34:6 K   L A D U ROI DE PR.USSE.     Lr A D U ROI DE PR.USSE* O u Mémoires pour fervir a la vie de Mr. de Voltaire , krits par lni'tnime. A AMSTERDAM, Chez les Héritiers de MM. Re y, M. DCC. LXXXV.   L A D ü HOI BE PRUSSE, Ou Mémoires poitr fervir a la vie de Mn ' de Foltaire, écrits par lui-même. J'Étais las de la vie óifive & turbulente de Paiis, de la foule des petitsMaitres , des mauvais Livres imprimés avec approbation & f rivüége du Roi, des cabales des Gens de Lettres , des baffefcs & du bngandage des miferables qui des* honoraient la Littérature. Je trouvai ert 173 3 ™q jeune Dame qui penfait apeu-prèa comme mot, & qui prit la réfolution d'alier palier plufisurs années a la campagne, pour y cultiver fon efprit , lSïn tit tumulte du monde : cétait Madame la Marquife du ChateJet , la femme 9 ) bourg, & le corfaire de Ia douane, & le vifiteur parurent contens de nos preuves. Ces fcélérats nous épiaient, D'un oeil le paffe-port lifaient, De 1'autre lorgnaient notre bourfej L'or qui toujours fut de reffource > Par lequel Jupin jouiffait De Danaé qu'il careffait: L'or par qui Céfar gouvernait Le «ïonde heureux fous fon Empire : L'ort plus Dieu que Mars & 1'Amour 5, Le même or fut nous introduire Le ion- dans les murs de Strasbourg. On voit par cette Lettre qu'il n'étaif pas encore devenu Ie meilleur de nos Poëtes, & que fa philofophie ne regardait pas avec indiiférence le métal dont fon pere avait fait provifion. De Strasbourg il alla voir fes Etats de la baiïe - Allemagne ; il me manda qu'il viendrait incognito me voir a Bruxelles; nous lui préparames une belle maifon; mais étant tombé makcle dans le petit chateau de Meufe, a deux lieux de Cleves,il m'écrivit qu'il comptoit que je ferais les avances. Paüai donc lui préfenter mes profonds refpeéts. Maupertuis qui avait déja fes vues, &  ( 20 ) qui était póffédé de la rage d'étre Fréfident d'une Académie, s'était préfenté de lui-même ; il ïogeait avec Algaroti & Keizerling dans un grenier de ce palais. Je trouvai a Ia porte de la cour un foldat pour toute garde. Le Confeiller - privé Rambonet, Minifrre d'Etat, fe promenait dans la cour, en foufflant fur fes doigts: il portait de grandes manchettes de toile fale, un chapeau troué , une vieille perruque de Magiftrat, dont un coté entrait dans une de fes pbches, & 1'autre paifait a peine 1'épaule. On me dit que eet homme était chargé d'une affaire d'Etat importante , & cela était vrai. Je fus conduit dans 1'appartetnent de Sa Majeöé : il n'y avait que les ' quatre murailles. J'appercus dans un cabinet, a la lueur d'une bougie , un petit grabat de deux pieds & demi de large , fur léquël était un petit homme affublè d'une robe de chambre de drap bleu : c'étoit le Roi, qui faait, & qui tremblait fous une méchante couverture, dans 'un accès de fièvre violente. Je lui( fis la révérence , & commencai Ia connahTance, par lui tater le pouls, comme fi j'avais été fon premier Médecin. L'accès pafie , il s'habüla, & fe nut a takte : Algaroti, Keiférling , Man-  (*I) permis, & le Miniftre du Roi auprès des Etats-Généraux, nous fümes du foüper ,oü 1'on traita a fond de i'immortalité de 1'ame , a faire vsnir des Artiftes en tout genre , car il voula't aller a la gloire par tous les chernins, & au meilleur marché poffible. . Son pere ava't logé a Potzdam dans une vilaine maifon, oü il fit un palais; Potzdam devint une jolie ville, Berlin s'agrandifTait; on commencait a y connaïtre les ^ douceurs de la vie, que le feu Roi avait très-néglio;ées , quelques perfonnes avaient des meubles; la plupart même portaient des chemifes ; car fous le regne précédent on ne connaiffait guère que des devans de chemifes qu'on attachoit avec des cordons, & le Roi regnant n'avait pas été élevé autrement. Les chofes changeaient a vue d'ceil; Lacédemone devenait Athènes : des déferts furent défrichés; cent trois^ villages furent formés des marais délTéchés : il n'en faifait pas moins de la mufique & des hvres ; ainfi il ne fallait pas me favoir.fi mauvais gré de Pappeller le Salomon du nord : je lui don-  ( 34 > fiai dans mes lettres ce fobriquet, qui lui demeura long-tems. Le Cardinal de Fleury était mort le 29 Janvier 1743 , agé de 86 ans. Jamais perfonne n'était parvenue plus tard au Miniftère , & jamais Minifire n'avait gardé fa place plus long-tems : il commenca fa fortune a Page de 73 ans , par êtreRoi de France, & le fut jufqu'a fa mort fans contradi&ion; affeclant toujours la plus grande modeftie, n'amafïant aucun bien, n'ayant aucun falie, & fe bornant uniquement a regner, il laifla la réputation d'un cfprit fin & aimable, plutót que d'un géfiie , & palfa pour avoir mieux connu la Cour que 1'Europe. Je- 