint a la mort de ce^ Mm du ' lm de Chypre, au milieu des Fètes, «Sc des Réjouïlfances,qu'on faifbit a Tripoli, a 1'occafion du mariage du Comte Boemond, LH 3 avec  4.?* HISTOIRE G E' N E' R A L E avec la Sceur du Roi Hugues , que la Reine , fon Epoufe, y avoit conduite elle même, déconccrtèrent entrêmement le Roi Jean de Brienne, & les autres Seigneurs de Palejline, (\m perdirent 1'efpérance de pouvoir plus rien entreprendre contre les Infidèles; lorfque, par un bonheur , également fingulier, & inopiné, ils recurent un fecours confidérable, qui les mit en état de faire 1'expédition & Egypte. Ce fut farrivée d1un grand nombre de Batimens, qu'on nommoit Cagones, efpèce de Navires, dont fe fervent les Peuples de la Baffe-Allemagne. Ces VailTeaux conduifirent une multitude de Croifés des Provinces de Hollande, de Flandre, de Frifie, & autres lieux voilins; Des Evêehés de Cologne, de Brème, «Sc de Trèves. Tous ces Peuples, émus par des lignes célelies , qui avoient paru dans leurs Pays, particulièrement dans la Province de Cologne , «Sc dans une Ville du Diocèfe de Munjler, oü, le vendredi avant la Pcntecóte, dans le tems qu'on y prêchoit la Croifade, il apparut trois Croix en 1'air, ainfi que f afiiire Vincent de Beauvais , dans fon Miroir Hlstorique. Cet Auteur raporte, que deux de ces Croix, dont 1'une étoit tournée vers le Septentrion , «Sc l'autre au Midi, étoient Blanches, «Sc la troifième,placée au milieu, & vers l'Orient, étoit rouge, avec la figure d'un Crucifix au-deffus. Ces indices furnaturels engagèrent ces bons Chrétiens a fe eroifer avec empreflement , pour le recouvrement du St. Sépulcre; Mais, comme 1'Archevêque de Cologne, «ScAdolphe, Comte de Mons, qui en avoient pris la conduite, ne purent les alfembler aflez a tems, pour profiter de la belle faifon, ils ne partirent que vers la fin de 1'Automne, «Sc furent furpris d'une fi furieufe tempête, qu'après les avoir long-tems battus, & fracalfé plufieurs de leurs VailTeaux, elle les jetta enfin dans la Rivière de Lisbonne, oü ils furent contraints de paffer 1'hiver, pour réparer les dommages, qu'ils avoient fouiferts, Les  bï JE'RUSALEM. Lm IX. Ca. IV. +fJ Les Pmugais alors en guerre avec les Mcum, qni s'étoient empares du Ctóteau dUW, & tenoient out 1 „r Pays en fujettion, regardèrent 1'accident, arrivé aux CrS?~ Un eff« »™..leux de la Providence; perfuadés,eut les aideroient idélivrer leur Patrie de 1'opprefiion de ces craéls Ennemis du Nom Cirétien, d'autant plus que la Won ne ler Permettoit pas de fe mettre fi-töt en mer. Les Prélats, & les principaux Seigneurs Portmais, leur répréfenterent " les mérites, qu'Us s'acquerroient invers Dieif^ „ pour le fervme duquel to avoient fi généreufement quitté " Pontil^ f' & kUrS Maif°nS; & auPrès d» S°<^ „ fiftance, qu'Us leur donneroient dans leur preffante néceffi- PAbbi rZlT T fe 'oignfcnt,fans héfiter.è lAbbe AJkobarta, & aux autres Prélats, & Seigneurs dn pays; aux Chevaliers de St. Jaques, & a eux tfZiM Pmvfnee ^ dVWr' & diaffer Ies de leur vi«en!enf 1!"°° ^ ^ **' & fè défe»d°* «goureufement, fis n'avan9oient pas beaucoup dans leurs attaque^ Les Rois Maures de &*, de Gien, de Baldacos & de On*»,, qui vouloient abfolument conferver ce Fort e? cependant, quoique beaucoup inférieurs a la multituded'M^ ks, encouragés par un renfort de NobleiTe Ca0lJ, lTht ZiZTl?- h0TS T/0^S' & P- Ia -«of dtne'cr x m Xs SiT;* courageufement aux Barbl " ma," une t Mt riU,glante' & h ^oire fort incertai^™0™ ,f7r Pam*'e « fort, tout a coup, ces ^c^ZJXpm ,ettèrent les 3nMS> p°ur Leur  4?6 HISTOIRE G E' N E' R A LE Leur confternation décida du fort du combat. II en demeura plus de quinze mille fur le champ de bataille, avec les Rois de Gien, & de Cordoue. Les Chrétiens pourfuivirent long-tems les fuïards. Ils en tuèrent encore un grand nombre, & firent quantité de prifonniers, lesquels , rempïis d'épouvante, leur demandoient, en tremblant, qui étoient ces Chevaliers habillés de blanc, qui les avoient accablés de traits,&dont ils n'avoient pu fuporter la fpjendeur des armes. En effet, tous les Hiftoriens, qui parient de cc combat, affurent cette vifion miraculeufe; & qu'au fort de la mêlée,il parut foudainement unEfcadron de Cavaliers vêtus de blanc, qui combatirent en faveur desO>r*tiens, & qui firent d'abord déclarer la Vidoire pour eux. On trouve la même chofe dans une Lettre, que les Evêques teLisèonne&ÓLEvora, le Commandeur deFalmela, le Prieur de YHópital, qui réfidoit en Portugal, & celui du Tewp/e, qm réfidoiten Efpagne, écrivirent au Pape Honorius, pour lm rendre compte du grand avantage, qu'ils venoient de remporter fur les Barbares, & du bon fecours qu'ils avoient recu des Croifés Allemands dans cette importante conjonóture. Après un temoignage fi autentique, qui fe trouve dans la Bibliothèque du Vatican, j'ai cru pouvoir, comme les autres, raporter ces vifions extraordinaires, que je laiffe au jugement du Lecteur. Après cette mémorable bataille, 1'Archevêque de Cologne, le Comte de Mons, avec tous leurs Croifés, fe rembarquerent, très-fatisfaits davoir eu part a une journée fi gloneufe; non moins que de 1'afïïftance, & des bons traitemens, qifils recurent a Lisbonne, & arrivèrent heureufement zPtolomaide,comme je viens de le dire, oü ils furent accueillis avec dautant plus de joie, que leur venue répara la perte, que ks Chrétiens avoient faite des Rois de Chypre, de Hongrie, & de tous les autres Croifés, qui les avoient quittés. ^  be JERTJSALEM. Liv. IX ch. IV. +y? Le Roi de jérufalem, qui brüloit d'impatienêe de fair* ™»i „ que progrès fur les Jnfi^s, affembla dXrd „n SnfeügS a l?re drks'atc" ^ «**» ^ ^re'rtr 2fe lamamae de les attaquer, pendant que la Reine Aux a„i f"'4 70" fe trouvoit encore a Tripoli, repaffa en OW,, de peu uue la mort de fon Epoux, & fa proPre abfencefn'y filTent X quelque nouveauté, préj„d,ciable aux intéréts de fes Enfins qu. étoient au nombre de quatre; favoir, trois Mies Iabel' le, Marie^ Marie™, & „„'p^ nommé Henri quï nétoIt a?e q„e de neuf mois, lequel fuccéda ala Cou ónnë Ce te Prmcefle fit transporter en Cbypre le corps du Ro Hugues, qmfutinliumé avec beaucoup de pompe dans; fMfe T^T " im°/,e' ** ordonné paftn Les Peuples, q„i avoient admiré avec combien de fiureffe &de Prudence, ce Prince s'étoit conduit, dès le commW ment de fon règne, & la douceur, avec laquelle i fes avoft ïta«2£&Z TT5 UfiSe *» fe ^omte ie^ ZZdCZ,^ fes,*nances, regrettèrent infiniment Ia leur Per™"f ' ^ P°lITOient' a jufte titre, appelier leur Pere, pmfque, non content de 1'opalence, qu'il leur avoit procuree, fi avoit coutume de dire, " qu'il ait rouvéte „ maifons de Cbypre, de briques; mais qu'il efpéro t de ,, faire convertit en marbre; & qu'il n'oublieroit rien, pour „ augmenter la profpérité de fes Sujets P Après la cérémonie des funerailles, la Reine Alix oni £if , , ■ foit en tout, avec autant de modération, que df pmLfe ~ finTbf ^ rTériTe'P°-d&larer'Jx BalC'Va-' „ c araflent, & reconnuffent les Seigneurs Tean, & Philippe „ bIbeun, OndesduRoi, Tuteurf, & Curat ms de ™ " ^tliTV°nnS' d'a«ant Ph'^-leur affiftaleeTu » etoit tres-neceffa,re, pour lui aider a maintenir Ie bon ordre Mmm „dans  4.58 HISTOIRE GE'NE'RALE „ dans le gouvernement; foit, pour empêcher les troubles,qui „ pourroient y furvenir; foit, pour conferver le Roïaume dans „ fopulence, & la tranquillité, dont il jouïlToit. La' probité, & le zèle des Seigneurs de Baruth, étoit fi généralement connue que les Princes Jean, & Gui, Frères du Roi, qui auroient pu prétendre a fadminiftration des affaires, furent les prémiers a applaudir au choix de la Reine. Tous les Seigneurs du Confeil fuivirent leur exemple, & les déclarèrenr unanimement Tuteurs du jeune Souverain, & Régens du Roïaume, pendant fa minorité. Leur conduite, dans cet emploi délicat & épineux, fut bien différente de celle qu'avoit tenue le Comte de Montbeiïïard, fous le règne précédent. Elle fut aufli avantageufe a la Couronne, «Scaux Peuples, que l'autre avoit été préjudiciable a tous les deux. La véritable affection de ces Seigneurs pour la Maifon Roïale, & pour 1'Etat en général, leur fit généreufement mettre a part le foin de leurs pr-opres affaires,pour fe donner entièrement a ceux du gouvernement ; de forte que chacun fut fi fatisfait de leur intégrité, qu'on n'auroit pu défirer une plus grande fatisfaction, fi les démêlés ordinaires des deux Clergés Grec, & Latin, n'euffent recommencé a troubler la tranquilité publique. Artickir. Les Grecs ne pouvoient fouffrir le nouveau règlement, qui SilTtt avoit été fait au Concile de Latran* a la follicitation des AmtretedeZ; bafiadeurs du Roi Hugues, qui y avoient affifté. II portoit: ChyfJ.' „ li Que la dignité Archiépifcopale feroit tranfportée d&Fa„ magoujle a Nicofie, réfidence ordinaire des Rois; «Sc qu'on en s, inveftiroit les Latins, au préjudice des Grecs, qui f avoient „ polfédée jufqu'alors. „ II. Que les Evêques Grecs, qui étoient au nombre de „ quatorze, dansles Villes de Famagoufie, Nicofie, Paphos, „ Limijol, Carpaffb, Chiti, Chitrie, Lapathos , Solie, Tre„ mitos, Thamafios, Curias, Jrfios , Sc Cérines, feroient ré„ duits a quatre, avec pareil nombre de Latins; ce nombre, 3, tant  de JE'RUSALEM. Liv. DC. Gr. IV. ^ » tant de run <2ue de Pautre rite, étant fuffifant pour conduire les Peuples du Roïaume, qui ne pouvoient d'ailleurs fub„ venir, fans s'incommoder, a lentretien de tant de Prélats„ de forte que, s'il y en avoit eu un plus grand nombre, ils „ auroient été obligés de vivre d'une manière peu convenable „ a leur caraclère. ,, III. Qu'après la mort d'un des Evêques Grecs, qui fubfi„ ftoient encore, les Latins jouïroient entièrement des dixmes, „ &des revenus, qu'ils poffédoient; & qu'il ne demeureroit „ aux quatre Grecs, qui refteroient en place , que quelques a, penfions fur les Monaftères, & fur leurs Eglifes, avec quel„ ques penfions,qu'ils exigeroient de leurs Clercs, en leur con„ ferant les Ordres de prêtrife, ainfi que leur Nation le prati„ quoit dans les autres pays. ,, IV. Afin d'éviter les conteflations, qui auroient pu fur„ venir entre les Evêques Grecs, & Latins, qui faifoient leur „ relidence dans les mêmes Villes, on aflignoit a f Archevêque 3, Grec de Nicofie la Ville de Solie, a celui de Famagoufte celle „ de Carpajfo, a celui de Baffo la Ville ÜJrfos, & k celui de „ Limifol \^ Ville dc Lefcara; » Ils ont depuis toujours continue a faire leur réfidence dans ces Villes. II ell vrai, que ce ne fut pas, fans beaucoup de peine, qu'on les contraignit a fe retirer dans ces Cantons, & encore plus a les obliger d'v demeurer en repos. 3 Ces Prélats & leur Clergé, ne pouvoient fe confoler, qu'on les eut depouilles de leurs biens, &de leur autorité, avec tant deviolence En effet, l'injuflice étoit bien criante. Sous prétexte de Religion, ils travaillèrent d'abord a révolter tous ceux qm fuivoient leur rite, dont le nombre étoit incomparablement plus grand,que celui AtsLatins. Ils pouvoient,par conféquent, caufer de grands troubles dans le Roïaume. C'eft pourquoi auffi, pour detourner les fuites facheufes de ces mécontentemens, la Reine fut obligee de fe fervir de toute fon autorité, pour les Mmm 2 ré-  A r I < < 4 ] i ] Troupes j Chyprio- • tesenvtiïées' i Ptolo- ] maïde. i i 1218. .60 HISTOIRE GE'NE'RALE éduire, & pour faire inftaller les CathoUques Romains dans les >rééminences, & les bénéfices, que la Bulle du Pape leur ac:ordoit. C'eft ainfi que fe terminèrent, ou pour mieux dire, jue s'alfoupirent les dangereufes querelles des deux Clergés, qui .voient fi fouvent embarraffé la Cour, le Confeil, & tous les labitans du Roïaume. Les Seigneurs dlBELiN, qu'EusTORGE, Archevêque de Ni:ofte, qui fe trouvoit encore k Ptolomaïde, avoit informés de la •éfolution qu'avoit prife le Roi Jean de Brienne , & les Seigneurs Croifés, d'aller attaquer 1'Egypte, ne pouvant quitter es affaires du Gouvernement pour aller eux mêmes a-cette géléreufe entreprife, & ne croïant point d'avoir fuffifamment ac:ompli leur vceu dans la précédente,& infrudueufe expédition, oü ils n'avoient pas eu lieu de tirer 1'épée, envoièrent a Ptolomaïde un renfort aflez confidérable de bonnes Troupes, fous [a conduite du Baron Gautier de Ces aree , qui étoit wffi du nombre des Croifés, au tems du Roi Hugues, que quelques Hiftoriens prétendoit n'être mort qu'après f expédition d'Egypte, oü ils le font aflifter; Mais, comme ils conviennent en même tems, qu'il n'a régné que treize ans, ils fe font contredits eux mêmes, puisque la guerre, que les Chrétiens firent alors en Egypte, ne fe termina quen 1221. qui auroit été la ióe. de fon Règne. Loredan, qui eft un de ces Auteurs,fans fe reffouvenir d'avoir avancé, que ce Prince étoit a la tête de fes Troupes, raporte dans le Chapitre fuivant, que ce furent les Seigneurs d'Ibelin, qui, a la follicitation du Roi de Jérufalem, envoièrent une Armée de Chypriots a, Pexpédition dé Egypte, oü, apres avoir tenu plufieurs Confeils a Ptolomaïde, ce Prince avec les Ordres Militaires, & les autres Seigneurs Croifés, réfolurent d'aller. Le peu de progrès, que faifoient leurs armes en Palejline, les détermina a attaquer les Infidèles, du cöté de YEgypte; d'autant plus que ce pays étoit la fource de leurs maux, par  de JE'RUSALJEM. Liv. IX. Ch. IV. 4d| par raport aux grofles Armées qui en fortoient, & qui avoient toujours empêché les Chrétiens de faire aucune conquête deconfidération. C'elt pourquoi il étoit deformais tems de profiter des bons, & falutaires avis, que le Sarrafin Caracut avoit donnés aux Chrétiens, après la prife de Ptolomaïde, qui étoient de fubjuguer f'Egypte, oü fe nouriflbit fhydre, qui les tourmentoit; fans quoi, il leur feroit impoffible de recouvrer le pays, qu'ils avoient perdu en Syrië. D'ailleurs, il fut réfolu d'agir, en conféquence de la délibération, qui avoit été faite au Con , cile de Latran, & de furprendre les Infidèles , qui ne s'attendoient afliirément pas a être attaqués de ce cöté la. Toutes les Troupes étant enfin combinées au Chateau Pele- La mte grin, oü étoit le rendez-vous général, & la Flotte bien en or- vltht dre, la plupart des batimens firent voile le 12. du mois dc Maimiettcde 1'année 1218. avec un vent fi favorable, qu'il les conduifit dans trois jours devant Damiette. LeRoi, le Duc déAutriche, les Maitres de VHöpital, du Temple, des Teutoniques, & quelques autres Chefs, s'étoient arrêtés au Chateau Pelegrin, pour délibérer de quelle manière ils feroient leur defcente a Damiette, oü ils n'arrivèrent que fix jours après le gros de la Flotte. Leur rétardement embarrafla fi fort ceux qui étoient déja arrivés, qu'ils demeurèrent deux jours, a 1'embouchure du Nil* dans 1'inaclion, & en grande perplexité. Ils ne favoient quel parti prendre, faute de Chef. Plufieurs étoient d'avis de s'en. retourner;& 1'on alloit prendre ce mauvais parti, lorfque 1'Archevêque de Nicofie répréfenta vivement, qu'il étoit plus a propos d'élire eux mêmes un Chef, & de fe loger fur le rivage, oü ils attendroient, avec commodité, la venue du Roi, & des autres Princes. Les raifons de ce Prélat parurent fi bonnes, & fi généreufes a ceux mêmes qui avoient opiné pour le retour, qu'ils fuivirent tous unanimement fon avis. II élurent le Comte dc Sarpon peur leur Général. II fit inceflamment débarquer Mmm 3 les  4.62 HISTOIRE GE'NE'RALE les Troupes. Elles fe logèrent commodément au bord du fleuve, entre la Ville, &laplage, fans trouver aucune oppofition; foit que les Habitans de cette Place méprifaifent leur descente, ou qu'ils vouluffent conferver leurs Forces pour défendre leurs murailles. Article v. Le Roi de Jérufalem étant enfin arrivé avec fa fuite, toute J^af*J"'l& Flotte s'aproclia pour entrer dans la rivière, afin de pouvoir rite la Fkt- fe fervir utilement de leurs VahTeaux, & de leurs machines u' pour battre la Place; Mais, contre leur attente, ils trouvèrent 1'embouchure du A^'/fermée, par une grofle chaine, qui étoit tendue des mms de la Ville a une haute Tour, fituée a l'autre bord. Cet obftacle les arrêta quelque tems; mais ils voguèrent enfin avec tant de force, & de réfolution, qu'ils labriferent, & ancrèrent auprès de la même Tour, qu'ils jugèrent a propos de forcer, avant d'entreprendre le fiége de la Ville; confidérant, que,quelque médiocre qu'en füt la garnifon, elle leur réfisteroit toujours beaucoup, tant par raport a la force de cette Tour, qu'a fon avantageufe fituation. Comme la hauteur extraordinaire de la Tour, que les Croifés vouloient attaquer, étoit caufe, que leurs batteries n'y pouvoient aucunement atteindre, ils travaillèrent inceffamment a élever des Tours de bois fur leurs plus grands Navires, avec d'autres machines, qui s'abattoient en forme de pont-levis, a la faveur des quelles ils efpéroient de réduire ceiix qui la défendoient. Le zèle & 1'empreffement, avec lequel cliaque Nation vouloit avoir part a cette attaque , firent qu'il y monta confufément une fi grande quantité de monde, que, malgré toute leur ardeur, ils étoient fi preffés, qu'il étoit impoflible aux Soldats de fe fervir de leurs armes, ni aux matelots de manceuvrer; de forte qu'un de ces chateaux n'aïant pu foutenir le poids, les fecouffes, & les mouvemens excefïïfs de tant de gens, rompit tout a coup, avec un bruit, & un fracas fi effroïable, qu'il fè fitunhorrible maffacre, non feulement de prefque tous ceux qui fitunhorrible maffacre, non feulement de prefque tous ceux  de JE'RUSALEM. Liv. IX. Ch. IV. 45*3 qui fe trouvoient en haut, mais encore de ceux qui étoient au bas, qui furent miférablement écrafés par les poutres, les antenes, les planches, & les autres matériaux qu'on avoit em- ' ploies pour les conftruire. D'autres furent enferrés dans les épees, piqués, -ou batons ferrés de leurs Compagnons. Grand nombre, qui tombèrent dans la rivière, furent fracalfés, ou noxés, pour n'avoir pu fe débarraffer de leurs harnois, & pour s y trouver accablés par la quantité d'armes, pièces de charpente, ou autres embarras. Les cm lamentables de tant de gens blelTés, ou mourans, & le fpedacle affreux des différents genres de mort, que venoient de fouffrir tant de vaillans Hommes, remplirent toute 1 Armee de douleur, & de triftefle. Les Barbares, au contraire, en jettèrent de grands cris de joie, mêlés d'hurlemens, dinuires, & de blafphèmes. Ils auguroient, en leur faveur, un grand avantage, d'un événement fi funefte a leurs Ennemis,& qui devoit les épouvanter; mais ils éprouvèrent bientöt des efiets contraires a leur vanité. Le Roi Jean de Brienne accourut promtement au lieu, ou etoit arrivé ce grand défaftre, & ordonna d'abord, qu'on pan9at les bleffés, qu'on enfevelit les morts, & fit, par fa préfence, bientöt ceffer le tumulte, & 1'émotion; II confola enfin fi bien tout le monde par la douceur, avec laquelle il reprit le trop d'ardeur des Soldats, en les exhortant d'être a 1'avenir plus attentifs a leur devoir, & plus obéïffans aux ordres de leurs Officiers, afin déviter de femblables disgraces , qu'au lieu d etre intimidés de la mort précipitée de leurs compagnons, ils fe montrerent tous plus animés, que jamais, a combattre les Injideles, pour fe vanger de leur perte. Pour profiter de leur emprelfement, le Roi fit promtement Les Craayancer .es Galères & les autres Batimens a rame, afin d'em-g^r pecher la communication de Ja Tour a la Ville, &les fecours Tes t* qu elle auroit pu recevoir par la rivière. Et, au moïen d'une ntiett*. nou-  4ó* HISTOIRE G E' N E' R A L E nouvelle machine, qu'on conftruifit en diligence, & avec plus d'attention, que les prémières, ils donnèrent un nouvel afl'aut a la Tour, avec tant de vigueur, & de conduite, que,malgré les efforts prodigieux des Infidèles, ils s'en rendirent maitres; & 1'on ne put empêcher les Batimens des Chrétiens de fe faillr du haut du fleuve, & de rompre le pont qui étoit entre Magere la Ville, & la Tour. Le maffacre, qu'ils firent des Infidèles SiÏÏè- fut effroïable. Tout fut paffé au fil de 1'épée, ou précipité du les- haut des murailles. On donna pourtant la vie a quelques-uns, qui s'étoient rétirés dans les Souterrains de cette Tour. Cette heureufe éxpédition mit les Clorèüens en état d'attaquer le fauxbourg joignant, & qui étoit bien fortifié. C'étoitla oü logeoient tous les Marchands étrangers avec leurs marchandifes. Les rétranchemens n'en étoient pas confidérables. Ils furent emportés 1'épée a la main, & tous ces miférables taillés en pieccs, ou retenus prifonniers. L'Armée y trouva un merveilleux fecours, par l'abondance de vivres, & y fit un butin ineftimable, tous les magafins étant remplis de marchandifes fi précieufes, qu'on auroit dit que les Soldats avoient faccagé la Perfe, YArabie, & les Indes. Une vi&oire fi complette, accompagnée d'un butin fi confidérable, rédoubla tellement le courage des Troupes, qu'on réfolut de tenter d'efcalader la Place, dès le lendemain. On n'a jamais vu émulation plus grande,que le fut celle des Soldats,a cette occafion. Ils appuïèrent grand nombre d'échelles, & montèrent a 1'affaut, avec tant de gaieté, que s'ils n'euffent eu perfonne a combattre. Ils fe flattoient du moins de trouver les Infidèles fi abatus, &fi confternés, qu'ils n'auroient pas eu beaucoup de peine a les vaincre; Mais ils les trouvèrent, au contraire, fi bien difpofés afe défendre,qu'après avoir perdu grand nombre de leurs plus vaillans compagnons, ils furent contraints d abandonner leur entreprife. Le  JE'RÜS ALEM. Lry. Cr. Ca IV. +6y Le Roi, & les 3utres Chefs, k qui la fermeté des Affiétós fit connoitre, qu'on tenteroit inutilement de les furprendfe avant dW fait brèche a leurs muraflles, fir^n ate drefo ' diverfes machines, pour battre la Place. Elles jouèrent fam relache, pendant plufieurs jours, avec grande W^d* les en purent a-Peme entamer les remParts. Divers affauts quontentade leur donner pendant «items-li, n'eurentpa L&I lcZï maferé ,es aöions héroï -s *• Officiers & des Soldats, ds rencontrèrent par-tout tant de réfis- tance, qu'ils furent obligés de fe retirer avec perte: Le peu de progrès de tant d'affauts, & fe peu d'effet de ces batterie fi refoudre le Roi k ne plus fonger qu'a affamer la Ville fe SfirT'fn7 f effet' t0Ut en Ufi«e P°ur h ten ferrer,&wte fe faihr de ou es les avenues, fans pouvoir en venir a bout Le '"T Soudan Me led in, quoique d'un naturel plus trancul beaucoup moins guerrier, que Coeadin, fon Frè eTavoi af fon le une Armée fort confidérable, poür fecourir nP cet dont la confervation lui étoit de la dernière importance. II vint camper fi prés du Camp Cbritien, qu'il ne reftoit qu'un ra meau du Ml entre deux. Afin d'encourager les Affiïés ce Soudan leur envoïoit continuefiement des pLiW def rafrai ehnTemens,& des Lettres, par lesquelles U les b en défendre leur Ville, leurs biens, & leurs families, les affuran" d°nt m tfoe emU °U-agéS ?" CeS affi & P" la proxi- Sitirr?r p,us k& wen retfaifchem™ f' *? &n tótó' & Waok touiOTrs d™ & rétranchemens, fans vouloir en venir aux mains avec les Cbré-  44» HISTOIRE G E' N E' R A L E Hens. C'eft pourquoi ils demeurèrent long-tems en préfence les uns des autres, fans qu'il ne fe paffat que quelques légères efcarmouches, qui ne décidoient de rien. Dans ces entrefaites, la perte des Croifés, qui avoient voulu fe retirer, malgré les prières du Roi, & les exhortations du Patriarche, fut heureufement réparée par farrivêe du Cardinal Pe'lagius,Evêque ÜJlbano, que le Pape avoit envoïé pour relever le-Cardinal Colonne, fon Légat en Grèce,& en Syrië. Pe'lagiüs arriva a Damiette, avec un gros renfort de Troupes It diennes, & Francoifes; Les Evêques de Par is, d'Jutun, & de Liége, le Comte de Nevers, & plufieurs autres Seigneurs des principales Maifons de France, Turent de cette Croifade. Un fecours fi confidérable, joint a diverfes autres bandes, qui y arrivoient de tems-a-autre , grofïïffoit , & réjoüïffoit TArmée. II faifoit efperer aux Chrétiens de venir a bout de ce fiége, & d'emporter la Place aux yeux du Soudan même; En effet, ce Prince lnfidèle, qui commencoit a craindre les Chrétiens, par raport aux fréquentes allarmes, qu'ils donnoient tous les jours a fon Camp , auroit dès-lors penfé a fe retirer, & 1'auroit fait, fans la difcorde, qui fe mit dans 1'Armée Chrétienne, paria hauteur, & la vanité du Cardinal Légat, qui prétendoit en avoir le fouverain commandement; ce qui partagea les efprits des principaux Seigneurs, & des Officiers, fur tout de ceux qui n'obéïffoient pas volontiers au Roi de Jérufalem. . Une disgrace, encore plus grande, que ces conteftations, penfa faire périr tout le Camp, & fut caufe qu'ils ne purent profiter de la terreur des Barbares. Ce malheur fut caufé par des vents furieux, que s'élevèrent vers la fin de 1'Automne. Ils Ibufflèrent,pendant trois jours,& trois nuits, avec tant devioIence, que la mer, enflée par leur agitation, fortit de fes bornes; & fes vagues repouffant, avec impétuofité, le cours du Nil, & empêchant celui de fes eaux, tout le Camp Chrèticn en  bs JE'RUSALEM. Liy.IXCh.IV. ^ en fut inondé \ & auroit été immancablement f ubmergé»fi Dieu touche des larmes,& des ferventes prières des pieux perfonnages, qm s y trouvoient, & qui impioroient fa fainte mifèricorde n eut enfin fait ceffer cet affreux orage, & rentrer la mer, & la rivière dans leur lit ordinaire. Les Chrétiens' perdirent pourtant plufieurs Batimens, que la tempêtefit brifer contre terre; & la plupart de leurs vivres en furent fi gatés, qu'ils devinrent entièrement inutiles. ° ■ Me'le'din, au contraire, dont le Camp étoit plus réculé, & qui avoit la campagne libre, eut le bonheur d'éviter cette inondation , & ne fouffrit presqüe rien de cet accident imprevu. Comme ce Soudan ne doutoit point du désordre, qu'il devoit avoir produit dans VArmée Chrétienne, il voulut enprohter. II fit fourdement palfer a une partie de fon Armée pendant la nuit, le bras du Nil, qui les féparoit. Les Infidèles fe jettèrent fur le quartier des Hofpitaliers, & du Comte de Nevers, qu'ils croïoient furprendre; mais les fentinelles avancees, qm les entendirent, donnèrent d'abord 1'allarme a tout le quartier Ce Comte, & ces Chevaliers s'armèrent fi promtement, & chargèrent les Infidèles fi vigoureufement, que, fur. pris eux memes de leur vigilance, & de leur bravoure, ils ne penferent plus qu'a regagner leur Camp; mais il n'y retournèrent pas tous. 3 • Le mauvais fuccès de cette tentative fit, qu'ils n'eurent plus envie d'aller voir s'ils les trouveroient endormis. Le Soudan meme effrayé de la perte de quantité de fes meilleurs boldats, dans une occafion, oü il s'étoit flatté de triompher ne voulut jamais fe risquer a fortir de fes rétranchemens, pour accepter les défis continuels des Chrétiens, qui n'oublièrent rien pour le provoquer a la bataille. II leur étoit ce- ^tmvJ^0mQ ^ Feffer ^ Ville' fanS lG combattre Nnn 2 C'eft  468 HISTOIRE GE'NE'R ALE C'eft pourquoi, voïant, que tout ce qu'ils avoient fait, pour le piquer d'honneur, avoit été inutile, & qu'il refufoit toujours la bataille, leur impatience augmentant, ils fe déterminèrent a 1'attaquer dans fes rétranchemens. Ils paffèrent l'eau , fur divers bateaux , d'un air fi hardi, & fi réfolu, que leur feul mouvement épouvanta Me'le'din, qui, irSoiKknfang pius fonger a la confervation de la Ville, ni a fa profi£r pre réputation , ni enfin au mépris que fes Sujets auroient JcbJn1Tè ?our fa lacheté , abandonna promtement fon Lamp , & ie fmCamp. retira vers la Capitale. La fuite précipitée, & la timidité de ce Prince furprirent agréablement les Chrétiens. Ils demeurèrent quelque tems fuspendus, paree qu'ils craignoient toujours que ce ne fut un ftratagême, pour les attirer dans le piége ; mais ils reconnurent enfin, qu'il ne fongeoit effeétivement qu'a gagner le Caire, foit par un pur effet de couardife, ou que Dieu, voulant favorifer fon Peuple, lui eüt infpiré une terreur panicme, qui le rendit incapable de s'oppofer a leur entreprife Ils s'emparèrent d'abord de fes rétranchemens, oü ils trouvèrent une fi grande abondance de provifions, qu'ils furent largement dédommagés de celles que 1'inondation du Nil leur avoit gatées; &, de plus, tant de riches dépouilles, que le butin, qu'ils y firent, füt extraordinaire. L'avantage de ce Pofte , oü une partie de 1'Armee prit fes quartiers, pendant que l'autre travailloit a faire un pont de Bateaux, pour ferrer la Place , & s'entre-fecounr facilement, en cas de befoin, paroifioit devoir bientót en faciliter la prife aux Chrétiens , d'autant plus que ce bon fucces les mettoit en état d'empêcher qu'elle ne put être fecourue; mais, comme fes fortifications étoient extraordinaires, & que la garnifon, «Sc les Habitans étoient déterminés a pénr plutot, que de fe rendre, ils trouvèrent tant de réfiftance de ' ^ tous  de JE'RUSALEM. Liv. IX. Ch. IV. 4Ó0 tous les cötés, que, malgré le bonheur, qu'ils avoient eu de faire eloigner le Soudan avec fon Armée, «Sc de bloquer entièrement la Place, le fiége n'en étoit guères plus avance. II y avoit même apparence , qu'avec les fréquens fecours, qui leur arrivoient ÜEurope, ils auroient encore confume des années entières, fans en venir a bout; d'autant plus que les nouveaux venus ne faifoient que remplacer ceux qui, dégoutés de la longueur de cette entreprife , fabandonnoient, pour s'en retourner ; de forte que leur Armée n'étoit jamais ni plus forte, ni plus nombreufe. Chapitre V. T/rDUCi ^Jutrkhe> <ïui avoit P^u fi zélé pour la reuS- Artfde 1 fite de ce fiége, «Sc qui avoit été des prémiers a btt-%é*a"du mer ceux qui 1'avoient abandonné , fuivit cependant leiir trfcheföexemple, «Sc partit avec fes Troupes; foit, comme quelques tgg^ff uns le pretendent, que fa préfence fut necelfaire dans fes d< E'tats , ou que quelque autre motif ne lui permlt point den attendre Ia fin. II eft vrai auffi, que le peu de Concorde , qui régnoit entre les Chefs , «Sc fur tout entre le Roi , & le Légat, qui, dans tous les confeils, soppofoit au fentiment de ce Prince, avec beaucoup de violence, paree qu'il ne pouvoit 1'engager a lui céder le commandement de 1 Armee, comme ce Prélat le défiroit : cette mésintelligence , dis-je, avoit été 1'unique caufe du départ de plufieurs Seigneurs Croifés, qui ne prévoïoient que trop ce qui en arnveroit. En effet, elle rétarda, non feulement la prife de Damiette mais encore fit perdre dans la fuite auxCfo* tiens 1 occafion de rentrer fans peine, «Sc fans aucune effu- Nnn 3 fion  47o HISTOIRE GE'NE'RALE fion de fang, dans la poffefiion du Roïaume de Jérufalem , qui étoit le grand but de toutes les Croifades. Car les Afiiégés, dont le nombre étoit fort grand, aïant confumépresque toutes leurs provifions, fans pouvoir en faire venir d'autres, trouvèrent le moïen d'informer Me'le'din, que les vivres leur manquoient, dans 1'efpérance d'en être fecourus. Le Soudan , qui étoit entièrement occupé a fe fortilier dans fa Capitale, & qui craignoit une difette générale dans toute VEgypte, paree que le Ml n'avoit point cru cette année, felon fon ordinaire, écrivit promtement a Coradin , fon Frère, pour f exhorter k lui ménager un accommodement avec les Chrétiens, k quelque prix que ce füt, pourvu qu'ils levaffent d'abord le fiége dc Damiette, & qu'ils fortiiTent des terres $ Egypte. Coradin Coradin, qui, contre la coutume des Barbares,avoit toui?itmoje- jours vécu de bonne intelligence avec fon Frère, touché du peu i a n m- £Q talent qu'il avoit de maintenir , & défendre fes propres s^eux. £/tatSj ^épêcha inceffamment une AmbaiTade au Roi de Jérufalem,pour lui demander la paix,au nom de Me'le'din,fon Frère; & , afin de faciliter cet accommodement, il offrit: „ Prémièrement de lui rendre le bois de la Croix, que Sala„ din , fon Oncle, leur avoit enlevé a la bataille óJEtin: Se„ condement de lui reftituër la Ville de Jérufalem, avec tou„ tes les autres Terres, Bourgs, & Chateaux, qu'il poffédoit „ dans ce Roïaume, a la réferve des Chateaux du Crae, & „ de Montrêal, qu'il fouhaitoit de fe conferver pour la commoj, dité, & la fureté des Pélerins qui alloient, ou revenoient de „ la Mèque; en reconnoiffance de quoi, il offroit même de „ payer un tribut annuel au Roi de Jérufalem; & en troifième „ lieu de faire réparer, a fes propres dépens, les fortifications ,, de toutes les Places, qui avoient été détruites, pendant les >, guerres précédentes, & de lui rendre tous les Chrétiens,qui „ fe trouvoient en fon pouvoir, ou en celui de fon Frère: s'ou bligeant enfin de ne jamais prendre les armes contre les Cbré- „ tiens.  de JEHTJSALEM. Liy. IX. Ch. V. f ^ » tiens, & de les lailfer tranquilement jouï'r de toute la Pales» a condition qu'ils laifferoient le Roïaume d'J^/p en „ repos. Les Miniflres de Coradin tfeurent pas plütöt notifié leur commiffion dans un Confeil, oü ils furent introduits, que le Roi5> le Maitre de YHópital, & plufieurs autres Seigneurs, qui n'étoient pas moins bons politiques, que vaillans guerriers, connoilfant combien leurs propofitions étoient avantageufes aux Chrétiens, convinrent, fans héfitcr un moment, " qu'il falloit 5> les accepter; puisqu'on leur offroit par un Traité, ce quïls ,5 ne recouvreroient peut-être, de leur vie,par la voie des ar„ mes. II leur fembloit , que la Providence Divine devoit „ avoir infpiré a ce Prince lnfidèle de les traiter fi raifonnable„ ment. Cétoit-la parler judicieufement; mais la fatale désunion, qui Le régnoit entre leRoi & le Légat; 1'émulation, qui dominoit g£ également les Templiers, Sc les Hofpitaliers, engagèrent le Mai- piiers' *y tre des prémiers a apuïer le fentiment du Légat, qui voulant °P^ent' s'oppofer a 1'opinion du Roi, que la plupart paroiflbient approuver, foutint , avec chaleur, " que le recouvrement de Jériifa„ lem n'étoit pas le feul objet,pour lequel lts Chrétiens avoient „ pris les armes; que leur but étoit d'étendre leurs conquêtes, „ d'augmenter la foi Catholique, d'anéantir,& d'éteindre 1'im„ pie, & détefiabie feéle dc Mahomet, & d'affurer leur domi„ nation en Syrië, de manière qu'elle ne put plus être ébran„ lée, ni leurs affaires y retomber en décadence, comme elles ,, avoient fait du tems paffé; Que,pour y réüfiir,il n'y avoit » Point de meilleur moïen, que de fe rendre maïtres duRoïau„ me cYEgypte;Et qu'enfuite ils rentreroient, fans peine, dans „ celui de Jérufalem, & chafferoient les Infidèles de toutes les „ Provinces, qu'ils occupoient en Syrië. C'eft ainfi, que raifönnoit le Légat, préoccupé de fa pafïion £ &de certaines prophéties, oü il avoit trouvé, que celui qui .déli-  472 HISTOIRE G E' N E' R L E délivreroit Jérufalem, & la Terrc-Sainte, fortiroit üEfpagnei II en avoit fimagination d'autant plus frappée, qu'il croïoit, qu'étant de cette Nation, tous ces valles projets devoient s'accomplir, fous fon Miniftère. Ainfi, fans fe mettre en peine du grand préjudice, qu'il faifoit a la caufe commune, il foutint avec tant d'opiniatreté, qu'il falloic rejetter les propofitions de Coradin, que le Patriarche, & la plupart des Evêques, foit qu'ils n'euffent point affez. de connoiffance des affaires politiques, pour difcerner 1'avantage des offres qu'on leur faifoit, ou par pure complaifance pour le Légat,furent de fon avis; deforte que, malgré les bonnes raifons du Roi, & des Seigneurs diflingués par leur expérience, il fut impolïïble de faire revenir ces Prélats de leur erreur; & le Cardinal, infatué de fon ambition, voulut abfolument qu'on renvouit les Ambaffadeurs du Soudan de Damas, avec cette mauvaife réponfe. Article n. Coradin fut fi outré de 1'avance, qu'il avoit faite inutilement, & du peu de cas que les Chrétiens avoient fait de fes offres, quoi coradin. que f] avantageufes pour eux, qu'il ne fongea plus qu'a les en faire répentir. II commenca a faire démolir les murailles de Jérufalem, jusqu'aux fondemens. II en fit de même de tous les beaux E'difices, dont cette Ville étoit ornée, a la réferve du Temple de Salomon, & de celui du St. Sépulcre; le prémier, par raport a la vénération que ceux de fa croïance confervent pour cet ancien monument; & celui de la Réfurre&ion, aux inflantes prières, accompagnées de très-riches préfens que lui firent les Grecs, & les autres Chrétiens Orientaux, qui habitoient la Ste. Cité, laquelle fe trouva alors dépouillée de fon ancienne fplendeur, & réduite comme un miférable Village. Mais, comme cette deftruétion, n'étoit point capable de les détourner du fiége do, Damiette, il alla commencer celui du fameux Chateau de Saphet, appartenant aux Templiers. La plupart des Chevaliers, qui en compofoient la garnifon, avoient fui-  be JEUUSALEM. Liv. DC. Ch. V. 4?, fuivi leurs confrères en Egypte. Ainfi, Ie Soudan s'en empara facfiement, & le fit rafer, auffi bien que celui que le Roi IeIh DEB™,' ^Hofpitaliers, avoient bati peu auparavant pres de Céfarée. II prit enfuite cette Ville , défoh, & ravagea entièrement tout le plat pays, & mit la plupart des le 1 f *J^L ^ h Fa'eJline * feu & » fi"g ' •&> ^ e bruit de ces défolations parvmt plütöt en Erme & nhliwif-'f- » k aband<™f ceRoiaume,pour 42?££êS défendre leurs propres Terres, Cependant,malgré la nouvelle de toutes ces disgraces, & la Article///. maladie, qui s etoit rmfe dans leCamp par la difette des livres, par les chaleurs exceffives du jour, & par ffiumidité dela nuit' & quoique que le mal eüt pafTé des fimples Soldats jufqu'aux pnncipaux Seigneurs de FArmée , dont même plufieurs des plus quahfies moururent; entre-autrcs Guillaume de Char-^a tres, Maitre des Templiers; Adolphe, Comte de Mons> Rr fnseile chard Moliniers, Frère, ou FUs du Roi *JngLre %\• ^ vers autres le refte de PArmée ne laiffa pas de continuer le liege avec la meme ardeur, & le même zèle. II eft vrai cue quantité de NobleiTe de toutes les Nations, plus effSe la mort de tant de grands perfonnages, & du ravage que faifoit cette efpece de contagion, que de tant de fanglan? combats, ou ils sétoient trouvés, fe rembarquèrent,avec kur fuite,pour retourner en Europe. *>ruw Alors, mais trop tard, les Chrétiens reconnurent la faute .. qu'ils avoient faite de refufer les offres avantageüfes de &£#5s. b,n, & commencèrent tous a fe répentir véritablement de S"ui n'avo"f/™"' * fe 3U Legat, qui n avoit aucune eapenence des affaires de Ia sruerre & qm etoit caufe des incommodités qu'fis fouffroient, & du peril quils couroient depérirtous, ou, tout.au moinsfdé- cl,ouer dans leur entreprife. Les Afiiégés, quoi qu'encorè nlus «cables de firn,, de mifere, & de mfladie' qu'eU,Xieüt Ooo p,s  474- HISTOIRE GE' NERA-LE pas moins fermes a fe défendre, & a répouffer leurs attaques; de forte que le fiége trainoit toujours en longueur, fans apparence de pouvoir être terminé avec fuccès; malgré les grands foins, que prenoient les Chefs des Croijés de confoler, & d'encourager les Soldats a perfévérer dans la réfolution , oü ils étoient tous de prendre Damiette. Stcms ar- On y étoit réduit a ces extrémités, lorsque le Camp Cbrél&aZL tien fut fecouru de quantité de provifions & de rafraichiffemens, *eniK. qUe lui apportèrent divers Navires, fur lesquels étoient embarqués rArchevêque de Milon, les Evêques deReggio, de Bresfe, & de Faè'nce, avec le Duc de Bavière,lts Comtesd'Jugs* bourg, & Zurmartufen, d'Höchflet, & plufieurs autres Perfonnes de la prémière qualité, tant dü Allemagne,que & Italië, lesquelles, fur le bruit de la réfiftance, que les Croifés trouvoient dans leur entreprife fur VEgypte, voulurent avoir part a la gloire, qu'il y avoit pour eux tous, de s'emparer des cötes maritimes de ce Roïaume. En elfet, ce grand fecours arriva bien k propos pour les foulager, & pour relever leurs forces abatties par la difette de vivres, par les travaux continuels, & par la maladie. Un fi puilfant renfort d'Hommes, & de vivres, anima tellement toute 1'Armée, que les Troupes oublièrent bientöt leurs fouffrances. Elles alloient aux aflauts avec autant de gaieté, que fi c'eüt été un feftin. II n'en étoit pas de même des Affió* gés. Ils n'avoient rien pu recevoir, depuis la fuite de leur Soudan; &, pendant feize mois de fiége, ils avoient confumé toutes leurs provifions;de forte qu'ils étoient réduits amanger des chiens, des chats, & tout ce qu'il y a de plus fale, &de plus immonde. Ces mauvais alimens leur avoient corrompu le fangj ce qui engendra une li cruelle maladie , qu ils en^ mouroient miférablement, fans pouvoir s'entre-fecourir, ni même donner la fépulture a leurs cadavres. Enfin leur état étoit fi déplorable, qu'ils n'étoient plus défendus, que par leurs murailles. Cc-  de JE'RUSALEM. Liy. IX Or. V. 4r? Cependant, comme elles étoient très-difficiles a forcer, les ArtfcWK Chrétiens m pouvoient guères profiter de leur accablement. Ils efpéroient, que la famine, ou les autres malheurs leur procureroient la prife de la Ville. Les Alfiégés eurent encore le bonheur de faire favoir au Soudan 1'extrème mifère, oü ils étoient réduits, lui declarant, » que,s'il ne fe mettoit promtement en „ etat de les fecourir, il ne refteroit bientöt que des morts, „ ou des mourans, pour oppofer aux ennemis." Ce Prince lnfidèle, foit qu'il füt veritablement touché des calamités de tant de Sujets affeóhonnés, & fidèles,ou qu'il craigmt qu'on ne rejettat fur lui tout le blame de leur perte, «Sc de celle de leur Ville, fe mit alors de nouveau a la tête de fon Armée; mais, la réfolution, qu'il avoit prife, de les aller fecourir, cédant a fon peu de courage, il s'arrêta a environ trois lieues au-delTous du Caire, au même endroit, oü le Mik fépare en deux branches. II fe contenta de faire charger abondance de provifions fur de grolTes barques, garnies d'hommes adroits, vaillans, «Sc bien entendus, pour les conduire a Damiette, wee ordre,lorsqu'ils feroient a portée d'être découverts du Camp Cbrétien,dt s'arreter jusqu'a la nuit, pour introduire le fecours, qu'il envoïoit aux Affiégés, a la faveur des ténèbres,«Sc les alfurer qu'il viendroit bientöt lui même les délivrer de leur mifère. Afin de mieux alfurer ce convoi, il fit marcher une partie de fa Cavalerie le long du Ml, poUr faire tête aux Chrétiens, qu'ils pourroient rencontrer ; Mais , comme 1'un de les Amiraux lui fit comprendre , que , malgré ces précautions, ce convoi, «Sc cette Cavalerie courroient grand rifque, sil ne savancoit lui même pour les foutenir, il marcha a petites journées, pour faire réüffir fon entreprife , qui n'eut pourtant pas un meilleur fuccès. j Chrétie^ étoient trop attentifs a fermer les avenues de ia^Ville, tant par mer, que par terre, pour empêcher qu'il n'y püt rien entrer. Ils apprirent bientöt les approches de la Ca- Ooo 2 vale-  4.76 HISTOIRE G E' N E' R A L E valcrie Egyptienne. Ils allèrent d'abord larencontrer,& la chargèrent fi vertement, & avec tant de réfolution, qifils la mirent en déroute. Elle prit une fuite fi précipitée, qu'ils en renverferent plus de deux mille. Les Chrétiens entrèrent avec la même ardeur, dans divers petits batimens, qu'ils tenoient fur la rivière pour la commodité du Camp, & achevèrent leur Vicloire, par le maffacre de tous les Sarrafins, qui ofèrent défendre leurs barques, qu'ils conduifirent au Camp, comme en triomphe, oü l'abondance des rafraichiflemens, dont elles étoient chargées, réjouït infiniment toute 1'Armée, qui commencoit a en manquer. M e'l e'd i n concut tant de chagrin, & de dépit, de voir échouër une entreprife, qui lui paroiffoit avoir été fi bien concertée, qu'il en devint plus hardi,& plus entreprenant, qu'a fon ordinaire; car, après avoir fait de fanglans réproches a la Cavalerie , qui avoit fi lachement abandonné le convoi, qu'il leur avoit confié, pendant qu'ils n'ignoroient pas, qu'il s'avancoit lui même pour les foutenir, il leur fit, fur le champ, rébrouffer chemin, & fe mit en marche, avec le refte de fon Armée, dans 1'efpérance de trouver les Chrétiens fi occupés de 1'avantage, qu'ils venoient de remporter, qu'il pourroit les furprendre: mais il fe trompa;car ceux-ci, ne doutant pas, qu'ils n'euffent bientöt leurs Ennemis fur les bras, avec toutes leurs Forces, felon que les Prifonniers les en avoient informés, s'étoient d'abord rangés en bataille, pour les bien recevoir; Article v. En effet, ce Soudan, rempli de rage & de défespoir, ne tar^ta^ieia ^a Pas a paroitre. II attaqua d'abord le quartier, oü fe trouvoit Cavakrie ]a Cavalerie Chypriote, & 1'Infanterie Jtalienne , qui étoit le fej&ïin-plus avancé. II heurta ces deux Corps, avec tant de fureur, {uiÏÏne. qtfiJ ne purent foutenir le terrible choc de lamultitude des Barbares; de forte que les Chypriots, & les Italiens, alloient être entièrement défaits, fans la promte affiftance que leur donnèrent les Hofpitaliers, qui les foutinrent, & les ranimèrent fi bien, qu'ils fe raliièrent, 6c refiftèrent enfin a toute PArmée enne-  de JE'RUSALEM. Lm IX. Cu. V. 4.77 ennemie, fans même perdre un pié de terrain; Et le Roi, qui y accourut promtement, avec les Templiers,& tout le refte de 1'Armée, engagea un combat général,qui devint d'autant plus fanglant,que la nuit les furprit, fans pourtant les empêcher de le continuër. Les deux Armées firent également des efforts furprenans pour obtenir la Vicloire; cependant, foit que la timidité naturelle du Soudan le reprit, ou qu'il s'appercüt,que fes gens commencoient a fe relacher, il fe retira le prémier du champ de bataille , oü il lailfa quantité des fiens étendus fur la place, & alla fe camper fur le bord du Ml, a quelque diftance de 1'Armée Chrétienne. II eft vrai,que,fi cette aclion coüta un plus grand iuji nombre d'Hommes a Me'le'din, la qualité de ceux qu'y per- vaiwu' dirent les Chrétiens 1'emportoit. Les Maitres de VHópital, & du Temple, avec plufieurs Chevaliers de ces deux Religions,y perdirent la vie; ce qui diminua beaucoup la joie du gain de la bataille. Chapitre Vï. Quoique les Afiiégés n'eulfent encore recu aucun fecours, h proximité de leur Souverain les avoit fi fort ranimés, que, malgré 1'état déplorable, oü ils étoient réduits, ils fe défendoient toujours conftamment. Leur réfiftance fit comprendre au Roi de Jlrufalem, qu'il ne viendroit jamais a bout' de ce fiége,tant que Mele'din feroit fi prés de la Ville;c'eft pourquoi, dès qu'il fut afiuré de fon campement, il réfolut de 1'aller attaquer dans fes rétranchemens. II 1'éxécuta même avec plus de confiance, que n'auroit dü en avoir un Prince auffi ex- Ooo 1 péri- Artide /, Le Roi de Jérufalem retêume ittaquer Mélédin lans fes re- rancbe- ntns.  II perd la ftw de fes Troupes, a beaucoup de peine i fefauver. Seigneurs morts, ou prifonniers. 4.78 HISTOIRE GE'NE' RALE périmente que lui; C'étoit le 6. O&obre. II lailfa le gros de 1'Armée continuër le fiége, & marcha avec un corps de Troupes fort médiocre, en comparaifon de la multitude, qu'il alloit attaquer. Me'le'din, furpris de la hardielfe des Chrétiens, jura de punir leur témérité. En effet, il fit bien connoitre dans cette occafion, qu'un Homme fans courage, & fans valeur, peut quelque fois réduire un grand, & vaillant Capitaine a la dernière extrémité; fur tout, lorsqifil fe hazarde a des entreprifes trop disproportionnées, comme fit le Roi de Jérufalem dans cette malheureufe conjoncture; puifque, malgré fa valeur, «Sc fon habileté, il ne fe fauva qu'avec beaucoup de peine, après avoir perdu la fleur des Troupes, qui 1'accompagnoient; Car, dès que les Infidèles 1'eurent découvert, le Soudan quitta fes rétranchemens, & feignit de prendre la fuite; mais c'étoit pour 1'éloigner du Camp, & fattirer dans des lieux plus avantageux; perfuadé que les Chrétiens, non moins avides du butin,que de la gloire, s'amuferoient a le piller, comme ils eurent en effet rimprudence de faire. Me'le'din , profitant alors de leur inadvertance, «Sc de fa propre feinte, retourna fur fes pas, & les chargea avec tant de fureur, & d'avantage, que disperfés, comme ils étoient, il leur fut impoflible de fe rallier affez promtement pour lui faire tête; de forte qu'au lieu de vaincre, & de s'enrichir, comme ils 1'espéroient, ils furent la plupart taillés en pièces, ou faits prifonniers, fans même que plufieurs Seigneurs, qui furent de cette fatale expédition, puffent éviter ce trifle fort. Gautier, Connétable de France, qui commandoit les Troupes de cette Nation, & Milon deMe'lun,v perdirent la vie, aufii bien que divers autres Seigneurs d'égale confidération. L'Evêque de Beauvais , Gautier de Nemours , André'de Chatillon, Henri de Lorme, avec grand nombre d'autres,furent faits prifonniers. Le Roi, qui avoit eu le  m JETtUSALEM. Liv. IX. Ch. VI. m te bonheur de fe débarralTer de ia quantité de Sarrafins, mi cherchoient a 1'enveloper, penfa encore être brülé, en fe reti rant avec les miférables débris de cette funefte journée II regagna enfin leCamp, d'autant plus mortifié, que le Légat, & fes partifans, ne manquèrent pas de lui attribuër toute la faute de cette grande déroute. Pour tacher de la réparer, ce Prince ne s'attacha plus, qu'a Ankle/x preffer le fiege de la Ville, & a empêcher que les Afiiégés ne puffent recevoir aucun fecours; perfuadé qu'étant déja réduits * h dem™Q mifère> ils ne réfifteroient pas encore long-tems; & que, maJgre la proximité de Me led in, & 1'avantage qu'il venoit de remporter fur lui, ils feroient contraints de fe rendre, ou de mourir de faim; d'effet, ces Peuples opiniatres & determines, fe foutmrent encore prés d'un mois, & endurèrent des calamités incroïables. Leurs maifons, leurs rues, & leurs places, étoient remplies de cadavres,auxquels ils n'avoient pas la force de donner la fépulture; & le peu de vivans, qui reftoient encore, n'étoient pas moins empoifonnés de leur puanteur, que des mauvais alimens, qu'ils étoient obligés de manger , pour prolonger leur languiffante vie; de forte qu'ils ne purent plus continuër leurs gardes, ni s'oppofer aux eiforts des Lbrcuens. Ceux-ci renverièrent une des Tours de la première enceinte, oü ils remarquèrent, avec étonnement,que perfonne ne paroiffoit plus pour la défendre. Ce filence des Afiiégés donna la curiofité a quelques Soldats Florentms, plus hardis que les autres, d'efcalader la feconde muraille. Ils 1'exécutèrent avec beaucoup de précaution, de crainte que finaéfion des Ennemis ne fut une feinte, pour les attirer dans quelque piége. Ils furent cependant bien étonnés, & eur crainte ceffa, lorsque, parvenus au fommet de la muraille, ils appercurent la quantité de corps morts,dont les places & les rues étoient jonchées, & dont ils reffentirent même Ia mauvaife exhalaifom Ces  +8o HISTOIRE G E' N E' R A L E Extrémhè Ces vaillans Soldats, bien affuïés de la réalité du fpeétacle JÏils fint' horrible, qu'ils venoient de voir, defcendirent incelTamment, r4duiU' pour en aUer avertir leurs Officiers; les aiTurant, qu'il ne leur reftoit plus d'Ennemis a combattre dans la Place ; puisqu'ils avoient reconnu, avec autant d'horreur, que de furprife, tous les Affiégós morts,ou mourans,dans les rues. Les Officiers, ne pouvant ajouter foi a une nouvelle fi extraordinaire, voulurent s'éclaircir, par eux mêmes, d'une affaire fi importante,avant de la répandre; &,montés fur la muraille, ils reconnurent en effet, que le raport de leurs Soldats étoit véritable;& qu'il n'y avoit plus d'autre obftacle a furmonter,que celui de faire une ouverture, ou d'abattre une des portés de la Place, afin que 1'Armée put y entrer avec plus de commodité. Ils plantèrent en même tems, fur la muraille 1'étendart de la Ville de Florence, dont les armes étoient alors, felon Jean Villani, & le Continuateur de la Guerre-Sainte, une fleur de lis d'argent en champ de gueules. Ils firent,en diligence, approcher des béiiers a la porte voifine-, qu'ils renverfèrent bientöt. Le bruit s'en répandit d'abord dans tous les quartiers; Mais, comme la plupart en ignoroient encore les particularités, chacun étoit réfolu de fe bien vanger fur les Infidèles, qu'ils ne trouvèrent plus en état de recevoir leur chatiment. Les Chrétiens entrèrent dans la Place le Novembre; &, bien loin d'exercer leur colère, & leur indignation, ils furent tous extrèmement touchés de 1'affreux fpeétacle, qui s'offrit a leurs yeux, & dont fans doute, les Hommes, les plus.cruels, auroient eu compaffion. La Vüle n'étoit remplie, ^que de cadavres renverfés les uns fur les autres. II y avoit même, parmi ces Corps,quelques-uns qui refpiroient encore, mais fi languisfans, qu'ils n'avoient pas la force de fe débarrafier de tant de morts, dont ils étoient.entourés, & plus prêts a en augmenter le nombre, qu'a s'oppofer a leurs Ennemis. j-t' Ppp 2 culiè-  484 HISTOIRE GE'NE'RALE culières, leur gloire, & leur réputation a des fujets de vanité inutile. Car , quelques vraifemblables, que parulïent les prctextes du Roi de Jérufalem, pour pallier le véritable motif de fon départ,on reconnut aflez,par fon féjour continuel a Btolth maïde, qu'il ne fongeoit aucunement a faire la guerre aux Infidèles, ni a réparer les fortifications des Places, qu'ils avoient démolies; non plus qu'a folliciter les Géorgiens, & les Armé' niens, a le venir joindre, comme il 1'avoit affuré; & que fon éloignement de YEgypte provenoit uniquement du mécontentement, & du dédain, qu'il avoit concu contre 1'arrogance du Légat. Auffi, tous les gens de bien bldmèrent ce Prince, d'avoir abandonné les affaires communes de toute la République Chrétienne, pour un fujet, qui devoit être au-deffous de fa générofité, & de fon grand cceur; & de n'avoir pas fait quelques efforts fur lui même, pour furmonter fes paflions, & ces obftacles, par ia prudence, & par fa modération. On ne condamnoit pas moins le Légat, de fe laiffer alfea aveugler a fon ambition , pour vouloir exercer le commandement général d'une Armée: Métier, fi oppofé a fa profeffion, & fi fort au-dela de fes lumières, fur tout dans im pays, qui ne lui étoit point connu, & contre les Barbares\ & cela, au préjudice d'un Prince, qui paffoit pour un des plus grands Capitaines de fon tems. Ce Prélat, rempli du zèle de 1'augmentation de la foi, qui 1'avoit conduit en Oriënt, & qu'il faifoit tant valoir, auroit du fe contenter de faire, en compagnie de tant d'illuftres Prélats, qui s'y trouvoient, comme lui, de fincères vceux au Ciel pour la profpérité des armes Cbrétiennes,& en laifTer la conduite k ceux qui étoient plus favans en cet art, que lui, & deftinés a cet exercice. II reconnut, enfin,.bientöt, qu'il n'étoit pas fi facile de faife le Général d'Armée, ni dc retenir dans leur devoir tant de Perfonnes de düférentcsNations»<5c de différente» mocurs,qu'il fe  » e JE'RUSALEM. Liv. IX. Ch. VL tf$ fe f étoit imaginé. A-peine le Roi fut-ii parti, que le Soudan, encouragé par Pabfence d'un fi grand Chef, & par la diminution de 1'Armée Chrétienne, fortit du Caire avec fes Troupes, & vint fe camper a une journée de Damiette, d'oü fes Soldats faifoient des courfes jufques aux portes de la Ville, fans que, faute d'expérience, le Légat füt remédier a ces desordres, ni ordonner ce qui étoit néceflaire pour les repoulfer. Recon noifïant, enfin, fon incapacité pour la guerre; & craignant, par la confufion, qui s'étoit mife dans toute 1'Armée, quelque fècheux inconvenient, il délibéra, avec les prineipaux Chefs, furies molens de faire revenir leRoi, pour cn reprendre le commandement. II lui écrivit, pour cet effet, d'une manière très-obligeante; mais ce Prince, qui ne pouvoit oublier fon mécontentement,ni croire que le Légat füt capable de changer fes maximes, s'excufa de ne pouvoir encore quitter la Palejline, & perfifta toujours dans fa réfolution, malgré les inftantes prières, que le Légat, & tous les autres Chefs de l'Armée lui réïtérèrent plufieurs fois; de forte que Me'le'din, profitant de fon éloignement, remportoit toujours de 1'avantage fur les Chrétiens,mal ArrivltSt gré les grands fecours, qu'ils venoient de recevoir des Répu- j^"" bliques de Fénife, de Gènes, & de Pife. La nouvelle de lar^S* prife de Damiette, les avoit d'abord portées a- armer leurs Flot- JJrélien* tes, pour venir aider les Chrétiens k faire 1'èntière conquête de *' YEgypte, qui paffoit en Europe pour très-faeife. Plufieurs Princes, & grands Seigneurs, s'étoient même embarqués fur ces Flottes. Entre autres Louis, Duc de Bavière, avec 300. Gentilshommcs, & bon nombre de Troupes, que 1'Empereur Fre'de'ric II. lui avoit données a ce fujet. Ce Monarque écrivit même au Roi de Jérufalem, &aux autres Chefs des Croifés, qu'il viendroit bientöt les fecourir en perfonne. II eft vrai, que la jonécion de ces renforts n'empêcha pas,que le Soudan ne continuat a les infulter, & n'eut toujours PPP 3 le  ê \ Article 7. Lt Roi retoffe a Damiette. 1221. L.8t5 HISTOIRE GE'NE'RALE [e deffus dans fes efcarmouches, faute d'un Chef, dans 1'Armée Chrétienne , a qui tous les autres puffent obéïr avec refpecl:, & foumiffion. nriTi -*TT **• —'■ .rf,**1fi -■MLT'r**trr- ff^^!l1*fcf-ftttjr'*fT'.-*Jfflb(*f^i:i^f9it C H A P I T RE VIL CEtte fuite de contretcms fit enfin réfoudre le Légat., & les autres Chefs , a envoïer une Ambaffade folemnelle au Roi de Jérujalem. Outre les Inftruótions générales, ces Miniftres furent encore chargés de Lettres particulières du Légat , & de tous les autres Seigneurs de rArmée , qui le fupplioient, d'une manière trés - touchante , de renir inceffamment fe remettrc a leur tête , pour faire ceffer le desordre , & tirer de finaction tant de braves gens, qui s'étoient armés pour le recouvrement du Roïaume de Jejus-Chrift, Quelque pompeufe, & magnifique, que füt cette Ambaffade, & quelques preffantes, que fuffent les follicitations du Légat, elles n'auroient fait aucune imprelfion fur l'.efprit du Roi, tant il étoit irrité contre ce Cardinal, dont il ne pouyoit oublier les manières hautaines & impérieufes, fi fes instances n euffent été accompagnées de celles de tant d'autres Perfonnes illuftres, pour lesquelles ce Prince avoit une efiime toute particuliere. Touché de leurs rémontrances , & pour faire voir, qu'il ne défiroit, pas moins qü'eux, Pabaiffement des lnjidèlcs, & 1'augmentation du Chrijlianifme, il facrifia enfin fon reffentiment a leur confidération , & repaffa a Damiette , oü il arriva, après dix mois d'abfence. II feroit difficile d'exprimer la joie, & les acclamations, avec lesquelles toute PArmée recut ce Prince. Le Légat même en  de jè'RTJSALEM. Liv. IX. Cu. Vil. 4S7 en donna des marqués publiques, «Sc témoigna, d une manière éclatante, le plaifir, que lui faifoit fon retour. Le Roi Jean de Brienne ,. fans beaucoup s'arrêter a toutes ces vaines démonftrations, ni aux complimens que chacun s'empreiToit de lui faire\ afTembla dabord un Confeil général, Tenue.<*w pour délibérer fur les entreprifespropres a réparer le tems,!2?^ qu'ils avoient perdu dans finacïion ; Mais, lorsqu'il s'attendoit a trouver le Légat , «Sc fes partifans, plus modérés, «Sc plus dociles qu'auparavant, il reconnut , au contraire, que ce Cardinal confervoit toujours le même efprit de hauteur, & de fupériorité ; «Sc qu'il prétendoit, que fon fentiment prévalut fur tous les autres. En effet, il n'eut aucun égard pour le Roi, ni • pour tant d'autres Seigneurs éxpérimentés en 1'art militaire , qui opinoient de repaffer promtement en Palefdne, pour chaffer les Infidèles des Villes, «Sc des Chateaux, qu'ils y occupoient Ceux-ci difoient, " qu'en poffédant Damiette, «Sc Tani, qui „ étoient les deux Places les plus Oriëntales de VEgypte, „-ils n'avoient'qu'a y maintenir de bonnes garnifons, pour „ n'avoir rien a apréhender de ce cóté-la ; Que cela fuffi„ foit pour tenir les Sarrafins dans une crainte perpétuel3, le , "«'vèllement débarqués, qui braloientdimpatience de combattre les Infidèles. 11 fit plus - car mena9ant dexcommunier ceux qui feroient-d'une opinion contraire a la fienne, ,1 attira tous les autres dans fon parti de forte que le Roi, craignant alors de fe rendre fifteflf &'&t tre accufe-de ne vouloir agir,^„e pour fes -intéréts particulier' fu contraint, malgré lui, d'aquiefcer aux volontés du Cardt nal; &, quelque repugnance qu'il eut pour une entreprife fi «Tintte 1 T ne ^ ï*i«* » *' tav a la tete des Troupes, pour aller attaquer le Soudan. ï!Am£ TlVa ür auffi,trife>^ ce Prince 1'avoit prévu.^. L Armee Chrétienne, forte de foixante dix mille Hommes tous ** *, ken armés & en bon ordre, fortit de Damiette,! ™" 4 ife TSÉ Celle des Ennemis étoit beaucoup moindre, & compofée de~'' gens fan, difcpline; cependant Ie malheur des ÖXfttS grand,quds y penfèrent tous périr, fans même pouvoir cöm bat re. Ils s'eftimèrent encore bien beureux, de pouvoir forür du labirinte, oü ils s'étoient engagés, en rendant la Placet leur avoit conté tant de fang, & tant de peines. Le Legat cependant, qui ignoroit entièrement le danser ju'H couroit, s'aplaudiffoitfansceffed'apprendre, queleX ian reculo.t, a mefure que les Chrétiens avan9oient dans ês tem*. II louoit continuellement les Officiers, & les Troupes davon-fuivifon confeil, q„i alloit leur devenir fi utile?& 1 glorieux; Et il ne fe laffoit point de dire, » que les Homme " iTTf '°Ut dfficik; & 1« h étoit tou- „ jours favorablei ceux qui étoient bardis, & entreprenans Sa ,o,e augmenta encore, lorsqu'il vit les Chrétiens s'empar rde tout le p!,t pays, & fe rendre majtres, a vive fZ ne fongeoitpas, que c'étoit, par rufe, que ce Prince /«» les la.ffoit avancer, fans faire aucune oppofition; & JAZ «ierchoit, qu'a Ies attirer dans des lieux, oü il put Le vtloir Ql9  4po HISTOIRE GE'NE'RALE Lt Camp éts Chrétiensinondi par JiNil. les avantages, que lui donnoit fa fituation; perfuadé qu'il auroit bientót lieu de faire un terrible ufage de leur préfomtion , & de leur inadvertance; ainfi qu'il leur arriva, par leur propre faute. Ils arrivèrent, fans obftacle, jufqu'a environ dix miles du Caire; mais, au lieu de brufquer cette entreprife, comme ils 1'avoient projetté, avant de fortir de Damiette, ils s'amufèrent a former, & a fortifier des logemens, «Sc des rétranchemens a 1'extrémité du Delta, entre les deux bras du Nil. C'étoit effectivement un lieu trés-commode, & très-délicieux; mais, en même-tems, le plus dangereux de toute VEgypte pour 1'Armée Chrétienne. On fit divers détachemens, qui coururent les campagnes. Tout étoit ouvert. Ils s'avancèrent même jufqu'aux portes dc la Ville, & provoquèrent, par mille bravades, les Ennemis, leur reprochant la timidité, & la lacheté, avec laquelle ils demeuroient enfermés dans leurs murailles. Les Sarrafins étoient trop prudens, «Sc trop afiurés de leur fait, pour fe rifquer au hazard d'aucun combat; puisqu'ils fe voïoient a la veille de triompher de leurs Ennemis, fans aucun danger. Auffi , fe moquoient-ils de leur fotte vanité. Les Fidèles paffèrent prefque tout le mois d'Aoüt, dans ces agréables rétranchemens ; «Sc, lorfque leNii fut parvenu a fon plus haut débordement, le Soudan fit fubitement couper les digues, qui en retenoient les eaux. Elles remplirent, en fort peu de tems, tous les canaux, dont le terrain eft entrecoupé, «Sc inondèrenfc toute la campagne, «Sc par conféquent le Camp Chrétien; deforte que tout le pays devint alors, comme une vafte mer. Un débordement fi terrible, «Sc fi imprévu, étonna infiniment toute 1'Armée. Grand nombie d'Officiers, & de Soldats, . qui fortirent de leur Camp, pour gagner quelque hauteur, furent. miférablement fubmergés dans ces dilfércns folfcs, qu'il leur étoit impoiable de difcerner, toute la terre étant également inoadée.--- Ceux qui ne bougèrent de leur place, outre 1'in- com-  «e JERUSALEM. Lit. IX. Cu. Vit 4?I )Z7dké^reTlmi dans,'eau !u%'il»«,'nture, eurent beu™ Z tfc t0-"eS fc"reP™if.ons,queles eaux bowbeufes du AW coirompirent entièrement; deforte que, quoiqu ils en euflent porté grande abondance, 'a-Pei„e purentl en fubfifter trois ,ours ; au bout desquels, accablés de faim de fomme, , & de laffitude,ils s'attendoient tous a périr, ™s que fcur valeur, leurs armes, ni ieur courage puflenHeur'ferTde rien Leurs fenls Ennemis pouvoient les délivrer de 1'état pi. toiable, oü ils étoient réduits. P mentTort'h!, d'COn,,:!nCeS' Me'le'oin> «èft naturellement lor bumam, leur envoïa offrir la pak. II ne pouvoit fe f réfoudre a voir périr fi miférablement tant de milliem de vaib '««ST lans Hommes, quoique fes Ennemis; d'antant plus, qu'il étoit pe fuade, que leur perte ne lui feroit pas plutot recouvrer fe m S""et"'- & de M; & garnifons,"; avment laiflèes, jo.gnant alors la fureur a la bravoure fooien* SitrcoSpour Ies conferra'& P°" ^ " *| A 1'egard du Roi, & du Légat, ils n'eurent pas plutót ent ndu les propofitions du Scuöan, que, pour cLfeU Lm vies, & celles de tant de Perfonnes illuftres, & de braves «ms qu. avoient abandonné leurs maifons, & leur patrie, pour le S couvrement des Saints lieux, qu'fis les accèpferent av c beau- emTes a 'Cu de ^ S*P ^ *f hWfe ^1 graces a Dieu, de ce qu',1 lm aTO1t p)u «tendrir le cceur de ce Prmce Infilik jufqtfi avoir pitié de leur mifère, &Tne Lr pa impofer des conétions plus dures, &plus ,/onteufes, 'Z tot f Armï Ppr°Pfr; de forte *> confentement'de toute 1 Armee, la Pa,x fut établie de la manière fuivante. PWÏL?