LEGAAT Mr. P. A. BRUGMANS, OVERLEDEN 1891  Hl STOIRE GÉNÉRALE des R O I A U M E S de CHYPRE, DE JERUSALEM, d' ARMEN IE, et d'EGYPTE) Comprenant les croisades, E t LES F A I T S, LES PLUS MÉMORABLES, DE L'EMPIRE OTTOMAN, Avec plus d'exatiitude quancun Auteur moderne les a encore rapportés. TOME SECOND. A L E T D E, j"L e s FRERES MURRAY,j CïïEl ^ EThFRANEKER, j ' 78 5 'iR OMA R-j   HISTOIRE GÉNÉRALE D e s ROÏAUMES D E CHYPRE, de JERUSALEM, D' É GE YT P T E. L I V R E XV. Chapitre Pr e'm ier, a difètte 3 &le tumulte, qui continuoient en Articie f. <&3PS&?S?£&& Cbypre, joints au peu de fatisfaétion, que T $8$ IeS Ciievaliers de VHópitaly recevoient, deJL w!k puisqu'ils s'étoient également rendus fufpeéls eR&W>$ft fxPa*ifansduRoi, & au Régent, paria ^0$$$$$^ demarche, qu'ils avoient faite de pren- dre les armes en faveur de ce dernier, & de les pofer presqu'en tnême tems, pour devenir Médiateurs Ddd dd entre  I I Rêfolvtion ' des Ilofpi- ■ taliers de quitter Chypre , pourun aiir tre établif*. fement a i'exempie de.s Tempiiers. LcsTcmpliers vont attaquer )'Empire dt Grèce, ^ femparcnt tfeThtrfa'onic,fi'.Athc- «Si r6i HISTOIRE GE'NE'RALE ;ntre fon Frère, & lui, fit déterminer Foulques de Villabiet , alors Maitre de eet Ordre, d'exécuter le projet, que fon Prédécefleur, & fes Confrères avoient fait quelque tems auparavant, d'aller établir leurCo uvent dans quelque pays, oü ils euffent plus de pouvoir, «Sc moins de fujettion; de forte que, malgré les avantages, dont ils jouuToient en Chypre, depuis le départ des Templiers qui avoient quitté ce pays, dès Tannée 130^ «Sc les avoient laiffés entièrement maitres de Ville de LimifoU & de fes dépendances, ils réfolurent de changer leur réfidence. tl eft bon de favoir, que, pendant que les Hojpitaliers étoient occupés a faire les préparatifs néceflaires pour leur entreprife, les Templiers augmentoient confidérablement leur réputation, & leurs fichefles; Car, après avoir quitté Chypre pour le même fujet, que les Hojpitaliers, ils abordérent en Sicile, oü ils furent fi favorablement recus du Roi Charles II. qu'ils s'engagèrent a le fervir contre Andronic, Empereur de Conflaniinople. È eet effet, il leur donna le commandement d'une Flotte confidérable , pour aller attaquer f Empire de Grèce, fur lequel Charles prétendoit avoir des droits bien fondés. Le Chevalier Roger, Maitre de eet Ordre, qui n'avoit pas moins d'expérience de ces mers, que des terres de Pakjline, s'empara d'abord de la Ville de Thefalonic, & enlhite de celle ÜAthènes. Gautier, ou Robert de Brienne, qui en étoit Duc, perdit la vie, en la défendant. Les Chevaliers ravagerent également plufieurs autres lieux de la Thrace, «Sc du Peloponèje , s'avancèrent jufques fur les cötes de 1"'Helle/pont, & emportèrent de fi riches dépouilles de leur expédition, qtfelles ctoient ineftimables. Avant de retourner en Sicile, ils jugèrent a propos de partagcr leurs conquêtes avec divers avanturiers, qui s'étoient^ •joints a eux avec leurs Vaiffeaux, du confentement même du Roi Charles, qui ne fe mettoit guères en peine, qui poilède- roit.  ïïe CHYPRE. Liv. XV. Ch. 1. * .763 roitles biens, & les terres, qu'on prendroit fur Andronic, pourvu qu'on affoiblit fes forces, & qu'on lui facilitat la con~ quête de 1'Empire, & la deftruclion de celui qu'il prétendoit le pofféder injuftement. . Les Templiers, aux quels le féjour du Levant etoit devenu odieux, témoignèrent de findirférence pour la poffeffion des Villes qu'ils avoient conquifes, & retinrent pour leurportion tout 1'or, fargent, les joïaux , & autres chofes précieufes, qu'ils avoient pillées, & fe retirèrent en Trance, pour en jouir paifiblement,&pour faire valoir les belles Commandenes, qu'ils, poffédoient dans toute hChrétienté, par la libéralité des Pnnces, & autres Perfonnes pieufes, qui croïoient de gagner le Paradis, en donnant leurs biens aux Religieux. Ils compartirent les Villes, & Hes conquifes aux avanturiers, qui avoient fuivi leur fort, chacun a proportion de fes armemens. Ils donnèrent le Duché ÜJthènes, a Ren 1 er Ac ci aï ol i, Gentilhomme Tlorentin, dont les Succeffeurs Pont poffédé longtems, auffi bien que la Ville de Corinthe, qui leur vint enfuite par une Alliance. Tbeffalonic, & les autres lieux échurent a leurs autres anodes. La retraite des Templiers dans un pays, oü ilsne pouvoient exercer continuellement la guerre contre les Infidèlcs, jointe a la poffeffion des grandeS richeffes, qu'ils y avoient portées , les plongea infenfiblement dans le luxe, dans la moleffe, & dans plufieurs autres vices, qui furent bientöt après la caufe de leur deftru&ion, & de leur anéantiffement. Leur vie relachée & licencieufe , & la depenfe excellive. qu'ils faifoient en habits , en ameublemens, en domeftiques. en chevaux, en chiens, & enfin en magnificence poui leurs tables, qui étoient toujours abondamment fournies dc tout ce qu'on pouvoit trouver de plus délicat , & de plus exquis, fcandalifa fi fort toute la Cour de Frame, que chacun Ddd dd 2 II Articlc ij. Ils repaf fent en France, cbargés de ricbef (es. Leurs ri* cheffes caufe de leur dérèglemenU  764 *HISTÖIRE G E' N E' R A L E Article/ Ils font tou, arrêtés,pm ordre du Roi. y murmuroit du mauvais ufage que ce» Religieux faifoient des bienfaits, quils avoient recus de la libéralité desPnnces *'± Divers Courtifans en particulier, qui reffentoient une'jalou* iie fecrette de leur magnificence, & du fafte, avec lequel ils vivoient, parlèrent fi fouvent au Roi Philippe de leur immodeftie, «Sc de leurs dérèglemens, que ce Monarque en informa le Pape, le pnant d'en prendre connoiflance, «Sc dV rémédier • de forte que les raports des Courtifans, joints a Taccufation de deux Chevaliers, condamnés, pour leurs crimes, a une pri. fonperpétuelle, & rétranchés de eet Ordre, avancèrent leur perte. L'un étoit Pneur de Montfaucon, en Languedoc. L'autre fe nommoit Nufodei, & étoit Florentin de Nation : foit dans 1'efperance derecouvrer leur liberté, ou pour fe vanger de rmjuftice, qu'ils prétendoient qu'on leur faifoit, ils révélérent les excès d'impiété, & les abominations , que commettoient journellement leurs confrères.. Ces excès parurent fi exécrables au Roi, que, fans attendre les ordres, ni la décifion du Pontife, il fe fervit de fon pouvoir, «Sc les fit tous arreter, afin ( difent quelques Hiftoriens ) de le faifir de tous leurs biens. Quoique le fentiment de Duchesne, qui raporte leur procés tout au long, «Sc qui en déduit les particularités, foit fort différent , j'ai cependant cru devoir mettre ici les diverfes opi. nions desEcrivains fur un fujet fi important, & men remettre a la reflexion du Lecteur. Le Roi fit enfuite travaiüer a leur procés. Malgré le déplai* fir, que lui témoigna le St. Père d'un procédé, qui donnois atteinte a fes droits, «Sc a fon autorité, FafFaire ne lailfa pas d'avoir cette fuite funefte, «Sc terrible, qui abolit entièrement cette Religion, «Sc qui termina, par un fuplice fi cruel, «Sc £ infame, la vie de Jantjes de Molai, Maitre de eet Ordre, & deGui, Frère du Dauphin de Vienne, avec foixante de leurs- Confrères, lis furent tous brülés vifs, fans que les belles a«ftions,  re CHYPRE. Liy. XV. Cu. I. ?6$ aétions, que leurs Ancêtres avoient faites en Syrië, contre les Infidèlcs, depuis 100. ans de la fondation de leur Religion, rri leur nailTanee , quoique des plus illuftres, puflènt empêcher Fexécution de farrêt, qui avoit été prononcé. Tant Tavidité de s'emparer de leurs rieheffes , qui (felon quelques Auteurs ) faifoient leur plus grand crime, avoit rendu les Princes , & tous ceux qui efpéroient y avoir part infenlibles a leurs malheurs. Bosio , Auteur grave, «Sc fort approuvé , raporte, dans fon Hiftoire de la Religion Jérofolymitane, que, quelque envie , qu'aïent eu les Hiftoriens Franfois , d'adoucir la relation , qu'ils font de la détention , «Sc de la condamnation de ces Chevaliers, afin de diminuër le tort, qu'elle a fait a la gloire du Roi Philippe , ils n'ont pu juftifier la conduite de ce Prince fur ce fujet, ni empêcher que la poftérité ne croie, que fon avance naturelle ait été la feule caufe, qui Ta porté a perfécuter , «Sc a ruiner entièrement eet Ordre. Le Prieur de Montfaucon, & le Chevalier Nüfodei , qui contribuèrent a Taccélérer, ne jouïrent pas longtems de leurs véritables, ou faulfes accufations. Leurs mauvaifes inclinations les portèrent a commettre de nouveaux crimes, qui furent caufe que le premier eut la tête tranchée , & que Tautre fut pendu. C H A P I T R E II. Cependant Foulclues de Villaret, Maitre des Hofpita* ArtideJ, liers, après avoir murement délibéré avec fes principaux confrères, de quel cöté ils chercheroient un nouvel établifTement, conclut, qu'aucun endroit du Levant ne leur convenoit Ddd dd 3. mieuxj, ExtinUion entiirt de l'Ordre des Templiers en France, reprocbée h la mémoire de Philippe-le-Bel,  I firHofpitaliersaralent s'établir a Rhodcs.dffagrément de l'Empereur Grcc. Rhodes eccupée par les Sarrafins. ?66 H I S T O I R E G E'* N E' R A L E ïiieux , que 111e de Rhodes, oü 'ils auroient toute la commoiité d'exercer leur profeffion, «Sc contre les Sai rafins d''Egypte , & contre les Turcs ÜAfie, qui commenQoient a infe&er les mers du Levant, «Sc a faire de grands ravages dans toutes les lies, qui dépendoienc de fEmpire de Grêce. 11 réfolut de mettre tout en ufage, pour fe rendre maitre de cette He; Mais , comme il n'étoit pas moins prudent, «Sc circonfpecl, quentreprenant, «Schardi, ilcrut, que, pour bienréüilir dans fon entreprife, il étoit a propos d'en obtenir Tagrément «Sc Tinveftiture de TEmpereur de Conjlantinop/e, auquel elle appartenoit, quoique, depuis fannée 1202. que les Latins s'étoient emoarés de eet Empire, certains Seigneurs Grecs de la Maifon Gualla, qui Tavoient occupée, s'en fuffent appropriés la fouveraineté, «Sc fe fuffent entièrement fouftraits a robéïffance des Empereurs. En eftet, quoique les Grecs euffent enfuite chaffé les Latins, & fuffent rentrés dans la poffeffion de TEmpire, ceux qui avoient occupé 1'Ile de Rhodes s'étoient maintenus dans leur ufurpation , fans vouloir reconnoitre les Empereurs en aucune manière. Cependant, foit que leurs forces fe fuffent diminuées, ou qu'ils craigniffent enfin d'être punis de leur révolte , ou qu'ils aimaffent mieux fe foumettre aux Infidèles, qu'a ceux de leur Nation, ils y introduifirent les Sarrafins, qui en devinrent entièrement maitres. Ils la dominoient encore, lors que les HofpitalierS en entreprirent la conquête. Le Maitre de Villaret qui n'ignoroit pas, que le fécret eft 1'ame des grandes affaires, «Sc le véritable moïen de les bien conduire, ne voulant fe confier a perfonne, paffa lui même a Conjlantinopk, d'oü, après avoir obtenu ce qu'il fouhaitoit de TEmpereur Andronic,ü alla en Frame,oh le Pape avoit transféré le St. Siége, & oü, au grand regret des Romains, «Sc de toute l1'Italië, il réfida 71. ans. II communiqua fon deffein au St. Tére, & lui demanda une promte affiftance pour Fcxécu- ter,  ï>e CHYPRE. Liv.XV. Ch.IT. ftt ter pendant ies révolutions qui venoient d'arriver en Egypte. Le'soudan Me'lec-Nasser avoit étérenverfé duTröne par B \rinner , Emir-Kebir, ou Grand-Amiral des Mammducsj & il avoit été contraint d'aller fe réfugier dans le Chateau de Montréal L'Ufurpateur étoit lui même fort embarraffé afe foutenir contre le foulèvement des autres Emirs, & par conféquent hors d'état de fecourir les-Rhodkns. Le Pontife, flatté de fefpérancede relever, en quelque manière les affaires des Cbntiens Oriëntaux, loua extrêmement le zèle, & la- réfolution des Hofpitaliers. 11 fit publier un lubilé i par lequel il accordoit une indulgence pléniere , & la remifllon.de tous les péchés a ceux qui contnbueroient, en argent, en armes, ou en munitions, pour la guerre qtfil défiroit de faire recommencer contre les Jnjide/es, & le recouvrement de la Terre-Sainte. Cet expédient fit tant d'éffet fur. Tefprit des Peuples , qui, depuis longtems, n'entendoient plus parler de Croifades, ni de Jérufalem, que Vilüaret eut bientót amaffé des fommes très-confidérables, abondance deprovifions, & quantité de Perfonnes de diftinéhon, tous bien acompagnés, pour le feconder dans fon Expedition; de forte qu'après avoir obtenu du St. Tére une Bulle, par lamelle ü donnoit , & accordoit 1'Ile de Rhodes a la Reliion Jérofolimitane, avec autorité dy pouvoir nommer a ^avenir un Archevêque, il fe rendit \Brindes, d'oü il partit au commencement de Pannée 1309. avec vmgt Galeres, & plufieurs Batimens de tranfport , qu'il acheta , outre diversi autres, dont le Roi de Naples, & les Géwt Pavoienl accommodé. Ils croïoient tous, que fon deffein etoit eifeftivement d'aller tenter te recouvrement de Jérujalem. U Pape feul favoit de quoi il s'agiffoit. Cependant , comme il lui reftoit encore des xorces, & des effets confidérables en 'Chypre , Villaret paffa, ave, ia Botte, dewnt Rhodes, fans témoigner en aucune manie Article IU Souverai- netè de Rhodes dunnée aux HofpUa- liers. 1309. Öonduite prudente, £f fécrete du Maitre des Hofpi talicrs.  Articlei Hofpitaliers dam Jlhodes. lis fe rendent maitres de fept Hes voijines. W HIjSTOIRE GE'NE'RALE re fon deffein a perfonne, foit pour y préparer les principaux Seigneurs, qui s'étoient embarquésavec lui, foit pour prendre les Habitans de cette He au dépourvu. u. II n'eut pas plutöt abordé kLimifol, qu'il fit embarquer tous fes Chevaliers avec tous leurs équipages, & généralement tout ce qui appartenoit a la Religion, & remit immédiatcment a la voile vers Rhodes, oü il trouva en efFet les Sarrafins, & les Grecs fi peu fur leurs gardes, & fi dépourvus, qu'il eut beaucoup moins depeine, qu'il ne fe fétoit imaginé, a fe rendre maitre d'un pays , pour Ia conquête duquel il avoit fait de fi grands préparatifs. II entra triomphant dans la Ville Capitale le i?. d'Aoüt, jour de YJjJbmption de la Vierge, &commenca a y faire rétabliflèment de fon Ordre. Le Continuateur de la Guerre-Sainte, que Bosio paroit approuver, dit pourtant, que 1'Ile de Rhodes ne futprife, que par compofition, après plufieurs furieux, & terribles affauts. II efi vrai que ce dernier Hiftorien convient, qiril n'en a d'autre certitude, que la repréfentation, qui s'en voit dans quelques tapilTeries, que le Grand-Maitre Pierre d'Aubusson avoit fait faire, pour conferver la mémoire de cette glorieufe conquête, & celle des belles aóitions, qu'avoient fait les Chevaliers, pour furmonter les grands obftacles, qu'ils y rencontrèrent. II dit même, que la plupart de ceux qui en ont écrit affurent, que cette Ile fut prife par firatagême, & fans beaucoup de peine. Mais, enfin, que ce foit par rufe, ou a force ouverte, que les Hofpitaliers s'en rendifient maitres, il efi fur qu'ils y établirent fi bien leur Couvent, & leur domination, qu'en peu de tems ils s'emparèrent auffi de fept autres Hes voifines ; favoir, de Nizzaro, Pifcopie, Caichi, Limonia, Simia, Tilo, & Sts. Nicolo Nicolas de Cardo, oü ils fe maintinrent pendant deux eens treize ans, malgré le voifinage des Infidèles, & les grands efforts que firent les Turcs, a diverfes reprifes, pour les  de CHYPRE. Liv.XV. Ch. II. 769 les en charter. Auffi, après la conquête de Rhodes, & des Hes adjacentes, les Supérieurs du Convent, qui n'avoient porté jusqu'alors que le fimple Titre de Maf tres, y ajoutèrent celui de Grand, qu'ils onttoujours confervé depuis, & fes confrères qui fe nommoient auparavant Chevaliers de Jérufalem, fe firent appelier Chevaliers de Rhodes. On prétend même, que ce ne fut, que fous le Magiftère de Jean de Lastig, en 14.37. qu'on commenca a donner le Titre de Grand-Maitre au Maitre de cette Religion ; Car, n'en déplaife aux partifans du P. Maimbourg, que je révère fort dailleurs, «Sc qui donne le Titre de Grands-Maitres aux Chefs des Ordres Militaires, dès leur établiffement, les Templiers, ni les Teutoniaues, ne font jamais pórté. Je ne trouve point non plus, que les autres Auteurs parient auffi fouvent, ni même auffi afhrmativement, qu'il fait du feu grégeois, ni des flêches empoifonnées, qu'on trouve G fréquemment dans fon Hijloire des Croifades. Chapitre III. Auffi, les Maitres des Chevaliers de Rhodes avoient-ils raifon de fe donner le Titre de Grands, a caufe de la fouveraineté , «Sc de Pindépendance , qu'ils avoient acquife d'un pays, quinavoit pas été moins fameux dans les fiècles paffes, qu'il le devint par leur réfidence, puisqu'outre la puiffance qu'ils acquirent a fes Habitans , en les rendant maitres des mers ÜOrient, ils avoient eu encore le foin de les tenir pendant longtems entièrement purgées de toute forte de Pirates. Te ne crois pas fortir de mon fujet, ni me rendre desagreable au Le&eur, en lui difant, que cette He avoit produit de f Eee ee grand Les Maf- tres des Hofpita. liers prennent Ie titre de Grand, £f les Chevalierss'appellent Chevaliers de Rhodes. Le P. Maimhourg critijué. Article I. Raifons, pour lesquelles le Maitre des Chevaliers de Rhode* efl nomwé Grand Maitre; s  7?o HISTOIRE GE'NE'RALE Coloflede Rhodes, fadeJciïption. i jfatres cbojss dignes de memoire è Rhodes. < « : I < . i ] i L'éta- ^rands hommes en toute forte de Sciences, que la mémoire ne s'en éteindra jamais, particulièrement du célebre Carites Ljnde , qui fondit ce prodigieux, «Sc fameux Colofe de bronze, dédié au Soleil ; Ouvrage, qui paffa pour une des fept merveilles du monde. II avoit 7o.coudées de hauteur, «Sc fut placé a fentrée du port, de manière qu'en y entrant les Navires lui paffoient entre les jambes. Un tremblement de terre renverfa cette incomparable ftatue , quarante-fix ans après fon élevation. Les Rhodiens confultèrent POracle; & n'en a'iant pas recu une réponfe favorable, ils n'ofèrent plus la relever; de forte qu1 elle demeura renverfée a terre, jusqu'en Tan 6so.ó&Jefus-CbriJi, que Müavia, Capitaine des Sarrafins, défit dans une bataille narale Constant , Fils de Constantin, & Petit-Fils de PEm~ sereur He'raclius. Apres quoi il prit Rhodes, fit entièrement rompre ce ColoJJè, & en vendit le métal a un Juifr pi, felon lesHiftoriens, en chargea 900.Chameaux, ou, feon quelques-uns, 1400. ce qui arriva 14.60. ans après qu'elle ïtit été fabriquée. Les peinturesde Protagenes, Rhodien, nefurent guè*es moins dignes d'admiration , puisque De'me'trius , le Conquérant , Roi de Macedoine, qui avoit affiégé la Ville, 504.. ans avant la venue de Jéfus-Chrijl, fut fi charmé de ces juvrages précieux, que ne pouvant battre la Place, que du :óté, oü les murailles étoient peintes, il aima mieux abandonner fon entreprife, que de les gater. Les écoles de Rhétorique, de Philofophie, & de belles Lettres, y furent également fi eftimées, que les Ecoliers sy renloient de tous les endroits de VEurope. Les Romains mêmes es préférant a celles de leur Ville, y envoïoient leur jeunelfe, Sc prirent des Rhodiens diverfes belles loix, entre autres"', felon es Jurisconfultes , Volutïus , Metianus, «Sc autres, la Lol Rhodia de jaffu.  de CHYPRE. Liv. XV. Oi. IE rf i L'établiffement des Chevaliers dans un pofte fi commode , & fi avantageux, donna tant de jaloufie a Ottoman I. qui avoit pris le nom de Sultan, & qui avoit confidérablement augmenté fes forces , depuis la mort d'ALADiN, Soudan dTconium, dont , faute de Succelfeurs , les Etats furent partagés entre fept des principales Families Turques, ou , felon quelques Auteurs, entre quatre feulement, qui furent lesOttomans, les Assenbeigs, les Caramans, & les Candalores. Ottoman arma une puiifahte Flotte, & alla d'abord attaquer les Chevaliers, avant qu'ils eulTent le tems de fe bien affermir dans leur conquête. Cependant, quoi qu'ils n'eulTent encore pu faire aucune fortification, ils foutinrent fes attaques, avec tant de courage, & de fermeté, qu'ils donnèrent le tems a Amede'e cinquième Comte de Savoie, d'aller les fecourir. Aufli, ce généreux Prince, a qui fes belles aclions avoient acquis le nom de Grand, & qui avoit été heureux dans toutes lès entreprifes, ne le fut pas moins dans celle-ci; Car, malgré 1'habileté d'ottoman, &fon acharnement contre cette Place, Amede'e 1'obligea a en lever honteufement le fiége, avant la fin d'Aoüt 13 i o. un an après que les Chevaliers s'en fuffent emparés. Le Comte de Savoie fut charmé d'avoir chaffé eet Infidèle, & affermi la Religion dans un lieu fi utile a la Chrétienté, paree qu'il affuroit la navigation aux Pélerins, qui alloient vifiter les Saints lieux, & qu'il refrénoit la puiffance des Turcs, qui s'étoient déja rendus formidables. Afin de conferver la mémoire d'une action aufii héroïque, qu'heureufe, il voulut changer les armes que fa Maifon avoit portées jusqu'alors. C'étoient trois Aigles de fabk, en champ d'Azur, au lieu desquelles il prit une Croix dargent en champ de gueules, avec cette dévife en quatre lettres; F. E. R. T. Fortitudo ejus Rhodum tenuit. II y a pourtant divers Auteurs, qui affurent, que la Maifon de Savoie portoit les mêmes armes, & la même dévife avant 1'expédition d'A m e'd e'e pour fecourir Rhodes. Eee ee 2 Quoi Articlc- IJ. Ottoman I. attaque les Chevt V.ers ie Rhodes, Ottoman repouffé p(r Vaffifïancc du Comte de Savoie. Armoinet de Savoie cbangées,  Maifon de Savoie toujours zélée puur la Religion. Af ticlc 7. C H A P I T R E IV. Le départ des Ordres Militaires de Hle de Chypre a été trop mémorable en Europe, par Panéantiffement des uns, & rétablilTement des autres, pour ne pas croire que mon Lecteur voudra bien me pardonner la digreflion que f ai faite dans mon Hiftoire. Jy reviens , en reprenant le fil des affaires de Chypre, que fai laiffées dans fabatement, que la difette «Sc la féchereffe y caufêrent, pendant trois ans entiers, au bout defquels les pluies y aïant enfin recommencé, on y reprit la culture des terres, dont la fertilité fit bientöt oublier aux Peuples toutes les fouffrances paffées. Les Families , qui avoient quité le pays, pour éviter la famine, y revinrent;. «Sc le Prince Alme'ric, qui continuoit a gouverner en véritableSouverain, y jouïffoit de tous les plaifirs, «Sc des commodités de la vie, pendant que leRoi, fon Frère, languiffoit dans les pri~ fons ÜJrménie, oü il y a apparence que ce bon Prince auroit enfin. r7z II I S T O 1 II E G E' N E' R A L E Quoi qu'il en foit, fes Succeffeurs les ont toujours portées depuis, «Sc ont été fi zélés pour Pagrandiffement de la République Chrétienne, & pour la déffruction de fes Ennemis, que plufieurs de ces Princes ont fouvent propofé des Croifades contre eux, «Sc que les autres ont quitté leurs propres Etats, pour les aller.combattre, comme avoit fait Amede'e III. qui accompagna Louis Ie jeune, Roi de Frame, dans la Terre-Sainte, «Sc qui, a fon retour, mourut a NicoCie, Pan U4.9. Nousavons encore vu de nos jours le Prince Eu gene, de PAugufte Maifon de Savoie, donner des preuves éclatantes de fon zèle, «Sc de fa valeur contre ces mêmes Mfidèïes, dont il s1 étoit rendu la terreur.  de CHYPRE. Liv. XV. Ch. IV. 773. enfin fucombé, fi le Pape, informé de fa détention, n'eüt promtement envoïé Raimond de l'Epine , fon Légat, en Chypre, pour la reprocher a Alme'ric, le reprendre de fes violences, «Sc le faire rentrer dans fon devoir. Ce Prélat ie troitva fi bien affermi dans fon ufurpation, &fi réfolu de s'y maintenir, que, malgré la bonne reception, qu'il lui fit, & 1'efpérance, qu'il lui donna d'abord, de faire revenir leRoi,&de s'en tenir a la décifion du Pontife, il fit bientot connoitre, qu'il fe j iouoitdes uns, & des autres; & qu'il ne cherchoit, que des-£ excufes, pour éviter 1'anathême, qu'il appréhendoit, que le j Pape ne fulminat contre lui, «Sc qui auroit été capable de ré- * volter les Peuples, qui jufqu alors avoient demeuré dans le filence, «Sc dans 1'inaction. C'eft pourquoi le Légat, qui défiroit ardemment de pouvoir s'aboucher avec le Roi, afin de prendre avec lui les mefures pour fa délivrance, & fon rétablifiement, & pour ménager, en même tems, 1'efpritinquiet, «Scméchant d'Almi/ric, qui étoit en poffeffion des biens, «Sc des forces de la Couronne, le fit résoudre de fe tranfporter en Armênie, pour en traiter perfonnellement avec ce Prince infortuné. Quoi que cette entrevue reveillat les inquiétudes, qu'A l m er i c avoit reffenti dans les commencemens de fa tyrannique Régence, perfuadé que la Reine ne manqueroit pas d'informer le Légat de tous les mauvais traitemens, qu'il avoit faits a fes bons Sujets, néanmoins 1'envie, qu'il avoit, delever de nouvelles Troupes, «Sc d'amaffer des provifions , pour être en état de réfifter aux Ennemis, que le Pape auroit pu lui fufciter, 1'empêcha de s'oppofer a fon départ. Ce Prélat ne fut pas plutöt parti de Chypre, qu'Alm'eri c taxa tous les Juifs de 1'Ile, auxquels on avoit permis de s'y établir. II en exigea cent mille ducats d'or, par forme d'emprunt. II leva une pareille"fomme fur les Bourgeois des Villes, & délivra plufieurs commüTions pour lever des gens de guerre Eee ee 3. 3 Uméric mufelePae par de elles prauffes. Article/Z. Alméric feftrtifie,- i  77* HISTOIRE GE'NE'R ALE ]1 ne peut pas entendre parler du retour du Rei Jon Frire. Alméric poigna-dé. I3H- II fit aufli perfeöionner les fortifications de Famagoufle ; &, fous pretexte de faire netoïer les folies de Nicojie, & de Cérines, oü les eaux, qui y croupüToient, caufoient de grandes maladies aux Habitaqs de ces Villes, il fit venir grand nombre de payfans de tous les endroits de 1'Ue, pour y travailler, & obligea les mêmes Bourgeois a les nourrir, & a les payer. II fit auffi abbattre plufieurs Maifons, qui formoient une efpèce de Faubourg au dehors de Nicofie , & qui auroient pu fervir a ceux qui en entreprendroient le fiége. Pendant qu'A l m e r i c fe précautionnoit avec tant de foin, pour fe conferver le commandement, dont il avoit fi longtems goüté la douceur, le Roi fonFrère, qui, depuis fa détention, n'avoit eu la liberté de parler a perfonne, eut la confolation de recevoir la vifite du Légat Apoftolique, qui lui exprima la douleur , que le St. Tére relfentoit de fes malheurs. Auffi, ce Prince, bienéloigné des rufes, &des mauvais fentimens ^Alme'ric, fonFrère, fe remit d'abord aujugement, qu'il plairoit a Sa Sainteté de prononcer fur leur dirFérend. II voulut même, pour marqué de fa confiance, donner fon Planc-feing au Légat, qui, dans 1'impatience de voir bientöt finir la captivité de ce Prince, repaffa en Chypre, oü il trouva Alme'ric incomparablement plus fier qu'il ne 1'avoit lailfé, & beaucnup moins difpofé a écouter aucune propofition d'acommodement, ni a confentir au retour du Roi fon Frère. Tant les mefures, qu'il venoit de prendre, Tavoient rendu orgueilleux. Mais Dieu, qui fe joue, quand il lui plait, de la vanité des hommes, &qui rend vaines les mefures qu'ils croient les mieux prifes, renverfa dans un infiant tous les projets d'Alme'ric, Car, après avoir amufé le Légat pendant trois mois, & lorsque ce Prélat commencoit a desefpérer de réüffir dans fa négociation, le Régent fut trouvé mort dans fon cabinet, & percé de dix coups de poignard, que lui avoit donné Simonet du Mont, fonFavori,qui,non content d'avoir commis eet alTaffi- nat,  be CHYPRE. Liy. XV. Ch. IV. 77; nat, lui coupa une main, qu'il emporta. II fut fi promt a fi fauver, que, quelque diligence, & quelque perquifition qu'or fit, il fut impoiïible'de découvrir la route qu'il avoit prife, n ce qu'il étoit devenu. Ce funefte accident donna lieu a plulieurs jugernens incertains. Les uns fupofoient, que c'avoit été feffet de fétroitt amitié, que Simonet avoit toujours eue pour Balian d'Ibelin, Ennemi mortel du Régent. Les autres 1'attribuoient aus exhortations de quelques Religieux , qui publioient ou vertement , qifaucune aclion n'étoit plus agréable a Dieu, que Pextermination des Tyrans; Et ceux, enfin, qui étoient les mieux informés des affaires de la Cour, alfuroient, que Simonet ne pouvoit avoir commis ce meurtre, que pour fe délivrer des pourfuites infames, «Sc criminelles du Régent, qui étoit fort fujet a tomber dans certains excès déteftables, principalement lors qu'il étoit pris de vin, comme il ne lui arrivoit que trop fouvent; «Sc que c'étoit-la la feule raifon, qui avoit porté Simonei a s'en défaire, plutöt que de s'abandonner a la brutalité de fon Maitre. Les Hiftoriens, qui en parient, font aflez différents entre eux. Le Père Luzignan prétend, que Simonet du Mont, Chambellan du Prince Alme'ric, peufia fi loin fon audace, & fon ambition, quil poignarda fon Maitre dans la Chambre des Comptes, lors qu'il crut fon parti aflez fort pour fe mettre lui même en polfeffion du gouvernement : Entreprife qui ne paroit point vraifemblable , puisque le Connétable n'étoit pas moins .avide de la domination, qu'Alme'ric, fon Frère. II fouffroit a-peine 1'autorité entre fes mains; & il avoit d'ailleurs tant de pouvoir dans le Roïaume, qu'il fut même impoffible a la Reine, & au Légat, d'empêcher, qu'il ne fe faisit de la Règence, fi tot qu'A l m e'r i c fut mort, «Sc qu'il n'obligeat la Cour fupérieure , «Sc les Peuples , a lui prêter le ferment de fidélité. II n'elt donc pas problable, qu'un fimple particulier, Offi- y t b AitfcTeflE. Ujurpation du gouvernement par le Connéta-bie.  "Calomnie d'lfabelle cmtre le Roi innocent. Réfolutkn nes ChypriotSfpourdéiivrer leur Roi. Hó HISTOIRE GE'NEIALE Officier, & fujet de fa Maifon , qui plus eft, tenrt du fang de fon Frère,eütpu prétendre a aucune dignité,ni même demeurer impuni, fi on avoit pu Pattraper. Cependant la mort tragique du Régent, bien loin de faire accélérer le retour du Roi, faillit au contraire augmenter les risques, qu'il avoit jufqu'alors courus en Arméme, foit par Popiniatreté du Connétable, qui vouloit fe maintenir dans le gouvernement, qu'il venoit d'ufurper a fon tour; foit par les cns, & lesplaintes de la Princelfe Isabelle, qui, pour animer le Roi SArménie, fon Frère, a vanger la mort de fon Epoux, lui écrivit, " que c'étoit le Roi Henri , qui Pavoit fait aiïaffi- ner; & que, non content de fa mort funefte, il tramoit en„ core fa propre perte, & celle de fes Enfans. Mais plufieurs des principaux Barons du Roïaume , las de la Tyrannie des Princes, & de Pinjuftiee atroce, qu'ils faifoient a leur Frère, &a leur Roi, allèrent, aviveforce, s'emparer de Famagoujle , comme la principale Ville mantime, & la clef du Roïaume. Ces Seigneurs , dont les principaux étoient Hugues de Bassan, Robert de Montsegard, & Raimond Sanson, furent fi bien faire comprendre aux Habitans, qu'il étoit tems de déiivrer leur Roi, & lionteux pour eux de Pavoir fi long-tems laiffé dans Pexil, &c en danger de perdre la vie, par le mauvais cceur de fes propres Frères, & par la révolte de fes infidèles Sujets, que les bourgeois de cette Ville prirent les armes pour fe joindre a eux, & contragnirent le Baron Tean de Bries, a qui le Connétable avoit confié la Sarde du Chateau, de le leur rendre. H s'eftima encore bien heureux de pouvoir éviter la fureur duPeuple,qui 1'auroit facrifié, s'il n avoit trouvé le moïen de fe fauver promtement k Nicofie. . La révolte des Famagoujlains contre le Connétable, jomte au crédit des Barons, qui étoient a leur tête, fit bientot chan£er la face des affaires. La plupart des Gouverneurs des autres ö Places,  ni CHYPRE. Liy. XV. Ch. IV. rrt Places , qui n'attendoient qu'une occafion pour rentrer dans 1'obéïflance de leur légitime Souverain, & pour recevoir dans leurs Villes quantité de Noblefle qui s'étoient retirée fur leurs terres, prirent tous le même parti; de forte qii'accourant a Famagouf te, il s'y trouva bientöt plus de deux eens Gentilshommes, & pres de fix mille Hommes armés, dont les Chefs ne manquèrent pas d'informer promtement la Reine Mère, & le Légat, du delfein, qu'ils avoient formé d'envoïer une Galére en Armenië , pour tdcher de déiivrer le Roi. Le Connétable, qui en fut informé par quelque mauvais Sujet , trouva le moïen de féduire le Capitaine du Port de Famagoujle , qu'ils avoient choifi pour commander cette Galère, «Sc qui avoit tout le fécret de 1'afFaire, & engagea la Princeffe Isabelle d'écrire au Roi ÜArménie, fon frère, qu^il fit transférer le Roi, & les Barons Chypriots, qui y étoient prifonniers avec lui, dans le fort Chateau de Ferfêpolis, oü ils feroient plus en fureté, que danfs celui de Lambron, puisque ce Prince, & ces Seigneurs devo/ent être les garans de ce qui pouvoit arriver en Chypre, a elle, & a fes Enfans. Chapitre V. Le Roi ÜArmêriie ne négligea pas les avis de fa Soeur. II fit conduire le RoIHenri, le Sénéchal, «Sc Baxian d'Ibelin, a Ferfêpolis, & fit cruellement tourmenter le Confelfeur de ce Prince, pour favoir s'il n'avoit point trempé dans la mort de fon Frère Alme'ric, clos, felon lufage, quife pratiquoitalors dans le pays en femblables cas. Le Prince lui accorda fa demande. Elle emploïa le Chevalier de Pansan , qui étoit depuis longtems attaché a fes intéréts. Son Gendre , pour fe juftifler du crime, qu'elle lui imputoit, accepta le défi. Cependant, quoiqu'après être entrés en lice, il parut le plus fort, &que même il eut bleffé fon adverfaire en deux endroits ; foit que 1'ardeur du combat ne lui permit point d'être attentif a bien manier fon cheval, naturellement fougueux, ou que ce fut une permiffion du Ciel pour le punir de fon crime, il fut emporté hors des limites, lorsqu'il étoit fur le point d'être vi&orieux. Alors les Juges 1'aïant déclaré vaincu , felon les loix du combat , & en même tems criminel, il fut arrêté, quellionné, & convaincu d'avoir été le meurtrier de fa Femme, pour des raifons qu'il allégua, mais qui n'empêchèrent pas qu'il n'eüt la tête tranchée. Ce n'étoit pas la prémière fois, que de combats avoient ferti a découvrir les crimes les plus cachés. Plufieurs autres, qui les nioient, comme celui - ci , avoient été forcés a avoüer, en fortant du combat. C'efi: pourquoi ces défis étoient fort Ggg gg 3 ufités 1314. AïüdeUI.  7po HISTOIRE GE'NE'R ALE Ombaten cbamp-cks tutrefois permis en Chypre, pour déiouvrir lavérité. Cmfpiration décoaverte. I3I5- ufités en Chypre, non feulement en fait de chofes criminelles, mais encore pour les civiles; pourvu que le différend, dont il s'agiffoit, montat a dix marcs d'argent. Ils y ont même duré jufques vers 1'année 1490. que les Vènitiens devenus maitres de cette He, par la donation, que leur en fit la Reine Catherine Cornaro , plus fages, «Sc aimant mieux la décifion des affaires , par le canal de 1'éloquence, que par la voie des armes, 1'abolirent entièrement , & obligèrent les Chypriots a fuivre les loix , qu'ils y établirent. Cependant , malgré les grands foins, que le Roi Henri s'étoit donné pour purger le pays des Sujets mal - intentionnés , qu'il croïoit entièrement détruits , le Sénéclial ne fut pas plutót de retour d1'Armenië , qu'il fe forma une nouvelle confpiration, dont on pretend que la Princefie Isabelle n'étoit point innocente. Chemi d'Oisiliers , Chevalier du Temple, qui étoit refté en Chypre, en fut 1'auteur, & Jean de Bries, qui avoit été Gouverneur de Famagoujle dans le tems du Régent, Jean Rombaud , Pierre Roland , tous les trois des principaux Barons du Roïaume, étoient les prémiers complices ; mais leur complot fut découvert , avant qu'ils pulfent rien entreprendre; «Sc le Roi les fit irrémiffiblement tous exécuter. Ce Prince, pour recompenfer le fcèle, «Sc Pattachement, du Sénéchal, «Sc de Balian d'Ibelin, fon Neveu, dont les Maifons avoient été très-dérangées, pendant leur longue captivité en Jrménie, donna a ce dernier le Titre de Prince de GaUlée, vacant par la mort de Boëmond, Frère de Sa Majefté; & il fit époufer une Fille de ce nouveau Prince au Prince Hugues, fon Neveu, «Sc héritiér prefomptif de la Couronne. II ne donna pas dc moindres marqués de fon affection au Sénéchal. L'Infant de Majorque aïant recherché Anne d'Ibelin, fa Fille, en mariage, le Roi fit non feulement conclurre cette allian-  de CHYPRE. Liv. XV. Ch. VII. 701 alliance, mais encore dota la Démoifelle , «Sc fit tous les fraix du mariage. Cependant celui qu'il avoit fait traiter pour lui même avec Constance, Fille de Fre'deric, Roi de Steile, aïant été conclu, il y envoïa 1'Evêque de Limifol, «Sc Barthelemi de Montolif } enAmbalTade, pourconduire cette Princefle, qu'il avoit voulu préférer a plufieurs autres, en confidération de la promte aiTiftance qu'il pouvoit efpérer de ce Prince, en cas de befoin ; d'autant plus que les Turcs avoient déja entamé le Roïaume d'Armènie, dont il étoit fi voifin, & que les Sarrafins ÜEgypte étoient fort puiflans par mer. Les Chevaliers de Rhodes, de leurcöté, n'étoientpas moins Articwr. attentifs a fortifier leur Ile, «Sc a augmenter leurs forces mariti- I31*' mes. L'entreprife d ottoman leur avoit fait comprendre, qu'ils ne pouvoient aflez fe précautionner peur s'y maintenir. Ils redoublèrent, en même tems, la garnifon du Chateau de Lango. Ils venoient d'en faire la conquête, auffi. bien que de toute file de ce nom, qui a foixante miles de circonférence, & qui a été autrefois fi renommée par le Temple d'EscuLAPE, Omquêteü qui, felon les plus credules de ces tems reculés, avoit la facul- g^* feT té de guérir toute forte de malades , qui alloient le vifiter. Elle n'eft pas moins célèbre, par la naiflance d'HiPOCRA- Ouaiités ié te, Prince de laMédecine, que par celle d'APELLES, fun desm":,f* plus fameux Peintres de I'Antiquité. Ces Chevaliers créèrent, en même tems, un Bailli pour gouverner 1'une, «Sc 1'autre de ces aequifitions, qui leur étoient d'autant plus importantes, qu'outre que cette Ile eft très-abondante en excellens vins, & en quantité de fruits délicieux, la forterefle les afluroit du cöté de la Natolie, qui étoit entièrement au pouvoir des Infidèles. La Religion cependant, pour ne point épuifer fes forces, & fes finances, a 1'entretien des garnifons néceflaires dans les autres Hes de fa dépendance, en accorda la propriété a divers parti-  7p2 HISTOIRE GEN. de CHYPRE. Liv.XV. Ch.VII. particuliers, qui, dans lecommencement de leur établilTement, lui avoient aidé a les conquérir, k condition pourtant qu'ils les feroientfortifier, lui en feroienthommage, & entretiendroient des Batimens a proportion de leurs forces, pour le fervice des Chevaliers. Les deux Frerès Jean , & Bonavita Assanti , aux quels ils avoient donné celle de Mzzaro, plus grande, & plus abondante , que les autres , étoient obligés d'entretenir une Galère bien armée, & toujours prête a fortir; de forte que, par ce ménagement politique, ils paroiflbient recompenfer ceux qu'ils ne faifoient que payer de. leur fervice. HISTOI-  HISTOIRE GÉNÉRALE ROl AUMES d e CHYPRE, de JÉRUSALEM, e t ' D' EGYPTE. L I V R E XVI. Chapitre Pr e m i e r. rï!$i>S5Xft& établhTement > & Ia profpérité des Chevalien Csaü a Rhodes, & les bons ordres, qu'ils obferÖS< T ' Ï^B v0^ent Pour conferver leurs acquifitions, fi«KK .L rent tant de plaifir au Pape Jean XXII. qui 3 ^Sw§K>d$>#> aPr^s unc vacance ^e P^us ^e 27- mois,avoit enfin fuceédéa Clement V. que, dans 1'efpérance, que, par raugmentation de leurs forces3 ils pourroient rétarder les progrès des Infidèles, & faciliter k Hhh hh recou- i I ! Articfe 1. Extinclion totale des Templier» en Chypre.  75 Rtünionde j( biens des « Templiers r rfj Rhodes. fi P s v c 1 1 ï ï j 1 J ( i ! Article 7/. Hijioire de Bofio, £ƒ ceile i/e Loredan ttitüpUtJ. 4 HISTOIRE GE'NE'RALE :couvrement du Roïaume tejèrufalem, il confirma, en leur .veur, hrdonation des Biens des Templiers, que fon Prédéïffeur leur avoit accordés, en aboliffant eet Ordre, & en démdant, dans le Concile de Vienne, que perfonne n'en put orter 1'habit, ni aucune marqué ; & il menaca d'anathême )us ceux qui les leur retiendroient davantage,vu que plufieurs eigneurs, qui en avoient été inveftis, par les Souverains, ne ouloient plus s'en delfaifir. Comme il fe trouvoit encore en Chypre quelques Templiers, ue le Prince Alme'ric, «Scenfuite le Roi Henri avoient to!irés, & a qui il avoit même permis de polféder les biens de ;ur Religion, le St. Tére écrivit k ce Prince, «Sc le pria de irêter main forte k Pierre d'Herlant, Evêque de Limijol> . qui il envoïoit un Bref, tendant a dépouiller entièrement les Templiers de ces biens, a les remettre aux Chevaliers de Rholes, «Sc a leur óter la croix, & 1'habit d'un Ordre, dont il auoit foühaité de pouvoir éteindre jufqu'a la mémoire. Ce fut après 1'exécution de ce Bref, que les Chevaliers de Modes joignirent les biens, qu'ils poffédoient en Chypre a ceux les Templiers, dont ils furent inveftis. Ils en formèrent cette >rande, «Sc fameufe Commanderie, qui étoit la plus conlidéra]\e, que leur Ordrelait jamais poffédée. Elle dönnoit foixante mille bezans de revenu annuel a leur Couvent, outre 1'entretien du Grand-Commandeur, avec toute fa fuite, & des fommes presqu'auffi grandes, dont il profitoit en fon particulier. C'eft pourquoi, quelque tems après, ces Chevaliers furent obligés de la divifer en fept Commanderies, afin que chaque langue y en eut une, & qu'il ne prit plus envie aux Papes de la donner a quelqu'un de leurs Parens. 11 eft étonnant, queBosio, quia fi régulièrement écrit 1'Hiftoire des Hofpitaliers, & qui devoit être fi bien inftruit des affaires de Chypre, par raport a la longue réfidence, qu'ils y avoient faite, ait avancé, qu'ils n'avoient cherché a transférer leur  pis CHYPRE. tir.XVï. Ch.1. 79} leur Couvent hors de cette He, qu'k caufe des mauvais traitemens, qu'ils y recevoient du Roi Henri: lui, qui avoit été fi libéral envers eux , & toujours difpofé k les favorifer, & qui fe trouvoit même encore prifonnier en Jrménie, lorsqu'ils formèrent 1'entreprife de Rhodes. Cet Auteur n'a pas moins ignoré la vérité, en difant, que ce furent lesSujets de ce Prince, qui prirent les armes contre lui, & qui 1'envoïèrent prifonnier en Armenië, pour mettre la couronne fur la tête d'Alme'ric , fon Frère ; que, cetui-ci la refufa généreufement, & fut infenfible aux appas de la fouveraineté; qu'il voulut être fidéle a fon Frère, &a fon Roi; & qu'enfin, il ne^ceffa jamais d'agir auprès de Peuples révoltés, jufqu'k ce qu'il les eüt fait rentrer dans leur devoir, & remis fonFrère fur leTröne. Sentiment entièrement contraire k celui de tous les autres Hiftoriens, qui ont écrit au long fur le même fujet, & qui conviennent tous d'un commun accord, que le mauvais naturel d'Alme'ric, pulcre de fon Fils. Ces gens fans aveu, fans chef, ni moïende fubfifter, furent contraints de vivre de brigandages, & de rapines. Ils mirent en confufion tous les pays, oü ils paflerent, & obligèrent enfin les Habitans du Languedoc k les alfaillir prés de Narbonney oü cette Armée de canaille fut finalement dilfipée. Une partie furent tués, les autres pendus; de forte que leur entreprife brutale,  de CHYPRE. Lrr. XVI. Ch. I.' 799 tale, & inconfidérée eut a peu-près le même fuccès, qu'avoit eu 70. ans auparavant celle des paftoreaux d'Jllemagne. Enfin le Roi de France mourut au commencement de 1'année 1321. & Charles-le-Bel, fon Fils, ne fongea aucunement au voïageide Palejline, ni a aller combattre les Infidèks. 1321. Ar«icle& l'Armènie, & Rhodes «ttaqués par les Sarrafins, £ƒ par les Turcs. Hotte Ottomane difaite. Chapitre IL Ce changement inefpéré chagrina d'autant plus le Roi de Chypre, qu'il aprit en même tems, que les Sarrafins d'un cóté, & les Turcs de 1'autre, étoient également attentifs a la désunion des Chrètiens. Les premiers étoit allés» avec trente mille Chevaux, ravager VJrménie, qui, par le mauvais gouvernement de la Reine Ire'ne, fe trouvoit dans un désordre erfroïable; «Sc les Turcs, guidés par Orcan , Fils d'ottoman, s'éto ent mis en mer avec une Flotte de quatre-vingts voiles,_pour aller affiégerit/wfo, pendant que le Grand-Maitre en étoit abfent, & que la désunion régnoit parmi les Chevaliers. 11 efl: vrai, que 1'entreprife d'orcan ne fut pas plus heureufe, qu'avoit été celle de fon Père quinze ans auparavant. Le Chevalier Gerard dePini, Vicaire, & Préfident du Couvent, pendant les conteftations des Grands-Maitres Villaret, & Pagnac, que lePape avoit appellés en Trance, ne jugea point k propos, en prudent &expérimenté Capitaine, d'attendre, que les InfidèJes fattaquaflènt dans les murs de la Ville. II fit promtement renforcer les 4. Galères de la Religion, «Sc armer une vingtaine de Batimens de différentes efpèces, auxquels fe joignirent fix Galères Génoifes, qui fe trouvoient par hazard dans le port, «Sc qu'il engagea a être de la partie. II les envoïa au devant des Ennemis, avec ordre exprès de les com-  8oo HISTOIRE GE'NEIALE 132Z. ViÜoire des Chevaliers de Rhodes fur les Turcs. j i i Article U. jiffoihiijfement,& infirmitès du Roi de Chypre. combatre. La Flotte Rhodienne rencontra VOttomane au Cap-2 Créo, &rinvefUt avec tant de courage, & de réfolution, que, malgré 1'inégalité des forces, après un combat très-rude, & trèslanglant, elle la défit entièrement; de forte que, de quatrevingts Batimens, dont elle étoit compofée, a peine s'en fauvat'il un. C'étoit celui, fur lequel Orcan étoit embarqué, & qui alla échouer fur les cotes de la Natolie, vis-a-vis 1'Ile de Scio. Cette mémorable Viéloire fut encore fuivie (felon Jean Villani ) de la défaite de vingt-mille Hommes, qu'orcan avoit fait débarquer dans 1'Jle dePifcopie, foit pour s'en fervir au fiége de Rhodes ; ou, comme d'autres le prétendent, pour leur faire habiter la même He de Pifcopie, qu'il comptoit déja ga?née. II n'en échapa aucun. Ils furent tous pris, ou tués. Le bonheur qu'eurent les Chevaliers de remporterun fi grand ivantage, & de fe déiivrer d'un auffi puilfant Ennemi, que 1'étoit Orcan, fatisfit extrêmement le Roi de Chypre. II ne senfa plus, qu'a fecourir la Ville de Layazzo; mais, quelque diigence que put faire Hugues de Badoin, que ce Prince yenfoïa avec une efcadre de Galères, il neputyarriver, que dans [e moment, que les Infidèles entroient dans la Ville; & tout ce 511e ce Commandant put faire, dans cette trifie conjonclure, ut de recouvrer fur fa Flotte tous les Habitans, qui purent s'y auve-r. U conduifit ces pauvres affiigés en Chypre, oü ils re^urent des traitemens fi favorables, qu'ils regardèrent désormais :e pays, comme leur véritable patrie. Cependant, foit que le mariage fut contraire aux indifpofidons, dont Ie Roi étoit attaqué, dès fa plus tendre jeunelfe, ou que fon age les fit augmenter , il en étoit fi fouvent travaillé, qu'il fouhaita d'aller palfer quelque tems a la campagne , dans fefpérance que le changement d'air , & !e divertiflement de la chalfe, & de la pêche , qu'il ajo\i trouvés fi agréables pendant fa perfécution, lui fe- roient  de CHYPRE. Liv. XVI. Ch. II. .801 roient favorables, & difliperoient la mélancolie, que lui cai; foit fon infirmité. II retourna donc a Strovilo, accompagn de Melfire Jean le Conté , Archevêque de Nico/te, &• de Evêques de Baffo, & de Famagoujle, dont il eftimoit infini ment la piété. En effet , ce dernier , qui avoit fuccédé a Antoine Sc ean , avoit trés - bien réparé le fcandale , que la vie licen cieufe de celui-ci avoit caufé a tous fes diocéfains, en diffi pant , en moins d'un an, un dépot de vingt-mille bezans que fon Prédécelfeur avoit lailfés a fEglifè ; «Sc en dépoui] lant cette Catliédrale de la plupart des vafes d'or, & d'ar gent, dont elle étoit emïchie, fous le prétexte impie, que eet te quantité d'ornemens étoit inutile aux Eglifes, «Sc ne leu; fervoit qu'a teriter favidité des voleurs. Cependant les divertilfemens champêtres, bien loin de di minuïr finfirmité d'HENRi, 1'augmentèrent fi confidérablement par les mouvemens extraordinaires de fes fréquentes chalfes qu'il rencontra fa perte , oü il efpéroit de réparér fa fanté Ses officiers le trouvèrent mort dans fon lit, lors qu'ils allèrenl un matin féveiller. L'opinion commune fut , que le ma! caduc, auquel il étoit fujet, 1'avoit fuffoqué ; mais quelques perfonnes plus clairvoïantes fattribuèrent a un poifon lent, qui lu avoit été donné par les parens des Nobles, qu'il avoit fait exécuter. On reconnut en effet, que ce dernier fentiment étoit le plus jufte, & que le poifon avoit haté la mort de ce Prince. Sa deftinée fut une des plus étranges , puisqu'après avoii évité de li longues confpirations, il ne put fe garantir de cette fatale trahifon, lorsqu'il fut parvenu a régner paifiblement. II mourut a 1'age de J7.ans5 dont il en avoit régné 33. 8c, lorsqu'il commencoit a recueillir les fruits, que fa conftance, «Sc fes vertus lui avoient procurés. On ne fauroit difconvenir, qu'il n'en polTédat de très-grandes, «Sc qu'il n'eüt autant de va- Iii ii leur s > ' llejltnu, vé mart dans foni '■ lit. Diverfes opinions fui I la caufe de fa mort. Elogedu jRoj'Henii.  802 HISTOIRE GE'NE'RALE U g a F c s c t i i i <: i ( Article/tf. Hugues, f.  de CHYPRE. LiV. XVI. Cii.IL go3 mürer quelques courtifans mélancoliques. Sans fe mettre en peine du déplaifir , qu'ils pouvoient donner a leur nouveau Souverain, ni des mortifications, qu'ils pouvoient en recevoir, ils blamoient publiquement une cérémonie, qu'ils difoient renouveller les douleurs de la perte de Ptolomaïde; & ils abandonnèrent la fête, pour fc rctirer a Nicofie. Hugues ne fut pas plutót de retour dans cette Capitale, qu'il s'apliqua a remplir les Charges vacantes de Sujets de mérite, & d'expérience, tant pour radminiftration de la juftice, que pour Tart militaire. Afin de ne fe point écarter des bonnes maximes du feu Roi fon Oncle, dont la mémoire lui étoit très-chère, il fe fervit, pour fon Confeil fécret, des mêmes Perfonnes, qui 1'avoient compofé, &s1apliqua a entretenir 1'abondance, f union, & le bon ordre dans le Roïaume. II accorda de nouveaux priviléges aux Negocians, pour faciliter leur commerce, & le rendre plus florifiant. II augmenta les garde cötes, tant par mer, que parterre, &mit dans toutes les fortereflès, aux rades, & bourgs confidérables, de bons Gouverneurs. Cependant, quelque attentif qu'il fut a procurer le repos, & les commodités de la vie a fes Sujets, & quelque foin qu'il eut de fe les captiver , & de mériter le Nom de Père de la Patrie, le foupcon qui lui étoit demeuré, que quelques-uns d'entre eux avoient avancé la mort de fon Predécelfeur, lui fit fouhaiter d'en découvrir les auteurs, réfolu de les en punir rigoureufement. II déclara fon intention au Sénéchal, au Prince de Galilée, dont il avoit époufé la Sceur, au Baron Eudes Dampierre , auquel il avoit donné la fienne en mariage, & au Père Goneme, fon Confefieur, les priant tous de lui dire librement leur fentiment, touchant la recherche, qu'il en vouloit faire. Ce bon Religieux, qui avoit des fentimens conformes a fon caradère, remontra d'abord au Roi, "que la difficulté, qu'il ^ y avoit, de découvrir une affaire, qui n'étoit pas moins ca- Iii ii 2 „ chée? Son attcrttim « régltt Jus Etats. Artide/r. Le Roife propje de faire des perquifitions fur la mort de foit Prédéeeffeur.  I : Exil d'un Fitvuri de ia Reine Con(lanc« 04. HISTOIRE GE'NE'RALE , chée, que douteufe, «Sc dont la découverte pourroit même , caufer la ruine des principales families du Roïaume, devoit , engager Sa Majefté a mettre dans un éternel oubli un mal, heur , qui étoit deformais irréparable , plutöt qu'a recher, cher ceux qui pourroient en être coupables; Mais le Baron Dam'IERRE , qui envifageoit 1'affaire d'un ceil tout différent, foutint, , que le feul foupconduRoi fuffifoit, pour qu'on fit une exacte „ perquifition des perfonnes , qui pouvoient être complices ,, d'un crime fi énorme; d'autant plus qu'il s'agiflbit de la lureté du Souverain; puifque, s'il fe trouvoit dans le Roïau„ me des gens aflez perfides pour avoir commis une acliön fi „ déteftable, Sa Majefté demeureroit également expofée aux „ attentats de ces traitres , en lailfant leur crime impuni; „ qu'ainfi elle en devoit faire rechercher les auteurs , & les „ punir févèrement, afin qu'ils ferviflent d'exemple a la pof„ térité. Soit que cette opinion fut du goüt du Sénéchal, «Sc du Prince de Gaïilée, ou qu'ils reconnulfent qu'elle étoit conforme a l'inclination du Roi, ils y applaudirent d'abord; & le Roi, fans s'arrêter aux rémontrances du P. Goneme, donna fur le champ fes ordres pour 1'éclaircinement de cette trahifon; mais, comme on ne put avoir des indices furfifans pour convaincre ceux qui en étoient foupconnés, «Sc que, quelque empreflement qu'il eut temoigné de vouloir vanger la mort de fon Oncle, il étoit bien aife de ne point enfanglanter le commencement de fon règne,il fe contenta de lailfer agir la Cour fupérieure, qui ne fit qu'exiler un Favori de la Reine Constance , ■ nomméjEAN Agapit , qui étoit très-riche ; «Sc tous les biens furent confifqués, au profit de la Chambre Roïale. Les plaintes, que cette Princefle en fit au Roi, & a tous les Seigneurs du Confeil, ne purent empêcher 1'exécution de eet arrêt ; ce qui 1'irrita fi fort, qu'Elle écrivit au Roi de Naples, fon Père, „ que,yule peu de confidération, qu'on avoit pour elle, de» » puis  de CHYPRE. Liy. XVI. Ch. II. 805; „ puis la mort de fon Epoux, elle le prioit de trouver bon, „ qu'Elle fe retirat auprès de lui. Loredan alfure même, qu'elle fe rendit d'abord a Fama- vwflonen goujle ; & qu'impatiente d'y attendre les Batimens , qu'elle ƒ avoit demandés a fon Père, elle frêta une Frégate étrangère en ce pint. pour s'y embarquer : Que fa réfolution étant parvenue aux I326> oreilles du Roi , il fit promtement équiper trois Galères, pour la conduire en Sicile\ Mais fopinion de eet Auteur a peu de vraifemblance ; puisqu'on trouve que cette PrincelTe fe remaria en 1331. a Hugues de Luzignan , Neveu du feu Roi Henri , qui étoit parvenu a la Couronne $ Armenië. Les immunités, que le Roi Hugues avoit accordées aux Négocians, & la permifilon qu'il leur avoit donnée de fe fervir de fes Galères pour le tranfport de leurs marchandifes, avoit tellement augmenté le commerce , & enrichi les Marchands, qu'un feul Habitant de Famagoufle, nommé S1 m e'o n, n'emplo'ïa que la dixième partie des profits, qu'il avoit faits dans fes voïages $ Egypte, pour faire batir, jufqu'a fa perfedion, dans cette Ville, la belleEglife, dédiéeaux Apötres St.Fierre, & St. Paul, dont on voit encore aujourd'hui les magnifiques reftes. II en étoit a peu prés de même de quantité d'autres Négocians. Le pays s'étoit généralement enrichi, & les coffres du Roi étoient fi remplis, que, pour peu d'affiftance qu'il eüt recu des autres Princes Chrétiens, il auroit été en état d'attaquer les Sarrafins, & de faire quelque progrès dans la Faleftine ; Mais, comme le Roi d'Arménie étoit fort embaralfé a défendre fes propres Etats contre les Turcs, & qu'EuoN de Iii ii 3 Vil- Article I. Ricbeffes Jiroduites par le commerce. Les Marchands deviennenttrès-ricbes, cof- fres du Roi [ont remplis.1327. Chapitre 111.  Sof) IIISTOIRE G E' N E' R A L E Excès de fipargru du Rii. r\nicle II. Villeneüve , qui avoit fuccédé a Maürice de Pagnac dans le Magiflère de Rhodes, après la démiffion de Foulques d Villaret, fe trouvoit encore en France, oü Gerard de Pini , Vicaire du Couvent, avoit aulfi été obligé de pafler-, pour implorer le fecours du Pape contre le Soudan d''Egypte, qui menacoit d'attaquer cette Ile, le Roi Hugues fe contenta de folliciter les Princes de ÏEurope, & de conferver fes tréfors, en attendant qu'ils s'unilfent pour le recouvrement de la TerreSainte; & il ne s'occupa, que de fes affaires particulières. Lc nombre de fes Enfans s'augmentoit, & cette confidération le rendoit moins généreux qu'il n'avoit été. L'on remarqua même avec étonnement, que la Reine fa Grand - Mère, étant décédéeau bourg ÜAcridi, oü elle s'étoit retirée après la mort du Roi Henri, fon Fils, afin d'y déplorer, avec plus de liberté, la fin funelte de fes Enfans, il la fit inhumer dans la paroilfe de ce lieu, fansaucune pompe funèbre, ni aucune des marqués d'honneur, que méritoit la mémoire d'une fi grande * Princefle, qui, par fa prudence, fa fagefle, & fa bonne conduite, avoit toujours été 1'exemple de la Cour, & s'étoit attirée une vénération univerfelle. Plufieurs perfonnes ne purent s'empêcher de murmurer d'une fi balfe économie, & de publier ouvertement que les Princes ne s'abandonnoient pas moins a la cupidité des richefles, que Ie refte des autres Hommes; & que, plus ils en avoient, plus ils défiroient d'en pofféder. Les follicitations du Roi Hugues auprès des Princes de ÏEurope , Sc celles des Chevaliers Gerard de Pini , Vicaire du Couvent de Rhodes , & de Montagu , Prieur tfAuvergne, que le Pape avoit envoïés a Ciiarles-le-Bel , Roi de France, ivec de très-fortes Lettres, pour 1'exhorter k faire quelque expédition contre les Infidèles, eurent peu de fuccès. Les caufes en furent la mort de ceMonarque, qui décedapeu de tems iprès : les conteftations qui furvinrent entre Philippe de Valois, fon Succelfeur, & Régent du Roïaume, & Isabeau de Fran-  de CHYPRE. Lir. XVI. Gh. III. 80? France, Femme cPEdouard II. Roi dAngleterre, qui, comme FiUe de Philippe-le-Bel, & Sceur des trois Rois défunts, vouloit lui difputer la Couronne, laquelle fut pourtant adjugée a Philippe, en vertu de la LoiSalique: la cruelle guerre, que fe faifoient alors Edouard, Comte Savoie, & le Dauphin de Vienne, auxquels le Pape, qui défiroit ardemment de les réconcilier, avoit envoïé le Grand-Maitre de Villeneuve, & rArchevêque de Touloufe : & enfin la hardieffe qu'avoit eu L»uis de Bavie're de fe faire couronner Empereur, par la feule faveur de quelques Seigneurs Romains, & même d'élire Anti-PapePiERRE de Corbe'ra, Religieux Récolet. Ce. pendant les Turcs continuant leurs progrès, fous la conduite 5'Assan-Beig, s'étoient emparés de la Grande-Jrméme, d'une partie de la Mineure, & des environs de Colehos, pendant qu'ORCAN, leur Empereur, après avoir défait 1'Empereur Andronic, & s'être emparé dediverfes Places voifines deConJlantinople, équipoit une puiffante Flotte , pour ravager , ou fe rendre maitre des lies de VArchipel Ces contretems, ces conquêtes, & ces grands appareils allarmèrent tellement le Roi Hugues, qu'il fe détermina a pafier lui même enEurope; fe flattant que fa préfence contnbueroit beaucoup a engager le Pape, & les autres Fuiifances Chrètiennes, k faire quelque entreprife, pour arrêter la rapidité des progrès des Infidèles,. 1 En effet, la préfence de ce Prince, les inftanees contmuelles du Grand-Maitre de Vjlleneuve, & la douleur que concut le Pontife d'apprendre 1'entier abbaiflement des Chrétiens d'Orient, & 1'agrandilfement des Ennemis deJefus-ChriJl, portèrent le St. Père a redoubler fes follicitations avec tant d'ardeur, qu'il engagea enfin le Roi de France, & la République de Vénife, a faire, avec lui, une ligue contre les Infidèles, par laquelle ils convinrent que le St.Père , &ceMonarque mettroient fur pié , & entretiendroient, a fraix communs, une Ar- Hugues,«i, larmi des Conquttes, &dcs priparatifs de guerre, que font lis Turcs. Son voiagi enEuropc, pour Joüititer dufecours.132?.  SoS HISTOIRE G E' N E' R A L E 1330. Deffiih du Roi retardé par lis malheurs, qui arrivent d fesEtatsfê par les brouilleries des Rois de France, jjf «i'Anglelerre. Armée de vingt mille Chevaux, & de cinquante mille Hommes de pié; &que la République mettroit en mer autant de Galères, qu'elle pourroit armer, fur lesquelles elle mettroit quatre mille Hommes de débarquement; & qu'elle fourniroit auffi aux Alliés cent VailTeaux plats, pour le tranfport des Troupes, des machines j & des provifions. Cette ligue donnoit d'autant plus d'efpérance au Roi de Chypre de quelque heureux événement, que le Roi de Trance, qui s'étoit engagé lui-même d'aller a Ia tête de cette Armée, faifoit travailler aux préparatifs nécelfaires pour fon voïage. C'eft pourquoi Hugues , qui étoit a fa Cour, après avoir conclu le mariage du Prince Gui, Tim de fes Fils, avec Mapje de BoüPvBON, Fille du Duc Louis I. retourna promtement en Chypre, pour faire, de fon cöté, les plus grands préparatifs, qu'il lui feroit poflible, afin de bien feconder les Princes alliés dans une guerre, qu'il fouhakoit avec tant d'ardeur. La confolation , qu'il refientit de leur union pour la guerre fainte, & celle d'avoir retrouvé fa Familie en bonne fanté, & fon Roïaume dans la même opulence, qu'il 1'avoit laiffé, furent bientöt interrompues par un accident, qui faillit le faire périr avec toute fa Maifon, & qui commenca a altérer fa félicité. La veille de la St. Martin , jour auquel les Chypriots ont coutume de faire les réjouiifances, qu'on pratique en France la veille des Rois, il tomba une pluie fi prodigieufe pendant la nuit, & lorsqu'ils ne penfoient qu'a bien boire, & a fe divertir, que le torrent, qui traverfe Ia Ville de Nicofie, s'enfla fi fort, que toute la Ville en fut inondée. L'eau monta jusqu'a quatre pié dans les endroits les plus éminens; & les maifons, qui n'avoient qu'un feul étage, en furent presque fubmergées. La terreur, que caufa un déluge fi affreux a des gens, remplis de vin, piongés dans le fommeil, & dont les ténèbres augmentoient la frayeur, fit périr un grand nombre de perfon- nes,  lA CHYPRE. Liv. XVI. Ch. III. S05? nes , qui vouloient chercher un afile hors de leurs maifons. Tous les habitans de cette Capitale auroient pén miférablement dans cette occafion, fi la violence du torrent n'eüt enfin emporté le pont du cliange , qui arrêtöit la rapidité de fon C°UNéanmoins 1'écroulernent de ce pont, en facilitant 1'écoulement des eaux,nempèeha pas,quetrois mille perfonnes, ielon Loredan, & onze mille, au raport de Luzignan, n'en tuifent fubmergées, outre deux mille autres, & quantité de chevaux, & autres animaux, qui périrent dans les lieux circonvoifins, oüce débordement n'avoit pas fait un momdre ravage • Et, fi, dés le commencement de finondation, le Roi neut eulaprécaution de fe retirer avec fa Familie a fArchevéché, qui eft a 1'endroit le plus elevé de la Ville, ü n'auroit pas couru moins de danger,que lèsbujets, dont la perte lui fut auifi fenfible, que la mauvaife nouvelle, quil recut peu de tems apres, que la Hgue, dont il avoit concu une fi grande efpérance, & pour laquelle il s'étoit donné tant de mouvemens, & avoit fait beaucoup de dépenfe, étoit rompue, a caufe de la mésmtelligence , qui fe mit entre les Rois de France , & ÜAngleterre. En effet, après que Philippe de Valois, Roi de France, eut déclaré le Duc de Normandie, Régent, pendant fon abfence; qu'il lui eut fait prêter le ferment de fidélité, par les Princes, & les Seigneurs de fon Roïaume; & quil fe fut mime rendu & Avignon, pour confulter le Pape fur fon voïage; foit qu'il voulüt furprendre, comme quelques-uns le veuient, Edouard III. Roi ÜJngkterrc; ou qu'il voulüt, de bonne foi, jWager dans fon entreprife, il porta le Pape a envoïer a ce Prince deux Ambafladeurs, pour 1'inviter a entrer^dans leur ligue. Edouard, qui appréhendoit, que, fous prétexte d'une guerre étrangère, Philippe n'eüt deffein d'en faire une civile, répondk aux Minillres de Sa Sainteté , que, lors qu'il Kkk kk feroit  Sio HISTOIRE GE'NE'RALE S33L ArticTe T. Lontiuuation des malheurs dt me de Chypre. feroit bien afluré, que le Roi de France agiüoit fincèrement pour le recouvrement des Saints lieux, & non pour furprendre VAquitaine, comme il avoit été averti, il marcheroit lui-mème cn perfonne, avec autant de plaifir , 6e d'empreffement, que le St. Père pourroit le défirer ; &, pour Taflurer de la fineérité de fes fentimens, il lui cnvo.a d'abord TArclievèque de Cantorberi, & TEvèque (XUnelme, pour prier le fouverain Pontife d'établir entre le Roi de France, & lui, un accommodement, qui mit fes Etats . couvert de fes armes, pendant le tems que dureroit la guerre contre teslnfidè/es, dans laquelle il entreroit très-volontiers, a ces conditions. II ny a point de doute, que cette alliance n'eüt eu lieu, fi le St. Père avoit pu réiilfir a accorder les différends de ces deux grands Princes , ou a diifiper la crainte, & la méfiance qu ils avoient Pun de 1'autre. Cependant les préparatifs, que Philippe avoit faits , pour la guerre fainte , furent effectivement employés contre Edouard ; & la guerre , qui s'alluma entre eux, & qui fut fi cruelle ala France, lui fit entièrement oublier celle de la Palejline. CHAPITRE IV. Cependant , comme , lorsque les disgraces commencent k affliger un Etat , elles n'y durent pas moins que les prospérités, dont il a joüï auparavant, après finondation des eaux a la St. Martin, au fujet de laquelle le Roi avoit ordonné trois jours de jeune, & une proceffion générale a pareil jour dans toute 1'Ile, les Cbypriots ne tardèrent pas a éprouver le fléau des fauterelles, qui ne fut guères moins terrible que fautre; puisque3 fi ces infectes ne faifoient pas mourir les Peuples fi prom-  fi e CHYPRE. Liv. XVI. Ch. IV. S11 promtement, elles caufèrent une fi grande difette, quequanti té en moururent de faim, par raport aux grands ravages, qu'el les firent dans toutes les campagnes, oü elles devorèrent jusqu'a f écorce des arbres, ce qui joint a la quantité de grains. que les eaux avoient gatés dans les greniers, les vivres devinrent fi rares dans toute file, & montèrent a un prix fi exorbitant, que, malgré fopulence des Peuples, les arthans, & lei gens de la campagne furent réduits a la dernière mifère, de forte que, fi le Roi n'eüt envoïé fes Galères, & plufieurs au tres Batimens, dans les pays étrangers, pour apport-er des provifions, grand nombre de gens auroient été obligés d'abandonner leur patrie. Ce Prince fit même davantage.. Pour foulager plus promtement le public, il accorda le titre de NoblefTe aux Négocians; qui introduiroient dans le Roïaume une certaine quantité de blé, & autres provifions. II promit une gratification de dem bezans , par quintal , a tous ceux qui en expoferoient er vente au prix, qui en avoit été fixé, afin d'öter aux ufuriers les moïens de profiter des malheurs publics. Cependant, comme le menu peuple des Villes, & les gens de la Campagne, nétoient point en état d'en acheter, il lem en fit difiribuër la quantité néceflaire, tant pour la fubfiftancc de leurs families, que pour leurs femencailles, a condition d'er rendre la même mefure deux ans après, ou de le payer au pri> qu'il vaudroit alors ; &, afin de leur faciliter le moïen de restituer, & de fe refaire de leurs miferes, il les difpenfa, poui trois ans, de toute forte d'impöts. Ces acf.es de compaffion, & de générofité, lui gagnèrent tellement le cceur de fes Sujets, qu'ils ne pouvoient fe laffer de faire des vceux au Ciel -pour fa confervation; & ils fappelloient tous leur Père commun. On dit, que, pendant ces calamités, qui durèrent prés de trois ans, il arriva un cas alfez mémorable au fujet d'un mor- Kkk kk 2 ceai ■ Solns du Roi pour remédkr * tous les maux dofti • Sujets. L l 1333. II ejl appel* lé le Perc de Ia Pa. trie. i  8i2 HISTOIRE GE'NE'RA'LE c ( i ] 1 ] 3 s i i Découverie d'un morceau de la vraie Croix. Article II. li enricbit F Eglife, iu on le te Hm. eau de bois de la vraie Croix, renfermé dans une chafle d'or, |u'on aflure que Ste. Hélène avoit dépofé dans une Eglife, qui s trouve batie fur un pont auprès du Village de Togni. Un Jrêtre Lat in, nommé Sarmandari , qui la deflèrvoit, avoit eu impiété de voler ce Sacré dépot, dès fannée 1318. avec diners riches ornernens, dont cette Eglife étoit pourvue. Les nceurs difTelues de ce mauvais Eccléliaftique 1'avoient entièrenent apauvri, & porté a commettre eet horiïble facrilége; nais, foit que ce fut par la permiffion de Dieu, ou que les renords de fa confeience le retiniTent, quelque tentative qu'il fit, 1 ne put jamais s'éloigner du Bourg, tant qu'il fut faili de cet:e Sainte relique; en forte que, pour la cacher, il prit le par:i de la mettre dans le tronc d'un gros arbre; après quoi il s'enfuit effedivement, avec le refte de fon larcin, fans qu'on put amais découvrir ce qu'il étoit devenu. Cette précieufe Relique , qui avoit été invifible pendant quinie ans, fut alors découverte par un Berger, dont le trou□eau pailfoit aux environs de eet arbre; ce qui confola extrêmement les Habitans du lieu, qui avoient infiniment regretté la perte d'un tréfor fi précieux. L'Evêque Grec de Limifol, qui faifoit fa réfidence a Lefcara, ne voulant plus la lailfer expofée dans une Eglife cliampêtre, comme étoit celle de Togni, la tranfporta procelfionnellement dans fon Eglife Cathédrale, oü elle fe trouve encore aujourd'hui. Le bruit qui fe répandit de cette merveilleufe nouvelle, & des miracles, qui la fuivirent, attira une grande afüuence de monde k Lefcara; &, par leurs offrandes, ils enrichirent extrêmementl'EglifeEpifcopale, oü ce Sacré depot avoit été place. La Reine Aux même, qui étoit depuis longtems a-demi-paralitique, s'y fit tranfporter, & en reflentit bientöt des effets admirables, qui touchèrent fi fort Margue'rite de B l er i , rune des principales Dames de la Cour, que, nga contente de  de CHYPRE. Liv. XVI. Ch. IV. 813 de laiffer k cette Eglife des marqués de fa dévotion, & de ft libéralité, Elle ne fut pas plutót de retour a Nicofie, quelle nt tótir une Eglife dédiée a l*SM, & lui affignal des rente, li conlidérables , quelle étoit mieux entretenue, & dèffervie qu'aucune autre du Roïaume. , Mais ce qu'il y a de plus extraordinaire au fujet de cette Lefife, c'eft que les Turcs, qui en firent une Mofqu.e, apres qu-ils fe furent rendus maitres de ce beau pays, ont remarquA avec étonnement, de même que les Chrétiens, & admirè comme une chofeincompréhenfible, que tous: les-. Imam, qp aïloient fur le minaret qu'ils ont ajouté a cette Mofquee , pour aopeller ie Peuple a la prière, felon leur co uturne, font toi> iours morts au bout de 1'année; c'eft pourquoi il y a longtems qu'ils font abandonnée, & ne la frequentent plus au- eaïLéGrand-Maitre de Villeneuve revint a Rhcdes,kns presque aucun fecours, ni affiftance des Princes Cbrétiens, malgré la longue réfidence, qu'il avoit faite auprès deux. Les Turcs faifoient cependant des progrès. Après avoir affiege pendant deux mois, avec 280. voiles, la Ville de Conjlantmople, dont ils fe feroient rendus maitres, fans le fecours des Flottes* tienne, ScGénoife, ils avoient ravagé les cotes de h Grece, & les Hes deV Archipel, conduit plus de dix mille Cbrétiens en efclavaee, contraint ceux de Négropont a fe rendre leurs tributaires , & enfin ménacé File de Rhodes. Toutes ces chofes aïant fait comprendre au Roi Hugues, qu'il ne falloit pluss attendre a aucune union contre les Infidèles, il s'attacha uniquement a fortifier fon Roïaume, pour fe garantir de leurs attentats, &apourvoir fes Enfans, qui commencoient a lui don- ner du chagrin. T , Pierre, fon ainé, Comte de Tripoli, & Jean, fon cadet: Prince de Galilèe , étoient devenus tous les deux amourem d'une jeune efclave, qui avoit été prefentée a la Reine leur Me Kkk kk 3. re Article/If, 1334- Soins duRai Hugues è fonificr fes Vlaces, £ƒ a Pcuruoir fe» Enfans.  8i4 HISTOIRE GE'NE'.RALE *335- Ses cbngiïns de la part de fes Enfbns. re. Ils pouffèrent fi loin leur pafllon pour cette belle perfonne , qu'ils penfèrent fouvent en venir aux mains; mais ne pouvant, ni 1'un, ni 1'autre, en rien obtenir, malgré leur affiduité, par une conduite bien extraordinaire adeux rivaux, fianimés de leur jaloufie, ils s'accordèrent enfin, & convinrent de 1'enlever, & d'en avoir une jouïffance commune. Leur réfolution parvint aux oreilles du Roi , qui fit fur le champ cacher robjet de leurs folies amours. On 1'embarqua, peu de jours aprés, fécrettement pour VItalië. Son abfence augmenta fardeur de ces jeunes Princes, qui découvrirent enfin ce qu'elle étoit devenue; &,ne fuivant quele feu de leur paffion, ils réfolurent de la joindre, a quelque prix que ce fut. Ils feignirent une portie de chaife, & allèrent, fous ce prétexte, fe faifi'r d'une Galère, qui fe trouvoit a la rade desfalines, fans que les rémontrances des Perfonnes, qui les accompagnoient, puffent empêcher leur mauvais deffein. L'aótion de ces jeunes Princes altéra fi fort leRoi, lors qu'il en fut informé, qu'il fe rendit lui même au port, pour les arrêter, ou pour les faire promtement pourfuivre, s'ils en étoient partis ; mais il n'y rencontra, que le Chevalier Lombard, grand ami, & confident du Comte de Tripoli. Ce fut fur lui, que le Roi déchargea fa colère. Apres lui avoir reproché qu'il fomentoit leur desordre, & qu'il étoit caufe des déplaifirs, qu'il en recevoit, il le fit pendre a un arbre, fansvouloir aucune juftification ; &, dés le lendemain, il dépêcba les Barons Louis De'nores,& Jean de Nizzu , avec deux Galères bien renforcées de chiourmes, pour les pourfuivre, & tiener de les ramener. Mais, quelque diligence qu'ils fiffent, ils ne purent les joindre , que vers les cötes de la Steile. Ils les trouvèrent dans 1'état du monde le plus pitoïable, fans argent, ni provifions, & leur équipage prêt a fe révolter, faute de nourriture. C'ell aourquoi, il ne fut pas difficile au Baron De'nores, qui étoit na-  be CHYPRE. Lry. XVI. Ch. IV. 8ij aaturellement éloquent, de perfuader a ces jeunes Princes c fe défifter d'une entreprife , qui ne pouvoit leur caufer qi beaucoup d'incommodités, & de grands malheurs ; puisqu'ell leur attireroitla disgrace du Roi leur Père, & leur feroit perdi 1'efiime de tous les Princes,, qui feroient informés de leur lé gcreté. Leur retour, & la foumiflion, avec laquelle ils tachèrent d s'exculèr auprès du Roi, ne 1'empêcha pas de leur faire éprou ver fon jufte relfentiment, fur tout au Comte de Tripoli, qui comme ainé, & héritier préfomptif de la Couronne, devoil être plus retenu dans fes paffions, & plus attentif a ne rien entreprendre qui put lui déplaire , ni lui attirer le mépris de fes Sujets. 11 les fit enfermer au Chateau de érincs, & donna ordre au Gouverneur de les faire garder a vue. Cette févérité , a laquelle Painé ne s'attendoit pas, jointc au déplaifir, qu'il reflentoit de la mort funefte du Chevaliei Lombard, fon favori, le porta a des raifonnemens extrava gans contre le Roi. II lui écrivit même une Lettre fi peu respectueufe, qu'il s'attira de nouvelles mortifications ; car, outre le chagrin, qu'il eut, devoir déiivrer le Prince de Gali/ée. fon Frère, & d'être lui même plus étroitement enfermé qu'auravant, il irrita encore fi fort le Roi par fa témérité, que ce Prince le ménaca de le faire mourir en pnfon, & de déclarer fon cadet héritier de la Couronne. Cependant 1'accident, qui arriva, peu de tems après, a deux autres de fes Enfans, 1'un -nommé Thomas, & 1'autre Isabelle, qui fe noLrent dans un baflin du jardin Ro al, joint aux föllicitations continuelles de la Reine, & aux inftantes prières du Pere Gon em e , fon Confèlfeur, fit fur lui tant d'impreffion, qu'il lui pardonna enfin au bout d un an de prifon, & le recut dans fes bonnes graces. Pour éviter, qu'il ne s'engageat dans quelque nouvelle amourette, auffiinconfidérée,que la premkre, leRoi ne tarda pas a fe marier avec une Fille de Pierre le Cérémonieux, oukCruel, Roi e e e e S Art'cIeZf', H lesf unit ' févèremcnt, , 1336- 1337. II leur parHotme dmt la fuite, £p: les marie,  Sió HISTOUE GE'NE'RALE Roi tfJrragon,Scte Prince Gaïiléehn Frère, avec une Demoifelle de la Maifon d'Ibelin. 11 maria, dans la mêmeannée, Cive, fa Fille ainée a Ferrand, ou Ferdinand, Roi de Majorque, & Mariette, fa cadette, au Baron Gautier Dampierre. La latisfadion, que ce Prince recut de ces alliances, fut um ie de celle que lui donna 1'arrivée des AmbaiTadeurs, qu'il avoit envoïés en trance, & en Jrragon , qui conduifirent les Princefles Marie de Bourbon, & Eleonor d'Arragon. Leur reception fut fi magnitique; les réjnuïffances, & les fpedacles publics, & particuliers, durèrent fi longtems, qu'il paroilToit que le tems du règne fabuleux de Venus fut revenu en Cbypre. II eft vrai, que c'étoit le feul pays des Cbrêtiens en Oriënt, qui jou'ïlToit d'une entiere tranquilité, & d'une grande opulence. On n'y reflentoit le voifinage des Infidèles , que par le déplaifir d'apprendre les ravages, qu'ils faifoient dans les autres Provinces. Les Chypriots auroient enfin gouté une félicité parfaite, fans les attentats de quelques fourbans, qui vinrent interrompre leur commerce. Lig ure Assanti, Fils de celui a qui les Chevaliers de Rhoées avoient donné lapropriété de 1'lle de Nizzaro, &qui étoit obligé d'entretenir une Gal re pour le fervice du Couvent, fe trouvant entièrement desceuvré, s'érigea en Corfaire. 1 couroit indifféremment fur les Turcs, Sc les Sarrafins, comme fur les Cbrêtiens. Les Négocians Chypriots fe trouvèrent dans le cas, & furent fort incommodés de fes pirateries. Les plaintes, qu'ils en portèrent au Roi, 1'obligèrcnt a le faire pourfuivre par deux de fes GaLres; mais elles ne purent le forcer dans fon 11e, ou il s'étoit retiré avec fes riches prifes; & les Chevaliers de Rhodes, auxquels le Roi écrivk5afin qu'ils remédiafTent a ces déso*dres, ne s'en mirent gueres en peine; de forte que leur peu d'attention fut caufe, qu'il fit faifir tous les biens, qu'ils poffédoient en Cbypre, pour indemnifer fes Sujets des pertts,  de CHYPRE. Liy. XVI. Ch. V. 81? quAssANTi, leur ValTal, leur avoit caufées. La Religion. qui fe vit tout d'un coup privée des grands revenus des Commanderies de Chypre, fatisfit promtement aux volontés du Roi, dépouilla Ie corfaire de la propriété de file de Nizzaro, & lui fit payer la téméraire entreprife, qu'il avoit faite fur les Cbrêtiens. Artide ƒ. 134* Courfes des Sarrafins d'Egypte fur le Roïaume de Chypre. Chapitre V. On ne parloit plus en Europe d'aucune Croifade, ni contre les Turcs, ni contre les Sarrafins du Levant, malgré k fuccès, que venoit d'avoir celle que le Pape B en o 1 t XII. avoit fait publier en faveur d'ALPHONSEXI.Roi de Cajlille, au moïen de laquelle ce Prince avoit gagné, fur les Sarrafins dföccident, la célèbre vicloire, que les Efpagnols nomment del rio del Salado. Quelques Auteurs prétendent, qu'il y périt plus de deux eens mille Maures, & d'autres le doublé, quoi que les Barbares eulfent a leur tête Aboucen, Roi de Maroc, & Jusuf, Roi de Grenade, & qué leur Armée fut de foixante mille Chevaux , & de fix eens mille Hommes de pié ; au lieu qu'ALphonse n'avoit que huit mille Cavaliers, & douze mille FantaiTins, dont, malgré le malfacre extraordinaire, qu'il fit des Infidèles, il ne perdit (felon les mëmes Hiftoriens Efpagnols) que quinze, ou vingt Hommes; de forte que, s'ils accufent jufte, on peut bien la comparer a celle de Marathon, ou dix mille Athéniens défirent deux eens mille Perfans. Les Sarrafinsd'Egypte, d'ailleurs, non plus que les Turcs, n'ignoroient pas, que les troubles $ Europe, principalement la guerre, qui regnoit entre les Rois de France, & d'Angleterre, qui étoient toujours les plus promts a fecourir la Talejline, ne Lil 11 leui  518 HISTOIRE GE'NE'RALE 1342. Hugues demnnde du [emirs. 1343. Article II. Ligut entre le St. Siége, le Roi de Chypre, la République de Vénife, ia Religion de Rhodes , fc? les Seigneurs de Miïo,co'.tre les Sarrafins. leur permettroient pas de faire, de long-tems, aucune expédition pour le Levant. Ces Barbares étoient également informés, que les Cbrêtiens dAfie ne faifoient aucun mouvement, pour s'oppofer k leurs entreprifes, foit qu'ils n'eulfent point alfez de forces, ou qu'ils fe contentaifent de demeurer fur la défenfive. Ces conlidérations enhardirent tellement les Infidèles, qu'ils • faifoient des courfes continuelles, non feulement fur les Hes de VArchipel, & fur celle de Candie, mais encore fur le Roïaume de Chypre, qu'ils n'avoient point encore ofé inquiéter. Le Roi Hugues appréhendant, qu ils n'y filTent enfin quelque vigoureufe irruption , a laquelle il n'auroit pu rélifter, par raport k la mollelfc de fes Sujets, que la longue paix, dont ils avoient jouï, avoit entièrement relachés, recommenca a Iblliciter fortement le Pape Clement VI. qui avoit fuccédé k Be'noit XII. afin que, par fon autorité, les Puiffances féculières fe determinalfent a envoïer quelque fecours , qui put conferver aux Cbrêtiens d"'Oriënt le peu d'Etats, qui leur reftoient. Hugues n'étoit pas le feul, qui fit des infiances au Pontife a ce fujet. Les Fénitiens, qui étoient maitres de file de Candie, & tant d'autres Seigneurs' particuliers qui en poffédoient dans VArchipel, lui demandoient également fes bons offices. Le St. Père auroit fort fouhaité d'y pouvoir engager les Puilfances de ÏEurope; mais la guerre, qui les animoit, étoit trop violente pour y penfer. Ainfi, pour remédier promtement aux malheurs, qui ménacoient les Oriënt aux, le St. Siêge forma une ligue avecle Roi de Chypre, la République de Vénife, la Religion de Rhodes, & les Seigneurs de Milo. Us con vin rent d'entretenir continuellement vingt Galères bien armées dans les mers da Levant, pour défendre les terres des Cbrêtiens, & attaquer celles des Infidèles. Le Pape devoit en fournir quatre, le Roi de Chypre pareil nombre, la République de  de CHYPRE. Liv. XVI Ch. V. Sr de Vénife cinq, la Religion de Rhodes fix, & les Seigneurs d Mik une. Afin d'éviter la mesintelligence entre les Commandans, 1 Pape en nomma Général Henri, Patriarche de Conjlan iinople , qui s'embarqua fur cette Flotte , en qualité de Lé gat Apoftolique; &, par fentrcmife de Jean d'Ame'lia, Ar chi-Diacre de Forü, le St. Tére s'accorda avec Martin Zaca rie , Génois de Nation , touchant les quatre Galères, qu'i s'étoit engagé de fournir. Elles partirent incelfamment, fou; la conduite du même Zacarie , & avec le Légat, pour fe ren dre a Rhodes, oü étoit le rendez-vous. Celles de Chypre s1) rendirent aufli fous le commandement de Conrad Picamiglio & celles de Vénife fous les ordres de Nicolas Micheli. L Grand-Maitre de Villeneuve fit beaucoup de difficultés de "{ charger d'un fi grand fardeau; mais il fe rendit enfin a la vo lonté du Pontife, & fournit les fix Galères, dont il donna L commandement au Chevalier Jean de Biandra , Prieur ó Lombardie. La Flotte confédérée ne fut pas plutöt fort ie du port ds Rhodes, qu'elle donna fi bien la chalfe aux Turcs , qui jusqu'alors n'avoient rencontré aucun obftacle a leurs courfes, qu'il fe retirèrent tous dans leurs ports, & n'ofèrent plus en fortir Le Légat, & les Commandans, ne jugeant point a propos dt. les y aller attaquer, ni de perdre leur tems en courfes inutiles: réfolurent de faire quelque entreprife declat, &qui fut avanta geufe a la Chrétienté. Us ailèrent attaquer la Ville de Smirne, dont ils s'emparèrent fans beaucoup de peine, aufli bien que du Chateau, a la faveur de deux Rénégats, qui, felon Loredan, leur en ouvrirent une porte. Une conquête fi importante faifoit trop d'honneur Sc de plaifir au Légat, pour n'être pas bien attentil a fa confervation. Auffi, népargna-t'il rien pour bien munii ia Place de toutes les provifions nécelfaires, en attendant que Lil 11 2 i< 9 i , Toutes les ' Galères . s'ajfemblent a Rhodes. r 1344- > j ; kxMcllt » La Eotte confédérée forms le fiége de Smirne, s'entmpare.  820 HISTOIRE GE'NE'RALE » ] 1 i Mort du # Gênêralde i ia Flotte. i «346. e Pape , «Sc les autres Princes confédérés , auxquels -il en ionna d'abord avis , la pourviiffent eux mêmes plus abonlamment. Le Grand - Maitre de Rhodes , qui le prémier recut cette igréable nouvelle , reconnohTant, que la poffeffion de cette 3lace étoit d'une importance infinie aux Chrétïens , 6c que, >ar raport a fa fituation, 6c a la commodité de fa fameufe raIe , elle pouvoit leur faciliter d'autres conquêtes dans VJnato7ie, y envoïa d'abord quantité de machines, 6c autres inftrumens de guerre, non feulement pour fa propre défenfe, mais sneore pour les autres entreprifes, que la Flotte confédérée auroit pu tenter. II efpéroit, qu'elle auroit bientöt occafion de & fervir de ces fecours, 6c qu'elle ne feroit pas demeurée dans l'inaCtion , comme elle fit, par la mort du Légat ; lequel, iffoibli des fatigues de la Navigation, dans un climat fi différent 3u fien, ne put réfifter a la violence d'une fièvre, qui 1'emporta en peu de jours. Mais la perte de ce fage Prélat, qui avoit fi fort contribué aubonheur des armes de laLigue, foit par l'aftabilité, avec laquelle il avoit vécu avec tous les Commandans, foit par runion qu'il avoit toujours entretenue entre eux , 6c les autres Officiers, jointeau décès deZacarie, qui commandoit les Galères du St. Siège, fut caufe que les autres Chefs, bien loin de profiter de 1'avantage, qu'ils venoient de remporter, fe désunirent, 5c ne fongèrent plus qu'a jouïr de leur conquête. La nouvelle de la prife de Smirne réjouït extrêmement le Pontife; mais fa joie fut bientöt diminuée, par les avis qu'ANdre' Dandolo, Doge de Vénife, lui donna, peu de tems après, de la mort du Légat, 6c de Zacarie, Commandant de fes Galères. 11 craignoit, avecraifon, que la perte de ces deux Chefs ne rallentit 1'ardeur des autres, 6c n'interrompit la profpérité de leurs armes. Le St. tére nomma d'abord Légat, 1'Evêque de Bo/ognex 6c Bertrand de Corte- donö  de CHYPRE. Liv. XVI. Ch. V. 821 dono pour commander fes Galères ; Mais, comme ils ne pu- L rent partir auffi-tötque lePape 1'auroit fouhaité,ilnommal'Evê-p; que de Candie a la place du prémier, & donna a Conrad Pi- g: camiglio la conduite de fon Efcadré, comme ü Favoit déja de celle du Roi de Chypre. Le St. Père déclara le Chevalier Biandra, dont on lui avoit fort vanté la valeur, & Fexpérience, Général de toute la Flotte confédérée. II lui ordonna d etre bien attentif au choix des perfonnes, auxquelles il confieroit la confervation de Smirne, afin que, s'il faifoit quelque nouvelle entreprife, on n'eüt rien a craindre pendant fon abfence; Et il 1'affura en même tems, qu'il alloit lui envoïer un renfort d'autant plus confidérable, qu'il étoit tout compofé de perfonnes de naiffance, qui s'étoient déterminées a aller prendre part a la gloire, fitöt qu'ils furent la prife de Smirne. Comme il avoit été informé, que feu Zacarie , «Sc les aur tres Capitaines, qui étoient a la folde de la Chambre Apoftolique, tenoient leurs Galères mal garnies de foldats, & de matelots , il ordonna au Général d'y furveiller , afin que , fi leurs équipages, & leurs chiourmes, n'étoient pas complettes, on diminuat la fomme qu'on leur payoit pour leur entretien: Ménagement fort inconfidéré, mais digne de compaffion pour des Perfonnes, qui n'ont pas la connoiffance néceifaire des expéditions militaires. Cependant, quelque apliqué que fut le Pape a Ia guerre con^ tre les Turcs, il ne F étoit pas moins des affaires de YEurope. L'Empereur Louis de Baviere continuoit a perfécuter FEglife, & ména9oit VItalië d'une nouvelle irruption. Le St. Tére fit alfembler a Avignon plufieurs Princes > & quantité de Prélats, pour les inftruire de ces violences; «Sc le Jeudi-Saint il prononca, en leur préfence,. la fentence d'excommunication contre ce Prince. 11 le priva , en même tems, de tous les Etats, qu'il polTédoit, «Sc ordonna aux Eleéleurs, fous peine d'encourir les mêmes cenfures, de procéder a 1'élection d'un Lil 11 3 nou- eft remacé par icamiio. ArticleJT- Troubks d'Occident. Le Faf>e Clément Vh excomunic le Jeudb Saint l'Empereu»Louis de Bavière>-  «sa H1STOIRE GE'NE'RALE nouvel Empereur. Ils s'alfemblèrent a Ren'ts, gros Village fitué fur le Rhin , «Sc élurent a fa place Charles de Luxembourg, Fils ainéde Jean, Roi de Bohème, qui fut le quatrième Empereur de ce Nom, malgré la concurrence d'edouard, Roi ÜJngkterre. Ce fut ce nouvel Empereur, qui fit la fameufe Conftitution, nommée la Bulk tfor, touchant 1'élection des Empereurs, laquelle a depuis toujours fervi de régie pour cette grande , & augufte cérémonie. Chapitre VI. Article I. L'Red'lmfcros prife par les Turcs. Vtlcmrede la Flotte _ tonfidérée fur celle des Turcs. La prife de Smirne ne fut pas le feul avantage, que Ia Flotte Chrétienne remporta fur les Turcs. Ces Barbcires affe&ant d'être intimidés de la perte de cette importante Place, snvo'ièrent des Deputés, pour propofer une Trève aux Cbrétiens, ou plutöt pour les amufer; «Sc, pendant ces pour-parlers, ik fe hatèrent d'armer plufieurs Batimens de différentes efpèces dans les ports üjfie, & compofèrent une Flotte de cent cinquante voiles, avec laquelle ils allèrent attaquer 1'Ue ülmbros, fituée a 1'embouchure de VHellefpont, dont ils s'emparèrent de vïve force, palfèrent partie des Habitans au fil de 1'Epée, firent les autres prifonniers, & s'y fortifièrent. La Flotte confédérée ne fut pas plutöt avertie de cette expédition, qu'ellefortit du golphe de Smirne, bien réfolue d'en tirer vangeance. Elle y réiiffit en effet, «Sc furprit les Infidèles avec tant de bonheur, qu'elle leur brüla cent dix huit Batimens ; après quoi les Troupes, «Sc la plupart des équipages mirent pié a terre, «Sc combatirent, avec tant de réfolution, qu'outre la quantité de Barbares, qu'ils défirent, ils en emmenèrent plus de cinq mille prifonniers. Quoi-  ï) e CHYPRE. Liv. XVI. Ch. VI. 8 z x Quoique le Roi de Chypre ne reifentit pas une moindre fa tisfaftion de ces avantages, que les autres Princes confédérés il reconnut cependant, qu'ils ne le mettoient point al'abri del'in fulte des Sarrafins, dont le voifinage, & les entreprifes fu YArménie 1'inquiétoient d'autant plus , qu'ils dépouilloient 1 Roi Constant , tantöt d'une Place, & tantöt d'une autre,outr qu'ils venoient tout récemment de reprendre la Ville df/Jöu,Layaz zo, la même oü le Grand Alexandre remporta cette fameufi Victoire contre Darius , Roi de Perfe , comme nous 1'avon dit. C'eft pourquoi auffi, Hugues auroit fortfouhaité, qu'oi eut conclu la Trève avec les Ottomans, afin d'être mieux ei état de fecourir le Roi dArménie, fon voilin, & d'y emploïe: les fommes, qu'il étoit obligé de fournir pour 1'entretien d< fes Galères. Comme le Pape, & la Religion de Rhodes , ne fe trouvoienl pas moins incommodés pour 1'entretien des leurs, & ds ia garnifon de la Ville, & Chateau de Smirne, & que le St. Père avoit perdu fefpérance de pouvoir engager dans la Ligue aucun Prince qui put la foulager ; Que les Turcs, de leur cöté, après la grande perte, qu'ils venoient de faire a Imbros, avoient renouvellc leurs propofitions pour une fufpenfion d'armes; Humbert , Z)#w« phin de Vienne, que le Pontife avoit envoïé a Smirne dés 1'an» née précédente, en qualité de Général des Troupes de débar« quement, tint Confeil, en vertu de Pordre qu?il venoit d'en recevoir; &, du confentement du Légat, Sc des autres Chefs, il envoïa le Chevalier Dragonet de Joyeuse , & Barthelemi Tomari, Chanoine de Smirne, k Calari , &Marbasan3 Chefs des Turcs, & Maitres de Smirne Supérieure, avec lesquels il conclut une Trève, a condition pourtant que le Pape en approuveroit les Articles, qu'on lui envoïa par le Prieur de Navarre, & par le même Chanoine Tomari. Pendant qu'on attendoit a Smirne la ratification de ce Traité, le Roi Hugues eut la confolation d'apprendre, qu'au moïen d'un r ï i I Trèvtentrt les Chrétie , FJ> lts Tursfc.  .1348. .rticle II. La pefte fe répand dans l'Ile de Chypre. Hugues fait construire des Hópitaux, 1$ amoffe des prtvifions. I349- 824, HISTOIRE GE'NE'RALE d'un fecours, que lui «Se la Religion de Rhodes avoient envo'ïé au Roi Constant, ce Prince avoit repris fur les Sarrafins la Ville de Layazzo, & les avoit entièrement chalfés de fes Etats; mais, comme il fe doutoit, que les Infidèles ne manqueroient pas de recommencer leurs hoftilités avec plus de vigueur, & peut être de fincommoder lui même, il réfolut de repafïer en Europe, pour renouveller fes follicitations auprès du Pape, & des autres Puiifances Chrétiennes, touchant le recouvrement du Roïaume de Jérufalem, dont il avoit fi fort fouhaité 1'entreprife, dès fon avènement a la Couronne. II ne défiroit pas moins de fecourir fonPeuple, dans une néceflité, qui étoit aufli preflante, que la difette, qu'ils avoient éprouvée quinze ans auparavant. La pefte, qui s'étoit découverte aux environs de Famagoujle, s'étoit fi fubitemenc répandue dans toute 1'Ile, qu'elle fe trouva malheureufement inondée de ce terrible fléau. Cette disgrace lui fit différer fon voïage. II ne fongea plus, qu'a faire drefier desHöpitaux, «Sc a remplir des Magafins de Provifions, tant dans les Villes, qu'a la campagne,pour foulager lespauvres nécefliteux dansce tems de calamité; «Sc il fit venir d'habiles Médecins, & Chirurgiens, des pays étrangers, pour arrêter cette dangereufe maladie. Cependant, malgré tous fes foins , & fes grandes dépcnfes, elle dura pendant un an entier; «Sc il eut la douleur de voir périr prés de la moitié de fes Sujets. Lui même fut obligé, pour 1'éviter, d'abandonner fa Capitaie, de fe retirer, avec toute fa familie, dans le Chateau Dieu d'amour, qui fut le feul endroit de toute 1'Ile exemt de cette contagion. II étoit encore dans cette retraite, lors qu'il recut du Pape une copie des Articles, qu'on traitoit avec les Turcs. 'Le St.Père lui demandoit fon avis, fur la conclufion de la Trève, ou fur la continuation de la guerre. Hugues, qui défiroit eet accommodement plus que jamais, par raport a Ia défolation, que la pefte avoit caufée dans fes Etats, oü il avoit même invité les  de CHYPRE. Lm XVI. Ca. VL 3a? les Peuples étrangers, pour les venir repeupler, ne balancapas a envoïer a Sa Sainteté un Ambafladeur, pour le conclurre de telle manière, qu'Elle le jugeroit apropos. Le tems, qui fe confumoit en confultations, en allées, & venues, pendant lesquelles il fe pafToit toujours quelque action entre les Cbrêtiens, & les Turcs, joint a la mort de 1'Archevêque de Candie, Vice-Légat Apoftolique, ennüïa li fort Calabi , qu'il prit le parti d'envoïer lui même des Ambalfadeurs au Pape, pour preffer la conclufion de la Trève, afin d'avoir le tems de fe refaire de fes pertes. Cependant, quoique toutes les parties intéreflees parulfent la défirer, & que le Pape fe trouvat dans un nouvel embarras, au fujet du Roïaume de Napies, dont le Roi de Hongrie venoit de s'emparer, 1'Ambaflade des Turcs ne produifit qu'une fufpenfion d'armes d'une année, pendant laquelle le St. Père fe flattoit de pouvoir raconv moder entièrement les Vénitiens, & les Génois, & de les engager a unir leurs forces contre les Infidèles ; Mais la haine de ces deux Républiques étoit trop invétérée, pour pouvoir être calmée fi promtement. En effet, la Flotte de ces derniers s'étant emparée de quel ques Navires Vénitiens, richement chargés, qu'ils rencontrèrenl dans le canal de Confiantinople, ou dans le port de Caffa, les autres, pour s'en vanger, envoïèrent trente einq Galères, on autres Batimens, fous la conduite de Nicolas Pisani, qui en trouva bientöt 1'occafion. La tempête avoit pouffé quatorze Navires dans le port Carijlio, pres de Nègrepont. II les y inveftit, fans balancer, en prit dix, dont la cargaifon étoit de groffe valeur, & fit foixante dix - Nobles Génois prifonniers. outre mille Hommes des équipages, qu'il conduifit a Nègrepont. II les y laifla, fous bonne garde, pendant qu'il continuoit fon voïage a Confiantinople, oü il efpéroit de faire de plu: grands progrès, Mmm mm Mais _ Article///» ' Nouvelles, ■ &fdcbeu- fesbrouilleries, entre les Vénitiens,^ les Génois. i Hit > >  HISTOIRE GE' NE'RALE j 1 i : ■ 1350, Les Cbrêtiens COAfédèrisfans aueune efpérance de fecours. Mais, comme les Génois, qui pofledoient Galat a, avoient ait fortifier cette Ville, & qu'ils y avoient une bonne garnibn, le Général Vènitien ne jugea point a propos de rien en:reprendre, au lieu que les quatre VaüTeaux Génois, qui lui avoient schappé a Carijlio, fe joignirent a plufieurs autres, que comnandoit Philippe Doria, «Sc allèrent fondre fur la Ville de Nègrepont, qu'il prirent de vive force. Ilslafaccagèrent, mirent [e feu aux maifons, «Sc délivrèrent les prifonniers de leur Na:'\on, que Pisani y avoit laifles. Profitant enfuite de leur bon fuccès j ils allèrent s'emparer de 1'Ile de Scio, qui appartenoit aux Vénitiens. Les troubles, qui agitoient VEurope, «Sc le peu de moïens, ■m, pour mieux dire, l'impuiffance, oü fe trouvoient les Prin:es ligués d'entretenir des forces capables d'aucune entreprife d'importance contre les Turcs, étoient fi fenfibles au Pape, qu'il it eonnoitre a leurs AmbalTadeurs, qu'il y avoit de la honte jour eux tous, «Sc même pour toute la Chrétienté, de confen:ir a la démolition dn Chateau de Smirne, comme les Barbares [e prétendoient; «Sc il voulut, qu'on leurdéclarét ouvertement, qu'un an après que la Trêve feroit expirée, on n'entendroit plus a aucun accommodement. Cependant, comme les Alliés s'étoient expliqués, qu'il leur étoit impoffible de fubvenir aux fraix d'une guerre offenfive, le SL Tére conclut, "qu'il falloit,au moins5conferver ce qu'on „ avoit gagné, entretenant huit Galères feulement, qu'on ju„ geoit fiiffifantespourgarder Smirne, «Scles Hes, que XesChré„ tiens polfédoient dans VArchipel, même pour empêcher que „ les Turcs n'y fiflent aucun ravage, en attendant que les af„ faires leur permiflent d'armer plus puilfamment. lis convinrent donc, " que, de huit Galères, qu'on arme„ roit,«Sc qu'on entretiendroit pendant dix ans,le Roi ósCby„ pre en fourniroit deux, la République de Vénife trois, «Sc la „, Religion de Rhodes pareil nombre, pour 1'entretien desquel- » les,  de CHYPRE. Liv. XVI. Ch. VL ;S?j „ ks, auffi bien que pour la garnifon de Smirne, le Pape con„ tribueroit la quatriême partie, qui fe montoit a la Somme „ de douze mille florins d'or par an. Pourfubvenir a cette dépenfe, fans toucher aux déniers de la Chambre Apoftoüque, le St.Père ordonna, qu'on Ièveroit une décime fur tous les biens Eccléfiaftiques de la Grèce, c'eft a dire des cótes, & Hes de ïArchipel, qui appartenoient aux Latins. Cependant, comme cette fommene pouvoit être affez facilement percue, il fit propofer a 1'Ambafladeur du Roi de Chypre, & aux autres Alliés, de la fournir pour la prémière année, &, fur Pexcufe de ce Minifire, qu'il n'avoit aucun ordre la-delfus, le Pontife en écrivit au Roi même, lans aucun fuccès, d'autant plus que les Vénitiens déclarèrent,qu'attendu leur nouvelle rupture avec les Génois, ils ne pouvoient envoïer aueune Gaière; deforte que tout fe réduifit au feul entretien de la garnifon de Smirne, pour laquelle on trouve, que le Roi de Chypre payoit tous les ans, trois mille florins d'or; ce qui lui convenoit beaucoup mieux, que d'achever de dépeupler fon pays. Mmm mm 2 HTSTOI- Décime mpofée peur fecourir ks Confédéris.  I Article /. L'Ile de Chypre ] déferte. Les Négosians étrangers font invités, £f ' eimobUs par le Roi. C HISTOIRE GÉNÉRALE tOl AUMES D E CHYPRE, de JÉRUSALEM, D' EGYPTE. L I V R E XVII Chapitre Pr e'm i % r. r.^y <•> e Roïaume de Chypre étoit en effet devenu i fi défert> ^ue ce princc fut obligé d1enno" «Xh» blir plufieurs Négocians étrangers, qui pri- L XiXb rent les noms ' & les titres des Maifons ïiVXi Nobles, que le mal contagieux avoit entiè- ^Si^^Jp rement éteintes; «Sc, a force d'immunités, & «j> o \*j> » d'exemtions, il tacha d'attirer des perfonnes de oute condition, pour remplacer ceux des Villes, «Sc de la campagne, ui avoient péri. Cette  HISTOIRE GE'N. de CHYPRE. Liv. XVIL Cu. L 829 Cette grande extrémité, jointe aux préparatifs de guerre, 1 que faifoit le Soudan Ü Egypte, redoubloit les inquiétudes det ce Prince. II ne craignoit pas moins pour fes Etats, que lej Roi ÜJrmênie apréhendóit pour les fiens. Ceft pourquoi, il réfolut d'exécuter le projet, qu'il avoit fait de repaffer en Europe, avec d'autant plus d'efpérance d'obtenir du fecours, que lestroublesd'^to^, &$Italie, avoient entièrement ceffe, ■ les prémières par la mort de Louis de Baviere, competiteur de 1'Empereur Charles IV. &les autres par 1'accommo; dement, que le Pape avoit fait entre Louis, Roi XHongne; j Teanne, Reine üeNaples, «ScComteffedeProvence, &Louis, ! Prince de Tarante, fon Epoux, auquel le Pontife avoit enfin | accordéle TitfedeiJoi de 7l/^,ainfique cette PnncelTe le de' firoit^depuis longtems. Auffi, pour lui en témoigner fa gratitude, elle confentit, de fon cóté, de céder aiu&>. Stege a Ville iïJvignon, avec fes dépendances; au moïen de quoi elle b'aflfhmchit du tribut, qu'elle lui devoit pour le Roïaume de Naples, dont elle n'avoit jamais rien payé, depuis quelle en ! étoit en poffeffion. , • 1 r*. LQRoïiïJrménie, qui nepouvoit, comme celui de Chypre, quitter fes Etats,-fe contenta d'écrire dès Lettres tres-fortes, & très-touchantes au Pape, & aux autres Princes Cbrêtiens, pour implorerleur fecours; «Sc, afin de mieux émouvoir \eSt.Fere «Sc 1'engager a 1'alMer puiffamment, il lm promit, que Ie Patriarche SArmènie, qu'ils nomment le Catholicon, fe foumettroit avec tous fesPeuples a 1'obéïffance du St.Siége, &ne vivroit deformais que felon le rite de 1'Eglife Romaine. Ces deux Princes n'étoient pas les feuls en Onent, qui recherchoient alors 1'alTiftance du Pape, quoique pour differents fuiets. Tean Cantacuzene, que 1'Empereur Andronic avoit lailtéTuteur de fes deuxEnfans, s'étoitempare delaCouronne, «Sc de tout 1'Empire dè Grèce ; &, au préjudice de fes pupiles, il avoitnommé Mathias, fon Fils amé, RoideGr*?- Mrnm mm 3 a ,e Roi at 3hypre bercht du '.cours en lurope. • ArtidelL Secours de nandé au Pape,par le Roi d'Axménie. 135*Pour l'obtenir,ilprornet au St. Père, que le Catholicon d'Arménie fe fownettroit, avec tous fes Peiiples, al'obétffdn- ceduSt. Siége, h  830 HISTOIRE G E' N E' R A L E SrouWeries dam ï Empire Grec. Article///. . *353- Smirne confervée par les Chrétieru. I i ce, & donné la Moréc aEmanuel} le cadet, avec le Titre de Duc de «Sparte; Mais, dans la crainte que Jean, ou Calojean, Fils ainé d'ANDRONic, qui avoit atteint 1'age de Majorité, ne format quelque parti pour le dépouiller de 1'Empire, qu'il avoit^ufurpé, il s'adreffa au Pontife, pour être maintenu fur le Tröne ; & il offrit, de la manière du monde la plus authentique, de foumettre 1'Eglife Grecque a la Latine, & de réduire tout 1'Empire ÜOrient a 1'obéïüance de Sa Sainteté. Cependant, foit qu'on ne fdt point en état de lui donner les fecours nécelTaires, ou que Calojean prevint fes mauvais delTeins, par la promtitude, avec laquelle il engagea les principaux Seigneurs de 1'Empire contre 1'Ufurpateur, ce jeune Prince alfembla fes amis, & fe rendit en Macédoine, oü la vie diffolue, & les vices de ÏvIathias 1'avoient rendu fi odieux, que chacun s'empreffa a lui rendre hommage, & a le faluër Empe* reur. Toute la Province ferangea d'abord fous fon obéïifance; de forte qu'après quelques légers combats, dans les quels (felon Chalcondile) Cantacüzene eut toujours du deffous, & avec le fecours de Sultan Amurat , SuccefTeur d'orcan, fon Père, avec lequel il avoit fait alliance, Calojean eut en fon pouvoir fon mauvais Tuteur. II fut affez généreux, pour fe contenter de le faire enfermer dans un Couvent du Mont Athos, oü il 1'obligea pourtant a faire profeflion. Mathias fe retira auprès du Duc de Sparte, fon Frère, oü 1'on prétend qu'il finit fes jours malheureufement. Cependant, malgré la médiocrité des forces, que les Princes Ligués entretenoient a Smirne, elles confervoient non feulement cette Place, mais encore empêchoient les courfes, &les ravages des Turcs dans les Hes voifmes. Elles auroient même 3u faire de grands progrès contre ces Infidèles, fans Ia crueUe guerre, qui continuoit entre les Vénitiens, &les Génois, lesRiels, aulieud'aideradétruire leurs Ennemis communs, ne faifoient  de CHYPRE. Lm XVII. Cu. I. 831 foient que s'entre-déchirer eux mêmes; ce qui faifoit dire aux perfonnes bien zélées pour la Foi Cathoïique, qu'il n'auroit falu que leur union pour détruire entièrement les Tures, ou pour i les faire rentrer dans leurs anciennes limites. Mais, par malheur, depuis qu'on s'étoit fi fort dégouté des Croifades en Eu! rope, «Sc qu'on ne vouloit même plus en entendre parler, tous : les foins, «Sc tous les mouvemens, que les Papes s'étoient donnés pour les affaires $ Oriënt, avoient été presque inutiles. Aufli, le Cardinal d'Albert, Limafin de Nation, qui avoit fuccédé a Cle'ment VI. fous le nom d'lNNOCENT VI. pré1 vo'ïant, qu'il ne feroit pas plus heureux que fes Prédéceffeurs, 1 quoi qu'il n'eüt pas moins a coeur qu'eux le rétablilfement des i Cbrêtiens Orientaux, «Sc la deftruccion des Infidèles, fe contenta d'exhorter les Princes confédérés a envoïer exactement leur quotte-part pour 1'entretien de la garnifon de Smirne, afin de ; conferver une conquête, qui pourroit fervir un jour a faire de i plus grandes entreprifes, furtout, fi les Rois de France,, «Sc d'Jngleterre, venoient a terminer lafanglante guerre, qui les occupoit depuis fi longtems. Le Pontife recommanda particulièrement le foin de la confervation de Smirne a Diodat de Gozon, Grand-Maitre de Rhodes, qui avoit fuccédé a Elion de Villeneuve , dès 1'année 1346. d'une manière très-fingulière. Ce Chevalier, qui fè trouvoit alors Grand-Commandeur, «Sc Lieutenant duGrandMaitre, fut un des Electeurs pour un Succelfeur; «Sc , comme plus avancé, que les autres en dignité, fes confrères le prièrent de propofer celui qu'il croïoit le plus digne deremplir leMagilière: mais ils furent furpris, lors qu'il fe nomma lui même, leur proteftant qu'il n'en connoifloit aucun plus capable de remplir cette Charge. Soit que les autres Elecleurs lui reconnulfent en effet un mérite, «Sc une capacité fupérieure, ou qu'ils n'ofaffent s'y oppofer, il fut élevé, d'une commune voix, a la Dignité Magi^ llrale; & ce fut après cette éleétion, que? pour éviter un fem- Le Pape s'intérefje d la confervation de cette Fille, Il Ia recom-' mande a Diodat de Gozon, GrandMaltre de Rhodes.  832 HISTOIRE GE'NE'RALE Draconis ixtermimtor. femblable inconvenient, on établit une loi, portant, qu'il ne feroit point permis aux Chevaliers de l'èle&ion de fe nommer eux mêmes. Le Pape, dis-je, avoit fortement recommandé k Gozon la confervation de Smirne, & ordonné, que, fi 1'Archevêque de la Ville, qui en étoit Gouverneur, venoit a mourir, il en confiat le gouvernement au Chevalier Nicolas Belvicione, Fb~ rentin de Nation, dont le zèle, joint a la fidélité, lui étoit parfaitement connu; mais il n'eut pas le tems de s'acquiter d'aucune de ces deux commiffions. II tomba malade, & mourut dans ces entrefaites. Son corps fut inhumé dans 1'Eglife de St. Jean, avec des regrets infinis de tous les Chevaliers fes confrères , «Sc de tous les Peuples de Rhodes en général. On grava fur fon tombeau le combat, qu'il avoit eu, dit-on, contre un monftre furieux , avec cette infcription: Draconis exterminator. En effet, ce valeureux Chevalier méritoit bien ce titre glorieux. Environ quatre ans, avant qu'il fut élevé a la dignité Magiflrale, il emploïa fa vertu, «Sc fon grand courage, a déiivrer 1'Ile de Rhodes, au raport de Bosio, dans fon Hifloire de Malte, d'un dragon effroïable, lequel dévoroit non feulement les gens, «Se les bêtes, qui pafToient dans fendroit, oüilfe tenoit, mais encore qui, par fonhaleine empoifonnée, infectoit tous les envi•rons. C'eft pourquoi, le Grand-Maitre, «Sc le Confeil, avoient défendu a tous les Chevaliers, fous peine de la privation de f habit, «Scaux habitans, fous celle de la vie, d'approcher duMont St. Etienne , oü ce monftre faifoit fa demeure dans une caverne. La févérité, avec laquelle on faifoit obferver eet Edit, n'empêclia pas le Chevalier de Gozon de concevoir le deffein de détruire ce rédoutable animal. Comme fon jugement égaloit fa valeur, il demanda au Grand-Maitre la permiffion daller faire un voïage chez lui. Arrivé en Gacogne, au Chateau de Gozon, dont  de CHYPRE. Liy. XVIII. Ch. III. 833 dont fon Frère étoit Seigneur, il fit d'abord préparer ce qu'il crut nécelTaire pour fon entreprife. II fit contre-faire le Dragon , avec de la toile peinte, remplie d'étoupe, a peu prés de la mêmefigure, qu'il 1'avoit appercude la cime du Ment Etienne. Deux de fes domefiiques, renfermés dans cette figure, la faifoient mouvoir, tantöt d'une facon, tantöt d'une autre. II drelTa fi bien deux gros chiens, «Sc un bon cheval, non feulement a voir , mais encore a combattre ce monftre, qu'on ne ne pouvoit plus les arrêter, lors qu'ils la voïoient paroitre. II continua ce manége pendant quelque tems, «Se repartit pour Rhodes, lors qu'il fe crut en état d'exécuter fon deffein. Quelques jours après fon arrivée, il envoïadès le grand matin, &fort fécrettement, un de fes domeftiques, avec partiede fes armes, & fes chiens en laiife a 1'Eglife de St. Etienne, quife trouve fituée fur une éminence, pres óeMaupas, &s'y rendit lui même a clieval, peu de tems après, avec fon autre Domeftique, qui portoitle refte de fes armes fous fon manteau, afin que perfonne ne put pénétrer fon deflein. Arrivé a cette Eglife, il fit fa prière, fe recommanda aDieu, «Sc s'arma de toutes piéces; ordonnanta fes domeftiques de fe tenir fur une hauteur voifine, d oü ils pouvoient découvrir 1'antre du dragon, & filfue de fon combat. 11 monta a cheval, & la lance en arrêt, conduifant lui même fes chiens, il defcendit hardiment dans la vallée; mais, comme le Dragon ne paroilfoit point aflez tot, 1'impatience, qu'il avoit, de le combattre, fit qu'il s'avanca dans 1'entrée de la caverne, pour le provoquer k en fortir. Le Chevalier ne tarda pas a entendre fes horribles fifflemens, qui lui indiquèrent fa fortie. Alors il fe retira, pour 1'attendre en lieu plus avantageux. Le monftre parut presqu'auflitot, avec fa grande gueule béante, «Sc enflammée, les yeux étincelans, battant des ailes, «Sc s'avancant en cette pofture, pour le dévorer. Le brave Gozon, fans s'étonnerde fa férocité, capable d'épouvanter les plus intrépides , baiffa fa lance , lacha fes Nnn nn chiens,  $34 HISTOIRE GE'NE'RALE Combat du, Chevalier de Uozon. chiens, pouffa fon cheval, & lui porta un grand coup de lance a fépaule; mais il rencontraune écaille fi forte, que fa lance fe brifa en plufieurs morceaux, fans avoir leulement bleue le Dragon; de forte que, fans le fecours de fes chiens, dont 1'un faifit ce monftre aux tefticules, arrêta fa fureur, & donna lc tems a fon Maitre de defcendre de cheval, tout courageux, fort, & intrépide qu'il étoit , il n'auroit pu réfifter un moment a la férocité de eet animal, lequel, redoublant fa fureur, par la douleur, qu'il reffentoit de la morfure du chien, fe drefla fur fes pattes, & lui mit une de fes griffes fur 1'écu, pendant qu'avec 1'autre il s'efforcoit de lui déchirer la poitrine, qui ne fut garantie, que par la bonté de fon corfelet. Enfin, après avoir été quelques momens aux prifes de cette manière , fans perdre courage , ce vaillant Chevalier prit fi bien fon tems, qu'il lui enfonca fon épée fous la gueule, oü il rencontra la peau aflez tendre pour la poufler fi avant, qu'il lui coupa le gofier. Cependant la grande bleflure, qu'il lui avoit faite, non plus que la prodigieufe quantité de fang qui en fortit, n'empêcha pas le dragon de faire encore un effort, même fi furieux, qu'il le renverfa fous lui; &, quoique ce monftre mourüt d'abord, la fatigue du combat, la pefanteur de cette béte énorme, & la puanteur de fon haleine, 1'avoient tellement fuffoqué , qu'il lui auroit été impoflible de fe relever, fans fafliftance de fes valets. Suivant les ordres, qu'il leur avoit prefcrits, de s'énfuir, s'ils le voïoient fuccomber, ou de venir promtement a fon fecours, s'il étoit victorieux, ils arrivèrent aflez a tems pour le dégager. Ils lui défirent promtement fes armes, & le firent revenir, avec de 1'eau fraiche de 1'évanouïflèment oü il étoit tombé. Quoique les violens efforts, qu'il venoit de faire dans une aélion auffi extraordinaire, & fon affoibliflement euflènt demandé un f meilleur confortatifque celui d'un peu d'eau fraiche, fon grand coeur ne lui permit pas de s en retourner, fans bien examiner l'ef-  de CHYPRE. Liv. XVIII. Cu. I. 83? reffroïable monftre, quilvenoit deterraffer. Ilremarqua, avec étonnement, ce qu'il n'avoit pu bien reconnoitre, lors qu'il 1'avoit vu de loin, & qu'il avoit formé le deffein de le combattre, II le trouva aufli gros qu'un cheval de moïenne taille, la tê- ; te de ferpent, «Se les oreilles aufli grandes que celles d'un mu- { let, la gueule effroïable armée de dents très-grofles, & trèspointues, les yeux, qui lui étoient demeurés ouverts, fortenfoncés, «Sc très-affreux, les jambes a peu prés d'un crocodile, avec des griffes qui auroient déchiré un buffle. II avoit fur le dos des ailes d'un dragon, couvertes, comme tout le refte du corps, d'une grofle écaille qu'aucun ferrement n'auroit pu pénétrer, le dos couleur blcuatre, le ventre rouge mouchetté de jaune , & la queue entortillée comme celle d'un lion. Cependant, malgré 1'héroïque a&ion, que eet incomparable Chevalier venoit de faire, en délivrant 1'lle d'un monftre, qui avoit déja fait tant de mal, & qui en auroit encore caufé davantage, au lieu d'en recevoir des applaudiflemens, comme il s'y attendoit, le Grand-Maitre le reprit fort aigrement de fa témérité, & de fa desobéïffance, le fit mettre en prifon, & aflembla le Confeil, danslequel, felon la teneur de 1'Ordonnance, il fut privé de 1'Habit. Rigueur, qui fut même exécutée fans remiflion. II eft vrai, que, peu de jours après cette punitionmortifiante, le Grand-Maitrc le lui rendit; «Sc,enconfideration de fes grands mérites, il le remit dans fon ancienneté, «Sc dans tous les biens, «Sc honneurs, dont il jouïfloit auparavant, Nnn nn 2 ftgure £? noffeur i'Jk nonftrc.  836- HISTOIRE GE'NE'RALE Article /. 1357Nouviauxtrtubles tn Euiope. Chapitre II. Le Roi de Chypre cependant, après avoir rendu les derniers devoirs a Reine fonEpoufe, dont la perte lui fut d'autant plus fenfible , qu'ils avoient toujours vécu dans une parfaite union, «Sc qu'outre la grande vertu, & le mérite de cette Princefle , elle avoit toujours maintenu fes Enfans dans une amitié vraiment fraternelle, remit le Gouvernement du Roïaume au Comte de Tripoli, fon Fils ainé, rits en Chypre, caitfèes par ie Légat 1 in Pape. , I ;3S HISTOIRE GE'NE'RALE üfler en ötage les Ducs ÜAnjou , «Se de Bourges, fes Enfans, .vee les Ducs oVJlenpon, «Se de Bourgogne, jufqu'a ce qu'il eut >ayé trois miliions d'or , auxquds ils s'étoit engagé pour la ancon; ce qui lui ötoit les moïens de f exécuter, malgré f intérêt, [u'il avoit de purger fon Roïaume d'une quantité prodi;ieufe de vagabonds, & de gens fans aveu, qui rempliifoient ous fes Etats des désordres les plus abominables. C'elt auffi 5 motif, pour lequel quelques Hilloriens lui attribuent eet ngagement. 11 n'eft pas moins vrai, que toute la France fe mit en mouvement pour cette expédition, & que, malgré les fortes folli:itations du Pontife , aucun autre Prince n'y voulut prendre jart. Le Roi Jean, d'ailleurs, n'avoit aucune Flotte, pour jmbarquer fon Armée. II lui falloit nécelfairement recourir lux Vénitiens, aux Florentins, ou aux Génois, qui malheueufement avoient tous les armes a la main les uns contre les mtres; de forte que la Croifade, dont le St. F ére, & le Roi le Chypre avoient concu tant d'efpérance, s'évanouït entièrenent, fans qu'ÜRBAiN V. Abbé de St. Ficlor les Marfeille, qui ui fuccéda, «Sc qui fit tous fes elforts, pour la renouër, put ;n venir a bout. Pendant que les Pontifes, & le Roi Hugues, faifoient :out leur poffible pour faire réüfiir cette expédition, le Prince Pierre , fon Fils, qui gouvernoit en Chypre, fe trouvoit bien ïmbarralfé a appaifer un tumulte, qui n'étoit guère moins dan^ereux pour cette Ile, que le voifinagedes Turcs, «Sc des Sarrafins. Pierre Thomas , Religieux Carmelitain , «Sc Légat; f\poftolique dans la Thrace, après avoir dignement rempli direrfes Légations, «Sc principalement celle de Confiantinople, ivoit enfuite palfé en Chypre. II y voulut obliger le Clergé Grec a fe foumettre entièrement au St. Siège, & entreprit de lifpofer de quelques-uns de leurs bénéfices, en faveur des LatmSf ce qui fouleva tellement les Grecs, que, fans la précau- tion  13e CHYPRE. Liv. XVin. Ch.II. 839 tion qu'il prit de fe retirer promtement dans 1'Eglife de Ste. Sophie , & d'en faire fermer les portes, ils 1'auroient lapidé. Le Prince Pierre y accourut d'abord, & eut beaucoup de peine a les appaifer. II n'ofa pourtant pas en venir a aucune punition, nonobflant les plaintes de ce Prélat, qui prétendoit, qu'on avoit violé le droit des Gens, & malgré le défir qu'auroit eu ce Prince de le fatisfaire. II reconnoiflot bien , que la fureur de ce Peuple étoit arrivée a un tel point, qu'ils auroient été capables d'en venir a quelque tumulte fcrmel, & de mettre tout le pays en désordre. Quelques Ecrivains prétendentque Ia nouvelle de la mort du Roi Hugues, qui fe trouvoitencore a Rome, aïantété portee alors en Chypre, ce Légat fit la cérémonie du couronnement du Prince Pierre , & de la Princefle d'Arragon, fonEpoufe; & que ce Prince paffa enfuite en Italië, en compagnie de ce Prélat , tant pour faire, au feu Roi fon Père, des funerailles convenables a fon rang, que pour continuër fes follicitations auprès du Pape, & des autres Puiffances, en faveur de la Croifade. Loredan, au contraire, aflure, que Hugues mourut en Chypre dans fa foixante quatrième année, après avoir renoncé a la Couronne en faveur de fon Fils; Qu'il fut inhumé fort fimplement dans 1'Eglife des Bominiquains de Nicofie, comme il 1'avoit ordonné; Et que ce fut fur la renommée de Ion amour pour les belles Lettres, que Bocace lui dédia fon Livre de la Généalogie des Dieux: Mais, comme eet Auteur n'eft pas fort exact dans fon Hifioire des Rois Luzignans ; Qu'il attribue au Roi Pierre divers faits, qui font du Roi fon Père, principalement celui d'avoir été Sénateur Romain, ce qui eft entièrement oppofé au fentiment des autres , qui conviennent tous que ce fut Innocent VI. qui pria le Roi Hugues, étant a Avignon, d'accepter cette Charge; que de plus, lorsque Pierre alla en Europe, ce Pontife étoit mort, & qu'üreain V. occupoit la Chaire de St. Pierre \ quoique le P. Luzi- Mort de Hugues, Roi de Chypre.  S4-o HISTOIRE G E' N E' R A L E Le Rn Pierre paffe a avignori,pour confutter le St Pérc fur les tnoïens de Jecourir la TerreSaintc. 7364. Luzignan convienne également, que le tombeau de ce Prince étoit dans le Cloitre des Jacobins, il fe peut quon y ait fait tranfporter fon corps ó? Italië, ainfi qu'il arrivé presque toujours, lorsque les Princes meurent hors de leurs Etats; & je fuis du fentiment de ceux qui difent, qu'il mourut a Rome. Le Roi Pierre, aïant apris la mort de fon Père, partit de Chypre, en compagnie du Légat, & aborda en Italië, au commencement de 1'Eté. Après avoir rendu a ce Prince les honneurs, qu'il lui devoit, il pafla a Avignon, pour confulter avec Sa Sainteté fur les moïens d'engager quelque expédition en faveur de la Terre-Sainte. Le Pape lui donna des Lettres pour la plupart des Souverains de VEurope, &le fit accompagner dans leurs Cours par un Légat, pendant qu'il follicitoit lui même le Roi de France a prefier 1'armement, qu'il avoit commencé a ce fujet. Mais tous les voïages, que fit Pierre en Angleterre, en Danemarc, en Pologne, & chez divers autres Princes ó'Allemagne, nen purent obliger aucun a prendre les armes. Tout ce qu'il put en obtenir fut quelques fommes d'argent, qu'il emploïa a la levée de quelques Troupes. II repaffa enfuite en France, oü le Roi Jean avoit aflemblé une Armée aflez raifonnable de ces Soldats réformés, & vagabonds, qui s'étoient addonnés a la maraude. II faifoit même travailler a fes équipages, pour paffer, difoit-il, avec le Roi de Chypre, en Falejline ; mais, comme ce dernier avoit un preflentiment fécret du peu de fuccès de ces préparatifs, il s'efforca de prelfer ce Monarque, autant que la bienféance le lui permettoit, a hater fon depart. Soit que Jean voulüt, avant que quitter de fes Etats, retirer les ötages qu'il avoit lailfés enJngleterre,&faire voir auRoiEoouARD, qu'il n'avoit aucune part a la fuite du Duc d'Anjou, fon Fils; foit que, felon quelques-uns, il voulüt y vifiter une Dame, pour laquelle il avoit conQu beaucoup de paffion, pendant fa prifon, il pafla a Londres, oü il tomba malade, & mourut quelque tems  de CHYPRE. Lir. XVil. Ch.IL 84.1 tems après , dans Ie tems même qu'il travailloit a difpofer douard a fe joindre a lui pour le voïage de la T?rre-Sainte. Dès que le Roi Pierre apprit la mort du Roi de France, reconnut que fes preffentimens n'avoient été que trop juftes , qu'on ne feroit en France aucune expédition pour la Palefth En effet j le Pontife, &lui, follicitèrent inutilement Ciiarl le Sage,fon Succeffeur. II s'excufa de ne pouvoir,a fon av nement , quitter fes propres Etats, pour accomplir le dc fein du feu Roi fon Père. II fit cependant compter une grc fe fomme d'argent au Roi de Chypre, afin de le mettre en ét; ■ d'agir, par lui même, contre les Infidèles ; Et, pour lui ma: quer 1'eftime particulière, qu'il faifoit de fa Perfonne, il ac compagna ;ce don de divers riches préfens. II lui confeilla en même tems, de s'attacher plutot a folliciter 1'Empereur, qi fe trouvoit alors en Italië, a la tête d'une puiffante Armée, Les richeflls, qu'ils emportèrent en or, en argent, «Sc en mar- Qn chandifes précieufes , étoient ineftimables. Le commerce de g cette Ville étoit, depuis plufieurs ficcles, le plus conliderable ,„< de toute la Méditerranée. Ccftpourquoi le Soudan, quiy ar- m riva peu de jours après fon départ, en reffentit fi vivement la ruine, qtfil jura folemnellement d'en tirer unecruelle vangeanCe H commenca par facrifier a fa colère plus de deux eens efctevzs Cbrêtiens, qui le fervoient, «Sc ne celfa, pendant trois iours, de déplorer la défolation d'une Ville, qui lui étoit fi chère- «Sc, pendant qu'il faifoit travailler toute Ion Armée a fa réparation, ils'occupoit, avec toute 1'ardeur imaginable, klever de nouvelles Troupes , a faire conftruire des Batimens , «Sc a amalTer les provifions néceffaires , pour aller attaquer les Cbrêtiens , «Sc leur faire éprouver fon vif relfentiment» Ses préparatifs étoient fi formidables, que leRoi de Cbypre, t & le Grand-Maitre de Rhodes, également allarmés, en ïnformèrent le Pape, «Sc lui firent eomprendre, que, fi le Soudan les attaquoitavec de fi grandes Forces, i) leur feroit impoflible de luiréfifter. Ceft pourquoi, ils fuplièrent Sa Sainteté devouloir promtement difpofer quelques Princes araffembler de puilfans fecours en-kur faveur. Marqué évidente, que, malgré leur bravoure, ils ignoroiententièrement les véritables régies de la guerre, puisque, fi, après s'etrerendus.maitres dAlexandrie,ilseulfent employé leur courage, & leurs Troupes, a s'y bien fortifier, «Sc a s'y maintenir, comme ils auroient pu le faire, avec d'autant plus de facilité, que cette Ville eft également a la portée de Chypre, «Sc de Rhodes, que des autres lies de VArchipel, qui étoient occupées par les Cbrêtiens; «Sc qu'elle en pouvoit recevoir facilement tous les fecours qui,leur auroient été néceffaires, üs n'auroient pas eu befoin de xecourir au Pape ,, dont 1'aiMance ne pouvoit être que tardive, «Sc même fort incertaine. Ooo oo 3 MaK ne peié mer lts leffes, ils en iportent* irtideJK- Fcmte coti, Pdèrahle desLiguur,  Réfiexi iel Au Article, Chypre attaqués par les Turcs. 846* HISTOIRE GE'NE'RALE m Mais il femble, que «fa toujours été la deftinée des plug •grands Princes, & des plus fameux Capitaines Cbrêtiens, de ne jamais favoir faire un bon ufage de leurs progrès en Egypteni de favoir conferver les conquêtes, qu'ils faifoient dans ce beau Roïaume , au commencement de leurs expéditions Témoin celles d'Almer 1 c, Roi de Jèrujalem, de St. Louis, & du Roi Jean de Brienne, qui s'étoient emparés de Damiette, Sc qui avoient mème pouffé leurs conquêtes beaucoup plus loin. CHAPITRE IV. : T e Soudan ne fut pas le feul ennemi, que le faccagement J-/ dAlexandrie attira au Roi de Chypre, ni le feul, qui fit alors des préparatifs contre lui. Les Seigneurs de Sata/ie, de Scandalore, & quelques autres petits Souverains Turcs, qui depuisla mort du grand Aladin, Soudan d'lconium, poffédoient des Etats dans la Ciltcie , & dans la Caramanie, allarmés de fon entreprife fur YEgypte, & craignant également pour eux memes, firent une ligue, & armèrent plufieurs Bemens, dans la réfolution de le prévenir. Ils fe préfentèrent fur les cötes Méridionales de file, pour y faire defcente; mais, par bonheur, ils les trouvèrent toutes fi bien gardées, qu'il leur fut impoflible d'exécuter leur mauvaife yolonté; de forte que leur entreprife ne fervit, qu'k leur caufer de la perte, & de fembarras, en leur attirantun ennemi, qui ne penfoit aucunement k les inquiéter, mais qui ne tarda pas k leur faire fentir, qu'on ne le cherchoit pas longtems, fans le trouver. Le Roi Pierre aïant encore fes Galères armées, & ne  de CHYPRE. Liy.XVII. Ch. IV. 84.7 ne manquant que de quelques équipages, pour remplacer ceux qu'il avoit perdus dans 1'expédition &Jlexandrie, retint a fon fervice les Galères Génoi/es. II engagea plufieurs mariniers de cetteNation, parmi lesquels il s'en trouva deux, qui penfèrent caufer une guerre ouverte entre lui, & leur République ; car, foit que ces brigands fe répentiffent de s'être engagés, ou qu'ils fuffent naturellement fripons , après avoir recu leur engagement , ils défertèrent, & cherchèrent même a feduire leurs Camarades, qui avoient également pris parti au fervice du Roi. Leur manége fut découvert; & ces deux libertins furent arrêtés, & conduits au Gouverneur de Famagoujle, qui, connoiffant le befoin que le Roi avoit du monde, & craignant qu'en faifant grace a ces deux déferteurs, les autres ne fuiviffent leur exemple,voulut abfolument les punir,en leur faifant couper le bout du nez, & des oreilles;. mais ce chatiment ne fut pas capable de les faire de venir plus fages, ni moins audacieux: au contraire, il les anima fi fort contre les Chypriots, qu'aïant trouvé le moïen de paffer fur une des Galères de leur Nation, qui étoit a la folde du Roi, ils exagérèrent le mauvais traitement, qu'ils avoient recu, & firent révolter tout 1'équipage, qui affomma de coups quelques Chypriots, qui y étoient embarqués, auxquels ils eurent même la cruauté d'arracher les yeux.. Ils firent plus. lis levèrent fécrettement les ancres a 1'entrée de la nuit, & s'enfuirent avec toutes les munitions, dont la Galère étoit chargée.' Ils emportèrent également le fret du voïage, que le Roi leur avoit fait payer d'avance; • & leur Ca~ pitaine, qui, felon les apparences, confentit a toutes ces violences, ne fut pas plutót arrivé a Gènes, qu'aulieu de faire des plaintes contre fon équipage, il en impofa au Magiftrat, en avancant, que les mauvais traitemens, qu'il avoit re9us du Roi de Chypre1'avoient obligé de quitter brusquement fon fervice; de forte que, pendant que eet impofleur aigriffoit fa Ré- publi. Hoflüités entre les Génois, -priots.  