HISTOIRE D V B AS-EMPIRE. T O M E NEUVIEME.   HISTOIRE D U BAS-EMPIRE, EN COMMENgjNT a CONSTANTIN le Grand. Par Monfteur LE BEAU, Profejfeur Êmèrite en ïüniversité de Paris, Profeffeur d'Éloquence au College RoYA l, Secretaire ordinaire de monseigneur ze Dl/c d'OrlÉans, & ancien Secretaire perpétuel de l'Académie Royale des Jnscriptions et Belles-Lettres* tome neuvieme. A MAESTRICHT, Chez Jean-Edme Dufour & Phil. Roux, Imprimeurs-Libraires, aflöciés. M. DCC. LXXX.   FASTES CONSULAIRES Des années dont 1'Hiftoire eft comenne dans ce Volume. 1 Ann; Vettius Agorius Basilius Mavortius folus. $27 Imp. Fl. Anicius Justinianus Avg. II. folus. 528 Decius junior folus. j10< Postumus Lampadius & Orestes. 530 Post Consulatum Lampadh & Orestis. $31 Post Consulatum Lampadii & Orestis anno II. Imp. Fl. Anicius Justinianus Aug. III. folus. 53 j Imp. Fl. Anicius Justinianus Aug. IV, & Fl. Theodorus Paulinus junior. 534 Fl. Belisarius folus. jjj Post Consulatum Belisarii. 536 Post Consulatum Behsarii anno II, 537 Tomc IX,  1 S O MAAIKE  ï SOMMAIRE D U LIVRE QUARANTE-UNIEME. , Jv.T INI EN fuccede a Jujlln. II. Portrait de Juflinien. Hl, Sur les anecdotes de Procope. IV. Caraclere de Jujlinien. v. Caraclere de l'Impératrice Théodora. VI. Familie de Jujlinien. VII. Confulat de Jujlinien. VIII. Mouvements des Erules. IX. Les Perfes défaits. X. Les Zanes foumis a E Empire. XI. Plujieurs Perfes fe donnent aux liomains. XII. Boarex, Reine des Sabirs, combat pour les Romains. XIII. Gordas, üoi i7wra.s, yè fait baptifer, 6- /?er^ la vie. XIV. Premier exploit de Germain. XV. Antioche nommée Tkéopolis. XVI. Premieres loix de Jujlinien. XVII, Edifices de Jujlinien. XVIII. Palmyre ritablie. XIX. Nouvelle acquifition en Arabic. XX. Les Romains battus par les Per fes. XXI. Revolte des Samaritains. xxil. Suites de cette revolte. XXIII. Scandales Tornt IX. A  2 sommaire réprimés. xxiv. Défenfe de faire des Eunuques. xxv. Malheurs en Oriënt. xxvi. Conduite de Juflinien a P égard des Payens & des Hérétiques. xxvii. Suite de la guerre de Perfe. xxviii. Difpofition de Parmée de Bélifaire. xxix. Préludes de la bataille. XXX. Lettres réciproques des deux Généraux. xxxi. Bataille de Dara. xxxil. Les Perfes vaincus en Armenië. xxxiii. Séconde défaite de Mermeroés. xxxiv. Le Roi de Perfe refufe la paix. xxxv. Mondon fe donne d Jujlinien. xxxvi. Ef~ clavons défaitspar Chilbudius. xxxvii. Origine des EJclavons. xxxviii. Leurs mceurs. xxxix. Incurfwns (CAlamon^ dare. xl. Révolution cke{ les Homcrites. xu. Jujlinien a recoUrraux Ethiopiens & aux Homérites. xlii. Les Perfes pafent l'Euphrate. xliii. Bélifaire efi forcé de combattre. XLiv. Bataille de Callinique. xlv. A{arethhs mal recu de Cabade. xlvi. Autre expédition des Perfes en Méfopotamie. xlvii. Bélifaire rappellé. xlvih. Succès des Romains en Méfopotamie. xlix. Et en Arménie. L. Attaque de Martyropolis. li. Mort de Cabade. lu. Incurjïon des Huns. liw. Négociation pour la paix. Liv.  du Livre XLI*. 3 Cenfpiration contre Chofroës. lv. Mort d'Adergudutnbade. lvi. Ingratitude de Chofroës a Cègard de Mébodès. lvii. Comete, & commencement (Tune pejit de ci.nquante ans. lviii. Sédition d Antioche. lix. Caufes dtune fédition d Conjlantinople. LX. Le peuple fe fouleve avec fureur. 'LSI. Suites de la fé' dition. lxii. Bélifaire attaque les féditieux. lxiii. Théodora raffure HEmpereur. LXiv. Hypace proclamé Ewpe~ reur. lxv. Juflinien fe prefente au peu~ ple. lxvi. Conduite d''Hypace. lxvii. Horrible maffacre lxviii. Punition des coupables. LXIX. Tranquillité rendue d Conjlantinople. LXX. Prkautions di [Empereur. A ïj   HISTOIRE D U B AS E M P I RE. LIVRE Q UARA NTE-UN1EME. J U S T I N I E N. Ju s Ti N i E N partageoit depuis quatre mois 1'autorité fouveraine, & fon oncle fembloit n'être monté fur le tröne, que pour lui apprendre a commander. Tout annonc^it un regne floriffant & glorieux. Le nouvel Empereur étoit parvenu a eet age , oü 1'efprit dans fa force eft en état d'exécuter les confeils de 1'expérience & de la fagefle. Juftio, né A iij JUSTINIEN. Ann. J17. I. Juftinien fucceie a Juftin. Evag. I. 4. c. 9. Proc. Anecd. e. 14 , iS. Sr  JUSTIKIEN. Ann. 527. ibi Alaman. Pagi ad Har. ■ i ' i , ] ] i 6 HlSTOI&E dans 1'obfcurité , n'avoit recu aucune éduca-tion ; mais il n'avoit pas négligé de procnrer a fon neveu ce précieux avantage. Un des plus favants hommes de ce temps-la , nommé Théophile, fut chargé de 1'inftruire, & fes foins eurent un fuccès affez heureux. Juflinien acquit, la facilité de parler & d'écrire. Auffi lorfqu'il fut Empereur, fe paffoit-il orclinairement du miniflere de fon Quef» teur; il parioit lui-même dans le Séaat. Inflruit de la Jurifprudence, il préfidoit a la compofition de fes Ioix : après avoir pris connoifTance des caufes importantes , il diftoit fouvent aux Fuges leurs arrêts, & les envoyoit par krit dajis les Provinces. Non content ie favoir ce qui convient proprement a un Prince , il fe rendit habile dans 'archke&ure & dans la mufique; il IrefToit le plan des édifices qu'il faibit conftruire. II eft auteur d'une ïymne que les Grecs chantent enco■e a la mefTe. II voulut même être rhéologien ; & cette fantaifie , touours déplacée , fouvent dangereufe lans un Souverain , lui fit plus d'une bis perdre de vue fes devoirs les  nu Bas-Empire. Liv. XLI. 7 plus effentiels. II laifïbit périr fes armées, & gémir fes peuples fous le fardeau accablant des impöts, tandis qu'il s'amufoit a difputer contre les hérétiques , & k écrire fur les points controverfés. Enfin , préfumant trop de fes lumieres théologiques, il s'embarrafla dans des queftions épineufes, & finit par prendre le mauvais parti. Ce Prince étoit d'une taille au-deffus de la médiocre : il avoit les traits réguliers , le teint haut en couleur, la poitrine large , fair ferein & gracieux. On dit que fes oreilles étoient mobiles, & qu'il reflembloit de phyfionomie a Domitien, dont il n'eut pas les vices. Ce qui donna occafion a des railleries populaires dans les féditions qui s'éleverent fous fon regne. Procope lui reproche d'avoir pris plaifir k imiter 1'habillement des barbares. Le caraftere de Juflinien eft devenu un problême. La plupart des Jurifconfultes, admirateurs de fes loix, qui font le principal objet de leurs études , ont combattu avec chaleur pour défendre 1'honneur de ce Prince. A iv JUSTINI EN. Ann, 51?. II. Portrait de Juflinien. Prot. Anecd, cm S. Malela, p. 53- Cedr. p. 366. Chr. Alcx. III. Sur fes Anecdotes He Procope. Proc. Anscd. & ibi Alaman.  JUSTI- Ann. 527, Idem. dt adif. Niceph. CalLl, 17, «. 10. Suid. TlpOKOW. Trivoriiu Ch/erv. ■Apol. e. 28. RhiiApol Jufi.. Ekhelii animadyerfiones. * BlSTOIRt DWres Auteurs, & fur-tout lesEcrivains eccléfiaftiques , mécontents de fa conduite dans les affaires de 1'Eglife, en ont dit beaucoup de mal. Les uns & les autres s'appuyent également du témoignage de Procope, contemporain de eet Empereur. Procope étoit un homme de beaucoup d'efprit, né k Céfarée en Palefline , oii il exerca la profeffion dAvocat. S'étant enfuite attaché au fervice de Bélifaire, il accompagna ce guerrier dans toutes fes expéditions ; & perfonne ne devoit mieux connoitre la Cour. II a compofé trois ouvrages qui fe démentent mutuellement. Le premier renferme 1'Hüroire des guerres de Juftinien : 1'auteur y paroit affez impartial; il y expofe fans paffion les aftions louables & blamables de eet Empereur. Dans le fecond, intitulé Anecdotes, il déchire d'une maniere cruelle la réputation de Juftinien ; il lui impute les aöions les plus atroces; il noircit celles qui paroiffent louables, en leur impofant des motifs odieux & criminels. A 1'entendre, ce Prince eft un monftre ; & pouffant la fatyre jufqu'a 1'extrava-  nu Bas-Empire. Liv. XLI. 9 gance , il avance férieufement que c'eft un démon déguifé fous la figure humaine, & il entreprend de le prouver. On devine aifément qu'un pareil ouvrage ne vit pas le jour du vivant de Juftinien, qui furvéquit è 1'auteur. Quatreans après la compofition des Anecdotes , le même Procope publia les livres oti il fe propofe de rendre compte des édifices innombrables que eet Empereur fil batir ou réparer. Cet écrit comble Juftinien des plus grands éloges.Toul eft divin dans fa perfonne; ce n'efl plus un démon , mais un ange bienfaifant envoyé de Dieu pour le falul de Phumanité. Quel fonds peut-on faire fur un témoin fi oppofé a luimême ? Quelques critiques, révoltéi de ces contradiöions, fe font hafardés a. dire fans preüve, que le livre des Anecdotes eft fauffement attribué a Procope. Mais. outre les témoignages formels de Nicéphore & de Suidas, quiconque entend la langue dans laquelle Procope a écrit & connoït fa maniere fort fupérieurf a celle de tous les Hiftoriens Grecs poftérieurs a Conftantin , ne peut U A v JUSTlN1EN. Ann. 527. I  JUSTINI EN. Ann. 517, 1 '1 i 1 'ï i ] S© H 1 S T O I R E méconnoitre dans eet ouvrage. S'il étoit befoin de chercher des raifons pour prouver qu'un homme eft capable de fe coritredire , j'adopterois" la conjeöure d'un Ecrivain du dernier fiecle ; il fuppofe que Procope, fecretaire de Bélifaire , n'étant pas payé de fes penfions , foit par 1'infidélité des tréforiers, foit a caufe des befoins de 1'Etat, ce qui a du fouvent arriver fous Juflinien, prit de Phumeur contre le Prince, & compofa fes Anecdotes, qu'il n'acheva pas , paree que fa penfion fut rétablie. Pour rendre raifon des louanges outrées qu'il prodigua depuis au même Empereur dans les livres des édifl:es, j'ajouterois que fon écrit faty^ique ayant tranfpiré, il voulut difiper le foupcon par des éloges non noins hyperboliques : ce ne feroit >as la derniere fois qu'on auroit vu me flatterie bafle & tremblante s'efbrcer de réparer Poutrage d'une fayre indifcrete. Au refte, les Aneclotes de Procope ne font pas inuties pour 1'Hifloire; elles peuvent y ervir, lorfque 1'auteur s'accorde avec ui-même? ik avec les autres Hifto-  nu Bas-Empire. Liv. XLI. n riens. Souvent les faits lont véritables; mais la malignité les empoifonne par les circonftances ou par les motifs. Ce n'eft donc pas fur eet ouvrage qu'on doit fe former une idéé de Juftinien : il faut la chercher dans les premiers écrits de Procope, ou dans ceux des Auteurs contemporains, & plus encore dans les aftions mêmes du Prince. Si Pon juge ainfï du caraclere de eet Empereur, on verra un Prince médiocre, dont les vertus ni les vices n'ont rien d'éclatant; plus capable de concevoir de grands projets , que d'en fuivre Pexécution ; plus heureux qu'habile dans le choix de fes Capitaines, & trop foible pour les foutenir contre les attaques de Penvie : doux, clément, humain; mais affervi aux caprices d'une femme hautaine , vindicative & cruelle : vain jufqu'a s'arroger des titres de viöoire fur des nations qu'il n'avoit pas vaincues, & qui fe vengerent de fon orgueil par de langlants ravages; il fe vante dans fes loix d'être le maitre de 1'Europe, de PAfie & de 1 Afrique ; magnifique aux dépens de fes fujets, il A vj JUSTIN1EN. Lnn. 527. IV. laraftese le Juftiïien. Paf- im. Agapet. Parxn. Cod. I. t. it.l-J.lcg. i. Novcl. 3. £• 30. Evag. I. 4. c. 29. Zen. t. II. 0. 61. Ceir. p. 366.  JüSTINIEN. Ann. 527. 3 t i I 12 Histois-e ne ceffa pendant un long regne de conftruire des villes, desEglifes, des batiments de route efpece; & 1'on peut dire que tous les Empereurs enfemble ont a peine élevé ou rétabli autant d'édifices que le feul Juftinien. Mais ces dépenfes fans bornes confumoient la fubftance des peuples; la conftruftion d'une ville ruinoit une Province ; & ces énormes batiments écrafoient 1'Empire. Les préfents qu'il prodiguoit aux barbares pour acheter la paix, furent une autre fource de dépenfe. Trois cents vingt mille Iiyres pefant d'or, qu'Anaftafe avoit laiffées dans le trélbr Impérial, furent bientöt diffipées: il fallut exiger les anciennes impofitions avec rigueur; en rétablir de nouvelles; fe faifir des fommes que les villes réfervoient pour leur entretien; chi:aner les foldats fur leur paye ; primer-les pauvres des diftributions de -jain établies par les autres Empereurs , ou altérer eet aliment en em>loyant de mauvais bied ; vendre les implois & les graces ; chercher des >rétextes pour envahir la fortune des •articuliers; en un mot, mettre en  nu Bas-Empitlz. Liv. XLI. 13 ceuvre tous les moyens de remplir le tréfor qui s'épuifoit fans ceffe, & prêter Poreille au projets ruineux de ces hommes avides , qui achetent du Prince, au plus bas prix qu'ils peuvent,ïa liberté d'un immenfe & cruel pillage. Ces vexations, qu'il fe rendit néceffaires, 1'ont fait taxer d'avarice, quoiqu'il ne prït que pour répandre, & que fes loix fourniffent des preuves de fon inclination libérale. Sa légiflation a rendu fon nom immortel: elle feroit irréprochable, fi la vanité impatiente n'eut précipité la rédaftion de eet important ouvrage ; s'il en eüt confié la direftion a un hommë moins corrompu que Tribonien, & s'il n'eut trop fouvent changé fes propres loix; inconftance qui donna lieu de croire que fa juftice étoit verfatile, & qu'elle plioit au gré de 1'intérêt. II étoit fobre, mangeoit Si dormoit peu , fe levoit fouvent au milieu de la nuit pour travailler, foit aux affaires de 1'Etat, foit a celles de 1'Eglife. Son zele pour la religion s'enflamma jufqu'a perfécuter d'abord les Payens , les Juifs, les Hérétiques, enfuite les Orthodo- JUSTIN1EN. Ann. J17.  JUSTINIEN. Ann. J17, . J 1 < I I l H Hl'STOlRE xes mêmes, dont il s'éloigna par des recherches trop fubtiles. Sa piété fe montroit avec éclat: dès qu'il fut Empereur, il fit préfent i 1'Eglife de tous les biens qu'il poffédoit auparavant, & fonda dans fa maifon un Monaftere. Pendant le Carême , 1'auftérité de fa vie égaloit celle des Anachoretes; il ne mangeoit point de pain , ne buvoit que de 1'eau, & fe contentoit pour unique nourriture de prendre de deux jours 1'un , une petite quantité d'herbes fauvages affaifonnées de fel & de vinaigre. Ses veilles & fes abftinences auroient fans doute été d'un plus grand mérite, fi, tam de les cacher, il n'eut pris foin i'en inftruire 1'univers dans fes Novelles. Les Eglifes , les Monafteres, es Höpitaux, annoncoient de tou:es parts fa religieufe magnificence: nais, dit un Auteur de ce temps-la, :es pieux monuments ne font d'au:un prix devant Dieu , lorfqu'ils font e rruit des rapines & des injuftices, K que la fainteté de la vie ne répond ,as f ces marqués extérieures d'une »iété équivoque. Quoique toujours en ;uerre, Juftinien ne fut. nuliement  du Bas-Empire. Liv. XLL t$ guerrier; les grands exploits de fon regne font uniquement dus k la valeur & k la conduite de Germain , de Bélifaire, de Narfès & des autres Capitaines qui fe formerent fous la difcipline de ces trois héros. L'Empereur, qui avoit concu le glorieux projet de fe remettre en poffeffion de POccident, apporta lui-même le principal obftacle k 1'exécution. Renfermé dans fon palais auprès de fa femme Théodora, qui le tenoit comme enchaïné, il fembloit avoir oublié fes armées, dès qu'elles étoient forties de Conftantinople. II falloit que fes Généraux fliTent fubfifter leurs troupes fans pa"ye , fans munitions, fans recrues. Bélifaire & Narfès eurent k combattre non-feulement les Perfes, les Vandal es & les Goths; mais encore la négligence du Prince & la jaloufie des courtifans, qui ne cefferent de traverfer leurs fuccès; & fi malgré de fi puiffants obffacles, ils vinrent k bout de reconquérir 1'Afrique & 1'Italie, on ne peut guere douter qu'avec les fecours qu'ils avoient droit d'attendre, ils n'eufTent rendu k 1'Empire toutes les Provin- JUSTIN1 EN. Ann. 527.  JUSTINIEN. Ann. 527. V. Caraétere fle 1'lmpératriceThéodora. Evag. I. 4, c. 10. Niceph. CaLU.ij. c. 28. Cod. I. 5. lil. 4. leg. 23, 2<).iit. 5- l'g- 7. rit. zj.Ug, I. .Yov. Marcianl 4. AW. ƒ«/?. 8. c. 1. S jurisjurandi formula. iVov. 89. f. 15. Nov. 117. c. 6. Digtfi. I. 13. «tt. 2. kg. 44Proc.Anecd. prxf. & c. 9, 10,13, 15. & ik 16 HlSTOIRE ces que les Barbares lui avoient enlevées. Le manage de Juftinien avec Théodora fuffiroit pour déshonorer fon regne. Cette fïlle, élevée fur le théatre, attiroitles regards par 1'éclat de fa beauté. Juftinien s'y laiffa prendre; maïs fa mere Vigilance & fa tante Euphémie, femme de Juftin , s'oppoferent, tant qu'elles vécurent, a ce mariage honteux. Après la mort de ces deux Princeffes, il vint a bout d'arracher le confentement du vieil Empereur. Les loix Romaines avoient prohibé les alliances qui corrompent le fang des families illufires; il étoit défendu aux Sénateurs & k toutes perfonnes élevées en dignité, d'époufer des filles de théatre. Conftantin & Marcien avoient renouvellé cette défenfe; Juftinien en obtint la révocation, & depuis il eut foin de confirmer dans fes Novelles cette liberté fi contraire k 1'honnêteté publique. H époufa donc Théodora ; & cette femme hautaine, quoique née dans la poufiiere, changeant de röle, fans changer de caraftere, avare & prodigue, dhTolue & zélée en apparence  dv Bas-Empire. Liv. XL1. 17 pour la converfion de les lemblables, devote fans religion, fiere fans honneur, charitable fans humanité , fut la caufe principale de tous les défordres qui troublerent PEtat & 1'Eglife. Elle éleva des temples, & perfécuta les pafleurs; elle fonda des höpitaux, & fit par fes injuftices une infinité de miférables. Implacable dans fa haine, elle pourfuivit les enfants des malheureux qu'elle avoit fait périr. Maitreffe abfolue de 1'efprit de fonmari, elle difpofoit desfinances, des tribunaux, des armées. Malheur a ceux que 1'Empereur honoroit de quelque emploi, fans avoir pris fon agrément; ils "perdoient bientöt & leur emploi & la vie. L'Empereui protégeoit les Orthodoxes; Plmpératrice, les Hérétiques; & Pon douta fi ce n'étoit pas une convention politique entre le mari & la femme Ils s'étoient en efFet partagés entre les deux principales fa&ions du Cirque, afin de les tenir en échec en le: balan^ant Pune par 1'autre. Juftinier étoit acceffible aux derniers de fe: fujets; Théodora traitoit avec hau teur les perfonnes les plus éminen- JUSTINIEN. A-nn. 527. Alaman. ldem.our apprivoifer ces efprits fauvages. 1 leur envoya des Officiers adroits  du Bas-Empire. Liv. XLL 27 & intelligents, qui, k force de careffes & de préfents, vinrent k bout de leur faire entendre qu'ils feroient , bien plus heureux de fervir I'Empereur,&de partager les commodités & les avantages dont jouilToient les foldats de 1'Empire. Ils s'enrölerent dans 1'armée de Sittas, embrafferent la Religion Chrétienne ; & s'étanthumanifés par le commerce des Romains , ils fervirent depuis ce temps\k avec autant de fidélité que de bravoure. Juftinien acheva de les civilifer en faifant batir plufieurs villes dans leurs pays. ' En fortant de cette contrée, on arrivoit au mont Caucafe par une vallée profonde & bordée de roes ef- * carpés, mais peuplée & fertile. Elle a appartenoit k 1'Empire dans une Ion- 11 gueiir de trois journées de chemin. A 1'oriënt de ce vallon étoit la Perfarménie, oii fe trouvoient des mines d'or , dont un homme du pays, nommé Syméonès , étoit fermier pour le R.oi de Perfe. Lorfqu'il vit la guerre allumée, il réfolut de s'en rendre propriétaire, & fe livra aux Romains, qui lui laifferent le proB ij JUSTIN1EM. Inn. 5 28. XI. Wufieurs erfes fe onnent jx Rolains.  JUSTIMIEN. Ann. 528. XIT. Boarex , 2? UlSTOIUS duit de fes mines, fe contentant d'en priver 1'ennemi. Syméonès leur mit en mê'me-temps entre les mains la fortereffe de Pharange, qui défendoit cette contrée. Cabade fit encore une autre perte, qui ne lui fut pas moins fenfible. Narfès & fon frere Aratius , braves Généraux , qui, deux ans auparavant, avoient défait Sittas & Bélifaire , ayant recu quelque mécontentement de leur maïtre , palTerent au fervice de 1'Empire, & vinrent a Conftantinople avec leur familie. L'Eunuque Narfès, leur compatriote , les recut avec joie, &lescomblade préfents. Cet Eunuque ayant été pris dans les guerres de Perfe, s'étoit élevé par 1'efFort de fon génie; il étoit alors garde des tréfors de 1'Empereur , & n'avoit pas encore fait connoïtre fes talents militaires. Ifac, frere de Narfès & d'Aratius, apprenant- 1'accueil honorable fait a fes freres, fuivit leur exemple. 11 introduifit pendant la nuit des foldats Romains dans le chateau de Bole prés de Théodofiopolis, & fe retira auffi a Conftantinople. Juftinien n'épargnoit aucuae dé-  nu Bas-Empire. Liv. XLI. 29 jienfe pour s'affurer du fecours des Barbares voifins de la Perfe. II gagna a force de préfents, Boarex, qui, après la mort de fon mari Balach , régnoit fur les Huns Sabirs. Cette Princeffe guerriere fe mit k la tête de cent mille hommes , & marcha a la rencontre de deux Rois d'une autre partie des Huns, qui traverfoient fes Etats avec vingt mille hommes , pour aller joindre 1'armée de Cabade. Elle les tailla en pieces , tua dans la bataille 1'un de ces Rois , nommé Glonès, fit prifonnier 1'autre appellé Styrax, Sc 1'enroya a Conftantinople. L'Empereur , fans avoir égard au nom de Roi, refpectable même dans un barbare, fit pendre ce Prince a la vue de toute la ville fur le bord du golfe dans le quartier de Syques, lieu defliné aux exécutions. Gordas, Roi des Huns qui habitoient la Cherfonnefe Taurique, vint lui-même a Conftantinople faire alliance avec 1'Empereur, & recevoir le baptême. Juflinien, qui voulut être fon parrein , lui fit de riches préfents, &£.le chargea de veiller a la fureté de B iij JUSTIN l EN. Ann. 528. Reine des Sabirs , combac pour les Romains. Theoph. p, 149. Mahla, p. 55- Cedr. p. 367. Antfl. p. 58. Hifi. mife. I. ï6. XIII. Gordas , Roi des Huns , fe, fait baptifer, & perd la vie. Theoph. p, 149, 15®.  JUSTI151 EN. Ann. 5i8. MüUU , p. .16. Ctdr. p. 367, 368. Anafl. p, 58. Jiifi. mifc, l 16. ] ( I i 1 p H 1 S T O I R E jafromiere, & fur-tout a celle de Ja villedeBofphore, nommée autrefois Panticapée, ou les Romains & les Huns entretenoient un grand commerce. II y avoit dans cette ville une garmfon Romaine fous les ordres du tribun1 Dalmatius. Gordas , de retour dans fon pays, voulant difpofer fes Jujets au Cbriftianifme , fit fondre les ftatues d'or ou d'argent de leurs fauffes divmités. Les Huns, attachés a 1 idolatrie depuis leur migration vers 1'occident, fe révolterent, meren! Gordas, & mirent fur le tröne «on frere Moager. En même temps, pour prévenir la vengeance des Romains , ils marchent en diligence k la ville de Bofphore , la furprennent, egorgent le Tribun & la garnifon. L'Empereur, ayant appris cette nouvelle , réunit k OdelTus toutes les troupes de la Thrace , & affembla .me {lotte nombreufe au promonoire facré, a 1'entrée du Pont-Euxin u cöté de 1'Afie. II donna la conluite de eet armement a trois Géjéraux, Jean, fils de Rufin , & petitilsde Jean-le Scythe, Godillas & iadurius. L'armée de terre avoit or-  du Bjs-Empi&e. Liv. XLI. 31 dre de cötoyer le Pont-Euxin jufqu'a la Cherfonnefe Taurique. Les Huns n'attendirent pas les troupes Romaines : effrayés de ces grands préparatifs, ils ab-andonnerent Bofphore & toute la prefqu'ifle , Sc s'enfuirent avec Moager dans 1'intérieur des contrées feptentrionates. Ce fut dès ce temós-la que Germain commenca de faire connoitre fa valeur Sc les grands talents qu'il avoit pour la guerre. Ce Prince, le plus aimable Sc le plus accompli de la Cöur de Juftinien, étoit fils de ce frere de PEmpereur, dont le nom eft ignoré. La haine de Théodora donnoit un nouveau lüftre a fes brillantes qualités. II avoit 1'ame trop haute pour plaire a 1'Irnpératrice, qui ne protégeoit que fes adulateurs Sc fes efclaves. II tui fallut tout ce qu'il avoit de mérite, pour être employé par un Prince que gouvernoit une femme ennemie de la vertu. Juftinien le nomma Général des troupes de Thrace , Sc le chargea de repouffer les Antes qui venoient de paffer le Danube. Germain les tailla en pieces; Si cette fanglante défaite B iv JUS TrNI EN. Ann. 51S. XIV. Premier exploitde Germain. Proc. Got. I. 3. c. 40. Caag.fam. Byi. p. 100.  JirsTi- NIEN. Ann. 528. XV. Antioche rommée Théopolis. Evag. I. 4. t. 6. Theoph, p. IJl. Malcla,p. fco. Cedr, p. 1 368. , Glycas, ƒ7. 269. 1 Anafi, p, j 58. «//c. ' l. 16. 1 Ckr.Edeff. ( /«n. i/M. ( or. t, 1. p, ï 415. ] Steph. in , t 31 Histoire rendit fon nom redoutable aux Barbares. Les Antes faifoient partie des Efclavons, dont nous tacherons bientót de développer Porigine. Antioche n'avoit pas eu le temps de fe relever de 1'horrible deftruction qu'elle avoit foufferte deux ans luparavant, lorfqu'un nouvel incenhe, dont la caufe demeura pareilement inconnue, commenca le quin:ieme de Novembre avec'la même nolence que Ie premier, & fut en:ore fuivie quatorze jours après d'un urieüx tremblement de terre. Le nercredi 29 Novembre, trois heues après le lever du foleil, 1'air reentit tout-a-coup d'un bruit épou'antable, & la terre trembla penlant une heure. Les édifices s'éroulerent avec ceux qui avoient éfifié au tremblement précédent; 2s murs de la ville furent renverps; il fembloif que le Ciel s'obfinat a combattre les efforts que fai)ient les hommes pour relever cette ïalheureufe ville. Quatre mille huit ents foixante & dix perfonnes fuent écrafées fous les débris; les aures fe fauverent dans les ifles d'a-  du Bas-Empire. Liv. XLl. 33 kntour ou fur les montagnes. On prétendit alors qu'il ne feroit pas refté fur pied une feule maifon , fi un habitant, en conféquence d'une révélation qu'il difoit avoir eue en fonge , n'eut fait écrire ces mots audeffus des portes : Demeure^ debout, Jefus-Chrifi ejl avec noiis. Ce défaftre fut fuivi d'un froid excefïif, qui n'empêcha pas les habitants échappés au péril, de marcher les pieds nuds en proceflion autour de la ville, fe profternant au milieu des neiges, & implorant la miféricorde divine. Laodicée & Séleucie fubirent le même fort; la moitié de chacune de ces deux villes fut détruite, & 1'on rapporte que ce fléau épargna les églifes Catholiques. II périt tant a Laodicée qu'a Séleucie,fept mille cinq cents perfonnes. La nouvelle de tant de malheurs porta la confternation dans Conftantinople; on y fit des prieres publiques, & 1'Empereur envoya de grandes fommes d'argent pour réparer ces cités fameufes & floriffantes depuis plufieurs fiecles. II remit les impöts pour trois ans; & afin de reterair les principaux citoyens qui fonB v JUSTINIEN. Vnn. 5iS.  JUSTINIEN. •Ann. 52S. j ! XVI. Premières loix rie Jufti- 1 nien. ( Cod. Juft. I. l.tit. i. 1 % f,6,7. fl tic. 2. leg. ƒ 23 , 24. • t't. 3. /e£. d 4* , 43- 1" "'M3-/<£. „ i/zz/c. z' GozAtf g Pree. n Anccd} t, d! 23. 54 H I S T O I R B geoient è s'établir aületirs, il les honora au titre d'IIlufires. Par Je confeil dunfamt Solitaire, nomméSyméon ie Thaumaturge, qui habitoit fur une colonne dans la Syrië, il changea le nom d Antioche en celui de Tkiopohs, c'efW-dire, la vitte de Dieu , nom qu elle fembloit mériter pour ayoir eté la première oii les Difciples de 1'Evangile ont pris le nom de Chreuens. Cette dénomination nouvelle fut adoptée avec joie par les labitants, qui ja regarderent comme in heureux augure pour 1'avenir. Juftinien étoit naturellement réfornateur; & les défordres qu'il trou'oit répandus dans toutes les parties [e 1'Etat, ouvroient a cette inclinalon une vafte carrière. II régla 1'orre civil; mais les mceurs plus puifintes que les loix, perpétuerent les bus; & la vertu Romaine, depuis )ng-temps altérée dans fes principes, e put recouvrer fon ancienne inténté. Mon deffein n'eft pas de rendre 3mpte de la multitude des loix de ! Prince; ce détail pafïeroit les borrs de 1'hiftoire. Je me contenterai indiquer en peu de mots les plus irn-  hu Bas-EmpirÈ. Liv. XLI. 35 portantes de celles qui concernent 1'ordre public. Dès le commencement de fon regne, jettant les yeux fur les troubles dont 1'Eglife étoit agitée, il publia fa profeffion defoi entiérement conforme a la doctrine Catholique , & menaca d'un févere chatiment tous les Hérétiques, nommément les fectateurs de Neftorius , d'Eutichès & d'Apollinaire. C'étoient les trois fectes qui divifoient les efprits. Quelque temps après, en 1'année 533 , il rendit compte au Pape de la pureté de fa croyance ; &c dans une Conftitution qu'il adreffa fur le même fujet au Patriarche de Conftantinople,. eri même temps qu'il lui donne dans 1'infcription le titre d'CEcuménique , il femble qu'il ait voulu prévenir 1'abus que les Êvêques de cette Eglife pöurroient faire de ce nom; il lui déclare qu'il a déja inftruit de fa foi le Pape de 1'ancienne Rome, & qu'il fe croit obligé de communiquer a ce Prélat tout ce qui concerne 1'état de 1'Eglife , comme au chef de tous les Êvêques -.Vautant plus, ajoute-t-il, qfie 1'Eglife Romaine a toujours riprimi par des Durets ortfiodoxes les hèréfies qui ft B vj JUSTtN I EN. Ann. 528. Theoph. p. 150. Cedr. p. 366, 368. Anafl. p, 58. Baroniuf,  JUSTIKIEN. ^nn. J2S. 3Ö H I S T O I R E font^ ékvèes dans les contrées de f Oriënt. II témoigne dans fa lettre au Pape les memes fentiments de refpeö: il protefïe de 1'union des Evêques Orientaux avec le Saint Siege, & même de leur foumiffion a cette première Eglife du monde, dont il promet qu'il s'empreffera toujours d'accroitre 1'honneur & fautorite. Le Pape (c'étoit alors Jean II) lui répondit par de grands éloges, lui declarant que, de 1'avis de fes freres & co-Evêques, il confirmoit 1 edk de 1'Empereur contre les Hérétiques. Quoique dans la fuite de fon regne, ce Prince n'ait pas toujours refpeöé la perfonne des Papes, il refpeöa toujours 1'Eglife Romaine ; il maintint a la vérité 1'Evëque de la ville Impériale dans le -ang que celui-ci prétendoit depuis ong-temps, au-deffus des Patriar:hes d'Alexandrie & d'Antioche; ce jue les Papes n'approuvoient pas; nais il reconnoït expreffément dans ine de fes Novelles , 1'Evêque de lome pour le premier de tous les ivêques; & celui de Conftantino)le n'eft placé qu'au fecond rang. Scs affertions formelles font connoi?  nu Bas-Empire. Liv. XLL 37 tre en quel lens on doit prendre le titre d'CEcuménique attribué au Patriarche de Conftantinople, & ce que le même Empereur dit a la tête d'une de fes loix, que 1'Eglife de Conftantinople eft la première de toutes les Eglifes. On voit évidemment que ces termes ne doivent s'entendre que de 1'Orient. II öta aux Hérétiques les églifes qu'ils avoient ufurpées , &£ les rendit aux Catholiques. Comme plufieurs des principaux de la Cour étoient infecïés des erreurs d'Arius, il confifqua leurs biens pour intimider les autres, Sc déclara qu'il ne permettroit qu'aux Orthodoxes d'entrer dans les charges. II établit les Evêques furveillants des Tribunaux dans les Provinces; il les chargea d'exhorter les juges k rendre juftice, Sc de porter leurs plaintes a 1'Empereur, fi leurs remontrances étoient fans efFets. La prefcription de trente ans étoit établie par la loi de Théodofe II : Juftinien déclara que les biens Sc les droits de 1'Eglife ne pourroient être prefcrits qu'au bout de cent ans. Procope prétend que cette loi fut furprife au JUSTINIEN. Ann. 51S  JUSTIKI EU. Ann. 528. i 1 J 1 1 I t C f c a é fi cl 3^ HlSTQIRE Prince par une fraude des agents de laglife d'Emefe;& Ce qui femble autorifer ce foupcon , c'eft qu'elle futabohe treize ans après par le même Juftimen, qui réduifit au terme de quarante ans la prefcription des biens eccléfiaftiques. Mais s'il étendoit les privileges de 1'Eglife , il en votilut aufti refferrer la difcipline. II regla la torme de 1'éleftion des Evêques, défendit toute efpece de fimot"e, obligea les Prélats a la réfiden:e, en leur interdifant tont voyage ï la Cour , fans fa permilTion ; orlonna qu'ils ne pourroient difpofer >ar teftament ni par donation , que jes biens qu'ils polTédoient avant epifcopat; mais que les acqnêts pofeneurs rourneroient au profit de eur Eglife; il foumit a Ia même loi es adminiftrateurs des höpitaux. Pour pargner aux Evêques Ia tentation 'apphquer les biens eccléfiaftiques k avantage de leur familie , il défenit de nommer a 1'épifcopat ceux qui uroient des enfants; il ne pouvoit tendre la mêm« défenfe aux Eccléaftiqués ayant des neVetix , qui font svenus un des grand? fïéaux de 1'E-  nu Bas-Empize. Liv. XL/. 39 glife; c'eüt été reftreindre 1'éligibilité dans un cercle trop étroit; mais 1'efprit de cette fage loi n'eft pas plus favorable aux neveux ni aux parents quelconques, qu'il ne 1'eft aux enfants. II ordonne aux clercs de chanter eux-mêmes 1'ofïice, & leur défend d'employer a cette fonction des voix mercénaires. II leur recommande 1'afïiduité , fous peine d'être exclus du clergé. Tel eft le précis des deux Joix de cette année, dont 1'une eft adreffée au Patriarche de Conftantinople , 1'autre au Préfet du Prétoire, chargé de tenir la main a 1'exécution. II fongea en même-temps a réprimer 1'avidité des Juges féculiers, défendant aux Magiftrats de Conftantinople , d'accepter aucune donation, fous quelque prétexte que ce fut, durant le cours de leur magiftrature, & même d'acheter des maifons, non plus qu'aucuns meubles ou immeubles, fans une permiffion expreffe de 1'Empereur. La défenfe étoit encore plus précife a 1'égard des Magiftrats des Provinces : elle s'étendoit pour les uns & les autres, jufqua leurs domeftiques &£ JUSTIK I EN. Ann. ;iS3  JUSTINI EN. Ann, 528 XVII. Edifices de Juftinien.Proc. otdif. I. 2. pajjim 3-C2. Malela, p. 54- 40 HlSTOIRB leurs affeHeurs. Cette loi fut abrogée dans la fuite par Léon le Philofophe, & jamais elle n'a été obfervée dans les pays oü les magiftratures font perpétuelles. L'Empereur annonca d'abord Pinchnation qu'il avoit, foit a rétablir & augmenter les édifices anciens, foit a en conftruire de nouveaux. II fit dans PHippodrome des embelliffements confidérables, L'aqueduc d'Hadrien fut réparé, & Pon creufa une vafte cïterne pour en recevoir les eaux. Le fauxbourg de Syques étoit féparé de la ville par le golfe de Céras; PEmpereur en rebatit les murailles; il fit conftruire fur le golfe un pont de communication avec la ville; il donna a ce fauxbourg le droit de cité & le nom de Jufiinianopolis. Son principal foin dès cette année & dans les fuivantes, fut de couvrir 1'Empire contre les attaques des Perfes, les plus anciens & les plus opiniatres ennemis du nom Romain en Oriënt. Après avoir corrigé les défauts des fortifications da Dara , batie k la hate par Anaftafe, i-l garantit cette ville des inondations  du Bas-Empirë. Liv. XLI. 41 du fleuve Cordès. II appuya les murs d'Amide par de nouveaux rempartS. L'efpace entre ces deux villes fut rempli de fortereffes & de chateaux. Théodofiopolis , Conftantine , Circefe furent de nouveau fortifiées, ainfi que Carrhes., Callinique, Batnes & EdelTe. Ces places étoient en Méfopotamie. Dans 1'Euphratéfie, dite autrefois Commagene, fur les bords de TEuphrate, étoit la ville de Zénobie, batie par la Reine de ce nom, mais alors déferte & prefque détruite; Juftinien larebatit, la peupla, la mit en füreté contre les inondations de TEuphrate , & y établit une forte garnifon. Les autres places de la même Province, négligées jufqu'alors, Chalcis, Cyr, Sura, Europus, Hiéraple , Zeugma , Néocéfarée furent mifes en état de défenfe. II fit une ville de Sergiopolis, qui n'étoit auparavant qu'une églife en 1'honneur du Martyr Saint Serge. Toul étoit en mouvement dans ces contrées. Ces villes, autrefois célebres 3 alors prefque enfevelies, fe relevoient de leurs ruines, & montroienl aux Perfes une barrière menacante. JUSTIN l EN. Ann. 518.  JusTIUIEN. Ann. 52! XVIII. Palmyt fétablie. Regum,, 3- 9- ' iS. Paralip, l a. c. 8. r 4 ■/£>ƒ ant /na". /. 8. c 6. C. 21. ■Proc. arf//; 2. É. II. AfaMa, p, n- Steph. Ruines de Palmire, pt 38, 41. M. Danvillt , troifiem'.parthde la Carte ifEurope. u 42 H X S T O I R £ " La plus célebre réparation faire fur cette frontiere, fut celle de Pali. myre. La ville de Palmyre, batie par Salomon, qui la nomma Tad2 mor, étoit fituée, comme on le re. connoït certainement par fes ruines, • environ è foixante lieues deDamas, a prés de trente lieues de Thapfa. que, aujourd'hui El-dor fur 1'Euphrate, & a cent vingt lieues de Babylone. Cette portion de terrein ri* che & fertile, arrofée de fources au milieu d'une vafie étendue de fables andes, fembloit avoir été mife en referve par la nature, pour fervir de bornes aux deux grands Empires des Romains & des Perfes, qui, dans leurs querelles , commencoient prefque toujours par s'en difputer la poffeffion. Palmyre avoit été détruite par Nabuchodonofor , lorfqu'il vint affiéger Jérufalem. Elle fe releva depuis; & après avoir été foumife a la pmffance des Séleucides, elle fe mit en hberté. Comme elle étoit riche & commercante, Mare Antoine entreprit de la piller ; mais les habitants e previnrent & tranfporterent leurs ïffets les plus précieux au-dela de  r>v Bas-Empire. Liv. XLt. 43 1'Euphrate, dont ils défendirent le pafTage par le moyen de leurs archers, qui bordoient le fleuve. Hadrien la répara, & lui donna fon nom, qu'elle ne conferva pas. Elle étoit colonie Jtomaine fous Caracalla, & fournit des fecours a Alexandre Sévere dans fon expédition contre les Perfes. Elle devint üluftre fous Gallien , par la valeur héroïque d'Odenath & de Zénobie. Aurélien ayant pris la ville, paffa au fil de 1'épée prefque tous les habitants. Dioclétien la rétablit, & Torna de fuperbes édiftces. Elle avoit fous Théodofe II une garnifon Romaine ; mais du temps de Juftinien, on n'y voyoit plus que des ruines. Au mois d'Oclobre de cette année, ce Prince ayant nommé .Comte d'OrientPatrice TArménien , lui donna une grande fomme dargent pour rétablir Palmyre. Patrice releva les anciens édifkes , en conftruifit de nouveaux, raffembia les eaux des fources qui fe perdoient dans les fables ; & comme le deffein de TEmpereur étoit d'en faire, non plus une ville de commerce, mais une place frontiere, il en refferra Tenceinte, Tentoura de murail- JUSTlKIEN. Ann. 52S  JUSTIHIEN. Ann. 52S XTX. Nou veile acquifition en Arabie. Proc. Per/. 1. 1. c. 19. Idem , *üf. I. 5. c. 8. 44 HlSTOIRE ' les, &y logea une garnifon, qui, fous les ordres du Duc d'Emefe , étoit . deftinée a défendre 1'entrée de Ia Syrië & de la Paleftine contre les incurfions des Sarrafins. On voit encore aujourd'hui fur ce terrein des tombeaux, des colonnes & de magnifiques débris de temples & de palais. On y diftingue le refte des murs que Juftinien fit batir; & grace a 1'exaöitude & k 1'intelligence des voyageurs Anglois, les ruines de Palmyre font devenues dans ce fiecle plus fameufes que beaucoup de villes entieres. Les Sarrafins étoient pour la Syrië des voifins trés - incommodes. Leurs courfes fréquentes défoloient le pays , & le tenoient continuellement en allarmes. Du cöté de la Paleftine, le golfe Arabique étoit bordé d'une vafie plaine, qui s'étendoit vers 1'orient 1'efpace de dix journées de chemin. Abocharab, chef de la tribu Sarrafine qui habitoit ce canton , en abandonna le domaine a Juftinien. Ce préfent n'étoit confidérable que par 1'étendue du terrein; d'ailleurs, ce n'étoit qu'un défert de fables, qui ne  Du Bas-Empire. Liv. XLI. 45 produifoit que des palmiers , dont cette plaine avoit pris le nom. Cependant 1'Empereur, pour récompenfer ce Prince barbare , lui conféra le eommandement général des Sarrafins de Paleftine , qui étoient ibumis aux Romains. Abocharab,dontle nom s'étoit rendu redoutable par fa valeur , arrêta de ce cöté-la les courfes des autres Arabes. Pour mieux affurer cette frontiere, Juftinien fit élever au pied du mont Sinaï une fortereffe, oü il placa une nombreufe garnifon. Cette montagne, très-efcarpée&prefque inacceflible , fituée a la pointe du golfe, étoit alors peuplée d'anachoretes & couverte de Monafteres. Mais le fommet, dit Procope , en reftoit inhabité , a caufe d'un bruil terrible qu'on y entendoit toutes les nuits, &qui, joint a d'autres phénomenes, glacoit les hommes d'effroi. Si le récit de eet Auteur n'eft fondé cjue fur Popinion populaire, a laquelle en effet il ne défere que trop fouvent, du moins eft - il étonnant que 1'imprelTion de cette effrayante tempête, au milieu de laquelle Dieu avoit donné fa loi aux Itraélites, fe JUSTI. NIEN. Ann. 5 ï8.  JUSTINIEN. Ann. 529, XX. Les Romains bat tus par les Peries. Proc. Per/. Ai.c.23. Ckr, Mjre. 46 HlSTOIRE fut confervée pendant plus de deux mille ans dans un pays idolatre. La guerre fe faifoit depuis quelques temps en Armenië avec affez de lenteur. Mais 1'année fui vante, elle fe ralluma plus vivement fur les bords du Tigre. Juftin avoit chargé Bélifaire de la garde de Dara nouvellement batie. Juftinien lui envoya ordre de conftruire une forterefTe dans la plaine de Mindone , fur la frontiere, a la gauche de Nifibe. Bélifaire fe mit en devoir d'obéir; & déjala multitude d ouvriers qu'il employoit, avoit élevé la muraille a une hauteur confjdérable, lorfque les Perfes vinrent lui fignifier qu'il eut h fe défifter d'une entreprife contraire aux traités, ou qu'ils alloient 1'y contraindre par les armes. Bélifaire en informa 1'Empereur, & lui repréfenta qu'il avoit trop peu de forces pour réfifter a un fi puiffant ennemi. Juftinien fit auffi-töt marcher en Méfopotamie Cuzès & Buzès , qui commandoient un grand corps de troupes fur le mont Liban. Ils étoient freres, nés en Thrace, jeunes Si pleins de cette valeur bouillante lui ne cherche que 1'ennemi, fans  nu Bas-Empirz. Liv. XLI. 47 favoir encore préparer la victoire. Les deux partis courent a Mindone, les Perfes, pour détruire Pouvrage commencé , les Romains pour le défendre. On combat avec chaleur; les Romains font repouffés après un grand carnage : Cuzès eft pris. Les Perfes raferent la fortereffe; ils firent paffer le Tigre aux prifonniers , & les enfermerent dans des cavernes , oii ils les tinrent enchainés pendant le refte de la guerre. Un fi mauvais fuccès détermina 3'Empereur a tenter la voie de la négociation. II fit fonder les difpofitions de Cabade ; mais ce Prince étoit alors fort éloigné d'écouter aucune propofition. II fondoit de grandes efpérances fur le foulevement des Samaritains, qui lui demandoient du fecours, & lui promettoient de lui livrer Jérufalem & toute la Paleftine , s'il vouloit les foutenir. Voici quelles furent les caufes & les fuites de cette révolte. Juftinien , échauffé par un zele que la prudence ne guidoit pas toujours, avoit renouvellé contre les Hétérodoxes toutes les loix de fes prédécefTeurs, 6c ayoit JüSTI- Ann. 529. XXT. Révolte des Samaritains. Proc. Anecd. c. 11. 17. No vel. 1*9< *44. Theoph, g, '5Ï.  JüSTINIEN. Ann. 529. Malela, p. 62 , 63 , 66, 67. Anajl. p, 58. CA/", ^/e*. Ce*, p. 369. - Pagi ad Bar. 48 II I S T O l S. E ajouté peine de mort contre les 111fraéteurs. Quoiqu'il fe relachat de cette rigueur dans 1'exécution, il s'étoit attiré la haine des Idolatres , des Hérétiques, & des Juifs. Le dépouillement des temples , 1'incapacité de pofféder aucune charge, de tranfmettre & de recueillir les fucceffions, qui étoient dévoluesau fifc, les porterent k un tel défefpoir, que les uns fuyoient hors des terres de 1'Empire, les autres fe donnoient la mort. Quelques Montaniftes de Phrygie s etant enfermés dans leurs Eglifes, y mirent le feu, & fe brülerent avec lesédifkes. Les Samaritains, plus hardis que les autres , irrités de la contrainte ou les tenoit la garnifon de Samarie depuis le regne de Zénon , ne purent fans fureur voir détruire leurs Synagogues.- Ils fe joignirent aux Manichéens , toujours maltraités. C'étoient fur-tout les habitants de la campagne, gens groffiers & plus entêtés de leurs fuperftitions. Ils prirent les armes au nombre de cinquante mille , choifirent pour Roi un brigand, nommé Julien , entrerent dans Scythopolis dont ils brülerent  nu Bas-Empirb. Liv. XLf. 49 brülerent les églifes, s'emparerent de Néapolis oü ils firent un horrible maf'facre, tuerent 1'Evêque, mirent les Prêtres en pieces, & défolerent tous les environs. Julien ayant pris poffefïïon de cette ville , y fit célébrer en fa préfence les jeux du Cirque. Un cocher, nommé Nicéas, qui 1'avoit emporté fur fes concurrents, fe préfenta au tyran pour en recevoir la couronne felon la coutume. Mais Julien apprenant qu'il étoit Chrétien, au-lieu de le couronner, lui fit francher la tête au milieu du Cirque! Théodore, qui commandoit les troupes de la Paleftine, envoya des couriers a Conftantinople, & raffembla ce qu'il avoit de foldats. Abocharab fe joignit k lui; ils marcherent contre Julien qui abandonna Néapolis. L'ayant pourfuivi avec ardeur , ils lui livrerent bataille, déhrent entiérement fon armée, le prirent & lui firent trancher la tête, qu'ils envoyerent k 1'Empereur avec fon diadême, Vingt mille Samaritains périrent dans ce combat. Les autres fe fauverent fur le mont Garizim ou dans les montagnes de la Trachonite. Le chef SarTome IX. C JUST1NIEN. Ann. 529,  JUSTI■NIEN. Ann. 529. XXII. Suite de la révolte. 50 HlSTOIKE rafïn recut pour récompenfe vingt mille prifonniers, qu'il envoya vendre en Perfe Sc en Ethiopië. La nouvelle de la viöoire arriva a C. P. prefque eri même temps que celle de la révolte. L'Empereur, irrité contre Baffur, Gouverneur de Paleftine, de ce qu'il n'avoit pas prévenu ou du moins réprimé ce défordre dans fa naiffance, le dépouilla de fa charge, & le fit mettre en prifon. H envoya en fa place le Comte Irénée, qui alla chercher les Samaritains dans les montagnes ou ils s'étoient réfugiés, en fit un grand carnage, Sc condamna les autres k des fupplices rigoureux. Leshabitants de Scythopohs fe vengerent eux-mêmes : ils brülerent dans leur place publique un de leurs citoyens les plus diftingués, nomméSylvain, ennemi mortel des Chrétiens, & qui avoit eu la plus grande part aux cruautés exercées fur eux. Cette exécution étoit un nouvel attentat contre i'autorké du Souverain , Sc peu s'en fallut qu'elle ne leur coütat cher. Le Comte Arfene, fils de Sylvain, fe rendit k Conftantinople avec fa femme, qui  &u Bas-Empjre. Liv. XLI. 51 s'étant inlinuée dans 1'amitié de 1'Impératrice, lui perfuada que les Chrétiens de Paleftine avoient été les aggrefleurs, Si qu'ils s'étoient euxmêmes attiré tous les maux qu'ils avoient foufFerts. Théodora, toujours favorable au mauvais parti, agiffoit fortement fur 1'efprit de fon mari; Si les Chrétiens couroient grand rifque, fi 1'illuftre Saint Sabas, agé de plus de quatre vingts-dix ans, ne fut venu de Paleftine a la priere de la Province, pour détromper 1'Empereur. Juftinien écouta avec refped ce pieux folitaire, célebre dans tout 1'Orient par fa fainteté & par fes miracles. II revint de fes préventions, & tourna toute fa colere contre les Samaritains, qu'il chafla de la ville. II fit mourir les auteurs de la rébellion. Arfene', craignant pour lui-même, demanda le baptême k Saint Sabas. Au-lieu des fommes d'argent que 1'Empereur ofFroit pour doter les monafteres de Paleftine, & que Sabas refufa, le Saint obtint une décharge d'impofitions pour la Province , la fondation d'un höpital k Jérufalem s Si le rétablifTement des Eglifes. Q» C ij JUSTINI EN. Ann. 519.  JUSTINIEN. Ann. 529. 52 IJlSTOIAE' raconte que Théodora, qui n'avoit point d'enfants de Juftinien , conjurant Sabas de lui obtenir un fils par fes prieres, il éluda cette demande, en fouhaitant a 1'lmpératrice une vie fainte Sc heureufe, fans vouloir s'engager k aucune promelTe; Sc que les moines qui 1'accompagnoient paroiffant étonnés de cette réferve, il leur dit que fi Théodora avoit un fils , ce feroit un ennemi de 1'Eglife, Sc qu'il lui feroit plus de mal que n'en avoit fait Anaftafe. Douze ans après cette révolte, a la priere de Sergius, Evêque de Céfarée, PEmpereur rendit aux Samaritains le droit de tefter Sc de fuccéder. Mais 1'expérience ayant fait reconnoitre que ce peuple étoit intraitable, Sc que ceux qui recevoient le baptême ne fe convertiffcient qu'en apparence, Juftin II, fucceffeur de Juftinien, révoqua cette conceflion, Sc rappella par une loi nouvelle toute la févérité de la première. Les Samaritains conferverent toujours dans le cceur une haine irréconciliable contre les Chrétiens. Sous les Gouverneurs attentifs & féveres, ils la déguifoient avec foin;  du Bas-Empirr. Liv. XLI. 53 mais dès qu'ils pouvoient fe flatter de 1'efpérance de 1'impunité, ils la manifeftoient fans réferve, & retournoient a leurs fuperftitions. Juftinien fit fortifier le mont Garizim. Bélifaire furprit au paflage cinq députés des premiers de Samarie, qui rapportoient de la Cour de Perfe la promeffe d'un prompt fecours; & fur 1'ordre qu'il en recut de 1'Empereur, il les fit mourir. Pendant que les Samaritains immoloient a leur haine les miniftres de la Religion Chrétienne, le crime & le fupplice de deux Evêques firent rougir la Religion même. Ifaïe & Alexandre, 1'un Evêque de Rhode, 1'autre de Diofpolis en Thrace, furent déférés a 1'Empereur comme coupables des horreurs qui attirerent fur Sodome la colere du Ciel. Ils furent amenés a Conftantinople, convaincus par une information juridique, & deftitués de 1'Epifcopat par la fentence de Viótor, Préfet de la ville. L'éclat de leur punition ne fut pas moins fcandaleux que leur crime. Après avoir été mutilés, ils furent promenés par tpute la ville C iij JUSTlNI EN. Ann. 529. xxm Scandales réprimés. Proc. Anccd. c. 11 , 17. & ibi Alaman. Idem. adif. I. 1. e. 9. Cod. I. 3. tit. 5 3. leg. 1>11 5l. 9. tic. 9. leg. 31. Nov. 14, 77,141. . Theoph. p. 151. Malela , p. 17, 58, 64. Zon. p.64.  JUSTITÏIEN. Ann. 529, 54 HlSTOIRE dans une litiere ouverte, un héraut criant devant eux : Apprene^.Evêques, d ne pas fouiller la faintete' de votre cara&ere. On fit a cette occafion la recherche de cèux qui s'abandonnoient aux mêmes excès. Entre un grand nombre de coupables , il fe trouva des Sénateurs & même des Prêtres d'un rang honorable. Aucun d'eux ne fut épargné ; ils furent fonduits nuds a Ia place publique; traités comme Ifaïe & Alexandre, & expirerent dans ce honteux fup. plice. Pour déraciner ce vice abominable, 1'Empereur renouvella toute la rigueur des loix précédentes. II joignit les blafphémateurs k ceux qui feroient convaincus de cette inf'amie, & menaja de fon indignation le Préfet de la ville, s'il négligeoit de pourfuivre les coupables. Cependant une ü monfirueufe débauche ne céda ni aux exemples les plus effrayants, ni aux loix les plus féveres. Quinze ans après, dans le carême de Pan 544, Juftinien fit une autre !oi, dans laquelle il attribue a la colere du Ciel irrité de ces abominations, la pefte qui défoloit alors tout  du BjS'Empirs. Liv. XLI. 55 1'Empire; il fnenace les coupables des plus rigoureux chatiments, s'ils laiffent paffer la fête de Paques rans avoir expié leur crime par la conreïfion Sc la pénitence. II ne néghgea pas la réforme des autres diffolutions, qui, malgré les loix des Empereurs précédents, continuoient dmr feaer 1'Empire, Sc fur-tout la vjlle de Conftantinople, Les jeux de hafard furent défendus comme une fource de blafphêmes. En 535, d fit publier un édit qui condamnoil au banniffement ceux qui faifoieni aftuellement commerce de.proftitvy tjon, Sc k la mort ceux qu'on de couvriroit dans la fuite. II menacoi de confifcation les propriétaires qu louoient leurs maifons pour ce trafit infame. Théodora voulut en cett^ occafion imiter le zele de fon mar pour la pureté des mceurs; Sc 1'oj pour mafquer fes propres défordres foit pour les expier aux dépens de autres , elle changea un ancien palai fitué fur le Bofphore du cöté de VA fie, en une maifbn de pénitence. Eli y fit renfermer les femmes publi ques, que 1'indigence avoit plongé* C iv JUSTI>' l EN- Anti. 519' t i ( t * s s e s  JUSTIN1EN. Ann. 529. XXIV. Défenfe de faire des Eunuques. 1 P'oc. Got. ( l 3- \ Crolongée , il pofta Sunica & Au;an ayec fix cents cavaliers Huns,  nu Bas-Empire. Liv. XLI. 6$ pour prendre Pennemi a dos, fi Bu- 1 zès & Pharas étoient enfoncés. L'aïle droite étoit rangée de la même ma- . niere. Jean, fils de Nicétas, Marcel, Cyrille & Germain y commandoient la cavalerie Romaine; Simas & Afcan, les Huns. La ligne parallele aux murailles étoit bordée du refte de la cavalerie & de toute 1'infanterie. Bélifaire & Hermogene étoient au centre. Pérofe avoit campé la veille k moins d'une lieue de la ville. Au point du jour, les Perfes marcherent aux Romains avec affurance. Mais lorfqu'ils virent de prés le bel ordre des ennemis , ils firent halte, & parurent furpris & embarraffés. Ils doublerent leurs rangs, & fe partagerent en plufieurs colonnes, pour paffer dans les intervalles du foffé. Le jour étoit fort avancé , quand les Perfes détacherent de leur aile droite un grand corps de cavalerie , qui vint attaquer Buzès & Pharas. Ceuxci, reculant devant eux pour les attirer en-deca du foffé , les Perfes s'engagerent dans le paffage; mais bientöt craignant d'être enveloppés, ils JUSTINI EN. ^.nn. 5 3®. XXIX. Préludes de la bataille.  JUSTIN l EN, Ann. 530, i ] ; » ( ] 1 i 1 1 l 6ó filSTOIRE regagnerent a toute bride le gros de leur armée, Iaiffant fur la place fept de leurs cavaliers. Pendant que les deux armées s'obfervoient fans faire aucün mouvement, un jeune cavalier Perfe s'étant approché des Romains , défia le plus brave de venir le combattre. Perfonne n'acceptoit le défï , lorfqu'on vit entrer dans la plaine un cavalier inconnu a toute 1'armée; c'étoit le baigneur de Buzès , nommé André, qui avoit été maitre d'efcrime a Conftantinople. Jamais il n'avoit fervi en qualité de foliat, & ni fon maïtre ni aucun autre i'avoit eu la penfée de Pexciter h me démarche fi hardie. II courut k 'ennemi fans lui donner le temps de "e reconnoitre, & 1'ayant abattu d'un :oup de lance , il lui coupa la tête ui grand étonnement des Romains }ui pouffoient des cris de joie. Les }erfes, confus de eet affront, firent >artir le plus brave & le plus expéimenté de leurs cavaliers, déja arancé en age; mais encore plein de Rigueur , & d'une taille au-deffus de 'ordinaire. II s'avanca avec fierté , &c 'fopofa le même défï. Hermogene  du Bas-Empire. Liv. XLI. 67 avoit défendu a André de s'expofer une feconde fois; mais malgré cette défenfe, André voyant que perfonne n'ofoit.combattre, s'élance hors des rangs , & va piqué bailïée heurter 1'ennemi avec tant de furie, que la violence du choc renverfe & les chevaux & les deux cavaliers. Plus difpos que fon adverfaire, il fe releve le premier, lui plonge fon épée dans le corps, & le laiffe fans vie. Les cris redoublerent du cöté des Romains, & les Perfes dans un morne filence retournent a leur camp. Le jour fuivant fe paffa en melTages réciproques de la part des deux Généraux. Bélifaire, auffi prudent qu'intrépide, préférant la paix a. une victoire même affurée , écrivit k Pérofe, qu'il falloit être ennemi de fa patrie pour tengager dans des hafards qu'on pouvoit èviter. Les deux Princes kant en termes d'accommodement, quetoit-il befoin d'enfanglanter par une bataille, les préliminaires de la paix? Que Pirofe fe rendroit refponfable auxyeux de toute la Perfe, du fang qu'elle alloil verfer. Pérofe répondit par des reproches : Souvene^-vous, difoit-il, da JtfSTIN Z EN. Ann. 530. XXX. Lettres réciproques des Généraux.  JUSTINIEN. Kna. 530. 1 J XXXI. Bataflle ( e Dara. ( 68 HlSTOIRE conventions jurées par Anatollus. Cette ville de Dara , qui vous fert aujourd'hui de retraite , bdtie & fortifiée contre la foi des traités , fur nos frontieres, ne vous accufe-t- elle pas düinfidélité■? Ce riefl que par les armes qu'on peut tirer raifon d'un perfide enntmi, & nous fommes réfolus de ne les quitter que par la vicloire ou la mort. Bélifaire repartit, qu après la démarche qu'il venoit de faire pour épargner le fang des deux nations, U s'ajfuroit que Dien offenfé de l'orgueil des Perfes , comhattroit pour les Romains ; qu'il alloit faire attacher au haut des enfeignes les lettres envoyées de part & d'autre, comme les pieces authentiques du proces fanglant que Dieu alloit ju«er lui-méme. Péroie repliqua, que la Perfe avoit aufji fes Diettx; que demain kSoleil, cette divinité puijfante,rié-.laireroitpas feulement leur valeur; mais ju'il leur donneroit la vicloire , 6" les inroduiroit dans Dara. Aye^foin, ajou:oit-il, de m'y préparer un bain & un ■epas digne du vainqueur. Aux premiers rayons du jour, les leux Généraux rangerent leurs follats en bataille , & les exhorterent 1 bien faire. Pérofe repréfentoit aux  du Bas-Empire. Liv. XLI. 69 fiens les fiiccès des années précédentes ; la timidité des ennemis qui n'ofoient les attendre que derrière un foffé; les récompenfes & les punitions que le Roi leur réfervoit, felon qu'ils auroient combattu avec courage ou avec lacheté. Bélifaire & Hermogene animoient leur armée par 1'exemple du domeftique de Buzès, qui, fans être foldat, avoit terraffé les deux plus braves guerriers de la Perfe. Ce nejl ni la force ni le courage qui vous ont manquè dans les dernieres campagnes, difoit-il, c'ejï la difcipline. Obéffe^, & vous fere{ vainqueurs. Ne vous effraye^ pas du nombre des ennemis; ce nejl au'une multitude de payfans mal armis, qui ne favent que dépouiller les morts. Combattt\ aujourd'hui en Romains, & vous abattre^ pour toujours torgueil des Perfes, L'armée Romaine étoit rangée dans le même ordre que le premier jour, Pérofe partagea la fienne en deua divifions, Tune derrière Pautre, afir que la première étant fatiguée, Pautre vint prendre fa place. II mit er réferve la cavalerie des immortels. avec ordre de ne faire aucun mou- JUSTIMIEN. Ann. 530.  JUSTIKIEN. Ann. 530. 70 &1ST0I&E vement, jufqu'a ce qu'il leur donnat le fignal. II fe placa lui-même k la tête du centre, donna k Pityafe le commandement de 1'aïle droite, & k Barefmane' celui de 1'aïle gauche. Les deux armées attendoient le fignal, lorfque Pharas vint trouver Bélifaire. Si je demeure, lui dit-il, avec mes Erules dans le pojle ou. vous rnave^ placé, je ne vois pas que je vous puijfe eire d'un grand fecours : mais fi je vais me pojler dans ce vallon derrière la colline, & que dans la chaleur du combat je vienne charger les Perfes, j'efpere ne vous être pas inutile. Bélifaire approuva eet avis, & Pharas 1'exécuta. Le combat ne commenca qu'après midi : les Perfes, ne prenant leur repas que le foir, & les Romains , dés le matin, les uns ne vouloient pas commencer k combattre de bonne heure, pour ne pas s'épuifer par une longue bataille; les autres différoient volontiers dans 1'efpérance d'avoir meilleur marché de Tennemi qui s'afFoiblilToit de plus en plus. Enfin, les Perfes firent partir de leurs ares une nuée de fleches; les Romains y répondirent, & Pair en  du Bas-Empire. Lfv. XLI. 71 étoit obfcurci. Mais 1'avantage étoit du cöté des Perfes, plus habiles a titer de 1'arc, & qui fe fuccédant les uns aux autres, ne laiffoient aucun intervalle entre les décharges. Un vent violent qui s'éleva pour lors, favorifa les Romains, en donnant k leurs fleches autant de force qu'il en ötoit k celles des ennemis. Les carquois étant épuifés, on en vint aux coups de main , & la bataille fut terrible. Les Cadiféniens, k la fuite de Pityafe, avoient enfoncé 1'aïle gauche des Romains , & elle alloit être entiérement détruite , fi Sunica &i Augan ne fuffent venus prendre 3 dos les ennemis : en ce moment. Pharas & les Erules fortirent de leui embufcade, & chargerent les Cadiféniens avec tant de vigueur, qu'il: fe replierent fur le gros de leur armée , laiffa'nt trois mille morts fur h place. Les plus grands efforts de Pérofe étoient contre 1'aïle droite. II 5 fit marcher les immortels : a la vu< de cette redoutable cavalerie , Bélï faire fit paffer de ce cöté-la Sunica & Augan , pour foutenir Afcan & Si mas. 11 les renfor^a encore d'une li JUSTINIEN. Ann. 530.  JUSTINIEN. Ann. 530, ] 72 HlSTOIRE gne de cavalerie qu'il tira du corps de bataille. Barefmane, k la tête de 1'aile gauche des Perfes, renverfoit tout ce qui fe trouvoit devant lui, lorfque les Huns fondirent avec furie fur fes efcadrons, les rompirent; & les ayant coupés, ils en mirent en fuite la moitié , tandis que le refte ceffant de pourfuivre les Romains, fit volte-face pour revenir fur les Huns. Les ftiyards tournent bride auffi-töt, & reviennent fur les Perfes. Sunica perce jufqu'a la banniere des immortels, & tue celui qui la porte. Barefmane court en eet endroit pour fauver cette refpecfable enfeigne : Sunica le renverfe d'un coup de lance. La chüte de ce guerrier jette lepouvante parmi les Perfes ; ils fuyent; les Romains rapprochent leurs ailes, les enveloppent, & en tuent cinq mille. Tout fe débande du cöté des Perfes; les fantaffins iéttent leurs boucliers pour fuir plus I légérement; la plupart font maffa:rés. Comme les Romains avoient 'ompu leurs rangs dans la pourfuite, Sc que le défordre étoit le même dans 'armée vi&orieufe & dans 1'armée vaincue,.  