ïi /pT," Paix&Trève pour buit ans, entre les ««, V Q.qq * il „ Que  Article 11. Qonjlernation de la Garnifon ii Da- JQifUC. i9z H I S T O I R E G E' N E' R A LE II. .„ Que les Chrétiens rendroient incelTamment, au Sou» „ dan Me'le'din, la Ville de Damiette, Sc le Chateau de „ Tan? 9 Sc fortiroient de fes Etats , aulli -tot quil leur au„ roit rendu le bois de la Croix , que Saladin leur avoit w enlevé a la bataille d'Etin. • III. „ Que les prifonniers, & les efclaves , feroient, de „ bonne foi, rendus, de part, Sc d'autre; Sc que, fi les „ Vaiflèaux des Chrétiens n'étoient pas fuffilans pour leur „ transport en Palejline , le Soudan leur en fourniroit fans w. aucun frak.. Cet accord . aïant été figné Sc folemnellement juré ,, de part, & d'autre, ils fe donnèrent réciproquement des ötages. On le publia, a fon de trompe, & le Soudan fit d'abord fermer les éclufes; en forte qu'avec 1'affiftance des propres Sarrafins , les Chrétiens furent bientöt fortis du bourbier. On conduifit toute 1'Armée dans des lieux fecs, & commodes , oü, par une générofité , non encore pratiquée parmi les Barbares, Sc qui feroit même glorieufe a un Prince Cbrétien , M ele'din leur envoïa abondance de vivres , & toute forte de rafraichilfemens, obfervant fort religieufement tout ce qu'il leur avoit promis, & même beaucoup au-dela. . La .nouvelle du malheur , arrivé k 1'Armée Chrétienne étant parvenue a ceux qui gardoient Damiette , les remplit d'une douleur, & d'une triftefie infinie; mais ils furent encore plus conllernés, lorsquils aprirent, qu'il falloit rendre cette Place aux Infidèles , felon le Traité, que le Roi, le. Légat, & toute 1'Armée avoient été obligés de faire avec le Soudan., Alors cei gens , fans confidérer , qu'il s'agifioit de. la vie, & de la liberté de ce Prince, & de toute fa fuite-., . commencèrent- a murmurer de cet accord. Les efprit* , fe. partagèrent; & la plupart foutenoient , ." qu'aucune rai* „ foi»  öèJERUSALEM. Liv.IX. Ch. VII. 4^3 .„•fon ne devoit les obliger a rendre un pofte fi important, „- & fi avantageux pour le recouvrement de la Terre-Sain„ te, d'autant plus que Coradin n'étoit point obligé de „ reftituër aux Chrétiens aucune des Fortereffes, qu'il leur „ avoit enlevées dans la, Paleftine ; &> qu'en • rendant Da„ ils feroient encore plus réculés, -qu'anparavant, de 3, la prife de Jérujalem. II eft vrai, qu'une partie de Ia garnifon de Damiette, plus feniible, que les autres, ala confervation de leurs confrères, rémontroient , "que, puifque Dieu avoit voulu le* „ amiger dun fi grand malheur, il étoit très-jufte, & plus 3, que raifonnable, de rendre une Ville, quelque- confidcra3, ble qu'elle füt , que de les laiffer périr miférablement ■ » Ajoutant, " que les Hommes, faifoient les Villes, mais que ks Villes ne produifoient point les Hommes. " Les prémiers cependant, toujours obftinés dans leur réfolution, fc faifirent fi promtement des armes publiques, & particulières* qu ils obhgerent les autres a fe ranger- a leur volonté. Pendant que ces révêches fe préparoient a faire une vigoureufe réfiftance dam Damiette, m cas qu'ils y fuffent-attaqués-, le bruit de leur refus,& de leur témérité parvint au Camp Cbrétien. L* Roi, & toute f Armée, en furent fi fcandalifés & fi furpris, quedans fempreffement, oü ils étoient tous de fortir des mainr des Infidèles, ik envoièrent anoncer a ces mutins , » que puifqii'ils préféroient la poffeffion de Damiette a tant de mil„.liers dhonnetes gens,' qui n'avoient- pas eu moins de part,. 9, queux, a fa conquête, au lieu de cette Place, ils remet„ troient au Soudan h Villo de Ptolomaïde, pour leur ra-' ,,:chat.' Cette ménacc, jointe a-f^^ de pouvoir s'y maintenir long-tems; les détermina enfin a ksZOL aubc. Ik en fortirent le 8. Septembre, après un an, & 2 - demi,.-  Meententmunt des Cttféticns, ,494. HISTOIRE GE'N E'R A L E demi,dc poffeffion;& 1 echange des prifonniers fut fa.it en même tems. Comme Ia Flotte Chrétienne étoit diminuéc, parle retour dc quelques Croifés en Europe, & qu'elle ne fuffifoit pas pour embarquer toutes les Troupes, une partie de VArmée fut obligée de traverfer le défert, pour fe rendre en Palejline. Afin que les Chrétiens fifient ce trajet ayec plus de tranquilité, lc Soudan, dont les intentions étoient droites & fincères, leur configna fon propre Fils en ötage, pour les accompagner, & les fit abondamment pouvoir de tout ce qui leur étoit nécefiaire, pour faire ce pénible trajet, avec commodité. II en fit de même envers ceux qui s'embarquèrent, leur faifant donner non feulement toutes fortes dc provifions & de rafraichiffemens; mais, de plus, il chargea lc Roi, & les autres Seigneurs, de plufieurs riches préfens. Voila, comme tant de mouvemens, d'expéditions, dc dépenfes , de peines, de travaux, & de fang répandu, devinrent inutiles, & infruclueux a la Chrétienté, par la vanité, la préfomtion , & fentêtement chimérique du Cardinal Pe'lagius ; lequel, s'imaginant d'être deliiné a la délivrance du St. Sépulei'e, a conquérir VEgypte, & a exterminer la Secle Mabométane, fut, au contraire, la véritable caufe de la décadence des affaires des Chrétiens, & leur fit perdre 1'efpérance de jamais recouvrer les Saints lieux. II n'y eut que le recouvrement de la vraie Croix, qui diminuat, en partie, la honte, le blame, & 1'ignominie du mauvais fuccès de 1'entreprife $ Egypte, & de la reftitution de Damiette, & de Tani. Les Chrétiens, parvenus a Ptolomaïde, bien loin d'être en état de rien entreprendre contre les Infidèles, fe trouvèrent fi mortifiés, & fi abattus de leur malheureux fort, qu'ils fe féparèrent inceffamment; les Croifés, pour s'en retourner en Europe, les Chypriots dans leur Ile, & ceux de la Syrië dans leurs Villes.. Leuf  »e JE'RUSALEM. Lif. IX. Ca. VÈ. Leur départ, & le déplaifir d'avoir perdu Poccafion de ren- urn h i. trer dans la poffeffion du Roïaume de Jérufalem, ne fut pas Jf £Mf la feule mortification, qu'eut alors le Roi Jean de Brienne. II . eut encore la douleur de perdre, peu de tems après, la Reine &2e. Marie, fa Femme, qui ne laiffa , de leur mariage, qu'une „„-. Fille, nommée Yolande. La mort de cette Princeffe, qui natürélïement laiffoit la couronne a fa Fille; la paix qu'on venoit d'établir, par néceffité, avec les Infidèles; & 1'engagement, qu'avoit pris f Empereur Fre'de'ric II. de paffer lui même en Syrië, déterminèrent Hermans Saltza, Maitre des Teutoniques, a faire un voïage Sait*; en Italië, oü fe trouvoit alors ce Monarque, afin de le follici- Sff** ter a preffer cette Ste. entreprife, pour furprendre les Infidè- qucs, paff$ les, qui ne fe tenoient point fur leurs gardes, a caufe de laj^fe.' Trève. ter Frédé- Ce n'étoit pas-la la feule fin de Saltïa. Són intention étoit t*Jfer'déu d'infpirer a Fre'de'ric d'époufer la Princeffe Yolande, feu- StaïSle héritière du Roïaume de Jérufalem; fur ce qu'il fe flattoit, que, s'il pouvoit ménager cette Alliance , 1'intérêt qu'auroit ce Prince de conferver la Palejline, comme un bien qui lui ap- ' partiendroit, fengageroit a y tenir affez de Troupes, pour le mettre a couvert des infultes des Barbares; & que, comme ce Monarque ne pouvoit naturellement quitter fes intéréts en Europe, pour faire une longue rófidence en Palejline, le gouvernement, & le manïment des affaires en demeureroit entièrement a fa Religion, toute compofée dc Nationaux, & de Sujets de VEmpire; en forte que, par ce moïen, 1'Ordre Teutonique deviendroit fupérieur en autorité , en réputation, & en ncheffes, a ceux du Temple , & de VHópital. Saltza, qui étoit un fin politique, non content d'avoir difpofé 1'Empereur, qui n'étoit pas fort affligé de la mort de Hmpératrice Constance, fa Femme, a contrafler promtement  é&6 HISTOIRE GE'NE'RALE ment un fecond mariage avec la PrinceiTe Yolande , & a faire fexpédition de la Palejline avec vigueur, lui avoit donné une haute idéé des richeffes des Pays Orientaux, principalement de VEgypte, dont il lui vantoit la fertilité- II lui faifoit, en même tems , envifager la.facüité, qu'il y avoit k fubjuguer ce Roïaume , & celui de Jérufalem, dont la conquête éterniferoit fa mémoire, & le rendroit arbitre. de tout 1'Unirers. L'Empereur, naturellement avide, frapé dc ces vaftes projets , & en même tems porté a époufcr la PrinceiTe Yolande , fit comprendre a Sutza, " qu'en failant les avances, il craignoit de commettre fa réputation: " Mais il lui répondit, avec une admirable préfence defprit, "qu'il avoit li bien „ prévu tous les inconveniens, que, li Sa Majefté vouloit s'en raporter a lui, quelque mécontent que füt le Pape de fa „ conduite paffee, il fe flattoit de porter le St. Père a lc re„ chercher lui même, peur le bien commun de la Cbrétlenté; „ de forte que fon honneur ne courroit aucun rifque de ce cóté-la, 6c que fes avantages feroient affurés. x'iw/x- Fre'de'ric, a qui les propofitions dc Saltza avoient pa>!f. ru d'autant plus agréablcs, qu'elles flattoient fon ambition, & fa cupidité, puisqu'en acquérant de nouveaux Etats, & une nouvelle gloire , il pouvoit fe racommoder avantageufement avecleSf. Siége, le remercia de fon affe&ion, & le pria de fe fervir de. toute fa prudence, pour conduire cette grande affaire a une heureufe fin; 1'affurant en mêmc-tems, qu'il lui en demeureroit fort obligé. II nen fallut pas davantage au Maitre des Teutoniques, pour le détermincr a tout entreprendrc, pour perfeétionner fon ouvrage. II fe rendit inceffamment auprès du Pape , qu'il favoit avoir un extréme défir de voir recouvrer les Sts. Lieux. En effet, dès la prémière audience, le St. Père lui deman- da,  de JE'RUSALEM. Liv. IX. Ch. VU. m da, comment on pourroit réüffir au recouvrement de la Terre-Sainte. Saltza lui répondit d'abord, "qu'il ne „ connoiffoit point de plus uir, ni de plus promt moïen, 5J> que celui d'mtéreffer fi fort 1'Empereur dans cette entre„ prife, que non feulement fon vceu 1'engageat a s'en char„ ger, mais encore qu'il entrepnt le voïage de Palejline, 3, par des motifs d'honneur , qui ne 101 permettroient plus „ de laüTer le Roïaume de Jérufalem entre les mains des ,, Infidèles. _ Le Pontife , qui ne comprit pas d'abord de quelle manière on pouvoit engager 1'Empereur , pour la délivrance, & la poffeffion d'un Etat, qui avoit fon Prince légitime, lui demanda , avec empreffement, Pexplication de fon difcours Saltza, fans héfiter, lui répartit, " que Sa „ Sainteté n'avoit qu'a faire marier 1'Empereur avec Phéri„ tière du Roïaume de Jérufalem, & engager le Roi „ Jean de Brienne a le lui remettre, en faveur de „ cette alliance ; Que cela feroit facile, en faifant venir ce „ Prince a Rome, &, avec lui, Gue'rin de Montagü, „ Maitre des Hofpitaliers, par les confeils duquel il fe „ gouvernoit entièrement; Et que, pour cet effet, on de„ voit prétexter un nouveau projet, touchant la reprife de „ la Terre - Sainte. " II affura le St. Père, " qu'après cet„ te démiffion , il fe faifoit fort de difpofer 1'Empereur a „ accepter les autres conditions. Quoique le St. Pere eüt entrèmement a coeur le recouvrement de la Palejline, la crainte de priver ce pays-la du Roi Jean de Brienne, & du Maitre de VHöpital , qui en étoient le foutien , le fit long-tems balancer a les faire venir en Italië ; mais, enfin , 1'adreffe , avec laquelle Saltza lui fit entendre, que la Trève, qui avoit été conclue avec les Infidèles, affuroit fi bien les affaires, Rrr qu'il  45>8 HISTOIRE GE'NE'R. DE JE'RÜSALEM. LivJX. Ch.VII. qu'il n'y avoit rien a. crandre , fit enfin réfoudre Honoïlius a leur écrire de prelfantes Lettres , aulfi bien qu'au Maitre du Temple, pour les faire venir a Rome, aulli - tut qu'ils pourroient le faire, fans rifquer les intéréts du pays, afin de délibérer fur un projet d'iraportance. Quelques-uns ont même écrit, que , pour accélérer leur venue, 1'Empereur leur envoïa une Efcadre de fes propres Galères. ÏIIS-  HISTOIRE GÉNÉRALE R O ï AD U M E S D £ CHYPRE, de JÉRUSALEM, e t D' EGYPTE. L I V R E X. Chapitre Premier. CÖSrö^^^' dont jouïlToit le Roïaume fertiele f Chypre, depuis quatre ans, fut cepen- *■£ %t T P TUée Par l£S démêlés ordinaires desÜ* SI ^ 3^5 , c ClcrSes>/fs que la Reine Aux, ni£fc, C****^*^ f3 Seigneurs d'lBEUN, pulfent Pempêcher d™ ^UmW Les brouilleries des Eccléfiaftiques i v>' J„ r> •• , v rent a un tel Point> que tous les Habitans du Roïaume sWrent pour 1'un, ou pour Pautre parti Dés- Rrr z ordre,  i < ] 1 I Ils font oppaifis. Article II. 1223. .Roi de Jéruralerr. 4 Rome. foo HISTOIRE GE'NE'RALE >rdre, qui auroit eu des fuites très-funeftes, fi le Cardinal P e*jagjus , qui fe trouvoit encore a Ptolomaïde, ne s'y fut )romtement tranfporté, avec les Maitres du Temple & de VHó)ital. Ce Prélat fefervitfi utilement de Pautorité du St. Siége, qu'après diverfes conférences il appaifa enfin les troubles, dont ['Etat étoit agité. II expédia une Bulle, datée de Famagoufte, [e 18. Septembre, 1222; par laquelle il régla les différends, qui aigriffoient, depuis fi long-tems, les efprits des Eccléfiaftiques des deux rites , & calma entièrement tous les Peuples. Cet accord fut enfin caufe, que, malgré la haineinvétérée, qui régnoit entre les Grecs, & les Latins, ils demeurèrent, au moins, en repos, pendant quelque tems, quoi que les uns & les autres fuffent toujours difpofés a renouveller leur querelle, dès que Poccafion s'en préfenteroit ; de forte qu'on peut dire, que, pendant la minorité du Roi Henri, la paix, & la tranquilité du Roïaume ne fut jamais troublée, que par leurs conteftations, a la réferve pourtant des violences que 1'Empereur Fre'de'ric voulut exercer, lors qu'il paffa en Palejline, oü il parut plütöt aller pour tourmenter les Chrétiens, que pour faire la guerre aux lnfidelès, comme nous allons le voir. Le Cardinal Légat, & les Maitres de VHöpital, & du Temple, trouvèrent, a leur retour a Ptolomaïde, les Brefs du Pape, & le Roi occupé a donner les ordres néceffaires touchant le gouvernement de 1'Etat, afin qu'il n'y arrivit aucun désordre pendant fon abfence. Ils fe préparèrent a accompagner ce Prince en Italië, en conformité des ordres du Souverain Pontife. Le Patriarche de Jérufalem, & 1'Evêque de Bethelem, voulurent auffi être du voïage. Ils s'embarquèrent tous a Ptolomaïde, & arrivèrent heureufement a Rome, oü le St. Père les recut avec beaucoup d'honneur, & de grands témoignages d'amitié. Ils  De JE'RUSALEM. Lir. X. Ch. I. jc Ils eurent diverfes conférences avec le Pontife, oü chacu propofa les moïens, qui lui paroiflbient les plus propres por chaffer les Infidèles du Roïaume de Jérufalem. Après avoi écouté, & péfé toutes les propofitions, le St. Père fit au Rc celle du mariage de la PrinceiTe, fk Fille , avec PEmpereu Fre'de'ric, que cette Alliance engageroit a agir, avec plu de chaleur, pour les intéréts de la Paleftine. Le Roi Jean qui avoit une déférence aveugle pour la volonté du -Souveraii Pontife, perfuadé d'ailleurs par le Patriarche, par PEvêque d< Bethelem, & par les Maitres des Ordres Militaires, y confen tit facilement. II ne prévoïoit pas les chagrins, que ce maria ge lui cauferoit, ni le grand préjudice qu'il en recevroit dans ls fuite. Après ce réfultat, ils fe rendirent dans la Province de Cam panie, oü fe trouvoit 1'Empereur, lequel, en préfence du Pa pe, de plufieurs Cardinaux, du Roi Jean , du Patriarche, dc 1'Evêque de Bethelem, & des trois Maïtres des Ordres Militaires , promit folemnellement d'époufer la Princeffe Yolande. Fille du Roi Jean de Brienne, & de la Reine Marie, & jura fur les Sts.'Evangiles d'aller, en perfonne, dans deux ans, a la tête d'une puiffante Armée, en Paleftine, & de n'en point partir, fans récouvrer entièrement le Roïaume de Jérufalem. Après la conclufion de cet Engagement, & de cette Alliance , que le St. Père, & toutes les Perfonnes, qui affiftèrent a cette célèbre affemblée, crurent fi utilë, &fi néceffaire au bien commun de toute la Cbrétienté, ils commencèrent a travailler aux prèparatifs néceffaires pour la grande entreprife de la Guerre Sainte. Le Pape, qui défiroit ardemment cette expédition, envoïa d'abord prêcher la Croifade dans toutes les Provinces de ïEurope. II écrivit aux Princes, & aux Evêques ; Aux prémiers, pour les exhorter a fe réconcilier, & a fe joindre a 1'Empereur ; & aux Pafteurs, pour engager les Peuples a s'armer pour la délivrance du Sépulcre de Jefus-Chrifl. Rrr 3 Ere- i n r r i r s Confentement du 5 Roi au ma- j riage de in Princef- i fe Yolande avec ' Frédéric. L Article///. Croifade iréciéé W-teut.  Ltgfaitpa le Roi ie France, et faveur ik l\ "öroifade. n£y. \ $02 HISTOIRE G E'N E'R A L 8 Fre'de'ric , foit par affeéfcation, ou dans une intentioa fincère de faire le voïage de Palejline, non content de fe donner de grands mouvemens en Italië, envoïa folliciter tous les Princes d1'Allemagne a prendre part a fon projet. II dépêcfia, en même tems, 1'Evêque de Capoue, avec une Efcadre de Galères , a Ptolomaïde, pour y recevoir la Princeffe Yolande, afin de confommer fon mariage, avant dcpartir lui même pour ce pays-la. Quant au Roi Jean de Brienne, qui ne pouvoit, que folliciter les Puiffances Chrétiennes de contribuër au recouvrement de fon Roïaume, comme il avoit fait vceu d'aller vifiter la fameufe Eglife de St. Jaques, en Galice, il prit cette occafion, pour s'en aquifer. II paffa prémièrement en France, tant pour faluè'r le Roi Philippe-Auguste , que dans. Pefpèrance d'obtenir quelque puiffant fecours de ce Monarque, qui avoit été l'ajiteür de fon élevation, & qui confervoit toujours un grand zèle pour le recouvrement du St. Sépulcre; mais il eut le malheur de le trouver atteint d'une maladie, dont il mourut peu de jours après fon arrivée. Ce grand, & pieux Prince avoit légué, par fon teftament, trois eens mille Livres, pour être emploïées a la Guerre Sainte, dont cent mille furent comptées au même Roi Jean, & les autres deux eens mille aux Maitres de VHópital, & du Temple. r LeRoi de Jérufalem , après avoir rendu les derniers devoirs a celui de France, paffa en Angleterre, & enfuite en 'Efpagne, oü il acomplit fon Pélerinage, & époufa, en fecondes nóces,Be'r angere,Fille d'alphonse IX. Roi de Leon; dc lorte que , s'il ne put emporter de ce pays-la aucun fecours pour le recouvrement de la Terre-Sainte, iï eut au moins lafatisfaclion d'en ramener une Compagne, qui ne lui étoit pas moins chère,&qui 1'aida a fupportcr les grands fujets de cbagrin,que ÏEmpereur, fon Gendre, lui caufa quelque tems après. L'Evê-  »* JE'RÜSALEM. Lr.-;. Ca. L yo3 L'Evêqne de Capoue, étant arrivé a Ttohmaiie, mee les Galères de 1'Empereur, la Princeffe Yolande fut ouronnée Ti ,ra'r.rU dC '°UrS apreS' P°l,r fe > te- Elle aborda en Cbypre, 0Ü la Reine Aux, fa Coufine h reent avec beaucoup de magnificence; & la r«int p fieui „ ^ ai tTft,0n'^ amV? "fU aU P^Q^M 1'Empereur Ll pana fi Tlr' 'a,cond",fit> comme en tnompbe, iLl Ee Pape fit lu, m,ms la cérémonie de leur mariage dans 1'EgI.fe ct^'T lï?km édatante P°»Pe,m.'oS eüt jama£vu. «ntZetST- °^8m' & ks réi°"iff^ces de ces nóces,fu.m,%, qui etflit retourne a icoa«r. Ere'de'ric, ou indigné dUDia F«i« nage, que fon Beau-Père venoit de contraéler; ou imnatient de poffeder, avec 1' mpératrice fon Epoufe, les Etats, m lu «ppartenoient, déclara au Roi Jean, même avec „auteur » que comme le Roïaume dt Jérufalem étoit la dot de fa Fem- " "''r V'f ï' ^ rénoncic * toutes fes pré- „ tenfions fur cet Etat, dont il vouloit avoir feul les Titra, & tous les droits de Souveraineté. fij.r?^°? Prince„fut'«'«tont plus étonné d'une prétenfion fi*—. on uitdtZmi e'' fUen traiant d™A fa Ffe*» on ui avoit promis, qu'fi jouiroit, pendant fa vie, du Titre rté d , F at,0n/U l0*™*- Cmndmt, malgré hdu^jT" r te de iEn,p fon Gendre) & gr ai,ro t'*™- pu trouver, pour fe maintenir dans fa poffeffion, foi par fi propre valeur; feit par le fecours de divers Prince's SSj qm elWnt; ou par Ia fidélité des Peuples de la Faleliim qm fechenffoient infiniment, il fut affez gLéreux, pourficrifier fe prop« intéréts k la tendreffe, qu'! avoit pour fa Filfe, K ntitemenr ** T^' * ^ P» démfi! enü«-ement les aflees d« CfoVfiw, Orientaux. Auffi, pour  fo* HISTOIRE GE'NE'RALE pour éviter ce fcandale, il rénonca, fans difficulté, au Titre de Roi de Jérujalem, qu'il portok fi légitimement, & a tous les droits, & prétenfions, qu'il pouvoit avoir fur cette Couronne; ce qui donna occafion a 1'Empereur d'ajouter a fes autres Titres celui de Roi de Jérufalem, que les Rois de Sicile ont depuis toujours continué de prendre. Quelque fenfible, que füt au Pape le procédé wijdte , & violent de Fre'de'ric, la palfion, qu'il avoit de furmonter tous les obftacles , qui auroient pu rétarder la Guerre-Sainte, fit qu'il exhorta ie Roi Jean a fupporter cette injure, pour 1'amour de Jefus-Chrifl; puifqu'il s'agilfoit de fa gloire; &,quelque mécontent que füt le St. Père de la conduite de 1'Empereur, la même raifon 1'engagea a prendre fes intéréts, pour appaifer quelques Provinces & Italië, qui s'étoient révoltées contre lui, afin que ce Prince n'eüt plus aucun prétexte, qui put rétarder fon départ pour la Palejline-, mais il fe trompa; car les bontés, les foins, ni les grands mouvemens qu'il fe donna, ni 1'empreffement, qu'avoit eu Fre'de'ric,de dépouiller fon Beau-Père, ne fervirent de rien; puifque, malgré 1'arfectation,avec laquelle il continuoit fes prèparatifs, fa conduite fit I126- bien voir, que c'étoit la chofe, a laquelle il penfoit le moins. Chapitre II. Article/. *Dendant que Fre'de'ri c amufoit ainfi le Pape, & toute la £ chypre Chrétienté, la Régence des Seigneurs d'lBEUN en Chypre, &lme qui n'avoit encore été troublée, que par les querelles du Clergé,le fut alors par une affaire, qui devoit être de bien moindre importance; mais qui eut cependant des fuites beaucoup plus ftcheufes. iLa bonne intelligence, & 1'union, qui régnoit toujours  ft* JEllUSALEM. Lir.XCn.ri. w pms entre la Reine, & eux, fe convertit en une haine fi grande, que cette PrinceiTe, fans réfièchir au tort, qu'elle alloit fai re a fa réputation, & a fes intéréts, fortit brulqueme.it du" .Roïaume; ce qui fit refoudre les Seigneurs ü'ibelin d- fe dé mettre de leur Régence, & de leur adminifiration, entre les mams de la Cour fupérieure. Ce désordre fut caufé par un démêlé, qui furvint entre Caherin de Barlas, Favori de la Reine, & le Chevalier To ringello , Parent des Seigneurs d'lBELiN, pendant qu'ils donnment une fete dans leur Maifon. On y jouoit au jeu de la Chouettc, ou Gvctte. Le prémier fe facha, de ce que f autre 1'avoit frappe trop rudement,&lui dit quelques paroles piquantes Toringello lui répondit, avec la même vivacité; furquoi ils s echaufterent fi fort, que, fans la confidération, qu'ils avoient pour la maifon, & pour la compagnie, compofée de tout ce qu il y avoit de plus confidérable a la Cour, ils en feroient venus aux dernières extrémités. Camerin, qui, malgré legrand bruit qu'il avoit fait, man- T™"«S/Ti'1™61* de,,C0UraSe Pour tirer vangeance par lui meme, delmmre, qu'il prétendoit avoir recne, engagea, dès le lendemain, quatre de fes amis a le foutenir. L'alion, qu'ils firent, marqua, en effet, qu'ils n'avoient pas plus de cceur que celui qui avoit recherché leur affiftance. Ils affaillirent Toringello tout feul;&, foit qu'ils agiffent, a 1'envi, pour bien fervir leur ami, ou qu'ils vouluffent tous avoir part a cet affaffinat, ils le percèrent de plufieurs coups, & ne le quittèrent, que lorsqu ils le crurent mort. Un attentat, fi lache, & fi indigne, révolta toute la Cour. Les Seigneurs d Ibelin, en particulier, en furent extrèmement irntes. lis étoient trop équitables, pour ne pas faire punir une ü noire aóhon, felon la rigueur des loix, quand même 1'offenfé nauroit pas ete leur Parent. Auffi, firent-ils dabord pourfui- S S S yfg  |6d HISTOIRE GE'NE'RAL! ▼re avec chaleur, ces Affafiins, malgré Tappin, & les follicita» tions de la Reine, qui prétendoit, qu'on fit grace a fes amis, quelques criminels qu'ils fuffent. Les Régens, au contraire, vouloient, que les affallins fuffent chatiés; deforte que cette Princeffe , oubliant la modération, & la prudence, avec laquelle elle s'étoit toujours conduite, s'emporta jufqu'a leur dire en face, qu''étant Reine, elle vouloit étre obèie. Ces Seigneurs lui répondirent,fans héfiter, que, fi elle vou» hit, que Jes ordres fuffent exécutès,il ne falloit rien commandcr tfinjufte. Une réponfe fi vive lui aïant fait comprendre, qu'il» ne défifteroient pas de leur pourfuite, & n'ignorant pas d'ailleurs que leur crédit étoit affez grand, pour contre-balancer fon pouvoir , elle fit inceffamment évader les criminels, qui paflerent a Tripoli, fans pourtant rien diminuër de la haine, & du dépit, «jue fa pafiion désordonnée pour fon Favori lui avoit fait concevoir contre les Seigneurs d'lBELiN, malgré la juftice, qu'elle avoit toujours rendue a leur mérite, & a leur probité. Cette Princeffe fit plus; car, après avoir mis tout en ufage pour les chagriner, & pour leur marquer le reffen timent, qu'elle confervoit de leur refus, par une légèreté, & une inconfidé» ration, bien indigne, non feulement d'une Reine, mais encore de la moindre Femme d'honneur, elle quitta le Roïaume pour •fuivre fon Favori a Tripoli, oü il s'étoit réfugié avec fes complices. Une fuite fi honteufe, jointe a Pirrégularité de la vie, qu'on aprit bientöt, qu'elle menoit en cette Ville, offenfa, & fcandalifa extrèmement toute la Nobleffe de Chypre, & lui fit entièrement perdre 1'eftime fingulière, qu'elle avoit toujours eue pour elle. Les Seigneurs d1 Ibelin en furent fi outrés, qu'ili fe démirent d'abord des affaires del'Etat, dont ils n'avoient accepté l admimftration, que par un pur zele pour le jeune Roi, leur Neveu, & pour le bien de fes Sujets. La Reine, qui ne défiroit rien tant, que de lef voir rénon- CCT  de JEHUSALEM. Lit. X Ca. II. fc* eer a la Régence, dans 1'efpérance, que la NobleiTe du pay« refpederoit trop fa Perfonne, pour s'oppofer a fes volontés prit le mauvais parti d'envoïer Camerin de Barlas en Cbypre, pour prendre, en fon nom, le gouvernement du Roïaume. Elle' feflattoit, que les grandes richelfes, qu'il poffédoit, & la faveur, dont elle fhonoroit, lui attireroit affez de partifans, pour s'y faire inftaUer; mais fa mauvaife conduite 1'avoit rendue odieufe, & avoit tellement aliéné 1'efprit des Peuples, que cette demarche ne fervit qu'a les irriter davantage; d'autant plus que bc,in,m' Camerin, quoique fort riche, n'étoit point d'une Maifon aflbff' illuftre, pour porter la NobleiTe a fe foumettre a un Homme, qm lui etoit inférieur, & généralement méprifé pour fes vices Roïsum;& fes débauches. Auffi, bien loin d'avoir aucun égard pour les ordres de la Reine, ni pour la perfonne de fon Favori, ils refulèrent abfolument de 1'admettre, & prièrent,au contraire, avec tant d'mltance, les Seigneurs d'Ibelin, dc reprendre la Régence, qu'ils fe rendirent enfin a leurs preffantes follicitations. Comme les Seigneurs du Confeil fuprème ne doutoient pas, que la Reine ne mit tout en ufage, pour fe vanger de leur réfus, &durapel au gouvernement des Seigneurs d'lBELiN, ils jugèrent a propos d'envoïer des Ambalfadeurs au Pape, pour pner Sa Sainteté de prendre le jeune Roi fous fa protection, & de vouloir ordonner aux Chevaliers de VHópital de Paffifter de leurs forces, en cas de befoin. Le Pontife, qui ne défiroit,que la concorde parmi lts Chrétiens Orientaux, afin que lts Infidèles ne profitaffent point de leur desunion, écrivit d'abord au Chevalier de Montagü, Maitre des Hofpitaliers, la Lettre fuivante, qui fe trouve enregitrée dans la Bibliothèque du Vatican. Sss 2 Ho  j-oS HISTOIRE GE'NE'RALE i Article 11. ha Reine frimet dl je ré'nariei *vec ie Comte dl Tripoli. Honorius, au Maitre, & aux Religieux de VHöpital de St, Jean de Jérufalem, falut, & Bénédiclion Apoftolique; "KJVi'e cber Fils, Henri de Luzignan, illüffre Roi de C'iy™ * pre, Nous a nouvellenient envïéfon Ambaffudeur ,pour Kous faire favoir, que votre Confeil, £5? votre affitlance, lui ét anti £=? a fon Roïaume, entrémement nêceffaire, Comme Nous PaimonS avec fincérité, £5? affefiion, & que Nous défirons 1 augmentation de Jon honneur, £5? de ia gloire; Nous vous exhortons prions, avec inflance, que, pour Pamour de Nous, £5? par rejpetl pour le St. Siége Apoflolique, Vous Yaidiez lui, £5? les Régens de jin Roïaume, de vos conjeils, £5? de toutes vos forces, tous les fois que Vous en ferez réquis, les aïant repus Jous Notre protellion, £«f* fous celle du St. Siége Apo/lolique, contre tous ceux-qui voudront les inquiéter, afin que, par le promt fecours, que Vous leur donner ez , en cas de bejoin, ils reffentent les effets de notre récommandat ion; £5? que ce jeune Prince puiffe trol tre, £jp vivre, dansVattachement, du d notre Perjönne, £5? a ÏEglije Romaine. Ce que Nous ne doutons pas, que Vous ne jafjiez d'une manière, qui Nom oblige d Vous conferver notre reconnoiffance. Donné a St. Jean de Latran le 15*. Février, & la dixicmc année de notre Pontificat. La précaution des Seigneurs ^Ibelin, & de la Cour fupérieure, ne fut point inutile. Car la Reine, qui ne relpiroit que vangeance contre eux, toujours aveuglée par fa pailion, connoilfant que, pour venir a bout de lés deüeins , il lui falloit quelque Perfonne de plus grande autorité, que fon Favori, & fes adhérens, s'engagea légerement a un manage avec le Comte dc Tripoli, qui étoit auffi Veuf? & en état de faire valoir £ts droits, & fes prétenfions, • L'anv  öe JE'RUSALEM. Liv. X. Cn. II $ot> L'ambition déméfurée qu'avoit ce Comte de dominer, jointe • fcfon caraftcre fourbe & entreprenant, & enfin fa mauvaife' foi, plütöt que lamour, qu!il eüt pour cette PrinceiTe, le portèrent a lui faire la Cour,, & la recbercher avec empreifement, des qu'elle fut débarquée dans fes Etats; periuadé, que c'étoit la plus favorable occafion, qu'il put défirer, pour s'introduire dans le Roïaume def-%;r,& qui lui procureroit les moïens de profiter de la facilité de Ja Mère, & de la jeunefle du Fils, pour ufurper cet Etat, ainfi qu'il avoit voulu faire de la Principauté & Antioche. 11 venoit même de s'emparer tout fraichement du Chateau de cette Ville, dont le Patriarche Pe'lagiüs avoit confié la garde aux Hofpitaliers-, que le Comte dépouilla auffi de tous les biens, qu'ils polTédoient dans fes Etats; deforte que les.'i&ypriots étoient presqu'a la veille d'avoir befoin de 1'affiftance, qu'ils avoient demandée au Pape, avec tant d'emprelfement. Cependant, toutes les rulès de ce Comte, & toutes fes affiduités furent inutiles, auffi bien que fes attentats fur les biens des Hojpitaliers. Ces illuftres Religieux obtinrent la permiffion du Pape de les recouvrer par la voie des armes, & le contraignirent a leur rendre tout ce qu'il leur avoit pris injufiement. LaReine,de fon cöté,revenue enfin de fes erreurs,& defes cmportemens, également allarmée des malheurs, qu'elle avoit faüli de camer au Roi fon Fils, & a fes Etats, attendrie, en même tems, de la mort du Seigneur Philippe d'Ibelin, dont elle avoit véritablement reconnu le zèle pour la Maifon Roale, bien loin de vouloir fe rendre aux: continuelles inftances du Comte de lrtpoh pour la conclufion de leur mariage, le fit citer devant Archevêque de Tyr; paree que le Patriarche fe trouvoit pour iors en Europe; afin de iè dégager de la promeiTe, qu'elle lui avoit faite avec trop de précipitatïon. ■ Ce Prélat, après avoir écouteles ra.fons de part, & d'autre, reconnut le préjudice, &-les troubles que cette alliance cauferoit en Hjypre; &, coniidcrant,.d'ailleurs, 1'étroite parenté, qui étoit entre eux, il Sss 3 décia. • imhlthn 'e ci Comte. '  ftp HISTOIRE GE'NE'RALE Artic!e7/J Retour ie h Reine tl Cbypre. déclara, qu'ils ne pouvoient fe marier enfemble, fans contrevenir aux facrés Canons de 1'Eglife ■, «Sc, par confequent, il calfa, & annulla toutes les promelTes, qu'ils s'étoient faites réciproquement. Après cette diflolution, qui offenfa vivement le Comte, la , Reine ne fongea plus, qu'a repalTer en Chypre, pour réparer, s'il lui étoit pofilble, par une conduite plus prudente, & plus folide, fes légèretés paffées. Elle étoit fachée de ne pouvoir aufll remédier aux désordres, que pouvoient caufer les mécontentemens du Baron Gayan de Ros si, qui ne pouvoit digérer,' que les Seigneurs d'lBELiN, 1'eulTent obligé, felon les loix du pays, a combattre, en champ-clos, contre le Chevalier de la Tour, auquel Rossi prétendoit être fupérieur en naiffance. La Reine , qui foutenoit ce dernier, étoit entrée dans fon relfentiment; «Sc, dans la fureur de fes emportemens, elle lui avoit confeillé d'aller trouver l'Empereur,qui devoit bientót venir en Palejline, afin deporter a ce Monarque des plaintes contre les Seigneurs d'lBELiN,&l'engager ales priver du gouvernement de 1'Etat,& de la tutelle du jeune Roi, «Sc même a leur ! enlever la Seigneurie de Baruth, partie du Roïaume de Jérufalem , qu'ils s'étoient appropriée. Cette PrinceiTe, qui avoit été 1'auteur de ce malin projet, & qui connoilToit Rossi capable d'envenimer aflez les chofes, pour | engager 1'Empercur a quelque grande extrémité, non feulement contre la Maifon & Ibelin, mais encore contre le Roïaume, ne fut pas plütöt arrivéea AïVo/fc, qu'après s'être racommodée avec le Seigneur d'lBELiN, elle travailla , de tout fon pouvoir, a obtenir la grace, & le rapcl de Camerin de Barlas , «Sc de fes amis , afin qu'il s'emploïat efficacement a appaifer Rossi, ! & a le faire revenir en Chypre, avant qu'il portat fes plaintes a 1'Empereur; perfuadée, que ce Prince, qui écoutoit favorablement tous ceux qui lui fonrniflbient des prétextes pour envahir I des Etats, ne chercheroit pas une meilleure occafion. Mais  J>e JE'RUSALÊM. Liv.XCh. II su Mais fes précautions, & fes foins furent inutiles. XI lui fut impoffible de diiliper 1'aigreur, & le reffentiment , que ces mécontens confervoient contre la Maifon $ Ibelin ; de forte qu'au lieu de retirer quelque avantage de la grace, que la Reine venoit d'obtenir pour eux, tout cela ne fervit qua augmenter les désordres, qui arrivèrent peu de tems après, par 1'empreffement qu'eurent ces mécontens de favorifer Pinjufte attentat de FEmpereur fur le jeune Roi, fur fon Tuteur, & fur fes Enfans. Ce qui ne prouve que trop, que, lorsque les Perfonnes dautorité fe laiiTent aller a leurs caprices , & a leurs paffions, il n'eft plus en leur pouvoir de detourner les déplailirs qu'ils caufent, ni les malheurs qui en arnvent, quelque répentir qu'ils concoivent de leurs fautes , «Sc quelque mouvement qu'ils fe donnent pour en empêcher les facheufes fuites. F red er ic , après avoir long-tems amuféle Pape par dc fauffes promelTes, affecla enfin devouloir véritablement accomplir fon voïage en Palejline. Le St.Père, qui le crut fincère, fit d'abord defcendre en Italië tous ceux qui s'étoient voucs k la guerre Sainte. Le nombre s'en trouva fi confidérable, & tous également bien pourvus du nécclTaire, par l'exaéïitude avec laquelle les Villes, qui s'étoient volontairement taxées, y avoient mis ordre, qu'ils auroient été capables de conquérirtout VOriënt, fi on avoit promtement profité de leur ardeur a aller «ombattre les Infidèles. Mais deux accidens fecondèrent fi bien FEmpereur, dont le * deffein etoit d'emploïer tous ces grands prèparatifs de terre, & V' de mer,a tourmenter YIta!ie,& non a faire la guerre aux Infidèles, cc a^recouvrer la Terre-Sainte, que les peines,les foins, & ks dépenfes prod.gieufes de tant de Croifi's, furent non-feule. ment inutiles aux chrétiens Orientaux, mais encore très-facheu■fes pour ceux de Y Europe; puisque la plupart de ces bravesgeni Hénrcnt, ks uns a caufe des excefilves chaleurs foVJpouille, Walt, ufit ie iitytrm,  }ti HISTOIRE GE'NE'RALI 1*17. 11 eft preff par Grtgoi rt d'aller <*n Paleftin. I & de la Catabre, que ces Ultramontains nc pouvoient fouffrir, & le* autres de faim, &dc mifère eh cherchant a regagner leur Patrie. Ee prémier iujet,qui fervit de prétexte a Frede'ric,pour rétarder fon vo'age d'outre mer, fut faccouchement Sc la mort de rimpératnce la Femme, après avoir mis au monde un Prince, qui fut nommé Conr\d. La plupart des Hiftoriens attribuent la mort de cette PrinceiTe, plütöt aux mauvais traitemens, & aux chagrins,qu'elle recevoit de FEmpereur, fon Epoux, qu'aux douleurs de Fenfantement. L'autre accident, aulfi funelle, que le premier, fut la mort du bon Pape Honorius. 11 décéda a Rome , le 8. Mars de cette année 1227. après avoir gouverné faintement FEglife de Dieu, pendant dix ans Sc huit mois. II avoit fait humainement tout ce qui avoit dépendu de lui, pour faire rentrer les Chrétiens dans le Roïaume de Jefus- Chrijt. G r e'g o i r e IX. de Füluftre Maifon de Conti, que les Cardinaux élurent deux jours après fon décès, lui fuccéda. s Ce nouveau Pontife, auffi zélé pour le recouvrement de la Terre-Sainte, mais beaucoup plus vif, Sc plus réfolu, que fon Prédécelfcur, preffa d'abord F r e'd e'r i c d'accomplir, fans plus de délai, les promclfes, quil avoit fi folemnellement jurées, d'aller en Palejline, a la tête d'une puilTante Armée; le ménacant, " que, s'il tardoit davantage a s'en aquiter, il lanceroit con" tre lui les fbudresde FEglife, &ledéclareroit déchu dePEm9 pire, Sc de fes autres Etats. Ces tcrribles ménaces, & la hauteur de G r e'g o i r e , aïant fait comprendre a F r e'd e'r i c , qu'il ne 1'amuferoit pas fi facilement,qu'il avoit faitHoxoRius,ilexcufa fon rétardementpar toutes les raifons, dont il put s'avifer, Sc fit de grandes proteftations au St. Père, qu'il alloit incelTamment fe mettre en état de fatisfaire a fon obligation. II écrivit, pour cet effet, au Prince Henri , fon Fils, de convoquer une Diète a Aix-la-Chapelle, pour follicitcr les Princes & Seigneurs, qui voudroient 1'accom-  de JETIDSALEM. Liv. X. Cu. II. }1J de k Cfoïtów P dans toutes Provinces les avoient ft^'S fc»* pluslePape, ^ voïoit ™ ce tta£' 'T ■a nranvrnfe foi, & les déLrs nSe d ^'^uepar que celui-ci fe rendit enfin ? "amerefi violente, f Patriarche to ^ moins n effet. Le rtmee, irrite, au dernier point, de la démarche violente du Pontife, bien loin de fe mettre en peme de 1 . theme qui avoit été fulminé contre lui, ou de chercher a s'en iaireabfoudre, ne fongea, au contraire, qu'a s'en vanger. Auffi fansfecontraindre davantage, &garderaucunesmefures, ilen' voia un gros detachement de fes Troupes, pour ravager VEtatEcclefiqjlique ,& perfecuta cruellement toutes les Perfonnes, qui étoient attachées au Saint Siége. II auroit entièrement défolé ls ViHes de^,, de JW*, & toute kMardiedUte»*,Brie^e pr°mtement °PP°fé Ie Roi de Jean de Ce Prince, qui demeuroita^/^, avec la Reine fon Epoufe, depuis quil avoit été contrahit de rénoncer a fon Roïaume , nourriifoit une haine irréconciliable contre fon Gendre qui 1 avoit traite avec mépris, & n'avoit eu que des duretés pour rimpératnce fa Fille. Le Pape ne pouvoit choffir TgS »*• qui foutmt mieux fes interets, comme 1'évènement le juftffia Dans ces entrefaites, le St. Fère recut des Lettres du Patriarche &desSeigneCroifés & la Palejline, quilui demandoient du fecours, avec beaucoup d'inllance. Le Pontife travailloit de,a a faire embarquer le Roi Jean de Brienne fur la Flotte rémtienne, avec grand nombre de Troupes, pour y aller com- Ttt 2 mander,  ki6 HISTOIRE G E' N E' R A L E Ttntativts qu'ilfait contre 1'Ilide Chypre. mander, lorsque FEmpereur en fut averti. Ce Prince , qui craignoit, que fon Beau-Père ne rentrat en poiTeifion du Roïaume de Jérujalem; & qu'il ne füt approuvé des Puiffances Chrétiennes, aux queïles lui même avoit écrit, qu'il accompliroit fon vceu, fitöt que fa fanté le lui permettroit; & prélTé d'ailleurs par tous fes amis, qui fouhaitoient de mettre fa réputation a couvert , fe détermina enfin a ne plus différer fon départ. Mais, comme il ne fe croïoit point encore alfez vangé de 1'affront, que lui avoit fait le Pape, il lailfa une partie de fes Troupes au Duc de Spolette, fon Lieutenant en Italië, pour y exercer les hoftilités, quil avoit commencées, fur les terres du St. Siége. Ainfi, la divifion de fes forces fit, qu'il s'embarqua a Brindes, la veille de St. Pierre, & St. Paul, avec une Armée fi médiocre, qu'elle étoit indigne, & de la Majefté d'un Empereur, «Sc de 1'entreprife qu'il alloit faire ; Car, outre qu'il n'avoit que vingt Galères, & quelques Batimens de tranfport, le peu de Troupes de débarquement, quil conduifoit, faifoit affez comprendre, que fon delfein n'étoit pas de faire beaucoup de mal aux Infidèles; Aufli, peut-on alfurer, qu'au lieu d'aider les Chrétiens de la Terre-Sainte a fe relever de leurs malheurs, il ne fit que réculer, «Sc affoiblir leurs affaires. Les Chypriots furent les prémiers, qui éprouvèrent les eftets de la mauvaife intention de Fre'de'ric. Ce Prince s'étoit lailTé tromper par les malins raports du Baron de Rossi , «Sc dc Camerin de Barlas. Ce dernier étoit forti de nouveau du Roïaume, pour une nouvelle querelle, qu'il avoit eue avec Anrian de Bries, Parent du Seigneur de Baruth. II s'étoit rendu auprès de FEmpereur, auquel il avoit raporté mille faulTetés, pour 1'irriter davantage contre ce Seigneur, qu'il alfuroit être ennemi juré de fa Majefté Impériale, & de tous fes bons Serviteurs; ajoutant, que les Ibelins n'avoient recherché la tutelle du jeune Roi Henri, que pour s'enriehir eux mêmes des deniers de la Couronne. Ton»  i> e JE'RUSALEM. Liv. X. Ch. III. f 1?- Tous ces faux raports convenoient parfaitement a 1'humeur , ., mqiuete de fredf R rr r»^c r«„ „ • ' * y a 111UUL^UL Sonarrivie d, il , TERIC Des fon amvee a Za»#&/, 0ü ilabor- *LimOWï da «ccnvitimeUttre9rempnedWe(aion, & de civilité, au plus de racmte, de fa Perfonne, de celle de fes Enfans, Sc du Koi meme, pour s'emparer enfuite de fes Etats. U gagna même, par les cabales criminelles des mécontents, les Gouverneurs ia perte de l un & de l'autre, & que Fre'de'ric, pour par- llZtdeh^ leS^neur ^uth, proche harent de la feue Imperatnce Yolande. MONSIEUR, ET TRES-HO NOR E' ONCLE, ]^prèfentefervira,pour Vous faire part de notre arrivèe h Article ff -LimiloJ, enpajfant pour aller en Paleftine, afin de fecourir i^TS^ ^W^^Jefu^Chrift, ^ pour Fous dire qu^avantnZe^ FousvTl W 5 défi?m *amir k WsMion de Fous voir, avec le Roi, & vos Enfans, tous nos chers\ & bien aimésCoufins, afin d'avoir leplaifirde les embrajfer, & de ie< connoitreper onnellemet. Nous défirons encore, de Fous eonfulter fur la conduite, que Nous devons tenir pour le recouvrement J fa nomme au Jijage, & aufi expérimenté, que Fous; &?, perrua dé que Valliance,qui ejl entre Nous, doit Fous faire ZJreZt a beureux fuccès de nos entreprifes. Cejl pourquoiTZsFoUS P2Z T mCe^ammnt * limifol, puisque la n'cejfitde nos A Limifol ™q FUre très-afiecJionnè Neveu, FRE'DE'RIC, Empereur: ALC3 Le  HISTOIRE G E' N E' R A L E Le Seigneur de Baruth, qui n'ignoroit ni les mauvais offices, que lui avoient rendu les mécontens Chypriots, ni les deiïbins de Fre'de'ric, communiqua la Lettre a la Cour ilipérieure, pour prendre fon avis fur la réponfe, qu'il avoit a lui faire. II fit cette démarche plütöt, pour d couvrir fi quelcun du Confeil trempoit dans la cabale, que pour fe régler fur leur fentiment. Tous les Barons de l'Alfemblée, qui, bien loin d'avoir queljque intelligence avec ces perturbateurs du repos public, eftimoient infiniment le Régent, dont ils connoiflbient le mérite, & 1'équité, le dilfuadèrent de fe rendre aux follicitations de 1'Empereur, dont il devoit craindre la malice, malgré finclination , qu'il lui témoignoit pour le Roi, pour lui même, & pour fes Enfans, & lui confeillèrent unanimément de lui envoïer feulement quelques Perfonnes de diftinction pour le complimenter , avec abondance de rafraichilfemens , & offre de toutes les provifions, dont il avoit befoin pour fon Armée. Le Seigneur de Baruth, qui étoit trop éclairé pour ne pas reconnoitre, par la bonté de ces avis, la fincérité des Perfonnes, qui les lui propofoient, les en remercia, & les pria, avec fa cordialité naturelle, ■ de perféverer dans 1'attachement qu'ils avoient pour leur Prince légitime, & pour la tranquillité de fon Ro'aume; Mais fa générofité, & fon grand cceur, ne lui permirent pas de croire, qu'un auffi grand Prince, que 1'étoit 1'Empereur , put être capable d'ufer d'aucune violence dans un pays, fur lequel il ne pouvoit avoir aucune jufte prétenfion, ni qu'il voiilüt fe fervir de fes armes ailleurs, que contre les Infidèles. Dans cette perfuafion, il fe rendit, avec le jeune Roi, fes propres Enfans , & plufieurs des principaux Barons, auprès de Fre'de'ric, afin qu'on ne put lui reprocher d'avoir rétardé, d'un moment, le fecours, qu'il conduifoit en Falejline. Mais il ne tarda pas a s'apercevoir, qu'il avoit jugé trop avantageufement de Fre'de'ric, puis qu'après les témoignages de la plus cordiale amitié, & des embraflemens, qui paroilfoient rem-  ©e JE'RüSA'LEM.' Liv. X. Gr. III.' U9 remplis de joie,>&-ds fincérité^ il en expérimenta bientót des' cffets contraires. ■ Car, après beaucoup d'amiraiiees d'eftime, &de confidération, il leur propofa de quitter le deuü, qu'ils portoient pour' la mort du Seigneur Philippe d'Ibelin, Gouverneur du Roïaume, paree qu'il ïbuhaitöit", que la joie de fon arrivée effacat leur ' f trifteflè. II föig'nit diversbeaux préfens aces gracieufes expre£ fions, & les invita tous a diner pour le lendemain. Un procédé fi diffimulé trompa les Seigneurs Chypriots, a la réferve de Camerin, Ga van, & des autres conjurés, qui n'ignoroient pas les feintes.carelfes, & les mauvaifes intentions de FEmpereur. - Le jour fuivant, ils fe rendirent a Fheure du diner. Ce Prince s'étant placé au haut de la tabïé, fit alfeoir le Seigneur de Baruth a fa droite, & le Seigneur de Céfarée, Connétable de Chypre, a fa gauche. II fit placér le petit Roi Henri kl'autre bout 'de la table, le Marquis de Montfcrrat a fa droite, & un Prince Jllemand a fa gauche, & voulut que tous les Barons Chypriots fuffent affis d'un même cöté, afin de les mieux obferver. Les principaux Officiers de FEmpereur entrèrent dans la fale Sa prkth fur la fin du repas, après avoir entouré la Maifon de Soldats."{Z]St Alors F r e d e r ic, adreffant la parole au Seigneur de Baruth, lui dit, d'un ton bien différent du prémier, qui/ lui demandoit deux chojes, £5? qu'il le crowit trop avifé pour les refufer. Ce Seigneur répondit, fans s'émouvoir, que Sa Majefté n'avoit qu'a commander, £5? qiielle trouveroit lurement en lui beaucoup d'emprejfement ala fatisfaire,en tout ce qui dipendoit d'un Homme , qui avoit Thouneur de lui appartenir. F r e'd e'r i c lui repartit, dun air impérieux, " qu'il lui demandoit, prémière" ment, qu'il lui remit la Ville & le Chateau de Baruth, comme " une portion du Ro 'aume de .7' rufalem, qui apoartenoit a fon " Fils, & dont cette Ville ne devoit point ctredémembrée, ni 2 demeurer au pouvoir d'aucun Particulier J fecundement qu'il '„ lui  ^20 HISTOIRE GE'NE'RALE " lui rendit compte des revenus de la Couronne de Chypre, " dont lui, & fon Frère, avoient eu 1'adminiftration, pendant " dix ans • puisque , felon les droits de f Empire , dont ce " Roïaume relevoit, c'étoit a lui feul qu'en appartenoit la con" noifTance. Ce difcours, quoi que furprenant pour le Seigneur de Baruth, ne fempêcha pas de répliquerfur le champ, "qu'il n'au" roit jamais cru, que la malignité de fes Ennemis eüt été ca" pable de tromper fa pénétration, & de porter Sa Majefté Imperiale a des recherches fi injuftes ; mais que, puis qu'il paroiffoit que leurs faux raports, & leur malignité avoient " fait aflez d'imprelfion fur fon efprit pour le porter a cette ex" trémité, il vouloit bien lui faire connoitre , qu'ils avoient " apparemment oublié de 1'informer, qu'il polfédoit la Ville de " Baruth a jufte titre ; Qu'elle lui avoit été cédée par Isabelle, " Reine de Jérufalem, fa Sceur utérine, & unique Héritière " du Roïaume, en échange de la Charge de Connétable,dont " il s'étoit démis entre fes mains, & qui valoit alors beaucoup " plus que cette Place, laquelle fe trouvoit tellement ruinée,que " les Chevaliers du Temple, ni ceux de YHópital, auxquels elle " favoit offerte, gratis, n'avoient jamais voulu s'en charger, " de peur detre accablés de la grofle dépenfe, qui auroit été ? néceflaire pour la réparer, & pour la conferver. " Que, de plus, comme il avoit emploïé le revenu des au" tres Terres qu'il polfédoit en Chypre, & dans la Palejline, " pour la mettre en état de défenfe, il ne croïoit point que " perfonne füt en droit de la lui öter; Que cependant, fi Sa " Majefté 1'entendoit autrement, il vouloit bien s'en remettre " a la décifion du Confeil fuprême de Jérufalem, & aux Mai" tres des Ordres Militaires, qui avoient une entière connohTan" ce de ce qu'il avancoit, & qui favoient, en même tems, " avec combien de juftice cette Place lui appartenoit. * Qu1»  db JE'RUSALEM. Liv.t Cmïft. fsi - c' ^U'k/éf rd/e Ia Ré£ence du Ro^nme de CW, dort & Majeftp lui demandoit compte, il fe trouvoit en fa pré- " t /f™* tem°lnS' ^ Pouvoient^(Turer, quefonFrè- " n.Lï f™**" ? qU£ la peine' & Ies foins de I'admi„ mft ation des affaires de 1'Etat, dont ils avoient bi.n voulu " ne&' parlaPure^on, qu'ils avoient pour Ie et " llH f Veü5 même 6n né^e^ leurs proores af- v faires, fans avoir jamais mis la main aux revenus de la Cou- " m^M^T ^e^,aVOit t0lïj°UrS dlfp°fé feuIe'C0,, me Mere, & Tutrice du Roi, fon Fils. Que, fi cet ave* aTe^Zf-o ^ S°UVm.n ConfeiI Ajoutant avec fermeté, qu aucune crainte, ni aucune ménace ne feroit » jamais capable dc lui faire abandonner fes droits,ni de cont „ mettre aucune aclion indigne de fa naiiTance Lavivacité, avec ia quelie il proféra cesdernières parolcs ne contnbua pas peu a modérer 1'emportement de iw' II reconnut, qu'il lui feroit acheter chèrement'les üfiSSnsï qu'il cntreprcndroit fur fes Terres, & fur les Etats deEu pile. Aulli, il confentit de s'en remettre aujugement des deur Cours te Jérufalem, Sc te Chypre; mais, conTmTi n peroit point encore, qu'il ne réduint quelques Fortereffes a fa dévotion «pu le mettroient en état de s'emparer du refte de f le, ainfi que les calomniateurs I'en flattoient.; & que fa cupidtfe & fa mauvaife foi femportoient fur toute forte9 de juft ce, «toumat apour demander, fous prétexte d'amitiê te B^u h t ï je?e R0i' aV£C les deux Ms d» Seigneur Sfrt7en >5;/nS m m£ttr Pdne du rétardement ^ fon traVailk 0llvertemeut a faire réüffir fon projet, faifant garder ce jeune Prince,& ces jeunes Seigneurs tomme des véntables prifonniers. seigneurs, Vvv La  *22 HISTOIRE G E' N E ' R A L E La diligence, avec laquelle le Seigneur de Baruth aflembladu monde, pour vanger cette pertidie;& lempreireinent,a>ec lequel la NobleiTe, & le Peuple accoururent, pour le feconder, & dclivrer leur Souverain,obligerent bientót Fre'de'ric, qui fe trouva alliégé. dans Limifol, non feulement a lui rendre le Roi, & fes Enfans*, mais encore a fe défifter de les prétenfions tonfufion fur fes ForterefTes du Roïaume, & a en fortir inceffamment, '"^''avec la confufion davoir commencé les opérations en Oriënt, par une démarche, qui lui aliénoit les efprits de tous les Chré~ tiens de ces pays-la, lesquels, nefpérant plus rien de bon dc fon voïage, apres la tirannie, qifil avoit voulu exercer en ( hypre,&c la mauvaife commiiïion, qu'il avoit donnée a Raynaud óé Bavière, Général de fa Cavalerie, commencèrent kleregarder, plutót comme Ennemi, que comme Protecfcur. En effet, les ordres, dont il avoit chargé ce Général, en lui faifant prendre le devant,avec une partie de fes Troupes, méritoient bien 1'indignation des Peuples; Car, fur les avis, que Fre'deric recut en Cbypre de la mort de Coradin, Soudan de Damas; & que les Chrétiens de Paleftine, trop foibles pour rien entreprendre, s'étoient attachés a fortifier quelques Places, & avoient prolongé la Trève pour deux ans avec Me led in, Soudan c¥ Egypte, que fon Frcre avoit nommé Tuteur de fef Enfans, FEmpereur avoit chargé Raynaud dc com meneer fécrettement a traiter la Paix avec ce Prince lnfidèle; deforte qu'il n'eft pas furprenant , ff, lorfque les Habitans de Ptoloma'de déeouvrirent cette intriguc, ils fe revoltèrent contre cc Général, & méprifèrent FEmpereur lui même, n'aïant plus lieu de douter de fes mauvaifes intentions. i?t?fr<ïl' C'eft pourquoi, lorfqu'il y aborda, après avoir été contraint tkment re- d'abandonner 111e de Cbypre, il n'y fut pas recu avec grand anplauCnaïde. diflement, & perfonne ne fe mit en peine de lui faire la cour. Le Patriarche même, qui Favoit; re uavec les cérémonies accoutamées, lui déclara en même tems, que, s'il ne Je faijOit ab- JOU"  dï JE'RUSALEM. Liv. X. Qi. IK, f2$ /Mr ^ Jferöfe, on ne pouvoit continuër d lui rendre les honneurs, qui convenoient d Ja Dignité; Mais cette déclaration non plus que la froideur des Seigneurs du Levant, & des Croi jés meme, ne 1'empêcha pas de perfilter dans fon prémier deffein, qui etoit de ne fe point arrêter long-tems en Palejline, pour faire la guerre aux Infidèles, avec lesquels il étoit réfolu de faire un promt accommodement, a quelque prix que ce fut, d autant plus qu'il reconnut, qu'il n'avoit point affez de forces! pour rien entreprendre contre Me'le'din, qui, au bruit de fa vemie, avoit mis fur pié une punTanteArmée,&s'étoit avance jufqu'a Nicopolis, VEmaiis de la Ste. Ecriture Ce fut-la que Fre'de'ric envoïa a Me'le'din, Ie Comte Thomas de Celano, fon Confident, avec fon Prémier-Sécrétaire, pour lui déclarer, " qu'il n'étoit point venu en Palejline, „ pour lui faire la guerre; mais feulement, pour vifiter les Sts » Lieux, & prendre poffeffion du Roïaume de Jérufalem, qui „ appartenoit a fon Fils; deforte que, s'il vouloit lui rendre s, amiablement cet Etat, comme il Pen prioit, ü fe difpoferoit „ a retourner en Europe, fans qu'il fe paffat aucun ade d'hos„ tikte entre eux, fon intention étant dc vivre en bonne in,-, teHigence, tant avec lui, qu'avec fes Neveux; Que cepen„ dant, silrefufoit dele fatisfaire fur une demande fi jufte, „ il ne pourroit fe difpenfer de commencer une guerre, qui „ nc feroit pas moins fanglante, que celles qui s'étoient fai5, tes auparavant pour le même fujet. £ Me'le'din; ^i étoit natureflement plus enclin. au repos ai?'-*» & ala tranquilité qu au tumultc de la guerre, écouta L*mS£ rablement ces Ambalfadeurs; Mais, foit qu'il eüt pénétré que Frederic defiroit de repalfer promtement en Italië, ou que fon Armee ne fut point affez confidérable pour Pépouvanter, ü les renvoia froidement, fans leur faire aucune réponfe Frederic, lürpns d'un procédé fi fier, & fi méprifant, compnt, quil nétoit pas plus confidéré des Sarrafins, que Vvv 2 de*  5*4 fflSTOIRE GE'N t' RA LE des Chrétiens. C'eft pourquoi, il réfolut fur le champ. d'aller fortifier la Ville de Jaffa, afin de Vaflurer le chemin de Jirufalem. 11 affembla fon Confeil, & communiqua fon deffein aux Seigneurs du pays, qui l approuvéren t , & lui promircnt leur affiftance. Les feuls Chevaliers è&YHépital, & du Temple, réfufcrent de fe joindre a lui, fur les ordres qu'ils avoient nouvellement re-us du Pontife. Nouveau fujet de déplaifir, oü il efpéroit de recevoir un applaudiffement général. Mais , comme le tems ne lui paroiflbit pas propre a en témoigner fon reffentiment, il le dilfimula; &, marquant autant d indifférence pour 1'affront, que pour ralliftance, qu'il auroit pu recevoir de ces deux Religïons, il fe rendit a Jaffa, avec fes feules Troupes, & en fit commencer la réparation. 11 fe trouvoit cependant fort embarraffè de com* meneer la guerre contre les Infidèles, lans ralliftance de ces Chevaliers, qui-étoient, non feulement puilfans par eux mêmes , mais encore très-expérimentés dans la manière de les combattre , & d'éviter leurs furprifes; Mais , comme il ne vouloit pas s'abaifier a les rechercher, il préféra le parti de renvoïer le- meme Comte de Celano, & fon Sécrétaire, au Soudan, pour tacher de renouër quelque efpèce d'accommodement. Cette feconde tentative fut encore pius malheureufe, que k prémière. Me'le'din, piqué de ce quil lui envoïoit faire des propofitions de paix , pendant qu il faifoit travailler aux fortifications d'une Place fi importante , & que fes Troupes couruffent, & ravageaflent ks Terres de fes Su-> jets , tourna le dos a ces Miniftres, & leur fit dire de Je ^9- retirer promtement. Fre'de'ric, qui avoit appréhendé le mépris de ce Prince lnfidèle, commenca alors a rédouter (et armes. U craignoit, qu'il ne vint 1'attaquer avec toutes les Forces, & celles de Damas , qui devoient le inindre inccflamment; enforte qu'épouvanté, il .eut Ja foiblefie! de faire fcs* tituêt  de JETRUSAL£ Liv.X. C«. Iir. ^ cltüër aux Sarrafins^ non feulement tout ce que fes Sofe leur avoient enlevé, mais encore cTenvoïer préfenter au Soudan fa propre epee, fa-cuiraffe, & fon bouelier, afin de lui'marqu x par-la, qu'il ne vouloit point combattre contre lui ■ fe flattent qifune démarche fi humiliante Pappaiferok, & le feroit enÉn confentir k un accommodement: L'empreffement de Frède'r ic étoit d'autant plus>ï'and< *rtfcï-«? qud avoit apns, que la guerre $ Italië, qui étoit celle qui- Mfi^t tenoit le plus au coeur, ne fe faifoit pas a fon avantage. Le Europe'3 Roi Jean de Brienne, k qui le Pape avoit donné le commanaement de fon Armée, avoit défait les Troupes Impériales , en plufieurs rencontres. II eft a croire, que ces mauvaifes nouvelles rendirent ÏEmpereur mfenfible aux injures , & aux mépris de Me'le, 7%?** din; Lar, bien lom de fe piquer de la manière outra^eante Sollda■, avec laquelle il refüfade röcêvoir les armes, qu'il lui avoit envoiees; & quoique Meleemn eüt chaifé, pour la fecondé fois, fesDéputés, & que, de plus, il les eütfaif ignominieu, lement devalifer, lors quils s'en retournoient: malgré tous ce* mépris, dis-je, Frederic s'abaiffa encore, jufqu'a rënvoïef une troifième fois les mêmes Députés a ce Prince lnfidèle & fouffrir, que les Sarrafins infultaffent journellement fon Camp ' & maltraitaffent plufieurs de fes Soldats, fans ofer en- témoi gner aucun reffentiment.: Bien au contraire, il fit habiller très-proprement un Sarr* /«- que les gens avoient pris, & le fit accompagner au Camp • dn Soudan, par quelques Officiers, qui, en revanche de leurS bons offices, furent dévalifés, en senretourriant; comrre fes Miniftres lui firent favoir, que la réparation -dc Jaffa étoit le p us ,Tand obfiaclc , qu'ils rencontraffcnt a leur nêgömtionV donMl defiroit f, ardemment lc fuccès, il fit ceffer cet ouvra' fie, fortit dt; |a Ville avec toute fon Armée, & alla camper aiï iord de la nvicre, qui paffe entre Affur, & ufan'e.  fió HISTOIRE GE'NE'RALE En effet, Me'le'din', qui avoit été fi revêche auparavant, Sc qui avoit refufé avec tant de hauteur, & de fierté, d'écouter aucune propofition fur ce fujet, ie rendit enfin traitable, & fe difpofa a un accommodement avec les Qhrdiens. II eft vrai, que le manque de parole de fon Neveu, qui lui avoit promis de le venir joindre avec les milices de Damas, contribua beaucoup a fa docilité. Ce jeune Prince Sarrafin^ reconnoiifant, que le Soudan, fon Oncle, difpofoit de lbn bien avec trop d autorité, & fe conformantau confeil, que lui donnèrent fes Amiraux, fe retira dans fa Capitale, & fit un grand amas de provifions, pour être en état de réfifter aux attentats, que Me'le'din pourroit faire contre lui, «Sc 1'empêcher dedifpoier de fes Etats,comme il faifoit, non comme Tuteur, mais en véritable I iran, qui vouloit les ufurper. Les Ordres Militaires cependant, qui, pour ne pas contrevenir aux ordres du Pontife, n'avoient point voulu fuivre 1 Empereur a Jaffa , n'aprirent pas plütöt la mauvaife démarche qu'il venoit de faire, en quittant un pofte fi avantageux, & le péril que couroit fon Armée, & ks Barons de Palejline, qui le fecondoient, d'être tous taillés en pièces, allerent fe pofter a quelque diftance de fon Camp,afin d'être a-portée de les fecouTir, en cas de befoin; ce qui contribua beaucoup a réfréner Pinfolence des Infidèles, qui, malgré la Paix, qu'on négocioit fortement, Sc dont on étoit déja presque convenu, inlültoient continuellement le Camp Chrétien, fans que les Troupes de fEmpereur fiffent 'aucun mouvement pour fe défendre. Mais F r et> e'r i c, s'étant enfin apercu du grand danger, oü il s'étoit expofé, envoïa prier-les Ordres Militaires de vouloir bien fe joindre a lui; Et, les trouvant toujours fermes a ne point vouloir fervir fous fes ordres, il fut obligé de fe rendre a leur volonté, qui fut, que, fans faire aucune mention de 1'Empereur, fes Officiers commandaffent, & donnaffent les ordres, au nom de Lieu, Sc de la FUpublique Chrétienne. Mais,  de JE'RUSALJEM., Liv.X. Ch. RL Mais, fila jonclion dc ces deux pniOTans corps fit ceffer la liftte* crainte de E red e'r i c, elle nc fut point capable dc lui infpirer fon retour a Jaffa, pour y terminer les ouvrages, qu'il y avoit' commences ni de faire aucune autre entreprife, malgré 1'affurance quil avoit donnée aux Chevaliers, en recherchant leur affiftance, qu'il commenceroit inceffamment la guerre. Bien loin d'y penfer, il déclara quelques jours apres, " qUe,fe trouvant trop ÜM „ depourvu de cc qui auroit été nécelTaire pour faire aucun i't,L .