1'avais beaucoup vu chez Madame la Maréchale de Villeïoi, quand il n'était qu'ancien Evêque de la petite vilaine ville de Frejus , dont il s'était toujours intitulé » Evêque par 1'ino> dignation divine, « comme on le voit dans quelques-unes de fes Lettres. La Maréchale était une très-laide femme qu'il avait répudiée le plutót qu'il avait pu. Le Maréchal de Villeroi qui ne favait pas que 1'Evêque avait été long-tems 1'amant de la Maréchale fa femme, le fit nommer par Louis XIV Précepteur de Louis XV ; de Précepteur il devint premier Mioiflre,&  t 35 ) Ée rftanqüa pas de contribuer k fexil dü Maréchal fon bienfaiteur; c'était a 1'ingratitude prés un aiTez bon homme , mais comme il n'avait aucun talent, il écartait *óus ceux qui en avaient dans qüelque genr» crue ce put être. Plufieurs Académiciens voulurent que j'eufTe fa place a 1'Académie Frsncaife ; on demanda m fouper du Roi qu'il pronon' cerait 1'oraifon funèbre du Cardinal a 1'Académie , le Roi répondit que ce ferait moi: fa maitreffe, la Ducheffe de Chateauroux le voulait; mais le Comte de Maurepas, Secrétaire d'Etat, ne voulut point; il avait la manie de fe brouiller avec routes les maitreflés de fon maitre, &il s'en efhrouvé mal. Un vieil imbécille , Précepteur du Dauphin, autrefois Théaiin, & depuis Evêque de Mirepoix, nommé Boyer, fe chargea par principe de confcience, de fesonder le caprice de M. de Maurepas : ce Êoyer avait la feuilïe des bénéfices, le Roi lui abandonnait toutes les affaires du Clero-é * il traita celle-ci comme un point de discipline eccléfiaftique; il repréfenta que c'était offenfer Dieu, qu'un profane comme moi fuccédait a un Cardinal. Je favais que M, de Maurepas le faifait agir : j'allai trou-  ( 34 ) fee, il n'y a pas moyen de la tranlcrire ici toute entiere , tant il y a de répétitions; mais on y trouve quelques morceaux affez bien tournés pour un Roi du nord ; en voici plufieurs paiTages, Ami, le fort en eft jeté, Las de piier dans 1'mfortune , Sous le joug de 1'adverfité , J'accourcis le tems arrêté Que la nature notre mère , A mt:? jours remplis de mifère , A dn,ené prodiguer par libéralitéi D'un cosur allure , d'un oeil ferme t Je m'approche de 1'heureux terme Qui va me garantir contre les ceups du fort 5 Sans timidite , fans effort, Ad:eu grandeurs , adieu chimères , De vos bluettes paffagères, Mes yeux ne feront plus éblouis. Si votre faux éclat de ma naiffante aurore Fit trop imprudemment éclore Des defixs indifcrets, long-tems évanouis, Au fein de la Philofophie , Ecoie de la vérité , Zenon me détrompa de la frivolité, Qui produit ies erreurs du fonge de la vie„ Adieu divine volupté, Adieu pla;ilrs charmans, qui flattez la molIe/Te, Et dont la troupe enchanterefie , Par de; Hens defleurs enchaine la gaieté. Mais que fais-je ? grand Dieul courbé fous & ?rif]effe,  (8? ) Eft-ce a moï de nominer les plaifirs , 1'allé- grefle ? Et fous les griffes du vautour, Voit-on la tendre tourterelie Et la plaintive phüomele Chanter ou refpirer 1'amour ? Depuis long-temps pour moi, 1'aftre de la lamière Tféclaira que des jours fignalés par mes maux ; Depuis long-tems Morphée, avare de pavots , N'en daigne plus jetter fur ma trifte paupière. Je difais ce matin , les yeux couverts de pleurS, Le jour qui dans peu va renaïtre , M'annonce de nouveaux malheurs; Je difais a la nuit , tu vas bientöt paroitre Pour éternifer ma douleur. Vous , de la liberté , Héros que je révère! O manes de Caton! O manes de Brutus! Votre illuftre exemple m'éclaire Parmi Terreur & les abus $ C'eft votre ftambeau funeraire Qui m'inftruit du chemin peu connu du vulgaire , Que nous avaient tracé vos antiques vertus. J'écarte les romans & les pompeux fantömes Qu'engendra de c s flancs la fuperftition ; Et po_.r approfondir la nature des hommes, Pour connaitjje ce que nous fommes i Je ne m'adreffe point a la Religion; J'apprends de mon makre^Epicure , Que du tems la cruelle injure Difibut les êcres compofés , Que ce fouffle , cette étincelle , Ce feu vivifiant d«s corps organifés,  S86) N'efr point de nature immortelle ; II nalt avec le corps, s'aecrok dans les enfans, SoufFre de la douleur cruelle ; Ils'égare, il s'eclipfe, & baiffe avec les ans: Sans doute il périra, quand la nuit éternelle Viendra nous arracher du nombre des vivaro. Vaincu, perfécuté, fugitif dans le monde Trahi par des amis pervers , Je fouiTre en ma douleur profonde, Plus de maux dans cet univers , Que dans la ri£tion de la fable feconde, N'en a jamais fouffert Promethée aux enters» Ainfi pour terminer mes peines, Comme ces malheureux au fend de leurs cachots, las d'un deftin cruel, & trompant leurs boureaux, D' un noble efïbrt brifent leurs chaines, Sans m'embarrafTer des moyens, Je romps mes funefies liens , Dont la fubtile & fine trame , A ce corps rangé de chagrins y. Trop long-tems attacha mon ame. Tu veis dans ce cruel tableau, De mon trépas la jufte caufe : Au moins ne penfe pas, du néant du caveau y Que j'afpire a 1'apothéofe. Mais lorfque le printems parailTant de nouveau, De fon fein abondant t'offre des fleurs éclofes, Chaquc fois du bouquet de myrthes & de rofes ; Souviens-toi d'örner mon tombeau..  ( "7 ) II m'envoya cette Epitre écrite de fa mam; il y a plufieurs émiftiches pillés de 1'Abbé de Chaulieu & de moi : les idéés font incohérentes, les vers en général mal faits, mais il y en a de bons , & c'eft beaucoup pour un Roi de faire une Epitre en deux eens mauvais vers , dans 1'état oü il était : il voulait qu'on eut dit qu'il avait confervé toute la préfence & toute la liberté de fon efprit, dans un moment oü les hommes n'en ont guère. La Lettre qu'il m'écrivit témoignait les mêmes fentimens , mais il y avait moins de myrthes, de rofes & d'ixions, & de douleurs profondes. Je combattis en profe la réfolution qu'il difait avoir prife de mourir, & je n'eus pas de peine a le déterminer a vivre. Je lui confeillai d'entamer une négociation avec le Maréchal de Pvichelieu, d'imiter le Duc de Cumberland: je pris enfin toutes les libertés qu'on peut prendre avec un Poëte défefpéré , qui était tout prés de n'être plus Roi. II écrivit en effet au Maréchal de Richelieu; mais n'ayant pas de réponfe, il réfolut de nous battre r & me manda qu'il allait combattre le Prince de Soubife : fa lettre fini£ fait par des vers plus dignes de fa fitua-  C S8 ) tiori, de fa dignité, de fon courage & de fon efprit. Quand on eft vo'iün du naufrage : II faut en affrontant I'orage Penfer vivre & mourir en Roi. # En marchant aux Francais & aux Impériaux, il écrivit a Madame la Markgrave de Bareith fa foeur, qu'il fe ferait ruer; mais il fut plus heureux qu'il ne le difait, & qu'il ne le croyait : il attendit le 5 Novembre 1757, 1'Armée Francaife & Inipépériale, dans un pofte affez avantageux, a Rosbac, fur la frontière de la Saxe ; & comme il avait toujours parlé de fe faire tuer, il voulut que fon frère, le Prince wenn ^ acquittat la promefle a la tête de cinq ba'taillons Pruffiens, qui devaient foutenir le premier effort de 1'Armée ennemie , tandis que fon artillerie les foudroyerait , & que fa cavalerie attaquerait la leur. En effet , le Prince Henri fut légérement bleffé a la gorge , dun coup de fufil, & ce fut, je crois le feul Pruilien blelfé a cette journée. Les Francais & les Impériaux s'enfuirent a la première décharge; ce fut la déroute la plus com-  C 89 ) plette dont Philtoire ait jamais parlé. Cette ba taille de Rosbac fera long-tems célèbre : on vit trente mille Francois & vingt mille Impériaux prendre une fuite hont;ufe & précipitée devant cinq bataillons & quelques efcadrons. Les défaites d'Azincourt , de Crecy, de Poitiers ne furent pas plus humiliantes. La difcipline & 1'exercice militaire que fon Pere avait étahlis, & que le fils avait fortifïés , furent la véritable caufe de cette étrange vicloire. L'exercice pruffien s'était perfecfionné pendant 50 ans; on avait voulu 1'imïter en France , comme dans tous les autres Etats ; mais on n'avait pu faire en 3 ou 4 ans avec des Francais peu difciplinés , ce qu'on avait fait pendant 50 ans avec des Pruffiens ; on avait même changé la manoeuvre en France, prefqu'a chaque revue; de forte que les Officiers & les foldats ayant mal appris des exercices nouveaux , & tous différens les uns des autres , n'avaient rien appris du tout , & n'avaient réeiiement aucune difcipline , ni aucun exercice : en un mot, a la feule vue des PrufHens , tout fut en déroute , & la fortune fit paffer Fréderic , en un quart  (9°) d'heure , du comble du défefpoir a celui du bonheur & de la gloire. Cependant il craignit que ce bonheur ne fut tt'ès-paffager ; il craignait d'avoir a porter tout le poids de la puiffance de France, de Ia Rulïïe & de 1'Autriche, & il aurait bien voulu détacher Louis XV de Marie-Thérèfe. La funefle journée de Rosbac faifait murmurer toute la France contre le traité de 1'Abbé de Bernis avec Ia Cour de Vienne. Le Cardinal de Tenfin , Archevêque de Lyön, avait toujours confervé fon rang de Miniftre d'Etat, & une correfpondance particuliere avec le Roi de France; il était plus oppofé que perfonne a 1'alliance avec la Cour Autrichienne ; il m'avait fait a Lyon une réception dont j'étais peu fatisfait : cependant 1'envie de fe mêler d'intrigues , qui le fuivait dans fa retraite , & qui a ce qu'on prétend, n'abandonne jamais les hommes en place , le porta a fe lier avec