nu Bjs-Empire. Liv. XLI. 73 vaincue, Bélifaire fit fonner la retrai- ■ te, de crainte que les Perfes, après s'être rallies, ne" vinflent leur arra- / cher la viftoire. C'étoit afTez d'avoir appris aux Romains que 1'ennemi n'étoit pas invincible. Cette aftion rabattit la fierté des Perfes; ils n'oferent hafarder une feconde bataille. On fe contenta de part & d'autre de faire des courfes , oü les Romains furent toujours fupérieurs. Voila ce qui fe paffa cette année en Méfopotamie. Cabade ne fut pas plus heureux en Arménie. II y avoit envoyé une ar- . mée compofée de Perfarméniens & de Sunites , peuple barbare voifin du Caucafe. Trois mille Sabirs s'étoient joints a ces troupes. Merméroës, a. Ia tête de cette armée, vint camper a trois journées deThéodofiopolis. Dorothée, Capitaine habile & expérimenté, commandoit les troupes de la Province, 8i Sittas, Général des armées de 1'Empire, étoit en Arménie. A la nouvelle de ces mouvements, ils envoyerent deux Officiers pour reconnoitre les forces de 1'ennemi. Ceux-ci, après s'être introduits Tornt IX. D JüSTI- .nn. 5 30. XXXIT. Les Peres vatn:us en irménie.  JUSTINTEN. Ann. j 30. XXXIII. Seconde défaite de Mermetoës. ] 1 ] i 1 l 74 HlSTOIRB dans le camp, le vifiterent tout entier, & furent rencontrés au retour par un parti de Huns au fervice des Perfes; Pun des deux , nommé Dagaris, fut pris; mais 1'autre s'étant échappé, vint rendre compte de ce qu'il avoit vu. Sur eet avis, les Généraux font prendre les armes a leurs foldats, & marchent en diligence au camp ennemi. Les Perfes, iurpris de cette attaque imprévue, ne fongent qu'a prendre la fuite. Les Romains en font un grand carnage, pillent le camp, & retournent a leur premier pofte. Merméroës, après avoir rallié fes troupes , voulut fe venger de eet affront par une entreprife éclatante. II paffa 1'Euphrate, & entra dans 1'Arménie mineure. Sittas & Dorothée, nftruits de fon deffein, 1'avoient pré^enu; ils étoient campés a deux ieues & demie de la ville de Satae, A la nouvelle de fon approche, )orothée s'enferma dans la ville , »£. Sittas, avec un camp volant de lille hommes, alla fe pofter derrière ne des collines dont la plaine de atale eft environnée. L'armée de  du Bas-Empire. Liv, XLI. y$ Perfe étoit de trente mille combattant», & prefque doublé de celle des Romains. Les Perfes s'avancerent jufqu'au pied des murs, & fe préparoient a 1'attaque, lorfqu'ils appercurent un corps de cavalerie qui defcendoit d'une colline, & marchoit droit k eux. C'étoit le détachement de Sittas , que la furprife & la pouffiere , excitée par un grand vent, leur faifoit paroïtre beaucoup plus nombreux qu'il rfétoit en effet. Les Perfes fe réuniffent, ferrent leurs rangs, & marchent de ce cöté-la. Tandis que les Romains partagés en deux corps, les amufent par des efcarmouches, ceux qui font dans la ville font une fortie, & les chargent vigoureufement par-derriere. Les foldats deMerméroës, effYayés de fe voir attaqués en tête & en queue, prennent la fuite; mais bientöt s'étant apper^us de la fupériorité de leur nombre, ils font ferme, & tournent vifage. On combat avec chaleur; & comme ce n'étoit de part & d'autre que cavalerie , on fuyoit & on revenoit alternativement k la charge. Un Commandant d'efcadron, nommé FlorenD ij JUSTIMIEN. Ann. 53a.  JUSTIHIEN. Ann. $30. XXXIV. Le Roi de Perfe refufe la paix. 76 HlSTOIRg ce, procura la victoire aux Romains. S 'étant jetté au milieu des ennemis, il arracha Penfeigne générale, & la tenant baiffée, comme il retournoit joindre les fiens, il fut atteint & haché en morceaux. Mais la confufion fe mit dans 1'armée des Perfes, lorfqu'ils ne virent plus leur enfeigne: ils prirent 1'épouvante, & fefauverent dans leur camp avec une grande perte. Le lendemain ils fe retirerent fans être pourfuivis; les Romains fe tenant heureux d'avoir remporté avec un nombre fort inférieur, une fi glorieufe vicloire. L'Empereur, qui fouhaitoit la paix avec la Perfe , pour employer toutes fes forces k la conquête de 1'Afrique, crut qu'une campagne fi malheureufe auroit rendu le Roi plus traitable. II ordonna donc k Rufin de l'aller trotiver. Cabade le recut avec honneur; mais aux propofitions de Rufin , il répondit, qu''Anajlafe avoit par avarict refufé de partager la dépenje néceffaire pour la garde des portes Cafpiennes ; que les Per/es y entretenoi&nt une garnifon conjiderable pour fermer le pajfage aux Barhares, & qu'il n 'étoit pas jujte qu'ils  nu Bas-Empis.e. Liv. XLI. 77 fuffent chargés a leurs fraix de mettre d couvert les terres de 1'Empire : Je fuis obligé, ajouta-t-il, de tenir toujours fur , pieds deux armées ; Vune pour l'oppofer aux Barbares du Nord, Cautre pour arrêter les violences des Romains, qui ne font aucun fcrupule de violcr les traites, N'e/l-ce pas contre les traités qu'ils ont bdti Dara, & entrepris Sélever une forterejfe d Mindone ? ü Empereur peut choifir de la paix ou de la guerre : mais il ne peut obtenir la paix, quen contribuant d la garde des portes Cafpiennes , ou bien en démoliflant Dara, Rufin porta cette réponfe a Conftantinople, 011 Hermogene fe rendit peu de temps après. Juftinien ne fut pas moins heureux cette année du cöté de 1'Occident. Une multitude de Barbares, que les chroniques de ce temps-la appellent Goths, &£ que je crois être Efclavons, fe jetterent dans 1'IUyrie, &£ les Bulgares dans laThrace. Mondon, que nous avons vu fous le regne d'Anaftafe s'emparer du chateau de Herta , s'attacher au fervice de Théodoric, & faire la guerre aux Romains, setoit donné a Juftinien depuis la D iij JüSTIKIEN. Lnn, 530. XXXV. Mondon fe donne a Juftinien.Chr. Mare. Mahla, p, 64.  JUSTIN1EN. Aan. 531 XXXVI. Elclavon défaits par Chilhudius.Proc. Got l- 3^.14 78 II I S T 0 I R S - mort du Roi des Goths; & 1'Empereur lui avoit confié le commande>. ment des troupes d'IHyrie. II marcha d'abord contre les Efclavons, & ce fut la première fois que les Romains combattirent cette nation. Mondon les tailla en pieces, fit un grand butin, & prit un de leurs chefs qu'il envoya chargé de chaïnesa Conftantinople. Erant enfuite pafte en Thrace, il défit les Bulgares dans un combat ou il leur tua cinq cents hommes, & les forca de repaffer Ie Danube. Ce fleuye qui avoit fi long-temps 1 feryi de rempart aux terres des Romains, étoit devenu depuis 1'affoiblilTement de 1'Empire, le paffage ordinaire des nations du Nord, qui venoient le ravager. C'étoit par-la que les Goths, les Huns, les Gépides avoient inondé les deux Méfies, la Dace, la Pannonie. De nouveaux effaims de Barbares, peu connus auparavant, commencoient a franchir fes bords. Les Efclavons & les Bulgares faifoient trembler la Thrace, & la mena^oient des mêmes horreurs qu'elle avoit éprouvées fous Valens. Ce fut pour la mettre a couvert que Jufti-  nv Bjs-Empire. Liv. XLI. 79 nien donna le commandement de cette Province a Chilbudius, brave guerrier, qui s'étoit doublement fi* gnalé, & dans le fervice du palais, par un déiïntéreflement a toUte épreuve, & dans les armées par fa valeur. L'Empereur le chargea de garder les bords du Danube. 11 fe rendit fi redoutable, que, pendant les trois années qu'il commanda dans ce pays, les Barbares qui fe montroient fouvent fur la rive oppofée , n'oferent jamais pafler le fleuve. II le paffa luimême plufieurs fois, alla chercher les Bulgares & les Efclavons, les tailla en pieces, & revint avec un grand nombre de prifonniers. Enfin, la troifieme année de fon gouvernement , s'étant hafardé au - dela du Danube avec peu de troupes, il fut enveloppé par les Efclavons , qui avoient réuni tout ce qu'ils avoient de combattants. II fallut céder au nombre. Chilbudius périt après avoir fait des prodiges de valeur, Depuis ce temps , le pafTage du Danube fut ouvert aux peuples du Nord ; & toutes les forces de 1'Empire ne purent faire , dit Procope « D iv JUSTINIEN. Ann. 5 30.  JUSTINIEN. Ann. 530. -XXXVII. Origine des Ef«lavons.Conflant. Porph. de adm. imp. e. 29. Cluver. Germ. art tiq. I. I. c. 4, 5, * /. 3- 44- Helmold. Chron.l. 1, c. 84. Jorn. de rel. Get. c. 5 , 23. Mauro Orbini regno iegtiSla- Peringfhold not. in vitam Theedorici a Cochlceo. ( ƒ>. 376. | Tefauro del regno * d'ltalia. j Lucius de j regno Dalmat. 1.1,' 80 HlSTOIRE ce 5V'aY.oit fait Un feul homme. J'ai déja parlé des Bulgares, lörfqu'ils ie montrerent fur les bords du Boryfthêne, oü Théodoric les déiït en 485. Je vais rafTembler ici en peu de mots ce que les divers Auteurs nous apprennent de Forigine, des progrès & des mceurs des Efclavons, nation puiffante & nombre ufe, qui s'eft répandue par fuccelTion de temps dans la moitié de PEurope, &c dont la langue fubfifte encore depuis la mer Cafpienne jufqu'en Saxe, & depuis le golfe Adriatique jufqu'a la mer Glaciale, fi 1'on en excepte la Hongrie. Son origine n'eft pas moins difficile a démêler que celle des Goths , des Vandales , des Lombards , & des autres nations barbares , qui n'ayant ni la connoifTance les Lettres , ni le loifir de s'en occuper, ont fans ceffe fait la guerre 1 des voifins auffi barbares qu'eux, k ne fe font montrés aux'yeux des Srecs & des Romains, que lorfque :eux-ci avoient eux-mêmes perdu le ;oüt des recherches littéraires. D'aileurs, il falloit fonger a leur réfifer, plutöt qu'a étudier leur origi-  nu Bas-Empire. Liv. XLL 81 ne. Quelques Ecrivains regardant la Scandinavië comme la mere de tous les peuples barbares qui ont inondé le refte de 1'Europe, font fortir les Efclavons de cette péninfule, dont la fécondité étoit, felon eux, inépuifable. Ils placent cette première migration deux cents ans avant la guerre de Troye; c'eft-a-dire, dans un temps oh 1'Hiftoire profane ne préfente que des obfcurités prefquê impénétrables. Les Efclavons, confondus alors avec les Goths, fe répandirent dans la Sarmatie qu'ils fubjuguerent jufqu'au Tanaïs. La plupart des Hiftoriens, fans remonter a ces antiquités incertaines, les prennenl d'abord dans la Sarmatie feptentrionale , entre la Finlande & le fleuv( Obi. Les Efclavons s'avancerent enfuite vers le midi , d'un cöté juf qu'aux Palus Méotides, de 1'autre jufqu'a la Viftule , qui leur fervoi de bornes a 1'Occident. Ils font le mêmes que les Vénedes , qui habi toient les cötes de la mer Baltique ce qui paroit confirmé par le non de Windifchmarck , que les Alle jnands donnent encore k un canto D v JüSTINIEN. Ann. 530.' c. 11, 12. & l. 6. 'e. 4. Dodwell. dijfert. in excerptorem Stra" iofiif. E | ï  JVSTI NIEN Ann. y, XXXVIII Leurs moeurs. Proc. Got. 1. %.c 14. Leo TaHic, t. iS. Sa Histoire - fitué fur la frontiere de Ia Carniole & de 1'Efclavonie, comme ils apo. pellent Venden un pays fitué fur la cote de cette mer. Ces nations belhqueufes & fieres de leur bravoure, pnrent Ie nom de Slaves , qui veut dire braves & illuftres : ce n'eft que par corruption que les Grecs & les Romains les ont appellés, Sclaves, Sclabins, Sclavons. Ils marcherent fur les traces des Vandales, & occuperent fucceffivement toutes les contrées, dont ceux-ci s'étoient rendus maitresavant eux. Enfin,ils fe fixerent entre la Viflule & le Niefter. Les Antes, qui étoient lesplusbravesdentre eux, s'établirent entre ce dernier fleuve & le Danube. On les a confondus tantöt avec les Bulgares, tantot avec les Abares, paree que s'étant joints a ces peuples , ils ont fouvent marché fous leurs étendards. Ermanaric , le héros de la nation Gothique , les avoit foumis a fon Empire. Les Efclavons ne reconnoifioient qu'un Dieu maïtre de 1'univers & du tonnerre. Ils lui immoloient des victimes, ils lui faiioient des vceux dans  au Bjs'Empire. Lh. XLI. 83 leurs maladies. Mais ils rendoient un culte fubalterne aux fleuves , aux Nymphes 6c a quelques autres divinités : ils leur offroient des facrifices, & les confultoient fur 1'avenir. Ils n'avoient pour habitations que des cabanes fort éloignées les unes des autres; ce qui faifoit qu'ils occupoient un grand terrein. C'efl: pour cette raifon que les Grecs donnoient aux Efclavons 6c aux Antes le nom commun de Spons, c'eft-a-dire, difi ptrfés. Ils étoient de grande taille ÖC robuftes, avoient le teint bafanné6c les cheveux roux. Ils fupportoient avec patience la fatigue, la difette & toutes les incommodités de 1'air 8c des faifons. Ils changeoient fouvent de demeures , & choififfoient pat préférence des lieux efcarpés _6c impraticables ; ce qui les rendoit trés agiles. Leur nourriture étoit groffien & fans apprêt comme celle des Huns; auxquels ils reffembloient encore pai la malpropreté Sc par la franchife. L< millet étoit le feul grain qu'ils culti voient, méprifant d'ailleurs 1'agricul ture, 6c ne connoiffant d'autre oc cupation que la guerre, m d'autr JUSTINI EN. Ann. 530.  JUSTIN1EN. Ann. J30. 3 ' < 1 J t 1 ' t f H II I S T O I R E mérite qu'une bravoure féroce. Dans les batailles, la plupart combattoient a pied , fans autres armes qu'une rondache & deux javelots fort courts. Ils fe fervoient auffi de fleches empoifonnées , & ce poifon étoit fi fubtd , que fi 1'on n'y apportoit un prompt remede, foit en avalant quelque antidote, foit en coupant la partie bleffée, tout le corps étoit bientöt gangrené. Ils ne portoient point de cuiraffes; quelques-uns mêmes par oftentation de valeur alloient au combat nuds jufqu'a la ceinture. Palfionnés pour la liberté, ils fe gouvernerent en Démocratie, tant qu'ils demeurerent au-dela du Danube; 'orfqu'ils 1'eurent paffé, ils refuferent :onftamment de fe foulnettre aux oix Romaines, aimant mieux être naltraités par un compatriote, que le vivre heureux fous un gouvernenent étranger. C'étoit cependant le ieuple du monde chez qui les droits \e 1'hofpitalité étoient le plus refpecés. Non contents de recevoir humailement les étrangers , ils les efcoroient dans leurs voyages; ils les dé-ndoient contre toute infulte, & fe  nu Bas-Empihe. Liv. XL!. 5 faifoientun point d'honneur Jl |V'éhdre les armes pour les yenger. llsne retenoient les prifonnicrs en cfclavage que pendant un certain temps , après lequel ils leur permetioient de retourner en leur pays, ou de vivre en liberté avec eux. Leurs femmes étoient chaftes , & tellement attachées a leurs maris , qu'ordinairement elles fe donnoient la mort, plutöt que de leur furvivre. Les mauvais fiiccès de la campagne précédente affligeoient Cabade : il s'en vengea fur Pérolé , en lui faifant öter publiquement les marqués de la dignité de Mirrhane , c'eft-adire , de Commandant général des troupes de Perfe. Celui qui en étoit revêtu ne reconnoiffoit de fupérieur que le Roi; il portoit une efpece de diadême, c'eft-a-dire, un cercle d'or enrichi de pierreries. Tout étoit réglé dans 1'habillement des Perfes; il n'étoit permis a perfonne de porter ni ceinture, ni anneau , ni agraffc 4'or, ni aucune forte d'ornement. fi on ne 1'avoit recu du Prince. L'hyver ne fe paffa pas fans allarmes poui les Romains. Alamondare , chef d< JustiInn. 5 \°. Ann. 531. XXXIX. Incurfions d'Alamondare. Proc. Pcrf. I. I. c. 17. Makla , p. 57. 61 , 62 , 6S. Theoph. p. 151 » Mi. 1 ï 3Anaft. p. 58. Hifi. mifi. I. 16.  JUSTI. NIEN. Ann. 531. ] ] ] 1 86 HlSTOIRE tous les Sarrafins tributaires de la Perfe, ne leur donnoit point de repos. Ce guerrier infatigable ne ceffa pendant cinquante ans de fervir fidélement la Perfe, & fit a 1'Empire des maux infinis. II étendit fes ravages depuis les frontieres de 1'Egypte jufqu'en Méfopotamie. Toujours a chevaj, toujours le fer a la main , il pilloit les campagnes , détruifoit les édifices, entraïnoit des milliers de prifonniers, dont il égorgeoit les uns, & vendoit les autres. II étoit prefque auffi difficile de le joindre que de le vaincre. Prudent & circonfpect dans les entreprifes les plus hardies , il ne s'engageoit qu'après avoir fait reconnoïtre le pays, & fe retiroit fi a propos & avec tant de viteffe, qu'il étoit déja bien loin avec fon butin, lorfque les Officiers Romains fe mettoient en marehe pour l'aller combattre. Un jour il enveoppa des troupes nombreufes qui le jourfuivoient, & les fit tous prifonuers avec leurs Capitaines, Jean& pémoftrate , frere de Rufin, dont il ira une riche rancon. Les chefs des •arrafins, fujets de 1'Empire, ne pon-  nv Bas-Empire. Liv. XLI. 87 voient tenir devant lui, & ce fut en vain que Juftinien donna le commandement de plufieurs tribus d'Arabes a Aréthas, avec le titre de Roi. Aréthas, foit faute de courage ou de bonheur, foit par trahifon, fut prefque toujours battu. Alamondare s'avan?a jufqu'au voifinage d'Antioche, brüla les fauxbourgs de Chalcis, défola tout le pays, & au premier mouvement des troupes de Syrië, il regagnales déferts d'Arabie avec une foule de prifonniers. Peu de temps après, Diomede , Commandant de Phénicie, mécontent d'Aréthas, forca celui-c de fortir de la Province. Alamondare profita de cette occafion pour fe venger d'Aréthas; il fondit fur lui, & 1'obligea de fe fauver, laiffant a 1; merci de Pennemi fa femme & fe enfants. A cette nouvelle, tous_ le Officiers Romains qui fe trouvoien en Phénicie, en Arabie, en Méfopo tamie , raffemblerent leurs troupes Aréthas fe joignit a eux. Alamondare hors d'état de réfifter a tant de for ces réunies , s'enfuit dans le fond de déferts de 1'Arabie, oii jamais les ar mes Romaines n'avoient pénétré. Soj JUSTlNI EN. Ann. 531» t . t » S t  JUSTIKIEN. Ann. 551 1 » 1 1 8§ II I S T O I R E ■ camp fut pillé. Outre une grande .multitude de femmes, d'enfants, de , troupeaux , de chameaux, il s'y trouva quantité d'étoffes de foie; c'étoient les depoiulles de la Syrië. On recouvra pour lors les prifonniers qu'il emmenoit; on avanca jufqu'aux frontieres de Perfe , oü les Romains brülerent quatre chSteaux. Lorfqu'iis furent retournés en Syrië, Alamondare, outre de colere , raffembla en un feul iieu tous les prifonniers qu'il avoit enleves dans les courfes précédentes ; il leur déclara. qu'ils alloient payer de leur fang la perte qu'il venoit de faire', & fit fur le champ trancher la tête k plufieurs d'entr'eux. Les autres fe jettant a fes pieds lui demanderent quelque délai, pour envoyer dans leur patrie recueillir de quoi payer leur rancon : il leur ac:orda foixante jours. Taïzane , chef J une tnbu de Sarrafins , eut aflez i humanite pour fe rendre leur cau:ion. Ils dépêcherent auffi-töt a Anloche, pour y faire connoïtre le langer oü ils étoient, & pour denander du fecours. Leur requête éant lue publiquement dans la gran-  nu Bas-EmpirE. Liv. XLI. 89 de Eglife, tira des larmes de tout le peuple. Le Patriarche, le Clergé, les Magiftrats donnerent 1'exemple d'une abondante charité; & les habitants s'emprefferent tous de contnbuer , chacun felon fes moyens. Cet argent fut auffi - tot porté au Sarrafin , qui rendit la liberté aux prifonniers. Pour arrêter par une diverfion ces incurfions continuelles , 1'Empereur entreprit de fufciter aux Perfes de nouveaux ennemis du cöté de 1'Arabie. Juftin s'étoit lié d'amitié avec Elisbaan, Roi d'Ethiopie ; il 1'avoit aidé dans la conquête du pays des Homérites,oü ce Prince avoit établi pour Roi un Chrétien, nommé Abraham. Elisbaan, ayant renonce a \i couronne pour mener une vie pénitente , Helleftée lui avoit fuccédé Les Homérites, méprifanr Abraham qui n'étoit originairement qu'un firn ple fafteur d'un marchand Roman dans la ville d'Adulis, le détrönerent & mirent a fa place un Juif ou ui Idolatre , dont on ignore le norri Comme le nouveau Prince ^traito! les Chrétiens avec une extréme fi gueur, Helleftée vint lui faire la guer JUSTlNlEN. A.nn. 531. XL. Rcvolution chez les Homérites.Proc. Perf. I. 1. c. 20. Malela , p. 67 , 68. Pap. aii Bar. Nonnofns, apud Phatium cod. ■ 3. p. 6. > 1 t l t  Juftinien.Ann. jji. i ] I ] < ( C c t c I c c r< rr 9° Histoire re ; il défit fes troupes , le tua dans e combat, & mit la couronne fur la tete d'un Chrétien du pays, nommé Efimiphée, a condition qu'il payeroit rribut è 1'Ethiopie. Après cette expédition , Helleftée retourna dans fon Royaume ; mais il ne ramena pas routes fes troupes. La beauté du climat & la richeffe du pays en retinrent un grand nombre. Peu de temps après, ces déferteurs ayant foulevé plufieurs habitants , exciterent une fédition contre Efimiphée; ils fe faiirent de fa perfonne, 1'enfermerent lans une fortereffe , & remirent A>raham fur le tröne. Helleftée, pour hffiper cette rébellion, envoya trois nille hommes , commandés par un Ie fes^ parents. Mais ces foldats , harmés eux-mêmes de la fertilité de ette heureufe contrée , traiterent feretement avec Abraham ; & au moientde la bataille, ils tuerent leur bef, & fe joignirent aux Homérites. e Roi d'Ethiopie envoya une fe3nde armée qui fut taillée en pie?s. Enfin , il prit le parti de laiffer :gner Abraham. Celui-ci , après la ort d'Helleftée, s'affura de la paix  nu Bas-Empire. Lh. XLI. 91 avec PEthiopie , en fe foumettant a ■ payer un tribut. Pendant qu'Helleftée régnoit en Ethiopië, & Efimiphée fur les Homérites , Juftinien leur députa Julien, un de fes Secretaires, & Nonnofe, pour repréfenter a ces deux Princes, qu'étant déja unis avec lui par la profeffion du Chriftianifme, ils devoient le fecourir contre les Perfes. Les députés étoient chargés d'inviter en particulier le Roi d'Ethiopie a fe rendre maïtre du commerce de la foie, qui jufqu'alors fe faifoit par la Perfe , & atirer immédiatement deslndiens cette marchandife, pour la tranfporter par le Nil a Alexandrie; ce qui procureroit a fes Etats un profit immenfe, & aux Romains 1'unique avantage de ne pas faire paffer leut argent entre les mains de leurs ennemis. Ils devoient aufii engager le Roi des Homérites a rendre a Caïfe h commandement des Maaddéniens, & h 1'envoyer a leur tête faire une incurfion dans la Perfe. Ce Caïfe étoi un Prince Sarrafin , trés - vaillant & fort attaché au fervice de 1'Empire Son fils Mavias étoit même alor, JUSTINIEN. A.nn. s 3 x, XLI. Juftinien a recours aux Ethiopiens& aux Homérites. p  JUSTINIEN. Ann. 531, j 1 i j ( 2 ?a // / S T O I R E dansle palais de Juftinien en qualité d o age Ma1S Caïfe ayant tuéun parent d Efimiphée, avoit été oblieéde prendre la fuite, & menoit une vie errante dans les déferts de 1'Arabie. Les Maaddemens étoient des Sarraims, voifins & tributaires des Homentes. Lesenvoyésallerent d'abo^d en Ethiopië , oh ils furent bien recus. Un Auteur voifinde ce temps-ladécrit ainfi cette audience. Le Roi étoit monte fur un char a quatre roues couvertde lames d'or, & attelé de quatre elephants. II étoit nud jufqu'a la ceinture, ne portant fur fes épaules qu une tunique ouverte par-devant, & femee de perles. II avoit des braf(elets d or. Sa tête étoit couverte d'un turban de toile de lin brochée d'or, i 011 pendoient de chaque coté quaere chaïnettes d'or. II portoit un colier de même métal, & tenoit d'une nain une rondache dorée , & de 1'aure deux demi-piques. Autour de lui :toient rangés fes courtifans fous les rmes, entremêlés de muficiens qui ouoient de Ja flüte. Les Ambaflaleurs Ie faluerent les genoux en tere; le Roi les ayant fait relever &  du Bas-Empire. Liv. XLI. 93 ) approcher de lui, prit de fes mains la lettre de 1'Empereur , baifa 1'empreinte du cachet, re9ut les préfents qui lui étoient offerts; & après avoir fait lire la lettre par un interprete, il expédia fur le champ des } ordres pour faire marcher fes trouI pes , & envoya par écrit au Roi de j Perfe une déclaration de guerre. Enfuite , après avoir embraffé Julien & Nonnofe , il les congédia avec honneur, & dépêcha de fa part un Amli baffadeur a Juftinien , avec une lettre & de riches préfents. II paroï' I par le récit de PHiftorien , quetoutes ces opérations furent terminée dans une feule audience. Comme le députés alloient d'Auxume a Adulis 1 éloignée de quinze journées de che min , d'oü ils devoient paffer en Ara bie , ils rencontrerent dans une vafl plaine un troupeau de cinq mille ék phants qui paiffoient en liberté, l dont perfonne n'ofoit approcher. I Roi des Homérites promit auffi to ce que 1'Empereur defiroit. Mais 1 grand empreffement ne fut fuivi d'a cun effet de part ni d'autre. LesEthi piens ne pouvoient enlever aux P< JUSTINI EN. Ann. 531. » e 'Z ,e it :e uo:r-  JUSTINIEN. Ann. 531. i 3 < j \ XLII. Les Per C fes paf- v fenr 1'Eu- f phrate. U Proc. Perf. fj l. I. c. 18. Malela,p. | (>9, 70. » 94 H I s t 0 I n e les le commerce de la foie ; ceux-ci > par ïe voifinage de 1'Inde, attirant cette marchandife dans leurs ports. Ils ne pouvoient non plus pénétrer dans la Perfe , qu'après un long & pemble voyage au travers des fables &dss vaftes déferts de 1'Arabie. Cette même raifon mit Efimiphée horsdetat detenir parole. Dans la fuite, Abraham, après avoir afFermi fa puiffance, réitéra fouvent a Juftinien la même promeffe: il fe mit même une fois en marche; mais bientöt les dificiiltés le rebuterent, & il revint fur res pas. Ce fut-la tout le fruit que ruftinien retira de cette ambaffade. 2uelque temps après, Caïfe, laiffant e commandement de fon pays a fes leux freres , fe retira k Conftantino»le avec un grand nombre de fes fuïts, & re^ut de 1'Empereur le gouernement de la Paleftine. Cependant Alamondarp, après les ourfes qu'il avoit faites durant 1'hyer, étoit retourné en Perfe. II rafira Cabade, qui fembloit avoir peru courage, lui repréfentant » que le moyen de vaincre les Romains n'etoit pas de les combattre en Mé-  ï dü Bas-Empire. Liv. XLI. 95 j » fopotamie, oü leur frontifre éroit » defendue par des places fortes &. » de nombreufes garnifons ; qu'il fal- | » loit aller les attaquer au-dela de | » 1'Euphrate dans le cceur de leurs f »> Etats, ou 1'on trouveroit des vil- | » les ouvertes & fans défenfe; que I » pour fe rendre maitre d'Antioche, | » capitale de 1'Orient, il ne feroi! J » befoin que de fe préfenter ; que i » cette ville voluptueufe, occupée ij ♦> fans ceffe de fêtes & de fpeöacles, » ne craignoit rien moins qu'une at- 4 » taque foudaine. Prince, lui dit-il. * » vous verrez k vos pieds toutes les I » richefles d'Antioche & fes habi« » tants enchainés, avant que les trou<) » pes Romaines cantonnées en Méil » fopotamie, ayent rec^i le premier s| » avis de notre paffage. Je connois i] » le pays; je conduirai votre ar« » mée par la route la plus füre & h » la plus commode ". Cabade, en> ] couragé par ce confeil, nomma poui j Général Azarethès , guerrier vaillanl 5 & habile; il ne voulut cependant lui I donner que quinze mille hommes; 1 mais c'étoient les meilleures troupes i de la Perfe. Alamondare fut chargé JUSTIK1EN. Ann. 531. Jorn. de regn. fut-  JUSTINI EN. Ann. 531. 96 H I S T O I R E de la conduite de 1'armée. Les Perfes pafferent 1'Euphrate en Affyrie, & remonterent le long du fleuve vers la Commagene. Bélifaire , qui étoit en Méfopotamie vers Nifibe, n'eut pas plutöt appris leur marche, qu'il garnit de foldats les places du pays pour les mettre en état de défenfe, en cas que Cabade les fit attaquer par une autre armée. Ayant enfuite raffemblé le refte de fes troupes, il paffa TEuphrate a Samofate, & marcha en diligence a la rencontre des ennemis. II avoit avec lui vingt mille hommes, dont deux mille étoient Ifaures & Lycaoniens. Les chefs de la cavalerie étoient les mêmes qu'a la bataille de Dara. Pierre commandoit 1'infanterie; Longin & Stéphanace les Ifaures. Aréthas joignit 1'armée avec cinq mille Sarrafins. Bélifaire marcha jufqu'a BarbalifTe prés de Chalcis, dont les ennemis n'étoient éloignés que de cinq lieues. Ils campoient au pied d'un chateau nommé Gabbule; & de crainte de furprife, ils avoient femé des chauffes-trapes autour de leur camp, ne laiffant qu'un feul palTage. Sunica, è la  nu Bas-Empire. Lh. XLI. 97 la tête d'un corps de quatre mille cavaliers , s'avanca jufque fur leurs derrières, fans en avoir re$u d'ordre, & tomba fur une troupe de Perfes qui pilloient le pays. II tua les uns, & enleva les autres pour en tirer des lumieres fur les deffeins de Pennend. Bélifaire fut mauvais gré a Sunica d'avoir agi fans ordre; 6c ce Général, févere fur 1'obfervation de la difcipline , alloit lui öter le commandement, lors qu'Hermogene arriva avec un renfort de quatre mille hommes. Celui-ci obtint grace pour Sunica. Azaréthès & Alamondare , furpris de la diligence de Bélifaire, réfolurent de retourner fur leurs pas: mais avant que de partir, ils eurent la hardieffe de forcer pendant la nuit le chateau de Gabbule, qu'ils pillerent; &z chargés de bu> tin, trainant a leur fuite les prifonniers, ils regagnerent PEuphrate, & marcherent le long du fleuve qu'il: avoient a leur gauche. Les Romain: les fuivoient a la diftance d'une jour née, en forte qu'ils campoient ton: les foirs oü les Perfes avoient camp< la nuit précédente. Bélifaire ne vou Torna IX, E, JUSTINIEN. Ann. 5 ju  JUSTIK1£N. Ann. 531. XLTII. Bélifaire eft forcé attre, il les affembla pour leur faire ntendre que cette ardeur étoit tout-  nu Bas-Empire. Liv. XLI. 99 a-fait inconlïclérée : Qu'ejl-il befoin , leur dit - il, de verfer notre fang ? la terreur a de/a vaincu les ennemis. lis fuyent , pourquoi donc entreprendre de les mettre en fuite ? La vicloire ejl entre nos mains ; nous voulons nous en deffaijir, & l'abandonner au hafard d'une bataille. Dieu refufe fon fecours aux témeraires qui fe jettent de gayeté de cczur dans le péril. Qui fait fi le difefpoir n'infpirera pas de nouvelles forces aux ennemis , tandis que les nótres font affoiblies par le jeüne & par la fatigue cCune longue marcke ? Toute 1'armée 1'inter; rompt par des cris; les plus féditieux, ! confondus dans la foule, 1'accablent t d'injures. Plufieurs Officiers, par une | folie affecf ation de bravoure, imij tent 1'infolence du foldat. Bélifaire j voyant qu'il étoit impofïïble de réfifter a cette fougue impétueufe, & voulant du moins fauver 1'honneur du commandement, change de langage : Je voulois éprouver votre courage 5 leur dit-il, je fuis content, camarades} I & vous alle^ l'être. Combattes^ avec auj tant d'ardeur, que vous demande^ la bataille. II range fon infanterie au bord 1 du fleuve ; il pofte a 1'aïle droite E ij JUSTl- NIEN. Aan. 5 31.  JUSTIN I EN. Ann. 531. . i XLIV. Bataille j de Calli- 1 nique. ] 3 C f c F a i 1 e l l < X É roo H I S T 0 I R E Aréthas & fes Sarrafins; il fé placé W centre a la tête de ia cavalerie, Azaréthès de fon coté anime fes gens iar la néceffité de vakere ou de mou•ir; il pofte les Perfes a 1'aïle droite, es Sarrafins a 1'aïle gauche, & fait bnner la charge. On fe battit d'abord a coups de leches, en quoi les Romains avoient 'avantage. Les Perfes étoient plus tdroits & tiroient plus vïte .: -mais eurs traits rencontrant de fortes cui •afles, des cafques & des boucliers . 1'épreuve , n'y pouvoient pénétrer; u-lieu que les arcs des Romains teniis avec plus de force par des bras lus vigoureux, décochoient des flehes meurtrieres; les Perfes n'ayant oint d'armes défenfives, ou n'en yant que de mauvaifes. Dans les itervalles des décharges, des cavaers s'avancoient de part & d'autre ntre les deux armées, & faifoient arade de leur valeur. Du cöté des 'erfes , Andrazès & Naaman , fils 'Alamondare, furent tués dans ces ombats finguliers. Du cöté des Roïains, Stephanace y perdit la vie, cAhrus, Capitaine Sarrafin , fut fait  jyv Bas-Empire. Liv. XLI. iot prifonnier. Enfin , les armées k mêlerent : les deux tiers du jour étoient déja paffes, Sc la viftoire étoit encore indécife , lorfque les plus braves des Perfes s'étant réunïs pour former un efcadron , fondirent fur 1'aïle droite oü étoit Aréthas avec fes Sarrafins; ceux-ci prirent fi promptement la fuite , qu'ils donnerent lieu de les foupconner de trahifon. La terreur fe communiqua aux Ifaures Sc aux Lycaoniens; c'étoient la plupart des payfans, tirés de la charme , Sc qui n'avoient jamais vu d'ennemis; ils ne firent pas même ufage de leurs armes; ils avoient cependant crié plus haut que les autres pour demander la bataille Sc pour infulter Bélifaire. Ils périrent prefque tous, foit par 1'épée des ennemis, foit dans 1'Euphrate oü ils fe précipitoient , efpérant de le paffer a la nage. Les Perfes , après avoir renverfé ces efcadrons , envelopperent la cavalerie Romaine, & la prirent k dos. Elle fit peu de réfiftance; la plus grande partie fe jetta dans le fleuve, Sc gagna les ifles voifines , tandis que les plus vaillants au nombre de huit cents difputoient enE iij JUSTINIEN. Ann. 531»  JUSTINIEN. Ann, 53 i 1^2 H I S T 0 I R E core le terrein, & vendoient bien cher leur vie. Avec eux périt Afcan, qui ne cefla de combattre jufqu'au dernier foupir. Bélifaire,accompagné de Sunica &c de Simmas, tint ferme dans fon pofte , & repouffa toutes les attaques, tant qu'il fut fecondé de la valeur d'Afcan. Mais après la perte de ce brave Officier , il fe retira dans le gros de 1'infanterie, qui, fous la conduite de Pierre , n'avoit pas encore été entamée. Bélifaire mit pied a terre, & commanda aux autres cavaliers d'en faire autant. Ce bataillon, quoique peu nombreux, ayant reculé jufqu'au bord du fleuve poi* n'être pas enveloppé , foutint avec un courage opiniatre tous les efforts des affaillants. II ne fut pas poffible de le rompre ; ferrés corps contre corps, hériffés de piqués, couverts de leurs boucliers, les Romains montroient de toutes parts un front redoutable, & portoient plus de coups qu'ils n'en recevoient. En vain, les cavaliers Perfes s'abandonnerent fur eux a plufieurs reprifes; ils furent autant de fois forcés de tourner bride; les chevaux, épouvantés du bruit  nu Bas-Empire. Liv. XLI. 103 des boucliers, que les Romains frappoient de leurs épées, fe cabroient & renverfoient leurs cavaliers. Dans ceschocs réitérés, on tua auxPerles deux Officiers généraux, & Sunica fit prifonnier Amerdac, renomme pour fa valeur, après lui ayoir abattu le bras d'un coup de fabre. On pourfuivit même les Perfes 1'efpace de deux mille pas. Mais la nurt etant furvenue , les combattants fe feparerent. Les Perfes retournerent a leui camp, & Bélifaire ayant trouve ur bateau, fe retira dans une ïfle du fleu ve, oii un grand nombre de fuyard s'étoient fauvés a la nage. Le lende main les habitants de Callmique leu envoyerent des barquespour les tranl porter dans leur ville. Les Perfes f remirent en marche, après avoir depouillé les morts, entre lefquels 1, ne trouverent pas moins de leurs io dats que d'ennemis. Quoique cette bataille eut coti! beaucoup de fang aux Perfes, el! étoit fans doute glorieufe a leur che II avoit défait une cavalerie prefqi doublé de la fienne, & remporte 1 avantaee fur un Général, auquelc ö E iv JUSTL-, UIEN. Ann. $3^ 1 S é XLV, e Azarethès mal recii t. de Caba-» e de, n 'U  JUSTINI EN. Ana, jji, i < 1 1 1 C C f t f r c q d l04 H i s t o i A s pouyoitmême céderfans honte. Toutetoisau-heu d'une récompenfe, il ne trouva qUlngratitude auprès. de Cabade. Cetoit en Perfe une ancienne coutume, qu'une armée prête a parJjr, paffat en revue devant le Roi, fnJfl6 'tT enpaffant une fleche dans des corbeilles, qu'on fcelloit enfuite du fceau royal. Au retour de 1'expédition, 1'armée défi- 1 Chaittas étoit campé k quatre ou cinq ïeues avec fon armée; mais avec des orces trop inégales, pour hafarder me bataille. Un feul homme répara ous ces défavantages. Un Ingénieur tomain, qui s'étoit enfermé dans la 'lace, fut rendre inutiles tous les afauts, toutes les mines des amegeants. I oppofoit aux tours que les Perfes  du Bas-Empize. Liv. XLI. 109 élevoient pour battre la ville, des tours encore plus hautes. Faute de machines a lancer des pierres, il démoliffoit les édifices, & en faifoit tranfporter les colonnes fur la muraille, d'oü les précipitant fur les ennemis, il en écrafoit un grand nombre. Les Perfes faifant tous les jours de nouvelles pertes, commencoient k craindre que Sittas ne devint affez fort pour les envelopper. Dans ces conjeftures , ils furent encore frappés d'une autre crainte. Un de leurs efpions , qui les trahiffoit, vint ayertir Sittas que les Perfes attendoient un grand renfort de Huns. Sittas, après s'être affuré de la vérité de eet avis,, engagea Pefpion k force d'argent a retourner au camp des Perfes , poiu dire au Général, que les Huns k trompoient, & qu'ils s'étoient laiffé: corrompre par les Romains, poui 1'attaquer au-lieu de le fecourir. C< faux avis jettoit le Général ennem dans de mortelles inquiétudes. Tant de mauvais fuccès caufoien a Cabade beaucoup de dépit. On at tribua au chagrin qu'il en con9u la paralyfie dont il fut attaqué le hui JUSTINIEN. Ann. 531. L t LI. Mort da Cabade. t Proc.Ptf. - U i.c. 11,  JfUSTIKI ENT. Ann. jji. & l. 2. c. 9- Agatk. I. 4- Malela, p. Pagi ad Sar. Herbdot, bibl. Or. Chofroïs. AJfemani bibl. or. t. iH.p.^Oj. I ( < < < i i I l. t i g a ü "O HlSTOIRB tieme de Septembre. Perfuadé qu*ÏI ne releveroit pas de cette maladie, d fit venir Mébodès, Seigneur Perfe, en qui il mettoit fa principale confiance. JJ lui déclara qu'ayant réfolu de laiffer fa couronne a Chofroës , le troifieme de fes fils , il craignoit qu'après fa mort fes intentions ne fuffent pas fuivies. Metten-mm Qulement entre les mains , lui répondit Mébodès, un acle authentique de vos iernieres votontés; je fuis bien fur que '■es Perfes n'oferont le contredire. Ca3ade lui difta un teftament par le}uel il déclaroit Chofroës fon fuc:e(Teur, & mourut le cinquieme jour le fa maladie , après un regne de [uarante & un ans. La cérémonie les funérailles étant achevée, Caoës, 1'ainé de fes fils, prétendoit, slon la coutume , monter fur le tröe par le droit de fa naiffance: Méodès s*y oppofa, difant que nul tre ne donnoit droit h la couronne e Perfe, fans le fuffrage des Seineurs de la nation. Caofès, fe croyant furé de l'affe&ion publique, cön'ntit a 1'éleftion propofée. On afmbla la nobleffe du Royaume. Tous  du Bas-Empi&z. Liv. XLI. m les voeux fe réuniffoient en faveur de Caofès. Mais lorfque Mébodès eut fait la lecture du teftament de Cabade , ce Prince abfolu Sc redoutable régnoit encore avec tant d'empirefur les efprits, que tous, d'une voix unanime , proclamerent Chofroës Roi de Perfe. L'hiftoire 1'appelle le grand Chofroës. Les Orientaux lui donnenl le furnom d'Anoufchirvan, qui figni fie ame généreufe. Ceft 1'Alexandre des Perfes. Ils le preferent pour fes victoires, fa grandeur d'ame Sc fa haute fageffe a tous fes prédéceffeurs, fan: en excepter Cyrus. II fut honoré di furnom de Jup, titre plus glorieu: pour un Souverain 411e celui d< grand. Telle eft 1'idée que les Hifto riens Orientaux donnent de Chol roës. Les Auteurs Grecs contempo rains font de ce Prince tut portrai bien différent. Ne pouvant lui refu fer les qualités du Conquérant, il lui attribuent les vices les plus odieu duMorrarque, 1'injuftice, la cruauté 1'avarice, la perfidie. Ses viftoires or fait tant d'honneur aux Perfes Sc tai de mal aux Romains, qu'on doit ég lement fe dcfier de la flatterie d( JUSTIN1EN. Ann. 531. L t S K. » it it 1- IS  JüSTlNIEN. Ann. J31, i J | f < C i l 1; c; • i 112 H I S T O I R £ uns & de la haine des autres. Le caraftere de Chofroës eft un problême infoluble. Tant il eft dangereux pour un Prince jaloux de fa gloire, dirnter une nation favante, qui fait parler k la poftérité. Quoiqu'il foit mjufte de s'en rapporter k des témoins ennemis, je fuis cependant force de fuivre ici les Ecrivains Grecs, ieuls monuments que j'aye entre les mams. Mais j'avertis d'avance que |e me défie moi-même de tous les traits dont ils noirciffent les aöions Je Chofroës. Je ne puis toutefois -Jmettre un récit d'Agathias, qui porte beaucoup de caraftere de vérité. -hofroes, ayide de toute forte de jloire, fepiquoit de Pbilofophie : il tvoit fait traduire les onvrages de 5|aton & d'Ariftote. Sept des plus :elebres Philofophes de 1'Empire , [ui ne pouvoient goüter les dogmes ^ la Rehgion Chrétienne , & qui raignoient la rigueur des édits, fe )ignirent enfemble pour paffer en n ,Comme ils ne connoiffoient 1 Perfe que par la Cyropédie, &z u ils étoient prévenus des brillantes lees de Platon,, ils s'attendoient è  nu Bas-Empire. Liv. XLI. 113 vivre heureux dans un pays 011 ils ! verroient un Roi Philofophe , & des fujets fans doute vertueux. Chofroës recut avec complaifance cette favante colonie; il les admit dans fa familiarité la plus intime. Mais ils ne furent pas long-temps a revenir de leur enchantement. Ils s'appercurent bientöt que l'affe&ation de philofophie n'étoit dans le Prince qu'une vanité frivole, qu'il n'entendoit rien a leurs fublimes fpéculations, & qu'a la place des préjugés, dont il fe prétendoit affranchi , il avoit recu dans fon ame tous les vices d'une éducation voluptueufe & d'un orgueilleux defpotifme. Ses fujets leur parurent la nation du monde la plus corrompue, qui ajo'utoit aux défordres communs k tous les peuples, des ufages monftrueux 6c contraires k la nature. Ils réfolurent de retournei dans leur patrie. En vain le Roi mn tout en oeuvre pour les retenir ; il; aimoient mieux mourir en mettan le pied fur les terres de 1'Empire que de vivre honorés au milieu de Perfes. Ils retirerent néanmoins di leur voyage un fruit très-précieux ; JUSTI- Vnn. 551. » l  JUSTINIEN. Ann. 531, 1 i 1 t 1 s b 11 Ir4 H I S T O I R E des hommes entêtés d'Hellénifme, Dans le premier traité que Chofroës nt avec les Romains , il ftipula en leur faveur qu'ils ne feroient point inquietes au fujet de la Religion; & ious la proteclion du Roi de Perfe, ils vécurent tranquilles au milieu de l Empire. Peu de temps après, Chofroës fe crut avantageufement déiommagé de leur perte. II y avoit \ Conftantinople un mauvais .Méde:in t nommé Uranius, qui, faute de uccès dans fon art, s'avifa d'arboer 1'étendard de la Philofophie. Etant ïxtrêmement ignorant, il choifit Ie yrrhonifme, comme la fefte la plus jommode , qui , fans aucun fraix 1 etude, demandoit feulement une mpudence intrépide, une voixforte 'f. hifatigable, une extréme volubiite de langue. Avec ces heureux alents, qu'Uranius pofTédoit au plus iaut degré, il fe fit bientöt un grand om. AfTïs tout le jour dans les bou» iques des Libraires, il y débitoit fes iqons. C'étoit dans ces réduits que affembloient alors au fortir de tale les Métaphyficiens de Conftantiople. Allumés par les vapeurs du  nu Bjs-Empire. Liv. XLI. 115 vin ou de la mélancolie , ils y traitoient k grand bruit les queftions les plus relevées fur la nature de Dieu , fur 1'éternité du monde , fur 1'unité de principe. La difpute le tranchoit toujours par des iniures; ou des plaifanteri.es, & les décifions d Uranius étoient des oracles. S'ennuyant enfin de méprifer les ncheffes, il réfolut d'en effayer ; & fur la reputation de Chofroës, il jugea fort feniément, que la Cour de ce Prince étoit la feule au monde, ou la tortune put atteindre un Philofophe te que lui. II s'infmua par intrigue < la fuite d'un Ambaffadeur que 1'Em' pereur envoyoit en Perfe. La gra vité de fon maintien & la fingularrt de fon extérieur frappa d'abord 1 Roi qui voulut 1'entretenir, &C qu fut charmé de la profondeur de fe connoiffances, & de la hardieffe d fes décifions. il le' mit aux pnfe avec les Mages , qu'Uranius decor certa. II le combla de biens & d'hor neurs, & lorfqu'Uranius fut reven comme en triomphe k Conftantim ple , le Roi entretint avec lui i commerce philofophique. Uranni! JUSTINIEN. Ann. 531. I i s e s u )- n 11  JUS TINIEN. Ann. y 31. w. Incur. fions des Huns. Prac.Perf. *■ t.C. 21, ' 22. j MaUla, p. 1 7*. 1 Chr. Edcff. . *?ud. Ajjf;. maai. J r F c ft r; r< ai in v; re C P< f*Ö H I S T 0 I R £ ayant è raconter tant de merveilles « a montrer tant de Iettres du Roi de Perfe en devint beaucoup. plus infupportable, & Chofroës demeura plus ignorant, mais plus préfomp- t"ej^qU'aUparavant Tel eft le reat dAgathias. Revenons aux affaires de Perfe. La nouvelle de la mort de Cabade arnva devant iVfartyropolis, dans Ie temps que Sittas 3c Hermogene trair :oient avec le Général des Perfes >our 1'engager a lever le fiege. Cet :venement joint k la crainte des Huns it confentir Merméroès a s'éloiener * a dehyrer des paffeports aux dé•utes quon envoyoit k Chofroës, our lui faire des propofitions de aix. Les Romains donnerent pour tages deux Officiers de marqué, lartin 3c Senécius; 8c les Perfes fe ipprocherent de Nifibe. A peine 'nt-ils retirés, que les Huns Sabirs ■nverent devant Martyropolis, conv e ils en étoient convenus. NV troumt plus 1'armée des Perfes, ils fe pandirent jufque dans la feconde ■ucie 3c dans la Commagene; & •rtant par-tout le ravage, ils avan-  nu Bas-Empire. Liv. XLI. 117 cerent jufqu'a quatre lieues d'Antio- che. Comme ils retournoient chargés de dépouilles, Dörothée'les attendit j au paffage des montagnes d'Arménie, les furprit dans plufieurs embufcades, & leur enleva une grande partie de leur butin. Les troubles excités dans la Cour de Perfe au commencement du nouveau regne, difpoferent Chofroës a écouter les pröpofitions de 1'Empereur. Hermogène , accompagné de Paifin, d'Alexandre.& de Thomas, allerent le trquver fur le bord du Tigre. Dés .qu'il les vit arriver , il donna ordre de relacher les deux ötages. Les Ambaffadeurs s'étant infinués dans ï'efprit du Prince par des adorations & des flatteries, qui ne s'accordoient guere avec 1'ancienne fierté Romaine-; Chofroës promit de ceffer la guerre a ces conditions : Qu'on lui compteroit on^e mille Livres d'or; que le Commandant des troupes de Méfopotamie ne réfideroit plus d Dara, mais d Conflantine, comme autrefois ; que les Romains remettroient d Chofroës lesfortereffes -de Pharange & de Bole, fans qu'il fut obligédeleur rendre aucune dts "JUS TINIEN. iiln. 531, LUI. Négociaion pour a paix. Proc. Per/. !. U c. 14. Malela , p, 73 > 76. Theoph. p, 153. M4. Mare. Chr. Jorn. fuc cetf. Zón. p. 61. Chr. Edeff, apud Affemanu  JUSTIWtEN. Ann. 531. ( j t I i 3 > t a c tl & q p c fé aF ét re q* vc pl; Pi US HlSTOlRE Places dont les Perfes s'étoient emparls dans lalanque. Les AmbalTadeurs confentoient ètout, excepté au dernier article; ils ne pouvoient, difoientds, nen conclure fur ce point, fans i etre affurés de 1'intention de leur vfaïtre. Chofroës leur accorda pour :et effet un délai de foixante & clix purs; & Rufin partit pour Conftaninople , oii il obtint le confentenent de 1'Empereur. Pendant fon ab, snee, le bruit courut en Perfe que uftinien avoit rejetté avec indignaon les conditions propofées, .& qu'il voit même fait mourir Rufin. Sur ?tte faufle nouvelle , Chofroës s'é«f mis en marche avec fon armée; : il approchoit déja de Nifibe, lorf1 d rencontra Rufin qui revenoit en ;rfe avec 1'agrément de 1'Empereur. ette ville fut choifie pour les conrences, & les Ambaffadeurs y firent porter la fomme ftipulée. A peine oit-elle dépofée dans la ville, qu'on fut im contre-ordre de Juftinien, si révoquoit la permiffion qu'il a'it donnée, de céder aux Perfes les ices de Lazique. Cette variation de ■mpereur excita la colere de Chof-  nu Bas-Empire. Liv. XLI. 119 roes ; il déclara qu'il n'entendroit ■ plus a aucune propofition. Rufin, au défefpoir de voir le traité rompu, & 1'argent entre les mains des Perfes, fe jetta aux pieds du Roi, le fuppliant de lui remettre cette fomme, & de fufpendre fes opérations militaires, jufqu'a ce qu'il eut fait un nouveau voyage a Conftantinople; qu'ily alloit de fa viefi 1'argent ne lui étoit pas rendu; & qu'il efpéroit amener C Empereur d des conditions dont le Roi feroit fatisfait. Chofroës aimoit Rufin : ce négociateur étoit connu a la Cour de Perfe, oü il avoit été député plufieurs fois; il avoit gagné par des préfents 1'amitié de Cabade & des principaux Seigneurs. La Reine, mere de Chofroës, lui étoit auffi très-favorable, paree qu'il avoit contribué a perfuader a Cabade de laiffer la couronne a Chofroës au prejudice de fes ainés. Elle joignit donc fes inftances a celles de Rufin , & obtint de fon fils qu'il rendroit 1'argent, &C qu'il repafferoit le Tigre, pour y attendre la réponfe de Juftinien. Rufin & Hermogène reprirent la route de Conftantinople, & les autres Ambaffadeurs fe retire- JUSTINI EN. Inn. 531.  JUSTINI EN. Ann. 531. i i i < ï 3 •1 <. ! 120 HlSTOIRE rent a Dara avec les onze mille livfes d'or. Jaloux du grand crédit de leur collegue auprès de Chofroës, ils écrivirent a la Cour que Rufin trahiffoit 1'Empire. Mais 1'Empereur, loin d'ajouter foi a cette calomnie, renvoya bientöt Hermogene & Rufin avec des propofitions qui furent fur le champ acceptées par Chofroës. On convint qu'on rendroit de bonne foi de part & d'autre toutes les places prifes dans cette guerre, ainfi que tous les prifonniers ; que les fortereffes de Pharange , de Bole, & les mines de Perfarménie feroient remifes aux Perfes; que le Commandant de Méfopotamie ie réfideroit plus a Dara ; qu'on laifreroit aux Ibériens, retirés k Conflanmople , la liberté de demeurer dans Empire, ou de retourner en Ibérie. Dans Pafte du traité, les deux Princes. ë donnoient réciproquement le titre le Frere, & promettoient de s'aider nutuellement de troupes & dargent, ünfi fe termina cette guerre qui duoit depuis trente ans. Le traité ne fut igné qu'en 533. Dagaris qui avoit té pris en Arménie fut échangé, &c endit dans la fuite des fervices figna- lés;  nu BaS-E&FÏRÉ. Liv. XLI. réi lés; il défit les Huns en plufieurs rencontres , & les chaffa des Provinces qu'ïls infeftoient par leurs courfes. Si 1'on en veut croire les Auteurs Grecs, Chofroës tenoit de fon pere ce caracfere violent, impétueux, inquiet, qui avoit fait le malheur de Cabade & de fes fujets. Dès les premiers mois du nouveau regne, les Seigneurs de la Perfe, mécontents du gouvernement, formerent le deffein de fe donner un autre Roi. Zamès, fecond fils de Cabade, avoit gagnd par fes grandes qualités le cceur d< toute la nation; mais , felon la lo du pays , la perte d'un ceil le rendoi inhabile a porter la couronne. Or réfolut de la donner au fils de Zamès nommé Cabade , ainfi que fon aïeul C'étoit un enfant dont Zamès devoi être le tuteur;en forte qu'une longue minorité procureroit a la Perfe toute: les douceurs d'un heureux gouverne ment. Zamès donna les mains a c< projet; & 1'on n'attendoit plus qu'un< occafion de fe défaire de Chofroës lorfque le complot fut découvert Chofroës fit maffacrer Zamès & tou fes freres avec leurs enfants males Tornt IX. F. JUSTIN1EN. Ann. 531. LIV. Confpiration contre Chofroës. Proc. Per/. I. I. c. 23. \ ? f 1 t 5- 4  JUSTINIEN. Ann. jji. LV. Mort d'Aderguduinbade, < i 1 i F t l d ■\ a o v f; k m // / s t o i r e Les Seigneurs qui avoient trempé dans la confpiration , furent mis k mort; Apébede, oncle du Roi, ne fur pas épargné. L'enfant, auquel on deflinoit la Royauté, ne pent pas dans ce maffacre. II étoit entre les mains d'Adergudumbade, qui le premier avoit reconnu Cabade pour Roi, lorfqu'il ïtoit revenu dans fes Etats k la tête i'une armée de Huns. Ce Seigneur, juiffant & renommé pour fes vicoires, après avoir conquis & réuni ',ja.Per^e ;^ouze nations barbares, 'étoit retiré dans fon gouvernement, )ü il élevoit le fils de Zamès, que fa emme avoit elle-même alaité. Chofoës n'ofant ufer de violence contre n homme de ce caraöere, & comtant d'ailleurs fur fa £délité, lui deïanda de faire périr le jeune Cabade. e Gouverneur communiqua eet orre cruel k fa femme, qui fe jettant fes genoux, & fondant en larmes, btint de lui qu'il épargneroit une ie pour laquelle elle étoit prête k crifier la fienne propre. Ils prirent parti de cacher l'enfant, & deré)ndre au Roi que fes ordres étoient  du Bas-Empire. Liv. XLI. ias exécutés. Ce fecret n'étoit connu que de Varrhame, leur fils, 6c d'un efclave. Lorfque Cabade fut devenu grand , Adergudumbade , craignant quelque indifcrétion , lui donna une fomme d'argent 6c la liberté d'aïler chercher un afyle hors de la Perfe. Quelque temps après, Chofroës partit pour la Lazique, 6c fe fit accompagner de Varrhame. L'efclave qui étoit dans le fecret, fuivit le fits de fon maïtre. Dans ce voyage, Varrhame découvrit tout au Roi, 6c ce fils dénaturé prouva ce qu'il avanCoit, par le témoignage de l'efclave. Chofroës, quoique très-irrité, ufa de feinte pour tirer Adergudumbade de fon gouvernement, oü ii ne pouvoit fans péril entreprendre de le punir. A fon retour, il écrivit a ce Seigneur , quil alloit attaquer 1'Empire par deux endroits a la fois ; qu il marcheroit lui-même d la tête ctune des deux armées ; & que voulant lui confier ï'autre, il lui ordonnoit de fe rendre d la Cour; qiiil croyoit ne pouvoir trouvet dans la Perfe un Général plus digne dt partager avec fon Prince la gloire de cettt txpédition. Le vieillard, flatté de b F ij JUSTINIEN. Ann. 531.  JüSTITflEN. Ann. 531. LVI. ïngratitude de Chofroës a 1'égard de Mébodès. I24 HlSTOlRE confïance de fon maïtre, fe mit auffi-> tot en chemin; mais affoibli par le grand age, il tomba de cheval, 6c s'étant rompu la cuiffe, il fut obligé de s'arrêter dans un village. Le Roi s'y rendit comme pour le vifiter , 6c le fit tranfporter dans un chateau vcifin , avec ordre a ceux qu'il envoyoit pour le fervir, de 1'égorger dès qu'il y feroit entré. Le perfide Varrhame futrevêtu des dépouilles de fon pere. Le jeune Cabade alla chercher afyle k Conftantinople, ou 1'Empereur le recut avec bonté, 6c lui fit un traitement très-honorable. Chofroës ne fut pas moins ingrat que fon pere. Cabade avoit fait périr Soupharaï, le libérateur de la Perfe ; Chofroës, pour un fujet très-lé^ eer, fit mourir Mébodès, auquel il étoit redevable de fa couronne. Un jour qu'il délibéroit fur une affaire importante, il crut avoir befoin du confeil de Mébodès , 6c il chargea Un courtifan, nommé Zabergane, de Palier avertir. Zabergane trouva Mébodès occupé a exercer fes foldats • celui-ci lui répondit qu'auffi-töt aprèPèxercice, il fe rendroit auprès di  du Bas-Empire. Liv. XLI. 125 Roi. Le courtifan , qui haïlToit ce Seigneur, vint rapporter au Prince, qu'il refufoit de venir, fous prétexte d'une autre affaire. Chofroës, outré de colere , fit auffi - tot dire a Mébodès , qu'il allat fur le champ au trépied. C'étoit un trépied de fer, placé devant la porte du palais. L'orfqu'un homme avoit encouru 1'indignation du Prince , il n'y avoit aucun temple , aucun lieu facré qui put lui fervir d'afyle : il falloit qu'il allat s'affeoir fur ce trépied pour y attendre fa fentence, fans qu'il fut permis k perfonne d'approcher de lui pour lui donner aucun fecours, ni le confoler. Mébodès demeura plufieurs jours dans eet état déplorable , jufqu'a ce que Chofroës le fit enlever & mettre a mort. Au mois de Septembre de cette année 531, on appergut du cöté de 1'occident, pendant vingt jours, iifW de ces cometes , qu'on nommoit lampadias, paree qu'elles reffemblent c un flambeau qui darde vers la partie fupérieure du ciel, des rayons très^ éclatants. Une fuperftitieufe igno rance regarda ce phénomene comnv F iij JüSTI- K1EN. Ann. 531. Lvn. Comeie & commencement d'u-, . ne pefte de ciaquante ' ans. . Proc. Perf. , l, a, c. w.  JUS TI. NIEN. Ann. 531. Agath. I, 1- Theoph. p, IJ4- Cedr. p. 369. Zon. p, 61. Sigon. de imp.Occid. I' 17. Pagi ad I Bar. j 3 J 1 t 1 ^ r r t a £ è t 1*6 fflSTOJRE la caufe, 011 du moins comme Pan> nonce d'une pefte cruelle & opinia"tre, qui commenca cette année, & qui, pendant cinquante ans, défola iucceffivement la plus grande partie du monde alors connu. Elle parut dabord en Ethiopië, & de-la ferépandant de proche en proche, elle reduifit en folitude des Provinces ïntieres. Les obfervations les plus ;xactes ne purent appercevoir rien le réglé dans fes périodes , dans fes srogrès, dans fes fymptómes. Elle embloit confondre toutes les faions; meurtriere dans un pays, au neme temps qu'elle difparoiffoit en l autres. On eüt dit qu'elle choififfoit ss families , attaquant dans la même 'ille certainesmaifons, tandis qu'elle 1 entroit pas dans les maifons voifies. Après une treve de quelque smps , elle revenoit comme pour chever fes ravages, faififlant ceux u'elle avoit la première fois éparnés. Quelques-uns étoient attaqués plufieurs reprifes. Les plus robufts, ne réfiftoient d'ordinaire que jufu'au cinquieme jour. Les habitants ui fe fauvoient fains des villes in-  nu Bas-Empirè. Liv. XLI. 117 fëcïées, périffoient feuls dans d'au- 1 tres villes oü le mal n'avoit pas pénétré. Plufieurs 1'apportoient aux autres fans en être eux-mêmes infectés; & quoiqu'ils approchaffent des rnalades, qu'ils les touchaflent, qu'ils refpiraffent un air empefté, & que dans le défefpoir oü les jettoit le trépas de leurs proches , ils fouhaitaffent de les fuivre au tombeau, il fembloit que la mort fe refufat k leurs defirs. La maladie fe manifeftoit fous des formes diverfes. Dans les uns, elle afTeaoit la tête ; les yeux fe rempliffoient de fang ; le vifagefe couvroit de tumeurs,^& le mal defcendanta la gorge, lesétouffoit. Les autres mouroient d'un flux de ventre; dans quelques-uns, on voyoit fortir des charbons, accompagnés d'une fievre ardente.^ Ces charbons fe formoient aux aines, fur les cuiffes , fous les aiflelles, derrière les oreilles. S'ils venoient a fuppuration , 1'on guériffoit. S'ils confervoient leur dureté , c'étoit un figne infaillible de mort. D'autres perdoient 1'efprit; ils croyoient yoir des fantómes qui les pourfuivoient F iy JUSTIN1EN. Kan. 5 jt,  JfSTIKIEN. Ace, 53! ivni. Sediticn a Antioche. Uahla.f. ' 7*. | I ] 1 I j ( i { l é b 1-8 HlSTOlRE & les battoient rudement; frappés de cette imagination , ijs fe barricadoient&ns leurs maifons, ou sYloientpreapiter dans la mer. Plufieurs étoient accablés d'une profonde lethargie On en voyeit, qui, fans aucun figne de maladie, tomboient morts; dans les rues & dans les places. On remarqua que les jeunes gens, & fur-tout les mÉles, périrent en plus grand nombre; les femmes paroiffoient moins fufceptibles de ce aial funefte. Les ordres que 1'Empereur enjoyoit par tout 1'Empire, de chaffer des villes ceux qui ne communijuoient pas avec 1'Eglife Catholijue, exciterent de grands troubles lans Antioche. Sévere y avoit Iaiffé >eaucoup de partifans. Ils fe réunient, attaquerent a coups de pierres e palais épifcopal, accablant d'iniires le faint Patriarche Ephrem. Le -omte d'Orient accourut avec des 3ldats, & diffipa a main armée les sditieux , dont plufieurs perdirent i vie. L'Empereur, informé de cette meute, fit arrêter les plus coupales, qm furent punis de mort.  nu Bas-Empirë. Liv. XLI. 133 Mais au commencement de 1'année fuivante, on vit éclater a Conftantinople une fédition beaucoup plus terrible. L'Empereur fe vit fur ie point de perdre la couronne 8c la vie; cette capitale de 1'Empire fut inondée de fang, 8c devint un champ de bataille d'autant plus affreux, que 1'incendie mêla fes ravages aux horreurs d'un cruel maiïacre. Depuis que les fadtions du cirque, d'abord au nombre de quatre, s'étoient réunies en deux corps, les Bleus 8c les Verds, leur jaloufie plus vive, paree qu'elle étoit moins partagée, s'étoit portee a des excès inouis. Animées d'une haine implacable, les deux facïions s'acharnoient a s'entre-détruire. Ces chimériques intéréts étouffoient dans les cceurs les fentiments de Pamitié. 6c ceux même de la religion 8c de U nature. Freres contre freres, ils facrifioient toute autre afFeftion a celh de leur livrée : ils bravoient 8c le: loix 8c les fupplices : la paix des fa milles étoit troublée ; 8c quoiqu'ui mari put légitimement répudier f femme fi elle alTifloit aux fpe&acle du cirque malgré lui; les femme F v JUSTINIEN. Ann. 532. LIX. Cauft s d'une fédicion a Conftantinople.Proc. Perf. I. I. c. 24, 25. Idem. A- necd. e.12, 18, 20, 21, 29. Chr. Aleoc. Theoph. p. 154. 157» 158. Cod.l. 5. tit. 17. leg, S. Viel. Tuit. Evag. I. 4. c. 31. Cedr. p. Mare. chr. Zon. p. ; 61 , 62, 63. Jorn. fuC' 1 ceff. j Malela, p, 59. 74. * 75 . 76. S Marius Avent.  JUS TIKIEN. Ann. 532. Cange nat. ad chron. Alsx. & ad Zon. p, 56. Proc. adif. ' /. r.c.1,1. ; Gtycas , p_ j 267. Manajfé, P- 66, 67. t Morel. 