„ progrès d'importancc en Palejline, il étoit réfolu de s'en re- ffi "£ü „ tourner en Europe, oü il avoit des intéréts, qui ne lui per ***** „ mettoient pas d'être plus long-tems abfent; c'eft pourquoi il „ ne vouloit pas différer davantage a étabhV la Trève avec „ Meledin, d'autant plus qu'il confentoit a lui rendre la „ Ville de Jérujalem, qu'il pourroit faire fortifier, & y mettre „ telle garnifon, qu'il jugeroit a propos. Le Maitre dis Teutoniques, & qudqms principaux Officiers, qui reconnurent, que toutes leurs rémontrances feroient inutiles pour 1'arrêter plus long-tems, lui réprélèntèrent , "que,» puifqu'il ne pouvoit faire venir d'Europe ks provifions néces„ faires, & que les affaires le preffoient fi fort de s'en retour* „ ner, il leur paroiffoit, qu il pouvoit le faire fans fcrupule, „ pourvu que le Soudan lui remit de bonne foi la Ste. Cité & „ ks autres lieux des environs. Sur ce raifonnement, qui avoit été concerté avec fEmpereur, il fit affcmbler un Confeil général, dans lequel, après avoir declaré ce qu'il avoit déja fait publier touchant la riéceffite de fon départ, & fur celle d'un accommodement avec les Wdelcs au grand etonnement de toute l Affemblée, il fit lire cmiiitims les Art.cies de la Paix, que les Ambaffiideurs avoient conclue * avec M e i.edi n, ils portoient: K F., ,, Qu',1 y auroit Trève pour dix ans entre fEmpereurfiffi* l r e d e r i c, & le Soudan M e'l e dIn. • avu w*1 léiüfl. U-a» Que  |a8 HISTOIRE GE'NE'RALE II. „ Que Me'le'din rendroit k 1'Empereur la Ville de Jfr rufaim dans 1'état, oü elle fe trouvoit; Qu'il en pourroit , faire rébatir les murailles, & en difpofer a la yolonté, a la * réferve du Temple de Salomon, qui demeureroit au pouvoir " des Sarrafins, fans qtfil füt permis k aucun CftrM» d'y entrer. " III. „ Que Me'le'din lui cèderoit encore les Villes deAï*„ zareth, Bethelem, & Sidon, avec leurs dépendances; & qu'il „ lui feroit également permis de les fortiner, auffi bien que " les Villages, fitués fur les cheniins, qui conduifent de Jaffa „ k.Jérujalem; mais qu'il ne pourroit faire aucune fortifica„ tion a ceux'qui font entre Nazareth & Ptolomaïde. IV „ Qu'a 1'égard de la Principauté Ü Antioche, du Comté dc „ Tripoli, & des autres Villes, qui n'étoient pas du Roïaume „ dc Jérufalem, elles ne feroient pas comprifes dans ce Trai„ té; & que 1'Empereur n'y pourroit envoïer aucun fecours. Chapitre IV. mdel T a plupart des Seigneurs Croifés., & ceux de Syrië, mai* X-A particuüèrement les Hofpitaliers, & les Templiers, qui trouvoient ces conditions, non moins désavantageufes, que déshonorantes, eurent beau répréfenter a Fr e'd e'r i c , " qu une „ Paix fi honteufe,& fi dommageable,intéreflbit fort fa répu„ tation, &lïionneur de toute la Chrétienté; puisqu'on pou„ voit efpérer, d'enlever aux Infidèles tout ce qu'ils poiTédoient „ dans le Roïaume Jérufalem, meme de les chaffer de leurs M propres Etats, par raport ala difcorde, qui venoit de fe mettre „ entre eux, & qui, felon les apparences les occuperoit long- „ tems,;  de JERUSALEM. Lir. X. &. W. 5ap „ tems;&décruire ainfi leurs meilleures forces; Que, d'ailleurs, „ il devoit confiderer, que cette Paix ne pouvoit être, ni fo* , ' m durable> attendu que le Soudan dc ZWr, Neveu „ de Meledin, n'approuvoit point la ceffion,que fon On„ cle faifoit aux Chrétiens du Roïaume de Jérufalem, dont i| „ nc pouvoit en effet, difpofer; puifqu'il'ne lui appartenoit „ pas, & que le premier feroit toujours en droit de recommeneer la guerre contre eux, & dc les en Palfer, lorfquè „ bon lui femblero.t; Que, deplus, il leur paroiiibit, qu'une „ aiiaire de cette importance ne devoit point fe conciurre, „ fins en faire part au Patriarche de Jérufalem, qui étoit „ Legat du St. Su-ge. Toutes ces raifons, quoique bonnes, ne purent cependant o,-,,,, ébranler ce Prince. Au contraire, perfüadé, que les fehti-^^ ment du Patriarche ne feroit pas different de celui des Ordres Mihta.res, & qu'il ne confentiroit point k cette Paix al fit brufquement appelier les Ambaffadeurs de Me'li'din' en préfence desquels il jura d'obferver les Articles de Paix, que' le Comte Thomas de Celano, & fon Sécrétaire, avoient, de fon (confentement , établis avec le Soudan leur Mai>re Frederic figna en même tems, ce Traité, & envoïa k Meledin le Maitre des Teutoniques , lc même Comte de Celano, & lc Seigneur de Sidon, afin qu'ils le lui filfent auffi iigner, & jurer; ce qu'ils obtinrent fans aucune difficulte. Le Seigneur de Sidon, que l'Empereur envoïa enfuite a Damas, pour le faire approuver du Soudan de ce Ro'aume, bien lömdy trouver la même ftdliüé, y rencontra des obftacles qu il lui fut impoflible de furmonter , Car ce jeune Prince indigne de la conduite de Me'le'din, fon Oncle, réfufa non feillement de fouicnre Paccord, qu'il venoit de faire avec les Cbntiens^ mais encore protefta d'invalidité de tout ce que fon Oncle avoit fait contre fes intéréts, & s'apliqua avec encore *^xx plus  Ho HISTOIRE GE'NE'RALE plus d'attention, qu'auparavant , a faire des prèparatifs de guerre , afin de fempêcher de difpofer davantage de les Etats, «Sc pour lui faire connoitre , quil n'avoit desormais plus befoin de Tuteur. Son mécontentement, ni fes ménaces, n'empêchèrent pas rexécution du Traité, que Me'le'din avoit fait avec ÏEmpereur. II lui remit exaétement toutes les Villes, «Sc Terres, qu'il lui avoit promifes; de forte que ce Monarque, fatisfait de cet Accommodement, quelque mauvais, «Sc ignominieux, qu'il füt pour lui, «Sc pour le Nom Chrétien, - fut infenfible aux murmures «Sc au mécontentement des Chevaliers de YHópital,& du Temple, & de quantité d'autres Perfonnes de diftincïion,qui, n'en pouvant fouffrir 1'indignité, quittèrent le Camp , pour s'en retourner a Ptolomaïde , pendant que Fre'de'ric fe préparoit a faire fon entrée dans Jérufalem. Afdek IL II fit, pour cet effet, écrire au Patriarche, par le Maitre des Teutoniques , pour le prier de fe rendre au Camp, afin d'entrer folemnellement , en compagnie de fEmpereur, dans la Ste.Cité, dont ce Monarque défiroit d'aller inceiTamment prendre pofleffion. Ce Prélat , qui avoit été inftruit de la Paix honteufe, «Sc préjudiciable, qu'il venoit de conciurre, répondit au Maitre des Teutoniques, " qu'il föuhaitoit,qu'on lui „ donnat connoiflance du Traité, qu'on avoit conclu avec les „ Infidèles;paree qu'il ne jugeoit point a propos de fe livrer lé„ gèrement entre les mains de gens, qui auroient pu faire un „ mauvais ufage de fa facilité. " Cependant, lorfqu'il en eut recu la copie, qu'on lui envoïa par un Religieux Dominiquain, il fut pénétré de douleur, de voir, que le plus grand Prince de la Chrétienté eüt confenti de laüfer le plus antique, <5c le plus confidérable fanótuaire au pouvoir des Infidèles, pour y exercer leur Religion,fins même qu'il füt permis aux Chrétiens d y entrer,& qu'il fe füt contenté d'un Accommodement ignoïöinieux, qui même ne pouvoit fubfifter, «Sc que tant de grandes  de JE'RUSALEM. Liv.X Cu. IV. c 31 des entreprifes échouaflent. Auffi, bien loin de fe rendre m Toutes kt Camp, pour entrer, en compagnie de ce Prince, dans 'férufa- f0" d' 7 -i ■ 1 1 -i-T 1 . J lerulalem tem, 11 interdit toutes les Eglifes de cette Ville, &d éfendlt int» ditet abfolument a tous lesEccléliaffiquès d'y célébrer les Divins Offi- i4édéi?cf ces, jufqu'ü ce qu'il eüt confulté le Souverain Pontife, & recu fes ordres la-deffus. I229' Tout cela n'empêcha pas Fre'de'ric de pourfuivre fon pro-Frédéric jet. II fit pompeufement fon entree dans Jérujalem un Samedi 'fedaw ir- Mars de 1'an 1229. efcorté par la garde Sarrajmé, qu'il licZtpZ' avoit été obligé de demander a Meledin pour la fureté deJ"sStrrl* fa Perfonne; attendu que les Arahes, & les Sarrafins mêmes dévalifoient , & alfaffinoient impunément , de jour , & de Duit, tous les Chrétiens, qui s'éloignoient du Camp; &, comme perfonne ne s'oppofoit a leurs brigandages, ils poulfèrent leur infolence, jufques dans les Tentes. lis en pillerent quelques-unes, & maflacrèrent ceux qu'ils y trouvèrent. Ce fut pour éviter Ia continuation de ces désordres, que Fre'deric eut encore la foiblelfe d'envoïer rechercher queLjues compagnies de Soldats a Me'le'din, qui les lui accorda, a condition qu'il les foldoieroit, pendant tout le tems, qu'elles le garderoient : Et, malgré 1'interdit du Patriarche, & le réfus que firent les Eccléfiaftiques de célébrer les Divins Offices, & de faire la cérémonie du couronnement de fEmpereur, des le lendemain de fon entrée dans Jérujalem, revêtu de fes habits Roïaux, accompagné du Maitre Teutonique , & fuivi de fes Allemands, il alla a 1'Eglife du St. Sépulcre, oü, apres avoir fait fa priere, il prit lui même la couronne, qu'il avoit fait pofer fur 1'Autel, & fe la mit fur la tête. Enfuite de quoi, par une aéh'on, non moins condamnable, que le refte de fa conduite, il exhorta les Chrétiens du pays,que la curiofité y avoit attirés, de contribuër, chacun felon fon pouvoir, au rétablisfement des fortifications de la Ville. Xxx * H  J32 HISTOIRE G E N E' R A L E i Articlèfii Il toffe Raynaud de Bsviere Gouverneur de ]«rulalem. II dépêcha, en mCme tems, le Maitre Teutonique aux Mai:res du Tempte, «Sc de YHópital, pour les lollicitera faire la meme cholè. Ces Religieux y confèntirent, fans héliter; &, afin qu'on ne put leur réprocher d'avoir manqué, ou rétardé cette bonne oeuvre, Montagu, Maitre de 1 Ilópitaf&c le Prieur du Temple, avec bon nombre de leurs Confrères, allerent inceifamment a Jérufalem, pour alfurer fEmpereur,qu'ils fourniroient, avec tant de libéralité, & de promtitude, tout ce qui dépen-' pendoit d'eux pour cette réparation, que toute la Cbrétientè feroit fatisfaite de leur zèle, & de leur emprelfement a mettre la Ste. Cité en état de défenfe; mais ils trouvèrent, que ce Prince, bien loin de fonger a une chofe fi nécelfaire, «Sc fi importante , en étoit déja parti pour fe rendre a Jaffa. Ils le fuivi* rent, avec tant de diligence, qu'ils lc joignirent encore en chemin , «Sc lui proteftèrent, qu'il ne tiendroit pas a eux, que les murailles de Jérufalem ne fuffent bientót rétabües, £5? qu"elles ne fuffent auffi j'ortcs, qu'elles Pétoient auparavant. Fre'de'ric loua fort leur zèle, «Sj. leur générofité, fe contentant de leur répondre, quils en parleroient une autre fois. II continua fa marche,. fans s'arrêter un feul moment; ce qui fit bien connoitre a ces Chevaliers, qifil n'avoit pas delTein dc s'occuper d'aucun foin; puifqu'a-peine fut-il arrivé a ïtolomaïde, quil ne fongea, qu'aux prèparatifs pour fon départ. Cependant, foit qu'il reconnut, que cela 1'arrêteroit encore long-tems , ou qu'il s'ennuïat de la vue de tant dc Perfonnes, qui ne lui faifoient pas plaifir, «Sc qui, de leur cöté,n'avoient pas beaucoup de confidération pour fa Perfonne, il lailfa Raynaud dc Bavière Ion Lieutenant,. tSc Gouverneur du Ro aume de Jérujalem;«Sc,fans fe mettre en peine du blame, «Sc des. rèproches du public , il abandonna la Ste. Cité, & les autres Villes, dans le même état, que M e'l e'd i n les lui avoit remifcs, & partit avec deux feules galères, accompagné d'IlERMAN* Salt-  de JERUSALEM. Liv. X. Qi. IV. s33 Saltza , Maitre des Teutoniques, & de la plupart de fes Chevaliers , qu'il emraena, fous prétexte qu ils n'avoient plus nen a faire en Paleftine, par raport a laTreve, qu'il venoit d'étabhr; mais, en effet, pour les envoïer contre les infidèles de PrufJe, oü ils firent enfuite de fi grands progrès, que leur Ordre demeura enfin maitre de cette Province. Le départ précipité de 1'Empereur Fre'de'ric, & fes dernières aétions en Palejline, obligèrent le Patriarche a écrire une longue Lettre au Pontife, pour 1'informer de la conduite fcandaleufé de ce Prince, &du préjudice infini, qu'il avoit fiit aux Chrétiens de la Terre-Sainte, dont les affaires fe trouvoient enbeaucoup plus mauvais état , qu'elles ne 1'étoient avant fa venue; alTurant le bt.Père, "que, sils joüiffoient alors d'un peu „ de tranquilité, ce n etoit point laTrève, qu'il avoit conclue avec „ les Infidèles, qui la leurprocuroit, puisqu'ellen'avoit fait que „ les des-honorer; Mais feulement la guerre ouverte, qui avoit „ fuivi leurs démèlés, dont les Chrétiens auroient pu tirer de 3, grands avantages ; Qu'ils leur auroient mème pu procurer' „ les moïens de les chaifer de tous les pays, qu'ils leur avoient" „ enlevés , fi Fre'de'ric ne les eüt facrifiés , & trahi 1*. „ caufe commune , en s'accordant avec eux d'une manière fi „ lache, & fi honteufe, qu'il avoit donné lieu a tous les CroiJes de s'en retourner en Europe, fans avoir rien entrepris; Ajoutant, "quoutre 1'ignominie davoirpartagé hSte.Cité avec „ les Sarrafins, comme il étoit parti, lans en avoir rèlevé les „ murailles, non plus que celles des autres Places, il n'y avoit„ point lieu de douter, qu'il n'eüt lailfé une partie de fesTrou„ pes en !>!alejline, plütöt pour y tourmenter les Chrétiens,que' „ pour s'oppofer aux entreprifes que pourroient faire les tmfi* ,, dèles, lors qu'ils feroient en paix; puiVque les Officiers Alle-mands commencoient déja a traiter les Peuples avec beaucoup1 3, dc violence. 2£xx 3 Cette  f3f HISTOIRE GE'NE'R ALE Cette Lettre fe voit dans la Bibliothèque du Vatican\ le Pape en envoïa copie a toutes les PuiiTances Chntiennes. Elle diminua beaucoup le crédit, que les Pnnces avoient donné k celles que F r e'o e'r i c leur avoit écrites de Jérujalem, & par lesquelles il les convioita rendre des actions de graces kDieu, de ce qu'il lui avoit fait celle de recouvrer les iaints Lieux,fans aucune efTufion de fang, & d'avoir mis les IhrJiens dans la poffeffion d'un pays, qui leur étoit fi précieux, & qui leur avoit coüté tant de beau monde, lans en pouvoir venir a bout; Mais, comme il ne fongeoit, qu'a recouvrer ce que les Troupes du Pape lui avoient enlevé dans le Ro.aume de lYaples^ pendant fon voïage de Palejline, il ne s'embarraffa point du tout dc détruire les mauvaifes imprefiions > que les Lettres du Patriarche, & celles dc la Cour de Rome pouvoient avoir données aux Princes Chi\tiens de fa mauvaife conduite ; & il ne s'attacha uniquement, qu'a faire la guerre k outrance k YE'tat Eccléftajlique. Chapitre V. Antiek/. "O our revenir aux affaires de Cbypre. Quoi qu'après le départ X de FEmpereur, le Seigneur dc Baruth eüt d'abord fait punir les Rébelles, & fortifier les Places, ou il ètablit des Gouverneurs fideles k leur Prince, & k leur Patrie, & qu'il eüt mis le SKÏTle Ro'aume en état de ne plus craindre, ni les attentats des ^Jcb1- Impériaux, ni la révolte des Chypriots, dont il s'efforca, ea prTots,V6f même tems, de diifiper le mécontentement, il ne put cependant empêcher ces Traitres de continuër leurs cabales avec le rl:«dT~ Licutenant, que F r e'd e'r i c avoit laiffé en Palejline, & avec Timp*- diverfes Perfonnes du Roïaume , qui avoient les inclinatiom auffi  de JE'RUS ALEM. Lrv. X. Cu. V. 53? auffi méchantes qu'eux, ou qui avoient la foiblefle de fe laif- «3I. fer léduire par eux;ce qui caufa, peu de tems après, des malheurs infinis a tous les Habitans. Car, après que fEmpereur eut repris ce qu'il avoit perdu en ïW»«*rIta/ie, & fait fa paix avec le Pape, par 1'entremife de 1'Evêque afi&? de MeJJine, & du Maitre des Teutoniques, moïenant fix mille livres d'or, qu'il donna a la Chambre Apoftolique, pour la dédommager des dépenfes, qu'elle avoit fakes a cette occafion, il ne fut pas plütöt abfous de 1'anathême, qui avoit été fulminé contre lui, qu'a la follicitation du Pontife, il envoïa 300. Hommes d'armes , & quelque nombre d'lnfanterie en Palejline ', fous la conduite de Richard Felingher, Fils- d'AucER, Grand- Mmüfo Maréchal de YEmpire; Homme propre a feconder le défir, qu'il £fS. avoit concu de fe vanger des Ibelins , «Sc de leur enlever la Vil- r,ic cmtre lede Baruth; perfuadé que 1'avidité, qu'avoit Felingher de Chypre s'enrichir dans cette expédition, lui feroit tout entreprendre; de forte qu'en fe faifant un mérite, auprès du Pape,du renfort qifil envoïoit', il fatisfaifoit, en même tems, fa paffion contre le Seigneur de Baruth. II eft vrai, que les Lettres envenimées,que lui écrivoient contïnuellement les Mécontens Chypriots, par lesquelles il l'aiTuroient, que c'étoit ce Seigneur,dont le crédit étoit fort grand,qui engageoit les Principaux du Roïaume de Jérufalem'k méprifer fes ordres, «Sc fes Officiers; «Sc les Peuples a n'avoir pour eux ni refpect,ni obéïlTance; ce qui faifoit craindre que Sa Majefté ne perdit entièrement un pays, dont la polfeffion lui étoit fi chères d'autant plus queies Barons, & les Ordres Militaires de YHópU tal, Sc du Temple, avoient déja ufurpé toute 1'autorité, «Sc dispofoient,a leur-volonté, des affaires du Gouvernement. Ces efprits inquiets, «Sc turbulens, non contens d'augmenter la mauvaife humeur de 1'Empereur, par leurs malins raports, agirent avec tant de malice auprès de Felingher, lorsqu'il. aborda en Cbypre, qu'ils lui perfuadèrent, quil ne pouvoit rien entre- pren-  5 I i < c < ] 1 1 1 J I ( : Article II ii Cbiteau dt Baruth, fur ie Gé «éral de %6 HISTOIRE GE'NE'R ALE •rendre de plus avantageux a ce Prince, ni de plus utile a lui n me, que la furpriie de la Ville de Earuth, qui avoit été lémembrée du Roïaume de Jérufalem , & dans le Chateau le laquelle fe trouvoient rent'ermées toutes les richeffes des veigneurs d'lBELiN. Felingher, qui s'étoit engagé au voïage 'de Palejline, plus par intérèt, que pour aucun motif de lévotion, ou de gloire , & qui n'ignoroit pas la haine de 'Empereur contre le Seigneur de Baruth, & le plaifir qu'il ui feroit dele dépouiller de fes b.cns, cingla, fins héfiter, rers cette Place. II arriva au port, fans trouver aucune op>ofition , Sc entra dans la Ville, oü 1'Evêque le recut mêne fort favorablement. Les Habitans , tous gens de comnerce, fuivirent fon exempk, & firent un bon accueil aux Allemands. Ce fut ainfi que Fe li ng h er demeura maitre 3e la Ville, fans avoir occafion de tirer 1'épée; Mais, comae c'étoit au Chateau, qu'il en vouloit , Sc quil n'y trouva pas la mème facilité , il fit lommer le Baron Jean Goü e m e, qui y commandoit, de le lui rendre. Ce Gentilhomme , dont fineêgrké, & la bonne foi égatoient la valeur, fit réponfe, "quil ne remettroit jamais cet„ te Place , qu a celui qui la lui avoit confiée , & qu'il la „ dèfendroit , jusqifa la dernière goute de fon fang , pour „ la lui conferver." II fit en mème tems fon poffiWe, pbut amalfer lc plus dc provifions , qu'il put , Sc depedia d'abord une Frégate en Chypre , pour donner avis au Seigneur dc Baruth, du danger, oü il le trouvoit, par raport «1 peu de Troupes qu il avoit , pour dTendre cette Fo«$ refiè, qui , felon toutes les apparences , alloit être afiiégéc dans les formes. En effet , Felingher , après s'ètre inutilcmcnt fervi de tous ks moïens, dont il put s'avifcr, pour gagner le Gouverneur, auquel il fit mème des offres au dela de fon pouvoir, fit avancer ks Troupes Allemandes , qui fe trouvoient  oe JE'RUSALEM. Liv. X. Ca V. ny * Ptolomaïde, lesquelles il augmenta encore de quelques Pe'. tits corps, que lui envoièrent les Mécontens Chypriots II commenca les attaques, & fit donner quelques affauts,' qu n eurent aucun fuccès ; ce qui lui fit prendre le p r i de deaLeUnSerrram/ ^ ^ l£S f0ndemdes murailles. Le Seigneur de Baruth fe prépara en Chypre, a aller en perfonne défendre un lieu , 1 M JSL ^;**'cTt^a n,y avoit ™ ^ <^ ^ lEtat, & que les Jlkmands n'en vouloient plus, qu'a fes Terres, il pna le Roi, & h Cour Supérieure delouv bon, que, puisquM avoit tiré de Baruth la garnifon ordinaire , pour conferver le Roïaume de Chypre , ,1 fe ferv? dans ce prelfant befoin , des Troupes , qui sv trouvcSt pour aller défendre cette Place. X cromoient, Le jeune Roi étoit reconnoillant, & trop fenfible a la rónérofite, avec laquelle le Seigneur de Baruth avoit négL?feS propres interets, afin de conferver fes Etats, pour ne luien pa» marquer fa gratitude Auffi,non contentde'lui dSnn une" tier pouvoir pour la difpofition de fes Troupes, & de tout ce dre^nf °lfCfai"P0Ur eXpéditi°n> ^ ^mbraffa ri" drement, & lui dit, » qu'il vouloit faccompagner lui même „ & commencer a fe fervir defon épée, pour Lferverfe bTen ,, d une Perfonne, qui avoitfi fouvent expofé fa vie pour lu " Les fentimens de ce jeune Prince furent aplaudis de toute 'Af- tion,& de lui ofirir leurs vies, &leursbiens, pour le mettre en etat de réuffir dans fa prémière entreprife Une conjondure fi favorable donna le moïen au Seigneur de Baruth de faire promtement préparer les galères, &°L au tres Batimens duRoïaume. II en alfembla le's meilW Tr ou pes qu il fit embarquer. Le Roi confia le gouvernement de LEtat, pendant fon abfence, au Baron Philippe de NavaÏ 5 d0nt 11 co™^« * &mté Sc l'expêrience. La Reine, fa yyy Mère,  Urabifon dt ■plufieurs Chypriots. Compagnie (ie St. Jaques contre les gen de Ytèdé■tic. $38 HISTOIRE GE'NE'RALE Mère, fe trouvoit depuis quelque tems en France,ou elle étoit alé'e demander raifon du Comté de Champagne, que Thibaud, fon Coium, lui avoit ufurpée. La Flotte Cbypriote partit de Famagoufte, &aborda peu de jours après entre Buftron, & Néphrin, qui eft a environ vingt miles de la Ville de Baruth. Ils y débarquèrent, tant par raport au mauvais tems, que pour tacher de mieux furprendre les lmpériaux ; Mais le Roi & le Seigneur de Baruth avoient trop de Traitres en leur compagnie, pour pouvoir réüflir dans leur deffein ; Car le Roi, qui commencoit a gouverner par lui-même, avoit été confeillé d'amener de Chypre toute la NobleiTe, qui étoit foupconnée de trahifon , & furtout Bernard de Rossi, Camerin de Barlas, & leurs adhérena. Dès que ces perfides eurent mis pié a terre en Paleftine , ils ne manquèrent pas d'aller furtivement joindre Felingher, qui continuoit le fiége du Chateau de Baruth. II en avoit même abatu un affez grand efpace de muraille. Ils 1'informèrent de toute chofe; mais heureufement leur trahifon, & leur jon&ion ne lui furent d'aucune utilité. Car, au bruit de la violence des Allemands, contre une des principales Maifons de la Paleftine, joint aux extorfions, & ; aux vexations, qu'ils exercoient continuellement a Ptolomaïde, & dans fes environs, les Habitans fe revoltèrent, & firent entre eux une confédération, a laquelle ils donnèrent le Nom de Compagnie de St. Jaques. Le Seigneur de Céfarée, & divers autres Barons, levèrent des Troupes, & eurent même 1'avantage, en allant joindre le Seigneur de Baruth, de défaire un parti $ Allemands, qui leur avoient drelfé une embufcade aux confins du territoire de Tyr; avec d'autant plus d'efpérance de forcer Felingher a fe défifter de fon entreprife, que fa Cavalerie ne pouvoit plus fubfifter, faute de fourage. Après la joncïion de tant de braves gens, le Roi & le Seigneur de Barufh parvinrent a la vue de la Ville, & campèrent fi  db JE'RUSALEM. Lm X. Ch. V. S3f fi prés de la Place, qu'il n'y avoit qu'une rivière, du cöté dc ÏOccident, entre eux, & les Allemands. Felingher, qui, par 1'aliénation des Peuples pour toute fa Nation, ignoroit que cette rivière füt guaiable, méprifa f armée du Roi; «Sc, par uneoftentation, condamnablea un Homme de guerre, ilfit d'abord fortir toutes fes Troupes de la Ville, «Sc les rangea en bataille, vis-a-vis des Chypriots, comme pour les infulter ; mais il fe trouvoit auprès du Roi des Perfonnes de valeur, «Sc dexpérience, lesquelles ne tardèrcnt pas a profiter de la fanfaronnade du Général Allemand. Le Seigneur de Baruth n'ignoroit point la mauvaife fitua- r™ * tion, oü fe trouvoit le Baron de Gone'me. Ce dernier avoit SmS* recu diverfes blelfures dans la défenfe du Chateau; «Sc il ne fe téestrouvoit plus en état d'agir, que foiblement. C'eft ce qui engagea le Seigneur de Baruth de fe mettre a la tête de mille Chevaux, avec autant de Fantaffins en croupe; &, par des fentiers détournés, il alla palfer la rivière a un gué, dont il avoit connoiifance. Pendant que le Roi, avec le refte de 1'Armée, amufoit les Ennemis, par des mouvemens continuels, comme s'il avoit effeclivement voulu en tenter Ie palfage; de forte que le Seigneur de Baruth tomba fur les Allemands 'avec tant de fureur, qu'il en fit un grand malfacre; «Sc il les auroit entièrement défaits, s'ils ne fuifent promtement rentrés dans la Ville, oü ils auroient même été pourfuivis, fi Felingher, qui reconnut fa faute, n'en eüt d'abord fait fermer les portés' «Sc abandonné une partie des fiens a la difcrétion des enne' mis. Le Seigneur de Baruth, fatisfait de cet avantage, qui lui procura la commodité de faire entrer le Baron d'AssuR, fon Fils, avec un bon renfort dans le Chateau, repalfa enfuite la rivière, & fe rendit au Camp, pendant que Balian d'lBELiN, fon Fils aïné, qu'il avoit envoïé a Ptolomaïde, emprunter de largent, faire des provifions, «Sc du monde,y travaüloit,avec Yy.y 2 fuc-  JLtHde/H H33Lt Gétiéra Allemand réfufe la bataille. 5+o HISTOIRE GE'N E'R A L E fuccès, a 1'un, & a l'autre. Alors, Felingher, déconcerté de ces fuccès, commenca a désefperer de Ion entreprife, & ne favoit plus quel parti prendre; Cependant, comme il étoit le maitre dans la Ville, & que fes Troupes n'y manquoient de rien, pendant que celles de Chypre étoient expofées a la rigueur de Thyver dans une campagne ftérile, il fe flattoit encore de les y voir périr, fi le Seigneur de Baruth s'opiniatroit a y demeurer davantage, & de réparer, par une conduite plus circonfpecïe, ce qu'il avoit perdu par fon trop de confiance. C'eft pourquoi tous les efforts, que fit ce Seigneur pour 1'attirer a une bataille, furent inutiles. Bien loin de quitter la Ville, il défendit rigoureufement a tous les Officiers, & aux Soldats, de reparoitre fur le rivage, & s'apliqua uniquement a battre le Chateau, fins que fes attaques, ni fes batteries fiffent de plus grands progrès, par la vigoureufe réfiftance du Baron d'AssuR, qui, en même tems, avertilfoit fon Père du peu de mal, qu'il recevoit des Allemands. Le peu d'apparence de les attirer au combat, joint a la défertion des Soldats Chypriots, faute de paie, & de nourriture, les fouffrances de 1'Armée, & enfin la crainte , que la fanté du Roi n'en füt altérée, firent réfoudre le Seigneur de Baruth a conduire ce Prince dans un lieu plus commode. II décampa avec toute 1'Armée, & alla fe polier au Village de Rus, laisfant le commandement des Troupes au Baron de Bries , pendant que lui, avec leRoi, & un gros détachement, savanca au Chateau Gombert, pour être plus a portée de folliciter les fecours que Balian, fon Fils, étoit allé chercher a Btolo- Ce jeune Seigneur, après avoir emprunté de grolfes fommes des Négocians Vénitiens, & Génois, établis dans cette Place, avoit paffé a Tripoli, pour y faire du monde. II engagea deux eens braves Cavaliers, & huit eens Fantaflins, avec lesquels il partit d'abord pour fe rendre a Baruth. Felingher, informé, par  de JE'RUSALEM. Lm X. Ch. V. y4,i par les Allemands de Ptolomaïde, des emprunts qu'il y avoil faits, «Sc de fon retour, dégouté d'ailleurs de 1'inutilité de fes tentative».; par un excès de rage, «Sc de déseipoir, abandonna la Ville au pillage de fes Troupes, malgré les bons traitemens, qu'il avoit recus des Habitans, «Sc y fit enfuite mettre le feu, qui en confuma la plus grande partie. Ses Soldats, auffi perfides, «Sc mgrats, que lui, non contens d'y avoir poulfé 1'impiété, 1'avarice, & 1'impudicité, a 1'excès, exécutèrent fi ponctuellement fes ordres, quil ne tint pas a eux, qu'elle ne füt entièrement réduite en cendres. Les Rébelles Chypriots, étonnés du mauvais fuccès du Siége de Baruth, «Sc de la retraite du Général Allemande Tyr, lui demandèrent quelques Galères, «Sc une partie de fes Troupes pour repalfer en Chypre, oü ils falfurèrent d'avoir encore alfez de crédit, «Sc de partifans, pour s'emparer de toute l'Ile, & la réduire fous 1'obéïlfance de fEmpereur, avant même que le Roi, «Sc le Seigneur de Baruth pufient s'y oppofer. Felingher, qui ne cherchoit qu'a fe dédommager du tems perdu, «Sc a fatisfaire fa cupidité, leur accorda d'abord quatre VailTeaux, «Sc autant de Galères, avec lesquels ils palfèrent en Chypre. L'embrafement de Baruth aïant fait connoitre au jeune Seigneur d'Ibelin , que les Allemands avoient abandonné la Ville, il fortit du Chateau avec la meilleure partie de la garnifon, pour les pourfuivre. II atteignit encore une partie de leur arrièregarde, qu'il maltraita fort. Content de ce petit avantage, il rebrouffa chemin, pour aller fecourir les Habitans de Baruth, & leur aider a arrêter 1'incendie, «Sc remédier aux défolations que les Allemands y avoient caufées. Balian d'Ibelin, fon Frère , revint de Tripoli, avec les Troupes, qu'il avoit levées. Comme il ignoroit le parti, que Felingher avoit pris, il n'avoit pu 1'empêcher de gagner Tyr. .Ainfi, il fe rendit auffi a Baruth., d'oü il partit deux jours" Xyy 3 après, II quitte le Siége, abandonnt la Ville au pillage, 8» y fait mettre lef eu. Üfe retire » Tyr,  I Les Seigneurs d'ïbelin obligés de ceder aux Troupes Alleinaedes. '4.3 HISTOIRE GE'NE'RALE iprès, cn compagnie de fon Frère, pour aller informer le Roi, Sc leur Père, de la retraite des Ennemis, & du bonheur, qu'avoit eu le Baron d'AssuR de défaire une partie de leur arrièregarde; mais, comme ils s'arrêterent, avec un peu trop de conliance, au Chateau Gombert, paree qu'ils croïoient n'avoir plus rien a craindre fes, Allemands, Felingher, qui ne pouvoit fe confoler de 1'arfront, qu'il avoit recu, informé que le gros de leur Armée étoit demeuré au Village de Rus, & que le Seigneur de Baruth fe trouvoit a Ptolomaïde, fortit foudainement de Tyr avec 1'élite de fes Troupes, & les chargea li brusquement, qu'ils ne purent fe rejoindre alfez-tot pour lui réfifter; en forte qu'il leur tua beaucoup de monde,& obligea les autres a prendre la fuite. Les deux Fréres Ibelin , le Comte de Céfarée, & le Baron de Bries furent abandonnés presque de tout leur monde, & fe réfugièrent dans une vieille Tour a demi-ruinée; bien réfolu de vendre chèrement leurs vies, pendant que ceux qui fe trouvoient auprès du Roi dans une métairie un peu écartée, pour n'y point hazarder ce Prince dans une occafion, oü il y avoit de laconfufion, & du danger, le conduifirent promtement a Ptolomaïde. Le Seigneur de aruth y étoit allé quelque3 jours auparavant, pour s'aboucher avec le Patriarche d''Antioche. Le Pape, informé de la révolte des Peuples de Syrië contre les Allemands , l'avoit nommé fon Légat, afin qu'il les appaifat, & retint les uns & les autres dans leur devoir. En revenant de Ptolomaïde , le Seigneur de Baruth fut furpris de rencontrer le Roi en fon chemin, & d'apprendre le malheur, qui venoit d'arriver aux fiens ; Mais, comme il n'avoit pas moins de courage, & de fermeté, que de grandeur d'ame, fanss'émouvoir de cette trifte nouvelle, il ajouta vingt-cinq de fes Chevaux a fefcorte du Roi, & continua fa route. B  de JE'RUSALEM. Liv. X. Ch. V. ^ II ne tarda pas long-tems a découvrir plufieurs fuïards, don( liin fut affez mal-avifé pour lui dire, que fes deux Fils avoient été tués. Ce Seigneur lui répondit froidement, que tel devoit être le fort des bons Soldats ; mais que ce ne feroit jamais celui des laches, comme lui. U ne paria point avec la même indifférence a un autre, qui, faifant Tofficieux, eut 1'imprudence de lui dire, qu'on pourroit peut-être les trouver parmi ceux qui s'étoient fauvés, s'offrant même d'aller les reconnoitre; Car il lui répondit avec emportement, qu'il ne croïoit point, que fes Enfans puffent être parmi les fuïards; bien perfuadé que, ft la néceffité les eüt obligés d prendre ce parti, ils n'auroient jamais pris une route, oü ils Peuffent pu rencontrer. Le difcours, & la contenance de ce Grand-Homme ranima tellement les Soldats effrayés,& épars, qu'ils fe rallièrent d'eux mêmes, & le fuivirent avec autant de hardielfe, qu'ils avoient témoigné de lacheté auparavant. Par leur courage, ils le mirent en état de furprendre, a fon tour, les Allemands, qui, aveuglés de favantage, qu'ils venoient de remporter, s'étoient amufés a butiner, & a faire bonnechère des provifions, & de 1'excellent vin, qu'ils avoient trouvé. Ainfi, leur défaite ne lui donna pas plus de peine, qu'ils en avoient eu eux mêmes, amettre en fuite les Troupes de Cbypre, & de Palefline. Felingher, qui étoit a table,avec la plupart de fes Officiers, eut beaucoup de peine a fe fauver avec quelques débris de fes Troupes. 11 gagna le détroit de Polan, oü il s'arrêta pour prendre haleine?; perfuadé que, fi on le pourfuivoit jufques-la, f avantage du lieu 1'aideroit a fe défendre de leurs attaques. Le Seigneur de Baruth, qui fe pofTédoit parfaitement, content d'avoir, en fi peu de tems, réparé fa perte, vangélamoit des fiens, & dégagé fes Enfans avec les autres Seigneurs, qui fe trouvoient en leur compagnie , bien loinde pourfuivre les AlIemands,^ penfa plus, qua réünir toutes fes Forces, & abien demeurer fur fes gardes, "Quof- Les Allemands furpris dans le vin, &dt faits.  54.4. HISTOIRE G E' N E' R A L E Quoique les Allemands euflènt beaucoup plus perdu, que gagné, dans 1'affaire du Chateau Gombert, leur nouvel attentat fut caufe, que le Patriarche rencontra de grandes difficultés, pour appaifer la révolte, & le mécontentement des Peuples de Palejline; mais, enfin, ce Prélat, fecondé par les Maitres des Ordres Militaires, auxquels le Pape avoit auffi écrit, les fit rentrer dans 1'obéïflance de fEmpereur , dont ils s'étoient fi ouvertement fouftraits; ce qui procura la paix, & le repos a tout le pays. Ce ne fut neanmoins , qu'a condition que ce Monarque rappelleroit inceffamment Felingher, avec les 300. Hommes d'armes, & les autres Troupes, paree qu'on regardoit ce Général, comme 1'Auteur principal des désordres, & des fcandales, qui n'étoient arrivés, que par fon avarice, & par 1'infolence de fes Soldats. 1234. Article 7. Excès cammis tn Chypre par les méC'ntcns. Chapitre VI. Depuis cet accommodement, le jeune Roi, qui étoit fatigué de tant d'embarras, ne fouhaita, que le moment de de s'en retourner en Chypre. 11 étoit prêt a s'embarquer, lorsqu'il aprit, avec autant de douleur, que d'étonnement, les révolutions, qui y étoient arrivées, par la continuation de 1'infidélité de fes Sujets mécontens. Ces traitres étoient abordés aux Salines, avec les VailTeaux, & les Galères, que Felingher leur avoit confiés. Comme ils trouvèrent le pays entièrement dégarni de gens de guerre, ils n'eurent pas beaucoup de peine a s'emparer de la plupart des Forterelfes. Les feuls Chateaux de Buffavento, & Dieu d'Amour, leur réfiflérent. Le prémier par le courage, & la prudente conduite de Dame Cive de MontBEILLARD, Femme de Balian d'lBELiN, laquelle s'y tranfporta, dé-  »ï JE'RUSALEM. Liv. x. Ch. VI. Hs deguifée en habit de Francifcain, & munit, a fes propres dépens, cette Forterelfe de toutes les provifions nécelfaires; mais, nielle, ni le Gouverneur de Navarre, ne purent empêcher les Allemands de courir toute file, & d'y commettre des cruautés, & des violences inouïes; laiffant par-tout de terribles marqués de leur avarice, & de leur impiété. Les lieux les plus Cmutés Saints n'en furent pas exemts. En effet, ils violèrent les Re- *M. ligieufes, jusques dans leurs propres Temples, dont ils empor- leman<*s. •tèrent tous les vafes Sacrés, avec les plus riches ornemens. Pendant ces excès de cruauté, Felingher, que fEmpereur LeGénbai avoit fait rappeller de Palejline, aborda en Cbypre; ce quiaugmenta confidérablement le tumulte , & le désordre du pays. TEmPPhilippe de Navarre, qui en étoit Gouverneur, avoit fi peu de Forces a leur oppofer, qu'il s'eftima bien-heureux de pouvoir fe fauver dans le Chateau Dieu d'Amour; & le Commandant Aïlemand, ravi de trouver une fi promte occafion de fe vanger du Roi, & du Seigneur de Baruth, qui avoient été la caufe de fon rapel, s'apliqua tout entier a chercher les moï'ens d'entretenir le pays dans un foulèvement continuel. Son prémier foin fut de créer, au nom de fEmpereur, les cinq Chefs des Rébelles, qui étoient Gavan de Rossi , Camerin de Barlas, Alme'ric de Bezan, Guillaume Rivet, & Hugues Giblet , Gouverneurs du Roïaume ; &, foit pour n'en mécontenter aucun, ou qu'il crüt que c'étoit le véritable moïen de parvenir plus facilement a 1'entière deftruétion de cet Etat,il leur attribua une égale autorité; perfuadé que cette pluralité Les de Chefs, ne manqueroit pas d'y entretenir le trouble, &laconfu- meiit/ fion. II partit, enfin, fatisfait des richelfes, qu'il attrapa, leur laiflant chYPri™ la meilleure partie de fes Troupes, fous le commandement du gens de Comte Etienne, auquel il ordonna de mettre tout en ufage pour lIlt' fe rendre maitre des deux Forterelfes, quirelïoient encore attachées au Roi; & il alfura les nouveaux Gouverneurs, " qu'il : ne manqueroit pas de faire valoir leur zèle auprès de TEm- Zzz " pereur,  Article II. Le parti iu Roi de Chypre fortifié contre les RéMts. 54.6 HISTOIRE G E' N E' R A L E V pereur, «Sc qu'il folliciteroit ce Monarque a leur envoïer de " nouveaux renforts, pour fe foutenir dans le gouvernement, " qu'il leur laiffoit en fon nom. Felingher ne fut pas plutot parti, que les Régens , qui fouhaitoient, avec paifion, de devenir maitres des deux Chateaux, afin de fatisfaire a la haine, qu'ils portoient a diverfes Families nobles, qui s'y étoient retirées, obligèrent d'abord les Payfans aprendre les armes, pour leur aider a les réduire, particulierement celui de Dieu d'Amour, qu'ils vouloient affiéger le prémier. Les affaires de Chypre fe trouvoient dans ce trifte, & déplorable état, lorsque le Roi en fut informé; deforte qu'il n'eft pas furprenant, fi ce jeune Prince en fut d'abord frappé, «Sc fi le Seigneur de Baruth reconnut, mais trop tard, qu'il n'avoit point aflez fait d'attention ala conduite, ni a la démarche des mécontens, lorsqu'ils avoient déferté. C'eft pourquoi, réfolu de réparer cette faute, il s'apliqua extraordinairement aux prèparatifs nécelfaires pour rétablir la tranquilité du Roïaume, & pour punir la félonie des Rébelles, qui 1'avoient fi fouvent troublé. II fretta d'abord plufieurs Vaifleaux, «Sc autres Batimens Vénitiens , Sc Génois, qui fe trouvoient dans le port de Ptolomaïde, lesquels, joints a ceux de Chypre, compolèrent une Flotte aflez confidérable. Les dépenfes extraordinaires, qu'il falloit faire pour lever de nouvelles Troupes, «Sc pour tout le relte de cette expédition, contraignirent le Roi' a faire de nouveaux emprunts; Et, afin que les Impériaux de Palejline ne pulfent fecourir ceux de Chypre, le Seigneur de Baruth s'empara de plufieurs de leurs Batimens, qui étoient refiés dans le port de Tyr, presque dégarnis dequipages; ce qui fit bien augurer au Roi du fuccès de fon entreprife. En effet, il partit, «Scfon bon droit fut accompagné d'un grand bonheur; Car, fitöt qu'il fut a la vue de FamagouJle, il détacha quelques VailTeaux légers, pour avertir les Habitans de fa  ï>e JE'RUSALEM. Liv. X. Ch. VI. fa venue. II les trouva non feulement bien difpofés a le rece voir avec tout le refpeét, & 1'obéiifance, qu'ils lui devoient. mais encore a prendre les armes pour chaffer les Ennemis com muns du Roïaume- Ils n'étoient cependant point en état d'ef feclué'r leurs bonnes intentions, par la précaution qu'avoiem eue les Régens d'envoïer a Famagoufte une groffe bande & Allemands, avec tous les Batimens du pays, dont ils s'étoien failis, pour garder le port de cette Ville, & s'oppofer au débarquement des gens du Roi, dont ils foupconnoient 1'arrivée L'avis de leur prévoïance, & la bonne difpofition des Habitans , fit que le Seigneur de Baruth ne jugea point a propos de tenter aucune defcente, pendant le jour; perfuadé que la nuit lui feroit plus favorable. II détacha plufieurs Compagnies fous le commandement de Balian , fon Fils, & d'ANZiAN de Bries , qui abordèrent a YOccident de la Ville. Ilsentrèrent dans les jardins, oü ils mirent le feu, & donnèrent 1'allarme a tout le quartier, afin d'y attirer les Allemands, qui ne manquèrent pas d'y acourir. Alors, profitant de leur mouvement, il s'avanca lui même avec les Galères, & plufieurs autres Batimens, vers le port, encourageant fon monde a en forcer 1'entrée, a quelque prix que ce füt. Ce fut dans cette occafion que le Seigneur de Baruth fit cette héroïque réponfe a un Officier, qui fut alfez imprudent pour lui demander le nombre des Batimens ennemis, qui défendoient leport. Une s'agit point, lui dit il, de Javoir leur nombre, mais feulement de les ajfronter, l°f de les faire périr. Bien loin de rencontrer de la réfiftance de la part des Ennemis, leur défaite ne lui coüta presque rien; car, foit que les Equipages ne Ment pas bien fur leurs gardes, ou qu'ils ne puffent éviter la quantité de feux artificiels, qu'on leur jettoit de tous cötés, le feu prit a leurs VailTeaux, avec tant de violence, quils s'embralèrent, les uns, les autres, & furent, en peu de tems, presqu'entièrement confumés. Zzz 2 Les r Flotte dei Rébslles brülèe dans le port de Famagoufte,  54-8 HISTOIRE GE'NE'RALE Entrie victorieufedu Roi dans Famagoufte. Article/W. Frogrès des armes du RoL Les Famagoujlains, a la faveur de cet embrafement, profttèrent de la fortie des Impériaux, ouvrirent leur porte de la marine, & recurent leur Souverain avec de grandes acclamations de joie, malfacrèrent même quelques partifans des Rébelles, qui fe trouvoient dans la Ville, dont ils avoient foigneufement fermé la porte de terre, afin que les Allemands ne pusfent plus y rentrer. Ce changement de fcène les furprit fi fortj que , fans vouloir s'opiniatrer a faire tête aux Troupes du Roi, qui avoient débarqué aux jardins, ils abandonnèrent tout, & prirent promtement la route de Nicofie, oü le Seigneur de Baruth ne jugea point a propos de les pourfuivre. Le bruit de 1'entrée du Roi dans Famagoufte fe répandit d'abord dans toute l'Ile, & produifit des effets bien différens. II encouragea fes fidèles Sujets, qui, peu auparavant, fe trouvoient dans 1'accablement, & dans la défolation, & abatit, au contraire , la fierté, & les forces des mécontens, qui perdoient tous les jours quelques-uns des lieux, qu'ils avoient occupés. A 1'imitation de ceux de Famagotifle, les Chypriots qui fe trouvoient dans le Chateau de Cantara, égorgèrent la plupart de la garnifon Allemande, que les Régens y avoient mife, s'alfurèrent du refte , & envoièrent incefiamment demander au Roi un Gouverneur, pour les conduire, & les aider a retenir cette Eorterelfe dans fon obéïflance. Les Habitans de Nicofie, de leur cóté, commencèrent a lè mettre en mouvement, & obligèrent le Comte Etiexne , qui fe trouvoit dans la Ville, & qui craignoit d'être traité, comme ceux de fa Nation 1'avoient été a Famagoufle, & a Cantara, d'en fortir promtement. II alla fe camper, avec fes Troupes, dans une grande vallée a deux lieues au Nord de Nicofie, oö il fe croïoit d'autant mieux pofté, qu'il pouvoit empêcher les fecours , qu'on enverroit au Chateau Dieu d'Amour , qui fe trouvoit fort affamé; & recevoir lui même, avec commodité, toutes les provifions, qu'il voudroit tirer de Cérines9 qui étoit  de JE'RUS ALEM. Lm X. CaVI. ^ éntièrement a fa dévotion, & dont il avoit fait fa place d'armes. Ce Général ne fut pas plütöt forti de la Ville de Nicofie, > que les Bourgeois en fermèrent les portés, & prirent tous lesj armes pour s'oppofer aux entreprifes des Régens. Ils envoïé- J rent, en même tems, quatre des principaux d'entre eux,pour p informer le Roi de la fidélité de fa Capitale, & pour le fuplier ) d'y venir promtement, afin de diifrper entièrement,par fa pré- i fence,le parti de fes Sujets rébelles, & pour obliger de fortir de fon Roïaume les étrangers,que ces mécontensy avoient introduits, & qui avoient déja tant fait de mal. Les gens de la Campagne, qui ne vouloient pas être les z derniers a témoigner leur attachement, & la joie qu'ils avoienttk du retour de leur Souverain, conduifirent avec empreflement, m une fi grande abondance de provifions a fon Camp, qu'on n'y 2 refientoit aucune des incommodités, qui accompagnent ordi- N nairement la guerre. Plufieurs Perfonnes, qui, par foiblelfe, ou par politique, avoient jusqu'alors foutenu le parti des Rébelles , 1'abandonnèrent , & allèrent ouvertemcnt fe ranger a 1'obéïïfance du Roi, lui offrant leurs vies, & leurs biens,pour punir leur révolte, & leur trahifon. Chapitre VIL r I Aant d'heureufes difpofitions engagèrent ce Princeafe ren-> J- dre a Nicofie , oü la tranquilité fut d'abord rétablie. \ Alors le Seigneur de Baruth, & le Baron de Navarre, quic avoit évité la fureur des Rébelles, fe mirent en campagne,pour aller fecourir le Chateau Lieu d'Amour, que la difette de vivres avoit réduit a la dernière extrémité. Ils ne pouvoient cepen- Zzz 3 dant La me ds Nicofie fecoue le joug des Régens, & prend les armes en faveur 4u Roi. Les gens le la cammgne Juijent 'exemple le ceux de Nicofie. irticle I. .e Roi arive a Niofie.  5jo HISTOIRE G E' N E' R A L E Camp des Allemands attaqué. dant le faire, fans forcer les Allemands, qni étoient campés dans la vallée de Monadi, par oü il falloit nécelfairement paffer. C'eft pourquoi, ils s'arrêtèrent au Village Abbide, d'oü ils fe contentèrent de risquer quelques centaines d'Hommes, chargés de provifions, qui, guidés par quelques Bergers, a travers des fentiers inconnus, «Sc presqu'impraticables, y entrèrent heureufement. Mais, comme ces petits fecours étoient trop foibles, pour foutenir le grand nombre de Perfonnes, qui fe trouvoient enfermées dans cette Forterelfe, le Seigneur de Baruth fe determina a attaquer les Impériaux. Ceux-ci, avertis de cette réfolution, & enfermés entre deux Montagnes, oü, en leurcoupant les vivres, on pouvoit les faire périr de mifère, prirent le parti de defcendre dans la plaine, «Sc d'en venir aux. mains avec les gens du Roi, malgré les rémontrances des Chefs des Rébelles , qui s'efforQoient de leur perfuader, qu'en demeurant fermes dans le pofte, qu'ils occupoient, ils n'avoient rien a craindre de PArmée ennemie, quand même elle auroit été beaucoup plus forte; pretendantqu'elle fe feroit diflipée d'elle même, ce qui leur auroit indubitablement facilité la prife du Chateau, dans lequel étoient enfermées les principales Perfonnes, «Sc les plus grandes richefles du Roïaume. Toutes les raifons, qu'alléguèrent ces Rébelles furent inutiles. Les Allemands voulurent abfolument combattre. Ils divifêrent leurs Troupes en trois corps, dont le prémier étoit conduit par le Comte Gautier deManehan; le fecond par Be'rold, fon Frère. Le Comte Etienne, avec leslcinq Régens, étoient \ la tête du troifième. Le Seigneur de Baruth, de fon cöté, animé par leur faufie démarche, difpofa également fon Armée en trois corps: le Baron de Bries commandoit 1'avant-garde; le Comte de Céfarée, le corps de bataille; Philippe de Navarre étoit a la tête de 1'arrière-garde ; le Seigneur de Baruth fe trouvoit par tout. Après  be JE'RUSALEM. Liv. X. Cu. VII. 5J1 Après avoir harangué, en peu de mots, les Chypriots, Sc les avoir exhortés a fe réjouïr de trouver le moment de fe vanger des outrages, qu'ils avoient recus éts Allemands, tant en leurs biens, qu'en leurs Families, qui en avoient été la plupart deshonorées ; II leur dit, " qu'il falloit abfolument fe délivrer „ pour toujours de leur joug, Sc de la tyrannie des Rébelles „ qui les avoient introduits, & remettre leur Souverain légi„ time dans la pailible poffeifion de fes Etats. Cette courte harangue fut fuivie de grandes acclamations, qui firent comprendre au Seigneur de Baruth les effets, qu'elle avoit produit fur 1'efprit des Officiers, &des Soldats. II fit, fans héfiter, attaquer le prémier corps des Allemands, que commandoit le Comte Gautier. Soit, que ce Capitaine füt éton- Bataiüt. né de 1'impétuofité, dont il fut invefti ; ou que, peu fatisfait des Régens, il ne voulut point faire la réfifiance, qu'il auroit pu,l'aclion nefut pas plütöt commencée, qu'il lacha le pié,& s'éloigna fi fort du champ de bataille, que le fecond Batailïon demeura feul expofé a 1'Armée Chjpriote. Cependant, malgré ce mauvais exemple, & la fermeté, avec Artidc i? laquelle les Troupes du Roi continuoient le combat, les Allemands donnèrent de fi grandes marqués de leur courage, Sc de leur valeur, que, fans la mort du Comte Be'rold, que le Baron de Bries tua de fa propre main, la Vicïoire auroit été long-tems difputée; car le Comte Etienne , & les Régens, étant entrés dans la mêlée, le maffacre devint égal, de part & d'autre; mais la mort du Comte Be'rold rallentit 1'ardeur des Troupes, qu'il commandoit, &leur fit même prendre la fuite Les autres déja fort affoiblies ne furent plus en état de foutenir les eiforts de toute Armée ennemie. II ne fut même pas poffi- Di™*' * ble au Comte Etienne d'empêcher leur fuite précipitée, fans Ifit iavoir,fi la route qu'ellesprenoient leur étoit favorable,ou non- de" de forte que, pour fe fauver, il fut lui même contraint de les tmiter. La  5 ? 1 3 ! ArticlelTf. Le SeigneuriTAflur paurfuit les fuïards , qu'il detruit entièrement. ft HISTOIRE G E' N E' R A L E La perte de la bataille ne termina pas la disgrace des Menands. Le Baron d'AssuR, que le Seigneur de Baruth, fon Jère, avoit, pour quelque déplaifir, privé ce jour la du comnandement de fa brigade ; foit pour rentrer dans fes bonnes >races, foit pour avoir part a une aótion, qui alloit décider du 'epos de 1'E'tat, engagea les Barons Raymond de Nassau, Pierre de Montolif , Robert Mammeni , et Eudes de Fittes, a le feconder dans le projet, qu'il avoit formé. Ils allèrent fe pofter, avec une cinquantaine de Domeftiques, fur des hauteurs très-efcarpées, qui dominoient le chemin par oü les Impériaux devoient palfer, a quelque prix que ce füt. En erf et, ils roulèrent unefi grande quantité de groifes pierres fur ces miférables fuïards , qu'il en échapa bien peu de ceux qui prirent cette route. Les Payfans,de leur cöté,en aiTommèrent un li grand nombre, qu'ils achevèrent leur défaite. II n'y en eut guères de lauvés, que les prémiers, qui avoient abandonné le combat, avant que le Seigneur d'Assua, & fes Compagnons fefulfent poftés. Ceux-la eurent le bonheur de fe retirer par des chemins détournés jufqu'au Chdteau de Gaftria^m appartenoit aux Templiers, mais leur fort n'en fut pas plus heureux. Car le bruit de la Vidoire du Seigneur Baruth, aïant ramené tout le pays a 1'obéüTance du Roi, le Baron d'AssuR les pourfuivit avec un bon Détachement, & les atteignit auprès du même Chateau, dont les Chevaliers, qui fouhaitoient de s'entretenir dans les bonnes graces du Roi, avoient réfufé de leur ouvrir les portes. II en abandonna une partie au carnage, & conduifit le refte, avec leur Commandant, prifonniers aAzcofie, oü ils périrent presque de tous de mifère, oude leurs bleflures. AM'égard du Comte Etienne, plus heureux, ou mieux guidé,que les autres, il gagna, avec les Chefs des Rébelles, la Ville de Cérines, qui étoit la feule Forteieffe, qui tenoit enco, rei  »b JEHUSALEM. Lm X. Gr. VIT. m- re pour eux Lespetits corps, qu'ils avoient laiiTésaux avenue du Chateau Lieu cfamour, les abandonnérent, fitot qu'ils apprirent la défaite de leurs compagnons, & eurent auffi le bonheur de fe retirer a Cérines, oü la garnifon, confternée d'un changement de fortune fi fubit, & le Comte Etienne lui meme, ne fachant quel parti prendre, avec le peu de forc-s qui lui refioit, dans un pays, qui lui étoit devenu entièrement ennemi, & d'oü meme il ne pouvoit fortir, fans cou- dement nfqUe' ^ & aUCUn acco™o- Les Rébelles, deleur cöté, commencèrent a trembler pour 2w„ leurs vies, avec d'autant plus de raifon, qu'ils aprirent, que le * Baron de Navarre avoit fait exécuter trois de leurs adhérens qui s'étoient trouvés parmi les prifonniers de Gqftria : ce qui leur fit comprendre, qu'ils n'avoient aucun pardon a efpérer, sJs avoient le malheur de tomber entre les mains des gens du Ces triftes réflexions les firent réfoudre a emploïer tout ce qui leur reftoit, pour fe procurer quelque Bati ment, & s'embarquer avec le Comte Etienne, qui ne vouloit plus écouter aucime de leurs propofitions; mais n'y pouvant réüffir, comme ils le defiroient, ils le firent enfin confentir a leur lailfer le peu de Troupes qui leur refioient, fous le commandement de Gautier d Aqtjaviva, NapoJitain; &, moïenant quelque L"*Tei fomme, qu'ils lui donnèrent, 11 palfa en Caramanie, d'oü il leur promit d'envoïer quelque fecours. II leur tint, en elfet, parole; &, quoique le fecours qu'il *w leur envoïa, ne füt que médiocre, ces Révoltés eurent pour-mriU' tant alfez de conduite, & de courage pour foutenir, pendant pres d une année entière, le Siége de Cérines. Cela caufa au Roi des dépenfes fi extraordinaires, que, n'y pouvantfubvenir par lui meme, ce Prince fut obligé de faire de gros emprunts des Fénitiens, & des Génois,, qui étoient a fa folde, de leur Aa aa céder  Grandes ftmmes prétéesau Roi par les Vénitiens, 6P lts Génois. Article 7. Allemandsobligés de fe retirer de Ptolomaïde d Tyr. Les Habitans de Cérines reiident la Place au Roi, 6? capiiulent. 9tf HISTOIRE G E' N E' R A L E céder le revenu des douanes du pays, & de leur accorder plufieurs exemtions touchant le commerce, que ces Nations faifoient dans fes Etats, aimant beaucoup mieux facrifier fon propre domaine, que de furcharger fes Sujets de nouveaux impöts. Chapitre VIII. LaNobleffe de Palejline, qui avoit vécu fort paifiblement depuis la Légation du Patriarche $ Antioche, ne pouvant plus fouffrir les infolences des Impériaux, commenca enfin a remuér. Le Comte de Jaffa, de la Maifon Ibelin, qui avoit beaucoup d'autorité a Ptolomaïde, en fit foulever les Habitans, & les anima fi fort a fecouër le joug d'une Nation fi avide, «Sc fi féroce, qu'ils forcèrent Rainaud de Bavière, Lieutenant de 1'Empereur, & toute fa fuite, de fe retirer a Tyr, oü ce Commandant apréhendoit même d'être affiégé. Dans cette extrémité, il envoïa demander du fecours au Roi $ Arménie, grand Ami de Fre'de'ric; mais ce Prince réfufa de fe mêler dans une affaire, qui auroit pu lui en attirer de plus facheufes. Le désordre des Allemands de Ptolomaïde, & 1'extrémité, oü fe trouvoit réduit le Gouverneur de Cérines, qui n'en pouvoit plus efpérer aucun fecours, 1'obligea a capituler, lors que le Roi, & le Seigneur de Baruth, s'y attendoient le moins. Cependant, quoiqu'ils n'ignoraiTent pas long-tems le fujet, qui favoit obligé a leur demander la paix, foit qu'ils ne jugeaflènt point a propos de pouffer a bout des gens, dont ils avoient déja tant éprouvé le courage, & Popiniatreté, ou qu'ils fuffent fatigués de la grofle dépenfe, «Sc de la perte, qu'ils avoient faite de leurs meilleurs Soldats, ü> recutent favorablement leur pro-  BE JE'RUSALEM. Liv.X. Ch.VHL ff propofition; & 1'accord en fut conclu par 1'entremife des Che valiers du Temple, & des Barons de Giblet,& de Navarre aux conditions fuivantes: favoir; l „ Que Philippe Ge'nard, Gouverneur de Cérines poui „ 1'Empereur, & Gautier d'Aquaviva, Commandant de fe; „ Troupes, remettroient au Roi cette Place , dans Pétat oi „ elle fe trouvoit, avec toutes les armes, & les munitions. II. „ Que les prifonniers feroient fidèlement rendus, de part „ & d'autre. III. „ Que le Roi leur fourniroit des Batimens a fes fraix, „ pour transporter a Tyr toute la garnifon, avec fon bagage: Les Chypriots révoltés furent exclus de ce Traité. Le Roi, confeillé par le Seigneur de Baruth, ne voulut jamais leur accorder aucune grace, malgré les grandes inftances, que lui en firent les Barons Genard, & Aquaviva. Voila de quelle manière le Roïaume de Chypre fut enfin délivré des calamités, qu'il avoit fouffertes, par la félonie de fes propres Habitans, & par la cupidité des Allemands, dont le nom y demeura pour toujours odieux a tous les Peuples, même a ceux, qui les y avoient introduits. Après leur départ, le Roi congédia les VailTeaux, & les Troupes étrangères, qui lui étoient fi fort a charge. II avoit reconnu par expérience, combien il lui importoit de n'emploïer que des Sujets fidèles dans fes affaires, fur tout pour le Gouvernement de fes Places. II commenca par donner celui de Cérines, qui étoit le plus confidérable, a Baudouin de Bries,. tant par raport a fon mérite perfonnel , qu'en confidération d'ANRiAN, fon Frère, qui avoit été tué pendant ce Siége. II chargea, en même tems, cet Officier d'en faire róparer les fortifications. Le prémier foin de ce Prince, revenu a Nicofie, fut de rétablir le Confeil fupérieur, & les autres Tribunaux, qu'il remplit de Perfonnes capables, & véritablement attachées a fes in- Aa aa 2 térêts, > ) 1 Article 77. Le Ruide Chypre difpofc du Gouvernement de fes Flaces, cn faveur de Ces Sujets les plus iffidés.  ^6 HISTOIRE G E' N E' R A L E SI rétabüt le Ion ordre. fcf/fl verife le Cummerce. Article/// Retour des Allemands ii Ptolomaïde. térêts, & au bien général de 1'E'tat. II remit dans fon prémier ordre la police, qui avoit été entièrement negligée, pendant les troubles du Roïaume. II accorda beaucoup de franchifes, & d'immunités, aux Négotians; perfuadé que le commerce étoit le plus fur moïen d'attirer des richelfes dans fes E tats. II récompenfa largement, même au-dela de fes forces, les Officiers, qui s'étoient diftingués au Siége de Cérines. II ètablit plufieurs étrangers de toutes fortes de conditions, qu'il avoit amenés de Palejline , & qui défiroient de refter en Chypre, & leur diftribua tous les biens des Rébelles, qui avoient été confifqués, & dont il n'avoit point voulu dilpofer jusqu'alors. Pendant que ce Prince étoit occupé a remettre en bon ordre les affaires de fon Roïaume, les Chevaliers de VHöpital, & du Temple, fur les preflantes Lettres, qu'ils avoient recues du Pape, travailloient a appaifer le nouvau foulevement des Peuples de Palejline contre les gens de fEmpereur; &, felon 1'intention du St. Père, ils fe dilpofoient a les fecourir, au cas que le Comte de Rama, & les Habitans de Ptolomaïde entrepriffent de les inquiéter a Tyr, comme ils le craignoient; & qu'ils ne fè rendiffent point a leurs follicitations. Comme la puilfance de ces deux Ordres prévaloit a celle de tous les Habitans de la Terre-Sainte, la NobleiTe , & le Peuple acceptèrent d'abord leur médiation, & recurent de nouveau les Mlemands dans Ptolomaïde, oü la tranquilité fut encore rétablie, & maintenue par ces deux Religions, qui, en effet, gouvernoient les débris du Roïaume de Jérufalem, en véritables fouverains; car, malgré la préfence de Rainaud de Bavière, c'étoit eux qui difpofoient des charges , & des emplois publics, & qui donnoient la loi, tant aux étrangers, qu'aux gens du pays. L'emprefTement, avec lequel le Pape foutenoit les intéréts de Fr e'd e'r i c en Palejline, fait bien voir, que les Pontifes ne fe portèrent a aucune extrémité contre lui, que lors que ce Prince fe départit entièrement du refpecl & de la révérence, que tous  de JE'RUSALJEM. Liv.X. Ch. VIII. |f* tous les Chrétiens doivent avoir pour le Vicaire de Jefus-Chrifl Ceft pourquoi le Continuateur de la Guerre Sainte, & PAu teur du Livre intitulé , Militaris Ordinis Janitarum , n'ont #Z" pas eu raifon de vouloir Ie juftifier, en attribuant fes excès & 7UJU^ la longue perfécution, qu'il a faite en divers tems contre vL\J&nc. fe, a la rigueur desPapes, pour lesquels fa conduite a toujours fait connoitre qu'il n'avoit de confidération, qu'autant que fes intéréts le demandoient, puisque le terme de la Trève qu'il avoit établie avec les Sarrafins, étant fur le point dexpir'er,& que d'ailleurs,de tems-a-autre, les Peuples de Palejline fe fou levoient contre fes Officiers, & cherclioient a fe foultraire a fon obéïlfance, il la prolongeaencore, pour dix ans, avec les Infidèles, contre le fentiment, & 1'inclination de Gre'goire malgré les grands fervices, qu'il venoit de lui rendre, & quoique les troubles d?Italië Ment entièrement appaifés. Toutes ces confidérations ne furent point capables de porter F r fd e'r i c a changer de fentiment. II aimoit mieux retenir fes Troupes en Italië, que de les envoïer en Palejline, oü il écrivit au contraire a Rainaud de Bavière, de ne faire abfolument aucun adte d'hoftüité contre les Sarrafins, tant que dureroit le terme de la Trève, qu'il venoit de renouveller avec eux, quelque inftance qu'on put lui faire pour le porter a la rompre. Mais le St. Père, qui auroit bien voulu profiter de la dis- Article^. corde, qui régnoit entre les Barbares, fans sarrêter, ni a ces Prétic ordres, ni a cet accommodement, qu'il ne trouvoit pas moins teurs en' blamable, que le prémier, envoïa divers célèbres Prédicateurs dans toutes les Provinces de la Chrétienté, pour exciter les Peu-SS pies a prendre la Croix, & a faire des efforts pour recouvrer ventablement le Roïaume de Jérufalem , & les faints lieux, qui fe trouvoient miférablement partagés avec les Infidèles Gregoire prelfoit d'autant plus cette expédition, qu'il avoit la douleur d'apprendre journellement la desunion, & Pachar- Aa aa 3 nement,  1 Difcorde ' entre les deux Ordres Militaires, auffi bien qu'entre les Seigneurs de la Paledine. Guerre ouverte entre les Hofpi; taliers, {3 les Templiers. HISTOI HISTOIRE G'EN. de JEU UB. Liv. X.Ch. VIII. icmcnt, avec lequel les Hofpitaliers, & les Templiers, qui devoient être les plus fermes foutiens de la Terre-Sainte, cherchoient a fe détruire entre eux, pour des intéréts de peu d'irnportance; que les Seigneurs du pays ne vivoient pas dans une meilleure harmonie ; & que, d'ailleurs, la guerre contre les Infidèles étoit beaucoup plus utile aux Chrétiens, que la paix, puisque Ie repös, & la tranquilité ne faifoit, que les animer, a fe faire la guerre, les uns contre les autres. Car les Chevaliers de VHópital, «Sc du Temple, après avoir agi de concert, & de bonne intelligence, pour appaiferles Peuples de la Palejline, & les faire rentrer dans leur devoir, reveillèrent d'abord leur ancienne difcorde, «Sc cette jaloufie invétórée, qui les avoit toujours agités, & que la mifère des tems, ni aucune autre confidération n'avoit pu diffiper. Ce qui y donna lieu étoit bien peu de chofe. II ne s'agiffoic que de la jouïfTance de certains moulins, pour lesquels ils avoient déja eu procés. Ils ne laiffèrent cependant pas d'en venir a une guerre ouverte, même fi cruelle, & fi fanglante, que, fans 1'autorité du Pape, & 1'entremifc des Abbés du St. Sépulcre, & de -5/. Samuel de Ptolomaïde, ces deux Religiona fe feroient entièrement détruites. Peu de tems après, il ne fallut rien moins que 1'autorité de 1'Archevêque de Ravenne, Légat du St. Siége, les bons offices, le crédit, & la dextérité de 1'Archevêque de Tyr, «Sc de TEvêque de Valonie, pour appaifer la querelle, qui étoit furvenue entre les Hofpitaliers, le Prince & Antioche, «Sc le Comte de Tripoli, au fujet du Chateau de Maraclèe, que les uns, «Scles autres prétendoient leur appartenir, & qui auroit eu des fuites auffi facheufes, «Sc auffi funefles, que 1'avoit eu peu auparavant celle des Ordres Militaires.  HISTOIRE GÉNÉRALE R O ï U M E S DE CHYPRE, de JÉRUSALEM3 D' É GEYT P T E. L 1 r R E XI Chapitre Premier. e^&tf£M%:> L1X'Reine de cbypre, qui avoit paffé en France, ^^K^X^jjg quelques années auparavant, comme nous A >S>fe ravons dit> P°ur faire valoir préten- SSB ^10ns, ^ fes droits fur le Comté de Cham" e^5c»^»§!) /wgw5 dont ThibaüTj fixiéme du Nom, fon Coilfin5 qui fut depuis Roi de Navarre, jouïlToit paifiblement, depuis le célèbre jugement, qui fut rendu par les Pairs de France, aifemblés k 1 i Article l  Mesalliance mauvaife conduite de la Reir.eAlix.. Ses pritenfiens fur k Couronne de Jérufalem. 560 HISTOIRE GE'NE'RALE a Méhn, en 1206. oü le Roi Philippe-Auguste tenoit alors fon lit de juftice. Ces Pairs, a la follicitation de Louïs de France, Fils ainé de ce Monarque, décidèrent en faveur du Comte, avec lequel cette PrinceiTe s'accommoda enfin, & termina cette importante affaire , moïennant une groffe fomme dargent, & une penfion anïiuelle. Elle contra&a enfuite un tróifième mariage avec Raoul de Soissons , & s'en retourna en Chypre; Mais Elle n'y trouva plus les mêmes agrémens, a caufe de cette Alliance, qui ne convenoit, ni a fon age, ni a fa dignité. La Courblama fi fort cette act ion, qu'oubliant entièrement le fouvenir du mérite, qu elle s'étoit acquife, durant les prémières années de fon veuvage, &de fa Régence, on n'avoit plus aucune confidération pour Elle. Cette Princeffe fut fi indignée de ce mépris, qu'elle quitta la Cour, & fe retira brufquement a la campagne; mais fon humeur hautaine, &ambitieufe, ne lui permettant point de s'accommoderde cette vie privée, malgré la licence, avec laquelle, elle y paffoit fon tems, jufqu'afcandalifer tous les gens du lieu, & les étrangers, qui alloient la vifiter, elle ne tarda pas a prendre 'des mefures pour fe remettre a la tête des affaires de 1'E'tat. Ses intrigues allarmèrent d'autant plus le Roi, & le Seigneur Baruth, qu'ils la connoifloient capable de tout entreprendre, pour parvenir a fes fins. Ils n'ignoroient pas en même tems, qu'il y avoit encore quelque Ievain de mutinerie dans les Families intéreffées a la ruine, & a 1'exil des Rébelles; & que ces Perfonnes n'auroient pas manqué de feconder fes deffeins, & d'embraffer avidement une nouvelle occafion de tumulte, afin de fe dédommager du tort, qu'ils prétendoient qu'on avoit fait a leurs Parens. . Pour prévenir les fuites facheufes, qu'auroit pu caufer le mécontentement de cette PrinceiTe, & 1'éloigner de Chypre,. avec quelque apparence de raifon, & de bienféance, on lm  de JE'RUSALEM. Liy.XT. Ch.L yoJttions de la Reine de Chypre/ai Jérufileru rijetties. fonnes, qu'il honoroit de cette dignité, a le fervir avec zèle* & fidélité, dans les occafions. La confolation, que relfentoit le Seigneur de Baruth, de toutes ces profpérités, d'avoir eu le delfus dans tous les contretems, qui étoient furvenus pendant fa Régence, & enfin d'avoir mis fon Pupile en état de gouverner fon Roïaume par lui-même, le fit déterminer a paffer en Paleftine, pour aller mettre ordre a fes affaires domeftiques, qui avoient grand befoin de fa préferice, par le dérangement, que les Impériaux y avoient caufé, particulièrement la Ville de Baruth, dont les flammes avoient confumé la meilleurc partie. Le Roi,. qui efiimoit infiniment une Perfonne, qui lui avoit tenu lieu de Père , voulant lui témoigner fa réconnoiflance , & combien fa féparation lui étoit fenfible, lui donna toutes les marqués pofllbles de fon affection, & voulut 1'accompagner avec toute fa Cour, jufqu'a Famagoufte, oü il s'embarqua. La Reine Alix, de fon cöté, avoit déja fait plufieurs inftances aux Barons du Roïaume de Jérufalem , & aux Ordres Militaires, pour être inftalléc dans le gouvernement «de 1'E'tat, qu'elle prétendoit luiappartenir, avec d'autant plus de juftice, que le Prince Conrad n'étoit jamais venu en prendre poffeffion, ni recevoir f hommage des Peuples. C'étoit a elle, en effet, comme Fille, & légitime Héritière de la Reine Isabelle, qu'appartenoit cette Couronne. Cependant, quoique chacun reconnut fon bon droit, toutes fes follicitations, & fes rémontrances furent inutiles. Les Barons, & les Ordres Militaires lui répondirent, " qu'ils n'avoient point affez de pou„ voir, pour décider une affaire fi importante, d'autant plus „ que le Patriarche, qui étoit un des principaux Membres de „ 1'E'tat,fe trouvoit en Europe; Qiie,dailleurs, 1'cngagement, „ qu'ils avoient pris, en réconnoiffant fEmpereur, pour leur „ Roi, & par conféquent le Prince Conrad, fon Fils, & lé3, gitime Héritier du Roïaume de Jérufalem, ne leur permet- toit  de JE'RUS ALEM. Liv. XL Ca L J6*3 „ lok point dc prendre d'autre parti; Qu'auffi, ils étoient ré„ folus de 1'attendre encore un an; apres quoi,fi ce Prince ne „ venoit point, ils prendroient Tavis du Pontife, celui du Pa„ triarche, «Sc de tous les Ordres du Roïaume; Et qu'ils réoon„ droient alors favorablement a fes demandes. II eft néanmoins fur, que ce n'étoit point pour confulter JpS abfens, ni par fcrupule de leur engagement envers FEmpereur, qu'ils ne vouloient point reconnoitre cette PrinceiTe. Ils favoient tous, qu'un Etat auffi délabré , «Sc auffi expofé aux mvaiions des Infidèles, avoit plus befoin dun Guerrier,que du gouvernement d'une Femme. Je raporte ce fait, comme je fai trouvé dans les Auteurs les plus approuvés ; quoique Loredan prétende, que la Reine Alix füt non feulement admife au gouvernement des affaires de Jérufalem, mais encore qu'elle gouvernat cet Etat, pendant quelques années; qu'elle en chafTat même les Impériaux, qui avoient voulu s'y oppofer; & enfin qu'elle y gouvernoit encore, lorfque Thibaut , Roi de Navarre, fon Coufin, arriva en Pale/line, a la tête de cette fameufe Armée de Croifés, qui s'étoient alfemblés de toutes les Provinces ÜEurope; ce qui ne paroit guères vraifemblable, vu que les autres Ecnvains, plus contemporains que lui, font comprendre, que les Officiers de fEmpereur Fre'de'ric y agilfoient toujours avec la même autorité, lorsque que le Roi Thibaut y aborda, puisqu'ils ne voulurent jamais joindre leurs Forces aux fiennes, pour combattre les Infidèles. Ce fut, pendant que la Reine Alix faifoit la recherche du Roïaume de Jérufalem, que le Seigneur de Baruth , apres avoir fait réparer cette Ville , «Sc rétablir toute chofe, fe porta a Ptolomaïde, pour y vifiter cette Princeffe. Ce Seigneur, étant allé promener avec elle dans la plaine de cette Ville, voulut courir un lièvre, que les domeftiques avoient fait lever, par occafion; mais il eut le malheur de tomber avec fon cheval, dont le pommeau de la felle lui fracaffa fi fort la cer- Bb bb 2 velle, Opinion de Loredan rcfutée.  