848 HISTOIRE G E' N E' R A L E L'entrem Je du Pal tppaife tout. Article L Le Roi prend la Fille de Satalie. publique contre ce Prince, il fit, de fon cöté, faifir tous les eifets des Marchands Génois, qui fe trouvoient dans fes Etats; ce qui anima tellement cette Nation orgueilleufe, que, fans chercher a s'éclaircir du fujet, dont il s'agifToit, elle fe difpofa a ' en tirer raifon, par la voie des armes. Ces brouilleries auroient eu de très-facheufes fuites, fi le Pape, qui en fut informé, n'eüt agi fiefficaccment auprts des uns & des autres, t qu'il appaifa enfin cette dangereufe querelle. La défertion de cette Galere ne retarda cependant 1'expédition du Roi, qu'autant de tems qu'il en falut pour la remplacer. 11 attaqua la Ville de Satalie. Le Seigneur Ture, nomméTACCA, qui la pofledoit, n'avoit pas eu grand foin de munir cette Place, pendant qu'il cherchoit a attaquer fes voifins; &, quoi qu'elle fut très-forte, très-riche, & très-peuplée, comme il n'y avoit point de gens de guerre, & que fes habitans, tous gens de commerce, n'étoient point faits au maniment des armes, ils furent fi étonnés a la feule apparence de la Flotte ennemie, qu'ils ne firent presque aucune réfiftance. Le Roi s'en empara, fans perdre un feulhomme; mais, comme il prévoïoit qu'il ne pourroit la garder longtems, fans fe beaucoup incommoder, il la rendit, peu de tems après, a fon propriétaire, qui s'engagea a lui payer un tribut annuel, beaucoup plus convenable a ce Prince, que de dégarnir les Places de fon Roïaume pour la conferver. II eft vrai, que Loredan en fait une hifioire toute différente des autres Auteurs. II dit, que leRoi Pierre garda longtems Satalie, dont il donna le gouvernement au Baron Jaques Denores, avec une garnifon de deux eens Chevaux, 6c cinq eens Fantaflins, & qu'il y entretenoit trois Galères: Ilajoute, qu'il y arriva divers incidens fdcheux, pendant qu'elle fut fous la domination des Rois de Chypre ; Que Pierre Cavalli, 1'un des Officiers, révolta la garnifon, faute de paie ; Qu'il étoit fur le point déiivrer la Place aux Turcs, lors que le Roi, qui en avoit  5Ë CHYPRE. Lir.Xm Ga IV; avoit étéaverti, y arriva avec vingt-huit Galères, «Scfit pendre aux crénaux des murailles eet Officier, avec tous lesmutins; Que la févérité du Baron Denores aïant enfuite donné lieu a nne femblable révolte, le Roi le rappella, «Sc envoïa a fa place fAmiral Jean de Sur ;, «Sc que, malgré les différentes tentatives, qu'avoit faites Tacca, pour furprendre cette Place, elle demeura au pouvoir des Rois de Chypre, jusques a 1'année 1372. que le Roi Pierrin, qui entra alors en guerre avec les Génois, la céda au même Tacca , au quel les Barons Mistachel , «Sc Pisabogtje la confignèrent, par ordre de ce Prince ; mais qu'aïant eu fimprudence de préférer une petite Frégatte aux Galères du Roi, pour leur retour en Chypre, ilstombèrent au pouvoir des Génois, qui les firent mettre a la chaine. Cependant, comme il y a apparence que eet Auteur a écrit fur de mauvais mémoires, ou qu'il amanqué d'exaclitude, on ne doit pas s'étonner, fi, après avoir bien examiné tous les autres, qui parient des affaires de Chypre, «Sc même de celles des Turcs, je fuis obligé de le refuter fi fouvent. Après 1'expédition de Satalie, qui ne fut pas de longue durée, «Sc que le Roi eut impofé des conditions avantageufes aux autres petits Souverains de la Caramanie, il fut rejoint par les Galères de Rhodes, «Sc par plufieurs autres Batimens, que le Grand-Maitre avoit fait armer, malgré la perte de plus de cent Chevaliers «Sc de beaucoup de Soldats, qui avoient péri dans 1'expédition d''Alexandrie. Ce Prince remit en mer; «Sc, fans fe mettre en peine, non plus que les Chevaliers, d'augmenter la fureur & findignation du Soudan, «Sc des Sarrafins, ils allèrent fondre fur la Ville de Tripoli de Syrië, dont ils s'emparèrent, avec beaucoup moins de peine, qu'ils n'en avoient eu & Alexandrie. Les Habitans 1'abandonnèrent d'abord, faute d'un chef, capable de les conduire. Les uns fe fauvèrent aux montagnes du Liban, & les autres fe cachèrent dans diverfes mafures des environs de la Place. Ppp pp Ceux- Lorcdan refutépar V Auteur. Article/TT. Prife de Tripoli de Syne,parle Roi Pierre.  S^o HISTOIRE GE'NE'RALE Impruientes des Chxétiens. Ils s'amufent au pillage, &au brigandage. Ceux-ci attcntifs aux mouvemens des Cbrêtiens, reconnurent bientöt, que 1'abondance de vin, «Scde bonnes provifions, qu'ils y avoient trouvées, jointe a 1'aflurance, oü ils fe croioïent, leur avoit fait entièrement oublier, qu'ils étoient en pays ennemi. Ils s'étoient même difoerfés adroit«Sc k gauche,fans aucun ordre, ni précaution. Les Ennemis prirent courage , fortirent hardiment de leurs tanières, & les aflaillirent fi brufquemcnt, qu'ils en tuèrent grand nombre , & en firent plufieurs prifonniers, avant que leur furprife parvint aux oreilles du Roi $ qui étoit dans la Ville, & qui fit promtement fortir un détachement des meilleurs Soldats, fans lesquels les Sarrafins auroient entièrement défait tous ceux qui étoient débandés dans les campagnes. Cet accident aïant rendu les gens de 1'Armée plus circonspects, ils ne fongèrent plus, qu'a embarquer ce qu'ils avoient crouvé de meilleur, & de plus précieux, dans la Ville. Le Roi voulut même en emporter, comme un trophée de fes exploits, les portes, qui étoient d'un travail très-fingulier. II en fit démolir les murailles, & mettre le feu aux maifons. II tint enfuite confeil avec les Chevaliers. On y réfolut d'aller faire un femblable traitement a la Ville üJntarde, ou Tortofe. Ils f exécutèrent, avec la même facilité. Le Roi en fit également emporter les portes de bronze du Chateau, fur lesquelles étoient repréfentées, en bas-relief, plufieurs hiftoires de 1'antiquité. Enfin , chargés des riches dépouilles de ces deux Villes, «Sc de quelques autres lieux moins importans, qu'ils avoient aufii ravagés fur les cötes de la Pbénicie, ils s'en retournèrent triomphans,, comme s'ils avoient fait de grandes conquêtes, au lieu que leurs expéditions étoient plutöt des brigandages, indignes d'un auffi grand Prince, que 1'étoit le Roi Pierre, & des perfonnes qui gouvernoient la Religion de Rhodes, d'autant plus que les uns , ni les autres, ne penfèrent pas feulement a s'affermir dans les lieux, dont ils fe rendirent maitres, oü ils auroient trouvé toutes  J5t CHYPRE. Er?.XVII. Ch.IV. 8ji tes les commodités défirables, & qui d'ailleurs leur auroient été d'un avantage infini, tant pour s'oppoferaux entreprifesduSoodan, que pour fe maintenir a portée de lui enlever le Roïaume de Jérufakm, pour le recouvrement duquel ils faifoient tant de projets, & fe donnoient tant de mouvemens, afin d'y engager le Pape, «Sc les autres Princes d'Europe. Auffi, le Roi Pierre, & les Chevalies de Rhodes, en négligeant les avantages, qu'ils auroient pu retirer de leurs Vidoires, retombèrent bientöt dans la crainte, & dans les allarmes, dont ils avoient été agités auparavant. Car, quelques confidérables que fuffent les butins, qu'ils avoient faits, ils n'étoient pas capables de leur fournir les moïens d'entretenir leurs Flottes, & leurs Troupes, une feule campagne; «Sc, quelques fortes, & preffantes que fuffent les frequentes Lettres, que le Pape écrivit, après 1'affaire &Alexandrie , a 1'Empereur Charles IV. a Charles le Sage, Roi de France ; k Louis, Roi d'Hongrie; a Edouard, Roi d'Angleterre; aÜAyiD, Roid''Ecojfe; aPierre, Roi d'Arragon; a Alde'mar, Roi de Danemarc ; a Casimir , Roi de Pologne ; & Jeanne , Reine de Naples ; Ji Albert , & Othon, Ducs d'Autricbe; & a Marc Cornaro, Doge de Vénife; elles n'avoient fait aucun effet fur 1'efprit de ces Princes, malgré les touchantes expreffions dont, le St. Père s'étoit fervi pour les émouvoir en faveur de la Religion, en accordant même a tous ceux qui donneroient du fecours au Roi de Chypre, «Sc aux Chevaliers de Rhodes, les mêmes indulgences que les Pontifes, fes Prédéce£ feurs, avoient concédées a tous ceux qui étoient allés en per> fonne a la guerre Sainte. Marqué évidente, que les Princes, & les Peuples commencoient a la regarder avec indifférence! C'eft pourquoi, le Grand-Maïtre, «Sc le Confeil de Rhodes, fommèrent tous les Chevaliers, qui fe trouvoient en Europe, k fe rendre inceffamment au Couvent. Ils firent acheter des Chevaux dans le Roïaume de Naples, des Cuiraffes, des corfelets, Ppp pp i dei Allarmet du Roi du Chypre,6f du GrandMaitre de Rhodes. llsne font pointfeeoMf rus par les Princes Chrêtienf d'Occi- dent,  $?2 HISTOIRE GE'NE'RALE Articlc /. Le Roi Pierre s'emb»rque: avec le Prince Pierrin, fon Fils, pour l'Eaxope. •des cafques, & des balles d'arbalêtre a Pavie, & quantité de provilions dans les autres lieux, pour bien munir leur Ile. Tous leurs Receveurs en Europe recurent ordre de leur envoïer ponctuellement leurs revenus annuels, & tous les arrérages, qu'ils devoient au tréfor, afin d'avoir le moïen de fournir aux dépenfes, qu'ils étoient obligés de faire, tant pour le maintien de Rhodes, que pour toutes les autres Hes de leur dépendance, & pour leur quote part de 1'entretien de la garnifon de Smirne. Pierre Rachanelli , qui en étoit Gouverneur, faifoit des plaintes continuelles, qu'il manquoit d'argent, non feulement pour payer la Solde des Officiers, & des Soldats, mais encore pour acheter les provifions néceffaires pour leur fubfiflance. Chapitre V. Le Roi de Chypre, defoncöté, après avoir congédié IesBatimens étrangers, qu'il avoit a fa folde, & fait désarmer une partie des flens, dont 1'entretien ne lui étoit pas moins a charge, remit, comme il avoit déja fait, le gouvernement du Roïaume au Prince de Gali/ée, fon Frère, dont il étoit très-fatisfait. Ilrecommanda a la Cour fupérieure de 1'aififter de fes confeils, & de 1'aider dans toutes les affaires, qui pourroient furvenir pendant fon abfence; Après quoi, le Roi fe rembarqua, & partit avec trois de fes Galères. II étoit accompagné du Prince Pierrin, fon Fils unique 5 auquel il étoit bien aife de faire voir I-s Cours de YEurope. Ils fe rendirent d'abord auprès du Pape, qui étoit alors en Italië. Le Roi lui repréfenta, ,, que le „ bonheur, qu'il avoit eu dans fes expéditions contre les Infidèles, „ ne ferviroient, qu'a accélérer la perte de fes Etats, 6c la rui3s ne de fes Sujets, fi Sa Saintetè, & les autres Princes Chré- as tiens  »£ CHYPRE. Liv. XVII. Ch. V. 853 tiens, ne lui donnoient quelque puiffant fecours qui le mi „ en état de repoufler leurs entreprifes. Cependant, malgré la grande inclination, qu'avoit lePonti fe dalfurer le Roïaume de Chypre, & tous les pays, qui res toient aux Cbrêtiens d1Grient, nonobftant 1'eftime particuliè re qu'il faifoit de ce Prince, & du courage , avec lequel i avoit mortifié les Turcs, & les Sarrafins, & quelque afüiclior qu'il reflenrit des progrès, que les Barbares faifoient dans VJr mènie, dont ils avoient prefque dépouillé le Souverain, & enfin malgré fes follicitations, tant auprès de 1'Empereur, qui avoit fait un voïage en Italië, quauprès des autres Puiffances Chrétiennes, le fecond voïage du Roi Pierre fut encore moins heureux, que le prémier, & beaucoup plus funefte pour lui & pour toute fa familie, puifqu'il fut caufe de la mort tragiquede ce Prince. Car aïant reconnu dans les converfations, eut avec le Pape, qu'il tenteroit envain de retourner vers les Rois de France, & &Angleterre,i\ prit congé du St.Tère, pour aller vifiter Barnabo Visconti, Duc de Milan, avec lequel il avoit contraclé une étroite amitié quelques années auparavant, qu'il avoit été emploïé, felon Philippe Mazzeri , a 1'acommodement des conteftations,qui étoient furvenuesentre le Pape,& ce Duc, touchant la Ville de Bologne. Cet Auteur affure même, que le Roi Pierre y contribua beaucoup a 1'établiffement de 1'üniverfité; & que les Dotteurs des Collége 1'ont toujours reconnu pour leur principal Inftituteur. Pendant fon féjour a Milan, & qu'il traitoit du mariage du Prince Pierrin, fon Fils, avec Valentine , Fille du Duc Visconti, le Prince de Galilée, fon Frère, étoit entré dans une ligue, qu'avoient fait les Vénitiens & les Génois après leur racommodement,avec la Religion de Rhodes, contre les Infidèles. Cependant, comme les expéditions d'Jlexandrie, & de Tripoli avoient épuifé les financcs du Roi de Chypre , & que le Prince P pp pp 3 ^e ts ■ I3<58j l t Inutilité de fon votage aRome. Article//. Son voiag$ è MilaE.  Dêrangeméntde la Reine de Chypre pendant, l'abfence du Roi fon Epoux. HISTOIRE G E' N E' R A L E de Galilée manquoit des moïens pour fubvenir aux dépenfes de eet armement, il s'avifa de faire publier un Edit, qui accordoit la liberté aux Perperiens, qui étoient comme des efclaves, moïenant la fomme de deux eens bezans d'argent par tête; ce qui lui produifit de grolfes Sommes, par la quantité de cesPeuples qui s'affranchirent, & le mit en état de fournir aux befoins de la guerre, & aux dépenfes de la Maifon Roïale. Heureux pour leRoi fon Frère, & pour toute fa Maifon, s'il avoit également pu remédier aux défordres de la Reine Ele'ongr, laquelle oubliant ce.qu'elle devoit au Roi fon Epoux, & ce qu'elle fe devoit a elle même, fcandalifoit la Cour, & la Ville, par fes amours illicites avec Jean de Morfü, Comte de Rochas. Cette Princefle avoit même fi peu de ménagement dans fes intrigues, que lors qu'elle vouloit affirmer quelque chofe, elle juroit, en langue Efpagnok , par la vie de fon Comte ; &, au contraire, par unemodeftie affectée, elle étoit toujours la prémière a bl&mer les moindres foupcons de galanterie des autres Dames, & ne manquoit prefque jamais de les leur reprocher, lors qu'elle pouvoit en trouver 1'occafion. Elle traita même d'une manière fi rigoureufe & fi offenfante la Veuve du Baron Thomas de Montold?, que le Roi avoit aimée, & qu'il avoit laiffée enceinte, que non contente de l'avoir publiquement maltraitée de paroles, elle Ia fit enfermer dans le Monaftère deo L'affectation de Ia Dame d'lBELiN frappa quantité de Seigueurs, qui prenoient part a fa difgrace. Elle répondit a un Gentilhomme, qui fut aflez curieux, pour lui en demander le fujet, „ qu'elle ne baiflbit fa robe, que devant le Roi, paree „ qu'elle craignoit deblefler la modeftie du feulHomme, qu'el- le apercevoit, puis qu'elle confidéroit tous les autres comme „ des Femmes, qui entre elles n'y regardoient pas de fi prés. Ils comprirent d'abord, qu'elle les regardoit tous, comme des Hommes fans coeur; Ils s'entre-regardèrent avec étonnement, commencèrent dès-lors a murmurer contre ceTyran, «Scconclurent, qu'ils avoient trop long-tems fouffert fes fureurs,«Scfesinjuflices, pour n'en pas arrêter le cours. Ils raportèrent a leurs amis le reproche honteux, que cette Dame venoit de leur faire; «Sc s'y trouvant tous également intéreffés, ils pafierent bien-töt des murmures a une véritable conjuration. Afin de s'animer avec plus d'ardeur afa perte, ils fe rappellèrent, «Sc même exagérèrent toutes les injures, quil avoit faites a la Noblefle, depuis fon retour & Europe; frémiflant tous de rage, de ce qu'on n'entendoit plus parler que de ceps, de chaines, de prifons, de banniflemens, de confifcations, de fuplices honteux, de viols, «Sc de toutes autres fortes de violences, fans aucune formalité de jufiice. Les Conjurés firent plus. Sachant que les Frères du Roi n'étoient pas moins fatigués, qu'eux, de fa mauvaife humeur, «Sc mécontens du peu de part, qu'il leur donnoit dans les affaires, ils trouvèrent le moïen de les faire entrer dans leur reflentiment, «Sc de confentir a la vangeance, qu'ils vouloient tirer de tant d'outrages. Ils réfolurent, enfin, la mort du Roi; «Sc, quelque effort, que fit le Sénéchal pour les détourner d'un attentat fi criminel, «Scfi atroce, dont la feule penfée lui faifoit horreur, toutes fes exhortations furent inutiles. II efl vrai, que la grande déférence, qu'ils avoient tous pour lui, fit qu'ils affectèrent de fufpendre leur déteftable defTein. Ils confentirent même de Qqq qq 2 ft Cmfpirt' tion des AV bles. Ilsveulent mettre le Sénéchal k leur tête, £p conclu* ent la inert du Roi.  86o HISTOIRE GE'NE'RALE Ï37Ifertiele 11 fe joindre a lui, pour aller faire des rémontrances au Roi, Sc [q fuplier „de fe relTouvenir du Serment, qu'il avoit fait a fon „ avènement a la Couronne, qui étoit de ne rienchanger aux >, Jjfifes, ou Loix fondamentales da Roïaume, que tous fes„ Prédéceffeurs avoient obfervées fi religieufement, & que lul„ feul venoit d'enfraindre par la confifcation des fiefs, & par le. „ fuplice, ou-la condamnation de plufieurs Barons, qui (fe„ Ion les mêmesLoix) ne pouvoient êtrepfivés de leurs biens, „ exilés, ni emprifonnés, fans les procédures ordinaires de„ vaht le Grand-Confeil. • Ceft ce qu'ils exécutérent même avec beaucoup de refpect; mais leur foumilfion Sc leurs rémontrances ne firent qu'augmenter findignation du Roi, qui ne pouvoit revenir de la hai~ ne, qu'il avoit concue contre tous les Seigneurs, depuis le ju^ gement injufte, qu'iis avoient prononcé fur les accufations, qu'il avoit eu la foiblelfe de leur porter contre la Reine, «Sc contre le Comte de Rochas. II n'étoit plus capable d'écouter, ni la raifon, ni leurs plaintes. L'efprit de vangeance conduifoiir feul toutes fes paifions; Ceft pourquoi, défefpérant de pouvoir le ramener par la douceur, ils recommencèrent leurs alfemblées criminelles; «Sc, le Prince de Galilée a leur tête,ils allèrent un matin au point du jour, tous bien armés, «Sc bien ac* compagnés aux prifons , dans lefquelles étoient enfermés Jean Göraffo, Grand-Bailli du Roïaume , le Baron Caricn 'de Giblet, avec fon Fils, «Sc divers autres Nobles; Ils y entrèrent par force , après avoir obligé le Geolier a leur en ouvrir les portes. lis allèrent enfuite droit au Palais, dont ils forcèrent également les gardes, «Sc parvinrent enfin jusqu1 alaChambre du Roi. Madame Cive de-Scandalion, 1'une des plus belles, «Sc des prémières Dames de- la Cour, qui avoit pafTé la nuit avec lui, effrayée du bruit, qu'elle entendit, s'envelopa promtement dans un drap, «Sc entra dans la chambre voifine, oü elle fe ■  de CHYPRE.- Liv. XVII. Ca VI. $61 fe cacha dans une garderobe. Elle lailfa la potte ouverte; ce qui fit croire, qu'elle étoit de la conjuration, d'autant plus qu'elle étoit extremement aimée du Prince; celui-ci entra d'abord dans la chambre du Roi, qui s'habilloit a la hate, & qm, tranfporté de colère, cria au Prince de fortir; ce qu'il fit fur le champ, foit que la feule vue du Roi, ou le remord de fa confcience refirayat; Mais, k.peine fut-ü forti, que le Seigneur d'^r, Carion de-Giblet, & Jaques Gabrielli, y entrèrent. Le Roi, qui les avoit cruellement offenfés, jugea bien alors,qu'ils ne venoient ,-que pour lui öter la vie. Néanmoins, comme è étoit naturellement intrépide, il voulut prendre fon . épée, enleur criant; Traitresf.quefaites-mus? Ce fut-la tout ce qu'il put proférer,car ils le percèrent d'abord de trois coups de poignard, qu'ils eurent même la fureur de redoubler, quoique ce Prince infortuné fut, dès les. prémiers coups, tombé roide mort a leurs piés/ . , . , Le Baron Goraffo, encore plus mhumain, que les autres,&quin'auroit peut-être ofé en approcher, pendant qu'il vivoit, fut aflez barbare, & aflez perfide, pour lui féparer la tête du corps. . . . Onprétend,que lesFrères du Roi, &pnncipalement le Prince de Galilée, vouloient en faire autant au Prince Pierrin, unique héritler de la Couronne ;& qu'il n'en fut garanti que par l'adrefle de ia Reine fa Mère; ce qui ne paroit guère vraifemblable, puisque cette Princefle avoit quitté la Cour longtems auparavant, & ne pouvoit être fi-törinformée de ce qui sypaffoit*pour empêcher ce'mcurtre, fi les Conjurés avoient vouhi le commettre; & que, d'ailleurs, au défaut de eet Enfant, la Couronne appartenoit de droit au Prince. Jaqu.es s fon Oncle: lequel, bien loin d'avoir confpiré contre la vie du Röi, avoit fait humainement' tout ce qui avoit dépendu de lui , pour empêcher fes Frères d'y confentir. II auroit été immancablement dqq qq 3» fou- Mort du , Roi Piei-re*, qui eji poignardi. t ■ - ""; ,s l Le Peuple— prend ks f  armes, pour vanger la mort du Roi, Article/IT. j372. Pierrin, Fils du Roi, couronné a ' Nicofie. Kloge du Rui Pierre. < i 1 c i c é 'V c 862 HISTOIRE GE'NE'RALE foutenu dc tout le Peuple, qui, en effet, prit d'abord les armes , pour Vanger la mort de leur Souverain. Le Prince de Galilée eut foin de faire inhumer le corps du Roi, pendant la nuit, & fort fécrettement, dans letmibeau de leur Père; car il craignoit, avec raifon, que la vue de ce funefte, & terrible, fpeétacle n'augmentat 1'émotion populaire, & ne caufat quelque grand defordre, qui auroit pu retomberfurlui. II empêcha même, qu'un Religieux Dominiquain n'en fit 1'Oraifon funèbre, de peur que le recit des aélions dorieufes de ce grand Prince ne reveillat 1'amour, que fes Sujets avoient eu pour lui.' En effet, le Peuple, extrêmement irrité, qu'unPrince, qui [es avoit rendus plus riches, & plus opulens, qu'ils n'avoient amais été, & qui, par fes faits héroïques, s'étoit rendu plus ^lorieux qu'aucun de fes Prédéceffcurs, eut été poignardé d'une manière fi cruelle, & fi déteftable, dans fa propre chambre, fe feroit porté a quelque extrémité contre le Prince de Galilie, & contre fes autres affaffins, fans la précaution que celui-ci awit euede faire d'abord proclamer Roi le jeune Prince Pierrin, Sc même de le faire folemnellement couronner dans 1'Eglife Eathédrale de Nico/ie. Voila la déplorable fin du Roi Pierre, qui, par toutes fes iclions mémorables,méritoit,fans adulation,le titre de Grand, Vlnvincible, & de Magnanime. Car, outre les Vi&oires qu'il emporta contre les Infidèles, dont il étoit le fléau, il éteignit ss Séditions de Rome, fe rendit médiateur entre les Rois ÏEfpagne, «Sc d'Angleterre, & fe fit confidérer pendant fes voïa;es, par toutes les Puiffances Chrétiennes, n'aïant jamais rien ntrepris, que pour favantage de la Religion. Son entretien toit des plus agréables, fes manières des plus engageantes; «Sc imais Prince ne s'étoit diftingué avec plus dadrefle, «Sc de valeur, ans tous les excrcices militaires. II étoit infatigable , judiieux dans fes réfolutions, «Sc polfédoit enfin toutes les éminen- tes  de CHYPRE. Lry.XVII. Ch. VI. 863 tes qualités, qui peuvent former un grand Prince : Mais ces belles qualités dégénérèrent malheureufement en autant de vices, par les cuifans chagrins, que lui caulèrent les dérèglemens de la Reine, fon Epoufe ; & ces vices ternirent une gloire, qui auroit été immortelle. Comme le nouveau Souverain n'étoit point encore en age de gouverner par lui même, le Sénéchal, fon Oncle,fut déclaré Régent du Roïaume pendant fa minorité. L'affabilité, & la douceur naturelle du Régent le faifoient fort aimer, & chérir de tout le monde. II eft vrai, qu'il n'avoit guère que le Titre de Régent 3 car le Prince de Galilée , fon Frère, difpofoit entièrement du gouvernement, auquel il s'étoit accoutumé pendant les voïages du feu Roi, fon Frère, qui le lui avoit confié. Cependant, quoiqu'il eut favorifé la Reine, pour empêcher le divorce, que le Roi avoit intenté contre elle, il ne voulut jamais permettre, qu'elle prit connohTance, ni fe mélat dans les affaires de l'Etat,ni même qu'elle fut reconnue pour Tutrice du Roi: fon Fils, malgré les mouvemens qu'elle fe donna, les plaintes, & les inftances qu'elle en fit fouvent au grand Confeil; de forte que cette Princeffe, qui n'étoit pas fans partifans, indignée du mépris que fon Beau - Frère faifoit d'elie, commenca a chercher les moïens de parvenir elle même a la Régence , qu'elle prétendoit lui appartenir, de droit, en faifant agir le Peuple, qui n'étoit pas fatisfait du gouvernement , & par conféquent toujours difpofé k la révolte, pendant que la désunion des Princes du Sang caufoit le désordre, & la confufion dans le pays. AuJTi ce ne fut pas fans raifon, que Ste. Brigide, qui, en revenant de la Terre - Sainte, aborda a Famagoujle, pendant toutes ces émotions, & raffaffinat du Roi Pierre, reflêchuTant fur le feite de grandeur, oü ce Prince avoit porté fon Roïaume, & apercevant le commencement de fa décadence, prédit les malheurs, quidevoientlui arriver, après un par- ricide Prediïïian de Ste, Brigide.  8*4- HISTOIRE GE'NE'RAL E La Riintfe vangt, en failant naitre des irouilleries. ricide fi énorme, fi criminel devant Dieu, Sc fi eifroïable aux yeux de 1'Univers. Les avertiffemens, ni les prédications, ds cette vertueufe Dame ne furent pas capables d'arrêter la continuacion des désordres des Habitans du pays. lis fuivirent tous également leurs inclinations particulières , fans fe mettre beaucoup en peine du bien, ou du mal, qui pouvoit en arriver. La Reine, qui ne pouvoit digérer 1'affront, qu'elle avoit recu de ne pouvoir obtenir la tutelle de fon 'Fils, mettoit .tout en ufage, pour fe vanger de fes Beaux-Ereres, «Sc des .Grands de leur parti, fans que la tendreffe qu'elle devoit a ce jeune Prince, ni fes intéréts qui devoient lui être fi chers., puffent faire aucune impreffion fur fon efprit. Un accident, qui arriva a Famagoujle, lorsqu'il y alla pour prendre la Couronne de Jcrufalem, lui fournit f occalion d'exécuter fes projets ,vindiCatifs, File 1'embraffa avec tant de chaleur, qu'elle caufa enfin la perte de cette importante Place, «Scles malheurs irréparables, qui commencèrent la ruïne du Roïaume, «Sc faccomplifTement des prédiclions de Ste. Brigide. Toute la Cour, «Sc les Miniftres Etrangers, s'étoient rendus en cette Ville, pour afiifter a cette cérémonie. P.yganin Doria, Conful Génois, Jlomme ambitieux , «Sc violent, apuïé de la faveur de la Reine, «Sc fe flattant d'augmenter fa réputation, «Sc celle de fa République, s'il pouvoit précéder le -Conful Véniticn dans cette fonétion, fut aflez hardi pour prendre le pas fur M k i&éi e'r o , qui exercoit cette charge Le Magiftrat Vénitien, offenfé d'une nouveauté fi contraire a ce .qui s'étoit toujours pratiqué, non content de s'en plaindre au Prince de Gaïïlée, Sc au Sénéchal, dit a Doria quelques ^paroles vives, «Sc très-piquantes , auxquelles celui-ci répondit d'une manière encore plus infultante, fans que 1'un, ni 1'autre, de ces Confuls refpe&at la préfence du Roi., dont ils offen- - foient  de CHYPRE. Liv.XVÏÏ. Ch. VI. 8Ó£ foient également la Majefté. Ils s'emportèrent fi fort, qu'ils en feroient venus aux dernières extrémités, fi les Oncles du Roi ne les euflent arrêtés; car fachant, que les Génois n'avoient jamais difputé le pas aux Vénitiens, dans aucune des fonclions publiques , ils décidèrent en faveur de M a l i p i e'r o , & le placèrent a la droite du Roi, fans que leur règlement fut capable de retenir le Doria dans fon devoir: Cet elprit altier, & turbulent, voulant foütenir ce qu'il avoit entrepris, reprit hardiment le pas au fortir de 1'Eglife, oü la cérémonie du couronnement avoit été faite; ce qui fit recommencer leur querelle, avec encore plus d'emportement, & les porta enfin a un défi dans les formes. Le jeune Roi, fe fentant extrêmement offenfé de leur manque de reipecc, ordonna au Sénéchal de remédier promtement k ce desordre, ce qu'il fit en déplacant ces deux Confuls d'auprès du Roi, Sc faifant prendre leurs places aux deux Princes fes Frères, après les quels marchoient le Conful Vêniticn a droite, & le Génois a gauche, ainfi qu'il 1'avoit réglé. La même chofe fut obfervée dans le repas, qui fuivit la cérémonie du couronnement , ce que Doria ne fouffrit qu'avec beaucoup d'impatience; mais, comme il mouroit d'envie de faire parler de lui, il ordonna dès le même foir a ceux de fa Nation de s'armer d'armes courtes , & de fe rendre au Palais , oü il avoit deffein d'attaquer les Vénitiens au fortir la fète. Malipie'ro, qui fut averti de cette confpiration, Sc qui n'ignoroit point la rigueur des ordres, qui avoient été publiés contre tous ceux qu'on trouveroit armés dans Ie Palais, voulant profiter d'une fi belle occafion pour fe vanger de fon ennemi, avertit le Roi, & les Princes fes Oncles, que les Génois , qui fe trouvoient dans le Palais, étoient armés fous leurs robbes; & qu'ils n'en vouloient pas moins a leurs Perfonnes, qu'a ceux de fa Nation. Rrr rr Cha- Lt Roi ionne ordrt l'y reméiier.  U6 HÏSTOIRE G E' N E' R A L E Art iele I. Atttntat ^Géaois punt. Chapitre VII. f~\ n ne négligea point un avis fi important. Le Prince de V-/ Galilée plus vif, & plus impatient, que les autres, fit inceffamment fermer les portes du Palais, «Sc ordonna aux Gardes de vifiter tous les étrangers, qui y étoient. Les Génois aïant été trouvés munis de poignards, & d'autres armes femblables, il les fit, fur le champ, jetter par les fenêtres, & envoïa arrêter tous ceux de leur Nation, qui fe trouvoient dans la Ville. Quelques-uns de ces miférables, qui voulurent fe défendre, furent tués fur la place. Bosio, qui raporte, après bien d'autres Auteurs, ce fait tragique , allure , que Ie reffentiment des Princes fut fi grand, qu'ils ordonnèrent le maffacre de tous les Génois, quï fe trouvoient dans file, dont iln'en échappa, felon lui, qu'un feul, qui fut blelfé au Vifage, «Sc qui alla en porter les nouvelles a Génes: Cependant les Auteurs contemporains , qui ont écrit 1'Hiftoire de Chypre , entre autres Luzignan , «Sc Bustron , affurent, au contraire, qu'il ne périt que ceux qui fe trouvèrent dans le Palais, «Sc quelques autres , que le Peuple, qui les vit précipiter des fenêtres, facrifia au foupcon, qu'il conciit, qu'ils avoient voulu attenter a la vie du Roi. Ils ajoutent, que le Peuple pilla enfuite leurs maifons, avant qu'on put y remédier. Av 1'égard de Doria , qui s'étoit retiré dans un coin de Ia Sale, très-confterné de la funefte avanture, qui venoit d'arri▼er a c«ux de fa Nation, a fon inftigation, «Sc du danger, oü il fe trouvoit lui même, il elfüïa une reprimande très-févère du Sénéchal, «Sc du Prince de Galilée, d'avoir, par fes injufies prétenfions, expofé Ja perfonne du Roi, & caufé Ie desordre qui venoit de fuivre fi t lui, oü ils lui donnèrent des Gardes, pour le garantir des ia* fultes de la populace. La Cour fe difpofoit a s'en retourner a Nicofie, lorsqu'elle fut arrêtée par un incident, non moins facheux que le prémier. Le Prince de Galilée fut informé, que Nicolas Nacca, Sécrétaire de la Reine Ele'onor, avoit remis a Marc Grimaldi, Négociant Génois, une dépêche, que cette PrincelTe avoitfaite au Pape, V. envoïoit en Chypre, fur la facheufe nouvelle de la mort tragique du Roi Pierre , & des troubles qui agitoient le Roïaume: afin qu'il follicitat, & exhortat fortement , de fa part, la Reine Ele'onor, & les Princes du Sang, a renoncer a leurs animolités, & a leurs discordes, & a faire enforte que le jeune Prince Pierrin, après le malheur qu'il avoit eu de perdre un Père auffi vertueux , & a 1'école du quel il avoit acquis la valeur ,- & la prudence, qu'il poffédoit, ne perdit pas encore fes Etats, par leur désunion, & par leurs paffions particulières. Raimond Be'r a n g e r vint auffi en Chypre, en qualité de Nonce de Sa Sainteté. II avoit été chargé de la même commiifion: mais elle étoit plus étendue, que celle du Père Arragoni 3 comme plus capable de parvenir a la réünion de la familie Roïale, afin qu'il n'y eut rien a craindre, ni pour le jeune Roi, ni pour les entreprifes, que pourroient faire les Infidèles pendant fa minorité ; Mais le Grand-Maitre, & le Nonce, trouvèrent les efprits fi aigris, furtout la Reine, & le Prince de Galilée. qui ne vouloient plus fe voir, ni entendre parler 1'un de 1'autre , que ces Miniftres reconnurent bientöt qu'il feroit impoffi ble de les raccommoder. En effet, ils travaillèrent inutilement 1'un, & 1'autre; & Ie Grand-Maitre, ennuïé du peu de fruit de fes tentatives, s'er retourna a Rhodes, oü fa préfence étoit très-nécelfaire. II n< fut même pas plus heureux quelque tems après, lors que, fui de nouvelles Lettres du Pontife, il entreprit d'accommode Rrr rr 3 le Médiation du Pape pour empêcher la guerre entre les Chypriots, Êf lis Génois. Article///. Cette Mé' diationejl ; inutile. S  870 HISTOIRE G E' N E' R A L E ! : ] 1373- LaRépullique de Génes envoie une Flotte confidérable contre les Chypriots. es Génois avec la Cour de Chypre; Car tous les mouvemens qu'il e donna, & tout ce qu'il put dire,«Sc faire, n'empêcha pas qu'ils i'envinlfent k une guerre ouverte, qui fut aufli affligeante Ipour les Chypriots, que glorieufe pour les Génois, comme on va le voir. Doria ne fut pas plutöt arrivé k Gènes, que, fur fes relations envenimées, ces efprits promts, & pétulans, réfolurent de rompre entièrement avec le Roi 'de Chypre, fans fe mettre aucunement en peine des Traités qu'ils avoient enfemble, dont 1'un des principaux articles portok, que le prémier, qui ecifraindroit la paix , paieroit k fautre cent mille Ducats. La République fit armer trente fix Galères, «Sc plufieurs Batimens de ttanfport, fur lesquels ils embarquèrent quatorze mille Hommes d'Infanterie, & quelque Cavalerie, fous le commandement de Pierre Fre'gose, «Sc de Dominique Catan e'o , fans que les exhortations du Pape fulfent capables d'empêcher cette expédition de Cbrêtiens contre Cbrêtiens dans un pays, oü leur union étoit fi nécelfaire pour fe garantir des furprifes des Infidèles, leurs Ennemis communs; «Sc tout ce que put opérer le Pontife, pour y mettre quelque retardement, fut d'écrire au Grand-Maitre, «Sc k la Religion de Rhodes, qu'il favoit être bons amis des Génois, pour leur défendre de leur fournir aucune provifion , -ni leur donner aucune affifiance, touchant cette entreprife; mais, comme ils trouvèrent a fe pourvoir ailleurs de rafrichilfemens néceffaires, leur projet n'en fut ni diminué, ni interompu. Leur Flotte parut, enfin, a la hauteur de Baffb, au commencement de rautomnedefannée~i 373. Le defTeindes Cliefs étoit de commencer k ravager ce Canton; mais la bonne garde, qu'ils y trouvèrent, jointe au peu de fureté du port, «Sc de la rade très-mauvaife de ce lieu, fit qu'ils s'avancèrent vers Famagoujle, oü, malgré 1'oppofition de fix Galères du Roi, «Sc de divers autres Batimens , ils forcèrent le port, brülèrent trois de cesjGalères, «Sc un Vaiifeau, «Sc débarquèrent leurs Troupes, fans que  deCHYPRE. Liv. XVII. Ch. VIL 87 x que le Baron Philippe d'Ibelin , qui en étoit Gouverneur, put les empêcher; ce qu'il auroit peut être fait, fi le Roi, & les Princes>3 fes Oncles, n'en eulfent retiré une bonne partie de la garnifon, dans fefpérance que le Pape, & le Grand-Maitre de Rhodes calmeroient les mécontentemens de la République. Ils s'étoient tellement flattés de ces vaines cfpérances, que, quoi qu'ils n'ignoralfent pas le puilfant armement, qui fe faifoit a Gènes, ils n'avoient même fait aucun préparatif de guerre pour fe défendre. Marqué évidente de leur peu d'expérience dans les affaires du gouvernement, & de leur malignité a s'entre-détruire eux mêmes. Enfin, n'aïant plus d'autre reffource, pour gagner un peu de tems, & fe mettre en état de défenfe, autant que la pref fante conjoncïure pouvoit le leur permettre, ils prirent le parti d'envoïer le Chevalier Bertrant d'Erasmi , Grand - Commandeur de Chypre, aux Commandans Génois, pour favoir leurs prétenfions. Le Catane'o, k qui ce Commandeur s'adrelfa, lui répondit, fans héfiter, " que la République prétendoit, 9, qu'on lui livrat les meurtriers de fes Citoïens ; Qu'on lui payat la valeur des effets, qu'ils n'avoient pu recouvrer; Et ■ „ qu'on les rembourfat des fraix de farmement, qu'ils avoient „ été obligés de faire, pour en venir demander raifon: Que, „ cependant, comme le Sénat agilfoit plus par honneur, que „ par intérêt, fi Ie Roi ne vouloit point faire rechercher ceux qui „ avoient infuïtê les Négocians de leur Nation, il n'avoit qu'a leur „ faire payer quatre eens milleDucats,au moïen de quoi les affaires 3, du commerce, & la bonne intelligence fe rétabliroient comme „ auparavant, au lieu que, s'il refufoit cette condition, il avok „ ordre de lui faire la guerre a' toute outrance: Que tout ce 5, qu'il pouvoit faire a la confidération de lui Commandeur, „ étoit d'attendre, qu'il en eut informé ce Prince 5 & qu'il: „ lui fit favoir fa réfolution. Le Sénéchal, & le Prince de Galilée armèrent cependant le plus de monde qu'il leur fut poflible, en envoïèrent mêmeclieE' cher Préten(ïüks,& dcnandti des LJénois.  Article/f LwGénoi tommencent de guerre. Sf2 HISTOIRE GE' NE'RALE cher en Caramanie, & firent travailler kla réparation des mura de Nicofie; mais, comme tous ces préparatifs hors de faifon paroiffoient fort peu de chofe aux Barons, qui entendoient un peu Tart militaire, ils firent adroitement comprendre au Roi, que les affaires pouvant s'accommoder avec de fargent, il valoit beaucoup mieux prendre ce parti, que de fe livrer a fincertitude d'une guerre, qui coüteroit toujours infiniment plus de fraix, que ne prétendoient les Génois, & qui ne pouvoit être que très-funefte k fEtat. Cependant, quelque falutaire que fut eet avis, lorsqu'on propofa dans le Confeil, affemblé, par ordre du Roi, k ce fujet, " que chacun d'euxfe taxatpour faire la fomme, qu'on leur „ demandoit, " le Prince de Galilée, qui paria le prémier, offrit fi peu de chofe en fon particulier, qu'il ferma la bouche k tous les Barons du Confeil. Ils en furent même fi fcandalifés, qu'ils quittèrentbrusquementrAffemblée, en déplorant les malheurs, que fon avarice fordide alloit caufer al'Etat, fachant tous qu'il étoit feul capable, & fans fe beaucoup incommoder, de 1'affranchir des défolations, dont il étoit ménacé: auffi, en fut-il bien puni, puisque les grands Fiefs, qu'il poffédoit, devinrent la prémière proie des Ennemis. . Les Commandans Génois, après avoir attendu plufieurs jours inutilement la réponfe du Commandeur d'ERASMi, fe détermi- snèrent enfin k commencer la guerre. Ils difpoferent leurs Forces de cette manière. Le Fre'gose forma le fiége de Famagoujle , pendant que C a t a n e'o parcouroit les Cötes de 1'Ile, avec une Efcadre de Galères, foit pour y faire le plus de ravages qu'il lui feroit poffible, foit pour empêcher les fecours étrangers, qui pouvoient y aborder ; de forte qu'après s'être emparé de divers Batimens marchands, qu'il rencontra, il alla faire une defcente aux Cötes Septentrionales de 1'Ile 3 qu'il trouva fi dégarnies, que fes gens s'avancèrent dans les terres, & riiinèrent cruellement plufieursBourgs, 6c Villages, quiappar- tenoient  de CHYPRE. Liy. XVJI. Cu. VII. s<5p tenoient au Prince de Galilée. La nouvelle en aïant été,porté< a Nicofie, le Connétable fe rnit promtement en campagne avec quelques Troupes, & tailla en pièces une bonne partie de ces équipages, qui s'étoient trop débandés; ce qui obligea Catane'o a regagner Famagoujle, tant pour fe décliarger du butir quil avoit fait, que pour remplacer le monde qu'il avoit perdu. II ne tarda pas a fe remettre en campagne. Sa feconde expédition fut fur le Canton de Limifol, qu'il ravagea avec encore plus de facilité, qu'il n'avoit fait celui de Cérines, fans que le Connétable, qui y aceourut, put avoir le même bonheur qu'auparavant. II fit néanmoins lacher prife aux ennemis, qui levèrent les ancres, & allèrent fe jetter fur les cötes dtBaffo, d'oü le Catane'o avoit été averti par deux bandits Chypriots, qu'an avoit retiré la garnifon. En effet, apeine eut-il fait débarquer fon monde, que les habitans de cette Ville fabandonnèrent pour fe retirer aux montagnes, avec ce qu'ils purent emporter de meilleur; ce qui facilita aux Génois le moïen de pouvoir charger leurs Galères des dépouilles de cette miférable Ville; & ils fe retirèrent, fans aucun empêchement. Les nouvelles qu'on recevoit journellement a Nicofie de toutes ces défolations, firent comprendre au Roi, tout jeune qu'i] étoit, que les Princes fes Oncles avoient manqué de conduite 3 & de précaution, puisque, quelques attentifs qu'ils dufTent être a munir Famagoujle, comme la plus importante Place du Roïaume, ils ne devoient pourtant point dégarnir les autres lieux, ni en négliger la confervation, paree que leur perte, & leur pillage étoit d'un préjudice infini a fes Sujets, & au contraire d'un très-grand avantage aux ennemis, qui y trouvoient toute forte de provifions. Cependant, comme grand nombre de bandits, & plufieurs efclaves, fatigués de leur fervitude , quittoient leurs maitres, & s'alloient réfugier chez les ennemis, le Connétable, Sss ss qui i 1374. Leurs beureux Juc, cès.  Sro HISTOIRE GE'N. de CHYPRE. Lit. XVII. Ch.VII. qui fe trouvoit en campagne, en attrapa quelques bandes, & en fit pendre une centaine aux arbres du grand chemin. II traita de n éme quelques maraudeurs- Génois, qui eurentle malheur d'être pris. Pour remédier k eet inconvenient, on confeilla au Roi, de faire publier une amniftie générale en faveur des bandits ; ce qui fit un effet merveilleux, car ils accoururent tous fe ranger fous les enfeignes de leur Souverain3 & le icnïrint depuis avec be.iucoup de fidélité. HISTOI-  HISTOIRE GÉNÉRALE R O ï a" u m e S D E CHYPRE, de JÉRUSALEM, D' EGYPTE. L I V R E XVIll Chapitre Premier. >&&)&^& E Général Fre'gose , continuoit cepen-Al,icIe7. ^SIIISS^ dant le Siége de Famagoufle , mais avec ïfyfy L Xf*h ^e m^e Hommes dans les diverfes at- c^%*^w4i,wi^P taques, & tous les efforts qu'il avoit faits ^&&fe)hï%.wkte'J' pour forcer cette Place avoient ete inuti- nj> hjoo *j-> u |eg> geg *i*roupes en étoient même fi re- butées, que, fi les Oncles du Roi avoient voulu fuivre les avis •Sss ss 2 de  S7= HISTOIRE GE' NE'RALE Trnhifon d ia Reine dt couverte. Elle livre eu General Génois le Cbdteau de Famagoufte. ] « de quelques Officiers d'expérience , ils 1'auroient obligé d'abandonner fon entreprife, & même de fe rembarquer avec préci» pitation. Mais, malheureufementpour le jeune Roi, «Sc pour fes "Sujets, les uns, ni les autresn'ouvrirent.pasafTez tot lesyeux, pour s'appercevoir, que la Reine, faMcre, travailloit de tout fon pouvoir a lui faire perdre 1'Etat, & la Couronne, pour fe vanger des Princes du Sang, «Sc de leurs adhérens. Cette Princefle vindicative, «Sc dénaturée, non contente d'avoir attiré les Génois en Chypre, «Sc prelfé leur expédition, affeclant de ne fe point trouver en fureté au Village de Potamia, lors qu'ils fe préfentèrent devant Baffo, fe retira a Famagoujle, oü le Gouverneur la recut avec beaucoup de joie, «Sc de refpecl, ne pouvant s'imaginer qu'elle fut alfez méchante, pour caufer, dans la fuite, la perte de cette Place. Le Baron Jaqües de Montolif, qui fuccéda a Ibelin dans ce gouvernement, rempli de la même idéé, que fon Prédécelfcur, permit a la Reine de fe retirer dans le Chateau, oü la déférence, que chacun y avoit pour la Mère du Roi, lui donnoit toute "'autorité; Cependant, bien-loin de conferver cette Forterelfe, ce fut elle qui Ja remit entre les mains du Général Fre'gose' lors quil commencoit a fe rebuter du Siége. Traliifon, qui le mit en état de s'emparer de la Ville, fans risquer davantage un feul Homme, puisque Ie Roi, qui y étoit allé pour la fecourir, fe trouva dans la dure néceffité de la lui abandonner, par un accommodement, non moins honteux pour fa Mère, Sc pour lui, qu'avantageux aux Génois. L'indigne aélion de la Reine aïant manifefté fes mauvais fentimens, «Scrintelligence quelle avoit avec les Ennemis, lePrin:e de Galilée , qui s'en défioit plus qu'aucun, reconnoilfant ilors qu'il n'y avoit plus moïen de défendre la Ville, la quitta Dromtement, «Sc fe retira a Nicofie; mais, comme il ne s'y :rut point encore en fureté, il amalfa quantité de provifions, Sc alla s'enfermer dans le CJmteau Dien (Pamour. Le Sénéchal, fon  1)E CHYPRE. Liv. XVIII. MI. 871 foli Frère, qui ne fut pas plus *élé, ni plus courageux, que ni dans cette occafion, pour conferver le Roi, fabandonna élement; &, fuivant fexemple du Prince de Galilée9 le redra dans le Chateau de Buffavento. Le Connétable, defon ceté ffagna celui de Cérines. La terreur panique, qui avoit faifi ces Princes, les avoit tous privés de la raifon , & rendus comme imbéciles. -».. Tout le pays fe trouvant alors abandonne a la merci des Gé-, J°„i étoient i# d'uncóté & ceux de Fa^ Se de 1'autre, le comurent en pleme hberte, le p.llo.ent „» ft ravageoient entièrement, fans crainte de trouver aucune' oopofition comme auparavant; de forte qu'ils cliargerent leurs Gateres de tout ce qu'ils purent attraper de mulleur. La mauvaife conduite des Princes avoient tellement decourage les peuples, qn'au lieu de défendre leurs biens ils s'enfuirent tpus aux montagnes, comme des troupeaux fans conduöeurs Plu"hmL s'enfoncèrent même dans les forêtsles plus epaiffcs, tant 1'épouvante les avoit falfies. Cependant la retraite des Princes dans les me.Ueuresfortexeffis du Ro:aume, privant la Reine de la faW n Je» * rer vangeance , comme elle éto.t da.lleurs bourellee par le fouvenii des aflions criminelles, qu'elle avoit commifes pour y parvenir, elle changea tout d'un coup de conduite, &mittou en ufage pour y réüffir ; Elle demanda a être introduite dam la Ville, pour s'aboucher avec le Roi fon Fils Quelque fujet qtfeüt ce jeunePrince de s'en mefier, fon peu d'expérience, & le manque de confeil, ne lm permitpas de fe défendre de fon entrevne, de man.ère qu'elle le perfuada faclement de s'accommoder avec les GA», .fin de ddivrer fes Ètau d'une guerre, qui les ruinoit ent.èrement. II confenft en même tem , que Fke'gose entreroit dans la Ville, accompa b 6 Sss ss 3 con' rticle II. tut le .ys reflea merci des énois. Entrevue du Roi,& de la Reine fa Mère. I37J-  Conventie entre leRt. (fles Gé nois. Article///. Indignités eommifes par les Génois. m HISTOIRE G E' N E' R A L E conditions. Après diverfes conférences, dans les quelles laRei; ne avoit toujours préfidé, on convint enfin des Articles fuivans. J >\ L Q-ue le Roi Paier°it un million de Ducats a Ia Répu:» Uwe de Gènes, pour les fraix de 1'armement, qu'elle avoit „ ete obligé de faire, & que, s'il manquoit d'argent pour y fa„ tisfaire, les Génois garderoient la Ville de Famagoujle;, jus„ qu'a 1'entier paiement de cette fomme. ,, II. Que toutes les affaires palfées feroientmifes, de part, „ &dautre , dans un éternel oubli , & le commerce rétabli „ entre les deux Nations de la manière, qu'il étoit avant la „ rupture; & qu'en attendant que ces Conventions fufTent ap„ prouvees par le Sénéchal, le Prince de Galilée, & Ies Con- „ nétables, Oncles du Roi, toutes les hoftilités cefferoient de „ part & d'autre. Sur !a foi de ce Traité, le Roi fe laiffa trop facilement perfuader, & alla d'abord au Chateau, avec Ia Reine, fa Mère Le General Génois, qui n'étoit pas plus fcrupuleux dc vioJer fes fermens, & fes conventions, en tout, qu'en partie, 1'arrêta prifonnier, &fit, furie champ, affaillir la Ville, afin de prohter de la conllernation, que la prifon du Roi, & 1'éloignement des Princes cauferoient aux Habitans. En effet, les Chypriots decouragés par ces facheux accidens, & fe voïant fans Chef, capable de les conduite, laiffèrent entrer tes Génois dans la Ville, fans aucune réfiftance. Cependant, Fre'gose, pour n'être pas a-demi-parjure, & fcélérat, eut encore la cruauté de 'abandonner au pillage de fes Troupes, qui y commirent mille indignites. Ils malfacrèrent indifféremment toutes fortes de Perfonnes. Ils en vinrent aux viols, &aux facriléges, fansmtme épargner les lieux, & les ornemens facrés, qu'ils emportèrent. Auffi, Dieu, irrité de leurs abominations, ne voulut pas per-  de CHYPRE. Liv. XVIII. Cu. t '87? permettre qu'ils jouiffent du fruit de leur impiété, & fit élever fur la mer un orage fi furieux, que quatre de leurs Galères, fur les quelles ils. avoient chargé tout leur butin, fe briferent fur les co'es Oecidentales de file, fans qu'il en échapat un feul Homme, pour en porter la nouvelle a Gènes, oü elles étoient Enfin', après trois jours de fac, &de défolation, pendant les quels, les Vénitiens mêmes établis a Famageufle, quoi qu'alors ' en paix avec les Génois, ne furent pas exemts de leur fureur, leurs maifonsaïant été facagées. F r e'g o s e fitceller.le desordre, & remit, autant qu'il lui fut poffible, la tranquilité dans cette malheureufe Ville; &, afin de profiter d'un tems aufli heureux pour lui, que déplorable pour les Chypriots, il marcha droit a Nicofie, dont la conquête ne lui fut pas moins fccile, puisque Pifrre Cassin, qui en étoit Gouverneur, fut affez lache pour 1'abandonner, au feul bruit del'approche des ennemis , qui n'eurent befoin de force, ni d'adreife, pour s'en rendre maitres. \ oila comme les affaires des Génois changèrent tout dun coup de face par la pure fureur, & 1'aveuglement d'une Femme inconfideree, & d'une mauvaife Mère, dans le tems, que , comme a-demivaincus, ils étoient fur le point d'abandonner leur entreprife fur Famagoufle, oü ils avoient perdu beaucoup de monde, & plufieurs Batimens. Ceft ainfi qu'ils devinrent enfin maitres d'un pays, dont le Prince, avec fes feules forces, avoit, peu de tems auparavant, fait trembler le Soudan d1'Egypte, «Sc les autres Princes Infidèles, fes voifins. ; Le perfide Fre'gose devint fi fier, «Sc fi orgueilleux de fe. prófpérités , qu'oubliant que la Reine lui avoit réndu ce fip-nalé fervice, même aux dépens de fon honneur, & en facnlant les intéréts du Roi, fon Fils, ce fcélérat de Génois perdit pour elle toute la confidération , «Sc la Jefèrence quil avoit cue. jusqu'alors. S'étant encore lailTé gagner par des préconfidérables, que lui envoïa la Femme du Baron d'As- sur 5 Nicofie tris jiar le Général Génois.  Artklc/r. Feinte fcp mauvaife foideVté gofe, Général dcsücnois. ] 3 I 1 f c S76 H. I STOIRE GE'NE'RALE sur, qui avoit apparemment de grands fujéts de mécontentement de fon Mari, & qui foubaitoit fit mort, pour pouvoir fe vanter d'avoir vangé celle du Roi Pierre, il lit publiquement exécuter ce Seigneur, auffi bien que les Barons Jaques Gabrielli, «Sc Carion oe Giblet , complices de 1'alfaffinat du Roi Pierre; «Sc, enfin, s'il parut fort emprelfé de livrer a cette Princelfe le Prince de Galilée, ce ne fut que pour avoir lui même la fatisfa&ion de faire périr le principal auteur de Paffront, qu'avoit recu le Conful Génois, «Sc fes compatriotes, qui avoient été jettés par les fénêtres du Palais. Cependant, comme il ne lui étoit pas facile d'engager ce Prince a quitter le Chateau Dieu d'amour, non plus que de faire fortir le Sénéchal, & le Connétable de ceux de Buffavento, «Sc de Cérines , qu'ils avoient occupés , «Sc dont Fre'gose fouhaitoit de s'emparer, il s'avifa d'emplo'ïer la rufe, au lieu de la force. II penfa a fe racommoder avec le Roi, & a renouveller avec lui le Traité de Paix, qu'il avoit violé. 11 y réüffit effecfivement, «Sc obligea ce Prince a écrire de fa propre main a fes Oncles, " que la Paix, qu'il venoit d'établir >, avec les G.nois, étoit fincère, «Sc de bonne foi; Qu'ils ne „ devoient faire aucune difficulté de remettre les Places, qu'ils „ occupoient, aux perfonnes qu'il leur envoïoit, non plus que „ de venir eux mêmes promtement a Famagoufte pour en rati„ fier le Traité, feul moïen de lui faire recouvrer la liberté, «Sc , déiivrer fon pays des malheurs, dont il étoit accablé. Loredan alfure, que, fur la réfiftance du Roi a écrire les ^ettres, que Fre'gose lui dicloit, ce fcélérat fut affez infoent pourfraper ce Prince fur la joue,en le traitant d'Enfant plus >ropre a être fous la férule d'un Précepteur, qu'a gouverner in Etat; «Sc que le refïbntiment, que le Roi concut de eet afront, fut fi vif, «Sc fi violent, que fe voïant dans 1'impuifTane de s'en vanger, il réfolut de fe lailfer mourir de faim. Soit  i>e CH Y PRE. Lit. XVIIL Ch. t $71 Soit que fa réfolution allarmat la Reine , ou qu'elle n'eüt plus lieu de douter, que Fre'gose, au lieu de fatisfaire fa palTion, & de vanger leurs injures communes, ne 'fongeroit qu'a envahir le refte de 1'Ile, oü il agiffoit déja en maitre, elle réfolut de tout risquer pour fe vanger du Prince de Galilée, après la perte du quel elle fe flattoit encore de pouvoir trouver Sb moïen 'dechaffer'les Génois des Places, qu'ils occupoient; Ceft "pourquoi, elle agit ff efficacement auprès du Roi, fon Fös, -lors que fa colere,& fa douleur,furent un peu appaifées,qu'elle le fit confentir a ligner le nouveau Traité de paix, qu'elle avoit établi avec le F r e'g o s e ; «Sc, après plufieurs reproches 'alfez piquans, qu'elle fit a ceGénéral furfonmanque de refpeéc pour le Roi, & fur fon manque de foi a violer le prémier Accord, elle fe tranfporta a Nicofie avec le Roi, fon Fils, perfuadée que les Princes s'y rendroient avec moins de difficulté, qu a Famagoüfte, pour lcfigner; & qu'elle auroit lieu d'éxécuter fon mauvais delfein. En effèt, le Sénéchal, par fa bonté naturelle, & le Prince de Galilée , par fon avarice , & par 1'envie de voir flair une guerre, qui avoit ruiné fes Fiefs, & dépouillé fa Maifon de ce qui s'y trouvoit de plus précieux en meubles, en vaiffelle d'argent, «Sc en joïaux, qu'il avoit laiiTés dans fon Palais de Nicofie, avec la Princeffe , fon Epoufe , «Sc fes Enfans. & que les Génois avoient enlevés , fe rèndirent tous les deux a Nicofie, dès qu'ils furent alfurés, que le Roi s'y trouvoit en perfonne. Leur exemple n'y put cependant jamais attirer le Connétable, qui ne voulut point fe fier au Commandant Génois, ni quitter le Chateau de Cérines. II eut bientöt lieu de s'applaudir de fa réfolution, «Sc de fe fortifier dans cette Place 3 avec encore plus de précaution qu'auparavant, par deux accidens,qui remirent la confafion, «Sc le désordre, par tout. Ttt tt Cha- i Supercht- ries de U Reine.  *78 HISTOIRE G E' N E' R A L Ej Artfde /. La Reine fait affaffy ner U Prince de Galilée. Chapitre IL Le prémier fut au fujet du Prince de Galilée. Comme il croïoit effeólivement, que la Reine, dégoutée par lamauvaife foi du Général Géwis, & mortüiée des malheurs qu'il avoit caufés k 1'Etat, ne penfoit plus qu'k le fatisfaire, afin de 1'éloigner promtement du Roïaume, il fe rendit, fans aucun foupcon, au Palais, pour ratifier le Traité, qui avoit été conclu. Cette Princelfe, qui avoit des vues bien différentes, & qui ne refpiroit que le moment de lui faire éprouver fon refientiment, avoit fait cacher dans une Chambre attenante k celle du Confeil, quatre Napolitains , pour exécuter fon delfein; de forte que, fans attendre 1'arrivée du Sénéchal, elle lui préfenta la chemife enfanglantée du feu Roi, fon Epoux; & adreffant, toute en fureur, laparole au Prince de Galilée, elle s'écria, & lui dit; Traitre déloïal! voici le fang de ton Frère, de ton Roi, qui demande juftice. A1 ces paroles, qui étoient le mot, qu'on avoit donné, les gens apoftés fortirent en fureur , fe jettèrent fur lui, & le percèrent a f envi de plufieurs coups de poignard, dont il mourut fur le champ, no'ïé dans fon fang. Le Sénéchal, qui étoit forti de chez lui pour fe rendre également au Palais, averti, en chemin, de la tragédie, qui venoit de s'y palier, s'en retourna promtement fur fes pas, fortit de Nieofte, fans s'arrêter nulle part, & regagna le Chateau deBuffavento. II appréhendoit toujours, que, quoi qu'innocent du meurtre du Roi, fon Frère, il ne fubit le même fort, k. caufe du refus qu'il avoit fait a la Reine, de lui donner la tutelle du Roi, qu'elle demandoit; & qu'il ne fut facrifié k fon reuen-  de chypre. liv. xvni. Ch.IL S?o reflentiment, comme le Prince de Galilée, fon Frère, venoi de 1'être. Le fecond accident fut, que cette Princelfe, toujours aveu glée de fa propre pafïïon , fans jamais vouloir écouter auci] neraifon, fatisfaite, enfin, de la vangeance, qu'elle avoit ti ree du Prince de Galilée, voulut commencer a agir contre le Génois, fans confidérer, qu'ils étoient les plus forts, & qu'ell n'étoit point en état de les repoulfer & force ouverte. Cependant, pour parvenir a fes fins, elle envoïa De m e't r i u Daniël, Noble Chypriot, fur la fidélité du quel elle comptoi entièrement, pour attirer dans fon parti Coromillo, & Gu mari , les deux plus fameux Chefs des bandits du Roïaume Ils avoient fervi fidèlement leRoi, depuis 1'amniftie, & avoien toujours battu les partis Génois , qu'ils avoient pu rencontrer Elle leur fit dire, qu'ils allalfent fe polier aux détroits de Mon tagnes , qui font entre les Villes de Nicofie , & de Cérines Pendant ce tems, elle demanda a Fre'gose une partie de fe Troupês, a\ c quelques Chefs d expérience, pour 1'accompagne; •nês-i d'oa elle prétendoit de faire fortir le Connétable ci 3, ou de force. Ce Général , qui étoit bien aife d'occuper une Place auff confidérabJe , que le Chateau de Cérines , tout fourbe , qu'i étoit , prit le change dans cette occafion , «Sc donna a cett( Princelfe une bonne partie de fes meilleures Troupes fous li commandement de Dico Doria , & de Nicolas Guarcc Comme elles marchoient fans ordre, «Sc avec beaucoup de con fiance, elles donnèrent effe&ivement dans le piége. Les ban dits les furprirent dans des lieux fi avantageux, que les Génois quoique fupérieurs en nombre , furent entièrement défaits après quoi la Reine fe retira en lieu de fureté. Fre'gose n'aprit pas plutöt la défaite de fes Troupes qu'irrité de la trahifon de la Reine, il fit recommencer les hol tilités, avec plus de fureur, qu'auparavant; de forte qu'j Ttt tt % étoi s s t Elle de• mande, qu'on lui ' livreleCom ; notatie, 1 i l > > 1 t  8So HISTOIRE G E' N E'R A L E Article II. Suite des truautés, £f des trahijons de Frégofc. étoit a craindre, qu'il ne fe rendit enfin maitre de toute rile> lors qu'il recut des ordres très-prelfans du Sénat de s'accommoder avec le Roi, a telles conditions qu'il jugeroit a propos, «Sc de revenir incelfamment kGènes, fans killer en Chypre, d'autres Troupes, que celles qui feroient néceffaires pour la confervation de Famagoufte, dont la conquête les dédommageoit affez des maux, qu'y avoient fouffert leurs Citoïens, «Sc de i'affront qu'avoit rec.u leur Magiftrat.. Cependant, comme, malgré le monde, qu'il avoit perdu, il lui en reftoit encore affez pour fe. foutenir, «Sc même pour faire de nouvelles entreprifes, «Sc que les Chypriots, au contraire , n'avoient ni force, ni vigueur, il fut fi bien profiter de leur abbattement, «Sc de fa fupériorité, qu'en rechercbant la paix, il leur donna la loi, puisqu'outre la Ville de Famagoufte, qui lui demeuroit pour nantiffement, de la fomme, qu'ils étoient convenus, que le Roi paieroit a la République, il lescontraignit encore a lui. donner des ötages, «Sc non content de Jaques , «Sc Hugues de Luzignan , Fils du Prince de Galilée, Coufins Germains du Roi, dont. le prémier avoit époufé la Soeur, il voulut encore avoir le Sénéchal, Oncle du Roi., La générofité du Sénéchal fut li grande, que pour faire ceffer la défolation du pays, «Sc ne pas différer la conclufion de la paix, il confentit a. demeureren dépot a Famagoufte; ne penfant jamais que Fre'gose feroit affez perfide pour le conduirejusqu'a Gènes, comme il fit. Car, après avoir retiré la garnifon-, qu'il avoit mife a Baffo, & quelques autres petits Détachemens, qu'il tenoit en d'autres lieux de 1'lle, «Sc muni Famagoujle, de tout ce qu'il crut.néceffaire , pour fa confervation.,. il voulut encore s'ea retourner, triomphant de fon expédition; «Sc il contraignit fes ötages a s'embarquer, malgré la foi qu'il avoit jurée au Roi, «Sc aux Ba-' rons Chypriots, de les-laiffer ^Famagoufte. Le Sénéchal,, dou- bler  be CHYPRE. Liv. XVIII. Ch.1L' 8$W blement offenfé de cette violence , paree que YolanDE dé Bersinie, fon Epoufe, qui, toute enceinte qu'elle étoit, n'avoit point voulu le quitter, fe trouvoit expofée aux incommodités, & aux fatigues d'un auffi long voïage, fit, en arrivant a Rhodes, de fortes inltances au Grand-Maitre Robert dr Juillac, &le pria de fe fervir de fon autorité , pour obliger ce Commandant a le renvoïer a Famagoufte, avec les Princes fes Neveux, lui repréfentant qu'il ne pouvoit les emmener plus loin, fans contrevenir aux Articles du Traité.. Cependant toutes fes plainte3, «Sc fes rémontrances furent inutiles auprès du Grand-Maitre, qui préféra 1'amitié des Gé* nois aux obligations,. que lui, & fa Religion, avoient a la Maifon de Chypre. D'un autre cdté, ce Grand-Maitre trouvoit alors TOrdre fi embarraffé de fes propres affaires, qu'il n'ofarifquer de lui en attirer de nouvelles. Cet Ordre fe trouvoit encore furchargé du gouvernement, «Sc de la confervation de Smirne, que le Pape 1'avoit obligé d'accepter, lorsqu'il étoit encore a Jvignon, oü il avoit recu des Lettres de Raimond,. Evêque de cette Ville, du Doge de Vénife, & dé la Republi-.que de Gènes, 'qui lui marquoient, qu'ottobon Caïane'o, qui avoit fuccédé a Rachanelli , étoit fi peu attentif a ce gouvernement, qu'il n'y:réfidoit presque jamais , & qu'il négli-* geoit.entièrement de payer la garnifon; ce qui y caufoit tousl les jours de grands désordres, «Sc donnoit lieu d'appréhender, que: la Place ne retombat bientöt au pouvoir des Infidèles ■ Le Pape craignoit auffi de revoir les Turcs maitres* de Sntfcfè ne; mais, malgré la profpérité dè leurs armes; en: Europe, la: désunion des Princes Cbrêtiens le troubloit encore davantage.. C'eil.ce qui le- porta a convoquer une. grande Alfemblée dansJ 1'ancienne Ville de Tbèbes, en Grèce. Tous 'les Princes €hrétiénsd'Oriënt s'y trouvèrent',. afin de prendre enfemble de jufi.es mefures pour arrêter la rapiditédes conquêtes des.Infidèles, qui, Ttt t't s: Article//^- Ajjemblée de tous les Primes Chrétiens^ rf'Onent».  SS! HISTOIRE GE'NE'RALE Elle ejl in- fruiïueufe f par la aiverfité des efinhns. 1376. ArttckfP. Chypre délivrèdes Génois. après avoir fubjugué la plus grande partie de la Grèce, avoient pénétré jusques dans le Duché dCAtbènes. Cependant, quoi que 1'Empereur Jean Pale'ologüe s'y trouvdt en perfonne, avec Louis, Roi üHongrie ; Pierrin, Roi de Chypre ; Andre' Contarin, Doge de Vénife \ les Deputés du Couvent de Rhodes ; Francois Cathaluse, Seigneur de Mételin; Raimond Acciaïoli , Seigneur de Corinte; Le'onard Tocco, Seigneur de Leucate; Francois George , Seigneur de Bondanizza; Ermolaus Minole , Duc de ïlnféria ; le Vicaire du Duché üAthènes, les Archevêques, ócEvêques de la Principauté d'Achaïa, d'Athènes, & de toutes les Hes de 1'Archipel, que polfédoient les Cbrêtiens; &, quoique les conférences de tous ces Princes, & Seigneurs, dunuTent long-tems, leurs fentimens furent toujours li oppofés les uns aux autres, qu'ils ne purent convenir de rien de pofitif pour la fureté commune de leurs Etats. Désunion qui favorifa les Turcs, & leur donna le molen de fubjuguer les Princes Cbrêtiens, les uns après les autres, comme le Pontife 1'avoit prevu, & appréhendé. Le Roi Pierrin s'étant enfin délivré des Génois, & connoiffant Ie grand befoin qu'avoit fon Etat d'être rétabli, après les cataftrophes, qui étoient arrivées dans la Maifon Roïale, & la défolante guerre qu'il venoit d'elfuïer, & qui f avoit même privé de fa plus importante Place, écrivit au Connétable, fon Oncle,de quitter fa retraite,«Scde venir lui aider a remettre en état les affaires de ce Roïaume défolé , afin qu'il put fe refaire des malheurs, qu'il avoit foufferts. U 1'exhorta, en même tems, de remettre le gouvernemement de la Ville, «Sc du Chdteau de Cérines, au Baron Lucas d'Anziame, qu'il luienvoïa pour cet effet. Le Connétable, qui, de fon cöté, reffentoit vivement les disgraces de fa familie, & les malheurs de fon pays, éxécuta, fans balancer, les ordres du Roi, l'afiurant en même tems, „ que;  de CHYPRE. Liv.XVIIL Ch.IL 883 ^ que, malgré lerisque, qu'il pourroit courir a la Cour, il „ ne manqueroit pas de s'y rendre inceflamment, puisque Sa< „ Majefté croïoit, qu'il pourroit contribuer au rétablilTement „ des affaires, «Sc au foulagement des Peuples. „ II fe rendit enfin a Nicofie, «Sc, a fon exemple, toute la Nobleffe , qui fe trouvoit difperfée en différents endroits de 1'Ile. On y tint divers Confeils touchant les befoins de 1'Etat; &, comme la dernière perfidie du Général Fre'gose, qui avoit emmené kGènes le Sénéchal, «Sc les autres Princes, touchoit fenfiblement le Roi, & les Seigneurs du Confeil, il fut réfolu de travailler , fans relache , k amaffer la fomme, qu'on étoit convenu de payer aux Génois, tant pour leur ran9on, que pour le recouvrement de la Ville de Famagoujle , afin de retirer promtement 1'un, «Sc 1'autre de leurs cruelles mains» ou, du moins, fe fervir de cet argent, pour faire la guerre a ces perfides Ennemis. Le grand Confeil, perfuadé en même tems, que le commerce étoit le meilleur moïen de réparer les pertes du Peuple, «Sc remplir les coffres du Roi, qui étoient entièrement épuifés engagea ce Prince a établir le commerce, qui ne pouvoit plus fe faire a Famagoufte, aux Salines, dont la rade eft la plus vafte, la plus lure, «Sc la plus commode du Roïaume; «Sc, afin de le faire plus promtement fleurir, il accorda aux Négocians, qui s'y établiroient, les mêmes priviléges, «Sc immunités, dont ils jouïffoient k Famagoufte. On travailla auffi a la conftruétion de quelques Galères , pour remplacer celles qui avoient été brülées par les Génois; De plus, on ordonna, qu'on exerceroit la jeuneffe du pays , tant Nobles, que Roturiers, au maniment des armes; «Sc qu'on en formeroit des Compagnies, pour fervir dans les occafions, afin de n'être plus furpris. Cha<  Article I. LeRoi Pierrin envoie cbercher a Milan la Prin«//èValentine, Fille du Duc. 1367Son manage. m H 4 STOIRE G E'N E1ALE - Chapitre III. Tous ces règlemens étant faits, le jeune Roi, a qui 1'Empereur Jean P ale'ologue avoit envo'ié,quelquesanaées auparavant; , des Ambafladeurs , pour lui offrir une; des Princeffes fes Filles, en raariage, voulant faire connoitre a ce Monarque , qu'il n'avoit refufé fon Alliance , qu'en confidé-. ration du refpect, qu'il avoit pour la mémoire du feu Roi, fon Père, qui 1'avoit engagé a époufer la Fille du Duc de Milan, envoïa a Vénije deux de fes Galères, avec quatre autres Catalanes, qu'il prit a fa folde, pour recevoir cette Princelfe, que le Duc, fon Père, y avoit conduite lui-même. Elle s'embarqua fur unVailfeau de cette Efcadre, qui fut encore augmentée de fix autres Galères, que le Sénat eut la générofité d'y a,outer, fous la conduite de Pierre Gradenigo, foit que ce fut a la prière du Duc de Milan, leur voifin, ou pour faire lionneur au Roi de Chypre, leur Ami, & Confédéré. AN peine cette Princelfe fut-elle arrivée en Chypre, fon mariaee confommé, «Scles réjouïffances terminées, que le Roi, qui n'avoit pu apprendre fans douleur, «Sc fans dépit, la mamcre dure, «Scincivile, avec laquelle ontraitoit a Gènes fon Oncle, «Sc fes Coufins, fongea a yremédier. Sans aucune confidération pour leur naiffance, ni pour la Femme du Sénéchal, qui fe trouvoit enceinte, on les avoit enfermés, comme des criminels. II ne fuportoit pas, avec moins d'impatience «Sc de chagrm, les courfes,«Sc les dégats,que faifoit fouvent la garnifon de Famaa-oufie fur les terres de fes Sujets. Pour fe déiivrer deces mquiétudes,ilréfolut deprofiter des Galères Catalancs, qui étoient i fa folde, de quelques Troupes, que le Duc de Milan lui avoit envoïées, & d'autres, que Thebat Voleange avoit le- vees,  es CHYPRE, Lïv. XVIII. Cu. III. 88J vées, par fon ordre, a Vénife, dans le delfein d'affiéger la Ville de Famagoufte, par mer, «Sc par terre. Afin de mieux réüiïir dans cette entreprife, il ajouta a cet .armement plufieurs Batimens particuliers, fit conftruire diverfes machines propres a battre la Place, afTembla tout ce qu'il avoit de Troupes, & forma un camp d'environ fix mille Hommes, dont il donna le commandement au même Volfange, pour fattaquer du cöté de terre, pendant que la Flotte 1'inveftiroft du cöté de la mer: Mais, comme toutes les précautions humaines font inutiles contre les décrets du Gel, cette Flotte fi bien pourvue, «Sc dont les Officiers, nuleJa aiêre. Article///; La Flotte du Roi force le port de Famagouf♦e. , J378. noit, tous les progrès, qu'il auroit pu faire. Cette Princeffe, quoique fatisfaite de la mort du Prince de Galilée, fon Beau-Frere , ne fongeoit plus qu'a fe divertir avec fon cher Comte de Rochas, pour lequel fa tendrelfe, ni fa paffion, n'étoit point diminuée. II eft vrai, que le foupcon, que Volfange infpira au Roi, fit tant d'impreffion fur fon efprit, que, ;pour s'en éclaircir, ce Prince fit arrêter, & fi fort tourmenter les principaux Officiers de la Reine, fa Mère, que quelquesj uns moururent dans les tourmens. [ Un traitement fi violent,& fi peu refpe&ueux, reveilla toutes les fureurs palTées de la Reine; de manière que, fi elle avoit pu traiter avec les Génois, elle ne leur auroit pas été moins favorable, qu'auparavant ; mais elle étoit obfervée de trop prés, pour 1'entreprendre. Elle dilfimula fon relfentiment, en attendant quelque occafion favorable de faire éprouver a Volfange , qu'on ne 1'offenfoit pas impunément. Dès qu'on eut réparé le dommage, que la Flotte avoit {buffert par la tempête, & qu'elle fe fut remife en mer, elle eut non feulement le bonheur de forcer le port de Famagoujle, malgré 1'oppofition de trois gros Navires, que les Génois avoient placé a fon embouchure, mais encore de les brüler, &de ferrer la Ville de ce cöté-la, pendant que le Roi, qui s'étoit rendu a 1'Armée , la preffoit du cöté de terre; de forte que, quelque défenfe que fiffent les affiégés contre les affiégeans, qui emploïoient toutes leurs forces, les Famagouftains auroient été obligés de fe rendre, faute de vivres, d'autant plus que deux Galères , qui leur venoient, chargées de provifions , furent prifes par celles du Roi, qui croifoient fur les cötes. Mais 1'avidité des Payfans, & des Soldats mêmes, qui trouvoient le moïen de leur fournir des provifions, fans que les Of> ficiers fuffent affez clairvoïans pour s'en appercevoir, fut caufe qu'ils continuèrent a fe défendre avec la même vigueur. Pen-  ©e CHYPRE. Liv. XVIII. Ch. III. 88?. Pendant que le Roi faifoit prelfer le fiége, avec fi peu de fuccès, Volfange, toujours plus audacieux, fe fervit du prétextede lahaine, que la Reine Mère avoit contre lui, pour demander k ce Prince le Chateau de Cbirocbitie, avec permiffion d'en augmenterlesfortifications, "afin," difoit-il, "que, fi fon fmcère attachement pour la gloire de Sa Majefté le " rendoit un jour aflez malheureux, pour être obligé de chercher „ un afile ailleurs, qu'auprès de fa Perfonne, il put s'y retirer,& v attendre de nouvelles occafions de s'emploïer pour fon fervice. " 11 trouva le Roi aufli froid, & retenu, qu'il avoit été auparavant facile alui accorder toutes fes demandes. En effet, fa confidération, qu'il avoit pour cet Officier, ne lui avoit jamais permis de lui rien refufer, tant qu'il ne s'étoit agi, que de 1'enrichir en biens, & en dignités; Mais fa demande luiparoiflant trop indifcrette, il lui répondit, pour ne le pas rebuter entièrement, "que, comme il ne pouvoit pas difpofer des Forts du Roïaume, fans la participation de la Cour fupéneure, 1 il la confulteroit la-deffus. Cependant lebefoin qu'il croïoit avoir de cet Officier, fans lequel il défefpéroit de pouvoir venir a bout de fon entreprife fur Famagoufte, fit qu'il ne sarreta pas longtems dans la réfolution, qu'il avoit prife, de ne lui plus donner aucun Fief. II confulta , fur ce fujet, fon Aumónier , Homme d'une grande intégrité, confommé dans les affaires de la Cour, & très-inftruit des intéréts de la Couronne. Ce bon Religieux lui fit comprendre, qu'il étoit fort dangereux de rendre un Sujet maitre d'une Forterefle, qui pourroit le mettre en état de ne lui point obéïr un jour: néanmoins, ce Prince, qui vouloit ménager fonfavori, eut la complaifance de lui donner leBour| SAchellia, dans le Canton de»?, qui valoit fjx mille Ecuj de rente, fans pourtant que fa bonté, ni fa libéralité put fatisfaire cet ambitieux, qui, bien-loin d'en être reconnoifTant: Vvv vv a fui Le Roiri' fiéfe une grace ct Volfange, i i  tommis par Volfange. Volfange tondamné a «voirlatête trancbce. 888 HISTOIRE GE'NE'RAlE fut affez fcélérat, «Sc affez infame, pour s'en aller, de propos délibéré^a Nicofie, oü Ie Roi étoit retourné, «Sc y affaffiner TAumonier de Prince , paree ftü avoit apris que fon confeil favoit détourné, de lui accorder fa demande. II cómmit cet homicide hors de la Ville, pendant que ce Reiglieux fe promenoit avec le Vicomte de Nicofie. Ale'sopulo, compagnon de Volfange, s'avanca, en même tems, furie Vicomte, & Ie perca d'un coup depée, paree qu'il vouloit défendre 1'Aumonier du Roi. Le meurtre de deux Perfonnes atfffi diftinguées, 1'un par fon grand age, fon emploi, «Sc fon caraftère facré, «Sc 1'autre par fa naiffance, «Sc par une des plus éminentes charges de 1'Etat, puisqu'il repréfentoit Ia perfonne du Roi, toucha fi fenfiblement ce Prince, qu'il ordonna fur le champ, qu'on arrêtat ces deux Affaffins. Ceci ne leur fit rabattre rien de leur infolence Volfange,fe flattant de la tendreffe du Roi, «Sc Ale'sopulo de la faveur de la Reine Mère, qui le chériffoit tendrement, frapèrent, blefsèrent les prémiers, qui fe préfentèrent pour les faifir: Mais ils furent, enfin, forab dans la maifon de Volfange, oü ils s'étoient barricadés; «Sc on les condamna, dès le même jour^ a avoir la têtetranchée dans la Place du Palais, «Sc leurs domeftiques a être pendus dansle mêmeendroit, oü ils avoient commis le crime; ce qui fut exécuté peu de jours après. Par leur "uplice, 1'Etat fut délivré d'un indilcret, qui abufoit des bontés de fon Prince, «Sc la Reine Mère vangée d'un ennemi, qui 1'avoit fi fenfiblement outragée ; II eft vrai, que la fatisfaclion qu'eut cette Princeffe de la mort de Volfange, fut contre-balancée, par la douleur, qu'elle reffentit, de la perte de fon eune Adonis.  «e CHYPRE, Liv. XVIII. Cu. IV. 889 Chapitre IV. Cependant, le Roi craignoit, que 1'exécution de Volfange ne fit mutiner les Troupes, dont il étoit fort aimé; &, comrae-il fouhaitoit, que le Siége de Famagoufte ne fut point interrompu, il en donna Ie commandement au Baron Jean de Brie's, «Sc lui ordonna de le continuer avec toute la vigueur polfible; pendant que, de fon cóté, il s'apliquok a faire perfectionner la Citadelle, ou la grande Tour, que le feu Roi, Ion Père, avoit commencée a Nicofie, «Sca laquelle il faifoit travailler tous les Génois, qu'il avoit en fon pouvoir, enchainés comme des efclaves, afin de fe vanger des mauvais traitemens, que le Sénat faifoit fouffrir au Sénéchal, «Sc a fon Epoufe, qu'ils avoient fait enfermer comme des malfaiteurs dans la Tour, dite Malapaga, & aux deux Princes Jaqtjes, & Hugues , leurs Nevéux, qui étoient dans celle de la Lanterne, oü ils les laiffoien mtême manquer du nécelfaire. ; - Cependant, malgré les ordres prelfans, qu'il avoit donnés au Baron de B r 1 e's de poulTer vigoureufement le Siége, le peu d'expérience de ce Commandant, «Sc fon naturel craintif, ne lui permettoient pas de rien entreprendre, fans envoïer confulter la Cour. Auffi, perdit-il toutes les occafions, qu'il auroit pu avoir de forcer la Place. As la foiblefTe de fa conduite fe joignoit le relachement des Troupes, qui, ennuïées de la longueur d'un Siége, oü elles demeuroient presque toujours dans finaétion, &rebutées du peu de fuccès, méprifoient bien fouvent les ordres d'un Général, fi peu capable de les commander. Ils s'amufoient a courir les campagnes, «Sc a prêter la main aux Payfans, lors que ceux-ci portoient des vivres aux Aifiégés, Vvv vv 3 qui Article/. Le Roi fait perfeüionner la grande Tour de Nicofie.  8$o HISTOIRE GE'NE'RALE Grandts dé penjes du Roi inutiUs. Article II. Le Roi fait empoifonner k Comte de Rochas, favori de la Reine, fa Mère. J38o. qui le leur payoient fort grafTement. Ceft ainfi que , faute d'un Officier d'expérience, le recouvrement de cette Place, que le Roi avoit tant a coeur, «Sc que le peu de provifions des Affiégés lui auroit rendu facile, puisqu'ils avoient perdu leurs Vaiffeaux, «Sc leurs Galères, «Sc qu'ils ne recevoient de Gènes aucune alfiltance, lui coüta, au contraire, la perte des groffes fofnmes, qu'il avoit cédées au Duc de Milan, fon Beau-Père, & de celles qu'il avoit fait toucher aux Seigneurs ó&Final, pour les engager a faire la guerre aux Génois, «Sc, de plus, toutes les grandes dépenfes qu'il avoit faites pour cette entreprife. Ainfi, il fut obligé de fabandonner après c^x-huit mois de fiége, «Sc de demeurer fur la défenfive. Les cmbarras, que lui avoit avoit donné cette malheureufe expédition, joints a fa grande jeuneffe, ne lui avoient pas permis jusqu'alors de faire beaucoup d'attention a la conduite irrégulière, «Sc fcandaleufe, de la Reine, fa Mère; mais il commen9a, enfin, a ouvrirles yeux,«Sc en devintauffiinftruit, que 1'étoient tous fes Sujets. La Reine Valentine , fon Epoufe, qui avoit recu quelque mécontentement de fa Belle-Mère, confirma fonMari dans fes foupcons, «Scle porta a empoifonner, dès le lendemain, le Comte de Rochas, a fa table. Le Roi dit, en même tems, a la Reine Mère, "que, fi elle ne changeoit „ de conduite, elle n'avoit qu'a s'éloigner de la Cour, oü il „ ne permettroit plus qu'elle fcandalüat les bons, & fervit „ d'exemple aux méchans. Le fermeté, avec laquelle il lui déclara fès fentimens, «Sc la manière violente, avec laquelle il venoit de fe défairedu Comte de Rochas , frapèrent d'autant plus cette PrinccfTe, qu'elle aimoit depuis fi longtems pe favori, «Sc qu'elle n'auroit jamais £ru fon Fils capable d'une pareille réfolution. Auffi, ne fe croïant plus en fureté auprès de lui, elle fe retira, dès ce moment, a( ■Cérines, fans même Je revoir. Elle difpofade feseffets, recom- manda  de CHYPRE. Liv.XVIlI. [Ch. IV. 891 manda aux foins de Thomas Cartofilaca , qui avoit fuccédé a A l e's o p ü l o dans fes faveurs, les revenus qu'elle avoit dans le Roïaume; &; perfuadée qu'elle n'y pourroit plus vivre avec les mêmes agrémens, & la même liberté ,qu'auparavant, elle fréta un Vailfeau, fur lequel elle s'embarqua pour fe retirer auprès du Roi , fon Père; ne lailfant en Chypre autre mémoire de fa Perfonne, que le déteftable fouvenir de fes impudicités, & de fes trahifons, qui avoient caufé, dans la fleur de fon age, la perte du plus grand Prince, qui eut jamais gouverné cet Etat, & celle de la meilleure Place du Roïaume. La fatisfaction,que les Peuples reffentirent de 1'éloignement d'une Perfonne, qui leur avoit caufé tant de maux, auroit été complette, fi le chagrin de voir leur Souverain fans fuccef feur, & fans efpérance d'en avoir, nel'eüt diminuée. Ce Prince , quoi que fort jeune , étoit devenu fi extraordinairement gras, & réplet, que fa fanté en étoit extrêmement altérée. Le Connétable fon Oncle étoit mort, fans avoir laiffé d'Enfans de Marie de Bourbon , fon Epoufe. Le Sénéchal, & les autres Princes du Sang, fe trouvoient au pouvoir des Génois, qu'ils confidéroient, comme leurs plus cruels Ennemis, ainfi qu'ils 1'étoient en effet, puisque, malgré les bons offices de G r e'g o i, re XI. & les mouvemens que ce Pontife s'étoit donnés, tant a Jvignon, qu'après fon retour a Rome, il n'avoit jamais pu détourner la fureur des Génois, a 1'égard du Roïaume de Chypre, ni les empêcher de maltraiter les Princes, qu'ils détenoient fi injuftement- Ce fut ce Pape, qui transféra a Rome le St. Siége, qui avoit été foixante-onze ans en France. On prétend, que la réponfe, qu'un Evêque fit au Pape, fut la caufe de ce changement. Gr e'g 01 re lui aïant un jour reproché fa trop longue abfence de fonDiocèfe,ce Prélat lui paria hardiment en ces termes; Et Fous, Saint Pere ! pourquoi n'ailez Fous pas réfider dans h La Reitte Mère Jerstire de Chypre* Article/^  8pz HISTOIRE GE'NE'RALE j i Mauoate traitemens des Génois envers les Ötages Chypriots. Article/P. Toute la Chrëtienté eu confuJion, par la plurnlité des Tapes, 'e vótre, afin d1 empêcher les malheurs, que votre abfence eau- , non feulement a la Fille de Rome , mais encore a toute ''Italië. On en attribue aufli la caufe aux prelTantes Lettres, :me lui écrivit a ce fujet Ste. Catherine de Sienne Sc aux fortes follicitations de Balde, fameux Jurisconfulte, qui ivoit été Précepteur de ce Pontife. Les foins, & les exhortations d'Urbain VI. fon Succelfeur, ne firent pas plus d'impreflion fur le Sénat de Gènes, a fégard des Princes prifonniers. On les traita toujours, avec tant de rigueur, & de févérité, que le Prince Hugues, dont la comDlexion n'étoit apparemment pas li bonne, que celle de fon ?rère, en mourut. Le Sénéchal y feroit aufli mort de faim, ans le fecours de quelques petits ouvrages, que fa Femme faii)it de fes propres mains. Urbain fe trouva, peu de tems après fon exaltation, dans de fi grands embafras, qu'il lui fut impoflible de continuer fes follicitations en faveur des Princes Chypi'iots. II avoit cherché a fe maintenir lui même contre Robert, Cardinal de Genève, slu en fa place, par huit Cardinaux de fon propre parti, peu fatisfaits du commencement de fonRègne. Robert s'étoit retiré a Fondi, fous la protection de Jeanne, Reine de Naples. Cette Princelfe étoit mécontente d'Urbain, paree qu'il avoit refufé le Titre de Roi de Naples a Otiion, Duc de Rran/che, fon Mari ; de forte qu'elle foutint cette éledion, &c obligea tous fes Sujets , a reconnoitre ce Cardinal, fous le Nom de Cle'ment VII. II fe retira a Jvignon, oü il attira d'abord dans fon parti les Rois de France, & deCa/lille, dont 1'exemple fut fuivi de plufieurs autres Princes; de forte que toute la Chrêtienté étoit en confufion, paree que ceux d'Outremer, ne pouvant bien diftinguer lequel des deux Papes étoit le véritable, ni auquel ils pouvoient s'adrelfer pour leurs affaires, le parti de 1'un n'étoit pas moins grand , que celui de 1'autre ; & , par cette divifion, 1'un,  de CHYPRE. Liv. XVIII. Ch. IV. £g| 1'un, ni 1'autre, n'avoit Fautorité, qui convenoit au véritablc Vicaire de Jefus - Cbrifl. De plus, Charles de Duras faifoit la guerre dans le Roïaume de Naples, dont Urbain lui avoit donné 1'inveftiture, après en avoir privé la Reine Jeanne , en punition de ce qu'elle avoit favoriféles Ennemis du St. Siége, Sscaule le Schisme dans 1'Eglife de Dieu. Cette partialité caufa de grands maux dans cetEtat, & même la mort funefte de cette Princelfe, que le nouveau Roi Üt étrangler en prifon. Chapitre V. Dans ce même tems 5 Jean F er n and es d'He're'dia, Grand-Maitre de Rhodes, qui avoit eu le malheur de tomber au pouvoir des Turcs, en attaquant la Ville de Fatras, de concert avec les Vénitiens, n'étant pas fecondé par fon Ordre, ne fortit d'efclavage, que trois ans après. Ces Chevaliers, qui n'avoient encore voulu reconnoitre aucun des deux Papes, n'en craignoient, par conféquent, point Fautorité, & jouïffoient tranquilement des revenns, qu'ils devoient payer au tréfor public. Enfin, la Ville de Smirne, qui appartenoit proprement au St. Siége, & de la confervation de laquelle les Pontifes avoient été fi jaloux, demeuroit fi dépourvue, qui ceux qui en avoient la direction defefpéroient entièrement de pouvoir s'y maintenir, ni Fempêcher de retombcr au pouvoir des Turcs. George , Archevêque de cette Ville, & Nicolas de Mantoue , qui en étoit Connétable, pour éviter ce malheur, étoient allés a Rhodes, demander du fecours au Grand-Maitre, qui y étoit de retour de fa captivité ; mais, comme les grolfes fommes, qu'il avoit été obligé de payer pour fa rancon, 1'avoient Xxx xx mis Article/. Le GrandMaitre de Rhodes pris par les Turcs. Jeanne , Reine de Naples , étranglèe en prifon, par ordre du nouveau Roi.  Smirne fansfecturs. ï.382. 'Pfvjifim entre les Chevaliers de Rhodes. Article //. 804 HISTOIRE G E' N E' R A L E mis hors d'état de leur en donner, il leur confeilla d'aller k Avignon, notifier a Cle'ment, que lui & fa Religion 1'avoient enfin reconnu pour véritable Pontife; & de lui repréfenter l'extrémité, oü fe trouvoit cette Place, «Sc la néceffité d'y pourvoir promtement, fans quoi elle retourneroit bientöt au pouvoir des Infidèles. Cette démarche, quoique judicieufe, bien loin cPêtre utile aux affaires de Smirne, nefit qu'augmenter le desordre de celles de Rhodes. Tant le fchisme étoit pernicieux aux affaires de la République Chrétienne. Urbain fut tellement piqué de ce que la Religion Jérojöïymitaine avoit reconnu fon concurrent, que, fans confidérer lepéril, auquel ilexpofoit leur He, & les autres qu'ils poffédoient, il priva le Grand-Maitre du Magiftère, «Sc fit affembler a Valmonton, lieu de fa réfidence, a quelque diftance de Rome, tous les Chevaliers de cet Ordre, qui fe trouvoient dans VEtat Eccléfiajtique, en préfence desquels il élut pour Grand-Maitre Richard Caraccioli , Prieur de Capoue, que le Couvent ne voulut pourtant jamais reconnoitre. II fut néanmoins reconnu de quelques Chevaliers, qui avoient fadminiftration des Commanderies de la Religion, «Sc qui, par conféquent, ne pouvoient être contraints a en rendre compte. Ainfi, le tréfor demeuroit vuide, le Couvent endetté, «Sc les Chevaliers hors d'état de fournir aux dépenfes néccfTaires pour la confervation de leur pays, fans que ce facheux inconvenient, non plus que toutes les défolations, lesguerres, les incendies, les afTaffinats, «Sc mille autres cataflrophes, que caufoit le fchisme de 1'Eglife, fuffent capables de faire délifler 1'un, ni 1'autre, de ces deux Pontifes de leurs prétenfions. Les Chypriots, plus avifés, dans cette occafion, que ceux de Rhodes, ne voulant avoir aucune part a toutes ces brouilleries, celTèrent de folliciter Urbain en faveur de leurs Princes, qui étoient prifonniers a Gènes, «Sc ne recherchèrent jamais Cle'ment pour leur délivrance > ni pour aucune autre affaire; mais ils  de CHYPRE. Liv. XVIII. Ch. V. 8o* ils furent, enfin, obligés de fortir de leur neutralité; «Se, a fimitation des autres Etats Chrétiens, de s'attacher -a 1'un des deux Pontifes. Ce fut au prémier, tant paree qu'ils crurent fon éleclion plus Canonique, qu'a caufe qu'il étoit grand ami des Génois, qu'ils avoient plus d'intérêt que jamais de ménager, a eaufe de la mort du Roi Pierrin , qui décéda après fix mois de langueur, que lui caufoit fon exceffive grahTe, dont on peut dire qu'il fut étcuffé dans fa vingt-fixième année, lans laiffer d'Enfans. 11 n'en eut jamais, pendant fix ans de mariage avec Valentine Visconti, qui, felon le Père Luzignan, étoit decédée avant lui, quoique les autres Hiftoriens la lui faffent furvivre de plufieurs années. Ce Prince fut inhumé dans 1'Eglife de St. Dominique , oü étoit la fépulture ordinaire de la Maifon Roïale, avec beaucoup plus de pompe, ^^S5P<^ Paleologue , qui fe difputoient fEmxxj w \3 pjre ^e Confiantinople, afin de les fubjuguer snfuite, avec plus de facilité fun, & fautre, il avoit couru la Ca-  HISTOIRE GE N. de CHYPRE. Liv. XIX. Ch.1. 907 Capadoce, defolé la Fhrygie, envahi T Armenië, fur un des plus grands Capitaines du Siècle : vaincu la Caramanie , faccagé la Macédoine , affujetti la VaJachie, ravage la Bulgarie, & VAlbanië. II avoit lailfé des garnifons dans divers endroits, furtout dans la Ville de Nicopolis, oü il défit encore fArmée Cbrétienne , malgré les grands renforts que Sigismond , Roi d'Hongrie, avoit recus de divers Princes, & que le Duc de Bourgogne, avec Guillaume de la Tremouille , Connétable de France , le Seigneur de Vienne , le fameux Maréchal de Boucicaut , & divers autres Seigneurs Francois , poulfés d'un véritable zèle de Religion, 1'avoient joint avec huit mille Chevaux , auffi bien que Piiilibert de Naillac, Grand-Maitre de Rhodes, Succelfeur d'H e r e'd i a , avec la fleur de fes Chevaliers, & de belles, & bonnes Troupes ; & , non - obflant que Sigismond eut compofé une fi nombreufe , & floriffante xA.rmée , que lors qu'il la vit rangée en bataille, il s'écria, avec un peu trop de vanité , qu'elle étoit capable , non feulement de détruire Bajazet , toutes fes Forces , mais encore de joutenir le del fur la pointe de fes lances , stil étoit prét a tomber. Sa déroute fut cependant fi grande , & la Viéfoire de Bajazet fi complette , que , fans le bonheur , qu'eurent le Roi d'Hongrie, & le Grand-Maitre de Rhodes, dattraper une petite barque fur le bord du Danube , avec laquelle ils defcendirent dans le Font-Euxin , oü ils trouvèrent la Flotte Vtnitieme, commandée par Thomas Mocenigo, qui les recut, & conduifit Naillac a Rhodes, & Sigismond en Dalmatie, ils auroient eu le même fort que le Duc de Bourgogne, &presque tous les autres Seigneurs Franfois, qui furent tués 1ur le champ de bataille, ou faits prifonniers. II faut néanmoins dire a leur avantage, qu'ils vendirent bien chèrement leurs vies, & leur liberté, puisque, fi, dans cette malheureufe journée, les Cbrêtiens perdirent prés de vingt mille Hommes, Bajazei er Défaite ds ''Armée Chrctienné, parttaLizet.  908 HISTOIRE GE' N E' R A L E 1397Article//. . Bajazet attaqué par ■.Tauierlan. en perdit plus de foixante mille. Cette perte ne Tempêclia pas d'aller reprendre le fiége de Confiantinople, qu'il n'avoit quitté, que pour détourner les Cbrêtiens de celui de Nicopolis. II fe feroit rendu maitre de .cette Vüle Impériale , qu'il avoit réduite a la dernière extrémité, pendant que fEmpereur Emanuel fe trouvoit en France, oü il étoit aller demander du fecours au Roi Charles VI. fans 1'arrivée imprévue de Tamerlan, qui vint fondre fur YJfte, & obligea Bajazet a lever le fiége, pour aller défendre fes propres Etats contre ce dangereux ennemi. Ce furieux torrent de gens barbares, «Scféroces, qui , après avoir paffé leur jeunelfe dans les brigandages, & dans les voleries fur leurs voifins, auxquels ils jenlevoient les troupeaux, qui faifoient leur richelfe, vint inonder le pays, & fe rendre rédoutable a des Nations entières. Ces Barbares les fubjuguèrent, fous la conduite du fameux Tamerlan , qui, après s'être emparé de la fouveraineté de fon pays natal, & avoir formé un grand Empire des autres, qu'il avoitconquis, ne s'oifenfoit point d'être appellé Chef de voleurs. Voulant enfin étendre fa domination, il envahiffoit indifféremment les Provinces des Infidèles , & celles des Cbrêtiens. Leurs Forces n'auroient pu lui réfifter un moment, fans le dépit, qu'il concut de la fierté, avec la quelle Bajazet lui renvoïa des AmbalTadeurs, qui étoient allés, de fa part, lui demander la reftitution des Etats de quelques petits Souverains Turcs, dont Bajazet s'étoit emparé, & qui avoient eu recours a fa protection. Le Roi de Chypre, dont les Etats n'étoient point encore rétablis des grandes pertes, & des furieux ravages, qu'y avoit caufé la pefte, travailloit de nouveau a amalfer de 1'argent, pour fe mettre en état d'exécuter fes projets, pendant que ces deux Puilfances barbares, fe faifoient la guerre, & qu'il n'avoit pas lieu de craindre, que Tune, ni 1'autre, fongeat a 1'inquièter. II recommenca a exiger la dime Roiale, óc les autres im-  de CHYPRE. Liv. XIX. Ch. I. 909 impöts, qui avoient été établis, ieus  Lts En/au de Bajazet Je détruifer, les uns les autres. W>9- Article 7. Le GrandMaitre de Rhodes s'empare i'unCbdteau,poJJld(farles Turcs, dans la Ciiiie. Chapitre II. T e Grand-Maitre de Rhodes, profitant de la difcorde des Turcs, fit armer les fix Galères de la Religion, & divers autres Batimens, s'embarqua lui même, & alla s'emparer d'un Chateau, que ces Infidèles poffédoient dans la Carie, dont il trouva la fituation fi avantageufe , qu'il en fit d'abord augmenter les fortifications, le nomma le Chateau St. Tierre, s?i3 HISTOIRE GE'KmALE Dieu, bien qu'il ne fut ni Chrètien, m Juif, ni Malmnêian; &, pourfinir ici ce qui Ie regarde, il a mérité d'avoir, dans les écritsde ces derniers Siècles, le plus beau, & le plus noble caraclère, que puiffe jamais avoir remporté une perfonne d une Nation, qui eft fi différente d'elle même. r Les Enfans de Bajazet, auxquels Tamerlan avoit donné ,1a liberté, malgré les malheurs, qui étoient arrivés a leur Père , que le défcfpoir avoit fait mourir dans une cage, en donnant de la tête contre les barreaux; & nonobftant la perte de leurs plus braves Officiers, & Soldats, & la deftruétion des meilleures Provinces, que leur Maifon poffédoit, fe faifoient encore une guerre fi cruelle, & fi opiniatre pour la poffelfion de ce qui leur reftoit,que les Princes Cbrêtiens les en auroient entièrement dépouillés, fila continuation de leur mésintelligence, & le Schisme, quiduroit toujours dans 1'Eglife, & qui diminuoit extrêmement fautorité du St. Siége, avoit permis a Boniface IX. qui avoit fuccédé a Urbain VI. ou a Be'noit VIL Succeffeurde Clement VII. de fe donner les mouvemens néceffaires, pour exciter les Princes Cbrêtiens a prendre les armes pourime oeuvre fi falutaire a toute la République Chrétienne; Mais ces Pontifes étoient alors fi peu confidérés, qu'ils avoient bien de la peine a foutenir leur Dignité.  de CHYPRE. Liv.XiX. Cu. II. pi3 &y lailTa une bonne garnifon de fes Chevaliers, avec des Troupes fuffifantes, afin qu'en cas d'attaque ils puffent fe foutenir contre les Barbare. AN Pégard du Roi de Chypre, qui, de fon cöté,- auroit pu faire contre les Infidèles quelque entreprife glorieufe, & utile, ilfe contenta de jouïr de la tranquilité, que lui procuroit leur désunion, & d'emploïer ce tems de repos a préparer de riches dots pour les Princeffes Agnes , «Sc Cive , fes Filles : Car, quelque empreffement, qu'il eut témoigné, dès fon avènement a la Couronne, d'enlever Famagoufte aux Génois, auxquels il foutenoit toujours qu'il ne 1'avoit cédée, que par force, &pour fe déiivrer de leurs mains; «Sc enfin, quelque commodité, qui s'en fut préfentée, il n'entreprit jamais del'exécuter, pendant prés de yingt ans, que dura fon Règne : Tant fon naturel doux, & paifible, 1'éloignoit de la guerre, «Sc 1'emportoit fur 1'inclination, qu'il auroit eue de reprendre une Place, dont la privation lui étoit d'une conféquence infinie, foit par raport a fon revenu, «Sca fa gloire, que paree qu'elle étoit la principale del du Roïaume, qu'il laiffa au Prince Janus, fon Fils, vers la fir de 1'année 14.01. qu'une violente fièvre 1'emporta, malgré for bon tempérament, dans fa 64. année. Son corps futinhumé dans 1'Eglife de St. Dominiaue, fépultun ordinaire de fes Prédécelfeurs, avec les cérémonies accoutumées & beaucoup de régrets de fes Peuples, d'avoir perdu un Sou verain fi rempli de douceur, «Sc de démence. II laiffa de foj manage, avec lavertueufe, «Sc généreufe Yolande de Beb sinie, dix Enfans; Janus, qui fut fon Succeffeur; le Cade nommé Hugues , qui' avoit embraffé PEtat Eccléfiaftique , fi fait Cardinal du Titre de St. André, par le Pape Martin \ en 1'année 14.26. Philippe, que fon Pere avoit nommé C01 nétable du Roïaume; Eudes, Sénéchal; Gui, Connétable c Jérufalem ; & Henri, Prince de Galilée ; Marie, & Isabe] xe, niariées, 1'une a Üladislas , Roi de Naples, 6c 1'autre Zzz iz 3 Pie 1 * 14.01 ^ l ï Le Roi de Chypre 1 meurt, ^ . hijjedix Enfans. 1 t t f l- e »  Erreur de Loredan. Erreur du Père Luzijnan. Article IL i pi4 HISTOIRE GE'NE'RALE Pierre de Luzignan, Comte de Tripoli; Agnes, &CiVe, qu'il penfoit a pourvoir, lors qu'elles moururent, toutes les deux, en peu de jours. Loredan , qui doit avoir travaillé fur de mauvais mémoires, avance, que ce Prince ajouta la Couronne d'Arminie a celles de Chypre, «Sc de Jérufalem, qu'il polfédoit (dit-il) dès fannée 13S6. par la mort de Lionet de Luzignan, qui mourut prifonnier chez les Turcs; ce qui eft fi peu probable, que, malgré la prifon, «Sc la mort de ce Prince, le Roïaume d'Arménie n'a été entièrement envahi par les Turcs, que fort longtems après, «Sc qu'on trouve même que le Chevalier Jean Corsin, qui en étoit Sénéchal, avec divers autres Seigneurs de ce pays la, étoient allés a Rhodes en fannée 1390. demander du lecours a la Religion, en attendant celui que Livon IV. leur Roi, étoit allé demander lui même aux Princes de ï'Europe; de forte qu'il n'elt pas naturel que le Roi de Chypre s'appropriat une Couronne du vivant de fon Prince légitime. Le Père Luzignan n'a pas fait une moindre faute, en avancant, que le Roi Jaques prit la Couronne dArménie, puisqu'il affure, en même tems, que ce Prince mourut en Chypre en 14.04.. de forte que, ni 1'un, ni 1'autre, de ces Auteurs n'ont eu raifon de dire, qu'il prit ce titre, puisque ce ne fut que Janus , fon Succelfeur, qui, comme le plus proche Parent du Roi Livon, ou Lionet , 1'ajouta a tous les autres, qu'il portoit, quoi qu'il n'eüt jamais lebonheur de rien récouvrer de ce miférable Roïaume , non plus que de celui de Jérufalem. Tout ce que ce Prince put faire fut de recevoir en Chypre, avec beaucoup d'affection, «Sc de tendreue, tous les Arméniens, qui s'y retirèrent après la perte de leur pays, de les pourvoir tous ielon leur condition, «Sc de les traiter comme fes autres Sujets. Enfin, après avoir rendu au Roi, fon Père, les devoirsd'nn Fils trés - reconnoilTant, «Sc trés - refpe&ueux, il fut cou n > 1 u ié ians 1'Eglife de Ste. Sophie, Roi de Chypre, «Sc de Jérufalem, des  de CHYPRE. Liv.XIX.Cii.IL 91? des mains de 1'Archevêque de cette Capitale, affifté des Evêques de ce Roïaume, & de celui de Tharce, qui s'y étoit réfugié. Ce Prince , qui étoit d'un naturel vif, & entreprenant, & dans un ège, oü rien ne paroit difficile, confervant le fouvenir des mauvais traitemens que les Génois avoient fait fouffrira fa Familie, réfolut de commencer fon règne par le recouvrement de Famagoufte, & de tout mettre en ufage pour fe vanger d'une Nation, qu'il haïffoitmortellement. Cependant, comme il n'étoit point en état d'entreprendre ce Siége a force ouverte, il chercha a gagner quelques Officiers de la garnifon, pendant qu'il faifoit travailler aux préparatifs néceffaires pour furprendre la Place. II y auroit facilement réüffi, par 1'intelligence, que 1'Evêque lui procura avec plufieurs Officiers, qu'il avoit engagés, a force d'argent, a lui livrer une des portes, & a fe ranger de fon cöté , dés qu'il y feroit entré; Mais, foit que trop de perfonnes fuffent dans le fécret, ou qu'une Fille du Général Fre'gose, qui étoit mariée avec le Baron Jean Denores, 1'un des principaux du Confeil, plus attachéeaux intéréts delaRépublique, qu'a ceux de fon propre Mari, & de fes Enfans, en eut pénétré quelque chofe, elle .fit promtement avertir Antoine Guarco, qui en étoit Gouverneur, le quel fit d'abord arrêter la plupart des Officiers, & exécuter ceux qui fe trouvèrent coupables de cette confpiration. II redoubla enfuite fi foigneufement les Gardes de la Ville, & du Chateau, que le Roi, qui ignoroit, que 1'affaire fut éventée, fe préfenta inutilement avec fix mille Hommes par terre, & fit invefiir le port, par le Général Caffrano ; car, bien loin d'y trouver la facilité, dont il s'étoit flatté, il y perdit beaucoup de monde. Ce malheureux fuccès n'empêcha pas Janus d'en formerle Siége, malgré les rémontrances de fes principaux Officiers, qui prévoïoient rimpoffibilité de fon entreprife ; &, comme il fuivoit beaucoup plus fon courage, Sc fa paffion, que les prudens avis de gens expérimentes, pien-loin d'en être touché, il dit hau- Couronnement de Janus, Fils du Rei Jaques. 1402- ■Iltenteimt' tilement d'óter Famagoufteaux Génois. 11 en forme Is Siège*  oio* HISTOIRE GE'NE'RALE hautement, que la barbe lui blanebiroit, avant qiiil abandonnat ce Siége. II fit mème publier, a fon de trompe, que perfonne n'eüt a en parler, föus peine de la vie. II efevrai que fon opiniatreté a battre la Place fit enfin appréhender au Gouverneur de fuccomber, s'il n'étoit bientöt fecouru. Ceft pourquoi illui demanda une fufpenlion d'armes, pour vingt-quatre lieures, que le Roi lui accorda, pour écouter fes propofitions. Mais ce fin Génois, qui avoit connu ce Prince pendant fa captivité, bien-loin de lui en faire quelcune avantageufe, comme il s'y attendoit, feignit d'abord d'entrer dans fes intéréts, & fit bientöt tomber le difcours fur le puiffant armement, que faifoit la République, afin de 1'intimider, «Sc le faire défilter de fon entreprife; mais n'y pouvant réülfir, il s'avifa de lui reprocher, " qu'il vouloit dépouiller une Nation, chez la quclle il „ avoit pris naüfance, dune Place qu'elle polfédoit a très-jufte „ titre , puisqu'elle 1'avoit, prémièrement recue en gage des „ fommes, que lui devoit le feu Roi Pierrin, & obtenue enfuite a, „ perpétuité du Roi Jaques , fon Pere ; A quoi ce Prince rapartit, " qu'il ne devoit point tant vanter la donation du. feu „ Roi, fon Père, qui n'avoit été qu'un effet de leur violen„ ces, «Sc pour fe déiivrer de leur tyrannie, ainfi qu'il 1'avoit „ protefté, jusqu'a fon dernier foupir: Qu'a 1'égard des fommes, „ pour les quelles leRoi Pierrin la leur avoit engagée,il étoit affez informé,qu'ellesn'avoient été que trop aquitées,par le „ revenu des douanes de fon Roïaume, dont ils avoient jouï pen„ danttant d'années, «Sc que fon Père leur avoit cédées pourle „ même fujet; Que, d'ailleurs, fa République aïant, fans fcru„ pule, ufurpéinjuftement tous les pays, qu'elle avoit pu pren„ dre dans VOriënt, il devoit en avoir beaucoup moins de lui ar,, racher des mains une Ville, que fes Pères avoient fondée & „ dont il affuroit qu'il feroit tout fon pofïïble pour la chaffer. Le mauvais fuccès de cette entreprife fit cependant voir, que la réfolution, «Se le grand coeurne funifentpas toujours, pour réüflir  de CHYPRE. Liv. XIX. Cu. II. 9i? rèüfïir dans les affaires de la guerre; ear, après diverfes nouvelles attaques, encore plus obftinées que les prémières, il fut - obligé de lever le Siége , pour ne pas achever de perdre infruótueufement fes Troupes, «Sc fes Batimens. La découverte de la Flotte Génoife y donna lieu. Elle étoit compofée de dou2,e Galères , chargéesde munitions, «Sc de Troupes, fous le commandement d1 Antoine Grimaldi , qui ravitailla, «Sc renforca entièrement la Place. Les hoflilités furent fufpendues de part «Sc d'autre, fans qu'on parlat d'aucun raccommodement. Le Roi Janus fe retira a Nicofie , «Sc s'occupa a en augmenter les fortifications, «Sc a lever des foldats, pour remplacer ceux qui avoient péri dans les attaques, afin de recommencer fon entreprife, fitöt que 1'occalion le lui permettroit, fe flattant de pouvoir féxecuter avec plus de fuccès que la prémière fois; d'autant plus qu'il venoit de recevoir quelques pièces de groffe Artillerie, que les Vénitiens lui avoient envoïées, «Sc dont ils avoient été inventeurs, pendant leurs guerres contre les Génois. Mais il ne laiffa pas impunis ceux qui furent foupconnés d'avoir averti le Gouverneur de Famagoujle de Pintelligence, qu'il avoit dans cette Place. Le Baron Simeon de Morfu eut la tête tranchée, «Sc le Baron Jean De nores fut empoifonné dans le Chateau de Buffavento, oü il étoit prifonnier. Grïmaldï repartit peu de tems après de Famagoufte, fur la nouvelle des divifions domeftiques, qui furvinrent a Gènes. Ceft ce qui determina Janus a recommencer le fiége de cette Place; mais, quelques mefures qu'il prit pour y réüffir, il n'en put jamais venir a bout. II femble, que la prifon, oü il avoit pris naif fance, avoit été dun mauvais préfage a toutes fes entreprifes, II n'éprouva pendant tout fon règne qü'une fuite dadverfités, foit dans les guerres qu'il entreprit, ou qu'il eut a foutenir; foit par la défolation, que caufèrent longtems dans fes Etats la Pefte, la Guerre, «Sc les Sauterelles. Aaa aaa Auffi Article///. Sufpenfiom d'armes. Nouvelle entreprife Jur Famagoufteinutile. 9  oi$ HISTOIRE GE'NE'R ALE ArticleZP. Génois fous la protetcion du Roi ds France. Aufli, avoit-il vainement efpéré d'enlever Famagoufte aux Génois, pendant leur guerre intefline, & par les grandes difpofitions qu'il avoit faites. II eut beau battre, & foudroïer cette Place, le bruit du canon ne fit qu'en étonner les Habitans; mais les brêches, qu'il fit aux murailles, furent fi promtement reparées, & fi bien défendues, qu'après des mois entiers de bombardement, & divers aflauts, il n'en étoit pas plus avancé que le prémier jour, fans même que la République y envoï'at aucun fecours. U n'en fut pas de même, lors que les Génois fe furent mis fous la proteccion du Roi de France. Ce Monarque leur donna pour Gouverneur le vaillant Maréchal de Boucicaut. II étoit fi attentifa leur confervation, qu'il paffa lui même en Chypre, avec une Efcadre de neufGalères, & fept grands Navires. II ne fut pas plutöt arrivé a Famagoufte, qu'il attaqua le Camp du Roi, & le mit en déroute, s'empara du Camp , Sc alla affiéger Nicofie, qu'il auroit forcé, malgré les fréquentes forties des affiégés, fans 1'arrivée de Naillac, Grand-Maitre de Rhodes , qui, pouffé d'un véritable zèle de Religion, & craignant que lts Infidèles ne profitaflent, comme ils avoient toujours fait, de la divifion des Cbrêtiens, Sc n'envahifient enFin tout ce que polfédoit fon Ordre, s'y tranfporta, pour ménager un accommodement entre eux. En effet, il agit avec tant de prudence, &de dextérité, Sc auprès du Roi, Sc envers le Maréchal, qu'il les porta a ceffer lèurs hoftilités, Sc enfina la conclufion de la paix, a condition que ce Prince paieroit foixante mille Ducats pour les fraix de I'armement; Sc, que s'il manquoit d'argent pour y fubvenir, il dèpoferoit tels gages , qu'il lui plairoit, entre les mains du Grand-Maitre de Rhodes, jusqu'k ce qu'il eut la commodité de 1'acquitter; de forte que ce Prince , auffi infortuné que fesPrédéceiTeurs, qui fembloient n'avoirpu lurmonter Pafcendant que les Génois avoient pris fut eux, épuifé alors d'argent comptant,. &  de CHYPRE. LiV.XIX Ch. II. $ïj fe trouva dans la dure néceffité de configner entre les mains di Grand-Maitre ce qu'il avoit de plus précieux, qui confiftoit en une couronne, enrichie de pierreries; une guirlande d'or: garnie de perles, & de diamans, avec plufieurs vafes d'or, & d'argent; & quelques Villages attenans a la grande Commanderie; outre quatre mille ducats d'or effeótifs, que le Marécha de Boucicaut toucha lui même. Après quoi fatisfait d'avoir, par ce Traité, rafluré la domination de Famagoujle a la République , il s'en retourna a Gènes , oü fa préfence n'étoit pas moins néceffaire, qu'elle 1'avoit été en Chypre. Le Grand-Maitre, de fon cöté, content des bons offices. qu'il venoit de rendre au Roi Janus, vifita les Commanderies, que fon Ordre polfédoit en Chypre, & s'en retourna a Rhodes. également fatisfait d'avoir fait terminer une guerre, qui pouvoit devenir très-funefle a fa propre Religion, & avantageufe aux Turcs, qui en auroient pu profiter, lans 1'abattement, oü ils fe trouvoient encore, par les grandes pertes, que leur avoit caufé Tamerlan, & dont les Egyptiens même fe reffentoient f fort, que, felon le Continuateur de laGuerre-Sainte, MelecSala, ou Salibi-Quirici , leur Soudan, informé par fes amis 3 & particulièrement par Schit, fon plus grand favori, trèsaffe&ionné aux Chrétiens, qu'il avoit longtems fréquentés, que rien n'étoit plus capable decontribuer a 1'avantage, & au rétablilfement de fes Sujets, que la liberté du commerce avec eux, envoïa le Fils du même Schit au Roi de Chypre, & Hadgi Mahamout au'Grand-Maitre de Rhodes, pour leur propofer le renouvellement de la Paix, qui avoit été établie après la prife ÜAlexandrie, leur offrant même d autres conditions très-honorables, & utiles, non feulement pour leurs Sujets, mais encore pour tous les Chrétiens, qui, par dévotion, iroient vifiter Jérufalem, & les autres lieux Saints. LeRoi Janus, dont les finances étoient entièrement epuifées, & qui ne longeoit, de fon cöté, qu'a les rétablir par Aaa aaa 2 k 1' i » Paix entre les Chypriots,tes Génois,  9zo HISTOIRE GE'NERALE Trève entrt ie Roi de Chypre , le GrandMaitre de Rhodes, & le Soudan d'Egypte. Ie commerce de fes Sujets, profitant des propofitions du Soudan, nhéfita pas un moment a les accepter. Le Grand-Maitre de Rhodes en fit de même, & la Paix entre eux, & le Soudan fut établie aux conditions fuivantes. I. Que la Paix conclue, après la prife $ Alexandrie, en 1167. feroit religieufement obfervée de part,. & d'autre. II. Que le Roi de Chypre, & le Grand - Maïtre de RJoodes pourroient envoïer leurs Confuls a Damiette , a Rama, «Sc autres lieux de la dépendance du Soudan; «Sc qifil leur feroit permis de racheter les efclaves Chrétiens de fun, «Sc de Pautre fexe, ou de les troquer, Homme pour Homme , contre les Sarrafins , qui fe trouvoient en leur pouvoir, a la referve pourtant des Chrétiens, qui voudroient fe faire Mabométans, ou des Mahoméians, qui voudroient embralfer le Chriftianifme. III. Que les Batimens Chypriots, «Sc Rhodiens, pourroient librement charger des grains, «Sc autres viéluailles dans les Etats du Soudan, fans payer aucun droit; «Sc, a 1'égard des autres marchandifes, ijs en paieroient la douane ordinaire ; favoir, a Alexandrie dix pour cent;; k Damiette, trois; a Tripoli, «Sc a Baruth, deux. IV. Que tous les Pélerins , qui iroient vifiter Jérufalem , le Mont de Sinaï, ou les autres lieux de dévotion, ne pourroient être obligés a payer de plus grands droits, que les fuivans;. favoir, au port de Jaffa, pour les gardiens de la Marine, une dragme pour chaque perfonne; a Rama, pour le Confulat, une dragme; pour les Gardiens jusqu'a Beithempe , une dragme; au Caffa de Rama, trois dragmes ; a Jérufalem , pour la- vifite dü St. Sépulcre, foixante,trois dragmes, deftV le:droit du Sou* dan; une dragme, «Scdemi, auxGardiens de St.Samuel; pour le Confulat, huit dragmes; «Sc quatre pour le Trucjieman.^ aux Gardiens de Béthelem, une dragme; au CM--  di CHYPRE. Liv. XIX. Ch. II. 92t Chateau, ou Tour de David, deux dragmes; autant au Fleuve Jordan^, Et une demi dragme a St. Lazare de Bè- thanie.. V. . Que le Soudan rendroit aux Chevaliers de Rhodes la même Maifon,. oü leur Religion avoit été fondée dans Jérufalem, afin qu'ils pultent, comme auparavant, y recevoir les Pélerins, «Scexercer la même hofpitalité, qu'ils avoient accoutumé a leur égard. VI. Qu'ils pourroient même avoir une autre Maifon k Rama^ «Sc qu'il feroit permis au. Grand - Maitre de faire réfider dans 1'une , «Sc dans fautre , tel nombre de Chevaliers qu'il lui plairoit, fans qu'ils fuffent obligés de rien payer, pour aller , «Sc venir a pié , ou< a cheval, dans tous les pays de la domination du Soudan. VII. Qu'il feroit permis aux Chrétiens de faire réparer les Eglifes du St. Sépulcre r de Bèthelem , de Nazareth, du Mont de Sinaï, «Sc toutes les autres, oü étoit leur dévotion, Le Roi de Chypre, &.le Grand-Maitre de Rhodes fignèrent ces articles, «Sc envoïèrent des Ambaffadeurs au Caire pour les faire ratifier au Soudan. Ceux de Chypre. furent les Barons Thomas Prevöt, «Sc Jean Podocatoro; «Sc, de la part du Grand-Maitre, Raimond de Lestores,, Prieur de Touloufe. C H A P I T R E I IE Ce renouvellement dè paix faifoit d'autant plus de plaifir au Roi Janus,, que le Soudan 1'avoit recherché lui même, «Sc qu'il efpéroit, que fes Sujets pourroient a favenrr commercer librement dans des pays , qui lui promettoient des avantages infinis , «Sc le remettroient bientöt des malheurs >„qu'a- Aaa aaa 3. voji Article Jr Nouveaux' malheurs en Chypre.  ?2t HISTOIRE GE'NE' RA L E 1470. La pejle fuiviede l voit caufé la guerre avec les Génois; «Sc par conféquent en état d'acquitcr les fommes, pour les quelles il avoit été obligé d'eagager fa propre couronne. Mais la mauvaife étoile de ce Prince voulut encore, qu'il ne put retirer de cet accommodcment presqu'aucun des avantages, dont il s'étoit flatté. La pefte, qui commen9a, peu de tems après, & ravager fes Etats, interrompit entièrement toute forte de commerce. Cette contagion fut encore fi violente, «Sc fi longue, qu'elle emporta derechef la plupart des Habitans, pendant dix-huit mois , qu'elle dura , malgré le grand~ foin qu'il eut, a 1'imitation de fes Prédéceffeurs, d'établir des Hopitaux & de faire diftribuer abondamment toutes fortes de provifions' pour foulager les peuples. Le fléau de la pefle netermina pas la défolaton du pays. EI"le fut fuivie, comme il arrivé presque toujours, d'une grande famine, faute de gens pour cultiver les terres ; «Sc, par malheur le peu qui furent labourées, «Sc enfemencées, furent entièrement dévorées par les fauterelles, qui, felon leur coutume inondèrent toute 1'Ile, «Sc ne laiffèrent aucun fruit, ni aucune verdure dans les jardins, ni dans les campagnes; de forte que le Roi fut obligé de contracter de nouvelles dettes avec les Génois de Famagoujle, qui lui fournirent auffi plufieurs Batimens, pour envoïer chercherdes grains,& autres provifions en Egypte, <& en Caramanie. II en fit remplir plufieurs magafins, pour en faire diftribuer aux plus nécefliteux de fes Sujets, qui, fans cette affiftance, auroient péri de faim, & de mifère ; «Sc, afin que ceux qui avoient le moïen de s'aider par eux mêmes, ne fuffent point opprimés par les ufuriers, qui profitent ordinairement des malheurs publics, pour fatisfaire leur cupidité, il fit publier un Edit très-rigoüreux contre ces fangfues du Peuple. II régla, en même tems, le prix du blé, de 1'orge, & de toutes les autres Den»  de CHYPRE, Ljv. XIX. Ch. III. 923 Denrées, fans qu'il fut permis a perfonne, fous peine delavie, de faltérer. Cette continuation de disgracesn'empccha cependant pas ce Prince, qui avoit 1'ame grande, 6e généreufe; 6c dont aucune adverfité n'abattoit le courage, d'entrer dans une ligue, que firent plufieurs Princes, 6c Seigneurs Orientaux contre les Enfans de Bajazet. Les principaux furent Emanuel, Empereur de Confiantinople; le Prince Jean, fon Fils ainé; Tiie'odore, Duc de Sparte, 6c Delpote de la Morée ; le GrandMaitre, Sela Religion de Rhodes; Charles de Toca, Duc deLeucate, 6c Comte de Céfalonie ; & Jaques Cathaluse, Seigneur de Métélêne, avec divers autres Seigneurs des lies de l1 Archipel', que la crainte d'être tous envahis, f un après 1'autre, avoit reveille, fur ce que ces Infidèles, après s'ètre longtems battus, 6c mis réciproquement & deux doigts de leur perte, s'étoient enfin remis dans leur prémière grandeur, 6c recommencoienta emplo'ïer leurs armes contre les Chrétiens. La continuation des troubles du St. Siége & de toute VItalië, par la pluralité de Pontifes, caufoit plus dedésordres que jamais3 & mêmes des guerres très-pernicieufes. Les Papes, «SclesAntiPapes s'entre-fuccédoient les uns aux autres,fans qu'aucun d'eux fut alfez pieux, pour rénoncer a cette Dignité, comme 1'unique moïen de terminer ce fchisme, 6c de rendre la paix a 1'Eglife. Ce fut ce qui obligea ces Princes, 6e Seigneurs Orientaux, qui n'efpéroient plus de fecours &Occident, a faire une Ligue, pourtacher de fe foutenirpar eux mêmes, 6c repoulfer les efforts des Barbares, dont ils rédoutoient la puiffance. Le Roi Janus envoïa, presqu'en même tems, 6cavec le même courage, un Ambaffadeur en France, pour demander en mariage Charlotte de Bourbon, Fille du Comte de la Marche, &4e Cathe'rine de Vendóme, qu'on alfure avoir été une des plus belles Princeffes de ÏEurope. La cérémonie s'en £t ie 2. Aoütde fannée 1409, Cependant elle n'arriva en Article II. Le Roi de Chypre fait une ligue y avis plufieurs Princes Chrétiens^ eontrf les Enfans de Bajazet. t Article///,. Le Roi Janus envoie des Amhaf. fadeurs en France, pour detnander en mariage-  Charlotte de Bourbon.1411'. R'jeiiijfanc;s dans l'Jle, al'occafion de ce' mariage. Fécondité de cc mariage. 1412. ArticleJr. Juftes plaintesdes Sarrafins tantre les Chypriots. 924. HISTOIRE GE'NE'R ALE Chypre, qu'en 14.11. Ce Prince eut Ia fatisfaccion de Ia recevoir dans un tems, oü fes Etats commencoient a fe remettre des calamités palfées, & a reprendre leur prémière vigueur, foit par le retabliffement du commerce, foit par celui de toutes les campagnes, qui fe trouvoient alors cultivées, & remplies de toutes fortes de biens • ce qui ne contribua pas peu a la magnificence du couronnement de cette nouvelle Reine. La Noblefle, & le Peuple s'emprelfèrent également a donner des marqués de leur allégrelTe, tant par leurs fuperbes habillemens, que par les fpe&acles, illuminations, & autres marqués de leur contentement. Elle fut couronnée dans PEglife de Ste. Sophie, & recut, dans le même tems, les Couronnes de Chypre, de Jérufalem , & ÜArménie. Le Roi Janus avoit pris cette dernière, après la more de Livon de Luzignan, dernier Roid'Arménie, au quel il fuccéda, comme fon plus proche Parent. La fécondité de <:ette Princelfe ne tarda pas a faire redoubler les réjouïlfances. Dès la feconde année de fon mariage, elle mit au jour un Prince, qui fit toute fefpérance, & la confolation du Souverain, & des Sujets. Heureux, fi quelques-uns d'entre eux, trop avides deprofit, entre autres Jean Gazelle, & Philippe P1 ngue'n 1, PunGouverneur duChateau des Salines, & fautre de celui de Limifol, n'euflent pas trop favorifé les Corfaires Catalans, Scltaliens, qui, après avoir dépouillé les Batimens Egyptiens, quelque fois même les Chrétiens , fe retiroient dans ces ports, oü ces deux Gouverneurs étoient les dépofitaires de leurs pirateries, & fournilfoient toutes les provifions, qui leur étoient nécelfaires pour les continuè'r. Cete partialité, dont les Sarrafins ne manquèrent pas de fe plaindre k leur Soudan, commencaa altérerla bonne intelligence, qui régnoit entre lui, & le Roi Janus, depuis^Pétabiffement de la paix, & caufa dans la fuite Pentière défblation du Roïaume de Chypre, & la prifon du Roi même, par fon trop de  de CHYPRE. Liy. iSK Ch. BS ïde confiance aux Barons du Confeilfupérieur,qui n'entendoient •point affez fes intéréts, ni les leurs propres & par le peu de 4in qu'il prit de s'éclaircir, par lui-meme, de la conduite de •- -ces Gouverneurs, qui avoient donné lieu aux plaintes des Sar' rafins, pour donner fatisfaétion a leur Souverain, dont le me«ontentement étoit fi fort a craindre. On ne prévoïoit point les malheurs, qui pouvoient err arriver • & les principaux Seigneurs du Confeil, auffi impruIns, & avides, que Gazelle, &Pingueni, ne fon, geoient,qu'a jouïr des grands profits,qu'ils-recevoienc du conv merce, que les Corfaires faifoient dans les ports du Roïaume, oü ils achetoient les denrées du pays au prix , que ces Gouverneurs vouloient en exiger. D'ailleurs , le Roi , de fon cote, i étoit entièrement occupé des plaifirs du mariage, ■ & attentif a i recompenfer divers Gentilshommesi^tó, qui avoient acom- pW la Reine-, du nombre -desquels étoit Estolon de la ; Saone, Chevalier deRbodes, que ce Prince défiroit ardemment de retenir auprès delui. Ceft pourquoi auffi, comme la grande Commanderie de Chypre étoit-devenue vacante par la mort de Raimond de Lestolres, qui fut tué, par les Turcs, au fiege de Macre, qu'il avoit entrepris de furprendre, & par celle-du Chevalier Esson de Slegleots, qui n'en avoit jom quune aiinée, il écrivit d'abord a Luce de Valines, Lieutenant du Couvent, de-la lui conférer. Le Grand-Maitre avoit paffe ^Europe, pour affifler au Concile, que 1'Empereur Sigismond avoit convoqué a Confiance, pour mettre fin au fchisme de 1Edife, qui duroit depuis fi longtems. , . v , Comme plufieurs autres Chevaliers prétendoient a ce grand Bénéfice, foit par leur ancienneté, foit pour leur longue réltdence au Couvent, le Lieutenant,-& le Confeil de Rhodes, prirent le parti de le divifer en fept Commandenes, plutöt que de le donner tout entier a un de-leurs Confrères, qu ils croïoient ne lepas mériter. lis envoïèrent en Chypre Pierre de Bbb bbb  5>*5 HISTOIRE GE'NE'RALE Tillis, Grand-Commandeur, & Louis de Vagnon, Amiral del Ordre, pour repréfenter au Roi, Sc k la Reine, «T ul avo, également recommandé le Cieyalier de la SwwTh nS Iatbune°U&rTrntf k jalouCe, & h d.fcorde, que la poffeffion de la grande Comnaandene avoit déja excitéesdans leur Couvent, & pour ïS n er de ne pas trouver mauves, fi, par des ^ commandee Et ,ls leur hrcnt, en même tems, comprendre qu'auheu d un feul Commandeur, qui réfido.t ord,„, t en Chypre, i[ y en auroit fept, qui feroient toujours SI femr Sa Majefté dans toutes les occafions, qm'pouvol" fc Ils préfentèrent au Roi Janus un excellent cheval d'£/W„, qu le Pnellr de Tculouje avoit condmt a Modes; & Sw inftance a ce Prince, pour le lupfier de vouloir oindre oud ques-unes de fes Galères a celles de la Religion, qui avoTent refo u d'envoïer au fecours des Seigneurs d? SeaXs Conl de es, qu, les avoit info™** de la crainte quïls avoi nt d'être at aques par Moussa, 1'un des Enfans de Ba jazet , qui fe trouvok lief £1*"***** armement d val , contre 1 lies, que poffedoient les Chrétiens. Rl^l h0"3ccaf^ k Roi Janus aux Ambaffadeurs de jet d. la grande Commander,e,il s'adreffa auPape Iean XXIII t TS^ **fï de 6 Pr°Pre ™°"<é> * divers Pri , rts &Ba,ll,ages de la Religion, pour le prier de vouloir la conferer a „n Fils naturel, qu',1 avoit, noLé Alex.s, J n étoit pomt encore recu dans fOrdre, & q„i n'étoit agé que de cnq ans. Cependant 1'envie, qu'avoit ce Pontife, de s'attircr des parffans, le fit paffer par-deffus toutes ces raifons II lm exped.a nn Bref , en vertu du quel il lui en fit prendre Poffeffion. Auaiis ne s'en deffaifit, qffaprès la condamnation de  de CHYPRE. Lrv.XIX Ch. III. $27 de ce Pape, que leConcile de Confiance dépofa, auffi bien que Benoit XIII & Gregoire XII. fes compétiteurs, en la place des quels cette célèbre Alfemblée élut,pour vrai Vicaire de Jé. fus Chri/l, Odet Colonne, qui prit le Nom de Martin V. Ce ne fut qu'en 1421. que le Grand Maitre de Rhodes envo-ia fAmiral Jaques cYJllemagne en AmbalTade au Roi deCj&y^,pourlepnerde ne vouloir point priver plus longtems 1 Ordre d'un bien, dont les Rois Prédécelfeurs 1'avoient fi genereufement gratifié, & qui lui étoit fi nécelfaire, pour fe foutemr contre'les Infidèles, envers les quels il n'ignoroit pas quil leur falloit être continuellement armé. Ce Chevalier fut fi bien conduire cette négociation, que le Roi yconfentit enfin. Le GrandMaitre, & le Confeil, de leur cöté, pour lui en temoigner leur reconnoiffance , lui envoïèrent quittance de 12000. Ducats d'or, qu'il devoit au Prieur de Touloufe, depuis le tems qu'il étoit Commandeur de Chypre. La grande. Commanderie de Chypre, divifée en fept autres. Article/. 1414. Chapitre IV. Le mécontententent des Sarrafins augmentoit toujours, de plus en plus, par la continuation des piratenes des Corfaires Catalans, 6c Jtaliens, qui fe retiroient en Chypre. Les clarneurs du Peuple a ce fujet parvinrent aux oreilles du Soudan. II en fut li irrite, qu'il déclara hautement, qu'il vouloit mettre toute Vlle de Chypre afeu, 8? a fang. II 1'auroit peut-être exécuté avec la meme promtitude, fi 1'inclination, que Schit , fon favori, & PrémierMiniftre, confervoit encore pour les Chrétiens, & peut-etre auffi le peu de talent, qu'il avoit pour la guerre, n'eut appaiféfacolère. Ce Miniftre lui rémontra, qu'avant de 1'entreprendre, ü falloit en demander raifon au Roi, qui, ignorant Bbb bbb 2 k  pa* HISTOIRE GE'NE'HALE Le Soudan demande une fatisfaüion, que le Roi lui refufe. Kegligence ajatisfaire. Article iï. I4ISSuites fatheufes de « refus. le préjudice, que recevoient fes Sujets de ia retraite des Corfaires étrangers dans fes ports, ne manqueroit pas de les faire dédommager. Le Soudan fe rendit enfin a ces fages rémontrances, & confentit a envoïer en Chypre le Fils du mêmeScniT, avant d'en venir a aucun acte d'hoftilité. Mais, malheureufement pour le Roi, & fes Sujets, ce jeune Sarrafm, qui avoit été fi fatisfait de fon prémier voïage, fut très-mécontent du fecond, par le peu de confideration, qu'eurent pour lui les Barons Pierre Palestrin, & Jean ScinclitiQüE,que leRoi avoit députés, pour favoir le fujet defonAmbaf-; fade, & par ie peu d'accès qu'il trouva auprès de ce Prince, qui, toujours abufé par les principaux du Confeil, intérelfés a. foutenirles Gouverneurs de Limifol, Sc des Salines, bien-loin d'écouter les plaintes, que cet Envoïé avoit ordre de lui faire, ou de remédiera la faute de fes Officiers, lui fit faire feulement quelques préfens,& le renvoïa,en lui difant, " aifil ne croïoit „ pas d'avoir contrevenu a aucun des Articles du Traité, en „ permettant 1'entrée dans fes ports aux Batimens Chrétiens, „ aux quels il ne pouvoit naturellement refufer 1'afile, ni les „ provifions, qui leur étoient néceffaires, ainfi qu'il fe prati„ que reciproquement entre amis; Qu'il pouvoit alfurer le Sou„.dan, fon Maitre, que, de fon cöté, leur bonne correfpon„ dance ne feroit jamais interrompue; Etque,fi quelcun de fes „ Sujets y donnoit lieu, il ne manqueroit pas de Pen faire pu,, nir févèrement.. Comme cette réponfe étoit plus hónnête , que fatisfaifante , & qu'elle ne réparoit en aucune manière Poffenfe, que le Soudan prétendoit avoir reQue, par Pinfraélion de la Paix, dans les perfonnes, & biens, de fes Sujets, il s'irrita extrêmement contre Schit, qui lui avoit fait faire une démarche fi contraire afoninclination, &afa grandeur; &il jura d'exterminer entiè- • rement les Chypriots; -de forte que ceMiniftre, ni fes amis, qui avoient détourné le prémier orage, n'ofèrent plus entreprendre de :  D-e • CHYPRE. Lit.' XIX, Cm. IV.- 529^ c3e-c-kner fon: jufte courroux, & fe-trouvèrent eux mêmes trésoffenfès du procédé de la Cour de Chypre, qui ne tarda pas » fe répentir du peu d'attention, qu'elle avoit faite a leurs falutai- Soudan fit incelfamment armer toutes fes Galères, & grand nombre d'autres Batimens, ordonna de lever des foldats, ósdes mariniers pour renforcer la Flotte; &, en attendant qu elle füt prête a-partir, & que les Troupes, qu'il avoit envoïees aux . confins de la Caramanie, pour appaifer quelque petite revolte, qui sy étoit formée, fuffent de retour, il dépecba cinq Galères bien armées pour chaffer les Corfaires Chrétiens, & pour commencer a ravager les cötes. de 1'Ile de;Chypre Cette Efcadre fit une defcente bien refolue, & bien conduite a Limifol Philippe Prevöt, qui commandoit dans la Ville s'oppofa a leur débarquement 5 mais ce vaillant Homme n'a'iant point été fecondé par Pingüe'ni , Gouverneur du Chateau,y fut tué,avec tous ceux qui le fmvirent* & les^rrafins faccagèrent la Ville, & la ruinèrenf entièrement. Les autres Milices,- deftinées a fa garde, pnrent la fuite yers les montagnes, dès qu'elles appercurentle mauvais fucces duGou- verneur. . . . . . .„ Les Sarrafins, non contens d'avoir reduit cette Ville en ur monceau de pierres; fans s'attacher au Chateau, qu'ils croioieni difEcileaforcer, s'avancèrent vers le Bourg de Convoela , qu n'étoit guères moins confidérable que Limifol, & le reduiiiren dans un état également déplorable. lis le firent d'autant plus fa cilement, que fix eens Hommes, foudoïés pour la garde de c< Canton, imitèrent lalacheté du Pingue'ni, en abandonnan les Cötes, a la feule vue des Galères Egyptiennes, qui euren toute la commodité de ravager a leur aife, & d'emporter tou ce qu'elles y trouvèrent de meilleur. • ; Cependant les Sarrafins n'eurent pas le plaifir de tranfporte tout leur butin en Egypte, ni le Soudan la fatisfaétion d y vo: Bbb bbb 3 rev' 1417. L'Jk de Chypre eji ravagée par ie Soudan.Limifol eji ruiné. 