8j. j] ii ti l ri P fe o< 'Pi te O fq: cai pe: de pal le r J3o Histoirb prenoient parti contre leurs mans «emes,&fufcitoientuneguerredÓ- meftique pour 1'honneur de ces frivoles combats, auxquels elles ne pou- ISÏ^r^parleu/opI K £ ?frpar leurs q»erelles. La foibleffe d'efprit de 1'Empereur, qui ^ entroit lui-même, Sc qui aviliffoit autorite impériale au point de fa'onfer de tout fon pouvoir la fac- Zu.UUek a"gmentoit 1'animofité lutuelle, Sc donnoit k ces bagatel•s un air d'importance. L'ImSéra'1Cfth der°"cót^fedéclaroit pour faaion Verte. Des raifons plus fél eules di/pofoient en général le peue a Ja revolte. La faveur du Prince partageoit entre trois favoris trèsbeuxj c'étoient Jean de Cappadoce, efet du pretoire; Tribonien, Qliefl «3 Sc Calépodius, Chambellan & pitaine des gardes. Le premier , ti de Ja poufïiere, étoit fans éduion, & tellement ignorant, qu'a ne favoit-il lire : mais il avoit recu a nature un puilfant génie, ca'Ie d appercevoir d'un coup d'ceil omt décifif des affaires, & prompt  du Bjs-Empire. Liv. XLI. 131 a trouver des expédients dans les conjonctures les plus difficiles. Ces talents qui auroient pu faire le falut a de PEtat, n'étoient employés qu'a fa ruine. Sans crainte de Dieu, fans égards pour les hommes, dur , violent, impitoyable; il ne travailloït qu'a s'enrichir : 1'effufion du fang innocent , les vexations les plus odieufes ne lui coütoient pas un fcrupule. Ce n'étoit pas qu'il entaffat des tréfors ; après s'être occupé la matinée a inventer des moyens de piller 1'Empire , il paffoit le refle du jour dans les excès de table? ou dans des débauches plus criminelles. Tribomen de Pamphilie, fils de Macédonien , étoit au contraire le plus favant homme & le plus grand Jurifconfulte de fon fiecle , enjoué, poli 6c du plus agréable commerce : mais poffédé de 1'amour des richeffes, ilvendoit la Juftice; 6c le Prince fe repofant fur lui de la réda&ion de fes loix, il en faifoit un honteux trafic, inventant des loix nouvelles, abrogeant ou altérant les anciennes au gré de fon avarice. Calépodius, déja puiffant fous Anaftafe, ayoit toute 1'infolence F vi JUSTINIEN. nn. 531;  JUSTINIEN. Ann. 532. LX. Le peuple fefouleve avec fureur. 1 1 < ] < 1 J f § ferme lans vouloir répondre. Cepen- ï,3? ^ II I S T 0 I R £ qu'infpire la faveur k une ame dure & hautaine. Le peuple gémiffoit, &c a matiere étoit préparée pour s'embrafer a la première étincelle. Le treizieme de Janvier, 1'Empereur alliftant aux jeux du cirque , il s'éleva une querelle entre les deux faftions : elles en vinrent aux mains. Les Verds fe plaignoient de la partialité du Prince ; ils 1'accabloient dinjures : quelques audacieux s'écnerent : Plüt d Dieu que Sabatius ne fut jamais venu au monde, il ne nous woit pas laiffé un fils injufle & fanbinaire. Le lendemain , Eudémon , Préfet de la ville, ayant recherché .es auteurs de ce tumulte, en fit ar'êter fept, dont quatre eurent fur le :hamp la tête tranchée; trois furent:ondamnés a être pendus. Le prenier fut exécuté ; les deux autres, :tant déja attachés a la pótence, le >ois rompit par deux fois; 1'un étoit le la faflion Bleue, 1'autre de la Vere. Les deux faaions fe réunirent lour les défendre; une troupe conufe courut au palais demander leur race a 1'Empereur, qui fe tint ren-  du Bas-Empire. Liv. XLI. 133 dant des moines d'un monaftere voifin enleverent ces deux hommes, leur firent paffer le Détroit, & les enfermerent dans 1'Eglife de S. Laurent, qui étoit un afyle inviolable, Le Préfet envoya des foldats pour garder 1'Eglife , & empêcher les criminels de s'évader. Les faftieux ne pouvant obtenir une réponfe de 1'Empereur , coururent a la maifon du Préfet, demandant la délivrance de ces deux miférables; & comme , aulieu de les fatisfaire, il fit fortir fes gardes pour les dsffiper, on fe jetta fur les gardes, on les tailla en pieces, on courut aux prifons dont on enfbn$a les portes; on mit le feu a la maifon du Préfet, & la ftamme pouffée par un vent violent, fe communiqua aux édifices voifins, er forte qu'en peu de temps une grand* partie de la ville fut embrafée. L; vde populace, au-lieu d'éteindre h feu , fe joignit aux féditieux pou profiter du pillage. La nuit fe pafli da-ns un affreux défordre. Les prin cipaux citoyens, abandonnant leu fortune pour fauver leur vie, s'en fuirent au-dela du Détroit, 1'aiffan JUSTINIEN. Ann. : l t r C  JUSTI.NIEN. Ann. j32» ■ LXI. Suite de j Ja fédïtion. ] < I ( C t li 11 fl tl li ei fc S' de V< '34 # fflSTOlAS Ia ville en proie aux fureurs d'une multitude effrénée. Au milieu du bruit des flammes & du fracas des maifons qui s'écrouloient, on entendoit de toutes parts crier, Vicloire • c etoit le fignal dont les faftieux étoient convenus pour fe reconnoïtre. Cette fédition en prit le nom; & les Auteurs 1'appellent communément a iedition des Vicloriats, ou de la vicloire. Les trois jours fuivants fe pafle■ent dans les mêmes horreurs. Tout •etentiffoit de cris, de blafphêmes, imjures outrageantes contre 1'Empereur & fes Miniftres. On bruloit, •npilloit, on maffacroit ceux qu'on royoit attachés a la Cour, & l'on -ainoit leurs cadavres au travers de i ville pour les aller jetter dans la ier. Conftantiole & le Patrice Balide, Lieutenant d'Hermogene, Maïe des offices, eurent affez de réfotion pour fortir du palais: ils étoient tunes du peuple qui ne les conndoit pas avec les autres courtifans. etant préfentés aux féditieux : Que mandei-vous ? leur dirent-ils : mille ux crierent auffi-töt: Jean de CaP-  nv Bas-Empire. Liv. XLI. 135 padoce, Tnbonun, Eudémon & Calepodius. L'Empereur crut appaifer la fédition en éloignant les objets de la haine publique. Sans abandonner ces Officiers a la fureur du peuple, il les dépouilla de leurs charges, pour en revêtir le Patrice Phocas, Bafdide & Triphon. Mais cette condefcendance, loin de calmer les féditieux, ne fit que les rendre plus fiers & plus infolents. Ils coururent a la maifon de Probus, neveu d'Anaftafe, lui demandant des armes, & lui donnant le titre d'Augufte. Probus ne paroilTant point, on mit le feu a fa maifon , qui ne fut brülée qu'en partie, paree que les furieux s'étant retirés, on eut le temps d'éteindre 1'incendie. Hypace & Porn pée , les deux autres neveux d'Anaftafe, étoient alors dans le palais avec 1'Empereur, qui con^ut contr< eux des foupcons, & leur ordonm de fe retirer. Comme ils craignoienl que cette affection populaire pour h familie d'Anaftafe, ne les mit euxmêmes en darrger par 1'offre de U couronne Impériale, ils fuppliereni 1'Empereur de leur permettre de n< JUSTINIEN. Ann. 532; :  13$ HisToire *~ pas 1'abandonner dans un fi grand JUSTINI EN, Ann. 532. LXII. Bélifaire attaque les féditieux. 1 LXIII. Théodora 1 raflure I'Empertur. 1 péril. Leurs inftances ne firent qu'augmenter la défiance; ils recurent ordre de fortir fur Ie champ. _ Cependant-Bélifaire ayant fait venir les troupes cantonnées dans les villes voifines, fe mit k leur tête, fe fit jour au travers de la multitude mutinée, & en tua un grand nombre, fans épargner les femmes , qui, du haut des toïts, lancoient fur les foldats des pierres, des tuiles, & tout ce qui leur tomboit fous la main. Les rebelles ne pouvant foutenir cette attaque, s'enfermerent dans 1'ocfogone ; c'étoit une bafilique environnée de huit portiques. Les foldats y mirent le feu, qui confuma les Eglifes & les autres bütiments d'alentour. Bélifaire, qui ne vouloit pas faire un bu:her de toute la ville, fit retirer fes troupes ; & les faöieux étant fortis ie 1'oclogone , allerent brüler le paais de la Magnaure a 1'extrêmité occidentale de la ville. ^ La nuit du Samedi au Dimanche, lix-huitieme de Janvier, fe pafla dans e palais en délibératiors. L'Empe■eur avoit déja fait poner dans un  du Bas-Empjrb. Liv. XLI. 137 vaiffeau tout ce qu'il avoit d'argent, il fongeoit k s'enfuir k Heraclee en Thrac, & k laiffer Mondon 5C Conitantiole avec trois mille hommes pour défendre le palais. Prefque tous les Officiers étoient de même avis. 1 heodora, auffiintrépide que Bélifaire , les fit rougir de leur timidité : Dans les grands périls , leur dit-elkï, les laches fuyent, les ames courageufes réfiftent; '& foit quelles les furmontent, foit qu elUs y fuccombent, leur gloire eft egale Je nevois rien de plus contraire a no: intéréts que la f ui te. 11 titft pasnecef faire de vivre; la mort ejt mevitable mais il eft nécejfaire de ne pas furvivr d fon déshonneur. Un Empereur qui tra ne dans l'exil une vie ignomimeufe , n v'aut pas un homme mort. Me pre/en le Gel de vivre un feuljour, dépouilL de cette pourpredont il nïa revetue. Poi vous , Prince, fi'vous êtes réfolu defuu partei; voild des vaijfeaux ; la Propo, tide vous ouvre fon fan. Mais pren garde qu'en cherchant les douceurs de vie , vous ne trouvie^ les opprobres de mort. Je ne vous fuivraipas, je n'aba donnerai point ce palais. Le tróne le tombeau le plus gloritux. Ces p JUSTINIEN. Ann. 531j e e ■■e ir > v *i la la n- gff  JUSTINIEN. Ann, 532, 1 ! I I 1 I c G r LXIV. Hypace Q proclamé 1 Empe- " reur. b P P a A I3$ ff I S T O I R E roles ranimerentles courages abattusi on ne fongea plus qu'a te défendre dans le palais en cas d'attaque. La plupart des foldats, ceux même de la garde du Prince, étoient mal intentionnes ; mais ils ne fe déclaroient pas, & attendoient PilTue du fouleve- rnenDM-/-Empereur ne c°mptoit que fur Bélifaire & fur Mondon. Le premier etoit maitre de tous les Offiaws & de tous les foldats, qui a^oient fervi fous fes ordres dans la ;uerre de Perfe, & dont il avoit ga:ne lescoeurs. Mondon, arrivé depuis >eu k Conftantinople, y avoit amené m grand nombre d'Erules , attachés i la perfonne. Ces deux braves Ca'itaines oftrirent k 1'Empereur de le ondinre au cirque ,& de le défenre des infultes du peuple , ou de ïounr k fes pieds. Tandis qu'on délibéroit dans le onfeil , les féditieux continuoient (uw ravages. Au point du jour, Ie nut fe repand dans la ville qu'Hyice & Pompée ont été chaffés du iJais , & que 1'Empereur s'eft fauvé Heraclee avec fa femme Théodora. uiii-tot le peuple court en foule a  du Bjs-Empire. Liv. XLI. 139 la maifon d'Hypace : on le conduit par force a la place publique, fuivi de fa femme, eftimée de toute la ville pour fa chafteté & fa vertu. Prévoyant les fuites du funefte honneur qu'on vouloit faire a Hypace , ; elle employoit tous fes effórts pour le retenir : fondant en larmes, appellant fes amis k fon fecours , elle s'écrioit d'une voixlamentable, qu'on ; traïnoit Hypace k la mort. On la fépara avec peine de fon mari qu'elle tenoit embraffé. Lorfqu'on fut arrivé k la place de Conftantin , on fit monI ter Hypace fur les degrés de la fta; tue ; on Péleva fur un bouclier. Tous ! le proclamerent Augufte; faute de dia dême & malgré fa réfiftance, on lu: I pofa fur la tête un collier d'or. Lei Sénateurs, qui ne fe trouvoient pa: alors avec 1'Empereur , entrainés pa: la fougue populaire , le reconnuren pour Empereur; plufieurs même é toient d'avis d'attaquer fur le cham; - le palais. Mais un des principaux d'er tr'eux, nommé Origene, foit qu'i parlat de bonne foi, foit qu'il vou lut fauver Juftinien , leur repréfer ta : Quavant que étentreprendre une. at JUSTIN1EN. Ann. 53*t L t j !  JUSTIM1EN. Ann, 532. ; 1 1 f c c h b é 1< c P ej P LXV. Juftinien p; fe préfen- / te au p«u- e' ple. le *4° Hls T O I R £ don fi décifive , il faUoit fe mmn m nat deumr tête aux firces de 1'Empereur. Songeons, dit - il, d fournir des armesacette muhitude, qui n'ena point mcore d autre , que fon animofaé & fon ■ourage, Unfage dèlai nousfervira mieux juun emportement précipité. Juftinien t eft Pas hors du palais, comme le peu'f* Je limagine; mais il balance; & nentot fans doute il f tiendra heureux ie s echapperpour fauver fa He. Si nous ie nous pref ons pas de combattre, nous aincrons fans combat. Hypace Iuineme qui commencoit a lbufFrir fur i tere la couronne impériale, fut de Ct fY.fj & donna ordre qu'on le ondiufit au cirque, oii il s'affit fur : trone du Prince. Enfermer ainfi ?s_feditieux dans le cirque, oü il toit facile de les envelopper & de •s prendre comme dans un filet etoit une acfion fi imprudente, que flT^T- CIU ^l'HyP^e avoit 1 effet deffein de les livrer a PEmsreur. Voila ce qui fe paffoit dans une 'rtiede la ville. Juftinien, qui n'en oit pas encore inftruit, animé par courage de fa femme, fortit ef-  nu Bas-Empihe. Liv. XLI. 141 corté de les gardes & d'un grand nombre d'autres foldats, auxquels il avoit défendu de s'emporter a aucune violence. II tenoit entre fes mains le livredes Évangiles, comme pour lu fervir de fauve - garde , & dans ut moment il fe vit environné d'un peu ple innombrable. Alors élevant f voix : Par ce livre facré, leur dit-il je protejie que je vous pardonne Poffen} que vous me faites, & quaucuu de vou nen fera recherché, ji vous rentre^ dan le devoir. Vous êtes innocents; je fu> le feul coupable. Ce font mes péchés qi mont attiré ce malheur , en fermant m oreilles d vos plaintes légitimes. Ce tc dévot, plus capable d'animer Tink lence que de la défarmer , ne lui a tira que du mépris ; on 1'accablc d'injures, & déja les plus audaciei le mena^oient des dernieres viole ces , lorfqu'il prit le parti de rentr dans le palais. Hypace, qui craignoit un rever & qui a tout événement vouloit mettre a couvert de la part de 1'Ei pereur, lui envoya fecretement 1 confident Ephrémius, pour lui d qu'il avoit eu 1'adrefTe de raffemb JüSTINIEN. Ann. 532, e s s s d ',s n 1- t- it IX i- er S, LXVI. {"e Conduit d;Hypa11" ce. on ire Ier  Justinten.Ann. 532, i 1 £ c t r i t S d t LXVH. Horrible g maffacre. J v 142 HlSTOIRE les féditieux dans le cirque, Sc que le Prince étoit maïtre den difpofer è Ion gré. Le mefiager approchant du palais rencontra Thomas, médecin de Juftinien , qui ayant appris de lui oh il alloit, lui dit qu'il pouvou s'en épargner la peine ; que 1 Empereur étoit parti, & qu'il fa^ loit vode vers Héraclée. Ephrémius retourna aufti-töt trouver Hypace ; Oieu , lui dit - il , vous donne l'Ernnre ; Juftinien y a renonce; il abanionne Conftantinople. Ces paroles tranïuilliferent Hypace ; il le trouva plus 1 ion aile fur le tröne, Sc commenca ecouter avec plaifir les acclamations [ont on 1'honoroit, & les malédicions dont on chargeoit Juftinien. En leme-temps deux cents jeunes homles, qui venoient de piller 1'arfenal e Conftance, arriverent bien armés i couverts de cuiraftes, promettant e forcer Ie palais, Sc d'y établir ypace. Bélifaire, réfolu depérirou de ven;r 1'Empereur, fe fit accompagner ;s foldats dont il étoit affiiré , & 3ulut fortir du palais. Mais les garïs de la porte, qui balan$oiem en-  du Bas-Empire. Liv. XLI. 143 j core fur le parti qu'ils devoient preni dre, & quiattendoient Pévénement, 1 lui refuferent le paffage. II retourna j vers 1'Empereur , lui dire que tout I étoit perdu, & que fes propres gardes le trahilfoient. Juftinien lui confeilla de fortir par la porte d'airain, i dont le veftibule s'ouvroit fur une rue qui conduifoit au cirque. Bélifaire marcha de ce cöté-la , & arriva au cirque au travers des décombres i; & des débris des maifons ruinées par : 1'incendie. Mondon , Conftantiole, I Bafilide & Narfès, chacun a la tête I d'une troupe de foldats , entrerent I auffi par différentes portes. Lorfqu'ils § arriverent, le peuple étoit déja divifé 9 en deux partis. Le Chambellan Nasil fès avoit par fes émiflaires regagné | a force d'argent une partie de la faci tion Bleue; les uns crioien.t de toute leur force : Vivtnt CEmpereur Jujlinun \ & tlmpèratnce Théodora ; tandis que ^| les autres crioient , vivent Hypace & ( Pompèe ; en même temps ils fe bat1 toient avec fureur. Mais ils furen: I bientót confondus enfemble par ur Ij fanglant carnage. Bélifaire & les au I tres fondent fur eux; on les perc( JUSTINIEN. Ann. 532, l  JüSTI- NIEN. Ann. 532. LXVI1I. Punition des coupables. 144 HlSTOIRE de traits; on les charge a grands coups d'épée. Tout fuit; on fe prelle, on fe renverfe, on s'écrafe. Les portes trop étroites pour donner paffage k tant de fuyards a la fois, laiffent aux foldats le temps de les maffacrer. Trente mille hommes périrent dans cette fatale journée ; & ce fut principalement au zele & au courage de Bélifaire difgracié, que Juftinien fut redevable de fa confervation. A la vue de eet horrible fpeótacle , Hypace, glacé de frayeur, ne trouvoit pas affez de forces pour prendre Ia feite. Boraïde & Jufte , freres de Germain , & neveux de Juftinien , monterent k lui, le précipiterent du tröne dans Parêne , & le traïnerent a Juftinien avec fon frere Pompée , qu'on trouva armé d'une cuirafTe fous fa robe. Ces malheureux fe jetterent aux pieds de 1'Empereur, & voulant profiter de la feinte dont ils avoient fait ufage ; Seigneur, lui dirent-ils, nousfommes enfin venus d bout, mais non fans peine , de raffcmbler vos ennemis dans le cirque, pour les livnr d votre vengeance. Fon bien, répondit 1'Empereur ; mais fi vous favie^ vous en faire  nu Bas-Empirb. Liv. XLI. 145 faire obèir, qut ne m'ave^-vous rendu ce fervice , avant qu'ils eu fient brulé & faccagé la ville? II commanda k les gardes de les conduire dans la prifon du palais, On les enferma dans le même cachot. Pompée, qui n'avoit jamais éprouvé aucun revers s'abandonnoit aux gémiffements & aux lar» mes. Hypace, plus accoutumé aux difgraces , lui reprochoit fa foibleffe, difant que les pleurs étoient indignes de ceux qui mouroient innocents, qu'on les avoit malgré eux enveloppés dans la révolte, & qu'ils n'étoient coupables que dJ avoir mérité CaffeBion du peuple. Le lendemain on les étrangla dans la prifon , & leurs cadavres furent jettés dans la mer. Celui d'Hypace ayant été rejetté fur le rivage , 1'Empereur le fit enterrer dans le lieu deftiné k la fépulture des crïminels. Quelques jours après, il permit a (es parents de le tranfporter dans 1'Eglife de SainteMaure. On confifqua les biens , ainfi que ceux de Pompée & des autres Sénateurs qui avoient pris part k la rébellion. Thomas le médecin, qui avoit trompé Ephrémius, eut la tête tranchée; Ephrémius fut exilé k Ale« Tornt IX, G JUSTINIEN. Ann. 531.  JUSTINIEN. Ann. 531. ! I4<5 RlSTOlA E xandrie. De dix-huit perfonnes qui portoient le titre d'Illufïres, les uns furent bannis , les autres fe rènfermerent dans des afyles ou des monafteres. On nomme entr'eux un -certain Euloge ,qui, de tailleur de pierre, s'étant fait anachorete , & ayant trouvé un tréfor dans une caverne, avoit quitté fa folitudepour venir a Conftantinople, & s'étoit avancé jufqu'a Ia dignité de Patrice & de Préfet du prétoire. Engagé dans cette malheureufe fédition, il prit la fuite ; & dépouillédetous fes biens, il retourna dans fa celluie, oü il mourut faintement après une auftere pénitence. Dans la fuite, 1'Empereur fit grace aux enfants d'Hypace, de Pompée & de tous les autres..II leur rendit même les biens de leurs peres, excepté ceux dont il avoit fait donation. Probus étoit en grand pcril: on lui avoit Dffeit 1'Empire ; & quoiqu'il n'eüt pas■ répondu aux vceux du peuple, on Paccufoitd'avoir tenu contre 1'Empereur. des difcours injurieux. Sa caufe fut examinée dans le Confeil en sréfence da Prince; il fut jugé coupable, &. on alloit prononcer fa fen-  du Bas-Empire. Ltv. XLI. 147 tence , lorfque Juftinien prit en fa main les pieces du procés, & les déchirant : Je vous pardonne, dit-il a Probus, tout ce que vous avei dit & fait contre moi. Prie^ Dieu qu'il vous fajfe la même grace. Tout le Confeil donna de juftes éloges a la clémence de 1'Empereur. Le Mardi, vingt-deuxieme de Janvier, qui étoit le dixieme jour depuis le commencement de la fédidition, un profond fdence régnoit dans la ville; les rues étoient défertes; les boutiques des marchands demeurerent fermées, ainfi que les tribunaux. Le peuple, étonné luimême des excès auxquels il s'étoit porté, reftoit prefque immobile , comme un furieux épuifé par un violent accès. Conftantinople étoit dans le même état ou 1'auroit laiffée 1'ennemi le plus barbare, après 1'avoir prife d'afTaut & faccagét. L'Eglife de Sainte-Sophie , 1'Auguftéon, la falie du Sénat, le Prétoire, plufieurs portiques; le veftibule du palais, nommé Chalcé, paree qu'il étoil couvert d'airain doré , deux autres palais, le dépot des archives & dei G ij JUSTINIEN. Ann. J34; LXIX. Tranquillité rendue a Conftantinople.  'JUSTISlEN. Ann, 531. ë i -< i LXX. * Prccau- 148 HlSTO. IHB ' regiöres publiés, les bains de Zeuxippe, plufieurs Eglifes, plufieurs höpitaux, quantité de maifons particulieres, n étoient plus que des amas de ruines fumantes; & ce qui étoit plus déplorable, les malades, renfermés alors dansles höpitaux, avoient été dévorés par les dammes avec les édifices. L'Empereur mit furie champ Ia main k 1'ceuvre pour relever tant de fuperbes batiments. La plus grande perte étoit celle de 1'Eglife de SainteSophie. Ce fut auiTi celle que 1'Empereur voulut réparer avec plus de magnificence. II en coüta fix années de travaux continuels, pouffés avec la plus grande aöivité. Nous tacherons de donner une idéé de ce célebre édifice, quand nous ferons 'hifioire de 1'année oü il fut achevé. Pour fournir a tant de dépenfes , üifiinien fut obligé d'avoir recours uix reffources les plus facheufes. Ce ut alors qu'il fupprima les penfions les Profeffeurs, honteufe économie, mi réduifit les Lettres au filence, qui introduifit, dit Zonaras, É< inorance 6c la barbarie. L'Empereur fit publier dans tout  nu Sas Empire. Liv. XLI. 149 1'Empire la victoire qu'il avoit remportée fur les rebelles : vanité mal entendue; puifqu'il eft beaucoup plus glorieux a un Prince de ne jamais efluyer de rébellion , que d'en fortir viftorieux. II fit conftruire des moulins , des greniers & des citernes dans 1'enceinte du palais , pour y trouver, en cas de révolte, ce qui étoit néceffaire a la fubfiftance. II chargea le Préfet de la ville de rechercher fur-tout, & de punir plus févérement ceux de lafaftion Bleue, qui , malgré la faveur dont il les avoit honorés , s'étoient joints aux féditieux. Pour détruire ces funeftes jaloufies , le parti le plus fage & le feul efficace, auroit été d'interdire abfolument les jeux du cirque. II paroit du moins que, fous le refte du regne de Juftinien, ils ne furent que rarement célébrés; 1'hiftoire n'en parle point dans les quinze années fuivantes, jufqu'a une nouvelle fédition qui s'éleva dans le cirque en 547. La porte du cirque, par laquelle on tranfporta les cadavres de ceux qui avoient péri dans eet affreux carnage , fut nommée la porte des morts, G iij JUSTINIEN. Ann. 532. tions de l'Enipe« reur.  JUSTINIEN. Ann, 5j2l i ] I « ] 1 I i j 150 HlSTOIRE, Je crois que ce fut 'le fouvenir de cette cruelle émeute , qui porta le Pnnce quelques années après a dén-nare k quelque particulier que ce fut,de fabriquer des armesoffenfives ou défenfives, ne permettant cette fabnque qu'aux ouvriers publics employes dansles arfenaux; il condamna ceux-ci a des peines rigoureufes, sils étoient convaincus d'en avoir vendu aucune. Lorfque la tranquilhte fut revenue, 1'Empereur ne tarda pas long-temps k rétablir Jean de Cai> padoce & Tribonien dans leur première dignité. Phocas & fon fuccefleur BafTus n'occuperent que peu de temps la place de Préfet du Prétoire, quoique leur vertu les en rendït jeaucoup plus dignes que Jean de -appadoce. L'Hiftoire ne parle plus le Calépodius. Si 1'on en veut croire rocope dans fes Anecdotes, Eudénon fut dans la fuite Intendant de 'Empereur , qui, après fa mort , empara de fes biens au préjudice les légitimes héritiers.  m SOMMAIRE D V LIVRE QUARANTE-DEUXIEME. ïs E TAT de HJJrique Jous les Rois Vandales. XL Succejjion des Rois Vandales. III. Hildèric détróné par Gélimer. IV. Lettres réciproques de Jujlinien & de Gélimer. V. Jujlinien propofe la guerre dans Jon Confeil. vi. Jean de Cappadoce s'oppoje d la guerre. VII. L'Empereur Je dètermine d la guerre. VIII. La Tripolitaine & la Sardaigne Je détachent des Vandales. IX. Dejcrip; tion de t'armée & de la Jlotte. X. Départ & voyage de Bélijaire. XI. Suite du voyage. XII. Arrivée en Sicile. XIII. Dejcente en AJrique. XIV. Na fjance (Funefontaine abondante. xv. Premiers Jucces de Bélijaire. XVI. Marcke vers Carthage. XVII. Mort d'Hildéric. XVIII. Dëfaite d'Jmmatas. XIX. Béljaire en- courage Jes Joldats, XX. Fuite de Géli- G iv.  IJÏ SOMMAIRE «er. XXI. Bélifaire arrivé d Canhage. XXII. Jpproche de la flotte. XX.ni. Entree de Bélifaire dans Canhage. XXIV. Tranqinlhté dans la ville. XXV. Belle aclion de Diegene, xxvi. Gélimer implore en ram le fecours de Theudis. XXVII. Conduite desMaures dans cette guerre. XXVIII. Zapn revient en Afrique. xxix. Tentativede Gélimer fur Carthage. XXX. Bélifaire marche aux ennemis. XXXI. Bataille de Tricamare. XXXII. Gélimer abandonnt fon camp, XXXlii. Suites de la vicloire. xxxiv. Monde Jean CArménien. XXXV. Gélimer affiégéfur une montagne. xxxvi. t%0SS- Géhmer entre les mains de Bélifaire. xxxvn. Les ifles fe rendent aux Romams. Xxxvin. Les Goihs difputent la poffeffion de Ulybée. XXXIX. Mifere de Gélimer affiégé. XL. Lettres de tharas & de Gélimer. XLI. Gélimer rend. xui. Bélifaire le re> tice, du moins 1'humanité 1'obli» geoit de ne pas refufer k ces mal» heureux Princes la confolation de » yenir k Conftantinople finir leurs » jours entre les bras de leurs amis, » Que s'il s'obftinoit k fe montrei » gratuitement cruel , en attendanl » la vengeance du Ciel, il alloit at» tirer fur lui celle de 1'Empire, Qu'ei JUSTIKIEN. Inn. 532. I N l  JUSTINIEN. Ann. jj2, i i t y » » » p< lt>4 H 1 s T o l r e » le pourfiiivant a outrance, 1'Em» pereur, loin de rompre le traité » fait autrefois avec Genféric, pré» tendroit le cimenter de nouveau, » puifqu'il attaqueroit non pas le » fuccelfeur de ce Prince, mais 1'en» nemi de fa poftérité ". Gélimer, piqué^ de ces menaces, répondit : » Qu'on n'avoit point de violence » a lui reprocber; que les Vandales, » ïndignés contre un Prince qui tra» hiflbit fon pays & fa propre mai- * fon , avoient jugé a propos de lui * oter la couronne, pour la donner > è un autre, a qui elle appartenoit ! de droit. Que chaque Souverain ' ne devant s'occuper que du gouvernement de fes propres Etats, 1'Empereur pouvoit s'épargner le foin de porter fes regards fur 1'Afrique : qu'après tout, s'il aimok mieux rompre les nceuds facrés du traité fait avec Genférk, oa fauroit lui réfifter; & que les ferments par lefquels Zénon avoit , engagé fes fucceffeurs, ne feroient pas ïmpunément violés ". L'Em;reur, irrité d'une réponfe fi fiere, : fongea plus qu'a terminer promp-  dv Bas-Empirb. Liv. XLII. 165 tement la guerre de Perfe , pour tourner toutes fes forces contre 1'Afrique. II craignoit que Gélimer ne s'appuyat du fecours des Goths, maitres de 1'Italie & de la Sicile : il pria par lettres Athalaric, de ne pas recevoir d'ambaffade de Gélimer , & de ne pas honorer ce tyran du titre de Roi. Athalaric , quelque fujet qu'il eut de fe plaindre d'Hildéric , écouta ce confeil, &c refufa de donner audience aux Ambafladeurs que lui envoyoit Gélimer. Dès que 1'Empereur eut appris que Chofroës fe difpofoit a figner le traité de paix , tk que 1'Orient étoit tranquille, il affembla fon confeil , & lui fit ouverture de fon deffein. II repréfenta que la conjeóhire ne pouvoit être plus favorable pour fe remettre en poffeffion d'un riche & ancien domaine. L'infolence du tyran, la néceflité de venger un allié, 1'affoibliffement des Vandales, qui pouvoient a peine réfifler aux Maures révoltés, 1'oppreflion des fujets naturels de 1'Empire, les dépouilles de Rome que 1'on retrouveroit k Carthage, les cris de la Religion JUSTIK1EN. Ann. 531. V. Juftinien propofe la guerre dans fon Confeil. Proc. Perf. I. l.e. 10, II, 24. Idem. otdlf. I. 6 c. 4. Theoph. p. 160. Cod. Jufi. 1. I. tit. 17. leg. I. Grotlus pralcg. in hifi. Goth. Baroniuïi  JUSTINIEN. Ann, 532. 166 HlSTOIRE perfécutée, qui, depuis tant d'années, au milieu des plus cruels fupplices , appelloit les Romains a fon fecours, tous ces motifs furent préfentés avec force : » Et fi 1'on fe » refufoit a des raifons fi preflantes, » pouvoit-on être fourd a Ia voix » de ces généreux ConfefTeurs aux» quels le tyran Hunéric avoit fait » arracher la langue jufqu'a la raci» ne , & qui, par un prodige inoui, » parloient librement au milieu de » Conftantinople, oü ils s'étoient » réfugiés ? Plufieurs d'entr'eux vi» vent encore , difoit - il; & cette » merveille n'eft-elle pas tout a la » fois un témoignage de la cruauté » des Vandales, & de la Puiffance » divine qui déconcerte leur bar» barie , &c qui vous exhorte k la » vengeance " ? II ajoutoit k cela les prédi&ions de Saint Sabas ; ce refpeclable vieillard, qui avoit promis la viótoire dans cette religieufe expédition. J'aurois paffé fous filence le miracle dont il eft ici queftion, quoiqu'il foit rapporté par tous les Ecrivains de ces temps-la, fi 1'Empereur ne 1'eüt pas attefté k la face  du Djs-Empire. Liv. XLIT. 167 j de tout 1'Empire dans une de fes loix, I oü il fe donne lui-même pour témoin d'un fait fur lequel il ne pou,voit ni tromper, ni êtretrompé. Cet événement lurnaturel réunit fi fortement les preuves d'une vérité hiftorique , qu'il a été adopté par le : judicieux Grotius, que 1'incrédulité même n'oferoit taxer de fuperflition. L'Empereur ne trouva pas dans I le Confeil le même empreffement I qu'il témoignoit pour cette entreI prife. La propofition efTrayoit la plu| part des Officiers. Ils fe rappelloient 1 la funefte expédition de Bafilique, ] qui, après avoir perdu tant d'argent I & de foldats , n'avoit rapporté que \ de 1'ignominie. Le Préfet du Prétoire | & celui de PEpargne , trembloienl de voir que le tréfor public étanl épuifé par la guerre de Perfe, i. faudroit fournir de nouvelles fommes pour les fraix d'une guerre f difpendieufe. La fatigue & le péri allarmoient les Capitaines , qui, fan avoir eu le temps de fe remettre di leurs longs travaux, fe voyoien obligés de courir fur mer de nou JUSTJ.- A-nn. 532; VI. Jean de Cappadoce s'oppofe a la guerre. 't 1 > t  JUSTIMEK. Ann. 531. ! j »68 UrsTo/ns veaux dangers qui leur étoient in- ■ connus, & de traverfer enfuite des fables brtdants pour aller combattre une nation redoutable. Cependant perfonne n'ofoit contredire 1'Empereur; il avoit trop clairement manifefté fes intentions. Enfin, Jean de Cappadoce , plus hardi que les autres, rompit le fdence; & après avoir protefté aii Prince qu'il étoit entiérement foumis k fes volontés, il lui repréfenta » 1'incertitude du fuccès, déja trop prouvée par les malheureux efforts de Zénon; 1'éloi» gnement du pays, oü 1'armée ne f pouvoit arriver par terre qu'après t une marche de cent quarante jours; > & par mer, qu'après avoir elfuyé > les rifques d'une longue & dangef re}lfe navigation , & franchi les > périls d'un débarquement qui trou- > veroit fans doute une vigoureufe i oppofition. Qu'il faudroit a 1'Em- > pereur prés d'une année pour en\ voyer des ordres au camp, & en ■ recevoir des nouvelles : que s'il i réuffiffoit dans la conquête de 1'Ar frique, il ne pourroit la conferver, n'étant maxtre ni de la Sicile, ni » de  du Bas-Empire. Lh. XLIL 169 » de 1'Italie : que s'il échouoit dans ->» fon entreprife, outre le déshon» neur dont fes armes feroient ter» nies, il attireroit la guerre dans » fes propres Etats. Ce que je vous » confeille, Prince, ajouta-t-il, n'eft » pas d'abandonner abfolument ce » projet, vraiment digne de votre » courage; mais de prendre da temps » pour délibérer. II n'eft pas hon» teux de changer d'avis, avant qu'on » ait mis la main a 1'oeuvre : lorique » le mal eft arrivé, le repentir eft » inutile ". Les raifons du Préfet du Pretoire, & plus encore la trifteffe & le découragement de tout le Confeil, ébranloient 1'Empereur. II étoit prêt a renoncer k ce deffein, lorfqu'un Evêque d'Orient arrivant k Conftantinople , lui demanda audience : Prince, lui dit ce Prélat, Dim qui rèvelequelquefois dans les fonges Jd volonte dfis ferviteurs , menvoye ici pour vous f ai fit des reproches, de ce que , par une vaint timidité, vous laife^ CEgüfeCatholiqut gémir fous la tyrannie des Vandales i Quil prenne les armes, m'a-t-il dit, je combattrai pour lui, & je le rendrai T&me IX. H JUSTIUIEH. Ann. 5 3 i* VIL ' L'Empereur fe Hétermine a la guerre.  JlJSTI- N1EN, Ann. 532. VUT. La Tripo- Iitaine & la Sardaigne fe dótachentdes Vandales. I?3 IIlSTOZRE maitre de l'Afrique, Ces paroles ramenerent 1'Empereur a fa première réfolution : il commanda de lever des troupes , de conftruire & d'équiper des vaiffeaux ; il nomma de nouveau Bélifaire Général de fes armées , avec ordre de difpofer tout pour Pexpédition d'Afrique. Deux évenementsimprévus confirmerent fes efpérances. Un habitant de la Tripolitaine , nommé Pudentius, s'étant mis k la tête des Maures, nommés Leucathes, fe révolta contre les Vandales, les chaffa de Ia Province, faccagea la grande Leptis, envoya demander du fecours a 1'Empereur, lui promettant de le metEre fans peine en pofTefTion de tout le pays. Juftinien fit aufli-töt partir tin Officier Erule, nommé Tattimuth, ivec quelques troupes; & Pudentius tint parole. Gélimer fe propofoit k marcher de ce cöté-la, lorfqu'il fut nrrêté par une nouvelle plus affli^eante. Les Vandales pofTédoient Ia Sardaigne dont ils tiroient un grand :ribut. Elle étoit alors gouvernée par m Officier Goth, attaché depuis longtemps au fervice des Vandales. II fe  nu Bjs-Empire. L'w. XLH. 171 liommoit Go das , homme hardi, entreprenant, & qui s'étoit jufqu'alors diftingué par fon zele pour Gélimer. II s'ennuya de recevoir des ordres, & prit le parti de retenir le tribut & de fe rendre fouverain. Pour s'appuyer d'un puiffant fecours, il écrivit a 1'Empereur : Quil n'avoit point perfonnellement d fe plalndre de fon maitre ; mals que les cruautés de Gélimer lui infpiroient une telle indignation, qu'il croiroit s'en rendre complice, s'il continuoit de lui obelr; que préférant^ le fervïct ctun Prince équltable d celui d'un tyran , il fe donnoit d 1'Empereur, 6 qu'il le prloit de lui envoyer des troupes pourle foutenlr contre les Vandales, Juflinien , pour s'affurer davantage de fa fincérité, lui dépêcha Euloge avec une lettre , dans .laquelle i louoit fon zele pour la juftice, & promettoit de lui envoyer inceffam ment un .Général & des troupes pour lë mettre en état de ne riei appréhender. Lbrfqu'Euloge arriva Godas avoit déja pris le titre de Ro & tout 1'appareil de la royauté. 1 réponditauDéputé qu'il feroit bier aife de recevoir des foldats; ma: H ij JUSTlNIEN. Ann. 532« 1 l » i I s  JUSTI- NJEN. Ann. 531. Ann. 533. IX. Defcrip- . tion de 1 1'armée & 1 de Ia flot- ] te. Proc. 1 Vand. i I?2 H 1 S T 0 I R E qu'il n'avoit nul befoin de Général. Avant que cette réponfe rut parvenue k Conftantinople, Juftinien avoit déja fait partir Cyrille avec quatre cents hommes, pour défendre 1'ifle, conjointement avec Godas. II fut prévenu par la diligence de Gélimer. Ce Prince, ayant remis a un autre temps 1'expédition de la Tripolitaine, ne fongea qu'a recouvrer la Sardaigne. Son frere Zanon partit avec cinq mille hommes dans cent vingt barques. II aborda au port de Carale , aujourd'hui Cagliari, prit la ville d'emblée, & tailla en pieces Godas, qui périt dans Ie combat avec toutes fes troupes. Cyrille, après une longue navigation, trouvant les Vandales maitres de 1'ifle, fit voile vers ![Afrique, & fe rendit auprès de Béifaire qui étoit déja dans Carthage. L'hyver s'étant pafte en prépara:ifs, la .flotte & 1'armée fe trouve•ent prêtes a partir k Ia fin du prinemps de 1'année fuivante, fous Ie roifienre Confulat de Juftinien. Baihfque , pour une pareille expédiion, avoit épuifé toutes les forces ie 1'Empire. Bélifaire ne fit embar-  du Bjs-Empire. Liv. XLH. 173 quer que dlx mille hommes de pied & fix mille chevaux. Cet habile Capitaine n'aimoit pas les grandes armées ;mais avec peu de foldats qu^il favoit conduire & des Officiers qu'il favoit choifir, il faifoit ce que n'auroient pu faire des Généraux tels que Bafdifque a la tête de 1'armée de Xerxès. Les Barbares de fon ar> mée, tous cavaliers, avoient pour Commandant Dorothée, qui s'étoit fignalé en Arménie , & Salomon, ne fur la frontiere oriëntale de 1'Empire , dans le lieu oü fut enfuite batie la ville de Dara. Les autres chefs des Barbares étoient Cyprien , Valérien , Martin , Althias, Jean , Marcel. auxquels Bélifaire joignit Cyrille: lorfque celui-ci fut arrivé en Afrique La cavalerie Romaine étoit comman dée par Rufin , Augan , Barbatus & Pappus. Rufin paffoit pour le plu brave Officier de 1'armée , & Béli faire Pavoit choifi pourporter l'éter dard général dans les batailles. Auga étoit Hun de nation ; il s'étoit dif tingué a la journée de Dara. Jea de Dyrrachium , Commandant cl 1'infanterie , avoit fous fes ordr< H iij JUSTINIEN. inn. 5 3 S:. II. /• 1" c. 7, i°Theoph. p. 161. Suid. i i e s  JUSTI- Ann, j33. '1 \ < < i i X e 1 d Ti c 1( p 81 fe P< Pc ai *74^ H I S T O 1 R E Théodore, furnommé Cténat, Té* rence, Zaide, Marcien & Sarapis. iixcepte ceux dont je viens de marquer Ia patne, tous les autres étoient de Ihrace, Province qui fourniflbit alors lesmeilleurs foldats & les plus vaillants Officiers. Pharas commando* quatre cents Erules; Sinnion & ?alas, renommés pour leur valeur ■}oient k la tête de fix cents cavaiers Huns, armés d'arcs & de flexies. La flotte étoit compofée de cinq ents batiments de tranfport, de dir_erfe grandeur, depuis le port de mquante mille médimnes, jufqu'a elui de trois mille. Le médimne étoit ne mefure de fix boiffeaux. Ces barnes, chargées des chevaux, des baages, des munitions de guerre & e bouche, étoient fervies par vingt nik matelots Egyptiens , loniens , ihaens. Le pilote général étoit Ca>nyme d'Alexandrie. II y avoit de us « quatre - vingt - douze vaiffeaux mes en guerre, fort légers, a un ul rang de rames, couverts d'un >nt, afin que les rameurs fufient k bn des traits. Ces rameurs étoient nombre de deux mille, tous de  nu Bjs-Empize. Liv. XL1L i?5 Conftantinople. LePatrice Archélaus, mé avoit été deux fois Préfet du Prétoire , s'embarqua en quahte d Intendant de la flotte Sc de 1 armee. Bélifaire avoit une garde nombreuie, compofée de guerriers vaiUants ÖC expérimentés. L'Empereur lui donna les plus amples pouvoirs, Sc hu remit toute fon autorité pour ce qm concernoit la guerre d'Afrique. 11 fit partir d'avance Valérien Sc Martin , avec ordre d'attendre dans le Peloponnefe le refte de la flotte. Bélifaire fe fit accompagner de fa femme Antonine Sc de Procope fon Secretaire, auquel il procura dans la fuite Is titre d'Illuftre en récompenfe de les fervices. . _ . Vers le milieu du mois de Juin, la flotte étant fur le point de-fair< voile, 1'Empereur fit amener au n vage devant le palais le vaiffeau Ami ral: le Patriarche Epiphane y monta & après avoir imploré labénediftioi du bel, il fit entrer dans le vaiflea un foldat nouvellement baptifé, pou fanftifier cette grande entrepnfe. L flotte partit au bruit des acclamatior Sc des voeux d'un peuple innombn H iv JUSTlH1EN. Ann. 5 33X. I Départ & voyage ' de Béli- faire. Proc. ? Vand.l.U ï e. 12. l r a s  JüSTINIEN. Ann. 533. 1 i i \ t c c £ X ï?<* H I S T O I R R ble qui couvroit au loin le rivale alla mouiller a la rade d'Héraclée \ ou elle s'arrêta cinq jours, pendant quon raffembloit des haras de la Thrace un grand nombre de cheyaux, dont 1'Empereur faifoit préfent a Bélifaire. D'Héraclée la flotte ie rendit au port d'Abyde , oii le calme la retint quatre jours. En ce lieu, deux cavaliers Huns s'étant enivrés , comme il étoit ordinaire h ceux de cette nation, prirent querelle avec un de leurs camarades , & letuerent. Bélifaire, fentant 1'importance d'établir d'abord la difcipline par un exempleimpofant, les fit p;ndre fur le haut d'une colline aux portes de la ville. Cet aöe de févérité révolta les Huns; ils s'accorloient a dire qu'en s'engageam par nenvedlance aufervice des Romains, ils 1 avoient pas prétendu s'afujettir aux oix Romaines; que, fuivant celles de eur pays, un emportement d'ivrefe néoit pas puni de mort. Les autres folats, qui ne cherchoient qua introuire l'impunité,fe joignirent a eux; £ tout le camp retentiffoit de muruires. Bélifaire, fans s'effrayer de  nv Bas-Empire. Liv. XLIL 177 cette émeute , les affembla tous : » Qu'entends-je ? leur dit il : êtes» vous donc de nouveaux foldats , » qui, faute d'expérience, fe figu» rent qu'ils font maïtres des fuccès ? » Vous avez plufieurs fois taillé en »> pieces des ennemis égaux en va» leur & fupérieurs en forces : n'a* »; vez-vous pas appris que les hom» mescombattent,& queDieudonne » la viöoire ? c'èft en le fervant qu'on » parvient a fervir efficacement R w Prince & la patrie : & le culte » principal qu'il demande , c'eft \i » juflice ; c'eft elle qui foutient lij » armées plus que la force du corps » Pexercice du courage, & les mu » nitions de guerre. Qu'on ne m< m dife pas que 1'ivreffe excufe le cri » me ; 1'ivrefTe eft elle - même ui » crime puniffable dans un foldat » puifqu'elle le- rend inutile a fo » Prince, & ennemi de fes comps » triotes. Vous avez vu le forfait » vous en voyez'le cbatiment : ab » tenez-vous des querelles; abftene» vous du pillage ; il ne fera p; » moins févérement puni. Je veu tt des mains pures pour porter V H v JUSTI KIEN. Ann. 531» | 1 » 1 I is x i  JUS TINI£N. Ann, J33i. Xï. Suite du ] voyage. ■ Proc. J Vand. 1.1. < ^ i3>". | 3 1 I X b é a d fl c< di il fe fe I?8 Histoire » armes Romaines. La plus haute » valeur n'obtiendra point de grace j » fi elle fe déshonore par la violence » & par 1'injuftice T* Ces paroles* prononcées avec fermeté, porterent dans les cceurs une impreffion de :rainte, qui contint les plus turbulents dans les bornes du devoir. _ Bélifaire prit des précautions pour aire ,en fórte que la flotte allat tour otirs de conferve , & qu'elle abordat lans les mêmes ports. II favoit qu'un ;rand nombre de vaiffeaux, fur-tout orfque les vents foufflent avec vioence , fe féparent pour 1'ordinaire £ s'écartent de leur route. Pour y emédier , on marqua de. rouge ie aut des voiles du vaiffeau Amiral , l de deux autres qui portoient les jujpagesde Bélifaire, & Pon. attacha la poupe des fanaux fufpendus k % longues perches. Le refïe de la 3tte ayoit ordre de fuivre toujours s trois vaiffeaux, qu'il étoit aifé de ftinguer de jour & de nuit. Quand falloit fortir du port, on donnoit fignal avec la trompette. DfAbyde arriverent a Sigée par un vent üs, qui leur manqua tout-4-coup;  su Bas-Empire. Liv. XLII. tf$ en forte qu'ils mirent beaucoup de temps k traverfer la mer Egée jufqu'au cap de Malée. Mais ce calme les fervit très-heureufement aux approches de ce dangereux parage. Comme le port étoit fort étroit, les pilotes & les matelots eurent befoiri de toute leur adreffe pour empêcher les navires de fe brifer en fe heurtant les uns les autres. Ils gagnerent enfuite le port de Ténare , qu'on nommoit alors Canopolis , c'eft-a dire , la nouvelle ville; & de-la a Méthone, aujourd'hui Modon, oü ils trouverent Martin & Valérien qui les attendoient. Le vent étant tombé tonta-fait , Bélifaire fit débarquer fes troupes , & paffa quelques jours k les exercer aux évolutions militaires. Pendant ce féjour, la maladie fe mit dans le camp par un effet de la fordide avariee de Jean le Cappadocieh, Préfet du Prétoire. Pour gagner fur le pain des foldats, il ne l'avoit fait cuire qu'a moitié, afin qu'il pefat davantage. Lorfqu'ils furent k Méthone , ce n'étoit plus qu'une pate moifie , qui fe réduifoit en poudre, en forte qu'on leur diftribuoit le pain H vj JUSTlNIEN. , tuin. $ jj;  JUSTIKI EN. Ann. 533. IoO HlSTOIRE non, pas au poids, mais par me/ure,' Ce mauvais aliment, joint a la chaleur du pays & de la faifon, produifitdes maladies, qui emporterent en peu de jours cinq cents hommes; il en auroit péri un plus grand nombre, fi le Général n'eut fait cuire du pain dans le lieu même. Lorfque Juftinien en fut inftruit, il loua Bélifaire ; mais Jean ne fut pas. puni. De Méthone ils pafferent a Zacynihe , aujourd'hui 1'ifle de Zante. Ils y trouverent les efprits cruellement ujcérés contre les Vandales. Les habitants n'avoient pas oublié 1'horrible barbarie de Genféric a 1'égard de leurs aïeux. Dans une courfe fur les QÖtes du Péloponnefe , ce Prince ayantété repoufTé avec perte de devant la forterelfe de Ténare, étoit venu frémiffant de dépit & de rage aborder a Zacynthe; & après y avoir fait un fanglant carnage , il avoit chargé de fers, & tranfporté dans fes vaifTeaux cinq cents des principaux infulaires. S'étant enluite embarqué , il les avoit fait hacher en pieces & jetter dans la mer. Les Zacynthiens recurent Bélifaire comme  vu Bas-Empire. Liv. XLII. 181 s'il eut été envoyé de Dieu pour venger le fang de leurs peres , & pour exterminer une nation inhumaine. lis épuiferent leur ifle pour augmenter les provifions de fa flotte, & le combierent a fon arrivée & a fon départ de bénédicfions & de vceux. On prit dans cette ifle de i'eau pour le refte du voyage jufqu'en Sicile. Le vent étoit fi foible qu'ils mirent feize jours a faire ce trajet; pendant lefquels I'eau de tous les vaiffeaux fe corrompit , excepté celle que buvoit Bélifaire. Sa femme avoit renfermé la fienne dans des flacons de verre , qu'elle enterra dans le fable au fond de fon navire, afin que la chaleur du foleil n'y put pénétrer. Cette précaution encore inconnue dans ce temps-la, fit grand honneur a Antonine. On aborda fur une cöte déferte au pied du mont Etna. Bélifaire, toul occupé de 1'importance de fon expédition, fe trouvoit dans de grandej inquiétudes. II ne connoiffoit ni lef cötes d'Afrique , ni les forces deennemis, nileur maniere de faire li guerre. Les foldats difoient haute> JUSTINI EN. A.nn. 533, XII. Arrivée en Sicile. Proc. Vand. 1.1. c. 14. Theoph, p. l6l , 162,  JUSTI- NIEN. Ann. 533, 1 1 1 ] t l i c i3a HisToiRE ment: Que lorfqu'ils feroient d terre, z7f feroient le devoir des gens de caur ; mais que s'ils fe voyoient attaqués fur mer, ils ne balanceroient pas de prendre la fitite, n'étant pas inflruits d combattre a la fois les ennemis & les Jlots. Dans cette perplexité , Bélifaire envoya Procope k Syracufe pour y acheter des vivres , & le chargea de s'infornier de 1'état préfent des Vandales -f s'ils fe mettoient en état de venir audevant de la flotte , ou de s'oppofer defce"te; k quel endroit de Ia cöte il étoit a propos d'aborder, Sf paroü il falloit commencer la guerre. El lui donna rendez-vous au port de Caucanes a dix lieues de Syracufe , dü il alloit faire paffer fa flotte. Pro:ope s'acquitta de fa commiflion. Oa uj vendit autant qu'il voulut de vi^res felon les ordres d'Amalafonte, nere & tutrice d'Athalaric, qui éant liée d'amitié avec Juftinien , lui ■voit promis d'ouvrir fes magafins k a flotte Romaine. Pour les informar ions qu'il étoit chargé de faire , un eureux hafard le fervit au-dela de ïs efpérances. II trouva dansSyraufe un de fes compatriotes, qu'il  nu Eas-Empire. Lh. XLIL 183 avoit connu a Céfarée en Paleftine, & qui s'étoit établi en Sicile oü il faifoit le comrnerce. Ce marchand lui amena un de fes facteurs arrivé de Carthage depuis trois jours. Celui-ci affura Procope : Que les Vandales étoient dans une parfaite f écurité ; qu'ils ignoroient qu'il y eut en mer une jtotte Rornaine; que leurs meilleures troupes étoient parties pour la Sardaigne ; & que Gélimer, Jans inquiétude pour Carthage & pour les autres villes maritimes, étoit allé poffer la belle faifon d Hermione en By^acene a quatre journées de la mer : que les Romains pourroient aborder oü ils voudroient, fans rencontrer aucun objlacle. Procope, tenant eet homme par la main, &c 1'amufant par diverfes quefïions, le conduifit a fon vaiffeau qui 1'attendoit au port d'Aréthufe; Sc 1'ayant fait monter avec lui comme pour Pentretenir encore un moment, il leva 1'ancre, & cingla vers Caucanes. II cria en même-temps au marchand qui étoit demeuré fur le rivage : Quil le prioit de lui par donner cette innocente fupercherie ; qu'il étoit néceffaire que fon commis fut préfenté au Général pour l'infiruire de viye yoix, & pour JUSTINIEN. Ann. 533,  Justinten.Aan. 533. XIII. Defcente en Afrique. Proc. < Tand. 1.1. 1 C/L, i adif. I. 6. *■ c. 6. ^ Theoph. p. 162. c l a ƒ 10*4 II I S T 0 1 R E guider la flotte en Afrique ; que des qu elle feroit arrivée, on le renverroit a Syracufe avec une récompenfe confidéra* ble. En arrivant a Caucanes , Procope trouva la flotte dans un grand deuill Dorothée venoit de mourir, & la perte de ce brave guerrier affligeoit fenfiblement Bélifaire. Les nouvelles que lui, donna le facteur adoucirent ia trifteffe; il partit & toucha al'ifle de Malte, d'oii un bon vent le conduifit le lendemain a Caputvada fur la cöte d'Afrique, a cinq journées de Carthage. Ce lieu étoit ainfi nommé, paree que c'étoit 1'entrée d'un banc de fable qui s?étendoit dans la mer. Bélifaire fit jetter les ancres, & afembla le confeil dans le vaiffeau ^miral, pour délibérer für le lieu du lébarquement. Les avis' étant parta;és , Archélaüs repréfenta qu'on ne •ouvoit defcendre en eet endroit, fans xpofer d un péril évident &■ la flotte ■r rarmée : qu'il n'y avoit aucun port 'ans l'étendue de neuf journées de chenn , & que la flotte refleroh. d la merci « vents : que les troupes éiant débaruées, s'ils furvenoit un orage , les vaif■aux feroient difperfés en, mer., ou. brifés  nu Bas-Empire. Liv. XLII. 185 contre les cótes; en ce cas, cCoü les troupes tireroient-elles leurs fubjiflances ? qu'on ne trouveroit dans le pays aucuns place de füretè, Genféric ayant fait demanteler toutes les villes, excepté Carthage : que c'étoit un terrein fans eau, oü les foldats mourroient de foif'; que fon avis étoit de gagner le port de PEtang d deux lieues de Carthage; qu'il étoit fans défenfe & ajfe^ fpaeieux pour contenir toute la flotte ; que de-la il feroit aifé £ aller attaquer Carthage , qui ne feroit nulle réflflance en Pabfence de Gélimer; & que la prife de la capitale rtndroit les Romains maures de toute ' ïAfrique. Bélifaire, qui étoit d'un fentiment contraire, paria en ces termes: » Ne penfez pas que je me fois ré» fervé a parler le dernier, pour vous » forcer a fuivre mon avis : je vais ♦> 1'expofer; & vous, fans préven» tion comme fans crainte, choi» fiffez le plus avantageux. Souve» nez-vous de ce que vous avez en» tendu dire a nos foldats, que s'ils ►> étoient attaqués fur mer, ils ne » rougiroient pas de fuir. Nous for>> mions alors des vceux pour faire » notre defcente fans oppofition. JUSTINIEN. Ann. 533.  JUSTIN1 EN. Ann. 533, 186 HlSTOIRE » Quelle inconféquence de deman» der au Ciel une faveur, Sc de la » rejetter quand elle eft accordée ! » Si nous rencontrons une flotte en» nemie fur la route de Carthage , a » qui faudra-t-il nous en prendre de » la fuite de nos foldats ? On nous » allegue la crainte d'une tempête,. » pour nous engager a ne pas quit» ter la flotte : mais lequel des deux » eft-il préférable, ou de perdre nos » vaifleaux feuls, ou de nous perdre » avec eux ? maintenant 1'ennemi eft » pris au dépourvu; il nous eft fa» cile de 1'accabler: fi nous lui don» nons le temps de refpirer , il fe » mettra en défenfe, & nouspaye» rons bien cher ce délai. Peut-être » ferons-nous obligés de forcer la » defcente, & de verfer du fang pour1 » obtenir 1'avantage dont nous fom» mes en poffeflion fans coup férir. » Notre deffein n'eft pas de refter » ici; la flotte 6c 1'armée fe rendront » a Carthage : la queftion eft de fa» voir fi 1'armée, déja maïtreffe du » rivage, doit y marcher par terre » fans péril, ou fi perdant fon avan» tage, elle doit demeurer attachée  nu Sas-Empire. Liv. XLTI. 187 » a la flotte pour courir le hafard de ! » périr enfemble. Pour moijepenfe » qu'il faut defeendre k 1'inftant, dé- , » barquer nos chevaux, nos armes, » nos munitions ; nous retrancher » derrière un foffé & une paliffade, » & nous mettre en état de foutenir » les affauts. Ne craignons pas de » manquer de vivres fi nous ne man» quons pas de courage. La vicloire w porte avec elle tous les biens, pour » les dépofer entre les mains du vain» queur ". Le Confeil revint au fentiment du Général. On prit terre le troifienae mois, depuis le départ de Conftantinople. . On ne laiffa dans chaque batiment qu'une garde de cinq archers. Les vaiffeaux de guerre fe rangerent autour des autres pour leur fervir de défenfe en cas d'attaque. Les foldats & les matelots commencerent auffitöt k fe retrancher; & la crainte jointe a Pacfivité de Bélifaire animant les travailleurs, le foffé fut achevé, & la paliffade plantée dés ce même jour. Ce qu'ils craignoient beaucoup plus qu'ils ne redoutoient 1'ennemi, c'étoit de mourir de foif dans JVSTIN I.EN. Vnn. 553. XIV. Naiffance il'une fonCaine abondante.  JUSTI- Ann, y 3 3. i XV. Premiers | luccès de Bélifaire. ! Proc. i Vand. 1.1. . e. l6. j Theoph. p, * 162. l * t 188 HlSTOIHE ce lieu aride , comme font toutes les plaines de la Byzacene. Ils furent délivrés de ce péril par un événement fingulier, que Bélifaire n'eut pas de peine a faire paffer pour miraculeux. Un foldat en bêchant Ia terre fitjaillir une fource abondante , qui forma bientöt un ruifTeau capable d'abreuver les hommes & les chevaux de 1'armée. Ce fut pour conferver la mémoire de cette faveur du Gel, qu'aprés la guerre, Juftinien fit batir en ce lieu une ville confidérable: cette contrée déferte & fauvage, prit en peu de temps une face riante, & devint nche par ia culture & par le commerce. L'armée paffa la nuit dans le ramp, dont la tranquilliré futaffurée iar des patrouilles & par des gardes ivancées. Le Jendemain quelques foldats s'éant répandusdans les campagnes pour rpiller des fruits, alors en maturié, le Général les fit battre de vertes , & prit cette occafion de reprér enter a fon armée: Que le pillagecrbiinel en lui-même, étoit encore contraire '■ leurs intéréts : que c étoit foulever conr& eux les habitants de C Afrique, , Ra,  uu Bjs-Empire. Liv. XL1I. 180 mains cf origine & ennemis naturels des Vandales. Quelle folie de compromettre leur furetê & leurs efpérances per une miférable avidité! Que leur en couteroit' il pour achettr ces fruits que les pojj'effeurs étoient prêts d leur donner prefque pour rien ? Vous alle^ donc avoir pour ennemis & les Vandales & les naturels du pays, & Dieu même toujours armé contre l'injujïice. Votre falut dépend de votre modération ; celle - a vous rendra Dieupropice, les Africains ajfeclionnés, & les Vandales faciles d vaincre. Bélifaire , voulant s'affurer de quelque place, apprit qu'a une journée du camp , fur le chemin de Carthage, étoit la ville de Syllecfe, voifine de la mer, fans murailles , mais dont les habitants avoient fortifié leurs maifons pour fe défendre contre les incurfions des Maures. II y envoya un de fes gardes nommé Moraïde, a la tête de quelques foldats , avec ordre d'effayer de s'en rendre maitre; mais de ne faire aucun tort aux habitants, & de leur déclarer que les Romains ne venoient que pour les affranchir du joug des barbares. Cette troupe arrivale foir prés de la ville dansun JUSTI- Ann. 533;  Justi- NIEN. Aan. 533. 19° HlSTOIRE vallon ou elle fe tint cachée pendant la nuit. Au point du jour, ils entrerent fans bruit avec des payfans des environs; & s'étant faifis des portes , ils manderent 1'Evêque & les principaux habitants , qui, fur la parole de Bélifaire , remirent les clefs de la ville. Le même jour, le Directeur général des poftes conduifit au camp des Romains tous les chevaux dont il étoit maïtre. On arrêta un courier de Gélimer; Bélifaire lui fit préfent d'une fomme confidérable; & après en avoir tiré parole qu'il s'acquitteroit fïdélement de la commiffion, il le chargea de remettre a tous les Commandants des Vandales des lettres de Juftinien , dont voici la teneur : » Nous «e prétendons pas faire la » guerre aux Vandales, ni rompre ♦> le traité de paix conclu avec Gen» féric. Nous n'en voulons qu'a vo» tre Tyran , qui, au mépris du tefta» ment de Genféric , tient dans les » fers votre Roi légitime. Ce cruel » nfurpateur, après avoir maffacré » une partie de la familie royale, a » fait crever les yeux aux autres, » dont il ne differe la mort que pour  du Bas-Empire. Liv. XLI/. 19r w prolonger leurs tourments. Aidez♦> nous a vous délivrer d'un fi dur » efclavage. Nous prenons Dieu a » témoin que notre deffein eft de » vous rendre la paix Sc la liberté ". Ces letrres ne produifirent aucun effet, paree que le courier n'ofant les rendre publiques , le contenta d'en faire part a fes amis. Comme on ignoroit la fituation des ennemis , 1'armée marcha vers Carthage en ordre de bataille, en cötoyant le rivage qu'elle avoit k droite. Pour éviter toute furprife, Bélifaire fit prendre le devant a trois cents hommes choifis , fous la conduite de Jean PArménien , intendant de fa maifon , homme de tête Sc plein de courage. Cet Officier avoit ordre de devancer toujours d'une lieue, & d'avertir dés qu'il appercevroit Pennend. Les Huns marchoient k la même diftance fur la gauche. Bélifaire fuivoit avec le refte des troupes , s'attendant k tous moments d'être attaqué par Gélimer, qui , fans doute, viendroit d'Hermione fondre fur lui avec toutes fes forces. La flotte devoit accompagner la marche JUSTIN1EN. Ann. 533. XVI. Marche vers Carthage. Proc. Vand.l. 1. c. 17. Theoph, p. 162. Zon. t. tl. p. 67.  JüSTIKIEN. Ann. 533 XVII. Mort i'Hildéric. 192 II I S T 0 t R E ' de 1'armée , fans s'en écarter. Lorfqu'on approcha de Syllecre , Bélifaire . défendit aux foldats d'y faire aucune violence, aucune infulte; ce qui gagna tellement le cceur des Africains, que, dans toutle refte de la route, les habitants venoient fans crainte offrir leurs denrées. Nul ne prenoit la fuite; nul ne cachoit fes provifions, ni ne fermoit fa cabane. On eut dit que 1'armée traverfoit les terres de 1'Empire. On faifoit quatre lieues par jour; & le foir on s'arrêtoit, ou dans les villes , ou dans des retranchements aufïi avantageux que Ja fituation des lieux pouvoit le permettre. Après avoir paffé la petite Leptis & Adrumet, on arriva a Grafie éloignée de Carthage de feize lieues. C'étoit une maifon de plaifance des Rois Van* dales. L'armée campa dans des vergers délicieux, arrofés de fources , & fi abandants en fruits, que les foldats après en avoir cueilli autant qu'ils voulurent, laifferent encore les arbres chargés. Dès que Gélimer eut appris a Hermione 1'arrivée des Romains, il dépêcha un courier a fon frere Ammatas ,  su Bas~Empib.E. Liv. XLH. i%% matas, qui étoit a Carthage , pour lui donner ordre de fe défaire d'HiU déric & de tout ce qui reftoit de fa familie, de faire prendre les armes aux Vandales, & a tous les habitants eapables de les porter, & de mar-i cher k leur tête vers Décime, poui y attaquer de front les Romains . tandis qu'il les ehargero.it lui*même par derrière. Décime étoit un défilé fur le chemin a dix mille de Carthage. Ammatas, fuivant fesordres. fit égorger Hildéric, Evagès & leur; amis. Hoamer étoit mort avant ce maffacre. Les Vandales fe tinrent pret: k partir lorfqu'il feroit temps. Gélimer fuivoit d'abord les R&mains fans qu'ils en euffent connoiffance : mais la nuit qu'ils camperent k Grafie, les coureurs des deux armées s'étanl rencontrés &c féparés après une efcarmouche, ceux des Romeins porterent au camp la nouvelle de 1'approche des ennemis. Le lendemain on perdit la flotte de vue, paree que le promontoire de Mercure,fort avancé dans la mer , & bardé d'écueils , 1'obligeoit k prendre un long circuit: Bélifaire fit dire a Calonyme de oe Tornt IX, I JuSTIi NI EN. A,nn. 53J. i  JUSTINI EN. Ann. 533. XVIII. Défaite i'Ammatas. Proc. Vani.l. i. c. 18. Theoph. p. 163,164. 