jé** HISTOIRE GE'NE'RALE Mort fu- \ nejie du . Seigneur ' di Baruth. j ( 1 1 1 1238. 1 1 I Article///. elle, qu'il en raonrut, peu de jours après dans la Maifon des Chevaliers du Temple, oü il füt tranfporté. Ce fut une perte rréparable. Ce grand-Homme avoit tant de belles qualités, [ue peu de perfonnes 1'égaloient, foit dans 1'art militaire, foit >our la politique. La fermeté de fon courage, 1'égalké d"es>rit dans les plus grandes adverfités, & la modération dans es plus hautes profpérités, lui étoient comme naturelles. 11 ï'y eut ni grands, ni petits, qui ne fuffent fenfibles a fa perte. La feule Reine Alix en témoigna de 1'indifférence, croïant jü'fl la faifoit éloigner du gouvernement. 11 n'en fut pas de même du Roi, fon Fils, qui avoit toujours :endrement aimé le Seigneur de Baruth. 11 en aprit la mort ivec tant de douleur, que, pour en donner des marqués, il Pit célébrer fes obfèques avec uüe pompe extraordinaire dans ['Eglife Cathédrale de Nicofie. Ce Prince y affifta lui même ivec toute fa Cour, en habit de deuil; Et, pour donner de plus grands témoignages de fa réconnoiffance, il continua a favorifer Balian, fon Fils, qui lui fuccéda a la Seigneurie de Baruth, eftimant & honorant de même fes autres Enfans, dignes Héritiers d'un tel Père, & également attachés aux intéréts du Roi. Les exhortations des Religieux, que le Pape avoit envoïés prêcher la Croifade, ne firent pas moins d'imprelfion fur 1'efprit des Peuples, qu'en avoient fait les précédentes. Grand nombre de Perfonnes de toutes fortes de condition s'empreffèrent a prendre la Croix, & a fe vouër au Saint voïage. Thibaut, Roi de Navarre, s'étant diftingué par fon zèle, & par fa ferveur a 1'entreprendre, fut imité par quantité de Princes, & Seigneurs. Les principaux furent, Hugues, Duc de Bourgogne-, Pierre de Dreux, Duc de Brètagne; Henri, Comte de Bar; Albe'ric, Comte de Montfort; le Comte de Forest; Gui, Comte de Nevers; Jean, Comte de Macon, Anselme de l'Ile, & plufieurs autres d'entre la principale No- bleffe  de JE'RUSALEM. Liv. XL Ch. I. ^ blefle de France, de Navarre, & de Erétagne, qui tous dé- n™™iu férèrent unanimement le fouverain Commandement au Roi de S/hSmNavarre. fe- Leur Armée étoit très-nombreufe, n'étant guères moins forte, ni moins bien pourvue , que celles que les plus grands Princes de la Chrétienté avoient conduites contre les Infidèles; ce qui faifoit d'autant plus de plaifir au St. Père, qu'il étoit perlüadé, que le repos, dont jouïlfoient alors les Chrétiens de la Palefline, ne provenoit que des guerres intelHnes, dans lesquelles les Barbares étoient piongés entre eux, & point du tout de la bonne intention qu'ils eulfent d'obferver la Trève; Mais malheureufement, & par une fatalité incompréhenlible, cette Croifade n'eut pas un plus heureux fuccès, que toutes les prémières, par les contretems qui y furvinrent, même avant que les Croifés fe milfent en chemin. Malheur, que le Pape, non plus que les autres Princes, n'avoient pu prévoir. Car les Empereurs Latins de Conftantinople aïant toujours été f£ffp' en guerre contre les Grecs, & contre les Bulgares, fe trou- ''Empire voient tellement affoiblis par les pertes, qu'ils avoient faites cStandans les diverfes acfions, qui s'étoient palfées, que, quoiqu'a- ti!10Pleprés la mort de Robert de Courtenai , les Seigneurs Franpois eulfent appellé le Roi Jean de Brienne, pour gouverner 1'Empire, durant la minorité de Baudouin II. & que ce grand Capitaine eüt, en quelque manière, rétabli les affaires, fes forces étoient li médiocres, que, malgré fa conduite, & fa valeur, il lui étoit impolfible de réfifter aux puiflans Ennemis, quil avoit fur les bras. Bb bb 3 Cha-  06 HISTOIRE GE'NE'RALE Article I. Secours promis par ie Pape a 1'Empereur de Constmtinople. Ce fecours envoïé. Article II. Croifade contre Frédéric , qui ravage i'Italie. Chapitre II. % T^\ans cette extrémité, il fit paffer a Rome Baudouin, fon JLJ Gendre, pour inforrner le Pape, & les autres Puiflances d1Europe, du danger, oü étoit 1'Empire de retomber au pouvoir des Grecs, a moins qu'ils ne lui envoïaflent un promt, & puiflant fecours. Le St. Père, attendri a la vue de ce jeune Prince, & touché des rémontrances de fon Père, qu'il voïoit a la veille d'être dépouillé de 1'Empire, 1'aflura de 1'alfifter, non feulement de fes propres Forces, & de folliciter les Puiflances Chrétiennes a en faire autant; mais encore de faire enforte que 1'Armée des Croijés, qui fe préparoit a partir pour la Palejline, changeat fon voïage, & s'emploïat toute entièce a fon affermilTement, & a réparer les pertes, qu'il avoit faites. II 1'exécuta effeccivement; deforte qu'une grande partie des Croifés, foit pour firire plaifir au Pontife, foit qu'ils cruflènt la guerre de Grèce moins dangereufe, que celle de Palejline, s'attachèrent a Baudouin, & affoiblirent confidérablement l'Armée. La difcorde, & même la guerre, dans laquelle toute VItalië prit part, fe renouvella alors entre le Pape, & fEmpereur, au fujet du Roïaume de Sardaigne. Fre'de'ric,malgré les droits du St. Siége, en avoit invefti Entius , fon Fils naturel. II avoit même fait foulever tous les Barons Romains contre le Pontife, qui ne put rentrer dans Rome, que par l'affeclion particulière, & la dextérité dc Jaques Capuccio, qui eut aflez de crédit pour appaifer la colère du Peuple; mais le St. Père, pour s'y maintenir, fut obligé de publier une nouvelle Croifade contre Fre'de'ric, qui venoit, avec une puilfante Armée, attaquer rEtat-Eccléftafique. Ce fut-la la feconde caufe de 1'affoiblilfe- ment  oe JE'RUSALEM. Liv. XI. Cu. % $6^ ment de celle qui étoit deftinée pour la Terre-Sainte. Quantité de Croifés crurent d'avoir fuffifamment accompli leur vceu, en prenant parti au fervice du St. Siége. Plufieurs autres, plus devots, qm voulurent, de bonne foi, terminer leur pélerinage, furent obligés de demeurer, faute de pouvoir s'embarquer Les Vénitiens s'étoient engagés a porter les Troupes , deftinées pour Conftantinople; & les Génois, qui foutenoient le Pape, avoient befoin de toute leur Flotte, pour faire tête a celle des Pij ans, qui favorifoient Fre'de'ric. Tous ces contretems obligèrent le plus grand nombre des ^btm Cm/^ fcrupuleuxa prendre la route de terre, qui ne leur fut Tripas moins funefte, qu'a ceux dzsCroifades précédentes La plu fés' qui part périrent de faim, & de milèrerde forte que leur entreprifeSEtu. fut entièrement inutile aux Chrétiens de la Paleftine; puifque"^™ ie petit nombre de ceux qui eurent le bonheur d'y parvenir, étoient exténués, & fi foibles, qu'ils fe trouvèrent hors d'état de rendre aucun fervice. Le Roi de Navarre, avec quelques Seigneurs, & nombre de troupes, qui s'étoient embarquées a Marfieille, & a Aiguemorte, furent les feuls, qui y arrivèrent heureufement. Ce renfort,quoique médiocre, en comparaifon de la grande Armee, qu'on avoit efpérée,fit un extréme plaifir aux Habitans de Ptolomaïde, & aux Chevaliers du Temple, Jesquels, a 1'instigation du Seigneur d'Ibelin , ne vivoient pas en fort bonne intelligence avec les Officiers de fEmpereur, dont ils efpéroient defecouër entièrement la fujettion. Auffi, cette mésintelli-^» genceTut came, que Rainaud de Bavière ne voulut jalgST1 mais le joindre al Armée des nouveax Croifés, pour attaquer ^rsdu fes Sarrafins. II s'excufa toujours fur l'infraélioh de la Trève, öïïite. & fit tout fon poffible pour leur perfuader de. ne la point rom-mnds' pre. Toutes ces rémontrances furent inutiles. Us fe mirent enkele///, campagne, guidés par les Templiers, & commencèrent, par pil-  0 HISTOIRE GE'NE'RALE touodU piüer,& ravager indifféremment tout le plat-pays de la dépentéetlk ^ance du Roi de Damas, & du Soudan Egypte. Ce dernier, Sou?ane informé du débarquement d'une nouvelle Armée de Chrétiens 2SB? en Palejline, Sc ne doutant pas que, malgré la Trève, elle ne chrétiens. ftj. venue pour faire ja guerre a ceux de fa cro'ïance, auffi bien, qua lui même, outre 1'Armée, qu'il tenoit en campagne, contre le Soudan de Damas, en leva promtement une autre, qu'il envoïa au Gouverneur de Gaza, pour défendre cette Place,& ks autres Terres, qui lui appartenoient dans cette Province; Sc ce fut la précaution de ce Prince lnfidèle, qui fit échouër «4* toutes les entreprifes, que les Croifés auroient pu faire contre fes Etats. Les Croifés s'étoient campés aux environs cV Afcalone, dans le deffein de relever les murs de cette Place; mais^ la jaloufie, qui ne manque jamais de fe glifler parmi la pluralité des Chefs , furtout lorfque les uns font indépendans des autres, les désunit fi fort, qu'au lieu de s'attacher a un ouvrage, auffi utile, que néceflaire, & dans lequel ils n'auroient rencontré aucun obftaRÏÏcle, par raport ala difcorde des Infidèles, ils ne penferent, au ^ "chr?contraire, qua courir, & butiner la campagne, chacun avec ticDs. rc' fes Troupes particulières, & felon fon caprice; de forte qu'il y avoit autant de bandes différentes, qu'il y avoit de Chefs. Lajaimf.c Le Roi de Navarre, Sc le Duc de Bourgogne, piqués des Trines* l°uanges extraordinaires, qifon donnoit au Duc de Bréta«Ss. gne , & a quelques autres Seigneurs , qui avoient fait de riches butins dans leurs courfes, voulurent aulfi faire parler d'eux, contre le fentiment des Templiers, & des Seigneurs du pays , qui désaprouvoient ces brigandages. Ils s'unirent avec les Comtes de Bar, & de Montfort, Sc fe jettèrent du töté de Gaza , dont ils ravagèrent les environs, fans trouver aucun obftacle. Ces avantages, leur faifant croire, que la garnifon de la Ville ne feroit pas plus de réfiftance, ils fe mitent en état de la furprendre; perfuadés qu'une aétion fi éclatante  de JE'RUSALEM. Liy. XI. Ch. IL Jö> tante effacerok les applaudiffemens, que s'étoient attirés leurs rivaux. Le Gouverneur de Gaza, qui étoit grand-Homme de guer- a^jv re, informé par les Payfans, qui couroient s'y réfiuner, des lu*"**+ prèparatifs, que faifoient les Chrétiens, fortit avec la garnifon, & alla fe polter avantageufement. Après avoir bien reconnu K* leur manoeuvre, il les attaqua fi brufquement, «Sc avec tant de ' ' fucces, qu'ils furent effrayés de voir en armes, & en fureur des gens, qu'ils s'étoient flattés de furprendre. lis ne pen^ ferent plus, qu'a lè retirer; mais il n'en furent pas quittes, aufli facilement qu'ils le croïoient. Le Commandant Sarrafin, qui s'appereut de leur embarras, les .fit attaquer par fa Cavalerie, qui, étant toute fraiche , les dardoit de loin a coup de fieches, fans qu'ils pulfent 1'aprocher, par raport a Ja lalfitude de leurs chevaux, qui ne pouvoient plus rernuër dans le fable mouvant, dont ce pays eft entièrement couvert. Après avoir palfé prefque toute la journée dans un combat fi «range , «Sc fi funefte , les Chrétiens furent encore obhges de palfer la nuit fous les armes dans un endroit aulff incommode , & fans aucune nourriture pour les gens ni pour les chevaux. II n'eft donc pas furprenant, fi, malgré leur bravoure , & leur courage , ils furent enfin contraints de fuccomber, fous le grand nombre d'Ennemis, qui •les environnoient. ■ Pour comble de disgrace , lors que Ie jour commenca a <***~ -paroitre, & quils efuéroient de fe retirer d'un auffi mawais S& -pas , ou leur trop de confiance , «Sc leur témérité les avoit engages, le Gouverneur de Gaza fut renforcé par ks Troupes , qui lui vinrent ÜEgypte. Alors il ne craignit plus de ■faire attaquer, de prés, des gens, dont la laffitude, le fom-meil, la faim, «Sc la foif, avoit entièrement épuifé les forces. En effet, ils étoient fi accablés, qu'a-peine pouvoient- Cc cc ils  f70 HISTOIRE G E' N E' R A L E ils foutenir leurs armes. Ils ne lailfèrent cependant pas de vendre bien cher leur vie , & de faire , dans cette malheureufe occafion, tout ce qu'on peut attendre des plus fameux Guerriers , & des Soldats les plus déterminés. Ne pouvant enfin plus réfifter a la quantité de gens frais , qui les chargeoient de toutes parts , leur défaite fut fi grande, que le Roi de Navarre, & le Duc de Bourgogne, avec un petit nombre d'autres Perfonnes, furent lesfeuls, qui fe fauvèrent de cette horrible boucherie. Les Comtes de Bar, & de Clermont, avec plufieurs autres Seigneurs de la première condition, y perdirent la vie; le Comte de Montfort, avec divers Barons Franpois, furent mis aux fers, & conduits prifonniers au Caire. Av fégard du Roi de Navarre, & du Duc de Bourgogne, après avoir erré, pendant deux jours, & deux nuits, par des fentiers, qui leur étoient entièrement inconnus , ils parvinrent enfin a Jaffa, & enfuite au Camp d1Afcalone, oü la nouvelle du funefte accident , qui venoit de leur arriver , confterna II fort le refte de f Armée , que , fans plus fonger a aucune autre entreprife , elle reprit, fur le champ , le chemin de Ptolomaïde. ■jtrtide F. La malheureufe, & fatale avanture des Croifés , dans un _ . tems , qui leur auroit été fi favorable a faire de grands Confterna- * A ' _; . , m twtion a progrès fur les infidèles, chagrina extrèmement les lemmüde. püers , qui n'avoient eu aucune part k leur mauvaife conduite. Ces Chevaliers ne furent pas moins fachés, peu de 'Miuwct ïours aPres» que ^e ^e Navarre, & les autres Sei^xTem- gneurs Croifés, commencèrent a parler de s'en retourneren frSoudan' Europe ; d'autant plus qu'ils alloient demeurer feuls expofés %rf«Ho au renrentiment: ^es Egyptiens, dont on avoit ravagé les Terfpïcaüers res. Dans cette crainte, les Templiers firent fecrettement Alsoudan liance avec le Soudan de Damas. Les principales condi^'Egpytc. tions du Traité furent; " Qu'il leur rendroit les Chiteaux de  de JE'RUS ALEM. Lry. XI. Ch. II. m ,, de Beaufort, «Se deSapbet,Sc qu'ils s'entre-fecourroient réci„ proquement contre le Soudan ÜEgypte , leur Ennemi com„ mun. II eft vrai , que cette Alliance n'étoit pas moins condamnable, que les courfes inconfidérées, qu'avoient fait les Croijés. Les Hofpitaliers ne tardèrent pas a découvrir ce Traité. Leur haine invétérée contre les Templiers leurs rivaux3fit,que, pour leur être toujours oppofés, ils firent, de leur cöté, une li! gue avec le Soudan d? Egypte ;ce qui n'étoit pas moins déshonorant, que permcieux. Ces Alliances capricieufes, «Sc très-blamables attirèrent bien tot des Ennemis a ces deux Religions, qui faillirent a les détruire Tune, «Sc l'autre ; mais c'eft a quoi les Hommes les plus fages,«Sc les plus prudens,ne fontguères d'attention, lorsqifil s'agit de fatisfaire a leurs palfions déréglées. Chapitre III. /^ependant le Roi de Navarre, non moins dégouti du mal- Article? ^ heureux fuccès de fes entreprifes, que de la mésintelligence, «Sc des ligues, que venoient Fde faire les Ordres Militaires, après avoir vifité le St. Sépulcre,en compagnie des autres Seigneurs Croifés, s'embarqua avec eux, fans que Ia mauvaife m ïffue de leur expédition put empêcher les Chrétiens d"Europe de prendre la Croix, pour en commencer une autre. Tant leur Croiféï' zèle, «Sc leur empreffement étoit extraordinaire en ce tems-la pour le recouvrement du Roïaume de Jéfus-Chrijl; & pour le Saint voïage, dont aucune difficulté, ni aucun danger ne pouvoit les dégouter. En elfet, prefque dans le même tems, Richard, Comte de Comouaille, Frère d1 Henri III. Roi dAngleterre, fe mit a la tête de quarante mille Hommes de fa Nation, qui avoient Cc cc 2 „ prig  ifê HISTOIRE GE'NE'R ALE pris la Croix, a la follicitation du Patriarche de Jérufalem, «Se de divers autres Prédicateurs, que le Pape avoit envoïés en ce pays-la, pour exhorter les Peuples a fecourir la Terre-Sainte* Tant ce Pontife étoit attentif a profiter de 1'occafion de la guerre, que les Infidèles fe faifoient entre eux; malgré les embarras, oü il fe trouvoit lui même de réfifter a Fre'de'ric, qui s'étoit avancé, avec fon Armée, jufquaux portes de Rome, dans 1'intention d'en exterminer le Peuple; mais, au lieu d'être recu avec magnificence, comme il s'y attendoit, il trouva qu'on L'Empe- avoit pris les armes, pour lui en difputer 1'entrée. Auffi, fa rmFrj. coiere fut fi grande, qu'il fit fendre la tête en croix a plu^Rome", fieurs Priionmers. II eft vrai, que, connoiflant enfin, qu'il SbïïE lui étoit impoifible de forcer cette Capitale du Monde Cbrétien, c'éfiafti- que ies Habitans défendoient, avec une vigueur, & une opiq 'e' niatreté extraordinaire; furtout pour la confervation des Têtes de St. Pierre, «Sc de St. Paul, que le Pape fit porter procefiionnellement , en les tenant toujours embralfées , Fre'de'ric abandonna cette entreprife, & ravagea, de dépit, la campagne de Rome, les Villes de Benevento, Sora, Montcaffin, & plufieurs autres Terres de VEtat Eccléfiaflique. Attideu. La défolation de ces lieux, non plus que le pillage, «Sc lèfacagement des maifons, «Sc autres biens, que polfédoient les Templiers dans cet E'tat, dont il s'empara, fous prétexte qu'ils avoient été les infraéteurs de la Trève avec les Sarrafins, ne fut encore rien, en comparaifon des malfacres, des incendies, & des terribles ravages, qui fuivirent cette cruelle guerre. Origine jj £ forma en jtapie deux partis confidérables, & puilfans; fo,CSC^ fous les Noms de Guelfes, «Sc de Gibelins. Les prémiers teGibeUns' noient pour le Pape, & les autres pour 1'Empereur. Ils penfèrent renverfer toute VItalië de fond en comble, & enfévelir tous les Peuples fous les ruines de cebeau, mais malheureux pays. Le Pontife extrèmement fenfible a tant de calamités pu-  de JE'RUSALEM. Liv. XI. Ch. III. ^3 bliques, & particulières, réfolut de convoquer un Concile gé- OncOeg^ néral a St. Jean de Latran, afm de chercher les moïens den tm*e arrêter le cours. II envoïa, pour cet effet, deux Cardinaux ^ Légats en France, & en Angkterre, & d'autres Nonces aux autres Puiflances Chrétiennes, pour y inviter les Princes, & Prélats, & pour en accélérer 1'Affemblée. Fre'de'ric, bien informé des démarches, & des deffeins du Pape, ne douta point, que ce Concile ne füt entièrement contraire a fes intéréts, & convoqué pour fulminer contre lui °>neik- ■ quelque nouvel anathême. II ne s'en mettoit pas, a la vérité, fort en peine en fon particulier ; mais il apréhendoit qu'il ne lui alienat les efprits des Peuples, & n'augmentat la difficulté, ou il fe trouvoit de réduire diverfes Provinces mal-intentionnées. II réfolut de tout mettre en ufage, pour en interrompre la tenue, & pour s'oppofer au paffage des Perfonnes, qui devoient fe rendre a Rome, pour y^ffifter. Dans ce deffein il .ordonna a Entius, fon Fils naturel, Roi de Sardaigne, de renforcer fa Flotte, & de fe joindre aux Pifans, pour attaquer celle du St. Siége, & des Génois, qui, k la follicitation de Gre'goire, 1'avoient beaucoup augmentée, alin de mieux alfurer le chemin aux Légats,aux Ambalfadeurs, Evêques, Abbés, & autres Perfonnes, qui s'étoient rendus a Gènes, pour le même fujet. Plufieurs des Prélats, qui fe trouvoient dans cette Ville, & qui avoient rencontré quelque difficulté dans leur route, apréhendant d'en trouver encore de plus facheufes dans le chemin, qui leur reftoit a faire, refufèrent d'abord de s'embarquer; Mais ils furent encouragés par les Lettres du St. Père,les rémontrances des Légats,& par les affurances des Commandans Génois, qui leur difoient, qu'il n'y avoit rien a craindre; & que, quand même ils rencontreroient la Flotte ennemie, la leur étoit affez forte pour la disliper. Cc cc 3 Us  57+ HISTOIRE G E' N E' R A L E Article///. 1341. Cardinaux Evêque!, &autres Prélats, faits prifonniers. Mort de Grégoire. Celeftin JV. lui futtède. Sa mort. Ils s'embarquèrent enfin tous, mais les Génois ne furent pa» li heureux dans cette occafion, qu'ils s'en étoient flattés. lis rencontrèrent Entius , & les Pifans, dans la mer de Tojcane. Le Combat fut rude, & fi fatal aux Génois, que trois de leurs Galères coulèrent a fond, & la plupart des autres furent prifes avec les Cardinaux Légats, les Ambalfadeurs, Evêques, Abbés, & autres Perfonnes. Ils furent tous conduits prifonniers dan3 les Chdteaux de Naples; &, malgré leurs caraélères, on les traita fi indignement, & avec tant de rigueur,que plufieurs moururent de mifère, & de douleur. Celle que Gre'goire relfentit de leur difgrace fut trés vive; & il ne put voir, fans mourir, le malheur, qui leur étoit arrivé, «Sc qui renverfoit tous fes projets, aufli bien que la Paix, qu'il s'étoit flat té de donner a 1'Eglilè. II décéda peu de tems après. Ce Pontife avoit gouverné 1'Eglife un peu plus de quatorze ans, avec un zèle, & une fermeté incomparablc ,.^malgré fon grand dge, la perfécution continuelle, qu'il fouffrit de fEmpereur F r e'd er 1 c, «Sc tous les autres troubles, qui affligèrent fi cruellement 1'Eglife, «Sc VItalië, pendant le cours de fon Pontificat. Celestin IV. Milanois de nation, qui lui fuccéda, n'eut ni le tems de remédier a ces désordres, ni celui d'accomplir la tenue du Concile, qu'il avoit convoqué; car il ne vécut, que dix-huit jours après fon exaltation; cette haute dignité n'aïant pu le guérir des infirmités, dont il étoit atteint depuis long-tems. II ne fut pas polfible aux Cardinaux de s'aflembler après fa mort, pour procéder a une nouvelle élecfion. Ceux qui fe trouvoient au pouvoir de fEmpereur , protefioient contre toutes celles qu'on pourroit faire en leur abfence; «Sc ce Monarque, s'obfKnant toujours a ne les point rélaeher, le St. Siége vaqua prés de vingt-un mois. Mais Fre'de'ric, s'étant enfin rendu aux follicitations de Baudouin II. Empereur de Conjlantinople, qui fe trouvoit alors en Italië, il rendit la liberté aux Cardinaux, & aux autres Prélats j ce qui donna le moïen au Sacré-Collé^e de  de JE'RUS ALEM. Liv. XI Cm lil n de s'affembler a Agnani, oü le 24. Juin', jour dédié a & fean-Btifle, ils élurent, d'un commun confentement, ] Cardinal Fiesque, Génois de Nation, qui prit le nom d'h NOCENT IK . Pendant que les affaires du St. Siége fe trouvoient dans un li deplorablefituation, par la perfécution de Fre'de'ric, cd les de la Terre-Sainte n'étoient pas dans un état moins affli geant. La difcorde des Ordres Militaires , qui continuoit «claverlion des gens du pays contre les Allemands,ne permet toient pas a cet infortuné pays de fe relever , malgré le puiffans fecours, qui y alloient dé Europe. Ces désunions le rendoient entièrement inutiles, & donnoient lieu aux Ennemis de tnompher ; de forte que le voïage du Comte de Cornouaille fut auffi infrudueux, que 1'avoit été celui du Roi de Navarre, & des autres Seigneurs de la Croifade. Quoique ce Comte eüt le malheur d'effuïer une furieufe bourafque fur les cötes de la Caramanie, qui fit périr plufieurs de fes Vaiffeaux, & quantité de monde, & qu'il abordat a Tyr en aflez mauvais équipage, il lui reftoit encore aflez de Forces , pour faire quelque entreprife de confidèration contre les Infidèks; mais, par malheur, il trouva, & Rainaud de fi>AViERE,&les Ordres Militaires, fi mal difpofés a le feconder quil prit le parti de s'en retourner, fans rien tenter, après avoir vifité les Saints lieux, & retiré de captivité quelqtiesuns des Seigneurs, qui fe trouvoient prifonniers au Caire^ depuis 1 affaire de Gaza. II les débarqua en Italië, & continua fa route vers VAngleterre, auffi peu fatisfait de fon expédition, que tant d autres Princes, qui avoient entrepris le Saint voïage avant lui, & également perdu leurs foins, leurs dépenfes, & leurs armees, fans aucune utilité. t. p I5«- bucceffiiin e d'lnno- cent IV. * a Celeftin. iv. 3 Trifïejt_ tuation des affaires de - MTalelti- ne. > 5 Arrivèc du Comte de Cornouaille a Tyr.  Article I. 1142. Laflttte Angloife s'en retourne. 1143- Entreprife ffeSoudar d'Egypte contre la Paleftine. Politiqtte du Souda ai'Egyptc 576 HISTOIRE GE'NE'RALE Chapitre IV. Le Roi de Chypre, qui, malgré la tranquilité., dont jouïffoient fes E'tats , craignoit toujours , qu'après que les Sarrafins auroient terminé leurs querelles, ils ne saccordalfent enfin , pour envahir ce que les Cbrttiens polfédoient dans la Palejline, & ne 1'attaquafTent enfuite lui-mème, profita de fopulence de fes Peuples, afin de fe mettre en état de réiifter aux attentats des Infidèles. II taxa les aifés de fon Roïaume, le Clergé, la NobleiTe , la Bourgeoifie, & le menu Peuple, chacun felon fon pouvoir,& remplit en peu de tems fes coifres; perfuadé que c'étoit-la le véritable moïen de foutenir la guerre. II fit aulfi réparer les fortifications de fes Places, fur tout celles de limifol, que fon Prédécefleur n'avoit pas eu le tems d'achever. II avoit bien raifon d'apréhender la perte entière du Roïaume de Jérujalem, & le voifinage des Sarrafins. Le Soudan d''Egypte, extrèmement indigné contre les Templiers, a caufe de la ligue, qu'ils avoient faite avec celui de Ifamas, fon Ennemi, fefervit utilement des Corafmins, que le . lond, dans fon Livre de la dwadence de l'Empire Romain, nomme GrofJons, pour fe vanger de ces Chevaliers. II eft vrai, qu'en envoïant ces Peuples cruels, & barbares, dans la Palejline, il accabloit également les gens de fEmpereur, & les Hofpitaliers; quoique ceux-ci, bien loin d'avoir été infracleurs de la Treve, avoient fait avec lui une ligue contre le Soudan de Damas. n Mais, outre le défir de vangeance, qui fanimoit, VEgyp* ■ tien étoit bien aife d'éloigner de fes Etats une Nation furieufe, & vagabonde, que les Tartares avoient chaffé de Perfe, oü elle  'O* JE'RUSALEM. Liv. XL Cu. IV. m elle s'étoit emparée d'une Province, dans laquelle elle s'étoit ennchie; de forte que, comme ils fe trouvoient pour lors fans terres & fans retraite, le Soudan apréhendoit, qu'il ne leur prit envie de faifir de quelque partie de VEgypte, dont il auroit eu bien de la peine a les chalfer. C'eft pourquoi, en déchainant ces britaux contre fes Ennemis, il fe donnoit la commodité de fortifier la Ville A jWtó, anciennement Pélufium, qui eft L principale clef de VEgypte, du cöté de la Palejline, & dont les fortifications jointes aux marécages, qui fe trouvent entre cette Place, & le Défert, alfuroient fi bien fes Etats de ce cö te-la, qu'il n'auroit plus a craindre leur invafion; bien perfuade, que, s ils entreprenoient de forcer un paifage fi damrereux ils y pénroient immancablement, comme il étoit arrivé, felon Diodore, a Artaxerxes dont i'Armée étoit incomparable" ment plus grande, & plus florilfante, que celle des Corafmins, lorique ce Monarque Perfan faifoit la guerre a Nectabo , Roi cl Egypte. 3 Ces Peuples, qui joignoient a leur férocfté naturelle 1'avidité Article* de fe dedommager des richelfes, dont ils avoient été dépouilles en Perfe, traverfèrent fi promtement les trois Arabies, quils arrivèrent en Palejline, même avant qu'on y füt informé^^ de leur marche & fe jettèrent avec tant de fureur thwÊ^. de Gaza, que Bosio raporte, qu'ils s'en emparèrent enpeuEf" de jours, & malfacrerent tous les Templiers, qu'ils y trouvè rent; foit quele Soudan en eüt retiré la garnifon, avant d'v* envoïer ces Barbares, ou que les mêmes Chevaliers 1'en eulfent AT challee. font. Enfin,après 1'entière défolation de cette Ville,les Corafmins s avancerent a Afcalone, oü les Chrétiens avoient nouvellement bati une Fortereife, qui ne leur réfifta pas plus long-tems Ils y exercèrent les mêmes cruautés, qu'ils avoient fait k Gaza. Le ravage inopine de ces désefperés, fit fur le champ ce que la raifon, & la crainte des armes des Sarrafins, n'avoient pu Dd dd faire,  L" Armée Chrctien ne crl du SouJa de Damai ia«(«i pa; les Coras mins. Jm'rudt' des Qhïi tien». Ï78 HISTOIRE GE'NE'R AL E faire, a fégard des Ordres Militaires, dont les inclinations, &. les fentimens avoient été jufqu'alors li oppofés. Car les Corafmins, ne faifant aucune diftinction entre les " Amis, ou les Ennemis du Soudan, qui les avoit envoïés, le n péril étoit devenu commun pour tous les Chrétiens de la Pales. tine. Les Hojpitaliers, avec Gautier de Brienne, Frere ute• rin, ou Neveu du Roi Jean, qui étoit alors Comte de Jaffa, unirent leurs Forces. Les Templiers, par une néceilité indispenfable, & les Barons du pays, fe joignirent a eux, pour arrèter le torrent, qui les alloit tous inonder. Le Soudan de Damas, qui n'étoit pas moins intéreffé, que les Chntiens, a la deltruction de cette maudite race, leur envoïa un renfort de 4.000. Chevaux. Ils réfolurent alors d'aller combattre les Corafmins, qui étoient campés prés du pont de Tibériade. Les Officiers de la Cavalerie de Damas n'étoient point du fentiment, qu'on allat afronter des gens désefperés, qui tenoient plus de la Béte féroce, que de PHornme. Ils propoferent, de les réferrer dans les endroits les plus ftériles, pour les voir bientöt fe débander eux mêmes, faute de fubfiflance; deforte qu'ils auroient alors la commodité de les défiire, fans ie rifquer a févènement incertain d'un combat général; Mais, malgré ces fages rémontrances, les Chrétiens n'écouterent que leur ardeur, fe rangèrent en bataille, &. allèrent la leur préfenter. Ces Barbares,qui, tous groifiers quils étoient,n'ignoroient pas entièrement les rufes de la guerre, reconnoilfant que 1'endroit, oü ils fe trouvoient, n'étoit point affez fpacieux, pour pouvoir combattre a leur aife, paffèrent promtement le Jourdain, & allèrent camper dans une vafte plaine a deux lieues de-la. tt Les Chrétiens eurent fimprudence deconfidérer ce mouvement, comme ime véritable fuite; deforte que, fatisfaits de les avoir épouvantés, ils campèrent eux mêmes dans le pofte, que les Corafmins venoient de quitter, avec autant de tranquilité & «de confiance, que s'ils avoient eté dans une Place bien fortifiée. Né*-  de JETRUSALEM. Lit.XI. Ch.1V. Négligence impardonnaEle a des gens auffi expêrimentis dan Tart militaire 3 dont ils faifoient profeffion! Mais elle leur coüta bien cher. Les Corafmins, auffi dili gens, t&zles'Cbrétkm avoient été mal-avifés, profitèrent d< quelques barques de Pêcheurs, quils rencontrèrent fur la riv< du Lac de Genazaretb,avec lesquelles ils firent palfer,pendani la nuit, une partie de leur Infanterie fur f autre bord; pendani que kur Cavalerie traverfoit lajourddm ^un peu au-delfus de h fontaine de Caphamaon. Leurs Troupes s'unirent juftemcnt au point de jour, & alfaillirent fi furieufement les Chrétiens 3 que, malgré la diligence, avec laquelle ils sarmèrent, & fe mirent en bataille, il leur en coüta beaucoup de monde; mais ils eurent enfin le bonheur de repoulfer ces cruels Ennemis, «Sc de les mettre en fuite. Cependant, par une continuation de maüvaife conduite, aa lieu de profiter de leur avantage, & de combattre felon les régies, ils fe dérontèrent entièrement. Les uns pourfuivirent les fuïards. Les autres s'amufèrent au pillage de ceux qui avoient été renverles; & aucun d'eux ne s'avifa de remarquer, qu'ils alloient bientöt avoir des Ennemis frais fur ks bras. Pendant qu'ils en étoient aux mains, le refte de f Infanterie Corafmine traverfa la mer Tibériade fur les mêmes barques. II y forma d'abord un gros Bataillon, accueillit une bonne partie des fuïards, & attaqua les Chrétiens avec tant d'animofité, «Sc de promtitude, qu'il leur fut impoffible de fe reioindre, ni de fe ralh>r. pour leur faire tête; deforte qu'ils devinrent ks victimes de ceux,dont ils pouvoient triompher; «Sc leur défaite fut fi grande, que très-peu échapèrent au fer des Ennemis. La Cavale¬ rie du Roi deDtfz/mcombatit même, de fi bonne foi, dans cette occafion, qu'il ne s'en fauva pas la quatrième partie, ni la dixième des Chrétiens. Ces miférabks reftes s'enfu'ïrent a Ptolomaïde, oü la confternation devint exceffive, par 1'imminent danger, oü cette Ville fe voïoit expofée, faute de défenfeurs. Dd dd 2 En £ Perte con. JidéraMe des Chrétiens.  jSo HISTOIRE G E' N E' R A L E Articlu/i Prije Je Jérufalcn par les Ct lafmins. En effet, les Maitres du Temple,- & des Teutoniques, avec grand nombre de leurs Chevaliers, & de ceux de YHópital,, moururent fur le champ de bataille. Le Maitre de ces derniers,; & Gautier de Brienne, furent faits prifonniers. Guirboca, ou Barbaca , que quelques-uns nomment Barat, Chef des Corafmins, les envoïa enchainés au Caire, pour donner au Soudan des marqués de fa Vicloire, & lui faire connoitre, avec quelle ponclualité il exécutoit fès ordres. Ces deux Seigneurs périrent miférablement dans les fers, peu de tems apres. 1 Après une vicloire fi complette, les Corafmins, ne trouvant , plus aucun obftacle a leur entreprife, allèrent fe jetter fur Jérufa' lem. II leur étoit d'autant plus facile de s'en emparer, que Rainaud de Bavie're venoit de mourir, & que les Troupes Allemandes, qui reftoient encore dans le Roïaume, avoient été diftribuées dans les Villes de Tyr & de Ptolomaïde. D'ailleurs, les Habitans de la Sainte - Cité n'étoient capables d'aucune réliflance ; fur tout dans le mauvais état,oü elle fe trouvoit alors. Aulfi, devint-elle d'abord la proie de ces inhumains, lesquels furpafTant encore toutes les autres Nations Barbares en cruauté, & en violence, après 1'avoir pillée , & facagée, aflbuvi leur brutalité , & exercé tout ce que la rage, & la fureur la plus infernale peut infpirer de plus exécrable aux plus méchans des Hommes , malfacrèrent, ou égorgèrent indifféremment toutes les Perfonnes, qui eurent lemalhem de s'y trouver, fans difdnetion d'age, ni de fexe, même jufques fur les Autels du St. Sépulcre, oü les pauvres Chrétiens s'étoient réfugiés, comme dans un lieu facré,& qui jufqu'alors avoit toujours été refpecfé par les Nations les plus Barbares, & les plus dénaturées. Non contens de tant d'excès exécrables, les Corafmins renTerfèrent encore tous les plus beaux Edifices, qui reftoient dans cette ancienne Ville, & la réduifirent enfin dans un état fi déplorable, qu'on n'y reconnoiffoit plus aucune marqué de falplen- deur,l  de JE'RU SALEM. Liy. XI. Of.IV. f deur, ni de fa magnificence. Malheur irréparable, que Ia dc union, & le manque de bonne foi, fi contraires a 1'honneur a la probité, attirent ordinairement aux Habitans, qui en foi coupables; Car on ne fauroit disconvenir, que Ia jaloufie «Sc ' difcorde des Templiers, & des Hofpitaliers, ne fulTent les cai fes de cette nouvelle défolation dans la Paleftine,^principaïemen les hgues inconfidérées,que les uns firent avec le Soudan dzDa mas, & les autres avec celui dé Egypte. • Cependant, foit que les Corafmins ne fuffent point fatisfait; des pays, dont ils sétoient emparés, «Sc qui font, en effet fort ftériles; ou que leur naturel inquiet, brutal, «Sc orguefi leux, ne leur pernut pas d'être longtems unis, plufieurs d'en tre eux commencèrent a fe mutiner, & a fe föuftraire a fobéf fance de leur Chef Ils s'avancerent, fans ordre, ni préeaution jufqu aux confins de VEgypte, dans la vue de fe jetter fur quelque canton de ce beau Roïaume, qui leur plaifoit par fon abon dance, «Sc par fes richelfes. Leur voifinage allarma le Soudan II n'en fut pas plütöt informé, qu'il mit des Troupes en cam' pagne, pour les empêcher de prendre pié dans fes E'tats- «Sc ils furent contraints de rebrouffer chemin. Leur désordre donna aux Chrétiens de la Palejline le tems de refpirer, «Sc de fe mettre, autant qu'il leur étoit polfible en état de défenfe contre ces inhumains, dont les maximes d'abo- ' hques avoient également excité contre eux les Chrétiens, & les * Sarrafins. Ils fe trouvèrent enfin enfermés dans des lieux fecs & aridès, oü une partie périrent de faim & de 'mifère, fans que les autres fuffent quel parti prendre, pour fortir de ce labirinte. Ils s'étoient rendus fi odieux a toutes les Nations que les Arabesles Turcs, les Sarrafins, «Sc les Chrétiens, les regardoient comme leurs Ennemis communs; «Sc chacun s'empreffoit ales détruire, &a éteindre une Nation, qui n'étoit pas moins cruelle envers les uns, qu envers les autres. Dd dd 3 Auffi, tl 'S- Rtftexkn morale. It a t > Article IK 1244. 1 Corafming odieux a toutes les Nations; ■ Les Co» ;aftnins "nt entüement teintsdmïs ' n un.  >Sa HISTOIRE GE'NE'RALE AmTi, tont déterminés, qu'ils étoient, ils ne ■purent réfifter aux piéges, & aux embuches, qu'on leur tendit de toutes parts. Selon tous les Hiftoriens, qui s'accordent en ce point, ils furent entièrement exterminés, & anéantis, dans une feule année , fans qu'il en reftat d'autre mémoire, que celle des ravages, -  ï>e JE'RUS ALEAL Lry. XT. Ca V. 0 Chapitre V. /^ependant, malgré les bonnes intentions du Saint Tére, a ^ ce fujet, & celles des Princes, Prélats, AmbaiTadeurs, & autres perfonnes, qui fe trouvoient a cette Augufte Affemblée. la vroijade, qu'on préciia en faveur de la Terre-Sainte, n'eut pas un grand fuccès; quoi que les exhortations des habilesPrédicateurs, qu'on envoïa dans toutes les Provinces de la Cbrétienté, acompagnéesdesprelfantes follicitations du Pontife aux Princes & aux Peuples, fuffent très-fortes. Les nouveaux troubles, qui furv.nrent, prefque dans toute VEurope, ne permirent a aucune Puiilance de longer a la Palejline. En effet, les Elecfeurs aïant apris, que le Concile avoit condamné Frederic, & 1'antorité qu'il leur donnoitde procéder a une nouvelle éleclion, s'affemblèrent a PVirtzburg, & elurent Empereur Henri , Landgrave de Tburinge ; ce qui augmenta fi fort Panimofité de Fre'de'ric contre le Pape & contre fes partifans, qu'il n'y eut forte de violence, dont il nufat envers eux, & oü il n'emploïat le fer, & le feu, pour les accabler; de forte que VItalië, ScïJlkmagne fe trouvèrent dans un fi grand désordre, & par ce fchisme, & par cette guerre, que perfonne ne put s'engager pour fecourir la Terre. Sainte, ni Conftantinople, ni mème hHongrie, qui fe trouvoit également remplie de Tartares, lesquels avoient auffi entamé la Cologne. Ces Peuples , qui avoient épouvanté VEurope , & YAfié, étoient lortis , felon les meilleurs Auteurs , de la TauriaüeCherjwm & s'étoient habitués en Scitbie. lis s'y étoient telJement multiplics, que n'y pouvant plus fubfiffer, üs furent t \ ' Article t- rroubles de ï Europe caufe du mauvais Juccès de la Croifade. Extrémités, ou fe porte Fré» déric. Article j£ Origine dit > jTartarè». 124J,  f84 HISTOIRE GE'NE'R ALE 1240. Leurs pri gris. St. Louis Roi de France, frtnd la Croix. obligés d'en fortir, environ Tan 124,1. Leur multitude étoit fi grande , qu'ils fe partagèrent en trois corps. L'un entra dans la Petje, faccagea ce Roïaume, & en chalfa les Corafmins. Les autres fe jettèrent fur les Roïaumes de Pont Sc de Colehos, qu'ils ravagèrent de fond en comble, de. même que Ylbérie, & l1'Arménie, Sc pénétrèrent enfuite jufqu'a Iconium, Capitale de la Lycaonie, & fiége Roïal des Turcs, qu'ils rendirent leurs tributaires. La troifième bande, fous la conduite de Batton , ou Baide, après avoir fubjugué les Gèorgiens, & les Rujfiens, entra dans la Hongrie, & dans la Pologne, avec tant de fureur, qu'il mit ces deux Roïaumes en combuftion. C'eft pourquoi le Pape , & le Concile , avoient décretté qu'on ailïïteroit puiffamment ces Provinces, fans pourtant que ces ordonnances, ni toutes les exhortations, pulfent leur procurer aucun fecours, par raport aux brouilleries, dont nous venons de parler ; de forte que, fans le voeu qu'avoit fait Louis IX. Roi de France, de palfer en perfonne dans le Terre-Sainte, pour faire la guerre aux Infidèles, la Palejline n'auroit pas été moins abandonnée, que 1'Empire de Conftantinople , la Hongrie , & les autres Provinces Chrétiennes, que les Barbares avoient alfaillies. Ce grand Prince, qui, par fa folide piété, & par fes abondantes charités , a mérité d'être mis au nombre des Saints, avoit pris la Croix, au fort d'une grande maladie, & dans fon propre lit, des mains de Guillaume d'Auvergne , Evêque de Paris , malgré les pleurs des deux Reines , Blanche de Castille, fa Mère, &Marguerite, fa Femme, qui fe trouvoient dans fa chambre, avec les Princes duSang, &presque tous les Seigneurs de fa Cour. Après le rétabliffement de fa fanté, il voulut accomplir un voeu fi folemnel, qu'il croïoit avoir beaucoup contribué a la guérifon, fans vouloir prendre aucune part aux troubles, qui occupoient les Princes de YEurope, depuis la tenue du Concile,  »e JE'RTJS ALEM. Liv. XI. Cu. V. Ie._ II travailla d abord a fe mettre en état de partir. Le Princes fes Freres, plufieurs Archevêques, & Evêques, «Sc le prmcipaux Seigneurs, «Sc Barons de fon Roïaume fuivirent foi exemple, peurTaccompagner dans cette Sainte expédition Cependant , malgré la diligence , avec laquelle ce Monar que faifoit travailler aux prèparatifs de ce grand voïage, il lu • iutimpoffible.de pouvoir partir, qu'après la Pentecöte de fan 124.8. De forte que les pauvres Chrétiens de la Terre-Saintt eurent encore bien des malheurs, «Sc des mifères, a efiuïer, avant Ion arnvée. A-peine furent-ils délivrés des Corafmins, qu'un grand nombre d'autres Barbares, appellés Turcomanis, eritrèrent dans la Province & Antioche, oü ils ravagèrent, «Scmirent tout a feu , «Sc a fang. Les Ordres Militaires s'unirent prom- • tement, «Sc fe mirent en campagne, pour arrêter ce nouveau ■ torrent. Ils< rencontrèrent ces Barbares, prés de Betbzan, fi charges de butin , & embarralfés de bêtail, qu'ils n'eurent pas le tems de fe mettre en défenfe. Plufieurs tombèrent d'abord fous le fer des Chevaliers; mais les autres fe défendirent .enfuite avec tant de bravoure, que ce ne fut pas fans peine, & lans effufion de fang, qu'ils demeurèrent maitres du champ .de bataille. r II en coüta la vie a BertraNd de Comps, Maitre de VHó■ptal, & a plufieurs Chevaliers des deux Ordres; mais les Ennemis furent la plupart tués, «Sc perdirent tout leur butin Le peu te ets Barbares, qui fe fauvèrent, furent fi épouvantés du malfacre de leurs compagnons, «Sc de Ia valeur des Chrétiens, qu'ils fortirent a la hate de leurs terres, «Sc n'eurent plus .envie d'y faire aucune irruption. Ee ee Cha- 9 i S I i 11 fait de grands pré paratifs pour jen voïage en Paieftin?. Les Tur- comanis entrent dans la Province rf'Ando- che, &?y mettent tout 4 feu, &*Jang. Cotnbae fanglans entre eux, (fles Or. iresMiü' taires.  $S<5 HISTOIRE G E' N E' R A L E Article 1. Henri, Roi de Chypre fait des prèparatifs de guerre, pour fe jrindre a Louis IX. Roi de France. Chapitre VI. PEndant que les miférables débris du Roïaume de Jérufalem étoient fi fouvent pillés, & ravage-s, celui de Cbypre continuoit a jouïr d'un grand repos, & d'une parfaite tranquilité. Le Roi Henri étoit alors le feul Prince d'Orient, dont les Etats fuffent paifibles & opulens; c'eft pourquoi il n'eft pas furprenant, fi fes Peuples firent des réjouïffances II extraordinaires a la reception de Plaisance d'Ibelin , Soeur de Boemond , Comte de Tripoll, qu'il avoit époufée. Ce Prince voulut préférer la grande vertu, & le mérite de cette Princeffe a d'autres alliances, qui lui auroient été plus avantageufes, du cóté de 1'intérêt. II fit, en même tems, de grands prèparatifs de guerre, pour fe joindre a St. Louis dont il avoit apris la réfolution, «Sc qu'il attendoit avec beaucoup d'impatience. En effet, ce St. Monarque, après avoir mis ordre aux affaires de fon Roïaume, dont il déclara Régente la Reine Blanche , fa Mère, partit de Paris, accompagné de la Reine fon Epoule ; de Robert, Comte d'Jrfois, «Sc de Charles, Comte cVJnjou, fes Frères. Hugues, Duc de Bourgogne; Pierre, Duc de Brétagne; Guillaume, Comte de Flandres; les Comtes de SaintPol, de la Marche, de Dreux , de Bar, de Soissons , «Sc plufieurs autres Seigneurs ; les Archevêques de Rbeims & de Bourges; les Evêques de Beawvais,de Laon, & dOrleans, furent auifi de ce voïage. Le Roi fe rendit a Lyon, oü il recut Ia bénédiétiondu Pontife, qui y faifoit alors fa réfidence. Le St. Père le fit accompagner par le Cardinal Eudes de ? Chateauroux, Evêque de Tufeulum, fon Légat. Ce Monarque fe mit fur le Rbóne, «Sc defcendit a Jiguemortes, ou il s'emr '  de JE'RUSALEM. Lir. XL Ch. VL yg; s'embarqua fur la Flotte Génoife, qu'il avoit frettée. II fit met tre a la voile le 2?. Aoüt, jour qui fut enfuite confacré a fs mémoire, pour célébrer fa Fête, lorfque 1'Eglife feut mis ai nombre des Saints. Le gros de fon Armée s'embarqua a Marfeille, & fa navigation fut fi heureufe, que le 21. Septembre, il aborda ala rade de Limifol', en Chypre. Le Roi Henri, qui s'y étoit rendu avec toute fa Cour, le recut avec de grands témoignages d'une parfaite, & cordiale amitié. II le conduifit enfuite a Nicofie, oü il le traita toujours avec une magnificence vrai> ment Roïale. Henri ne fut pas moins attentif a faire conduire a Limifol abondance de provifions, & de rafrachilfemens pour 1'Armée Franpoife, qui s'étoit campée aux environs de cette Ville. La profufion de vivres étoit li grande, que les Troupes Franpoifes en furent furprifes. La Reine de France ne fut pas moins fatisfaite de Pempreffement, avec lequel la Reine Alix, Mère du Roi de Chypre, qui étoit aiuTi revenue de Paleftine, & la Reine Plaisance, cherchoient a la dékuTer des fatigues du voïage,&a la dédommager des délices, qu'Elle avoit quittées en France, pour 1'entreprendre. Cependant ces deux Rois, quoiqu'également zélés pour le recouvrement du Roïaume de Jérufalem, firent une faute bien grande, & qui, fans doute, empêcha les progrès, qu'ils auroient pu faire fur les Infidèles, s'ils eulfent d'abord profité de leur difcorde, & de la guerre, qu'ils fe faifoient encore entre eux; quoiquun Auteur moderne (le Père Daniël) prétende, que leur lenteur fut un elfet de leur prudence: Car, foit que le Roi de Chypre, qui faifoit acïuellement prêcher la Croifade a fes Peuples, ne füt point encore entièrement pret; ou que le Monarque Franpois fe rendit trop facilement aux prières des Seigneurs de fon Armée, qui étoient bien aifes de jouïr quelque tems du repos; ou qu'enfin il voulut attendre la jonclion Ee ee 2- de r l L'Armée de France è Limifol. Article II. Remnrjuesl  JVÊnion it 'ttus les Int dèlescwitrt les Chrétiens. '*«8 ÏIISTöïïlE- GE'NEIALE de tous les VailTeaux, qui étoient a fon fervice, dont quelques uns, chargés d'armes, & de munitions, n'étoient point encore arrivés; ces deux Princes réfolurent de remettre leur départ jufqu'au printems, quoique la Saifon füt encore tres-propre a commencer leur entreprife.. Ce retardement des Chrétiens donna ie tems, & la commodité aux Sarrafins, non feulement de terminer leurs querelles, & de fe racommoder, mais encore dunir leurs Forces, pour leur faire tête, & s'oppofer a 'leurs delfeins; au lieu que, s'ils étoient allés d'abord attaquer VEgypte, ils auroient trouvé le pays dépourvu de gens de guerre, & fans chef, paree que lc Soudan fe trouvoit alors en Syrië, avec fes meilleuresTroupes occupé au Siége dVEmeffe, ou Camelle, Ville apartenante a Me* lec-Nasser, Soudan ó'Alep, qm s'étoit ligué avec les petits Sou* verains des environs. Ceux-ci craignoient d'autant plus la puiffance de VEgyptien, qu'il s'étoit emparé de Damas quelque tems auparavant. 11 étoit même malade en cette derniere Ville, lorfque 1'Armée Franpoife aborda en Chypre, & par conféquent hors d'état d'empêcher les progrès, qu'elle auroit pu faire en Egypte. C'eft le fentiment de tous les Auteurs contemporains* Mais le tems, qu'elle confuma inutilement dans cette He,en donna affez a ce Prince lnfidèle, pour informer le 'alife de Bagdet, & le Vieux de la Montagne, du danger qu'il couroit encore de perdre le Temple de Salomon, fi cher, & fi précieux a tous les vrais Croïans. II leur fit répréfenter fi vivement 1'intérêt, qu'ils avoient tous d'unir leurs Forces , pour conferver un lieu fi refpeéhble, & empêcher, qu'il ne tombat entre les mains de gens indignes de le polféder, que le Calife, & le Vieux de la Montagne envoièrent des AmbafTadeurs au Soudan ÜAlep. Ces Miniftres agirent efficacement auprès de lui. Le Calife emploïa même 1'autorité, qu'il avoit fur tous les Mabométans; deforte que, malgré Ja répugnance, qu'avoitce Soudan, i-faire la Paix avec-celui ÜEgypte, il y confenüt enfin, moïe- nant 2  be' JE'RTJSALEM. tir.Xl.Cn.VL ?-sp ftant la levée du- Siége dïEmejJe. Ce demier fut- charmé de pouvoir retirer fes Troupes avec honnéur; foit, par raport au peu de progrès, qu'elles avoient fait devant cette Place; foit, par le befoin qu'il en avoit en Egypte, oü il étoit informé que devoit tomber le prémier eifort des; Chrétiens. Ceft• pourquoi auffi il s'y tranfporta-, dès que fa fanté put le lui permettre, «Sc que la-ligue avee MELEc-nasser, «Sc les autres Turcs de fon parti, fut établie. 11 s'apliqua très-foigneu- ■ fement a augmenter fes Troupes, a fe renforcer de celles dc fes Alliés, «Sc enfin a amalfer de grandes provifions de guerre, «Sc de bouche, pendant que celles du Roi de France fe confumoient fans fruit; usavantageufe, qu'une guerre * dmt esw—■/°nt toujours inctrtainS, ü n'avoit pas * (.a"P,r0p0S,de différeri"«i faire par , afin que Sa : SlM ^^^ellemaniére fl cfevoic réponX Ï » qu'ils ne croïoient nullement one }P f r . , ora> a«ftfe « les orooofirinn.. * UJ1™nc> /e long iu port. Article il Comlat op ni&tre entre ks Clirétien & les Egyptien $96 HISTOIRE GE'NE'RALE Le Soudan, qui n?ignoroit pas leur deffein, avoit eu foin d'y envoïer fes meilleures Troupes, pour s'oppofer a leur defcente. 11 avoit auffi fait pofter quantité de Navires, & autres Batimens, a 1'embouohure du Nil, pour en défendre 1'entrée; De forte que le prémier objet, que découvrirent les Chrétiens, fut 1'Armée Sarrafine, qui couvroit le rivage, &une forêt de Mats, Sc d'antennes, a 1'entrée de la rivière. Cette vue, ni la bonne contenance des Barbares, n'empêcha pas la Flotte Chrétienne de s'avancer, autant que cette rade baffe, & fablonneufe le lui permit. Alors, on mouilla 1'ancre, «Sc on mit en mer ceprodigieux nombre d'Efquifs, de Frégatines, de Félouques, & autres petits Batimens, deftinés a débarquer les Troupes. Les Soldats, a 1'exemple des Officiers, s'y jettèrent, avec un empreffement extraordinaire; mais, foit que ces petits Batimens fuffent trop chargés, ou que le fable mouvant les empêchat d'approcherdu rivage, leur ardeur étoit fi grande, que,malgré la pefanteur de leurs armes,ils fautèrent dans l'eau, avec une intrépidité étonnante; &, quoiqu'ils en euffent jufqu'a la ceinture, & plufieurs même jufqu'aux épaules, ils s'avancèrent courageufement fur la plage, & attaquèrent les Infidèles, au travers d'une grêle de dards, & de flêches, qu'ils leur décochoient; tant leur impacience étoit grande d'en venir aux mains avec eux. - La valeur, & la réfolution, avec laquelle ils s'efforcoient de les enfoncer, & de fe rendre maitre du terrain, ne décon!' certa aucunement les Barbares; non plus que le maffacre, qu'ils s. voïoient faire de leurs compagnons. Au contraire, ils paroiffoient encore plus animés a vanger leur mort, & a repouffer leurs Ennemis. Mais, enfin, le Gouverneur de Damiette, qui combattoit a leur tête, & deux de leurs Amiraux, aïant été renverfés, ils commencèrent a réculer, «Sc, peu de tems après, a prendre une fuite fi précipitée vers la Ville, qu'ils jettèrent la conflernation, & 1'épouvante parmi les Habitans, pendant que  de JE'RUSALEM. Liv. XI. Ch. VII. $91 les Chrétiens, animés par legrand avantage, quils venoient dc remporter, achevoient de fe débarquer, &de fe bien loger fur le rivage, afin d'être en état de bien recevoir les Infidèles, au cas qu'il leur prit envie de revenir a la charge. Les deux Rois, le Légat, & les autres Princes, & Eccléfiafliques , aïant enfin débarqué , la Flotte Chrétienne alloit s'avancer vers Pembouchure du fleuve, pour inveftir celle des Sarrafins , mais la déroute des Troupes de terre de ces derniers les avoit déja fi fort étonnés, qu'ils leur en épargnèrent la peine, puifqu'ils n'eurent pas le courage de les attendre, & qu'ils fe retirèrent fort avant dans la rivière, dès qu'ils les virent manoeuvrer. De forte que les Chrétiens demeurèrent victorieux fans combattre, & entièrement maitres du fleuve ,. & de la rade, oü ils ancrèrent fans peine, & avec commodité. Bonheur bien extraordinaire, qu'une flotte, fur laquelle il ne reftoit plus que les feuls matelots, eüt fait prendre la fuite a une autre plus nombreufe, & incomparablement mieux armée, & qu'un nombre médiocre de Chrétiens, tous dégoutansd'eau, eulfent, en fi peu de tems, défait, & dilfipé une Armée fraiche, & qui combattoit pour défendre fes propres terres. Ces heureux commencemens furent fuivis de la jonótion de divers Seigneurs, & de la plupart des Chevaliers de VHópitaty & du Temple, qui étoient demeurés en arrière avec leurs Troupes. Renfort, dont on faifoit d'autant plus de cas, qu'outre la valeur, avec laquelle ces deux Ordres s'étoient toujours diftingués, ils avoient une parfaite connoiifance des rufes, des détours, & de la manière de combattre des Infidèles. Cependant, malgré cette union, & 1'efpérance, que les Chrétiens devoient concevoir de tant d'avantages,ils ne pouvoient encore fe flatter de fe rendre maitres d'une Place, dont les fortifications quoique déja très-confidérables, avoient été nouvellement augmentées,& qui fe trouvoit abondamment munie de toute forte de provifions, & défendue par une forte garnifon, accoutumée depuis longtems a combattre Ff ff a con- VitSoke complette ies Chrétiens.  598 HISTOIRE GE'NE'RALE Article/i Fuite nocturne des H/ibitans & des Sol iatsde D ttictte. contre les Latins. II s'y trouvoit encore parmi elle quantité de Soidats, qui fe fouvenoient du fiége, qu'en avoit fait trente ans auparavant le Roi Jean de Brienne , & qui n'avoient point oublié les fouffrances, & les miferes, qu'ils y avoient en> durées pendant dix-huit mois qu'il dura, & que ce Prince n'auroit peut-être jamais terminé, fi la famine, & la pofte ne s'en füt melée, puilque la force, & les affauts, y furent prefqu'entièrement inutiles. r. II eft vrai auffi, que le fouvenir de ces calamités leur faifoit craindre un femblable fort, & qu'ils n'ofoient s'y expofer. Conf- ternés d'ailleurs de la perte de leur Gouverneur, & de fe troui-ver fans un Chef, capable de faire agir la garnifon, ils réfolu-rent unanimement d'abandonner la Ville , & f executèrent pendant la même nuit. Ils emportèrent, avec eux, ce qu'ils avoient de plus précieux, & en fortirent au point du jour, après avoir mis le feu aux principaux édifices, afin que leurs Ennemis n'en pulfent profiter. Ils paffèrent, fur un pont de bateaux, le bras du Ml, qui rendoit la Ville ifolée. Ils Ie rompirent enfuite avec beaucoup de foin, pour avoir le tems de fe fauver dans le centre du pays. Voila, comme la lacheté de ces Peuples rendit inutiles les foins, les précautions, & les grands prèparatifs du Soudan, pour la confervation d'une Place fi importante, & comme ils firent triompher leurs Ennemis, fans rifquer un feul Homme , & lorf ju'ils s'y attendoient le moins. Les Chrétiens aïant apercu les flammes en divers endroits de la Ville, allèrent promtement reconnoitre ce qui pouvoit avoir donné lieu a cet incendie, & ne tardèrent pas a s'apercevoir que les Sarrafins 1'avoient abandonnée. Dès que les deux Rois en furent informés, ils détachèrent d'abord quelques Compagnies de vaillans Hommes, pour en aller abatre les portes. Toute 1'Armée fe mit en bataille, pour les foutenir; mais ils ne trouvèrent plus d'autre Ennemi a combattre, que le  »e JE'RUSALEM. LiV.XI. Ch.VII. ^99 le feu, qui la confumoit; ni d'autre obfkcle a furmonter, que la peine de féteindre. Ils y travaillèrent avec tant de diligence, quils en vinrent bientöt a bout. Alors, les deux Rois, &les autres Princes, eurent la fatisfaétion d'y entrer triomphans, fans tirer 1'épée. Leur prémier foin, «Sc celui du Légat, fut de purifier la Mofquée principale, qui fut convertie en une célèbre Eglife, «Sc confacrée a Dieu, fous le titre de la Mère-de-Dieu. Ils rendirent enfuite de trés-humbles aétions de graces a fa toute-puifTance d'un événement fi favorable, & li inopiné, puifqu'il les mettoit en état, non feulement d'aller attaquer la Capitale. du Roïaume, mais encore de pouvoir s'y affermir, & d'y faire fleurir la Religion Chrétienne. Le Roi Saint Louis , a qui cette bonne oeuvre faifoit un plaifir extraordinaire, «Sc qui défiroit, qu'on fit un bon ufage de l'abondance des provifions, qui fe trouvèrent dans la Ville, & qu'on profitat de 1'ardeur, que donnoient aux Troupes les richelfes, qu'elles y avoient pillées , «Sc qui avoient parfaitement accommodé, «Sc Officiers, & Soldats, fit incelfamment affembler tous les principaux de 1'Armée, pour prendre leurs avis, fur la manière de conferver leur conquête, «Sc de continuè'r la guerre avec fuccès. II y eut dans. ce grand confeil, comme dans bien d'autres* une fi grande diverfité d'opinions, que, malgré la capacité,«Ss fexpénence des Perfonnes, qui le compofoient, on s'attacha au plus mauvais parti. Faute encore plus dommageable auxr Chrétiens, que le féjour qu'ils avoient fait dans l'Ile de Chypre; Car, quoique le Comte ÜArtois, «Sc plufieurs autres Seigneurs foutinfïent, " qu'il falloit fe mettre promtement en campagne,. „ «Sc pourfuivre les Ennemis, avant qu'ils pulfent fe remettre „ de 1'abattement, que la perte,qu'ils venoient de faire, «Sc de„ 1'épouvante, que la fuite de la garnifon, «Sc des Habitans „ de Damiette, jointe a Ja maladie du Soudan, venoient de jet„ ter dans tout le pays. " Le Duc de Brétagne s'efforcoit de per» mopiné, puifqu'il les mettoit en état, non feulement d'aller at-  6oo HISTOIRE GE'NE'RALE ! haSion des Chrétiens nuiJiblea leurs affaires. :>erfuader , " qu1 il falloit abfolument s'emparer de la Ville j, d''Alexandrie , dont fimportance, «Sc la bonté des ports, „ les rendroient entièrement maitres de toute la cöte Septen„ trionale de VEgypte, «Sc mettroient en fureté leur Flotte, „ qui ne pouvoit hyverner dans aucun autre endroit de ce „ Roïaume , fans y être toujours en danger de fe perdre, „ ou d'être tout au moins fort endommagée ; Que, d'ail„ leurs, la polfeifion de cette Place les mettroit en état „ de recevoir - facilement tous les fecours, qui leur vien„ droient dVEurope , au lieu que les Infidèles , privés d un „ port fi avantageux , ne pourroient recevoir aucune affif„ tance du cóté de la mer , fans s'expofer a tomber entre ,, leurs mains. Cependant, quoique 1'une, «Sc l'autre de ces opinions fuffent également bonnes, on s'attacha k une troifième , qui renverfa tous les progrès, qu'ils avoient déja faits, «Sc qui empêcha ceux qu'ils auroient pu faire, lis réfolurent d'attendre fécoulement des eaux du Nil, qui ne faifoit encore que de commencer a croitre ; puifque, felon Vincent de Beauvais, les Chrétiens entrèrent dans Damiette quinze jours après la Pentecóte; deforte que, pour arriver au tems que ce fleuve inonde ordinairement VEgypte , il leur reftoit encore plus de trois mois ; terme plus que fuffifant , pour venir a bout de 1'une, ou de l'autre de ces entreprifes , & peut-être de toutes les deux ; mais , par une fatalité, dont on ne fauroit deviner la caufe, ils demeurèrent, prés de fix mois, dans finaccion a Damiette. Cette longue oifiveté donna lieu a toute 1'Armée de fe plonger dans des dilfolutions abominables, lesquelles contribuèrent, fans doute, au mauvais fuccès de leur expédition. On étoit encore enféveli dans ce dangereux repos, lors que le Comte de Poitiers, Frère de St. Louis, arriva devant Damiette. II conduifoit plufieurs Batimens, cliargés d'Hommes, d'ar-  me JE'RUSALEM. Liv. XI. Ch. VIT. 60 d'argent, & de munitions?. Umouilla, le 27. Odobre, a Tem bouchure du fleuve. Ce Prince ne fut pas plütöt débarqué qu'on tint un nouveau Confeil. II fut réfolu d'aller attaquer J< Soudan, qui étoit campé prés de la Ville de Maffoura. L'Armée Chrétienne fortit enfin de Damiette , le 20. No vembre, & marcha vers cette Ville, qui efi fituée a trente miles du Caire, fur le bras Oriënt al du Nil. Comme ce fleuve fe trouve coupé un peu au-deffus de Maffoura, par un grand canal , qu'on prendroit facilement pour un de fes véritables bras,iLy formoit une presqu'Ile; ce qui obligea 1'Armée Chrétienne de s'arrêter pour chercher un gué, & aller attaquer celle des Sarrafins. Chacun étoit d'autant [plus impatient, qu on venoit d'apprendre la mort du Soudan; & que M e l e c-S a l a, fon Fils, qu'il avoit envoïé en Syrië, quelque tems auparavant, pour y lever des Troupes, & pour demander du fecours aux Princes fesAlliés, n'étoit point encore de retour. Mais la profondeur de ce Canal, & la hauteur de fes bords, ne permettant point aux Chrétiens de le traverfer, on emploïa quantité de monde a couper des arbres, a faire des fafcines, a tranfporter de la terre, &apiiloter, afin de faire une digue, qui en détournat l'eau, &qui la retint dans fon lit ordinaire. L'ardeur, & 1'affiduité, de ceux qui étoient occupés a cet ouvrage, a la faveur d'un grand chateau de bois, qu'on avoit confiruit, pour les mettre a couvert, leur faifoit efpérer d'en venir bientöt a bout; Mais 1'Amiral Saccardin, a qui le Soudan avoit laiffé, en mourant, le gouvernement de fes Etats, & le commandement de fon Armée, pendant 1'abfence de fon Fils, & qm connoiffoit combien il lui étoit important d'empêcher la continuation de cette digue, trouva le moïen de mettre le feu a leur chateau, & fit jetter fur les travailleurs une fi grande quantité de flêches, & de feu grégeois, qu'il en péTiflbit tous ks jours un trés-grand nombre, fans qu'on put remédier k 1'un, ni a l'autre de ces facheux inconveniens. Gg gg Ou- ï Mort da Soudan.  