moi , pour engager Mad. la Markgrave de Bareith de s'en remettre a lui, & a lui confier les intéréts du Roi fon frere ; il voulait réconcilier le Roi de Pruffe avec le Roi de France , & croyait procurer la paix. II n'était pas bien difficile de porter Mad. de Bareith, & le Roi fon frère,  ( 9* ) a cette négociation ; je m'en chargeai avec d'autant plus de plaifir, que je voyais trésbien qu'elle ne réufïirait pas. Mad. la Markgrave de Bareith écrivit de la part du Roi fon frere : c'était par moi que paffaient les lettres de la PrincefTe & celles du Cardinal. J'avais en fecret la fatisfaélion d'être 1'entremetteur de cette grande affaire, & peut-être encore un autre plaifir, celui de fentir que mon Cardinal fe préparait un grand dégout. II écrivit une lettre au Roi en lui envoyant celle de la Mark^ grave ; mais il fut étonné que le Roi, lui répondit affez féchement, que le Sécrétaire d'Etat des affaires étrangères Pinffruirait de fes intentions. En effet, 1'Abbé de Bernis di&a au Cardinal la réponfe qu'il devait faire. Cette réponfe était un refus net d'entrer en négociation. II fut obligé de figner le modèle de la lettre que- lui envoyait 1'Abbé de Bernis; il m'envoya cette lettre qui finiffait tout, & il en mourutde chagrin au bout de 15 jours. Je n'ai jamais trop concu comment on meurt de chagrin , & comment des Miniitres & des vieux Cardinaux, quiont 1'ame fi dure, ont pourtant afléz de fenfibilité pour être frappes a mort pour un petit dégout. Mon deffein avait  ( 92 ) été de me moquer de lui , de le momfier , & non pas de Ie faire mourir. II y avait une efpèce de grandeur dans le Mimftère de France a refufer la paix au Roi de Pruffe, après avoir été battu & humilié par lui; il y avait de la fidélité & bien de la bonté a fe facrifier pour la maifon d'Autriche. Ces vertus furent long-tems mal récompenfées par la fortune. Les Hanovriens , les Brunfwikois, les Heffois furent moins fidèles a leurs traités, &s'en trouvèrent mieux. Ils avaient flipulé avec le Maréchal de Richelieu qu'ils ne ferviraient plus contre nous; qu'ils palferaient 1'Elbe au-dela duquel on les avait renvoyés ; ils rompirent leur marche deFourches-Condines, dès qu'ils fcurent que nou.» avions été battus a Rosbac. L'indifcipline , la défertion, les maladies détruifirent notre armée, 8s. le réfultat de nos opérations fut, auprintemps de 1758, d'avoirperdu trois eens millions & cinquante mille hommes en Allemagne pour Marie-Thérèfe, comme nous avions fait dans la guerre de 1741, encombattant contre elle. Le Roi de Pruffe * qui avait battu notre armée dans la Thuringe a Rosbac, s'en alla combattre 1'armée Autrichienne a 6olieues de-la. Les Francais pouvaient encore entrer en Saxe s les vain-  (93 ) queurs marchaient ailleurs , rien n'aurait arrêté les Francais; mais ils avoient jetté leurs armes , perdu leurs canons, leurs rminitions , leurs vivres & fur-tout Ia tête. ïls s'éparpillerent; on raflèmbla leurs débris diificilement. Fréderic au bout d'un mois remporta a pareil jour une vi&oire plus fignalée & plus difputée fur 1'armée Autrichienne , auprès de Breilau; il reprend Brellau, il y fait quinze mille prifonniers, le refte de la Siléfie rentre fous fes loix. Guftave Adolphe n'avait pas fait alors de fi grandes chofes. II fallut bien alors lui pardonner fes vers , fes plaifanteries, fes petites malices & même fes péchés contre le fexe féminin. Tous les défauts de 1'homme difparurent devant ia gloire du Héros. Aux Délices, 6 9bre 1759. J'avais laiffé la mes aventures, les croyant auffi inutiles que les lettres de Bayle a Mad. fa chère mere, & que la vie de S. Evremont écrite par Demaifaux &que celle de 1'Abbé Morigon écrites par lui-même; mais bien des chofes qui me paraiffent ou neuves ou plaifantes , me ramenent au ridicule de parler de moi a moi-meme. Je vois de mes fenètres la ville oü regnait Jean Calvin-le-Picard, dit Calvin, la place oü il fit brüler Servet pour le bien   C 95 > Calvin Pait fait brüler a petit feu avec des fagots verts. lis ont voulu me prouver en forme que Calvin était bon homme; ils ont prié le Conieil de Genève de leur communiquer les pièces du procés de Servet. Le Confeil plus fage qu'eux les a refufés; il ne leur a pas été permis d'écrire contre moi dans Genève. ie regardais ce petit triomphe comme le plus bel exemple des progrès de laraifon dans ce fiecle. La Philofophie a remporté encore une plus grande viéloire fur mes ennemis a Laufanne. Quelques Miniftres s'étaientavilés dans ce pays-la de compiler je ne fais quel mauvais livre contre moi, pour 1'honneur, difaient-ils , de la Religion Chrétienne; j'ai trouvé fans peine le moyen de faire faifir les exemplaires, & de