1 I i 1 \ 1 < 1 194 HlSTÖIRE pas approcher de Carthage de plus de trois lieues jufqu'a nouvel ordre. Cependant Gélimer détacha fon neveu Gibamond avec deux mille hommes, & lui ordonna de prendre les devants fur la gauche , afin d'envelopperles Romains, qui, en^arrivant a Décime , fe trouveroient enfermés entre la mer a leur droite, Ammatas devant eux , Gibamond k leur gauche, & derrière eux le gros de 1'armée. Une difpofition fi bien concertée auroit jetté Bélifaire dans un péril digne de lui, fans la précipitation d'Ammatas. Au-lieu de venir avec toutes fes forces , & de compaffer fa marche pour n'arriver a Décime qu'au moment ou 1'armée Romaine s'engageroit dans le défilé , il fe hata de partir de Carthage avec .in efcadron de cavalerie, après avoir 5rdonné au refte de le fuivre : & kant arrivé avant midi lorfque les lomains étoient encore élóignés, il ■encontra Jean 1'Arménien qu'il char»ea incontinent. L'aétion fut vive enre les deux troupes ; mais elle ne lura pas long-temps. Ammatas, em»orté par une ardeur téméraire, fe  nu Bas-Empire. Liv. XLIL 195 jette au milieu des ennemis , tue de fa main douze des plus braves, & eft enfin tui lui-même. Ses cavaliers prennent la fuite , & portent 1'épouvante parmi les autres Vandales qui venoient les joindre en défordre &i par pelotons. Tous s'enfuirent vers Carthage, croyant avoir déja fur les bras 1'armée entiere. JeanFArménien, avec fes trois cents cavaliers, les pourfuivit jufqu'aux portes de la ville , & dans eet efpace de dix mille pas, il en fit un fi grand carnage, qu'on auroit cru que les vainqueurs étoient du moins au nombre de vingt mille. Gibamond n'eut pas un fort plus heureux; a deux lieues de Décime dans une plaine ftérile & déferte ou les eaux font fi falées, qu'on la nommoit la campagne de lel, il rencontra le détachement des Huns qui couvroient la gauche de Bélifaire. Le cavalier Hun , qui, fuivant 1'ufage de la nation, avoit le privilege héréditaire d'aller le premier a l'attaque, s'avan$afeulpourcombattre; & comme les Vandales étonnés de cette audace demeuroient immobiles , il retourna vers les fiens en criant: CharI ij JUSTINIEN. Ann. J33i  JUSTIKI EN. Ann, 533. XIX. Bélifaire cncourage fes foldats. Proc. Vand. I. I. <• 19. ijTheoph. p. '64. Ipö HlSTOIRE geons , camarades; ceft une proie qui nattend qua étre dêvorée. Les Huns fondent avec furie fur les Vandales qui fe débandent aufli - tot, & périffent tous avec leur chef. Les deux armées ignoroient également la défaite d'Ammatas & celle de Gibamond. Bélifaire, arrivé a une lieue & demie de Décime , trouva un terrein propre pour un campement; il y logea fon infanterie, & ayant affemblé toutes les troupes, il leur paria en ces termes:»Romains, » & vous braves alliés , voici Poc» cafion de montrer votre valeur. » L'ennemi approche ; notre flotte » eft éloignée; toutes nos refïburces » font dans notre courage. Nous n'a» vons point de places de füreté , » point de remparts pour nous coüw vrir après une défaite. Mais fi nous » combattons aujourd'hui en gens de » cceur , la guerre eft terminée. Que » de motifs doivent animer notre » confiance! Nous avons pour nous » la juftice ; 1'Afrique eft notre pa» trimoine : le Ciel trahira-t-il une » entreprife ft légitime? Gélimer eft >> un ufurpateur, couvert du fang de  du Has-Empihe. Liv. XLI7. 197 » fes Rois. Quels efforts voudra faire » le foldat Vandale pour un Tyran » qu'il détefte ? Depuis un fiecle que » nos ennemis ont envahi 1'Afrique, » piongés dans une molle oifiveté , » ils ont perdu 1'habitude de la guer» re ; ils ne 1'ont faite qu'aux Mau» res, nation fuyarde, auffi défar» mée 8c auffi timide que fes trou» peaux. Vous, au contraire, toujours » dans lesallarmes, vous n'avez ceffé » d'entretenir cette chaleur martiale » qui décide du fort des combats. » RamafTez aujourd'hui toutes les » forces que vous avez tant de fois » employées contre les Perfes, &c » ne doutez pas qu'une vicfoire en» core plus complete ne couronne » vos efforts contre un ennemi beau» coup moins redoutable ". Après les avoir animés par ces parol es , il laiffa 1'infanterie dans le camp, Sc fortit a la tête de fes cavaliers , voulant reconnoitre les forces de l'ennemi, avant que de livrer une bataille générale. II fit prendre les devants aux efcadrons des peuples alliés, Sc fuivit avec la cavalerie Romaine, Les alliés étant arrivés I iij JUSTIN1EN. Ann. 5Jj. XX. Fuite d( Gélimer.  JüSTINIEN. _ Ann. 533. 3 '1 1 J 1 < i i i < < 1 1.98 H I S T O I R B-. a Décime, virent étendus par terre les douze Romains qu'Ammatas avoit tués, le cadavre d'Ammatas même, & autour de lui quelques Vandales. Ayant appris des payfans du voifinage ce qui s'étoit paffe en ce lieu, ils ne favoient de quel cöté diriger leur route pour rejoindre Jean 1'Arménien. Comme ils jettoientlesyeux de toutes parts, ils appercurent du cöté du midi une nuée de pouffiere, lil fein de laquelle ils découvrirent aientöt toute la cavalerie Vandale. !Is envoyerent en diligence en donner ivis a Bélifaire. Les uns vouloient ans Fatten dre courir fur Fennemi; es autres repréfentoient que la parie étoit trop inégale. Pendant cette :onteftation, Gélimer approchoit, & 'e trouva en préfence. II marchoit mtre la cavalerie de Bélifaire & le orps des Huns qui avoient défait jibamond; mais les cóteaux qui les éparoient les avoient empêché de e voir les uns les autres. Au milieu le la plaine s'élevoit une colline, lont les alliés des Romains & les Vandales vouloient également s'em'arer, comrrte d'un pofte avantageux,  nv Bas-Empihe. Liv. XLI1. 199 foit pour fe retrancher, foit pour fondre fur 1'ennemi. Les Vandales gagnerent de viteffe, & tombant de-la fur la cavalerie des alliés, ils 1'enfoncerent &c la mirent en déroute. Les fuyards rencontrerent a unelieue de Décime, Vliaris, garde de Bélifaire a la tête de huit cents cavaliers, qui formoient 1'avant-garde. Vliaris, aulieu de rallier ceux qui fuyoient, prit lui-même la fuite , & tous enfemble , faifis d'épouvante,allerent joindre le Général. C'en étoit fait des Romains, fi Gélimer, profitant de ce défordre, eut alors attaqué Bélifaire , fort inférieur en forces, & dont les troupes étoient efFrayées. II pouvoit encore tourner vers Carthage, tailler en pieces les cavaliers de Jean 1'Arménien •difperfés dans la campagne , oh ils s'arrêtoient a dépouiller les morts , s'affurer de la ville, fe rendre maïtre de la flotte Romaine qui n'en étoit pas éloignée, & de toutes les munitions de 1'armée. C'eüt été ravir aux Romains & les moyens de fubfifler en Afrique, & 1'efpérance d'en fortir. II ne fit rien de ce qu'il devoit faire; mais a la defcente de la colline , 1 iy JUSTIN1EN. Ann. 553.  JUSTTNIEN. Ann. j3 3. 1 ( ] j i < t I f *oo H 1 s t o 1 r e ayant appereu le cadavre de fon frere , il s'abandonna aux regrets & aux pleurs, & perdit des moments h precieuxa lui rendre les honneurs funebres. L'occafion de vaincre lui echappa, & ne revint plus. Bélifaire, ayant rencontré les fuyards, les rallie, leur reproche leur fêcheté, apprend ie fuccès de Jean 1'Arménien, s'inftruit de la fituation des lieux & de letat des ennemis, &, fans perdre un moment, il court aux Vandales. Ceux-ci, mal en ordre, & plus öccupes des furérailles que des difpofitions néceffaires pour un combat, ne tiennent pas contre cette attaque imprevue. Ils fe débandent-; il enpérk m grand nombre, & la nuit feule nit hn au carnage. Gélimer, aveuglé >ar la terreur, au-lieu de fefauvera -arthage ou dans la Bizacene, prit a route de Numidie, fuyant jour >£ nuit, & ne s'arrêta que dans les •laines de Bule a quatre journées de ^arthage. Sur le foir, Jean 1'Arménien 'f |es. Huns fe rendirent auprès de iehfaire; & après avoir appris fa ictoire, & raconté eux-mêmes leur ■iccès^ ils pafferent la nuit enfemble  nu Bas-Empire. Liv. XL/I. aoi prés de Décime dans la joie & dans le repos. Le lendemain , 1'infanterie étant venue les joindre , ils marcherent tous vers Carthage , ou ils arriverent a 1'entrée de la nuit. Ils trouverent les portes ouvertes. Les habitants avoient illuminé toutes les rues ; ils célébroientce moment heureux comme celui de leur délivrance, tandis que les Vandales éperdus, fe refugioient dans les Eglifes, oü, pales de frayeur , ils tenoient les autels embraffés. Pour recevoir la flotte Romaine qu'on commencoit a découvrir, on retira la chaine qui fermoit 1'entrée du port. Cependant Bélifaire ne voulut pas entrer pour lors dans la ville, foit par défiance de quelque trahifon , foit qu'il appréhendat qu'a la faveur des ténebres, les foldats ne s'abandonnaffent au pillage. II palfa la nuit a quelque diftance, auprès d'une Eglife de Saint-Cyprien. C'étoit la veille de la fête de eet illuftre Martyr, qu'on célébroit k Carthage avec grande folemnité le 14 de Sep-tembre. Tandis qu'Ammatas étoit alle attaquer le^ Romains a Décime, les Iy JUSTIÏ1IEN. Ann. s 3 5XXI. Bélifaire arrivé a Carthage. Proc. Vand. I. I.' c. 2.0 , 21 , 23. Cod.l. I. fit. 27. leg. I. Theoph. f. 164, 165, 166. Glycts , p. 166. Mare. chr.  JUSTINIEN. Ann, jjj. j I i 1 J 1 ( i 204 H I S T 0 I R E Prêtres Ariens, établis en ce lieu depuis que les Vandales en étoient maitres, fe tenant affurés de la victoire, avoient paré 1'Eglife de fes plus riches ornernents pour la fête du lendemain. A la nouvelle de la défaite des Vandales, ils avoient pris la fuite, & Bélifaire trouva les Catholiques deja en poffeffion de 1'Eglife, &qui achevoient de tout préparer. II pofta des gardes aux portes, & défendit aux foldats d'en approcher. Pendant cette nuit, les prifonniers Romains furent délivrés , fans être obligés d'attendre cette faveur de Bélifaire. Dans le palais voifin du port étoit un cachot vafte & profond, ou le tyran tenoit enfermés plufieurs mar:hands Romains, qu'il aecufoit d'afoir excité 1'Empereur a la guerre. II avoit déja prononcé leur fenten£e,&ordonné qu'on les réfervatpour :tre mis è mort au milieu de la pom>e de fon triomphe, lorfqu'il renreroit viöorieux. Le conciërge, infruit de 1'arrivée des Romains, défendit au cachot; & comme les pribnniers trembloient a fa vue, s'inaginEnr qu'il yenoit. les chercher  du Bas-Empire. Liv. XLIL 203 pour .les conduire au fupplice : Que ' me donnere{-vous , leur dit - il, fi jz vous rends La liberté? Tous répondirent qu'ils étoient prêts a lui abandonner cè qu'ils poffédoient. Eh! bien, ajouta-il-, je ne vous demande ni or ni argent; jure^moi feulement que quand vous ferei libres , vous vous intérefere{ de tout votre pouvoir en ma faveur auprès de vos maüres & des miens. Eft même-temps, ayant ouvert une fenêtre, il leur fit voir a la clarté de la lune les vaifleaux Romains qui entroient dans le port, & les mit ea liberté. = i Ces vaifleaux étoient ceux de Calonyme , qui, malgré la défenfe de Bélifaire, venoient piller la ville. Voici comment la chofe arriva. Calonyme, ne fachant rien de ce qui fe paffoit a terre, envoya au promontoire de Mercure pour en apprendre des nouvelles. Inflruit du fuccès de Bélifaire , il continua f£ route vers Carthage. On n'en étoi qu'a fept lieues lorfqu'Archélaüs fi jetter les ancres pour affembler 1< Confeil, & délibérer fur le parti qu'oi dsvoit prendre. II vouloit, felon le; JUSTINIEN. Un. 533.' XXII. Approche de la flott: te. t  JUSTI. NX EN. Ann. J3J, J i i ( < 4 1 1; r li 11 < •fc 4i i ê Sn pi fi0* Ars Tb B ordresduGé^l^'arréle^^ lieues en-deca de la ville, & les gén* de guerre etolent & fon ^ ^ Calonyme&les gens de mer repré* pemtdabn, & ou'on 4ïoti « ta veiUe dejfuyer la violente Tempéte, nommé* la Lyprunnt, paree qu\lU ne manauoit 'amais de men» tous les ans vers U ete de Saïnï Cyfrkn : qu'il n'en échapsou pas un feul vaifeau. Vour obéïr \ üehlaire , autant qu'on le pouvoit ans danger, on fut d'avis de ne point Her jufqua Carthage, d'autant plus [u on croyoit la chaine encore tenue a 1'entrée du port, qui d'ailleurs toit trop petit pour contenir toute 1 flotte > mais de fe mettre en ftV èté .dans Ie port de 1'Etang a deux eu&s cte k vilfe, JIs y arriverent ir le foir : la -mi* -étan* Venue-, alonynïe avec quelques Vaifleaux-, ns avoir égard aux ordres de £éfaire , eiflgla vers Cartïhage , entra ms le port, nommé pour lors Manacium, defcendit è terre avec fes atelots bien armés; & apr-ès avoir K les magafins & les maifons ïfines, Ü ^tourna, cfear-gé de lm*  nu Bas-Emmrx. LPo. XL11. 205 tin, rejoindre le refie de la, flotte. Le jour fuivant, Bélifaire fit débarquer les foldats des vaifleaux, & les ayant joints aux autres troupes, ilmarcha en ordre de bataille, crainte de quelque furprife. Avant que d'entrer dans la ville, il fit faire halte, & repréfenta aux foldats: Qu'ils étoient redevables de leurs fuccès d leur modération d 1'égard des Africains ; que Carthagcétoit une ville Romaine, qui n'avoit fubi que par force le joug des Vandalts 1 qu'elle avoit gèmi fous la tyrannie des Barbares, & que c'-étobt pour l'enJélivrtr que 1'Empereur avoit entrepris la guerre ; qu'ils devoient y obferver la plus exa&e difcipline ; que ce feroit une perfidie criminelh , de maitraiter des peuples qu'ils étoient venus mettre en liberté. II entra dans Carthage au milieu des acclamations , & marcha au palais , ou il s'aflit fur le tröne de Gélimer. Les habitants, accourus en foule, regar'doientle Général Romain comme un Amge tutélaire.; ils embraffoient fes foldats; ils s'embraffoient les uns les fflutres en verfant des larmes de joie; als craignoient:qaexe ne fut un fonsge, Tout Tefpiroit la plus vive allégrdSe, jTJStl- iftn. 5 3.5, XXIII. Sntrée de Bélifaire dans Carthage.  • Justi- NIEN. Ann. 533. XXIV. Tranquillité dans la ville. 20(5 H I S T 0 I R E Mais ceux qui occupoient les maifbris voifines du port vinrent en grand : nombre fe pla'indre au Général .du pillage de la nuit précédente. Bélifaire fit venir Calonyme , & 1'obligea de jurer qu'il feroit rapporter fidélement, &c rendre aux propriétaires tout ce qui leur avoit été enlevé. Calonyme jura, & retint tout ce qu'il put. Procope attribue a une punition divine Paccident qui lui furvint peu après fon retour k Conftantinople : ce parjure tomba en frénéfie , & motirut en fe déchirant la langue avec les dents. Deux jours avant Parrivée de Bé-, lifaire, on avoit fait les apprêts d'un grand fe.ftin, qui devoit couronner la viöoire de Gélimer. Le Général s'étant mis k tableavec fes principaux Capitaines , fe fit fervir les même* viandes, dans la même vaiffelle, par les Officiers du Roi des Vandales : fpecfacle frappant, qui faifoit fentir combien eft caduque & paflagere la propriété des pofleftions humaines. Le vainqueur fit connoitre en ce jour qu'il n'avoit pas moins de force peur contenir fes troupes que pour yaincre  nv Bjs-Empire. Lil). XLII. 207 les ennemis. Depuis la décadence de la difcipline Romaine , il fembloit impoffible d'empêcher le défordre dans une ville , oü auroient feulement paffe cinq cents foldats. L'ar-. mée entra dans Carthage , comme elle feroit entree dans Conftantinople ; on n'y entendit pas une parole outrageante , pas une plainte. Le commerce ne fut point interrompu ; les boutiques demeurerent ouvertes; les Officiers de la ville diftribuerent tranquillement aux foldats des billets de logement, & les foldats payerent les vivres qu'ils voulurent acheter. Bélifaire leur partagea les richeffes qui furent trouvées dans le palais de Gélimer. II donna parole de füreté aux Vandales qui s'étoient réfugiés dans les Eglifes. Aufli-töt il s'occupa du rétabliffement des murailles , tellementruinées, que la ville étoit hors d'état de foutenir un fiege. Comme il payoit libéralement les ouvriers, les breches furent incontinent réparées, & les murs environnés d'un foffé profond & d'une forte paliffade, Ce fut ainfi que les Romains entrerent dans Carthage , quatre - vingts- JUSTINIEN. Ank. 533.  Jvsn- NIEN. •Ann. 533. XXV. Belle action de Diogene, 4 -] 20o HlSTOIRE qinnze ans depuis qu'elle avoit été prife par Genferic. Gélimer n'avoit pas encore perdu toute efpérance. II engagea par argent les payfans Africains a maffacrer les Romains qu'ils trouveroient difperfés dans les campagnes, leur promettant une récompenfe pour chaque tête qu'ils lui apporteroient. Ils en égorgerent en effet un affez grand nombre; mais ce n'étoient que des valets de 1'armée , qui s'écartoient du camp pour piller les villages voifins. Gélimer, croyant que c'étoient autant de foldats, paya ces têtes plus cher qu'elles ne valoient. Un des gardes de Bélifaire, nommé Diogene, echappa du danger par fa bravoure. Envoyé avec vingt - deux cavaliers pour reconnoitre 1'ennemi , il s'arrêta dans un hameauii deuxjouTnées de Carthage. Les habitants nefeièntant pas affez forts pour fe rendre maïtres de ceire troupe, en dorinefent avis a Gélimer, qui dëtacha fur Ie champ trois cents cavaliers, avec jrdre de s'en faifir & deksluiameier. Diogene, qui favoit que Jesen»mis étoient loin de-ia, s'étoit logé  nu Bas-Empire. Liv. XLII. 209 dans une métairie oü il repofoit tranquillement. Les Vandales , arrivés avant le jour, ne jugerent pas a propos de forcer 1'entrée , craignant de fe méprendre dans un combat de nuit, & de fe tuer les uns les autres , tandis que Pennemi leur échapperoit a la faveur de 1'obfcurité. Ainfi en attendant le jour, ils fe contenterent d'inveftir la maifon. UnRomain, réveille plutöt que les autres , entendil un murmure 6c un cliquetis d'armes; & devinant ce que c'étoit, il courul avertir Diogene 6c fes camarades. Ik fe levent en diligence , prennent leur; armes, fellent leurs chevaux, 6cs'étant rangés fans bruit derrière la por te , ils 1'ouvrent tout-a-coup , öc s'é lancent au travers des gardes, fe cou vrant de leurs rondaches, 8c frappan a droite 6c k gauche k grands coup de piqués. Diogene fauva ainfi 1 troupe, dont il ne perdit que deu cavaliers. II recut lui - même quatr bleflures, qui ne fus amene? reprit Theudis. Comme : repliquoient, qu'ils venoient lui opofer unealliatice auffi avantageu^  du Bas-Empire. Liv. XLII. 211 fe aux Vifigoths qu'aux Vandales : Retoumei, leur dit-il, d Carthage, & informe{-vous de that de vos affaires. Ils prirent ce difcours pour celui d'un homme ivre , dont les paroles ne méritoient pas d'être relevées. Mais le lendemain ayant réitéré la même propofition Sc re$u la même réponfe, ils commencerenta craindre qu'il ne fut arrivé quelque difgrace k leur nation. Cependant, bien éloignés de croire le mal aufli grand qu'il étoit en erfet, ils firent voile vers Carthage. A leur entrée dans le port, ils furent arrêtés & conduits a Bélifaire, qui, fans leur faire aucun mal, apprit de leur bouche tout le fecret de leur ambaffade. Le Tyran, fruftré de 1'efpérance cfn'il avoit fondée fur le fecours de Theudis, raffembla dans les plaines de Bule tout ce qu'il put de Vandalas ck de Maures. Ceux-ci n'étoienl que des brigands fans chef & en petii nombre. Tous les Princes de Mauritanië , de Numidie & de Bizacene. avoient envoyé affurer Bélifaire de leur foumiffion, & lui avoient promis des troupes. Plufieurs d'entr'eiu JUSTIKIEN. Ann. 533. xxvm Conduite des Maures dans cette guerre. Proc. Vand.l. li c. 15.  JüSTIN1EN. Ann. J3J XXVI11. Zazon re. 212 H I S T 0 1 X E • lui donnerent même leurs enfants en ötage, & voulurent recevoir de lui les marqués de la royauté. Cétoit un ancien ufage que les Princes Maures ne priffent la qualité de Rois, qu'après avoir recu de 1'Empereur Romain une forte d'inveiriture; & paree que depuis la conquête ils ne Ia tenoient que de la main des Vandales , ils ne fe croyoient pas folidement établis. Ces ornements étoient un fceptre d'argent doré, un diadême d'argent orné de bandelettes, un manteau blanc qui s'attachoit fur 1'épaule droite avec une agraffe d'or, une tunique blanche peinte de diverfes figures, & des brodequins relevés en broderie d'or. Bélifaire envoya ces parures avec une fomme d'argent k chacun de ces petits Princes , qui paffoient fous Ja protedion de 1'Empire. Cependant aucun d'eux ne^ lui fournit des troupes non plus qu'aux Vandales ; ils garderent laneutralité, attendant la dettruftion totale de 1'un des deux partis , pour fe déclarer en faveur de 1'autre. La nouvelle d'une fi foudaine révolution n'arriya en Sardaigne qu'a-  nu Bas-Empire. Liv. XLIL 213 vee les lettres de Gélimer. Son frere Zazon, après la.défaite Sc la mort de Godas , lui avoit écrit en ces termes : Uufurpateur a fiibi la punt due d fes forfaits; nous fommes maitrest de l ifle entiere. Célébre^ notre vicloire par des fêtes. Tapprends que nos enne . is ont ofi porter la guerre en Afrique: leur audace ne fera pas plus htureufe que na été celle de leurs peres. Ceux qui furent chargés de cette lettre arriverent au port de Carthage fans nulle défiance. Ils furent bien furpris de fe voir arrêtés Sc conduits devant Bélifaire , qui, après les avoir interrogés, les retint a Carthage fans leur faire aucun mauvais traitement. Cependant Gélimer, abattu par fes malheurs , réfolut de rappeller Zazon dont la valeur étoit célebre , Sc dont il ignoroit encore les fuccès. Le Vandale chargé de fa dépêche, trouva heureufement un vaiffeau prêt a partir , & étant arrivé a Carale, il re< mit a Zazon la lettre de fon frere. » Ce n'eft pas Godas, difoit Géli» mer , c'eft la colere divine qui » nous a enlevé la Sardaigne , pour. » vous féparer de nous, Sc pour dér JüSTIN JEN. Ann. 533. vient en Afrique. Proc. Vand. I. I. c. Theoph. p, 166.  JUSTIKIEN. Ann. 533. 0.14 HlSTOIHE » truire plus facilement la mailbri » de Genféric , en lui ötant le fe» cours de votre valeur, & 1'élite » de nos guerriers. Votre départ a » rendu Juftinien maitre de 1'Afri» que. Nos défaftres font bien fen» tir que le Ciel avoit réfolu notre » perte. Bélifaire n'eft defcendu qu'a» vee peu de troupes; mais le cou» rage des Vandales a difparu , & » notre fortune eft détruite. Amma» tas & Gibamond ne font plus ; nos » villes, nosports, Carthage & 1'A►> frique entiere font aux ennemis. » Les Vandales, infenfibles a la perte » de leurs biens, de leurs femmes & >> de leurs enfants, paroiffent s'être >> oubliés eux-mêmes. II ne nous ref» te que la plaine de Bule , ou nous * vous attendons comme notre der>> niere reflburce. Laiffez - la le Ty- > ran, abandonnez-lui la Sardaigne ; 1 venez nous joindre avec vos bra- > ves foldats. Quand le cceur eft en > danger, c'eft tout perdre que de > s'occuper k fauver les autres par- > ties. Venez, mon frere; en réu- > niflant nos forces,nous réparerons » nos infortunes, 011 nous les adou-  nu Bas-Êmpire. Liv. XLH. 215, » ciröns en les partageant enfemble ". La leciure de cette lettre pénétra Zazon 8c fes Vandales d'une douleur auffi fenfible qu'elle étoit imprévue, Ils s'efForcerent néanmoins de cacher leur affli&ion aux habitants del'ifle, & ce n'étoit qu'entr'eux qu'ils donnoient un libre cours a leurs larmes. Après avoir mis ordre aux affaires de Sardaigne le plus promptement qu'il fut poffible, ils s'err.barquerent, 8c arriverent en trois jours k la cöte d'Afrique fur les confins de la Numidie & de la Mauritanië. Ils marcherent de-la vers la plaine de Bule, 011 ils fe réunirent au refte des troupes. Ce fut une douloureufe entrevue , & capables d'attendrir leurs ennemis mêmes. Gélimer & Zazon , fe tenoient étroitement embraffés, & s'arrofant mutuellement de leurs larmes, ils ne s'exprimoient que par leurs gémiffements 8c leurs fanglots. Les Vandales des deux armées s'aborderent avec un empreffement de défefpoir ; attachés les uns fur les autres, 8c ne pouvant fe féparer, ils fe raffafioient de la trifte confolation de fe eommuniquer leur douleur. Le fen- JUSTI' NIEN. Ann. 533.'  JüSTINIEN. Ann. 5,33. XXIX. Tentative de Géitmer fur Carthage. Proc. Vand. I. 2. t. I. Theoph. p. 166. i j 1 2I Ann. 53j 220 H I S T 0 I H E repas, quand leurs coureurs vinrent les avertir que les Vandales marchoient a eux. Entre les deux armées couloit un ruiffeau, au bord duquel Gélimer rangea fes troupes. Zazon fe placa au centre : les Maures faifoient 1'arriere - garde. Gélimer courant au travers des rangs, exhortoit fes gens a bien faire : il leur avoit déja donné ordre de ne fe fervir que de leurs épées, fans faire ufage des armes de jet. Les Romains, exercés par Bélifaire k faire avec précifion Scpromptitude toutes les évolutions, furent bientöt en bataille. A I'aile gauche, étoit la cavalerie des alliés , k la droite , la cavalerie Romaine. Au centre ,^ aurour de 1'enfeigne générale, étoit un corps de cavalerie cPélite avec les gardes de Bélifaire fous les ordres de Jean lArménien. Les Huns, fèlon leur ufage, formoient un corps de réferve. Bélifaire conduifoit 1'infanterie qui compofoit 1'arHere-garde avec cinq cents cavaliers. Comme elle marchoit plus Ientement, il en détacha les cavaliers, & vint lift même a leur tête joindre le refte de la cavalerie, qui courut auffi-tót k  nu Bas-Empire. Liv. XLIL iiï rennemi. Ils n'étoient plus féparés que par le ruiffeau, lorfque Jean 1'Arménien, a la tête d'un efcadron,le paffa par ordre de Bélifaire, & alla charger le centre de 1'armée Vandale. Zazon le recut avec vigueur , &£ Pobligea de repaffer le ruiffeau,'fans ofer le franchir lui-même. Jean revint k la charge avec un corps plus nombreux, & fut encore repouffé. Enfin, ayant pris avec lui 1'enfeigne générale, & fe faifant fuivre de tous les gardes de Bélifaire, il fe lanca une troifieme fois avec tant de furie, en pouffant de grands cris, que les Vandales,! malgré les plus vigoureux efforts, ne purent faire plier cette troupe invincible. Les plus braves y périrent, & Zazon avec eux. Dans ce moment, toute la cavalerie de Bélifaire s'étant ébranlée, franchit le ruiffeau, & chargea les ennemis. Le centre étant enfoncé & rompu, les deux aïles qui pouvoient aifément envelopper un fi petit nombre de cavaliers , ne fongerent qu'a la fuite. Les Huns fe joignirent au refte de la cavalerie pour tailler en pieces les fuyards. Mais la pourfuite K iij JUSTINIEN. Ann. 535.  JüSTINIEN. Ann. 533. i i i j 5 I 222 H I S T O I R £ ne fut pas longue; les vaincus eti* rent bientöt regagné leur camp, oü Bélifaire ne jugea pas a propos de les attaquer, fon infanterie n'étant pas encore arrivée. En 1'attendant, les vainqueurs dépouillerent les morts qu'ils voyoient couverts de riches armures. Cette bataille, qui décida en un moment du fort des Vandales , ne coüta que cinquante hommes aux Romains, & huit cents aux Barbares. Une perte fi légere caufa la déroute d'une armée de cent mille hommes; Sc ce qui tient encore du prodige, c'eft que Bélifaire remporta cette grande vicloire avec fa feule cavalerie, qui n'étoit que de fix mille bommes. Ce récit paroitroit fabuleux, s'il n'étoit attefté par un Hifforien intelligent & témoin oculaire. Dn peut dire a la vérité que les Vanlales portoient d'avance dans leur rceur la fuite & 1'épouvante, & que a terreur du nom de Bélifaire, la /aleur de Jean 1'Arménien & la mort le Zazon, ne firent qu'achever leur léfaite. Mais malgré ces raifons, on ie peut s'empêcher de conclure que Sélimor étoit un très-mauvais Géné-  du Bas-Empire. Liv. XLII. 223 ral. Ce fut Bélifaire , qui, le premier ' depuis Jules Céfar, rendit aux Romains 1'habitude de vaincre des ennemis très-fupérieurs en nombre. _ L'infanterie arriva lorfqu'il étoit déja tard , & Bélifaire marcha fur le champ avec toutes fes troupes vers le camp ennemi. Dès que Gélimer en fut averti, il fauta fur fon cheval, & fans dire une parole, fans killer aucun ordre, il s'enfuit a toute bride, & prit la route de Numidie, n'étant fuivi que d'un petit nombre de fes parents & de fes domeftiques. Les Vandales ne s'appercurent pas d'abord de fa fuite; mais le bruit s'en étant répandu, ce ne fut plus parmi eux que défordre & que tumulten Ils fe précipitent en foule par toutes les portes, abandonnant leurs richeffes &c les perfonnes qui leur font les plus cheres, & qui ne peuvent les fuivre que par leurs cris déplorables. Toute la plaine eft remplie d'hommes, de chevaux, d'enfants, de femmes , de fuyards & de défefpérés. Les Romains s'emparent du camp , & courent k la pourfuite, maffacrant les hommes, enlevant les K iy JUSTINI EN. Inn. J3J. XXXII. Gélimer abandonne fon camp.  JUSTI KIEN. Ann. ;33« XXXIII. Suites de Ja vicloire. Proc. Vand. I. 1. c. 4. Theoph. p. 167, 168. 224 H 1 s t 0 1 n e femmes & les enfants. Le butin fut immenfe. Les dépouilles de 1'ltalie, de la Sicile & de la Grece, tant de fois pillées par Genféric-, celles de Carthage & de toute 1'Afrique ; 1'or & 1'argent entalTés pendant un iiecle par une nation avare ? dans un pays qui, fans avoir befoin de marchandifes étrangeres, nourrilloit par fa fertilité inépuifable les nations voifines , tant de tréfors accumulés furent la proie des vainqueurs. Cette derniere bataille fe donna vers le milieu de Décembre , trois mois depuis 1'entrée de Bélifaire dans Carthage. Ce Général paffa la nuit dans une grande inquiétude. Une bonne partie des troupes étoit hors du camp: il craignoit que les ennemis ne revinffent de leur épouvante, & ne fiffent payer bien cher aux Romains la joie de la vicloire. Dans le défordre ou fe trouvoient les vainqueurs , un corps de cinq a fix mille hommes auroit fuffi pour les tailler en pieces. Difperfés de toutes party, feuls ou deux ou trois enfemble, ils s^enfoncoient dans les forêts, fouilloient les grottes & les cavernes dans  du Bas-Empirë. Liv. XL1L 225 l'efpérance cPy trouver quelque fuyard ou quelque tréfor. Enivrés de leur bonheur, éblouis de la beauté de leurs prlfonnieres, ils fembloient avoir oublié leur Général 8c leur armée , 8c ne fongeoient qu'a retourner a Carthage , póur y jouir de leur nouvelle profpérité. Une fortune de quelques moments les rendoit déja preique femblables aux Vandales. Dès que le jour parut, Bélifaire monta fur un tertre au bord du chemin. De-la , k mefure qu'il voyoit paffer des Officiers ou des foldats, il les arrêtoit 8c les remettoit en ordre, leur faifant de vives réprimandes. Ceux qui étoient a portée de le voir 8c de 1'entendre s'attroupoient autour de lui, 8c envoyoit a Carthage leur butin 8c leurs prifonniers, fous la garde des valets de 1'armée. 11 fit partii deux cents cavaliers fous la conduite de Jean 1'Arménien, avec ordre de pourfuivreGélimer jour 8c nuit, juf qu'a ce qu'ils reuffent pris vif 01 mort. II écrivit a Carthage de fairi quartier aux Vandales qui fe feroien réfugiés dans les Eglifes des envi rons, 8c de les conduire a la ville K y JüSTINIEN, Ann. 535. S  JUSTINIEN. Ann. 533, XXXIV. Mort de Jean 1'ArKisnien. : ■) Ü&6 HlSTÖIRB pour les y garder jufqua fon retour; II parcourut en perfonne les campagnes avec ce qu'il avoit ralTemblé de troupes, raffurant les Vandales qu'il rencontroit, & leur donnant parole qu'il ne leur feroit fait aucun mal. Les Èglifes des villages en étoient remplies; on fe contentoit de les défarmer & de les envoyer a Carthage fous bonne garde par bandes féparées, de crainte qu'étarrt en trop grand nombre , ils ne fe portaffent a quelque violence. Après avoir donné ordre a tout, il marcha lui-même en diligence avec une partie de fes troupes pour aller chercher Gélimer. II y avoit déja cinq jours que Jean 1'Arménien pourfuivoit fans relache ce Prince fugitif, & il étoit prêt de l'atteindre, lorfqu'un funefte accident le priva d'urte gloire que fon éclatante valeur avoit bien méritée. Entre les Officiers qui 1'accompagnoient étoit Vliaris, garde de Bélifaire, homtne de cceur & d'une force de corps ?xtraordinaire , mais déréglé dans "es moeurs, & fort adonné au vin. ^etiixieme jour, Vliaris, déja ivre au ever du foleil, couroit derrière Jeafi  r>ü Bjs-Empire. Liv. XL1I. 227 1'Arménien, &'voulant abattre un oifeau perché fur un arbre , au-lieu d'adreffer a 1'oifeau, il perca le col de Jean de part en part. On celTa la pourfuite pour ne fonger qu'a la bleffure du Capitaine. Tous les foins furent inutiles; il expira peu après. On fit favoir k Bélifaire cette trifle nouvelle. II accourut auffi-töt, arrofa le tombeau de fes larmes, le fit décorer avec magnificence ; & pour 1'entretien de ce monument , il y affigna une rente annuelle. Toute 1'armée pleura ce généreux guerrier; il fut regretté des Carthaginois mef mes, auifi charmés de fa bonté & de fa douceur , que les Romains 1'étoient de fa grandeur d'ame & de fon courage. Bélifaire vouloit faire punii Vliaris qui s'étoit fauvé dans une Eglife ; les cavaliers calmerent fa colere, en lui protefbnt que Jean leui avoit fait promettre avec fermem qu'ils demanderoient grace pour a malheureux Officier, qui n'avoit faill que par imprudence. Ce retardement fauva Gélimer. Bé lifaire, arrivé a Hippone, k dix jour nées de Carthage, apprit que ce Prine K vj JUSTIN1EN. Ann. 5 33* l . XXXV. Gélimer affiégélur ï ane non- tsgne,  JUSTINIEN. Ann. 533. XXXVL Tréfors S28 H 1 S T 0 I R E avoit gagné le mont Pappuas, oh il étoit en fureté. C'eft une montagne eicarpée & prefque inacceffible, a 1'extrêmité de la Numidie. Sur la croupe s'élevoit une ville ancienne, nommée Médene , habitée par des Maures alliés de Gélimer , qui s'y renferma avec fa fuite. Bélifaire, ne youlant pas demeurer long - temps éloigné de Carthage, oii fa préfence étoit néceffaire, donna commiffion a Pharas de tenir la montagne bloquée pendant 1'hyver, & d'en garder fi bien les accès, que Gélimer ne put ni échapper, ni recevoir de vivres; ce que Pharas exécuta fidélement. C'étoit un Erule, de race royale, homme aélif, vigilant, exempt des vices qu'on reprochoit k fa nation. II eut foin de choifir des foldats femblables k lui. Bélifaire trouva dans Hippone un grand nombre des Vandales des plus diftingués , qui s'étoient retirés dans des afyles. Ils en fortirent fur fa parole, & furent envoyés k Carthage pour y être gardés iufqua fon retour. Le bonheur qui accompagnoit partout Bélifaire, lui mit alors entre les  du Bas-Empire. Liv* XLII. sap mains les tréfprs que Gélimer s'étoit réfervés comme une derniere reflburce. Dés le commencement de la guerre, ce Prince avoit confié ce qu'il poffédoit de plus précieux a Boniface fon Secretaire , dont il connoiffoit la fidélité. Il 1'avoit envoyé a Hippone avec ordre de fe retirer en Efpagne auprès de Theudis , fi la fortune fe montroit contraire aux Vandales. C'étoit 1'afyle qu'il avoit choifi pour lui-même. Tant que les affaires des Vandales ne furent pas défefpérées, Boniface demeura dans Hippone : mais après la bataille de Tricamare, il s'embarqua , & fit voile.pour 1'Efpagne. Un ventimpétueux 1'ayanl rejetté dans le port, il obtint des matelots a force de prieres & de promeffes, qu'ils feroient tous leurs efforts pour gagner , foit une ifle, foi quelque cöte du continent. Mais li tempête rendant la mer impratica ble, il crut reconnoitre la main di Dieu , qui vouloit livrer aux Ro mains toutes les richeffes des Van dales. II jetta 1'ancre, & fe tint a 1 rade avec un grand danger. Lorfqu': eut appris 1'arrivée du Général Rc Jusn- NIEN. Ann. 533; de Gélimer entre les mains de Bélifaire. I ■ 1  JüSTINI EN. Ann. $33. Ann. 534. XXXVII. Les ifles fe rendent aux Romains. Proc. VanA. I. 2. t. 5. Theoph. p, J68, 169. Zon. *. ƒ/. ?. 66. J 1 ] ( t ï H~ I S T O I R E main, il lui envoya un de fes gens pour lui offrir les tréfors dont il étoit dépofitaire , a condition qu'on lui laifferoit tout ce qui lui appartenoit. Bélifaire 1'ayant promis avec ferment, la chofe fut fur le champ exécutée. Mais Boniface, fi fidele aux intentions de la Providence, ne fe fit aucun fcrupule de s'approprier une bonne partie de ce qu'elle abandonnoit aux Romains. De retour a Carthage, Bélifaire déclara que les prifonniers feroient voile pour Conftantinople au commencement du printemps. II fit en même temps partir divers corps de troupes pour remettre 1'Empire en poffeifion de ce que les Vandales lui ivoient enlevé. Comme les habitants Je la Sardaigne doutoient encore de a défaite de Gélimer, & refufoient le fe foumettre aux Romains , de >eur d'éprouver le reffentiment des barbares, i! y envoya Cyrille avec a tête de Zazon, & lui commanda Ie pafler enfuite en Corfe, pour réluire cette ifle a 1'obéiffance. Cyrille ie rencontra aucun obftacle dans cet£ doublé expédition, Jean, a la tête  t>u Bas-Empire. Lïv. XLII. 231 d'une cohorte qu'il commandoit, fut envoyé a Céfarée de Mauritanië , ville maritime, grande & peuplée, a. trente journées de Carthage. Un autre Officier qui portoit le même nom, marcha jufqu'au détroit de Cadis, & s'empara de la fortereffe nommée alors Septum, aujourd'hui Ceuta, Mtie autrefois par les Romains au bord du détroit. Apollinaire fut chargé du recouvrement de Majorque , Minorque & Ebufe , maintenant Yvice. Cet Officier, ne en Italië, ayant été tranfporté fort jeune en Afrique , s'étoit avancé k la Cour d'Hildéric. Lorfque ce Prince eut été détröné & mis dans les fers , Apollinaire futun de ceux qui allerent implorer la protedtion de Juftinien en fa faveur. II repaffa en Afrique a la fuite de Bélifaire , & fe fignala dans toutes les rencontres. La confiance qu'il avoit méritée, lui fit donner le gouvernement de ces ifles. Bélifaire envoya aufli un corps de troupes dans la Tripolitaine , pour fecourir Pudentius & Tattimuth contre les Maures, qui les fatiguoient par des attaques continuelles. JUSTINIEN. Ann. 534»  JUSTINI EN. Ann. 55,4. XXXVIII Les Goths difputent la poffeflïon de L.ilybée. i 1 1 1 232 filSTOlRS II iurvint alors un différent! entre les Romains & les Goths. Nous avons déja rapporté que Ie grand Théodoric, en mariant fa fceur Amalfride a Trafamond, lui avoit donné en dot la ville de Lilybée en Sicile. Cette place importante étoit reftée entre les mains d'Hildéric, même après la mort d'Amalfride, qu'on le foupconnoit d'avoir fait périr; & les Goths n'en avoient point difputé le domaine è Gélimer. Mais après fa défaite, ils s'en remirent en poffefïion , & reüferent de la rendre au Commiffaire le Bélifaire. Ce Général écrivit en >icile aux Commandants des Goths r Que cc refus étoit une déclaration de ?uerrt : qu'ils agiffoient contre les inté■êts , & fans doute contre les intentions ie leur maïtre , qui avoit recherché avee '■mpreffement Vamitié de 1'Empereur : que ■'étoit une injuflice criante de refufer d hiflinien ce qu'on avoit laiffé fans conejtation d Gélimer : je fouhaite, ajouoit-il, que les Goths ne donnent jamais 1 1'Empereur toccafwn de réveiller dis juerelles heureufement ajfoupies ; mais fi 'ous vous ohftine-i d vous maintenir dans ■ette nouvelle invafion', vous deve^ crain-  du Bas-Empire. Liv. XLII. 333 dre qu'on ne ripete fur vous d main armee , non-feulement Lilybée, mais aufji tout ce que vous ave^précédemment ufurpè. Cette lettre ayant été remde entre les mains d'Amalafonte, les Goths répondirent par ordre de cette fage PrinceiTe : Qu'ils étoient bien éloignés de vouloir offenfer L'Empereur, dont ils favoient que la bienveillance étoit précieufe d leur Prince ; mais que la Sicilt entiere étoit fans exception du domaint des Goths : que fi Théodoric en avoit cédé quelque place aux Vandales, unt pareille concefjion n'avoit pas cke^ eux force de loi, leurs Princes n'étant pa. en droit d'aliéner aucune portion des dé' pendances de leur couronne : que Beli faire feroit jufiice , s'il confentoit d ter miner ce différend par les voies ouverte entre deux peuples amis : que pour eu: ils s'en rapporteroient au jugement a Juflinien, & qu'ils s'y eonformeroient c bon cceur: qu'ils fouhaitoient d leur tot que le Général Romain voulüt bien r rien précipiter, mais attendre la déciflo de fon Souverain. Bélifaire fe rendit une propofition fi raiionnable, & e inftruifit 1'Empereur. Pendant ce temps-la, Pharas qi JUSTIN1EN. Ann. $34. t t e 'e r e n a n • xxxix. 11 Mifere d*  JüSTINI EN. Ann. 534. Gélimer affiégé. Proc. Vand. I. 2. c. 6. Theoph. p. 168. I 1 » 1 ] ( i ï i I f 234 H 1 S T O I s. s tenoit Gélimer affiégé , s'ennuyant de parTer 1'hy ver au pied d'une montagne ftérile , effaya de s'en rendre maïtre. II fit prendre les armes k fes foldats, & monta lui-même a leur tête. Mais les Maures, favoriles par la pente du terrein, les ayant repoulfés avec perte de cent dix hommes, ils regagnerent leur pofte , & Pharas fe contenta déformais d'établir de bonnes gardes pour fermer tous les paffages. Gélimer, avec fes neveux & les fideles compagnons de fes infortunes , fe trouvoit réduit a d'affreufes extrêmités. Les Vandales étoient dors la nation du monde la plus vouptueulé , & les Maures Ia plus mierable. Ceux-ci, renfermés dans des ntttes étroites , ou 1'on refpiroit k )eine , ne connoiffoient même aucun les préfervatifs inventés par les homnes contre Finclémence des faifons. Is n'avoient d'autre lit que la terre ; 'étoit être riche que d'y pouvoir tendre la peau d'un animal avec fon loil. Couverts d'une tunique rude i groffiere , & d'un manreau de mêne étoffe , ils ignoroient Filiale du ain> du vin &z des autres alimemts  nu Bjs-Empire. Lïv. XLII. 235 cue prépare 1'induftrie des hommes. ■ Le pays ne leur fourniffoit que du feigle & de 1'orge, qu'ils broyoient , avec les dents, fans le moudre , ni le faire cuire. Gélimer & fes compagnons fuccomboient aux horreurs d'une vie fi fauvage; ils ne fouhaitoient que la mort, & ne regardoient plus la captivité comme le dernier des maux. Pharas, inff.ru.it de leur défefpoir, écrivit ainfi a Gélimer : » Prince, » je fuis Barbare comme vous, & » je n'ai recu d'autres lecons que » celles de la nature; c'eft elle qui » me dicte ce que je vais vous écri» re. Eft - il donc poffible que vous » vous foyez plongé, vous & votre » familie , dans eet abyme de mife» res , au-lieu de vous foumettre k » votre vainqueur ? Vous chériffez » la liberté , direz-vous fans doute , » & vous êtes réfolu de tout fouf» frir pour conferver un bien fi pré» cieux : mais , dites-moi, Gélimer , » n'êtes-vous pas aöuellement efcla>> ve de la plus vile & de la plus mi» férablenation de la terre? Nevau» droit-il pas mieux mendier chez JüSTÏKIEN. Lnn. 5 34. xl; Lettres de Pharas a Gélimer.  JUSTINIEN. Ann. 534, J S > > >; »; y. » » » »> » » »> » » G la 23Ö H I S T O I R E » les Romains, que d'être Roi des » Maures , & Souverain du mont » Pappuas ? II eft donc honteux, fe» Ion vous, d'obéir a un Prince au? quel obéit Bélifaire ? Revenez de * cette erreur. Je fuis né Prince, Sc > je me fais gloire de fervir PEmpef reur. Je fais que le delTein de Juf- > tinien eft de vous combler d'hon- > neurs , de vous donner de gran' des terres & beaucoup d'argent : ■ Bélifaire vous fera garant de ces ■ avantages. Peut-être penfez-vous qu'étant homme, vous êtes né pour fupporter avec patience tous les caprices de la fortune ; mais fi Dieu vous offre une reffource , pourquoi la refufer} Les faveurs de la fortune ne font-elles# pas faites pour les hommes, auffi-bien que fes rigueurs ? Etourdi par des coups fi rudes, vous n'êtes peutêtre pas en état de prendre confeil de vous-même; fuivez le mien; confentez k être heureux, Sc ne vous fakes pas plus de mal que 1'ennemi n'a voulu vous en faire ". élimer ne put lire cette lettre, fans tremper de fes larmes; il répondit  nu Bas-EmPire. Lh. XLII. 237 en ces termes : » Je vous remercie 3 » de votre confeil; mais je ne puis » me réfoudre k me rendre l'efclave » d'un injufte aggreffeur. Si le Ciel » étoit difpofé a m'écouter, je le » prierois de me mettre en état de » me venger d'un homme , qui, fans » avoir recu de ma part aucune in» ju re, ni de fait ni de parole, m'a » pourfuivi par une guerre cruelle. » II m'envoye je ne fais d'oü un Bé» lifaire, pour dévorer mes Etats, » & me déchirer moi-même. II eft » Prince, il eft homme comme moi; » qu'il fache qu'il peut devenir com»"me moi la viftime de 1'infortune. » Je ne puis en écrire davantage ; le » poids de mes malheurs m'accable » 1'efprit. Adieu, cher Pharas; en» voyez-moi, je vous en fupplie, une » guittare , un pain &c une éponge ". Ces derniers mots fembloient une énigme k Pharas , jufqu'a ce que le porteur de la lettre lui eut rendu raifon d'une demande fi finguliere : » Gélimer, dit-il, demande du pain, » paree qu'il n'en a ni goüté ni mê» me vu depuis qu'il eft chez les » Maures : il a befoin d'une éponge JUSTINIEN. inn. 534  JUSTINIEN. Ann, $34. i XLI. Gélimer i fe rend. j Proc. Vand.l. I. 1 r. 13, «S- /. , 2. c. 7. Theoph. p, I6S. 1 C c 1 6 b r; ti I< d 238 HlSTOIRB » pour nettoyer fes yeux, enflés par » 1'habitude des larmes, jointe k la » faleté de fon habitation : il aime k » toucher la guittare , & ayant com» pofé une chanfon pour adoucir fes >> malheurs, il defireroit 1'accompa. * gner de eet inftrument ". Pharas, ittendri de cette trifte peinture, lui ;nvoya ce qu'il demandoit, & n'en :ut pas moins attentif a garder toutes es avenues. II y avoit trois mois que Gélimer ;toit enfermé ; 1'hy ver approchoit de a fin, & les maux de ce Prince & de a familie croiffoient de jour en jour. igité de continuelks allarmes , il royoit k tous moments entendre les «.omains qui grimpoient fur les rohes : fes neveux expiroient autour e lui de faim & de mifere. Ce qui ï toucha le plus fenfiblement , fut e voir un des enfants de fa fceur C un jeune Maure des plus miféraIes, fe battre enfemble a outrance, l fe prendre k la gorge pour s'aricher de la bouche un méchant ga;au d'orge écrafé, a demi - cuit, >ut brülant & plein de cendres. Ce splorable fpe&acle acheva de le  nu Bas-Empire. Liv. XLH. 239 dompter. II manda a Pharas qu'il étoit pret afe mettre entre fes mains, fi Bélifaire fe rendoit caution des promeffes de fon Lieutenant. Pharas fit porter cette lettre k Bélifaire , le priant de lui envoyer fes ordres. Le Général. qui fouhaitoit ardemment de conduire k 1'Empereur eet illuftre prilonnier , fut ravi de joie , & dépêcha Cyprien pour porter parole k Gélimer , que non-feulement on lui conferveroit la vie, ainfi qu'a toute fa fuite, mais même qu'il feroit traité avec honneur. Cyprien fe rendit avec Pharas au pied de la montagne, oü Gélimer les vint trouver; &c fur la parole qui lui fut donnée avec ferment-, il partit avec eux pour Carthage. A la vue de fa Capitale , a Iaquelle la réparation des murs & les autres travaux avoient donné une face toute nouvelle , Gélimer ne put s'empêcher d'admirer 1'intelligence &i 1'activité des Romains , & d'imputer fes malheurs k fa négligence. Bélifaire le recut dans !e fauxbourg d'Aclas, oü ce Général avoit choifi fa demeure. En 1'abordant, le Roi prifonnier fit JUSTIN I EN. Inn. 534. XL.IL Bélifaire le recoit a Cartha« ge.  JUSTIN1EN. Ann. 534. XLTII. Bélifaire injuftementfoupconné. 240 HlSTOIRE un grand éclat de rire, que les Romains attribuoient a 1'égarement de fon efprit, ébranlé fans doute par les violentes fecouffes de fa mauvaife fortune. Mais les amis de Gélimer prétendoient par une inrerprération forcée, que c'étoit le ris d'un Démocrite; & que ce Prince, iffu de race Royale, Roi lui-même, nourri dans la Iplendeur & dans 1'opulence, enfuite vaincu, fugitif, accablé de mifere, enfin captif, jugeoit avec raifon que toutes les grandeurs & les fortunes humaines n'étoient dignes que de rifée. Bélifaire fit favoir , 5 Juftinien, qu'il tenoit Gélimer en fes mains, & demanda la permiflion de le conduire a Conftantinople. En attendant la réponfe de 1'Empereur, il fit garder Gélimer avec les autres Vandales, dont il eut foin de le diftinguer par un traïtement très-honorable. Ce Prince n'avoit joui que trois ans du fruit de fon iifurpation. C'eüt été 1'intérêt de 1'Empire que Bélifaire demeurat en Afrique affez long-temps pour affermir fa conquête, forcer k 1'obéiffance les nations inquietesSi turbulentes des Maures, établir  du Bas-Empihe. Liv. XLII. 245 de 1'Empereur : nous en donnerons le détail dans la fuite. Après ces diipofitions, il fit monter fur la flotte Gélimer avec les autres prifonniers Vandales, & s'embarqua lui-même avec fes gardes & les Huns, felon la parole qu'il leur avoit donnée. II n'étoit pas encore forti du port, qu'on fentit évidemment que la préfence de ce grand Capitaine étoit un puiffant contrepoids pour maintenir le repos de 1'Afrique. Le bruit fe répandit a Carthage que les Maures s'étoient foulevés. Cette nation perfide n'étoit retentie, ni par les liens facrés du ferment, ni par la crainte de perdre leurs ötages , qu'ils facrifioient fans regret, fuffent-ils les fils ou les freres de leurs Rois. Ils ne reftoient en paix qu'autant qu'ils voyoient le vainqueur fur leur frontiere. Le nom de Bélifaire les avoit contenus jufqu'alors; dès qu'ils apprirent que fon départ étoit réfolu , ils coururent aux armes & commencerent leurs ravages, égorgeant les hommes,trainant les femmes & leurs enfants en efclavage. Ce n'étoit dans tout le pays que troubles & défolaLij JüsTl- n 1 iasi A.nn, 534.  JüSTItJIEN. Ann. 534. XLV. Triomphe de Bélifaire. ' Proc. Vand. , co. 244 H I S T O I R E tion. Les foldats Romains, poftés fur les frontieres, n'étoient ni en affez grand nombre, ni affez bien pourvus darmes 8c de chevaux, pour arrêter ou pour atteindre des brigands dcterminés, qui, fans ceiTe a cheval, après avoir pillé les. campagnes & maifaeréles habitants, difparoiffoient avec leur butin, pour aller porter dlleurs 1'épouvante 6c la mort. Bélifaire apprit ces défordres dans le moment que la flotte appareilloit; 8c tie pouvant retarder fon départ, il ït débarquer Salomon , qu'il chargea le la défenfe du pays. II lui laiffa fes plus braves Officiers, 8c la plus grande partie de fes gardes , qui formoient un corps redoutable 8c renommé pour fa valeur. Peu de temps *près, Juflinien envoya a Salomon .in renfort confidérable, commandé aar Théodore de Cappadoce 6c par ïldiger. Bélifaire fut recu a Conftantinople avec une joie proportionnée a a grandeur de fes exploits. L'envie fut réduite au filence , 6c Juftinien , lont il éte-ndoit 1'Empire , le combla i'honneurs, L'admiration publique fe  du 3as-Empire. Liv. XLÏI. 245 partageoit entre Bélifaire & Gélimer: dans 1'un on contemploit le modele de la plus haute valeur, de la fagefTe dans le confeil, de la promptitude dans 1'exécution, de la modeftie dans les plus brillants fuccès : ón voyoit dans 1'autre un exemple éclatant de la fragilité des trönes les mieux affermis. Le vainqueur & le vaincu portoient également 1'empreinte de la puilfance divine , qui avoit rendu Bélifaire , a la têtê de feize mille hommes, fupérieur a Gélimer, foutenu de cent foixante mille : c'étoit le nombre des Vandales qui portoient les afmes en Afrique, au temps de la defcente de Bélifaire. On peut même dire que cette glorieufe conquête fut 1'ouvrage de fix mille hommes de cavalerie, puifque Bélifaire ne fit aucun ufage de fon infanterie dans les deux batailles de Décime & de Tricamare. Pour couronner de fi grands exploits, Juftinien renouvellaunhonneur qui, depuis le regne d'Augufte, étoit réfervé aux Empereurs & k leurs enfants. II décerna le triomphe k Bélifaire. Ce Général, entouré de fa garde , traverfa la ville depuis fa maifon L iij JUSTIN I EN. Anti. 534. Idem. atdif. I. I.c. IO. Theoph. p. 169 , 170. Malela, p. 77. Cedr. p. 170. Jorn.fuc«/. Anafl. p, 61. Zon: t. 11. p. 66. Manaff. p. 65. Glycas, p. 266.  JUSTI- KIEN. Ann. 534. yen. I, 2. n. 3. Baronins. Vahf. rer. Tr, l. 7. &$& HlSTOIRE mais les Romains n'auroient fubjugué les Vandales. Juftinien , craignant une rupture avec ce Prince belliqueux, lui envoya de riches préfents. Auffitöt après la conquête, il avoit pris des mefures pour la conferver. Voici 1'ordre qu'il y établit par deux ordonnances datées du treizieme d'Avril de cette année 534, & adreflees 1'une a Archelaüs, 1'autre a Bélifaire avant fon départ. L'Afrique fut divifée en fept Provinces, la Tingitane, la Mauritanië, la Numidie , la Province de Carthage , la Byzacene, la Tripolitaine & la Sardaigne qui fut jointe aux autres, paree qu'elle avoit appartenu aux Vandales. II établit un Préfet du prétoire réiident a Carthage, & Archélaüs fut pourvu de cette charge en récompenfe des fervices qu'il avoit rendus en qualité d'Intendant de la flotte & de 1'armée. Juftinien luirecommandoit deveiller a la confervation du pays, de traiter les habitants avec douceur , & de leur faire fentir la différence de 1'humanité Romaine & de la dureté des Vandales. II régloit les gages & les cmoluments des Officiers ; §c pour  nu Bas-Empire. Liv. XL1I. 253 leur öter tout prétexte de concuffion, il taxoit a une fomme très-modique ce qu'ils devoient payer pour 1'expédition des brevets de leurs charoes, défendant, fous peine de mort , toute exaction au-dela de ce qu'il prefcrivoit. La feconde ordonnance concernoit 1'ordre militaire : elle établiffoit cinq Commandants avec titre de Ducs en Tripolitaine, en Bizacene, en Numidie , en Mauritanië & en Sardaigne. Bélifaire avoit ordre de mettre en garnifon dans Ceuta autant de foldats qu'il jugerort a propos fous le commandement d'un Tribun d'une prudence ck d'une fidélité reconnue , pour garder le détroit de Cadis, Scveillerfur les mouvements qui fe feroient en Efpagne & en Gaule, dont le Tribun devoit donner avis au Duc de Mauritanië , & celui - ci au Préfet du prétoire. L'Emperem vouloit aufïi qu'on tint dans le détroit des vaifleaux de courfe , en tel nombre que Bélifaire jugeroit conve nable. Tous ces Commandants devoient non - feulement défendre le pays qui leur étoit confié , mais aufT travailler a reculer les bornes d< JUSTIN1EN. Ann. 5 34'  JVSTI- nien. Am. 534. ] ] 1 i t I 3 Ti 3 U n fi fa k 254 H I S T O I R E 1'Empire & a lui rendre fon ancien» ne étendue. L'Empereur fixoit la paye des offices militaires ; il défendoit de faire aucune violence, aucun tort aux habitants. II permettoit a Bélifaire de faire refferrer 1'enceinte des villes & des chateaux fur la frontiere , s'il les trouvoit d'une trop grande étendue pour la défenfe. Dans Ia première de ces ordonnances, on voit que lufiiüen , encouragé par la rédudion de 'Afrique, fe flattoit de reconquérir , ivec 1'aide de la Providence divine ] es autres Provinces dont les Barba'es s'étoient rendus maïtres. II donna iux Africains cinq années pourrenrer en pofiefiion des biens qui leur voient été enlevés par les Vandales. 1 voulut que toute 1'Afrique ne reonniit d'autres loix que les loix Rolaines. Jufques-la les difpofitions de uftinien annoncoient un gouverneïent équitable ; elles furent recues v^ec joie. Mais il ne foutint pas longmps ce ton paternel. Comme o&n ï retrouvoit pas le röle des impo:ions anciennes , que Genféric avoit u bruler dés le commencement de n regne, 1'Empereur envoya Try-  JüSTINI EN. Aan. 534. [ ( » 3 1 1 1 1 i I fi r i' d 2f4 H I S T O 1 R B fouffrent impatiemment 1'intervalle neceffaire entre 1'ordre & 1'exécution, hata tellement 1'ouvrage, qu'il tut aehevé en trois ans. Le 16 Décembre 533 , Juftinien revêtit cette compilation de fon autorité par une conftitution adrefleeau Sénat de Conftantinople, & a tous les peuples de 1^ Empire. II annonce que le cahos enorme des décifions anciennes fe trouve maintenant réduit a Ia vingtieme partie, fans qu'on ait rien omis ieflcntiel, en forte que 1'ordre, la arieyeté du Corps de droit, & la fa:ihté de 1'acquérir, ne laiffent plus 1 excufe k la pareffe ni a 1'ignoran:e: II ne répond pas qu'il ne s'y foit jliffé quelques fautes; mais il fe flate , fans doute trop légérement, qu'il |'y refle aucune de ces contradicïons, que les Jurifconfultes appelent antinomks. S'il s'y trouve quelue omiffion ou quelque obfcurité, veut qu'on ait recours a 1'autorité npériale, qui feule a le droit de ippléer &c d'interpréter les loix. >e peur que 1'on ne tombe dans uicienne confufion par la diverfiré 2S fentiments, il interdit tout com-  du Bas-Empizz. Liv. XLIII. 275 mentaire , permettant feulement de traduire ces loix littéralement en Grec,- & d'y ajouter des titres & des paratitles, c'eft-a-dire, des fommaires de ce qu'elles contiennent. II défend de fe fervir d'abréviations en les tranfcrivant, & déclare que la copie ou il s'en trouvera une feule, ne fera point autorité , & que le copifte fera condamné comme fauffaire. II abroge toutes les autres loix, avec défenfe même de les citer dans les Tribunaux , öc ordre aux juges de fe conformer a celles duDigefte, a commencer le 30 Décembre 533. II enjoint aux trois Préfets du pretoire de les faire publier chacun dans fon diftria. II ajoute qu'il s'eft haté de les mettre au jour cette annee : afin que fon troifieme Confulat, dej: comb'lé des faveurs du Ciel par h paix conclue avec la Perfe, Sc pa; la conquête de 1'Afrique , ait encon 1'honneur de voir achevé ce gram édifice des loix, comme un Templ faint & augufte , oü la juftice pro noncera fes oracles. Laiffons aux ha biles jurifconfultes, tels que Cujas Dumoulin , Denys & Jacques Gc M vj JüSTIN'IEN. Ann. 554. i. 1 j w  JUSTINIEN. Ann. 534. IV. Publication des Inflituts. i i < J ( 2?6 &IST0I3.E defroy, le foin de relever les défauts de eet important ouvrage. Nous nous contenterons d'obferver qu'après la liberté illimitée que Juftinien avoit donnée aux Rédacteurs decbanger les textes, d'y ajouter , d'en retrancher ce qu'ils jugeroient a propos , on ne peut avec certitude attribuer ni aux anciens Jurifconfultes,ni aux prédéceffeurs de Juftinien, ce qui le trouve énoncé fous leur nom, foit dans le Digefte , foit dansle Code. Pendant qu'on travailloit au Digefte , 1'Empereur chargea encore Tribonien Sc deux des Commiffaires ,, Théophile Sc Dorothée, Profefléurs en droit, 1'un a Conftantinople, 1'autre a Béryte, d'extraire des anciens , Sc de recueillir en quatre livres les premiers éléments de la jurifprulence, pour fervir d'introduftion a :ette étude. De 1'avis des connoifeurs, c'eft la partie du Corps de hoit la plus parfaite Sc la mieux ïxecutée. Elle fut achevée avant le Digefte , & pubüée le 21 de Novembre de la même année. L'Edit le publication donne a ces Inftituts  j>u Eas*Empire. Lh. XLIII. 277 la forme & 1'autorité des loix Impériales. . Le même jour que Juflinien publia le Digefte, il adreffa aux Profeffeurs une conftitution particuliere , pour leur tracer la méthode d'enfeigner. Le cours de Droit avoit été de quatre ans. L'Empereur 1'étend jufqu'a cinq , & prefent la nature & 1'ordre des matieres qui doivenl occuper chaque année. II regie k police des écoles, Sc défend d'en feigner le Droit ailleurs qu'a Rome a Conftantinople, & a Béryte ei Phénicie , ville depuis long - temp célebre par fes écoles de jurifpru dence. II fupprime celles d'Alexan drie & de Céfarée en Paleftine, o des maitres peu inftruits, & fans ar tre autorifation que celle qu'ils 1 donnoient eux-mêmes ,corrompoiei la fcience qu'ils s'ingéroient d'enfe gner, & ne communiquoient a leu difciples que leur préfomption & lei ignorance. t Le deffein de 1'Empereur etc rempli. Tout le Droit ancien fin plifié, réduit a 1'effentiel, fe tro yoit réuni dans les Inftituts, le L JüSTINIEN. Ann. 534. V. Méthode prefcrite aux Prefeffeurs. I t l S LI It b rs ir it vi. Seconde 1_ édition du .1- Code. i-  JtfSTI- Ann. J34, i 1 » 1 c C C C <3 a VII. tos No- e «Re*. 1 n tl H 1 S T O 1 A £ gefte & le Code. Mak depuis la rédachon du Code , Juftinien avoit pubhé plufieurs Inftitutions nouvelles : on en compte plus de deux cents.' JJ ailleurs,le travail fubféquent avoit fait appercevoir plufieurs imperfections dans le premier ouvrage. Juftinien en ordonne la révifion, & choifit pour eet effet entre les Commilfaires déja employés, cinq perfonnes dont Tribonien fut encore le chef. fl leur donna pour la réformation le même pouvoir qu'il eur avoit donné pour la rédadfion , eur enjoignant de renfermer dans e nouveau Code les loix poftérieues au premier. Le 16 Novembre ;34, il adreffa au Sénst de Conftantnople cette feconde édition , abroeant la précédente, 8i ordonnant ue celle-ci auroit exclufivement fore de loi, a commeneer au 29 Déembre fuivant. C'eft cette révifion «1 a feule fubfifté, & que nous vons aujourd'hui entre les mains. L'Empereur fe réferva en termes iprès le droit d'ajouter dans lafui- , mais féparément, les conftitu?ns qu'il jugeroit néceffaires. Aufii  nu Bas-Empire. Liv. KLIII. 279 plufieurs des Novelles limitent, étendent, quelquefois même détruifent ce qui avoit été ftatué dans le Code; & c'eft fur-tout cette inconftance qui a fait foupconner Tribonien & le Prince même, d'avoir fouvent écouté 1'intérêt & la faveur plutöt que la raifon & 1'équité. Quelques Auteurs attribuent ces variations aux caprices deThéodora qui gouvernoit fon mari, & qui étoit elle - même gouvernée par fes paflions. Ces Novelles font au nombre de cent foixante & huit; dont quatre-vingt-dix-huit feulement ont force de loi, paree qu'elles furent recueillies dans un feul volume en 565, derniere année du regne de Juftinien. Après la mort de ce Prince , le jurifconfulte Julien en fit une nouvelle édition, &en ajouta 27 qui avoient été exclufes du premier recueil. Haloander , jurifconfulte Saxon , qui donna en 15 3 1 une édition des Pandecf es, y joignit encore quarante Novelles qu'il avoit retrouvées; & Cujas en a découvert trois autres Les Novelles furent publiées en Gre< par Juflinien, & traduites en Latir fous le regne de Juftin fecemd. Cett< JUSTINIEN. Ann. 534, i  nu Bas-Empjre. Liv. XL1I1. 