GERMANICUS.   GEMAIICUS, P O Ë M E, E^ SEIZE CHAITS. TUjLHUIT jjv hoz.x,^lwhois 11 M MADAME TATT ¥IITES, t IEE VAIST MEKKEN. P. J. ÏÏYLENBROÏK. MD C CL XXXVII.   A V I S D E L' E D 1 T E U R. heitreux concours dc plufieurs circonftances a fayorifd la TraduSlion du Ger. manicus, Poëme dc Madame van Winter, p.ée van Merken, écrit en vers Hollandois des plus harmonieux & élégans. Qiielques gens de gout ont entrepris de traduire en langue Francoifie & Allemande quclques pieees de Théatre de Monficur & Madame van Winter , afin de les faire connoitrs aux Elrangers, qui n'tnttndtnt guere la langui Hollandoife ; mais ellcs ?ic font pas encorc publiées. L' Editeur de ce Poe me fe platte que relte TraduÜion , fiiite fous les yeux £? l'approbation de f'Auteur, par un Ama. Uur des Lettres, posfédant les langues fgavantes & modemes , trouvera un accueil favoralle, comme un beau desfin A 2 d'im  iv AViS DE L'EDITEUR. d\m Tableau magnifique; car on fent asfez que, perdant Ie méchanisme des vers, en perd Ic coloris; mats Pon y ver ra au ?noins, que le vrai gónic poêtique nest pas ausfi étranger en Hollande, qu'on lepenfe communcment, faute de fpxvoir la langue du Pays. UEditeur espèreque fon entreprife fera goute'e des Per/onnes qui jugeront fans prévention, & en particulier des illustres Scavans de notre ftecle, dont les produStions admirables ont fervi è encourager & foutenir tAuteur dans cette pdnihlc & glorieufe carrière.  A MON EPOUX NICOLAAS Si.MON VAN WINTER. D; gne Epoux , Iionneur & foutien de mes jours! Permets que i'heureufe Corrtpagne de ton lbrc te préfente le Vainqueur de la Germanic. Recois-en le public hommage: il appartient a plus d\m utre a 1'objec de ma tendresfc. La fuperbc Rome a vu fes remparts détruits , fon capitole renverfé par les fureurs des Goths & des Vandales ; les temps fe font fatigués a reduire en pous•liere les edifices orgueilleux de fon anaenne magnificence; on dispute aujourdhiu fur les heux, oü furent élevés les palais & les temples ; mais la gloire des grands hommes a furvécu a l'injure des iieclcs, leurs noms célébres brillent dans les fastes de 1'histoire , & leur renommee rempht encore 1'univers. Ainfi vit parmi nous Germanicus, l'ancien ami des Bataves, célèbre par fa valeur & fa magnanimné. La vertu le couronna de Iauriers A 3 im-  immortels, & Ia fage antiquité ne 3e nomina jamais fans éloges. S'il reparoit après tant de fiecles dans p.os contrées , s'il revient voguer fur le canal de Drufus fon père, & ü du rivage des Frifons il revoit le foleil s'abaisicr fous 1'horizon Occidental , c'est a. toi, mon Epoux, qu'il en est redevable: jamais je n'eusfe entrepris de chantcr fes exploits dans la Germanie, jamais je n'eusfe ofé decrire fes courfes périlleufes , destinées a punir la perfidie, a faire le bonheur des vaincus, a étcndre la rénommée du Héros & la glóire de Rome, li tes lumieres n'cusiént exciié mon courage, & fi tes forces n'eusfent foutenu les miennes. C'est toi, qui, pour embellir mes vers, me prodiguas tant de richesfes recueillies dans les fastes de Rome & fur les bords du Rhin. C'est toi, qui , peu effrayé de 1'aridité des recherches, levas pour moi le voile des temps reculés. C'est toi, qui, conduifant mes pas incertains dans les profondeurs de 1'obfcure Antiquité , me fis parcourir des fentiers qu' aucune Mufe ne vifita peut-être:_ ici, tu me fis remarquer les 'moeurs antiques des peuples, la tu fixas mes rcgards fur la fituation de leurs fleuves ou de leurs territoires , plus loin tu m'cclairas fur leurs coutumes guerrieres ou fur leurs rits religieux. Rien de ce qui pouvoit orncr ,mon ouvrage n'échnppa a ton zele. Tu m'ap-  m'applanis un chcmin jusqu'au fommet des Alpes, dont Ia tcte toujours couveite de nciges fe perd dans les nues. lu m'accompagnas fur les dunes du rivage ifolé, pour contempler avec moi les vicisfitudes nes flots agités. Tantot ta main m!a conduite fur de riantcs prairies, tantot eHe m'a foutenue fur l'Ocean irrité par les tempÊtes. Tu déploras avec moi dans la plus afFreufe des forêts le malheur des Romains, dont les tristes restes n'ofIroient a nos yeux que des osfemens arides. Ta candeur s'indigna des artifices tramés dans 1'antique Moguntia. Tu m'appris a réfister aux rufes dangereufes de Tibcre. Avec quel zèle ton cceur fenfible ne panagcoit-il pas les périls, qui menacoient le généreux Fils de Drufus ; avec quelle joie n'as • tu pas vu fes vertus & fa gloire couronnées par les honneurs du triomphe; honneurs, ni mandiés par 1'intrïgue ni ravis par Ia violcnce, mais le juste pnx de la magnanimité. Ta main fcavante, ö mon Ami! ofa cueillir une branche des Jauriers du Vainqueur pour en orner ma tête, & ta lumiere m'éclaira pendant que je chantois. rermets donc , cstimable Epoux , que mon cocur reconnoisfant fe fatïsfasfe: depnis plus de deux lustres il t'a confacré fa tendresfe : il te confacre auiourdhui mon Héros. Qu'un autre fasfe 1'éloge de tes talcns; qu'un autre parle au monde de tes A 4 vers  itrs harmonieux; je connois ta modestie: fenfible au bonheur d'être utile, le fcavoir est peu pour toi, & la louange t'importune. I/Epoufe de Germanicus, la vertueufe Agrippine, ne rait fa gloire que dans 1'amour du Héros a qui fon fort fut lié; ainfi mon bonheur véritable est dans ton coeur , & ïna gloire est dans ton nom. Si mes chants font honnorés d'uu regard de ma Patrie, fi Germanicus revit deformais nux bords du Rhin , mes vers, en célébrant ce grand homme, diront encore aux coeurs honnêtes, que la tendresfe de van Winter fit la felicité de fon Epoui'e, LUCRETIA WILHELMINA VAN WINTER, Née FAN MERKEN. G E P.-  GERMANICUS. CHANT PREMIER. Je chante ce Héros, qui conduifit les etendards de Rome dans les forêts da Ja belliqueufe Germanie ; qui punk le nieurtre de Varus, combattit Arminius, & rétabht les loix de 1'Empire au de-la du Rhin; le Fils de Prufus, dont la gloire, victorieufe de i'adverfitéjcutimpoferfilencea lenvie; le Rornain le plus digne qu ait jamais honoré le char de triomphe. Vénérable Science de 1 Antiquité, qui devclopates fur les bords fertiles du Nil les hieroglyphes des Prötres de 1'Egypte; qui vlies fleurir jadis les beaux-arts dans Ia Grèce ; vous, dont la culture nous dévoile les tréfors de la fcavante Athènes ; vous, par qm nous avons vu la PhilofoPhie & 1'amour des lettres, éteints dans Ja Grece asfervie, reuaitre avec un nouvel écht dans les beaux jours de Rome; vous enfin , dont les foins ont rasfemblé les momimens & les écrits épargnéspirle temps. pour y coutenipler le fort des Nationsl Uuvrez a ma voix vos volumes antiques; laisfez-moi recueillir les restes de la magniHcence Romaiue; dévelopez a mes veus les révolutions . qui agiterent les rustiques hameaux Tudesques; tandis que ma mufe fuivra le gérrëreux Germanicus dans fes coiules gucrrieres. A 5 Komej,  S GERMANICUS. Rome, parvenue au faite de la grandeur , dictoit, des bords du Tibre, fes loix a 1'Univers , lorsque Jules-Cefar entreprit de s'en rendre le maitre, & d'envahir la fouveraine puisfance. Ce pcuple, jadis fi fier, fe vit contraint après fa mort de s'humilier enfin aux pieds de 1'heureux Oétave, que la flatterie après les guerres civiles avoit decoré du titre d'Auguste. Enlevé a la terre depuis peu, Agrippa, fon petit-fils, ne lui fucceda pns a TÉmpire, quoiqu'il feüt defiré. _Tibere,_né d"un premier hymen de 1'ambitieufe Livie avant qu'elle eüt quitté fon époux pour s'unïr a Auguste, fe vit par fa faga'cité p'acé au rang des Cefars; rang depuis longtemps 1'objet fecret de fon ambition. Cependant, quoique craint & refpeóté fur le fiége d'Auguste, dont il posfédoit la puisfance, il n'étoit pas aimé desRomains. Sou frere Drufus, que fes vertus plus encore que fes fuccès dans la Germanie fuifoient chérir des grands & du pcuple , avoit laisfé leur affection en héritagé a fes enfans- Germanicus fur-tout réunisfoit dès fa jeunesfe la faveur d'Auguste, 1'amour de ■Rome, & les vertus de fon Père. Deja 1'Empereur 1'aVoit élevé aux premières dignités de 1'Etat, & lui avoit faitépöufer la vertueufe Agrippine, fille de la fameufe Julie,qu'il avoit unie a Tibere._Auguste, prévoyant que Germanicus auroit im jour a fouffrir du caraclere foupconneux & inqui annon^oient autrefois fa venue. Un morne filence règne partout. Chacun a les yeux baisfés ; iigne perfide, que la grandeur d'ame du Général prend pour la marqué de la honte & du remords. En s'avangant, il appergoit les tristes victimes de la rage des féditieux; des cadavres dépouillés & privés de iépulture: il les regarde &foupire: il a peiue a contenir les marqués de fon indignation & de fa pitié. Agrippine s'efforce en vain d'imiter fon exemple; elle ne peut cacher a ce fpectacle d'horreur les larmes, qui baignent fes paupieres. Us entrent enfin dans le camp. Les foldats, aflectant un air d' asfurance & de fermeté, demandent une augmentation de paye, ou leur congé. Les vétérans furtout élevent leur plaintes: ,, Vois, difent-ils, ces cheveux, blanchis par tant de campagnes; ces membres, affoiblis par tant de fatigues; ces blesfurcs, qui ,, nous dispenfent du fervice : accorde,, nous enfin un repos, acheté par fix », lustres de travaux. Que 1'on nous perA 7 mer-  6 GERMANICUS. mette du moins de laisfer nos cendres dans le fein de notre patrie". D'autres, plus hardis & plus féditieux, exigeüt formellement, que 1'on augmente leur folde, qu'ils ne trouvent point proportionnée a leurs fervices. Germanicus réflechit, non fans douleur, fur la dispofition des foldats: il veut d'abord que chacun fe rende a fa légion. Pourquoi eet ordre ? s'écrie-t-on. Reponds-nous fur le chatïip : nous pouvons „ êtré inftruits ici de tes intentions." Rasfemblez-vous du moins fous vosenfeiynes.dit Germanicus; &, fi vous attendezries bienfaits de votre Général,re„ fpectez fes ordres." Toüt le camp murmure de nouveau: le foldat obéit enfin lentement & a regret. Quelques-uns des chefs, craignant que 1'efiet de ces troubles ne foit fatal a Agrippine, qui portoit dans fon fein un gage de 1'amour de Germanicus, faisfisfent ce moment pour la conduire, ainfi que les autres Dames Romaines de fa fuite, aux tentes du Général. Cependant le Fils de Drufus s'avance vers la tribune ;&, tandis que les troupes lui prêtent une attention momentanée, il leur parle en ces termes: ,, ö Divin Au^, guste, qui as foumis 1'univers aux loix des Romains! Toi, dont le règne a fait la gloire de 1'Erapire, et qui affermis pour jamais la fplendeur de Rome! „ Toi, qui jouis maintenant prés des Dieux d'une gloire immortelle! Toi „ en-  CHANT PREMIER. 7 enfin, k qui ces légions fouhaitereut un „ règne encore plus durable! Soutiens-moi ,, tandis qu'obligé de rappeller ta memoi„ re k ces memes foldats , je leur parle„ rai de celui que le Sénat a choifi pour „ te fuccéder k 1'Empire. Mais pour„ quoi vous retracer ici, ó Légions! „ comment Tibere a foumis la Rhétie, „ la Noricie, la Vindelicie? Pourquoi „ vous rappeller qu'il a vaincu les Cau- chéens, les Caninefates, les Attuates , „ les Brudteres? N'est-ce pas vous qui lui frayates le chemin de la gloire? Vous eütes part a fes travaux, vous ,, avez eu part a fes triomphes. Vous ne „ craignites point de pénétrer fur fes tra„ ces les épaisfes foréts d'Hercinie; de „ troubler le repos des Faunes dans ces ,, fombres retraites; de marcher a ce re„ riourable enncrni de Rome, le fier Ma„ roborle ; vous lui fites mordre la pous,, fiere, & avec lui tomberent les fauva- ges Marcomans. Rappellerai- je encore „ vos exploits fur les bords du Rhin? Souvenez-vous, 0 Légions! decestemps „ honnorables. Rappellez-vous ce Tibere, dont vous célébriez k 1'envi la gloire, „ lors qu'il entra triomphant dans Rome. „ C'est ce même Général, couronné jadis „ par vos mains, qui règne aujourd'hui „ fur 1'Etnpire du monde. Sou fceptre „ s'étend fur tous les lieux qu'éclaire le „ foleil. L'Italie repofe a 1'ombrc de fon olive. L'aimable paix, qui règne dans Rome, est le fruit de fes vicloires. „ Nul-  8 GERMANICUS. Nulle guerre civile ne trouble le calme de 1'Empire. La fidélité des Gaules „ est conltante. Pourqooi les Légions S) fe fouleveroient-elles ? Pourquoi em„ ployeroient-elles des rooyens féditieux „ pour obtenir des graces de Céfar? Les „ troupes Romaines ont de tout temps donné 1'exemple de la modération : „ qu'est devenue maintenant cette mo„ dération ? oü est cette discipline mili?, taire, le fondement de 1'Empire , la gloi„ re de la patrie,& la fource de nos fuc„ cès ? Cette discipline, qui nousarendus ,, jusqu' a ce jour invincibles , existe-t'elle „ dans la révolte, la fureur, le meurtre? „ Croyez-vous, Soldats, croyez-vous par ces indignes moyeus obtenir les faveurs de Rome & de 1'Empereur." Jusqu'ici les troupes avoient prêté une orèille attentive au discours de Germanicus , ou du moins leur fourd murmure ne 1'avoit pas interrompu; mais, aces derniers mots, leur fureur fe ranime, et leur rage ne fe contient plus. Les uns déehirent leurs vêtemens , & lui montrent leurs cicatrices-: les autres fe plaignent de 1'infufïïfance de leur paye: ceux-ci des travaux continuels , auxquels on les asfujettit: tous de la prétendue févérité de la discipline militaire; fortifier les camps, appjanir les cbemins, tous les travaux attachés a 1'état du foldat, font pour eux des peines infupportables. lis maudisfent a la ibis leurs remparts, leurs armes & leurs chefs. Le fantasün infolent ne refpecle plus.  CH ANT PREMIER. 9 plus rien. L'un demande fon congé; 1'autre 1'augmentation de la folde. „ Qui peut „ retenir, s'ecrient-ils enfemble, le paye„ ment du legs, qu'avant fa mort Auguste „ a fait a 1'armée?" Plus loin, une autre troupe, élevant la voix, dit, en s'adresfant a Germanicus-même: ,, Pourquoi nous „ vanter ici les exploits de Tibere ?pour„ quoi lui prodiguer des louanges, qui „ t' appartiennent encore plus ? Ger,, manicus , c'est toi qui es la gloire de „ Rome; c'est de toi que la Patrie at„ tend fon falut ; ofe t' asfeoir au „ tröne d'Auguste: Règne, Germanicus; toi feul tu en es digne. Règne, nous „ te reconnoitrons." Ces paroles inïidieufes frappent de proche en proche 1'oreille des foldats. Les plaintes cesfent. L'esprit flottant de la multitude change d'objet: tous s'ecrient a la fois: ,, Règnes, Germanicus! règnes! fois Empereur 1" Le Héros magnanime fent frémir a ces cris fon coeur indigné; il témoigne de la voix & du geste ï'011 horreur pour une telle propofition. Envahir 1'Empire estun crime, dont fon ame généreufe eatincapable. Mais c'est cnvain qu'il éleve la voix; la pasfion refufe de 1'entendre, & rien ne peut calmer cette nouvelle fureur. Germanicus, qui voit fes efforts inutiles, risque tout pour éviter la contagiou de ces furieux; il s'élance, il fuit de la tribune, & tente de fe frayer un chemin au travers de la foule a 1'aide d'unpetit nombre d'amis. Mais les troupes s'avancent, s'op-  i© GERMANICUS. s'oppofent a fon pasfage, & le menacent même de leurs armes meurtrieres, s'il ne s'arrête. Quoi, s'ecrie-t'il, fuis-je donc capa„ ble a vos yeux de me faire le chef „ d'une troupe de mutins? Moi trahir 3, 1'Ktat? Moi, Romains! attaquer 1'auto„ rité de celui que j'ai falué comme mon „ Père, en la préfence des Dieux immortels? Moi devenir fils ingrat, citoyen perfide? Non, cette Mcheté m'est odieufe; & plutöt que de m'en rendre „ coupable, je dévoue mon lang a Rome ,, & a Cefar." En achevant ces mots, il tire fon epée;&, fans les cfforts de fes amis effrayés, il alloit accomplir ce funeste facrifice. La magnanime fidélité du Héros change la fureur du foldat en une rage plus affreufe encore. ,, Meurs donc, s'écrient - ils., „ meurs, fi tu ne veux pas fègner." Le Prince, irrité de leur infolence effrénée, cherchoit a fe rendre maitre de fes armes , lorsqu'un certain Caluzidius, percant la foule, arrivé jusqu'a lui, & lui préfente une épée nue. „ Prends ce fer, lui dit,, il avec arfogarice, & fi tu veux tran„ cher tes jours, fers - toi de ce glaive, plus aigu que le tien." Cette infulre sudacieufe offenfe les foldats, tout furieux qu'üs font; ils ccartent ce téméraire, & i'empêchent de pourfuivre. Cependant on s'attroupe autour du Général; la ffiültitüdè le presfe de toutes parts; & cc n'est qu'avec la plus grande peine  C HANT PREMIER, u peine qu'il fe dégage du milieu de ces forcenés. Ses amis le reconduifent enfin a fa terne, & tachent de calmer fes esprits, agités par les troubles de cette horrible journée. Tandis que le camp retentit encore de leurs cris, tous ceux qui étoient revétus de qudque emploi dans 1'armée ferendent auprès de Germanicus, pour lui offrirleur fecours. Cecina, qui commandoit en 1'abfence dn Général, parcit a leur tête. ,, Ah! dit le Prince, que n'avez-vous arröté le tumuke avant fes terribles ,, progrès!" Cecina, non moins affligé que Germanicus, rejette ce malheur "fur la violence inopinée des troupes. „ Nous „ avons été furpris, lui dit-il, & dès le „ premier instant hors d'état de réfister. Entouré de toutes parts, j'ai vu les „ centurions attaqués fans pouvoir les 3, défendre; j'ai vu Septime , tacharit ,, envain de fe fauver dans la tribune, ,, arraché d'entre mes bras par ces furieux: & que pouvois-|e, fi le Fils de Cefar fe voit contraint lui-möme de céder a „ leur rage ? J'ai placé cependant des ,, espions dans tous les quartiers du ,, camp; nous ferons infortnés des des„ feins des féditieux; & votre prudence ,, réglera le parti qu'il conviendra de ,, prendre." ,, Le temps est court & le périlpresfe, ,, reprit Germanicus. Voyons dès ce mo,, ment ce qui peut être entrepris pour le „ falut de Rome." 13  12 GERMANICUS. II achevoit a peine ces mots, lorsque Stertinius entra: on lifoit la consternation fur fon vifage. „ L'Armée, dit-il, fe fou„ léve de plus en plus : je viens d'enten- dre, que les féditieux forment le desfein „ funeste d'envoyer des partis au camp du „ haut Rhin, pour 1'exciter a la révolte; & qu'aveuglés par 1'espoir du butin „ ils _ ont réfolu de livrer la Ville des Ubiens aux flammes & au pillage." Cette triste découverte jette i'étonnement & la terreur dans 1'ame des chefs asfemblés. Sabinus ouvre enfin le premier fon avis. ,, II faut, dit-il, s'oppofer par ,, la force au projet de ces mutins; qu'on arme au plutót nos amis & nos alliés, & qu'on marche contre ces furicux." Non, non, replique Vernnius, veux,, tu donc voir le masfacre devenir uni,, verfel, & la terre s'abreuver de fang? s, Ne donnons point de nouveaux alimens ,? a la haine." Apronius adopte ce fentiment moderé, et ajoute qu'il vaut mieux appaifer les troupes par des dons. Germanicus, après avoir réflêchi fur ces_ diverfes opinions, prend enfin unjuste milieu. ,, Mon caractère , dit-il, m'éloigna „ toujours des moyens févéres; j'abhorre la „ guerre civile, & ne détestcpas moins la j, lachecomplaifance. Les plaintes desvété,, rans nefont pas entieremcut injustes;un „ foldat merite fans doute de goüter le Sï repos après avoir fervi 1'Etat pendant „ vjngt ans: fuppofons-donc dans les „ circonftances actuelles des lettres de » Ti-  C R A N T PREMIER. is „ Tibere, par lesquelles il accorde le „ congd aux vétdrans, & doublé la ibm„ me legude par Auguste." Cet avis fage rdunit tous les chefs. Les lettres font dcntes, & ron en fait rdpandre le bruit parmt les foldats, qui, au miheu de leur aveugle férocité fe doutent du ftratagème: ils n'en deviennent que plus presfans; &, profitant de 1'occaiion , ils forcent les tribuns a exécuter lur le champ les ordres de 1'Empereur Leur fureur s'étant enfin calmée par'cet aóte de condescendance, le Gdndral iu°-ea ft propos de les divifer en deux corps Ö& de les fdparer. II en envoye un a Vdte'ra1 autre est distribud dans la Ville des TjI biens, qui n'avoit plus rien Ét craindre de leurs mauvais desfeins. lis partent, foumis aux ordres du Princc, mais s'applaudisfant intdrieurement de leur conduite, & portant en tnomphe les fruits qu'ils en ont retirds comme fi ces dons eusfent dté des ddpouil' les pnfes fur 1'ennemi. Germanicus, profitant du calme rdtabli, le dispofe a partir pour l'armde du haut Khin : il y va recevoir le ferment dc fiddlitd des troupes envers Tibere, & rafcrmir aupres d eux fon ancienne autoritd La tout est en joie a fon approche. Les Idgi' ons fideles , animées par Silius , qui fes commande , célèbrent fon arrivde par des acclamations & des chants de guerre. Le Hdros , fatisfait, loue leur attachcment: il eur promet de doubler en leur faveur le legs, que leur avoit fait Auguste en mou- rant;  H GERMAN1C ü S. rant; & il cuTre aux veterans leur congé, s'ils préférent lc repos a dc plus loiigs lervices pour la Patrie. La jjénéxoiité du Héros porte Pauendrisfcment dans le cceur des foldats; ils prétem avec jok un nouveau ferment, difté par la reconnoisfance. Ils élevent la voix, & font retentir le camp des eloges qu'ils donnent a Tibere; mais, en fecret, leurs vceux font pour Germanicus, qu'ils regardent comme leur unique appui. Asfuré de la fidélité de cette armée, le Prince , accompagné de fes amis , part pour la Ville desUbiens, oü fon Epoul'e & fon Fils attendoient fon retour avec impatience. Cependant Arminius , Chef des_ Gerrnains, avoit appris les troubles , qui divifoient 1'armée Romaine &, profitant de cette circonftance, il fe hite de rasfemblcr les Querusques, fes concitoyens: il invite les Tubantes, les Cattes, & les Marfes, i fe joindre a lui, pour attaquer Segeste, & tomber enfuite fur les Romains, leurs ennemis commtms. Tandis que ce rédoutable adverfaire iramoit ces desfeins, enfantés par la haine, Germanicus , arrivé dans les contrées Ubéennes, apprend de Cecina les projets du fier Germain. Ce n'est pas tout , „ dit-il au Héros, non loin d'ict est un „ autel, que la reconnoisfance des peuples „ circonvoifins éleva a Auguste. Varus, „ po'ir récompenfer les fervices du fidele „ btgeste, honnora Segimond , fon fils, de 55 '*  CHANT PREMIER. 15 „ la dignité de Sacrifkateur: depuis fept „ ans il remplisfoit les fonétions du facer„ doce prés de eet autel, lors qu', ayant „ appris le foulevement des Tudesques „ & la guerre fanglante qu'ils nous prepa„ rent, ce perfide quitte 1'autel ; & de„ chirant le bandeau facré, qui ornoit fa „ tête, part pour fe joindre aux Barba» Tres-" . Le Pnnce, que ce recit étonne mais n'effraye pas, rasfure Cecina. „ Rends„ toi, lui dit-il, k Vetera; joins aux lé„ gions, qui y font encore, les troupes „ des contrées du bas Rhin: les projets ,, artificieux de 1'ennemi ne lui réusfiront „ pas; abufé par des avis trompeurs, il croit que nous luttons encore contre „ la fédition; fon erreur lui coutera dier; „ il verra dans peu la puisfante Rome triompher de nouveau fur lui," Pendant que Germanicus s'occupoit ainfi des grands intéréts de 1'Empire, on lui annonce 1'arrivée des Députés du Sénat. II envoye au devant de ces illustres perfonnages;&, fe flattant d'avance de recevoir par eux des nouvelles heureufes, fon ame reconnoisfante remercie en fecret le Sénat Romain de cette faveur. Plancus vieillard vénérable , isfu d'une ancienne familie confulaire, & Conful lui-même. étoit le Chef de la députation. 11 étoit fuivi d'une nombreufe & florisfante Jeunesfe, que la renommée du Héros & 1'amour de Ia gloire attiroit dans fon camp, pour combattre fous fes ordres. Ti-  iS GERMANICUS. Tibere, de qui eet empresfement de la jeune noblesfe n'avoit fait qu'augmenter les mécontentemens fecrets, feignoit d approuver leur zèle; mais, en leur permettant de fe rendre au camp de Germanicus , il fit partir avec eux 1'artifkieux Pifon, dont le coeur dévoré d'ambition étoit ouvett a tous les crimes. Uni depuis quelque temps a Plancine, fille peu digne de Plancus, fon pere, il avoit trouvé dans cette femme odieufe une ame femblable a la fienne. La gloire & les qualités brillantes -de Germanicus blesfoient fes yeux envieux: il promit a Tibere d'éclairer la conduite du Prince, & de lui découvnr fes desfeins les phis fecrets; fe flattant en lui - même d'élever fa fortune fur les ruines de celle du Général, dont il fe promettoit d'empoifonner les a&ious. A quels excès ne fe portent pas les pasfions dans un coeur fubjugué par 1'ambition! Pifon est outré de douleur d apprendre h fon arrivée,que la fédition est appaifée: il feint toutefois d'en temoigner fa joie; mais par une adresfe ünistre il esfaye de rallumer en fecret ce feu mal éteint. 11 fait infmuer par fes fatellites, que le Sénat punira les mutins: que Tibere, irrite des affronts qu'a esfuyés Germanicus, fon fils, vengera fon autorité mepnfée. L artiiice réusüt fans peine: la nouvelle^prétendue court de rang en rang, & s augmeute de boucbe en bouche: on cite deja le genre de punition; les dons extorqués feront arrachés de leurs mains; Tibere a pro-  . C HANTPRE M IER. 17 prononcé leur fentenee. Enverroit-il des Proconfuls, s'il ne s'agisfoit pas de vengeance & dechatimens? Sans doute il a infpiré au Sénat fes maximes févères ; ims doute il a fait partir Plancus, Vieillard ^ ^ inllexible , pour les faire exécuter. Le défespoir s'accroit avec la crainte: ou jure de fe réunir contrc le malheur commun 1'efprit de révolte renait: la fureur fe ranime, & 1'on s'attroupe enfin au commencement de la nuit. „ L'enfeigne des Vétérans , difent les „ féditieux, est depofée dans le palais de „ Germanicus; allons la reprendre: mar„ chons ; le temps'presfe , & nous n'avons tous qu'un feul interêt." A ces mots , ils s'avancent en tumulte vers Ia demeure du Général, oü le fommeil paifible avoit deja. répandu fes pavots. La nuit étoit presque au milieu de fa courfe; Ia lune argentée, fuivie de fon cortége filencieux , brilloit au ciel d'un éclat emprunté : la multitude fuperltitieufe en tire un augure favorable. „ Avan^ons, ,, s'ecrient-ils , Uiane est pour nous! Dia„ ne nous protégé !" Us marchent, & perdant toute crainte, ils attaquent en furieux la porto du Général: ils 1'ébranlent, & bientót elle va tombcr fous leurs coups redoublés. Une alarme fubite fe répand dans Ie quartier du Prince: on ignore, on le demande Ia caufe de cette émotion foudaine. Germanicus, que le danger appelle , fe leve, & s'avance vers les troupes d'un pas ferme. „ Soldats, leur dit-il, d'oü I> „ vient  i8 GERMANICUS. „ vient ce nouveau trouble ? que deman„ dez-vous? que pretendez-vous V" ,, No,, tre enfeigne", crient a la fois les mutïns. „ Et qu'en voulez-vous faire en ce „ moment?" reprend Germanicus. „Poiut „ de retard, s'ecrient-ils avec une nouJ„ veile fureur ; notre enfeigne , ou ton ,, refus va mettre en cendres ce palais & ,, la ville emiere." Le Prince , voyant que toute réfiftance est vaine, fe décide, & leur abandonne 1'éténdart. Le bruit s'étoit a peine répandu dans la Ville, que les troupes furieufes investisfoient le quartier du Prince , qu'ausfi-tót fes amis & les Députés de Rome , faifis d'épouvajrte, fe rasfemblent pour lui porter du fecours en ce péril presfant; mais ils font arrêtés dans leur maiche par les faftieux, qui ,n'dcoutant que leur aveugle rage, fondent fur eux, les attaquent & les outragent, en pousfant de grands cris. La Noblèsfe, indignée, veut envain réfister. La voix des Chefs est méconnue. Les mutins frappent fans distinclion. Chacun cherche alors fon falut dans la fuite. Pifon lui-même, Pifon, 1'artifan caché de la fidition,peut a peine échapper a la mort: il éprouve en ce moment, que le moteur d'une révolte en est quelquefois la première viclime. Tel on voit un courfier indocile méconnoitre la main qui le guide, & renverfer dans fa fougue le cavalier, qui le monte. Plancus fur-tout, accompagné de fes Meurs & revêtu des ornemens de fa dig- ni-  C H AJSI T PREMIER. 19 nité, court Ie plus grand péril; les féditieux disperfent fa garde, s'avancent fur lui, le presfent de toutes parts & faifant briller a fes yeux le glaive menacant, ils eusfent trempé leurs niains crimin'elles dans fon fang , fi, malgré la terreur dont il étoit frappé, il n'eut faifi le moment de fe jetter avec précipitation dans l'endroit,oü fe gardoit 1'aigle de la première légion; afyle facré, dont la violation feroit le plus grand des crimes. La, tenant 1'aigle eoibrasfée de fes mains tremblantes, ce vieillard vénérable s'écrie: „ ójupiter! Daigne ,, appaifer la rage infenfée de ces furieux: ,, ne permets pas qu'ils fasfent eet outra5, ge a la Patrie de fouiller leurs mains par „ le meurtre d'un Ambasfadeur Romain !" Ces paroles de Plancus ne 1'eusfent point prefervé de la fureur des mutins, fi Calphurnius, a qui 1'aigle etoit confiée, ne fe füt généreufement expofé pour fon falut; & ibutenu de quelques foldats fideles, n'eut contrahit les féditieux a porter ailleurs les elfets de leur rage. Tandis que toute la Ville est en proye a ces alarmes, le trouble le plus affreux règne dans le palais de Germanicus. Les Dames Romaines, éperdues, gémisfent & fondent en larmes. Agrippine fenle ne laisfe point abattre fon courage: il femble que le danger n'est rien pour fon ame magnanime: elle ne tremble que pour les jours du Héros. Le Prince apprend avec indignation , que Plancus & la Noblesfe Romaine n'ont R 2 échap-  so GERMANICUS. échappé qu'avec peine au fer meurtrier des faclieux. Une juste colere fuccède aux chagrins qu'il éprouve. „ Amis , dit-il , fuivez-moi : allons fauver nos concito,, yens: arrachons fur-tout le Conful a la „ fureur du foldat." II dit, & part. Sa troupe fidele grosfit a mefure qu'il avance. II marche vers la tribune; &,percant avec fermeté les flots de la multitude féditieufe, il les contraint au refpeéf. par fon maintien asfuré. Son afpect majeftueux leur reproche, même avant qu'il éleve la voix, 1'oubli de leur devoir: la noble fierté,qiü fiege fur fon front , leur en impofe , & leur fait deja craindre la vengeance du Général irrité. Du haut de la tribune il appelle Calphurnius. „Ne redoute, lui ditil , ni les cris ni les menaces: conduis ici le Conful". Les 'foldats, dont le courroux a peine a fe retenir, font frappés d'un ordre fi fier: &, pendant qu'ils héfitént s'ils fermeront le pnsfage au Conful , Calphurnius Fa deja conduit a la tribune * oü le Héros le recoit dans fes bras. II envoie ii 1'inltant des amis fideles , pour rasfembler & ramener prés de lui laNoblesfe disperfée. II s'adresfe enfuite aux foldats, dont il aime mieux attribuer la rage a la colere du Ciel qu'a leur propre faute. „ ó Lé„ gions! leur dit-il, oui, je crois que 3, ce font les Dieux irrités,qui vous précipitent dans ces mouvemens de révolte: c'est 1'influence du Destin qui vous égare. Ne vous ai -je pas accordé tout „ ce que vous avez defiré ? Quelle est donc  CHANT PREMIER, at „ donc la caufe de vos foupqons outrageans? N'est-ce donc plus a moi, que doivent s'addresfer les Députés de la „ Patrie? Sont-ce les foldats qui doivent ,, être inftruits les premiers des confeils du SénatV Les Ambasfadeürs de Rome, ,, dont le caractère est facré, menie cbez ,, les Barbarcs , ne feront-ils plus re,, fpeftés dans un Camp Romain ? Lé,, gions féduites! reconnoisfez votre éga-' ,, re ment: mettez fin a vos fureurs. Et ,, toi, lage Plancus! daigne leur pardon* ,, ner eet outrage , que j'aime a croire ,, involontaire." Cependant la trolipe des Chevaliers Romains, rasfemblés en fecret, est arrivée prés dc Germanicus: ils conduifent les Députés vers un afyle plus für. Les routins fouffrent leur départ en murmurant, & méditent dans leur coeur le des* fein farouche de s'en venger fur leur Général, qui, fuivi d'une foule d'Amis fideles , retourne rers fon Epoufe , en déplorant Paveuglement des troupes; fatisfait toutefois d'avoir foustrait au danger & a la rage infenfée de la foldatesque le vertueux Conful & les Députés du Sénat. Sabinus, a qui le calme apparent des foldats n'en impofe point, oie s'addresfer a Germanicus, & lui parle en ces termes. „ La fureur du peuple n'est que concen„ trée:elle éclatera bientót peut-être avec „ plus de violence, fi tu ne te hates d'y „ mettre un frein par des moyens plus „ efficaces: fais approcher 1'armée du B 3 „ haut  as, GERMANICUS. „haut-Rhhi, dont la fidelité ne s'est „ point démentie: appuie ton autorité „ par fa préfence, puisque tes bontés né „ peuvent afloucïr ces mutins: qu'as-tu „ obtenu par le renvoi des Vétérans, & „ qu'ont produit ta clémence & tes bien,, faïts ?" „ Je në me repéntïrai jamais dc ma „ bienfaifance , repond Germanicus; et je .„ prefererai plustót de courir tous les daii„ gers dont ta prudence s'alarme pour 3, moi, que d'armer de nouveau Rome „ contre Rome: j'ai trop vu les horreurs ,, de la guerre civile." „Mais coniidere, reprit Sabinus, que nous fommes tous „ investis par les féditieux: regarde au„ tour de toi: que deviendra la vertueufe ,, Agrippine? que deviendra ton Fils? que „ deviendront nos époufesV" Une émotion fubite fe répand h ces mots fur les traits du Général: fon creur connoit pour la première fois la crainte. Le fort d'Agrippine 1'occupe tout èntier. Tous fes amis profitent de ce moment pour appuyer les raifons du fidele Sabinus, et lui confeillent d'éloigner du moins fon Epoufe et fon Fils. La généreufe Agrippine s'oppofe feule k eet avis falutaire. Sa tendresfe courageufe ne peut confentir a quitter le Héros qu'elle adore. „ Non, dit-elle, avec une ,, modeste asfurance; non, nous ne quit„ terons point ce que nous avous toutes „ de plus cher. Quant k moi,je n'aban„ donnerai jamais mon Epoux; je faurai 5 3 par-  CHANT PREMIER. 23 partager fes dangers, et mourir avee „ lui." ,, Cesfe, vertueufe Epoufe, lui dit Germanicus, attendri; cesfe de t'oppo,, fer a ce départ nécesfairè. EpargnonS ,, aux légions le crime le plus airoce. „ Accorde-moi, chere Agrippine, ü je ., dbis devenir ia victime de leur fureur, de te mcttre a couvert avec. ton Fils. ,, Mon courage renaiira, lorsque je n'aurai ,, plus a trembler pour tes jours et pour „ les fiens." ,, N'enteuds-tu pas ces cris féroces? ,, ajoute Antejus. Pourrois-tu, Fils de „ Drufus , pourrois-tu fupporier FafFren- fe idee de livrer ces innocentes viéYt,, mes a la 'rage des mutins; en atten„ dant qu'ils accomplisfent leurs forfaits, „ et portent jusque fur toi leurs mains cruelles?" ,, Chere Agrippine, dit Germanicus, ,, en la ferrant dans fes bras; au nom des „ Dieux, fuis ces murs barbares: vas ,, chercher un afyle chez les fideles Tré,, veriens: pars avec eet enfant ch'éri; & ,, que le danger du tendre fruit, qui doit „ bientót recevoir de toi la lumiere, te ,, determiue a cette douloureufe fépara,, don." Agrippine, inondée de larmes ameres, laisfe échapper ces tristes paroles, qu'interrompent vingt fois fes fanglots. „ 11 le ,, faut donc... tu 1'e.xiges... Germani,, cus... Je connoismon devoir, j'obéis..." Ce fpeclacle touchant fait cotiler les pleurs B 4 de  24 GÉ RMANIC U S. de tous les amis du Héros , qui, gardant ua filence plus expresfif que les mots, presfe tour-a-tour fon Epoufe & fon Fils fur fon fein. Qu'il en coüte clier au cceur de fe féparer de 1'objet qu'il adore ! Tandis que les Dames Romaines fe préparoient a partir, en déplorant leurs infortunes, Agrippine prend fon Fils dans fes bras. „ Viens , cher enfant, dit-elle; viens, abaudonne ce camp oü tu fus élevé: fuis ta triste Mere chez des 5, peuples étrangers; c'est la que nos larmes imploreront les Dieux pour le Héros, qui t'a donné 'le jour." Elle presfe encore une fois Germanicus fur fon fein palpitant, & quitte enfin ce palais défolé, iüivie des Dames Romaines, fes compagnes fideles dans les jours de fon infortune comme dans ceux de fa gloire. La Princesfe s'effbrce envain de dérober fa douleur a la vue des foldats; elle abaisfe fur fon Fils fes yeux baignés de larraes. Ses compagnes éplorées font rétentir Fair de leurs plaintes. Les gémisfemens des meres & les cris des enfans » attirent 1'attention des féditieux, accourus ii ce fpcclacle. Ils contenplent avec étonnement les Dames Romaines; & la douleur de ces illustres fugitives attendrit enfin ces ames farouches. Quoi, difent-ils 5, entre eux, ce font nos fureurs qui les forcent a quitter Ia Ville? C'est nous „ qui caufons eet exil funeste? Quoi, Agrippine ohligée de fe dérober aux légions; d'aller maudier Ia pïtié des jj Bar-  C II A N T PREMIER. 25 Barbares pour fon Fils; ce cher Fils, 5, le nourisfon de 1'armée, qui n'a pis ,, dédaigné d'étre vêtu comrne nous: ,, Agrippine, 1'lionneur de Rome par fa beauté, fa vertil, fa naisfance: rigrip,, pine, la bienfaitrke des foldats, cette ,, tepdre mere, cette époufe lidele, qui ,, fait la gloire des légions? Non, nous ne le fouffrirous pas. En quoi nous „ a-t'elle offenfée ? Et Germanicus lui„ même , quelle faute a-t'il commife ? Netoit-il pas de fon devoir de prot'é„ ger les Députés ? Sans lui , fans fon „ courage ne nous rendions-nous pas „ coupables du crime le plus atroce! „ Allons, invoquons fa clémence, & prévcnons par notre repentir le depart de eet femmes illustres." Une partie des troupes fe jette alors aux pieds d'Agrippine, & environne fou touchant cortège ; tandis que les autres vont implorer le Général. „ Arréte , „ s'écrient - ils, arrête, Femme refpeéta„ ble ! tu ne partiras pas." „ Que pre„ tendezvous? leur dit-elle. Laisfez-moi. „ N'augmentez pas 1'indignation de Rome ^ „ & de 1'Empereur par de nouveaux at*tentats. N'est-ce pas asfez' dc me con„ traindre a la fuite pour me dérober a „ vos fureursV" „ Laisfe-toi flêchir , „ s écnent-ils, reste, pour recevoir les „ marqués du plus fincere repentir." Cependant Germanicus, dont les derniers excès des troupes avoient vaincu la patience, êtoit forti de fon palais. II B 5 ren«  «6 GERMANICUS. rencontre 1'autre partie des foldats, qui 1'abordent d'un air fuppliant. Leur vue rallume fon indignation: il leur fait figrie de fe retirer, mals ils fe jettent a fes genoux, & le fupplient de rappeller Agrippine & fon Fils. Germanicus délibere, s'il doit leur repondre. Enfin il rompt le 11lence par ces mots- „ Que vous importe leur départ? Si je cherche a mettre ,, en fureté mon époufe & mon fils, ce ,, n'est pas qu'ils me foient plus chers „ que mon Pere & 1'Etat: mais 1'Empe„ reur est asfuré par fa diguité facrée, ,, & Rome a d'autres armées prêtes a la ,, defendre. Ma femme & mes enfans, „ dont je hazarderois les jours fans me ,, plaindre .fi leurfang pouvoit nous s.sfu5, rer la v'iótoire, ine font trop précieux 3, pour les laisfer en bute a la fureur de troupes impies, qui foulent aux piéds 3, les loix les plus facrées. Quels cri3, mes en effet n'avez-vous pas commis? qui avez-vous épargné? & quel nom a, puis-je vous donner? Etes-vous des „ Soldats, vous, qui ofez tourner vos s, armes contre votre Général, contre le 3, Fils de votre Empereur! Etes-vous ,, desCitoyens, vous, qui méprifez les „ loix du Sénat, qui ontragez les Magi3, ftrats, qui violez les droits facrés des Ambasfadeurs, & qui voulez verfer le ,, fang de vos Chefs? Le Divin Jule d'u3, ne feule parole fit rentrer fon armée dans le devoir; Auguste d'un feul re9S gard prévint la revolte de la lienne; & „ moi 3  C II A N T PREMIER. 27 ,, moi, qui, fans avoir acquis encore au3, tant de gloire, les compte parmi mes ,, Ayeux, je veux envain arrêter vos fu,, reurs. Dqis-je attrister 1'Empereur par ,, ces affreufes nouvelles, lors qu'il ne re,, ^oit de toutes pans que les témo:giages honnorables de la fidelité des trou,, pes , que commandent d'autres Gêné? ,, raux ? Lui apprendrai-je la rebellion des 5, jeunes foldats? Celle plus indigne en,, core des Vétérans, que les congés & les dons ne peuvent calmer? Lui di„ rai-je enfin qu'au milieu de mes troupes „ mes jours mêmes font menacés? Amis „ imprudens & peu jaloux de ma gloire! „ pourquoi arrêtates- vous le fer dont „ j'allois me percer le fein? Ces infen„ fés eusfent choifi un autre Chef, qui, plus heureux que moi, peut-être auroit ,, réparé les pertcs de 1'Etat & appaifé 1'ombre de Varus par le fang des Ger3, mains. Ah! que jamais les Dieti* in3, mortels ne permettent, que la gloire de j, venger les injures de Rome foit réfer3, vée aux armes des Helges, quelque ,, généreux qu'ils foient! ó Mdnes des „ héros, dont les triomphes out jadis ,, étonné 1'univers! Ombres illustres d'Au,, guste & de Drufus, mon Pere! Parois„ fez ! Montrez-vous a ces légions ; & „ conduifez - les encore a ia gloire! vous ,, êtes temoins de leurs remords: vous voyez la bonte & le repentir dans leur» „ yeux abattus: effacez leurs fautes; & ,, que, la discorde fuïant maintenant du B 6 coeur  |8 GERMANICUS. coeur de mes foldats, iis ne tournent deformais leurs armes que contre les ,, Ennemis de 1'Empire! Et vous, Lé9, gions,fur le front de qui j'entrevoisles ,, marqués d'un fmcère regret! Si vous i, êtes dispofées a rendre aux Députés „ duSénat les refpeéts qui leur font dus, 5, a Tibere 1'obéisfance que vous lui de- vez; li votre Général peut être asfuré „ de votre foumisfion; fi vous defirez „ lui rendre fon Epoufe & fon Fils; fi ,, enfin vous effacez vous-mêmes cette ,, 'tache par la punition de vos féducs, teurs; alors vous convaincrez 1'Etat de ,, la fincerité de votre repentir; alors 3, vous reuouerez le lien de la concorde , ,, & vous retrouverez encore dans votre s, Chef votre Pere & votre Ami." Germanicus obferve avec joie 1'impresfion que fon discours fait fur le foldat: leur ancienne affection pour lui reprend bientót toute fa force; leurs ames féduites reviennent fans peine au devoir; femblables au voyageur, qui, s'étant égaré de fon chemin pendant les horreurs d'une nuit fombre, le retrouve enfin a la faveur de 1'aurore naisfante. • Le Héros avoit a peine cesfé deparler, que des voix fuppliantes s'éleverent de toutes parts. ,, Pardonne, généreux Prin,, ce.' que tes chatimens ne tombent que fur les plus coupables. Mêne nous a ,, 1'ennemi; nous bruions de laver nos ,, fautes dans fon faug. Rappelle Agrip5ï pine & fon Fils; rends-nous le nouris- 55 -on  C H A N T PREMIER. ao „ fon cliéri de 1'armée; que les Gaules ne fe glorifient jamais d'avoir posfedé „ de tels otages; que notre camp foit 1'heureux afyle de ces gages facrés." „ Je recois vos protestations, replique ,, Germanicus. Que mon Fils reste par,, mi vous: mais 1'état. dc mon Epoufe „ exige queique temps d'abfence; bientot vous la verrez reparoitre avec un nouveau fruit de notre hymenée, u* ,, la chaste Lucine daigne exaucer mes prieres." Le Prince rejoint alors Agrippine, & fait renaitre la joye dans fon ame abattue. Elle confie fon Enfant cheri aux foins,du plus tendre des Peres, qui nomme alors une escorte convenable, pour 1'accompagner le long du cours tortueux de la t\iofeile jusque dans la ville des Trevcriens. Elle est fuivie de la majeure partie des Dames Romaines; quelques unes, voyant la fédition appaifée, avoient pris de la confiance', & étoient retourne'es vers leurs époux. Agrippine prend congé de Germanicus, & sen fépare avec plus de tranquillité, après avoir vu la lübordination rétablie. Les foldats cependant fc disperfoient dans la Ville, pour faifir les auteurs de la révolte. Le Généra', arrêtant leur zele, les dirige en fecret: il veut que les forfaits de tous foient expiés par la mort de peti de coupables. 11 ne punit le crime que pour prevenir des crimes plus atroces encore, La Justice ne fe laisfe jaB 7 mais  3s GERMANICU S. mais fubjuguer par la foif de la vengeance. Germanicus rétablit enfuite 1'ordre dans les légions : il nomme des chefs aux bandes, qui en font privées. Lui-même s'informe de leurs noms, de leur origine, du temps de leur fervice. Les témoignages favorables de conduite & de bravoure font a'uprès de lui les feules recommandations; il écarté quiconque est accufé d'avarice ou de crnauté: quelle que foit dans ces derniers la longneur du fervice, ou la grandeur du noin, le Prince exige que dans les guerriers la vemi foit unie a la valeur. Calphurnius, dont le courage a fauvé un Conful d'une mort infaillible, recoit des mains du Général la couronne civique, formée de feuilles de chêne; re» compenfe honriorable duCitoyen qui expofe fa vie pour fauver celle d'un Romain. Au milieu de tous ces foins pour le rétablisferaent de la discipline militaire, on vient apprendre a Germanicus, que les deux légions, qu'il avoit envoyées a Vetera fous les ordres de Cecina, ont levé de nouveau 1'étendart de la révolte. Cette nouvelle accablante 1'affligc profondement: il fent la necesfité de s'oppofer par la force des armes a des fadtieux, qui bravent également fa douceur & fes chatimens. Un reste de commifération 1'arröte encore. Avant de marcher aux rebelles, il découvre fes desfeins a Cecina. II lui écrit, qu'il part lui-méme avec un corps de troupes formidable, & le pré- vieut  C IIA N T PREMIER, j i vient, que , fi ce dernier avis ne fait pas tomber les armes des mains des féditieux , il va bientót donner a Vetera un exemple mémorable de féverité. Trois fois 1'astre du jour avoit éclairé 1'hémisphèrfe, & pour la quatrieme fois il s'élevoit fur 1'horizon, brillant d'or & de pourpre, lorsque Germanicus, s'avancaut a la téte de fon armée, découvrit au loin les remparts de Vetera. II s'arrête ; & fon ame compiitisfante gémit fur le fort, qu'il va fans doute être forcé de faire fubir aux féditieux. Mais bientót il appergoit Cecina, fuivi de fes Troupes, qui de loin célébrent fon arrivée par des acclamations. „ Bannis toute idéé de fe„ vérité, Prince magnanime! lui-dit le ,, Commandant, en Pabordant: tu ne trou,, veras plus de féditieux a Vetera: les ,, Troupes fideles les ont punis elles-mê„ mes. Reconnois-les pour tes folda'.s, & daigne pardonner les fautes pas,, fées." Cette heureufe nouvelle rétablit Ie calme & la joye dans le cceur du Héros: mais, en approchant des remparts, il ne peut retenir fes foupirs k la vue des tristes viétimes de la vengcauce: toute la Ville n'ofFre qu'un fpectacle d'horreur; les rues font couveries de cadavres, tombés fous le fer de leurs concitoyens. Cet horrible aspecl: fait frémir ceux-mêmes, dont Ia main s'est trempéc dans le fang criminel des mutins. Germanicus ne cache point fes pleurs. Le veritable héroïs- ms  3- GERMANICUS. me n'exclut point ia douce humanité. ,, Quoi, dit-il, tant de Guerriers tombés „ fous le glaive de leurs Compagnons! he„ las! est-ce la guérir? c'est porter une „ plaie profonde. Üdieufe journée ! Ah ! „ du moins accordons la fépulture a leurs „ cendres, puisque nous ne pouvons re- voquer les arrêts du Destin." • On éleve a ces ordres le bucher funèbre; & les cadavres de ces infortunés, auxquels on refufe toutefois les folemnités accoutumées, devicnuent bientót la proye des Hammes. Ce devoir étoit a peine rcmpli, que les troupes, brülant d'asfouvir leur fureur fur les Germains, & de venger le meurtre de Varus, demandent a grands cris d'être menées a 1'ennemi. Germanicus, impatient lui-même de combattre Arminius, qui de fon coté s'avancoit avec des forces fédoutables, fait jetter un pont fur le Rhin, non loin de Vetera; & après avoir rasfemblé toute 1'armée, qui ne respire que lavengeance, il marche a grandes journées vers le pays des Marfes. CER.  GERMANICUS. C H A NT SE C O N D. La fiere Italië, que 1'Univers enticr contemple avec refpeét ; cette heureufe contrée, qui voit la célèbre Rome s'élever fur fes montagues, & regarde au midi, a 1'orient, & au couchant,les vaisfeaux,qui parcourent la mer Méditerrannée, a pour limites vers le nord des montagnes escarpées, des rochers peu vilitds, & dont la main des hommes auroit peine a peindre la frappante horreur- les Alpes enfin, qui élevent leur tète jusqu'aux astres, baisfent leurs regards fur les nuages; & qui, entourés de gouflres profonds, dont le feul afbeet fait frémir le coeur le plus intrepide, font couverts d'une éternelle glacé. C'est au pied de ces montagnes que 1'Adula produit le Rhin, en 1'honneur duquel les Arufpices de Rome éleverent jadis des autels. Ce fleuve céldbre tire fon origine de deux foibles fources , dont les deux branches argentees tombent de roes en roes , & font jaillir avec bruit leurs eaux limpides. Une de ces branches fe cache, en ferpentant, dans les conduits fouterrains d'un rocher, qu'elle rencontre cu fa courfe, d'oü, s'ouvrant un pasfagc , elle fe ré unit a 1'autre branche, fa compagne, & tombe avec elle dans le grand lac d'Acroirie, oui voit au nord les mouts lointains d'Ab-  34 GERMANICUS. d'Abnoba, & au midi les rivesTiguriennes. En fortnut du lac, qu'il traverfe, le Rhin, devenu plus rapide, parcourt en bouillonnant des terreins montagneux; descend de rochers en rochers, & fe précipite avec éclat dans la plaine. On entend au loin le murmure bruyant de fes ondes blatichisfantes. Quel afpedt impofant furprend le voyageur, lorsque, conteinplant au lever de 1'aurore la iurface de ces lieux, tout le payfage ne lui parolt qu'une vaste mer, jusqu'a ce que 1'astre brillant du jour ait disfipé les brouillards, qui couvrent 1'azur du ciel, & dore le fommet des Montagnes ! C'est alors que fon ceil étonné appercoit des hameaux & des.collines s'élever du fein de cette mer apparente , & charmer fa vue, telle qu'une isle nouvellement formée. Le fleuve recoit, en s'avancant fur le territoire du peuple Helvétiqne , 1'hommage de la tortueufe Aar, qui lui ofïre le tribut de fon urne. Non loin de la, il appercoit a 1'occident, les habitations des Rauraques; a i'orient, le fp?ctacle magnifique des monts Ddcumates & la fombre forêt d'Hercinie, oü les fiers Marcomans fondèrent autrefois leur Ville. De la, nouveau ivleandre, il femble s'éloigner a regret de ces beaux lieux, qu'il parcourt en ferpentant jusqu'a ce qu'il recoive en fon fein les eaux du Neccar. Plus loin il contemple dans fa courfe les cinquante forteresfes , fondées fur fes bords après tant d'années de guerre & de carnage; il compte ces boulevards impofans , élevés par  C H A N T S E C O N D. 35 par les fils de la fuperbe Rome pour étendre fa puisfance jusques a 1'ocean & foumettre les nations étrangeres. A gauche s'éleve Argentoratum ; derrière fes "remparts font des plaines fecondes , couvertes ri'épis nourriciers, terminées par des forets épaisfes, retraites des fangliers & des tauréaux fauvages, & couronnées de montagnes , dont les fommets fe confondent avec les nuages. 11 arrofe les rives fleuries des Nemètt s & ie pays des Vangiones; il baigne les murs de Moguntia, prés de laquelle les eaux Jaunatres du Mein viennent fe mêler a fes ondes. Le courageux Matiaqueje falue, & du haut du rnont Taunus le luit au loin des yeux, jusqu'aux rives des Tréveriens. En quitant ces contrées, le fleuve majeflueux recoit , prés des'regions Ubéennes, les eaïix pures de laMofelle. La vigne, ornement chéri des fanctuaires de Baccbus , ne tapisfuit point alors de fes branches tortueuïés le penchant des coteaux, couverts encore d'arbres touffus , qui comptoienf plufieurs fieclcs. Les fons effrayans de la trompette guerriere n'avoient point rétenti dans ces lieux depuis qu' Auguste , après le meurtre des légions de Varus, en avoit fait la limite des Gaulcs & des Germains, Le fleuve rapide luit, en murmurant, les habitations des Uzipiens & des Tenétres, fiers de la vitesfe de leur cavalerie. II recoit le tribut de la Lippe, dans les contrées des Marles & des Bmcteres. II falue, a 1'occident, les Gugernes & les Ebu-  36 GERMANICUS. Eburons , arrofe les champs de Vetera, & regarde a 1'orient, dans Ie lointain, le cours tranquille du vieux Isfel. De-la fon lit tortueux s'avance jusqu'a 1'fsle des Rataves, qu'il enrichit d'un doublé tréfor de fon oude, en fe féparant pour enceindre leurs demeures de fes deux bras. 11 ne fe jette plus, ainfi qu'autrefois , dans la mer par deux embouchures renommées; mais maintenant réuni a 1'Isfel par Ie canal de Drufus , & conduit avec lui jusque dans le Lac de Flevo , il fe rend par trois endroits divers dans 1'Ocean Germanique. Ce-pendant Germanicus, ayant faitachever le pont de Vetera', & voulant profiter de 1'ardeur de fes légions, leur fait pasfer le fleuve. 11 renforce fon armée par des corps dc cavalerie, dont la fidelité conftante n'a point trempé dans la révolte,& qui donnent au reste des troupes 1'exemple de la fubordination. Vingt-fix cohortes des Alliés font destinées a couvrir les légions Romaines', qui, le coeur rempli de joye & d'attachement a leur Général, s'avancent vers le pays des Marfes. On découvre au loin la demcure paifible de Ia vénérable Aurinie, ce fombre féjour qu'arrofent les eaux errantesde la Lippe. C'est la, c'est au milieu des forêts que Ja grande Prêtresfe de la Germanie, qui partage avec les Dieux les hommages des Tudesques, a fixé fa retraite. C'est la que s'éleve, au milieu d'arbres antiques, cette tour célébre, d'oü la Prêtresfe répond aux de-  C II A N T S E CO N D. 37 demandes des peuples, & les inftruit des décrets des Dieux. L'armée découvre au nord le • tranqnilie Jsfel, & a l'est le lombre bois de Ceüe. Le Fils de Drufus choiiit eet endroit pour y asfeoir fon camp : 11 fait dresfer les tentes, & tracé lui même le retranchemenr, qu'il fait couvrir par des arbres coupés dans la forêt. II délibère enfuite avec fes Chefs fur la route qu'il doit prendre. Fera-t'il avancer fes troupes le long du rivage de la Lippe? C'est le chemin le plus court, mais le. plus ouvert, & oü il est le plus difilcile de fe foustraire aux yeux des ennemis. Entreprendra-t'il de percera-travers la forêt, fentiers pénibles, oü la marchc est'fans cesfe retardée par les brousfailles & les arbrisléaux? Tandis que le partage des opinions tient fa réfolution en fuspens, un de fes émisfaires fecrets lui découvre que les Marlis, tranquilles dans leurs habitations, font loin de s'attendre a une invafion des Romains, & qu'ils ne s'occupent en ces momens que des préparatifs d'une fête , qu'ils doivent célébrer. Ces luraieres déterminent le Général a choifir le cherain le plus für. 11 fe ha:e donc de pénéirer a 1'improviste fur le Territoire des Marfes en traverfant la forêt: il fe fait dévancer par un corps de troupes légeres, fous les ordres de Cecina, auquel il ordonne de frayer un chemin praticable au milieu des ronces, & il le fuit bientót avec toute 1'armée. Non  33 G E R M ANICUS. Non loin de la forêt Fon découvre, fur le penchant ombragé d'une colline, la principale habitation des Marles, dominant fur tous les hameaux qui 1'environnent, & qui font 1'ornement de ces pays agrestes. Les habitans, inftruits de la révolte des foldats Romains, mais qui en ignoroient 1'isfue , vivoient dans une fécurité trompeufe; aucune crainte ne les troubloit en leurs rustiques demeures: ils fcavoient a la vérité, que les Cattes &les Q\ierusqucs avoient pris les armes, ils devoient même leur envoyer des renforts, mais ils étoient loin de penfer qu'il n'y avoit pas un moment a perdre pour fe mettre en défenfe. On étoit a 1'entrée du printemps ; on célébroit les noces pompeufes du Fils de Liscus, jadis chef adoré de 1'Armée; & eet amour des peuples fe déployoit avec empresfement pour le vaillant Segonax, fon Fils, que les noeuds de 1'hyroen alloit joindre ii la modeste Adalinde, Fille de Dumnorix & de la vertueufe Albizinde. Le jour fortuné commeneoit a luire pour ce couple aimable; deja les peres dc ces jeunes époux out confulté le plus agé des üruides- fur cette union defirée; deja leurs maifons font ouvertes a toute la noblesfe, qui s'empresfe d'honnorer de fa préfence la touchante cérémonie. La jeune fiancée paroit, vêtue de blanc; la décente pudeur répand fur fon vifage une légere teinte d'incarnat; fes blonds cheveux defeendent en boucles fur fon fein avec une grace inexprimable. Ses pareus 1'accom- pag-  C H A N T S ECO N D. 39 pagnent en témoignant leur allegresfe; & ies jeunes vierges, compagnes innocentes de fa jeunesfe, renvironncnt, en applaudisfant a fon fort. Tout le peuple prend part a la joye; 011 entend au loin leurs c-hants & leurs fouhaits pour la felicité du noble couple. Segonax, dont le jeune cceur brule d'impatience, s'avance vers elle, conduit par fon illustre Pere & le Chef des Druides; il est fuivi de la briljante noblesfe, qui célébre fon bonheur au milieu des acclamations & des applaudisfemens de la nation. En approchant de la belle Adalinde, le jeune époux la falue & lui ofFre, en préfence des asfiflans, les dons de nöces, proportionés a fes richesfes; deux taureaux, au regard fier & docile; un bouclier, un epieu, un glaive, & un jeune courfier, qui foule la terre d'un pied impatient, & qui par de légers hennisfemens femble prendre part au bonheur de fon maitre. Adalinde accepte avec une aimable modest ie les préfens du héros, & lui prefente les fiens; un cisque, orné de plumes blancbes, qui liottent au gré des vents; une lance artistement travaillée: une cotte-d'armes, brodée de fa main : tels font en ces contrées les fceaux des Hens du chaste hymen. Le Chef des Druides conduit a pas lents lesjeunts époux vers 1'aütel de Freja, entouré d'arbres touffus: il invoque la Déesfe, il implore fes faveurs pour ce couple vertueux. Tous les hab'tans d'alentour, invités a lafête, s'empresfent d'olTrir leurs donsj du bied, des  40 GERMANICUS. des fruits, enfin, ce que la terre bienfaifante accorde a leurs travaux. Par-tout la joye fe manifeste; on chante, ondanfe; on fe ddfia a la courfe, ft la lutte; on fe livre tour-a-tour auxjeux folrltres & aux pénibles exercices. La jeunesfe guerriere fe range en chceurs fur la prairie, pour former des danfes au travers des lances & des glaives; ces intrépides jeunes-gens regardent d'un ceil asfurd les terribles inftrumens de mort, en faifant autour d'eux leurs_brillanr.es évolutions. Plus loin, les convives s'amufent a des jeux moins dangereux; les dez, les dchecs les occupent tour-a-tour. La riante nature femble avoir embelli ces charmans endroits; le coeur naïf de ces peuples s'ouvre a 1'attendrisfcment, & le doux fourire nait fur leur levres finceres. On fert le repas fur un tapis de verdure; du gibier, de toute espece; du poisfon , & des fruits delicieux en abondance couvrent la table que leur offre la nature: on y joint des viandes, prépardes dès longtemps pour la fête & enfumées pour exciter 1'appetit. Au lieu de la liqueur vermeille de la vigne, alors inconnue dans ces lieux, on y verfe_ a longs traits cette boisfon fougueufe faite avecdel'orge distilld. La joycferepand & s'anime; on parle des temps pasfés; on loue les Dieux, qui accordent le repos a ces contrées depuis que le Rhin ïert de borne sux defirs ambitieux des Romains. Tandis que la coupe pasfe de main en main, le discours est interrompu par  C HANT S E C O N D. 41 par les danfès de la vive jeunesfe ou par des chants héroiques. L'Astre du jour, témoin de leur allegresfe, voit, en ie couchant, la joye fe prolonger dans la nuit. La Lune vient a fon tour éclairer Ia fête & repandre fa lumiere argentée fur les coteaux; elle y fonne en fe jouant les ombres & les fantóuies; tantót elle femble fourire aux convives , en fe montrant toute entiere a leurs regards ; tantót elle fe'mble les épier a travers les tendres feuillages, prémices du Printemps. Les étoiles étincelent aux voutes immenfes du ciel; le vent folatre fe tait, nulle tige n'est agitée; le ruisfeau femble lui-même adoucir fon murmure ■& couler avec plus de lenteur. Les images des cabanes & des arbres fe peignent fur la furface tranquüle de 1'onde. Le plaifir tient toujours la jeunesfe en haleine, tandis que les vieillards ne réfistent qu'a peine aux douceurs du fommeil; deja plufieurs s'asfoupisfent, en tenant encore Ia coupe d'une main chaucellante,& ,1'ceil demi-fermé , n'entendent pltis qu'au loin les chants de leurs amis. Cependant 1'armée Roraaire s'avance vers cette terre, ou 1'on ne penfe guere au malheur qui s'approche. Germanicus divife fes troupes en quatre corps : il donne le commandement du premier au brave Apronius ; le fecond doit marcher fous les ordres d'Antejus; le troifieme fuit les étendarts de^ Cecina; & le Prince lui-même fe met a la tête du dernier, plus nombreux en foldats. lis marchent d'un pas C agi-  43 GERMANICUS. agile, excités par les fons de la trompetje guerriere, brulants de réduire en cendres les demeures ennemies & d'exterminer tout ce qui ofera faire réiïstance. Cette invafion fublte répand par tout la terreur; les chants de noce fe tpuruênt en tristes gémisfemens; les cris- aigus de la douleur s'éleveiit de toutes parts; on entend rétehtiï de tous cotés ces finistres mots : „ Aux armes ! aux armes !" Le jeune & vaillant Segonax ne fonge dans ce moment de furprifè qu'a ravir fa tendre époule a 1'infolence du foldat; il la place rapidement fur fon courfier fidele , & s'y élancant avec elle , il part ausli vitequel'éclair, pour mettre en fureté ce timide dépót. Une partie de la jeunesfe s'efforce de fauver les femmes éplorées ; & dans le commuu danger , furpris de toutes parts, dhacun ne fonge qu'a la fuite. La flamme, qui confume les maifons, étend par tout fes ravages; l'air, obfeurci par la fumée , ne laisfe voir d'autre lumiere que celle du feu, qui réduit en cendres ces tristes demeures. Le glaive menacant tombe fans pitié fur la tête du malheureux, trop lent a fuir. Le foldat Romain, furieux dans fes vengeances, croit éxpier le crime de fa révolte en plongeant dansje fein des Germains 1'inexorabléacier. Horrihle foifdu fang humain, voila tes déplorables effets! Les troupes, lasfes de carnage, reviennent bientót, cbargées des dépouiles de 1'ennemi, fe ranger fous l'enfeiaine du Gêné-  C H A N T S E L O N D. 43 néral. Apronius & fes foldats ebasfent dëvant eux des troupeaux entiers, ra>vis dans les prairies & dans les étables. Cecina le fuit de prés ; fes cohortes font chargées des grains pÉécieux, trouvës dans les antres,oü les Marles les confervoient. Antejus revient le dernier: fa troupe furieufe, en dévastant le pays, avoit découvert 1'anticiue forêt de fapins confacrée a Tanfan ; afyle facre jusqu'alors contre les horreurs de la guerre. A 1'entrée de cette forêt s'élevoient les humbles habitations des facrificateurs Tudcsques, accoutumés, fuivant fairtique uilige de* ce Pays, a olfrir chaque jour les hommages des peuples au Dieu de ces fombres retraites. Ces prêtres vénérables, ces ancien Druides , furpris au milieu de cette nuit horrible, ne furent point épargnés par la rage du foldat; Pautel du Dieu lui - même tomba fous leur main impie ; 6c les arbres facrés, qui 1'ombragcoient, firent gémir de leur chute la terre indignée. Ces infenfés dans leur fureur barbare fe glorilioient encore de cette aftion facrilège , lorsque le Fils de Drufus, dont fa noble indignation étoit peinte fur le vifage, les réprima en ces termes : „ Quoi! vous avez olê prophaner ,, le culte des Dieux immortels! redoutez ,, leur courroux, troupes égarées, & ne les forcez pas a la vengeance par des „ facrilèges. J'ai vu avec douleur vos ,, mains mielies ne refpeeler ni 1'enfance ,, timide ni la vieillesfe impuisfante ; je „ veux que déformais on epargue ceiix C 2 que  44 GERMANICUS. ,,' que I'age ou Ie fexe privé du pouvoir de ,, fe défendre. Romains, foyez des Héros, & non de viis foldats, avides de „ meurtne!" Les Marfes, échappés au carnage, pu« blient de tous cotés La nouvelle de 1'invafion des Romains & la mine de leurs contrées; ils déplorent leurs malheurs chez leurs voifins eflrayés & leur deHiandent un afyle. Les Bructeres & les Tubantes s'unisfent aux Ufipicns; ils voleut aux armes, réfolus de venger les maux de leurs alliés & d'arracher le butin des mains de 1'ennemi cruel. Bientót le bruit fatal du masfacre inoui des Druides dans la forêt de Tanfan fe répand par tout; il pénètre jusques dans Ia retraite paifible de la fage Aurinie; deja les Druides, les Bardes & les Auruspices, qui forment fa fuite, croyent le moment de leur pente arrivé. „ Que deviendrons-nous, difent-ils, fi 1'armée Romaine a formé le desfein de pasfer la Lippe & de fe réplier vers nos demeures ? Qui pourra foustraire la „ grande Prêtresfe a la fureur faerilège des ,, ennemis?" Les peuples, intimidés par 1'effroi des facrificateurs, gémisfent, en s'écriant: ,, Sauvons Aurinie! fauvons la vierge facrée! elle est 1'interpréte & 1'amie des Dieux: elle nous peut garantir „ par fes confeils: le Ciel courroucé pu„ niroit le pays, qui n'eut pas eu loin ,, d'elle." A ces mots chacun s'empresfe, i& 1'on détermine la Prêtresfe a fuir ce féjour qu'on pourroit profaner. Avant de  CHANT SEC O ND. 45 de s'éloigner, Aurinie dépofe fes tréfors dans la forêt dc Freja, & fait annoncer au Roi des Cahes, qn'elle a chuifi fes Etats pour lui fervir d'afyle. On fe prépare; on s'asfemble. Deja font prêts pour ce triste départ les Prêtr'es, qui out revêtu leurs habits facerdotaux; les Prêtresfes , couvertes de robes blanches ; les Auruspices, qui pénètrent les fecrets des Dieux; & les ferviteurs des Aurels, portant les vafes destinés aux facrifices. 'J rois taureaux blancs, choilis par des mains facrées, font deja atrelés au cbar, qui doit portcr la grande Prêtresfe. On y conduit en filence la respectable Aurinie, dont le vifage est couvert d'un voilesfa robe, qui égale la neige en blancheur, & fa coëfFure virginale fout ornées de larges bandes de pourpre. Ses filles 1'accompagnent en gémisfant; & la troupe des Bardes, qui environne le char, chante les infortunes des Marfes fur ces tons plaintifs: ,, La forteresfe de Dumnorix, dont les „ nations respectoient les remparts formi„ dables , est tombée; les Hammes ont ,, dévoré le palais du héroique vieillard; „ les belles habitations font détruites 6c „ dévastées; les ronces épineufes croitront fur leurs décombres. La Lippe, faifie „ de douleur, fera couler fes flots plus lentement; le loup hurlera dans la for„ teresfe déferte & ifolée. Les arbres de „ la forêt de Tanfan fout détruits jus- qu'aux racines; les bois & les prairies C 3 „ font  *6 GERMANICUS. „ font teints du fang des prêtres; les „ facrificateurs font devcnus les tristes vic„ times de la fureur des impies. Les as„ tres ont vu du baut des cieux la défola„ tion de ces contrées; les étoiles erruient „ en filence, & leur face brillante a pali. „ La destruction est tombée fur la maifon de la vertueufe Albizinde; le glaive ,, meurtrier a trempé dans le fang aux 110ces d'Adaliude; les jeünes fdles & les „ jeunes garcons ont èié tués, les nourris„ fans out eté moisfonnés fous le fer im,, pitoyable avec les vieillards; les Colli,, nes font couvertes des cadavres des fléros masfacrös, & le fang innocent coule s, dans les vertes prairies. Le morne filence règne dans ces demeures, jadis remplies „ d'alegresfe. Les bameaux des Marfes font livrés aux Hammes dévorantcs; le ,, bruit effroyable de la guerre rétentit dans ces lieux autrefois fi tranquilles. La mort indomptable s'avance, & contraint „ Aurinie de s'enfuir. 