Article Jl^ Son office rendu aux Chrétiens, par un Sarrafin. Fuite préci pitte des Infidèles. tèi HISTOIRE GE'NE'RALE Outre ces grands obftacles, les Infidèles leur gatoient encore Plus d'ouvrage, en une heure de tems , qu'ils n'en pouvoient faire en plufieurs jours; &,fi ks Chrétiens étoient conftans, & réfolus a tenter ce paffage, les Ennemis n'étoient pas moins ferme», & attentifs a Pempêcher, lorlque, par une avanture affezfingulière, xmSarrafin mêmeles tirad embarras. On ne fait, pour queue raifon cet Homme quitta le Camp Ezyptien, pour venir, de fon propre mouvement, leur ind> quer un gué, a quelque diftance de Pendroit, ou ito étoient campés. Le canal y formoit une efpece d'etang, qui, par la grande étendue, rendoit les eaux beaucoup plus balles, & par coriféquent moins difficiles a traverfer. Les Perfonnes, que le Saint Roi envoïa pour reconnoitre ce paffage, le trouvèrent, en effet, tel que le transfugc Sarrafin 1'avoit affuré. Apres leur raport, ce Prince ordonna fur ie champ, qu'on difpbföt toute 1'Armée, pour le traverfer le lendemain. Le Comte éPArtois, avec les Chevaliers de \Hopi- \ tal, & du Temple, qui étoient a la tete de favant-garde, * franchirent le prémier, malgré le limon gluant, & protond, ; oü les Chevaux s'enfoncoient. K peine, en furent-ils fortis , qu'ils rangèrent leurs prémiers Efcadrons en bataille; 6c, lans attendre la jonótion du refte de la Cavalerie, ds s'avancerent courageufement contre les Sarrafins. Ils firent, dans cette occafion, ce que toute 1'Armée enfemble auroit eu peine a fou-j /^ls affaillirent fibrufquement les Infidèles, & eu renverfèrenf un fi grand nombre, qu'étonnés d'un fi prodigieux mallacre, & croïant d'avoir toute fArmée Chrétienne^fur les bras, ils prirent une fuite précipitée vers Mafioura , & abandonnerent leur Camp, avec toutes les machines, qu'ils avoient conftruites, pour oppofer a celles des Chrétiens , & quantité de ptf eès de bois, & autres matériaux; Mais, foit que cette grande profpérité aveuglat les Chrétiens, ou que 1'ardeur du Com  de JE'RUSALEM. LmXI. Ch. VIL 60% fe d'Artois 1'emportat fur fa conduite, & fur fa prudence ordinaire , il pourfuivit fi inconfidérément les Infidèles , (mème contre le fentiment des Ordres Militaires, qni lui repréfentoient, qu'il feroit affez glorieux pour eux de conferver ce qu'ils venoient de gagner) qu'il fut caufe de fa propre perte, de la leur, Sc d'un grand nombre d'autres Perfonnes de difiinccion, «50. & de mérite. Car les Barbares, qu'ils avoient pourfuivis jufqu'aux portes de Maffoura , revenus de leur terreur panique , & piqués qu'un fi petit nombre de Chrétiens eulfent eu la témérité de leur donner la chaffe jufques dans leurs propres maifons, firent tout d'un coup volte face, & fe rallièrent fi promte-' ment, que, fans 1'arrivée des Hofpitaliers, & des Templiers, qui s'étoient avancés pour foutenir le Comte, il auroit fuccombé plutót, & peut-être avec, lui, tous ceux qui 1'avoient fuivi. Chapitre VIII. Cependant, ni ces Chevaliers , ni la valeur de la No- Article /, bleffe Franpoife, ne purent foutenir la multitude de Sarrafns , qui arrivoient a tout moment ; & qui , comme furieux, les preffoient de toutes parts. Le Comte ÜArtois fut tué d'un coup de flêche; furquoi fes gens prirent le parti de la retraite, & 1'exécutèrent en fort bon ordre, malgré la perte confidérable, qu'ils venoient de faire, & 1'affoibliffement de leurs forces; puifqu'outre le Comte ÜArtois , le Comte Erald de Brienne , Rodolphe de Couci , quantité d'autres Seigneurs , ouvoient recevoir du fecours, il décacha une grofle partie de a Cavalerie, pour faire une garde exacte le long du Nil, & )our s'emparer de toutes les avenues. Non content de cette jrécaution, il fit encore tranfporter diverfes barques fur la ririère entre Damiette, & le Camp Chrétien, qu'il fit remplir Ie gens de guerre, fi réfolus, & fi promts a exécuter fes orIres, qu'il fut impoffible a un convoi chargé de provifions, me le Patriarche de Jérufalem envoïoit aux Chrétiens, de pafèr, ni a aucune des barques, dont il étoit compofé, d'échaper mx Ennemis. Les unes furent prifes. Les autres coulèrent a fond; «Sc tous les Soldats, «Sc Matelots qui les conduifoient, airent tués, ou faits prifonniers. Diverfes autres barques, qu'on mvoïoit, de tems a autre, au Camp Chrétien, eurent un pa•eil fort; deforte, qu'on ne tarda pas a éprouver la difette, & es maladies, que le Soudan avoit prévues. Grand nombre de Soldats fe trouvèrent tout d'un coup les ambes, «Sc les piés enflés d'une manière a ne pouvoir fe foutenir. Ils furent accablés enfuite d'une grande douleur de tête, Sc de dents, avec une fièvre fi violente, qu'ils en mouroient en peu de jours. Cette dangereufe maladie fe répandit fi extraordinairement dans tout le Camp, qu'il n'y avoit plus pavillon, ni tente, oü il ne fe trouvat, tous les jours, des morts, «Sc des malades, fans que la'fcience, ni tous les foins des Médecins, «Sc des Chirurgiens, pufient remédier a cette efpèce de contagion, que les Phificiens nommoient Scorbut. L'évident danger , que couroit toute l'Armée de périr de cette infirmité, ou de la famine,qui augmentoit tous les jours, fit que le Saint Roi, «Sc les autres Princes firent, plus d'une fois, mettre en bataille le peu de Troupes, qui fe trouvoient encore en état de manier les armes, pour préfenter le combat au Soudan, afin de mourir glorieufement, ou de fe tirer des calamités, dont ils étoient accablés. Mais tous leurs mouve- mens  de JERUSALEM. Liv. XI Ch. VUL 607 mens furent inutiles. Me'lec-Sala demeura toujours eonftamment réfolu de n'en point venir aux mains, a quelque prix , que ce füt; perfua.dé fur le raport de fes efpions, qu'il ne tar-1 deroit pas long-tems a en triompher, fans être obligé d'expofer fes Soldats au désefpoir, oü il favoit que les Chrétiens étoient réduits. En effet, les Princes, les Seigneurs, & les principaux Officiers , outre 1'infirmité, dont la plüpart étoient atteints, manquoient également de nourriture; deforte que le peu de Soldats, que le mal avoit épargnés jufqu'alors, périffoient, faute de fubfiftance, & par la laffitude, que leur caufoit la dure néceffité, oü ils étoient de fupléer aux fonétions de ceux que la maladie avoit emportés. Le Saint Roi même, après y avoir réfifté quelque-tems par la force, & la grandeur de fon courage, fut enfin contraint de céder a la violence des douleurs, & de s'aliter; ce qui acheva de mettre la conllernation dans toute 1'Armée. L'intérêt que chacun prenoit a fa confervation étoit très-fenfible; & ils ' étoient tous pénétrés de le voir en cet état. Les Princes fes Frères & tous les Seigneurs de 1'Armée le follicitèrent inutilement de fe mettre fur une petite Frégate légère bien pourvue, de rameurs, & de gardes, qui, a la faveur des ténèbres, le conduiroit promtement a Damiette. Ce grand Prince répondit toujours, avec autant de générofité, que de réfolution, " qu'il „ n'abandonneroit jamais une Armée, qu'il chérilfoit 11 fort, „ & a la tête de laquelle il s'étoit mis pour la gloire de Jéfus„ Cbri/i; Qu'il vouloit partager tous les périls avec elle, & „ encourir la bonne, ou mauvaife fortune, qu'il plairoit a Dieu „ de leur envoïer." Ce fut alors qu'on fit les derniers efforts, pour fe retirer a Damiette. Le lendemain Avril, ils firent embarquer les plus infirmes fur quelques Batimens, qui leur reftoient encore, & les amenèrent fur le Ml, a fentrée de la nuit, a la faveur du cnu» ranjt? Dèfir des Zhrétjens le donnet 'ataille*  6o8 HISTOIRE G E' N E' R A L E r t ( < I 1 ■ i Les Rois de France, pre, faits prifonniers de guerre. ant de l'eau. Les triftes reftes de cette Armée, fi floriflane quatre mois auparavant, quittèrent leur Camp} & fe mirent :n marche; mais a peine 1'eurent - ils perdus de vue , qu'ils lonnèrent dans la Cavalerie Sarrafine , «Sc furent alfaillis par oute 1'Armée du Soudan, contre laquelle ils fe défendirent fi jien, que, malgré leur langueur, «Sc leur épuifement, ils fournirent , pendant plus de trois heures , fes terribles, «Sc furieux affauts, & renverferent un fi grand nombre & Infidèles, 511e ce n'étoit pas fans raifon, que Melec-Sala avoit aprébendé de combattre contre des gens, dont le désefpoir augmentoit infiniment la bravoure. Cependant tous les prodiges de valeur, que firent les Chrétiens dans cette fanglante journée, furent inutiles. Les plus rigoureux tombèrent fous le fer des Barbares. Les autres furent contraints de fucomber a la multitude, qui les accabloit de tous cötés. Les Comtes ÜAnjou, «Sc de Poitiers; les Mai:res de VHópital, «Sc du Temple, «Sc tout ce qui reftoit de Chevaliers de ces deux Ordres, qui étoient a la tête de 1'Armée, furent aufli les prémiers prifonniers, apres avoir vu périr tous leurs confrères. La déroute, «Sc le malfacre devint alors fi grand, que le Roi de France, «Sc celui de Cbypre, avec tous ceux qui les environnoient, furent également arrêtés. Tout le refte de 1'Armée eut enfin le même fort. Perfonne n'échapa a ce malheureux coup. Les uns furent tués fur le champ de bataille. Les autres devinrent la proie des Infidèles, qui ne les épargnèrent , que dans 1'efpérance de s'en fervir dans fefclavage, ou d'en retirer de bonnes rancons. Les pauvres malades, qu'on avoit rifqués fur le Ml, ne furent pas moins malheureux. Toutes les barques, oü on les avoit mis, furent prifes. Les Sarrafins eurent la cruauté d'en égorger une partie, & brülerent les autres tous vifs, comme Palfure Vincent de Beauvais. Cet Auteur dit aufii, que Saint Louis, & les autres Princes, aïant été préfentésau Soudan^  be JE'RU SALEM. Liv.XI. Cu.VIII. 6ocj. ce Barbare adrelTa la parole a ce grand Prince, & lui dit d'abord, avec beaucoup dorgueil, & de fierté, " qu'il lui rendit „ promtement la Ville de Damiette, & qu'il le dédommagekt w des pertes, qu'il avoit caufées a fes Sujets, & a lui même. D'autres Auteurs difent au contraire, que Melec-Sala, foit par pitié de la disgrace d'un Prince, qui inlpiroit le refpecï, &, la vénération „a tout le monde; ou, crainte de perdre la grofle rancon, qu'il en efpéroit , le voïant malade, & fort languilfant, le recut très-Jmmainement , & f afliira, qu'il ne feroit aucune difficulté de traiter,avec lui, pour fa déüvrance, & pour celle de tous les Grands de fon Armée; mais qu'il fut encore aflez poli, pour lui envoïer fes Médecins, qui reconnoiffant la caufe de la maladie, dont il étoit atteint, le traitéTent, avec tant de foin, & de fuccès, quils le guérirent entièrement , «Sc en peu de jours. Ce dernier fentiment paroit d'autant plus vraifemblable, que le Soudan ne tarda pas a entrer en négociation avec le Saint Roi, tant pour le rachat de fa propre Perfonne, que pour celui de tous les Chrétiens, qui étoient en fon pouvoir, «Sc de conclure enfin un Traité, aux conditions fuivantes. b Qu'il y auroit Tréve inviolable, pour dix ans, entre -„ les Chrétiens, «Sc les Egyptiens. IL „ Que tous les prifonniers, qui avoient été faits de part „ «Sc d'autre en Egypte, «Sc en Palejline, depuis 1'établiflement „ de la Trève entre fEmpereur Fre'de'ric, «Sc le Soudan „ Me'le'din, feroient fidèlement rendus. m. „ Que la Ville de Damiette feroit inceffamment refti.„ tuée au Soudan, dans 1'état oü elle fe trouvoit. IV. „ Que leRoi lui paieroit une grofle fomme pour la ran„ con des prifonniers." Les Auteurs ne conviennent point, fur cet Article. Les uns font monter cette fomme a huit mille marcs d'or, les autres a huit eens mille bezans, «Sc d'autres encore a cent mille miquelotis , monnoie Vènitienne, dont la valeur de ce tems-la eft incertaine. Hh hh y. n Que Sentimens différens fur la manière , dont le Soudan wla a St. Louis. r\rticIe/77. Conditions iu Traité •ntre St. L,ouis, 'es Ennenis.  6io HISTOIRE GE'NE' RALE V. „ Que tous les effets, que les Chrétiens avoient a Da* „ miette, leur feroient bien confervés, lóus la fauvegarde du „ Soudan, «Sc fidèlement rendus, lorlqu'ils les rechercheroient. VI. „ Que le Soudan feroit efcorter les Chrttiens, qui, Paus, te d'embarquement, feroient obligés de fe rendre par terre „ en Paleftine, oü ils jouïroient en liberté,«Sc fans aucun trou5, ble, de toutes les Villes, Chateaux, Bourgs, «Sc Villages, 5, qui fe trouvoient aóhiellement en leur pouvoir. VII. „ Que les malades, «Sc tous les Chrétiens, qui auroient j, encore des affaires a Damiette, après fa reflitution, pour„ roient y demeurer en fureté, «Sc fans y être aucunement in„ quiétés, non plus que lorlqu'ils voudroient fe retirer en £«„ rope, ou en Palejline. Ce Traité aïant été établi, «Sc approuvé de part «Sc d'autre, afin de le rendre plus folide, ^,opinèrent fur le champ, „ que, comme le Roi fe trouvoit fans Troupes, & fans ar„ gent, «Sc par conféquent hors d'état de rien entreprendre „ de glorieux pour lui, ni d'avantageux pour les Chrétiens de „ la Terre-Sainte, il leur paroilfoit qu'il devoit,fans balancer, „ retourner dans fes Etats, oü fa préfence étoit fort nécelfai„ re, «Sc d'oü il pouvoit leur être plus utile, en leur envoïant „ de bons, «Sc promts fecours, que s'il y féjournoit plus long„ tems. Le Patriarche, «Sc les Barons de Jérufalem, auffi bien què les Ordres Militaires, repréfentèrent au contraire, avec chaleur, le dommage infini, que le départ du Roi cauferoit aux Cbré- Ii ii tiens $ ;s Ir ii r Confeil tt* nu par Sc Louis. Délibêra-' tion fur le retour de St. Louisr dans fer Etats.  6i8 HISTOIRE GE'NE'RALE Sa réfolution de refter rn Palelfine,malgré l'c vis des Se. gneurs Francois. tiens de la Paleftine, & le grand bien, qu'un plus long féjour leur procureroit. 11? alléguoient, " qifils avoient tout a crain„ dre, non feulement des Egyptiens, enllés du fucces de leurs 55 affaires, mais encore du Soudan déAIep, qui, après s'ètre „ emparé de Datnas, fe trouvoit en campagne avec une puif„ fante Armée, avec laquelle il ne manqueroit pas de fe ren„ dre maitre des milérables reftes du Roïaume de Jérujalem, „ avant que de palfer en Egypte, oü il avoit réfolu de porter la guerre,pour vanger la mort de Melec-Sala, fon Pa„ rent, & arracher ce Roïaume des mains de ces perfides &. „ vils Mammelucs, qui favoient ufurpé, en maffacrant leur lé„ gitime Souverain." Ajoutant, " que, pendant que les lnji„ dèks feroient en guerre entre -eux, on pourroit réparer, en „ tranquilité, les fortifications de Céfarée, de Jaffa, de Si„ don, & des autres Places, qui avoient été démolies, affu„ rer par ce moïen ce qu'ils poffédoient, & facilitcr le recou„ vrement du refte du Roïaume. Ces rémontrances, qui étoient, en effet, felon les befoins de la Terre-Saint e, touchérent viveraent le Saint Roi, qui étoit, . d'ailleurs, comme retenu en ce pays-la, par la douceur, qu'ü - trouvoit a contempler les lieux, oü le Sauveur du Monde s'étoit facrifié pour le falut des Hommes, auffi bien que par f efpérance de retirer des mains des Barbares tant de pauvres Chrétiens, qui languiffoient dans 1'efclavage; de forte qifaprcs huit jours de terme, qu'il avoit pris, pour fe réfoudre, il déclara dans un fecond Confeil, " qè'iï étoit enfin réfolu de ne point abandon„ ner les Chrétiens de Paleftine dans le trifte état, oü ils fe trou„ voient;& qu'il vouloit encore s'y arrêter quelque-tems,pour „ tacher de rétablir leurs affaires. " II donna, en mème-tems, la liberté a tous ceux qui n'y voudroient pas demeurer, avec lui, de s'en retourner librement, fon mtention n étant point de géner perfonne.- La  de JETtUSALEM. Lm XI Ca X $j} La réfolution de ce Prince pieux, & débonnaire, étonn; la NobleiTe Franpoife, qui étoit autant dégoutée de la Guer re-Sainte, que le Roi étoit rempli de zèle, & d'ardeur, pou la continuër; deforte que, malgré les avantages , qu'il pro mettoit a ceux qui voudroient fuivre fa fortune , plufieur: des principaux Seigneurs s'cmbarquèrent avec les Comtes d< Poïtiers, & <ÏAnjou , fes'Frères, qu'il renvoïa en France. pour la confolation de la Reine fa Mère. 11 leur ordonns de lui dire de fa part, " qu'elle devoit extrèmement fe re" jouïr, & rendre graces a Dieu, de ce que, de quatre de " fes Enfans, qui avoient pris la Croix pour la gloire de '" Jéfus-Cbrift , trois étoient encore en vie, & en bonne " fanté ; & que le quatrième , encore plus heureux, que " les autres, avoit acquis, dans cette Sainte expédition, la " couronne du martire, & la joie des bienheureux, dont ij 5' jouïlToit. II la faifoit, en même tems , prier de lui envoïer , le plus promtement qu'il feroit poffible , 1'argent & les gens de guerre , qui lui étoient nécelfaires , pour exécuter fes projets ; & il leur enjoignit d'exhorter , en fon Nom , fes Sujets a venir partager , avec lui , la gloire de rétablir le Roïaume de Jéfus-Chrifl, & y abattre 1'orgueil, & 1'infolence des Ennemis de fon Saint Nom. Comme le Saint Roi avoit trop peu de monde , pour entreprendre la réparation des Places , & qu'il avoit , d'ailleurs , tout a craindre du Soudan dCAlep , il fit lever le plus de Troupes, qu'il put, dans les payscirconvoifins, pendant qu'il s'occupoit a faire mettre en état de défenfe les Fauxbourgs de Ptolomaïde. II recut, dans ce même tems, les Ambalfadeurs, que le Pape lui envoïa, pour lui témoigner la douleur, quil reffentoit de la difgrace qu'il avoit elTuïée en Egypte. Le St. Père lui faifoit, en même tems, offrir tout ce qui dépendoit du St. Siége, pour le feconder dans la guerre-Sain- Ii ii 2 te, r i 1251. Artklc II. SaintLouis re$oit des Ambaffaleurs du Pape,& de 1'Empereur  620 HISTOIRE G E' N E' R A L E tl fait le voïage de Thabor.fcf de la grotte de Nazareth. Article///. te, «Sc dans fa gériérèufe réfolution de mettre la- Terre-Sainte a couvert de finfulte des Infidèles. II recut pareillement une AmbaiTade de la part de FEmpereur Fre'de'ric , qui le complimentoit fur le même fujet , & lui offroit fes bons offices auprès du Soudan Mel e'd in, dont il ignoroit la mort, & au pouvoir duquel il ie croïoit encore. Comme on doutoit de la fincérité des offres de ce Monarque, on fut ravi, que fes Miniftres ne fuffent arrivés en Syrië , qu'après la délivrance du Saint Roi, dont les grandes occupations ne pouvoient diminuër Fardent défir d'aller vifiter les faints lieux. II fe rendit pourtant aux fages rémontrances de fon Confeil , qui lui fit comprendre, „ qu'il ne pouvoit, fans intéreffer fa gloire, aller vifiter le „ St. Sépulcre , ni Jérufalem , qu'il ne fe fut rendu maitre „ de cette Ville , dont les Sarrafins avoient nouvellement ,, relevé les murailles ; puisque , s'il y alloit avec le paffe„ port du Soudan , comme il auroit pu le faire , tous les „ Princes Chrétiens, qui entreprendroient la guerre Sainte a„ prés lui, fuivroient le même exemple , & laifferoient au „ pouvoir des Barbares la Sainte-Cité , «Sc le St. Sépulcre, „ dont le recouvrement étoit le but principal de toutes les „ Croifades. Ce grand Prince , qui ne vouloit point, que fa dévotion particulière put être préjudiciable a la Terre-Sainte, fe contenta de faire le voïage deThabor, &de la fainte grotte de Nazaretb. 11 vifita ces faints lieux , avec un refpect , «Sc une dévotion fi exemplaire, qu'il auroit édifié les perfonnes du monde les plus libertines, «Sc les moins attachées aux facrés miftères de notre Religion. A' fon retour de ce pélérinage, il trouva une nouvelle AmbaiTade a Ptolomaïde. Elle étoit de la part du Vieux de la Montagne, Prince des Jffaffins. Au lieu de complimens, il lui faifoit faire.  3>ë JE'RUSALEM. Liv. XL Ch. X. en faire des reproches " du pen de cas, qu'il fa;fbit de fa perlbiv „ ne;. & de ce que, contre la coutume des autres Princes „ Chrétiens, qui étoient venus avant lui en ce pays-la, & qui „ tous lui avoient envoïé-des préfens, il n'avoit pas feulement 33 daigné lui faire part de fa venue ; que, cependant, il avoit „ bien voulu 1'envoïer prier de faire déiivrer fes Sujets du tri„ but, qu'ils payoient aux Templiers, & aux Eojpitaliers, s'il ,3 vouloit épargner le malfacre des Chefs de ces deux Rdigions, 3, & de leurs autres Chevaliers , qu'il feroit alfurément poi„ gnarder dans leurs propres maifons, afin de déiivrer fes Peuples 3, de leur tyrannie- Le Roi, qui n'étoit point' accoutumé a desmanières fï groffières, & fi barbares, fut extrèmement furpris d'unj pareille AmbaiTade. Auffi, ne voulut-il point y répondre alors. 11 fit appelier le lendemain Guillaume de Sonnat , Maitre des Templiers , & Pierre de Villebride , Maitre des Hofpitaliers, afin que, commepartiesintéreffées,. ils répondiiTent eux' mêmes a ces impertinens Miniftres. Ceux-ci repetèrent leur commilfion dans les mêmes termes du jour précédent, fuivant Tordre qu^ils en avoient de leur Maitre. Les Chevaliers, a qui ces infolens difcours n'étoient pas nouveaux , leur répondirent tranquilement,. " que leur Ambaflade étoit fi incivile, &. leur demande 3, fi éloignée de ia raifon, qu'elle ne méritoit pas la réponfe 33 d'un auffi grand Prince, qu'étoit leRoi dejrance; Qu'ain33 fi, ils leur confëilloient de raporter au Vieux de la Montagne, 33 leur Maitre, qu'il tachat d'acquérir la grace de Dieu, en fe „ faifant Chrétien, & la bienveillance de ce Monarque, en fe „ faifant Catholique. Qiioique ie peu de fuccès de cette AmbaiTade alterat d'abord le Vieux de la Montagne, il ne tarda pas a revenir de fon emportement; car, foit qu'il craigmt d'attirer fur fes Terres les armes 'ihrétiennes, qu'il n'étoit point en état de repouffer; ou que la réputation de la vertu, & des grandes adions de chari- l i ü 3 t^, dmbnffade iu Vieux ie la Moli- :agnc a 5t.Lüu:Sï  6*22 HISTOIRE GE'NE'RALE 'f rifent fin gulier ojj en ASt. Louis jparieVieui de ia Montagne. Article IV té , que St. Louis exercoit tous les jours , non feulement a- fégard des Chrétiens , mais envers les Infidèles mêmes, lui fit ■ fouiiaiter d'entrer dans fes bonnes graces , il lui envoïa, quelques jours après , les mêmes Ambalfadeurs, qui lui demandèrent, avec beaucoup de reipeét, fon amitié , & fa protecfion , pour le Prince leur Maitre , & lui préfentèrent , de fa part , ce qui fe trouvoit de plus rare , & .de plus curieux dans fon pays. Parmi les préfens les plus remarquables fe trouvoient la figure d'un Elepbant, & celle d'un Chameau de Criftal de Roche, travaillé avec beaucoup de délicatelfe, & d'artifice, embelli de fleurs, & de feuillages d'or, & rempli d'ambre gris du plus précieux. Raretés, que le Saint Roi recut avec d'autant plus de plailir, qu'il commcncoit a efpérer de pouvoir attirer dans le giron de 1'Eglife ce Prince ahufé, avec tous fes Peuples, enivrés, comme lui, de fuperftition, & de faulfes croïances. Le Sire de Jointille ajoute ces propres paroles, prononcées par les Ambalfadeurs du Prince des JJfaffins. U Fous envoie fa chemife, dont il Fous fait préfent, pour marqué du grand défir, qu'il a de Fous voir, £5^5 P°ur plus grande ajfurance, fa , propre hague de fin or, que voici,& Fous époufé comme fon Seigneur. Afin de parvenir plütöt 3 cette bonne oeuvre, le Saint Roi fit accompagner ces Miniftres par de très-favans Religieux; perfuadé que ces bons ferviteurs de Dieu n'oublieroient rien pour fa converfion; &, pour reconnoiffance de fes préfens, il lui envoïa quelques pièces d'écarlate, avec plufieurs vafes, & autres pieces de vailfelle d'or, & d'argent, très-curienfes, & de valeur. Rien ne fit avorter les pieux defleins de St. Louis , que la cupidité des Ordres Militaires, particulièrement des Templiers, qui ne voulurent jamais rénoncer au tribut, qu'ils exigeoient des JJfaffins. Ces Peuples, de leur cöté, dégoutés de la dureté des Ordres Militaires, demeurèrent toujours fermes dans leur erreur, & fe rélachèrent entièrement de la bonne difpofition, qu'ils  de JE'RU SALEM. Liv.XI. Cri.X. 6-,%. qu'ils avoient fait paroitre depu.'s longtems d'embraiTer le Chriftianifime, ainfi que nous favons raporté fous le Règne du Roi Alme'ric,en 1172. Deforte que les nouvelles A'mbalfades du Vieux de la Montagne a St. Louis, celles dc ce Monarque a ce Prince lnfidèle, ni les préfens réciproques, quils fe firent,ne fervirent qu'a entretenir une bonne correipondance entre eux, pendant le féjour des Franpois en Palejline,- St. Louis fe trouvant enfin affez de Troupes, pour paroitre en campagne, fortit de Ptolomaïde, «Sc alla d'abord camper prés de Céfarée , qu'il fit ceindre de groffes murailles, flanquées de bonnes tours, de diftance, en diftance. II y mit' une bonne garnifon, «Sc la fit munir de toutes fortes de provifions. II en fit autant a Nazaretb, & a la Fortereife du Mont Thabor, qu'il fit également redrelfer, fans être aucunement troublé dans ces opérations, ni par les Egyptiens, ni par les gens du Soudan ÜAlep. Ces deux Soudans avoient également' recherché 1'Alliance du Saint Roi, & lui-avoient offert de grands avantages. Celui ÜEgypte s'engageoit non feulement a lui ren- > dre, tous les Chrétiens, «Sc les effets, qui étoient demeurés en fon pouvoir, mais encore a 1'entiere refiitution du Roïaume de Jérufalem, & même celle de tous les Chrétiens, qui avoient: embraffé le Mahométifme. Le Soudan ÜJlep, & de Damas,. offroit de le mettre, «Sc de le maintenir, dans la paifible poffeffion dü Roïaume de Jérujalem, dont il avoit déja pris quelques Places fur les Egyptiens. Voila les raifons, pour lesquelles les uns, «Sc les autres, efpérant d'attirer ce Monarque dans leur parti, n'avoient point entrepris dc 1'inquiéter dans les fortifications, qu'il avoit entreprilès. Auffi , les Egyptiens , qui craignoient extrèmement fon unioa avec le Soudan ÜAlep, s'emprefferent de lui envo':èr tous les prifonniers, quils avoient retenu au préjudice du Traité. G-lui-ci, au contraire, désefpérant enfin de pouvoir 1'a.ttirer dans fon parti, détacha promtement une groffe partie de fa Cav^-  oh HISTOIRE GE'NE'RALE iiffa prife ■f ftrtifiü wSt. Article I. Cavalerie afin d'empêcher la continuation des ouvrages qu'il avoit commencés. Cependant, malgré 1'aproche de ces Troupes, & tous les mouvemens, qu'elles fe donnèrent pour cela, ils ne purent fempêcher de fe rendre maitre de Jaffa, ni de faire, a leurs yeux, entourer cette Place d'une doublé enceinte de murailles, & d'un large, & profond foiTé. Le Saint Roi, qui la confidéroit comme une clef très-importante pour avancer vers Jérujalem, & en faciliter Ia prife, y fit encore d'autres dépenfes. II fit réparer les Eglifes, & autres édifices publics, fans que les ménaces des Barbares, qui fe préfentèrent fouvent, fuffent capables de 1'en détourner. Chapitre XI. Ce fut-Ia tout favantage , que St. Louis put tirer de la guerre, que les Barbares fe faifoient entre eux , outre celui d'avoir recouvré les prifonniers Chrétiens, qui étoient reftés en Egypte; Car les Sarrafins s'étant enfuite entre-choqués plufieurs fois, en vinrent a une bataille, a fentrée du défert, qui fépare VEgypte de Ia Talefline. Le Soudan dVAlep fut entièrement défait. Soit que cette perte Peut abatu, ou que leur commune inclination de s'oppofer aux Ennemis de leur Religion les fit agir, il eft certain, qu'ils s'accommodèrent bientöt après, & fe promirent réciproquement de s'entre-aider a les éloigner de leurs Etats; ainfi,ni les uns,ni les autres,ne parlèrent plus de Paix, ni de Trève, avec les Chrétiens', au lieu que, file Roi eüt d'abord embraffé 1'un ou Pautre parti, il auroit eu la fatisfaóïion de récouvrer Jérufalem par un Traité, & celle d'y adorer Jefus-CbriJl dans fon Saint Sépulcre, comme il le défiroit fi ardemment; &, peut-être, auroit-ileu le plaifir de voir 1'une,  de JE'RUSALEM. Liv. XL Ch. XI. 6zi I'ime, ou l'autre de ces deux Puiflances, entièrement détniiteMais, apres avoir perdu cette belle occcafion, ce fut encore affez, qu apres leur accommodement le Saint Roi put venir a bout de fortifier la Ville de Caiphas, & celle de &v£,comme il fit. Car il fu attaque, dans cette dernière, par le Soudan dVkp, qui la lui fit quitter. 11 ne put pourtant point le forcer dans le Chateau, ou il fe retira avec le peu de Troupes , qui fe trouvoient auprès de lui, paree que peu auparavant il en avoit detachela meilieure partie, ala follicitation des Seigneurs du pays, avec les Chevaliers de ï Höpital & du Tempk, pour aller s emparer de la Ville de Eellinas, ou Céfarée de %£pe [e ■Soudan „rité d'avoir manqué fon coup, déchargea fa colère fur les fortificationSrde Sidon, qu'il fit entièrement détruïre -Grand nombre de Vivandiers,de Payfans, & d'autres Perfon- Zij™ Z:TVé£f**> fUrent inh—ent tous gorges. II tenta enfuite de rrvager les environs de Ftolomaïde, en quoi il auroit fans doute réüffi, par 1'éloignement des Perfonnes qui auroient pu lui faire tête, fans la promtitude avec laquelle le Seigneur d'AssuR, Connétable de^S La nouvelle, que Ie Soudan venoit de recevoir,que lesChré tum s'étoient emparés de la Ville de Bellims, contnbua beaucoup aft retraite, quoiqu'i! n'eut rien a craindre de ce cóté ft Car, li la garnifon, qu'il avoit laiffée dans cette Place, eut 1a achete de l'abandonner.a 1'approcbe des Chrétiens, pour fe rÏ Z%nnl , Cr'mteaU' die fe défendit fi W«»«!UU leur fut impoffible de la forcer, n, de profiter du bonhei,?, qu'ils avoient eud entrer dans la Ville, fans. tirer 1'épée; deforte, quC feu ïapreiiendoit, ils furent obligés de s'en rermirrw c™ • tente, Les Ordres Militaireffe «ö^tffi^&ï Comte de Montfort, Jean dta, Comte de Tff«'Juï Allianct dss Soudans rf'E gypte ii? / Alep ;fie1e II. Mdvlic, £f m'irt du R'A de Chypre. le Brün; Olivier deTre'.met, & plufieurs autres Seigneurs, qui avoient été de cette expédition, allèrent rtjoindre le Roi. St. Louis étoit encore a Sidon, dont il avoit voulu recommencer les fortifications, après la retraite du Soudan, qui les avoit démolies. On trouva les cadavres des Chrétiens, que les Sarrafins avoient égorgés, a-demi corrompus; Et ce fut dans cette occafion, que ce St. Prince fit cette grande oeuvre de charité Chrétienne, qui étonne encore aujourd'liui ceux qui lifent fa vie, Pour exciter ceux de fa fuite, qui témoignoient beaucoup de répugnance a approcher de ces corps infectés, pour leur donner fépulture,il porta lui-même les plus corrompus fur fes êpaules Roïales, jufqu'a un endroit, quil avoit fait préparer hors la Ville , pour les enterrer; ce qu'il fit avec un courage, & une gaieté, qui furprit d'autant plus ceux de fa fuite, que les moindres des Soldats ne fouifroient, qu'avec peine, cette infeélion. Apres cette aótion pieufe, & bien digne de la Sainteté de ce Monarque, il fit travailler, avec tant d'alfiduité, aux murs de Sidon, quil mit bientöt cette Ville en état de défenfe. Les Troupes du Soudan d'J/ep s'étoient retirées de cette Place fur leurs terres, fins qu'on en füt la raifon; ce qui procura quelque peu de tranquilité aux Chrétiens; & au Saint Roi, la commodité d'envoïer diverfes Ambalfades aux Souverains de la Syrië, pour ménager le. rachat des Eiclaves, qui fe trouvoient en leur pouvoir, deforte qu'il eut la confolation d'en faire déiivrer grand nombre, qui auroient péri dans les fers , ou couru rifque de rénier Jfus-ChriJl, leur Rédempteur. Pendant que ce Prince faifoit un fi bon ufage de fes richelfes, & du tems, qu'il paffoit dans la Terre-Sainte, oü les exceflives dépenfes, qu'il avoit faites, pour la réparation des Places, pour fentretien d'une Armée, pour le rachat de tant d'Efclaves, & les grofles pertes qu'il avoit fouifertes en Egypte, don- noient  de JE'RUSALEM. Liv. XI, Ch. XL 62 noient de 1'admiration aux Barbares mêmes , le bon Roi d Cbypre,qui travailZoit,avec beaucoup d'empreffement,a amaffe des Troupes,pour remplacer celles qu'il avoit perdues danscétt malheureufe expédition, afin d'aller feconder le Roi de France dan fes faintes opérations, fut furpris d'une violente maladie. II eu a-peine le tems d'informer la Reine,fon Epoufe, des affaires d< 1'Etat, & de récommander cette Princeffe, & fon Fils unique nommé Hugues, a la Cour fupérieure, afin que,par les foins. & 1'aflifiance des Seigneurs, qui la compofoient, il n'arrivat aucun trouble, ni aucun changement, durant la minorité de cejeunePrince.il craignoit, avec raifon, qu'il ne fe trouvat expofé aux mêmes malheurs, qu'il avoit éprouvés lui-même, quil'avoien. fouvent mis en danger de perdre la Couronne, «Sc Ia vie, «Sc qui5 enfin, lui avoient fait trouver, a fon avènement, les affaires de fon Roïaume dans un état, auffi trifte, que déplorable. Dans les derniers momens de fa vie, il exhorta tendrement le Clergé, «Sc la NobleiTe, a vivre dans une parfaite union, afin que leurspaïfions3 «Sc leurs difcordes particulières ne caufaffent aucune altération dans les affaires de 1'Etat, ni aucun préjudice a leur légitime Souverain. Le Règne de ce Prince fut de 3 i.an. Dès qu'il avoit été en age de prendre lui-mêrae les Rènes du gouvernement de fon Roïaume, il avoit gouverné fes Peuples avec tant de douceur, & d'affeéhon, & réparé fi bien, par fes foins, les malheurs, qu'ils avoient foufferts, pendant les guerres inteftines, dont ils avoient été fi long-tems affligés, qu'il leur avoit procuré f opulence Ainfi, ils avoient grand fujet d'être fenfibles a la perte d'un fï bon Prince. Auffi, lorfqu'on célébra fes funéraüles dans 1'Eghfe de Ste. Sophie, ils firent rétentir ce Temple de leurs gémiffemens. Sa mort n'apporta cependant aucune altération1 dans les affaires de 1'Etat, ni a la félicité des Habitans, com-s me ils 1'avoient apréhendé, en rappellant le fouvenir des dis-' graces «Sc des calamités, qu'ils avoient fouffertes pendant fa K.k kk 3 mino- ? r i » Eloge d'Henn Roi di Chypre, '/ ejl inhu. ié dans le Imple de te. So. hie.  628 HISTOIRE GE'NE'RALE Articlcm. Voïage de la Reine Alix, Mén du feu Roi Henri, a Ptolomaïde. 5a mort h Ptolomaïde, 6f Joi inhumation en Chypre minorité. La Reine Plaisance fut alfiftée des fages, «Sc pradens confeils du Seigneur Jean d'lBELiN, Sénéchal du Ro'aume , qui j non moins zélé, & affecfionné pour la Maifon Roïale , que pour le bien général du pays, que Favoit été rilluftre Seigneur de Baruth, fon Aïeul, s'y appliqua fans réferve. Cette Princeffe gouverna avec tant de foin, Sc d'attention, pendant toute fa Régence, qu'elle empêcha les nouveautés, que les efprits inquiets, Sc turbulens, auroient pu caufer ; «Sc, foit pour les mieux retenir dans leur devoir, ou pour quelque autre raifon particuliere, elle fit, du confentement de la Cour fupérieure, folemnellement couronner le petit Prince fon Fils, quoique dans un age li tendre, qu'il n'avoit encore aucune connoiffance. Cependant on le portoit au Confeil; & placé fur le tröne, on lui levoit la main, pour approuver les délibérations de 1'Alfemblée,comme s'il avoit été capable de juger, fi elles convenoient, ou non, a fes intéréts. Puérilités peu convenables a une AlTemblée, auffi célèbre, que Pétoit celle du Grand-Confeil, dans lequel on n'admcttoit que la NobleiTe la plus expérimentée; Mais ces Seigneurs les fouffroient fans murmures, foit pour ne point déplaire a la Reine, & au Sénéchal, qui le défiroient ainfi, ou pour ne point donner lieu a 1'altération de la tranquilité de 1'Etat. Dansje même tems,la Reine Alix,Mère du feu Roi Henri , qui ne trouvoit plus en Chypre aucun agrément, qui put la fatisfaire, repaffa a Ptolomaïde, dans Pefpérance que le Roi St. Louis , qui étoit fon Parent, 1'aideroit a entrer en polfeffion du Roïaume de Jérufalem, qu'elle prétendoit toujours lui être dévolü. Mais, enfin, accablée de mchncolie, de ne pouvoir parvenir a cette domination, «St de fe voir privée des fecours, queile recevoit du Roi fon Fils,qui lui fournitfoïent les moïens de vivre avec fplendcur,elle mourut a Ptolomaïde, peu de tems après. Son corps fut tranfporté en Chypre, comme elle favoit ordonné, «Sc inhumé dans 1'Eglife des Hofpitaliers, auprès dè celui du ' Roi Hugues, fonEpoux. Les  J)E JE'RUSALEM. Liv. XL Cn. XL 62 I es maux , que la conduite inconfkLrée de cette Princei fe avoit caufés au Roïaume, & qui n'avoient pu être réparés que par le zèle de 1'incomparable Seigneur de Baruth, & pa 1'amour , & Faffeclion du Roi 'pour fes Peuples , fi rent, que perlonne ne témoigna aucun regret de fa mort, maf gré les belles qualités, qui brilloient d'ailleurs dans fa perfonne & dont elle avoit fait un bon ufage, tant que fes paffions déréglées ne 1'avoient point dominéé. Car, dans les commencemens de fa Régence, elle avoit mérité les applaudiffemens des Perfonnes les plus fages, & les plus éclairées. Ce fut, a peu prés, dansle même tems, que St. Louis recut la trifte nouvelle de Ia mort de la Reine Blanche, fa Mère;ce quile fit enfin réfoudre de retourner dans fes Etats, malgré 1'attrait qu'avoit pour lui le féjour de la Terre-Sainte. II craignoit, que la mort de cette vertueufe Princeffe, qui avoit gouverné fon Roïaume, avec tant de bonheur, pendant fon abfence, necaufat quelque changement contraire a fes intéréts, & préjudiciable a fes Peuples; Et, comme il reconnut que, malgré les fortifications qu'il avoit faites en Paleftine , les Chrétiens n'y avoient point affez de Troupes pour faire tête aux Infidèles, sikentreprenoient de les inquiéter, & que les Places, qui lui avoient tant couté, retomberoient bientöt en leur pouvoir, il y laiffa, pour leur fureté, une bonne partie de fes Forces, fous le commandement du Seigneur de Serginés, & s'embarqua le 24. Avril fur la Flotte Génoifie, avec la Reine fon Epoufe, & les Princes fes Enfans; ce qui caufa autant de fatisfacfion aux Seigneurs Francois, que de douleur aux Habitans de la Terre-Sainte. Ils apréhendoient, avec raifon, que les Barbares, quiparoifioientn'être retenus, que par la préfence de ce grand Prince, n'entreprilTent de leur enlever ce qu'il avoit fi bien établi. En effet, la vie exemplaire, qu'il mena, pendant prés des cinq ans, qu'il demeura en Paleftine, & les grandes aclions de" piété, qu'il exercadans toutes les occafions, c^indifféremment^ Kk kk 3 pour 9 > Article IV. Eftibarquement deSt.. Louis,/!o«r retourner en 1'rance, ■s bons 'emples gagent fieürsln*  fidèles h g litter le jMahomé tifine.pour fe faire Chrétiens. Article 7. Nouveaux truublesen C lypre entre les Grecs, £? les Latios, Article II. Refj'entiment du Gerei Grec. O'gusil du Ckrgé Latin. Amlaffadeurs envdiés au 1'ape, pour terminer ce différent. ' 1256. 630 HISTOIRE GE'NE'R ALE pour toute forte de Perfonnes , édifièrent fi fort les Infidèles mêmes, que plufieurs d'entre eux quittèrent le Mahométifme9 pour embraflèr la Religion, qu'il profelfoit. Chapitre XII. Il auroit été a fouhaiter pour les Chypriots, qui avoient été fi . édifiés, pendant le féjour, que St. Louis avoit fait dans leur Ile, 6c qui en avoient recu de fi grands biens, par la bonté, avec laquelle il avoit appaifé les troubles, que les deux Clergés y avoient fi fouvent excités, 6c accommodé les difienfions, 6c les difcordesde plufieurs particuliers, qu'il y eüt encore abordé, en s'en retournant, afin d'exercer fa charité a appaifer les nouveaux démêlés, qui s'étoient reveillés entre les Grecs, 6c les Latins, 6c qui les avoient tellement animés les uns contre les autres, que l'autorité Roïale, 6c celle duGrand-Confeil, étoit a-peine fuffifante pour les contenir, 6c les empêcher d'en venir a une guerre ouverte. Les Grecs, qui fe reffentoient toujours de fafront que l'Archevêque Latin, par fon efprit inquiet , 6c turbulent, avoit fiiit a leur Nation, en excommuniant S1m e'o n, leur Archevêque, qui, a caufe de ces maltraitemens, avoit été obligé d'abandonner le pays, ne vouloient plus s'en tenir a aucun accommodement. Les Latins, de leur 'cöté, qui fe fentoient apuïés de la Cour de Rome, 6c favorifésde celle de Chypre, qui fuivoit leur rite, étoient toujours plus orgueilleux , 6c vouloient étendre leur fupériorité fur quelques points, qui n'avoient point encore été agités; de forte que, pour éviter les fuites funeftes de cette divifion, 6c faire entendre raifon a f Archevêque Latin, la Reine avoit été obligée q"envo:er des Ambalfadeurs au Pape, pour  de JE'RUSALÊM. Liv. XI. Ch. XII. 62 pour Ie prier d'interpofer fon autorité. Cet accord étoit d'au tant plus nécelTaire au bien de 1'Etat, qu'il étoit a craindre, qu les Grecs, dont le nombre étoit incomparablement plus grand, n fe revoltalfent enfin contre les Latins, &nemiffent toutleRoïau me en combuftion. Ces Minifires avoient ordre de repréfente: au St. Père, que la Religion n'avoit aucune part dans les détaêlés du Clergé, & que le feul intérêt faifoit naitre les troubles , qui arrivoient a 1'Etat. Le Pontife fit examiner cette affaire dans diverfes Congrégations,&donna enfin ace fujet une Bulle, qui, par raport a fon nom, fut nommée Alexandrine. II f envoïa a fon Légat en Syrië, pour la faire exécuter. Cette Bulle, a proprement parler, ne faifoit que renouveller celles qu'avoient rendu fesPrédéceffeurs, pour étouffer les diffenfions fcandaleufes, qui étoient arnvées autrefois pour le même fujet. Elle portoit : I. s, Que Archevêque Grec de Nicofie porteroit a Pavenir le „ titre $ Archevêque de Solie, auquel il ajouteroit feulement ce„ lui ÜAdminifirateur du Peuple de la Capitale; & qu'il feroit' „ faréfidence dans la vieille Ville de Solie, afin deviter les « „ conteftations, qui pouvoient furvenir entie lui & 1'Archevê„ que Latin, dans les fon&ions Paftorales. Ih » Que, pour la même raifon, 1'Evêque Grec de Baf o krolt ,, fa réfidence a Ar/os, celui de Limifol* Lef cara, & celui de „ Famagoufte a Carpajfo, dont ils prendroierit également les „ Noms, avec celui dAdminiftrateurs des Peuples des Villes „ qu'ils gouvernoient auparavant. III. „ Que les différends, qui naitroient entre les Eccléfiaftiques „ Grecs, fe traiteroient, en prémière inftance, devant leurs Evê„ ques, & reffortiroient aux tribunaux des Evêques Latins,tes„ quelsdécideroientpareillement des affaires, qui furviendroient „ entre les Eccléfiafliques Grecs, & Latins, fans que lesEvê,j ques Grecs puffent en prendre connoiffance. IV. „ Que i £ Congrégations tenues a ce fujet. Article///. Bulle Mexan- irine. fnt' £n effet' lea n'attenSS? I S3£ doient> ^ue le déP*rt du Roi St, Louis, ?S SSB P°Ur recommencer leurs lioflilités. Melece^*X*X>.*§5 MaES, Soudan #Egypte, n'en fut pas plu<^-V^^ tot informé, qu'il fe mit en état de s'em- ,ff«i rrr ♦ * • Parer de k FaleJlim' Perfuadé que leur affoibliïfement etoit une conjondure très-favorable a les fub- Li 11 juguer.  6%± HISTOIRE G E' N E' R A L E Entreprife des Soudans contre les Chrériens,apres le départ de St. Louis. 1257- Lettr; pregris. CrueSt guerre entre les Vé_ radens, les Génois de Ptolomaïde. Iiiguer. Afin de ne pas manquer une entreprife, aulfi glorieufe pour lui, qu'utile a tous ceux de fa croïance , il engagea le Soudan de Damas, avec lequel il s'étoit racommodé, a entrer, de fon cöté, dans les Terres, que pofTédoient les Chrétiens, afin de les obliger apartagerleurs Forces, &accabler plus promtement une Nation, qui leur faifoit, depuis fi long-tems, une fi cruelle guerre, même dans le fein de leurs propres Etats. Ces rémontrances firent fur f efprit du Soudan de Damas tout feffet, que celui d1Egypte pouvoit en attendre. Ce prémier., comme plus a portée, commenca a exécuter ce grand projet. II entra, avec toute fa Cavalerie, dans la Province de Phénicie, oü il ravagea d'abord les deux gros Bourgs de Degno & de Recordener, & emporta d'alfaut la Ville de Subna, dont la garnifon étoit trop foible pour défendre les fortifications. II y maffacra huit eens Habitans, & en conduifit 4.00. en efclavage. Melec-M aës le joignit enfuite. Ils ravagèrent enfemble le refte de la Province. Ils s'avancèrent jufqu'a Sidon, qu'ils forcèrent également, malgré les fortes murailles, dont St. Louis avoit fait entourer cette Ville. Ils fe préfentèrent même devant Ptolomaïde, qu'ils auroient afliégée, fans la nouvelle imprévue, qu'ils recurent du puilfant armement, qu'avoient fait les Tartares, a la follicitation d'AYTON, Roi d''Arménie, pour venir fecourir la Terre-Sainte, & leur faire la guerre a eux mêmes. C'efl pourquoi ces deux Soudans terminèrent leur campagne , & ne penferent plus, qu'a fe mettre en état de faire tête a de fi puilfans Ennemis. Mais, par une fatalité inconcevable, les Chrétiens de Paleftine, qui n'ignoroient pas les bonnes intentions du Roi & Arménie, & la difpofition des Tartares, bien loin de travailler k les feconder dans leur généreux projet, qui étoit de les rcmettre dans fentière poffeffion du Roïaume de Jérufalem, ne penfoient, au contraire, qu'a s'entre-détruire eux mêmes; Car les Soudans ne fe furent pas plütöt retirés, qu'il s'alluma une cruelle  JE'RUSALEM. Liv. XII. Cu. I. 6^ cruelle guerre entre les Vénitiens, «Sc les Génois de Ptolomaïde au fujet de 1'Eglife, & du Monaftère de Saint-Sabas, que les Rois de Jérujalem avoient accordé a ces Républiques pour leur ufage commun. Cette difcorde penfa caufer la perte entière de tout ce que les Chrétiens poffédoient encore en Syrië, ainfi que la plupart des Hiftoriens le rapportent; auffi bien que celle de PEmpire de Grèce, par 1'acharnement, avec lequel ces deux Nations continuèrent a fe faire la guerre, malgré les rémontrances des Papes, «Sc Pentremife des autres Puiflances Cbrétimnes, qui s'efforcèrent inutilement de les racommoder Pour éclaircir le fujet de cette grande, Sc funefte querelle, il taut favoir, qu'après que les Chrétiens eurent perdu la Ville de Jérufalem, les Rois, les Princes, «Sc les Seigneurs du Pavs, les Ordres Militaires, «Sc tous les autres Chrétiens, qui fe trouvoient dans cette Capitale, fe retirèrent a Ptolomaïde, & v etablirent leur réfidence. ' Comme les Républiques de Vénife, de Gènes, & de Pife avoient été utiles par leurs Flottes, pendant toutes les Croifades, «Sc qu'elles avoient rendu de grands fervices aux Rois de Jérufalem en particulier, ces Princes les en avoient recompenles par divers beaux priviléges , qu'ils leur avoient accordés • entre autres celui d'avoir chacune leur quartier particulier dans cette Ville, leurs places pour la commoAté du commerce, leurs poids, leurs mefures, leurs tribunaux, «Sc leurs Juges indépendans de toute autre jurifdiclion. Elles n'avoient enfin rien de cammun, qué 1'Eglife de St. Sabas, dont elles jouïffoient également, pour célébrer POffice Divin. ^ Vénitiens, Sc les Génois, qui n'étoient jamais de fort Anidem bonne intelligence, a caufe de la jaloufie de leur commerce, «Sc de 1'emulation de leurs Forces maritimes, prirent, peu de tems après, le prétexte de s'approprier cette Eglife, par le feul motif de fatisfaire leur paffion , «Sc s'entre-chagriner. Ils commencèrent d'abord par des conteftations, «Sc des inveótives, fur LI 11 * cc  6%6 HISTOIRE GE'NE'RALE trefs du Pape fur cette affai re caufe d'une rupture entiirt. MS8. ce fujet, & s'addrelfèrent enfuite a la Cour de Rome, pour y faire décider leurs prétenfions. Leur caufe y fut plaidée, avec une égale animofité. Le Pape, qui voulut éviter le desordre, & le fcandale,qui pouvoit en arriver,déclara, qu'en attendant la décifion, 1'Eglifè, & le Cloitre de St. Sabas, demeureroit, comme auparavant, commun aux deux Nations; &, afin que chacune d'elles en jouït, Sa Sainteté expédia deux Brefs, fun pour les Vénitiens, adrelfé au Patriarche de 'Jérufalem, & l'autre pour les Génois, adrefTé au Prieur de 1'Eglife des Hofpitaliers , dont le crédit n'étoit pas de moindre importance; ordonnant a ces deux Prélats de tenir la main a 1'exécution de fes Brefs, & a faire jouïr chacune des parties, qu'il leur recommandoit, de la paifible polfelfion de cette Eglife, afin d'empêcher les uns & les autres d'en venir a des éxtrémités; mais lesbonnes intentions, qu'avoit le St. Père, de calmer les efprits de ces Républicains, ne fervit qu'a en accélérer 1'entière rupture. Car les Génois, qui, les prémiers, recurent la nouvelle du Mandement Apoftolique, engagèrent adroitement le Prieur des Hofpitaliers^ les inftaller dans la polfelfion de 1'Eglife, dont il s'agilfoit. Soit que ce Prélat ne reflêchit pas d'abord a la conféquence de la démarche, qu'il alloit faire, ou qu'il ne fut point alfez ami des Vénitiens, pour manager leurs intéréts, il leur accorda ce qu'ils demandbient. Les Génois, apres leur infiallation,agirent avec grande dextérité auprès du Comte Philippe dk Montfort, qui, après la mort de l'Empercur F r e'd e'r i c , avoit été fait Gouverneur de Ptolomaïde, foit par raport a fon mérite perfonnel, foit en confidération de fes Ancêtres, qui avoient rempli VJfie, & VEurope, de leurs belles actions. Ils engagèrent ce Seigneur a leur permettre de fortifier ce Cloitre. Ils s'y appliquèrent avec tant d'ardeur, qu'ils réduifirent bientöt ce lieu de dévotion en véritable forterelfe, fans que les rémontrances du Patriarche , ni du Noble Nicolas Micheli, JLaile des Vénitiens, Homme d'une grande prudence, fuffent capa-  ï>e JEUUSALEM. Liv. "KÏÏ. Cn. t 6^ eapables de les faire défifter de leur entreprife, ni darrêter leur violence. Le Comte de Montfort fit plus; Car, fans confidérer legrand premdice, que fa partialité alloit caufer aux affaires des Chrétiens Onentaux, qui lui avoient unanimement confié leurs interets, il ordonna, aux Fénitiens,^ commencoient a fe reffentirdelinjuftice, qu'on leur faifoit, de fortir inceffamment: ^Ptolomaïde. Cette conduite violente, & précipitée, dans une perfonne, ou refidoit toute fautorité, & qui devoit s'en fervir pour y entretenir Ia paix & 1'union, fut généralement blamée; & Ion peut affurer,que la partialité de ce Chef ternit beaucoup gloire, & fa réputation,. par raport aux malheurs, qui la fiuvirent. 3 ^ Quoique le Baile Fénitien emploïat toute fa prudence, & fa moderation, pour faire revenir le Comte de Montfort de fa ' pernicieufe réfolution, & pour faire rentrer les Génois dans la ! raifon: quil empechat meme ceux de fa Nation, qui n'étoient pas moins pmlfans que leurs concurrens, d'en venir aux mains avec eux;des que le Sénat deFénifefut informé du tort^m faifoit a fes Sujets, & de leur retraite a Tyr, il réfolut de ne pomt fouffrir une injure fi préjudiciable a 1'honneur, Sc aux interets de fa République,& projetta d'abord d'en tirer vengeance. Pour cet effet, les Fénitiens contraótèrent promtement deux Alhances, 1 une avec Emphroi, Roide&V//, & l'autre avec les Pifans; crainte que les Génois ne les prévinffent, & ne les engageaffent dans leur parti.. Et, comme Ia modération de leur Batte leur parut trop grande dans une occafion fi intéreffante, le Sénat dépêcha d'abord Marc Jüstiniani Homme plus réfolu , & plus capabIe de fbutemr leurs interets, pour remplirla place. II ordonna, en meme tems, a L a ü r e n s Ti e'p o l o, qui fe trouvoit dans les mers du Levant, uneEfcadre de treize galères, de paffer mceffamment ^Palejline, pour tirer raifon de 1'afront, que les kL 11 £ Génok beufes de ette rufrure. _  638 HISTOIRE GE'NE'RALE Article///. Accommodement proPfi , & romj/u. Génois avoient fait a leur Nation, en attendant qu'ils filfcïit préparer un plus grand armement, pour aller le foutenir. Ce Commandant fe rendit a Tyr, renforea fes galères, & entra, pendant la nuit, dans le port de Ptolomaïde, avec tant de réfolution, qu'aprés en avoir brifé la chaine, qui le fermoit, il prit, brüla, ou coula a fond deux Galères, & vingttrois Navires, ou autres Batimens Génois, qui s'y trouvoient a 1'ancre. II forca, avec la même rapidité, la forterelfe, qu'ils avoient conftruite dans le Cloitre de St. Sabas, a laquelle ils avoient donné le nom de Montjoy , Ja rafa entièrement , & chalfa enfin a fon tour tous les Génois de Ptolomaïde, qui fe réfugièrent a Tyr, dès que les Fénitiens, a qui cette Ville avoit fervi d'afile , en furent partis, pour retourner dans leurs Maifons. Ils eurent le chagrin de les trouver facagées, par ordre de Salion Grimaldi, Conful Gé. mis, qui, non content davoir engagé le Comte de Montfort a tant d'extrémités , avoit encore renchéri fur toutes fes violences. Toutes ces infultes , & toutes ces pertes, n'empêchèrent pas les Fénitiens viétorieux de confentir a un accommodement, que la Reine de Cbypre, le Seigneur ^Ibelin Sénéchal du Roïaume, & les Maitres de VHópital, & du Temple, cherchèrent a ménager, afin darrêter les animofités de ces deux puilfantes Républiques , dont la difcorde étoit capable de caufer 1'entière perte du Roïaume de Jérufalem, au lieu que 1'union de leurs forces , avec celles des Chrétiens du pays étoient encore fuffifantes pour. le foutenir. Cet accommodement étoit fur le point de fe conciurre, lorfque Rossi de la Turojje, fameuxCapitaine Génois, arriva a Ptolomaïde , avec une puiffante Flotte, & le fit entièrement échouër ; Car fa Nation, encouragée par des Forces fi confidérables, ne fongea plus, qua fe dédommager de la  de JE'RTJSALEM. Lir. XII. Ch. I. 639 Ia prife, «Sc de 1'embrafement de leurs VailTeaux, & a recouvrer le Cloitre de Sr. Sabas, dont on les avoit chaffés. Leur réfolution fut caufe, que la Reine de Cbypre, de Médiatrice, qu'elle étoic, fe rendit partie, paree que le Comte de Montfort, & les Génois prenoient trop d'empire dans les Villes du Roïaume de Jérufalem, que les Chrétiens polfédoient encore; ce qui auroit pu devenir préjudiciable aux intéréts du jeune Roi, fon Fils, fur cette Couronne. Cette Princeffe joignit plufieurs de fes Batimens, bien armés, a la Flotte Vênitienne, qui fut encore renforcée par une Efcadre deGalerès, que commandoit A n d r e' Zen. Leur Flotte, quoique forte de cinquantequatre voiles, fut néanmoins attaquée par les Génois, qui fortirent de Tyr, avec un nombre a peu prés égal. Le combat fe donna entre Caïphas, «Sc Ptolomaïde. II fut très-rude, & très-fanglant. Les deux Armées firent également des efforts extraordinaires , pour remporter la victoire ; Mais, enfin, après s'être longtems batus, avec beaucoup de courage, «Sc d'opiniatreté, «Sc avoir perdu quantité de monde de part, «Sc d'autre; foit que les équipages des Génois fuffent plus foibles, ou moins heureux, que leurs Ennemis, ils furent enfin vaincus, & perdirent, dans cette journée, vingt-cinq Galères, que les Fénitiens conduifirent entriomphe z.Ptolomaïde, d'oüTiEPOlo envoïa les prifonniers a Venife, avec deux belles Colonnes vfniZm, de marbre, qui faifoient fornement du Cloitre de St. Sabas, ócque le Sénat fit placer a cöté de 1'Eglife de St. Mare, oü «Stelles fubfiftent encore aujourd'liui. La bonne conduite du Commandant Tie'polo, ni les foins du Eaile Justiniani, ne purent cependant empêcher ceux de kur Nation, de fe jetter tumultueufement fur les Maifons des Génois de Ptolomaïde, «Sc, par droit de reprefailles, de les faccager entièrement, en revanche de ce qu'avoit fait Salion Grimaldi, lors qu'il les obligeaafortir de cette Ville Ainfi, entre ces deux Nations, c'étoit a qui pourroit fe traiter avec le plus  6*o HISTOIRE GE'NE'RALE Rettiarfue curieuje , .& CritiSpet. Article 7. T es Sarrafins ü Egypte, «Sc de Syrië, de leur cöté, n'auroient J-^ pasmanqué de profiter de ladesunion,que la guerre de ces deux Républiques avoit caufée parmi les Chrétiens de la Paleftine, dont les uns avoient pris parti pour les Vcnitiens, «Sc les autres pour les Génois, fi Ayton, Roi $ Arménie, tant pour affurer fes propres Etats, que pour recouvrer la Ste. Cité, n'eut fait un voïage en 'fartarie, pour conciurre lui même i'Alliance, que Synebaud d'Ibelin, ion Connétable, avoit traitée quatre ans aupa- plus de fureur, & de cruauté. Voila ce qui donna lieu i la longue, & ruineufe guerre de ces deux Républiques, qui engagèrent enfuite dans leur querelle, non feulement les Princes, & les Seigneurs d'outre-mer, mais encore les Puiflances dcVEurope; «Sc qui ne fe termina enfin, qu'après plufieurs fanglantes batailles, oü la victoire favorifoit, tantot les uns, tantót les autres, «Sc par fentière perte de ce que les Latins poffédoient en Oriënt. C'eft une chofe aflez remarquable, que ces deux puiflantes Républiques, qui avoient tant contribué a faire acquérir aux Chrétiens ce qu'ils avoient gagné en Paleftine, fuffent enfuite elles mêmes 1'unique caufe de la perte, qu'ils en firent, «Sc que leur domination fe renfermat encore dans un coin de \ Europe. II n'eft pas moins vrai, que, fans 1'afiiftance, que les Génois donnèrent aMiCHEL Pale'ologue, afin de contre-carrer les Fénitiens, il n'auroit pas été difficile a ces derniers de chaffer ce Prince Grec de 1'Empire de Conftantinople, «Sc d'y maintenir Baudouin II. qu'ils favorifoient, «Sc fur lequel Michel favoit ufurpé. Chapitre II.  F de JFRTJSALEM. Liv. XII. Ch. II. 6é auparavant avec Mangon, Grand-Can des Tartares, &w engager ce Prince a le feconder dans ce projet Quelques Hiftoriens écrivent même, qu'Ayton fut fi he reux dans ce voïage, qu'il en obtint non feulement tous les f cours quil lui demanda, mais encore qu'il eut le bonheur d p rfuader a Mangon d'embralfer la Foi Catho/ique; Et que 1'Evé queGrand-Chancelier ÜJrménie^ avoit accompagnéAyto dans cevoiage, Mtifa Mangon, avec toute fa Cour Ou faut, que ces Ecrivains aient erré dans la Chronologie', ou qu les Tartares naient pas perféveré dans le Chriflianifme pu" que des 1'année i2f9. ,e RoiSt.Lolus recut en Cbjpr'firn balfade du Prince Ercaltai, qui fe difoit être Cbrétien depS long-tems, & qui faïfuroit, que le Grand-Can 1'étoit auffi de puis trois ans, comme je 1'ai raporté. Mais, enfin, que ce fut le même Souverain des Tartares ou un autre, qui embralfat le Chrijlianifme, il eft certain, que Mangon, ne pouvant fe mettre lui même a la tête de la nuiffante Armee, qu'il avoit deftinée contre les Sarrafins , & pour le recouvrement des Saints lieux, en donna le comman^ dement a lln de fes Frères, qu'AnoN Arménie, dans fon Hiftoire nomme Haolon. Paül Emile 1'appelle Alon : & le Pape dans un de fes Brefs, lui donne le Nom d'ALAoNF grand ^i des Tartares. Ce Prince Tartare, accompagné du meme Roi fArméme, traverfa le Tanaïs, & le Mont TmaZ s avanca a grandes journées vers la Perfe, qu'il fubjugua entTè rement dans 1'efpace de fix mois, a Ia referve de h Vilde de Sarmaeande, qui étoit occupée par un grand nombre de brigands aux quels e le fervoit d'afile, & qui la défendirent courageufement Malgré les grands efforts , qu'AoLON fit pour s en rendre maitre, il lui fut impoffible de la forcer Oeft pourquoi, nevoulant point, que cette entreprife lui fit'rétarder plus long-tems le grand projet de l'Empereur fon Frère il y lailfa dix mille Chevaux, fous Ie commandement d'un Te fes Mm mm prin. 1T i- e !- Erreur des Hiftoriens N dans la J Chronologie d'unfaii. s 3 - Ayton Rui.. rfArménie, fait Alliance avec le Can des Tartares, en faveur des Chré. tiens.  i Article 77. Le CommandantTartare va affiéger Bagdet. Sa prife par Aolon. HISTOIRE GE'NE'RALE principaux Officiers, pour la tenir bloquée, jufqu'a ce que la faim contraignit ces voleurs a fe rendre. 11 mit enfuite les ordres nécelfaires pour la confervation de fes conquêtes , & conduifit fon Armée victorieulè dans VAfJyrie, oü les grandes chaleurs ne lui permettant pas de rien entreprendre , il alla palfer cette faifon dans la Province de Sarloe de la grande Arménie ; & ce fut-la que le Roi Ayton prit congé de lui, pour retourner dans fes Etats, d'oü il étoit abfent depuis trois ans & demi. II y alla alfembler le plus de Troupes, quil lui étoit polïïble,pour le rejoindre,& exécuter leur entreprife en faveur de la Terre-Sainte. Quoi-que la laifon obligeat le Prince Aolon de demeurer dans l'ina&ion, malgré la grande envie, qu'il avoit d'attaquer d'abord les Mabométans, en commencant par le Calife de Bagdet , leur Chef, il fut pourtant bien aife de n'avoir pas continué lui même le fiége de Sarmacande, a caufe de 1'opiniatreté, avec laquelle les voleurs, qui s'étoient emparés de cette Ville, fatiguoient fes gens, fans qu'ils pulfent rien avancer. En effet, leur réfiftance fut fi grande, & li extraordinaire, & la fermeté des Tartares fi perfévérante, que, felon la plupart des Hiftoriens, qui parient de ce fiége, il dura dix-fept ans; Mais, felon Ayton dé Armenië, qui doit naturellement en être mieux inftruit, ce fiége fi extraordinaire fut celui du Chateau de Tygado , appartenant aux Affaffins. II alfure même, qu'il dura 27. ans j Mais,que ce foit l'un,ou l'autre,ils conviennent tous de la durée, qui eft une chofe alfez digne de mémoire. Le tems de fe remettre en campagne, étant enfin venu, le viéforieux Tartare alla, fans héfiter, affiéger la Ville de Bagdet, réfidence du Calife, que tous les autres Princes Mahométans révéroient & reconiioiifoient pour leur Chef, & Souverain Pontife. Quelque grande, forte, & riche, que füt alors cette Ville, & mème capable de réfifter longtems aux attaques de fes Ennemis ,  de JE'RU SALEM. Liv.XK.ch.fi. 6± nemis, elle tomba pourtant très-facilement au pouvoir du Tar tare, par 1'avarice fordide du Calife, qui n'ofa jamais entamei fes tréfors, pour la mettre, par fes Troupes,en état de défen fe, ni pour fe garantir lui-même du malheur, qui lui arriva malgré le danger, qui le ménacoit, & qu'il n'ignoroit pas, puis qu'il y avoit long-tems que le bruit des delfeins d1 Aolon s'étoi répandu , fans que tout cela füt capable de tirer le Calife é fa léthargie. Tant les avares font incapables d'être touché? de quelque autre objet, que de la contemplation de leurs ri chelfes! Elles lui devinrent bien funeftes. Car le Prince Tartare, étonné de la quantité prodigieufe d'or, d'argent, de per les, de pierres précieufes, & d'autres bijoux rares, & de granc prix, qu'il trouva dans fon Palais, coneut tant de mépris poui le mauvais ufage, qu'il en avoit fait, que 1'aïant fait venir er fa préfence, il lui demanda, avec indignation, fi tousses grande tréfors lui appartenoient; &, fur la réponfe que le Calife lu fit, qu'ils avoient été a lui, il lui répondit, avec autant d'em portement, que de dédain. Pourquoi donc, mifiérable que tu es. fïas-tu pas mis fur pié une Armée, capable de réfifter a la mienne, & de te les conferver? C'eft, lui répondit-il encore, paree que fi ai toujours cru ma Sujets fujfifans, pour me garantir de Pinfulte de toutes les Nations du Monde. A'quoi fon Vainqueur répliqua d'abord; Qui il n'étoit pas pofftble, que le prémier Do fleur de la Loi Mahométane füt ajfiez ignorant fur Jes intéréts particuliers, pour s'étre imaginé qiiune troupe degens, fians dificipline, fut capable de réfifter d la puiffance des Tartares; Qu'il devoit avouër, que la cupidité de ricbefjes Pavoit aveuglé, & conduit dans le précipice; Cefl pourquoi, comme il avoit préferé la confervation de fies tréfors a fa propre vie, il étoit bienjufle, que cette même vie, qui en avoit été efclave, en devint auffi la vitlime. II ordonna, fur le champ, afes Gardes d'enfermer ce grand, & digne Prince, 1'incomparable Chef des Mufulmans, dans 1'appartement de fes tréfors; Mm mm 2 & » • Calife eft f Bagdet au 1 pouvoir dn Princt Aolon. :  6"44 HISTOIRE GE'NE'R ALE Arriclel Aolon m tend la [onUion d Roi d'Ax. mink. leurs frogrii. Prife iA- Iep parle Prince Tartare ff le Roi ê'Amé- nie. & que,comme tout autre méts,que ror,rargent,& les chofes précieufes,étoit incapable de le raüafier,il falloit Pen laüTer repaitre a loifir, fans lui donner aucune autre nourriture. Telle fut la fin déplorable de ce malheureux avare,qui mourut de faim, au milieu d'une infinité de richelfes; ce qui termina la Majefté, & la grandeur des Califes de Bagdet, qui finirent par la lacheté, & 1'avarice de ce dernier, de la même manière que la mollelfe , & 1'oifiveté avoient caufé 1'anéantilfement de ceux $ Egypte, dès 1'année nóp; que le grand Saladin s'empara de cette Souveraineté. /. La mort du Calife de Bagdet ne iauva pas la vie a les mi' férables Sujets. L'Armée Tartare ne fut pas plütöt entrée dans ' la Ville,qu'elle palfa au fil de 1'épée tous ceux qu'elle yrencontra. Elle ne traita pas mieux les Habitans des lieux d'alentour, oü tout fut inhumainement malTacré. Le Prince Aolon s'arrêta quelque tems dans ce délicieux pays, tant pour 1'admirer, & en jouïr avec tranquilité, que pour s'en alfurer la conquête ,& attendre la jonclion du Roi $ Arménie, auquel il avoit fait favoir, que, voulant palfer promtement en Syrië, pour chalTer les Infidèles de la Terre-Sainte, & fouhaitant de fe conduire dans cette entreprife felon fes bons confeils, il le prioit de venir le joindre incelfamment. Comme il falloit du tems a VArménien, pour alfembler fes Forces, il fe palfa prés d'un an, avant qu'Aolon fortit Bagdet. II entra enfin dans la Mèfopotamie, ou le Roi Ayton le joignit, prés de la Ville de Rohais,wec douze mille Chevaux, & quarante mille Hommes d'Infanterie. Ils s'emparèrent conjointement tïEdefiè de Samofate, & de diverfes autres Villes y & Chateaux de cette Province; après quoi, ils palfèrent VEth frate, & allèrent afliéger f importante Ville déAlep, qu'ils batirent li furieufement jour, & nuit, que malgré fes fortes murailles, & le grand nombre de gens de guerre, qui la défendoient, ils 1'emportèrent le neuvième jour. Ils eurent un peu plus  de JFRUSALEM. Liv. XE. Ca. W < plus de peine a réduire fan fameux Chateau; mais ils en rent enfin a bout, & firent main baife fur tous les Sarrah qui s'y trouvèrent. Ils laiifèrent enfuite rafraichir leurs Arm< des abondantes provifions, qu'ils trouvèrent dans cette £rai Ville, dont le butin fut ineftimable. Pourfuivant le cours de fes Viétoires, Aolon s'avai dans hSyne, oü il s'empara du Chateau ÜArethufe, de toutes les Villes, «Sc Bourgs de la Principauté d'Antioa dont les Sarrafins s'étoient rendus maitres peu auparavant ravagea également tout ce qu'occupoient les Affaffms dans Province de Phénicie, détruifit entièrement leurs Chateaux, autres habitations, & fit palfer toute cette race fous le tra chant du Sabre, de manière qu'il ne demeura plus aucune 1 mence, veftige,ni mémoire de cette cruelle «Sc barbare Natio II fit mourir le Vieux de la Montagne, leur Prince, «Sc les prij cipaux d'entre-eux dans des tourmens eifroïables, & ne pa donna aux Femmes, ni aux Enfans, afin qu'on n'en entend jamais parler. II s'empara, avec la même rapidité, des Villes de Malbec de Camelia, «Sc de Sidon. Ne trouvant enfin plus aucune VI le, ni Chateau, a prendre dans la Palejline, il alla affiéger 1 grande «Sc délicieufe Ville de Damas', oü, foit que les Habitan fulfent intimidés du bruit de fes conquêtes, ou qu'un bonheu extraordinaire, aceompagnat toutes fes entreprifes, il entr; fans beaucoup de conteftation, malgré la réfiftance, que vou lut faire le Soudan Me'lec-Nasser. II le fit prifonnier avec fa Femme, & fes. Enfans, «Sc les envoïa d'abord er Perfe. Quelques-uns prétendent pourtant, que ce Soudan fut fau prifonnier a Alep, «Sc que Je Prince Tartare le fit conduire devant Damas, oü il le fit fouëtter de verges,a la vue des Habitans, qm fe difpofoient a fe bien défendre, pour intimider fa *emme5 & fes Enfans, qui s'y trouvoient enfermés, & qu'il Um rom 3 ména^ na- hs, ies, ide ïca «Sc ie, II la «Sc nè~a. MortcrucPr- leduVieux de laMontagrje. 