283' les de ce fameux corps de légiflation, qui, malgré fes défauts, eft encore le plus complet que la prudence humaine ait pu produire. C'eft dans cette fource abondante que prefque toutes les nations de 1'Europe vont puifer le fupplément de leurs loix particulieres. Juftinien, pour le conferver dans fon intégrité, avoit expreffément défendu do le charger de comnientaires. Mais 1'éloignement des temps ayant fait perdre la tracé des anciens ufages , &C obfcurci les expreflions de la langue Romaine, a rendu les explications néceffaires. Elles fe font multipliées a 1'excès : 5c comme un feul édifice confidérable , tel qu'un palais ou un temple célebre, attirant dans fon voifinage un peuple nombreux , a fouvent fait naitre aux environs un affemblage d'habitations grandes & petites, qui vont enfin jufqu'a former une ville ; ainfi le corps de droit de Juftinien devenu le centre d'une infinité de commentaires , de glofes , d'interprétations , dt. differtations de diverfe valeur, 1 raffemblé enfin autour de lui une biJsliotheque entiere. JUSTINIEN. Ann. 534; ;  JUSTINIEN. Ann. J34. X. Zamarnarfe, Roi d'Ibérie , vient a Confiantinople. Theoph, p, 183. Cedr. p, 371. Anajl. p. él. Malela, p, 77. 1 ] ] ] 1 r c \ 1 \ n ƒ 284 H I S T 0 I R R Depuis que Gurgene , Rol d'Ibérie, s'étoit venu jetter entre les bras de Juftin avec fon fils Pérane & toute fa familie, les Perfes s'étoient emparés de fes Etats. On voit cependant fous le regne de Juftinien, un Roi de ce pays, nommé Zamanarfe, foit qu'il eütprofité des troubles qui fuivirent la mort de Cabade , pour cbaffer les Perfes , foit qu'il füt Roi d'un autre canton de 1'Ibérie. Théophanes rapporte que ce Prince vint cette année a Conftantinople , accompagné de fa femme & de toute fa Cour , pour refferrer les nceuds des mciennes alliances. L'Empereur, qui ie comptoit pas que la paix avec Chofroës füt de longue durée , recut lonorablement Zamanarfe, & le com)la de préfents lui & fes Officiers. ,'Impératrice traita la Reine avec a même magnificence; & Jes Ibéiens partirent dans la réfolution de emeurer fidélement attachés au ferice de 1'Empire. Mais ce récit de ^héophanes , ne s'accorde guere aec la fuite de Phiffoire, qui nous lontre conftamment 1'Ibérie foumi: aux Perfes, depuis la retraite de  /ju Bas-Empire. Liv. XLIII. 285 Gurgene. En ce même temps, la fta- tue de 1'Empereur Julien , placée au milieu du port qu'il avoit fait conf- ^ truire a Conftantinople , s'étant abattue , on planta une croix fur la même bafe ; efpece de trophée que la Religion s'élevoit fur le monument de fon ennemi. A peine PAfrique étoit - elle entrée fous la domination Romaine , ; que 1'occafion fe préfenta de recouvrer 1'Italie. Pour développer les caufes de cette guere, plus fameufe que la précédente par fa durée, par la grandeur des événements, & par le mérite des Princes vaincus, il faut reprendre 1'hiftoire du regne d'Athalaric. Nous 1'avons vu monter fur le tröne k Page de huit ans, fous la tutelle d'Amalafonte fa mere. Cette lage PrincefTe, pendant les huit années qu'elle régna fous le nom de fon fils, fe fit refpecier des Rois voifins , & entretint la tranquillité dans fes Etats. Le grand Théodoric fembloit re vivre dans fa fille , &c Pon voyoit avec étonnement une femme remplacer un Prince qui n'avoit point eu d'égal. Elle eontint JUSTINIEN. nn. 534. XI. iage gourernenent d'Anatafon:e. Cajfwd. '.. 8. ep. 14. /• 9. des Gouverneurs glacés de vieil»> leffe, ne font propre qu'a éteiny> dre 1'ardeur naturelle, & a former » des ames balfes & timides : il faut » rompre ces entraves capables d'a» mortir 1'activité du jeune Prince .; » ne lui enfeigner que les exercices » militaires qui doivent faire un jour » fon occupation & fa gloire ; il faut » lui donner pour compagnie, du » jeunes Seigneurs qui échaufferont » fon courage, & lui infpireront une » élévation de fentiments, & une » liberté vigoureufe, dignesduMo.» narque d'un peuple guerrier". Amalafonte fentit toutes les conféquences d'un avis fi peu fenfé; mais la partie étoit trop forte. De crainte qu'on ne lui arrachat fon fils, elle feignit de fe rendre aux vceux de la nation. Athalaric, affranchi de fes Gouverneurs , fut livré a une troupe de jeu» nes gens indifciplinés : ilmit dans la fociété tout ce qu'il avoit de vices , & ne manqua pas d'y prendre tout ce que les autres y en apporterent. II s'abandonna fans ménagement a 1'amour du vin U des femmes, & Tornt IX. N JUSTlNIEN. A.nn. 534.  JüSTIMEN. Ann, 534 XIII. Amalafonte affermit fon autorité. 290 HlSTOIRE fe trouva perdu de débauche dès 1'age oii 1'on commence a la connoitre. Plus de refpeci pour fa mere, dont il repouffoit les avis par des infultes. On confpiroit ouvertement contre elle; on ofoit lui dire en face , qu'elle ne pouvoit mieux faire que de fe retirer de la Cour. L'infolence des courtifans n'effraya pas la Princeffe. Loin de céder a l'orage , elle ne fongea qu'a rétablir fon autorité. Trois Seigneurs accrédités par leur naiffance & par leur audace, étoient 1'ame de la cabale : Amalafonte trouva moyen de les féparer, en leur donnant des emplois aux diverfes extrêmitésdel'Italie, fous prétexte de défendre la frontiere contre des incurfions dont elle avoit recu avis. Comme elle vit qu'ils entreterioient correfpondance, quoique difperfés, & qu'ils continuoient de concerter leurs mauvais deffeins, elle prit le parti de s'en défaire; mais elle voulut auparavant fe ménager une reffource en cas de malheur. Elle envoya fecretement demander a 1'Empereur, s'il donneroit afyleala fille de Théodoric, fuppofé qu'elle aban-  nv Bas-Empire. Liv. XLIII. 291 donnat 1'Italie. Juftinien répondit qu'il s'en feroit honneur , & lui fit préparer a Dyrrachium un palais, oü elle pourroit féjourner, en attendant qu'elle fe rendit a Conftantinople. Amalafonte , aflurée de cette retraite, choifit entre les Goths des hommes hardis & dévoués a. fes volontés, auxquels elle donna commifïion de la délivrer des trois confpirateurs. En même temps, ayant chargé un vaiffeau de quarante mille livres pefant d'or, elle y fit embarquer fes plus fideles ferviteurs, avec ordre de la conduire a Dyrrachium ; mais fans entrer dans le port & fans rien mettre a terre , jufqu'a ce qu'elle leur eüt fait favoir fa volonté. Elle fut obéie jfidélement de part & d'autre: la mort des trois rebelles étouffa leurs complots ; elle fit revenir Ie vaiffeau, & ce coup de vigueur fit trembler les autres féditieux. Amalafonte avoit, fans le favoir, dans la perfonne de Théodat un ennemi bien plus dangereux. II étoit le neveu de Théodoric, fils de fa foeur Amalfride & d'un Seigneur de la nation, après la mort duquel ellg N ij JüSTINIEN. Ann. 5 34. XIV. Elle réprime les inj uftices de Théodat. Caff. I. 4.  JUSTINIEN. Ann. v 34. ep. 39. /. 5. ep. li. Proc. Got. U I. c. 2, 3. 1 spa IIlSTOIRE avoit époufé Trafamond , Roi des Vandales. Théodat, élevé avec foin , ainfi que toute la familie de Théodoric , s'étoit rendu fort favant pour un Prince. II palfoit a la Cour pour un profond Platonicien. Mais 1'étude n'étoit pour lui qu'un amufement oifif; il s'étoit a-peu-près rempli des idéés de Platon, fans en prendre les maximes; & les fpéculations méthaphyliques n'avoient rien changé dans ion mauvais caradfere. Injufte, avare , lache, perfide , étant Préfet de Tofcane, il n'ufa de fon pouvoir que pour accroitre fes poflelïions. Malheur a quiconque avoit une terre voifine des fiennes; & fous ce grand philofophe , laTofcane envioit le fort des autres Provinces, qui repofoient tranquillement fous des Gouverneurs qui ne favoient pas lire. Théodoric réprima plufieurs fois fes ufurpations: mais Théodat étoit. homme de fyfï-ême ; il ne fe corrigea pas. Amaafonte , inflruite de toutes fes injuf- :ices, 1'ayant fait venir a Ravenne, e condamna juridiquement a reffiuer tout ce qu'il avoit pris. Ce fut )our lui une plaie mortelle, que nul  du Bas-Empire. Liv. XLT11. 193 bienfait ne put guérir. II réfolut de fe venger par une trahifon. Juftinien avoit envoyé en Italië Hypace & Démétrius , 1'un Evêque d'Ephefe , 1'autre de Philippes, pour des affaires de Religion. Théodat conféra fecretement avec eux, & les pria^d'affurer 1'Empereur qu'il étoit prêt a lui livrer la Tofcane , fi ce Prince vouloit lui donner une fomme d'argent, une place dans le Sénat, & la permiffion de paffer le refte de fes jours k Conftantinople. • ' II ne prévoyoit pas alors fon elevation prochaine, qu'en effet il ne méritoit pas. Athalaric, épuifé de débauches, tomba bientöt dans une maladie de langueur, qui fit défefpérer de fa vie. Quoiqu'il n'eut confervé aucun égard pour fa mere , les approches de fa mort caufoient k la Princeffe de vives inquiétudes. Elle alloit refter expofée a. tous les effets de la haine des Seigneurs, qui en lui donnant un maitre, lui donneroieni un ennemi. Elle fe détermina donc k entretenir la négociation déja entamée avec 1'Empereur. Aux deus Evêques dont j'ai parlé , Juftinier N iij JUSTIN1EN. Ann. 534- XV. Négociation d'Amalafonte avec Juftinien. f  JUSTINIEN. Ann. J34. i 1 1 1 I . 1 I 294 H I S T f> I Jt e avoit joint le Sénateur Alexandre, pour fonder les difpofitions d'Amalafonte, & s'informer des raifons qui 1'empêchoient de paffer en Grece. C'étoit-la le fecret de 1'ambalfade. Le motif apparent étoit de fe plaindre du refiis que faifoient les Goths de^ rendre Lilybée , de la retraite qu'üs avoient donnée a des déferteurs de TAfrique, & de quelques hoftilités exercées contre la ville de Gratiane, fur les frontieres de 1*11— lyrie. Dés qu'Alexandre fut k Ravenne, il eut une audience particuliere d'Amalafonte , qui lui témoigna qu'elle perfiftoit dans le deifein de mettre 1'Italie entre les mains de 1'Empereur, & qu'elle n'en attendoit que 1'occafion. Dans 1'audience publique, elle répondit aux griefs de liiftinien, de maniere k fatisfaire les Soths. Les Députés, de retour k Confantinople, rendirent compte a lEmjereur des deux négociations fecrees de Théodat & de la Princeffe. üftinien en fut ravi de joie ; il :rut toucher au moment de rentrer, ans coup férir, en poffeffion de l'Ialie.  nu Bas-Empirs. Liv. XLIII. 295 Athalaric, mourut le deux Oaobre, après avoir porté huit ans le nom de Roi. Amalafonte avoit la foibleffe des grandes ames; elle vouloit régner ; & quoiqu'elle ne fut pas poffédée de cette fureur d'ambition, qui préfere a une vie privée 1'honneur de périr une couronne fur la tête, cependant elle ne pouvoit fe réfoudre k defcendre du tröne, fans y être forcée. C'étoit dans la crainte de cette violence, qu'elle amufoit Juflinien. Fille de Théodoric, elk fe croyoit affez de pouvoir pour faire un Roi, fur-tout fi elle le prenoil dans la familie de ce Prince. II ne refloit dans la maifon royale que Théodat, qu'elle avoit flétri par ur jugement jufle , mais rigoureux. Elk elpéra qu'un bienfait éclatant lui feroit oublier eet affront, & qu'ave< un Prince incapable, qui feroit f; créature, elle pourroit conferver 1( titre & 1'autorité de Reine, que le Goths lui avoient laiffé prendre pen dant fa régence. Voyant donc qm 1'état d'Athalaric annoncoit une mor prochaine, elle fit venir a Ravenn Théodat; 8c pour étouifer fon rel N iy JUSTINIEN. Ana. 534. XVI. Théodat fuccede a Athalaric. Caff. I. 10. Proc. Got. I. I. c. 4. Agnell. agud. rtr. halic. fcript' 1.11. p, I. fol. 101. I t  JUSTIKIEN, Ann, 534. i < ] 2 ' J 296 HlSTOJRS fentiment , elle lui dit : Qu'ayant depuis long-temps prévu la perte qu'elle alloit faire, elle avoit dïs-lors défigné Théodat pour fucceffeur de fon fils : que c'étoit pour écarter les ohflacles qu'il mettoit lui-méme d ce deffein, qu'elle Vavoit obligé de fe défaire de ce qui le rendoit dieux, paree qu'il lui étoit bien plus important de rétablir fa réputation, que *Taugmenur fa fortune : qu'elle ne l'avoit condamné que par affeBion : qu'il ne tenoit qu'a lui de refentir les efets de fa bitnveillance , & que s'il vouloit promettre avec ferment de lui laifferl'autorité dont ellv avoit joui pendant le regne de fon fils, elle. promettoit de fon cóté de la partager avec lui, Théodat, a la vue d'une couronne, n'étoit pas homme k reculer pour un parjure. 11 fe jetta. aux pieds de la Reine, 5c lui jura tout ce qu'elle voulut. ftmalafonte prépara les efprits; 6c le endemain de Ia mort d'Athalaric, die fit reconnoitre Théodat pour Roi ronjointement avec elle , mais fans 'époufer, comme plufieurs Hiftoïens 1'ont mal-a-propos avancé, hiffi-töt elle manda cette nouvelle 1 Juftinien, lui faifant un grand éloge  du Bjs-Empire. Liv. XLHI. 297 de Théodat, qui chargea les mêmes députés d'une lettre, par laquelle il demandoit a 1'Empereur fa protection, & témoignoit la plus vive reconnoiffance a l'égard d'Amalafonte. Ils écrivirent tous deux au Sénat de Rome ; & 1'on ne peut guere regarder comme finceres , ni les louanges qu'Amalafonte donnoit a Théodat, & qui étoient autant de contrevérités, ni celles dont Théodat combloit Amalafonte , dont il avoit fans doute intérieurement juré la perte , au moment même qu'il lui juroit de bouche une foumiffion abfolue. Sans doute, ils laifferent tous.deux courir la plume de Caffiodore, & le Secretaire peignit Amalafonte telle qu'elle étoit , & Théodat tel qu'il devoii être. Le nouveau Roi donna d'abord d'heureufes efpérances; & comme prefque tous les mauvais Princes, 3 débuta par de belles maximes & pai quelques aöions dignes de louanges 11 écoutoit les confeils d'Amalafon te, k laquelle il laiffoit la principal autorité. II choiiiffoit de bons Ma giftrats, & nommoit aux offices d N y JUSTI-. NI EN. Ann. 534- XV1T. lation de Théodat. Cag.l.10. ep. h 6>7> II, 12.  JUSTINIEN. Ann. 534. Ann. 535. 1 XVIII. j II fait enfermer A- ' 29S HlSTOIRE fa maifon des hommes eftimés. II annoncoit un grand amour pour fes fujets, un grand zele pour la juftice. II recommanda aux régifleurs de fon domaine de ne point fe prévaloir de Pautorité du Prince, pour prétendre a des privileges, & de fe foumettre a la jurifdicfion ordinaire. Nous voulons , dit - il, donner Üexemple de la bonne difcipline; & fi nous avons foutenunos droits avec chaleur quand nous êtions particuliers, nous fommes difpofes a en reldcher maintenant que nous fommes les mattres. Un bon Prince na point Jintérêts féparés de ceux de fon peuple, fon Etat eft fon domaine , ratique, que cette philofophie in;rate Si inhumaine, qui ne connoit  nu Bas-Empire. Liv. XLIII. 299 point de vertu , qui rapporte tout a 1'intérêt perfonnel, & qui compte pour rien les bienfaits paffes, s'ils n'en font pas efpérer d'autres. Dès qu'il crut pouvoir fe foutenir fans 1'appui de fa protecfrice , il réfolut de la perdre. II s'attacha par des honneurs Sc par des bienfaits les parents de ces trois Seigneurs qu'Amalafonte avoit immolés a fa propre füreté : ils étoient en grand nombre, puiffants & embrafés du defir de la vengeance. II fit périr par des affafïinats les plus zélés ferviteurs de la Reine; & après 1'avoir privée de toutes fes reffources, il eut affez de hardieffe pour la faire enlever ellemême , & tranfporter dans une ifle du lac Bolfene en Tofcane, ou elle fut renfermée dans une fortereffe le dernier jour d'Avril de 1'année 535. L'hifloire ne nous a pas développé les circonftances d'une révolution fi fubite. On a peine a concevoir comment un Prince, peu auparavant hai & méprilé de toute fa nation, & qui tenoit d'Amalafonte tout ce qu'f avoit de pouvoir , avoit pU, dan« 1'efpace de quelques mois, fe rendr.c N vj JUSTINIEN. Ann. 53 J. malafonte. Proc. Got. I. 1. c. 4. Jorn. de rcb. Got. c, 59- Agntl. apud. rer» hal. fcrift. t. II. p. L fol. 101. Abrégé chr. de l'hijiolre d'ltal. t 1. p.6h7S, 80.  JUSTI- NIEN. Ann, 53j, i 1 3 I ] ) < < 30O H I S T O I R E affez abfolu, pour devenir fans oppofnion, maitre de la liberté & de la yie d'une Reine puiffante, & depuis long-temps révérée. Je ne vois rien ici de plus vraifemblable que 1'ingénieule cotijefture d'un Ecrivain moderne, fondée en partie fur un récitde Grégoire de Tours. Audeflede, fceur de Clovis , veuve de Théodoric & mere d'Amalafonte , vivoit encore. C'étoit une Princeffe vertueufe, mais crédule. Théodat vint a bout de lui infpirer des foupcons fur la conduite de fa fille, qui s'en trouva outragée. Dans cette conioncf ure , Audeflede, au fortir de la fainte table, fut tout-a-coup attaquée de violentes convulfions, & expira ïn peu d'heures. Soit que Théodat füt lui-même auteur du crime, foit qu'il voulüt profiter d'un accident ïaturel^ qui prêtoit a la calomnie, és émiffaires firent courir le bruit ju'Amalafonte avoit fait empoifonner e yafe facré qui contenoit 1'Euchaiffie. Un fi horrible forfait trouva royance dans 1'efprit du peuple, [ui faifit aifément ce qui 1'efFraye, jê qui ne voit guere dans les Grands  nu Bas-Empipe. Liv. XLHI. 301 que de grandes vertus ou de grands crimes. L'accufation s'accrédita par fa noirceur, & 1'enlevement d'Amalafonte fervit de preuve. Théodat, redoutant la vengeance de Juftinien qui chérilToit Amalafonte , tui députa plufieurs Sénateurs , entr'autres Libere & Opilion , pour lui protefter qu'il n'avoit aucune part au traitement fait a cette Princeffe , & que c'étoit uniquement un effet de 1'indignation des Goths. II forca même Amalafonte de le difculper par une lettre a 1'Empereur. Juftinien n'avoit pas perdu 1'efpérance de voir 1'exécution des promeffes de Théodat ck d'Amalafonte. Loin de croire la négociation rompue, il fe flattoit au contraire que 1'un & 1'autre, agiffant de concert , ne trouveroient que plus de facilité a remettre 1'Italie entre fes mains ; & n'étant pas encore inftruit de 1'emprifonnement de la Reine , il fit partir Pierre de Theflalonique, célebre Avocat de Conftantinople, qui joignoit a la connoiffance des affaires, le talent de la perfuafion. L'Ambaffadeur devoit publiquement renouvel- JUSTlKIEN. Ann. 5Jf. XIX. Pierre eB« voyé a Théodat. Proc. Got. I. I. c. 4. Idem. Anecd. c. 16, 24. Suid. riêlpor.  JUSTINIEN. Ann. 53;. I 'P' i 1 1 1 i c 1 1 q n q n ri 3Ö2 H I S T O I 3. S Ier les plalntes & les demandes qu'a. voit déja faites Alexandre; mais fa commifïïon fecrete étoit de fommer Théodat & Amalafonte, de leur parole touchant la ceffion de PIralie, & d'en arrêter avec eux les conditions. Selon Procope, Théodora, jaloufe de 1'efprit & de la beauté d'Amalafonte, ne craignoit rien tant que Ie fuccès de cette négociation; & pour prévenir les chagrins que pourroit lui caufer la préfence d'une fi redoutable rivale, elle chargea Pierre, i Pinfu de fon mari, d'exciter Théolat a la faire périr, & lui promit )our récompenfe la charge de maïtre les offices, qu'il pofféda dans la fuite. 1 ajoute que Pierre prêta fon miliflere a cette noirceur, & que la nort d'Amalafonte fut un effet de es follicitations. On peut tout croire e la méchanceté de Théodora; mais ? récit de Procope ne s'accorde nul?ment avec le caraöere de Pierre , ue Phifloire nous repréfente comie un négociateur habile & integre, ui ne devoit fa fortune qu'a fon (érite & k fes travaux. Etant arvé a Aidon fur la cöte du golfe  JUSTINIEN. Ann. 535. envoyé a Conftantinople.CaJJ.l. li. ep. 13. /. II. e^. 20. Mare. chr. Lihcrat. c. 21. Zon. p. Anafi. Agap. hift. mij'c. I. id, Baronïus. Pagi ad Bar. 3U HlSTOlRE affez fait pour fa füreté; il réfo'ut d'employer auprès de Juftinien des follicitations qu'il penfoit être plus effkaces. Les Empereurs de CP. avoient toujours affect é de grands égards pour le Sénat de Rome. Cette compagnie , quoique foumife de fait a la domination d'un Prince étranger, regardoit au fond fes anciens maitres comme fes légitimes Souverains, & confervoit avec eux des relations d'honneur & de déférence. Agapet, avoit fuccédé au Pape Jean II, dit Mercure, mort le vingt-fixieme d'Avril 535 , & Juftinien refpeöoit ce Prélat, auquel il avoit envoyé fa profeftion de foi. Théodat menara par lettres le Pape & les Sénateurs, de les faire paffer au fil de 1'épée, s'ils ne détournoient 1'Empereur de 1'expédition d'ltalie. II fallut obéir. Le Sénat écrivit k Juftinien une lettre humble & preffante, pour lui demander la paix. Agapet fe chargea de la commifiion; & comme il manquoit d'argent pour le voyage , il engagea les vafes facrés, qui furent bientöt après rendus a 1'Eglife de Saint-Pierre par ordre de Caffiodore.  nu Bas-Eaipire. Lw. XLIIf. 315 Le Pape arriva le 2 Février a Conf- • tantinople; il y fut recu avec honneur; mais il ne put rien gagner fur ; 1'efprit de Juftinien. Les troubles de 1'Eglife de Conftantinople le retinrent dans cette ville , oü il mourut après un féjour de deux mois &C demi, comme nous le dirons dans la fuite. Pierre & Rufticus trouvant Juftinien fourd aux premières propofitions, lui préfenterent la lettre par laqtielle Théodat lui cédoit toute l'Italie. Aufli-tot 1'Empereur renvoya Pierre avec un nouveau député, nommé Athanafe ; il les chargea d'inveftir Théodat de la propriété des terres qu'il demandoit, de pafler avec lui le contrat de ceffion, &C de le confirmer par ferment. Pendant le voyage de ces députés, les affaires changerent de face, & une lueur d'efpérance rendit le courage a Théodat. Alinaire & Grippa, entrés en Dalmatie k la tête d'une armée de Goths , marcherent vers Salone. Maurice, fils de Mondon, envoyé pour les reconnoïtre, eut la témérité de les combattre avec des forces très-inégales, O ij JUSTIN1 EN. Lnn. 535. xxvr. Mort de Vtondoa. Proc. Gou '.. 1. c, ó » 7- ,  JUSTINIEN. Ann. nj. XXVII, Théodat manque de parole. 3IÖ Hl ST 01 RE II en coüta la vie aux Goths les plus braves; mais le fils de Mondon y périt, avec prefque tous fes gens. A cette trifte nouvelle , le pere ne confidte que fa douleur; il part avec ce qu'il avoit de troupes , fe jette en défefpéré au milieu des ennemis , en fait un horrible carnage , les pourfuit a outrance , & prodiguant fa vie , eft tué par un des fuyards. Cet accident fut pour les Romains un plus grand malheur qu'une fanglante défeite. Confternés de la perte de ce vaillant Capitaine, ils abandonnerent la Dalmatie, Les vaincus recueillirent le fruit de Ia viétoire, & Grippa fe rendit maïtre de Salone. Ce médiocre fuccès rendit Théodat infolent. II refufa de figner le traité dont il avoit lui-même dreffé les articles, & qu'il avoit juré d'avance. Sur les repsoches que Pierre 8c Athanafe lui faifoient de cette infidélité : Songe^ , leur répondit-il fiérement, que la perfonne des Ambaffaleurs ne mérite plus de refpecl, lorfqu'ils 'e per Jent eux-mêmes d C égard du Prin'■e qui les regoit. Les députés lui rediquerent avec hardieffe, qu'un Jm-:  du Bas-Empib.e. Liv. XL11I. 517 baffadeur riétoit que Corgane de fon maitre; que fi fes dijcours ntplaifoient pas, c étoit d fon Prince qu'il falloit en de- , mander raifon : que pour eux nulle menace ne les empécheroit de s'acquitterfidé- t lement de leur commifjion. Nous fommes venus , ajouterent-ils , pour vousfommer de la parole que vous ave[ librement donnée; nous vous avons remis les lettres de tEmpereur ; permette^ que nous remeltions aux Seigneurs de votre Cour, celles dont nous fommes chargés pour eux. A ces mots, les Seigneurs, de peur de fe rendre fufpecfs , demanderent que les lettres qui leur étoient adrelfées , fuffent remifes entre les mains du,Roi. Juftinien les exhortoit a feconder Pierre & Athanafe dans leur négociation; il lesinvitoit avenir a fa Cour, promettant de leur conferver leur dignité & leur fortune , & même d'accroitre 1'une & 1'autre : Vous riêtes pas étrangtrs d notre égard, leur difoit-il, vos peres ont habi té par mi nous; nos liaifons font héréditaires; elles riont pas été entierement rompues. En tout cas, il efl fa,.cile de les renouer. Après la letlure de ces lettres, le Roi, ontré de co.iO iii -JUSTlN I EN. Un. 535.  JUSTINIEN. Ann. J3J. XXVIII. Juftinien s'cmpare de la Dalmatie. .1 ï ! I 1 i 1 i •i i < i i ?lS NlSTOIRE iere, s'affiira de la perfonne des deux AmbalTadeurs, & les fit garder étroi:ement. La fierté de Théodat céda bientöt a de nouvelles allarmes. Juftinien, affligé de la mort de Mondon, Sc réfolu de reconquérir la Dalmatie, fit partir Conftantien fon Conné:able avec une flotte. Conftantien, iprès avoir fait embarquer a Dyrra:hium les troupes d'Ulyrie , conduifit fa flotte au port d'Epidaure, oh l mit a terre une partie de fes follats, Grippa, qui commandoit dans >alone, ayant envoyé reconnoïtre es ennemis , fes coureurs prirent 'épouvante, 6c lui exagérerent telement le nombre des Romains, qu'il :rut avoir fur les bras toutes les for:es de l'Empire.^ll ne jugea pas k >ropos de les attendre dans Salone, lont les murailles étoient en partie •uinées, 6c les habitants mal affecionnés. II en fit donc fortir festrou>es , 8c alla camper entre cette ville kScardone. Conftantien, mieux fervi >ar fes coureurs, 8c bien inftruit de a pofition 8c des forces de l'ennemi, it voile vers Salone. II aborda dans  du Bjs-Empire. Liv. XL1I1. 3I9 le voifinage, Sc dépêcha Syphillas, * un de fes Lieutenants , avec cinq cents hommes, pour fe rendre mai- j tre d'un défilé, qui faifoit la communication de la ville Sc du camp des Goths. Le lendemain il entra fans réfifhnce dans le port, & fit auffi-töt travailler a réparer les breches des murailles. Sept jours après, 1'armée des Goths, trop foible pour temr la campagne, reprit le chemin de Ravenne. Conflantien s'empara fans coup férir de toutes les places de la Dalmatie Sc de la Liburnie. II fut même gagner par fa douceur le cceur des Goths établis dans ces contrées. La mauvaife foi de Théodat^ & fes variations perpétuelles ne méritoient plus de ménagement. Bélifaire recut ordre d'entrer en Italië , Sc d'employer toutes fes forces pour rendre k 1'Empire cette belle contrée qui en étoit le berceau. Ce Général arrivoit du voyage qu'il avoil fait dans le mois d'Avril, pour calmer les troubles dont 1'Afrique étoii agitée. II efl temps de reprendre 1; fuite des affaires de cette Province Sc de rapporter ce qui s'y étoit paff O iv JUSTIK1EN. Lnn. 535- xxrx. Guerre des Maures en Afrique. Proc. Vand.1. 2. c. 10,11, 12, 13. Theoph. p. 170. . 6u i »  JüSTlKIEN. Ann. j. j 1 1 1 I I é P P C q ti P ës Ci p; 111 3=0 ^ HlSTOIKE depuis la conquête. La préfence de Bélifaire avoit contenu les Maures; fon départ leur rendit leur férocité naturelle. II n'étoit pas encore forti du port de Carthage, que tout le pays étoit en allarmes. Salomon, qu'il avoit lauTé en Afrique avec fes meilleurs Officiers, recevoit a tous moments de triftes nouvelles. Ce guerrier, plein d'aöivité & de vaeur, étoit bien digne de fuccédera 3éhfaire. Comme il avoit a peine tffez de troupes pour conferver les )ofles les plus importants , & que es Maures fe montroient de tous es cötés k la fois, il ne favoit ou >orter du fecours. Les garnifons de i Byzacene & de la Numidie étoient etruites; mais rien ne lui caufa une lus vive douleur, que la perte irréarable des deux plus vaillants Offiiers que les Romains euffent en Afriue. Augan, qui s'étoit fignalé k nt de batailles, & le brave Rufin, srte-étendard de Bélifaire, étoient i Bizacene a la tête d'un corps de ivalerie. Indignés de voir les camjgnes ravagées & les habitants trai:s en efclavage , ils fe pofterent en  du Bjs-Empire. Liv. XLIIL 321 embufacade dans un défilé, furprirent les Maures, les taillerent en pieces, & délivrerent tous les prifonniers. Au premier avis de cette défaite, Cuzinas & trois autres Princes Barbares, qui n'étoient pas loin de-la avec une nombreufe cavalerie, accourent a toute bride, arrivent fur le ioir, & enveloppent les vainqueurs. La fupériorité du nombre Pemporte fur la bravoure : les Romains, accablés de toutes parts, périflent en combattant. Augan & Rufin, fuivis de quelques cavaliers, fe font jour au travers des efcadrons ; ils quittent leurs chevaux, Sc montent fur une roche voifine, d'oü ils écartent les Maures a. coups de fleches. Tant qu'ils purent faire ufage de leurs arcs, ils défendirent vaillamment les approches; mais leurs carquois étant épuifés, ils fe virent bientöt environnés d'une foule d'ennemis, qu'ils repouffoient k coups d'épées. II fallut enfin céder au nombre. Augan fe fit hacher en pieces, & combattit jufqu'au dernier foupir. Rufin , couvert de bleflures, fut pris par un des chefs , qui, craignant encore fa vaÖ v JüSTINIEN. Ann. 531.  JUSTlN I EN. Ann. 53 j. Ann. 536. XXX. Bataille de Mamma, 342 HlSTÖIRE leur,lui coupa la tête. Ce barbare; frappé de 1'air martial & terrible, que cette tête confervoit par la force de fes traits & par 1'épaiffeur de fa chevelure, la porta dans fa demeure, pour en donner le fpeftacle a fes femmes , aufli féroces que leur mari. Quoique la perte de ces deux guerriers ne dut infpirer a Salomon que des fentiments de vengeance , il tenta encore la voie de pacifieation. II écrivit aux Rois Maures, qui Is avoient apparemment oublié & le dé~ faflre des Vandales, & les ferments qu'ils avoient eux-mêmes faits d Bélifaire , & leurs propres enfants donnés en ótages, dont ils hafardoient la vie par leur révolte. Ils répondirent, que fexemple des Vandales riavoit pour eux rien cCeffrayant. Vous ne les aveir vaincus, difoient-ils, que paree que nous les avions auparavant affbiblis par plufieurs défaites. Vous nous- accufe^ de perfidie; c'efl un reprocke qui tombe d plus jufle titre fur Bélifaire , dont les magnifiques promeffes n'ont été fuivies £ aucun effet. Quant aux menaces que vous nous faites de mettre d mort nos étages, c'ejt aux Romains d ménager  jw Bas-Empis.e. Liv. XLIIL 323 leurs enfants, paree qu'ils riont chacun qu'une feule femme ; pour nous qui pouvons en avoir cinquante, nous ne craignonspas de manquer de poféritê. Apres une réponfe fi brutale, Salomon , ayant pourvu a la füreté de Carthage , marcha vers la Byzacene. II trouva Cuzinas & fes trois collegues campés dans la plaine de Mamma, au pied d'une chaine de hautes montagnes; il s'y retrancha ; & le lendemain, dès la pointe du jour, les deux armées fe rangerent en bataille. Celle des Maures avoit une difpofition particuliere, qui ne fut jamais en ufage que quand une armée fe voit enveloppée de toutes parts. Ces Barbares ignoroient tellement la tactique, qu'ils fembloient avoir pris a tache de perdre 1'avantage que leur donnoit la fupériorité du nombre. Comme ils avoient une multitude innombrable de chameaux , ils le: rangerent en cercle fur douze rangs. en forte que ces animaux faifbieni face de tous eötés, chaque file étan compofée de douze. Les fantaffin: remplifToient les intervalles; ils é toient prefque nuds, n'ayant pour ar O vj JUSTI- Ann. 536.  JUSTINIEN. Ann. J3é, 324 HlSTOIRB mes qu'une épée, une rondache & deux javelots. La coutume de ces Barbares étoit de mêler avec les combattants quelques femmes qui tenoient leurs enfants entre leurs bras, apparemment pour animer les foldats par la vue de ce qu'ils avoient de plus cher. Le refte des femmes étoit placé au centre du cercle. Elles fuivoient leursmaris a la guerre, & partageoient avec eux les travaux. Ort les employoit k planter les paliffades, a dreffer les tentes, k panfer les chevaux & les chameaux, k fourbir & k aiguifer les armes. La cavalerie poftée fur le penchant des montagnes, laiffoit un grand efpace entre elle & 1'infanterie. Les Maures étoient au nombre de cinquante mille hommes. Salomon n'en avoit pas dix mille; mais, grace a la mauvaife difpofition des ennemis, il pouvoit choifir dans leur armée telle partie qu'il jugeroit a propos d'attaquer ; le refte devenoit inutile, k moins de tompre 1'ordonnance ; ce qui entraïnoit le défordre & la défaite. II attaqua du cöté de la plaine, pour ne pas s'engager entre la cavalerie  bv Bas-Empire. Liv. XLHI. 325 & Pinfanterie. Le commencement du combat ne fut pas favorable aux Romains. Leurs chevaux, effarouchés de 1'afpect & du cri des chameaux, prenoient la fuite, jettant par terre leurs cavaliers, que les Maures percoient a coups de dards. Pour remédier a ce défordre , Salomon fauta de fon cheval, &c fit mettre pied a terre k toute fa cavalerie. II donna ordre a fes foldats de fe tenir fermes, les rangs ferrés, & bien couverts de leurs boucliers. Pour lui, a la tête de cinq cents hommes , il court entamer le cercle, tombant fur les chameaux k grands coups d'épées. Les fantaffins, qui garniffoient les intervalles de ce cöté-la , ne tarderent pas a prendre la fuite. Les Romains pénétrerent jufqu'au centre ou étoient les femmes. Alors tous les Maures fe débandent & fuyent vers les montagnes , pourfuivis par les Romains qui en font un grand carnage. II en refta dix mille fur la place. Les femmes, les enfants, les chameaux que le fer avoit épargnés, furent emmenés k Carthage , oh la vi&oire fut célébrée par des fêtes publiques, JUSTINI EN. Ann. 5 36,  JUSTI. NIEN. Ann. s 36. XXXI. Bataille du mont Burgaon. 326 HlSTOI&E Plus irrités que confternés de leur défaite, les Barbares firent un nouvel effort. Toute la nation prit les armes; & Salomon, a peine de retour , apprit qu'une armée beaucoup plus nombreufe que celle qui venoit d'être battue, ravageoit de nouveau la Bizacene, & pafToit tout au fil de 1 epee fans diftincfion d'age ni de fexe. II marche auffi-töt, &c s'arrête au pied du mont Burgaon , fur lequel les Maures étoient campés. II y demeura plufieurs jours. Les ennemis qui avoient appris k craindre les Romains en rafe campagne, étoient bien réfolus de conferver 1'avantage du pofte. Le mont Burgaon eft inacceffible vers 1'orient; mais vers 1'occident, il s'abaiffe en pente douce, &c préfente un accès facile. II eft accompagné k droite & a gauche de deux rochers d'une prodigieufe hauteur, qui ne font féparés de la montagne que par un paffage étroit, mais très-profond. Les Maures étoient campés du cöté de 1'occident au milieu de la defcente ; ils n'avoient poflé aucunes troupes ni au-deffus d'eux, d'oii ils ne crai-  du Bjs-Empire. Liv. XLI1I. 327 gnöient point d'attaque , ni au - deffous, paree qu'ils fe croyoient fürs d'accabler les Romains a coups de traits, avant que ceux-ci puffent les atteindre. Ils tenoient leurs chevaux tout bridés a cöté d'eux, a deffein de fuir ou de pourfuivre felon 1'événement. Salomon voyant les Maures déterminés a conferver leur pofte, & fes foldats impatients de quitter ce terrein aride & ftérile , réfolut de monter aux ennemis. Mais pour s'af furer du fuccès, il voulut obtenir pat adreffe 1'avantage que le lieu fembloit lui refufer. II donna ordre è Théodore , Capitaine des gardes d< nuit, de prendre avec lui mille fol dats difpos & agiles, de grimper a vee eux pendant la nuit au fomme de la montagne, par le cöté qui pa roiffoit impraticable, de s'y tenir tran quilles jufqu'au jour , & alors de le ver leurs enfeignes, & d'accabler le ennemis a coups de traits. L'ordr fut exécuté fans que les Maures r les Romains mêmes en euffent aucu foup^on. Car Théodore étant pari au commencement de la nuit , o penfa qu'il n'avoit d'autre deffein qu JUSTIHIEtf. Ann. 536. s i 1 i 3 e  JüSTINIEN. Ann, J36. ■ 1 1 4 i 1 i i a S e c c fc c r< d 328 HtSTOlRÊ de battre la campagne, & de garder les avenues du camp. Salomon fit marcher fon armée de grand matin ; & dès que le jour commenca a paroitre, les Romains1 & les Maures furent également furpris d'appercevoir un corps de troupes fur le haut de la montagne. Bientöt une grêle de traits quitomboit fur les Maures, 5t connoitre aux Romains que c'é:oit un détachement de leur armée, 5c ce fecours imprévu redoubla leur :ourage. Les Maures, au contraire, infermés entre deux troupes ennenies, fans pouvoir ni monter ni defendre , prirent 1'épouvante, & s'enuyant par le travers de la montane, partie a pied, partie a cheval , veuglés par la terreur, ils fe peroient mutuellement de leurs armes, i fe précipitoient en foule hommes c chevaux dans cette gorge étroite l profonde qui les féparoit du roller voifin. Enfin, les cadavres annoncés les uns furies autres, ayant comlé le paffage, fervirent de pont I hix qui fuivoient, pour gagner Ie )cher, ou les Romains ne fe hafar;rent pas k les pourfuivre. Dans  du Bjs-Empire. Liv. XL1H. 329 cette horrible confufion, ilpéritcinquante. mille Maures, fans qu'il en coutat une goutte de fang aux Romains. On prit un des chefs , nommé Efdilafe, & avec lui toutes les femmes & une fi grande multitude d'enfants , que les foldats Romains donnoient un jeune Maure pour un mouten. Ceux qui échapperent de la défaite ne trouvant plus de fursté dans le pays , fe retirerent en Numidie auprès d'Yabdas qui tenoit le mont Aurafe. II ne refta dans la Byzacene que les Maures fujets d'Antalas, jufqu'alors fidele aux Romains. La Numidie n'étoit pas plus tranquille. Yabdas, fuivi de plus de trente mille Maures, y faifoit de grands ravages. Un des Capitaines de Bélifaire, nommé Althias, illuftre par fa valeur, commandoit dans un canton de la Province. II n'avoit a fa fuite que foixante & dix cavaliers de la nation des Huns. Comme il n'étoit pas en état de tenir la campagne, il cherchoit quelque défilé a la faveur duquel il put furprendre les ennemis. Mais la Numidie eft un pays découvert, qui n'offre de toutes parts JUSTlNIEN. Ann. 536. XXXII. Combat fingulier d'Althias, Capitaine Romain, & d'Yabdas , Roi des Maures.  JUSTIKIEN. Ann. 536. , i | 33" Histoire que de vaftes plaines. II trouva cependant prés de la ville de Tigifi, un lieu propre a fon deffein. C'étoit un baffin formé par une fource abondante, & bordé de roches efcarpées. II s'y mit en embufcade, ne doutant pas que les Maures qui défoloient le voifinage , ne vinffent bientöt s'y défaltérer, les environs ne fourniffant pas une gouttë d'eau. II ne fut pas^ trompé dans fa conjeclure. On étoit dans le fort de 1'été dont les ardeurs font..infupportables au milieu de ces fables arides. Les Maures, déyorés d'uhe foif brülante, accoururent a la fontaine , & trouvant le lieu ferm'é par les ennemis, ils s'arrêterent épuifés de langueur, & fouffrant le fupplice de Tantale a la vue de cette eau qu'ils ne pouvoient atteindre. Yabdas s'étant approché offrit au Capitaine le tiers de fon butin, s'il :onfentoit k laiffer boire fes foldats. Althias rejetta 1'offre, & lui propofa e combat fingulier, fous la condition que le vainqueur refteroit maitre de a fontaine. Le Roi accepta le défï, k fes cavaliers ravis de joie, fe teïoient affurés de la viöoire, Althias  du Bas-Empire. Liv. XLIII. 331 étant d'une taille grêle & fort petite, au-lieu qu'Yabdas étoit le mieuxfait & le plus vaillant des Maures. Ils prennent carrière, & reviennent 1'un fur 1'autre. Yabdas lance le premier fon javelot, qu'Althias eut 1'adreffe de faifir, & la force d'arrêter de la main droite; en même-temps maniantfon are de la main gauche , dont il favoit également fe fervir , il abat d'un coup de fleche le cheval de fon ennemi. Les Maures effrayés remontent Yabdas fur un autre cheval, & difparoiffent avec lui. Althias demeura maitre de tout le butin, & ce combat le rendit célebre dans toute 1'Afrique. Yabdas fe retira fur le mont Aurafe , dont les Maures s'étoient em parés plus de cinquante ans auparavant fous le regne d'Hunéric. Cett< montagne fituée prés du fleuve Amp fagas, a treize journées de Carthage étoit la plus haute de toute l'Afriqui connue des Romains. Elle occupoi un terrein de trois journées de cir cuit. La pente hériffée de rocher n'offroit aux yeux rien que d'affreu: & de fauvage; mais le fommet pré JUSTINIEN. Ann. 5 }6. XXXIII. Expédition de Salomon ! en Numi- . die. t J C  JUSTINIEN. Ann. 536. j ] i < c 1 I f ê T "t S32 HlSTOIRB fentoit le payfage le plus délicieux; une vafte plaine, arrofée de ruiffeaux, enrichie de moilTons & de fruits d'un goüt exquis, une fois plus gros que dans le refte de 1'Afrique. Les Maures n'y avoient point hati de forts; le lieu fe défendoit affez de lui-même. Ils avoient ruiné Tamugade , ville grande & peuplée a 1'entrée de la plaine qui conduifoit au mont Aurafe, afin qu'elle ne put fervir de place d'armes aux ennemis. Salomon, pour délivrer la Numidie des ravages l'Yabdas, réfolut de 1'aller relancer lans fa retraite. Deux Rois Maures /inrent le joindre avec leurs tronies , & s'offrirent a lui fervir de guiles ; il crut pouvoir fe fier k ces }rinces, paree qu'ils étoient en guerre vee Yabdas. II partit de Carthage, le jour même qu'il arriva au pied le la montagne, il s'approcha en or!re de bataille, ne doutant pas que ?s ennemis ne vouluffent en difpusr 1'accès. Comme ils ne paroiffoient oint, il fit monter fes foldats, qui rimpant avec peine de rochers en achers, s'arrêterent après deux heuts de fatigue, pour pafier la nuit.  du Bjs-Empire. Liv. XLIII. 333 Ils ne firent pas plus de chemin les jours fuivants. Enfin , le feptieme jour, ils gagnerent un des fbmmets, fur lequel, au rapport de leurs guides, les ennemisjes attendoient..I!s ne trouverent qu'une vieille tour &c un ruiffeau , mais point d'ennemis. Ils y refterent campés trois jours, fans appercevoir aucun des Maures , qui connoiffant les détours de la montagne , fe déroboient aifément a leurs yeux. Comme ils étoient menacés de manquer bientöt devivres, ils corrjmencerent a. fe défier de leurs guides. Eneffet, ceux-ci les trahiffoient ,inftruifant les Maures de la marche des Romains , qu'ils trompoient par de faux avis. Salomon, s'en étant convaincu, craignit des effets encore plus funeftes de leur perfidie; & voyant d'ailleurs qu'un plus long délai expofoit fes foldats a mourir de faim, il prit le parti d'abandonner 1'entreprife , & regagna la plaine. Comme 1'hy ver approchoit, il laiffa en Numidie une partie de fes troupes pour défendre la Province, & ramena le refte k Carthage. Son deffein étoit de retourner au mont Justinten.Ann. 5 364 XXXIV. Ravage de la Sardaigne.  JUSTINIEN. Ann. 536, XXXV. Caufes d'une révolte de foldats en Afrique. Proc. Got. I- l . c. 14. Theoph.p. 172. Anafl. p. éi. 334 IIlSTOIRE Aurafe , dès que la faifbn le permettroit; mais avec plus de précaution & fans employer le fecours des Maures, dont il avoit éprouvé la perfidie. En même-temps, il fongeoit k purger la Sardaigne d'une troupe de brigands. C'étoient des Maures que les Vandales avoient autrefois relégués dans cette ifle, avec leurs femmes pour en délivrer 1'Afrique. Ces bannis, d'abord en petit nombre , & détenus dans des prifons, s'échapperent , & fe cantonnerent dans les montagnes voifines de Cagliari, oh ils fe multiplierent jufqu'au nombre de trois mille. Sortant alors de leurs retraites, ils couroient les campagnes & faifoient d'affreux ravages. Salomon fe préparoit a les exterminer, lorfqu'une révolte de fes propres foldats le mit en danger de la vie. Voici quel en fut lefujet. L'Empereur ayant réuni a fon domaine les terres conquifes en Afrique, les avoit données a ferme aux foldats; & ceux-ci avoient époufé les veuves & les filles des Vandales. Ces femmes fe voyant avec dépit devenues fimples fermieres des biens qu'elles  du Bas-Empire. Liv. XLIIL 33S avoient poffédés, perfuaderent a leurs maris que ces terres leur appartenoient: Cejl notre dot, difoient-elles, ces fonds ont du poffer entre vos mains par notre mariage. Éft-il jufle quen époufant nos vainqueurs , nous ayons perdu la fortune dont nom jouiffions avec les vaincus? Les foldats, peu inftruits pour Pordinaire des droits de propriété , trouverent ce titre très-légitime. Ils porterent leurs plaintes a Salomon, qui s'efForca, mais en vain, de leur faire entendre : Qu'ils devoiem être contents qu'on leur eut abandonm Hor & 1'argent des Barbares : qu'il. étoient au fervice de 1'Empereur, qui le. avoit armés, payés, entretenus, & au quel ils avoient prêté ferment : que c n'étoit pas pour eux-mêmes qu'ils avoien combattu; mais pour rendre d l'Empir fes anciennes pojfefjlons : que les con quêtes appartenoient d tEtat, & qu £ étoit renoncer au caraclere de Romams que de fe prétendre les fucceffeurs dt Vandales. Les foldats ne furent poir fatisfaits de ces raifons ; ils étoier encore animés par les Ariens qui i trouvoient parmi leurs camarades. y en avoit environ mille dans 1< JUSTINIEN. Ann. 536,' t t t s t t è il 'S  JUSTINIEN. Ann. 536. 1 j 1 J i j ] I ( e i 1 t 335 Histoiile troupes de Salomon, entre lefqüels on comptoit plufieurs Erules , les plus mutins des Barbares. Comme 1'Empereur avoit défendu le culte public a tous les hétérodoxes, les Prêtres Vandales , défefpérés de fe voir privés de leurs foncfions, les excitoient a la révolte ; & de ce ton dévot que les féditieux favent fi bien prendre, ils leur repréfentoient que ia fête de Paques approchoit, & que :e feroit pour eux le comble du malheur & de 1'infamie, de ne pouvoiv faire baptifer leurs enfants , ni rélébrer felon leurs ufages cette fainte blemnité. Ils étoient fecondés par fautres Vandales , répandus dans Carthage. Nous avons dit que Jufiifien avoit envoyé en Oriënt les pribnniers de cette nation, amenés par iélifaire a Conftantinople. Environ [uatre cents d'entr'eux, étant arrivés a Lesbos, fe rendirent maitres les navires qui les portoient, & forerent les matelots de les reconduire n Afrique. Abordés en Mauritanië nr une cöte déferte, ils gagnerent ? mont Aurafe , & plufieurs revinent i Carthage, oü ils foufiloient fe ere te ment  s>u Bas~Em?ire. Liv. XLIIL 33F fecretement le feu de la fédition. Le nombre des mécontents croiffoit tous les jours. Ils s'affembloient, ils s'aigriffoient les uns les autres, ils fe lioient par des ferments. Les approches de la fête de Paques embrafoient de plus en plus le faux zele des Ariens. Dans un fi grand nombre de oonfpirateurs , le fecret étoit difficile; cependant aucun avis ne parvint jufqu'a Salomon, paree que la plupart de fes gardes & de fes domeftiques entroient dans le complot. Le jour de Paques, qui tornooit cette année au vingt-troifieme de Mars, Salomon , afliftant a 1'office dans une parfaite fécurité, les conjurés vinrent a 1'Eglife, dans le deffein de le poignarder. Ils 1'envelopperent ; & s'animant mutuellement par leurs regards, ils portoient déja la main a leurs épées; mais la vue des autels ck les yeux de leur Général, dont la vertu imprimoit Ie refpect, les glacerent d'effroi : ils fe retirerent en tremblant , fe reprochant les uns aux autres leur foibleffe. Ayant remis 1'exécution au lendemain , ils furent faifis de la Tome IX. P Justi- NI EN. Ann. 5 36. XXXVI. Confpiration contre Sal»^ mon.  JUSTI NI EN. Ann. 536. XXXVII. Révolte a Catthage. 338 HlSTOIRE même terreur , & fortirent encore fans rien faire. Défefpérés d'avoir deux fois manqué leur coup, ils s'attroupent k la porte de 1'Eglife , & par un emportement plein d'imprudence, ils s'accablent publiquement de reproches , fe traitant réciproquement de laches, de traïtres, de vils efclaves de Salomon. Après un éclat fiindifcret, la plupart fentirent bien qu'il n'y avoit plus pour eux de füreté dans Carthage. Ils en fortirent pleins de fureur, & commencerent k ravager la contrée, forcant les villages, & maffacrant tous ceux qu'ils trouvoient. Quelques-uns eurent affez d'afTurance pour refter dans la ville; & tranquilles dans leurs maifons, ils feignoient d'ignorer le complot. Salomon , inftruit enfin du danger qu'il couroit encore, ne prit pas 1'épouvante. II effaya de ramener par la douceur les conjurés qui étoient demeurés k Carthage. Ceux-ci parurent d'abord touchés de fesdifcoiirs; mais cinq jours après, animés par 1'exemple de leurs camarades , qui défoloient le pays impunément, ils  . du Bas-Empire. Liv. XLIII. 339 s'affemblerent dans le cirque, oü pouflant des cris tumultueux, ils infultoient Salomon & les autres Capitaines. Salomon leur envoya Théodore de Cappadoce, quoiqu'il fe défiat de eet Officier, qu'il foupconnoit même d'avoir voulu attenter a ia vie. II vouloit fans doute 1'éprouver dans cette conjoncture, & s'affurer de fes véritables difpofitions. Les foupcons de Salomon étoient injuftes; Théodore le fervit de bonne foi, & tócha d'appaifer les féditieux. Mais ceux-ci, au-lieu de 1'écouter , le proclamerent leur Général; & le forcant de marcher au milieu d'eux, ils le conduifirent avec grand bruit au palais. En y entrant, ils égorgerent un autre Théodore, Capitaine des gardes, celui-la même dont la valeur avoit tant contribué a la vio toire remportéefur le mont Burgaon, Ce meurtre, redoublant leur rage . ils courent par toute la ville, égor gent tous les amis de Salomon, ïanj épargner ceux mêmes qui leur of froient de 1'argent pour racheter leui vie. Ils pillent les maifons, jufqu'i ce que la nuit étant venue, la déP ij JUSTINI EN. Ann. 5jé. t  JUSTINIEN. Ann. 536. XXXVIII Fuite de Salomon. < .1 3 < < '1 34® Histoikb bauche & 1'ivreffe fuccedent a Ia fureur & au carnage. Pendant ce tumulte, Théodore, échappé de leurs mains, s'étoit renfermé dans fa maifon , déteftant le commandement , dont la révolte avoit prétendu 1'honorer. Salomon fe tenoit caché dans la chapelle du palais. Martin vint 1'y trouver au commencement de la nuit; & lorfqu'ils cmrent les féditieux endormis , ils pafferent chez Théodore , qui , les ayant obligés de prendre quelque nourriture, les efcorta jufqu'au port, & les embarqua dans une chaloupe. Ils n'avoient avec eux que :inq domeftiques avec 1'Hiftorien Procope , que Bélifaire avoit lailfé niprès de Salomon, pour 1'aider de "es confeils. Après avoir fait douze )u treize lieues en cötoyant le ri^age, ils arriverent k Maffua; c'étoit in port dépendant de Carthage. Saomon fit partir Martin , pour aller 'n Numidie avertir Valérien & les utres Officiers qui commandoient lans cette Province, d'empêcher par ous les moyens poffibles , que la ontagion de la révolte ne fe com-  nu Bjs-Empire. Liv. XL1II. 341 muniquat a leurs foldats. II manda a Théodore de veiller a la confervation de Carthage. Après avoir pris ces fages précautions , il paffa en Sicile avec Procope, &c preffa vivement Bélifaire de fe tranfporter en Afrique, ou 1'autorité impériale étoit indignement outragée. Les rebelles , inftruits de la retraite de Salomon , mais trop foibles pour fe rendre maitres de Carthage, fortirent de la ville , 6c fe raffemblerent dans la plaine de Bule, oii ils choifirent pour chef Stozas, un des gardes de Martin, homme hardi & entreprenant , mais perfide & fanguinaire. Ils efpéroient fous fa conduite, chaffer du pays tous les Commandants envoyés par 1'Empereur , &c s'emparer de FAfrique entiere. Stozas appella fous fes enfeignes ce qui refloit de Vandales; il enróla grand nombre d'efclaves, &c ayant formé une armée de huit mille hommes, il marcha vers Carthage, perfuadé qu'il y entreroit fans réfiflance. Lorfqu'il fut a la vue de cette grande ville, il la fit fommer de fe rendre, promettant de n'y faire P iij JUSTINIEN. Ann. 556, XXXIX. Stozas chef des révoltés. Proc. Gct. l.i.c. 15. Mare. Chr. Theoph. p. 171, 173. Jorn. fnecejf.  JüSTI- DIEN. Ann. 536. XL. Bélifaire arrivé a Carthage. ' ; < 1 ] 1 I 1 c f r £ 542 HlSTOlRE aucun défordre. Théodore, k la tête des principaux habitants , répondit qu'ils étoient réfolus de demeurer ndeles k 1'Empereur; & pour infpirer a Stozas des fentiments pacifiques, il lui envoya Jofeph, attaché au fervice de Bélifaire, qui venoit d'arnver a Carthage pour une commifïion particuliere. Stozas, irrité de la réponfe, fit tuer Jofeph, & s'approcha de la ville. Malgré les infïances de Théodore, e peuple fongeoit a fe rendre : on ivoit réfolu de capituler le lendenain, lorfque Bélifaire entra penlant la nuit dans Ie port. II n'avoit ju'un feul vaifleau , & n'amenoit ivec lui que Salomon , & cent homnes choifis dans fa garde. Les re>elles dormoient tranquiliement dans a confiance qua leur réveil on leur pporteroit les clefs de la ville. Mais u point du jour, quand ils apprient 1'arrivé de Bélifaire, frappés de e nom feul, ils décamperent en conufion. Bélifaire, ayant affemblé deux lille hommes , dont il embrafa le ourage par fes paroles & par fes béra,lités, fe mit a la pourfuite des  nu Bas-Empire. Liv. XLIII. 343 t troupes de Stozas, & les atteignit ' prés de Membrefe a feize ou dixfept lieues de Carthage. Les deux arTnées camperent, celle de Bélifaire prés du fleuve Bagradas , celle de Stozas fur une hauteur de difficile accès. Le lendemain on fe rangea en bataille de part & d'autre; les révoltés fe fioient fur la fupériorité de leur nombre , & les foldats de Bélifaire fur la haute capacité de leur Général ; méprifant leurs ennemis comme une troupe de brigands que le crime avoit attroupés fans chef, fans difcipline, fans honneur. Comme ils s'approchoient pour en venir aux mains, il s'éleva un vent impétueux , qui, donnant en face fur 1'armée de Stozas, lui fit craindre que les traits de fes foldats ne perdifTent de leur force, tandis que ceux des ennemis en acquerroient davantage. Dans cette penfée, il fit un mouvement a droite , pour tourner 1'armée de Bélifaire , & prendre le deffus du vent. Comme il prêtoit le flanc, & que cette évolution ne fe faifoit pas fans quelque défordre, P iv JUSTlNl EN. Ann, s 3 é. XLT. Combat de Membrefe.  JUSTINIEN. Aan, 5 3 6, j i ] i t l £ 1 t F n v h a ü d o. v: d' 344_ _ Histoirb Bélifaire profita du moment, & chargea les ennemis dans cette pofition flottante & mal affurée. Ils furent enfoncés du premier choc; & prenant auffi-töt la fuite, ils ne fe rallierent qu'en Numidie > oü ils reconnurent avec confufion qu'ils n'avoient perdu que peu de foldats, dont la >lupart étoient Vandales. Le vain-. paeur ne jugea pas a propos de les >ourfuivre; il fe contenta de les voir chaffés avec fa petite troupe, 'i livra leur camp au pillage. On y rouva beaucoup d'argent, & grand ombre de ces femmes qui avoient té la première caufe de la rébellion. iélifaire, de retour a Carthage, reut nouvelle de la Sicile, qu'il s'éJit élevé une fédition dans fes troues , & qu'il étoit a craindre qu'elle 'efn des fuites funeftes, s'il ne reenoit au plutöt. On peut dire que fupériorité de ce grand homme /iliffoit les autres Capitaines : les 'Idats qu'il avoit une fois comman2S , ne pouvoient qu'avec peine aéira d'autres; ainfi qu'un courfier goureux , accoutumé a la main un adroit écuyer , fbuffre impa-  - nu Bas-Empihe. Liv. XLH1. 345 tiemment, & défargonne un cavalier moins habile. Après avoir donné', dans le pen de temps qui lui reftoit, le meilleur ordre qu'il put aux affaires de 1'Afrique, il confia le foin de Carthage a Théodore &c k Ildiger, & repaffa en Sicile avec Salomon , qui fe rendit a Conftantinople. Dès que Bélifaire fut éloigné, Stozas reprit 1'avantage. Marcel commandoit en Numidie : il avoit fous fes ordres Cyrille , Barbatus, Térence & Sérapis. Ayant appris que Stozas étoit a Gazophyle , petite ville a deux journées de Conftantine, & qu'il y raffembloit fes troupes, il marcha pour le furprendre. avant qu'elles fuffent réunies. Les deux corps étoient en préfence & prêts k fe charger, lorfque Stoza: s'approchant des ennemis a la porté« de la voix : » Camarades, s'écria» t-il, quelle fureur vous aveugle i » Vicfimes d'une injufte tyrannie » vous attaquez vos amis, vos fre » res, qui ne cherchent qu'a vou » affranchir en fe vengeant eux » mêmes. Avez - vous donc oubli » qu'on vous refufe depuis long P V JUSTIN1EN. Ann. 536. XLII. Perfidie de StozüS. ( 1  JUSTIKIEN. Ann. 536. 34£ Histoixe » temps cette miférable paye, uni» que falaire de vos fatigues & de » vos bleffuresr qu'on vous enleve » les dépouilles que vous avez ac» quifes par tant de périls ? Vos Gé» néraux veulent jouir feuls des fruits » de votre valeur; ils s'enrichiffent » de votre mifere, ils s'enivrent de » votre fang; & vous fuivez en ef» claves ces maitres avares & impi» toyables .' Si je vous fins odieux, » déchargez fur moi votre colere ; » me yoki en butte k vos traits; » mais épargnez vos freres. Si vous h n'avez a me reprocher que ma » compaffion pour vous & pour vos » camarades, joignons nosarmes,& » défendons enfemble nos intéréts >> communs ". Pendant qu'il parloit ainfi, Marcel & ies autres Officiers crioient a leurs foldats d'avancer, & de tirer fur ce rebelle : mais les foldats, fourds k leurs ordres, n'écoutoient que Stozas. Attendris par fes paroles , ils courent a lui, ils 1'embraffent avec larmes, ils fe joignent a fa troupe. Marcel Sc les autres Généraux s'enfuyent dans 1'Eglife de Gazophyle, Stozas, a la tête  du Bas-Empipe. Liv. XLIII. 347 des deux armées reünies , inveftit eet afyle : les Généraux en forterit fur fa parole; mais par une facrilege perfidie , il les fait égorger k fes yeux. La fédition des troupes de Sicile n'eut aucune fuite facheufe. Le retour de Bélifaire rétablit le calme : il trouva fon camp aufli tranquille qu'il l'avoit laiffé. II fe difpofa fans perdre de temps k paffer en Italië , felon les ordres qu'il recevoit de 1'Empereur. Ayant mis garnifon dans Syracufe 8c dans Panorme, il paffa de Meffine k Rhege. A peine y futil arrivé, que tous les peuples d'alentour 1'envoyerent affurer de leur obéiffance : leurs villes étoient fans défenfe, 8c ils déteftoient le gouvernement des Goths. Mais la plus importante de toutes ces défecfions,fu1 celle d'Ebrimuth, le gendre de Théodat , dont il avoit époufé la fille Théodenante. Son beau - pere l'avoit envoyé vers le détroit avec quelque; troupes, pour défendre le pays. Dèi qu'il fut que Bélifaire étoit a Rhege regardant déja 1'Italie comme perdiu pour les Goths, il alla fe jetter aiu P vj JUSTINIEN. Ann. J36i XLTIt. Bélifaire paffe en Italië. Proc. Got, l. l.c. 8. Mare. chr. Jorn. de rel. Get. c. 6o. Idem de fucceff.  JUSTINIEN. Ann. 536. XLIV. 11 marche vers Naples. Proc. Got. I. I. c. 8-, 9, 10. Mare. Chr. Jorn. de reh. Gei. c. 60. Idem de fucceff. Anafi. 5/71 er. Hifi. rni/c. I. 16. ] 1 1 J l i 6 348 H 1 s t q 1 r e pieds du Général Romain, & le pris dë le recevoir au fervice de 1'Empire/ Bélifaire 1'envoya a Conftantinople , oü il fut comblé d'honneurs, & revêtu du titre de Patrice. De Rhege, 1'armée Romaine traverfa fans oppofition le pays des Brutiens & la Lucanie, la flotte cötoyant le rivage. Elle arriva devant la ville de Naples, alors moins grande qu'elle n'eft aujourd'hui , mais très-forte , &c défendue par une nombreufe garnifon. La mer d'un cöté , de 1'autre fes murailles baties fur un terrein efcarpé , en rendoient les approches trés - dimciles. Bélifaire fit entrer la flotte dans le port, oü elle ietta 1'ancre hors de la portée du ïrait. II campa fur le rivage avec fes troupes de terre, & prit par compoStion une forterefle qui défendoit 'entree du fauxbourg. Les habitants tri députerentEtienne , qui lui repréenta : Oue les Napolitains riétoient >as les maüres de leur ville ; que la garüfon y dominoit, & que cette garnifon lême ne pnuvoit fe rendre aux Romains npunément, fes biens , fes femmes , fes ifants étant entre les mains de Théo-  du Bjs-Empire. Liv. XLIII. 349 dat : que Bélifaire agiffoit contre fes propres intéréts, en s'arrétant devant une place peu importante ; qu'il devoit aller attaquer Rome, dont la prife entraineroit Naples & toute l'Italië : que fi au contraire il échouoit devant Rome , il ne pourroit conferver les conquêtes précédentes , & que le fang qu'il auroit répandu devant Naples, feroit verfé en pure pene. Bélifaire répondit : Qu'il riavoit point de confeil d recevoir des Napolitains; que 1'Empereur tenvoyoit pour les tirer cfefclavage; que ce feroit une folie de combattre leur libérateur 3 & de faire1 pour conferver leurs chaines', les efforts que des gens fages font pour fe mettre en liberté : Qu'il laiffoit d la garnifon le choix dentrer au fervice de 1'Empereur, ou de fe retirer : Que fles habitants acceptoient la liberté quil leur offroit, il leur donnoit parole de les trailer auffi favorablement qu'il venoit de traiter les Siciliens : Que s'ils préféroient de refter en fervitude , il feroit foreé d'en ufer avec eux comme avec des efclaves. Etienne, gagné en fecret par Bélifaire , employoit tous fes efforts pour déterminer fes concitoyens a JUSTINIEN. Ann. J5é. XLV. Les habstants rejettent lss propofitions,  JUSTINIEN. Ann, 536. 