6 Bardes! faites entendre vos gémisfemens; que les na„ tions écoutent vos élégies: apprenez aux ,, peuples voifins & aux étrangers le plus ,, déplorable événement. Les babitans n'auront plus dans leurs malheurs la ,, confolation d'entendre les fages oracles de cette tour abandonnée. Malheur aux „ nations,chez qui les Dieux n'ont point d'autels, & qu' Aurinie est contrainte de quitter! La forteresfe de Dumnorix „ est tombée avec fes remparts formidables: fautil, belas! que ce qui paroit „ im-  CHANT S ECO ND. 47 immuable fur la terre tombe un jour ,, en ruine l," En répétant ces tristes accens.la troupc gémisfante traverfe le pays des Ufipiens; elle approchoit de l'habitation des Tubautes, lorsque 1'illiistre Dumnorix, accompagné de fon êpoufe & dc fa fille, venus au devant de la Prêtresfe, la falue & lui parle en ces termes: „Permets, vénèra,, ble Aurinie, permets que ma familie „ cherche avec toi un afyle fur les bords „ de 1'Eder: tandis que, foutenu par le ,, vaillant Liscus & par Segonax, fon fds, ,, je tacherai d'arrêter 1'au lace des Ko,, mains, & de leur arracher les ricluesJfes ,, qu'ils nous ont ravies: j'ai ordonné a ,, ceite troupe guerriere, que je viens ,, d'asfembler , de te fervir d'escorte, „ afin que tu puisfes avec fureté gagner „ le pays des Cattes." La Prêtresfe accorde avec joye cette demande au généreux vieillard; elle recoit dans fon char la belle Adalinde & fa vertueufe Mere: elles partent; & la Prêtresfe, qui avance vers le terme de fon triste voyage, fe voit bientót accueillie avec des acclamations & des chants par les Cattes, qui la conduifent avec respect jusqu'au lieu, qui doit lui fervir d'afyle. Ccpendant les Bructeres s'avancent en hate vers le fud, pour foutenir les courageux efforts,de Liscus & de Segonax. Deja ces deux chefs intrépides, fijivis d'un corps de Marfes dchappês au camage, fe font placés en embuscade fous les arC 4 bres  48 G E R M A N I C U S. bres antiqncs de la forêt de Cezie. Les fiers Ufipiens & 1'infanterie des Tubantes défllent k grands pas de ïautre cutc; ils fe reunisfent; ils pasfent la Lippe;&, ne fuppofant pas les Romains inftrnits de leur marche, ils fe flattent de les furprendre & de les tailler en pieces dans la forêt: mais Germanicus, ayant envoyc des efpions dans les contrées voifines, fcait bientót le pdril, qui le menace,il place le butin & tout le bagage au centre des légions; il fait dévancer ce corps d'armde par la moitid des troupes auxiliaires, & destine 1'autre moitid pour former 1'arriere-garde. L'Fnnemi, qui obferve ces dispófitions en filence , laisfe pasfer fans trouble tout le corps de bataille: alors, fondant avec rimpdtuofitd de la foudre fur les derniers rangs, il fait pleuvoir fur eux une grêle de flêches & de dards, en jettant des cris effroyables. Les Idgions étonnées font de vains efforts pour les repousfcr;le combat s'anime de toutes parts: les Tudesques, excitds par la haine du nom Romain, f vengent en furieux la mort de leurs compagnons. Liscus & fon Fils Segonax, plus irritds encore, infpirent leur audace a tous ceux qui les environnent; rien n'arrête leur bras rddoutable; 1'arriere-garde des Romains alloit fuccomber , fi 1'intrdpide Fils de Drufus ne füt account pour rdtablir le combat. „Soldats, s'dcrie „ le Hdros, avancez; terrasfez ces bar,, bares; mdritez les lauriers qu'ils nous vendent fi citer; effacez le fouvenir de „ la  CHANTSRCOND. 4S> s, Ia révolte pasfée; & que Rome triom„ phe." Ces mots réveillent 1'ardeur des légions, qui fondent a leur tour fur les Germains; tout cède a leurs effbrts, rien ne peut réfistei\ Les Marles, les Uilpiens lont mis en fuite & pourfuivis au loin dans la prairie. L'avant-garde & le corps de bataille de 1'armée Romaine fortent deja de ce pas hazardeux; & 1'Arriere-garde les fuit bientót, en jettant des cris de joye après avoir disperfé les ennemis vaincus. Germanicus fait avancer fes troupes, que les Germains n'ofent plus infulter; &, mettant fin a cette expédition préliminaire, il revient viélorieux fur les bords du Rhin. Le foleil dans fon cours périodique & toujours invariable quittoit alors les iignesglacés du _ feptentrion pour entrcr dans ceuxdu midi; il ramenoit avec lui 1'agréable faifon,fi defirée des agriculteurs. Deja. la douce haleine des zéphyrs transformoic la neige des montagnes en torrens bicuftifans, qui fécondent les terres arides; & deja le vigilant laboureur., chasfant devant lui les troupeaux, apprêtoit le foc, longtemps rouillé, pour fillonner de nouveau les fertiles vallons. Germanicus,profitant de la belle faifon, fe prépare a entrer dans le pays des Cattes, fi riche en collines. II avoit appris, que_ les fureurs de la guerre civile défoloient la haute Germanie; que les peuples fe détruifoient mutuellement; & que Segeste, toujours fidele aux intéréts de C 5 Re*  5o GERMANICUS. Rome, étoit cruellement 'presfé par les armes d'Arminius. Inftruit a quel point la discorde les divife, le Prince fonge a tirer parti de ces troubles; &, fgachant que les nations voifines, au lieu de s'unirpour la defenfe commune, fe partagent pour fuivre la fortune de firn ou 1'autre des chefs, il fe flatte de trouver moins de réfistance & de les vaincre plüs facilement. La fuperbe Rome, ayant étendu fes loix jusques aux bornes de la terre, tenoit, pour ainü dire, attachés afoncercle Tous les pays conquis, quelqu'eloignés qu'ils fusfent. Des chemins vastes & droits, pavés de larges pierres, entretenoient une communication facile depuis les portes de cette ville fameufe jusqu'aux confins de chaque contrée. Les foldats, en temps de paix, étoient chargés de la conftruétion de ces routes, asfistés quelquefois par les habitans des pays lïmitrophes. Rien n'égaloit la beauté & Ia folidité de ces immenfes ouvrages- Les montagnes avoient été applanies, les rochers percés, les forêts abattues, les lacs desfêchés, les rivieres couvertes de ponts, les marais comblés, revêtus de poutres ou foutenus par des murs. Ces monumens de la puisfance de Rome fembloient destinés a braver jusqu'a Ia fin des fiecles les injures du temps. La noble architecture avoit décoré ces routes fpacieufes: on avoit marqué le nombre & la distance des miles ; on y voyoit des arcs de triomphe, élevés en 1'honneur des grands hommes; &  C H A N T SECO N D. 51 & des plédestaux, richement fculptés, offroierit aux regards des voyageurs les bustes de marbre, images des Dieux & des Termes, indicatëürs des chèmins ou qui préfident a leur fureté: 011 y admiroit furtout avec un refpect religieux un grand nombre de tombeaux, qui renfermoient les cendres des plus célébres citoyciis, & pour 1'ornement desquels la douleur ingénieufe n'avoit rien oublié. C'étoit aux plus illustres d'entre les Sénateurs qu'étoit confié le foin de veiller a rentretien de ces grandes routes, & 1'administration eri étoit fi honnorable, qu'Auguste lui-mème ambitionna d'en être revêtu. L'Obélisqitei, artisteraent orné d'or, qu'il fit élever datis la place publique de Rome. indiquoit la longueur des chemins. Une de ces routes fameufes, partagée en miles d'égale ditancc, conduifoit par les Apennins jusqu'a Mediola ; puis , traverfant toutes les régions Helvétiennes, fe rendoit a Moguntia, parcouroit enfuite le pays des Ubiens, jusqu'aux prairies des fiataves, oü elle fe divifoit en deux chemins, qui, s'étendant de chaque cóté de leur Isje, fe réunisfoient fur le rivage fablonneux des Caninefates , oü 1'océan Germanique vient brifer fes Hots mugisfans. Le Général Romain, prêt h pénëtrér dans le territoire des Cattes, conduit fes légions fur ce chemin militaire. II découvre dans le lointain le cours de la Lippe. En avancant, il atteint bientót les forteresfes élevées par Drufus, fon Pere; il C 6 dis-  5a GERMANICUS. distingue Asciburgium , Ie fbible Geldubff, & le chateau rédoutable de Novezium; plus loin, il recoit les félicitations empres'1'ées des Übiens,qui le recoivent avec des acclamations dans leur capitale; il traverfe la Cité fans rétarder fa marche. En avancant le long des remparts dc Bonne, il examine Rigomagus & Antunnacum, qui protegent les rives du fleuve: il falue les murs de Confluentes, au pieddesquels les ondes écumantes de la Molëlle fe jettent dans le vaste lit du Rhin, &forment la féparation des terres des Ubiens avec le domaine des habitans de Trêves, A quelque distance de ces lieux le Prince appercoit la fonnidable tour de Bontobrix, non loin du fort de Vosfalia, Ia terreur des peuples voilins. Bingium s'ofFre enfuite a fes regards, & dans le lointain Ie Hiont Taunus, qui s'éleve fur la rive oppofée. Au-deli est le Me.in,qui vient offrir au Rhin le tribut de fon onde. II approche enfin & arrivé fur les terres des Vangiones , oü 1'armée commandée par Silius 1'attend avec impatience, & le recoit avec alegresfe dans la Ville cie Moguntia. Pendant le cours fatal de la révolte des légions, Germanicus avoit indiqué cette Ville aux Députés de Rome, pour leur fervir d'afyle. A peine le Prince est arrivé que les Sénateurs, s'empresfant de lui rendre leurs hommages, rinftruifent, mieux qu'ils n'avoient pu le faire jusqu'alors, des chofes dont 1'Empereur les avoit char-  C H A NT SE C O N D. 53 chargés pres de lui» ïls lui déclarent donc , que Tibere a inititué des jeux lacrés au champ de Mars en Phonneur d'Auguste ; qu'il s'est nommé lui-même grand Prétre de ces jeux, & s'est asfocié Germanicus & le jeune Drufus, Ion fiere, comme fi ces deux illustres Fils lui étoient également chers. Le Général, asfuré des dispolkions fecrettes des Romains, apprend avec joye la nouvelle de fon élevation a cette dignité: il reconnoit par les honneurs,que Tibere lui fait rendre,que, s'il n'en est pas aimé, du moins il en est craint. Le vertueux Plancus, que le fentiment de la reconnoisfance anime, exalte le courage du Prince, auquel il doit la vie. 11 promet de faire en préfence de 1'Empereur au Sénat le rapport fidele de fes héroiques efforts, pour calmer la fureur des troupes mutinées, d'oü dependoit le repos de 1'Empire. „ Sage Romain, lui ,, dit Germanicus, excufe la révolte auprés de Tibere; dis-lui, que 1'armée ,, féduite est rentrée dans Ie devoir; dis„ lui, que mon cceur lui a fait le ferment „ d'une fidelité inviolable ; & que je ,, n'épargnerai ni mon fang ni ma vie „ pour T'Etat & pour lui." En achevant ces mots, diétés par la fincérité, il embrasfe la troupe nombreufe des chevaliers Romains , qui ont daigné fuivre les Députés du Sénat pour fervir fous fes étendarts: il y trouve Taurinus, Pedo, Pifon, & Titus, le plus cher de fes amis, frère de Sabinus. Chacun d'eux lui renouvelle k C 7 fc'env  54 GERMANICUS. 1'envi fes olTres de fervice. Germanicus, fatisfait de leur ddvouement,leur entdmoigne fa reconnoisfance; & bientót après, congddiant les Sénateurs, il les renvoye a Rome. A peine le généreux Fils de Drufus eütil goutd quelques heures de repos, qu'il brule d'entretenir le fidele Titus, & de ddpofer dans fon fein tous les fecrets de 1'amitid. De tous les Romains c'est celui qu'il chdrit le plus; celui de qui il a recu les preuves les plus fortes d'attachement, & qui lui a même ccrit plus d'une fois en fecret. Ce jeune & vertueux ami, toujours calme & moddre, unisfant la modeftie a la franchife, content de lui-même & content de fon fort, prdférant la fagesfe aux dignitds, quoique fait pour y prdteiidre par fa naisfauce, ne defire ni la puisfance de la grandeur ni les richesfes de 1'opulence; cdlébre par fa bravoure & fa vèrtu, il n'envie point les lauriers, qu'une autre main fcait cueillir; il n'ambitione d'autre gloire que d'être 1'ami de Germanicus, qui connoit fon merite, & le traite en frère chdri. Les deux Hdros, dans ce moment de libertd, dont ils profitent avec empresfement, ouvrent leur coeurs 1'un a 1'autre. ,, Cher Ami, dit le Prince, j'ai cru voir „ dans quelques endroits de tes lettres un ,, asfemblage d'horreurs commifes dans ,, Rome: parle; ddcouvre-moi tout ce qui „' s'est pasfd dans nos murs depuis qu'Au- guste, quoique courbd fous le fardeau „ des  CHANTSECOND. 55 „ des ans', a quitté la terre, trop-tót pour le bonheur des peuples." Le fidele Titus fatisfiit aux defirs de ion Ami par ces mots. ,, A peine avions-nous recu la nouvelle ,, a Rome, qu'Auguste étoit tombé ma„ lade a Nola, & que Livie envoyoit chaque jour des mesfagers a Tibere, „ pour le faire revenir d'Illyricum, que chacun prévit ce qui en réfulteroit; „ c'est k dire, 1'élevation de Tibere a ,, 1'Empire. Dès-que le bruit de ce tré,, pas funeste fe fut répandu, laplusgran„ de partie du Sénat quitta la ville, & ,, éóurüt a grands pas tendre une main ,, honteufe aux liens de la fervitude. Les „ Confuls, le dirai-je, furent les premiers ,, a plier fous le joug de la nouvelle ad„ miniftration; ils entrainerent bien-tót les ,, Sénateurs a leur fuite. Les amis de la ,, liberïé, contrahits de renfermer leur indignation, fe trouverent trop foibles pour réfister a la muldtude. Ah! fi „ ton illustre Pere eüt encore jouï de la ,, lumiere; fi fa préfence eüt pu ranimer nos courages ; 011 fi toi-möme n'eus pas été loin de Rome dans ces momens ,, critiques, la verge de la tyrannie eüt ,, été brifée, & le fccptre ambitieux ne fe füt pas appéfanti fur nos têtes. Tibere, dont le cceur impénétrable cache „ tous fes desfeins fous le plus profond „ artifice , qui nourrit la haine la plus dan,, gereufe contre ceux-mêmes, qu'il abufe par les plus basfes flatteries, couvrant „ fon  ?6 GERMANICUS, fon ambition fous le voile de la mr> destie, ne refpirant que le carnage en' parlar.t fans cesfe de clémence, & dont „ les faveurs furent toujours peifides T montroit en public une averfion décidêe pour 1'Autorité Suprème, tandis qu'en „ ïecret il mettoit en ufage tous les moyens ,, d'y parvenir; &, lorsque la Irlche com,, plaifance du peuple lui offrit le tröne „ d'Auguste, 1'artifice lui fit refufer eet ,, honneur jusqu'a trois fois. II te craint; ,, il te connoit; il voit d'un ceil jaloux tes ,, qualités magnanimes: il est inftruit de ,, 1'amour des Romains pour toi & pour ,, la vertueufe Agrippine, ton époufe: iï „ fcait quels foupeons fecrets fe rèpandent ,, contre Livie, qui, jaloufe de la deftinée ,, des Fils de fon Epoux, n'est pas innocente peut-être de la mort prématurée de Cajus & de Lucius, frères infortunés ,, d'Agrippine; mort furprenante, & que „ 1'on affefte d'attribuer au Destin. Quoi„ qu'il en foit, Tibere eut a peine pris les „ rênes de 1'Empire Mais, helasl „ pourquoi continuer ces tristes recits? „ Pourquoi aigrïr tes douleurs?"... Non, „ non, reprit Germanicus, ne crains pas 5, de m'infiruire; peut-être ces découver„ tes pourrotit-elles m'être utiles: fi Tibere croit m'en impofer par ces artificieu„ fes faveurs, il fe trompe; je connois ,, fon caractère, & celui de Livie".... Eh „ bien, apprens ^donc toute leur perfidie , „ lui répondTitus. L'Hymen dejulieélève „ Tibere a 1'Empire; &, peu content que „ Ta  C HA N T SEC O N D. 57 ,, la main odicufe de fa mere ait déja privé fon époufe de deux de fes fils, il en masfacre encore le troifieme." „Quoi! „ s'écrie Germanicus, le dernier fi ére d'A,, grippineV" ,, Helas! repartit Titus, ce ,, n'est pas tout encore: fa main parrici,, de a joint a ces Fils malheureux leur ,, déplorable Mere; privée de toute nour,, riture par ce barbare, elle a péri de ,, la mort la plus afFreufe." A cette nouvelle accablante, Germanicus vent envain cacher fa douleur. ,, Grands Dieux! s'é„ cric-t'il en foupirunt, étoit-elle réfer„ vée a un fort li cruel! J'avois appris ,, la mort d'Agrippa, celle même dc Julie, mais, helas! que j'étois loin de ,, croire que la main féroce d'un ambitieuze 1'eut masfacrée. Sa fatale averfion pour 1'Epoux, a qui fa main avoit été 5, livrée, a fait ehanceler fa vertu. Ti,, bere, le cruel Tibere est la caufe luimême de fes fautes & de nos malheurs. ,, Ami, qu'un éternel filence couvre a ja,, mais ce funeste récit; ne découvre point ,, a mon Epoufe le déplorable fort de fa ,, Mere & de fes Frères; épargnons-lui ,, cette douleur; fon nme irritée ne pour,, roit la cacher; & fes plaintes amères ,, pourroient attirer les mêmes infortunes fur nous & fur nos enfans. Enfévelis,, fons ces horreurs dans 1'oubli; 011 ne ,, rappelle point les morts a la vie par ,, les larmes & les reproches: ton coeur ,, lui-même fent la nécesfité de m'accorder ,, cette priere." Le fidele Titus avoue, que  58 GERMANICU S. que la prudence dicie elle-même ce parti, & termiue ainfi fon discours: ,, Lé Sénat ,, ne fcait plus rien refufer de ce que Ti,, bere propofe. L'hnplacable Livie estde,, ja honnorée du titre d'Augusta: tout „ recoit le joug malgré nos Loix Républi- caines; & 1'autorité fupfême ne connoit plus de bornes. Si quelque objet peut „ encore faire ombrage a Tibere, c'est toi, c'est ta rénommée; ce font tes ver„ tus. Tu ne ferois pas tant flatté, li 5, tu étois moins craint. Les dons, les ,, honneurs, tout m'est fuspeét"... „ Ah! „ du_ moins, lui dit Germanicus, que „ dois-je penfer de Drufus, mon frere, ,, uni de ü prés aux intéréts de Tibere? peut-être il m'envie mes dignités"... Non, lui repond Titus, tu connois la j, franchife généreufe de ton fiére; tu peux prendre confiancc en fa vertu; „ mais fon amitié te fervira peu; fon ame , incapable de disfimulation, ne foupconne point 1'artifice; il ignore que „ la basfe jaloufie de Tibere compte toits „ tes pas , & t'environne d'espions, ar,, dens a te nuire. Defie-toi fur-tout du ,, dangereux Pifon; il est trop bien a la „ cour pour être ton ami; garde-toi, 6 ,, Germanicus ! de lui laisfer pénétrer „ tes fecrets." „Patrie infortunée! s'écrie „ le Général, ö Rome! que je déplore ,, ton fort! ah.' fi Tibere ne m'eüt point „ adopté pour fon Fils, fi des fermens „ facrés n'enchainoient mon bras, avec ,, quellc joie ne te rendrois-je pas ton an- „ cieu-  CHANTSECOND. 59 „ cienne Liberté! Je marcherois a la téte des légions; je rétablirois 1 autorité du „ Sénat, & trouverois ma gloire a le faire „ règner fur des Citoyens libres & puis,, fans. Mais a quoi fervent les regrets?Le „ ferment fatal, qui me lie, est un frein ,, infurmontable; un Fils n'arme point fon ,, bras contre un coupable Pere; 1'inflexN „ ble devoir in'arrête, & qui Tcait ce que „je ne luis pas.moi-même condamné a „ fouffrir? Mais, quoiqu'on ofe entrepren„ dre, ö ma Patrie! s'il ne m'est pas don,, né de brifer tes fers, je tacherai du ,, moins d'augmenter ta gloire , de te }, faire triompher fur des 'Nations étran,, geres; & foit que je fuccombe fous les traits de 1'envie, foit que le fer ei> „ nemi me moisfonne au milieu- de ma „ carrière, le Fds de Drufus n'aura pas tombé fans gloire. Laisfe-moi, Tibe» re, laisfe-moi 1'honneur de combattre „ pour ma Patrie : Germanicus n'enviera „ jamais ta domination ni ton pouvoir; ,, & , quelque infenfé que puisfe paröitre „ ce choix a tes yeux ambitieux, je „ préfere la gloire d'étre le défenfeur de „ Rome a celle d'en étre le tyran." En fortant de ces tristes entreticns, le Prince renferme fa douleur profonde dans fon ame, & montre a fes troupes un ceil ferme & ferein. 11 dispofe tout pour. entrer au pays des Cattes. II donne a Cecina , dont il connoit la fidclité, le commandement de 1'armée du Bas-Rhin, renforcée par un Corps de cinq-mille hommes  6o GERMANICUS. mes des alliés. 11 place dans 1'armée du Haut-Rhin la jeune Noblesi'e, arrivée depuis peu de la capitale de 1'Empire; il en prend lui-même le commandement, & établit Siliiis fon lieutenant. Les troupes, pleines d'ardeur, fe mettent en mouvement; on ie rasfemble dans les plaines entre le confluent du Mein & du Rhin. Le Prince s'y rend bientöt avec les chefs; il monte avec quelques -uns d'eux au fommet escarpé du mout ïaunus, d'oü Pon décou« vre tous les pays d'alentour. Drufus, fan Pere, y avoit jauis élevé une forteresfe , pour tenir les peuples dans Ie refpect: il ordonne, qu'on en répare les muis abattus pendant i'abfence des Romains. Tandis que fes troupes s'empresfent de rétablir ces tours, objet de Ia terreur des environs, il contemple avec le brave _ Cecina les immenfes contrées, que 1'horizon offre a leurs regards. „ Con„ duis ton armée vers la gauche, lui dit „ le Prince; parcours le pays des 'Pene,, tres & des Ufipiens; arrête les Mar,, fes fur leurs frontieres: en répandant „ ainfi la furprife & la crainte chez ces ,, peuples , tu favoriferas mes vues, & „ tu ótcras a ces nations diverfes le pou„ voir de _ fe rasfembler & de nuire a ,, mes desfeins.'' Cecina, inltruit autant qu'il Ie faut des projets du Général, fait marcher fon armée vers les habitations des TencTres. Germanicus, dont 1'ceil vigilant pourvoit a tout, fortifie les ponts du Rhin & du Mein ;  C HAN T S EC O N D. Ci Mein; confie ces posies importans a ïa prudence d'Apronius ; &, fe mettant a la töte de fes vaiüantes légions, il avance du coté de 1'orient vers la haute Germanie. OER.  GERMANÏC U S. CHANT TROISIEME. La partie célébre de la haute Germanie, que le Rhin & 1'Elbe bornent a 1'ouest & ït 1'orient, entend au midi le murmure des eaux jaunatres du Mein, & au feptentrion le choc éternel des flots rougisfans de l'Océaii. L'Ems & la Vizurgue 1'arrofent, ainli que le Rhin & 1'Elbe, qui vont potter a la mer le tribut de leurs ondes,après avoir coülé du fud au nord. Cette contree moutagneufe & vaste étoit jadis habitée par divers peuples. Les Mattiaques,dont les habitations joignent celles des Cattes , s'étendoient depuis les rives du Mem jusqu'a l'endroit,oü les eaux de la Vizurgue s'enflent par celles de 1'Eder. Vers 1'occident, le long du Rhin, vivoient les Tenctres, les Ufipiens, les Marfes & les Tubantes. Plus bas, entre ce fleuve & 1'Ems, étoient les contrées des Rructeres & des grands Frifons. A 1'orient, entre 1'Ems & la Vizurgue, s'élevoit la forêt de Teutobourg , oü les Sicambres avoient leurs demeures, & plus loin on trouvoit celles des Chamaves. Les fiers Cauchéens, célébres par leur bon ordre & leur ïnébranlable fermeté dans les batailles, habitoient les deux rives de la Vizurgue. Les Querusques, non moins courageux, s'étendoient jusqu'aux bords dc cette n- vie-  CHANT TR01S1EME. 63 viere a 1'occident, & jusqu'a ceux de 1'Elbe a 1'orient. Germauicns, ayant pénétré danslescontrées des Cattes,en furprènd les habitans, qui, loin de foupgonner les Romains li prés d'eux, avoient pris part aux discordes de leurs voiiins & en étoient tout occupés. Deja Aurinie elle même ne fecroit plus en fureté chez ces peuples; elle part, conduite par Dumnorix, fuivic des vierpes facrées & de la troupc des Druides; elle va cherchcr auprès d'Arminius un afyle plus asfurJ. La jeunesfe guerriere, fe couvraut de 1'Edcr, qu'elle pasfe a la nage, fe poste fur les bords du fleuve a la vue des Romains. Elle ófe même disputer le pasfage aux légions, en dirigcant contre ces fiers foutiens de 1'Empire "mille flêches aigues: mais, obligés bientAt de céder _ aux manoeuvres & a Ia fupériorité Romaine, ces jeunes Germains fe retirent plus avant dans les terres, & vontjoindre Arminius dans le pays des Querusques. 'i'out ce qui reste fans défenfe trouve un afyle en la tendre humanité du Fils dö Drufus, qui, touché de leurs maux, leur épargne autant qu'il est posfible les calamités de la guerre, & fait bien-tot renaitre le doux repos parmi eux. Sévèrc toutefois contre ceux que leur audace entraine a la réfistance, leurs habitations font; détruites, leurs hameaux dévasiés; & tout ce qu'ils posfèdent tombe au pouvoir des légions. Au milieu de fa marche, que rien ne pou-  fes jours pour le bonheur de fa patrie, ,, ne fonge en efièt qu'a gagner les fuffrages du penple inconlfant, aux dépens ,, de fa familie ; lui, qui, dans la lureuf „ de fes pasfions ne refpeftant aucun Hen , „ brave impuuément la justice ; lui enfin, „ qui,feaehant disfimuler apropos fes des,, lëins artificieux, renferme dans un mê„ me coeur un mélange incompatible en ,, tout autre; d'ambition, de fureurs, de ,, courage, de fagacité, & de dislimula,, tion. „ Quoique Drufus, qui chérisfoit la bravoure, nous eüt honnoré 1'un &Tau,, tre de 1'anneau d'or, en nous créant ,, Chevaliers Romains, digne récompenfe „ de notre valeur éprouvée dans un com,, bat, il ne paya eet honneur que d'une „ ingratitude monrtrueufe; &, nourrisfant „ fans cesfe des foupcons outrageans contre „ Rome, il fit ferment de détruire un jour ,, 1'autorité Romaine dans fa patrie, & de „ lui rendre la liberté. Cependant ton ,, illustre Pere avoit achevé de vivre, & la Germanie, dont les habitans encore ,, agrestes fe plient difficilement au jong ,, falutaire des loix, rompit bientót la „ paix conclue avec lui. Segimer, mon „ pere , dont 1'ancienne autorité retenoit ,, encore nos concitoyens, quitta la terre „ peu de temps après: fa mort fut le fig„ nal, qui fit prendre les armes aux Tu,, desques. L'ambitieux Arminius, guidé „ par fa haine contre le nom Romain, corrompit tellement 1'esprit du peuple, D 5 „ que  74 GERMANICUS. que mon droit de naisfance fut dédaig,, né , & qu'on le placa lui-même a la tête ,, du Sénat Querusque. Segeste ,1'illustre ,, ami de mon pere, vit tous fes efforts ,, pour renouer les liens de la paix traverj, fés par les artifices de mon fiére. II pous- fa même 1'arrogance jusqu'-l outrager „ Segeste devant le Sénat, le dépeignant ,, comme un traitre a la patrie, qui recher- choit par des motifs d'intérêt perfonnel ,, les faveurs de Rome, & qui fe feroit ,, peu de fcrupule de vendre fon pays a ,, la tyrannie. Ces outrages fanglans oc„ cafionnerent ri'affreufes disfenfions. Se„ geste,quoique ami declaré de 1'Empire, „ étoit estimé; fes amis fcavoient qu'il ne „ vouloit la paix que pour garantir nos s, contrées des calamités que la guerre entraine. Mon pere avoit conftamment 9, penfé de même, jusques a la fin de fa 5, vie; & mon cceur partageoit ces inten- tions pacifiques, en fuivant les fages confeils de Segeste, malgré les mécon„ tentemens qu'en témoignoit Arminius. „ Cepeudant au milieu de ces démêlés „ la belle Theusnilde, fille de Segeste & „ de Radegonde ? & fceur puinée du fa5, crificateur Segimond, enflamma le cceur 9, de mon frère d'une pasfion violente. s, Les attraits de cette illustre fille m'a„ voient également rendu fenfible: je lui „ avois offert mon cceur, & mes feux „ avoient 1'approbation de Segeste. Mais 3, hélas! (patdonnez un foupir a un cceur désespéré,) Theusnilde dédaignoit mon "1 „ amourj  CHANT TROISIEME. 75 ,, amour; fa fiené s'ofFenfa de mes foins, ,, & fon averfion fut la cruelle récompen„ fe de ma tendresfe. Je foupconnois „ déja la caufe de fes mépris: affligé de „ nourrir une flamme que je ne pouvois „ éieindre, je cherchois a disfiper mes ,, chagrins; la chasfe m'offrit une di,, verüon agréable , je pasfois fouvent „ des jours entiers dans les foréts, heu- reux de mettre a fes pieds le tribtit des animaux, que mon bras distrait avoit ,, abattus. Parcourant un jour au lever „ de faurore un bois touflu prés de la „ demeure qu' habitoit Theusnilde , j'y „ rencontrai Arminius : fa préfence inat„ tendue tenoit mes esprits en fuspens , „ lorsque , me fixant avec des yeuxenflam- més de colere, il me dit: ,,Je t'ai vu ,, déja plus d'une fois dans ces lieux: fi ,, tu chéris la vie, cesfe de nourrir 1111 vain espoir & fuis Theusnilde." „ Si mon cceur y prétendoit, lui répondis-je avec „ fermeté, je craindrois pen tesmenaces, & en ta préfence je lui offrirois ma „ main. A ces mots il tira fon glaive, ,, &, le foin de ma défenfe excitant ma „ colere, 1'un de nous fans doute eüt „ mordu la pousfiere, fi le courage de „ Theusnilde ne nous eüt fauvé de nos ,, fureurs mutueiles. Errante prés deja, „ & cachée par des arbres, elle avoit été ,, témoin de notre rencontre ;&, craignant „ qu'un tel éclat ne terriit fa réputation „ aux yeux des peuples, elle étoit accourue pour prevenir un fratricide. ,, Quoi! Dó „ s'é-  75 GERMANICUS. „ s'écria-t'elle en s'avaucant: Est-ce atnö „ que vous espérez obtenir la main de ,, 'lheusnilde? montrez votre amour par ,, de plus nobles fentimens. Celui de vous ,, qui ofe fouiller fa main du fang d'un ,, frère est indigne de plaire a la fille de „ Segeste. Quittez ces armes criminelles, & obtenez-moi de 1'aveu d'un pere." ,, Nous obéimes, en murmurant, a eet ordre fuprême. Ce fut dans ce même ,, temps que nous vimesarriverlefils d'Au,, guste, Tibere, qui a la tête des légions ,, venoit faire refpeéter de nouveau les loix ,, de Rome au-dela du Rhin. Toi-mênie, ,, ö Germanicus, tu avois entrepris ce vo- yage avec lui; & tu te rappelles fansdou„ te, que les Querusques folliciterent alors 3, la paix. Ce ne fut point la crainte qui ,, propofa^le rétablisfement de laconcorde, ,, ainii que Rome parut le croire; non, ce fut 1'amour, qui éteignit les feux de ,, la guerre. Arminius, contraignant fon ,, audace & disfimulant fa haine, crutpour ,, 1'intérêt de fon amour devoir regagner ,, 1'amitié de Segeste, & embrasfer fon „ parti. Nous obtinmes donc le repos, ,, depuis longtemps defiré ; & Varus fut revêtu du Gouvernement de la Germa- nie. ,, Cependant Arminius redoubloit de s, foins pour obtenir la main de Theusnilde. Je ne négligeois rien également; & je ,, fus même asfez heureux pour apprendre 3, de la bouche de Segeste lui-même, qu'il 9, me préféroit a mon rival. Mais, hélas L >, ce  CHANT TR 01SIEME. 77 ,j ce bonheur s'évanouït bientót; & mon ,> frère, qui fut toujours !a fource de mes infortunes, y mit enfin le comble. Le „ jour de cette union étoit fixé , les amis ,, mutuels invités alafête, lorsqu'on vint 3, déchirer mon cceur par 1'avis cruel, que „ la maifon de Segeste, fituée dans la fo,, rêt,venoit d'être forcée&plongée dansle „ deuil pendant fon abfence. Arminius,le bar,, bare Arminius, foutenu de quelques-uns 5, de fes adhérents , avoit brilé les portes au „ milieu de la nuit, tandis que la familie étoit ,, plongée dans lefommeil: il avoit pénétré „ jusqu' a 1'endroit, oü Theusnilde repo„ foit entre les bras de Radegonde, fame,, re; & 1'enlevant, malgré les efforts réu> ,, nis de toute la marfoii, reveillée par les ,, cris, il s'étoit eufui avec elle. Hé'as I combien ce triste fouvenir me trotible „ & m'agite encore! A l'iuftant je m'élan„ ce fur un courlier vigoureux, & fuivi de quelques amis fideles je vole fur les pas „ du ravisfeur; mais ce futenvain, je ne pus 1'atteindre. 11 emporta fa jeune proye „ vers_ les bords de la Lippe, & la con,, duifit dans la tour qu' Aurinie a choifie. „ pour demeure: en confiant a la Prêtres., fe ce dépót chéri, il la fupplia de veiller a fa furêté, & de lui accorder un al'yle „ dans fon habitation facrée jusqu'aujour, oü le Gouverneur auroit décidé, lequel „ de nous deux recevroit la main de cette „ illustre fille. Depuis quelque temps il avoit recherché 1'amitié de Varus; & „ restime, oü il avoit feu fe mettre auprès D 7 „de  I 78 GERMANICUS. „ de lui, fcmbloit lui asfurer un triomphe. „ certain fur mes prétentions. Quelques membres du Sénat Querusque parurent „ approuver fon audace, & donnoient a „ eet attentat le nom de courage héroique. „ Excité par ces louanges iniques, il mar„ cha de forfaits en forfaits. U protesta qu'il ne fouiïriroit jamais qu'on lui ra„ vit Theusnilde ; qu'elle approuvoit „ fon amour; qu'elle ne craignoit rien tant que d'être a moi; & qu'il défen„ droit fes droits, quoi qu'il en püt arriver. II arma tous fes amis , exigea des fecours de fes alüés,., & les gagna tellement par fes promesfes artificieufes, qu'ils prirent 1'affreufe réfolution de masfacrer ,, Varus lui-même & fes légions, s'il décidoit de Theusnilde en ma faveur. ,, Déja Segeste avoit appellé Arminius en „ justice comme ravisfeur. Varus, que „ la flatterie féduifit, fembla balancer entre nous. La Jultice ne tenoit plus fa „ balance que d'une main chancellante. „ Mais enfin, 1'équité blesfée parlant pour moi, le Gouverneur alloit prononcer en faveur de mes feux, lorfqu' Arminius accomplit a 1'aide des Tudesques les funestes desfeins, qu'il fomentoit dans „ fon ame. Nous fumes informés cepen,, dant du danger, qui menacoit Varus; nous 1'en inftruifimes; mats il refufa „ d'ajouter foi a nos avis fecrets, & ne „ put foupgonner la fidélité d'Arminius. „ 11 recut alors la nouvelle précipitée, que „ les Chamaves & les Angrivariens , rom- pant  CHANT TR0IS1EME. 79 „ pant le traité conclu avec Tibere ,avoient „ pris les armes, & que divers peuples fe „ dispofoient a les joindre. Arminius, „ inventeur 1 de ces bruits menfongers, ,, enflam ma tellemcnt le courroux du Gou„ verneur contre fes ennemis prétendus, „ que ce dernier forma le desfein de les aller combattre lui-même a la tête de ,, fes légions ; démarche fatale , qui le ,, livra a la haine farouche de fonennemi, lequel , feignant d'embrasfer les intéréts „ de Rome, offrit a Varus de joindre fes troupes aux liennes , & 1'entraina dans ce fuues,te voyage, malgré tous nos ef„ forts paur 1'en disfuaclér. Le Gouver,, neur avèuglé donne j'ordre aux légions ,, de s'unir aux troupe's des Querusques & des Cattes, qu' Arminius devoit con,, duire a la forêt de Teutobourg. En,, vain notre amitié fidele redoubla d'in,, ftances jusqucs au dernier jour: 1'infor,, tuné Varus courut a fa perte; fon des,, tin déplorable 1'emporta fur nos foins. ,, Déja la nuit étoit prête a fucceder au jour,lorsque les traitres alliés arrivent i la forêt: cette célérité fut pour eux un nouveau mérite aux yeux du Gouver„ neur, qui invita cc même foir toute la „ Noblesfe a fa table. Un ami fidele viiit ,, au même moment découvrir a Segeste ,, le danger, que couroit le Gouverneur: s, a 1'infiant ce Prince allarmé vole vers „ Varus, pour 1'avertir de 1'horrible pro,, jet formé contre lui. Au nom des ,, Dieux, lui dit-il, ordonne qu'on fe fai- „ fis-  So GERMANICUS, ,, fisfc d'Arminius; je cnnfens a psrtager fes chaines, jusqu'au moment oü tu „ auras éclairci, qui de nous deux est le „ défenieur ou 1'ennemi de 1'Kmpire. ,, Mais,tandis que fon zèle fedéployeen„ vain, Pfieure de la défolation de Rome s'approclioit. La nuit avoit étendu fes „ forobres Voiles fur 1'horizon; les légions fe Jivroient au doux repos fous leurs „ tentes; on avoit fortifié le camp, quoi„ que 1'on crüt n'avoir rien a craindre, quand tout-a coup des crisaffreux s'éle,, vent de toutes parts , & decouvrent ,, trop tard la perfidie d'Arminius. Eveil„ lés en furfaut par le tumulte & le bruit ,, du cafnage, les foldats fortent a la hate „ pour fe réunir fous leurs drapeaux; mais la rage féroce des ennemis les ar,, rête: par-tout le glaive & la lance fepré,, lëntent a leurs veux effrayés, & une mort inattendue les moisfonne a chaque „ pas. Qui pourroit dépeindre toutes les „ horreurs de cette nuit affreufe ? Les „ Dieux, les Dieux eux-mêmes femble- rent fe joindre a mon barbare frère, & ,, punir 1'aveuglement de Varus, en aggra,, vant fes maux par la plus horrible'tem- pête: tout concourt a la fois a jetter 1'épouvante dans le cceur des Romains. „ L'obscurité de la nuit, 1'épaisfeur de la forêt, 1'incertitude des chemins qu'ils n'avoient jamais parcourus jusqu' alors, „ les cris & les gémisfemens des mou„ rants , le bois qui rétentit au loin de ces mots funestes: aux armes! aux ar„ mes!  CHANT TROISIRME. Si „ mes! le terrein luimeme, qui cède „ fous leurs pas, transformé en marais ,, fangeux par les pluies ; les fifflemens horribles de 1'orcan, mugïsfant fans ces>, fe; le feu fubit & rapide des éclairs, ,, le fracas effrayant du tonnerre, les tor,j rens de pluie & de grêle, repandent de I, tous cotés la terreur. On fe met ce- pendant en défenfe; &, fi les Romains „ fuccombent , ils ne périsfent pas fans i, honneur. Déja 1'ennemi s'étoit rendtt ,, maitre du camp. Les Romains, obli- gés de céder le terrein pas-a-pas , ga„ gnent une colline, oü leur valeurredou„ ble d'elforts. L'aurore voit, en fe le,, vant, un nouveau combat. Les Tudes,, ques tachent d'entourer les légions: on ,, combat pied a pied ; la mort vole de rang en rang; des ruisfeaux fumans de fang fe t, mèlent, fe confondent & coulent du haut ,-, de la colline dans la plaine, qu'ils rou>, gisfent. Les infortunés Romains mor„ dent la pousfiere, & la défaite est tota>, le. Varus, le trop crédule Varus, cou„ vert déja de bleslüres, femble ne crain„ dre en ce moment que les infultes de „ 1'ennemi : fon ame ulcérée ne peut fou,, tenir plus longtcms eet affreux fpecla,, cle; il tourne contre lui-möme fon épée, „ &, la plongeant dans fon coeur, il termi„ ne fon infortune. Une partie de la No„ blesfe Romaine fait eet exemple funes„ te; d'autres fe défendent encore, & don,, nent le trépas en le recevant. La ca,» valerie tache envain d'échapper au car- „ nage  82 GERMANICUS. 5, nage; on 1'environne de toutes parts: „ forcée de combattre,& le défespoir allumant fa vengeance, elle porte des coups furieux. Le fang Romain fe vend cher au vainqueur. Un foible reste des lé„ gions cherche fon falut dans la fuite , ou 5, fe rend prifonnier. J'ai vu Segeste lui„ même chargé de honteufes chaines. J'a„ vois conftamment combattu a fes cótés: „ dans ce moment fatal, tout espoir étant „ evanouï, je fougeai a ma propre furêté: „ une retraite iguorée me fut offerte par „ un ami fidele, qai, malgré les recherj, ches de mon frère, fauva mes tristes ,, jours. II me conduifit dans fa demeure, oü je fus inftruit du fort de Theus„ nilde & de celui de fon illuftre pere. „ La nouvelle de la vicloire des Germains „ & de la mort funeste de Varus fit naitre dans nos régions une joye univerfelle; on éleva jusques aux cieux les aclions d'Arminius; on célèbra cette vicloire par ,, des chants de triomphe. Aurinie ellemême en eut a peine entendu le recit, „ qu'elle ordonne a Theusnilde, au nom des Dieux, de donner fon ceeur & fa main au libérateur de la Germanie. Hélas! elle n'obéit que trop a fes ordres. ,, L'approbation de Segeste étoit nécesfaire_ pour conclure eet hymen; Arminius ,, mit a ce prix fa liberté, en ne lui lais„ fant pas ignorer qu'un refus pourroit lui j, couter la vie. Un péril ausfi presfant ,, détermina Segeste a facrifier fa fi'le , mais en attestant les Lieux qu'il tireroit ven- gean-  CHANT TROISIEME. 83 ,, geance de cette affreufe contrainte.. Un „ juste dépit me fit dire alors un éternel „ adieu a ma Patrie, & je vins olFrir mes ,, fervices a Rome, espëraht de voir un jour fa puisfance me vanger de tant d'af,, fronts. Puislc-ie,pour punir tous les ou,, trages que j'ai recus, obtenir aux armes „ Romaines la défaite entiere de la Ger„ manie!" Le Fils de Drufus, attentif a ce récit fincere, n'avoit pas voulu 1'interrompre, quoique fon ame eüt éprouvé plus d'une fois pendant ce temps les plus vives émotions. 11 prend alors la parole, & s'adrcsfant a Flavius: ,, Gcnéreux Etranger, lui „ dit-il, 11e ddplore plus les outrages que „ tu as esfuycs; reconnois en tes mal„ beurs la lage conduite des Dieux, qui, ,, t'éloignant de ces barbares, te jugcnt „ digne du nom honnorable de Fils de „ Rome; 1'Empire döfendra ta caul'e; tu „ verras ,bientót ta vengeance fatisfaite, ,, & Arminius foumis. Oublie Theusnil,, de; &, fi ton cceur peut encore bruler „ des feux du chaste amour, cherche une „ dpoufe digne de toi parmi les filles de „ Rome. Je t'offre mon amitié; tire le ,, voile fur tes infortunes pasfées, & fois ,, asfuré que ma faveur fgaura te distin,, guer au befoin." Cependant la nuit filencieufe fe retiroit a pas lents vers 1'occident; déja 1'aurore dévangoit le foleil, prêt a réjouir 1'univers de fes rayons, lorsque Germanicus fit appeller Segimond, jadis Sacrificateur, & Fils  g4 GERMANICU S. Fils de Segeste. Le fier jeune homme pnroit a fes regards: fon corps robuste est rcv£tu d'une cotte-d'armes, ouvrage de fes foeurs; un casque orne fa tête, au lieu du bandean facré. Le Prince 1'examine d'un ceil oii fe peint la févérité. ,, Jeu„ ne imprudeut, lui demande-t-il, quels „ motifs t'ont fait déferter 1'autel?" Segimond baislë les yeux en rougisfant, tandis que le Général poiuiuit. ,, Est-ce „ ainft que tu reconnois 1'honneur, que „ te fit Varus a la demande de ton pc- re, en quittant la dignité oü tu fus ,, élevé, & t'unisfant corame traitre de „ 1'Etat aux enneinis de la puisfance de ,, Rome?" „ L'emportement de la jeunesfe m'a „ fait ftiir, replique Segimond: je reviens ,, commeami de FEmpire. Quand mescon,, citoyens reprirent les armes contre Rome, ,, je crus acquérir de 1'honneur, en prenant ,, part a kurs efforts. L'amour de la gloi,, re me fit partir: le devoir me ramène. „ Je vois mon pere pourfuivi par Armi,, nius: le fort de 1'Auteur de mes jours ,, me caulë les plus vives alarmes. En,, Rrmé avec quelques amis dans une for,, teresle, qu'asfiègent les Germains, il ,, va bientót fe voir forcé de fe rendre, fi ,, tn bras aénéreux ne le vient délivrer. „ Sauve la vie de Segeste, o Germanicus! „ &, quoiqu'il te plaife de déciderde moi, ,, fecoure mon Pere." Le Prince , attendri du dévoucment filïal & du courage du jeune Germain, qui pour une fi belle caufe brave  CHANT TROISIEME. 8$ ve les plus grands dangcrs, feut bientót fa colere s'appaifer. „ Ta vertu mérite ,, qu'on te pardonne, dit le Héros; mais „ j'exige que tu m'inlïruifes fans disfimula,, tion de la caufe de cette haine implaca,3 ble d'Arminius contre ton pere, même ., après en avoir obtenu la main de „ Theusnilde." „ Hélas! repond le Fils de Segeste, cet,, te haine , nourrie depuis fi longtemps, a ,, fait encore de funestes progrès après ,, ce triste hymen. La nécesfité feule ,, avoit arraché 1'aveu de mon pere: il fem- bloit cependant que le cahne alloit renai- tre; Theusnilde étoit heureufe; fon cceur 51 tendre & ouveit s'étoit attaché a foil Epoux;mais la nouvelle inattendue, què tu allois paroltre en nos contrées pour ,, venger la défaite de Varus, fit évanouir la douce espérance du repos. Segeste, S) toujours fidele aux Romains, voulut qu'on t'envoyat des Députés, afin d'ob- teuir le pardon du masfacre des légions, 33 & de renouveller 1'ancienne alliance. Ar- minius, que cette propofition irritoit, ofa ,3 nommcr ennemis de h patrie ceux qui ,, 1'approuverent, & voulut qu'on repousj, fat la force par la force. Cette oppo„ fition de fentimens divifa la Noblesfe; 3, les uns vouloicnt la paix, les autres de- roandoient la guerre. L'obftination aug,, mentoit de part & d'autre; &, fi )e ,, Druide n'eut arrêté fes mouvemens, eil „ exigeant qu'on s'appaifdt jusqu' a ce „ qu'il eüt confulté la volonté des Dieux  Ü6 GER M AN1CU S. „ par le vol des oifeaux, le fang des Gcrmains eüt coulé de leurs proprcs mains ,, dans cette tumultueufe asfemblée. Ou „ fe fépara enfin la rage dans le cceur;&, „ la fatale refolution de courir aux armes ayant été prife, augmenta bientót les ., chagrins de mon Pere. Arminius avoit „ mis nos citoyens dans fon parti. Les Brucleres, les Tenélres, les Marfes, „ les Sicambres, les Uzipiens,les Cattes, „ les Tubantes, & les Angrivariens, tous fe preparerent aux combats, & s'avan„ cerent vers les rives de la Vizurgue. Ne fgachant rien encore des divifions, qui troubloient de nouveau ma familie; j'abandonnai la dignité Saccrdotale pour „ voler aux combats. Mais que mon cceur eut ii foulfrir, en apprenant de Theusnilde a mon arrivée la haine in„ placable, qui règnoit entre mes parens! Segeste, marchant déja a la téte d'une armée compofée de fes amis les Querus3, ques & de quelques habitans des con, trécs voifines, menacoit d'attaquer Armï^, nius. Repréfente toi, ö Général, 1'état cruel d'un Pils, qui respeéte fon pere, „ & le voit a la töte d'une armée ennemie. „ Je volai vers Arminius; je lui peignis tou,, tes les horreurs de la guerrc civile, qu'il „ alloit élever. Theusnilde me feconda; ,, nos follicitations & nos voix reünies a„ mollirent enfin fon cceur, & nous le dé.„ cidames a la rècon'ciliarion. Ilmedéputa vers mon pere, pour lui ponter des paroles de paix, & prévenir de pius grands mal-  CHANT TROISIEME. 87 ,, malheurs: mais, tandis que je combattcis ,, envain la haine invétérée, que Segeste confervoit dans fon cceur contre le mari de fa Fille, Arminius esfuya le plus ter„ rible revers. Mon pere, afin de détourner la guerre dont Rome nous menaooit , avoit depuis longtemps formé le projet barji avec quelques-uns des chefs n de fe faifir d'Arminius, qui étoit loin 5, de foupconnner ce danger, & de le li„ vrer aux" Romains. Une nuit fombre „ avoit été choifie pour 1'exécution de ce s, desfein. Arminius, fortant a peine des 5» bras du fommeil, fe voit chargé de ch'ai„ nes avec fon Epoufe, & trainé vers mon 5, Pere, qui, brülant de haine & d'indig5, nation, 1'eüt fait faourir au méme inj, ftant, s'il n'eüt pas préféré de le me (tra „ en tes mains. Le péril d'Arminius fit „ une vive impresfion fur mon cceur; „ mais qui pourroit peindre le désespoir „ de Theusnilde, qui pourroit repé;cr tout 3, ce que fa tendresfe effrayée lui dieta ,, pour fauver fon Epoux? ' Ses larmes , „ fes plaintes, ne faifant qu'irritcr Seges„ te, elle prit enfin une rëfolutiön digne „ d'elle; elle gagna les gardes d'Armi,, nius, & le fit adroitemeut fortir de la prifon. Mais,avant de fe féparer de lui, ,, elle en exigea le ferment devant les Dieux ,, de ne jamais attenter aux jours de fon „ Pere. La fuite d'Arminius fut bientót découverte, on vola fur fes pas; mais trop tard, par la prudence prévoyante „ & la fidelité de Theusnilde. Arminius „ en  38 G E Pv M A N I C U S. ,, en furetéj mais bouillant de colere & en proye aux douleurs de 1'abfence, ne „ cesfoit de réclamer fon époufe par des députés: voyant enfin fes piïeres ausfi „ infructueufes que fes menaces, il prend les armes , réfolu de la recouvrer par la „ force. Segeste , non moins animé, ha„ zarda une bataille périlleufe , dans la„ quelle il fut vaincu, & forcé de chercher „ un afyle dans la forêt de Grabrete, oü il avoit fait élever une forteresfe, entou„ rée de remparts formidables, fe flattant ,, d'y trouver une retraite asfurée contre tous les efforts de fes ennemis. Mais ,, Arminius , déscspéré du fort de fon J5 époufe, le pourlüit jusqu'aux pieds de fes „ murs, investit la place ,& jure de mon,, rir devant fes remparts , fi Theusnilde ne lui est rendue. Mon Pere fe défend avec ,, courage. Arminius , malgré fes pertes ,, journalieres , s'obftine au fiege. La for„ teresfe est bientót a 1'extrémité. Le dan,, ger, qui s'augmente, accroit mon inquié- tude fur le fort de Segeste. Combien de „ fois, embrasfant fes genoux, je 1'ai con- juré de céder, de permettre enfin que je „ fauve fes jours en conduifant a fon Epoux „ 1'infortunée Theusnilde, qui coule fes ,, tristes journées dans les foupirs & dans „ les larmes! Vains efforts , hélas ! Le courroux égare Segeste. Les pleurs de „ fes enfans ne le touehent plus. Ma , mere, la refpectable Radegonde, vaincue ,, par la douleur amère, qui dévoroit fecree, tement fon cceur depuis ces malhcureufes „ di-  CHANT TR01S1EME. 89 f, divifions, vient de payer tristement le „ tribut a la nature. Mon Pere a prononcé le fatal ferment de mourir avec „ tous fes enfans, & de livrer aux flam„ mes la place vainement dcfendue, avant„ qu' Arminius obtienne lbn époufe , ou ,, qu'il entre en vainqueur dans ces rem„ parts alfoiblis. Une derniere fois en„ fin, hazardant de flêchir fon courroux „ funeste , il fit cette reponfe a mes „ presfantes prieres: „Toutes tes tentatives ,, font vaiues, ö Segimond, n'espere plus „ changer mes réfolutions; j'attends la ,, mort dans ces murs, elle terminera „ bientót mes foulïrances. 11 n'est qu'un „ moyen Mais fonge qu'il y va de ta ,, vie: c'est d'aller fupplier Germanicus de „ marcher a notre fecours. 11 est vrai „ que,fugitif." „Ah! monPere.dis- ^, je en 1'interrompant, c'est asfez; ma „ vie est peu de chofe, fi j'ai le bonheur „ de fauver la tienne. Jure-moi de re„ fpeéier tes jours & ceux de vos enfans „ jusqu' a ce que tu faches par moi ce que tu peux esperer de Rome. J'obtins „ ce ferment; & profitant alors d'une nuit ,, obscure, une cordc favorable m'aidant „ a franchir le rempart, j'eus le bonheur ,, d'échapper a la vigilance des ennemis. Les malheurs de Segeste te font main„ tenant connus. Dal'gne le fecourir, „ Prince magnanime! & préviens la ruine ;, d'un fidele ami de Rome." „ Je te promets, lui dit Germanicus attcndri, de délivrer tdti Pere, s'il peut E „ en-  $o GERMANICU S. „ encore foutenir le fiège pendant le temps „ nécesfaire pour Fapproche des légions, „ & toi-même, 6Segimond,tu mecondui„ ras a la place." Ausfi-tót Germanicus ordonne qu'on leve le camp, & qu'on s'apprête a marcher. Inftruit toutefois par le désastre de Varus a ne pas fe confier legerement aux entiemis, il fait examiner & parcourir la forêt, avant de s'v engager; quoiqu'il ne fe défie point de Segimond, dont le recit s'accorde avec celui de Flavius. Le Héros découvroit déja vers 1'orient les arbres toufTus de la forêt de Grabrette, lorsqu'il recoit des lettres de 1'Empereur & de Rome. G E R-  *3 Ë R Al ANICDS. CHANT QUATRIEME. Germanicus, depuis longtems ïmpatienc de recevoir des nouveiles de Ia Capitale de 1'Empire, ouvre les lettres, que luiapportent les mesfagers de Rome. 11 lit avec empresfement celles écrites de la main meme de rEmpereur. 11 y voit, que Tibere m fcait le plus grand gré du zèle, avec lequel il a calmé la révolte des légions; que les témoignages de fa fatisfaclion vont .Uisqu a le Hommer le Souiien de la puis(ance Romaine; que PEmpereur, exaltant les loms, approuve fa liberalité en vers les veterans, & trouve juste la punkion des mutins. A ces demonllrations honnorab es Tibere ajoutoir, que fuivant fonexemple Drulus avoit rétabli la discipline militaire dans les légions de la Pannonie; enhn que, fier de la gloire de fes deux nls, il fe propofe de faire bientót reconnoitre leurs vertus par le Sénat. Tandis que ces beureufes nouveiles répandent une douce joye dans 1'ame du Pnace, le fidele Titus fe préfente a fes regards: on lifoit fur fon vifage le trouble lecret de fon cceur. „ Digne ami, lui „ dit Germanicus, quel cbagrin t'agite? •„ Je n ai recu que des nouveiles prospe,, res... mais je n'eus Jamais de fecrets PW» toi;!is eet écrit."., „Ah! Prince, E * „ ré-  92 GERMANICUS. répond tristement le jeune & vertueux , Romain, la cour est bien loin de t'être ' ausfi favorable qui ces lettres 1'annon- cent h ton ame iincere; .connois mieux ', 1'artifice & les pièges, que te tend une ' feinte amitié; lis cette lettre, tracée ' par la main fidele de mon Pere, & qu'elle dévoile a tes yeux féduits la pro„ fonde dis'.imulation de Tibere." A ces mots il lui prélente 1'écrit du vénérable vieillard. Germanicus y voit, que 1'Empereur, en donnant des élogesa fa conduite, 1'avoit fait d'une manieren affeétée, qu'il étoit facile de juger, que ces louanges outrées , diAées par 1'envie, aunoncoient la ruine du Général; que les louan|es plus modérées, qu'il avoit données a Drufus, paroisfoient plus finceres & moins coüteufes a fon cceur disfimulé; qu'il étoit mécontent des faveuts accordées par Germanicus aux vétérans, en les dispenfant du fervice militaire,& fur-tout de les dons a toute 1'armée, comme s'il eüt voufu Ia corrompre en fa faveur; enfin, que les vertus héroiques étoient umveriellement admirées des Sénateurs, mais regardées par 1'Empereur d'un ceil fombre & en- vieux. . . Te ne reconnois que trop a ces traits 'le caraflère de Tibere, dit le Prince " affligé. Ah! s'il étoit le feul qui cher" chdt k noircir 1'innocence! Mais dans Z ce fiecle pervers, oü règne par-tout 1'intérêt fordide ou la basfe envie, on " ne connoit plus ni 1'honnête candeur " j5 ni  CHANT QUA TRIEME. 93 ni 1'amour désinteresfé de la patrie; „ la fraude & 1'artifice font aujourd'hui „ les chemins, qui mènent a la fortune & „ aux grandeurs. Qu'est devenue la firn„ plicité de ces beureux temps, oü le „ mérite, dédaignant la pompe des cours, ,, habitoit les demeures rustiques de nos „ ayeux; ces temps oü Rome, estimant la vertu pauvre mais honnorable, fe „ faifoit un devoir de la titer de In charue ,, pour la rcvetir de la robe confulaire! ,, Alors on estimoit la fagesfe, la mode- radon, la fincerité; les vertus trouvoient une récompenfe digne d'elles : aujour- d'hui,la fiere ambition renrerlë le mérite ,, d'un pied dédaigneux, & dans fon in„ justice aveugle outrage la vertu, qu'elle „ feint de refpefter. Mais bravons d'une „ ame ferme les vaines fureurs defenvie; meprifons fon impuisfante malignité: &, ,, faifant fervir les divifions des enneims ,, a la gloire de Rome , allons fauver Se,, geste avant que 1'infortune ne 1'accable; „ & qu'il connoisfe qu'il n'a pas vaine- ment mis fa confiance en Germanicus." Le printemps embellisfoit alors les campagnes rajeunies; les arbres, revêtus d'un naisfant feurllage , fe couronnoient de fleurs; & le verd tapis des prairies, offrant aux yeux les richesfes de la belle nature, étoit ématllé de fleurs, nouvellement éclofes. Mais , quoique les vents fougueux & les tempétes bruyantes eusfent disparu a i'approche de la tiède faifon, on n'entendoit point dans les champs E 3 d'alen-  «,4 GERMANICUS. d'alentour le deux ramage des oifeaux; les chantres ailés n'y folatroient point: troublés dans leurs aruours par les fons eftraynns de la trompette guerriere, ils ayoienr abandonné ces tristes campagnes, qui jadis ïétentisfoient de leurs charmans concerts.. Germanicus marche a grands pas au lecours de Segeste , fuivi de ('es iégion?.. II pénêtre a leur tète la forêt de Grabrette: il découvre déja les tours de la torteresfe, qui s'éleve fur une colline, ombragée d'arbres touffus. Arminius, qui fe flattoit de & en rendre bien-tót maitre par 1'état affrenx oii les asfiégés étoient reduits, apprit avec un dépit furïeux, que les Romains s'avancoieur. Ausfi-tót il abandonné le fiège ; il rasfemble toutes fes troupes, & tombe avec ïmpétuouté fur 1'armée Romain e, en jettant de grands cris. Le Prince, calme au fein du tumulte, exborte fes foldats a tenir ferme, & k foutenir fans s'ébranler ce choc violent. La fureur s'anime de part & d'autre; on combat avec la lance, le javelot, le glaive & le poignard; la mort vole de rang en rang. Le fang des Romains & des Tudesques, s'unisfant malgré leurs haines mutuelles, ne forme plus qu'un feul ruisfeau. Segeste, du haut de fes remparts, contemple avec effroi le combat, qui fe livre fous fes murs : fon ame tremblante tantöt s'ouvre a Pesperance, tantót s'abandonné a la crainte, felon que la victoire femble fe décider pour 1'un ou 1'autre parti: mais enfin tout cède aux armes Romaines, & les Germains fuyent de toutes parts. Arminius voit en vain le dés-  CHANT QJJA TRlliME. 95 désordre des fiens; il reste inébranlable, combattant avec fureur, & femble ne connoitre ce que c'est que reculer. Son défespoir coüte du fang aux légions; fa rage redouble dans ce moment alfreux, qui lui ravit Theusnilde. Tandis que fon bras intrépide immole cent guerriers, qui mordent la pousfiere fous fes coups redoublés, Germanicus détache une cohorte vers la forteresfe: alors lc vaillant Dumnorix, vieillard courageux, qui toujours combattit ;>. coté d'Arminius , lui dit en foupirant : Cesfe, Chef infortuné, cesfe de prodi,, guer vainement ta vie. Segeste est dé- livré. Les Dieux ne nous accordent „ pas de fauver Theusnilde; les Romains ,, font dans la citadelle." Ces mots terribles fuspendent le bras d'Arminius: il tourne la téte, & voit, en frémisfant, les enfeignes Romaines flotter fur les remparts-. „Quoi! s'écrie-t'-il, quoi! Theusnilde „ tombera fous le pouvoir des Romains ? L'Epoufe d'Arminius connoitra 1'esclava- ge? Non, je ne foulfrirai point ce der„ nier outrage. Mourons, ou combattons pour elle, ausft longtcmps qu'une goute ,, de fang restera dans nos veines." II dit, & vole aux remparts éprouver encore la fortune. Mais fes amis retiennent fa rage impuisfante; on 1'entoure, on 1'entraine maigré lui; & fes jours font en fureté, e.i dépit de fon défespoir. Sa fureur s'exhnle en imprccations; il maudit laguerre, il déplore fes malheurs dans le filence de !a nuit comme dans le tumulte du jour, & E 4 jure  96 GERMANICUS. jure, que malgré fa défaite il ne tardera pas a Iaver dans le fang des Romains fes chagrins & fa honte. Cependant les Germains cherchoientavec précipitation une retraite dans leurs fonrbres forêts , en abandonnant la vicloire aux foldats de FEmpire. Germanicus entte en triomphe dans la forteresfe. Segeste s'avance au-devant du Général. Ce Vieillard fier & refpeclable, dont la taille est majestueufe & le front intrépide , porte fhabit d'un Capitaine Romain, a 1'exception du casque. II frappe le premier les regard? du Fils de Drufus. La jeune Venerande le fuit: élevée loin des yeux dupeuple, cette Vierge timide & modeste doit fucceder un jour a la grande Prêtresfe Aurinie; elle paroit, vêtue de blanc , vers la droite de fon Pere. A fa gaucbe est la belle Theusnilde, qui a déja couté tant de fang a la jeunesfe Germanique. Digne compagne d'Arminius, elle lui resfemble en courage, en fierté; peu craintive pour ellemême, elle ne s'occupe que des interêrs de fon Epoux; & les yeux fixés fur fon fein, qui recele encore le premier fruit de fon hymen , elle affeéte une contenance tranquille: trop fiere pour fe plaindre, elle brave en filence 1'infortune, qui 1'aceable & le fort qui 1'attend. Son frere Adelbert, encore dans 1'adolescence, marche a fes cotés & femble refpirer fon courage. Une troupe de femmes de la noblesfe des environs, qui étoient vernies chercher un afyle auprès de Segeste, & la foule des amis -. . " de  CHANT QJJA TRIEME. 97 de ce prince, qui ont combattu fous fes yeux pour la caufe de Rome,Tentoure & luit fes pas. Germanicus, dont le bras vient de les délivrer, s'avance au milieu d'eux. Son maintien noble & fa démarche héroique attirent fur lui tous les regards. Ses traits inajestueux & fa taille élevée en impofent aux Germains; il femble être le Dieu Mars lui-même. Son armure magnifique , le baton de commandement dont Cefar 1'honnora, le manteau de pourprerichement tisfu d'or,qui, descendant avec grace fur fes épaules , découvre fon rang; le panache éclatant de plumes rouges & noires, qui couronne fon casque & Hotte au gré des vents, tout augmente fon lustre & fa grandeur aux yeux de la multitude étonnée. Le jeune Segimond , qui n'épargna point fa vie pour fauver ceile de fon Pere, Paccompagne , fuivi de la troupe. nombreufe de la noblesfe guerrierre de Rome, déja couverte de gloire, & qui brule encore de moisfonner de nouveaux lauriers. Parmi eux fe distingue Silius, 1'une des plus fermes colonnes de 1'Empire , ausfi. brave au combat que fage au confeil; toujours fidele a la maifon de Drufus, & qui par 1'exemple de fes mceurs fait fleurir 1'ordre & la discipline dans 1'armée, dont il. est adoré: Taurinus, que les foldats mettent au nombre des plus intrépides guerriers, & moins connu par fa naisfance que par fes vertus : Pifon, dont la fagacité est peu commune, & qui fe croit fupérieur a fcm Pere, quoique ce dernier s'unit jadis E 5 aBrit-  gt GER M A N 1 C U S. a Brutus pour délivrer Rome de la tyrannie, tandis que ibn ame artilicieufe trouve toute fa gloire a fiatter les paslions de Tibere, dans le vil espoir de dominer fouslui: Vitellius, la terreur des armdes ennemies , Fils d'un Chevalier illustre, qui , Pere de quatre Fils , également vertueux, eut la gloire dans fa vieillesfe de compter entre eux, un Gouverneur de Province,un Cenfeur, un Sénateur, & un Conful: Stertinius, qui femble avoir fixé la fortune fin' fes pas, & qui jamais ne revient que victorieux: Antejus , que 1'ennemi redoute , chef d'une cohorte invincible, & qui lui feul en vaut une par fa préfencet Flavius, ce frere outragd d'Arminius, qui , banna de la Germanie & ëloïgne* du rang fuprème, a offert fon bras a Rome pour vcnger fes affronts, mais qui combat moins contre fa patrie que contre fon frere : Albinus, vieillard infortuné, qui depuis le meurtre de fon Fils dans la fatale journde de Varus, 11'a point laisfd couler un feul jour fans pleurs ; qui montre par fes vetemens le deuil qui 1'afllige; qui rejette toute confolation, & ne confent a garder fa vie que pour vcnger dans le fang des Germains ce Fils chdri: enfin, Titus & Sabinus , qui tirent leur origine de 1'ancienne maifon des Rois d'Albe; freres paria naisfance, imis par la vertu; cdlèbres par leur bravoure; tous deux k la fleur de Fage; &, quoique favoris de Mars, dont ils partagent les lauriers, préférant encore les arts de la paix aux talens militaires; comptés au C^*  CHANT QUATRÏEMË. co Capitole parmi les foutiens du Sénat; aimés de Germanicus, haïs de Tibere; & qui fusfent dévenus des Fabrices & des Camilles, s'ils eusfent vécu dans les beaux iiecles de Rome. Segeste, portant fes regards avec attcudrisfement & refpeéf. fur le Héros, lui exprime fa reconnoisfance en ces termes : ,, Prince! ce n'est pas d'aujourd'bui que „ pendant le cours de ma vie déplorable ,, j'ai donné des preuves de mon attache„ ment pour les Romains. Depuis qu'Auguste, élcvé maintenant au rang des ,, Dieux, m'honnora du droit deCitoyeny f, ma fidelité , toujours conftante dans mes prospérités comme dans mes mal5, beurs, ne s'est point démentie devant „ les ennemis de 1'Empire. J'ai dénonce? „ en justice .le traiire Amiinius. J'ai ,-, vainement invoqué fon glaive vengcur ,, contre Pinfraéteur des traités & le ra„ visfeur de ma fllle. Les loix, toujours ,, foibles lorsqu'elles ne font pas foutenues „ par 1'autorité, out été bravées par fon „ ame hautaine. Les lenteurs & la crédit„ lité de Varus ont rendu vains tous mes „ efforts. J'ai prévu le coup fata!. Je „ Fai fupplié de fe faiür d'Arminius, & ,, je me fuis offert aux mêmes chaines. ,, J'en atteste cette nuit défastreufe, oïl le nom Uomain recut un fi profond ou„ trage. Les horreurs de cette- nuit, h jamais mémorable, ne permettent point „ de défenfe, & de combien de jours af,4 freux ne fut-elle pas fuivie! J'ai depuis E 6 don-  ioo GERMANICUS*. ,, donné des fers a Arminius; la fortune 9, m'a fait tomber en fes mains. Délivré ,, par tes armes des outrages qui m'attendoient , je renouvelle ici les anciens ,, traités avec 1'Empereur & le Sénat. Je ,, ne te demande d'autre faveur, ó Ger9, manicus ! que de ne point porter la „ peine de la perfidie de Fépoux de ma ,, fille; & qu'on ne me fasfe pas 1'injure ,, de me croire infidele. Mon cceur ne „ forme plus qu'un defir; c'est de fervir a, un jour de Médiateur entre 1'Empire & s, les peuples de la Germanier & o'obte3, nir la grace de ces^ derniers , ü leurs 3, yeux défillés leur font enfin quitter les 3, armes. Daigne encore, fage Héros, par3, donner a mon Fils; ne rejctte pas la s, priere d'un Pere, qui atteud tout de 3, ton ame généreufe. Quant a TheusniL,, de , ce n'est pas par fon choix qu'elle ,, fe trouve au milieu de nous; c'est a toi, Germanicus, a confidérer, fi tu la 3, traiteras comme 1'Epoufe de ton Enne3, mi, ou comme la Fille de Segeste." 11 fe tut. Le Prince lui répondit ces mots: „ Dans ces heureux momens mon 3, efprit ne s'occupe pas d'Arminius. Je 3, pardonne tout, Segeste , a tes enfans■& a tes amis, en faveur de ta courageufe 3, fidelité. Dès que le calme fera rétabli dans ces contrées, c'est toi que je choi3, firai au nom de 1'Empereur pour le 3, gouvernement de ces régions." Le Fils de Drufus, fatisfait de cette exgédition , envoye alors Segeste & fa far miL.  CHANT QJJ A TRI KM E. ior mille au camp des Romains, pour les fouftraire aux entreprilës de 1'ennemi, & fait rafer la forteresfe. Au milieu de ces foins, il recoit un exprès de Cecina, qui vient lui rendre compte des progrès des légions , confiées a fes ordres. Ce digne Lieutenant de Germanicus apprend au Prince, qu'il a retenu dans le refpect les Uzipiens & les Tenctres ; que, s'avancant de contrée en contrée, il a par-tout arrêté les peuples, prêts a prendre les armes; & que les Marfes, qui avoient ofé lui disputer le pasfage, ont payé cher leur téuierité, & ont été entierement défaits. A la reception de ces hcureufes nouveiles Germanicus fait asfembler les Chefs de 1'armée , pour délibérer fur le chemin qu'on fuivra pour marcher aux ennemis avec fuccès. II fe préfente a eet égard deux plans a fon efprit. „ Dois-je,leur dit-il, pour,, fuivre Arminius par terre , en fuivant „ les fentiers ,dans lesquels nous fommes„ engagés? Ce chemin est le plus court „ fans doute, mais il offre le plus de dif„ ficultés: les fleuves rapides & profonds, „ les montagnes escarpées , les terreins ,, marécageux, les forüts , les embuches ,, des ennemis, enfm tout ce qui coüta li ,, cher a Varus est a craindre dans cette „ marche pénible. Ne feroit-il pas plus „ fur , fages amis , de s'embarquer au „ plustót fur 1'océan Germanique ; de pé„ nétrer jusqu' aux rives de 1'Ems , & ,, d'attaquer 1'ennemi furpris au milieu de fes foyers?" Pifon fe déclare d'abord E 1 pourr  ioa GERMANICUS. pour eet avis: fon cceur faux & disfimulé croit entrevoir, que ce voyage ferapluspérilleux encore pour Germanicus, & caufera fa défaite ou fa mort. La pluspart des Chefs , ne foupconnant point fes vues perfides , adoptent le même fentiment, & 1'appuient avec chaleur. ,, Drufus lui-même, „ difent-ils, ne nous a-t'il pas ouvert eet„ te route? la faifon nous favorife: qu'„ avons-nous a craindre ?" Un petit nombre, élevant la voix a fon tour, fe déclare contre ce projet: „ Sur terre, difent-ils, „ on n'a du moins a combattre que les „ maux dc la guerre, & le courage fcait „ vaincre les plus grands dangers; mais1 qui peut lutter contre la tempête & les ,, flots?" Le Général, après avoir longtemps balancé les raifons pour & contre , prend enfin fon parti, & fe décide pour le voyage de roer. 11 renvoye ausfi-tót le mesfager de Cecina, avec des ordres pour le Chef de retourner au plustot a la Ville des Ubiens ; de s'y procurer les provifions nécesfaires pour 1'équipement de la Hotte; de demander de nouveaux fecours aux alliés,. & de tout préparer pour le départ. II ordonue également , qtie les vaisfeaux des peuples, amis des environs, viennent fe joindre aux fiens. Après ces divers arrangemens pris, le Héros, a la tête de fes troupes, lières d'un tel Général, marche a grandes journées vers Moguntia, fur la rive occidentale du Rhin. Gependant Arminius , plus irrité que ja*  CHANT QU A TRI E ME. 103 jamais , inspire k tous les peuples voifins fa haine & fa fureur. 11 fe répand en imprécations contre Segeste & contre Rome. II s'emporte en reproches , en plaintes atnères , en cris d'alarmes, qu'il accompagne d'ironies fanglantes. „ Voili, dit-il, une „ aétion louable & courageufe; voila le ,, héroïsme de la valeur Romaine; venira ,, la tête d'une grande armee, pour en„ chainer une femme fans défenfe: ó digne „ Pere , qui livre fa fille a la fervitude ! „ ó Général intrépide , dont les troupes- innombrables font asfez vaillantes pour „ mettre une femme enceinte dans les fers ! Voila les hauts faits de Rome éi „ de fes généreux alliés. Mon bras in- dompté ne fcait point attaquer des ei> „ nemis hors de défenfe ; j'ai toujours „ fait la guerre a force ouverte; & j'ai „ feu plus d'une fois punir la tyrannie. „ Trois légions entieres avec leurs Chefs, „ a qui j'ai fait mordre la pouslkre, peu„ vent attester mon courage. La foröt de Teutobourg, encore teinte du fang „ des ennemis , offre par-tout aux yeux „ les étendarts de Rome , que ma main ,, lui enleva , & que j'ai confacrés a nos „ Dieux. J'en ai décoré toutes les foréts „ des braves Germains , en dépit de la „ vaine infolence des tyrans. Que Seges„ te recherche basfement leurs faveurs 5 ,, qu'il éleve une autre citadelle au dela „ du Rhin; qu'il revoye fon fils couvert „ d'habits facerdotaux ; jamais la patrie „ n'oubliera fa trahifon, & ne pardonnera „ fon-  104 G E R M A N I C U S. fon infidelité, lui dont la lache foumis„ üon a fait connóitre aux peuples de' „ 1'Elbe & du Rhin les faïsceaux odieux„ „ les hachcs & les robes des Sénateurs. „ Que d'autres fléchisfent devant la puis„ fance de Rome; ils ne connoisfent ni fes contraintes, ni fes fuppliccs, ni les „ tributs qu'elle exige: nous avons bravé „ fon pouvoir, nous avons rejetté fon joug déstrucleur. Ces contrées , jadis ,, libres, nous les avons délivrées de la Tyrannie d'Auguste, dont ces infenfés „ ont fait un Dieu. Nous les avons fou- ftraites au joug de ï'artificieux Tibere, „ qui donne aujourd'hui des loix au reste ,, de 1'univers. Après tant d'exploits nous ,, laisferons-nous fubjuguer par un chef, w a peine forti de 1'enfance? Une armée,. ,, divifée encore par la fédition, fera-t-elle „ trembler notre courage ? Non , non; „ vos cceurs m'en font garants. Que qui,, conque aime fa patrie, fes Dieux, fes pareus; quiconque préfere nos mceurs „ antiques a la tyrannie de ces étrangers, ,, de ces maitres févères , marche avec „ Arminius au chemin de la liberté , & ,, combatte avec lui ces conquérans féro,, ces, dont tous les bienfaits fe bornent ,., b. nous faire entourer nos villes de mu„ railles , aux dépens de notre fang & de „ nos fueurs. Que ceux dont le cceur „ asfervi penfe autrement courent a 1'es„ clavage fur les pas de Segeste , & „ foyent confondus avec nos ennemis." Ces mots impétueux reveillent par-tout ran^  CHANT QÜATTLIEME. 