5 Article IP„ l j Damas pris par r Aolon- l ► i  6\.6 HISTOIRE G E' N E' R A L E Article I. Aolon n* tourna en Taitarie. ménacpit de faire mourir dans les tourmens, s'ils ne lui rendoient promtement la Ville. D'autres ont encore écrit, que ce ne fut, ni a Mep,ni zDamas, queMe'lec-Nasser fut fait prifonnier; mais qu'aïant apris la prife de cette prémière Place, & la captivité de fa Femme, & de fes Enfans, un effet de la grande tendreffe, qu'il avoit pour fa familie, le porta a aller fe jetter aux piés d'Aolon , pour implorer leur délivrance; & que fa foumiffion n'aïant point été capable d'émouvoir leVainqueur, il les envoïa en Perfe, chargés de fers, felon 1'ordre de fEmpereur, fon Frère, qui lui avoit commandé de ne lailfer en Syrië aucun Prince Mahométan. Chapitre III. Après un fi long cours de profpérités, les Chrétiens de Palejline fe croïant a la veille de voir foumettre la Ste. Cité, Aolon fe préparoit, en effet, a en faire la conquête, lorf que, par un malheur inopiné-, il recut avis, que fEmpereur, fon Frère, qui faifoit la guerre dans le Catai, oü il avoit même fait quelques progrès, s'y étoit noïé. Pendant qu'il attaquoit une Ile, fes Ennemis eurent 1'addrelfede faire percer, par des plongeons, la quille du Vailfeau , a bord duquel il étoit embarqué. L'avis de fa mort fut caufe, qu'AoLON ne fongea plus, qu'a s'en retourner en Tartarie; paree qu'il étoit de fon intérêt d'y arriver promtement, de peur que ceux qui pouvoient avoir quelque prétenfiona 1'Empire ne profitaffent de fon abfence, pour s'en emparer. II donna les gouvernemens des Villes, & des Provinces conquifes, a des Officiers de fidélité, lailTa le gros de fon Armée en Syrië, fous le commandement de Guiborca , ou Guirboca , 1'un de fes Généraux, avec ordre dö pourfuivre la guerre, 6c de configner Jérufalem, & les autres  öe JE'RUSALEM. Liv. Xlf. Ch. HL 6& tres lieux aux Chrétiens de la Terre-Sainte. Enfin, il partit, avec une fuite fort médiocre, pour faire plus de diligence. Cette vigilance, & cette précaution ne purent cependant ie garantir du contretems, qu'il appréhendoit. A-peine fut-il entré dans la Perfe, qu'il apnt, que les Tartares avoient élevé fur le Tröne un de fes Frères, qui fe nommoit Cobila, & que Paul Emile appelleCublai. II fut auffi informé, que Barcat, Fils de Batton, ou Baide, autre Prince de fa Nation, lequel, après avoir ravagé la Hongrie, & la Pologne, s'étoit noïé, en palfantla Drave, s'avancoit avec une puilfante Armée, pour s'oppofer a 1'entrée d'AoLON dans fes Etats. La découverte d'un ennemi, qu'il ne s'attendoit point derencontrer, f obligea de ramalfer promtement le plus de Troupes, qu'il lui fut poffible, pour n'en être point furpris,&fe trouver en état de le ranger plus facilement a fon devoir. II le rencontra aux confins de cet Empire, & au palfage d'une grande rivière entièrement glacée. Ces deux rivaux, poulfés d'une égale fureur, rangèrent d'abord leurs Troupes en bataille fur la glacé, oü le combat ne fut pas moins funefte a 1'un, qu'a l'autre;car la glacé n'aïant pu foutenir unfipefant fardeau d'Hommes, & de Cue» vaux, s'enfonca tout d'un coup, & fit périr plus de trente mille Hommes, de part & d'autre. Un fpecfacle fiaffreux étonna tellement le refte des deux^rmées,quellesne penferent plus a renouveller le combat. Après s'être féparées,chacune reprit fa route;de forte que la conquête, qu'Aolon avoit faite de la 7Vr/è,Iui fut d'un grand avantage, puisquecet Etat lui fervit d'afile, le dédommagea, en quelque facon, de la perte de la Tartarie, & 1'êmpêcha de. devenir la viclime de fes Ennemis. & 1'égard de Guirboca, qu'il avoit lailfé en Syrië, il paroilfoit fi bien difpofé a exécuter fes ordres en faveur des Chrétiens, qu'ils avoient tout lieu d'efpérer, qu'il les mettroit bientöt en polfeffion du Roïaume de Jérufalem. Ce qui feroit arri'  Ó4-8 HISTOIRE G E' N E' R A L E Article II. hfolence desSoldats Chrétiens du Chateau de Beaufort. arrivé, II leur mauvaife conduite n'eut fait changer la bonne inclination de ce Général, & ne feut convertie en une haine implacable contre eux; tellement qu'au lieu de travailler a leur avantage, il les auroit entièrement dépouillés de ce qu'ils poffédoient, fi la mort ne feut prévenu. Ce grand changement fut produit par favidité, «Sc 1'infolence des Soldats Chrétiens de la garnifon du Chateau de Beaufort, fitué dans le Comté de Sidon. Tranfportés par la fureur dcbutiner, ils fortirent contufément, «Sc ravagèrent plufieurs lieux, habités par des payfans Sarrafins, qui y demeuroient, fous la fauvegarde des Tartares, aux quels ils payoient quelque tribut. A' ces bngandages ils joignirent d'autres excès. Les Sarrafins, dont les maifons avoient été facagées, «Sc le bétail emmené, allèrent fe plaindre de ces violences a Guirboca, leur proteóteur. II envoïa, fur le champ, un de fes Neveux, pour faire entendre raifon a la garnifon de Beaufort, & la prier de reftituë'r a ces miférables, qui vivoient fous fa protecïion , ce qu'ils leur avoient enlevé ; Mais ces gens, qui, felon le Continuateur de la Guerre - Sainte, étoient Allemands, «Sc avoient pafTé peu auparavant en Palejline, fous la conduite de Siffrit de Monchi , «Sc d'hermans Scalers, Gentilshommes de cette Nation, bien loin d'être touchés de la civiiité, & des rémontrances du Commandant Tartare, fe jettèrent furieufement fur fon Neveu, & le malfacrèrent, fous prétexte , que ce jeune Officier leur avoit parlé avec trop de hauteur. II eft vrai, que le même Auteur raporte cette affaire un peu diverfement des autres, apparemment pour couvrir la mauvaife action de fes compatriotes. 11 convient pourtant, qu'ils irritèrent fi furieufement Guirboca , qu'il alla d'abord fe jetter fur la Ville de Sidon, qu'il emporta de vive force ; Que, pour vanger la mort de fon Neveu , il facrifia & fon reffentiment tous les Chrétiens, qu'il put attraper; «Sc qu'il fit démo-  b e JE'R U S A L £ Af. Liv. XII. Cu. UI «54 démolir les murs , & les maifons de cette Ville. Quelque tuis ont écnt, que ce fut celle de Céfarée, qu'il traita II crue1 ement; & d autres affurent, qu'elles furent exterminées tou tes les deux dans cette occafion. Guirboca étoit fi outré, qu'j nauroit pas borné-lkfavangeance, fiDieu n'eut permis,que le Egyptiens , qui n'avoient ofé remuër, pendant qu'Aolon avoii ete a la tete de fes Troupes, n'eulfent, fur la nouvelle de for depart, & du mécontentement de fon Général contre tesChrétiens, repris courage, & mis fur pié une Armée, avec laquelle le W^Melec-Maés traverfa promtement le défert, entra dans IzPalefline, & rencontra d'abord les Tartares dans la Plaine de 1 ibériade, oüil leur livra bataille. Elle fut fi heureufe aux Egyptiens, que les Tartares y furent la plupart tués fur le champ de bataille, de même que leur Général. Ce fut ainfi que , par une avanture alfez fingulière, les Chrétiens eurent le bonheur d'être délivrés, & vangés d'un cruel Ennemi, par un autre, qm n'étoit pas moins rédoutable. La défaite des Tartares fut ficomplette dans cette occafion, que Mëlec-Maës, profitant, a fon tour, des faveurs de la tortune, s'empara, fans difficulté, de toutes les Places, qu'ils avoient conquifes dans la Syrië. Aprèsquoi, fatisfait de fon expédition, il sen retourna triomphant en Egypte, & chargé de leurs dépouilles. 6 Aolon cependant, toujours rempli de zèle, pour la déhvrance du St. Sépulcre, & pour la deftrutfion des Sarrafins i napnt pas plütöt la défaite de fon Armée par les Egyptiens ' que, malgré les grands embarras, que lui fufcitoient en Per- ' Je les attentats de Barcat, qui lui faifoit toujours la guerre, il réfolut de fe mettre en chemin, pour retourner en Arrie. II fit favoir fon delfein au Roi ÜArménie, & k celui de Georgië , afin qu'ils fe milfent en état de venir le joinare, & partager avec lui la gloire de fentreprife, qu'il méditoit. ba Femme même étoit fi animée contre les Infidèles, Nn nn que, 9 1 ï : Les Egyp* tiens ar- 1 ment, fcf tmbent jut les Tartaïe*. FiSitire tomplette des Egyptien*. \rtkleIJJ. \o\on >lein de k zèle imr 1 Guerre iaintc.  6(0 HISTOIRE G E' N E' R A L E t i i «5b mort. , < I I <* 1 i ttrnilits en Occident. . ! |ue, felon Ayton dé Arménie, pendant fabfence de fon Mai, elle faifoit abatre leurs Temples, dans tous les lieux de a dépendance. Cependant le projet d'AoLON demeura encore fans effet. rV-peine ce pieuxPrince avoit quitté fes Etats,qu'il fut attaqué 1'une maladie li violente, qu'il en mourut en chemin, au bout le quinze jours, & emporta avec lui toutes les efpérances des Chntiens de la Palejline , paree que les Puiffances dé Europe étoient fi occupées de leurs intéréts particuliers, & fi accablées le guerres, & de difcordes, qu'aucune d'Llles ne penfoit plus, li au recouvrement de la Terr e-Saint e, ni au foulagement des les Peuples, qui 1'habitoient. L'Empire dé Occident, qui, depuis félection du Land-grave ie Tburinge, «Sc enfuite du Comte Guillaume de Ho/lande, ivoit été continuellement agité, fe trouvoit encore dans un ?lus grand desordre que jamais, après la mort de ce dernier, Dar la divifion qui s'étoit mife parmi les Elecfeurs, dont une partie avoit nomme Alphonse , Roi de Cajlille, furnommé le Sage, le même qui compofa, ou fit compofer les Tables Afiromiques, dites Alphonfines. Les autres avoient élu a 1'Empire Richard, Comte de Cornuaille, Frère du Roi déAngleterre; de forte que ces deux Princes, dont chacun avoit un fort parti , voulant fe maintenir dans la Dignité Impériale, mettoient toute VAllemagne en combuftion. VItalië n'étoit pas moins remplie de factions, de guerres, & de ruines, par les divers partifans, qui la déchiroient. Le T yran Ezelin, les Visconti, les Torreggiani, les Scaligers, les Estenses, les Flor-entins,les Pifans, & enfin, les Guelphes, & les Gibelins, la défoloient de toutes parts. Le Pape, de fon cöté, très-mécontent des Romains, qui vouloient, malgré lui, maintenir la Dignité Sénatoriale, avec la même autorité, que dans les fiècles palfés, avoit été obligé de fortir de Rome± & avoit d'ailleurs beaucoup de peine a rélifier k  * öe JE'RUSALEM. Liv. XII. Ca III. 651 Ü Maimfroi, Fils naturel de 1'Empereur Fre'de'ric, qui ra vageoit le Roïaume de Naples. Les Républiques de Vénife, & de Gènes, continuoient a ü faire une cruelle guerre. VEfpagne étoit toujours en armes contre les Maures, qui occupoient une grande partie de ce Roïaume; & la France , enfin, n'avoit point encore réparé les pertes, qu'elle avoit fakes en Egypte, & les dépenfes exceffives , que cette guerre avoit coüté au Roi Saint Louis. Ij n'eft pas étonnant, que perfonne ne penfat aux affaires de Ia Palejline, ni a PabailTement des Sarrafins. Les Seigneurs de la Terre - Sainte même, quoique fans efpoir d'aucune affiftance étrangère, pour les raifons, qu'on vient d expliquer, au lieu de vivre de bonne intelligence, pour s'oppofer a leurs dangereux voifins, étoient fi désunis, depuis la part qu'ils avoient prife dans la querelle des Vénitiens, & des Génois, qu'ils s'affoibliffoient, tous les jours , par leurs animofités inteftines. Auffi, fans 1'exaltation au Pontificat de Jaques , Patriarche de Jérufalem, Franpois de Nation, qui prit le nom d'ÜRBAiN IV. les perfonnes, qui aimoient la tranquilité, & qui étoient véritablement zélées pour le bien de la Terre-Sainte, auroient entièrement perdu courage; Mais 1'efpérance,qu'ils con^urent, que ce Pontife, qui connoiflbit parfaitement leurs befoins & le danger, oü ils étoient expofés, travailleroit a leur procurer du fecours, les ranima affez, pour fe flatter que, bien loin de fucomber fous le joug des Infidèles, ils pourroient encore leur arraclier ce qu'ils occupoient dans le Roïaume. L'élection de ce Pontife fut comme miraculeufe. Les Cardinaux ne pouvoient s'accorder apres la mort d'ALEX\NDRE IV. pour la nomination d'aucun d'entre-eux; ce qui fut canre, qu'ils fe réunirent, tout a coup en fa faveur, & 1'éievèrent fur la chaire de St. Pierre, au grand avantage de la Terre-Sainte. II commenca par donner aux Hofpitaliers, dont il connoiffoit la force, & fopulence, le Monaftere du Mont Ibabor, qui Nn nn a avoit i2ór. Article/;*. UrbainIV. flevè au Pontificat retèvebca: • •:oto* Le courage des Ciirétiene le la Terre-Sainte.  126* Article 7. MélecMaës.va/queur des Tartares, atjajfini danS ja Ca fiialt. 6(2 HISTOIRE GE'NE'RALE avoit été abandonné par PAbfeé, & par les Religieux,qui 1%; bitoient, ksquels ne pouvoient fuporterles incommodités qu'ils foulTroient, lans cefle, de la part des Sarrafins. Le St. Père n accordd point cette fortereffe, & les dependances, a ces Chevaliers, fans les engager a faire réparer, «Sc bien fomfier le Chateau, & a y entretenir une bonne garnilon, avec quarante Chevaliers , pour fa confervation, «Sc pour mettre les Terres d'alentour a fabri des infultes des Infidèles. Comme le nouveau Pontife iollicita, en même tems, les Barons, qui y poifédoient des Chateaux, d'être attentifs a les maintenir en bon état,& les pourvoir de tout ce qui étoit néceflaire,di versBarons, qui n'étoient point en état de fubvenir aux dépenfes extraordinaires, prirent le parti de vendre les Terres, qui leur appartenoient. Jean dIbelin fut du nombre. II vendit aux Hojpitaliers le Chateau^déJfiur. Julien de Sidon s'accommoda , avec les Templiers, pour celui de Beaufort, malgré les prétenfions, que le Roi $ Arménie avoit lür cette Fortereife. Ce qui caufa dans la fuite de grands troubles entre ce Prince, «Sc ces Religieux. Les attentions du Pontife ne permettoient pas de douter, qu'il ne mit tout en ufage pour remettre les Chrétiens dans 1'entière jouïlTance du Roïaume de Jérujalem. Chapitre IV. T a conjoncture auroit été d'autant plus favorable, que VE5 ' gypte fe trouvoit dans de grands embarras, par la catastrophe, qui venoit d'y arriver au Soudan Me'lec-Maës. Non-obftant le grand avantage, qu'il avoit remporté lur les' Tartares, «Sc la manière triomphante, avec laquelle il venoit de rentrer dans fa Capitale, il y fut aifaifiné, fans qu on en fut la raifon, par un Emir Mammeluc, nommé Bendecdar, qu'Ar-  »t JETtUSALEM. Lm XII. Ch. IV. g$ qu'AvroN dVm^appelIe Be'ne'declae. Cet affaffin tót avec tant dadreffe, qu'il gagna la faveur de fes confrères. Après av0,r u.urpe la fouveraineté de VEgypte, ils avoient fait une t'è^ T TT T"'r' " » P«rroita 1'av"! niretreadimsa Ia domination du Roïaume, gui feroit desormais éW entre eux Manmens. C'eft pourquoi, malgrc le meurtre que Bendecme venoit decommefre, als e falucrent \ dabord Soudan, fous le. nom de Me'lec-El-Vahee i Ce nom eau Souverain, également bon pobtique, & brave foldat,& ou, ioubaitoit d'acquérir faffeöion de lel Sujet pour aftermir fon autorité, crut, que rien n'étoit plus capable de a luia tirer que deles fatisfaire furlfempreffement, q.fils tém0? gnoient, fans ceffe, de retirer des mains des Chrétiens grand nombre de leurs parens , ou amis, qmle trouvoient en leur pouvoir. Henvoa, pour cet effet, desAmbaffadeurs aux Seigneurs &,Eaeflme, & aux Ordres Militaires, entre les mains deS s en trouvoit le plus grand nombre,pour leur propolèr 1'éXu fbert^^xrr5 ^' s'*™^nt donner ?a liberté aux Turcs, & aux Sarrafins, il la donneroit, de fon coto, a tous les Chrétiens, qui étoient en Egypte. tiens"!„!?H Ii dcffuS 4 Les Barons Chrê. tiens qm navoient en vue que le bien de 1'Etat, offrirent d'a- Meetnet na' ^ kur Wnotati JMais cene futpas le fentiment des Ordres Militaires, qui, pour 27ZoZlT' rPréfcntCrent' ^ h P'°P°^™ £mT%T aCgt' PU'Sq"e ksC^'^s, prifonniers en Eppte, érptent en beaucoup plus petit nombre, & très-infé.ams en qua ,té aux Sarrafins, qui fe trouvoient en leu'pouI ' Les, Pr™'f,s "'«oient tous que limples Soldats, ou Payfans au licuquil fe trouvoit parmi les autres quantitéd'Offi- S oarTnf ^ ' CTUeS dc 'CUr ™"x Forces' ï H f conno"n»«"I»,ik avoient pris de leurs Forces, & de toutes leurs aftkires, depuis fe tems qu'ils étoient Nn nn 3 en rfélec-EI'uctejj'tur.  6$+ HISTOIRE GE'NE'RALE 1263. Article II. Excès commii par ce nouveau Soudan fur Ie Terres des Chrétiens. en Paleftine. Voila comme 1'efpérance d'une foible rancon 1'emporta fur le bien commun de f Etat; «Sc comme le ref us, qu'on fit de confentira cet échange, devint très-funefte a Ia Paleftine. Ce nouveau Soudan violent, & vindicatif, fut fi irrité du peu de cas que les Chrétiens avoient fait de fa propofition, & du mépris qu'il crut qu'ils faifoient de fa puiffance, qu'il entra bien-töt après fur leurs Terres, a la tête de trente mille Chevaux. II fondit d'abord fur Bethelem; lieu, a la vérité, de peu d'importante, mais d'ailleurs trés récommandable, par raport a la nailfance du Sauveur du Monde. Comme ce Barbare n'ignoroit pas la vénération, que les Chrétiens avoient pour cet endroit, il le fit renverferde fond en comble. Content de leur avoir fait éprouver fon reffentiment, par cet elfai de fa fureur, il s'en retourna en Egypte, dans le delfein d'augmenter fes Forces, & de recommencer de plus grandes entreprifes, au retour de la belle faifon. L'affli&ion , que les Chrétiens relfentirent de la deftruótion de Bethelem,Sc les plus grands maux, qu'ils avoient lieu d'ap. préhender, firent répentir les Ordres Militaires de leur avoir attiré ce malheur; d'autant plus qu'ils n'étoient point alfez forts pour réfifter aux entreprifes du Soudan. Leur feule refTource étoit alors en Chypre, oü ils envoièrent une AmbaiTade ala Reine Plaisance , pour la prier de vouloir les fecourir dans un 11 preffant beloin. Cette Princeffe, qui joignoit a 1'inclination de foutenir la Terre-Sainte, le délir d'éloigner de la Cour Hugues de Brenne, prémier Prince du Sang, & Héritier préfomptif de la Couronne, au cas que le jeune Roi vint a mourirfans Enfans; fachée d'ailleurs que Hugues n'eut pas pour elle affez de confidération, «Sc qu'il voulüt prendre un peu trop de connoiffance des affaires du gouvernement, crut ne pouvoir jamais rencontrer une occafion plus favorable de féloigner avec honneur, «Sc d'une manière, dont il ne pouvoit pas même avoir lieu de fe plaindre. Elle  de JE'RUSALEM. Liv.XII. Ch.1V. ^; Ellepromit aux Miniftres des Seigneurs de Palejline, noj feulement 1'aififtance, qu'ils lui demandoient; mais elle fit mêmi ïncelfamment marcher la Cavalerie du Roïaume,qui étoit,en c< tems-la, fort eftimée. Elle y joignit deux mille Hommes de pié, Ptolomaïde. lui tuèrent tant de monde, qifil perdit 1'envie de continuër ce fiége; de forte quil en délögea d'abord, pour commencer celui de Saphet. II n'y trouva, ni la même réfiftance,ni presque aucun obfiacle, quoi qu'il eut dü s'y attendre; Car, foit que la feule vue de PArmée Sarrafine étonnat le Gouverneur, ou que la garnifon refufat de fe battre, on capitula dès le prémier jour, & le Commandant lui remit cette importante Place le 24. Juillet, contre 1'attente de tous les Chrétiens, qui fe flattoient, avec quelque apparence de raifon, que le Soudan échoueroit dans cette entreprife, puisque ce Chateau étoit une des plus confidérables Places de la Palejline , «Sc palfoit pour imprenable. Aufli, la conduite du Soudan envers les laches, qui 1'avoient fi mal défendu, fit bien connoitre le mépris, qu'il faifoit de leur poltronnerie ; car, quoiqu'il leur eüt promis la liberté, ala reddition de la Place, il les fit tous malfacrer. Cruauté, qui ne fut aucunement fenfible aux Chrétiens , tant la mauvaife aétion de ces perfides les avoit rendus odieux! Ce qu'on regre^ ta le plus fut le malheur des pauvres Habitans, qui n'avoient en aucune part a la lacheté des gens de guerre, a qui on en avoit sonfié la défenfe. Chapitre V. Si les Chrétiens ne faifoient aucun mouvement, pour arrêtcr les progrès des Egyptiens , c'étoit, premièrement, paree que le Duc de Nevers étoit tombé dangereufement malade. U mourut k ' tolomaïde , après avoir langui quelques mois ; & après fa mort , les autres Seigneurs Franpois , bien loin de vouloir aider ceux de Palejline, contre les Infidèlesprelferent leur  de JE'RUSALEM. LiV. XIL Ca V. 6$ leur retour en France, fans avoir laiffé autre mémoire de leu expédition, mie le peu d'affiftance, qu'ils donnèrent zuxChré tiens de la Terre-Sainte, qu'ils étoient allés fecourir. Secondement, paree que, dans le même tems, le Prince Hugues fe trouva aulli malade, & hors d'état de fe mettre en campagne. & que fes Troupes refulèrent de fervir fous aucun autre Chef que lui. Cependant ce Chef s'étant enfin remis de fon indifpofition, futaverti, que le Soudan avoit envoïé une partie de fon Armée en Arménie, dans ledelfein de profiter de Pabfèncedu Roi Ayton, qui étoit retourné en Perfe, pour folliciter Abagas , Fils. & SuccelTeur du fameux Aolon, a imiter fexemple de fon Père en faveur de la Terre-Sainte; & que Pautre partie de fes Troupes campoit aux environs de Tibériade. Sur cet avis, Hugues tint Confeil, avec les Seigneurs du pays, & les Ordres Militaires. Chacun aïTembla fes-Troupes; & on partit de Ptolomaïde, pour aller furprendre les Infidèles] mais, par une fatalité alfez ordinaire, autant que cette union, &ce defiein étoit généreux, &louable, autant la conteftation, qui furvint entre les Chefs,fut pernicieufe,& condamnable. Us ne purent s'accorder entre eux fur fendroit, paroü ils devoient attaquer les Ennemis. Leur désunion devint fi grande, que la confufion, & le désordre fe mirent dans leur marche. Auffi , les Infidelès qui , a leur approche, fongeoient a la retraite, informés par leurs efpions de la mésintelligence des Chrétiens, leur épargnèrent une partie du chemin, & les attaquèrent fi brusquement, que, dans le mauvais ordre, oü ils les furprirent, ils les trouvèrent fans réfiftance, & hors d'état de foutenir leur prémier choc; de forte qu'ils en firent un grand carnage , & beaucoup de prifonniers. Le petit nombre de ceux qui évitèrent le fer des Sarrafins, en fut pourfuivi jusqu'aux portes de Ptolomaïde, qu'ils eurent bien de la peine a gagner. Oo 00 z Plu- ) .* «67, Désunion dans le Camp des Chrétiens» Leur difai' te.  66o HISTOIRE GE'NE'RALE Article 71 Succès des Armes du Soudan. Plufieurs fuïards , qui s'étoient réfugiés dans les Villages', appartenans aux Ordres Militaires, dans Peipérance d'y être en fureté, y rencontrèrent des Ennemis encore plus cruels, que les Barbares , qu'ils avoient évités. Car les Habitans de ces lieux, fatigués de la dure domination des Chevaliers, préférant le joug des Infidèles , furent affez inhumains pour maffacrer ces pauvres fugitifs. Voila comme la jaloufie, qui a toujours régné parmi les Chrétiens de Palejline, a été, de tout tems, la vraie caufe du mauvais fuccès de leurs affaires, & enfin celle de leur perte totale, comme nous verrons dans la fuite. La profpérité n'acompagnoit pas feulement les armes du Soudan en Palejline ; les Troupes, qu'il avoit envoïées en Arménie, y avoient été encore aufli heureufes. Elles y défirent les deux Eils du Roi Ayton en bataille rangée. L'un y fut fait prifonnier , & l'autre tué. Tous les meilleurs endroits du Roïaume furent détruits. Le butin fut ineftimable, & le Prince Tivon, ou Livon, conduit au Soudan Me'lec-ElVaiier, qui fe trouvoit a Saphet, &qui, après tant d'heureux fuccès, voulut encore furprendre Ptolomaïde , par un ffratagême , dont il s'avifa. II fit cacher le gros de fon Armée dans des vallées, & autres lieux couverts , les plus a portée de la Place , qu'il lui füt poffible, & s'avanca lui meme, a la tête de quelques Efcadrons, qu'il avoit fait travefiir en gens des Ordres Militaires. II leur avoit fait prendre les Enfeignes mêmes des Chevaliers;. fe flattant de pouvoir , fous cette fauffe apparence , s'introduire dans la Ville, & gagner fune des portes; mais, foit que leur déguifement ne füt point affez vraifemblable, ou que les Habitans fuffent affez fur leurs gardes, pour s'en douter, ils fe mirent d'abord en défenfe, & le Soudan, qui s'appercut, qu'on avoit découvert fa rufe, rebrouffa chemin, & s'en retourna fans rien entreprendre. Cependant cet lnfidèle fe ré- pentit  de JE'RUSALEM. Liv. XII. Ch. V. 6*6*1 pentit bientöt d'être forti des Terres des Chrétiens, fans y laif fer des marqués de fon inimitié; car il y revint, peu de joun après, ouvertement, ravagea tous les environs de Ptolomaïde. coupant , & brülant les blés, les arbres, les granges, & généralement tout ce qu'il y rencontra. II s'avanca même julqu'auprès des murs de la Ville, comme s'il avoit voulu en former le fiège j fans que les Chrétiens ofalfent en fortir, pour lui faire aucune oppofition. Ces dégats affligèrent d'autant plus les Fidèles, qu'ils étoient a la veille de leur moifTon, & que la Ville fe trouvoit fi dépourvue de provifions, qu'il leur auroit été impoffible de foutenir le moindre fiége. As tous ces malheurs fe joignit celui de la privation du Prince Hugues , que la nouvelle de la maladie du Roi avoit obligé de repalfer en Chypre. Les Barons de Palejline, & les Ordres Militaires, cédant alors a la néceflité du tems, s'aviferent de propofer une Trève au Soudan, qui accepta leur offre, dans 1'extrême befoin, oü il fe trouva lui même de repalfer promtement en Egypte, pour appaifer une révolte, qui lui faifoit tout craindre. Quoique la Trève, qu'ils conclurent, ne fut pas fort honorable aux Chrétiens, néanmoins, dans fextrémité , oü ils fe trouvoient, ils s'efiimèrent encore trop heureux d'avoir puf obtenir, dans fefpérance, qifelle leur donneroit le tems de rétablir leurs Forces, & remédier a leur indigence. Le Roi düArménie, qui avoit apris, avec une extréme dou-1 leur, la disgrace de fa familie, & la défolation de fes Etats, & qui n'avoit même pü obtenir aucun fecours du Roi Abagas , a caufe des embarras, oü ce Prince fe trouvoit lui même en Ter je, s'en re- J tourna a grandes journées, & eut auffi. le bonheur de faire, d! avec le Soudan, un Accommodement, qui lui procura la liber- £ té de fon Fils, & la tranquilité de fes Sujets; mais il fut obli- n gé de reftituër a Me'lec-El-Vaher le Chateau de Tempfac, qu'il polfédoit prés GéAkp-, & un fameux Capitame Sarrafm, nom- O o 00 2 mé ■ Effets de Ja ctlère. Trève concilie avec le Soudan. Reflexien 'olitiqtui, IrticIeZïïl ratteen'e le Sou» i'i.éfAy'ii. Roi t\nnéc.  '66i HISTOIRE GE'NE'RALE ITugacs fcconnu Roi de Chypre. SaGiriiaiugie. mé Sangolascar, qui avoit été fait prifonnier, par les Tartares, & dont le Roi Abagas lui avoit fait préfent. L'empreiTement qu'avoit eu le Prince Hugues de fe rendre en Chypre fut très-avantageux a fes intéréts, puisqu'a-pcine fut-il arrivé a Nico/ie, que le Roi, fon Coufin, y mourut a 1'dge de quatorze ans. Sa préfence empêcha, qu'il n'arrivdt aucune altération dans les affaires du gouvernement. Ce Prince étoit fi aimé de la Noblelfe, & du Peuple, qu'ils le reconnurent dabord pour leur légitime Souverain, quoi qu'il portat le Nom de Brenne, & non celui dc Luzignan, qu'il ne prit, felon la plupart des Auteurs, qui en parient, qu'a fon avènement a la Couronne, & pour fe rendre plus agréable a fes Peuples. On ne put s'empêcher de murmurer contre la Reine Plaisance , & contre le Seigneur de Baruth , Sénéchal du Roïaume, touchant Pimpatience, avec laquelle ils firent précipiter la confommation du mariage de leurs Enfans ; Car tout le monde attribua ia mort du jeune Roi aux excès, qu'il fit au commencement de fes Nöces; de forte que 1'avidité que la Reine , & lui, avoient eue d'alfurer la Couronne dans leur familie, la leur fit perdre entièrement. Le Roi Hugues II. que quelques uns ont aufli nommé Huguet, fut inhumé dans une Chapelle de 1'Eglife de St. Dominique, oü étoit la fépulture ordinaire des Seigneurs d Ibelin , qui avoient non feulement fondé ce Couvent , mais qui 1'avoient encore enrichi de tout ce qu'il y avoit de plus précieux. Le Prince Hugues, qui hérita de la Couronne, étoit Fils, felon le Pere Luzignan , de Jean de Luzignan , Connétable fe Chypre, Fils du Roi Alme'ric, & Frère de Hugues I. 6c non du Comte de Brenne, Prince d''Antioche, & de VApouille, qu'isabelle de Luzignan avoit époufé.. Cette PrinceiTe, felon le même Auteur, fe remaria, après la mort de ce Comte, avec Jean de Luzignan, fon Oncle, de qui elle eut le  de JE'RUSALÈiVL Lm XII. Ca V.. 66- le Prince Hugues, dont nous parions. II Hit folemnellemen couronné dans .1'Eglife Cathédrale de Ste. Sophie, par les main: de Guillaume, Patriarche de Jérufalem, quife trouvoit alon en Chypre; «Sc il recut le Serment de fidélité de tous les Ordres du Roïaume, avec des aclamations «Sc des réjouilfances, qui marquoient alfez 1'affeclion, que tous ks Chypriots avoient poui lui, «Sc leur efpérance d'être bientöt foulagés des gabelles, dont on les avoit furchargés, pendant la minorité du feu Roi; Car la Reine Plaisance, dont k générofité étoit infinie, prévoïant que fon autorité ne feroit pas de longue durée, répandoit des libéralités de toutes parts, pour fe faire des créatures; c'eft pourquoi il trouva le tréforRoïal entièrement épuifé, dans le tems même qu'il en avoit le plus de befoin; puisque les malheurs, qui affligèrent le pays, dès le commencement de fon Règne, ne lui permirent pas de faire, pour fes nouveaux Sujets, tout ce que fa tendrelfe,. «Sc fa générofité naturelle lui infpiroient. La Pefte, qui fe découvrit en quelques lieux mar ntimes, s'y répandit par-tout avec tant de violence, qu'il ne fe trouva bientöt aucun endroit, qui n'en füt infeété, «Sc dont les maifons ne fulfent remplies de morts , ou de malades. La • prémière attention de ce nouveau Souverain fut de chercher c les moïens darrêter ce terrible fléau, «Sc de foulager les Peu- \ pies, qui en étoient accablés. II fit batir de höpitaux en plufieurs endroits de file, «Scles fit pourvoir abondamment de toutj ce qui étoit nécelfaire. II fit diftribuër aux pauvres famillès de/ quoi pouvoir fubfifter; ce qu'il continua a pratiquer, tant que? dura cette contagion. As-peine fes Etats en furent-ils délivrés, qu'il eut une nouvelle occafion d'exercer fa piété. Une multitude innombrable de fauterelles inonderent toutes les campagnes, dont elles dévorerent entièrement les fruits «Sc les plantes, «Sc cauférent enfin une fi grande difette, que les Peuples, qui avoient eu le bonheur d'échapper de la pefte, fe trouvèrent accablés d'une fami- ïon atten* ion afaire 'Jferlapcf. ' dans fes ïtats. 'es foins h mlagcr •s Sujets ms leurs üamités.,  Article 7. Trève rom pue par MélecEl-Vaher 6*6*4. HISTOIRE G E' N E' R A L E famine, qui les auroit tous fait périr, fans la promtitude, aveG laquelle il fit venir des pays étrangers abondance de provifions, qu'il leur fit gratuitement diftribuér. II fut mème obligé, pour fubvenir a ces dépenfes extraordinaires, d'aliéner, pour plufieurs années, divers Fiefs de la Couronne, afin de ne pas furcharger fes Peuples de nouveaux impöts, qu'ils n auroient point été en état de payer, dans Pextrémité oü ils fe trouvoient. Dans ce meme tems mourut la Reine Plaisance , moins accablée d'années, que du chagrin de fe voir fans commandement , & fans fuite. Cette Princeffe étoit naturellement fi fiére, fi réfolue, & fi généreufe, qu'elle difoit, que la nature lui avoit fait tort, en la faifant naitre de Jon fexe. En effet, elle avoit le don de fe faire aimer, & craindre, tout enfemble ; Punir, & pardonner également; en forte qu'a 1'ambition prés, on peut dire, qu'elle a été une des plus grandes Reines de fon fiècle, & Hugues III. un des meilleurs Princes, qui aient régne en Cbypre. Chapitre VI. Mais une fi grande fuite de malheurs, qui privoient ce Prince d'Hommes, & deFinances, 1'affiigeoit d'autant plus qu'elle le mettoit hors d'état de fuivre 1'inclination, qu'il avoit de fecourir les Chrétiens de Paleftine, qui ne jouïrent pas longtems du bonheur de la Trève, conclue avec Mele c-El-V aher. Car les troubles dé Egypte s'ètant calmés, fans même que fa préfence y füt necelTaire, ce Prince fans foi, qui ne fe mettoit pas fort en peine de garder le Traité, qu'il avoit juré, le rompit au commencement du mois de Mai, & fe jetta a 1'improvifïe fur la Ville de Jaffa. II trouva cette Place fi dépourvue, par  »e JE'RUSALEM. Liv. XII. Ch. VI. 66 par la mort du Seigneur d ibelin , a qui elle appartenoit qu'il s'en empara facilement, auffi-bien que du Chateau. Ilfurprit, avec la même rapidité, lafameufeFortereffe, qu< les Templiers avoient achetée du Comte de Sidon ; de forti qu'engagé par de fi heureux commencemens, il penfa a de entreprifes encore plus relevées. II marcha droit a Tripoli. qu'il affiégea dans les formes ; mais, comme il étoit accoutumé a ne pas trouver beaucoup de réfiftance, il fe rébuta bientót de celle que firent les Habitans, &la garnifon de cette Ville , & fe contenta de faire éprouver fa colère aux fauxbourgs, & aux délicieux jardins, dont elle étoit environnée. II ne détruifit pas, avec moins de fureur, toutes les campagnes voifines. Après ces ravages, commeMainfroi, ou Conrad, Prince $ Antioche, étoit allé en Italië, avec tout ce qu'il avoit de gens de guerre, pour fecourir Conradin, Petit-Fils de fEmpereur F r e'd e'r i c II. dans la guerre, qu'il faifoit a Charles d'Anjou, déclaré, parle Pape, Roi de Naples, ce Soudan zilt, affiéger Antioche; perfuadé, que 1'abfence du Prince lui en faciliteroit la conquête, en quoi il ne fe trompa point. En effet, le Patriarche Opison Fiesque, Génois de Nation, a qui le Prince en avoit confié le gouvernement, plus propre a la litérature, qu'aux affaires d'Etat, négligea, par ignorance, la défenfe de cette grande Ville; deforte que le Peuple, qu'elle renfermoit, fe trouva dabord dans la confufion, & dans le désordre ; & que, faute d'un Chef, capable de les commander, ils devinrent la proie de f Ennemi, qui s'empara de leur Ville, avec autant de facilité, qu'elle avoit couté de fang, de peines, &de travaux, aux Chrétiens Croifés, pour la conquérir en 1098. II eft vrai, que la faute, que fit le Patriarche, d'en laifier fortir la meilleure partie des Habitans, qui gagnèrent les montagnes , en accéléra confidérablement la perte. Leur fuite découragea fi fort les autres, qu'ils ne firent presqu'aucune Pp pp réfi- t > j > Antioche pris par Mélec-ElVaher.  666 HISTOIRE G E' N E' R A L E Ses Habitans égQrgés. Sentiment partagésfui le nombre des morts. Aition hé- roi que des Roligieufes de Ste. Claire. réfiftance, & fe laiffèrent égorger. Quelques Hiftoriens prétendent, que quarante-fept mille de ces miférables périrent dans cette occafion ; «Sc que plus de cent mille furent faits prifonniers. Cependant d'autres, plus modérés, aflurent, que les Infidèles n'en maflacrerent que dix-fept mille; mais qu'ils en conduifirent, en effet, plus de cent mille en captivité. Après cette fameufe conqucte, Me'lec-El-Vaiier, qui ne vouloit point affoiblir fon Armée, ni dépeupler VEgypte, pour peupler cettevafte Ville, fe contenta de fabandonner au pillage de fes Soldats, qui y commirent tous les excès de cruauté, d'avarice, «Sc de luxure, dont leur brutale Nation eft capable. II en fit rafer les fortifications, jusqu'aux fondemens, «Sc mettre le feu aux maifons, afin qu'elle füt plütöt détruite. Ce fut pendant le déplorable , «Sc affreux faccagement d1'Antioche , que les Religieufes de Ste. Claire , firent une Aéfion héroïque , & digne d'éternelle mémoire. Ces généreufes Filles, confacrées a Dieu, aïant apris, que les Barbares étoient entrés dans la Ville, «Sc bien perfuadées qu'elles n'en feroient pas épargnées, voulurent, au péril de leur vie, conferver leur virginité, «Sc eurent toutes aiTez de courage , pour fe couper le nez, afin que leur difformité ötat aux Barbares 1'envie de les approcher. En effet, ceux-ci concurent tant de dépit de les trouver fi affreufes, qu'ils les immolerent, fans héfiter, a leur rage, «Sc a leur reffentiment. Réfolution vraiment généreufe , & fans exemple, qui, avec le triomphe de la virginité, leur acquit la palme du martire. Quelques Auteurs, avec le P. Maimbourg, ont attribué cette acfion extraordinaire aux Religieufes du même Ordre de Ptolomaïde, «Sc non a celles & Antioche; cependant, que ce fpecfacle foit arrivé dans Tune, ou dans l'autre de ces deux Villes, leur vertu, «Sc leur fermeté n'en eft pas moins digne d'admiration, «Sc doit fervir d'exemple non feulement aux Religieufes, qui  de JE'RUSALEM. Liy. XII. Ch. VI. 667 qui pourroient avoir le malheur de fe trouver en femblable cas mais encore a toutes les Femmes qui aiment la pudeur. Enfin, Me'lec-El-Vaher, auffi chargé de richelfes, & d'efcla ves, que de gloire, ne trouvant plus rien qui put lui réfifter s'empara, fans peine, de plufieurs Chateaux, que les Chrttien polfédoient encore dans la Principauté Ü Antioche, Sc par 1; rapidité de fes conquêtes étonna fi fort tous ceux de la Pakjli ne, que les Templiers, auffi abatus, que les autres, abandon nèrent les Forts de Ga/Ion, de Rujfelles, & de Portbonel, qu leur appartenoient , & qu'ils défefpéroient de pouvoir con ferver. Le bruit de tant de disgraces, joint a la nouvelle, que le Roi d( Chypre recut presqu'en même tems, de la mort funefte du Prina Conradin , légitime héritier de la Couronne de Jérufalem, I< fit déterminer a palfer promtement en Palejline, pour~prendr« polfelfion d'un Etat, qui, faute de Defcendans de 1'Impératri ce Yolande , lui étoit dévolu. Cependant, malgré la juftice de fes prétenfions, il ne laiffapas de trouver quelques obftacles aux quels il ne s'étoit point attendu. La Princeffe Marie d1'Antioche, qui avoit auffi fes prétenfions , protefta de nullité de tout ce qu'on entreprendroit a fon préjudice ; Mais le Patriarche, les Barons du Roïaume, & les Ordres Militaires, quifavoient, que le droit de cette Dame n'étoit pas auffi bienfondé, que celui du Roi Hugues, & qui3 d'ailleurs, avoient plus befoin d'un vaillant Guerrier, que d'une Femme, pour conferver les débris de 1'Etat; fans s'arrêter aux raifons, ni aux oppofitions de la Princeffe, fe rendirent a Tyr, oü Hugues avoit débarqué, &le firent folemnellement couronner, au grand contentement de tous les Peuples, qui efpéroient, qu'étant gouvernés par un Prince belliqueux, & qui poffédoit d'autres Ëtats voifins, ils feroient plus fürs, Sc mieux a fabri des infultes des Infidèles. Pp pp 2 lis » f l i > Article II. Lt Roi de ' Chypre en ; pojjiffionde la Couronne de Jérufalem. Heft couronne Roi de Jérufalem.  127°- Prife du Cbdteau du Crac parle Soudan. Perte tréstmfidérabledes Chrétiens, i i 1 1 i 66$ HISTOIRE GE'NE'RALE Ils le conduifirent enfuite, en triomphe, k Ptolomaïde, oü ils tinrent plufieurs Confeils fur les moïens d'arrêter les progrès du Soudan, qui, pendant leurs délibérations, avancoit toujours fes affaires. En effet, après s'être rendu maitre du platpays, il étoit allé affiéger Pimportante Forterelfe du Crac; ne pouvant fouffrir que les Hofpitaliers, auxquels elle appartenoit, polfédalfent un pofte fi confidérable au milieu de fes propres Etats. II labattit, jour, & nuit, avec tant de force , que, malgré fon avantageufe fituation , les fortifications, que ces Chevaliers y avoient faites , & la bravoure , avec laquelle ils la défendirent, il leur fut impoffible de réfifter aux fréquentes attaques de la puilfante Armée du Soudan , qui ne s'en renditpourtant maitre , qu'après que tous les Chevaliers j la garnifon , Sc les Habitans eurent entièrement péri. Si les Hofpitaliers reffentirent vivement la perte d'une Place, qu'ils n'avoient pu conferver jufqifalors, qu'avec des dépenfes ïxceffives, les autres Chrétiens de la Palejline n'en furent pas moins confternés. Le Chateau du Crac étoit fitué fi avantageufement, que fa garnifon tenoit en crainte les Infidèles, qui n'ofoient trop s'avancer fur leurs Terres; D'ailleurs cette Forterelfe mettoit a Pabri ceux qui cultivoient les campagnes voifiaes; deforte qu'après avoir perdu tant de Places, Sc leurs plus braves Soldats, il ne leur reftoit plus d'autre efpéranee, que :elle des fecours dé Europe. Mais ces fecours étoient bien éloignés. Les troubles, qui :ontinuoient en Italië, Sc enAllemagne', ne permettoient, ni mx Princes, ni aux Peuples, de fonger a la Pale/line, ni mêne de faire attention aux ferventes exhortations des Prédica:eurs, que les Papes envo''oient, de tems a autre, pour leur >rêcher la Croifade. Qui plus eff., la guerre, que les Pontifes ivoient toujours avec la Maifon dsSuahe, les obligeoit a fe fervir  j>e JE'RUSALEM. Liv. XII. Cu. VI. 66 vir des Croifés, pour défendre XEtat-Ecclèfiafique, & arrêto. ceux qui vouloient palfer en Palejline. ^ On étoit a ces extrémités, lorfque St. Louis, toujours rem pli de zèle pour le recouvrement du Roïaume de Jejus-Chrijl non obftant les malheurs, qui lui étoient arrivés en Egypte avoit nouvellement repris la Croix des mains du Cardinal d Ste. Cécile, que Clement IV. avoit envoïé Légat en France pour exhorter ce Monarque a ne point abandonner les Chré tiens de la Terre-Sainte. Plufieurs Princes, 6c grands Seigneur: de fon Roïaume avoient fuivi fon exemple. II avoit même en gagé le Prince Edouard DAngleterre, dont il eftimoit la valeur, d'acomplir le vceu du Roi fon Père, a qui fon grand age ne permetoit plus de faire le voïage. Rien ne retarda le départ du Saint Roi, que le manque de parole des Fénitiens , qui s'étoient engagés a lui fournir les Vaiffeaux nécelfaires pour le tranfport de fes Troupes. II eft vrai, que ce manquement n'étoit pas fans raifon. La guerre, qu'ils avoient toujours avec les Génois, qui étoient très-puiffans fur mer, ne leur permettoit pas de fe priver de leur Flotte; & ce retardement engagea St. Louis a foutenir le Comte d'ANjou, fon Frère, a qui le Pape avoit donné finveftiture des Roïaumes de Naples, 6c de Steile, moïenant un tribut annuel de quarante mille ducats, a fexclufion de Conramn, légitime héritier de ces Etats. La guerre, que fe faifoient ces deux concurrens, fit encore différer le voïage de St. Louis. Charles d'Anjou défit enfin Conradin dans une bataille, qu'ils fe donnèrent prés de Celano dans le Roïaume de Naples; 6c ce dernier fut fait prifonnier: furquoi Charles en informa d'abord le Pape , 6c le pria de lui mander, de quelle manière il devoit le traiter. Le Pontife lui répondit, felon Colenucio, Vita Conradini mors Caroli; Mors Conradini vita Caroli. II n'en fallut par davantage pour porter Charles a s'en defaire. II lui fit couper la tête; pP PP % &» 9 i . AnideM. Croifade , tntreprife par St. j Louis. > Son Entre' prife diffè* rée.  67o HISTOIRE GE'NE'RALE Afticle IV. Plufieurs tbofcs rétardent les fecours promis aux Chrétiens de la Paleftine. «Sc, par une a&ion, qui ternit le bruit de fes Vicfoires, «Sc fa propre réputation, il demeura poifelfeur de ces deux Roïaumes , «Sc procura la paix au St. Siége, «Sc a VItalië. Les Génois alors, pour fe montrer plusgénéreux, «Sc plus zélés , que les Vénitiens, pour le bien de la République Chrétienne, offrirent leur Flotte a St, Louis, qui s'en accommoda. II alloit accomplir le pieux deffein, qu il avoit de déiivrer la Palejline de foppreifion des Infidèles, lorsque le Roi Charles , plus attentifa alfurer, & a agrandir fes Etats, qifau recouvrement de Jérufalem, lui fit adroitement comprendre, que f entreprife de Tunis, qui étoit incomparablement plus facile, ne'.lui feroit par moins utile, puisqu'en fe rendant maitre des cötes déAfrique, les Soudans d''Egypte feroient privés des grands fecours , qu'ils en retiroient, «Sc que cette conquête le mettroit enfuite en état de les fubjuguer entièrement. Le Saint Roi, qui ne pouvoit douter de la fincérité de fon Frère, goüta facilement ces bonnes, ou mauvaifes raifons, «Sc s'embarqua a Aiguemortes le prémier jour de Mars, fur la flotte Génoife, avec les trois Princes, fes Enfans; Philippe furnommé le-Bel ; Pierre, Comte dpAlenpon ; «Sc Jean-Tristan , Comte de Negers. Thibaut , Roi de Navarre , fon Gendre; Alphonse, Comte de Poitiers, fon Frère; Robert, Comte déArtois, GmiYeveu; Gui, Comte de Flandres, «Sc plufieurs autres grands Seigneurs de fon Roïaume, 1'accompagnèrent en Afrique, pendant que les pauvres Chrétiens de la Palejline, qui Pattendo.'ent avec tant d'avidité, fouffroient avec Conftance les plus dures calamités. Car, quoique leRoi d'Arragon, qui avoit aufll pris la Croix long-tems auparavant, eüt fait équiper une grande Flotte, «Sc qu'il fe füt embarqué lui même a Barcelone, pour aller accomplir fon voeu, la furieufetempête, dont il fut furpris peu après fon départ, f étonna fi fort, qu'il s'en retourna dans fes Etats, dès qu'il put prendre terre; de forte qu'il n'y eut de cette puit fante  de JE'RÜSALÈM. Liv. Xiï. Ch. VI. 671 fante Flotte, que quelques VailTeaux, qui arrivalTent a?A marde, avec Don Fërdinand , fon Fils, qui s'en retourna presqifauffi tót, fans y rien entreprendre. L'expédition du Prince Edouard ne fut pas plus avantageufe a la Palefine, que celle des Jrragonois. II partit DAngleterre, avec une florilfante Armée, que lui donna leRoi fon Père. Elle étoit parfaitement bien fournie d'Hommes, d'argent, & de munitions. Le Prince Edmond, fon Frère, & Thibaut, Archi-Diacre de Liége, Paccompagnèrent. Jean de Bayeul, Seigneur Ecoffois, s'y joignit avec bon nombre de Troupes de fa Nation. Plufieurs Gentilshommes Frifons, & autres de la BaJJe-Allemagne, furent auffi du voïage, avec des Troupes fort lelies. Edouard avoit fur fa Flotte deux mille Chevaux, & dix mille Hommes de pié, qui tous arrivèrent heureufement k Ptolomaïde, au commencement du mois de Mai. _ Mais,foit que ce Prince eüt ordre du Roi,fon Père, de ne rien entreprendre, avant 1'arrivée du Roi de France, ou qu'il ne trouvat point lts Chrétiens de Palejline alfez unis, pours'accorderfurles entreprifes, qu'ilspourroient faire, il ydemeura, pendant tout 1'Eté, dans 1'inaétion, fans même que les conquêtes du Soudan Me'lec-El-Vaher fuffent capables de retirer les Chrétiens de leur léthargie, ni de les engager a fe mettre en campagne, pour en arrêter le cours, comme ils auroient pu le faire avec ce puilfant fecours. Le Soudan attaqua a leurs yeux, & emporta d'alfaut les Chateaux de Giblet, de Montfort, & Chat eau-B lanc , appartenant aux Teutonique s , qu'il fit rafer jufqu'aux fondemens , apparemment pour fe vanger de Ja peine, que lui avoit autre fois donné cedernier, fans qu'il put le forcer. Ainfi, les grands prèparatifs, qu'on avoit faits en Europe,pendant pres de trois ans; les grandes Armées qu'on y avoit mifes fur pié, fur tout en France; & les grandes Flottes, qu'on y avoit équipées pour la Guerre fainte, n'auroient pas empêché Me'lec-El-Vaher de s'emparerdu refte de la  Article T. Abaga* fe déclare contre le Soudan. 11 lui défait fon arrièregarde. 672 HISTOIRE GE'NE'RALE la Paleftine, fi la furprife des Places, que le Roi Aolon avoit conquilès dans leTurqueftan,&c dont Me'lec-El-Vaher s'étoit enfuite rendu maitre, par la trahifon d'un Sarrafm, nommé Parvana , a qui le Prince Tartare en avoit confié le gouvernement , n'eut fait plus d'imprelfion fur 1'efprit du Roi Abagas , fon Fils, que n'avoient pu faire toutes les follicitations du Roi $ Arménie. Chapitre VII. Dès qu'ABAGAS put fe déiivrer des guerres, qu'il avoit contre fes voifins, il fortit de Perfe a la tête d'une Armée formidable, & marcha, avec tant de diligence, pour furprendre le Soudan, & pour fe vanger du traitre Parvana , qui lui avoit livré fes Places, & fes Sujets, qu'au raport d'Ayton DArménie, Abagas fit, en quinze jours, le chemin, quon ne fait ordinairement qu'en quarante. Cependant, quelque cachée & précipitée, que füt fa marche , elle ne put être fécrette, & elle parvint aux oreilles du Soudan. II abandonna fi promtement la Syrië, malgré le bonheur, qui y acompagnoit toujours fes armes, que les Tartares ne purent atteindre, que fon arrière-garde ; encore fut-ce aux confins de la Paleftine. Jls la défirent entièrement, prirent deux mille Chevaux, &tout le bagage, qui étoit d'autant plus confidérable, que les Sarrafins emportoient toutes les dépouilles & Antioche , & de plufieurs autres Villes, qu'ils avoient facagées. Mais, quelque heureux que füt ce commencement pour les Tartares, ils ne purent pourfuivre leur Vióïoire, ni traverfer le défert, oü ils ne trouvoient aucune nourriture pour les Hommes,  DE JE'RUSALEM. Liv.XII. Ch.VII. 6>3 mes, ni pour les Chevaux : Difette qui obligea Abagas a rebrouITer chemin. II nes'arrèta, que dansle Türquejtan, ou il voulut abfolument recouvrer les Places, que Parvana avoit livrees a Mf/lec-El-Vaher; ce qui ne lux fut pas difficile, tant par raport aux foibles garnifons, que le Soudan y avoit laiiTées, qua la revolte des Habitans, qui préféroient la domination Tartare a celle des Sarrafins. Le bonheur ^Abagas fut fi complet dans cette occafion, qu'il eut le plaifir de s'emparer du perfide Parvana, qu'ilfit, furie champ, hacher en petits morceaux, & manger aux complices de fa révolte. Ayton d' Arménie Ave , que, dans le tranfport de fa fureur, Abagas Offiae'rT^ ^ ^' & ^ flt * feS PrinciPau* Après avoir entièrement recouvré cette Province, il fofTrit enpurdon, au Roi & Arménie, qui Pen remercia. Sur fon refus, Abagas fit démolir les Places fortifiées, y lailfa quelques Officiers, pour gouverner le pays, & voulut s'en retourner en Perfe , fans qu'il füt poffible au Roi dé Arménie de f engager a entreprendre le recouvrement de Jérufalem. II fe contenta d'envo.er des Ambalfadeurs en Europe, pour inviter les Princes Chrétiens a venir profiter de la terreur, qu'il avoit mife parmi les Egyptiens ; & ce fut ce que le Roi dé Arménie put en obtenir. r Ainfi, ia venue du Roi Tartare en Paleftine ne procura aux Chrétiens le recouvrement d'aucune Place. Tout Pavantaee qu'ils enrecurent, fe réduifit a être délivrés, pour un tems,' de loppreffion d'un Ennemi, qui étoit prêt a les accablerCar, pourle Prince Edouard, bien loin de fonger a faire la guerre aux Infidèles, il ne penfoit uniquement, qu'a s'éloigner d un pays, ou 1 on avoit voulu 1'alfaffiner. Un inconnu, qui s etoit introduit dans fon appartement , lui avoit donné trois coups de poignard, fans qu'on put endécouvnr 1'auteur, ni la caule. Q-q Les  674 HISTOIRE GE'NE'RALE Article II. Mifères des Croifés,^ des Chrétiens. Mon de St. Louis. Les domeftiques de ce Prince mirent, fur le champ, en pièces cet alfaffin. Quelques Ecrivains ont attribué cet horrible attentat au Vieux de la Montagne, en quoi ils ont erré trèsgrolfièrement, puisquë le Prince des Jjfaffins, & toute fa Nation , avoient été entièrement détruits , & anéantis par le Roi Aolon, dès 1'année 125S. D'autres ont foupconné , avec quelque vraifemblance , que cet aiTalfinat avoit été commis, par ordre de Gui de Montfort, pour fe vanger de la mort d'un de les Frères, ou de fon propre Père, qu'edouard avoit tué dans un combat. Quelques autres enfin prétendent, que ce füt un Sarrafin, que le Prince Edouard avoit fait prifonnier , «Sc avec lequel il s'étoit enfuite familiarifé, qui avoit voulu fe défaire de fon bienfaiteur. Quoiqu'il en foit, le bon tempérament du Prince, «Sc 1'habileté des Chirurgiens le tirèrent bientöt d'affaires, fans que faguérifon lui fit cbanger la réfolution, qu'il avoit' prife de s'en retourner en Angleterre; d'autant plus qu'il avoit apris, que St. Louis , apres s'ètre emparé du port , & du Chateau de Carthage, avec alfez de faciüté, avoit trouvé tant de réfiftance, en approchant la Ville de Tunis, qu'il avoit été obligé de camper dans une vallée voifine, pour y attendre la venue du Roi de Steile, fon Frère, dont le retardement caufa tous les malheurs , qui arrivèrent a PArmée Franpoife. Comme on étoit au fort de 1'Eté, & qu'elle manquoit de provifions, «Sc de bonne eau, les maladies commencèrent a faifir les Troupes, «Sc devinrent. en peu de tems, fi générales, que la fleur des Soldats, & des Officiers, en étoient emportés a vue d'oeil. Le Prince Jean-Tristan fut un des prémiers que cette contagion enleva. Le Cardinal Légat ne lui furvécut, que de quelques jours j Et le Roi St. Louis le fuivit bientöt apres. Malheur, qui lailla toute f Armée dans une fi grande confternation, qu'elle étoit fur le point de s'embarquer, pour s'en retourner en France, lors quele Roi de Steile, «ScHenri, Comte,  de JE'RUS ALEM. Liy. XII. Ca VII. 6 te de Cornouaille arrivèrent avec de gros renforts, & d'abonds tes provifions. La prèfence de ce Prince, & la vigueur, q tant de rafraichiffemens rendirent k PArmée, fit qu'elle s'an ta,continua le fiège,& vint enfin a bout du projet, qu'il avt infpiré au feu Roi, fon Frère, & qui fut malheureufement funefie a ce grand Prince, & a toute la France. On n'a point ignoré, que le but principal du Roi Charl: étoit d'aifujettir leRoi de Tunis, &c de le rendre fon tributain afin qu'il le dédommageat des quarante mille Ecus d'or, qu payoit a la Chambre Apojlolique. En effet, ce Prince Infidèh dont les Forces commencoient a s'épuifer, par lqs pertes cont mielies, qu'il faifoit dans les forties, & aux défenfes de la Vi le, appréhendant enfin de perdre fon Roïaume, & fa liberté demanda de lui même a capituler; & la paix fut établie, au conditions fuivantes. „ I. Que le Roi Mulai, ou Müle'ne, rendroit tous k „ efclaves, & prifonniers Chrétiens, qui fe trouvoient dar „ fes Etats. „ II. Qu'il permettroit aux Religieux & Eccléfiaftiques Ld „ tins d'y batir des Maifons, & des Eglifes, d'y prêcher li „ brement PEvangile, & de n'inquiéter, en aucune manière „ ceux de fes Sujets, qui, touchés de leurs exhortations, vou „ droient embraffer le Chriftianifme. „ III. Qu'il paieroit au Roi de Naples, & de Sicile, un tri '„ but annuel de quarante mille Ecus d'or. C'étoit jufiement la fomme, que le Roi Charles s'étoit obligé de payer a la Chambre Apojlolique pour les Roïaumes de Naples, & de Sicile; ce qui fit bien connoitre, que ce Prince n'avoit travaillé, que pour fes intéréts particuliers, dont les Perfonnes les mieux fenfées ne purent s'empêcher de murmurer, fans qu'il s'en mit autrement en peine. Philippe-le-Bel, Fils, & SuccelTeur du Roi St. Louis, avoit auffi été malade; c'eft pourquoi il prefik fon départ d'A- dq qq 2 frlque, n- ue êiitfi IS Rifiexion . politique. ■3 'il 'i i- U x s s ï Article///. Philippele-Belpri?/fel'embar-  676 HISTOIRE GE'NE'RALE quement a fes Troupes. Les Soltint Francois débarqués ««Sicile iprxntvent une pefie êruelle. efrique, dès que le Traité fut conclu, & fit embarquer promtement fes Troupes pour s'en éloigner, dans Pefpérance, que Je changement de climat feroit eelfer la pefte, qui avoit fuccédé a la diffenterie, & aux fièvres malignes, dont elles avoient été attaquées, & contribueroit au rérabliffement de fa propre fanté. Cependant la mauvaife fortune, qui avoit perfécuté PArmée Franpoife fur les cötes d'Afrique,nQ lui fut pas plus favorable en Europe. Après avoir elTuïé une furieufe tempête,dont plufieurs VailTeaux furent engloutis a la vue de la Sicile, les Perfonnes, qui en échapèrent ,n'eurent pas plutot mis pié a terre dans cette 11e, qu'au lieu que la pefte ceffat, elle augmenta a tel point, que les Soldats y mouroient, comme des mouches, r que la rigueur du froid fait tomber. Le Comte de Flandres, le Roi de Jlavarre,&c la Reine Blanciie, fon Epoufe, en moururent, avec quantité d'autres Perfonnes de la prémière qualité: de forte que PArmée en fut presqtfentièrement détruite. La perte des Troupes mit le Roi Philippe hors d'état d'entreprendre le voïage de Palejline, comme il Pauroit fouhaité. II étoit d'ailleurs fort prelfé d'aller prendre polTeifion de fes propres Etats. C'eft pourquoi, il ne tarda pas a s'embarquer avec le Roi Charles, fon Oncle; &, abordant a Ci-vita-Fccchia, foit par dévotion, foit par curiofité, ils voulurent aller vifiter les célèbres Eglifes de Rome, & paffèrent enfuite a Fiterbe, oü les Cardinaux étoient encore en conteftation, pour donner un SuccelTeur a Cle mbnt IV. La préfence de ces deux grands Princes parut les déterminer. Us entrèrent de nouveau au Conclave; Et, au grand étonnement de toute la Cbrétienté,\eprémier jour de Septembre, ils élurent au Pontificat Thibaud Visconti , Milanois, Archi-Diacre deLodl, quife trouvoit Légat Apojlolique en Palejline, oü il avoit paffé avec la Flotte du Prince Edouard. La nouvelle de fon exaltation, qu'on ne tarda pas a y apprendre, remplit tous les Peuples d'iine joie incroïable, & les releva, en quelque manière, de la défolation, & de 1'abat- tement  de JE'RUSALEM. Liv. XII. Ch. VII. 67f tement, oü iis étoient piongés, dans Pefpérance que ce nouveau Pontife, qm étoit témoin oculaire de leurs miieres, ne manqueroit pas d'emploïer tout fon crédit, & toute fon autorité, auprès des Princes Chrétiens, pour leur procurer les puiffans fecours , dont ils avoient befoin. C'étoit bien auffi 1'intention du nouveau Pontife d'y travaifler , avec chaleur. II leur en donna des affurances dans un Difcours élégant, & touchant, qu'il leur fit avant fon départ, tant pour leur propre confolation, que pour encourager les Croifés, qui fe trouvoient encore en ce pays la, a perfévérer dans le généreux deiTein d'y combattre les Ennemis de Jefus-Chrift, & d'aider a reconquéiir les lieux , qu'il avoit lancfifiés par fa' vie miraculeu/è, & par fa mort glorieufe. II prit, pour texte de fon Difcours, ce beau verfet du F femme cxxxvi. Si oblitus fuero tui, Jérufalem, oblivioni detur dextera mea; qui convevenoit fi bien a fon fujet, a fon élevation, & a 1'état déplorable de la Ste. Cité. * II s'embarqua enfuite a Ptolomaïde fur-les VailTeaux du Prince Edouard, qui eftimoit infinimentfon mérite perfonnel, & fon ïlluftre naiffance. II étoit de la Maifon de Visconti. Le Patriarche. de Jérufalem, divers autres Prélats, & Seigneurs,'1'accompagnerent. II aborda a Cypontodc ÏApouille, oü le Roi Charles alla d'abord le recevoir, & 1'accompagna avec beaucoup de magnificence jufqu'aux confins de fes Etats. Les Cardinaux qui 1'attendoient a Fiterbe, Vy recnrent, avec toutes les marqués de révérence &de refpeét imaginable. 11 fut enfuite couronné avec les cérémonies accoutumées, &prit le Nom de Gre'goire, qui tut le dixième Pape de ce Nom. Ce Pontife, qui vouloit, en effet, donner fes foins au foulagement de la Terre-Sainte, s'apliqua d'abord a réconcilier les^ Fénitiens av.ec les Génois, dont les Flottes étoient néceffaires au tranfport des Troupes qu'il défiroit y envoïer. 11 engageale Roi de France a le feconder dans ce pieux deffein; &, avec Q8 HISTOIRE G'EN. de JETtUS. Liv.Xïï. Cir.VIT. l'ailiftance de ce nouveau Monarque, il conclut entre ces denx Républiques une Trève pour cinq ans. Cet accommodement lui procura d'abord la commodité de renvoïer le Patriarche de Jcrufalem, avec cinq eens Hommes a la folde de la Chambre Apoftolique, en attendant qu'il put lui procurer des fecours plus confidérables. Ce renfort arriva même heureufement a Ptolomaïde, avant la fin de fannée du départ de Gre'goire, & dans le tems que le Prince Edouard, a la follicitation du Roi Hugues, des Seigneurs du pays, & des Ordres Militaires, venoit de ménager une Trève entre les Chrétiens, & le Soudan Me'lec-ÈlVaher, qui, felon Loredan, fut établie pour dix ans, «Sc dix mois, mais dans laquelle il n'y avoit de ftabilité, que de la part des Chrétiens , paree que les Sarrafins ne s abstenoient jamais entièrement de les infulter ; Et fon enduroit patiemment leurs infolences, jufqu'a ce qu'on füt en état de les réprimer. Le Prince Edouard partit enfuite de Ptolomaïde, avec tout fon monde, «Sc aborda en Italië, pour avoir la fatisfadion d'y yoirlePape, qui, rempli dereconnoilTance pour la générofité, ivec laquelle il favoit accommodé dargent, de VailTeaux, «Sc Ie tout ce qui avoit été néceffaire pour fon voïage, le recut ivec toutes les marqués d'honneur, daffeétion, «Sc d'efiime, dont il put s'avifer. Enfin, content, & fatisfait de tant de majnifiques traitemens, le Prince Edouard continua fon voïage ïn Angleterre, oü il arriva a-propos, pour prendre la couronie, que le Roi Henri, fon Père, lui avoit laiiTée peu aupa- • ■avant.  HISTOIRE GÉNÉRALE ROÏAUME £ D E CHYPRE, de JÉRUSALEMj . E>' EGYPTE. LIVRE XIIL Chapitre Pr e'm ier, h™-le-Bel, Roi de France, qui avoit ^m&ft&ymW fort a cceur les affaires de la Terre-Sainte, T> oü lesfaclieux accidens,qui avoient fuivi la rfjg x MV> guerre de Tunis , favoient empêché d'al-j e^l^^^S ier' pour s,acciuiter du voeu qu'il avoit fait, W ^en prenant la Croix avec le feu Roi fon Père, n eut pas plutot mis ordre aux affaires de fon Roïaume, dont il venoit de prendre poffeffion, qu'il envoïa en 1 Article l Phi lippee-Be! , enme dufe■ours en 'aleftine.'  «73- Concile convoqné a Lyon , en faveur de ia Terre. Saintc- Gre'< s5So HISTOIRE G E' N E' R A L E en Palejline Qltvier de Tremoille, avec cent Arbalétriers , & peu après Gilles de Sanci avec trois eens autres. Ces deux Seigneurs arrivèrent a Ptolomaïde, presqu'en en même tems, & pendant que le Pape, qui n'oubliok point les calamïtès des Habitans, ni les périls, ou la Paleftine étoit expofée, convoquoit un Concile général a Lyon, tant pour engager les Princes Chrétiens a faire une nouvelle union pour les en déiivrer, que pour remédier aux grands abus, qui setoient introduits en Italië,par la longue vacance du St. Siége,& en Alkmagne , a caufe des troubles de YEmpire. Ce Concile fut encore plus cékbre, que ne favoit été celui qiflNNOCENT IV. avoit tenu dans la même Ville vingt-neuf ans auparavant; puisqu'outre le Souverain Pontife, quiy préfida en perfonne, avec preeque tous les Cardinaux, il s'y trouva les Patriarches de Jérufalem, & de Conftantinople, plus de mille Archevêques, Evêques, ou autres Prélats, & deux eens quarante-fix Abbés; Les AmbaiTadeurs des Empereurs cïOrient «Sc DOeeident ; ceux des Rois de France, de Chypre, & de tous les autres Princes dé Europe, & DOutremer-, divers Princes, & autres Seigneurs Tartares, qui y recurent le Batême des mains du Pontife, & leRoi d Jrragon en perfonne, felon quelques Ecrivains. ' L'Empereur Michel Pale'ologue, pour fe déiivrer de 1'inquiér.ude, que lui donnoient "les Sarra* fins d'un cóté, & les Latins de l'autre, paree qu'il craignoit toujours, que ceux-ci nevouluflènt remettre Baudouin fur le Tröne , dont il favoit dépouillé , quelques années auparavant, s'avifa , par une politique , aufïi fine , que fourbe, de foumettre , dans ce même Concile , 1'Eglife Grecque a la Latine, afin d'engager le Pape, & les autres Princes, a le laiffer en repos, &a tourner leurs armes contre les Infidèles, en quoi il oiïrit de les feconder.  öe JEftUSALEM. Liy.m. Gr. L (&i Gre'goire, qui fouhaitoit ardemment d'unir les PuilTances Cbrétiennes contre le Soudan & Egypte, fans trop approfondir, fi la démarche de Pale'ologue, & la réünion de fon Eglife a la Latine étoit bien fincère, eut la facilité de le confirmer, dans cette Augufte AlTemblée, Empereur de Conftantinople , a condition pourtant qu'il enverroit fes Forces au fecours de la Terre-Sainte ; «Sc qu'il favoriferoit, de tout fon pouvoir, le voïage des Croifés, qui pafTeroient fur fes Terres. Ce fut dans la même vue, que le Pape reconnut Empereur dOccident Rodolphe , qui, de fimple Comte de Hapsbourg, avoit été élu a YEmpire, par ordre du même Concile. Ce nouveau Monarque fut couronné a Aix-la-Chapelle , a la charge néanmoins, qu'avant Ia fin de 1'année il iroit a Rome recevoir la couronne Impériale des mains du Pontife, & qu'il pafferoit enfuite en Palejline, k la tête de 1'Armée, que les Puiflances Cbrétiennes aflembleroient contre les Sarrafins: Et, afin qu'il put faire Ie voïage dTtalie,Sc celui a"Outremer,zvec plus d'aifance, le St.Père s'engageade lui faire payer, dès qu'il entreroit dans YItalië, deux eens mille Ecus par les Banquiers Florentins, établis a Milan. Le même Concile impofa , pour dix ans, une décime fur tous les biens Eccléfiaftiques, dont le produit devoit êtreemploïé ' al'entretien des Troupes defiinées pour la Guerre-Sainte; &,afin « qu'on put 1'cxiger avec plus de fuccès, & que les Chrétiens de l Paleftine commencaflenta prendre courage, «Scpuflent fe main-c tenir pendant la durée du Concile, le St. Père y envoïa d'a-ƒ bord Güilalume de Roncillon , «Sc quantité de NobleiTe \ Itahenne, avec 400. Arbalétriers, qui arrivèrent a Ptolomaïde au mois d'O&obre de cette même année 1275-. Quoi que ces Gendarmes n'y fulfent pas alors fort nécelfaires, par raport a la tranquilité, dans laquelle vivoient les Sarrafins k leur égard, paree que Me'lec-El-Vaher s'étoit acharné contre le Roi d1'Arménie, & vouloit fe vanger des ravages, que les Tartares, Rr rr 1 trticle IU mpojition 'un dixii- wfur totttt sbiensEc- ^èfiafii- 'ies,pour ivorifer la 'uttre- aints.  •482 HISTOIRE GE'NE'RALE Négligence de Rodolphe a remplirfes engagemens. 1276. Mort du Pape Gré£oire X. Innocent V. luifuctêde.Sa mort. Adrien V. élu en fa place. Mort de ce Pontife. Jl a pour Sncceffeur Jean XX !• a fon inftigation, avoient faites dans fes Etats. AuiTi, lui fit. il bien relfentir les effets de fa colère ; car il entra lui même dans cette Province, a la tête de toute fa Cavalerie, ravagea avec précipitation tout le plat-pays, emmena plus de trentemille Arméniens prifonniers, dont il en choifit dix mille des plus jeunes, qu'il fit circoncire, «Sc les incorpora dans la milice des Mammelucs. Le Concile s'étant enfin terminé, «Sc le Pontife voïant, que, malgré fempreffement, avec lequel il avoit fait folliciter les prèparatifs pour la Guerre-fainte , fEmpereur Rodolphe ne travailloit point, avec alfez de diligence, pour fe difpofer a aller commander PArmée, qu'on y defhnoit; 1'envoïa citer, afin qu'il fe rendit en Italië avec fes Troupes, avant le commencement du printems. II le fit , en même tems , ménacer des foudres de 1'Eglife, s'il manquoit a fon voeu «Sc a fes engagemens ; ajoutant a ces ménaces, qu'il le priveroit abfolument de V Empire. Mais, malbeureufement pour les Orientaux, ce bon Pontife n'eut, ni la confolation de voir effeduër 1'union des Princes Chrétiens, qu'il avoit ménagée avec tant defoin, ni la peine d'en venir aux extrémités de 1'excommunication, dont il avoit ménacé 1'Empereur ; Car, en retournant a Rome , avec la plupart des Cardinaux, qui avoient affiflé au Concile, il tomba malade a Arezzo en To/cane, oü il mourut le 10. Janvier, 1276. Innocent V. lui fuccéda, dix jours après fon décès; mais il ne vécut, que jusqu'au 22. Juin, «Sc Adrien V. de la Maifon de Fiesque , Génois de Nation, qui fuccéda a Innocent, n'occupa la chaire de St.Pierre, que 39. jours. 11 mourut a Fiterbe, même avant d'avoir été couronné. Les Cardinaux élurent enfuite Jean XXI. Portugais de Nation. Celui-ci ne furvécut pas beaucoup a fes Prédécelfeurs, & ne gouverna 1'Eglife de Dieu, que jusqu'au 17. Mars de 1'année ftüvante.  