1 3 J ) - 1 S 5 350 Histoirs fe rendre. II étoit fecondé par Aritiochus, tnarchand Syrien établi k Naples, qui avóit grande réputation de prudence & de probité. Mais deux Avocats fort accrédités, Paftor & Afclépiodote, attachés d'inclination & d'intérét au parti des Goths, traverfoient de toutes leurs forces les intentions d'Etienne; & pour y réuffir, fans manifefter leur deffein, ils engagerent le peuple k demander des ayantages fi exceflifs, qu'ils étoient bien perfuadés que Bélifaire ne les accorderoit jamais. Le Général Romain ié douta de 1'artifice ; & pour le rendre inutile, il accorda tout. Les habitants, ravis de joie, couroient léja aux portes pour les ouvrir k 'armée Romaine ; & les Goths, trop joibles pour réfifler k ce concours , ïémiffoient dedépit, & fongeoient a a retraite, lorfque Paflor & Afcléfiodote fe jettant au - devant de la nultitude : » Citoyens , s ecrierent- > ils, écoutez les derniers foupirsde > la patrie , dont vous allez déchirer > ks entrailles. Si vous vous fiez > aux promeffes de vos ennemis, > avez-vous aufli parole de la for-  du Bjs-Empikê. Liv. XLHI. 351 » tune qu'elle favorifera leur témé- ! » rité, & qu'une ptfignée d'aventur> riers, fans appui ck fans reffource, » terraffera dans cette guerre toute » la puiffance des Goths ? Si les » Goths font vainqueurs, comment » traiteront- ils un peuple perfide, » qui les aura trahis au premier fignal » de Bélifaire ? s'ils lont vaincus, » quel égard Bélifaire aura-t-il pour » des traïtres ? Combattez pour vos » maitres; ils récompenferont votre » zele; ou, s'ils fuccombent, 1'enne» mi vous pardonnera votre fidélité. » Que craignez-vous ? Vos magafins » ne font-ils pas pourvus de vivres ? » n'avez-vous pas une forte garni» fon pour vous défendre ? Bélifaire » connoit vos forces mieux que vous » ne les connoiffez vous-mêmes. S'il » efpéroit vaincre votre réfiftance, » vous prodigueroit - il tant de fa» veurs ? Penfez-vous qu'il veuille » ménager notre ville ? Si c'étoit fon » deffein, il iroit d'abord attaquer » Théodat , dont la défaite vous » mettroit entre fes mains fans péril » pour vous & fans déshonneur En même-temps ils préfenterent au JUSTIN1EN. Inn. 5 36.  JUS TI- NIEN. Ann. 536. XL VI. Siege de Naples. 1 ( < 1 £ f i i f 352 H I S T O I R E peuple les marchands Juifs, qui re, pondirent fur leur tête que la ville ne manqueroit jamais de vivres, tant que dureroit le fiege; & les Officiers de Ia garnifon, qui protefterent qu'ils la défendroient feuls, fans qu'il en coutat une goutte de fang aux citoyens. Ces promeffes firent plus d'effet que celle de Bélifaire : on lui fignifia qu'il eut a s'éloigner de la ville. Loriqu'il vit toute négociation rompue , il vint camper au pied des murs , & donna plufieurs affauts , toujours avec perte. II fit couper 1 aqueduc, fans caufer beaucoup d'in:ommodité aux habitants; ils avoient les puits dans la ville même. Cependant comme le nom feul de Béliaire les allarmoit , ils envoyerent 1 Théodat demander un prompt fe:ours. Mais ce Prince, fans réfolution omme fans prévoyance , fe croyoit ui-même affiégé, & n'ofoit détacher ucune partie de fes troupes. Bélinre n'avoit pas moins d'inquiétude; I n'efpéroit plus rien, ni de Ia part es habitants, ni de fes propres ef3rts, & voyoit avec chagrin qu'en  du Bas-Empire. Liv. XLIII. 353 perdant la belle faifon devant cette place , il le réduifoit a la néceffité d'attaquer Rome & Théodat pendant 1'hyver. II prit donc le .parti de lever le liege, & donna 1'ordre de fe préparer au départ. Tout étoit prêt, & 1'armée devoit fe mettre en marche le lendemain , lorfqu'un heureux hafard vint lui offrir le fuccès qu'il n'efpéroit plus. Un foldat Ifaure, curieux de voir la ftruöure d'un aqueduc, entra dans celui que Bélifaire avoit fait couper affez loin de la ville. En s'avangant, il rencontra un rocher percé d'un canal affez large pour donner cours k I'eau ; mais trop étroit pour laiffer paffer un homme. II jugea qu'en élargiffant cecanal, onpourroit pénétrer jufque dans la ville, & revint communiquer fa découverte k Paucaris , fon compatriote & garde de Bélifaire. Paucaris en donna aulli-töt avis a fon Général, qui lui commanda de prendre avec lui quelques Ifaures, de travailler k élargir le paffage; mais fans bruit, de peur de fe faire entendre des affiégés. Les Ifaures s'acquitterent fi bien de cette commif- JUSTIN 1 EN. Ann. $36. XL VII. Chemin pratiqué par un aqueduc»  Justinten.Ann, 536. ! J 1 S ( 354 HlSTOIRE fion, qu'en peu d'heures ils eurent pratiqué un chemin affez large pour un homme armé. Alors Bélifaire fe voyant fur le point de fe rendre maitre de Naples, voulut encore, par un effet de fa bonté naturelle, épargner aux habitants les défaftres dont ils étoient menacés. 11 demanda une entrevue avec Etienne; & après lui avoir rappellé les horreurs qu'éprouve une ville forcée : » Je vois avec » douleur, lui dit-il, que tous ces » maux vont fondre fur Naples: je ►> fuis affuré de la prendre ; j'en ai » un moyen infaillible. C'eft une » ville ancienne , habitée par des »> Chrétiens & par des Romains. J'ai * regret de la voir périr. Mais pour- > rai - je retenir la fureur des Bar- > barcs qui compofent une grande > partie de mon armée, &c qui brü- > lent de venger leurs freres & leurs > amis, tués au pied de vos murs? > Epargnez votre propre fang : ren- > dez-vous, tandis qu'il en eft enco- > re temps, ou n'accufez que vous- > même des maux que vous allez > éprouver ". Etienne , pénétré de louleur, rapporta ces paroles aux ha-  ■nu Bas-Empire. Liv. XLHI. 355 bitants , qui n'en tinrent aucun compte. Dieu, dit Procope, vouloit punir les Napolitains. Bélifaire les voyant obftinés a leur perte, choifit fur le foir quatre cents hommes, & leur commanda de prendre leurs armes, & d'attendre fes ordres. 11 en donna Ia conduite a deux Officiers, nommésMagnustkEnnès, qu'il inftruifit de ce qu'ils avoient k faire. La nuit étant venue , ils prirent deslanternes, & conduifirent leur troupe vers 1'aqueduc. Ils étoient aecompagnés de deux trompettes, qui devoient fe faire entendre , lorfqu'ils auroient pénétré dans la ville. Bélifaire avoit fait préparer des échelles, pour monter k 1'efcalade dans le même moment; il avoit donné ordre k toutes fes troupes de fe tenir alertes & fous les armes. Lorfque le détachement fut entré dans 1'aqueduc , la plus grande partie prit 1'épouvante , & retourna fur fes pas , malgré les efforts que faifoient leurs conducfeurs pour les retenir. Bélifaire les regut fort mal, & les fit remplacer par deux cents foldats des plu; braves de 1'armée. Photius, fon beau JUSTINIEN. Ann. 536. XL VIII. Les Romains penetrentpar ce ch.emin»  JüSTIK I EN. Ann. 536. : 1 i 1 i 35<5 HlSTOIRE fils , emporté par une bouillante raleur, vouloit marcher k leur tête, & étoit déja entré dans le canal; mais Bélifaire 1'obligea de demeurer avec lui. Ceux qui avoient fui le péril, piqués des reproches de leurs camarades, &c rougifTant de paroitre moins hardis , entrerent k leur fuite. Cependant Bélifaire craignant que les Goths qui étoient de garde dans la tour la plus voifine, n'entendiflent la marche des foldats dans 1'aqueduc , envoya de ce cöté-la Beffas, Goth de naiffance, & qui parloit bien leur langue, pour les difiraire par fes difcours. Beffas, faifant grand bruit, les exhortoit a fe rendre, & les amufoit par fes propofitions & fes reparties : les Goths répondoient paf des railleries 5c des injures contre Beffas & Bélifaire. L'aqueduc, couvert d'une voute le briques, pénétroit bien avant dans _a ville, & les foldats étoient déja , "ans le favoir , fous le terrein de Naples, lorfqu'ils arriverent enfin k a bouche du canal, qui fe termiïoit k un baffin dont les bords étoient brt élevés & impraticables , fur-tout 1 des hommes armés. Ils étoient dans  nu Bas-Empire. Liv. XLI1L 357 un grand embarras , ceux qui fuivoient pouflant leurs camarades pour gagner eux-mêmes 1'ouverture, & s etouffant les uns les autres dans ce lieu étroit. Un foldat, plus difpos & plus hardi, s'étant dépouillé de fes armes, s'aida fi bien des mains & des pieds, qu'il parvint jufqu'au haut, & fe trouva dans une méchante mafure, habitée par une pauvre femme. II la menaca de la tuer, fi elle ouvroit la bouche, & jetta dans la fofle une corde qu'il attacha par un bout a un olivier. A 1'aide de cette corde, les foldats fe trouverent tous en-haut deux heures avant le jour. Ils s'avancerent vers les murs du cöté du nord, oii Bélifaire avec Beffas & Photius attendoient 1'événement, & furprirent les gardes de deux tours, qu'ils pafferent au fil de 1'épée. Maitres de cette partie de la muraille, ils donnerent le fignal avec les trompettes. Aufli - tot Bélifaire fit appliquer les echelles : mais comme elles fe trouverent trop courtes pour atteindre aux créneaux ; il fallut en attacher deux au bout 1'une de 1'autre. On gagna ainfi le haut des murs. I JUSTINIEN. Ann. 53<  JUSTINIEN. Ann. 556. XLIX. Prife de Naples. J J > } ) i j 355 HlSTOlKË L'efcalade ne réuffiflbit pas du cöté de la mer. Les Juifs qui défendoient la muraille en eet endroit, n'attendant aucun quartier des Romains, dont ils avoient fait rejetter les propofitions, fe battoient en défefpérés; & quoiqu'une partie des Romains füt déja dans la ville, ils foutenoient opiniatrément toutes les attaques. Mais quand Ie jour fut venu , fe fentant charger par-derriere,ils prirent la fuite. Alors il n'y eut plus de réfiflance; 1'armée entra par toutes les portes, & le foldat fe livra a tous les excès de la fureur. Les Huns fur-tout exereoient :eur barbarie naturelle, fans refpec:er les afyles les plus facrés. Bélifaire :ouroit par-tout oü il voyoit fes gens icharnés au carnage : » Arrêtez, leur > difoit-il; ce font vos fujets que > vous égorgez. C'eft Dieu qui vous > donne la vicloire, & vous 1'outra- > gez par votre cruauté. Montrez aux > vaincus que nous méritions de les > yaincre. En les maffacrant, vous juf» tifiez leur réfiftance. Ils font affez 1 punis d'avoir été vos ennemis. Faii tes par votre humanité qu'ils fe re- > pentent de n'avoir pas toujours été  du Bas-Empire. Liv. XLIIL 359 » vos amis ". II laiffa Ie butin aux foldats, comme une récompenfe de leur valeur; mais il fit rendre les enfants a leurs peres, & les femmes a leurs maris. Ainfi dans un même jour, les Napolitains perdirent & recouvrerenf la liberté. Avant la nuit, le calme étoit rétabli dans la ville, & les habitants retrouvoient dans leurs mal? fons ce qu'ils y avoient caché de précieux. Le fiege avoit duré vingt jours. Bélifaire accorda Ia vie a ce qui reftoit de la garnifon. C'étoient huit cents Goths, qu'il incorpora dans fes troupes. Tel fut le premier exploit de Bélifaire en Italië. La plupart des Auteurs lui font un crime du faccagement de Naples, qui fut d'abord inondée de fang, & jonchée de cadavres. Mais c'étoit un effet inévitable de Ia fureur du foldat irrité d'un fiege meurtrier. Bélifaire en gémit luimême, &c mit tout en oeuvre pour en arrêter les fuites. J'ai fuiyi Procope , le feul témoin oculaire qui nous refte, & fon récit s'accorde mieux avec le caracfere de ce Général, aufli humain qu'invincible. Si 1'on foupeonne 1'Hiftorien d'avoir ici flatté fon JUSTINIEN. Ann. 5 3é.  JUSTIVIEK. Ann, 556. ; 1 i « L. Mort de j Paftor & d'Afclé- : piodote, 1 f 1 C F c l r. 360 UlSTOIRE maitre, cette conjecture n'eft pas fuffifamment appuyée par le foible témoignage de quelques compilateurs , dont les écrits montrent en toute rencontre plus de piété que de jugement. Lès maffacres que les Huns firent dans les Eglifes, & le pillage de quelques Monafteres, que le Général ne put d'abord empêcher, ont animé leur cenfure. Ce fut le même motif qui attira dans la fuite a Bélifaire, les reproches du Pape Silvere. Ce vainjueur généreux, touché du fort de :ette ville célebre, n'oublia rien pour 'adoucir. On rapporte que ce fut auffï )ar un aqueduc, & peut-être par le néme, qu'Alfonfe d'Arragon fe renlit maïtre de Naples en 1442. Paftor & Afclépiodote ne furvécuent pas aux malheurs qu'ils avoient :ttirés fur leur patrié. Le premier, au noment qu'il vit entrer les Romains , ut frappé d'apoplexie, & mourut fur 'heure. Afclépiodote, avec les prinipaux habitants, vint fe jetter aux ieds de Bélifaire. Malgré les reprohes d'Etienne, le Général Romain d avoit fait grace, & il s'en retouroit comblé de joie, lorfque le peu-  nu Bas-Emrire. Liv. XLIIL 361 ple, tranfporté de rage , fe jetta fur lui comme fur Fauteur de tous fes maux, & le mit en pieces. Ils coururent enfuite a la maifon de Paftor, pour le traiter de même, & ne cefferent de le chercher qu'après qu'on leur eut fait voir fon cadavre. Ils s'en faifirent, & 1'allerent pendre a un gibet dans le lieu des exécutions. Ils demanderent enfuite a Bélifaire, &c obtinrent de lui le pardon de ces emportements. Lorfque Théodat étoit monté fur le tröne, la ville de Rome lui avoit député quelques Evêques, pour 1'affurer de fon obéiffance, & lui demander la confervation de fes privileges ; ce qu'il avoit promis. Mais il n'avoit pas envoyé k fon tour en faire le ferment au Sénat & au peuple Romain , comme 1'avoient pratiqué fes deux prédéceffeurs. Cette négligence, qui fembloit être une marqué de mépris ou de mauvaife intention, donnoit des foupcons facheux. Dès que Bélifaire fut entré en Italië, Théodat, craignant avec raifon pour la ville de Rome, avoit fait partir des troupes pour la garder. On leur refufa 1'en- Tome IX. Q justiTJIEN. Ann. 5 36. UT. Théodat vient a Rome. Caff. I. 10. ep. 13,14, 16,17, l8.  JUSTIN1£N. Ann, 536, LH, Vitigès clu Roi, tue Théodat. Chr. Mare. Proc. Got. 1. I. c. 11. Caff. I. 10. cp. 31. Jorn. de r. Get. c. 60. Idem. fucccjf. Pagi ad Bar. 3^2 // I S T O 1 R E tree. Le Roi s'en plaignitpar lettres; & pour cliffiper la défiance des Romains, il leur députa quelques Seigneurs, chargés de prêter le ferment en fon nom. Afin de prévenir tout ombrage, il ordonna a fes troupes de camper hors de la ville, de payer les vivres au prix du marché, & il mit a leur tête le grand-maitre de fa maifbn , auquei il recommanda de ne donner aux Romains aucun fujet de plainte. La prife de Naples le détermina enfin k fe tranfporter a Rome , pour procurer a cette ville une affurance, dont fa timidité naturelle avoit elle-même befoin. On s'attendoit qu'il alloit marcher k la rencontre de Bélifaire. Lorfqu'on vit qu'il fe tenoit enfermé dans Rom.e ? ^ qu'^ & contentoit d'envoyer Vitigès en Campanie, avec quelques troupes; on le foupconna d'intelligence avec Juftinien, pour lui livrer fes propres Etats. Ce bruit fe répandit dans 1'armée de Vitigès, qui campoit k treize ou quatorze lieues de Elome , dans un lieu nommé Reoete. Les^ foldats s'affemblent, & taxant fhéodat de trahifon , 1'accufant d'ê-  du Bas-Empi&z. Liv. XLIIL 363 tre Tailleur fecret de la guerre, ils élevent Vitigès fur un bouclier, & le proclament Roi. C'étoit un Officier d'une naiffance obfcure, mais qui s'étoit avancé par fa valeur. Aulli-töt Vitigès retourna vers Rome , que Théodat ne tarda pas d'abandonner, pour s'enfuir k Ravenne. Optaris fut chargé de le pourfuivre & de 1'amener vif ou mort. II étoit ennemi mortel de Théodat. Ce Prince avare , gagné par argent, lui avoit enlevé une riche héritiere, qu'il étoit fur le point d'époufer , pour la mettre entre les mains de fon rival. Emporté par un fl vif reffentiment, Optaris atteignit Théodat prés du fleuve Vatrenus, aujourd'hui Saterno, k peu de diftance de Ravenne. L'ayant renverfé de fon cheval, il 1'égorgea comme une viclime, & rapporta fa tête a Vitigès. Ce malheureux Prince avoit régné prés de deux ans, étant mort au mois d'Aoüt de cette année. Son fils Théodégifcle fut enfermé dans une prifön, ou il mourut empoifonné. Le nouveau Roi ne fut pasplutöt .entré dans Rome, qu'il envoya dans toutes les Provinces de PItalie, une 9 n JUSTINIEN. Vnn. 536. IHI. 11 va 3 Rsveane;  JUSTINI EN. Ann. 536. j I ] < < < I ï 3^4 H 1 s t 0 1 11 e lettre circulaire , écrite du flyle des ufurpateurs : il attribuoit fon élévation au choix de la Providence; il premettoit de marcher fur les traces de Théodoric : Imker ce grand Prince, difoit-il, cejl être fon parem d plus jufte titre, que ceux qui ne tiennent d lui que par la naiffance. On fauroit "ré k Vitigès de cette belle maxime, "dont 1} couvroit la baffeffe de fon extraction, s'il eut tenu parole : mais après avoir été un Officier digne d'efïime, il fut un Roi de peu de mérite. Les plus grandes forces des Goths étoient difperfées au-dela du Pö, pour garder ia frontiere contre les incurfions des Francois, avec lefquels la paix n'étoit pas encore conclue. D'ailleurs, Vitigès fe défioit des habitants de Rone, & les foupconnoit avec raifon , 1'attachement k leurs anciens Princes! 1 marcha donc k Ravenne, dans le leffein dy raffembler fes troupes, & le revenir en force tenir tête k Béliaire. II exhorta le Pape Silvere, le iénat & le peuple Romain k lui deneurer fideles, & les y engagea par es ferments les pius facrés. II laiffa ans la ville une garnifon de quatre  /5r/ Bas-Empirr. Liv. XLIII. 365 mille hommes, commandés par Leuderis , Officier de réputation , avancé en age, & d'une prudence confommée. II partit enfuite pour Ravenne avec le refte de fes troupes, emmenant un grand nombre de Sénateurs, pour lui tenir lieu d'ötages. Ayant pris fa route par la Tofcane, il enleva les tréfors que Théodat avoit amaffés & mis en dépot dans 1'ifle du lac Bolfene & dans la ville nommée alors Urbfvetus , aujourd'hui Orviete. Dés qu'il fut arrivé a Ravenne , il répudia fa femme ; & pour s'affermir plus folidement fur le tröne en s'alliant k la familie de Théodoric , il époufa la fille dAmalafonte, nommée Matafonte, qui ne confentit k ce mariage que par contrainte. Après quoi, il raffembla tous les Goths cantonnés dans la Ligurie &c dans la Vénétie, les partagea en différents corps , & leur donna des armes & des chevaux. II ne laiffa au-dela du Pö que les garnifons de la Gaule. Mais pour n'avoir aucune inquiétude de la part des Francois, il voulut conclure avec eux le traité déja propofé par Théodat. Q JUSTI NI EN. Ann. 536. LIV. II cede aux Francois ce quireftoit en Gaule aux Oftrogoths.  Jü&TI- NIEN. Ann. 536. Proc. Got. i. c. 13. Valaf. ter. fi. I. S. Pagi ad Mar, \ 366 HlSTOIkE Ce Prince leur avoit offert tout ce qui reftoit aux Oflrogoths dans Ia Gaule, avec deux mille livres pefant d'or. Avant que de renouveller des offres de fi grande confequence, Vitigès voulut avoir le confentement des principaux Seigneurs de la nation. II leur repréfenta la néceffité oü ils étoient de s'affurer de la paix avec les Francois , pour être en état de foutenir la guerre cöntre 1'Empire: Qu'il valoit mieux facrifier une petitie partie de leur domaine, que de s'expofer a tout perdre : qu'ils acqusrroient d ce prix le fecours d'une nation puiffantc & belliqueufe : que s'ils fortoient vi&orieux de la guerreprijente, ils trouveroient affe^ de prétextes pour fe remettre en pojfejjion de ce qu'ils abandonnoient : qu'entre des Etats voifins, les raifons de s'aggrandir ne manquoient jamais d ceux qui en avoient le pouvoir. Les Seigneurs embrafferent fon avis. On fit aux Rois Frangois, Childebert, Théodébert & Chilpéric, une cefïion authentique de ce que les Goths poffédoient depuis les Alpes jufqu'au Rhöne, & depuis la mer jufqu'aux confins du Royaume de Bourgogne. Cette por-  du Bas-Empirp.. Liv. XL1II. 367 tion des Gaules comprenoit quatre Provinces, la feconde Narbonnoife, les Alpes maritimes, les Alpes Grecques , Sc la feconde Viennoife; en forte que les Frangois devinrent alors les maitres de toute la Gaule, a 1'exception de la Septimanie qui appartenoit aux Vifigoths , 8c de la Bretagne Armorique qui avoit fes Comtes particuliers. Vitigès s'engagea encore k renvoyer les Allemands que Théodoric avoit regus en Italië après la bataille de Tolbiac. Ils retournerent dans leur pays, Sc devinrent fujets des Rois d'Auftrafie. Comme les Rois de France ne pouvoient, fans violer le traité fait depuis peu avec 1'Empereur , envoyer des troupes Frangoifes au fecours des Goths, ils promirent d'en fournir fecretement, qu'ils tireroient des nations étrangeres, foumifes k leur puiffance. Er exécution du traité, Vitigès retira fes troupes de Ia Gaule , Sc rappella Mar cias qui les commandoit. II auroit fallu un lien plus fon que celui du ferment, pour retenii les habitants de Rome, en préfenCÉ d'un ennemi tel que Bélifaire. Lorf Q iv JUSTINIEN. Ann. 536, LV. Bélifaire entre dans Rome.  JüSTINIEN. Ann. 536. Proc. Got. l.i. c. 14. Evag. I. 4. €. 18. Niceph. eall. I. 17. c 13. Mare. chr. Jorn. fuc«ff. Anaft. SUver. Hift. rr.ifc. U 16. j 36S HlSTOIEE qu'il fut maitre de Naples, il en confia la garde a Hérodien avec trois cents foldats choifis, & mit une garnifon fuffifante dans la citadelle de Cumes. Ces deux places étoient alors les feules de la Campanie qui fuffent en état de défenfe. Enfuite il marcha vers Rome par la voie Latine. Les Romains appréhendant le même fort que venoit d'éprouver la ville de Naples , réfolurent d'ouvrir leurs portes k 1'armée de 1'Empereur. Le Pape Silvere fut le premiar k leur confeil|er de ne point oppofer une réfiftance inutile. Ils députerent donc k Bélifaire , Fidelis, qui avoit été Quefteur d'Athalaric, pour 1'affurer de leur foumiffion. La garnifon, tropfoible pour contenir un grand peuple, & faire fa;e en même-temps k une armée viö0rieufe, ohtint la liberté de fe retirer i Ravenne. Elle fortit par la porte Flaminie, pendant que Bélifaire entroit par celle qu'on nommoit Afina'ia. Leuderis, leur chef, honteux d'a3andonner une place confiée a fa vaeur, refufa de fuivre ceux qu'il comnandoit. II fut envoyé a Juftinien ivec les clefs de la ville. Ce fut ainfi  /)u■ Bas-Empire. Liv. XLJII. 369 que les Empereurs rentrerent en pop ; feffion de Rome, le dixieme de Décembre, foixante ans depuis qu'elle , avoit été détachée de 1'Empire par la conquête d'Odoacre. Le premier foin de Bélifaire fut de relever les murailles qui étoient , ruinées en plufieurs endroits. II y fit faire des crénaux, & ajouter des parapets , pour couvrir les foldats fur leurs flancs. On environna la ville d'un foffé large & profond. Les habitants admiroient ces ouvrages; mais ils ne voyoient pas fans peine que Bélifaire eut intention de foutenir un fiege dans leur ville, fi elle étoit attaquée par les Goths. Comment avec ■ fi peu de troupes, pourroit-il défendre une place de fi vafte étendue , fituée dans une plaine de facile accès, & qui pouvoit être aifément affamée } Bélifaire entendoit ces murmures , ■fans interrompre les difp'ofitions néceffaires. II fit ferrer dans les gremers publics, le bied qu'il avoit apporté de Sicile, & forca les habitants de tranfporter dans la ville, les grains de leurs récoltes. Bélifaire étoit déja maïtre de touQ v JUSTlNIEIf.UVH. 536. LVI. II la forifre. LVII. Toilt«  JüSTI- NIEN. Ann. 536. talie mélidionalefoumife a Bélifaire. Pree. Got. I' I. e. 15, Ï.VIÏL Phéno- aiene. Proc. Vand. 1. 2. € 14. Theoph. p. ' 171. i Cedr. p. j 371. , Abulfarag. 1 % 1 3"0 & I S T 0 ï R E, te 1'Italie méridionale. Les Goths n'ayant aucune garnifon dans ces contrées, la Calabre, 1'Apulie & Ia ville de Bénévent s'étoient volontairement foumifes. Pizas , Capitaine Goth , commandoit dans Ie Sammum, au-dela du fleuve Tiferne. II vint fe rendre avec ce qu'il avoit de troupes. Cette démarche lui ménta la confiance de Bélifaire, qui hu donna un détachement pour garder le même pays. Les Goths, cantonnes au-dela du Tiferne, refuferent de fuivre 1'exemple de Pizas, & demeurerent attachés k Vitigès. On rapporte que pendant cette annee, le foleil ne rendit qu'une lumiere terne fans éclat, &pareille k celle le lalune; ce qui dura 14 mois. Des niées de faurerelles ravagerent pluïeurs Provinces d'Afie; 1'hyver fut rès - rigoureux, & les chaleurs de eté fi foibles , que les fruits ne par'inrent pas a maturité.  37i •qr=s*s^!&£' J-» SOMMAIRE D V LIVRE QUARANTE.-QUATRIEME. députe d Juflinien. II. Expédition des Goths en Dalmatie. III. Vuigés fe met en campagne, iv. 11 approche de Rome. V. Combat de Bélifaire contre les Goths. VI. Les Goths font repoujfés. vil. AHivité de Bélifaire. VIII. Difpofitions pour le fiege de Rome. IX. Députés de Vitigès d Bélifaire. X. Machines de guerre des affiégeants & des affiégés. XL Attaque de la porte de Salaria. XII. Les Goths repoujfés au maufolée dHadrien. xill. Les habitants fe fient fur la proteUion de St. Pierre. xiv. Sorties des affiégés. XV. Bélifaire demande du fecours d 1'Empereur. XVI. 11 met -dehors les boilches inutiles. XVII. Précautions pour la füntéde la ville. XVIII. Quelques payens tentent louvrir le temple de Janus. XIX. Les Goths fe rcnchnt maitres de Porto. Q vj  37* SOMMAIRE XX. Bélifaire fak attaquer les Goths par de petits détachements. XXI, Vitigès vtut l'imker, mais fans fuccès. xxii. Bélifaire fe prépare d une bataille. xxiii. Ufage que Bélifaire fait de fon infanterie, xxiv. Difpofition de Vitigès'. XXV. Bataille de Rome. XXVI. Défaite des Romains dans les plaines de Néron. xxVil. Et devant Rome. xxviii. AvenMe fingulier e dunRomain &d,un Goth. XXIX. Témérité de Chorfamante. XXX. Combat devant Rome. xxxi. Combat dans les plaines de Néron. xxxii. Famine dans Rome, xxxiii. Difpofitions de Bélifaire pour foulager la ville de Rome. XXXIV. Arrivée £nnfecoum. xxxv.' Nouveau combat de Bélifaire, xxxvi. Vitigès députe d Bélifaire. xxxvii. Réponfe de Bélifaire. xxxviii. Les troupes & le convoi arrivent d Rome. XXXIX. Treve avantageufe aux Romains. XL. Attentat & mort de Conflantin. XLI. Vaines tentatives des Goths pour entrer dans Rome. xlii. Jean ravage le PiceTium. xliii. Levée du fiege de Rome. XLiv. Conduite de Jujlinien dans les affaires de CEglife. XLV. Sédition dans Alexandrie au fujet de la Religion. XLVI, Députés de Juflinien au Pape,  du Livre XLIVe. 37j xlvii. Le Pape Agapet a Conflantinople. xlviii. Silvere Pape ejl exilé. xlix. Sa mort. l. Defcription de 1'Eglife de Sainte-Sophie. li. Dèdicace de SainteSophie. lik Clergé de Sainte-Sophie. lui. Germain envoyé en Afrique. liv. II marche contre Stozas. lv. Bataille deScales. lvi. Conjuration deMaximin.   375 HISTOIRE D U BAS-EMPIRE. LIVRE QUARANTE-QUATRIEME. JUSTINIEN. LA prife de Rome affligeoit Vitigès. II fe repentoit d'avoir abandonné cette ville , & de s'être repofé fur la foi des habitants. II raffembloit fes forces pour sen remettre en poffellion : mais voulant prévenir, s'il étoit polfible , les malheurs d'une JUSTINIEK. Ann. $37. I. Vitigès députe a Juftinien.  JUSTINIEN. Ann. 537. Caff. I. 10. 'f' 3*. 33, 34, 3 5. 37 HlSTOIRE guerre , que la valeur & 1'expérience du Général ennemi pouvoient rendre longue &fang!anté, ildemandoit la paix a Juftinien. II s'étoit fait connoitre de ce Prince a Conftantinople du temps de Juftin :» Souvenez-vous, » lui difoit-il dans fa lettre, des hom» mages que je rendois au neveu de » 1'Empereur: quel fera mon relpecf » pour 1'Empereur même ? jugez-en » par la démarche que je fais auprès » de vous. Sans vous avoir offenfé, » j'ai déja reffenti les calamités d'une ». guerre meurtriere, Après tant de » fang répandu , je ne vous demande » que votre amitié , comme fi je n'a» vois aucun fujet de me plaindre. » Si Théodat a mérité votre colere , » je mérite votre bienveillance; je » vous ai vengé. Si vous chériffez » la mémoire d'Amalafonte, j'ai mis » fa fille fur le tröne. Ecoutez donc » nos députés : rendez-nous la paix, » que nous n'avons jamais voulu ►> rompre. Fixez fur les deux nations » la proteöion divine en affermif» fant la concorde , dont nos prédé» celfeurs ont jetté les fondements II écrivit pareillemejit aux princi-  du Bas-Empjre. Liv. XLIF. 377 paux Officiers du palais qu'il connoiffoit, pour les engager a féconder fes inftances; & aux Evêques de fes Etats , pour implorer le fecours de leurs prieres. Cette députation n'ayant point eu de fuccès, il ne refta plus au Roi des Goths que la voie des armes. 11 voufut faire le premier effai de fon bonheur & de fes forces fur la Dalmatie, dont Conftantien étoit demeuré ie maitre. Afinaire 6c Vligifale regurent ordre d'aller lever des troupes fur les bords de la Save , 6c de marcher enfuite a Salone. Vitigès leur donna auffi une flotte , pour attaquer la ville , s'il le falloit , du .cöté de la mer. Cette expédition ne fut pas heureufe. Tandis qu'Afinaire alloit enröler des foldats dans la Province de Save, Vügifale, étant ent« dans la Liburnie avec ce qu'il avoii de troupes, fut battu par les Ro> mains prés de Scardone, 6c fe renferma dans la ville de Burne pou attendre Afinaire. Conftantien, hor d'état de garder toutes les places di la Dalmatie, abandonna le refte pou conferver Salone. II 1'environna d'ui JUSTIN l ZN. Aiyi. 5 37. it'; Expétütion des Goths en Dalmatie. Proc. Got. l.l.c, 16. r 1  JUSTINIEN. Ann. $37. III. Vitigès fe met en campagne. Proc. Got. I. i. c. 16. Anafi, in Silv. ( i i 1 i < t 37* & i s t a j r g foffé , & Ia pourvut de munitions de guerre & de bouche. Afinaire rejoigmt fon collegae avec une nombreufe armee de Barbares ,• qu'il avoitattirésfous fes étendards, & tous deux enfemble vinrent inveftir Salone. Conftantien fortit du port a Ia tete de fa flotte, prit ou coula a fond les.vaifleaux ennemis. Les Goths, apres avoir continué le fiege du cöté de Ia_terre, furent bientöt réduitsk fe retirer, fans avoir gagné unpouce de terrein en Dalmatie. Cependant Bélifaire , maitre des environs de Rome, y fit conftruire divers ouvrages pour en défendre les approches. Beffas eut ordre d'aftiéger Nami, place très-forte en Ombne, k dix-fept lieues de Rome; slle etoit fituée fur une montagne ef:arpee , au bord de la riviere du Nar. *ugufte y avoit fait batir un pont, jue la hardieffe de fon éiévation til oit admirer comme un des plus beaux nonuments de 1'Italie. Beffas croyoit roiiver une vigoureufe réfiftance ; nais dès qu'il parut, les habitants 'uynrent les portes. Conftantien n'en rouvapas non plus dans Spolette ni  du Bas-Empire. Liv. XLIF. 379 dans Péroufe , alors capitale de la Tofcane. Vitigès ne pouvant encore fortir de Ravenne, oü il attendoit Marcias avec les troupes que eet Officier ramenoit de la Gaule, détacha un grand corps fous la conduite d'Unilas 8c de Piffas, pour s'oppofer aux progrèsde 1'ennemi. Conftantien marcha k leur rencontre; il y eut aux portes de Péroufe un combat, oü les Goths, fupérieurs en nombre, difputerent quelque temps la vicloire ; mais ils céderent enfin k la valeur des Romains , 8c périrent prefque tous dans la fuite. Leurs^ Commandants furent pris 8c envoyés a Bélifaire. A cette nouvelle , Vitigès fe mit en marche le vingt 8c un de Février, a la tête d'une armée que Procope fail monter k cent cinquante milte hommes. II ajoute que les cavaliers étoien cuiraffés pour la plupart, 6c les che^ vaux bardés de fer. Plein de confiance , le Roi de Goths méprifoit le petit nombre d foldats enfermés dans Rome avec Bé lifaire. II craignoit uniquement de n pas arriver affez-töt pour préveni leur fuite. Comme il demandoit JüSTIK1 EN. Ann. 5 37« > IV. > 11 approche de Rome. 2 Proc. Got. r /. 1. c. l6) \ 17'  JUSTI- NIEN. Ann. j37. ] < i 1 t r t V li n n n ii ai y la tc ri 38o HlSTOIRB tous ceux qu'il rencontroit fur fa route , fi Bélifaire étoit encore dans Rome , un Prêtre lui répondit : Prince, riayei fur « point aucune inquiétude : fik toutes les pratiques de la guerre , il riy a que la fuite que Bélifaire ne lonnoijfepas. En effet, ce Général n'étoit pas même 'tenté d'abandonner Rome; mais comme il avoit befoia ie toutes fes troupes qui montoient i peine a cinq mille hommes, il rap)ella Conftantien & Beffas, leur orionnant de buffer dans les places dont Is s'étoient emparés , une garnifon ufüiante pour les défendre. Conftanien obéit aufti-töt. Mais Beffas n'ayant as ufé de la même diligence, n'é3it pas encore hors de Narni, qu'il it toute la plaine couverte de cavaers. C'étoient les coureurs de 1'ariee ennemie. 11 les chargea brufqueient, & les mit en fuite. Mais comie leur nombre groiTiffoit a chaque iftant , Beffas, de peur detre enfin :cablé, rentra dans la ville; & après ayoir mis garnifon, il en fortit k tete de fes cavaliers, & vint a ute bride annoncer a Bélifaire 1'arvée prochaine des ennemis. Viti-  nu Bjs-Empire. Liv. XL/F. 381 gès, toujours convaincu que les Romains ne fongeoient qu'a lui échapper , marcha droit par la Sabine , fans s'arrêter devant aucune place. II vint camper a deux milles de Rome fur le bord du Teveron , vis - a - vis d'un pont oü Bélifaire avoit fait conftruire une tour, qu'il avoit garnie de foldats pour difputer le paflage, & pour fe donner le temps de faire entrer dans Rome une plus grande quantité de provifions. Pendant la nuit,-vingt-deux cavaliers Barbares de 1'armée Romainepafferent au camp de Vitigès. Ce Prince fe préparoit a forcer le pont dès que le jour feroit venu ; mais la lacheté des foldats qui gardoient la tour , lui ouvrit le paffage. Effrayés de la multitude des ennemis , ils s'évaderent pendant la nuit; èc au-lieu de retourner aRome, ils prirent la route de la Campanie, pour fe fouftraire au chatiment qu'ils méritoient. Le lendemain , Bélifaire n'étant pas inftruit de leur retraite , s'approcha du pont avec mille cavaliers. Son deffein étoit de choifir un pofte avantageux pour y faire camper fes JüSTI- NIEN. Ann. 537. V. Combat de Bélifaire contre les Goths. Proc. Got. I. I. c. 18.  JüSTINIEN. Ann. 537. ] 3-32 HlSTOIRE troupes. Ce ne fut pas fans furprife qu'il vit accourir un gros de cavalerie : c'étoit 1'avant-garde des ennemis qui venoit de patfer le pont. Il crut devoir payer de fa perfonne dans cette première rencontre , & donner aux Romains 1'exemple d'un aourage capable de fuppléer a 1'inégalité des forces. II devint donc foldat fans ceffer d'être Capitaine ; & :ourant 1'épée a la main a la tête de fes cavaliers, il chargea les efcadrons ennemis. II montoit un puiffant cheval , drefle a tous les mouvements des batailles , dans lefquelles il fervoit fon maitre avec autant d'agilité que de vigueur. Les transfuges, intéreffés a faire périr Bélifaire,crioient de toutes parts , au cheval bai; Sc ks Goths, fans connoitre nile cavalier, 11 le cheval , perfuadés néanmoins que ce cri leur annoncoit un exploit important , s'accordoit tous a tirer fur Bélifaire. Les plus braves étinceants d'ardeur, s'emprelfoient de le oindre, & fe difputoient 1'honneur le 1'abattre a coups de lances & d'élées. Bélifaire, toujours en acfion , é:artodt les uns, renverfoit les autres;  nu Bas-Empire. Lh. XLIF. 383 tout tomboit Tur fon paffage. Mais fa force & fa bravoure auroient enfin fuccombé, fans Paffection de fes gardes , qui prodiguant leur vie pour fauyer celle de leur Général, fe précipitoient au-devant des coups , lui faifoient un rempart de leurs boucliers & de leurs corps, & fembloient etre devenus autant de Bélifaires. Plufieurs d'entr'eux fe firent tuer fur la place. Bélifaire eut le bonheur de ne pas recevoir une feule bleffure, quoiqu'il fervït de but k tous les traits des ennemis. Enfin, les Goths effrayés de ces prodiges de valeur, tournerent bride, & furent pourfuivis jufqu'a leur camp. Le refte de leur armée arrêta les Romains prêts a pénétrer dans leurs retranchements, & forca les vainqueurs de fuir k leur tour, jufqu'a une hauteur oü ils fe rallierent. Alors le combat recorrimenca : les Romains, trop inférieurs en nombre, auroient eu peine k faire retraite, fans la valeur héroïque de Valentin, Ecuyer de Photius; il tint prefque feul contre toute la cavalerie des Goths, Sc donna aux fiens le temps-de regagner les murs deRo- JUSTINIEN. Ann. 537.  Justinten.Ann. 537. VI. Les Goths font repouffés. 3<"4 Histoiike me. Les Barbares les pourfuivirent jufqu'a la porte Salaria , nommée depuis, en mémoire de cette journée , la pom de Bélifaire. Les habitants qui craignoient que 1'ennemi n'entrat pêle - mêle avec leurs efcadrons, refufoient d'ouvrir la porte, malgré les inftances & les menaces de Bélifaire, que le fang ck la pouffiere dont il étoit couvert, rendoient méconnoiffable. D'ailleurs, le jour baifToit; & quelques fuyards avoient répandu dans la ville , que Bélifaire avoit été tué dés le commencement de 1'action. Les Barbares accourus en foule fur lebord du foffé, brfdoient dele franchir, pour achever la défaite des Romains, refferrés entre le foffé & la muraille. Ce qui reftoit de foldats dans Rome, dépourvus de chef, &c hors d'état de fortir malgré les habitants, demeuroient fimples fpecfateurs du danger de leurs camarades, fans pouvoir les fecourir. Le péril embrafa Bélifaire d'un louveau courage. Ayant animé fes bldats de la voix & du gefte , il :'élanca fur les ennemis. L'obfcurité lu foir & la longueur de la courfe avoient  nu Bas-Empi&e. Liv. XLÏK 3?ï avoient déja mis le défordre parmi les Goths : lorfqu'ils fe virent attaqués par ceux qu'ils venoient de pourfuivre , ils crurent avoir en même-temps fur les bras toutes les troupes de la ville, & s'enfuirent a bride abattue. Bélifaire , après leur avoir donné la chaffe , jufqu'a une affez> grande diftance, revint fur fes pas fans être pourfuivi, & -rentra dans Rome. On le recut avec les tranfports de la plus vive allégreffe. Ceux qui avoient pleuré fa mort , pouvoienta peine en croire leurs yeux; & Rome fe crut a 1'abri de tout fous Ia garde d'un guerrier ardent, intrépide, invulnerable. Dans ce combat qui dura du matin jufqu'au foir,les Goths perdirent 1'élite de leur cavalerie. Un de leurs Officiers, nommé Vandalaire, s'étoit fignalé parmi ceux qui s'acharnoient fur le Général Romain ; il tomba percé de treize coups,' & fut laiffé pour mort. Trois jours 'après, les Barbares campés fous les murs, ayant envoyé fur le champ de bataille pour enterrer leurs morts , s'appercurent que Vandalaire refpiroit encore. On le fecourut: il gué* Tornt IX» R JUSTINIEN. Ann. 537.  JUSTIMIEN. Ann. 537. VII. Aclivité de Bélifaire, 3§(J IIlSTOIEE rit de fes blelTures, & jouit longtemps de fa gloire. Bélifaire ordonna aux habitants de tenir des feux allumés, & d'être fur pied toute la nuit. II fit la ronde autour des murs, & prit les précautions néceffaires pour éviter la furprife. Rome avoit quatorze portes ; il en confia la garde a quatorze de fes Capitaines. Beffas, chargé de garder la porte de Prénefte, le fit avertir que les Barbares venoient d'entrer par celle de Saint Pancrace, & de furprendre le quartier du Janicule. Sur cette nouvelle , ceux qui fe trouvoient avec le Général, lui confeilloient de fe retirer par une autre porte. Mais Bélifaire, fanss'étonner, dépêchades cavaliers pour vérifier le fait; & quand il eut appris que c'étoit une fauffe allarme, il envoya dire aux quatorze Capitaines de ne s'occuper que de la garde de leurs portes, & de fe repofer de tout autre foin fur fa vigilance. Rome n'étoit pas encore raffurée, lorfque Vacis, Capitaine Goth, fe préfenta de la part de Vitigès devant la porte Salaria. II reprochoit aux habitants leur perfi-  du Bas-Empire. Liv. XLIF. 387 die : Quel eft votre aveuglemem, leur difoit - il, d'armer contre vous la puiffance des Goths , pour vous Livrer aux Grecs qui font hors d'état de vous défendre. L'Italië a-t-elle jamais vu venir de Grece autre chofe , que des comediens & des boujfons} II ajoutoit beaucoup d'autres injures; Sc comme. on ne lui répondoit rien , il fe retira. Malgré les fatigues d'une fi terrible journée, Bélifaire encore a jeun, paffa Ja nuit k donner des ordres ; & ce ne ' fut pas fans peine que fa femme Sc fes amis 1'en'gagerent k prendre un peu de nourriture. Les Goths vinrent le lendemain camper devant Rome, dont ils efpéroient fe rendre aifément les maïtres, k caufe de 1'étendue de fon enceinte. Cette même raifon les mettant hors d'état d'environner la ville entiere , ils fe partagerent en fix camps, pour embraffer 1'efpace depuis la porte Flaminia vers le Tibre au feptentrion, jufqu'a la porte Préneftine k 1'orient. C'étoit la moitié du circuit de Rome. Mais comme Bélifaire pouvoit, en rompant le pont Milvius, qui eft a deux milles de Rome, leur R ij JUSTIjiiEjr.Ann. 537. VIII. , Difpo::- tion5 pour le fiege de Rome. Proc. Got. I. I. c. 19. Mare. chr.  JUSTIHIEN. Ann. 557. j 1 i i 3§3 H.i s r o i r b öter Ia communication du pays fitué entre le fleuve & la mer , 8c les mettre par cette précaution dans Pimpofiibilité d'affamer la ville, ils établirent un feptieme camp dans la plaine nommée le ehamp de Néron, entre le Vatican & le Tibre. Ainfi les Goths demeurerent maïtres du pont & de tous les dehors. Chacun ^ de ces camps étoit fortifié d'un foffé 8c d'une paliffade. Ils couperent enfuite les quatorze aqueducs, tous batis de briques, fi larges & fi élevés,qu'un homme a cheval pouvoit fe promener dans 1'intérieur. Le Général Romain prenoit de fon cóté toutes les mefures que pouvoit lui fuggérer la prudence. 11 fe chargea en perfonne de la défenfe des portes Pinciana 8c Salaria, voifine 1'une de I'autre; c'étoit 1'endroit le plus foible de Penceinte , mais en mêmeCemps le plus propre a faire des fordes. II fit murer Ia porte Flaminia Sc la porte Préneftine, & boucher es aqueducs , de peur que les Goths ie pénétraifent dans Rome, comme 1 étoit lui-même entré dans Naples, -es moulins du Janicule, qui four-  du Bas-Empire. Liv. XLIF. 389 riiffoient aux habitants toutes les farines , devenoient inutiles depuis que les Goths avoient coupé les aque- . ducs, dont I'eau lervoit k les faire agir. Bélifaire en établit d'autres fur des bateaux au-deffous du pont de bois, oii I'eau étoit plus relferrée &C plus rapide. Les Goths tenterent de lui öter cette reffource , en jettant de grands arbres & des cadavres, pour rompre les moulins , ou du moins pour en embarraffer le mouvement. Bélifaire fit tendre des chaines d'un bord du Tibre a 1'autre; elles fervoient non-feulement k garantir les bateaux, mais encore a fermer le paffage aux ennemis, s'ils entreprenoient d'entrer par le fleuve. Le fiege étoit k peine commencé, que le peuple de Rome, accoutumé au repos & aux commodités de la j vie, témoignoit déja fon impatience. ; La privation des bains, les vivres diftribués avec économie, 1'obligation de paffer les nuits a monter la garde fur les murailles, la vue des campagnes ravagées, le peu d'efpérance de tenir long-temps contre une armée fi nombreufe , décourageoient R iij JUSTIN1EN. Vnn. 537- IX. Dépüt^g le Vitigès 1 Bélifaie. 'roe. Got. . l, e, 2,0»  JVSTIKIEN. Ann. 537. J S9o Histoirs les habitants. Ils murmuroient cónrre Bélifaire , qui , par une témérité inouie, n'ayant avec lui qu'une poignée de foldats, attiroit fur Rome toutes les forces des Goths, & 1'engageoit dans une guerre meurtriere, oii elle n'avoit nul intérêt. Les Sénateurs n'ofoient fe plaindre hautement; mais ils n'étoient pas mieux difpofés que le peuple. Vitigès, informé de ces mécontentements, ne cherchoit qu'a les aigrir. II envoya des députés, qui, s'adreflant k Bélifaire en préfence du Sénat & des Officiers de 1'armée, lui dirent de !a part de leur maitre : » Que fi c'é» toient les Goths que les Grecs ve»> noient chercher en Italië, ils a» voient fous les yeux le camp de » Vitigès qui leur offroit la bataille : 9 qu'il n'étoit pas jufle d'envelopper * les habitants de Rome dans des > périls qui leur étoient étrangers, > & de forcer leur légitime Souve- > rain k les traiter en ennemis : que > Théodoric avoit comblé de fa- > veurs la ville de Rome , & qu'il > lui avoit confervé fa liberté : > qu'elle s'étoit trahie elle-même  du Bjs-Empire. Liv. XLir. $91 .» en abandonnant des Princes, dont » elle n'avoit jamais recu que des » bienfaits, èc qui maintenant en- , » core , quoiqu'offenfés par fa ré» volte, lui venoient offrir leur fe» cours: que, pour ménager le fang » de fon peuple , Vitigès vouloit » bien permettre aux Grecs de for» tir de Rome avec leur bagage : » que s'ils s'obftinoient a foutenir » un liege , le Roi verroit avec re» gret lés fujets s'enfevelir avec fes » ennemis fous les ruines d'une ville » qu'il chériffoit ". Bélifaire répondit : » Qu'il livreroit bataille, lorf» qu'il le jugeroit k propos , fans » prendre confeil de Vitigès : que » Rome appartenoit a 1'Empereur; » & qu'en s'en mettant en poffeffion, » il ne faifoit que rentrer dans fon do» maine : que les Goths fe flattoient » en vain , s'ils efpéroient la repren» dre, tant qu'il refleroit k Bélifaire » un fouffle de vie ". Les Sénateurs gardoient le filence; le feul Fidelis, que Bélifaire avoit fait Préfet du Prétoire, prit la parole pour combattre les prétentions des Goths, &C foutint avec zele les intéréts de 1'Empereur. R iv JUSTtNIEN, Un. 537.  JusTtNIEN. Ann. J37, X. Machines de guerre des affiége3nts & , des a/Sé- . gés. frof. Got. | /. I. f. 2!, 1 I t I 1 fl £ q p d P P le r< & XI. Attaque ]g de la porte Salaria. P' Proc, Got. bi l< i. e, 2i, v, 392 H i s t 0 i r e Sur Ie rapport des députés, Vitigès , perdant toute efpérance d'intimider Bélifaire, ne fongea plus qua difpofer ce qui étoit néceffaire pour 1 attaque. II fit conftruire des tours roulanres, égales en hauteur aux murailles de la ville, & qu'on faifoit rainer par des bceufs. On prépara ;rand nombre d'échelles, quatre béiers, beaucoup de fafcinespour com'Ier Ie foffé, & faire avancer les ours & les béliers jufqu'au pied des nurs. Bélifaire , de fon cöté, borda ?s murailles de toutes les machines ïeurtrieres, alors en ufage dans les eges, baliftes, onagres, catapultes, ui lancoient des javelots ou des terres d'une énorme groffeur. Auïffus de chaque porte , il fit fuf;ndre des herfes garnies de groffes Jintes de fer, qui, dans le cas oit s afïïégeants approcheroient, pouruent s'abattre fur eux, les percer les écrafer contre les portes. Le dix-huitieme jour du fiege, au V'er .d.u foleil > ,es Goths, conduits r Vitigès, marcherent en ordre de taille vers la porte Salaria. A la ie des tours & des béliers qui s'a-  nu Bas-Empire. Liv. XL1F. 393 vangoient a leur tête, les habitants, glacés' d'effroi, s'étonnoient de voir rire Bélifaire, qui défendit a fes foldats de tirér fur 1'ennemi qu'il n'en eut donné 1'ordre. II leur fembloit qu'il y avoit de la folie a fe faire un jeu d'un fpecfacie fi terrible, & k buffer approcher le péril de fi prés. Déja les Goths étoient au bord du foffé, lorfque Bélifaire s'étant failï d'un are, tira fur un Commandant ennemi, couvert d'une cuiraffe, & lui perga le cou de part en part. Les habitants pouffent un cri de joie, regardant ce début comme un bon préfage. Leurs cris redoublent k la vue d'un fecond coup , qui ne fut pas moins heureux. Alors Bélifaire commanda a fes foldats de faire une décharge générale fur les bceufs qui trainoient les machines. Cette nué« de fleches ayant abattu tous ces animaux, les tours & les béliers demeurerent fans mouvement; & 1'or reconnut que Bélifaire avoit eu raifon de rire de eet appareil, & de le laifler avancer jufqu'a la portée du trait. Vitigès, défefpérant de réuf fir a cette attaque, y laiffa une par R v JUSTIMEN. Ann. 537.  Justinten.Aan. 537. XII. LesGoths repouiTés au maufolée d'Hadrien. j < i i 1 i 394 H1 s t 0 1 n e tie de fes troupes, avec ordre de tirer fans ceffe pour occuper Bélifaire , & ne lui pas donner le 'temps de porter ailleurs du fecours. Pour hii,prenant fur la gauche, il marche du cöté de la porte de Prénefte, ou la muraille étoit plus bafte : il avoit eu foin d'y faire préparer d'avance des échelles & des machines. Pendant que Vitigès faifoit fes approches vis-a-vis de la porte Salaria , une autre partie de fes troupes attaquoit le maufolée d'Hadrien. C etoit un fuperbe monument, élevé autrefois pour la fépulture' de ce Prince, au-dela du Tibre, vis-a-vis du pont Elius, a cinquante pas de Penceinte de la ville. II étoit conftruit de marbre de Paros, & les pierres étoient jointes enfemble fans aucun lien. La bafe étoit quarrée, & avoit fur chaque face la largeur d'un jet 3e pierre. Le refte de 1'édifice s'éevoit en forme d'une tour ronde, k dominoit les murs de Rome. Le 'ommet étoit orné de ftatues équefres, & de chars de marbre, d'un ravad exquis. Comme ce batiment louvoit tenir lieu de fortereffe, on  nu Bas-Empize. Liv. XLIF. 395 l'avoit joint aux murailles par le moyen de deux bras; c'eft aujourd'hui le chateau Saint-Ange. Bélifaire avoit confié ce pofte k Conftantin, qui veiüoit en même-temps k la füreté de la muraille voifine , affez foiblement gardée , paree que^ le Tibre bordoit la ville de ce coté-la , & que 1'on étoit obligé de ménager les troupes, pour fuffire k la défenfe d'une fi vafte enceinte. Conftantin, ayant appris que les ennemis vouloient paffer le fleuve &C forcer la muraille en eet endroit, y accourut avec une partie de fes foldats. Dés qu'il fe fut éioigné, un détachement des Goths vint attaquer le maufolée. Ils approcherent a la faveur d'un portique qui s'étendoit depuis 1'Eglife de St. Pierre, & ne furent appergus que Iorfqu'ils étoient déja au pied de Tédifice. Dans cette pofition, ils n'avoient rien a craindre de; baliftes, qui portoient k une eertaine diftance, & leurs larges bou cliers les mettoient a couvert de fleches. Ils en langoient eux-même une fi grande quantité, que les af iiégés n'ofoient paroitre ; la plac B- vj JUSTLN I EN. Ann. 537, i  JUSTIKIEN. Ann. J37. XIII. Les habi- . lants fe fient fur Ia prorec- | tion de St. Pierre. ' Proc. Got. 1 1.1. t. 23. | 2. t. 4. . 1 1 39Ö HlSTOIRE étoit prefque inveftie, & 1'on commencoit a planter les échelles, lorfque les Romains ne tronvant pas d'autre moyen de fe défendre, s'aviferent de brifer les ftatues du maufolée, & d'en jetter les pieces fur les affaillants, qui tomboient écrafés fous la pefanteur de ces maffes. Les Goths furent forcés de s'éloigner; & alors les Romains, s'animant les uns les autres par de grands cris, firent ufage de leurs arcs & de leurs balifles, en forte que les ennemis abandonnerent 1'entreprife, & prirent la fuite avec d'autant plus de précipitation , que Conftantin arriva dans ce moment, après avoir rejoulfé ceux qui tentoient de paffer e Tibre. Les Goths ne réuffirent pas mieux i la porte Saint-Pancrace, qui ferrioit le quartier du Janicule. L'éévation du terrein en rendoit 1'ac:ès difficile. Ils n'oferent même ataquer la porte Flaminia, fituée enre des _ rochers , & que Bélifaire ivoit fait murer. Entre cette derïiere & la porte Pinciane, la muaille étoit depuis long temps fen-  nu Bas-Empire. Liv. XLIV. 397 due depuis la moitié de fa hauteur jufqu'aux créneaux , en forte que les deux parties féparées Tune de 1'autre , penchoient , Tune vers la ville, Tautre vers la campagne. Bélifaire l'avoit voulu réparer ; mais les habitants s'y étoient oppofés, affurant que St. Pierre avoit promii de la défendre. Cette confiance n e toit pas fans doute appuyée fur ur fondement fort folide ; néanmoins i eft certain que pendant un fiege d< plus d'une année , les Goths refpec terent cette feüle partie des murail les, & que ni de jour , ni de nuit ils ne tenterent de profiter d'un* breche fi favorable. Aufli, dans li fuite, on fe fit long temps fcrüpul de la réparer. L'aflurance des Ro mains avoit apparemment fait im preflion fur les Goths, nation trè: religieufe, quoiqu'Arienne , & c fut ce qui préferva eet endroit. Le Barbares avoient une telle vénén tion pour le Prince des Apötres, qu durant le fiege, loin de profaner leui Egüfes fituées hors des murs , ils lai ferent au Clergé Romain la liberté c les deffervir comme en pieine pai; JUSTIKIEN. Ann. 537. 1 l fe S e s fe|i  JüSTIÏIES. Ann. 537. XIV Sorties des affiégés. i 1 1 i 1 X I V é l e 398 H I S T @ I R £ Quoique Vitigès fe füt éloigné de la porte Salaria pour aller atraquer ce qu'on nommoit le Pare, Bélifaire etoit refté dans fon premier pofte. Avant que de le quitter, il fut témoin d'un coup extraordinaire. Un Goth de grande taille & fort vaillant, couvert d'un cafque & d'une cuiraife, s etoit féparé du refte de la troupe pour fe faire remarquer. Adoffé contre un arbre , il ne ceffoit de tirer aux créneaux. TJngros javelot, parti d'une babfte, vmt lui percer la cuiraffe & e corps, & s'enfoncant dans 1'arbre ufqu'a la moitié de fa longueur , y doua ce redoutable guerrier. Les 3oths épouvantés, reculerent hors le la portée des machines , & cefle•ent. d'incommoder les afliégés. Ce)endant Beffas & Pérane , preffés par Vitigès, envoyerent demander du ecours k Bélifaire. II accourut luiuême, laiffant k un de fes Lieuteants la garde de la porte Salaria, -e pare que Vitigès attaquoit, étoit n enclos quarré, dont un des cötés toit fermé par la muraille de la vil■ , qm tomboit en ruine dans eet ndroit; les trois autres cötés, fer-  du Bas-Empire. Liv. XLIF. 399 més d'un mur bas & fans défenfe , s'étendoient au-dehors. C'étoit le lieu oii 1'on enfermoit les lions & les autres bêtes féroces , qui devoient lervir aux fpectacles de Tamphithéatre. Vitigès travailloit a pénétrer dans eet enclos, perfuadé qu'enfuite il forceroit aifément la muraille de la ville, dont il connoiffoit la foibleffe. Bélifaire , ayant raffemblé auprès de lui 1'élite de fes troupes , rappella dans la ville ceux qui défendoient Tenclos, & pofta tous fes foldats derrière la porte , fans autres armes que leurs épées. II laiffa les ennemis percer les murs du pare, & dès qu'ils y furenl entrés, ouvrant auffi-töt la porte, il fit fortir fur eux Cyprien a la tête des plus braves. Les Goths, furpris de cette attaque imprévue, ne fongent pas a fe défendre; ils fuyent er défordre , fe renverfent , s'écrafen les uns les autres au paffage de 1; brêche , tandis que les Romains le: égorgent ou les affomment. On le, pourfuit dans la plaine; & commi leur camp étoit éloignê, il en pén un grand nombre dans la fuite. Oi mit le feu a leurs machines qu'ils « JUSTIN I EN. Ann. S 37» L : t 1  JüSTINIEV. Ann, 537, 1 1 I XV. Bélifaire j demande du fe- « cours a j 1'Empe- t reur. Proc. Got. C /• 1. c 24. a Afarc, CA/-, 1 h 400 BlSTOIRE voientabantlonnées. En même-temps les Barbares recevoient un pareil échec devant la porte Salaria. Les Rornains ayant fait tout-a-coup une fortie, les mirent en fuite, brülerent leurs machines, & les pouriuivirent jufqu'a leur camp, les maffacrant a difcrétion , fans trouver de réfiflance. Procope dit qu'au rapport même des afliégeants, cette journée leur coüta trente mille hommes , fans compter les bleffés qui fe trouverent encore en grand nombre; ce qui paroït incroyable. Les Romains, chargés de dépouilles, rentrerent cOmme ;n triomphe, chantant les louanges le Bélifaire; & les Goths pafferent a nuit a pleurer leurs morts & a >anfer les bleffés. Dans une fi pénible journée, parni tant d'attaquesdifférentes,on peut lire que l'aftivité des foldats les avoit tiultipliés. Cinq mille hommes, difribués avec intelligence, & animés u même efprit que leur Général, en voient repouffés & défait cent cinuante mille. Mais Bélifaire fentoit ien que le danger efl extréme pour uiconque eft réduit a la néceffité d'ê»  nu Bas-Empire. Liv. XLIV. 401 tre toujours heureux, Sc qu'on eft bien prêt de périr quand on ne peut rien perdre fans perdre tout. Pendant que fes foldats fe repofoient de leurs fatigues , il écrivit a Juftinien pour lui demander un prompt fecours. Après un récit modefte de fes conquêtes en Sicile 6c en Italië, il lui expofoit le petit nombre de fes troupes 8c la multitude des Goths; il lui rendoit compte du commencement du fiege, 6c attribuoit fes fuccès k 1'Arbitre fouverain des événements: mais il repréfentoit : » Que ce feroit abu» fer des faveurs de la Providence , » que de négliger les moyens hu» mains ; qu'il avoit befoin d'hom» mes 6c d'armes , pour combattn » fans témérité des ennemis fi nom» breux : que fans un renfort confi» dérable , 1'Italie étoit perdue^ fan » refiburce avec 1'honneur de 1'Em» pire, 6c qu'il feroit plus honteiu » de perdre ce qu'on avoit conquis » qu'il ne Peut été de ne pouvoi » rien conquérir : qu'abandonner Rc » me, ce feroit punir les Romain » de s'être montrés fideles a leur lé ' » gitime SouYerain, & qu'il éto: JUSTITJ l EN. Ann. 537. i f S t  Jl'STIN1EN. Aea. j37. t r 1 f li 6 ti d 11 ■ d r< n; P< fa til 402 H 1 S T O 1 K E » impolfible de garder cette grande » ville fans des forces qui euffent » quelque proportion avec fon éten» due : qu'il étoit facile de 1'affamer, •> & qu'on ne devoit pas prétendre >« que les habitants refufaffent le pain > des Goths, pour mourir de faim, > fous les étendards de 1'Empire. Pour { moi, ajoutoit-il, je fais que ma > vie vous appartient; je ifuis réfolu ' de la facrifier, plutót que de me ■ rendre : c'eft k vous k juger s'il eft du bien de votre fervice que Bélifaire s'enfevelifte fous les ruines de Rome ", Cette lettre réveilla Empereur, qui, felon fa coutume, ;mbioit avoir oublié 1'expédition deuis qu'il l'avoit commandée. II af;mbla des troupes & des vaifleaux, l envoya ordre k Valérien &c k Marn de paffer au plutót en Italië. Ces eux Capitaines étoient partis dés le iois de Décembre précédent, avec ;s recrues pour aller joindre Bélifai; mais ils s'étoient arrêtés en Acarmie, pour y paffer 1'hy ver. La ré>nfe de Juftinien qui affuroit Béliire d'une prompte afliftance, fouit le courage des troupes, & redouï leur ardeur.  du Bjs-Empire. Liv. XLir. 4°3 Le dix - neuvieme jour du fiege , Bélifaire ayant convoqué les foldats & les habitants, leur dit r » Que la » durée du fiege étant incertaine, » leur premier foin devoit être d'e» viter la famine : que pour préve» nir ce mal, le feul dont leur cou» rage ne pouvoit les garantir , il » falloit faire paffer k Naples leurs » femmes, leurs enfants, & ceux de » leurs efclaves qui n'étoient capa» bles de rendre aucun fervice pour » la défenfe de la ville : qu'il ne pou» voit même leur diftribuer chaque » jour que la moitié de la ration or» dinaire, mais qu'il leur payeroil » 1'autre moitié en argent ". Tou: fe foumirent k eet ordre affligeant mais néceffaire : bientöt les vaiffeau) qui fe trouvoient dans le port, fu rent remplis de femmes, d'enfants de vieillards; & la voie Appienn fut couverte d'une foule de peuple qui prenoit par terre le chemin de 1 Campanie. Dans cette retraite, il n'avoient rien k craindre des enn« mis, qui ne tenoient pas la ville er fermée du cöté du midi, & qui n'c foient s ecarter de leur camp. II fo: JUSTL«IEN. Ann. 537. XVI. II met dehors les bouches inutiles. Proc. Got. I. 1. c. 15. » » s  JUS TINIEN. Ann. 537, XVII. _ Precau. tion pour la fiïreté de Ia ville. 1 1 I i t C \ n q cl p d m ar 404 II1 s t 0 1 n b tok fans ceffe de Rome des partis qm battoient la campagne ; les Manres iur-tout, accoutumésaux courfes ~ aux.Mbrjgandages, maifacroient & depouilloient tous les Goths qu'ils trouvoient difperfés ; & s'ils rencontroientune troupe trop nombreufe, iis lui echappoient par leur vïteffe. Amh toute cette multitude fortit libremenf de Rome, & fe retira, foit en Campame, foit en Sicile. . Rome étoit délivrée des bouches inutiles; mais elle manquoit de foliats pour garnir tous les poftes; d'au:ant plus que les mêmes ne pouvoient ïtre _ fans ceffe en faflion , & qu'ü aHoit néceffairement qu'une partie >nt du repos, tandis que 1'autre faipit Ia garde. Bélifaire enröla les arilans, qui, manquant d'ouvrage penant le fiege, n'avoient pas de quoi ivre; il leur afïigna une paye jourahere, & les divifa par compagnies, ui montoient la garde tour-a-tour, lacune leur nuit. II chaffa de la ville ufieurs Sénateurs qu'il foupconnoit entretenir intelligence avec I'enne1. De ce nombre étoit Maxime nere-petit-fils de celui qui avoit  bv Bas-Empire. Liv. XLir. 405 afraché le diadême Sc la vie k Valentinien troifieme. Craignant que les gardes des portes ne fe laiffaffent corrompre pour favorifer quelque furprife, il changeoit les clefs 8c les ferrures deux fois le mois; Sc toutes les nuitsil nommoitdenouveaux Capitaines pour faire les rondes, cha» cun dans une étendue marquée. Leur fonclion étoit de vifiter les fentinelles, d'écrire leurs noms , de remplacer ceux qui fe trouvoient abfents, Sc d'en faire rapport au Général, qui les chatioit felon les loix militaires. Pour tenir les fentinelles alertes Sc les défendre du fommeil, il faifoit jouer des inftruments fur les murailles pendant toute la nuit. II envoyoit au-dehors de la ville, 8c le long du foffé, des patrouilles, 8c fur-tout des Maures avec des chiens, afin que perfonne ne put approcher fans être découvert.' II reftoit quelques Payens dans Rome , mais cachés & en petit nombre. Quelques-uns d'eux, encore entêtés de leurs anciennes fuperftitions, effayerent pendant une nuit d'ouvrir le temple de Janus, pour fe rendre JUSTI- NIEN. Ann. 537. XVIII. Quelques Payens tentent d'ouvrir le temple de Janus.  