les fupprimer par autorité du Magiftrat. C'eft peut-être la première fois qu'on ait forcé des Théologiens a fe taire, & a refpeéler un Philolophe. Jugez fi je ne dois pas aimer paffionnément ce pays-ci? Etres penfans, je vous avertis qu'il eft très-agréable de vivre dans une République, aux Chefs de laquelle on peut dire , venez demain diner chez moi. Cependant je ne me fuis point encore trouvé affez libre ;& ce  ( 9^ ) qui erl a mon gré digne de quelque arrention, c'eft que pour 1'être parfaitement, j'ai acheté des terres en France. II y en avait deux a ma bienféance a une lieue de Genève, qui avait joui autrefois de tous les privileges de cette ville; j'ai eu le bonheur d'obtenir du Roi un brevet par lequel ces privileges font confervés. Enfin j'ai tellement arrangé fna deftinée, que je me trouve indépendamment a-la~fois en SuifFe, fur le territoire de Genève, & en France, j'entends parler beaucoup de liberté; mais je ne crois pas qu'il y ait en Europe un particulier qui s'en foit fait une comme la mienne. Suivra mon exemple qui voudra ou qui pourra. Je ne pouvais cerrainement mieux prendre mon temps pour chercher cette liberté & ce repos loin de Paris. Ort y était alors auffi fous & auffi acharnés dans des querelles puériles que du tems de ïa Fronde; il n'y manquait que la guerre civile'; mais comme Paris n'avait ni urt Roi des Halles, tel que le Duc de Beaufort , ni un coadjuteur donnant la bénédiétion avec un poignard , il n'y eut que des tracafTeries civiles, elles avaient commencées par des billets de banque pour 1'autre monde, inventés-, comme j'ai déja dit, par J'Archevêque de Paris , Beaumont , homme  ( 97 ) homme ópiniatre, faifant le mal de tout foncceur par excès de zèle, un fou férieux, un vrai Saint dans le goüt de Thomas de Cantorberi. La querelle s'échaufTa pour une place a 1'Hópital, a laquelle le Parlement de Paris prétendait nommer, & que 1'Archevêque réputait place facrée, dépendante uniquement de 1'Eglife. Tout Paris prit parti, les petites faéfions Janfénife & Moliniffes ne 1'épargnèrent pas , le Roi les voulut traiter comme ont fait quelquefois les gens qui fe battent dans la rue, on leur jette des fceaux d'eau pour les féparer, il donna le tort aux deux partis, comme de raifon , mais ils n'en furent que plus envenimés. II exila 1'Archevêque ; il exila le Parlement : mais un maïtre ne doit chaffer les domefliques que quand il eft sur d'en trouver d'autres pour les remplacer. La Cour fut obligée de faire revenir le Parlement, paree qu'une Chambre nommée Royale, compofée de Confeillers d'Etat & de Maitres des Requêtes, érigée pour juger les procés, n'avait pu trouver pratique. Les Parifiens s'étaient mis dans la tête de ne plaider que devant cette Cour de Juftice , qu'on appella Parlement: tous 'fes Membres furent donc rappellés, & crurent avoir remporté une F  ( 98 ) vi&oire fignalée fur le Roi; ils 1'avertirent paternellement dans une de leurs remontrances, qu'il ne fallait pas qu'il exilat une autre fois fon Parlement, attendu, difaient - ils , que cela était de mauvais exemple : enfin ils en firent tant, que le Roi réfolut au moins de caffer une de leurs Chambres, & de réformer les autres. Alors ces Mefïïeurs donnèrent tous leur démiffion , excepté la Grande Chambre. Les murmures éclatèrent, on déclamait publiquement au palais contre le Roi. Le feu qui fortait de toutes les bouches prit malheureufement a la cervelle d'un laquais nommé Damiens, qui allait fouvent dans la Grand'Salle. II eft prouvé par le procés de ce fanatique de la robe , qu'il n'avait pas 1'idée de tuer le Roi, mais feulement celle de lui infliger une petite correétion. II n'y a rien qui ne paffe par la tête des hommes. Ce miférable avait été cuiftre au College des Jéfuites, College oii j'ai vu quelquefois les écoliers donner des coups de canif, & les cuiftres leur en rendre. Damiens alla donc a Verfailles dans cette réfolution, & bleffa le Roi au milieu de fes gardes & de fes courtifans avec un de ces petits canifs donton taille les plumes. On ne manqua pas , dans la première  ( 99 ) horreur de cet accident, d'imputer lecoup aux Jémites , qui étaient, difait-on, en poflèfïion , par un ancien ufage, J'ai lu dans une Lettre d'un Pere Griflet , dans laquelle il difait : « Cette fois-ci ce n'eft » pas nous , c'eft a préfent le tour de ces ?j Messieurs ». C'était naturellement au Grand-Prévót de la Cour a juger 1'ailaffin, puifque le crime avait été commis dans 1'enceinte du Palais du Roi Le malheureux commenca par accufer fept Membres des Enquêtes, il n'y avait qu'a laiffer fubfifter cette accufation & exécuter le criminel; par-la le Roi rendait le Parlement odieux, & fe