de JE'RUSALEM. Liv. XIII. Gh. II. 683 Chapitre II. Pendant quil arrivoit de fi fréquens changemens dans le Pontificat , le Roi Hugues , voulant profiter de la Trève, que le Prince Edouard avoit établie avec M e'l e c-El-Vaker, & que les Sarrafins gardoient alors aflez régulièrement, repaffa en Chypre, tant pour rétablir les affaires de ce Roïaume, que pour pourvoir a celles de fa familie, qui ètoit affez nombreufe. II avoit eu plufieurs enfans de la Demoifelle d'lBELiN, Sceur du Prince de Galilée , qu'il avoit époufée , avant fon avènement a la couronne Ce Prince travailloit, avec avantage, aux affaires de fa Maifon , & pour la tranquilité de fes Sujets; mais il étoit, en même tems, fort peu fatisfait des Ordres Militaires, qui, enflés de leurs Forces en Palejline, y vouloient trop dominer. Les Templiers, en particulier, étoient fi orgueilleux, par raport aux grands biens, dont plufieurs Princes les avoient enrichis, que, méprifant fautorité du Roi Hugues, ils achetèrent, a fon infu, le Fief, nommé la Falconiêre, qui appartenoit k un de fes Vaffaux. Ce bien étant une fois incorporé dans un Ordre, qui ne meurt jamais, privoit le Souverain du droit de reverfion, & des autres prérogatives, faute d'Héritiers. II craignit, d'ailleurs, qu'on ne lui reprochat de ne s'être point affez fervi de fon autorité, & de n'avoir point laiffé a Ptolomaïde un Gouverneur, capable de foutenir fes droits. Ces griefs, & ces réflexions 1'engagèrent a envoïer un Ambaffadeur au Pape, pour fe plaindre au St. Père de farrogance des Religions, & de la désobéïffance des Peuples de Ptolomaïde. Les plaintes, que ce Miniftre porta au Pontife contre les Ordres Militaires, & contre les Peuples de Palejtine, furent Rr rr 2 d'autant Article I. Vciage du Roi Hugues en Chypre.  Entreprife. bardies de Templier tn YzXetWne,pendanVabfence d Roi Hugues. Article II. Pretenjïons formées contre Hugues fur la Courome de Jélufalejjj. . 684 HISTOIRE G E'N E'R A L E f d'autant plus utiles aux intéréts, & a la réputation du Roi Hugues, 5 que, peu après fon départ de Ptolomaïde, il furvint quelque diffé* 1 rend entre le Comte de Tripoli, & 1'Evêque de cette Ville. % Les Templiers prirent fi ouvertement le parti de ce Prélat, qui avoit été de leur Ordre, «Sc irritèrent fi fort ce Comte, qu'il leur ordonna de fortir incelTamment de fes Etats, & fit confilquer tous les biens, qu'ils y pofledoient. Ces violences excitèrent une guerre ouverte entre le Comte de Tripoli, & les Templiers, qui n'eurent pas lieu de fe louër de leur partialité. Car , voulant fe vanger fur les Etats du Comte, ils armèrent fix galères pour aller furprendre le Chateau de Nephin, que les Grees nommoient Tbofproropon; & les Latins, Face-de-Dieu, oü elles furent furprifes d'une tempête fi furieufe , qu'elles périrent entièrement fur le rivage. Ce n'étoient pas-la les feuls désordres, qui arrivoient a Ptolomaïde. Chaque Nation vouloit y commander, fans reconnoitre aucun fupérieur. Extravagance , qui y caufa une confulion fi aifreufe, que, fi les Sarrafins s'y étoient feulement préfentés, ils s'en feroient rendus maitres fans beaucoup de peine. Les AmbaiTadeurs du Roi Hugues arrivèrent enfin a Viterbe auprès du Pontife, & trouvèrent une matière bien plus intérelfante pour ce Prince, que la commilfion, dont il les avoit chargés. La PrinceiTe Marie avoit fi bien fait valoir fes prétenfionsauprès du St. Père, «Sc étoit fi fortement appuïée par le Sacré ColUge, qu'on y étoit fur le point de décider, en fa faveur, touchant la Couronne de Jérufalem; «Sc le jugement n'en fut fufpendu, que fur les fortes rémontrances de ces Miniftres. Ils portèrent enfin la Cour de Rome a en remettre la décifioa au Patriarche de Jérufalem , «Sc aux Barons du Roïaume, paree que ceux-ci fe trouvant fur les lieux, «Sc parfaitement informés des droits, que pouvoient avoir 1'un & l'autre de ces deux  de JE'RUSALEM. Liv. XIII. Ch. II. tfgj deux Princes, ils ne manqueroient pas de donner la Couronne a celui a qm elle devoit légitimement appartenir. Le renvoi de cette importante affaire a Ia décifion des Seigneurs de Paleftine, chagrina la Princeffe Marie ; Et, comme elle ne fe fentoit pas alors plus de pouvoir auprès d'eux que dans Ie tems, qu'elle voulut s'oppofer au couronnement du Roi Hügües, «Sc que fon grand age, joint a fon peu d'aifance, ne lui permettoit pas de faire un auffi long voïage, avec commodite, m de vivre en Paleftine, d'une manière proportionnee a fa naiffance , elle prit le parti d'embraffer Pexpédient > que lui propofèrent quelques Chevaliers du Temple, qui fut de tranfporter a Charles d'Anjou, Roi de Naples, & de Sicile tous les droits, raifons, Scaétions, qu'elle pouvoit prétendre ter Ie Roïaume de Jérufalem, moïenant une groffefomme d'argent, «Sc quelques autres avantages, qui furent expliqués dans 1 Acfe jundique, qui en fut paffé «Sc qui fut enfuite approuvé par le Pape, «Sc par tous les Cardinaux. L'Auteur de la Continuation de la Guerre-Sainte, qui, felon les apparences, n'a pas bien approfondi 1'origine de cette Princeffe, la fait Eille de Fre'de'ric, Fils naturel de 1'Empereur Frederic I. qui avoit été Prince dé Antioche, «Sc après lui CoNRAD-le-TeTü, fon Fils ; Et il ajoute, que les prétenfions de Marie fur le Roïaume de Jérufalem n'étoient fondées, que fur les droits de fEmpereur F r e'd e'r i c, fon Aïeul. Colekucio, «ScCaraffa, Auteurs deWi/toire de Naples, quoique daiUeurs tres-bons, «Sc diligens Ecrivains, pouvoient fun, & 1 autre n avoir jamais lu, ni apris, qui étoit cette Princeffe Mawe, qui rénonca fes droits en faveur du Roi Charles : Rénonciation, qui autorifacePrince, «ScfesSucceffeurs, aprendre le Titre de Rois de Jcrufalem. Cependant, que fes prétenfions fuffent jufies, ou non, fa renonciation caufa bien des troubles dans la Terre-Sainte: Car Charles, qiu efumoit infiniment ce Titre, & qui crut avoir Rr 3 acquis;  ( Diminution ' de l'autorir tide Hugues fur le Roïaume de . Jérufalem. Hugues Jolliciti de repaffer en Paleftine. >S6 HISTOIRE GE'NE'RALE icquis un doublé droit fur le Roïaume de Jérufalem, puis qu'il l'avoit déja en qualité de Roi de Sicile, envoïa incelfammenta Vtolomaïde le Comte Roger de St. Se'verin, avec fix galères bien irmées,pour en prendre polfelfion,&pour y gouverner en fon aom. Les Templiers, qui cherchoient toujours a traverfer le Hoi Hugues dans la jouïflance de cet Etat, favorifèrcnt non feulement ce Comte, mais encore engagèrent Albert Morosim , Baile des Fénitiens , a fe ranger de fon parti. Ce fut a leur faveur, que St. Se'verin entra dans Ptolomaïde, au grand préjudice du légitime Souverain, qu'ils avoient eux mêmes reconnu peu auparavant, & qui eut enfuite bien de la peine a empêcher fon concurrent d'abforber toute 1'autorité. Cette nouveauté, «Sc 1'abfence du véritable Chef, augmentèrent extrèmement le désordre, & la mesintelligence, qui ne régnoit déja que trop parmi les Habitans de Ptolomaïde. Les Barons dupays,les Hofpitaliers,les Teutoniques, les Génois, «Se les Pifans , qui tous fouhaitoient d'y remédier, avant que le mal devint plus grand , envoièrent unanimement des Ambafladeurs en Chypre, pour folliciter le Roi Hugues a aller promtement reprendre le gouvernement de 1'Etat, & terminer les désordres qu'y avoit caufé fon abfence; 1'affurant qu'ils 1'aideroient, & le ferviroient, avec tant d'affeétion , «Sc de zèle , dans cette louable entreprife, qu'il auroit tout lieu d'être fatisfait de leur attachement pour fa perfonne, «Sc pour le bien commun des Chrétiens. Cette Ambalfade déplut extrèmement aux Templiers, qui n'avoient jamais voulu fe joindre aux autres. Us en vinrent a de grofles paroles avec les Hofpitaliers ; de forte que ces deux corps, qui faifoient également profeflion des armes, & qui ne s'amufoient guères a difputer leurs prétenfions en paroles, furent fur le point d'en venir aux mains. Mais le Patriarche, «Sc tous les principaux Seigneurs, qui prevoïoient le grand préjudice, que leur désunion alloit caufer a 1'Etat , leur remontrèrent fi effica-  ©e JE'RUSALEM. Liy.XIir.CH.il. 68 efficacement les malheurs, qui en arriveroient, qu'ils les portè rent enfin a facrifier leurs palfions particulieres au bien de h caufe commune. Quoique le Roi Hugues ne fit pas moins de cas du Titre de Roi de Jérufalem, que le Roi de Naples, «Sc qu'il en füt même très-jaloux , il ne fe rendit pourtant point aux follicitations des Seigneurs de Ptolomaide, pour y retourner. II parut fort indifférent fur la venue du Comte de St. Se'verin, & fur la commiffion, dont il étoit chargé. Tant ce Prince étoit dégoüté de la confufion, qui régnoit dans cette Ville, & du peu du refpeót, avec lequel on y recevoit fes ordres. II étoit, d'ailleurs, fort attaché a 1'établiffement de fes Enfans, dont plufieurs étoient en age d'être pourvus, aulfibien qua faire perfeétionner une fameufe Abbaye, qu'il avoit fondée entre la Ville de Nicofie, «Sc celle de Cérines, «Sc a attirer des gens de Lettres dans fes Etats. II apritmême, fans fe donner aucun mouvement les progrès, que faifoit le Comte Roger a fon préjudice, «Sc ne témoigna aucun mécontement de 1'affiftance, que les Fénitiens, «Sc les Templiers lui prêtoient; perfuadé que la haine cachée , ou découverte dés particuliers, «Sc enfin 1'émulation, qui avoit toujours régné parmi les Ordres Militaires, contribueroient alui conferver fes droits; «Sc que, fi les uns s'étoient déclarés en faveur defonrival,les autresnemanqueroient pas de prendre fon parti. II ne fe trompa point; car, lorsque le Comte de St. Se'verin voulut^xigerdesi7o^/;>ri le ferment de fidélité pour le Roi fon Maitre,ilsluirépondirent,"qu'ils auroient fortfouhaité „ de fervir leRoi Charles, auffi-bien que leRoi Hugues, étant „ 1'un, «Sc l'autre également amis de leur Religion; mais que les „ Statuts de leur Ordre leur défendoient abfolument de fe mêler „ des différends, qui furvenoient entre les Princes Chrétiens, «Sc ne „ leur permettoient de fe fervir de leurs armes, que pour le foutien, „ «Sc 1'augmentation de la foi, & pour 1'extirpation des Infidèles. Les ? l .Stol indiffèrence i maintenir fes droits fur le Roïaume de Jérufalem.  688 HISTOIRE GE'NE' RALE «i?7- Mort iu }ean XXI. ticolailll. fuijuccide. Article/^. 2 ] ] t ■ < 1 Les Barons du Roïaume, encore plus réfolus, que ces Che valiers , répondirent au Comte , qui leur fit la même propo* fition, "qu'ils ne pouvoient faire hommage, & prêter fer„ ment de fidélité, qu'a un feul Souverain; «Sc que 1'aïant jurée „ depuis long-tems au Roi Hugues, avec toute la folemnité, „ «Sc toutes les circonftances, qui fe pratiquent en parcilles oc„ canons, ils ne pouvoient en reconnoitre aucun autre, fans fe „ rendre parjures. Le dépit que le Comte Roger concut de ce refus, dont il attribuoit la caufe aux brigues des Hofpitaliers, fit qu'il en écrivit avec beaucoup de chaleur au Roi Charles, lequel, irrité que des Religieux, qui poffédoient de II beaux biens dans fes Etats, en agilfent d'une manière fi oppofée a fes intéréts, fit d'abord confifquer tous les revenus, dont ils jouïflbient, fans même vouloir écouter aucune de leurs juftifications. II en porta, de plus, de grandes plaintes au Pape Jean XXI. qui n'eut pas le tems de lui faire donner fatisfacïion fur ce fujet, étant mort a Viterbe, peu de tems après. Son SuccelTeur , qui fut Nicolas III. de 1'Illuflre Maifon des Ursins, nelui en pro^ cura pas davantage. Presque en même tems les Habitans de la Paleftine furent dé-' livrés d'un Ennemi d'autant plus rédoutable, «Sc plus a crainare, qu'il avoit été plus acharné kleur deftruclion, qu'aucun de fes Prédécelfeurs. Le Soudan Me'lec-El-Vaher , qui, felon juelques-uns , étoit allé fecourir le Chateau iïElvir , nommé lujourdliui Elbir, fitué fur le bord de YEufrate, que les Tarares avoient afliégé, en fut attaqué k la fortie de ce fleuve, ivec tant de force, que fa Cavalerie n'en put foutenir le choc Llle prit la fuite avec tant de précipitation, «Sc de désordre, que i'aïant pu regagner le gué, laplus grande partie s'y noïa. Le ioudan même ne dut fon falut, qu'a la bonté, & a la vigueur Ie fon cheval, qui traveria cette grande rivière a la nage, & ï porta fur l'autre rive ; mais f altération, & la frayeur que lui caufa  be JE'RUSALEM. Lrv.XIIL Ch. II. eaufa le grand danger, qu'il avoit couru, joint a la douleur de lentieredefaite de fon Armée, lui caufèrent une diffenterie, dont il mourut peu de jours après. Le Continuateurde h Guerre-Sainte, «Sc quelques autres Auteurs pretendent, que ce fut dans une expédition D Arménie,qm 1 Armee de Me'lec-El-Vaher fut défaite, pendant qu'elle s\mufoit a ravager, fans fonger afe garder des emkiches, qu'on pouvoit lui tendre; & que ce fut dans cette occafion, que ce Soudan recut un coup de flêclie dans un ceil, dont il mourut a Damas,ou les gens le tranfportèrent. Ayton $ Arménie afiure que Me lec-El-Vaher fut empoifonné. L'opinion des Auteurs eft fi différente fur lesRègnes, & fur les Noms des Soudans, qu'il eft fouvent bien difficile de démêler celui qui a parlé le plus jufte de leurs aétions. Le fentiment d'Aiton paroit pourtant le plus für, puisqu'il étoit contemporain, onginaire de ce pays-la, «Sc par conféquent mieux informé, qu'aucun autre, de ce qui s'y paifoit. Auffi le doéte, «Sc favantChevalier De la Vi naudiere,Sécrétaire deClaüde de la Sangle, Grand-Maitre de Malte, 1'a entièrement fuivi dans le Livre , qu il nous a laüTé , & qui a pour titre Aureum Turcicum Imperiique Ottomanici defcriptio, dans lequel il raporte exaótement la lücceffion, & la mort des Soudans d Egypte. Les Mammelucs prirent pour Chef Almac, Fils de Melec-El-Vaher. II prit le Nom de Me lec-El-Sald , qui fignifie Roi-Déftré. II n'auroit pas été moins avide de la ruïne des Chrétiens, que favoit été fon Pere, fans les embarras, qu'il eut a démêlcr dans fes Etats, «Sc avec fes propres Sujets. Ss ss Ch a- Mort de Mélcc ElVahcr. Sentiment panagés fur cette mort, & fur k ntm des Soudans. is:?.  épo HISTOIRE G E' N E' R A L E Article T. Lt Roi Hugues peur* voit tous Jis Enfans. Chapitre III. Le Roi Hugues avoit cependant eu beaucoup de confolation de fes Enfans, a qui tout alloit felon fes défirs. II avoit fait une doublé alliance en Arménie, en mariant la Princeffe Mariette , fa Fille ainée, avec le Roi Livon , ou Tivon, & Alm e'r i c, fon troilieme Fils, avec Isabelle d'Arménie, Sceur de ce Prince ; Marie , au Roi oVArragon ; Alix , a Balian d'Ibelin , Prince de Ga/i/ée ; & Chelvis , a Thoros , autre Prince Arménien. 11 avoit auffi pourvuCamerin, fon quatrième Fils, de la Charge de Connétable de Cbypre, & donné celle de Connétable de Jérufalem a Gui, fon cinquième. 11 fit aulfi faire profeffion a Boemond , fon fixième Fils, qui étoit entré dans FOrdre de St. Bominique. Comme le Prince Jean , fon ainé, ne jouïffoit pas d'une bonne fanté, il ne jugea point encore a-propos de le marier , & deftina Henri , fon fecond Fils, a lui fuccécler a la Couronne. Ne pouvant aprendre, fans inquiétude, les grandes vexations que le Comte de S t. S e'v e r i n exercoit fur les Peuples de Palejline, & la licence, avec laquelle il y lailfoit vivre fes Soldats, il fe rendit enfin aux rémontrances de Nicolas de Lorgue, Maitre des Hofpitaliers. Celui-ci, rempli de zèle, & d'affection, pour le bien commun des Cbrétiens, de peur qu'il* ne fe détruififfent eux mêmes par leurs difcordes, avoit, par fes foins, & par fa prudence, non feulement établi une bonne intelligence entre fon Ordre, & celui de Templiers, mais encore accommodé le différend, qui régnoit entre le Comte de Tripoli, & ces Chevaliers, 6c mis fin a la guerre, qu ils fe faifoient depuis deux ans. II avoit, deplus, fait de fi fréquentes inftances au Roi Hugues , qu'il détermina enfin ce Prince a repaf- I  « de JE'RUSALEM. Liv. XIII. Cu. III. 691 repalfer en Palejline■-, pour faire ceffer les désordres, qu'y eaufoient les gens du Roi de Naples. II s'embarqua avec fes meilleures Troupes, malgré les rémontrances de la Noblclfe Cbypriote, qui n'oublia rien pour lui infpirer dabandonner un Etat, qui lui coutoit plus de dépenfe , & d'incommodité, qu'il n'en recevoit d'honneur, & de profit, & qui pourroit, dans la fuite, caufer la perte entière de celui de Cbypre. Ce Prince aborda a Tyr, oü les Habitans, qui n'étoient pas moins mécontens du Comte de St. Severin, que ceux de Ptolomaïde, le recurent avec beaucoup de joie, de refpecf., & de foumiifion. II eft vrai, que, comme il ne s'étoit pas oppofé affez-töt aux entreprifes de ce Comte, ce dernier avoit eu le tems de fortifier fon parti, «Sc même de s'emparer du Chateau de Ptolomaïde. II ne jügea point a-propos de Pen chalfer a force ouverte, afin de ne point augmenter la défolation des Peuples, qui n'étoient déja que trop accablés de mifère. II demeura donc tranquilement dans la Ville, «Se fe contenta d'empêcher fes Ennemis d'ufurper une plus grande autorité; perfuadé que, fi ce Comte ne recevoit pas bientöt quelquepuiffant fecours & Italië, ceux qui avoient embraffé fon parti, «Sc qui étoient obligés de pourvoir a la fubfiftance de fes Troupes, 1'abandonneroient. Hugues demeura quatre mois a Ptolomaïde; «Sc, après y avoir rétabli Pordre dans les affaires, autant qu'il lui fut poflible, il repaffa en Cbypre, pour augmenter fes Troupes, «Sc punir"les Templiers de leur partialité en faveur de fon rival. II fit confifquer tous les biens, qu'ils y poifédoient, & en emploïa le produit a la levée de gens de guerre. Dans ce même tems , les Chevaliers de YHópital, qui étoient a la garde de leur Chateau de Margat, informés qu'un Emir Sarrafm couroit les campagnes, avec de la Cavalerie, «Sc ravageoit tous les lieux ouverts, fortirent de cette Fortereffe , «Sc le furprirent fi a-propos , qu'ils le défirent totale- Ss ss 2 ment. LeRoi Hu- eucs repaffo enfin * Ptolomaïde. 1279Il y rétablit It bon ordre , cf revient e'.t Chypre. [ 1280. Article Ih Heureux 5 Juccès de: Hofpitaliers.  is8r. Mélec-ElSaid ajjiége le Cbdteau de Margat, &l'abanéonnt, Ï182. 11 ejl défaif fur les deux Aois Ce fut encore a la follicitation du Roi dé Arménie, qui entretenoit toujours une bonne correfpondance avec Abagas, que ce Prince Tartare envoïa de nouveau trente mille Chevaux en Syrië, fous le commandement de Mangodamor, fon Frère, afin devanger les ravages, les maffacres, &les incendies, que les Sarrafins avoient commis dans VArménie. Mangodanior, parvenu aux confins de cet Etat,y fut joint par le Roi Livon jui conduifoit auffi grand nombre de Cavalerie. Us entrVenr enfemble dans la Province DApamée, 0Ü ils avoient apri/que e Soudan etoit allé rafraichir fes Troupes 3^P'E^-SAID»de fon cöté,ne fut pas plütöt informédc la narche des Tartares, ^Arméniens, qu'il renforcaToni nee , le plus qu'il lui fut poffible , & marciia dansV pagnei  »e JE'RUSALEM. Liy. XIÏÏ. Ch. m é pagnes ÏEmefiè, bien réfolu de donner bataille a fes Ennem avant qu'ils s'emparaifent d'aucune ForterelTe, ni qu'ils ™ gealfent les Terres de fes Sujets. 4 Ce fut dans cette plaine fpacieufe, que les deux Armées rencontrerent. Elles en vinrent d'abord aux mains. La batai fut fort fanglante. Lc.Roi D Arménie, qui commandoit 1'ai droite , commenca 1'aótion , & fut très-bien fecondé par i Capitame Tartare, nommé Almak, qui conduifoit 1'aile ga, che. Us mirent d'abord toute l'Armée Serafine en désordre & lobligerent a prendre une fuite précipitée. ht Soudan demei ra avec quatre feuls hommes a fes cötés, avec lesquels il ei le bonheur de fe retirer fur une éminence, qui 1'écartoit du dan fZu vï TT t& C°nfem' par 16 PCU d'expérience, o, par ia lacheté de Mangodanior. Celui-ci, qui commandoi le corps de bataille, au heu de profiter du grand avantage de fiens; foit qu i ne fe füt jamais trouvé dans aucun combat ou que naturellement il n'eut point alfez de courage pour don ner, fi trouva fi etonné des prémiers coups, que ks deux aiie dechargerent, qu'il fe retira, fans rien entreprendre II n'€ tendit pas même le retour du Roi cY Arménie, & d'ALMAK qui avoient pourfuivi les fuïards, le prémier jusau'aux portas üEmeffi, & Almak jufqu'a celles de Tara, dans 1'efpeWe que ce jeune Général acheveroit la Victoire, qu'ils avoient % bien commencée. , ^esdf xbrf'esGénéraux,aprèsavoirfait une grande boudne des Sarrafins , revinrent fur le champ de bataille. lis W tres-furpns, & tres-mortifiés de n'y plus trouver, que les cadavres de ceux quils avoient défaits ; & que Mangodamor, L TuTnt drenJCOnfef5 triomPhant, eüt laiifer échappe une fi belle occafion de défaire entièrement les Ennemis & peutetre même de s'emparer de la propre Perfonne du Soudan ' , I s ne tarderent pas a reconnoitre, qu'il avoit repris la route 1 teYEufrate. lis fuivirent fes traces, &le trouvèrent, b'nlfilj.j ss 3 cam-Jc' n is, a- fe Ie le n i- 9 t I r » \nkieliz hfcitedes Umtiiêns p.ir ( 1 t L ■ S,  Mort d'Abaga«. 69± HISTOtRE GE'NE'R ALE carapé fur le bord de ce fleuve; réfolu de retourner en Perfe, comme il 1'exécuta peu de jours après; de forte que fon voïage en Syrië fut plus funefte, qu'avantageux au Roi & Arménie; car, bien loin d'être vangé des Sarrafins, il perdit la plus grande partie de fon Armée, en s'en retournant. 1 Comme tout le pays avoit été ravagé par les Barbares, & que les Arméniens n'y trouvoient plus de quoi fublifter, ils furent obligés de marcher par pelotons, & d'aller plus loin chercher des vivres; mais ils furent presque tous maflacrés par les Infidèles, qui les pourfuivirent. C'eft ainfi que le raporte Ayton & Arménie , qui fe trouva dans cette malheureufe expédition. Néanmoins Paul Emile , Jean Villani , Tracagnota, & le Continuateur de la Guerre-Sainte, ontfuivi un fentiment bien contraire; car ils prétendent, que ce nefut, nipar crainte, ni par lacheté, que Mangodanior abandonna la bataille, mais pour favorifer le Soudan, qui 1'avoit gagné a force d'argent, & qui lui donna le fignal de fa retraite, en defcendant de cheval pendant le fort du combat, ainfi qu'ils en étoient convenus; cequi donna le tems a Me'lec-El-Said de rallier fes Troupes , qui avoient liché le pié , de reprendre le terrain, qu'elles avoient abandonné, & de contraindre le Roi d'Arménie a fe retirer, fans pourtant perdre beaucoup de monde, quoiqu'il eüt tout le gros de f Armée Sarrafine fur les bras. ^ Ces mêmes Auteurs aflurent, qu'Abagas fut fi irrité de la lacheté de Mangodanior, qu'il lui fit couper la tête, aufli-bien qu'a tous fes Officiers, dès qu'ils furent de retour en Perfe; & qu'il ordonna, que les Soldats, qui avoient été de cette expédition, allaflent, le refte de leur vie, en habit de femmes, ■afin qu'ils lerviflènt d'exemple a fes autres Troupes. Us différent encore, en ceci, beaucoup d'Ayton óéArménie, qui affure, que ce fut le Soudan, qui, pour fe déiivrer des fréquentes attaques des Tartares, & fur tout de 1'appréhenfion, que lui  de JE'RUSALEM. Liv. XIII. Ch. III. tfpj lui donnoient les grands prèparatifs que faifoit actuellement Abagas, pour revenir en Syrië réparer le tort, que fon Frère avoit fait a fa réputation, eut 1'adrelfe de corrompre fes principaux domeftiques, lefquels furent alfez perfides pour empoifonner Abagas , & Mangodanior , qui moururent prefque I283" en même tems. Chapitre IV. La mort de ce Prince, qui chérilfoit 11 fort les Chrétiens, Artjcie/, & qui arrêtoit fouvent les entreprifes des Sarrafins, obligea le Roi Hugues a conduire promtement toutes fes Forces en Palejline, ne doutant pas, que Melec-El-Said, enflé du fuccès d'en avoir chalfé XzsTartares, & prefque détruit les Arméniens ^kntreprk d'envahirce qui reftoit encore aux Fidèles. II le craignoit avec d'autant plus de raifon, qu'il n'y avoit rien a compter fur les Forces des partifans du Roi Charles, qui fe trouvoit dans de très-grands embarras en Sicile. Jean de Procida, par fes intrigues, avoit porté les Peuples a fe foulever contre lesFranpois, & a faire, le jour dePdques, afheurë de Vêpres, cette terrible, & cruelle exécution, qu'on a depuis sppellée, par fingularité, les Fépres Siciliennes. 2««f"' Auffi, Ie Roi Charles, bien loin de fonger, a envoïer aucun fecours a Ptolomaïde, en avoit même rappellé le Comte de S t. S e v erin, pour s'en fervir dans la guerre, qu'il préparoit contre ces Infulaires, afin de vanger faffreux maffacre, qu'ils avoient fait des Franpois , & les punir de leur rébellion. Hugues de Pe'le'quin fuccéda au Comte Roger, & prit, comme lui, le Titre de Gouverneur du Roïaume Jérufalem. 11 fut également foutenudes Templiers, toujours prévenus contre les  '696 HISTOIRE GE'NE'RALE Dêlarquequement du Roi Hugues i Baruth. Sa Cavalerie entièrement défaite par les Infidèles. Article II. Sts inquiitudes le troublent. 1 i l I I S les Luzignans , qui leur faifoient ombrage. La partialité de ces Chevaliers, qui étoient puiflans, fit rencontrer au Roi Hugues beaucoup plus de difficultés, qu'il ne s'étoit attendu d'en trouver, après 1'éloignement de St. S e'v e r 1 n , qui avoit laiifé peu d'argent pour foutenir la guerre. Le Roi fit débarquer fa Cavalerie a Baruth , oü il avoit abordé, & ordonna, qu'elle marchat vers Ptolomaïde. A - peine fut-elle parvenue en un lieu, nommé le pas périlleux, qu'elle fut entièrement défaite par les infidèles, qui y étoient en embufcade. II fut d'autant plus fenfible a ce malheur, que le bruit fe répandit, que c'avoit étél'ouvrage des Templiers , qui avoient averti les Sarrafins de leur débarquement, & de leur marche. Après cette nouvelle offenfe, qui ne marquoit que trop la continuation de leur mauvaife volonté envers ce Prince, au lieu d'aller débarquer a Ptolomaïde, comme il l'avoit projeté, il alla droit a Tyr, pour être mieux informé des affaires, & prendre des mefures convenables a fes intéréts. Cependant 1'inquiétude fécrette, qui lui étoit reftée de deux iccidens, arrivés a fon débarquement, & que rien ne pouvoit :irer de fon efprit, 1'agitoit fans ceffe. Le pavillon du Vaiffeau, 511'il montoit, tomba dans la mer, fans qu'il füt poflible aux Matelots de le reprendre , malgré toute la diligence , qu'ils firent, & le nombre d'entre eux, qui fe plongèrent pour cet efEet. Le fecond préfage, qui 1'inquiéta, fut la chute de la Croix, mi tomba des mains de celui qui la portoit au-devant du Cler2jé, lorfqu'il alla le recevoir. Ces accidens le frapèrent fi fort, ju'ils ne lui permirent pas de faire un long féjour a Tyr, ni uicune tentative pour chaffer de Ptolomaïde les gens du Roi Charles. Ainfi, voulant s'éloigner dun lieu, oü il avoit rencontré les préfages, qu'il croïoit funeftes, il recommanda fes intéréts .u Chevalier Nicolas deLorgue, Maitre de YHópital, dont le  de JEHUSALEM. Liv. XIII. Ch. IV. 6p? le zèle lui étoit connu. II donna, felon Loredan, le Gouvernement de Tyr a Emfroi de Montfort, & repafla promtement en Chypre. Soit que la mélancolie, qui favoit faifi, lui eüt gaté le fang, ou qu'il s'échaufat trop a fétude, & a la chalfe, qu'il aimoit extraordinairement, il y fut attaqué d'une pleurefie, dont il mourut le 7. Mars, après avoir régné dixfept ans, & embelli le Roïaume de divers beaux édifices, dans lesquels fa pieté n'éclata pas moins, que fon amour pour les fciences. 11 avoit fait batir des Eglifes dans les Villes principales. II y avoit établi des écoles publiques pour l'initruclion de la jeunelfe, & fait venir de trés-favans hommes des pays étangers, pour f enfeigner. II fonda auffi cette belle & fomtueufe Abbaye, nommée de lapaïs, dans une des plus agréables, & délicieufes fituations de l'Ile, & la donna, au raport du même Loredan, a 1'Ordre des Humiüés, &, felon Luzignan, a celui des Prémontrés. II 1'enrichit de revenus fort confidérables, & de divers priviléges. II obtint même du Pape, que 1'Abbé en feroit, non feulement mitré, & crolfé,mais encore qu'il pourroit affiller a toutes les fondions publiques avec 1'épée, & les éperons dorés, comme les portoient les Princes, & grands Seigneurs du Roïaume. x Le CorPs de ce Prince fut inhumé dans cette même Abbaie, oü 1'on voit encore aujourd'liui fon tombeau a main droite, dans le parvis de 1'Eglife; Et, quoique les Turcs aient endommagé, en plufieurs endroits, cette magnifiqueMaifon, en arrachant quantité de Colonnes de marbre & de porfire, dont elle étoit ornée , & en creufant jufqu'aux fondemens, dans 1'éfpérance d'y trouver des tréfors,elle peut palfer pour un édifice digne des anciens Romains, tant pour 1'excellence de fon architeclure, que par fa folidité, fes bonnes eaux, & les beaux jardins, dont elle eft environnée; mais elle fe trouve, en même tems, déferte,faute d'Habitans. Tt tt II Sf mort, élogc.  6oS HISTOIRE GE'NE'RALE Le Prince jean, fon aini, biri tier de fa (ouronne, tptouoé la baine de fes Frères. II eft étonnant que les Ecrivains modernes, & furtout Basio, qui d'ailleurs eft fort exact, ait cherché, dans fon Hiftoire de Ma/te 9 a ternir la mémoire des Rois Luzignans, principalement celle de ce dernier, d'autant plus que cet Auteur convient lui même, que tant d'autres grands Princes, qui ont fait le voïage de Palejline, avec de puiffantes Armées, n'y ont, non plus que lui, fait aucun progrès fur les Infidèles, par raport a la jaloufie, & a la difcorde perpétuelle, qui y régnoit, entre les Ordres Militaires, & celle des Seigneurs du pays,qui étoit encore plus grande, pendant le règne du Roi Hugues, qu'elle n'avoit jamais été; Deforte que, fi ce Prince n'y put exercer fa valeur contre les Ennemis du Nom Chrétlen, ce fut plutót par la faute des mêmes Chrétiens qui ne le feconderent pas, que par la fienne. Aulli , St. Thomas d'Aquin, qui en connoiffoit le merite, & qui étoit incapable de flatter, lui dédia fon Livre, Le Regimine Prineipum, dans Ia préface duquel ce grand Saint en fait un éloge, qui détruit entièrement la mauvaife idéé, que les autres Auteurs peuvent donner de fa valeur, & de fa piété. En effet, tout bien examiné, il ne paroit pa3, qu'on puiffe trouver rien a redire a ce Prince, qu'un peu trop d'indulgence pour fes Enfans, & de ne s etre pas affez fervi de 1'autorité de Père, & de Roi, pour entretenir entre eux 1'union, & 1'amour, qui eft la lburce de la profpérité des families Roïales, & particulières. La cérémonie de fès funérailles fut a-peine terminée, que le Prince Jean, fon Fils ainé, qui lui avoit fuccédé a la Couronne, contre fon attente, commenca a éprouver les effets du peu d'amitié de fes Frères, & 1'inclination, qu'ils avoient a troubler 1'Etat, & fa Perfonne. Aucun d'eux ne voulut pas même alfifter k fon couronnement; car, malgré la désunion, dans laquelle ils vivoient auparavant entre eux; dès que leur Frère fut monté fur le Tröne, ils agirent tous de concert pour le  fiE JE'RUSALËM. Cm m Ca IV. 699 le chaginer , «Sc pour faire augmenter les infirmités, dont il étoit atteint dès fon enfance. Boemond même, qui avoit fait profeifion dans TOrdre de St.Dominique, quita le froc, «Sc non moins ambitieux que les autres, prit le titre de Prince de GaJilée. Cependant ce nouveau Souverain, fans s'arrêter a leurs mauvaifes manières, ni chercher k les en punir, que par fon indifférence, palfa en Paleftine, «Sc fut couronné a Tyr Roi de Jérufalem , avec d'autant moins d'oppofition, que le Roi de Naples étoit mort kFoggia quelque tems auparavant, «Sc que Charles, fon Fils, furnommé le Boiteux, qui lui avoit fuccédé, ne paroilfoit pas fort emprefle pour la domination d'un pays aulfi éloigné de fes Etats, «Sc auffi expofé a 1'invafion des Sarrafins, que 1'étoit le Roïaume de Jérufalem. Après fon couronnement k Tyr, on le follicita de palfer a Ptolomaïde, pour tacher de remédier k la confufion, qui régnoit dans cette Ville. Sa demeure .n'y fut pas longue. II lailfa les chofes de la manière, que le feu Roi, fon Père, les avoit établies, «Sc s'en retourna incelfamment en Chypre, crainte que la mauvaife volonté de fes Frères n'y fufcitat quelque £édition, pendant fon abfence; Mais fa mauvaife fanté ne lui permit pas de goüter longtems les plaifirs de la vie, ni ceux de la Roïauté, encore moins de repalfer en Palejline, pour aider les Habitans k repoulfer les Infidèles, qui les infultoient fans celle. Chapitre V. Me'lec-el-Said, qui, après la mort d'Abagas , avoit cefie de craindre les armes des Tartares, s'étoit retiré en Egypte , après la bataille déEmeffe, & avoit ajlemblé une nom- Tt tt 2 breu.- Artide'r. II ejl couronné Roi de Jérufalem dans la Ville dt Tyr. Mort de Charles fAnjou, Rei de Naples. Article I. Prife de Margac parMélec* El-Said.  ?oo HISTOIRE G E' N E' R A L E Jtemarque Palititjue. breufe Armée, avec laquelle il vint h Damas. II la grolTit encore des Troupes de ce pays , «Sc de quantité & Arabes. II fe trouva enfin, fous fes enfeignes , foixante mille Chevaux, & pareil nombre ^Infanterie, quantité de machines, & abondance de provifions. II affiégea le Chateau de Margat, Place très-forte , & qui appartenoit aux Hofpitaliers, & la battit par terre, pendant que fa Flotte, qui étoit entrée par le fleuve Eleuftère , ou Valande , fur le bord du quel elle eft. fituée, la battoit de fon cöté; mais , malgré les fréquentes attaques qu'il lui donna, elle étoit fi bien défendue, & fes murailles fi difficiles a entamer, qu'il n'en feroit jamais venu a bout, fans 1'invention, dont cet habile Soudan s'avifa. ' Comme il voïoit, que fes continuelles batteries, ni fès fréquens alfauts navancoient point, il fit travailler k un fouterrain , qui fut conduit avec tant de diligence , qu'en peu de jours les ouvriers parvinrent aux piés du mur, quils pillotèrent avec tant de promtitude, fans que les Afiiégés s'en appercuflent, qu'il n'auroit tenu qu'a lui de les enfévelir fous leurs ruines; «Sc rien ne Pen empêcha, que 1'apprehenfion qu'il avoit encore de leur valeur , «Sc de leur courage. Cette confidération 1'engagea a leur faire connoltre le peril, oü ils étoient expofés. Alors les Chevaliers , furpris du danger évident, qui les ménacoit, crurent, que, fans intérefler la gloire , & la réputation de leur Ordre, ils pouvoient rendre une Place , qu'il leur étoit desormais ïmpolfible de pouvoir conferver. Cependant, malgré 1'avantage du Soudan, «Sc leur extrémité, ils en obtinrent encore une Capitulation fort honorable. Us en fortirent avec armes, bagages, «Sc enfeignes déploïées, «Sc fe retirèrent a Ftohmaïde, avec tous les Habitans de ce fameux Chateau. Ce facheux accident pour les Hofpitaliers , leur fit bien connoitre , que la force & la valeur ne fuffifent pas toujours  re JE'RUSALEM. Liy. XIÏÏ. Ch. V. fi jours a la guerre, & que ces belles qualités veulent être accor pagnées de beaucoup devigilance, & de circonfpe&ion, poi éviter les rufes, & les embuches de l'ennemi. L'acquifition d'une Place, qui rendoit Me'lec-El-Said, maiti d'une étendue de pays aflez confidérable& fur tout des ave nues de Tripoli, du cöté de VOriënt, le fit bientöt penfer s'emparer de cette Ville ; de forte que, pour ne point perdr de tems, pendant qu'il faifoit travailler aux réparations de Mar gat, il envoïa un de fes principaux Amiraux, appellé Lefte Ratin , avec la meilleure partie de fon Armée, pour en com meneer le fiége, & s'y rendit enfuite lui-même, avec le refti de fes Troupes ; Mais, heureufement pour les Chrétiens, ; peine eut-il drelfé fon camp autour de cette Place, qu'il recu un Courier d''Egypte, qui lui aprit la mort de fon Fils unique auquel il avoit laiifé le gouvernement de ce Roïaume, & er même tems la révolte d'un de fes Amiraux, nommé Helpi, ou, felon Ayton $ Arménie, Ersi, quiyagiflbit déja en Souverain , par la quantité de monde, qu'il avoit attiré dans fon parti. Cette révolution lui paroiffant plus importante que la conquête de Tripoli, ni même du refte de la Palejline, il en leva promtement le fiége, & marcha en diligence vers le Cau re, fans pourtant pouvoir rtmédier au désordre. Helpi, qui étoit fort aimé, & eftimé du corps des Mammelucs, &qui s'attendoit a la venue du Soudan, avoit fi bien pris fesmefures, & s'étoit fi bien affermi dans le gouvernement, que tous les Peuples du Roïaume lui obéïflbient, comme a leur légitime Souverain. Auffi empechat-t'il Me'lec-El-Said d'entrer en Egypte, le renverfa du Tröne, oü il fe fit élever lui-même, fous le nom de Me'lec-Mensor, & le dépouiila enfin, peu a peu, des autres Etats, qu'il polfédoit en Syrië. Le tems qu'HELPi emploïa, pour établirfon ufurpation, fut le feul, oü les Chrétiens de Palejline eurent un peu de tranquilité, fans pourant qu'ils en fiifent un meilleur ufage, que de Tt tt 3 celui 51 1- ir Article IT. C it86. :- Siége de , Tripoli 1 parMélec3 El-Said. I t t f -^ «Ps Levée de et fiége. Melec-EISaid détrónéparl'Amiral Helpi , qui prend, le nom de Mélec-Menfor.  Siége ile Tripoli, perMeleC' Menfor. 1287. Mort de Jean prémier, Roi dé Chypre &de Jémfileiu. • ■ ! 1 1 : Henri Jon F ère, fc? Snccejjcur. ] 1 ] 1 1 Son counnriement. yoz HISTOIRE GE'NE'R ALE celui que les Trèves, & les autres divifions, entre les Infidèles, leur avoient autrefois procuré; foit qu'ils n'en eulfent pas la force, ou que leur propre mésintelligence les empêchat d'en profiter; Car ce nouveau Soudan ne fe fut pas plütöt délivré de fon rival, que, pour illufirer le commencement de fon règne, par quelque acfion éclatante, il alla afliéger la Ville de Tripoll, dont M el e c - E l - S ai d avoit abandonné fentreprife, pour aller s'oppofer a fon ufurpation. Ce fut pendant que les Mammelucs fe difputoient la domination de 1*'Egypte, & de la Syrië, que le bon Roi de Cbypre, Jean, prémier du Nom,mouruta Nicofie,agéde 33.ans, non moins accablé des chagrins, que lui donnoient continuellement fes Erères, qui furent même foupconnés de 1'avoir empoifonné, que de fes infirmités. II régna deux ans, & ne fut jamais marié. Son corps fut inhumé dans f Eglife de St. Dominique, avec une pompe funèbre fort médiocre. Les Princes, fes Frères, n'étoient occupés que de leur paffion, & de leurs propres inzérêts , & les Peuples adulateurs, qui fuivent ordinairement 'inclination de ceux qui doivent les gouverner, fans rendre juface au mérite de ceux qu'ils perdent, & qui n'ont point été ïeureux, ne témoignèrent aucun régret de fa mort ; De forte me peu de gens plaignirent la deftinée de ce Prince infortuné. Henri , fon Frère, qui lui fuccéda a la Couronne, & qui , Dendant fon règne, avoit vécu en bonne intelligence avec fes mtres Frères, eut, a fon tour, le chagrin de voir cefier cette inion, fi-töt qu'il y fut parvenu. II n'eut pas lieu d'être )lus fatisfait de leur conduite, que favoit été fon Prédéceffeur; auisque, pendant que dura fon règne, ils ne ceffèrent jamais Ie le traverfer toutes les fois, qu'ils purent en trouver 1'oc:afion. Ce Prince recut d'abord Ia couronne de Chypre dans l'Egliè de Ste. Sopbie, des mains de 1'Archevêque de cette Capitale, avec  ï)e JETtUSALEM. Liv. XIII. Ch. V. ^< avec des acclamations d'autant plus grandes de fes Sujets, qi y avoit prés d'un an , qu'ils étoient privés de la vue de le Souverain, dont les infirmités ne lui avoient pas permis de p roitre en public. II recut le ferment de fidélité de tous les C dres du Roïaume, & s'embarqua peu de tems après, pour all prendre polfelfion des reftes du Roïaume de Jérujalem. I Clergé,la NobleiTe, & les Peuples lerecurent a Ptolomaïde avt tant de marqués de joïe, que P e'l e'g u in, qui y réfidoit pour Roi de Naples, connoilfant par ces applaudilfemens,&par cett fatisfaclion générale, qu'il auroit de la peine a foutenir les préter fions du Roi, fon Maitre, fe retira dans le Chateau, & att ra dans fon parti quelques compagnies de Soldats Franpois, qu Philippe-Le-Bel entretenoit a Ptolomaïde; Mais les Officiers, qi vouloient éviter toutes lesoccalions de fcandale, refufèrent d' entrer; &, comme le Roi Henri, qui favoit fait affiéger, 1 preffoit vivement, les Soldats, qui s'y trouvoient fans Chefs abandonnèrent Pel e'g u in, qui fut obligé de rendre ce Fort a Roi Henri, lequel n'eut pas plütöt terminé cette affaire, qu' palfa a Tyr, oü il recut la couronne de Jérufalem, & rendi aux Templiers les biens, que le feu Roi, fon Père, leur avoi confifqués ; deforte que les Ordres Militaires, & les Paron entrèrent tous dans fon parti, & abandonnèrent entièremeni celui du Roi de Naples. Chapitre VL Ca préfence n'étant pas fort nécefTaire a Tyr, il confirma a fc-j Emfroi de Montfort le Gouvernement de cette Ville, & retourna a Ptolomaïde. Comme le peu de Forces, qui restoient aux Chrétiens, étoient incapables de faire tête aux Sar- rajms, >3 'il nr i- r- ;r ,e € e e i- if e ii f e 5 a il t Article &  70^ HISTOIRE GE' NE'RALE AmbaJJade de Henri en Europe. Il rcforme tous les abus gitjes dans JesEtatt. 1288. Tripoli ajjiégé, &? battu par MélecMenfor. rafins, il envoïa le Baron Gregli en AmbaiTade en Europe i tant pour informer le Pape, & les autres Princes , de fon avènement a la couronne, que pour leur faire part du trifte état, dans lequel il avoit trouvé les affaires de la Terre-Sainte, &les prier de lui envoïer quelque promt & puiffant fecours, afin de faider a conferver aux Chrétiens le peu qui en reftoit. Ce Prince donna le gouvernement de Ptolomaïde, & dumiiérable refte du Roïaume a Philippe d'Ibelin. II corrigea lui-même divers abus, qui s'étoient introduits dans cette Ville , pendant les désordres paffés. II fit plufieurs beaux règlemens pour la tranquilité publique ; & il exhorta les Peuples a obéïr a leurs Chefs, les Barons du pays , les Ordres Militaires, les Magiftrats étrangers, &généralement tout le monde, a une parfaite union, afin d'éviter les malheurs, qui fuivent ordinairement la difcorde, & la mésintelligence, principalement dans une Place, comme Ptolomaïde, continuellement expofée a finvafion des Infidèles. Après quoi il repalfa en Chypre, afin d'y envoïer le plus de Troupes, & de provifions, qu'il lui feroit poflible, pour réfifter a leurs attentats. Ces précautions, & ces prèparatifs vinrent fort a propos. Me'lec-Mensor , auffi porté que fes Prédécefleurs, a chaffer entièrement les Chrétiens de la Syrië, n'avoit pas plutót été affermi dans la fouveraineté de VEgypte, qu'il étoit allé, comme nous venons de le dire, alfiéger la Ville de Tripoli, dansfefpérance de 1'emporter; d'autant plus qu'il avoit apris que les trois plus fortes Républiques de XEurope, dont les Flottes avoient toujours fervi au paffage des Troupes, que les Princes Chrétiens envoïoient en ce pays-la, étoient acharnées a fe faire la guerre entre elles. Cependant, comme il n'ignoroit point, que les Habitans de Tripoli étoient bien pourvus d'armes, & de munitions, & qu'il éprouvoit acluellement la force de leurs murailles , il les fatigua tellement , paf des aflauts continuels, fit jouër fes machines avec tant de fureur , qu'il fit diver-  de JE'RUSALEM. Liv. XIII. Ch. VI. 7c diverfes brêches, «Sc les obligea enfin a lui demander un mo de Trève, a condition d'en fortir, avec ce qu'ils pourroier emporter fur leurs épaules , s'il ne leur arrivoit aucun ü cours, avant ce tems-la. Le Roi de Chypre, «Sc de Jérufalem, a qui les Habitans d Tripoli, envoièrent demander du fecours, fe trouvoit 11 embar raffé lui-même a pourvoir Ptolomaïde, «Sc les autres Villes, qu lui reftoient encore dans la Palejline, qu'il ne put, en aucun manière, les fecourir ; Mais, par un bonheur inefpéré , il furent fecourus, lors qu'ils s'y attendoient le moins. Be'noit Zacarie, Génois de Nation, fe trouvoit ave< une Efcadre de cinq Galères, «Sc un Navire, a Conftantinople. oü il avoit conduit laPrinceffé"Yolande, Fille de Guillaume. Marquis de Montferrat, qui fut mariée a fEmpereur Andronic. Ce Capitaine Génois y aprit, que les Sarrafins prelfoient vivement la Ville de Tripoli. Avide d'acquérir de la gloire, en fervant la République Chrétienne , il fit promtement voile vers cette Place, «Sc entra heureufement dans le port, avant que la Trève fut expirée. Les Habitans, encouragés par la préfence de ce généreux Commandant, réfolurent de fe défendre jufqu'a la dernière extrémité. Le Soudan les fit inutilement fommer de fe rendre, comme ils en étoient convenus ; «Sc, fur leur réfus, il jura de leur faire éprouver toutes les cruautés, que fa colère, «Sc fon reflentiment pourroient lui infpirer, & enfin de ne point quitter ce fiége , qu'il. n'eut mis toute la Ville a feu, «Sc a fang. II fit, pour cet effet, recommencer fes batteries avec encore plus de violence, qu'auparavant, & redoubla fes affauts. II y affiftalui même, comme un lion furieux; maisreconnoifTant, que tous fes efforts étoient inutiles, «Sc que les Afiiégés fe défendoient avec une intrépidité fi grande, qu'il couroit risque d'y perdre toute fon Armée, fans avancer, il eut recours au même expédient,que Me'lec-El-Said avoit fi heureufement mis en Vv vv ufa- >> is it i 3 , Tripoli1 tains ft, f mus, lis refuferSS d; fe rente. 128?.  ?o6 HISTOIRE GE'NE'RALE CruêUté du Soudan exenie fur les Tripolitains, «pris la prife de leur Fille. trdcleflZ U VÏUe ejl pillée, Jaccagéefê irülte. ufage au fiége de Margat. En effet, il ne lui fut ni moins favorable, ni moins funefte aux Chrétiens. Pendant qu'il les amufoit par la continuation de fes batteries, & de fes alfauts, il emploïa quantité de monde a creufer un fouterrain, qui fut bientöt conduit jufqu'au centre de la Ville. Quelques Auteurs prétendent pourtant, qu'il ne fit que faire élargir un égoüt, qui lui fut indiqué par un Rénégat; Mais, que ce fut par la mécbanceté de cet Apoftat, ou par fa propre invention, il eft certain, qu'après avoir conduit cet ouvrage a fa perfecfion, il fit donner un affaut général le j. Avril, afin de bien fatiguer les Alfiégés, & les mettre hors d'état de réfifter aux gens, qu'il difpofa a entrer dans la Ville par ce fouterrain. Us en fortirent, au point du jour, en fi grand nombre, qu'il ne leur fut pas difficile de furprendre les Habitans , qui, accablés de laffitude , & de fommeil, ne purent plus foutenir le combat. Us firent, envain, tous les efforts, qu'il leur fut poffible. Tout y futmafTacré, a la referve de ceux qui purent fe fauver au port, & qui eurent le bonheur de s'embarquer, k demi vétus, fur quelques Batimens, qui s'y trouvoient, & fur les Galères de Zacarie, oü ils furent acueillis avec une générofité digne de fon grand coeur. II les conduifit en Chypre , oü le Rol Henri les recut favorablement, & avec tant de bonté, qu'il foulagea, en quelque manière, leur disgrace, & leur afïïidion. Sept mille d'entre euxpérirentpar le fer des Infidèles. Les autres furent conduits en efclavage. Le Soudan ne manqua pas d'accomplir fon ferment ; car, après avoir abandonné la Ville au pillage de fes Soldats, qui y firent un butin ineftimable, en or, en argent, &en marchandifes précieufes, il fit abatre toutes les Eglifes, & les plus beaux Edifices, rafer les murailles, & enfuite mettre le feu au refte de cette malheureufe Ville. Cependant il ne jugea point a propos d'entreprendre le fiége du Chateau nommé Népbros. Sa fituation avantageufe, & fes forti»  de JE'RUSALEM. Lir. XIII. Ch. VI. 70; fortifications extraordinaires, lui firent craindre d'y confume fon Armée, fans pouvoir en venir a bout. II fe contenta de 1< bloquer , perfuadé qu'en faifant bien garder les avenues , i tomberoit enfin en fon pouvoir, fans qu'il risquat un feul homme. II tfy réüflit que trop; car, foit que les Afiiégés ne fuf fent pas bien pourvus de munitions, ou qu'ils manquaflent de courage pour fe bien défendre, ou pour fupporter du moins les incommodités d'un long fiége, ils fe rendirent beaucoup plutót, que le Soudan même ne 1 avoit efpéré; Encore s'eftimèrent-ils affez heureux d'avoir obtenu, parcapitulation, d'emporter leurs effets, & de fe retirer oü bon leur fembleroit. On dit mème, que, pour accélérer la prifè d'uneForterelfe, dont Me'lec-Mensor faifoit tant de cas, il rendit aux Afiiégés tous les prifonniers, qu'il avoit faits a Tripoli, & qu'auifitót après la prife de ce fameux Chateau, il y mit une forte garnifon de gens choifis, & le pourvut abondamment du néceffaire. Après quoi, profitant du bonheur de fes armes, «Sc de la confternation des Chrétiens, il alla s'emparer des Villes de Sidon, «Sc de Baruth, qu'il fit faccager, brüler, «Sc détruire entièrement. !1 conduifit enfuite fon Armée triomphante devant Tyr, qu'il affiégea, par mer «Sc par terre. Les Fidèles voïoient, avec douleur, la perte de toutes cesi Places; le danger, que couroit la célèbre Ville de Tyr, d'être également emportée , le grand nombre de Chrétiens, qui avoient péri dans ce fiége ; «Sc enfin le peu de fuccès de 1'AmbafTade du Baron Grigli, qui avoit trouvé les Puiflances de Y Europe entièrement occupées de leurs propres affaires : les Génois en guerre contre les Tifans, a caufe de l'Ile de Corfe; les Fénitiens a-peine racommodés avec ceux ÜJnconc, «Sc qui avoient été obligés de porter leurs armes dans Yijlrie contre Meinard , Comte de Goritie ; les Florentins attachés a détruire les Aretins; lespartifans des Guelpes,&c des Gii/elins,attentiCs a défoler le refte de F Italië; la France déclarée, pour le foutien de Vv vv x la f r [ L' Cbdteati fe rend. M 'AecMenforprend Sidon.fjfBirun, fc? ronduitfon Armée devant Cvr, qu'il affiégt par wr, \ar terre, y la prend,  Article tt Ptoloma'i de feul refte aux Chrétien< 708 HISTOIRE GE'NE'RALE la Maifon d'Jnjou, contre celle dPArragon, qui lui avoit enlevé la Sicile 5 ie Pontife embarrafle a racommoder tous ces grands différends; YAllemagne toute en mouvement pour la guerre, que fEmpereur faifoit aux Bourguigons; & YAngleterre fatiguée de foutenir celle qu'elle avoit contre YEcoffe. Tous ces troubles communs de V Europe avoient été caufe, que le Miniftre du Roi de Cbypre, Sc de Jérufalem, n'avoit pu obtenir, que quelques Compagnies d'Infanterie, que lui donna le Pape Nicolas IV. qui avoit fuccédé k Honorius IV. L'Affligeant fuccès de cette AmbaiTade confterna telle- ' ment les Habitans de Palejline, dont les forces étoient abfolument trop foibles, pour faire tête aux Sarrafins, que le Roi Henri lui même, tout rempli de zèle qu'il étoit pour fecourir Tyr , & s'oppofer k 1'entreprife du Soudan , n'ofa jamais ie mettre en campagne, crainte d'expofer fa Perfonne, & le peu de Troupes, qu'il avoit, a une perte manifefte ; de forte qu'après trois mois de fiége , non moins fanglant, que terrible, tant du cöté des Alfiégés, que des Infidèles, Emfr< i de Montfort, Gouverneur de la Place , aïant perdu tout efpoir de fecours, fe trouva dans la dure néceffité de la rendre, afin de conferver la vie , & les biens des Chrétiens , qui 1'habitoient. Ceux-ci eurent la permüTion de s'embarquer avec tous leurs effets, fur les Batimens, qui fe trouvoient au port, ou de • fe tranfporter par terre k Ptolomaïde, feule Ville qui reftoit aux Chrétiens, non feulement du Roïaume de Jérufalem, mais de " tous les autres Etats, qu'ils avoient poffédés en Syrië. Le Roi Henri reuentit d'autant plus vivement cette nouvelle perte , qu'elle aprochoit 1'Ennemi de les Etats, & qu'il fe trouvoit dans 1'impoffibilité deremédier ktant de malheurs, & de conferver long-tems Ptolomaïde. Cette affliccion, jointe aux déplaifirs, que lui donnoient journellement fes Frères, qui ne tramoient rien moins, que de le renverfer du Tröne, altéra extrèmement fa fanté. Cependant fa générofité, & fa pruden-  be JE'RUSALEM. Lir. XIII. Ch. VI. yc9 prudence, 1'emportèrent encore fur fon indifpofition, «Sc fur fes juftes mécontentemens. II aftembla promtement toutes les milices du pays, pourpasfer a Ptolomaïde; d'autant plus qu'il venoit d'apprendre, que la feule efpérance, qui reftoit aux Habitans de cette Ville, s'étoit evanouïe par la mort d'Argon, Fils d'Abagas, qui, auffi zélé que favoient été fes Prédéceffeurs, pour le bien de la TerreSainte, s'étoit révolté contre Tangodanior, fon Oncle, que les Tartares, dont la plupart étoient Mahomètans , avoient reconnu pour leur Roi, après la mort d'Abagas, fon Frère, paree que Tangodanior , bien loin de perfévérer dans la Religion Chrétienne, avoit embrafTé ouvertement le Mahométifme, changé le Nom de Nicolas , qu'il avoit recu au batême, en celui de Maiiqmet, & convertitoutes les Eglifes en Mofquêes, oü il faifoit prêcher les rêveries de YAleoran. II vouloit, de plus, obliger tous les Peuples a fuivre fon exemple. C'eft. ainfi que le raporte Ayton d*'Arménie. Argon aïant enfin triomphé de 1'Apoftat Tangodanior, par 1'affeftion , 6c la fidélité d'un des principaux Officiers de 1'Armée, qui avoit toujours été très-attaché au Roi Abagas, fon Père, fit entièrement clianger la face des affaires. Tangodanior avoit donné a cet Officier, au Connétable, & a d'autres Officiers, la commiffion de poignarder ARGon, & de lui en aporter la tête a Tauris, alors Capitale de Perfe. Argon s'étoit retiré dans un Chateau, pour éviter la fureur de fon Ennemi; mais il fut contraint de fe rendre a ceux qui avoient 1'ordre de Tangodanior : Cependant f Officier, qui avoit gagné fes amis, affaffina le Connétable, qui étoit le chef de la confpiration, & n'exécuta point la commiffion. II eut même aflez de crédit parmi les principaux Chefs de 1'Armée, pour les faire confentir a déclarer Argon leur Roi; & tous 1'engagèrent a pourfuivre fon Oncle, avec tant de diligence, qu'il 1'atteignit, avant qu'il put entrer dans Tauris. £>ès Vv vv 3 qu'il Henripa/Jè a Ptolomaïde, avec toutesles milices du pays. Argon déclarè Roi de ïartarie.  ?io HISTOIRE GE'NE'RALE Article /. Argon ejl appdlépar lts Chrétiens de Paleftine. qu'il Teut en fon pouvoir, il le fit fcier par le milieu du corps; felon Pufage de ia Nation. Argon , après cette exécution, envoïa des Ambalfadeurs a Cobi/a, leur Grand-Can, pour Pinformer de la mort de Tangodanior, & du cboix que les Peuples de lerfe avoient fait de fa perfonne pour gouverner ce Roïaume. L'Empereur Tartare aprit , avec fatisfaétion , le renverfement de Tangodanior, dont il avoit deffein de punir Papoftafie. !1 approuva féleCtion d'Argon, & lui donna mème fur les Tartares plus d'autorité, que n'en avoit eu aucun de fes Prédécelfeurs. jAtVW^VDiV^.'V^^ «»ÏJ<. .««ï». ,t«,j». ,.*>••• tOtil (01* wiwir ««cs»,-««»v"««»y «»*«•••"<«»»•• ióés»* Kiii&~«$}v «'Jjv' u<6jiP .ei,»." i.9>'? ft<ü# Chapitre VII. Après Paffermilfement d'Argon fur le Tröne de Perfe , a Pinflance des Chrétiens de Paleftine, des Rois & Arménie, & de Georgië, ce Prince s'étoit mis en marche, & les avoit joints, avec une Armée encore plus forte, que ne 1'avoient été celles des Princes de fa Nation, qui, avant lui, étoient venus en Syrië faire la guerre aux Sarrafins; mais, par une continuation de malheur, le fort voulut qu Argon mourut en chemin la quatrième année de fon règne; de forte que cette grande entreprife échoua encore. Son Armée s'en retourna d'abord en Perfe, & les Rois dé Arménie, & deGéorgie, dans leurs Etats, d'autant plus affligés de cet accident, qu'ils craignoient, avec raifon, que 1'ambitieux M e'l e c-M e n s o r , après avoir dépouillé les Chrétiens de la Palejline, n'entreprit de les fubjuguer eux mêmes ; &, comme ils n'étoient point affez forts pour fecourir ceux de Ptolomaïde , fans expofer leurs propres Etats, ils fe contentèrent de faire des voeux au Ciel, pour  de JE'RUSALEM. Liy.Xüf. Ch. Vil. 71] pour leur confervation, & travaillèrent a fe fortifier eux-mêmes, afin de pouvoir réfifter aux efforts de ce conquérant. Le Roi Henri, qui s'étoit rendu a Ptolomaïde, avec leplus de monde quil avoit puaflembler, tint plufieurs Confeils, auxquels il avoit fait appeller, non feulement les perfonnes, qui y entroient ordinairement, mais encore les principaux Habitans de cette Place. II reconnut bientöt, qu'il feroit impoffible de la défendre longtems,fi les Sarrafi ns 1'affiégeoient; De forte que, de fa vis, & du confentement de toute 1'Afiemblée, il traita avec le Soudan, & ètablit avec lui une Trève pour cinq ans. II eit furprenant, que, malgré fon inclination belliqueufe, les grands avantages qu'il venoit de remporter, & la foif qu'il avoit du fang Cbrétien, il y confentit ; Mais on affure, que ce fut par la crainte, qu'il eut, de s'attirer fur les bras toutes les Forces del1'Europe. Cependant que cefüt par crainte, ou par politique, ce Traité ne 1'empêcha pas de travailler aux prèparatifs nécelfaires pour entreprendre le fiége de Ptolomaïde, oü il s'attendoit a trouver plus de réfiftance , qu'en aucune autre des Places, qu'il avoit fubjuguées. Cet accommodement tranquilifa, en quelque manière, 1'efpnt des Habitans de Ptolomaïde, qui s'étoient crus a la veille d'être afiiégés, & fit réfoudre le Roi Henri a repalfer en Cbypre, oü fa préfence n'étoit pas moins nécelfaire. II lailfa le gouvernement de Ptolomaïde a Alme'ric, fon Frère, quiportoit le titre de Prince de Tyr, tant pour fatisfaire a fon ambition, que pour le tenir éloigné de Cbypre, oü fon humeur inquiète, & turbulente, auroit été capable de fufciter des défordres infinis. Et, afin de ne rien négliger, il renvoïa le Baron Grigli au Pontife, pour 1'informer qu'il avoit eu le bonheur de conciurre une Trève avec le Soudan; Sc pour lui repréfenter, en même tems, le grand rifque, que couroit Ptolomaïde, de tomber au pouvoir des Infidèles, comme il étoit arrivé k toutes les autres Villes du Roïaume de Jérujalem ; ne doutant pas, qu'ils Trève de cinq ans etitre les Chrétiens,. [ƒ le Soudan. Article II,  Secours J'olHcitt par les Chrétiens de la Paleftine. 712 HISTOIRE GE'NE'RALE qu'ils n'attaquaffent cette Place, dès qu'ils en auroient la commodité; & que, ni lui, ni les Chrétiens qui 1'habitoient, n'étoient pas en état de la conferver, a moins qu'ils ne recuflent promtement quelque puiffant fecours d'Hommes, & d'argent; ce quil remettoit a la confidération de Sa Sainteté. Ce Miniftre n'eut pas beaucoup de peine a attendrir le St. Tére, fur le recit des malheurs de la Terre-Sainte; car, 1'Evêque de Tripoli, qui, après la perte de cette Place, avoit paffé hRome, favoit déja informé de la défolation de ce pauvrepays, & de f évident danger des Chrétiens, qui s'y trouvoient encore, de devenir les vicTimes des Barbares. Les rémontrances ie ce Prélat avoient tellement amigé, &en même tems redoublé 1'ardeur du St. Père, qu'il avoit écrit les Lettres du monde les plus fortes, & les plus touchantes, a tous les Princes de YEurope , afin de les émouvoir , par un principe de charité Chrétienne, a ne pas abandonner le Roïaume, «Sc le fépulcre de Jéfus-Chrift, non plus que les Fidèles, qui 1'avoient maintenu jufqu'alors, & qui fe trouvoient a la veille de fuccomber fous le fer, ou fous le tirannique joug des Infidèles. Mais, comme, quelques preffantes que fuffent ces follicitations, elles n'avoient pas fait grande imprefllon fur 1'efprit des Puiflances Cbrétiennes, «Sc qu'elles ne fe donnoient aucun mouvement pour une oeuvre fi fainte, «Sc fi louable, le Pontife avoit fait lever, a fes propres dépens, quinze eens Hommes d'armes; & il avoit envoïé le même Evêque de Tripoli a Vénifie, pour traiter, avec le Sénat, des Bdtimens néceffaires a les tranfporter; de forte que, lorfque le Baron Grigli arriva en Italië, il trouva ces Troupes prêtes a partir fur vingt Galères, que les Vénitiens avoient armées , a ce fujet , pour le fervice du Pape. Elles partirent óéJncone, fous la conduite du même Evêque de Tripoli, & de J a qu e s T i e'p o l i , Noble Vénitien, Homme de grande expérience dans la marine, que le Pape, «Sc le ö Sénat,  de JE'RUSALEM. Liv. XIII. Ch. VII. 713 Sénat, avoient choifi pour commander cette Flotte, a laquelle Ia République ajouta cinq autres Galères a fes propres fraix. Comme le Pape jugea, que les follicitations de rAmbaffadeur du Roi Henri ne feroient pas plus d'effet, auprès des Princes Chrétiens, que fes propres exhortations, «Sc fes prières, il le fit embarquer fur la mème Flotte, auffi bien que Roger de Sulli , qui fe trouvoit auffi a Rome, de la part des Seigneurs de Paleftine. Le St. Père eut la générofité de faire donner a chacun de ces Miniftres 25:00. Ecus Romains pour leur voïage. Le Continuateur de la Guerre-Sainte remarque, que Pierre de Beaujeu , Maitre des Templiers, «Sc Jean de Willers , Maitre des Hofpitaliers , qui avoient palfé en Europe , pour accélérer le fecours, que ceux de Ptolomaïde en attendoient, aïant apris a Brindes, oü ils avoient abordé, que le Pape y avoit envoïé le fecours , dont on vient de parler , «Sc qu'il ne ceflbit d'exhorter les Princes Chrétiens a prendre les armes pour la Guerre-Sainte, prirent le parti de s'en retourner promtement, avec quantité d'avanturiers , qui s'y trouvoient , fans aucun Chef. Us arrivèrent heureufement a Ptolomaïde, oü ces volontaires fans folde, & qui n'avoient pas de quoi fubfifter, bien loin de rendre quelque bon fervice, ne firent qifaugmenter la confufion dans la Ville, & au dehors, par les désordres, qu'ils y commirent, en ravageant indifféremment les campagnes des Chrétiens, & celles des Sarrafins; ce qui ne contribua pas peu aux malheurs, qui s'enfuivirent. Pour défendre cette importante Place , «Sc 1'empêcher de tomber au pouvoir des Infidèles, il n'y manquoit qu'une parfaite union entre les Habitans; une autorité plus abfolue, que celle qu'y avoit le Souverain, que les Nations étrangères, qui y avoient leurs jurisdictions , ne vouloient presque pas reconnoitre , «Sc enfin une meilleure provifion d'argent qu'il n'y avoit. Xx xx Auffi, Le Pape fait dunner aux Ambaffedeuride Paleftine 2500. Ecus Romains 9 chacun. Remarque btilitique. 129a  7H HISTOIRE GE'NE'RALE ArticIeJij Caufesdelt dtfunwi d Ptolomaïde. Pisordrts iffreux a ptoloiniï- Auffi, les Hiftoriens, les plus approuvés , conviennent, ' qu'elle fe perdit plütöt paria différence d'intérêts, & par la diverfité d'inclinations des Chefs des Nations , qui 1'habitoient, que par Ia force , ou la valeur des Sarrafins. En effet, outre leRoi Henri, qui auroit dü y commander feul, ils s'y trouvoit les gens du Roi de Nap/es , les Franpois, les Anglois, le Légat du Pape, le Patriarche, le Prince & Antioche, le Comte de Tripoli^ les trois Ordres Militaires de VH6, pital, du Temple, & les Teutoniques, outre les Agens des Ré' publiques de Vénife, de Gènes, & de Pife; les Arméniens, & les Tartares, qui tous y avoient leurs quartiers, & leurs jurisdiftions particulières, leurs tribunaux, leurs Magiftrats, Officiers, & exécuteurs de Juftice, avec la même autorité, & la même indépendance les uns des autres, que s'ils avoient été autant de Souverains. Cette grande div erfité de Peuples compofoit autant de différentes Villes, quil y avoit des quartiers, dans Ptolomaïde, & faifoit que cette Ville infortunée, remplie de tant de Chefs, tous également pleins d'émulation , & de vanité , demeuroit fans gouvernement, & fans juftice. Auffi , la corruption des mceurs y étoit fi grande , que les crimes les abominables, & les plus infames , y étoient tolérés, & impunis. Dès que quelque malfaiteur avoit commis, dans un quartier, undélit, quelque grand qu'il füt, il n'avoit qu'a fe retirer fous une autre jurisdiction, il y vivoit en fureté, fans qu'on ofat le rechercher; de forte qu'on n'entendoit parler que de violences, d'enlèvemens , d'aflaffinats , & de toute forte d'actions, les plus atroces, les plus infames, & les plus fcandaleufes, dont les Infidèles même n'auroient pas été capables. II n'eft donc pas étrange, que la plupart des Hiftoriens aflurent , que , de toutes les Nations, qui Jiabitoient la Syrië, les  m JE'RUSALEM. Lry. XI1L Cu. VII. 7ic les Chrétiens étoient les plus méchans, & les plus débordés& que Dieu, Mé de leurs vices, & de leurs abominations ne voulant plus fupporter les dérèglemens, & les impiétés de ceux qui devoient obferver fes Saints commandemens, & révérer fon Saint Nom, envoïa enfin fur cette maliieureufe Ville Ie jufte chatiment, que meritoient fes Habitans. Sa deftrucïion fut peut etre avancée, par finfolence des avanturiers, & gens fans aveu,que les Maitres de VHópital ,&du Temple,yavoient conduits; auffi bien, que par d'autres gens de même efpèce, qui y étoient venus de divers endroits deYEurope. Us s'accoutumèrent aux brigandages; &, non contensde dreffer desembuches, pendant Ia nuit, aux Sarrafins, qui, fous la foi de la Trève, venoient vendre leurs denrées a Ptolomaïde, ils alfaffinoient encore ces miférables, & alloient ravager leurs habitations. Ils poulfèrent enfin leur témérité, jufqu'a fortir, en plein jour, par bataillons, pour ravager toutes les campagnes, comme s'il y avoit eu guerre ouverte, fans que perfonne fe mit en peine de les en empêcher. Chapitre VIII. Quoique le Soudan n'attendit qu'une occafion favorable pour rompre la Trève, & qu'il aprit, avec un extréme reffentiment,la marauderie des Chrétiens,^ la défolation de fes Sujets, foit pour fatisfaire ces Peuples affligés,qui ne cherchoient, qua etre dédommagés de leurs pertes, ou pour amufer les Chrétiens, afin qu'ils ne fe défialTent point du deflein, qu'il avoit d'en tirer vengeance, il eut la politique d'envoïer unAmbauadeur a Ptolomaïde , pour demander au Roi, & aux Seigneurs du pays, la reftitution des effets, qu'on avoit enlevés Xx XX 2 k Article L Satisfaction jufte demandée parle Soa. dan.  ?i6 HISTOIRE GE'NE'RALE Lt refus qu'on fait de la lui donner cal fe une noi veile gucr re. 7291. Mort de MélecMenfor , tmpoifonv.