105 l'ancienne haine contre les Romains , Sï font naitre l'attendrisfement pour les malheurs d'Arminius. Les Querusques brulent déja de marcher au combat & de défendre fa caufe. Inguiomer lui même , que Rome estime, & qui jusqu'alors n'avoit point pris part a la guerre, Inguiomer, i'oncle d'Arminius, fe joint a fes drapeanx & renforce de fes troupes 1'armée Germanique. Cependant Agrippine , la vertueufe époufe de Germanicus, recoit dans la ville des Tréveriens la nouvelle, que le Héros Romain s'approche de Moguniia , & qu'il espere la trouver dans ces murs. A 1'inftant, n'écoutam que la voix de fon amour, elle part; elle vole a Moguntia, oü bientót après arrivé le Général. Germanicus revoit avec transport fa chaste époufe; 11 caresfe avec attendrisfement fes enfans chéris. Quel pinceau pourroit tracer la joye pure de ces Illustres Epoux; volupté touchante , que la parole ne peut exprimer! ó vous, dignes Couples, unis par les liens du tendre hymen ! vous, qui faites votre bonheur de celui de robjet de vos chastes amours ! ames fenfibles, qui avez connu les douleurs inquiètes de 1'abfence & qui revoyez tout-a-coup la plus chere moitié de vous-même ! Vous feuls , vous feuls pourrez comprendre la douce yvresfe & la joye, qui coule a long3 traits dans les cceurs du plus aimable couple , que 1'amour ait ufii; comparez-en la douceur oc la vivacité ;\ ce que vous fen-  io6 G E R M ANICUS. fentkes vous-mêmes dans de pareiis in-r ftants. Germanicus, a peine entré dans le pa-lais qu'on lui a préparé, s'appercoit, que le cceur d'Agrippine récele une tristesie profonde , qu'elle tache de couvrir fous1'expreslion de la joye, que lui fait éprouver le retour de fon Epoux* Ses chagrins pénètrent malgré fes efforts : des foupirs interrompent a chaque inflant fes paroles :■ elle rougit & palic tour-a-tour, & des pleurs involomaires viennent inonder fes beaux yeux. „ Chere Agrippine, lui dit le Prince , qui peut troubler la férénité ,, de ton ame? Ah ! ne cache point tes pei„ nes feeretes :'i ton Epoux, a ton ami."" „ Hélas ! répond-elle en foupirant , ne 5, condamne point mes Jannes ; les mal„ beurs qui accablent ma familie infortu- née les font gooier:: j'ai appris ci'Emilie„ toutes les calamités rcpandues fur elle,. & que fans doute Titus , fon époux,. ,, t'aura devoilées. Voila , pourfuit - elle, „ les yeux baignés de larmes , voila la „ fource des chagrins cruels, qui me dé,, chirent. L'affreux tyran de Rome, qui ,, n'a rien respeélé pour réusfir dans les,, noirs desfeins; ce fils de Livie, qui, ,, foutenu par les artifices de fa mère , „ a détruit fourdement ma maifon , & la ,, brave aujourd'hui; qui a masfacré mes ,, freres a la fleur de leur age; qui n'a pas même épargné fon époufe, de qui ,, je tiens la vie ; ne craindra point de „ nous immoler encore. Je le redouterois „ peu  CHANT QJJATRIEME. 107 „ peu , fi fa haine pouvnit être asfouvie par ma mort , mais, hélas! le danger te menace autant que moi... Cher „ Epoux!... Bientót peut-être le barbare ,, ofera... Ah ! fi fa fureur ambirieufë „ attente a tes jours... Non, ton Agrip,, pine ne te furvivra pas." ,. Au nom-. „ des Dieux, tendre Époufe, réplique le „ Héros troublé, au nom de tout ce qui „ nous est cher, quitte cette rëfolutioti ,, funeste; &,fi ma mort femble nécesfai„ re a 1'ambition inquiète de Tibere, vis, ,, vis pour nos enfans; qu'ils me retror„ vent en toi, & fois leur appui pendant „ leur tendre jeunesfe. Chere moitié de „ moi-même, je connois ton ame magna,, nime; je connois ta fidelité pour Rome ,, & pour les gages chéris de notre amour; „ je te conjure par les Dieux immortels ,, de t'élever au-desfus dc 1'infortune, quel que foit le fort quim'attend. Rappelle - toi ce qui convient a ta vertu, & ,, ce qu'exigent de toi Rome, ta Familie, ,, & ton Epoux, même au tombeau. Ne „ crois pas cependant, que je veuille te ,, preparer ici a des maux prochains, qui ,, fans doute n'existent pas, ou te faire craindre en ce moment de nouveaux ,, dangers. Non, Tibere n'ofera rien ; il ,, me craint encore plus qu'il ne me hait; & c'est par ce motif fecret qu'il me ,, comble de faveurs. 11 fe défie des „ troupes ; il a befoin de mon bras. Drufus, fon fils, dont 1'ame n'est point ,, abreuvée des poifons de 1'envie; qui „ dès  xe8 GERMANICUS. „ dès fon enfance m'est attaché par le3 „ hens d'une étroite amitié, dont 1'hymen , qui 1'tinit a ma fceur, a encore resferré „ les noeuds ; Drufus nous auroit préve„ nus,fi 1'Empereur méditoit contre nous „ des projets dangereux." „ Hélas! ré„ pondit Agrippine , je connois le cceur généreux de Drufus & de fon époufe, mais que cette connoisfance est loin de ' me rasteer! Sans doute ils nous plaig„ uent, mais peuvent-ils être inltruits des 9, pièges , que nous tendent Cartificieux Ti„ bere & fon implacable mere? Leur rage „ barbare a détruit toute ma familie: ils ont ajouté meurtre fur meurtre 6 „ mon Frere! ó malheureux Agrippa! Et „ toi, ma Mere, dont le fort fut plus „ déplorable encore ! Si du moins il m'ëtöit permis de pl'eurer en liberté fur vos ,, tombeaux; mais on condamne les plaifttes; mes larmes,mes justes larmes font criminelles; le moindre foupir est une offeiife aux yeux de la défiance cruelle. „ Les laches flatteurs du tyran nous ob„ fèdent, ils errent autour de nous; nous „ ne pouvons faire un pas fans tomber „ dans les embuclies, qu'ils nous preparent;& tout, jusqu'au moindre mot, lui „ est raporté." „ Que la préfence même ,, de ces odieux délateurs, repartitie „ Prince, augmente encore en nous 1'ar„ deur de remplir nos devoirs. Le fouffle ,, empoifonné de 1'envie peut répandre „ fon noir venin fur la carrière du juste; „ mais fa renommée le venge,enmontranj » fes-  CEANT OJJATRIEME. 109 fes vertus dans tout leur é.clat, dès que „ 1'urne funeraire a recueilli fa eendre; „ le règne de Fenvie finit5quand 1'immor- talité commence. Les Dieux, dont „ 1'ceil percant & fur pénèire dans nos „ cceurs, voyent les crimes de Céfar, ,& „ ne laisferont pas fes forfaits impunis. Souffrons donc, chere Agrippine, les outrages , dont fa jaloufie croit ternir nos vertus; &, malgré les chagrins .„ amers , qu'elle rêpand fur nos jours, ., mettons notre confiancc dans la jusdce des Dieux immortels." C'est par de tels discours, que le Fils de Drufus cherche a calmer les dotdeurs de fon Époufe & tarir par dégrés la fource de fes larmcs, lans perdre de vue ie foin des grands projets, qu'il médite. 11 fait transporter fur les vaisfeaux, qui fe trou•vent & fe resfemblent au Port, toutes les provifions nècesfaires , fongeant a s'ouvrir bientót de nouveiles routes a la gloire. On voit arriver de toutes parts le bétail destinc pour la flotte, & engraisfé dans les riches paturages des Beiges. Argentoratum, qui moisfonne des épis innombrables,dans les champs qui environnent fes remparts, oflTe au Prince fes utiles trdfors. Germanicus , brfilant de s'embarquer au plustót, conduit fon Époufe a bord de fa galère. 11 laisfe a Moguntia, par une fage précaution , Segeste & fa familie, dont il recommande le foin & la füreté au Gouverneur, lui ordonnant de les traiter avec isfpect, mais en même temps de les faire tou«  i' o GERMANICUS. touiours accompagner d'une garde. 1! doune enfin le fignal du départ. Le Rhin s'enorgueilht, en voyant Ion vaste lit couvert de vaisfeaux. La galére du Général est ornée du grand pavillon .de pourpre, tisfu d'or, dont 1'éclat attire tous les yeux. Le fourrle favorable du vent de midi, auquel un vent d'orient vient mêler fon haleine, enflent les larges voiles; & le cours rapide du fleuve favoniant encore la marche des vaisfeaux, on arrivé bientót a la ville des Ubiens. Cecma , :que les ordres du Prince y avoient deja fair arriver, lui découvre a fon abord qu' Arminius, excité par le defir de la vengeance, a rasfemblé une armée plus nombreufe encore que jamais, & qu' Inguiomer s'est déedaré pour lui. Germanicus concoit d'abord tout le danger de cette alliance; mais, fans rien changer a fes projets, il partase fes troupes en plufieurs corps, afin d'en impofar aux ennemis. II ordonne a Pedon d'avancer a grandes journées vers 1'Ems a la tête de la cavalerie , en traverfant le pavs des grands Fflfoas. H commande a Cecina de pasfer le Rhin fur le champ avec les légions a fes ordres , & de fe frayer un chemin par les ■contrées des Brucleres. II trouve prés de la ville des Ubiens une multitude de navires rasfemblés par les foins dc Cecina, & qui renforcent i'armée navale du Héros. Pifou, qui montra tant d'ardetir pour le voyage de mer, & qui feint maintenant un -défaut de, forces & de fanté pour s en ck-  CHANT QJJ A TRI E ME. in defendre, recoit le Gouvernement du terntoire des Ubiens. Cette dignité flatte fon amour propre; mais il est fecrettement choqué , qu'on .lui donne pour Collègue Sabinus, habile en 1'art de la guerre. Le Prince apprend alors a fon Époufe , qu'il a choifi cette ville pour fa demeure & celle de fes enfans jusqu'a fon retour , en lasfurant qu'elle peut fe conficr entierenient a Sabinus,fi elle s'appergoit que Piion trame quelque desfein fuspecL La flotte n'attend plus que la préfence de fon Chef. Germanicus fait des adieux touchans a Agrippine, qui le conduit jusquau rivage, & fuit longtemps des yeux .les vaisfeaux, qui fuyent rapidement ces bords. Elle rappelle toutefois fon courage; &, dévorant fes larmes , elle fe contente de fupplier en fecret les Dieux pour le retour du Héros: „ Dieux bien„ faifans ! repète-t-elle, protegez Germa-5, nicus , & ramenez-le triomphant dans „ ces murs! " Cependant la flotte vogue k pleines voiles , ayant Ie vent en poupe, & faverifee par la marée. En avaucaiit les Romains contemplent les bords verdoyans du Rhin. Ils decouvrent bientót Novezium, Gelduba, Asfciburgium ; ils laisfent a leur gauche les contrées des Eburons & les Etnts des Gugernes. A 1'Est s'éleve cette fameufe tour , jadis habitée par Aurinie, prés d'un hameau dépeuplé, fur les bords de la Lippe. Ces lieux folitaires femblent déplorer parleprofondfilence, qui y règne, Ia  u* GERMANICUS. la fuite de la vénérable Prêtresfe, babiraute des furêts. Déja 1'on appergoit les raurs de Vetera : la garnifon , accourue fur les remparts , falue par des acclamations le Général Romain; les trompettes des vaisfeaux leur répondent. Peu-a-peu les montagnes disparoisfent a la vue des komains, & font place a des collines agréables, couvertes d'arbres. La plüspart n ont jamais vu ces lieux riants; ils avoient trouvé a Vetera le terme de leurS courles; feulement quelques Vétérans , échappés au masfacre de Varus , & qui longtemps avant cette fatale journée avoient fuivi Drulus insqu' a 1'o.céan, fe rappellent ces bords, ou ils ont déja parcourus. Hs racontent £ leurs compagnons les merveilles du pays des Bataves, qu'on appercoit déja dans le lointain. „ C'est une contrée , dilent-ils , , habitée tour-a-tour par des hommes in„ trépidcs & par ks muëts habitans des L mers. C'est une isle basfe , humide èc „ nébuleulë , qui renferme des marais, des étangs , des terres combustibles, ' des dunes, & de gras paturages, pres, que tous les hyvers fubmergés par les , eaux. On n'y voit point de grandes ' fofêts, & cette terre nourrit peu de betes fauyages. Les habitans batisfcnt " leurs mailbus fur des hauteurs , nom, méés terpes en leur langage , & qui " font moins expofées a la vioknce des " eaux. Leurs habitations , conllruites ' fans art, formées de bois , de terre & ' de rofeaux , ne font point rasfemblees »• „ £u  CUANT QUATRIEME. iij „ en villagcs. Le pcuple est franc, plein ,, de candeur , hospitalier , robuste , & ,, content de fon pays. Son caraétère est clément & doux;mais, lorsqu'on 1'oütrage, fa douceur fait place a la férocité ,, du lion, qui ne connoit plus rien dans fa fureur." Un autre raconte comment Drufus fit voir aux habitans étonnés la puisfance & le génie de Rome, en faifaric élever des digues, ou crenfer des cariaux. Ceux-ci fe glorifient d'avoir fuivi ce Héros 'fur le nouveau chemin de Rome jusqu'au rivage de 1'océan ; ceux-la d'avoir aidé a biitïr 1'aütel,- que Drulus érigca fur le rivage a la gloire de Rome. Ces discours charmeut Germanicus, qui favoure a longs traits le plailir d'entendre les louauges de fon Pere. Cependant ou arrivé a 1'endroit, oü le Rhin fe partagc en deux branches. Celle qui prend a gauchc, quitte le nom de Rhin pour celui de Vahal; elle baigne les murs _ de Noviomagum , fondé par les Romains; & après une courle peu longue elle rencontre la Meufe , a laquelle elle porte le tribut de fes ondes : elles voyent enfemble les remparts de Vada , les tours de Grinnes ; puts fe jettant dans le lac d'Helium,& roulant leurs eaux majestuetifes dans un vaste lit entre les rives de Taxandrie , elles vont porter leurs ondes dans 1'immenfe Océau. L'autre partie du Rhin, enveloppant 1'lsle des Bataves du coté du Septentrion , vit jadis, non loin d'elle a 1'orient, le vieux Islël; dans fa F cour-  ii4 GERMANICUS. courfe elle falue le camp d'Hercule, baigne les muis de Carvo , & voit plus loin les forteresfes de Fletio, de Lauri, & la citadelle d'Albiniane : elle femble regarder avec joye dans les contrées des Marezates la colline de Matilo , la plus haute des terpes, & que 1'art a encore élevée pour découvrir au loin fur la mer: de-la elle voit d'un coté les demeures des petits Frifons; de 1'autre le rivage fabloncux des Caninefatcs ; & , s'élargisfant de plus en plus a mefure qu'elle s'avance , elle jette enfin dans les plaines liquides fes ondes bouillonantes. Les Romains , laisfant a gauche lapartie méridionale du fleuve, fuivent fa courfe tortueufe au nord jusques au vieux lsfel. Ausfi-tót un des Vétérans s'ecrie: „Je me i5 rappelle d'avoir vu jadis cette rivicre, 9, avant qu'elle eüt fubi les changemens, „ qui ont varié fon cours." Alors \\ raconte,comment 1'Isfel rendoit jadis 1'hommage de fes eaux au Rhin , & comment, détourné maintenant par le canal de Drufus, il s'unit aux ondes argentées du nouvel lsfel. ,, Le Rhin, ajoute-t-il, rejette „ aujourd'hui les eaux qu'il recevoit autre„ fois ; il fuit lui-même leurs traces , en „ donnant une partie de fes flots au canal ., de Drufus , qui , fe mêlant avec ceux s, du nouvel lsfel , vont fe perdre enfem- ble dans le Lac Flevo." Tandis qu'il parloit encore, on appercoit les vaisfeaux des Frifons & des Bataves , alliés de Rome ; leur prudente amitié leur avoit fait pren-  CHANT QJJA TR1EME. 115 prendre avec eux des pilotes expérimentés, pour dinger les vaisfeaux Romains, indiquer aux matelots les bancs de fable, les écueils , & leur faire connoitre les lieux les plus profonds & les plus furs. A leur approche Germanicus fentit rédoubler fon courage : il recoit ces étrangers avec recounoisfance, & les partage par une lage précaution fur fa flotte. 11 traverfe avec eux le lac de Flevo, qui Cntraine les eaux du Rhin dans fes flots toujours agités. Le fleuye reprend enfuite fa courfe le long des régions des Sturiens, jusqu'a la forteresle de Flevum, éievée fur le rivage de la mer, prés de 1'emboucbure oriëntale du Rhin, qui, après avoir parcouru tant de contrées , va fe perdre enfin dans 1'immenfe Océan. Le Prince , dont les yeux font pour la première fois frappés par ce fpectaclc lm* pofant, s'étonne, & regarde avec admiration le mobile élement, qui fait fans relrche le tour de la tcrre: image fenfible de la fortune , fans cesfe maudite & fans cesie adorée , flatteufe & perfide comme elle; 1 afyle du crime; la carrière de 1'activité; le théatre dangereux du commerce « de« combats ; Ie gouflïe avide, qui a englouti tant de tréfors & enfanté tant de i-ichesfes; enfin , h domination univerfelle des Monarques de la terre. Les Romains contemplent en filence eet asp.cT: majestueux. Germanicus ordonne aux matelots de jetter 1'ancre au rivage iabloneux: lui-même descend fur ces bords F 2 étran-  iiö GERMANICUS. étrangers, fuivi des chefs & de quelques foldats d'éiite. Ils moment furies dunes; & leurs regards,qui embrasfent 1'horizon, ne découvrent que des flots & du fable. Le Prince ne montre ni crainte ni défiance. „ 11 femble, dit-il, que les Dieux ,, ojfrent a nos yeux les bornes de la terre; c'est ici fans doute la demeure „ de Neptune; j'en découvre la grandeur 5, & la magnificence du haut de ces ,, Dunes fabloneufes : c'est a juste titre „ que les rations lui offrent leu?s hom,, mages. Qu'il daigne du moins nous ,, être favorahle jusqu'a ce que nous ,, ayons gagné 1'embouchure de 1'Ems!" Le Général , qui ne peut fe lasfer de contempler la vaste furface des ondes, voit le foleil s'abaisfer peu a peu fous 1'horizon. II admire eet astre bienfaifant, qui, précipitant fa courfe , mêle a la couleur azurée du ciel fes rayons d'un pourpre ardent. Déja la moitié de fon globe fe dérobe aux regards du Héros; une lumiere doucc enlumine encore les vagues; enfin il disparoit, & fes feux vont éclairer un autre hemisphère. Germanicus reste encore fur la dune tant que le jour n'est pas entierement éteint; mais ,"voyant la nuit étendre fes fombres voiles, & 1'astre brillaut du foir étinceler a la voute du ciel , il quitte le rivage , en difant: J'ai vu le foleil fe plonger dans la mer „ a 1'extremité de la terre ; 1'immenfe „ Océan le cache a nos regards; demain „ fa lumiere bienfaifante viendra de nou- „ veau  CHANT QUATRIEME. ri? „ veau réjouïr nos yeux cc confoler Ia ,, nature.*' La nuit étoit a peine remplacée par Paurore , lorsqu'un Batave fe préfente , & defire parler au Prince. Le Général lui accorde audience. ,, Jllustre Chef des ,, Romains , dit 1'étranger , la flotte n'a ,, point de temps a perdre pour fe mettre en mer; le réflux commence: 1'expé,, rience nous a depuis longtemps apprig „ combïen il importe de proriter des vents & dc la marée. Les Dieux favorables exaucent ta priere; ils ordonnent aux vents de fud-est de f'uffler, & tout rè,, pond a tes fouhaits." Ausfi-tót on fe met au travail. Les matelots ardens s'empresfent. On dresfe les mits, on déploie les voiles, on leve les ancres, on tourne le gouvernail , & déja les vaisfeaux en mouvement s'avancent en bon ordre fur la plaine liquide. Bientót le foleil, órné d'or & de pourpre,s'élevant fans nuages, femble embrafer 1'horizon , & promet ;'i Germanicus le jour le plus pur. Le vent folatre femble fe plaire a enfler doucement les voiles, & les vagues argentées font entendre un mugisfement moderé autour des vaisfeaux. La flotte *'av?nce vers le feptentrion. Trois fois déja le réflux favorable avoit eloigné les Romains du rivage, & trois fois ils avoient eu a vaincre Ie flux de 1'Océan Germanique, lorsque un phénomene étonnant , fe formant dans les airs, vient frapper les yeux du Fils de Drufus, qui le confidèrc avec étonnement F 3 dans  uS GERMANICUS. dans Ic lointain. Une nue légere & transparente , que pénétrent les rayons du foleil, s'abaisfant fur la furface des flots, femble fuccer les eaux de la mer. Le fluide attiré fe montre d'abord comme une vapeur légere & .s'éleve de plus en plus ; bientót un tourbillon , énlevant le uuage , attire en bouillonant une plus grande quantité d'eau, qui s'éleve en forDie de tuyau,& préfente aux yeux par fes mouvemens rapides une fpirale perpendiculaire. L'onde attirée prend enfin la ligure d'une colonne , dont la bafe femble lépofer fur la mer, & dont le chapiteau, s'élevant jusqu'aux nues , paroit joindre 1'empire de la mer aux voutes du ciel : mais bientót la colonne fe retrécit vers fa bafe; le_ nuage fe gonfle; &, devenu trop pefant, il vomit tout-a-coup les eaux al> fbrbées, qui tombent en torrens de pluye, & rendent a 1'Océau ce qui lui avoit eté ravi. Cependant Germanicus, que les vents favorables fecondent , découvre a 1'orient 1'isle de Burchane, qui s'éleve a 1'embouehure de 1'Ems. A cette vue defirée les Romains rédoublent d'efforts; ils unisfent avec prudence le fecours des rames au fervice des voiles. Les Bataves, qui connoisfent les endroits les plus furs, leur indiquent les bancs defable, qu'ils évitent avec adresfe. Enfin, arrivés au terme du voyage , les vaisfeaux entrent a pleines voiles dans 1'emboucbure du fleuve. Cecina, ce fidele chef des légions,& Pedon, i , ■ a la  CHANT QUA TRIE.ME. 119 a la tête de la cavalerie , étoient deja campés fur les bords. lis appergoiyent & faluent leur Général. La joye des troupes éclate par des acclamations rédoublées; 1'air rétentit de cris d'alegresfe; on n'entend que faluiations & fouhaits dc prospérité. Les trompettes du camp faluent les vaisfeaux, auxquelles répondeitt avec joye celles des troupes de mer. Le Fils de Drufus quitte a l'inftant fon bord, ek s'apprête a des expéditions digncs de 1'on courage , digncs de la puisfance de Rome. *' 4 GER.  GERMANICUS. CHANT CINQUIEME. Germanicus fait parcourir tout le pays par fes troupes. 11 promet aux peuples, qui fourniront des vivres a 1'armée Romaine , de les préferver de tous les maux de la guerre; & la plus grande partie des habitans de la contrée fe prête aux delirs du Général ; mais les Bructeres , quoiqu'en trop petit nombre pour ofer faire face au Héros, rejettent fa faveur, ils refufent fa demande avec fierté; &, plustót que de contribuer a la fubfiftance des Romains, ils fe déterminent a brüler leurs maifons , a dé'truire leurs vergers, & a aller chercher au loin d'autres demeures, en emmenant leur bétail & leurs effets les plus précieux. Inftruit de leur desfein, le Prince envoye Stertinius a la tête de quelques troupes legeres,pour fauver les fertiles campagnes de la fureur des habitans. Le Commandant rencontre 1'armée des Bructeres non loin du camp. Les Germaius obltinés, joignant 1'infulte k 1'audace, portent au milieu de leurs enfeignes une des Aigles Romaines, perdue dans la défaite de Varus. Les foldats de Rome , furieux a la vue de 1'Aigle facrée , s'élancent avec impétuofité pour leur ravir cette dépouille précieiife. Les Bructeres intrépidcs font une vigoureufe réfiftance. Enfin , voyant malgré leurs  CHANT CINOUIEME. iai leurs efforts la victoire fe déclarer contre eux, ilscèdent, ils fuyent, en laisfant champ de bataille couvert de morts & de mourans. Les Romains jettent des cris d'alègresfe a la vue des barbares vaincus; mais rien n'égale la joye des légions, qui, a la gloire de 1'armée, a Ia gloire de la patrie, ont récouvré 1'Aigle d'or par leur courage. Les Bructeres, abattus par cette défaite, renoncent a leurs cruels projets & demandent la paix; Stertinius 1'accorde a leurs priercs & retourne vainqueur vers le Général. L'aspect de 1'étendart facré fait naitre une joye générale dans le camp; tous les foldats s'empresfent pour le voir ; tous s'écrient: „ ö fionheur ,, inattendu ! maintenant tout nous est propice; le Pere des Dieux nous a ren„ du fon Aigle." Tous fe prosternent pour lui rendre graces de ce bienfait. Aux accens répétés de 1'alègresfe des troupes le Fils de Drufus fort de fa tente; la fatisfaction brille dans fes yeux k Ia vue de jPenfeigne , _ fi chere aux légions. „ Sol,, dats , dit-il, le devoir nous engage a „ célébrer cette heureufe journée; qu'on „ immole a Jupiter trois taureaux blancs. „ Que ce bonheur inespéré foit regardé ,, comme un augure favorable, & que le „ Pere des immortels éleve de fiecle en „ fiecle la gloire de Rome!" A Finftant les légions font rangées fous leurs enfeignes autour de Pantel. Les étendarts font ornés de fleurs, fuivant Fufage de Rome dans les fêtes confacrées par la F 5 joya  saa GERMANICUS. joye. L'Aigle reconquife brille des couleurs Jes plus vives ; ou la ('alue, & la fumée odoriférante de 1'encens s'éleve en fon honneur. Les facrificateurs , chacuii fuivant fon rang, s'avancent a pas lents; ils font vêtus de robes, qui égalent la neige en blancheur, & leurs bandeaux font ornés de courounes de laurier. Le vigilant ferviceur de 1'autel allurae le feu facré. Un des prêtres , treuipant une branche de chène dans 1'eau lustrale , répand fur le peuple une rofée purifiante , & 1'excite a la vénération, en le conjurant de célébrer cette fête avec des cceurs purs & ipnocens. Cependant 1'armée tëmoigne fa joye par des chants. On fait avancer les taureaux, dont les cornes dorées font entourées de festons & la tête couronnée de guirlandes. Ausfi-tót on voit s'élever fur 1'autel la flamme brilkiute du bois. Le grand facrifkateur s'avance, il pol'e. respc'ctueurement fa main droite fur 1'autel, & levant les yeux vers le ciel il prononce cette priere, accompagnée des fons harmonieux du luth & de la flute. „ ó Déesfe facrée ! immortelle Vesta ! „ toi , qui vois tes vierges innocentes „ veiller nuit & jour autour de tes autels, 3, fur lesquels brulent ces feux qui ne 3, s'éteignent jamais ! fois propice a nos defirs ; fais entendre du fond -de ton 3, temple les vceux des Romains au grand lupiter, le meilleur des peres ! Celui 3, 'è qui nous offrons aujourdhui les lacri9> fice» du Général, celui qui dompta les  CHANT CINQU1EME. «j , Titans, celui que tous les Dieux réve, rent, est toujours grand, toujours tno„ narque , toujours puisfant ; 1'Arcadie ,, fut fon berceau, 1'Olympe est fademeu„ re. Le roi des oifeaux est fous fes j, Ordres; 1'image précieufe de fon Aigle, „ reprife par nos troupes , nous est un „ préfage asfuré de fa faveur. Ah! que eet oifeau divin nous accorde fans ccs„ fe d'heureux augures! ó Jupiter! .tu t'es ,, réfervé , fuivant les fages décrets du destin, 1'élite des mortels pour en faire „ 1'objet de tes foins bienfaifans. Tu ,, laisfes aux Dieux inférieurs Jes nochers, „ les chasfeurs, les poctes , les laboureurs, „ & les guerriers vulgaires; Rome,Rome „ feule est digne de tes regards: c'est toi ,, qui veilles fur cette cité , qui dicte fes ,, loix aux monarques. ó Fils de Saturne ,, & de Khée ! Pere des Dieux ! recois „ les hommages que t'offre un Héros, & „ que repétent les cceurs joyeux de fes „ foldats ! Salut, ó Fils de Saturne & de ,, Rhée ! Salut ! Quel est le mortel, qui „ peut t'éxalter amant que ton nom ,, Fexige? ö Jupiter! il ne fut, il n'est, „ il ne fera jamais. Quelle langue pourra ,. parler. dignement de tes ouvrages? Que ,, le mout Parrhafms fe glorifie de fes bois „ épais; qu'il nomme leur enceinte le lieu j, de ta naisfance ; tu étois, lorsque les ,, cbars pefants rouloient fur le lit du „ Melas, & avant que les vallons fusfent 5, arrofés par les flots argentés du Camion. „ Que la Crête abufée t'éleve des tomF 6 „ beauxj  124 GE R M A N I C U S. „ beaux; tu vis, ó Jupiter! tu vis, & tu ,, ne mourras point. Grand dispenfateur j, du génie , de la gloire & de Pabon,, dance ! Fils de Saturne & de Rhée I „ Salut ! Accorde aux légions Romaines ,, la vertu & la valeur; 1'une ne peut fans 3, 1'autre acquérir la viéïoire» Accorde fa vertu & la gloire a Germanicus, encore ,, dans la fleur de fes années: ou,fi nous demandons trop , daigne du moins , 3, ö Pere immortel ! nous accorder la 3, vertu! " Après cette invocarion le facrificateur mêle du fel , de 1'encens , & de la fleur de froment: il goute le vin, destiné pour les libations : il coupe de la tête des victimes la toufe de poils, confacrée a Mercure, & la fait brüler fur 1'autel : il met, en recitant des prieres, une partie de Ia p-Ate fur le front des taureaux, a 1'endroit que le cifeau vient de laisfer i nud : il répand le vin , confacré en 1'honneur des Dieux; & prenant le couteau du facrifice, qu'on lui préfente avec respect, il le pasfe fur le col & le dos d'une des viflimes ; puis fe toumant avec vénération vers 1'orient, les cantiques d'alègreslë s'éieyent a l'inftant de toutes parts, èc la viclime tombe tout-a-coup lous la hache facrée i on en regoit le fang pourpré dans un vafe d'or: on lui ouvrc le flanc: & 1'Aruspice s'avance , pour confulter les augures : il coutemplc avec attention le cceur, le foië, la graisfe, & les entrail les palpitantes. Avant que les prêtres les liyrent aux flam- mes.,  CHANT CINOUIEME. 125 mes , il découvre au Fils de Drufus les fjgnes qu'il a remarqués. „ Prince , lui ,, dit-il, Jupiter est content de ta piété; „ il recoit i'avorablcment ton hommage; „ les augures font heureux & la vicmne „ est paifaite." On découpe alors les taureaux; chaque piece est envelopée d'une püte fortement falée; on brule avec un faint respect ce qui est destiné au facrifice , & on met en réferve les parties accoutumées pour les facrificateurs. La cérémonie religieufe est h peine terminée que la joye bruyante fe répand dans toute 1'armée ; 011 prolonge le plaifir jusques a la nuit; les facrificateurs célèbrent la fête ainfi que les foldats ; & Germanicus invite a fa table tous les chefs de fes troupes. Charmé de fes heureux commencemens, le Prince n'épargne aucune peine pour récouvrer en ces contrées 1'autre Aigle , également perdue lors de la défaitede Varus , & que Rome regrette fans cesfe. Calpurnius , qui avoit échappé au masfacre des légions , avoit fauvé la troïfieme des mains de 1'ennemi; & le Sénat, amant pour animer le courage des guerriers que pour récompenfer Pheurenfe fidëFrté de Calpurnius , 1'avoit élevé au rangde Chevalier Romain, en lui faifant le dorr honnorable d'un courfier vigoureux , en ornant .fa main d'un anneau d'or, & lui confiant 1'Aigle d'une légion. 11 fe montradigne de ces faveurs par la fermeté, avec laquelle il protégea Plancus contre la fureur des foldats mutinés. F ? Ce-  126 GERMANICU S. Cependant 1'armée s'apprête a marcher au lever de 1'aurore: elle s'avance fur la route frayde entre 1'Ems & la Lippe. Les Angrivariens & les Tubantes s'humilient d'abord; ils envoyent des députés a Germanicus, qui leur accorde la paix, ainfi qu'aux Chamaves & aux üulgibines : ces peuples reconnoisfans élevent & vantent par-tout la clémence du Prince. Déja Pon approchoit de la forêt de Teutobourg ; déja les arbres touffus de ce bois antique s'offroient aux yeux des Romains, du coté du midi. Au feul nom de cette forêt, fi rénommée par le défastre de Varus, les troupes font éclater leurs plaintes & leurs fanglots. Des larmes amères coulent de tous les yeux en fe rappellant le triste fort de fes amis ou de fes parens. Ici, des fils malheureux pleurent le meurtre de leurs peres; la, des pcres aliigés déplorent la perte de leurs enians; plus loin , des amis inconfolables gémisfent fur 1'horrible destinée de leurs amis. La douleur devient univerfelle en fe rappellant 1'affreufe idéé, qu'aucun de ceux qui ont péri dans ce funeste lieu n'a recu le devoir funéraire, & que leurs ombres gémisfantes errent autour de leurs cadavres, privés de fépulture. ,, liraves amis , dit Geimanicus a fes „ Soldats, pénétrons dans ce bois fatal; „ alions rendre le dernier devoir aux en„ fans de la Patrie; élevons un tombeau ,, honnorable a leur mémoire, & rasfem„ blons leurs tristes restes, afin que leurs • l „ ma-  C IIAN T CINQUIEME. 127 mancs errans puisfcnt goutcr un repos j, vaiuement defud depuis tant d'anndes. ,, Le beaume pidcieux , marqué de la ,, dignitd des morts, nous manque, ainü ,, que 1'urne de marbre, qui devroit ren- fermer leurs cendres; mais ces fragiles ,, distindtions des hommes ne procurent ,, point aux ombres des Héros 1'entrde ,, des champs Elyfées; c'est la vertu feu- le, qu'ils ont aimée pendant leur vie , ,, qui fur fes ailes d'or dleve lesames des „ mortels généreux vers ces. demeures ,, fortundes, dès que leurs corps repofent dans le tombeau." A peine le Prince a-t'il fait connoitrö ce vertueux desfein , que les Soldats accourent en foule prés de lui. Chacun dxalte fa pidtd , chacun lui tdmoigne fa vive reconnoisfance, moins encore par fes paroles que par fes larmes: tous a 1'envi le romment le pere , Pappui des ldgions. Germanicus les conduit alors vers 1'emrde dc la ténébreufe forÊt. Le bois de Teutobourg, jadis le temple le plus renommé de Theutates, oü les Germains de ces contrdes, qui jamais ne renfermerent leurs Dieux dans des édifices, alloient lui oiïrir leurs hommages, embrasfe un terrein de plus de foixante lieues de circonférence. Les Chatuariens & les Cattes, dont il fdpare les habitations, en font les plus proches voifins. Ce feroit envain qu'on entreprendroit de ddpeindre le fol indga! de cette antique forêt, couverte d'arbres touifus, refpcftds par  128 GERMANICUS. par les liecles, & que la hache u'a jamais putragés. Qui pourroit coropter le nombre' varié dc collines , de vallons , de défilés , de marais, de ravins tortueux ? Qui pourroic tracer aux yeux le fombre dédale de ce bois effrayant? Ici s'élévent des montagnes couvertes de hêtres antiques, dont i'épais feuillage refulë herentent le pasfage a la lumiere; la les fifflemens aigus des bruyantes tempêtes fe font entendre autour du fommet des rochers, garnis de mousfe, de verdure, & de plantes épineufes. Au pied de ces roes font des cavernes profondes, creufées par la nature depuis le commencement des ftecles; & des antres ténébreux, qui femblent fervir de retraite a la mort hideufe, dont la voix effrayante fe fait entendre par les hurlemens des loups carnaciers. Tantót on Uouve des ravins, qui, couveits debrousfailles, dérobent des abimes aux yeux du voyageur, ou dont il contemple, en fré, misfant, les gouffres profonds qui menacent de 1'engloutir. Tantót on découvre un fentier tortueux, qui circule autourdes forabres. rochers; plus loin, ce chemin péuible est fermé par des arbres énormes, qu'ont déracinés les vents impétueux, ou renverfés par le poids de leurs têtes touffues, & qui, maintenant cachés fous des feuillages, ont jadis fait Tétentir de leur chute toute cette contrée de la Germanie. Par-tout on voit fous fes pas Pacanthe, 1'aconit , le liere rampant, la fougere, 1'augier, le mauve , & le chardon aux feuil-  CHANT C1N0U1EME. ra? feuilles piquantes. Par-tout on entend les cris lugubres & les croasfemens du corbeau, du vautour, de 1'épervier, du cormonan, de la corneille & du hibou, lorsque les orages agitent & bouleverfent les arbres antiques de Fimmenfe forêt. Le chêne, le fapin, le frêne, & le peuplier, s'élevent, entourés d'arbrisfeaux , de ronees & d'yvraye. Depuis la défaite de Varus nul mortel n'a voit pénétré dans cette vaste folitude. Un morne filence, plus profond & plus effrayant encore que le calme affreux, qui rèstne au milieu des ruines d'une ville ifolée, que ia guerre a de** truite, babite éternellement dans ces fombres déferts. A Faspecf. de ces lieux fauvages les cceurs des foldats fe remplisfent de terreur; leur ame intrépide est faifie d'effroi; chacun foupire, chacun tremble; de tristes penfées viennent encore agiter leurs esprits effiayés; ils croyent voir errer dans ces bois affreux les ombres défolées de leurs amis, ils croyent entendre déja leurs voix plaintives. La moindre agitation des feuiles épouvante une cohorte entiere, qui promene fes regards avec inquiétude, comme fi elle voyoit déja la foule des manes errer autour d'elle. Germanicus avoit confié 1'avant-garde k Cecina, avec ordre de frayer un chemin pour 1'armée dans la forêt, d'exhausfer les lieux marécageux, de mettre des ponts fur les pasfages remplis d'eau, d'examiner les vallées, les plaines ; & de faire, crainte de furprife ou de trahifon, une re-  130 GERMANICUS. recherche exacte jusque dans les endroits les plus reculés de ce bois folitaire. Les troupes étonnées fenteut , tualgré leur courage, une terreur involontaires'augmenter a chaque pas fur la route raboteufe. Une partie des vétérans , témoins du désastre de Varus, fe rappelle toutes les horreurs de cette nuit déplorable: d'autres racontent les prodiges obfervés a Rome dans ces temps, préfages ccrtains de cette infortune. „ Hélas! difent-ils entre eux, „ le ciel, la terre , les eaux , tous les „ élémens nous avertirent des malheurs, „ qui menacoient les Légions. Une co„ mète enflammée répandoit fa lumiere fit? ,, neste dans les airs: le foleil nous refu,, fa longtemps fa vue bienfaifante, com,, me s'il eüt a regret éclairé ce fiecle „ malheureux. Le fommet le plus élévé „ des Alpes s'écroula tout d'un coup „ avec un fracas égal au bruit du tonner„ re. On vit le combat de deux armées „ formidables a la voute du ciel Germa,, nique, & la totale défaite de Tune d'el„ les , disperfée dans les airs. Le temple „ de Mars fut frappé de la foudre. L'ar,, dent Etna fut ébranlé jusque dans fes ,, fondemens, & vomit au loin des flam,, mes éclatantes. On entendit dans Ro,, me les affreux hurlemens des loups af,, famés , courans autour des remparts. „ Des fpeélres effrayans erroient chaque „ nuit dans les forêts. Les bois, jadis ,, muets ,pousfoient des gémisfemensplain„ tifs. Les eaux du Tibre parurent en- „ fan-  CHANT CINQUIEME. 131 „ fanglantées, & coulant aveclentenr. Les „ marbres humides, distillant des pleurs, „ femblerent s'attendrir üir nos infortimes. „ La Statue de la Victoire, qui regarde la ,, Germanie, tourna fa face vers Rome „ peu de jours avant la bataille. Le lier „ Eridan, le prince des fleuves, fortit en ,, mugisfant de fes bords avec une fureur, „ qu'aucune digue ne put arrêter, entrai„ nant dans fes nndes écumantes les hom- mes, les animaux, les arbres & les édi„ fices. La terre s'entrouvrit; les ruisfeaux „ alarmés reculerent; &, pour comble ,, d'horreur, on entcndit les bêtes des fo„ rêts prononcer des mots." A ces recits eifrayans les foldats fentent leurs cceurs glacés d'épouvantc : ils avancent cependant dans la forêt, & le camp de Varus fe découvre bientót a leurs yeux. Cecina en fait inftruire Germanicus. Le Prince entre dans le bois avec toute 1'armée, & arrivé bien-tót a 1'enceinte du camp fatal. Quel theatre affreux s'offre aux regards des Romains! Les remparts, dont le contour femble destiné pour le retrancbement de trois légions, montrent aux troupes défolées toute 1'étendue du camp de Variis. Ceux d'entre les Vétérans, témoins du meurtre de leurs compagnons, & qu'un heureux .-destin a fauvés du masfacre, ne peuvent retenir leurs larmes en revoyant ces lieux funestes. Depuis le jour fatal, ( d la rage des Germains s'étoit baignée dans 1c fang des fils de Rome, lesoifeaux af-  132 G E R M A X I C U S. affamés & les animaux féroces avoienï exercé leur rapacité fur ces tristes restes; on voit en frémisfant les marqués de leurs becs cruels & de leurs griffes aigues empreintss fur les cadavres a demi-désorés & disperfes ca & la. Ici les regards s'arrêtent fur un monceau de corps, deslëchés par Ie temps, & que Pair a ciiangés en i'quelettes arides: on voit leurs osfemens poudreux mêlés parmi les casques, les boucliers, les glaives, les lances rompues, & les restes odieux des chevaux. Ca'purnius, qui pleure encore la mort de ton frere; Meteüus, qui legrette la perte d'un oncle ; Tigellicus, dont les fcnglots redemandent un pere; rincorifoiable Albiiïus, qui vit masfacrer fon fils, tout fon espoir, qui vit fon fang réjaillir fur les fersjdont lui même étoit enchainé; tous font rétentir la forêt de leurs plaintes, & eherchent envain les tristes dépouilles de leurs parens. Emilius & Pedon, s'avancant fur une colline, découvrent un fosfé peu profond & les foibles débris d'une palisfade; ils reconnoisfent a ces marqués 1'endroit, oü le reste des Légions masfacrées s'étoit retranché a la bate après que le camp fut forcé. Toute cette plaine, joncbée de cadavres & d'osfemens a moitié confumés, n'offre qu'un fpectacle d'horreur, en montrant Ia multitude des guerriers immolés par la main des Barbares dans leur fuite malbeureufe. On s'empresfe d'expliouer au Général les détailsaffreux de cette ruit horrible & du jour non moins dés-  C H A N T CINQJJIRME. 133 désastreux qui la fuivit. Jci, lui dit„ on, moürut tel guerrier; la, tel autre fe vit chargé de chaines: c'est en ce Heü que les Germains fe faifirent d'une ,, Aigle; la, ils s'emparerent de la fecon,, de : c'est ki qu'on fe défendit le plus longtemps; un peu plus loin, Varus „ fut blesfé d'une flêche; & la, eet in„ fortuné , vaincu par le délëspoir, ter,, mina lui smêtne fon triste fort." En. parlant ainfi , ils conduifent le Fils de Drufus d'un endroit a 1'autre, & trouvoient h chaque pas de nouveaux objets d'horreur. Quel ceil asfez ferme , quelle ame asfez inlënfible pourroit foutenir ce fpectacle fans frémir? Un voit les cadavres fuspendus aux arbres des environs , & de toutes parts des têtes desfechées clouées aux branches & aux troncs. Cet horrible aslpect allume la rage dans le cceur des foldats: l'affrcux filence de la fureur fuccède aux fangiots; la foif de la vengeance a honte de lë repaitre de larmes; & le fourire amer de la rage fe montre en grincant fur les kvres palisfantes. ,, Je fus pris, dit Flavien, après k pre„ mier combat. J'ai trainé trois ans la chai,, ne Tudesque. iVles cheveux fehérisfent encore, lorsque je me rappelle l'inflant ,, fata], oü nos Chefs par 1'ordre d'Armi„ nius furent menés devant les noirs au,, tels de VVoden, aux chants infultans de ,, leurs Bardes & de leurs facrificateurs. „ Non, Germanicus, non; jamais le fort » des  * i3+ GERMANICU S. ,, des Druides , masfacrés dernierement" ,, dans la forêt de Tanfan, lorsque po u's „ foumimes la contrée des Marles, n'eut „ excité la pitié dans ton ame géuéreufe, li ,, tes yeux eusfent été témoins, ainü que „ les miens, de la cruauté de ces barbares. Un féroce Druide dans fon idiome fauvage condamna nos chefs a être im? ,, molés aux Dieux du pays. Mais qui ,, pourroit peindre les tourmens, qu'ils eu„ rent a fouffrir avant le moment fatal qui , termina leur vie? Ces cruels arracbereut „ d'une main forcenée la langue d'Honcu, fius; cette langue éloquente, interpree -„ de la fagesfe; un farouche Germaui la 3, jetta loin de lui, toute palpitante, en „ prononcant ces mots infultans: va, lan„ gue de ferpent, liffleaujourd'hui, nous ne xe craignons plus. Ils creverent les yeux „ d'Aletus, & lui ravirent la lumiere du jour avant de lui ravir le liambeau de ,, la vie. lis trainerent Helvius par fes cheveux blanchis par Page, & 1'attirerent ainlï fouillé de fang& de boue jusqu'a 1'autel exécrable. La, Fulvius vit ,, couper fes deux mains d'un fer barbare; ,, vainement il leva vers le ciel fes bras mutüés; fon lang réjaiilit fur 1'autel fans en éteindre les feux facrileges. Témoin de ces horreurs funestcs , je pouvois a „ peine en croire mes yeux elfrayés. „ Après tant de barbarie, tant d'infultes, ,, la morr mit fin a leurs fouffrances: je ,, les vis , en frémisfant, tomber fous la „ hache, tels que des viclimes chojfies par- „ mi  CRANT CINQUIEME. 135 mi les animaux. Caldus feul fgut fe 9j foustraire a la honte de cette infame „ destinée, en brifant fa tête contre les „ fers , dont il étoit euchainé. Après eet „ odieux facrifice, on lacha la bride i la „ fureur du peuple, qui fe 'baigna de tou„ tes parts dans le fang de nos guerriers j, infortunés ; ni la fiere jeunesfe, ni la „ vieïliésfe défaillante ne furent épargnées, « & tout ce qui put mourir trouva des ,, boureaux." ïandis que eet affreux recit laisfe dans les cceurs des Romains un long fentiment de terreur & d'épouvante, Curtius s'écrie: ,, Voila, voila fendroit, oü la main fidele j, des chevaliers Romains couvrit a la „ hate d'un peu de terre le corps enfan„ glanté de Varus , pour le foustraire a „ 1'infulte des barbares: mais, hélas! leur „ piété fut trompée; les Germains le dé», couvrirent , en pousfant des cris o„ dieux." Jl décrk alors , comment ce corps iervit de jouet non feulement aux vils esclaves, mais aux chefs eux-mêmes. II dit avec quelle cruauté Sefithacus, fils du frere de Segeste, outragea ce cadavre ïnlenfible, & plongea de nouveau le glaive dans fes blesi'ures fanglantes, avant que la tête fut euvoyée a Marobode. L'Armée entiere, brulant de la foif de la vengeance, atteste les Dieux de la patrie , que chacun des foldats lavera dans le fang cfes Germains ces meurtres inouïs, & que les infortunés fils de Rome ne manqueront point de' facrifices expiatoires. La  i30 GERMAN1C U S. La plus tendre pitié prerid alors dans le coeur des légions la place de la rage cc de 1'effroi. Germanicus les exeue a donner un paifible afyle aux corps de leurs pareus & de leurs amis masl'acrés, ou plustót a leurs restes informes disperfés dans le camp. , . r On détache des arbrcs les cadavres Rispendus; on rasfemble les têtes défigurées; on creufe au milieu de la forêt une large 'fosfe, pour y renfermer les membres épars des victimes de la fureur Tudesque. Ou ramasfe fans cboix tous les osfemens; on n'en vent priver aucun de la fépuiture. Les Romains, qui ne peüvent recoimoitre ceux dont ils pleurent la perte, foit l es par les loix du fang ou par les hens de 1'amitié , fouillent la terre avec empresfement , fe reprochant la moindre néslio-ence, qui pourroit retarder le repos de cesöames cheries. Mais,avant d'enlevehr pour jamais ces tristes restes , on les transporte au ruisfeau voiiin; on les lave on les arrofe , & lés larmes coulent de nouveau. Au même temps la troupe mercenaire des chanteufes , les cheveux épars & couronnés de marjolaine a la place de cyprès, entonne par des accens mterrompns les cantïques funèbres a 1'honneur des morts. Les bois isolés rétentisfent de leurs chants plaintifs; elles inftruifent ces lieux éloignés de la douleur, que Rome éprouva de la perte de fes fils ; elles répétent, comment Auguste, accablé detnstesfe & parcotirant a grands pas les vasres  CH INT Cl N QJJ 1'EME. 137 falies dc fon palais , s'étuit écrié dans fes profonds chagrins : „ Jamais , jamais 1'in,> fortune cruelle ne m'a porté de coup „ plus douloureux. ó Varus! maiheureux Varus! rends-moi les légions que je t'ai ,, confiées." Dans leurs tristes accens elles rappellent le deuil univerfel, qui affligea Rome,& dont nullefamilie ne fut exempte. Les inftrnmens aecompagnent la voix des Chnnteufcs, en expriment la tristesfe tar des airs lugubrés. Les graves cymbales , la douce flute , & le luth harmonieux, Ie mêlent avec les chants funèbres. L'Armée entiere douue des marqués publiques de douleur & d'artendrisfement. Ausfi tót que les précieufcs dépouilles font purifiées & lavées folctnnellemcnt, on voit arriver la troupe diligente chargée du foin de rendre aux moris les devoirs funéraires. Asfistés par les foldats,ils s'empresfent d'embaumer les corps; ils mêlent les plantes odoriferantes, cueillies dans la forót a la refine du Jentisque , a la niyrrhe,'& a 1'huile pure_ des olives; 1'aloès & 1'encens ne font point épargnés, pour garentir cle la corruption ces osfemeus refpeftablcs. La noblesfe Romaine & ceux qui font revêtus des premières dignités, foit par le droit de leur naisfance, foit par le choixdu peuple, s'avancent, ornés de longues robes blanches, richement bordées de pourpre , chacun felon fon rang. Ceux qui dans le masfacre des Légions ont pérdu leurs pareus, paróisfent , vêtus de robes iroires & la tête couverte; tandis que le G hé-  i38 GERMANICUS. héraut .parcourt tous les rangs, en répétaut a haute voix de temps en temps : „ La pompe fuièbre est piéparée." Les Légions fe nangent en iilence autour de la fosfe, & les porteurs s'avancent, chargés des restes fccrés. Pour rendre plus ri'honneur aux ombres des chefs & des grands, on porte, fuivant les ordres du Général, les enfeignes renverfés devant chaque brancard; les osfemens font couverts de fleurs & de ramesux. La troupe des Chanteufes accorde fes accens aux luns plaiutifs des inflrumens. On approche a pas lents de 1'endroit oïi la terre iémble attendre ces dépouilles héroiques. Les gémisletnens rédoublent de toutes parts, pendant qu'on place les os dans le vaste cercueil : on y jette des pieces de monnoie, felon 1'antique ufage de Rome; & déja Ia béche active coupe des gazons dans la prairie voiüne pour en couvrir la fosfe. Germanicus lui-même, touché de la plus tendre pitié, en détache un de fa main généreufe, & le pofe, aux yeux des Légions, fur la fosfe comblée. Toute 1'armée applaudit a cette aftion pieufe , & s'empresfe de fuivre eet exemple. Les Chefs & les Soldats concourent a 1'envi; bientót le tombeau s'éleve a la hauteur convenable; on Ie couvre de fleurs, emblêmes de La tendresfe & de la vénération;&,faute de foaèbres cyprès,on 1'entoure de faules, felon h loi de Numa, enfin, on grave fur un; pierre 1'épiiaphe ' lui  CHANT CINOUIEME. 135 fuivante, a 1'honneur des Romains que ce tombeau renferme. ,, Une partie des enfans de Rome dort „ fous ce gazon : malheur a celui qui „ troublera leurs cendres ou profanera „ leur tombeau; qu'il foit avec toute fa „ familie accablé des plus affreufes cala„ mités; que la vengeance des Dieux iin,, mortels le pourfuive jusqu'au tombeau, „ & qu'il foit privé lui & les fiens des honneurs de la fepulture ! Qui que til „ fqis, ó Etrangcr! fi tes pas te condui„ fent vers cetfe tombe , ne dis pas: lei „ repqfent des morts. Les hommes mag,, nanimes ne meurent jamais-''" Les Sacnficateurs &'avai eert enfuite, portant 1'eau lu-trale , d ,nt ils arrofent trois fois ceux-qui entourent le tombeau; & les troupes alüigées s'adresfent enfin pour la derrière f. .is a ces imines fctlsfaits, en leur failant ces tristes a tiuix : „ Adieu! chers amis! a!d|éu>,pour jamais ! „ bientót, hélas! nous vous lüivrons fe„Ion lordre irrévocable de la nature; „ bientót nous ferons enfévelis a none „ tour. Pvepufez en paix dans la toube, „ que nos mams vous out élevée & que „ la terre , qui couvre vos froi les dé.,, pouillcs, leur fint a jamais legea !" Ces fldjéux tpuchans pénétrent le cceitr f ,1b de du Prince; la douce émmion de fon .me brille dans fes yeux. „ Ah! Titus, s'é., cne-t-il, combien ceite terre couvn t„ elle de Héns: maig, fi leur t'risti fort me caufe une tendre phié, crois. fi'ele G 2 „ ami,  ,i4o GERMANICUS. „ ami, que celui de tant de milliers d'hotn„ mes, qui font en ce moment les derniers „ adieux a leurs amis, touche encore bien „ plus ma fetifibiUté par Faffligeante idee, „ que nul de tous ceux que nous voyons „ n'existera fur la terre dans un iiecle." „ Tel est, répond Titus , le fort des „ moreels :1e monde est un théatre, dont „ la fcene varic h chaque inftant. Un „ jour peut-être cette même forêt, teinte „ naguerres du fang Komain , deviendra „ une campagne fertile pour les races fu„ tures ; un "jour peut-être le laboureur, „ en trawant dans ces lieux un pénible „ fdlon,heurtera du foc de fa charme 1'en9, droit oü les Fils de Rome repofent au„ jourd'hui par tes foins; peut-être il dé„ couvrira leurs lances brifées, & enten„ dra retentir fa bêche fur leurs casques „ concaves, privés de lustre par brouille „ des temps, en fe défiant de fes propres „ yeux, qui contempleront avec une fur„ prife mêlée de crainte les restes informes des Héros." Les troupes ont a peine fini leurs adieux, que la voix du hérault fe fait entendre, en ordonnant a chaque cohorte de quitter le tombeau. & répète trois fois: „ La pom„ pe funèbre est accorrplie." Germanicus, pour faire revenir a la galté les ames attristées de fes foldats, leur proiret pour le lendemain les jeux de la lutte & des combats ; mais les Légions, quoique flati ées de cette marqué de la faveur du Général, n'écoutent en ce moment que la  CHANT CINQUIEME. 141 Ja voix du courroux & de la vengeancej' eflcs fupplient leur Chef de les conduire fans délai fur les traces d'Arminius. „ Si ,, les Dieux immortels nous accordent la ,, yicloire, difent-elles, fi nous parvenons ,, a punir la barbarie des Germains & a „ yenger un fang fi cher a la Patrie, alors- il fera temps de nous recompenfer par ,, des jeux." Lc Fils de Drufus, charme* de Pardeur que montrent fes troupes , les conduit, fuivant leurs defirs, vers 1'orient. L'Ennenii ruft; fevnt d'éviter 1'armée Romarne, &' s'éloigne a- desfein des chemins frayés. Les foldats de Rome, brülant de venger la mort des guerriers trahis, le pourfuivent agrands pas, jusqu'a ce qu'ils le voyent enfin campé dans une vaste plaine, non loin de la forêt, & rangé en bataille. G 3 G E R-  GE rlMANICUS, CIIANT SÏXIEME. Arminius,.Chef de 1'armée Germanique, paroit a la tête de fes troupes, vêui d'un habit de cuir, qui , lui ferrant la taille, en laisfe appercevoir la grandeur majestueufe. Ses larges épaules font couvertes de la peau d'un lion,dont la tête, attachée n une des griffes, repofe fur la poitrine du Héros; & dont la queue velue, enveloppée dans fa ceinture, couvre le poignard, felon 1'ancien ufage du pays: ainfi le glaive au cöté, la lance a la main, ce fier ennemi de Rome femble être Hercule luimême, prêt au combat. On voit autour de lui la Noblesfe Germanique, accourue des citadelles & des hameaux Tudesques pour lui fervir de gardes volontaires. Cette jeunesfe intrépide, qui brüle d'acquérii* de la gloire, est vêtue comme fon Chef; les manteaux, qui leur fervent d'ornemens , font les pefantes dépouilles d'animaux vaincus dans les forêts. Ils ne confultent dans 1'arrangemënt de cette parure que ce qui peut en impofer aux yeux ou paroitre effrayant. Ici, la peau de la tête d'un taureau couvre les cheveux d'un jeune guerrier, & préfente fes cornes menacantes; La, un ours offre l'afpecl de fes dents meurtrieres ; plus loin, la gucule béante d'un loup paroit prête a tout déchirer: \ • ici ,  CH A N T SIXIEME. 143 ici, le renard rufé femble guettcr encore; la , on croic voir le chat fauvage fouffier avec la même fureur que s'il étoit plein de vie. Qui puiirroit dépeindre l'étonnantc variété des troupes de la Germanie, toutes vêtues & armées d'une manierc extraordinaire, alin de répandre plus d'effroi? Le robuste Longobard , toujours pret ai combattre , d'un regard intrépide & fevére, fier de la longueur de fa barbe & de fes cheveux, qu'il ne laisfe jamais couper que par force. .Le vaillant Semnone, orgueilleux des cent hameaux qui couvrenc fa contrée, qui dans un certain temps ie charge lui même de iiens pour célébrer la fête du Dieu de fon pays,& qui, s'il trébuche en marchautvers 1'autel,ne fe releve pas, mais y arrivé en rampaut fur ü terre. Le Catte indomptable, qui dans fa jeunesfe portc au bras un aniieau de fer,jusqu'a ce que la mort d'un ennemi ait pivnvé fon courage , & qui ne peut couper fa blonde chevelurc qu'a prés le jour de fa viétoire. Le Sueve farouche, qui fait un ncetid fur fon front de fes cheveux entrelasfés, & qui penfc app.dfer les Dieux par 1'effufion du fang liumain. Les Suardoues & les Eudozes, élevés enfemble, avec les Varines, les Angles, & les vaillans Aviones: ces cinq nations, croyant que c'est ii la terre fcule que tout dok fa fublistance, 1'honnorent comme leur Divinité, & lui adre-sfent leurs hommages dans un bois fameux, connu fous le nom de bois de la chasteté: cliaque année les Druides promcG 4 neut  i44 GERMANICUS. nent fur un char couvert, de contrée en contrée, Pimage de Ja Déesfe, fur laquelle les yeux pro'anes du peuple ne fe font jamais arrè'és; fa préfence fait fleurir par-tout la paix & la féréoit'é; les habitans le rasfemblent de hameau en hameau & fuivent en chantant le char de la Déesfe ; que trainent deux jeuncs gènisfts, jus'qu • au moment oü les Druides font lcravoiran peuple, que la Déesfe fatiguée vetit être reconduite a fa demeure. Dès qu'elle y est arrivée, on la purifie avec fes vêtemens & fon char dans les ondes d'une riviere, & ceux qui ont été chargés de cette fonclion font enfuite précipités dans les flots. Le fauvage Marcoman, dont les vêtemens & le bbuclier font forroésde rofeaux & de joncs entrelacfés. Le Cimbre, originaire d'un pays étranger, né pour la guerre, <& couvert entierement d'une armure de fer. Enfin les fiers Querusques, qui' chérisient la bravoure, & qui, éblouis des grnndes qualités d'Arminius, lui ont déféré ïe commandement de cette guerre & fe font mis fous fes ordres. Tels font les peuples divers qui compofent 1'armée Germanique. Une panie des Marfes, rasfemblés après leur défaite; quelques Sicambres, dont le regard faroucbe épouvante ; & des Bruéleres, qui préfèrent fes cmbats aux douceurs de la paix, complettent & renforcent les bandes, chacun armé a la manieré de fon pays, foit du poignard, ou du glaive, de la hache, de la lance, du iavelot, de la masfue, de 1'arc , ou de J la  CHANTSJXIEME. 145 Ia fronde. Leurs boucliers font de bois ou de joncs artistement tisfus. Leurs courfiers , fans felle , fans brides , fans mords , font accoutumés de s'élancer & courir en ligne droite, ou h fe tourner legerement vers la droite felon Ia volonté du cavalier. A la vue de cette armée, compofée de tant de nations diverf.s, les légions Romaines , d'abord étonnées, fentent bientót fe reveiller dans leurs cceurs le defir de la vengeance. Cependant Arminius range fes combattans k la maniere Tu iesque ; on reconnoit chacun de ces peuples i leurs étendarts. L'infanterie est dispofée en trianele, dont une des pointes fait face aux Romains; les cótés font couverts par la cavalerie, dont les premiers rangs offrent un large front, & qui, fe rétrecisfaut de plus en plus, forment avec l'infanterie un quarré immenfe & redoutable. Les Arbalêtriers , armés d'arcs & de flêchès, font en avant, habiles a s'ouvrir quand la pointe de l'infanterie s'avance & péuétre d'une force irréfistible dans les rangs des ennemis. Une vaste plaiue est le champ de bataille, dont le derrière & les cótés font couverts par des taillis &' des bocages; en avant le terrein est mare-cageüx , entrecoupé de mares, & embarrasfé de plantes aquatiques; endroits trompeurs, que 1'ceil decu prend pour de la terre ferme. Le fier' Héros de la Germanie , qui ne compte pas moins fur 1'artifice que fur le courage des flens, a remplï G5 fe-  M6 GERMANICUS. le bois d'embiKcades , fe flattant par ce moyen de terrasfer plus facilernent les Romains. ' . ^ En fortant de la forêt, Germanicus appercoit 1'armCe Tudesque , a la tête de laquelle il voit Arminius. Le Général Romain , outre les troupes auxiliaires , _ qui les unes par devoir, les autres paramitié, fe font rangées fous fes drapeaux, compte dans fon armée huit Légiöns Romaines. Dès qu'il s'est offert ün terrein propre, il range trois légions de front; deux autres font placées derrière , dont les flancs font garnis par la cavalerie auxiliaire; les trois clernieres font dispofées dans le même ordre que les trois premières , & forment 1'arriere-garde. Les Soldats, fourms par lesGaulois, font destinës a couvnr la forêt pour prévenir les embüches de 1 ennemi de ce cóté. Chaque légion est compofée de dix cohortes, rangées fur la même ligne: la première cohorte , qui est la plus grande, est placée au centre, & c est de-tè que le Général & les Chefs dirigent 1'ordre de bataille; on voit briller 1 aigle d'or au milieu d'eux : Ia fi.xieme & la feconde cohorte de la même légion font rangées a droite & i gauche de la première; les autres font placées a chaque cóté, fuivant leur nombre. Chacunc de ces cohortes a fes própres eteiidarts , fur lesquels , pour les distinguer & les rallier dans I'aftion , font peints des écusfons particuliers, portant avec le nombre & le aom de la légion, un lion, un taureau,  CHANT SIXIEME. 147 un loup , ou un dragon. Les cohortes font compofées de quatre bandes, rangées chacune fur plufieurs lignes : les troupes légerement armées,destinées a commencer 1'attaque ou a repousfer le premier choc de 1'ennemi, portent des cuirasfes, & font pourvues de rondacbes, de poignards, & d'épées ; leurs javelines font revétues de pointes de fer,qui fe courbent ou fe rompent au moindre choc;leurs mains vigoureufes font armées de frondes redoutables, qui dans leurs mouvemens rapides font liffler la pierre dans les airs ; cette troupe est formée de jeunes gnerriers , tous a la fleur de 1'dge. La bande, qui les fuit, & dont les combattans doivent avoir véeu plus de quatre lustres , est armée de la même maniere que les deux qu'elle précède; leur tête est couverte d'un casque, leur corps revêru d'une cotte de maille; une plaque de cuivre leur couvre le cóté droit, & le bouclier fert a garaiuir le cóté gauche; leur arme principale est le javelot , dont la vitesfe est plus rapide que celle de 1'oifeau ; fous leurs boucliers ils cachent trois balles de fer, fuspendues a des cordons de cuir; & ont de plus, felon 1'üfage militaire, des glaives & des. poignards. La troifieme clasfe est formée de Soldats expérimeiités , qui a.inprent deja plus de fix lustres; leurs lances font beaucoup plus péfantes , afin dc réfister avec plus de force dans la chaleur du combat. Enfin vient en dernier la troupe formidable, la gloire & le foutien del'EmG 6 pi.  14S G ERMANLCÜ S. pire; elle est compofée de vieux guerriers , blanchis fous les armes, & dont le courage est a 1'épreuve de tous les dangers. Une cu'msfe de cuivre couvre leurs corps robustes , & quelquefois une armure plus légere a leur choix ; ils font distingués par des casques brillans, ornés de panaches flottans: appuyés ordinairement fur un genou, pendant que les bandes qui les précédent engagent le combat, ils fe relevent tout-a-coup dd.iere leurs boucliers, & préfentent un rempart inébranlable, determinés a vaincre ou a mourir. La Cavalerie Romaine, au maintien fier & terrible, couvre les flancs de cette invincible infanterie. Les deux armées fe contemplent mutuellement: chacun des Chefs enconrage fes troupes a s'scquitter avec honneur de leur devoir. Les Romains font entendre un bruit femblable aux rugisfemens des lions irrités ; les Germains témoignent leur bouillante ardeur par des chants & des cris: enfin le fon bruyant de la trompette donne le fignal du combat. Ausfi-t6t une partie de la cavalerie Romaine quitte fes rangs,& s'avance pour fondre fur la pointe de l'infanterie Germanique. Arminius feint d'être épouvanté; il n'oppofe qu'une foible refistance , & combat en reculant, pour attirer 1'ennemi dans les lieux marécageux. Cette rufe lui réusfit; les pieds des courfiers glisfcnt dans les mares fangeufes, leur propre poids les fait enfoncer dans ces marais trompeurs, Envain les. ca-  C HANT SI X I E M E. 14 > cavaliers rcdoublent de courage &d'ardeu'",ils fe trouvent hors d'état d'avancer ou de reculer; alors ils restent en bute aux lances & aux traits des Germains, qui, remplis d'une flatteufe espérance , les attaquent brusquement en jettant des cris effroyables. Les intrépides Soldats de Germanicus, quoiqu' embarrasfés de leurs chevaux fur ce fol perfide, fe défendent en défespérés a tnefure que le péril augmente, & regardent fierement Ja mort qui les menace , réf .lus & contents de combattre jusqu' au. dernier foupir. Le Héros Romain voit avec douleur fa vaillante cavalerie expofée presque fans défenfe aux traits, aux lances, aux pierres , aux masfues , aux glaives Tudesques: il fait avancer des troupes a foi> fecours pour en prévenir 1'entiere défaite; mais ces fecours font vains; tout le terrein d'alentour offre les mêmes obftacles; & teut ce qui ofe avancer s'enfonce dans les maréeages. Arminius, cr-oyant leur perte infaillible, les presfe de plus en plus, lorsque tout a coup une partie de fon armée, qu'il avoit mife en embuscade derrière les arbres & les brousfailles, penfant déja iaviétoire déelarée en leur faveur, accourt au combat, fans ordre & fans discipline, du cóté que la terre offre un fol plus folidc. Germanicus les appercoit a peine , que, profitant de leur desordre, il excite fes légions de la voix & du geste a réunir leurs forces & repousfer les Germains» M Braves foldats, leur dit-il, chasléz cette. jj troupe de barbares ; fauvez la vie de, G 7 s> vos  150 G E R M A N I C U S. „ vos compagnons en ce danger presfant." Pendant qu'ils s'avancent avec ardeur, le Héros fait marcher deux compagnies, armées a la légere, vers le bois qui entoure la plus grande partie du champ de bataille , pour empêcher 1'enncmi de s'en rendre maitre une feconde fois, en fe retirant. Cependant le combat s'echauffe dans la plaine ; les traits & les javelots, volant de toutes parts, deviennènt bientót moins utiles; on fe ferre de prés , on combat pied a pied: les coups redoublés, qui rétentisfent fur les casques, le choc des óoucliers, le cliquetis des glaives, le fon bruyant des trompettes, le henuisfement des courfiers, les cris de joye, les tristes gémisfemens, les chants & les plaintes , fe meient & fe confondent dans les airs. Les Légions animées, qui croyent voir encore 1'aflreux défastre des troupes de Varus , bravent tous les efforts des Germainsgagnant de plus en plus du terrein , vengent la mort de leurs amis, en repandant des fleuves de fang. Le masfacre est horrible des deux cótés; la mort & Peffroi volent de rang en rang. Les ennemis de Rome, presfés de toutes paris , s'affoiblisfent & cèdent enfin, ne fcachant presque oü fe tourner. Arminius, furieux de 1'imprudence des fiens, quitte le centre de fon armée ; vole d'un endroit a 1'autre, & tache de remontcr par tout le courage des Tudesques. Son abfence change le fort de la cavalerie Romaine, qui,fe défendant toujours avec intrépidité,. mal-  CHANT SIXIKME. 151 malgré le desavantage du Iieu, parvient a fe dégager du marais fangcux : alors la victoire n'est plus douteufe , & la fortune des légions 1'emporte. Arminius, reculant malgré lui vers les bois , vcut envain ras» fembler fes troupes; les Romains le presfent & 1'attaquent de toutes parts. 