JlISTIN1EN. Ann. 537. XIX. LesGoths ferendent raaitresd» Porto. Proc. Got, l- I. c. 26. • ■i 1 i 1 1 ( 406 II I S T 0 I R E ce dieu favorable pendant la guerre. Ce n'étoit qu'un petit édifice quarré, dans le Forum , vis-a-vis du lieu- oü s'affembloit le Sénat. L'inférieur étoit .revêtu d'airain : la ftatue du dieu , haute de cinq coudées, étoit de même métal, ainfi que les quatre portes. Ce temple demeuroit fermé, depuis que le culte idolatre étoit aboli dans Rome. On s'apperout le lendemain des efforts inutiles qu'on avoit faits pour 1'ouvrir. Bélifaire, sccupé de foins beaucoup plus importants, négligea de rechercher les auteurs de :ette folie tentative. Le mauvais fuccès des premières ïttaques mit Vitigès en fureur : il envoya ordre d'égorger les Sénateurs qu'il avoit conduits a Ravenne, comne ötages de la fidélité de Rome. Plufieurs ayant été avertis, sechap>erent : de ce nombre étoient Cerfentin & Réparat, frere du Diacre /irgile , qui fut Pape bientöt après: Is fe retirerent en Ligurie. Les aures furent maflacrés. Après cette 'engeance inhumaine, Vitigès vouant öter aux affiégés la communiation de la mer qui leur étoit ou-  du Bas-Empikz. Liv. XLIF. 407 verte par le Tibre , réfolut de fe rendre maïtre de Porto. C'étoit alors une place trés forte dont il ne refte plus que le nom. Elle avoit été batie par 1'Empereur Claude a 1'embouchure du Tibre, fur le bras qui coule a droite. Car ce fleuye approchant de la mer, fe partage en deux , &C forme une ifle large de deux mille pas, qu'on appelloit Yijle Sacrée. De Porto, une voie fpacieufe 8c commode conduifoit a Rome, qui n'en eft qu'a cinq lieues; ce chemin fervoit au tranfport des marchandifes, foit par terre , foit dans des barques tirées par des bceufs. Sur l'autre bras on voyoit le port d'Oftie, ville autrefois confidérable , batie dés le temps des Rois de Rome, mais qui a'étoit plus qu'une méchante place fans murailles. La voie d'Oftie étoit couverte de förêts. On l'avoit abandonnée , paree qu'elle s'éloignoit du canal, 8c qu'il n'y avoit point de tirage. Trois cents hommes auroient fuffi pour défendre Porto; mais Bélifaire n'avoit pas des foldats de refte. Les Goths s'en emparerent fans peine, paflerent les habitants au fil de JüSTINIEN. A.nn. 557.  JtJSTINIEN. Ann, 537. XX. Bélifaire fait attaque- les Goths par de petites troupes. Proc. Got. l.i, f. 27. 408 HlSTOIRB 1'épée , & y laifferent une garnifon de mille hommes. La navigation du Tibre étant fermée aux Romains , leurs vaifTeaux étoient obligés d'aborder a une journée d'Oftie dans le port d'Antium, d'oii il étoit difhcile de voiturer les convois k Rome, faute d'hommes pour employer ?. ce travail. Vingt jours après la prife de Porto , Martin & Valerien arriverent avec feize cents cavaliers, tirés pour la plupart des nations Barbares qui habitoient les bords du Danube , Huns , Antes , Efclavons. Ce renfort étoit conlidérable pour un Général qui favoit faire ufage des hommes. Dès le lendemain , Bélifaire fit fortir de Rome un de fes gardes , nommé Trajan , homme de courage, a la tête de deux cents cavaliers : il lui ordonna d'aller droit au camp des ennemis, & lorfqu'il en feroit proche, de fe poffer fur une éminence qu'il lui montra j de combattre les Goths k coups de fleches lorfqu'ils viendroient pour 1'attaquer , & de revenir a toute bride quand les fleches lui manqueroient. Trajan fortit par  &u Bas-Empire. Liv. XLIF. 409 par la porte Salaria, & Bélifaire fit charger les baliftes & les autres machines placées fur la muraille. Tout 1 fe paffa comme Bélifaire l'avoit ordonné ; & lorfque les ennemis qui pourfuivoient Trajan, furent arrivés a la portée des machines, on fit fur eux une fi furieufe décharge; qu'ils furent obligés de regagner leur camp avec une grande perte. Cette forte d'efcarmouche fut deux fois répétée lés jours fuivants, fous différents Capitaines, & toujours avec tant de fuccès, que Ces trois acfions coüterent aux Goths quatre mille hommes. Vitigès fe'figura qu'une femblable manoeuvre lui réufiiroit également. II fit partir cinq cents cavaliers avec ordre d'imiter exadtement ce qu'ils iavoient vu faire aux Romains. Bélifaire en envoya mille fous la conduite de Beffas, qui enveloppa les Goth9, 8des tailla en pieces. Le P«.oi attrlbua eet échec k la lacheté de fes cavaliers ; & trois jours après en ayant choifi cinq cents autres parmi les plus braves de fon armée , il leur commanda d'aller affronter 1'ennemi, & réparer par leur courage 1'honneur Tomé IX, S JUSTIN I ES. M. 537- xxr. Vitigès ireut miter, mais fans fuccès.  JUSTINIEN. Ann. 537. ! J 1 J J i ) 9 > f J j 4io Histoirb de la nation. Valérien & Martin fortirent fur eux a Ia tête de quinze cents cavaliers , qui les défirent Sc les tuerent prefque tous. Les Goths imputoient ces difgraces a leur mauvaife fortune ; mais Bélifaire, interrogé par fes amis fur Ia caufe qui lui infpiroit tant de confiance, répondit :» Que » dés la première fois qu'il s'étoit » vu avec une poignée de foldats * aux prifes avec toute 1'avant-garde > de 1'armée ennemie, il avoit re- > marqué entre les Romains & les ) Goths une différence qui faifoit > difparoïtre 1'avantage que donnoit > aux ennemis la fupériorité du nom- > bre: Les Romains , dit-il, Sc leurs > troupes auxiliaires favent faire ufa- > ge de leurs armes. Nous fommes > exercés a tirer jufte. Tous nos coups > portent; pour les Goths, ils tirent > lans art & k 1'aventure; la plupart » de leurs fleches font perdues: de » forte qua compter les hommes, > les^Goths ont la fupériorité; mais >.fi 1'on compte les bleffures , 1'a» vantage eft du cöté des Romains ". ^près des tentatives fi malheureufes, es Goths n'oferent plus fe hafarder  dv Bjs-Empire. Liv. XLIV. 411 par petites troupes , ni s'éloigner de 1 leurs retranchements pour donner la chaffe aux coureurs ennemis. Les foldats Romains, enflés de leurs fuccès, avoient concu un tel mépris des Goths, qu'ils briiloient d'envie de les combattre en bataille rangée. Bélifaire s'oppofoit a cette ardeur inconfidérée, & s'en tenoit a fon premier plan , d'atfoiblir Vitigès par de fréquentes incurfions. Mais les Goths, inftruits a leurs dépens , & avertis par les transfuges, fe trouvoient toujours fur leurs gardes. Enfin, Bélifaire voyant qu'ils ne lui donnoient plus de prife, fe rendit k i'empreffement de fes foldats. Ce Général faifoit réflexion qu'un plus long refus les décourageroit, & qu'ayec une telle difproportion de forces, il lui feroit trés - glorieux de vaincre, & trés - pardonnable d'être vaincu. En cas de malheur, fon habileté 1'afTuroit de la retraite. Après avoir tout préparé pour une aciion générale, il fit défiler fon armée par les portes Pinciane& Salaria. Les Goths avoient un corps très-nombreux au-dela du Tibre dans les campagnes de Néron ; S ij JusTINI EN. Ann. 537, XXII. Bélifaire Fe prépare i une bataille.Proc. Got. hut. 28.  JUSTINI EN. Ann. 537. XXIII. Ufage que Bélifaire fait de fon infanterie. 412 II 1 S T O I R E pour tenir ces troupes en échec, il envoya Valentin avec un detachement de cavalerie hors de la porte Aurelia, & lui donna ordre de fe montrer toujours pret k charger les ennemis , fans en venir k FefTet,< & de les empêcher par ce moyen de paffer le pont Milvius, pour aller joindre Vitigès. II avoit armé plufieurs habitants, artifans pour la plupart , & qui, dans une act ion , n'étoient propres qu'a prendre 1'épou* vante, & k la communiquer. II en fit une troupe féparée, qu'il placa hors de la porte Saint-Pancrace, la plus éloignée du champ de bataille. En eet endroit, ils pouvoient donner de 1'ombrage aux ennemis campés dans les plaines de Néron, & paroïtre 1'arriere-garde du corps que commandoit Valentin. Dans cette journée, Bélifaire ne vouloit faire ufage que de fa cavalerie; il comptoit pour rien 1'infanterie , dont les meil leurs foldats avoient même changé de fervice; ils montoient des chevaux pris fur 1'ennemi , & favoient déja les manier avec affez d'adreffe. Depuis plus d'un  du Bas-Empire. Liv. XLIF. 413 fiecle, 1'infanterie Romaine étoit prefque anéantie. Les Barbares qui avoient envahi tant de Provinces de 1'Empire , étant tous cavaliers , avoient mis en honneur la cavalerie; c'étoit le feul genre de troupes qu'on crut pouvoir leur oppofer. Comme les foldats fe méprifent eux - mêmes , lorfqu'ils fe voyent méprifés, les fantaffins , devenus la plus vile portion des armées, avoient pris 1'habitude de fuir dés le premier choc. Ainfi Bélifaire avoit deffein de laiffer fon infanterie fur le bord du foffé, pour couvrir, en cas de befoin, la retraite de fa cavalerie. Mais Principius Pifidien , garde de Bélifaire, & Tarmut Ifaurien, tous deux connus par leur courage, lui repréfenterent, qu'il ar> partenoit a un Général tel que lui de réformer les abus, au - lieu de s'y conformer :» Pourquoi, lui difoient» ils, vous priver du fervice de vo» tre infanterie, quand vous avez fi » peu de troupes contre une armée » fi nombreüfe? N'eft-ce pas 1'infan» terie.Romaine qui a fubjugué 1'U» nivers ? pourquoi dégrader un gen» re de milice auquel Rome doit fi S iij JüSTINIEN. Ann. 537.  JUSTIKIEK. Ann. J 37, XXIV. Difpofi- 4H II I S T 0 I R E, » grandeur ? fi depuis long-temps Pin» » fanterie ne fait rien de mémora» ble, e'efl la faute de fes Officiers \ » ils refufent de partager les fatigues » & les dangers ; ils ne paroiflent » qua cheval k la tête de leur troupe, w & donnent 1'exemple de fuir avant » même que de tirer 1'épée. Incorpo» rez-les avec les cavaliers, puifqu'ils » veulent 1'être , & laiffez-nous mar» cher k pied k la tête de vos fan» taffins. Nous vous rendrons bon » compte des ennemis auxquels nous » aurons k faire ". Le Général ne fe renditpas entiérement,quoiqu'il connüt la valeur de ces deux guerriers. II croyoit 1'occafion trop importante pour hafarder une telle épreuve. Après avoir placé une partie des fantaffins avec le peuple aux portes de Ia ville & fur les murailles, pour fervir les machines, il confentit que le refte marchat fous la conduite de Tarmut ck de Principius; mais il ne leur affigna d'autre pofte que 1'arriere-garde, de crainte que leur fuite ne jettat le défordre dans le refte de 'armée. Vitigès, de fon cöté, ayant fait for-  du Ba&Êau>irS. LU). XLIV. 415 tir du camp toutes fes troupes, envoya dire h Marcias qui campoit dans les plaines de Néron, de fe tenir dans fon pofte , & d'empêcher les ennemis qui étoient au - dela du fleuve , de paffer le pont Milvius, pour venir attaquer par-derriere le gros de 1'armée. On voit que eet ordre s'accordoit avec celui que Bélifaire avoit donné a Valentin : les deux Généraux craignoient également que cette partie de 1'armée ennemie ne paffat le Tibre. Le Roi des Goths rangea fes troupes, felon la méthode ordinaire , Pinfanterie au centre , la cavalerie fur les aïles. Comptant fur la multitude de fes foldats au nombre de plus de cent mille, & perfuadé que huit mille Romains ne tiendroient pas devant lui, il ne voulut pas s'éloigner de fon camp, afin de laiffer a fes cavaliers un plus long efpace entre le champ de bataille & les murs de Rome, pour tailler en pieces les fuyards. La bataille commenca dés le point du jour par des décharges de fleches, ou les Romains avoient 1'avantage. Mais quoique les Goths perdiffent S iv JUSTtKIEN. Ann. 537. tion de Vitigès. Proc. Got. I. l. c. 29. XXV. Bataille de Rome.  JusTlNIEN. Ann. 537. XXVI. Défaite des Roariains. 416 IIlSTOJRE beaucoup de foldats, les morts étoient fi promptement remplacés, qu'on ne s'appercevoit pas de leur perte. Cette maniere de combattre dura jufqu'a midi; & les Romains, fatisfaits d'avoir fi long-temps foutenu avec honneur un combat fi inégal, ne cherchoient qu'une occafion de faire retraite. A leur tête, trois Officiers faifoient admirer leur bravoure : c'étoient Athénodore Ifaurien, garde de Bélifaire; Théodorit & George, gardes de Martin, tous deux de Cappadoce. Ces trois guerriers alloient de temps en temps braver les ennemis, & renverfoient a coups de lance tout ce qui fe préfentoit devant eux. Dans les plaines de Néron , les deux partis reflerent long-temps en préfence, fans autre aétion que celle des cavaliers Maures qui voltigeoient autour des ennemis, & leur laneoient des traits. Les Goths , appercevant du cöté du Janicule une troupe confidérable, n'ofoient aller enivant, de peur d'être enveloppés. Vlais le corps qui les tenoit en refpecf i'étoit pas entiérement compofé de bldats. Des matelots, des valets,  nu Bas-Empire. Liv. XLIV. 41? avides de butin, &C la plupart fans armes, s'étoient mêlésavec lesgens de guerre , & jettoient parmi eux la confufion Sc le défordre : fur le midi , cette multitude indifciplinée s'ennuyant de fon inaftion, mareha contre 1'ennemi malgré les ordres de Valentin, qui ne pouvoit fe faire ente-ndre , 8c elle chargea vigoureufement les foldats de Marcias. Ceuxei , au - lieu de fe retirer dans leur camp, s'enfuirent fur les montagnes voifines. Les vainqueurs ne s'aviferent ni de pourfuivre les fuyards, nï de rompre le pont Milvius; ce qui eut rendu la ville de Rome maitreffe de la campagne au-dela du Tibre 9 ni de paffer le fleuve, pour prendre en queue ceux que Bélifaire attaquoit de front. Tout leur foin fut de piller le camp de Marcias, & d'en enlever les dépouilles. Les Goths s'arrêterent quelque temps a les confidérer; & quand ils les virent occupés au pillage , & embarraffés de leur butin , ils fondirent fur eux avec de grands cris , en maffacrerent la plupart, 5c mirent les autres en fuite. En même temps , 1'armée de VitiS v JUSTINIEN. Ann. 537V XXVII. Et devani Rome.  JUSTINIEN. Ann. $37. 418 HlSTÖIRE gès, appuyée contre fon camp, réfifloit aux attaques de Bélifaire. Le petit nombre des Romains rendoit leur perte beaucoup plus fenfible. Déja la plupart de leurs cavaliers étoient ou bleffés ou démontés, lork que la cavalerie de 1'aïle droite de Vitigès vint tomber fur eux, & les repouffa jufqu'a leur infanterie qui tourna le dos. Cependant quelques fantaffins s'attrouperent auprès de Principius & de Tarmut, qui, refiés prefque. feuls, faifoient face aux ennemis , & fignaloient leur courage. Cette intrépidité étonna 1'armée des Goths, & plufieurs efcadronsen profiterent pour fe fauver. Principius fe fit hacher en pieces plutöt que de reculer. Autour de lui périrent en gens de cceur, 41 fantaffins, qui vendirent chérementleur vie. Tarmut, armé de deux javelots, & combattant des deux mains k la fois, ne ceffoit d'abattre k fes pieds tous ceux qui 1'approchoient. Enfin, percé de coups, il étoit pret a tomber de défaillance, lorfqu'il vit accourir fon frere Ennès, chef des Ifaures, qui fe jetta entre lui Sc les ennemis avec un gros  du Bjs-Empire. Liv. XL1V. 410 de cavalerie. Ranimé par ce fecours imprévu , il reprit affez de forces pour regagner en courant la ville de Rome, toujours armé de fes deux javelots. Arrivé a la porte Pinciane , couvert de fang & de bleffures , il tomba, & fes camarades le croyant mort, 1'emporterent clans la ville fur un bouclier. II n'expira cependant que deux jours après, laiffant beaucoup de gloire a fes compatriotes par la réputation de fon éclatante valeur. A la vue d'une déroute fi générale, les habitants allarmés fermerent les portes , de peur de donner entrée aux ennemis en même temps qu'a leurs foldats. Les fuyards fe voyant fans re» traite , traverferent le foffé; & tremblants de crainte, le dos appuyé contre la muraille , ils reftoient-la fans défenfe, & fembloient n'attendre que le coup mortel. La plupart avoient rompu leurs lances dans le combal ou dans la fuite ; & ferrés les un; contre les autres, ils ne pouvoiem faire ufage de leurs arcs. Les Goths accourus au bord du foffé, les accabloient d'une grêle de fleches , & f< flattoient qu'il n'en échapperoit pa S vi JUSTIMEN. Ann. 537.  JüSTIN1EK. Ann. 537, XXVIII. Aventure finguliere d'un Romain & d'un Goth. Proc. Got. t, 2. c. 1. 1 ( 1 1 1 < 420 II I S T O I R E un feul , lorfque voyant le haut des murailles bordé d'un grand nombre d'archers & de baliftes qu'on poinroit contre eux, ils fe retirerent en infultant les vaincus. Telle fut 1'iiTue de ce combat, qui apprit aux foldats de Bélifaire a fe repofer de leur conduite fur la prudence de leur Général , & a Bélifaire lui - même, a (é défier de 1'ardeur téméraire de fes foldats. On en revint aux efcarmouches, oii les Romains avoient ordinairement 1'avantage. Aux cavaliers fe joignoit de part &c d'autre quelques pelotons de fantaffins. Dans une de ces aftions, Beffas fe jetta tête baiffée au milieu d'un efcadron, tua de fa propre main trois des meilleurs cavaliers , & mit les autres en fuite. L'aJreffe des Huns, exercés a tirer de 1'arc ïvec jufleffe en courant k toute brile,incommodoit beaucoup les Goths, pii ne pouvoient ni les éviter ni les itteindre. Dans une fortie que fit Péane hors de la porte Salaria , un fanaffin Romain, vivement pourfuivi, omba dans une foffe profonde. On n voyoit autour de Kom un grand  nu JjAS-Empirs. Liv. XL1V. 421 nombre de cette efpece, oü les an- ciens Romains avoient coutume de ferrer leurs grains. Comme il n'étoit , pas pofiible d'en fortir fans fecours , & que le foldat n'ofoit crier, paree que le camp ennemi étoit proche, il y paffa la nuit; & le lendemain , un foldat Goth y tomba par une aventure pareille. La conformité de fortune leur fit oublie* Sa haine nationale ; ils s'embrafferent, & fe donnerent parole de ne fe pas fauver 1'un fans 1'autre. Ils fe mirent alors a crier de toutes leurs forces; & les Goths étant accourus fur le bord, aux queftions qu'ils firent, le foldat Goth répondit feul, & les pria de lui defcendre une corde. Le Romain obtint de fon ca~ marade de remonter le premier, paree qu'aflurément les Goths n'abandonneroient pas leur compatriote; au-lieu qu'après avoir tiré celui-ei, ils fe feroient un jeu de laiffer 1'autre dans la foffe. Les Goths furent furpris de voir fortir un Romain aulieu d'un Goth; & ayant été infbuits du fait, ils retirerent enfuite leur fol^dat, qui obtint pour fon compagnon la liberté de retourner è Rome. JUSTINIEN. Uin. 537.  JUSTINIEN. Ann. 537. XXIX. Témérité de Chorfamante. i i ] I 1 i i I t F r < f d 422 H I 5 T 0 1 R E C'étoient tous les jours de petits cotnbats , .oü les plus vaillants , animes par les regards de tant de fpectateurs , qui couvroient les murailles de Rome, faifoient montre de leur bravoure , comme dans un amphithéatre. Chorfamante, garde de Bélifaire , Hun de nation , aceompagné de quelques Romains, pourfuivit dans les plaines de Néron , un corps de foixante & dix cavaliers. Ses compagnons ayant tournés briie pour ne pas trop approcher du :amp ennemi, il continua fa pouruite ; ^& les Goths, s'étant apper;us qu'il étoit refté feul, revinrent ur lui. II tua le plus hardi, chargea es autres, & les mit en fuite. Lorf[u'ils furent a la vue de leur camp, a honte les arrêta; ils firent face; nais ayant encore perdu un des leurs, Is recommencerent a fuir. Chorfalante les pourfuivit jufqu'a leurs reranchements; Sc plus heureux que rudent, il revint a Rome, oü il fut sgu avec de grandes acclamations. )uelque temps après, ayant été blefï dans une rencontre , il fut forcé e refter a Rome pendant plufieurs  du Bas-Empire. Lh. XLIV. 423 jours, moins tourmenté de fa douleur que de fon impatience. Dès qu'il fut guéri, ce foldat, d'un caradtere fougueux, que 1'ivrognerie allumoit encore , jura dans le vin qu'il iroit feul attaquer les ennemis pour fe venger de fa bleffure, 8c voulut tenir fa parole, lorfqu'il fut revenu de fon ivreffe. II fe fit ouvrir la porte Pinciane, fous prétexte qu'il avoit un ordre de Bélifaire, 8c courut vers le camp des Goths. Ceux-ci le prirent d'abord pour un transfuge; mais lorfqu'ils le virent tirer fur eux, vingt cavaliers fortirent pour le mettre en pieces : il les foutint avec une audace intrépide. Enfin , enveloppé de toutes parts, furieux a 1'afpect du péril, 8c toujours plus redoutable a mefure que croiffoit le nombre des ennemis , il tomba percé de coups fur un monceau d'hommes 8c de chevaux qu'il avoit abattus. Toute 1'armée le regretta ;8cBélifaire, qui n'auroit pas voulu fans doute n'avoir que des foldats de ce caradtere, fut cependant affligé de la perte d'un guerrier capable de ces coups de témérité , dont un prudent Général fait a propos faire ufage. JUSTINJEN. Ann. 537,  JUSTIN I EN. Ann. 537. XXX. Combat devant Rome. Proc. I. 2. c. z. •1 1 i i ] < 3 f 1 < < r l « t i i 424 H I S T Q 1 R E Vers le folftice d'été, Euthaiius aborda dans le port de Terracine, apportant de Conffantinople 1'argent deftiné au payement des troupes. Bélifaire, averti de fon arrivée, lui envoya une efcorte de cent foldats fous la conduite de deux Officiers. En même-temps, pour tenir enfemble les ennemis, & les empêcher d'envoyer des partis battre la campagne, il faibit mine de vouloir les attaquer avec outes fes forces. II rangea fes trou>es aux portes de la ville, & les tint bus les armes jufqu'a midi, qu'il leur lonna ordre de prendre leur repas. -es Goths demeuroient en bataille, 'attendant a toute heure qu'il alloit narcher a eux. Enfin, fix cents ca'aliers fortirent de la porre Pinciane, bus la conduite de trois gardes de iéüfaire, Artafinès, Perfe; Buchas, fe la nation des Huns, & Cutilas, :e Thrace. Les ennemis vinrent en lus grand nombre au-devant d'eux, i 1'on efcarmoucha long-temps, les eux partis fuyant & pourfuivant our-a-tour ; enfuite , échauffés par i colere, animés par les cris de 1'une i de 1'autre armée, &i renforcés par  nu Bas-Empire. Liv. XL1F. 415 de nouveaux fecours, ils fe mêlerent & fe battirent ayec fureur. Après beaucoup de fang répandu, les Goths prirent la fuite. Cutilas, percé d'un dard a demi-enfoncé dans fa tête , ne laiffa pas de pourfuivre les ennemis, comme s'il eut été infenfible a une fi cruelle douleur. A fon retour dans la ville , dès qu'on lui eut arraché le dard, il tomba en frénéfie , & mourut peu de temps après. Arzès, autre garde de Bélifaire , revint avec une fleche enfoncée bien avant k coté de 1'ceil droit. Un habile médecin, nommé Théoaifle, qui, felon 1'ufage fubfiftant encore dans ce temps-la, exergoit auffi la chirurgie, entreprit de le guérir. Ayant reconnu qu'Arzès fouffroit derrière le cou de vives douleurs, il jugea que le fer pénétroit jufqu'a cette partie ; & aprè: avoir coupé le bois qui fortoit k cött de Pceil, il fit au cou une large in cifion , & retira le refte de la flech armée de trois pointes. Arzès guéri de fa bleffure. Les Goths étoient plus heureu: dans les plaines de Néron. Martin 6 Valérien y avoient conduit un corp JüSTINIEN. Ann. 537. t E XXXI. r Coml>at dans les plaines de Néron.  JUSTINIEN. Ann. 537, 1 j < J < i £ d r & cl )<■ ei 1'] P: te te d< nt V( 42Ö U f S T O I R E de cavalerie; & quoiqu'ils combartiflent avec courage, ils étoient prêts de fuccomber fous les efforts des ennemis. Buchas , au retour de 1'autre combat, eut ordre de les aller joinire avec ceux de fa troupe qui re^enoient en bon état. L'arrivée de :e fecours donna 1'avantage aux Ronains; mais la valeur de Buchas lui ■oüta la vie. Comme il pourfuivoit ennemi avec trop d'ardeur, il fe 'it enveloppé de douze cavaliers, es armes étoient a 1'épreuve, & réftqient k tous les coups; mais enn d recut deux bleffures au défaut e fa cuiraffe , & il alloit périr, fi lartin & Valérien ne fuffent accouts k fon fecours. Ils le dégagerent, : le ramenerent a Rome, tenant fon ieval par la bride. II mourut trois urs après. Sur le foir, Euthalius itra dans Rome avec 1'argent de impereur. Les Romains & les Goths ifferent la nuit a déplorer leur per- refpeöive. Jamais on n'avoit enudu dans le camp des Goths tant cns lamentables; aufli jamais joure ne leur avoit enlevé de plus bras guerriers, dont la plupart avoient  nu Bas-Empire. Liv. XLIF. 427 péri fous le bras de Buchas , qui étoit lui-même expirant. Tels furent les combats les plus remarquables qui fe livrerent pendant le fiege de Rome. II feroit trop long de rapporter les autres : il fuffit de dire qu'il y en eut foixante - fept, fans compter les deux derniers dont nous parierons dans la fuite; 6c 1'on ne peut affez admirer les grandes reffources du génie de Bélifaire, qui, pendant une année de fiege, toujours aux prifes avec 1'ennemi, fut avec huit mille hommes fournir a tant de combats, 6c fatiguer une armée prés de vingt fois plus nombreufe que la fienne, 8c maïtreffe de la campagne. Rebutés de tant de pertes, les Goths réfolurent de s'abftenir déformais de combattre, efpérant de prendre Rome par famine. Pour y réuffir, il falloit couper le paflage des vivres du cöté du midi. Entre la voie Appienne 8c la voie Latine s'élevoient deux aqueducs, qui, d'abord écartés 1'un de 1'autre, fe croifoient k deux lieues de Rome , 8c après s'être éloignés k quelque diftance , fe rapprochoient enfuite, 6c revenoient fe JUSTIN1EN. Ann, 557. XXX1L Famine dans Ro« me. Proc. Got, U ï. c. J.  JUSTINIEN. Ann. 537. 1 .] -i ■1 ] < t -« < c ■t <3 c h n l& Bis t o 1 r s croifer encore pour reprendre leur première dire&ion. L'intervaüe renfermé entre les deux points de joncïion, formoit une lofange, dont les Goths firent une forterefle, en bou:hant de pierres & de terre le pafiage les arcades. Ils y placerent un corps ie fept mille hommes , pour arrêter es convois^ depuis le Tibre jufqu'a a porte Prénefiïne. Bientöt après le >ain manqua dans Rome. Le peu qui ?n reftoit étant difiribué aux follats, les habitants mouroient de faim, k la perte fuivit de prés la famine. -es riches avoient cependant encore [uelque reffource. Tant qu'il y eut tu bied dans les campagnes, il fe rouvoit des foldats affez avides de ;ain & aflez hardis pour aller le ouper pendant la nuit; ils en charoient leurs chevaux , & le venoient bien cher; tandis que les paures citoyens ne fe nourriffoient que es herbes qu'ils arrachoient autour es fofies &: au pied des murs, & u'il falloit même difputer aux folats qui venoient les faucher pour ?urs chevaux. On vendoit fecreteient & contre la défenfe de Béli-  nv Bas-Empire. Liv. XL IV. 429 faire, la chair des chevaux & des muiets qui mouroient dans la ville. Enfin, tous les grains des environs' étant confumés, les habitants, réduits k Fextrêmité, vinrent en grand nombre trouver le Général : Conduife^nous d l'ennemi, s'écrioient-ils; nous voulons facrificr d L'Empereur ce qui nous rejle de farces; nous nous tiendrons plus heureux de périr par le fep que par la famine. Bélifaire ne fe rendit pas a leurs inftances.; il leur répondit: Qu'il ne pouvoit les fatisfaire, fans les envoyer d une mort cenaine; que la faim qui leur faifoit defirer la bataille, ne leur enfeignoit pas l'art des combats : que L'Empereur envoyoit en Italië une forte armée, & qu'une nombreufe flotte, chargée de foldats & de provifions, cótoyoit déja la Campanie ; que dans peu de jours ils feroient en même-temps délivrés & de la difette & des Barbares; qu'il valoit mieux attendre une vicloire ajfurée, que de rifquer a fe perdre par une aveugle précipitation: qu'il alloit donner les ordres nécejfaires pour hater l'arrivée de leurs libérateurs, En effet, Bélifaire favoit qu'il lui venoit d'Orient de nouvelles trou- JUSTINIEN. Ann. 537. XXXIII. Difpofi-  JUSTINIEN. Ann. 537. tions de Bélifaire pour foulager la ville de Rome. Proc. Got, l. 2. c, 4. ] 1 ! 1 * 1 1 1 1 ] ] t ] < j.30 HlSTOIXE pes ; mais il en exagéroit le nombre, pour relever le courage des habitants. II envoya Procope en Campanie, & lui ordonna de raffembler • des navires, de les charger de bied, d'y faire embarquer tous les foldats qui fe trouveroient difperfés dans la Province, d'y joindre une partie des ^arnifons, & de fe rendre avec cette Sotte dans le port d'Oftie , le plutót qu'il feroit poffible. Mundilas accomjagna Procope jufqu'aux frontieres de la Campanie avec une efcorde de :avaliers , pour le défendre contre es partis ennemis. Bélifaire n'avoit jas affez de troupes pour combat:re; mais il en avoit trop pour garler la ville de Rome, fur-tout dans tn temps de famine. II en fit fortir me partie qu'il diflribua dans les daces voifines, avec ordre d'inquiéer fans ceffe les Goths par des courés , de les furprendre par des emmfcades, & d'enlever leurs convois. Vlagnus & Sinthuas fe jetterent dans rivoli avec cinq cents hommes. Gonharis, avec une troupe d'Erules,prit )ofte dans Albe, d'oü il fut bientót haffé par les Goths. Martin &i Tra-  nu Bas-Empire. Liv. XLIF. 431 jan conduifirent un corps de mille hommes arTerracine. Antonine, femme de Bélifaire, partit avec eux; elle avoit une efcorte pour la conduire h Naples, oh elle devoit attendre en füreté 1'événement du fiege. Valérien prit avec lui tous les Huns, & les fit camper a un mille de Rome au bord du Tibre prés de 1'Eglife de Saint-Paul , afin qu'ils euffent plus de facilité a faire fubfifter leurs chevaux, & qu'ils pulfent arrêter de ce cöté-la les courfes des ennemis. Par ces difpofitions, les Goths fe trouyerent eux-mêmes comme affiégés; ils manquerent bientöt de vivres; la pefte fe mit dans leurs camps, fur-tout dans celui qui étoit renfermé entre les deux aqueducs : ils furent obligés de 1'abandonner. La maladie s'étant communiquée au camp des Huns, ils rentrerent dans Rome. Procope raffembla en Campanie cinq cents foldats , & une affez grande quantité de barques qu'il chargea de bled.^ Antonine le fecondoit par fon activité & par fon intelligence. Dans cette conjeólure arriva le renfort que 1'Empereur envoyoit de JUS TIMEN. Ann, 537, XXXIV. Arrivée  JUS TIMEN. Ann. 537. d'un fecoursProc. Got, 1. I. c. 5. Mare. Chr. XXXV. Nouveau combat de Bélifaire. 432 H ï S T 0 1 R E Conftantinople. Zénon , a la tête de trois cents chevaux , vint a Rome par la voie Latine, après avoir traverfé le Samnium. Trois mille Ifaures, commandés par Paul & par Conon , aborderent a Naples ; & dixhuit cents cavaliers a Otrante, fous la conduite de Jean , neveu de ce Vitalien , qui s'étoit révolté contre Anaftafe. Jean fe joignit aux autres troupes , &c marcha vers Rome le long du rivage de la mer, a la tête d'un convoi de grand nombre de charriots, k 1'abri defquels ilfepropofoit de fe retrancher en cas d'attaque. Paul & Conon , fuivis de la flotte, avoient ordre de gagner en diligence le port d'Oftie : c'étoit le rendez-vous général. Les navires &C les charriots étoient chargés de bied, de vin &C de toutes les provifions néeeflaires. Ils comptoient trouver Martin & Trajan k Terracine ; mais ces deux Officiers étoient déja retournés a Rome. Pour favorifer Parrivée de ce fercours ^ il falloit occuper les ennemis devant Rome. Dès le ccmmencement du fiege, Bélifaire avoit fait mwrer  x)ü Bas-Empire. Liv. XLIV. 453 tnurer la porte Flaminia , direcïement oppofée a la porte d'Oftie par ©ü le fecours devoit entrer; en forte que les Romains ne craignoient de ce cöté - la aucune attaque , ni les Goths aucune fortie. II fit démolir pendant la nuit le mur de clöture, & rangea dans ce pofte la plus grande partie de fon armée. Au point du jour, Trajan 8c Diogene fortirent avec mille cavaliers par la porte Pinciane , fur la droite de la porte Flaminia, 8c allerent lancer des traits dans le camp des Goths. Ils avoient ordre de prendre la fuite, dés que les Goths fortiroient de leur camp. Lorfque Bélifaire vit les ennemis attachés a la pourfuite de fes cavaliers, qui les attiroient vers la ville , il fit ouvrir la porte Flaminia, 8c défiler toutes fes troupes , qui coururent droit au camp des ennemis, ou il étoit refté peu de foldats. Pour y arriver, il falloit traverfer une gorge étroite 8c bordée de roches efcarpées. A 1'entrée de ce lieu fe préfenta un Goth d'une taille avantageufe , armé de toutes pieces , qui appelloit a grands cris fes camarades, & fe pré- Tome IX. T JlïSTINIEN. Aan. 537.  JUSTINIEN. Ann, 537. ( 434 HISTOIHÊ paroit a difputer le paffage. Mundilas lui abattit la tête d'un coup de fabre, Sc fe rendit maitre du chemin. Les Romains arriverent au camp ; mais ils ne purent le forcer, quoiqu'il n'y fütrefté que peu de foldats pour le défendre. 11 étoit bordé d'un foifé profond Sc d'un mur de terre, garni d'une forte paliffade. Cependant Aquilin, cavalier de la garde de Bélifaire, ayant trouve un endroit oh le mur étoit ouvert, franchit le foffé, Sc renverfant tous ceux qui s'oppofoient a fon paffage, il traveria le camp, malgré les traits qui tomboient fur lui de toutes parts. Son cheval fut rué ; pour lui, par un bonheur extraordinaire , il fe fauva k pied au :ravefs des ennemis, Sc rejoignit 'armée, qui ayant renoncé a 1'atta511e des retranchements, venoit prenIre en queue les Goths répandu's ians la plaine. Alors Trajan , qui 'uyoit avec fa troupe , fit volte-face, k retourna fur ceux qui le pourfuiroient. Les Goths enfermés entre leüx corps ennemis, furent prefque :ous taillés en pieces, fans recevoir iucun fecours des autres camps , oü  Pi nv Bas-Empïre. Liv. XL1V. 435 Pon ne fongeoit qu'a fe préparer k la défenfe. En cette occafion, Trajan recut un coup de fleche k 1'angle intérieur de 1'ceil droit. Le bois fe détacha au moment du coup, & tomba ; mais le fer s'étant enfoncé tout entier, refla dans la plaie , qui fe guérit, fans que Trajan y reffentït aucune douleur. Cinq ans après , le fer commenca a reparoitre , en percant la cicatrice. Procope, qui raconte ce fait fingulier , dit que lorfqu'il écrivoit, il y avoit trois ans que le fer fortoit au-dehors de plus en plus, & que felon toute apparence, il toinherent bientöt de lui-même. La pofïibilité de ce fait m'a été atteftée par un de nos plus célebres Anatomiftes, ainfi que celle de la cure d'Arzès, que j'ai rapportée. Les Goths avoient perdu une grande partie de leur armée par la pefle, par la faim, par le fer ennemi. Ils apprenoient qu'il arrivoit aux Romains un fecours, que la renommée leur rendoit beaucoup plus formidable qu'il n'étoit en effet. Ces motifs faifoient fouhaiter k Vitigès la fin de la guerre. II envoya donc a T ij JUSTT- JJIEN. Aan. 537» XXXVI, Vitigès députe i Bélifaire. Proc. Goj, '.. ï. c. 6.  Justinten.Ann. j 3 7. 436 HlSTÖÏRE Bélifaire des députés, qui lui parierent en ces termes: » Romains, nous » étions vos amis & vos alliés , » quand vous êtes venus nous faire » la guerre. Nous ignorons encore la » caufe qui vous a mis les armes k » la main. Ce ne font pas les Goths » qui ont enlevé aux Romains le » domaine de 1'Italie ; ce fut Odoa» ere qui détruifit la puiffance Ro» maine en Occident, &c qui s'éta» blit fur fes ruines. Zénon, trop foi»> ble pour fe venger du Tyran, eut » recours k notre Roi Théodoric ; & » pour réeompenfer fon zele, il lui » céda k lui & a fes fucceffeurs tous » les droitsque les Empereursavoient »> fur 1'Italie. Nous n'en avons pas » abufé. Loin de traiter les naturels » du pays comme des vaincus, nous » leur avons laiffé leurs loix, leur Re» ligion , leurs magiftratures. Quoi« que nous ayons fur la divinité » des opinions différentes, jamais ni » Théodoric ni fes fucceffeurs n'ont ►> porté atteinte k la liberté des con- * fciences. Nous protégeons lesMi►> niflres de leurs autels, nous ref- * peftops leurs Eglifes. Ils poffedent  du Bas-Empire. Liv. XLIV. 437 *> toutes les charges civiles; nous » leur avons permis de demander » tous les ans aux Empereurs la di» gnité confulaire. Si c'eft 1'intérêt » des Italiens qui vous amene , ils » font plus heureux fous notre gou» vernement qu'ils n'ont été fous » leurs Empereurs : fi c'eft le votre, » nous ne vous devons rien; mais » pour éviter toute conteftation, nous ».voulons bien vous céder la Sicile, » fans laquelle vous ne pourriez con» ferver 1'Afrique ". Bélifaire répondit en peu de mots: Que Zénon avoit envoyé Théodoric en Italië pour le fervice de F Empire , (S* non pas pour s'en approprier la conquête: quauroit-il gagnéd la retirer des mains d'un Tyran, pour tabandonner d un autre ? Que Théodoric après avoir dépouillé Odoacre, s'étoit rendu aujji coupable que ce barbare, puifque c'étoit une ufurpation également criminelle de ne pas reftituer un bien au maitre légitime, & de l'envahir. Vous nous offre^ la Sicile, qui nous appartient de tout temps, ajouta-t-il; pour nt pas vous céder en générojïté, nous vous faifons préfent des ifles Britanniques , qui font beaucoup T iij JUSTINIEKa Ann. 537. XXXVTI, Réponfe de Bélifaire.  JüSTI KIEN. Aan. 537. XXXVIII Les trou|>es & le tonvoi arrivent a Rome. Proc. Got. 1.2. c. 7. 438 HlSTOIRS plus êtendues que la Sicile. Cette raillerie fit entendre aux députés, qu'ils s'obftineroient en vain a vouloir conferver 1'Italie. Ils propoferent d'ajouter a la Sicile, Naples & la Campanie , 8c de payer un tribut pour le refte de 1'Italie. Ils ne furent pas écoutés. Enfin, ils demanderent la permiflion d'envoyer a 1'Empereur, & une fufpenfion d'armes pour le temps que dureroit la négociation. Bélifaire y confentit, & leur protefta qu'ils ne trouveroient en lui aucun obftacle a la paix. Les députés retournerent rendre compte a Vitigès. La treve n'étoit pas encore arrêtée, lorfque la flotte parut a 1'embouchure du Tibre, en même-temps que Jean arrivoit k Oftie. Quoiqu'on ne trouvat aucune oppofition de la part des Goths, cependant, pour fe garantir des attaques noclurnes, les Ifaures borderent le port d'un foffé profond , & Jean fe retrancha derrière fes charriots. Bélifaire vint les vifiter pendant cette nuit avec une efcorte de cent cavaliers. II les inftruifit de la vicloire qu'il venoit de remporter , 8c de la négociation entamée  du Bas-Empire. Liv. XLIF. 439 avec les Goths. II les exhorta k ne pas différer de conduire k Rome leur convoi, 6c promit de veiller k la füreté du trajet. Lorfqu'il fut retournéa Rome, Antonine, revenueavec la flotte , tint confeil fur les mefures qu'il falloit prendre pour le tranfport des vivres. L'entreprife étoit difEcile. On ne pouvoit fans péril prendre la route de terre , ni s'engager dans un chemin étroit avec une longue file de charriots. II n'étoit guere plus aifé de remonter le Tibre, les ennemis étoient maitres de la branche droite du fleuve, 6c, comme je 1'ai déja dit, la branche gauche n'avoit point de tirage. De plus, les bceufs dont le fervice auroit été néceffaire, foit par terre, foit par eau, étoient excédés de fatigue, 6c incapables d'un nouveau travail. Le feul parti qui parut praticable, fut de remonter le fleuve k voiles 6c k rames. On choifit les chaloupes les plus légeres, 6c on les borda d'une cloture de plarrches, pour mettre 1'intérieur k couvert des traits. Quand on les eul chargées k proportion de leur grandeur , 6c qu'on y eut fait embarquei T iv JUSTIMEN. Ann. 537.  JUSTIKIES. Arm. 537. XXXIX. Trêve avantageufe aux Romains. Proc, Got. I. 1. c 7. Mare. ehr. 44° HlSTOIRE les tireurs d'arc & les matelots, on attendit le vent, & dès qu'il fut favorable, on mit a la voile. Les Ifaures demeurerent au port pour garder Ia flotte, & le refte de 1'armée cötoyoit les chaloupes par le chemin d'Oftie. Ils avancoient a la faveur du vent dans les endroits oh le fleuve couloit en ligne droite ; mais dans les détours, les voiles n'étant plus d'aucun ufage, il falloit a force de rames vaincre la rapidité de I'eau. Les Goths en garnifon dans Porto , ou campés le long du fleuve, n'ofoient troublercette navigation, pour ne pas apporter d'obftacle a la conclufion de la treve, qu'ils defiroient ardemment. Lorfque les troupes & le convoi furent entrés dans Rome, la flotte fe hata de retourner a Conftantinople , paree qu'on approchoit du folftice d'hyver ; & Paul demeura dans le port d'Oftie avec une troupe d'Ifaures. On convint enfin d'une fufpenfion d'hoftilités pendant trois mois , pour donner aux députés de Vitigès le temps de rapporter une réponfe de 1'Empereur. On fit 1'échange des öta-  nu Bas-Empire. Lïv. XLIF. 441 ges: c'étoit Zénon du cöté des Romains ; & de la part des Goths, Vlias, Officier de diftincfion. Bélifaire donna une efcorte aux envoyés pour les conduire a Conftantinople. L'imprudence de Vitigès rendit cette treve auffi préjudiciable a. fa nation, que 1'eüt été la continuation de la guerre; & fa mauvaife foi en caufa bientöt la rupture. II commenca par rappeller au camp la garnifon de Porto qui manquoit de vivres : k peine fute-lle fortie, que Paul, qui étoit k Oftie avec fes Ifaures, fe logea dans cette place importante. Les Romains, maitres de la mer, ne laiffoient point entrer de vivres dans les ports occupés par les Goths. Ceux-ci furent obligés par cette raifon d'abandonner encore Centumcelles. uijourd'hui Civita-Vtcchia , ville de Tofcane , grande & peuplée , a quarante milles de Rome, & les Romains s'en emparerent. II en fut de même de la ville d'Albe; en forte que les Barbares enveloppés de toutes parts ne cherchoient qu'une occafion de furprendre les Romains &c de rompre la treve. Vitigès fe plaignit a Bélifaire de 1'invafion de T y JUSTlNIEN. Ann. 537.  JUSTINIEN, Ann, j j7, ( 3 1 1 1 i I i € J I j 3 I t i 44- B/STOlKE ces places, declarant qu'il fe feroit niftiee par les armes, fi on tardoit de les rendre. Bélifaire ne tint compte de ces menaces, & répondit qu'il ne concevoit rien aux caprices de Vitigès, qui prétendoit ne pas perdre ce qu'il ne vouloit pas garder. De ce moment les deux partis entrerent en défjance mutuelle. Le Général Romain , qui ne craignoit plus de manquer de troupes, diftribua dans les :ontrées voifines différents corps de :avalerie. II envoya dans le Picmum r ■ean, neven de Vitalien , avec deux niHe chevaux. II ne refloit dans ce >ays que des femmes & des enfanfs % ous les hommes avoient fuivi 1'arnée de Vitigès. Jean avoit ordre de 'abftenir de toute hoftilité, tant que es Goths obferveroi :it la treve : nais dès qu'elle feroit rompue , il levoit ravager la Province, enlever es enfants & les femmes, piller les >iens des Goths, fans toucher k rien e ce qui appartenoit aux Romains : il rencontroit des places fortes, qu'il e put emporter d'emblée, il lui étoit ecommandé de revenir fur fes pas vee fon butinfans s'engager plus  du Bas-Empire. Liv. XLIK 443 avant, pour ne pas laiffer d'ennemis derrière lui. Dans ces heureufes conjonctures, Bélifaire fe vit fur le point de perdre la vie par un attentat imprévu. Préfidius, Romain cTunenaiffance diftinguée, établi a Ravenne, s'étant rendu fufpeci aux Goths dans le temps que Vitigès fe difpofoit a marcher vers Rome, avoit pris la fuite, & s'étoit retiré a Spolete, ou commandoit alors Conftantin. De toutes fes richeffes, il n'avoit fauvé que deux poignards enrichis d'or & de pierreries. Conftantin aufli avide de richeffes qu'il étoit brave , les lui fit enlever, & refufa de les rendre. Préfidius vint a Rome pour s'en plaindre a Bélifaire ; mais le trouvant accablé de foins plus importants, il garda le filence jufqu'a la treve, qui donnoii au Général le temps de refpirer. Alors il demanda juftice; & Bélifaire, foit par lui-même , foit par d'autres. {>reffa plufieurs fois Conftantin de fe aver d'un reproche fi honteux. Conftantin tournoit en raillerie toutes les inftances qu'on lui faifoit a ce fujet, Enfinj Préhdius voyant paffer BéliT vi JUSTINIEN. Ann. 537. XL. Attentat & mort de Conftantin,Proc. Got. I. 2. c. S. Idem. a" necd. c, l.  JuSTINIEN. Ann. 537. 444 Histoire faire dans une place de Rome, couï rut k lui, & faififTant la bride de fon cheval, il lui demanda k haute voix, fi les loix de 1'Empereur autorifoient fes Officiers k dépouiller fes fujets, Malgré les menaces & les efforts des gardes, il ne quitta prife qu'après que Bélifaire lui eut donné parole de lui faire rendre fes deux poignards. Bélifaire eftimoit Conftantin; c'étoitun de fes meilleurs Officiers, qui venoit de rendre des fervices importants pendant le fiege de Rome. II ne vouloit pas le pouffer k bout, 8c cherchoit des moyens d'appaifer Préfidius en le dédommageant avec avantage. Mais Antonine avoit juré la perte de Conftantin; elle ne pouvoit oublie? qu'un jour Bélifaire étant outré de colere contre unde fes amants, dont il avoit découvert 1'intrigue, Conftantin lui avoit dit : Pour moi ie pardonnerois plutót d un galant qui m'outrage , qua une femme qui me défhonore. Connoiffant donc 1'humeur opiniatre & hautaine de eet Officier, elle faifit 1'occafion de le perdre , Sc fit entendre a fen mari qu'il y alloit de fon honneur beaucoup plus  nu Bas-Empire. Liv. XLIF. 445 que de 1'intérêt de Préfidius. Le lendemain Bélifaire , trop facile k recevoir toutes les impreffions de fa fem' me, manda Conftantin en préfence d'un grand nombre d'Officiers, & Pexhorta d'abord avec douceur k reftituer ce qu'il avoit pris. Comme celui - ci répondoit arrogamment , qu'il jetteroit plutöt les deux poignards dans le Tibre : Vous ignore?K donc , lui dit Bélifaire irrité , que fai droit de vous commander , &c en même temps il ordonna de faire entrer fes gardes. Conftantin, frappé de eet ordre comme de fon arrêtde mort, devint furieux ; &. tirant fon poi« gnard, il courut fur Bélifaire , qui, pour éviter le coup, n'eut que le temps de fe fauver derrière Beffas. Conftantin, hors delui-même, alloit les percer tous deux, lorfque Valérien & Ildiger, arrivés depuis peu d'Afrique, fe jetterent fur ce forcené, & s'en rendirent maitres. Les gardes lui arracherent le poignard, le trainerent dans une chambrevoifine, & l'y maffaererent par ordre du Général, confeillé par Antonine : Conftantin méritoit la mort; mais un Justint, en. Ann. 537.  JUSTIN1EN. Ann. 537. XLI. Vaines tentativés des Goths pour entrer dans Rome. Proc. Got. L 2. c. 9. 44<5 HlSTOIRE aflaffinat ne fut jamais un ch$timent iégitime. Vitigès , fans égard a la trêve, effaya de faire entrer des foldats dans Rome par un des aqueducs, qu'il avoit rompus au commencement du fiege. Ils pénétrerent affez avant; mais une épaiffe muraille, dont ils le trouverent bouché, les obligea de retourner fur leurs pas; & leur entreprife ayant été découverte, Bélifaire fit doubler la garde des aqueducs. Les Goths tenterent enfuite 1'efcalade. Ils choifirent le temps oii les Romains prenoient leur repas, & marcherent vers la porte Pinciane avec des échelles & des torches allumées ; ils efpéroient brufquer un affaut, & mettre le feu a la ville. Mais Ildiger qui étoit de garde en eet endroit, les voyant approcher en défordre , courut au-devant d'eux & les repouffa. L'allarme s'étant répandue dans la ville, la muraille fut en un moment couverte de foldats , & les Goths regagnerent leur camp. Vitigès eut recours a la rufe. La muraille le long du Tibre étoit haffe & fans défenfe ; les anciens Romains  du Bas-Empire. Liv. XLIF. 447 s'étoient perfuadés que le fleuve fuffifoit pour mettre cette partie hors d'infulte, & Bélifaire n'y tenoit qu'une garde affez foible. Le Roi des Goths gagna par argent deux habitants , logés dans ce quartier prés de 1'Eglife de Saint-Pierre. Ils devoient a 1'entrée de la nuit fuivante porter aux foldats en faclion une outre de vin, les inviter k boire, Si lorfque la nuit feroit avancée, jetter dans leur boiffon un fomnifere que Vitigès leur avoit mis entre les mains. Les Goths tenoient des bateaux tous prêts pour faire paffer un corps de troupes qui monteroient k Pefcalade dès que la garde feroit endormie. Le refte de 1'armée fe préparoit a donner en même-temps un affaut général. Tout étoit convenu, lorfqu'un des deux habitants vint de lui-même découvrir le complot, Si dénoncer fon camarade. Celui-ci fut arrêté fur le champ; Si après qu'on lui eut coupé le nez Si les oreilles, on Penvoya monté fur un ane au camp des ennemis. Les Barbares rebutés de tant de vaines tentatives , perdirent 1'efpérance de s'emparer de Rome, JUSTINIEN. Ann. 557,  Justinten.Ann. S37. XLII. Jean ravage le 1'icenura. Proc. Got. I. 2. C. io. Mare. chr. Hifi. rni/c, l, i6. 448 H T S T 0 1 R S La tfêve étant roinpue, Jean, neveu de Vitalien, recut ordre d'entrer en aciion dans le Picenum. C'étoit un guerrier plein de feu, intrépide, infatigable, qui vivoit en fimple foldat. A la tête de fes cavaliers , il mit a feu & a fang toute la contrée. Ce fut fans doute les cruautés auxquelles il s'abandonna en cette occafion , qui lui attirerent le furnom de Sanguinaire, qui lui eft donné par quelques Auteurs. Vlithée, oncle de Vitigès, étant venu a fa rencontre avec une armée, fut défait & tué dans le combat; & les Goths n'ofoient plus paroïtre en campagne. Jean prit Aterne & Ortone. Auxime & Urbin n'avoient qu'une foible garnifon; mais comme ces deux places étoient affez fortes par elles-mêmes pour 1'arrêter long-temps, il pafla outre, & vint fe préfenter devant Rimini, a une journée de Ravenne. La garnifon qui fe défioit des habitants, abandonna la ville dont il s'empara. En laiffant derrière lui Auxime & Urbin, il contrevenoit aux ordres de fon Général ; mais plus capable de commander que cl'obéir, il ne prenoit  du Bjs-Empire. Lh. XLir. 449 confeil que de lui-même. Cette préfomption le porta fouvent a contredire Bélifaire, contre lequel il avoit, ce femble, une fecrete jaloufie : ce qui nuifit fouvent au bien des affaires. En cette occafion, il fe perfuada que le vrai moyen d'obliger les Goths a lever le fiege de Rome , étoit de menacer d'afïiéger Ravenne, &c il n'y fut pas trompé. Dés que les Romains furent dans Rimini, Matafonte, qui ne pouvoit fouffrir Vitigès, qu'elle avoit époufé malgré elle , envoya fecretement propofer a Jean de la prendre pour femme, promettant de lui livrer Ravenne. Lorfque les Goths apprirent Ia prife de Rimini , & le danger de Ravenne, ils fouffroient beaucoup de la difette; & la trêve qu'ils avoien fi mal obfervée , alloit expirer, fan; qu'ils euffent encore requ aucune nou veile de leurs députés. On approchoi de 1'équinoxe du printemps: un plu long féjour ne leur promettoit qu'ui furcroit de fatigues, fans aucune ap parence de fuccès. Ils prirent dom le parti de fe retirer; & après avoi mis le feu a leurs camps, ils fe mi Justinten.Ann. 537- XLIII; Levée du fiege de Rome. t l  J.USTINIEN. Ann. JJ7-, 45° H I S T O 1 R E rent en marche de grand matin après un an & neuf jours de fiege. Les Romains les voyant partir ne iavoient ce qu'ils devoient faire : la plupart de leurs cavaliers étoient difperfés en différents poftes; il ne leur reftoit pas affez de forces pour attaquer une armée encore très-nombreufe. Toutefois Bélifaire leur ordonna de prendre les armes; & comme les ennemis tournoient du cöté de la Tofcane , lorfqu'il vit que plus de la moitié de leurs troupes avoit paffe le pont Milvius, il fit fortir fes foldats par la porte Pinciane, & chargea avec vigueur ceux qui étoient encore en-deca du pont. Cette derniere aftion ne fut pas moins vive qu'aucune des précédentes. Les Goths foutinrent le premier choc avec courage, & tuerent aux Romains autant de foldats qu'ils en perdirent ïux-mêmes. Enfin, forcés de prendre la fuite, fe preffant & s'écrafant :es uns les autres pour paffer le pont es premiers, ils tomboient en grand lombre, percés des traits de leurs :amarades ou de ceux de leurs enlemis. La foule en précipitoit beau-  du Bas-Empire. Liv. 'XLir. 451 coup dans le Tibre, oii ils étoient engloutis. Dans ce combat, Longin & Mundilas , gardes de Bélifaire, fignalerent leur valeur. Mundilas tua de fa main quatre Officiers Barbares, qui vinrent 1'attaquer féparément. Longin contribua le plus a. la vicloire ; mais il perdit la vie au grand regret de toute 1'armée. Ce fut ainfi que fe termina ce fameus fiege. II avoit commencé au mois dt Mars 537, & ne fut levé que ver! la fin du même mois de 1'année fui' vante. La gloire d'une fi longue réfiflance avec fi peu de forces, n'ef düe qu'au courage & k la capacitt du Général. Ce n'étoit pas Rome c'étoit Bélifaire que Vitigès affiégeoit La ville étoit facile k prendre; ell n'avoit pu tenir contre des armée beaucoup plus foibles; mais Béli faire étoit invincible. Je n'ai pas vou Lu interrompre rhifloire de ce fiege par le récit de ce qui fe paffa dar le même temps, foit k Conflantinc ple, foit k Rome même, ou le Pap Silvere éprouva les traitements le plus indignes. Pour éclaircir ces évi nements, il faut reprendre de pk JUSTINIEN. Ann. 537; » I » S e s is  ' JUSTIKIEN. Ann. 537. XLIV. Conduite de Juftiliien dans les affaires de 1'Eglife. Anafl. Ag'P- Proc. anccd.c. 18, a6, & ibi Alam. Pagi ad Bar. Nov. 83, »*3.133. Giannone, hifi. Neap. I. 3. c. 6. 1 1 < 1 f J ï J 45a HlSTOIRË haut la conduite que Juftinien & Théodora tenoient alors au fujet de la Religion. Juftinien , élevé par d'habiles maitres, fous les yeux d'un oncle qui étoit fort ignorant, n'avoit pas befoin d'un grand fond de fcience pour fe croire très-favant. II décidoit en dodteur des matieres de religion. Aftis dans un cercle d'Evêques, il aimoit k difputer fur les queftions les plus épineufes. II écrivit fur 1'Incarnation, 6c compofa d'autres ouvrages théologiques. II adreflbit des avertilfements, des inftrucfions aux Hérétiques , dont il attribuoit la converfion a la force de fes raifonnements, & quelquefois k 1'efticacité de fes prieres. II prétendoit même donner des econs aux Evêques Catholiques, & :eux-ci, foit par fimplicité, foit par latterie , admiroient la profondeur ie fes connoilfances. Ils ne fe fenoient pas affez forts pour tenir conre un controverfifte, dont le derïier argument étoit 1'exil. Tous n'aroient pas la fermeté du Pape Aga>et, qui foutenant la docfrine Cathoique contre Juftinien, préyenu alors  nu Bas-Empire. Liv. XLIV. 453 en faveur d'Antime , feciateur d'Eutychès, ne s'effraya pas de ces paroles tranchantes : Soyt\ de mon avis, ou je vous enverrai aux extrêmites de 1'Empire. Ce Prince n'auroit mérité que des éloges, fi, laiflant la décifion du dogme a 1'autorité eccléfiaflique, il fe füt renfermé dans ce qui regarde la difcipline. II fe portoit avec raifon pour protecfeur des faints Canons. Les conflitutions qu'il publia fur ces matieres, peuvent fe divifer en deux clafles, felon qu'elles concernent les perfonnes 011 les chofes. Pour les perfonnes, 1'Empereur faifoit profeflion de fuivre les Canons; pour les chofes, il prétendoit être en droit de faire des réglements. En conféquence, il prefcrivit 1'ordre des jugements, & la forme de Fadminiftration du temporel des Eglifes. II publia des loix fur la fimonie , fur les élecfions. Ce fut lui qui établit que, pour donner un Evêque a une Eglife vacante, le Clergé & le peuple choifiroient trois fujets, & qu'ils enverroient le décret d'éledfion au Métropolitain qui en nommeroit un des trois. II fit aufli des loix fur les mariages; mais cette JUSTINIEW. Ann. |j7j  JUSTIUIEN. Ann. 537. i i i ] l i 1 < t i < I ( 1 i i 4$\. H I S T O I R E partie du droit avoit jufqu'alors, fans contredit, appartenu aux Princes. II réforma les abus que le relachement avoit déja introduits dans le Clergé, & publia de fages réglements pour les monafteres. Ses conflitutions canoniques furent unanimement recues 8c fuivies après fa mort. L'Eglife lui fut gré d'avoir réglé les procédures eccléfiaftiques, 8c d'avoir fpécifié ce gue les Canons n'ordonnoient qu'en général. Soit en réuniflant plufieurs Provinces en une, comme il réunit 'Honoriade a la Paphlagonie , 8c les leux Provinces du Pont enfemble; bit en les partageant comme il divifa 'Arménie en quatre départements, il ie changea rien dans la diftribution les Diocefes , laiflant aux Métropoitains leur ancien diftrict. Ce Prince :ft le premier qui ait donné aux Evê[ues un tribunal pour juger des caues eccléfiaftiques, tant civiles que riminelles. Depuis Conftantin , le •ouvoir de 1'Eglife fe bornoit k déciier des points de foi, a corriger les nceurs par des cenfures, k terminer es différerids par voie d'arbitrage. -es Eccléfiaftiques étoient foumis aux  du Bjs-Empirs. Lh. XLIK 455 Magiftrats féculiers qui prenoient connoiffance de leurs affaires , les jugeoient &c les puniffoient, felon 1'exigence des cas. Le Clergé de Rome, a caufe de 1'éminence de fon Eglife, avoit feul le privilege d'être cité devant le Pape, fans être obligé de comparoitre devant les tribunaux féculiers. Cependant le Pape même n'avoit aucune jurifdielion; ce n'étoit pas par forme de juftice qu'il prononcoit, mais par arbitrage & par voie d'amiable compofition. Juftinien ordonna que dans les aclions civiles, les Clercs & les Moines feroient premiérement cités devant leur Evêque , qui décideroit leurs différends fans procédure &c fans appareil. Si dans leterme de dix jours, 1'une des parties déclaroit qu'elle ne vouloit pas s'en tenir au jugement du Prélat, la caufe étoit portée devant le Magiftrat; & fi fa fentence s'accordoit avec la décifion de 1'Evêque, on ne pouvoit en appeller; s'il jugeoit différemment, il y avoit lieu a 1'appel. En matiere de crime, on pouvoit s'adreffer , foit a 1'Evêque, foit au Juge féculier; mais a 1'Evêque feulement JUSTÏN1EN. Ann. 537.  JüSTINIEN. Ann. 537. XLV. Sédirion c'ans Alexandrieau fujet de la Religion. Llberat. brev. c. 10. Evag. I. 4. t. 9 , II. Lt ntius de 45Ö H I S T 0 I R E s'il étoit queftion d'un délit eccléfiaftique, comme d'héréfie, de iimonie, ou d'autre crime concernant la religion ou la police de 1'Eglife. La fentence prononcée contre un clerc par un juge lak, ne pouvoit être exécutée fans la permiflion de 1'Evêque; s'il la refufbit, on avoit recours a 1'Empereur. Par un privilege fpécial, les Evêques furent difpenfés de plaider, pour quelque fujet que ce fut, pardevant les tribunaux féculiers, & ce même privilege fut accordé aux Religieufes. C'eft ainfi que par la faveur de ce Prince, les Evêques étendirent leurs droits de jurifdiction; cependant ce n'étoit point encore une jurifdiction proprement dite, paree qu'ils n'avoient ni territoire, ni force coaftive. Les intentions de Juftinien étoient droites, & fes erreurs fur les points dogmatiques, ne vinrent jamais que de fa légéreté & de fa vanité naturelles. Mais fa femme Théodora prenoit toujours avec chaleur le mauvais parti. Elle foutenoit opiniatrément celui d'Eutycbès , & Sévere étoit fon Théologien, Ce faux Patriarche  hu Sas-Empire. Liv, XLIF. 45? triarche d'Antioche, chaffé de fon fiege, fous le regne de Juftin, s'étoit retiré dans Alexandrie avec Julien d'Halicarnaffe. Deux efprits fi turbulents s'étoient bientöt divifés, & avoient formé deux fectes oppofées, quoiqu'également attachées k la doctrine d'Eutychès. Après la mort de Timothée, Patriarche d'Alexandrie , Théodofe , fecfateur de Sévere, élu par le Clergé, fut protégé des Magiftrats & des courtifans qui dépendoient de Théodora. Les Moines &c le peuple , déclarés pour les fentiments de Julien, chafferent Théodofe , & intröniferent Gaïen, qui fe foutint pendant environ trois mois. Au bout de ce temps arriva le Chambellan Narfès , envoyé par 1'Impéïatrice pour rétablir Théodofe. Le peuple prit les armes en faveur de Gaïen; il y eut au milieu d'Alexandrie, de fanglants combats, oü les femmes fignalerent leur zele fanatique, en accablant les foldats de pierres & de tuiles qu'elles lan^oient du haut des toïts. Narfès, pour réduire cette multitude forcenée, mit le feu a la ville, & forca Gaïen a prendre Tornt IX. V JUSTI- N l EN. Ann. 537. fsttis, art. 5- Vii%. Tan. Theoph. p. 188. Pleury , hifi. Alex. I. 32. art. 31- Le Quiett, Oriens Chrifl. t. II. p. 43 c»,' O feqq. Proc. ancci.c, Zf.  JUSTI- NIEN. Ann. 537. 