1418' ' i t" r Articleffio r  5>3o HISTOIRE GE'NE'RALE 1420. Z.;Sondan jure la perte de tous les Chypriots. revenir toutes fes Galères. Car, au bruit de ces désordres, le Roi Janus , outré qu'un fi petit nombre de Batimens euffent fait de fi grands ravages dans fes Etats, fit armer, avec tant de diligence, - quatre Galères, & autant de Galiotes, qu'il avoit dans le port de Cérines , qu'elles joignirent encore les Sarrafins dans le Golphe de Layazzo , oü Thomas Prevot , qui commandoit cet armement, les attaqua fi brusquement, qu'il s'empara d'une de leurs Galères, pendant que les autres fe fauvèrent aux Cötes de la Caramanie. Soit que ce Commandant voulüt vanger la mort de fon Frère, qui avoit péri a Limifol, ou qu'il ne put retenir la fureur de fes Equipages, ils furent aflez inhumains, & cruels, pour malïacrer tous les EgyptienS de cette Galère : Aclion imprudente, qui diminua beaucoup flionneur de la viétoire, & lafatisfacïion du Roi, de s'ètre, en quelque manière, vangé de 1'incurfion de ces Barbares; puis qu'il étoit a craindre, qu'ils ne fuivilfent un exemple fi dangereux , & li contraire aux loix de la bonne guerre, toutes les fois que 1'occafion s'en préfenteroit, tant contre les Chypriots, que contre tous les autres Chrétiens, qui auroient le malheur de tomber en leur pouvoir. Ce quine manquapas d'arriver; carle Soudan, indignéd'un traitement fi eruel, nomma fur le champ, Aynal Azerat, & Tangriverdi , les deux plus fameux de fes Emirs, pour pour commander la grande Flotte, qu'il avoit deftinée contre le Roi de Chypre. II leur ordonna, fous peine de la vie, d'en avancer 1'expédition, &jura, fur Ja foi, £«? Jur Jon Prophéte , de ne faire grace a aucun des Chypriots. Loredan raporte, que Be'noit Palavi cino, & quelques autres Nobles Génois, qui réfidoient au Caire, pour leur commerce particulier , furent a/Tez méchans pour animer ce Soudan, & ces Chefs, contre les Chypriots, afin de mettre le Roi Janus hors d'état de rien enreprendre fur la Ville de/tfmagoujle. Ce-  öe CHYPRE. Lit. XIX. Ch. IV. 031 Cependant, malgré 1'emprelfement du Soudan a faire reffen1 tirfahaine, & fon relfentiment aux Chypriots; & malgré les les ordres preflans, qu'il avoit donnés a ce fujet, & les fortes follicitations de fes Peuples, & des Etrangers mal-intentionnés, quelques embarras, encore plus prelfans pour lui, fobligèrent a différer cette entreprife, & donnèrent le tems au Roi Janus de fe mettre en état de faire tête a cet implacable ennemi; mais il ne fut point en profiter. II femble, que le malheur, qui étoit attaché a fon Règne, ou qui avoit fuivi la mort tragique de Pierre le Grand , au lieu de lui avoir ouvert les yeux, Peut entièrement aveuglé,aulïï bien que tous les Grands de fon Roïaume. En effet, au lieu de faire exercer fes Peuples au maniment des armes, de renforcer les Gardes des Cötes, de mettre a leur tête des gens de coeur,& de conduite, de faire remplir fes Magafins de' bonnes provifions, & de réparer les fortifications des lieux maritimes, lur tout celles de Limifol, & de Convocla, qui venoient d'être détruites, & qui étoient des plus expofées, ce Prince infortuné, & tous ceux de fon Confeil, s'endormirent, comme s'ils n'avoient eu rien a craindre. Auffi, lorsque le Soudan Teucides, qui avoit fuccédé aux Etats, & a la haine de S alibi Quirici , & qui même avoit confirmé les Amiraux, que celui-ci avoit nommés pour commander la Flotte, deftinée contre Chypre, & qui étoit compofée de cent cinquante Voiles, vint les attaquer, ils fe I trouvèrent beaucoup plus dépourvus de provifions de guerre, & de bouche, que leurs ennemis; en forte qu'il n'eft pas furprenant, que, manquant de gens de guerre, & de munitions, «Sc dans la confufion, & le désordre, que leur eaufa 1'arrivée des Sarrafins a Limifol, ils fuffent entièrement vaincus, & devinffent la { proie de Infidèles, les quels, après avoir mouillé dans ce port, fans y trouver aucun obftacle, débarquèrent tranquilement tout autant de monde, & d'attirails, qu'ils voulurent. . Après que les Sarrafins fe furent affermis dans un pofte fi avantageux, Tangriverdi , qui commandoit les Troupes de dé- bar- Articlc/r. Ina&ion du Roi janus. 1410. Les Sarn. fins, affermis a Limifol, s'avancent dan» les terres.  P32 HI.STO.IRE iCE'NE'RALE Déftttte de i Armée du Roi, ö»y« lenteurdans la nwche. Cha- barquement, fe mit a la tête de fix eens Chevaux, & de 4.000. Hommes de pié, pour s'avancer dans les terres, & y faire le plus de ravages, qu'il lui. feroit poffible. Ce ne futqu'au bruit de fa marche, qui étoit même fort lente, Sc circonfpeéte, crainte de quelque furprife, que le Roi commenca a fe remuër; Sc qu'enfm , par le danger .que couroient fes Etats, il affembla confufément fes Troupes, qui auroient été capables de repoufler les Infidèles, «Se peut être même de les défaire, fi elles avoient été dilciplinées, «Sc pour vues du néceflaire, puisqifenfortantde Nicofie, il fe trouva lous fes Enfeignes mille Chevaux, Sc 6000. Hommes de pié, avec la Noblelfe du pays. 11 s'avanca, pour reconnoitre les ennemis; mais ce fut avec fi peu d'ordre, «Sc tant de confiance, que les Nobles marchoient toujours fort écartés du gros de f Armée, afin de camper plus commodément. En ce cas, fi Tangriverdi s'en fut raporté aux avis de fes Efpions, il ne lui auroit pas été difficile de défaire 1'Armée Chypriote, au bourg de Chirochitie, oü, faute de fourage, &de provifions, elle fut obligée de s'arrêter trois jours dans Pinaction, pour en attendre. Mais le Général Egyptien, qui étoit Homme de guerre, ne crut point ce raport, ne pouvant s'imaginer, qu'un Prince, qui avoit tant d'intérêt a maintenir fes Troupes bien munies pour défendre fa Perfonne, & fes Etats, put permettre, qu'elles fe débandalfent de la manière, qu'on le lui raportoit: Ceft pourquoi il fe contenta de s'avancer, au petit pas, vers Kafilopothamos; de forte que fa prudence retarda, de quelques jours, la défaite du Roi, qui auroit été plutöt terralfé avec toutes fes Troupes.  öe CHYPRE. Lir. XIX. Gh. V. 'n% C H A P I T R E V. Un nouveau mallieur contribua encore a la défaite des Cby- , priots. UnPhenomène, qu'ils ■ appelloient Comete, pa- * rut pendant trois nuits au deffus de la tente du Roi. II c n'en fallut pas davantage pour décourager fes Troupes, na- d turellement portées a la fuperftition , fur tout les Grecs , qui« prirent ce figne Celefte pour un mauvais augure. Au lieu de marcher aux ennemis, avecvigueur, &hardieffe, pom• defendre leur patrie, Sc leur liberté, ils furent tellement faihs dune terreur panique, que la plupart fe fauvèrent aux montagnes ; ce qui caula la déronte entière de l'Armée du Roi, & la Viéloire de Tangriverdi. , Les Barons Jean de Verni, &Badin Dengres, savancèrent les prémiers, avec ce qui fe trouvoit de plus brave dans 1'Armée; mais ils furent défaits; Sc il y a apparence, que le Roi, craignant un pareil fort, fe retira vers-A^>, fans combattre. 11 rallia cependant autant de monde, qu ü lui tut poffible; &, ne comptant pas affez fur la capacité de fes Omciers, il en donna le commandement au Prince de. Gahlee, fon Frère, avec ordre de s'aller oppofer aux progrès dn Sarrafins9 pendant qu'il feroit travailler aux défenfes delaCapitale. II envoïa la Reine fon Epoufe, &fa Familie , en lieu de iurete, Sc alTemblale plus de Cavalerie, Sc d'Infanterie, qu'il put, pour faire tête lui même aux Ennemis; Mais cette conduite, & ces précautions tardives ne purent rétablir les affaires Rsavanca ppurtant, & livra aux Infidèles une bataille, qui lui fut encore plus fatale, que la prémière. Ses Troupes y furent la plupart Ccc ccc öe- rticle /. 'écourage-ent des hypriot?, la iti! une Coète. Dêfaite,& prifon du Roi.  934- HISTOIRE GE'NE'RA'LE Article II. Nicofie au i'illage. défaites, & lui même fait prifonnier, après avoir vu tuer, a fes cótés, le Prince de Galilée, les prémiers Barons, & plus de mille de fes meilleurs Soldats. Après cette dernière disgrace, les Sarrafins, qui étoient déja maitres de tout le Canton de Limifol, le devinrent bientöt de tout le plat-pays, oü ils ne trouvèrent plus aucune oppofition, non plus que dans les Bourgs, ni dans les Villes, qu'ils faccagèrent entièrement, & dont ils emportèrent a leur Flotte tous ks effets de valeur, & les Perfonnes qu'ils purent attraper. Ils. s'avancèrent enfuite jusqu'a Nicofie, d'oü les Peuples, confiernés de la prifon de leur Souverain, & de tant d'autres pertes, defertèrent presqu'entièrement, pour s'aller réfugier aux montagnes, & dans les forêts. Quelques Nobles des Maifons $Judet, de Billi, & de Flattre, qui n'étoient point fortis deMeofie, dans fefpérance de conferver leurs biens, & leurs libertés, furent affez Ifiches, &afTez infames, pour aller au devant de Tangriverdi, avec des branches d'olivier a la main, en Finvitant dy entrer fans crainte. Cette marqué daffurance 1'encouragea fi fort, qu'il marcha droit a la Ville, dontle feulafpeét lui avoit fait craindre lefuccès. II s'en empara, fans tirer 1'épée, tant les Chypriots koient confternés, & incapables d'aucune aéfion de valeur, ni de confiance. La roumilfion volontaire de ces perfonnes n'empêcha pas Ta\griverdi d'abandonner cette floriffante Ville au pillage de fes Soldats, qui y commirent, a leur ordinaire, tous les ades de :ruauté, d'avarice, & de brutalité, dont ils purent s'avifer. R ne faut pas douter, que tout le refle de 1'Ile n'eüt éprouvé le même fort, fi Aynal Azerut , Commandant de la Flotte Sary-afine, qui étoit mouillée a Ia rade des Salines, n'avoit écrit a Tangriverdi , qu'il vouloit abfolument en partir , & conêrver la riche proie, dont fes Batimens étoient chargés, afin..  de CHYPRE. Liv. XIX. Cn. V. 93? afin d'avoir la fatisfaclion de la remettre au Soudan leur Maitre •' car il craignoit , que trois Galères de la Religion de Rhodes, &pareil nombre dtCatalanes, qui étoient arrivées a Cérines pour fecourir le Roi Janus , ne fe joignilfent a celles de ce Prince, & n'entrepriffent de lui eniever fon butin. Un avis fi prelfant fit réfoudre Tangriverdi a terminer fes progrès. 11 ne penfa plus qu'a faire conduire au port Es riches dépouilles des malheureux Citoïens de Nicofie, avec grande quantité de prifonniers de tout fexe , & de toute condition; Et, ce qui eft étonnant, chaque Soldat en emmenoit dix a douze prifonniers. Les Barons Audet, Billi, & Flattre , qui, par leur indigne a&ion , avoient cru conferver leur liberté, furent égalementconfondus avec les autres captifs, & traités avec la même févérité. Plufieurs Dames, & autres Perfonnes de diftinction, a qui ladouleur, & la délicatefle de leur tempérament, ne permettoit pas de fuivre affez promtement, furent malfacrées dans les chemins, que les .Barbares remplirent, comme tous les autres endroits de file, oü ils avoient paffé, de mort, de fang, & de défolation. Après le départ de 1'Armée Egyptienne, un Capitaine nommé Sforza, qui s'étoit fauvé, avec fa compagnie, de la bataille , oü le Roi avoit été fait prifonnier, bien-loin d'être touché du malheur du Prince, qu'il avoit fervi longtems, ne penfa, au contraire, qu'a établir fa fortune fur la ruine de celle de fon Maitre. Comme il trouva la Ville de Nicofie presque vuide d'habitans, paree que la Reine ,& PArchevêque n'avoient encore ofé fortir du Chateau de Ruffamnto, non plus que les autres Seigneurs de la Maifon Roïale, des autres Forterelfes, oü ils s'étoient réfugiés, Sforza fe fit un parti de Pariques, d'efclaves, & d'autre canaille, & s'empara de la Ville Capitale, dans fefpérance de pouvoir ulurper le Roïaume. Pour s'y mieux foutenir, il pratiqua d'abord les Génois de Famagoufte, qui étoient toujours préts a favorifer tous ceux qui extreprenoient de trou- Ccc ccc 2 blei Riche iüibi emporté pw Tangriverdi. 1426. Trahifon & revelte de Sforza Palavicino.  Article///. Svins pour ladèlivrantt du Roi. . n6' H I'S T OIR E GE'NE'R ALE bier 1'Etat. Ils ne manquèrent pas de lui promettre toute ibr> - j te d'airiilance ;• cependant, ni celle qu'il en recut, ni prés de mille lcélérats qui fe rangèrent auprès de lui, n'empèchèrent pas, qu'il ne fiit défait par Carion d'Ibelin , que l'Archevê* que, Oncle du Roi, envoïa contre lui, avec le peu de monde qu'il put alfembler, foit de ceux qui s'étoient retirés aux montagnes, que des lieux, oü les Sarrafins n'avoient point pónétré. Sforza Palavicino mourut les armes a la main, en dé* fendant la Ville, dont il s'étoit faifi: Et le Seigneur d'lBELiN fit pendre tous ceux de fes adhérens qui tombérent entre fes mains. II défit, peu a peu , les autres, qui avoient gagné le large; ce qui procura la commodité a la Reine, & a 1'Arche* vêque, de retourner dans la Capitale, d'oü cette Princelfe, & ce Prélat envoïèrent d'abord folliciter la NoblefTe, & laBourgeoifie, qui fe trouvoient difperfés aux montagnes, de venis promtement les aider a réparer les malheurs, que les Barbares y avoient caufés , & a travailler aux moïens de déiivrer le Roi de leurs mains: Ce qui leur paroüToit d'autant plus difficile, que les Ennemis avoient emporté tout ce. que la Couronne, & la ■ Noblelfe, polfédoient de plus précieux, óctellement détruit le pays, quil falloit plufieurs années pour le remettre; & qu'en^ lin ils ne pouvoient aliéner, nivendre aucun Fief, quaux Génois, dont ils n'eftimoient pasl'inimitié moins grande, que celle des Sarrafins. La Religion de Rbodes fe trouvoit fi fort emr barralfée de fes propres affaires, foit par raport a la guerre, que le Soudan venoit de lui déclarer, foit pour les groffes dépenfes, qu'elle avoit été obligée de faire pour munir cette He, & les autres de fa dépendance, quelle étoit abfolument hors d'état de pouvoir les fecourir. Dans cette grande néceffité, qui étoit effectivement extréme , puisqu'après le retour a Nicojie de tout ce qui reftoit de ' confidérable dans le pays, di verfes conférences, & Confeik, j il - i  de CHYPRE. LW. XIX. CM. V, m U fe paffa encore plus d'une année entière, avant qu'on put amaflèr 1'argent, qu'il falloit pour la rancon du Roi. On n'auroitmêmepu y fubvenir, fans la générofité du Baron Jean Podocataro, lequel, par un excès d'amour, & de ztie pour fon Prince, vendit aux Génois les terres, & Fiefs qu'il polfédoit aux environs de Famagoufte. Mais, comme, malgré les fommes, qu'il en recut, ce qu'on put ramafler d'ailleurs, «Sc tout ce que Calceran Suares, que le Roi avoit'envoïé d'Egypte, avec unPlein-pouvoir de vendro les Pariques, les Perpériens, «Sc la liberté aux-Efclaves 'qui auroient le moïen de fe racheter : de vendre, ou engager les Fiefs de la Couronne, «Sc tous les autres Domaines, tout cela étoit encore au-delfous des prétenfions du Soudan, ilfallut avoir recours au Grand-Maitre de Rhodes, qui, malgré les befoins de fa Religion, aïant eu le bonheur dans ces entrefaites de renouvellerla trève avecle Soudan, prêta a la Reine i $ooo.Florins d'or, qui accomplirent enfin la fomme de deux eens mille Ecus d'or, que le Roi Janus paya pour fa rancon, & pour celle de quelques-uns des principaux Seigneurs, qui avoient été pris avec lui. ] . ; . Pendant qu'on tfavailloit a alfembler 1'argent' neceflaire pou: Pélargilfement du Roi, «Sc qu'outre cette grolfe rancon le Sou dan 1'obligeoit a lui jurer fidélité, & a lui payer un tribn annuel de 5000. Ducats dor, quelques-uns de fes mauvais Sn iets, a 1'imitation de Sforza, voulurent s'ériger en Souve rains dans les Cantons de Raffo, «Sc de Grizakou, oü leür rc volte caufa de grandes défolations. II fallut y< envoïer bo nombre dé milices , dont- on donna le commandement a Chevalier Ange ■ Muschetolla , pour les rédui-re ; de forl que les mifères de-1'Etat d'un cöté, & les défordres, que con mettoient ces fcélérats de 1'autre , caufèrent de fi grandi calamités, que la Grande - Commanderie, qui raportoit do zq mille écus d'or de revenu au tréfor de Rhodes, fut arre Ccc ccc 3 .. tt 200000. firn d'or payés pour la rancon dn Rw- t' n u e 1- iS 1- n- " :e5  ArticleiF Afin retour il n'a pas de Cbdteau, pour fe loger. i ] : i i i Cha. 938 HISTOIRE GE'NE'RALE tée , pour fept ans, au même Chevalier Muschetolla , & au Chevalier Pierre Carne's pour la fomme de quatre Ducats par an; Ce qui ne prouve que trop fétat déplorable, oü file fe trouvoit réduite après la guerre des Sarrafins, on attribua leur mort a 1'imtempérie de fair, qui cette année-la fut fort mauvais en Chypre. Si le Roi parut d'abord fort touché de la mort de la Reine, fonEpoufe, fonage, Sc fon inclination, ne lui permirent pas de demeurer longtems dans la triftefle, & dans le veuvage. Pour fe confoler promtement du peu de fuccès de fa prémière alliance, il envoïademander He'le'ne Pale'ologue, Fille de Theo do re, Despotede la Morée. Ce mariage fut bientöt conclu ; &, quoique cette Dame n'apportat pour toute dot en Chypre, que le Nom d'une Uluftre naiffance, elIe y fut pourtant recue avec des aeclamations extraordinaires, Sc fon eouronnement célébré avec tant de magnificence, qu'elle furpaflbit les renaiflantes commodités du Roïaume. On venoit m me d'y recevoir une nouvelle fecoufle, par une defcente des Sarrafins dans le Canton de Limifol, ou, fous prétex:e de ravager les Commanderies des Chevaliers des Rhodes■, avec es quels ils étoient en guerre, ils démolirent plufieurs Villa*es, & y mirent tout a feu, Sc a fang. HISTOI-  HISTOIRE GÉNÉRALE ROlAUMES D E CHYPRE, de JÉRUSALEM, e t D* EGYPTE. L I V K E XX. Chapitre Pr e'm i e r. a nouvelle Reine de Chypre, qui n'étoit pas moins ^ne> ^ue ^pi"1116^» ne tar<^a Pas a e*KM ?X>fo reconnoïtre la foiblefle , & 1'incapacité du efeS L Roi' fon EP0UX- Elle voulut d'abord en- ^^"S-^ns-ëfcf trer ^ans les affaires du Gouvernement, dont c^§l§SS§&B ce bon Prince aimoit fort a être déchargé, ^ w^ & prit enfin tant d'empire fur fon efprit, qu'elle dilpofoit feule des bénéfices, & de tous autres emplois, Ddd ddd 3 tant Article 7. 1442. Brouilleries caufies' par la nouvelle Heine de Chypre,  «0*5 HISTOIRE GE'NE'RALE i ] 3 ; i » 4 j 1443- 1 ( < Mort du Cardinal de' Chypre. j J^a Reine nomme un Greca la dignité d'Arcbevéque. tant Eccléfiaftiques, que Séculiers. Ceft pourquoi auffi on y ht bientöt triompher le rite Grec, dont elle faifoit profeffion, Sc diminuer fautorité de la Religion Romaine, pour laquelle die avoit tant d'avcrfion, qu'elle la priva des biens, des prérogatives, &de la fupériorité, dont elle jouïfloit, depuis que la Maifon de Luzignan polfédoit la couronne; ce qui fcandalifa tous les gens de bien, perfuadés que cette nouveauté cauferoit mmancablement de facheux troubles parmi les Eccéfiafiiques; Sc que la Noblefle, & les Peuples ne manqueroient pas d'y )rendre part, & d'en venir, comme autrefois, a des extrémi:és préjudiciables a tout 1'Etat Les murmures, & les mécontentemens augmentèrent enco•e, lors qu'au préjudice de la Noblefle du pays, cette Princefë conféra plufieurs des principales charges du Roïaume aux seigneurs de la Morée, qui 1'avoient acompagnée en Chypre, ans que ces changemens, ni les désordres, qu ils caufoient, fufènt capables de faire celfer 1'indolence du Souverain: Tant il itoit incapable daucune adion de Prince, & tant la Reine koit devenue abfolue. Elle en donna une marqué bien éclatante au fujet de 1'Ar:hevéché de Nicofie; Car elle n'aprit pas plutöt la mort duCarlinal de Chypre, qui mourut en Savoie, au mois d'Aoüt de 'an 144.2. qu'elle y nomma un Prêtre Grec, parentde faNourice, pour la familie de laquelle elle avoit tant de confidération, qu'elle donna auffi la charge de Chambellan du Roïaume au Fils de cette Payfane, & éleva divers autres de fes Parens aux prémières dignités. Cette Princefle envoïa même un de fes Gentilshommes au Pape Eugene, pour le prier de confirmer la nomination du Grec, a qui elle avoit conféré 1'Archevéché; Mais ce Pontife, qui n'ignoroit pas les injuftices, qu'elle avoit faites au Clergé Latin, perfuadé que, fi elle parvenoit a établir une de fesCréaturesPrimat du Roïaume, 9'auroit étéle vrai moïen de les dépouiüer entièrement du peu de biens, qui leur reftoit, s'ex-  »e CHYPRE. Liv.XX. Ch. I. 047 s*excufa de ne pouvoir admettre a cette dignité un Sujet, qui faifoit profeifion de la Religion Grecque, puisqu'elle ne pouvoit être remplie, que par des Eccléfiaftiques Latins, qui maintinffent le Clergé, «Sc le Peuple, dans la Religion orthodoxe, qui étoit la Catholique, Jpqflolique, & Romaine, d'autant plus qu'il en avoit déja difpofé en-faveur de Gelaise de Montolif, dont la piété , «Sc les bonnes moeurs, lui étoient également connues. Le Saint Père écrivit, en même tems, au Grand-Maitre de Rhodes, «Sc a Jean de Monteleon , Evêque de Famagoujle, leur ordonnant de s'emploïer avec chaleur auprès du Roi Jean , & de f engager a faire promtement inftaller celui qu'il avoit nommé a 1'Archevéché de Nicofie. Leurs rémontrances cependant , «Sc celles d'un Légat, que le Pape envoïa en Chypre, furent inutiles envers ce Prince mol, «Sc efféminé. Elles aigrirent tellement 1'efprit impérieux de la Reine, qu'elle exila le Montolif hors du Roïaume, & s'empara de tous les revenus, dont il devoit jouïr; publiant, fans aucun égard pour le Pontife, que ce Prélat n'avoit qu'afecontenter du titre d'Archevêque; & qu'elle ne permettroit jamais qu'il jouït dès biens, & des honneurs de cette dignité. Elle fit plus, car méprifant la Religion, &le droit des gens. fa fureur la porta a faire enfermer le Légat dans une étroite prifon , oü cette orgueilleufe Princelfe 1'auroit fait longtems fouffrir fans le grand befoin qu'eut le Roïaume de fafTiftance de la Religion de Rhodes, pour repoulfer les attentats du Reig de Scandaloro, qui, pour profiter de la foiblelfe du Roi, «Sc de 1< mollelfe de fes Sujets, avoit armé plufieurs Batimens pourl'attaquer. Cette conjoncture donna lieu au Grand-Maitre de Lastic de s'en fervir prudemment, tant pour faire rendre la liberté ai Légat, que pour faire rappeller le Montolif , qui s'étoit reti ré a Rhodes, &le mettre en poffeffion de 1'Archevéché. L LePape en lomme wi tutre Latin. La Reine' exile celui ' qui eji nommépar le Pape. * . . r e  *445. La Reine fait empoifonner ÏArcbevêque,tffonCba. pelain. Reflexion politiqiie. r • Pour y réüffir, elle s'adreffa k Jaques, Fils naturel du Roi, contre lequel fautorité de laReine avoit toujours echoue, quelque grande qu'elle fut. Ce jeune Homme etoit le fruit des amours de ce Prince avec Marie Patras, Dame de \Anhipel, qui s'étoit retirée k la Cour de Chypre , apres la perte de fes Etats. II aimoit fi tendrement ce cher Fils, beau , & bienfait, que, quoique put faire, & dire la Reine, il lui avoit:ete impoiTible de le lui faire haïr. Au contraire, plus e le mventoit de calomnies contre lui, moins de foi y-ajoutoit le Roi; deforte que ne pouvant avoir prife fur fEnfant, cette Princelfe avok attaqué'la Mère, k qui, après mille injures elle eut la rage d'arracher le bout du nez avec les dents, dou vint que ^ Grecs 1'appellèrent depuis Comomuthène, qui veut dire nez ^cTfiit donc k Jaques, que le Roi avoit nommé a 1'Archevéché de Nicofie, que Charlotte eut recours Elle lui fat un rSt fi touchant de fétat, oü la réduifoit 1'mfolence du Cham'bellan, qn'rl en fut frappé, & promit k la Princelfe de la vanVer bientöt de ce téméraire; foit qu'il eut quelque fujet. de mecontement contre lui; ou qu'il ne pütfouffrir, que cevil etranSer troublat le repos de la maifon Roïale. En effet, il ny manLa point. Comme les armes lui convenoient beaucoup mieux que le bréviaire,il fut charmé davoir cetteoccafion. 11 la clioifit d'une manière bien lache, &bien déteftable; car, pour te- Avticle IK La Princeffe mit dans fes intéréts l'Arcbevêque de Nicofie , Fils naturel du Roi, fan Père.  ;0ö> HISTOIRE G E' N E' R A L E Ce Prélat poignarde le Chambellan, ennemidelaPrinceffe, fcf ami de la Reine. nir parole a la Princefle, «Scfe fatisfaire lui même, il fe trans? porta, dès le lendemain, accompagné de deux fcélérats Skiliens, a la maifon du Chambellan. Feignant d'avoir quelque fécret dimportance a lui communiquer, il fit retirer tous les domeftiques ; &, pour tout compliment, il lui porta un coup de poignard dans la gorge, en lui difant hautement, " que c'étoit la „ recompenfe, que devoient attendre ceux qui manquoient de „ refpecT: pour leurs Princes. 'AN ces mots, les Sic'ükns s'avancèrent, & achevèrent le Chambellan, fans qu'il put proférer une feule parole, ni fans qu'il fut poffible aux domeftiques de les •arrêter, quelques efforts qu'ils fiffent. Le Peuple, qui haïflbit le Chambellan, «Sc qui chériffoit Jaojies, favorifa fa retraite dansl'Archevéché, oü il fe fortifia, & affembla inceffamment tous fes amis, afin de pouvoir réfifter aux tentatives de la Reine, qui ne manqueroit pas de tout mettre en ufage, pour vanger la mort de fon favori; Maisil étoit, en même tems, perfuadé, que, quelque reflentiment qu'elle put en avoir, le Roi ne permettroit jamais, qu'elle fe fervit de la force, ni de la violence , contre lui. En effet, cette Princefle vit manquer fon pouvoir dans une ■affaire, qui 1'intéreflbit plus qu'aucune, qui lui fut jamais arrivée. Car, malgré fes cris, fes emportemens, les grands mouvemens qu'elle fe donna, & toutes les rémontrances, qu'elle fit au Roi, & qu'elle lui fit faire par le Vicomte de Nicofie, qui lui préfenta la Mère du Chambellan, toute éplorée, & déchirant fes habits; malgré même les rémontrances, que quelques Seigneurs lui firent, qu'il étoit de fon honneur, «Sc de fon équité, de punir les aflaffins d'un des principaux Officiers de la Couronne : Tout ce qu'en put obtenir la Reine fe réduifit a la confifcation des biens de 1'Archevéché , dont le meurtrier étoit en poffeffion ; Car, foit que la timidité naturelle, ou 1'amour du Roi pour fon Fils ,1e fit agir,il déclara ouvertement a la Reine, a, qu'ilne vouloit point entreprendre de le forcer dans 1'Arche- », véchéj>'  dé, CHYPRE. Lrv. XX. Ch. IV. Suites delg baine de te Reine. Caraüère du Père Gonême,. Confejjeutdu Rei.  p6o HISTOIRE GE'NE'RALE < < i i La Reine empoifonne le Prélat dans l'efprit du Pape,par des Lettres, qu'elle écrit, Article II. ju'il menoit, ne le mettoit point a couvert de 1'indignation de :ette Princelfe., afin de 1'éviter, prit le parti de palier a Rhoïes , pour mêler fes mécontentemens a ceux de fon Protecteur; :e qui ne manqua pas d'être bien-tót d'un préjudice inlini pour :out le Roïaume de Chypre. . — En effet, Jaques, bien-loin de penfer a en troubler la tranquilité, & ennuïé de fe trouver a Rhodes fans argent, &c mtièrement privé des revenus, dont le Roi, fon Père, favoit sjratifié, s'étoit adreffé au Pape, & favoit très-bumblement fuplié de vouloir emploïer fon autorité, pour le faire inftaller dans l'Archevéché de Nicofie, oü il auroit jouï de fes revenus indépendamment de'la Reine. Mais la préfence, & les Confeils violens du Père Goncme, fans les quels il n'auroit peut-être jamais entrepris ce qu'il fit dans la fuite, joints aux obftacles, qu'il trouva a la Cour de Rome, a caufe des prelfantes Lettres, que cette Princelfe avoit fait écrire contre lui au Pontife, & dont quelques-unes, qui tombèrent entre fes mains, lui aprirent la continuation de fa haine, & les mauvais offices, qu'elle lui rendoit, par le miniftère de plufieurs Grands de la Cour; tout cela fit, qu'il ne fongea plus a l'Archevéché, & s'occupa uniquement des moïens de fe vanger de fes ennemis. Sur ces entrefaites, arriva a Rhodes le Père Sulpice, autre Religieux Juguftin, que Calixte HL envoïoit en Chypre, pour ménager le mariage de Baltiiazar Borgia , fon Neveu, avec la Princeffe Charlotte ; mais, foit que ce Miniftre eut de mauvaifes inclinations, ou qu'il crut mieux réüffir dans fa commiffion, en rendant fervice a Jaques, il eut 1'imprudence de la lui communiquer, & de lui fournir une fomme confidérable de 1'argent, que lePape lui avoit confiè,.pour gagner les fuffrages des Seigneurs de la Cour, qui en auroient pu faciliter la conclulion. Ce Religieux s'oublia enfin fi fort, que, quoique révêtu du caraélère de Légat, il entra dans le mau-  de CHYPRE. Liv. XX Gr. V. p&t mauvais deffein de Jaques , «Sc de Gqncme , s'embarqua avec eux1 fur une Galère Catahme, qu'ils avoient frettée, avecjdeux Ca- q ravelles. Hs abordèrent au Port de Cêrines, «Sc marchèrent,a k f entrée de la nuit, vers Nicofie, oü, fuivis de deux eens fa-1 tellites , qu'ils avoient engagés k Rhodes , ils efcaladèrent la1 muraille, au quartier des Arméniens, «Sc allèrent droit a la mailon du Vicomte, qui étoit celui, par qui ils vouloient commencer leur expédition. II ne leur fut pas diflieile de furprendre un Homme, qui ne s'attendoit point k un fi funelle reveil, que celui qu'il rencontra. A' peine, Jaques fut-il entré dans fa Chambre, qu'en lui reprochant les injures, qu'il en avoit recues, il lui enfonca un poignard dans le fein. Son exemple fut fuivi de les affidés, qui le percèrent de trente-deux coups, le noïèrent dans fon fang, pillèrent ce qui fe trouvoit de plus précieux dans fa maifon, «Sc allèrent continuer leurs alfaffinats fur quelques au-, tres Earons, qui ne lui étoient pas moins contraires; «Sc ce ne fut que le retour du jour, qui termina cette fanglante tragédie. Thomas Gurri , Frère du Vicomte , qui , par 1'amitié, que Martineng, 1'un des conjurés, luiportoit, en fut le prémier averti, publia ce desordre ; ce qui obligea la bourgeoifie a prendre les armes, en attendant que le Roi y remédidt. Cependant la bienveillance de Martineng ne put empêchér, que la Maifon de Thomas Gurri ne fut faccagée , comme favoit été celle de fon Frère; «Sc les meilleurs effets de 1'une, «Sc de 1'autre, furent tranfportés k l'Archevéché, oü- toute la troupe des révoltés fe retira. Ce nouvel attentat, qui étoit, en effet, plus criminel,'que le prémier, puisqu'il n'avoit coüté la vie.qu'au Chambellan, fit accourir non feulement toute la Nobleffe , mais encore tout le Peuple au Palais Roïal, oü les plus zélés pour la' juflice, fecondant les exclamations de la Reine, s'éforcèrent de repréfenter au Roi 1'énormité de ces entreprifes, qui mettoient fa . GSg ggg 3 - ' pro ÏAnbt. sque Jaues vient Cérines. f arrivé 4 Les exeir, lu'ü com.' net. On s'en plaint au Roi.  Arttcle/f/. Pretenjim ■k Jacjfues. otfj HISTOIRE G E' N E' R A L E propre perfonne, «Sc fes meilleurs Sujets, dans le continuel danger d'être livrés, par un jeune cVéffréné libertin, k la fureur d'une troupe d'alfaiTins. Le Confeil fupérieur, qui s'aflbmbla d'abord, fut du même fentiment; mais, malgré la crainte, qu'ils iofpirèrent tous k ce Prince, «Sc 1'allarme que chacun d'eux con^ut en particulier toute 1'émotion, & le fracas, que caufa 1'acnon de Jaques, fut modérée; foit qu'on craigmt quelque Cataftrophe 'encore plus grande, ou qu'on reconnüt, que le Roi n'étoit pas auffi fkché contre lui, qu'il témoignoit. Les principaux du Confeil furent les prémiers k excufer fes excès, attribuant fes violences au défefpoir de fe voir privé de fes revenus, & aux mauvais confeils des Perfonnes, qui fe trouvoient auprès de lui. Ils fè contentèrent de faire fuplier ce Prince de faire fortir du Roïaume tous les étrangers, qu'il y avoit introduits, «Sc de lui faire, en particulier, une févère correétion, qui put a 1'avenir le-retenir dans fon devoir. H fe conforma- a leurs avis, &nomma les Barons Bernardiiï Palestrin, Julien de Terras, «Sc Paul Croco, pour aller déclarer k Jaques la bonté, qu'il avoit de lui pardonner fa revolte, & fes attentats, pourvu qu'il fe comportat a favenir, avec le refpeót, «Sc 1'affeétion, qu'il devoit k fa Perfonne, «Sc k fes Etats. Jaques témoigna d'abord beaucoup de reconnoiflance k ces Seigneurs du fervice, que le Confeil venoit de lui rendre, & une grande fenfibilité pour 1'indulgence, «Sc la continuation des bontés, que le Roi avoit pour lui; mais, n'ofant s'affurer de fa tendrefie, ni fur les proteftations de ces Députés, craignant d'ailleurs que la Reine ne fit jouër quelque machine, qui; changeat toutes ces bonnes düpofitions-, il fut aflez audacieux pour leur déclarer; „ qu'il ne laifleroit fortir de fon Palais aucua „ de ceux qui avoient expofe leur vie,pour lui rendre fervice „ (jue leRoi ne s'engageat, par un Acte a itentique, a les faire », reconduire en fureté k leurs Batimens, &6"4. HISTOIRE G E' N E' R A L E de fon crédit, «St de fon argent, reftèrent également fans chatir ment, par la mort du Pape, qui avoit hoaoré ce mauvais Religieux d'une li belle eommiffion. II fe tenoit caché avec le Père Goncme , fon compagnon, «Sc auffi vertueux que lui, dans fArchevéché, oü Jaques, dont les inclinations s'accordoient parfaitement avec les leurs, «Sc qui, d'ailleurs, leur avoit beaucoup dobligation, les amufoit, autant qu'il lui étoit poffible. Mais, fi le Roi fut fi facile a lui pardonnef fes crimes, les Perfonnes, qu'il avoit offenfées, n'eurent pas la méme indulgence. Ils ne purent oublier 1'alfaffinat de leurs parens, «Sc le pillage de leurs Biens. Thomas Gurri, quoi qu'Eccléfiaftiqtie, confervoit un fi vif reflentimen't de la mort de fon Frère, & du faccagement de fa propre Maifon, qu'il méditoit, fans cefle, les occafions, de s'en vanger. Pour y parvenir, il eut 1'adrelfe de gagner une Dame, a laquelle un jeune Homme de baffe condition, très-avant dans les bonnes graces de Jaques, avoit eu la hardieffe de prétendre. Pour plaire a une Perfonne, qu'il aimoit tendrement, ce Ganimèdc oublia la fidélité, qu'il devoit a fon Maitre, «Sc promit de lailfer ouverte la porte de la Chambre, oü ils couchoient enfemble, malgré les murmures, que caufoit leur commerce infame dans toute la familie; mais la bonne fortune, qui avoit toujours accompagné ce batard-, le garantit encore du danger, auquel ce perfide 1'expofoit. Gurri , «Sc quatre Satellites, miniftres de fa fureur, s'étant introduits dans l'Archevéché pendant la nuit, feroient immaquablement parvenus jusqu'a lui,.fi quelques 'domeftiques, qui s'étoient amufés au jeu, ne les euffent entendus; de forte qu'ils prirentfi promtement les armes, que ceux qui étoient allés pour les aflaffiner penferent perdre la vie eux-mèmes, «Sc ne fe fauvèrent, qu'avec beaucoup de peine. L'allarme des domeftiques fit éveiller Jaques, II fut d'abord informé de ce qui y avoit donrjé lieu; mais,comme il cherchoit. a réparer ce que fa conduite palfée avoit gaté, «Sc que fa foiblefte étoit exceffive pour ce jeune  de CHYPRE. Liv. XX. Cu. V. p«5? jeune gare on, bien- loin de fe plaindre, ni de faire aucun éclat de fa trahifon, il eut la complaifance de le garder auprès de lui, & la générofité, non feulement, de pardonner a Gurri fon attentat, mais encore de lui confier f adminiftration des affaires de fa Cathédrale, & de fa propre maifon, fans que fa grande confiance, ni fes bienfaits puffent lui attirer famitié de ce Prêtre, qui, ne pouvant luinuire autrement, s'avifa de faccufer fauffement devant le Roi, qu'il tenoit Balthasar Borgia, Neveu du Pape, caché dans l'Archevéché, dans la réfolution de lui faciliter 1'enlèvement de la Princelfe Charlotte. La crédulité de ce Prince, «Sc 1'expérience qu'il avoit déja faite des entreprifes de Jaques , lui fit envifager cette affaire, comme très-importante , & très-facheufe , d'autant plus qu'il fe trouvoit engagé avec la Maifon óe Savoie; de forte que, pour éviter cet accident, il prit le parti de fe retirer, avec fa familie , dans la Citadelle, dont il fit même redoubler la garde; &, voulant fe guérir de fon inquiétude, il envoïa chercher Jaques, qui, étonné d'une pareille fauffeté, lui fit mille proteftations pour 1'affurer du contraire; " & qu'il n'avoit jamais penfé a fa3, vorifer le Neveu du Pape, qu'autant que cela auroit pu fai„ re plaifir a Sa Majefté: Le priant de confidérer, que ce n'étoit „ qu'une continuation de la malice de fes ennemis, qui inven„ toient cette impofture, pour lui faire perdre fes bonnes gra„ ces; &que, pour preuve de fa fincérité, il allpit lui envoïer „ le Légat Apoflolique, afin qu'il aprit, de fa propre bouche, „ la vérité du fait, dont il s'agilfoit. Le Roi confentit avoir cet indigne Miniftre, plutöt pour lui reprocher 1'irrégularité de fa conduite, «Scle mauvais ufagea qu'il avoit fait de la eommiffion, dont le Pape favoit honoré, que pour un plus grand éclairciffement fur une chofe, dont ü commencoit a être perfuadé du contraire; Et le Père Sulpice, qui étoit bien aife de commencer a fe juftifier de fes aélions, ) Hhh hhh aüs Article £K. t \  96*6* HISTOIRE GE'NE'RALE alla fans aucune difficulté , accompagné de Jean Granot , Chanoine de Ste. Sophie, qui s'étoit informéde toute chofe dans un voïage, qu'il avoit fait a Rome, «Sc même par fa continuelle fréquentation avec Jaques; Mais la Reine, qui, pendant fes intervalles de fanté, reprenoit, avec fon autorité, toute fa haine, «Sc fa fureur contre Jaques , fans fe mettre en peine de la parole du Roi,fit arrêter le Légat,«Sc conduire prifonnier au Chateau de Cérines, oü elle lui fit endurer plufieurs tourmens, pour lui faire avouër cc que lui, ni fes complices n'avoient jamais fait, ni penfé. Sa détention auroit été plus longue, «Sc fes fouftrances plus grandes, fi leRoi, qui en fut enfin informé, n'eüt appréhendé, que, quelque coupable que fut ce Religieux, on ne lui reprochat qu'il avoit violé le Droit des Gens. II le fit mettre en liberté, «Sc fe contenta de lui recommander, que, s'il vouloit s'épargner de plus grands chagrins, il ne fe melat jamais des affaires de fon Fils, ni de celles de fon Etat; de forte qu'il s'eftima encore bienheureux d'en être quitte a fi bon marché. La faulfe allarme, qu'avoit eu la Cour fut bientöt fuivie d'un véritable fujet d'affii&ion. Ce fut la nouvelle de la mort du Prince de Piémont. Elle fuivit immédiatement la conclufion de fon mariage avec Charlotte , «Sc lorsque les Chypriots attendoient, avec empreffement, ce Prince, pour reprimer 1'ambition, Chapitre VI. Xa Reine fut fi piquée de cet aveuglement, qu elle en deV vint comme Phrénétique; de forte que le grand crédit de ce batard, joint aux foupeons, que la nourice de cette Princelfe lui infpiroit, fur le delfein, qu'il pouvoit avoir d'attenter a fa vie, la rendirent fi craintive, qu'elle fit renforcer la garde de fes appartemens, oü elle vivoit avec tant de méfiance, & des circonfpeótion, qu'elle refufoit même audience aux perfon. nes, qu'elle écoutoit auparavant avec beaucoup de plaifir. Cette grande retraite, la conduite impérieufe de Jaques, & le dcsordre général des affaires de 1'Etat, étoient caufe que •chacun s'emprelfoit a folliciter le Roi, de donner promtement a la Princelfe, fa Fille, ttfi Epoux, qui put lui aider a remédier a tous ces facheux inconveniens, & qui donnat un SuccefTeur a la Couronne. Ce Prince y étoit très-difpofé. Les feules oppofitions de la Reine en retardoient 1'effet. Elle avoit reffenti un plaifir fécret de la mort du Prince de Piémont, & ne pouvoit entendre parler de la nouvelle Alliance, qu'on avoit propofée avec le Comte de Genève,fan Frère; Mais les grandes obligations,que leRoi Jean avoit au Duc Louis, fon Beau-Frère, & l'affeclion quï confervoit toujours pour la Princeffe fa Sceur, ne lui permirent jamais d'entendre parler d"aucune autre Alliance. Ces confidérations femporterent enfin fur tous les fcrupules, & fur les craintes de la Reine, qui ne pouvoit confentir aun mariage, fi contraire aux maximes de TEglife Grecque, qui étoit la fienne, & obligèrent enfin le Roi a dépêcher avec empreffement Janus de Montolif, Vicomte de Nicofie,.Sc Odet de Bus- Hhh hhh z sat, Article b Pbrcfiéfie di la, Reine.-  p68 HISTOIRE GE'NE'RALE sat, Gouverneur de la Princefle en Piémont, pour propofer fon mariage avec Louis, Comte de Genève. Le Duc, fon Père, re$ut ces Ambafladeurs , avec autant de plaifir, que de diftin&ion , & conclut avec eux cette Alliance, le 10. O&obre de fan 14.5-8. Les Articles en furent arrêtés, & fignés le même jour, en préfence de plufieurs Prélats, & Seigneurs de la Cour. Les voici: Traité de mariage entre la Princeffe Charlotte, &f Louis Comte de Genève. Article IJ. i°. Quele Comte de Genève, en qualité deMari de la Princefle Charlotte, prendroit d'abord le Titre de Prince ÜAntiocbe. 2°. Quil feroit afligné a la Princefle , fa Femme , pour dot, la jouïflance de Terres, & de Chateaux, jusqu'a la Somme de 6000. Ducats de rente. 30. Qu'après la confommation de leur mariage, la Noblefle, & tous les autres Ordres du Roïaume de Chypre, lui rendroient hommage, lui prêteroient ferment de fidélité, & le reconnoitroient pour leur vrai Souverain, en cas que le Roi, fon Beau-Père, vint a mourir fans Enfans males légitimes. 4°. Que, fi la Princefle Charlotte, fonEpoufe, venoit a décéder fans Enfans, le Roïaume ne laifleroit pas d'appartenir a fon Mari, comme vrai, & légitime héritier de la Couronne. Pendant que ces Miniftres réüffifloient, avec tant de fuccès, dans leur Négociation, Jaques , que cette Alliance privoit de fefpérance de la Couronne , & qui avoit jusqu'alors poffédé PArchevéché, & les grands revenus, qui y étoient attachés, même fans fagrément de la Cour de Rome, oü il n'avoit plus ofé faire aucune inftance pendant la vie de Calixte III. qui avoit de fi juftes fujets de plainte contre lui, recourut alors k Ene'e S1 l v 1 o P 1 c o l o m 1 n i, qui lui fuccéda au Pontificat, fous le nom de Pie. II étoit d'une profonde érudition; Sc il ne fe  de CHYPRE. Liv. XX. Ch.VI. o6p fe fit pas moins admirer, en qualité de bon Potte, d'excellent Orateur, «Sc de grand Hiftorien, que par fon zèle a conferver la pureté de la Religion Ortodoxe. Ce fut a ce Pontife que la Reine, entendant mal fes interets, & ceux de la Princelfe la Fille, écrivit fortement, pour lui repréfenter le danger, quil y avoit de donner la conduite de la principale Eglife du Roïaume a unHomme fanguinaire, «Sc violent, qui avoit déja troublé 1'Etat par faffaffinat des principaux Officiers de la Couronne, & qui ne pouvoit faire qu'un trèsmauvais ufage de cette Dignité. Ses inftances caufèrent a Jaques le refus de ce qu'il demandoit ; Ainfi, rebute des obftacles, qu'il trouva, il réfolut de prendre un parti plus convenablea foninclination, «Sc a fes intéréts, a quoi contnbuèrent beaucoup les confeils de quelques Nobles Vénitiens, qui réfidoient en Chypre, principalement Marc Cornaro. Ce jeune Seigneur, quiaimoit extrêmement ladépenfe, s'étoit fait quelquesmauvaifes affaires a Vénife2. ce fujet, & avoit pafle en Chypre, pour y vivre avec plus de liberté, & une pompe proportionnée a fon inclination. II n'y fut pas longtems , fans être connu de Jaques , devenir fon compagnon de débauche, «Sc lui attirer plufieurs partifans, fans que la Reine, dont la fanté étoit entièrement épuifée, put y mettre obflacle. Elle s'étoit même retirée dans le Couvent de St.Dominique, efpérant que le changement d'air contribueroit a fa guérifon; mais elle y fut, au contraire, d'abord furprife d'une paralifie, qui la rendit entièrement perclue, & ne lui laiffa rien de libre, que la langue. : Dans cette extrémité, comme elle envifageoit 1'Alliance de fa Fille avec le Comte de Genève, avec encore plus d'horreur qu'auparavant, elle n'emploïa les derniers momens de fa vie, qu'a tacher d'en détourner 1'accomplilfement. Quelques Auteurs avancent même, quelle s'emporta, jusqu'a lui donner fa malédiétion, fi elle y confentoit. D'autres Ecrivains, que Guiche- Hhh hhh 3 non: Dignité demandie [ar jaques, 'tj refvfie par les inuigites de la Reine. I  pro HISTOIRE G.E'N E'R A L E Mart de la Reine. Artide/ff. Jaques rentte dans les bonnes giaces du Roi. non a fuivis, affurent, au contraire, que ce fut Ia Reine elle même, qui propofa, & fit conclurre ce mariage. Le prémier fentiment eft pourtant plus conforme a fon cara&ère, & a la Religion Grecque; Ceux qui la fuivent y font fi fcrupuleufement attachés, qtfaucune confidération ne lauroit les engager a y déroger, & ne fe marient jamais que hors du quatrième dégré de confanguinité. Quoiqu'il en loit, f Alliance de Charlottc avec le Comte de Genève eut bientót fon effet; Sc la Reine, après fept jours d'agonie, délivra le Roi, fon Epoux, de la fujettion, oü le tenoit f afcendant, qu'elle avoit pris fur lui, & tous les Peuples, de fautorité infuportable, qu'elle exercoit fur eux : Aufli, ne fut-elleregrettée que de fa feule nourrice. Tous les Officiers de fa Maifon n'étoient pas moins fatigués de fa mauvaife humeur, que le Peuple en général de Ion mauvais gouvernement. Son eorps fut inhumé dans la même Eglife de St. Dominique, malgré 1'oppofition des Moines Grecs de Mankana, qui le prétendoient, en vertu du Teftament de cette Princeffe, qui avoit été la Fondatrice de leur Couvent. Jaques ne manqua pas de profiter d'une occafion fi favorable, pour jou'ïr entièrement de latendrefle du Roi. II joua fibien fon perfonnage, qu'il eut tout lieu d'en être fatisfait. Ce Prince s'abandonna tellement au plaifir de levoir afonaife, & en pleine liberté; Sc la foibleffe en devint fi grande, qu'il 1'embraflbit tendrement, en préfence de toute la Cour ; 1'affurant, qu'il ne manqueroit pas d'avoir foin de fafortune; mais il ne penfa jamais (dit Loredan) a fe répentir davoir recherché f Alliance de la Maifon de Savoie, ni d'avoir promis la couronne de Chypre au Comte de Genève, fon Neveu, «Sc fon Gendre, par le Traité, que fes Ambaffadeurs en avoient conclu a Turin, pour en favorifer Jaques , fon Fils naturel, dont il défiroit fi bien d'affermir 1'établiflement, fans même qu'il donnat aucune atteinte k la Succefüon, ni aux droits Roïaux, qu'il rcfervoit entiè-  de CHYPRE. Liy.XX. Ch. VI. 5>7* entièrement a Charlotte , & au Comte de Genève, fon Epoux, dont il attendoit la venue avec la dernière impatience. afin de fe décharger promtement du fardeau du gouvernement; qu'il trouvoit trop pefant pour lui. On doit paffer, ce me femble, cette avance a Loredan , comme fun des Membres principaux de fa patrie, qui elt fi intérefTée a foutenir, que Jaques a polfédéflle de Chypre a jufte titre, & légitimément. II eft-vrai que depuis la mort de la Reine, il difpoföit de toute chofe en véritable Souverain. Témoin ce Vl1 fit d'abord au fujet de la Charge de Vicomte de Nicofie, qui vint a vaquer par fabfence de Montolif, & qu'il conféra, de fon propre mouvement, a Hector Chyvides , en écartani tous les autres prétendans, même en dépit du Grand Confeil II nomma pareillement Pierre Pouocatoro a l'Ambaffadt êCEgypte, qui s'aquita parfaitement de fa eommiffion, par h facilité , avec laquelle il parloit la langue Arahe ; de forte que ce Miniftre fut fi bien faire valoir les préfens , dont i étoit chargé pour le Soudan, & qui confiftoient en 4.^0. piè ces de ces exceliens Camelots, qu'on travailloit alors en Chy pre, & dont on y a entièrement perdu 1'ufage; & en diver fes autres étoffes du pays, qu'il en obtint non feulement la dé charge du tribut annuel, mais encore celle de feize mille Du cats d'or d'arrérages, que le Roi lui devoit. Cependant, foit que fautorité de Jaqits allarmat les Sei gneurs du Confeil, & que, pour en éviter les fuites, ils facrifiaffent (comme le raporte le même Loredan) leur Prince légitime a leurs allarmes, ou que ce fut un excès de débauche a laquelle on prétend qu'il s'abandonnoit affez fouvent, il lu prit une défaillance de cceur, dont il mourut fubitement dan fa43.année, fans avoir eu la fatisfaftion de voir terminer 1 mariage de fa Fille avec le Comte de Genève, comme il le dé firoit paffionnément, ni de laiffer a Jaques aucun établiffe men Ildifpnfe desChargts du Roïaume , de fon propre mou* vement, Ö* a fon gré. . ArticleJF. Mort du ■ Rui Jean. t  I4$t. HISTOI- '9f2 HISTOIRE G'EN.de CHYPRE. Liv.XXCh.VI. ment fixe. Son corps fut inhumé dans fEglife de St. Dominique, avec plus de pompe, que d'éloge, ne laUTant a fes Sujets qu'un trifle fouvenir de fa foiblelfe, & de fon incapacité, qui les avoit fouvent réduits a une extreme mifere , & fait elfuïer des injures, & des injuftices bien grandes, pendant pres de 29. ans, qu'il avoit régné.  HISTOIRE GÉNÉRALE des R O ï A U M E S d e CHYPRE, de JÈRUSALEM, e t D' EGYPTE. L I V R E XXL Chapitre Premier. r^wmmA a mort fubite de ce Prince fit bientöt chan- -wllül^ Ser la face des affaires'fans Pourtant les ren" ■cty>$ . $>fo dre meilleures. Calceran Suares, Séné- e^M L chal du Roïaume, tira d'abord Panneau iïS^^ëïP Roïal de fon doiSt' & le Porta a la Prk" ceffe Charlotte , qui le recut avec tantu^^^o de .froideurj & d'indifférence , qu'elle aliéna entièrement ce Seigneur de fon fervice. Elle fut en- lii iii . fuite I Article f. Couronnement de la Princeffe Charlotte.  $74 HISTOIRE GE'NE'RALE f 1 c f 1 ] La courtn- j ne lui eft difpuiéepar < Jaques, i i < i J 1 1 i Article IL lite couronnée le prémier jour de Septembre; Mais} foit que ïs mauvaifes maximes, que lui avoit infpiré la Reine fa Mère, n que les pernicieux Confeils des Ennemis de Jaques la fifïnc agir, elle le traita avec li peu de confidération, malgré 'hormeur qu'il avoit eu de lui faire hommage le prémier, <5c de ui prêter lèrment de fidélité. Cet Archevêque, piqué de fon népris, palfa, peu de tems après, en Egypte, pour commen;er a lui difputer la couronne , & par fes intrigues mit enfin out le Roïaume en desordre, & en combuftion, par les lon;ues guerres, qu'il y caufk. Ce n'eft pas que Charlottc , qui fe relfouvenoit toujours du brvice, qu'il lui avoit rendu, en la délivrant du Chambellan, feut eu auparavant pour lui beaucoup d'égards, & une conluite convenable a fes propres intéréts, puisque, connoiffant bn efprit inquiet, Scentreprenant, & voulant le ménager, el$ l'avok fouvent confulté fur les affaires du gouvernement; mais ajaloufie, que cette même déférence donnoit aux uns, 6c la wine que confervoient les autres des maux, qu'il leur avoit fait, ointe a la timidité naturelle de cette Princeffe, qui fut encore mgmentée par un accident, qui lui arriva le jour de fon eouronnement , & que tout le monde remarqua, en effet, comme un mauvais préfage, engagèrent cette Princeffe a donner a Jaques de nouveaux fujets de mécontentement. Au retour de 1'Eglife de Ste. Sophie , oü cette cérémonie s'étoit paffée, la haquenée, qu'elle montoit, fe cabra de manière qu'elle lui fit tomber la couronne de deffiis la tête; ce qui fit craindre a toute la Cour quelque funefte changement; de forte que, mêlant fon inquiétude aux discours de fes prémiers Officiers, qui lui infpiroient fans ceffe de la méfiance envers Jaques , elle lui fit défendre de la voir davantage, avec une fi groffe Suite. Elle en feroit même venue a quelque chofe xle plus, fi elle n'avoit craint que les Gress, dont il étoit extrêmement aimi, a'euffent fait quelque mouvement en fa faveur > fur  de CHYPRE. Liv.XXI. Ch. I. 07? flir tout les Evêques de ce rite,qui publioient hautement,qu'ils ne reconnoitroient jamais le Comte de Genève, ni pour leur Souverain, ni pour légitime Mari de Charlotte , par raport au prémier dégré deparenté qu'il y avoit entre eux,& quirendoit, non feulement, leur mariage invalide, mais qui attireroit encore la malediction du Ciel fur tout le Roïaume, comme la feue Reine favoit prédit. Jaques, qui n'ignoroit pas, que les mauvais traitemens, qu'il recevoit de laReine,provenoient des malignes impreifions3 que lui donnoient fes Miniftres , lui en fit des plaintes , «Sc s'efforca de la perfuader de la fincérité de fes fentimens, & de fon attachement a fes intér ts; falfurant de plus, " que, mal„ gré la découverte, qu'il avoit faite, qu'hector Chyvides. „ Vicomte de Nicofie; Bernard de Rossi, Connétable; Tris„ tan Gibllt, Thomas Pardo, «Sc quelques autres des pré „ miers de la Cour, avoient été caufe de 1'affront, qu'on lu „ avoit fait, en arretant fa Suite a la porte du Chateau, «Sc avoien „ tellement furprisfa religion, a elle même, par leurs calomnies. „ & même par leurs faux raports, qu'elle avoit ordonné ai „ Confeil de le faire arrêter, pour le mettre en lieu de fureté, „ & hors d'état de pouvoir rien entreprendre, qui put troublei ,j le Roïaume, il vouloit bien oublier toutes ces injures; & „ que, pourvu qu'elle voulüt lui rendre fes bonnes graces, & „ Phonneur de fa confiance, il n'entreprendroit jamais rien qui pul „ lui déplaire, «Sc attendroit patiemment tout de fajuftice; bien „ perfuadé, qu'elle ne manqueroit pas de reconnoitre fa can„ deur, & fon innocence; maisn'aïant puadoucirfon efprit,nils faire revenir de fes préventions, il réfolut de ne plus rien ménager, «Sc de travailler, de tout fon pouvoir, a fe vanger di tant d'outrages. 11 recourut au confeil d'ANDRE Cornaro, «Sc des autres Vè nitiens, qui, comme fes amis, ne lahToient échapper aucune lii iii 2 occa Conduite de la Reine envers Jaqiii s caufe de grands de ordres dans 1'Etat. » 1 i I  Jaques pafJe en Egypte, pourJe faire un pan; cwtre la Reine. 1459. < i < f a i h Hl S T O I RE GENERALE occafion de fomenter fes mécontentemens. II les informa é% les deffcins, & les pria de lui fournir les moïens de les exécu- ter; ce qu'ils firent avec joïe. II avoit d'autant plus befoin de leur fecours, que, pendant qu'il les confultoit , Bernvrdin irancin, Capitaine des Gardes de la Reine, étoit allé, avec 200. Hommes, a l'Archevéché, pour 1'arrêter. Cet Officier, fdché de ne favoir pas trouvé, faccagea fon Palais, fous précexte qu'il s'y trouvoit divers papiers de conféquence, concernant les affaires de fEtat; mais, comme il ne toucha point aux ecunes, Jaques fe confola facilement durefte, & ordonna a fes domeftiques de conduire fes meilleurs chevaux au Village d'Ag/agea, oü ilfe rendit lui même a 1'entrée de lanuit, & arriva m&SaUnès au point du jour, en compagnie de Melcfiior Pa* tran , fon Oncle maternel , du Père GoNê.me, de Jean Verni, Nicolas Mor abit , Pjrron de Marin, Paul Chus, George Bustron, fon Sécrétaire, & quelques autres de fes plusandes, avec lesquels il s'embarqua fur unBatiment, qu'ANdre Cornaro lui avoit fait préparer; quoi qu'on prétende que cefut fur la Cara veile de Melciiior Garimbert, qu'il fretta ui meme, & qu'il fit mettre inceffamment a la voile pour Ale~ Kandrie. II y arriva fans aucun obftacle, tandis que la Reile, & la Cour, allarmée de ce qu'on difoit, qtfjl avoit voulu :ommetre de nouveaux malfacres, pendant la nuit, faifoient aire de grandes perquifitions.dans Nicofie, oü ils le croïoient encore: Tant ils étoient peu capables de conduire la moindre ittaire. Ils n'apnrent que le lendemain fon départ des Salines, vec autant d'apprehenfion, que d'étonnement, perfuadés que on evafion ne pouvoit être que très-funefte au Roïaume. La Cour fut bientöt confirmée dans cette opinion, par quelues Marchands de retour $ Egypte, qui alfurèrent que le Souan Melech-el-Saraf favoit recu favorablement, Cependant i crainte,. qu'avoit la Cour, ne lui fit pas prendre les mefures eeeüaires, pour s'oppofer a fes entreprifes. Tout ce qu'ils furent  de CHYFRX Lm XXI. Cu. 1 c>r rent faire dans une fiprelfante occafion fut d'envoïer des Ambaffadeurs au Comte de Genève, pour preifer fa venue; mais, comme , malgré toutes leurs inftances, ce Prince ne put fe rendre a Vénife, oü il devoit s'embarquer, que vers la fin de TEté de 1450. & qu'il n'arriva en Chypre qu'au mois d'Octobre, Jaques eut tout le tems, qu'il lui falloit, pour avancer fon'deffein en Egypte, & s'y faire un fi puilfant parti, que le bruit, qui s'en répandit, mêla beaucoup d'amertume aux fêtes, & aux réjouilfances, qui s'y faifoient pour le mariage,. & le eouronnement du Comte de Genève, qui furent célébrésle 7. du même mois dans 1'Eglife de Nicofie, oü il recut, dans un même tems, les trois couronnes de Chypre, de jérufalem, & Au milieu de ces applaudilfemens, ce Prince reffentoit, en fon particulier , une fécrette inquiétude, d'être obligé de commencer fon règne dans une conjonéture d'autant plus facheufe, qu'il trouva 1'État dépourvu de tout ce qui auroit été néceffaire pour le foutenir, & qu il n'étoit point a portée de recevoir de fa Maifon, les fecours, dont il auroit eu befoin. C H A P I T R E II. La préfence,& lesconfeils de plufieurs SeigneursSavoïards, Article jé qui 1'avoient accompagné, dont les principaux furent Philippe de Seissel, Ame'de GeneVe, Guillaume d'A- LINGE , ANTOINE BëUNCH , jaques de LüIZIEUX , SlBUED de Lauriol, Claude de Briord, Antoine de la Balme, Jean, Seigneur de Lornai , le Seigneur de Brejfieux, &. le Batard de Saluces , joint a la foumiifion, & a 1'empreffement de fes nouveaux Sujets, diifipèrent, en partie, les appréhen- lii iii 3 üonsj, Le mariage de la Reine, avec le Cmnte de' Genève,efi trouble porcette nouvelle.  LeRoi,& laR.ineenVoient des Ambaffadeurs au Soudan d'Egypte, avec de magnifitues préfens. Le Soudan promet de faire monter Jaques fur le tróne ie Chypre. Article tl. K% HISTOIRE GE' NE'RALE [ïons, que ce Prince avoit au fujet de Jaques, & que les progrès, qu'il avoit faits auprès du Soudan, lui avoient caufées. Afin de le traverfer, avant qu'il les avancat davantage, & fe rendre ce Prince Inüdèle favorable, ce nouveau Souverain lui envoïa promtement Raimomd Tolones, & le Baron de Runtas , avec divers préfens. Mais, par un commencement d'infortune, ces deux Miniftres moururent de la pefte , avant qu'ils pufient parvenir au Caire; de forte qu'ils laiifèrent encore le champ libre a ce dan-» gereux ennemi, qui ne manqua pas d'en profiter. II folJicita fortement le Fils du Soudan, & les premiers Amiraux, auprès des quels il avoit un libre accès; k quoi ne contribuoit pas peu la beauté de fon vifage, fa force, & fon adreffe a monter a cheval, au maniment des armes, & autres exercices qui occupoient les Perfonnes de diftinction a la Cour ÜEpypte. Ces Officiers, charmés de fes belles qualités, lollicitèrent fi fort le Soudan en fa faveur, qu'ils en obtinrent enfin, qu'il feroit non feulement reconnu, & proclamé Roi de Chypre, mais encore qu'il lui feroit inceffamment préparer une Flotte, pour 1'en mettre en poffeffion. Les mouvemens, qui fe faifoient, a ce fujet, dans les ports d''Egypte , principalement aAlexandrie v & la nouvelle de la mort des Ambaffadeurs de Louis, furent bientöt portés en Chypre. La plupart des Seigneurs de la Cour en furent conflernés, & les inquiétudes du Prince en redoublèrent. II n'ofoit fe flatter de pouvoir réfifter a la puiffance du Soudan. II s'adrelfa d'abord au Grand-Maitre de Rhodes, qui étoit en paix avec lui, &le pria de joindre quelques-uns de fes Chevaliers a Philibert de Seissel, &a Pierre Podocatoro, qu'il avoit réfolu d'envoïer en Egypte, pour foutenir les Droits de la Reine, fon Epoufe, contre les injuftes prétenfions du bdtard, & pour fè foumettre lui même au Soudan, & lui offrirle doublé du tribut annuel, que fes PrédécefTeuri avoient coutume de lui payer. 11  de CHYPRE. Liv. XXI. Ch. II. 979 11 pria en même tems, le Grand-Maitre de vouloir 1'affifter de fes bons confeils, aucas que le Soudan ne voulüt point accepter fes offres. Le Grand-Maitre, qui prevoïoit, que, li la guerre sallumoit en Chypre , elle cauferoit immanquablement beaucoup de peine, & de dépenfe a fa Religion, qui ne pouvoit fe difpenfer d'aider le Roi Louis, dont les Ancêtres avoient fi généreufement fecouru Rhodes, étant d'ailleurs de fon intérêt de défendre , & de conferver la grande Commanderie, & les autres biens, qu'elle y poffédoit (de favis de fon Confeil) nomma Jean Delfin , Chevalier de grande capacité , pour palier, avec les Ambalfadeurs Chypriots, en Egypte. Ces Miniftres ne furent pas plutöt arrivés au Caire, que: par fentremife d'un Rénégat Chypriot de la Noble Maifon d« Fiatre , le Soudan leur donna audience. Ils lui repréfentèreni fortement les droits de la Reine Charlotte, " qui, comme , Fille légitime du Roi Jean, devoit, felon les loix Chrétien " nes, lui fuccéder, & polféder entièrement fes Etats, au liei « que Jaqpes> qui étoit tótard' devoit en être exclus> fan 55 y pouvoir aucunement prétendre. " lis ajoutèrent, " qu " la Couronne, & le Roïaume, appartenoit de droit au Rc Louis, par fon mariage avec la Reine Charlotte, qui e étoit funique héritière ; Que ce nouveau Souverain, qui " avec la couronne, avoit recu le Serment de fidélité de tou ' les Ordres du Roïaume, avec beaucoup d'applaudilfement ^ & de fatisfaction, les envoïoit, pour falfurer, que, bier ' loin de vouloir ufurper aucun des Droits, quil avoit fur ] Roïaume, il étoit prêt de lui en faire hommage, & prête " le Serment de fidélité, de la manière, que f avoient pratiqu „ fes Prédéceffeurs, & de plus de doubler le tribut annuel „ qu'ils avoient coutume de lui payer j Et qu'il le lui enverro „ avec toute 1'exaélitude poffible. I Mouvement que fe donnent le Roi, la Reine, &les Chevaliers de Rhodes, pourgagner le Soudan. 1 3 i 1 > s 5 e r é j It 8s HISTOIRE GE'NE'RALE Article/. • Jaques proclamé Roi de Chypre par le Soudan d'Egypte. Ï460. Sermtnpde Jaques en tre lei Utaifts du Soudan. Chapitre III. Cette Lettre renverfa, tout dun coup, les efpérances des Ambalfadeurs de Louis. Ils eurent la douleur peu de jours après, «Sc malgré tous leurs mouvemens, de voir Jaques revêtu des habits Roïaux, «Sc folemnellement proclamé Roi de Chypre, II étoit monté fur un fuperbe cheval, & accompagné de tous les Grands $ Egypte. II fut promené, comme en triomphe, dans les principales rues du Caire, & préfenté, avec la même pompe, au Soudan, auquel il fit hommage, «Sc prêta le Serment de fidélité. Ce Prince Infidèle, qui étoit en droit de tout prétendre de fon nouveau Valfal, fexigea d'une manière, qui fit horreur a tous les Chrétiens. Les termes en font elfeciivement bien déteftables. Pie VL «Sc, apr-ès lui, divers autres Hifioriens rapportent, qu'il le prononca fur les Saints Evangiles; comme ces barbares le font pratiquer, lorsquils recoivent le Serment des Chrétiens, «Sc en préfence du Souverain Confeil d'JSgypte , en la manière fuivante. c±e jure par Je Grand Lieu vivant, haut & miféricordieux, - J Créateur du Ciel, &de la Terre, £5? de toutes les cho/es qui sy trowoent; par ces Saints Evangiles, par le Saint Batème, parSt. Jean Batifte, par tous les Saints, &par la Foi des Chréim&* que toutes leschofes, quejefaurai, ou que je dècouvrai ,je les déclarer ai a mon trés-haut Seigneur le Soudan ci'Egypte, du yte'l il plaife a Dieu de fortijier le Règne. Je ferai ami de fes amis, ennemi de jes ennemis. Je ne foufjfï ïraijamais, qu'aucun Corfaire,, de quelque Nation, qiéilpuiffe ét re,.  j>e CHYPRE. Lit. XXI. Cil UT- m étre, entre dans les ports de mon Roïaume, ni que mes Sujets lui fourniffent aucune provifion, ni ajfiflance. J'acheterai, £s? rendrai ïibres tous les Egyptiens, qui fe trouveront efclaves en Chypre. Je lui eiwerrai tous les ans, au mois de Septembre , ou d'Otfobre, cinq mille Ducats d'or de tribui, pour le trés-haut lemple de Jérufalem , & de la Mèque. J'empécherai, que les Chevaliers de Rhodes, qui réfident dans mes Etats, ne donnent aucunes armes, ni rafraichijjemens, aux Corfaires. Je lui ferai favoir tout ce qui Jera digm d'avis, & me comporterai envers lui, avec jujlice, £5? vérité, fans qu'il y ait de ma part aucune fraude, £2? tromperie: Et, s'il m'arrivé de ne point obferver exaBement ce que je lui promets, je ferai apoflat,& faux: je nierai queJéfus-Chriftvive,£5?quefa MéreMxrhfoit Vier ge : je tuerai un chameau fur les fonts Baptismaux i je maudirai le Sacerdoce: je nierai PHumanité,& la Dwinité de Téfus-Chrift: je convoiterai fur PAutel, avec une Juive ; je recevrai fur moi toutes les maledittions des Sts. Pères. La contenance, & la fermeté, avec laquelle Paveugle ambition de régner fit prononcer a Jaques cet effroiabe, & terrible jurement, fatisfit fi fort le Soudan, que, non content d'avoir celfé brusquement de traiter avec le Chevalier Delfin,, & les Ambaffadeurs de Louis, il viola le Droit des Gens, en faifant configner aJaques le Podocatoro , qui étoit demeuré feul, Piiilibert de SEissEL,fon Collègue, étant mort pendant leur féjour au Caire. Voulant, en même tems, faire accélérer f expédition de fa Flotte, le Soudan donna pour cela des ordres très-preffans, & écrivit au Roi Louis uneLettre très-ménacante, quin'augmenta pas moins le trouble, &fembarras de ce Prince, qu'elle donna de la terreur a tous fes Sujets ; en voici le contenu, Kkk kkk 2 Let- Blnfphlimes contenus dans le ferment.  H I S T O I R E G E'N E'R A LE Aïticle 1 Contenu i'wieLit tre du So óznauRt Louis. Louis fe retire & Cérines, avec fon gpoiij»,, Aïticlell Lettre du Soudan Melech-Sala a Louis. r. 'TTu es venu des pays Occidentaux, pour occuper en Orienf h ■* Roïaume d'autrui, £fpour dépouiller le Fils de l'bèritagepa^ * ter nel; mais je rendrai ton deffein, $$tes penfées vaines, puisque Pik de Chypre m'étant tributaire , il n'appartient, qu'a moi, d'en difpojer , &p d'en mettre en pofjejfion celui qui me plaira. Ainfi, jefavertis, que, ft tu n'en pars incefjamment, tu mourras dugiaive Egyptien. Cependant, ft Charlotte, ta Femme, tetient au cceur, je te permets de la conduire avec toi; ainfi, n'atens pas une feconde admonition pour fen retourner, demeures en repos* Une fi forte déclaration ne permetoit plus dè douter, que le Soudan n'eüt féfolu de rendre Jaques poffeffeur du Roïaume; Mais les Chypriots, au lieu de s'encourager, & de prendre un parti convenable a repoulfer fes attentats,. ne parurentplus occupés, que de leurs intéréts particuliers ; &, fuivant 1'exemple du Prince, qui fe retira dans. le Chateau de Cérines, avec Ja Reine fon Epoufe, & fes plus affidés, la fiiite commenca a devenir générale.. Chofe bien furprenante, qu'un Prince de la Maifon de Savoie, fi féconde en grands Hommes, & en grands Guerriers, fe foit malheureufement rencontrée fi foiblé dans une occafion, oü Ia fermeté étoit fi nécelfaire! Comme fi la terre de Chypre. eut opéré alors furies Savoïards le même effet,qu'elle produifoit envers tous les étrangers, qui y abordoient dans le tems fabuléux, oü les plaifirs faifoient oublier aux Héros le métier dés armes. II ne fut donc pas difficile a Jaques d'exécuter fon grand projet. f. II partit triomphant dü Caire , après avoir conféré l'Archevéché de Nicofie au Père GoxêME, fon fidéle Confeiller, & fbrcé f Ambaffadeur Pqdocatoro , qui étoit fon prifonnier, a don^-  de CHYPRE. Lit. XXI. Ch. III. donner 1'Ordre de Chevalerie a Nicolas MoRabit , & a RizzoN de Mazin, Siciliens de Nation, qui lui avoient toujours fervi de feconds dans 1'exécution de fes mauvaifes actions. II s'embarqua a Jlexandrie fur la Flotte du Soudan, forte de 80. voiles, eommandée par le grand Teitar, Sc aborda aux Salines. 11 y débarqua d'abord toutes fes milices , a la tête desquêlles Jaqjjes fe rendit maitre , non feulement du plat-pays;: mais il en occupa encore les meilleurs poftes, a la faveur des Habitans, qifil recevoit avec tant d'affabilité, Sc de courtoifie, qu'ils courroient en foule s'offrir a fon fervice , Sc conduifoient abondamment tous les rafraichilfemens néceffaires a fon Armée :. Auffi, foit par inclination, ou par le fuccès de fa defcente, chacun s'empreffoit a fe ranger de fon parti,. fans que ceux , qui étoient intérelfés a s'y oppofer , y milfent aucun< obftaele.. • t . Les Grecs , en particulier , dont le nombre etoit le plus grand, commencèrent mêmeaprendre les armes en fa faveur, & a lui aplanir toutes les difficultés, pour parvenir a fentière conquête de 1'Jle. II s'empara du£hateau de S.iguri,o\i commandoit Thomas Morges, Gentilhomme Samard, Sc mit a fa place Pierre Pezaro, Véniüen , qui s'y trouvoit prifonnier , poui avoir été contraire aux intéréts du Roi Louis. Tout .lui fuc cédoit fi heureufement, qu'il parvint enfin aux environs de 1; Ville de Nicofie. Hector Chyvides , qui en étoit Gouver neur, favoit abandonnée au feul bruit de fon approche; d< forte qu'il y entra,fans être obligé de tirer l'épée,&y fut d'a bord reconnu comme Souverain par tous les Habitans, qui li témoignèrent même , par leurs acclamations,. la joie , qu'il reffentoient de fes profpêrités; Cependant, comme il craignoit quelque revers de fortune Sc quelque changement en faveur de Louis, éc.que la confei vation de la Capitale lui étoit de. la dernière importance, commenca par mettre GoNêME en poffeffion de l'Archevéché IUk kkk 3, < Les Grecs du p*ys prennent les 'armes en ja favtWt i il ejl 'recon' nu dans _ Nicofie . Roi de i Chypre,. 3 5 if k  Article /. Louis fe titnt tranquile a Cérines. o8<5 HISTOIRE GÈ'NE'RALE & lui recommanda les affaires du Gouvernement. II donna a Morabit la Charge de Grand-Vicomte de Nicofie, & y ajouta le Fiefdu Village deNizzu. 11 nommaMaréchal du Roïaume, & Seigneur ÜAinagra, Rizzon de Marin. II détacha, en même tems, Jaques Salviati, Nicolas dEcre, & Azur Ghus, Nobks Chypriots, qui s'étoient donnés a lui, avec bon nombre de Troupes Sarrafmes, & Chypriottes, pour s'emparer des Chateaux de Limifol, &de Baffo, qui fuivirent 1'exemplede%«r/, & do.Nicofie. Ainfi, toutes les cótes A&ridionales de file fe foumirent a fa domination. Le feul Chateau de Coloffe, & fes dépendances, qui appartenoient aux Chevaliers de Rhodes, ne furent point inquiétés, comme le Soudan favoit ordonné. Chapitre IV. Pendant tant d'heureux évèrfemens en faveur de Jaques, Louis, retiré a Cérines, palfoit fon tems alfez tranquilement, dans fa chambre, fans qu'on put bien pénétrer, s'il y .étoit retenu par la méditation, ou par la mélancolie. Sa retraite, hors de faifon, tourmentoit d'autant plus Charlotte , & les Perfonnes attachées a fes intéréts, qu'il leur étoit impoffible de lui faire prendre aucune réfolution, & qu Elles prevoïoient, que, fi on ne fedonnoit de plus grands mouvemens pour arrêter les progrès de ce dangereux Ennemi, il ne tarderoit pas de les venir affiéger par mer, & par terre, paree qu'on n'avoit d'un cöté aucunes Troupes en campagne a lui oppofer, & de 1'autre qu'une feule Galère, que Ie Grand,Maitre de Rhodes, avoit envpïée a fon fecours. Ce que cette Princeffe avoit prévu ne tarda pas d'arriver. Jaques profita de 1'amour, que les Peuples lui témoignèrent; &, afin  de CHYPRE. Liy. XXI. Cil IV. 987 afin que lesHabitans de Nicofie ne fuffent point. incommodéspar VArmée Sarrafme, Z engagea le Teitar a la faire camper dans b Plaine deSt.Démétrius, oü il la fit abondamment pourvoir de rafraichiffemens, pendant quelques jours; & il en prit enfin commandement, pour aller affiéger Cérines, ou i aur01 eu bien de la peine a parvenir, fi ceux -du parti du Roi Louis avoient feulement fait polier le moindre Detachement au paila£e de Monadi, oü cent Hommes auroient ete capables d en arrêter dix mille; ou fita euffent, au moins, eu laprecaution de rompre les chemins. Mais on s'avifa fi tard de pratiquer ce faSe expédient, qtfk peine les travailleurs y furent arrivés, !^**»i> leurtombèrent furies bras, & les taillèrent ^pXtTnice contretems, ni les approches & les attaques de f Armée ennemie ne furent retirer le Roi Louis de fa éthar^ie. II paroiffoit fi perfuadé de la perte entiere du Roïaume, qtfilne favoit prendre aucun parti pour moins pour la retarder. Ce ne fut, enfin qtfa force dimpZinités, & d'exhortations, qu'au défaut de gens de guerre u envoïa Nicolas , Evêque Latin de Limifol, avec un Chevalier de Rhodes, pour propofer a Jaques quelque accommodement, &Pour tacherd'engagei, fecrettement IcïfcA» alabandonner, en offrant vingt mille Ecus d^or de prefent , ce Général Sarrafin, & a Jaques le Titre de Prince de Gak Ue avec des Revenus proportionnés a cetteDigmte, qui avoii toujours été fapanage des prémiers Princes du Sang; a moin 3 ne voulüt continuër dans celle d'Archevêque: Offrant, d % \ de punir févèrement toutes les Perfonnes, dont Jaque ^Jtig^^ Effent ces offres, elles n purent fatikire fon ambition. II avoit commence a gou er 1 douceur de régner; & aucune autre condition, que ceUe d Souverain, ne lui convenoit plus. Le Teitar, de fon cote,^ Foiblts mouvemem qu'il fe dmine, 5 5 Article!/. 1 e è it  088 HISTOIRE GE'NE'R ALE 1461. 'Le parti de JaqiiM je fortifie. feroit accommodé du préfent, qu'on lui vouloit faire, s'il avoit ofé 1'accepter. Jaques , qui s'en doutoit, le prévint, en lui difant , que, " s'il étoit obligé d'abandonner le Siége, qu'il „ avoit entrepris, il iroit lui même en porter fes plaintes au „ Soudan. Si la tentative des Envoïés de Louis fut inutile, les batteries, dont Jaques lit redoubler le feu, furent fi infructueufes, que, commencant a défefperer d'en venir a bout , il s'avifa de débaucher les Troupes de la garnifon. II fit jetter dans la Place quantité de billets, par lesquels il promettoit cinq écus d'or d'engagement a chaque Soldat, «Sc des récompenfes proportionnées a la Nohlelfe , & aux Officiers, qui fe rangeroient de fon parti. Ces appas, joints a la difette de vivres, que les Affiégés commen9oient a éprouver, obligèrent plufieurs Officiers, & Soldats a déferter. Calceran Ciiimi , «Sc Antoine Scinclitique , deux des prémiers Barons du pays, furent du nombre; mais 1'augmentation de fes Troupes diminuoit fi confidérable•ment fes Finances, que, pour ne point agraver les Peuples, -il fut bientöt obligé de rccourir a un expédient, qui déplut a •tout le monde. II fit démolir les magnifiques bains, qui fe trouvoient dans divers endroits de 1'Ile, afin d'en arracher les bafiins, &les chaudières de cuivre, quil fit convertir en mauvaifè monnoie, avec promefle d'en rembourfer la valeur, lorsque la guerre feroit terminée. Cette extrémité fut luivie du départ précipité du Teitar; car, foit qu'il fut féauit par les préfens, qu'on prétend qu'ü re^ut enfin du Roi Louis, ou que la crainte de perdre fa Flotte , qui avoit déja beaucoup fouffert a la rade des Salines, l'obligeat a s'en retourner, il quitta le Siége de Cérines, avec le gros de fon Armée, malgré les prières, & les fuplications de Jaques , au quel il ne lailfa que deux eens Chevaux, & mille Hommes de pié, fous le commandement d'un Rénégat, nommé  oe CHYPRE. Liv.XXI. Ch. IV. 089 mé Jean Pec. Le Teitar fit rafraichir fes Troupes, pendant quelques jours, dans la même Plaine de St. Démétrius, & aila enfuite s'embarquer, avec les dépouilles, que fon monde avoit feutinéesdans lesCantons de Baffo, & de Limifol, particulièrement dans les Bourgs de Crijoukou, Palendria, & Pentaya, qui étoient des plus opulens de toute file. Son départ ne fut cependant d'aucun foulagement aux Affiégés. Jaques , non moins courageux, qu'entreprenant, plus fatisfait du peu de Troupes, que le Teitar lui avoit lailfées, que de fa préfence même, continua a battre la Place, avec la même vigueur qu'auparavant, & en tint les avenues fi bien gardées, que la rareté de vivres contraignit enfin les Affiégés a faire quelques Sorties, pour en aller cherclier aux villages circonvoilins; mais ils perdirent bientót fefpérance d'en avoir par ce moïen. Hector Chivides, qui, en abandonnant a Jaques la Ville de Nicofte, s'étoit retiré a Cérines, & avoit le prémier fait une Sortie a la tête d'un gros Détachement, eut la malheur d'être furpris avec tant de desavantage, que, malgré les efforts qu'il fit, &la valeur aveclaqueie il combatit, dans cette occafion, il perdit la plupart de fon monde, & demeura lui même prifonnier , après avoir recu treize bleffures , lesquelles n'empêchèrent pas Jaques de violer les Loix de la Guerre, en lui faifant d'abord couper la tête, qu'il fit expofer fur le pont de Nicofie, oü 1'on exécutoit les criminels, fans aucun égard pour Chelvis de Luzignan , fa Parente, que ce Seigneur avoit . époufée. Un événement fi funefte découragea fi fort la Nobleffe, qui fe trouvoit aifiégée dans Cérines, qu'elle aima fe nourrir deLégumes, & de pain d'orge, que de s'expofer a rencontrer un fèmblable fort. Louis, & Charlotte, en furent eux-mêmes fi touchés, qu'ils défendirent abfolument de pareilles entreprifes. Ces Princes dépêchèrent un Galère, pour informer le GrandMaitre de Rhodes de fextrémité, a laquelle ils étoient réduits Lil 111 mais. ArticleHT. Cérines ajjïégé manquede Vivres. » 1  5 i i t 1 i ] i i L's Gé v.c's fedctk rent frmtre Jaques. .po HISTOIRE G E' N E' R A L E nnis, par une de continuation de malheurs, cette Galère ne ut pas plutöt fortie du port, quelle effuïa une tempête, rui la jetta fur les cotes de Pentaya, oü elle fe brifa; & la plu>art de fon equipage fut noïé. Ceux qui échappèrent du nau* rite* furent faits prifonniers par leChatelain de ce Canton, qui es conduilit lui mème a Jaques , qui fut affez généreux pour ïonner la vie aux Barons Thomas Care'ni, & Gautier De'nores, a condition qifils lui demanderoient leur grace fe promettre de 1'impuiffance des Affiégés, 1'outrage, qu'il avoit recu des Gmois,\t fit réfoudre a tenter la furprife de Fa~ magoufle, pour les chaffer d'une Place, qu'ils avoient fi injufte- ment ufurpêe. . II fit préparer,en diligence, tout ce qu'il crut neceffaire pour cette entreprife, & fit affaillir la Place du cöté de 1'Arfenal, oü on favoit affuré qu'elle étoit plus aifée a forcer; mais, foit qu'on lui eut donné de mauvais avis, ou que les échelles, qu'il avoit fait prèparer, fe trouvaffent trop courtes, ilrencontra les G«jfibien fur leurs gardes, qu'il fut contraint de fabandonner, en attendant une occafion plus favorable. II retourna LH 111 2 devant twGénofs iefaits. Article JP. Tentative inutile dg Jaques fur Famagoufte.  op2 HISTOIRE G E' N E' RALE Louis repit du fetours. devant Cérines, oüilne fit pourtant, ni long féjour, ni grand progrès. Charlotte, qui avoit emploïé inutilement Louis de Magnac, Grand-Comraandeur de Chypre (celui même qui a fait batir le Chateau de Coloffe, qui fiibfifte encore en fon entier ) pour ménager quelque accommodement avec Jaques, avoit d'abord profité de fon éloignement, & étoit allée elle même aRhodes, pour obtenirquelquepuiffant fecours; cependant, malgré la préfence, & fes follicitations, le Grand-Maitre ne put lui accorder , qu'une Galère , une Galiotte , & quelques provifions. La difette, qui regnoit alors dans cette Ile, ne permit point a la Religion de faire un plus grand effort, foit par raport a la crainte, qu'on y avoit, des armes du Turc, qu'au chagrin que refTentoit le Couvent de la détention du Chevalier Delfin, leur Ambaffadeur, en Egypte. Avant de quitter Rhodes , Charlotte eut Ia fatisfaction d'y voir aborder un grand Navire Savoïard, commando par Charles de Morette,des Seigneurs de Vintille,^ lui conduifoit cent Hommes d'armes, fous les ordres de Francois de Langin, Seigneur de Faygie. Ce fut avec ces renforts que cette géiiwreufe Princeffe s'en retourna a Ccrines, dont Jaques ceffa déréchef de preffer ie fiége, pour fe retirer a Nicofie, & augmenter fès Forces, afin de réfilter aux entreprifes, que fes Ennemis pourroient tenter. Le Roi, pour prohter d'un fecours, apres lequel il foupiroit depuis fi longtems, fe mit, enfin, en campagne, dans Ie deffein d'aller attaquer TUfurpateur dans fa Capitale; mais fon étoile étoit fi mauvaife, que tout confpiroit vifiblemerit a fa ruine. Son Ennemi, qui en fut d'abord informé, lui dreffa, fi a propos, une embufcade au defüo des Montagnes, oü il falloit -néceffairement paffer, qu'il farrêtatout court, lui défit la plupart de fon monde, & le pourfuivit même jusqu'aux pqrtes de Cérines, oü Ie mauvais fucccs de fa fortie caufa autantde dou- leur,  de CHYPRE. Dy. XXÏ. Cil.IV. 99* Hir, & de confiérnation, que les - partifans de Jaques en reffentirent de joie a Nicofie. George Bustron, Gouverneur des Salines, y arriva, peu de jours après, avec grand nombre de Recrues, qu'il avoit faites dans le Canton de Limijol, oü, malgré la défenfe du Grand-Maitre de Milli, plufieurs Rhodiots s'étoient engagés au fervice de Jaques, qui ne tarda pas d'aller recommencer le fiége de Cérines, fans que les Affiégés eulfent le courage de s'oppofer a fon campement, tant ils avoient été étonnés de leur dernier malheur. Chapitre V. Cependant, comme, malgré 1'adivité de Jaques , fes batteries Article/. ne faifoient pas grand effet, foit par le défaut d'expérience des Bombardiers, ou par la force des murailles, il fitoccuper toutes les avenues de la Place, de manière que les Affiégés nepuffent recevoir aucun fecours du cöté de terre, perfuadé que les provifions,que Charlotte avoit conduites de Rhodes,ne pouvoient longtems fuffire a la quantité de monde, qui fe trouvoit . enfcrmé dans la Place, oü, en effet, la difette ne tarda pas k devenir plus grande qu'auparavant. Les Affiégés n'aïant point de plus courte relfource , que celle de Rhodes, y envoïèrent quelques Perfonnes de diftinclion, fans pourtant pouvoir rien obtenir, par raport a la mort du Grand-Maitre de Milli, ócU'abfenee de Raymond Zacos-. ta,'fon SuccefTeur. Ce nouveau contretems obligea Louis, & Charlotte, de conligner au ChevalierMesle de Piosasque, en qui ils avoient beaucoup de confiance, divers Reliquaires, & Joïaux de grand prix, pour les y aller engager a telles Perfonnes qu'il jugeroit a propos, &emploïer en provifions les fommes , qu'il emprunteroit. II lui recommandèrent de bien pren- Lll 111 % &e  La Reine va dèrécbef demander du fecours a Rhodes, (f en Italië. 1 c \ i q g tl d P fi ü; 9' c< po* HISTOIRE GE'NE'RALE dre fes mefures, afin que ces depóts ne fortilfent point dcRbödes, dou is auroient la facilité de les dégager, lors qu'ils feroient en état de le faire. -™ Mais, comme ces effets n'étoient pointfuffifans, pour réparer leurs befoms, ni même pour remédier a 1'extrémité, oü la Pk. ce etoit reduite, & qu'on commencoit a publier que Pie II s etoit declare lui même Chef d'une Croijade pour le recouvre-* ment de la Terre-Sainte, dans laquelle ce Pontife avoit engaró es Rois de France, dzNaples, &c d, Hongrie, le Doge de4vfe, le Doe de Bourgogne, & quelques autres Princes, la Reile Charlotte, non moins infatigable, qu'attentive a" tout ce im pouvoit contribuer a fon rétablilfement, efpérant que cette lonpndure poturojt lui être favorable, fe rembarqua pour Atetes. Le Grand-Maitre Zacosta, qui y étoitarrivé peu aupa•avant, Ia recut, & la traita avec autant de fplendeur, & de tiagnificence , que fon Prédécelfeur favoit fait au précédent oiage de cette Princelfe; &, quoique le fecours, que la Region lui avoit donné, lui eut attiré 1'indignation du Soudan l Egypte, des mains du quel elle n'avoit jamais pu arracher le Jieyalier Delfin, quimourut, enfin, prifonnier au Caire \ & ue le trélor de Rhodes eut déja avancé des Sommes très-cónfiérables au Roi Louis, fon Epoux, pour le recouvrement des uelles il avoit envoïé le Chevalier Pe'le'grin de Montau au Duc de Savoie, qui devoit les acquiter; le Grand Mai•e nelama pas deprêter encore a cette Princelfe mille Ecus d'or, ont elle avoit befoin, & de nommer vingt-cinq Chevaliers ourlacompagneren Italië, oü elle arriva, enfin, dans un )rt trifte équipage. La Galère, qui la portoit, fut alfailliepar ie Efcadre de Vénitiennes, qui la pillèrent entièrement; & ioi que'le Sénat, au quel elle en fit des plaintes, desaprouvat itte violence, & ordomüt la reftitution de tous fes effets di;rs Seigneurs de faSuitene purentjamais en avoir raifon,principale-  DE CHYPRE, Liv. XXI Cu. V- Mf qipalement Guillaume d'Alinge, Seigneur du Coudrée, qui V avoit beaucoup perdu. Cet accident facheux fit, que Charlotte partit te Vemfe très-rnécontente. II eft vrai, que le bon accueil, que lui fit le Paoe quelle alla trouver \Mantoue, la confola, en partie, dum'auvais procédé des Wiens, & des biens, oerdus Le St. Père, informé du mauvais etat, & de 1 extremité, oü le Roi Louis fe trouvoit ï Cérines, en temoigna fon affliéliona cette Princeffe; &faffura, qu'il feroit tout fon poffi. We, Pour engager les Princes Cbrêtiens a les rétablir dans leurs Etats Le Père Luzignan dit, que Pie lui donna un Navire, chareé de Provifions; & Güichenon affure, qu'il lui donna tixVatoux, &quatreGalères, qu'il fit charger de blé, & de vin k Aneone, oü Charlotte fe tranfporta elle meme; Et, impatiente de conduire promtement ce fecours a fon Epoux, Ste fit mettre k la voile, & rencontra le vent fi favorable, qÏelle aborda en peu de tems k Baffo. Profitant de ia profperité elle voulut tenter le recouvrement de cette Place, perfu* dé'e que fa préfence pourroit peut-être faire autant, que la force Elle ne fe trompa point. Mistachel, qui y commandoii pour Taques, foit par inclination, ou par la mediocrite de Forces, lui rendit d'abord le Chateau. Elle en confia la gard< a Pierre Palol, & continua fa route vers Cérines, ou elk eut bientöt la fatisfaCtion de ranimer les Affiégés; Mais elle m nut avoir le bonheur d'en faire lever le fiége. Jaques Ie con tinuoit toujours avec la même perfévérance, pmsquoutre qu< on camp étoitbien pourvu de toutesfortes de rafraichiffemens fa bonne fortune lui attiroit, fans ceffe, des fecours qui 1 mettoient en état de le pourfuivre, & de fe conferver les au tres Places qtt'fl avoit conquifes. Par furcroit de bonheur, Marius ConStance, Gentilhon me Napoiitain, vint presqu'en meme tems, avec deux Galen Vrticle Ih Ellerevient a Baffo, avec du fecours. ' Jaques con, tinne toujours le fiége de Cérines. [" :s i*  Article/;. Secours refufé a Louis. 096* HISTOIRE GE'NE'RiLE bien armées, lui offrir fes fervices. Jean Pe'res Fibri ce, & Onoffre Reqüescens, Nobles Efpagnols , en "firent autant avec un gros Navire, rempli de Gens de Guerre L'exemple de ces Seigneurs fut bientöt fuivi de divers autres de la meme Nation: cequi augmenta extrêmement fes Forces;. au lieu que le RorLouis, par lesfoiples fecours, qu'il recevoit, manquoit continuellement de provifions, &avoit la douleur de voir penr fes Troupes par les maladies , & par la défertion, fans qu elles en vinffent jamais aux mains avec les Ennemis , , ..Ceft pourquoi, avant que les provifions, que lePape'lui avoit envoiees, fulfent entièrement finies, Louis dépêcha le Seigneur du Coudree versie Duc, fon Père, tant pour Pinformer de fa trifte fituation, que pour le folliciter a faire quelque nouvel effort en fa faveur; mais cette Ambafiade fut également infrucW fe, par les embarras, dans les quels fe trouvoit ce Prince, qui ne lui permettoient point de fe dégarnir d'Hommes, ni dS Cependant, pour réparer, en quelque manière, ce qu'il'ne pouvoit faire par lui même, il envoïa le même Seigneur du Coudree, avec Lameert, fon Sécrétaire, a Alphonse , Roi ÏArragon, quil fe fiattoit de trouver difpofé de fupléer a fon defaut; mais ce Prince, s'en étant excufé, toutes ces follicitations, ces allees, & ces venues, n'eurent aucun effet, & ne firent que fufpendreles efpérances du Roi Louis, & de la Reine Charlotte, qui, fe trouvant alors plus embarralfés que jamais, remirent le gouvernement de Cérines a George de Piosasque! &sembarquerent tous les deux pouvRbodes, afin d'être plus li! bres, &plusaportéedefolliciterIePape, & leDuc de Savoie, i leur enyoïer du fecours, & a engager les autres PuifTances ö Europe a ne les point abandonner. Ces Princes infortunés ne furent pas longtems k Rhodes, üns aprendre le peu de fonds, qu'ils devoient faire fur les PuifTances Chrétiennes; Mais Charlotte, ne voulant rien avoir afe repro. dier,  de CHYPRE. Lry. XXI. Ch.V. 997 cher, réfolut de repafler qu Italië, dans Fefpérance, que le Pape, touché de fesmalheurs,lui donneroitencore quelque nouvelle aiTiflance, & y engageroit les autres Princes, comme alle lui avoit promis. Le St. Tére lui fit dans ce voïage beaucoup plus d'honneur, «Sc de careffes, qu'a fon précédent. II envoïa au devant d'elle tous les Cardinaux, «Sc la Nobleffe Romaine, «Sc la recut avec une magnificence extraordinaire. Elle fut logée, «Sc défrayée de même avec toute fa Suite; Mais, pour les fecours effentiels, pour foulagerfes maux, elle n'en recut que des promeffes vagues, furies quelles elle ne reconnut que trop qu'il ne falloit point compter. Mortifiée du peu de fuccès de fa tentative, elle prit congé du Pontife, «Sc paiTa en Savoie; ne pouvant douter, que 1'intérêt particulier, que fon Beau-Père avoit a la foutenir, «Sc & ne point abandonner fon propre Fils, 1'obligeroit a tout mettre en ufage, pour empêcher, qu'ils ne fuffent dépouillés de leur Couronne ; mais , foit que les longues guerres, que ce Prince avoit eu a foutenir , 1'euffent épuifé; ou que la crainte de perdre fes propres Etats, pour conferver Chypre, le retint; il lui déclara d'abord , qu'il lui étoit abfolument impoffible de rien faire pour elle. La douleur, qu'elle en concut, dégénéra en dépit, qui la porta afe plaindre ouvertement de fon mdifférence. Ce Prince, de fon cöté, fenfible a fes réproches, lui répondit, avec aigreur, "que le Roïaume de Chypre avoit abfor" bé toutes les dépouillés de la Savoie. II eft vrai, qu'après ces duretés réciproques, la Ducheffe Anne, tant par raport a finclination, qu'Elle avoit pour fa Nièce, que pour conferver a fa nombreufe Familie le Roïaume de Chypre , en cas que Charlotte vint a mourir fans Enfans, appaifa tous leurs démêlés, Ócménageaun Traité, qui fut arrété, Scconclu, dans 1'Abbaye deSt. Maurice, en Chahlais, lei 8. Juin, ,*4>&3. m lequel Charlotte lui en affuroit la Succeffion. Si elle mouroit, lans Enfans, avant le Roi, fon Epoux, ce Roïaume lui appar- Mmm mmm tien- Second wkigeinfructueux de la ReiwCharotte enlalie.  On lui pro met du fecours en Savoie. Artlcle/K Elle ftdlic ite le St. Père. I i ] i I 99S HISTOIRE GE'NE'RALE' tiendroit entièrement; &, fi lui,venoit a mourir fans Héritiers, il demeureroit également a la DuchelTe Anne , & a fes Succeffeurs. Le Duc , de fon cöté, s'obligea, par le même Traité, a lui fournir des Hommes, de fargent, & des vivres. Après cet accord, Charlotte, qui ne fe rébutoit d'aucune fotigue, reprit le chemin de Rome, accompagnée de Phebus de lu2ignan, JeAN denores, HüGüES LaNGLOIS , & Paulin Clans, fes Chevaliers, & Confeillers. Elle laiffaa Tonnon le Seigneur du Coudrée, & le Chevalier Merle de Piosasqüe, afin qu'ils hatalfent 1'exécution du Traité; fe flattantquefes inftances réïcérées engageroient enfin lePap'e a joindre quelque fecours a celui qu'elle attendoit du Duc de Savoie, fon Beau- Père, Mais le mauvais fort, qui favoit pourfuivie dès fa plus tendre jeunefie, rendit encore tous fes foins, & fes travaux inutites, & fit bientót évanouïr fefpérance, qu'elle avoit concue de conduire a Cérines dequoi foulager les Aifiégés, dont elle iprenoit fouvent les mifères, & les fouffrances. Car tout le fecours, que purent obtenir les Seigneurs, qu'elle avoit laiifés auDrés du Duc de Savoie, ne confifioient qu'en quelques Somnes d'argent. Les troupes, & les vivres, qui devoient être ïmbarqués a Génes, ne fe trouvèrent point prêts; &, quelques nftances, que cette Princelfe put faire au St. Père, foit pour ui accorder quelques Provifions, ou pour fe fervir des Cenfures le 1'Eglife contre Jaques, en le déclarant Ufurpateur, Tiran, UAllié fes Infidèles, afin que, files armes fpirituelles n'étoient point capables de le faire rentrer dans fon devoir, elles empê:haiTent au moins les Étrangers, qui en connoiflbient Ie pouvoir, de prendre fon parti. Toutes fes follicitations ne fervirent de rien. Elle ne put ob:enir du Pontife, qu'un Bref, addrelfé au Grand-Maitre de Rhodes, par lequel il 1'exhortoit de continuer a aflifter le Roi, Sc la Reine de Chypre, & de s'emploï'er forternent a ménager quel-  de CHYPRE. Lr?. XXÏ. Ch. V. 999 quelque accommodement entre Jaques, & ces Princes; de forte qu'elle fut obligée de fe rembarquer avec le peu de provifions, qu'elle avoit pu acheter, Elle aborda heureufement a Rhodes, d'oü leRoi, fon Epoux, étoit parti peu auparavant pour retourner a Cérines, crainte que fa longue abfence ne fit enfin déterminer les Affiégés a fe rendre. Charlotte ne s'arrcta aRhodes, qu'autant de tems qu'il en falloit, pour conférer avec le Grand-Maitre fur fétat déplorable de fes aftaires, & fur la manière de négocier leur accommodement avec Jaques. Elle arriva a Cérines, oü le petit fecours, qu'elle amena, étoit bien néceffaire. Les Affiégés y fouff roient beaucoup plus de la faim, que des attaques des Ennemis. Elle npttjfs a Cérines. Article /. Actmrmiodementpropoféa Jaques. II feint de Vaccepter, pour gagnvr du tems. Article IL Chapitre VI. Pendant que cette Princeffe animoit les Affiégés par fes exhortations, & encore plus par le courage, avec lequel elle expofoit fa propre vie pour leur procurer la fubfiflance néceffaire, le Grand-Maitre de Rhodes envoïa en Chypre Jean de Pugalt, Prieur de 1'Eglife, Jean d'Einlande, Commandeur de Valence , pour tacher d'engager Jaques a quelque parti , qui convint a la tranquilité du Roïaume; mais il étoit bien éloigné d'y confentir; Car, s'il recut ces Miniftres avec beaucoup de courtoifie,& s'il affecta même d'entrer en négociation avec eux, ce ne fut que pour fe ménager la faveur de la Cour de Rome, & non qu'il eut aucune intention de fe rendre a leurs inftances,nidefe démettre d'un Etat,dontil étoit déja en poffeffion , & dans lequel il pouvoit fe maintenir. Auffi, après diverfes conférences, dansles quelles on ne put jamais rien conclurre, les AmbalTadeurs de Rhodes, qui reconMmm mmm 2 nurent,  "looo HISTOIRE GE'NE'RALE Htraite de fon maria- feav.-c la 'rinceffe de la Morde. 22 reflitue aux Chevaliers de Rliodes, leur grande Commandorie de Chypre. i ] ] l ArticleWf. I I i 1 1 a < \ i 1 nurent, qu'il lesamufoit, fe retirèrent, paree qu'ils ne prévoïoient que trop, que leurs follicitations, & leur plus long féjour, ne ferviroit qu'a donner du tems aux Perfonnes, que Jaques avoit envoïées au Pontife, pour traiter de fon mariage avec la Fille du Defpote de la Morée, qui s'étoit refugiée a Rome, après que les Turcs eurent envahi fes Etats. 11 fe flattoit, qu'en faveur de cette Alliance, le Pape le reconnoitroit pour véritable Roi de Chypre, comme il fe qualifioit. Ces Miniftres n'oublièrent cependant pas les intéréts de leur Religion; car, ne pouvant rien opérer en faveur de Louis , & de Charlotte , ils obtinrent de Jaques Ia reftitution de la grande Commanderie, & de fes dépendances, dont il s'étoit peu faili peu auparavant, plutöt pour les punir de leur partialité envers Ion ennemi, que pour fe dédommager de la perte, qu'il avoit faite fur une Galère, que commandoit Michel de Malre , fameux Corfaire , que le Commandeur de Chatelu avoit prife, avec un Vailfeau Vénitien, dont ce Pirate s'étoit emparé. Jaques fe flattoit, que cette générofité lui attireroit 1'amiié du Grand-Maitre, «Sc 1'engageroit a agir, en fa faveur auprès du Pontife, qui avoit pour lui beaucoup de confidération. Le Père Luzignan alfure, que le St. Père avoit recu favora)lement les Ambalfadeurs de Jaques ; «Sc qu'il avoit même confenti i fon mariage avec la Fille du Defpote de la Morée; Mais que :es Miniftres avoient ordre fécret^. de ne point conclurre :ette Alliance , qu'elle ne fut précecfée par l'Acte de reconïoiffance de la Roïauté; «Sc que le Pape ne voulut point en enendre parler; ce qui fit échouër toute la négociation. Loredan , au contraire, affure, que le Pape ne voulut point ttribuer a Jaques la qualité de Roi, paree qu'il avoit refufé fépoufer une de fes Nièces, dont les mèmes AmbaiTadeurs faoient informé, que la conduite n'étoit point convenable a fa lailfance; & que ce fut le feul motif, qui porta Ie Pontife a :s renvoïer avec mépris, plutöt qu'a les congédier, de Ja manière  de CHYPRE. Liv. XXI. Ch. VI. iooi nière qu'il les avoit accueillis; & a traiter Jaques de Tiran, $Jpo- gStPère flat, & ÜUfurpateur, ainfi qu'il en parle dans unpetit Livre,£rJg "n. qu'il fit imprimer a ce fujet, dans lequel lui impute tous les vices ima^inables, & décrit, tout au long, le ferment, quil pw»^ avoit prêté au Soudan ÜEgygte, comme exécrable, & lacrilé- f^tre gey afin (dit le même Auteur) de faire palfer fon reiTentiment jusqu'a la Poftérité. Ce n'eft pas le feul endroit, oü les Auteurs de 1'IMoire de Chypre ne s'accordent point. On y trouve tant de contradi&ions en plufieurs endroits, foit pour la Chronologie, foit pour les faits, que je fuis fouvent obligé de citer leurs différents fentimens, & d'en laiffer la décifion a mon Leéteur. Mmm mmm % HISTOI-  HISTOIRE GÉNÉRALE R O ï AU MES CHYPRE, de JÉRUSALEM, /et D' EGYPTE. L I V R E XXII. Chapitre Premier. Article/. rjfègy&S)!^ ueI^ue empreiTement, que Jaques eut té- «SgS^XgfcS moigné , a fe rendre la Cour de Rome fa- ^2 ^ vorable> il te confola facilement du peu des Sfl? X. fUCCeS dePAmba^de, qu'il y avoit envoïée, rRës3btR§S; Parlecontentement, qu'ileut, devoirtous '^g^g^Stf* kS j°UrS auSmenter tes Forces , tant de l v r r m6r' que de terre' Le bruit de fon bon- neur attira a fon lervice quantité d'Etrangers, tant & Europe, que  pE CHYPRE. Lrv.XXIL Cu. L 1005 que des pays Orientaux. II favoit fi bien les engager, par fes accueils favorables, & par fes libéralités, qu'ils risquoient tous gaiement leurs vies pour le foutenir. Au lieu que le Roi Louis, foit par les effets de fon mauvais deftin, ou pour fe trouver hors d'état de recompenfer ceux qui s'attachoient a lui , étoit fort fouvent trahi,&abandonnépardes gens, qui ledonnoient a fon Ennemi. Pierre de Naves , Frere de Soron de Naves , fameux Corfaire Siciüen, qui s'étoit mis a la folde du Roi Louis, avec deux Galères, fut du nombre de ceux qui tournèrent cafaque. Ce traitre, gagné par les promeiTes, & par les partis avantageux, que Jaques lui fit offrir, lui livra le Chateau de Baffo, dont il avoit eté fait Gouverneur, & fut caufe que, peu de tems après, Soron,fon Frère,en fit autant de celui de Cérines,que Louis, & Charlotte , eurent la foibleffe de lui confier. Ces pauvres Princes fe trouvoient toujours dans fétat d'impuiffance. Lorsqu'ils virent, que les Galères, & les autres Batimens de Jaques,avoientpris tant d'afcendantfur les leurs, qu'ils ne pouvoient plus fe montrer, confidérant, d'ailleurs, qu'ils confommoient, dans 1'inaction, lepeu de vivres, qui leur reftoient, par raport au découragement général des Affiégés, ils prirent le parti de s'embarquer inceflamment pour Rhodes, crainte detomber entre les mains de 1'Ufurpateur ,& afin d'être plus a portée de folliciter quelque fecours. Ils y reftèrent affez longtems, écrivirent, & envoïèrent en Savoie plufieurs Perfonnes de leur Suite, fans pouvoir réüffir. Cependant les nouvelles, qu'il recevoient, du fiége de Cérines, étoient toujours des plus facheufes, & ne faifoient mention que de la continuation des profpérités de Jaques, fur leurs partifans, & fur les Génois de Famagoujle, aux quels il avoit même pris deux Galères, qui revenoient chargées de vivres pour Cérines. De forte qu€ Louïs, fatigué, enfin, de tant de traverfes, & d'une vie f contraire a fon inclination paifible , & tranquile , réfolut dt paiTer lui même auprès du Duc, fon Père; perfuadé que fa pré- fenc Le parti de Jaques Je groJJit,par quantité d'Etran- gers. Celui de Louis toujours pire l'ofdige è recourir è Rhodes,^ en Savoie..  1463Article //. Le Duc de Savoie ne fedonne aucun mouvement. < ] i La Reine dépêche V:rs Mehemet IL pour imploter fon fecours. 1004. HISTOIRE GE'NE'RALE fence reveilleroit en lui la tendreiTe paternelle, d'une manière a tout mettre en ufage pour luifournir les moïens de fecourir ceux qui défendoient encore les miférables reftes de fon Roïaume. Comme il ne put abfolument fournir aux dépenfes de fon voïage, il eut encore recours au Grand-Maitre, qui lui fournit f741- Ducats, 2 7.Afpres, fous lacaution de Sibaud deLauuot, Chancelier de Chypre; d'AaiE' de Genève, &dA.nroixE de la Balme, Chambellans, auxquels ce Prince fit un billet d'indemnité, en préfence dePnEBus de Luzignan, Seigneur de Heide; de Janus de Montolif, & de Bernard de Roysset, Amiral. Ce contract, & cette reconnoiflance furent faits au mois de Septembre de fan 14.63. Cependant le Duc de Savoie, fur le raport que lui fit Roi, [bn Fils, du mauvais état de fes affaires, & de 1'extrémité, oü il avoit laiffé la ForterefTe de Cérines, comprit que tous fes efforts feroient inutiles, & ne ferviroient qu'a f incommoder: c'eft pourquoi, il ne fe donna plus aucun mouvement a ce fujet; de forte que le voïage de Louis opéra encore moins, pour le foulagement des Affiégés, que n'avoient fait ceux de la Rei1e, fon Epoufe, qui languilfant, & défolée du peu de fuc:ès de fes follicitations , & de 1'infenfibilité du Duc , fon Beau-Père , non moins que de 1'évanouilfement du projet de a Croifade, que le Pontife avoit fait publier, & de fefpérance, m'il lui avoit donnée, que les Princes Croijés la rétabliroient, 2n paffant, en Chypre, recourut a Me'hemet IL Empereur des Turcs. Elle fe flattoit, que ce Monarque feroit, peut-être, alors, plus touché de fes milères, que ne 1'étoient les Princes Chrétiens ; & que, fenfible a fes malheurs, & a fes foumiffions, il pourroit faire, en fa faveur, ce qu'il avoit fait autrefois pour 1'Ufurpateur de fes Etats. Dans cette efpérance, elle envoïa Florin, Comte Atjaffa, a Confiantinople, avec ordre d'offrir au Sultan, non feulement le même tribut que 1'Ile de Chypre payoit au Soudan & Egypte, mais encore  d e C H Y P RE. 'Liv. XXII. Ck. I. i co j encore da lui donner une des Places du Roïaume, dont il ne lui feróitpas M de cliaffer fon Ennemi, ■& de s'en mettre en polTelTion. . Le Comte de .7^, qui avoit époufe une Dame de la Maifon de Cantacuzhie, dont la Soeur étoit mariée avec un des principaux Officiers de la Forte, le chargea de cette eommiffion, avec d'autant plus de plaifir qu'il efpéroit qu'a la faveur de fon Alliance, il pourroit fervir utilement la Reine, & faPatrie; Mais il ne penfa jamais, que le refus, qu'il avoit fait a fa Belle-Sceur, de conduire fa Familie a Confiantinople, comme elle 1'en avoit follicité au commencement du Siége de Cérines, put mettre obftacle a fa négociation, ni lui attirer la fuite funefte, qu'il éprouva. Le Turc, fon Beau-Frère, qui avoit attribué a mépris pour fa Religion le refus, qu'il avoit fait de fe transplanter a Conjlantinople, bien loinde 1'apuïer auprès du Sultan, le delfervitnon feulement, autant qu'il lui fut poffible, mais fit tant, par fes intrigues, que ceMonarque déja fort indifpofé contre k&Cbrétiens Latins, renchérit encore fur fon indignation naturelle, & fit arrêter le Comte de Jaffa, qu'il fit écarteler tout vif. Charlotte, informée de cette nouvelle disgrace, ^dont les avis ne tardèrent pas d'arriver a Rhodes, en fut extrêmement touchée, & attribua cette fatalité plutöt a la mauvaife influence, qui étoit attachée a toutes fes entreprifes, qu'a 1'inhumanité des Turcs. Ce ne fut pas le feul fujetdouleur, dont elle fut aniigee. Elle aprit, en même tems, que les Affiégés de Cérines étoient réduits a manger chevaux, chiens, chats, & tout ce qu'il y avoit de plus immonde. Accablée par tant de cuifantes afflictions, & ne déplorant pas moins le fort de ceux qui s'étoient attachés a fes intéréts, que fes propres malheurs, fe voïant, d'ailleurs, elle même, a charge a la Religion, aux dépens delaquelle elle fubfiftoit depuis long tems, avec toute fa fuite, el- Nnn nnn te Elk ne rèüjfit point. 1464. Article///. Ceux de Cérines ront aux iemières fxtrémités.  ioo6 HISTOIRE G E' N E' R A L E Stratagême invente par le Commandant de la Place. Les Affiè gis fint fecourusparce Jlratagême. < I le abandonna le Gouvernement de Cérines a Soron de Naves; (George de Piosasque, que le Roi Louis y avoit laiiTé aïant voulu fe retirer). La Reine fe flattoit, que fa confiance engageroit ce Sici/ien a risquer plus hardiment fes Galères, pour procurer quelque foulagement auxAifiégés, en attendant qu'elle trouvat le moïen de leur en donner. Soit que ce nouveau Commandant eüt une fincère intention de fe bien acquitter de fon devoir, ou que la calamité, qu'il éprouvoit, le fit agir, comme il ne pouvoit, fans un évident danger, faire fortir fes Galères du Port de Cérines, les Forcesmaritimes de Jaques étant de beaucoup fupérieures, il eut recours a un ftratagême, qui lui réüffit parfaitement bien. Pour donner le change aux Ennemis, il ordonna aux Capitaines de fes deux Galères de feindre une rebellion, & de fe donner entièrement a Jaques. Celui-ci, qui n'étoit point accoutumé a être furpris, par ceux qui fe rangeoient de fon parti, crut facilement tout ce que ces Officiers lui racontèrent du mécontentement, qui les avoit obligés de quitter Cérines, & le repofa fur la fidélité, avec laquelle ils offrirent de le fervir. Ce Prince, tout fin qu'il étoit, donna fi bien dans le piége, qu'il les careffa extrêmement, les envoïa d'abord a Tripoli de Syrië, pour en raporter deux groffes pièees d'Artillerie, & quantité de Provifions de guerre, & de bouche, que Jean Pec y avoit fait préparer. Après quoi ces Capitaines, aulfi exaéts a fuivre les ordres de leur Chef, qu'ils 1'avoient été a tromper fon Ennemi , au lieu de conduire leur charge aux Salines, felon 1'ordre, que Jaques leur en avoit donné, entrèrent dans le Port le Famagoujle, oü ils vendirent aux Génois, la poudre, & les :anons, qu'on avoit chargés fur leurs Galères, & portèrent a Cérines les provifions de bouche, fans que les Ennemis s'apperjuflent, que quelque tems après, de leur trahilbn. Jaques en fut d'autant plus irrité, qu'elle mettoit un nouvel obflacle a fes fes projets, écretardoit la reddition de Cérines, qui étoit pour lui le coup de partie. Cha-  de CHYPRE. Liv. XXII. Ch. II. 1007 Quelque déplaiilr, qu'en reffentit Jaques , il eut neanmoins < la prudence de n en rien témoigner a Pierre de Na' ves 11 eut même la politique d'augmenter fa paye, & dele faire Capitaine de fes Gardes, dans fefpérance, que ces ; Z ques de confiance, & de générofité, Fengageroient encore ; plus fortement a fon fervice, & lui procureroient les moiens de détacher fon Frère du parti de fes Ennemis ; ce qui le dédommageroit, avec ufure, du tort, qu'il venoit de lui faire. II nele trompa point. Soron de Naves, apres avoir defendu vigoureufement la Place de Cérines, pendant quelques mois, fe rébuta de ne recevoir de Louis, & de Charlotte, que des promelTes, qu'ils n'exécutoient jamais , & fe laifla féduire par les propofitions avantageufes, que ion Frere lui faifok faire fans ceffe, de la part de Jaques. II lui rendi , enfin, cette importante Place, & priva ces Princes, qui lui en avoient confié la garde, d'une Fortereffe capable d'epuifer toutes les Forces de leurs Ennemis, s'ils euffent eu le bonheur de rencontrer des Perfonnes affez fidèles pour la bien défendre, & la leur conferver. Cette perte ne juftifia, que trop, la Lettre, que Charlorte avoit écrite de Rhodes, le 24. Septembre, 1564. au Roi Louis, fonMari, dans laquelle elle lui mandoit, fe,süne lajecouroit promtement, ils démeureroient bientót, Hn, &Pautre, fans Roïaume, ni Seigneurie. En effet, apres la perte de Cérines, ils ne poffédèrent plus rien en Chypre, & ne conferyerent que le vain titre de Roi, & de Reine, de cette 11e Cette infortunée Princeffe affuroit , en même tems , fon Man, Nnn nnn 2 1ue ■ Lrtide/. La dijjtmuztion de nques lui éüjfit. Le Commandant de Cérines jldv.it rend la Place. Par cette perte , le Roi, & la Rein' font dépouillés de leur Roïaume. Chapitre. II.  Article IL Jaques reJie maitre de toute i'Jfe. Ilchafjeles , Génois de Fama- : goufte. 5 J i 1008 HISTOIRE GE'NE'RALE Tdu^ZyS;- FT****' Vingt> n^P-cinq mille Dncaisajadifpofitwn, elle en auroit cbaffé Mpoitoie Nomaiïel- ±7n*5^ au m 'Apoilat; mais ale Tpauvr l Cette Lettre fit fur fefprit de ce Prince tout feffet, qtfelle pouvoit faire ; car, pénétré de fon contenu, ma^mU^ de moiens pour luivrefon inclination, iiécrivk T ous f "Tn fS & aux Perfonnes les plus quahfiées des Etats du d7, fon Pè re , pour en obtenir les fecours néceffaires a la levTe d^ Hommes d'armes,& mille Fantaffins, que Robert de St sS' VerIN, Comte deCayafè, & grano^Homme de guerre, ^ toit charge de conduire en öfe^. 11 avoit d'autL dus de eT :0TdonnS fmeux crtaine'^ ie Duc 5U£ £ fonne connoiffance, & avoit répondu de la per- Mais latrifie nouvelle, qu'on recut, fur ces entrefaites de <^Ja°^ °r ^VES'Puis^VéslapertedeS^ cette petiteArmeene fuffiroit pas, pour faire aucun progrès, cal pable de recouyrer le Roïaume, fittomberle projetf & ïaQ4s demeura paifible poffeffeur de 1'Ile , la réferve de flZS" d ou d ne tard as de d]affer ks même avec7» plus de facihte, qu'il n'avoit ofé fefpérer. A' quoi contribua eaucoup le peu de foto, qu'avoit la République de temr ette Place mume du néceffaire pour fa confervation ; Auffi, a-pei ie y ut-il campé, que, fans vouloir s'opiniatrer a la défen- oue fi ATr ™ néSociat<™> & convinrent, , que , li, dans 1 efpace de vingt jours, ils ne recevoient le fecours , quilsattendo-ent de Gènes, ils lui en ouvrirpient les portes , a condition, qu'ils auroient la liberté d'y demeurer, ou d'en mjr , avec tous leurs effets, pour aller oü bon leur fembleroit • lue la l tllejemt toujours mamtenue dans fes privileges, tfgoul ver-  de CHYPRE. Liv. XXII. Ca ÏL 1009 vernée conformément aux Loix de leur République, 6? nonjelon les règlemens du Roïaume de Chypre. Ce Traité aïant fait comprendre a Jaques , que les Famagoujlains attendoient quelque promt fecours, & qu'il étoit de fon intérêt de 1'empêcher, il fit promtement lortir fes Galères, commandées par James Spalma , Catatan de Nation, & trèsexpérimenté dans la marine, auquel il ordonna de fe tenir a la hauteur du Cap de la Grecque, & de faire tout fon poffible pour s'emparer , brüler , ou couler a fond tous les Batimens Génois , qu'il pourroit découvrir. Ce Commandant ne tarda pas a s'acquitter heureufement de fa eommiffion. II apercut, dès le lendemain, un gros Vaiffeau, & quelques autres Batimens , qu'il aborda brusquement. Leurs Equipages, auifi laches, que les Habitans de Famagoujle, fe rendirent, fans faire aucune réfiftance. Imperial Doria, qui commandoit cette Flotte, & Gentile Palavicino, que la République envoïoit pour Gouverneur en cette Ville, s'y étoient fauvés dans un esquif, dès qu'ils avoient reconnu, qu'on chaffoit leur Convoi' de forte que Spalma, tout glorieux d'une expédition auffi fortunée, que facile, puisque, fans tirer 1'épée, elle affuroit a fon Maitre la conquête d'une Place, que tous fes Prédéceffeurs n'avoient pu recouvrer, depuis 90. ans, que les Génois en étoient en poffeffion, & qui affujettiffoit la plus grande partie du Roïaume; ce vaillant homme, dis-je, conduifit ce Convoi en triomphe a la rade des Salines; & les Affiégés, qui perdirent alors tout efpoir de fecours, ouvrirent leurs portes, comme ils en étoient convenus. L'acquifition de cette importante Place fut trop glorieufe a Jaques, pour n'en point faire tout fétat qu'elle méritoit. II y fit fon entrée, avec toute la pompe, & la magnificence; dont il put s'avifer; ordonnant a tous les Seigneurs, & Officiers de fon Armée de fe parer de tout ce qu'ils avoient de plus fuperbe , afin d'en augmenter f éclat. Soron de Nnn nnn 3 Na- 146?. U Entrée pompeufe ie Jaques dans Famagoufte.  ioio HISTOIRE GE'NE'RALE u ! « < < < Arttclelïï èiablit un ■bmigouver-' mement. i < 1 { < ] i Naves, au quel, pour recompenfe de la reddition du Chateau de Cérines, il avoit promis en mariage une Fille naturelle, qu'il avoit, quoique tres-jeune encore, & auquel il avoit auffi donné le Titre de Prince &Antioche, y tenoit le prémier rang. Pierre de Naves, fon Frère, qu'il avoit fait Seigneur de Baf(b ; Jean Per es Fabrice, qu'il avoit gratifié de beaucoup de biens, & du Titre de Comte de Jaffa, Sc de Carpaffo; Nicolas Constance , qui avoit obtenu plufieurs Fiefs, & a Charge d'Amiral; Qnophre Requescens, qui avoit été fait >énéchal; Rizzon de Marin, nommé a la Dignité de Maré:hal; & Nicolas Morabit, qui avoit été revêtu de celle Vi•omte de Nicofie, étoient les principaux de fa Cour. II les ivoit tous attachés a lui, par des alliances, qu'il leur avoit fait :ontraéler avec des Demoifelles fes Parentes, ou avec d'autres le la prémière Noblelfe du Roïaume. II avoit également bien iccommodé plufieurs autres Sujets de diftinction, qui s'étoient ittachés a lui, en leur accordant la confifcation des Biens, & les Fiefs, de ceux qui avoient fuivi le parti de la Reine Charlotte. Ce fut dans ce pompeux, & triomphant appareil , que Jaques entra dans Famagoufle, oü les Magiftrats le recurent en grande cérémonie, & lui prêtèrent le Serment de fidélité. II Fit enfuite munir abondamment la Place de tout ce qui étoit né:e (faire, afin de fe la bien conferver, comme la clef principale Ju Roïaume, puisqu'elle en eft 1'unique Ville, qui ait un bon )ort. II en donna le gouvernement a Gonnelle, Officier de jrande expérience, & de la fidélité duquel il étoit affuré; lui >rdonnant d'être bien fur fes gardes, & de n'en ouvrir jamais es portes, pendant la nuit,a quelque perfonne, ni pour quelque üjet, que ce put être; Précaution qu'il crut néceffaire pour fe juérir du foupcon, qu'il avoit concu de Jean Pec, Chef des Sarrafins, que le Teitar lui avoit laifTés, lequel, enorgueilli _par  de CHYPRE. Liv. XXIÏ. Ch. ff. ion par les Services, qu'il lui avoit rendus, paroiffoit difpofé a vouloir s'en recompenfer de fes propres mains. L'avidité de ce Rénégat étoit fi grande, que, peu fatisfait de toutes les libéralités, que lui faifoit Jaques , il en murmuroit continuellement: Quelquefois même pris du vin, au quel il étoit fort fujet, il s'émancipoit, jusqu'a dire, "qu'il trouveroit. „ bien les moïens de lui enlever les Places, qu'il lui-avoit ai- „ dé a conquérir. Ces raifonnemens inconfidérés, qui étoient toujours raportés au Prince, joints aux plaintes, qu'il recevoit journellement de finfolence des Sarrafins, dont fes Sujets ne pouvoient plus fuporter les violences, lui firent plufieurs fois délirer de les renvoïer en Egypte ; mais ne pouvant y parvenir, quelques offres, qu'il leur fit, il réfolut enfin de fe défaire de ces hötes,'a quelque prix que ce fut; perfuadé qu'il lui feroit plus facile d'appaifer le Soudan, que d'empêcher, qu'ils n'entrepriffent quelque fédition. „ , r Dans ce delfein, il continua fon féjour a famagoujle, ou ia préfence étoit d'ailleurs nécelfaire, loit pour confoler les Habitans de leur changement de Maitre, foit pour fe captiver leur affeótion,& les engager, par fon affabilité, a y continuer leur commerce , fans fonger a en déferter. Pour réüffir plus aifément contre les Sarrafins , il perfuada adroitement a Pec, d'aller palfer quelque tems a la campagne, afin de s'éloigner du mauvais air, qui régnoit alors fans Famagoujle. Ce Rénégat, bien aife de fe trouver en toute liberté avec fes Troupes, qui étoient en quartier dans les Villages circonvoifins, fuivit ce conleil, &s'y tranfporta, ne pouvant jamais penfer au mauvais tour, que Jaques lui préparoit. Pendant qu'il joüïflbit en liberté, avec fes Officiers, des plaifirs de la campagne, Jaques avoit fait donner fes ordres fécrets aux payfans des environs, déja irrités contres ces Infidèles. Ils exé- ïlforme le ieJJ'ein defedéfnire des Sarrafins. - t Article/P*.' Il trompe, &fait maffacrer leur Chef.  ï 112 HISTOIRE G E' N E R A L E li pre,td des mefures, t»u\ je juflij ter auprès du Soudan. Cha- exécutèrent les ordres du Souverain, avec tant d'ardeur, qu'ils les mirent généralement tous en pièces pendant la nuit. II eit vrai, qu'au milieu de la fatisfaction, qu'il reüentoit d'être délivré de cesmal-intentionnés, qu'il regardoit desormais comme de véritables Ennemis, 1'inquiétude, oü il étoit, de juftifier cette action auprès du Soudan, 1'agitoit extrêmement; ne pouvant douter, quil ne voulüt tirer raifon du maflacre de fes Sujets, & que fon indignation ne devint funefte a fa fortune. Pour prévenir fa cqlère, il s'apliqua très-foigneufement a faire préparer tout ce qui étoit propre a 1'appaifer , & a détourner 1'orage, qui le ménacoit. Comme, pendant le féjour, qu'il avoit fait au Caire, 1'expérience lui avoit apris, que 1'intérêt étoit le meilleur moïen de faire oublier aux Barbara toutes fortes d'injures , quelques grandes qu'elles puflent être, il fit chercher tout ce qui fe trouvoit de plus précieux dans 1'Ile ; & il facompagna d'une grolfe Somme d'argent comptant, dont il chargea deux Ambalfadeurs, avec une atteftation de divers Sarrafins, qui étoient demeurés a Famagoujle , oü il les avoit civilement retenus, pour 1'aider a fe retirer de cet embarras. Ils déclaroient, que 1'accident , arrivé a leurs compagnons , avoit été caufé par une émotion populaire , que leurs infolences, & leur cupidité, leur avoient attirée , fans que le Roi , ou les Officiers , y euflent aucune part. Ce qui prouve combien ces Infidèles font faciles a fe laiffer corrompre.  e CHYPRE. Liv. XXII. Ch. III. 1013 Chapitre III. p Pendant qu ils juftifioient ainfi Jaques du maffacre de leurs * confrères, onpublioit hautement en Chypre, qu'il en étoit venu a cette fanglante tragédie, plus pour fe dégager de 1'obligation de recompenfer Pec, & les Troupes, qui 1'avoient fervi, que par aucune crainte qu'il eut d'en être trahi. Cependant, quelque rage, que cette noire accion infpirat au Soudan, qui, furies prémiers avis, qu'il en eut, ordonna 1'armement d'une puilfante Flotte, pour aller punir fon tributaire de fon ingratitude, & de fatteinte qu'il avoit donnée a fon autorité; 1'attrait des préfens, que lui apportèrent les Ambaffadeurs de Taques, & ceux qu'ils répandirent dans toute la Cour & Egypte, appaifèrent entièrement facolère, «Sc firent également évano'uïr les projets de vangeance, qu'il avoit formés, fans que les plaintes de la Femme de Pec, & des parents des autres, qui avoient été malfacrés, fuffent capables de lui faire reprendre fes prémiers fentimens de vangeance. La Reine Charlotte , qui fe trouvoit encore a Rhodes, n'aprit pas plutót la terrible exécution, que Jaques avoit fait faire contre les Sarrafins, qu'elle dépêcha ThomasPardo, & un autre Geltilhomme de fa Suite, en Egypte, dans fefpérance que cette conjonóhire pourroit lui être favorable, & difpoferoit le Soudan a lui accorder le Roïaume ; mais cette lueur d'efpérance fediffipa d'abord; &l'Ambaffade de Pardo ne fervit qu'a lui caufer de la dépenfe, qu'elle n'étoit point en état de foutenir. II eft vrai que, fi Jaques, qui étoit plus lieureux qu'elle fortit fi facilement d'un auffi mauvais pas, & rentra dans le Ooo 000 bon rticle l. Nouvelles injhinces ■ de la Rei>;c auprès du Soudan inutites. 1 Article 11. !  TOT4- HISTOIRE G E' N E' R A L E On attente a la vie de jaques. i ; i : ; 3 Jl/oulage les peuples, (f établit de bms rè- j ^lemens. \ ] 1 I S i bonnes graces dn Soudan, peu s'en fallut qu'il ne pent par 1'endroit, au quel il ne penfoit nullement. Car la Femme de Pec,. ne pouvant fe confolerdela perte d'unMari, qu'elle aimoit tendrement, défefpérée de n'avoir pu porter le Soudan a fen vanger, fe donna a un autre Rénégat, ami du défunt, a condition qu'il palferoit en Chypre, pour poignarder celui qui en avoit été 1'auteur. Ce nouvel amant , fidéle a fa promelfe, s'en acquitta exactement, «Se prit fi bien fon tems, que, feignant de vouloir demander quelque grace a Jaques , pendant qu'il fe promenoit fur le quai du port de Famagoufte, avec fort peu de fuite, il lui porta un coup de couteau a la gorge; mais il eut 1'adrelfe de le parer, «Sc la force de lui arracher le couteau des mains, rans pouvoir pourtant arrêter falTalfin, qui, étonné de faforze, & d'avoir manqué fon coup, fe précipita dans la mer, oü 1 fut d'abord afTommé a coup de pierres par les gardes, & les lomefiiques du Prince, qui y accoururent. Enfin, Jaques , après avoir encore féjourné quelque tems a Famagoufte, jugea a propos, que la tranquilité, & les affai•es y étoient aflez bien affermies , & retourna a Nicofie, pour •établir celles de cette Capitale, & du refie du pays, que la guerre, & les fréquentes divifions, avoient réduit dans un trèsnauvais état. II commenc;a par foulager le menuPèuplé, que les Nobles :enoient dans un véritable efclavage. II leur céda les droits, ]ui lui appartenoient, paya leurs dettes, «Sc les affranchit enièrement. II corrigea les abus, qui s'étoient introduits dans es Tribunaux, ordonnant que les procédures Civiles, dont la ongueur étoit fi a charge aux families , fe décidaflent dès a troifième audience. II accorda aux Habitans des Villes maritimes les mêmes pridléges, dont jouïflbient ceux de Famagoufte, afin que tous 2s Sujets pufient commenceravecim égal avantage j perfuadé que c'étoit  de CHYPRE. Liv. XXII. Cu. III. ioij c'étoit le véritable moïen d'attirer 1'abondanee, & les richeffes dans fes Etats. II ne fut pas moins attentif a faire établir des écoles publiques pour l'inftru&ion de la jeunelfe. II fit venir, pour cet effet 5 plufieurs favans Hommes des pays étrangers. II forma a Nicofie une efpèce d'Académie pour apprendre les exercices a la jeune Nobleffe, & attira dans cette Capitale d'excellens ouvriers, en toute forte d'arts «Sc de métiers. Tant de beaux, & utiles établiffemens, qui illuftroient, «Sc faifoient fleurir le Roïaume; fa libéralité envers les grands, & les petits, jointe a f affabilité populaire, avec laquelle il écoutoit jusqu'aux moindres de fes Sujets, lui attirèrent les applaudiffemens , & les bénédictions univerfelles. Heureux s'il avoit continué dans ces louables principes, «Scne fe fut abandonné a un excès d'incontinence, qui le porta a débaucher les Femmes, les Filles, «Sc les Sceurs, des plus grands Seigneurs de fa Cour, même de ceux qui étoient le plus attachés a fes intéréts; Défaut infuportable, qui ternit toutes fes belles qualités, changea en haine toutes les louanges qu'on lui donnoit, «Sc faillit enfin a lui coüter la vie par les confpirations, qui fe -formèrent contre lui. Balian D e'n o r e s fut le prémier, qui confpira fa perte. II entraina1 dans fon mécontentement deux Frères de la Maifon de Chimi, Bustron Sebba , Salagua , & quelques autres, qui tous avoient le même fujet de fe plaindre des affronts, que Jaques avoit faits a leurs families. L'entreprife leur paroiffoit jufte; mais, n'aïant point affez de courage pour 1'exécuter, ils gagnèrent, par leurs largeffes, deux Officiers, qui leur promirent de 1'affaffiner, pendant qu'il reviendroit de Famagoufte, oü il étoit allé: mais, comme ces mercénairesn1 étoient pas auffi animés, que ceux qui leur remirent le foin de leur vangeance, ils agirent fi mollement, qu'ils donnèrent letems a Jaques d'éviter leurs embuches. Leur confpiration fut fi mal concertée, qu'elle devint auffi-töt publique, & ne fervitqu'a leur attirer de Qoo ooo i la 14.66. Article///. SonincoHtinence im a l'excès. Confpiration de la Nobleffe Ciypriote contre Jaques. 1467. Ilenprévient les juites.  ioi6 HISTOIRE GE'NE' RA L E 4 inidelF. Ceite conjpiration n'arrête point les dtbordemens de ja fqf'on. J4Ó8. 1 : 3 3 la confufion, & de Pignominie, puisqu'ils furent tous arrêtés, & condamnés k avoir la tête tranchée, fins que I js fbrtes follicitations de la Mère de Jaques , ni celles de fes propres Maitrelfes, pullent obtenir la révocation de 1'anvt. II affecta pourtant de fe rendre a leurs prelfantes inftances; mais ce nc fut, que lorsqifil crut leur exécution finie. II n'y avoit cependant encore, que quatre de ces Seigneurs décollés, lorsque la grace arriva au lieu du fuplice. De trois qui f obtinrent, il y en eut deux, qui moururent, peu de jours après, de a frayeur, qu'ils avoient eue. Le feul D e n o r e s , Chef de :ette malheureufe entreprilè, en échappa. 11 ne voulut plus demeurer dans un pays, oü fa familie, comme celles des autres :onjurés, avoit été deshonorée: II s'embarqua avec empreflenent, & palfa en France. 11 y prit du goüt pour la médécine, a laquelle ils'apliqua, avec fuccès , pendant plus de vingtins, au bout desquels famour de fa patrie lui fit quitter un féour, oü il vivoit fi pailiblement. 11 retourna en Chypre, & y récut jusqu'en fan 1528.. qui étoit le oóf de fon age. Sans avoir égard a une disgrace, qui intéreifoit la principale Nobleffe du Roïaume, foit par parenté, ou par amitié, ni \ féclat qu'elle y avoit fait, non plus qu'au péril oü il expofoit fa vie, il continua toujours fes diffolutions. II s'y plongeoit même dnne manière, qui faifoit tout eraindre a faMere. Cette Femme n ignoroit pas les murmures de la Nobleffe en général, & appréhendoit, qu'il ne fuccombat enfin, par quelque nouvelle confpiration, trop de gens de qualité fe trouvant désJionorés par fes débordemens, & peut être a la veille de le facrifier a leur reffentiment. Ceft pourquoi elle lui repréfenta en particulier , avec tou:e 1'ardeur d'une Mère tendre, & affeclionnée ; " QuPaïant , eu le bonbeur de s'alfurer de la Souveraineté, & de fe ren, dre poffeffeur de tout le pays, il étoit desormais tems de , fonger a fe donner ujn Succeffeur, & par une conduite ,, plus  u£ CHYPRE. Liv. XXII. Gh. III. mt „ plus modérée , réparer les déplaifirs , quil avoit donnés 3, a la plupart de fes meilleurs Sujets. Article LAdreJJè de Cornaro ë retir-er Jaques dulibertlnags. »' l § ec Chapitre^ IV. Akdpe' CouN iiio , Noble Ftnilien , dont nous avons déja tan£ p.rlé, & que Jaques avoit fait Auditeur du Roïaume, tant par raport a fon mérite perfonnel, qu en confideratioi des Sommes, qu'il lui avoit fournies en diverfes occalions, & dont il lui étoit encore redevable, le frequentoit fort familicrement II fut profiter de fa d'tfpofition, & recönnut que H fa-s rémontrances de fa Mère avoient fait impreffion fui Ion eforit II BÉl tomber de fa poche le portrait, en petit, d'une Demoifelle, que le Prince voulut voir, croïant que c'etoit celui de quelque Maitreffe, que Cornaro avoit laiffee a Fcmje mais celui-ei faffura, que c'étoit le portrait d'une de fes Mie ces, nommée C a t h er i N e, que Ion Frère lui avoit envoïe, ahr ■ ou'il remarquat la beauté, que Page avoit ajotite au vifage d< cet Enfant, depuis qu'il étoit parti de -Vénije. Comme Jaques s'étoit récrié plufieurs fois fur la beauté ex traordinaire, qui paroiiToit effeétivement dans ce portrait, Cor naro, prenant adroitement fon tems, eontmua a lui reprefen ter le chagrin,dans lequel ü s'obligeoit lui mêmeapalfer fa vie en renoncant au mariage, que fon age, & fon rang, lui de mandoient pour éternifer fa Succeflion. Le Prince lui paroiffant alors touche par ce difcours, il li dit ouvertement, " que, s'il trouvoit quelques charmes dans , vifage de fa Nièce, capables d'en faire défirer la polfeifion, 2 ' qu'iï voulut lui faire 1'honneur de fépoufer, il trouveroit 1 L moïen de f élever a un état, qui la rendroit digne de fon a O oo ooo 3 liance  ■H lefait , eonjèntirat ..manage. •469. Article II. Principaux articles du Traité du mariage entre Jaques, rjf/ff Nièce de 'Cornaro. i rois HISTOIRE G E' N E' R A L E „ liance, en la faifant adopter par le Sénat, & la République .