11 excite fes guerriers a s'ouvrir un chemin au travers des cohortes ennemies, & fe voit enfin forcé d'abandonner le champ de bataille, couvert de morts & de mourans. Les troupes Romaines viétorieufes trouvcnt, en comptant les foldats moisfonnés par le fer, que leur perte est de peud'importance quant au nombre. Ce qui les inquiète le plus , c'est 1'incertitude du fort de trois officiers, qui ne fe trotivent point parmi les morts; on doute s'ils ont été pris & emmenés par les Germains. Le Prince ordonne qu'on fortifie le camp d'un rempart de terre,& s'apprête a pourfuivre Arminius dès que le jour paroltra. La lune argentée éclairoit 1'horizon de fa lumiere incertaine, lors qu'au milieu de la nuit trois hommes fe préfentent aux gardes , qui les reconnoisfent d'abord pour les braves guerriers, fur lesquels on s'inquiètc. „ Qu'on annonce a 1'inftant, „ difent-ils , notre arrivée au Général ; „ nous venons 1'informer d'une nouvelle de ,, la demicre importance." A leurs infhmces réitérécs on éveille Germanicus. lis lui decouvrent alors , qu'ayant é:é faiis prifonniers dans le fort de la melée , on les avoit enchainés & conduits au Chef des  15a GERMANICU & des ennemis, au moment même qu'il re» prochoit a fes troupes de lui avoir fait perdre la bataille , en quittant trop-töt le lieu qu'elles occupoient. lis rapportent _ au Prince, qu' Arminius , après avoir animé fes foldats a fttivre 1'exemple des Romains , en gardant un meilleur ordre dans les combats , avoit beaucoup exalté la conduite de Cermamcus, & que contre fa coiitume il s'étoit montré généreux a leur égard, en brifant leurs cbaines. lis ajoutent, qu'ils avoient obfervé par quelques paroles, échappées au Chef ennemi, qu'il étoit déja fatigué de la guerre, & avoit desfein de faire bientót des propolitions de paix; qu'il avoit déploré le malheur de Theusnilde, mais qu'il avoit paru fe confoler en apprenant, qu'elle étoit traitée par leur Général avec des égards düs a fa naisfance; qu'au reste, Inguiomer les avoit invités a fa table; qu'après le repas, lorsque le vin d'orge eut fait naitre dans les ceeurs des convives la liberté & la joye, il avoit beaucoup éxahé les forces guerrieres de la Germanie; & q.u'enfin,a moitié troublé par la boisfou, il s'étoit expliqué en ces termes v „ Arminius , qui, après „ 1'honneur de fa patrie, ne s'inieresfe a „ rien autant qu'a fon Époufe, a formé „ le desfein d'attaquer Moguntia , & il „ marchera bientöt avec fon armée vers cette ville, qui, n'ayant qu'une foible garnifon, lui offre 1'espérance de la ré„ duire prompttment, & de délivrer ninfi ,, Theusnilde , tandis que Germanicus „ s'ar-  CHANT SIX I EME. 153 ,, s'arrêtera dans ces lieux." Ces Officiers rapportent enfuite, que vers le milieu de la nuit on les conduifit dans une tente, pour y premire leur repos, fans y mettre aueune garde, & qu'étonnés de cette négligence, ils avoient pris la réfolution d'en profiter, pour intlruire le Prince des desfeins hardis d'Arminius. Le Héros , furpris de cette nouvelle inattendue, craint que le fier Gcrmain ne faifisfe 1'occafion de fe rendre maitre de la ville importante de Moguntia, & de la ravir h la puisfance Romaine; il fcait de quelle confequence est la posfesfion d'une place fi bien fortifiée, qu'il regarde commedia clef des Gaules. II fait asfembler a 1'inllant le confeil de guerre, & envoie par précaution quelques détachemens de cavalerie dans les environs, afin de reconnoltre plus fuïement les projets & les démarches de f ennemi. 11 fait part au confeil du malheur qui menace Moguntia. Chacun des chefs témoigne au Général, combien il defire ardemment fauver cette belle cité de la furprifé ; mais on regarde comme iropraticable de s'y rendre par les chemins qu'a pris Arminius;&, quoiqu'on les connoisfe imparfaitement, on fcait qu'ils traverfent des marais & des forêts non moins affreufes, 'que celles dont les légions n'ont pénétré la vaste folitude qu'avec horreur. Tandis qu'on héfite, qu'on délibère, les détachemens de cavalerie revtennent a la hate les uns après les autres. Ils rapportent tous, que 1'ennemi s'est élol-  154 GERMANICUS. éloigné , n'ayant laisfé que quelques partis peu nombreux dans les euviroms, qui a leur approche fe font enfuis vers les montagnes. Ces rappons augmentent encore la crainte que Germanicus a concue fur 1'attaque de iVloguntia: il prend fa réfoliition a 1'inftant, & retourne avec fon armée par la forét de Teutobourg jusqu'a. Flims. Arrivé prés d'un pont, jetté depuis peu, il ordonne a Cecina de s'avancer avec la mohié des troupes a travers les contrées des lhuéteres: ,, Ne hazarde point les légions, lui dit-il, fur les longucs „ digues du pays de ces peuples infide„ les; pasfe-les rapidement, & coupe- les en quelques endroits au dos de Far„ mée, pour te mettre en fureté contre les artifices de 1'ennemi. Avance par „ ies terres des Ucipiens vers les régions 3, des Ubiens; &, lorsque tu y feras arri„ vé, donne au phistót a la ville menacée ,.r 1'avis du danger: conduis-y méme tes légions , fi la nécesfité 1'exige: je me „ rendrai par eau vers le Rhin avec le reste de 1'armée, & je te rejoindrai bientót fi les Dieux exaucent mes fou„ baits.'' Après le départ de Cecina : le Fils de Di ufiis conduit fes troupes le long des rives de 1'Fms,jusqu'a 1'embouchurc du fleuve, r'ü fa flotte 1'attend. 11 envoie alors Pedon avec une partie de la cavalerie par le pays des grands Frifons, amis fideles de 1'Empire , & chez lesquels il ne trouvera aucune refistance. Tan-  CHANT SIXIEME. 155 Tan dis que Germanicus presfe 1'embarquement des légions, Titus lui annonce 1'airivée d'une ambasfade folemnelle, par laquelle les Cauchéens, habitans des bords de la \ izurgue, viennent rendre témoignage au Général de leur vénération pour la puisfance de Rome. Deux Citoyens refpectables, choifis parmi les plus révérés de leur Sénat, s'avancent, fuivis d'un Sacrificateur, revêtu de fes habits facerdotaux. Ils fout accompagnés de cinquante jeunes guerriers, tous de la noblesfe du pays, renotnmés par leur intrépidité dans tes combats & leur adresfe dans les exercices penibles. 'Le vénérable Taximagule, le plus noble des Ambasfadeurs, falue le Prince, & lui porie la parole en ces mots: „ Bonheur & prosperité a toi, 6 Germa,, nicus , & a 1'Empire Romain ! Nous fom„ mes envoyés de nos contrées pour venir „ t'ofFrir la fidele amitié des Cauchéens, „ qui defirent contracter une alliance de ,, paix avec Rome. Jamnis, malgré les ,, murmures de leurs voifins inquiets & ,, revêches, jamais ils n'ont thé le glaive ,, contre 1'Empire. Nous t'ofFrons de leur „ part des fruits & du bétail. Ils font ,, prêts, s'il est nécesfaire, a s'armer pour ,, ton fervice, a renforcer des guerriers de „ kur nation 1'armée Romaine; & 1'Empi,, re trouvera toujours en eux de fideles „ alliés." Ainfi dit 1'Etranger. Germanicus lui répond avec dignité: „ Nous fommes inftruits depuis longtemps de 1'amour ,, que les nobles Cauchéens ont toujours „ cu  156 GERMANICUS. eu pour la vertu & la fidelité; nous fca,, vons qu'ils ne s'arment jamais que pyUt „ de justes caules; qu'ils font intrépides dans les batailles; qu'après la vicfoire ,, ils font généreux envers les vaincus, & „ qu'ils pavent la fidelité de leurs amis y, par le pius fineere attachement. _ Des ,, peuples, qui unislént ainü la juisiice & ,, la grandeur d'ame a la gloire, font di„ gnes d'être les alliés de Rome: j'accepte „ donc 1'alliance offerte par les Cauchéens, „ & je la ferai follemnellement ralfermir,. afin de les convaincre a quel point nous „ estimons la vertu." A ces mots le Prince ordonne, que les Romains & les Cauchéens s'asfemblert le jour fuivant pour la ratification du traité. L'Aurore en fe levant voit déja les ferviteurs des autels des deux nations s'acquittant de leurs fonclions; ils dresfent & préparent les autels facrés 1'un prés de 1'autre fur la rive du fleuve. Les Sacrificateurs s'asfemblent. Les Cauchéens s'avancent gravement vers la rive; des vêtemens de euir couvrent leurs corps robustes, felon Pufiige Tudesqne; leurs roanteaux vélus font des dépouilles d'animaux féroees , tués par eux dans les forêts ; & leur tête est découverte, fuivant leur coutume, lorsqu'ils doivent contracter une alliance au nom du peuple. Les Romains de leur cdté s'avancent, libres de boucliers & d'armes , excepté le glaive. Le Général, couronné de feuilles d'olivier, paroit a la tête des Chefs. Les Sacrificateurs de Rome pos-  C H A N T S 1 X 1 EME. 157 portent des couronnes de laurier. Les Druides Cauchéens en ont de fougere, née aux pieds des chênes. Un d'eux jette des feuilles feches & une poignée de lel purifié fur le bois de fapin , dispofé pour le facrifice; un autre tire du feu des veines d'un caillou, & en fait jaillir les étincelles brillantés fur 1'autel facré; la matiere combustible s'allume,& le bois s'enflamme. Ausfitót le Druide repand d'une main liberale Pencens fur 1'autel, & adresfe cette priere a 1'Astre , qui feconde la nature : ,, ö So- leil, fourcc de biens & de bonheur! toi, qui rechauffe & nourris les mortels par „ ta chaleur bieni'aifante, en faifant germer „ les plantes & les fruits pour Fufage de „ tout ce qui respire! ton inflüence falu„ taire n'exige point de facrifices fanglans. Daigue regarder ce feu facré , qui brüle „ en ton honneur! ö Soleill Pere de la ,, vie & nourricier de la nature ! conferve entre Rome & les Cauchéens lefeu inex,, tinguible d'une fi.iele amitié , & fais le ,, biüler ausfi longtemps que tes rayons fe„ rontle bonheur des Romains & le notre!" A la fin de cette invocation on commence les danfes accoutumées autour de f'autel; & les pas cadencés des Cauchéens fe reglent fur 1'harmonie des chants fuivans: ,, ó Soleil! fource première de la vie! ,, accorde a jamais aux Romains & Cau- chéens unis, le bonheur & la gloire; „ que ton influence bénigne les anime a „ fe foutenir, a fe protéger mutuellemcnt „ de fiècle en fiècle!" Une autre troupe re-  I58 GERMANIC U S. répond en chantant: „ ó Solen! principe de la vie de tous leé ètresl refufe •« „ brillante lumiere a ceux qui n'acqmesceroient pas a cette paix! Que tes feux „ embrafent les ha'dtations de ceux qui „ chércher'ont les premiers a rompre cette alliance!" Cependant la coupe du facrifice est remplie d'bydromel : le plus vénérable des Ambasfadeurs y porte les levres, & le prefente au Fils de Drufus, qui luit fon exempie: le vafe, qui cóntient Fagréable liqueur, pasfe enfüïtc de main eu marn , jusqu'a ce qu'il foit épuifé. Les chants des Bardes Cauchéens étant jBrrts, ie Héros fe toume vers les Sacrificiteurs"Romains: ,,Montrez aces peuples, leur dit-il, puis qu'ils prennent le Soleil ,, a tetfióm de 1'alliance réciproque, que Rome 1'honnore ausfi par des chants ,, facrés." Alors les prêtres conimencent airiïi a eJléhrer les louanges d'Apollon. „ Loin d'ici, loin d'ici, profan es , dont la bouche impie ofe méprifer les Dieux. „ Apóllon s'avance; la lombre puit fe retire a fon approche; le palmïer de Delos tremble ; les huriers du Parnasfe agitent leur feuillage ; les cygnes font retentir les airs de leur chants. Phcebus ,, parott, il fort etc-fon temple dans toute fa majesté. Avancez , jeunes mortels! „ avancez; prépirez vos coricerts & vos „ danfes- Cest au juste feul qu'Apollon fe montre f avorable ; les infidéles a leurs fer,, n ens fer ont privés de fes bienfaitsjceux qu'il aime font grands , ceux a qui il „re-  C HAUT S IX IE ME. 159 „ refufe fes faveurs font dans 1'abaisfemenf, J5 Apollon fe montre propice aux Cau„ ehéens & aux enfans ue Rome. Silence! ,, Que chacun prête une oreille attentive' „ aux Jouanges de Phce bus. L'Océan eal„me les vagues mugisfantes, lorsque les „ cceurs facrds chantent la gloire des fié- dies & de la lyre d'Apollon: alors, alors „ les forêts , les montagn.:s, les vallons, „ les flcuves rétentisfent de ces accens : 5, Io, io , Paan ! Phcebus nous est ap„ paru. A ce cri d'alegresfe, Thetis cesfe „ de pleurer Achille. Le roe dePhrygie, „ qui fut jadis une femme que 1'excès de „ la douleur pdtrifia , & qui , quoique „ marbre infenüble, ne cesfe encore de ré„ pandre des pleurs, fent fêcher fes larmes „ a Papproche du Dieu qui verfe la lumie„ re. Maiheureux, trois fois malheurenx „ ceux qui n'dxaltent point la gloire d'A„ pollon. Io, Pasan! chantcz,io, Pa:an! „ que tous ceux dont la langue peut pro„ fdrer desparoles, cdlèbrcnt les louanges „ d Apollon. Sa cbaleur bienfaifante enri„ chic la terre de plantcs falutaires; il chas„ ie les maladies , en faifant germer des „ herbes rafraichisfantcs. Celui que les Poëteshonnorent comme leur pere, apprit „ encore aux hommes a manier 1'arc flexi„ ble & è laucer les flèches aigues; chau„ tons le Chef des poëtes & des arbalê„ tners. Les neuf Déesfes du Parnasfe le „ contemplent dans fa fplendeur, asfis fur „ le large fommet d'IJdlicon ; fa tunique „ est tislue d'orj fa lyre & fon are foqt >» de  1-63 GERMANICUS. de 1'or le plus pur; & fes fiêcfies bril„ lent dans un carquois de ce meial pre- cieux : tout femble devemr or, étant en' lumiiié de fes rayons. Trois fois heu' reufes les contrdes fur lesquelles il répand fa lumiere & fa ehaleur; la les taiueaux " deviennent forts & vigoüreux; la, les „ gdnisfes n'avortent jamais ; la, la brebis donne fon lait, & bondit, accompague de fes agneaux jumeaux; la, la chêvre grimpante fait en fe jouant mille lauts " vagabonds. Io , io , Paean ! chantez, , rdpétez, Io , Paean! que les accens vér tentisfent ausfi loin que Peccho pourra • les répéter. Que tous les mortel* dxal" tent le Fils de Latoue, nd pour le " bonheur de la terre! Cette alliance, " qu'il daigne éclairer, fera agréable au ?' maiire des Dieux. Brillant Phcebus! af" fermis cette paix de fiècle en fiècle , & ' les prosperités de Rome & des Cau" chéens s'augmenteront a jamais!" Le chceur fe tait i peine, lorsqu'un des prÉtres, qui fe glorifie de voir en même temps & fon Pere & fon Fils, s'avance pour terminer la cérémonie du traité. On cueille fur la montagne la plus proche une poignée de verveine; Germanicus en couronne, aux yeux de 1'asfemblée, la tête du Sacrificatcur, en témoignage qu il le crée Pere de Ia patrie pour la préfente iolemnité. ,, 6 Toi, illustre Fils de Drufus ! dit alors Ie prêtre , toi, qui me !' donnés la qual'né néctsfaire pour con" clure cette alliance, t'obligcras-tu d ac» „ com-  CHANT SIXIEME. i6t „ complir tout ce que je jugerai utile " P°u£, 1'affermir?'' „ Je le jure, repond s, le Général, puisque tout est conlornie s, a mon devoir, & ne blcsfe ni 1'autori5> té de Rome ni la gloire de FEmpe3. reur." Pendant que les flammes s'élevent de desfus Pantel de la paix, Ie Sacrificatcur prend les tablettes de cire, & Pt a haute voix lc contenu du traité :puis il dit: „ Daigne écouter, ö Pere des 3, Dieux! Immortel Jupiter! Et vous, 9, Peuples Cauchéens! prêtez toute votre ,, attentiou. Toi, Mortel vénérable,choili 55 par eux! écoute. Tout ce que je viens 5, de lire en ces tablettes, & que vos oreilles ont entendu, forme un engage,, ment facré, que le peuple Romain, qui, comme vpus le voyez, honnore „ les Dieux & qui refpefte la foi des „ fermeus, ne violera jamais. Si ces „ peuples , foit ■ a force ouverte foit „ par Ja rufe, viennent a rompre 1'alliauj, ce conclue en ce jour; s'ils violent ,, jamais les fermens, dont ils connoisfent ,, en ce moment 1'importance; que la „ colere de Jupiter tombe fur leurs têtes ,, facrilèges, & les frappe ainfi que ce caillou va frapper la tête ce ce porc, „ que vous voyez a mes c .tés, & qui „ doit fervir de viéume. Que ton bias „ puisfant,ó Pere des Dieux & des Hom,, nes! chatie le violateur du ferment „ avec d'autant plus de force que ton ,, pouvoir fuprême furpasfe le foible pou« voir des monels!" En achevant ces H mots  ÏÖ2. GERMANICUS. mots le prêtre frappe rudement la tête du porc avec la pierre qu il lui lance , hUMÖÖ tombe en tournoyant , comme frappé de la foudre. Les facrificateurs Smolent au Dieu Mars, & le brftknt fur 1'autel; & les acclamations des tiquPes Romaines & des Cauchéens rétentisfent de toutes parts; tous secnent. ., Que cette paix dure a jamais ï Les Ambasfadeurs, qui en fouhauent. finccrement la durée , cffrcnt a Germanicus des otages choifis parmi les jeunes guerriers , qui les ont accompagnés. On termine la jonrr.dc en fêtes, en réjomsfances; cc les 'deux partis s'apprêtent enfuite pour leur départ. G E R-  GERMANICUS. CHANT SEP TIEME, Au lever de j>urore les Ambasfadeurs Ulücllée°s-> aPres avoir P"s congé des Chefs Romains , retournent vers leurs contrées. Germanicus en s'approchant des rives de 1'Ems s'étoit appercti des bas-fonds , qui embarrasfoient 1'entrée du fleuve: prehant alors le parti d'alléger le poids des vaisfeaux pour favorifer leur marche, il ordonne a Vitellius de fe metfre a la tére dc la feconde & de la quatorzieme légion, de les conduite le lune du rivage jusqu'a la llunze, & d'yattendre 1 arnvée de la flotte. Avant de quitier ces lieux il laisfe h Mennius quelques cohortes ^ pour la défenfe des nouveatrx alliös, •& lui confie Ia garde d'Amizia, totteresfe importante, jadis fondée par fon pere Drufus a 1'emboUchure du fleuve. _ La mer , docilc a 1'rnvariable loi qui 1 attire & la rcpousfe , commencoit alors a fuir le rivage; le fouffle favorable d'un vent d onent, mettant en mouvement les vaisfeaux entrainés déja par les vagües les pousfe bientót au dela des bancs- & la flotte Romaine , hors de danger s avance a pleines voiles fur le liquide élement. Cependant Vitellius fuivi de fes légions cótoyoit la rive. II voit a fa gauchc les 11 2 COl-  164 GERMANICUS. collines fabloneufes des dunes, tandis què fes foldats contemplent avec étonnement la furface mobile des flots, qui, fuyant de p us en plus la cote, femblent rentrer dans le vaste fein de ÏOcéan; fpectacle étranger jusqu' alors pour des guerrtetS ^riv'age, théatre éternel des vents, offref par-tout aux yeux 1'image effirayante £aS quy mmif^Ê tueux: des montagnes de fable , detacl.ecs d s dunes & disperfées dans la me , y forment des bancs étendus, que chaque marée couvre & découvre tour a tour, & oü les vagues écumantes viennent fe brife avee fureur, lorsque les Aqmlons; Sis des orages, bouleverfent les flots Es#étonnant de cesPla,n"! tantót en-louties fous les eaux, tantot 'Zlnuéls par.elles, ^Wfe^ ïneure incertain; il doute, sil doj le^a rribuer a la terre, ou fi elles tont pnrtu. du v" te Ut de 1'océan. On appercoit au 1 ir quelq es cabanes disperfées lur les fommas. des collines, de« flb é i>| ciuelciues pêcheurs, on diroit, que les habuan de "ces tristes afyles font d'infortuï£ vovaeeurs, dont la mer en courroux a br fél! vaisrêau fur les fables du rivage & lont elle a épargné les jours en fe reSant de ks bords; ils ont pour fouterir leur vie malbeureufe quelques po,sf, ns pportés par les vagues, qu is ont f in de ramasfer, prompts a gasnet teut* Semets^orsque'le bïuit vacant , ma Mere ne £ Iaisfe pas.'' Ces mots mgenus ddchirent le cosur de tous ceux qui 1 enJendent. Une paleur mortelle couvre e vifage de fa mere expirante; les \eux font fermés,ou,fi fes paupieres souvient un moment, elles fe referroent ausfi-tot, eomnie ü ion ame, prête a » fe trouvoit déja. fatiguéë de fa déplorable vie. L'Epoufe de Taunnus, celle de Cecina , & la vertueufe Vespafie, unie a Sabinus par les Hens de 1'hymenée, s emptt? fentPautour d'Agrippine; elles réunistent leurs foins & leurs tendres efforts ïour la faire revenu, & la voyent enfin Knerun figne , qu'elle coffloft tout* Vétendue de fon malheur. Une tarmè «s'dchaope de fes yeux, un foupir meurt fur fSèvres, ft Ton ame fenfible femble s'enfuTr avec lui. L'infidele Pifon & 1 artificieufe Plancine fe tiennent pres du fit; ïs font témoins de Ia douleur profynde d'Agrippine, & font parade aune pitje, J,e&lKr cceur n'éprouve PW pfe™  CRANT HUITIEME. 195 d'idées ambitieufes, ils fe repaisfent déja de la vile espérance, que la mort de Germanicns augmciitera leur pouvoir. Cependant une exclamation douloureufe, que jette Agrippine, paroit la rendre une feconde fois a la vie. Elle regarde d'un ceü a peine ouvert les tendres fruits de fon hymen; des torrens de pleurs viennent monder fes yeux; & de nombreux foupirs redonnent enfin a fon cceur le mouvement & la vie. Au milieu de cette crife défolante 011 entend un grand bruit s'éiever de toutes parts. Sabinus & Cecina quittent a 1'infïant le palais pour en approfondir Ia caufe, craignant, non fans raifon, 1'approche de 1'ennemi: mais a peine font-ils appercus du peuple, qu'ils entendent répéter de tous cótés ces mots: „ Genua„ mcus est vivant. Les Dieux nous „ Pont rendu. II vit , il est ici." „ Quoi, dit Sabinus, qui n'ofc encore fe „ livrer a ces bruits, quoi; Germanicus vit!"... „ U vit; il est fauvé; nous ,, 1'avons vu de nos propres yeux; il est „ ici avec Titus, & toute la flotte Romaine est a 1'ancre au rivage des Ba„ taves." A cette nouvelle, qui répand la plus vive joye dans leurs cceurs, Cecina prend le parti d'aller au-devant du Héros , tandis que Sabinus retotirne & Agrippine. Ce fage Romain, qui connolt les mouvemens du ceeur humain, craignant qu'un pasfage trop fubit de I» oouleur a la joye ne caufé une émotion I 6 irop  joö GERMANICUS. trop forte aux arnes fenfibles desfemmes, & fur tout d'Agrippine, adresfe d'abord a Emilie ces paroles vagues, quoiqueconfolantes: „ II est probable, que la flotte entiere n'a pas fait naufrage; nous ve„ nons d'apprendre , qu'une partie des vais- feaux est en fureté chez les Bataves.' La triste Emilie fixe les yeux fur fon frere ,& femble douter d'avoir bien entendu; elle appercok fur fes traks 1'expresfion de la joye, mais elle ofe a peine fe livrer a l'espoir,qu elle Tak nakre. „Quoi, s, lui dit-elle, une partie de la flotte fe„ rok fauvée?" A ces mots, Agrippine, encore défaillante, s'elforce de iever foiblement la tête, & jette fur eux des regards incertains; elle entend répéter l'heureufe nouvelle. Sabinus, en y ajoutant de nouveiles circonflances, relcve peu a. peu leur courage; 1'espérance commence a luire au fond de leurs cceurs:.Agrippine retrouve la refpiration, & fent diminuer ]a violence de fa douleur; elk trouve enfin asfez de force, pour s'asfeoir fur fon lit, & fe hazarde a demander ce que 1'on dit fur le fort de Germanicus, eet Epoux fr teudrement aimé. Sabinus, fe prêtant avec art a fa tristesfe , foulage par quelques mots confolans 1'accablement qui 1'oppresfe , & lui découvre enfin la plus heureufe des nouveiles, conflrmée par les acclamations & les cris de joye redoublés des troupes. Le Prince, après avoir quitté le pays des Bataves, accoropagné de quelques-uns des  CHANT HUITIEME. w des Chefs de 1'armée, s'étoit haté d'arriver a la ville des Ubiens, afin de prévenir la fausfe nouvelle de fon naufrage. 11 approchoit déja des murs, baignés par le Rhin, lorsqu'il rencontra prés de la Ville, au lever de 1'aurore, quelques habitans des champs, qui s'entretenoient en déplorant fa mort, & gémisfant fur la perte publique. Us le voient, ils héfitent, & fe méfient de leur propres yeux; mais bientót des cris d'alegresfe s'élevent : „ C'est lui, c'est Germanicus! II vit, „ il est échappé k la fureur des flots^ „ Gloire & prosperité, ó Prince adoré! j, Que les Dieux immortels éloignent de ,, toi tout danger, qu'ils veillent fans „ cesfe fur tes jours!" Ces bruits, répétés au loin, s'entendent de toutes pnrts , & rétentisfent bientót jusques dans la Ville. Qui pourroit concevoir la joye des Citoyens ? On s'empresfe, on court, on quitte tout pour voler au devant du Général; aux falutations fe mêlent des larmes d'attendrisfement, fignes non équivoques de 1'amour & de la fenfibilité de leurs ames envers le Héros. On fème futfes pas de la verdure & des fleurs; les meres le montrent de la main a leurs nourrisfons , tandis que 1'encens, allumé par la reconnoisfance, brüle par. tout fur les autels. Les rives du Rhin rétentisfent de ces mots, répétés mille & mille fois: ,, Vive, vive, Germanicus! vive „ le meilleur des Princes, & le plus re„ nommé des guerriers!" Ces cris s'étenI 7 deus.  loS GERMANICU S. dent au-dela du fleuve, & voient de bouche en bouche; 1'Echo, qui quelques momens avant répétoit d'une voix plaat tive de tristes accens, fait entendre du fonds des forêts & du pied des montagnes ces fons d'alegresfe : vive a jamais Germanicus! Cecina veut envaiu percer la foule pour approcher du Général, un peuple nombreux lui ferme le pasfage; enfin il arrivé auprès du Prince; il le voit, il en est appercu: comblé de joye, il alloitembrasfer fes genoux, lorsque le Héros, charmé de le voir, le prévient en 1'embrasfant. Cher Prince, lui dit Cecina, quel " bonheur! je te revois: les Dieux font " confervé, tandis que nous pleurions " ta perte avec tant d'amertume: jamais, " jamais un jour plus heureux n'éclaira ' mes cheveux blancs." Germanicus 1 honriore de mille marqués d'une amitié touchante : il s'informe a lui d'Agrippine, & témoigne la plus grande inquiétude de ia douleur. Cecina 1'inftruit de tout ce qu'elle a fouffert par la fausfe nouvelle de fa mort , Ie long évanouisfement dans lequel elle étoit tombée; comment ii avoit fallu Ia transporter dans fon palais; enfin toutes les amroisfes de cette nuit accablante. Le Prince, touché de la tendresfe de fon Époufe, fe hate & vole auprès d'elle. II la trouve entourée des pnncipales Dames Romaines. Agrippine appercoit a 1'inftant fon Epoux;elle lui tend les bras, & veut exprimer fa joye, mais ' e est  CHANT HU1TIEME. 103 c'est envain; la parole expire fur fes levres. Germanicus fe jette avec affeétion dans les bras tremblans. Enfin elle verfe un torrent de larmes, en prononcant ces mots entrecoupés: „ Dieux! quel bon„ heur! tu vis!" Le Fils de Drufus calme par fa préfence & fes confolations lame trop agitée d'Agrippine. Elle découvre bientót au Héros tont ce qui s'est paste pendant fon abfence; quels pièges artihcieux lui avoient été tendus par Pifon , au bruit que 1'armée de Cecina avoit ete battue; & comment, ayant feu réfister a fes rtifes pernicieufes, elle avoit ' gardé le pasfage important du Rhin. Le Prince entend a peine que Cecina fut attaqué , qu il demande les circoniiances de ce combat, dont elle-même est peu initriute. II fait a 1'inftant appeller ce Général, & lui dit: „ Quels font donc les„ ennemis , qui ont ofé t'attaquer en che„ min, depuis qu'Arminius, vaincu par „ nos armes, s'étoit retiré amondépart " & 'embioit dans fa retraite avoir le „ desfein de furprendre Moguntia ?" „ Grand Prince, répond Cecina, ce n'é„ toit qu un piège adroit d'Arminius , „ pour nous attaquer plus facilement- il „ avoit mtérêt de faire féparer notre 'ar„ mée; & lans doute fon projet ne fut „ jamais de marcher contre cette ville " A ces mots Germanicus feut ennamm'er fon courroux; on voit fur fes trait3 les marqués d'un noble dépit; une juste cokre étmeclle dans fcs yeux, & excite niUtt  2oo GERMANICUS. mille mouvemens divers dans fon cceur généreux. „ Quoi, s'ecrie t'-il avec cha'„ leur, fuis-je donc la dupe des arufices „ d'Arminius? Un fuccès, funeste aux „ Romains, a-t-il couronne fa rufe ? Ahï fi tu m'avois inftruit de la prélence, je „ me fuis arrêté deux jours a 1'embouchu„ re de 1'Ems, oü j'ai condu Ia paix " avec les Cauchéens; avec quel empres„ fement n'aurois-je pas volé a ton fecours!" „ J'ai cru, répartit Cecina , que tu faifois revenir 1'armée lans aucun ' délai, je n'ai pu foupconner ce retard. A peine Arminius nous vit-il tombés " dans les filets qu'il nous avoit tendus, *I qu'au moment méme, oü ton départ lui asfura le fuccès de fa rufe, il fit marcher , fes troupes a travers les forêts desBructeres, pour avoir les devants fur nous , " fans être appercu. Nos chariots, fur" chargés de tout 1'attirail de la guerre, " s'avancoient lentement; les foldats por^ " toient, felon la coütume des légions " Romaines, leurs paquets a ia pointe de leurs lances; le casque attaché lur la 5' poitrine; ne fongeant a rien moins qu'a la défenfe. Nous parvinmes jusqu'a " ce pays, q,ui n'offre que de vastes marais " au nord & au midi, qui est entrecoupé de montastnes & de bois touffus, non '\ moins affreux que la forêt que nous *, avons parcourue enfemble. Les hauteurs d'alentour vomislént contiiitielle. ' ment en torrens les eaux fréquentes des 5, pluyes, qui amollisfeut de plus en plus  CHANT HUI TI MME. 201 i, le fol, abreuvé depuis lonetemps: milLe plances aquatiques, qui éfevent de tous, tes parts leur perfide feuillage, cou,, vrent une fnnge ausfi noire qu'dpaisfe. En dépit des Barbares, Domitius avoit „ jatas conftruit une longue cliausfée a „ travers ces marais; mais 1'ennemi avoit 55 eu la précaution de rompre ce chemin 5, en pluheurs endroits. Connoisfant de quelle importance il étoit pour moi, j ordonnai a une partie des troupes de s, couvnr par un rempart le camp, forv mé prés de la cliausfée, tandis qu'une „ autre partie rétabliroit les endroits dé3, muts & jetteroit des ponts fur les lieux 5, trpp élargis par les eaux: a peine les ,5 loldats avoient-ils mis la main a 1'ceu>■> vre, que nous vimcs fondre inopinément lur nous 1'armée ennemie; elle ,, tomba violemment fur nos premiers „ P.ostes, qui, malgré toute leur intrépi„ dité,ne purent réülter a cechoc. Ceux „ qui travailloient a la cliausfée furcnt ,, lorcés d abandonner 1'ouvrage. Les ,, foldats, accablés par le poids de leurs 3, cturasfes & dc leurs boucliers, incapa,, bles de fe temr fermes dans la fange, ,, enfoncoient dans ces marais trompeurs, ,, & le trouvoient par-tout en bute a la " 212"fa?s P°uvoir fe dégager ni fe défendre des lances ennemies, dont 1'ex,, cesfive longueur les atteignoit de loin. ,, Uéja notre état devenoit trés perilleux 55 lorsque la nuit vint mettre fin a 1'ac! 5, tion. En nous quittant, 1'ennemi. fe, 5, re-.  202 GERMANICUS. „ retira fur les montagnes; animé par „ ce premier fuccès, il mit en oeuvre de „ nouveiles rufes ; il fit couler dans „ le vallon marécageux les eaux des „ torrens & des cascades, détournées „ avec art. Ces eaux inonderent bientót „ & renverferent les foibles remparts du „ camp, & menacerent de fubmerger 1'ar„ mée entiere. Ce nouveau malheur „ exigea de nos troupes des_ travaux & „ des peines incroyables: loin de les re„ buter, ces terribles obstacles fembloient augmenter le courage des foldats, qui, en élevant a la bate d'autres remparts, „ oppofoient une digue -i la fureur des on„ des, qui pénétroient par- tout avec un „ bruit épouvantable. Comment te décrire toutes les horreurs de cette terrible nuit? Les Barbares , jouïsfant del'eftet ', de leur ftratagème , la pasferent en fêtes ,, & en réjouisfances; ils firent rétentir les monts & les collines de leurs chants „ affreux; nous entendimes leurs cris & leurs bruyantes clameurs. Nos guer„ riers, fatigués par le combat, pasfoient „ les heures trainantes auprès de leurs „ feux presque éteints, en donnant les cris du guet d'une voix affoiblie. Les ,, uns erroient de tente en tente, pleins ,, d'inquiétude & de terreur; les autres , fe réunisfoient en petits pelotons le „ long du foible rempart; chacun d'eux fe „ plaignoit tristement a fon compagnon de „ fon infortune préfente, ou du péril qui ii le menacoit; & dans cette nuit défa- „ ftreufe  CHANT HU I TI E ME. 203 „ ftreufe tous dtoient plus eloignés du fom„ meil qu'entierement eveillés." ,, Ah! dit Germanicus, en 1'interrom„ pant, que je fuis touché du récit de „ tant de maux! Les dangers de ce marais ne m'étoient pas inconnus; ce fut le „ fujet des inquiétudes, que je te témoig,, nai en te quittant; je te confeillai de pasfer rapidement ces lieux dangereux; „ mais qui auroit pu s'attendre, que 1'en,, nemi auroit endommagé les chemins, „ & qu'il t'en disputeroit le pasfage ?" Cecina pourfuivit: „ Accablé dc fati„ gues, & plus encore des peines de „ mes foldats, un fommeil leger ferma „ mes paupieres au lever de 1'aurore: h ,, peine fon influence bienfaifante commen„ coit-elle acalmer mon ame agitée, qu'un „ fonge affreux vint effrayer mes esprits. ,, A la tête de mes troupes je crus leur ,, montrer le chemin, lorsque il me fem,, blöit voir tout-a-coup Varus fortir du „ noir marais. Son vifage êtoit pdle & ,, tout fouilld de fang; les larges blesfurcs „ de fa poitrine étoient encore ouvertes. „ 11 me fit figne de le joindre, & s'avan^a lui-même, en me preTentant la main. Sa ,, vue fit bouillir tout mon fang dans mes ,, veines; je fentis rédoubler ma fureur ,, contre les Germains, & je fis ferment de le venger ou de mourir comme lui. „ II secoua fa tête enfanglantée : il fou„ pira: je crus 1'entendre gémir, & fe plaindre des artiflces de 1'ennemi. Alors s, je m'dveillai en fremisfant. Le jour „ chas-  204 GERMANICUS. „ chasfa bientót ma terreur; je fis mettre 1'armée fur les rangs, & pourranimer „ le courage des troupes je me mis en ,, avant. Mais, hélas! nous commen„ cions a peine la marche, que j'eus la „ douleur de voir les foldats, qui cou,, vroient les flancs de 1'armée, abandonner „ leurs postes, confternés de frayeur par ,, la fubite approche des ennemis , & s'en,, fuir en quittant les blesfés. Arrêtez, ,, leur-criai-je, arrêtez, foldats! oü fuiez„ vous ? pouvez-vous abandonner vos ,, infortunés compagnons dans ce danger „ presfant.? revenez au nom des Dieux, ,, vous courez a la mort. Mes efforts „ furent vains ; on ne m'entendoitplus: la „ terreur étoit la plus forte ; & chacun , ,, en courant fans ordre, s'efforca d'arriver fur un terrein plus ferme. L'lïune„ mi, qui, caché en partie dans les fom,, bres forêts, fembloit nous guetter, ne s, s'avanca pas d'abord, quoiqu'il apper„ eüt notre desordre: il rétarda 1'attaque „ jusqu'a ce qu'il vit nos chariots & ,, notre bagage engagés dans lafange, & „ que tous les foldats d'alentour, quittant „ leurs rangs & leurs enfeïgnes pour les „ tirer de ce mauvais pas, eusfent achevé „ de mettre la confufion dans 1'armée. „ Ce fut alors qu' Arminius pousfa les „ fiens a fondre fur nous. „Voili, dit-il, ,, voila Varus & fes légions vaincuesune „ feconde fois ; c'est le même fort, qui at,, tend les Romains en ce jour; frappez, „ braves Germains, montrez-leur ce que „ peut  CHANT HUITIEME. ao5 „ peut Ia vailIauce."„En difant ces mots, „ il tombe avec impétuofité fur nos trou„ pes a la tcte de fes Germains, en repé„ tant fes cris affreux: Victoire, meurtreT1" „ Nos chevaux, les premiers en bute „ aux armes de 1'ennemi, effrayés par „ leur chüte , prdcipitent leurs cavaliers • „ ou, frappant du pied la terre, empor„ tds par la douleur, ils fe riisperfentf & „ fuiant, en repandant de longs ruisfeaux „ de lang, ils fe jettent fur les autres „ rangs, quils foulent d'un pied indomp„ table, renveriant tout ce qui fe trouve „ lur leur pasfage. Les légions ddployent „ yamement tout ce que Ie défespoir peut „ infpirer de courage, & vendent cher " MUr £ng aux Gern'ains. Quels péni„ bles ellorts ne nous faflut-il pas emplo„ yer pour élever & affermir fur ce terrein „ iangeux les aigles Romaines, dont la „ vue leule pouvoit encouraeer nos guer- " St?" PT' les>,ver & ce presfant " psènlile Fombattois aux premiers ranes „ & tachois de réfister a la fougue impél „ tticule des Darbares, lorsque mon clie„ val, percé dune multitude de traits „ perdit enfin la force, tomba, & m'en' „ tra.na dans fa chüte. Arminius, a qui „ rien n'echapoit , fondit alors fur ma .„ vaillante cohorte, efpérant fe faifir de „ moi, avant que j'eusfe pu me riégager. " ¥l mien! n!e defendirent avec intrépi„ dité, arretant fur leur poitrine le fer „ des Tudesques Si dans ce moment „ cimque lennemi n'eüt été féduit par „ 1'ava-  £o6 GERMANICUS. 1'avarice, qui lui offrit 1'appas du bu" tin, nous eusüons fans doute ,mordu H tous la pousfiere; mais, tandis qu ils ! voient de toutes parts aux chanots enfoncés & retenus dans le marais , nous ',' rédoublons d'efforts ; & malgré nos per1 tes, malgré notre foiblesle, nous esfayons de nous garentir encore de la ' mort, du moins pour ce jour, & apres des peines incoucevables nous arnvons " enfin au commencement de la nuit mr " un fol plus ferme. Ce fut, helas! un ' foible foulagement. Les troupes affoiblies devoient de toute necesfite le cou" vrir au moins d'un rempart de terre, !! mais la pluspart des inftrumens öt toutes les provifions étoient tombés dans " les mains de 1'ennemi. Comment ras!' fembler de la terre ou du gazon, com' ment élever un rempart fans corbeillcs, fans bêches ? Les blesfés , d.sperrés ,, dans les champs, s'évanouirent de dou,, leur, noyés dans leur fang; a peine pouvoit-on les panfer .moins encore !! trouver des tentes pour les garantir des injures de l'air. Le peu d ahmens, qm nous restoient, fouillés dc fang & de ,, pousfiere, furent avec épargne partagés entre tous; foible foutien d'une vie dé, plorable, allongée peut-être pour quel. ques heures. Fatigués de tant de maux, nos foldats avoient perdu cou" rage; accablés de lasfimde & de tristesfe, ils s'écrioient en foupirant: Cette nuh terrible fera donc notre dennere „ nuit i" ^  CEANT HUITIEME. &07 Jusqu'ici Germanicus avoit pti fuspendre les marqués de fa pitié, mais a ces demiers mots une larme involontaire s'échappe de fes yeux; fon ame fenfible peint vivement tous les maux, que les troupes ont fouffert; il prend part a leur infortune, il déplore leurs calamités. „ ö „Dieux! s'écriet'-il, Dieux! exaucez „ mes prieres ! faites que je venge fur les „ Germains les malheurs des légions! „ Mais par quel bonheur, pourfuit-il, as,, tu pu, Cecina, fauver ton armée?" „ Dans de grandes infortunés, répondit „ ce digne Commandant , le moindre ,, événement les aggrave, & dans cette nuit aftreufe 1'incident le moins prévu „ nous jetta dans un danger plus presfant „ encore. Un cheval s'étoit détaché, „ effrayé par le cri du guet; il fe mit a. „ courir, jetta 1'épouvante dans le cceur „ d'un peloton de foldats qu'il rencontra; ,, & leurs cris redoublés firent croire a „ tous, que les Germains étoient déja, „ maitres du camp. Alors tous nos guer„ ricrs, confternés par ce bruit inopiué, „ & remplis de terreur, s'enfuient vers „ les portes du camp. Tous mes efforts „ pour les arrêter furent vains: les paro„ les, lesmenaces, le glaive même, rien ,, ne peut les retenir. Outré de chagrin & ,, de colere, je cours a une des portes; „ je me jette a terre, je la ferme de mon „ corps, en leur criant: Maiheureux Ro„ mains, puisque rien ne vous arrête, vous „ ne fortirez pas d'ici fans m'avoir foulé „ aux  2o8 GERMANICUS. aux pieds. Soldat, avance fi tu 1'ofes; 5, écrafe ten Chef, marche fur le cceur „ de celui qui t'a fauvé tant de fois. Ce fpeélacle les emüt: il me femble encore „ voir la honte & 1'effroi dans leurs yeux „ étonnés. Ils m'environnent, pénétrés de „ regret & de pitié. Cependant quelques Capitaines accourent; ils découvrent aux foldats la caufe du desordre, & J3 calment enfin les cceurs confternés. „Je les asfemblai alors devant ma tente „ & leur parlai en ces termes: Chers „ compagnons d'infortune, écoutez-moi: „ la valeur' feule est impuisfante ici con„ tre les dangers qui nous environnent, fi „ elle n'est foutenue par la prucfence mili„ taire -r gardez-vous de quitter le camp ; ,, lorsqu'a la pointe du jour vous verrez „ 1'ennemi s'approcher, attendez intrépi,, dement 1'attaque. C'est lorsqu'il touche„ ra presque nos retranchemens qu'il fera „ temps de 1'asfaillir; alors fortez des „ portes, réfistez au premier choc, fon,, dez enfuite fur lui, & triomphez. La „ mort est honteufe, lorsqu'elle nous at„ teint en fuiant. Soldats, faites votre „ devoir, & bientct vous reverrez les bords du Rhin; fongez a la gloire, qui ,, vous y attend fous les yeux de votre „ Général. Après les avoir encouragés par ces paroles, je partageai les che„ vaux, qui nous restoient, entre ceux „ qui s'étoient montrés les plus fermes „ pendant la marche; ils virenr avec joye „ leur courage recompéufé. C'est ainfi „ que  CHANT HU1TIEME. tod » que par de legeres faveurs & par 1'espoir de plus grandes je fis renaure 1 amour de la gloire dans leurs cceurs „ abattus. Je repris moi-même une nous, veile espérance en recevant 1'heureux ,, avisque la discorde s'étoit introduite s, parrni les chefs de nos ennemis. Ins, guiomer, connoisfant 1'avantage de coinbattre derrière des remparts, disfuadoit „ les Germains de nous attaquer avant „ que nous en fusfions fortis ; il vouloit 55 qu on nous laisfat marcher fans obftacle s, jusque vers les contrées deó Bruéleres, 55 & qu'on prït alors un moment favorablè 5, pour foiidre fur nous, foit dans les s, rorets, foit dans une vallée: heureufement pour les troupes de Rome, ce conleil ne fut point gouté d'Arminius; il ,, s oppola a la fage prudencc d'Imiuiomer, » & voulut qu'on nous attaquat dans notre „ camp même. Sa fureur féroce enfiamma ,, tellcment les fiens que tous fe rangerent », de ion avis. Dés la pointe du jour 3, toute 1 armée Germanique s'avanca vers ,, nos remparts. Le peu de foldats, dont 3, cm les avoit garnis, feignirent d'être eiriayés, pour abuier les Barbares: qui, ,, a force de terre & de fascines, cher,, cherent a combler le fosfé, tachant en „ outre de le couvrir par des ponts, qu'ils „ s elTorcoient d'attacher a nos remparts. Alors je donnai le fignal de 1'attaque,, Aux premiers fons de la trompette la cavalerie Romaine, foutenue de1'infan„ tene, lort courageufement des portes K du  cio GERMANICUS. „ du camp, vule a 1'ennemi, & couvre la terre de morts. Maintenant, s'écne ' le foldat, les Divinités des forêts & des , eaux ne fe declarent plus contre nous ; maintenant les hazards font ögaux; le ' fol ne nous est plus contraire, il n y a ni marais ni dinues, qui nous incom' modent. Sentant"alors renaitre fa force „ & fon courage, il gagne du terrein pied „ a pied, en immolant tout ce qui lui réfiste. Arminius fe montre par-tout, ,, accompagné de Segonax & environné de la noblesfe intrépide de ion pays & de fes alliés: un glaive étincelant brille ' en fa main ; fes yeux ardens s'enflamment de colere a la vue de la victoire, ,, qui lui échappe. Les gémisfemens_ & les cris des ïudesques n'affoiblislent !' point fa fureur; trois fois il les ranime „ au combat; & trois fois il les voit ' payer cher leur témérité. II recule ,, enfin, frémisfant d'indignation, & s éloigne en combattant. Le destin de la guerre s'appéfantit en ce moment fur ' les Barbarts. Les Romains, irrités par " leurs pertes, fentent redoubler leurs forces en vovant la victoire fe déclarer " pour eux: ils tombent plus furieux que jamais fur les fuyards, les pourluivent „ 'fans quartier, & rougisfent la terre du fang de leurs ennemis. Cette heureule " vieïoire après tant de combats & de *] fouffrances fait oublier au foldat tous fes maux. Us reviennent au camp en jet„tant des cris d'allegresfe, quoique la „ plus-  CRANT HUITIEME. sn „ pluspart couverts de blesfures; &, mal. j, gré le défaut d'alimens & de fecours, „ ils trouvent du rafraichisfement & du „ repos dans la gloire de leur triomphe & „ la défaite de 1'cunemi. Alors nous „ n avons plus trouvé d'obftacle pour „ gagner le pays des Ubiens. Mais, fi „ la généreufe Agrippine n'eüt con- fervé le pont du Rhin pour asfurer notre retour, fi fon ame moins magnaj, mme eüt cédé aux confeils pernicieus de P;fon, nous eusfions tous péri fous „ les traits des Bructeres. On m'inftruifit s, que, touché du desastre d'Arminius, „ ils bélitoient a s'armer contre nous: les „ Dieux ont accordé la victoire a nos „ voeux , mais, après eux, c'est a ta noble Époufe que nous devons notre ., falut." La fin de ce recit fait renaitre la tranquiliré dans 1'ame du Général. „Quoi, s'écrie-t'il, „ après tant de travaux, tant d'ïnfortu5, nes, les Fils de Rome ont donc enfin „ remporté la victoire! Cet bonneur leur » étoit donc destiné, après de li cruels „ revers! Que les justes Dieux foient loués 5» de cette faveur inattendue!" Germanicus cependant trouve a propos d mltruire le Sénat de 1'état de la guerre confiée a fes foins. II déerit dans une lettre a 1 Empereur "la longue & glorieufe marche, dans Jaquelle il a combattu les M'-ujes, les Cattes, & les Maliaques; & torcé a demander la paix les Bructeres, ks lenétres, les Cauchéens, les Uzipiens, K a &  lii GERMANICUS. & les Angrivariens. II parle de la prildeuce de Silïüs & d'Apronitis, exalte la conduite courageufe de Cecina, & mande qu'il a fait élever un tombeau dans la forêt de Teutobourg aux restes disperlés des légions de Varus. Attendri des maux, que les troupes ont foufferts , Germanicus pasfe enluite au camp; il vilite toutes les tentes, loue le courage héroique des foldats, & témoigne a tous la part véritable, qu'il prend aux peines qu'ils ont esfuyées; il en adoucit 1'amertume par des bienfaits, éleve ceux-ci a de plus hauts grades, fait des prelens & ceux-la, & décore les mains de quelques uns de 1'anneau d'or, marqué honnorable des Chevaliers: nul Romam qui le mérite n'est laisfé fans récompenfe par le Général. Cependant la belle Theusnilde étoit devenue mere d'un fils. Segeste, qui en donne avis a Germanicus, lui mande en même temps, que fon frere Segimer_,qui, entrainé par les infinuations d Arminius , fit autrcfois la guerre aux Romains, reconnoit maintenant fes vrais intéréts; & que, quittant pour toujours le parti des Germains, il demande la paix, réfolu de vivre au fervice de Pxome, s'il obtient 1 oubh de fa conduite pasféc. Segeste ajoutoit , que ce Prince s'étoit avancé jusqu au pied du mönt Taunus avec fa familie & la principale noblesfe de fon pays, attendant h\ une reponfe favorable. Germanicus anprend avec beaucoup de joye, que Seg'nïer embrasfe les intéréts de Rome,^&  CHANT H UIT IE ME. ti$ envoye Stertinius pour le recevoir. „ Veil„ le en fecret fur cette troupe de Ger„ mains , lui dit-il ;&, fi ce Prince defire „ voir fon frere , ne lui refufe pas cette „ fatisfaction; que Segeste Paccompagne. Sur-tout aye foin de les tranquilifer par „ un accueil ouvert & gracieux." Ainfi parle le Fils de Drufus, dont Pame tendre & bienfaifante lui gague autant de cceurs que fes brillantes qualités guerrieres. Stertinius étoit a peine parti, que les ótages Cauchéens fe préfentent au Général, pour Fnifhuire, qu'une Ambasfadc folemnelle, députée par leurs Concitoyens, est aux portes de la ville & lui demande audience. Le Prince ne peut concevoü; pourquoi _ ces Ambasfadeurs Font fuivi de fi prés; il envoye au-devant d'eux une garde de Cavalerie, qui les accompagne jusqu'au palais du Général. La le vénérabie Taximagulus, qu'ils ont choifi pour leur interprète, explique en ces mots au irléros lordre,dont il est chargé: „ Les grands & les petits Cauchéens, „ avec lesquels tu as conclu depuis peu ,, une alliance de paix, ó Germanicus! fe „ voyent aujourd'hui forcés d'imploxer ,, ton fecours, & celui de 1'Empire. Ar,, minius, vaincu dernierement par Cecina, ,, fut a peine inftruk du traité, que les ,, régions Cauchéenncs ont fait avec les ,, Romains, qu'irrité par fa défaite il s'est „ jetté fur nos terres & les ravage a la „ tête du reste de fes troupes & de fes „ alliés, quoique nous foyions en paix K 3 „ avec  «14 GERMANICUS. „ avec eux. II couvre cette perfide invafion du prétexte de veilier aux droits des ,' peuples & a la liberté de la Germanie, tandis qu'il ne cherche en fecret qu'a s'élever lui-même. Entrainé par une ambition démefurée , il a feu fe débarrasfer de Flavius & réfister continuellement , a Segeste. C'est cette foif de dominer ,' qui 1'excite a combattre les Romains. La guerre , lui donnant la fuprömc puisfance dans 1'armée, il fait des mcurlions chez fes voifins pour Ion feul intérêt perfonhel; il s'enricbit des dépouiües ravies fur fes compatriotes, & ne les partage qu'entre fes partifans, " espérant par" cette voye monter a la " fouveraineté, & règner enfin en Monar" que despotique fur la fiere Germanie, qui ne fe défie pas de fes amficieux " desfeins. Ces Concitoyens mêmes , qui " fuivent fes étendarts avec tant d'ardeur " 6- fe dorifient tant de fes fuccès , lui " feroient bientót payer fon ambition de " fa tête, s'ils foup9onnoient fes projets " fecrets autant que nous: mais, avec " ouelque foin qu'il cacbe fes vues am" bitieufes, elles cauferont infailhblement " fa ruine. Déja nous avons pris les ar" mes pour le repousfer; mais nous te " fupplions de vouloir foutenir nos efforts " a la tête de tes troupes viétoneules: " nous craignons avec quelque fondement " qu'Arminius ne foit bientót trop redou" table pour nous , puisque plufieurs " neuples, auxquels nous étions attachés ?' ^ r „ par  CHANT HUITIEME. 215 j, par les Hens de l'amitié, le favorifent ,, en fecret, abufe;s par les trompeufes „ infinuations." Germanicus concoit a l'in(tant,de quels malheurs tout le pays feroit menacé,fi les contrées Cauchéennes tomboient au pouvoir d'Arminius; il s'étonne des artificieufes resfources de fon ennemi; il fe fait infiruire de tout par les Ambasfadeurs, jusqu'aux moindres circonftances; il loue la fidélité des Cauchéens, & leur donne les phis fortes espérances: „ Ne craignez pas , „ leur dit-il, que Rome abandonné fes „ amis dans le befoin ; confiez-vóus a mes ,, foins; & restez ici jusqu'a ce que vous „ appreniez les réfolutions du confeil de „ guerre. Ainfi s'explique le Héros. 11 ,, ordonne ausfi-tót, que les Chefs s'asfem„ blent, afin dc les indruire de la com„ misfion des Ambasfadeurs Cauchéeas." K 4 G E R-  GERMANICUS, CHANT NEUVIEME. Le Héros généreux,touché des dangers, auxquels font expofés les Cauchéens, excite par ces paroles l'asfcmblée des Chefs a marcher a leur fecours: Fils de 5, Rome! braves foutiens de cette Mai,, tresfe du monde! vous, que le noble , defir de punk un ennemi rebelle & „ 1'espoir de venger Varus & fes légions „ ont attiré dans ces contrées! votre va,, leur héroique a feu forcer la Germanie „ a refpecler les enfeignes Romaines. Vous avez prouvé dans plus d'un com", bat, qu'on n'infulte pas impunément la fuperbe Rome. L'orgueilleux Arminius , quoique déja vaincu par nos 9 armes, a tenté de dresfer des embüches " a Cecina; repousfé & défait une feconde " fois, il a dü fe fauver de nouveau par " la fuite; & ce farouche ennemi, qui " n'ofe plus fe mefurer avec nous, tourne maintenant fa rage contre nos alliés: il veut venger fes pertesfurles Cauchéens, " qu'un traité folemnel vient d'unir a " Rome: ces peuples implorent les bras *' de nos guerriers ; montrons-leur que " les Romains n'abandonnent point leurs " amis dans le malheur. Je fcais, ce qu'on doit attendre d'une foule de héros, qui !,' biülent de fe fignaler pour leur patrie; » je  CHANT NE U VIE ME. ai? „ je connois la grandeur de votre couraj? ge ; ne foufitons pas qu'un infolent „ Germain nous brave; forcons-le de fe ,, profterner a nos pieds, & que toutes „ ces contrées rétentisfent de fa mine!" Tout le Confeil, applaudisfant a ces mots, témoigne un ardent defir de voler au fecours des Cauchéens. On oublie en ce moment tous les périls & les désastres de la guerre. Chacun est prét a courir aux armes, dès que la gloire de Rome 1 exige. Germanicus pourfuit ainfi: „ L'importance de vos fages confeils ne m'a „ point échappé relativement a I'avantage „ d'embarquer les troupes;je ftjais, com„ bien d'obftacles peut nous fufciter dans „ les forêts un ennemi bien mieux infiruit „ que nous de tous les chemins du pays; obhgées de repousfer les attaques a tout „ moment, les légions font bientót acca,, blées de-fatigues dans ces marches lon„ gues & pénibles ; les chevaux eux-mémes „ s'en trouvent affoiblis avant la bataille: „ il est donc prudent d'éviter ces nom„ breux -inconvéniens par le moyen facile „ djun embarquement. Jadis avec moins „ d'expérience & de moyens, nos peres „ ont feu nous montrer la route de 1'océan • fi leurs périls furent grands, leur zélc „ fut infatigable. Maintenant les arts „ perfeftionnés rendent tout poslïble a „ nos defirs; les vagues fe laislènt couper „ par nos avirons, attentives, pour ainfi „ dire, aux doux fons des infirumens de „ nos galères. Le liquide élément, fur K 5 „Ia  2iS GERMANICU S. „ la furface mobile duquel le pilote fcait „ aujourd'hui connoltre & compter les „ astres, n'est plus. pour nous un chemin „ étranger; mais dans le moment préfent „ 'notre flotte est trop peu confidérable ,, pour embarquer tant de troupes." „ Que „ cette confidération ne t'arrête point, „ répartit Cecina; nous avons asfez de „ bois aux environs pour conftruire des „ vaisfeaux; & de plus, les Gaulots des „ provinces voifines, les Frifons, les Ba„ taves, & nos autres Alliés, dont le „ zèle fera déployer les voiles, uniront leurs navires a la flotte Romaine." On demande donc les vaisfeaux des Beiges & des Peuples du bas Rhin. Les Bataves & les Frifons doivent joindre pres d'Arenacum leurs flottes a celle de Rome, qui mouille en eet endroit. Les Gaulois & les Morines recoivent Pordre de faire entrer leurs navires dans 1'embouchure occidentale du Rhin, prés de Taxandre, & de fe ranger fous les remparts de Noviomagum. Silius & Cecina font chargés du foin de faire conftruire rapidement une flotte nouvelle. Ces deux guerriers , que le zèle de la patrie attaché par les liens d'une mutuelle amitié, marchent de forêts en forêts, fuivis d'une troupe d'ouvriers. Les arbres touffus, ornemens de ces bois, demeures antiques des chantres ailés , & dont 1'age femble être le même que celui de la terre, font choifis par les vigilans tfavailleurs. On entend tomber a grand bruit 1'Orme altier, qu'embrasfe 1'aimable Lier-  CIIANT NEUV1EME. 219 Lierre, dont la verte tige fobie le même lort; le Chêne a cent bras, qui vit naitre & mounr tant de fiècles; le Pin, qui furpasfe en hauteur les Chênes mêmes; Je Peuplier majestueux; le droit Sapin; tous tombent & s'abaisfent, destinés a 1'arcbiteéture navale. Interrompus pour la première fois dans leurs concerts champêtres, es oifeaux intimidés fuyent, abandoiinant leurs nids. Les animaux fauvages, bótes jadis tranqtulles de ces forêts , troubiés par tin bruit que jamais ils n'entendirenr, quittent précipitamment leurs antres, & gagnent les vaüées 011 les montagnes, tandis que les dcchos font rdtentir au loin les fons aigus de la hache & du tranchan: des fcies. Une agitation fnus rehicbe rempht toute la contrde, dont les habitans, zèlds pour la gloire de Pvome, viennent offfir leurs efforts & leurs bras. Vers le pied des montagnes , ou les eaux, tombant en cascades, forment plufieurs rmsfeaux argentés, on ddcouvre des cabancs & des forges, entourdes d'une épaisfe öt none fumde: le courant rapide des ruisfeaux foule & pousfe leurs roues, qui, par cette presfion, tournant fans cesfe, entretiennent le mouvement des foufflets:, dont Faétion augmente 1'ardeur de la Aam* me. Ici, ou fond le fer, encore méld de matieres terreufes, qui dans !a fofion femble former un feu fluide: la ^n refroidit le metal purmd: plus loin on le faconne dans la forge; les lou.rds marteaux font gémir lenclume fous leurs coups redoublés, dont K 6 le  aao GERMANICUS. le fracas bruyant éclate au loin dans les airs. Prés de - la, on file le chanvre dans la cordiere, on Pallonge, on en forrae des fils épais ou plus deliés; on les redouble, par le fecours des rouets, jusqu'a la grosfeur nécesfaire des cordages & des cables. La, on apprêce les voiles, que les vents favorables doivent enfier ,lorsque la flotte aura quitté le rivage fablonneux. Plus loin , on fculpte des guirlandes ou des images des Dieux, pour en orner la poupe des salères. On voit une multitude d'ouvriers vigilans occupés fans relache fur les collines, dans les vallons, & le long du Rhin; la hache & 1'herminette n'éprouvent point de repos dans leurs mains. Le fleuve mêle fon murmure au bruit du rabot mordant. Chaque jour les monts & les plaines retentisfent du fon pénétrant des coins & des coups redoublés des roarteaux. L'oeil iurpris ne peut asfez admirer, avec quelle promptitude les forêts font transformées en une flotte agile par ces mains diligentes. On voit les cötes du vaisfeau s'élever avec fymétrie de la quille; pour former le large pont, on les revêt de planches , jonnes avec art; bientót le vaste batiment est achevé; &, quoique fa masfe paroisfe imposfible a mouvoir, on 1'ébranle , on la débarrasfe de toute réfistance; & foudain , au bruit des acclamations du peuple, le navire s'élance du chantier gémisfant & couvert de fumée. Son énorme poids ouvre un goulfre profond dans 1'onde, féparée par fa chute, & fait bouillonner les vagues * daleu-  CHANT NEUV1EME. lal d'alentour. Les fleuves, qui répandent leurs urnes dans le Rhin, furpris de fe trouver couverts de vaisfeaux, les portent avec leurs ondes au fleuve fuperbe. Le cygne, plus blanc que la neige, les voit flotter de toutes parts, & femble s'étonner de ce phénomene; il allonge fon cou majestueux, & vogue, les ailes relevées, en fe jouant autour des navires, ou forme lui même une flotte brillante d'oifeaux, en fendant 1'onde légerement, entouré de fa compagne & de fa jeune familie. Cependant Germanicus fait voir aux Ambasfadeurs Cauchéens, avec quelle noble chaleur Rome embrasfe & foutient les intéréts de fes Alliés; il leur donne fa parole, qu'il délivrera bientót leur contrée de 1'invaiion des ennemis. Tandis qu'ils retournent vers leurs états, pénétrés de la plus vive reconnoisfance, les Gaulois donnent au Héros une marqué de leur fincere attachement, en lui offrant un fecours de foldats, de chevaux, de provifions, d'armes, & d'argent: il accepte leurs offres , excepté 1'or, qu'il leur renvoye, & paye généreufement les troupes de fes propres épargnes. Pendant que 1'armée est forcée d'attendre, que la flotte foit achevée, Vitellius fe rappelle, qu'il a promis fa liberté au fidele Lifus en reconnoisfance de fes fervices. On prepare dans le palais du Général un lieu pour 1'asfemblée du Sénat, afin que Ia folemnité puisfe s'exécuter felon les loix & les rits accoütumés. Au milieu de 1'appartement on voit le bonnet de la K 7 fi.  242. GERMANICUS. liberté, pofé fur un banc de marbre, orné de cette infcription, tracée en lettres d'or: „Celui qui par fa fidelité méritera de s'asfeoir ici, fe levera Homme Libre." Une partie des troupes, fauvées avec Vitellius de la fureur de, flots, est rangée autour de la falie. Germanicus s'avance, fuivi des Chefs de 1'armée. D'un autre coté entre Vitellius, accompagné de fes amis & de fes parents. Le fidele Lifus, pénétré de joye, marche derrière fon maïtre, les yeux baisfés. Après avoir falué le Prince & le Sénat, Vitellius pofe fa main fur la tête de 1'esclave troublé , & revêtu encore de fes habits de fervitude. II prononce enfuite ces paroles: „Je defire donner la liberté a eet homme, dont la „ fidelité ru'a fauvé la vie." II dit, & renonce a 1'inftant a la qualité de maitre, en frappant d'un léger coup la joue de 1'esclave, & lui prenant la main, qu'il quitte ausfi-töt. L'esclave attendri veutk peine en bégayant lui témoigner fa gratitude, lorsque le généreux maitre, applaudi de tous fes foldats, s'adresfe au Prince, & le prie d'achever la cérémonie, en toucbant la tête de Lifus du baton de commandement. ,, Sois libre, digne jeune „ homme, lui dit Germanicus en le tou„ chant. Participe deformais a la liberté ,, des citoyens Romains; on écrira ton „ nom avec ceux des affranchis ; & m feras „ compté parmi les amis de Rome , en „ récompenfe de tes vertus; afin que cha„ cun apprenne, ó Lifus! par ce bienfait, „ en  CHANT NEUFIEME. aij „ en quelle estime Ia fidelité est chez les Romains.ƒ On le place enfuite fur le banc; on ui coupe les cheveux: & on le revêt des habits d'homme libre;' honneu? qud n'eut jamais ofé fe promettre. Le Prince lui-même lui couvre la tête du bonnet. Chacun Je félicite; & les troupes joyenfes s écrient jusqu'a trois fois: Liberté. Un repas fomptueux, que Vitellius offre _ au bénat, termine la fête; & Lifus rnaintenant décoré des marqués de la li-' berte , fe voit comblé de liberalités par le Général & tous les convives. ft DuJu 16 f°Ie- -avoit ParcOLim deux fois la bnllante carrière, déja deux fois les rayons argentés de la lune avoient éclairé les fombres voiles de Ia nuit, depuis Paf. franchisfement de Lifus, lorsqne Stertinius, qui étoit alle au-devant de Segimer & de les enfans, annonce au Héros, que ce Prince Germam va paroitre, & qi,e fon frere Segeste laccompagne: a cette nouvelle Germanicus ordonne, qu'on les conduite devant lui avec toute leur fuire Segimer entre a cóté de fon frere; fon front portam Pempreinte dun guerrier, est deja filloné par Page: après lui mar' die, accompagné de la belle Rhamis, fon époufe Sefithacus, fon Fils, qui aida jadis a furprendre Varus & fes légions dans la loret ce Teutobourg. Segeste demande grace pour tous au Héros. Le vaiilant Segimer pirend enfuite Ia parolc. „ Prince' „ dit-il a Germanicus, ce font tes vertus & les conleils de mon frere, qui nous „ font  as+ GERMANICUS. font paroltre en ces lieux. Autrefois ? ,, n'en ibis pas offenfé, je n'étois pas 1 ami „ des Romains. Je ne penfois guere, qu un , iour je dusfe offrir mon amitié au rils ' de Drufus, après que Jules-Céfar eut , developpé dans nos contrées fa funeste \ ambition; après qu'il eut arrole fes , prairies du fang de mes compatriotes, 9 & réduit en cendres la citadelle de mon " Pere. Ma tendre enfanee, peu capable " de discerner le malheur, ne concevoit " rien alors aux gémisfemens de nos fem'' mes; je voyois même avec un plaifir " enfantin s'élever dans les airs les noires *' colonnes de fumée, entrecoupées de " flammes rougeatres; je regardois avec joye les remparts, qu'on me failoit tuir " avec rapidité, & montrois de la main , " en riant, avec quelle vitesfe nos amis " tachoient de fe fauver. Hélas! 1'innocente enfanee fourit a ce qui fait verier des pleurs a la vieillesfe. Mais, quand " ce premier dge fut pasfó; quand je pus " voir dans ces" jours maiheureux la mousfe jaunatre couvrir les murs détnuts> de * la malton paternelle, & la ruine entiere des lieux oü je naquis, alors mon cceur enflammé ne put contenir fon amertu" me; des foupirs ardens de vengeance \\ s'exhalerent; & je fis ferment dans ma ' douleur de faire payer un jour aux ko" mains la défolation de ma patrie. Peutêtre ferois-je encore ton ennemi, fi ton " ardeur a fauver mon frere, & ta bon' té magnaniine pour fes enfans n'avoient " „ adou-  CHANT NEU yiEME. &z$ ,, adouci ma haine. Toi donc, illuftre Fils de Drufus, dont on vante par-tout „ la grandeur d'ame, pardonne-nous des ,, fautes, qu'on doit imputer a Terreur: a. ces conditions je t'offre mon amitié, qui „ peut t'être un jour utile, lorsque tu „ combattras fur les bords de la VizurS5 gue." < Le Général écoute avec tranquilité le discours du fier Gertnain; il voit en fes paroles toute la franchife de fon ame; cependant il eüt fouhaité ,que Sefithacus n'eüt pas accompagné fon pere; il fcait, avec quelle barbarie ce jeune-homme s'est conduit lors de la défaite de 1'armée Romaine dans la forêt de Teutobourg; avec quelle cruauté il a outragé le corps de Varus , en jettant & faifant fervir de jouet a fes compagnons la tête de ce maiheureux Général. Cette férocité condamnable n'est point fusceptible de grace: d'un autre coté, il confidere avec quelle bonne-foi, quelle candeur cette familie entiere est venue fe mettre en fon pouvoir, fans autre füreté que fa parole. „ ó Segimer, dit-il, non, ,, je ne traiterai point en crime une erreur, „ que toi-même reconnois; puisqu'au„ jourd'hui tu te déclares Tami des Ro- mains, fais-nous oublier par ta fidélité, „ qu'il fut un temps, oü tu étois leur en,, nemi. Je defirerois pouvoir donner a „ ton Fils comme a toi des marqués de ,, faveur & d'amitié; mais comment ex„ cufer les cruautés atroces, dont il s'est „ rendu coupable? Tu f§ais quels outta* »> ges  Ea6 GERMANICUS. „ ges ont été faits au corps de Varus."... Non , interrompt Sefithacus , non; ,, mon pere Pignore; ni lui ni nos troupes „ ne fe font trouvées a cette bataille; ce „ que je fis alors fut 1'effet de la fougue „ du jeune age: fi cette faute ne mérite „ point de grace a tes yeux, tu eusfes mieux fait de rejetter avec franchife nos „ follicitations."... Ces mots inconfidérés font craindre a Segimer de nouveaux malheurs. ,, Prince , dit - il a Germanicus, „ pardoune aux vivacités de la jeunes„ fe." „ Que le vrai courage, réplique ,, le Héros, fe montre dans le combat; „ la véritable bravoure épargne toujours les foibles; elle n'infulte point a qui „ ne peut fe défendre ; elle outrage encore „ moins ceux que le destin de la guerre i, a fait tomber: apprens donc, ö jeune „ homme! que la magnanimité existe autant „ dans la bienfaifance que dans les aclions „ valeureufes. Ne me foup?onne pas tou- tefois de vouloir offenfer 1'hospitalité; j, quiconque paroit ici fur ma parole est ,, en füreté : je pardonne Pexcès de ton „ emportement , puisque fans le pallier ,, par de vaines excufes tu le regardes ,, toi-même comme une faute; que cette faveur t'attache deformais a 1'Empire & a moi par des liens fi forts, qu'aucune ,, infidélité de ta part ne foit capable de les rompre." Le jeune Germain rougit a ce reproche mérité; mais il cache fon fecret dépit au fond de fon cceur irrité. Segeste, voulant prouver fa reconnoisfance, deman-  CHANT NEUVIEME. S27 mande au Général de 1'accotnpagner fur la_ flotte avec fon frere: le Prince, qui n'ignore pas 1'effét, que leur préfence peut produire chez les peuples de la Germanie, & 1'influence qu'ils ont fur leurs esprits, faifit prudemment Foccafion, en leur accordant leur priere,f^achant d'ailleurs qu'il a leurs enfans pour ótages. Cédant donc a leur defir, il envoie Sefithacus & fon époufe a Moguntia, auprès des eufans de Segeste. Dans le même temps Germanicus recoit la nouvelle, qu'Arpus, Roi des Cattes, a pris les armes une feconde fois, & qu'il s'avance vers Sigodunum. D'un autre cóté, il apprend encore, que Liscus, vieillard actif & dangereux, a la tête d'une troupe levée a la hate, a ravagé tout le pays au dela de la Lippe, & attaque maintenant le pont, qu'on a conftruit fur cette riviere; qu'Antejus , aux foins duquel ce pont, fortifié par un retranchement, a été confié, fe prépare a une vigoureufe défenfe, mais qu'il a befoin de'fecours pour s'oppofer efficacement a 1'ennemi. Le même exprès découvre encore au Prince, que les troupes féroces, avec lesquelles Antejus est tous les jours aux mains, out ofé profaner 1'autel élevé jadis a 1'honneur de Drufus par la reconnoisfance des hameaux voifins , & qu'elles ont même pousfé la facrilège audace jusqu'a le renverfer. Germanicus, entouré de toutes parts de pièges & d'ennemis, montre, qu'aucim •pé»  aaS GERMANICUS. pénl n intimide fon ame héroique. D abord, afin de préferver le pays des Treveriens d'une invafion, il envoie contre le Roi des Cattes Silius , accompagné de Flavius, qui connoit tous les chemins du pays. Lui-même enfuite quitte la ville pour voler au fecours d'Antejus, réfolu de conferver le poste important du pont, pendant le retard affligeant & nécesfaire du voyage de mer. Le Rhin le voit bientót a fa rive oriëntale; & Liscus., n'ofant avec une horde fans expélience attendre les troupes Romaines, confommées dans 1'art militaire,abandonné fon projet, & fe retire ausfi-tót qu'il apprend que le Prince s'avance. Irrité de la fureur impie des barbares, Germanicus fait élever par fes foldats un autre autel a 1'honneur de fon Pere; il ordonne aux prêtres de 1'orner de lauriers; &, pour appaifer les roanes du héros, il prend la réfolution de célébrer en eet endroit 1'anniverfaire de fes funérailles. Le lendemain, dès le lever de 1'aiu rore, les troupes, magnifiquementparées, fe rangent fous leurs enfeignes autour de 1'autel. Les Sacrificateurs paroisfent revêtus de leurs habits folemnels. On commeuce 1'inauguration de 1'autel. Les Hammes s'élevent vers le ciel, & forment, ainfi que la fumée, une colonne verticale aux yeux furpris de tous les asfistans: ce préfage favorable augmente le courage des légions. Germanicus, accompagné des Chefs de 1'armée & fans armes, fort de fa  CHANT N EU VIE ME. 129 fa tente , couvert de longs habits de deuil, les yeux fixés fur la terre. Tandis que la mufique guerriere reieve le chant des élégies a 1'honneur de Drufus un des Prêtres préfenre dans un vale d'or 1 eau histrale au Prince , qui lave fes mains en préfence de tous. ü.i fecond Sacrificateur lui offre le vin de libation dans une coupe du même métal. Le Héros vertueux feut naltre dans fon ame le feu divin de la piété. „ Accepte, s'écrie» J.""» accepte, ö Pere des Dieux! ce „ facrifice que te préfentent mes mains ï „ fois toujours propice k la familie de „ Drulus, qui fe plalt k t'honnorer! Ac,, corde-moi conftamment la victoire fur „ les ennemis de Rome." En prononcant ces mots, il répand en libation un peu de vin devant 1'autel, & pourfuit ainli: 6 Toi, qui portas jadis les ar„ mes de 1 Empire dans la Germanie, & „ qui tnomphas d'elle! ö Drufus! mon „ Pere , qui vois en ce moment mon „ amour filial ! que ton ombre chérie „ daigne agréer 1'autel, que ton fils te con„ lacre; qu'il foit un monument durable, ,, qui atteste a jamais ma vénération pour „ les Dieux & pourtoi!" Cette priere étant achevée, il rend au prêtre la coupe de hbation, & commence d'un pas grave felon 1'ufage des anciens, fa marche automoe 1 autel: il la réitère jusques a trois fois. loutes les légions, fuivant leur nombre cc leur rang, marchent fur fes pas, tenant leurs lances renverfées & leurs enfeignes trai-  s3o GERMANICUS. trainantes. La mort de Drufus fait encore couler leurs larmes fincères. Le bruit éclatant des armes accompagne les marqués de deuil; ils frappent leurs boucliers de leurs lances; &,felon que le ton 1'exige, ils renforcentou terminent ces ions guerriers par celui des trompettes & par des chants. , . „ Après cette funcbre cérémonie Germanicus quitte ces lieux, en laisfant de nouveiles troupes pour la garde du pont. U ordonne a 1'armée de féjourner a Vetera, iusqu'a ce qu'il revienne pour la conduire vers les bords de 1'Ems. Le Prince est a peine de retour dans la ville des Ubiens , qu'on appercoit Silius, Flavius, & les autres Chefs de leurs troupes, s approcher des remparts : le fon éclatant des trompettes & les cris de joye des foldats annoncent de loin le fuccès de leur expédition. Les habitans s'empresfent 6c quittent la ville, pour aller au-devant de 1'armée vicborieufe. Leurs yeux étonnés appercoivent une troupe défolée de femmes/fauvées des Hammes, répète-ton, par 1'intrépide Flavius. Elles font fuivies de 1'orgueilleux Deudorix, isfu de la noble race des premiers Rois Sicambres, vaincu avec une partie de fes troupes, comme lui chargées de chaines, & entourées d une forte garde. Le Général, charmé du bonheur des Légions, fait bientót appelIer Silius, & lui demande toutes les circonflances de cette glorieufe entrcpnfe. Je foupconne avec quelque fondement,-  CHANT NEUVIEME. 