donnait fur lui un avantage aufli durable que la Monarchie. On dit que M. d'Argenfon porta le Roi a donner a fon Parlement la permiffion de juger 1'afFaire; il en fut bien récompenfé, car huit jours après il fut dépo ffédé & exilé. Le Pvoieut Jafaibleffe de donner de groffes penfions aux Confeillers qui inflruifirent le procés de Damiens, comme s'ils avaient rendu quelque fervice fignalé & difficile. Cette conduite acheva d'infpirer a Meffieurs des Enquêtes une confiance nouvelle. Ils fe crurent des perfonnages importans, & leurs chimères de repréfenter la Nation, & d'être les tuteurs des Rois, fe F z  réveillèrent. Cette fcène paffée, & n'ayant plus rien a faire , ils s'amusèrent a perféctiter les Philofophes. Omer Joly-de-Fleury, Avoeat-Général du Parlement de Paris , étala dans les Chambres le triomphe le plus complet que Pignorance , la mauvaife foi & 1'hypocrifie aient jamais remporté. Plufieurs Gens de Lettres très-eflimables par leur fcience & par leur conduite , s'étaient affociés pour compofer un Diétionnaire immenfe de tout ce qui peut éclairer Pefprit humain : c'était un grand objet de commercepour laLibrairie de France : le Chancelier, les Miniftres encourageaient une fi belle entreprife t déja fept volumes avaient paru; on les traduifit en Angïais, en AlIemand , en HoJlandais ,& cetréfor ouvert a toutes les Nations par les Francais, pouvait être regardé comme ce qui nous faifait alors le plus d'honneur, tant les excellens articles du Diétionnaire Encyclopédique rachetaient les mauvais , qui font pourtant en alléz grand nombre : on ne pouvait rien reprocher a cet Ouvrage, que trop de déclamations puériles, malheureufement adoptées par les Auteurs du recueil qui prenaient a toute main pour  ( »» ) groflir 1'Ouvrage; mais tout ce qui part de ces Auteurs eft excellent. Voila Omer Joly-de-Fleury , qui le 23 Février 1759, accufe les pauvres gens d'être athées , déiftes, corrupteurs de lajeuneffe, rebelles au Roi, &c. &c. Omer, pour prouver ces accufarions, cite S. Paul , le procés de Théophile, & Abraham (1 ) Caumeix. II ne lui manquait que d'avoir lu le livre contre lequel il pariait, ou s'il 1'avait lu, Omer était un étrange imbécille. 11 demande juftice a la Cour de l'article AME,q'ui, felon lui, eft le matérialifme tout pur. Vous remarquerez que cet article Ame, Tun des plus mauvais du livre, eft 1'ouvrage d'un pauvre Do&eur de Sorbonne, qui fe tue a dé* clamer a tort & a travers contre le matérialifme. Tout le difcours d'Omer Jolyde-Fleury fut un tiffu de bévues pareilles. II défère donc a la Juftice le livre qu'il n'a paslu, ou qu'il n'a point entendu; & tout le Parlement fur la réquifition d'O- [t] Abraham Caumeix , ci-devant Vinaigrier, étant Janfénlfte & convulfionnaire , était alors 1'oracle du Parlement de Paris , Omer Fleury le cita comme un Pere de TEgiile. Caumeix a été depuis maitre d'école a Mofcoa. F 3  C 102 ) mer, condamne i'Ouvrage, non-feulement fans aucun examen, mais fans en avoir lu une page. Cette facon de rendre juftice eft fort au-deffous de celle de Bridoye , car du-moins Bridoye pouvoit rencontrer juftice. Les Editeurs avaient un priviiège du Roi. Le Parlement n'a pas certainement *e droit de réformer les privileges accordêS par Sa Majeftê ; il ne lui° appartient pas de juger ni d'un Arrêt du Con&il, m de rien de ce qui eft fcellé a la Chancellerie : cependant il fe donna le droit de condamner ce que le Chancelier avait approuvé; il nomma des Confeillers pour décider des okjets de Géométrie & de Métaphyfique , contenus dans 1'Encyclopedie. Un Chancelier un peu ferme aurait caffé I'Arrét du Parlement comme très-incompétent. Le Chancelier de Lamoignon fe contenta de révoquer le privilege, & condamner ce qu'il avait revêtu du iceau de 1'autorité fuprême. On croirait que cette aveniure eft du tems du Père GarafFe, Si des arrêts contre 1'émétique. Cependant elle eft arrivée dans le leul fiècle éclairé qu'ait eu la France, tant il eft vrai qiï'il fuffk d'un fot pour déshonorer une Natiofl.  ( 103 ) ön avouera fans peine que dans telles circonRances, Paris ne devait pas êfre le féjour d'un Philofophe , & qu'Ariftote fut très-fage de fe retirer a Charleis, lorfque le fanatifme dominait dans Athènes. D'ailleurs, 1'état d'Homme de Lettres a Paris, eft immédiatement au-deflus de celui d'un batteleur. L'état de Gentilhornme ordinaire de Sa Majefté, que le Roi m'avait confervé, n'eft pas grand'chofe. Les hommes font bien fots , & je crois qu'il vaut mieux batir un beau Chateau, comme j'ai fait, y joiier la Comédie & y faire bonne chère, que d'être lévraude a Paris comme Hel» vétius, par les gens tenant la Cour de Parlement , & par les gens tenant Pécurie de Sorbonne. Comme je ne pouvais affufément ni rendre les hommes plus raifonnables , ni le Parlement moins pédant, ni les Théologiens moins ridicules , je continuai a être heureux loin d'eux. Je fuis quafi honteux de 1'être en conté mplant du port les orages. Je voyais 1'Allemagne inondêe de fang, la France ruinée de fond en comble, nos armées, nos flottes battues, nos Miniflres renvoyés ï'ttn après 1'aufre , lans que nos affaires en allaflent mieux ; le Roi de Portugal affaiTmé, non par un laquais , mais par les  ( 104 ) Grands du Pays: & cette fois-ci les Jéfuite s ne peuvent pas dire : ce n'eft pas Nous ils avaient confervé leurs droits, & il a été bien prouvé depuis, que ces bons Pères avaient faintement mis le couteau dans les mains des parricides ; ils dirent pour leur raifon qu'ils font fouverains au Paraguai, & qu'ils ont traité avec le Roi de Portugal de couronne a couronne. Voici une petite aventure auffi fmgulière qu'on ait vu depuis qu'il y a eu des Rois & des Poëtes fur la terre. Fréderic ayant pafié un tems affez long a garder les frontières de la Siléfie , dans un camp inexpugnable, s'y eft ennuyé; & pour palier le tems , il a fait une Ode contre la France & contre le Roi. ïl m'envoya fon Ode, fignée Fréderic au commencement de Mai 1759 , & accompagnée d'un paquet énorme de vers & de profe. J'ouvre le paquet, & je m'apper^ois que je ne fuis point le premier qui 1'a ouvert; il était vifible qu'en chemin il avait été décacheté. Je fus tranfi de frayeur en lifant dans 1'Ode les ftrophes fuivantes. O Nation folie & vaine ! Quoi! font-ce la ces guerriers Sous Luxembourg, fous Turenne,  ( '°5 ) Couverts d'imrnorte's lauriers.-5 Qui, vrais amans de la gloire, AfFrontaient poür la vicloire Le-s dangers & le trépas ? Je vois leur vil affemblage Auffi vaillant au pillage, Que lache dans le combat. Quoi l votre faible Monarque > Jouet de la Pomoadour, Flétri, par plus d'une marqué, Des opprobres de 1'amour; Lui qui dèteftant les peines, Au hafard remet les rênes De fon Empire aux abois : Cet efclave parle en maitre : Ce céladon fous un hêtre Croit diéter le fort des Rois. Je tremblai en voyant ces vers, parmi lefquels il y en a de trés-bons, ou du moins qui pafléront pour tels. J'ai malheufement mérité la réputation d'avoir jufqu'ici corrigé les vers du Roi de Pruffe, le paquet a été ouvert en chemin, les vers tranfpireront dans le public, le Roi de France les croira de moi, & me voila criminel de lè.feMajeffé, & qui pis eft, coupable envers Mad. de Pompadour. Dans cette perplexité, je prie le Réfi ^ nt de France a Genève, de venir che  C io6 ) moi, je lui montrele paquet, il convient qu'il a été décacheté avant de me parvenif;il juge qu'il n'y a pas d'autre parti a pr:ndre dans une affaire oü il y allait de ma tête, que d'envoyer le paquet a M. de Choifeul , Miniftre de France. En toute autre circonftance je n'aurais point fait cette démarche, mais j'étais obligéde prévenir ma ruine : je faifais connaitre a la Cour tout le fond du caraétère de fon ennemi , je favais bien que M. de Choifeul n'en abuferait pas , & qu'il fe bornerait a perfuader le Roi que Fréderic était un ennemi véritable qu'il fallaitécrafer fion pouvait.LeDuc de Choifeul ne fe borna j as-la. C'eft un homme d'efprit, il fait des vers , il a des amis qui en font, il paya le Roi de Pruffe en même monnoie , & m'envoya une Ode contre Fréderic , auffi mordante, auffi terrible qu'était la fienne: entte nous en voici des échantillons détachés. Ce n'eft plus cet heureux génie Que des Arts , dans la Germanie , Devait allumer le flambeau : Epoux, £ls & frere coupable, C'eft lui que fon pere éqnitable .Voulut étouffer un berceau. Cependant c'eft lui dont l'audace  ( ">7 ) Des neuf fceurs, & du dieu de Thrace, Croit réunir les attributs : Lui qui chez Mars , comme au Parnafle N'a jamais occupé de place Qu'entre Zoïle & Merius. Voi, malgré la garde Romaine, Néron pourlüivi fur la fcène , Par les mépris des légions : Voi, 1'opprefTeur de Syracufe, Sans fruit proftituant fa mufe Aux infultes des nations jfufques-la cenfeur moins fauvage,' Souffre 1'innocent badinage De la nature & des amours : Peux-tu condamner la tendrefTe , Toi qui n'as connu 1'ivrelTe Que dans les bras de tes Tambours ? Le Duc de Choifeul en me faifant parvenir cette réponfe, m'afTura qu'il allait la faire imprimer, fi le Roi de Pruffe publiait fon ouvrage, & qu'on battrait Fréderic a coups de plume , comme on efpérait le battre a coups d'épée. II ne tenait qu'a moi, fi j'avais voulu me réjouir, de voir le Roi de France & le Roi de PriuTe faire la guerre en vers; c'était une fcène nouvelle dans le monde : je me donnai un autre