„ de Vénife, outre une dot affez confidérable pour le mettre „ en état de fe faire rendre juftice fur le Roïaume de fon Père, „ dans la pourfuite duquel il ne devoit point douter de trou- » ver> dans le Sénat> tous les fecours qui lui fercient nécef„ faires. , Les avis> & les onres Cornaro, aïant été goütées de Jaques , ce Prince, & lui, convinrent de poulfer conjointement larraire; Le prémier d'époufer la Demoifelle, & le fecond d'avoir du Sénat toutes les affiftances, quil lui avoit promifes. Ce fut par ce moïen que Louis de Savoie, qui avoit époufé Charlotte, légitime & unique hérifïèré du Roi jEAN,perditle Roïaume, & que Cathe'rine Cornaro dévint Reine par fon manage, avec Jaques, le batard, lequel, fe prévalant de labfence de Louis, fefaifit de la Couronne, de la manière, que je 1'ai explique. • Enfin, Jaques, impatient de polféder faimableobjet, dont il avoit vu le portrait, dépêcha d'abord a Vénife Jean Pere'sFabrice,& Philippe Podocatoro, pour conclurre fon alliance. Le Sénat , qui connoilfoit alfez 1'honneur , & favantage, qu'il recevroit de ce mariage, recut ces Ambaf-' fadeurs, avec toute la pompe, & la magnificence, dont on put s'avifer ; Le Traité en fut bientöt conclu, & les articles principaux furent: I. Que Cathe'rine feroit adoptée par le Sénat, &reconnue pour Fille de St. Mare. II. Qu'il lui donneroit en dot cent mille Ducats, en argent comptant. III. Qu'il y auroit a 1'avenir une alliance, & confédération perpétuelle, entre le Roi de Chypre, & la République de Vénife. La Ville en général palfa huit jours en fètes, & en rejouifances, foit par raport aux ordres du Sénat., ou k la familie, &  hè CHYPRE. LiV. XXII. Ch. IV. roïp & la parenté nombreufe de cette nouvelle PrincefTe, a la quelle chacun s'empreffoit de donner des marqués de la fatisfaction qu'ils reflentoient de fa profpérité. Après tous ces témoignages de congratulation, les Galères de Hie'rome Die'do, qui étoient deftinées a aller charger des marchandifes a Baruth, étant prêtes a partir, le Doge, &le Sénat, allèrent prendre Catherine a fa Maifon. Ce Prince lui donna la main droite, & la conduifit avec le Bueintoro, jusqu'aux Galères, oü elle s'embarqua, avec les Ambaffadeurs de Chypre, & Andre' Bragadin-, que la République^ envoïa, avec le même caraótère, auprès de Jaques. Divers parents de cette nouvelle Reine voulurent 1'adcompagner, fous prétexte d'augmenter la magnificence de fon corté|e, mais, en effet, pour obtenir, fous fes aüfpices, quelque établifTement avantageux dans le Roïaume. ■ Pendant qu'on y travailloit a préparer des feux d'artifices, des arcs de triomphe, & autres fpeétacles pour fa reception, & que Jaques n'épargnoit rien pour donner des marqués écla-tantes du plaifir , qu'il reffentoit d'avoir fait une alliance fi conforme a fon inclination, & kies intéréts, on vit arriver en Chypre 1'Archevêque de Candie. II étoit envoïé par Paul II. qui, après la mort de Pie II. avoit été élevé au Pontificat, ^  *473- Jaques proJfite de fit derniers mtmens, pour difpofer de Jet Etats. i j 1024 HISTOIRE G E' N E' R A L E qu'étant éloignés de la Ville de Nicofie, & du grand monde, ils cacheroient plus facilement leur déteflable action. Pour mieux tromper Ie public, ils affectèrent une véritable douleur de fa maladie; attribuant la fièvre, qui favoit faifi, au mouvement extraordinaire qu'il s'étoit donné; mais, lors qu'ils s'appercurent, que le venin faifoit tout 1'effet, qu'ils en attendoient, voulant fe rendre maitres de fes derniers momens, ils empêchèrent, par leur autorité, qu'aucun des Barons, qui avoient été de cette funefte partie, entralfent dans fa chambre, fous prétexte de lui procurer du repos. Voila comme le raporte le Père Luzignan dans fon Hifloire de Chypre. Une démarche fi hardie, & fi intéreifante, obligea les Barons a envoïer promtement avertir la Reine, & le Confeil, de fétat, oü le Roi fe trouvoit. Cette Princelfe, & les principaux Seigneurs fe rendirent d'abord a Famagoujle, oü Cornaro, & Bembo , ne furent plus les maitres de f appartement du Souverain; Mais, quelque confolation qu'il eut de la vue de fon Epoufe, qui étoit enceinte, & quelque affiftance qu'on s'efforcat de lui donner, il fut impoffible de le guérir. II n'y eut que fa jeuneffe, & la force de fon tempérament, qui put prolonger fa vie de qfielques jöurs, pendant les quels il difpofa de fes Etats, & de fes affaires domeftiques, en préfence des Grands du Roïaume, & du Général Moce'nigo. Ce dernier, fur Pavis ■ de fa maladie, étoit revenu promtement de Caramanie, oü il fe trouvoit avec fa Flotte, qui, a la follicitation du Roi de Perfe, y avoit paffé, pour foutenir deux des Enfans du GrandCaraman contre leur troifième Frère, lequel, alfiflé desForccs: 3e Sultan Me'hemet, leur avoit enlèvéPhéritagepaternel. Jaques, qui avoit beaucoup de confiance en ce Général, & lui fentoit ne pouvoir réfifter longtems a la violence de fon tnal, Uii recommanda avec empreflement la Reine fa Femme, 'Enfant qu'elle portoit en fonfoin, & fon Roïaume, afin qu'a^ec 1'afMance de la République, il n'y arrivat aucun changement,.  de CHYPRE. Liv. XXIf. Ch. V. 1025 gement , ni aucun trouble , qui put en altérer la tranquilité. Moce'nigo alfura ce Prince, que la République ne manqueroit pas d'emploïer toutes fes Forces, s'il le falloit, pour maintenir fes- Héritiers dans la poffeffion de fes Etats, comme il le pratiqueroiten fon particulier, tant qu'il occuperoit leGénéralat. II s'efforca, en même tems, de lui perfuader, que fa maladie n'étoit point auffi dangereufe qu'il le croïoit, & partit, pour aller rejoindre fa Flotte, avec la quelle il alla attaquer la Ville de Macre fur les bords de la Lycie. Mais la violence du mal augmentant, fans qu'aucun remède, fut capable de le diminuer, le Roi fit venir Thomas Ficard, Chancelier du Roïaume, auquel, en préfence de toute la Nobleffe, qui fe trouvoit alors a Famagoufte, il fit lire fon TeftaT ment, qui contenoit: Que lui, Jaques de Luzignan, paria gracedeDieu, Roi de Chypre, de Jérufalem, PJ> d'Arménie, recommandoit fon ame a Dieu, lors qu'elle feroit féparée de fon corps,& laiffoit pour Tuteurs de PEnfant, que la Reine, fpnEpoufe, portoit dans fon fein, pour Gouverneurs du Roïaume pendant faminorité, Jean Peres Fabrice , Comte de Jaffa, &deQax<-paffo; Jean Tafures, Comte de Tripoli; Morfu de Grimier , Comte de Rochas; Andre' Cornaro , Auditeur de Chypre; Marc Bembo; Rizzon de Mazin, Chambellan; Pierre Davilla, Connétable; & Jean Aronion, Prémier-Sécrétaire cfEtat, a la charge pourtant qu'ils reeomoitroient la Reine Cathe'rine , fon Epou/e, pour Tutrice , & Régente, ju/qua la majorité de P Enfant, qu'elle mettroit au jour; le quel il' reconnoijjoit pour fon vrai, éf Ügitime héritier; Q_u'cïfondéfaut, il appelloit d ia Succejfwn du Roïaume Gen, fon Fils naturel; s'il venoit a manquer fans héritiers, il vouloit qu'il échüt a Jean , fon fecond Fils naturel; &, au dêfaut de celuici, que Charlotte, fa Fille naturelle , y fuccédat; que* s'ilplaifoit a Dieu d'en difpofer, il vouloit, & entendoit, que Ppp ppp 3 fes Article II. Fait faire a leilurede' on tejlanent. Zlaufe ex\raofdinai're, qui fait voir, que faques itoit Men liffèrcnt de lui mime.en faifant fon teflament', en follizitatit le soudan ■ d'l'.gvptei le préférer i la Reine Charlotte.  ioz6 HISTOIRE GE'NE'RALE Mort de Jaques. i 1 1 II eji tresregretté des Peuples. fes Ro't'aumes appartinffent au plus procbe de fesFarens, de la race de Luzignan ; Qu'il laijfoit également fon tréfor , gjp. tous fes autres biens, a fon béritier : Et qu'il vouloit qu'incontinent après fa mort, on mit en liberté tous les prifonniers; £f qu'on delivrdt pareillement tous ceux qu'il avoit fait mettre aux Galères. Après la le&ure de ce Teftament, auquel il ne voulut rien changer, «Sc après avoir bien recommandé a ces Seigneurs de tenir la main a fon exécution , «Sc k entretenir Ia tranquilité dans le Roïaume, il mourut le Juin de fan 14^3. dgé de 33. ans, dont il en avoit régné douze,huit mois, «Scquatre jours, depuis fon couronnemen t au Caire. Son corps fut inhumé dans 1'Eglife de St. Nicolas, Cathédrale de Famagoufte, avec une pompe fort médiocre, par le iéfaut de cire, qui cette année-la fut fi rare en Cbypre, qu'k Deine s'en trouvoit-il pour illuminer les Autels, oü Pon céléaroit les Mefles. Le Père Luzignan , & quelques autres Ecriirains, ont remarqué cette difette de cire, comme une chole fort extraordinaire, «Sc comme une punition de Dieu envers Jaques , qui avoit méprifé 1'ordre Sacré de Soudiacre, oü il étoit entré. Ce qui pourroit cependant avoir une caufe toute naturelle; & il eft vrai, que, fi fes funerailles fe firent avec fi peu d'éclat, les regrets fincères des Peuples fupléèrent a ce défaut. II feroit fort difficile d'exprimer la douleur, qu'ils témoignèrent tous de fa perte; & il eft a croire, que, dans 1'excès de leur affliction, ils fe feroient vangés dès-alors de ceux qui les avoient privés d'un Prince, qui les avoit plutöt gouvernés en Père, qu'en Souverain, «Sc qui n'avoit jamais fongé qu'k enrichir la Nobleffe par fes libéralités, & a les mettre tous dans l'opulence par la fupreffion des impöts, dont ils étoient accablés a fon avènement; Mais le refpect, «Sc la vénération, qu'ils confervoient pour fes dernières volontés, pour la R,eine fon Epou-  »e CHYPRE. Lrv.XXir. Ck. V: tot? Epoufe , & pour le fruit qu'elle portoit ., les empêcha d'en venir a cette extrémité. En effet, a quelques débauches prés, Jaques méritoit bien leurs louanges, & leur affection. Ses défauts étoient trés-inférieurs aux belles qualités, qu'il poffédoit. 11 étoit courageux, affable, libéral, & populaire a 1'excès, 2élé pour faire la juftice a fes Peuples, amateur des Arts, &des Sciences, & il n'avoit rien épargné pour les faire fleurir en Chypre. Ax peine fes funérailles furent terminées, que les Gouverneurs , qu'il avoit nommés par fon Teftament , dépêchèrent Jean Terras a Mutius Constance, Gouverneur de Nicofie, afin qu'il fit publier dans cette Capitale la Régence de la Reine, & qu'il vint incelfamment a Famagoujle, avec tous les autres Officiers de la Couronne, pour prêter a cette Princeffe le Serment de fidélité; ce qu'il ne manqua pas d'exécuter, en compagnie d'onofre Requescens , Grand-Sénéchal du Roïaume ; de Paul Zappa , Sénéchal de Jèrujalem, & Vicomte de Nicofie; de Jcjlien Tara, Vicaire - Général de 1'Archevêque Fabrice, qui avoit fuccédé au Père GoNêME; de Nicolas de Larche , Archêvêque Grec de cette Ville; & de diverfes autres perlonnes de diftinction, qui tous lui prêtèrent le Serment de fidélité; Et, après eux, Nicolas Morabit, Gouverneur de Cérines ; Jean Attar , Gouverneur de Baffo, N. Gouverneur de Limifol. Tout fe palfa avec tant de tranquilité, qu'on peut dire, que la mort de Jaques ne caufa que des regrets, & point du tout d'altération dans les affaires de 1'Etat. Peut être auffi que la préfence du Général Moce'nigo, qui, a la prémière nouvelle de fa mort, s'étoit d'abord rendu a Famagoufle, avec une partie de fa Flotte, y contribua beaucoup, & empêcha le peu de partifans de la Reine Charlotte , qui y reftoient, de remuer; s'étant contentés de f informer du décès de 1'Ufurpateur, & de la bonne volonté, quils auroient eu de la fervir. Mais 5 Articlell/. Tout fe paffe, avec trim*quüiti.  1028 HISTOIRE .GE'NE'RAL! InutüHi des efforts de Charlotte. Mais, queiqtie afïïirance qu'ils lui donnaffent de leur attachement, 1'abandon de fes Sujets les plus affe&ionnés, «Sc la Iongueur de fes malheurs, lui aïant enfeigné a fe défier de tout le monde, elle dépêcha un Brigantin en Chypre, avec le Chevalier Jean Giblet, & Augustin Püisat, fes plus confidens, afin qu'ils allalfent s'en éclaircir, «Scdécouvrir, en même tems, la difpofition des Chypriots a fon égard; Mais, par un enchainement de malheurs, ces Députés, fur lesquels elle comptoit entièrement, exécutèrent fi mal fes ordres, «Sc s'acquittèrent fi mal de leur eommiffion, qu'ils ne firent quéventer les delfeins de leur maitrelfe, fans pouvoir lui être d'aucune utilité. lis abordèrent aux Cötes Occidentales de file; mais, au lieu d'aller eux-mêmes reconnoitre le pays, dont ils avoient une entière connoiffance, ils n'eurent pas affez de courage pour mettre pié a terre, & fe contentèrent d'y envoïer un de leurs Domeftiques , nommé Valenttn , qui , auffi mal habile qu'eux, fut arrêté a Pentaya, «Scconduit a Famagoufte, oü il découvrit, fans difficulté, le fujet de leur voïage, «Sc 1'endroit oü il les avoit laüTés; de manière qu'ils coururent risque d'avoir le même fort. La Reine C a t h e'rine fit d'abord partir une Galère, pour s'allerfaifir de leur Brigantin; «Sc ils auroient été pris, fileretardement de leur Domeftique ne leur avoit fait foupc, onner ce qui .étoit arrivé; ce qui les engagea a repaffer promtement a Rhodes, avec la feule certitude de la mort de Jaques, qu'un Pêcheur leur avoit apris. Charlotte en concut quelque efpérance de rentrer dans fes Etats; ce qui auroit pu lui réüffir, fi elle avoit eu les moïens néceffaires pour 1'entreprendre. Elle eut de nouveau recours au Grand-Maitre, le priant qu'après favoir fi généreufement affiftée, il voulüt continuer a le faire dans une conjonóture, qui lui paroiffoit fi favorable, en envoïant un de fes Chevaliers au Général Moce'nigo, qui fe trouvoit avec fa Flotte dans le port deFisque; fe flattant, mal a propos, de pouvoir 1'engager a s'intéreffer pour elle. Qiioi-  be CHYPRE. Lm XXII Ch. V. iozp Quoique le Grand-Maitre reconnut rimpolïibilité du projet <3e cette Princeffe, voulant fatisfaire a fes inltances, il affembla le Confeil, qui noraraa le Chevalier de Lignac, Amiral de Rhodes, pour aller vers le CommandantFénitien; mais il s'excufa de ne pouvoir la fervir de deux Galères, qu'elle fouhaitoit, fur fengagement oü étoit la Religion de joindre fes Batimens a Ia Ligue, qui avoit été conclue contre le Turc, bien que ce ne fut, en eftet, que pour ne point entrer dans une affaire, qui ne pouvoit être que chagrinante pour eux. Cette Princeffe n'eut pas une réponfe plus favorable de M oce'nigo. Le Chevalier de Lignac lui réprefenta inutilement la juffice de fes droits fur le Roïaume de Chypre, qu'il ne pouvoit ignorer que Jaques lui avoit ufurpé; & enfin la bonne intelligence, qui avoit toujours régné entre fes Ancêtres, & la République, qu'ils avoient toujours favorifée, au préjudice des Génois; temoin l'afïaire, qui étoit arrivée dans tamagouftey au eouronnement du Roi Pierrin, oü la déférence, que ce Prince eut pour les Vénitiens lui couta la guerre, qu'ils lui firent enfuite. Toutes ces raifons ne touchèrent point du tout ce Général; au contraire, il répondit fêchement, que le Sénat, étant obligé de foutenir la Reine Cathe'rine, fa Fille adoptive, Sc de la maintenir dans la poffeffion du Roïaume, que fon mari venoit de luilaiffer, pour le conferver al'Enfant, dont elle étoit enceinte, Sc qui en devoit être le légitime héritier; puisque fon Père en avoit obtenu 1'inveftiture du Soudan d1 Egypte, de qui il dépendoit; II avoit ordre du Sénat de regarder comme Ennemi, quiconque chercheroit a troubler la Mère, oü f Enfant , dans la jouiffance de cet Etat. - II fit plus, craignant que la Religion ne voulüt favorifer Charlotte , «Sc lui prêter fes Galères pour la tranfporter en Chypre, oü fa préfence auroit pu caufer quelque émotion, il écrivit une forte Lettre au Grand-Maitre, pour lui demander* Q_qq qqq que  io3o HISTOIRE GE'NE'RALE Article/r. 1474- Ellefellicite en vain le Soudan 4'Egypte. LeSoudan fait arrêter fEnvfüt de Charlotte. que les mêmes Galères allaüent joindre fa Flotte , qu'elles avoient quittée, fous prétexte d'aller prendre des rafraichifTemens, puisque, fi elles retardoient encore, il feroit obligé de s'en plaindre aux Princes Confédérés, qui desaprouveroient la conduite de la Religion dans finexécution du Traité d'alliance. Une déclaration il formelle, a la quelle Charlotte devoit pourtant s'attendre, d'autant plus que dans cette affaire le Sénat n'agiffoit pas moins pour fes propres intéréts, que pour ceux de Cath e'r ine, puisque, dès fon mariage avec Jaques, il avoit regardé le Roïaume de Chypre, comme un bien, qui pourroit appartenir un jour a la Republique,obligea cette ancienne Reine a ceffer de demander f affiftance de Moce'nigo; &, changeant en même tems de fentiment, «Sc de conduite, Elle dépêchaNicoLiN Millas en^yp/^pourimplorerla protection du Soudan, qu'il ne trouva pas mieux dilpofé, que le Général Vènitien. Car, bien-loin de vouloir écouter fes raifons, prévenu en faveur de Cat h er i n e , qui, outre le tribut ordinaire, avoit eu la précaution de lui envoïer d'abord Andre' Solores , avec une Galère, chargée de divers riches préfens, il fit arrêter 1'Envoïé de Charlotte , «Sc le remit a celui de C a t h e'r i n e , lequel le conduifit en Chyp?-e. Ce Miniftre y revint fort a propos, pour empêcher, que les Officiers Mammelucs, que le Soudan y avoit envoïés pour s'emparer du tréfor, «Sc des meubles de Jaques , fitöt qu'il fut informé de fa mort, «Sc que la naiffance d'un Fils dont Cathe'rine étoit acouchée, n'avoit pu faire défifter de leur recherche , n'en vinffent a quelque extrémité. Le Roi Louis faifoit des tentatives auffi inutiles, que celles de fon Epoufe. Ce Prince, qui, jusqu'a la nouvelle du décès de celui qui favoit dépouillé de fon Roïaume, avoit demeuré en Savoie dans l'inatflion, dépêcha de Génève, le 14. Decembre , 1473. Aymon de Montfalcon , Prieur (VJnglefort, Ambaffadeur au Pape Sixte IV. qui avoit fuccédé a Paul II. fans que les follicitations de ce Miniftre pulfent lui être d'aucu- ne  de CHYPRE. Liv.XXII. Ch. V. 1031 ne utilifé; foit que ce Pontife fut entièrement occupé de la Ligue contre Me'he'met, ou qu'il craignitd'en interrompre les pro. grès, en inquiétant les Vénitiens, qui en étoient le plus ferme apui, par le grand nombre de Galères, qu'ils y entretenoient, il ne fit presqu'aucune attention a fes inftances. Ce Miniftre ne réüffit pas mieux auprès des autres Princes} dont il rechercha l'affiftance, de forte que Cathe'rine jouïlfoit tranquilement du Roïaume, pendant que Louis, & Charlotte fervoient de jöuët a la fortune, & fouffoient tout ce qu'elle peut faire reffentir de plus douloureux aux perfonnes, qu'elle perfecute. Chapitre VI. Le Général Moce'nigo, après avoir eu 1'honneur de tenir le jeune Roi Jaques III. fur les fonts Baptismaux, reconnoilfant, par la tranquilité des affaires, & par la foumiffion des Peuples, que fa préfence n'étoit pas fort necéffaire en Chypre, y laiffa deux Galères, & quelques Troupes au fervice de la Reine C a t h e'r 1 n e , & repafTa aux Cötes de la Caramanie, oü il efpéroit de faire quelque nouvelle entreprife fur les Turcs en faveur du Roi de Perfe, dont le Fils, nommé Zeynal , avoit déja gagné deux Batailles fur eux; Mais aïant recu des Lettres de Catarin Zen , Ambaffadeur de la République auprès du Sophi, avec la nouvelle, que ce jeune Prince avoit perdu la troifième, & y avoit été tué, & que ce malheur avoit tellement étonné les Perfans, qu'ils avoient tout quitté, pour s'en retourner en leur pays, Moce'nigo repafla en Chypre, fe fournit de rafraichiffemens, & alla enfuite hiverner kModon, fur laCöte Méridionale du Peloponèfe. Qqq qqq 2 L"ai- Article I. Cathérine règne tranquilement.  io32 HISTOIRE GE'NE'RALE l,a conduite deComz io, & de MarcBembo troulle. cette tranguilitc. Article//. Nouvelles Irouilleries caufées par VAr- cbevêque ïabrice. L'aigreur, qui étoit reftée aux Chypriots. contre Andre' Cornaro , & Marc Bembo , Oncles de la Reine , auxquels ils avoient attribué rempoifonnement de leur Souverain, jointe a fautorité, avec laquelle ces deux Étrangers vouloient difpofer des affaires du gouvernement, & les alfujetir a des maximes contraires aux loix fondamentales du Roïaume, cauferent bientöt de grands troubles, «Sc eurent une fuite bien funefte pour eux. L'Archevêque Fabrice, que Jaques avoit envoïé auprès de Ferdinand, Roi de Naples, pour traiter quelque affaire d'importance, & pour obtenir, en même tems, 1'agrément de la Cour de Rome, toucbant la poffeffion de l'Archevéché de Nicofie , que fon Prédéceffeur n'avoit jamais pu avoir, a'ïant apris la mort de fon Maitre, éccraignant que fon abfence ne fit perdre a fa propre familie les bienfaits, qu'elle tenoit de fa libéralité, & le rang qu'elle avoit a la Cour, fe mit en tête, pouraugmenter 1'un, «Sc 1'autre, de faire tomber la Couronne de Chypre au pouvoir de Ferdinand , qui étant Efpagnol, comme lui, ne manqueroit pas de faire triompher ceux de fa Nation. Pour cet effet, il propofa a ce Prince le mariage d'un Fils naturel, qu'il avoit, avec Ciiarlotte, Fille naturelle de Jaques, la même, qui avoit été promife a Soron de Naves; 1'affurant, que, par cette alliance, & le crédit qu'il avoit lui même fur le pays, il ne feroit pas difficile de le faire parvenir a la Couronne. Cet intriguant Prélat confirma, en même tems, fi bien Sixte IV. dans 1'impreffion, qu'on lui avoit donnée que Cornaro , & Bembo , avoient été les empoifonneurs de Jaques , que ce Pontife crut, qu'en les décréditant, il ferviroit Louis, & Charlotte , & pourroit contribuer a leur rétabliffement. II écrivit des Lettres a la Nobleffe, «Sc aux Peuples de Chypre, par les quelles il leur marquoit, " qu'il étoit très-furpris, qu'après „ avoir été fi fenfibles a la mort de leur Roi, ils fouffriflent que „ fes propres affaffins les gouvernaffent; qu'ils jouïffent de tous 3, les honneurs de la Cour; & qu'ils difpofaffent de tout legou- „ verne*  de CHYPRE. Liv. XXII. Ch. VI. 1033 „ vernement, comme fi cette recompenfe étoit due k leurs „ forfaits. L'Archevêque, que le Pape avoit chargé de ces Lettres, par- tit de Naples , avec une Galère , que le Roi Ferdinand lui avoit fait préparer, & ne fut pas plutöt arrivé a Nicofie, qu'il les fit lire, a haute voix, fur 1'éfcalier de 1'Eglife Cathédrale, lorsque le Peuple fortoit de la Grande Melfe. Leur leétureproduifit tout f effet, qu'il pouvoit en attendre; les grands, & les petits, en furent fi animés, que, confus d'avoir toléré jusqu'alors ce que le St.Pèrclem reprochoit, ilscoururent fubitement aux armes, pour en tirer vangeance, fans que Mutius Constance, Rizzon de Marin, que le feu Roi avoit afTociés au gouvernement, fe milfent aucunement en peine de les empêcher; tant ils étoient piqués de voir fautorité, dont ces deux Nobles Vénitiens, favorifés par la Reine, s'étoient emparés, & difpofoient de toutes chofes, fans même leur en faire part. Cette populace en fureur marcha droit a Famagoufte, oü fe trouvoient Cornaro , & Bembo , qu'ils poignardèrent dès la même riuit. Ils en firent de même a Paul Zappa , leur grand Confident, k Gentile, Médecin de la Reine, & a quelques autres de leurs adhérens, fans que les Troupes, que le Général M o c e'n 1 g o y avoit laiffées, puffent empêcher ces Catastrophes. La Reine en fut même fi intimidée, qu'elle n'ofa en témoie;ner aucun reffentiment, ni faire donner lafépulture kfes Oncles, qui, dans cet affreux tumulte, oü chacun craignoit pour foi même, ne la recurent enfin, que par f affection de quelques vieux Domeftiques. Tout ce que Cathe'rine put faire, dans cette extrémité, fut d'en envoïer informer fécrettes ment le Général Moce'nigo, & lui demander une promte affiftance, pour faire rentrer les Chypriots dans leur devoir. La revolution imprévue, qui venoit d'arriver, reveilla Ie tbIe des partifans de Charlotte. 11 fe forma alors trois partisqui divifèrent entièrement le Roïaume, & qui 1'auroient Iong- Qqq qqq a temJ Le Peuple de Nicofia court aux ArmesJans qu'on puijje le retenir. ArticïeUr. Cornaro,cfc Bembo poigiiariis* Cathérine envoie in~ furmerM.0' cénigo de cette tragédie, £f lui demunde ajjiftance, pour faire rentrer les Chypriots dans leur devoir. Ilf'forme trois partix en Chypres, i  • ' ti I 1 : Celui duRoi de Naples, celui de la Maifon de Luzigmv.cedentau parti de Cathérine. j HISTOI- [034. HISTOIRE GEN.de CHYPRE. Liv.XXIÏ.Ch.VI. £ms agité, fans lapuiffance de la République, qui foutenoit celui ie C a t h e r ine, & qui fit diifiper les deux autres. L'Archevêque, lesComtes de Jafa, &deCarpqffb; Jean Fures, Cöm:e de Tripoli ; Rizzon de Marin , Chambellan; le Baron Louis d'Aime'ri; Pierre d'Avila , Connétable; Mutius Con>tance , Amiral; & divers autres Nobles, s'étoient emparés de quelques Fortereffes, & travailloient a gagner la bienveillance du Peuple, a la faveur de la diftribution de fargent, que le Roi Ferdinand leur faifoit envoïer fécrettement par un Miniftre, qu'il ttnoitz Rhodes, lous prétexte d'ynégocier quelque affaire d'importance avec le Grand-Maitre. Ce Prince afïuroit même ces Seigneurs , qu'il leur enverroit bientöt une puiffante Flotte, munie de tout ce qui feroit néceffaire pour s'emparsr de Famagou/ïe, dont la conquête les auroit mis en état de fubjuguer tout le refte du pays. L'autre parti étoit compofé de véritables Seigneurs de la Maifon de Luzignan; de plufieurs autres Nobles, que le Roi Jaques avoit dépouillés de leurs biens; ou d'autres, enfin, quifedéclarèrentpourla juftice,cScfavorifoient Charlotte, malgré fimpuiffance,oü étoit cette Princeffe de leur donner aucun fecours. Leur defTein étoit de fe faifir de quelque bonne Place, & de la faire promtement venir, perfuadés que fa feule préfence auroit fait mervetiks; Mais la promte arrivée de Vetor Soranzo, avec fix Galèrès,queleGénéralMocE'NiGO avoit détachés, fur les prémiers ivis de C a t h e r ine, & peu après la venue de ce Commandant lui même avec toute fa Flotte, firent échouer les projets des uns, & des autres. Ainfi nila bonne difpofition des Efpagnols pour Ferdinand, ai celle des véritables Chypriots pour Charlotte , ne furent a :esPrinces d'aucune utilité, &nefervirent, au contraire, qu'a mgmenter le pouvoir des Vénitiens, &aaccélérer leur domina:ion fur toute 1'Ile.  HISTOIRE GÉNÉRALE R O ï AU MES CHYPRE, de JÉRUSALEM, D' E GEYTP T E. L I r R E XXIIL Chapitre Premier. ^ ^ r.a ^ e Sénat, qui avoit reconnu par la revolte AxticteZ pWfcsré^g* 3 des r hypriots, & par la terreur qu elle avoit La Reint infpirée k la Reine Cathe'rine , qu'il 3& L fö£ n'y avoit point de tems a perdre pour par- (|, v£iW Wp venir a fes fins, en profita fi bien, tentdans ^Slillii que cette Princelfe, intimidée, confentit d'abord, qu'ils milfent, dans les Fortereffes du Roïaume, des Gouverneurs, & des garnifons, entièrement 5MW depen-  Le jeune Roi Jaqu< eft couronne. Onpourjuit a Rhodes les Perfonnes diflinguèes, qui s'y font réfugiees. Article II. I 1036- HISTOIRE GE'NE'RALE dépendans de Ia République. Ils travaillèrent, en même tems, a rompre les mefures des partifans du Roi de Naples, comme' les feuls, qui pouvoient leur faire de la peine, & firent enfin s couronner le petit Prince Jaques, afin d'appaifer le Peuple, par Péclat de cette cérémonie, & les perfuader, qu'ils n'agiifoient que pour les intéréts de ce jeune Souverain. La Nobleffe du pays n'ignoroit pas leur véritable deffein; mais, manquant de molens pour s'yoppofer, elle étoit obligée' d'abandonner le fort du Roïaume a la décifion du hafard; d'autant que les plus confidérables en dignités, & en richelfes, s'étoient fauvés a Rhodes fur une Galère N^olitaine, qui étoit au pouvoir de 1'Archevêque, afin d'éviter la pourfuite des Vénitiens, qui n'auroient pasmanquéde les perdre, tant pour vanger la mort de Cornaro, & de Bembo, leurs Compatriotes, que pour les punir du deffein, qu'ils avoient fait, de livrer le Roïaume a un Prince étranger au préjudice du Souverain, qu'ils croïoient légitime. En effet, IeTrovéditeur S or an 20 ne manqua pas de les pourfuivre avec fon Efcadre; mais, comme il fut impoffible de lesatteindre, le Général Mocóigo; qui aborda a Rhodes quelque tems après, fit de prelfantes inftances, de la part de Ia Reine C a t n e'r ine, au Grand-Maitre, & au Confeil, afin qu'ils eulfent a lui remettre ces rebelles; Cependant la Religion, non moins jaloufe de fa propre indépendance, que fidéle a faire jouïr de fa proteclion tous ceux qui la reclamoient , répondit au Général Vénitien, qu'elle ne commenceroit point a violer la bonne-foi, & le droit des gens, envers desvoifins, qui s'étoient venus réfugier k Rhodes , oü ils avoient cru trouver un afile iffuré, & parmi les «quels fe trouvoit un Prélat, dont ils refpec:oient infiniment lecaracfère, & qui dépendoit du St. Siége. Ce fut après tous ces tumultes, & ces révolutions, que laRei1e CriARLOTTE,qui jusqu'alors s'étoit arrêtée a Rhodes, dans 1'efpéance, que quelque incident pourroit lui être favorable, reconnoif- fant  de CHYPRE. tiv. XXIIÏ. Ch. I. 103? fant enfin, que fes ennemis étoient trop puiffans, & fa deftinée trop malheureufe, réfolutde pafler en Europe, pour y finir tranquilement le refte de fes jours. Elle profita de quelques Galères Franpoifes, qui la débarquèrent aux Cötes ft Italië. Mais, avant de quitter Rhodes, elle voulut s'acquitter de fes devoirs envers le Grand-Maitre, & le Couvent, en lui témoignant 1'éternelle reconnoilfance, qu'elle conferveroit de la générofité, avec laquelle ils f avoient aififtée pendant un fi longtems. Elle leur recommanda, en même tems, diverfes Demoifelles de fa fuite, qui s'y étoient mariées, de même que plufieurs Dames Cbypriotes, qui 1'avoient fuivie. Elle fit auiTi comprendre au Grand-Maitre la nécelfité, qu'elle avoit d'argent, & de provifions pour fon voïage. On y pourvut d'abord, avec beaucoup de générofité: & s'étant embarquée avec fa fuite, elle fe rendit k Rome; perfuadée que le Pape n'auroit pas moins de bonté pour elle, qu'il en avoit pour les Princeffes de Bofnie, & de la Morêe, qui s'étoient réfugiées auprès de Sa Sainteté, après la perte de leurs Etats, & aux quelles il faifoit donner des penfions proportionnées a leur caracïère. Elle ne fe trompa point; car,fi quelque chofe avoit pu adoucir 1'amertume d'être réduite a rechercher pour elle même faffistance, qu'elle donnoit autrefois aux autres, rien n'en auroit été plus capable, que la reception, les honneurs, &la magnificence, avec laquelle elle fut recue, &traitée par ce Pontife, qui voulut même en laiffer le fouvenir a la Poftérité, en faifant peindre cette Princeffe dans 1'Eglife du St. Efprit, avec les habillemensRoïaux, la Couronne fur la tête, & cette Infcription, qu'on y voit encore aujourd'hui. Karlota Cipry Regina , Regno fortunisque fpogliata Ad Sixtum quartum Jupplex confugiens, tanta henignitate ac munificentia fujcipitur,utpr Mort du jeune Rot Jaques , i l'dge de 3- ons »  Article II Diftrentt. fattionsau jujet dun nouveau Roi. ■ •Cathérinc, feduite pdr les Vénitiens, leur céde le Roiawne. 3477- IgK II I S T O I R E G EN E1ALE tion étrangere, dont le gouvernement étoit entièrement contraire aux loix fondamentales du Roïaume. . Mais, malgré leurs murmures, & leur réfolution, il fallut r fubir le joug. La précaution, qu'avoit eu M o c e'n i g o de s'affurer de toutes les Fortereffes, la préfence du Général Loredan avec une puiffante Flotte , & enfin fabbailfement des Seigneurs principaux, capables de lui faire tête, les contraignit a recevoir la loi du plus fort, & a fe contenter de pleurer la perte de leur liberté. Le Sénat, fatisfait de ce cöté-lk, fit adroitement infinuer a la Reine Cathe'ri n e ," qu'elle ne règneroit jamais paifiblemcnt „ en Chypre; Et que fes Sujets, bien-loin d'avoir pour elle, ni „ amour, ni affedion, feroient éternellement difpofés a fe ré„ volter, comme ils en avoient donné des preuves, en malfa.„ crant fes Oncles, presqu'entre fes bras. II lui firent, en même tems, envifager la crainte, qu'elle devoit avoir du Turc, dont la puiffance étoit fi formidable, que le Soudan d1'Egypte n'en trembloit pas moins, que les autres Princes. Ils lui firent, enfin, tant d'affreufes rémontrances, que n'aïant perfonne pour la confeiller, & perfuadée qu'elle ne pourroit, ni fe maintenir, ni fe conferver dans la Souveraineté, elle la céda a la République. Le Grand-Maitre de Rhodes, de fon cöté, n'ignoroit pas le mécontentement des Chypriots, & appréhendoit, que la mort du jeune Roi ne caufat dans le Roïaume quelque changement, préjudiciable a fes intéréts; c'eft pourquoi il envoïa en Chypre le Chevalier de Norrai , pour faire compliment de condoléance a la Reine, & pour la prier, aufli bien que la Cour fupérieure, de vouloir fatisfaire aux fommes, que le feu Roi Jaques , fon Epoux,avoit empruntées du Tréfor, & de lui même en particulier. Les adminiftrateurs du tréfor de Rhodes avoient auffi. ordonné au Chevalier de Norrai , de fe plaindre a la Reine, „ de  de CHYPRE. Liv. XXIII. Ch. II 104.3? „ de ce que la grande Commanderie de Chypre ne raportoit plus rien au Couvent, depuis qu'on Favoit obligée d'en don- [ „ ner la jouïffance au Chevalier Zaplana, moïenant 4.000. Ecus; , de rente au tréfor; que ce Bénéfice étoit enfuite tombé a „ divers particuliers, qui, n'étant point Chevaliers, ne recon- \ „ noiffoient, ni Tréfor, ni Couvent; qu'ils avoient obtenu un ; Bref du Pape pour les en exclurre, «Sc la remettre au Cheva' lierCRiSFO, Favori de la Reine ", qui ne manqua pas de faire exécuter le Bref du Pontife, «Sc de faire acquiter les fommes, dont il s'agiifoit. Les affaires des Vénitiens avancoient de plus en plus en Chypre. Quoi qu'ils fe fuffent procuré la tranquilité, par la.paix, qu'ils firent avec le Sultan Me'hemet, après fa feconde entreprife fur la Ville de Scutari, qu'ils furent enfin contraints de lui céder , avec Tanare , «Sc 1'Ile de Lemnos ; Ils s'affujetirent même a lui payer un tribut annuel de huitante mille Ducats d'or, malgré 1'avantage qu'ils avoientremporté fur lui, durant le fiége de Scutari; Ils 1'avoient obligé de le lever, «Sc de fe retirer a Confiantinople, avec les débris de fon armée. Cet accommodement aïant raffuré la Reine Cathe'rine de la crainte, qu'elle avoit des armes Ottomanes, elle commenca a moins écouter les difcours, qu'on lui tenoit pour fe démettre de la Souvëraineté; en quoi elle fut encore confirmée par la mort du Sultan même, qui arriva cette année en la Province de Bithinie, lorsqu'il marchoit a la tête d'une puiffante Armée contre Rhodes, pour réparer 1'affront, qu'y avoit recu lê Pacha P a l e'o l o g u e, fon Général, qui en avoit entrepris le fiége quelques années auparavant, «Sc dont il fut repouffé, par la valeur, & la fage conduite du Grand-Maitre Daubusson , qui, dans cette occafion , acquit une gloire immortelle , par les héroïques actions qu'il y fit, «Sca fon exemple la plupart de fes Chevaliers; & enfin la difcorde des Enfans de Me'hemet pour la Succeffion de 1'Empire, qui les acharna fifort 1'un contre 1'autre pendant Les Chevaiers de Ihodes btiennent tn Bref du ?ape, pour ibtenir esJcmmes, •ui leurfvnt ives en Chypre. 1479. Article///. Paix entre les Turcs, &les Vénitiens. Mort du Sultan Mèhémet.  Catliérine regrette la Souveraineté. Article 7. Les Vénitiens craignent un fecond mariage de Cathérine, qui ptumit leur titer la Souveraine- ; tt. < 1044 HISTOIRE GE'NE'RALE pendant fi longtems, qu'ils ne penfèrent plus k inquiéter les Chrétiens, acheva de raffurer la Reine. La douceur de la Souveraineté, dont cette Princeffe s'étoit fait une habitude, ne mettoit pas un moindre obfhcle a favidité des Vénitiens; Car, après tant de grandeur, dautorité, & d'indépendance, & une élevation, qui la mettoit au-deifus de toutes lesFemmes de fa patrie, elle ne pouvoit fe réfoudre k embralfer une vie privée, ni a redevenir Jcur égale. Aufli il fe palTa quelques années, avant qu'ils pulfent la déterminer* Quoi qu'on puiffe dire, que c'étoit eux, plutöt qu'elle, quigouvernoient le Roïaume, puisqu'ils mettoient, & changeoient a leur volonté les Commandans des Places, dilpofoient des charges, des emplois, des revenus de la Couronne, puniffoient les Criminels, ou leur faifoient grace, & adminiltroient enfin toutes les affaires de 1'Etat, fans même avoir grand égard, nipour le Grand-Confeil, nipour les autres Grands du Roïaume, que les Princes légitimes avoient coutume de confulter, dans les occa[ions, fur les affaires les plus importantes. Chapitre III. r e refroidiffement de la Reine C a t ii e'r i n e fit enfin crain■L^ dre au Sénat, que les Barons du Roïaume n1 infpiraffent a cette Princefle de contraéler un fecond mariage; ce qui auroit pu retarder, & peut être faire évanouïr entièrement leurs pré:enfions fur cet Etat. Pour prévenir ce contretems, ils envoi'è:ent en Chypre George Cornaro , fon Frère, avec ordre de fe fervir de toutes les raifons, dont il pourroit s'avifer, pour la perfuader de fe démettre du pays en leur faveur, & d'aller ouïr de la Ville d'^föö/o,6c de fes dépendances,en Souveraine- ' té;  de CHYPRE. Lrv. XXÏÏL Cs. HL 104.J té; veritablement moins grande, mais en même tems plus fbre, plus tranquile, dans le fein du pays natal, & oü, éloignée des troubles, des révoltes, & du danger de la guerre, elle goüteroit, dans une profonde paix, 1'emprelfement d'une Cour, qui ne s'étudieroit qu'a la fervir, & a lui plaire. George Cornaro, non moins zélé pour les avantages de fa patrie,que tous les autresSénateurs,ne fut pas plutöt arrivé en Chypre, qu'il agit fi finement, & fi efficacement auprès de la Reine, fa Sceur, tui fit fi bien envifager le danger, oü 1'expofoit la guerre, que Sultan Bajazet faifoit au Soudan ó? Egypte, après être demeurémaitre dupuilfant Empire, que M e'he'met, fon Père, avoit conquis, & même obligé le Prince Zitzime', fon Frère, k cherclier un afile parmi les Princes Chrétiens; Que, touchée de toutes ces rémontrances, cette Princelfe confentit enfin a lui remettre le Roïaume, avec tous fes droits, ne pouvant jamais foupconner fonFrère capable de lui rien confeiller, qui fut contraire a fes intéréts. Limpuiffance des Chypriots étoit trop grande, pour qu'ils pulfent s'oppofer kun changement, qui les épouvantoit; &tou( ce qu'ils purent obtenir, fut une promelfe folemnelle de la pari de la Reine, que le Sénat les feroit gouverner felon les lob fondamentales du Roïaume; mais fa promelfe n'eut pas lieu. Tout étant difpofé pour le départ de Cathe'rine, elle s'embarqua pour Vénife avec George Cornaro, fonFrère, & les trois Enfans naturels de Jaques, afin de priver les Cbypriot. du fujet, qui auroit pu donner quelque prétexte k leur révolte Le Doge Augustin Barbarigo, «Sc le Sénat en corps alla ai devant de cette Princelfe, avec le Eucintoro, fur lequel elle fu conduite comme en triomphe k 1'Eglife de St.Marc, oü, pou: confirmer le don, qu'elle venoit de faire a la République, ell< préfenta au Doge la figure de file de Chypre en argent, & er recut en échange celle de la petite Ville d'AzoIo, dans laquel leélle fe-retira,après quelques mois de féjour qu'elle hk Vénife. Sss sss oi Ils la font. conjtntir i pa(fer i Vénife. *4? [ l ; 1 1 i 1  Arrivèe Vénife,« ccdealal publique 'ous fes droits fut Roïaume Chypre. I Article TI. Poffeffion de Chypre frife par ies Vétitiens. io*<5 HISTOIRE GE'NË'RALE i oü elle fut toujours Iplendidement traitée dans le Palais Ducai, (quoique d'autres, particulierement 'I reschot, affurent 3 avec plus de vnufemblance, qu'elle logea dans le Palais de Cornaro qu'on .appelle encore aujourd'hui de /, avec toute fa nom- breufe fuite,qm marquoit effectivement, qu'en ie démettant de la Roiaute, elle en avoit confervé la grandeur, & le bnllant, qii elle continua a foutenir a Azoh, petite Ville, dans la Marcis Trewfam, jusqu'a une extreme vieillelfe. Le Sénat étoit trop fenfible au prefent conlidérable, qu'elle lui avoit fait pour manquer *k» fournirlargement tout ce qui lui étoit nécelfairepour foutenir fa dignité. r II ne fut pas moins attentif a récompenfer George Cornaro, fon Frère, qui fut non feulement élu Chevalier, & Procurateur de St.Marc; mais on lui permit encore, &atoute fa Familie, d ajouter les armes de la Maifon de Luzignan k celles de fa propre Familie. On legratifia de plus d'une belle Commandene en Chypre, que fes Succeffeurs ont poffédée, tant que la République a confervé ce Roïaume. Les meubles,joïaux,& autres richeffes, que Cathe'rine emporta avec elle, étoient, pour ainfi dire, ineftimabJes. Geoege Cornaro, qui enfut 1'héritier , en devint fi puiffant, que le Senat lobhgea a maner trois Fils, qu'il avoit, &a leur faire batir a chacun un Palais, afin de partager de fi grands biens, parmi lesquels fe trouve une des plus riches bagues de r Europe qui appartient a 1'alné de la Familie par fubftitution, & dans' laquelle eft enchaffé un diamant de trés-grand prix. Peu de tems après , le Sénat y envoïa le Noble Francois Priuij, pour en prendre poffeffion. II n'y fut pas plutöt arrivé, qu'il abolit toutes Ls anciennes loix,&y établit un gouvernement conforme a celui de tous les autres Etats de la République; Et, afin que ceux de la Maifon de Luzignan n'euffent plus Ie moïen, ni de faire valoir le Teftament du Roi Jaques, qui les appelloit a la Succeffion de la Couronne, ni les droits que leur  de CHYPRE. Liv. XXIII. Ch. III. 104* leur attribuoit leur naifTance, ce Magiftrat eut foin de les privé des dignités, & des emplois, qu'ils occupoient, 6c de confis quer tous leurs biens au profit de la République; de forte qui cette pauvre Nobleffe, iffue du Sang Roïal, fut mife plus bas que les Sujets les plus abjets. Ceft ainfi que fe termina la grandeur de f Illuftre Maifon dt Luzignan, qui, dès fannée 118?. avoit donné des Rois a Jérufalem, & enfuite & Chypre, fans aucune interruption, jusqu'a la Reine Charlotte , par oü elle finit. Cette infortunée Princeffe, de fon cöté, qui étoit morte a Romele 16. Juillet, 1487". avoit fait une donation folemnelk du Roïaume de Chypre a Charles, Duc de Savoie, avec 1< Titre, & la qualité de Roi, pour lui, & tous fes Succeffeurs L'afte en fut paffé dans f Eglife de St. Pierre, le 2?. Février 1485. en préfence de Julien, Cardinal du Titre de St. Pier re aux liens; Dominique de la R o v e'r e, Cardinal du Titn de St. Clément; Jean Varan, Evêque de Bel/ai; Mesle de: Comtes de Piosasque, Amiral de Rhodes; Philippe de Che' vrier, Préfident au Parlement de Savoie; Cuarles de Seys sel ; Hugues de Saix , Chanoine de Laufanne ; & Andre Provana de Leyni, Protonotaire Apoftolique. Charlotti mourut d'une attaque d'Apoplexie, dont elle étoit affligée de puis longtems; dans des fentimens d'une Princeffe vraimeni Chrétienne, & qui, par la longue fuite de malheurs, qui avoieni accompagné fa vie, avoit apris a faire un généreux mépris de grandeurs du monde , pour s'attacher a acquérir une félici té éternelle. Le Pontife, qui avoit admiré la conftance, & la vertu di cette Princeffe, la fit inhumer dans 1'Eglife de St. Pierre avec une pompe digne de fa piété, & de fa naiffance; Se: funérailles, qui furent célébrées quinze jours après, ne furen pas moins pompeufes, & magnifiques. II y avoit une Cha pelle ardente de 24.. piés en longueur, fur 18. de large. Qua S s s s s s 2 tr< Fin de Is ! grandeur delaMaijon de Luzignan.1485- I Mirt de la Reiiie ' Charlotte.. I i f s »  1048 HISTOIRE GE'NE'RALE tre Cardinaux, plufieurs Evêques, 6c autres Prélats, avec Ia plupart de la Noblefle Romaine, y affiflèrent ; Un Relideux Domimquain trés - éloquent; 6c qui ne manquoit pas de belle matiere, en prononca rOraifon funèbre, 6c releva parfaitement bien tous les évènemens finguliers de fa vie. Le St Père . enfin, pour immortalifer Ia mémoire de cette grande Princeffe, fit graver fur fon tombeau f Infcription fuivante : Karlota Hierufalem , Cipri, & Armenia Regina ,. obiit XVI 7u/ii anno MCCCCLXXX VII. Cette Infcription a demeuré dans fon' entieyusquen lannée 1610. que Paul V. fit démolir la ChapelledeSt. George, dans laquelle elle avoit été dépofée, pour mettre 1'Eglife de St. Pierre plus a la moderne. ? r-StmTtU/QJ? d°nati0n autenti^e, 6cfolemnelle de ter"ej d" Traité fait k *■ M™rice en Chablais; de fon Contract de Mariage, avec Louis de Savoie, Comte de Genève; 6c de tous les droits d'anne de Chypre, Duchelfe de. Savoie que les Princes de cette Augufte Maifon ont pris le Titre de Rois de Chypre, 6c qu'ils ont plufieurs fois envoïé des Perfonnes a Vénife, pour réclamer ce Roïaume. Le Père Luzignan raporte , que les Vénitiens , fatigués enfin de ces protefiations, répondirent un jour au Miniftre Savoïard, Ca>lum Cceh domino, terram autem dedit filiis hominum Guichenon, qui a écrit 1'Hifloire de Savoie, 6c puifé les faits dans les Archives Roïaux de ces Princes, alfure avoir trou. 1fdTflnl ttre' écrke par k reille ch^otte au Roi ■Louis, fon Epoux, en 14.64. qu'elle étoit acoucfiée d'un Prince, qui n avoit vécu que peu de jours; ce qui me paroit d'autant plus extraordinaire, que le Père Luzignan, qui a écrit cette Hiftoire , quoi qu'un peu mal conduite, mais pourtant fortexaóte: Loredan, qui a fait celle des Rois Luzimans ■ George Bustron, qui fa également écrite en langue Grecaue- twn de la grolfefle, ni de faccoucliement de cette Princeffe:  de CHYPRE. Liv. XXIII. Ch. III. 104? fe: Particularité alfez importante, pour qu'ils ne feulfent pas omife. < . ,, Les pauvres Peuples de Chypre eurent non feulement le de- > plaifir devoir partir la Reine Cathe'rine, a la domination de laquelle ils étoient déja accoutumés; mais encore la douleur de vóir, peu de tems après, démolir plufieurs Forts, qui annobliffoient, & alfuroient leur pays; Car le Sénateur Priüli , qui fongeoit plus au profit, qu'a la magnificence , voulant épargner 1'entretien des garnifons néceffaires v fit abattre les Chateaux de St.Hilarion, ou Dieu d'amour; & ceux de tater*, Buffavento, Cave, Pothamia, & Siguri.^ Ce Magiftrat vendit, en même tems, les Titres, & Fiefs de la Couronne, a tous ceux qui avoient de fargent pour les bien payer; de forte que la Nobleffe Chypriote, qui nefe trouvoit point en état d'en acheter, eut encore le chagrm de fe voir furpaffer par des Perfonnes fans naiffance, & fans autre mérite, que celui defatisfaire alacupidité des vendeurs; Mais, enfin, vivement pénétrée de cette vénalité, cette même Nobleffe en corps, députa le Baron Philippe Stambali a Vénife, pour prier le Sénat de ne lui point faire ce préjudice, mais de vouloir gouverner leur pays felon fes loix fondamentales a comme il le leur avoit promis. Cependant toute 1'éloquence, & toutes les rémontrances de ce Seigneur furent inutiles, le Sénat continua toujours dans fes maxi mes, & fit vendre indifféremment les plus beaux Fiefs, & les plu excellens Titres de la Couronne; deforte qu'entre les Noble: Chypriots, il ne fe trouva que les Barons Jean De'nores Eü gene scinclitique, & hercules podocatoro qui fuffent en état d'en acquérir. Le prémier acheta le Villi ge de Strovilo, lieu très-délicieux, &fes dépendances, avec. Titre de Comte de Tripoli; Le fecond la grande, & belle Se gneurie de Morfu, avec le Titre de Comte de Boebas-r Et Sss sss 3 UQW VrticIe7I7. Zhange•nensfaitsm Chypre par les Vénitiens. Clwgesffi digtiités vendues, t 9 > L- e ï- le  ■jojo insTOIRE GE'NE'HLE troifième celui de Chitti, qui étoit autrefois Pune des plus belles Seigneuries de la Couronne. Tous les autres Fiefs, & tous les Titres palferent ades étrangers, ou entre les mains de roturiers. 11 eft vrai, que, pour en confoler Ia Nobleffe Chypriote, le Sénat eut la générofité de luioftrirfagrégationacelle deVénife (je n'ai point trouvéaquelles conditions),fans pourtant qu'aucun d'eux voulüt faccepterparcequilsne fe croïoientpas moins honorés de cellequ'iis tenóient •de leur naiffance, & fe flattoient toujours de quelque changement favorable, qui les remit dans leur prémier état; Mais, comme ils n'eurent jamais aucune occafion, ni le courage de rien entreprendre pour fe procurer cet avantage, ils demeurèrent toupursfous lmfuportable domination, oü ils étoient tombés Chapitre IV. Articie I. Divtfim de l lle en 'douze Can- tcns. 4 1 < i ï r A prés avoir difpofé le gouvernement de la manière^ que je viens de le dire, le Sénateur Priuli divifa file en douze Cantons, comme elle avoit été du tems paffé , dont les noms stoient, de Nicofie , Famagoufte, Carpaffo, Baffo, Limifol, Cérines, Salines, MeJJaire , Mazato, Arëmu, Crijakou, & Pentaya. II établit danschaque Canton un Capitaine, avec une compagnie de 300. Hommes chacun, tant pour y maintenir e bon-ordre, que pour s'oppoferauxinvafions, & aux ravag-es les pirates. 6 Pour diriger le gouvernement du Roïaume, Ie Sénat y en'Oïoit tous les ans un de leurs Confrères, avec le Titre de légent. Deux autres de même caraélère avoient le Titre e Confeillers; &, en fon abfence, ils avoient la même autote pour toutes les affaires de 1'Etat. Outre ces trois Officiers  de CHYPRE. Lit. XXIII. Cu. IV. iofi ciers principaux , on yen envoïoit encore. trois autres, don 1'un, qui fe nommoit Frovéditeur, avoit la direftion du mili taire, & les deux autres, qui portoient le Titre de Chambei lans, avoient la dire&ion des finances. Le Récent établiffoit lui même un Lieutenant de police ; Nicofie , lui donnoit le Titre de Vicomte. Son pouvoii n'étoit pourtant pas comme celui des anciens. II ne s'étendoit que fur les Latins, «Sc iür les Grecs de cette Capitale. Les Maronites, Arméniens, Coptes, «Sc Jacobites, avoient acheté la f$ culté-de s'elire un Juge particulier, qu'ils nommoient le Raix, & ceux , qui étoient de la jurisdiction du Vicomte, avoient aufli obtenu la permiffion de nommer eux mêmes deux Alfelfeurs. qui affiftoient aux décifions de ce Magiftrat, dont le Tribuna] fe nommoit la Baffe-Cour, «Sc celui du Régent la Haute-Cour, afin de faire trouver les décifions de f une, «Sc de f autre, moins désagreables aux Chypriots, qui étoient accoutumés acesnoms. La jurisdiéhon du Régent ne s'étendoit pourtant par fur 1; Ville de Famagoujle , a laquelle confervant les prérogatives dont elle avoit jouï fous les Rois, «Sc du tems des Génois, 1< Sénat envoïoit un Gouverneur particulier, & deux autres Offi ciers d'égale autorité, qui commandoient dans-le Chateau, afir qu'en 1'abfence de 1'un cette Forterelfe, comme la principale clei du Roïaume , ne demeurat jamais fans chef. Le Sénat changeoit tous ces Officiers de deux, en deux ans: Ceux, qui arrivoient nouvellementen Chypre, avoient 1'autoritorité de changer, oude maintenir les Gouverneurs des Villes: & des Fortereffes, «Sc autres Officiers, tant d'épée, que de robe Outre les douze Compagnies de 3 00. Hommes chacune dans les, douze Cantons, le Sénat entretenoit mille Hommes de Cavalerie Albanoije, ou Epirote, pour la garde des Cötes. Chaque Soldat étoit armé de lance,rondache, & coutelas. Ils étoient obligés de faire le guet toutes les nuits,. «Sc d'accourir aux en- droits- 1 b Privilegeacheté par lesMaronites, Ar'méniens,Copt :s, £ƒ Jacobites. 1-. v 1 »  Article 7/. La Nobleffe fe fait au gouvernementitranger, &feiivre aux plaiftrs. i i i Innondations,tremblemens de terre. 1492. [0,-2 HISTOIRE G E' N E' R A L E droits, qui leur étoient indiqués,. par les feux des Sentinelles, qui étoient poftés fur les hauteurs. Enfin, le Sénat avoit fi bien réglé toutes chofes, & fi bien pris fes mefures, qu'il retiroit tous les ans du Roïaume de Chyo;runmillion d'Ecus d'or, outre toutes les dépenfes néceffaires pour 1'entretien des Officiers, & la folde des Troupes, qui 'e gardoient; & huit mille Ecus d'or pour le tribut du Soudan, 511e le Sénat paya enfuite a \x Perte, lorsque Sultan Se'lim mt conquis VEgypte. Comme les Chypriots, en général, n'ont jamais été ni belIiqueux, ni entreprenant, la Nobleffe, qui avoit d'abord fait :ant de bruit, s'accoutuma infenfiblement, comme le refte du Peuple, au gouvernement étranger, &ne penfa plus qu'a jouïr des commodités, & des délices du Pays, a fe plonger dans les paffe-temsqu'infpireordinairement foihVeté, & 1'abondance des méts, & des vins delicieux, dont il eft également fertile; debrte qu'il neft pas furprenant , fi, pendant tout le :ems, que les Fénitiéns poffédèrent ce beau Roïaume, il n'y irriva aucune revolte, ni aucun autre changement hunain. L'Ue ne fut afHigée, que par des fléaux, que Dieu y envoïa de tems a autre. Les tremblemens de terre n'y furent guères moins terribles trois ans après le départ de la Reine Cathe'rine , que ceux qui étoient arrivés a Rhodes quelques annécs auparavant , & dont les fecouffes furent fi violentes pendant prés dun an entier, qu'ils renverlèrent les Murs, lesEglifes, les Palais, &tous les autres Edifices de'la Ville. La mer s'enfla même fi extraordinairement, qu'elle entra dans la plupart des rues, & penfa fubmerger tous les Habitans. Ils furent contraints de fe retirer dans les lieux les plus éminens, & d'aller enfuite fe réfugier dans les campagnes, incertains par lequel de ces deux fléaux ils devoient périr. Le»  de CHYPRE. Lrv. XXIII, Ch.IV. xoj3 Les tremblemens, qui arrivèrent en Chypre, ne furent ni fi forts, ni de fi longue durée. Une partie de f Eglife de Ste. Sopbie, Cathédrale de Nicofie, en fut renverfée, avec quantité de Maifons, tant dans cette Capitale, que dans les autres Villes & Villages du Roïaume; de forte que, pour n'être point accablés par les ruïnes, les Peuples gagnèrent les campagnes, & d-meurèrent fi conllernés, que les plaifirs, le commerce, & toutes les autres affaires ceffèrent entièrement, & ne furent reprifes,que fort longtems après, quand ces malheurs furent paffes • tant la frayeur avoit faili les pauvres habitans. Depuis ce tems-la, jusqu'a fan 1538. tout y fut encore tranquile, & le repos public n'y fut altéré, que par une Efcadre de Galères Turques, & quelques autres Batimens, qui faccagèrent, & détruifirent la Ville, & le Chateau de Limifol, la République de Vénife étant alors en guerre avec la Porte. Six ans après cette irruption, les tremblemens de terre y recommencèrent, a la vérité moins grands que ceux de fannée 14.02. mais leur fuite fut beaucoup plus facheufe,par 1'inondation des fauterelles, qui leur fuccédèrent: le nombre de ces infectes étoit li prodigieux, qu'ils obfcurciffoientle foleil,dévoroient, a leur ordinaire, tous les fruits, & toutes les plantes de la terre. La difette ne tarda pas d'en affliger les habitans, pendant plufieurs années, que ces infeótes y demeurèrent; de forte que, fans les fecours étrangers, la plupart du Peuple y feroit péri de faim, & de mifère. A peine cette calamité fut-elle réparée, & les campagnes cultivées, quil tomba unepluie fi extraordinaire, que les rivières, & les torrens inondèrent généralement tout le Pays, emportèrent, par leur rapidité, quantité de perfonnes, &debeftiaux,& gitèrent les campagnes, de manière qu'elles ne furent pas moins endommagées, qu'elles 1'avoientété par les fauterelles. Dix-huit ans après, file fouffrit, au contraire, une fi grande féchereffe, que les terres, ne produifirent presque rien. En- Ttt ttt core ïj68- Autres differents malbeurs arrivés en Gijpte.1547- SténlitèeKtraordinaire.  Famir.e grande,, le peupli périt. Minijln 6? Gouverneurséiablis, i ks Véni tiens, e grand dt ger,' dar, une emttti populaire, Aïticlc/. Bazajet II. envoie ."Ennuque Pacba.avec une puijjante Arvejte contre le Soudan i.Egypte. XOJ4 HISTOIRE. GE'NE'RALE n core lepeu^qu'ellesraporta-ent^ut-il malemploïé; carlesGou. ! verneurs duko aume,malgré les murmures du peuple,faifoient palier les grams dans les Pays étrangers, oü ils trouvoient des r, profits, pour fatisfaire a leur cupidité. Auffi,1a famine devintelle fi grande, que lapopulace, pénffant de faim, par la faute » des Regens, aliales affiéger dans leurs propres maifons, oü cl- , le les auroit affommés, fi laNobleffe de Nicofie ne feut appai- »■ fee, en promettant, qifiis obligeroient ces Miniftres k ouvric m promtement leurs magafins, comme ils firent. Voila tous lcsdangers que coururent les Magiftrats Vénitiens , pendant plus de quatre-vingts ans, qu'ils gouvernèrent les Chypriots. Jé ne falloit rien moins a ces peuples, que la faim, qui lestravailioit alors, pour les porter a une aclion vigoureufe li Cette fténlité d'évènemens en Chypre, pendant un fi ffrand efpace de tems, m'engage a placer iei ceux qui arrivèrent parmiles Infidèles, particulierement les guerres des Turcs contre fea Soudans d''Egypte, dévenus Seigneurs Souverains du Roïaume de Lhypr. La retraite, que le Soudan Cayerbeig avoit donnee, dans fes Etats, a Zitzdie Frère de Bajazet, & a fa Fa mille, fut le prétexte de ces guerres, qui ne finirent que par 1 entiere defiruction des Soudans fes Succeffeurs, de la manière. qu on, va le voir. Chapitre V. '* -° .*'.<••••'» cii>i-A uïuml^k yxoo enbq A "O ajazet II. s'étant affermi fur le Tröne de fon Père, & Ju* après avoir dépouillé de tous fes Etats le Grand-Caraman, qui s'étoit uni avec le Prince Zitzime, fon Frère, pour lui difputer la Couronne, fe fervk enfuite du même prétexte, pour déclarer la guerre au Soudan d1Egypte, quipofledoit auffi la Syrië Jl envoïa contre lui VEunuque Pacha, avec une puiffante Armee. Ce fut aux-confins de cette Province, que les Troupes  de CHYPRE. Liv. XXIII. Ch. V. 10^ Turques, & Egyptiennes, s'entrechoquèrent plufieurs fois, avec divers fuccès, mais toujours avantageux k ces derniers. Enfin , la faifon ne leur permettant plus de tenir la campagne ks uns, & les autres fe retirèrent fur leurs terres. VEumaue Pacba s'appliqua a faire fortifier la Ville ÜAdina, que'les guerres précédentes avóient ruïnée. Ses Troupes fouffrirent extrêmement, foit par ladifettede vivres, ou par les chateurs exceffives de 1'été; cequi aftoiblit confidérablement fon Armee , pendant' que k Soudan, brave, & expérimenté Capitaine, faifoit rafraichir la fienne, aux epvirons iïAkp. Etant donc trèsbien informc du mauvais état des Ennemis, il les provoqua au combat, & lss ac taqua, avec tant d'avantage, que la vigueur de fes Soldats, fclafoiblefle des autres, ne lailfa guère difputer la Virtnire. Elle fit d'autant plus remarquable, que le Soudan la remporta pres &lfföu , & au même endroit oü le Grand AÜ3CA.ndhf. avnit autrcfois défait Dariüs, Roi de Perfe. Trente mille Turcs demeurèrent fur le champ de bataille, ou,r. c ir v ::\:nt, en voulant regagner le Chateau ÜAdina, ou üs furent pounuivis. Le Soudan fut fi bien profiter de cet avantage, & de la terreur des Ottomans, qu'il formale fiége de cette Ville, dont il n'eut pas beaucoup de peine a s'emparer, par la fuite précipitée du Général 7«rv,qui,au lieu de défendre une Place, qui lui avoit tant couté, f abandonna, auffi-bien que toutes fes Tentesfuperbes, qui étoient peu éloignées, & fe retira dans la Ville de Tharce. Les Mammelucs y firent un butm des plus confidérables, foit en riches dépouillés, foit en artillerie, dont le Camp des Turcs étoit bien garni. La défaite de f Armée, que commandoit VEunuque Pacba, &la perte de la Ville, & du Chateau ftAdma, ne furent pas les feuls malheurs, qui arrivèrent aux armes de Bajazet. Hamet Pacba, fon Gendre, Général de la Mer , avoit envoie dix Galères bien armées, pour ravager les Cötes de la Si'ne : mais elles elTuïèrent un fi furieux orage, qifelles s'y brifèrenl Ttt ttt 2 entiè ViSfoire rmportée par le Soudan d'E- gypte. Artide IJ.  X494-. LeSoudan rf'Egypte tblige Bajazet a lui accorder vnepaix avantageufe, quidure 1'ng-tems. ] '512. t < < a f i< O c tl 7 è fo d< lïl HISTOIRE GE'NE'RALE entièrement. La plupart de leurs équipages furent fi,h«* - « &tous ceux, que les flots épu^l^^^f01?^ ks Sarrafins. P gerent, iuient malTacres par tirer des bois, & tous les autres matériaux néïffalt ' ? confiruaion d'une Hotte, qtfi, voutót^tSS^™ « emPêC'ier la »»Wa« ^ La bonne correfpondance, qui, régnoit entre YEgypte & urflu»^ 131,6 Par J'^bitieuxf &? dénaï ure Slum, qu., fat.gué du long règne de B»mzct fon ptl :u 'mhuman-té de le faire empoifonfer, par un Médedn 7«ff' P'il fe pendre pour récompenfe, & la cruauté de faire TéZ' ,fcr AK»,Er & CAUCT, fi, Frères, avec toute leu FaS" fin de n"avou- plus aucun concurrent a 1'Empire eUmnulle> Ce nouveau Monarque, encore plus avide que fes Préde„r ccSalfa fifJT0"' P°rt0ient?-^«. afind'avo r ccauon d a Ier fa.re la guerre a ces derniers. II étoit endur , des fa plus tendre jeuneffej aux travaux « «dur » fit ftrmonter courageulement toutes les difficulté J'ï ouva dans fa marche; &ilparvint enfin pré. de ,a Vfife d" Ismaêl, RoideiV/ir, leprémierquiavoitpriskfurnom •■Soph en étoit forti, fur la nouvelle,%u'il avoit rel* Te n Armee avo.t été défaite par Sel,m, dans les campaznës c^„„,«qui donnoit ace Sultm decar™sees «re de cette Capuale, comme il fe en effet, a la W dt liabi-  de CHYPRE. Liv. XXIII. Ca V. 10,-7 habitans, qui la lui livrèrent, fans coup férir. II eft vrai, que, voulant faire de plus grands progrès dans la Perfe, il ne feiourna pas long-tems a Tauris, de crainte que la difette de vivres ne lui fut funefte, d'autant plus que le Sophi, qui s'étoit retiré dans le centre de fes Etats, pour réparer la perte de fes Troupes,. pouvoit facilement fy venir furprendre. Ceft pourquoi, Selim quitta unPays, oü le danger lui pa-' roilfoit évident, & regagna enfin Confiantinople, après avoir fouffert de fort grandes incommodités; pendant qu'Ismael,( qui ne refpiroitque vangeance contre f Ennemi, qui avoit rava-. gé fes meilleures Provinces, alfembloit de nouvelles forces, &. engageoit dans fa querelle divers autres Princes de fa croïance3J dont le plus puilfant étoit le Soudan & Egypte. Celui-ci protefta folemnellement de ne jamais faire aucun accommodement avec Selim, fans le confentement du Sopbi, &s'engagea a lui fournir fartillerie, & tous les autres attirails de guerre qui lui feroient néceffaires, pour attaquer, de fon cöté, leur Ennemi commun, tandis qu'il le feroit lui-même, avec toutes fes forces. Cette alliance, dont Selim ne tarda pas a être informé, 1'irrita fi furieufement, qu'après avoir envoïé un Ambaffadeur au Soudan, pour s'en plaindre, fans en recevoir aucune fatisfaclion, & voïant les embarras oü fe trouvoit le Sopbi, pour réduire les Enfans de Jezil Abas,Prince de Sarmaeandè, qui s'étoient révoltés, Selim tourna toutes fes forces contre le Soudan. Afin de 1'accabler plus promtement, il voulut 1'attaquer pai plufieurs endroits. II envoïa d'abord une puilfante Armée dan! le Turqueflan, fous la conduite de SwMiPacha, avec ordre d< s'avancer vers Jlep, oü le Soudan s'étoit retiré, & envoïa, dan le même tems, une grande Flotte fur les Cötes de la Syrië, tan pour y faire le plus de ravage qu'il feroit poffible, que pou fournir les provifions néceffaires a fon Armée de terre. Selim s'avanca enfuiteslui-même, avec un autre Corps dA.r mée plus confidérable, &Vgnit Sinam Pacba a quelque difian Ttt ttt 3 « irticlc///. fmaëI,Jïot 'e Perfe, a ecours aux •utres 3rinces de 'a cnïcmc(' Selim tourne toutesjéï forces contre le Soudan , allié Com-  de CHYPRE. Liy. XXIII. Ch. VI. ic6i Comme Selim étoit infatigable, & qu'il n'ignoroit pas, qu'il ne falloit point négliger les faveurs de la Fortune, lors qu'elle lespréfente, il détacha dabord Me'iie'met Beig, & Scanderbeig , pour aller s'alfurer des Places, que Janus Pacha avoit prifes, ordonnant a ces deux Chefs, non feulement d'en traiter les habitans avec douceur, mais encore de les décharger de quelques impöts, que les Mammelucs en exigeoient avec févérité,afin de fe les attachervéritablement,par ce foulagement. Cette Expédition fut fuivie de celle de Sinam Pacha, avec quinze mille Chevaux, & la fleur de fon Infanterie, pour aller combattre les Arabes, qui occupoient les avenues de plufieurs chemins de la Palejline, & s ouvrir un paffage jusqu'a Gaza, oü il lui ordonna de f attendre, pour paffer en Egypte. L'ardeur de ce Monarque étoit fi grande, que, fans vouloir féjourner dans aucun des délicieux Pays, quil venoit de conquérir; il les traverfa tous rapidement, & ne s'arrêta qu'a Jérufalem; mais ce ne fut que pour facrifier, & faire fa prière, dans le Temple de Salomon. II parti t d'abord pour Gaza, qu'il eut la fatisfaction de trouver fubjuguée, & fon Armée viétorieufe, par la défaite de fix mille Chevaux Arabes, & de bon nombre d'Infanterie, que le nouveau Soudan y avoit envo'ïée, fous la conduite de Gazelle, dans 1'éfpérance de furprendre Sinam Pacha, avant que Selim y arrivat, avec le gros de fon Armée, Après tant d'avantages, ilne trouva plus aucun obftacle au paf fage du Défert, qui fépare la Palejline de VEgypte, dont Selim avoit une extréme pafhon de s'emparer, comme il fit. Le Soudan, qui n'en avoit pas une moins grande de fe conferver cet Etat, & de repoufTer 1'Ennemi, qui cherchoit a Penvahir, & a le mettre au nombre de fes autres Conquêtes, avoit dès fon avènement, & avec une diligence incro'ïable, alfemblé quantité de gens de guerre , & de Chevaux , de toutes les Provinces ÜEgypte , d'Arabie , & düAfrique. .11 avoil renouvcllé la paix avec la Religion de Rhodes, tant pour n'a Vvv vvv voi Douceur dl Selim , en. vers les peupies conjuis. Armée de Sclim,cdKtre les Arabes , qui font battus. r  jo6z HISTOIRE GE'NE'RALE Le Soudan fe retrancbe, au Nord du Caire. voir rien a craindre de cecöté-la, que pour y demander de Partillerie, qui lui étoit encore héceffaire, &des hommes capables de la manier , & pour fabriquer des feux d'artifice , dont il avoit deffein de fe fervir. Le Grand-Maitre, qui fouhaitoic également d'abaiffer la Puilfance Ottomane, lui envoïa généreufement tout ce qu'il demandoit. Ce Soudan, qui entendoit parfaitement bien fes affaires, envoïa en même tems des AmbafTadeurs en Perfe, pour prefier le Sophi de venir promtement le fecourir en perfonne, ou de lui envoïer, fans aucun delai, un grosdétachement de fes meilleures Troupes. Ces expéditions faites, il fe retrancha avantageufement au Nord du Caire, prés du Village de Matarée, autrefois fi renommé,par les ArbrifTeaux, qui produifent le Baume, dont fes Jardins étoient remplis. Cependant, quelque expérimenté qu'il fut, il commit une trés-grande faute,dans cette occafion, puisqu'en s'avanc^nt, avec fes Troupes, jusqu'a 1'avenuedu Défert, il auroit pu empêcher les Turcs de pénétrer fi facilement dans le centre de fes Etats, dont il avoit tant d'intérêt k les tenir éloignés. Mais, comme la Fortune lui étoit auffi contraire, que favorable k fon ennemi, ilfeflatta, mal-a-propos, de lui faire périr toute fon Armée, s'il 1'attaquoit dans fes retranchemens, qu'il avoit fait extraordinairement fortifier, n'y aïant laiffé aucüne ouverture, que du cöté oü il avoit placé fon artillerie, afin de le mieux tromper. Cette précaution cependant ne lui fut pas moins inutile, que tous les autres foins qu'il s'étoit donnés. Sinam Pacba, qui conduifoit 1'Avantgarde Ottomane, favorifé au paffage du Défert, par une groffe pluie, qui en endurcit le fable, & qui lui en facilita le chemin , eut en même tems abondance deau pour fes Troupes, & pour fa Cavalerie, dont la difette afffige ordinairement ceux qui font ce trajet; & irriva,le huitième jour de fa marche, affez prés du même Village de Matarée, oü, par une fuite de bonheur fans égal, quelques Re-  de CHYPRE. Liv. XXIII. Ch. VI. 1063 Renégats Albanois, qui défertèrent du Camp de Tomumbeig, akrent 1'informer de la difpofition de fes retranchemens, du dangerquil y avoit k les attaquer , du cöté qui paroilfoit le plus foible, & du nombre de fes Troupes. Cet avis engagea Sinam Facba anerien entreprendre,avant Parrivée de Selim, qui ne trarda pas long-tems a le pindre. Ce « P  Fermeté du Soudan, quoique vmruu. 1066 HISTOIRE GE'NE'RALE ■dant qudye ^ defortune, dans un Pays, oü il lui étoit tres-diffiale d'être fecouru, & oü il avoit a faire k un HoI auffi mtrepide que f étoit le Soudan, „e fut pas plutötmXre duW qu'il en traita les habitans avec beaucoup de dou ceur afin de s'attirer leur affecW Qu'il fit même publier gens de guerre, & recevrat favorablement tous ceux, qui dans 1'efpace de trois jours, viendroient fe rendre a kKce qui en engagea quantité, qui s'étoient cachés dans des maifons a en fortir pour profiter de cette amniftie ; que GazTlLE mê me qui fe trouvoit en campagne, oü il ^LlokTaSnte quelquesTroupes,pour lefervice du Soudan, fon Maitre.nWk pas plutöt cette nouvelle, qu'il quitta le parti S fortuné, pour aller jouïr des faveurs de Selim Plufieurs autres Officiers du Soudan fuivirent 1'exemple du Prince Gazelle, fans pourtant que leur abandon, ni lSdé plorable, ou ce Souverain fe trouvoit réduit, fut capable de lui ftoiS lPI°rP0fiti7t f°n Vain^,qui,fatisfaitde nZ 1 ' &deW de s en re^urner promtement a^ /lantinople, lui envoïa propofer au-deia du Ml, oü il s'éwfc retiré, -que, s'U vouloit lereconnoitre pour fon Souverain? & „ sobhger alm payer un tribut annuel, pour marqué de fa „ dependance, il etoit difpofé a lui Iailfer fentière polTeffion „ telEgypte; propofition généreufe, mais en même tems fort dure pour un Prince fier, comme il étoit: auffi, n'en fit-il aucun cas. II ne voulut rien tenir d'un Ennemi, dont il ne refpiroit que Ia perte; bien loin d'y répondre, il fit cruellement malfacrer les Ambalfadeurs, qui lui étoient venus faire cette propofition. II eft vrai, que le peu de Mammelucs, qui lui reftoient, nonmomsfurieuxquelui,furent Ia caufe principale d'unefinoire aéhon; aprèslaquelle ilfe raprocha des bords du Ml, avec grand nombre d^,,qu^^ de bonnes Troupes, qui 1'étoient venu joindre d'«; com-  di CHYPRE. Liv. XXIII. Ch. VL io&t comme pour menacer Selim , de Palier attaquer, dans fespropres retranchemens. Mais ce Prince, que la mort tragique de fes Députés avoit: enflammé d'un jufte relfentiment, lui en épargna la peine. II fit travailler, avec une diligence incroïable, ala conftruction d'un pont, & fit d'abord palier Mustapha Pacha, a la tête de fes meilleures Troupes, pour en aller tirer vangeance, & punir, fans rémiffion, les auteurs d'un afiaffinat aulfi barbare. Ce fut , dans cette occafion, que Tomumbeig, femblable a une flamme prête a séteindre, qui jette fa clarté avec plus de vigueur, fit des accions d'une force, & d'un courage, extraordinaires. II attaqua les prémiers efcadrons ennemis, qui pafierent lepont,. avec tant de violence, qu'il les tailla tous en pièces; &, comme il lui- avoit été impoifible de remporter aucun avantage fur f Armée Turque, tant qu'elle avoit été unie, il tenta de rompre le pont, afin de la défaire plus facilement, en la tenant féparée. Mustapha, qui reconnut fon deffein, & le grand carnage,, qu'il faifoit des prémiers, qui avoient paffé le pont, s'avanca promtement, & fut foutenu par le Can des Tartans, qui pafla hardiment la rivière a la nage, avec toute fa Cavalerie, &, peu; après, par Selim lui même. Comme il avoit appercu , de 1'autre: bord, la déroute des fiens, il fe fervit, a la hate, de plufieurs bateaux, qui paffèrent les JaniJJaires. De forte que le Soudan, avec fa petite troupe, ne put davantage faire tête a la multitude d'ennemis, qui 1'accabloient, & fut enfin contraint de; prendre une fuite précipitée, qui ne le fauva pourtant pas. Car Selim , perfuadé, que, tant que cet indomtable ennemi refpireroit, il feroit toujours en danger de perdre ce qu'il venoit de conquérir, détacha Mustapha Pacha, avec toute fa Cavalerie, &lui ordonna dele pourfuivre a outrance, & de ne point faire de quartie* a aucun des Mammelucs, ni autres de fa fuite, qu'il pourroit attraper, & de faire tout fon poffible pour les eirt- Nouvelli ifltai/ifc- Fuite du> Soudan.  Selim le fait maltraiter,peridre. LIVRE 1068 HrSTOIRE CEN.de CHYPRE. Liv. XXIII. Ch. VI. empêcher de fe réünir. Ce Général, voulant fe conferver la faveur, & la confiance,de fon Maitre,battit la campagne, fans relache, pendant trois jours, & trois nuits, détruifant par tout, Mammelucs, trabes, & tout ce qu'il pouvoit rencontrer. II eut enfin le bonheur dattraper Tomumbeig lui-même,qui étoit caché dansunmarécage, oüil auroit, peut-être, été en fureté, fans la lachetéde quelquesMaures, qui, pourfauver leurs propres vies, le facrifièrent a fonPerfécuteur, auquel ils le découvrirent. Mustapha, ravi de fon propre bonheur, le conduifit dabord en préfence de Selim, qui, bien éloigné des fentimens généreux, avéc lesquels il lui avoit envoïé offrir la poffeffion de YEgypte, lui fit mettre une chaine au cou, le fit promener, fur une mule, dans les principales rues du Caire, & enfuite pendre, a une des principales portes de la Ville, appelléeEab, & Zomcl. Cette exécution fut faite Je 13 AvriK  HISTOIRE GÉNÉRALE R O ï A U M E S D E CHYPRE, deJÉRUSALEM, e t D' É G Y P T E. „ L I V R E xxir. Chapitre Premier. -evx re\ m prés la fin tragique de Tomumbeig, qui ter- ^iliiii^ mina la Souveraineté des Soudansi & rAl1- *K>fo torité des Mammelucs en Egypte , Selim A W&l demeura paifible polTefleur de ce beau & ww cefleurs, fans qu'aucune PuilTance ait encore ofé entreprendre de les en chafler, quoique f entreprife en Xxx xxx fut Article L Selim, Mattrtie /'Egypte, ie la Syrië, cSdela?i- leftine.  t-airis efforts de Gazelle fur la Syrië. 1 i i 15** ' 't ] ] Article 11. Les Vénitiens allar- ( més des afrocbes des 1 Turcs, j de leurs progrès. ] t ï C F h ïo-72 HISTOIRE GE'NE'RALE fut incomparablementplusfacile, que ne penfent ceux quin'ont pas parcouru ce Pays; c'eft ce qu'on verra, par 1'Hiftoire féparée de YEgypte. r II eft vrai, que le Prince Gazelle, a qui Selim avoit donne le Gouvernement de la Syrië, voulut, après la mort de ce Monarque, tenter 1'ufurpation de cette Province, ne fe cro-ant plus obligé de tenir a fon Succelfeur le Serment de fidélité, qu'il lui avoit prêté ; mais il lui fut impoffible d'y réüffir, malgré 1'affilhnce que lui donna Fabrice du Carret, Grand-Maitre de Rhodes, auquelil s'étoit adrelfé, en lui envoïant d'abord les Galcres de la Religion, avec de 1'artillerie, & quantité de muntions. Le Grand-Maitre écrivit même au Pape, pour le porder a profiter de cette occafion , qui auroit pu procurer aux -hretiens le recouvrement de la Terre-Sainte. Farat Pacha, Jue Sultan Soliman envo$a contre Gazelle, fur les avis de ^AHYERBEiG, Gouverneu* Egypte t qui n'avoit point voulu mtrerdans fa révolte, le défit entièrement prés dzDamas, oü 1 fut même Cué , les armes k la main , & les peuples* renis dans une parfaite foumiffion, comme ils fe trouvent enco•e aujourd'hui. La conquête de YEgypte, & de la Syrië, que Selim venoit Ie faire, étoit trop prés de 1'Ile de Chypre, pourne pas inquié:er les Vénitiens. Elle les allarmoit d'autant plus, qu'ils étoient buvent obligés d'être en guerre contre la Porte, pour défendre eurs autres Provinces en Europe. lis appréhendoient que,malgré letribut, qu'ils avoient toujours régulièrement payé aux hudam, pour le Roïaume de Chypre, & qu'ils lui payèrent a .ü-même, dès qu'il fut maitre de YEgypte, il ne prit envie 3 et ambitieux Conquérant de les en cbaffer, au prémier démêlé, u'ils auroient enfemble; mais ils en furent quittes pour la peur, endant tout le refle de fon règne. La conduite, & les progrès de Soliman, fon SuccefTeur, • allarmèrent encore davantage,vu la rapidité, avec laquelle il s'em-  ,>e CHYPRE. Liv. XXIV. (3lX io?< sWara de la fameufe Ville de Belgrade, «Sc de PUe de Rhodes, d'oü il chalTa les Chevaliers, qui la poffédoient, avec tant d'édat, depuis plus de deux Siècles, & oü deux de fes Prédécelfeurs' avoient échoué, & vu périr leurs puiffantes Armées. La crainte du Sénat étoit d'autant plus fondée , que Selim II. Fils ainéde Soliman, n'étant encore que Gouverneur de la GéHete, avoit fait fortifier le Port de Finique, Port très-voifin de Chypre , ce qui fit comprendre aux Vénitiens , que ce jeune Prince avoit dès alors quelque delTein fur cette Ile. Tant d'inquiétudes cependant n'avoient jamais pu déterminer le fage Corps du Sénat a s'en déiivrer; mais ils réfolurent enfin daugmenter les fortifications de Chypre, &de nerien épargner pour fe conferver un Pays, qui leur faifoit autant d'honneur, qu'il étoit utile, & avantageux a la République. Pour ce effet, ils choifirent Jules Savorniani , Homme , non moin: zélé pour fa Patrie, qu'expérimenté Mathématicien, auquel il: donnèrent un ample pouvoir de faire fortifier les Villes, Chateaux ou autres endroits de 1'Ile qu'il jugeroit a propos. Ils lui recom mandèrent, furtout, une grande diligence, pour 1'avancemen des ouvrages, quil feroit entreprendre, & qu'ils défiroient ar demment devoir perfedionnés, avant que Soliman eut termi né la guerre, qu'il faifoit en Hongrie. Savorniani, qui, par les avis du Sénateur Jaques Soran zo, AmbafTadeur a Confiantinople, n'ignoroit pas la preffanti néceffité de la eommiffion, dont on venoit de le charger, n< fut pas plutöt arrivé en Chypre, qu'il parcourut file d'un bou a 1'autre, en compagnie de quelques habiles Ingénieurs, qu'i y avoit conduits. II trouva les feules Villes de Famagoujle, & de Cérines, capables de défenfe, quoique 1'une, «Sc 1'autre trof foibles, pour réfifter a une Puiffance, auffi formidable, que celle du Sultan, au cas qu'il entreprit de les attaquer. II fil non feulement réparer ces deux Places, mais encore, pour 1; commodité des Peuples qu'elles n'auroient pu contenir, il réfo Xxx xxx 2 lu I 1565. Ils fortifient Chypre. \ ! » t 1 l :  Travaux etnjidéraUes faitt i Nicofie. ion HISTOIRE GE'NE'RALE lut de mettre ceUe de Nicofie, Capitale da Roïaume, en état de defenfe , dautant plus qu'étant fituée dans le centre , elle auroit pu, par la grandeur, renfermer, avec leurs Perfonnes, la plupart de leurs effets. y Mais, comme 1'étendue de la Ville, qui avoit alors prés de deux lieues de circonférence, lui faifoit envifager la grifTe dépenfe de cette entreprife, & qu'il auroit fouhaité de ménager l argent de la Repulbique, fa prudence lui fuggéra le moïen de s'en difpenfer 11 fit aïfembler les principaux^arons Tpays &leur reprdènta, avec tant d'efficace, le prelfant danger ou ils étoient d etre tous envahis par les Infidèles, s'ils ne travailoient promtement a fe mettre en état de leur réfifler, qu'ils lui offrirent genéreufement leurs biens,& leurs perfonnes, pour Sr Tgg!^. ** 1SUr de Savorniani, profitant de leurs favorables difpofitions, leur déclara plus amplement fon deffein ; &, dès le lendemain, il commenca par faire abattre les anciens murs de la Ville, les maifons auffi bien qu'un grand fauxbourg, qui étoit contigu a a Ville du cote du midi, afin de 1'éloigner des hauteurs, qui la dominent de ce cöté-la. II la réduifit a un quart moins de circonférence, qu'elle n'avoit. II fit enfuite tracer les nouvellesMurailles, a la moderne, dont il vouloit laceindre, avec onzeBaftions uniformes, & trés-réguliers, qui devoient 1'entermer, n'y laifTant que trois portes, nommées de Famagoujle, de Baffo, & de Cérines, au lieu de buit, qu'elle en avoit auparavant. II nomma enfuite onze des plus riches, & des plus qualifiés de ces Seigneurs, qui furent Constance, Podocatoro, CaRaffa, Davila, De'nores, Flatre, Süzomino, Scinclitiqjje, Fabrice, Decres, & Tripoli, a chacun desquels il confia la conduite d'un des Bafiions, qu'il avoit tracés; &,afin ju4s enfuportaffent le foin, &la dépenfe, avec moins de peine.  • de CHYPRE. Liv. XXIV. Cu. 1. 107f ne, Wilsavancaflènt plus promtement ces Ouvrages, il pertok a chacun d'eux de donner fon propre nom auBaftion, quil conduifoit. vit, 'j- Cet habileHomme eut tout lieu de s'applaudir de 1 expediënt qu'il avoit trouvé, aufii-bien que du choix qu'il avoit fait. Ces Seigneurs, animés par le point d'honneur, dont il avoit flatté leur ambition, firent venir une fi grande quantité de tailleurs de pierre, demacons, & de manoeuvres de tous les Cantons de file, & affifièrent eux-mêmes aux Ouvrages, avec tant d'alTiduité, qu'on vit, avec étonnement, ces Fortifications, en moins de fix mois, en état de défenfe, & la Ville capable de foutenir un. fiége, puisque les Murailles étoient entièrement revêtues de pierres de taille, &bien terralfées, avecunlarge, & profond Folie, & un bonChemin couvert. Letout fubfifte encore aujourd'hui, fi ce n'eft que ces Ouvrages extérieurs font un peu négligés, foit par raport a la groffièreté des Turcs, ou par le manque d'occafion qu'ils ont de s'en fervir. Si les Chypriots concurent une grande joie devoir leur Capi- A tale fi bien fortifiée, les Vénitiens n'en avoient pas moins de confidérer,que ce grand Ouvrage ne coütoit presque rien a-leur République; mais leur joie fut bientöt diminuée, par la nouvelle qu'ils recurent, que le Gr and-Seigneur ne pouvoit fouffnr qu'ils euffent ofé, fans fon confentement, fortifier un Pays, qui lui étoit tributaire, & dont il étoit le Souverain.. Eneffet, il n'eut pas plutöt apris cette nouveauté , qu'il en paria dans le Divan, & protefta qu'il feroit répentir les Vénitiens de leur. témérité. II ne put cependant accomplir fa mauvaife vokmté,. aïant été prévenu par la mort, pendant, qu'il affiégeoit la Ville; de Sighet en Hongrie. Selim II. hérita de fa haine, & ne témoigna pas moins d'envie de fe vanger d'une démarche, dont il s'étoit également offenfé. On apprenoit alfez fouvent a Vénife, par les Lettres -du Sénateur Cavalli, leur Ambaffadeur a la forte, que ie Xxx xxx 3 bruit 156? rliclcJ//.. Vlort di ■ ioliman.. Selim mé-nace le Roïnumt N8 Chypre.. i$cê*.  loró HISTOIRE GE'NE'RALE Article7F. Sa paffen pour le vin de Chypre, ff les confeils du Moufti le déterminent a en faire la conquête. Article 7. bruit commun de Confiantinople étoit, que le Sultan en vouloit au Roïaume de Chypre, & qu'il en entreprendroit la conquête, aulïitöt que fes autres affaires Ie lui permettroient. La mort de Soliman devant Sighet, comme je viens de ledire, ne garantit pas la République de ces ménaces, malgré f entier oubli qu'en fit Selim , peu de tems après fon avènement au Tröne, dont, après la mort tragique de fes quatre Frères, il demeura feul polfefTeur. II fe plongea dans la crapule, f yvrognerie, & la brutalité, avec tant d'excès, que ces vices lui firent entièrement oublier fon inclination martiale. II f auroit même abfolument perdue, fans les murmures continuels des Janiffaires, lesquels, après tant de conquêtes, & de pillages, fous les règnes précédens, ne pouvoient s'accoutumer a vivre dans 1'inaclion, oü ce nouveau Monarqueles laiffoit croupir. Le projet de file de Chypre fe feroit peut-être tout-a-fait évanouï, par la vanité , qui Ie porta a vouloir , contre les régies de YAlcoran , faire batir une Mosquée , dont la magnificence furpalfat celle du Sultan fon Père , fans les rémontrances, que lui fit le Moufti, Chef de la Loi; qu'il lui faloit ftiivre 1'exemple de les Prédéceffeurs, & conquérir , comme eux, quelque Province fur les Ennemis de leur Religion, dont le revenu fut appliqué a 1'entretien du Temple, qu'il vouloit faire élever; & enfin, fans 1'attrait des délicieux vins de Chypre, qu'il aimoit fi fort, & qui lui avoient fait défirer la poffeffion du Pays, qui le produifoit. Chapitre II. Les raifons du Moufti avoient fait tant d impreffion fur fefprit de Mustapha Pacha, favori de Selim, & compagnon fidéle de fes débauches, qu'il les apuïa fortement. Un Juif Portugais, nommé Miches, qui avoit trouvé beaucoup d'accès auprès  de CHYPRE. Liv.XXIVv Ch. ir. 107? prés de lui, &quï étoit ennemi juré des Vénitiens, paree qu'aprés fon exil de Lisbonne, ils lui avoient refufé fafile dans leurs Etats apuïa ce delfein; en ajoutant, qu'il étoit honteux au Sultan d'acheter les vins, qui croiffoient dans fes propres Etats, & dont les autres jouüToient. 11 engagea Selim a agir, contre le fentiment du Grand-Vifir Me'hemet, qm vouloit éluder la guerre de Chypre, & engager le Gr and-Seigneur a la porter en Efpagne , pour fecourir les Maar es de ce Roïaume , qui avoient envoïé des Ambaffadeurs, pour lui demander affiftance, contre le Roi Philippe II. leur periècuteur, & offrir au Sultan de le rendre maitre de ce beau Pays. Le Vifir lui repréfenta inutilement la faeiUte de cette entreprife & la gloire,- qu'il acquerroit, en foutenant un pauvre Peuple de fa croïance, qui fe trouvoit opprimé, & rédmt dans un trifte efclavage par les ennemis de leur Religion. Le fentiment de Mustapha , &de Piali, Ennemis du Vifir, femporta fur les rémontrances. La guerre fut réfolue contre les Vénitiens; & ce ne fut que pour les mieux endormir, que le Sultan traita fi gracieufement Cavalli, & Barbaro^, leurs Ambaffadeurs, en renouvellant avec eux, fans aucune dimcuke, les capitulations, qui avoient été établies avec Soliman, fon Père U eft vrai, que ces deux Miniftres étoient trop attachés aux devoirs de leur emploi, & trop éclairés pour ne pas pénétrei les véritables fentimens de la Forte, & reeonnoitre, que les honneurs, qu'on leur faifoit, n'étoient que pure diffimulation. Auffi, Cavalli-, qui s'embarqua presqu'en même tems pour Vénife, ne manqua pas den informer le Sénat, dès qu'il y fut arrivé SonCollègue, qui demeura a Confiantinople, en qualite d'Ambaffadeur ordinaire, neceffa de leleur confirmer par fes Lettres, & de les avertir, qu'ils devoient bien fe tenir fur leurs gardes, fans fe fier aux belles paroles de Selim, qui, fous les apparences d'amitié, cachoit leveninde fon mauvais deflein. Feinte polUtiquede Selim, pour amufer lei Vénitiens.-  Ils dentient dans le panneau. Article //. Commencc- ment des malheurs de Chypre. ( xo>8 HISTOIRE GE'NE'RA' L E Cependant, la plupart des membres du Sénat fe repofoient fur le renouvellement de la paix, & ne pouvoient s'imaginer, que la rupture en fut fi prochaine. lis jugeoient, que la continuation de la trève n'étoit pas moins avantageufe a Selim qu'a leur République , par raport au commerce réciproque des deux Etats. Ces opinions furent fi vivement foutenues dans le Sénat, que, toutprévoïant que fut ce fage Corps, il négligea de donner les ordres néceifaires pour repoulfer les armes Ottomanes. Et, contre les régies même du bon Gouvernement, on fe contenta, d'envoïer en Chypre quelques Troupes, & du canon, pour garnir les nouvelles fortifications de Nicofie. Si le Sénat avoit de li fréquens avertilfemens fur les delfeins de la Porie, les habitans de Chypre n'avoient pas de moindres préfagede leur prochaine ruine; mais ils ne fe donnoient pas de plus grands mouvemens pour féviter,non plus que les Vénitiens pour les défendre. Les tremblemens de. terre, qui commencèrent a fe faire fentir dans la Ville Limifol, dans celle de famagoujle, & presque dans tous les autres Cantons de file, y durèrent plus d'une année entière, avec des fecouifes fiterribles, qu'ils fe faifoient quelquefois fentir a vingt lieues a la ronde. Ces tremblemens furent fuivis de vents impétueux, qui caufèrent de grands ravages dans les campagnes, & des tourbillons, qui emportèrent des maifons entières, principalement a Famagoufte, oü ils renverlèrent un Palais, dont les habitans furent écrafés. Piu:ieurs hommes, qui fe trouvoient dans les rues, furent em3ortés par f ouragan, fans qu'on put découvrir ce qu'ils Roient devenus. Une multitude innombrable d'oifeaux de proie jusqu'alors nconnus en Chypre, voltigeoient en même tems, au delfus de 1'Ile, & faifoient un bruit fi effro'ïable, que les grands, & les petits en étoient épouvantés. Enfin,  de CHYPRE. Lry. XXIV. Ch. II. io?p Enfin,une Comëte,ou grand Météore, qui s'y arrêta environ quarante jours, & qu'on découvroit entièrement de tous les endroits de 1'Ile , acheva d'en confterner les habitans. Auffi, tous ces fignes céleftes ne tardèrent-ils pas a être fuivis de fon entière ruïne. Mustapha, & Piali, Pachas, avec le Juif Miches, & les autres, qu'ils avoient mis dans leur parti, firent valoir a propos le malheur, qui venoit d'arriver a 1'Arfenal de Vénife. Le feu avoit pris aux poudres, avoit confumé la plupart des provifions, renverfé quelques Tours, brülé plufieurs Galères, & détruit les Baffins, dans lesquels on les conftruit. Cet accident , joint a la grande difette de vivres, qui régnoit alors, dans tous les Etats de la République, & qui paroiffoit la mettre hors d'état de rien entreprendre, pour fa propre défenfe, fit enfin déterminer le Sultan a ne plus différer de rompre avec elle, bien réfolu de lui enlever 1'Ile de Chypre, dont la conquête lui feroit d'autant plusfacile, que les Vénitiens n'y pouvoient envoïer aucun fecours. II reftoit néanmoins toujours quelque fcrupule a Selim , fur l'infraótion du Traité de Paix, qu'il avoit conclu peu auparavant avec les Miniftres Vénitiens; mais les nouvelles rémontrances du Moufti le diffipèrent entièrement, fur 1'alfurance " qu il „ lui donna, que 1'Ile de Chypre, étant un membre du Roïau„ me d1Egypte, dont il étoit Souverain, il étoit toujours en „ droit d'en prendre poffeffion, & d'en chaffer ceux qui 1'oc„ cupoient, & dont il n'étoit point fatisfait; que, d'ailleurs, „ cette réünion étoit abfolument néceffaire a fes intéréts, cet„ te Ile aïant toujours été, & étant encore aétuellement, le „ réceptacle de tous les Corfaires Chrétiens, qui inquiétoient, „ fansceffe, ceux de fes Sujets, qui avoient la dévotion d'aller „ vifiter les Temples de Jérufalem, ScdehMèque, auffi-bien H que ceux qui voïageoient pour leur commerce, & qui cou- Yyy yyy » roient Scrupule de Selim levé, par le Moufti.  Tout eji en mouvement cbez les Turcs, contre leR&iume ue Chypre. Article///; 1080 HISTOIRE GE'NEIAU „ roient toujours risque d'être dépouillés, & faits efclaves des „ Pirates. Les nouveaux murmures de la Milice, que Mustapha, & Pialij fomentoient toujours, fortifièrent encore les raifons' du Chef de la Loi;, & Selim n'héfita plus a donner des ordres très-prefTans, pour qu'on travaillat en diligence a f armement des Galères, «Sc autres Batimens; & a faire alTembler lesTrou. pes $ Europe, «Sc d'Jfie, auxquelles on donna le rendez-vous k hFmique, & aux autres Lieux maritimes de la Caramanie, fans qu'il fut plus au pouvoir de Me'he'met, Vifir, d'y mettre aucun obftacle, ni de retarder davantage cette Expédition, comme il favoit fait jusqu'alors. Le Sultan connut, que ce Miniftre ne s'emploïoit pas avec alfez de chaleur a Pexécution de fes ordres, pour hater cet Armement; & lui reprocha même un jour, fort en colère, » que fa lacheté naturelle, & fon inclina„ tion pour les Infidèles le faifoient agir fi lentement; «Sc que, „ fans la reconnoiffance, quil confervoit du fervice, qu'il lui „ avoit rendu, après la mort de fon Père, en lui procurant la „ poffeffton de 1'Empire, il 1'auroit fait répentir de fa négli„ gence. \ Me'he'met, pour cacher levéritable défir, qu'il avoit, de rendre fervice aux Vcnitiens, «Sc fe remettre dansles bonnes graces de fon Maitre, mit tout en mouvement kConfiantinople, en Egypte, dans la Syrië, «Sc dans toutes les autres Provinces de 1'Empire, foit en levant des Soldats, & des Matelots, foit en amaffant des provifions de guerre, «Sc de bouche, pour la puiffante Armée, qu'il vouloit envoïer contre Chypre, «Se dont le retardement avoit penfé lui couter fa disgrace. Le changement de conduite du Grand-Vifir, k f égard des Vénitiens, les grands appareils de guerre, qui fe faifoient a Conftantinople, «Sc dans tous les Etats du Grand-Seigneur, allarnoient extrêmement 1'Ambaffadeur Barbaro, qui n'ignoroit pas 5.  fcs CHYPRE. LifiXXïV. Cu. IL' Ï681 •pas, que tous ces préparatifs étoient deftinés contre Chypre. Son •inquiétude étoit d'autant plus grande, qu'il ne pouvoit en informer le Sénat auffi précifément, qu'il 1'auroit fouhaité, fes depêches aïant déja été interceptées, «Sc fachant qu'il y avoit des ordres exprès, pour arrêter celles qu'il enverroit a 1'avenir. C'eft pourquoi, appréhendant, que le Sénat ne fut furpris, ou qu'il n'eüt pas fait alfez d'attentiou a fes prémiers avis, il prit le parti de demander une audience au Gr and-Vifir, II lui repréfenta, " que la République, aïant jusqu'aiors fi exactement obfervé tous lesArticles du Traité de Paix, il lc „ prioit de lui permettre d'informer le Sénat des griefs, «Sc des .„ prétenfions, que le Grand-Seigneur pouvoit avoir contre el„ le, avant que d'en venir a aucune rupture; «Sc de vouloir „ bien préférer la voie de la négociation a celle de la guerre, „ qui eft toujours funefte aux peuples. II lui fit en même tems .comprendre, " qu'il auroit peut-être trouvé le Sénat difpofé a „ lui donner fatisfaétion, «Sc par conféquent, favantage d'emploïer .„ fes armes a des entreprifes plus glorieufes, pour le Sultan {on „ Maitre, au lieu que celle de Chypre lui attireroit le blame de „ toutes les PuifTances, qui ne voudroient plus fe fier a lui, s'il „ rompoit fi-töt le Traité, qu'il venoit de ratifier, avec tant „ de témoignages de fatisfa&ion. Les raifons de Barbaro eurent tant de pouvoir fur 1'efprfl du Vifir, qui, dailleurs, auroit été ravi de pouvoir éloignei Mustapha, & Piali, par une guerre étrangère, que les aïant lui-même repréfentées au Sultan, ce Monarque confentit, qu'il envoïat Cubat, Cbiaoux, a Vénife, accompagné du Fils, «Sc -du Sécrétaire de f Ambaffadeur, qui les fit partir avec cet Envoïé, fous prétexte de lui faire honneur; mais, en effet, afin qu'ils puffent informer le Sénat de la grande Armée, qu'on préparoit, pour 1'entreprife de Chypre, & de la néceffité, qu'il y avoit, d'envoïer promtement bon nombre de Troupes, «Sc abon-dance de Provifions dans cette Ile. Yyy yyy 2 UAmbaJJaieurde Vénife ohtient ■ me Auiience du j-randVifir. ÏS70- Succes de cette Audience.  108* HISTOIRE G E' N E' R A L E Lettre du Sultan aux Vénitiens. Leur réponfe a cette Lettre. Selim cependant, malgré Pempreffement, qu'il avoit témoigné pour commencer la guerre, n'aïant point l'inclination guerrière, confentit, avec d'autant 'plus de facilité, a faire fufpendre les hoftilités, qui étoient prêtes a commencer, qu'il elpéroit d'obtenir ce qu'il fouhaitoit, fans répandre de fang. Mais l'arrivée de fon Miniftre a Vénife fit un effet tout contraire, a celui dont ce Monarque s'étoit flatté. Cubat, introduit dans le Confeil, préfenta au Doge la Lettre du Sultan, & celle du Vifir, qui annonQoient également la guerre a la République, fi on ne lui cédoit promtement file de Chypre. Ce Chiaoux expliqua enfuite, de vive voix, que l'Empereur, fon Maitre, fe plaignoit extrêmement de l'afile, qu'on y „ donnoit aux Corfaires, qui y tranfportoient tous les jours les „ dépouillés de fes Sujets: Qu'il vouloit abfolument entrer en „ poffeffion d'un Pays, qui lui appartenoit, comme dépendant „ de celui & Egypte, qu'il avoit conquis: Que, fi le Sénat re„ fufoit de le fatisfaire fur ce point, il donneroit occafion a „ une fanglante guerre, qui pourroit ne pas finir par la feule „ perte de Chypre. " II ajoutoit, " que le Vifir, qui auroit „ fouhaité de les fervir, favoit chargé de leur dire, en particu„ lier, que la réfolution Sultan étoit trop forte, &fonAr„ mée trop formidable, pour pouvoir détournerla foudre, qui „ les menac;oit; & que fon avis étoit, qu'ils lui cédaffent un „ Pays, fur lequel il avoit de fi juftes droits. Ces Lettres, qui furent lues, & expliquées a haute voix, de même que leDifcours du Chiaoux, émurent extrêmement le Doge, & tous les Sénateurs. Cependant ils fe continrent tous dans leur prudence ordinaire, & lui répondirent, fans héfiter, „ que fachant, que les Princes ne pouvoient pofféder aucune „ plus belle, ni plus louable qualité, que celle d'être fidèles a „ leur parole, ils avoient gardé religieufement celle qu'ils avoient „ donnée au Gr•and-Seigneur, en faifant la Paix avec lui. Mais „ que, puisque Sa Hautejfe vouloit enfraindre la fienne, & „ qu'ils  de CHYPRE. Lir. XXIV. Ch. IL 1083 5 qu'ils n'avoient rien a fe reprocher, ni pour fafile des Corfaires, dont on fe plaignoit, ni pour les autres mécontentemens, qu'on leur imputoit, & qu'on vouloit faire fervir de prétex" te, pour leur faire une guerre injufte, ils efpéroient, que le " Dieu tout-puiffant protégeroit la juftice de leur caule, & don" neroit aflez de force a leurs armes pour repouffer fes attaques, " & rendre vaines toutes fes entreprifes; Qu'il pouvoit raporj' ter au Sultan, fon Maitre, qu'ils fe défendroient, avec au" tant de réfolution, &de fermeté, qu'ils avoient été exacts1 a „ obferver le renouvellement de la Paix, qu'ils avoient faite „ avec luü Cubat, qui s'attendoit a une réponfe plus modérée, quitendit a quelque accommodement, fe voïantcongédié du Doge, & du Sénat, d'une manière fi fèche, & fi indifférente, appréhenda d'être infulté , par le grand peuple , qui favoit environné dans la Place de St.Marc, en débarquant, & même regardé avec des yeux d'indignation. Ceft pourquoi, il pria qu'on le fit fortir par 1'efcalier fecret; ce qu'on lui accorda, en le faifant conduire, fans beaucoup de cérémonie, jusqu'a la Gar lère, qui favoit amené, laquelle eut ordre de le tranfporter incelfamment aux confins de la Dalmatie. Le Sénat étoit bien aife, qu'il ne fit aucunféjour dans fes Etats, afin d'éviter fonv brage, qu'auroit pu en concevoir Philippe IL Roi ÜE/pagne; avec lequel. il avoit fait une Ligue, qui devoit groffir leur Flotte confidérablement, puisque Pie V. qui en avoit été le proraoteur, avoit engagé ce Monarque a fournir foixante & cinq Galères. UHAPIXRE 111. Le Sénat auroit ardemment fouhaité de pouvoir engager dans fa querelle les PuifTances Chrétiennes, auxquelles il envoïa des Ambaffadeurs, pour leur faire part de l'injufte Yyy yyy 3 guer/ Article u Le Sénat veut mettre les Piti[faii* ces del'Europe dans fon parih  Une rèïijfit point. 1 1 J 'l . i < J < 1084 HISTOIRE GE'NE'RAtE guerre, que vouloit lui faire PEnnemi commun, & pour leur demander affiftance; mais 1'Empereur, qui auroit dü y entrer le prémier, mécontent de ce que, contre les droits de 1'Empire, le Pontife avoit accordé Ie titre de Grand-Duc a celui de Florence, protefta non feulement de finvalidité de ce Titre mais encore ne voulut faire aucune attention aux follicitations du Saint Père, ni aux inftances de la République. Charles IX. Roi de France, que fes intéréts particuliers engageoient a entretenir une bonne correfpondance avec Ia Porte repondit au Nonce du Pape, qui lui en fit la propofition, „ qu'aïant „ Iigne la Paix avec le Grand-Seigneur, il ne pouvoit 1'enfraindre „ fans un fujet légitime; Que le Roi d'Efpagne, dont ce Pré„ lat lui citoitl'exemple, n'aï'ant pas les mêmes raifons, que „ lui, il n'étoit pas furprenant, qu'il fut d'abord entré dans Ia „ Ligue qu'on lui avoit propofée, en faveur de laquelle le Pon„ tife lui avoit même accordé la levée desDécimes fur le Cler,, gé de tous fes Etats. II n'y eut donc, que le Pape, le Roi dEfpagne, & les Vénitiens, qui fuffent dans cette confédéra-' :ion. Vincent Alexandri, que le Sénat envoïa versTH\m4s, R.01 de Perfe, pour Pen folliciter, fut parfaitement bien recu Dar Caidar, Fils de ce Prince, auquel il s'étoit adreffé. Mais e Pere répondit, que 1'affaire étoit de trop grande conféquen:e, pour s'y engager fans de mures réflexions, & qu'fl fe rè;leroit fur les mouvemens, & les progrès, que feroient les Prints Cbrêtiens contreVOttoman, dont ce Miniftre 1'affuroit, que a puiffance étoit devenue trop formidable , pour ne pas s'oppoèr a 1'agrandiffcment de fes conquêtes. II eft vrai, que, fi la République recevoit fi peu d'afftftance les Puiffances étrangères, que le Sénat avoit recherchées avec tant 1'empreffement, ils en furent dédommagés par le zèle, i&farleur, avec laquelle leCIergé, la Nobleffe, les Villes, &lesComnunautés de leur dépendance , & enfin tous les particuliers sera.-  DE CHYPRE. Liv. XXIV. Cu. III. 108? s'empreffèrent kleur ofFrir leurs vies, & leurs biens, pour-leur aider a réprimer Porgueil du fier Ennemi, qui venoit de leur déclarer fi injultement la guerre. Auffi, la Ville dominante fe trouva,en peu de tems,firemplie de Volontaires,&autres perfonnes , qui venoient s'enróler, qu'il auroit été très-facile au Sénat d'envoïer en Chypre trois fois plus de monde, qu'il n'en falloit pour la défenfe & pour la confervation de cette Ile, &, malgré f embrafement de 1'Arfenal, &la difette de grainsdans fes Etats, la munir abondamment de toutes les provifions néceffaires, par les quotifations volontaires de fes Sujets, comme nous allons levoir: Le Patriarche Gkimani offrit au Sénat, Ducats iooo. Le Patriarche Barbaro . . . iooo. Le Chevalier Onoffre Mazzi de Brefcia. . . 2000. Pandolphe Attavanti, Florentin. . . . 1000. L'Evêque de Cividal . . . • • • 600. Monfeigneur Valier Ecus 1000. L'Evêque de Vïcence Ecus 1000. L'Abbé Julien Ducats 1000. Le Patriarche de Vénife. ... 1000. L'Evêque de Torcello. . . • ■ 1000. Monfeigneur Pezaro •■ . aooo. L'Archevêque de Chypre. . . • 2000, La Communauté de Bergame 10000. La Communauté de Padoue. . . . 9000. La Communauté de Vicenee. - . 12000. Benoit Cicuran. . . .. . 200. Octavien Grimani, par emprunt. . . 2000. Infanterie payée, & donnée aux Vénitiens. Andre' Morosini envoie, a fes dépens, fon propre Fils , avec Soldats . ; 20. Le Comte de Carpasso. . La Communauté de BreJJè, pour fix mois, . . 1000. La Maifon Porcellaga, pour le même tems, . 200-. La  io86 HISTOIRE GE' NE'RALE La Communauté de Vèrone. . . $00. La Communauté de Sah, jusqu'a la fin de la guerre. ioo. La Communauté de Trévife, pour fix mois. . 4.00. Le Comte L u c r e'c e Gambara. . . 2J. Le Comte Nicolo Gambara. . . %$. Le Comte Marc-Antoine Martinengo. . . 30. Gentilshommes Padouans, avec un Soldat chacun, 200. Le Chevalier Pierre Lipoman. . . 30. Ferrant Averaldo, avec trois de fes Enfans. 4. Be'nOIT ClURAN. . . . . 4. Domtien Moschetti, Romain. . . 20. Sergius Pola. . . . .12. Gentilshommes Milanois. . ... 4. Ceux qui offrirent au Sénat, de lever du monde, furent Sforze Palavicino. . . Fantalfins. 5000. Paul Ursin. .... 4000. Je'rome Martineng. . . 2000. Cesar Caraffa. .... 1000. Le Comte Hipolite Porto , 200. Chevaux, «Sc Fantalfins. ... . ... 1000. Brunor Lampesco. . . . 3000. Le Comte Fabius Poleti. : . I 2000. Passot Fantuzzi. . . • 1000. Le Colonel Spulverino. : . . 1000. Palavicino Doragonle. . . • 3000. Camile Fantuzzi. : : - 2000. Robert Malatesta. ; . - 1000. La Femme du Seigneur Astor Baglione. : 2000. Alexandre Zambecari. • • icoo. Alpiionse ViTELLi,Chevaux légers 200.&Infanterie-4ooo. Le Comte Hercule Coistrary. . . 200©. Le Comte Pierre Avogadro Ferazzo , Fantaffnis. 4000. Le Comte Nicolas Gambara. . - 2000. Le  CHYPRE. Liv. XXIV. Ch. IIL toSfc Le Fils du Duc iïJtri. : : Jules Rongon. . . ; : iooo. Camile Bonacelli. . . • • iooo. Malvezzo Faurl ioo°Le Comte Montebello. . • • 2000. Le Comte Louis Avogadro. . . 2000. JLe Comte Francois Martinengo, i 5(0. Chevaux Legers, & Fantaiïins. . . • 1000. Hercules Saulo. . ; • ioo°- Le Comte Octavien Piene. . . . 1000. Renuce Othon. . ioo°* Ces ar de la Plume 1000. Gale'as deV-EPi. . . • 1000. HONORIUS ClOTÏ. • • • IOOa On voit, par ce détail, qu'en fort peu de tems les Vénitiens recurent, en argent comptant, quarante-fix mille huit-cens Ducats- & qu'ils eurent deux-millecinq eens foixante, «Scdix huit Hommes payés par les Particuliers; Qu'on leur offrit, en même tems, la levée du cinquante-huit-mille deux-eens Hommes. Cependant, par une politique hors de faifbn, en voulant trop économifer, dans une conjondure, oü il auroit fallu tout prodiguer, le Sénat reiiiercia la plupart de ceux qui étoient venus offrir leurs fervices , & fe contenta d'envo'ier quelques Troupes dans Y Albanië, & dans la Dalmatie, fur les avis, que leur avoient donné les Gouverneurs de ces deux Provinces, que les Turcs y avoient faccagé,& brülé quelques Villages ,& d'ordontner a Jules Savorniani , celui qui avoit fait fortifier la Ville «de Nicofie, de fe jetter dans Zara, dont la confervation leur étoit de grande importance, «Sc qu'ils appréhendoiefit que les Jnfidèles n'entreprilfent de leur enlever. Ils négligèrent de muüir file de Cbypre, qui fe trouvoit dans un danger évident, d'être attaquée la prémière. Zzz zzz Le lis nègli%ent les luges avis, jm'oji leur donne.  Attide 11. Le Sultan infgrmé des éfpofttions des Vénitiens , éminence les hojüiitis. . 1088 HISTOIRE GE'NE'R ALE Le peu d'expérience des Sénateurs, au métier de la Guerre 3 quoique très-habiles dansle Gouvernement ci vil ,& politique, fut caufe qu'ils donnèrent trop de confiance a ce que leur dit Jeroke Martinengo, Gcntilhomme Brejfan, d'ailleurs vaillant,. &c courageux, mais qui, dans cette occafion, eut la vanité de les-affurer, " qu'il défendroit 1'Ile de Cbypre, avec les trois mil„ le Hommes, dont on venoit de lui donner le commande3, ment.. Ce furent- les feules Troupes, qu'ils y envo'ïèrent, malgré les bons avis de Savorniani, qui, connoilfant le Pays mieux que perfonne,. leur repréfenta plufieurs fois, " qu'il falloit, au „ moins,dix a douze mille Hommes de bonnes Troupes,pour „ défendre Chypre,. & qu'un moindre nombre ne fauroit em„ pêcher les Jnfidèles de s'en rendre maitres. II les en follicita derechef, dès qu'il fut arrivé a Zara, fur laquelle il reconnut,. que les Turcs n'avoient aucun delfein. La prophétie de cet habile homme ne fut que tropvéritable, comme on va le voir,par. la fuite.. Le Chiaoux Cübat étant retourné a Confiantinople, vers la fin de Mai, de fon infruclueufe AmbafTade de Vénife, le Grand-Seigneur voulut 1'entendre lui-même. II lui rendit un eompte exacc de tout ce qui s'étoit dit dans le Sénat, &de la difpofition, oü il favoit trouvé, a refufer a Sa Haute fe la fatisfaélion, qu'elle lui demandoit; ajoutant, qu'il avoit reconnu, dans le Peuple,une haine implacable, & qu'il avoit appréhendé i'en être lapidé. . Ce raport enflamma tellêment ce Monarque de rage, & de colère, que, fe reprochant la démarche inutile, qu'il venoit de faire, ertvers des Peuples, qu'il regardoit comme fes Vaffaux, qu'il ne refpira plus que vangeance; &, fans plus fe fier a fes Miniftres, il alla lui-même vifiter 1'Arfenal, SclaTophane, Se'. fit.arrêter deuxNavires Vénitiens, dont 1'un fe nommoit leBo-r narde;*  de chypre. Liv.xxiv. ch.nr. «os? t er des pour garder fAmbaffadeur Barbako, & tous ceux de fa fuite, dans fa propre maifon. i p Grand-Vifir fit également arrêter tous les Conful , & ,e5Marchands Vénitims, qui fe trouvoientzConJIantiwpk ,& es autres Echelles duZm^.llfit inceffamment pamrP.aTpaTha Général de la Mer, avec quatre-vmgts Galères, & "eSiiott s, avec ordre de fe rendre a Rhodes, ou .1 avoc dS enroïé Amor*t Rak , avec vingt-cmq autres Galères, tZr empêcher les fecours, que le Sénat auro.t pu envoier en SrCetndLt, comme lerefte de la Flotte Ottomanc, qm ttL^SS****" P^oiffoit Point »core,P.au voufut X la preflér lui-même, & ravagea, en paffant, les lies Z TM qui appartenoient a la République, fans pourtant en t^UFoZ^, afin de ne point retarder fentrep^ de S! qu étoit fobiet principal de fon Expédition. L fut-la le prélude de la guerre, pendant que SebastitsX Veni£u, qui étoitProvéditeur a Corfu, brülant ^mpatjenJe de donn rl fa Patrie des marqués de fon xde, & aux^de la haine, qu'il avoit contre eux, embraffa, malgré Srand ig h'propofition, que lui firent lesPeup.es $Ep, « dffeeouft e joug des Turcs, & de fe donner a la Repubh12vu qtf prés qu'ils lui auroientdonné des ötages, pour TamnTde leur bonne foi, ils voulüt affiéger la vfile de Supoto, Kant que la prife -de cette Place entramero.t celle 4e toute % cZSU, &généreu*Vieillard, «voit donnée anx n'eot Pa\P,ut0"fU ', ,°^ré qui lui furent préfentés par -Emanuel marmom,^qu fi fep» parer dix Galères, dont il donna le commandement a j^op» Celsi Provéditeur de 1'Armée, & fe rendit lui-meme en^/teS'^ la Ville de Supoto. II la tat.it, avec tant de ! 9 Zzz zzz &  JkrttclelH. Avant ages remportés par lts Vénitiens. 1 i i to9o HISTOIRE G'E'NE'R ALE vigueur, que les Affiégés, qui n'étoient pas fort habiles aum£ mment du canon, échaufferent fi fort le leur, que deux pièces en crévèrent dans le même inftant, & mirent le feu-aux poudres; ce qui les obligea de la lui abandonner, dès le troifième jour , & de s'enfuir aux Montagnes, oü ils efpéroient de trouver leur fureté. Mais les gens du pays, qui en connoilfoienè les detours, mieux que les Turcs de la Garnifon, leur couperent chemin, en les pourfuivant, en tuèrent une grande partie, & conduifirent les autres prifonniers a Venie'ri, qui les fit mettre a la diaine. Ce Général. donna, le Gouvernement de la Place au meme Emanuel Marmori, Homme d'expérience, & d'une fidélité reconnue, & s'en retourna a Corfu, couvert de gloire, &comblé d'honneur, d'avoir conquis une Place, qui mettoit a couvert les Etats de la République de ce cêté-la Le Commandant Marc Quirini, qui, dans le meme tems, revenoit de Candie^vec les vingt & une Galères,que la République y entretenoit ordinairement, ne fut pas moins. heureux, que V e ni e'r 1. Le Sénat lui avoit ordonné de venir joindre le General Zane, qui fe trouvoit dans le port de Zara, avec ie gros ere la, Flotte. Le vent contraire aïant empêclié Quirini de continuer fa route, il attaqua. le Fort de Bras de Maine, fur la. Cöte Méridionale du Félopnnèfe, qu'il emporta de vive force, & oü il fit quantité de prifonniers. Ce pofte étoit aflez important; mais aïant confidéré, qu'en le garnilfant-, il auro-"t trop aftoibli fes Equipages, il fit chargerfur fes Galères trentefix pieces de canon de fonte, qu'il y trouva, &le fit démolirj ïfin d'empêcher ks Infidèles de s'y rétablir, & d'en faire une re, traite de Fourbans, comme elle 1'étoit auparavant. Le Viclorieux Quirini aborda-enfin k Corfu, au commence, nent deJuillet,oü le Général Zane setoit rendu quelque tems tuparavant, pour réparer. fes Equipages, qui avoient tellemenè outtertz Zara, par la rareté des vivres, caufée par les partis ltsTurcs, qui courwentles campagnes.des.environs,. quelque, L£ois  DE CHYPRE. Lrv.XXIV. CaSIE wj« fois même jusqu'aux portes de la Ville, que toute laFlotte aïant. été obligée de fe nourrir de bifcuit gaté, ce mauvais ahment y eneendra- bientöt une maladie contagieufe, qui en emportoit tnm les iours un fi grand nombre, qu'a-peine en reftoit-il ailez. pour manceuvrer. II gagna enfin 1'Ile de Corfu, ou il efperoit, oue le changement de climat, & la bonne nournture feroient ceffer Ste inflüLe , & que les Flottes da & Père , & du Ról SEfpam, le ioindroient, avant la fin de fEte, puisquapres, bien dfs longueurs, & de grandes difficultés, la Ligue s'étoit enfin conclue. Trr Cependant, le Général' Zane, jaloux des applaudilTemensque VeWri, & Quirini, s'étoient attirés, avec des forces. beaucoup inférieures a celles qu'il avoit a fa difpofition., projettoit quelque entreprife, qui fit également parler de luu; TPsa*rêtak celle de Margaritï,. autre importante Place de \Eprev dont il donna la eommiffion a Sforza Palavicino, Général, des Troupes de débarquement,. qui y alla avec cmquante Galères &cinq-milleHommes de la meilieure Infanterie. Mais,ioit. qu il ne fik pas auf&heureux dans fes entreprifes, que ceuxqu'if auroit voulu furpalfer,ou que les perfonnes, qu'il emploia, n'euffent pas la même capacité, il y échoua: ■ K: peine Palavicino fe préfenta devant la Place, queton-r né de fa fituation, &.de la contenance de fes Habitans, quoi-qu'ils ■ f eulfent laiffé lihrement débarquer, & même approcher, fansfaire aucun mouvement,, quil s'en retourna, fans ofernen entreprendre: il excula ia retraite, & fon manque de courage,, fur ce que la Place étoit trop-éloignée de la Mer, .pour en commencer le Siége avec fi peu de monde-. Le Général fut fi peu Jatisfait de fes raifons, quil lui en témoigna ouvertement fon indignation, & blama fa-conduite. Palavicino, fenfible kees, reproches, voulut réparer fa faute, &recouvrer fon honneur pour cet effet , il demanda la permilfion d'y. retourner; mais, Zane la lui refufa tout court, & lui dit," qu'il ne feroit pas plus bra, Zzz zzz % 55 ve3  *op2 HISTOIRE G E' N E' R A L E flus de vingt-mille ^itmmes 'taturetit. 4 ve, ni plus entreprenant la feconde fois, qu'il favoit été la „ prémière; & qu'il ne jugeoit point a propos de fatiguer inu„ tilement les Troupes, ni les Chiourmes, d'autant plus qu'elles „ neletoient déja que trop, par les maladies, quicontinuoient, „ & que tous les remèdes des Médecins ne pouvoient arrêter ^ II y a apparence, que le mauvais fuccès de 1'entreprife de Margariti dégouta le Général Zane, & lui flt oubliër , k chagrin, qu'il avoit con9u,delagloire,que Venieri, & Quirini , s'étoient acquife, puisqu'il ne chercha plus a en faire aucune autre,en forte que la puilfante FlotteFénitienne,qui avoit d'afcord etonné toute YEurope, &fcit connoitre véntablement les grandes relfources de la République, par le nombre prodigieux de Galères, Galealfes, & autres Batimens, dont elle etoit compofee, tous bien armés, & bien pourvus, malgré la mifère du tems , & 1'embrafement de leur Arfenal, & qufenfin auroit été capable d arrêter, & peut être défaire éehouër entièrement 1'entrepnfe des Turcs fur file de Chypre, palTa toute la campagne, fans combattre, Iinon contre la difette de vivres, & contre la maladie qui avoit encore augmenté, paria mauvaife qualitéde ceux qu'on continuoit a leur donner. Ce qui contraignit leGénéral a détacher Quirini, & Canale, avec chacun uneEfcadre de Galères, pour aller kZante, kCéfalonie, & autres Hes de la Seifmeurie, afin d'y engager le plus de Soldats, & de Matelots qu'il leur feroit poffible, & de partir lui-même, fort en désordre, pour Candie, ou il efpéroit, que Ie .changement d'air feroit ceffer la peftilence. Mais, parun redoublement de malheurs, pour cette Armée, il arriva tout le contraire de ceque leGénéral avoitefpéré; car 1'augmentation des chaleurs, a mefure que la Flotte avancoit vers le Levant, fit encore augmenter la maladie; de forte qu'en arnvant au port ócSuda, oü ellene fe traina qu'avec beaucoup peine, elle fe trouva dans un état très-pitoïable, puisqu'il y étoit iziort plus de yingt-millc Hommes. Auffi, quoique Quirini, &  de CHYPRE. Liv. XXIV. Ch. III. ïopj Canale toilWentrejointea^o», lui euffent amené grand nombre de recrues,& que Zane contraignit les Régens de Gwdie a lui fournir quantité de Soldats, & de Matelots; malgré toutes ces diligences, «Sc ces févérités,' il lui fut impolTible de remplacer, a beaucoup prés, le monde, qu'il avoit perdu, ni de réparer fes Equipages, que fort foiblement. _ ; La disgrace, qui arriva aux quatre Vailfeaux, qui conduifoient en Chypre le Comte Martinengo, avec les trois-mille Hommes qu'il commandoit, ne fut pas moins préjudiciable aux affaires de la République. Ces navires furent long-tems battus par des tempêtes, &des vents contraires; & la maladie, qui s'y mit auffi avant qu'ils pulfent aborder a Famagou/Ie, leur emporta plus de mille Soldats, plufieurs Officiers, & le Commandant meme, dont le corps, qu'ils y tranfportèrent, fut enterredans 1Eslife Cathédrale de cette Ville, avec d'autant plus de regret des Habitans,de MarcAntoineBragadin,& d'hector Baglione, qui y commandoient, que ces Chefs avoient beaucoup de confiance en fon courage, &dans 1'expérience, qu'il polfedoit, de TArt Militaire, aïant d'ailleurs un extreme befoin du fecours qu'il leur amenoit. La Nobleffe Chypre, qui s'étoit donnée tant de mouvemens pour lesFortifications deNkofie, &qui en avoit recu de grands aplaudilfemens, s'attendoit a y voir arriver dix, ou douze -mille Hommes, de bonnes Troupes, que Savorniani, qui les avoit conduites, leur avoit dit être nécelfaires, pour défendre leun Baftions Ils comptoient d'autant plus fur ce renfort, que cel habile homme les avoit alfurés, que le Sénat en étoit bien irtf truit- & qu'il favoit auffi, qu'il ne falloit guère compter fui les gens du pays, par raporta leur peu d'expérience aumammenl des armes, Cependant, foit que la mort du Doge, Pierre Loredan, qui arriva fur ces entrefaites, occupat entièrement les Sénateurs,pour 1'ékétion d'un Succeffeur;ou que Louis Mocenigo, qui fut élevé k la Souveraine Dignité, quoique trés- capa ArttdeW Les Vénitiens négligent deJetourir Ctiy* pre.  tLt ptuple de Chypre, mécontent, invite les Turcs ivenir cmquéfir leur ïo«?4. HISTOIRE G.E'NE'RALE capable de la bien remplir, eut trop de confiance, comme tont les autres, dans leurs Forces maritimes, on né^ligea entièreament Ie fecours, qui étoit fi néceffaire en Chypre, non feulement dTIommes, «ScdeMunitions, mais encore d'un Commandant d'expérience, qui remplït la Charge de Laurens Bembo, Régent du Roïaume, qui venoit de mourir a Nicofie; & qui, par fa prudence, & fon autorité, retint les Officiers fubalternes dans leur devoir. Ce manque d'attention fut caufe, que Nicolas Dandolo, Podeflafe cette Capitale, s'en appropria le commandement. Cetoit un homme de Robe, plus ambitieux, que capable de s acqu.ter d'.un emploi fi important, dans une conjonclure auffi delicate. En effet, tous les Auteurs alfurent, que fa mauvaife conduite, fcfoninfuffifance avanca, non feulement Ia perte de •cette Ville, mais encore celle de tout le Roïaume, par les mauvais ordres, qu'il donna par tout, en s'oppofant toujours auien-timent d'hector Baglione, bon guerrier, &très-affeélionnéa fa Patne. Comme il avoit de fexpérience, il foutenoit, qu'il falloit tout mettre en ufage, pour s'oppofer a la defcente des Infidèles; mais Dandolo, toujours entété, voulut abfolument, quon leur abandonnat tout le plat-pays, & qu'on fe réduifit a la feule défenfe de Nicofie, Sc de Famagoujle. Ainfi, on ne fit rien que •travailler a 1'augmentation de quelques Ouvrages, aux dehors de cette prémière Ville, auxquels les Habitans s'emploïèrent avec une ardeur incroïable. II faut pourtant convenir, que cet emprelfement ne fe trouvoit que parmi la Nobleffe, & la Bourgeoifie. Le menu peuple -étoit fi fatigué de la dureté des Magiftrats Ftnitiens', Sc de la rigueur , avec laquelle ils étoient traités par les Seigneurs du pays, que le défefpoir les avoit déja portés plus d une fois a fe£Ouër le joug des uns, Sc des autres. lis avoient mêmepouffé Ia hardieffe, jusqu'a envoïer fécrettement deux d'entre eux a Confiantinople, pour exciter la Forte a en faire la conquête. Sa- gredq  de CHYPRE. Liv. XXIV. Ch. III. 109e tSREDO raporte, que plufieurs des plus entreprenans s'étoient ■même ligués, & avoient réfolu de creufer, pendant la nuit, -une mine aux murs de Nicofie, pour y mettre le feu a farrivée -des Turcs, afin de leur en faciliter la prife. Lc peuple fit enfin connoitre fes mauvaifes intentions, puisque, de diverfes compagnies, que lesCapitaines des cantons de file en formèrent, plus de trois quarts de ces milices les aba«donnèrent, pour fe fauveraux montagaes, n'y en aïant eu qua» petit nombre qui revinlfent a leurs drapeaux, lors qu'il fallut s'enfermèr dans les Villes. Les Moines Grecs eux-mêmes travalloient ouvertement a foulever les peuples de leur rite contre les Vénitiens; deforte que tout confpiroit a la perte de ce pauvre pays, & a en faciliter la prife aux Infidèles. Les Turcs, bien plus avifés que les Chrétiens, & rfattendant, ni ordre, ni fecours, que de leur Souverain, après avoir embarqué a Nègrepont bon nombre d'artillerie, & abondance de provifions, que le Vifiir y avoit fait préparer; après avoir auffi chargé a Rhodes celles, qui étoient prêtes,fur les vingt-cinq Galères d'Amurat Raix,firent inceifamment voile,avec toute leur Flotte, qui fe trouva compofée de cent foixante Galères, foixante Galiotes, huit Mahones (ce lont de gros Vailfeaux a 1'antique), fixNavires, & un Galion d'une grandeur extraordinaire, que le Vifir avoit fait conftruire afes propres dépens. II y avoit encore trois Palandres, quarante Vajfechevaux, trente Caramufielins, & quarante Frégates a rames. Aaa aaa a PiAta Chapitre IV. Artidefl Defcriptm de la Flttte Ottom*rre.  rood HISTOIRE GE'NE'RALE SixGMkttes vont d'abord en Chypre, tuipiilent, fcf frulent ie V'üioge de Lara. irülê, 8> Jouagi. i Piali Pacha, Grand Amiral, avoit Tender commandement de cette grande Flotte, & Mustapha Pacha celui des Troupes de débarquement; & ils avoient f un, & 1'autre, les plus fameux Capitaines de 1'Empire Ottoman fous leurs ordres. Ceux de la Marine étoient Ham Pacha, Smoc Pacha T Amvrat Raix, Uluch2ali, qu'on a auffi nommé Ochiali, & plulieurs autres Officiers expérimentés fur cet élément: Ceux de terre étoient kBellierbeig de Grèce, YJga des Janilfaires,GiamboulatPacha $Akp, le Pacha de la Natolie, celui de la Caramanie, teSangiacds Tripoli, avec quantité d'autres Officiers- de grande reputation.. Leur prémier mouillage fut au port de Finique, oü tesjanijfaives, &les Spabis de di verfes Provinces de 1'Empire, & les autres Troupes setoient rendus. Les Commandans détachèrent d'abord: SiROcPacba, avec vingtcinq Galères, &lui ordonnèrent d'alr Ier faire defcentedu cóté de Baffo. SixGaliottes abordèrent, en même tems, du cöté do-Cosmacbiti, & quelques autres allèrent fonder les eaux des environs de Famagoujle, afin d'être informés, par les prifonniers, qu1 ils pourroient faire, de fétat, & des forces du pays , & des mouvemens qu'on s'y donnoit, pour leur faire tête. Les fix Galiottes- furent les prémières a aborder en Chypre. Elles abordèrent au Village de Lara, qu'elles pillèrent, &brülèrent entièrement. Les Habitans eurent le bonheur de gagner lesMontagnes; mais quelques Bergers ,-quigardoient leurs trotiptaux affez prés de la rade, furent faits prifonniers. Heft vrai>. que les Turcs s'étant enfuite avancés dans les terres, combèrent fous une compagnie de Cavalerie Epirote, qui leur tua onze hommes, en fit deux prifonniers, &obligea les autres a.regagner leurs batimens. Siroc ne trouva aucune oppofition a Baffo; mais aïant" reconnu, par le fond de la rade, qu'elle étoit dangereufè, il en. repartit inceffamment,. & s'avanca jusqu'a. Limifol, qu'il faccajea,, & brüla». auffi bien que le Village ÜJgroti, & celui de Pa*  de CHYPRE. Lrv.XXIV. Ch. IV. 109? Paiamidia, dont on ne pouvoit attribuer la faute qu'a Dandot o & aEu g em e Scinclitique, Comte de Rochas, que le Senat avoit fait Général de la Cavalerie, dans la penfée qu'étant un des plus riches Seigneurs duRoïaume,il agiroit auffi avec plus d'ardeur, qu'aucun autre, pour le bien défendre. Mais, comme le pem d'expérience de ces deux Chefs leur avoit tout fait negl.ger, & Wils feflatoient toujours, que les Turcs ne viendroient les attaquer, que fannée fuivante, ces endroits-la furent la vi&ime des Ennemis. vu Cependant, malgré le peu d'ordre, qu'ils avoient mis a la rarde des Cötes, lors que ks gens de Siroc voulurent s avancer dansles terres, ils rencontrèrent Rondocio, Capitaine d une Compagnie ÜEpirotes, & Vincent Malipieri, Lieutenant deWo, quileschargèrent, avec tant de courage, que, quelques orgueilleux qu'ils fuffent des ravages, qu ils venoient de faire, ils furent contraints de prendre la fuite, apres avoit perdu grand nombre de leurs compagnons, &en avoir vu pluf,eurs autres, qui furent faits prifonniers. Les tetes de ceux, «ui avoient été tués, furent portées a Nicofie, oules autres furent auffi conduits, comme en triomphe, pendant que Siroc tfen retourna a Finique, pour rendre compte aux Commandans deceqtfü avoit fait, &dece qu'il avoit pu reconnoitre^ La joie, que caufa le fpeótaclede tant de têtes ennemies aux Habitans de Nicofie,y étoit étrangement balancée,par la consternation, & 1'embarras oü fe trouvoient Dandolo , & Rochas, «ui n'aïant plus lieu de douter de fe voir bientöt toute 1'Armee Ottomane fur les bras, ne favoient que faire pour soppofer a fon invafion. Ils écrivrrent aux Commandans de Famagmlte, pourconvenird'unlieu, oü ilspuffent s'affembler, &concerter fes avantages de la caufe commune. Ils choifirent de concert legros Village ÜJJchia, fitué dans kMaffark, a egale diftan«e de ces Places. Les Magiftrats, les Officiers principaux, & la Nobleffe du pays, s'y rendirent; Mais, malgré 1'intéret, qu ils ' Aaa aaa a 2 avoient Artide B. Confeil tenu par lei Vénitiens , fiP Chypriots , au bourg Afchia.  io,8 HISTOIRE G E'N E'R A L E avoienttous, d'agiravec union, & concorde, dans une affaire nmtretodesfentimens, te fit pa« moins grande, qtfelte avoit etó dans tous ies autres Confeils, j* s'étoient t-n^^a™ *ntMife> & «Affaire a„ bien pubt Heci or Baguone, que 1'expérience de la guerre, le courage, fclagloire, animoient également, eut blau sVmpreffër i &rc comprendre & a repréfenter Ia néceffité, quf"y ™ t de s oppofer a la defcente des Ennemis, tant pou ne re print «I tirer lem.epris de ces hfiièks, que le blame des gens de b en & 1 »ff"rément pas de condamnefleur HcS' s ils n avoient pas au mo,„s Ie courage d'aller reconnoitre leurffor ces, d'autant plus que, m s'emparoient d'un pay auff Z. ple, & auffi ftrt.le, que 1'étoit celui de Chypre, onenattibue roit lafiute a ceux, qui en avoient lecoS^™™^ Contmuant res rémontrances a l'Affemblée d'une manière auffi prudente que martiale, ilpropoft d'affembler toute la cZ vaIer,e,&PInrantene de l.le,perruadé que, malgré le peud'expenence de ces m, ices &Ia coutume qu'on avoit depuis longtems de negHger les cbevaua , & de fe fervir de mules, on pourroit encore en affemblerplus de buit mille, les quels foi tenusparlesPayrans, &,es/V,,^, anro.entétécap sdt tim.der MM/bs, &deraire oW.acle a leur defceme par 1Z feule parade. 11 ajoutoit, >• qu'il leur auroit été plus gl0L,x de „ ruccomber dans cette affion, que d'avoir la bonte d'entendre „ dire, qu aucun d'eux n'avoit eu affez de couir.ni d'affeflion „ pour leur patrie, pour aller raire tête i unTyran, qui vou„ totladepomllerdunpays, qu'elle poffédoit a 11 jute titre Ce fentiment etoit trop généreux, pour ne roint être aoProuve de laNobleffe. ïouteccile, qui fe trouvoit dansleCot feil, offnt promtement ra vie pour feconder la réfolution de b!