431 „ dit Silius, que cette guerre est une s, rufe mife en ceuvre par Arminius, pour „ gagner du temps en t'occupant ailleurs. „ Quoi qu'il en foit , on m'inftruilït „ dabord, que le Roi Arpus avoit asfis „ fon camp prés de Sigodunum, & qu'il s, héfitoit entre le parti d'attaquer la for- teresfe rebatie depuis peu fur le fommet j, du mont Taunus & celui de pasfer le „ Rhin, pour dévaster le pays des Tre„ veriens. Ce dernier plan , plus confor>, me a fes intéréts, lui fembloit le plus „ convenable. Apronius s'étoit campé favorablement; il couvroit le Rhin & le Mein, prés de l'uidroit oü ces deux „ fleuves joignent leurs eaux. Je marchai „ droit a 1'ennemi, espérant de le fur„ prendre, tandis qu'il fe croyoit en füre„ té; je le trouvai vis-a-vis des remparts „ de ^Confluentes: nous étions fur les „ bords d'un ruisfeau, trop profond pour „ étre pasfé a gué; le prudent Flavius, „ connoisfant les chemins, me confeilla „ de ne point fatiguer les troupes par la „ conltruction d'un pont, mais d'avancer „ plustót le long des montagnes oü nous „ trouverions, ajouta-t-il, un fentier fa„ ede, qui racourciroit beaucoup le che5, mm. Asfuré de fa fidelité , je fuivis „ fon confeil; &,conduits par lui, nous „ nous trouvdmes bientót prés de 1'enne„ mi. Les Sicambres s'étoient joints aux „ Cattes; ils avoient le Rhinuevant eux un ruisfeau a la droite, & un bois, fur jj les bords duquel étoit rangée leur ca- „ va-  a3a GERMANICUS. valerie, les couvroit a la gaucbe;-par derrière enfin étoient des montagnes. " Te les attaquai au milieu d'une nuit \' éclairée de la iimple lueur des étoiles, & au moment oü ils ne fongeoient a. "rien moins qu'a fe défendre: après ' avoir tué leurs gardes, je pouslai, iui' vi de nos troupes, jusqu au milieu du camp, oü Deudorix s'empresfoit de " rallier & de ranger fes foldats pour pré" venir fa defaite: mais, malgré fa fureur " & fes efforts, il fut bientót contraint de plier fous nos armes viclorieufes , & " de fe rendre prifonnier avec la plus gran" de partie des fiens.qui hafarderent vainementleur vie pour le fauver. Le Roi des Cattes, éveillé par les gémisfemens " & les cris de fes alliés, veut envam " voler a leur fecours; il les voit fuyans , " épouvantés, & fe précipitant en foule " dans le Rhin. Decouragés eux-memes " par ce fpedacle affreux, les Cattes ie " Mtèrent de chercher un afyle dans le " bois voifin: incertain des embuscades, " qui pouvoient s'y trouver , je crus qu'il " feroit trop dangereux de les y fuivre, Nous avions été informés cependant, " que le Tvoi Arpus, ne croyant avoir " rien a redouter, avoit fait rester a Sigo" dunum la Reine Waldrade, Aregonde, " leur fille promife en mariage a Deu" dorix, & un grand nombre de femmes " de qualité , qui avoient accompagné les " Princesfes. Je fis marcher a 1'inftaut " vers cette ville, que nous furprimesfans " >, pei-  CHANT NEUV1EME. 233 „ peine, n'étant point fur la défenfive. „ La plupart des habitans prirent la fui„ te a notre approche. Les femmes, ef,, frayées & redoutant de plus grands s, maux encore, fi nos foldats les atteig„ noient en fuyant, formerent la refolu,, tion defesperée d'éviter 1'esclavage en fe „ donnant la mort. La fiere Époufe d'Ar„ pus, égarée & furieufe, prit elle-même une torche ardente & mit le feu a 1'ap. „ partement,oü elle fe trouvoit avec tou,, tes fes femmes , espérant terminer fa „ vie dans les flammes. Ceux des habi„ tans,qui s'dtoient rendus prifonniers,fi„ rent retentir les airs de leurs cris a cet„ te vue défolante. Deudorix lui-même SJ nous fuppha de fauver fa future épou,, fe, & de lui accorder un afyle. Sadou„ leur touche le généreux Flavius; il vola „ vers la maifon incendiée; & la plupart „ de nos chevaliers , enhardis par fon „ exemple, coururent braver le pdril avec „ lui. Les portes furent k Finflant enfon.„ cees: fe précipitant alors par la fumée & les flammes, ils pénétrerent jusqu'a Fap„ partement des femmes, & les fauverenc „ en peu de temps. Après cette expédition, „ voyant les ennemis vaincus ou disper„ fés, j'ai pris le parti de revenir avec „ ces nches ddpouilles." t Non loin de la Ville des Ubiens est un vieux chateau , plus respecté encore par les temps que par la fureur deftruftive des barbares; c'est dans eet edifice, a demi Tuiné mais entouré d'une garde fuffifante ^ que  as* GERMANICUS. que font dépofés les Sicambres 6c la famille royale captive. Germanicus veut les voir & les entretenir, espérant découvrir par leurs discours quelques fecrets utiles I 1'JJtat. II entre, conduit par Silius, cc voit en traverfant la cour les loldats captifs disperfés ca & la. II avance vers le principal apartemeut, oü fon arnvée caule des mouvemeus de furprife & de crainte, de vénération & de haine, de refpect & de fureur. L'orgueilleux Deudorix le tient fierement debout, environné des grands de fon pays, tous chargés de chames. Quoique presqu'a 1'automme de fes jours, li reine Waldrade brille encore de quelques attraits; une noble gravité est répandue fur fon vifage; & fa tnstesfe même lui donne un air majestueux. La jeune cc naive Aregonde, non'moins estimée par fa beauté que par fa douceur, paroit a la droite de fa mere. On voit a fa gauche la princesfe Nantilde , digne reste de la familie du Roi Catumarus, dont Arpus a uiürpé le trone, & qui dans une bataille, liviée pour le fouüen de fon fceptre, perdit le diadème & la vie. Waldrade, touchée du fort de la jeune orphehne ,1 avoit prife prés d'elle après la mme de fa maifon 6c avoit voulu lui faire épouler Ion Fils' Waldemir; mais 1'aimable Nantilde, reiettant avec horreur une couronne louillée du fang de fon Pere, avoit courageufement refufé eet hymen. Sa beauté étoit célébre dans toute la Germanm: la blar.chair de fon teint ne le cède pomt a celle  CHANT NEUFIEME. ttf ?»LlyS} ,Un/°?x ve™eil, femblableau tendre éclat de la rofe, colore legeremenc tpnoJ0,lies,;rfes yeuxbrillans, quoique maintenant obfcurcis par un fombre nuage de douleur, charmeur encore les cceurs les pius_ infenfibles. La jeune noblesfe 'Germanique lui accorde d'une voix unanime le pnx de la beauté fur 1'aimable Theusnilde elle-même. Waldrade, alarmée a la vue du Général, tache de lui cacher fon tr°ub,Ie: elle savance vers lui, accompagnée de Nantilde & d'Aregonde, & lui parle en ces tenues: „ Héros illustre! que „ le tnste fort de femmes d'une naisfance non commune, que les troupes ont ré> „ duites en captivité , touche ton ame », magnamme; protége-les; n'abufe point de ta victoire; la guerre a fes vicisfïtu„ des; un vainqueur, aujourd'hui fortu„ né, peut fe voir demain plongé dans le malheur & accablé comme nous par „ des revers." n Cesfe de crail]dre ^. „ répondit Germanicus ; les amcs géné„ reufes ne font point infenfibles aux mal„ heurs des infortunés. Si ton Epoux „ ne meut forcé de le combattre, aucu„ ne de vous n'auroit fubi ce triste forr „ Je plains vos malheurs, & quelles quê „ lment les raifons,qui aient engagéIeRoi „ Arpus a prendre les armes contre les „ Komains , je vous accorde la vie a „ tous: calmcz vos alarmes, & comptez „ lur tous les égards que vous méritez * „ Ainli tu nous conferves pour orner ton , tnomphe, s'écrie le fier Deudorix , & L 2 3, pour  236 GERMANICUS. pour nous voir marcher devant ton v char de vidloire, enchainés comme des esclaves, en bute aux infultes des Ro„ mains." Le Prince le regarde d'un ceil courroucé. „ L'arrogance , lui dit il, ne convient pas a 1'humiliation oü tu es; quelle grosfiereté barbare t'excite a „ m'outrager par ces mots infultans ? fache que j'ai le pouvoir de punir comme de „ pardonner." II dit, & Pauroit peutêtre condamné a l'inrtant, s'il n'eut deviné par 1'effroi d'Aregonde & fes touchantes fupplications les tendres intéréts de fon cceur. 11 confole les femmes par des discours obligeans; il s'informe de leur état, de leur rang, de leur familie. La belle Nantilde lui découvre le nom de fon Pere. Germanicus fe rappelle, que ce Prince étoit autretois très-estimé de Drufus: il garde cependant le iilence fur cette circonftance; mais il ne peut s'empêcher de contempler avec une tendre admiraiion cette jeune & belle Princesfe. En quittant ces captifs, il trouve le généreux Flavius fur fes pas: le Héros le loue fur fa fidelité envers Silius, & plus, encore fur la courageufe humanité , avec laquelle il a fauvé des flammes les femmes désesperées. A ces mots les traits de Flavius s'altèrent, il change de couleur, il veut parler; les paroles meurent fur fes levres ; une fecrete émotion 1'agite; & fes yeux laisfent tomber des pleurs fur les mains du Héros. „ Qui peut te troubler s, ainfi 5 lui dit Germanicus, pourquoi ces fou-  CHANT NEUVIEME. C37 „ foupirs & ces larmes? ne me celes rien.. ,, Je prends part a tout ce qui te touche." „ Hélas! lui répond Flavius, ma douleur ,, m'entraine troploin; riaigne m'accorder ,, un inftaut d'audicnce."' Le Général, furpris & touché de fon agitation , lui ordonne de le fuivre. Le jeune héros fe voit a peine feul avec le Prince & Silius, qu'il leur ouvre fon cceur en ces mots: „ Resfouviens-toi , 6 Germanicus ! de „ mon amour pour Theusnilde / rappelle„ toi la promesfe que tu daignüs me faire alors, de favorifer mon attachement, fi je m'engageois de nouveau fous les loix de „ 1 amour: j'aime, hélas! j'aime une vierge capuve. Le destin cruel, qui mepour,, luit dès l'enfance,nem'ajamaiscaulédes pemes ausli dures a mon coeur. J'ai vu jadis ravir Theusnilde de mes bras par „ mon propre frere; &, dans l'inltant oü. la „ pitié me fait voler au fecours de femmes „ lans défenfe , en proye aux flammes, je me fens une feconde fois atteint & blesfé „ par 1'amour. Mais , hélas ! j'ai plongé. ,, Nantilde dans 1'esclavage : j'ai enchainé „ la beauté que j'adore: c'est par ma fau„ te, ö douleur cruelle pour un amant! „ c est par ma faute qu'elle portera d'odieiü ,, fes chaines devant ton char de triomphe; „ elle arrofera ces chaines de fes larmes; jè „ verrai couler ces larmes précieufes;' je „ verrai 1'objet de 1'amour le plus tendre trainer fa triste vie dans les horreurs de „ 1 esclavage, & puisqu'il est défendu a un chevalier Romain d'unir fes jours k L 3 j, ceux  £38 GERMANICUS. „ ceux d'une esclavff, mon fort fera donc de devoir la fuir pour jamais." Germanicus, qui concoit toute Ia force de eet obftacle, prend part aux chagrins de Flavius. „ Ton amour, lui dit-il, „ obtient-il quelque retour de la part de „ la jeune Princesfe ? Paroit-eile touchée „ de tes fentimens? Crois-tu qu'elle par„ tageat tes feux,fi ton hymende pouvoit, „ brifer fes chaines ?" Pour fatisfaire a ces questions obligeantes, Flavius Pinftruit de toutes les disgraces du fort de Nantilde; avec quel courage elle a refufdlamain de Waldemir. „ Touchde par mes prie,, res , continue-t'il , elle m'a ddclard fes , dernieres idfolutions: Situpeux, m'a l, t'elle dit, detourner mes malheurs & „ me delivrer du joug de la fervitude, „ espére tout de ma reconnoisfance; mais, s'il t'est imposfibïe de m'arracher è ce „ triste fort, tu te flattes envain de pos, fdder Nantilde." „ Le Roi, fon Pere, a toujours éié fidele „ aux Romains, reprend Germanicus; & fa fille n'est pas caufe de ce que les „ Cattes nous font la guerre; ainfi cette „ Priacesfe n'a rien a craindre de Rome ni de moi. Calme-toi, Flavius, je te „ ferai favorable, & mon desfein est de „ vous unir dès que je ferai de retour de „ notre voyage maritime." Le jeune dtranger , pdndtrd de reconnoisfance , embrasfe les genoux du Prince, & tache vainement de lui expliquer fa joye par des paroles, que le trouble fait évanouir fur fes levres. Ger-  CHANT NE WIEME. 239 Germanicus lui ordonne de n'en parlcr qu a Nantilde feule, en lui recommandant de^garder elle-même le filence jusqu'a te qu il juge convenable de le publier luimême, & de faire célébrer eet hyménée avec toutes les cérémonies ufitées. Pour plus grande furété,le Prince ordonne a Siluis de conduire tous les captifs a Moguntia: il le fait accompagner par Flavius, & T nommer Apronius Commandant de la Ville. Tandis que ces deux guerriers reroplislent les ordres du Général, la flotte, nouvellement conflruite, couvre déja le Rhin & est préte pour le voyage. Les trouoes que commandoit Silius, restécs fur les terres des Ubiens, recoivent 1'ordre de s'crabarquer & de conduire la flotte a Vetera ou Cecina doit monter a bord des vaisfeaux amfi que toute 1'armée,en attendant 1 arnvée du Général. La renommee répandit bieu-tót jusqu'a Rome le bruit des fuccès glorieux, que Germanicus. venoit d'obtenir dans cet'e campagne. L'ame de Tibère, déja tourmentée par tous les poifons de Penviè' en resfentit un mélange de douleur, de deitance, & de dépit. II craint, que 1 amour des legioiis n'éleve au rang fuprème fon luis: adoptif. II cache cependant avec foin la haine & les foupcons dans fon cceur artihcieux: il paroit en public fatisfait & charmé de la gloire, que le Héros vient d acquérir ; mais il fonge en fecret aux moyens de le rappeller. II couvre eet L 4 odieux  S40 GERMANICUS. odieux projet du voile de la faveur, & mande a Germanicus, qu'il est enchanté de fes fuccès; que le Sénat , admirant fa vertu , a accordé 1'honneur de 1'ovation aux chefs, qu'il a recommandés dans fa derniere lettre aux peres confcrits; mais que, jugeant fes qualités militaires dignes de plus grands honneurs, ils lui décernent le triomphe, & 1'attendent au Capitole fur le char de la victoire. G E R-  GERMANICUS. CHANT DIXIEME. Germanicus étoit fur Ie point de partir pour Vetera, lorsqu'il recut les lettres de lkmpereur; il appercoit aifément a leur eéture le piége qu'on lui tend; il voit que le tyran, qui le trompe par des paroles obhgeantes , ne lui accorde le triomphe avant Ia lm de la guerre que pour ternir la renommée, qu'il pouroit fe faire en Germanie. D'un cóté, fa gloire exige qu'il combatte Arminius; de 1'autre, la loi lui ordonne d'obéir a Tibère & au Sénat. landis qu il délibère fur le parti, qu'il doit prendre, Agrippine, inquiète, lit fon embarras dans fes yeux: „ Quel malheur, „ lui dit-elle , occafionne ce nouveau trouble?" Le Prince lui préfente 1'écrit, en difant: „ Ne t'alarme pas; le Sénat m'accorde les honneurs du triomphe , & Tibère exige, que je retourne a Rome." Agriopine jette a peine les yeux fur la lettre' qu'elle appercoit tout 1'artifice qui y règne; die s'arréte de furprife & d'indignation presque a chaque ligne; 1'efl'roi, qui la faifit, fe peint fur fon vifage, qui rougit & palit tour a tour. „ Quoi! s'é„ crie-t'elle , en montrant fon agitation „ fur tous fes traits , on t'accorde fi ,, promptement le triomphe ! On t'atteno* „ déja dans Rome! Je vois , je vois les L 5 noirs  s42 GERMANICUS. noirs artifices de 1'asfasfin de fa femme !, & de fes enfans. Cher Epoux! je ne découvre que trop,que le cruel Tibère, dont les yeux envieux ne peuvent fou,, tenir 1'éclat de la gloire que tu acquiers, ,, cherche a te rappeller de ces lieux, fous de perfides dehors de faveur. , Peut-être prépare-t'il déja pour toi la coupe empoifonnée, qui fit pénr mes freres; peut-être la main pamcide de ■ Livie appröte-t'elle déja la funeste bois" fon; peut-être qu'a mes yeux, hélas! ,' un poignard, plongé dans ton fein , ar, rofera tes lauriers de ton fang précieux, ' tandis que confumée par le defespoir, " privée de toute confolation & entourée " de nos enfans maiheureux, je rendrai ' le dernier foupir fur ton corps masfa', cré, laisfant les chers fruits de notre , hymenée en proye a toute la rage de nos tyrans. Est-ce la cette gloire, dont mon cceur fe formoit des idéés fi fiat' • teufes? Est-ce 14 eet espoir , qm pendant la vie de Drufus, notre Pere, m'enchanta fi fouvent 4 la cour d'Auguste? Pour' quoi le barbare Tibère ne m'immola-til " pas avec mes parents, fes viclimcs in- fortunées?" Germanicus, qui n ignore pas,qu'il a tout 4 craindre de la haine fecrette de 1'Empereur, s'ellorce néanmoins de calmer les inquiétudes d'Agrippine. Ne t'abandonne-pas , reprend-il, aux „ fombres penfées, qui t'agïtent; je brave la fureur & le vil artifice du tyran : '„' tous ceux qui chérisfent encore la vertu  CHANT DIXIE ME. 243 ,, dans Rome veillent fur moi. Trop cerlain, que ni fa méchanceté ni fes rufes ,, ne peuvent me nuire, il tache de mettre „ obftacle a la gloire,que jepourois acqué„ rir, en me donnant de fausfes marqués „ de faveur; mais, quelque flatteurs que „ foient les honneurs qu'on m'offre a Ro„ me, ils ne font rien pour moi tautqu'Ar,, minius k la tête des Germains dispute la „ yicïoire k nos armes, & qu'il fait payer „ a nos Alliés la perte de fon époufe & la „ défaite de fes troupes. Tous les peuples ,, ne feroient-ils pas en droit de dire a ma „ honte, qu'ébloui par la vaine gloire & le defir de monter fur le char de triomi> phe,j'abandonné fans protecrion la partie ,, déja conquife de la Germanie, & la „ laisfe. en proye k PEnnemi; maltre alors ,, de s'emparer des frontieres de 1'Empire ,, en dega du Rhin, tandis qu'une folie „ préfomption me feroit croire quejetriom„ pherois de lui... hélas ! des raifons fi ,, justes trouveront-elles grace auprès de „ Tibère!" II achevoit a peine ces mots que 'l itus & Sabinus fe préfentent; ils paroisfent agités d'une fecrete émotion; 1'inquiétude & le courroux fe montrent toura-tour dans leurs regards. Germanicus s'informe de la caufe de leur trouble. „ ó Sou. „ tien de Rome, digne d'un meilleur fort! ,, dit Titus en foupirant, vois fur quoi font fondées nos alarmes; cette lettre de notre Pere... hélas! que n'y liras-tu pasi" Le Prince, dont rien ne peut altérer le caf. me, jette les yeux fur 1'écrit, & y trouvé L 6 eet  444 GERMANICUS. eet avis: „ Rome & le Sénat fe glorifien* „ des vicloires remportées par 1'illustre ,, Fils de Drufus & de la renommée,qu'il j, s'est acquife; 1'Empereur lui-même pa„ roit a 1'extérieur content de fa condui„ te; mais ces faux dehors cachent une ,, haine fecrette, qui caufera la ruine du „ Héros, fi les Dieux ne la préviennent. Avertisfez Germanicus en mon nom du „ danger, qui le menace; dites-lui, que ,, Tibère s'est ouvert a Augusta, & qu'il lui a confié fes foupcons en ces mots: „ Pourquoi le Général'paye-t'il les trou„ pes de fes propres tréfors? Suis-je hors d'état d'envoyer de 1'argent a 1'armée ? Pourquoi étaler aux yeux des légions une défaite déja. oubliée, & qui ternit „ la gloire du nom Romain? Ce fpecta,, cle odieux ne fert qu'a éteindre le cou„ rage des foldats. Que ne fait-il point „ pour gagner leurs esprits? Par quelle „ raifon Agrippine recherche t'-elle 1'ami„ tié des Cohortes, fi non pour favorifer „ 1'ambïtion de Germanicus? elle employé „ même jusqu'a fes enfans pour parvenir „ a ce but: Gajus, fon fils, nourri au ,, camp, vêtu & chausfé comme un fol■,, dat, n'est-il pas déja le favori des lé,, gions F lixcitées par fon influence, elles „ donnent déja.le nom de Cefar a fon „ époux & a fon fils. Le Général lui„ même n'a qu'une ombre d'autorité dans „ 1'armée; c'est Agrippine qui règle tout. „ N'est-ce pas elle, qui éteignit le feu de „ la fédition , lors même que la préfence „ du  CHANT DIXIEME. 245 „ du Prince y avoit echouéPElle pèfe,el~ „ le délibère, s'il est nécesfaire de défendre „ le Rhin. Les réfolutions du Confeil dé,, pendent de fes caprices, afin de lui „ tournir 1'occafion de briller a la tête des Cohortes & de commander les troupes ,, a la place du Général." Ce falutaire avis est terminé par ces mots: , Avertisfez donc Germanicus, qu'il „ fe défie de Tibère & de fes faveurs, ,, qui fervent de voile au plus pernicieux abïme." „ Ainfi, dit le Héros, ainfi Pon s'efforce de travailler a notre ruine? Mon in„ violable fidélité pour 1'Empereur a-t-elle 3, donc mérité cette haine invétérée? Est,, ce ainfi qu'on couvre fous les dehors ,, de bonté les dédains & la trahifon?Les ,, foins généreux de ma chere Agrippine, „ qui ont fauvé tant dc Romains, n'ont „ donc fervi qu'4 augmenter encore 1'in„ juste défiance? Est-ce fa Podieufe re„ compenfc de fa fidelité, de fon courage ,, & de fes vertus?" „Peut-être lui pardon„ nerois-je fes foupcons olfenfans, repli,, que Agrippine, fi fa méchanceté cruelle „ ne me faifoit trembler pour tes jours. „ Crois, Germanicus, que c'en est fait ,, de toi, fi tu parois dans Rome. Hélas! & c'est pour moi feule qu'on te dresfe „ tant d'embüches: le tyran ne verroit en ,, toi que le Fils de fon frere, fi un fatal ,, hymen ne t'eüt uni a la fille de Julie. „ C'est ta tendresfe pour moi, qui fait „ tous tes malheurs: ó mes riéplorables L 7 „ En-  S4Ö GERMANICUS. , Enfans ! quelle fera la fin de tant „ de maux ?" „ Pourquoi , lui dit fon „ Epoux , pourquoi les aggraver encore „ par trop d'inquiétude? La vertu n'est„ elle pas touiours en bute aux pieges du „ méchant? Ce n'est point notre unioni. chere Agrippine, cette union qui feule „ me foutient dans les maux, qui m'acca„ blent; non, ce n'est point elle qui cau„ fe 1'infortune qui nous menace ; c'est „ Pifon , qui nourrit la haine de 1'Empereur par fes lettres artificieufes, en peignant toutes nos actions des couleurs les plus „ noires. Deformais, fidele Sabinus , com„ mande feul dans la ville des Ubiens; „ mon Époufe fera en fureté prés de toi; car,quels quepuisfent être les honneurs „ ou le fort qu'on me prépare a Rome , „ des faveurs & un triomphe non merité „ ne peuvent me féduire; je vais écrire „ au Sénat & a 1'Empereur, que je fins „ prêt a m'embarquer avec toute 1'armée ; 5, que la gloire du nom Romain ne per- met pas que nous abandonnions la guer„ re contre Arminius; & que, tant qu'il „ est question de la gloire de la Patrie , un „ digne Romain ne doit jamais peufer a la fienne." Cette réfolution calme 1'ame agitée d'Agrippine. „ Ah! s'écrie-t'elle , quelque „ douleur que me caufe ton départ, c'est asfez pour moi que tu ne quittes pas maintenant Ia Germanie , oü tu_ es du „ moins en füreté contre la haine du „ Tyran. Les justes Dieux te protégeront „ dans  CHANT DIXIEME. 24? j, dans ton voyage, & rendront a mes „ vceux ardens 1'unique foutien de mes En„ fans & la confolation de leur Mere." Le Héros annonce enfuite civilement a Pifon, qu'il Pa nommé pour 1'accompagner au combat. „ II est digne de toi, lui dit„ il, de montrer ton courage en défendant „ 1'honneur de la Patrie; & ce fera mon „ devoir au retour de recompenfer ton hé- roisme." Cet ordre inattendu jette un dépit amer dans 1'ame de Pifon, qui disfimule toutefois, & femble charmé de cette marqué de faveur. Dès que Germanicus eut appris Ie retour de Silius & de Flavius,arrivaut des bords du Mein, il ordonne Iss apprêts du départ. Son' ame magnanime éprouve la plus tendre _ pitié des chagrins de la fenfible Agrippine , qui , vaincue par les foucis qui 1'accablent, le ferre entre fes bras & le presfe fur fon cceur. ,, Ah! lui dit-el„ le avec une douleur touchante,la tyran,, nie de Tibère te menace a Rome; & ,, dans la Germanie tes jours font en bute ,, a la rage des ennemis; ici, la fureur, „ la, la haine peuvent t'ötre fatales. Hé„ las! ta triste Époufe est-elle donc con„ damnée a nourir d'éternelles craintes? „ Je fcais ce que ta gloire exige, ce que „ la nécesfité commande; mais au moins, „ fi tu veux que je vive, daigne fonger a ,, ta confervation ; que 1'image de ton ,, époufe & de tes enfans, encore fi jeu„ nes, te foit toujours préferte; e'en est ,, fait de ta familie, Germanicus, fi les j, Dieux  a4& GERMANICUS. „ Dieux ne veillent fur toi." _ „ Calme ,, tes agitations, réplique le Prince atten,, dri, peut-être tu t'attristes en vain.;ne „ laisfe point abattre ton ame par une foi„ blesfe peu digne d'elle; les Dieux favo„ rables me feront vivre pour toi, & „ triompber d'Arminius." En achevant ces mots le Héros esfuye d'une mainbienfaifante les larmes de ('on Époufe; il embrasfe tendrement le jeune Cajus,& prend dans fes bras le dernier fruit de fon hymen , encore au berceau: ces enfans reconnoisfent a peine leur Pere fous fon armure brillante; bientót ils fe familiarifent avec eet éclat: 1'un fe couche, en jouant, dans le bouclier de fon Pere; 1'autre fourit d'un air enfantin a chaque mouvement du panache, qui furmonte le casque brillant du Héros. Germanicus montre a fon Époufe la joye de leurs enfans; mais dans ces tristes inftans, oü la tendresfe conjugale est dévorée par mille inquiétudes, 1'amour maternel, quelque fort qu'il puisfe être, ne donne que de foibles confolations. La tendre Agrippine, qui tache en vain de cacher fon émotion, recommande mille fois fon Epoux a la Noblesfe qui 1'accompagne, & le fuit longtemps des yeux, accablée de craintes & de follicitude. Arrivé bientót aux remparts de Vetera, le Héros apprend avec fatisfaftion, que les troupes font emharquées. Dès que 1'armée voit reparoltre fon Général, le fleuve rétentit des acclamations des foldats & des fons joyeux des trompettes:. tous les vais- feaux  CHANT D1XIRME. 249 feaux arborent leurs pavillons. La galère du Prince brille au centre, ornée de guirlandes de fleurs & de feuillages; toute la rive est jonchée de verdure. Germanicus, entouré d'une foule innombrable qui lui foubaite gloire & prospérité, monte abord, & descend le fleuve h leurs acclamations réiterées. La flotte , nouvellement conftruite, paroit fur 1'onde comme une forêt flottante: on distingue, au milieu, les galères principales par le nombre & le rang de leurs rames, ainfi qu'a leurs pavillons de pourpre; leurs proues, brifant tout ce qui fait réfiftance, font furmontées de têtes de monstres, qui prefentent au loin leurs formes effrayantes ; & 1'image , richement dorée, d'un Dieu ou d'une "Déesfe fait le principal ornement de la poupe. Mille batimens legers les environnent: les uns font confiruits a fond plat , afin de pouvoir voguer prés du rivage; les autres font d'une forme longue & étroite, & portent aux deux extrémités un aviron pour gouvemail afin de pouvoir s'en fervir tour a tour felon que les occafions 1'exigent. Ici voguent des navires a doublé fond,destinés a transporter les^ machines de guerre & les proviiions; la flottent des vaisfeaux couverts en forme de voute , qui renferment les chevaux. Le fouffle favorable du fud-ouest enfle les voiles: la joye brille dans les yeux des matelots; un nouveau courage renaït dans les cceurs des légions. Ainfi s'avance vers le vieux lsfel la flotte majestueufe. Auprès d'Arenacum Germanicus voit les nom-  *5o, GERMANICUS. nonibreux vaisfeaux des Bataves & des Frifons unis a ceux de Rome, qui étoient reflés k 1'ancre dans ces parages. Les iliustres Chefs de ces peuples faluent le Fils de Drufus , dont ils attendoient la venue avec empresfement. Cariovalde lui annonce , que fon desfein est de 1'accompagner vers 1'Ems avec toute la noblesfe du pays; le Prince le recoit fur fa galère, & le comble d'amitié. Les navires fournis par les GauloiS , les Beiges, les Taxandres & les Morines, rasfemblez fur le Vahal, joignent les Romains k Arenacum. Renförcé par eux, le Héros quitte enfin ces contrées , & fuit k pleines voiles le cours tortueux de 1'Isfel jusqu'au Lac de Flevo, oü il revoit bientót f embouchure oriëntale du Rhin; d'oü. il vogue enfuite vers le feptentrion , en cótoyant les terres des Frifons. Les habitans étonnés, accourus fur le rivage, contemplent avec étonnement la mer couverte de vaisfeaux. Nul d'entre eux n'avoit vu jusqu'alors une flotte ausft magnifique. Elle s'avance majeftueufement fur les vagues mugisfantes. Habiles a manier la rame, les matelots font voguer les navires en cadence aux fons bruyans d'une mufique guerriere; ils piongent en mefure leurs avirons, & les retirant tous au même inflant ils les replongent de même; fendant les flots d'un bras vigoureux, leurs voix, mariées aux doux fons de la flute, fe font entendre du rivage; & 1'Océan, dont les vagues écumantes mêlent leur bruit au choc HJefuré des rames, fait rouler au loin un mur-  CHANT DIXIEME. 251 murmure harmonieux. Le vent fe montre favorable ; 1'azur du ciel n'est obscurci d'aucun nuage ; le foleil , parcourant le figne ardent du Hén, répand du haut de La voute éthérée 1'or cc le pourpre fur 1'onde verdoyante, & femble fe plaire a verfer fes rayons bienfaifans fur les Romains. Enfin on découvre la forteresfe d'Amifia, prés de laquelle 1'Ems fépare les terres des Frifons du pays des Cauchéens. Germanicus fait prendre terre en eet endroit, oü le yaillant Mennius, qui s'étoit avancé jusqu'au bord du fleuve, falue avec des acclamations le Prince cc toute fa noble fuite. II donne avis au Général, que les Angrivariens, au mépris de la paix qu'on leur a accordée depuis peu , fe font déclarés de nouveau pour Arminius, & que leur armée s'est unie a celle de 1'ennemi. Le Héros, craignant les artifices du Germaïn, juge a propos de ne point hazardcr fa flotte fur le rivage Cauchéen, & fait placer un pont de bateaux fur 1'Ems. Les matelots diligens font avancer les navires; on les range en ligne felon la largeur du fleuve, jusqu'a ce qu'ils en couvrent entierement la furface: on fortifie la tête du pont d'un retranchement, crainte d'attaque: tout le bagage, chargé fur des chariots, traverfe ainfi le fleuve, tandis que la cavalerie le pasfe a gué, en ferrant les rangs, afin de brifer Ja rapidité des flots, & favorifer l'infanterie, qui marche & fes cótés. Les vagues rompues fuyent vers Focéan, & le reflux, dont on profite pour ce dangereux pas-  £52 GERMANICUS. pasfage, prévient la crainte d'un nouveau malheur: cependant la marée revient avant que 1'armée entiere n'ait traverfé; mais elle caufe peu d'embarras aux intrépides Bataves, qui, accoutumés a nager, redoutent peu le retour des flots. Bientót les troupes , le déployant fur le rivage , reprennent leurs rangs, & fe mettent en bataille. Germanicus, voulant étaler la gloire de Rome aux yeux des Cauchéens, s'avance fur leurs terres, en gardant 1'ordre de bataille , & au fon des trompettes. Les peuples accourent de toutes parts, peu accoutumés a la vue de cette pompe guerriere. Chacun des Chefs Komains paroit a leurs ' yeux un monarque puisfant; le Général furtout les jette dans un ravisfement inexprimable; ils ne le prennent rien moins que pour le Fils de quelque Déité. Taximagalus s'approche a la tête des principaux du pays, & le félicite , en le faluant, fur fon heureufe arrivée dans les posfesfions des Alliés de Rome. II lui donne avis , que les Cauchéens fe défendent encore avec intrépidité, & disputent a 1'ennemi le pasfage de la Vizurgue. Le Prince prend la refolution d'y marcher au plutöt. En arrivant fur les bords du fleuve, il voit de fon cóté les Alliés fur la rive occidentale; & fur le bord oppofé 1'armée Germanique, qui s'y déploye avec fierté. Le Général unit, a la vue des Barbares, fes légions formidables aux troupes Cauchéennes. L'astre brillant du jour avoit déja fourni la moitié de fa carrière, lorsqu'on vit Ar- mi-  CHANT DIXIE ME. 253 minius s'avancer fur Ia rive, accompagné des principaux de fon armée: dès qu'il fut a portée d'être cntendu, il s'écria: „ Chef „ des légions! réponds-moi. Le Général „ Romain est-il arrivé dans ces contrées?" „ Oui , lui répondit Stertinius." „ Eh „ bien, continua le Prince Germain, vas „ lui dire de ma part, que je fouhaiterois „ d'avoir un entretien avec Flavius, mon „frere." Ausfi-tót le Capitaine Romain inftruit Germanicus de cette propolition. Le Héros, ne croyant point devoir refufer cette faveur, permet aux deux freres 1'entretien demandé. L'estimable Flavius fe fent agité par plus d'une pasfion : la douce voix du fang plaide dans fon ame en faveur d'un frere, porté dans le même fein, dans le fein de Ia vertueufe Blichilde; mais ce frere, ce même frere a été la caufe de fes^ infortunés , Pufurpateur de 1'autorité qu'il devoit obtenir,Ie ravisfeur de Fépoufe qui lui fut promife; Porgueilleux ennemi de Rome, qui 1'adopta pour fon fils, & qui le recut au nombre des fiens, lorsqu'il étoit banni de fa patrie. Tandis que ces idéés contraires Pagitent & le font pencher tour-a-tour, tantót pour 1'amitié fraternelle, tantót pour une juste haine , il voit Arminius, qui 1'attend déja fur le bord oppofé du fleuve, dont la largeur feule les fépare. Le Général Germain s'informe au jeune héros de fa fanté. „ Je me fens „ touché, lui dit-il, de te trouver ausfi „ ehangé depuis notre féparation. Quoi, „ Flavius, as-tu perdu un ceil au fervice „ de  a54 GERMANICUS. , de Rome?" „ Je fus blesfé par un 9 dard, répond celui-ci, en combattant , a coté de Tibère dans Illyricum, avec \ les plus braves des Romains." „ As - tu * recu, reprend Arminius,une recompenfe proportionée a un tel malheur ? Ton courage a-t-il obtenu un dédommage- 9' ment équitable ?" „ J'ai été honnoré d'une chaine d'or; & ma lolde a été doublée, , lui dit Flavius." „ Voila donc le falaire ', magnifique, la recompenfe bnllante des ', esclaves de cette fuperbe Rome, s'écne ',1e féroce Arminius! Sont-ce la ?des ' biens proportionnés a la honte d'être " declaré ennemi de la Patrie ? Les noms '! deshonnorans de traltre , de déferteur, , de fils dénaturé,peuvent-ils te charmer a fi vil prix?Quoi,maiheureux Flavius, c'est pour eet iudigne retour que tu tra' bis ton pays & les Dieux de tes peres? , reviens de ton égarement; bnfe les heus honteux de Pesclavage: notre mere te , tend fes bras tremblans, & affoibhs par ', 1'age; elle t'invite par ma voix a ne ', pas quitter nos états libres pour les „ vaiues faveurs de Rome. Viens dans „ ces contrées marcher fur les traces de „ notre pere; fois le défenfeur , & non „ 1'oppresfeur de ta Patrie." ,, Est-ce ,, toi qui m'excites a la défertion ? Hé! , pourquoi? pour voir encore mes droits ', outragés. Qu'ofes-tu parler de liberté , Germanique? en quoi confiftc-t'elle ? ', Chacun de vous ne la mefure-t'il pas a ' la pointe de fon épée? Est - il dans ces * >, con-  CHANT DIXIEME. a$5 „ contrées un feul individu, qui ne vove „ les jours en danger au moindre mécon„ tentement de fon voifin barbare ? Le moin„ dre démêlé allume ici le feu de la discor „ de & caufe la perte d'une contrée entie„ re; la jeunesfe, fans frein, & ne rcspi„ rant que les combats, tire le glaive au „ premier cri d'alarme, & dépouille impi» ,, toyablement des nations entieres de leurs " ™c,n.s &„ de le'""s posfesfions pour s'en" nchir, & s'éleyer fur leurs ruines; on „ ne refpecte ni 1'autorité , ni les loix. „ Dans toutes les régions Germaniques le „ temps précieux n'est confacré qu'a des „ exces honteux, le vin, le jeu, ou les „ maux affreux de la guerre. Abruti dans „ 1 yvresle ou ruiné par des jeux condam. „ nables , on le vend pour esclaves, hom„ mes , femmes, enfans. Voila,voila la li„ berté, dont fe vantent ces provinces fauva„ ges, ces peuples qui haïsfent fans discer„ nement la civilifation ,& rejettent les arts „ les plus utiles.Mais lesgénéreux citoyens „ de Rome, les habitans de cette ville fa,, meufe , qui fcavent mettre le frein de la " rx,-0Ln ailx Pasfio"s humaines; ce Peuple „ célebre qui par-tout oü fon autorité „ est étabhe fait> disparoitre la rusticité „ affermit la justice, & enfeigne aux na' „ tions a pourvoir a leurs befoins, en leur „ montrant Pufage d'enfemencer leurs „ champs fertiles; ce peuple , qui nar f,.n „ mfluence falutaire fait le'bonhSr de „ tous ceux qui ambitionnent fon alliance honnorable, en réunisfant la prospérité & » I'a-  £56 GERMANICUS. „ 1'abondance a la tranquillité publique ; ce ,, peuple magnanime jouït de la vraie li„ berté. Si ta confervation t'est chere, fi. tu defires fincerement le bonheur des ,, contrées, pour qui tu dis que tu as pris „ les armes, implore donc de cette kome, „ par-tout triompbante, le pardon de tes „ excès. J'ofe t'être garant de la clémence ,, de Germanicus : fauve ta patrie, tou ,, époufe infortunée, le fils qui t'est né ,, depuis peu, ta mere, & toi-même: mé„ rite enfin le nom glorieux de Protefteur ,, de la Germanie." Arminius bouillant de colere, & cédant a 1'impatience qui 1'agite, Pinterrompt patces mots: „ Sois esclave, puisque la fer„ vitude a des charmes pour toi; mais ,, n'attends pas d'Arminius une démarche „ humiliante. Je délivrerai ma familie & „ ma patrie de la tyrannie des Romains; „ & ce n'est point de leur pitié que je ,, recevrai le bonheur & la vie." ,, Ah! „ fans doute, reprend Flavius, c'est par „ la violence & Pinjustice que tu étabhras „ ta gloire, ainfi que tu as déja fait en ,, ufurpant Fautorité fuprème, & en me „ ravisfant cèlle qui me fut promife; ain,, fi que tu fis jadis en masfacrant en trai,, tre 1'armée de Varus; en portant enfin ,, le poignard fur le fein du pere de „ Theusnilde , pour 1'obliger a te la ce„ der." Aigri par ces reproches, le féroce Arminius vomit des imprécations contre fon frere:», Approche, lui dit-il, approche, „ fi  CIIAN T DIXIEME. 257 „ fi tu l'ofes; je te ferai voir qu'un Ger5, mam ne fe laisfe point outraaer par un „ esclave de Rome." Les deux freres, agités par le plus violent dépit,fe feroient a l inltant précipités dans 1'onde, pour fe joindre & le plonger avec fureur le poignard dans le fein, fi les chefs des deux parns ne les eusfent fauvés de leur ra°-e reciproque, en les retenant 1'un & 1'autre. Arminius, fe débattant dans les bras de les amis, qui le forcent de fe retirer, crie a Havms: „ Vis encore, vis jusqu'a la „ bataille prochaine; alors ces troupes „ impies ne te fauveront pas de la puni„ non que je te referve." 11 s'éloigne euün; & Flavius, calmé par fes amis, découvre au Prince, a quel desfein fon frere defira lui parler. Germanicus ordonne qu'on jette un pont fur la Vizurgue: 011 dispofe" les maténaux, & les légions aftives fe mettent a louvrage; quoique 1'astre du jour ait presque terminé fa carrière, fon abfence ninterrompt point les travaux; Ja luie vient les éclairer de fa pale lumiere. Au miheu de cette penible occupation, 1'air vers le midi paroit tout-a-coup obscnrci dune épaisfe fumée, mêlée d'étincelles • la Hamme augmente par dégrés, & voile" bientót aux yeux le briljant éclat des aJtres:uiifeu ardent s'éleve du litmémedu iieuve, & femhle transformer les ondes en gouifres brülans de fbuffre. La fiauime menacante s'approche de plus en plus On inftruit le Général de ce phéuomene M ef-  £5S GERMANICUS. cffrayant: il s'avance ausfi-tót vers la rive 6c calme la terreur des foldats par ces paroles: „ Ces feux ne font allumés que ., par des mains etmemies, a desfein din„ cendier nos ouvrages, fi nous ny met' tons obstacle: que chacun s elforce de prévenir ce malheur." A 1 inftant on s?arme de crochets & d'épieux; ondétourne les radeaux enflammés; on prévient leur choc destructeur; & on leur ouyre un pasfage libre fur le fleuve; on les fuit des veux ; ils s'éloignent, & les légions jettent des cris d'allegresfe. L'ennemi voit avec douleur fon projet évanom, 6c les feux allumés en pure perte. Cependant Arminius, dans le deslem d'encourager fes troupes, avoit prié la «rrande Prêtresfe & toute fa fuite de ie rendre fur les bords de la Vizurgue. Sa voix, refpeclée des mortels, annonce la faveur ou 1'abandon des Dieux. Le ioleil commencoit a briller fur 1'honzon, lorsque les acclamations des peuples avertirent le Héros Germanique, que la Prêtresfe sapprochoit. Elle étoit, fuivant Pantique ufa, ïre du pays, couverte d'un voile, 6c poiïée fur un char, entouré de Bardes, de Druides, d'Eubages, 6c de Prêtrcsfes, qui cé ébroient par des chants; harmonieus b gloire des Dieux de la Patrie. Arminius\ accompagné des chefs de 1 armée, s'avance refpectueufement ver. elle , & la fupplie de bénir fon entreprife. ,, Peurdes de la Germanie! dit alors la Pietresfe a haute voix, Peuples, qui con-  CHANT DIX IE ME. a# facrez vos jours a la défenfe de nos „ foyers! que la faveur des Dieux vous jj obtienne la vicloire!" Elle fait enfuite allunier le feu des auteis; pius sen approchant d'un pas grave,elle fe prosterne avec toute fa fuite de Sacrificateurs & de Prêtresfes, fuppliant limmortel Theutates de jetter des regards favorables fur la Patrie & fur 1'Arrnée. Après cette priere, Arminius ordonne, quun nombreux detachement larecondiufe jusqu'a la forteresfe qu'elle babite'' fa dignité feroit outragée, fi le fang des vichmes couloit en fa préfence: mais les Pretres, qui Pont accompagnée, dbivent rester au camp fous les ordres d'Arminius, ausfi longtemps qu'il en aura befoin pour les facrifices. Ils les accomplisfent, aux fons dune mufique éclatante, a chaque quartier du camp, cc avec toutes les folemmtés requifes. La nuit fuccède a peine au jour, qui s'évanouit vers 1'occident pourpré, en cédant fa place au foible éclat de la lune argentée, lorsque toutes les troupes ludesques-, enflammées d'une ardeur guernere, accourent fur la rive du fleuve, en jettant des cris épouvantables. Un les voit éclairés d'une lueur pale, ou enveloppés d'une noire fumée, qui s'éleve des torches ardentes, qu'ils ont allumées aux feux des autels, & qu'ils fecouent avec fureur. I!s mêlent leurs cris affreux aux fons rauques de leurs cornets,&, couverts de leurs boucliers ils font entendre un murmure menacant, ou pousfent toutM 2  flóo GERMANICUS. a-coup des hurlemens aigus. Les femmes, échevelées & 1'habit flottant fans ceinture, errent ca & Ia dans le camp; les Bardes les dévancent, en répétant ces chants a 1'honneur de Ia Patrie: „ La Germanie marche aux combats: „ elle retiendra, en dépit de Rome, fon „ ennemi fur le bord fleuri de la Vizurgue ; „ ou, s'il a 1'audace de pasfer le fleuve, „ elle lui fera mordre la pousfiere par le ,', glaive & le javelot; le corbeau & le „ vautour vorace fe baigneront dans fon ,, fang fumant;le loup affamé fe rasfafiera de fa chair. „ La Germanie marche aux combats: la „ jeunesfe guerriere trouve non moins de s, charmes k fondre fur 1'ennemi qu'a re- cevoir les tendres embrasfemens d'une époufe chérie. Le grand Wodan déclare, ,, que notre entreprife est juste, & fa févere équité prépare aux ames de nos ,1 adverfaires une demeure effrayante au „ féjour de la douleur. „ La Germanie marche aux combats: „ après la bataille elle offrira dans fa 3J joye des viftimes aux Dieux. L'autel de gazon est élevé dans la forêt, le cou', teau du facrifice est aiguifé, & le bois ,, tout préparé fur les lieux oü nos mams ■ immoleront, aux yeux de Wodan , les fiers enfans de Rome, nos pnlonniers, " tels que des animaux réfervés pour " Pantel. „ La Germanie marche aux combats, „ 'euflammée d'une noble ardeur. Les cam" pa-  CHANT D1XIEME. ik s, pagnes alterées brülcnt d'éteindre leur „ foit dans le fang coupable de 1'ennemi. „ Les enfeignes de 1'nmpire, enlevé'es «Sc „ déchirées par nos mains, orneront nos antiques forêts; les aigles d'or brilleront s, dans les habitations ombragées de 5) ïbeutates; & les plus fameux guerriers „ de -1 orgueilleü/é Rome, avilis dans les j, chaines , fe prosterneront devant k „ puisfance Germanique, en tremblant a. s, nos yeux. „ La Germanie marche aux combats: „ elle abaisfera la fierté des Tyrans de la ,, terre, des ambitieux Romains. Qui „ que ce foit d'entre nous,qui tombe fous „ un coup funeste dans la bataille, foit nom vivra jusqu'a la fin des fiècles; fes „ intrépides descendans vengeront glorieu„ fement leur pere, & les Dieux eux„ memes s'entretiendront de leur nobie courage. „ La Germanie marche aux combats; „ ede reviendra victorieufe. Le héros ,, d'entre nous,qui perdra la vie, est déja „ invité a la fête du fanglier, préparée „ par Audhrimer dans le palais fuperbe „ de _ Wodan; la, fon ame magnanimc „ jouira du plus grand bonheur, que puis„ fent. espérer les ombres des mortels; ju la, il boira, a la vue des Dieux & des „ Héros, du vin de 1'orge dans le crane j> de 1'ennemi. „ La Germanie marche aux combats; „ la gloire ne peut lui échapper. Si quel- qu un de nos guerriers mord la pousM 3 „ fie:  26a GER M ANICUS. „ fiere, il verra finir fa carrière en riant, ,, tandis que 1'ennemi est dévoné a tous „ les maux. Tremblez, orgueilleux Ro„ mains; tremblez, troupes fanguinaires; „ la Germanie marche aux combats!" Le fier Arminius est fatisfait de ces chants guerriers. Les Druides, foutenus des Bardes & des Eubages, font d'un ton barbare des imprécations contre Rome, & dövouent toutes les Légions en facrifice a leurs Dieux. On les entend de toutes parts mêler les menaces aux prieres, en élevant les mains avec des gestes bifarres , & faifant un bruit, qui répand au loin 1'épouvante, & retentit jusqu'au camp des Romains. Horace, jeune guerrier , noble & vaulant, dont le courage a déja été honnoré d'une couronne, feut enfiammer fon cceur d'un juste courroux a la vue de eet enthoufiasme outrageant des Tudesques; ii brüle de réprimer leurs audacieux propos. 11 avoit remarqué le jour précédent fur le lit de la riviere une petite isle, entourée de joncs & de rofeaux; il obtient du Général de s'y rendre avec une partie de fa cohorte, dans le desfein de faire retomber dc eet endroït les imprécations des ennemis fur eux-mêmes. La troupe courageufe s'apprête a rinftant; chacun fe débarrasfe des vêtemens, qui 1'incommodent, & les place fur fon bouclier, qu'il porte lur fa tête : ils entrent intrépidement dans le fleuve, après avoir découvert un gué; ils en traverfent un bras dans le plus grand illen-*  CHANT DIXIEME. 263 filence: a peine font-ils nbordés dans L'isle, qu'ils allument des torches, & les attachant fierëment a leurs casqnes, ils set-riem: ,, Arrêtez, Barbares, arrêtez: que vos imprécations & vos menaces ,, retombent fur vous-mêmcs: nous vous dévouons, au nom de la puisfante Rome, vous, vos troupes & le pays que „ vous habitez, a tous les Dieux infer„ naux." Ainfi 1'on fe donne tour a-tour des marqués d'averlion & de haine, jusqu'au moment oü. les premiers feux de Paurore disfipent les fombres voiles de Ia nuit. Germanicus, voyant que le pont, conftruit fur la riviere, avance rapidement, & touche presque déja le bord oriental, prend la refolution de faire traverfer le ileuve par fa cavalerie legere, afin de faire diverfion a 1'ennemi, qui menace d'attaquer fes ouvrages. L'intrépide Cariovalde, Chef des Bataves; Stertinius, fi renommé par fa bravoure; & Emile, qui jamais ne lanca de trait envain, font les chefs de cette entreprife hardie. On fépare la cavalerie en trois bandes, & a la vue même des Germains elle pasfe audacieufement le fleuve. Arminius fait avancer a 1'inftant une partie de fes troupes, & les range en trois cohortes fur le bord de la Vizurgue. Le brave Inguiomer, a la tête du corps fur la droite, menace Emile d'une vigoureufe rélistance; le prince Segonax,qui commande la troupe de la gauche, fe prépare M 4 a re-  464 GERMANICU S. a recevoir Stertinius; & l'intrépide Chef des Germains au centre, réfervant pour lui les plus grands dangcrs, attend fierëment 1'approche des Bataves. Cariovalde est le feul guerrier digne d'être attaqué par lui ; cc prince est ausfi vaillant qu' Arminius , mais moins rustique & plus vertueux. Le foleil disperfoit dans les vastes plaines de 1'air fes rayons d' or & de pourprc, & la rofée s'élevoit en legers nuages de la furface des champs humidcs, lorsque Ia cavalerie Romaine, déja parvenuc au milieu du fleuve, fe voit attaquée de la rive oppofée par une grêle de pierres & de traits; mais ni les cris, ni les eiforts de 1'ennemi ne 1'arretent. Des machines de guerre, placées fur le bord du fleuve par 1'ordre de Germanicus, favorïfent fa marche. Le bouülant Segonax, brülant d'impatience, fe hazarde d'aller au-devant des Romains; une partie des fiens fuit fon exerople, & fe lance intrépidement dans le fleuve: a cette vue, Stertinius exhorte fes guerriers a foutenir vaillamment le choc des barbares, & fur le champ il lance fon pefant épicu; Vercingetorix en est renverfé dans les flots; Segovezus, qui veut relever fon ami, éprouve le même fort , & leur fang mêlé teint les eaux troublées de la Vizurgue. Les Romains fuivent courageufement la tracé de leur chef. Segonax, qui voit renverfer la plupart des fiens, ne combat plus qu'en reculant & fonge a regagner le bord. Ster- ti-  CHANT DIX IE ME. 265 tinius faifit 1'occafion; il s'avance , & monte fur la rive escarpée, oü les Tudesques rasfemblés 1'attendent pour éprouver de" nouveau la fortune. Inguiomer, que 1'age rendplus prudent, retient fa troupe belliqueufe dans le poste qu'elle occupe fur le rivage, & fait voler fur 1'ennemi une nuée de pierres, de traits, & de dards. Les Romains , qui joignent 1'expérience a 1'intrépidité, réfistent a la tempête; les plus avancés fe couvrent la poitrine de leurs boucliers;les autres les élevent au-desfus de leur tête, & brifent ainfi le choc des traits, qui les atteignent. Les pierres pefantes, qui pleuvent de toutes parts fur 1'onde écumante, la font rejaillir jusqu'au-desfus des casques des Cavaliers, qui les bravent. Le courageux Emile affronte les plus grands perils; il touche déia le rivage, fuivï de fa troupe vaillante. Envain les Germains lui préfentent leurs lances & leurs épieux, il gagne le bord dangereux;&, quoiquecombattu avec fureur une feconde fois fur la rive, il s'ouvre enfin un pasfage 4 travers les ennemis. Cariovalde, pour qui traverfer les lacs & les rivieres n'est qu'un jeu, ne fe 1'aisfe arrêter par aucune réfistance: arrivé le premier avec fes Bataves fur le bord ennemi, il prend terre en jettant un crï d'allegresfe, & répand la terreur dans 1'ame des Germains, qu'il force de reculer. A la vue des enfeignes Romaines , qui s'élevent de tous cótés fur le rivage, le farouM 5 che  tristement vers eux, en plaignant leur perte irréparable. 11 couvre le digne corps du Héros de fon propre manteau de pourpre, & dit a haute voix: „ Le magna„ nime Chef des Bataves a obtenu ce „ qui fait le defir des guerriers intrépi„ des; il a vécu glorieux; il a fubi un „ trépas honnorable. Qu'on éleve a eet „ illustre allié de Rome un tombeau, fem„ blable au monument qui renferme les „ cendres de Bato, quoique dans une ter„ re barbare; que fon nom & fes aclions „ héroiques foient gravés fur le mar„ bre. Le destin peut faire tomber la „ plus digne tête, mais une telle chute „ ne deshonnore ni n'humilie point un „ grand homme: tel qu'un temple anti„ que, dont on admire encore la magni. „ ficence pasfée, & dont les ruines re„ fpeétables attirent la vénération des peu,, pies, qui contemplent en filence fes dé„ combres. Bataves, pourfuit-il, montrez ,, maintenant votre noble magnanimité; „ un lache accablement ne s'unit point a ,, la vraie bravoure; les larmes ne con„ viennent point aux yeux étincelans des „ Héros. Vos généreux peres ne fe lais„ ferent jamais abattre. par le malheur, „ tant que le cri des ennemis frappa leurs oredies; ce n'est qu'après la vicloire „ qu'ils ornoient les tombeaux de 'leurs „guerriers; c'est alors que la voix des „ Bardes fe faifoit entendre, & célébroit „ par des chants héroiques la gloire & le M 7 „ nom  é?o GERMANICUS. nom de leurs amis, morts les armes a la main." Le Prince recoit bientót 1'avis, qu' Arminius rasfetnble lbn armée dans la plaine d'Idistavie ; que plufieurs peuples de la grande Germanie i'ont renforcée de leurs troupes les plus vaillantes; & qu'on n'a jamais mis fur pied dans les régions Tudesques une puisfance guerriere ausfi formidable. Germanicusque le falut des légions intéresfe autant que fa propre gloire , prend la réfolution d'invoquer' les Dieux, & d'examiner par le ministère des facrificateurs, li le fort lui préfage le bonheur ou 1'infortune. L'Astre du jour déclinoit déja vers 1'horizon; les troupes courageufes s'asfemblent dans leurs quartiers; les fentinelles fe rendent, fuivant 1'ordre, a leurs postes défignés; & le Héros s'avance avec toute fa fuite vers les autels, élévés dans le camp. G E R-  GERMANICUS. CHANT ONZIEME. rirminius, inftruit que 1'armée Romaine a établi fon camp fur Ia rive oriëntale de la Vizurgue, s'inquiéte bien moins de cette nouvelle, qu'il ne fe réjouit de la victoire obtenue fur Cariovalde. II fe flatte , qu'ayant vaincu les Bataves il triomphera facilement des Romains; & dans la joye, que lui donne 1'infortune des ennemis, il ordonne qu'on célèbre cette heureufe journée par des fêtes & des réjouisfances. II choifit un endroit ombragé d'arbres toufFus, & fait inviter les chefs de fon armée: on le voit avec fes fiers alliés asfis fur 1'inégale peloufe, qui leur _ fert également de fiege & de table. Inguiomer propofe , qu'on appellea 1'entrée de la nuit les Sacrificateurs & les Druides, afin de confulter par le fort la volonté des Dieux, pour ne point hazarder de bataille fous des auspices défavorables. Cette propofition étant unanimément approuvée, le grand Druide & les ferviteurs des autels s'apprötent, fuivant les ordres d'Arminius, a confulter 1'avenir. On couvre la verte prairie d'un Jinge ausfi blanc que la neige; on rompt une jeune branche d'un arbre fruitier; on la coupe en plufieurs parts; on donne une marqué différente a chacune de ces pieccs, & on les jette rê-  27* GERMANICUS. pêle-mêle fur Ia toile, autour de laquellc les prêtres, rangés en cercle, adresfent leurs prieres aux Dieux. Enfuite chacun d'eux, s'avancent d'un pas grave,ramasfe un des morceaux, & Ie prefente refpectueufement au grand Druide, qui les recoit & les arrange. II les examine quelques inftans dans un profond filence; & paroisfant fatisfait du préfage, qu'il découvre, il s'explique enfin en ces termes: Germains, marehez hardiment au com- bat, vous augmenterez votre gloire; ces „ marqués réunies vous annoncent la vic- toire." A peine le vieux Druide a t-il achevé la prédiction, que les Tudesques, agitant leurs épieux & frappant violemment leurs boucliers de leurs lances, montrent leur ardeur de combattre, fe llattant plus que jamais de repousfer les Romains. Au lever de 1'aurore, Arminius veut encore esfayer aux yeux de fon armée une feconde épreuve du fort. II fait asfembler fes troupes dans la plaine, autour d'une arêne fermée. On expofe a leur yeux un Romain, pris depuis peu avec plufieurs de fes compagnons dans une embufcade. Le Général demande a haute voix, qui d'entre fes guerriers veut, pour la gloire de Ia patrie, combattre ce fier ennemi. Le jeune héritier du puisfant royaume ri'Arpus, le bouillant Waldemir, déploye a 1'inftant fon caraftère intrépide. Ce Prince n'étoit encore qu'a fa première campagne, & fuivant l'ufage de fon pays ne devoit quitter qu'après fa première victoire  CHANT ONZIRME. 17$ toire 1'nnneau de fer, qu'il portoit au bras. 11 s'avance vers Arminius & demande la gloire de combattre. Le Chef des Germains, en lui accordant eet honneur, exalte fon courage, & lui fait préfent d'une armure & d'un glaive. Le Komain, armé par les facrificateurs de Wodan, s'avance courageufement fur 1'arêne, & falue fes compagnons prifonniers: „ Sifobtiens „ Ja yicloire, leur dit-il, vous rendrezté„ moignage de la gloire, que j'acquerrai dans ce jour; mais,li le fort m'estcon„ traire, fi j'expire fous les coups de 1'en,, nemi, dites a Germanicus, lorsque fa „ main vous délivrera, que je me fuis „ dévoué fans peine pour Ja Patrie." II dit, & vole a fon adverfaire , qui, entendant le fon de la trompette, s'avance avec la même ardeur. Ces deux rivaux montrent tout ce que peuvent le courage & 1'adresfe : les coups les plus furieux font ponés & vengés a 1'inftant par de plus furieux encore. Le fils d'Arpus regoit une blesfure profonde au coté gauche; fon fang jaillit a gros bouillons; il glisfe, & tombe fur la pousfiere; a cette vue 1'armée Germanique jette un cri effroyable; fon fier ennemi fe précipite fur lui avec la rage d'un lion irrité : Waldemir,^ furieux de honte & de douleur, failit 1'inftant favorable, & perce d'un coup de ppignard l'intrépide Romain, qui ne fe défie point de la rufe; il pousfe un profond foupir & meurt, baigné dans le fang de fon adverfaire & dans le fien. Wal-  •?4 GERMANICUS. Walde mi r, en fe relevant., jette a fes pieds fon anneau, & recoit les acclamations des fiens, qui élévent jusqu'aux cieux fa bravoure. Cependant Germanicus, inquiet du fuccès de fon entreprife, implore de fon cóté 1'asfistance des Dieux par de ferventes prieres. Déja, fuivant fes ordres, on avoit accompli le faerifice d'un taureau, d'un fanglier, & d'un belier, afin d'expier les fautes des légions. Après un faerifice folemnel au Dieu Mars, 1'Aruspice, s'apprétant a découvrir la destinée réfervée aux armes de Rome, fait asfeoir Germanicus k fa droite fur une pierre facrée. II fe couvre enfuite le vifage d'un fin linge, & pofe fa main fur la téte du Héros, en demandant au Pere des Dieux, qu'il daigne accorder un figne favorable. En finisfant fa priere, il tracé gravement avec fon baton augural les quatre points principaux de 1'orient, de Poccident, du feptentrion , & du midi; pnis il s'ecrie: ,, Fixez, ó „ Général! vos yeux vers le fud ; c'est de ce cóté que le figne va paroitre." Tandis que les cceurs des foldats s'enflamment d'une vénération facrée, tandis qu'ils attendent en filence & foubaitent un figne propice, on voit fubitement une lumiere étincelante luire & disparoitre au cóté gauche du Héros. Le refpect & la joye univerfelle rédoublent en voyant eet éclair, fuivi d'un feul coup de tonnerre. ,, Prin,, ce, dit 1'Aruspice, jamais figne plus heureux ne s'est offert a mes yeux; Ju- ,> Pi-  CHANT ONZIEME. &7S j, piter exauce vos prieres, il favorife vos ., justes vceux." Ces paroles font naitre par-tout 1'espérance & la joye: les troupes & leurs chefs retournent a leurs quartiers, remplis dc confiance & brülant d'une nouvelle ardeur. Germanicus cependant n'est point exempt de foucis: il ouvre fon ame magnanime a Titus, fon fidele confident, & lui dévoile ainfi fes craintes: „ Tous ces fig,, nes fans doute m'annoncent Ia victoire, mais ils ne font toujours que trop ac,, compagnés d'obscurité; le fuccès feul peut nous inliruhe du fort, qui nous fut destiné. Que ne donnerois-je pas ,, pour découvrir, fi nos légions & les s, troupes des alliés font véritablement dispofées a répandre avec joye leur fang, dans cette occafion critique,pour la gloire de Rome ! Le fier ennemi , „ qui nous attend, est rédoutable &rufé; „ fa puisfance est formidable & fon nom„ bre immenfe. Plus d'une fois les een„ turions & les chefs des cohortes asfurent le Général des bonnes dispofitions de^ leurs foldats fans en être fürs eux„ mêmes; les informations des affranchis ne fuffifent pas non plus pour me ras„ furer entierement, ils fe fentent encore de Panden esclavage; nos amis même „ le plus fouvent nous abufent, en nous cachant par un faux zèle ce que nous avons h craindre, & ne nous préfentant „ que ce qui peut augmenter la confian„ ce; le peuple, toujours flottant, ne „ ffait  2?6 GERMANICUS. 55 fcait que s'unir a la voix de fon chef & fuivre vagucment fes intentions. Pour „ lire avec_ certitude dans les cceurs des ,, foldats, il faudroit pouvoir les fonder, „ fans même qu'ils s'en doutasfent, lorsque , prenant Jeurs repas militaires, j, 1'espérance ni la crainte ne les contrahit „ de parler ni de fe taire; lorsqu'ilsdévoilent dans ces momens de liberté tout ce qu'ils penfent de leur chef & de fa conduite: ce n'est qu'ainfi fans doute „ qu'on peut découvrir leurs vrais fentimens." „ Si Ia connoisfance de leurs dispofitions, lui répond Titus, peut asfurer ton repos & calmer tes inquiétudes, „ que tardons nous a faire cette recherj, che ? Déguifons - nous , revêtons des j, habits de cuir, femblables a ceux que „ portent nos alliés de ces contrées; ainfi 5, travestis, parcourons le camp; traver,, fons tous les quartiers. Les cohortes 5, Germaniques, amies de Rome, unies „ maintenant aux légions, ont accoutumé les yeux de nos foldats k leur costume bisarre ; nous pouvons marcher fans crainte, & nul d'entre eux ne nous ,, foupconnera fou? ce déguifement." Le Héros approuve ce projet: „ Allóns, dit-il, connoisfons par nous-mêmes les dispofitions des troupes." A 1'inftant ils fe couvrent d'habits, faits de peaux de cerf, tels que ceux des principaux Germains; une peau de loup leur fert de manteau, la tête de cette dépouil- le  CHANT 0NZ1EME. 27? Ie est placée fur le cou & s'étend jusque iur la chevelure. Ainfi déguifés, ils marchent en filence, & parcourent tous les quamers du camp d'une tente a 1'autre. Jamais le géuéreux Fils de Drufus n'éprouya une joye plus pure que celle, dont il jouit en écoutant les discours de fes foldats qui le foupconnoient peu d'être ausfi prés d'eux. II entend répéter fon nom de toutes parts; & par-tout il recoit les éloges les plus chers aux cceurs vertueux: les uns exaltent fa prudence & fa fagesfe, les autres fa bonté ou fes mceurs: „ II a hé„ rité de fes ancêtres, difent teux-ci „ la noblesfe, la gloire, les dignités, „ les nchesles, & les ftatues;. mais la „ vertu, qui ne fe transmet point , la „ vertu, qui feule peut-être mérite nos ,, autels, les Dieux la lui ont accordée. „ C'est maintenant, s'écrient-ils, c'est „ maintenant qu'il faut lui prouver notre „ amour & notre reconnoisfance; mon„ trons a ce Héros, fi cher a nos cceurs, „ que nous scavons prodiguer notre fang, „ lorsqu'il s'agit de fa gloire." Le Prince, attendn, reconnoisfant la faveur des Dieux dans 1'attachement & la fidélité de fes troupes, retourne a fa tente avec le fidéle Titus; il fe tait, mais on lit fa joye dans fes regards fatisfaits. Touché jusqu'au fond du cceur, fon jeune ami ofe Ie ferrer dans fes bras: „ Voila, dit-il a Ger„ manicus, ce que je presfentois; mon „ espérance n'est point décue: depuis „ longtemps j'ai remarqué, combien 1'ar- mée  a?S GERMANICUS. mée t'admire & t'aime; ta magnanimité doit en effet t'attacher tous les cceurs. " Ah! fi tous les humains te chérisfoient " autant que Titus!.... Tu dois être as' furé maintenant du fuccès de la bataille; les légions s'acquitteront de leur devoir par reconnoisfance & par amour pour le \ Héros qui les commande." „ Qui pourroit douter de la viftoire avec une telle ' armée? repliqua le Prince. J'ai toujours estimé le courage & le zèle des foldats Romains; mais je n'avois point " encore concu une fi haute idéé de leur 5' attachement pour moi. Quelle douce fatisfaction me procure leur fidelité, o " mon cher Titus! & combien ton amitié 1'ausrmente en la partageant ausfi fincerement. Allons, pourfuit-il, allons donner quelques hentes au repos, & longons a tout préparer pour livrer bataille „' l 1'ennemi, dès que les premiers rayons , de 1'aurore feront disparoitre 1 astre du „ matin." . , , , r Le foleil commencoit a dorer le lommet des arbres, qu'on appercoit déja devant la tente de Germanicus Parmure de pourpre, figne du combat: la broderie d'or, dont elie est enricbie, recoit un nouvel éclat de la brillante lumiere. Ce fignal, longtemps defiré, charme les regards des Romains. „ C'est aujourd'hui, s'écrient-ils, que nous allons ptinir les Barbares. Al„ lons, amis, que chacun déploye fon ar„ deur & fon courage; Üvrons-nous a la ,s joye, nous allons combattre."  CHANT ONZIEME. 