ê par un de .fes Emirs. u fes Sujets, & le dédommagement des maux, que 1'infraction de la Tiève leur avoit caufés. II exigeoit, de plus, que, pour fa propre fatisfaclion, on lui envoïat les principaux auteurs de ces violences, afin qu'il en fit juftice lui meme, «Sc qu'ils ferviffent d'exemple a ceux qui oferoient, a 1 avenir, enfraindre la foi des Traités. Cependant, quelque jufte, & raifonnable que fut la réparation , que demandoit le Soudan ; quelque blamée , que füt a Ptolomaïde, 1'infolence de ces vagabonds ; & enfin, quelque appréhenfion qu'on dut y avoir d'irriter ce Prince, dans un tems, oü fa puiffance étoit formidable, fans qu'ils puffent fe !flatter d'aucun fecours d1'Europe, la diverfité dmtérêts, «Scd'opinions des perfonnes, qui compofoient le Conléil, les aveugla tellement, qu'ils renvoïèrent l'Ambalfadeur Sarrafvn, fans autre fatisfaclion, que celle de quelques bonnes paroles, qui ne décidoient de rien, «Sc qui ne fervirent qu'a augmenter la colère de Me'lec -Mensor. Cet lnfidèle, profitant du prétexte de leur réfus, «Scdonnant 1'effor a 1'inclination qu'il avoit de devenir poffelfeur de ce qui reftoit aux Chrétiens, affembla incelfamment fes Troupes, fit travailler, avec la même diligence, a la conftrucfion de plufieurs machines de guerre, «Sc fortit ÜEgypte, a la tête d'une Armée de foixante mille Chevaux, «Sc de cent foixante mille Hommes d'Infanterie. Après avoir traverfé le défert, il s'arrêta en un lieu délicieux, nommé Salachie, pour s'y délaffer de la fatigue de ce pénible trajet; mais, au lieu d'y trouver le foulagement, qu'il s'étoit propofé, il y rencontra fa mort. Le principal de fes Emirs, qu'il avoit fait fon LjeutenantGénéral, s'étant flatté de pouvoir ufurper le tröne, a la faveur des Troupes, dont il étoit fort aimé, 1'empoifonna; mais fon action n'eut pas Peffet, qu'il en attendoit. Car, foit que le poifon, qu'il lui donna , ne füt pas affez violent pour opérer promtement, ou que le bon tempérament du Soudan le fit réfi-  de JERUSALEM. Liv. XIE Cn. VIU. ?i> réfifter a fa malignité , par le fecours des remèdes qu'on lui donna, il nen mourut que quelques jours après; & il eut encore la fatisfaction de découvrir fauteur, & celle de le voir mettre en pièces a fes yeux par les Troupes. Pendant le peu de vie, qui reftoit au Soudan, il recommanda a fon Fils defe fervir utilement des grands appareils, qu'il avoit faits, pour fe rendre maitre de la Ville de Ptolomaïde, & pour chalfer entièrement les Chrétiens de la Syrië, paree que c'étoit Punique moïen de poiféder tranquilement fes Etats. II voulut même avoir la confolation de le voir partir de Salachie, avant quil expirat. Ce jeune Prince Sarrafin arriva devant Ptolomaïde , avec toute fon Armée, & y planta le fiége le 5. Avril. Les machines ne tardèrent pas a jouër furieufement. La nouvelle de la mort de fon Père ne rallentit aucunement fon ardeur. Les Troupes le faluèrent d'abord Soudan, felon Ayton dé Arménie , fous le Nom de M e'l e c-T a s se r a f , ou, felon d'autres , M e l e c-S a r a f , qui fignifie Roi-reJ'plendifi'ant. Les Afiiégés ne firent aucune oppofition a fes approches. Us fe flattoient , que la mort du Soudan apporteroit du changement parmi les Infidèles; & qu'ils feroient obligés de lever le fiége; mais leur efpérance fut vaine. L'exaltation du Fils fut faite avec tranquilité, & du confentement général des Troupes ; de forte que les affaires ne furent aucunement altérées. Elle augmenta même la réfolution, & 1'ardeur des Mammelucs , qui, pour plaire a leur nouveau Souverain, non moins avide de gloire, que paffionné de réiilfir dans fa prémière entreprife , s'expofoient a fenvi aux dangers les plus périlleux, & faifoient des prodiges de valeur, pour le faire triompher des ennemis de leur croïance. II eft vrai, que les Chrétiens , qui combatoient pour leurs vies, & pour leur liberté, les repouffoient, avec tant de courage , & d'intrépidité, que tous leurs efforts, & leurs alfauts, étoient prefqu'inutiles. Ils y perdoient toujours incomparable- Xx xx 3 ment ürticlc IJ. 1292,  yiS HISTOIRE GE'NE'RALE Valcunuje défenje 'des Chrétiens Article/;/. ment plus, que les Afiiégés, lesquels, fous la conduite du Chevalier de Beaujeu, Maitre des Templiers, qu'ils avoient unanimement élu pour leur Général, continuoient, non feulement a repoufler toutes leurs attaques, mais encore a leur tuer tant de monde, que le Soudan reconnut enfin, qu'il ne feroit qu'envoïer fes gens a la boucherie, tant que les murailles de la Place fubfifteroient. C'elt pourquoi, il fit cefier les alfauts & les efcalades, & s'apliqua entièrement a faire miner la Tour-Maudite. Entreprife qui lui fut aufli avantageufe, que funefte aux Chrétiens. Le Roi Henri, qui avoit apris, avec autant d'étonnement, que dedouleur, lavenue de 1'Armée Sarrafine devant Ptolomaïde, s'y renditincelfamment avec 200.Cavaliers, & J00. Hommes d'Jnfanterie; perfuadé que la Place ne manqueroit pas, faute de défenfeurs, mais par la difcorde, & par la difette. En effet, la confufion y étoit toujours extréme. Les Chefs ne pouvoient s'accorder entre-eux. Un Sarrajïn, piqué de ce que le Soudan favoit privé de fon emploi, pourle donner a un autre, voulut s'en vanger, en faifant échouër fon entreprife. II avertit fécrettement les Chrétiens du malheur, qu'on leur préparoit, & de fe bien tenir fur leurs gardes pour ne point êtrefurpris. Cependant, malgré cet avis, ils ne firent aucune diligence pour munir la Place des provifions néceffaires a foutenir la quantité de monde, qui s'y trouvoit enfermé. Auffi , a-peine le Roi Henri y fut-il arrivé, qu'ils furent obligés de faire fortir les Femmes, les Enfans, & les autres bouches inutiles, qu'on fit embarquer pour Cbypre fur divers Batimens, commandés par A n d re' Pe'lato. Plufieurs Perfonnes qui n'aimoient pas a fe trouver dans le danger, profitèrent fécrettement de cette commodité, pour fe tranfporter en lieu de fureté. Ce Prince recut, presque en même tems, une Lettre du Soudan, laquelle lèrvit de réponfe a l'Ambalfade, que les Barons du Roïaume, les Ordres Militaires, & les Miniftres des  de JE'RUSALEM. Liy. XIII. Ch. VIII. 71 des autres Puiflances, qui avoient leurs jurisdiclions dans Fto lomaïde, lui avoient envo/ée, dès le commencement du fiége. IJ lui avoient fait offrir le dédommagement de fes Sujets, & toil te la fatisfaétion, qu'il auroit pu raifonnablement prétendre. LETTRE de Me'lec-Tasseraf au Roi de Chypre, & de Jérufalem. £j Soudan des Soudans, le Rot des Rois , le Seigneur des Seigneurs, Me'lec-Tasseraf,le puijfant, le rédouté,le Funijjeur des rebelles , le DejïrutTeur des Francs , des Tartares, 6? Arméniens; le Conquérant des Chateaux des mains des Infidèles; le Dominateur des deux mers, le Confervateur des deux Saints Fékrinages, Mèque , c^Médine, d Fous Noble Henri, Roi de Chypre, falut, bienveillance. Farce que Nous Fous connoiffons Homme brave, & Jmcère, Nous Fns ècrivons nos Lettres, & mandons notre volonté, Fous faijant f avoir , que Nous fommes venus fur vos Terres, pour vanger les injures faites a nos Sujets contre la paix, & Tamitié, que Fous aviez établie avec notre F ére. O ejl pourquoi, Nous'ne voulons point, que la Fille de Ptolomaïde Nous envoïé ni Lettres, ni Ambalfadeurs; £? Nous avons juré de tien point recevoir, ni écouter de fa part. Enfin,le fouterrain de la Tour-Maudite,aïant été conduit a fa perfeéhon, fans que les Afiiégés s'en fuflent aperens, ce fameux édifice , fur la folidité duquel ils fondoient une bonne partie de leur efpérance, tomba tout d'un coup, & leur donna autant de terreur, qu'il caufa de joie aux Ennemis; perfuades que fa chute ne feroit pas pour eux d'un moins mauvais préfage, qu'elle 1'avoit été pour les Sarrafins, lors qu'en i iüi les Chrétiens leur enlevèrent^ö/öW^, aprés uniïége de trois. ans, ainfi que nous 1'avons raporté. Cepen- § Contentt d'une lettre du Soudan au Roi,  Article//> Ce 720 HISTOIRE GE'NE'RALE Cependant , malgré le renverfement de cette Tour , qui avoit encore entrainé un grand efpace de muraille, & quoique les Infidèles 1'occupaffent d'abord, & travaillaffent, en diligence, a un nouveau fouterrain, pour miner Pautre enceinte, ils ne purent pourtant, ni fe maintenir dans la brèche, ni parvenir a la feconde muraille. Les Chrétiens, qui avoient apris a devenir circonfpecfs, & attentifs aux mouvemens des Ennemis, firent, de leur cöté, des contre-mines fi a propos, qu'ils rencontrèrent les travailleurs Sarrafins. Ils en firent un terrible carnage , aulfi bien que de ceux qui les foutenoient, & ils s'attachèrent enfuite, avec tant de ardeur, a tranfporter de la terre, despoutres, & d'autres matériaux, pour réparer la brèche, qu'ils en formèrent une efpèce de montagne; ce qui les rendit fupérieurs aux Affiégeans. Ils les accabloient, d'un cöté, par les feux artificiels, Phuile bouillante, la poix fondue, & le fable enflamé; de l'autre, ils les tuoient, ou les eftropioient, par le fer, & par les pierres, dont ils leur déchargeoient des coups fi furs, &fi furieux, qu'il n'en échappoit aucun de ceux qui étoient afTez hardis pour en approcher. De cette manière les Ennemis perdirent un fi grand nombre de leurs plus braves Soldats, qu'ils furent obligés, non feulement d'abandonner leurs ouvrages, mais encore de fe retirer honteufement. Ce mauvais fuccès fit réfoudre le Soudan, qui vouloit un peu mieux ménager fon monde, a ne plus donner d'alfauts, & a a ne faire jouër que fes pierriers, fes beliers, & fes autres machines, qu'on recommenca a mettre en oeuvre, avec encore plus de violence, qu'auparavant. La prodigieufe quantité de pierres, qu'elles lancèrent, fracaiTatellement la muraille en plufieurs endroits, qu'il crut ne devoir pas balancer davantage, k donner unaflaut général, afin de ne pas laifler le tems aux Affiègès de réparer leurs brêches.  ut JE'RUSALEM. Liy. XIII. Ch.VIII. 711 Ce fut un Vendredi iS.Mai, que les Barbares fortirent de leurs rétranchemens, au bruit destambours, des trompettes, & ' d'une infinité d'autres inftrumens barbares, «Sc qu'ils alfaillirent la Ville de toutes parts. Le Soudan, pour les engager a combattre vaillamment , avoit fait publier a fon de trompe, qu'il donneroit la charge tfEmir-Kebir, ou Capitaine-Général de fes Armées au prémier, qui entreroit dans la Place; des récompenfes proportionnées a ceux qui le fuivroient, «Sc le pillage de toutes les maifons a f Armée. Alors les cris, «Sc les hurlemens de ces Troupes déterminées fe firent tellement entendre, qu'ils n'en auroient pu faire davantage , s'ils eulfent conquis le monde entier. Aulfi, les Afiiégés en furent fi étonnés, qu'ils commencèrent a preffentir leur prochain malheur. Néanmoins, encouragés par la préfence, par les exhortations, «Sc par les belles aótions du Roi, des Barons , des Ordres Militaires , «Sc des autres Officiers, qui s'expofoient, fans aucun ménagement, dans les lieux les plus dangereux, «Sc faifoient des efforts incroïables pour repoulfer les Barbares, ils combatoient avec toute la fermeté poffible. Ils précipitèrent grand nombre d'Ennemis du haut des murailles, «Scempêchèrent les autres d'en approcher, tant par les feux d'artifice , «Sc les liqueurs ardentes qu'ils verfoient fur eux , que par la quantité de pierres qu'ils leur jettoient. Le Soudan, qui setoit avancé jufques fur le bord du folfé, «étoit ce jour-la fi infenfible a la perte de fes Soldats, & faifoit fi promtement remplacer ceux qui périlfoient, que les A£ fiégés avoient toujours en tête des gens frais. Ceux-ci, animés par 1'efpoir des récompenfes, & par 1'envie d'acquérir les bonnes graces de leur Souverain , s'avancoient toujours , & gagnoient du terrain, malgré l'opintétreté, avec laquelle on le leur difputoit; «Sc ils malfacroient les Chrétiens les plus courageux, «Sc les plus braves. Yy yy Leur Affautgi ■ liral ordonii par k Soudan,  Sortie des Ajjiégés tien avaata Qeufe. Ï22. H ISTOIRE GE'NE'RALE Leur perfévérance a attaquer la Ville de tous les cötés, fans que le danger, ni la mort de leurs Compagnons rallentit aucunement leur ardeur, fit comprendre au Roi, & aux Maitres des Ordres Militaires, qu'ils couroient grand rilque de fucomber dans cet aflaut;. C'eft pourquoi, du confentement de ce. Prince, les Maitres montèrent d'abord a cheval, avec la plupart de leurs Chevaliers, & toute la Cavalerie, qui fe trom ut dans la Place. Us fortirent en bon ordre, & allèrent hardimentfe jetter fur les tentes des Infidèles, dans le delfein d'y mettre le feu, afin de les obliger a quitter faffaüt; mais, malheureufement,cette fortie fut beaucoup plus dommageable, qu'utile aux Chrétiens. Car le Soudan, qui vouloit emporter la Place, a quelque prix ■ que ce füt, avoit eu la précaution d'y mettre fi bon ordre, en redoublant par tout les corps de garde, qu'en un moment toute fa Cavalerie tomba fur les bras des Chrétiens. ils en foutinrent pourtant le prémier choe, & lui tuèrent même beaucoup de monde ; Mais, comme ils en perdirent aufli de leur cöté, la partie étoit trop difproportionné pour pouvoir réfifter plus longtems; de forte qu'ils prirent le parti de fe retirer, le moins mal qu'il leur fut polfible. Quoique les Barbares perdilfent incomparablement plus de monde, que les Chrétiens, la retraite de ces derniers, enorgueillit tellement les prémiers, que criant vi&oire de tous cötés, ils augmentèrent la vigueur de ceux qui étoient a 1'alfaut, & découragèrent fi fort les Alfiégés, qui défendoient les brêches de la Tour-Maudite , qu'ils les abandonnèrent, & furent même chalfés de la feconde muraille, & des rétranchemens0 qu'ils avoient faits pour s'y maintenir. La Cavalerie Sarrafine pourfuivit celle des Ordres Militaires,. jufqu'aux portes de la Ville. Elle y fit un eftort extraordinaire, & tua le vaillant Pierre, de Beaujeu, Maitre des Templiers ;>  de JE'RUSALEM. Liv. XIII. Cu. VIII. 72 c pliers, «Sc plufieurs autres Chevaliers des trois Ordres. Ceux-a faifoient, de leur cöté, des prodiges de valeur, pour repouffei les Barbar es, qui cependant entrèrent péle-mêle dans la Ville, &iè rendirent maitres de la porte. Tout ce que purent faire les Maitres dcYHópitai, «Sc des Teutoniques, avec le peu de Chevaliers qui leur reftoient, fut de fe retirer, peu a peu3 dans la Ville, fans fe déranger, & de gagner un quartier, è. la faveur des rues , qui y étoient fort étroites. Us fe maintinrent alfez de tems , pour donner la commodité aux Troupes, que leRoi y avoit conduites, de faire des barricades; de forte que, par le moïen de ces rétranchemens, ■ Les Tera*- plUrs/e rendent atf ■ Soudan. 1 Z,*Soudaa: leur feurnit un B igantin,pour's'en aller en> Chypre. Article/Zf. 11 fait démolir les maifons des Ordres Mi* litaires. Différent®opinions fur le fiége, la prife de Ptoiomaïde, par le Soudan Mélec Taflcra£  Tin du Règne des Chrétiens «iPalefti- HISTOI- fn6 HISTOIRE CEN. de JEOTS. Liv.XIIl CrAZ. DAngleterre, y avoient conduites pour affifter Gui de Lusi-gnan , Roi de Jérufalem, qui en avoit entrepris le fiége. Mais je ne puis être du fentiment de ceux qui difent, que le Maréchal du Temple fut enfévéli fous les ruines de la Tour, que les Sarrafins avoient fappée par les fondemens, &daus laquelle il s'étoit de nouveau renfermé, après la capitulation faite avec le Soudan, paree que les Mammelucs avoient voulu attenter a 1'honneur de quelques Femmes, qui s'y étoient réfugiées. Les autres foutiennent, que ce Maréchal fit piloter la Tour, &que, comme un autre Sanson, ifs'enfévélit fous fes ruines , & avec lui tous fes Chevaliers, & nombre infini $ Infidèles, auxquefs il en avoit fait ouvrir les portes. Les autres enfin prétendent,qifilfe rendit au bout de trois jours, comme je viens de le raporter. Ce dernier fentiment étant le plus lüivi, & le plus approuvé, je crois devoir m'y attacher. Je fai tiré, auffi bien que toute la relation du fiége, d'un vieux Manufcrit en parchemin, qui fut apporté a Rome par Thomas Bosio , Evêque de Muite, lorsqu'il y vint avec le Grand-Maitre Philippe de Villers-LisleAdam, après la perte de Rhodes, & qu'on affure être unFragnient de YHifloire Jérofolimitaine, écrite par le Chevalier Melchior Bandini , Chancelier de cet Ordre, fous le Magiftere de Jean de Lastic, dont le refte fut malheureufement perdu ^ lors que les Turcs s'emparèrent de cette Ile; &, pour le refte., je me fuis conformé au Chevalier Toxan , qui a liuvi les Ecriyains les plus approuvés de ce tems-la.  HTS TOIRË GENERALE ROÏAUMES D E CHYPRE, de JÉRUSALEM* e t D' EGYPTE. LIVRE XIV Chapitre Premier. »2C*sSvfeiSC«SQ a trifte épreuve, que le Roi Henri venoit "de faire , raiant perfuade , que les Puillance: ó? Europe ne penfoient plus a faire aucune exjL pédition pour la Terre-Sainte, dont il pa- e^^<^^^> roiffoit même, que les malheurs ne les tou^^^^^3 choient plus, jointe a la jufte crainte, que w lui donnoit le voifinage des Sarrafins, 1'en- gagea, pour arrêter dans fes Etats les Ordres Militaires, fur ls valeui : Article/. Le Roi I Henri den* tie Limifol aux Cbeva* litrs de j'Hópital £f du Temple, afin de les retenir en Chypre.  ?23 HISTOIRE GE'NE'R ALE Le Roi Henri fait aggrandir Famagoufte, &fortifier comme Ptolomaï- valeur defquels il comptoit beaucoup, a donner aux Chevaliers de VHöpital, «Sc du Temple, 1'agreable Ville de Limifol, avec toutes fes fertilesdépendances, poury établir leursConvens. II offrit d'autres Terres également bonnes aux Teutoniques; mais Sifrit de Fortwang, leur Maitre, Ten remercia, foit que ces Chevaliers fuffent rébutés du mauvais fuccès des guerres de Paleflinc, ou qu'ils préféraffent leur féjour en Prujfe a un nouvel établilfement. Les Fénitiens , les Génois, «Sc les Pifans , que le profit du commerce, qui étoit tout entre leurs mains, avoit plütöt retenus a Ptolomaïde, cpiz 1'envie d'acquérir de la gloire,en défendant le Roïaume de Jérufalem, fe retirèrent aulïï dans leurs pays. Cependant, malgré le départ de toutes ces Nations, ce Prinee eut encore la fatisfaclion voir fon Roïaume extrèmement peuplé des débris de la Palejline, «Sc des autres lieux de la Syrië, que les Infidèles avoient fubjugués. Pour procurer a ces nouveaux Sujets la commodité du commerce, «Sc les confoler, en quelque faeon, de la perte de Ptolomaïde, il s'apliqua a faire aggrandir,«Sc fortifier la Ville de Famagoufte, fur le modèle de celle de Ptolomaïde; &il la fit aulfi entourer d'un large, «Sc profond foffé, de treize grandes Tours, «Sc d'un BafUon. II accorda divers priviléges, «Sc immunités aux Habitans de cette Ville, aulfi bien qu'aux étrangers qui s'y établiroient; «Sc, afin de la rendre encore plus célebre par elle même, il ordonna que fes Succelfeurs y prendroient la Couronne de Jérufalem, après qu'ils auroient recu celle de Cbypre a Nicofie; ce qui fut toujours obfervé depuis, puifque les Chrétiens n'eurent point le bonheur de reprendre la Palejline. La réparation de cette Ville, a la quelle Henri laifla leNom de Famagoufte, ou Fama Jugufta, qu'on dit qu'elle portoit depuis la fameufe bataille iïJttium , oü Aüguste triompha de Marc-Antoine , & de Cjue'opatre , a laquelle appartenoit alors  de CHYPRE. Liv. XIV. Cm.L ?2 alors l'Ile de Cbypre, quoi qu'il fe peut que ce mot ait été coi rompu par ks Grecs, qui la nomment encore aujourd'liui Arno Koujla, qm fignifie eouverte de fable, par raport a fa fitua tion baffe, & remplie de fable, oü elle paroit comm< enterree. Ce Prince embeIlit,«Sc fortifia fon Roïaume,du cöté,qui regarde b Syrië, & le Midi, & trouva le moïen de fenrichir par e commerce, qifil y attira, & que les Chrétiens y firent, au lieu quils Ie faifoient auparavant dans la Syrië, & la Paleftine LePape Nicolas IV. travailloit depuis longtems, avec un zele infatigable, a réünir, «Sc engager les Puiflances Cbrétiennes * une nouvelle Croifade. II avoit même engagé Edouard I. Roi dAngleterre, a en être le Chef; Et ce Prince avoit deja fait de grands prèparatifs dans tous fes Etats , lorfque le Pontife apnt, avec une douleur inconcevable, la perte de Ptolomaïde; Mais, comme le Monarque Anglois n'étoit point encore en état de partir, & que le St. Père craignoit que les Infidèles, apres etre devenus entièrement maitres du Roïaume de Jérufalem , n'entreprilfent la conquête de celui de Chypre, qui étoit fi fort a leur bienféance , il envoïa promtement un Legat a 1'Empereur Rodolphe, pour fexhorter a pafler lui-meme en Syrië, avec toutes les Forces de ÏEmpre, afin de recouvrer , s'il étoit poffible , tout , ou partie du Roïaume de Jérufalem, ou du moins empêcher les Infidè* CS ^ lGS Chréti€m Poirédoient encore en Af ais le Légat eut le malheur de Voir mourir a Spire fEmpereur Rodolphe, peu après fon arrivée. Ses foins furent inutiles, auffi bien que les follicitations qu'il fit enfuite a Adolphe « de Nassau, fon SuccelTeur, qui, de petit Seigneur qu'il étoit, g fut eleve a VEmpire, par les bons offices de 1'Archevêque deMaïence ; mais , dès Ie commencement de fon règne , ce Prince fe trouva fiembarralfé dansles guerres civiles, qu'il ne lui' Zz zz fut 9 s Articie H. ÉmbeUiffemtntduM.aume de Chypre, du cóté de la Syrië, du Midi. tticitansduSt.fge pour ■ nouvelle aifade tilte.  •7 f c f r r i ( 1 i ] < i LEglife Grecque fectue le jeug du St. Siége. 1293- ClIA- 30 HISTOIRE GE'N E'R A L E it pas polïïble de porter la guerre hors de YJllemagne. Ainfi, 3 n'étoit pas, lans raifon, que le Roi Henri ne comptoit plus jr ralliftance des Princes de Y Europe, & qu'il travailloit, fans elache, a fortifier fes Etats, aamalfer de 1'argent, &a aguerir fes Peuples, afin d'être en état de les défendre, par lui mêrie, des attentats des Infidèles. Le St. Père, de fon cóté, perdit également toute efpérance Ie pouvoir réülfir dans le recouvrement des Saints lieux. II en ut fi affligé, dit-on, qu'il en mourut de douleur. Sa mort ne "ut pas feulement préjudiciable aux Chrétiens Orientaux, pour e rétabliffement defquels il auroit enfin fait quelque forte expélition, mais encore pour toute la République Chrétienne. Les Cardinaux n'aïant pu s'accorder, pour lui donner un Succefreur, le St. Siége vaqua vingt-fept mois. Sur ces entrefaites, Michel Pale'ologue, Empereur de Conftantinople, mourut; &c le Clergé de cette Capitale de V Oriënt, irrité contre ce Prince, pouffa fa barbarie, jufqu'a empêcher la fépulture de fon corps dans les lieux Saints, fous prétexte qu'il avoit vécu en fchismatique, & en excommunié, pour avoir foumis, au Concile deLatran, 1'Eglife Grecque a la Latine; & il fe fépara, en même tems, de la communion avec le St. Siége, malgré 1'inclination d'Andronic, Fils & Succelfeur de Michel, qui vouloit fuivre les traces de fon Père, & vivre dans la foumiffion dueal'Eglife Rotnaine, & au fouverain Pontife, vrai Vicaire de Jéfius-Chrifi. Ce qui ne feroit peut être pas arrivé, s'il y avoit eu un Pape, qui, par fes exhortations, & fon autorité, Feut aidé a perfévérer dans ces bons fentimens.  de CHYPRE. Liv.XIV. Ch. II. ?%l Chapitre IL Me'lec-Tassekaf, qui n'ignoroit pas entièrement ce qui fe paflbit en Europe, & qui ne fouhaitoit pas moins de fe rendre maïtre de Chypre, qu'il avoit été avide de porieder la Palejline, palfa, bientöt après la prife de Ptolomaïde, en Egypte, pour travailler a un puilfant armement maritime, qu'il dellinoit a attaquer cette He, avant que les Chrétiens, qui s'y étoient retirés, euflent le tems de s'y affèrmir; mais, heureufement pour le Roi Henri, & pour fes Sujets, la mort de ce Soudan interrompit fes grands projets; car, lorfqu'il étoit le plus occupé de cette expédition, il fut aflaffmé dans un jardin, pendant qu'il chaflbit, par un de fes Mammelucs, nommé Someri , qui s'étoit flatté de pouvoir occuper fa place. Néanmoins, foit que fon parti ne füt point aflez fort, ou que fes confrères fuffent véritablement fichés de la mort tragique de leur Prince, ils maflacrèrent 1'aflaffin, & mirent fur le Tröne Bedeizemi , Frère du défunt, auquel ils donnèrent le nom de M e'l e c-N asser, qui fignifie Roi-Viilorieux. Mais, comme ce nouveau Soudan étoit encore trop- jeune pour gouverner par lui même, les Amiraux furent aflez imprudens pour le mettre fous la direction d'un Tartare, nommé Guiboca , qui avoit été efclave de fon Père. Lorfque celui-ci fe vit élevé a un pofte fi confidérable, & comme maitre abfolu des affaires, il oublia bientöt, & fa condition, & la confiance , qu'on avoit eue en lui. II ne penfa plus, qu'a ufurper la fouveraineté. Pour y parvenir , il fit conduire le jeune Soudan dans le Chateau de Montréal, oü il le faifoit étroitement garder. Après quoi, il fe mit a fa place, fous le Nom de M e'l e c - D a è' r, fans que les Mammelucs s'en miflent en Zz zz 2 peine, Article I. Mart de MélecTafferaf. MélecN.iffcr/wle Tröne d'Egypte.  73* HISTOIRE G E' N E' R A L E Le jeune MélecNaffer efl tiréduChdteau, 01 ï il étoit enfer*ni.. Article II. Les Chevaliers du Temple, fcfifel'HÖ\>'\U\,affermiffent leur établiffement dans •Limifol. peine. Cependant, comme il voulut trop favorifer ceux de fa Nation, au préjudice des Mammelucs, ils en concurent tant de jaloufie , qu'ils le dépofèrent, & élurent un d'entre eux nommé Lacquin. Ce dernier, ne fe fiant pas trop a fes confrères, malgré la déférence qu'ils venoient de lui marquer, s'enferma dans leCMteau du Caire, fans avoir aucun commerce avec eux. Cette précaution neput le garantir d'être un jouraffalfiné, avec fa propre épée, par un Mammeluc, fon confident, avec lequel il jouoit aux échecs, ni celui-ci d'éviter la fureur des autres, qui ne manquèrent pas de le mettre en pièces, ainfi qu'ils 1'avoient pratiqué a 1'égard de ceux, qui avoient attenté fur la vie de leurs Souverains. Après la mort de ce dernier, & toutes ces brutales catafirophes , cette Milice fut longtems en conteftation , & en difcorde, pour 1'élection d'un nouveau Soudan; de forte que n'aïant pu convenir fur le choix d'un d'entre eux, ils retirèrent le jeune Me'lec-Nasser de fa prifon, & le remirent fur le Tröne. Ces difcordes, & ces changemens furent avantageux au Roi de Cbypre, Sc k fes Sujets. Ils ne furent point inquiétés par les Egyptiens, comme ils fappréhendoient, après les ménaces de Me'lec-Tasseraf; &ils eurent non feulement le tems de perfectionner la Ville, Sc les fortifications de Famagoufte, & des autres Places de l'Ile, mais encore de fe refaire entièrement de leurs malheurs palfés. Les Hofpitaliers, & les Templiersde leur cöté, ne furent pas moins diligens a profiter de fa desunion des Egyptiens. Us affermirent parfaitement leur établilfement dans la Ville de Limifol, que le Roi Henri leur avoit donnée ; Et tous les nouveaux venus de Palejline, a qui ce Prince avoit donné dés terres , Sc des habitations , s'apliquèrent a les cultiver , avec tant. de foin, que l'abondance des biens n'étoit pas moins grande, que celle des Peuples dans toute file. mettoit ce frince en état de fe défendre. fans aucun fecours étranger. JU  de CHYPRE. Liv. XIV. Ch.IT. tr II n'en étoit pas de même en Arménie; car, fi ce paysétoii tranqui e du cöté des Infidèles, la divifion de fes propres Princes le dechiroit fi fort, que les terres y demeuroient entièrement en friche, & le commerce tout-a-fait perdu. Le bon Roi Livon etantmort, pendant qu'ArroN, fon Fils ainé, & Thoros, fon fecond Fils, fe trouvoient a Conjlantinopk, pour conciurre le mariage d'un Fils du même Ayton, avec une Fille de ÏEmpereur Andronic, Sabat, leur Frère, profitadeleur abfence,&sempara de la Souveraineté, fans même faire aucun compte de Constant, quatrième Fils du Roi Livon. II s'y maintint, quelque tems, a la faveur de divers Seigneurs du paVs, qui avoient embraffé fon parti, & fit alliance, avec les Tartans, lur Ie fecours defquels il comptoit beaucoup. Ayton, a qui le Roïaume appartenoit, étonné de ce desordre, demanda du fecours a Andronic, pour en charter 1'ufurpateur ; cependant la lenteur de cette affiftance,&l'impatience de len clialfer,firent,qu'il s'embarqua pour Chypre,dans 1'efpérance que le Roi Henri, & les Ordres Militaires 1'aideroient a chafler fon Frere de fes Etats; mais l'Ile de Chypre étoit trop' expofee aux Sarrafins, pour la dégarnir des gens de guerre -' de forte que ce Prince auroit demeuré longtems exclus de fes mts, sil ne fut arrivé de nouvelles révolutions en Arménie, qm\m euflent procuré les molens de parvenir-a la Souveraineté. Constant, jeune, &ambitieux, qui ne pouvoit voir, fans jaloufie l elevation de fon Frère, ni fouffrir le peu de cas qu'il faifoit de hl , affifté des confeils , & de 1'épée de quelquesunsde fes anus, qui haïflbient Sabat, 1'attaqua k Pimprévuy fe faifit de fa Perfonne ; &, malgré le fort parti, quil s'étoit lait, il le fit enfermer dans une Tour, oü il mourut peu de tems apres. r AMa nouvelle de ce changement, Ayton fit de fi preffantes mllances au Roi de Chypre, qu'il en obtint enfin quelques i Troui- r ; I2P4. Sabat, troifièmeFilsdeLivon, Roi 'i'Arméin'e, furie Trdne,aprè^ la mort de Jon Père, Troubles en' Arménie •ourla Souiet a'.neie..  I29S- Ayton.ft'/j atnè de Livon , prend po[fejfion du Roïaume d' Armenië. Alliar.ce entre Ayton,&fCaffan, Roi de Perfe, pour les Chrétiens. 1296. Cha- 734. HISTOIRE G E' N E' R A L E Troupes. Les Ordres Militaires, fuivant 1'exemple de ce Prince, y contribuèrent auffi, & rairent le Prince Arménien en état de paffer dans fon Roïaume; perfuadé que fa préfence lui attireroit bientöt la meilleure partie de fes Peuples , avec l'afiiftance des quels il mettroit en poffeffion du Tröne. Quoi qu'il ne fe trompat point dans fon efpérance, & que quantité de Perfonnes de toute forte de conditions fe rangeaffent d'abord de fon parti , il lui fallut neanmoins travailler long-tems, avant de pouvoir réduire fon Frère. Tant la NobleiTe du pays étoit partagée entre eux deux, fins confidérer que leur divilion caufoit des malheurs infinis a ce pauvre Roïaume, que les Infidèles défoloient de toute part, par leurs courfes continuelles. Enfin , Ayton eut le bonheur de furmonter toutes les difficultés. II vainquit fon Frère, prit poffeffion du Roïaume, & en rétablit fi bien les affaires, qu'il ne tarda pas a être entièrement pacifié. Alors , ce Prince , pour témoigner au Roi Henri la réconnoiffance, qu'il confervoit du fignalé fervice , qu il en avoit recu , engagea une de fes Filles, qui avoit été mariéé a Cassan , Roi de Perfe , a folliciter fon Epoux de prendre les armes en faveur des Chrétiens, pour les remettre en poffeffion du Roïaume de Jérufalem. Entreprife , a laquelle cette Princeffe, qui étoit une des plus belles Femmes de 1''Oriënt, n'eut pas beaucoup de peine a réüffir , tant par raport a 1'amour , & a 1'eftime , que fon Epoux avoit pour elle, que par finclination qu'il avoit luimême de rendre fervice aux Chrétiens, dont il avoit toujours profeffé la Religion. Pour éclaircir mon Leéfeur des progrès de ce Prince, & de la manière, dont il étoit parvenu a la fouveraineté de la Perfe, il me faut reprendre fon hifioire d'un peu plus haut. J'en raporterai ce qu'en dit Ayton óéArménie.  ne CHYPRE. Liy. XIV. Cu. III. 73? Chapitre III. Argon, Roi Tartare, étant mort dès 1'année 1289. REgaite, fon Frère, lui fuccéda a la Couronne; mais il i avoit des inclinations li balles , «Sc les mceurs fi corrompues, \ que les Tartares, naturellement fiers, «Sc belliqueux, ne pu- 1 rent long-tems fouffrir fi lacheté. Ils engagèrent fes propres Officiers a fétrangler, «Sc élevèrent, en fa place, un de fes Parens , nommé Baidon. Ce nouveau Souverain, qui avoit toujours profeffé la Religion Catbolique, ne fut pas plütöt fur le Tröne, qu'il fit réparer toutes les Eglifes, «Sc publier un Edit, par lequel il défendit, fous des peines trés-rigoureufes, d'enfeigner, de prêcher, «Sc d'exercer le Mabométifme dans toute fétendue de fes Etats; de forte que la plupart de fes Sujets, qui fuivoient cette fecte, furent d'abord fi allarmés de fon Ordonnance, «Sc prirent tant d'averfion pour lui, qu'ils commencèrent incontinent a machiner fa perte. Pour y parvenir, ils pratiquèrent Cassan, Fils d'argon, «Sc lui firent entendre, que, s'il vouloit renoncer a la Religion Chrétienne , dont il faifoit aufli profeffion , ils s'obligeoient de Pélever a la Roïauté, «Sc d'en renverfer Baidon , qui la polfédoit. Cassan, qui ne manquoit, ni d'efprit, ni de conduite, & qui, en difïïmulant fon fentiment, ne croïoit pas offenfer Dieu, d'autant plus que fon intention étoit' d'attirer tout le Peuple dans le giron de 1'Eglife, leur promit tout ce qu'ils voulurent exiger de lui. II fe mit même a la tête d'une grofle troupe de révoltés, comme s'il avoit voulu exciter un foulèvement général , «Sc obligea Baidon , qui n'avoit point pénétré dans cette conjuration, d'affembkr promtement fes Troupes, pour punir l'au- Article 7. Mofens, pat es quels Znühn éoit parvem a laJoujeraineti.  1298. Ü99Ar'icle II. Caflan vient,èl'entrée de la Syrië, joindre les Rois tlArménie, 6f de Géorgie. 73* HISTOIRE GE'NE'R ALE 1'audace de Cassan. Alors , tous les Mabométans, dont le nombre étoit le plus confidérable dans fon Armée, au lieu d'attaquer ce prétendu rebelle, fe rangèrent de fon cöté, & abandonnèrent fi fubitement Baidon, qu'il fut obligé de prendre la fuite, afin de ne pas tomber au pouvoir des féditieux. Ils le pourfuivirent,avec tant de promtitude,qu'il ne put leur échapper, ni éviter d'être mis en pièces par fes propres gens, qui faluèrent, fur le champ, Cassan pour leur Roi. Comme 1'élevation de ce Prince n'étoit arrivée qu'en 129 5*. & que, pour s'affermir fur le Tröne, il avoit été obligé, non feulement de tolérer les Mabométans, mais encore de paroitre fuivre lui même leur croïance ,. il fe palfa prés de trois ans, avant qu'il put fatisfaire les follicitations de la Reine, fon Epoufe , qui le preflbit continuellement de porter la guerre contre les Sarrafins. II fe défit, peua peu, des Officiers Tartares, qui fuivoient YAlcoran, & mit en leur place de bons, & zètés Chrétiens. II détruifit auffi fes autres Sujets, qui étoient entêtés de cette fauffe croïance, & qui auroient pu contre-balancer fon autorité. De forte qu'il fe trouva en état de faire éclater fa piété, & fa religion, pour entreprendre le recouvrement du St.Sépulcre. Auffi, ordonna-t'il a tous fes Sujets de préparer promtement tout ce qu'il falloit pour 1'acompliifement de fon projet; & il fit, en même tems, informer de fon delfein le Roi $ Arménie, & celui de Géorgie, afin qu'ils le fecondalfent dans cette glorieufe entreprife, qui ne devoit pas les intérelfer moins, que lui. Tout 1'appareil, qui convenoit pour 1'expédition de Syrië, étant prêt, & les Troupes alfemblées, le Grand Cassan fe mit kleur tête, au commencement de 1'année 1299. & s'avanca a grandes journées vers YEufrate. Le bruit de fa formidable Armée faifoit déja trembler les Infidèles. Elle étoit forte de deux eens mille Combatans, outre les Troupes , que conduifoient les Rois d'Arménie, & de Géorgie, qui le joignirent,a 1'entrée de la  CHYPRE. Lir. XIV. Ch III. n 3 a Syrië. Le Roi de Chypre, qui avoit été informéde cette e treprife, fit auffi partir les hennes, avec les Chevaliers des dei Ordres , qui debarquèrent a Jntarde, pour y attendre leu nltruclions, &favoir de quel cöté les Alliés commenceroier leurs operations. Us ne tardèrent pas a en être informés. Me'le c-Nasseb qui avoit apns la marche des Tartares, & la ligue, que le Chrétiens ÜJfie avoient faite avec eux, confidérant qifil u etoit plus avantageux d'aller a leur rencontre, que d'attendn q nis euITent penetré dans fes Etats, pour les combattre, for tit promtement ÜEgypte,^z le plus de monde ^ affem bier. U groffit encore fon Armée des Troupes de Damas, & des autres lieux de 1* Syrië; fe flattant, qu'il empêcheroit, au moins, la jonóhon des Chypriots, & des Ordres Militaires, dont il craignoit extrèmement la valeur U^avancadans la Province ÜApamée, & rencontra PArmée Tartare, pres de la Ville ÜEmefiè. II engaeea d'abord la bataille, qui lui fut auffi funefte, quelle futï^tt Ennem Malgré 1'intrépidité, avec laquelle les Sarrafins comba tirent ce jour-la, ils y furent entièrement défaits. Le combat commenca au lever du foleil, & fbit a fon coucher. Le Soudan mt le bonheur de fe fauver, a la faveur des dromadai^^Se" que Plus de quarante mille Egyptiens furent tués fur le champ de . & celui' dT r CSUX W ^ l£ R0i d'^> i & celui de Georgië, qui les pourfuivirent jufqu'a nuit clofe, ' renverferent dans les campagnes. Cassan détacha , dis le point du pur, Molaï , fun de fes Lieutenans - Généraux! avec quarante mille Chevaux, afin de pourfuivre les Ss Q^en dTr ü 1,eXéCUta — tant de S qu il en defit encore une quantité prodigieufe. D'autres furent afTommes par les Chrétiens, qui habitoient teMont-tilan. Les Aaa aa Cby* i- x •s It s i MélecNaffer difaitpareetRois unis. 1'fcriptien k la perte 'es Infidè. :s.  i-3oo. Article///. Frife dtlnic(Fc,ÊPï< Darnas rt» pris par iet Sarrafins,  Article//. Les Chypriots , £ les Ordre: Militaires marcbent lentementi Anïarde, fur i'avis qu'ils ont jitóCaiïar ejl fur le point de ■rever.ir. Trotdiles en Chypre, tauféspar Alméric. 742 HISTOIRE GENERALE r. Aufli s lorfque , quelque tems après , ils aprirent que Ie «Grand Cassan, toujours également zélé pour le recouvrement de la Terre-Sainte, aprés s'être délivré de la rebellion de Baide, avoit renvoïé Cathaluse, avec trente mille Chevaux, en ' Syrië , pour réparer la faute , qu'avoit commife Molaï ; & quil avoit delfein d'y venir lui même en perfonne , les Chypriots, & les Ordres Militaires repalfèrent a Antarde, ouTortofe, avec beaucoup plus de lenteur, & moins d'efpérance, qu'auparavant. En effet, Ja venue de Cathaluse ne fit que leur caufer beaucoup d'embarras, & de la dépenfe inutile. A peine fut-il arrivé k Antioche, qu'il s'enretourna a grandes journées en Perfe, fur f avis, qu'il recut, que le Roi Cassan fe trouvoit dangereufement malade. De forte que les Rois d'Arménie & de Géorgie, qui 1'avoient joint avec leurs Troupes, furent obligés de s'en retourner dans leurs Etats, & le Prince Alme'ric, & les Ordres Militaires, de repalfer en Chypre, oü il ne tarda pas a recommencer les complots, qu'il tramoit, depuis long-tems, contre leRoi fon Frère, dont il n'avoit été détourné,que par 1'occupation, que lui avoient donné les expéditions de Syrië. Alme'ric, afin de donner au public demauvaifes idéés du Roi fon Frère, commenca a publier "que la Ville de Ptolomaï„ de ne s'étoit perdue,que par fon incapacité, &fon peu d'ex„ périence aux affaires de la guerre ; Qu'il n'étoit pas moins „ incapable du Gouvernement de 1'Etat; Que, quelque opulen„ te , & peuplée que füt 111e de Cbypre, elle ne manque„ roit pas d'éprouver le même malheur, dès que les Infidèles „ 1'attaqueroient; ce qu'on ne pouvoit attribuè'r qu'a une elpè„ ce d'imbécilité, difoit il, que lui caufoient fes infirmités. Ces difcours féditieux étoient apuïés par le Connétable de Cbypre, par celui de Jérufalem, & par le Prince de Galilée, fes Frères, qui n'étoient pas moins portés aux nouveautés, qu'Alme'ric. Quelque épreuve que filfent, tous les jours, les  de CHYPRE. Liv. XIV. Ch. IV. 743 les Chypriots de la prudence, Sc de 1'affection, avec laquelle ce bon Souverain les gouvernoit; quoi-qu'ils euflent devant lesyeux les beaux établiflemens, qu'il avoit faits, pour leur procurer f avantage du Commerce , & le bon ordre qu'il faifoit obferver dans tout le gouvernement': plufieurs d'entre eux, tant" de la NobleiTe, que du menu Peuple, furent aflez ingrats, pour fuivre les mauvais fentimens des Princes fes Frères, jufquesla même que le Roi devint le fujet de leurs railleries, Sc de leurs ihfolences. Cependant, quelque criminelle que füt leur conduite, il la toléra toujours, dans 1'efpérance que fa générofité, Sc fa douceur lesx obligeroient enfin a fe ranger a leur devoir ; mais fa bonté, & fon indulgence, ne firent, au contraire, qu'augmenter leur audace, Sc leur témérité. Us la pouffèrent même, jufqu'a entreprendre ouvertement de le dépofer. Chapitre V. Pendant que le bon, Sc généreux Roi Henri fouffroit toutes ces révoltes domefHques, les Ambalfadeurs, que le Roi 1 Cassan avoit envoïés en Europe, remplifloient la Cour de Rome de joie, Sc d'efpérance. Chacun y prenoit part au recouvrement du Roïaume de Jérufalem, & a 1'abaiflement des Infidèles. Boniface VIII. Souverain Pontife, reflèntoit une fatisfaction infinie , de ce que les Chrétiens , qui en avoient été chalfés, fous les règnes de fes Prédéceifeurs, euflent eu le bonheur de rentrer, fous le fien, dans la polfelfion de cet Etat, & des faints lieux, dont la perte avoit été fi fenfible a tous les Fidèles. C'elt pourquoi, afin de contribuër k leur affermiflement, il fit faire de grandes provifions d'armes, pour les leur envoïer, Article/r. Bonté du Roi envers "es Ennenis. I30S.uticle /.'  744 HISTOIRE GE'NE'RALE Fxbottations du Pape aux Princes Chrétiens pour la guerre Jainte. Son Enviïé en France y gdte tout, parjonimprudence , tffaficrté. Article II. Suites f ticheltjes de 11 bauteur du Pape,& de Jon Minijlre. envoïer, & dépêcha Bernard Saisseti, Evêque de Pamiers-, a Philippe-le-Bel, Roi de France, pour 1'exhorter fortement a paffer lui-même en Syrië, afin de profiter de la favorahle occafion d'en chaffer entièrement les Sarrafins, «Sc d'augmenter la domination, que les Latins y avoient eue autrefois, puilque le Roi Cassan, qui leur en avoit déja enlevé une bonne partie , offroit de continuër la guerre , jufqu'a leur entière deftrucfion. Mais, comme cet Evêque, qui n'étoit pas fort aimé a la Cour de France, paffa un peu trop les borncs de fa commiflion, en parlant au Roi, avec beaucoup de chaleur, «Sc trop peu de refpecl, fur-toutau fujet des prétenfions du Pape, d'obliger, par fon autorité, tous les Princes Chrétiens, a ceffer de fe faire la guerre, & a aller combattre les Infidèles; ce Monarque lui répondit , " qu'il ne recevoit la loi de perfonne pour le gouverne„ ment de fon Roïaume; «Sc que le Pape n'avoit en cela d'au„ tre droit , que celui de 1'exhorter, «Sc non de lui commander. La hardieffe de ce Prélat redoubla; &peu s'en fallut,que leRoi ne le fitarrêter: de forte que fa Légation, bien loin d'être avantageufe, comme Boniface le défiroit avec tantd'ardeur, nefit qu'augmenter la mésinteligence entre ces deux grands Princes, & dégénéra enfin en une rupture ouverte, qui a tant fait de bruit, «Se qui ne finit, qu'avec la vie de ce Pontife. Boniface, qui étoit fier, & hautain, piqué de la violence, qu'il prétendoit avoir été faite k fon Légat, après avoir envoïé en France 1'Archevêque de Narbonne pour Ie réclamer, fit publier diverfes Bulles contre Philippe, & fut fi bien profiter des embarras des Empereurs Grecs, qu'en moins de deux ans, il fe rendit maitre de toutes les Provinces,. qui confinent la Aler-Majeure. Ottoman, fon Fils, qu'il avoit conduit dans toutes fes expéditions, ne démentant point 1'efpérance, qu'il en avoit concue, continua, apres fa mort, la guerre, avec tant de bonheur, «Sc devint fi puiffant, «Sc fi chéri des Troupes, qu'Aladin, leur Souverain, qui avoit établifon fiégeRoïal a Iconium, Ville capitale de hLycaonie, commenca a craindre fa valeur; de forte m'aprehendant, qu'il ne fe joignit aux Tartares, qui incomnodoient extrèmement fes Etats , il aima mieux fe priver de fon lififtanee, que de fouffrir 1'inquiétude, que lui caufoit fon crélit, «Sc fon autorité. II lui donna une partie de fes Troupes, k lui permit de continuër a pouffer fès conquêtes contre les Trees. Ill'exécuta avec tant de fuccès, qu'il leur enleva bienöt d'autres Provinces, «Sc s ètablit enfin fi puilfamment dans fes onquêtes, que le même Aladin confentit, qu'il prit le nom de.  »e CHYPRE. Lir. XIV. Cir. VI. ?f ie Sultan; ce qui arriva vers 1'armée 1500. de Jéfus-Chrijl Ce fut-la le commencement de PEmpire Ottoman, qui fe trouve-aujourd'liui fi'puiffant, & fi confidérable, & qui a été h terreur, & fentière deftruétion des Chrétiens Orientaux, tan Grecs, que Latins. Ceux-ci contribuèrent eux mêmes H; grandeur , & a faffermilfement de leurs Ennemis communs. par la difcorde, & la mes-intelligence, qui a toujours régnt entre eux. En effet, les Andronics, d'un cöté, paroiffoient bien plus difpofés a s'entre-detruire, qu'a défendre leur Empire de 1'invafion des Infidèles. Les Latins, de l'autre cöté, foit par jaloufie, par intérêt, ou par ambition, n'agilfoient jamais de concert ,pour fe maintenir dans les belles Provinces, qu'ils avoient conquifes ; Et , enfin , la Maifon de Luzignan , au lieu de penfer, quelle étoitenvironnée de ces dangereux voifins, contre lesquels il lui falloit être continuellement fur fes gardes, ne s'occupoit qu'a diminuërfes propres forces, par la difcorde, qu'elle entretenoit dans fon fein. Alme'ric, que la mort de Gui, fon Frère, approchoit encore de la Couronne-, réfolu de tout mettre en ufage pour la pofféder, fans attendre qu'elle lui parvint natureliement, ■ s'aecommoda avec fon Frère Camerin, également amateur de: nouveautés, & fe déclara Chef d'un parti de mécontens, qu'il trouva difpofés a priver le Roi du gouvernement, & a le lui remettre entre les mains. Ils prirent pour prétexte, que ce Prince n'avoit pas fait pourfuivre trois Corfaires Génois; qui avoient facagé le Bourg de Pijcopie, oü ils avoient fait defcente, fousombre d'y vouloir faire quelque commerce. Les excès de cruauté, & de brutalité, que ces Pirates avoient commis, avoient fifbrt offenfé Gui re Zlmblet, qui en étoit le Seigneur, qu'il ne put digérer 1'indiiférence, avec laquelle le Roi aprit ce dés-' ordre, & la ruine de fes Vaffaux. II révolta ^tous fès amis,qui> Bbb bb 3. étoient ? • Ottoman" prend le nnm.de Sultan. if •Article ƒ/. -AffoiMiffement du Rüïuume. dt Chypre. Révolte coip rek Roi de -hypre.  Difcours féditieux d'Almétu Frért du Roi. Article/// Les Barons 6f Sei- fneurs ,fé uits por Alméric. ?*o HISTOIRE G E' N E' R A L E étoient en grand nombre, & s'adrelfa au Prince A lme'ric; pour f exciter a prendre fon parti. Soit qu'ils eulfent déja concerté 1'affaire entre eux, ou par -hafard, Poccafion parut fi favorable a Alme'ric, qu'aïant le commandement des Troupes, il obligea tous les Barons, qui fe trouvoient alors a Nicofie, a s'alfembler dans fa Maifon. II leur répréfenta par un long Difcours, bien étudié , " 1'in„ terêt qu'ils avoient tous de prévenir promtement les mal„ beurs, qui ménacoient le Roïaume, aux quels la nonchalan„ ce, & les indifpofitions du Roi ne lui permettoient pas de „ remédier ; Que ce Prince devenoit même infenfible aux „ désaftres de fes Sujets ; Que le désordre, qui venoit d'arri» ver a Pifiopie, augmenteroit la hardielfe, & la témérité des „ Pirates; de forte que toutes les cötes de l'Ile en feroient bien„ tot inondées , & expofées aux mêmes ravages, & tout le „ Roïaume en danger d'être envahi par les Infidèles, qui ne „ manqueroient pas de profiter de la foiblelfe du Souverain." Ajoutant, " que, comme il étoit lui même plus intéreffé, qu'aucun „ autre, a la confervation d'un Etat, que fesAncétres avoient „ fi bien établi, & fi glorieufement maintenu jusqu'alors, ils „ les avoit convoqués, pour leur en demander 1'adminiftration, „ & le gouvernement , tant pour foulager le Roi fon Frère, „ qui ne pouvoit y vaquer davantage, fans altérer entièrement „ fa fanté, que pour garantir les Peuples des délölations, aux„ quelles ils étoient expofés tous les jours. Quoi que ce Difcours furprit plufieurs de ces Seigneurs, qui aimoient la juftice, & la fidélité, qu'ils devoient a leur Souverain, la manière, dont Alme'ric venoit de s'expliquer, & la violence, avec laquelle il les avoit aflemblés, leur fit comprendre, que leur réfiftance feroit inutile; qu'il n'avoit recherché leurs fuffrages, qu'en apparence; & que fon parti n'étoit déja que trop puilfant, pour faire réülfir fes mauvais delfeins. Ils con-  de CHYPRE. Liv. XIV. Ch. VI. 7$t confentirent a fes volontés, & lui prêtèrent le ferment de fidélité, qu'il voulut abfolument en exiger, en qualité de Regent du Roïaume. II les contraighit mème de foufcrire un Acte qui portoit,''que le Roi n'auroit plus que le Titre Roïal, fans' w fe mêler d'aucune affaire du gouvernement , lequel, pour plu„ fieurs raifons, qui y étoient expliquées amplement, demeu» reroit entièrement a la difpolition du Prince A l m e r i c, fon „ Frère, qm lui paieroit tous les ans cent quarante mille be„ zans pour Pentretien de fa Maifon, «Sc difpoferoit des autres „ revenus de la couronne pour les beloins de PEtat. Après ces formalités, fans avoir aucun égard aux rémontrances de la Reine fa Mere, qui s'y étoit rendue, «Sc qui, pour arrèter fa violence, fe fervit de tout ce qu'une Mèretendre, «Sc affectionnée pour le repos de fes Enfans,peut dire de plus touchant, ce Prince ambitieux «Sc dénaturé fe fit accompagner de toute f Affemblée; «Sc, fuivides Troupes, dont il avoit fait entourer fa Maifon, il alla trouver le Roi, auquel il déclara ouvertement, "que le Confeil aïant confidéré, que Sa Majefté n'étoit „ point en étatdevaquer aux affaires du gouvernement, avoit „ jugé a propos,tant pour ménager fa fanté,que pour le bien „ commun de fes Peuples, de le décharger de ce pefant far„ deau, «Sc de lui en donner Padminiftration avec la Régence „ du Roïaume; qu'ainli, il le prioit de ratifier ce que ce fage „ Corps avoit établi a ce fujet. En même tems, il lui préfenta / l'Acfe, que tous les Barons avoient figné, avant de fortir de * PAifemblée. Malgré 1'avertilfement, que le Seigneur d'IuELiN , Sénéchal du Roïaume, avoit fait parvenir au Roi touchant PAifemblée, quife tenoit chez Alme'ric, «Sc qu'il lui eüt même confeillé d'y remédier promtement, afin d'éviter les fuites fachcufes, qu'il en prévoïoit, foit que le peu de fanté, dont jouuToit ce Prince, le rendit indolent, ou qu'il ne crüt point fon Frere alfez méchant,ni fès Sujets alfez perfides, pour entreprendre fur fa Imérii égent.  75^ HISTOIRE GE'NE'RALE Article//' Vhkncts «f Alméric, fa Perfonne5 «Sc fur fon autorité, il n'avoit donné aucun ordre, pour détourner leurs attentats. Par cette nonchalance, il fe trouva hors d'état de s'y oppofer; «Sc tout ce qu'il put faire, dans cette trifte fituation, fut de dire a f )n Frère, "que, com„ me le Confeil fupérieur ne pouvoit être convoqué, que par ,, fon ordre exprés, «Sc que fes délibérations n'avoient aucun „ pouvoir, fans fon confentement, ce qu'il venoit de faire ne „ pouvoit fubfifter, puifqu'il f annulloit dès-a-prefent, «Sc le re„ voquoit entièrement." II s'addrelfa enfuite aux Barons, «Sc leur dit, " qu'ils devoient tous fe relfouvenir, que ceux du „ Roïaume de Jérufalem n'avoient jamais fongé a rien entrepren„ dre fur 1'autorité Roïale, ni nommer aucun Régent, durant s, Je règne de Baudouin IV. quoi que, dès fon enfance, ce „ Prince eüt été fi affiigé de la lèpre, qu'elle favoit rendu en„ tièrement incapable de vaquer aux affaires du gouvernement, .„ «Sc même reduit a ne vivre qu'a demi. „ Que, quant a lui, graces a Dieu, les indifpofitions, qu'il ,, relfentoit, ne 1'avoient jamais empêché de fe trouver a la tête ,, de fes Troupes , lors que fa Perfonne y avoit été nécelfaire, „ «Sc même d'y remplir les devoirs de Prince, «Sc de bon Sol,, dat, dans les occafions les plus périlleufes ; Qu'ils étoient ,, enfin tous témoins de l'aifecrion, avec laquelle il avoit tou„ jours gouverné fès Sujets, & cherché a leur procurer les com„ modités, «Sc l'abondance , Qu'a 1'égard de 1'irruption, que „ les Corfaires Génois avoient faite a Pifcopie, c'étoit au Prince „ Alme'ric, & non a lui, qu'il falloit s'en prendre, puis„ qu'il lui avoit confié le commandement de fes Troupes, pour ,, veiller a la confervation de tout le Roïaume. Le Roi alloit continuër fon Difcours, lorsqu'A l m e'r i c finterrompit. II craignoit, que fes bonnes raifons ne fiffent revenir les Seigneurs. II lui repartk brusquement, " qu'il de„ voit être fatisfait de fa modération, puisqu'il fe contentoit „ de la Régence, «Sc qu'il avoit refufé le Tröne, oü tous les Ordres >, du  »b CHYPRE. Lrr. XIV. Ch. VT. r< ï> du Roïaume, vouloient le placer ; Que 1'amitié & la défé „ rence, qu'il avoit pour fa Perfonne, lui avoient fait refufe] „ cethonneur: Et, fans vouloir plus rien écouter, il alla, fui le champ, fe faifir des déniers Roïaux, &de tous les tréfors de la Couronne, pendant qu'il faifoit publier fa Régence, a fon de trompe,dans toute la Ville, «Sc qu'il faifoit jetter au Peuple beaucoup plus d'argent, qu'on n'en répandoit a 1'avènement des Rois Alors Henri, ne fe croïant pas alfez en fureté dans 1'appartement de la Reine, fa Mère, oü il s'étoit retiré, «Sc confidérant, que 1'ambition de régner étoit capable de tout faire entreprendre a fon Frère, de 1'avis de cette PrinceiTe, & accompagné, de quelques vieux Courtiïans, alla fe réfugier dans la Maifon du Seigneur d'lBELiN. Celui-ci, qui avoit prévu 1'orage, qui venoit d'éclater, s'étoit déja bien fortifié, perfuadé que fon attachement pour le Roi lui attireroit immancablement la perfécution d'A l m e r i c , & fon inimitié ouvertemais la coniolation, qu'il eut de recevoir ce Prince dans un meilleur état, qu'il n'avoit ofé 1'elpérer, lui fit hardiment redoubler fes foins, «Sc fa prévoïance, pour le défendre jufqu'a la derniere goute de fon fang. La quantité de Perfonnes de diftinction, que le Roi rencontra chez le Sénéchal, lui fit d'abord concevoir le delTein d'aller 1'epée a la main, arracher a fon Frère le gouvernement, dont il venoit de le depouiller fi injufiement. II trouva cette illuftre compagnie fi bien difpofée a le feconder, qu'il alloit fortir pour 1'executer, «Sc punir 1'infolence d'A l m e'r i c, lorsque la Reine leur Mere,qui apprehendoit, que cette fédition ne fe terminat enfin par la mort tragique de fes Enfans, 1'arreta, lui repréfentant, que fon entreprife ne pouvoit avoir lieu, par la précaution, qu avoit eu Alme'ric d'engagerles Chevaliers teVHdpitai, \ &t)du TemPIe> a Ie foutenir. Ils étoient même venus kW /&, & avoient joint leurs Troupes k celles du pays, qui étoient entièrement devouées a Alme'ric. Cefi pourquoi elle pria Ccc cc 1c i Rétraiteda Roi chez le Seigneur d' Ibelin. Réfolutitn vigoureufg du Roi, arrètée par les conj Hls ie ja Mère.  ??4 HISTOIRE G E'N E'R A L E Article I. Soins de la Reine apatifier tout, par la dou uur. Retraite du AoiaStrovillo, avec le Prince Hugues, fon Neveu. le Roi d'attendre, qu'Qle eüt parlé aux Maitres des deux Religions, pour les engager a rentrer dans leur devoir, & pour les exhorter a y ramener fon ambitieux Frère. Chapitre VII. Cette prudente Princelfe fit fi bien fentir a ces Chevaliers, qu'ils agiffoient, en cette occafion, contre les Statuts de de leur Ordre, & contre la reconnoiffance qu'ils devoient conferver pour les bontés, que le Roi avoit eues pour eux, qu'elle les obligea enfin a renvoïer leurs Troupes a Limifol, Sc a agir de concert avec Elle pour remettre la paix dans la familie Roïale; Mais on n'y put réuflir. Alméric , endurci dans fa revolte, étoit réfolu de fe conferver le commandement, a, quelque prix que ce füt. II füt même fi piqué du changement des Chevaliers, qu'il n'eut plus pour eux aucune confidération, Sc chercha , au contraire , toutes les occafions de les chagriner. Le peu de fuccès des Negociations de la Reine, aïant fait connoitre au Roi, qu'il rifquoit la vie, &la fortune de tant de Seigneurs, qui s'étoient offerts a lui, le fit réfoudre de céder a la neceffité , & d'envoïer Ie plus fécrettement qui lui fut pofïïble des Ambalfadeurs au Pape, pour le prier de faider a rentrer dans la domination d'un Etat, dont Dieu favoit fait naitre légitime Souverain; &, afin de donner a fes Miniftres le tems d'agir aüprès du Pontife, Sc d'öter a fon Frère tout foupcon , qu'il fongedt a le troubler dans fa Régence , il remercia ces Seigneurs de leur bonne volonté, & fe retira au Village de Strovillo, lieu délicieux, oü il s'occupoit des plaifirs champêtres, de lachaffe, Sc de la pêche, en com^.^nie du jeune  ï)E CHYPRE. Liv. XIV. Ch. VIT. jeune Prince Hugues, fon Neveu, qu'il y avoit conduit, & pour la vie duquel il ne craignoit pas moins, que pour la ïienne. Mais cette innocente retraite, bien loin de mettre Pefprit d'A lm e'r ic en repos, ne fit qu'augmenter fon inquiétude. II ne pouvoit s'imaginer, que le Roi pafiat li promtement d'une ' extrémité a l'autre, fans quelque miftère; de forte que, pour empêcher, que le Roi, ou la Reine n'envoïalfent quelque Emiffaire aux Princes ü Europe, pour fe plaindre de lui, il défendit expreffément dans tous les Ports du Roïaume, de laiffer partir aucun Batiment fans fa permiifion, & fans être exaótement viilté par des Perfonnes affidées, qu'il y prépofa. II mit de plus des efpions auprès d'eux, afin d'être également informé de toutes leurs démarches , & du commerce qu'ils pouvoient avoir au dedans, & au dehors; de manière qu'il ne tarda pas k pénétrer 1'expédition, que le Roi avoit faite a la Cour de Rome ; ce qui augmenta fi fort fes allarmes, quil en devint comme furieux. Ceux même qui 1'avoient aidé a s'emparer du gouvernement, n'étoient plus a 1'abri de fes emportemens, ni de fes infultes. II faifoit emprifonner les uns, exiler les autres, ou confifquer leurs biens,fur le moindre foupcon. Cependant, comme Alme'ric craignoit beaucoup plus 1'imprelfion, qu'on auroit pu donner de fa conduite aux Princes $ Europe, que tous les mouvemens intérieurs des Chypriots, & que, tout méchant qu'il étoit, il appréhendoit les Cenfures du Pape, il fit inceffamment équiper une galère, fur laquelle il fit embarquer les Barons Hugues Piscal , & Guillaume de Villers , avec le Père Nicolas , Cordelier, qu'il envoïa en qualité d'Ambalfadeurs au Pape, pour lui repréfenter, " que les „ infirmités du Roi fon Frère, & fon peu d'attention aux af„ faires de 1'Etat, aïant été caufe de plufieurs désordres, qui „ y étoient arrivés, par 1'invafion des Pirates, qui avoient ra„ vagé les cótes de l'Ile, la Cour Supérieure, & tous les Or- Ccc cc 2 „ dres ïfpims pef' és par tout >ar Almé> ie. Article//, Ambaffade rf'Alméric ait Papt.  T$6 HISTOIRE GE'NE'R ALE 1306. Sts AmbaJ /odeurs chargés de préfens. «307- La Cour de Rome re remédié point au mai. ,, dres du Roïaume 1'avoient follicité a en prendre le gouver„ nement, afin de remédier a tant de maux, cc veiller a la „ confervation d'un pays, qui, après la perte de la Palejline, „ étoit devenu le boulevard de la Chrctienté;" Et, pour mieux apuïer ces raifons, & les rendre recevables a la Cour de Rome, il eut foin de munir ces Miniftres de plufieurs riches préfens, & de beaucoup d'argent comptant, pour en répandre dans les occafions. Mais, foit que Dieu ne voulüt pas bénir Ie voïage de gens, qui alloient folliciter une fi mauvaife caufe, ou que les mariniers manqualfent a leur devoir, cette Galère échoua fur les écueils d'une petite He de ï* Archipel, & s'entre-ouvrit fi fubitement, qu'ils y périrent tous avec leurs richelfes. Cependant les Ambalfadeurs du Roi, étoient heureufement arrivés auprès de Clement V. qui avoit fuccédé aBs'NoiT XI. après dix mois, & huit jours de fiège vacant, lis follicitoient fort ce nouveau Pontife k interpofer fon autorité, pour faire rentrer Ie Prince Alme'ric dans 1'obéïlfance, qu'il devoit a fon Souverain. Clement, qui, avant fon exaltation , étoit Evêque de Bordeaux , & originaire de cette Province , après avoir été couronné a Lyon , oü les Cardinaux s'étoient rendus, voulut remédier aux fcandales, qui étoient arrivés fous le Pontificat de Boniface VIII. II étoit occupé de ces grandes affaires, & k réconcilier 1'Eglife avec Philippe-le-Bel, Roi de France. II donna a ce Prince 1'abfolution des cenfures fulminées par Boniface, & lui accorda les décimes fur tout fon Roïaume, pendant cinq ans. II rétablit les Cardinaux Jaques , & Pierre Colonne dans les dignités , les honneurs, & les bénéfices, dont ils avoient été privés. II créa plufieurs Cardinaux, & il inveftit enfin Dom Jaime, Roi iïArragon, du Roïaume de Sardaigne; Ainfi, malgré les preifantes Ibllicitations des Ambaf. födeurs du Roi de Chypre, il fe palfa prés de trois ans, avant que  de CHYPRE. Liv. XIV. Ch. VIL 7,-7 que le Pontife put travailler au rétablilfement de ce Prince. A l m e'r 1 c , qui, pendant ce tems, éprouvoit lè fort ordinaire des Tyrans, qui eft de ne jamais goüter aucun repos, méditoit inceffamment les moïens de fe défaire du Roi. C'étoit j le feul remède, qu'il croïoit nécelfaire, pour terminer fes in- ' quiétudes. Dans ce deffein, il alla a Strovillo, avec une ban- J de de fcélérats , pour 1'alfaifiner ; mais , heureulèment , la Reine, qui avoit pénétré la confpiration, Pen fit promtement avertir par un ReligieuxDominicain. LeRoi, qui eut le tems de fe retirer a Nicofie, par des chemins détournés, fe refugia de nouveau dans la Maifon du Sénéchal d'lBELiN, ou Alme'ric 1'affiégea, & le réduilit a 1'extrémité. Les Evêques de Famagoufte, de Limifol, & de Baruth, agirent cependant fi efficacement auprès d'Alme'r 1 c, qu'ils 1'appaifèrent enfin, & obtinrent, par grace fpéciale, que le Roi pourroit fe retirer dans fon Palais , &y vivre tranquilement avec la Reine fa Mère ; & que les Seigneurs, qui avoient pris fon parti, pourroient également aller vivre fur leurs terres. Mais ce Tyran ne fut pas moins parjure dans cette occafion „ qu'il l'avoit été dans toutes les autres. Contre la parole qu'il avoit donnée aux Prélats, il obligea le Sénéchal, & tous les ^ autres Seigneurs, qui lè trouvoient auprès de lui, d'aller a pié, & fans armes, & fit mener a fon Palais les domeftiques, ou. 1 autres gens, qui étoient aux gages de ces Seigneurs, piés, & tête nue, & ks mains derrière le dos, pour lui faire amende fionorable. Non content de cette violence, il les rélégua tous dans les Chateaux de l'Ile, oüil leur fit endurer une prifon trèsrigoureufe. II traita pourtant, avec plus de douceur, le Sénéchal, les Barons Dampierre, & Ruffin de Montfort, qu'il rélégua, 1'un a Carpajfo, l'autre a Lapathos, & le Sénéchal a Alimerio ; Mais, malgré les prières dune des Demoifelles de Madame de Baruth , qu'Alme'ric eftimoit infiniment, Ccc cc 3 Ü- ArticIeJ/Jf Attcntat \ Almerip w la vit ht Roi fon on Frère. tions 'igrms Uméric.  7^3 HISTOIR.E GE'NE'RALE Alméric fait condui re le Roi i Famagoul te, fif 4e k en Arménie. Article/. Alméric rapelle les exilis, leur rend leurt il renvoïa quelque tems après prifonnier en Arménie , avec Balian d'Ibelin , fon Neveu, dont il ne craignoit pas moins les entreprifes. II avoit obtenu la permiffion du Roi ÜArménie, dont il avoit époufé la Soeur, d'exiler dans fes Etats tous ceux qu'il vouloit, paree qu'il faifoit cfpérer a ce Roi, que les Enfans qu'il auroit de fa Soeur, pourroient parvenir a la Couronne de Chypre. Non content de toutes ces violences, & toujours inquiet , i il alla lui-même, pendant la nuit, fe faifir de la perfonne du Roi fon Frère, le fit mettre dans une litière bien fermée, & conduire a Famagoufte, fous 1'efcorte d'une Compagnie de Cavalerie, commandée par Camerin, fon autre Frère, & le fit d'abord embarquer fur une Galère, qui le conduifit en Arménie, oir, a fon arrivée, il recut d'aflez bons traitemens; mais, foit qu'on craignit , qu'il ne füt enlevé par le Baron Jaques de Mont-Olif, qui, de Baffo , oü il étoit exilé , s'étoit fauvé a Rhodes, avec une Galère de 1'Etat , ou qu'on crut d'abréger fes jours, en ajoutant a fa mauvaife fanté le chagrin d'une étroite prifon, oü 1'enferma dans le Chateau de Lambron, oü il étoit fi bien gardé, qu'il ne lui étoit pas permis de recevoir, ni vifites, ni Lettres, de qui que ce füt. Traitement, que ce Prince infortuné trouva fi infuportable, qu'il difoit fouvent , que la perte de fa liberté lui étoit infiniment plus fenjible, que celle de fa Couronne. Chapitre VIII. Son éloignement fit cependant changer de maxime a Alme'ric, fon Frère. Comme il défiroit d'appaifer les mécontentemens, qu'il avoit donnés aux Grands du Roïaume, il rendit la  be CHYPRE. Liv. XIV. Ch. VUT. la liberté k tous ceux qui étoient détenus dans fes Forterelfes, I ! Difette dans l'Ile de Chypre, qui en fait déferter plufieurs fat mille s. Article II. Alméric )rie leRoi f Arménie le redoubler i garde aurés du Rui e Chypre  760 HISTOIRE G'EN. de CHYPRE. Liv.XlV. Ch.VIÏÏ. Ifabelle, Femme d' Alméric, tdibede le faire empoifonner. Celui qu'elle charge de l'exécution eu a horreur. üJrmènic, fon Beau-Frère, pourle prier dé redoubler fes foins pour la garde de ce Prince, «Sc que, fous quelque prétexte que ce füt, on ne permit a perfonne de le vifiter. Isabelle óHJmiénie, Femme d'A l m e'r i c, non moins ambitieufe de régner, que fon Mari, «Sc auifi méchante que lui, dépêclm,dans le même tems,un de fes plusafEdés domeftiques au Gouverneur du Chateau de Lambron, pour tacher de féduire cet Officier, «Sc fengager a donner au Roi un poifon, dont elle avoit chargé fon Emilfaire. Ce Gouverneur, qui avoit 1'honneur, «Sc la probité, en partage, eut tant d'horreur de la propofition infame de cette Princeffe, «Sc tant de mépris pour les récompenfes, qu'elle lui fit offrir, que fon confident fut obligé de s'en retourner, fans avoir pu obtenir du Gouverneur, que falfurance de ne point divulguer le fécret de fa Maïtreffe.