- W Malgré Ie danger, qui les ménacoit, comme les^utret ik  de CHYPRE. Lm XXIV. Ch. IV. 1099 ïlsrépondirent, avecautantde hauteur, quedemanque de bon fens » qu une entreprife, qui, felon eux, etoit auffi mutile, que teméraire ne ferviroit qua faire eonnoitre aux Infidèles le peu de " courage, &d?expérience des gens du Pays, & a les affoiblir, par " le grand nombre qu'il en périroit immancablement, dans une l a6tionauffiPeufenfée,que celle qu'ilpropofoit; lavolontedu ' Sénat étant, qu'on ne fongeat qua la confervation des Villes s de Nicofie,^ de Famagoufte,^ fe mettre en peine du refte " de file, d'oüle mauvais air, les chaleurs exceffives, & les maT, ladies, chafferoient bientöt les Ennemis.. Baglione ne put foufrir un difcours fi contraire au bien public, aux régies de la Guerre, & aleurhonneur en particulier, fcrépondithardiment, " que c étoit de bonnes Troupes, &non des confeils,quon devoit leur envoïer de Ventje; &quecetoi* " a eux, qui fe trouvoient fur les lieux, qu'il appartenoit de " régler les affaires, & d'entreorendre telles opérations, qu'ils " iugeroient néceffaires, pour ladéfenfe, & la confervation du " Pays, qu'on leur avoit confié. Cependant, fautorité de Dandolo, & de Rochas, femportèrent encore fur les bonnes raifons de ce brave Capitaine. Ceft pourquoi, il lui fut impoffible d'exécuter la généreufe réfolution, quil- avoit prife de s'aller oppofer au débarquement des Barbares. i 11 ne fe rencontra pas de moindres conteftations, pouriadistribution des grains, qu'on avoit recueillis dans la fertile Plaine fe MefTarie,quï fe trouvoient encore épars dans les campagnes.. Cene fut qu après de grandes dïfputes, qu'on convint enfin de les partager entre les deux Villes de Nicofie, & feFamagoujle, auxquelles ces deux Chefs voulurent abfolument 5 que fe réduilit Ia défenfe de tout le Roïaume, a la réferve pourtant du Chateau fe Cérines, oü, par grace fpéciale, ils laiffèrent la Garnifon ordinaire. I s-. ,. ' On arrêta, dans la même Affemblée,- "de faire prendre ks armes a la Bourgeoifie de ces deux prémières Places; Qnon Aaa aaa a 3. ?? en mtimens* irtagèt. Arrangement pris s prur la dis. pofitien èt& Troupeu  Le Confeil ne fe termine, que parlesmurtnurcs. «loo HISTOIRE G E'N E'R A L E „ en compoferoit des Compagnies, qui tiendroient lieu de Tron„ pes réglees, qui leur manquoient; Qu'on feroit entrer dans „ esmemes Villes tous les Capitaines des Cantons de l'lle,avcc „ leurs Compagnies; & que, pour ne point expofer les Habitans ,, du Pays, en général, a la fureur des Barbares, on les con„ duirottauxMontagncs, avec leur bêtail, & ce qu'ils avoient „ de plus portatif II fut auffi propofé de donner la liberté zuxPariques, &aux ^claves, ahndelesengager, par cette générofité, afervir fidelement ; perfuadés, que ce bon traitement ne manqueroit pas de produire un bon effet fur fefprit de ces miférables, qui, Liguts de la fervitude, oü la Nobleffe, & la Bourgeoifie, lesretenoient, pourroient beaucoup leurnuire dans la conjonéture préfente: Mais, par une fatalité inconcevable, ce falutaire avis fut encore rejetté par les deux Chefs principaux, qui paroiffoient ne vouloir sattacher, qu'a tout ce qui étoit contraire au bien du lays; & toutes les délibérations de cette Affermblée, s'exécutèrent avec tantdelenteur, &de confufion, que les Ennemis arnverent, avant que les nouvelles Fortifications de Nicofie fuffent perfeéhonnees, qu'on eut fait la récolte, ni qu'on eut fait retirer aux Montagnes les gens de la campagne, avec leur bètaiL Ceft pourquoi auffi, les Turcs trouvèrent, dans les campagnes, une ii grande abondance de toutes chofès, qu'ils en furent etonnés. La grande affemblée ó'A/cbia ne fe termina enfin, que par des murmures, & par des mécontemens réciproques, qui n'auguroient qu'une plus grande fuite de malheurs. Baglione étoit au défefpoirde ne pouvoir agir, felon fon inclination, &ledevoir de fa Charge de Général de 1'fnfanterie; & Dandolo, & Rochas, étoient mécontens de favoir trouvé plus contraire a leurs fentimens, qu'ils ne 1'auroient fouhaité. Baglione fe retira dans Famagoufte, avec Marc-Antoine BnAGADiN,qui en étoit le Gouverneur,& qui n'étoit pas moins faché,  de CHYPRE. Lrv. XXIV. Ch. IV. Mé auelui.de l'opiniitreté,a,ec laquelle Dan-dolo,&Rochas, tóotent OPofés au projet avantageux, qu'il avoit fait , & qm wTwMument néceilaire, pourconferver ce Roïaume alaReHioue Comme ils avoient lieu decroire, que leprem,ere£ £Is Ennemis tomberoit fur cette Place,.. Y —>f 1 „,.,»! Tie'p0li, qui étoit Gouverneur de Baffo, avec 1r"SLI"„, leChlalierFouET, H-™^™ go, & quelquesCapitafoe,; des^rSS & quelques Compagnies des Milices des envirom, "tcvu* D«, Provéditeur; Le Comte deCA=, P^P.L^^^ LoT & iVNTöiNE Pasquaugo, Chambellans; Pierre Al^X'GVaniCbancelier ; Jean-Baetiste Saikt Colom a, &le Chevalier Magcio., Ingénieurs; Contarin, Evequ1 de t^ ave cent hommes a?a folde, TwKM* fTtrois eens autres, fe renfermèrent dans Atcofte- , Comme Te ems pr ffoit, & qu'on n'avoit plusguères a dék bérer ï uun plus que ks deux prifonniers, M al.riERi, &Rondoch,o, affuroient, que laE otte Otto^ étoit .a «» la d'artillerie, & de muniuons ^aucun^ ^ les^ * euflent amais mile en mer, ^ment ie uuu Port de W> ienvirontrente toerde tftf»,. ou ede n at fendoit plus que quelque Cavalerie pour mettre a « > Uo nard Rancon, & Nicolas Palac.o, vieux •&o«P™ tés Canitaines, qu'bn avoit mis auprès de Dandolo, &de tui as Pprks'confe,l.er, * empêcher, s'il étoit ****** ne fa nf.affent tout un peuple a leurentetement, ™t de nommer onze Nobles des plus accrédites, pour ai igne. dlundesBafuons,dontUVilfe étoit ceint* Articlei/J6  Zt»t de ï Armee det ChrétiensJ en Chy- ! J f < i < 1 \ d 9 L d G iio, HISTOIRE GE'NE'R ALE Ces Seigneurs furent HEcim5&Lrvio Podocitoro Trr tius constance, TfiOMAS SdNTILI^e 5 ^ 2 ^ ccus-Marie ^ De'nores; Jra* PrnL^ ^ Flattre, Godepfeoi Cornaro, Scipion CarIfim 1W Justiniam , a chacun desquels on donna ^ C^ntmeT trois eens Bourgeois. Onforma auffi diverS Sf£ gmesdeBonrgeoHie; mais, ^^^0^. condamnable, que tout ie refte, il ne fe trouva dans PArfenT pour les armer, que neuf eens mousquets, & mille „I arquebules, quoique ce ftit encore trop pour des gTn SS capablcs que 1 étoient des peuples, que la politique2 Gouv r" ues armes tn effet, ils cement fi groffiers en cela, ou'ils ne favoient s'en fervir, fans fe brüler la monftacne * lis compofa-entencorc deux Batailbns, d'environ quatre een, lommes chacuh, de h jeune Nobleffe duPays, dontTdonnè i p,"e"bs Z™> k eau re lis firent enfuite la revue des Troupes réglées m,i = trouvo,ent dans la Plaee. Elles confiftoient'en quznze een -avabers Epm>t«, commandés par leComte deRocnw tS ccensHommesdepié, la plupart ItaUens, divfeen dLhut ^ompagmes, commandées parautant deCapitaines de la même Jation; mais, comme ce nombre ne leur parut point fumfant our ladéfenfe de la Place, ilsy firent entrer onze CompZS e tro,s cenSP,yrans cbacune.dont lesCapitainesfurentXZ oi de Perou de rordonnance de\ Chilria; w «de Sofpeih & ceHe de Afe„; Baptiste Js P,£ EófE d:iJANETT Dant°' de z^*-> A"£5. eorge , des Sa/mes; Thomas Grassu, #4fiim\ Anmr», ourgu.gnon d'ABRUZZO, de £»»/>/; pAt,L VtVCENTO 1' f«*» ; & Hie'rojie de Sax,l, de 'celle de i^, avec te Capi-  DE CHYPRE. Lrv.XXIV. Ca. IV. no. SHS le«nes, quïi fut ia*^ de lesen fane &Ïsv trouvoit de plus le vaillant Capitaine Pocopan,, avecune V j r . itaiiens, & p ufieurs Omciers re- r°nne ^eLtÏIe ce i M fenfeurs, joint a la bonté formés; defcrte que ce nomu'c foutenir tous es ef- fotts des 1 1 , „"^ris Mais, comme onvient ^"Ct desafme.! ftfon nepóuvoit compter quefur les^.&lefS» &qoed'anleurS, parfurcroit de malbeur, ^e^St cS.daas fa colére, pourperdre ce mrferablc Pays. Chapitre V. T es Commarf^^^^^ *f. de **. & kétent devant ^^ P g ent Jrea. dre, s'avancerenta la radede fa jOTr! Article/. Les Turcs viennent débarquer aupertdes Saline».  Siége de N cofie, per MuftaJ?ha.. ] ( J Z f c I n o; ui M **** HISTOIRE GE'NE'RALE tot mcomparabiement plus facile a emporter, paree we lL "f- des Ennemis, Dandolo, & Ro^s fi L abord mformés de leur arrivée aux felon ie ao .arences, ,1, allo.ent débarquer leurs Troupes. Alo"afx Lr ™ , ' ■& h CavaIe™, pour leur aller difputer le u i' cS?Ö' ff kure ^ontraoees, „'eurenfp fie» de B r? nv / Pf de,CCS '6"°™, qu'en avoient eu ges de Baglione dans la conférence A'Jfchia; deforte au'a,, nmd ctonnement de AIustapha tacba IX fit débar e'r W Xcle. ' SageS' &Prwili°ns, fans y trouver aucmn ieNeonP? >a"r CeP,enda,nt s'imagin«. q«e les CVéWm tin/Tent f Tt U C IaC',e' finS ""^re **. ü fit traval . en dibgence, a quelques retrancbemens, &n'ofa s'avancer dans  j>E CHYPRE. Liv.XXIV. Ca. V. uo5 dans les terres, ni rien entreprendre, avant Tarrivée des autres Troupes, qui étoient rellées a Satalie, a Layazzo, & aux autres lieux maritimes de la Caramanie, oü Piali Pacha cnvo* inceffamment une efcadre de Galères, & plufieurs palTe-ehevaux pour les embarquer; Mais il déclara, en meme tems, «. Mustapha, qu'il ne vouloit dégarnir laFlotte d'aucun homme crainte que la Vènitienne ne vint le furprendre. Cependant, bien loin d'être furpris des uns, ni des autres, ceux te Nicofie n'olèrent fortir de leurs murailles, par la poltronerie des Commandans; & leGénéral Zane.n'avoit point lordre, ou le courage, de quitter les ports de Candie, fans la tonétion des Galères du Roi êCEfpagne. Cependant plufieurs Grecs Chypriots venoient tous les pin fe rendre a Mustapha, les uns pour lui offrir leurs fervice*, les autres pour finformer de fétat, & de la difpofition des affaires du pays, & lui fervir de guides. Les uns, & les autres, dans fefpérance d'ameillorer leur fortune. Quelques Papas de cette Nation, non moins traitres a leur patne, que les autres, conduifirent même un détachement de Turcs au Bourg de. Lefcara, Pun des plus confidérables du pays en grandeur , & en richelfes, & de plus engagèrent les habitans a recevoir, & a traiter favorablement les Infidèles. H eft vrai, que eur favorafcle accueil leur couta cher, & qu'ils furent bientöt pums de leur perfidie; car on ne 1'aprit pas plutot a Nicofie, quon detacha D e'm et r i u s Lascaris, avec quelques Compagnies, oiü mit leur bourg a feu,&a fang,afin qu'ils ferviffent d'exemple aux autres lieux. Quatre eens de ces mauvais Sujets furent, fans miféricorde, mis en pièces, & leurs maifons entièrement brülées. Heureux, fi les Commandans en avoient agi avec la même vigueur,dans les autres occafions,oü il n'étoit pasmoms nécelfaire, & s'il* ne fe fuifent point opinütres a perfeverei -dans leur ignorance. //Y, V u ï« Bbb bbb b 2 Grecs perfides punis de leurt r*-  Article TI. M'.illapha envole couper la com m'tn-'catien de Famagoufie a Kieofif. Ji tampt danslaplainedeSt.Déméuius. i < i i j -< 1 f I rrof HISTOIRE GE'NE'RALE Les Galère,, & les autres Batimens, que Pïali avoi} envoïés aux cotes de la Caramanie, étaat retournés dans un même jour, & aïant débarqué les Hommes-, &lesChevaux, dont ils étoient charges, les Commandans Turcs tintent Confeil; &, a la perfuaiion des Grecs, ils réfolurent Ie fiége de Nicofie. Alors Mustapha Pacha, voulant couvrir fon véritable deffein, détacha cmq eens Chevaux, & un bon nombre ^Infanterie, pour aller fe faifir des avenues entre cette Ville, & celle de Famagoufte, ann den empêcher la eommunication. II fe mit en marche dès le lendemain 24. Juillet, avec une partie de fes meilleures Troupes, & fe campa prés du Village de Mandia, qui n'eft éloigné de Nicofie, que de deux petites üeues. II y fut joint deux jours après par le gros de fon Armee , qiu conduifoit f Artillerie , & le bagage ; aprèsquoi il avanca fes retranchemens vers Athalazza, autre Village plus pres de Nicofie, & les fit étendre dans la fpacieufe campagne de St.Démétrius, peu difiante de la Ville, & oü fe trouve Ia (burce principale de feau, quifournit cette Capitale, fans qu'ils / trouvaffent plus d'obü-acle, qu'ils n'en avoient rencontré a eur débarquement. Rancon , Palacio , & les autres Officiers , qui entenioient la guerre, brüloient cependant d'impatience d'en venir mx mains avec les Infidèles, ne pouvant fouifrir le deshonneur lu'il y avoit pour eux tous a demeurer les bras croifés , pendant |ue les Ennemis fe campoient avec tant de tranquilité ; Mais is reitérèrent inutilement leurs inliances a Dandolo, qui, touours inexorable fur ce point, ne voulut jamais leur permettre le faire aucune fortie, & vit, fansémotion, les Infidèles s'ap>rocher de la Place, & en former le fiége. II n'en fut pas de même du détachement de Cavalerie, & d'Inanterie, que Mustapha avoit envoïé fe. faifir des chemins enre Famagoufte, & Nicofie, Baglione, qui fe trouvoit endi- berté  de CHYPRE. Liv.XXIV. Ch.V. iio* hertêd'adr, par lui même, ne 1'aprk pas plutöt, q^il fortit feFlagouJle, avec un gros Corps de fes meilleurs Soldats, & fes amqua prés d'un viUa|e de cette plaine, avec tant decou- ^ & de réfolution, qu'il les défit entièrement. Action,^ Tul fit bien connoitre a Mustapha, que les Grecs Chypriots, * lis'étoientrendusauprèsdelui, ne 1'avoient pointtrompe; & qu'il auroit eu bien plus de pleine a réduire Famagoujle, que NtCtm, comme fur d'une prochaine Vidoire, il alla lui meme reconnoitre les dehors de la Place, & fit travailler avec une diligence incroïable aux retranchemens, pendant quon dreloit dlixBatteries, Tune fur lacolinede Ste. Marine, qui efta 1 oppofite du Baftion Fodocatoro, & 1'autre pres de 1 Eglife de St. Georze, qui en eft a égale diftance. Comme les Turcs reconnurent, que les Chrétiens avoient empoifonné les eaux des jardins aux environs de la Ville, & que les fources de St.Démétrius, ÜAtalazza, &de Mandia , netoient point fuffifantes pour en fournir a une fi grande Armee , ce Général fit inceifamment creufer quantité de puits, en pleine campagne, dont 1'eaufe trouva excellente; ce qui caufaaux Chrétiens le chagrin de voir leur précaution inutile. Pendant que les Ennemis travailloient avec beaucoup- d ardeur a ces ouvrages, qu'ils poulTerent même fi fort, que la prémière batterie commenca a jouër dèslelendemain, Mustapha envoïa dans Nicofie un Calojère, ou Moine Grec, nomme NicodeÏie natif de Corfu, avec diverfes Lettres adrelfees a la Noblef.fc/& au Peuple, par les quellea, après avoir exagéré la grandeur, & la puiffance du Sultan, fon Maitre, il les cxhortoit a fe rendre a lui, comme a leur véritable Souverain; les aüurant qu'il les lailferoit vivre dans une plus grande liberté de leur Religion , de leurs biens , & de leurs families, que celle que leur accordoient les Vénitiens. Aulieuque, s'ils n'aceeptoient. point le parti avantageux, qu'il leur propofoit, lem P Bbb bbb b 3» Perte Jion vi- ureufede iglione. ArtickJK  Les Habitans de Nicofie refufentde fe rendre a jMuftapha. h il d 4 ti u él d si 51 ce & iioo* HISTOIRE GE'NE'RALE perte, celle de leursFemmes, de leurs Enfans, &de tous leurs biens, feroit mevitable, puisqu'il leur étoit impoffible, auffi bien qu'aux^/,m, de réfilter aux Forces Ottomancs Mais, comme ces promelfes, ni ces ménaces ,-ne purent ébranIer les Chypriots, Ie Caloyère Nicode'me s'en ZZntl^ aucune réponfe Mustapha, piqué de leur refu!Tno ^Z plus qu'a les reduire par Ia force. fl fit incelfamment travailler lux Jignes de circonvalation, &ordonna qu'on dreifatdeux autresBattenes, fune furféminence de Ste. Magueritc, &fautrC mpicde lamontagne deMandia, qui ne celferent de iouër ni our ni nuit, avec tant de fureur, que leur grand bruit'fai01 tremblerlestoits des maifons. Deux jours après, il fitouvrir i tranchée, qu, fut bientöt poulfée jusqu'a fancienne enceinte b murs de la Ville, &m que les Affiégés filfent aucun mouve! ient pour empêcher ceux qui étoient emploïés a ces ouvrages • lalgre fardeur, & les follicitations des Italiens, des Epirotes\ ede laNobleife, qui bruloient tous d'impatience d'en venir aux lams avec les Infidèles, & d'avoir la gloire de mourir en comatant, plutot que de fe voir périr fi ignominieufement ; Mais t eurent beau repréfenter, & fe plaindre, rien ne fut capable 3 changer le malheureux entêtement de Dandolo , & de Rochas ii ne voulurent jamais permettre, qu'on fit aucune fortie- ore' aidant que lafeule Artillerie de la Place, qui étoit effedivement es-bonne, & fort nombreufe, & qui tiroit avec alfez de fuccès, oit fuffifante pour leur défenfe, &pour obliger les Turcs a fe filter de leur entreprife. II n'en étoit pas de même des Batteries des Ennemis; car, foit ie leur canon fut mal placé, ou trop éloigné de Ia Place, fon and brmt étoit ce qui incommodoit le plus les Affiégés Mu 'apha, qui s'en appercut, fit d'abord conftruire quatre Forts environ cent toifes de diftance desBaftionsd'^, Con/lan' , Podocatoro, & Tripoli. II fit entourer ces Forts de larges profondsFoiTés, &yfit placer foixante Piècesdefa piusgrof! ft  de CHYPRE. Lit. XXIV. CU, J. nor fe Artillerie, avec lesquelles il fefc^"^^*& pendant quatre jours, & quatre nuits. 11 fit auffi, de tems a LTre, a^ncer fa Cavalerie, pour attirer les Affiégés a une Sortie fans que toutes ces bravades, non plus que les infantes Prières de la garnifon, puffent faire changer lamauvaife re- folution des Chefs. , t , . II eft vrai que les Turcs, rébutés du peu de progrès de leur Artillerie, & de la quantité de monde, que leur tuoit celle des. Affiégés, abandonnèrent les quatre Forts, qu'ils avoient constmits paree qu'ils reconnurent que les Boulets de leur canon, quo que d'une grolfeur prodigieufe , ne faifoient qu'entrer dan la muraille f & fe perdoient, en s'enfoncant dans la terre dont elle étoit remplie , fans pouvoir y faire aucune brêche. Ils s'attachèrent donc a avancer leur tranchée jusqu' u pié de la contrefcarpe , afin de fe mettre a couvert du feu continuel des Affiégés, & pour les incommoder de Pllpoiirrey parvenir , Mustapha emploïa un grand nombre; de Soldats, & de Payfans. Ils renverfèrent la terre du cote de la Ville, a mefure qu'ils avancment, & fe mirent enfin f couvert. 'Malgré les chaleurs exceffives de £ ^ travaillèrent a cetouvrage, avec tant daffiduite, & demuation, qu'en peu de jours, ils le condmfirent jusqu'au bord du Foff?, oü ils conftruifirent d'abord diverfes piateformes, de diftance en difiance, fur les quelles ils placèrent une grande quantité d'arquebufiers, qui tirèrent fans celfe fur les C, tm avec tant d'avantage, que ceux-ci ne pouvoient plus s'expofer fur les murailles, fans en etre renverfcs Les pertes confidérables,. que caufoit le feu continuel Ges. Infidèles, affoiblirent beaucoup la garnifon.. Les plus brave* Soldats y périffoient; ce qui obligea enfin les Commandans de confentir a une fortie, afin de renverfer, ou dmterrompre des travaux , qui leur étoient fi préjudiaables , & qui les avoient  Sirtie des affiégés fut les Affiégeans. I i i < t I l j noS HISTOIRE GE'NE'RALE réduits a ne pouvoir plus envoïer aucun défenfeur fur les remparts, fans avoir la douleur de Ie voir périr un quart d1heure après. Ces ar Piove'ni, & Andre' Corte'se, vaillansCapitaines, furent choifis pour fortir avec leurs Compagnies. Ils commencèrent li bien leur entreprife, que,s'ils avoient été foutenus par quelques autres Troupes de la Ville, comme on le leur avoit promis, ils auroient fait immanquablement un grand carnage des Infidèles, &renverfé partie de leurs ouvrages; mais aïant été abandonnés, & les Ennemis s'étant apercus de leur petit nombre, les envelopèrent de manière, que tout ce que put faire le brave Piove'ni fut de fe retirer fort en désordre, pendant que le Capitaine Corte'se, qui s'étoit un peu plus avancé, fut fait prifonnier, & la plupart de fes Soldats taillés en pièces. Lamauvaife ilfue de cette Sortie n'empêcha pas, qu'il ne fen fit encore les jours d'après, & que, pendant la nuit, pluïeurs braves Soldats ne defcendilfent par les embrafures, pour re:onnoitre les travaux des Ennemis, & riclier de les détruire. Vlais tout cela avec fi peu de fuccès, par raport aux mauvais ordres de Dandolo, & de Rochas, qui ne foutenoient jamais :eux qui fortoient, & alléguoient, pour couvrir leur ignoran:e, ays, & au Peuple, par les quelles il les exhortoit dérechef a e foumettre a leur légitime Souverain ; les alfurant tous on'ii «noit encore la bonté de leur pardonner, pour^S^ ent promtement de lui être rebelles; mais qu'au cont aire [ ie manqueroit pas de les exterminer' entièrement "ont£ luoient encore de réfifrer a fes armes» Ces Lettres ne firent pas plus d'effet envers- les Affiégés, qu'erf ^VcT^^T -mmencïmen du ege par ie Caloiere Nicod e'm e. Malgré le mauvais état uiisetoient réduits ils ne-voulurent /mais écouTAucune e fes propofitions Ils prièrent cependant le Capitaine •aptiste Saint-Colomban, Ilomme de valeur, & de conuite, de vouloir aller lui même a Famagoujle, pour tacher engager Baglione &Bragadin, le prémier a venir prend e Saint-Colomban-, remplide zèle, & de générofité, pour confervation de tant degens de mérite, qui fe trouvoient dans Place, fans pouvoir aga-, faute d'un Commandant d'expérienle cliargea hardiment d'une eommiffion auffi dangem-ule fut fi bien fe conduire, qu'il évita la pourfuite des Infidèles] parvmt: enfin *FamagouJte3 après avoir effuïé de très-grandes commodites, pendant la route détournéc, & difficile, avCil oit été obhge de tenir, meme pendant fobfeuritédela nuit, . montagne, en montagne.. 9'  db CHYPRE. Lrv, XXIV. Cii.VL 10 11 .fit mix Commandans de cette Place un recit fi touchant, &fi pitoïable, de Fétat défolant, oü fe trouvoit Ia: Ville de Arcofie & de rimpuiffance, oü étoit la Garnifon, & les Habitans, d'em'pêcher qu'elle ne tombat bientöt au pouvoir des Ennemis, a moins qu'il ne plüt a Baglione, qu'ils liiplioient tous avec beaucoup d'emnrelTement, d'aller promtement les encourager par fa préfence, &réparer, par fa valeur, & fon experience, les fautes continuelles, & les grands maux, que leurs Chefs avoienl caufés jusqu'alors, par leur incapacité- Baglione", qui ne prévoïoit que trop , que 1a perte de laCapitale entraineroit immanquablement celle de Famagoufte, fouhaitoit ardemment de fauver cet afront a fa Patrie. ü confentit dabord de paffer a Nicofie. 11 réfolut même de s.y tranlporter ieul, & fécrettement, afin d'éviter les oppofitions, quon auroit voulu faire a fon départ; mais fon deffein want été penetré les Habitans environnèrent fi promtement fa Mailon, en s'écriant, qu'ils ne fouffriroient jamais, qu'il les abandonnat, qu'il ne fut plus en fon pouvoir de 1'exécuter. Bragadin, Tie'poli, &les autres Officiers, s'y oppolèrent également Le prémier répréfenta vivement a Baglione , & a Saint-Colomban,"le blame, qu'ils s'attireroient tous a Vénife, & ailleurs,s'ilspermettoient,que celui qui avoit le commande" ment princioaldes armes,&de la conduite ,&de fexpénencc du quel dépendoit la confervation d'une Place auffi importante. „ queVëtoït Famagoufte,dl&t risquer d'être alfaffiné par le pre , mier malheureux qu'il rencontreroit, d'autant plus qu'il etoii „ impoffiblede le faire accompagner par 1'efcorte, qui auroit eb néceffairea fa fureté; Que, d'ailleurs, il étoit bien perfua „ dé, que, fi ce Commandant quktoit ïamagou/te, les Soldat ' ne voudroient plus obéïr a aucun autre Officier, & la défer „ teroient tous; & que les Habitans, de leur cote, dénues d „ toute efpérance, bien loin de faire tête aux infidèles leu M. ouvriroient leurs portes, avecempreffement, afin de conlei Ccc ccc c X 55 v€ Us demtmdent du Jecours a ceux de Famagoufte, J r  Cffecours te/uj't. Article/// 1114 HISTOIRE GE'NE'RALE „ ver leurs vies, leurs families, & leurs biens, & priveroient „ la République d'un Etat, qui lui étoit fi glorieux de confer„ ver. Ces judicieufes rémontranceg étoient fi inconteftables, que Baglione, & Saint-Colomban, s'y rendirent enfin, & que ce dernier s'en retourna feul a Nicofie. Ceft le fentiment de Gratïam , Evêque ÜAméüa , qui a fait fHiftoire de ce liège. Le Père Ange Calopin, Lominiquain, qui fe trouvoit erfermé dans Nfcojfe, dit au contraire, que les Commandans, & les Officiers de Famagoufte, setant aiTemblés fur la demande, que faifoient ceux de Nico/ie, bien-loin de s'oppofer au départ de Baglione, confentirent même, qu'il emmenat cent Soldats avec lui, & tous les Canoniers, qui voudroient le fuivre; mais que ce Commandant aïant confidéré, qu'il étoit plus dangereux de s'expofer avec un fi petit nombre, que d'y aller fans efcorte, fe détérmina a partir avec le feul Capitaine Saint-Colomban, comme il f auroit fait,fi cet Officier, qui ne vouloit point risquer une Perfonne fi nécelfaire au Roïaume, a-un danger évident, ne 1'en eut lui même diffuadé; enforte qu'il s'en retourna a Nico/ie, avec deux feuls Bombardiers, dont 1'un, quifenommoit Leonard de Verone, étoit des plus célèbres daris fa profeffion. Quoiqu'il en foit, les Affiégés ne reeurent aucune autre affillance,ni de Famagoufte,ni de ceux qui s'étoient réfugiés aux montagnes, d'oü même, ni Caraffa, ni Scinclitique , ne retournèrent plus. Dans cette extrémité les Ingénieurs Palacio, & Süzome'no, qui voïoient tous les jours empirer les affaires, & que les deux Baftions Podocatoro, & Confiance, étoient entièrement ruinés, y firent faire une coupure, & pratiquèrent de nouveaux rétranchemens. Ce fut alors queFEvêque Baffo, Pisani, Marc Polatri, & divers autres Seigneurs de la principale Nobleffe, & plufieurs Officiers s'afTemblèrent entre eux, & contraignirent enfin Dandolo,  DE CHYPRE. Liv.XXIV. Ch. VL xiï* öoio, de confentir a une vigoureufe Sortie, pour interrompre llvancement des Ennemis. Ils voulurent, en meme tems, que l"r° Ve'rone fit rexpérience, de rumer tóu» Lttede^ comme il s'en étoit vanté. Eneffet, cethabde Homme dra deux des plus gros canons,, qu'il avoit pointés fimftes, "e leprémlr emboucha unde ceux des Turcs, & 1'autre en ruina 1'embrafure, dont les éclats tuèrent plufieurs Hommes. Mat comme, par un excès de malheur, 1'entetement, & la mauv ife conduite de Dandolo, &de Rochas dura autant L le Siége, ce prémier refufa de donner la poudre necelTaire pou continuer unebatterie fi avantageufe &qui auroit pu contnbuer a leur délivrance ;& 1'autre défendit a la Cavalerie de foipourfoötenirl'Infanterie, comme on 1'avoit concerte: cequr futLufe dumauvais fuccèsdela Sortie, que firent nulle hommes de p^ous la conduite de C e s a r Pi o y en i , George Panteo, Nicolas Gradenigo, Zaneton Dandolo, WBaptiste de Fano, & f Ingénieur Magrin, qui mijnent te Infidèles a propos, fur 1'heure du midi, & pendan cvfils ne fongeoient qu'a fe délafTer de la chaleur exceuive III fi ent d'abordmerveilles,&s'emparèrent de deuxde leurs Fortoü Usfirent un butin fort confidérable, &les contragmrent me Z aabandonner les deux autres, pour fe fauverfur-la coline d Ste Marine, oü étoient leurs plus forts retranchemens.- La bravoure de ces Officiers jetta fi fort 1'épouvante parmi le Turcs, que, s'ils avoient été foütenus par la Cavalerie, com raeils s'yattendoient, Us auroient immanquablement enclou leur Artillerie , nettoïé les foffés , & ruiné bonne partie d leurs Ouvrages; Mais les Turcs, revenus de leur terreur pan cue en reconnoilfant leur petit nombre, le reprocherent eu mêmes leur lacheté, & les chargèrent, k leur tour, avectar de fureur, & en fi grand nombre, tant Cavalerie, qu Infant r>, qu'ils furent bientötobligés de leur céder, non feuleme: toutce qjfils avoient gagné de terrain, mais encore oe cm Us ne font pas foutenus dans leur fortit. y \r 3: é' e LXIt ït r- er  infi HISTOIRE GE'NE'RALE Éher k regagner la Place, en fi grand désordre, que les Cani. taines PioT^ii, Scorro quelques autres Officiers, & Is de deux eens Soldats yperdirent 1, vie. Les autres ne regagnt rent les portes de U Ville, qu'avec beaucoup de danger fi vivement pourfuivis par la Cavalerie ennemie, qu'on fut mêk mt'Se defe,'merksPortes' d-raintequ'eilen-y entdtpl Quoique cette mall.eureufc Sortie coütat moins de fang au* ö«„^,„, qui y perdirent plus de quin^cens Hommes, les Afi.égés la reffent.rent incompablement davant™ ge, par raport au peut nombre de Troupes difciplinées o„i leur reilo.ent, & fur les qualles feules ils pouvoient co^te les Bourgeois quo, qu'en grand nombre, étant également n-' capables, & d'attaquer leurs ennemis, & de défendre lens propres maifons. Ils étoient d'ailleurs, fi accoütumés a vi™ dans 1 abondance, que la difette de vivres, jointe a leur peu de cou rage, lesrendoit fi fo.bles, i&fihnguiffans, qu^ilsné pouvoient plus rendre aucun fervice; &, fi quelqu'un fe fonmettoit encore aux Officiers, l'efp01r de Ia prochaine arrivée de la Flot te Fémuom, étoit le feul motif, qui leur donnoit Ja fa--" ce dagir. ■ Dandolo, de fon cöté , encore plus lache que les Bourgeois memes, «Sc ignorant au dernier point 1'art de la £uer re, ne voulut abfolument plus entendre parler daucune Sortie quelque grande nécéffité qu'il y eut d'en faire ; de forte qu'infenlible a toutes les rémontrances, que les Perfonnes expérimentees lui firent a ce fujet, & fur fon épargne de la poudre, que les Bombardiers lui reprochoient hardiment, difant, que c'é toit, par-la, qu'il livroit la Place zux Mdèles, il lés lailfa mur murer tant qu> voulurent, fans s'en mettre en peine Auffi, les Infidèles, qui ne trouvoient plus aucun obftade dans leurs entrepnfes, étendirent, & pouffèrent leurs Ouvrages autant qu'ils voulurent; & Mustapha, qui n'avoit pas pour les    ÉTAT PRESENT U E G Y P T R L I V R E I. C H A P I T R E P R E' M I E R. r.c\ r*\ m prés -avoir fini rHiftoire de Chypre, & de tSSiiliÜ? Jérufalem , avec toute la vérité, &ïexeUVi iV>%5 aclitude poflibles , en tirant tout ce que ^jjj A Fai dit des divers Allteurs> cités dans Ic corps de TOuvrage , oü fat inféré les ££»fi§lISiB qualités des pays , dont fai parlé, après «*y >u>' w w ]es avojr reconnues par moi même , je me fuis propoié de donner au Public, comme je fai promis, la Defcription de la fameufe Egypte , qui nfa paru fi curieufe, Ppp ppp p & Article I.  Dïfpofitions itlAuteur. i : 1 Atticle//.. Idéé de ÏEgypte en général. i ■ i 1 1200I E'TAT PRE'SENT & fi intéreffante, que j'en ai fait un fujët féparé. Ce quelès^ Leéceursy verront ne fera pas tout-a-fait conforme a ce que différents Voïageurs en ont die dans leurs Rélations peu exaeïes. La plupart, ignorant la langue du pays, s'en font rapporté* au recitbon, ou mauvais, de leurs Truchemens,. ou Conducteurs,, fins fe donner la peine de s'inftruire des moeurs, «Sc coütumes des Habitans Pour moi, qui ai eu- f avantage d'examiner tout,. & de men alfurer par mes propres yeux, aïant demeuré long tems en Egypte, & faïant parcourue plufieurs fois, je ne dirai rien que de bien fondé lur 1'expérience, «Sc que je n'aietiré des Mémoires les plus iurs. Deux perfonnes favantes, «Sc d'un vrai mérite, me les ont Pournis, d une manière très-obligeante, ^. De Verniette, en remontant vers le Caire, elle va en étréciffant,, en  de L'EGYPTE. Lrv. I. Ch. L 1207 en forme de triangle, dont cet endroit a pris le nom de Delia, A. En remontant enfuite dn Caire, vers VEthiopie, elle fe tronTe ferrée entre deux chaines de montagnes, qui ne font féparées, Tune de 1'autre, que par uneplaine d'une journée de chemin, excepté a f endroit, appellé le Saide, oü ces plaines ont deux a trois journées. Pour le faire comprendre d'une autre manière, il faut dire que le NU, qui, dans fon Inondation, couvre toute YEgypte habitable , defcend par Y Ethiopië, & le Roïaume de Sannar, entre en Egypte, par fan Midi, un peu au deffous de ce fameux paffage, nommé Cataralle, & immediatement au deffous du Tropique du Cancer, & coule de-la vers le Mrd par un efpace de 250. lieues, jusqu'a ce qu'il fe perde dans la mer Méditerranée. V , Ce Fleuve eft refferré au commencement par deux chaines de montagnes, qui 1'accompagnent. Celle qu'il a a gauche au Coulant, du cöté de la Lybie, ne fabandonne point, jusqu'a ce qu'il fe foit rendu dans la mer parl'embouchure de Roffette, autrefois CVmc/tf, diftante d'environ 12. lieues dPJlexandrie. L'autre chaine, qu'il a a fa droite, & a fon Oriënt, & qui laiffe une iargeur de 3. a 4. journées entre le cours du Nil & la mer Rouge, conduit ce Fleuve feulement jusqu'auCaire, oü elle lui laiffe la liberté de fe partager en deux, &de former le fameux Delta, A, qui le termine, du cöté de VOriënt, a Damiette', & vers le Couchant, a la ville de Roffette. De f entrée du NU en Egypte, jusqu'au Caire, il y a environ i)0. lieues. Les montagnes, dont ii eft bomé, a droite, &a eauche, ne font éloignées depuis le Tropique jusqu'au. Saide, que d'une grande journée. Elles s'élargiffent en cet endroit, & forment des plaines trés-fertiles, puis fe raprochent de nouveau. Elles viennent presque fe joindre a 1'endroit des Piramides, ou de la Ville du vieux Caire: Ceft ce qui s'appelle laÜaute-Egypte. Ppp ppp pa Le Sa diviHon.  ( ] I Sts Urnes. i ] 1 1 ] < c f f t 1 Ankklll. 1 i-aoS, E' T A T PR'ESENT Le refte, qui Wétend vers Ia Méditerranée 9 fe nomme & Baffe-Egypte, & comprend le qui eft formé ]a ^ iion du At/, lequel fe partageant 3. lieues au-delfous des Piramides, laiffe entre fes branches unterrain, qui s'élargictoujours ■ jusqu'a la mer. Ainfi YEgypte a la forme d'un Y Grec, ou baton fourchu Aux deux pointes les plus éloignées, fune de. I autre, font /e#^ tk Damiette. A IVmdroit, oü elles fe réüniflent, eft la Ville deGwr; fcfefpace, qui eft depuis le Grf^t^^^^0^ **VY>^Haute-Egypte, quieftla Le Caire , qUi fépare YEgypte Inférieure de la Supérieure,, J, f^éJ°' minutes de latitude Septentrionale.. élexandne,tk_Ruffet, font, la prémière au 51*. & f autre au ügypte, eft fous 1, Iropique du (Vrmr. VEgypte s'étend cnco•e 3. ou 4, toiirnées au-de-la, quoiqifun Ancien ait dit, que yewi* etoit a 1'extrémité de Egypte - Superieure. VE£Zpte?u0nC mMdï YEtbi°Pie> ou le Roïaume de torn; Llle eft oaignee au Nord, par la MUkerranée; Elle a a . journées, qu'il faut traverfer pour venir en Egypte Ce Ro'aume eftborné, a YOccident, par cetteWue chaineIe montagnes, qui commence prés de YEthiopië, & qui finit :res dAlexandrie. Ces montagnes ne font pas a beaucoup pres. 1 hautes, que celles du cöté de YOriënt. Au-de-la de ces monagncs,. ce ne font que déferts de fable,. & cette Afncme ou jbte inférieure, qui n'eft que trés-peu connue.. On voit par cette Defcription, que le Roïaume d^m/^, fi enomme dans fHiftoire pour le grand nombre de fes Peuples,, &   Plan de 1'interieur de la Tyratmde. A. SOrée dé la j°j/ramtde . U. J>remiere Coulisse . C. Ze bas Je ia Coulisse . D. Seconde Coulisse . E. Ze puits, ou Cave- souterraine . T. ^ura2lleprés desZeares.outrouspour arimper. G. Zonque.Allée, qui conduit a la Chambre basse . H .Za Chambre bassejaite en dos d'ane-. I. Cchancrure- dans teiond de- la-^uraille-. X,. Pierres de- la Voute, qui avancent•» M. Irous .lcuts expres pour grimper d la Chambrekaute. "N.'Jrous de mème- facon aaauche- <&- adroUe- de- la Coulisse. O. jPortes, ou premières entrees des ^dllees . P. vdllée>, qui, conduit a la C/iambre. haute. Q_. Chambre, haute- quarree . B. .Zombeau vuide- dans tejvnd de- la- Chambre-. S. iSecrets pouf/èrmer la- Chambre haute-. T. Zrou, qui se trouve- dans la-^dfur-atlle-. "Dimension de la grande Pyramicle. Jiautei/r exterieure perpendiculaire-, .foo.pies. -Talus. 670. Deq-rés, pour 1/ monter par dehors . . 220 ■ Csplanotte a ^la Cime ....... . . 22 . A ..JJaute/ir Je laForte de•/''entree-. . . 45. B. Coulisse 8f. Canal, ou Coulisse- en montant. ■ . ^pC Z argeur, ou haute ur de ce- Canalj pies. 4 pouces. G. ^AUee- /, • JJ3 P1^. ; H. Chambre basse, knque de2Ö piés,larq&ae-jiï.ptes, & haute de 21 .pies. F. Canal. ou-^Huraill&pres du- Glacis, latye- de-s-S. piés, Sc haute de- 24. pies. P. ^dllée, qui- conduit a la Chamirc haute-, lonque de 2J. piés, larae- de J. pies & un pouce, haute de j .piés Sc 4 ■ pouces . Q,. Chambre haute, dé jz.pies de lonqueur, jó de larqeur, Sc jó' de hatiteur . ~Sl . lombeau d'une seide j°ierre, de 7 .piés de Ion - queur". de j. dé larqeur, Sc- de C. pouces d' é- paisseur.  o e L'EGYPT'E. Liv. I. Ca I. 120? & par fa puiffance, n'a pas une étendue proportionnée a cette réputation. En effet, qui pourroit fe perfuader, qu^un pays fi refferré ait eu autrefois vingt mille Villes; que fes Rois aient entretenu jusqu'a 300. mille Hommes, & qu'ils aient fait les guerres, & toutes les chofes furprenantes, que nous lifons dans les anciennes Hiftoires, & dont les monumens, que nous reltent, font des témoins irréprochables:r Cependant, fi fon confidere la fertilité de la terre Ü Egypte, qui ne repofe jamais; fi Ton fait reflexion, qu'elle produit fuccelfivement dans uneannée 3. ou 4. fortes de fruits, & de lé-. gumes; qu'une partie de ce terrain, emploïé aujourd'hui a d'autres ulages, & négligé par fes Habitans, n'étoit autrefois deftiné qu'aux chofes néceffaires a la vie: II oiv jette les yeux fur cette quantité: de Peuples, presque innombrables, qu'elle entretient encore: on fe perfuadera aifément, qu'il n'ya rien de fabuleux dans les Hiftoires, qui nous en reltent; & qu'elle a pu fournir du blé aTancienne ito^, entretenir depuis les Arraées de la nouvelle, & nourir cette quantité prodigieufe de Peuple,qu'elle a toujours porté dans fon propre fein. Si fon confidère d'ailleurs les richeffes préfentes' de ce Roïaume, 1 abondance de for, &defargent, qui s'y trouve, lesprécieufes marchandifes, qui y font aportées de toutes les parties du monde, le nombre de fes chevaux, & ies revenus du Prince, on ne trouvera point incroïable ce qu'on lit de la puiffance de fes anciens Rois. Les monumens, qui nous en reftent, nous feront ajouter foi aux récits étonnans de ces fuperbes ouvrages, dont la plupart ont été détruits par le tems : mais, avant que d'entrer dans le détail de tous les avantages de YEgypte, il eft a propos d'en .découvrir la vraie caufe, qui eft f inondation du ML.- Sp.P pp.p p 3 Cha- Fmilité de 'Egypte- Ses richeffet. Caufes de cette feni- ■ iité, & de ' c?s ricbetfes.  1 2io E' T A T PRESENT Article 7. Sources du Nil bien incertaines. Divers fen- timens fur li caufe de taccroijfevient au Wil * i i < < f; F r r d C H A P ï T R E II 1*1 a toujours été plus aifé aux Egyptiens, de recormoïtre leg obligations, qu'ils ont au Ml, que de rendre raifon de fon débordement, & de fon origine. On fait qu'Alexandre , k Grand, envoïa inutilement des gens, pour en découvrir'les fources: & quelques Rélations, que les Portugais nous en aïent données, il eft encore refté une grande obfeurité fur cet Article. Nous tacherons d'y répandre quelque lumière. Pour ce qui eft de 1'accroilfement du M9 voici le témoignage des Etbiopiens, &des diverfes Nations, qui habitent le eentre de YJfrique. lis difent, que faugmentation du Nil n'a. pas d'autres caufes, que les pluies continuelles qui tombent en E^/0/w,endeea de la Ligne, auffi-tot que leSoleil commence a s'aprocher de YEgypte. J'ai queftionné cent divers habitans de ces contrées, & je les ai trouvés tous d'accord en ce point. Ils xmriennent, qu'il y pleut continuellement, depuis Avril, jusm'a Ia mi-Septembre, depuis les 7.heures du matin jusqu'a Soeil couchant. Ces pluies s'étendent depuis la Ligne, jusqu'au :8. au 20.edegré; c'eft-a-dire, que la partie la plusSeptentrio'e du Roïaume de Sannar eft lans pluie, a la diiférence de la Méridionale, oü les pluies fontabondantes dans cette faifon. 11 fe trouve au Caire plus de i ?ooo. valets de ces contrées, [iii nous le raportent ainfi. Nous favons d'ailleurs depuis la lécouverte des Jndes, que pareille chofe arrivé, dans la même filon, aux pays, qui ont la mêmepofition que YEthiopië. Les luies y continuent pendant 4.. a $. mois, & y groffilfent les vières, qui y font en grand nombre, & confidérables. Si 3n ne s'apereoit pas de ces pluies enEgvpte, c'eftque le cours u Nil eft li long , que fon extrémité s'étend dans un climat dif-  se L'EGYPTE. Liv. I Ch. II. 1211 différent de celui de fon origine, & que la fituationde YEgypte eft telle, qu'il eft difficile qu'il y pleuve. En effet, ce Roïaume eft couvert d'une haute chame de montagnes a VOriënt, qui eft le vent ordinairement pluvieux. Du cotédü Couchant, au contraire, les montagnes font fortbaffes;en forte que fi le vent d'fijt amenoit la pluie, il faudroit qu'elle fut arrêtée par cette haute chaine des montagnes, & qu'elle tombat dans la mer Rouge: ce qui arrivé affez fouvent, & qui n'eft pas inutile aux Batimens qui y vont. Si les nuages n'étoient pas arrêtés par ces montagnes, ils feroient entrainés dans hLybie par le même vent, qui ne trouveroit aucun obftacle. II eft donc très-difficile, qu'il pleuve en Egypte du vent &EJI. A f égard du Sud-Ouë/l, il paffe dans les plaines de hLybie, avant qu'il arrivé en Egypte, & n'attire aucune humidité, qui puiffe former des nuages. Auffi, de ce vent, non plus que du Sud-Etl, il ne pleut en Egypte, que de la pouffière. II pleut quelque fois a la marine du Sud-Omjt, de YOu'ëft, & même du vent du Nord: mais ces pluies n'arrivent guères jusqu'au Caire, & moins encore dans la Haute-Egypte, oü elles font très-rares ,. & très-peu confidérables: encore remarquet'on qu'il n'y pleut jamais, que vers le coucher du Soleil; paree que le vent, étant alors plus foible, ou la chaleur du Soleil moins grande, les nuages ne peuvent être foutenus, ou diffipés, comme auparavant- Les pluies d'ailleurs font fiYares ,& fi petites, qu'il a paffé en maxime,, qu'il ne pleut point en Egypte. On y a néanmoin? vu pleuvoir dans les années 1692. 1693. & 1694. cinq a 6, fois depuis Novembre, jusqu'a Avril, une demi-heure, ou un quart d'heure de tems, a la fois.. Tout cela joint enfemble ne pouvoit pas faire deux heures d'une pluie, telle qu'elle tombe en Europe:- La pluie eft fi extraordinaire,&c fi agréable,a ceux du pays, que, pour peu qu'il en tombe, les Enfans vont crier dans les rues-; Article II. Rejlexion t'i/ijlque 'vr la rareti ie la pluie en Egypte. ■  ■Vraxes cal fes del'accroijfemtnidum. Article///. Opmen peu fondée d'un Evéque Annénien fur la fource de na. 1 i 1 ( 1 1212 E'TAT PR E' SENT rucs, que cejlune bjudiclion du Prophete. On ma alfuré, qtffi s'eft pafte des 3. 011 4.ans,fans qu'il tombat une goute de pluie au Caire, ni dans la Haute-Egypte. Ce qui eft une chofe fort indifférente a la fertüité de U terre, qui ne procédé, que de de finondation du Nil. . . Avant que de parler de cette inondation, il eft a propos de répondrc ace qui a été avancé par quelques Auteurs fur les caufes, qui la produifent. Nous favons, comme je fai expofé9 qu'il pleut depuis laLigne jusqu'au i8e. Dégré; & c'eft lala vé^ ntable caufe de la croiifance du Nil. Ses eaufès, comme on le peut juger de-la même, ne font pas bien certaines. Les pluies, qui tombent dans les montagnes $ Ethiopië, inondent les campagnes, qui reeoivent dailleurs les mêmes pluies, & elles font toutes enfemble une efpècede mer, comme nous faprenonsdes liabitans: ce qui s'étend depuis VEthiopië jusqifau Roïaume de Sannar. Lorsque le Soleil a repallè la Ligne , les pluies ceiTent; & ces lacs s'écoulent pendant fhiver, qui efl IT.té de ces contrées. Les montagnes dailleurs, qui ont été imbibées de ces pluies , les rendent par divers canaux : Ce qui entretient Ie cours du Nil, depuis Oclobre, jusqu au mois de Juin fuivant; Mais ce Fleuve eft alors bien différent de ce qu'il fe trouve en Septembre; ceft-a-dire, dans fa plus grande hauteur. Un Evêque Jrmènien m'a affuré avoir vu la principale fource deA7/. II ma dit, qu aïant étémené au Roi de ces contrées, lequel nous appellons le Préte-Jean, ou Roi des Abijfim, qui eft Chrétien de la Secle des Coptes, il en avoit obtenu la permilfion d aller voir la fource de ce Fleuve; qu'il avoit été conduit fous la Ligne, oü il avoit vu deuxChateaux fur deux ruon:agnes, entre lesquels defcendoit un gros ruiffeau, qui, tomDant dans uneplaine, y formoit un Jac, qu'un cheval ne pour■oit qu'avec peine coloïer en deux jours; que diverfes moinüresfontaines fe rendoient auffi dansle lac, d'oü il fortoit une >etite rivière, qui étoit grofiiedans fon cours par diverfes autres petites  de L'EG Y PT E. Liv. I. Ch. II. 1213 -petites branches, & en Eté par les pluies abondantes, qui y tomboient, depuis le lever du Soleil, jusqu'a une heure avant ion coucher; mais cette opinion ne me paroit pas affez fondée. Les habitans du Roïaume de Sannar nous affurent, que le Ml, paffant dansleur pays, recoit J.a Ö.Rivières, qui s'y précipitent par des cafcades; que fon cours eft auffi embarraffe par des rochers; & qu'ils n'y peuvent naviger avec des barques: qu'ainli pour venir en Egypte, ils fe fervent de plufieurs pièces de bois, liées enfemble avec des cordes; qu'ils necraignent, avec cela, aucun naufrage; qu'ils rencontrent plufieurs catarades, ou chütes d'eau; qu'enfin ils viennent a la derniere, & laplusconfidérable, & fe laiffent tomber avec leurs radeaux, en fermant les yeux, & les oreilles, avec leurs mains; qu'en un inftant ils fe trouvent éloignés dun quart de lieue de ce faut; que,fi leurs radeaux heurtent contre quelque rocher, & qu'ils fe délient, ils fe tiennent au moins a quelque pièce, qui les fauve. Chapitre III. Depuis cet endroit, le Ml n'eft pas encore net pendant ?. k6 journées de cours.; auffi les bateaux, qui navigent dans la Haute-Egypte, ne peuvent-ils remonter que jusqu'a ? iournées de cette chüte, qui n'eft, nifiaffreufe, comme Ion voit, nifibruïante, que quelques Auteurs 1'ont vou u perfuader. ' 11 eft aifé de juger de-la , que le débordement du Ml provient des pluies, qui tombent abondamment dans le cceur de ÏJfriaue; que fa fource n'eft pas unique ; que fon origine ne doit pas être portee au-dela de la Ligne; & que fon cours eft entretenu, durant fhiver, des écoulemens des divers lacs, que Ctqq qqq q 128 Article 2. Sotirces du Nil les plus probables. Maniire, dont les au bitans de Sannar naviguent fur ItKil  I2Ï4, ETAT PRE'SENt Lés Abisfins n'ont point de ter me, qui ex prime In . nège. . Article//. Réfolution de quelques fentimens . cidinairesfurlacaufe de débordementdu Nil. I < ( < les pluies ontformés pendant 1'Eté, & de plufieurs fources, qui fortent. des montagnes Ethiopië. 11 n'y a furement point de nège; & elle y eft fi inconnue, que les Jbiffins n'ont pas même de terme pour fexprimer. Celui, qui a traduit YEgypte deMüRTADi, atribue le débordement du Nil aux pluies, qui tombent, pendant notre Eté, au-dela de la Ligne, lesquelles ne faifant que 4.. ou 5-. lieues par jour, ne peuvent arriver en Egypte, qu'en Juillet, Aoüt, & Septembre. II ne faut, pour combattre ce raifonnement, que f expérience de ce qui fe paffe en Ethiopië, oü il ne pleut point pendant ce qu'ils apellent hiver; mais bien dans 1'Eté, c'eft-a-dire, lor sque le Soleil la parcourt a plomb; de forte que les pays Méridionaux au-de-la de la Ligne fontexemts depluie,auifi-tötque le Soleil eft en déca; de la même manière que les Septentrionaux n'ont plus de pluie, dès que le Soleil a repaffé la Ligne du cöté du Sud. '. Une autre raifon, qu'on aprétendu donner de ce débordement, eft que les terres, qu'il parcourt, étant fortnitreufes, il fefait" ï 1'aproche du Soleil une fermentation des Eaux du Nil par le noïen dunitre qui le groffit, & le fait déborder. Si cela étoit, e Fleuve s'enfleroit, de forte qu'une goute d'eau devroit tenir la slace de plus de vingt". Le débordement ne feroit pas univercl, puisque les. terres ne font pas toutes également nitreufes aour caufer Ia même fermentation: & enfin fes eaux, une fois -éfroidies, retourneroient au même état, oü elles étoient avant a fermentation. Cette raifon eft fi peu vraifemblable, qu'elle ne nérite pas de réfutation. On prétend auffi, que les vents du Nord & Ethéfiens, qui égnent en Egypte pendant la croiffance du Nil, mais fur tout lepuis la St. Jean jusqu'a la fin d'Aoüt, font la caufe du déborlement de ce Fleuve, parl'obftacle, qu'ils font a fon cours, auiuel il eft für qu'ils font oppofés. . Sile A?/étoit un Fleuve, qui üttrès-peude pente, 6c qu'il n'eüt pas de ces chutes,dont nous avons  dl l'E G Y P T E. Liv. ï. Chaf. III. r2r| avonsparlé, que fes eaux ne fuffent pas troublées par fimpétuo fité des torrens, dont elles ont été formées; on pourroit peutêtre fe lailfer toucher par de 11 foibles raifons; mais le ventle plus violent pourroit-il foutenir un tel poids, & un volume fi immenfe d'eau ? Le Nil croit au Caire de 23. a 24. piés, qui font 48. piés, mefure de France, chaque pié étant de 24. pouces. Un poids fi prbdigieux pourroit-il être foutenu par le vent ? D'ailleurs ce Fleuve croit davantage dans la Haute-Egypte, & encore plusa fon entrée dans ce Roïaume, & eft plus confidérable dans le Roïaume de Sannar. Nous voïons auffi, que le vent manque alfez fouvent, & cependant les eaux ne baiffent point. Les vents Ethéfiens ne font donc pas furement la caufe de f accroifiement du Nil. Mais, s'il eft de permis de mêler ici unpcu dePhilofophie, la violence de ce vent en Eté eft une preuve évidente de f abondance de pluies, qui tombent alors en Ethiopië; puisqu'il eft, fans doute, attiré par les écoulemens des eaux, qui, roulant vers la mer, laiffent un efpace, qui dok être remplacé par fair qui y accourt, & dont elles prennent la place, tant dans le pays qu'elles inondent, que dans la mer qu'elles viennent enfler. C'eft de-la qu'en fannée 1694. oü le Nil augmenta fi peu, qifil ne couvrit que la <5e. partie des terres, qu'il couvre ordinairement, les vents furent fi foibles pendant les mois de Juillet, & Aoüt. Ce qui eft une preuve du peu de pluie, qui tombe en Ethiopië. Auffi les vents n'entrainèrent-ils pas, comme les années précédentes des nuages épais, dont le Ciel a coutume d'être couvert, depuis le lever du Soleil, jusqu'a 8.heures qu'il les diffipe par fa force. Ces pluies font ainfi portées en Ethiopië par ce vent, oü fe réfol vantelles retournent vers la mer, dont elles ont été tirées par un jeu admirable de la nature, qui a trouvé le fécret de faire, d'un défert aride de foi-même, le pays le plus fertile, &le plus delicieus de PUnivers. &qq qqq q 2 °n  Tems de l'accroijfementfenfiUeJuMU. < < ( < 1 r t t ó p Vents, £f' tempêtes < furie Nil. " lc a: 1216 E'TAT PRE'SE NT Gn pourroit encore ajouter , pour combattre Popinion ■ ^ncer un menfonge, pour fe diftinguer de ceux, qui difentj'. que-^  be l'E G Y P T E. Liv. I. Ch.IIL Psif que fur le Nil il y a des tempêtes trés - dangereufes. Le R. P. Eulgencb, Gardien des Capucins du Caire, m'a affuré, qu'il avoit été témoin d'une tempête trés-violente, qui fe forma lur ce fleuve le 6. Juillet fan 16 86, dans laquelle il eut la douleur de perdre fon compagnon, que la'tempête fit tomber dans le Ai/, oü il fe noïa; qu'il n'y avoit pas moïen de retenir la barque, ni de gouverner les voiles, tant le vent étoit impétueux. 11 fe trouve des gens, qui difent, que le Nil, dans fon accroiflement., ne monte que jusqu'a 16. piés, on Draas, qui font 3 2. piés ordinaires de France; i & que, s'il paffe cette mefure, il ruine le pays : mais, pour ne les pas accufer d'infidélité dans leurs écrits , il faut dire , que dans leur tems le Nil ne montoit peut-être pas davantage ,- & quaciuellement lero. Septembre, on criepar les rues, que faccroiffement eft déja de plus 2 2. de ces piés, ou Draas: & il faut qu'il vienne a 24. pour être. abondant; ce qui fait 48. piés de hauteur. - Article T. Superfiition furhgout- ts, ourojét; C H a P I T R E IV. Amon'fentiment, ceux, qui n'ont rien dit de la goutte,ont bien fait de s'en exemter la peine, puisque c'efl une pure ficïion, qui rfa dautre fondement, que 1'imagination du vulgaire. II ne s'en peut rien dire par 1'eau du Nil, qui n'a cette couleur verdatre, & quelque fois rougeatre, que felon la difpofition du terrain, qu'elle arrofe dans le commencement de fa croiffance. Les plus anciens du pays ne peuvent donner aucu' ne inftruétion fur cette prétendue goutte, qui, felon les gens du commun, tombe un certain jour, qui eft le 2. Juin, auque. les femmelettes ont des rêveries, entre autres de faire du pair fans levain, dont elles fe régalent les unes les autres, & qu'el- xQqq qqq q 3 lei  ETAT PRE'SENT Macbinc pturfup. pliier a l'ir, ondation du NU. Opinion d'Uérodote examiné.-, & irtfutée. les confervent dans leurs maifons : difant, que ce pain porte médecine. lis prétendent auffi, que les grains, & les légumes, que cette goutte touche , ne fe corrompent pas fi facilement. La plupart fe moquent de ces rêveries, & avec raifon , puisque le grain, qui devoit être préfervé par ■.cetteprétendue goutte, ne laiffe, pas de fe gater ; mais la fuperftition elt de tout pays, quoiqu'infiniment plus parmi les Orientaux. On fiipplée'encore aujourd'hui au défaut de 1'inondation du - Nil, ou par quelques digues , i ou par un arrofement continuel, en tirant feau de la rivière même, ou des puits faits a ce delfein. II y a des roues, auxquelles font attachés des pots par le moïen d'une corde mouvante. 'Deux boeufs tournent ces roues, ou elles font tournées a force de bras. 11 y a, de distance, en diftance, & en équilibre, des couffes, qui fervent de feaux, dont la quantité elt incroïable. Cette machine s'appelle Sakié, qui vient du mot Sakas, qui fignifie abreuver, ou donner a boire. Lorsque le Nil ne monte pas a 16. piés, les villages ne peuvent être contraints a payer le droit, que tout le pays fournit au -Grand-Seigneur ; mais, dès qu'il y arrivé, les Kobas, ou Receveurs, font payer les habitans. Je ne fais fi He'rodote eft jamais venu en Egypte, ous'il s'efl contenté d'écrire fur les mémoires d'autrui, lorsqu'il a dit que le NU fe répandoit plus de deux journées de chaque cöté. Cela ne peut être vers le Levant, oü il n'y a qu'une chaine de montagnes a commencer depuis la mer Rouge jusqu'en Ethiopië, fans permettre au Nil de ferépaudre qu'en certains endroits,oü il fe trouve des enfoncemens entre les montagnes, & oü ce Pleuve forme de petits golfes. Cela ne peut non plus être du cöté du Couchant, oü il y a auffi une chaine de montagnes, dont le Nil n'eft pas relTerré de fi prés, que du cöté du Levant, mais qui ne lui laifTent pas un fi grand efpace, que le dit cet Auteur. S'il entend/étendue de 1'inondation, qui eft au-delfous du Caire, &  de L'E GYPTE. Liv. I. Ch. IV. 2219 & que Ton peut' comprendre depuis jusqu'a Alexmdrie, il eft certain qu'il y a plus de deux journées de chaque cóté. II n'y a guère de rivières, qui portent plus de limon, que j le Ml, dans fon accroilfement; mais dire que ce limon foit la : feule caufe, qu'il n'y ait en Egypte pas tant de terres cultivéesqu'autre fois, cela ne peut être quoiqu'il ne laiffe pas d'en êtreune des caufes; furtout dans les terres éloignées, oü ce Fleuve, -parfa rapidité dans fon inondation, pouffe le limon. Pour les terres, qui font voifmes de fon lit, elles font toujours dans le même état. L'on ne fauroit fe tromper, en difant, que la pareffedes villageois ya contribué, auffi bien que les vexations, que leur font les Arabes par leurs courfes continuelles dans le pays, oü ils ruinent des villages entiers, emmènent tous les beftiaux, & emportent tous les grains: Ce qui öte aux payfans le courage de travailler. 11 y a encore une autre raifon plus forte ; c'eft que les Grands du pays, n'étant plus propriétaires des terres, ne fe mettent point en peine de les faire cultiver. Ajoutez a cela, que l'on ne tire plus de blé de YEgypte, a caufe d'une coutume inviolable, qui le défend, & qui eft fort opofée au bien de cet Etat; & les habitans fe contentent d'avoir fuffifamment dequoi fe nourrir. Ces raifons font caufe, qu'on a negligé 1'entretien de beaucoup de levées, qui fervoient a f inondation des terres les plus réculées , & les plus éleyées. Le Ml, d'ailleurs, apportant chaque année prés d'un pié de limon fur les terres qu'il arrofe, il eft aifé de juger qu'elles fe hauffent infenfiblement, & qu'elles ont befoin de 1'induftrie deshommes , pour recevoir également les eaux. • A f égard des bords du Ml, quand même ils feroient' élevés comme des tours, cequi n'eft pas, pourvuque les campagnes, qui font a cöté, foient affez baffes pour en recevoir les eaux, on n'a qu'a faire une ouverture de vingt piés , cela fuffit pour arrofer 20. lieues de pays; & c'eft ainfi qu'on en agit. Ontient les bords affez élevés, & quand les eaux font a une certaine hau- , teur3 Qualités cïs ' >emt du  1220 E' T A T P R E' S E N T ArticIe/JJ Me/ure de labauteur du Nil , dans fa plu grande crue. Tems de fa proclamatien. Cours du NU. teur, on ouvre aujourd'hui un endroit, & demain 1'autre. II y a certaines régies pour cela jusqu'au 24. Septembre, qu'il eft permis a tout le monde d'ouvrir les canaux , pour les ufages particuliers de chaque maifon, ou de chaque héritage. II y a eu divers endroits au Caire pour mefurer la hauteur du A/7. On les voit encore aujourd'hui; mais ils ne font plus dufage, ou paria négligence des Turcs, ou par le laps du tems. Le feul endroit, qui refte, eft la pointe de 1'Ile, appellée la Rode. II y a un puits de 1 a 20. piés en quarré, & au milieu une colonne marquée de diverfes lignes, & caraclèr res trés-anciens. Au cöté du puits, on voit plufieurs troux, qui ont leur fignification, & il eft vrai, qu'il y en a un oü 1'eau du NU doit entrer, fans quoi les Fermiers du Grand-Seigneur &tous lesRentiers d''Egypte ne doivent rien a leurs Maitres pour fannée fuivante; c'eft-a-dire la recolte. Dix jours après la St. Vicrre a la fin de Juin, lorsque le NU eft déja fort haut, on commence a en annoncer 1'accroiffement au peuple. On garde toujours quelque chofe en arrière, afin de faire croire, qu'il a beaucoup cru au prémier d'Aoüt; oü l'on coupe le Canal, qui palfe le Caire, &qui va enfuite inonder \<$* a 20. lieues de pays, du cöté de la mer Rouge, & de Damiette. Le Nil étoit adoré par les Egyptiens, fous le Nom d\isis,ou Isidis. Sans lui ï Egypte feroit plus déferte, que ne le font les plaines fabloneufes de la Libië. 11 y nourrit aujourdliui autant de monde, que jamais. C'eft le fentiment général que j'embralfe; & il fe prouve, paree qu'aulieu de trois milions d'hommes, qu'on y comptoit fous Ptolome'e Lagus, on y en compte aujourd'hui pour le moins fept millions cinq eens mille. Nous avons dit, que les fources du Nil font dans YAbifJinie, ou Haute-Ethiopië ; nousle fuivrons préfentement dans fon cours. 11 coule, avec rapidité, entre diverfes montagnes, pendant ij. a 20. lieues de chemin, depuis fes fources, fe groffit de divers ruilfeaux, qui defcendent des montagnes, qui fenvi- ronnent,  »k YEGYPTE. Liv. I. Ch.IV. f219 ro«nent,& fe rendparun demi cercle3qui va du Midi auAW, puis au Levant, dansun grandlac parfemé d'lles, qui a 6. ou 7 journées de circuit, d'ou, fortant du cöté de XOriënt, il continue a ferpenter deplus en plus, &retourne vers le Midi; & continuant fa route vers VOccident , il enlerme fa propre fource comme par un cercle, & reprend enluite fon prémier cours vers le Nord, traverfant diverfes Provinces du Roïaume Ü Ethiopië- puis entrant dans le Roïaume de Sannar, ou, après s'être joint au-deffus de cette Capitale, a la diftance de 6. journées , a un Fleuve plus gros que lui, qu'on apelle Bahan-Abgad, c'eft-a-dire, Mer-Blanche, il entre dans YEgypte, & porte fes eaux dans la Méditerranêe. Le grand Fleuve, auquel il fe joint du cote de la Libië, & du Couchant, le cötoie dès fa lource, & f accompagné dans fa fource, a la diltance de i f. a 20. journées, fe groffit en chemin des pluies continuelles, qui tombent depuis la Ligne jusqu'au 20e. dégré pendant ?.a 6. mois; c'eft-a-dire depuis 1'équinoxe du printems jusqu'a celui de fautomne, & fe joint en cet endroit au Nil, qui s'enfle de la même forte, compofant la prodigieule quantité deau, qui a fait le fujet de tant de raifonnemens. Ainfi ce que j'ai dit 1'accroiffement du Ml le trouve confirmé, & refte lans aucun doute. - Te dois cette découverte a Hadgi-Ali , Envoie du Roi düthiopie au Caire, oü il avoit ordre de chercher un habileMédecin, Franc, pourguérir le Roi Ion Maitre, qui avoit la lepre a un bras, & a une cuiffe. Ce Seigneur vint, comme je le dirai encore plus amplement, en 1698. au Caire chtz Mr de Maillet, Conful de France, pour lui demander lapermiffion, pour Charles Poncet, originaire de Franche-Comtè, de Paccompagner en qualité de Médecin dans YEthiopie. 11 nous circonftancia parfaitement tout ce que j'ai avancé fur la fource du ML On fe perfuade aifément, qu'il eft facile de defcendre cette rivière, & qu'ainü on peut venir aifément dans la balie, lur Rrr rrr r tout Ni! plus fa. :ile a remonter,qu'idefcendre.  12-0 E'TAT PRE'SENT de l'EG. Liv. I. Ch.IV. tout fi Ton fait, que le Nil n'eft pas fort tortueux, & qu'il eft même affez rapide; mais on ne s'imaginerapas, fans favoir vu, ni fans fapprendre ici, que, fans aucun fecours de la rame, des cordes, &des chevaux, lesbateaux presqu'en tous tems remontent ce Fleuve avec une feule voile, & avec la même viteffe qu'ils le defcendent. II y règne plus de 11. mois de fannée des vents favorablcs a le remonter; &ce qu'il y a de h'ntrulier, c'eft que ces vents augmentent, a mefure que ce Fleuve s'accroit vers le milieu de 1'Eté; en forte que, plus il eft enflé, & rapide, plus on le remonte avec facilité, & viteffe: car alors ks bateaux ne touchant plus, ils font emportés par levent d'une rapidité extréme. On vient, en Eté, de Ro/Jetteau Caire en moins de 40. heures; & fon compte, de 1'un a f autre plus de 67.lieues: il y en a plus de 34.. par terre. On y met plus de tems dans les autres faifons, paree que les vents ne font pas fi conftamment favorables. Quant a ladefcente, elle eft ordinairement de deux ou trois journées. On y en emploie quelques fois jusqu'a 6. ou 7. dans le tems que les eaux font baffes. On a auffi vu des bateaux, qui ont fait cette route en iS. heures, lorsqu'au mois d'oaobre les vents font au Midi, felon le cours du Nil, qui eft encore enflé. J'ai obfervé que la plupart des bords du Nil font femés de gros villages, & que le Delta furtout eft plein de cent diverfes fortes deverdures, qui rendent ce pays le plus agréable de rijmvers. Ce n'eft pas fans raifon qu'OyiDE apelloit ce Fleuve. riant, & délicieux. Delicias tïdeam, Nile jocofe, tuas. ■ II Pen; encore aujourd'hui infiniment; & il y a apparence qu'il fétoit encore plus autrefois, lorsque le pays n'étoit pas infefté & Arabes, & lorsque que la tirannie n'empêchoit pas qu'on fe logeat avec agrement, & qu'on embellit par fart ce que la nature y offre d'elle même. On feroit des chofes enchantées dans un pays fi beau, & fi fertile. E'TAT  | ETA T PRESENT U EGYPTE. L I V R E II Chapitre Premier. e terroir de YEgypte doit être regardé fous "wilIÜIS deux points de vue différents. Celui, qui gjjjjj) eft deftine aux grams, tire fa fertiliL KXfc té du feul débordement du -Nil Une «Sw feule fois, que ce Fleuve farrofe, lui fuffit JêSiiiièSs Pour le mettre en état de donner une abonxxf w u<7 w dance de blé de toute efpèce , fans que Part y intervienne, ni qu'il faille farrofer par de nouvelles eaux. Rrr rrr r 2 Pour Article/. Fécendité de /'Egypte.  Grains. Manière tfenjemeneer es Terres. Pramte, fc? abondance réio'.te. 'i 1222 ETAT PRE' SENT Pourleterroir, emploïé au jardinage, il eft ordinairement tire en lignes, & partagé en quarrés de 4. a j. piés de diamètre, feparés les uns des autres par de petites élévations, que fon perce dans le tems de farrofage, & qu'on referme quand la terre eft affez abreuvée. On conduit ainfi f eau de f un a fautre. VEgypte n'eft pas moins abondante aujourd'hui en blé, qu'elle 1'étoit au tems des Romains, lorsqu'on 1'appelioit, plus juftement que la Steile, la Mère nourricière de Rome, ou lorsqu'elle fourniffoit le blé aux munitionaires de 1'Empire. Cette terre étoit fi fertile en ce tems-la , que, felon les Auteurs contemporains , un muid [en rendoit cent vjngt. Cette fertilité ne venoit pas du foin, qu'on fe donnoit de travaillcr cette terre Toute la fa9on, qu'ony faifoit, étoit de jetter legrain, après que le Nil s étoit retiré, & d'y envoïer des brebis, ou des cochons, pour le faire entrer dans la terre, enlefoulant; &l'on venoit 4. ou y. mois après cue-illir le fruit d'un travail fi modique. On faifoit encore fouler les épics par le même betail. Si quelqu'un, plus laborieux, vouloit avoir une récolteplus abondante du doublé, il n'avoit qu'a former fur la terre un petitfillon, «Sc la remuè-run peu: moïenant cepetit travail, ilrécueilioit au doublé des autres. II fe trouve encore des perfonnes, quiaffurent, que la terre, lorsqu'elle eft un peu travaillée, rend 80.pour un; qu'ungrain de femence produit les 20.32?. épics; maiscommunémentelle rend 1 o. pour 1. Ceft furquoi on peut compter furément auourd'hui. 11 eft vrai, qu'elle eft très-mal cultivée. La facon, qu'on y fait, eft de femer les blés fur la terre, a mefure que le Ml fe retire, & de remuër cette boue avec une planche, ittachée au bout dun baton. Lorsque la terre eft plus ferme, ils ittachent un fer, le long de la planche ; &, en bêchant légèroment la terre, ils fèment le blé,&le couvrent du meme inftrunenL Enfin la dernière facon la plus utile, & Ia plus laborieu- fe,  de l'E GYPTE. Liv. II. Ch. I. 1223 fe, eft delalabourer légèrement', & d'y paffer enfuite la herfe, comme Ton fait en France, & aiileurs en Europe. Un arbre croit plus en Egypte en 3-ans de tems, qu'il netait en 10 ans en Europe. Jamais la nature n'y languit; fi quelques arbresfedépouillent de leurs feuilles, c'eft pour en reprendre de nouvelles peu de jours après. Je n'entreprendrai pas de par- j Ier de chaque arbre en particulier. Pline en parle aflez au long , & i'y renvoie mon Leèteur, que je ne veuxpas ennuïer; «& d'ailleurs , je n'en fuis pas inftruit a fonds. Je parlerai feulement de quelques arbres les plus communs. r\ LePêcher, & 1'Abricotier, y font trés-communs; Seletrmt du prémier, quoique bon, ne vaut pas celui de France. Les Pèchersyfont de diverfes efpèces, & toutes bonnes. Quand ces fruits font paffés au Caire, ils commencent a Roffette. Le Raifin eft un fruit très-commun, & très-abondant en Egypte- il n'eft pas croïable combien un feul fep en raporte. 11 y en aundans la maifon confulaire de France au Caire, qui en a porté 4.36. groffes grapes, &qui en raporte ordinairement plus de trois eens. Le raifin eft fort bon, & l'on en feroit du vin de même qüaiité, fi l'on étudioit ce qu'il faut obferver pour yreüffir. Les Figues d''Alexandrie font admirables, mais petites. Celles des autres lieux de YEgypte font plus groffes, & affez ^L^Figuier d'Adam, ou Papirus des Anciens, eft fort commun du cöté de Damiette. Cet arbre porte une efpèce de figues, qui viennent par bouquets; il y ena, au moins, une douzaine a chaque bouquet; elles font de la groffeur d'un petit concombre, & d'un goüt, felon moi, très-agréable. Ce fruit eft fort eftimé. On prétend, que les Anciens faifoient leur papier del'écorce de cet arbre. Us s'en fervoient pour écrire, & lui donnoient différents noms, a proportion de fa longueur, & largeur. II eftcertain, que c'eft de-la que vient leNom de Papier. Rrr rrr r 3. O1 Article 11. Arbres. lis croijjent dus en e?ypte en 3. sif, qu'aüleurs en dix. Abondance de raifin. Articleö/. Figues de diverfes efpèces. Figuier d'Adam , ou le Papirus des Anciens^ li  Pommes a neïau. Dattkrs, auPalmicrs d'un grand revenu* Citroniers, 6? Orangers,au milieu des Epines. Singu'.arité de ïarbre Sener. Eau de Calafe. I ( J Cha- ETAT PRESENT On vendoit autrefois les feuillesde cet arbre, pour en faire des pla s, desaiïiettes, & même des napes de tables PhlV ^ Cfpèce de fi^l,es' nom™ Fhues de Pharaon, qui viennent a f arbre, nommé Sycomoro, nonaux branches, comme les autres fnuts, mais au tronc m me, en le frappant avec de grolfes pierres, & des marteaux. D ces contufions fortent des figues, a peu Près de la figure, & de a grolfeur des ordmaires. Ii n'y a que les pauvresgL, &les 0 feaux , qui les mangent , paree qu'elles font infipides On voit en Egypte un arbred'une hauteurconfidérable, dont ksfeufileslontmmces, trés-vertes, & aflez agréables. IWe de petits fruits de la grolfeur d'une Cérife, & qui n'en om Z le gout lis ont un noïau, & ne font pas mauvais P LesDattiers, ouPalmiers, font les arbres les plus abondans en Egypte, ccceuxd'unplusgrandrevenu. Un bon Dattier ^ porte chaque année a fon Maitre environ 3.écus & demi, fans aucun fom de-la culture; il croit au milieu des Sables. Tout eft uüle en fai, & „en n'eft perdu, pas même les feuilles Les Citroniers &Orangers, font les arbres les plus ordinaires des )ardins Sans qiion les arrofe, & quoique pleins d'épt nes ils produifentde trés-bons fruits, que ceux du pays mangent, comme les Européens font les pomrne. Y L'arbre, appelléW, quifert auchaufage, a quelque chofe de finguher; il fait grand feu en brulantf & neWaïmaecendre, oufipeu, qua peinepeut-on en voirdansle foïer II y a un arbre „qu on apelle Calafe, dont la fleur eft très-reAerchée On la fait diftiller, pour en tirer un Sudonfique, & .ordial tres-medecmal. Cette diftillation fe fait avec f eau, oü on fait ïnfufer la fleur; autrement on n'en tireroit rien.  de l'E G Y P T E. Liv. II. Ch. II. UzS Chapitre II. On trouve en Egypte toutes les efpèces de Mélons, qui font en Europe , & fur les cötes de la Méditerranée. II y en a, de plus, un dont la chair eft toute verte, & duigoüt exquis. On le nomme Domeri. Les Mélons d'eau, ou Pqftèques, y viennent auffi , furtout prés de Rojfette, a un village, auprès de la barre de Damiette. Outre ces efpèces, il en vient au Caire, & dans les environs feulement, encore une autre, dont la forme eft femblable a une navette de Tifferan. On Pappelle Abdelarins; c'eft a-dire en Arabe Pefclave de la douceur, paree qu'il y faut beaucoup deSucre. II n'y apas au monde de fruit plusfain; on en donne aux malades, a qui fon défend le bouillon, & les autres fruits. ISAbdelarin a une belle écorce, trés ouvragée. On applique un fer rouge a la queue de ce Mélon, pour le porter a maturité ; Cependant ceux du pays le mangent indifféremment verd, ou mur, comme fon mange les poires, & pommes. On ne connoit ce fruit, que dans ce feul endroit de VEgypte. La quantité de Concombres, qui fe mangent au Caire, eft incro'ïable. Ils croiflent deux fois fan; Tune dès que le Nil a ceffé d'monder le pays, & f autre vers le milieu de f Eté. Dans fentre deux, on mange une forte de laitue femblable a la romaine; Elle eft douce, & très-bonne. Les Campagnes en font couvertes. Les Egyptiens aiment ces fortes d'herbes, aufll-bien que les raves, & les carottes, qui font d'une efpèce fingulière, & dont il fe fait tous les jours au Caire une confommation extraordinaire, jusqu'a des centaines de charges de chameau. L'her- Article I. Herbes,& Icgumes. Meions de diverfes efpèces exceliens, ö? très-Jains. Concombres deux fois l'an.  1226' ETAT PRE' SENT Article II. La cbicorée fcf ies laitues romai nes d'une douceur encbantée. Elles fe mangent fmsaffaifonnement. j Les L'herbe, dont on mange le plus, fe nomme Mèhuchk. El!le rend les fauces, & le bouillon, oü elle cuit, auifi épais que la gélée. Les feuilles de vigne lont auffi d'un grand ufage chez les Turcs. Lorsque ces feuilles font encore tendres, on s'en fert pour enveloper des viandes hachées,qu'on met en bols,comme des pelotons, qu'on entafTe, 1'un fur 1'autre dans un vafe, avec beaucoup d'ingrédiens. On fait cuire le tout avec cet affaifonnement, & les Turcs en font un grand cas. II eft certain, que c'efl un des méts les plus délicieux qu'on ferve fur leurs tables. Ainfi les vignes rendent en Egypte un doublé produit, & en raifins, &en feuilles. Le revenu de ces dernières eft même plus confidérable que celui des raifins. II n'eft pas poffible de dire ce que c'eft que le fameux Lotus des Anciens; il eft inconnu aujourd'hui en Egypte. Quelquecuns conjeclurent, que c'eft le blé de Turquie; d'autres un blé particulier, qui croit dans YJrabie, & qu'on voit aufli en Egvpte. On 1'apelle Dura, différent de la graine de Perroquet, qui vient du Saffranon & Egypte, quoique Dura fignifie, en langue du pays, Perroquet. Je ne vois pas néanmoins que ces chofes conviennent au Lotus des Anciens. Si le Lotus eft la Coïoajje, ce qu'on ne peut affurer, il y en a beaucoup, &de tresbon a manger, lorsqu'il eft bien aprêté. C'eft une groffe ra:ine ronde, & rougeatre. LeCicut, ou Cas, enJrabe, eft une efpèce de laitue fauvage, dont on tire de 1'huile. II y a dans les campagnes une chicorée admirable, plus douce mille fois que celle de nos jardins. Elle vient naturellement dans les prairies, & beaucoup plus du cöté de la Matharêe; ieu confacré par la préfence de J. C. Les feuls Francs la font )lanchir, & s'en fervent a facon de ¥ Europe.  DE l'E G Y P T E. Liv.II. Ch.1I. 1227 LesOignons d'Egypte, fivantésdans 1'Ecriture, & fi regret- a. tés par les IJraëlites après leur fortie de VEgypte, n'ont peut- f\ être rien perdu de leur ancienne bonté, lis font plus doux, & fa de meilleur goüt, qu'en aucun lieu du monde. Us font quelque fois k fi bas prix, que fix eens livres ne coutent que 8. a 10.fous : je les ai vu valoir une fois un écu les 600. livres. On les vend tout cuits au Caire, & les rues en lont pleines. VEgypte feule fournit du ris a toute la Turquie, qui en fait R un ufage extraordinaire, auffi bien que la Barbarie. Ceft la a nourrkure la plus commune des peuples de ces contrées, qui g tient auffi de 1' Egypte diverfes efpèces de fèves, & de lentilles, 1 mais il y a une obfervation a faire fur le tems, oü fon trans- b porte les grains de ce pays dans les autres. Us ne fe confervent pas,a moins que les vents du Nord n'aïent commencé a fouffler, avant qu'ils foient embarqués. Ainfi, il ne faut pas les embarquer pour le tranfport, avant le ij. Juin. II y en a toujours de nouveau a la fin de Mars, ou au commencement d'Avril; & toute la moiffon eft finie 15. ou 2 o. jours après Paques. Ceft alors qu'on aporte de toute YEgypte les rentes dues au Grand-Seigneur. On les referve dans de grandes places au vieux Caire; & on les apelle les greniers de Jofeph. Ces endroits n'ont point de couverture; & une infinité d'oifeaux en emportent tant, que le Sultan paffe, chaque année, une diminution de plufieurs milliers de feptiers pour leur nourriture. tiele/üT. inons me bonté gulière. 's affeü ondant Egypte, ur fourr toute la urquie, • la Baruie. Article 7. dnimsux iomejli\ues. Chapitre III. Les Brébis, & les Chêvres, font fi fécondes en Egypte, qu'elles y portent deux fois fan: la prémière fois deux Agneaux, & un k la feconde. Pour les Chêvres, elles portent jusqu'k 4.. Sss sss s 5-  Fèconditê des Brébis, & des Chêvres. Beauté Jlngulière des Chêvres. Qualiti des Bazufs. Jlbendance ie Buffet. Article II. Veaux, Q* Uur ufage. i 1228 E' T A T P R E' S E N T 6. & 7. Chévreaux a la fois. Les Vaches portent auffi alfez ordinairement 2. petits d'une ventrée. Ceux qui veulent le plus profiter fur la laine, font tondre les Brébis deux fois fan; & ceux qui veulent avoir de la laine longue, ne les tondent qu'une feule fois. ; Le Mouton n'eft bon en Egypte, que pendant la verdure; c'eft-a-dire enDécembre, Janvier, &Février: hors de ce tems) il fent la laine. Les Turcs, felon leur ufage ordinaire, necoupent point les Moutons; & ils font leur nourriture la plus ordinaire de ces Animaux. Les Chêvres y font alfez bonnes; mais leur beauté f emporte fur leur bonté. Leurs oreilles pendent quelques fois a 2. piés. Elles ontlenez aquilin,la peau marquetée dans la dernière julMe, & égalité. Les Bceufs ont fouvent la même la régularité dans leurs différentes taches; &il s'en trouve d'une fi rare beauté, que le pinceau ne pourroit rien faire deplus régulier. Toutes les taches noires, qui font d'un cöté, fe trouvent auffi de 1'autre. La chairdeBoeuf eft excellente, fur tout dans la verdure, & ellene le cède en rien a la viande desBrnufsdTSwro/tf, & ÜAfic. Elle a encore favantage d'être fort nourrilfante. 11 y a beaucoup de Buffles en Egypte, qui n'ont pas Ia férocité de ceux dEurope. Leurs Femelles produifent un Iait exquis, même pour le beure. On en mange, au Caire, d'excelknt. La chair de Buffle eft pour le Peuple, auffi bien que celle de Boeuf. Les Grands croiroient fe deshonorer, s'ils en faifoient fervir fur leurs tables. On ne mange point de Veau en Egypte. Les feuls Juifs, & Francs, en achetent quelques-uns. Les Turcs croient, qu'il y a de a folie, & du pêché, de tuer ces Animaux dans leur jeuneffe, par:e qu'ils font plus utiles, lorsqu'ils font parvenus a leur jufte ;randeur. II eft fort ordinaire aux Vaches, &aux Femelles des Buffies de  dé l'EGYPTE. Liv. II. Ch. lil 1129 de faire deux petits a la fois: quelques-uns en ont même porté jusqu'a quatre; &, lorsqu'un des deux petits meurt, on 1'empaille, afin d'obliger les méres a fe laiffer tetter par f autre, en les leur repréfentant tous les deux. VEgypte produit beaucoup de Chevaux d'une bonté fingu- ' lière. lis font forts, & légers a la courfe: Cependant ils ne fervent point a la charge; & il n'eft pas permis a chacun de les monter. Parmi les Francs, les feuls Confuls ofent les monter; encore les Egyptiens difent,lors qu'ils voient ces Meffieurs a cheval, qu'il faut que 1'animal foit bien malheureux de fervir de monture a un Infidèk. 11 eft défendu aux étrangers de les emmener hors du Pays. II y a des Mulesen alfez grande quantité. On s'en fert pour les voitures, pour porter la charge, & pour monter; mais les Anes y font en plus grand nombre, & font la monture ordinaire des gens, qui vont dans les villes, & dans les campagnes. Leur pas eft doux,für,&vite; c'eft ce qu'on apellemtó. Dès qu'ils font arrivés a 1'endroit, oü l'on a affaire, ils ne veulent plus marcher; &on lesbattroit longtems en vain, pour les faire marcher, a moins que celui qui les conduit, avec le Cavalier, qui les monte, ne leur falfe un figne particulier. Les Chiens ne font pas en grande confidération en Egypte. L'entrée des maifons leur eft défendue; &, a peine veut-on leur donner de 1'eau: cependant ils ont quelque chofe defingulier, qui mériteroit bien quelque confidération: car ils reftent naturellement dans f endroit oü ils font nés, & ne fe mêlent point avec les autres d'un quartier différent. Pour les Chats, ils font dans une efpèce de vénération. Us ont leurs höpitaux , oü l'on a bien foin d'eux. Ils font d'une beauté admirable; & on les eftimepour leur utilité. Les Chameaux font encore plus communs en Egypte, que les Chevaux, les Mules,& les Anes. On s'enfert dansles Carava nes, pour porter toutes fortes de marchandifes, & de provi Sss sss s 2 fions Zbevaur. Idéé qu'en ent les Tuixa. Singularitè dans les Mules, ö" les Anes.  AnimauK fémces. Hippopetane, Öf ƒ* fmne. Khbneumm Ennemi du €ncodi!e. 1230 E' T A T P R E' S E N T fions. Tons favent, qu'un Chameau porte le doublé de la charge d'un Mulet; qu'un feul Homme en conduit cinq, les charge, & les décharge, avec plus de facilité,que deux Hommes ne chargent uneMule, par 1'inftincl: qu'a cet Animal de fe courber fur fes genoux, pour fe lailTer charger, & décharger. Outre cela, il faut peu de chofe pour fa dépenfe; il ne mange qu'une fois le jour, & demeuré quelque fois, dans la nécelfité, plufieurs jours fans boire. II porte lui même, dans fa charge, encroupe, le boire, & le manger, qui lont néceffaires pour ou 6. jours pour fon entretien, & celui de fon conducteur. Ces provifions confiftent en farined'orge, pailleliachée menu, &eau, que leChamelier lui diftribue tous les foirs par portions mefurées. De cette farine, on prend 8. a 10. onces qu'on délaie avec 1'eau, & dont on fait une pate, qui fait la nourriture de chaque Chameau. Après qu'il a mangé cette pate, le Chamelier lui donne environ deux poignées de paille hachée , & le fait boire. Les bêtes feroces y font rares, paree qu'il n'y a ni bois, ni fontaines, hors des lieux arrofés par le NU. D'ailleurs, tout le pays eft fi peuplé, qu'elles n'y peuvent trouver de retraite. On voit cependant quelques Renards , & des Loups , qui defcendent la nuit dans les Campagnes ,& regagnent lesSables, & les Déférts pendant le jour. L'Hippopotame fe trouve dans la Haute - Egypte. Ceft un Animal, qui a la forme d'un Cheval, ou plutöt d un Bceuf; il eft fort dangereux, & nuifible , aux biens de la terre. Sa peau eft de 1'épaiffeur de deuxdoigts. On en apporte de la Nubie au Caire , mais coupés par tranches. Ils font difficiles a tuer. Les. Nubiens affurent, qu'ils ont la voix fi terrible, qu'elle fait tremblf,rla terre. Matthiole rapporte, queMAiicus Scaurus, Idile Romain, fut le prémier, qui fit voir a Rome un Hippopotame vivant , qu'il y emmena avec cinq Crocodiles. L'Ichneumon, que les Egyptiens avoient autrefois en fi grande vénération,eft ce qu'on apelle aujourd'hui le Rat de Phar&on. II  de EGYPTE. Liv.11. Ch.III. 1231 II n'a jusqu'a-prefent rien diminué de fon inftincl: naturel, & de fon inclination a faire la guerre au Crocodile. II épie 1'endroit, oü il va faire fes ceufs; il prend ces ceufs, & les porte danslefable, pour les cafTer tous, s'il en a le tems, paree que le Crocodile veille auffi pour Ten empêcher, & le pourfuit. Ce Rat voiantcela,' s'enfuit dans lestrous, qu'il a eu foinde faire auparavant , pour fe mettre a couvert de fon ennemi. De forte que ce qu'il ne peut faire a une fois, il 1'exécute a plufieurs reprifes. Le Crocodile, pour fauver quelques ceufs de quatre eens, ou environ, qu'il fait a la fois, eft obligé de les tranfporter fur quelques petites Hes, lorsque leAWeft retiré, afin de donner le tems au foleil de les faire éclore. Ce Rat a encore une autre manière de faire la guerre au Crocodile, c'eft lorsque cethorrible, & cruel Animal dort au foleil, felon fa coutume,la gueuleouverte, le petit Animal entre dans fon ventre, &n'en fort qu'après lui avoir devoré les inteftins. C'eft ainfi que Dieu, qui a fi fagement réglé toutes chofes , fe fert d'un fi petit Animal , pour empêcher la multiplication d'un monftre, qui ruineroit le Genre humain. L'Ichneumon, ou Rat de Tbaraon, autrement Loutre Egyptien, eft presque de la grandeur du Chat. 11 en ales génitoires: les dents, & la langue. II eft d'un poil moucheté deblanc, de jaune, &de couleur de cendre; mais très-rude. II a presque k grouindunporc, & il fouille la terre comme le porc. Sesoreilles font courtes, & rondes; & il a les jambes noires, & cinq griffes aux piés de derrière. 11 porte une longue queue, qui s'épaiffit auprès des reins. Quelques-uns ont prétendu, que 1'Ichneumon étoit hermaphrodite, paree qu'on lui voit au dehors du fondement une entrée alfez large, que la chaleur fait ouvrir, quoique le fondement foit bien fermé. Cet Animal eft ennemi de tous les Rats, des Chats, & de f Afpic qu'il hait infiniment. Dans le combat qu'il a avec ce dernier, il alafmeffedefeveautrer dans la boue, ou defeplonger dans l'cau,& de fe rouler après dans la pouffière, qui, en fe Sss sss s 3 féchant 5071 induf' trie. i  12^2 ETAT PRE' SENT Crocodile. \ ! i i i i i Singularitè du Crocodile. féchant, forme une croute, qui lui fert du Cuiraffe contre fon énnemi. On peut aprivoifer cet Animal vers Alexandrie, en lui donnant a manger des Serpens, des Rats, des Limacons, & autres Infedtes; mais, dèsque le vent fouffle fur lui, il fe cache. Le Crocodile, qui eftun amphibie, &qui vit plus fur la terre, que dans feau, dans la Haute' Egypte, oü il fe tient volon:iers,&oü il y en a de prodigieux, n'a point de langue. 11 a fur i'ceil, outre la paupière, une pellicule tranfparente, qu'il recu[e au coin de 1'ceil, lorsqu'il 1'ouvre au fortir de feau, & qu'il étend au contraire quand il y rent re: ce qui s'apercoit très-fenIblement. Cet Animal eft fort dangereux, & fait bien du mal lans les endroits oü il fe trouve, puisqu'il emporte bien vite un ciomme, & d'autres Animaux, quand il peut les joindre au bord du Nil. Des perfonnes dignes de foi m'ont alfuré, que versYEfféné, :'eft-a-dire, 1'ancienne Syêne, dernière Ville de 1'Egypte vers Sannar, il y en a en grande quantité, & de li monftrueux, qu'ils irrêtent de petites Caravanes, quand elles paroiffent furies bords du Fleuve. La manière, dont on les prend, eft alfez particulière, quoi311e différente. II y a des Hommes, qui fe cachent fur les bords du Nil, oüils faventque cet Animal fe retire; &ils lui tendent des piéges. Dès qu'il y eft arrêté, le Chaffeur accourt avec de grands cris, difant au Crocodile, Chil draak feynche, qui fiEjnifie, léve le bras: ce que fait auffi-tót 1'Animal, & le Chaffeur lui enfonce d'abord undard a 2. ou 3. pointes fous 1'aiffelle. II y en a d'autres afTez hardis pour attaquer un Crocodile endormi, & lui enfoncer le dard comme ci-deffus, fans qu'il foit pris au piége. D'autres en prennent dans des foffés couverts d'herbes. Cet Animal, qui eft le feul de tous, qui ait la machoire de deffous fixe, & celle de deffus mobile, ne macbe point. Ses dents entrent les unes dans les autres. II avale fa proie; mais, lorsqu'il ne peut engloutir un Homme, il le déchire avec fes pattes. Divers  de l'E G Y P T E. Liv. H. Chap. Hl. 1233 Divers Nubiens aflürcnt, que les parties génitales du Crocodile ont beaucoup de vertu dans f empire de Fénus; qu'on les fait fécher,lespulvérife,&les mèleavec tout ce qu'ily a de plus chaud; que les Grands de NubievSenü de cette compofition, plus puuTante mille fois que celles des Turcs, & les nötres. On voit des Gazelles en alfez grand nombre prés & Alexandrie. C'eft une forte de Chévreuil, dont I'ceil vif , & percant, a palfé en proverbe. Pour louër en ce pays-la les yeux d'une Dame , on dit, qu'elle a des yeux de Gazelle. On trouve dans les montagnes, qui féparent VEgypte, de la AufoV,une forte deLézard alfez grand, dont les pattes reffemblent abfolument aux piés ,& aux mains de 1'homme, aïant les J.doigts parfaitement formés. La feule différence qu'il y a, c'eft que leurs doigts font munis de griffes, au lieu d'ongles. Cet Animal vient manger avec les Caravanes, fans jamais faire de mal a perfonne. On en voit quelques-uns au Caire entre les mains des bateleurs. On voit d'autres efpèces de Lézards approchant du Crocodile; c'eft ce que les Anciens ont appellé de petits Crocodiles de terre , dont la chair des reins eft bonne pour fade Vénérien. II y a dans la Haute-Egypte des Salamandres, dont lapiquüre eft mortelle. Cependant il eft certain, qu'en général les Serpens, & les autres Bêtes vénimeufes, le font moins dans les pays cbauds, que dans les froids. Auffi les piquüres des Scorpions font elles très-peu dangereufes en Egypte. On les manie ,& porte dans le feinavecla même affurance, que l'on feroit des fleurs. 11 eft furprenant de voir les Arabes tirer de leurs poitrines ce qui cauferoit la mort a mille perfonnes en Europe. La Vipère ^Egypte eft fort eftimée, aufifi-bien que les Serpens, qui font de diverfes efpèces. 11 y a au Caire certaines gens, qui font fi amateurs des Serpens, qu'on les voit pamer de plaifir, lorsqu'ils en atrappent. Quelques-uns de nosEuropéens m'ont affuré, qu'allant a la rencontre de Mr.NoiNTEL, jusqu'a Sue's, une de ces fortes de perfonnes Reptilts. Serpenspeu acraindre er: Egypte.  1234- ETAT PRE' SENT Mangeurs de Serpens. Chaf» fonnes les accompagna; & qu'aïant appercu un Serpent, lorsqu'ils étoient a manger , il s'élanca deffus avec une ardeur incroïable; mais que le Serpent s'étant échapé, cet Homme s'évavanouït de douleur. Le Serpent aïant reparu auiïi-töt, au bruit qu'on en fit , cet Homme revint a lui , & ne fit qu'un faut jusqu'au Serpent , le faifit, & le dévora dans 1'inftant. On voit au Caire ce Speclacle dans les Cérémonies de la Fête du Pavillon du Prophéte. Les Mangeurs de Serpens donnent ces plaifirs en divers endroits de la Ville. Les Sorpens, qu'ils ont, font presque de la grolfeur du bras. Je ne fais comme ils s'y prennent ; mais il paroit, qu'ils commencent par la tête, puis ils mordent encore 4.. a f .morceaux. Alors un autre arrache le Serpent au prémier, & en avale auffi. II lui eft arraché par un troifieme, qui en fait autant, & ainfi jusqu'a ce qu'il n'en reste plus. Us les trouvent meilleur, en hiver, qu'en Eté. II y a auffi un Serpent, qui s'élevant fur la queue, étend des deux cotés de la gorge une efpèce d'aileron de largeur d'une bonne main, & un peu pus long; cela lui fert a fe foutenir, comme les ailes d'un Cerf volant. C'eft peut-être ce qui a donné lieu a f hiftoire des Serpens volans, qu'on ne trouve point. II eft certain,que dans un tems de fannée les Serpens defcendent des montagnes,oü ils s'étoient retirés durant finondation.il en peut encore venir du cöté de ïEthiopië ; mais ils n'arrivent pas jusqu'au Caire. On dit, qu'il s'en trouve mênae, qui ont des piés, & des ailes faites comme celles des Chauves - Souris. Je crois, que ces prétendues ailes font des cartilages étendus. L'Ennemi mortel des Serpens eft Ylbis, que eft une elpèce de Faucon, qui fréquente les Campagnes: Ce n'eft point la Corneille, comme quelques-uns le prétendent.  de L'EGYPTE. LiV. II. Ch. IV. 122* Lrticle T. Hfeiux bondam 1 Egypte. igebiües tangewsde ''oijjón. Ibis,Oifeati peu ctnnu. La Cbapon ie Phaaön , ott irai Ibis. Chapitre IV. Les Oifeaux, qui fe trouvent en Egypte, mériteroient un; volume entier. Je ne crois pas, qu'il y ait pays au monde „ oü il s'en trouve de tant de diverfes efpèces,& de fi fingulieres/ LesDemoifellesdeNumidie, les Jgobilles, les Stigênes, & beaucoup d'autres, qu'on a vu, &quon voit dansles menageries du Roi de France, fe tirent de \Egypte. Toutes fortes d'Oifeaux aquatiques, qui font les plus abondans en Egypte, ne fe trouvent pas partout mvleNjI. Les uns ft uennent aux embouchures, d'autres au Caire, & aux environs, & les autres dans YEgypte fupérieure. La quantité de Lacs, qui reltent dans les Campagnes, apres que le Nd seft T,tiré,fontauffilaretraited'un grandnombre de ces Oifeaux, qui; viventdePoiffon. 11 faut qu'il s'y trouve une grande quantité de Poiffon, puisqu'on voit quelque fois cent mille Agobilles enfemhle C'eft un Oifeau, auquel il faut au moins trois a quatre Poiffonsparjour. Javoue, que je n'ai point vu d'lbis, ou du moins ne fatje pas en avoirvu. Dapper, dans fon4^^. Hbis fe tient entre Rofttte, & Alexandrie; mais je ne fais fur quel fondement, quoique 1'lbis foit regarde comme un Oifeau pro-. Fnyrfdfvers Oifeaux en Egypte, qui mangent les Serpens; mais on voit de ces Oifeaux ailleurs. , . L'Oifeau, qu'on nomme au Caire le Chapon de Pbaraon, & Saphon-PacbazAlep, & Alexandrette, mange les Serpens; U y en a de tout blancs, &de blancs &noirs, dekmaniere que Pline décrit 1'lbis. auelques-uns ont penfe, que 1 Ibis, & la Grue, font le même Oifeau. Si l'on avoit quelque reprefentation Ttt ttt t c\r.c\ rr* r><\ a Ville cPAlexandrie , qui fut fondée par Alexandre le Grand, dont elle porte le p*<)t$ \B nom' ^ ^tlQ Par *e ^amcux Architede Di- L nocratej &l°n quelques Auteurs, en 12. tfj^ t/W jours, ce qui paroit pourtantimpolfible, eft ' v^^^^^^^v fituee fur le bord de la mer, a environ 3?. v5 v>> mi]cs k ^accident de f embouchure du ilff/, qui fe décharge a VOuèfl. L'enceinte des murailles, dont elle eft encore environnée, n'eft pas vifiblement un ouvrage aufli [Ttt ttt t 3 ancien Article I. Deferiptim ^'Alexandrie.  DiftinSion entre l'ancienne,la nuitville Aiexandrie. lx nouvelle Alexandrie IMtie des ruines de ï ancienne. Nomlire de fes Tours. 1230 E'TAT PRE'SENT ancien que la fondation de la Ville, ou que Ie règne de Cle'opatre. L'opinion commune eft que ces murs, qui n'enfermcnt qu'une bien petite partie de 1'ancienne Alexandrie, ont été faits il y a 6. a 700. ans par un Roi du pays, & que les tours-, & même les murs, en plufieurs endroits, furent depuis élevés a une plus grande hauteur, par un Roi nommé Yaouf, qui régnoit, il y a plus de 330. ans, immédiatement après que les Mammelucs, conquircnt cet Empire. Cette vérité eft aifée a croire, fi fon confidère la ftru&ure de ces Tours, dont la plus grande partie fubfifte encore aujourd'hui dans leur entier, & qui ne font point dignes de ia main des Romains, encore moins des anciens Egyptiens. Les Infcriptions Arabes, que fon voit encore fur les Portes; les Portes mêmes, dont le bois eft encore entier, depuis que les lames de fer, 'dont elles étoient couvertes, ont été confumées par le tems; la quantité prodigieufe des colonnes, qui font entre-Iaffécs dans les Tours, & les autres endroits des murailles • tout cela juftifie alfez, que cette Ville a été batie des ruines de fancienne; & qu'il n'y a pas fort long tems, que ce3 murs ont été élevés. lis ne laiffent pas pourtant d'être confidérables, par leur force, & par leur bonté. On y compte cinquante groffes Tours, fans les moindres; dont la plus petite eft une Citadellc, dans laquelle on pourroit aifément loger joo. Hommes. Tout y eft voüté; & il y avoit plus de cent Chambres danschacune; celui qui les a fait élever plus qu'elles n'étoient d'abord, a eu foin de faire crépir fon ouvrage; & on le diftingue fort bien encore aujourd'hui de f ancien. Ces Tours, qui font d'une hauteur prodigieufe, font jointes 1'une a 1'autrc par une doublé muraille, dont la Ville étoit enronnée ; &, quoique d'une muraille a 1'autre il y ait plus de 30. piés, ces Tours débordent encore confidérablement en dehor?  dl l'EGYPTE. Liv. ÏIL Chap. I. 123: hors de la Ville, & ne fortent pas moins en dedans, ce qu; peut faire juger de leur épaiffeur. II y a dans les Tours une arcade de même diftance des murailles; en forte que fon pouvoit faire le tour de la ville, fans que les Tours en empêchaffent. Dans le prémier fofTé, on voit, au liane des Tours, des portes, par oü fon pouvoit fortir fur les Aifiégeans. II n'y a point de doute, qu'en ce tems-la, la Ville ne fut très-forte; ces murs peuvent avoir de circuit environ 6. miles & Italië, ou deux lieues de France. Les Antiquités, que fon voit en dedans,. confiftent dans les deux aiguilles, ou Obélisques de Cle'opatre, dont fune eft aujourd'hui renverfée, & presque enfévélie fous le fable. On en découvre pourtant la plus grande partie: L'autre eft encore debout; &, quoiqu'on nevoiepoint le pié-deftal, fur lequel elle eft pofée, a caufe du fable, dont il eft couvert, il eft aifé de juger, en mefurant un des cötés d'en-bas de celle qui eft renverfée, que la partie cachée de celle qui eft en pié n'eft pas fort confidérable. Les quatre faces de ces Obélisques font remplies de caraótères hiérogliphiques, dont nous avons perdu la connoiffance. La pierre, dont ils font compofés, eft la même , dont font fakes la plupart des Colonnes, qu'on voit encore aujourd'hui a Alexandrie, & qu'on a prétendu mal a-propos avoir été fondues. On 1'apelle marbre granite. Les carrières s'en trouvent dans la Haute-Egypte, comme nous le ferons voirdans la fuite.. On voit un Obélisque, qui a plus de 5* 5". piés de hauteur, fans compter le pié d'eftal; & fon éparffeur d'en-bas eft de 7. a 8. piés de chaque cöté, & va toujours en diminuant. Vers le milieu de la Ville , on voit un rang des Colonnes du même marbre, qui font encore debout, d'une groffeur, & d'une hauteur extraordinaire. Ces Colonnes, qui font fur une même ligne, s'étendent prés de 5"00. pas, & ne font pas dans une égale diftance fune de 1'autre, par-ceque la plus grande partie ena été Etendue de jon circuit. Article II. Antiquités, qui je trouvent dans la rille. Erreur fur la fonte des Colonnes.  Quantité de Colmnes. fi Forme d'ui ancien Edifice. j tfS E' T A T PRE'SENT té enlevée, ou abatue ; «Sc Ton en voit beancoup de renver;es; II y en aqui ne font éloignées que de io.ai2.piés, d'oü 'on peut juger quil y avoit,fur Ce feul rang,prés de i?o. Commies; encore faut-il fuppofer, que la prémière, &la dernièe des Colonnes, qui fe trouvent fur cette ligne, étoient effecïiement la prémière, & la dernière, ce qui n'eft pas vraifemlable. A environ deux eens pas, & vis-a-vis ces Colonnes, on en oit d'autres femblables, qui leur font oppofées; &, quoiqu'il itn refte plus que trois, ou quatre, il eft vifiblè, par la difpoition des lieux, parle même ordre, la même grolfeur, &haueur, & par deux autres Colonnes, qui fubfiftent a une égale liftance de ces deux rangs, qu'il doit y avoir eu un très-fuper>e Palais, une fort grande Place, & une magnifique Fontaine; e qu'on peut conjeólurer, par le débris des briques, dont les onduits étoient fabriqués, & les lieux oü feau tomboit, qui fe oient encore aujourd'hui manifeftement. II eft évident, dis-je, par la difpofition de toutes cesColonïes, que ce lieu étoit une Place fuperbe, dont la figure com>ofoit un quarré de 200. pas de largeur, & de ?oo. de lon;ueur : Et vraifemblablement les plus confidérables Palais de a Ville faifoient face a cette Place, puisqu'immédiatement derière les Colonnes, fur tout du coté oü il en refte davantage, ra voit quantité de murs de briques, les uns renverfés, les aures encore entiers, qui lailfent a juger de la grandeur, & de a beauté des Batimens, qui étoient en cet endroit. II y a apjarence, que les Batimens font du tems des Romains. Ces ruines font aujourd'hui une des plus belles Antiquités ÜJlemndrie. On yvoit un Palais deCE'sAR,oü l'on diftingue, parni les ruines, desBains presque entiers. II y en a un, dont lejs nurs n'étoient uniquement compofés que de mortier, mais fi lur, & fi ferme, qu'il auroit difputé avec la pierre. Les Mau•es vont tous les jours en détachcr quelque morceau, pourcom- pofèr  de l'EGYPTE. Liv III. Cu. I. 1^33 pofer leurs nouveaux Batimens; & il eft fur que qui voudroit faire la dépenfe de faire aprofondir ces endroits , découvriroit encore plufieurs belles Antiquités» On tient ici par tradition, que f endroit, oü ces murs debriques paroilfent les plus. élevés, étoit autre-fois le Palais du Père de Ste. Cathe'rine. D-'au-^ tres affurent, que c'étoient desBains publics. On y voit enco- j re diftinótement quantité de. lieux voütés, qui peu vent avoir fer-1 vir a cet ufage. Dans la Place environnée des Colonnes, dont nous venons 1 de parler, fubfifte encore aujourd'hui, non pas direótement au 5 milieu, mais du cöté oü le rang des Colonnes eft plus entier, une J Mosquée, qui étoit une Eglife deftinée a St. Anastase, la- q quelle eft, fans doute, laplus belle, & peut être-la plus ancienne Eglife, qui refte dans YJfrique. On voit au-travers des fentes de. plufieurs portes, qui yfont, que lequarré long, dont elle eft compolée, eft environnée de quatre rangs de Colonnes de porphire admirablement belles. II y a fur ces Colonnes des arcades modernes, en apparence, qui ont été faites, ou rebaties par les Turcs; &au milieu de cet édifice, on ne voit, qu'une grande Cour pavée de marbre; en forte,que,fi c'étoit-latoute fEglife, car il fe pourroit faire que ce ne fut feulement que la nef, cette Eglife n'étoit compolée que de fes cötés collatéraux, a moins qu'ü n'y ait eu un döme, qui ne fubfifte plus. II n'y a rien de beau.a-fextérieur. Ce font de fimples murailles; mais,s'il étoit permis d'entrer dedans,je ne doute pas, qu'on n'y remarquat mille belles Antiquités , & qu'on ne jugeat beaucoup mieux de .ce quece lieu étoit autre-fois. Je ne regardaia, travers la fente des portes, qu'avec inquiétude; car les Turcs font fupcrftitieux, jusqu'au point de ne pas permettre ces fortes de curiofité?. En divers endroits de Tancienne Ville, il fe trouve des Colonnes debout, & d'autres renverfées, la plupart très-groffes, &qui n'ont pu être enlevées a caufe de leur pefanteur , les Turcs V v v vvv v aïant Tradition ur lelieu é étoit le ^alais du 'èredeSte. -athérme. Irtlcie//;. iglife de t. Anaila: 'aujourbuiMosiée.  ï.234 E 1* A T P R E' S; ENT Montagnes compojées desdécombres del'ansienru Vüie. C H Ai aïant pris toutes celles qu'ils ont puemporter, foit pour batir leurs Mösquées, ou leursMaiföns, danslesquells on en voit une quantité prodigieufe; foit pour embellir celles de Rqffette, oü fon en a également tranfporté-beaucoup. L'on voit, a Pentrée des arcades , des voütes des Tours, qui font entre les deux murailles de la Ville, dont nous avons parlé, auffi bien qu'au pié des murs de la Ville, dans les endroits, qui font encore aujourd'hui battus dè la mer , fans parler du grand nombre qu'on en a entrelafFé dans 1'épaiffèur de toutes les murailles, pour en mieux maintenir 1'ouvrage. Enfin ce ne font par tout que Colonnes de marbre de différentes efpèces-, & de différente grandeur ; & il ne faut pas douter, qu'il n'y en ait encore davantage d'enfévelies dans lesSables, & fous les ruïnes; car 1'ancienne Ville n'eft plus habitée, que par quelques Particuliers, qui n'ont point encore eu la commodité de fe tirer des débris des Mailons, qui y étoient autre-fois. Ce ne font de tous cötés que monceaux de pierres, & de fable, qui fe font formés de la démolition de cette fuperbe Ville. 11 ya furtout deux montagnes affez élevées , qui ne font compofées que dè ces décombres; mais il y a apparence, qu'il y a dejalong-tems qu'elles ont été formées,par la tolérance,qu'on avoit de fouffrir, que les Particuliers déchargeaffent en ces endroits les ruïnes d'une partie de leurs Mafons, au lieu de les faire portera la mer; car il n'eft pasvraifemblable,queces montagnes aient été formées, comme on le dit, de la terre, qu'on tiroit des citernes, qui règnent univerfellement fous la Ville, & qui font encore aujourd'hui une des plus belles Antiquités du Monde.  de L' E G Y P T E. Liv. BL €h. TL $23$ Article/. Alexandriefouter'raine. ■Citernes d'une beauté extraordinaire. C 3 ; Canaux,\ui •portent ,1'eau aux Uternes, l t S C H A P I T R E II Alcxandrie fouterraine n'eft point maltraitée, au .point que Peil celle, dont on vient de parler. Si quelques Oternes ont été enfoncées, s'il y en a de bouchées, fi celles qui reftent ne font point entretenues avec la meme proprete quelles 1'étoient autrefois, il eft certain que ce que fon en voit encore aujourd'hui eft, felon le témoignage de ceux quiy defcenfcnt tous les jours, ce qu'il y a de plus beau: Rien n eft plus entier, que leurs voutes, rien de mieux conftruit que leurs ouverturi, rien de plus fuperbe, que les pièces de marbre , dont elles font environnées. Ces Citernes fe communiquent de une 11'autre par des canaux , qu'on pouvoit fermer , lorsqu elles étoient remplies; & elles ont une étendue presque infame; enforte qu'il fe trouve des gens, qui entrent fous terre parunbouf de la Ville , & en fortent par 1'autre. Mais, quelque confidérable que foit cette etendue, elle ef bien différente de celle qu'elles ont effeótivement, & de ceft qu'elles avoient autre-fois; car on trouve une continuation d( ces Citernes,depuis Alexandrie,en fuivantle nvage de la mei vers YOrient, jusqu'aux Béquiers , qui en font éfoignes d< cinq lieues; & on les trouve de même jusqu'a deux lieues ver V-Xfccident. . . s . , On voit furtout un canal fouterrain , qui regne msquau* •Béquiers, lequel eft encore aujourd'hui presque tout entier. L étoit deftiné a fournir 1'eau dans les Citernes de la Ville, qu s'étendoient de ce coté-la; &il larecevoit, comme tous les au tres, d'une branche du Nil, qui venoit fe perdre dans la mer; travers Alexandrie. Cette branche du NU, a la quelle on avoi «reufé un lit,avec une peine, & une dépenfe incroïable,a tra - - Vvv vvv v 2 ver  i2jtf E' T A T P'REf SENT' Canal, qui conduit l'eau du Nil a Alexandrie. vers les vaftes déferts de fable, qui font entre le Nil, & cette Ville , cete branche, dis-je, fervoit k voiturer toute forte de Marchandifes de YEgypte k. Alexandrie, & y.appartoit f abondance, & les commodités de la vie, qui ne peuvent fe trouwer que difficilement parmi les fables, dont elle eft environnée. II n'y a pas plus de j o. k 60. ans, que ce Canal étoit en état; & iffe trouve encore des Marchands, qui ont fait voiturer des Marchandifes jusqifau Caire; mais aujourd'hui, par la négligence des Turcss il n'y a plus d'eau, que lorsque le Nil. eft dans fa plus grande hauteur; &, li lanéceffité, que les Tam ontd'entretenir ce Canal, d'une manière qui puiffe au moins fournir, dans cette faifon, de l'eau aux Citernes & Alexandrie, ne les obligeoit a en avoir quelque foin, il feroit tout-krfait rempli en moins de quatre années. 11 faudroit alors abfolument abandonner la Ville, qui n'a point d'autre eau, que cel!e-la. Au deiTus des Citernes, qui s'étendent fi loin a Y Oriënt, & zxxCouchant $ Alexandrie, & qui ont depuis une demi-lieue, jusqu'a trois quarts de lieue de largeur, fe voient par tout des montagnes, des ruines, compofées de même matière que les autres; & l'on y trouve, comme dans la Ville, & même en plus grande quantité, des médailles, &de ces pierres gravees, qui étoient autre fois li communes chez les Romains, & qu'ils portoient au doigt en manière de bague, & pour fe fervir de.cachet, ou enfin comme des repréfentations des perfonnes qu'ils eftimoient. Ces pierres fe trouvent fhiver, lorsque les pluies les. découvrent. Les Arabes les vont chercher,& les aportent kAlexandrie. Le terrain, oü elles fe découvrent, étoit autrefois la Ville même. II faut qu'elle ait été brülée; car il n'y a point d'apparence , que , fi elle eut été feulement détruite peu k peu , on eut laiffé , dans les Maifons, des chofes de quelque prix. On trouve, enfin, dans la feuleVille 8Alexandrie plus de reftes des Antiquités Romaines, qu'on n'en trouve dans tout te refte.de 1'Univers. Ces  de l'E G Y P T E. Km III. Ch. II. 1237 Ces ruines fi vaftes, &• fi étendues, font foi de ce qifétoit fancienne Alexandrie. Je fuis perfuadé, que non feulement la Colonne de P om pee, & la hauteur, fur laquelle elle le trouve, qui i eft a une portee de mousquet de la Ville, du cöté de la terre,' étoit autrefois dans fon enceinte, mais encore les petites buttes, qui font au-dela, & qui ne lont pas moins couvertes de ruines. 11 eft très-aifé de diftinguer, a I'ceil, les endroits, qui ont été batis autrefois, de ceux qui ne font point été. J'eftime, que, foit Ville, foit Fauxbourg, ■ foit Maifons de plaifance contigues , il y avoit autrefois 6. a 8. lieues en longueur, & trois quarts de lieues en largeur, qui étoit bati, & habité; que, des ruines d'une li grande Ville, tant de fois conquife, & défol ée depuis les Ro-> mains, par les Barbares, il s'en conftruilit enfin, il y a a 600. ans, les murs, dont nous avons parlé-, dans lesquels on renferma ce qu'on put y apporter de plus précieux; qu'il refte cependant dans un efpace fi étendu, qui fut abandonné, quantité d'illuftres monumens, que la longueur du tems, 1'avarice, & la luperftition des Arabes ont depuis anéantis. On les voit encore tous les jours, abattre des Colonnes a la campagne, dans fefpérance de trouver fous la bafe quelque monnoie dor, ou d'argent. On les a vus dans un tems de pefte, par fuperftition,brifer, dans ces mêmes campagnes, une figure d'un Lion, aufli belle, qu'elle étoit ancienne. Ainfi ont pén infenfiblement tant d'ouvrages, qui auroient dü être immortels ; &, fi la colonne de Pomp e'e eft encore debout aujourd'hui, c?eft que fon poids énorme n'a pas permis aux Arabes d'arracher les pierres, fur lesquelles la bafe eft pofée. Us font pourtant parvenusa en tirer une d'un coin, par oü ils nous ont découvert dans celle, qui fuitimmédiatement, des figures hiérogliphiques, qui font parfaitement entières. Par cette même ouverture, il eft'auffi aifé de voir,qu'au milieudes pierres prodigieufes, fur lesquèlles la bafe de cette Colonne V v v v v v v 3 eft Article II. Ruines, qui iénotent U rrandeur le la Ville. fintiquités létruites )ar l'avari' e des rurcs, 6f Arabes. \rticle7/7. •  < Colonne de ; Pompée, fuberbe Monument. Sa hauteur, &grof[eur prodigieufe. I [238 "E'T AT PRE'SENT •fo pofée, il y a une manière de Colonne immédiatement au nilieu, fur laquelle principalement repofe toute la péfanteur de a pièce. L'on y découvre même quelques figures hierogliphiques, qui doivent régner a 1'entour. je ne m'arrêterai pas a faire une fèrupuleufe defcription de cet illuftre monument de 1'Antiquité. Je me contenterai de dire, ju'une des faces de Ia bafe, qui eft de même marbre, que la Colonne, a quinzepiés, au moins, delargeur, & autant de hauteur, cToü fon peut juger du prodigieux poids de cette pierre. La Colonne, a laquelle tient même naturellement une partie de Eettebafe, par oü elle eft fortement pofée, eft, fans contredit, ia plus haute, & la plus grolfe Colonne, qui foit dans 1'Univers. Le chapiteau eft proportionné a fon ouvrage, &eftcreux Eiu-deffus. j'eftime, qu'il y avoit une reprefentation, &c peutêtre la figure de Pompe'e, dont la Colonne porte le nom. II faloit que cette figure fut d'une grandeur extraordinaire, pour ïtre proportionnée a fon élévation. II ya quelque tems qvCunArabe, danfeurde corde de profef[ion, trouva moïen par une flêche, a laquelle étoit attachée une ficelle , de faire paffer entre les corniches du chapiteau, une corde,a la faveur de laquelle il y monta,tenant un anon fur fes épaules, a la vue de tout le Peuple d''Alexandrie. C'eft par lui qu'on a fu,que le chapiteau étoit confidérablement creufé. La fculpture du chapiteau eft feulement unpeu ufée; &, a 1'égard de la Colonne, le cordon, qui termine en bas larondeur, &c qui touche a la partie quarrée, qui compofe ce dernier étage de la bafe du pié d'eftal, & qui n'eft qu'une même pierre avec la Colonne, eft un peu entamé, du cöté de ïEfi, auifi-bien qu'un peu de la Colonne au-delfus; mais il feroit bien facile de xétablir ce dommage du tems., par un mafticde la même pierre; & fouvrage feroit auffi parfait qu'il étoit, il ya 16. a if. fiècles, lorsqu'il fut pofé en cette place. Enfin, fa hauteur, le pié d'eftal com-  de L' EGYPTE. Liv. HL Gh.II. compris, a quelque chofe au-deffus de cent piés ^ & fa groffeur eft bien proportionnée. A f égard du Phare & Alexandrie, qui étoit autre-fois une des fept Merveilles du Monde, on n'en voit plus aujourd'hui que la place, encore eft-elle incertaine. La plus commune opinion eft, qu'il étoit biü oü eft aujourd'hui le Jafillon, qui eltune petite Forterelfe moderne al'entrée du port ordinaire, fur laquelle eft élevé un fecond-Chateau, & fur ce Chateau une Tour,^ d'oü l'on fait encore fanal pendant la nuk. II y en a qui foütiennent , que Tanden Phare étoit plus avancé dans la mer: Ils prétendent , qu'on en voit les débris lous les eaux, lorsque la mer eft parfaitement calmev C'eft une queftion, que 1'éloignement des chofes a rendue très-difficile: ilparoit feulement, en général, qu'il y a eu autre-fois deux ports a Alexandrie, qui fubfiftent encore aujourd'hui. Le vieux port eft deftiné pour les grands Vaiifeaux, &. les Galères; il eft très-beau, fort fur, & fi profond partout, que les plus gros Navires abordent la poupe a terre. On ne permet point aux Batiments Chrétiens d'entrer en aucune manière dans ceport. L'autre, qui a moins de profondeu?, & au milieu duquel il fe trouve quelques écueils, étoit feulement deftiné pour les Galères,. ou les moindres Batimens, qui venoient a Alexandrie. L'entrée dece port eft aujourd'hui trés-difficile; elle eft la plupart comblée, par le leftage des Batimens, quiy abordent; de forte que les Navires Chrétiens font obligés de mouillerdans un très-mauvais fond. Le port, qui eft du cóté de I'Oriënt, étoit environné,- depuis la Ville, d'un móle, en manière de demicercle, qui aboutilToit a des écueils, & qui le couvroit de ce cötê-la. 11 fubfifte encore en partie, & il ya une manière de petite Eortereffe fur le bout, d'ou fon pouvoit encore faire fanal aux VaifTeaux du cöté du Couchant. II y avoit un fecondmöle, depuis les murs de la Ville jusqu'au Jafillon, ou grand i%n?5 qui étoit fitué fur fextrémité del'ÏÏe, qui Articfe/r. Die Phare rf'Alexanirie.wie des 7. Merveilles du Mm* it. Ports d'kr lexandric.  E'TAT PRE' SENT qui forme le port ancien, & qui répond au prémier móle; en forte que le port des Galères n'étoit féparé du vieux port, que par le fecond möle, qui fubfifte encore a demi-ruïné comme le prémier, a f endroit oü cette feconde digue touche a la Ville du cöté du petit port. 11 s'eft amaffé des fables, qni ont enfin éloigné la mer des murs de la Ville, qui étoient de ce cöté-la, & découvert un terrain, fur lequel, depuis 40. a $0. ans, les Turcs ont tranfporté leurs maifons, pour être plus prés de la marine. C'eft ainfi que la Ville, qui porte aujourd'hui le nom d'ancienne, a, fans doute, été renouvellée des ruines, de la prémière Alexandrie, & que cette dernière s'eft batie, &s'augmente tous les jours des ruines de la feconde, autant, & mille fois inférieure k celle-ci, que celle-ci f étoit a la véritable Alexandrie. I! viendra peut-être un tems, oü les colonnes,qui y ont été tranfportées, étant confondues avec la pouflière des maifons, fèront croire a ceux qui ne font pas vu batir, comme nous, que la véritable Alexandrie étoit batie en cet endroit, comme onfoutient que les murs, &les Tours, dont nous avons parlé, 1'enfermoit autre-fois véritablement. Au refte, lorsque je parle de montagnes, & de ruines , je n'entens pas de ces ruines récentes , parmi lesquelles on voit encore de groffes pierres, mais de ces ruines de dix ou douze Siècles, oü a peine on diftingue la poudre des pierres, & celle des briques, par les petits morceaux , qui en reftent, d'autant plus que , fi on fe donnoit la peine d'aprofbndir, je ne doute point, qu'on ne trouvat encore des murs tous entiers, & bien des particularités dignes d'admiration. On pourroit auffi, en examinant les digues, & les endroits du port, oü il paroit desrochers, découvrir, avec quelque dépenfe, -beaucoup «e -belles antiquités, qui y font enfévelies: par exemple, on a reconnu, depuis peu, dansle port ordinaire, une colonne couchée, laquelle doit y avoir autrefois été dreffée, pour fervir d'avertkTement. Le  de l'EGYPTE. Liv. III. Ch.II. 1241 Le vieux Port eft aulfi indubitablement environné d1 Antiquités ; mais, comme on ne permet même pas aux Chrétiens d'en approcher, il effc impolfible d'en rendre témoignage. S'il eft permis, après ceci, de faire quelque réflexion; Quelle eft la Ville de 1'Univers, qui, après tant de révolutions, & de ruïnes fi fouvent réïtérées, pourroit, après 2000. ans, lailfer entre-voir fa magnificence, comme le fait encore Alexandrie ? Que feroit Paris lui même en moins de deux Siècles , s'il étoit abandonné ? Quels ouvrages croïons-nous qui puiffent, après ce tems, témoigner leur grandeur paffée. II faut convenir, qu'il n'y a rien aujourd'hui en édifices publics ; & en folidité de Batimens, qui foit auffi grand, & auffi durable, que 1'étoient les ouvrages des Anciens, & qu'il fera difficile de les imiter de ce cöté-la. Les Ports d1'Alexandrie font , 1'un a VEfl, & 1'autre a VOiieJl d'une langue de terrain, qui s'avance vers la mer, en forme de presqu'Ile, fur laquelle eft fituée la Ville, qui, aproprement parler, n'eft qu'un Fauxbourg de 1'ancienne, oü les ruines de les remparts paroiffent encore. Celui de TE/7 s'appelle Portncuf; & celui de VOüeJl, vieux-Port. La reconnoiffance de ces Ports, en venant du large, font les deux montagnes de terre mouvante fituée dans f enceinte des vieux murs , fur fune desquelles il y a une vieille Tour quarrée, d'oü l'on fait découverte, & la reconnoiffance le long de la cöte; lorsqu'on atterre du cöté de VOiieJl, eft la Tour des Arabes, qui fait comme de petites montagnes de terre femblables a celles <¥Alexandrie; mais fur ces deux, il y a une Tour quarrée, fur fune,'& une ronde fur 1'autre, qui paroiffent de 4.. lieues a la mer. Lorsqu'oe atterre du cöté de ÏEH, la reconnoiffance font les dattiers en quantité , qui paroiffent fur un terrain inégal , mêlés de vieilles mafures ; ce qui ne fe trouve point Xxx xxx x a Remarques fur ces Ports.  3 i j i i De quelle manière les Vaijjfeaux fe ramégent dans le port neuf. 124.2 E'TAT FR'ESEN T' l V'Oiie/l d'Alexandrie, oü le terrain eft uni, fans dattiers, hornis quelques-uns écartés les uns des autres. Pour entrer dans le port neuf, il faut tirer droit au grand Jafillon, & lailfer un petit écueil, qu'on nomme le Diamant, i la droite, éloigné de i f. a 20.toifes; on laiffe a gauche deux èiches,qui ont deux bralfes d'eau au-dcffus; .&, après les avoir aoublées, on peut mouiller en $. & 6. braffes d'eau, fond de ablenet, c'eft le mouillage ordinaire, pour les Vaiffeaux de 3. a 9000. Qiiintaux. Uya dans ce port plufieurs écueils, qu'on appelle des/ei?hes, marquées fur le plan, pardescroix, & des points. Le plus confidérable s'apelle le Gérqfie, qui eft un banc de roches fe la longueur de 60. toifes. Une partie paroit a fleur d'eau. fV 1'Ouëft de cette roche, il y a un bas-fonds uni, marqué par des points; en quelques endroits de ces bancs, il y a paffage pour de petites germes, & pour des chaloupes. II y a une autre roche fous feau, a la diftance de 130. toifes du Gérofle, oü il y a deux piés d'eau deffus; il s'appelle le Foivre, il y a paffage libre au milieu. Les Vaiffeaux du port d'environ 4. a 6000. Quintaux mouillent au Sud-EJl du Gérofle, oü ily a 3.^4. braffes d'eau, &les barques mouillent plus en dedans,a couvert du Poivre,* deux braffes & demi. Ce mouillage fe nomme la toude, le fond eft Sable. - L'on fe ramége, en mettant un cable Nord-EJl, & 1 autre SudOuëfti ce qu'on appelle afourcbé, par la raifon que les vents régnant presque toujours au X N. O. «Sc au N. les deux ancres font également force. On met auffi uneancre a poupe du cöté du S.E. c'eft ce qu'on appelle la rajaire, par la raifon que les vents a la terre affez fraix, cette ancre fait force? & foulage les deux autres. Lorsque le vent XX O Se met avec force, on met une autre  de l'EGYPTE. Liv. HI. Ch. ïï. 124.3 tre ancre de ce cöté, afin qu'elle foulage les deux prémières, qui font force toutes trois enfembles ; cette dernière fe nommé le gardien, ou Yefpérance. On a la précaution de mettre, a tous ces cables, des foutiens de diftance a 1'autre, qui empêchent,- que les cables ne touchent au fond, & ne fe coupent aux pierres, qui y font en quantité. Les traverfiers, c'eft-a-dire, les vents les plus acraindre, font les vents de N.N.O. qui amènent une fi grolfe mer, que les Equipages ne peuvent plus defcendre a terre; Les Embats, c'eft-a-dire, les vents les plus en règne, lont ceux de N O. N. & N. N. O. L'entrée de ce port eft un peu plus difficile, que f autre ; mais, en récompenfe, lorsqu'on eft dedans, on eft a couvert de tout tems. On y peut entrer fans pilote, a caufe que le paffage eft entre deux feiches; & il faut qu'un batteau fe mette fur une, & 1'autre batteau fur 1'autre, & le Vaiffcau paffe au milieu; il y a 4. a f. braffes d'eau au paffage, fonds de roche. Lorsqu'on eft entré, on tirc droit a la vieille douane, poui éviter le banc, qui refte a la pointe, oü il y apeu de fonds: or tourne enfuite vers le milieu du port, oü l'on trouve 6. braffe: d'eau, fonds de fable. Les plus gros Vaiffeaux du Grand-Seigneur y mouillent toufours, «Sc jamais dans le port neuf, a eau te du peu de fonds, » Tombeaux" des anciens Rois d'Egypte. i Les Tont- beaux font des Mosquées. [ r 3  I246 E'TAT PRE'SENT F)rme de la Ville. On aiTure quil couloir, autre fois, Jurant toute fannée; maisil s'eft infenliblement rempli. Le cours du Nil s'eft d'ailleurs jetté de 1'autre coté de file de hRode, de manière qu'on eft obligé pendant 80. jours, ouenviron, que cette eaucoule, d'en remplir les citernes des Mosquées, «Sc celles des maifons particulières. Le Canal ne fêche pas enfuite entièrement; il fert aux égouts des Maifons, & des Mosquées, qui en font voifmes, & fait payer, avecufure, par fa mauvaife odeur, la fatisfaótion qu'on a eue d'y voir couler feau pendant très-peu de tems. Le Caire'eft beaucoup plus long, que large. Sa longueur fuit ce Canal, qui va du Sud-Oiiejl, au Nord-Efl, & peut avoir une bonne lieue: fa largeur eft peu confidérable, excepté a f endroit des Lacs, autour des quels les maifons des Grands fe trouvent baties. On peut faire le tour du Caire en deux heures; il y a environ 7. miles d'Italië. On le découvre entièrement de plufieurs endroits du Chateau. Sa forme eft celle d'un are. La Ville renferme plufieurs jardins, & de grandes Mosquées. On voit par ia, qu'il s'en faut bien, qu'elle fok auffi grande que Paris. On doit ajouter atout ceci, que les Mailons n'ont ordinairement que deux étages, & beaucoup n'en ont qu'un. Le bas généralement n'eft point habité. II ne fert que de Magafins, oud'Ecuries; la raifon, ace que je crois, en eft, que fhumidité, quiyrègne, oblige les infectes, qui s'y trouvent en grande quantité, comme dans tous les pays chauds, a s'y retirer; & que d'ailleurs, plus on eft élevé, plus on a d'air dans lca.^haleurs de 1'été. Quoique le Caire n'approche pas de fétendue de Paris, ni que fes Maifons ne foient pas auffi exhauiTées, il ne laiffe pas de s'y trouver un très-grand Peuple. Les rues font fort ferrées, & avec raifon, puisque la proximité des Maifons défend en Eté les paffans des grandes ardeurs du Soleil, «Sc entretient même, a la faveur de l'eau, qu'on jette dans les rues, une fraicheur, qui fait plaifir. Quoi-  de l'E G Y P T E. Liv.III. Cii.III. 1247 Quoique les ruesfoient étroites, les Maifons font fort peuplées. Le Palais d\in grand Seigneur, qui naura a Paris, que 20 a W Perfonnes, en aura 150. & 200. au Caire. Ce lont des fourmillières d'Efclaves dans les appartemens des Hommes qui font en bas , & dans ceux des Femmes, qui logent toujours dans le lieu plus élevé. Quant aux Maifons des Marchands, 25". h 30 Perfonnes font le nombre commun, dont elles font compofées. Celles des Artifans ne font pas fans 2. 011 3. Efclaves; kies miférables, qui font le plus grand nombre, ont des Maifons li étroites, & leurs Families font fi nomoreufes, que tout cela joint enfemble, compofe dans une Ville, qui n'eft pas d une extréme étendue, un Peuple _ beaucoup plus conliderable, qu'elle ne paroit devoir en contenir. _ II faut aufli obferver, qu'il fe trouve m Caire pliuieufsOkelles, ou Caravanferails de 3- * 4- étages, les chambres petites, & ferrées- Tout cela eft plein, & fouvent une Familie n'a qu une chambre 11 n'eft pas auffi befoin dans les Maifons des Grands, &des particuliers, d'une grande étendue de logemenspour les Families. Des 30. & 40. Perfonnes couchent dans une meme laIe • quelques matelas, répandus fur les divans, font les liCs ordinaires des Maifons. Les matelas fe plient a la pointe du jour, & le jettent dansun cabinet; voila toute la facon qu'on emploie, & tout le lieu que ces perfonnes occupent. II eft vrai que le Peuple peut paroitre grand au Caire, par la petiteffe des rues, & qu'elles font d'abord fi remplies, qu'un Chameau chargé fait un embarras plus grand, qu'un Carol e n'en fait a Paris, dans la rue de Huchette ; & que tout cela peutaideratromper, mais il faut auffi convenir, qu'on ne voit dans les rues, que la moitié du monde, que le Caire renferme. On y eft naturellement parelfeux, & la plupart de Femmes fortent fi rarement, que tout cela fe compenfe avec la petiteffe des rues. Pour moi, je cro,i que le Caire eft auffi peuplé que Paris; que ks trois quarts de fes Habitans ne font que des miférables, qui Son Peuple nombreux. Fonne de? Maijons. Article II, Habitans, ou trés- ricbes,ou trés' pauvres,  J ] i ) i ] i Réfignation ■ iles Turcs alt Providence.Caufe <*? tette réfi- t gnation. ( Oualité des Habitans. Leur nnnbrè augmen'.è depuis les guerres de Hongrie. , ( j Mores, ty Coptes,ü riginaires du Pays, miprifés par ks Turct. :24-8 E'TAT PRE' SENT font pas,enmeubles,&en habits,la valeur de dix Ecus. IIn'y i presque pas de milieu entre une extréme mifère, de une fort grande opulence. Tout y eft grand, ou petit; gueux, ou ri:he; abjet, ou magnifique. Les riches y font extrêmement iches; les pauvres font plus pauvres, qu'on ne peut 1'expriner : mais, au milieu de leur indigence, ils ont au moins le >laifir d'être contens; ils ne murmurent jamais contre leur fort. Prévenus que leur deftinée eft écrite, ils croient, que c'eft une olie de fe plaindre du préfent, & de craindre un avenir, qui ie fe peut éviter, & qui peut être bon, comme mauvais. Us /ivent de la forte, au jour la journée, comme on dit; dépenant tout ce qu'ils gagnent aujourd'hui, dans 1'incertitude d en ouïr demain. Avec cinq, ou fix belles paroles, ils fe mettent 11'abri des chagrins. Dieu e/t grand; Dieu eji ïibéral; c'ejl mon Hoile, cela eji écrit; jefuisa la porte de Dieu; qui peut Javoir *avenir? La porte Dieu eji ouverte pour tout/e monde. II n'en faut Das davantage, pour les confoler de leur mifère, & de leurs iisgraces. Leur efprit n'eft point ingénieux a les tourmenter. Ces Habitans confiftent en Originaires du Pays, qui font Mo* "-es, ou Coptes, ou Turcs, qui s'y font rétirés de divers endroits de 1'Empire Ottoman, furtout depuis les dernières Guerres de Hongrie. Ou compte, que le nombre s'en eft accru de 500. mille Perfonnes; & enfin en Milices du Gr and-Seigneur, jui font fept Corps de Troupes différentes, dont les trois plus :onfidérables, font les jtanijjaires, tesJraps, & les Hijpahis, >u Cavaliers. Le Pacha a fous lui 24.. Beys, entre lesquels la campagne eft partagée. Les Turcs ont un très-grand mépris pour les Originaires du Pays. Les Originaires époufent ordinairement de Femmes de leur Nation; mais les Turcs n'en ont guère, qui ne viennent de Mojcovie , üAllemagne , de la Rajcie, Gèorgie, du autres Pays Septentrionaux, dont le fang eft le plus beau du Monde. Us eftiment cependant, par delTus toutes les Femmes, cel-  de l'EGYPTE. Liv.III. Cii.III. -1245 celles fVJbiJJinie, dont le teint, a la verité, eft un peu bazané, mais dont les traitsdu vifage font admirables, auffi bien que le refte du corps. Ils difent, que ces Femmes font toujours fraiclies dans les plus grandes chaleurs de 1'Eté, & qu'on trouve en elles une égalité d'agrémens, que les Femmes. des autres endroits ne favent pas foutenir. Je ne ferai pas une exacle defcription de leurs lrabillemens; on en a vu affez de portraits dans toute Y Europe; mais j'ofe dire, que leur coëfFure eft tout-a-fait noble, & charmante, que • non feulement leur vêtement a quelque chofe de majeftueux.; mais qu'en ce pa)»s, oü elles ont fouvent des habits légers., a caufe de la chaleur, rien n'eft plus agréable. Leur propreté, au refte, ne trouve rien a quoi elle puiffeêtre comparée, qu'a elle même. 'Les bains fréquens, les lavemens continuels des piés, & des mains, le foindes moindres chofes, les eaux odoriférantes, les parfums, tout cela eft pratiqué exaótement, par,les -Femmes de ce pays. Quand elles fortent de leurs Maifons, elles Tont beaucoup ■moins parés que dans leurs Harems, ou Apartemens, en cela • différentes des Dames d'Europe, qui referventce qu'elles ont de plus beau pour le dehors, &fe tiennent en des-habillé dans les Maifons. Tout le monde fait, qu'un Turc ne peut avoir plus de quatre Femmes légitimes, mais des Efclaves, tant qu'il en peut nourir. Lors qu'une Efclave devient enceinte, elle eft d'abord libre, & devient la Femme de fon Maitre. Ils aiment mieux acheter des Efclaves,que prendre des Femmes libres,linies quelles ils n'auroient pas un pouvoir abfolu; c'eft pour cela, que, lorsqu'un 'Homme veut marier fon Fils, il lui donne une ■Efclave, qu'il aura élevée dans une grande jeunelfe; &que., s'il a auffi une'Fille a marier, il lui donne un de fes Efclaves, qu'il met en liberté; de forte que le Mari eft toujours, ou leMaïtre --abfolu, ou il eft Efclave, comme auparavant; car une Fille ma- Yyy yyy y més ArticleJXT. Habille- ment, extréme prepreted.es Femmes.  J I ] IfmmesjaIouk, Femmes infidèles. .. ' 25o E'TAT PRE' SENT ióe a f Efclave de fon Père, confervé fur lui un pouvoir, qu'il foferoit attaquer, fans danger de vie. 11 n'y a guère de pays au monde, oü les Femmes foient plus exaótement gardées qu'en Egypte, foit par la coutume pratiquée dans tout VOriënt d'enfermer les Femmes, foit paree que la jaloufie de ce pays 1'emporte fur tous les autres du monde. Les Harems, ou Appartemens des Femmes, font fi ferrés, que non feulement on ne peut y entrer; mais même il n'eft pas permis d'en approcher. . S'il y a dans une Maifon plufieurs Perfonnes mariées, les Femmes ont leur Appartement ïêparé; & il n'y a que leJMari feul au monde, les Eunuques, quelques petits Garcons de Q.a 10. ans, & le porteur d'eau, qui puiffe y entrer. Dès que le Mari entre, il frappe des mains, pour avertir; &, s'il y a des Femmes étrangères, on lui ferme la porte, comme a tout autre; il ne lui eft pas permis d'entrer en ce tems-la, & les Turcs font la-deffus d'une régularité inconcevable. Les Femmes fe vifitent les unes les autres, comme en Europe. Les converfations fe palfent en tous les divertiffemens, qu'elles peuvent prendre,mais principalement aux changemens d'habits; &plus une Femme en confidère une autre, qui la vient voir, plus elle met d'habits différents pendant la vifite qu'elle en recoit. Lorsqu'une Femme de confidération en va vifiter une autre, plufieurs Janiffaires marchent devant elle; &elle eft fuivie de 10. a 12. Filles de fes Efclaves parfaitement bien mifes. 