279 Tandis que Ie Général s'apprête, Arminius, de fon cóté, rasfemble 1'armée Germanique fur Ia plaine d'ldistavie. Cette plaine, qui s'étend le long de la Vizurgue, s'élargit ou fe resferre fuivant que les montagnes , qui Ia couvrent au fud, font plus ou moins éloignées dn fleuve; des arbres toulfus garnisfcut au loin le pied de ces montagnes. Arminius range les troupes de fes alliés dans la plaine, & poste leur arriere-garde dans le bois , d'oü elle doit s'avancer au fecours de 1'armée, fi les circonftances 1'exigent. II place enfuite fur une bauteur, a la droite du corps de bataille, une troupe choifie, qu'il commande luimême, destinée h attaquer a 1'improviste les Romains en flanc, dès qu'ils ferontengagés dans le combat. La Vizurgue coule en ferpcntant a la gauche; & la cavalerie, déployée fur les ailes de chaque cóté, doit couvrir la pointe de 1'armée. Germanicus, après avoir foigneufement obfervc 1'ordre de bataille des ennemis,dispofe d'abord au front la fiere jeunesfe , legerement armée, qui doit engager le combat : il range inmédiatement après la moitié des troupes Gauloifes & Germaniques, alliées de Rome, que fuivent quatre légions Romaines, armées avec plusdemagnificence. Viennent enfuite deux cohortes d'élite, couvertes d'un nombreux corps de cavalerie, destiné a porter du fecours par-tout oü il fera nécesfaire d'arrêter le danger. Le reste de l'infanterie Romaine, compofé de quatre autres légions in- tré-  ï8o GERMANICUS. trépities, chacune fous fon aigle & fes enfeignes, fuit, rangé dans 1'ordre le plus formidable, & commandé par le Général lui-même. La Cavalerie s'étend fur les flancs; & le corps de bataille est ferme par 1'autre moitié des troupes alliées. _ Le Prince, inftruit qu'un corps de Germains, foutenu de cavalerie, s'est posté fur la hauteur a 1'est de 1'armée, fait marcher Albinus avec quelques cavaliers, pour s'emparer d'une éminence plus élevée, alm d'attaquer de-la 1'ennemi avec avantage: avant le lever de 1'aurore il avoit déja fait partir Stertinius, avec ordre de tournet avec fa troupe le long des montagnes, & de fondre fur le derrière de 1'armée Germanique, avant même qu'elle ait le moindre foupcon de fon approche. Arminius paroit fierement a la tete de fes enfeignes, & releve par fes paroles la bouillaute ardeur des Germains: „ Peuples généreux, qui foutenez la gloire de ces „ contrées! vous, qui venez avec joyere', pandre votre fang pour le falut de la Patrie ! que 1'approche des ennemis ne " vous caufe point d'alarmes, ce ne font " que des laches, des fuyards, restes miférables de la défaite de Varus, & qui *' déja fe font révoltés au-dela du Rhin " pour fe dispenfer de nous combattre: la \ plupart d'entre eux font mutilés, affoi!, blis par des blesfures, battus par les „ flots, & brifés par les tempêtes. Qtiel,, que dehors de bravoure qu'ils puisfent „ faire parohre, ce n'est que par force & ,, par  CHANT ONZIRME. aSi „ par contrainte qu'ils fe hazardentdevant ,, nos glaives vengcurs, & qu'ils affronsj tent ie courroux des Dieux de nos ré53 gions; ces Dieux les abattront a vos >5pieds, ainfi que leurs cceurs craintifs 3> annoncent bien qu'ils le redoutent: ce 53 nest que par cette raifon qu'ils font 3, venus par mer; ils ont recours aux vaisfeaux, craignant de paycr trop cher „ eur^audace fur terre, & que vous ne 33 'es immoliez dans leur fuite; mais les 5, yents & les rames font de foibles res3, lources pour des vaincus. Montrez ,, aujourd'hui que la puisfance de Rome 35 ne vous eflraye pa?: humiliez 1'onrueil 55 de ces ambitieux tyrans: terrasfez Ger,, mankus ainfi que vous vainquites autrefois Varus; & préparez-vous aprendre part a mon triomphe, ou aux fes,, tuis des Dieux." Le Général Romain adresfe ce discours a trt°,lipes; » Viftorieux Descendans 3, des Héros! vous, qui forcez depuis ,, tant d années les peuples de la terre a flechir devant les aigles Romaines! montrez en ces momens votre courage drdi,, naire: rappellez k votre fouvenir la gioi„ re que vous avez tant de fois acquife " Parnvotre intrépidité: resfouvenez-vous ,, de Rome, votre auguste Patrie: faites „ voir que tous les lieux vous font é^aux ,, & que vous fcavez vaincre dans les° fo,, rêts comme dans les plaines. Arminius „ est devant vos yeux; rappellez-vous fes „ cruautés, fa perfidie; rétablisfez 1'honN neur  *82 GERMANICU S. „ neur des Légions, punisfez eet enne' mi barbare, vengez le nom Romain. Mais ie lis déja dans vos regards un ?! noble courroux; oui, vous foutiendrez la gloire de la Patrie; chacun de vous paroit a mes yeux un Decius, un hall pion, un Fabïus: montrez que je ne , me trompe point dans le jugement hon' norable que je porte de vous. Le lort „ peut vous donner ou vous enlever la * victoire, mais vous ne vous deshon, norerez jamais par une lache fuite : forcez par votre noble ardeur le Dieu des " combats 4 vous accorder des fuccès par-tout ou vous portez vos armes: prouvez, guerriers magnammes, prouvez a votre Chef qu'il vous a bien con" nu: vous ponvez dans une feule bataille terminer aujourd'htii la guerre Germa" nique. Faites-moi triompher ainfi que " Tibere, ainfi que mon pere Drufus. Que le courage de nos peres nous ferve d'exemple; triomphons comme eux '' aux bords de l'hlbe & du Rhin.' Le fon éclatant des trompettes & des cors annonce des deux cótés le fignal du combat; Pair rétentit au lom des cris effroyables des guerriers, qui fe précipitent avec une fureur égale fur leurs ennemis. Les échos des montagnes repetent ces cris affreux de desfus les collines & les plaines tfalentour. Les traits, que Pare flexible cbasfe avec la rapidité del éclair; les javelots aiaus , qui fe bnfent au moindre choc; lès frondes, qui font voler au lom  CHANT 0NZ1EME. 283 les pierres; les boules de fer, attachées a des couroyes de cuir, ne font pas des armes moins redoutables dans les mains des troupeslégeres que les lances,les slaw ves & les poignards. Les cris des foldats, les henmslemens des chevaux, le cliquetis des glaives, le choc des lances fur les casques & les boucliers, forment un melange effrayant ou fe fuccèdent tour-a-tour. Le loleil bnllant du matin femble ajouter un_nouvel éclat aux aigles Romaines; les emeignes de 1'armée, entourecs d'étendarts & de banmeres, déployent toute leur magnificcnce & flottent au gré des vents; les dragons, dont font ornés les étendarts, senflent, & paroisfent redoubler leurs fifllemens, menacant Pennemi dc leur gueule béante. L'intrépide Liscus s'élance a la tete des Marles & des Senones, & tombe avec impétuofité fur les troupes Gauoifes; mais, blesfé a la gorse par le vailJant Vtndex, il chaneèle & tombe en mordant la pousfiere. Les lésions, a la xm du péril qui menace les Gaulois, s'avancent è: fe trouvent bientót mölées dans laction; alors le combat devient général. Le brave Flavius, voyant que le danger augmente, ordonne a fa cohorte de ferrer les rangs, de fe couvrir la poitrine, les cotés & la tête, avec le bouclier, & de marcher ainfi contre les Cattes. Cette masfe nnpénétrable enfonce tout ce qui lui refiste, & s'élargisfant enfuite, renverfe un grand nombre d'enncmis. Le prince Waldemir, conflerné de voir fes plus bra-N 2 ves  sS4 GERMANICUS. ves guerriers moisfonnés par le fer des Romains , oublie fes blesfures, encore fumantes, & attaque en rwsfarrt le vaülant Flavius, qui brülant lui-même de e combattre, s'élance fur lui en criant d une voS courroucée: „Meurs: vas te plamdie „ au Roi Cafamarus, que 1 amant de la , fille t'a ravi la lumiere." II dit, & lm Blonde fon glaive dans les entrailles. b 111fonuné tacue envain d'arrêter d'une mam le fang,qui coule a grands flots de fa blesfure, tandis qu'il fait de 1'autre des eflbrw pour fe venger: les fombres voiles de la ïSrt couvrent fes yeux étemts; il pousfe le derniet foupir, & tombe fur kfable «rfaiHanté. Quelle douleur caufera la Pe tef la cour de fon pere! quels- tristes foupirs exhakra le fein qui 1 a wunilqw peut éprouver desormais de pus affreux dans les chaines fa mere défolée } Le larouche Longobard, conduit par Dumnorix, femble if pouvoir fitre ébranlé & combat avec un courage irrcfistibk, jusqu'a ce qu'un coup fatal, porté au bras de fon vaü jnt chef, le contrahit de fe retirei. La plaine d'Idistavie est couverte de morts & femble inondée d'un fleuve de pourpre. Le c arnage redoubk: on fe dispute le terrein pied I pied. Emile attaque les Sueves; 1 ks renverfe; il en triomphe; mais aux dépens de fes jours. Le brave Antejus force ks Marcomans a s'enfuir & a chercher un afyk dans les forêts. Qui pouroit décr.re ks faits héroiques de Cecina de Taurius de Pifon de Silius, d'Albinus, Ar™s, a Peine échappé au trépas, niche de fe foustraire a la pourfuite par des fentiers folitaires: il gémit fur fa défaite & fait des imprécations contre Lome. Incertam fur la route qu'il tient dans fa fuite, il fe voit tout dl>un c dans un chemin wconnu. Surpris, inquiet, il s avance en regardant de toutes parts , espérant de reconnöitre les lieux quil parcourt, & de trouver enfin un afyle apres de fi grands malheurs: il découvre au loin une forét de chèues antiques, ÏÏFff r±„KP,e"Pi^dan5 ces t^Psrecu: , . "v. . u '-nuus pour gagner eet endro.tfohtaire mais il feut fes forces s alroibhr par la perte de fon fan» • il cramt a chaque inftant une défaillaiice. accablé de fatigue; il descend, en fouS', P°,urr 1'abrenver a un ruisfeau. Lputfé de lasfitude, il s'asfied en eet endroit ombragé; tourmenté de douleurs ai. gues, & craignant d'y périr faute de fecours , il pousfe des foupirs amers , en fougeant que fon corps fera privé d'une fépulture hotmorable. Au milieu de ces tristes penfées il appercoit entre les arbres un Druïde, qui s'avance & pas eraves. „ Ah Libys, lui dit-il /est-ce „ e grand Wodan, qui t-envoye eii ces „ lieux pour que ta main mette un appa„ reil fur mes blesfuresV" Le vieux I iN 5 bys,  Ê9o GERMANICUS. foTSu "de re dÏÏSder commcnt.... " »Upïi reufe Patrie ! hélas ! tes trou" peS lont vSnctres." En proférant ces " ?f il cueille une herbe falutaire , & rinie avoit quitté le pays de ; Cattes, Ar SïMere. Dans ces tristes inflans Y SS " & f" Süre l«s pUintes de ces rbai-o-ée de douleur cc aanneem, » S tremblant, pour découynr la caufe de ^isfernens: elle voit fon fils& le CXt»\ Quói , dit-elle en foüptrant, V^e £tefo«m'éIoit-il rélervélj^vu »' » j„„t file de mon fein tenue , ^ ?0tredeux faifoient encore il n'y a pas " SS, ma gloire & mon bonheur;  CHANT ONZIEME. t$t », ne haine funeste, combat fa Patrie- & " Jnl?r/ W rDt la §loirc I11'11 «VOit „ acqutle fe laisfe vaincre par les ambitieux Pvomains!' „Ah! repond Armi» mus, ne me reproche pas mon infors, tune; adoucis plutót mes douleurs par „ tes confolations. J'ai rempli mon de. s, voir; &, quoique nos armées foient „ vaincues,je jure par les Dieux, que ie „ vengerai bientót ma honte fur 1'orgueiis, leule Rome." ö , Tandis qu'il parle encore, on voit arnver une partie de la Noblesfe Germanique, heureufement échappée au camaee • on reconnoit Dumnorix, fon fils Segonax \ le Prince Inguiomer, fuivis de quelques troupes qu'il a rasfemblées dans fa retraite, & plufieurs autres chefs des peuples Tudesques. lis apportent la nouvelle qutiii grand nombre de guerriers s'est fauvé en gagnant les bois & les montagnes mais que la terreur s'est accme a tel point q„e tous les habitans de la rive occidentale de 1'Elbe ont pris la réfolat.on de quitter leurs demeures, de fe choihr des habitations plus füres au-dela du leuve, & d abandonner aux Romains leurs hameaux _ jfolés. „ Quoi! s'écrie Armj! ,, mus, je vivrois pour fubir cette honte' „ moi, nomroé chef & protecïeur des „ Germains, je me verrois dans ma pa„ tne pnve de gloire & d'autorité ! non, „ je ne foulfnrai point cette humiliation; „ je_ détournerai ce malheur, ou ie péri„ rai les armes a la main." A ces m»ts N 6 Bli-'  soa GERMANICUS. Blichilde embrasfe le héros. „ Ah! c'est „ maintenant, dit-elle, que je reconnois dans mon, fils la vivante image de mou ' Epoux. Cher Arminius , répands la ' joye dans le cceur de ta Mere; défends 1'héritage de tes peres; fois le digne „ protecïeur de la Germanie." Toutes 'les femmes, confolées par le courage héroique de Blichilde, excitent par defemblables discours 1'ardeur de leurs fils & dc leurs époux. Arminius envoye bientót des Ambasfadeurs dans les contrées circonvoifines, pour obtenir de nouveaux fecours de fes vaillans alliés. Pendant qu'il attend leur retour avec ïmpatience, un foldat vient lui apprendre, que Germanicus a fait élever par fes troupes un trophée; qu'il 1'a décoré, a la bonte des peuples Tudesques, de leurs armes & de leurs drapeaux; & qu'il a fait graver fur le piedeftal les noms des nations vamcues le long de la Vizurgue & du Rhin. II ajoute , qu'a. la vue de ce monument infultant les habitans des contrées voifines, bouillans de courroux, ont renoncé au projet dicbé par la terreur; & que, lont de fuir leurs demeures, chacun s apprête a attendre les Romains de pied ferme. Cette nouvelle répand une joye umverlelle dans la fortereslé;& déja la Noblesfe Germanique fe rend de toutes parts dans la plaine, oü les troupes des alliés s asfemblent pour livrer une nouvelle bataille. Segeste, qui jouisfoit jadis d un grand pouvoir dans ces contrées; loutragé bla-  CHANT ONZIEME. m viüs, qui a cherché un foutien dans Rome: & e vaillant Segimer, recoivent conti! nuellenient les mesfages de leurs amis, qui f*. d_éc°uvrenc les entreprifes d'Arminius, & ïnflruilent le Fils de Drufus de tout ce qui fe pasfe dans le pays. Le Héros Romain reconnoit avec joye la fidelité des princes Germaniques. II rétablit par un repos utile les forces de fes troupes, tandis que plufieurs d'entre ces peuples, plus ioumis encore par fa clémence que par fes armes, viennent le fupplier de les épargner; jurant d'être fideles a Rome. Cepei> dant il apprend, que les Germains fe raslemblent, & il s'apprête a marcher contre eux a la tête de fes légions viélorieufes. N 7 G E R-  GERMANICUS. CHANT DOÜZIEME. Déja le vaillant Arminius rasfembloitdans fon camp les troupes nouvellement mifes fur pied & celles qui avoient échappé a la dérniere defaite. Animé contre Rome d'une haine plus furieufe que jamais, il ie promet de venger bientót fes malheurs fur le Fils de Drufus. Cependant quelque espérance dont il fe (latte, il ne fe disiimule pas a lui-même, que tout espoir fera desormais perdu pour fon pays & pour lui, s'il est vaincu dans une nouvelle bataille. Agité par fes penfées inquiètes, il tache de découvrir les fecrets,que voilent les jours encore a naitre, afin d'entrevoir le destin que les Dieux luipréparent. Seul & méditant fans cesfe fur ces eraves objets, il erre a travers les bois & les prairies. Les foucis rêveurs lui font oublier la mefure du temps. La nuit le furprend, asfis fur une coliine; il en descend a pas lents; la lune, a demi éclairée, commence a s'abaisfer derrière les montagnes; elle fe montre rouge & entourée de cercles extraordinaires. L'Atmospbère est reropli d'étranges météores; les astres vaguent lentement aux voutes tranquilles du ciel, ici brillants de tout leur éclat, la couverts de nuages flottans. On entend dans le lointain le bruyant murmure d'un torrent, plus prés  CHANT D0UZ1EME. 295 prés le feuillage des pins, agité par la douce haleine des vents. Les ombres de la nuit règnent dans ces lieux ifolés. Un ruisfeau limpide, descendu de lamontagne a quelque distance, promene fon onde en ferpentant autour d'une verte coliine. On voit fur la hauteur quatre pierres , couvertes de mousfe, entre lesquelles l'herbe & les fleurs des champs croisfent en abondance. Deux chênes antiques, que le fer n'a jamais touchés, que les tempêtes ont toujours refpeftés, ombragent ce terrein de leur feuillage touffu. Ce lieu, qui femble 1'afyle de la mort, confacré au filence, garde les restes d'un Héros, jadis fameux dans les combats; la cendre de Cattenwalde, autrefois la terreur des ennemis. Arminius, inquièt, contemple avec attention fon tombeau, & adresfe enfin ces paroles aux manes du Héros: ,, Grand ,, Cattenwalde! Pere de ma familie! Toi, ,, dont le courage défendit & protégea la „ Germanie! Toi, dont les hauts faits 6c „ le nom vivent encore dans les chants „ héroiques des Bardes de ces contrées! ,, Guerrier illustre , a la gloire de qui ,, les peuples réconnoisfans ont élevé ,, ce monument , qui procure it tes ccn- dres un repos inaltérable! ó mon Pe,, re! fi les destins de ta postérité font ,, ouverts ;\ tes yeux, revêle moi, fi la fortune me fera favorable desormais." Arminius acheve a peine ces mots, qu'il entend trois fois de tristes gérnisfemens; trois fois il fent fon ame atteinte d'une fra-  sg6 GERMANICUS. fnvyeur foudaine a ces fons plaintifs, qui rétentisfent fur le fommet des collines; il quitte a pas lents ces lieux folitaires ; &, rongé de tristes foucis, il pasfe le reste de la nuit dans la plus fombre douleur. L'astre du jour éclairoit a peine les contrées Germaniques, lorsque Libys fe rendit chez le Héros. „ II est temps, Arminius, lui dit-il, de te remettre en campagne; „ des préfages heureux t'annoncent la fa„ veur des Immortels. Au lever de 1'au- rore je fuis entré dans la forêt facrée, „ pour'fupplier Theutates, ainfi que mon „ devoir & ma dignité 1'ordoiment, de jetter des regards favorables fur la pa,, trie: un profond filence règnoit dans ,, ces endroits, humides encore de la ro„ fée; 1'herbe fembloit rajeunie par ces ,, goutes rafraichisfantes; le fouffle d'au,, cun vent n'agitoit le feuillage des ar,, bres; le foleil commeneoit a dorer la „ verte cime des cbênes, dont les troncs „ étoient encore dans 1'obfcurité: pendant ,, tous ces momens aucun oifcau de lini,, ftre préfage n'a frappé mes yeux. Pas- fant de la dans la prairie facrée, entou,, réc de paüsfades par 1'ordre de la gran„ de Prêtresfe, afin d'y faire_ paitre fes „ courfiers vigoureux, je les ai vus com„ me animés "d'une ardèur nouvelle faluer le foleil levant, & donner des marqués „ de joye par des fauts & des hennisfc„ mens répétés; fignes indubitables, que 1'orgueilleufe Rome n'asfujettira jamais „ la  CHANT DOUZIEME. 297 ,', !a Germanie. Ce n'est que par des ,, conjectures qu'un Druide découvre la „ volonté des l>ieux; mais les fecrets du ,, destin fe dévoilent avec plus de cerritu„ de par 1'organe des courfiers facrés. „ Prince, je n'en doute pas, Theutates ,, t'accordera la vicloire." Ce discours fait renaitre la joye dans 1'ame d'Arminius: flatté par 1'espoir de vaincre, il rougit de fes terreurs & de fes inquiétudes. Jl part a 1'inftant, accompagné des prêtres de Wodan, & marche vers le camp, pour inftruire les troupes de ces heureufes nouveiles. Les cceurs des foldats brülent d'un nouveau courage a la vue de leur Général, & aux chants joyeux des Bardes, qui, liés aux intéréts d Arminius, annoncent a toute 1'armée les préfages heureux de la viétoire: ils les asfurent de plus, que leurs harpes, quoique fuspendues dans leurs rentes, indiqueront pendant la nuit, par des fons mélodieux, Jes noms des Héros tombés dans la bataille; afin qu'avertis par cette harmonie facrée, ils puisfent élever ces illustres guerriers aux palais des Dieux dans leurs chants héroiques. Tandis qu'ils éveillent le courage & la joye dans les cceurs des troupes Germaniques, le Fils de Drufus confulte de fon cóté la volonté des Dieux; il s'avance avec toute fa fuite vers les autels, oü fuivant fes ordres il trouve déja les Sacrificateursj asfemblés. II exige du grand Prêtre,qu'il recherche refpeclueufement dans les  »98 GERMANICUS. les livres antiqnes d'Homere le destin, que les'Dieux lui préparent. Le Pontife fupphe d'abord Jupiter de vouloir être favorable au Héros: il développe enfuite le cbant Grec , qui contient les malheurs de Troye , & donne les feuilles de parchemin a un adolescent élevé a 1'ombre des autels, en lui difant: „ Mon Fils, jette les yeux au „ hazard fur eet écrit & lis ce qui le préfentera au premier aspect: fasle le ciel que tes regards tombent fur un en' droit d'heureux préfage 1" Le jeune ferviteur des autels lit, en rougisfant, les lignes fuivantes: „ 6 Heétor! lorsque ton „ bras terrasfa Patrocle, tu ne fongeas °uere ni a la punition qui t'attendoit, " ni a la flotte des Grecs, ni a moi. Patrocle avoit pourtant un vengeur fur nos 'vaisfeaux; Achille vivoit: Infenfé, il vivoit pour te donner la mort. Mon ami „ vaincu dort en paix, vengé par ma „ main; cette main allumera dans le camp „ fon bucher magnifique; mais toi, Troyen audacieux, ton corps, deshonnoré „ & privé de fepulture, fera la proie des ,', chiens & des corbeaux." Ces paroles remplisfent de joye le cceur de tous ceux qui les entendent; chacun s'écrie: „ Triom„ phe , ó Héros! triomphe ! venge la mort „ de Varus. Les Dieux te réfervent leurs „ faveurs au combat, ainfi qu'ils te le prédifent clairement par les vers du Poë„ te." Le foleil brilloit déja dans toute fa fplendeur, lorsque le Prince ordonna, qu'on fit encore une feconde épreuve par les  CHANT DO UZ IE ME. 299 les poules facrées. Les légions fe rasiembleiit devant Ia tente du Général; ie grand Aruspice paroit au milieu de la multitude & fexhorte a un refpeciuenx filence.^ Dés que 1'attention a fuspendu jusqu au moindre bruit, on ouvre Ia ca «re des poules noires, confacrécs aux Dieux: elles béquétent avec avidité Ie gram qu'on répand autour d'elles: a eet heureux prélage 1 armée, fe livrant a 1'espoir le plus vir, demande avec joye qu'on la mêne au combat. Arminius, inftruit par fa défaite précédente a prendre plus de foin de fon arnere - garde, croit la mettre a 1'abri de toute lurprjfe en campant dans une large plaine, bornée derrière lui par des étangs & des marais; barrière naturelle contre les entreprifes des Romains. Les Angrivariens prennent poste a fa droite, & font couverts d une chausfée , comme d'un large retranchement; a la gauche s'élêve un bois touflu, fur la-lifiere duquel il range 1 autre aile, dont il confic le commandement a Dumnorix, le plus cher de fes amis; il couvre le bois & en fait garder toutes les isfues par une partie de la cavalerie Judesque, avec ordre de tomber a 1'inproviste fur les légions & de les prendre en liane, dés que l'aétion paroitra généralement engagée. Le Prince Inguiomer doit acccompagner Arminius, pour-distribuer rapidement des fecours par-tout oü. la necesfité 1'éxigera. Germanicus, attentif a détourner le pé- ru,  3oo GER.MANICU S. ril, ordonne a Tubero de fe placer a Ia tête de la plus intrépide cavalerie devant le corps de bataille, confié a Cecina; réfolu de commencer le combat par cette brusque attaque: falie droite est commandée par Silius, & le Héros fe met lui même a la tête de la gauche: fa noble fermeté augmente dans Ie cceur des Romains 1'ardent defir d'obtenir la victoire. Au moment oü la mufique guerriere alloit donner le fignal du combat, Germanicus appercoit dans les airs une troupe d'aigles, qui, battant des ai'es, prennent 1'esfor, traverfent le champ de bataille , & s'envolent vers les forêts ennemies: il fait voir eet heureux préfage a toutes les légions. ,, Braves guerriers! s'écrie-t-il, voila un ,, figne évident de la faveur des Dieux; j, regardez les oifeaux de la Patrie , ils vous moutrent le chemin; les aigles fu,, rent toujours les guides des foldats de „ Rome ; en vous dévancant ils vous de,, mandent leur proie; marchez, vaillans „ compagnons; avancez, fuivez la tracé ,, de vos aigles." Le Prince finit a peine ces mots, que les cors & les trompettes ordonnent Pattaque. Un nuage épais de pousfiere s'éleve fous les pieds des combattans, & flotte en tourbillons autour des deux armées. Une grêle de pierres , lancées par la fronde meurtriere, fend fans discontinuer 1'épais brouillard. L'art cruel de la guerre, qui apprend au fer même a voler, femble donner des ailes a la mort, pour augmentcr la  CHANT DOUZIEME. 3oï Ja terreur par les flêches aigues, dont il a pourvu les guerriers Le vaillant Tub ro fond avec fa troupe fur 1'armée Germanique , ion choc impétueux 1'obhVe a nlier fi t le fe; Arminius fe^rlfente & lariete. Les glaives étmcèllent fous les coups redoublés, que fe portent les comoattans, dont la plupart recoivent de larges blesfures, ou fubisfent les horreurs du trcpas. pans ces momens affreux Cecina ce de la guerre coüte cher a 1'ennemi: 1 exemple de ce héros affermit 1'ardeur dê [es troupes, qui presfent de toutes parts les Tudesques. Le généreux Silius attaque Dumnonx ; le long éoieu de 1'intrépl de: Germain s'attache a fon bottelier, Silius 1 en arrache avec force, & tombe fur on farouche adverfaire: la fortui e femble héfiter entre eux & les favorifer tour£ tour; mais Dumnorix est enfin terrasfé • fes fesTnvPTrfent-de l0^S ^misfemens les yeux, oblctircis par les fombres voilel n;tTc°?' r6 bientót k la luiere! „ Dites au fage Woltemar, ainfi parle-t'il " en,.™ourant a ceux qui 1'environnent , „ qu il chante ma renommée & mon trépas • „ rappellez-lui a ma priere, rappellez-lui " 3dTSr q?Ü lI,.aVQit confacré fa harpe „ mélod eufe a 1'honneur de ma familie. „ JJites-lui, que mon ombre pale & fan„ glante errera toujours autour de lui ius„ qu a ce que fes chants héroiques m'a ent „ élevé au palais des Dieux." Le brave Flavien fe trouve au même in- ftant  Soa GERMANICUS. ftant percé de deux flèches aigues , qui, tirées fur lui de deux cótés divers ie croifent dans fa poitrme, & pénétrenjusqu'a fon cceur: le fang bouillonnant, arreté £ moment par le fer, fort bientót a grands flots; &l'ame, incertaine, fcmWc dout« par laquelle des deux voyes elle quitteia le corps de ce guerrier expirant. Tandis que les deux armées, également ïntrépides & animées, déployent avec une fureur pareille leur force & eur courage ; tandis qu'enflammé par a hame oO'1 ardeur de combattre on n'epargne point la vie, & que la victoire indécife rit tour-atour aux deux partis; le vaillant.luisde Drufus s'avance jusqu'a la chausfée. Les Ansmvariens , qui combattent de la haufeuf, munis Vtraits & de pierres, attaquent avec avantage les Romains,qui s etforccnt d'y grimper , & les renverfent 4 mefiï e qu'ils fe préfentent. Le Prince fait Maneer les machines, péfamment chargées de poutres, de pierres & de traits, renfermésTans de larges étuis, qui lancet» en images épais les armes meurtneres qu ils Siennent. Les Angrivariens jiennent ferme, quoique attaqués avec tant ae usueur il font mordre la pousfiere aux guerriers d'e Rome, qui reviennent fans cesle a la charge, & dédaignent fous les yeux de leur Chef les plus grands périls. Hoiace honnoré d'un étendart, brülant d arreter' 1'impétueufe audace des ennemis, savance vers Germanicus, & lui par e ainfi. „ Digne Héros ! ou je trouverai la mmt  GHJNT DOUZIEME. 303 m aujourd'hni fur ce camp, ou je t'obtien„ clrai Ja victoire: permets-moi de gagner avec ma cohorte cette coliine, qui couvre la gauche de 1'ennemi, & de 1'attaquer de eet endroit." Le Prince lui accorde fa priere. Le jeune guerrier part a 1 mftant; escalade la hauteur avec fa troupe ; y prend audacieufement poste, & fait rétentir la coliine & les vallens d'alen. tour de fes cris éclatans, pour alarmer les Angrivariens, qui fe croyent furpris , & frayer ainfi le chemin de la gloire aux Iégions. Les Tudesques , epouvantés, fe retirept infenfiblement de la chausfée, & savancent vers la coliine: alors Germanicus, a la tête des fiens, forcant tout fe qui ofe lui refifier, franchit le retranchement de 1 ennemi confterné; fon fier maintien annonce fon bouillant courage • il excite fes foldats de la voix & du geste a le fuivre fur le fentier périlleux de 1'honneur, cc fait pher les Tudesques par-tout 011 il paroit: les launers femblent s'accroitre autour du panache de fon casque brillant: Ion glaive viéforieux terrasfe , par des coups rédoublés, tout ce qui réfiste a fon bras redoutable. Les braves légions, ani. méés par fon exemple , montrent a 1'ennemi ce que peuvent Ja discipline «Sc la force. Excités par le plus furieux défefpoir, les^ Angrivariens ne font par leur défenfe qu augmenter les horreurs de la mort & le nombre des vieïimes. On voit un Germain farouche élever fa pefante masfue, dans 1 espoir d écrafer la tête du vaillant Fils  so4 GERMANICUS. Fils de Drulus; & peut-être ce projet bardi eut été fuivi du fuccès, fi le fidele Titus n'eut fauvé les jours du Prince en ce péril presfant: fon bras exercé porte un coup fur a eet ennemi féroce, & le reuverre, expirant, du haut de la cliausfée dans la plaine. Pendant que le Héros éxaltc le courage utile de fon ami, & que chaque foldat, bouillant de fureur, s'efforce d'abattre fon adverfaire, 1'horizon fe couvre de toutes parts de nuages noirs & épais; Pair s'obfcurcit par dégrés; & une nuit imprévue vient derober la lumiere aux peuples effrayés. Le flux de Pair circule avec plus de lenteur , & femble enfin _ s'arrêter entierement a mefure que 1'obfcurité s'augmente. Les ruisfeaux oublient leurs murmures agreables. Le fleuve, qui dans fa courfe impétueufe rongeoit les bords de fon lit, s'arrête, & n'offre plus qu'une onde dormante. Tout-a-coup les vents, resferrés dans les antres & ies cavernes , s'élancent de leurs noires prifons avec un fracas épouvantable, & ébranlent les fondemens mêmes de la terre. Effrayés par ks fecousfes rédoubkes , ks Germains remplisfeut Pair obfeurci de clameurs & de cris; ils reculent; ils fe disperfent, & cherchent leur falut dans la fuite. Les Romains au contraire s'encouragent rrrutuellement en fentant fous leurs pas ces étonnantes fecousfes: „ Courage, compag„ nons , s'écrient-ils, la terre tremblc, el,, k veut changrr de maitre." Germanicus leve ks yeux vers le ciel, & promet de  CHANT DOUZIËME. 505 de batir un temple a 1'bonneur de la terre, n les Dieux lui asfurent la victoire. II envcae Stertinius vers la coliine, afin de fecounr Horace en ce presfant danger; &, promenant lui-même de la hauteur fes regards fur les environs , il emnêche 1'aile quil commande de fe livrer trop vlte a la pourfuite des ennemis, fcachant combien de fois une bataille presque gagnée fut perdue par 1'ardeur imprudente des troupes a pourfuivre en desordrc les vaincus. Le corps de bataille de 1'armée Germanique contrahit de reculer, fe trouve bientót ltirpns en flanc par les Romains. A ce^clioc nouveau tout plie, tout fuit jusqu aux marais, qui, destinés a fervir de retranchement aux Germains , ne leur ollrent_ mamtenant qu'un horrible tombeau. Arminius , outré de dépit & brülant de la foif de fe venger, a la vue de la perte de la bataille, concoit le hardi projet de lurprendre le camp des Romains, qui n est gardé que par les Vétérans. Suivi dune troupe intrépide, il quitte tout-acoup le cliamp de bataille; mais Tubero ioupgonnant fon desfein, le fuit, 1'atteint Armtn' f A •0Un,er tCte- LS far0llCh^ Arminius fond impétueurement fur la cavalerie qui le pourfuit, & s'attache furtout a I ubero: un combat furieux commence entre ces deux chefs, qui fe défendent avec la même intrépidité, fufqu'a ce quun foldat Tudesque, témoin dii peril de (011 Prince, accourt; & frappmt a Pimproviste de fa lourde masfue la tête du 0 Ro-  306 GERMANICUS. Romain, le renverfe a fes pieds. Sa mort releve Fespoir des Barbares. Arminius pourfuit fon projet, & attaque en furieux Ie rempart.- Les Vétérans arrêtent quelque temps fon audace, mais fe trouvant bientót trop foibles, Arminius s'ouvre un cl emin, & pénètre dans le camp aux acclamations de fa troupe féroce, qm le luit avec ardeur. Taurnms, enflammé de courroux a ce fpecïacle, excite les fiens a entrer dans le camp fur les pas de 1 ennemi. Voyant: fa bravoure fecondee, il s ecrie: „ Braves Vétérans, fermez 1 entree „ derrière nous; punisfons 1 audace d Arminius, & qu'il trouve fon tombeau " dans ces remparts." On fuit eet ordre, 'malgré les efforts du Germain, dont la fureur s'irrite de plus en plus par les obüacles; fon cceur est en proye a la rage ; fes veux étincelans femblent lancer des éclairs: il atteint enfin une des portes du mmtr il 1'ouvre avec violence, & lort précipitamment, fuivi de fes foldats conüernés. Taurinns, le pourfuivant fans refle est prêt a 1'attemure; cc büms, nue le Prince Romain avoit détaché a la première nouvelle du danger de fon camp, Fe prérente en face, & iache de 1'arre etdans fa fuite, en 1'entourant de toutes parts. Arminius, fe débattant intrépjdemententreeux, s'appercoit que fa plaie fe r'ouvre, &, mie fon fang coule: a 1'inftant il ordonne 2 petit nombre de guerriers, qui le fuiveut Score, de fe ferrer en peloton: pius.couSdt par 1'aveugle defefpoir, il fe précipi-  CHANT DO UZ IE ME. 30? te au travers des ennemis, & s'ouvre un Paslage au milieu deux: tous ceux oni ne Peuyent fuiyre la rapidité de fco rfe tombent fous le glaive, & ]>£ be épou- clenRomeCOnTn01t ^ n°UVeaU la P"^™ de Rome. Les légions vidorieufes continueut de pourfuivre & d'abattre les Germains jusqu'au moment oü le foleil touche presqu' a la fin de fa carrière ,JY10m"' -VOyant 1lie tout efpoir étoit perdii , s'étoit retiré avec quelques-uns des fiens: bientót féparé de tous & acca! blé defatigue, il cherche un afyle dans lê bois, prés duquel on avoit comLim? Cependant Germanicus fait publier au fon des trompettes qu'on cesfe le ma facre & quon épargne le fang: il parcourt ac! compagné de Titus, le champ de"ataiï le, & vifiteles endroits du bois, oü le co rage des légions s'est manifesté. En dS plorant enfemble les horreurs de la "erre, ils appercoivent un Germain nul tristement asfis fur une pSe? J ur ci e ZJr°-X a-ltéréC! « Retirex'-voï au " vie " VPecnTV0US' fi vous ai™z la ave fe« l paroles' P'ononcées avec reu, les étonnent; ]s tjrcnt: ]e,,r<5 gla.ves. L'intrépide Etranger leur paroit un homme déja chargé d'années; foE casque annonce un rang au desfus du commün • hnVTr V°Trt d'une armure bril! endroitf l°e" b°UCher' r0TPu ^ plufieui fenfe. Le Fils de D^s%^TJtt 0 2 fer-  3o8 GERMANICUS. fermeté, lui adresfe ainfi la parole: „Et ,, qui donc es tu, qui, déja alibi bh par „ 1'age, ofes provoquer avec tant d audace deux guerriers dans la fleur de la jeunesfe?''' „La valeur longtemps exer„ cée, replique 1'Etranger, augmente 1 ex„ périence dans les combats; ta demande , „ jeune-homme, te fait honneiir ; avances, & reconnois Inguiomer.' „ Quoi! „ dit Germanicus, tu es ce Prince tant exalté par mon pere,<& dont j'ai tant de fois deiiré 1'amitié. Inguiomer est?m' capable de perfidic, ainfi que nous d ou, trager un Prince vaincti." En difaiit ces mots, il remet tranquillement fon glaive. Le vieux Guerrier lui repartit: „ Généreux jeune-homme! dis-moi qui ta '' donné la vie, afin que je puisfe t'appeller au combat, comme un ennemi, que " je fasfe gloire d'avoir abattu , lorsque " le foleil éclairera dans une nouvelle ba" taille les faits héroiques des vaillans. Que la postérité des héros, qui vivra " longtemps après nous, contemple avec " étonnemeut Pendroit, oü tu fus terrasfé, " & qu'elle rapelle a fa mémoire les valeu" reufes aftions des iiècles pasfés". Don" nons a la postérité, replique le Prince, " des idéés plus nobles encore; qu'elle " témoigne a notre gloire, voici le beu " oü Germanicus rencontra jadis Inguio' mer; c'est ici qu'ils fe donnerent mu" tuehement des marqués d'estime & de " bienveillance; leurentretien amical mon"\ tre combien ils respeftoient la vertu."  CHANT DOUZIEME. 309 En finisfant ces mots, il s'asfied a cóté du Crcrmain vénérable: „ ó pierre. qui „ nous fers de fiege! pourfuit-il, pierre, „ que je conlacre aux fiècles futurs té„ moigne a jamais aux habitans de ces „ contrées, que le Fils de Drulus n'héüta „ point de refpecler un vaillant adverlai" Tf' ,' lcLrs.1ue le temps déstrufteuraura „ dans la fuue des fiècles fait éprouver „ Ion pouvoir a ta dure fubftance; lors„ que llilbe, a moitié tan', ne promene„ ra plus qu'avec lenteur fon oude fugi„ tive; & même lorsque ce fleuve aura „ tout-a-fait oublié de couler, qu'alors „ un voyageur, aimé des Dieux, trouve „ dans eet endröit un agreable repos en tayeur de notre rencontre." Le brave Inguiomer, faifi d'étonnement, contemple Germanicus, cc ne lui répond que par des regards touchans. Voyant enfin la fuite du Prince s avancer de loin, il fe leve en foupirant, falue les héros, & part d'un pas lent. Le Fils de Drufus le fuit dés yeux, en faifant figne a fes gens de s'arröter^jusqu a ce que PEtrangef foit hors de ro)ffr/^0l}niant 3U camp' Ie Prince rencontre quelques guerriers, qui foutiennent & portent le généreux Horace, épuifé de forces & presque expirant. Stertinius, le reconnoisfant a peine fin- la coliine enfanglantee, défiguré par fes blesfures & cou- ' ené lm Ia pousfiere au milieu des cadavres de fes compagnons, entourés d'une mukitude de iudesques abattus par leur ° 3 bras  3io GERMANICUS. bras vigourenx, s'étoit inopinément appercu , qu'il donnoit encore quelques lign.es de vie. Relevé avec peine de desfous un monceau de morts par fes libérateurs, ils 1'avoient placé fur fon propre bottelier, après ï'avoir couronné d'une guirlande d'herbes entrelasfées, cueillies fur le beu même oü il avoit montré tant de bravoure. Le Général recommande lui-même le jeune guerrier aux foins falutaires du médecin dont il fe fert, & témoigne ainfi, combien fon cceur s'intéresfe a la confervatien des héros, qui illustrent fon armée. La nouvelle alfreufe de la défaite des enfeignes Germaniques fe répand bientót avec les troupes fugitives, & porte dans toutes ies contrées le défespoir & les alarmes. Chacun s'empresfe de quitter les foyers; & les chefs, rasfemblant les reftes disperfés de leurs cohortes, s'avancent en hate vers la forteresfe, leur dernier afyle. Qui pourroit peindre la douleur amère, qui faifit les habitans de ce lieu, jadis rempli de joye, en apprenant la nouvelle défaite d'Arminius? Qui pourroit tracer par des couleurs asfez fortes 1'accablement de Blichilde & de fes compagnes a la vue du défespoir d'Arminius, qui, furieux de dépit & affoibli par fes blesfures, accufe encore bien moins la puisfance des Romains que la disgrace du fort? La fage Aurinie, environnée de prêtresfes, entre inopinément dans la vaste falie de la citadelle: elle obferve avec une tristesfe compatisfante la défblation des femmes, & r . avec  CHANT DOUZIEME. 3:1 avec une émotion plus fenfible encore Ia douleur d'Arminius; qui, plus irrité que jamais par fes derriieres pertes, montre, en dépit de fa foiblesfe, la rage fecrette qui le dévore. Elle s'avance vers le lit de repos, fur lequel ce Prince maiheureux est écendu, & levant d'une main le voile iacré, qui la dérobe aux regards des hommes, elle lui parle en ces termes: ,, Ecoute, 6 Arminius! les ordres de „ lheutates. Cet Etre tout-puisfant, 1, qui du haut des cieux gouverne les „ Dieux & les humains, & qui. permet „ maintenant a Rome de triompher de la 3, Germanie, t'ordonne aujourd'hui par ,, ma voix de modérer tes chagrins & de ,, calmer tes transports. II fe déclarera ,, en faveur de la Patrie, lorsque fa volona> te le décidera: fa main, qui pendant ,, Ia bataille ébranla la terre fur fes fondemens, dispenfe aux foibles mortels ,, les luccès & les revers. Une infortu3, ne_, plus accablaute encore que celle ,, qui fait couler nos larmes, s'dtendra fur „ 1 ennemi; les Déesfes de la vengeance ,, lont prêtes au premier figne de Wodan ; 3j elles attendent avec impatience Ia prove „ qui leur cst promife, & fcauront s'en 3, lailir de loin comme de prés. Les ,, grands descendent dans Ia tombe; les nchesfes s'évanouisfent. Et vous, fem,, mes éplorées, qui vous défolez de Ia *' nJter vos ÉP°UX 011 de vos Fils re5, nés fur le champ glorieux, ne les pleu33 rez plus avec tant d'amertume; TheuO 4 ,» ta-  3i2 GERMANICUS. „ tates a déja ouvert fon palais pour les ' „ faire asfeoir k fa table fomptueute. Ainfi parle 1'auguste Prêtresfe ; & les mots confolans , écoutés avec refpect, rétablisfent peu-a-peu le calme en ces lieux affligés. . . Germanicus, comblé de joye de la gloire obtenue dans cette périlleule journée, monte a la tribune; il offre fa vive reconnoisfance aux Dieux protefteurs, qui accordent un nouveau luflre a la puisfance Romaine: il exalte enfuite le courage & la valeur invincible des Légions: enfin: il ordonne qu'on éleve fur la rive de 1 Llbe un magnifique trophée a la gloire de Home, & s'apprête lui-même, accompague d'une partie de la cavalerie , a. choüir 1'endroit mémorable, oü il fondra ce monument éclatant de la dommation de 1 empire. Cependant plufieurs peuplades des environs perdent tout espoir après cette perte récente, &, trop foiblespour bazarder de nouveaux combats, viennent lui demandcr la paix, & implorer le pardon du meurtre de Varus, payé par des Beuves de fang. Les Angrivariens font fes premiers k s'humilier ; le Prince recoit feurs fupplications avec bonté. Ainli ia paix fait croltre de lieux en lieux ion olive bienfaifante; & les faveurs au Fils de Drufus font respirer ces contrées, que les maux de la guerre ont épuifées. Charmés de fes bontés , les peuples exaltent tes vertus jusqu'aux astres, & les femmes Germaniques , accoropagnées de leurs  CHANT DOUZIEME. 313 ceT3,am/f leiU'S- enfans> ,e faIueM ces cnants harmomeux. ',h,Lai-Prix renalt dans nos contrées! Ap„ Plaudisfez, montagnes, fleuves, val- " ShV apPla»dlsfez! & vous, fils r'espec« tables des forêts, chênes antiques dont " L ni f1?'" des Dieux, applaudisfez! " de nouveau le bonheur de " «T Lesconbats font finis; „ Jes Chefs de nos armées ne reearderont „ desormais les guerriers Romains que „ comme des alliés fideles." ni3. P-ix rrnait dans nos contrées l " ^ J°/e,l01t «niverfelle; que cha„ cun dépofe fon annure; qu'on uspei de " vaste^fï"8 & fc,>«» dïn!- les " blernm i"f011 "°S des«ndans s'asfem„ bleroin & chanteront, a la vue des ar„ mes de leurs ancêtres roüillées par Ie „ temps & no]rcies par Ja fumé P«r J§ " CU ""rterapsn0ü ]a Germanie combattit „ Ia puisfan te Rome." "uju e«coretein s „ de lang, pasfes desorma s dansles „ mains des chasfeurs, n'atteignen que „ la poitrme des taureaux fauvales. Oue „ les traits ne voient de 1'arc flexible que pour^abattre les hérons ou £ vï 0 5 „La  Si4 GERMANICUS. „La Paix renait dans nos contrées! „ Les fureurs de la guerre ne défoknt " plus la patrie. Les Romains ont hor' reur de fe fouiller de fang innocent ; leur glorieux Général remet a nos pneres le glaive vengeur dans le fourreau, ,! il nous accorde le bonheur & le repos» „ en nous donnant la paix. Le grand „ Germanicus n'est pas moins célebre par ' fa vaillance & fa magnammité que ks „ fils intrépides de Wodan, a la fleur de leur ïi°"G«" " , La &paix renait dans nos contrées ! 'La fagesfe des héros Romains nous gui„ dera dans la culture de nos champs; leur amitié fidele unira k courage Gei„ manique a. 1'expérience guerriere de Ko' me. Theutates, k pere des Dieux, que ' tous les Celtes revèrent, va devemr le ,, protefteur des Pvomains , puisque les „ Hens de Pamitié nous unisfent. „La paix renait dans nos contrées! Que la gloire immortelle en foit au Fils " de Drufus ! Ne rappellons jamais les haines pasfées ; enfévelisfons-les dans Fétemel oubli. La postérité des héros " Romains fe réjouira avec nous, en pas" fant fur des courfiers vigoureux k pont *' du ciel , pour anïver a Valhalla ; le " pompeux Valhalla , entouré de _ cmq cent quarante portes, dans le circuit im" menfe duquel vit a jamais k grand '' Theutates." La paix renait dans nos contrées! Que la pêche & la chasfe remphsfent f tl i' s ^  CHANT DOUZIEME. 315 „ deformais comme autrefois nos heureu„ fes journées ! &, fi le flambeau de la discorde rallume jamais le feu de la „ guerre, que ce ne foit que contre ceux „ qui rompront cette paix facrde! Applau„ dis, puisfante Rome! Applaudis célè„ bre Germanie! Que chacun prenne part „ a notre joye! Vis, Germanicus ! vis heu„ reux ! La paix, la douce paix & 1'ai„ mable? liberté renaisfent dans nos con55 trees. Le Fils de Drufus, fatisfait de ces chants, donne a chacun des marqués de fa bienfailance, & pourfuit fon voyage vers 1'Elbe. Depuis longtemps il delire contempler les endroits agréables, le long desqucls ce fleuve proniene fon onde fugitive; il gagne avec ia luite le fommet de la montagne la plus élevee. Quel riche fpectacle s'offre a fes yeux! Quelle variété de prairies eouvertes de trefles , coupées de guerets ,. de vergers, de collines, de vallons, de bois, & de parterres émaillés de fleurs! La vue de la belle nature enchante 1'ceil, qui embrasle tous ces objets fans fe fatiguer. Une agréable diverfité d'ombre & de lumiere temt de mille couleurs diflerentes- la terre couverte d'herbes & de plantes-. L'air calme de 1'Eté repand par-tout le parfum déhcieux des fleurs-. On découvre au loin d immenfes forêts ,. nées avec les- fiècles mêmes , & dont les arbres toufus , ausfi agés que le monde, n'ont jamais été touches de la hache destruftive; leur maieItueufe obfeunté atdre Ia profoiide vénéfaO 6 ttoa  3i6 GERMANICU S. tion des peuples de la Germanie; & elles fervent a leurs Dieux de temples fohtaires, oü le pied d'aucun mortel profane n ola jamais pénétrer: le grand Druide lui-meme ne voit ces lieux qu'une fois 1 année ; le jour qu'obligé, fuivant 1'ufage antique, d'entrer nud-tête & fans chausfure dans ces enceintes fombres, ü brüle fur 1 autel de gafon les feuilles petillantes des chenes, & rémplit le temple ombragé de la fumée des facrifices. Plus loin le Prince découvre des collines pierreufes , couvertes de mousfe & d'herbages, entrecoupées de cavernes & de grottes, étrangement creulées par la nature; rudes & velues en dedans, tapisfées de verdure au dehors. Ici un ruisfeau , presque fommeillant, baigne le pied des montagnes de fon onde tranquille; la tombe a grand bruit, d'une fotirce inconnue , un torrent argenté, répandant de la hauteur fes flots écumans fur 1 argile, les brousfailles , les pierres, & les arbres renverfés dans fes débordemens ; ou, fe brifant fur les collines qui retardent fa courfe, il forme une pluye légere en goutes transparentes fur les jeunes rejettons des herbes & des plantes, & produit la fertilité des champs d'alentour. Le Heros contemple avec admiration les larges fleuves du pays : il les examine dahs leur courfe tortueufe , le long de leurs rives fleuries, fe réplier en méandres autour des hameaux, des collines & des vallées. Les feux du foleil colorent d'un or bnflant leurs flots toujours agités ; on les voit  CHANT DOUZIEME. 31? dans le lointain briller en bandes argentées , tantót plus larges tantót plus étroites, felon la diftance des lieux qu'ils arrofent. L'Elbe majestueux, le plus célèbre des fleuves de cette région charmante, fixe le plus 1'attention du Général: il tient longtemps fes regards attachés fur fon cours , contemplant la rapidité dont il roule fes flots écumans vers 1'océan ; il le voit au loin couvert d'un grand nombre de radeaux, chargés des meubles & du bétail de ceux des habitans fugitifs, qui abhorrent la paix avec Rome & cherchent au dela du fleuve un afyle chez les peuples voifins. Du foramet élevé oü il fe trouve , il compte plufieurs chateaux encore en bon état, & d'autres dont les décombres jettent dans les airs de noirs tourbillons de fumée. Ces habitations dévastées étoient n'a gueres les demeures de la noblesfe protcclrice des peuples de la campagne. 11 voit de toutes parts des cabanes rulhques , formées de rofeaux & d'argile mêlé de fable. Ici s'éleve une petite ville, la un village , un hameau, une métairie, ou des chfiteaux , entourés de remparts, fondés jadis par Drufus pour le foutien des peuples alliés de Rome. Le Prince contemple d'un ceil fatisfait cette contrée charmante. ,, ó Dieux ! „ s'écrie-t-il, vous, qui ne fouffrez point ,, qu'on outrage impunément la foi publi„ que, & qui venez d'accorder aux Lé„ gions Romaines de triompher fous ma „ conduite! & vous , ó mdnes de mon O 7 S5Pe-  Ji5 GERMANICUS. „ Père, qui m'avez accompagné jusqu'ici „ pour rendre a la domination Romaine „ les pays jadis foumis par vous & de„ puis arrachés a. 1'Empire par les barba„. res ! mon cceur reconnoit vos faveurs, „ qui veillent & combattent pour moi." Ainfi parle le Prince reconnoisfant, tandis qu'on éleve, fuivant fes ordres, le trophée fur une coliine, & qu'on grave furie piedeftalles paroles fuivantes: „ L'Armée de ,, Tibere , ayant porté jusqu'en ces lieux ,, la gloire de 1'Empire , chasfé Arminius „ du Rhin jusqu'a 1'Elbe , & reconquis „ ces contrées de la Germanie , a confa„ cré ce monument, orné des armes, des „ enfeignes, & des noms des peuples vain„ cus , au grand Jupiter , a Mars, & a „ Auguste." On n'y ajoute point le nom de Germanicus, crainte d'akjuifér de nouveau la haine jaloufe de 1'Empereur. Prés des bords de 1'Elbe s'éleve , dans le voifinage d'un hameau, une citadelle ifolée, dont les habitans fe font fauvés par la fuite , & qui fert maintenant de demeure au Héros & a fes Olficiers. Le Fils de Drufus , après l'éreclion du trophée , retourne a la citadelle; &, tandis qu'un repos utile rafraichit les troupes fatiguées, il employé une partie des heures tranquilles de la nuit a 1'étude des belles-lettres; il fuit Euripide dans fa poëfie touchante, ou accompagné Aratus dans fon vol elevé. L'Expédition des dix-mille , conduits par Xenophon, qui excite encore notre admiration, fait les délaüemens du fidéle Titus,.  CHANT DOUZIEME. 319 tus, attaché fon esprit, & flatte quelque temps fes fens: bientót le fommeil, répandant autour de lui fes pavots, asfoupit fon attention; il cède aux douceurs du repos, & le parchemin glisfe de fa main fatiguée. Le Prince ne s'appercoit pas que fon ami fommeille. Tandis qu'il tracé quelques lignes, il voit tout-a-coup, a la lueur des flambeaux, un fpectre, qui femble le confidérer attentivement. Le Héros fe leve tenant encore a- la main le rofeau avec lequel il écrit : il fixe fes regards fur le phantome, qui lui paroit un jetine-homme a la fleur de Page , mais d'un maintien noble & d'une ftature plus élevée qu'un limple mortel. „ Qui es-tu ? demande „ Germanicus, que cherches-tu ici?" Le phantome lui répond: „ Je fuis le Génie „ tutélaire , que les Dieux t'ont accordé „ pour te protéger & te guider dans tes ,, démarches ; je viens t'inftruire de leur „ volonté. Les Immortels te défcndent „ de pasfer 1'Elbe, au bord Occidental du„ quel tu as établi la domination Romai„ ne. Contente-toi des régions foumifes. par toi aux loix de 1'Empire. Retour„ nes a la ville des Ubiens, cc, fi des revers funestes viennent t'asfiéger, espe„ res en Jupiter, il te protégera; il cein„ dra ta téte de lauriers ; il te conduira ,, en triomphe au capitole. Ne crains rien ,, de la fecrette haine de Tibere: quelles „ que foient fes fureurs , les Dieux bien„ faifans ^veilleront fur toi k Rome ; &, loin d'y avoir rien a craindre de 1'Em- » Pe-  sso GERMANICUS. pereur , lui-même t'élevera de plus en „ plus : tu verras fous ton obéisfance les „ peuples nombreux des rives du Nil; „ 1'Orient honnorera tes vertus .comme elles font honnorées dans ces contrées; „ je te conduirai par 1'ordre des Dieux en „ ces régions lointaines ; je t'y verrai en, richir ton esprit de connoisfances uti,1 les, lorsque ton ame ravie rechercbera „ avec ardeur toutes les merveilles confa„ crées dans 1'histoire." „ Mais Tibere, ,, replique le Prince ému, Tibere ne s'ef„ forcera-t'il pas de perdre ma familie'?" „ Ton fils , répond le Génie tutélaire , „ règnera après lui, & même ton petit-fils „ gouvernera 1'Empire. II ne m'est pas „ permis, Prince, de t'en dire davanta, 'eur fort, s écne: „Sauvons ces infortunés s'il ,? est encore posüble." Son ame compatisfante vole vers eux, & dévance, pour arnli dire, fa galère, dont les rameurs redoublent d efforts par fon ordre. II aPP ' pro-  33i GERMANICUS. hroché non fans risque, du triste débris, S reco'it Z fon bord tous ceux que les flots ont épargnés. Quelle reconnois ance ne témoignen? pas au Héros ces malheu- reufes viétimes , w*™*^?**^ foins généreux, au péril de fes jnopies lours! Pifon lui-même, touché de jamde Snanimité, lui jure, les yetix baisfé8, de reconnoltre un tel bienfait; &, ie re mocl am intérieuretnent fa conduite envers Fe Snee, 11 condamne dans fon cceur fon ambiXn'deplacée, & la haine mjuste de ïLer vaisfeau de Germanicus touche enfin le rivage ant defiré. II quitte «istement IL hord & fent douleur s'augmenter i chaaue' inftant par de funestes reflexion ^ mal'ré les prieres de les amis. 11 s asliea , ^ foupira.it, fur la cóte, &rappelle4 £ esprit a?gité ^^^TLfJS ^éitérées d'Aniiiniu^ ïfafpS perte e'ntiere du fruit de es Sircs" englouti pour jamais dans le vaste Océan. Son ame penfive confiderè toutes les vicisfitudes du fo la ïnndeur & les revers des plus lultres Seis II fe reprérente Paul-Emile, revenu vainqtieur, & qui, presqueaumeme Sn qu' 1 monte au char de.la victoire voit mouvir tristement le dernier gage de fon hymen.&déploreaumiheudu mom  CHANT TREIZIEME. 333 phe les malheurs de fa maifon; le vailJant Antoiue , bleslë , expirant, enfeveli meme avant fa mort; Célar, qui donna o«-s Imx a Rome ; & le grand Pompée , qui ofa combattre Céfar: il voit 1'un masjacré par fes amis dans le Sénat même , 1 autre tué dans un esquif, en fuiant. 11 le rapelle les revers de Marius , jouet de la fortune mconlhnte , & aslïs dans fon exil lur les ruines de Carthage. „ Ah.! ,, dit-ilen lui-même, comment uii foib'e „ mortel pourroit-il réfifier aux coups du „ lort, lorsque les Etats les plus célèbres ,, & les mieux affermis ne font pas a' >, 1 abri de fa fatale inconfiance ! Syracuie n est-elle pas détruite? Les remparts 5, de la fiere Corinthe & de Carthage ne ,, lont-ife pas tombés ? Que reste t-ibde ces cués fuperbes ? Peut-être un jour ,, Ja postérité contemplera-t'elle la magni,, hque Rome dans un état femblable.' 3, Uieux! daignez écarter ce malheur; & ,, quels que foient les caprices du fort' ,, que Korae triomphe a jamais de la forss tune & des temps!" Au milieu de ces fombres penfées, dont fon esprit affligé s'occupe , le fonS vient répandrefes pavots fiir fes fens épu 1 fes de ftttgue. Ce n'est point ce fomme 1 pa.fible qui porte le calme, appaife les inquiétudes & fortïfie le cceur affinbli;m X c est le pénible asfoupisfement d'un'mala! de dans la fievre brülante, qui nourrit fa maladte, en ne pe.gnant a fon imagination qne des malheurs, & faifant errer fon ame P 3 agU  331 GERMANICU S. agitée fur mille objets funestes. Le Prince fe trouve en fonge loin des rives Cauchéennes ; il approche de fa chere Patrie, fuivi de fon armée : il croit déja voir le Tibre , il le traverfe , mais il ne trouve plus Rome dans Rome même : de quel córé qu'il promene fes regards, il ne voit qu'un théatre effrayant de déstruciion, de ruine, & d'horrenr. Rome , cette ville fuperbe , qu'on ne contemple iamais qu'avec une admiration toujours nouvelle; Rome, enrichie de temples, de palais, & d'autres édirkes magnifiques, loutenus par des colomnes de granit cc de marbrc; batimens fomptueux, qui remplisfoient le monde entier d'étonnement, & faifoient demander aux étrangers , éblouis au premier coup d'ceil : „ Tous ces arts, toute cette pompe, toute cette magnificence, font-iis les ouvra„ ges des hommes? Sont-ce la les pro„ duciions de leur génie? La terre portat'elle aifez d'alimens pour en nourrir " tous les ouvriers?" Cette Rome, dont 3a gloire s'éleva jusqu'aux astres , n'ofFre en eet inftaut a Germanicus qu'une masfe confufe de pierres , entasfées dans la pousfiere. Le théatre de Marcellus est en ruines ; celui de Céfar n'est plus qu'un mon« ceau dc décombres. Le fuperbe palais d'Agriopa est renverfé jusqu'aux fondemens. " Les ftatues des Héros font brifées , couvertes de rouille , ou jettées indignement dans un coin par 1'ignorance ; ici Pon voit encore leurs piédestaux, dont Pin-  CHANT TREIZIEME. 335 beau corps } pmé de maiM & . de .nïrK UnrbraS dC n,étal' 011 u"e ^ couvert de mousfe & d'arbrisfeaux. Le gfcffl"Ct d^Rome n'est P]™ I , n fV '11^' 011 pa!sfenc des taureaux. «nrfK^abks tabkaux, fauvés de Pin* nt,'e deConnthe, font foulés aux pieds; moifiï déc.°uvre enterrés fous ie fable ÏSS.» Sdtés' & méconnoisfables. Ces «queducs, monumens fameux du génie des bre /lèvV f?™éS Par des arcades de mar' nliinrp *lM U"es au-dcs'uS des autres. ma n enant a-derni renverfés, ne font plus qu un mélange informe de pierres & de !ull*\Lï Capit0,le & lc terap" »«j<ï Srïïf H, J"PUer f°nt éCr°UléS ' & COl!marrh.» . -«"^ S*"8 leUfS bafeS & lellls les piécieux ornemens des chceurs de jasfhV fonrryH al' r! marl;re Verd ou d'a««ere , ou enkvehs fous les décombres Les palais & ks bains fervent de retrïftê aux corbeaux & aux corneilks. Les co ÏS' I6 Cèdre' lc -a^bre Po? Pêfe m5k f?1**?' tof «t confondu S*= J3-i ^es raalui"es énormes, restes lantes dï"-^"1528^ ces chtiS 1 ™ v/ Pien'es' 1" on voit de tous cótés è moitié rompues, détachées & couver es de poudre, effroyables a voir, non S dangereuies | 1'approche & prêtes a c?Óu! «r au moindre bruit, augnientent Phor^ 4 reut  s36 GERMANICÜ S. rcur du triste Tpectacle des remparts & des tours renverfées. On ne distingue ni le commencement ni la fin des rues & des quartiers. On reeonnolt a peine le grand cirque. Les restes précieux des ancêtres , toujours facrés au peuple Romain, nè furent point a 1'abri de la destruétion dans les urnes de bronze ou de marbre, qui les renfennoient ; 1'injure des temps , qui fit tomber les palais, les cours, les temples , qui entasfe fur des calamités fonflertes les calamités encore a fouffrir , disperfa les cendres dans les vastes falies des maufolées, confondant enfemble les restes des esclaves & des grands. A cette vue défolante, Germanicus , déja. accablé de fon propre malheur, fent augmenter fes chagrins & fes peines. Pendant ce pénible°fommeil on voit fon vifage fe couvrir d'une fueur froide; il paroit en proie a une agitation accablante ; il trenible, il foupire, mais il ne fe réveille pas. II parcourt en fonge Pimmenfe enceinre de la ville , espérant de découvrir quelques vestiges du palais de Drufus, fon pere; mais il est a chaque pas arrêté par des montagnes de ruines. Seul , errant dans ces eflrayantes folitudes, il croit tout-a-coup reconnoitre les ruines du palais d'Auguste : il pénètre , en fe courbant, au milieu des décombres, & entre enfin dans une des falies: au lieu de monarque & de courtifans , il ne voit qu'un emplacement défert, privé de toute orobre  CHANT TREIZIEME. 337 de magnificence: il descend dans une autre falie voutée, ou il découvre dans 1'obfcurité, a la foible lueur d'une lampe presque éteinte, un pauvre vieillard & fa femme. „ Ah! parlez, leur dit-il, n'est-ce pas „ ici une des chambres des bains d'Au„ guste ?" „11 fe pourroit, répond le veil„ lard , que celui que tu nommes ainfi, „ eüt habité jadis cette maifon a Rome • „ fon nom m'est ausfi inconnu que fa del „ meure ; cette antique mafure nous fert „ d'afyle dans nos malheurs." „ Grands Dieux! s'écrie Germanicus, ö comble „ de délblation! Auguste inconnu! le nom „ d'Auguste oublié ! le capitole détruit ! „ Rome déferte éc renverfée! Qui fcait, fi „ 1'univers lui-même ne s'écroulera pas un jour !" Le Prince fe réveille en tremblant a ces mots, & pousfant ces cris entrecoupés : ., ó Rome i ö Rome!" Le fidele Titus s'appercoit de fa violent» émotion; il accourt, & Pembrasfe: le Héros ne lui découvre point fon fonge, crainte d'augmenter par ce récit la douleur Générale : cependant ce fonge affreux fait couler fes pleurs , en même temps qu'il s attnste fur le fort de fes troupes. II monte fur la plus élevée des'dunesil promene au loin fes regards fur la fur* face de 1'Océan , mais tout ce qui frappe fes yeux met le comble a fes chagrinsici il voit dotter un mar ou une ver  344 GERMANICUS. , contrées du Rhin & du Mein. Si^ Is puisfance Germanique peut, amü qu uit " juste espoir me le perfuade , fe rétablir dans les provinces Gauloifes, nous !, verrons bientöt plufieurs peuples de les régions fe joindre a nous pour chasler " les Romains au-dela du fleuve. Le Roi Arpus approuve ce discours ïntrépide- mais la fage Prêtresfe leur réprefente, qu'en asfiegéant Moguntia on doit.sattendre a une réfiltance opiniatre & vigoureufe „ Apronius, pourfuit-elle, s'est rendit „ maitre des deux fleuves; ü est. de la plus grande importance de ne rien enfreprendre au hazard, afin que le re" pentir ne fuive pas une démarche ïncon" üdérée: il feroit bien plus facile d em" porter cette ville, fi bien fortifiée, en " mettant les habitans dans notre parti; " nous avons tous des amis ou des parens dans cette cité ; il ne fiuidroit qu un \ émisfaire habile , qui eüt asfez de coura, ge & d'adresfe pour les informer de 110tre projet: de quelle utilité ne nous ie" roit pas leur asfifiance ! alors vous pourriez faire avancer 1'armée vers les bords „ du Rhin, pour les foutenir a la premiere occafion favorable." Le confeil de la Prêtresfe est approuvé des deux guerriers. „ Mais oü trouver, dit le Roi des Cattes, un homme en état de remphr " cette commisfion dangereufe; il perdra ,' la vie s'il est découvert, & a qui ole„ rons-nous confier un fecret de cette importance.. V „ Au Chef des facnficat em-s  CHANT TREIZ1EME. 345 ,, de Wodan, réplique Arminius ; nous „ pouvons tout confier a fa prudence; ,, peut-être pourra-t'il lever 1'obitacle , qui „ nous arrête." On découvre auslï-töt 1'entrepnfe a Libys. Le rufé vieillard concoit a linltant le defir de faire lui-même ce voyage; il offre fa perfonne aux Princes & sapprête bientót a partir: il couvre fa robe facerdotale d'un babit peu remarquabie, afin de s'introduire plus facilement dans Moguntia. i Tan.dis, , miné des Romains." Le généreux Vieiliard juge cette réponfe indigne de réplique_; il quitte 1'appartement & s'apprète k partir. Aurinie tache envafn par fa prudence de modérer fa bouillante colere • il retourne a fa contrée , lbivi de pluficurs d entre les grands, & fépare les intéréts dè les Ltats de ceux des alliés. La fierté de ces dermers s inquiète peu de fon mécontentement; après fon départ on offre le coinmandement au Roi des Cattes, qui rasfemble ausfi-tct les troupes & les fait marcher vers le Rhin, afin de foutenir par les ariries 1 entreprife commencée par la rufe Cependant les Bataves a larrivée'de germanicus apprennent Ie malheur de la Hotte. Le fort déplorable de leur Roi Canovalde excite une douleur univerfelletout est plongé dans Ie deuil au récit de ra perte des vaisfeaux & des guerriers jusqu a ce que le bruit fe répand, que Ja plus grande partie de la flotte des Bataves a touché 1'isle d'AIbion. La joye s'augmente bientót a la nouvelle, qu'on découvre du fommet de Mattilo & des autres dunes une flotte s'approchant de la Batavie. Le Prince, accompagné de fa fuite fidele, accourt fur le rivage: il voit avec une joye inexprimable une partie de fes galéres principales furgir au port: cinq vaisfeaux, déla-  348 GERMANICUS. labrés par les fecousfes des vagues impétueufes, augmentent la flotte, qui les amène derrière-elle. Stertinius est fur la galère de Vitellius, ainfi que Segeste avec fon frere Segimer & le vaillant Flavius, fauvés tous trois par les foins généreux des deux premiers. Qui pourroit exprimer la joye du Fils de Drulus a la vue de tant de braves guerriers , qu'il croyoit perdus pour jamais? Stertinius 1'inftruit de tout ce qui leur est arrivé depuis leur funeste féparation. ,, Lorsque le calme eut fuccedé a la „ tempête, dit-il, notre vaisfeau fe trou„ va tout-a-fait éloigné de la flotte. Pen„ dant douze jours entiers, qui nous parurent autant de fiècles , nous errames „ au gré des vents, ne fgachant de quel „ cóté diriger nos vues: privés de tout „ confeil & presque désefperés, enfin nous „ découvrimes une isle, au nord , non loin de la cóte: nous nous en appro„ chames, espérant y trouver une fource „ d'eau douce, pour appaifer la foif brülan„ te, qu'éprouvoient depuis quelques jours „ nos matelots: a peine y jettames-nous „ Pancre, que nous la vimes tout-a-coup „ transformée en un monftre marin ausfi „ affreux qu'énorme, dont PafpeéF prodjgieux remplit de terreur les plus hardis de nos gens; il fit entendre des fons „ effrayans^& fouffla par fes larges narines „ deux torrens d'eau jaillisfante; fa vaste „ queue agita les vagues avec tant de „ violence, que notre navire en fut inon- 5, dej  CHANT TREIZIEME. 34? » të; il nous rejctta de fon dos; puis „ senfuyant au ]oin dans i'Océan! Ü hilï fa derrière lui une longue tracé d'écu ne „ bbnehftoe, & sknfon°ca enfuite loin Z » nvage escarpé. Notre lort de vin tacha" „ que mftant plus déplorable. Le mon. „ ftre nous avoit laisfés prés d'un roe fur " rn?"é Xer,vaitau' déj'afort cnd™" Z T\ a feJbn.fer; "ous eumes a pei„ ne Je temps de fauver le triste reste de „ nos Jours. Emourés d£s homa^ je " 1 mort'nous fumes effrayés de nou- " ft re? P? 'nS am"eUX d'autrcs " 1m a'i™ ft savran?ant en planant dans „ les airs, fe poferent fur le ibmmet du „ rocher ande; ils nous parurent être des „ oifeaux, asfis fur leurs nids: la nature „ les avoit étrangement formés: leur plu„ niage étoit blanc , leurs becs & letus " ?rSrr°ilges' au reste d'""e grandeur „ démefurée; un large fac, prodiS' „ ment gonflé, s'étendoit fous leur Crïe „ & leur poitnne: ils en tiroient des ali„ mens pour leurs petits, qui ks rece„ voient avec voracité dans leurs beCS „ béan s. Le guerrier k plus couraS " 5g?blMt aux cris aiSus de ces 5 „ ailés, craignant de kur fervir bientót „ Vitellius parut avec le peu de vaisfeaux „ bord, & nous échappames parfes feco.,r« " aU,Lh0rreU1'S d'«."e "ort Lvitlb T „ peine nous eüt-il recueillis, que noïs „ appercumes plufkurs autres de nos na! „ vi-  S5o GERMANICU S. „ vires, qui tous avoient beaucoup fouf„ fert, quoique moins que nous. Chacun „ raconta, les maux qu'il avoit esfuyés, & „ les prodiges dont ils avoient été témoins. „ Les uns avoient vu iortir des flammes „ du fein de 1'Océan, pendant que la tem„ pête fracasfoit leur navire ; les autres „ avoient été templis de terreur a la vue „ d'un Phénomène étonnant, qui éclairoit ,, toute la voute du ciel, tandis qu'ils en„ tendoient les flots mugir, agités par des monftres marins , qui dé«>roient d'autres „ monftres plus foibles. Plus loin nous ,, trouvames prés d'un écueil, fur un cap, „ les débris du vaisfeau de Segeste; les „ matelots infortunés, jettés fur ce rivage „ défert, manquant de toute fubiiftance, „ s'étoient nourris en ce péril presfant de la chair de quelques chevaux, jettés par „ les flots fur le fable; des ours furieux, „ descendus des rochers avec des hurle- mens effroyabks, venoient leur disputer „ encore cette triste nourriture ; & plus d'u„ ne fois ces animaux affamés en avoient „ enlevé des morceaux entiers auprès „ de leurs feux allumés. Enfin, acheve „ Stertinius , nous eumes le bonheur „ d'être inftruits, que tu étois arrivé en fureté aux rives Cauchéennes, & de-la „ parti pour ks cótes hospitalieres des „ Bataves; cette heureufe nouvelle nous fit presfer notre voyage, qui s'est ter„ miné par notre iéunion fortunée fur ces „ parages." Germanicus prend alors la réfolution de mar-  CHANT TREIZIEME. 3SX marcher vers la Meute; il te flntte, non fans. quelque vraifemblance, qu'une autre partie des troupes, fauvée par les Dieux bienfaifans, aura cherché un afyle dans le lac d'Helium , ou dans les lieux, oü la Meute décharge fon urne dans 1'Océan. Jl y retrouve avec joye une grande partie des flottes des alliés, déja revenues des cótcs d'Albion. Les navires des Taxandrcs, des Bataves, des Frifons, arrivent chaque jour de toutes parts. Les matelots, plems de reconnoisfance , parfument les plaines & les prairies de Fencens, qu'ils brülent fur les autels allumés a 1'honneur de Nehallenie, la Diane des Taxandres, au fecours de laquelle ils te croyent redevables de leur contervation. Dans ces mêmes inlians on apprend par Vitellius, que tous les vaisfeaux, envoyés par le Prince des rives Cauchéennes a la découverte de la flotte disperfée, font arrivés en bon état a 1'embouchure oriëntale du Rhin, avec un grand nombre de guerriers , fauvés par leurs foins; que cependant une quantité asfez confidérable a péri de faim fur les cótes des Barbares; que les Angrivariens, auxquels le Héros avoit donné des marqués de fa magnanimité par 1'oubli des injures pasfées, ont reconnu généieufement tes bontés, en rachettant a tout prix les Romains trouvés par les ennemis, & disperfés pour fubir enfuite le joug de Fesclavage; qu'ils les ont pourvus d'abondantes provifions & reconduit eux-mêmes aux vaisfeaux. Ger- ma-  352 GERMANICUS» manicus fe montre touché de cette géné. rofité , & promet de rembourfer d'une main libérale les dépeufes des alliés, qui Pont accompagné. 11 fait partir les troup.s pour les contrées des Ubiens; lui-même ne quitte Pisle des Bataves qu'après avoir renouvellé follemnellement Pancienne alliance avec les principaux du Pays. II part bientót après, accompagné de quelques amis choilis, marchant le long de la cóte méridionale de Pisle ; il traverfe rapidement les lieux, oü la Meufefait entendre au loin le mugisfement de fes eaux, & plus haut oü le Vahal roule en murmurant fes vagues rapides. II arrivé enfin fur les bords du Rhin, au bruit des acclamations réitérées des peuples, & trouve dans les remparts de Vétera quelque relache a. fes tra* ▼aux. GER-  GERMANICUS. CHANT QUATORZIEME. jCependant le S&crificateur Libys pourfuit fon voyage. 