plaifir, celui d'étre plus fage que Fréderic ; jelui écrivis que fon Ode était fort belle ,  • f (vi©8 ) • mais qu'il ne devait pas Ia rendre publique; qu'elle n'avait pas befbin de cette. gloire , } qu'il ne devait pas fe fermer toutes les voies de i tconciliation avec le Roi de France, I 1'aigrir fans retour, & le forcer a faire les derniers efforts pour tirer de lui une jufle vengeance. J'ajoutai que ma Nièce avait brülé fon Ode , dans la crainte mortelle qu'eile me fut imputée. II me crut, me remercia, non lans quelques reproches d'avoir brülé les plus beaux vers qu'il eut fait en fa vie. Le Duc de Choifeul tint parole, & fut difcret. Pour rendre Ia plailamerie complette , j'imaginai de pofer les premiers fondemens de Ia paix de 1'Europe fur ces deux pièces , qui devaient perpétuer la guerre jufqu'a ce que Fréderic fut écrafé. Ma correfpondance avec le Duc de Choifeul me ht naitre cette idéé; elle me parut f ridicule, fi digne de tout ce qui fe pafïait alors, que je 1'embraffai, & que je me donnai la fatisfa&ion de prouver par moi-même , fur quels petits & faibles pivots roulent les deflinées des Royaumes. M. de Choifeul m'écrivit plufieufs Lettres ofLenfibles, tellement concues que le Roi de Pruffe put fe hafarder a faire, quelques ouvertures de paix, fans que 1'Autriche put prendre ombrage du Minif- tère  f ( 109 ) tere de France, & Fréderic m'en écrivit de pareilles, dans lefquels il ne rifquait pas de déplaire a la Cour de Londres. Ce commerce très-délicat dure encore; il'reffemble aux mines que font deux chats qui montrent d'un cótépatte de velours & des griffes de 1'autre. Le Roi de Pruffe battu par les Ruffes , & ayant perdu Drelde, a befoin de la paix. La France battue furterrepar les Hanovriens , & fur merparles Anglois, ayant perdu fonargent, eftforcée de finir cette guerre ruineufe. Voila, belle Emilie, a quel point nous en lommes. ce 27 9bre 1759, aux Délices. Je continue, & ce font toujours des chofes fingulières. LeRoide Pruffe m'écrit du 17 Decembre:» Je vous en rtianderai davan» tage de Drefde, oü je ferai dans trois » jours; « & le troifième jour il eft battu par le Maréchal Daun, & il perd dix mille hommes : il me femble que tout ce que je vois eft la fable du pot au lait. Notre grand marin Berrier, ci-devant Lieutenant de Pohce a Paris, & qui a paffe de ce pofte a celui de Secrétaire d'Etat & Miniftre des mers, fans jamais avoir vud'autre flotte que la gaillotte de S. Cloud & le coche d'Auxer- G  ( 110 ) re, notre Berrier, dis-je, s'était mis dans la tête de faire un armement naval, pour opérerune decente en Angleterre. A peine notre flotte a-t-elle mis le nez hors de Breft, qu'elle a été battue par les Anglais, briféepar les rochers, détruite par les vents ,ou engloutie par la raer. Nous avons eu pour Controleur de Finances un Silhouette que nous ne connaiflions que pour avoir traduit en profe quelques vers de Pope; il paffait pour un aigle, mais en moins de quatre mois 1'aigle s'eft changé en oifon. II a trouvé le fecret d'anéantir le crédit, au point que 1'Etat a manqué d'argent tout d'un coup pour payer les troupes. Le Roi a été obligé d'envoyer fa vaiffelle a la monnoye , une bonne partie du Royaume a fuivi cet exemple. ier Février 1760. Enfin, après quelques perfidies du Roi de Pruffe, comme d'avoir envoyé a Londres des Lettres que je lui avais confiées, d'avoir voulu femer la zizanie entre Nous & nos Alliés, toutes perfidies très-permifes a un grand Roi, fur-tout en tems de guerre , je recois des propofitions de paix de la main du Roi de Pruffe, non fans quelques vers, il faut toujours qu'il en faflè , je les envoyé a Verfailles ] je doute  (1») 'qu'on les accepte; il ne veut rien céder; & il propofe pour dédommager l'Elecleut de Saxe, qu'on lui donne Erford qui appartient a 1'Eleéteur de Mayence. II faut toujours qu'il dépouille quelqu'un , c'eft fa facon. Nous verrons ce qui réfiiltera de ces idéés , & fur-tout de la campagne qu'on va faire. Comme cette grande & horrible Tragé- . die eft toujours mêlée de Comique! On vient d'imprimer a Paris les Poéfies du Rei mon maitre , comme difait Freitag. II y a une Epitre au Maréchal Keit, dans laquelle il fe moque beaucoup de 1'immortalité de 1'ame & des Chrétiens. Les dévots n'en font pas contens, les Prêtre s Calviniftes murmurent; ces pédans le regardaient comme un foutien de la bonne caufe; ils 1'admiraient quand il jettait dans de : cachots les Magiftrats de Leipfick , & qu'il v. ndait leurs lits pour avoir leur argent; mais depuis qu'il s'eft avifé de traduire quelques paffages de Seneque, de Lucrece & de Ciceron, ils le regardent comme un monftre. Les Prêtres canoniferaient Cartouche dévót. FIK