11 eft aifé de juger , quand dix , ou douze Femmes extraordinaires font dans des Appartemens, oü il s'en trouve déja autant, quel bruit cela peut faire. Leurs vifites commencent au matin, & nefinilfent qu'aufoir. Les pipesne manquent point d'y être fervies; & l'on affure, que les Femmes ne font jamais fi charmantes, qu'en fumant: Elles font mille mignardifes. On en voit quelque-fois auxfénêtres, avec la pipe a la bouche. Cela n'eft pourtant permis, qu'a celles qui ont eu des Enfans. Lors qu'il y a des  pel'EGYPTE. Liy. III. Chap. III. i2?i des réjouïffances publiques, comme pour le gain d'une bataille, la naiffance d'un Fils du Grand-Seigneur, ou Télévation d'un SucceiTeur au Tröne, les Femmes fortent, pendant trois nuits confécutives, •'.& courent en liberté toutes les Maifons de la Ville, qui font alors illuminées, &ouvertes a tout le monde. Elles fortent auffi le vendredi, pour aller viliter les Sépulcres, ouprier pour les morts. Lesbains font auffi une occafion de fortie pour les Femmes, lorsqu'il n'y en a point de particulier dans leur maifon. Le même privilége, qui eft attaché k 1'Appartement des Femmes, eft auffi attaché a leurs Perfonnes. On ne fauroit leur faire la moindre injuftice; fi cela arrivoit, par hazard, il eft permis a la Femme de vous frapper le vifaïage, avec un papouche, qui eft un des plus grands outrages qu'on puiffe recevoir en ce pays. II y a pourtant eu a Confiantinople un Miniftre du plus puilfant Prince de Y Europe, qui., dans le dernier Siècle, a recu un pareil affront du Grand-Vifir , fans que ce Prince fi puilfant, & fi rédoutable, en ait tiré vangeance, comme il auroit pu, &fe rendre, en même tems, plus rédoutable aux Infidèles, que n'avoient fait tous fesAugufte Aïeux, qui avoient entrepris de les exterminer. Pour re venir au Caire, après cette courte digreffion, lorsque les Femmes fortent, elles font toujours accompagnées par des Eunuques, par des Filles Efclaves , ou par de jeunes Garcons. Qui ne croiroit pas, avec toutes ces précautions, qu'un Mari fut en fureté, & qu'il n'eüt rien a craindre de fa Femme? Cependant il n'y a peut-être pas de pays au monde, oü elles foient plus infidèles, & plus fripponnes. On peut dire d'abord en général, qu'il n'y en a aucune quin'aitla-deiTusfmtention fort bonne. Le peu d'éducation qu'elles ont, la vie oifive qu'elles mènent, la fatisfacïion qu'elles ont en toute autre chofe, les difcours qu'elles tiennent entre elles, oü il ne règne ni pudeur, ni retenue, le peu d'attachement que lesMaris ont pour chacune de leurs Femmes, auxquelles plufieurs Maris fuffiroient avec pei- Yyy yyy y 2 ne; Articlé/r. Leurs devetions les vendredis. Leur manière de prendre les bains. Leurs con ■ verfations, leur likrtinage.  I I 1 « ] ] j Jdrdin, qui. faxorije ( les galanteries des • Dames. . i 252 E' T A T PRE'SENT ie; le penchant qu'elles lavent de plus, que leurs Maris ont >our les-Garcons, qui eftun vice abominable, &trop commun :n ce pays; Tout cela joint a Pardeur du Climat, oü l'on ne efpire qu'un air de feu, qui palfe aifément jusqu'au cceur, rend es Femmes difpofées a 1'amour, &.aiüïï .entreprenantes, que ènfibles. -. La plupart de nos Franpois, qui font au Caire, pourroient m parler favamment; & les Turcs n'ignorent pas ces fortesd'a«mtures. 11 y a un jardin, qui palfe du quartier des Francs lans un-autre, oppofé a f endroit, qui favorife la paffion des Dames. - On alfnre, qu'il y-venoit autre-fois des Femmes des Beys, ou Princes du pays, & que les plus grandes Dames de [a Ville ne trouvoient point de lieu plus délicieux en Egypte; mais , foit, qu'un jardinier avare, qui fervoit de Miniftre aux Rendez-votis, eut, en effet, tué la Femme d'un Bey, pour lui voler dix mille Ecus de pierredes, qu'elle avoit fur elle; foit que [es Turcs aient fait courir ce bruit, par adreffe, pour rendre leurs Femmes plus retenues, on afTure, que bien des Femmes a'ofent plus s'y hazarder aujourd'hui; & que les bonnes fortiw nes font devenues plus rares que jamais. 11 dépendoit fouvent du Jardinier de favorifer un Franpois, plutót qu'un autre; car la plupart du tems, la palïïon de ces Dames n'avoit rien de certain. Quelque-fois auffi, lorsqu'ellesavoient un objet déterminé, il fabit leur faire paffer la Nation en revue, pour leur.donner le mo.'en de reconnoitre celui, qui les avoit frappées/- Elles fe dérobent, ou en engageant leurs Eunuques a.les fervir, ou en entrant au bain fous un habit, & fortant après fous un autre, qui ne peut être reconnu, ou enfin elles trouvent quelque autre moïen pour fe fatisfaire. Mais les Franpois ne font pas les feuls, qui aient part xurx faveurs des Dames. Un efclave, que le hazard leur offre; un Servitcur, qui fe trouve dans la maifon; le porteur d'eau, quifera.peut-être le feul Homme,qu une Femmepuiffe voir en face 5 tout  de l'E G Y P T E. Liv. HL Ch. III. 125:3 tout eft bon dans un pays, oü Pon n'a" pas a choifir, -■&■ oü le coeur ne peut être pris, par les affiduités, ou par un mérite üngulier; oü les defirs font violens, les occafions rares, & lesmomens précieux. II faut cependant demeurer d*aceórd, que les FiMes y confervent leur chafteté, fouvent plus régulièrement, qu'elles ne-' font en Europe, paree qu'autrement elles ne trouveroient point de Maris, & qu'elles feroient rigoureufement punies, s'il arrivoit un accident; car, a moins de donner, le jour de leurs ndces, un témoignage vifible de'leur virginité, .elles font expofées fouvent a perdre la vie de la main même de leurs parens. Auffi eft-ce la coutumê en Egypte, lelendeiriain dés nöces, de porter dans les rues ces fignes de chaftetéque fon gardoir/ autrefois chez les Juifs. 11 eft au refte aifé de'fe pérfuader, que la jalouïïe eft une paffion, qui doit régner dans 1'Appartement des Femmes. On en a vu, depuis peuun exemple bien fingulier, dans la Perfonne d'un jeune Efclave maltraité par fa maïtrelfe, a caufe de quelques privautés, que le Patron avoit avec lui. II s'empoifonna lui même, pour empoifonner fa maitreiTe , avec plus de fureté. Ces désordres feroient peut être plus grands, fi les Femmes avoient la liberté d'achêter diï poifon ; mais on n'en vend qu'aux Hommes*. Plufieurs Marchands de ma connoiffance m'ont même alfuré, qu'ils en avöient refufê abien des Femmes, qui leur en avoient demandé". II ne feroit'pas cependant fi facile a une Femme d'empoifonner fonMari, puisqu'elle ne mange jamais avec lui. II n'y a que dans leCaffé, ou un vafe a boire de * l'eau, qu'on puiffe le faire. C'eft aujourd'hui une chofe affez ctfmmüne parmi les Turcs, quë d'empoifonner dans le Caffé, le Sorbec, ou les Parfums; mais d'un poifon,qui tue quelque-fois en I. heures du tems. Le Pacha,qui précedoit eelui qui gouvernoit en 1602. empoifonna de la forte un des Grands du pays, qu'il ne pouvoit faire mourir autrement. II ft Yyy yyy y 3 & Cbafleté les Fük s. ■ Les Fews" mesne mangent jamais avec leurs 'Maris. Poifon ordinaire par* mi les Turcs.  22M E' T A T PRE'SENT i < i : An'clel Nombre des Mosquées de toute /'Egypte. it apporter une taffe de Caffé pour lui même dans le tems, que :et homme étoit avec lui; &, dans le même inftant, un Efclave, qui avoit le mot, lui préfenta une Requête a lire. Le Pacha iffecta d'être fort occupé, & pria le Seigneur de prendre le Caflfé pour lui; ce qui eft le plus grand honneur qu on puiffe ^ire en ce pays, & ce dernier mourut le même jour. C H A P I T R E IV. Quelque grand que foit le nombre des Mosquées, qui font au Caire, il s'en faut bien quil foit auffi confidérable, que le marquent plufieurs Auteurs. Quelques-uns ont écrit, qu'il yen avoit 24.000. Et jefus fur, qu'il n'y en a pas 300. tant de Maifous. II n'y a pas 5; 00. Mosquées , peut être pas 300. fi on ne compte pas, pour des Mosquées, certains Tombeaux, ou Chapelles, dans lesquelles on fait la prière, encore qu'ils n'aicnt pas de minarets, c'eft-a-dire de clochers. II y a une grande quantité de ces Sépulcres de Santons,ou Hérémites Turcs, dans la Ville. II y en a même quelques-uns de Saintes, quoique la coutume ne foit pas en Turquie de canonifer les Femmes. Ceux qui ontparlé de 24.000. Mosquées n'ont point, inventé ce nombre, ils ont feulement erré dans 1'explication. On affure, qu'il y a dans toute VEgypte 24.000. Mosquées. La preuve, que l'on en donne, eft, que le Kadilisker, qui y eft envoïé de Confiantinople, de 18. en 18. mois, & auquel il appartient un fequin,ouducat, de toutes les Mosquées du Roïaume , retire cette fomme de ce feul droit. Les Turcs ne font jamais batir une Maifon un peu confidérable, qu'ils n'y joignent une petite Mosquée, ou Chapelle; cela fe connoitaune niche, qui eft toujours orientée, de forte qu'en fe mettant devant cette niche, on regarde ce qu'ils appellent Beitb-  de L'EGYPTE. Liv. III. Ch. IV. izfr Beith-allah, la Maifon de Dieu, qui fe trouve a la Mèque, & non le Tombeau de Mahomet, comme je fexpliquerai ailleurs plus particulièrement. - Le Caire étoit autrefois environné de murs avec des Tours, de diftance en diftance. On en voit encore une partie. On voit aufli quelques Portes très-anciennes, & très-bien baties. Les Portes3 quiy fubfiftent encore, font couvertes de lames de fer, comme lelont celles & Alexandrie; & fon reconnoit, que la fabrique eft d'un même tems. Partie des murs du Caire font abatus, partie enfévelis fous les montagnes de terre, qui fe font accrues des ruines, qu'on y a tranfportées, qu'on y charroie encore töus les jours, & qui ont enfin furmonté la hauteur des murailles. Le Caire n'eft proprement fermé , que par des barricades. dont les rues font retranchées, pour fe défendre des voleurs. Les Mosquées font les ouvrages modernes les plus eftimés dn Caire; & parmi ces modernes, il s'en trouve, qui ont 7. a 800, ans, baties par les anciens Rois üEgypte, dont elles portent les Noms. Le nombre de Colonnes, qu'on a tirées & Alexandrie, & des autres Villes anciennes, pour foutenir les galeries, qui règnent'tout autour des Mosquées, eft incroïable. II y a telle Mosquée, quia envirön 800.Colonnes de toute fortede marbre, & de grandeur. 11 fe trouve aufli au Caire quelques Palais des anciens Rois, & des Maifons trés-anciennes, avec des fales d'une grandeur, & d'un exhaulfement extréme', plafonnées de bois: ouvrage couvert d'or, & d'azur. Ces plafonds ont une manière de Döme ouvert, pour recevoir 1'air. Ces fales font pavées de marbre, avec des compartimens, & des delfeins bigarrés. Les murs font quelque-fois encruliés, a la hauteur de 10.au 12. piés; au milieu de ces fales font des Baffins pavés de marbre, avec des Fontaines. • C'eft fur ce mödèle que les plus nouvelles font baties. II faut avouër, que ces fales, qui ont 1 elevation de nos Eglifes, & quelque-fois 1'étendue, lont tout-a-fait convenables au climat. On Le Caire fermé par des barricades. Jusqu'a 800. Colonnes dans üne Mosquée. Magnificence des Palais du Cairs. Elévation des plafendt extraj ordaires.  *zf6 [E' T AT P R E' S E N T . Rkbeffie ies fiks. Aj-tid« //. Reiiques n'un anti teau d'une gmn de raYeti, pour les antiques, qui s'y trouvent. Sit,uatimd .f'b.ite.iU d\ Caire. On a des inventions, pour y introduire le vent, & les rafraichir au paffage. Ce font des manières de gorges de Loup, qui réponderit a des couliffes affez étroites, .oü fair, paffant avec rapidité, fe mêle a la fraicheur des eaux. L'élevation des fales, & le marbre, qui règneen tant dendroits, nourriffentce frais charmant; en forte que, dans les plus grandes chaleurs de 1-Eté, il eft difficile de s'y tenir fans péliffe. On meurt de chaud au deiiors; & fon gèle presque, lorsqu'on eft dedans. C'eft ainfi qu'on a trouvé une manière d'Hiver, au milieu des ardeurs de YAJrique. Les Femmes ont de ces fales dans leurs Appartemens; & l'on peut dire, que c'eft-la principalement oü éclate la magnificence des Turcs. Ces fales font toutes brillantes d'or & d'azur; mille peintures a la Turque y diverlifient les lambris, & les murs. La porcelaine garnit de certains endroits. Les tapis de Perfe, les coulfins d'or; &, tout ce qui fert a parer un Divan couvrent los planchers de ces fales. Parmi les anciens Palais des Rois qu'on montre encore, ilya une manière de Fortereffe, ou Chateau bas, différent du Chateau du Caire, bati fur le même rocher que f autre. II en eft éloigué d'environ un mille du cóté du Nord, & eft presque a niveau de la Ville. On voit au pié d'un de ces murslafontaine,furnommée des Amoureux. C'eft un endroit, oü fe diftribue l'eau le long de fannée. II y a une Caiffe de momiefaite d'une pierre noire, trèsdure, qui fert debaffin a l'eau du Nil, qu'on fait couler en cet endroit. Cette Caiffe eft entière, fort épaiffe, Sc fort grande, -couverte d'Hyeroglifiques fort beaux; & c'eft affurément un des plus rares, & des plus curieux reftes des Antiquités dl*Egypte. -Cette pierre doit avoit fervi k un Roi, ou a un très-grand Prince. ( Quant au Chateau du Caire, oü le Padia fait fa demeuré, il 1 eft fitué a demi cöté de la montagne de pierre, dont j'ai parlé. -Cette pierre eft efcarpée en plufieurs endroits, partie revêtue, &  dl l'E C Y P T E, Liv.III. Chap. IV. 1257 & partie non revêtue. On découvre toute la Vrille du Chateau, comme on découvre tout le Chateau de la pointe de la montagne, fous laquelle il fe trouve, a une portée de mousquet. II ya de ce cöté-la un petit folfé taillé dans le roe,quia 10. a 12. piés dans Fendroit le plus profond, «Sc 20. ou 2$. de large. II manque en plufieurs lieux. Ce Chateau eft flanqué par d'affez bonnes Tours, fur lesquelles on voit quelques Fauconneaux; car ce feroit trop les honorer, que de leur donner le nom de Canons. Le Cbdteau eft tellement du cöté de la montagne, que le canon ne pourroit Fendommager, s'il étoit pofé fur la hauteur. 11 faudroit le placer entre cette montagne, «Sc le Chateau même, a la demi-portée du mousquet. Le refte du Chateau eft bati enterraffe, «Sc fe trouve presque tout environné de la Ville. II y a dans une des extrémités un retranchement occupé par les milices. Ce font 4. a y.grofTes Tours bien baties, qui font une enceinte de J. a 600.pas de circuit. L'Appartement du Pacha, & le refte du Chateau, auquel il communiqué par une Porte, en eft commandé. Lorsqu'un Pacha n'eft point agréable aux Troupes, on lui fait dire de fe retirer. On braque trois ou quatre petits Canons contre fa Maifon, qui la fondroit en un quart d'heure, s'il vouloit faire la moindre réfiftance. La plupart des terrafTes, qui tournant vers le Meydan, qui eft une grande place, oü fon fait Fexercice deux fois la femaine, en faciliteroit F entrée; outre que le pié en eft embarraffé.par des Maifons, qui font li négligées, qu'on pourroit entrer par mille endroits dans le Chateau. Le Chateau lui même n'eft que ruines ; «Sc les Officiers du Pacha font fi mal logés, que c'eft une chofe pitoïable. On voit une affez belle place devant ce lieu, oü fe tient le Divan. Elle a 300. pas de longueur, «Sc guères moins de 100. de large. Ceft un quarré long, «Scrégulier. On montre dans le Chateau, prés durétranchement, dont j'aiparlé, le puits, ap- Zzz zzz z pellc  I Puits de » Jofeph. ' i 3 < i « Divan de jofeph. .,-S E'TAT P R E'S E N T >cllé de Jofeph, creuféa la pointe duCizeau. Plufieurs Auteurs :n ont donné les juftes dimenfions. Ce n'eft point un ouvrage I admirable qu'on le dit, quoiqu'on ne ouifle disconvenir de la ongueur du tems, qu'on a emploïé pour le faire, Sa profondeur ;ft comme partagée en deux,.du fommet jusqu'a fa moitié; On l defcend, par un efcalier, ou galerie, qui règne autour, en:aillé dans la pierre. 11 aétépratiqué pour y faire defcendre des Bceufs, qui travaillent fur cette platte-forme, pour élever l'eau fune feconde ouverture, qui fe trouve a cöté; ainfi l'eau n'eft oas perpendiculaircment fous la bouche du puits. II n'y a plus de galerie de ce milieu jusqu'a l'eau, paree qu'il n'eft plus befoin d'y faire defcendre des animaux pour la tirer. Elle eft puifée, de la manière qu'on le pratique dans les jardins lux environs de Paris; c'eft-a-dire, par une roue, fur laquelle il y a des cordes j auxquelles des pots de terre font attachés. Toute la différence qu'il y a eft, que ces cordes font fort longues dans le puits de Jofeph, & qu'elles le font moins dans ces jardins; que d'ailleurs l'eau s'y tire en deux tems, a caufe de la profondeur du puits; c'eft a-dire, qujaji milieu il y a une dë ces roues, qui tourne, & qui amene l'eau dans une capacité qui y eft ménagée ; & qu'au haut du puits il y a urie autré roue, qui la tire de cette capacité. 11 ya toujours, au moins, quatre Bceufs, qui travaillent fur chaque roue ; &l'ordinaire eft fix. Cette eau ne fert que pour les animaux, &les ufages domeftiques en différentes maifons. On pourroit cependant s'en contenter dans un befoin. On voit auffi dans le Chateau un lieu, environné de 30. colonnes de marbre granite fort belles , & fort hautes , autour des quelles règne une efpece deDome lambrifé, écrit en lettres Arabes. On 1'appelle le Divan de Jofeph. II eft fur, que ce lieu a autre fois fervi de fale a un Roi ÜEgypte. II n'y a rien de plus exhaulfé, de plus grand, ni de plus beau, dans tout le Chateau. U eft aujourd'hui abandonné, & de nul ufage. II y a plu-  de L' E G Y P T E. Liv. III. Ch.IV. 12,-9 plufieurs autres endroits, avec des colonnes, dont la plupart fervent d'écuries. LtKiaïa du'Pacha»a.fesécuries dans un lieu fbutenu par quatre grandes colonnes de la même pierre. Les chevaux font beaucoup mieux logés que les Maitres. L'Appartement du Roi tournoit fur la place du Meydan, ou de la ramelle , qui fe trouve au pié du Chateau. On y voit encore leurs Divans} & plufieurs belles Sales, dans Tune desquelles on travaille au pavillon, deftiné a la Maifon de Dieu, qui fe trouve a la Mèqué. Quelques Pachas y ont fait leur réfidence ; mais les grands entretiens, que ces lieux demandent,plutöt que le mauvais augure d'un Pacha,qui y fut étranglé, ont obligé fes Succeffeurs a choifir un autre lieu , qui n'eft qu'une cabane auprès de celui-ci. On voit dans le Chateau un Divan, ou Sale des anciens Rois, dont le Dóme eft foütenu par 34.. Colonnes de marbre granite . dune hauteur,& groffeur extraordinaire. Elles ont, au moins, „±$1 piés de hauteur, compris le chapiteau. Comme il y en a .une beaucoup plus longue que les autres, dont on ne voit point la bafe, & qu'elle eft même un peu plus groffe, on juge aifément , que ces colonnes ont fervi en d'autres endroits, avant qu'on les emploïat.a cet édifice. En effet, c'eft un ouvrage du tems des Arabes de 7. a 800. ans au plus; car on voit en haut de ce Divan, a 1'entour du Döme qui eft ouvert, felon 1'ufage du pays, diverfes infcriptions en Arabe, dont les Lettres font des picces, & morceaux de bois, fouvent de la grolfeur du bras, &de la longueur d'unllomme. 11 feroit diffkife, que.ce's caracïètes s'effacaffent; auffi font-ils fort entiers; mais on a perdu k moitiéfintelligence de zet Arabe, dont 1'entrelacement des Lettres fait f obfcürité. Cette fale, qui eft ouverte au Nord, comme toutes les autres, qu'on batit au Caire, pour la fraicheur, fert aujourd'hui .de paffage; & fon a auffi bati a 1'entour diverfes boutiques, & des maifons, dans lesquelles quélques-unes de ces Colonnes fe trouvent enfermées. On voit quelques Infcrip- Zzz zzz z 2 tions  I t < Colonnes d'umnarhri précieux & ton marcbé ou Caire, tailleurs. 260 E' T A T P R E' S E N T ions Arabes fur une ou deux de ces Colonnes ; mais tout cela ft poftérieur au tems, qu'on tiroit des Colonnes de la HauteEgypte, f ufage en étant perdu depuis la chute de la grandeur Alexandrie, & la ruine de cette fuperbe Ville, qui a fourni toutes celles, qui font emploïées dans toutes les Mosquées, «Sc les Maifons confidérables de V Egypte, peut être au nombre deplus quarante mille. 11 s'en trouve de grands Magafins au Caire, de toutes les fortes, &a tres-grand marché. 11 y en a également a Rojfette, «Sc a Alexandrie. 11 n'y a pas long tems qu'un Officier des Janiffaires aïant acheté un jardin, trouva dans un monticule qu'il vouloit applanir, fix des mêmes Colonnes, qu'on voit au Divan du Chateau, appellé communément le Divan de Jofeph; «Sc, comme elles étoient trop grolfes, pour être tranfportées, en ce tems-ci, oü fon n'a pas, en Egypte fur tout, des machines pour mouvoir de fi groffes malfes, on les coupa en forme de meules de moulin, «Sc pour en fervir véritablement. On en a bnféune infinité pour le même ufage. II n'y en a point d'autres dans tous les moulins du Caire, &de YEgypte; «Sc il n'y a pas de maifon un peu confidérable,qui n'ait le fien. Heft vrai, que les fix Colonnes, qu'on coupa ainfi, n'ont peut-être pas valu 200. écus a leur Maitre; & qu'il n'y a point de Prince en Europe, qui n'en eut payé 2000. Ecus de fune. Car, après la Colonne de Pompée, qui eft, fans contredit, la plus grande, «Sc le plus merveilleux ouvrage, qui foit dans 1'Univers, en *ce genre, on n'en voit en aucun lieu de plushautes, «Sc de plus grolfes. C'eft ainfi que la barbarie détruit ce que la politelfe des fiècles précédens avoit produit avec tant de peine; car que ne coutoient pas ces ouvrages, «Sc quelle devoit être la magnificence de cette Alexandrie, dont on en atiré un fi grand nombre, «Sc oü il en refte encore une prodigieufe quantité, foit fur pié, ou renverfées? Pour  de L'EGYPTE. Liv. HL 0a.IV. ïz6i Pour revenir a ce fameux Divan, les Turcs difent, qu'il eft abandonné, & qu'il fut même ruiné dans fes principaux ornemens par f Empereur Selim, le dernier Conquérant de V Egypte, paree c ue, comme il ne pouvoit tenir fa Cour zu Caire, il dit, que, fi un de fes Vifir s fe voïoit dans un endroit fi fuperbe, il s'ejlinieroit autant que lui. On voit dans ce même Chateau divers anciens Appartemens. Ceux oü ilya des Colonnes font les plus vieux. On trouve encore des Sales , dont les voütes font élevées fur deux rangs de Colonnes, les unes fur les autres, du moins du cöté du Nord, & du Couchant. La plupart fervent aujourd'hui d'écuries. Tout ce qui efthabité eft moderne, & bati,comme ondit, de boue, & de crachat. . II y a un très-bel Appartement, & des Divans admirables de e. a 600.ans, qui regardent la grande place, ou Meydan. Ce batiment aboutit fur une terralfe d'une hauteur prodigieufe, qu'on a élevé fur un mur très-haut contre 1'efcarpement de la roche, qui étoit fort haute, & fort droite en cet endroit. II y a, au milieu du mur, un avancement fur des arcades, qui font a perte de vue,foutenu par des piliers quarrés de 30. a 40. piés dediamètre; fur cet avancement eft un falon percé de tous cötés, dont le plafond eft foutenu par des piliers. La principale ouverture eft au Nord. On découvre de-la tout le Caire vieux, & nouveau. Les Pachas habitoient autre-fois cet Appartement; mais, depuis qu'on y^na étranglé un, il ne fert plus qu'aux Ouvriers,qu'on emploie le long de fannée a la tenture,ou pavillon brodé, qu'on envoie a la Mèque, & dont il a été parlé ail^ leurs. Les Pachas demeurent a-préfent fur cette autre pointe du Chateau tournée vers \eMidi. Ilya dans ces Appartemens de beaux morceaux entremêlés de ruines, & de mechantes huttes, oü les Officiers habitent- Is ma el Pacha, qui gouvernoit YEgypte, il y a quelques années, fit batir un Appartement fort joli furun Zzz zzzz 3 angle,  FT A T PRE'SENT angic, dont un cöté tourne, ainfi que le refte de la Ville, vers le Midi, mais dont 1'autre eft expofé zuCoucbant, & même au Nord, & fur la même pointe que legrand Appartement, dont je viens de parler. Au.milieu dece petit Appartement, il y.a un jardin, qu'on entretient avec une peine extreme; car il faut y apporter: f eau du Nil; & divers, chameaux font inceffamment emploïés a cet ulage. Ce bdtiment coüta a ce Pacha environ 4.0000. Ecus. Ceft presque tout ce qui eft habitable aujourd'hui. II eft rare, qu'un Pacha falTe aucune réparation. lis ne reftent jamais en Egypte , que quatre années tout au plus. Ils ne font pas fürs d'y en demeurer la moitié. Us fe regardent donc comme palfagers, & ne fongent qu'a amaffer de f argent. Us ne lailfent pas de palfer chaque année dans leurs comptes une fomme, deftinée par le -Grand-Seigneur pour fentretien du Chateau , auquel on ne fait pourtant jamais rien; auffi eft - il dans un état pitoïabie, tant pour le dehors , que pour le dedans. Le quartier des Janijfaires , ;& celui des -Haraps, . font les feuls entretenus. Celui de ces derniers eft plutöt au.deflbus, que dedans le Chateau même. II eft immédiatement . fous f élevation du grand Appartement, oü fan travaille au pavillon de la Mêque. Celui des Janiffaires eft une manière de Citadelle dans le Chateau même. C'eft un réduit flanqué de grof, fes Tours „de pierres, bien baties, qui deminent f Appartement du Pacha, jk le quartier des Haraps. Ilya quelques mechantes pièces de canon, qu'on tourne vers} 1'Appartement du Pacha, .&le quartier des Haraps, quand on veut leur faire peur. Tout élevé qu'eft ce Chateau, il eft tellement dominé par la montagne, qu'on pourroit y jetter des pierres avec une fronde. Les ffaraps n'ont pas tpujpurs été, oü ils font préfentement. Jls occupoient autre-fois un vieux Chateau a quelques 500. pas de celui-ci, en tirant vers le Nord. Ce Chateau étoit pofé fur un rocher. .C'étoit peut-ètrqce quon appelloit Babyion du tems -des  de' L' E GYPT E. Liv. III. Cu. IV. 1263. des Romains. II eft, a la vue, inconteftablement plus ancien que celui d'aujourd'hui. On y voit encore des murs, & des portes affez entiérês. 11 n'eft' plus habité, que par des miférables. 11 n'étoit pas de 1'étendue du dernier, ni de fon élevation. A peine le reconnoit-on d'avec les autres Batimens du Caire , lorsqu'on le confidère dü grand Chateau la Ville, dans laquelle il eft enfermé. Au pié de ce vieux Chateau eft un endroit , oü Ton donne de l'eau, comme en beaucoup d'autres, gratuitement. . La pierre, ou auge, dans laquelle elle tombe, étoit autrefois un cerceuil, ou Tombeau; & fon en a troüvé encore quelques autres en Egypte, de la même pierre noire, & trés-dure, • femplis d'Hyéroglifiques, comme nous favons déja dit ci-delfus. II y a apparence, qu'on les a trouvées dans les Piramides, qui ont été démoliés. C H a P I t R ë V. T}armi la quantité d'anciennes Mosquées, qui fe trouvent dans Article/. X le Caire , il y en a plufieurs, qui mériteroiënt une defcription particuliere. Ce qu'elles ont de plus remarquable font desDömes, & les minarêts, ou clochers. Leurgrace, leurproportion, leur hardielfe, la grandeur de quelques-uns, ne fe peuVÉnt affez admirer; mais les ornemens, & figures extérieures font tout-a-fait dignes d'attention. Les uns font travaillés en forme de dehtelles, d'autres en compartimens de fieurs, d'autres en efpèces de parquets, d'autres a cóte de melon; & il y en a beaucoup de ceux-ci. On voit dans les autres, d'efpace en efpace, des pierres vertes, cVbleues, qui en relèvent encore 1'a- grément:  Forme des Mosquées en Egypte. Forme des cercueils,ou tombes, qui couvrent les tombeaux dans les Dimes. 126*4 E'TAT PRE' SENT grément: tout cela eft enbolTede la même pierre, quicompofe le Döme. Elle eft unie en dedans, & travaillée en dehors; & ces pierres font fi bien jointes, &fi bien liées, qu'elles ne peuvent être pénétrées par la pluie, & qu'on n'en voit aucune fé~ parée ; car, quoique lepaifTeur de ces Dömes ne foit qu'un pié, & demi, au plus, en n'en voit aucun d'entre-ouvert; & ils font fi bien batis, qu'après les 6. &700. ans, ils font aufli entiers que le prémier jour. 11 y en a quelques-uns platrés en dehors, & dont les filagrames font aufli faits avec du platre; mais ce font les modernes, & la feule forme montre alfez leur age; caron nepeut atteindre aujourd'hui au tour, &a lagrace des Anciens. On voit autour de la plupart de grands Cara&ères Arabesen reliëf, qu'on peut lire fort diftinélement, en tournant a 1'entour. Us lont la plupart a 1'exterieur ; & ceux, qui lont au dedans, font fouvent en peinture. Les Dömes font toujours les endroits, fous lesquels repofent les corps de ceux qui les ont fait batir. Les Mosquées font toutes ouvertes en Egypte; ce font ordinairement des Cours environnées de galeries foutenues fur des Colonnes. Les Turcs, qui veulent être a 1'ombre, font leurs prières fous ces galeries. Au milieu des Cours, lont des fontaines, ou refevoirs d'eau, pour fe laver. Les Dömes font élevés aux coins de ces fortes de Cours: ce font des efpèces de chapelles d'un exhauffement extraordinaire. Quelque-fois il n'y a point de Döme. Souvent il y en a deux, quelque-fois aulfi davantage. Lorsqu'il y ena deux, ils font toujours égaux, & placés régulièrement pour lafymétrie. Après les deux grands, ïl y en a quelque-fois deux petits aux autres coins de la Mosquée. Les corps, repofent ordinairement dans un petit caveau; &, a 1'endroit, oü ils repofent, il y a une élevacion, fur le parquet du Döme, d'un pié & demi de hauteur, & de la longueur d'un corps humain, fi c'eft un homme; & moindre a proportion, fi c'eft un enfant. Ces élevations font couvertes d'une manière decercueil a jour; & fur ce cercueil eft une draperie  de l'E G Y P T E. Liv III. Ch.V. i2c?$ rie verte, qu'on renouvelle de tems, en tems, autour de la quelle eft écrit en Lettres faites de drap rouge, & blanc, 1< nom du Roi, ou Seigneur, qui repofefous cette répréfentation On voit dans quelques-uns douze a quinze autres tombes. tant de femmes, & enfans, que des favoris du défunt. Lej Chapelles, pavées de trés beau marbre , font fouvent revetuej a la hauteur de huit, ou dix piés, & ornées de diverfes lampes. de quelques Alcorans, ou autres livres, qui contiennent 1'hiftoi re de la fondation, & même du fondateur. Ces Chapelles font fer méés a jour; «Sc il n'eft pas permis a tout le monde d'y aller faire la prière. Je fuis entré dans la plupart de celles, qui fe trouvent hors du Caire, baties par les anciens Rois. Les Minarêts font de petits Clochers, mais fort hauts, la plupart travaillés a jour, autour desquels règnent deux ou trois galeries, felon la hauteur. L'Iman y monte, pour appelier a la prière. II y en a de fort curieux au Caire. Pendant les nuits de la lune de Ramadan, ils font tous illuminés par une infinité de lampions; ce qui fait un fpectacle très-agréable. II y adans le Caire ce qu'on appelle, par excellence, la grande Mosquée, c'eft auffi la plus ancienne. Elle eft fondée depuis plus de 900. ans. On peut dire, que cette Mosquée eft une petite Ville. Elle aun revenu immenfe; &, s'il n'étoit difïïpé, ou détourné par les divers gros Seigneurs, qui en ont Padminiftration, on prétend, qu'outre dix mille perfonnes, qui en vivent journellement, il y auroit dequoi entretenir une Armée de 2000. Hommes. On y voit un Höpital pour les fous. II y a auffi une efpèce d'Univerfité, oü fe trouvent les moins ignorans des Turcs de toute YEgypte, qui font parade de leur ignorance. 11 y a parmi eux des Maitres de Philofophie , d'Aftrologie, d'Hiftoire, de Réthorique, & de Grammaire. On peut dire, qu'on y montre parfaitement cette dernière; car il n'y a point de lieu au monde, oü l'on enfeigne un plus bel Arabe, ni mieux la valeur des mots. On fait alfez, que c'eft un crime parmi les Aaa aaa aa Turcs Ornemens des Chapelles. Article IL Fapen des Minarêts, ou Clochers, Ecoles des Sciences.  ï Scrupule 1 rfex Turcs fur la mi- " nière de lire «rf"Alcoraa. * C è f I c c f I ( 1 1 j ] 1 i ■ Laes,iuife trouvent dans le Caire. 266* E' TAT PRE' SENT "urcsds malprononcer un mot deY JIcoran, comme c'en efl un utredele mal écrire; ainfi une de leurs grandes études eft dele rononcer dans la dernière perfectum. Ceft ce qui confervé la éritable, & prémière prononciation de YArabe, «Sc en empèhe aulfi faltération. Car, comme il n'y a pas de ■Livreaumone écrit en meilleur Arabe, «Sc qu on en perpétue la prémière rononciation, par les foins qu'on y a toujours apportés, cette .anguedureralong-tems. Auffi, voit-on qu'après tant deSiètes la Langue vulgaire du Caire eft très-peu différente en cela ies Langues, qui fe parient dans YEurope. On voit auffi dans le t aire grand nombre d'anciennes Maims, qui ont été baties, & habitées par des Rois, ou par les irincipaux Seigneurs de leur Cour. Les dorures des lambris font mcore auffi belles, après tant de Siècles, que fi on venoit de es y apliquer. On y trouve quantité de Colonnes fort belles, des >ièces d'un marbre fingulier. On voit a l'entrée d'une grande Sae, qui répond dans la vafte cour d'une Maifon, attenante a cele duCadilisker, deux Colonnes entre autres, qui font compoéesde trois autres Colonnes torfes enfemble, &qui fe réünifTent ;n une aux deux extrémités. Le travail , la hauteur de la Colon- ie,& le marbre même,rendent cc monument d1 Antiquité fort ; . ■ arecieux. Dans une autre Maifon, qui n'en eft pas fort éloignée, on voit une Colonne, ou aiguille quarrée de marbre granitc , fur laquelle onmefuroit autre-fois la croiffance du MI. Elle eft pleine de caraétères hiéroglifiques, «Sc fe trouveenchafTée dans un mur ; de forte, qu'on n'en voitqu'une partie. La pofiture de cette Colonne juftifie 1'ancienneté du Caire; car le cours du canal du Ml, qui paffe par la Ville, n'eft plus en cet endroit depuis un tems immémoriah 4 J'ai dit, qu'on trouve divers Lacs dans 1'enceinte du Caire. Tel eft celui du Piquier, voifin de la contrée des Francs; mais le plus renommé eft celui qui n'eft pas éloigné du Ch-itcau.Il peut avoir $ oo. pas  de l'EGYPTE. Liv. III. Ch. V. iaó> pas de diamêtre. Les plus grandes Maifons du Caire tournenü fur cette Birque, c'eft un terme propre au pays. Elle eftinondée pendant 8. a o. mois de fannée, & c'eft un jardin perpétuel pendant les quatre autres. Durant f inondation, ony voit un grand nombre de Brigantins dorés, fur lesquels les Perfonnes de confidération, & leurs Femmes, fe promènent a l'entrée de la nuit. II n'y. a pas de foir, qu'on n'y tire des feux d'artifice, & que laMufique nefefalfeentendre. Les jaloufies,qui règnent tout autour,font pleines d'une infinité de Femmes de qualité, qu'on ne laiffe pas, d'entre-voir a la faveur des illuminations, dont toutes les fenêtres des maifons font éclairées. C'eft un des plus beaux fpeótacles, que la nuit puilfe fournir aux yeux. II eft aifé de fe 1'imaginer, fur ce qui vient d'être répréfenté. La fraicheur de la nuit eft augmentéepar celle des eaux de cevafte balfin; Et l'on s'y dédommage, avec plaifir, des. chaleurs de la journée. Les Turcs. entendent parfaitement bien 1'art de fe garantir de la chaleur, &de fe ménager des lieux, oü elle ne pénêtre que difficilement. On en a vu qui fe font élevés des endroits a rëpo-. fer au milieu d'une cafcade. L'eau, tombant fur un large marbre, faifoLt tout a 1'entour une nappe, qui renfermoit le lit de repos. II faut avoir éprouvé certains jours de chaleurs étouffantes, qui règnent en Jfrique dans le mois de Mai, pour comprendre 1'artifice de ce deffein. On a déja dit en général, que les fales font aufli hautes,que nos Eglifes; & elles lont de plus rafraichiespar des jets d'eau, &par des gorges de loup, oü le vent de Nord s'engouffre. Un des. plus beaux morceaux de 1'antiquité, & dont aucun Auteur ( comme je crois ) n'aparlé, eft une des Portes du Caire, appellée BabeUJoutoué, qui fignifie Torte.de.1 entrée; paree que ce fut de ce cöté-la que le Sultan Selim fit brêche, & entra dans la Ville. C'eft une Porte d'une Architefture, que je n'entreprendrai pas de décrire, paree.que je ne m'y connois pas affez; je fais feulement, que je n'ai jamais rien vu de li beau, de plus ancien, ni de plus entier. Elle eft acAaa aaa aa z compa- Article///. AdreJJe des Turcs aft rarantir ies grandes daleurs. AntiqUt, £f magnifi* \ue 1'ortt.  12.53 E'TAT PRE' SENT Porte de h Vicloire. Caravanjêrails ou Magafins ies marcbandifesétrangères. I compagnée de deux Tours, qui en font le principal ornement. Ces Tours ne lont pas tout a fait rondes, elles approchent de f ovale; & il n'en paroit que la moitié. Elles ne paroiffent faites que d'une pierre. Tout f ouvrage eft parfait. La plus grande partie de ces Tours eft comme couverte d'un écuffon rélevé de 3.a 4.. doigts feulement du corps de la Tour. L'art s'eft furpaffé dans la fimplicité de cet ornement, & de quelques autres de cette nature, dont le deffous de la porte, & la pierre, oü eft une Infcription Arabe, font accompagnés. II n'y a, ni colonnes, ni figures. La Porte eft quarrée, comme toutes les autres de la Ville. La Porte Babel-NaJJer , qui fignifie Porte de la Vicloire, qu'on nomme auffi la Porte des Chrétiens, foit qu'elle ait été nommée ainfi, paree qu'il en demeuré, en effet, quantité dans le voifinage, ou paree que le Sultan Selim y battit encore les Mammelucs, quoiqu'elle ne foit pas comparable a celle de Babel-Joutoué , elle eft digne d'une attention particulière ; car, bien qu'elle ne foit pas fi belle que la prémière, on peut néanmoins dire, que c'en eft une des plus belles qu'il y ait en Afri'que, & peut être en Europe, Elle n'eft guère moins haute, & moins large, que la porte St. Martin de Paris; & cependant lts Turcs, pour exprimer la grande quantité de blé, qui fe confume journellement au Caire, ont coutume de dire, qu'on y en débite autant, qu'il en pourroit couler par cette Porte toute la journée. La Porte de Babel-el-( hérie eft aufli remarquable. Tout ce qu'on fait aujourd'hui en Egypte n'approche plus de ces ouvrages. II y a dans la Ville du Caire detrès-beaux Caravanferails. C'eft en ces fortes de Batimens que les Grands emploient volontiers leur argent, paree qu'ils font toujours remplis, tant de monde, que deMarchandifes. Les diverfesNations du Monde, quiy abordent , y ont leurs Caravanferails particuliers; ainfi les Ethiopiens, [es Mubiens, & divers autres Peuples de YAfrique, logent touours dans les mêmes Caravanferails. y  de l'E G Y P T E. Liv. ÉL Ch. V. 126$ Je crois avoir obfervé ailleurs, qu'un certain Peuple du Midi, qu'ils nomment Crois, lesquels apportent au Caire de la poudre d'or, & en emportent du cuivre de la contarie, & des cauris, marchent toujours le nezbouché dans les rues du Caire, ne pouvant fupporter (difent ils) la puanteur de la Ville En effet, il ne fent pas bon au Caire, furtout dans les marchés, & les lieux le plus fréquentés, paree qu'on y fait la cuifine dans les boutiques, & que tout s'accommode avec de f huile de très-mauvaife odeur. Je crois auffi d'avoir oblervé, qu'il-faut emploïer le nerf d'Eléfant, pour conclurre quelque marché, avec une autre efpèce de ces Noirs. En vain leur donneroit on de leurs marchandifes le doublé de leur valeur, les courtiers, accoutumés a la chofe, décident la queftion a grands coups de nerfs; & les Noirs font fatisfaits, lorsqu'ils peuvent dire , que , s'ils ont donné a bon marché le bien de leurs Femmes, Sc de leurs Enfans, c'eft. qu'ils y ont été forcés. Les Marchands tVJlep, Sc de Damas, ceux de Conjlantinopk, & des autres Provinces marchandes, ont aulfi leurs Cara- \ vanferails particuliers. Ce font des lieux facrés, dans lesquels on' n'oferoit infulter les Perfonnes, nis'attaquer a leurs effets. L'in-' térêt des propriétaires confervé exa&ement de fi bonnes loix. II n'eft pas permis a un Homme, qui n'eft pas marié,d'habiter dans un Caravanferail, ni même dans un quartier, oü il y a des Families. Les Turcs font perfuadés, qu'un Homme fans Femme eft beaucoup plus dangereux, que quand il eft marié. II n'eft permis a perfonne d'avoir aucune vue fur la Maifon de fon Voifin. C'eft une des meilleures charges du Caire, que celle d'Inspecteur fur les Batimens. La furété des Femmes a introduit, & autorifé les précautions les plus exaftes, qui n'empêchent pourtant pas les commerces de galanterie, plus fréquens au Caire, qu'en aucun autre lieu de f Univers. Aaa aaa aa 3 Cha- % Ce fent des ieux prililégiés, £ƒ ■omme fa~ rés.  Article I. Defcription dti Pirami des aux en virons du Caire. Lieux, o elle; Jon toutes k trois. [27o E'TAT PRE' SE NT Chapitre VI. Ily a plufieurs Piramides en Egypte; mais les plus belles, les, plus entieres, aufii-bien que les plus grandes, font celles qui font baties presqu'a f óppofite de ce quis'appelle aujourd'hui le vieux Caire, eftimé par beaucoup d'autres le lieu meme, ou fancienne Memphis étoit batie ; mais, felon la meilleure opinion, ces Ecrivains fe trompent■ cv Memphis étoit fur ia rive Occidentale duAV/, au lieu que le vieux Caire, ou Joji'ad, eft Z la rive Oriëntale de ce Fleuve. Ces Piramides lont les plus Septentrionales de toutes celles qui fe trouvent en Egypte, &les plus voifines du Delta, pofées fur la rive gauchedu A/7, & fur le penchant d'un rocher, qui s'eleve derrière elles a une hauteur trés-confidérable, par une pente affez. douce; car ks montagnes, dont nous avonsparlé, qui bornent le Nil au Couchant du cöté de la Z», s'abaiffent en cet endroit, dans 1'efpace d'une grande lieue. Sur Fextrémité de cette pente, a la hauteur deijo.piés, ouenviron, duterrain, que le A^V arrofe, les Piramides font élevées fur un terrain applani a la pointe du marteau, Sc rendu de cette forte horiiöntal. Cela paroit pnncipalement a la feconde des deux grandes Piramides, a f entrée de laquelle, ducötédelW/?, &duAW, il paroitunfoffe taille dans le roe, de la hauteur de 30. a 3 %, piés. C'eft par-la que le ' terrain s'éleve vers la montagne. Du cöté de I E/1, 6c du bua, s qui tourne vers le A7/, Sc la Plaine, il n'y a aucune elevation. Le terrain, au contraire, yeftnaturellement en glacis. Les Piramides font affez proches de la plaine. Celle des trois grandes, qui en eft la plus voifine, n'eft pas dans une. moindre elevation que les deux autres. Elle s'avance confidérablement fur le bord delaColline, qui eft fort efcarpée du cöté du Nord, &c du Delta. C'eft 1'endroit ordinaire, par oü on faborde- A peine peut-on y  de l'E G Y P T E. Liv. III. Ch. VI. lifi y {rrimper contre laroideur de la pente, qui fè trouve couverte de lable, & de petits morceaux de pierre de marbre, & de tout ce quia été emploïé a la conftruction de la Piramide. Le terrain, qui regarde le Levant, s'étend davantage vers la plaine; &la oü il vient afinir, onvoit encore une élevation de grolfes pierres, laquelle uriilïbit autrefois a la plaine le monticule auffi efcarpé en cet endroit. Cétoit par cette chaulfée, par cette digue, ou par ce chemin, comme onvoudra le nommer, qu'on y abordoit. Outre cet ufage, il fervoit encore, felon toutes les apparences, a la conduite des pierres, & dés marbres , lesquels étant apportés jusqifau pié, par un canal du Nil, ne pouvoient, a caufe de leur grolfeur prodigieufe, être conduits a la Piramide, que par une route égalé, &folide, comme étoit celle-ci. Elle ne paroit pas héanmoins aujourd'hui abfolument droite; elle fe recoürbe du milieu vers le Nord; mais je crois, qu'elle fe recourboitde même versleSud; c'eft-a-dire, que cette chaulfée étoit beaucoup plus large, par f endroit oü elle aboutiffoit au Ml, que par celui oü elle étoit jointe a la hauteur de la Colline, puisque la commodité, & futilité, vouloient, qu'on débarquat en cet endroit les matériaux étrangers, deftinés a la conftruction de la Piramide. De-la on les conduifoit enluite peua-peu fur félévation, par un chemin, qui ne demandoit plus la même largeur. Si on ne voit plus aujourd'hui de veftiges de 1'étendue de cette chaulfée, qui devoit fe recourber vers le Sud, comme ils reftent encore vers le Nord, c'eft que les eaux du Nil, qui abordent la chaufTée par cet endroit, d'oü elles defcendent, font plus ufé, en fe brifant Contre elle, & ont, par la même raifon, épargné le cöté, que celui-ei mettoit a 1'abri. On pourroit, fans doüte, vérifier tout ceci, en creufant la terre, & recherchant les fondemens. Des deux autres grandes Piramides, Ia roche bailfe d'elleniême infenfiblement vers la plaine. Vis-a-vis de la feconde Piramide, Scdireélement kïOriëntté'Sphinx ,dont il eft par- lé Sphinx ,fa figure.  Cs que peut Jignifisr le Sphinx. 1272 E'TAT PRE'SENT é dans toutes les Relations. II n'eft pas moins éloigné de ia piramide que de 300. pas, & de 200. de 1'cndroit, que le A'il rient baigner dans fa hauteur. Ce Sphinx eft une tête de Femme , jointe a un corps de Lion couché fur fon ventre. La tête feroit encore dans fon entier, fi elle n'eüt été défigurée, aparemment par les Mahométans. On lui a caffé le nez. Le corps 1 été gaté par la longueur des ans. On en voit feulement auourd'hui la figure, dont le bas eft enféveli fous les Sables. C'eft ane tête prodigieufe, fur un corps proportionné. Comme plufieurs Auteurs en ont parlé, je me contenterai d'ajouter aux mefures qu'ils en ont donné, qu'encore que cette tête foit creufe sar deffus, il n'y a de cette capacité point de correfpondance 1 la bouche, ni a aucun autre endroit de f intérieur de la figure, par oü on ait pu la faire parler, comme quelques-uns font prétendu. J'ajouterai, que ce creux de la tête de 1 idole a trèspeu de profondeur, bien loin de correfpondre au dedans de la prémière Piramide, comme on fe f eft figuré. II feroit bien plus naturel de penfer que le canal (s'il étoit durable) méneroit au dedans de la feconde Piramide, a laquelle il correfpond fi parfaitement par fa pofition. Cette Idole peut avoir eu plufieurs deftinations. Elle peut avoir fervi a donner de f admiration, par fa grandeur étonnante. Elle peut avoir été ménagéedans la montagne de pierre, que fon applaniffoit, comme une preuve de ce qui en avoit été enlevé, de la même manière, dont on laiffe aujourd'hui quelque Signal au milieu des terrains, que l'on met af uni. On peut s'être fervi d'une difpofition favorable des lieux, pour faire une figure, qui furprit la poftérité. Quelques-uns veulent, que ce fut un Talisman , d'autres une Idole, que l'on adoroit. Les Turcs, & les Arahes, ont mille Hiftoires la-deffus; mais ce qu'il y a de plus vraifemblable eft, que cette union de la tête d'une Fille avec un Corps de Lion, dont il y a encore beaucoup d'exemples en Egypte , étoit un fymbole de ce qui s'y paffe fous les fignes de la Vier*  re l'EGYPTE. Liv. III. Ch.VJ. 1273 Vierge, «Sc du Lion; Ceft-k-dire, que leA7/, fe débordant pendant que le Soleil les parcourt, & rendant par fon inondation f Egypte kvti\s, & habitable, les Rois cV Egypte ne cro'ïoient même mieux pouvoir témoigner leur reconnoiffance au Soleil, qu'ils révéroient, comme 1'Auteur de leur félicité , qu'en lui confacrant cette repréfentation miftérieufe. J'ai découvert une pareille figure dans le lieu, qui paffe aujourd'hui pour ce Héliopolis confacré au Soleil. Elle eft oppofée k f éguille qui fubfifte encore en cet endroit. Cette Idole, ou figure, étoit d'une groffeur extraordinaire, & d'une feule pierre. On s'eft apparemment perfuadé, qu'il y avoit quelque Tréfor caché deffous, comme c'eft f ordinaire de ce pays; & on 1'a renverfée par des machines. Elle eft aujourd'hui fur le cöté, enfévélie a moitié dans la terre. Une partie de la tête eft tombée, les morceaux font encore fur ies lieux. Comme le Nil baigne toute cette pierre dans fa hauteur, ce qui n'étoit pas quand elle étoit debout, elle eft infenfiblement minée par les eaux. Elle ne paroit d'abord qu'une pierre informe; mais on convient, en 1'examinant, de ce qu'elle eft veritablement. Elle. eft au Nord de 1'éguille. 11 y a aux environs plufieurs pierres fi grandes, qu'elles paroiffent comme des rochérs fortant de la terre. Ce lieu, fitant eft quece fut la Ville cX Héliopolis, étoit fans doute le Temple confacré au Soleil. Plufieurs ont eftimé, que le Sphinx des Piramides, au moins la tête, étoit compofé de plufieurs pierres, mifes les unes lur les autres. Ce qui leur a donné cette penfée, c'eft qu'il paroit en effet des veines, en trois, ou quatre endroits, qui tournent tout au tour de Ia tête d'une manière presque horifontale; & que ces veines renferment comme un maftic d'une couleur différente de la pierre: mais j'ai examine ces veines, avec attention; elles font naturelles a cette pierre; «Sc, quand on ne pourroit pas s'en convaincre, en les approfondiffant, quand on ne trouveroit pas des irrégularités parlantes, quand elles ne leroient pas de biais, il n'y auroit qu'a jet- Bbb bbb bb te£  1274- E'TAT PRE'SE-NT t < 1 i i : Article II. Refte de quelques Temples prés des Piramides. er les yeux fur de petites Piramides, qui n'en font pas éloignées, \c qui fontpofées fur desplattes-formesde la même pierre efcar>ée, dans lesquelles on trouve de pareilles veines, ou, fi fon reut, divers lits de pierres, qui font propres au terrain. Je penfe au refte, que cette Idole étoit autrefois couverte par in toit. Les preuves que j'en ai font, que la tête eft aujourd'hui lufli entière par les endroits, oü elle n'a pas été violentée par les mains des Hommes, que II elle venoit d'être feulement acherée. La peinture, dont elle étoit couverte, refte encore. On volt d'ailleurs tout a 1'entour une manière de circuit, que les fables , dont elle eft couverte, tiennent plus élevé que le refte. En remontant de ce Sphinx vers lafeconde des grandes Piramides, au devant de laquelle, & juftement au milieu, ilfe trouve pofé du cóté de ïOriënt, on trouve a quarante pas de la Piramide encore le refte d'un Temple, qui en occupoit presque toute la face. 11 y en a unpareil, & plas entier encore, au devant de Ia face de la 3"]e Piramide. II eft tourné, comme ceItü-ci, du cöté du Soleil levant; mais il a cela de particulier, nu'il a de fon portique, ou de fon entrée, une chaulFée, ou chemin en droite ligne, qui s'étendoit apparemment autrefois d'une pente infenfible jusqu'au bord de la plaine par un elpace de mille pas, ou environ. II en refte encore 300. pas au moins; c'étoit par-la qu'on arrivoit au Temple, qui eft a peu-près de ligure quarrée. II y avoit au dedans quatre pilliers, qui foutenoient, fans doute, une voute, dont 1'Autel, ou f Idole, devoit être couvert; on tournoit au tour de ces pilliers, comme par une manière de collatéral. Les Pierres, dont ces Temples étoient batis, font prodigieufes; & ce n'eft qua leurmafle énorme, que nous devons ce qui nous en refte aujourd'hui. Ces Pierres étoient revêtues de marbre gran te. J'en ai encore trouvé des morceaux, qui y étoient collé par des maftics. Je ne doute pas, que f extérieur ne fut revêtu comme le dedans; & certes il étoit impolïïble qu'un  de l'EGYPT E. Liv.III. Cu. VI. xzf.f qu'un Temple pofé au devant d une Piramide, qui en étoit elle même toute revêtue , ne fut bati que de pierre ,& cachat, par fólevation d'une matière, comme une partie de la magnificence du Tombeau, qui 1'accompagnoit. Je parle de la troifième des grandes Piramides; c'eft-a-dire, de celle dont on attribue lafabrique a cette fameufe beauté, qui exigeoit de chacun de fes Amans, pour prix des faveurs qu'elle leur accordoit, une pierre de cette Piramide. Le nombre en eft trop confidérable, pour ajouter foi a 1'Hiftoire. On peut dire auffi, qu'une des pierres de marbre granite rendue, & pofée fur la Piramide, n'étoit pas un préfent que beaucoup de perfonneseulfent pu faire, puisque le marbre devoit être tiré des montagnes, qui font prés du mont Sinat, ou au moins des extrémités de la Haute-Egypte, oü des Perfonnes digne de créance m'ont alfuré, qu'il fe trouve des montagnes entières de ce marbre, dans lesquelles on voit encore des Colonnes toutes taillées, & prêtes d'être feparées de la carrière. Ces montagnes répondent fur le A7/, & font entièrement efcarpees; en forte que, dans la hauteur du fleuve, on peut defcendre, du bord de la carrière, dans les batteaux mêmes 3 les pierres, qui en ont été tirées. Ces pierres étoient d'une grofieur prodigieufe, comme on lejuge encore de quelques-unes qui reflent en ïeur entier dans les débris, qui fe trouvent au pié ip. de haut, & 16. de large. Defcription du Tombeaul Ce tombeau a été épargné jusqu'ici, paree que la matïère eft commune, & qu'il ne peut auffi être tiré de-la, fans être brifé. II avoit une couverture, qui n'a pas eu le même fort. Les apparences même font, qu'il n'étoit pas couché de plat; mais qu'ïl étoit debout, puisque, dans toutes les fépultures, ou caves des momies, les niches, oü elles fe trouvent, lont coupées en hauteur dans la pierre, & qu'effectivement les caifles y font pofées, 'les piés en bas, & la tête en haut; c'eft-a-dire que le corps y eft debout. II pouvoit y avoir d'autres tombeaux. Je 1'appelle ainfi après les autres, quoique je fois perfuadé, qu'il y avoit au moins deux autres cailTes, pour le corps du Roi, & peut-être yen avoit il trois. On en a fouvent trouvé deux, pour un même corps, dans des fépultures affez fimples. Elles font emboëtées fune dans 1'autre, & font faites en forme d'Enfant emHiaillotté , larges par les épaules, & plus étroites du cöté des piés. Eiles ne font que de deux pièces; le cerceuil en compofe une, & la couverture une autre. On n'y emploïoit que le bois de Sicomore, qui eft incorruptible, & dont il fe trouve une grande quantité en Egypte. Quelques-unes de ces Caiffes avoient des yeux derrière, comme pour laiher la liberté de voir le corps, ou la momie, fans ouvrir le cerceuil. Ccc ccc cc 3 Je  12 86 E'T AT PRE' SENT Je remarque dans cette Sale deux trous correfpondans 1'un a f autre, de Nord, au Midi. Ils font a la hauteur de 3. piés, & demi, dupavé de la Sale, a 8.rd tout difpofer pour un alfaut général. 11 exhorta toute 1'Arttnti'Ar- mée, felon la manière Turque, par un Difcours alfez brief, ïe?* mais fort vif, a bien faire leur devoir, dans une journée, qui devoit les récompenfer largement de leurs peines, de leurs travaux, & de leurs fouffrances; II leur fit, en même tems, envifager la prodigieufe quantité de richelfes, qu'ils trouveroient mtatmu- dans une Ville qui étoit la Capitale d'un Pays fi fertüe, & ladepha pïha rneure d'une Nobleffe riche, & opulente, par la longue paix, £^ dont.elle jou'ïffoit, óVdont facquifition, & fefclavage des Habitans ,:  öe CHYPRE. Lrv.XXIV. Ca.VIL 111.9' bitans, ne leur coüteroitplus que le travail d'unefeule attaque, pourvu qu'ils 1'entreprüTent, &la foutinflent avec leur courage, & leur valeur ordinaire. Sa harangue finie, il fit publier dans tout Ie Camp, a fon de trompe, qu'il récompenferoit, de la Charge de Sanjacbeig, le prémier, qui monteroit a la brêche; & qu'il" feroit des largeffes proportionnées a ceux qui le fuivroient, outre le raport avantageux qu'il feroit de leur bravoure au Sultan, qui ne manqueroit pas d'avancer leur fortune. f II divifa enfuite fon Armée en quatre corps, dont le premier, conduit par le Pacha Caraman, étoit deftiné a attaquer 1 Baftion Podocatoro; le fecond, commandé par le Pacha Mussafer, devoit battre le Baftion Confiance; & les deux autres,guidés par Hali, & Mustapha lui même, devoient affa-llir les Baftions tiJvi/a, & de Tripoli. C'étoient les quatre Baftions, que leur Artillerie avoit fi fort fracaffés, & dont les travailleurs avoient fappé les angles, jusques aux fondemens. . lis s'avancèrent dans cet ordre dèsle point du jour, au brult d'une infmité d'Inftrumens barbares, & de hurlemens effroïables de toute 1'Armée. Les Soldats, animés par leur avidité naturelle, & par les efpérances qu'on leur avoit données, temoignèrent, al'envi, par leur contenance, & par leurs acclamations, femprelfement, qu'ils avoient tous, de fe fignaler dans une occafion, qui devoit leur procurer tant d'avantages. Les Affiégés, de leur cöté, malgré les pertes, qu'ils avoient faites de leurs meilleurs Soldats, du Comte de Tripoli, qui avoit été tué.au Baftion Con/lance; du fameux Capitaine Berretin, fi habile dans 1'Artillerie ; du Seigneur P h e'b u s Zappe , Commandant de la Nobleffe; &de plufieurs autres des plus braves, & des plus diftingués, & quoique les höpitaux, & les maifons particulières, fuilent remplies de bleffés, & demonbonds, n'en étoient pas moins difpofés a bien recevoir les Ennemis. Ddd ddd d 2 ' -ïte Dfo'!>o'i'4e fin r,née t.i ■i-ttn turft*  Ulo HISTOIRE GE'NE'RALE 1 » i ] i Article II. ] 1 d i i ( ( 3 i 1 ] i 1 Us partagèrent le peu de Troupes Italiennes, & Epirotes, juï leur reftoient encore, a la défenfe des Baftions des plus enïommagés; placèrent leur canon le plus avantageufement qu'üsxirent, particulièrement fur une plateforme, que flngénieur Suzome'no avoit fait conftruire avec de fort grolfes poutresf nunirent leurs remparts de quantité defeux d'artiTice, & de tous es autres inftrumens, qu'ils crurent propres a pouvoir offenfer ès ennemis; &fe rendirent enfin a leur poftes refpecLfs,. bien •éfolus de périr, plutöt que de les abandonner. Dans ces difpofitions oü étoient les Barbares d'emporter la 'lace, & les Chrétiens de la bien défendre; les prémiers comnencèrent faction par une décharge générale de leur Artillerie^ Lprés quoi Mustapha fit attaquer tout-a- la fois les quatre Balions, dont on vient de parler, avec un bruit fi effroïable de ambours, de timbales, & fanfarres, &un renouvellement de :ris fi épouvantables , que quelques Compagnies de Paylans, qui :toient aux défenfes, jettèrent de frayeur leurs armes a terre.j le lachèrent confufément pié. Cependant les Troupes réglées,& la Noblefle du pays, rem* )lis d'une généreufe réfolution de conferver leur liberté aux dé?ens de leur vie; accoütumé, d'ailleurs, par les différents a£ auts, qu'ils avoient déja foutenus, aux hurlemens, & au pré is e « Palais forti par Mn 1 ftapha. S I I I Article V Chinescjt ■ivré au Vainqueur.  H2t1 HISTOIRE GTO.de CHYPRE. Liv. XXIV. Ch. VII, hBdtard, qui, pendant deux ans, ne put jamais le forcer avec toute f Armée Sarrafine, «Sc n'en feroit jamais venu a bout, fi ceux a qui Louis, & Charlotte, en avoient confié le Gouvernement, n'eufTent eü la Mcheté de trahir ces pauvres Princes. Mustapha , qui n'ignoroit pas f importance de cette Place, par raport a fon voifinage"avec la Caramanie, y mit un habile Gouverneur, avec une forte Garnifon. II envoïa, en même tems, des Officiers^ & des Troupes a Baffo, a Limifol, «Sc aux Salines, pour munir, & conferver les Chateaux de ces lieux, qui étoient entièrement abandonnés, &afin d'yrapeller les peuples a leurs habitations, & d'empêcher qu'ils ne pulfent fecourir ceux de Famagoujle, aux quels il ne manqua pasd'envoïer auffi montrer la tête de Dandolo , mais très-inutilement. En effet,BAGLioNE,BRAGADiN,T i e'p o l i,& autres Officiers,répondirent hardiment,& tous d'une voix," que ce fpeétacle les éton„ noit d'autant moins, qu'ils étoient perfuadés, que c'avoit été uni„ quement 1'imprudence, «Sela lachetéde ce Gouverneur,qui lui „ avoit attiré un fort fi malheureux, auffi bien qu'a tant de mil„ liers de Perfonnes, qui en méritoient un meilleur; que, pour „ eux, ils étoient bien réfolus de vendrechèrement leurs vies, „ & enfin de s'enfévélir fous leurs murailles, s'il étoit nécelfaire. La fermeté, «Sc le courage des Commandans de Famagoufte, &, au contraire, la lacheté, «Sc mauvaife conduite de ceux de Nicofie, & de Cérines, peut fervir d'exemple aux Souverains, Sc les faire reffouvenir avec combien defoin, «Sc d'attention, ils doivent choifir les Perfonnes, aux quelles ils eonfient le Gouvernement de leurs Places, puisque c'eft d'cux quren depend la confervation, ou la perte. LIVRE  HISTOIRE GÉNÉRALE ROlAUMES d e CHYPRE, de JÉRUSALEM, D' EGYPTE. L I V R E XXV Chapitre Pr e'm i e r. r es Turcs cependant exercoient dans la bel- Article i. le, mais malheureufe Ville de Nicofie, la ö& cmaut^5 & Tavarice, les viols, &les bruL wyo talités, qui font ordinaires a leur Nation. $l&Hrc*3-les Palais» ïesPlaces, & les ÜSSöraï^*? Rues> n'étoient plus remplies, que de cris w ^ ^ w douloureux, & de gémilfemens des Femlïies deshonorées, des Filles, & des Garens, arrachés des bras Eee eee e 2 de  1128 HISTOIRE GE'NE'RALE i l/Efclava<, ge eft le fort ie ceux , ê$ue le fer- ie leurs parens, pour alfouvir leurs infamies. Ces infortunés parens fe livroient, en vain, aux cimiterres des Barbares, pour tacher de conferver ces viélimes innocentes; elles n'en étoient pas moins facrifiées a leur barbare inhumanité. Tout étoit rempli de corps morts renvcrfés les uns fur les autres; quelques-uns fans tête, les autres fans bras, ou fans jambes, d'autres enfin coupés par le milieu du corps, les entrailles répandues, & d'autres sncore plus infortunés, qui languilfoient a demi-vivans parmi tous les cadavres, confondus même avec un grand nombre de pourceaux, que la haine des Turcs pour ces animaux leur avoit fait égorger, & jetterparmi les corps morts des Chrétiens de toute; fexe, & de tout age. Dans la prémière impetuofité de leur fureur, lajeunefTe, la beauté-, & les richeffes, n'eurent qtfuntrèsfoible appas pour ces inhumains, qui facrifièrent indifféremmentr tout ce qu'ils rencontrèrent. Auffi,:pour éviter leur cruelle brutalité, plufieurs Dames fe précipitèrent volontairement du haut de leurs maifons; d'autres êgorgèrent leurs propres enfans; &. d'autres enfin, pour ne fe point donner la mort elles mêmes, provoquèrent Iqs Barbares k es ègorger. Enfin tout ce qu'on peutimaginer deplus affreux, ie plus cruel, & de plus horriblë, fe commit dans la Ville de Nicofie, pendant les trois jours que dura le fac de cette Métropole, peu de tems auparavant fi célèbre, & fi floriifante, &qui, ?ar un changement fi tragique, «Scfifunelie^ palfa fubitement de a fplendeur aux ténèbres, de la domination a la fervitude, & iu lüxe dans la dernière des mifères; &, fi Mustapha, qui ie vouloit point perdre un des plus beaux fruits de fa vi&oire, en laiffant périr tant de beau fexe, dont il étoit bien aife de grof. lir fon triomphe, n'eüt pas fait ceffer le meurtre, & le carnage, le grand nombre de Perfonnes, dont la Ville étoit.remplie3 luroit entièrement péri. II eft vrai que le fort de ceux, qui furent épargnés, n'étoit guères moins déplorablecar. on ne leur fauva la vie, que pour.- les,  de CHYPRE. Liv. XXV. Ch. L 112^ fes plonger dans une fervitude plus infuportable, que la mort même. Aux meurtres, aux maffacres fuccédèrent les chaines, & les fers, dont on chargeoit ces miférables, qui furent la plupart conduits aux Galères, ou vendus a vil' prix dans les Places publiques , comme des animaux, 6e féparés pour jamais , les Femmes de leurs Maris, les Pères, & Mères de leurs Enfans, & tous enfemble, outre le manque de nourriture, fie> def >ngerk donner la fépulturea la quantité de corps morts,dont la Ville étoit remplie, la puanteur de ces cadavres, qui avoient demeuré trois jours expofés k fardeur du Soleil, en devint Ginfupportable, que Mustapha craignant que leur infeccion ne dégénérat en pefte, ordonna févèrement, qu'on ne s'attachat desormais qu'a ènfévélir les corps des Mujulmans, & qu'on entaf'fat ceux des Chrétiens, 6c des Porcs, dans quelques Maifons k f écart, pour les y brüler. Les pauvres Efclaves Chypriots furent emploïés a ce trifte office envers leurs Confrères, & y mirent le feu, qui les confuma entièrement. Cependant, comme tout Infidêle qu1 étoit ce Général, iln'oublioit point fon devoir envers le Dieu des Armées, 6c le Créateur du Ciel, 6c de la Terre, il fit incelfamment nettoïer 1'Eglife Cathédrale de Ste.Sophie, 6c fortir toutce qui s'y trouvoit de contraire a fa Religion; il en fit une Mosquée, &y alla faire fa prière au prémier vendredi, en compagnie des autres Pachas, & Officiers, rendant, avec beaucoup de dévotion, très-humbles graceskDieu, de f importante conquête, qu'il venoit de faire. Peu de jours après, le Pacha Hali, qui craignoit toujours quelque furprife de la part de laFlotte Cbrétienne, prit congé de lui, 6c fatisfait de fon expédition, s'en retourna aux Salines', oü furent conduits tous les prifonniers, avec f immenfe butin, que les Infidèles avoient fait enjoïaux, en vafes d'or, 6c d'argent, meubles magnifiques, étoffes précieufes, 6c autres riches attirails, dont Ie charroi dura huit jours, 6c fit convenir tes Turcs, que, depuis la prife de Confiantinople, ils n'avoient fait aucune conquête, oü ilseuffent trouvé tant de richeffes. Ceci ne doit pas furprendre les Perfonnes , qui connoiffent file de Chypre , dont f abondance , 6c la fcrtilité, font capables, en cent ans de paix, dont elle avoit jouï alors, de Ia rendre une des plus opulentes de tout fOriënt. Auffi Mustapha, qui défiroit ardemment d'affurer cette fameufe acquifition au Sultan, fon Maitre, n'eut pas plutöt fait purger  DE CHYPRE, Lrv. XXV. Ch. I. 1131 pureer la Ville de fon infeótion, quil fittravailler, en diligence, a la réparation des murailles, qui avoient été renverfées, a netto'ïer les foffés, a applanir les retranchemens, & tous les autres Ouvrages, que fes gens avoient faits pendant le Siége. Et, afin qu'elle fut bien-töt repeuplée, il envoïa inviter les Peuples, qui s'étoient réfugiés aux Montagnes, a venir s'y habituer Pour les y encourager, il les fit alfurer, fur fa foi, que, bienloin d'y recevoir aucune infulte, ils y trouveroient toute forte de bons traitemens. II fit plus, afin de les y attirer promtement, & leur prouver fa fincerité, il accueillit favorablement, & carelfa fort Pierre , Paul, & Jean Scinclitique, Scipion Caraffa, & les autres Nobles, qui avoient été envoïés aux Montagnes pendant le fiége, pour engager ceux qui s'y étoient retirés avenir fecourir leurs compatriotes, mais qui n'avoient pulesporter a quitter leur retraite, oü ils s'étoient eux mêmes arrêtés. II fit même préfenter a ces Seigneurs des veftes kteTurque, fuperbement brodées en or, & en foie. - Hector Podocatoro, Frère de la ComtelTe de inpoli, qui fe trouvoit prifonnier dans le Camp hors de la Ville, n'eutpasle même bonheur. Cette Dame, qui, en faveur de fa reddition a Mustapha, des fuperbes meubles, & autres choles précieufes, dont elle favoit regalé, avoit obtenu la délivrance de fon Frère, eut la douleur cfapprendre, lorsqu'elle efpéroit de 1'embralfer, qu'on lui avoit coupé la tête en chemin, Ce Général donna le Gouvernement de Nicofie au Pacha Mussafer, aquiillailfa quatre mille Janijfaires, & mille Spabis, qui lui parurent fuffifans pour la confervation de la Place. II partit enfuite pour Famagoujle, le iS.Septembre, avec tout le refte de fon Armée, pour aller inveftir cette Place, dont il jugeoit la conquête néceffaire, afin de pouvoir polféder le Roïaume tranquilement. II fe flattoit de pouvoir terminer cette entreprife pendant la belle faifon, avant que les Flottes Chrétiennes AiticIe/27, li met un Gouverneur «Nicofle, &va a Famagoufte.  ii3* HISTOIRE GE'NE'RALE fuffent en état de fen venir détourner. II efpéroit auffi, que, fi les Officiers, qui y commandoient, avoient beaucoup de courage , & de réfolution, les Peuples feroient fi confternés de la perte de laCapitale, & du trifte fort de fes Habitans, qu'ils ne feroient pas la même réfiftance qu'eux3afin d'éviterune femblable disgrace. Dans cette penlée, il s'y achemina, comme en triomphe, au fon de tous les Inftrumens de fon Armée. II prit fon quartier au Village , nommé fomme tfJdam , a environ une lieue de diftance de la Ville. Ses Troupes campèrent dans les vaftes , & délicieux Jardins, qu'elle a a VOccident. Ilmanda, en même tems, aux Commandans de mer de venir 1'épauler avec leur Flotte, afin de ferrer la Place de tous cötés, pendant qu'il faifoit travailler afes retranchemens, &a trois Forts qu'il fit éleverj le prémier vis-a-vis la Tour de POie, 1'autre prés delaFontaine de St. George, &le troifième a Préeipole; &il y fit placer fa groffe Artillerie ; Mais, comme le terrain y eft naturellement fablonneux, & par conféquent peu propre a foutenir de fi lourdes machines, ily fit charroïerquantité de fafcines, & desfacs xemplis de terre graffe, afin de le rendre plus folide. Cette difficulté, qui caufa du retardement, jointe aux fréquentes forties des Affiégés, fut caufe que fes batteries ne furent en état de de jouër que le prémier d'Oótobre. Article/. n a déja remarqué au prémier Livre de cette Hiftoire, que Situation Famagoujle, qui étoit défendue par de fi vailians HomloSèna' mes' ^tuée a ^Oriëntèe file, entre les Caps de St.André, £esfor;ifi- &i celui de Ia Grecque. La forme de cette Ville eft un quarré tstms. A r impar- Chapitre II.  •de CHYPRE. Liv. XXV. Cu. ÏI. M33 imparfait, fa circonférence d'une bonne demi-lieue, avec de très-fortesmurailles revêtues de pierres de taille, & flanquées de groiTestours, de diftance, en diftance, le tout a fantique, hormis un Baftion a la moderne, que les Vénitiens y avoient ajouté du cöté du Nord. Elle eft de plus entourée d'un large, & profond folfé, d'une forte contrefcarpe, &.d'un excellent parapet. Sonport, qui peut avoir un mile de circuit, eft très-fur,, & met les Vailfeaux a couvert de toute forte de vents, par raport a deux écueils, & une langue de terre, qui avance vers le Midi. IIn'en pas pas de mème de fon entrée, dont le fond a fi peu de profondeur, que les Vailfeaux de guerre n'y peuvent entrer fans délelfer, & décharger leur Artillerie. Comme ce fond eftun rocher, ce défaut a été jusqu'a-préfent irrémédiable. Une groffe chaine de fer en ferme Pembouchure. Outre ces avantages, il a celui d'être défendu par un alfez bon Chateau. Comme, lorsque les Turcs en commencèrent le Siége, le port fe trouvoit presque rempli de Bidmens Marchands, tant Vénitiens , que d'autres Nations, Mustapha fit dreffer une forte bacterie fur un des écueils, nommé de la Gambelk, afin de les brüler, ou les couler afond; mais cette batterie, non plus que celles, qu'il avoit fait planter contre la Ville, ne firent presque point d'effet, & le canon des Affiégés ne lui tuoit pas moins de monde, que les fréquentes Sorties, qu'ils faifoient. Us en entreprirent une le 8. 0c~r.obre, avec tant d'ardeur, qu'ils comblèrent la tranchée des Infidèles, &renverfèrent leurs autrestravaux. Cesavantages des Chrétiens engagèrent Mustapha a fe défifter de fes attaques,parce qu'ilreconnut,que les pertes confidérables,qu'il avoit faites devant Nicofte,h. Garnifon qu'il y avoit laifféea & les Troupes qu'il avoit détachées pour munir les Chateaux de Cérines, de Baffo, de Limifol, & des Salines, avoient trop afoibli fon Armée, pour pouvoir continuer ce Siége avec fuccès, D'ailleurs, la faifon pluvieufe , f hiver qui approchoit, & qui £ette année-la fut extraordinaire, joint au réfus, que les Com- Eff fff f man- Siége 3e cette Filk.  mm H I S T O I R E G E' N E' R A L E Jdnïïion des Galères du Pape,& fEfpagne, 4evec la FlotU Véniitenne.. mandans de rArmée Navale firent, de débarquer leurs Equipages, dans la crainte d'en venir aux mains avec la Flotte Chr etienne, nepermirent point de faire quelque entreprife,. En effet, ils prirent bientöt après 1'alarme par le retour de quelques Galiottes , qu'ils avoient envoïées aux cötes deCandie, pour en apprendredes nouvelles, & qu'ils prirent pour 1'avantgarde ennemie. Us en furent cependant quittes pour la peur^ mais ils aprirent , que les Galères du Pape, & celles d'E/pagne, avoient joint 1'Armée Vénitienne; & que tous étoient partis en~ femble du port de Suda, pour venir en Chypre. Des avis fi pofitifs obligèrent Hali , &. Piali, a décharger tous les Efclaves, & le prodigieux butin, dont leurs Galères étoient fi embarraffées, qu'il leur auroit été impofiïble de foutenir aucun combat. 'Us fe tranfportèrent au pavillon de Mustapha, pour confulter le parti, qu'ils avoient a prendre dans une conjon&ure , qui leur. paroiffoit auffi délicate , que dangereufe.. Le Pacha Piali, comme plus expérimenté dans la marine, foütint d'abord, "qu'il falloit éviter la rencontre fes Chrétiens, „ afin dene fe point expofer, auffi mal en ordre qu'ils lè trou„ voient, a f événement d'un combat contre une Armée frai„ chement réparée, & qui devoit être bien munie de toutes „ chofes; Mais Mustapha , &Hali, combattirent fi fort fon fentiment, & prouvèrent, " qu'il valoit mieux foutenir la gloi„ re du Sultan leur Maitre, & celle qu'ils venoient d'acquérir „ eux-mêmes;" Ajoutant, " que leur honneur feroit égale„ ment blelfé par une démarche auffi indigne de leur courage, „ que Piali s'y rendit enfin;" & ils travaillèrent incefTamment a fe mettre en ordre. Us prirent, en même tems, tous les Equipages, & les Chiourmes de Batimens de tranfport, pourenrenforcer ceux de leurs Galères, &farpèrent dès le lendemain,pour aller rencontrer 1'Armée Chr etienne, dans la réfolution de lui ivrer bataille,. Gepen*'  de CHYPRE. Liv. XXV. Ch.IL 113? Cependant, a peine furent-ilsen mer, que, foit par défianfe dent danger, furent obligés malgré leurs- bonnes intentions, &le chagrin quereffentoit , en particulier, le Général Vénitiens de fe retirer, & delailfer aux Infidèles la mer entièrement libre,- Fff fff f 3 &t  1 I t : La Flotte O tomane fe retireren triomphe a Famagoufte , O" elle fait des feuxdejoie. jfttion hê' roïque de Réncede j JRochas. 138 HISTOIRE GE'NE'R ALE Sc le refte du Roïaume de Chypre a leur discrétion. Ainfi la Flot:e Ottomanne , dont les Commandans s'étoient avancés avec beaucoup de crainte jusqu'au Cap St. Epiphane, informés par deux Galères, qu'on avoit envoïées prendre langue aux Cötes de la Caramanie, que 1'Armée Chrétienne avoit rebrouffé chemin, s'en retourna, comme en triomphe, a la rade de Famagoujle. Les Infidèles s'en réjouïrent, comme s'ils avoient remporté une grande Victoire: Ils fe vantoient, avec raifon, que les Chrétiens, dont f Armée étoit plus fraiche, & plus nombreufe que la leur, n'avoit pas feulement ofé fe préfenter devant eux. Après ces marqués éclatantes de fupériorité, & de mépris, [es Pachas Piali , & Hali, ne fongèrent plus qu'a rembarquer leurs Efclaves, 6c leur butin , pour en aller faire pompe k Conjlantinople, 6c réjoüir le Sultan, leur Maitre, des beautés, 6c des richeffes, qu'ils lui conduifoient. Ils avoient d'ailleurs grand befoin de réparer leurs Chiourmes, 6c leurs Equipages, afin de fe trouver en état pour la campagne prochaine. Ils furent néanmoinsprivés du plus beau de leurs trophées, par un accident auffi ficheux pour eux, que funefte a plufieurs Perfonnes de diftinéfion, parmi les quelles la fleur de la Noblefle Chypriote de 1'un, 6c de 1'autre Sexe, étoit comprife. Les Infidèles avoient embarqué fur le fameux Galion du Vifir toutes les plus belles Filles, 6c les plus beaux Garcons de 1'Ile, qu'ils avoient pu attrapper, avec tout ce qu'ils avoient trouvé de plus riche, & de plus précieux, dans le deffein de les préfenter au Sultan, a Amurat, fon Fils, 6c au Grand-Vifir Me'he'met. Mais Re'ne'e de Rochas, qui fe trouvoit du nombre de ces malheureux Captifs, préférant la mort a un efclavage, qui lui paroiffoit infupportable, ne doutant pas qu'on ne la deftinat elle même a affouvir la brutalité de quelque Infidèle, eut affez de courage, 6cd'adrefTe, pour mettre le feu aux poudres, pendant qu'on en tranfportoit d'unBatiment a un autre; &, par cette aéüon héroïque, elle fe délivra elle même, avec tous  de CHYPRE. Liv. XXV. Cu. H. 113^ tous fes compatriotes 5 du joug, oü leur mauvais fort les avoit ' réduits. Non feulement ce grand Galion, mais encore deux autres Batimens, qui en étoient voilins, & chargés des mêmes dépouillés, fautèrent en fair. Speclacle, qui ne caufa pas moins de rage, & de dépit aux Infidèles, que de douleur, & d'amertume; aux prifonniers Chypriots, qui virent périr leurs confrères. Cet accident effroïable arriva le 9. Oétobre. Toute la Flotte Ottomane mit a la voile, a la referve de huit Galères, «Sc quelques petits Batimens, qui demeurèrent a la rade de Famagoufte, pour lés befoins de Mustapha. Ils mouillèrent peu de jours après a Chdteau-Rouge, oü ils aprirent encore plus particulièrement toute1 la manoeuvre de 1'Armée Chrétienne, «Sc que les Galères ÜEfpagne'■ s'en étoient féparées; Cette agréable nouvelle leur aïant' été confirmée, en paffant a Rhodes, les Commandans Turcs mirent derechef k terre les Efclaves,«Sc le butin qu'ils avoient fait en Chypre,pour pourfuivre laFlotte Chrétienne; perluadés qu'elle n'oferoit loütenir leur préfence,. mais ils ne furent pas plutöt en mer, que les mêmes tempêtes, qui les avoient affaillis, en fortant de Chdteau-Rouge, & qui leur avoient a peine permis d'attraper le port de Riga, entre les Hes de Rhodes, & de Scarpanto, «Scenfuite de Trijtan, les obligèrent a. rentrer dans le port. Ce tut enfin au port Trlfian, que Doria déclara aux autres Généraux; que la Saifon, étant alors trop avancée, «Se le tems trop périlleux, pour fonger a aucune entreprife, il jugeoit a pro^ pos de fe retirer. II fit, dans le même tems, farper toutes fes Galères; «Sé, fans vouloir écouter davantage les rémontrances de Colonne, & de Zane, ni fe mettre en peine de ce qui pouvoit leur arriver de facheux dans des lieux, oü ils craignoient encore d'être attaqués par les Infidèles, il les fahia de plufieurs coups de canon, & s'en retourna droit'dans le port óe Me (fine. Le bonheur voulut cependant', que lesorages recommencalfenC avec tant de fureur, que les Turs ne purent plus fe mettre en mer> Articlf/r.  U40 HISTOIRE G E' N E' R A L E 2>r Turcs rentren', elans le por de Rhodes, &le Chrétiens ■dans celui ds Scitic. mer, s'eRimant au contraire trop heureux d'avoir pu regagnerle port de Rhodes, 6c les Chrétiens celui de Scitie, oü ils ne parvinrent pourtant, qu'après avoir perdu deux des Galères du Pape, qui donnèrent a travers fur ces Cötes. Us furent encore plus infortunés dans le petit trajet, qu'ils firent de ce port a celui ; de Suda, oü quatre autres Galères du St. Siége, & fept Vénit tiennes furent fubmergées. Ce fut-la le malheureux fuccès d'une campagne, dont le Pape, 6c le Sénat s'étoient promis merveilles. II eft vrai, que la conduite de Doria , 6c peut-être le peu de fincérité des Efpagnols, joint a la foibleffe, 6c a 1'impuilfance de Zane, qui commettoit, &laiffoit commettre a fes Officiers, & a fes Equipages, des désordres, 6c des abominations, capables d'irriter le Ciel, & la Terre, leur attirèrent ( comme le préfume un Auteur) & ces disgraces , ,6c le mauvais fuccès de .leur expédition. Ce Général, mortifié de tant de malheurs, 6c appréhendant toujours d'être attaqué par les Infidèles ( que Pierre Emo , qu'il avoit envoïé a la découverte avec fa Galère, lui raporta avoir vus vers file de Stampalia) laiffa vingt-cinq Galères fous le commandement de Marc-Antqine Quirini , pour garder les Cötes de Candie, 6c fe rendit, avec le refte de laFlotte, kCorfu, en compagnie du Général Colonne , qui en partit peu de jours après avec trois feules Galères. II parut vifiblement, que ce Seigneur étoit deftiné k paffer toute fa campagne dans des contretems continuels; Car, a peine fut-il parti de Corfu, que les vents contraires 1'arrêtèrent un mois entier dans le port de Cafopo; 6c il n'eutpas plutöt remis en mer, qu'une nouvelle tempête le furprit, 6c le jetta dans le Golphe de Cataro, oü la foudre tomba fur la Galère, 6c la confuma entièrement. Qui plus eft, par un furcroit de .malheurs, une autre Galère fur la quelle il avoit eu le bonheur de fe fauver avec Ion Equipage, échoua quelques heures après; deforte qu'il fut contraint de paffer la nuit dans une mauvaife mafure prés de Ragu-  de CHYPRE. Lir. XXV. Ch. III T14.1 Ragufe, oü les Turcs Pauroient pris, s'ils avoient eu le moindre vent de fon désaftre. II fe rendit le lendcmain dans cette Ville, & enfuite iiRome, après avoir couru le danger d'être brülé, noïé, &fait efclave, lans avoir eu occafion de tirer l'ópée contre les Infidèles, comme il le défiroit fi ardemment. Articie-To Chapitre 111. Les Commandans Turcs , au contraire^ plus iieureux que'les Chrétiens, ne perdirent qu'une feule Galère, en fortant du port de Rhodes, & arrivèrent heureufement a Confiantinople avec tout le refte de leur Flotte. Ils entrèrent dans le Port de cette grande Ville, le 12. Decembre, au bruit de toute leur Artillerie; celle du Sérail, de tophane, leur répondant. Ce qui, joint au bruit des fanfares, des cris des Chiourmes, & d'une infinité de peuple, quiy étoit accouru, faifoit un fpectacle d'autant plus charmant pour le Sultan, & pour les Infidèles, que toutes leurs Galères trainoient une infinité d'Etendarts Chrétiens. Leurs cris de joie redoublèrent encore, lorsqu'ils virent débarquer un nombre fiprodigieuxd'Efclaves, & décharger leur immenfe butin. Ce fuperbe triomphe n'eut cependant point une fuite favorable pour Piali. Le Sultan, irrité de ce qu'il n'avoit pas pourfui•vi la Flotte Chrétienne, lui en fit de terribles reproches, & k -priva du Généralat, dont il honora le Pacha Pertatj. L'hiver, & le peu de forces, qui reftèrent a Mustapha3 ne lui permettant point de continuer le Siége de Famagoufte. il mit fes Troupes en quartier de rafraichilfement dans les villa.ges d'alentour, & travailla de tout fon mieux a perfuader aus Habitans de cette Place, de ne point attendre une disgrace, tel- GKë ggg S &  3i I** H E STOIRE GE'NE'RALE. ': ,: ■' -: | -- gtinfort dsmandé parMaftaphacetfre Fa- le que favoient éprouvée ceux de Nicofie, puisqu'elle ne man= queroit pas de leur arriver, s'ils refufoient les conditions avan-tageufes, qu'il leur offroit. II exhortoit en même tems, par fes Lettres,. les Commandans a ne fe point perdre avec ce Peuple;-, leur proteftant, qu'il les recevroit de bonnefoi,- d'une manière, qui leur feroit beaucoup plus avantageufe, qu'a luimême. . Mais, ne pouvant ébranler leur conftance, & leur fermeté., il leur envoïa f Ingénieur Suzo me'n o , qui avoit été r fait prifonnier a Nicofie, lequel fut introduit dans la Ville, fous prétexte d'aller chercher de fargent pour fon rachat; mais, en jner Bragadix, & Baglione, dont il craignoit & 'i w-w- aleur.- Bien loin d'être touchés de fes offres, ni ^jLsjP-rnii ces généreux guerriers chargèrent cetEmiffaire c- ~ i s 1 - ["apha, " qu'il n'avoit qu'a pourfuivre fon entre^vrj,*', 'jV^'ils étoient bien réfolus de lui faire connoitre, qu'ils :. \ jienr point: ■ Li) min.it $"z'ü Commandans n'euifent rien négligé de tout ce qui v>.; ~::,ueraleur défenfe, ilsredoublèrent leursfoinspour augmenter les fortifications,& profitèrent du tems,autant qu'il leur fut poffible, pour faire entrer des provifions dans la Place. Leur parfaite imion, la confidération, que les Gens de guerre, & la Bourgeoifie leur rendoient , faifoient exécuter leurs ordres avec une promtitude admirable ; Mais , comme les forces manquoient a leurs bonnes difpofitions, ils envoïèrent a Vénife Hierom e Ragazzoni, leur Evêque, pour en informer le Sénat, & le folliciter a ne les point abandonner, repréfentanty " que, s'ils étoient promtement fecourus, ils étoient en„ core en état, non feulement de conferver Famagoufte a la „ République, mais encore de recouvrer tout ce que les Turcs.' „ lui avoient ufurpé.. - Mustapha 3 de fon cöté, reconnoiffant par Tmutilité de fes tentatives, qu'il ne s'agiffoit'. plus que d'emploïer la force pour les., ridujre j. p^oit-iftgdammejit- !?• Vifir >. de lui envoïer les  de CHYPRE. Lit. XXV. Ch. UI. 3.14% fênforts, qui lui étoient néceffaires, & fans les quels il ne pöu voit venir a bout de fon entreprife. II envoïa, en même tems Chiaoux, fur Chiaoux, dans les Provinces de Syrië, & de Cara manie, pour recueillir des Hommes, des provifions de bouche. des facs remplis de laine, & de cotton, pour s'en fervir aux tranchées, & du bois pour f artillerie; & il faifoit faire une garde trés-exacte aux environs de la Ville, pour empêcher lacommunication des Affiégés, avec les gens de la campagne. Mais, quelque attentif, & diligent qu'il fut, ilne put empêcher, que Marc-Antoine Quirini, qui,audéfaut de Rangon Palavicino, & de Louis Matinengo, s'étoit chargé d'y conduire du fecours, n'entrat dans le port avec douze Galères de fEfcadre de Candie, qui efcortoient quatre Navires, chargés de deux mille quatre eens Soldats , & de quantité de provifions. a la vue même de dix Galères, que Mustapha avoit laiffées ï "la rade, dont deux furent coulées a fond dans le combat., qu'elles foütinrent, en voulant empêcher ce fecours. Le brave Quirini n'en demeura pas-la. II n'eut pas plütól mis fon convoi en fureté, •& fait rafraichir fes Equipages, qu'I reffortit trois jours après, dans le deffein de donner la chaffc aux autres Galères Turques, qui avoient gagné les Cötes dc Caramanie. II rencontra un grand Navire Turc, cliargé d'Hom mes, & de Munitions, dont il fe rendit maitre. Ce ne furent pas les feuls fuccès de ce Commandant. Après avoir conduit ce Navire au port,il entreprit de renverfer leFort ■que Mustapha avoit fait conftruire fur fécueil de la Gambe/k, éc de détruire quelques retranchemens, qu'ilavoit aufffi fait fai*e au port Confiance; ce qui ne lui fut pas difficile a exécuter, puisqu'il n'y rtrouva aucune oppofition; &, par une fuite des faveurs de 'la fortune, il rencontra un autre Vaiffeau, chargé d'argent, .& de rafraichiffemens pour le camp de Mustapha, .dont il s'empara également. &S.ë ëëë g 2 Bnfin* ) 1 , Articïe 'JT.' Quirini entre dans /» port de Fzmagoufce. Autres avantages rempertés par le méms Quirini.  H ï S- T 0 1 R E G E'NE'R A.LE Enfin, après tous ces heureux expïoits, & après avoir eivcourage la Garnifon,-& la-Bourgeoifie,-a fe comporter vaiLlamrnent, il les alTura, que le Sénat ne manqueroit pas de leur envoïer bientöt des fecours plus confidérables, & qu'il ne négligeroit rien pour feconder la généreufe réfolution , oü ils étoient, de mourir tous en bons Chrétiens, & fidèles Sujets de la République. II remit a la voile pour Candie, oü, il arriva auffi heureufement qu'il avoit fait le refte de fon voïage.. II y retrouva encore Se'bastien Ve'nieri , que le Sénat avoit nommé Provéditeur en Chypre, & qu'une maladie, dont il avoit été furpris, avoit empêché de s'embarquer fur fes Galères, mais qui, pendant ce tems, avoit été fait Général de la Flotte, a la place de Zane, dont la mauvaife conduite avoit fi peu fatisfait le Sénat, qu'il favoit rappellé a Vénije, pour en> rendre compte. S e'l i m , qui s'étoit flatté, que les Vénitiens n'oferoientfecourir Famagoufte, a la vue de fon Armée, en aprit la nouvelle avec tant d'indignation, & fut, en même tems, fi piqué dè Ia perte de fes deux Galères, & de la prife des deux Navires qu'avoit fait Qbirini , qu'il ordonna, furie champ, auGrandVifir d'envoïer étrangjer le Bey de Scio, & de priver celui de Rhodes du Commandement, pour les punir de la négligence, qu'ils avoient eue, de ne fe point oppofer au paffage de ce fecours. II fit auffi dépêcher un Chiaoux au Pacha do, Nègrepont, avec ordre d'alfcmbler promtement toutes les Galères, qui fe trouvoient dans les Hes de f'Archipel, & de fe rendre a Sela,, pour y recevoir fes.ordres. Cependant les avantages , que Qbtrini • avoit remportés",, étoient fi peu de chöfe, en comparaifon des pertes,que la République avoit faites en Chypre, & celles qu'elle faifoit actuellement dans la Dalmat ie, & dans les autres Provinces de fa ^dépendance,. quea lorsque 1'Evêque de Famagoufte arriva \\Ve- - nifu>  de CHYPRE, Uy. XXV. Cu. IIH 214* nifé, pour demander du fecour?, il trouva le Sénat, & le Peuple, fi confternés de tant de disgraces, que les rémontrances,, & fes exhortations furent infruclueufes^ Les dépenfes prodigieufes, qu'ils avoient faites, fans fuccèsr pour leur Armée navale: Leur Général contraint d'abandonner la mer aux Infidèles, prés de vingt Galères prifes ,-■ ou perdues en différentes occalions : Une nombreufe Flotte ennemie prête a fondre fur leurs Etats; de grandes difficultés a furmonter, pour amalfer les fonds néceffaires pour un nouvel armement, les Villes, &les Provinces- de la Seigneurie ne voulant plus ei> tendre parler d'Impofitions extraordinaires, & toutes murmurant hautement de fevoir délaiffées parle grand nombre de Soldats, & de Matelot-s, que le Sénat les avoit obligées de four= nir malgré leurs- privileges. Tant de malheurs, & de contrariétés, obligèrent enfin le Sénat, pour appaifèr tous les mécontentemens -publicsde revoquer un Arrêt déja publié, pai le quel on vouloit engager les gens de la campagne a payer de plus grolfes taxes, que leurs terres ne pouvoient porter. Ainfi , la République fe trouva hors d'état de continuer la- guera avec fes feules Forces 5 &, comme elle n'-avoit plus aucune confiance aux Efipagnols, dont ils étoient- perfuadés que f alliance leur feroit toujours plus préjudiciable qu'avantageufe, le Sénal réfolut de pourfuivre lanégociation de paix, que Marc-Antoini Barbaro, leur Ambaffadeur a la Porte, avoit commencée, dè: qu'il eut apris la-perte de la Ville de Nicofie, par forgane de fon Dragoman, qui s'étoit infinuédans 1'amitié d'lBRAÏM Che' lebi, Favori du Gr-and-Seigneur,.& de Rabbi Salomon, Médecin de fa Hautejjè. ■ Ils dépêchèrent Jaques Ragazzoni a Conftantinople, oü i avoit .long-tems réfidé. pour fon commerce particulier. II fut mu ni dun paffeport, fous prétexte d'aller traiter du rachat de Efclaves Chyfïriots, mais en effet pour conclurre un Accommo dement avec la Porte, aux conditions', que le Bajle Barbaro Ggg ggg g $■> ê Article7J7« ■ Trifisfitus.' tiondesVé' • rmiens.: 5 ■ Ils veuünf demnrder ; la Paix r*  fï+tf HISTOIRE GE'NE'RALE i 1 j 1 1 1 I r I !L* Vifir ne viut point réponére aux propefitions, ij;;'c ii iuifait. ' l 1 < 1 1 Ü .< i i i 3 c c I k lui Ragazzoni, eftimeroient les moins préjudiciables a la Rémblique. Cependant, quelque capable., & expérimenté que üt ce dernier, bien-loin d'avancer la négociation, queBarbato avoit entamée, fon voïage ne fit que finterrompre; car les Turcs, devenus encore plus orgueilleux, & moins traitables, Dar la recherche qu'on faifoit de leur amitié, fe rendirent alors I difficiles, que f AmbalTadeur, qui connoüToit parfaitement eur naturel fuperbe, & brutal, jugea a propos de renvoïer Ugazzoni a Vénife , dans fefpérance qu'il réüffiroit mieux èul a procurer la tranquilité de 1'Etat, & fa propre liberté. Cependant, foit que le Vifir eut pénétré 1'embarras, oü fe trouvoit la République, ou que la conquête de 1'Jle de Chypre, 311'il avoit auparavant cherché a détourner, fut trop avancée, pour vouloir écouter aucune propofition, il ne voulut plus ré)ondre a celles qu'on lui fit, & fe conteata de faire demander i f Ambaffadeur, par plaifanterie, des nouvelles de la Flotte Chréienne, quil croïoit avoir perdu la tramontane, en prenant la oute des Mes - Oriëntales, au üeu de celle du Roïaume de Chypre. Ce n'eft pas que le Vifir n'eüt une véritable inclination pour a paix, & une grande jaloufie de la réputation, que Musta'ha, & Piali, fes Ennemis, s'étoient acquife; Mais il lui fal3it fauver les apparences, & ne fe pas ouvrir fur un point fi lélkat, oü il s'agiffoit de fa tête, a moins que la République ne •rit le parti de céder Famagoufte au Gr and-Seigneur, fans qu'il ut obligé d'en faire pourfuivre le Siége; ce que f Ambaffadeur ie pouvoit promettre fans une permiffion expreffe du Sénat, qui ■ auroit peut-être confenti; puisque le fentiment des plus aniens de ce fageCorps étoit, qu'il leur falloit achetter la paix a uelque prix que ce fut, comme funique moïen de faire ceffer ïS défolations de leurs Etats. Le Pape feul fit fufpendre leur réfolution. Car, aulïï charin de la perte d'un Roïaume, qui tenoit toujours une porte ouver-  »e CHYPRE, Lm XXV. Ch. Ut 1147 otiverte au2 Chrétiens, pour le recouvrement de celui de Jérufalem, que de la mauvaife réuffite de la dernière Campagne 3 qui avoit coüté tant d'hommes, & d'argent, fans n'avoir produit que des mécontentemens; Allarmé d'ailleurs de la paix, que le Sénat traitoit avec la Porte, & qu'il ne pouvoit obtenir qu'a des conditions aufTi onéreufes pour la République, que honteufes pour toute la Chrétienté, entreprit avec une ardeur incroïable, d'établir une nouvelle Ligue, entre le St. Siègejie Roi d'Efpagne, & la République , & envoïa a V?nife Marc-Antoine Colonne , qui, non moins capable de conduire cette négociation, que de commander une grande Armée, difpofa enfin le Sénat a prendre Un parti plus généreux, & plus convenable a fes intéréts,- malgré 1'oppolition de divers Sénateurs, qui ne vouloient' plus entendre parler de guerre, & qui foutenoient, " qu'il ne falloit plus „ le lailfer éblouïr par les avantages , qu'on leur promettoit „ de rencontrer dans une nouvelle Ligue; bien perfuadés que „ teRoïÜEfpagne ne s'y engageroit que par pblitique 3 &plu„ tot pour les faire confumer, que pour leur proeurer aucun „ bénéfice, comme ils ne 1'avoient que trop expérimenté par 3, la conduite de fon Général, qui avoit fait perdre inutilement 5, a leur Armée toute la campagne,.. & même empêché, par „ fes détours malicieux r qu'on ne fecourüt 1'Ile de Chypre; „ Qu'on devoit d'ailleurs confidérer, que leur Ville Dominan-3, te étoit prête a- fuccomber fous le poids d'une guerre,. qui 3, abforboit toutes leurs Forces ; Qu'ils avoient ablolument be~ 3, foin de quelques années de tranquilité, pour fe refaire des dé3, penfes exceffives, qu'elle leur avoit' coüté, Ajoutant, que „ ces feules railons devoient les obliger a faire la paix, quand3, même ils auroient eu a faire a un Ennemi moins puilfant, &3, moins rédoutable, que ne 1'étoit le Sultan ; Etqu'enfin, en 3, lui abandonnant; 1'Ile de Chypre ', ils perdroient' beaucoup» moins, quTen s'épuifantentièrement p,ar une guerre doutetutv 5, dans Nouvelle' Ligue pre--' pojée paf /*' 'Pape auK ^éaiücns*  1148 HISTOIRE G E' N E' R A L E .53 ?3 I fi C r a Me ell r tcceytée. > t i i l < ï i < ï 4 rArticles principaux . de la Ligue , entre . ie Pape. le gne, fc? la République .de Vénife. dans la quelle il leur falloit tout risquer,lans efbérance d'aucun avantage. Cependant, malgré toutes ces fortes raifons, le Général Coonne reprélenta efficacement les fentimens du Pontife-, &perïada fi bien le Sénat des fincères intentions du Roi d1Efpagne, u'il cntraina, par fa dextérité, Ie plus,grand nombre de Séateurs dans fon opinion; de forte que la Confédération fut pprouvée, & déclarée par le Doge en plein Sénat, qui ordona en même tems a Michel Soriano , ,6c a Jean Soranzo , Lmbalfadeurs de la République a Rome, de faire parta SaSain»té de leur réfolution., 6c d'en figner le Traité. 'Le Pontife, de fon cöté, n'avoit pas eu moins de peine a urmonter les obftacles infinis, que les Miniftres d"'Efpagne faibient naitre continuellement dans cette négociation, principaïment le Cardinal de Granvelles, qui s'oppofoit fortement ala onclufionde la Ligue, 6c faifoit de fi grandes difficultés fur ous les Articles, qu'on reconnoilfoit ouvertement fon averfion our la République; 6c que fon delfein étoit de trainer en lonueur, afin que le tems de la campagne fe palfat avant la conlufion, 6c que les Vénitiens ne fuffent plus en état de faire la »aix avec les Infidèles, ni de s'oppofer aleurs entreprifes: Proédé malin, qui obligea le Pape a chalTerunjour .ee Cardinal de a préfence, en lui reprochant, qu'il n'entroit dans la Congregatiën, que pour détruire les aifaires de la Chrètienté. Le zèle, 6c la perfévérance du St. Père, aïant enfin applani toutes les difficultés, la Ligue fut conclue, fignée, 6c publiée en plein Confiftoire le fixième jour de Mai, i J71- Les principaux Articles furent; I. Qu'il y auroit a 1'avenirunion, 6c alliance, entre le Souverain Pontifè, le Roi d1Efpagne, 6c la République de Vènije, pour faire la guerre aux Infidèlesr Jl  be CHYPRE. Liv.XXV. Ch. III. iHP II. Que ces trois PuifTances armeroient, a fraix communs, deux eens Galères, & cent Vaiffeaux de charge; & qu'elles mettroient fur pié cinquante mille Hommes d'lnfanteriejquatre mille c-inq eens Chevaux, avec VArtillerie, &les munitions néceffaires, pour 1'entretien de cette A rmée, qui fe rendroit tous ies printems kötrante, pour faire telles entreprifes j que les Généraux, qui devoient la commander, jugeroient a propos pour les avantages communs des-Confédérés. III. Que le Roi foignit enfuite Pertau, lequel n'aïant rien pu avancer kCattaro , étoit allé mouiller a Qyateauneuf, oü fe. rendirent aulfi ? leurs autres Efcaclres. Us retoumèrent enfemble devant Corfou,. fur raffurance, qu'ils eurent de leurs: Efpions,-que, la FlotteVènitienne n'étoit point en état de les inquiéter. . En elfet, ils ■ y-.demeurèrent plus de quinze jours a 1'ancre, avec autant de tranquilité, que s'ils avoient été. dans le meilleur. port de la-, 'lurquh-.-: II faut convenir que tous ces rrralheurs-ne feroient point arri- v-és aux Etats de la République, li les Confedérés avoient armé iyec la même diligence, que 1'avoient fait les Vénitiens, qui,, is&lgré.les difficultés,. qu'ils avoient de trouver des Hommes, Sc de fargent, avoient pourtant eu les moïens, par la pruden- :e-du Sénat, de rémédier avec promtitudea'cesfacheux incon►Teniens ; En. engageant.toutes les Villes de leur domination, m .Terre-Ferme; en fe taxant volontairement, «Sc mo'ïenant me amniftie générale qu'ils aceordèrent aux.Sandits ; éxpédient,, qui;  de CHYPRE, Lw. XXV. Ch. IV. n-?3r qui leur produifit des fommes tres - confïdérablês y «Sc grar nombre de Gens de guerre, & de Matelots. Mais la lenteur ordinaire des Efpagnols, que toutes les foll citations du Pontife, ni celles du Sénat, ne purent faire fort de leur gravité, faifoit encore croupir leurs propres Efcadres dar les ports & Italië, &ne permettoit point aux Vénitiens de ric entreprendre ; Car, foit que ce fut cette raifon qui les retin ou qu'ils fuffent bien fondés dans- le foupcon, qifils avoien que le Roi -Philippe ne cherchoit que leur abaiffement, il eftce tain , que Don Jean d'Autriche ne partit du port de Ba\ celone qu'au mois de Juiilet, avec vingt-fept Galères, & cin< mille Hommes de débarquement , &- qu'il palfa encore tai de tems a Gènes, & a Naples, en fêtes, & réjouiffances, qü n'arriva a Me/fine, oü les deux autres Généraux Colonne, < V e;n i e'r i, f attendoient, que le 16. du mois d'Aoüt; & qu' prés leur jonction, les Efpagnols foutenoient encore, qu'il n falloit point en venir a aucune bataille avec les Infidèles; enfo te que ce ne fut qu'après bien des Confeils, & desraifonnemer inutiles, que Colonne , &• V e'n i e'r i , obtinrenfcenfin,-■ qu'o s'avanceroit jusqu'aux Cötes de. la Morée, Cependant, malgré cette réfolution, les CommandansEfpt, gnols trouvèrent tant dedétours, que laFlotte ne put mettre la voile que le ij. de Septembre, encore d'une manière, qi paroiffoit comme forcée de leur partr. Outre la douleur, qu'avoit le Sénat devoir rompre toutes leur mefures, par finaclion de leurs Forces maritimes, dans les que les confiftoit toute leur efpérance v il avoit encore celle de n pouvoir fecourir Famagoujle, oü perfonne ne vouloit plus fe ris quer de conduire aucun renfort. Us-manquoient même de Trou pes, pour y- envoïer, par la difficulté qu'il y avoit a- trouve des gens de guerre, qui vouluffent s'engager avec eux. Le; Officiers, & les Soldats, fe plaignoient également des extor Hhh hhh'h 1, fion d" i- ir' is n - ?i fes r- ï lts il i- e 'Les Thuis . cjmfcdérées ' s'avancent S ffisqu'aux Cêtes de n-te Mo- rée. a • ii- sAi-t!cIc7ijr'' e- .PamajTftuftè n'efl 'point Jecoit,r«s. 5-'  ii ff HISTOIRE GE'NE'RALE { i i c I < j 1 i < i l ' .4 1 :( i ] i Siége ie Famagoufterecommeticé far Muftapha. ions de leurs Provéditeurs, 6c des mauvais traitemens qu'ils en ecevoient. Le Sénat n'étoit pas moins confterné de fe voir contraint de aire fortifier leur Capitale, dans la quelle ils appréhendoient, [u'après la défolation de leurs Hes, & des Cötes voifines, il ne >rit envie aux Jnfidèles de venir f attaquer. Vénife te trouvoit dans létte trifte fituation, pendant que Mustapha faifoit en Chypre .utant de progrès., que Pertau , & les autres Commandans Turcs, n avoient fait dans les pays de la République, 6c que laFlotte :onfédérée étoit comme fpectatrice des ravages des Cötes de la Dalmatie, & de la perte de la Ville de Famagoufte, comme ele favoit été la campagne précédente de celle de Nicofie. Mustapha, qui, pendant tout Phyver, avoit grolfi fon Arnée, de Janijjaircs, & d'autres Troupes, & ramaffé quantité le provifions, & tous les attirails néceffaires, que les Galères, 5c les autres Batimens, lui avoient conduits, dans les fréquens 'oïages, qu'ils avoient faits aux Cötes de Syrië, & de Caramaüe, & qui de plus avoit été renforcé par prés de quarante mille Volontaires, que fefpérance du butin lui avoit attirés, par 1'aIrcffe qu'il avoit eue de faire publier a Confiantinople, & dans :outes les Provinces de 1'Empire, que la Ville de Famagoufte itoit incomparablement plus riche que celle de Nicofie, par raDort au principal commerce, qu'y faifoient les Étrangers, &les Vlarchands du pays, eut le plaifir de voir fon Armée forte de )lus de quatre-vingts mille Hommes, parmi les quels il y avoit matorze mille Janifjaires, outre les Volontaires, dont je viens teparler, & dont Mustapha , Beig, étoit leGénéral. Ilavok mcore aflemblé plus de quarante mille Pionniers, fans compter jn nombre infini de vivandiers ,& autres gens de fervice; abondance d'argent, d'artillerie, de munitions de guerre, & de bouche; & il avoit fous lui les plus fameux, 6c les plus vaillans Capitaines de 1'Empire. II recommenca le fiège, dès le j.. du mois d'Avril.. Gepen-  dè CHYPRE. Liv. xxv. Ch. iv. ïïff Cependant,. comme, malgré cette quantité de Troupes, & cette abondance de provifions, ilprevoïoit, que ce Siége feroit beaucoup plus diffïcile,que ne favoit été celui de Nico/ie, & que 1'expérience qu'il avoit déja de la;valeur, & de la fermetédes Commandans de cette Place, ne lui permettoit pas d'en douter, iU fut très-acfif, & vigilant a tout ce qui pouvoit avancer fon entreprife ; &, malgré le grand nombre d'artillerie, qu'il avoit dans fon Camp, il y fit encore conduire quinze des plus groffes Pièces de celle de Nicofie;. 11 fit auffi travailler, avecunfoin; extraordinaire , a fes retranchemens , & dreffer fes batteries dans les lieux, qui lui paroiffoient les plus avantageux ; Et il faifoit toujours couvrir les travailleurs, par grand nombre de fes meilleurs Soldats, crainte qu'ils ne fuffent interrompus par lès Affiégés. Ceux-ci plus animés, que déconcertés, de voir la campagne couverte de tentes , de luperbes pavillons , «Sc d'une fi prodigieufe quantité d'Ennemis, le difpoïèrent hardiment a les bien recevoir. En effet, ils donnèrent bientöt des marqués de leur courage a Mustapha. Ge Général aïant voulu faire parade de' fon Armée formidable, «Sc en même tems élever une fort grande quantité de banderolles dans fon Camp, afin de les intimider par cette vaine ofientation, ils y pointèrent deux groffes coulevrines, & les tirèrent fi a propos, que plufieurs de fes Efcadrons en furent fort maltraités. Ils profitèrent avec une égale adreffe, & beaucoup defoin, de toutes les occafions, qui s'offrirent pour les incommoder. Chacun étoit fi attentif a la confervation du pofte, qui lui étoit confié, que les InfidêleS'tn étoient: toujours repouffés avec perte.• Baglione, «ScBragadin, bien fecondés par Ti e'p o li , «Sc par les autres Perfonnes de diftinction,. donnoient par tout de fi bons ordres, que les murailles de la Ville. étoient auffi-bien gardées, & bien reparées, que' les vivres y étoient régulier ementménagés, «Sc diftribués.  iifê HISTOIRE GE'NE'RA L E Louis Martinengo, qui commandoit 1"Artillerie, travail-loit avec une continnelle application, a faire refondre les piè■ces inutiles, & fuppléoit par fon alfiduité, &fon induftrie, au befoin qu avoit la Place d'un inftrument fi néccüaire a fa dé'fenlè. Laurens Tie'poli avoit la Surintendance des vivres. Ce fut par fon avis, qu'on fit fortir de la Ville huit mille bouches, qui fe réfugièrent dans les villages des envir-ons, fans être au-cunement inquiétés par les Turcs. Ce Seigneur économifoit li bien les provifions des Magafins publics, & particuliers, qu'elles durèrent beaucoup plus qu'on n'auroit ofé fefpérer. 11 avoit établi un fi bel ordre a faire porter les alimens néceffaires aux Soldats, & aux Bourgeois, qui gardoient les murailles, qu'aucun n'étoit obligé de quitter fon pofte, pour en aller chercher. Eranqois Bugoni commandoit au Tourjon de 1'Arfenal, -Pierre Conti a celui du Camp-Saint, ou Cimetiere, le Comte Hercules Martinengo depuis la Courtine ÜAndrouzzi jusqu'au Tourjon de Ste. Nappe, Hor ace de Ve'le'tri, & Robert Malavezzi, depuis ce Tourjon, jusqu'a la porte de Limijol Ils furveilloient tous fi bien nuit, & jour, aleurs postes, qu'ils ne pouvoient aucunement être furpris. Bragamn, & Baglione, fe trouvoient par tout, & agilfoient avec tant de ■concorde, & de ztle pour la caufe commune, qu'ils ne paroif foient pas moins infatigables qu'unis; Aulfi, doit-on convenir, ■que ces belles dilpofitions, jointes k Ia bravoure, & a la réfolution des Soldats, & des Habitans, qui étoient continuellement animés par de fi beaux exemples, auroient été capables •de conferver la Place, & de faire confumer entièrement la grande Armée, qui les attaquoit, fi le Sénat n'eüt, par fon peu •d'attention k une affaire aulfi importante, abandonné tant de daraves gens , &; trompé leur attente. Cepen=  de CHYPRE. Lm XXV. Ca. IV. tfff Cependant, quoique Ie canon des Affiégés fit d'abord mer•ve.illes, & que leurs Sorties ne fulTent pas moins heureufes, leur ,-nombre étoit fi médiocre en comparaifon des Ennemis, qu'ils ne purent les empêcher d'avancer leurs ouvrages, jusqu'a la petite portée du canon de la Ville, oü ils conftruifirent dix Forts, de diftance en diftance, bien entendus, Sc folides, paria quantité de grolfes poutres artiftement entrelalfées, la terre , lafouide,& les facs remplis de cotton, Sc de laine,qui en bouchoient les vuides. Ainfi, lorsque f Artillerie de la Ville y faifoit quelque brêche, il neleur étoit pas difficile de la réparer promtement. Ces Forts, dont la hauteur furpalfoit les murs de la Ville," étoient garnis de foixante quatre pièces de gros canon, parmi les quels ils s'en trouvoit plufieurs d un calibre extraordinaire. Comme ils tiroient fans celfe, les Affiégés étoient également en danger dans les rues , Sc dans leurs maifons. AMa faveur d'un •feu fi terrible, Sc d'un profond folfé, que les Infidèles avoient creufé tout autour de leur Camp, & fur les bords du quel ils avoient élevé une fi prodigieufe quantité de terre, que leur "Armée étoit presqu'entièrement a couvert du canon, & de la mousqueterie de la Place, ils continuèrent a s'avancer vers la contrefcarpe, lans que le grand nombre de Soldats, Sc de travailleurs, que les Affiégés leur tuoient dans leurs fréquentes lorries, ni le ravage, qu'ils faifoient a leurs travaux, fuffent capables de rallentir leur ardeur. Au contraire., ils travailloient même avec tant d'affiduité, & d'émulation, pendant la nuit, la Cavalerie, & 1'Infanterie s'y occupant également, que tout ce que les Affiégés leur gatoient . étoit incontinent réparé. D'ailleurs, quelqu'avantageufes que fuffent les fbrties des Chrétiens, elles affoibliffoient extrêmement la garnifon. Dans une fortie qu'ils firent de fix eens Hommes, ils Tencontrèrent tant d'Ennemis, & leurs retranchemens , qu'ils YQuloientforcer, étoient fi lolides, que plus de trente Chypriots y lii iii i périrent3 Article/^. Progrès det ■AJjiegeam.  ii?8 HISTOIRE G E'N E'R A L E r4tfoil\ifftment des jtjpégéf. périrent, & que foixante y furent bleffés. Les Commandans furent li touchés de ce malheureux fuccès, qu'ils défcndirent r'rgoureufement, qifon ne fit plus aucune fortie, fans leur ordre exprès, ainfi qu'on favoit pratiqué jusqu'alors. Ce rallentifTement donna lieu aux Infidèles d'avancer leur tranchée jusqu'au pié de la contrefcarpe. Bragadin, & Baglione , qui avoient pénétré leur deffein , avoient fait poffer un corps confidérable de Mousquetaires dans le chemin couvert, de même qu'aux avenues, & affiftoient en perfonne a faire fortifier cet endroit, oü ils firent conftruire, avec une diligence incroïable, un mur de briques, pour couvrir leurs tireurs; des traverfes, & de nouveaux flancs, pour pouvoir réfifler a 1'impétuofité des Ennemis. Ces bravesguerriers n'étoientpas moins attentifs a faire creufèr des contremines dans tous les endroits, oü ils pouvoient découvrir, que les Ennemis travailloient fous terre; &, afin de pouvoir les incommoder dans leurs retranchemens, oü ils étoienü comme enfévélis, ils firent monter diverfes pièces de canon fur le toit des maifons les plus élevées, quitiroient, en effet, avec tant de fuccès, & tuoient tant de monde aux Ennemis, qu'ils étoient quelques fois contraints d'abandonner leurs ouvrages, pendant des journées entières, afin d'en retirèr leurs morts, & avoir le tems de les enfévélir. On apprit même par deux prifonniers, qu'on fit dans une fortie vers la fin deMai,quils avöient déja perdu plus de vingt' mille Hommes.. Cependant, comme leurs pertes étoient bientöt réparées, par les renforts , qui leur arrivoient continuellement, & que les Chrétiens n'avoient que des efpérances, qui ne furent jamais fuivies d'aucun effet, les Turcs ne s'appercevoient presque point de leur diminution; & les Chrétiens, au contraire, s'affoibliffoient joumellement, fans pouvoir trourer aucune reffource. 3; leurs maux^  de CHYPRE. Liv. XXV. Cu.IV. 115 II en étoit de même pour les munitions. Les Infidèles les pro diguoient, fans crainte d'en manquer, au lieu que les Affiégé étoient obligés de ménager le peu qui leur en rcftoit, après I< le grand feu qu'ils avoient fait jusqu'alors. Auffi, fe trouvèrent ils réduits a mettre des Officiers, pour furveiller aux batteries. afin que les Canoniers ne tiraffent que trente coups par jour dc chaque pièce. II eft vrai , qu'ils les emploïoient fiutiiement. qu'outre les grands ravages, qu'ils faifoient dans leCamp ennemi , ils leur en embouchèrent, ou démontèrent quinze, ou feize; & que lés Commandans de la Place, joignant f adreffe au courage, & a la prudence, prévenoient, & rendoient même alfez fouvent leurs entreprifes fort inutiles. Auffi Mustapha, qui avoit déja confumé une bonne partie de fon Armée, & qui craignoit de perdre devant Famagoufte la gloire, qu'il avoit acquife devant Nicofie, non content d'avoir fait élever de nouvelles batteries contre les murs de la Ville, creufer diverfes mines, & tirer dans une feule journée jusqu'a cinq mille coups de canon, anima fes Troupes par fes ménaces, & en même tems par les grandes récompenfes, qu'il promettoit a leur valeur. Son canon aïant enfin fait brêche a Ia contrefcarpe, malgré le grand carnage, que les Affiégés faifoient de fes Troupes, elles furmontèrent tous les obliacles, & gagnèrent entièrement le foffé. Et, comme tous les périls, &les fatigues, ne pouvoient les rébuter, elles y jettèrent tant de terre, de fafcines, &de facs remplis de laine, de cotton, & d'autres matériaux, qu'elles le comblèrent jusqu'a la hauteur des remparts; &, afin de repoulfer les Affiégés, qui, de leur cöté, faifoient des efforts extraordinaires pour les en chafier, & pour enleverles fafcines, les facs de laine, & de cotton, pour chacun desquels les Commandans donnoient un Ecu d'or de recompenfe, les Turcs bordèrent la contrefcarpe d'un li grand nombre de Mousquetaires, que les Chrétiens ne pouvoient plus fe préfenter k la brêche, fans en Iii üi i 2 être 9 i Ilsnepeu' vent plus fe préfenter i la brêche.  116o HISTOIRE G E' N E' R A L E être d'abord emportés ; car, malgré finvention,-que trouva ringénieur Marmorio d'une efpèce de mantelets de planches jointes enfemble, par lesquels il prétendoit garantir les Soldats des coups des Ennemis, il leur fut impolfible de regagner le terrain , que les Barbares avoient occupé, ni même d'endommagtr leurs ouvrages.. L'invention de Marmorio ne fervit qu'a faire tuer plufieurs braves gens, & lui même tout le prémier. Ainfi les Affiégeans demeurèrent maitres du folfé, & s'y établirent de manière qu'ils ne pouvoient plus être olfenfés, que par • quelque coup de hafard. Ce fut alors qu'ils commencèrent atravailler a leur aife a perfectionner les mines, qu'ils avoient commencées en plufieurs endroits. Giamboulat Beig, qui commandoit f attaque du Tourjon de l'Arlènal, en fit jouer une avec tant de fuccès, qu'elle emporta une partie de la muraille, quoique très-épaiffe, & renverfa plus de la moitié du parapet, dont on favoit renforcée. Le Chevalier Maggio, Ingénieur, n'aïant pu rencontrer ce fourneau , malgré toute la diligence qu'il avoit faite, comme il avoir. eu le bonheur de réülfir a ceux que les Ennemis avoient oreufé aux Tourjons de Ste.Nappe, cTJndrouzzi, & du Cimetiére, que cet habile Homme avoit fait éventer. Ainfi l'endroit, dont on fe défioit le moins, aïant" été tout: d'un coup ruiné, les Turcs fe préfentèrent a la brêche avec tant de fureur, que lesCapitaines Pierre Conti , &Hector Martinengo , qui y étoient de gardé, & dont les compagnies avoient beaucoup foulfert du fracas , qu'avoient fait les dcbris, n'auroient aucunement pu foutenir leur impétuofité, fi B vglio-1 ni, Bragadin, & Quirini, ne fuffent promtement accourus k leur-fecours j avec leurs Troupes, & n'euffent repouffé les Infidèles, malgré les efforts extraordinaires de leur Commandant, qui les mena lui même jusqu'a cinq fois a la charge, toujours rafraichi par de nouvelles Troupes. J Mais~  de CHYPRE. Liv: XXV. Ch. IV. nói Mais enfin, après cinq lieures d1un combat très-fanglant, & fort opiniatre, Giamboulat fut contraint d'abandonner cette attaque ; le Canon du Chateau, oü commandoit Andre' Bragadin lui aïant tué plus de fix eens Hommes, outre le grand nombre qui furent défait's par le fer, ou par les feux d'artifice, que les Chefs des Chrétiens leur faifoient ietter. • Ces derniers perdirent, dans cette occafion, cent foixante de leurs meilleurs Soldats, avec le Comte Jean-Francois Gorrï, & divers autres Officiers. Les Capitaines BeRnardin d'Agubio , Pierre Conti , & Hercules Malatesta , & quelques autres y furent dangereufement bleffés.- Pendant que les Hommes fe fignalöient, en elfüïant ces dangereux affauts, les Femmes y remportoient une gloire éternelle; Car, foit que celles de Famagoujle fuffent naturellement plus hardies, que celles de Nicofie, ou que fapréhenfion des malheurs, que ces dernières avoient éprouvé, les rendit plus courageufes, il eft certain, que, pendant que les unes préparoient .des armes, & des munitions aux Soldats, les autres jettoient des pierres, &de f eau bouillante fur les Ennemis; & que d'autres enfin, femêlant, comme de véritables Amazones, dans le plus fort du combat, y faifoient des prodiges de valeur.- Une entre autres apercevant fon mari bleffé, empoignaun eftoc, ou demi-pique;' &, non contente d'avoir tué le Janijfaire, qui favoit renverfé, en blêffa encore un autre, & fe jetta enfin fi avant la mêlée, qu'après y avoir fait des aéfions héroïques, el-le y demeura facrifiée a fon propre courage. II eft vrai auffi, que l'exemple des Chefs étoit fi puiffant fur fefprit de tous les' Affiégés, que jusqu'aux malades, bleffés, ou eftropiés, tous s'expofoient', a l'envi, dansles endroits les plus dangereux, fiégés également réfolus, & intrépides a les bien conferver. Ge  bü CHYPRE. Liv.XXV. Cu. V.' ïióf Ce Général furieux eut encore beau emploïer les promeffes, & les ménaces, poulfer toute fon Armée a falfaut, & s'expofer lui même dans les lieux les plus dangereux pour animer fes Troupes, elles n'avancèrent pas plus que les autres fois. Elles furent repouffées partout, avec des pertes trés - confidérables. Tant les Affiégés combattoient vaillamment avec des forces fi inégales, & témoignoient d'amour pour la gloire, & de mépris pour la vie. II n'y eutqifau Ravelin d'Androuzzi, oü, après fept heures de combat, ne pouvant plus fe fervir de leurs armes, faute de terrain, ni par conféquent réfifter aux efforts, que faifoient les Ennemis, pour emporter ce pofte, qu'ils furent enfin obligés de le leur céder, pour faire jouè'r le fourneau, qu'ils y avoient préparé. lis l'executèrent,maisun peu trop promtement; car,n'a'iant pu fe retirer dans 1'ordre, que Baglione leur avoit préfcrit, plus de cent Chrétiens y furent confondus avec des milliersde Turcs, qui fautèrent en fair; & les lieux d'alentour furent remplis de cadavres, & de débris de la muraille, dont il ne refia qu'un petit angle tout fracaffé, & penchant, & au quel on creüfa pourtant une nouvelle mine, poury mettre lefeu, lors que les Ennemis reviendroient a la charge. Le Meflre de Camp David RocE,avec deux Capitaines, périt dans cette occafion; le Comte Hercule Martinengo, & quelques autres Officiers, y furent dangereufement bleffés. Cependant , comme tous ces désaftres ne déconcertoient point les Chefs, & ne décourageoient en aucune manière les Affiégés, «Sequ'enfin les Femmes, les Vieillards, & les Enfans, continuoient a s'emploïer avec lamêmeardeur, qu'au commencement du fiège, ils firent d'abord pratiquer une couliffe a la porte de 'Limifol attenante au Ravelin, & qui avoit toujours demeuré ouverte, par la quelle ils tranfportoient dans la Ville les débris de ce Fort, qui leur fervoient a réparer les endroits les plus Kkk kkk k expo-  1166 HISTOIRE GE'NE'RALE Article IL Eerteconft. dérable des Sunemis. expofés, dans les quels ils charroïoient, en même tems, quantité de pierres, pour s'en fervir a alfommer les agreifeurs. Le Père Che'rubin Fortebraccio , Evêque de Limifol, affiftoit par tout d'une manière très-édifiante, portant continuellèment des vivres a ceux qui étoient a la défenfe des murailles, & les exliortant, avec un Crucifix a la main, a bien faire leur de voir pour foütenir la vraie Religion; ce qui ne contribuoit pas peu a les rendre aulfi courageux, qu'intrépides, ainfi qu'il y parut pendant tout le cours de ce fiége rude, & fanglant. Mustapha ne leur donnoit cependant point de repos, & fe rébutoit auffi peu de les attaquer, qu'ils étoient conftans a fe défendre. Quatre jours après le dernier alfaut, qu'il leur avoit dönné lë 14. dejuillet, il les fit affaillir par toute fon Armée, qui s'avanca au bruit'de tambours, & des fanfares, & inveftit la Ville avec tant de réfolution, que plufieurs Barbares plantèrent même fes enfeignes jusques devant la porte de Limifol. Baglione, qui fe trouvoit par tout , fecondé par Louis Martinengo , qui commandoit ce pofle, s'avanca promtement, avec le plus de monde qu'il put ramaffer , & chargea les Infidèles fi vigoureufement, qu'il les fit bientó't répentir des'ètre fi fort avancés *, car, apres en avoir fait une horrible boucherie, il arracha lui même le drapeau des mains de celui qui le portoit, & 1'abbatit a fes piés d'un coup defabre. II encouragea fi fort fes gens par uneaétionfi hardie, qu'ils fe jettèrent fur les Barbares, comme des lions en fureur, & lescontraignirent a prendre une fuite précipitée, leur abandonnant les banderolles, qu'ils portoient, pour les planter fur la muraille.. Le fèu, qu'on mit presqu'en même tems a la mine de fan-' gle du Ravelin, emporta plus de quatre eens des Infidèles, & acheya d'écarter les autres de cet endroit, qui demeura entièrement couvert dè leurs corps morts, & de leurs armes, les uns entiers, &.lès autres par morceaux. Ilsne furent pas plusheureux aux autres attaques, oü ils perdirent également beau^ coup-  de CHYPRE. Liv. XXV. Cu. V. ïi6*? coup de monde , fans avoir pu gagner un pouce de terrain. Ces mauvais fuccès irritèrent Mustapha contre fes Soldats, & fes Officiers. II leur réprochoit fouvent leur tècheté, & le deshonneur qu ils faifoient a la Nation Mufulmanne, en fe laiffant fi fouvent chalfer de defïiis les brêches d'une Ville démantelée, dans la quelle (difoitil) des Soldats courageux feroient entrés tambour battant, & enfeignes déploïées, d'autant plus qu'elle n'étoit plus défendue, que par une poignée de gens, couverts de blelfures, & abbatus de faim,  11*58 HISTOIRE GE'NE'RALE gadin , foit pour Iee réparations, foit pour les défenfes, étoient exécutés avec la même poncfualité qu'auparavant, avec une égale attention arepoufTer les tentatives des Infidèles, qui ne négligeoient rien,de leur cöté,de tout ce qu'ils pouvoient inventer pour les réduire. Car, après avoir manquéleur coup a la porte de Limifol, ils firent, dès le lendemain, joué'r un nouveau fourneau a la courtine, dans le defTein de retourner a f alfaut; mais n'aïant point eu tout le fuccès, qu'ils en avoient efpéré, ils différèrent leur attaque, & continuèrent a approfondir le folfé, qu'ils avoient commencé a creufer au pié de la contrefcarpe, oü ils fe couvrirent de manière que leurs tentes y étoient entièrement enfévélies, & hors de la vue des Affiégés, qui pouvoient a-peine découvrir fept pièces de canon, que les Infidèles y avoient placées; de forte qu'a la faveur de cette nouvelle batterie, & de quelques planches entre-laffées, & couvertes de peaux de buffle, ils s'approchèrent pour fapper les fondemens du parapet rétabli par les Affiégés, fans que les feux artificiels, ni autre chofe put les en empêcher. Mais, comme, malgré tous ces avantages, les Turcs ne purent forcer ce pofte, ils s'avifèrent d'y tranfporter une grande quantité de bois gras, nommé teille, qui eft, a proprement parler , le cep des arbres de fapin rouge , le quel s'enflamme trés-aifément, & produit une fumée tres-épaiffe, avec une puanteur infuportable. Après y avoir mis lefeu, ils y ajoutèrent une fi grande quantité de paille, de fafcines, & autres matériaux combuftibles,fur lesquels ils répandirent force pois raifine,qu'il s'y forma un brafier fi grand, que, malgré f abondance d'eau , que les Affiégés y jettèrent pendant quatre jours, il leur fut impoffible de f éteindre. Auffi la chaleur, la fumée, &lapuanteur, devinrent fi terribles, que les Chefs furent contraints de faire fermer la porte de la Ville. Alors tes Barbares, qui neperdoient aucune occafion, & profitoient promtement de tout ce qui pouvoit  de CHYPRE. Lry. XXV. Ch. V. 116*9 voit leur être favorable , rétablirent inceffamment le Ravelin, fur lequel ils placèrent même une pièce de canon, fans pouvoir pourtant en faire aucun ufage, par la promtitude, avec la quelle les Affiégés la couvrirent de pierres, de terre, & des débris de la muraille, qu'ils y jettèrent. Mais toutes ces belles aótions, non plus que 1'intrépidité des Affiégés, des Femmes mêmes, dont il s'étoit formé des Compagnies, conduites par des Caloïères Grecs, ne purent foulager des gens, accablés de faim, «Sc de laffitude, depuis prés de quatre mois de fiége, pendant les quels ils n'avoient recu aucune aififtance. Aufli, ne pouvoient-ils que reculer leur perte de quelques jours. La mifère étoit li grande, & les pauvres Alfiégés li foibles, h & fi attenués, qu'a-peine pouvoient-ils fe foutenir. Us n'avoient l plus rien de vif, que le coeur. AN toutes ces éxtrémités s'ajou-a' toit fimpuilfance de foutenir les nouvelles attaques, que les Ennemis leur préparoient. On entendit, de tous les cötés, des bruits fouterrains, plus grands qu'a 1'ordinaire. Ce qui indiquoit les différentes mines, qu'ils creufoient. Us élevèrent, de plus, une montagne de terre, vis-a-vis le Tourjon de 1'Arfenal, dont la hauteur furpalfoit de beaucoup eelle de la muraille ; «Sc, par furcroit de mifère, fefpérance du fecours étoit entièrement diffipée. Tant de malheurs irremédiablesportèrent enfin les principaux 1 Bourgeois de la Ville, qui avoient échappé, a repréfenter, par^ Mathieu Golfi , aux Commandans, " que ces calamités infü„ portables, les mettant desormais hors d'état de pouvoir fe „ foutenir davantage, ils les fuplioient- de confidérer, que fe „ peuple de Famagoujle, aïant, parl'effufion de fon fang, & „ la confomption de fes forces, donné des marqués alfez fin„ cères de fon attachement, «Sc de fa fidélité a la République, 3, «Sc n'aïant plus rien a pouvoir lui facrifier que leurs propres „ vies, & celles de leurs families, qui, comme eux, les expo- Kkk kkk k 3 3, feroient sfontrè* •its aux miers 'ois. s veulen* rendre.  1170 HISTOIRE G E' N E' R A L E » 1 j i Les Cmn- \ mandans s'oppofent a cette redditim. , feroient encore, avec la même prodigalité, qu'ils f avoient fait , jusqu'alors, s'il leur reftoit la moindre vigueur dans les vei, nes; Ils les fupplioient de jetter les yeux fnr fétat agonifant, , oü ils fe tröuvoient, qui devoit les engager a conferver les , miférables refies d'une Ville fi affectionnée, & a ne plus dif, férer a recevoir les conditions, qu'on leur avoit fi fouvent , offertes, puisqu'il étoit encore tems d'en profiter, avant que , les Infidèles fuffent informés du déplorable état, oü ils fe trou, voient ; & qu'ils connoilToient eux-mêmes, mieux qu'eux , tous, qu'ils n'avoient plus aucun autre parti a prendre, a, moins qu'ils ne vouluffent mourir de faim, ou tomber dans , un efclavage beaucoup plus cruel, que celui des cito'ïens de , Nicofie. Quoique Bragadin , & Baglione , reconnuffent la réalité, 5c la jufiice de ces rémontrances, auffi-bien que le danger évilent, oü ils étoient tous expofés, & qu'ils fuffent également :ouchés des miferes d'un Peuple, dont la conduite les avoit fi brt fatisfaits, leur grand cceur ne leur permit pourtant point ïncore de fe rendre a leurs inftances. lis fe contentèrent de les :onföler,& de les encourager; en les alfurant qu'ils ne devoient nullement craindre les malheurs, dont ils venoient de parler, puisqu'en cas denécelfité, ils feroient attcntifs a capituler, afin d'éviter le malheur de devcnir la proie des Barbares. Ces grands Hommes furent cependant bientöt contraints de céder a leur mauvais fort. Les Ennemis firent fauter trois difFérentes mines le 29. de Juillet, qui toutes firent un fracas fi effroïable, qu'il neleur reftaplusde gens en état, ni de réparer les ruines, ni de défendre les affauts, d'autant plus que le renverfement du Tourjon de 1'Arfenal avoit étouffé une Compagnie toute entière de Soldats Italiens, & celui du Cavalier enlevé R ondocio Capitaine de Stradiots, avec la plupart de ce qui hii en étoit reflé. Jean Philippe de Luzignan, Jaques Strambali, Tutius, &Alexandre Podocatoro, tous de Ia  de CHYPRE. Liv. XXV. Ch.V. u^r la' prémière Nobleffe du Roïaume, qui avoient éu le bonheur de fe fauver de Nicofie, eurent le même fort, & périrent les armes a la main, en foütenant f alfaut, que Mustapha fit d'abord donner a ces brêches, &qui ne finit qu'après fix heures du combat. La nuit feule le fit terminer, pour être recommencé k lendemain de grand matin. Tout attenués qu'étoient les pauvres Affiégés, ils avoient encore travaillé, pendant la nuit, a fe procurer quelque défenfe; mais aïant confumé jusqifaux draps de lit, & leurs propres habits pour faire des facs a terre, il ne leur reltoit plus aucune reffource; de forte qu'il fallut fe défendre presqu'entièrement a découvert. Cependant, quoique le combat ne durat pas moins que le jour précédent, il ne fut pas fi fanglant pour les Affiégés, foit/que les Turcs fuffent fi fatigués, qu'ils ■ n'en pouvoienl plus, ou que voïant la diminution du feu de la Place, ils conjecrnraffent que la poudre leur manquoit , & que la Viétoire m pouvoit plus leur écliapper. Ce dernier alfaut ne coüta aux Chrétiens, qu'énviron cent Hommes morts, ou bleffés , la plupart mêmeoffenfés par le canon des Galères Ottomanes, qui s'étoient avancées a 1'emboure du port, d'oü elles tiroient, fansceffe, dans la Ville, abou^ Iéts perdus. Ces deux dernières aftions épuifërent fi fort les munitionsdê la Place, qu'il ne reftoit plus aux Affiégés que fept barils de poudre, Les plaintes, les lamentations des Bourgeois, recommencèrent ; rappellant aux Chefs les exemples de file de Rhodes, &desPlaces de la Hongrie, aux queHes les Turcs avoient religieufement gardé les Capitulations. Ce fut alors que Bragadin, qui ne voïoit que trop qu'on ne pouvoit plus foütenir, s'écria amèremenif, en préfence des Officiers, patience, ni donnat la moindre marqué de foibleffe. Au contraire, recitant le Pfeaume cinquantième du Prophéte Roi, avec autant de tranquillité que fes cuifantes douleurs pouvoient le lui permettre, il expira, on prononcant leverfetCor mundum crea in me Deus, &lors que les exécuteurs arnverent au nombril.. Son corps fut écartelé , & attaché aux quatre principales Tours de la Ville. Us en trempèrent la peau dans du vinaigre filé, la promenèrent pour plus grande ignominie, dans toute la Ville, & 1'attachèrent enfuite ai'antenne de la même Galère, qui alla fexpofer aux yeux des Habitans descötés de la Sfr vie, &de YEgypte; après quoi le cruel Mustapha 1'envoïa préfenter au Grand-Seigneur, avec les têtes de Baglione, Quirini, Louis Martinengo , & des autres Officiers. Le Sultan ordonia, qu'on les mit dans le bain de 1'Arfenal de Confiantinople, jtn eft la prifon des Efclaves Chrétiens, oü elles ont longtemiemeuré » comme un monument monftrueux de la barbarie Ottomane; Mais les parens de Bragadin aïant enfin trouvé le ïio'ïen de racheter la peau de ce grand Héros, la tranfportè■eat a Vénife, oü ils la confervent, comme le titre le plus doieux de leur Illuftre Familie.. f $%*jjm P3us aucun fujet a facrifier, Mustapha, après avoir 1 i.,ultem;nt malfacré tous les défenfeurs de Famagoufïe,, tout- glo-  de CHYPRE. Lw. XXV. Ch. VI. lift glorieux d'avoir conquis' cette importante Place, & le relte di beau Roïaume de Chypre, au Sultan, fon Maitre, fe confola fa cilement de quatre-vingts mille Hommes qu'il lui en avoit coü té, auffi bien que de la perte des plus grands Capitaines dc fEmpire, dont les principaux furent, le Pacha de la Natolie ■ le Sanjac de Tripoli, celui d'Jntioche, Soliman Beig, trou Sanjacs üjrabie, Mustapha Beig, Général des Volontaires, le Gouverneur de Malathie, XzFrambourat êCTrie, & plufieurs autres Hommes de grande réputation. 