11 eut a peine appris dans les régions étendues des Cattes, que le Prince Inguiomer, irrité par le dépit, avoit renoncé a 1'alliance d'Arminius, fon neveu, & a celle du Hoi Arpus , & que ce dernier étoit chargé du commandement des troupes Germaniques, qu'il forme le desfein de fe fervir de 1'occafion imprévue; fa perfide fagacité femble même y trouver plus de facilité pour faire tomber le Gouverneur Romain dans fes filets. Conduit bientót devant Apronius^, il lui parle en ces termes: „ Ie „ n'aurois jamais cru, Héros illustre, lórs,, que j'étois honnoré & fervi dans ma Patrie , que je me trouverois un jour „ contrahit d'implorer la proteclion Ro,, maine ; & que , forcé par le danger „ de mes jours a fuir mes compatriotes, ,, je viendrois te fupplier de m'accorder „ un afyle dans les murs de Moguntia." En proférant ces mots il fe feiut accablé d'une douleur profonde, afin d'exciter la pitié dans le coeur généreux du Gouverneur. „ Qui es-tu? lui demande Apro„ nius. Quelle infortune t'oblige a cher„ cher ton falut dans ces remparts?Si tu „ defires trouver en moi un proteéteur, Q „ il  354- GERMANICUS. ,, il est.de ton devoir de me découvrir ,, ingénuement la vérité." ,, Hélas! £ ,, quoi me ferviroit la feinte, lui répond „ Libys, chacun fcait de quelle honnora„ ble dignité j'ai été revêtu dans la Ger- manie, bien que je gardasfe le filence, ,, cjiacun pourroit te découvrir & mon „ nom & mon rang. Tu vois devant toi „ Libys, le premier des Prêtres de Wo„ dan. Ecoute-moi, Apronius, & juge „ toi même de ma fmcerité par les cho„ fes que je vais te révéler." ,, A peine le Chef héroique de 1'armée „ Romaine eut-il vaincu nos troupes jus,, ques a deux fois, & contraint les fbr,, ces guerrieres de la Germanie de s'en,, fuir du camp enfangianté, qu'un grand „ nombre des peuples circonvoifins pri„ rent la réfolution, craignant pour leurs „ jours, de chercher un afyle au de-la de „ 1'Elbe: pendant qu'ils y accouroient de „ toutes parts, ils apprirent, que la flotte de Germanicus avoit esfuyé une horri„ ble tempête, & qu'aticun des vaisfeaux Romains n'avoit échappé ii la fureur des „ flots. Cette nouvelle inattendue fit re- naitre par-tout le courage; & 1'on paria „ d'abord de fe remettre en campagne pour „ attaquer Vétera, perfuadé que cette for, teresfe feroit mainten.mt hors d'état _de „ réfister aux armes Germaniques. Le Roi des Marfes nous promit, non feu„ lement de nous donner un libre pasfa- ge jusqu'a la Lippe, mais encore de „ joindre toutes fes forces aux nótres. ,5 Ce-  CHAN T QUA TORZIEME. 355 „ Cependant Arminius , dangereufement „ bleslé dans Ja demiere bataille, fe trou„ vant trop foible pour ie charger du commandement des troupes, il s'éleva une „ dispute furieufe fur celui, a qui 1'on „ conlieroit cette importante dignité. Qui „ fcauroit modérer méme dans les cceurs „ héroiques le defir d'obtenir le premier „ rang? D'un coté, le Roi des Cattes „ prétendit a eet honneur périlleux; de „ 1'autre, Tonele d'Arminius, le magnani„ me Inguiomer. Ce Prince , quoique „ foutenu avec ardeur par plufieurs de „ nos Chefs, a du céder, hélas! a fon „ ambitieux rival. Enflammé de courroux a „ eet outrage, Inguiomer s'est retiré dans „ fes états. J'avois appuyé de tout mon „ pouvoir fes justes prétentions ; je me „ vis bientót en bute après fon départ i „ la haine du Roi des Cattes. Ce tyrau ,, donna même en fecret Pordre de m'as„ fasfiner , convaincu que ma prudence „ ne mettroit que des entraves a fon am„ bition. Ne me trouvant plus en fftreté „ prés de lui, j'ai pris le parti de fau„ ver mes jours fous eet habit , & ce „ n est pas fans peine que j'ai pu me fou,, ftraire a fes fureurs. Daigne, Apronius, ,, m'accorder un afyle foiitaire dans ton „ gouvernement ; protégé un infortuné „ fans appui ; laisfe-toi toucher par mon ,, triste fort." Ainfi gémit Phyène farouche, épiant le voyageur, qui, abufé par fes cris fimulés, devient bientót la viftime de Ion ïmprudeute pitié. Q a Le  355 GERMANICUS. Le Gouverneur, en lui prêtant une oreïlle attentive, ne découvre rien dans fes discours ni dans fon maintien, qui puisfe lui donner de la défiance, ou faire craindre une trahifon. II fcavoit déja, que le Fils de Drufus étoit échappé du naufrage, & que Cecina s'avancoit avec Fautre moitié de 1'armée vers les contrées des Ubiens, oü il étoit attendu de jour en jour. Sans doute ces circonftances lui font inconnues, dit en lui-même Apronius; mais, après tout, un prêtre , élevé a la dignité de premier Sacrificateur, auroit-il hazardé une telle démarche ? Faifons-le paroitre devant les principaux Germains , confiés ici a mes foins, je découvrirai bientót par eux, fi ce vieillard est fincere dans fes discours. La noblesfe Germanique fous la garde d'Apronius étoit déja informée du malheur de la flotte: le bruit s'étoit répandu deplus, que Segeste & fon frere avoient été engloutis. La renommée dans fes recits mêle fouvent le menfonge a la vérité. Appellés par les ordres du Gouverneur, ils paroisfent a peine devant lui, qu'ils témoignent leurfurprife de voir le Druide, & lui demandent avec empresfement la raifon, qui lui a fait quitter fes foyers. II leur répete tout ce qu'il a déja fait entendre a Apronius. Waldrade & üeudorix femblent s'indigner, qu'il accufe le Roi des Cattes d'avoir medité un meurtre; ils le regardent 1'un & Fautre avec des yeux étincelans dc courroux. La belle Theusnilde, toujours tendrement attachée k fon Epoux, s'informe, dans mille ques- tions  CHAN T QUATO R Z IE ME. ^7 tions répétées, de 1'état de fes blesfures.Lc Gouverneur le voyant répondre a chaque demande fans fe deconcerter , ne craint plus rien de fa préfence; il fe flatte, qu'en recevant favorablement un Druide il attachera les cceurs des Germains plus fortemenc encore aux intéréts de Rome: plein de cette penfée, il lui offre a Mnamuia un afyle asfuré contre la disgrace d'Arpus, & 1'exhorte a rester deformais fidele a 1'üinpire, dont les faveurs fcavent récompenfer les fervices de fes amis. Le Vieillard feint la plus grande reconnoisfance pour les buntés du Gouverneur ; qui fait a 1'inftant avertir les Ubiens, que les Tudesques fe remettent en campagne, & qu'il est necesfaire de veiller a la fureté de Vétera. Ausfi-tót que le Druide fe voit feul avec Segimond & Sezithacus, il leur découvre la véritable caufe de fon voyage, fe félicitant d'avoir abul'é le Gouverneur par des véntés adroitement mólées de menfonges. „ C'est maintenant, Princes, leur dit-il, „ qu'il est temps ou jamais de réparer nos „ pertes par la prife de la riche Mogun?, tia , & de détourner la ruine de la „ Germanie, en nous rétablisfant dans 'es j, provinces Gauloifes. Qui pourroit vous „ obhger maintenant a plier fous la ty„ rannie de Rome avec tant de dévouc,, ment? Depuis que vos peres ont fubi „ le trépas, & que 1'Empereur ne peut „ deformais espérer aucun foutien de leur „ fidelité, ce tyran dédaignera vos fervi„ ces comme inutiles a fes intéréts ; qui Q 3 „ fcait  358 GERMANICUS. fcait même, s'il ne vous condamnera pas „ a un cruel esclavage? Prévenez ce mal,) heur: reprenez votre liberté: procure/: aux vórres ce bien précieux. L'ambi3, tieufe Rome ne peut plus s'oppofer a ,s vosprogrès , depuis que la mer a englou3, li fes légions." Nous fommes prêts, lui répond SezN ,, thacus, a tout cntreprendre pour la pa5, trie, fi tu peux feulement nous indiquer le moyen de livrer cette ville a nos amis." ,, Le Gouverneur lui-même, dit s, le prêtre , vous procurera ce moyen s, s'il veut confentir a la demande qu'il importe de lui faire. Allez le prier, qu'il „ .vous accorde d'élever , felon la coütu3, me de nos ancêtres , un tombeau de gazon a 1'honneur de vos peres, & de faire un faerifice folemnel pour le repos .„ de leurs ombres; je ne crois pas, qu'il vous refufe d'accomplir ce pieux devoir, ,, &, s'il vous 1'accorde , le fuccès est cer,, tain. La plus grande partie des citoyens ,, de cette ville est compofée de Germains : ,, ils nous frayeront avec joye le chemin ,, de Ia victoire; leurs ames ardentes brü3, lent d'amour pour la liberté; ils infpire3, ront le même defir a leurs concitoyens: ,, lejoug tyrannique de Rome déplalt aux ,, fiers Gaulois autant qu'a nous; je les a- ménerai fans peine a nous donner du fe- cours. Invitez Apronius a honnorer le fa,, crifice de fa préfence; & la en bute a nos ,, glaives héroiques, qu'on le dévoue a Ia mort avec tous ceux qui 1'accompagne- s» ront,  CHANT QJJA TORZIEME. 359 „ ront, tandis que les citovcns feront main„ basfe fur la garnifon. Le'Roi des Cattes, >, qui s'approche a la tête de 1'armée Germanique, & qui n'attend que les inftruc„ «ons conventies, traverfera lc Mein & le 55 Rhin , afin d'arriver ici au moment nécesfaire, pourasfirrer le fuccès de l'entre„ puk/ Les Princes Germains, fatisfaits de ce projet & prêts a tout, donnent a Libys des marqués de leur reconnoisfance. Allez.leur dit-il, allez communiquer eet ,, important fecret a vos amis, a vos pa99 rensj que quiconque fe fent asfez de cou„ rage vous Ibutienuc dans cette utile en„ trepnfe; pour moi, je me charae d'in„ llruireje Roi des Cattes du pro'grès de „ nos foins, avant que les fombres voiles ., de la nuit aient obscurci 1'horizon." A peine I'astre du jour répatidoitil fes feux bnllans fur Ja ville menacée, que les 1 rmces vont fupplier le Gouverneur de ne pas refufer a leur tendresfe filiale de rendre dans Moguntia les derniers devoirs aux mftnes de leurs peres par 1'oflrande d'un lacnfice folemnel. Ils feignenf d'avoir appris que leurs corps ont été trouvés fur le nvage. „ Hélas! dit Sezitbacus, qui fcait la douleur amere, qui affeéle peut - être „ leurs ombres errantes , puisque leurs „ corps, couverts tout au plus d'un peu „ de terre accordée par la pitié , feront „ pnvés de tombeaux de gazon, telsqu'on „ les énge aux princes dans nos con„ trees. Ah! que ta vertu généreufe daigne „ procurer a leurs ames le repos tant deQ 4 „ firé.  gffo GERMANICUS. ,, firé. Ce n'est point pour des Princes en„ nemis que nous follicitons cette faveur, mais pour des amis de 1'Empire, des al„ liés fideles: montre , ö Apronius! en „ leur accordant ces honneurs accoutu„ més, a quel point la puisfante Rome 3, ngréoit leurs fervices.'' „Allez, Princes, leur répond le Gouverneur, allez accom3, plir votre pompe funèbre, ainfi que vous s, le defirez ; je vous vois avec joye fidc- les a ces devoirs facrés. Que le prêtre „ de Wodan prélide au faerifice, & n'ayez ,, aucune inquiétude fur les dépenfes né3, cesfaires pour cette triste cérémonie. Vos 3, peres n'on point démenti la fidelité jurée 3, a 1'Empire. Rome, touchéede leur fort, ,, mêlera fes larmes aux vótres." ,, Hon3, nore la fête du faerifice par ta préfence, „ réprend Ségimond ; qu'elle en fasfe la ,, pompe & le principal ornement; remplis 3, avec les premiers de la ville & de Par„ mée les places vuides de nos honnorables •„ compatriotes." Apronius, abufé, acceptc la perfide invitation. Ausli-tót les deux Germains fe rendent anprès du Druide pour confulter avec lui fur la maniere d'exécuter le complot. On choifit d'abord le jour destirié a la trahifon. Les caresfes trompeufes de la feinte amitié font mille fois plus a craindre que les emportemens d'une haine déclarée. Tandis que la joye épanouït les cceurs des femmes Tudesques, qui fe croient déja délivrées de Pesclavage, la Fille de Catumarus, 1'aimable Nantilde, est feule en proye a  CHANT QUATORZIEME, 361 è la douleur la plus cruelle, a la nouvelle du lort prétendu de Flavius. Asfurée d'obtenir fa liberté par les foins & 1'amour du jeune héros, elle n'avoit point hefité a lui promettre fa foi; maintenant fa mort, dont 011 vient, 1'inftruire, la réplonge dans les chaines, fans qu'elle puisfe en prévoir le terme; & le projet coupable de Libys aggrave encore les malheurs. Quelque accablant que lui paroisfe le joug de Fesclavage, elle iie veut point devoir fa liberté au crime, bon ame généreufe lui peint un peuple innocent, masfacré par le glaive meurtrier; Moguntia réduite eii cendres; les guerriers Romains inhumainement asfasfinés. „ Ah! >, dit-elle dans fon coeur, quene puis-jeen 5> ce moment reconnoitre les bontés du Héros de Rome: Germanicus, tes ver„ tus t'avoient acquis des droits immor-i ,, tels fur ma reconnoisfance; ton naufra5, ge me caufe une peine que je ne peux „ exprimer. Encore fi 1'infortuné Flavius „ eut échappé a la tempête , je pourrois lui „ révéler en fecret Faflreux complot, qui „ fe trame; mais a quel autre puis-je con„ fier une affaire ausfi délicate? De Fau,, tre coté , mon cceur éprouve une pitié „ involontaire pour les cruels auteurs de ,, ce projet atroce; fi je parle, je les dé„ voue au fupplice; &, fi une autre bouche que la mienne inflruit Apronius, je ,, dois m'attendre a voir mon nom fur la „ hste des coupables; 011 me punira pour „ les crimes dautrui; mon corps restera „ privé de fépulture; ma gloire fera fouilQ 5 „ Iée  3Ö2 GERMANICUS. „ lée par la complicité d'un forfait; le mé,, pris infultant fera mon partage: 1'op„ probre, dira-t'on, est le juste falaire de „ la perfidie: hélas ! commentpréferver mes a, compatriotes de la mortV comment fau- ver Rome, Moguntia, & moi-même ? „ Ainfi flotte d'une réfolution a Fautre „ 1'efprit affligé de Nantilde , animée s, d'une part de la reconnoisfance, rete3, nue de fautre par la pitié, tandis que „ les heures fatales s'écoulent. Telle on 5, voit une tendre fleur fur la furface de 3, Tonde portée ca & la par le fouffle des s, vents. Cependant les Princes s'asfu- rent fans délai des dispofitions de leurs „ amis; & le Roi des Cattes, inflruit de leurs démarehes, s'avance k la tête d'u- ne puisfante armée." Le Fils de Drufus, maintenant a Vétera, fa!t partir un exprès pour la Capitale de 1'Empire avec des lettres écrites a 1'Empereur & au Sénat. II leur donne avis de la doublé vietoire remportée fur Arminius, & de Fefpoir qu'il concoit d'unir la grande Germanie aux dominatious Romaines, s'il lui est accordé de continuer la guerre encore une année. Pour donner plus d'authenticité a fes recits, il y joint le plan du trophée, qu'il a fait ériger fur les rives de 1'Elbe. II ne cache point le desastre de la flotte fur 1'Océan Germanique ; & fon ame, qui déplore le triste fort des légions, ne craint pas de montrer toute 1'étendue de fa fenfrble humanité. Le Prince apprend alors la nouvelle in at-  CHANTQJJA TORZIEME. 36j attendue du péril, dont est menacée la fortercsle de Vétera par 1'armée aux ordres du tier Arpus; 1'avis en est recu de la ville des Ubiens. Germanicus est étonné que Ie Roi des Cattes ofe s'approcher avec tant d'audace après les défaites réiterées d Arminius. Tandis que cette nouvelle tient Ie Héros dans une juste défianc» la garde de la citadelle voit arriver une troupe nombreufe de nobles Germains, qui demandent avec inftance de parler au Général. Le Prince leur accorde bientót audience. On voit a leur tête le Roi MaJouendus, que les Marles ont cboifi pour chef de leur armée depuis la mort de Liscus , & qui a conclu depuis peu Ja pnix avec Rome. II porte la parole pour tous, & s exphque en ces termes : „ Nous fom„ mes infiruits, illustre Fils de Drufus „ des malheurs qu'ont esfuyés tes vais„ feaux; & nos cceurs fideles, touchés j, des infortunés qui t'accablent, fe font „ un devoir de te foustraire, s'il est pos„ lible, a des revers plus funestes encore. " r ,, 01 des Cattes a de nouveau ras„ iemblé des forces rédoutables, & mena„ ce d'envahir Moguntia." Ces mots répandent un trcuble fubit dans Fame du Prince. „ Quoi! dit-il avec quelque émoê> tion , Arpus auroit-il formé ce projet ,, hardi? d'oü vous vient eet avis? Ne „ vous a-t'on point .ibufé par des bruits „ trompeurs?" „ La nouvelle n'est que „ trop certaine, répond le Roi des Mar„ les, & fi tu daignes recevoir les offres Q 6 d'a.  364 GERMANICUS. ,, d'amitié du Prince Inguiomer, qui folli„ cite ton alliance, il te découvrira toutes les particulariiés de cette entreprife." Germanicus croit trouver dans eet avis furprenant un défaut total de vraifemblance; cependant il juge nécesfaire de disiimuler fes foupcons, afin de pénétter quels peuvent être les desfeius fecrets de Malouendus. ,, J'ai toujours estimé le vaillant In„ guiomer, lui dit-il; je me plaifois même a 1'honnorer, jusqu'au moment oü „ il a époufé les intéréts d'Arminius; mais, „ s'il defire maintenant fe reconcilier avec „ Rome, je le compterai avec plaifir par„ mi les alliés de 1'Empire." „ Recois„ le donc comme tel, dit alors un guerrier ,, refpeclable, en s'avancant tout-a-coup a ,, cóté du Roi des Maifes, & compte-moi desormais au nombre des amis & des alliés les plus fideles; j'ai trouvé jadis le ,, peuple Romain digne de mon amitié; c'est' la feule commifération, qui m'avoit ,, fait prendre le parti d'Arminius, dans „ le desfein de te contraindre a lui rendre ,, fon Époufe. Tu fcais tout ce que j'ai „ entrepris pour fa caufe; je n'ai épargné „ ni mes fujets ni mon fang pour le fou„ tien de fes interets: fon ambition infen„ fée ne m'a payé que par des outrages. „ übligé par fes blesfures de renoncer au ,, commandement de 1'armée,il me le refu„' fe, a moi, blanchi fous les armes , & 1'offre „ a un étranger, aux dépens de mes justes ,, droits- Cette offenfe humiliante me dé„ termine a 1'abandonner pour jamais. Je „ ne  CHANT QUATORZIEME. 365 „ ne vois que trop ce que les Etats Ger„ maniques ont a craindre de fon audace. „ Ta magnanimité , digne Fils de Drul „ lus, me réunit pour toujours a Rome, „ depuis 1'inftant mémorable, oü tu me „ rencontras dans la forêt après la bataille„ tes vertus ont entierement gagné mon „ cceur. Rome doit a mon admiration pour „ toi de 11'avoir plus rien a craindre d'In„ guiomer, & je mettrai au nombre des ,, jours heureux celui oü tu m'accorderas „ ton amitié." Germanicus, qui reconnoit d abord ce Prince courageux , éprouve une joye véritable de fes proteftations amicales; il Jembrasfe en lui donnant 1'asiürance que Rome reconnoisfante 1 'élevera bientót a* des honneurs bien au-desfus de celui d'obtemr un commandement, que lui di=pUfe Arminius. Inguiomer dövoile dans le fecret au Prince les ordres, que le facrificateur Libys a rectis, & qui ont été fur le champ fuivis de fou départ. „ Si ce Druide , poui„ luit il, peut trouver le moyen de s'in„ troduire dans Moguntia, tu as tout a „ craindre pour cette cité." Germanicus lui témoigne combien il est fatisfait & reconnoisfant de cette importante information Le chef des Marfes, préfcnt a eet entretien, prend enfuite Ja parole: „ Prince „ Jui dit-il, le devoir m'oblige de tedécou' „ vnr, qu'une des aigles Romaines, per„ duelors de ladéfaitede Varus,est cachée " Pres. de la foiït, oü est élevé 1'autel de ,, Freja: tes ennemis ont entouré eet endroit & le font garder par un corps de Q 7 trou-  §66 GERMANICUS. troupes; fi ton defir est d'y marcher, tu „ me trouveras prêt a t'y conduire." Cette nouvelle inopinée caufe le plus grand plaifir au Héros. „Dieux bienfaifans! s'écrie-t'il, ,, oferai-je, après tant de revers, me flatI, ter de 1'efpoir d'arracher des mains des ,, ennemis les deux aigles perdues ! Mais „ je n'ai point asfez de troupes en ces lieux, pourfuit-il, & d'ailleurs Mogun- tia exige mes premiers foins; j'y marche ,, dès eet inftant pour la fauver de la ru. „ fe perfide de Libys & d'Arpus; & aus- fi-tót que cette ville fera delivrée je repa- roitrai dans vos contrées pour récou„ vrer ce gage facré. Au reste, Princes ,, illultres, foyez asfurés que la inaguani,, me Rome reconnoïtra d'une maniere „ glorieufe pour vous les preuves géné- reufes de votre attacbement." Germanicus envoye d'abord en toute diligence un exprès a Moguntia, pour avertir Apronius du danger qui ménace la ville. II renforce la garnifou de Vétera par les troupes de la flotte; il ordonne a. Antejus de fortifier le chateau de Gelduba, pour prévenir les malheurs, que pourroit occafioriner dans ces contrées une attaque des ennemis. 11 part enfuite k la tête de toute la noblesfe Romaine , & s'avance vers les terres des Ubiens, en fuivant le cours tortueux du Rhin. Mais, avant qu'il n'éftt quitté les murs de Vétera, Moguntia étoit le théatre des plus grands événemens. Vers le cóté méridional de cette cité s'é-  CHANT QUJT0RZ1EME. tf7 s'éleve le lommer escarpé d'un mont célè» bre, la urne du Melibocus , qui fe répofe fur dix montagnes, comme fur dix colomnes, destinées a foutenir cette masfe majestueufe. Le chemin, qui, depuis un temps immémorial, y conduit, bordé des deux cótés de noyers touffus , offre un fentier ombragé , ferpentant dans des vallons charmaus, entrecoupés de ruisfeaux argentés , & de rivieres, qui, descendues des montagnes, arrofent & fertilifent ce pays enchanteur. On voit avec étonnement, lorsqu'on les contemple des vallées les beautés agrestes & ravisfantes de ces montagnes : 1'une femble être le magafm de la médécine bienfaifante par 1'admirable variété de fimples & de plantes falutaires qui la tapisfent ; fautre paroit bordée d une large bande de bleds, fertiles en épis, qui, légerement agités par le vent mêlent leur bruit agréable au doux mur' mure des ondes. Une autre dans la riante laifon fe montre comme parée d'un habit de _ fête , jonchée de mille & mille ileurs aimables, productions de la nature rajeume. Celles-ci, couvertes d'arbres antiques, forment des bois fombres & frais qui regardent les noyers a leurs pieds; tandis que les fons amoureux des légers habitans de 1'air font entendre a travers les tiges touffues la douce voix du plaifir On appercoit dans le lointain un torrent" qui, fe précipitant d'une fouree plus éie! vée, tombe fur la roche mousfeufe, s'arrête, & retombe en cascades bruyantes jus- ques.  568 GERMANICUS. ques dans les vallons, oü il femble, en murmurant, prêter 1'oreille aux échos des montagnes, qui repètent fes chants aquatiques. Vers la fin du fentier on découvre, fur une éminence au pied du Melibocus, une maifon de campagne, qui depuis plus de trois lustres est la demeure d'un Etranger, initié dans les fecrets de la nature : on recherche de tous les environs fes inftruétions utiles; on ne le défigne que par le nom du Sage de la montagne. Sa renommée s'étoit répandue dans tous les lieux d'alentour , au point que les Romains mêmes 1'honnoroient; on ignoroit entierement fon nom & fon origine; on difoit , qu'il s'étoit retiré de la Germanie dans le temps que la fage conduite de Drufus avoit établi la puisfance de Rome dans ces contrées , qu'il s'étoit en fecret decouvert a. ce Héros , qui lui avoit donné cette habitation, & qui fouvent 1'honnoroit de fa préfence. Le fage Inconnu avoit acheté un grand nombre d'esclaves, qui tous le regardoient moins comme leur maiire que comme leur père, & cultivoient les champs fertiles fuivant fes inftructions. Les uns formoient des jardins agréables fur un fol jadis aride; les autres cueilloient les plantes, dont fes profondes connoisfances fcavoient faire un mélange utile & falutaire aux habitans malades de Moguntia , qui recevoient fes fecours bienfaifans par les mains de fes esclaves; car il n'avoit plus vilité la ville depuis le jour funeste oü Drufus, payant le tribuit a la nature, avoit eropor- té  CHANT QJJATORZIEME. 369 sJeS -r.e?'Ct- Ae tOÜS les PeuP]es voifins. öon oeü feren, conteroplant avec indifférence Jes vicisfitudes du fort, voyuit de fa monT Pairfib'e ks vaines ^s recueille Ie rmel dans Ie caiice des fleurs, regarde I esiaim bourdonnant des guênes qui errent autour d'elle. Le fage vieillard avoit jadis lauve Ie Gouverneur de Moguntia du11e maladm aigue par des fecours inattendus. Apronius lui avoit offert une récompenle propprtionée a ce fervice, mais il avoit tout refufé; Je philofophe vertueux trouve Jon vrai falaire dans les effets de fa bientai lance. Maintenant il fait fupplier le Gouverneur, par un de fes esclaves, de lui accorder un entretien avec Nantilde dans la demeure fur la montagne. A cette demande Apronius est trés embarrasfé: risquer une Prmcesfe captive, de JaqueJle il doit répondre, lui paroit imprudent, & a peine exculable; d'un autre cóté , comment refufer fon bienfaiteur fans pasfer pour ingrat? Dans cette incertitude il prenri le parti de recourir aux confeils de Veramus, en qui Germanicus lui-méme avoit temoigné avoir une grande confiance, -qm»\ to"JO^rs fidelement attacbé a la mailon de Drufus, avoit été envoyé a Moguntia pour lui fervir de confeil & d'ami dans les affaires épineufes de fon Gouvernement. II le mande a 1'inftant & delibère avec hu fur Ia demande de FEtranger. „ Depuis que je fuis arrivé dans ces rem»5 parts, lui dit Veranius , j'ai toujours „ ar-  370 GERMANICUS. „ ardemment defiré de voir ce vleiflafd „ vénérable; tu peux fans crainte confier ,, ta captive a mes foins; &, prenant de „ plus la fage précaution de nous faire „ accompagner vers les montagnes pantin 5, corps de vaillans Romains, j'ofe être ,, garant de la ramener fans accident dans ,, la cité." Cette propofition est acceptée par le Gouverneur: cependant ils trouvent tous deux fort étrange la priere du vieillard; &, plus ils s'épuifent en conjectures pour en découvrir la caufe, moins ils y parviennent. Peut-être, dit Apronius, ,, Nantilde pourra-t'elle nous dévoiler le „ fecret, que nous cherchons vainement a ,, pénétrer. Vas, cher ami, dis-lui que ,, le Sage de la montagne demande de Pen„ tretenir, & qu'elle t'inftruife des raifons ,, de cette étonnante relation." Veranius fe hate vers la demeure, oïi la belle Nantilde pleure en fecret la perte de fon amant; il la trouve avec la reine Waldrade & 1'aimable Theusnilde: il 1'inftruit des ordres d'Apronius. Ce discours trouble la jeune Princesfe. „ Je te fuivrai, dit-elle, puis,, que le Gouverneur 1'ordonne; mais aquoi „ bon ce voyage? je ne connois le Sage de la montagne que par fa renommée. Je te prie de me découvrir a quel des,, fein il veut m'entretenir." „ Je 1'igno„ re , replique Veranius, j'espérois ap- prendre ce fecret de toi." Ces mots inattendus jettent 1'alarme & les foupcons craintifs dans le creur de la jeune Nantilde & de fes nobles compagnes. Veranius lui  CHANT QIJATORZIEME. 371 lui promet de la protéger pendant ce voyage, & de la garantir de tout danger; mais ces promesles ne rasfurent point fon ame mtimidée: elle quitte Waldrade & Theusnilde en verfijnt un torrent de larmes, & fint en tremblant 1'ami du Gouverneur,qui la conduit a la citadelle, oü elle trouve tout préparé pour le depart. Pendant la route la timide Nantilde fe trouve vingtfois tentée de découvrir le complot de Libys k fon conducteur; mais retenue dun cöté par la crainte, & de 1'autre par la pitié, elle prend la réfolution d en remettre le recit jusqu'a fon retour. lis appercoivent déja de loin la maifon de campagne, a Iaquelle leur voyage doit 'le bomer; elle s'éleve au piéd de 'la plus haute de ces montagnes. Ils admirent de plus en plus la fagesfe industrieufe de 1'art , qui a répandu tant de beautés dans ces lieux ïfolés. Parvenus k la fin du chemin qui conduit aux montagnes, Veranius découvre un fentier plus escarpé: il descend du char, & pourfuit avec la fille de Catumarus le reste du chemin k pied. II ordonne a fa fuite guerriere d'examiner avec foin tous les environs, & place des gardes a toutes les avenues de la maifon. Ils approchoient déja des portes de la demetire ïfolée , lorsqu'ils vireut paroltre devant eux PEtranger vénérable: fon port noble & majestueux lui auroit attiré d'abord un profond refpeft, fi l'ensageante aménité, qui peignoit dans tous fes traits la candeur & la douce humanité de fon ame,  37* G E R M A N I C U S. ame, n'eüt réimi en lui 1'aiTabilité a la vénération. Quoique robuste , il paroisfoic kgé: il étoit vêtu d'un habit de cuir, felon 1'ancienne coüiume des Germains. 11 voit a peine la belle Nantilde qu'une joye fecrette brille en fes yeux. La jeune Princesfe femble failie d'un mélange de crainte & de tendresfe, fes yeux modestes le contemplent avec une attention timide, tandis que Veranius lui-même s'étonne que le noble Etranger lui infpire amant de refpect. Ce fentiment involontaire s'augmente encore par les paroles dont il les falue. ,,Soyez „ trois fois les bien venus dans ce féjour „paifible , illustre Guerrier: & toi, aimable Princesfe, leur dit-il, permets„ moi de m'acquitter envers toi des de„ voirs de 1'hospitalité." A ces mots il préfente fa main a Nantilde, & la conduit dans un vaste appartement, oü ils trouvent une table garnie d'une diverfité admirable des plus beaux fruits, tout notivellement cueillis , & couverts encore de rofée: fur la même table est un vafe rempli de crème fraiche, entouré de quelques patisferies & de gateaux du plus pur froment. L'Etranger les invite k fe raffraicbir quelques inftans a fa table, avant d'entamer un férieux entretien. Pendant qu'il parle affeélueufement avec 1'ami du Gouverneur , il jette de temps en temps fes regards fur la jeune Princesfe; il femble être ■ ravi de fon ébloüïsfante beauté, mais en même temps fécrettement ému d'une tendre compaslion. Quelques esclaves, qui ont fer-  CHANT QJJ AT O R ZIE M E. m fervi les nobles hótes pendant le repas chainpêtre s'étant éloignés fur un E du Vieülard vénérable, il s'explique ences „ Ecoute maintenant, ö Veranius' ca „ qui in a porté a demander la fille de'Ca. „ uimarus en ces lieux: la prudence du 3, Gouverneur de Moguntia m'est connue • „ je prevoyois qu'il ne laisferoit pas venir " JfSe une caPf'^ de la qualité de Nan„ tilde, & celui, aux foins de qui Apro„ mus ofe confier ce gage facré est H; & jestins. Elle ilü av0ue également cme iSÏ™ tGénéral Roma1» ^ 'été'ïe in1 ra ce Prince par Jes nceuds de 1'hymen. Pedant ces doux entretiens les heures fa. guives senvolent. Tout-a-coup Je Gouverneur, accompagné de Veranius, emre KfrtftT," °nb]!8eammei]t vers le Vieillard Sa ' ?ujl acc^Ule avec tous les maiï n -a -U" Puis!ant ami des Romains qui viennent d'en recevoir de nouveiles marqués detachement , II „ mest donc enfin permis, fage MonarV me 'dl f /P™"^' de fatisfaire ' ™1 r ? &. dc témoi8ner ma recon" mTfe ' "H'qui a fa»vé jours " F,, c , c?nnoisfanccs fublimes dans un 3, art falutaire, & dont les vertus pré„ viennent la ruine de cette cité par la „ découverte d'une conjuration , qui auroit „ fait rejailhr fur Rome entiere fes fatSes " IZL?,ue"cef- S°* trois fois Ie bien „ venu. . Catumarus répond avec civilité aux avances du Gouverneur, qu 1 i annonce que la troupe des conjuS dé pnfonniere dans la citadelle oü leur perfid e n'est plus a craindre. 1 félicite 1 aimable Nantilde de la découvér e i"! esperée d'un pere ausfi illustre , dont Ja mort étoit pleurée depuis fi lon^mns les  378 GERMANICUS. „ les jours de ma fille, réplique le fage ,, Prince. Une guerre fanglante entre les ,, Sueves & les Hermondures s'étant éle„ vée a Poccafion d'un meurtre resté im„ pimi, tous les états voifins prirent part a la querelle, embrasl'ant Pon ou 1'au,, tre parti. Je pris les intéréts des bra« „ ves Hermondures , qui, irrités du crime commis , demandoient réparation du „ fang innocent, cruellement verfé; mais, hélas! tandis qu'avec eux mon bras ,, défendoit les droits de 1'humanité ou,, tragée, je me vis ren verfé de mon tro„ ne. L'ambitieux Arpus, que je regar,, dois comme mon ami, ufurpa mon ro„ yaume pendant mon abfence, fe préva,, lant de la foiblesfe de mes fujets, dé,, pourvus de leurs défenfeurs, qui m'a„ voient fuivi a la guerre. Mon époufe, „ plus chère a mon cceur que la lumiere ,, du jour, tomba entre les mains du cruel, & vit a fes yeux effrayés mas„ facrer fes deux fils par la rage prévo' yaute de ce barbare: 1'amertume de la douleur vainquit les forces maternel. les; elle en mourut, laisfant 1'innocen" te Nantilde a la cour fanguinaire du *, tyran. Repréfente-toi , s'il t'est pos' fible, mon état a cette nouvelle af" freule: je volai contre 1'ufurpateur a la " tête de mon armée; mais, hélas! dan" gereufement atteint d'une multitude de traits, je tombai fur le fable enfanglan" té; & mes tristes guerriers, perdant 11 courage a ma chüte, chercherent en ce „ mo-  CHANT QUATORZIEME. 370 „ moment horrible leur falut dans la fui„ te. Deux esclaves, animés par la re- connoisfance, me croyant cxpiré, eu,, rent asfez. de piété pour vouloir don- ner a mon corps quelques poignées de >, terre; en s'acquittant de ce triste de- voir, ils appercurent en moi quelques s, fignes de vie; leurs foins généreux me ranimerent: ils me transporterent au ,, milieu de la nuit chez un de nos Drui„ des, qui habitoit dans la forét voifine: s> fa main bienfaifante mit un appareil ,, falutaire fur mes blesfures; & ce fage „ mortel confola bientót mes esclaves 'fi- deles par Pespoir d'une prompte guéri- fon: je_ les fis jurer de par les Dieux ,, de ne jamais réveler a aucun des hom,j mes, que j'étois échappé au trépas. 11 „ me restoit dans nos contrées un ami ,, für, que je fis infiruirc du fecret de ,, ma vie, le priant de prendre foin de ma fille, & de me donner fouvent des „ nouveiles de fon fort. On m'avoit in„ formé déja, qu'on refpeéleroit fes jours „ a la priere de Waldrade, qui fongeoit a 1'unir un jour a fon Fils, afin de lui ,, asfurer par eet hymen des droiis cer,, tains fur ma couronne. Craignant que ,, les effets de ma vengeance ne retom,, basfent fur fa tête, je m'éloignai de ,, mes états perdus, pour mettre au moins „ fes jours en furóté. Les vertus de „ Drufus m'étoient connues , j'ofai m'ou„ vrir a ce Héros; je lui dévoilai mon „ triste fort: fon ame magnanime en fut Ra „ tou-  3Ro GERMANICUS. ,, touchée; il m'accorda 1'afyle que tu ,, connois; & dans mes cuifans cha- grins j'ai fouvent eu 1'avantage d'yrece„ voir ce Prince généreux, lorsqu'il vou- loit fe délasfer des foins pénibles de ,, 1'Etat par quelques beures de repos. J'aimai dans ma jeunesfe a fermer les „ fecrets de la nature; ces retraites ifo- léés feconderent mon goftt: je mis en „ honneur Pagriculture dans les champs bomés, que m'olfroient les montagnes; & ma connoisfance des plantes falutai,, res fut utile a plus d'un maiheureux, „ que j'ai rendu a la vie. Je trouvai ,, dans ces lieux inaccesübles au crime „ le doux calme du repos; &, quoique „ mes pleurs fur le triste fort de mon „ époufe & de mes enfans arrofasfent „ fouvent la terre cultivée de mes mains, ils couloient avec moins d'abondance, „ lorsque le tendre fouvenir de Nantilde venoit charmer ma douleur & confoler „ mon cceur paternel. Tu fcais tout ce „ qu'elle a fouffert jusqu'a fon arrivée k ,, Moguntia: je la crus en furêté fous la ., protection de Rome; & je me fiattois, ,, lorsque Germanicus feroit de retour, ,, qu'il ne la refuferoit point aux larmes ,, fl'un pere. J'attendois ardemment fa venue, lorsque mon ami fidele m'in- ftruifit de la marche d'Arpus vers ces ,, remparts, & du projet qu'il méditoit. ,, Alors je te priai,fage Apronius, de me „ permettre un entretien avec Nantilde „ dans ma retraite, espérant la fouftraire „ aux  CHANT QJJAT0RZ1EME. 331 „ aux malheurs, qui la menacoient dans „ Moguntia ;& afin de découvrir au digne ,, chef de ceux qui 1'accompagneroient „ le projet hardi du tyran: j'étois loin „ de penlèr, que cette fille chérie avoit „ elle-même formé le desfein de te dévoi„ Ier le complot odieux & ignoré, tramé ,, par le perfide Libys." Je ne doute point de la vérité des fairs , que nous a déeouverts la Priu,, cesfe, dit alors le Gouverneur; cepen- dant il me feroit bien important que „ cette vérité fut appuyée par des Preu„ ves évidentes." ,, Les preuves ne me manquent pas, lui répond Nantilde; les chariots, que les conjurés ont fait entrer dans la Vilj le, & qui paroisfoient remplis de terre „ & de gazon, étoient chargés d'armes „ de toute espèce, qu'on pourra trouver dans quelque endroit fecret de la de,, meure de Libys. Et,0 ces armes ne te „ femblent point des preuves asfez con„ vaincantes, lis cette lettre, écrite de la main d'Arpus lui-même." Le Gouverneur lit eet écrit,dans lequel il découvre tout le plan de la trahifon: il loue la fidelité de la Princesfe, qui a eu la précaution de fauver du feu ce papier important,' dont les" bords paroisfent encore brülés. On fait des recherches dans la rnaifon du chef des rraitres; & Pon y trouve une quaritité confidérahle d'armes. Le Sénat de la ville s'asfemble dès la pointe du jour, inftruit du fatal complot: R 3 il  362 GERMANICUS. il fait amener devant lui tous les conjurés enchainés. Sezithacus te plaint avec hauteur de fa détention. ,, Quoi! dit-il ,, audacieufement, est-ce donc pour me voir deshonnoré par d'odieufes chaines, „ que j'ai bien voulu par les confeils de Segeste jurer fidelité a Rome & a Ger„ mankus V Est-ce la 1'hospitalité, qu'on „ exerce envers des Princes, envers un Sacrificateur, envers mon Époufe & 9, moi-même? par quel crime avons-nous 9, mérité eet outrage?" „II te lied bien, jeune préfomptueux, lui dit le Gouver,, neur avec févérité , d'ofer t'emporter ,, contre Rome; toi, qui de concert avec „ ces miférables medites lachement de „ m'asfafiner & de réduire cette ville en ,, cendres." „ Qui font ceux qui nous accufent, s'écnent les traitres, d'une ,, conjuration forgée par leur feule mé,, chancetó?" A ces mots le Roi Catumarus paroit, accompagné de fa Fille. A cette vue inopinée, les conjurés palisfent; le Druide tremble, recule, & veut envain éléver la voix; Deudorix fe trouble; Waldrade frémit, fond en larmes, & s'écrie: ,, Ah! c'en est fait, les Dieux jrréconciliables font contre nous; les „ morts nous accufent.'' ,, Votre crime, ,, dit Apronius , n'est que trop évident. „ Ce Monarque & Nantilde font vos ac,, cufateurs. Les armes, trouvées dans ,, la demeure de Libys, & eet écrit per„ fïde de la main même d'Arpus, font des témoins irrévocables de la trahifon „ tra-  CHJNT QUATORZIEME. 383 „ trathée avec tant d'artifice, attendez en le falaire; votre pnnition est prête." „ Dépêche - toi, s'écrie le farouche Deu,, dorix, fauve tes jours en répandanr, „ fans délai notre fang, ou crains ma „. vengeance." Apronius ne répond point h ces cris diclés par la fureur; mais le Sénat prend la réfolution d'envoyer ces coupables fous une forte garde a la Ville des Ubiens, pour y recevoir la punition nieritée. Cecina, qui y étoit retourné depuis peu avec fes troupes, est sppellé au fecours de Moguntia. Bientót Veranius & Nantilde fe rendent ausfl a la ville des Ubiens, accompagnés du Roi Catumarus, dont 1'ardent defir est de voir le généreux Fils de Drufus, dans Fespoir d'obtenir de fes bontés la liberté de la jeune Princesfe, fa fille. R- 4 GEll  GERMANICUS. CHANT QUINZIEME. Ce-pendant 1'arrivée de Germanicus rempltt de joye toutes les contrées des Ubienv. La vieillesfe languisfante, la joyeufe jeunesfe, tous s'asfemblent pour aller ialuer le Héros & le recevoir en triomphe. La magnanime Agrippine, a la téte de la Noblesfe guerriere, fort de la ville, dans 1'espoir de voir fon Epoux quelques momens plutót. Les fons éclatans des trompettes & des clairons fe mêlent aux erts de joye & aux acclamations des peuples , répétant fans cesfe: „ Vis, illustre Chef! vis longtemps!" tandis que Geririanicus vole dans les bras de fa noble Époufe, & trouve dans fon tendre accueil les plus douces confolations. II entre ainfi dans la ville au .bruit des falutations réiterées d'un peuple, qui peut a peine contemr fes transports d'alegresfe. Le Prince, qui fait a tous les Chefs la réception la plus gracieufe, montre quelque inquiétude de ne point voir Cecina au milieu d'eux. ,, II est parti pour Mo„ giintia, lui dit Agrippine, & fe hate „ d'y arriver, averti du péril qui mena„ ce cette Ville." Elle découvre enfuite a ion Epoux les odieulés tentatives de Libys ; les heureufes fuites du voyage de Nantilde chez le Sage de la montagne. El-  CHANT QJJINZIEME. 385 Elle lui appnmd,comment Catumarus s'est découvert a fa fille, & comment Apronius, mftruit de la conjurat-'on, a mis dans les fers tous les coupables. „ Après „ s'être asfuré des Conjurés, pourfuit-elj, le, il les a fait conüuire ici, & a de„ mandé du fecours contre les attaques „ du Roi des Cattes. Tu pourras voir „ en ce moment, fi tu le juges a propos, „ le Pritice Catumarus; je lui ai oiTert „ un^ afyle dans ma propre demeure jus„ qu a ton arrivée, ainfi qU'a Ia belle „ Nantilde, fa fille; & je les ai déja pré„ venus que Flavius est échappé a la fu,, reur des flots." „ 0_ ma chere Agrippine! s'écrie Ger„ maniats, ce n'est" donc point envain „ que i ai mts ma confiance dans la faveur „ des Dieux; fois asfiirée, que leurs foins veillent fur nous; ils augmenteront no„ tre gloire dans Rome, éc plus encore „ aux rives du Ntl; mon génie tutélaire, „ inltruit de mon destin, m'a prédit ce „ bonheur fur les bords de FF.lbe, par „ 1'ordre des Immortels. Fais ■ venir' ,, Nantilde, pourfuit-il , avec fon digne ,, Pere & le vaillant Flavius, afin qu'ils „ voyent , a la gloire de Rome, leur ,, vertu dignement recompenl'ée." Ausfitót que le Prince les voit entrer, il fame Catumarus, en lui difant: ,, Avance „ refpeétable Héros, daigne m'ernbrasfer „ comme ton ami, & recois le prix de „ ton généreux attachement; accepte cct „ amieau-d'or& un courfier; & particine R 5 „ ai'n-  38ö GERMANICUS. „ ainfi a la Noblesfe Romaine, en montant au rang des Chcvaliers. La fiberté est rendue a ton aimable fille; unis„ la, felon fon choix, au brave Flavius, a ce prince courageux, qui n'a pas „ craint de hazartler fes jours pour la „ fauver de la mort la plus cruelle." Qui pourroit peindre a ces mots la reconnoisfance & la joye des deux jeunes amans & du fage Catumarus? Le Général ordonne, qu'on s'apprête a célébrer cette union avec une magnificence digne de la grandeur Romaine. 11 choifit le jour fuivant, pour examiner le crime des conjurés & prononcer fur leur punition. Quel cceur asfez infenfible ne feroit pas touché de la douleur amère de Segeste & de Segimer, qui, a peine fauvés du naufrage & revenus du fond de la Germanie avec le Héros, apprennent, en arrivant, la conjuration tramée par leurs enfans, & que le Sénat asfemblé les a condamnés a la mort. Jamais affliétion ne s'est fait fentir avec autant de violence que celle qui déchire leurs ames paternelles: il femble, que leur condamnation foit prononcée avec celle de leurs enfans: ils fuyent la vue des hommes; & leurs cceurs ferrés cherchent envain a fe foulager par des plaintes. Le Prince Segimer, entrainé par les agitations de fon ame, fe répand en reproches amers contre fon frere. „ Ah! s'écrie-t'il, que n'ai je éviié a jamais la s> vue de Germanicus ? pourquoi me ,3 fuis»  CHJNT QJJ1N7AEME. 3*7 fuis-je confié fi légerement a ta parolc? Sans toi je ne verrois pas aujourd'hui mon fils , mon fils unique, prêt a tomber fous la bache d'un boureau Romain. Ah! pourquoi m'as-tu entrai,, né dans cette affreufe démarche, dont les fuites font maintenant fi déplorables? C'est toi, c'est ton caraétere in,, flexible, qui caufe notre ruine; fi tu avois laisfé vivre Arminius en paix.ou fi tueusfes rendu Theusnilde a fes prieres, aucun de nous n'éprouveroit aujourd'hui cette douleur accablante. Toi feul es la caufe de la défiruction de notre familie entiere. Dès demain tu verras tes enfans & les miens masfacrés par cette Rome, que tu fers: mais, hélas! ,, qu'importe leur triste fort a ton ame impitoyable, peu fenfible a nos malbeurs! la faveur de Rome te fera bien„ tót oublier tes pertes. Que t'importent „ ta patrie, tes enfans, tes amis! mais moi, moi, qui n'avois d'autre but que ,, le bonheur de Sezithacus, mon fils, je ,, ne trouverai plus d'adoucisfement & „ mes peir.es; jamais la moindre étincelle ,, de joye, le moindre espoir de confola„ tion ne foulagera mes chagrins; je des„ cendrai tristement au tombeau, déchiré „ par la douleur & privé de mes enfans." Segeste garde un morne filence, quoique chaque parole de fon frere porte dans fon cceur des blesfures profondes. Quelque tristesfe que lui fasfent éprouver fes propres douleurs, les reprocbes R 6 de  388 GERMANICUS. de Segimer I accablent avec encore plus d'amertume. ,, Ah! mon frère, lui ditil enfin, mon frère, réduit ainfi que „ toi au comble de 1'infortune, ai-je me„ rité de ta part ces reproches défolans? j'ai voulu te fauver comme un frère, „ comme un ami; j'ai pris foin de ton „ fils comme du mien-même. Qui, moi, être infenfible au malheur de mes en,, fans, a la ruine de ma familie? Que n'ai je pas entrepris pour leur confervation? Si le farouche Arminius, 1'uni,, que caufe de la défolation de notre patrie, n'eüt point, par une perfidie indigne d'un Germain, plongé les Légions Romaines dans les plus affreufes calamités; s'il n'eüt point rompu par fes ódieux artifices la paix rétablie depuis ,, peu; s'il n'eüt point troublé le repos dc ja grande Germanie, en allumant ,, le feu des guerres civiles; s'il n'eüt point excité la vengeance de Rome au ,, moment-même, oü il étoit trop foible ,, pi'ar lui réfister, nous vivrions tous ,, dans la paix & dans le bonheur. Les ,, infortunés de la patrie ne font pas moa „ ouvrage; je n'ai jamais recherché la ,, faveur de 1'Empire que pour le bien ,, de mes compatriotes. Irrité fans doute de rirymen de Theusnilde, ce n'est , point fur elle mais fur fon indigne H Epoux que j'ai fait tomber ma vengean, ce; fur eet Arminius, qui auroit en, trainé ma familie entiere dans fa ruïne , '' lorsque Rome feroit venue le faire re- 5, pen-  CRANT QJJINZIEME. 389 „ pentir de fes fureurs, fi ma prudence „ neüt prévenu ce malheur. Germani„ cus ne t'a-t'il pas accueilli avecbonré? „ N'a-t'-il pas généreufement pardonné i „ Sezithacus les excès odienx,dont il s'est „ rendu coupable a Teutobourg ? Tout ne „ fembloit-il pas s'arranger felon nos fou„ haitsï JNfe nous faifoit-on pas espérer, ,, que bientót nous nous- verrions revê„ tusdes premières dignités dans notre „ patrie, & que nos fils en jouiroient „ après nous? Pourquoi donc me re„ procher des malheurs, qui nous font „ communs? Ah! ce font nos enfans „ cux-mêmes,qui nous déchirent Je cceur; „ N'ont-ils pas violé les droits les plus „ facrés ? Quelle récompenfe de notre „ amour paternel!" „ Hélas! repond Segitner, pardonne a mon dèsespoir; aye ,, pitié de 1'égarement, 011 m'entraine la ,, douleur." Ils fe levent en foupirant; Jls le jettent tristement dans les bras lun de 1'autre, & déplorent toute la nuit leurs affreufes destinées- Dès le lever de Paurore ces deux peres infortunés , le dèsespoir peint dans les yeux,fe rendent chez Titus, nour le fupplier de les introduire chez le Prince. Le généreux Romain, quoique touché de leur infortune, cherche a éluder honnétement une demande, dont il prévoit peu de fuccès; mais, voyant toutes les horreurs de la mort errer dans leurs yeux obscurcis, il fe fent tellement pénétré des marqués de leur dèsespoir, qu'il les conduit lui-mê& 7 me  39o GERMANICUS. me dans la galerie, qui communiqué k h falie du Sénat ,oü le Prince est attendu. Déja les Licleurs s'asfemblent devant Papparlement du Héros; la vue des haches redouble leur douleur. Germanicus paroit, environné de fes gardes. Douze Liéteurs le précédent, portant leurs faisceaux. Arrivés k la porte de Ia falie , oü le Sénat est asfemblé, ils fe féparent en deux rangs. Le Général s'avance, accompagné de Titus , falué de loin par les Sénateurs, qui s'inclinent refpectueufement a fon approche, lorsque tout-a-coup les deux Germains fe précipitent a fes pieds, la tête couverte d'un pan dc leur robe, pour exprimer le deuil & 1'affliction, dont leur ame est faifie. ,, Que veulent ces deux ,, étrangersV" demande le Héros a fon ami. „ Hélas! repond Titus, ce font „ deux peres, dignes de ta pitié." „Que 1'on ne me fupplie point pour des trai„ tres, réplique Germanicus." ,, Ah! Prin„ ce! s'écrie alors Segimer, daigne accor,, der un moment d'audience a 1'amour ,, paternel, pleurant a tes gcnouxlne nous refufe pas cette grace." Laisfezmoi, dit le Général, que pouvez-vous „ espérer de ces tardives prieres? ne me „ retenez plus." Chacun d'eux embrasfe les pieds du Héros; des larmes coulent de leurs yeux. Digne Chef des Ro„ mains! lui difent-ils, ne nous fais pas „ expirer de douleur : écoute-nous un „ inftant. Nous reconnoisfons, que nos „ fils font coupables, cc que leur crime 3, mé-  CHANT QJJ1NZIEME. 391 „ mérite punition." Le Fils de Drufus, ému de pitié, détourne les yeux. ,, Le„ vez-vous, leur dit-il, levez-vous, pe„ res maiheureux, & fuivez-moi; mais „ n'attendez pas 1'impunité des conjurés." Dès que Fexcés de leur afflidion leur permet 1'ufage de la parole, Segeste adresfe au Héros ce discours, interrompu mille fois par fes fanglots: „ Illustre & géné„ reux foutien de 1'Empire! je ne cherche point a pallier le crime des conju„ rés; j'abhorre ce crime; il me fait hors, reur: mais, hélas! la nature lie par des ,, nceuds bien étroits les peres a leurs „ enfans; les nötres font coupables, il ,, est vrai; cependant n'est-ce pas Fartifi. „ ce de Libys qui les a féduits V C'est lui, ,, qui les a attirés dans fes pièges tendus ,, pour leur ruine. Je n'entreprends point „ de les excufer; 1'indulgence, que tu cus „ jadis pour eux, aggrave encore leur „ faute: mais ne t'olfenfe pas, que des „ cceurs patemcls cherchent a adoucir „ leur mifère; pardonne un dernier ef„ fort. Ah! fi tout notre fana peut payer „ pour eux, Prince, nous te Poffrons; „ fais-le répandre; au nom des Dieux „ de Rome, ne nous refuse pas cette „ faveur." ,, Des peres innocens ne fu,, bisfent point chez nous les fupplices „ düs a leurs enfans coupables, répond „ le Fils'de Drufus; Ie fang des crimi„ nels doit feul expier le crime. Je vous estime tous deux; vous avez' donné des preuves non équivoques de votre »> de-  394 GERMANICUS. dévouement pour Rome; attendez d'el,, le votre confolation; elle adoucira 1'a,, mertume de vos chagrins, en rendant a ,, ma priere une justice honnorable a vo,, tre fidelité." A ces mots ils fe jettent de nouveau aux pieds de Germanicus. Ah! s'écrient ils, nulle récompenfe, ,, nulle confolation ne pourra réparer notre „ perte ni rendre la vie aux morts , que nous pleurons; fi jamais nos bras ont ,, été utiles a Rome, en combattant pour elle; fi jamais notre attachement te fut ,, agréable, ó Général! que nos larmes ,, excitent la pitié dans ton coeur maguani„ me; que Rome récompenfe nos fervices „ par ta bouche. Prince, tu es pere ainfi ,, que nous; avec quel exces de douleur ,, ton cceur paternel ne contèmpleroit-il „ pas la déüruclion de ta nombreufc famil,, le? Le plus grand bienfait, que la fortu- ne t'accorde, est de tenir dans tes mains ,, les destins d'une multitude de mortels; „ & le plus précieux préfent que tu ayes ,, recu de la nature est cette bienfai,, fance généreufe, qui te fait mefurer ton ,, bonheur fur la félicité d'autrui. Ne „ fouille donc pas de fang tes lauriers flo- risfans. Daigne, en confervant les jours „ de nos enfans maiheureux, les faire fer„ vir d'ornement a ton triomphe; que , tou,, chés d'un repentir fincere, ils baifent, „ en exaltant tes bontés, les chaines, qui les lieront a ton char de vicloire." Germanicus , pénétré jusques au fond du cceur, veut envain leur cacher fa fen- fi-  CHANT QU IN ZIE ME. m fibilité. „ Concevez-vous, leur dit-il, le „ lort, qm ]es artend a Rome a la fin du „ triomphe?" „ Ta vertu, lui répond „ öegimer, ne démemira jamais fon no" °Je caraftere; jamais la cruauté ni la 5, loit du lang ne feront abhorrer ton il5, lustre nom; accorde-leur la vie, adou„ as leur esclavage, & fois larbitre de „ leur lort, quel qu'il puisfe êtrc." „La „ violence de votre douleur est trop aran„ de, Jeur réplique affeaueufement Ger„ mamcus.pour fupporter plus longtemps „ lincertitude de leur fort; mafs leur „ crime est trop affreux,pour que je puis9, le pardonner entierement ; que leurs " J^rrS- f°rnC ,a r.écomPe"re c'e votre fi. s, déhté, fi les Dieux me permettent ('e „ monter au char de triomphe. Le fupplij, ce de mort fe boniera a la tête la plus coupable." Le Prince quitte bientót Ja ville des Vbie"s P°ur s'avancer vers les contrées des Marfes: il est rccu par Malouendus & inguiomer, comme un ami qu'ils languisloient de revoir paroitre. Non loin de la forteresfe, qui fert de demeure a ces Princes, s'éleve une forêt facrée, que les troupes Romaines n'avoient pas découverte, lorsque, tombant fur ces contrées au commencement du printemps, elles sétoient enrichies d'un riche butin, enlevé dans Jes magafins & lesétables. Cette foret fervoit de fanéluaire a la Déesfe Freja; depuis un temps immémorial Jes facrificateurs fe faifoient une douce occupation de  594 GERMANICUS. de donner une face riante auxfombresallécs d'arbres antiques, dont 1'épais feuillage s'élevoit jusqu'aux nues. On ne voyoit pas un feul tronc, qui ne fut entouré d'une variété admirable de fleurs & de plantes, refpectées par les faifons, & qui bordoient de verdure & d'agréables couleurs 1'habit blanc de 1'apre hyver lui-même. Une large cascade, tombant d'une coliine voifine & promenaut enfuite fon onde murmurante entre fes rives fleuries, unit dans cette val* lée délicieufe le bruit cadencé de fes eaux au doux frémisfement du feuillage, doucement agité par les vents. C'est dans ce lieu charmant, que s'élevoit 1'autel de la joyeufe Freja, qui allume les flambeaux de ï'hymen, & nourrit 1'aimable tendresfe dans les cceurs des jeunes amans. L'amour conjugal unisfoit fous ces ombrages des couples heureux, couronnés de myrthe & de palmes, par les mains des prêtres. L'art ainfi que la nature ne fe montre jamais fous une forme plus belle que dans les lieux habités par l'amour. Une montagne couvroit du coté du nord cette forêt, ce temple toujours verd de la Déesfe de 1'hymenée. Cet endroit folitaire & facré avoit été choifi par la fage Aurinie, lorsque 1'invafion des Romains la contraignit a la fuite, pour y dépofer dans un antre fecret fes tréfors, Jes dons jadis offerts par les peuples, & la feconde Aigle Romaine, conquife dans la défaite de Varus. Instruit par elle du lieu de ce précieux depot, Arminius avoit entouré la forêt d'un cordon de troupes, avec  CHANT QUINZIEME. 395 avec ordre de veiüer nuit & jour a la déienle de eet endroit révéré. Germanicus, avant d'avancer jusqu'a la iorêt, avoit été prévenu par les princes de la réhstance, qu'il devoit attendre dans cette péril eufe entreprife: il fait en conléquence marcher Inguiomer avec Titus vers le derrière de la montagne, pour elfrayer de la les ennemis par des cris d'alarme; & lui mfirne, accompagné du brave Malouendus, li commence 1'attaque de 1'autre cóté. Qui pourroit peindre la confufion & l'eflroi des Jiarbares a la vue inopinée des légions Romaines ? II leur femble incroyable ,"que Germanicus puisfe fi-tót s'étre remis du nauïra,geV .Les cris» 's'élevant des deux cótés a la fois, rédoublent leur terreur, & jettent 1'épouvante dans 1'ame des plus intrépides; chacun cherche fon falut dans la iuite; maïs par tout les chemins leur font coupés; ils périsfent ou tombent dans 1'esclavage. Cependant on vifitc avec foin laiitre de la montagne: au milieu d'une mhiuté de riches dons , 011 découvre 1'aigle dor; on la préfente a Germanicus, en pousfant mille cris d'alegresfe. Avec quel ravisfement le Prince contemple-t'il ce gage précieux, perdu depuis fi longtemps 1 „ Maintenant, dit-il, je vois mes defirs „ accomphs. Pere rédoutable des Dieux ,, & des hommes! tu exauces en ce jour „ mes prieres ardentes; j'ai arraché tes „ Aigles des mains de Pennemi; j'ai vengé „ le fang répandu par Arminius; j'ai lavé t> l'op«  396 GERMANICUS. ,, 1'opprobre de Rome, outragée avec tant d'audace." En proférant ces mots, le Héros éleve le gage facré; & cette vue, tant defirée, frappe a peine les regards des troupes, qu'on entend de toutes parts rétentir leurs acclamations. ,, Viéloire! „ s'écrient les légions. Dieux favorables! Les deux Aigles récouvrées dans le „ cours d'une feule campagne! ó joye! ó bonheur! Germanicus, Jupiter couron„ ne ta vertu.'' A 1'inftant les foldats joyeux cueillent des fleurs & arrachent les jeunes branches des arbres facrés. On offre au Fils de Drufus une couronne de lauriers; les troupes ornent leurs casques de guirlandes & de feuillages; on réferve les plus belles fleurs, dont 1'automne permet encore a la forêt de fe parer, pour en décorer 1'Aigle facrée, que Fon porte en triomphe devant les légions. Tandis qu'on fe dispofe au départ, on voit revenir par un autre fentier le vaillant Titus, a la tête de fes enfeignes, ramenant une multitude de Germains enchainés. Ses compagnons font rétentir Fair de leurs cris de joye a la vue de 1'Aigle brillante, & couronuent ausfi de fleurs leurs casques & leurs lances: jamais une plus douce ivresfe n'avoit animé les troupes viélorieufes de Rome. Avant de quitter ces lieux, Germanicus, defmint de récompenfer dignement les deux Princes, qui Faccompagnent jusqu'aux Jimites de leurs terres, augmente leurs dominations beaucoup au de-ja de ce qu'elles étoient avant. Leurs  CHANT QUINZIEME. 597 Leurs cceurs reconnoisfans exaltent les vertus du Général, & Jurent d'être a iamais les amis fideles de la puisfante Rome. Cependant 1'lieureux jour, defiré depuis Jongtemps par Flavius. arrivé au gré de les loiihaits impatiens; ce jour oü 1'hymen devoit unir pour louiours fes destïnées a celles de la belle Nantilde. Une troupe aimable de jeunes filles babillent au lever de Faurore la belle Etrangere a la mainere d une mariée Romaine: elle quitte hcoëffure virginale, qui ornoit jadis ia tête; fes beaux cheveux, accoutunics jusqu a ce jour a flotter en grosfes boucles, font maintenant féparés fur le ommet de fa tête avec la pointe d'une lance; on les arrange artistement autour de ion col felon Fufage des femmes manées: une branche de myrthe ceint fon aimable front: un voile de pourpre cache les traits aux yeux du peuple: une robe iomptueufe & trainante couvre fa taille grac.eufe, & flotte fur la terre, jonchée de fleurs. L'ardent Flavius, qui iajsfe ij. re le bonheur dans fes yeux, paroit avec fa nombreule fuite: il conduit fa jeune promife a 1 autel de Junon, richement décoré. Deux corneilles, prdfage de bon lieitr pour les couples que 1'hymen doit mm dévancent Jes Époux , & femblent du haut des airs leur tracer le chemin Déja les prêtres ont ouvert le temple • les colomnes font ornées de feuil!affe, & le feuil est couvert de fleurs. On immole les viéhmes , & le chef des Sacrificateurs adres-  393 G E R M A N I C U S. adresfe k 1'auguste Junon des prieres en faveur de cette union. On partage entre les deux amans le gateau de froment, emblême du pain, premier befoin du ménage. Nantilde recoit de Flavius un anneau de fer poli, fymbole d'une fidelité inviolable: elle lui préfente en retour trois pieces de monnoye de cuivre,a l'ancienne coütume de Rome. Après la cérémonie du faerifice, on fépare les jeunes Epoux: Je snari est reconduit a la maifon, oü ü doit attendre & recevoir celle que le nceud conjugal vient d'unir a lui. Avant le coucher du foleil, & tandis que les autels de Junon & de 1'Hymen fument encore, cinq jeunes garcons, destinés a marcher devant PÉpoufe nouvelle, ont déja allumé les fiambeaux de nóce aux feux des autels. La belle Étrangere fort enfin du temple: a 1'inftant on entend les acclamations de la nombreufe jeunesfe de 1'un & Fautre ïèxe, qui 1'environne, & qui fait rétentir les airs de mille cris joyeux. On chante d'abord les louanges de 1'hymen; on exalte enfuite 1'union fortunée du jeune 'f alasfius, fameux dans 1'histoire Romaine parmi les ravisfeurs des Sabines; & chaque couplet est terminé par ces mots: „ o Hymen! viens répandre le bonheur! ,, io! Talasfius!'' Au milieu de ces chants agréables, qu'accompagnent les doux fons de la flute, on entend d'un autre coté le bruit éclatant des trompettes. Bientót on appereoit Germanicus, couronné de lauriers, envi- ron-  CHANT QU INZIE ME. 399 ronné de Ia noblesfe guerriere ; précédé de lAigle facrée, que dévancent des Ham. beaux & rulvi des ]é . triomphantes . entrer dans la ville aux fons réunis des trompettes des clairons , des tytnbales , aux acclamations réicérées d'un peuple immenfe. fout est en mouvement dans les rues : un tu muite aimable règne partout: la joye est univerfelle: chacun prend PT a , 3 gi0ire de Ronie- La troupe de nóce elle-même oublie fes chants un moment; elle falue le Général par des acclamations, & reprend bientót fa tendre muUque. La variété des accords femble fe réunir cc former une nouvelle harmonie. Un entend un mélange agréable des chants de lhymenée & dc ceux de la vieïoire: " \7\a™ Vlens réPanrfl-e le bonheur " „ Victoire a Germanicus! io! Victoire k „ Rome!" „ io! Talasfius !" i„ 7éla 1^tro-l,lpe Joyeus > qui accompagné la belle Nantilde, découvre Ia maifon de ll.poux: a cette vue agréable les fignes dalegresfe rédoublent. On frappe en chantant a la porte , richement decorée. Le jeune Lpoux fe préfente ausfi töt, entouré de fes amis. Qui êtes-vous? demande-t-d: a cétte question les cris de joye s élévent. „ C'est 1'objet de ton a„ mo_ur,hurépond-on." „Je fuis ta fidéle „ Caja , Ia compagne inféparable de ton ,, lort. A 1'inltant 011 préfente a la jeune manée de 1'eau & du feu dans des vafes dor; elle les touche d'une main timide, encouragée par ces mots: „Fille „ ai-  400 GERMANICUS. aimable, participe désormais aux pro. „ fpérités & aux malheurs de ton Epoux, & conferve-lui un cceur ausfi fidele que j, tendre." Elle pofe a la porte fa quenouille & fa laine; elle brüle prés des poteaux des parfums odoriférans; tandis que 1'Époux jette une poignée de noix parmi Ia jeunesfe folatre , pour montrer que, mettant désormais fon bonheur en fon mariage , il renonce aux frivoles amufcmens de Fenfance. Bientót les Paranymphes enlèvent la jeune Époufe fur leurs bras, afin que fes pieds délicats ne touchent point le feuil de marbre, confacré aux Dieux pénates & a la Déesfe Vesta. On la porte dans la maifon aux fons harmonieux de la mulique. Son Epoux lui préfente avec grace les clefs, comme a la maitresfe du ménage. II conduit fon aimable Compagne & tous les conviés dans nne falie richement illuminée, oü les gêné reux foins d'Agrippine ont fait préparer un festin digne de la magnificence Romaine , & oü fon cceur fatisfait jouit du bonheur , que la préfence de fon digne Époux répand dans toute la joyeufe asfemblée. Tandis que tous les citoyens partagent ces momens d'alegresfe, Germanicus ordonne, qu'on célèbre au lever de 1'aurore le retour de 1'Aigle facrée par le faerifice de trois taureaux blancs. Les troupes & le peuple, inftruits de ce desfein, accourent de toutes parts au temple,pour y remercier Jupiter de fes faveurs. Les prétres  CHANT QU/NZIEME. 4a tres conduifoient a 1'autel les viélimes ornées de fleurs & de bandelettes, lorsque Cecina, fuivi des guerriers qui 1'accompagnereiit a Moguntia, paroit aux portes de la ville: il s'avance, & le peuple, transporté de joye , lui annonce que 1'aigle est retrouvée. „Je vous apporte une nou„ veile non moins heureufe,leurrépond-il; „ Moguntia est délivrée; Arpus, le Roi „.des Cattes,est vaincu." A ces mots les cris de viétoire rétentisferit de tous cótés. nmrnf'Vr'r?" marche vers le Fi's de Diiifus, & le falue en ces termes: „ La „ faveur des Immortels a par-tout accompagné tes enfeignes, ó Germanicus! „ nous avons furpris la nombreufe armée „ rasfemblée de toutes les réaions Teu„ ton.ques, &z qu'Arpus avoit ofé con„ duire jusques fur les bords du Rhin " *i,P n .grfn.de Partie des Tudesques, " u f lu' niême, font tombés fur ,, la terre enfanglantée; le reste, faift » jépouvante, a pris la fuite & s'e«t „ disperfé; ils ont porté 1'effroi dans tou„ tes_ leurs contrées. Arminius, desor„ mais privé de tout espoir, a quitté fa „ forteresle, fuivi de fes pareus & d'une „ troupe tim.de de prêtïesfes. Auct n „ des Rois Tudesques n'ofe recommeïc r „ a guerre; tous abandonnent leurs Etats' „ & cherchent un afyle au-de-la de 1'Hi „ be; tandis que la grande Germanie re„ conno.t les oix de 1'Empire. T'ai lail „ fé des garmfons fuffifantes dans lesré„ gtons conquifes, & la plus grande parS „ tie  4oa GERMANICUS. tie de 1'armée fur la rive du Mein." Ce recit fait rédoubler les acclamations. Germanicus prend a 1'inftant la réfolution d'inüruire le Sénat & Tibere de Pheureux fuccès de fes entreprifes. On enveloppe par fes ordres les lettres dans des feuilles de laurier, afin que leur feul aspect annonce la vicloire. Le Héros marche enfuite au temple a la tfite des troupes joyeufes;on entoune les louanges du Pere des Dieux; on fe prosterne aux pieds des autels, en rendant graces aux Divinités propices; & après 1'auguste cérémonie on pasfe le reste de la journée, amli que li nuit précédente, en fêtes & en réjouisfances. Cependant Germanicus , qui n ignore pas quels artifices Arminius fcait mextre en ufage pour venger fa honte & fes défaites, n'est pas fans quelque inqgièttlde; il craint que eet ennemi, quoique privé maintenant de tout pouvoir, ne trouve meyen plus tard de réparer fes pertes , de reconquérir de nouveau les valtes contrées des Querusques, & de forcer encore les peuples a rompre la paix. Dans le desfein de prévenir ce malheur, il employé un trait deprudence politique: il fait appelier Segeste & Segimer, & leur parle en ces termes: „ Princes, il est temps de récompenfer les marqués d'attachement & de fidelité, que vous avez don" nées ii 1'Empire.- Je n'accufe point des " peres tels que vous des crimes de leurs !. enfans. Retouruez dans vos Etats, & " „ que  CHANT QJJINZIEME. 403 t, que k juste faveur de Rome les aug„ mente de tous ceux conquis fur Arffil5, mus. Gouvernez vos fujets fuivant les „ fntiques loix de vos contrées, & que „ neureufe paix s'affermisfe dans tous » les endroits,oü la guerre deftruclive fit s, couler le fang des coupables. Mon. " tJ"ez"vous Par v°s vertus amis conllans „ de Rome. Ayez foin, qu'Arminius ne „ trouble plus le repos des peuples, & „ ne permettez pas qu'il paroisfe jamais „ en-deca de 1'Elbe." J Arkll Pn"ces ,Germa'ns, qui ne s'attendoient point a un tel bienfait, fentcnt l-ieros. Chacun d eux lui exprime fa reconnoisfance mais laisfe en même temps emrevoir fes inquiètudes & la crainte, qui trouble leurs ames incertaines fur le fort de leurs enfans. „ Mettez des bornes a „ vos affiftions, leur dit Je Prince: quel „ que foit lef crime de vos fils, je vous „ ai promis d'épargner leurs jours. Com„ ponez-yous dignement dans vos Etats, „ cc repolez-vous fur moi pour le fort de „ ces mconfidérés, j'aurai foin de votre „ repos. Pendant que ces Princes fe préparcnt i retourner dans leurs contrées, le noble Fils f,C r?nfÜS fa'£ /rifr.Ie Roi Catumarus de tr£* P^ dG lui' & lui adre^ ces paious. „ la magnanimité feule, grand „ Roi, a fauvé Moguntia des projets arti„ ficieux d'Arpus. Cet ufurpateür de ton „ tröne est tombé fous le glaive vengeur; S 2 „fa  4o+ GERMANICUS. fa mort iaisfe tes Etats Kbres: ac' ceotes-en la couronne, & règne de " nouveau fur tes posfes'fions héréditai" "es " Le vieux Monarque paroit fur- p'ris & troublé. II P^nde"fi;Va:Pffe! nupp dienité: „ Autrefois, dit-il, J_ai reaV gardf le diadème comme .un bienfait "des Dieux, lorsqu'au printemps de " mes jours, éblouï de fon 'éclat, je ne 'I voyos pas' les chagrins, qui tourmen' tent &fuivent fans cesfe celui qui " £ uorte Quel poids pefant est une courPo°nne-po\1r u/foible mortel & que • ' les hommes font peu dignes des fou s ' aue coüte le pénible emploi de vcü" kr% 1 ur protecliou! L'affreufe envie " fu t la vertu pas-a-pas; la none uigra" titude est fouvent la récompenfe du "zèï & de la fidelité. J'ai vécu long" remns fi 1'on peut donner ce nom i " a cou'rte vie des mortels ; la douleur " les foucis, les dangers, & cette multi" u de d'adverfités, qu'un Roi doit com" battre, fe font montrés trop.tarda " mon ame abutée. Pardonne-moi, Pnn" TilStre, ie ne connois plus .fur la " terre Jautre Jbonheur que celui de" fpérer bientót un fort plus heureux & " nlns durable, loin des peines de ce " Sonde trompeur. Des- biens préféra" we? aux: fceptres & aux couronnes font " SSrSa fame immortelle, qui con" Wt le prix de la vertu. Permets-moi " dès 1'inftant de ton départ de me re" i r dl la demente folitaire, que J  CHANT QUI N ZIE ME. 40$ „ choifie au milieu des montagnes, & da ,, fecourir de-la les maiheureux', qui ont „ recours a mes foins. La, mon ame, ,, jouisfant d'un calme heureux, fe rap„ pellera tes héroiques qualités; la, j'iu„ voquerai les bienfaits des Üieux pour „ mes enfans; la, je les fupplierai cha5, que jour de conferver pour 1'exemple „ des hommes un Prince, un ami, dont les jours font plus chers a mon cceur „ que les Royaumes & les diadèmes." Lrermamcus, attendri, embfasfe afl'ectueuiement le refpeélable Vieillard & confent a fes dtfirs; „ Mon Pere, lui dit„ il, en laisfant lire dans fes yeux la „ candeur de fon ame, mon Pere, pars ,, en paix. Ainli que toi, je ne vois „ qu'un faux brillant dans tout 1'éclat de „ la grandeur; &, s'il m'étoit donné „ de faire ton choix, je voudrois être Catumarus." Quelques jours après le Prince recoit un exprès de Rome. A fa vue la tendre Agrippine fent renaitre fes inquiétudcs. j, Ah! dit-elle en tremblanu & les yeux „ remplis de larmes, cher Epoux! c'est ,, maintenant que la haine du Tyran, „ cette haine longtemps dévorée, va fe „ cutivrir d'une apparence de justice, & „ traiter de crime énorme le refus que ,, tu as fait des honneurs du triomphe." ,, Pourquoi, lui dit le Prince, s'attacher „ touiours a ce qu'il y a de plus funes,, te?" En difant ces mots, il déroule l eent & lit: S 3 „Je  4©6 GERMANICUS. „Je prends part k ta gloire & non moins a tes dangers. Semblable atix flots in,, conftants, la fortune dans la guerre s'éleve & s'abaisfe; tu en as beaucoup ,, fouftert,fans y avoir donné lieu-par aus, cune imprudence ; malgré fes caprices & s, fes revers, tu as obtenu par tes aé~tions la plus grande gloire, qui füt jamais 5, rëcompenfée par des lauriers: a mes s, inllances le Sénat t'accorde une fecon- de fois le grand triomphe. Que la Ger- manie, qui maintenant ne peut plus «, nous nuire, fe détruife désormais elle„ même par fes propres disfenfions ;ou, «, fi ta prudence juge qu'une campagne «, est encore nécesfaire pour foumettre ces „ contrées a 1'Empire Romain, que la 5, conduite en foit confiée a ton frere Dru- fus ; ne lui envie point la gloire de 3, triompher après toi. Les troubles vio„ lents , mon Fils , qui s'élevent dans 9J 1'Orient, exigent ta préfence. Le SéS} nat, qui rend justice a ton habiliié „ & qui admire ton courage, vient de te ,, nommer au rang fuprème dans ces va- ftesrégions. Mesforces s'alfoiblisfent; j'approche peu a peu du tombeau, mon 9, bras a befoin de ton appui: ne te refu- fe plus k mes fouhaits. Aux honneurs , ,, qui t'attendent, on a joint encore le „ Confulat pour 1'année, qui fuivra ton „ ttiomphe. Viens Germanicus, ausfi-töt „ qu'il te fera poslible, & fonge que c'est s, un pere, qui defire ta préfence." Le Prince & fon Époufe ne cachent point  CHANT QU IN ZIÉ ME. 407 point leur fatisfaétinn a la leciure de eet écrir. ,, Grands Dieux! s'écricnt-ils, fi Fon pouvoit du moins s'asfurer que ce ,, n'est point un piège nouveau!" l!s ouvrent la lettre de Drufus, qui leur donne des asfurances certaines, qu'il n'existe maintenant aucun fujet de crainte pour Germanicus, puisqu'un concours d'intércts d'Etat "& de familie force Tibere a le trailer favorablement. „ Puisqu'il est ainfi, ,, dit le Héros , j'accepte au nom des ,, Dieux le triomphe, qui m'est offert pour „ la feconde fois. Que Drufus ome fa „ téte d'une partie de mes lauriers, puis* que 1'Empereur Ie defire. Chere Agrip„ pine, notre voyage dans les climaTs de FOrient doit te tranquillifer, atnfi que moi. ö Génie tutelaire! tu étojs mftmü du fort, qui m'attend;je crois entendre ,, encore ta voix, qui me prédit cette hèa- reufe isfue, & qui des bords de FElbe ,, m'annonca ce gloricux avenir." „ La lettre , que je recois de mon Pere, „ dit alors le fidele Titus , m'asfure ausfi que tu dois bannir toute crainte & tout „ foupcon; mais . quoi qu'il en foit,nc me refufe pas la faveur de te précéder de „ quelque temps; &, fi je découvre pour „ toi le moindre danger, tu peux compter fur les foins prévoyans de ton ami." Ces fases précautions font appuyées par les inftances d'Agrippine. Le Général recoit avec reconnoisfance ces marqués de tendresfe; & le généreux Titus, fuivi d'Emilie, fon époufe, & de fes enfans, S 4-. prend  4o3 G E R M A N I C U S. prend la route de Rome, pour dévancer ïe Prince, avant que les neiges aient fermé le pasfage des Alpes. Cependant la rénommée répand dans tous les pays circonvoifins la nouvelle, que lc Fils de Drufus quittera bientót ces contrées , & fait naitre dans les cceurs des habitans un mélange de douleur & de joye, dillïcile a exprimer: on fe réjouit de ce que le Prince va recevoir la récompenfe de fes travaux, mais on verfe des larmes en fongeant que Fon va fe féparer de lui. C'est beaucoup fans doute , que la fortune éleve un héros au faite de la gloire, mais c'est bien plus encore que chacun le juge digne de eet honneur. Tous les peuples s'efforcent de montrer k Germanicus leur reconnoisfance & leur vénération. On lui envoye a 1'envi des couronnes d'or masfif. Les Etats-même d'au de-la du Rhin, fubjugués par fon bras, & qui maintenant joüisfent en paix fous fes loix de Pabondance & du bonheur, reconnoisfent fes bienfaits par des préfens. On apporte de toutes les contrées voifines les pièces les plus rares & les plus fingulieres a la ville des Ubiens, pour fervir d'ornement a fon triomphe, Déja Fon fait partir pour Rome des bandes nombreufes de priibnniers de guerre fous une forte garde: on y voit Libys, le prêtre de Wodan; les princes Germains & les princesfes, par qui Moguntia fut fur le point de fubir fa ruine. Les chemins font couverts de chariots, qui trans- ■  CHANT QUI N ZIE ME. 409 transportent le butin & les dépouilles ennemies. Le Heros, pourvoyant a tout ce qui est utüe, rcnfbrce les garnifons; il fait la revue des troupes, auxquelles il a accordé de revoir la Patrie, & qu'il trouve dignes de triompher avec lui. Sa générofité bienfaifante n'oublie point les pertes , que la fureur des flots a fait esfuyer a Ion armée, ni les dommagcs conlidérables de les fideles alliés, foit en biens foit en vaisfeaux; il ordonne, que Pon fasfe dans chaque contrée un tableau exact,tant chez les grands que chez les petits, de la valeur générale des pertes; fii bonté nasIe avec mdulgence fur les plaintes un peu exaggérées; & il récompenfe avec profufion ceux qui ne defirent que d'être indemniies: nul mortel, quel qu'il puisfe être , n'échappe a fa généreufe attention, heureux de pouvoir tous les fatisfaire. C'est ainfi que 1'astre fecond du jour réjouit la terre par la douce inllucnce de fes rayons, foit qu ij s éleve ou qu'il s'abaisfe aux voütes éclairées du ciel; le dernier rayon qu'il répand, prêt a disparoftre a nos veux, est encore une marqué de fa bienfaiiance. Cependant 1'hyver s'éloigne lentement fuivi des vents & des tempêtes. Les fiers Princes de la Germanie & les Chefs des Gaules, alliés de Rome, fe rendent auprés de Germanicus, erivironnés de la noblesfe de leurs pays, afin de voir le Héros pour la derniere fois. Quel trouble faiht leurs cceurs a fa vue! quel refpeét, quelle gratitude brille dans leurs regards! S 5 ' Les  4io GER.MANICU S. Les peuples attristés fe répandent par milliers fur la route, que doit tenir le Prince, qu'ils veulent contempler encore une fois. Combien ils fentent augmenter leur douleur, en fe rappellant fes brillantes qualités & les vertus de fa noble Époufe! avec quels ravisfemens parlent-ils de leurs bienfaits, tandis que dans cette rude faifon ils arrofent la terre aride des larmes, que la reconnoisfance leur fait répandrel GEll-  GERMANICUS. CHANT SEIZIEME. Le jour destiné au départ du Héros arrivé enfin; les troupes fe rasfemblent pour 1 acconipagner en pompe. Un voit toute la noblesfe Romaine fe ranger a cheval au milieu des enfeignes & des étendarts. Le fier courfier blanc, que monte le Général, impatient du frein, arrofe le mors d or d'une éctime argentée; il attire le yent d'orient par fes narines enflammées, & fait florter avec grace fa longue queue & fa cnniere majestueufe; fa bouillante ardeur femble encore vouloir tracer lc chemin de Ia gloire a fon malire. Le Fils de Drulus promene au loin fes regards; il contemple la multitude d'un air de bonté, faluant de Ia main & de la voix les peuples innombrables, qui, joyeux de fa gloire mais pleurant fon départ, réunisient dans leurs cceurs atrendris le doublé fentiment de la douleur & de la joye. Un trouble non moins grand les faifit a la vue du char pompeux d'Agrippine, fuivi d un grand nombre d'autres qu'occupent les Dames Romaines. Un daigne a peine jetter les yeux fur les enfeignes flottantes, lur Jes Aigles d'or & fin? les riehes dé' pouilles, entourées de guerriers; on ne contemple que Germanicus & fon Époufe: avec quelle ardeur tous les cceurs ne leur fouhaitent-ils pas la confiante protecS 6 jjoij  4i2 GERMANICUS. tion des Dieux! avec quel zèle tous les bras ne s'employent-ils pas pour leur ap> planir les chemins! On dévance le couple auguste jusqu'au milieu des Alpes; on leur fraye des fentiers parmi les montagnes & les roes; & dans 1'ardeur de leur zèle les peuples voudroient , s'il étoit posfible, les porter fur leurs mains jusqu'au Capnole. Touché de, tant de marqués d'attachement, le Prince ne quitte pas fans regret les rives du Bas-Rhin. 11 pasfe par Moguntia ; il traverfe les pays des V'angioncs & les contrées héréditaires-des Nemètes ; il recoit dans tous ces Etats les preuves les .plus finceres d'amour & de refpect; par-tout 1'odeur de 1'encens, allumé fur les autels a 1'honneur du Fils de Drufus, parfume la route qu'il doit tenir.. Argentoxatum furpasfe tout en magnificence, & lui éleve , des ares de triomphe a fon arrivée. Les peuples empresfés défertent les villes a la nouvelle de fon approche. 11 entre dans 1'Helvétie par la Métropole des Rauraques; déja le Héros découvre Salodunum, arrofé par 1'Aar, qui roule Por dans fes Hots. 11 falue Aventicum , & bientót les remparts de Veviscus, prés desquels le Rhó-ne ag'ué , tombant rapidement dans le lac de Leman, traverfe cette mer, entourée de montagnes. Quelle vue furprenante charme les yeux autour de ce basfin! les rochers & les monts fervent de fentiers vers les vallées & vers les plaines; on découvre au-desfus des fo-  CHANT SEIZIEME. 4r3 forêts, des champs & des guérets: Jes hameaux femblent batis fur Ja cime des arbres. Le foleil, qui contemple en fa courfe ces beautés agrestes & ravisfantes, dore ce théatre magnifique d'un éclat,qu! change & fe renouvelle fans cesfe; ici fes rayons femblent tomber par torrens fur une montagne; la il laisfe a 1'ombre un bois; touffu. L'onde transparente renvoye a lceil étonné 1'image des prairies, des roes, des forêts & des villes, qui, préfentant leurs formes renverfées, paroisfent s'enfoncer dans le cristal des eaux, autant qu'elles font élevées au-desfus de leur furface limpide. Le Rhone conduit le Héros le Jong de fa rive fleurie a Oétodurum & dans la haute Helvétie; il descend enfuite a grand bruit de 1'Adula, & femble venir a Ja rencontre de Germanicus & de fes troupes. Les chemins font par iutervalle bordés d un doublé rang de rochers. , Le Prince remonte, cn cótoyant le fleuve, jusqu'a une forêt ombragée, dont les arbres élevés brilent la fureur des vents & les détournent des riches prairies d'alentour. 11 permet a 1'armée fatiguée de prendre quelques jours de repos; & Pon dresfe ausfi-tot ks tentes dans eet endroit enchanteur. Le foleil, au terme de fa courfe', bordoit encore 1'horizon d'un long rideau d'or luifant; le pied des montagnes étoit déja obfeurci par le crépuscule; les forêts de fapins, bien plus élevées, arrêto'ent, fur leurs feuilles a peine naisfautes, le lustre S 7 pour-  4i4 GERMANICUS. pourpré des derniers rayons, tandis que les monts de glacé prél'entoient au loin leur front d'argent, qu'illuminoit encore 1'astre du jour descendu fous 1'hémisphère; lorsque les habitans de ces lieux, accourant de toutes parts pour conteinpler le couple auguste , arriverent au camp des Romains. Chacun d'eux montre fon caraftere hospitalier, en offrant des dons aux guerriers, & fur-tout au Général. Ceux-ci lui préfentent un fanglier, tué depuis-peu de leurs propres mains; ceux-la, un jeune chevreuil; d'autres, un cerf ou des oifeaux domestiques. Les femmes lui offrent, ainfi qu'a fon Époufe, dans de fimples vafes de terre, du lait de chèvre fraichement trait. Ce neélar de la nature rafraichit en ces inftans le noble Couple bien uiieux que le fuc des raifins de Falerne. Serveus, depuis longtemps étroitement attaché a Titus, & envoyé par lui de Rome au-devant du Prince, avoit mis tant de célérité dans fa marche qu'il rencontra 1'armée dans eet endroit. Germanicus & fon Époufe, inquiets encore fur les dispofitions de Tibere, ne le voyent point arriver fans une furprife mêlée de crainte. „ Qui t'envoye? lui demandent„ ils. Quel desfein t'amene ?" „ J'ai en,, trepris ce voyage,repond Serveus, par „ 1'ordre de Titus, afin de vous décou,, vrir 1'état des chofes a Rome, & vous ,, apprendre que peut-être un Esclave „ pourroit faire descendre le* Tyran du " „ trone."  CHANT SEIZIEME. 41$ tröne." A eet avis étonnant le Héros paroit tronblé: il demande a 1'exprès fi« dele un recit exaét d'une nouvelle fi extraordinaire, & comment un vil esclave peut fe faire craindre de 1'Empereur. „ Je „ te le découvrirai fans détour, réplique „ Serveus. Le vaillant Clemehs , jadis „ vendu au Frere de ton Époufe, craignant „ après le trépas d'Auguste la disgrace de „ Tibère pour fon maltre Agriupa, prit „ la généreufe réfolution de le fauver, s'il a, étoit posfible. Dans ce desfein il s'em„ barqua furtivement fur une galère, pour „ aller réjoindre ce Prince, alors exilé fur „ les plages arides de Planazie: a 1'aide „ de quelques matelots fideles, il fe fiattoit ,, de pouvoir le conduire a ton armée, „ mais continuellement retardé dans fa „ courfe, & chasfé de rivage en rivale „ par les vents inconftans, il ne trouva „ plus k fon arrivée que les cendres d'A„ grippa. Le tyran fanguinaire n'avoit ,, perdu aucun inftant pour immoler ce „ jeune Prince a fa rage, dans la crainte „ que le peuple ne fe déclarat pour lui. „ L'esclave fidele, chargé de fon urne, „ erra quelque temps fur les vagues, jus„ qu'a ce qu'enfin il arriva dans la Hé„ trurie, oü il fe tint prudemment caché „ dans une grotte, avec les restes de fon „ maitre, jurant par tous les Dieüx de „ venger un jour eet horrible attentat. „ Quoique récélé dans le fein des monta„ gnesjil fut vu de quelques perfonnes, ,> qui crurent reconnoltre en lui le vifage  4iö GERMANICUS. & les traits d'Agrippa. Encouragé par ,, cette resfetnblance, Clemens forma le ,, projet hardi de fe faire pasfer en pu3, blic pour fon maitre lui-même. Tibe- re est généralement haï. L'artifice de ,, 1'esclave eut le fuccès le plus inatten- du; une partie des Chevaliers Romains ,, le foutient en fecret; plufieurs d'entre les grands, des parens même de FEm- pereur, & quelques-üns .de fes princi, paux favoris, fe font joints a eux; on ,, renforcer . fon parti par de 1'argent & des foldats ; il attaque ouvertement , 1'autorité fuprême; on le dit déja par, venu jusqu'a üstie, & des asfemblées ,, nocturnes fe tiennent a Rome en fa „faveur. Ce n'est pas fans caufe que, Tibere éprouve les plus vives inqniétu' des; c'en est fait de fon règne , fi tu 3, te déclares contre lui; fon espoir ne ,, repofe que fur toi,&, bien loin de pré,, tendre a te nuire, fa dignité, fes jours ,, peut-être, ne dépendent que d'un feul de tes regards." ,, La destinée funeste de mon Frere me touche fenfiblement, réplique le Héros; & le fort de Clemens, qui court a fa perte par fon artifice, excite ma com,, pasfion; je le plains, mais jamais je ,, ne 1'appuierai ni ne tenterai la ruine de , Tibere, de quelque maniere qu'il reconnoisfe ma fidelité; je Fai reconnu ,, pour mon pere , je ne trahirai point ,, mes ferméns & je resterai fon fils. Cependant je ne fuis pas fiché, qu'il fente >} des  CHJNT SE1ZIEME. 417 „ des fujets de crainte. Cet événement „ asfure peut-être mes jours, les jours „ de mon époufe & de mes enfans. Saus „ doute les Dieux, qui ccnnoisfent la „ droiture de mon cceur, détournent nos ,, mfortunes par cette entrepiife étonnan„ te." Avant de quitter cet endroit le Prince pieux ordonne aux Sacrificateurs Romains d y honnorer les Divinités des montagnes & des forêts par des autels & des vceux, afin qu'elles favorifent Je voyage de 1'armée, & la préfervent d'accidens fur les fentiers pénlleux des Alpes. On fe met enfuite en marche; & 1'on avance a grands pas vers les hautes montagnes. La nature en ces lieux folitaires femble prendre plaifir a étaler le fpeclacie magmfique de fes merveilles les plus furprenantes. Les fommets glacés des rochers brillent aux yeux d'un éclat pareil au crystal; les montagnes de neige cachent leurs cimes dans les nues; d'immenfes & profonds abimes montrent leurs gouflres effrayans. De larges torrens, tornbant avec un bruit impétueux du haut des rochers escarpés, dont les échos variés répètent les chocs éclatans, fe rép'andent, en écumant, dans les vallées, ou rejaillisfant dans les airs, & fe disperfant en pluie fous les rayons du foleil, ils offrcnt aux regards étonnés les vives couleurs de liris. Les vapeurs, la glacé, la neige, les éclairs, le tonnerre, des couffres pro» fonds, des volcans, & des abimes, creu- fés  fit GERMANICUS. fes par les eaux, tout préfente en ces lieux l'image des plus étonnans pbénomènes. Les défilés & les cavernes alarment fceil le plus intrépide. Qui pourroit peindre les étonnantes variations de 1'ombre & de la lumiere; le mélange merveilleux des faifons oppoféesl Le triste hyver rcgne fur les montagnes , tandis qu'a leur pied la verdure du printetnps ome les vallons; des fleurs éclofent fur les bords des glacieres; & de tiedes ruisfeaux coulent de collines couvertes de frimats. Germanicus s'avance par des fentiers étroits & difficiles vers la montagne de Jupiter , chargée de glacés éternelles. La vallée, qui, en s'élevant, y conduit 1'armée, offre de temps a autre les afpefts les plus impofans. Le mortel Je plus courageux fe fent faifi de frayeur a la vue des roes, qui, furchargés de neige;,& de crystaux glacés, penchent en voüte fur le chemin' raboteux, menacant le ciel de leurs fomroets & la terre de leur chute. On pasfe en filence ces défilés perilleux; on craint de reveiller 1'écho, qui,répétant jusqu'aux moindres fons, détache quelquefois par un fubit ebranlement de l'air des masfes énorm es de neige, fous lesquelles le voyageur est enféveli. On appercoit dans le lointain des forêts antiques, dont lés. arbres, ausfi igés que le monde, foutiennent fur leur cime la neige tombante, tandis qu'une multitude d'arbrisfeaux & d'herbes odoriférantes croisfent a leurs pieds. D'un autre cóté, 1'ouie ne peut fupporter qu'a  CHANT S El Z IE MÉ. 419 qu'a peine !e mugisfement des torrens fougueux, qui s'élaucent avec fracas de rochers en rochers, & qui, rédoublant ce bruit ibnore a chaque cascade, vont tornier les fleuves & les lacs dans les valides & les profondeurs. Au milieu des chocs répétés de 1'onde écumante , Germanicus s'approche de deux roes escarpés, dont les fommets femblent fe perdre dans les cieux; un pont hardi dune feule arche les unit; les légions ne decouvrent pas fans crainte cet'endroit effrayant: on crut toujours ce pont érigé par les ombres du royaume de Pluton; les foldats s'imaginent voir le Styx rugisfant contre eux en contemplant le fleuve" noir, qui couvre le fond de 1'abime; fpeétacle terrible, qu'ils fuyent d'un pied chancelant. CHielles fcènes maj'estueufes produit Ia lumiere du foleil! il femble, que les montagnes s'ouvrent a mefure que les troupes s'en approchent; on découvre, en avanfant, une gorge, une profondeur, une forêt, un temple, un hameau, ou une petite ville, dans des lieux oü 1'on croyoit ne devoir trouver aucun pasfage. Bientót les fiers guerriers font faifis de terreur, en voyant au loin des flammes s élever du cratere d'une montagne ardente, qui, vomisfant des torrens de feux & de pierres , couvre les campagnes voifines de nuages de cendre. Au bruit menacant,qui rétentit du fond de 1'abime, & au milieu de 1'épaisfe fumée, qui obfeurcit 1'air,  42o GERMANICUS. 1'air, ils voyent tout-a-coup une flamme ondoyante s'élancer du gouffre affreux, & produire de longs ruisfeaux de lave , qui, tombant de roe en roe, fe réunisfent & forment une cascade effrayante de feu, flottant fans cesfe, & fubmergeant les champs d'un fleuve brülant , qui fait craindre une ruine entiere aux peuples d'alentóur. L'Armée s'éleve jusqu'aux régions des nuages. Les vapeurs légeres donnent aux foldats des ornemens étrangers; leurs vêtemens fe couvrent d'un givre velu, qui, fe crystallifant fur eux, les revêtit d'une ■crotïte brillante. Un froid excesfif les faifit pendant la nuit, & est pour eux le plus a craindre; c'est alors qu'ils allument des feux de fapins entiers, & que couchés auprès ils s'entretiennent de leurs parens, de leur Patrie , de leurs vicloires & de leurs dangers ; ou qu' enveloppés dans des peaux d'animaux ils fe livrent aux douceurs du fommeil , jusques a ce que les Centurions donnent le fignal du départ. Le Prince arrivé enfin fur le fommet de la montagne, confacrée au Pere des Dieux. C'est de-la qu'il montre a fon Époufe le grand are de triomphe, que Rome fit élever'en 1'honneur d'Auguste , lorsqu'il eut délivré 1'limpire & terminé glorieufement toutes les guerres, en lui foumettant les peuples de ces montagnes & fermant enfin le temple de Janus. La fiere Cité, ravie de tant de gloire, mon-  CHANT SEIZ IEME. 4*1 montra fa puisfance aux nations vaincues; elle fit énger fur les Alpes un ave de triomphe au-desfus même des nuages, & Placa la (latue d'Auguste fur ce fuperbe edihce a une telle élevation, que la terre entiere parut s'être prosternée au pied de ion tröne. Germanicus, rempli de vénération, contemple avec des yeux fereins la voüte immenle du ciel. Une troupe d'aigles, qui conftruifent leurs nids fur des roes inacceslibles , fe rasfemble de toutes parts a la vue du Prince; ils battent des ailes en sélevant & prennent leur vol versie fud, comme s'ils avoient attendu 1'arrivée du Heros pour lui frayer le chemin. LeFils de Drulus , faifi de joye, s'écrie: „ Tu „ as remph mes defirs,ó Jupiter! j'accepj, te avec transport cet heureux augure." Dans ces lieux elevés un air plus pur charme les fens du Prince. Les foucis & les inquiétudes , maux terrestres peu accoutumds a planer dans ces rdgions aérdes, fe font infenfiblement dchappés de fon cceur a mefure qu'il s'éloignoit du féjour des hommes. II ne penfe maintenant ni a la haine de Pifon , ni aux artifïces de Tibere. La paix de fon ame brille en fes yeux, rayonnans d'une douce joye. II contemple fa chere Agrippine, «Si la voit jouir du même bonheur. „ Oü fommes-nous ? lui dit-elle , m'as-tu en„ levée a la terre?" „ Quelle est la „ caule, répond fon Epoux , du bonheur „ inconnu que nous éprouvons P Ton anie  422 GERMANICUS. ,, ame paifible me fourit 'au travers de tes larmes; une respiration douce & facile 9, porte dans tout mon être une joye 9, nouvelle. Qu'elle est tranquille & cal,, me , cette joye inexprimable ! ó ma tendre Époufe! qui eüt cru, que ce lieu „ nous düt faire goüter tant de délices? „ jouïsfons de toute Ia douceur d'être & s, de penfer. Quelle félicité inaltérable vient remplir 1'ame fenfible, asfurée de „ fon existence! Ah! c'est ici le féjour de 1'aimable férénité." Le Prince quitte a regret ces endroits paifibles. Les nuages épais & fombres, qui flottent autour de ces montagnes, font bien au-desfous de lui. Du haut de ces royaumes aériens il ne contemple que des fites folitaires & fauvages. On n'apper§oit a 1'entour que dè brillans déferts; que des montagnes de glacé, qui femblent des rbcs de crystal, fur lesquels la lumiere du fpleil n'a d'autre influenceque d'enrichir des plus vives couleurs la blanclreur éblouïsfante, dont ils font couverts. Les eaux, ainfi que la terre, y font transformées en marbre; la nature engourdie femble y dormir du fommeil de la mort; elle n'y produit ni la vie animale ni la vie végétale; & nul mortel n'ofa jamais entreprendre de troubler ce profond repos. Ici 1'armée fe trouve arrêtée par une immenfe glaciere, fource éternelle des fleuves, des lacs, des ruisfeaux , qui de fon fein fe répandent vers 1'orient &Poccident, & procurent a la terre une heureufe fécon- dité.  CHANT SEIZIEME. 423 tóe*. Cette mer de glacés, qui forme ici de hautes montagnes, la des vallons , fe fend quelquefois & fe brife en pieces avec un bruit égal a celui du tonnerre, mife en mouvement par les rayons pénétrans du ioleif: le voyageur effrayé, pourfuivi par ces éclats meidans, croit entendre la mort-même rugir contre lui d'entre les crévasles béantes. Le Fils de Drufus, ayant pasfé ces lieux teconds en dangers , descend lentement des hautes montagnes , par des fentiers glacés , jusqu'a la région des neiges. Ici de nouveaux périls font frisfonner les légions, qui ofent a peine appuyer le pied fur ces routes mal alfermies. Un torrent, descen- ' du des glacieres, roule fes flots au deslous de cette vallée , cc la fait tfembler toute entiere, lorsque quelque obflacle 1 arrête en fa courfe. Dans ces momens crmques. le Héros encourage fes troupes par fon exemple. Des fotnmets de leurs rochers les habitans dc Ia haute Helvétie fuivent le Prince des yeux , ausfi-loin que la vue peut s'éteadre; ils le voyent pourfuivre fa route vers Mediola. Quoiqu'encore au milieu des montagnes glacées, qui élevent jusqu'aux nues leurs tètes altieres chargées de nei<*e les Romains fe fentent déja récréer par les aimables zéphyrs du priniemps. La joye renait dans 1'armée; elle fe repréfente deja les beautés de la fiere Italië , qui donne fes loix a 1'univers. Le foleil rarefie & disfipe peu-a-peu les images épais, qui cachoient a  4&4. GERMANICUS. a Ia vue tous les pays fitués plus bas; il dore de 1'éclat de fes rayons les nues flottantes & les fait briller au loin d'un luftre majeftueux. Tout- a- coup le grand rideau s'ouvre , les nuages fe féparent, les légions étonnées contemplent avec admiration Ie vaste théatre & s'en rapportent a peine a leurs prbpres yeux ; on découvre des montagnes , des vallées , des forêts, des champs; & les foldats, plcins de joye", fe montrent mutuellement tous ces rians objets. On appercoit la Capitale des Salasfiens , & les lieux oü s'élevent les roes escarpés, qui firent frémir l'intrépide cceur d'Annibal; ces roes, que ce Héros, qui ne fut arrêté ni par des montagnes de neige ni par les glacés des Alpes, vit avec un dépit amer, &dont, après avoir employé & le fer & le feu, il parvint enfin a faire franchir a fes troupes l'obftacle jusqu'alors infurmontable. Ainfi ce fier ennemi de Rome traca lui même, fans le ftpavoir, le chemin par-oü cette Reine des cités de voit étendre un jour fes conquêtes jusqu'aux bords de 1'Elbe & du Rhin. Les rochers, creufés en voüte, qui couvrent ce fentier, font frémir d'une (ècrette horreur les plus intrépides. Le brave Fils de Drulus dévance les foldats fur ce pasfage rédoutable. II marche vers Eporedia , & découvre bientót les riches vallées couvertes de jeunes plantes & de fleurs. Les collines ainfi que les forêts élevent de toutes parts dans cette belle faifon leurs fom- mets.  CHANT SEIZIEME. 425 mets, ornés de la verdure du printemps. Dans ces aimables lieux le foleil bienÏÏan in?1* ?ux/eu? du ^"ce d8ns fon bl. . lant éclat depuis le moment qu'il fe le i ShtJf'r04 Ü-desceild foi's rh°ri«S Occidental. Germanicus , a la tête de 1'armée traverlè Novaria,& arrivé enfin dans la fiere cué de Mediola, oü il fe repofe quelques jours de Ja fatigue du voyage? A fon entree fur les confins de la Patrfe e Hero., comblé de joye , fe prost e d l ade cette terre, Ja terre de 1'Aufonie & Ia Mie en ces termes: „ Je te falue " J,n? Z vfor™k , qui as produit „ tant de grands hommes 1 Te te falue "E1CeffS Scipions & des Catoi" ! „ Illustre féminaire des arts & des vain„ queurs! je te falue " té?Z Pr°rUmk rTékmev toutes Ie« beau. é »i>nmr r feniles' t0l|i°urs habitées par 1 amiable printemps ! Quel pi„ceau pourrou tracer dignement S y tant ue Cués, baties de marbre: tant Se montagnes, riches en bêtes fauv'es tant Temoé riVqU'-le diSpUtent a h «lèbS L ?Ïarilrmonie par le nombre & ia beauté de leurs arbres amiquès, par leu s ormes, leurs fapi , 4 . par etirs gupliers, leurs frênes, leurs chataigne s fle-uis, leurs graves cvprès, & leurs meuS™mb™UeS - Quf pourroit rend e a magnificence des vallons . oü Pen voit roug-r la pêche veloutée, & br lier la v te ohve; oü la cerife , apportée par Lu. cullus du royaume de P0in, rit eEtre lës T dat-  426 GERMANICUS. daites , les abricots , les prunes, & les. pommes ; oü le farment tortueux de la vigne s'entrelasfe au feuillage du citronier, toujours verd , & mêle fes grappes pourprées aux fleurs du grenadier; ces vergers agréables, oü mürisfent la figue & la dure amande;oü croislèut le myrthe, lc: laurier , & le fafran odoriférant; ou la rofe & le jasmin remplisfent Mv des plus doux parfums' Oui pourroit peindre les fertiles Se s , les riantes vallées, les fleuves nombreu'x & utiles, qui , dcscendus des montagnes , ferpentent dans la plaine, en faifant entendre un doux murmure au bruit duuuel fe mêlent les chants mélodieux des rosf.gnolsl enfin, les mines de pierre précieufes, les carrières de marbre, les métaux multipliés, le corail branchu, & toutes les merveilles qui fe réunisfent dans ces aimables contrées ! Déia le foleil a parcouru le figne du bélier: le printemps couvre la terre rajeunie fornemens nouveaux , & fait éclore la verdure & les fleurs pour le momphateur, qui pourfuit fa route vers le centre de riL'Eridan fougueux ,qui prend fa fource fur les hautes montagnes; ce fleuve, que es Poëtes de PAntiquité mirent au rang des Divinités aquatiques, & dont les eaux fervirent de tombeau a nmprudent Phaeton n'apporte point d'obftacle a la marche de Germanicus : il contemple la courfe rapide de fes flots argentés, qui ferpenten au loin dans ces contrées ravisfantes: U  CHANT SE I ZIE ME. 4*? découvre dans 1'éloignement la riche cité de Placentia, jadis malheureufe du temps des guerres Puniques , aujourd'hui célèbre par fes richesfes & la magnificence de fes édifices. En fuivant jusqu'a Panne le chemin embelli & pavé par les Lins d'Ëmile, il traverfe la Trebbie aux rives toi tueufes, cc pasfe fur douze ponts douze rivieres dilferentes avant d'arriver a Mutina. Des remparts de cette ville on appercpoit Pimmenfeforêt de meuriers, qui s'étend jusqu'au rivage, fur lequel la mer Adriatique vient brifer fes flots écumans. ö Forêt toulfue & ombragée, qui dans des Fiècles futurs feras confacrée a la Dëesfe des arts J quelle gloire ne recevras-tu pas du ver a foie richement tachcté, lorsqu'il dorera de fes fils précieux ton enceinte verdoyante! Maintenant la vigne fertile ajoute a tes attraits, en accrochant fes tendres farmens aux branches de tes arbres , & mêlant fes grapes a leurs fruits délicieux. En plus d'un endroit ton fol fe montre couvert d'épis, entourés de lys & de violettes; & la riche Bononie, engraisfée du fuc des olives, augmence encore ta beauté par la magnificence de fes campagnes. Le Prince voit enfin le Rubicon, fur les bords duquel Jules-Cefar donna 1'ailreiix fignal de la guerre civile , lorsque dans ces temps critiques fes vastes projets remplirent Rome de terreur; lorsqu'il couvrit de cadavres fanglans les plaines fertiles; lorsqu'il vainquit Pompée, & forca Caton même a la fuite. Le fiej Rubicon, oubliant T 2 au«  428 GERMANICUS. aujourd'hui fes anciens desastres , voit Germanicus traverfér fon onde & arriver a Ariminum, arrofée des vagues de la mer Adriatique. Cette cité, pompeufement batie, lui offre la voie Flaminienne, qui s'avance d'ici jusqu'aux remparts de la Capitale de 1'Empire, & le conduit pendant une marche de plus de trente heures vers les monts Apennins. il entre dans les murs de Fanum, ville nouvelle & magnifique , qui vit jadis perir Asdrubal & toute 1'armée Carthaginoife fur fon territoire , en mémoire duquel événement elle obtint le beau nom de temple de la Fortune, ft Campagnes fleuries , & dont les richesfes font fe charme des yeux; foit que vous apparteniez a P>acchus ou a Ceres ; foit que vous méritiez le titre de jardins de Pomone! nul Poëte que le charitre de Mantoue n'est capable de peindre vos beautés. Quelle grandeur , quelle magnificence étale dans ces contrées la route fuperbe ! Elle conduit les guerriers le long du fleuve IVletaurus. Déja Nuceria les voit paroltre fur les monts d'Italie, les majefiueux Apennins; qui, vers le nord, fe joignent fierement aux Alpes, en élevant jusqu'au ciel leurs fommets orgueilleux. On les vit jadis, au midi, commander la Sicile, avant que les flots eusfent brilé cette chaine rédoutahle , qui fe termine maintenant au gouffre, oü Scylla fait entendre fes horribles aboyemens. Cette longue file de montagnes parcourt toute 1'ltalie, voyant d'un èoté le golfe Adriatique, & de Fautre la mer  CHAN T S EI Z IE ME. 479 mer de Tyrrhene : de fon fein partent des riettves nombreux , qui fertiJifent en leurs cours les terres Italiques , & portent le tnbut de leurs ondes ;\ 1'une ou a 1'autre oe ces mers. Un de ces monts fameux entante la fource célèbre, d'oü le Tibre comnience fa belle carrière. Dans fa courfe tortueme le fleuve illustre recoit 1'hommage de quarante rivieres, & falue 1'antique L-atium , jadis le royaume de Faunus , Ihémage légitime du Roi Latinus, & 1'al lyle dluiée, qui, fatigué d'errer de mers en mers, après le fort funeste du fuperbe llion , obtint enfin le fceptre dans ces contrées bospitalieres. Longtemps après 1'arri.vée dü pieux fils d'Anchife, le Tibre vit lantique Latium recevoir les loix de Komulus ; il vit ce Héros intrépide vaincre & fubjuguer fes voifins belliqueux ; il vu la jeune & naisfante Rome s'accroïtre, s étendre, & couvrir les fept montagnes enfermées dans fon enceinte. Bientót il vit la Cité majeftueufe devenue la Reine de 1 Univers ; il arrofe les pieds de cette ville puisfante , & coule le long de les remparts , contemplant avec un étonnement toujours nouveau fes temples , fes palais, fes monumens , fes édifices foraptueux , & fes aqueducs dignes de 1'admiration de tous les peuples. Tandis que le fleuve célèbre s'enorgueilht de cette magnificence , le Fils de Drulus paroit fur fes rives fleuries dans les murs d'OcricuIum. II avoit déja falu' de loin les collines de Trebellium & la* T 3 bel-  430 GERMANICUS. belle ville de Mevania, que le fleuve Clitumnus arrpfe ayec un doux murmurè , avant que fon onde tranquille parcourt les feniks vallons,& décore d'une peau, qui égale la neige en blancbeur, les _ taureaux, qui paisfent fur fes bords > & qui doivent augmcntér la pompe des facrifices d'Aufonie. Déja cent de ces taureaux blanes avoient été envoyés a Rome,pour fervir de viftlmes a la fête folemnelle du triomphe du Héros , ainfi que des vafes remplis de Peau, ."qui eoule de la belle iburce de ce fleuve, afin d'en arrofer leurs têtes avant le faerifice. Bientót Germanicus s'avance jusqu'au mont Soraéte , couvert d'allées verdoyantes , ornées de fruits d'or, remplis d'un fuc rafraichisfant; & il contemple enfin les campagnes heureufes arrofées par le Tibre. C'est d'ici qu on découvre Rome dans toute fa fplendeur ; fes montagnes , fes vallons, fes édifices, & la vaste étendue de fon enceinte. Les Vétérans , licenciés par le Prince du fervice militaire, brülans de revoir leurs demeures, leurs families, & fbupirans après un juste repos , acquis par tant de combats, fentent leurs yeux fe remplir de douces larmes, en fe montrant mutuellement la ville. lis oublient maintenant les dangers, qu'ils ont courus ; leurs cceurs , portés par le defir, voient vers leurs foyers & leurs autels. „Voyez, ,, s'écrient-ils, les yeux inondés de pleurs, voyez , chers compagnons; voila Ro- ,,me!  CHANT S EI ZIEME. 431 me I voila la noble & puisfante cité ! " A ce cri tous les regards fe tournent vers la ville ; & les foldats , transportés de joye, répètent avec des acclamations reïtéréès: „ Rome! Rome!" Une vive latisfaclion brille dans les yeux du Général , & les fons , rcnvoyés par les bruyans echos _ des montagnes, élevent jusqu' aux deux le nom clieri de la puisfante Rome. Le peuple Romain , toujours favorable a Germanicus, accourt jusqu'a vingt miles de la capitale, afin de le revoir plutót : les habitans des environs, charmés de fa renommée , arrivent de toutes parts. Prés des bords du Tibre s'éleve la magnifique campagne d'Auguste, oü ce Prince, fatigué des foins du gouvernement, alloit fouvent avec Livie gouter les charmes du repos; & oü Ia branche de Laurier, tombée jadis dans fon fein, s'étoit accrue jusqu'a la hauteur d'un arbre, promettant au Vainqueur une couronne incorruptible au jour de fon triomphe: c'est la que le couple héroïque fe voit reqa avec les plus vives démonltrations de joye par le fidele Titus & la noble Emilie, qui languisfoient depuis longtemps de les voir paroitre. Ils leur donnent avis, que les feux de la guerre font encore allumés dans 1'Orient; que lc parti de 1'esclave d'Agrippa fe renforce de jour en jour, que 1'Empereur est incertain fur les moyens de détoumer les malheurs qui le ïneiiacent, & qu'il ne fe peut foutenir que par PasT 4 li-  43a GERMANICUS. fistance du Prince. Ces nouveiles rasfurent de nouveau le Fils de Drufus. Le Sénat cependant, indruk de fon arrivée, envoye une ambasfade folemnelle au temple d'Ifis , afin d'y voir, felon 1'uiage, vérifier la victoire. La Déesfe Egyptieune ne s'offenfe point en cette heurcnfe journée de voir facrifier a d'autres Dieux dans fa forêt facrée. La troupe facerdotale, fortie de Rome & revêtue d'habits conformes a Ja céréraonie, entre dans la forêt. On y érige trois autels; un a Jupiter, un autre ajunon, & le dernier a Mars , qui tous trois doivent ctre les témoins du ferment. Germanicus paroit a la tête de fes guerriers, tous magnifiquement armés & "couronnés de lauriers. 11 confirme a voix haute la vé« rité de la victoire; & toute 1'armée fuit fon exemple, en proférant le même ferment. On fait enfuite, au fon des trompettes , & prosterné aux pieds des autels, le faerifice d'un jeune taureau. La folemnité finisfoit a peine, lorsqu'on vit paroltre un envoyé de Tibere; il annonce a haute voix devant les troupes nsfemblées, que 1'Empereur, convaincu que les Romains verront avec joye la gloire de fon Fils, promet, au nom du Prince, un riche préfent a chaque citoyen de Rome a 1'occafion du triomphe. Toute 1'armée applaudit h cette liberalité. Le Général, monté a la tribune, prend congé des troupes en ces termes:,, Guer„ riers Romains, de qui les glaives vain- queurs  CHANT SE1ZIEME. 433 „ queurs ont fait trembler les peuples de Ia here Germanie; qui avez appaifé les ,, manes de Varus, chasfé le perfide Ar" I?lnlus». reconquis vos aigles facrées, » ,% l0l!mis Plufieurs régions aux loix de „ 1Empire ! jamais Germanicus n'oubliera „ 1 ardeur généreufe, avec laquelle vous „ avez fervi la Patrie. Le Sénat & Cé„ iar font contents de votre conduite. Ils » ont accordé les honneurs de Povation „ a quatre de vos Chefs; au brave Apro9» mus, dont la prudence courageufe a defendu le Rhin & le Mein; au vaillant „ bilius, qui dompta 1'audace du Roi des „ Cattes; a Cecina, qui défit glorieufement une armée ennemie; & a Titus, mon „ ami,a qui jedois la confervation de mes jours. Participez tous a la renommée ,, de votre Général, ó braves Légions* 9, ainli qu a fa gloire", ausrmentée par vo„ tre zele. infatiguable. Que chacun de „ vous, qui s est distingué fous mes ordres, „ recoive les marqués d'honneur, aue R0„ me hu accorde , & voie fa valeur recom„ penfée par ma main." il dit, & distribue des couronnes murales & civiques, des guirlandes de laurier & de myrthe, des cuirasfes, des armes, des vêtemens honnorables, des bracelets, & des chaines d'or. II éleve celui-ci ii une dignité plus éminente, honnore celuida du rang dc chevalier; il fait prefent a d'autres de fuperbes courfiers, & asfigne aux vétérans des terres abourables afin qu'ils pasfent maintenant le reste de leurs jours dans les douceurs T 5 du  434 GERMANICUS. du repos prés de leurs tranquilles foyers. La reconnoisfance, la joye, l'amour, & la vénération, fe peignent dans tous les yeux; & les acclamations, mille & mille fois repetées, fe font entendre de toutes parts. Cependant une fête brillante est préparée vpour toute 1'armée dans le champ de Mars. Le temple de Bellone, ouvert par les facrificateurs , est destiné a recevoir & traiter Germanicus avec les Chefs des légions. Tandis que la joye fe répand fur les rives du Tibre, la majestueufe Rome ouvre de quartiers en quartiers les portes fuperbes de fes fept-cent temples. Les colomnes font omées de guirlandes; on couvre les feuils de feuillages & de fleurs. L'illustre familie du Héros vient a fa rencontre, afin de participer a. la gloire de fon triomphe. Quels fentimens délicieux n'éprouve pas Germanicus , en recevant les fafatations de Drufus, fon frere, & de la jeune Livie, époufe de ce Prince; en embrasfant fa digne mere, la fage Antonia, qui lui préfente quatre de fes enfans confiés a fes foins: jamais plus heureux jour n'a lui pour le Général & pour fa chere Agrippine. Dép des tables immenfes & fomptueufes font dresfées pour tous les citoyensde Rome dans les vastes galeries du Capitole , & dans le Palais oü s'asfemble le Sénat ; fanctuaire refpectable de 1'éloquence, oü fe réunisfent chaque jour toutes les fcien-  CHANT SE1ZIEME. 43$ &TRodmeI'amiqUe Memphis> d'Athènes Des préparatifs plus magnifiques encore Wil ?"snlerPaIai* ** fenpereur pour \ JlL Drufus' Les invitations font acceptées par tous les Sénateurs. Les Conluls de cette année, & Tibere lui-mè- rien eXCUféS d'y paroitre' afin Vje rien n entre en concurrence avec le rang du Triomphateur; &, pour preuve d'une confiance mutuelle, 1'Empereur lui annon- 3S^^^*-to^ la marc!* Avec quelle joye le peuple ne fe rappelSr Jj 5 3 C£tte occaflon Ies vertus de 2fnn'F-i1 f0I?Ptant.les fêtes qu',1 attcnd Ïnt n MS C't0yenS J°>reUX ddl'bè- dnnV ,f,0ID?,ent lls Pa"a§eront les heures dans les cirques, aux jeux des cbars, de l escnme, de la hitte/aux combats des gladiateurs, ou a ceux des animaux féro™L\ i 3UX autres dive"isremens qui charment leurs yeux. La troupe confacrée aux Deesles de FHelicon prépare le théatre Pompeux,_ou les talens fublimes d'Accius die des Grecs, & oh le badinage piquant de Plaiite & de Terence peindra les cTracteres des citoyens de Rome. Plus loin on oiivre les falies richement ornées, oü les génies les plus heureux recevront les premiers pnx de la mufique harmonicufe ou des chants de triomphe. Ainfi le zèle anicué par le plaifir, apprête font ce T ö qu'ex-  456 GERMANICUS. qu'exigent la gloire du Prince & la majeIté de Rome. Le jour s'approche, qui élevera le Fils de Drufus au faite des honneurs. Tous les chemins font jonchés de verdure. Le grand Palais d'Auguste dès le lever de PAurore fe montre paré d'ornemens Asfyriens, de tapisferies artistement tisfues, & qui, décorées des vives couleurs de Plris, ajoutent un nouvel éclat au lustre du marbre. Les métamorphofes, chantées par üvide, & la mufe héroïque de Maron, qui ambitionna les lauriers d'Homere. fournisfeut des fujets nombreux & variés pour de magnifiques tableaux. La feavantè Minerve elle-même , par les mains de fes compagnes Phrygiennes, a brodé les plus beaux desfins fur ces pompetifes tentures ; & les fleurs, artistement tracées avec 1'aiguille, y disputent le prix de la fraicheur aux guirlandes de rofes , qui brilleut d'un tendre éclat autour des colomnes du palais. Les Sénateurs, les Chevaliers, tous ont décoré leurs maifons: Rome entiere triomphe avec Germanicus. L'Astre brillant du jour s'éleve fur 1'horizon; il deploye toute fa magnificence, & femble du haut des cieux fourire a la terre; aucun image ne couvre la voute azurée; le jour le plus pur qui füt jamais femble participer a la joye des cceurs. Semblable aux flots rapides de la mer, le peuple accourt & fe répand de toutes parts ; il borde les larges chemins; les uns montëtit fur ks toits des maifons, d'autres h la  CHANT SE1ZIEME. 437 la cïme des arbres,bravant tous les périls dans les transports de leur joye. L en eens allumé par les prêtres , brüle fur des autels, élevés le long de la route, que doit temr lc Tnomphateur. Déja le Sénat s'avance, revêtu felon fa dignité de la robe blanche, richement bordée de pourpre. Chacun des Sénateurs est chausfé de bro*dequms rouges, & couronné de lauriers Une troupe de Sacrificateurs les fuit, Ie front ceint du feuillage verdoyant confacré aux Dieux & aux Dëesfes, dont ils font les ministres. Au milieu d'eux paroit le vénérable Prêtre de Jupiter: une thiare, blanche comme 1'argent, marqué diftmctive de fa dignité, ornée de feuilles dohvier, & fur laquelle 1'image de lafoudre est tisfue en or brillant, s'éleve fur fa tête,5& lui attire la vénération du peuple. L'Urdre illustre des Chevaliers, vêtus de blanc avec un bord de pourpre plus étroit que celui des Sénateurs , fuit la troupe facerdotale. Deux détachemens de la garde de Tibere, envoyés par lui pour marcher. a cóté du char de triomphe, fe voyent immédiatement fuivis de tous leur compagnons. Chacun n'écoutant que fon affection , 1'Empereur fe trouve abandonné lorsqu'il s'agit de 1'illustre Fils de Drufus. La troupe pompeufe est a peine parvenue jusqu'a la forét facrée, ou tout est déja rasfemblé pour commencer Ia marche folemnelle, que le Triomphateur fort du temple aux fons de mille inftrumens. 11 tst revêtu de Ia robe triomphale de Ta T 7 pour-  438 GERMANICUS. pourpre la plus éclatante, brodée de palmes, dc lauriers, & d'étoiles;habillement fuperbe, briilant d'or & de pierredes. Les brodequins font richement ornés de perles. Une couronne du feuillage de Daphnc ceint fa brune chevelure. D'une main il tient une branche de laurier, de fautre le baton de commandement, fait d'yvoire, & furmonté d'une aigle d'or. Autour de lui font les Chefs de 1'armée, couverts de magnifiques armures, & couronnés de lauriers" comme le Prince. A fa vue l'amour, les refpecls du peuple fe démontrent, & les acclamations rédoublent. II paroit k leurs yeux une divinité en ce jour. Le Sénat, charmé de le revoir, est recu de lui avec les marqués de la plus vive affeclion. Après quelques inftans d'entretien, les Sénateurs conduifent le Héros avec toutes les folemnités d'ufage ati char préparé pour le triomphe. Avant d'y monter, le pieux Fils de Drufus éleve les yeux & les mains vers le ciel , auquel il adresfe cette pricre : Grands Dieux, qui du haut de FOlympe dirigez le fort des humains! Vous , ' par qui Rome, jadis foible & bornée, brille maintenant avec tant defplendeurï ' Vous, qui lui accordez de triompher encore en ce jour!protégez-lafans cesfe, & que jamais rien n'abaisfe fa gloire J* Chacun fe range fuivant Pordre de fa dignité, tandis que la mufique de mille inftrumens divers s'éleve de toutes parts, & remplit Pair de fes fons éclatans. Que!  CHANT SEIZ1EME. 439 Quel pinceau pourroit tracer le fpeclacle magnifique.que forme la marche pompeuie de la troupe revérée des Peres conicnts & des Chevaliers Romains , qui sapprochent déja des remparts! Les Licteurs, au maintien fier & févere, s'avancent fur deux lignes a coté des Sénateurs 5 leurs faisceaux font ornés de guirlandes. Les trompettes fe font entendre de nouveau; le cistre, le luth, la flute, la lyre, & les clairons, leur fuccèdent, entrecoupés de chants mélodieux & de cris de victoire, mille fois répétés. Les cent taureaux blancs, destinés par le Héros pour être offerts è Jupiter, ornés de riches couvertures, la tête & le col entourés de guirlandes fleuries, paroisfent. Les ferviteurs des autels les conduifent par des cordons de laine, agréablement tisfus de mille couleurs diverfes, & qui descendent avec grace de leurs larges fronts jusqu a terre. Le grand Prêtre du Maitre des Dieux, environné de la troupe des facrificateurs, les accompagné aux autels. . ,a yue fubite des riches ornemens du triomphe & des dépouilles conquifes, le peuple fait éclater fa joye par des acclamations réitérées. L'ait féduifant de la peinture attire les regards par des repréfentations parlantes d'aélions guerrieres ou de fans héroiques, rendus fur de riches taoleaux. Ici, pon montre des villes & des forteresfes; Ja, des montagnes, des torêts & des vallons, artistement figurés par des compartimens d'or, d'argent, de crys»  44o GERMANICUS.' crystaux, & d'yvoire: plus loin, ce font des minéraux & des marbres, produchons des montagnes & des carrières. Ici, fon voit briller la ville de Mattium, tracée fur. un marbre poli; la, la forteresfe de Sigodunum,qui paroit toute en flammes: d'un autre coté, la forêt de Freja charme tous les yeux; on reconnoit a fes tours formidables la demeure ifolée d'Aurinie. On voit avancer les Dieux aquatiques de la Germanie, les cornes rompues,leurs couronnes de rofeaux fanées, & leurs urnes fouillées de fang; témoignages frappans du courage héroïque des Romains. Plus loin, on appercoit 1'image de la forêt de Teutobourg , jadis abreuvée du fang des légions: pour ecarttr aujourd'hui ces funestes fouvenirs, on n'y voit que le monument de gazon, élevé par la piété du Général, qui procura les honneurs de la fépulture aux restes infortunés des troupes de Varus; a cette peinture touchante les fpeclateurs attendris applaudisfent par des acclamations aux vertus du Héros. Ici , Pon a rcpréfenté comment 1'armée troubla les noces de Segonax & d'Adolinde; la , comment elle reconquit fes aigles précieufes, & les rapporta triomphante. Plus loin , on offre aux yeux la délivrance du chateau de Segeste; on montre cette forteresfe artistement fculptée fur Pyvoire. Ailleurs , 1'ceil fe promene fur les combats fanglans & les défaites meurtrieres des peuples Tudesques, tombés fous le glaive vengeur. Immédiatement après  CHANT SEIZI EME. 441 après paroit la fbttie du Général: on voit a les pieds celle de la Germanie, chargee _ de chaines & enfanglamée. Elle est i ui vie d'une longue file de chariots, remPhs des drapeaux & des étendarts des Crermains; ils font entremélés avec les boucliers , les casques , les épieux , les g aives , les uiasfues , les arcs & les Hèclies des nations vaincues. Mais ce qui frappe le plus les yeux de la multitude , ce font les peaux de loups & de taureaux, vetemens des Barbares. Les cris de joye & les applaudisfemens rédoublent a la vue des aigles, reprifes aux ennemis; ces précieux gages, toujours facrés pour les Ro. mams, font pour eux la partie la plus intéresfante du butin. Une nombreufe fuite de Capitames les accompagné; leurs têtes lont ceintes d'olivier , & leurs mains portent de riches couronnes d'or, illustres marqués de 1'hommage des peuples tributaires. On voit enfuite s'avancer a pas lents Ia foule des prifonniers de guerre , nortant tnstement leurs chaines , & vêtus fuivant jes digmtés & le rang, que la naisfance ou le choix de leurs compatriotes leur a donnés. Sur tous leurs traits, altérés par les cha-" grins & la haine, fe peignent les vains efforts d une fombre colere : on appercoit dans leur maintien 1'artifice réprimé , le courage abattu, la violence asfujettie , ]a fureur enchainée, & 1'arrogance condamnée au joug de 1'esclavage. Le peuple reconnou Libys a fes habits facerdotaux : foa ame  442 GERMANICUS. ame femble dédaigner la mort , qu'il attend; fon ceil est ausfi ferein que fi, dans fes perfides projets , il méditoit encore la ruine de Rome. Sezitbacus le fuit, accompagné de Deudorix: on lit dans leurs yeux étincelans les violentcs agitations de leur ame; leurs habits de pompe font déchirés en lambeaux: celui-ci grince desdents, oumord en murmurant.fa chaine ; celui-la fécoue fes liens de fer, en rugisfant de courroux; leur fureur & leur impatiente rage femble rédoubler a chaque inftant par les acclamations du peuple. Après eux on voit pa» roitre Segimond avec fon frere Adelbert ; la fierté de leur naisfance brille dans leurs yeux intrépides. Waldrade, le front ceint du diadème, dont la douleur lui avoit déja fait bannir 1'idée, paroit abforbée dans la tristesfe la plus amère. La jeune Aregonde & la noble Venerande dévancent la belle Rhamis , & déplorent avec elle les malheurs de tous. L'aimable Theusnilde conferve dans fon infortune toute la dignité de fon rang; les cceurs les plus infenfibles éprouvent un fentiment de pitié a la vue de cette Princesfe, qui s'avance d'un pas lent, tenant fon fils entre fes bras, les yeux fixés tristement fur la terre, & tachant de dévorer fes larmes, tandis que fon ame oppresfée fouffre encore moins de fa propre douleur que de 1'affront cruel, qui en réjaillit fur Arminius, Pobjet de fon amour conjugal. Une troupe de danfeurs marche après la Fille de Segeste. On voit enfuite les fta-  CHANT SEIZIEME. 443 fiatues de marbre des Héros, dont le Inomphateur & fon Époufe tirent leur origine. Ces illustres ancêtres remontent jusqu'aux üieux mêmes. Enée , fils de Venus, fauvé du fac d'llion & fafiié Monarque fur lc trone de Latinus, est 1'auteur de leur lignée, & Je premier qui frappe la vue. 11 est fuivi de tous les delcendans d'Ascagne, Rois de 1'antique Albanië. Ils dévancent celui par qui Rome fe glonfie d'avoir été fondée, le fier enfant de Mars, alaité d'une louve, l'intrépide Romulus, Roi des Latins: a fon cóté paroit le Monarque des Sabins, dont il unit par fa prudence le royaume a fes dominations, lorsque l'amour conjugal eut enfin ouvert le chemin de Ia paix. La familie Claudienne déploye ici toute la noblesfe de fon origine; en ces momens Aiitoine ne le cède pas a Auguste, & Célar fourfre,quePompée marche fon égal. L oeil attentif reconnoit les Héros a mefure qu'ils paroisfent. La fiatue ri'Agrippa accompagné celle de Drufus, & I'image de libere ferme le rang, comme appartenant maintenant ce plus prés au Tnomphateur. L'encens précieux, allumé dans des vafes d'or & foigneufement entretenu par les mains des ferviteurs, rempht 1'air des plus agréables parfums pendant la marche pompeufe. Les trompettes & les clairons font entendre de toutes parts leurs fons éclatans; a leurs briljants accords s'avance, fur fes roues dorees, le Char de triomphe, conftruit d'y- voire ,  444 GERMANICUS. voire, & révêtu de feuilles d'or, artistement travaillées. Une troupe de Licte.urs 1'accompagne des deux cótés avec leurs faisceaux ornés de guirlandes. La ftatue ailée de la victoire, placée au haut du char, rient une couronne d'or au-desfus de la tête du Héros. Quatre courfiers blancs, levant fierement la tête & frappant fair de leurs hennisfemens, qui fe mêlent aux fons de la mulique, trainent avec majesté le char fuperbe. Mais tout est éclipfé par la perfonne du Triomphateur; un feul regard lui gagne tous les cceurs. Les cris d'alegresfe & les acclamations des peuples démontrent, combien ils le chérisfent: a chaque pas 1'air rétentit de chants de viétoire & d'applaudisfemens réiterés. On voit autour du Prince cinq aimables enfans, gages chéris de fon amour conjugal; dans leurs mains délicates font des branches de laurier; leur joye naïve, qui fourit aux fpeclateurs, fe voit continuellement accueillie par l'amour & la faveur du peuple. Une troupe^ de muficiens fuit le char triomphal, & 1'encens qu'on brüle derrière eux avec profufion répand fes parfums autour du Héros. Toute fon auguste familie, revêtue d'habits de cérémonie, accompagné le triomphe, attirant fur elle les regards fatisfaits dé la multitude; la noble joye, qui brille dans les yeux du Prince Drufus, excite 1'admiration du peuple, qui applaudit a Pamitié généreufe de ces deux illustres Freres. Les guerriers,' qui ont vu leur va-  •CHANT SEIZIEME. 445 valeur recompenfée, montrent a tous les vainq eur' O T"- P3S 3 Pas le <*ai"du ment la marche; leurs aigles iSS^ènSr' gnes, leurs étendarts , SSrSe'nfS' ?„• "e lbere< Pms entonnent tous a la fois ces joyeux chants de triomphe * ,, Viftoire a Germanicus! Vicïóire au 55 gioneux Chef des 1 éinnne i vic n « yis ' .^vonfé fans cesfe des Dieux " Oue tnSl ViS- l0,1StemPs nóu ! „ Que nos dermers neveux champntó „ renommee, rféia fi cfiwZ , ta „ de tes iours' O „ï r• " Pnntemps n'a t'iii " y"(elf'fervices ton bras " nér i:iPr/endU 4 1Fm',ire' q»els faits cu é -1 n„ ?" C0"rase n'a-tV.fp39 éxé. ï5 cuté. Quels tnomphes ne Tom „« » obtenus par tes armee i n ■ pas icü aimes.' Qm pourroit 5, comp-  4-46 GERMANICUS. „ compter tes exploits, tes rnarches, te> courfes maritimes? Le Tibre antique, „ le rapide Eridan, le Rhin majestueux, 1'immenfe Océan, & une multitude mnombrable de fleuves moins connus font „ les témoins de ta gloire obtenue fur leurs bords; ils virent avec joye ton „ auguste image peinte fur le crystal de leurs ondes; ils ouvrirent a 1'envi le ,, chemin de la gloire k tes flottes. La ' Viétoire, déployant fes alles, te devanca toujours aux fons des trompettes. Ici, tu arrêtas 1'audace des ennemis; „ la , tu rangeas 1'armée Romaine en bataille: plus loin, la fierté Germanique fe vit abattue fous ton glaive vainqueur. „ De combien de citoyens infortunés ta valeur héroique n'a-t'-elle pas brifé les chaines; a combien d'ombres errantes ', & cheres ta piété n'a-t'elle pas procuré le repos? Ta bonté généreufe s'est „ étendue jusques fur le moindre des guerriers. La Germanie fe prosterne " k tes pieds, & conronne de lauriers ton illustre front. C'est a tes vertus que nous devons les fuccès accordés , par les Dieux. Que Rome triomphe a ', jamais des vains efforts des nations, & que ta gloire, ainfi que celle de ', 1'Empire, foit célèbre jusqu'aux der„ niers jours de 1'univers i Ainfi s'approche de Rome la joyeufe multitude, oh dès le lever de 1'aurore s'étoit rendue Agrippine avec le plus ieune de fes enfans. ' Elle est accom- 1 pag-  C H A NT S EI Z l E ME. 447 Héws % |trffP^ableTAntonia, mere du Drufus. jeU"e Llvle' EP°life rte . La firande porte triomphale ouvre en ce ij1*' fes arcs magnifiqu/s, & fe 3CêJïf0 IPlUS -dC P°mpe ^e »amaS au Général. Les rives du Tibre rétentisfent des acclamations réiterées; s'ileX croire le bruit commun, langage du vUgaire ,1e Dieu du fleuve lui-même,du fond de fon humide empire, levant fa tête Vé- mSfie'encr Ce"e ^ co.idu.fent Ia marche d'écouv r n déi^la prairie éma.Ilée de fleurs, et 1'arc trim* Pha , élevé pour indiquer 'le chemin qu'on don fu.vre. A la gauche paroit le grand ïTnéatrV,e F°mpée' Prés du tempfe de Janus, dont les portes font ouvertes narce que la paix ne fait pas encore neurir les ohves dans tous les lieux foumi™ Romains. On entre dans la rue pompei fe, ou les Aruspices de Pantique Etrur?e dévoilent les fecrets du fort. On pasfe TT fS TeJmpIes fön'Ptueux de Bacchus d Apollon de Ceres et de Diane Par! tout les chemins font remplis de fpeéïateurs, qui élevent jusqu'aux cieux leurs voeux en faveur du Héros, & dont lls cris de victoire & de joye font répéK vallons.Par kS £Ch0S d£S "ontaS"« &de| Bientót la troupe folemnelle découvre le  44B GERMANICUS. le Temple de Neptune, & le magnifique fanétuaire, oü le Fils de Maja recoit les offrandes des peuples. On apperyoit déja le grand Cirque, furchargé de fpectateurs, qui participent a la gloire du Prince, & répondent aux applaudisfmens univerfels par des chants & des battemens de mains. Le Temple de Mars femble attentif a ces fons, & les Prêtres Saliens, charmés de les entendre, paroisfent, armés de boucliers et de casques, devant la porte richement décorée. Déja Pon approche de la rue Sibunenne; et les Sénateurs découvrent au loin le Temple de la Paix; enfuite Pon entre dans la vove magnifique, honnorée depuis longtemps "du nom de Sacrée, et que le peuple dédia jadis aux Dieux. D'un cóté s'éleve le temple de Venus, de Fautre la forêt ombragée de Vesta. On arrivé enfin a la grande place, oü toute la magnificence de Rome femble être déployée a 1'honneur de Germanicus. Les Dames Romaines de tous rangs, parées de leurs habits les plus fuperbes, remplisfent les palais et les cours, et femblent braver 1'éclat du foleil par celui de leurs diamans. , i a joye la plus vive brille dans le palais d' Auguste, oü 1'aimable et belle jeunesfe fait partager aux yieillards expérimentés fes pla/firs et fa aai é touchante. .Avec quel ravisfement 1'Époufe de Drufus ne contemple -1' elle pas fon frere, te-ndrement chéri! Quclie confolation la gloire du  CIIANT SEIZIEME. 449 du Fils ne donne-t'elle pas üla Mere dans fort triste veuvage! Augusta même, courbée lous Ie poids des ans, paroit contente dans ce jour heureux; cc Tibere, la paJeur de Fenvie fur le vifage, forcant le lourire a paroitre fur fes lèvres, falue le iriomphateur d'un air gracieux. Mais qui pourroit peindre la tendre joye d'Agrippi. ne; tous les cceurs participent a fon bonheur; fon ame fenfible peut a peine fuffire a fes feminiens. Elle tient fur fes genoux Je plus jeune de fes enfans; elle lui montre de la main le glorieux Epoux, qu'elle adore; des larmes de joye viennent inonder fes beaux yeux, cc arrofer, fans même qu elle Ie fcache, fes joues charmantes, teintes du plus be! incarnat; tandis que le Heros recoit Ie falut & les applaudisfemens des Dames Romaines. L'Asfemblêe triomphale est enfin renduc toute entiere fur le grand marché; elle s y déploye en replis divers autour de la vaste enceinte, environnée de palais & de temples, 011 les Prêtres entonnent deshymnes a la gloifï des Dieux. L'antique montagne de Saturne offre aux yeux du peu. ple le pompeux Capitole, lieu rédoutable cc lacrc, 011 le Sénat prononce les arrêts des Nations. Non loin de-la s'éiève le Temple fameux de Jupiter, ©ü l'on monte_ par cent dégrés de marbre. On y voit bnller la flatue du Pere des Dieux d'or masfif, & d'une grandeur majestueufe; a les cotés font celles de junon & de Minerve. Qui pourroit digneinent décrire V la  *5o 'GERMAN1C U S. la riche arch.itecr.ure de ce fuperbe édifice, qui rasfemble fur des toits dorés les rayons étincelans du foleil & les disperfe de toutes parrs; qui pourroit peindre les beautés fans nombre de ce chef-d'ceuvre de Ia magnificence Romaine! Le fon bruyant de la trompette impofe lc filence au peuple. Le I rince rcconnoisfa'nt confacre a la Fortune favorable des Chevaliers Romains les aigles facrées, reconquifes par fon cournge; & ordonne d'ériger un temple a la Terre, qui par un tremblement heureux porta le trouble dans 1'armée Germanique, & Ia fit tomber fous le glaive des Légions. Les fons des trompettes fe font entendre de nouveau. On fépare les Captifs du reste de la troupe. Un filence profond regne dans 1'asfeiiiblée pour entendre leur arrêt, qu'un héraut public prononce en ces termes: „ Troupe coptwe , écoutez ,, les volontés dc Germanicus. La bonté ,, magnanime du Général, touchée de ,, vos malheurs , vous pardonne. II „ vous accorde a tous Ia vie. Vos fers eux-mêmes feront brifés au nom du Tri,, omphateur, a condition que vous vous ,, rcndre.z tous i Ravenne, &-que vous ,, y pasferez paifiblement vos jours. Le gouvernement en fera donné a Flavius, „ un de vos compatriotes, cc les foins ,, générenx du Vainqueur-mcnic pourvoi,, ront aux befoins de chacun de vous." A ces mots des cris de ioye fe font entendre de toutes parts; les acclamations cc les  CIIANT SEIZIEME. 45r jc"s applatidfsfem'enk fe fuccèdent a 1'envi Les troupes captives fe prosternent fur la teue; elles élevent toutes enfemble les veux & les mams vers leciel; la parole expire ur Icm-s lèvres; des larmes de joye couleut de leurs yeux, oü fe peint la recounoislauce; leurs pleurs arroferit leurs chaines p0Ur ]a derniere fois; & a peine leurs cal(r? le lentcnt-ds remis de cette vive emotion , que leurs bouches exaltent la gloire immortelle du Fils de Drulus. Au bruit flaneur de ces acclamations réunics , le iüni°£P V\ S nVa,"Ce VC'S kS ****** 1 P ' °u, ,cs l iécres "nmolent les cent taureaux blancs , destirtés au facrilice. Jandis que la troupe des ferviteurs, Vïiargee des riches tréfors,qui doivent'fervïr coffrandes, marchent au temple du Pere des Dieux, & s'y renrieut les premiers toute la Noblesfe, le Sénat & l£c& Jitrs, y conduifent en pompe le Général Dieux la vive reconnoisfance par cëttèprie- w /'"f- JllP,ter' & toi, Junon, qui „ avtz étabh votre tróne dans ce temple „ö-voiis, Dieux bienfaifans, qui protél „ gez la puisfante Rome & veillez lVf>s " ™TnS ! ,Daig"ez acccP<« favorable! „ ment mon hpmmage! Que vos louahges " fo,?nt P" tout exaltées/ö grands Diens "uinlaVfZ W mos mains Ja „ gloire de ma Paine! Contiuuez a jamais v 2 „ d'ac-  45a GERMANICUS. d'accrohre fes honneurs, & protégez-la jusques a la fin des fiècles! Que Rome ne fuit jamais foumife qn'i votre puis5, fance! que cette Ville célèbre foit a jamais la tnaitresfe du monde, & que les „ bornes de 1'univers foient les feules de 5, fa gloire !" En acbevant ces mots, le Héros prend la couronne d'or, tenue en ce jour au desfus de fa tête, ainfi que les lauriers qui ceignent fon front, & les pofe refpectueufemeiit aux pieds de la Statue de Jupiter. Ainfi la vertu triomphe des efforts impuisfans de 1'envie.  TABLE des OEUVRES POËTIQUES HOLL ANDOISES, d e MONSIEUR ET MADAME VAN /VINTER. •& # Le fleuve l'amstel, en fix Chants par N. S van Winter, Amftcrdam, chez P. Meijer, 1755. en 4to. Les sa is ons, en quatre Chants, par N. S. .van Winter, Amfterdam , chez P. Meijer, Ï7Ö9. en 4to. L'utilité des adversités,' epitres & PoësIes Diverses, par L.W. van Merken, Amfterdam * chez P. Meijer, 1763. en 4to. réïmprimé 1768. David, Poè'me, en douze Chants, par L. W. van Merken, Amfterdam, chez P. Meijer, 1767 en '4to;avec' des1 Estampes; réïmprimé 176$. Thé-  TlIÉATïfE DE monsieur & madamk v a n winter, Amftcrdam, chez P. Meijer, 1774. en 4to. & 8-vo. avec des Estampes & Porrraits; contenant: Le siece de leyden, Tragedie en cinq Actes, parZ. W van Winter, née van Mer. 'len; (repr.Tente e fur les The atres d'Amfierdam, Leyden, & Rotterdamrëïmpriméè. . Jaques de r?k, Tragédie en cinq Actes,. par L. W. van Winter, nee van Merken; ■ (Piece choifie pour fouverture du nouveau Théatre d'Amfterdam, en 1774- & ^P'^ fentée h Amflerdam, Leyden, & Rotterdam 0 réïmprimée. MONZONGO, ou l'esclavi royal, Tragédie en cinq Actes, par iV. S- van tyin■ ter; (repréfentée fur les Théatres d'Amfterdam, Leyden, & Rotterdam 0 réïmprimée. Traduite en Francois, non imprimée; & en Allemand , repréfentée a Amfterdam fur le Théatre de Monfieur Abt, non imprimée. Les camisards, Tragédie en cinq Actes, par /.. W. van Wintei, née van M,rken;(repréfentée- furie Théatre de Rotterdam ;) réïmprimée, Traduite en Francois, non imprimée. Ma-  Marie de Bourcocne, comtesse db hol lande, Tragédie cn cinq Actes, par L W. van Wmtw , née van Merken ; (Pièce choifie pour 1'ouverture du nouveau Théatre de Rotterdam, & repr fentée fur les Théatrés' d'Amftcrdam, Leyden, & Rotterdam ;) rcïmpriniée. Traduite en' Allemand, non imprimée. Artemines,. Tragédie en cinq Actes, par L. W van Merken, AnvTcrdam, en 8vo.. 1745. (repréfentée fur les Tliéatres d'Amftcrdam & Rotterdam ;) réimprimée en 4to. 17S6. Girmanicus , Poëme, en feize Chants, par L. IV. van Winter, née van Merken ' Amftcrdam, chez P. Meijer, 1779. cn 4t0' avec des Estampes, desfinées a Rome par J Grandjean.Tnduhen Francois, & fmprimé a Amftcrdam, chez P. J Uylcnbroek, 1787^ en 121110. Théatre de monsieur & midamt. van winter, fcconde Partie, Amflerdam chez P. J. Uylenbroek, 17S6 en 410. &' 8vo. contenant: M e n z 1 k 0 f f , Tragédie en cinq Actes, par Ar. S. van Winter. Lo v.  Louise d'arlac, Tragédie eii cinq Actes-, par L. W. van Winter, née-va» Merken. sybylle D'ANJOU, EPOUSE DE gui de LUSIGNAN, reine DE JERUSALEM, Tragédie en cinq Actes, par L. W. van Winter, née van Merken. Gelonide, Tragédie en cinq Actes, paf L. W. van Winter, née van Merken.