11 donna pourtant la vie a quelques Officiers, & Soldats Chrétiens, qui refloient encore 3 mais qu'il conduifit tous efclaves a Confiantinople. 11 fit auffi cef fer le pillage, traitant même affez humainement les Habitan; Grecs de Famagoujle-, Car , pour les Latins , il les fit foigneufement rechercher, pour les mettre aux Galères. C'eft pourquoi, afin d'éviter fa tyrannie, plufieurs furent contrahits ds diffimuler leur Religion. II fit également dépouiller toutes lësEglifes, profana les Autels, foula aux piés les Saintes Reliques, fit brüler les images dont ces Sacrés Temples étoient ornés, &, non moins féroce a faire la guerre aux vivans, qu'a troubler le repos des morts,ilfit ouvrii leurs tombeaux, & jetter les offemcns ala mer; faifant enfuite fervir ces lieux de dévotion d'étables ,& a d'autres ufagesinmondes; hormis la Cathédrale, comme je viens de le dire, dont il fit la Mosquée principale. II ne laiffa même aux Grecs, que leur grande Eglife, & celle de St. Siméon. II s'apliqua particulièrement , & avec beaucoup d'affiduité: a faire perfeclionner les fortifications, qui étoient entièremenl Riinées , & qu'il auroit fouhaité de rendre encore meilleure; qu'elles ne fétoient auparavant. i\ fit appknir les tranchées, & tous les autres ouvrages extérieurs, qu'il avoit fait faire pendant h Siége. 11 diftribua prés de vingt mille Hommes de pié, & deux mille Chevaux de fon Armée, en divers endroits de 1'ïle, dont les Ha bitans avoient beaucoup diminné. II affigna aux Troupes, qu'i Lil 111 1 3. - ] i Ptrte des Turcs au Jiége de Famagoufte. Les chofes' Saintes profane es par' Muftapha- ) 1 f  •ii-S HISTOIRE G'EN. dï CHYPRE. Liv.XXV. Ch.VT. Arttcleir Retour triompbaat ds Mufta- phaóCon- irantino- I i < fj HISTOI- •y laiffa, des Maifons, & des Terres pour leur entretien, 6c iommenea a établir le Gouvernement Civil, 6c Militaire, conforme a celui des autres Provinces de f Empire. II donna le Gouvernement, 6c le Balliage de Famagoujle ,au Frambourat de Rhodes, 6clui lailfa une garnifon fuffilante pour conferver cette Place, 5c tous fes environs, avec le canton de Carpajjo, indépendamment du Gouvernement de Nicofie, ainli que le pratiquoient les Vénitiens; Ce qui a été depuis li regulièrement obfervé, que, malgré les différentes féditions, qui font arrivées entre les milices du pays, 6c les Pachas de file, ces derniers n'ont jamais eu le pouvoir defe réfugierdans Famagoufte, a moins que , par une faveur fpéciale , les Beigs de cette Place n'aïent voulu le leur permettre, 6c les y recevoir. Enfin le fuperbe, 6c fier Mustapha , après avoir mis ordre a toutes les affaires du Roïaume, en fort habile Homme, s'en retourna triomphant, avec vingt une Galères, auffi chargées d'efcla. ves,que de riches dépouillés de file. II fut reen a Confiantinople, avec un applaudiffement extraordinaire, malgré les plaintes d'une multitude de gens, qui avoient perdu leurs amis, ou leurs papens , dans cette guerre, 6c qui lui en attribuoient la caufe. Le Grand-Seigneur même dit, qu'il lui avoit plus coüté de Soldats, bour faire la conquête de Chypre, qu'il ne lui avoit acquis de Su' ^ w nye ^ neg}jge<|t entièrement les fréquens avis de fon Ambaffadeur a fa.Por te, ceux de Sayorniani, & d< l Article J. Fin du Roïaume d&~ Chypre. Reflexion' fur la conduite dttSè" nat Vénitien.  ïiSo HISTOIRE GE'NE'RALE de tous les autres Commandans, qui le follicitoient, fans celfe, a y envoïer quelque puitfant fecours. II ne fit pas une moindre faute de n'y point envoïer un Gouverneur, qui entendit le métier de la guerre, puisqu'ils étoient tous perfuadés de 1'incapacité de Dandolo , qui s'étoit emparé du Souverain Commandement. Le peu d'attention, qu'ils firent, aux rémontrances de PEvêque de Famagoufte , que les Chefs de cette Place leur avoient envoïé, après la prife de Nicofie, ne fut pas moins condamnable. Auffi, furent-ils blamésde leur peu de conduite dans cette occafion, & par le Pape, & par les autres Princes Chrétiens. Chacun en murmuroit hautement, & publioit, que, fi le Sénat n'eüt point abandonné les vaillans Hommes, qui défendoient Famagoufte, ils f auroient infaüliblement confervée, puisque huit mille Hommee, qui fè trouvoient dans cette Place, tant de Troupes réglées, que de Bourgeois, foutinrent feuls quatre mois de Siége, contre une Armée très-formidable, firent périr plus de quarante mille Mahométans, & effüïerent cent cinquante mille coups de canon, dont les boulets furent recueillis, & bien comptés., outre la quantité de mines, & de fourneaux, qui détruifirent toutes les fortifications, le nombre infini de coups de mousquets, & les fiêches, fans qu'ils perdilfent un pié de terrain, ni qu'on put les forcer, malgré le petit nombre, au quel ils fe trouvèrent réduits, presque fans munitions, & accablés de mifère, & de faim. Ce dernier mal, plus infiiportable que tous les efforts des Ennemis, les contraignit enfin a capituler. On ne fauroit cependant disconvenir, que leur valeur, & leur intrépidité ne leur ■attiraffent 1'admirationdes Infidèles mêmes;Elles excitèrent,en même tems, 1'indignation générale contre le Barbare Mustapha , & contre ceux quine les fecouroient point, aqui on doit attribuer 1'efclavage,ou la mort, que le cruel Ottoman leur fit endurer, de la manièredouloureufe, qu'on vient dele dire, & dont le récit attendrit, & fait frémir tous les gens d'honneur; d'autant  de CHYPRE. Liv. XXVI. Ch. I. 1181 tant plus qu'un raifonnable fecours les auroit mis en état d'éviter une fi malheureufè, & fi funefte deftinée. Le fort de la pauvre Noblelfe Chypriotte, qui avoit évité la fureur des Barbares, ou qui avoit eu le moïen de fe racheter, n'étoit guère meilleur; car, pendant que ces Infidèles joüifïbient de leurs Maifons, de leurs Fiefs, & de leurs autres Biens, ces Illuftres malheureux étoient obligés de s'occuper aux plus vils métiers, pour gagner leur pain; les uns fervant de muletiers, les autres de crocheteurs, ou a d'autres emplois beaucoup plus abjets; encore avoient-ils beaucoup de peine a pouvoir fe raffafier de pain d'orge; la guerre aïant confumé, ou gaté la récolte, & caufé une difette fi grande, que ceux même, a qui il étoit refté plus de facultés, fe trouvoient également embarraffés a pouvoir fubfïfter. Changement bien fenfible, & bien douloureux, pour des Perfonnes , accoutumées a vivre avec tant de fpendeur, & de délicateffe, que le faifoient les Nobles du pays, dont les tables étoient toujours couvertes de méts trés-exquis, & qui n'étoient pas moins foigneux d'avoir toutes les autres commodités, qui pouvoient leur rendre la vie douce, & agréable! Ce fut au port Alexandrin, dans 1'Ile de Céfalonie, oü Ia Flotte confédérée s'étoit enfin rendue, après mille difficultés de la part des Efpagnols, que le Général V e'n i e'r i recut la trifte nouvelle de la prife de Famagoufte, & de la perte entière du Roïaume de Chypre. Le récit touchant, que Marin Cavalli , Provéditeur en Candie, lui en fit par fes Lettres, étoit fi fenfible, & la cruauté, avec Ia quelle Mustapha avoit fait périr tant de Perfonnes de diftinction, en violant le Traité de Paix, qu'ils avoient conclu avec lui, parut fi déteftable, que toute 1'Armée, frémiffant de 1'inhumanité, & du manque de foi de ce Barbare, en témoigna de f horreur, & demanda, avec empreffement, d'être conduite a vanger la mort de tant de braves gens. Mmm mmm m fK Aviliffemeiti de In A/MeJJe Chypriote." Artic|e II.  ii82 HISTOIRE GE'NE'RALE La Kottt confédérée desChxè, tiens veut vanger la mridesFa magoustains. Délibcration d'attaquer la ïiVre Ottomane. Colonne emfêcbe, que les Efpagnols , & les Vénitiens i, n'en viennent aux rr.ains. Asfimpatience,qu'avoit toute 1'Armée d'en venir aux mains avec les Infidèles, fuccedèrent les murmures, & enfin les exclamations, lorsque, peu de jours après, le Général Vénitien . recut de nouveaux avis de Paul Contarini, Provéditeur a Zante, qui f informoit, que la Flotte Ottomane étoit entrée dans le Golphe de Lepante, même en très-mauvais équipage, 6c fi dépourvue de Soldats, que les Commandans en avoient envoïérecueillir dans les ports d'alentour. Gilles d'Andrada , Jean-Baptiste Contarin , & Catarin Malipie'ro, que les Généraux Chrétiens avoient dé* tachés, de file de Corfu, avec leurs Galères, pour en aller apprendre des nouvelles, confirmèrentla même chofe a leur retour. Alors les Efpagnols , qui avoient toujours foutenu, qu'il falloit éviter la bataille avec les Infidèles, 6c s'attacher a la conquête de quelque Place fur les cötes de la Grèce, furent les prémiers a demander le combat, en entrant dans les fentimens d'honneur, &de prudence de Colonne, lequel, fincèrement attaché au bien de la caufe commune, s'étoit toujours oppofé a leurs projets, comme indignes d'occuper une Armée, dans la quelle fe trouvoit tout ce qu'il y avoit de plus Illuftre en Italië , 6e en Efpagne, ajoutant, " qu'une pareille entreprife ne fe„ roit pas moins de tort a leur réputation, qu'elle enorgueil„ liroit les Infidèles, lesquels pourroient alors dire, a jufte ti„ tre, qu'on leur laifoit prendre des Roïaumes entiers, tandis „ qu'on ne s'occupoit qu'a des hicoques, dont la conquête feroit ,, inutile; que d'ailleurs ilsn'ignoroient pas, que les ordres du „ Souverain Pontife, au quel le Roi ÜEfpagne, 6c le Sénat „ avoient également déféré le pouvoir de leur expédition „ ,, étoient d'aller attaquer directement laFlotte Ottomane. Ce fage, 6c prudent Seigneur fit plus. II empêcha, que les: Efpagnols, 6c les Vfniticns, n'en vinffent aux mains entre eux, 6cne ruinaffent, par leur discorde particulière , fefpérance que toute fEurope avoit concue de leur union.. Voici Ie fujet de leur  de CHYPRE. Liv. XXVI. Chaf. ?. ïr* 'leur débat. En partant de Mejfine, les Efpagnols avoient fait embarquer quelques Compagnies de leur Infanterie fur les Galères Vénitiennes. Mutius Tortone, Capitaine d'une de ces Compagnies, Homme fier, & violent , fe trouvoit fur la Galère d'andre' Calergi, Candiot de Nation. VE/pagnol le traita fi mal, & avec tant de hauteur, que, pour n'en point venir a quelque facheufe extrémité, Calergi en porta fes plaintes au Général Ve'nieri, quimanda d'abord cet emporté, pour lui recommander de fe conduire avec décence, & vivre plus tranquilement; mais il refufa d'obéïr aux ordres de ce Général; alléguant qu'il n'en connoilfoit point d'autre, que Don Jean d'Autriche. II fit, de plus, prendre les armes a fes Soldats contre les Gardes de 1'étendart, que V e'n i e'r i lui envoïa, enfuite de fon refus, pour le réduire a la raifon , en tua un , & en blelfa plufieurs autres. Ve'nie'ri naturellement vif, & fort promt, piqué de 1'infolence, & de la révolte de ce Capitaine, le fit d'abord arrêter, avec fon Enfeigne, & fonSergent, &les fitpendrea 1'antenne de fa Galère, fans en donner aucun avis a Don Jean, avec lequel on étoit convenu, en embarquant ces Troupes, que, fi aucun Officier, ou Soldat, commettoit quelque faute fur les Galères, on les arrêteroit; mais que le jugement en feroit refervé au Généraliffime; de forte que, comme il n'aimoit pas trop V enie'ri, regardant fon aclion promte, & violente, comme un attentat, qui bleïfoit fon rang, & Ion autorité, il entra, de fon cöté, dans une grande fureur, qui étoit encore fomentée d'ailleurs, par Requescens , Landriani , le Comte de Ste. Flore, Ascagne du Corne'o, & plus particulièrement par Doria , qui étoient les principaux de fon Confeil, & tous Ennemis fi déclarés de la République, qu'ils avoient toujours fait leur poffible, pour détourner ce jeune Prince de combattre les Infidê/es. Mmm mmm m 2 Ces f MesinUlï'.gence entre les Efpagnolsles Vénitiens.  xiS*. histoire ge'ne'rale Leur recentiliation. , \ ( I ] t ] i Article///. Defcriftion i ie laFlotte y confédérée. i 3 Bon ordre „ qu'en ohferve,pour ia hau.lt. Ces aigreurs, dis-je, auroient porté Don Jean a en venir a ine rupture ouverte avec les Vénitiens, fi Colonne , par fes ages rémontrances, ne lui eut fait facrifier fon relTentiment au bien Ie la Chrétienté, «Sc trouvé un expédient admirable, pour évi:er de pareils inconveniens; ce fut qu'a f avenir, ce feroit le 5rovéditeur Barbarigo , Homme auffi doux, «Sc modéré, que 7 e n i e'r i étoit ardent, quoique trés - conlidéré d'ailleurs, qui iendroit a 1'avenir la place de ce dernier dans les Confeils, oü Don Jean fe trouveroit; Condition que ce Prince trouva fi raibnnable, qu'il ne put refufer de s'y rendre. Ce démêlé, léger dans fa nailfance, mais qui faillit avoir des uites li facheufes, aïant enfin été terminé de la manière que je riens de le dire, toute la Flotte Chrétienne partit du port dlexandrin. Elle étoit compofée de deux eens neuf Galères ; avoir douze du Pape, quatre du Duc de Savoie, quatre de la leligion de Malte, quatre vingts une du Roi d"'Efpagne, «Sc ent- huit Vénitiennes, outre fix Galéalfes, vingt huit grands Naïres, & grand nombre d'autres Batimens de tranlport. Elle fe rangea d'abord en ordre de bataille, afin de ne point :tre furprife. Don Jean de Cardone commandoit favant-garle, qui étoit de huit Galères; Jean-Andre' Doria 1'aile droie, forte de cinquahte quatre; Augustin Barbarigo la gauhe de cinquante trois; Don Jean ü'Autriche, dont la Galèe étoit entre celles des Généraux Colonne , «Sc V e'n i e'r i , :ommandoit le corps de bataille, fort de foixante trois; &Don Illvares Bazano, MarqmsdeSAiNTE-CROix, en commandoit rente, qui faifoient le corps de rélerve. On en avoit desarmé juatre, avant leur départ, pour renforcer les chiourmes des mtres. Les fix Galéalfes, commandées par Duodo, Gozo, Pezano, Pisani, Antoine, & Ambroise Bragadin, précédoient ^armée de prés d'un demi mille; les deux prémières voguoient ea  de CHYPRE. Liv. XXVI. Ch. I. n8y en front du corps de bataille, les deux autres a celui de faile gauche, & les deux dernières a celui de la droite. Tous les Navires, & autres Batimens de tranfport, commandés par Ce'sar d1 Avalos , & par Nicolas Donato, fuivoient le corps de réferve, fans pourtant qu'ou eut deffein de les faire combattre. Afin que tous les Confédérés euffent également part alagloire, & au danger, les Généraux firent entre-mêler toutes les Galères, pour en engager les Commandans a une généreufè émulation, & a fe mieux aquiter de leur devoir; Mais aïant obfervé, que plufieurs Galères ne tenoient pas leurs rangs avec régularité, ils en firent chdtier divers Comités, qui furent accufés de cette négligence, & établirent un Chef fur chaque Efcadre de vingt Galères, pour empêcher de pareils desordres. Chapitre IL Dans cette difpofition la Flotte fe trouva le lendemain, a Soleil levant, a lavue des petites Hes Curjolaires, fituées a f entrée du Golphe de Lepante. Cependant, quoiq.u'on s'ap^prochat fi fort des Ennemis, les OfEciers principaux des Efpagnols ne s'attendoient point encore, qu'on en vint aux mains. Ils continuoient même de repréfenter a leur Généraliffime, que 1'incertitude de 1'évènement d'un combat devoit abfolument le lui faire éviter; & qu'il devoit fe contenter, pour fauver les apparences, de 1'avantage qu'il avoit de le leur avoir offert.- Mais ce jeune Prince, qui avoit jusqu'alors écouté leurs avis, & même déféré a leurs fentimens, rejetta généreufement leurs Confeils ; &, foit par une infpiration Divine, ou pour répondre a 1'attente, que le Souverain Pontife, & toute la Chrétienté Mmm mmm m 3 avoit Article r LesErPt. gnols td~ chent d'évi.tir It cum< 'lat.  ArtiUe II. Les Généraux eKhortent les Troupes a bien faire leur devoir, Si 1186 HISTOIRE GE'NE'RALE avoit de fon grand cceur, & de fonamour pour la gloire; confidérations que Colonne, & Barbarigo, lui mettoient fouvent devant les yeux; il feconda fi bien leur ardeur, & celle de tant d'Illuftre Noblelfe, qui, remplie d'un zèle vrai ment Cbrétien, s'étoit volontairement embarquée, pour y avoir part, qu'il fit incelTamment arborcr Pétendart, que Ie Cardinal de Granvelles lui avoit préfenté kAaples, de la part du Pape, & qui étoit le fignal du combat. Les principaux Seigneurs volontaires, qui étoient difperfés fur la Flotte, furent Alexandre Farne'se, Prince de Parme; Francois-Marie de la Rove're, Prince üUrbin; Paul Jordain, diefde la Familie des Urfins; Michel Bonelli, Neveu de Sa Sainteté; Pompe'e Colonne, Honore'Gaëtan, Vincent Vitelli, & plufieurs autres des plus confidérables Maifons $ Italië , qui , comme Don Jean , ne refpiroient que lesoccafions de fe fignaler contre les Ennemis de Jefus-Chrijl. Pendant que toute 1'Armée fepréparoit au combat, les trois Généraux, montés fur leurs petites Frégates, s'en alloient volants de Galère en Galère, exhorter les Officiers, & les Soldats, a vouloir donner des marqués de leur valeur, & de leur courage dans une occafion fi intérelfante, oü il s'agilfoit du repos, & de la liberté de toute VItalië. Ils leur rappclloient aux uns , & aux autres, le défir, qu'ils témoignoient tous depuis fi longtems, de pouvoir rencontrer le moment, dont ils approchoient ; Ajoutant qu'ils ne doutoient pas que chacun ne s'efforcat de faire éprouver aux Jnfidèles, qu'ils ne favoient pas moins foutenir leurhonneur, & leur Religion, que vanger les ou trages, qu'ils en avoient recus. Ces exhortations, qui augmentèrent merveilleufement fardeur des Soldats, furent fuivies de fi grandes acclamations, & d'une fi bonne contenance, qu'elles firent bien augurer aux Généraux de 1'ilfue du combat.  de CHYPRE. Liv.XXVI. Ch.IL ug Si ces Chefs avoient été fi long-tems irréfolus' pour fe déter miner a livrer bataille a la Flotte Ottomane, ou s'ils feroieni quelque autre entreprife; les Commandans Turcs ne le furent pas moins, s'ilsdevoientfaccepter,ouféviter, lorsqu'ils apprirent que les Chrétiens s'avancoient pour la leur livrer. Halt, qui avoit très-mauvaife opinion de leur courage , & de leurs forces,ne pouvoient même s'imaginer,qu'après le peu qu'ils en avoient marqué dans la dernière campagne, ils fulfent devenus alfez hardis pour les aller chercher, dit d'abord a fes Collègues, " que les Chrétiens, Confternés par tant de pertes, „ ne foutiendroient pas feulement la vue de 1'Armée vicïorieu„ fe, & triomphante du Grand-Seigneur, leur Maitre; &que „ les Ottomans, devant lesquels ils n'avoient pas ofé'fe pré„ fenter fannée palfée, ne devoient point alors fe deshonorer, „ par de laches délibérations, ni arrêter un moment le cours „ des profpérités, que leur offroit la fortune. "Lq Pacha Pertau; Siloc, Sanjac ÜAlexandrie'; CaRa-Abouc , Sanjac de SayJJera; & M e'h e'm e t Beig, Sanjac de Nè~ grepont, plus prudens, &plus expérimentês que Hall, &quf jugeoient mieux, que lui, de la Flotte Chrétienne, opinèrent au contraire, "qu'il ne falloit point, dans une journée douteu„ fe, nsquer tous les avantages, qu'ils avoient remportés en' „ Chypre, d'autant plus que leurs Galères ne manquoient pas^ „ moins de Soldats, que de Mariniers, dont celles des Chré,, tiens, fraichementarmées, devoient être bien fournies, &: „ ainfi mieux préparées au combat. Hali, appuïé par Ulucsali, Commandant desBarbaresques, d'AjAX Che'l eb i, Sanjac de Smirne, & de divers autres Officiers du même genre,, foutint-, avec tant de vivacité, " qu'en refufant la bataille", ils'„ s'expoferoient a la rifée de leurs Ennemis, fouilleroient le ' „ règne glorieux de Selim, &s'attireroient immanquablement' „ fon mdignation ; Qu'ils devoient tous fe reffouvenir, que „ Piali avoit été disgracié pour une bien moindre faute. Leo 7 Excès de' tonjiance du Pacba Hali.  1 Article///. Réfolution C des Turcs d'attaquer 4 ks Chré- T ïiens. t i 1 < i 3 1 l Leur Fictie fait voile, tffaitt < emmanoter . tous les Efclaves \ Chrétiens. 1 Defcription { de la Flotte Ottomane. i 3 1 188 HISTOIRE GE'NE'RALE Le fameux Corfaire Caracosa , qu'ils avoient envoïé, quel|ues jours avant, avec un petit Brigantin, pour reconnoitre Armée Chrétienne, favoit exécuté a la faveur des ténèbres. I avoit compté cent foixante Batimens dans le port Alexandrin. ion raport, joint a ces raifons ménacantes, fut caufe, qu'ils 5 rendirent tous au fentiment de Hali ; mais ils ne pénétrèrent >oint, qu'une partie de cette Flotte étoit a f ancre dans les aures ports de file de Céfalonie, oü leur efpion n'avoit jamais >enfé d'entrer. Les Infidèles aïant donc réfolu la bataille , renforcèrent eurs Galères de tous les gens de guerre, qu'ils purent renconrer dans les Sanjacats voifins, oü ils envoïèrent M e'h e'm e t Beig, avec foixante Galères. II mouilla d'abord a la rade d'Afn'Opiti, oü il chargea quantité de rafraichiffemens, & embar[ua deux mille Janijfaires, autant de Volontaires, & prés de ix mille Spahis, quoi que tous peu propres aux attaques na vaes fi différentes des combats de terre. Cependant la belle ap>arence de ces Troupes, qu'on diftribua fur la Flotte, flattoit ixtrêmement les CJiefs d'une prochaine Victoire, & de s'enc hir üentöt des dépouillés de leurs Ennemis. Enorgueillis dans leur imagination, ils partirent de la rade Ie Galanga, oü ils avoient paffé la nuit du 6. d'Octobre, en ieflins, & en réjouiffances. A-peine eurent-ils mis leurs voiles m vent, qu'ils firent emmanotter tous les Efclaves Chrétiens, qu'ils enoient a la rame, afin qu'ils ne puffent fervir a aucun autre ifage , & fe rangèrent en ordre de bataille. Leur Armée btoit compofée de deux eens Galères, & de foixante onze Briyantins, ou Galiottes. Ils la diviferent en quatre corps; 1'aile Iroite, conduite par Siloc, étoit de cinquante cinq Galères; la ^auche , commandée par Ulucsali, Dey ÜAlger, étoit de ïonante Galères, ou Brigantins ; Hali, & Pertau, avoient e corps de bataille, avec quatre vingts dix Galères, foutenues par  d» CHYPRE. Liv.XXVI. Ch. II. ii 8p par fix autres, qui les fuivoient a poupe, & leur fervoient de matelots. Dardagan Raix commandoit le corps de réfervc, de dix Galères, «Sc de vingt Galiotes; de forte que, par un pur effet de la Providence, qui voulut favorifer les Chrétiens dans cette occafion, les Batimens, que les Turcs avoient envoïés reconnoitre furtivement 1'Armée confédérée , «Sc ceux qu'ils avoient détachés, pour aller faire la découverte, fe trompèrent, «Sc les deux Flottes fe trouvèrent infenfiblement en vuc Ie matin du feptième O&obre, jour de Dimanche. Le Ciel étoit ferein, & tranquile. Ni fune, ni 1'autre, n'avoient eu aucune connoifïance de leurs mouvemens; de forte qu'elles furent enfin indifpenfablement obligées de combattre. T es Infidèles n'aïant pu d abord découvrir toute 1'Armée Article i. -L-^ Chrétienne, dont les écueils Curfolaires leur cachoient encore 1'aile gauchej «Sc qui avoient le vent favorable, s'avancèrent avec des cris, & des hurlemens épouvantables pour fin- Les Turcs veftir; mais, lors qu'ils apercurent entièrement le grand nom- JÊS"** bre de Batimens, dont elle étoit compofée, ils en furent fi étonnés, que leur bravade tomba fubitement; &levent, qui Chrétienleur manqua fort peu de tems après, lesobligea d'amener leurs nc' voiles. Ce^furprenant afpect, «Sc ce changement imprévu les frappa d'une efpèce de terreur, qui ne contribua pas peu a la mémorable viéloire, que les Chrétiens remportèrent dans ce grand jour. Pertau fut le prémier a fe répentir de s'être trop légèrement engagé dans une affaire, qu'il commenca a envifager, comme très-périlleufe; mais ne s'agiffant plus que de vaincre, Nnn nnn n ou Chapitre III.  i ipo HISTOIRE G E' N E' R A L E ou de mourir, il s'appliqua fortement a encourager fon monde, en leur infpirant la valeur, & la fermeté, qui étoit néceflaire pour triompher de leurs Ennemis, comme ils f avoient fait dans tant d'autres occafions. Les rémontrances de ce Pacha, & celles dës autres Chefs, qui emploïèrent toute leur éloquence pour infpirer la même ardeur a leurs Soldats, & a leurs équipages, jointes a la faulfe manoeuvre, que fit Doria , qui leur parut comme une efpèce de fuite, les ralfura en partie. Car ce Commandant s'éloigna fi fort du corps de 1'Armée, que 1'aile droite, qu'il commandoit, en étoit entièrement détachée; ce qui donna lieu aux Chrétiens mêmes de parler diverfement de fes deffeins. Ce mouvement mifiérieux ramina tellement les Infidèles, que Hali fit d'abord redoubler la vogue, au bruit de tous les inftrumens de la Flotte; &, dès qu'il fut avancé a environ trois miles de 1'Armée Chrétienne, il fit tirer de fa Capitaine une groffe pièce d'artillerie, afin d'avoir Phonneur de commencer le combat. Don Jean d'Autriche lui fit incontinent répondre par un coup femblable. Ce Prince commanda, en même tems, qu'on fit la prière. Colonne, & V e'n i e'r i , en firent de même; & toute 1'Arméefuivit leur exemple, chacun implorant falliftance Divine, & tous les Officiers exhortant leurs Troupes, & leurs Equipages, a donner des marqués de leur courage, & a foutenir la Religion de Jefus-Chrijl, pour la quelle ils alloient combattre. Les prières, &les exhortations, furent fuivies .de la refection ordinaire. Les Chefs firent promettre une entière liberté aux Forcats , qui étoient a la chaine , fi on remportoit la vicloire, & firent fignal aux Galéalfes, qui dévancoient 1'avant-garde, de s'avancer; & aux Galères, qui la compofoient, de rentrer dans le corps de bataille; Sc ils voguèrent tous enfemble aux Ennemis, qui étoient aux prifes avec les GaléafTes, qui commencèrent feules la déroute des Infidèles, les quels, trompés par 1'alfurance, que leur avoit donné Cara- cosa,  de CHYPRE. Liv. XXVI. Ch. III. n, cosa , que ces Batimens n'étoient garnis cTartillerie qu'ai . proues, s'étoient attachés a les battre aux poupes, «Sc en flan Cependant le feu terrible, qui, contre leur attente, forto • de tout cöté de ces lourdes machines, foit par la quantité, dor elles étoient montées, ou par leur mousquetterie, «Sc les feu d'artifice, qu'elles leur lancoient avec avantage, firent un figran fracas dans leurs Galères, qu'il s'en trouva d'abord plufieurs ho: •de combat; ce qui dérangea conlidérablement fordre de leur Flott' enforte que, fi les Galéalfes fe fuffent trouvées un peu moir éloignées du corps de bataille , lors qu'elles commencèrer 1'aótion, la déroute des Turcs eut été plus promte, & eut cout .beaucoup moins de peine, & de fang, aux Chrétiens. Les deux Flottes s'étant, enfin, approchées a la portée di canon, le feu fut d'abord fi terrible, de part, & d'autre, qu< fair devint entièrement offusqué, par la grande fumée, «Sc le valées des environs comme ébranlées d'un bruit fi épouvanta ble ; Mais il y avoit beaucoup de différence entre les combat tans: L'artillerie de Chrétiens portoit contre les Infidèles, ai • lieu que la leur ne faifoit presqu'aucun progrès, les proues d< leurs Galères étant fi élevées, qu a peine les boulets pouvoien atteindre aux mats, & aux antennes. Les Chrétiens combattoient, d'ailleurs, avec un autregranc avantage, par la précaution, qu'ils avoient eue d'empailletei leurs Galères, avec des planches, cordages , & effrapontins qui leur fervoient de parapet, & mettoient les Soldats, & les chiourmes a couvert de leur mousquetterie, des flêches, «Sc des dards, qu'ils leurtiroient, au lieu que les Turcs battoient entièrement a découvert, «Sc recevoient tous les coups de mousquet, «Sc de feu d'artifice , qu'on leur jettoit, avec d'autant plus d'incommodité, que, par une continuation de la faveur du Ciel, ie combat ne fut pas plutöt commencé, que le vent, qui avoit entièrement ceffé, s'éleva a YOueJl, & portoit toute . la fumée fur laFlotte Ottomane; enforte que les Soldats, ni Nnn nnn n 2 ks n X z. t Article II. . Defcription . du combat. X d •s '5 IS t é j Feu êwu- vantable dt ï part, & , d'autre. 3 l I > Sage précaution des . Chrétiens.  iio2 HISTOIRE GE'NE'RALE Article/// Les Aumi niers ne cef fent d'exbert er les Troupes Chrétiennes, le Cru cifix a la main. Vigilance de Méhé*ict Siloc Anicle/T. fïtloire ieng tems islancée. les Mariniers, ne favoient bien fouvent, ni oü ils tiroient, ni oü ils alloient inveftir. Cependant, fi tous ces avantages, que les Officiers, & lear Aumöniers ne manquèrent pas de faire valoir, avec le Crucifix a la main, aux Troupes, & aux Equipages, pour les encourager, fervoient infiniment a augmenter leurs efforts, les Infidèles n'en furent pourtant point déconcertés. Ils firent des prodiges de valeur, pour furmonter tous les obflacles, qui s'oppofoient a f en»vie ,- qu'ils avoient de vaincre. M e'h e'm et S i l o c, qui commandoit leur aile droite, aïant obfèrvé. le grand ravage, que les feules GaléafTes avoient fait dans le corps de bataille, &.celui qu'elles continuoient encore de lui. faire, entreprit d'abord de gagner le vent a Barbarigo, qui commandoit la gauche des Chrétiens, & fattaqua vigoureufement, dans letems qu'il pourfuivoit uneEfcadre de Galères Ottomanes vers le rivage, & qui s'étoient efforcées de gagner le vent fur les GaléafTes; de forte que les deux ailes commencèrent un combat, non moins opiniatre, que très-fanglant, pour les uns, & pour les autres. Don Jean , & V en i e'ri , qui avoient reconnu la Galera de Hali, par 1'étendard Roïal qu'elle portoit, 1'attaquèrent, de concert. Colonne en fit autant a celle de Pertau, enforte que les Galères des uns, & des autres Généraux, en vinrent aux prifes dans un même tems. Comme elles étoient également arméés de Troupes choifies, & continuellement rafraichies, par celles qui les foutenoient, les morts, & les bleffés, étoient ff promtement remplacés, que le combat paroiffoit toujours recommencer. . Auffi. les Chrétiens, comme les Turcs, animés par la préfence de leurs Chefs, s'efforcoient, par leurs actions intrépides, a mériter leurs applaudhTemens., Les autres Galères des deux Armées s'acharnèrent les unescontre les autres, avec une égale animofité, s'entre-abordant de. différentes manières, & fans aucune diflinétion.. La bonne,, &  de CHYPRE. Liv. XXVI. Ch.III. ups & la mauvaife fortune préfidoient, tour-a-tour, a leurs attaques. D'un cêté une feule Galère étoit obligée de réfifter contre plufieurs. D'autres, qui fe trouvoient dégagées, fe jettoient au fecours des plus prelfées ; les unes étoient accrochées par la proue,les autres criblées de coups de canon ,& enfoncées paria poupe. La les unes étoient dépouillées de mats, d'antennes, i & de rames, ici les autres prêtes a s'abimer dans les flots, & , par tout une horrible boucherie, & des cris lugubres, & lamentables des Chrétiens , & des Turcs, bleffés , ou qui fenoïoient. ■ hrribk image des eux cótés, Article 7. L'aik droite des Turcs romphit. ■ i Ghapitre iv. La mêlée étant enfin devenue générale, les deux partis également enflammés, par leur haine réciproque, fe battoient avec une fureur nonpareille; leurs pertes étoient aulfi grandes, que la Viótoire étoit douteufe. Les exploits héroïques des uns, & des autres, avoient fait rougir les flots, & rempli leurs Batimens de fang, & de carnage, fans qu'elle fe fut encore déclarée. Ce ne fut qu'après trois heures d'un «ombat très-opiniatre, & très-meurtrier, que Barbarigo, vaillamment feconde par Marc Contarini , fon Neveu , par le Provéditeur Canale , F red e'r ic Na ni, Quirini > & le Comte Siltius de Porcia, rompit enfin faile droite des Infidèles, s'empara de la Galère, que montoit Caurli, Capitaine fort rénommé, & le fit prifonnier 9 coula a fond la Capitaine-de SiLOC,que Jean Contarin arracha.même de l'eau a demi-mort, & fi dangereufement couvert de bleffures, qu'il jugea a propos de lui faire promtement couper la tête, qu'il fit expofera lavue de fonEfca- Nnn nnn n 3. dre;  Prife de ia Commandante Ottoinane-. up+ HISTOIRE GE'NE'RALE dre, afin de Ia décourager paria perte du Commandant; ce qui, comme ïleftnaturel, ne manquapas d'arriver, «Sc de caufer bientöt après la défaite entiere de cette aile. Les cris de Vidoire, qui s'élevèrent d'abord de ce cöté-la , & qui parvinrent jusqu'a Don Jean , avancèrent celle qu'il remporta lui même fur le Général Hali, contre le quel il fe battoit depuis longtems, fans fe céderj'un a f autre, ni-remporter aucun avantage. Cc jeune Prince, qui étoit dans le bouillant de fon age, rempli d'ambition de fe fignalerdans une conjoncture fi éclatante, oü toute la Chrétienté prenoit intérêt; piqué d'ailleurs qu'on lui derobat la gloire de faire publier la Vidoire , redoublant fon ardeur, fit faire un effort fi extraordinaire k fes Soldats, qu'ils fe rendirent presque maitres de la Commandante Ottomane; Cependant,quoiquegagnée jusqu'au grand mat, ellefe défenditencore, a Ja faveur des fecours continuels,qu'elle recevoit de Caracosa,«Sc de Me'he'met Beig, Sanjac de Métèlin , qui étoient fes matelots. Mais la valeur, avec la quelle les Efpagnols poufLrcnt leur pointe, en méprifant toute forte de danger, jointe a farrivée du Marquis de Sainte-Croix, qui, aïant reconnu findécifion du combat des Généraux, d ou dépendoit le gain, ou la perte de la bataille (les membres s'abbattant facilement, lorsque le Chef leur manque ) s'avanca promtement, avec fon Corps de réferve pour foutenir Don Jean , pendant que Batiste Contarin eut le bonheur decouler bas une autre Galère Turque, qui étoit fur le point d'inveftir celle de Ve'nie'ri. Jean Loredan, «ScCatarin Malipie'ro, ne furent pas moins heureux,que hardis; Ils arrêtèrent,avec leurs feules Galères, uneEfcadre entièredes ennemies,qui voguoient au fecours de leur Général. Cette aocion vigoureufe coüta pourtant la vie a ces deux braves Capitaines Vénitiens; mais elle contri^ua beaucoup a la prife de la Commandante Ottomane, que Don Jean  «e CHYPRE. Liv. XXVI. Ch.III. upi Jean forca enfin, & y fit d'abord planter 1'étendart de la Croix. au lieu de celui du CroiJJant. On coupa la tête de Hali , qui avoit été tué dans le combat. Elle fut élevée, par ordre du Généraliffime, au bout d'une perche,afin que toute 1'Armée la regardat, comme un glorieus trophée de 1'avantage, qu'il venoit de remporter, pendant que3 pour mieux encourager les Chrétiens, & abbatre les Infidèles: il faifoit crier Vittoire&e toutes parts, avec d'autant plus de fondement , qu'elle ne tarda pas a fe déclarer touta fait en fa faveur. La conquête de la Galère du Général Hali fut d'abord fuiviè, non feulement de la prife de celle de Pertau, qui eut pourtant fhabileté de fe fauver dans un Esquif; mais encore de celle de Caracosa, qui y mourut les armes a la main; ce qui entraina la défaite entière de leur Corps de bataille, dont trente Galères, qui enreftoient encore, entreprirent de gagner le rivage a force de rames; mais elles furent fi vivement pourfuivies, par les Efcadres des Pfovéditeurs Quirini , & Canale , que les Equipages Turcs , voulant éviter 1'efclavage, fe précipitèrent dans la mer d'oü les uns fe lauvèrent, & les autres s'y noïèrent. Celle, oü étoient embarqués les deux Fils de Hali , que ce Général avoit voulu rendre fpecïateurs de la défaite des Chrétiens, qu'il croïoit immanquable, fut auffi prife, & ces deux jeunes Seigneurs Mujuhnans faits Efclaves, avec toute leur Suite. Ulucsali, qui commandoit faile gauche des Infidèles, & qui, comme Doria, le quel conduifoit la droite des Chrétiens, s'étoit mis au large, dès le commencement du combat, foit qu'ils eulfent également delfein de fe fauver, avec leurs Efcadres, comme on 1'attribua a Doria , en cas que fon parti n'eüt pas le defTus, ou qu Ulucsali très-rufé, & expérimenté Corfaire, attendit le moment de pouvoir attaquer avec avantage; Ils eft du moinscertain, qu'il combattitfans règle, & fans ordre, & n'attaqua jamais, que ceux qu'il reconnut ne pouvoir lui réfifter. Quin- Hali a 1* tête tranchét. Article II, Les deux Fils de HM faits Efclaves.  npó* HISTOIRE GE'NE'RALE 1 i i 1 ■ 4 < j ] 1 < ] Füite JTJlucfali, f Commandant d;l'ai- I legauche des Turcs. ' j 3 1 t ( 1 ] 1 Défaite de i la plus grandepar-' tie rfe ïa F/ott? Ottomane. Quinze Galères Efpagnoles, ou Vénitiennes, qui étoient dans 'aile de Doria , ne pouvant fouffrir ce Commandant dans 1'iniccion, pendant que tout le refte de f Armée étoit aux mains, brtirent de leur rang, pour s'avancer vers le Corps de batails; mais elles penlèrent payer bien cher leur féparation. Ulucam tomba fur elles avec toute fonEfcadre, &les avoit réduites l fextrémité, malgré la vigueur, avec laquelle elles fe défénloient,lorsque Doria s'avanca enfin a leur fecours; ce qu'il ne it pourtant qu'aprés.la perte de la Galère de Be'noit Solanzo , dont le Comité, préférant la mort a f efclavage, mit ë feu aux poudres, .& la fit fauter en fair, avec les Chrétiens, k les Turcs, qui s'en étoient rendus maitres. La Capitaine de la Religion de Ma/te avoit étégagnée; mais :11e fut, peu après, arracbée aux Infidèles, par la valeur, «Sc intrépidité des Chevaliers, qui commandoient fes conferves. Cependant, fi le mouvement de Doria dégagea les autres Gabres, «Scpriva Ulucsali de f avantage, quil auroit pu rempor:er, il lui facilita fa fuite; car, dès que cet habile Barbare en:endit les Chrétiens crier Fitloire, & reconnut, au travers des lammes, & de la fumée, la défaite du Corps de bataille, il ie fongea plus qu'a fe fauver avec les Galères, qui pourroient efuivre; bien perfuadé que, s'il tardoit davantage, il alloit :tre envelopélui même, par Doria d'un cóté, «Scpar les autres ïalères viótorieufes de f autre; ce quil n'auroit pourtant pu évier, fi Doria eut manceuvré, comme il le pouvoit faire, en ui bouchant le paffage. II 1'auroit empêché de s'enfuïr avec :rente Galères a Confiantinople, oü il porta la nouvelle de la léfaite entière du refte de la Flotte Ottomane. II maltraita néme, en fe retirant, une Galère E/pagnole, une Savoïarde, Sc une Florentine, le tout par la faute de Doria, qui ne prit part a la Victoire, que lorsqu'elle fut entièrement gagnée. II sft vrai, qu'a la fin, voulant réparer falcnteur, ilfejoignit au Mar-  de CHYPRE. Liv.XXVI. Ch.IV. uo* Marquis de Sainte Croix, avec le quel il s'empara, ou coi la bas prés de foixante Batimens ennemis, tant Galères, G; liottes, que Brigantins, qui plus pefans, ou moins forts d't quipages, que les autres, ne purent fuivre leur Commandant. Après la fuite d'ULUCSALi, & la prife, ou Ia dellrucrion d tous les Batimens de fon Efcadre, cene fut plus un combat, mai une boucherie effroïable des Infidèles, quife laiifoient égorger fans plus faire aucune refiftance. Les trois Généraux, qui n'a voient plus d'Ennemis en tête , parcoururent tout avec leur Galères, afin de fe mieux affurer de la Victoire. Us ne rencon trèrent d'autre obitacle, que celui des Batimens fracaffés, de: voiles, mats9 antennes, barils, timons, rames, & mille autres embarras, qm flottoient fur feau, avec une quantité prodigieufe de Corps morts, les uns a-demi brülés, d autres fans tête, fans bras, ou fans jambes, & plufieurs bleifés, accrochésa ces débris, qui difputoient encore leur vie. La mer en étoit li couverte, qu'on avoit de la peine a diftinguer les ondes, qui étoient d'ailleurs fi teintes du fang de ces miférables, qu'elles avoient perdu leur couleur naturelle. Voulant alors s'éloigner d'un lieu, dont la vue étoit fi affreufe, dautant plus que la nuit approchoit, & que le vent, qui commencoit a devenir violent, auroit pu rendre leur Vi&oire funelte, les trois Généraux firent donner le Signal de Ia retraite. Elle fut exécutée avec tant d'ordre, & de promtitude, que, malgré le grand embarras, & Ia confufion, oü fe trouvoient tous les Batimens, a une heure de nuit, elle fut toute ancrée dans le port Petala, ou dans ceux des environs. O o o ooo o cha-: i- t- 5 Ai-ticleZ/ÏT. 5 > - Boucherie effroïable » que les Chréwens font des ! Infidèles. Fin du combat.  iiP8 HISTOIRE. C E' N E' R A L E Atticie 7. il d Comparai- r Jon de cette bataille a I celle utre cinq mille bleffés, perdu leurs principaux Commandans, k la plupart de leurs Officiers.-. Ce fut le plus grand échec, que les Ottomans euffent recu lepuis Tamerlan; car, outre trente mille hommes qui périrent lans ce combat, & cinq mille prifonniers, parmi les quels fe rouvoient les deux Fils de leur Général, & vingt cinq Offi:iers dlmportance, trois mille huit eens huitante fix Chrétiens , jui étoient Efclaves fur leurs Galères, recouvrèrent leur liberté.. Les Infidèles perdirent encore deux eens quarante une Galère, xi autres moindres Batimens, dont cent foixante Galères, & louze Galiottes demeurèrent entières au pouvoir des vainqueurs: [es autres furent brülées, coulées a fond,'ou arenéesY lis perdirent luffi cent dix fept pièces de gros canon, deux eens cinquante fix de moin-  de CHYPRE. Liv. XXVI. Cn.V. h9 moindre calibre, dix huit pierriers de fonte, & une infinité d'arme menues de toute efpèce, outre celles qui avoient été dans le Batimens, que la mer abforba. Si les Chrétiens pouflbient de grandes acclamations de joi pour marqué de laVi&oire infigne, qu'ils venoient de rempoi ter , ils n'étoient pas moins fenfibles a la perte de tan de Perfonnes de diftinction , & de vaillans Soldats , qu'ell leur avoit coüté, dont les principaux furent le Bailli ÜJllcmagnc Horace, & Virginie des Urbins , Bernard de Caroines, Efpa gnol, Birmal , Comte de Briatique, Napolitain, B e'n o i t So ranzo , Marin, & Hie'rome Contarin , Marc-Antoi ne Landi , Francois , & Pierre Buono , Jaques da Mez 20, Catarin M a li pi e'r o, Jean Loredan, Vincent Qui rini, Andre', & George Barbarigo; troisFrères delaMai fon Cornaro, Hie'rome Ve'nier, Jean-Baftiste Bene deti, Antoine Pasqualigo, Jaques Tre'fino, & Pier re Bu'a, Vénitiens, outre plufieurs autres Gentilshommes de; Etats de la République. La perte du Provéditeur-Général Augustin Barbarigo qui y avoit fi bien contribué par fes confeils, & par fes actiom héroïques, fut univerfellement regrettée. Ce vaillant Homme, qui avoit non feulement le prémier engagé la bataille, mais encore enfoncé faile droite des Ennemis, qui lui étoit oppofée. quoique blelfé d'un coup deflèche dans I'ceil droit, dontil mourut trois jours après , encouragea toujours fes gens avec une égale fermeté, a pourfuivre leur défaite, fans jamais vouloir quitter le combat, quil ne fut alfuré, que la Victoire étoit entièrement déclarée en faveur éts Chrétiens. Enfin, après les prémiers mouvemens dallégreffe, & de regret, &les folemnelles acfions de grace, que les Généraux, & toutè f Armée rendirent a Dieu, dont ils avoient fi fenlibJement éprouvé le fecours, &la proteclion, dès le commencement jusqu'a la fin de la bataille, ils partagèrent la dépouille des Infi- O0000002 . dèles, ? s 3 t 1 i » Artkie/7. Partage des dépouillés des Ennemis.  ] Brouilleries entre les Chrétiens. Entte dts Généraux, quineprjjiunt pas de leur Viitoire.. 200 HISTOIRE GE'NE'RALE dèles, qui étoit d'autant plus conlidérable, que plufieurs de leurs' Galères étoient chargées du butin, qu'ils avoient fait dans les pays, qu'ils avoient faccagés peu auparavane. & cette divifion, fucceda celle des Batimens, des prifonniers, du canon, & des autres armes ; Mais les conteftations furent fi grandes touchant ces partages, que le Général Colonne, qui en fut fcandalifé, ne put s'empêcher d'écrire au Pontife, que favoit été un fecond miracle, qu'après le gain de la bataille contre les Turcs, les Chrétiens ne s'en fuffent donné une entre eux, pour le partage de ce qu'ils leur avoient enlevé. Leurs autres projets n'eurent pas un meilleur fuccès; car,, quoi qu'ils eulfent réfolu dans le Confeil général, qu'ils tinrent peu de jours après la bataille, «Sc lors que les Généraux étoient encore remplis de ferveur, de pourfuivre leur Victoire, en profitant de la confternation des Infidèles; dercnforcer promtement cent cinquante Galères, pour faire quelque nouvelle entrepi ife T Sc que toute 1'Armée s'attendit a cette expédition, paree que^ Don Jean avoit embralTé Ve'nie'ri, en plein Confeil, «Sc lui avoit fait compliment fur la vigueur, Sc f intrépidité, avec la quelle un homme de fon age s'étoit fi bien acquité de tous les devoirs d'habile Capitaine, «Sc de brave Soldat: Cependant leur réconciliation fut de peu de durée, Sc leurs généreux delfeins s'évanouïrent bientót.. Don Jean fe piqua de ce qu'après être convenu avec Colonne, & Ve'nie'ri, de depêcher conjointement un Courier au Souverain Pontife, pour 1'informer de la profpérité des armes Chrétiennes, Ve'nie'ri, voulant en avoir la gloire, avoit, afon infu, fait partirpour Vénife Ompiiroi Jusui niani avec fa Galère, afin que le Sénat en aprit les prémières nouvelles. Outré de ce manque de parole, il s'en vangea fur la caufe. commune; «Sc, au lieu de s'emploïer a faire la conquête de Lepante, de Ste. Maure, oudesPlacesduP^Yö/w^/è, comme ils 1'avoient concerté, il entra, avec toutes les Galères, dans le port Caloyre , d'oü il partitpeude jours après pour Mef Jine. Ve'nie'ri prit le chemin de Corfou, «ScColonne celui de Rome,  be CHYPRE. Lry. XXVI. Cu. V. 1201 Rome, oü le St.Père, qui n'étoit pas moins fatisfait de fa conduite, que du gain de la bataille, voulut le recevoir folemnellement, malgré 1'oppofition des Efpagnols, qui prétendoient, qu'on ne devoit déférer cet honneur , qu'au feul Don Jean d'Autriche , comme Généraliffime. Le Pape fit orner les arcs de Vefpafien,Sc de Conftantin,dt plufieurs enfeignes, Sc autres trophées Turques. 11 ordonna des feux, & des illuminations dans toute la Ville; & il fit habiller fort proprement, & armer cinq mille bourgeois, divifés en plufieurs compagnies. Cette foldatesque étoit fui'vie de tous les 'Magiftrats a cheval, Sc enfin du Majordome de Sa Sainteté, entouré de fes valets de pié, Sc des eftafiers de la plupart des Cardinaux.. Ces troupes , &ce fameux cortége, allèrent recevoir Colonne hors des portes de la Ville, d'oü ce Général, monté fur un fuperbe cheval, & précédé de deux eens efclaves choifis entre les huit eens quatre vingts un, qui lui étoient échus en partage, fe rendit au Capitole, fuivant la coütume des anciens Romains, dont fon triomphe renouvelloit la mémoire, Sc de-la au Vatican, oü lePapê, entouré de tous les Cardinaux, le recut dans la Sale de Conflantin, avec de grandes marqués d'eflime, & d'affeclion ; ne louant pas moins hautement fon asède, & fa valeur , que fa prudence. Le St. Père eut auffi la bonté de careffer les deux Fils du Général Hali, nés d'une Soeur du.Gr'and-Seigneur, Sc le Pacha de Nègrepont, que Colonne lui préfenta, comme une marqué évidente de la Vicloire des Chrétiens. Ils n'auroient pas manqué d'avoir bientöt de nouveaux fujet s de joie, & de triomphe, en abaiffant 1'orgueil des fiers Ottomans, fi le démon de la discorde ne les eut empêchés de profiter de k furprenante Vicloire, qu'ils venoient de remporter fur eux, St s'ils fe fuffent attachés a lafortune, qui leur étoit dèvenue fi favorable, Sc qui paroiffoit, au contraire, avoir abandonné leurs Ennemis. En effet, en fe préfentant feulement,. avec uns Ooo 000 o 3. partia Arti'deJ/f. Rèjouiffancts extraordinaires a Rome, a l'occafion dt' la Viitoire de Lepan-te.  •1202 HISTOIRE GE'NE'RALE ' Lino1,veile je cttte ViBoire épouvanteles Turcs tffChyprc. ArticlcW. Elle porte la tonflernation k Confiantinople. On sy fortifie. partie.de leur Flotte fur les cötes de Chypre, ils auroient immanquablement d'abord rccouvré tout le Roïaume. La terreur avoit tellement faifi les Troupes, que Mustapha y avoit laiffées, lorsqn'elles aprirent la défliite de leur Armée navale, que ceux, qui étoient en garnifon a Famagoufle, épouvantés a la découverte, qu'ils firent de quelques-uns de leurs propres Batimens, demandèrent la vie, & tachèrent de compofer avec les Habitans de la Ville, oü ne fe croïant point encore en fureté, par leur convention, les uns quittèrent le turban, «Sc prirent des bonnets a la Grecque, «Sc les autres s'enfuirent a Nicofie, oü 1'allarme devint également fi grande, que ces deux Places, qui avoient coüté tant de fang, fe feroient rendues aux Chrétiens, fans qu'ils euffent été obligés de tirer fépée. Ils n'auroient pas fait de moindres progrès dans les autres Provinces de 1'Empire, fur Conjlantinople même, oü les cris, & la défolation étoit fi générale, que le Mufti, & le Grand-Vifir, 1'un, par fes exhortations, «Sc 1'autre, par fes ménaces, ne pouvoient appaifer le peuple, qui couroit les rues, comme des infenfés, fe croïant tous a la veille de devenir la proie de leurs Ennemis; de forte que, foit pour les raffurer , ou que le Sultan même, & fes Miniftres craignilfent d'être attaqués dans la Capitale, ils emploïèrent d'abord trente mille Hommes a la construeïion de deux Chateaux, qui font a 1'embouchure de VHellefpont, qui, au grand étonnement de tout le monde, furent perfecfionnés, «Sc garnis de grolfe artillerie, en vingt cinq jours de tems. Mais, par un malheur fans pareil pour la République Chrétienne , les Confédérées abufant des faveurs du Ciel, s'endormirent au milieu de leur profpérité; «Sc, quelque grande qu'elle fut, ils n'en devinrent ni plus avifés, ni plus entreprenans. Les Vinitiens, en particulier, qui auroient pu faire des conquêtes folides , «Sc avantageufes a leur République , ne s'amuférent qu'a des bicoques dans VEpire, ou a des entreprifès mal con-  de CHYPRE. Liy. XXVI. Cu. V. 1203 concertées; de forte qu'ils dönnèrent aüx Infidèles le tems derevenirde leur étourdilfemcnt; & Ulucsali, aquile Sultan avoit donné le Commandement de Ia mer avec une pleine autorité, s'apliqua, pendant fhyver,' a faire conftruire une prodigieufe quantité de Batimens. Aufli fe mit-il en campagne avec deux eens Galères au commencement de f Eté; Et ce fut avec raifon , que le Grand-Vifir dit un jour a f Ambaffadeur de Vénife, qui lui avoit fait demander audience, pour traiter de f échange des Efclaves; Quily avoit une fort grande différence entreleurs disgraces ; puisqWen enlevant un Roïaume a la République, ils lui avoient coupé un bras,qui ne renaltroitplus; mais que les Chréiiens n'avoient fait que rafer la barbe aux Mufulmans, en défaifant leur Armée navale, puisqu 'elle netarderoit pas a leur re venir, a moins qut les produdions des Hommes des Forêts ne ceffaffent entièrement Cette prophétie ne fut que trop véritable, car, quoique f Alliance entre le Pape, leRoi d''Efpagne, & Ia République dural encore deux ans, & que ces PuifTances fifTent même des armemens plus confidérables que les prémiers: Que les Vénitiens euf fént donné le Commandement de leur Flotte a Jaques Foscarini, afin quefaigreur, qui avoit toujours régné entre Don Jean. & V e'n 1 e'r 1, ne fut un obftacle aux entreprifes, qu'ils pourroient faire, les Confédérés perdirent leur tems, comme a f ordinaire, par la lenteurde leurs expéditions, par Ia diverfité de fentimens des Généraux, & enfin par la fatale mesintelligence, qui regna toujours entre eux; enforte que, comme s'ils euffent été pleinement fatisfaits du gain d'une feule bataille, ils n'en dönnèrent plus aucune dans les formes, pendant les deux campagnes, malgré les fréquentes occafions, qui s'en prefentèrent; &, par leur conduite molle, & inconfidérée, ils bornèrent le fruit de leurgrande Vicfoire en appareils,auffi pompeux"quinutiles, & plutöt en promenades, qu'en expéditions militaires. Les Vénitiens, quine reconnoiffoient que trop, que les Efpagnols les aimoient encore moins, .qu'ils haïffoient les Turcs; & la Les Turcs font conJlruire ce nouvelles ■ Fiottes,  fóp* HIST\ GE'N. de CHYPRE. Liv. XXVI. Cn.V. Fin dt cette Hijloire. ETAT la Répulflique fe trouvant d'ailleurs trop épuifée d'PIommcs, «Sc d'argent, pour pouvoir entretenir une guerre fi onéreufe a tous les pays de fa dépendance, réfolut enfin d'acheter la paix _a quelque prix que ce fut. Le Sénat envoïa les Pleins-pouvoirs néceffaires a Marc-Antoine Barbaro, fon Ambaffadeur a la Porte; 8c cet habileMiniftre ne tarda pas a en conclurre le Traité, en pertuduquelilfut obligé d'accorder au Sultan trois eens mille Durats, que la République s'obligca de lui payer en trois termes. La facilité, qu'eurent les Turcs deconfentir a cet Accommodement, fut tout 1'avantage, que retirèrent les Vénitiens de la fameufe bataille de Lepante, au lieu que, fi les Ottomans euffent remporté la Victoire, toute la Chrétienté, «Sc YItalië, en particulier , en eut recu des dommages infinis; car il eft a croire, qu'ils n'auroient jamais terminé la guerre, fans 1'acquifition de quelque nouvelle Province. C'a été de tout tems une grande fatalité aux Chrétiens, que leurs Alliances contre les Barbares n'aïent jamais rien produit de confidérable. La diverfité de génies, d'intérêts, «Sc la jaloufie fécrette des uns, & des autres, ont toujours fait manque r les progrès, qu'ils auroient pu faire, «Sc donné lieu aux Inpdèles, de joüïr tranquilement des vaftes Roïaumes, 6c des belles Provinces, dont ils les ont dépouillés; Mais tant de favantes plumes en ont déja parlé, que je ne juge point a propos d'en fatiguer davantage mon Lecceur.  de l'E G Y P T E, Liv. III. Ch. VI. iz?? ques autres, on reconnut, qu'il falloit bien des années pour en venir a bout; En cette forte , les pierres fe fuccédoient les unes aux autres de la hauteur de.toute la couliffe, c'eft-a-dire, par un efpace de 24.0.piés. On abandonna donc ce deffein, dont 1'entreprife fait, que cet endroit n'eft plus bouché par une pierre jufte a la forme de 1'ouverture; & c'eft le vuide, que fon trouve d'abord, en descendant. On fe fit une route de 10. a 12. au deffoas. On pénétra dans 1'epaiffeur du mur, qui fe trouvoit devant, & a la droite; & la capacité aïant été élargie, on attaqua de nouveau ce canal, en reprenant a gauche , & regnagnant la route, qu'on avoit perdue, en tiran ta droite. Je ne doute pas, que la prémière pierre n'ait beaucoup coüté a tirer ; mais on eut enfuite plus de facilité pour la feconde, ala faveur des étais, dont j'ai parlé. On gagna de cette forte la galerie; on vainquit l'entrée de la grande Sale, avec des peines, fans doute, extrèmes. Celle de la petite, quoique cinq a fix fois plus longue, coüta fans doute moins ; mais, quoiqu'il en ait èté , il eft indubitable , qu'outre la connoiffance des routes , qu'il a fallu avoir, il a coüté au Roi,qui fa fait couvrir,bien des années, des travaux continuels, & une trés - grande dépenfe. Je ne fai quel a été le plus content, oude celui qui perfeétionna un fi grand ouvrage, ou de celui qui forca une entrée, qui paroiffoit humainement invincible. L'un & 1'autre ont quelque chofe de fingulier. Les Arabes ont la-deffus plufieurs hiftoires. Ils affurent, que le Roi,qui viola ces tombeaux, dans fefpérance d'y trouver de grands tréfors, trouva ces paroles dans la. Sale haute, écrites en lettres d'or fur le mur: II ne rejle a Pimpie, que le dèplaifir de Vavoir été fans fruit. Ceux qui n'ont pas vu les pierres prodigieufes, dont ces canaux font environnés , & furtout couverts, fe perfuadent, qu'il n'étoit rien de plus facile, que de démolir jusqu'au fecond canal, d'oü, avec un efpace un peu plus raifonnable, on auroit pu laiffer tomber les pierres, Eeeeeeee qui  I2p8 E'TAT PRE' SENT qui les bouchoient, & le vuider de cette forte, fans beaucoup de peine; mais, outre que ces canaux font faits avec la pierre la plus dure, &de très-grands morceaux, ils font encore batis tout autour avec d'autres pierres d'un poids, & d'une grolfeur énorme. Les pierres,qui lecouvrent, ont 10. a 12.piés de longueur, la largeur n'efl; guère moindre, & 1'épailfeur de 8.ou 10. 11 y a de plus fur ces pierres d'autres malfes étonnantes, qui foutiertnent le haut de la Piramide, qui n'eft en aucun endroit fi folidement batie qu'ici. Le refte des pierres, qui la compofent, font a la vérité prodigieufes ; mais elles n'ont rien d'égal a celles-ci; Deux cent huit pierres, il en manque peut-être deux ou trois rangs en haut, font la hauteur de 700. piés, ou environ. On peut juger par la de la hauteur de chacune: La largeur, & profondeur, font afforties; &, pour le dire en peu de mots, jefuisperfuadé, qu'un Roi paifible dans fon Roïaume, n'a pu, en moins de vingt ans, & qu'avec deux eens millions, & 1'aide de cent cinquante mille ouvriers, achever cette Piramide, en fuppofant qu'elle ne fut couverte, que de marbres tirés des confins de YEgypte vers YEthiopië. Si l'on fait reflexion a fétat des lieux, que je décris, je ne crois pas, que perfonne doute, que cette Piramide n'ait été entièrement fermée. Non feulement, elle a été fermée; mais elle 1'eft encore, par fa véritable entrée. 11 refte trois pierres, & la moitié d'une, qui feront a la poftérité des témoins irréprochables de ce que j'avance; & l'on pourra, en levant feulement la moitié, qui refte fur les trois prémières, tirer des conféquences fur la manière, dont elles auront été defcendues de la galerie; c'eft-a-dire, qu'on pourra voir, en examinant le derrière de la pierre, s'il y a quelque anneau, k la faveur du quel on 1'eüt defcendue du dedans, ce qui feroit une preuve inconteftable, que le puits a été la retraite des ouvriers, comme je le crois; mais, quand je n'aurois par pour moi ce témoignage, que ces canaux feroient Iibres; que la Piramide n'auroit jamais été fermée > je  de l'E C Y P T E. Liv; III. Ch. VI. i20o je parle de rentree de Ia galerie vuide, la pierre de 6. piés pofée, en batilfant la Piramide dans cet efpace canellé, que j'ai décrit, la liberté des canaux, qui conduifent au tombeau, qui n'ont pas pu être fermés,que par des pierres enfermées dans la galerie ,me feroient des preuves indubitables, qu'elle auroit été fermée; puisque , fi cela n'étoit pas, la galerie feroit pleine de pierres, qu'on n'auroit pas pris la peine de brifer pour la liberté d'une route inutile; & la pierre de fix piés, qui faifoit un fécret, boucheroit encore l'entrée de la Sale, ou au moins elle feroit foutenue par quelque autre pierre, que l'on auroit mife par deffous, pour f empêcher de boucher ce paffage , ou quelque autre chofe la foutiendroit. C'eft ainfi que Ia vérité fe rétablit avec le tems: «Sc ces mémoires , quand ils ne feroient pas entièrement conformes, comme il fe peut, ferviront au moins a éclaircir les curieux de lapoflérité, qui voudront bien fe donner la peine d'examiner ces lieux fur ce que j'en dis. La Piramide, qui eft entièrement découverte, & qui paffe pour la plus grande, quoique la feconde nefoit qu'un peu plus étroite, eft la plus folidement batie. La plus petite des trois 1'emporte fur celle, quil'afépare de la prémière. Elles ne font ouvertes, ni fune, ni 1'autre, «Sc ne le feront peut-être jamais, que par 1'ordre d'un grand Prince. Peut-être même ne pourra. t'on point les ouvrir, fans les démolir; car pourroit-on aujourd'hui réüflir fur la prémière, fans une parfaite connoifTance des fécrets, qui feront ignorés pour les autres i Ce qu'on peut affurer eft , que le principal tombeau eft toujours au milieu de la Piramide; ce qui fe connoit par la grande des Momies, qui eft ouverte comme cèlle-ci, «Sc par quelques autres moindres. On fait auffi, que les entrées de toutes celles, que fon a découvertes, tournent vers le Nord. II eft donc probable, que les autres ont aufii leur entrée du même cóté. Eee eee ee z Qiu Article/F. Autres Piramides.  *3 00 E'TAT PRE' SENT Outre les trois grandes Piramides, il y en a aux environs beaucoup d'autres, qui feroient confidérables, & par leur grolfeur, & par leur fabrique, fi elles n'étoient obfcurcies par celles-la. Les unes ont été fouillées, ou ouvertes, d'autres ne le font pas encore. La dernière des trois grandes en a trois a fon Midi , fur une ligne, qui va du Levant au Couchant, les quelles font encore entières, & qui méritent d'être eftimées pour la grandeur des pierres, qui les compofent. Je crois, qu'elles ont été incruftées de marbre granite, au moins les deux, qui font les plus Occidentales. Je le juge par finégalité de leur parure, qui n'eft pas telle dans les Piramides parfaites. Outre les petites Piramides , il y a mille manières de tombeaux, & mille ruines, qui témoignent de grandes démolitions. On voit en certains endroits, que de très-grandes Piramides ont été entièrement rafées, & d'autres entièrement démolies. II y en a de quarrées de pierres folides d'une fabrique admirable. Mille grottes creufées dans Ia pierre vive, nous découvrent d'autres fépulcree. Je les ai presque toutes vues. II y en a beaucoup a VOriënt de la prémière Piramide, au Midi de cette chaulfée de pierres, dont j'ai parlé. II y en a aulfi quelques-uns au Nord. Je ne doute pas, que les débris de la Piramide nen couvrent beaucoup d'autres du même cóté, dont il y en a fans 'doute, qui n'ont pas été ouvertes. II y en a aulTi plufieurs autour du parement du foffé taillé dans Ie roe, dont la feconde Piramide eft environnée au Nord, & a WOuëJl, On y voit plufieurs hyéroglifes, & caracières d'écriture fur l'entrée des tombeaux , & deux infcriptions en grand contre 1'efcarpement, le prémier du cöté du Nord, &le leconddu cöté de VOuèJl. II yen a d'autres fur un long tombeau, bati en quarré, avec deux petites entrées. Sur fune des portes, on voit aufli un reliëf a la différence des autres hyéroglifes, qui font ordinairement enfoncés. La pierre, qui faifoit le delfus de 1'autre porte, a été enlevée. 11 y avoit auffi % fans doute, quelques Lettres hyeroglifiques. 11 n'y en a aucune dans la capacité de la grande Piramide j tout y eft uni. Cha-  de l'EG YPT E. Liv.III. Cf/ap.VII. 1301 Chapitre VII. Mêmies. Outre les Piramides, dont fai parlé, &que j'afdit être cel les qui font les plus Septentrionales de toute YEgypte, i y en a d'autres a leur Midi, qui ne cedent pas beaucoupa celles ci en hauteur , & en antiquité. Elles font, comme les pré mières fituées du cöté de la Libië , la plupart fur le pen chant des collines de pierre folide, qui règnent le long du Nil d'autres font fituées dans une vafte plaine, quia fept ahuitlieue: de longueur, & de largeur, le long de la quelle règne le mê me lit de pierre folide, fous un Sable mouvant de cinq-a-fix pié: de hauteur. On appelle proprement cette plaine le lieu des Momies, paree que c'eft en cet endroit, oü l'on a trouvé le plus grand nombre de fépultures, d'oü on a tiré, en ces derniers tems. les corps embaumés, qui font entrés dans letrafic des hommes II n'y a que huit, ou dix miles de diftance des prémières Piramides aux fecondes, qui n'en font proprement qu'une fuite. On peut dire, fans fe tromper, que tout cet efpace étoit 1'endroitdes fépultures des anciens Rois, des Grands, & du Peuple de Mempbis. Cette diftinccion du lieu des Momies, & de celui des Piramides, eft de ces derniers Siècles, & très-impropre. Car ilya des Piramides en 1'un, & en 1'autre lieu ; & il fe trouveroit des Momies parmi les prémières, comme on en trouve au milieu des autres, fi on n'avoit pas fouillé le terrain avec plus d'exaéïitude, paree qu'aparemment c'étoitence dernier endroit qifétoient les fépultures les plus précieufes, & qui ont le plus tenté f avarice des hommes. Cela paroit par le grand nombre, qu'il y en a d'ouvertes; & il n'y a pas de doute, qu'il n'y en refte encore beaucoup. Les Eee eee ee 3 Pi. ' Article/, { Lieu des Momies. DiJlinQim entre les lieux des Mmnies trés impra. pre.  I I c l Confufton caujee par ' cette dis- j tinÜim. 1 < < 1 i \ \ j 1 1 i Article II. Situatiën de Memphis. 3oz E'TAT PRE' SENT iramides d'ailleurs, dont il y en a grand nombre, qui ne font pas uvertes, renferment incontellablement desMomies précieufes, misqu'elles font les fépultures des Grands; comme les caves enaillées dans leroc, dont elles font mêlées, auffi-bien que 1'enIroit que Ton appelle des Momies, & dont nous allons parler ilus a fond, f étoient des particuliers. Cette diftin&ion auffi, [u'on a faite fi mal a propos, a apporté une confufion, & des loutes fur f ancienne Memphis, qu'il eft a propos d'éclaircir. La plupart des Auteurs des derniers tems veulent, qu'elle fut >ofée au même endroit, qu'eft aujourd'hui le vieux Caire; mais :ette opinion ne laifferoit pas d'être vifiblement fauffe, par un tex:e de Pline, quand même il feroit poffible, qu'on diftinguat les Piramides Septentrionales, des plus Méridionales. Car cet Aueur aïant dit, dans un tems, oü ï Egypte étoit fi connue aux üomains, qui en étoient les maitres; que les Piramides étoient Ituées entre la Ville de Memphis, & le A Delta, il ne feroit >as poffible, que Memphis eut été fituée oü le vieux Caire étoit bd:i, puisque cet endroit, au lieu d'être au-deffus d'aucune des Piramides, par raport -au Delta, n'eft pas même fur une ligne Darallèle aux dernières de toutes. 11 devroit, paree texte, être va Midi des Piramides, puisque le De/ta eft a leur Nord, & que es Piramides étoient au milieu des deux, au lieu que le vieux Caire eft au Levant des dernières Piramides, & même un peu lu cöté du Nord; c'eft-a-dire, qu'il n'eft pas même vis-a-vis des Piramides. L'ancienne Memphis n'étoit donc pas pofée en cet endroit; mais toutes les apparences font, qu'elle étoit fituée au-dela de cette vafte plaine de Sable, ou des Momies, qui font la fuite des fépultures, en remontant le Nil, & commencant par les Piramides les plus Septentrionales, & qui en étoient le comrnencement, lorsqu'on y venoit de Memphis. Cette grande, & fuperbe Ville étoit batie au bout de cette plaine fabloneufe, fur le bord d'une autre, la plus fertile qui foit encore aujourd'hui en Egypte, ou bien elle étoit fituée encore  de l'E G Y P T E. Liv. III. Cu. VII. 1303 core un peu plus haut dans la fuite de cette même plaine, afei droit j dont elle prend fon nom, qui eft Faoulmé, éloigné d Caire de deux petites journées. II y a auxenvirons de ce Bour^ des ruines prodigieufes, qui feront encore longtems des afïurarj ces de la grandeur de la Ville, dont elles font les débris. C'eft-1 aufli que l'on voitce fameux Lac, appelléifcr^ deCaron, ca Birque en Arabe fignifle Lac. Ce Lac a trois ou quatre journée de longueur, ïïir une lieue de largeur: II ne tarit jamais; mai f extréme féchereffe, qui régna en Egypte, il y a quelques an nées, aïant confidérablement diminué fa hauteur, on décou vrit peu loin du Bourg de Faoulmé, une efpèce de Ville dansk Lac même, qui donna de fadmiration a tout le monde. Toutes les apparences font donc, que la Ville de Memphis, étoit batie dans la plaine de Faoulmé, & non au lieu, appellé le vieus Caire, que je crois être plus vraifemblablement f endroit de la po lition de la Babilone d1'Egypte. Mais, pour revenir aux Momies, ceux qui n'avoient pas les moïens de faire batir des Piramides, pour enfermer leurs corps après leur mort,& s'alfurer par-la un repos,dont nous favons que les anciens Egyptiens faifoient un li grand cas, trouvoient dans cette pierre, qui règne dans la vafte plaine des Momies, un art moins onéreux, & plus de facilité a fe faire des afiles, qu'ils fe perfuadoient devoir être a 1'abri de la fureur, & de 1'impiété des hommes. Us choifïffoient pour cela un endroit de cette plaine, dont il falloit d'abord lever cinq, ou lix piés de Sable mouvant; ce qui n'étoit pas peu difficile. Car il falloit, pour creufer la pierre, qui étoit au-delfous, environner le lieu d'une manière de queue, fi bien fermée tout-a-l'entour, qu'elle ne laiifat aucun retour a la fubtilité du Sable, qui auroit empêché 1'ouvrage. On ouvroit enfuite cette pierre, par un rond d'un pié, & demi, ou de deux piés de diamêtre tout au plus; & quand il étoit de la profondeur de cinq a fix piés, plus ou moins, on CQÏÏl- É* u r 5 l f Lac,ou Titratie de Ca> ron. 3 Plaine de Faoulmé. Article///. Vafleplaïne des Momies. Manière de creufer les tmnheaux pour les Momies.  J304. E'TAT PRE'SENT Caiffes des Momies. commencoit a 1'élargir, Sc a pratiquer une chambre dans la pierre. Dans cette chambre, qui n'eft pas petite, il y avoit des enfon* cures, oit des niches pratiquées, dansles quelles on placoitles maitres des families, pour les quelles elles étoient creufées. Ces ' niches ne font pas en longueur, mais en hauteur, de manière que les corps étoient debout dans les cailfes, oü ils étoient enfermés, & oü fon en a trouvé une fi grande quantité en ces derniers tems. Ces caiffes font de bois de Sycomore, qui ne fe corrompt jamais, Sc ne font que de deux pièces. La première , qui eft profonde, eft creufée, avec beaucoup de travail: la feconde eft la couverture, qui eft entièrement jufte au cercueil. On a trouvé des Cailfes avec des yeux de verre, de manière qu'on pouvoit voir le corps, fans 1'ouvrir. On en a trouvé d'autres, qui étoient doublés, c'eft-a-dire une caiffe enfermée dans une autre; & on juge aflez par ces fingularités, qu'il falloit qu'il y eut dans Ia prémière caiffe une perfonne de diftinction. Comme on a vu plufieurs de ces cailfes en France, Sc les corps qui y étoient enfermés, je n'entreprendrai pas d'en faire la defcription. Je remarquerai feulement, qu'il eft très-rare, qu'on ait jamais vu le corps propre d'une belle caifle, paree que les Arabes , qui les trouvent, ne manquent pas de mettre ces fortes de corps en pièces, dans la penfée d'y trouver quelques petites idoles d'or, comme il arrivé alfez fouvent. lis y remettent enfuite le corps d'une caiffe commune, oü rarement il fe rencontre des idoles de valeur. Ces belles Caiffes n'ont pas leurs corps propres, Sc celles qu'on voit en Europe font ordinairement des communes. II y a quelque tems qu'on en fit rompre une; Sc l'on trouva fous la main de la femme, qu'elle avoit appliquee fur 1'eftomac, des cordes d'inftrument parfaitement confervées. Je jugeai par-la, que c'étoit une perfonne , qui avoit eu coutume d'en joué'r, ou qui avoit été du moins addonnée a la mufique. J'ai fait une autre obfervation, c'eft que tous lesvifagesdes corps font différents; les  de l'E G Y P T E. Liv. III. Ga Vit. mqj 'ks uns témoignant plus de jeuneife, d'autres plus de beauté. Ceux, qui ont vu les Momies entières,, favent, qu'elles ont toutes un .masqué doré, .compofc de plufieurs doublés toiles, qui font une manière de carton fort folide. J'ai jugé de cette diverjfité, que les masques, ou cartons pleins de lettres hierogliftqucs, qui marquoient lans doute 1'age, lesactions, les mceurs, la condition de la perfonne, la réprélèntation auffi au naturel, foit que de fon vivant on eik foin de tirer ce modèle, ou même qu'on le prit leulement après la mort, en appliquant ces toiles fur fon vifage, comme on tire encore aujourd'hui la reffemblance d'un homme, par du platre, & avec de la cire; de forte que l'on confervoit , non feulement les corps d'une familie entière , mais qu'on pouvoit les voir de la même manière dont ils étoient vivans. Lorsqu'on defcendoit dans ces'lieux, oüils étoient confervës avec un fi grand foin, on trouvoit des chambres, avec plufieurs niches, les unes grandes, les autres petites. Souvent auffi on paffe d'une chambre dans une feconde., & d'une feconde dans une troilième, même dans une quatrième; mais il ne faut pasi penfer, que tous les corps, que l'on enfermoit jdans ces fombres appartemens, .fiiflènt tous dans des caiffes, Scplacés dans dans des niches. La plupart étoient fimplement embaumés^ & envelopés, comme on fait, & mis, fans aucune facon, les uns auprès des autres. XVautres même y étoient dépofés,fans être? embaumés , ,©u 1'étoient li légèrement -qu'il n'en refte aujourd'hui, que les os parmi du finge pourri. C'eft de-la qu'on voit dans quelques-unes de ces chambres ,des tas d'os mêlés de ces fortesde linges. Les corps,qui s'étoient confervés entiers,en ont été enlevés, .pour fervir de marchandife., & ont -paffé Ia mer, après avoir été mis en pièces. II eft k aoire, que chaque familie un peu confidérable avoit une de ces Sépultures : Que les niches étoient deftinées aux Chefs de families; & que les ferviteurs, les efclaves, & peut-être ceux des families les moins f ff fff ff " diftin- M/lSJ!ieS dorésjur les ■Mtmies. RieHglijiquesfur ces masjuct.  ] d f; Vertu des q lieux de &hjms. 1 1 f C f c r f ( Difficulté * de trouver J ".•m.Mamie- ( < i 1 1 i < i ( ( < i j Ti ( 4®$ E' TAT PRE'SE NT iftinguées, y étoient mis fimplement embaum;s, & peut être ms favoir été, ces lieux aïant la vertu, même aujourd'hui, de onferver les corps dans leur entrer, &fans corruption; ceque on comprendra aifément, fi on fait reflexion, qu'outre la fodité de la pierre-, qui n'admet aucun air, quand le trou eft une jis fermé par une pierre jufte : c'eft qu'elle eft encore couverte e cinq, ou fix piés de Sable, fur lequel ilne pleut jamais; en)rte qu'aucun air, ni humidité, ne peut jamais pénétrer dans es lieux. . On voit auffi, que rien n'étoit plus affuré que leur fermetue, lors qu'après y avoir mis les corps, & bouché le trou, qui ïrvóit a les y defcendre, on laiflbit retourner le Sable fur cette mverture. On conviendra auffi, que rien n'eft plus difficile iprès a trouver,- que le trou dans une mer de Sable, pour aini dire, &l'ouverture étant aufli petite qu'on pouvoit la faire, quoi m'on fut furies lieux. Ainfi dans ces derniers tems, les habitans lu Village, appellé Saccar, qui eft leplus voifin de cette plaine, Sc que quelques-uns appellcnt le Village des Momies, ont-ils juelquefois travaillé des années pour trouver une feule ouvertue, dont il eft fur qu'il yen a une infinité dans ces vaftes cam)agnes; car il n'eft rien de plus difficile, que de lever une affez jrande quantité de Sable, pour découvrir la pierre, qu'il cou.•re naturellement; &, quand on eft parvenu a découvrir un fond rès-ttroit, on n'a reconnu que deux, ou trois piés de terrain, :n forte que, pour vifiter une étendue de trente piés en quarré, 1 faut les trois, ou quatre mois, a plufieurs perfonnes, qui s'y» :mploient. Le moindre vent, d'ailleurs, remplitenun inftant :es foffes; On a befoin de planches, pour empêcher le retour lu Sable; & la plus petite fente détruit d'abord 1'ouvrage de pluieurs jours. Auffi les habitans de ces lieux prenoient-ils, pour 'y emplöïer, le tems que le Nil inondoit les terres des enviirons, c'eft-a-dire un tems, oü 'ils ne pouvoient faire autre iiofe, Ils,:  de l'EGYP T E. Lit. Hf. Ca.'VII. f5157 Ils ont ceffé de le donner a cette forte de recherche-, depuis quil eft paffé cn.Europe un fi grand nombre.de Momies, qu'il y en a pour les befoins de plufieurs fiècles, & qifon n'en demande plus. II leur arriva un accident, il y a quelques années, qui contribua a les détourner de cette recherche; car aïant rencontré un de ces puits, & quelqu'un d'eiDoy étant défcendu, fans qu'ils euffent autrement alfuré les-Sables, dont il étoit envi■ronné, & qui étoient fort hauts en cet endroit, deux ou trois hommes, qui y étoient defcendus,furent étotiffés, la cave fort étrolte en aïant été remplie. Les Turcs leur firent une avanie, tant fur ces morts,.que furiesprétendus tréfors,qu'ils avoientdü trouven Ceux , qui ont écrit dans leurs Relations, qu'on leur z ouvert des trous , dans les quels on n'étoit jamais entré, fe font entièrement trompés ; car , outre que la découverte de ces trous eft un effet du hafard fort rare, & que, quand on feroit fur d'un endroit ,*il fandroit au moins trois, ou quatre jours s a plufieurs hommes pour en nettoier l'entrée, & en éloigner les Sables; c'eft que les habitans de ces lieux n'auroient garde d'introduire perfonne dans ces trous, avant de les avoir vifités, & fouillés. Ce qui fepratique en ces occafions eft, que, pendant qu'ils amufent un étranger dans leur village, en leur perfuadant, qu'ils vont chereher un trou, ils portent une de ces mechantes cailfes, dont ils ne manquent pas dans leur lieu,1 la defcendent dans un trou, qu'ils favent, qui eft fouvent tout ouvert, la placent dans une de ces niches, & puis conduifent 1'étranger en ces lieux, luf proteftant qu'ils ne font que de 1'ouvrir; & fouvent méme, pour le mieux tromper, ils en ont fermé 1'ouverture, qu'ils fpntfemblant de nettoïer.-Ces foins, qu'ils vendent bien cher, & qui leur coütent peu, ont été écrits, comme on peut le voir en plufieurs Relations. J'ai fouvent promis une fomme affez confidérable, fi on pouvoit en rencontrer un, qui n'eüt jamais été ouvert, & oü l'on me fit defcendre avant perfonne; mais je 1'aipromife inutilement, puisqu'outre la diffi- Fff fff ff 2 culté  t*o& E'TAT PRE'SENT' ForJnine its amourtux. Aidcle /. cultè de rencontrer une de ces ouvertures, & la peine qu'ils auroient,' qu'on n'y defcendit avant eux, par les raifons que je viens de dire, c'eft qu'ils ne croïoient pas pouvoir me tromper auffi facilement qu'un étranger, qui ne fait que paffer. La plupart-de ces corps, qui font embaumés, font des Femmes. II y en:atrès-peu d'Hommes. LesMomies de petitsEnfans font fort rares, &les caiffes fort eftimées.On voit en quelques endroits du Caire de-ces fae^s de caiffes d'une pierre parfaitement noire, & dure; Elles fontrpleines de lettres hieroglifiques des plus parfaites. II eft a croire,- que dans ces caiffes, dont je n'ai pas vu de deffüs, ily.en avoit d'autres de Sycomore, aux quelles- elles fervoient de niches, & qu'elles ont été tirées de quelques Piramides détruites, oude quelque fuperbe tombeau ; car ce font des ouvrages fort confidérables fur une pierre trés-rare, & digne d'une grande curiofité. II y a une de ces fortes de pierre au pié d'un vieux Chateau, qu'on voit, comme jel'ai.déjaremarqué:, encore aujourd'hui au Caire,a quelque diftance de 1'autre,,qui eft habité par le Pacha. Cette pierre fervoit autrefois a.recevoir de l'eau. Auffi nomme-t'on cet endroit , la Fontaine des amoureux; & il ne vient point d'étranger au Caire, a qui'on ne la, faffe voir. Hyena une autre dans la maifon du Kiaia des Janiffaires, qui fert a abreuver les chevaux. La pierre eft ufée,a force d'y avoir puifé de l'eau; & cette dernière n'eft pas parfaitement entière. Je crois, qu'une pareillepierre feroitfort eftimée en Europe.. c h a p i t r e; v i i r; Outre les Sépultures particulières, qui fè trouvent dans les ' plaines des Momies, ouSaccar, il y en a une publique, digne d'une grande adjiuxation. On f appelle JLahrinU, ou la-  de l'E G Y P T E. Liv. III. Cu. VUL 13op Sépuïture des oifeaux. On. y defcend par un trou, a peu-prè femblable a ceux des tombeaux ordinaircs; mais, quand on ef dans la capacité, on voit de longues allées alfez étroites, qu s'étendent de tous cótés. Dans ces allées , on en trouve d'autres , qui paroiffent fan? finparee qu'elles vous ramènent am prémières , par des détours.- Ceft-.proprement un Labyrinte. taillé dans la pierre a la. pointe du' cizeau;, mais un Labyrinte vafte, dans lequel on^ eft obligé de porter de la ficelle pour ne le point égarer. Les-allées de oe Labyrinte ont, de part, & d'autre, de petites niches,- dans les quelles il y a encore plufieurs vafes, oupotsentiers;. &, dans ces pots,, quand on les ouwe, on trouve toute forte d'oifeaux embaumés, quife réduifenten poudre, d'abord que l'on les touche. - Leur plumage eft tel , qu'ils paroiffent vivans. Toutes les niches , en étoient autrefois remplies. Les débris de ces pots, que l'on acaffés, font femés-dans les allées. II-faut qu'on en ait trouvé, dans les quels, avec les oifeaux-, il y avoit quelque petite idole d'or,. ou d'argent. Ce vafte Labyrinte eft, non feulement admirable, paria longueur du tems, qu'il a fallu pour vuider toute la matière, qu'on en a öté par ce petit trou,, qui en eft la feule ouverture. La pierre eft dure au commencement;. mais,, d'abord qu'on a creufé trois ou quatre piés, elle eft fort tendre; cequia rendu cet ouvrage beaucoup plus facile,~&y a, fans douteinvité les anciens Egvptiens-. C'eft une manière de Sable congéld, qui contribue encore a la confervation des corps , qu'on y confit. On lait affez- que dans les déferts iïJfrique, lorsqu'un eertain vent a enfévéli des hommes , & même des caravanes entières , onena fouvent trouvé les corps, après plufieurs années,, auffi fains, que s'ils ne faifoient qu'expirer; &, dans les voïages de la Caravane du€aire a la Mèque, lorsque quelqu'un meurt pas le clie* min, ce qui eft fort ordinaire, ces corps,,; qu'on couvre d'un peu de Sable , ne fe corrompent jamais \ mais ils déffèchent; dè forte.,. quil arrivé dans la fuite a ceux qui font la même rou* Eff fff ff 3, ter. Labyrinte, • oujépulture' des oifeaux* Qitalité dks oyeaux embaumés. Entrée è- troite dis Ltbyri?ite; 1 Vertu der Sables,fous lesquels font ïnfévélis les corps, ■  E'TAT U E' S E N T •Article//. , Qjw.litê de ■ Piramides darts la plai ne des Me mies. Ces Piramides font des qüarrés entaffês ' lts unsfur les autres. te, que s'ils marchent fur la pointe de leurs piés, ces corps désféchés fe levent incontinent , ,6c leur viennent; fraper le vifage. J'ai quelquefois trouvé de ces corps délféchés dans les Mosquées, qui iervoient aux anciens Rois & Egypte, 6c dont la plupart font aujourd'hui abandonnées , 6c détruites. On a fouillé aux endroits, oü les corps avoient été dépofés; 6c quelques-uns reflent encore ait-deffus des tombeaux, d'oü on les a tirés. j'en trouvai un, qui ne pefoit pas quatre livres, 6c une cuilfe, avec la jambe, 6c le pié, qui n'en pefoit pas une, tant elle étoit légere , quoi qu'entière, 6c pleine de chair en apparence. Mais, pour revenir encore une fois a la plaine des Momies, j'ai déja obfervé, qu'il y a beaucoup de Piramides. Comme elles paroiffent plus ufées, que les autres, dont j'ai parlé a fond, je crois qu'elles ont été baties auparavant, comme plus proches 'de la Ville de Memphis.. Elles font auffi plus fuperbes. La palfion pour ces monumens , croiffant avec le tems , 6c 1'ufage , il fe trouva des Rois, qui voulurent fe diftinguer, 6c qui firent élever les dernières, qui font beaucoup plus entières, 6c même plus grandes , que les autres. - II yena pourtant une trés-confidérable parmi les prémières, la quelle leurcède trés-peu en hauteur, 6c ert largeur. Elle a été ouverte, comme 1'autre, dont ïious avons parlé. Jen'yfuis pas entré3pouren décrire lefécret, comme j'ai fait de 1'autre. Toutes les Piramides des Momies ne font pas baties fur une même forme, comme les dernières. II y ena, quis'éleventenmarches, ou dégrés de vingt, trente, ou quarante piés de hauteur chacun. ; Ce font des quarrés les uns, fur les autres, qui vont toujours en diminuant; cela fait un fort bel afpecl, quand on regarde, furtoutavec desiunettes d'aproche, 6c de la hauteur du Chateau du Caire, d'oü on les découvre a plein , comme celles qu'il a a fon oppofite du cóté du Couch.mt. Bien des gens ont penfé, que celles des Momies n'étoient pas plus anciennes, que les autres; 6c que, fi -elles parohTent plus ufées, c'ètoit un effet delamolleffe des pierres, dont elles ^étoient  de'l'E G Y P T E. Liv M. Cfi.VlïI. i3u étoient compofées. On dit, qu'enremontant leiV//jusqu'a fextrémité de YEgypte, on en découvre, de tems en tems, du même cöté de la Lybie mais qu'elles ne font pas bien hautes. On trouve aulfi des Momies dans la Hmté-Egypte; Mais elles font en> maillotées différemëment 'de celles qui-ont été portées en Europe,. II eft a croire, que fëmbaumement des corps , & lapalfion de fe conferver, n'a pas été propre" aux feuls Rois, &aux Habitans de Memphis; mais quelle étoit alors générale aux Egyptiens;. qifainli on trouveroit de ces corps tout le long des montagnes, qui bordent YEgypte, au Couchant, & du cöté de la Lybie. C H AP I T RE I X, Ce' feroit ici, oü je devrois parler des aütrês Villes dzY Egypte après avoir fait la defcriptiön de celles d?Alexandrie, &di Caire, telles qu'on les voit aujourd'hui; Mais n'aiant eu ni f tems, ni f occafion d'en faire un examen alfez lérieux, & d'ail leurs tout ce qu'on en découvre, ou qu'on en dit, n'étant pas trop fur; je me contenterai d'en raporter en général ce que je trouve de mieux fondé fur la vérité, & qui peut être le plus utile-au Public. II y a très-peu d'endroits préfentement en Egypte, qui puiffent, a jufte titre, porter le nom de Villes. 11 n'y a presque plus de'lieu fermé par des murailles. RoJJet, Damiette, Menfoura , Mcntoube, & tant d'autres, qui font habitées par une infinité de peuples, ne font proprement que de grands Villages, c es les ruines, qu'on voit depuis la merjusqu'aux CQ»fio? dc la Ifu iie-Egyptc, prouvent évidemment, qu'il y a eia 1 : (',,: in - and nombre de Villes. II n'eft donc pas impoffibJtVqiM! les Anciens y en aient comptéjusqua dix-huit,ou vingt- mille. u Article T. ^ Raifon de ; l Auteur de' n entrer ■ point dans , le détail des autres Vü: les j _ tes de l'antiquité dans • te Delta. r Explication dece que let Vottes ont dit des amours dumi, £j» de la helle ' Memphis.  1 ï c c c c 1 Sittutiort e au Caire; c'eft-a-dire, un peu plus de quarante lieues de R t On compte ordinairement de cinquante k cinquante cinq lieues du Caire a Alexandrie, quarante cinq au moins du C aire a K# dou"e M-lrin*. On compte diftances d'unlieu k 1'autre,par journées a clievjU; nee eft de dix grandes lieues, comme feroient celles d Aix *Mar- plus belles curiofités fe trouvent dans la Haute \lt>K. Ceux , qui y ont voïage , en «content des Ssfurprenantes. Ceferoitunvoïage quiaportermt gequp dc lumieresa I Hiftoire de VES1pte moderne,poum.qui ut entrepris par gens, qui fuflspt ks langues,. & qui &üent pro, tégés.  ÉTAT PRESENT U E G Y P T E L 1 V R E IV. Chapitre Pr e'm ier. ^ r>r> r*> «W* ^rp^ eft gouvernée par un Pacha, que le fSv55?§?l^ Grand - Seigneur j envoie., & qui n'a de cw8»~ provifions, que pour un an. Les Pachas ^355 L' S$>K font néanmoins continués pour trois ans. 11 8hÏ! y en a même, qui. font reftés la quatrième année, & .d'autres qui n'ont été qua deux ^v?\jjX>s ^ ans.. Ce gouvernement ou. PacbaJic , ne s'obtient qu'a grand prix.. 11 faut , qu'un Pacha, qui va en Egypte, compte fur une dépenfe de quatre a cinq-cens-müle Ecus , avant que d'arriver au Caire., lieu de fa réfidence ordinaire. II n'y a point d'année.de continuation, qiu ne lui coüte plus de cent-mille Ecus.. Ggg ggg gg V Article 7.' Gouvernement de /'E-' gypte, ou+ '■ Paehalic. -  Dépenft dv ?a:lm. Ce qu'il en. vele au Sé- aüL Pavillonde 11 Mcque fait aux dépens du L'acba. Le Vacba jouït de tous les Revenus de Scs droits JürlesTiïnars, ou Villages, de ceux qui meuren*;. Artkle II. Septfortes de Milices en Egypte. LcrMutapharagas. 1318 E'TAT PRE'SENT Le Pacha eft obligé de payer tous les ans fix eens mille Eens au tréfor da Grand-Seigneur. Ce tréfor eft presque toujours voituré parterre, & coiite infiniment a Sa Haute fe, qui augmente a chaque fois d'un a*pre, ou deux liards, par jour, la paye de chaque Soldat, qui accompagné cet argent. Outre ces fix eens mille Ecus pour le tréfor du Grand Seigneur, le Pacha eft obligé d'envoïer au Sérail des provifions deSucre, de Café, deSorbec, deRis,deLégumes, & de beaucoup d'autres dcnrées,qui vont presqu'a autres fix eens mille Ecus. II doit encore faire la dépeafë du pavillon, que le Gr-and-Seigneur-envoie chaque année k teMèque, pour en faire préfent au Prophéte Mahomet. Ce pavillon eft tout ce qu'on peut imaginer de plus précieux,olcï'un prix très-confidérable, a caufe de fa richelfe, «Sc du travail immenfe, qu'on emploie a le faire. Le Pacha doit fournir cent mille Ecus pour le même lieu de la Mêque, & enfin cent mille autres pour Damas, oü ils font envo'iés tous les ans pour les fraix de la Caravane, qui part de ce dernier lieu pour la Mèque. Au moïen de toutes ces dépenfes, «Sc du paiement des Soldats, Ie Pacha jouït de tous les Revenus du Gr And-Seigneuren Egypte. Ils font tres - confidérables, «Sc pourroient fufiSre a 1'entretien des Troupes, qui y reftent, en donnant encore plus de douze millions de piaftres, s'ils étoient ménagés avec profit. Ce gouvernement vaut fouvent plus au Pacha, qnaaGrandSeigneur; &, lorsque du règne d'un Pacha, il arrivé une pefte, il y a tel jour, qui lui vaut les deux, 011 trois eens mille Ecus, par la mort de ceux qui poffedent des Tïntats, öu Villages, qui reviennent au Grand-Seigneur, «Sc dont le Pacha pronte. II arrivé fouvent, qu'il vend trois a quatre fois le même lieu, par la mort fucceilive de ceux, qui 1'avoient acheté. Les Troupes, que le Grand-Seigneur entretient en Egypte, confiftent en fept fortes de différente Milice. La prémière «Sc Ia plus noble, mais en même tems une des moins confidérables, eft celle des Mutapbaragas.U Pacha en eft le Chef .C'eft une efpèce de Nobleffe -1  de V E G Y P T E. Liv. IV. Ch.I. 131 a cheval, la quelle peut aller a quinze eens Hommes, ou, toi au plus, a deux mille. Les Beigs font compris dans ce corps une partie de la maifon du Pacha, & quelques Perfonnes riche qui ont pris fa protecf ion , auffi bien que quelques Janiffain des autres corps , qui s'en font tirés, par crainte, ou autr< ment. II n'y a aucun fond a faire fur ce corps, dont la plüpa: n'ont jamais entendu parler de la guerre. Les Janijjaires compofent le corps de Troupes le plus puiffan en Egypte. Les effeclifs peuvent monter jusqu'a huit mille Hom mes. Le furplus, qui n'eft pas moins confidérable, lont de gens du pays, qui font comptés pour rien, des marchands, & des artifans, qui ne s'enrölent dans ce corps, que pour en avoi: la proteftion. Leur paye eft ordinairement mangée, comm ils difent, par les véritables; &, dans les occafions d'aller a 1; guerre, ou lors qu'ils meurent, les prémiers en tirent des fom mes confidérables. Ce corps ne dépend nullement du Pacha. 11$ ont leur quartier féparé du fien dans le Chateau; & ils ont pour Commandant un Kyaïa, ou Lieutenant Général, qu'ils font, ou qu'ils détruifent eux mêmes, quand il veulent. Sans le confentement du Kyaïa, le Grand-Seigneur n'a pas le pouvoir de faire mourir un Janifjaire. Les Kyaï'as fe confervoient autrefois plufieurs années dans cette charge ; mais, depuis quelque tems, c'eft beaucoup s'ils peuvent s'y maintenirunan. Quand ils font dépofés, ilsconfervent Ia qualité de Kyaïa, & demeurent Membres du Confeil de ce corps,avec celui qui entre en charge. Les Janijjaires ont leurs Baskiaous, ou Avocats, pour affifter au Divan du Pacha, & empêcher qu'il ne fe falfe aucun tort a ceux, qui font fous leur protection. Le corps des Azaps, qui font a pié comme les Janijjaires, eft gouverné a peu-près de même; a la referve néanmoins que leurs Kyaïas reftent en charge trois, ou quatre ans. Le nombre des véritables Azaps peut être jusqu'a quatre mille Hommes. Celui éi 9 ït h 'S t t Z,«Janiffaires. S S t Leur indi- pendaneedn Pacba. LerTiaskiaous. LesAzzrjt.  j c c * 1 j .'Les Spahif. 1 1 1 :I >i i Deux autres petits Corps. ArjcIelW. Privilege \ .delamilice d'augmen- 1 .-ttrja paye. i^e peu d'ordre, qui s'y .tfouve. 'E'TAT PRE'SENT Ie fauffes payes n'eft pas moins conddérable. Le Pacha n'a auun pouvoir fur eux, non plus que fur les Janijjaires. Ces deux nilices font oppofées Tune a f autre, «Sc nourrilTent une haine rréeonciliable. Les Spabis, ou Cavaliers, compofent la quatrième. Ils font au lombre de trois mille, toujours complets, indépendans comme autres du Pacha. Leur Kyaïa a peu de pouvoir, c'eft presque in Nom inutile. Us font divifés en trois corps, fous trois banièes différentes, verf, jaune, Scrouge. Ils n'ont pas moins d'aperfion pour les Janijjaires, que pour les Azaps. Jl y a unecinquicmeMilice, dont les Soldats s'appellent Bar:bious,CQÏÏ. une efpèce d'Infanterie. Ilsne font pas plus decinq:ens. Ils fe gouvernent de la même manière, que les autres. II y a encore deux petits Corpsa peu pres de même nombre, iDarmi les quels font comprifes les payes des Femmes, dont les maïs font morts a la guerre. Toutes ces Troupes font payées de trois en trois mois. Leur rréforier recoit la paye.au Chateau, &la diftribue enluite aux Soldats. II eft permis a chaque Soldat d'augmenter fa paye, qui zroit d'un foü par jour, en donnant une certaine fomme de deux un, & fourniffant le furplus, & ainfi tant que l'on veut. II n'y a mille proportion entre ce que l'on donne, «Sc ce que l'on recoit; car en donnant, parexemple, 3000. livres, on augmente fa paye de 1000. livres paran,«Scon retirefon capital en trois ans. Le Pacha recoit la fomme, «Sc fouvent fon Succeffeurpaye la rente. Lorsqu'un Soldat a une paye confidérable , & qu'il vient a mourir, on fupofe un nom d'un Soldat, qui n'avoit que peu de paye; «Sc celui ci fe continue au pront de tout le corps, par oü l'on peut juger du mauvais ordre, qui règne en Turquie, «Sc du peu d'apparence qu'il y a que le Grand-Seigneur tire de ce pays les fecours, qu'il pourroit en avoir. Les  de l'EGYP T E. Liv. IV. Ch. I. 132 , Les Femmes ont leur paye comme les Hommes. II eft per mis, a qui veut, d'acheter trois fous & demi de paye pa: jour pour fa Femme; & cela eft payé tous les mois fur un billet qui fe renouvelle, & qui fe vend; enforte qifune même paye paffe a la cinquième, & fixième génération, & ne fort presque Jamais des Families; ainfi les Charges dè ce P.oïaume croiffent. & ne diminuent jamais. Le Gouvernement de la campagne eft partagé entre plufieur Beigs, ou Princes, dont, comme nous f avons dit, le nombr< eft fixéavingt-quatre; mais il eft rarement rempli. Les Beig! fe font a Confiantinople, & ont, en cette qualité, cinq eens écu: de paye par mois; &, lors qu'ils vont a la guerre, leur pay< augmente de la moitié, & continue fur cepié, tant qu'ils fom abfens. Lors qu'ils font de retour, le Pacha a fur eux un pou voir abfolu. II les fait fouvent mourir, & vend leur dignité l d'autres. On divife le Gouvernement de la campagne entre les Beigs 3 qui font comme Fermiers des droits, qu'on leur a alfignés, dont ils rendent une certaine Somme au Pacha. Us font obligés de défendre ces droits contre les Arabes. Ils alfemblent pour ceh les milices de ces lieux, qui font de fort mauvaifes Troupes, mais qui fuffifent quelquefois contre les Arabes vagabonds. Lors que quelcun de ces Beigs craint pour fa vie, il a recours a la proteeïion des Janijjaires, a celle des Azaps, 011 a celle des Spabis, & fouvent a toutes les trois enfemble. De même lorsque quelcun d'entre les Janijjaires appréhende, qu'on ne le faffe mourir, il a recours a la protection des Azaps, ou des Spahis, ou bien il fe fait Mutfefaracas, en donnant de 1'argent au Pacha; de forte qu'avec un peu de prévoïance, & beaucoup d'argent, un homme fe met a. couvert de toute forte d'infulte. Toute 1'adrelfe du Pacha conlifte a maintenir la divifion entre ces divers Corps de milice, fur les quels il n'a aucun pou- Hhh hhh hh voir. I j Les Femmes peuvent acbeter des payes fixes dans la miIke. 5 ArticleTPl k Gouvernt' ' ment de la 5 campagne. Dlvijim de ce Gouvet' nement. Politique, dont ufe lt Pacbapour  1322 E'TAT PRE'SEN T tntretenir la divifm parmi la milice. L'avtoritè' du Pacha lui deviem qtulquefoh dangereufe voir. II ne lui eft pas difficile d'y réüffir; ear, depuis quelques Siècles, il y a en Egypte deux partis femblables a ceux des Guelfes, & des Gibelins, qui ont régné 11 longtems en Italië. L'un de ces partis eft Sada, qui veut dire Grace. L'autre s'appele Haram, qui iignifie pêché. L'origine en eft obfcure; mais la haine, qu'il y a entre eux, n'en eft, ni moins certaine, ni moins irréconciliable. Toute YEgypte eft partagée entre ces deux faétions; les Troupes, comme le peuple: Cela paffe de Père en Fils, & du Maitre a 1'Efclave; ainfi le Pacha trouve toujours dans le corps des Janijjaires, des Azaps, ou des Spahis, de quoi les affoiblir , & leur faire une guerre adroite. C'eft par ces pratiques fécrettes, qu'il:fait périr ceux, qui font devenus trop puiffans,.&qui font fufpects a la Porte. Souvent auffi.., lorsqu'il veutpouffer les chofes trop loin, les différents partis fe réuniffent pour leur propre fureté. Alors. ils font treve aux paffions, qui les partagent, & tournent leur ven-, geance contre le Pacha. Us 1'obligent a quitter le Pachalic, comme il eft arrivé en ióor. qu'ils dépoferent ignominieufement Ismaël Pacha, une des meilleures Têtes de 1'Empire Ottoman , & établirent un Caïmacan, ou Lieutenant a fa place, jusqu'a ce que le Grand-Seigneur y eut pourvu. 11 eft aifé de juger de ceci, qu'il eft impoffible, qu'un Pacha ufurpe jamais la louveraine autorité, aïant contre lui toutes les Troupes; Qu'un Commandant des Janijjaires, des Azaps, ou dzs Spahis, rYy trouveroit pas moins de difficulté, fon propre corps étant divifé, & aïant tous les autres pour Ennemis ; Qu'il eft presqu'impoffible que le pays fe révolte, puis qu'il eft divifé en lui même; Qu'une même Ville eft partagée en deux faéïions; & que la moitié d'un Village fait la guerre a l'autre. Ainfi, YEgypte, qui eft un Roïaume des plus peuplés, ou les Peuples font plus Ennemis de ceux qui les gouvernent; oü il y a moins* de Troupes a proportion de fa grandeur,  de l'EGYPTE. Liv. IV. Ch. I ïag deur, & de fes habitans; éloigné de Confiantinople d'environ quatre eens cinquante lieues; difficrle a aborder, autant qu'aucun endroit de cet Empire; oü fon ne peut venir que par des déferts, & dont l'entrée eft facile a défendre par le moïen de ce Gouvernement, & par les deux faétions, qui en partagent les Milices, & les Habitans, eft peut-être le Roïaume le plus alfuré au Grand-Seigneur de tout ce qu'il polfède. II n'y a au refte aucune Place forte dans toute YEgypte; & le Chateau du Caire, qui eft la moins mauvaife fortereife qu'il y ait, n'eft pas en état de fouffrir le canon; Et il fe démolit tous les jours de plus en plus. V/ HA PITRE II. Tl y a peu de Roïaumes au monde plus peuplés que YEgypte, J- ni oü le commerce foit plus confidérable. II pourroit même fêtre incomparablement davantage,fi lepeu de génie des Turcs a entreprendre n'y étoit un grand obftacle. ^ Le Caire, qui en eft la VilleCapitale, eft fitué a deux journées ÓQhMer-rouge, par oü elle peut recevoir tout ce que les Indes-Orientales, & Occidentales, produifent. Les feules Caravanes dYAfit, qui arrivent alfez fouvent, y en apportent une partie; & le bras du Nil, qui vient de Damiette, y en conduit auffi une grande quantité. Les marchandifes ÜEurope y font apportées par l'autre bras du Nil, k 1'embouchure duquel RoJJet eft fituée. Ce même Nil voiture au Caire tout ce que YEthiopie produit. Outre cela il n'y a point d'année qu'il ne vienne des Caravanes de tous les endroits, même les plus reculés de YAfrique; en forte qu'il s'y trouve un abord. continuel de marchandifes des quatre parties du monde. Hhh hhh hh 2 VE- Article/. Ctmnent ie i'Ejypte.  Mine d'E- meraudes perdue. Pnduïïitn» immenfes du pays, qui y attirent lesricbejjes. 1324 E T .fel" V R SENT VEgypte ne ''W'V|f^i4^f(|l.enti 11 Y avoit feulement autrefois une n • , wjyïi^ |/i|;|êté de la Mer-reuge; &, quoi qu'on en tii^^^^lwsii'«ilwaudes qu'il y eut au monde , on fa lailfé perdre, fans qu'on fache même 1'endroit oü elle eft, aïant été comblée par les Sables. Mais, fi on ne tire, ni or, ni argent, des Sables d1'Egypte, ce pays produit abondamment de quoi en faire. Les lins, & la prodigieufe quantité de toiles, qu'on en fait, & qui fe répandent par toute YAfie, YJfrique, & VEurope; les cottons qui y viennent, & que l'on travaille; la prodigieufe quantité de blé, de ris, delégumes, caffé, forbec, cuirs, maroquins, de toute forte de drogues, d'aromates, faffranon, fucre, gommes; le nombre infini de poiffons, qui fe pèchent dans fes différents lacs, & que l'on fale, ou que l'on fume; les fomme3 immenfes d'argent ,que cette grande fertilité y attire de toutes les parties du monde , n'y aïant point d'année qu'on n'y apporte de France, ou & Italië, quatre, cinq, ou fix eens mille piaftres, plus de douze eens quintaux de poudre d'or ÜAfrique, & plus d'un million de piaftres de Confiantinople, ou des autres pays ólAfie, tant pour fachat du ris, &du caffé, dont ces Peuples ne peuvent fe paffer, que pour celui de toiles. Toutes ces denrées, dis-je, rendent YEgypte un des plus riches pays du monde. Elle le feroit infiniment davantage, fi les Turcs avoient aflez d'efprit, pour entreprendre ïe commerce des Indes; par le canal de la Merrouge. Car, s'ils prenoient les mefures néceffaires,pour faire paffer furement leurs Navires dans les Indes, le Caire deviendroit infailliblement le paffage, & le magafin de toutes les marchandifes de cè pays-la, au lieu qu'elles paffent en Europe avec tant de risque, par la grande mer, comme cela fepratiquoit anciennement. Ils profit'eroient, par ce moïen, de la ruine du commerce des Anglois, & des Hollandois,, qui < fe réduiroit a bien peu de chofe.  de l'EGYPT E. Liv. IV. Ch. II. 132; Je finirai ceChapitre, en affurant, que je ne crois pas, qu'il y ait dans VOriënt aucune Ville, oü Pargent roule plus abondamment qu'au Caire; foit par raport aux chofes que je viens d'obferver; a quoi je dois ajouter, que tout fargent, qui y tombe, y demeuré la plus grande partie; foit par les fommes confidérables qu'y portent plufieurs Grands de la Porte, qui s'y retirent, crainte d'être recherchés par le Grand-Seigneur, & qui s'y établiffent en furete, fous la proteéïion de la milice. U eft vrai, que ce que le Pacha envoie zConJlantinopïe ,pourle Grand-Seigneur, pour fa continuation; ce qu'il emporte a la fin lui même, avec tous fes gens ; ce qui va a Damas, & tout ce que l'on tranfporte a la Mèque , fe monte par an a plufieurs millions ; Cependant, comme je viens de le dire, il en refte enctore davantage dans le pays; Mais les Originaires, &même les Turcs, qui craignent toujours qu'on ne les dépouille, ont la manie d'enterrer leurs richeffes : ce qui fait que Pargent eft non feulement féparé du commerce; mais qu'il fe trouve affez; fouvent entièrement perdu. Monfieur de Seignelai avoit eu deffein de faire paffer le commerce des Indes en France par hMer-rouge, en faifant venir les marchandifes des Indes a Suez, qui eft le port le plus voifm du Nil, pour les faire ainfi paffer a Marjeille par Alexandrie; mais le droit d'un demi pour cent, qu'il vouloit feulement, qu'on abandonnat au Pacha pour la protection, ne fut pas fuffifant pour f animer a cet établiffement. D'ailleurs les Turcs ne comprennentpas aifément la conféquenced'un pareildroit, qui pourroit aller loin : Une fomme certaine les frappe tout autrement. 11 y avoit d'ailleurs deux très-grands obftacles, dont le prémier eft, que la loi des Turcs ne leur permet pas de favorifer le paffage des Vaiffeaux Cbrêtiens par la Mer-rouge, de peur de leur donner connoiffance du pays, oü repofent les os de leur Prophéte, & qui confine a cette Mer du cöté de Gedda. Le feil hh hhh hh 3 cond  Article II ■Cbofes eurieufesqu'on tire d ^'Egypte. Médailles. Pierres gravées. Crocodilles, Autrucbes, Poudre de Vtpére, Baume, 1326* E'TAT P R E' S E N T cond eft que le Peuple $ Egypte eft fi fuperftitieux, que, s'il voïoit des Vaiffeaux Franpois a Suez , il ne manqueroit pas decroire, comme a Alexandrie, qu'on veut s'emparer du pays. D'ailleurs ils regarderoient la liberté de ce paffage, comme un moïen de répandre dans le pays les marchandifes des Indes, fans en payer les droits d'entrée, qui font confidérables. Ces difficultés néanmoins pourroient être levées, par de bons ordres de la Porte, «Sc par quelque ménagement. II faudroit pour cela du tems, & de Pargent. Si l'on avoit befoin d'un port dans la Mer-rouge, autre que celui de Suez, dont on ne pourroit peut-être fe contenter, on pourroit fe jetter du cöté d'Afrique, avec des batimens faits expres pour cette mer, qui y a peu de fonds, ócqui eft fort remplie d'écueils fur fune, & fur fautre cóte. Ce qu'on tire de curieux d'Egypte, font des Médailles, parmi lesquelles il s'en trouve quclques-unes de bonnes. II y a des ?tems,oü elles fe trouvent plus abondamment, 6cd'autres qu'on n'en voit point du tout. On trouve auffi a Alexandrie, fur tout après qu'H abienpleu enhiver, des pierres gravées, qui repréfentent diverfes figures d'Idoles, d'Hommes, de Femmes, & d'Animaux. II s'en rencontre de très-belles, & très-curieufes. Les Idoles des anciens Egyptiens fe trouvoient autrefois affez communément; mais, depuis quatre ans, qu'un Arabe, étant entré dans une des fépultures des Momies, y fut enfévéli par les Sables, & que les Turcs en prirent occafion de demander des fommes confidérables au Village, dont il étoit, on n'enapporte plus; & les Arabes ont abandonné la recherche de ces Tombeaux, Les Crocodilles, les Autruches, la Poudre de Vipère, ie Baume blanc de la Mèque, quelques Oifeaux extraordinaires, font ce qu'il y a de plus curieux a envoïer en Europe. U vient auffi wCaire quelques Caravanes $ Ethiopië, & des pays  de l'E G Y P T E. Liv. IV. Ch. II. 132^ pays plus éloignés. Elles apportent des Guenons, & de petits Perroquets, qui font les plus eftimés de toute YJfriquey mais on ne les a pas en toutes faifons.. On apporte de la Mèque le Baume blanc, dont les Dames fe fervent pour conferver leur teint-; mais il y en a bien peu, qui ne foitfalfifié.. 1 vient des mêmes endroits de belles Etoffes, & autres curiofités fes Indes, & de toute YJJie; mais, comme les Fourbans Anglois ont pris, depuis quatre ans, tous les Vailfeaux, qui venoient de Suratte a Gedda, port de la Mer rouge k trois journées de la Mèque, la cherté préfente de ceschofes n'efl: pas croïable, eu égard k la quantité extraordinaire, qu'en confument les Gens du Caire. C HA P I T R E III. T 1 y a beaucoup de différence pour les facons de faire les ma JL riagesde cepays, Sc.ceuxdehChrétientéy particulièremenl en France, oü 1'ona pour maxime qu'il faut connoitre, avant que d'aimer, c'efl-a-dire, que, comme le mariage de 1'Homme avec la Femme eft un lien, qui n'eft diflbluble, que par la mort de 1'un, ou de l'autre, il yfaut auifi bien penfer, avant que de s'y engager, & que n'y aïant lani noviciat, ni apprentilfage a faire, on fe trouve tout d'un coup Profes, & palfé maitre. L'on obferve, avant toute chofe, 1'égalité de condition, la proportion des biens , &Ia convenance d'humeurs entre les Perfonnes, que 1'onveut lier enfemble; on fait pour cela, qu'elles fe voient, &fe pratiquent quelque tems. II n'en eft pas de même en Egypte, dontj'écris la pratique, qui eft toute contraire a la notre; Caron n'y obferve aucune de ces Article /, Cöutumts- ■ des Egyp. ■. tiensdant leurs ma- ■riages.  I Prècauttons t desChxi- 1 tiens a l'égard du t mariage nègligées S par les E- Jgyptiens,Éf /« 1 Turcs. f % a <= l r I c li ï c c 1 \ a rence a"e.r Religions, C /ait ia «fc/- ■ férence des c Orrémwnw { desmariages, & de i leurs maximes. ' 1 r F { i i 328 E'TAT PRE'SENT es trois chofes fi néceffaires; & les Turcs, encore moins que 2s Chrétiens. Pour ce qui eft du bien, on n'y regarde presque •oint du tout. Car, au lieu qu'en France, il faut qu'un Père lonne du bien , & faffe une dot a fa Fille , pour la mettre ors de fa Maifon, en Egypte tout au contraire, il faut que ceai quicherche uneEpoufelui faffe une dot ,& donne encore une )mme au Père; de forte qu'on peut véritablement dire, qu'il chette cette Femme, ou pour mieux dire une Efclave, puisue les Femmes en Egypte en portent toutes les marqués par des raceiets faits en forme de chaines, «Sc des anneaux qu'elles fe lettent aux piés. Toutes ces chofes leur font données par leurs /faris, avec cette düférence, que les chaines des Efclaves font e fer, & que les leurs font d'or, ou d'argent; mais fuffent el;s encore plus précieufes, elles font toujours une Marqué de efclavage, au quel elles font afTujetties. II y a une pratique bien contraire a celle de France entre eux qui font promis; Car, fi, avant que de s'unir par le lien !u mariage, on leur permet des vifites, & des converfations lonnêtes, en Egypte au contraire, qui veut une Fille ne la oit jamais; & c'eft lors qu'elle efl promife, qu'elle fe cache vee plus de foin, fur tout de celui qui la recherche. La différence de Religion, qui fe rencontre en Egypte, plus u'en aucun autre lieu de 1'Empire Ottoman, fait qu'il y a auffi lifférentes facons de faire. Les Chrétiens, qui y font de quare, ou cinq Rites, conviennent affez entre eux, pour les fian•ailles, qui fe font de Ia manière qui fuit. Après que les conventions, & les accords font faits entre is parens de 1'Epoufe, «Scdel'Epoux, ce font eux qui font les ïariages, & qui les marient quelquefois malgré eux. L'on apelle un Prêtre a la Maifon de la Fille, oü toute la Familie eft af rniblée ; Et, après quelques prières, le gareon prend un anteau, & le met audoigtdelaFille, qui efl voilée, &quiapeie fe découvre la main; voila toutes les Cérémonies qui fe pra- tiquent  tiquent k 1'égard del^glüè avant Ies époufailles, n> aïant dan te Levant^aucune pubhcation de bans, comme on le pratiqt" »Zon tf' Af 1 aPPréhende-e on point d'op pofition, & l'on ne fait point de difficulté de rompr, les fiancailles , & de remarier Ie promis a d'autres. On Z gera aifément, qu'ils n'ont pas grand fcrupule la-deffus, puisquiis ne Benfont point de féparerf Homme d'avec laFemme,<& de la marier a d'autres, même après qu'ils ont eu des Enfans comme nous le dirons bientöt. Avant de parler des pratiques des Turcs, il faut continuer JrT^c -f5 ChmmJ> nOUSavons commencées L jour des époufailles etant déterminé, 1'Epoufe va au bain trois jours devant; & pour peu que fesparens foientcommodes,on ly mene au fon des tambours, & des fiffres; cérémonie, qui sobferve de tout tems. Elle dure quatre, ou cinq heures: & fon y fait plufieurs mafcarades. 4 ' Le jour des époufailles arrivé, 1'Epoux & 1'Epoufe font condu ts a 1'Eglife par leParain, & laMaraine qu'on leur a choifi, qu'on appelle CbibM & Cbibine; & fouvent ce font euxqu tiennent fur les fonts de batêrne tous les Enfans de la maifon, cnez ceux qui fe fervent de 1'un, & de l'autre ; car, pour les Goptes, ils ne fe fervent que d'un même Parain P La cérémonie des époufailles fe fait presque toujours a minuit, ou apres a meffe, qui fe dit en ce tems, & qui dure quatre, ou cinq heures. UsArmémens, fur tout, mènent presque toujours leurs Epoufes a 1'Eglife, au fon des inftrumens, & les reconduifent de même a la maifon,oü l'on fait des cért> monies affez ndicules. Après les époufailles, le Mari eft cinq cuïeV V°lr ' r°n dent féparée en Parti' Les cinq jours paffés,on permet al'Epoux de converfer avec fnn tr &CeUe nouvellema^e pratiqueapeu.près ce que ion fait obferver aux jeunes novicesa 1'égard du filence, ne par- In iii ii lant l i > Article Cérémonier des mari*. ges des Chrétiens en Egypte! Cérimenïes ffe'Arraé^ nieos,  Ho E'TAT PR E' S ENT int qu'a Ion Mari, &a'fes Père, &Mère, même d'une voix baffe, qu'a-peine on peut 1'entendre. 11 y ena qui gardent e lilence une, ou deux années entières, comme 11 c'étoit le ems de leur noviciat. S'il vient quelque perfonne de dehors a i maifon pendant ce tems-la, qui interroge la nouvelle Mariéc, 11e ne répond, que par fignes, ou bien fes Père, & Mere, ré•ondent pour elle; & celles, qui ont alfez de force d'efprit pour ;arder long-tems le filence, s'acquièrent, parmi leur nation ine eftime lingulière.. C'eft ce qui fe fait parmi les Jrmé\iens. Les CopteSy qui font très-groffiers en tout, ne gardènt pas ant de cérémonies. II eft bien vrai, que les plus retenus ne voient >oint leurs Femmes la prémière nuit de leurs nöces, & qu'ils ttendent aulendemain, oüle Prêtre, qui les aépoufés, vient .ter a 1'Epoux un certain lien, qu'aux épouifailles il lui a palfé u cou, en forme decroix, devant, & derrière, qu'ils appelent Zannar. Le deliementde ce lien eft comme la permiifion. le voir fa Femme. II s'en trouve pourtant beaucoup, qui n'atendent pas, que le Prêtre leur donne cette liberté. Us la prenlent d'eux mêmes, fans défaire leliën, comme des bêtes, qui ourent a feau avec le licol. Les Grecs obfervent aufli affez fouvent de faire leurs époufailïs a laMefle, furtout, lors que ce font des gens commodes; nais, quand ce font des pauvres, toutes les heurès font bonles ; &, afin qu'il paroilfe au moins un peu de cérémonie,, Is prennent quelque cierge allumé qu'ils portent dans les rues, le la maifon a 1'Eglife, & de 1'Eglife a la maifon: cela fe fait. >rdinairement k l'entrée de la nuit. Lorsque 1'Epoux, & 1'Epoufe font arrivés au parois, lePrê:re fait fur eux d'aifez longues prières ,& plufieurs bénédidions, iprès lesquelles ilmet une main de 1'Epoux dans celle del'Epoue, & prend de la fienne les deux mains jointes enfemble , & es mène au milieu de 1'Eglife devant un pupitre., fur lequel eft.. li f c t 1: € 1 l l 9 Celles des Coptes. t I a € 4 1 < 1 ï £ Celles des Orecs. j ] 1 i < Artideff/. Cérémonies iel'iglife. 1 j 1  de l'E GYPT E, Liv. IV. Cu. III. 1331 eft pofé le Livre des Evangiles, «Sc fur ce Livre deux couronnes de fleurs, que les Grecs nomment Stempbani. La il continue les prières, & bénédiclions , dans les quelles font compris tous les Patriarches de VAncien - Tejlament. Après cela il met les couronnes fur.chacune de leurs têtes. II met enfuite une bague au doigt de FEpoux, «Sc une autre a celui de 1'Epoufe; Ajprès quoi le Prêtre met une main au-deffus d'eux, &les couvred'un voile. Le Chibin change ces couronnes , comme il fait les bagues par trois fois de fEpoux a fEpoufe. Le Prêtre continue toujours fes prières, après lesquelles on lui porte une coupe, ou un verre plein de vin, dans lequel il y a trois morceaux de pain de la longueur d'un doigt.. II les prend f un après l'autre; il en mange, «Sc en donne a manger aFEpoux, «Sca 1'Epoufe, k leurs Père, «Sc Mère, «Sc au Cbibini. II fait de même du vin; aprés quoi il jette le verre contre la muraille. Cette cérémonie finie , il prend les mains droites de fEpoux, «Sc de 1'Epoufe, «Sc celle du Cbibini ,«Sc les fait aller trois fois au tour du pulpitre, oü eft le Livre des Evangiles ; après quoi il leur öte les couronnes, «Sc continue encore quelques prières, a la fin des quelles il les cóngédie. II faut remarquer, qu'a fégard du mariage, pour les dégrès de parenté, les Armènicns ne fe marient point a leurs parentes , pas même avec les parens de ceux, avec lesquels ils ont quelque affinité fpirituelle. Les Coptes, au contraire , ont pour pratique,comme les Turcs, de marier leurs Enfans aux Enfans de leurs Frères, «Sc Sceurs, fans aucune difpenfe. Les Grecs font a peu-près comme les Francs, a fégard du dégré de parenté. Iii iii ii 2 ClIA' Scrupule des Arm niens au fujet des mariiges entre les parens,  E'T A T PRESENT Article I. Mariages des Tmci Jut Cady.s Juge, tien lieu de Pri tre. Tous les fotins les plus recrétt tifs pour f'Efouj'e. Chapitre IV. Pour ce qui efl des mariages des Turcs, chacun fait, qu'il leur efl permis, par YAlcoran, de prendre jusqu'a quatre Femmes légitimes, & d'avoir de plus autant d'Efclaves, qu'ils en peuvent nourir. Pour prendre des Femmes de la Maifon de leurs parens, ils font venir des Juges, devant lesquels ils conviennent des conditions, auxquelles ils prennent ces Femmes, pour leur dot, leurs habillemens, joïaux, dorures, &c. c'efta-dire, que, fi f Homme, après quelque tems n'efl pas content de fa Femme, il peut la renvoïer, en lui païant la dot, dontils font convenus. I , Parmi les Turcs, le Cady, ou Juge, qui entend les conventions, & en paffe l'A&e, tient lieu de Prêtre; car, après cette cérémonie faite,il n'y ena point d'autre, que de mener 1'Epoufe au bain, avec plus ou moins de pompe, «Sc de magnificence, felon la commodité de fes parens; «Sc ce tems de bain, qui dure cinq ou fix heures, eft fouvent le plus recréatif, que . 1'Epoufe goüte en toute fa vie. On la divertit la, par plufieurs fortes de mafcarades. On I'habiHe tantót en Juge, tantöt en Soldat, puis en Payfan, enfuite en Prince, ou en Vifir. Toutes ces fottifes font dire, que la Mariée a eu de grands bains; après lesquels, on la reconduit a la Maifon, avec les fiffres, les trompettes, «Sc autres inftrumens du pays, fi les parens ont le moïen de les lui donner; au moins faut il qu'il y ait quelque efpèce d'inftrument, quand ce ne feroit que quelques fragmens de pots caffés, que quelques miférables remuent affez adroitement dansles mains. Ce bruit, accompagné d'un pau- vre  de l'E GYPTE. Liv. IV. Cn.IV. 1333 vre tambourde baffe, & d'unhautbois de village, avec le battement des mains, qui fert de baJTe a la mufique, fait un effet affez bizarre; mais cela n'eft que pour les miférables, qui ne fe croiroient pas mariés fans cette Simphonie; car les gens commodes, & encore plus les Grands, lorsqu'ils mènent leurs Epoufes aux bains, ont toute forte de bonsinftrumens; & la Mariée, qui eft fous un dais, fermé de tous cötés, comme un lit. par des rideaux, eft précédée par des Janijjaires, plus,. ou moins, felon leur condition, & aifance. Le quatrième jour après les bains, on conduit la mariée de la Maifon de fon Père a celle de fon Epoux, mais toujours, avec bien plus de cérémonie qu'aux bains. On porte devant elle a découvert, dans de grands balfins, tout ce qu'elle em. porte de la Maifon de fon Père; Tapis, Couffins, Matelas 3 Couvertures, Pignates, ou Pots, Plats, Baffins, Pierredes, Joïaux, Perles, Ceintures , Argenterie, jusqu'a des Soques de bois, qu'ils appellent Cobeab, qui font travaillées avec de la nacre de perle. Cette cérémonie fe fait avec tant de fafte, qu'on charge fur quatre, ou cinq Cliameaux, ce qu'un feul porteroit faeile* ment ; &, pour les pierreries, joïaux, & dorures,. on met fur quinze ou vingt baffins ee qui n'en remplirok pas bien trois, ou quatre. Ils empruntent même affez fouvent de leurs Amis de quoi faire honneur a leur Fille ce jour-la, lorsqu'ils n'ont pas chez eux de quoi fournir a cette cérémonie, a la quelle ils fupléent par les emprunts, plutot que de ne pas paroitre, fur tout lors qu'ils ont au dehors un certain crédit, & qu'ils font eftfmés commodes, quoi qu'ils foient néceffiteux au dedans.. La malheureufe pratique de répudier les Femmes ne fe pra*tique pas feulement chez les fecfateurs de YJlcoran, elle n'eft encore que trop ordinaire chez les Chrétiens. Elle eft fl fréquente parmi les Coptes , que, fans les raifons prefcrites par VEvangile, il fufEt qu'un Homme dife a leur Patriarche, qn?il Iii iii ii 3 n'eft Cérémonies-' htzarr.es, gui s'y eb' Jervenu. De la répu» diationmé' me chez ks. Chxikiens.  Article II. Bdtéme ■des Chrétiens. Négtigence des Captes, £f des Suriens/Kr cet article. '33* E'TAT PRE'SENT nleft pas content de fa Femme, & la Femme, qu'elle ne s'accommode pas de fonMari, pour que le Patriarche leur permette la répudiation. S'il leur en refufe la permiifion, ils la prennent d'e'ux mêmes; ce qui fait que leur Primat ne s'y oppofe jamais, par ce qu'en n'y confentant pas, il perdroit quelque petite retribution, qu'ils lui -donnent, lors qu'il leur accordé cette malheureufe diffolution, que 1'ufage des Coptes a aufli in? troduite chez les autres Nations. Le batême paroit d'une fi grande néceffité, que, felon YEvangïle, fans cette régénération, il eft impoflible d'avoir entrée au Roïaume des Cieux : Cette neceflité eft pourtant regardéc bien différemment chez les Cbrêtiens du Levant. Les Grecs, & les Arméniens, y font alfez attentifs, &, commeles "Francs, batifent dans lanéceflité ala Maifon, mais toujours parimmerfion, comme il fe pratique dans tout le Levant. Pour les Coptes, en Egypte, (klcsSuriens, qui les imitent en tout, ils s'attachent fi peu a la néceflité du batême de leurs Enfans, qu'ils en lailfent mourir une infinité privés de la grace de la régénération , par leur pure faute, ou négligence. Ils ont pour maxime de ne jamais batifer les Gareons, qu'après quarante jours, & les Filles après quatre-vingts. Ils obfervent, en cela, lc tems de la purification des Mères, préfcrit dans 1'Ancienne Loi, & ne batifent point leurs Enfans, que leur Mère ne fok prélente. Heureux les enfans, fi, après ce tems expiré, on leur procuroit la grace du batême; Mais il n'y a presqu'aucunCö/»^, qui foit fidéle a faire batifer fes Enfans après ce long tems expiré: au contraire, la plupart les lailfent des fix mois, & des années entières, fans les faire batifer. II s'en trouve même, qui ont des huit, & dix ans, & qui font encore dans la dette de leur prémier Père. Les Coptes retardent encore le batême de leurs Enfans, pouf attendre d'avoir lemoïen de le faire avec quelque éclat, difant, que leurs Enfans ne font pas vêtus; ce qui eft encore une coutume, qui paroit ridicule. Cora-  de l'E G Y P T E. Liv. IV. Cir. IV. 133? Comme ceci eft un petit abrégé des hiftoires, & des ufages du pays, il ne faut pas omettre, qu'avant le batême des Enfans , il fe pratique dans le Levant diverfes cérémonies après leur nailfance , particulièrement au feptième jour. Ce jour-la les Femmes parentes de 1'Accoucheé s'aiTemblent dans h Maifon, ©ü fe trouve la Sage-Femme, quieftlaMaitrelfe de la cérémonie* fheure de laquelle étant venne, on préfente dans un balfindifférentes graines de fruit, chacune en particulier. La- SageFemme préfente enfuite. une chandelle de cire a chacune des Affiftantes; & tenant f Enfant, elles font la procelfion a 1'entour de la chambre, en jettant de ces graines , des quelles elle prend encore, lors qu'elle eft arrivée au balfin, qui eft au milieu: de la chambre, & en jette aux Aififtantes, comme lors qu'une poule appelle fes poulfins, quand elle a trouvé quelque chofe. A' cette cérémonie, la Mère prend f Enfant-, & la SageFemme un Mortier de bronze, qu'elle approche de f oreille de f Enfant, en frappant trois fois alfez. fort; mais je n'ai pu tirer: aucune raifon de toutes ces cérémonies, excepté de celle du Mortier : Ils difent, que c'eft pour ouvrir, par ce bruit, 1'oreille de 1'Enfant, afin qu'il ne foit pas fourd. Venons maintenant a la circoncifion des Turcs. Lorsque les Turcs font circoncire leurs Enfans, ils le font avec le plus de pompe qu'ils peuvent. Ceux qui n'ont pas le moïen de le faire avec magnificence, attendent que quelques-uns de leurs parens, amis, ou voifins, commodes, faffent la cérémonie pour leurs Enfans, afin d'y joindre les leurs.. Les Enfans, qu'on circoncit, font plus, ou moins. agés, les uns, que les autres. II y en a de tout age, de huit, dix, jusqu'a douze ans; ce qui fait voir, apeVJlcoran ne prefcrit point aux Turcs un tems limité pour leur circoncifion, comme il étoit déterminé dans 1'Ancienne L01. Les Enfans, que l'on circoncit, font le. plus richement pa- rés Cérémonies, avant le l&tême. Cérémonie* du Mortier frappé trois fois a l'o■eille de '^'Enfant, AnkleTIF. De la cir* concijion des. Turcs»  E'TAT PRE'SENT Richt! OT- «entens, dont font revêtus ceux qui font circondcif. i ] i Refotion d'une cir- , toncifionci- ' kire. ] 1 I < I 1 ( 1 J f rés qu'il fè peur. On les monte fur des chevaux ricliement enharnachés. Les Enfans des Grands, ou gens riches, font précédés par des Janijjaires, & des chevaux de main, devant lesquels marehent les Cheiks des Mosquées, dont les uns cliantent, & les lutres hurlent. Cette cérémonie fe fait ordinairement aux flamjeaux, & aux Iampes, quoi qu'on ne puhTe dire, que ce foit une règle, y en aïant beaucoup qui le font de jour. LEnfant ;ft fuivi de toute forte d'inftrumens, après lesquels fuit une nultitude infinie de canaille, qui f accompagné fusqu'a fa maibn, dans fefpérance d'avoir part aux libéralités, qui ne font 3as ordinairement épargnées dans ces fortes de Fètes, lesquelles font les principales , oü les Turcs prodiguent un argent, imaffé par toute forte de concuffions, d'ufure, & de tyranlie. II eft: vrai auffi, que ceux qui ont amaffé de grandes richeffesj par des voies légitimes, foit par leurs grands emplois, ou 5ar leur commerce, n'épargnent rien dans ces fortes d'occalons, comme nous allons le faire voir dans laRelation fuivanle , dont la grandeur , la magnificence, & la fomptuofité 3 mérite bien fadmiration du Lecfeur. Ce fut au commencement de fannée 1606. qiflsMAiL Vifir, dors Pacha & Egypte, aïant réfolu de faire circoncire fon Fils mique, nomme Ibraim Beig , qui avoit atteint fa quinzième mnée, fit, dès le mois de Novembre, travailler aux préparaifs de cette célèbre cérémonie. C'eft, comme nous venons de e dire , une des trois occafions, oü les Turcs ont coutume Ie faire toute la dépenfe, que leurs richefTes, «Sc leur condition >euvent leur permettre. II fit favoir a toutes les Perfonnes, qui fe trouvoient dans es Provinces du Roïaume, & qui n'y étoient pas retenues par les emplois indifpenfables, qu'ils lui feroient plaifir d'affifter a i folemnité. II fit, en meme tems, publier par tout, qu'il labilleroit, felon leur condition, «Sc gratifieroit tous ceux qui ; feroient circoncire avec fon Fils. On  de l'EGYPTE, Liv. IV. Ch. IV. 1337 Cette fête, qui dura dix jours, futprécédée de diversfpectacles, dont on jugea a propos d'amufer rimpatience du Peuple; qui étoit de trop bonne heure accouru de la campagne, fur le bruit des libéralités, qui fe devoient faire a cette occafion, & des divertilfemens qu'il devoit y avoir. On vit donc, pendant qu'on continuoit a travailler aux véritables préparatifs, plufieurs combats d'animaux, des courfes de Chevaux , des prix d'adrelfe difputés a la lance , au javelot, au mousquet, & divers tours extraordinaires , que des danfeurs de corde faifoient journellement en public, parmi un concours de monde prodigieux. Un de ces danfeurs, venu exprès de Damas, fit un vol extraordinaire, cedernier jour, dans la place du Meidan , qui fe trouve au pié du rocher éfcarpé, fur lequel eft bati le Chateau. II attacha fa corde au haut du Minaret, ou clocher d'une Mosquée, qui eft fituée prés des murs du Chateau. La corde principale avoit prés de^ quatre eens toifes. Elle étoit non feulement tendue par elle même , autant qu'on avoit pu le faire; mais diverfes autres cordes, qui étoient néceffaires a fa longueur extraordinaire, la ferroient encore plus. Ismail y afflfta avec fon Fils, &jetta, a cette occafion, aufli bien que les jours précédens, beaucoup d'argent au Peuple. Le lendemain 23. Decembre, les Beigs, qui font au nombre de vingt quatre, & les demi Beigs, qui font quarante huit: Les Officiers du Roïaume confervés par Sultan Selim, lorsqu'il fit la conquête de YEgypte; Les Chefs, & Commandans des fept différentes Milices, que le Grand-Seigneur y entretient ; Les principaux Agas du pays ; Les Habits noirs de Confiantinople, qui font presque tous des figures de Princes; Les Cadilhkers, & les Aïnés de la Familie des Aboubekers, & de Sada, qui font des defcendans du Beau-Père de Mahomet, & de fon Gendre, & généralement toutes les Perfonnes de quelque confidération, fe rendirent, avec une fuitenombreufe, Kkk kkk kk &  i'33S E'TAT P R E'S E N T & magnifique, dans les appartemens du Pacha, pendant que toute TArtillerie du Chateau fit une triple décharge , au fon d'une infinité de trompettes, de tambours, & timbales, de fiffres, & de toute forte dinflrumens. La grande Cour du Chateau, qui peut contenir deux mille Chevaux, en étoit fi remplie, que la plupart furent obligés de s'arrêter dans les Cours antérieurcs. Lesharnois, dont il yen avoit beaucoup, qui étoient garnis de pierreries , «Sc dont tous les autres étoient au moins de vermeil doré, avec des houlfes brodées d'or, toutes trainantes presqu'a terre, paroient les plus beaux Chevaux del'Univers, que YEgypte a toujours nourri; de forte que les yeux trouvoient dans cette vafte Cour un fpecta' cle, qui les étonnoit, «Sc les réjouïlToit également. Au milieu dé cette mukitude de Chevaux, dont le Chateau ne vuida point pendant dix jours entiers, s'élevoient deux Tentes du Pacha, dignes de fa magnificence, «Si de Poftentation, que les TurcS affectent en ceci, aufli bien que dans les harnois des Chevaux. L'une de ces Tentes étoit deftinée pour des danfeurs , Sc joueurs d'inftrumens; Sc fous f autre étoient' les trompettes, timbales, «Sc tambours du Pacha, qui jouoient a chaque fois qu'un Beig, ou quelqu'autre Perfonne de diftmction entroit, 66 durant tout le tems qu'on circoncifoit les Enfans, ce qui fe faifoit tous les matins dans une Cour particulière. Toute la Maifon du Pacha , compofée de fept a huit eens Perfonnes , étoit fuperbement vêtue. Ce Gouverneur avoit fait diftribuer a chacun de fes gens deux veftes de fitin de différente couleur; une de drap 8 Jngleterrc, avec la culotte, 6c une fourure deRenard deMofcovie. Le moindre de fes Efclaves étoit vêtu de la forte, coëffé d'une SefTe, ou turban de mouiTeline, avec quatre doigts d'or au bout, fur un bonnet de velours, ou de drap dYAngleterre. Les Pages, oujckauglans, avoient des culotes larges de velours vert, 6c des velles courtes de brocard d'or. Les principaux Ofii-  de l'E G Y P T E. Liv. IV. Ch. IV. 1330 Officiers, & ceux qui approchoient de fon Fils, avoient tous des velles des plus beaux Zamours, ou maitre de Zebelin; & il y en eut peu dans toute la Maifon, qui ne changeat deux, ou trois fois, d'habit durant la fête. On nomme le Fils du Pacha Beig ; Beig efl: une qualité, qui lui appartient de droit, auffi-töt que le Pacha efl nommé au Pachalic ft Egypte, comme elle appartient au Conful de France, dès qu'il a f honneur de remplir cet emploi. Beig répond, fur tout en Egypte, a la qualité de Prince; & il y en a beaucoup, qui en font la fjgure. Ibraïm Beig, dis-je, parut cette matinée vêtu d'une demivelie de drap blanc, doublée d'un très-ricbe Zamour, fur un doliman d'une étoffe d'or de Ventje; & fur la demi-veile, il en avoit une longue de camelot, couleur de feu, doublée d'un tabis vert. Cette longue vefte, qu'on nomme Kirike, étoit couverte d'une infinité de perles d'une grolfeur alfez confidérable, avec une agraffe de gros diamans, qui la fermoitparle devant. Son Kauoc, ou Bonnet, étoit auffi entièrement couvert de grolfes perles; & il avoit au devant de la tête un bouquet de trois plumes noires, attaché avec une rofe de diamans, au milieu de laquelle il y en avoit un de vingt-fept Carats. Ce jeune Seigneur changea d'habit trois, a quatre fois, par jour, tant que la Fête dura; & on ne lui revit jamais le même, a la referve du Kirike brodé de perles, qu'il porta a trois, ou quatre reprifes. Son Appartement n'avoit rien de moins magnifique ,que fa Perfonne, & que fa fuite. Plufieurs Sales, couvertes de tapis de Perfe, oü le mélange de cent couleurs, & de millefleurs différentes,fembloient difputerleprix aPor,dont ils étoient enrichis. Ces Sales ainfi parées, & garnies tout au tour de grands carreaux d'étoffe a fond d'or, qui fe fabriquent uniquement a 2W/t?,précédoientla chambre du jeune Beig, oü fur des tapis encore plus beaux, & fur un Sopha élevé d'un grand pié, dont la chambre étoit feparée, étoit un fuperbe Divan, oü la broderie d'or laiffoit a peine voirle velours cramoifi,dont Kkk kkk kk 2 les  1340 E'TAT PRE'SENT les couflins étoient couverts. Un lit k range du même velours s'élevoit au milieu. 11 étoit brodé par dehors, en la manière des Jndes; Et le fatin vert,dont il étoit doublé, n'étoit pas moins richement mis, quoique diverfement travaillé. Unefrange d'or de quatre doigts régnoit tout autour des rideaux, qui étoient aux endroits, oü l'on met des rubans en France, retrouffés avec des rubis, & des émeraudes. 11 y avoit au devant du lit, oü les rideaux fè partagent, un aflez grand Croiffant de fatin blanc, femé d'étoiles d'or; cequi faifoit un fort joli effet. Autour du lit, pofé fur une toillette blanchetravaillée d'or, & defoie, qui débordoit de troisaquatre piés, il y avoit des carreaux, ainfi qu'a 1'entour de la chambre; de forte que le Divan étoit comme feparé en deux, par le lit magnifique , oü ce Prince ne coucha qu'après fa circoncifion. Les danfeurs, au nombre de cent, changèrent durant ces dix jours de diverfes fortes d'habits, dont la plupart étoient d'étoffe d'or. Ceux, qui ont été en Turquie, favent affez, que les danfes, «Sc les poftures de ces danfeurs, font un des principaux divertiffemens, que les Grands puiffent goüter. Ils repréfentent auffi des manières de comédie; «Sc, encore qu'ils n'aient aucun röle certain, ils ne lailfent pas d'y faire voir a peu-près les diverfes intrigues de galanterie, «Scd'amourette, que l'on expofe fur nos théatres. Les danfeurs jouèrent le jour, «Sc la nuit, en différentes Sales du Chateau , fe relevanties uns les autres, de manière qu'il n'y avoit aucun vuide. Ces plaifirs étoient mêlés Ie jour de divers combats a la Turque, oü Pardeur fut fouvent fi grande, que les ordres du Pacha pouvoient a peine féparer les partis. On voïoit dans la place, qui efl: au pié du Chateau, les Efclaves des Beigs, partagés en deux partis, fe difputerl'adreffe, le courage, «Sc la magnificence. Ce qui fe faifoit avec d'autant plus d'émulation, qu'outre 1'animofité, qui règne entre deux Facïions, dans lesquelles toute YEgypte eft divifée, par un raftnement de politi- que  de l1 EGYPTE. Liy. IV. Gif. IV. 134.1 que du Grand-Seigneur, ils avoient encore les yeux du Pacha, andu dans fair. Cu**  de l'E G Y P T E. Liv.IV. Ch.VIII. 1357 Chapitre VIII. II ne feroit pas impoifible a un Prince, qui règneroit tranquillement en Egypte, de féparer VEgypte de f Afie, par un Canal, qui joindroit la Mer-rouge a la Mèditerranêe. 11 n'y a du fond de la Mer Erytrée, oü eft litué Suez, que deux bonnes journées jusqu'au Caire, & du même lieu jusqu'a Jaffa, ou en droiture jusqu'a la Mèditerranêe, que trois a quatre journées. Cette dernière route feroit préférable a la prémière. II faudroit joindre la Me r-rouge au Nil en un endroit, qui influe fur toute YEgypte inférieure, qu'on rendroit par-la au moins ftérile, quand on n'auroit pas a craindre qu'elle fut inondée. Aufli voit-on par des travaux, dont il refte encore des veftiges dans les déferts voilins de Suez, qui tirent vers la Mèditerranêe, que l'on avoit entrepris, par cet endroit, funion des deux Mers. Cet ouvrage coüteroit infiniment, quand fous les Sables, au travers des quels il faudroit le conduire, il ne fe trouveroit pas de roe folide a une certaine profondeur, comme il eft alfez ordinaire dans la plupart des déferts & Egypte. 11 eft d'ailleurs certain, que cette entreprife ne pourroit être formée pour enrichir YEgypte, par la facilité du commerce des Indes dans la Mèditerranêe, puisque le Canal, qu'on feroit dans ce deifem d'une Mer a l'autre, s'ü n'étoit que pour de petites barqües, engageroit toujours a des chargemens, & des rechargemens, qui, pour peu de dépenfes qu'ils caufaffent, egaleroient presque le prix des voitures, qui fe font aujourd'hui jusqu'au Caire, qui font fort médiocres, & qui le pourroient être encore plus, fi l'on y aportoit un bon ordre. Si le Canal, au contraire, étoit alfez large, & profond, pour faire paffer des* Mmm mmm mm 3 Vaif- Aïticle I. Commerce de la mer rouge,& de tout ce qui. y a raport. De lajonction néceffaire de la Mer rouge/!z«NiL FraÏK de cette entreprife grands, & peu utiles a /'Egypte.  I3?8 E'TAT FRE'SENT \ I r c 1< i t i Article II. r 1 ( 5 y. % X s: y. t s; s: 5 Ce pnjet fujet a divers e inconve- *■ nie/is. ] i fi o c ü /aiffeaux d'une Mer a l'autre, il fe pourroit faire, dans la reolution des années, qifun Prince étranger fe rendit maitre des orts, que fon batiroit, pour la fureté des paffages: Ce qui feoit d'autant plus aifé, qu'on pourroit attaquer ceux qui feroient n Afie, fans qu'on put les fecourir cYAJHque, que très-difficiïment. Un Roi Egypte s'expoferoit donc par-la, fans aucune ;tilité, au danger de perdre un commerce puiffant, qui lèra Dujours furement entre fes mains, tant que cette féparation ibfiflera. Mr. Colbert avoit eu deffein de faire paffer, par la Merouge en France, les marchandifes, que la Compagnie Roïale 7ranfoife tire des Indes par la grande mer. On. dit, que le Conful de France, qui étoit alors en Egypte, avoit été chargé, , d'en traiter avec le Pacha, & de lui orfrir deux pour cent de , tout ce qu'on feroit paffer de Suez a Alexandrie, par une , efpèce detranfit; De lui réprcfenter Ia confiance de ces deux i pour cent, par la richeffe des cargaifons, qui viendroient a ; Suez; & que, fur ce qu'il règleroit, on demanderoit des orr. dres a la Forte. „ On dit même, qu'ils furent demandés, z que le Grand-Seigneur offrit de les accorder; mais que fes liniftres ajoutèrent en même tems, ,, que cette permiffion feroit , inutile, fi le Roi de la Mèque, qu'elle intéreffoit plus que perfon, ne, & que la Forte na pouvoit obligera la même complaifan, ce, n'y donnoit les mains. Ce projet, en effet, étoit fujet k divers inconveniens, qu'il ?roit difficile de furmonter, plus du coté de cepays, &deceli de la Mer-i'ouge, que du cöté de la Porte, donton fuppoi , qu'on obtiendroit facilement les ordres , qifon en déreroit. Quant aux difficultés, que YEgypte offre a cette entreprife, n doitconfidérer, que fa principale richeffe vient ducommers de la Mer-rouge. Les principaux Marchands du pays, qui >nt Ia plupart Janijfaires, ou Azaps, ou fous laprote&ion des mili-  de l'E G Y P T E. Liv. IV. Ch. VUL 135-9 miiices > laquelle ils achettent d'une portion des profits , qu'ils tirent de ce négoce, ne manqueroient pas de s'oppofer fortement a ce delfein. Un Pacha ne peut rien, que du confentement de plufieurs corps des Troupes, qui font en Egypte , inceffamment occupées de leurs vues, &de leurs intéréts. II ne faut pas non plus penfer, que, dans cette occafion , on put gagner la proteccion du Pacha, par la repréfentation des avantages , qui lui viendroient de deux, ou trois pour cent , des marchandifes, qu'on feroit palier par VEgypte. Les Turcs ne comptent guères fur f avenir, & les Pachas fur tout, qui font fujets a être dépofésd'un jour a l'autre. II faudroit parler de comptant, & lailfer a la modération des Miniftres de Sa HauteJJe la confidération des profits avenir 5 qui grolfiroient les revenus du GrandSeigneur. Si, après avoir gagné un Pacha} on vouloit encore s'affurer de toutes les PuifTances & Egypte, qui feroient naturellement, & par leurs propres intéréts, indifpofés contre un pareil deffein , il faudroit des fommes trés-confidérables ; Et, après une infinité de dépenfes, ce projet feroit expofé a être renverfé par la moindre émotion,qui feroit facile a fufciter ici, oua Suez, fur des prétextes, qui ne manqueroient pas. La Religion en fournirpit de plaufibles. On répondroit, que les Francs veulent fe rendre maïtre de la Mer-rouge, pour s'emparerdelavï/^^, & tout ce qui fuit, fur une pareille opinion. Les motifs du bien public viendroient après. La ruïne des Douanes du Grand-Seigneur. Tout le commerce en nos mains. En vain protefterions-nous, que nous n'apporterions aucune marchandife pour YEgypte. La crainte, que cela n'arrivat, rendroit le mal déja préfent. Les avanies, non plus que les prétextes de les faire, ne manqueroient pas; de forte qu'il feroit presqu'impoffible de réüflir a cette entreprife, du cöté même de YEgypte. Mais, quand on trouveroit ici d'autres difpofitions, & qu'on y auroit, pour cela, une entière protecfion, il refteroit beaucoup Difficultés de i'exécu tion.  I Article///. Droit qu'exige le Roi de la Mèquo/ar ies martiandifes. Molen de faciliter la 'navigation de la Merrouge. [36*0 E'TAT PRESENT :oup de difficultés a furmonter dans la navigation de la Mer<-ouge. Cette mer, comme Ton fait, a beaucoup d'écueils fur es bbrds. Un vent de Nord, qui y règne continuellement, a la refèrve des printems, & des automnes, que les vents Méridionaux, Sc ceux de VEft, fe font lentir, avec alfez de vioence, ne permet pas aux Batimens de venir facilement a 1'enfrée de la Mer-rouge jusqu'a Suez. On eft contraint de mouiller tous les foirs lur les cötes d'Arabie, qui font pour la plupart de la dépendance du Roi de hMéque. Les Arabes font maicres des eaux; & fon ne pourroit point en avoir, s'il leur étoit défendu d'en apporter. Le Roi de la Mèque exige dix a douze pour cent fur toutes les marchandifes, qui palfent de Suezlx Gedda, Sc de Gedda vers les Indes; & c'eft beaucoup, quand on ne vous fait point d'avanies. II croiroit, qu'on luivoleroit les droits de toutes les marchandifes, qui palfent a la vue de fes terres, fans oayer; & il n'y a rien, qu'on ne dut craindre de fon reffentiment, fi quelque Vailfeau tomboit enfuite entre les mains de fes Sujets. II ne manqueroit pas auffi de fe plaindre a la Porte de la dinünution des Douanes de Gedda, dont la moitié lui appar-. tient; & l'autre eft appliquée, par la libéralité du Grand-Seigneur, a divers ufages pieux, qui regardent 'la Mèque; Sc, quoi qu'on put repréfenter au contraire, le zèle de maintenir les fondations de ces lieux, Sc la crainte de fortifier les Cbrêtiens dans une mer, qui les touche de fi prés, y prévaudroient cependant toujours. Au refte, fi l'on furmontoit ces plaintes, il feroit aifé de remédier aux difficultés de la navigation, dont je viens de parler. Car, avec un peu de pratiquede la Mer-rouge, qui n'eft pas fi étroite qu'on nous la décrit, excepté depuis Tour, jusqu'a Suez, on pourroit tenir la mer, la nuit, comme lejour, & naviger k vent contraire; ce que ces gens-ci ne font point: & enfin, 5n choifilfant une conjonéture favorable, on palferoit des dernières  de l'EGYPT E. Liv. IV. Cu. VIII. 136*1 nières terres de YTémori, au deffus de Gedda, jusqu'a celles qu dépendent direécement du Grand-Seigneur, fans avoir befoin d( faire de feau. Ce trajet nra pas deux eens cinquante milles. On peut d'ailleurs mouiller par tout en furete; caril n'y a aucune Fortereflè, & tout eft navigable. La Mer-rouge eft aulfi fort douce; II n'3 a point de tempêtes a craindre. S'il fe rencontre des courants 3 qui vous ramènent vees fon embouchure, il yen a d'autres qu vous portent au contraire. La terre jette les vents, dont or peut profiter. On pourroit cötoïer les terres dYAbyJJinie, auffi bien que celles dArabie, &c étudier, en peu de tems, les avantages, & les desavantages des lieux, & des faifons. Ce que fon vient d'avancer fe juftifie, par 1'arrivée d'un Vaif feau Indien, qui vint en droiture, fans avoir touché a Gedda. & fut accueilli plus que favorablement. On prétendoit 1'engager a un lecond voïage, & en exciter d'autres pour la même entrepriie, par 1'exemple de ces bons traitemens. Un Pacha trouve fon compte avec ces étrangers, & les Marchands du pays y trouvent auffi le leur: ce qu'ils ne feroient pas avec nous, a moins que nous ne payaffions les droits entiers, & que nous ne vendiffions les marchandifes dans le pays; Au quel cas la chofe changeroit entièrement de face, du cöté de YEgypte. Les Pachas profiteroient confidérablement, par la douane des effets, Profit qui fe réduiroit cependant a cinq, ou fix pour cent, pai 1'eftime ancienne ; & les Marchands, fans aller acheter les marchandifes a la Mèque, Sc en apporter les fines par terre, comme ils le pratiquent , afin d'en épargner la douane , (tout ce qui vient par la Caravane de la Mèque étant facré, & ne devant rien) les Marchands, disje, les acheteroient volontiers a Suez, fi l'on n'aimoit mieux les vendre er gros, ou bien au Caire, que de les débiter en détail, au que cas la jaloufie fubfifteroit toute entière; car ce feroit leur enlevei un commerce, qu'ils regardent comme propre. Nnn nnn nn Cha i Sttreté di fes cêtes. r 1 1  i*6z E'TAT P R E' S E N T Chapixre IX. Article I. Dmx routes pour paffer dE gypte en Ethiopië. II n'y a prefentement que deux routes pour paffer ft Egypte en Ethiopië. La prémière eft celle de terre, en remontant le Nil; &Pautre eft celle de la Mer -rouge, par le port de Meffona. Pour pénétrer ft Egypte en Ethiopië, par lavoie des Caravanes, on remonte d'abord le Ml par EJJené, appellé des Lcttins Syene, Sienem in extremo Egypti, dit Ciceron. Elle eft, en effet, fur les confins de YEgypte Supérieure. D'Effené jusqu'aux Catarades: ce fleuve fe trouve embarraffé entre des rochers, par f efpace de cinq, ou fix journées; de forte qu'il faut paffer a Sannar, Ville Capitale du Roïaume dtTongi, par lavoie des Caravanes ; &, foit que les bords du Nil fe trouvent embarraffés, par des montagnes difficiles, & inacceflibles , comme quelquesuns 1'affurent, ou que la voie du défert lok plus courte, comme il y a plus d'apparence, on prend la voie des déferts de la Lybie, dans lesquels on marche, pendant quinze, ou feize journées, trouvant a-peine de mauvaife eau pour fe désalterer. Ce défert fépare les terres du Roïaume de Tongi, ou de la Nubie, de YEgypte fupérieure; Lorsqu'après cette marche, on eft arrivé, fur les terres de ce Prince, on emploie encore vingt cinq journées jusqu'au lieu de fa réfidence, ou Capitale, qui eft Sannar, qui fignifie en Arabe dent de feu, pour défigner les extrêmes chaleurs, auxquelles cette Ville eft fiijette. II y pleut neanmoins une partie de 1'Eté; c'eft-a-dire, que les pluies des pays, au decade la Ligne, qui font raffraich is, pendant quatre mois continuels, s'étendent jusqu'a Sannar, encore qu'elles ne fe faffent pas fentir dans les Etats de ce Roi, qui font plus voiiins de YEtbiopie.  de lvE GYPTE» Liv. IV. Ch. IX. 136*3 II part. tous les ans du Caire deux Caravanes pour Sannar, oü il y a des Marchands Turcs établis, & Ton peut y aller en fureté. Le Prince, qui régnoit il y a quelques années en ces con-. trées, étoit un Barbare, qui avoit fait mourir fon Fils, «Sc jetter fon corps aux chiens: Mais le grand nombre de fes Sujets, qui fervent dans toute YEgypte; les chofes qu'il y fournit de les Etats, principalement des Efclaves noirs, de 1'Ebène, de PYvoire, des Plumes d'Autruche, «Sc quelques Gommes; «Sc ce qu'il tire auffi di1 Egypte, dontil prend des droits alfez confidérables, font les garands des Perfonnes étrangères, qui réfident, o.u paffent fur fes terres «Sc dont un Pacha ft Egypte fauroit lui demander bon compte, fi ce Roi venoit a abufer de fon pouvoir. On pourroit faire écrire au Pacha en faveur des Perfonnes, que fon y enverroit, «Sc engager auffi un grand nombre des Valets de ce pays, que la Nation Franpoife tient a fon fervice, d'écrire a leurs parens, que, fi on maltraitoit ces Étrangers, on lè vangeroit fur eux de ce traitement. II faut pourtant remarquer, que fon fouffre beaucoup dans les Caravanes, qui vont ft Egypte a Sannar, «Sc par le défaut de feau, «Sc par les extrêmes chaleurs, «Sc autres incommodités, auxquelles eft fujette la pauvrété, qu'il faut affecter, «Sc pratiquer, pour les vivres, & pour le dormir. On ne mange plus de pain de froment a Sannar. On y eft auffi mal pour le logement, que pour les vivres. Le plus riche vêtement , qu'on puifTe y avoir, eft. une chemife de toile bleue. Je doute fort,qu'il fut permis d'y porter un bonnet, a moins que ce ne fut en faveur de la qualité d'étranger; car le feul Roi a ce privilége, aufli bien que d'aller chauffé. Tous fes Sujets vont tête nuè', les cheveux drelfés, a la manière des anciens Egyptiens; ce qui fejuftifiepar des Momies de bois, oü l'on les voit de cette forte. Us ne defcendent pas jusques fur les épaules. Ils repréfentent a peu-près des cheveux naiffans, qui feroient tous nattés ; C'eft la feule coiffure des Habitans du pays, infiniment miférables j La plu- Nnn nnn nn 2 part Caravanest qui partent )eus les ans lu Caire, )our Sannar. Elles fiuffrent beaucoup.  Article II. Difficultés ■ qu il y a de iénétrer en Ethiopië. 1364. E'TAT PRESENT part nuds, fans autre maifon qu'une hutte; quelques animaux, pour tout bien, qui fe nourrilTent dans les herbages du MI, & de quelques légurnes, qu'ils fèment dans les terres après les innondations de ce fleuve. Le Roïaume de Sannar eft fort vafte, divifé en diverfes Provinces, dont les Gouverneurs, qu'ils honorent du nom de Pacha, & qui font fouvent des Sujets, fervent de valets, fourniffent, par an, au Roi une certaine quantité d'argent, tant de bceufs, demoutons, de chameaux, de chevaux, d'Efclaves, felon la fituation des Provinces, qu'ils gouvernent. Un des plus grands revenus de ce Prince font les Efclaves; Les Gouverneurs des frontières,qui confinent a 1''Ethiopië,& fur tout ala Lybie, ont avec leurs voifins des guerres continuelles, qui confiftent plus en embuches, qu'en flits d'armes, ou de valeur. Ils vont la nuit afTaillir les hameaux, & en enlèvent les habitans , dont le Roi a la plus grande part; Ils les envoïent dans la fuite vendre au Caire. On les vend même a Sannar aux Marchands, qui s'y rendent. S'ils ont la paix avec leurs voifins, ces voifins font la guerre avec d'autres Peuples, fur lesquels ils font des Efclaves, qu'ils vendent au Roi de Sannar, ou même a des Marchands Turcs, qui ofent aller jusques dans leur pays, & y porter quelques braifelets de verre, & de ces ornemens barbares, dont Vénife fournit YAfrique, &avec lesquels on achette ordinairement ces malheureux. C'eft ala faveur d'un pareil commerce, qu'on peut pénétrer en Ethiopië, dont les avenues font exactement gardées, &défendues a toute forte d'étrangers. On vous vifite foigneufement de la tête aux piés: cela n'eft pas fort diificile, car on y eft presque nud, pour ne pas dire entièrement. On obferve furiout, fi vous êtes circoncis. C'eft une précaution, que la hailepour la religion Chrétienne, différente de la Copte,a. inlpirée 1 ces Peuples. Les autres font des effets de la crainte, qu'ils mt, d'admettre des efpions dans leurs Etats, lesquels, a la faveur  de l'E G Y P T E. Liv. IV. Ca IX. 1365 faveur de la corinoilfance des lieux, viennent enfuite, durant ia nuit, conduire leurs ennemis dans les endroits, qu'ils habitent, «Sc les faire Efclaves. Les Abyffins Coptes portent cette prévoïance a un tel point, qu'ils ne lailfent presque jamais retourner perfonne de leur religion même, après favoir recue une fois dans leurs Etats. Nous en avons un exemple fingulier dansle dernier Archevêque, qu'ils demandèrent au Patriarche Copte, quiréfide au Caire. Ilsn'étoient pas d'abord fatisfaits d'un prémier, qui leur avoit été envoïé. Us députèrent d'autres perfonnes, pour en demander un autre, qui leur fut accordé, Mais, avant qu'il arrivat en Ethiopie, ils s'accommodèrent du prémier, fans qu'ils aient jamais voulu confentir a renvoïer le fecond, qui eft encore dans ces contrées, quelques inftances que le Patriarche ait faites pour fon retour. II efl aifé de juger par-la des difficultés, qu'il y a de pénétrer de Sannar en Ethiopië. Nous ne favons pas précifement fous quel prétexte, «Sc par quelle voie, on pourroit s'y introduire. On verrok mieux cela de Sannar; mais il eft fur, que la Langue Ethiopienne, «Sc la couleur olivatre, font au moins néceffaires a ce deffein. II y a plufieurs années que des Ethiopiens, verwis au Caire, firent, a leur retour, au Roi unrecit fi avantageuxd'unReWgkux'Capucin,qu'ils y avoient vu, «Scqu'ils lui vantèrent furtout, comme un grand Médecin, que ce Prince, dont le Fils étoit incommodé depuis longtems, fit favoir a ce Capucin, qu'i/ feroit Ie trés-bien venu dans fes Etats. Dans le tems qu'il fedifpoföit a y paffer, des Religieux Francifcains Itahens, venus au Caire pour paffer en Ethiopië, fe perfuadèrent, que cette affurance ne les regardoit pas moins que le Capucin 3 & partirent pour s'y rendre, fans attendrece dernier. Hs furent recus furies confins du Roïaume, avec toutfacuef poffible, les ordres aïant été envoïés par avance pour cela; mais, lors qu'ils parurent devant le Roi, «Sc qu'il eut apris de Nnn nnn nn 3 celu Jal'.ufte dangereufe des maladies, &la fource de toutes les autres. Une des chofes, qtfon imprimoit Ie plus fortement dans fefprit des Egyptiens, etoit feftime, fcfamourde leur patrie. Elle étoit, di oient-ils le fèjour des Dieux. Us y avoient régné durant des milliers infinis d'années. Elle étoit la mère des Hommes, & des animaux, que la terre ft Egypte, arrofée du Ml, avoit enfantes, pendant que le refte de la nature étoit ftérile. Les ^?'rC°Tf0imtrHift0ired^^ de cettefuiteimmenfedehecIeS)qifilSne rempiiffoient que de fables, & des généalogie* de leurs Dieux le faifoient pour imprimer dans fefprit des P^l^üqmté,&hiK)liteft de leur pays. Au refte leur vémable hiftoire etoit renfermée dans des bornes raifonnables; mais ik trouvoient beau de fe perdre dans un abime infini de tems, qui fembloit les approcher de féternité T •F^Jnt/am°Uide h P3trie av0it des ^demens folides. L Egypteétoit, en effet, le plus beau pays de fUnivers, leplus abondantpar la nature, le mieux cultivépar Part, leplusriche, ce&ol 3&1S PlUS 0méparleS ^ Ia H n'y avoit rien que de grand dans leurs deffeins, & dans eu travaux. Ce qu'ils ont fait du Ml eft incroïable ïï pl u ra ement en Egypte ; mais ce fleuve, qui farrofe toute par fe t e pays. Pour multiplier un Fleuve fi bien-faifanf, YEgypte etoit raverfee d'une infinité de Canaux d'une longueur , & d une largeur incroïable. Le Ml portoit par tout lafécondité avec fes eaux falutaires, unifioit les Villes entre elles • & la dedans, & au-dehors du Roïaume, & fortifioit contre 1'ennem • de forte qu'il étoit tout enfemble, & le nourricier, & le le^es *JSf °n f aband°nn0it h Ca™' m j les \ilks, rehauffees avec des travaux immenfes, & Levant comme des lies au milieu des eaux, regardoient avec pie, de Ppp ppp pp cet>  Berd. & DM. Ibid. Hcrod, 137S E'TAT'PRE'SENT cette hauteur, toute la plaine inondée, 6c tout enfemble fertïlifée par leA7/. Lors qu'il s'enfloit outre mefure, de grands Lacs creufés par les Rois, tendoient leur fein aux eaux répandues. Ils avoient leurs décharges preparées:de grandes éclufes les ouvroicnt, ou le* fermoient, felon le befoin; 6c les eaux aïant leur retraite, ne féjournoicnt fur les terres, qu'autant qu'il falloit pour les engraiffer. Tel étoit F ufage de ce grand Lac, qu'on appelloit leLac de Myrh, ou Moeris. Cétoit le nom du Roi, qui favoit flut faire. Oneft étonné, quand onlit, ce qui néanmoins eft certain, qu'il avoit de tour environ cent quatre-vingts de nos lieues. Pour ne point perdre trop de bonnes terres en le creufant,^ on favoit étendu principalement du coté de la Lybie. La pêche en valoit -au Prince des fommes immenfes; 6c ainfi, quand la terre neproduifoit rien, on tiroit des tréfors,en lacouvrant d'eaux. Deux pyramides, dont chacune portoit fur un tröne deux Statues Coloffales, fune deMvRis, 6cfautre de fa Femme, s'élevoient de trois eens piés au milieu du Lac, 6c occupoient fous les eaux un pareil efpace. Ainfi elles faifoient voir, qu'on les avoit erisées avant que le creux eut été rempli,6c montroient, qu'un Lac de cette étendue avoit été fait de main d'homme fous un feul Prince. Ceux qui ne favent point jusques a quel point on peut ménager la terre, prennent pour fable ce qu'on raconte. des Villes éTEevPte. La richeffe n'en étoit pas moins incroïable. 11 n'v en avoit point, quine fut remplie de Temples magnifiques, & de fuperbes Palais. L'Architeóture y montroit par tout cette noble fimplicité, 6c cette grandeur, qui rempht 1 efprit. De longues galeries y étaloient des fculptures, que la Grece prenoit pour modèles. Tbèbes le .pouvoit difputer aux plus belles Villes de 1'Univers. Ses centPortes,chantees par Homere, font connuesde tout le monde. Elle n'étoit pas moins peuplce, qu'elle étoit vafte ; 6c l'on dit, qu'elle pouvoit faire fortir enfemble dix mille Combattans par chacune des portes. Qu U y ait, fifonveut, de 1'exagération dans ce nombre, toujours  de l'EGYPT E. Liv. IV. Ch. IX I3vp eft-il alfuré, que fon peuple étoit innombrable. Les Grecs, & les Romains ont célébré fa magnificence, & fa grandeur 5 encore qu'ils nen euiTent vu que les ruines, tant les reftes en étoient auguftes. Si nos Voïageurs euiTent pénétré jusqu'au lieu oü cette Ville etoit tótie, ils auroient fans doute encore trouvé quelque chofe d'mcomparable dans fes ruines; car ies ouvrages des Egyptiens étoient faits, pour tenir contre le tems. Leurs ftatues étoient descoloffes. Leurs colonnes étoient immenles. VEgjpte vifoit au grand, & vouloit fraper les yeux de loin, mais toujours en les contentant par la juftelfe des proportions. On a ^ou^rt dans le Said (vous favez bien que c'eft le nom de la Thebaide) des Temples, & des Palais, presqu'encore entiers, ou ces colonnes, & ces ftatues font presque innombrar ' ■ °A adm,re f«rt°ut un Palais, dont les reftes femblent navoir fubfifte, que pour effacer la gloire de tous les plus grands ouvrages; Quatre allées a perte de vue, & bornées de part, &dautre, par des Sphinx d'une matière auffi rare, que leur grandeur eft remarquable, fervent d'avenues a quatre pok ques, dont la hauteur étonne les yeux. Quelle magnificence, & quelle étendue! Encore ceux qui nous ont décri? ce prodil gieuxedifice, n'ont-ils pas eu le tems d'en faire le tour, & ne font pas meme afTurés d'en avoir vu la moitié ; mais tout ce qu ils y ont vu etoit furprenant. Une Sale, qui apparemment faifoit le milieu de ce fuperbe Palais, étoit foutenue defix-vingts colonnes de fix brafTes de grolfeur, grandes a proportion, & entremelees d'obelisques, que tant de fiècles n'ont pu abbattre. Les couleurs memes, c'eft-a-dire ce qui éprouve plutöt le pouvoir du tems, fefoutiennent encore parmi les ruines de cet admirable edifice, & y confervent leur vivacité. Tant VEgypte lavoit impnmer le caraclère d'immortalité a tous fes ouvra/es. Mamtenant que le nom du Roi pénetre aux parties du monde ies plus inconnues, & que ce Prince étend auffi loin les recher- Ppp ppp pp 2 , dies,  I cl d ti ft r h F c 1 I i ] Uercd.ll. ITcrod. Diod. j8o E'TAT PRE'SENT ies, qu'il fait faire de plus beaux ouvrages de la nature, & ï Part, ne feroit-ce pas un objet digne de cette noble curioli;, de découvrir les beautés que la Thebaïde renferme dans 's'déferts, & d'enrichir notre Architeéture des inventions de Egypte) Quelle puiffance, &quel art apu faire d'un tel pays . merveille de 1'Univers? Et quelles beautés ne trouveroit-on as, fi on pouvoit aborder la Ville Roïale, puisque, fi loin 'elle , on découvre des chofes II merveilleufes) II n'appartenoit qu'a YEgypte de drelfer des monumens pour i poftérité. Ses obélisques font encore aujourd'hui, autant ,ar leur beauté,- que par leur hauteur, le principal ornement le Rome: & la puiffance Romaine défefpérant d'égaler les Eryptiens, a cru faire affez pour fa grandeur, d'emprunter leurs nonumens de leurs Rois. VEgypte n'avoit point encore vu de grands édifices, que la Tour de Babel, quand elle imagina fes Pyramides, qui par leur Pigure, autant que par leur grandeur, triomphent du tems, & aes Barbares. Le bon goüt des Egyptiens leur fit aimer dèsLors la folidité ,& la réguralité toute nue. N'eft-ce point que la nature porte d'elle-mêmea cet artfimple, au quel on a tant de peine a revenir, quand le goüta été gaté par des nouveautés, & deshardieffesbizarres? Quoi qu'il en foit, les Egyptiens n'ont aimé qu'une hardieffe réglée. Ils n'ont cherché le nouveau , & le furprenant, que dans la variété infinie de la nature; & ils fe vantoient d'être les feuls, qui avoient fait, comme les Dieux, des ouvrages immortels. Les infcriptions des Pyramides n'etoient pas moins nobles, que 1'ouvrage. Elles parloient aux Spedateurs. Une de ces Pyramides, batie de bnque, avertiffoit, par fon Titre, qu'on fegardatbien de lacomparer aux autres, & qu'elle étoit autant au-deffous de toutes les Pyramides , que Jupiter étoit au-deffus de tous les Dieux. Mais, quelques efforts que faffent les Hommes, leur néant paroit par tout. Ces Pyramides étoient des tombeaux: encore les  de l'E G Y P T E. Liv. IV. Gel IX. 1381 les Rois, qui les ont baties, n'ont-ils pas eu le pouvoir d'y être inhumés; & ils n'ont pas jou'j de leurs fépulcres. Je ne parlerois pas de cebeau Palais, qu'on appelloit le Labyrinte , üHe'rodote, qui Favoit vu, ne nous affuroit, qu'il étoit plus furprenant que les Pyramides. On l'avoit bati fur le bord du Lac Myris; & on lui avoit donné une vue proportionnée a la grandeur. Au refte ce n'étoit pas un feul Palais, mais un magnifique amas de douze Palais difpofés régulièrement , & qui communiquoient enfemble. Quinze eens chambres , mêlées de terraffes, s'arrangeoient au tour de douze Salles, & ne lailfoient point de fortie a ceux qui s'engageoient a les vifiter. Jl y avoit autant de batimens au deffous de terre: ces batimens étoient deftinés a la fépulture des Rois, & encore ( qui pourroit dire fans honte, & fans déplorer faveuglementde fefprit humain!) a nourrir les Crocodilles facrés, dont une Nation, fi fage d'ailleurs, faifoit fes Dieux. Vous vous étonnez de voir tant de magnificence dans les fépulcres de VEgypte. C'eft qu'outre qu'on les érigeoit, comme des monumens facrés, pour porter aux fiècles futurs la mémoire des grands Princes, on les regardoit encore, comme des demeures éternelles. Les Maifons étoient appellées des hötelleries, oü l'on n'étoit qu'en paffant, & pendant une vie trop courte pour terminer tous nos deffeins : mais les maifons véritables étoient les tombeaux, que nous devions habiter, durant les fiècles infinis. Au refte ce n'étoit pas fur les chofes inanimées, que YEgypte travailloit le plus: fes plus nobles travaux, & fon plus bel art, confiftoient aformerles Hommes. La Grèce en étoit fi perfuadée, que fes plus grands Hommes, un HomeVe, un Pythagore, un Platon, Lycurgtje même, &Solon, ce9 deux grands Législateurs, & les autres qu'il n'eft pas befoin de nommer, allèrent apprendre la fageffe en Egypte. Dieu a voulu, que Moïse même fut inftruit dans toute la fagelfe des Egyptiens : C'eft par-la, qu' il a commencé a être puiffant en pPP PPP PP 3 parO- DioJ, Vlot. de [fid. Aa. vu,  ] 1 I 1 Diod. I. : Hertd. III. 1 i i 1 ( i i < 1382 E'TAT PRESENT Daroles, & en ceuvres. La vraie fageffe fe fert de tout; & Dieu ne veut pas, que ceux, qu'il infpire, négligent les moïens hucnains, qui viennent auffi de lui a leur manière. Ces Sagcs d'Egypte avoient étudié le régime, qui fait les ïfprits folides, les corps robuftes, les femmes fécondes, &les ïnfans vigoureux. Par ce moïen, le Peuple croiffoit en nom3re, & en forces. Le pays étoit fain natureilement; mais la Philofophie leur avoit apris, que la nature veut être aidée. II y a un art de former les corps, auffi bien que les efprits. Cet irt, que notre nonchalance nous afait perdre, étoit bien conau des Anciens; ScY Egypte favoit trouvé. Elle emploïoit prénièrement ace beau delfein la frugalité, & les exercices. Dans m grand champ de bataille, qui a été vu par He'rodote, es cranes des Perfes aifés a percer, & ceux des Egyptiens plus lurs que les pierres, auxquelles ils étoient mêlés, montroient la mollelfe des uns, & la robufte conftitution, qu'une nourritu•e frugale, & de vigoureux exercices, donnoient aux autres. La courfe a pié, la courie a cheval, la coürfe dans les chariots, fe Dratiquoient en Egypte, avec une adrelfe admirable; Sc il n'y avoit xiintdans tout PUnivers de meilleurs Hommes de cheval, que les Egyptiens. Quand Diodore nous dit, qu'ils rejettoient la lute, :omme un exercice, qui donnoit une force dangereufe, &peu iurable, il a du 1'entendre de la lute outrée desAthlètes, que a Grèce elle-même, qui la couronnoit dans fes jeux, avoit blanée, comme peu convenable aux Perfonnes libres; mais avec me certaine modération, elle étoit digne des honnêtes gens; k Diodore lui même nous apprend, que le Mercure des E'jptiens en avoit inventé les régies, auffi bien que 1'art de forner les corps. II faut entendre de même ce que dit enco•e cet Auteur touchant laMufique. Celle qu'il fait méprifer aux Egyptiens, comme capable de ramollir les courages, étoit fans loute cette Mufique molle, Sc efféminée , qui n'infpire que les >laifirs, & une fauffe tendreffe. Car pour cette Mufique gé- néreu-  de l'E G Y P T E. Liv. IV. Cu. IX. 1383 néreufe, dont les nobles accords élèvent fefprit, & le cceur, les Egyptiens n'avoient garde de la méprifer, puisque, felon DioooREmême, leur Mercure favoit inventie, & avoit auffi inventé le plus grave des inftrumens de Mufique.' Dans la proceffion folemnelle des Egyptiens, oü fon portoit en cérémonie les Livres de Trismegiste , on voit marcher a- la tête 'le Chantre, tenant en main un Symbole de la Mufique,' ( je ne fai pas ce que c'eft ) & le Livre des Hymnes facrés. Enfin YEgypte n'oublioit rien pour polir fefprit , ennoblir le cceur, & fortifier le corps. Quatre eens mille Soldats, qu'elle entretenoit, étoient-ceux de fes citoïens, qu'elle exercoit avec plus de foin. Les loix delamilice fe confervoient aifément,& comme par elles mêmes, paree que les Pères les apprenoient a leurs Enfans: car la profeffion de la guerre palfoit de Pere en Fils comme les autres; «Sc après les families Sacerdotales, celles qu'on eftimoit les plus illuftres, étoient, comme parmi nous, les families deftinées aux armés. Je ne veux pas dire pourtant, que YEgypte ait été guerrière. On a beau avoir des Troupes réglées, & entretenues; ona beau les exercer a 1'ombre dans les travaux militaires, «Sc parmi les images des combats : il n'y a jamais que la guerre, «Sc les combats effectifs qui falfent les Hommes guerriers. VEgypte aimoit la paix, paree qu'elle aimoit la juftice, «Sc n'avoit des Soldats que'pour fa 'défenfe. Contente de fon pays, oü tout abondoit, elle ne fongeoit point aux conquêtes. Elle s'étendoit d'une autre forte, en envoïant fesColoniespar toute la terre, «Sc avec elles la politeffe, & les loix. Les Villes les plus célebres venoient apprendre en Egypte leurs antiquités, «Sc la fource de leurs plus belles inftitutions. On la confultoit, de tous cötés, fur les régies de la fagelfe. Quand ceux ÜElide eurent établi les jeux Olimpiques, les plus illuftres de la Grèce, ils recherchérent , par une Ambalfade folemnelle 1'approbation des Egyptiens, «Sc apprirent d'eux denouveaux moïens d'encourager les com- Clem.Alex, btrom. ..6. Plat. in Tim. Hend. ii.  1394 E'TAT PRE'SENT Diad.L. i. combattans. VEgypte régnoit par fes Confeils; & cet Empire cTefprit lui parut plus noble, & plus glorieux, que celui qu'on établit par les armes. Encore que les Rois de Tbèbes fuffent fans comparaifon les plus puiffans de tous les Rois d'Egjpte, jamais ils n'ont entrepris fur les Dynafties voifines, qu'ils ont occupé feulement, quand elles eurent étcenvabies par les Arabes; De forte qu'a vrai dire, ils les ont plutöt enlevées aux étrangers, qu'ils n'ont voulu dominer fur les naturels du pays. Mais, quand ils lè font mêlés d'être conquérans, ils ont furpaffé tous les autres. Je ne parle point d'OsiRis, vainqueur des Indes, apparremment c'eft Bacchus,ou quelqu'autre Héros auffi fabuleux. Le Pere de Sesostris (les Docfes veulent, que ce foit Amenopiiis, autrement Memnon ;) ou par inftind, ou par humeur, ou, comme le difent les Egyptiens, par fautorité d'un Oracle, concut de faire de fon Fils un conquérant. II s'y prit a la manière des Egyptiens, c'eft-a-dire, avec de grandes penfées. Tous les Enfans, qui naquirent le même jour que Sesostris , furent amenés ala Cour par ordre du Roi. II les fit élever comme fes Enfans, & avec le même foin que Sesostris, prés du quel ils étoient nourris. II ne pouvoit lui donner de plus fidèles Miniftres, ni de Compagnons plus zélés de fes combats. Quand il futun peu avancé en age,illui fit faire fon apprentiffage, par une guerre contre les Arabes. Ce jeune Prince y aprit a fuporter la faim, & la foif, & foumit cette Nation, jusqu'alors indomtable. Accoutumé aux travaux guerriers , par cette conquête, fon Père lefit tournerversl'O^fc/ del1'Egypte. II attaqua la Lybie; &la plus grande partie de cette vafte région futfubjuguée. En ce tems fon Père mourut, & le laiffa en état de tout entreprendre. II ne concut pas un moindre deffein, que celui de la conquête du Monde: mais, avant que de fortir de fon Roïaume, il pourvut a la fureté du dedans, en gagnant le cceur de tous fes peuples par la libéralité, & par la juftice, &  de i'EGYPT E. Liv. IV, Ch.IX. 1385 & réglant au refte le gouvernement avec une extreme pruden ce. Cependant il faifoit fes préparatifs; il levoit des Troupes; & leur donnoit pour Capitaines les jeunes gens, que fon Père avoit fait nourrir avec lui. II y en avoit dix-fept eens, capables de répandre dans toute 1'Armée le courage, la difcipline. & 1'amour du Prince. Cela fait, il entra dans ï> Ethiopië, qu'il fe rendit tributaire. II continua fes viétoires dans YJfie. Jérufalem fut la prémière a fentir la force de fes armes. Le téméraire Roboam ne put lui réfifter, & Sesostris enleva les richeffes de Salomon. Dieu, par un jufte jugement, les avoit livrées entre fes mains. II pénétra dans les Indes, plus loin qu'HERCüLE, ni que Bachus , & plus loin que ne fit depuis Alexandre , puisqu'il foumit le pays au-dela du Gange. Juge2 par la, fi les pays plus voifins lui réfiftèrent. Les Scythes obéïrent jusqu'au Tanais. UJrménie, ScfaCapadoce, lui furent fujettes. II laiffa une Colonie dans Panden Roïaume de Colchos, oü les mceurs d"Egypte font toujours démeurées depuïs. He'rodote a vu dans YAfiemineure, d'une Mer a l'autre, les monumens de fes viétoires, avec les Superbes Infcriptions de Sesostris, Roi des Rois, & Seigneur des Seigneurs. II n'y avoit pas jusques dans la Thrace, qu'il n'étendit fon Empire, depuis le Gange jusqu'au Danube. La difficulté de vivres Pempêcha d'entrer plus avant dans VEurope. II revint après neuf ans, chargé des dépouillés de tous les Peuples vaincus. II y en eut, qui défendirent couragement leur liberté : d'autres cedèrent fans réfiftance. Sesostris eut foin de marquer, dans fes monumens, la différence de ces Peuples, en figures hiéroglifiques a la manière des Egyptiens. Pour décrire fon Empire, il inventa les cartes de Géographie. Cent Temples fameux, érigés en aétion de graces aux Dieux Tutelaires de toutes les Villes, furent les prémières, auffi bien que les plus belles marqués de fes victoires; & il eut foin de publier, par les Infcriptions, que ces. grands ouvrages avoient été achevés, Q_qq qqq qq fans Herod. Diod,  i386 E'TAT PRESENT Lloi. I. fans fatiguer fes Sujets. II mettoit fa gloire a les ménager, & a. ne faire travailler aux monumens de fes victoires, que les captifs. Salomon lui en avoit donné Pexemple. Ce fage Prince n'avoit emploïé, que les Peuples tributaires, dans les grands ouvrages, qui ont rendu fon règne immortel. Les citoïens étoient attachés a de plus nobles exercices. Ils apprenoient a faire la guerre, & a commander. Sesostris ne pouvoit pas fe régler fur unplus parfait, modèle. II régna trente trois ans, & jouït longtems de fes triomphes, beaucoup plus dignes de gloire, II fa vanité ne lui eut pas fait trainer fon char par les Rois vaincus. II femble, qu'il ait dédaigné de mourir, comme les autres Hommes. Devenu aveugle dans fa vieillelfe, il fe donna la mort a lui même, & lailfa YEgypte riche a jamais. Son Empire pourtant ne palfa pas la quatrième génération; mais il reftoit encore du tems de T i üer e des monumens magnifiques, qui en marquoient f étendue, & la quantité des tributs. VEgypte retourna bientöt a fon humeur pacifique. On a même écrit, que Sesostris a été le prémier a ramollir, après fes conquêtes, les humeurs des Egyptiens, dans la crainte des revoltes. S'il le faut croire, ce ne pouvoit être qu'une précaution, qu'il prenoit pour fes fuccelTeurs. Car, pour lui, lage, & abfolu comme il étoit, on ne voit pas, qu'il pouvoit craindrede fes Peuples,qui 1'adoroient. Au refte, cette penfée eft peu digne d'un li grand Prince, & c'étoit mal pourvoir a la fureté de fes conquêtes, que de laiffer affoiblirle courage de fes Sujets. II eft vrai auffi, que ce grand Empire ne dura guères. II faut périr par quelque endroit. La divifion fe mit en Egypte (bus Amasis 1'aveugle. UEthiopien Sabacon envahit le Roïaume : il en traita auffi bien les peuples, & y fit d'auffi grandes chofes, qu'aucun des Rois naturels. Jamais on ne vit une modération pareille a la lienne, puisqu'après cinquante ans d'un règne heureux, il retourna en Ethiopië, pour obéïr a des aver- tilfe-  de m G Y P T E. Liv. IV. Ch. IX. 1387 tilfemens, qu'il crut divins. Le Roïaume abandonné tomba entre les mains de Sethon, Prêtre de Vülcain, Prince religieux a fa mode, mais peu guerrier, & qui acheva d'énerver la milice, en maltraitant les gens de guerre. Depuis ce tems, f Egypte ne fe foutint plus, que par des milices étrangères. On trouve une efpèce d'Anarchie. On trouve douze Rois clioifis par le Peuple, quipartagèrent entre eux le gouvernement du Roïaume. Ceft eux, qui ont bati ces douze Palais, qui compofoient le Labyrinthe. Quoique f Egypte ne put oublierfes magnificences, elle fut foible, & divifée fous ces douze Prince3. Un d'eux (ce fut Psammetique) fe rendit le maitre, par le fecours des étrangers. L'Egypte fe rétablit, & demeura alfez puiflante, pendant cinq, ou lix règnes. Enfin, cet ancien Roïaume, après avoir duré environ feizecens ans, affoiblipar les Rois de Babylone , & par Cyrus , devint la proie de Cambyse , le plus infenfé de tous les Princes. Ceux qui ont bien connu f humeur de YEgypte, ont recon- Straè nu, qu'elle n'étoit pas belliqueufe. Vous en avez vu les railons. L.17'. Elle avoit vécu en paix environ treize eens ans, quand elle produilit fon prémier guerrier,qui fut Sesostris. Auffi, malgré familicefi foigneufement entretenue, nous voïons fur la fin , que les Troupes étrangères font toute fa force, qui efl: un des plus grands défauts, que puhfe avoir un Etat. Mais les chofes humaines ne font point parfaitcs; & il eft mal-aifé d'avoir enfemble, dans la perfection, les arts de la paix, avec les avantages de la guerre. C'eft une alfez belle durée d'avoir fubfifté feize liècles. Quelques Ethiopiens ont régné a Tbèbes dans cet intervalle, entre autres Sabacon ; &, a ce qu'on croit, Taraca : Mais YEgypte tiroit cette utilité de 1'excellente conftitution de fon Etat, que les Étrangers , qui la conquéroient, entroient dans fes mceurs, plutöt que d'y introduire les leurs: ainfi, changeant de Maitres, elle ne changeoit point de gouvernement. Elle eut peine afouffrir les Per/es, dont elle voulut fouvent fecouê'r^le Qqq qqq qq 2 joug;  Diod. I. DIS i3SS ETAT PRES. de l'EGYPTE. Liv. IV.Ch.IX. joug; Mais elle n'étoit pas affez belliqueufe,pourfe foutenir par fa propre force contre une fi grande puiffance; Et les Grecs, qui la défendoient, occupés. ailleurs, étoient contraints de f abandonner : de forte qu'elle retomboit toujours fous fes prémiers Maitres, mais toujours opiniatrement attachée a fes anciennes coutumes, & incapable de démentir les maximes de fes prémiers Rois. Quoi qu'elle en retint beaucoup de chofes fous les Ptolome'es, le mélange des mceurs Grecques , & Jftatiques, y fut fi grand, qu'on n'y reconnut presque plus 1'ancienne Egypte. II ne faut pas oublier, que les tems des anciens Rois d1Egypte font fort incertains, même dans 1'hiftoire des Egyptiens. On a peine a placer Osymandaas , dont nous voïons de fi magnifiques monumens dans Diodore , &de fi belles marqués de fes combats. II femble, que les Egyptiens n'aient pas connu le Père de Sesostris qu'He'rodote , & Diodore n'ont pas nommé. Sa puiffance eft encore plus marquée par les monumens, qu'il a laiffés dans toute la terre, que par les mémoires de fon pays : & ces raifons nous font voir, qu'il ne faut pa3 croire, comme quelques-uns, que ce que YEgypte publioit de fes antiquités,.ait toujours été aulfi exact, qu'elle s'en vantöit, puisqu'elle même eft fi incertaine des tems les plus éclatans de. fa Monarchie. Le grand Empire des Egyptiens eft comme détaché de tous les autres, & n'a pas, comme on voit, ime longue fuite. Ce qui nous refte a dire eft plus foutenu, .& a des dates plus préeifee.  DISSERTATION CURIEUSE ET UTILE SUR LES CARACTÈRES HIÉROGLIFIQUES DES ANCIENS EGYPTIENS.   Pag. 13PT ÜÊ&lkélStei&SSi «O»*. .v(ÖS». ..'OS5;. .rf«(M,..»a(tfc DISSERTATION curieuse et utile SUR LES caractères hiéroglifiques DES ANCIENS EGYPTIENS. SS^f S°rmme/ai,parIé danS Ie corPs de cet Ouvrage, au 3ot r^^X lui'et des Momies, de certains Carattères Hiéroglï- Wm&Ë$ ^mSravés furdes toiles,couchées, & collées les unes fllr ]es autres , 6c qui forment comme une efpèce de carton,que Ion trouve fur les Momies, je prefume, que Ie Public n'improuvera point un examen féneux, 6c amufant, qu'on a fait fur ces fortes de Lettres énig* matiques , dont les Egyptiens fe fervoient anciennement, pour laüler a la pofténté des marqués de leurs fentimens fur la religion, les mceurs, lescoutumes, & les ufages de leurs pays. Cec examen, que je fie crois pas avoir encore été mis au jour, 6c. qui par cet endroit porte un caraclère de nouveauté, agréable aux Lecteurs, renferme des matières auffi utiles, que curieulès On y verra plufieurs points intéreffans fur f antiquité des écritures, 7 des Langues des prémiers peuples. On y trouvera de Féclairciifement fur f origine des Hiftoires fabuleufes, invcntées par-  •'] I 1 1 't Ce quia donné lieu a cette Differtation. Ces Caractères inconnus a plufieurs Sa'vans. Ils étoient imprimés fur de la toile. l9i E'TAT PRE'SENT ►ar les Grecs, &tirées du fond même de la vérité, qu'ils ont )ris plaifir, a falfifier, pour s'attribuer, par une vaine ofienation, fhonneur de f antiquité, &de 1'invention des plus beaux irts,&des fciences les plus nécelTaires aux Hommes. On ydé:ouvrira au travers de 1'obfcurité, & des ténèbres, qu'ils ont ,^oulu répandre fur la Théologie, la lumière naturelle, qui guidoit es prémiers hommes au culte d'un feul Etre adorable. Ce qui a donné occafion a cet examen, & a ces recherches, j'a été une ceinture de toile trouvée en Egypte, & dont une Momie étoit envelopée. Cette toile étoit de fin lin. Les bords sn étoient ornés de figures hiftoriques , avec une écriture auprès des figures. Les Caraclères de 1'écriture étoient inconnus, même aux gens du pays, & aux Savans, qui ont été confultés a ce fujet. Mr.D'AaviEi;x,qui avoit été fort longtems Conful de France a Alep, très-favant d'ailleurs dans les Langues originales, mortes, ou vivantes, avouoit lïncèrement, qu'il reconnoiffoit dans ces Lettres une antiquité des plus reculées; mais qn'il ne pouvoit en découvrir le fens. L'aveu du R. P. Bonjour de la Compagnie de Jèfus, & dont on a eftimé zRomelefavoir, &lemérite, a été conforme acelui du Chevalier d'ARViEux, & de feuMr. Arsere', Prêtre de Marfeille, qui a laiffé un très-bon Dictionaire Titre, & Arabe, dans lequel on trouve 1'étimologie des mots, leur racine, 1'occafion., &la vérité des proverbes de ces deux Langues. Enfin Mr. Marcel , Commiffaire de la Marine a Ar les, trèsinflruit dans les Langues Orlentales, &en tout ce qu'il y ad'ancien, & de moderne, a reconnu, que ces Caraclères font de la prémière efpèce des écritures Egyptiennes qui eft f écriture Sacrée, ou Sacerdotale, dont les feuls Prêtres, & les Savans anciens, poffedoient la Science, mais qu'il ne les pouvoit comprendre. Cette toile contenoit fixa fept aunes de Paris, en huit pièces , on morceaux; ce qui fait croire que ceux, qui furent pré- fens  wr les CARACTCRE5 HÏEROGLIFTQÜES. Ï39 fens a f ouverture de la Momie, I'avoient coupée par lambeau: Quelques-unes des pièces font entières, «Sc femblent fortir de 1 main de fóuvrier; ce qui vient du baume, qui a confervé 1 Momie , «Sc de la féchereffe du lieu , ou elle avoit été en terrée. La matière a fait croire d'abord, qne e'étoit une ceintnre mais peut-être décidera-f on, que c'eft un véritabl e Livre; fui tout quand on fera reflexion, que très-anciennement on aécri fur de la toile, -avec de 1'ancre de toute couleur. A1 la vérité, la prémière matière, fur laquelle on écrivit,fu' de la pierre, «Sc du plomb, comme onle voit dans le Livre dc Joe, qui eft plus ancien qu'aucuns des Livres profanes; Defa vient que les Grecs difoient graver, pour écrire ; «Sc que ks Latins, pour défigner finftrument, avec lequel on écrivoit, fe fervoient du mot, dont on défigne un burin, qui efl comme une plume de fer. Nous en avons quelques - uns dans nos Cabinets, lesquels fervoient a écrire fur des tablettes, enduites de cire; mais la toile fuccéda immédiatement a ia pierre, s'il en faut croire Lücain, Nondum flumineas Memphis contexere liblos Noverat: & faxis tantum vohcresqne feraque, Scuïptaque fervabant magicas anima/ia iinguas. Pline raportant la différence, quril y avoit entre les monumens publics, «Sc les écritures des particulier?!, dit, que celles-ci fe faifoient fur de la toile, «Sc les autres fur des bandes de plomb; mais, comme cet Auteur, tout grand Homme qu'il eft, a pourtant une certaine reputation qui pourroit faire douter de ce qu'il dit , on me permettra de lui donner pour caution Tite -Live , Voriscus , Philostrate , Martianus, Capelle, «Sc Suidas, qui difent la même chofe que lui.: Sur de fi bons garants, nepouvoit-on pas donner a ce monu- Rrr rrr rr ment i Z. Examtnds ■la matière, % fur laquelle j ils étoient écrits. - 'Citations dé divers Auteurs. - Job. XIX: i 23, 24. - Antiquiïfi. ma monu^ menta me- nioiiaj hu- mvix iiu. : preffa fa- xis cer; nuntur. Taeit. Anaal. y^tfltiy, grapbium. La pierre tt été la prémière mittière.Lucan. Liv. III. enfuite le plomb. Pline Liv. XIII. Cbap. 11. Di/férenee entre les écrits particuliers , £F ceux du public. Tit.Lir, Liv. 1. Dec.i.Philoürntevie d'ApoJ. juidas ioce TiiitXut  ffiirigWpbes répréjentês Jut la toile. Signification de ces fcures. Jm DISSERTATION ment le nom de Livre ? Auffi efl-il fait pour être roulé fur ua baton, comme étoient les Livres anciens. Mr. le Maire , homme curieux, . i^f Devant le bateau , il y a un batiment quarré, fur lequel on voit une figure affife, qui paroit mettre le doigt a ia bouche. Cétoit la figure d'FlARPOCRATE, qu'on mettoit a l'entrée de tous les Temples, pour marquer que la Divinité vouloit être honorée, par le refpe&j & par le filence; & que toutes les paroles du monde ne font pas fuffifantes, pour expliquer ce que c'eft que le Souverain Etre, & pour f honorer dignement. Devant le Navire fe voit 1'arrivée d'un autre batiment de rivière, tels que font ceux, dont on fe fert encore aujourd'hui fur le Nil, ou. ilya auffi ungouvernail fans pilote. La toile a étécoupée en cet endroit; & je ne fais aucun doute, qu'Isis ne foit dans celui-ci, comme Osiris eft dans le fecond; puisque, felon Plutarque, les Egyptiens, regardant l'eau du Nil comme leur grande reffource, & les Grecs le travail de leurs terres, les ims, & les autres donnoient a leurs Divinités un Tröne conforme a leurs befoins. Au refte 1'acoutrement, qu'on voit a Osiris, n'eft pas 11 ridicule en effet, qu'il paroit. Le bonnet, avec des bandelettes, qu'il a fur la tête, étoit 1'ornement de tête des Rois d'Egypte. L'afpic, ou le ferpent, qui eft fur le devant de ce bonnet, eft la marqué de la protection de Dieu, fur la perfonne des Rois. Les Egyptiens, donnant a leurs Dieux les ornemens des Rois, vouloient infpirer aux peuples le refpect, que l'on doit au Souverain invifible, par celui qu'on rend aux Rois de la terre. C'eft fur ce petit eflai que je me fonde, lorsque je dis, que ce pourroit être ici quelque point de la Théologie des Egyptiens , fi ce n'eft pas leur Théologie entière. D'autres s'aquiteront mieux que moi de 1'explication des figures , qui font la. bordure de cette toile; Et je ne doute pas. que la communication, que l'on en a donnée au Public, n'attire des découvertes, dont on aura lieu d'être fatisfait. Elle indique aux Savans les vuides, qu'il feroit apropos de remplir dans • Rrr rrr rr a les Plutarquf in Ifid. Oiir, Diod, Bacon dt tugmentis fcientiarum.  Men ra ifliaca pignoris. Kircher. Eufebe. Clement Alex. Dikinch- ton. Huet. Le P. Bon jour. St. Paul Ep. adRo I ï3pct D ISSERTATION les fciences, pour engager les Gens de Lettres a y tra> vailler. Cette découverte n'eft pas bornée a 1'explication des figures hiftoriques, qui forment la bordure de la toile. On a donné au Public de pareils monumens;. Je ne décide point, fi on a été Iieureux en les expliquant. Ona aulfi donné quelques effais fur f accord de la Théologie payenne, avec 1'Hiftoire-Sain te; mais, comme il n'a encore rienparu, qui aproche de f écriture, qu'on voit au pié de ces figures, il feroit bien nécelfaire que les Sar vans voululTent s'y apliquer. • Par ce moïen peut-être , parviendroit-on non feulement a Iaconnoiffance d'une Langue, qu'on n'a pas encore connue; mais on éclairciroit bien de doutes fur la Mithologie payenne; Et l'on pourroit déveloper beaucoup de vérités Phifiques, Hiftoriques, &Morales, dont les Prêtres ft Egypte étoient dépofitaires, & qu'ils n'ont découvertes a perfonne. Peut-être y verroit on auffi la vérification de ce que dit St. Paul fur leur fujet; "qu'ils ont connu le véritable Dieu; mais „ qu'ils ont fifort défiguré cette vérité, qu'ils font avilie, pour. „ favoir couverte aux yeux du vulgaire, fous un voile indigne „. de laDivinité. Pour commencer d'entrer dans la recherche de la Langue qifon. voit fur ce monument, comme c'eft ici un ouvrage trés-ancien-, il' fëut fbuiller de nécelfitó dans 1'origine des Langues. Je prie le Pubüc de me pardonner, fi je prens la chofe d'un peu loin, fi je m'étens un peu trop, & fi je m'écarte quelque fois.. II y a des chofes communes, qu'on ne fauroit omettre, par la. néceflité, oü l'on eft, d'établir fétat de la queftion fur fes fondemens naturels. II n'eft pas d'ailleurs a propos de donner aux Savans 1'ennui d'écrire ce qu'il y a de commun. II faut que je me charge de ce foin, Sc que je laiffe aux habiles gens celui d'aprendre au Public ce que le commun ne fait pas. C'eft pour- qugi  sm les caracte'res hieroglifiqjjes. ïjj ^drot DifC0UrS *** PeUt"être ^ !»S 9» je , quelque détail. touclier, & qui demander Ce feroit prendre les chofes de bien haut,. que d'aller ex- ÏL h ft"* ? t£mS3 güi Ie fmvirent im^diate ment jusqu a la confufion des Wues Cenpndm* n> eut jasqualors qtfune forte dlhn^lZ T^ J™ ' me ÏEcriture le dit formellement, avoTa " T que toi ies langa ef des 03*5 ï^f niette confufion , „étoient que des diaS^ Tp^ DailIei,rS cette langue primordiale étoit la langue 1 ^ par ie Is tt t i Terra erac l labiiunius. Gen. - La langue primordiale ' tt'a été entière- menP eteiru te. Num. XIV. -21.. a été cette lan- gueprimor- diale. Quelle a tri l'écriture, des Livres cités par Moïfe. - Quelle éeti'.ure étoit' 'h ufage du ems inft.i nomini- ■ bus. Nam' que Pale- Kina voca, batur, quü 1 contingit Arabas, & Judea, 1 & Ctcle , Dein Phe' nicin,&c. Ac mngis etiamnurrt ! tnediriana Babüonia ' &C. & ultra Armen iam Adkbene Affiriaantedicla.Plin. V. 12. Dioi V. Hcrod. Liv. V. cb. 58. Idem Ito; II. Caraclères Phéniciens, Chananéens,Tyriens Syriens, &c. font ies mêmes..  F.ufebe Preb.Ev. Liv.X. eb. 5- i.tican. Liv.///. HeficR. Plutaiijue. D'oit lescara&jhetfont vernis en Grèce. Dia. Cretcn. de Belle Troj, Plat.in Crfitil. 1.es anciens Hébreux fefontfer- visdes ca- raBères Phénl- niciens. Ï400 DISSERTATION les Chananéens, Sc les Phéniciens, a ce que difent Eupolemé dans fonHiftoire des Rois des Judée, Ctesus fac&Athénèe* Thanices primi, fama fi credimus, auji Aianjuram rudibus vocem Jbrmare figuris* Ceft pour marquer cette origine que He'sichtus ie fert du mot Phenkier pour celui d'écrire, & Plutarque dit, que ['art des Lettres, lequel eft: un fouverain remède contre Poujli, nous a été aporté de Phénkie par la mer. C'eft de la Palejline, dit f Auteur des Thebafques, que la fcience eft vemie en Grèce. Cadmüs, qui étoit Phénicien, 1'y aporta, après favoir puifée dans la Palejline. Djctts Cretensisraporte, que dans 1'Alfemblée de ia Grèce, quand on vint a délibérer lequel des Princes Grecs commanderoit au fiège de Trok, qu'on venoit de conclure, on donna les fuffrages a Agamemnon en Lettres Phéniciennes; comme :étoit la langue originale, on lui faifoit 1'fionneur de s*en fervir dans les Actes publics, ainfi qu'il eft arrivé de la langue Grecque , dont on s'eft fervi longtems en Allemagne, & de la langue Latine en France. Platon dit, que les Dieux impofèrent les noms a toutes chofes, & que les Grecs ont apris ces noms des Barbares. C'eft le titre que lesGra\fdonnoient a ceux quin'étoient pas de leur nation. Les Barbares, dans cet endroit, font les Hébreux. Aufli par la racine Hébraïque vient-on a la connohTance de ce qu étoient la pl«part des Dieux de f antiquité. Sur tout cela, «Sc fur d'autres raifons, qu'il feroit trop long d'entaffer ici, il eft naturel, ce me femble, de conclure, que le caractère Pbènkien eft le plus ancien de tous les' caraclères ; «Sc que c'eft celui, dont les anciens Hébreux fe font fervis, L'é,  «t» lés CARACTERES HIE'ROGLIFIQUES. 140 L'écriturePbénicienne.eft,aipeu de différence prés, celle qu hous appellons aujourd'hui Samaritaine, ou 1'ancienne Hébra'i que. Témoin le Baljamen, ou Balfamim, qu'E u s e'b e dit 'fi gnifier le Maitre du Ciel en langage des Phéniciens, ce qui el ■pur Hebreu. Si quelque langue pouvoit le difputer au Phénicien, ce feroi le Chaldéen, a caufe du féjour que fit Abraham dans la Mèfo potamie, avant que de venir dans la terre deCanaan; mais, outre que celle - ci eft a-peu-près la même que la Phènicienne, 01 VHékraïque, ce qui décide en faveur de celle - ci eft, que le: termes Hébreux expriment la nature des cholès qu'ils fignifient •ce qui n'eft pas de même a fégard des termes Chaldéens, ex.cepté a fégard de ceux qui font communs aux deiTx' langues. II y a des Auteurs., qui veulent attribuer 1'invention des caraclères aux Egyptiens; mais cela fe doit entendre de f art de .diftinguer les voïelles d'avec les confones, & d'établir des régies de laGrammaire.; c'eft ce que Platon attribue a JaouTj ou Tiioyt, .des Egyptiens, & d'autres a Moïse. . II eft, au refte, fort aifé de fe perfuader, que Panden Phénicien n'eft guères différent de ce que nous appellons Samaritain. Les alphabets, qui en reftent, nous en donnent une preuve fenfible, & fans replique, On pro uve aifément par les monnoies Hébraïques, que nous avons dans nos Cabinets, & par le Pentateuque dts Samarit'ains, que Pécriture Samaritaine étoit de Pufage commun parmi les Hébreux, dés les prémiers tems. Elle f étoit du moins, lorsque le Roïaume di Israël le fépara de celui de Juda; & on ne voit aucune marqué , qu'on aitchangé d'écriture parmi les Hébreux avant le tems d'Esmus. Ce Roïaume d''Israël fubfifte encore aujourd'hui, & nous confervé depuis plus de deux mille fix eens ans le Pentateuque, écrit avec les .caraclères, .qui étoient d'ufage avant le •Schisme. -Sss sss ss Com- I 3 Pettttdiffêi . rence entre le Samari- tain,ancien ! Hebreu,^ c le Phénicien. . Langues Phènicienne, DU , Hébraï■ que, mimet I ebtfc. Lesancieii' nes monnoies 'H6braïquesprouvent notre fyftè~ me.  Ïif02> dissertation: i I 1 1 3 i i ïl'efi apputi ■par les memesmédailla* < 'Quand tes medailles , ent été frapées. j 1 L'IIebreu tffkllé itnproprementiübreu, Caufe des changement d^scaraSêrts. Comme c étoit aparemment lè feul Livre, qui fut Canonïque*,' Hi du moins, qui eut une autenticité inconteftablelors de cete divilion, c'eft auffi le feul que ks Samaritains reconnulfent )our écriture Divine. En cela la Providence a bien éclaté, puisju'elle a voulu que fa parole fut confervéepar deux peuples, enïemis 1'un de f autre, qui font les Samaritains, & les Juifs. Üle a öté,par ce moïen,aux plus incrédules le foupcon, qu'on >ourroit avoir, que les dépofitaircs de f Écriture Sainte fefuflênt mis pour faltérer. Cette même Providence a voulu, que nous. üons trouvé les preuves de notre Religion dan? ks mains de nos Snnemis mêmes, & de nos Ennemis divifés entre eux. Les médailles Hébraüfues nous fourniflent encore une preuire bien claire, que les caraclères Samaritains étoient alors d'u(age chez les Hébreux. Les Savans en médailles difent, qu'ils n'y ide médailles ftbriquées véritables j que celles qui font écrites en :araclères Samaritains. On lit d'un cóté Jérufalem Kcdqffa, Sainte Jérufalem, & de l'autre coté Sikel Israëlficlc du peuple cV Israël. II eft vifible, que ces médailles n'ont pas été frapées par les Eribus, qui ont forméle Roïaume de Juddi puisque la lagende èroit ficle de Judd, & non pas iicle ftlfraët, a moins qu'ils feulfent voulu exprimer leur origine parJ.-vcOB; & en ceeas, Is les auroient frapées avant la captivité de Babyhne, puisqü'après la captivité on ne fefervoit plusdes caraclères Samaritains dans la République Juïve. OnlaüTa, difent les Rabins, lé$ anciens caraclères aux Samaritains; Et Esdras établit 1'ufage des caraclères Ajjyriens, que nous appellons aujourd'hui improprement Yfflbreu. Comme la langue fainte celfa d'être entendue, & les caraclères de cette langue d'être connus, a caufe du long féjour que es Juifs firent a Babylone ,. & que le peuple Juïf fe trouva plus accoutumé aux caraclères du lieu, oü il avoit été captif, les Samaritains d'ailleurs aïant été excommuniés par 1'Eglife Juïve, on retint la langue a la vérité; mais on changea les caraclères; & on-ne voulut avoir rien de commun aTéxt'érieur avec les excommuniés,comme dit Eusevbe. Ces  •sto les CARACTE'RES IIIEROGLlFIQUEs. lm Ces médailles -d'ailleurs ne peuvent avoir été frapées nar le Roianme A'Israti, ou par les Samaritaim^ le &W™, ' :parce q„e >^ y eft appellée Ia SamX%TZZ Jalem pour leur Métropole. JJS avoient une horreur extrè™ pour Ia dermère. St étendoient cette «veriionTK^ qn. frequento,ent cette Vilfe; & ce fut la caufe qu'un eertX fcir, ft ne dönnèrent point retraite che* eux a J es u s-C h eTsT P?rce qu',1 paro,ffoit aller a Jérujakm, comme * doulondo.t, ce me femble , conclure bien vraifemblaHe' ment, que cesmédailles ont été frapées, ou par Wuple $t rad, avant Ie Schisrae des dh Tribus, c4Xdi Tu COm «encement du Règne de Roboah , Fft de Salomo* fo« Ste de cT^T' &ifant '3U'Un COrPs' nVoS q'u'u?' forte de carafleres, & reeonnoiffoient la même Ville pour le fcgedelaRebgKm; outoutauplus dansletems, quisSua depms Roboam jusqu'a S e'd e'c i A s. * Cependant ce Syftême pourroit föuffrir de grandes difficnl té , par la découvette que Ie favant Mr. Beenzo a faitf ce fent quelques médadles frapées du tems des Macabétl comme J on d,t, dont Ia légende eft en caraétères Samar a ns de quelque mamère que les Savans décident fur k Zt*Z' re Inlage de ces caraétères dans Ia République iSoi, !Ours vnu quel, légende de ces médailles eft en anden^W qu. eft le Omarlul, ^aujourd'hui ; & que ,es caraleresZl ^T^m^lmiBéi^ U font les an feósTa raéleres Jfinms n'ont été établis chez les Juifs, qiPaprèS ^,/La..I,0i,/ daDS Ie commencement, a étè donnée au Pointe 'gue de$w. Les ftfeftfep ont donc choifi les caraclères^- Sss sss ss 2 rjens9  m. D I S S E R T A- T I O N rhis, & la langue Sainte, Sé ont lailfé auxldiots le caraclère Hcb^raue, la langue Chaldéenne: LWefe on demande, qui font ces Idiots \ Le Rabin Qiaröe répond ce font les Cuthéens Samaritains. On demande encore-, quentend-on- par écriture Hcbraïque? Ce Rabin Quj* «Erépond, c'eft le caraclère Lcbonun Samaritam ; Ces paroies font tirées du ZMMl de Babylone, Traité du Senfred. fect. M' Encore que la loi tfsrif pas été donnée par Esdras, dit le Rabin Japiie, le caraclère, dont elle eiiécnte.a été changépourtant par lui meme, & c'eft le caraclère Jffitm ^Le caraclère des Livres facrés- eft Jfffnen, & ft langue eft Hébraïque. Pourquoi eft-ce,demande-.fon, qu'on appelle ce caradèreW^? Paree qu'il eft beau, répond teRabmLvn, Qu'il eft venu dV7fynV> Joseph Arno rmp* des fondemens'de la loi: Certum eft Esdfam fcribam, legisque dodorem, Poft captam Hierofoliman , & hiflaurationem Temph, /^Zorobabele, tó^/^r^#i^^f^«^^ M*t* /««pw *** Samaritanorum ,^ Hebrzorum caralleres fuerint^m Htteris Pentateuehus Samatitanus ^ Hebreus , qui $g«™ ta^m >f* f 'abu? differunt ; sf Hieron. itfri Reg. Fnefat. Eusebe & P'tesEJuif, dit Joseph Albo, ont deux monumens éternels de la captivité del?*»*, 1'un dans ks noms, dont iWefervent pour exprimer les mois- Ces termes font Chaldaiques, aulieuque les anciens Hébreux ne diftinguoient les mois, que par prémier, fecond , troifième te- L'autre monument eft dansles caradères d'ufage pour leurs écritures; Canls ont pris les caraclères JJJyriens & ont laüféles caraclères Hébreux aux Sa, viaritains. .. ,. r* • _ Te conclus de tout cela bien vraifemblablement, li je ne me tromPe,quele caraélère Samaritain, on Phénicien, & le plus«ancien de tous ks caraclères connus. S- eit -  sur les CARACTERES HIEROGLIFIQUES. i^oy C'eft a pén prés 1'ancien Phénkkn , puisque les Hébreux parloient la'langue Fb'énïciennêcomme dit Cerillus dans Joseph Liv. Ii contre Apion , & que les eolonies Funiques fe difoient Cbdnanéennes, felon Saint Augustin. Ces caraclères furent portés en Grèce, oü l'on prit foin' de les déguifer, fuivant la manière ordinaire des Grecs. Les Grecs n'ont guères manqué, ditTACiTE, d'habiller a leur mode les connoiifances, qu'ils recevoient d'ailleurs, pour ■s*attribuer 1'honneur d'avoir inventé ce que d'autres leur aVoient aprisv La vanité de cette Nation en cê point conté cher aüx belles Lettres-; car ils ont fi bien obfcurci 1'origine des chofes, que , graces a leurs menfonges, & a leurs déguifèmens, on ne reconitoitröit plus la vérité primordiale de la Religion, & de 1'hiftoire, fi on ne recouroit a la fource pure des divines-écritures. Un Prêtre Egyptkn, de la Province daSaid, difoit aSoi.on la-deffus, que les Grecs avoient beau faire, qu'ils-ne cacheroient jamais alfez 1'origine du monde, pour pouvoir paffer pour anciens, en la débitanta leur mode: voulant dire, qu'ils avoient beau vouloir paroitre Auteurs, qu'ils ne feroient jamais-, que des copiftes, &des écoliers; «SclesEcrivains même de leur Nation' ont reconnu ce fruit de leur vanité. II e'r o d o t e , Diodore de Skh'è; & Eusebe-, ont rempli leurs Livres de ces fortes de reproches.' Cadmus, lequel, felon plufieurs Auteurs, étoit un dè ce: Phéniciens, qui furent chaffé-s de leur pays par Josue', lors qu'i conquit la terre de Chanaan, porta les fciences en Grèce. Les Grecs, par tin principe de vanité, s'apliquèrent tout ce qu'ils favöient des belles aciions des Hibrcux, &>fö formèrent desDivinités,cVdes Héros,furie medèle des grands Hommes, qu étoient célébrés dans les hifloires du Peuple & Israël. L'Auteur des Macabies dit cela bien clairement. Les Gen tüsj;dit il> pre-noient, dans les Livres de la foi, des modè Sss-sss ss %j le in Exfojit. ad Rum, Vanité des Gtccjour. :c dc leurs (Mes, & di 'eur ma-.ijaifc fui. ranquani repptrerint qua; acceptant.Tac.L.Xl Combien ils ont fait de tert r.ux Mes Latte s. Pröclus in 'i'imeo. Plat. ibid. Hcrod li Evtorp.- ■ Diod, Eufèbe Preet,. E,' vang. L \', 10. ci.5.,7.. • 8M0. Cicm.AIcx. liv.}* Jofcph Lib. I. Appion. Quel étoit CaSiniis Sim- Mac. • 3-48. P  j±c6 DISSERTAT I O N Cftmi A liv.Stivu I. Diegene Laört. ini prolog. Eufébe liv. I. prxi E'var.g. F.p'ft.ad Rom L.2; Jour répai tluj'ur ui patjage de St."faul. Pourquoi les Latins Jont enccrt moins intel ligikles, qu les Giècs. dans la Théologie. Cara&èrcs Totcans Phent- cicns. les de la Divinité, pour en former leurs idoles ; ainfi, je n'a! pas été furpris , lorsque j'ai lu dans Clement Alexanörin., • que la plupart des Divinités Grecques font poftérieures au fiècle ' de Moïse. Les Grecs, ditPniLON de Biblis, ontapris des Phéniciens la :. véritable Théologie; mais ils Tont fi fortdéfigurée, paria vanité de leurs menfonges, qu'on nefauroit plusdémêle-r la vérité, qifils avoient en veue. La vanité feule n'a pas eu toute la part en cette conduite des ■Grecs. La jaloufie, qu'ils ont eu de 1'honneur des autres Nations, les a fait recourir a ces .déguifèmens, lesquels ont établi la Religion des Divinités fabuleufes. Savans dansles vérirités, qu'ils avoient aprifes des Egyptiens, ils ont voulu .retenir toutes les connoilfances en eux-mêmes, fans les .comuniquer.; .& c'eft d'oü vient, dit 1'Apótre, qu'ils ne font pas excufables,, 1 paree qu'aïant connu la verité , ils ne font pas .fait honorer, comme ils auroient pu, s'ils 1'avoient.publiée telle, qu'ils la connoilfoient, & ils font défigurée, .ócavilie par le masqué ridicule , fous lequel ils font cachée. Les Latins n'ont auffi puifé leur favoir, que chez 'les Grecs, , fans aller plus loin. De forte que, batiffant leurs fables fur un corps, qui étoit déja fabuleux, ócdéguifé, ils font encore moins intelligibles que les Grecs, qui avoient bati fur le vrai. La vérité, bien loin de s'éclaircir a été rendue plus méconnoiffable. Ainfi, pour pénétrer jusqu'a la fource des verités,il faut recourir aux langues originales, & prendre fouvent beaucoup de peine fans fruit. Je m'imagine cependant, que les Latins feroient allés beaucoup plus loin, s'ils s'étoient attachés aux Lettres Tojcanes, qui étoient plus Phtniciennes, comme ils faifoient originairement, au raport de Tite-Live ; mais ils coururent a la nouveauté Grecque, & a fembelliifement que les Grecs donnoient k leurs menfonges. Peut-être auffi que peu-a-peu les étabüffe- mensy  Sür les CARACTERES HIEROGLIFIQUES. 14c mqns, que les Romains firent en Tofcane, & Ia défertion des ai eiens Habitans du pays, ont été ies caufes de la perte de la langt ancienne. Par ce moïen les fciences, qui étoient en dépot che les originaires du pays, & que les Romafyszlloknt apprendre fe perdirent auffi dans la déroute des affaires de TEtruriè mais revenons aux Grecs. Les Grecs, dit Platon, qui ont pafTé quelque tems che des Nations étrangères, ont pris d'elles beaucoup de termei Ceux, qui voient ces termes dans les Auteurs Grecs, fe donne roient une peine inutile, s'ils vouloient en favoir f origine pa les xzcmzs Grecques; & leur travail ne feroit d'aucune ütilité II faut aller a la véritable origine, pour pouvoir découvrir la na ture des chofes, que fon exprime par ces mots. De quelques menfonges, ditEusE'uE, que les Grecs aieni obfcurci la vérité, ils n'en ont pas fi bien effacé les vefliges, qu'01 ne puiffe Ia connoitre, fi on examine f origine des termes, dom ils fe font fer vis. Voila fHomme leplus fage de fantiquité, &un des plus favans Prélats du quatrième fiècle de f Eglife, qui montrent 1< chemin, qu'on doit prendre, pour démêler la-vérité de la confufion, on la vanité des Grecs fa enfévélie. Ceft le parti, qu'on a pris, dans ce fiècle, &que prennent tous les jours les Savans, pour déveloperce qu'on a obfcurci. Us ont déja fait de grands progrès, enfuivant la voie que Platon, & Euse'be, leur ont ouverte; & on a trouvé par ce moïen, que la plupart des Divinités anciennes ne font presque que nos Patriarches depuis le Déluge. Cette découverte eft très-avantageufe a notre Religion, puisque ceux que nous regardons comme les anciens Serviteurs du Dieu , que nous adorons, font les Dieux des anciens Savans. J'aurois bien voulu ne nfêtre pas laiffé entrainer fi loin, par ce point de critique, quoi quil paroiffe naturel dans cet endroit. II m'a pourtant écarté de-mon fujet, qui eft 1'origine des • Habeo aue tores vul- go, tune ^ Romanos pueros ' Gi£ecif,ita .* Etrufcis litteris e'rudiri. 1 Tit. Liv. ' Tlaton in '. Cratil. ■ Eufeb. " prcep. E. vang. liv. 11. ch. 6. • Eufèbe ' pratp.El vang. . Jofcph. • juftin. Mart. 'B och art.' Dickin- fon. Huet." Masham. ■ LeP.Tho- maffi. Le P.Bon. jour.  d V r .li s r t % t i r c i i Eupliot- 1 miori in Dyèym. Siiidas. Vulgo vo- cai i vcrfus «luia fic fcribebant antiqui , (kilt ataturterra, . 'fliluma fir.iftris ad dextranr, deinde a dextra ad liniftram convertendo, &hoc hodie metiici v«rfus vocant. Jfidor.Oilg. Naucles frinesl. 54™ paufan. Lib. s- 40 DISSERTAT IO N es Caraclères; mais je prie-leLecleur de me permetttre, quë : ne quitte pas encore les Grecs, fans faire voir a foeil la maniéi, dont ils déguifent les lettres Fhénicieimes, paroü fon verra i conduite, qu'ils ont tenue pour pallier la vérité, & pour 'attribuerforigine des chofes. II faut pour cela, que je mette ici le parallèle, dont fai déja arlé entte les Caraclères Phéniciens, les Caraclères Samariains, & les Caraclères Grècs anciens. je ne ferois pas un crime aux Grecs du déguifement des Caaclères Phéniciens, paree qtfécrivant de la gauche a la droie, il leur a fallu tourner, & rebrouffer les Caraclères, qui dans original Phénicien alloient de la droite a la gauche. Je.n'en.feois pas, dis-je, un crime aux Grecs, ü tout le déguifement ne onfiftoit ^u'en cela; mais ils ont rendu cette pratique fi généale, qu'on ne peut s'empêcher de convenir , que cette Nation , toujours travaillé, fans fe démentir, a s'acquérir une reputaion de mauvaife foi; & fexpérience nous fait voir, qu'elle ya ilfez bien réüfïï. lis font allés, par dégré, a ces déguifemens. Les plus an:icns Grecs fuivirent f ordre naturel, & ancien d'écrire, qui efl de la droite a la gauche; enfuite ils écrivirent la prémière ligne de .cette prémière manière , la feconde de la gauche a la droite, & ainfi alternativement; imitant en cela, difoient ils, f ordre dont on fe fert cn labourant la terre ; & c'eft d'oü vient qu'on appelle cette manière d'écrie (èöy auffi cette manière d'écrire, qui a donné le mot latin verfus, aux vers, felon 1'expreffion Latine , comme le dit Saint ISIDORE. II ya un Auteur ancien, qui dit, qu'il y avoit un tems, ou les Juifs ont écrit de cette facon. Les loix de Solon étoient écrites de même, auffi bien que plufieurs infcriptions très-anciennes: & Pausanias remarque, que le nom d'AcAMEMNOX étoit gravé fur les ftatues, écrit de h droite a Ja gauche, ce que  sur les CARACTEVRES HIEROGLLFIQUES. ïfo qui fe faifoit aux mêmes fins, que ce que j'ai raporté plus hai de Dictis Cretensis , a foccafion du même Prince. Enfuite on changea cet ordre, & peu-a-peu les caraclères. Mais c'eft alfez parlé des Grecs, qui n'entrent ici pour rie: II faut que je reprenne en deux mots, pour établir fétat de quefiion. II femble, que le caraclère Samaritain, ou Phénicien, eft le pli ancien de tous les genres d'écrire , puisqu'il paroit être prémier caraclère établi dans le monde : Que c'eft celui, q étoit d'ufage chez les prémiers Hébreux: Et que les plus ai ciens caraclères Grecs ne font anciens, que paree qu'ils leur re femblent ; & puisque les Grecs mêmes, tout entêtés qu'i font, d'avoir chez eux 1'origine des chofes, appellent caraób res Cadméens , ou Phéniciens, ceux dont ils veulent défign< 1'antiquité. Voici néanmoins dans ce monument Egyptien de très-ancier. caraclères, lesquels n'ont pourtant aucune relfemblance aveck caraclères Phéniéiens, Samaritains, om Hébreux, moins encc re avec ceux des langues plus récentes; & c'eft cependant un écriture Egyptienne, fur laquelle on peut faire une reflexion ei pafïant, qui eft, que les Auteurs, qui ont dit, que l'on n'écri voit pas en Egypte de la gauche k la droite, s'ils n'ont pas voi lu parler de la langue Copte, fe font trompés, puisque cette écr ture eft certainement Egyptienne; & l'on voit bien cependant, qu'elle va de-la gauche a la droite. Je ne trouve dans les anciens, & dans les nouveaux Au teurs, que quatre fortes d'écriture d'ufage en Egypte; La Sa cerdotak, la Hyerogliphique, VEpijlolaire, & le Copte. L'Ecri ture Scicerdotale, dit Clement Alexandrin, eft celle dont fi fervoient les Ecrivains facrés, ou ceux qui écrivoient en matiè re de Religion. L'Ecriture Hyerogliphique eft une efpèce de ca reclère facré , dont on fe fert pour laifler des monumens a 1; poftérité. Ttt ttt tt Cet 9 lt > 1.' la is le LÜ 1f- Is ir s Les carac* _ tères,quient donné tccai_ fi on i cette Differtae tion, n'ont . riendecom- mun, ni au,* . cime ref- Jemhlance - avec les ca: raüères 1 Phéni, ciens, Samaritains , ou Hé. breux, & encore moins - avec aucune langue ' récente. ' Clem. AI. " Liv. K _ Quatre fortes cl'Ecri- l ture en Egypte. :e  DISSÈRTATION ( i « Sculptaqui Jervabant mogicas animalia linguas. Luc. 3. 1 ] "] Ammian. Marcel. Liv. XVU. cb. 7. .1 Significa- ; tion de quantité de 1 figures. ; < Cette forte de caraclères eft de deux efpèces; les uns,'qui font ompofés des prémiers élémens font appellés Curiologiques; c'eft,-dire parlans erfeclivement; les autres font Symboliques, c'eft-dire fignificatifs, par des repréfentations. Dans ces Symboles, les uns défignent les chofes par des elfemblances naturelles, les autres lesdéfignentpar des allégoies, & par des figures. Ontransforme les chofes, dit cet Aueur; mais c'eft avec fondement: c'eft, dit-il, de cette forte 1'écriture, dont fe fervoient ceux qui adrelfoient aux Rois des Dis:ours Théologiques, qu'ils compofoient en leur honneur. Les autres Caraclères font énigmatiques ; ainfi 1'Efcarbot :toit chez eux le Hyeroglipbe du Soleil; le Serpent f étoit des iftres, a caufe de leurs cours obliques; & ce qu'il y a de vrai, ;'eft que tous ceux qui ont traité des chofes Divines, foit Grees, [dit Barbares, pourfuit Clement Alexandrin, ont toujours caché la vérité fous des expreffions Énigmatiques, Symboliques, Allégoriques, Metaphoriques, «Si figurées; tels que font les Oracles chez les Grecs. C'eft dans cette forte de caraclères, que es animaux ont un language magique, fuivant 1'expreffion de ^ucain. Comme les prémiers Hommes voulurent fè communiquer aux ibfens, & a leurs Succeffeurs, il fallut convenir de certaines Sgures, lesquelles exprimaffent les chofes mêmes, & non pas es paroles. Anciennement, dit Ammian Marcelin , on n'avoit pas, comme on a préfentement, un certain nombre de caraclères fixé, & réglé, pour exprimer tout ce qu'on peut concevoir. II ^ftvrai, ajoute cet Auteur, que les Egyptiens avoient auffi cet irt parmi eux; mais ils fe fervoient communément de figures, lont chacune exprimoit une chofe. Tout étoit plein de ces figures Hyérogliphiqoes. Les Obéisques en étoient couverts, les murailles remplies, les Temples )rnés. Ces fortes de Caraclères étoient conjrjus, Et nous fa- vons,  «w ils CARACTORBS HIEROGLIFIQUES. Ttf vons, a-peu-près, Ia fignification de tous, excepté que noi ifavons pas Tart d'en faire des difcours fuivis, quoique cela f foit pas impolfible. H er o d o te 5 Diodore de Sïcile, Sc C l e'm e n t Alexaj drin, raportent, qu'a Diofpolis, a l'entrée d'un Temple dédi a Apollon, on voïoit aplate peinture, fur la muraille, unEn fant, un Vieillard , un Epervier , un Poilfon , un Crocodille, Sc d'autres difent un Hippopotame ; Et cette même peinture étoit a Sai's au veftibule du Temple de Minerve, au raport de Plutarque. L'Enfant défignoit la Vie, le Vieillard la Mort, 1'Eperviei étoit YHyerogliphe óeDieu, le Poilfon de la Haine, & Ie Crocodille de Ylmpudence. Ces figures ainfi rangées équivaloient. felon ces Auteurs, a une Infcription, qui portoit, Fous qm naijjez, & qui mourez , jeunes, & vieux , fachez, que Dieu a horreur de la haine, ?J> de Tim.pudence; voulant dire par-la, „ qu'il faut approcher des Temples, avec Ie refpeél dü a la „ préfence de Dieu, Sc famour du Prochain. Comme il sagilfoitde faire comprendre la Religion atout le monde, &que tout le monde n'avoit pas 1'ufage des Caraclères, on fe fervoit de ces fortes de figures, qui parloient aux yeux' des Savans, Sc des Ignorans. Peut-être que c'eft de-la que la Poèfie a pris la manière de s'exprimer, par des allégories, & par des figures; & peut-être eft-cc auffi de-la que le Paganisme a pris naiffance. L'écriture epiftolaire étoit une forte de caraclères connus de tout te monde, qui fervoit pour le commerce, & pour 1'ufage public; Sc c'eft de cette forte de caraclères, que parle Ammian Marcelin. Ceft une queftion de favoir de quelle forme étoit ce caraclère, Ce qu'il y ad'affuré, c'eft quil étoit commun, Sc connu de ï tout le monde, & qu'on fécrivoit de la droite a Ia gauche.' Je crois, quec'étoit 1$Phénicien, ou quelque caraclère qui en ap- Ttt ttt tt 5 pro- I is e Herod, in Eut. Diod. Sic. Clem. AI. liv.F, Plut.d^ & OJir. Origine des aiiége. ••ies, £f du Paganisme. terod. v. U.  '3 ï C 1 j LinguaCaxanca interEgyp- 1 tiam,&tlebrsam media eft, & Hebraa magna ex parte conficitur. S. Hieronimus 19. InAfrica barbaras gentes in una lingua plurima» novimus, Etijl. S. Aur. 173id.L.i6.de•sivitatc t. 6. L'ancien langage E- fpagnol étoü Phénicien.Polybe. La langut Pbénieiennc in traduite er Egyptepai les Rois .Bergers. j\i DISSERTATION •rochoit. Ce qui me donne cette penfée, c'eft, prémièrement lu'étantun langage de commerce, le befoin mutuel, Sclevoifilage des Phéniciens, & fes Egyptiens, devoit rendre ce langage commun entre les deux Nations, oudu moins alfez femblable. 5 D'ailleurs Saint Hierome, qui entendoit les deux langues, Sc qui a traduit beaucoup d'ouvrages des Pères du défert, ÜEgyptien enLatïn, s'eft toujours fervi fort utilement de la racine Hébraïque pour les expliquer. Ce Pere dit encore, que la langue ühananéenne eik mitoïenne entre YEgyptien, Sc VHebreu. II falloit donc, que le Phénicien, qui étoit le Chananéen, fut aprochant de YEgyptien. En effet, cela n'eft pas hors de la vraifemblance. Les Phéniciens ont été autrefois les maitres de la mer. Ils ont fait diverfes Colonies, dans lesquelles ils ont introduit leur langage: Ainfi la langue Phènicienne s'introduifit fur toutes les cötes  H4 D I S S ER TATIO'N Le caraclère Co/?/ ni les lumières, ni lestalens réquis pour une pareille entreprife. Vvv vvv vv 2 J'ofe  ■14.20 MOIENS de CONa^E'RIR J'ofealTurer, que les feuls motifs, qui m'ont porték ce deffein, font le zèlepom-la vraie Religion , &ledéfirfincère, êtardent, qui j'ai de voir les Infidèles privés d'un pays, qu'ils ont ufurpé, & les Princes Chrétiens en poffeffion d'un bien, qui leur appartient par tant de titres légitimes. D'ailleurs la connoilfance, que j'ai acquife, pendant un long féjour dans les pays infidèles, de fétat miférable, & de 1'efclavage, oü une infinité de Chrétiens font réduits, fous la domination des Barbares, fait toujours fur mon efprit une fi vive imprelfion de pitié, que je ne fauroisme difpenfer de faire naitre, s'il eft poffible , dans le cceur des Princes zélés, pour la liberté duChriffianisme, des fentimens de bonté, &de compafiion, qui ne pourroient leur attirer que les bénédiétions du Ciel, & 1'aplaudiffement de tous les Fidiles. Enfin , j'ai cru que 1'intérêt des Princes mêmes, qui fe rendroient maitres de ces deux Roïaumes, fi riches par eux mêmes, & fi propres a augmenter 1'opulence du commerce , feroit un alfez puilfant motif, pour les faire entrer dans des vues, également juftes, & honorables. J'ofe pourtant mettre en confidération aux PuifTances Chrétiennes, que, fi 1'Empire Ottoman parvenoitun jour a être gouveraé par un Prince belliqueux, & capable de gouverner fes vaftes Etats, avec la prudence, & le ménagement des^ forces, qu'il fut profiter de la valeur naturelle de fes Troupes', & en compofer des armées bien difciplinées, en fuivant les régies de Part militaire, qui fepratiquent en Europe; Que ce Sultan comprit, en même tems, avec combien de facilité les pays de fa domination, abondans en Hommes, &en matériaux de toute efpèce, peuvent lui fournir des Flottes fupérieures a celles des 'Chrétiens, il pourroit attaquerhardiment, & peut être affujettir, non feulement fes voifins, mais encore étendre fes conr quêtes, jusqu'au-dela des Jlpes. Car  l'EGYPTE et la CHYPRE. 1421 Car il ne feroit pas impoffible, que le Sérail de Confiantinople produifit un Prince d'une ambition, & d'un génie aufli fublime, que fit la Mofcovie en la perfonne de Pierre le Grand, dont la valeur, & la fupérioté de fefprit, fut, en peu d'années, réformer le gouvernement de fon Empire, relever la mollefle de fes Peuples, & réparer celle de fes Prédécelfeurs, jusqu'alors fi peu confidérés des autres Souvera-ins. Tout le monde fait avec quelle rapidité ce fameux Prince détruifit, & abattit forgueil des Miniftres, & des autres Grands de fa Cour, qui lui étoient fufpeéts, anéantit 1'infolente milice de Stre/its, & forma de fi furprenantes armées de terre, & de mer, enforte qu'il fe rendit 1'admiration de 1'Univers, & rédoutable par tout ; Ce qui ne permet pas de douter, que, fi la mort ne favoit interrompii dans fes vaftes projets, il auroit immanquablement fait reffentir les elfets de fa puiffance aux plus grands Princes $ Europe, & d'Jfie, que fapaffion, ou fes intéréts 1'auroient engagé a attaquer. CeGrand-Homme, dira-t'on, a été un Phénomènc dans la nature; mais il n'eft pas fans exemple; & le fien eft fi récent, que jeconclus, qu'un pareil bonheur peut auffi arriver a la Maifon Ottomane, a laquelle quelque favant Homme, que le défefpoir pourroit conduire dans fapoftafie feroit également capable de faire ouvrir les yeux , & fengager a des entreprifes extraordinaires. Si ces conlldérations font capables de frapper les Princes Chrétiens, dont les Etats font expofés a de li grands dangers, ils devroient les prévenir, en s'uniffant de bonne foi, pour fextirpation de leur ennemi commun; Mais je prend encore la liberté de les faire tous fouvenir, qifune pareille entreprife doit être abfolument conduite par un feul Chef. On eft affez convaincu, par une infinité d'exempJes , que la pluralité des Chefs a toujours fait échouër les delfeins les mieux confultés, foit du tems des Croifades, foit dans la plupart desLigues, quelques intérelfantes quelles fulfent.. Fvv vvv vv JlEKSr  1422 MOIENS de CONQUE'RIB.' IIlnri IV.Roi de France, & de Navarre, dont Ie génie, &laprudence ont toujours éclatté dans toute fa conduite, avoit cru ce projet digne de fon attention; & il avoit férieufement penfé a Pexécuter. Ce grand Prince n'ignoroit pas ce que Tacite nous a laüTé par écrit au fujet de YEgypte. Voici les termes, dans lesquels cet Auteur judicieux s'explique : Auguste , entre les autres Mijlèrcs, avoit ordonné d'interdire l'entrée de /'Egypte aux Sénateurs, & aux principaux Chevaliers. lis ne pouvoient y aller, fans un commandement exprès de P Empereur. II craignoit, que s1étant rendus maitres de cette Province, ils ne jettaffènt la famine dans Rome ; Car /'Egypte efl, comme la clef de la terre, 6? de la mer. Elle peut étre dtfendue, avec peu de forces, contre tant de puiJJ'antes armées. Cependant Germanicüs , qui ne favoit point encore, que fon voïage fut désagréable «Tibe're, f étoit embarqué fur le Nil, at'embouchure de Canope, Ville batie par les Spartes, lors que retournant en Grèce, fous la conduite de M e'n e'l aü s , ils furent jet té s par la tempête fur les cótes de Libië, £5? y perdirent un Filote, nomme Canopus. Prés de-la efl l'embouchuredu Nil, confacrèe a Hercules /'Egyptien, le prémier de tous les Héros, qui ont portéce nom fameux, comme le difent ceux du pays, & qui na été donné aux autres, que pour avoir eu quelque ombre de fesvertus. De la, continue Tacite, il vifita les ruines de Tancienne Tbèbes, oü fe voient encore, en caraclères Egyptiens, gravés fur des obélisques, les marqués de fa prémière opulence. Un ancien Prêtre, aïant eu ordre de les interpréter, rapo?~ta, quil y avoit dans cette Ville Jept eens mille combattans, &qiiavec cette nombreufe armée, le Roi Ramases domta la Lybie, /Ethiopië, ajfujettit tes Perfes, lesMbdes, les Baótriens, & les Scytes, toute la Syrië, AArménie, £5? /tfCapadoce, avec ce grand efpace, qui s'etend depuis la mer de Lycie, jufqu'au Pont-Euxin. On lijbit encöre lestributs, que payoient ces peuples, le poids de Tor, &'de Pargent, le nombre de chevaux, Pyvoire, &le parfum  i/EGYPTE et la CHYPRE. 14.23 fum pour les Temples, Timpot du froment, £3? des autres biens des Hommes: Tri buts comparabks a tous ceux que la puiffance Romaine, & la violence des Parthes, impofent aux Nations Jubjuguées. Le Prince confidêroit encore, avec étonnement, èfaufres merveilles. La Statuede Memnon, qui rend un Jon barmonieux, lorsqu'elle eji frappé e des rayons du Soleil Les Pyramides, élevées comme des montagnes , parmi des plaines de fable inacceffibles ; Monumens de la grandeur, &dela magnificence des Rois ^Egypte:. Des lacs creujés de main d"1 homme, pour fervir de receptacle aux eaux du Kil: Des abymes, que fait ce fleuve référrè entre deux montagnes; de-Va il vint a Elephantine, & a Syenne, autrefois les bomes de notre Empire, qui s'etend maintenant jusqua l'autre mer. On voit, par ce paiTage de Tacite, 1'idée que les Empereurs Romains s'étoient faite du pays, dont nous parions. Ils le regardoient comme le grénier, qui renfermoit les provifions néceffaires pour la nouriture de tous leurs Sujets, & le tréfor, dont ils pouvoient tirer, dans le befoin, toutes leurs richeffes. Auffi en appréhendoient-ils infiniment la perte, & défendoient aux plus puilfans Membres de 1'Etat de prendre connoiffance d'une Province, qu'ils vouloient ménager, & conferver, plus que toute autre, pour laquelle ils n'ont jamais fait une femblable loi. Les Souverains, qui ontpoffédé YEgypte après les Romains, ■ n'ont pas moins fait d'efforts qu'eux, pour s'en affurer la poffeffion. On fait les forces, que les Califes, & les Soudans, emploïèrent dans la fuite contre leurs ennemis, pour le3 empêcher d'envahir des contrées fifertiles, & fi riches. Perfonne n'ignore 1'eftime, que les Turcs font aujoukfhui du Roïaume ^Egypte, oüles plus nobles families fe font un plaifir extréme d'avoir des biens, & des terres, pour y. paffer agréablement leur vie. Les  14.24 MOIENS de CONQUE'RIR Les ménagemens que le Grand-Seigneur a pour ce pays, font bien voir la crainte, qu'il a de le pcrdre, &fon emprelfement a le conferver. En un mot, tout ce que nous en avons dit dans nos Hiftoires de Chypre, de Jérufalem-. &d'Egypte, nous aparu fuffilantj pourinlpirer a quelque Souverain Chrétien le défir formel d'entreprendre la conquête d'un Roïaume, qui lui raporteroit tous les ans plus de douze millions d'écus, fans parler des profits immenfes, qu'il retireroit du commerce desIndes-Orientales, paria Mer-rouge. Commerce, qui tel qu'il efl a- prefent, par une route beaucoup plus longue, &plus embarraffante, excite pourtantfémulationde toutes ks?iiïiimcQsEuropéenneSy&i. contribue a les enrichir. La conquête de YEgypte n'eft pas, a beaucoup prés, fi mal-aifée, qu'on fe fimagine. Tous ceux, qui, comme moi, ont parcouru ce pays avec reflexion, en ont examiné le fort, & le ibible, & en connoiffent la forme du gouvernement, doivent convenir de la facilité de f entreprife. J'en vais expofer les raifons au Public, «Sc les foumettre a fon difcernement. Elles font tirées, les unes de fétat du pays, les autres de la dilpofition'des Habitans. J'ofe avancer en toute verité, que dans toute YEgypte, la Syrië, Sela Palejline, il ne fe trouve plus de Place, ni de Chateau, en état de tenir contre un bon corps de Troupes, ni defouffrirdu canon. Alexandrie, RoJJét, & Damiette, qui font les principales Villes maritimes de YEgypte; Alep, «Sc Damas, qui font celles de la Syrië; Jérufalem, Sainte Jean d'Acre, Tripoli, Baruth, «Sc Sidon, dans la Palejline , toutes Villes trèsmarchandes, n'ont que quelques remparts antiques entièrement ruinés. 11 ne fe trouve dans aucune de ces Villes, ni garnifon, ni artillerie. Alexandre , Rojfet, & Damiette, font des Villes entièrement ouvertes, lans aucunes Troupes, ni autre défenfe. Les Habitans en font tous marchands, artifans, ou laboureurs, également incapables de réfifter a la moindre force. D'ailleurs, Ie pays  ^EGYPTE et la CHYPRE. i±if pays ne pouvant être fecouru par mer, paree que tes Turcs ne le peuvent préfentement, n'aïant pas aflez de forces maritimes, dès qifon auroit trente Vailfeaux de guerre a leur oppofer, ce Roïaume feroit emporté, en fon entier, en moins de? fix femaines. Car , en fe rendant maitre du Caire Capitale , pres de laquelle le Nil fe fépare en deux branches, on le devient de toute VEgypte; ce qui devroit s'exécuter, eny conduifant trente, ou quarantegaliotes plates, avec lesquelles on détruiroit, en quinze jours, toutes les Barques, qui feroient fur ce fleuve , dont on empêcheroit la communication d'un bord a f autre. La Ville & Alexandrie eft fönique du Roïaume, oü fe trouve deux bons ports, & la feule qui ait un Chdteau, pour en défendre l'entrée. Cette forterelfe eft garnie d'une quarantaine de Canons; mais ils font li mal montés & fi mal fervis dans f occafion, qu'il n'y auroit pas beaucoup a craindre. Les murailles d'ailleurs n'en font pas bien fortes; & quelques bombes, jettées a propos , en feroient bientöt fuir les défenfeurs, qui feroient immancablement épouvantés du fracas de ces machines foudroïantes, dont ils n'ont jamais entendu parler. Tout le plat-pays, depuis les bords de la mer jufqu'au Caire, eft rempli d'un nombre prodigieux de Bourgs & Villages, tous ouverts, & dont les habitans ne connoiffent pas feulement les armes a feu. La célèbre Ville du Caire n'eft pas en meilleur état. Le grand peuple , qu'elle renferme, eft compofé de gens fort riches, de marchands très-opulens, d'artifans, & d'un nombre presqu'infini de miférables. II y a des Milices, qui font la principale force de XEgypte; mais elles font moins capables de faire la guerre, que d'empêcher les Pachas de fortir des bornes, qui leur font prelcrites , & de fe faire craindre a la populace. Elles ne fe montent pas a quatre mille Hommes, dont la plupart n'ont jamais été a aucune aétion. Cette Ville contient Xxx xxx xx ce-  ■I±z6 MOIENS de CONaUE'RIR cependant plus de richeffes, qu'aucune autre de 1'Empire Ottoman. Ceci n'efl: pas furprenant quand on conlidère la quantité d'or, & d'argent, que XEurope, YAfie, & YAfrique, y aportent de toutes parts, & les denrées prodigieufes, que ce Roïaume produit, & dont il femble que les autres Nations ne peuvent fe paffer : fi fon remarque d'ailleurs, que les Pachas & autres grands Officiers de 1'Empire, qui y accumulent des tréfors de toute main, & qui, dans la crainte d'être recherchés du Grand-Seigneur , qui fouvent leur fait un crime capital de leurs richelfes, fe réfugient au Caire, oü ils en jouïlfent tranquilement fous la proteciion de la milice , dans laquelle ils fe font agréger , pour fe mettre a. 1'abri de toute pourfuite , on n'en fera pas étonné. II faut joindre au mauvais état des Places, dont nous venons de parler , 1'affoiblifTement des Troupes du Grand-Seigneur. Les braves Mammelucs , autrefois fi rédoutables aux Chrétiens croifés, ne font plus. lis furent entièrement défaits, comme nous 1'avons remarqué dans 1'Hiftoire: il y a prés de deux eens ans, que le Sultan Selim les extermina, en s'cmparant del'-Egypte. Depuis ce tems la , tous les peuples d'Egypte fe font fi fort avilis , qu'ils ne font plus en état de manier les armes. II ne s'y trouve plus qu'environ huit mille Hommes dans tout le Roïaume, qui font difperfés ca & la confufément, quoi que lè Grand-Seigneur fourniffe la paye pour vingt mille Soldats dans YEgypte. Voila toutes les forces de ce grand , & riche pays. Outre les raifons précédentes , qui démontrent la facilité ffe la conquête de YEgypte, il y en a encore d'autres, qui fe tirent de la difpoiition des Habitans du pays. On a vu, que les Cbrêtiens , qui y font, foit Européens, foit Coptes, qui font les naturels du pays, ou les Grecs, ou les Arméniens, ou enfin les Maronkes, ne fouhaiteroient, fotis différentes vues, •que raJEraacluiTement du joug de la Forte. On a auffi remarqué  ^EGYPTE et la CHYPRE, m$ ■quë Pantipatie étrange, qui régne entre tes Arabes, & les Turcs, qui les maltraitent, & ne les peuvent fouffrir. Enfin, il eft conftant, que les Turcs d'aujourd'hui ne craignent rien .tant ,' que faproche des Arraées Chrétiennes dans leur pays. J'ai été moi même témoin de 1'alarme & de la confternation, oü ils furent, lorfque 1'Armée Impériale, conduite par le feu Prince Eugène , les ménaca d'avancer fur leurs frontières du cöté de la Hongrie, d'oü ils furent chalfés. Confiantinople même trembla , & fut déferté par grand nombre des meilleures families, & de peuples , qui s'enfuirent dans les Provinces éloignées, comme s'ils euifent deja vu 1'ennemi leur porter f épée dans les reins. Enfin, fi les Princes Chrétiens trouvent dans faffoiblilfement des Infidèles, & leur pays, une fi grande facilité de s'en emparer , ils ont encore en eux mêmes des relfources & des avantages infinis, qui lèvent tous les obftacles, que les Anciens ont rencontré dans leurs entreprifes fur YEgypte. Les anciens Chrétiens, qui ont entrepris fur ce pays, n'é■toient pas alfez au fait de fart militaire, de la Navigation, & des mouvemens du Nil. Ce peu de connoiffance leur faifoit trouver par tout des échecs funeftes. D'ailleurs, le desordre, qui régnoit dans la difcipline des Armées Chrétiennes; la mesintelhgence des Chefs , qui les conduifoient ; leur défaut de prévoïance pour les munitions, étoient des écueils pernicieux, contre lesquels venoient fe brifer tous les efforts des plus vaillans Soldats. Aujourd'hui la face des chofes elt. toute autre. On fait parmi les Fidèles la manière de faire la guerre, & de fabréger, a moins de fraix. La Navigation eft au point de fa perfeclion; Les vents, & les faifons font connues. On fait, a un, ou deux jours prés, le tems oü la moiffon eft faite en Egypte, ou en Chypre , & combien on doit mettre de jours pour arriver Xxx xxx xx 2 aux  14-28 MOIENS de CONQUE'RIR aux bords de ces contrées. Si l'on partoit, par exemple, des cötes de frovence vers la St. Jean, avec une flotte de trente ou quarante Vaiffeaux de ligne bien armés, & autant de Galères , on aborderoit au jufle tems fur les rivages de Chypre, «Sc ^Egypte. Le tems des mouvemens du Nil, de fon accroiffement , «Sc de fon décroiffement, n'efl plus ignoré. Joignez a cela f ordre admirable , la difcipline, la fage prévoïance, «Sc la prudence confumée que fon voit aujourd'hui dans les guerres, & autres entreprifes de quelques Puiffances Chrétiennes, & il ne fera pas mal-aifé de juflifier mes propofitions fur la manege, dont je parle, II s'agit préfentement de voir , de quelle manière il' faudroit s'y prendre pour 1'exécution de ce deffein. Je n'ai que faire de parler ici du fécret, qu'il faudroit abfolument garder avant, & pendant les préparatifs. On fait qu'il eft 1'ame des chofes, qu'il les fait réüfïïr; & l'on n'ignore pas, comment les plus fages PuifTances conduifent aujourd'hui leurs projets a 1'heureux fuccès, qu'elles fouhaitent. Les Princes, qui entreprendroient cette grande affaire, fauroient auffi les Alliances, qu'il leur conviendroit de faire avec les autres Puiffances, pour n'avoir aucun obftacle, qui en arrêtat les progrès, & ce qu'il feroit a propos de leur accorder par des Traités lincères, «Sc folides, fans pourtant découvrir a aucune les vues particulières, qu'ils auroient, & prétextant au contraire quelque autre entreprife toute différente.. Ces mefures bien concertées étant prifes, il me paroit, que les opérations ne pourroient mieux commencer, qu'en tombant , tout a la fois, fur fille de Chypre, a la rade des Sa&r nes , oü la flotte feroit en toute fureté, & d'oül'on feroit a portée d'aller attaquer la Ville de Nicofie, qui en eft la Capitale ; & fur Alexandrie en Egypte , oü. les Vaiffeaux trouve^ roient toute la commodité, & la fureté néceffaire dans les deux  l'EGYPTE et la CHYPRE. 1429 deux ports , & d'oü Ton pourroit aifément pénétrer dans le refte du Roïaume $ Egypte, avant que les Turcs fuffent en état de s'y oppofer. Voici les raifons, qui appuient mon fentiment. L'Ile de Chypre feroit a f Armée Chrétienne, non feulement un azile & retraite au befoin; mais elle fourniroit encore toutes les munitions, & provifions néceffaires, fi celles, qifon auroit faites, n'étoient pas fuffifantes. Les Turcs, d'ailleurs, furpris de fe voir attaqués par deux endroits a la fois, n'aïant plus de flotte , comme il eft conftant, en état de refifter au nombre de Vaiffeaux, qu'on leur opoferoit, «Sc étant fans place de défenfe , feroient forcés de plier, & de fe retirer fort avant dans les terres^ On me demandera, peut-être, fi le Roïaume de Chypre eft donc fi dégarni préfentement, que les Turcs n'en puiffent défendre le terrain. Je répond , que le Grand-Seigneur n'y entretient, que quatre mille Janijjaires, qui font des Troupes d'Infanterie , & mille Spahis , ou Cavaliers, qui tous enfemble ne valent pas mille Hommes de bonnes Troupes , puisqu'ils font tous marchands, ou althans , ou laboureurs, qui font valoir, «Sc cultivent les campagnes, & qui ne mélï* tent pas de porter le nom de Soldats- D'ailleurs, ces Troupes ont entre elles une fi grande antipatie , qu'elles ne fauroient s'accorder, «Sc font toujours aux prifes, fans fe réünir, fi ce n'eft pour fe revolter contre leurs Pachas. 11 eft vrai, qu'il y a encore en Chypre trois Villes aflez fortifiées. Nicofie, capitale, au centre de file , qui a onze Baftions roïaux , revêtu de pierre de taille. Famagoujle, Ville maritime, avec un bon port; & enfin Cérines, oü il y a auffi un petit port; Mais ces trois Villes, qui pourroient être en état de défenfe , fi elles étoient munies du néceffaire, n'ont de garnifon, qu'autant qu'il eft befoin pour en ouvrir «Sc fermer les portes. Point de munitions, ni d'autre Xxx xxx xx 3 ar«-  14-30 MOIENS de CONQ_UE'RIR artillerie , que des canons fans affuts, qui font montés fur des pierres. Dès qu'on a tiré un coup, ils fe renverfent avec les pierres, qui les foutiennent, comme je fai fouvent vu de mes propres yeux. Qu'on juge préfentement quelle réfiftance on trouveroit dans ce pays, li fertile, & fi riclie, qui rendoit aux Vénitiens , qui en ont été les derniers poffeffeurs Chrétiens , un million d'or tous les ans, franc de toute dépenfe. Pour s'affurer de la vérité de tout ce que je dis ici, on pourroit , avant toute entreprife, envoïer dans ce pays des gens éclairés & habiles, qui n'auroient entre eux aucune correfpondance , & dont f un ne fauroit pas, que f autre fut envoïé. A' leur retour , & fuivant leurs relations, on équiperoit un nombre fuffifant de Batimens de guerre, & des Galiottes; de forte qu'on put en deftiner quelques-uns a roder autour de 1'Ile pour la fentinelle , & les autres pour le débarquement des Troupes néceffaires. Cette defcente ne feroit pas plutót fake , qu'on verroit les Grecs , & les autres Chrétiens, qui font la moitié des Habitans du pays, fe ranger du cöté du conquérant, pour chaffer, ou défaire les Infidèles. Ce qui arriveroit auffi infailliblement en Egypte, comme je 1'ai déja alfez infinué. Ce qui feroit fur tout, «Sc indifpenfablement nécelfaire, feroit 1'unité d'un Chef, pour la réülfite de 1'entreprife. Les Turcs , un peu habiles, «Sc qui fè fouviennent des faits raportés dans les Hiftoires des Croifades, conviennent, avec les Chrétiens fenfés , que 1'Empire Ottoman ne doit fes victoires, «Sc fon agrandiffement de ce tems-Ia, qu'a la désunion des Commandans des Croifés; «Sc ils ne s'aifurent dans la poffeffion oü ils font , que fur la difcorde , qu'ils prévoient devoir régner encore a 1'avenir parmi les Princes Chrétiens. J'ai rougi plufieurs fois , lors qu'ils fe font mis fur ce Chapitre , «Sc qu'ils ont rélévé 1'animofité de nos Princes qu'ils nomment Infidèles, a fe faire la guerre ks uns aux au-  t'EGYPTE et la CHYPRE. 14.31 autres , «Sc a fe détruire mutuellement, quoi qu'ils fuffent Ia plupart affez unis par les Hens de la même Religion. II eft vrai, que j'ai retorqué leurs raifons, «Sc leur ai fait fentir , que le même abus s'étoit gliffé parmi eux, a fégard des autres Nations de leur même croïance, avec lesquelles ils étoient affez fouvent en guerre ; mais, outre qu'ils m'ont répondu, qu'ils reconnoiffoienü, que c'étoit un grand mal , auquel les vrais Mujulmans ne confentoient jamais, ils m'ont encore avancé, par toute3 les preuves, que ce mal n'avoit jamais été, ni 11 fléquent, ni fi durable, cliez eux que chez les Chrétiens; «Sc que les bons Mahometans regardoient 1'amitié, «Sc 1'union entre-eux comme une pierre précieufe, qu'il falloit laiffer conftamment dans fon entier, a quelque prix que ce fut'. II auroit été dangereux, «Sc tout a-fait inutile a moi, d'avoir infifté fur cette matière dans un pays, oü la prudence doit retenir des difcours, qui pourroient avoir des facheufes fuites. Je me fuis contenté de tirer de leurs entretiens tout le fruit convenable a mon but ; «Sc j'en ai conclu, que, fi la mesintelligence des Princes Chrétiens venoit a ceffer entre eux, les Infidèles auroient un jufle fujet de craindre pour leur pays. Mais comment, me dira t'on, réünir des Souverains, dont les intéréts font fi divers, «Sc fi opofés? II me femble, qne la chofe, quelque difficüe qu'elle foit en apparence , ne rencontreroit pourtant pas 1'impoflibilité qu'on s'imagine. II n'eft pas de ma Sphère de faire voir combien de fois, ni comment les Princes ont abandónné certains intéréts, pour en ménager de plus importans ; C'eft ce que f expérience nous aprend affez, «Sc la feule chofe, dont il s'agit dans cette occafion. Si un Souverain étoit obligé de céder quelque chofe de conféquence même a d'autres, pour n'être pas inquieté dans la conquête des pays, dont il eft quefdon, il en feroit pleinement dédommagé, «Sc n'auroit pas lieu de regrctter le peu qu'il auroit donné, en comparaifon des biensimmei> fes3. qui lui en reviendroient. • Teut  1432 MO IE NS de CONCLUE'RIR Tout ce que les Roïaumes de Chypre , Sc Ü Egypte, produifent , joint aux profits presque infinis, que leur poffeffion feroit retirer du commerce du Levant, Sc des Jndes-Orientales, eft un objet, qui mérite bien, qu'il en coüte pour f obtenir. Du refte ce feroit a f entrepreneur a faire ufage de toutes fes lumières, & de la prudence de fes Confeillers , pour prendre les biais, & les moïens, qu'il jugeroit les plus convenables au fuccès de fon entreprife. II eft des Princes, qui ne s'y laifteroient pas tromper, (Sc qui fauroit bien donner a leurs Alliés de quoi les contenter; foit, en partageant avec eux quelques fruits de la conquête; foit, en faifant des changemens, qui accommoderoient les uns Sc les autres. Si on m'obje&oit, que la difficulté de conferver ce pays, ne feroit pas moindre que celle de le conquérir, je tacherai de lever cette nouvelle difficulté. 11 n'y a que deux voies, par oü la Porte put fe remparer de ces deux Roïaumes : celle de mer, & celle de terre. La prémière ne la conduiroit pas a fon but; les forces maritimes lui manquent, comme on fa déja marqué; «Sc, quand même la marine des Turcs feroit un peu rétablie a f avenir, ce ne pourroit être que d'un long tems, Sc jamais au point d'égaler celle des Chrétiens, qui, de tout cöté , ne1 s'endormiroient pas, «Sc penferoient toujours a fe mettre au-defliis de toute crainte. La feconde voie ne leur feroit pas plus favorable. Par terre il faut que les Turcs traverfent la Palejline , «Sc tous ces déferts vaftes, fablonneux «Sc arides , qui font entre eux, Sc YEgypte. Quelle peine de conduire des Armées , telles que le font celles des Turcs accablées par le nombre de gens inutiles, «Sc de bagages fuperflus, au travers des fables mouvans, oü fon ne trouve, ni un verre d'eau , ni un brin d'herbe pour les Hommes, ni pour les Animaux ? Combien de tems ne demanderoit pas une pareille marche ?, D'ailleurs , quand toutes ces Troupes exténuées feroient arrivées a lavue de YEgypte, qu'auroient-elles avancé? On  l'EGYPTE et la CHYPRE.' Hn Onfait que le Sultan Selim, dont j'ai fait mention, n'y pénetra en 15:17. que paree que Campson Gurri, dernier Soudan ÜEgypte , de la race des Mammelucs, fut trahi par un de fes Généraux: jamais Selim n'eüt réöffi, avec toute cette trahifon, fi le Soudan n'eüt quitté fon Roïaume, pour aller porter toutes fes Forces en Syrië, au fecours du Roi des Eer/es, fon Allie, & fi ce dernier enfin ne feut lacliement abando nne. Toutlèrokinacceffible aux Turcs, fiunPrinceChrétienétoit une fois maitre de■ YEgypte. Les bords de la mer ne font pas moins aifes a garder, que les avenues de Ia terre. Quelques Forts, conftruits de diftance en diftance, & de bonnes Citadelles a Alexandrie , a Rojfet, & a Damiette, mettroient toutle Röiaume a couvert. Vingt-cinq a trente mille Hommes de bonnes Troupes fufliroient pour cela. Du cöté de la Lybie, il ny a rien a craindre. 11 y a un défert fablonneux, oü fon enfonce mfqu'aux genoux , & qu'on ne peut traverfer qu en quinze, ou vingt journées ; & de plus une longue chaine de hautes montagnes fort ftériles; Tout cela couvre YEgypte du cote de YAfnaue Enfin , fi l'on faifoit conftruire un bon lort * Suez, fitue a 1'embouchure de la mer Rouge, & oü les materiaux fe trouvent en abondance, on fermeroit aux Turcs len ree de ce cote-Ia; & l'on conferveroit une Place, qui elt de la dernière conféquence , par raport a Ia pêche, qui y eft d un produit confidérable, & a caufe de la Navigation de cette mer , qui donne Ie riche commerce des Indes-Orientales, comme d peut donner celui des Occidentales , & de toute ÏAfrique Méridionale, d'oü fon tire des tréfors immenfes. cJL^ lm^leavoir fuffifamment répondu a f objeclion pré- tl™* \? "nC °IS °n 1W arraché des mains ^ Grand. Seigneur. II ?*&t préfentement de dire, de quelle manière on pourroit conferver file de Chypre. Les Leéteurs aurontla Yyy yyy yy ^  Ï4-H MOIENS de CONaUE'RIR bonté de fe fouvenir de ce que nous avons dit fur la foibleffe aduelle des Turcs a fégard de la marine, lis n'ont aucun bon marinier fur leur flotte, qui ne foit Rénégat. Si YEgypte, & File de Chypre, leur avoient été une fois enlevees, ce feul fecours, qui leur refte, & qui eft très-foible, leur manqueroit tout-a coup. Quand bien même ils viendroient effeóhvement pour tenter une entrée fur les cötes de file, ils n'auroient que la honte de favoir fait inutilement, & avec perte. Les places du Roïaume, tant dans les terres, que fur les bords, étant pourvues de bonnes Garnifons, & des chofes néceffaires pour leur défenfe, il feroit impoffible aux Infidèles de rien entamer. Qu on fe fouvienne des circonftances , qui les favoriferent, lorsqu'ils s'en rendirent maitres fur les Vénitiens fan t'57*. Ctux"CI ' ajant pour lors comme un bandeau fur les yeux, ne virent pas la faute effentielle, qu'ils commirent, en donnant le commandement a deux Généraux, incapables de défendre le pays. L'un, nommé Dandolo, étoit Homme de robe, & point du tout au fait de fait militaire. L autre, qui étoit Chef de la Cavalerie , s'appelloit Rochas, & étoit un de cesChypriots, qui ne connoiffoit que les plailirs , & la bonne chere. Ces deux Généraux n'avoient penféarien; Et les Turcs trouvèrent , comme je fai raporté dans mon Hiftoire de Chypre, ni Soldats, ni Officiers , qui fuffent en état de leur faire tete. S'il fe trouva quelques braves Officiers, qui voulurent hgnaler leur courage, ils furent abandonnés par les autres; & les mêmes Commandans s'oppofèrent ouvertement a leur génereus deffein. D'ailleurs , les Turcs étoient fi peu alfures , quils prirent 1'aKarme , en apercevant de loin des Vaiffeaux, qui faifoient voile vers eux , & commencerent a fe preparer k la fuite , lors qu'ils s'apercurent que e'étoient de leurs propres Vaiffeaux , qui venoient les renforcer. On voit par-la ce qui eaufa le bonheur des Infidèles , & les mit en poffeifion du Roïaume de Chypre. bïl  l'EGYPTE et la CHYPRE. H3S S'il meft permis de faire ici quelques reflexions fur cette matière , je dirai en paffant, que tous les Hiftoriens, qui en ont écrit, conviennent, que la dernière conquête de fille de Chypre, faite par les Turcs, elt le fruit, non de leur adrelTe, ni de leur bravoure, mais du peu de réfiftance de la part des Vénitiens. Ces bons Républiquains, d'ailleurs grands politiques, & très-vigilans fur les intéréts du Commerce, ont toujours eté plus propres a faire des conquêtes, qu'a fe les alfurer. Jamais ils n'eulfent pu conferver fi longtems la polTeffion de Candie , qui étoit le feul Roïaume , qui leur relioit de leurs conquêtes de ce cöté-Ia , fi les PuifTances étrangères ne s'en fulfent melées , «Sc ne les euflent puilfamment fecourus. Ces fecours leur ont-ils manqué , ils ont Jailfé tout reprendre ; lis ont perdu Candie, «Sc même 1'excellent pays de la Morée, dont les Turcs s'emparèrent en neuf jours. Ce que je viens de dire, me paroit fuffifant, pour vérifier ce que j'ai avancé, pour fe maintenir dans la polfeffion, que fon auroit acquife du Roïaume de Chypre. II elt maïntenant befoin de fatisfaire a une autre queftion, que fon pourroit faire. On demanderoit peut-être , comment on repeupleroit tant de pays, après en avoir fait la conquête? Je penfe, que la chofe ne fouffriroit pas grande difficulté. Je demande a mon tour , de quelle manière ces Régions fe font-elles repeuplées, après qu'on en eut chalfé les pofTeiTeurs? De la même manière qu'elles fe trouvèrent remplies d'un peuple fuffifant, aorès que les Turcs s'en furent emparés, de ia même forte elles feroient promtement repeuplées. Outre les Colonies nouvelles, que ie Conquérant y feroit tranfporter, & un grand nombre de families , qui feroient charmées d'habiter de fi beaux, «Sc riches pays, il y auroit encore une infinité gV Orientaux, qui y fixeroient leur établiffement. Les Maronites, les Grecs, les Arménicns, & les Coptes, préfèreroient la domination douce d'un Prince Chrétien a la dure fervitude, fous laquelle ils gé- Yyy yyy yy 2 mis.  143-5 MOIENS de CONdUETRIR xniffent depuis long tems. Les Juifs même n'abandonneroient pas ces Roïaumes, dans lesquels ils fe font trouvés fi bien, pour aller fuivre les Ottomans dans YJfie, oü ils n'auroient rien a attendre que f efciavage, & la perte des richeffes, qu'ils amaffent par le commerce i tout cefferoit pour eux. Le nombre de ces Nations, qui fe trouvent répandues dans tous les Etats du Grand-Seigneur , furpalfe du doublé celui des Mujulmans; & ce font ces mêmes nations , qui remplilfent le tréfor du Sultan , par le Har ach, ou. Capitation, qu'elles lui payent. \\ n'y a point de doute , qu'elles ne quittaffent le joug Ture , pour accourir vers f agrément de la liberté , que leur feroit goüter un gouvernement bien entendu. Mais enfin , dira-t'on, une Puiffance Chrétienne aura toujours de grandes incommodités a foufrir de la part des Turcs, tant qu'ils poffèderont quelque terrain dans VEurope, & qu'ils auront la Ville & le territoire de Confiantinople. Et le moïen de les en chaffer ? Ce moïen peut-être trouvé. II efl plus difücile , mais nullement impoflible d'y parvenir. On fait, que cette grande Capitale de tout 1'Empire Ottoman elt ceinte de tout cöté de Remparts, qui ne font point en état de réfifter. II n'y a point de provifions, ni de munitions de guerre, & de bouche. Les murs en tombent en mine en plufieurs endroits, principalement du cöté de la mer, qui eft le plus propre ala réduire, en 1'attaquant avec une bonne flotte, a laquelle celle des Turcs feroit forcée de céder bien vite. II s'agiroit de faire avancer une Efcadre, de vingt ou vingt-cinq Vaiffeaux de guerre, avec cinq ou fix galiotes a bombes, qui réduiroient en peu de tems cette grande Ville toute en cendre, la plupart de fes maifons n'étant que debois. Le desordre, & la confufion, feroient par tout parmi ces Habitans, & ces peuples timides-; & Tentreprife étant brufquée, la Ville fe rendroit bientöt, aveo tout ce que les Infidèles poffèdent en Europe. .11 faut avouër, qu'on trouveroit quelque obftacle au paffage de  EGYPTE et la CHYPRE. Hn de THékfpont, autreraent les hardamelhs. I! v a des Chi teaux , dont la force paroit invincible a ceux qui ne ks ont pas exammes de prés. Ces Cbateaux font au nombre de quatre t\*z*z ft ifcs bords de TE*^> ö les bord, de 1 Afie: Les prémiers veTsh Métliterranée „..„ les Tm-a appellent font conllruits fe fesr ,£ des deux annennes Villes, Scrro, & miSeÏT fecond, connod&nt 1'importance de ce paffage, le fit forrifier dans le gout de fo„ pays. II y ffiit g^ifons, & v fi f fond tstrv^°ffe art,1'erie ' AW fe fame Ju,' a fond les Vaiffeaux, qm voudroient avancer vers la Ville pour s'en emparer. On appelle ces deux Cbateaux les forte' reffes neuves, paree qu'elles ont été baties les derntóres Tel deux autres Cbateaux font plus avancés dansTdétroit & - | 11 y a un des Cbateaux SAJin, q„i eft fitué près da . banaenne 2^* ? eft de figure prefque quarrée" fu u7ter! t;ennentefieu°tnr * ^ ^ -des , ^.vec „nfoffé , qui feroit affe* droits mr ™>T ™' qd eft comblé en pWbttt. enreil canon? r T Tter 6nS Pdne Wfflw embrafc ochè s avec d 9Uf3 ffC 3Uffi °Uvertes' *» P™es prodSLufe & „™ ^sfnons font d'une embouchure prodigieufe , & propres a des boufets de pierre, donr on les rnffont „ifo > 20aL'™- Ces canons font de fonte, ? "e ,ont' n rortlongs, ni renforcés. Us n'ont point d'affuts le^r^ tV™ em,bfU &P-corfé uenfS En^STK^ ffiais tes rend en même eux & o,,v,„ Pf ,q ne Peufent t,rei- iue devant ranc.ae lembrafure. Ce qm expofeextrèmenientfeCanoniers;, y?y yyy yy 3;  1439 MOIENS de CONaUE'RIR de forte que leur prémière décharge faite, ü n'en faut point craindre une feconde. _ _ • II n'y a que vingt-deux de ces canons, qui tirent a fleur d'eau ; ce qui incommoderoit beaucoup un Vailfeau , s'il en étoit atteint; mais , fi la prémière décharge manquoit, on auroit bientót la forterelfe a bon marché. Elle eft encore en bien plus mauvais état, du cóté de la terre. L'autre Chateau elt dans le même goüt, & a le même nombre de canons de même calibre: leurs boulets fe croifent, & vont jufques fur les rivages oppofés. Je n'ai point été dans ce dernier; ainfi je n'en faurois rien dire de plus. Après cette dernière defcription de ces fameufes forterelles, qui font toute la fureté de Confiantinople du cöté de la Mèditerranêe , on attend naturellement, que je dife comment on pourroit franchir ies difficultés de ce dangereux paffage, & s'avancer jusqu'au port de cette Capitale. Voici mon idée. Ces batteries, & les Troupes, que les Turcs placeroient fur les bords du canal, pourroient être aifément déconcertées, & chaffées par 1'artillerie, & la mousquetterie des Vailfeaux Chrétiens. S'ils alloient mouillcr aux Ules de Ténèdos, lmhros, Lemnos, & autres, voifmes de l'entrée de Wélefpont., ils y attendroient un vent favorable, qui les poufTeroit a pleines voiles dans le canal. Les prémiers Vaiffeaux de la flotte auroient, a la vérité , a effuïer la prémière décharge de 1'artillene des Infidèles ; mais il ne feroit pas mal-aifé aux gens du metier de prendre des précautions , qui les garantiroient du grand mal, dont ils feroient ménacés. On rifqueroit quelques vieux Batimens, dont les bords feroient garnis d'une certaine quantitó de liége , entremêlé de plaques de plomb. Ils précèderoient le gros de la flotte, a une diftance peu confidérable, & recevroient les prémiers coups de canon, que les Turcs déchargeroient naturellement delfus, pendant que le refle des Vailfeaux • continueroit leur route, prefque lans danger, jusqu'a la Ville.    l'EGYPTE et la CHYPRE. 1439 J'ai déja dit plufieurs fois, & je le répète encore, que, quand il y auroit une flotte Turque , auffi bien équipée qu'elle put fêtre, comme ils ne le pourroient faire qu'a leur facon, c'efta-dire pitoïablement, la Puiffance Chrétienne, avec une bonne efcadre de Vaiffeaux de ligne bien armés , de Galères, «5c de Galiotes en bon état, vaincroit tous ces obftacles & jetteroit f épouvante parmi les Jnfidèles, jusqu'a leur faire prendre une fuite précipitée , & le parti de fe confiner le plus loin qu'ils pourroient dans YA/ie, d'oü ils font fortis autrefois. Je finis mes reflexions , par une dernière , fur laquelle je ne puis affez infifler. C'eft. que la conjonclure préfente eft peut-être la plus favorable, qui puffe jamais fe préfenter a favenir. La Forte efl très-affoiblie par les guerres, qu'elle vient d'efTüier contre les Perjes, «Sc les Rujjes Elle na plus de vieux Soldats; «Sc il ne lui refte presque plus d'Officiers d'expérience. Ses finances, mal réglées, font épuifées; & enfin elle fe trouve fans reffource fufBfante. Après tout, fi mes idéés ne paroiffent pas juftes au Public, qui a le droit d'en décider, j'attens au moins de fon équité, qu'il m'en fera connoitre les défauts ; «Sc qu'il fera grace a ma bonne volonté , «Sc au zèle , que j'ai pour la Religion de Jesus-Christ , que je crois la feule véritable, «Sc dont je fouhaite ardemment le triomphe.