4.58 HlSTQIRE la fuite. Théodofe, teint du fang de fon peuple, prit poffeffion du fiege épifcopal, & Poccupa pendant feize mois parmi des féditions continuelles. Enfin, Julien, pour calmer ces troubles , le rappella , & lui affigna pour exil le fauxbourg de Syques, ou il ne ceffa de dogmatifer jufqu'au regne de Juftin fecond. Lespartifans de Gaïen mort en Sardaigne, fuivirent Théodofe a Conftantinople ; ils clevoient autel contre autel; & la divifion des deux partis fubfifta tant que vécut Juftinien : mais la préfence du Prince empêcha les voies de fait, & leur animofité s'exal-a en difputes & en libelïes. L'Empereur fit nommer Evêque d'Alexandrie, le Moine Paul, dont la doctrine étoit orthodoxe. Paul ne tint pas longtemps le fiege. Comme il avoit recu du Prince faurorité de deftituer les Magiftrats & les Officiers, qui fomentoient la difcorde en favorifant 1'héréfie, il entreprit d'oter le commandement des troupes a Elie, revêtu de cette charge. Un Diacre, nommé Pfoës , ami dElie, voulut «n ayertir le Commandant par une  nu Bas'-Empire. Liv. XLIK 45-9 lettre qui fut interceptée. L'Evêque 1 ïrrité accufa Pfoës de divertir les revenus de 1'Eglife dont il étoit économe , & en écrivit k 1'Empereur. En attendant la réponfe du Prince, il mit 1'accufé entre les mains de Rhodon, Préfet d'Egypte, qui le fit mourir dans la prifon. Rhodon avoit été pouffé a cette violence par un des premiers de la ville , nommé Arfene: il avoit ordre d'exécuter tout ce que 1'Evêque lui commanderoit, & Arfene , ennemi de Pfoës, avoit fuppofé des ordres de 1'Evêque. Sur les plaintes des parents de Pfoës, 1'Empereur, juftement courroucé, fit amener k Conftantinople Rhodon & Arfene s qui furent condamnés a mort. Paul lui-même, quoiqu'il proteftat de fon innocence , fut exilé a Gaza, ou Juftinien le fit dépofer par trois Evêques. 11 eut pour fucceffeur Zoile, qui fut lui-même dépofé, paree qu'il refufoit de foufcrire k la condamnation de trois Chapitres, dont nous parierons dans la fuite. Après la mort de Rhodon , le gouvernement de 1'Egypte fut donné au Sénateur Libere, e-mployé deux ans auparavant dans V ij JUSTINIEN. Urn. 537.  JUSTINIEN. Ann. 537. 1 ( < 1 i < XL VI. Députés \ \6o H 1 s t r> 1 r s les négociations de Théodat, & qui avoit renoncé au fervice de ce Prince perfide pour s'attacher a Juftinien. Maisa peine fut-il dans Alexandrie, que 1'Empereur, par un effet de fon inconftance naturelle , lui fubftitua un Egyptien, nommé Jean Laxarion. Les amis de Libere s'en plaignirent a 1'Empereur, qui répondit qu'il ignoroit cette entreprife de Laxarion, & que Libere devoit refter en place. Laxarion, de fon cöté, fit porter des plaintes de ce que Libere refufoit de ui céder le gouvernement; & par a même foibleffe, Juftinien affura qu'il n'avoit rien changé k la deftilation de Laxarion. Ces réponfes :ontradictoires allumerent une guerre :ivile dans Alexandrie. Les partifans les deux contendants prirent les arnes; Laxarion fut tué; & fur les daintes de fes amis, Libere fut manié k Conftantinople, & jugé par le >énat,qui, voyant évidemment par es pieces du procés , que 1'Empereur eul étoit la caufe de tout le mal, léclara Libere innocent. Malgré 1'afcendant de Théodora ur 1'elprit de fon mari, elle ne put  du Bas-Empire. Liv. XLir. 461 rompre les Hens qui attachoient 1'Empereur k la chaire de St. Pierre. II confultoit les fouverains Pontifes, il déféroit k leurs confeils. Après 1'éleftion de chaque nouveau Pape, il lui envoyoit fa profeffion de foi, Sc recevoit avec refpeft la bénédiftion apoftolique. L'ambition d'un diacre , nommé Vigile, troubloit alors la paix de 1'Eglife Romaine, Sc en renverfoit la difcipline. Boniface II, qui avoit fuccédé a Félix III, féduit par les infinuations de ce Diacre , entreprit, contre toutes les regies, de le défigner pour fon fucceffeur. II obligea fon Clergé 8c fes Suffragants k faire ferment, qu'après fa mort ils éliroient Vigile. La Cour de Ravenne, le Sénat 8c le peuple de Rome, fe récrierent contre une innovation fi contraire k la liberté canonique. Le Pape luimême rougit de fa foibleffe; il reconnut fa faute dans un Concile, &c brüla Fafte de cette éleftion anticipée. Après fa mort, Vigile fit jouer inutilement tous les refforts de 1'intrigue : on lui préféra Jean Mercure, Prêtre de 1'Eglife de Rome ; & ce Diacre, corrompu Sc corrupteur , eut V iij JüsTlNI EN. Ann. 5 37, de Juftinien au Pape. Liberat. brev. c. £o. Anafl, Joann. II. Bonif. 11. \Earoniu$. PUury , hifi. ccclef. I- 32. art. 2i, aj, 32» 35-  JUSTIK1EN. Ann. j37. i6a Jl/SToijtE la honte d'avoir attiré fur le Cl erge la cenfure féculiere, & même celle d'un Prince hérétique. Le Sénat rendit un arrêt févere contre la brigue 8c la fimonie; 8c Athalaric, qui vivoit encore, confirma par un édit ce que le Sénat avoit ordonné. Ce fut au Pape Jean II , que Juflinien envoya Hypace, Evêque d'Ephefe, 5c Démétrius de Philippes , pour le confulter fur une quefiion fufcitée par quelques Moines du Monaftere des Acémetes, 8c qui caufoit un fchifcne dans Conftantinople. Ces deux Evêques apportoient en même-temps des préfents pour 1'Eglife deSt. Pierre. Le Pape condamna les Moines; 8c comme ils perfiftoient dans leur obftination, il les retrancha de fa comtnunion; ce qu'avoit déja fait Epiphane , Patriarche de C. P. II répondit | 1'Empereur par une lettre datée du 15 Mars 534, dans laquelle il Ie félicite de la pureté de fa foi, 8c 1'exhorte a la clémence envers les hérétiques qui reviendront de leurs erreurs. Quelque temps auparavant, 1'Empereur, pour étouffer les divifions, avoit engagé ftx Evêques Ca-  du Bas-Empire. Liv. XLIV. 463 tholiques a conférer avec fix autres du parti de Sévere. Ces derniers furentconfondus;mais il ne s'en trouva qu'un feul qui eut la fincérité &C le courage de reconnoitre hautement fon erreur , & de fe réunir a 1'Eglife. Stratege, fils de PEgyptien Apion, oélebre du temps d'Anaftafe , afïïftoit a cette conférence de la part de 1'Empereur. Epiphane étant mort en 535, après quinze ans depifcopat, Anthime , Evêque de Trébifonde , fut transféré fur le fiege de la ville impériale , par la faveur de Théodora. C'étoit un hérétique déguifé. Son élévation infpira tant d'affurance aux fectateurs d'Eutychès, que Sévere & Pierre d'Apamée, les deux chefs du parti, fe rendirent auffi-töt a Conftantinople avec un Moine de Syrië. nommé Zoara, propre a fecondei leur audace. Ils commencerent k tenir des affemblées, & a débiter leur; erreurs. Niersès, Patriarche d'Armé nie , d'intelligence avec ces hérétiques, féduifit une grande partie d< fa Province, qui conferve encore d< nos jours la doólrine d'Eutychès. G V iv JüSTlNIEN. Ann. 557. \ xlvii. Le Vape Agapet a Conftantinople.Evag. I. 4. c. 9, II. Aaafi. hifi. p. 62. Idem in 4gaP. Mare. chr. Leberat. brev. c. 20, 21 ,22. Theoph. p. , 1S3 , 184. Hifi- mifi. 1 l. 16. Novel. . Jufi. 42. Cedr. p. ' 371. s Zonar. f. j II.p. 67.  JUSTINIEN.Ann. 537. Mahla^f. 77- Pagi ad Bar. FUury, Kfl. ecclef. 32. art. **> 53, 1 1 1 ] I I I e .WA S d f; ti n 4<*4 HlSTOIHB fut dans ces conjonöures que Ie Pape Agapet, 'qui venoit de fuccéder a Jean II, arriva Ie z Février 536 a Conftantinople, oü Théodat l'avoit envoyé pour engager Juftinien k un accommodement. Le Pape ne pouvant obtenir de 1'Empereur Ia paix qu'il demandoit pour Les Goths, vouhit Ia procurer k 1'Eglife. II refufa conftamment de communiquer avec Anthime, k moins qne celui-ci ne donnat par écrit une profeffion de [01 conforme aux dogmes Catholiques, & qu'il ne renoncat au fieje de Conftantinople pour retourier a Trébifonde ; cette tranflation lun Evêché a un autre, étant conraire aux Canons. Juftinien, excité >ar Théodora, employa vainement es promefTes & les menaces : le 'ape demeura inflexible, & fa ferïeté 1'emporta fur le crédit de 1'Imératrice, fur 1'oppofition des Evêues courtifans , & fur Juflinien mêie, qui confentit a la dépofition Antime , fi ce Prélat refufoit de ure preuve de fa foi. Anthime, foutfni dans fon opiniatreté par Sévei, refufa de comparoitre dans le  du Bas-Empi&e. Liv. XLir. 465 Concile affemblé par Agapet; il fut dépofé. Ön condamna en mêmetemps Sévere, Pierre &C Zoara. Mennas, eftimé pour la pureté de fes mceurs & de fa docirine, fut placé fur le fiege de Conftantinople , & recut des mains du Pape 1'onótion épifcopale. Agapet mourut au mois d'Avril, dans le temps qu'il fe préparoit k retourner en Italië; fes funérailles furent honorées du concours de tout le peuple Catholique, & quelques mois après, fon corps fut tranfporté k Rome. Lë nouveau Patriarche, pour confommer Pouvrage de ce faint Ponfife, affembla un nombreux Concile : Anthime y fut déclaré hérétique, infraéleur des Canons , & comme tel, privé de 1'Evêché de Trébifonde. Ses trois complices furent frappés'd'anathême. L'Empereur , entiérement défabufé, confirma ces deux jugements par une conflitution adreffée a Mennas, dan; laquelle il défend , fous des peinef très-rigoureufes-, de tranfcrire, & même de garder les écrits de Sévere il bannit Antime & les trois autre: du territoire de Co'nftantinonle 5 & . V v JUSTIN1EN. Ann. 5 }7,  ÏUSTI- NIEN, Ann. jj7. XLVUL Silvere , Pape , eft exilé. Proc. Got. I. I. c. 25. Idem, Anecd. c. 1. Liber. brev. c. 22. Mare. chr. WiS. Tan. Theoph. p. ; 184. Üi/l. thifc. ' l. 16. i A-.afi.Silv. , Pagi ad . Ba, Fleury , J hifi. ecclef. j jS. 1 Muratori A annal. hal. j p. 379. i y«?y. c /^/cr. 1 I 46t> H I s t e 1 r £ leur interdit 1'entrée des grandes vif* les, leur permettant feulement d'ha- biter dans des lieux déferts & écar- tés , de crainte qu'ils ne corrompenf les fimples par le poifon de leurs erreurs. Théodat étoit encore a Ravenne , lorfqu'on apprit en Italië Ia mort d'Agapet. Ce Prince craignant qu'on ne mit fur le Saint Siege un partifan de lufhnien , envoya ordre d'élire le fous-diacre Silvere, dont il fe croyoif ifure. Ün procédé fi contraire a la iifeipline canonique, révolta tous les Romains \ êc pen s'en fallut qu'on ï'en vint a une fédition. On députa m Roi des Evêques pour lui faire des •emonfrances; il ne répondit que par les menaces : il fallut öbéir. Une parie confidérable du Clergé refufa d'a>ord de reconnoitre le nouveau Pa»è; la crainte forca bientöt leur conentenient, & la fage conduite de Sih■eie effaca 1'irrégularké de fon éleciön. Cependant Vigile ne perdit pas e vue la dignlté fuprême a laquelle afpiroit depuis lortg-temps. II avoit ccompagné le Pape Agapet a Confmtmople, & s'étoit iniinui dans les  ou Bas-Empire. Liv. XLIf. 467 bonnes graces de Théodora, par fa complaifance a embraffer les fentiments qu'elle protégeoit. II traita fecretement avec cette Princeffe, qui lui promit le fouverain Pontificat, & fept cents livres d'or, a condition qu'il fe déclareroit contre le Concile de Chalcédoine; qu'il rétabliroit Anthime , & qu'il entreroit en communion avec Sévere & fes partifans. Vigile promit tout, pour fatisfaire fon ambition ; & par fon confeil, Théodora écrivit k Silvere, qu'elle le prioit de venir a la Cour;ou, s'il ne pouvoit faire ce voyage, de caffer les décrets des deux Conciles tenus par Agapet & par Mennas, & de remettre Anthime en poffeflion du fiege de Conftantinople. Vigile étoil perfuadé que Silvere ne feroit rien de ce que demandoit 1'Impératrice, &c il n'y fut pas trompé. A la lecfu re de ces lettres, Sylvere s'écria er lbupirant : Je vois bien que cette affair fera caufe de ma mort. II répondit ; Théodora , que rien ne pourroit ja mais le contraindre k rappeller ui hérétique juridiquement condamné & obftiné dans fon erreur. La Prin y vj JUSTINIEK. Ann. 537. Nardiiei Roma Antica, p. 379. I 1 1  JCST1MIS. Ann. 5 57. 46S fflSTOIRB ceffe, outrée de dépit, employa Pmftrument le plus pernicieux & le plus propre a feconder fes mauvais deffeins. Elle inffruifit Antonine de fes intentions. Vigile revint a Rome pendant le fiege; 6c pour s'affurer du fuccès, il intéreffa 1'avarice d'Antomne, en lui promettant deux cents livres d'or. Cette femme, exercée aux forfaits les plus odieux , vint a bout de perfuader a Bélifaire, que le Pape trahiffoit 1'Empereur, 6c qu'il entretenoit intelligence avec Vitigès. On fuborna des témoins; on fuppofa des lettres. Bélifaire foupgonnoit Vigile d'être 1'auteur de 1'intrigue ; mais preffé par fa femme , intimidé par les lettres de 1'lmpératrice, il eut la foiblelfe de fe prêter a cette violence. Le Pape eut ordre de fe rendre au palais de Pincius, oii Bélifaire avoit choifi fa demeure. Comme il prévoyoit I'orage pret a fondre fur fa tête, il fe réfugia dans 1'Eglife de Ste. Sabine. Mais Bélifaire lui ayant promis avec ferment qu'on n'attenteroit ni a fa vie ni a fa liberté, il vint au palais. Antonine, feignant d'être malade , s'étoit fait  Sas-Empire. Liv. XLIF. 469 mettre au lit, & Bélifaire étoit affis a fes pieds. En voyant entrer le Pape, èlle s'écria : Dites-moi, Pape Silvere, quel mal vous avons-nous fait, nous & les Romains , pour vouloir nous livrer aux Goths? Le Pape demandant une information juridique, & offrant de confondre la calomnie, Bélifaire changea de difcours ; & comme ce guerrier , quoiqu'affez religieux , n'avoit guere d'autre théologie que celle de la Cour, il exhorta le Pape a condamner le Concile de Chalcédoine pour appaifer 1'Impératrice. Voyant qu'il ne pouvoit rien gagner fur fon efprit, il le laiffa retourner dans fon afyle. Le lendemain, par une fubtilité indigne d'un fi grand homme , il le rappella une feconde fois; &c comme s'il eut été quitte de fon ferment , il fe faifit de fa perfonne, & le fit embarquer pour être conduii a Patare en Lycie , ou Théodora avoit fixé le lieu de fon exil. Enfuite , pour fe conformer aux intentions de 1'Impératrice, il gagn; les plus accrédités du Clergé, & fi nommer Vigile pour fuccefleur. Vigile ne fut pas plutöt éievé fur h JUSTI- NIEN. Ann. 5 3"". 1  JUSTI» MEX. Ann. J37- XLIX. Sa mort. 470 H r s t 0 1 r £ faint Siege, que pour commencer k exécuter ce qu'il avoit promis a Théodora, il envoya des lettres de communion a Anthime, a Sévere, k Théodofe d'Alexandrie , déclarant qu'il approuvoit leur doörine. Mais comme il n'étoit pas moins avare qu'Antonine, il fe difpenfa de lui payer les deux cents livres d'or, fous prétexte qu'il ne pouvoit tenir parole fans fe rendre coupable de fimonie. Juftinien, occupé de fes écrits théologiques & de la conftruaion de 1'Eghfe de Sainte-Sophie, ignoroit ce quife paffoit a Rome. Tandis qu'il difcutoit les matieres en docteur , Théodora les décidoit en fouveraine. L'Evêque de Parare vint inflruire 1'Empereur de 1'exil de Silvere , & lui fit des reproches du fcandaleux traitement exercé fur le Chef de 1'Eglife. Le Prince, k demi-réveillé par de fi juftes plaintes , ordonna que Silvere füt reconduit a Rome ; qu'on examinat de nouveau s'il étoit au:eur des lettres qu'on 1'accufoit d'avoir écrites a Vitigès : que s'il étoit soupable, on le fit Evêque de quek  no Bjs'Empire. Lw. XLIK 471 que autre Eglife ; mais que s'il ie? trouvoit innocent, on le rétablit dans fon fiege. Théodora fit d'inutiles efforts pour empêcher I'exécution de ces ordres. Silvere fut remené a Rome , & fon retour fit trembler Vigile fur la chaire de Saint Pierre. Mais eet ufurpateur fe tira de danger par un nouvel attentat. Appuyé du pouvoir qu'Antonine avoit fur fon mari, il obtint de Bélifaire , que Silvere füt mis en fa garde; & dés qu'il l'eut entre fes mains , il le fit conduire dans 1'ifle de Palmaria ou dans celle de Pontia fur les cótes de laCampanie, ou il le laiffa mourir de faim. Selon Procope , Silvere y fut affaffiné par Ettgene, qu'Antonine avoit envoyé k ce deffein, & Juftinien ne tira nulle vengeance d'un forfait fi atroce. Quelque temps après , Bélifaire, touché de repentir, fit batir a Rome une Eglife, comme pour réparer le crime de fa cruelle condefcendance. Vigile, après avoir acheté par tant d'horreurs la place la plus fainte de 1'Eglife , ceffa d'être méchant, dès qu'il n'eut plus d'intérêt de 1'être. Devenu Pape fans conteftation par la mort de SU- JUSTINIEN. ^nn. 537.  JUSTINI EN. Aun. J37. L. Defcription de I'Eghfede Ste. Sophie.Proc, tedif, 1.1. cl, 2. Agath. I, Codin. de flruH. temp. S. Sophix in hifioria Bj tel, il le fit abattre. Ce Prince infidele n'ofa même entrer ainfi dans cette Eglife, qu'après avoir fu que les Chrétiens mêmes n'en faifoient pas fcrupule. En effet, fous le regne des derniers Empereurs chrétiens d'Orient,. Ja vanité des Grecs étoit venue a un tel point, que lesperfonnes de quelques diftinöion entroient k cheval dans Sainte - Sophie , ou s'y faifoient porter en litiere. Pour éviter les incendies, Juftinien n'employa point de bois de charpente ; il fit recouvrir la voute avec de longues tables de marbre. Le baptiftere placé a 1'occident, étoit fi fpacieux, que 1'on y tint des Concües , & que Ie peuple s'y refugioit en foule dans les :emps de fédition. Ce temple magni-  nu Bas-Empire. Lh. XLIF. 477 fique en lui-même eft encofe relevé par les exagérations des Grecs, qui le preferent a Saint-Pierre de Rome; ce que les connoifleurs n'accordent pas. Les Turcs n'ont rien changé au corps de 1'Eglife; & s'ils en ont retranché quelque partie , ce ne peut être que les batiments extérieurs , comme le palais du Patriarche & les logements du Clergé &c des Officiers. Ils ont a la vérité effacé ou défiguré les images de peinture & de fculpture; les Mahométans n'en fouffrent point dans leurs mofquées; mais les traces de ce qui en refte ne font pöint regretter cette perte; ces arts avoient alors entiérement dégénéré. Le portail ne s'accorde nullement avec la majefté & la beauté de 1'intérieur; c'eft un ouvrage tout-a-fait conforme a la groffiéreté du fiecle de Juftinien , déja demi-barbare. II eft étonnant qu'on ait fi bien réuffi dans les autres parties. Les Turcs qui interdifent aux Chrétiens 1'entrée de leurs mofquées, font fur-tout attentifs a n'en pas laifler entrer dans SainteSophie ; ils font perfuadés que le döme s'écrouleroit auffi-töt qu'il y monteroit un incirconcis. JUSTINI EN. \un. 537»  JUSTINIEN. Ann. 5 37LI. Dédicace de SainteSophie. 4.78 HlSTO/RE L'ouvrage étant achevé au bout de lïx ans de travaux continuels , Juftinien en célébra la dédicace le 27 de Décembre. Tout le Clergé de Conftantinople fortit en proceffion de 1'Eglife de Sainte-Anaftafie. Le Patriarche Mennas étoit affis dans le char de 1'Empereur, qui fuivoit a pied k la tête de tout le peuple. Le Prince, ravide joie, chantoit k haute voix : Gloire d Dieu qui a daigné fe fervir de mon minifere pour achever cette fainte entreprife ; mais fa vanité, qui s'oublioit rarement dans les adtions les plus religieufes , lui faifoit ajouter ces paroles : Salomon , je iai vaincu. On dit même que pour mieux faire fentir 1'avantage qu'il donnoit k fon Eglife fi.tr le temple de Jérufalem , il fit repréfenter Salomon dans une contenance trifte & humiliée , regardant avec jaloufie le nouvel édifice. 11 ne montra pas moins de petiteffe, en fe faifant ériger a lui-même fur une colonne une ftatue coloffale d'airain, dans la place de 1'Auguftéon, devant 1'Eglife de Sainte - Sophie. II étoit a cheval, couvert d'armes défenfives , tenant dans la main gauche un globe  nu Bjs-Empire. Liv. XLIF. 479 furmonté d'une croix, étendant Ia droite vers 1'orient, comme pour défendre aux Perfes d'avancer au-dela de leurs frontieres. Nous verrons bientöt que ce geile menacant, frivole invention de la flatterie , ne fut pas capable d'impofer a Chofroës. Cette ftatue fubfifta jufque dans le feïzieme fiecle; & Pierre Gilles rapporte , qu'étant a Conftantinople, il la vit tranfporter du ferrail a 1'arfenal, oü elle fut fondue pour 1'ufage de 1'artillerie. Les biens attachés a 1'Eglife métropolitaine par Conftantin & fes fucceffeurs , étoient fort confidérables. Mais le fafte des Evêques de Conftantinople , & 1'ambition des Eccléfiaftiques qui follicitoient des places dans cette Eglife, avoient multipUé le Clergé a un point exceffif. Juftinien fixa le nombre des clercs a quatre cents quatre-vingts cinq, outre quarante diaconeffes. Ce nombre s'accrut encore de telle forte, qu'il fallut qu'Héraclius en retranchat beaucoup pour le réduire k fix cents. Sous Conftantin Monomaque, la multitude des clercs abforboit les revenus, au JUS TIMEN. A.nn. 537. III. Clergé de SainteSophie,  JUSTI NI EN. Ann. 5 37. Lm. Germain envoyé cn Afrique. Proc. Vand. 1.2. e. 16, 17» 18. Theoph. p. 173.174Mart, chr. 480 Ij I S T 0 I R £ point que la meffe ne fe difoit plus que les grandes fêtes, les famedis &c les dimanches. Cet Empereur ajouta les fonds fuffifants pour la faire célébrer tous les jours. Lorfque les Franr cois fe furent rendus maitres de Conftantinople, ils établirent dans SainteSophie un Chapitre de Chanoines , k 1'exemple de ce qui fe pratiquoit dans les Eglifes Latines. Sur la fin de 1'Empire , le nombre des clercs de cette Eglife montoit a. huit cents. Les Miniflres de la'mofquée jouiffent ;ncore des revenus de onze cents xmtiques de Conftantinople , que Conftantin & Anaftafe avoient attachés a la principale Eglife, pour faire les fraix des funérailles. Pendant que Bélifaire défendoit Rome contre les efforts de Vitigès , Germain, neveu de Juftinien , travailloit a réduire en Afrique un ennemi moins puiffant que le Roi des Goths , mais plus redoutable par fes artifices & par fon courage. Après le maffacre de Marcel & des autres Capitaines , Stozas, devenu maitre de leurs troupes , qu'il avoit jointes aux fiennes, donnoit la loi en Numidie. Théodore  nu Bjs-Empire. Llv. XLIF.^i Théodore & Udiger, que Bélifaire avoit laifTés dans Carthage , voyoient tous les jours déferter leurs foldats, & n'ofoient marcher a la rencontre du rebelle, dans la crainte d'être abandonnés des autres. Germain, qui, dés la feconde année du regne de fon onele Juftinien , avoit fait connoitre fa valeur par la défaite des Antes, demeuroit depuis neuf ans dans 1'inaction ; la haine de Théodora rendoit inutiles les talents de ce brave guerrier. Enfin , la néceflité obligea le Prince k 1'employer ; il 1'envoya en Afrique; mais felon fa coutume, 1! ne lui donna que fort peu de foldats; c'étoit une efcorte plutöt qu'une armée. Dés que Germain fut arrivé a Carthage, il fit la revue des troupes; & ayant reconnu que les deux tien s'étoient donnés au rebelle , il réfo lut de rétablir 1'armée Romaine, avant que de fe hafarder a combattre II y avoit k Carthage peu de foldat: qui n'euffent des parents ou d'ancieh: camarades dans 1'armée de Stozas. I ne fut pas difficile a Germain, na turellement libéral, de gagner leu cceur; il leur perfuada que 1'Empe Tornt IX. X —win li—a JUSTI- . NI EN. Ann. 537. i r  JUSTI|NIEN. Ann. 537. LIV. II marche contre Stozas, 482 H I S T 0 I R E reur l'avoit envoyé pour foulager les foldats opprimés , & pour chatier les opprefTeurs. Ce difcours fe répandit dans le camp de Stozas; la plupart de ceux qui s'étoient jettés dans fon parti revinrent a Germain , qui les recut avec bonté , & leur fit payer leur folde pour le temps même qu'ils avoient fervi contre 1'Empire. Cette générofité attira les autres ; ils défertoient par bandes du camp de Stozas, & fe rendoient k Carthage. Le Général fe vit bientöt en état de Iivrer bataille. Stozas, de fon cöté, craignant de voir fon armée anéantie par la défertion , réfolut d'employer au plutót ce qui lui reftoit de forces, & marcha en diligence vers Carthage. II fit entendre k fes foldats qu'il avoit des intelligences dans 1'armée ennemie; que ceux qui paroiffoient 1'abandonner, agiffoient de concert avec lui, & que dés qu'ils le verroient devant la ville, ils reviendroientfous fes étendards. Après avoir raffuré les efprits par ces menfonges, il alla camper k une lieue & demie de Carthage. Germain fit fortir fon  nu Bas-Empirê. Liv. XL1V. 483 armée , & 1'ayant rangée en bataille, comme il étoit inftruit des difcours de Stozas, & qu'il vouloit s'affurer de la fidélité de fes troupes : » Sol» dats, leur dit-il, vous n'avez pas k m-vous plaindre de 1'Empereur : il » vous a tirés d'une vie miférable, » pour vous ceindre 1'épée, & dé» pofer entre vos mains 1'honneur » de 1'Empire. La plupart d'entre vous » n'ont payé ce bienfait que d'in» gratitude. II oublie votre faute; » mais fouvenez-vous qu'il vous a » pardonné. II ne vous demande pour »> réparation que ce qu'il étoit en » droit d'exiger de vous avant que » vous fulliez coupables. Honorez » par votre valeur le nom Romain, » que vous avez recouvré; effacez » par le fang du rebelle la tracé de » votre rébellion. Pour moi, en ré» compenfe des bons traitements que » vous avez éprouvés de ma part, » voici ce que je vous demande : » qu'aucun de vous ne refte malgré » lui fous mes enfeignes : li quelqu'un » veut paffer dans 1'armée ennemie. » je lui en donne la liberté; qu'il » porte avec lui fes armes : j'aime X ij JUSTINIEN. Ann. 537.  JUSTIK I EN. Aan, 537. LV. Eataille de Scalet. 484 II I $ T O 1 E E » mieux un ennemi déclaré, qu'un » foldat perfide ". Ces paroles exciterent de grands cris, tous proteftent de leur zele pour 1'Empereur; tous levant les mains, s'engagent par les plus terribles ferments, a faire preuve de leur fidélité. Les foldats de Stozas , ne voyant aucun effet de fes promeffes, prennent 1'épouvante, & s'étant débandés, ils regagnent, en fuyant, Ia Numidie, oü ils avoient laiffé leurs femmes & leur butin. Germain les pourfuit, & les atteint dans une plaine nommée Scales. II fe range aufïi-töt en bataille. II forme une ligne de fes charriots, laiffant des intervalles pour le paffage de fon infanterie. II fe place luimême a la gauche avec 1'élite de fa cavalerie; il jette le refte fur 1'aile droite. Stozas, ne pouvant éviter le combat, ranime le courage des fiens, & les range, non pas en ligne felon I'ordonnance des Romains, mais par pelotons a la maniere des Barbares. II avoit k fa fuite un corps très-nombreux de cavaliers Maures, commandés par leurs Rois Yabdas & Ortaïas. Ces Princes, naturellement perfides  du Bas-Empihe. Liv. XLIV. 485 envoyerent fecretement promettre k Germain de fe ranger de fon cöté , dès que le combat feroit engagé. Mais le Général Romain, qui comptoit peu fur leur parole, ne leur ayant fait aucune réponfe, ils prirent leur pofte derrière 1'armée de Stozas, dans le deffein d'attendre 1'événement, & de fe joindre au vainqueur. Lorfque les deux armées furent a la portée du trait, Stozas, qui ne manquoit pas de valeur, appercevant a 1'aïle gauche des Romains 1'enfeigne générale , vouloit courir a eet endroit. Mais les Erules qui faifoient partie de 1'armée rebelle, & qui connoiffoient la force invincible de Germain, arrêterent cette ardeur impétueufe, & le déterminerent a charger 1'aile droite, 'qui prit bientöt la fuite , & perdit tous fes étendards. Déja les rebelles commencoient a entamer 1'infanterie, lörfque Germain, renverfant tout ce qu'il rencontroit devant lui, vint a la tête de fes cavaliers, fondre fur Stozas. En même-temps 1'aile droite le rallia; ce fut alors une affreufe mêlee, oü les combattants des deux partis, femblables les uns aux autres par les X iij JUSTINIEN. Ann. 537»'  JUSTINIEN. Ann. 537. 485 IIlSTOIRE armes, Phabillement & le langage, fe malfacroient fans fe reeonnoitre. Germain qui portoit par-tout la terreur , mais qui aimoit mieux fauver un Romain que de faire périr cent ennemis, crioit a fes foldats de ne tuer perfonne, fans lui avoir demande le mot du guet. Pendant qu'il donnoit ces ordres & 1'exemple d'une héroïque valeur, fon cheval fut abattu d'un coup de javelot, & ce grand Capitaine alloit périr, fi fes gardes ne fuffent accounts a fon fecours, & ne l'euffent promptement tranfporté fur un autre cheval. Stozas profita de ce moment pour s'échapper par la fuite, & Germain courut au camp ennemi. II y trouva un nouveau péril. Stozas y avoit laiffé un grand corps de troupes, qui, fraiches encore, & prefque égales en nombre a 1'armée Romaine, vinrent au-devant de Germain, & firent balancer la vicloire. Mais un détachement ayant attaqué par un autre endroit, entra fans réfiftance, & chargea par* derrière les rebelles qui prirent enfin la fuite. Les vainqueurs fe jettent en foule dans le camp ; & fans  du Bas-Empire. Liv. XL1F. 4S7 fonger a pourfuivre les ennemis, ils fe difperfent pour courir au pillage. Germain, craignant que les rebelles ne fe rallient & ne reviennent fondre fur eux dans ce défordre, place fes gardes a la porte du camp , & courant de toutes parts, il s'efforce par fes cris , par fes menaces , de remettre fes foldats en ordre. Mais il parle a des fourds ; fes foldats le fuyent comme un ennemi, & ne s'occupent que de leur butin. Par bonheur, les Maures qui n'avoient pas feconde Stozas dans le combat, acheverent fa défaite. II avoit d'abord couru a leurs efcadrons pour y chercher du fecours; mais voyant qu'on fe difpofoit a le recevoir en ennemi, il avoit pris la fuite avec cent cavaliers. Les fuyards s'étant rallies autour de lui en affez grand nombre , il revenoit a la charge, lorfque les Maures fondirent fur fa troupe , & 1'ayant taillée en pieces, allerent fe joindre aux Romains pour avoir leur part du butin. Tous les rebelles échappés du carnage vinrent fe jetter aux pieds de Germain, qui leur fit grace , & les admit dans JUSTINIEN. A.nn. $37.  JïSTINIEN. Ann. 537. LVI. Conjuration de Maximin. 4S8 fflSTOTRS fes troupes. Stozas , fuivi de quelques Vandales, fe réfugia en Mauritanië , oii il époufa la fille d'un Prince du pays , & y fixa fa demeure. Ainfi fe termina cette rébellion, qui avoit coüté tant de fang. Elle ne fut pas tellement éteinte, qu'il ne reflat encore dans les efprits quelque étincelle de révolte. Un garde de Théodore , nommé Maximin, voulut tirer avantage de ces mauvaifes difpofitions, pour reprendre le röle qu'avoit abandonné Stozas. Ce méchant homme , plus capable de former des deffeins hardis que de les conduire, trouva des efprits propres a entrer dans fes vues. Mais il eut 1'imprudence de s'ouvrir a un ami de Théodore, nommé Afclépiade, qui, après avoir pris confeil de fon ami, alla découvrir la conjuration a Germain. Le Général, felon fa douceur & fa bonté naturelle, entreprit de gagner Maximin plutöt que de le punir; il le fit venir; & fans lui faire connoïtre qu'il fut inflruit de ces fourdes pratiques, il loua fa valeur, & lui dit qu'il le mettoit au nombre de fes  du Bjs-Empire. Liv. XL1V. 489 gardes. C'étoit un pofte très-honorable auprès du Général, & 1'on n'y entroit qu'en prêtant un nouveau ferment de fidélité, & au Général & a 1'Empereur. Germain efpéroit que eet engagement feroit un frein capable de contenir Maximin: celuici, au contraire, le regarda comme un moyen plus fur de réuffir dans fes perfides complots. Un jour de fête, pendant que Germain étoit a table avec fes amis, on vint lui dire qu'il y avoit a fa porte une grande troupe de foldats, qui murmuroient hautement de ce qu'on ne leur payoit pas leurs montres. II retint Maximin auprès de lui, & donna ordre fecretement a fes domeftiques d'obferver tous fes mouvements, fans qu'il s'en appereüt. II envoya fe: autres gardes pour diffiper les féditieux. Ceux-ci avoient déja quitte la porte du palais pour courir at cirque, ou étoit le rendez-vous gé néral. Les gardes y coururent ave< eux, & fans donner aux conjuréi le temps de s'affembler, ni de fe re connoitre, ils chargent a grands coup; d'épée ceux qu'ils y trouvent, tuen JUSTIN1EN. Ann. 537«  JüSTIN1EN. Ann. 537-. Fin du Tornt ntuvitme. 490 HlSTOIRE, &C. les uns , amenent les autres k Germain. II fit aufli-tot arrêter Maximin, qui ayant été juridiquement convaincu d'avoir, contre fon ferment, continué fes intrigues pernicieufes, fut pendu aux portes de Carthage. Germain fe contenta de punir ceux qu'on avoit pris fur le fait, fans permettre d'autre recherche; & pendant deux ans qu'il gouverna 1'Afrique, la paix & la juftice régnerent dans cette contrée, jufqu'au moment ou Théodora fon ennemie, le fit rappeller, ainfi que nous le dirons dans la fuite.    du Bas-Empire. Liv. XLII. 241 etablir une fortne également avantageufe au Prince & aux fujets dans 1'adminiftration politique, que ce génie fupérieur n'entendoit pas moins que la guerre. Sa valeur héroïque qui le faifoit redouter des étrangers ,• fa douceur & fon équité incorruptible qui lui concifioit 1 affection des peuples, auroient épargné fans doute k 1'Afrique les défordres, les rébellions, les- rivalités funeftes qui furent les fuites tumultueufes d'une fi paifible conquête. Mais 1'envie, toujoursardente k fe venger du mérite qui la défefpere, priva 1'Empire de cetavantage. Juftinien étoit obfédé d'un nomfcreux effaim de ces courtifans oififs, qui, craignant une comparaifon peu honorable pour eux, font leur étude d'empoifonner les fuccès, lorfqu'ils n'ont pu les traverfer. Quelques Officiers de Bélifaire, d'in.teltigence avec eux, manderent a la Cour, que leur Général fongeoit a fe faire en Afrique un Etat indépendant. Juftinien , foit qu'il rendit juftice k ce vertueuX Capitaine, foit par politique, tint ce rapport fecret, dépêcha Saloraon pour offrir a Bélifaire le choix de revenir Tome IX. L JUSTIMEN. Arm. 534. Proc. Vand.l.%. c. S. Idem. Anecd. f. 18. Theoph, p* 169.  JUSTl- "NIEN. 'Ann. 534. I 1 i 1 3 ] ] J ] I XLIV. Révolte des Maures. ] 1 i M-l HlSTQIRE it Conftantinople avec fes prifonniers, 3u de les enyoyer & de demeurer ;n Afrique. Bélifaire n'avoit garde le balancer fur le parti qu'il devoit irendre. Un hafard heureux Favoit,. nftruit de la malignité de. fes enrieux. Les ennemis qu'il avoit entre és Officiers, avoient écrit deux letres k la Cour, & fait partir deux neffagers fur différents vaiffeaux, jour mieux affurer le meffage. Cette jrécaution leur fut utile , & plus en:ore k Bélifaire. L'un des deux émif"aires parvint a Conflantinople ; 1'au:re, ayant donné lieu k quelque fomp;on , fut arrêté dans le port de Car:hage ; & fe voyant pris, il livra le aaquet dont il étoit chargé, & révéla :oute 1'intrigue. La découverte d'une :rame fi noire excitoit Bélifaire k •etourner au plutöt k la Cour pour léconcerter la calomnie, & confonire fes ennemis. Dés que Salomon lui eut apporté a permiffion de Juflinien , il donna )rdre d'équiper la flotte, diftribua es troupes en divers quartiers , & 'égla !e gouvernement militaire conbrmément aux ordres qu'il recevoit  JüSTINIEN Ann, 534, | j ; / t t c H$ II I S T O I j? 2 jufqu'au Cirque, oü Pattendoit 1'Empereur , alüs fur un tröne élevé. H marchoit a pied; mais tout le refte de la pompe reiïembloit a celle des anciens triomphes. On portoit devant lm les dépouilles des Rois Vandales, des vafes d'or & d'argent, des ar*nes, des couronnes , des meubles precieux, des robes de pourpre feïüées de perles & de pierreries, fept grandes corbeilles remplies de monnoies d'or, & le livre des Evangiles tout bnllantd'or & de diamants. C'étoient en grande partie les richelTes que Genféric avoit enlevées dans le pillage de Rome. Les vafes du temple de Jérufalem attiroient fur-tout »es regards. Un Juif, qui les confiJerpit, s'adreifant a un des Officiers Je 1'Empereur : Ne p,-étende{ pas, lui Ut-il , garder ces tréfors dans le palais le Conftantinople; ils ne peuvent étre onfervés que dans le lieu oü les placa ictre Roi Salomon. C'eft leur enlevenent facrilege qui a caufê autrefois le 'illage de Rome , & depuis peu celui u palais des Rois Vandales. Ces paoles rapportées k Juflinien, lui firent raindre de retenir ces redoutables  m: B ts GstrfRÈ. Lh. XLI1. 247 dcpouillcs; il les envoya aux Eglifes ' de Jérufalem. ' A la fuite de Bélifaire marchoient les prifonniers, & a leur tête, Gélimer, véui d'une robe de pourpre, environné de fes parents, & fuivi des autres Vandales, dont on avoit choifi les plus grands & les mieux faits. Lorfque le Roi captif entra dans le Cirque , & qu'il vit devant lui FEmpereur, a droite & a gauche une foule immenfe que la curioiité avoit attirée , alörs plongé dans une réflexion profonde fur 1'état préfent de fa fortune , fans laiffer échapper une larme ni un foupir , il répéta plufieurs fois ces paroles de 1'Eccléfiafte : Vanltl des vanités, tout ejl vanïtè. Dès qu'il fut arrivé aux degrés du tröne, on lui öta fa robe de pourpre, Sc on Pobligea de fe proflerner aux pieds de 1'Empereur , Sc d'en faire autant devant 1'Impératrice. Bélifaire, par un effet de fa bonté naturelle, plus attendri du fort de fon prifonnier , qu'enorgueilli de fa propre gloire, vóulut bien le confoler de fon humiliation , en fe proflernant avec lui. Juftinien Sc Théodora combierent de L iv JüSTINIEN. Vnn. 534. XL VI. Gélimer jréfenté a tuftinien.  JUSTINIEN. Ann. 534. 248 fflSTOlRS richelTes les filles d'Hildéric, & tous les defcendants d'Eudocie, fille de Valentinien & femme d'Hunéric. Pour acqukter la parole de Bélifaire, ils donnerent a Gélimer un grand domaine en Galatie , oü il vécut dans 1'abondance avec fa familie; il aurok été mis au rang des Patrices , s'il n'eüt refufé de renoncer k 1'Arianifme. Le triomphe de Bélifaire étoit le premier qu'on eüt vu k Conftantinople. II triompha de nouveau au commencement de 1'année fuivante, lorfqu'il prit poffeffion du Confulat. II fut porté au Sénat dans la chaife curule fur les épaules des prifonniers; & dans le chemin, il jetta au peuple une grande partie du butin qu'il avoit apporté d'Afrique; des vafes d'argent, des ceintures d'or, & d'autres dépouilles précieufes. Mais le plus^ grand honneur que Juftinien fit a Bélifaire, fut de le repréfenter fur le revers de fes monnoies avec ces mots : Bélifaire, la gloire des Romains. Toute 1'hiftoire de cette guerre , ainfi que la pompe du triomphe, furent peintes en mofaïque dans le veftibule du palais.  »u BAS-EMPïZt. Liv. XLH. 249 C'eft ainfi que 1'Afrique rentra au pouvoir de 1'Empire cent fept ans après que Genféric y eut tranfporte fa nation. Cette importante conquete ne coüta que trois móis , a compter depuis le débarquement de Bélifaire, jufqu'a la derniere défaite de Gélimer. II fallut quatorze ans aux autres Généraux pour 1'afïurer. Dans ce long intervalle , la paix fut fouvent troublée par les féditions des foldats qu'ils ne pouvoient contenir, & par les incurfions des Maures qui ne craignoient que Bélifaire. Latranquillité ne fubfifla qu'environ een ans, jufqu'a 1'invafiori des Sarrafins Les prifonniers amenés a Conflanti nople fe trouvoient en grand nom bre:pour leur öter 1'efpérance dere tourner dans leur pays, Juflinien ei compofa cinq corps de cavalerie qu'i envoya en Oriënt. La plupart des au tres Vandales avoient péri dans le combats. Ceux qui reftoient s'étan difperfés dans les diverfes contrées d 1'Afrique, furent exterminés par le Maures, ou fe mêlerent avec eux en forte que cette révolution rapid anéantit en Afrique jufqu'au nom d< L v JUSTIN I EN. Ann. 534. XL VII. Anéantiffementdés Vandales. Proc. I. li c. 11. I 1 > t e s > e •5  JUSTINIEN. Ann, jj4. j i i i i 't 1 £53 fflSTOlRE Vandales. C'eÜt été alors 1'occafiort de retotirner dans leurs anciennes demeures en Germanie ; mais ils manquoient de vaiffeaux pour repatler en Europe ; & d'ailleurs ils n'y auroient plus retrouvé les defcendants de ceux que Godigifcle avoit laiftés en Bohème, pour garder & eultiver les terres de leurs compatriotes , qui pourroient venir s'y refugier en cas d'infortune. Cette partie de leur nation avoit été détruite depuis ce tempsla par les autres Barbares. C'eft un trait digne de mémoire, que la bonne foi de ces Vandales fédentaire a Pégard de leurs camarades, féparés d'eux par une fi vafte étendue de terres & de mers. Lorfqu'ils apprirent que Genféric étoit maitre de ['Afrique, ils lui envoyerent des déjutéspour leféliciter de fes glorieux iiccès , & pour lui demander en néme temps la propriété des terres lont ils. n'étoient que les gardiens, ic qui devenoient inutiles aux Vanlales établis dans un climat plus doux k plus fertile. Genféric & fes prinipaux Officiers étoient difpofés è euraccorder leur demande5 lorfqu'im  nu Bas-Empire. Liv. XLII. z$t vieillard des plus nobles de la nation, & renommépour faprudence, IeuT repréfenta que dans les chofes humaines, il riy avoit nulle ajjurance ; rien de ce qui fubfijloit acluellement, qui ne put ckanger ; rien qui ne put arriver de ce qui ri étoit pas encore. Cette réflexion arrêta Genféric , il congédia les députés avec un refus. Les Vandales firent alors des railleries & du vieillard & du Roi, qui portoient la prévoyance nifques fur des accidents impoffibles ; mais la fageffe de eet avis fut reconnue par leurs defcendants, lorfqu'ils fe virent dépouillés de leur conquête & privés de toute retraite. Chofroës ne vit pas fans jaloufie eet accroiffement de 1'Empire. II fe repentit d'avoir fait la paix, & de n'avoir pas traverfé par une diverfion puiffante une expédition fi contraire a fes intéréts. Cependant il envoya des Ambaffadeurs a Conftantinople , ck en félicitant Juftinien de fa vicloire, il lui demandoitpar plaifanterie une part du butin ; elle lui étoit due, difoit-il , paree que fans la paix faite avec les Perfes, jaL vj JUSTINIEN. Ann. 534. XLVin. Réglementspour 1'Afrique.Proc. Perf. l.i.c. 26. Idem. tzdif. I. 6. c. 2 r 3, 4, 5 , 6, 7. Cod. I. n til. 2.7. No vel. 36» IJl. Anon. R&*  du Bjs-Empire. Liv. XLII. z$5 phonck Euftracepour dreffer un nouveau cadaftre; & ces financiers , par ' un excès de ce zele dont les Princes croyent quelquefois être 1'objet, firent a Juftinien 1'Afrique fi riche & fi opulente , qu'elle fe trouva bientot appauvrie. La plupart des villes tomboient en ruine. Les Vandales avoient d'abord détruit les murailles , & enfuite laiffé périr les édifices ; les plus riches d'entr'eux préférant au féjour des villes celui des campagnes. Juftinien travailla a les réparer. La grande Leptis étoit prefque abandonnée, & enfévelie fous des monceaux de fable que la mer y portoit fans cefle. II la fit découvrir, la releva&l'embellit; mais il en diminua 1'enceinte, laiffant fous les fables la partie la plus voifine de la mer, pour fervir comme de boulevard a la nouveHe ville. II y rétablit le palais que 1'Empereur Septime Sévere , né en ce lieu, avoit autrefois fait batir comme un monument de fa fortune. Après avoir orné Carthage de portiques, de thermes, d'Eglifes & de monafteres j il voultit qu'elle fe nommat Juf- JUSTINIEN. Ann. 534. XLIX. Réparation des villes.  JUSTINIEN. Ann. 534. L. Rérabliffement de la Refi- 256 HISTOIR.E tinienne ; & pour honorer fa femme Théodora, il donna le nom de Théo doriade a la ville de Baga , que Procope place dans la Province de Carthage. Adrumet, métropole de la Byzacene, étoit fans murailles, expofée aux incurfions des Maures; il la fortifïa ; elle prit auffi le nom de Juftinienne. La Byzacene fut mife hors d'infulte par les places & les chateaux qu'il releva ou qu'il fit conftruire de nouveau fur la frontiere. II mit en état de défenfe la ville nommée le camp de Trajan en Sardaigne. Le chateau de Ceuta tomboit d'ancienneté ,, il en fit une place irtiprenable ; & comme c'étoit la clef de fes Etats d'Afrique, il le mit fous la proteclion de la mere de Dieu, en 1'honneur de laquelle il y fit batir une magnifique Eglife. Un plus long détail pafferoit les bornes de 1'hiftoire. II fuffira de dire que 1'on comptoit en Afrique cent cinquante places baties ou réparées en divers temps par les ordres de JuftihiéTi. Les Rois Vandales, Ariens fanatiques, excepté Gondamond & Hildéric, avoient cruellement perfécuté  nu Bas-Empipe. Liv. XLII. 257 les Catholiques. Ce dernier Prince leur avoit rendu leurs Eglifes, fans leur en rendre les biens. Juftinien rétablit la Religion dans tout fon éclat. Comme il commencoit a traiter les Goths d'Italie avec moins de ménagement, pour les raifons que nous dirons bientöt, il dépouilla les Ariens de ce qu'ils avoient ufurpé , & le reftitua aux Eglifes Catholiques , a la charge de payer leur part des impofitions. II défendit aux hérétiques de baptifer : il les exclut de< magiftratures, & leur interdit le culte public. Les privileges de 1'Eghfc de Carthage furent renouvellés. I y avoit dans la Tripolitaine des peu plades de Maures encore payens. Le: uns étoient depuis long - temps atta chés au fervice de 1'Empire ; on le nommoit pour cette raifon Pacaü ils habitoient la ville de Cidama prè de la grande Syrte. Les autres, nom ,més GadaÜitains, vivoient errants £ fans dépendance a 1'occident de 1 Tripolitaine. Tous ces Barbares err brafferent la Religion Chrétienn Juftinien fit batir pour 1'ufage d< Gadabitains , une grande Eglife dai JXJSTINIEN. Ann. 534. gioh en Afrique. Cod. I. I. tit. 27. Nov. 37 & 31. c. 4, Proc, adif. > S e a •s  JUSTINIEN. Ann. 534. LI. Fafte & grand pouvoir de Théodora. Proc. anecd. c. ift. Malela, p. 60. Theoph. p, »JS. i i » 1 3 < 1 1 1 t 258 HlSTOIRE la ville de Sabaratha , ancienne colonie Romaine, qu'il enferma de murailles. Pour ne pas interrompre le récit de la deftrucrion des Vandales , j'ai difFéré de rapporter quelques événements de 1'année 533, que jerappellerai en ce lieu. Théodora fit un voyage en Bithynie, pour aller prendre les bains dans un lieu nommé Pythia, célebre alors par fes fources d'eaux minérales. Comme elle aimoit d'autant plus le fafte & la magnificence, que fa première vie en avoit été plus éloignée, elle traina après elle tout 1'appareil de fa grandeur. Sa fuite étoit de quatre mille tommes. Les principaux Sénareurs, les Chambellans, grand nombre de 3atrices , entr'autres Ménas , ancien 5réfet du prétoire, & Elie, Intendant les finances, faiibient partie du corege. Accoutumée a faire un mélan;e de crimes & d'oeuvres extérieures Ie piété , elle diftribua dans fa route leaucoup d'argent aux Eglifes , aux iöpitaux , aux monafteres. A fon etour, elle donna une preuve éclaante de 1'empire qu'elle avoit pris  du Bas-Empme. Liv. XLII. &59 fur fon mari. Prifcus de Paphlago- ! nie, Secretaire de 1'Empereur, s'étoit emparé de la confiance de fon maitre, au point de donner de 1'ombrage k Théodora. Aufli hautain qu'il étoit riche & puiflant, il fe croyoit difpenfé de ramper devant cette Prmcelfe, ainfi que les autres courtifans. Elle elTaya d'abord de le perdre dans 1'efprit de 1'Empereur par des rapports calomnieux. Cette voie n'ayant pas réuffi, elle le fit enlever, jetter dans un vaiffeau, & tranfporter dans une retraite éloignée, ou elle le forca de recevoir 1'ordre de prêtrife, pour le mettre hors d'état de rentrer dans fes emplois. Juftinien fubjugué feignit d'ignorer cette violence ; il ouilia Prifcus dès qu'il ne le vit plus, n'ofa pas même s'informer de ce qu'il étoit devenu. Ce fut un bonheur pour Juftinien dfêtre alors en paix avec la Perfe. Le hafard préfentoit k Chofroës une occafion favorable de fe faifir de Dara. Un foldat, nommé Jean Cottiftis , fu1 affez hardi pour foulever une partie de la garnifon , & pour s'emparer dt palais, qui étoit fortifié comme um JUSTIVI EN. Ann. 534- LH. Jean Cottiftis révolté & maffacré. Proc. Pcrf. I. i.c. 26. Malela, p. 76. Chr. AU*.  JUSTINIEN. Ann. j 34. Affetnani Uil. or. t, U. p. 85. Chr, Mare. I » < I r li d k c; r< d, d< d< Pl PS tn til Hl ST 0 1 re cnadeHe II y avoit déja quatre jours quil ordonnoit en maitre abfolu , brfque Mamas, Evêque de la ville &AMftafe,un des principaux habitants excuerent le refte de la garnifon a s affranchir de cette tyrannie. Les oldats qm n avoient pas trempé dans e complot monterent au palais ft Iheure de midy portant chacun un Po.gnard caché fous leur cafaque. Mais lacramtede n'être pas les plus orts, les retint è 1'entrée. Un charjutier qu, les avoit fuivis, honteux le leur lacheté, forca la porte fon •outeau a la main, & blelfa le Tyan qi,i accouroit au bruit. Celui-ci ans le trouble oii il étoit, fe jetta m - meme entre les mains des folats qui le lierent & le traïnerent k pnfon de Ia ville. Un d'entr'eu# ;a,gnant que les compagnons de la ;voIte de Cottiflis ne vinffent le ïbvrer a mair, armée, le poignarda ■ fon autorité. On brüla le palais , ■ craihte qu'il ne fervït encore de ace forte a quelque rebelle. Nous aivons rapporter a cette année un 'mblement de terre qui fe fn fen. a Conftantinople au mois de No-  Du Bas-Empire. Liv. XLI/. s(5i vembre. D'autres Auteurs le font arriver cinq ans plutöt. II commenca le foir, & caufa une telle allarme , que les habitants pafferent la nuit dans la place de Conftantin, k implorer la miféricorde divine. Les fectateurs d'Eutychès qui étoient en grand nombre parmi le peuple , crioient Vive{ Jujlinien , Joye{ heureux, mal délivre{-nous de ce décret odieux prononcé d Chalccdoine. Au refte , ce trem blement de terre ne caufa auciu dommage. 11 fut plus violent k Cy zique, ou il détruifit plufieurs édi fices. Une comete fe montra pen dant quelques jours du cöté de 1'Oc cident. JUSTINI EN. Ann. 5 34. I   SOMMAIRE DU LIVRË QUARANTE-TROI9IEME. 1N1EN entreprend de oom? pofer un nouveau corps de droit. II. Première édition du Code. lil. Compilation du Digejle. IV. Publication des Inflituts. V. Méthode prefcrite aux Profejfeurs. VI. Seconde édition du Code. VII. Les Novelles, vin. Hifioire du corps du droit de Jujlinien en Oriënt. IX. En Occident. X. Zamanarfe, Roi dlbérie, vient d Conjlantinople. XI. Sage gouvernement dAmalafonte. XII. Athalaric fe livre d la débauche. XIII. Amalafonte affermit fon autorité, xiv. Elle réprime Les injuflices de Théodat. XV. Négociation d Amalafonte avec Juflinien. XVI. Théodat fuccede d Athalaric. XVII. DiJJimulation de Théodat. XVIII. 11 fait enferma Amalafonte. XIX. Pierre envoyé d Th'odat. XX, Mort a"'Amalafonte. XXI, Juflinien fe prépare d la  a6*4 Sommaire guerre. xxii. Bélifaire paffe, en Sicile. XXIII. Conquête de la Sicile. xxiv. Nouvellesprapofitions de Théodat. xxv. Le Pape envoyé d Conftantinople. xxvi. Mort de Mondon. xxvii. Théodat manque de parole. xxviii. Juflinien stempare de la Dalmatie. xxix. Guerre des Maures en 'Afrique. XXX. Bataille de Mamma. xxxi. Bataille du montBurgaon. xxxii. Combat fingulier d'Althias , Capitaine Romain , & d'Yabbas , Roi des Maures. xxxiii. Expédition de Salomon en Numidie. xxxiv. Ravages en Sardaigne. xxxv. Caufes d'une révolte de foldats en Afrique. xxxvi. Confphation contre Salomon. xxxvit. Révolte d Carthage. xxxviii. Fuite de Salomon. xxxix. Sto^as, chef des révoltés. xl. Bélifaire arrivé d Carthage. xli. Combat de Membrefe. xlii. Perfidie de Sto^as. xltii. Bélifaire paffe en Italië. XLiv. II marche vers Naples. xlv. Les habitants rejettent fes propofitions. xlvi. Siege de Naples. xlvik Chemin pratiquépar un aqueduc. xlviii. Les Romains pénetrent par ce chemin. xlix. Prife de Naples. l. Mort de Paftor & cTAfclépiodote. li. Théodat yknt d Rome, Lil. Vigiiés élu Roi, me Théodat.  Du Livre XLIII«. 165 Théodat. lui. va i /ïowe. liv. U .cede aux Frangois ct qui rtftoit en Gaule aux Oftrogoths. lv. Bélifaire entre dans Rome. lvi. 11 la fortifie. lvh. Toute VItalië méridionale foumift i Bélifaire. lvih. Phénomene. Tornt IX. M   ié>7 HISTOIRE D U B ASEMPIRE. LIVRE QU AR ANTE - TR01S1EME. JUSTINIEN. LA conquête de 1'Afrique combloit Juftinien de gloire. Mais s'il eft plus digne d'un Prince de régler fes Etats par de bonnes loix, que d'en reculer les limites, on peut drre que cette année vit achever une entreprife encore plus importante que les fuccès de Bélifaire. Le feizieme M ij JUSTINI£N. Ann. 5 34. I. Juftinien entreprend de compofer un corps de Droit.  JUSTINIEN. Ann. 534. Hifloria juris a Juft. compv/ili ex Cod. Juftiniano Proc. Perf. I. I. c. 24, Idem. adif. in protz* mio. Idem anecd.c j13, 20. Theoph. p. IJl. Cedr. p. 368. Mare. Chr. Chr. AlexMalela , p. 63. Suid. voce TpiGa- Paul Diac. I. 8. Trivcr.ohf. gpolog. c. 30, 32. Arthur. Duek. de vfu & avetoritatejur. 268 H I S T 0 I R K de Novembre , 1'Empereur publia Ia feconde édition du Code, & confomma 1'ouvrage de cette fameufe légiflation , qui fubfifte depuis tant de iiecles. J'ai différé d'en parler jufqu'a ce moment, pour mettre fous les yeux 1'enfemble de ce grand corps. Juftinien étoit monté fur le tröne avec les projets les plus capables d'immortalifer fon regne, & de rétablir la puiffance Romaine dans fon ancienne fplendeur. Portant a la fois fes regards fur les dehors & fur 1'intérieur de 1'Empire, il forma le doublé projet d'y réunir les Provinces envahies par les Barbares, & de réduire en un abrégé d'une jufte étendue ce nombre infini de loix, de réglements, & de maximes judiciaires, que 1'intérêtdes hommes, leur foiblelte , leur inconftance, leur ihquiétude avoient enfantées depuis treize cents ans. II favoit que la multitude des ordonnances introduit la confufion & le défordre; & que ce tlflii, embarrallé de décifions qui s'entrelaflent & fe croifent, eft un labyrinthe oii la juftice s'égare, tandis que 1'injuftiee échappe a la faveur de lant de détours. II n'étoit pas moins  du Bas-Empire. Liv. XLIII. 269 difficile de bannir des Tribunaux 1'ignorance, la mauvaife foi & la chicane , en fimplifiant les loix, que de chaffer de 1'ltalie & de 1'Afrique les Goths & les Vandales. Juflinien entreprit 1'un & 1'autre; & peut-être auroit-il également réuffi, fi 1'impatience de fon amour-propre n'eut précipité 1'exécution de eet ouvrage immenfe,, & s'il avoit trouvé des Jurifconfultes auffi parfaits que fes Généraux. Triborden , qu'il mit a la tête de ce travail, fuppofé qu'il eut autant d'habileté dans fon art, avoit aflurément moins de vertu que Bélifaire & Narfès. Quelques Auteurs prétendent qu'il étoit payen ; il eft affez juftifié de ce reproche par les loix favor"ables au Chriftianifme, qu'il inféra dans le Code, & plus encore par celles qui tendent a la deftrudtion du paganifme. Mais 1'hiftoire lui attribue affez d'autres défauts incompatibles avec un emploi, qui demandoit autant de probité que de lumieres. Flatteur, intéreffé, accoutumé a vendre la juftice , il tronqua, il altéra, il fupprima de bonnes loix. Souvent il détruifit dans les M iij JUSTINIEN. Ann. 534. civ. Hom. c. 3 , 4. Pagl ai Bar, Gravina d& ortuS1 orig. fur. Giannone, Wfi. Ncapol. 1. 3. c, 3- Luicwig vlta Ju/liniani, c, l, 2,  JüSTINIEN. Ann. 534. n. Première édition du Code. h1 I S T O I R E Novelles qu'il fuggéroit k 1'Empereur, ce qu'il avoit prudemment établi dans le Code & dans le Digefle. Prefque par-tout il s'écarta de 1'élégante précifion des anciens Jurifconfultes. Juflinien commenca par le Code. Dans une conftitution du 13 Février 528 , adreffée au Sénat de C. P., il déclare qu'il fe propofe de raffembler dans un feul volume, non-feulement les loix contenues dans les trois Codes de Grégoire, d'Hermogénien & de Théodofe; mais encore celles qui, depuis la publication du Code Théodofien , font émanées de l'autorité impériale. Pour cornpofer ce recueil, il choifit Tribonien, fecondé de neuf perfonnes confommées dans la fcience du droit Romain. II leur permit de fupprimer les loix répétées, contradiöoires, hors d'ufage; de retrancher les préambules , & tout ce qui leur paroitroit fuperflu; d'ajouter ce qu'ils croiroient néceffaire , foit pour 1'exaftitude, foit pour 1'éclairciffement; de changer les termes , de réunir dans une feule loi ce qui fe trouveroit  du Bas-Empihe. Liv. XLI21. 171 épars dans plufieurs. tt voulut que fous chaque titre on fumt 1 ordre de la chronologie. Le travail fut prelle avec tant de diligence, quau mois d'Avril de 1'année fuivante , le nouveau Code , renfermant en douze livres les loix Impériales depuis le commencement du regne d'Hadrien. fat en état de paroïtre. Juftinien y imprima le fceau de 1'autonte fouveraine, par une conftitution du Avril 519, qu'il adrelfe i Mennas Préfet du pretoire. 11 s'y fehciteda voir trouvé dans les rédaaeuw 1; fcience, 1'expérience , le zele du bier public, & la probké requife, pou faire parler dignement tant de Prince & de Légiflateurs. 11 donne a cett colkaion force de loi; il abrogele précédentes, & ne permet de citf en juftice que le nouveau Code. ordonne au Préfet du prétoire de faire publier dans tout l'Empire. II reftoit un ouvrage plus etenc & plus diffkile; c'étoit de recueill les monuments de 1'ancienne jun prudenee. L'Empereur chargea e core Tribonien de ce travail, & 1 laiffa le choix de ceux qu'il croirc M iv JUSTIN ï EK. Ann. 534' L t r 5 S r it .e, u 1». • Compila' *. tion du i" Digefte. 1ui Ai  JUSTI- Acn. J34. < n e q = 72 Hl S T O I R £ capables de Ie partager avec lui. Tribomen choifit un des Magiftrats qui avoient déja travaillé k la rédaflion du Code,quatreProfeffeurs en Droit deux de Conftantinople, deux- de Béryte, Sc onze Avocats. II les préfenta au Prince, qui les approuva fur ion temoignage. Ces dix-fept Commiffaires recurent ordre de recbercher, raffembler & mettre en ordre ce qu il y avoit d'utiie dans les livres aes Junfconfultes, qui avoient été juitonfes par les Princes k faire ou 1 interpréter les loix , fans avoir -gard aux ouvrages qui n'étoient ■evetus d'aucune autorité. L'Empeeur leur donna le même pouvoir le changer, d'ajouter, de retranher , qu'il avoit donné pour le Coe , & de fixer par une décifion préHe les points douteux Sc conteltés iiqu alors. II leur recommanda de e confidérer dans leur choix ni le pmbre des Jurifconfultes, ni leur ^putation perfonnelle; mais unique>ent la raifon & 1'équité. De ces «raus, ils devoient compofer cinuante hvres, & divifer les matieres •us djffcrents titres en fuivant 1'or-  dv Bas-Rmpire. Liv. XLIIL 273 dre du Code, ou celui de 1'édit perpétuel, felon qu'ils jugeroient plus convenable. II voulut que tout ce qu'ils adopteroient, fut cenfé forti de la bouche du Prince. Ce recueil devoit porter le nom de Digefle , paree que les matieres y feroient rangées chacune fous fon titre, ou de Pandecies , comme renfermant toute 1'ancienne Jurifprudence. La conflitution par laquelle cette commiffion eft établie , en date du 15 Décembre 536, eft adreffée a Tribonien , k qui 1'Empereur recommande a la fois l'exacfitude 8c la di ligence. Mais, au jugement des plus habiles Jurifconfultes, le Rédacteur s'acquitta de fa commilïion avec plu' de célérité que d'exacïitude. L'Em pereur lui-même ne s'attendoit pa k voir finir avant dix ans un travai de cette étendue. II s'agiffoit de dé pouiller plus de deux mille volu mes, d'en difcuter , d'en comparer d'en réduire les décifions; de les r< former même, 8c de les ranger dar un ordre méthodique. Tribonien, qi favoit que dans lés entreprifes oü ! yanité des Princes eft intéreffée, i M v JUSTlNIEN. Ann. 534. ) S ii a Is  JuSTINIEN. Ann. j 3 4, VIII. Hiftoire du corps de droit de Juftinien en Oriënt. 1 ] < 4 ] 1 1 ; 28o H I S T 0 I R £ traduöion eft littérale & telle que Juftinien l'avoit permife; aufli faitelle autorité, & c'eft pour cetteraiion que ces Novelles ainfi traduites lont nommées authentiques. ^ La langue Latine fe perdoit peua-peu en Oriënt, & le texte original du corps de Droit eut la même deftinee. Quarante ans après Juftimen , fous le regne de Phocas, les Pandeöes furent traduites en Grec par Thalelée , célebre jurifconfulte. Quelques Auteurs prétendent que cette traduöion fut faite du temps même de Juftinien, & que ce Thalelée ;ft Ie meme que 1'Empereur nomme ?ntre ceux qui travaillerent k la rélaöion du Digefte. On traduifit aufli e Code. Théophile, fous PEmpire de vlichel III, fit une paraphrafe Grecjue des Inftituts. Selon quelques crilques , ce Théophile étoit contem)orain de Juftinien; c'eft le même jui avoit été fon précepteur, & un de :eux qui avoient fecondé Tribonien. f Droit Romain augmenté des confïtutions des Empereurs qui fuccédeent k Juftinien, demeura en eet état Lifqu'au regne de Bafile le Macédo  du Bas-Empire. Liv. XLIIl. 281 hien en 867. Mais dans eet inter- '■ valle, 1'Empire étant délblé par les ravages des Sarrafins, les loix & les ; jtigements perdirent beaucoup de leur force. Bafile, jaloux de la gloire de Juftinien , ne chercha qu'a détruire fon ouvrage; il exclut entiérement le droit Latin; il réunit toutes les parties du corps de Droit, & en compofa quarante livres, auxquels fon fils Léon en ajouta vingt. C'eft ce qu'on appelle les Bafiliques. Conftantin Porphyrogenete, fils de Léon , en fit la révifion. Les Bafrliques furent donc le feul Droit ufité en Oriënt, jufqu'a la deftruction de 1'Empire. Cette collection futdiverfement abrégée , &c porta différents noms. Les Francois, les Vifigoths, les Bourguignons & les Goths d'Italie, étant maïtres de 1'Occident, le corps de Droit de Juftinien n'y fut recu qu'en Illyrie, qui étoit encore foumife a lEmpire. II s'établit dans 11talie avec le gouvernement impérial, lorfque les Goths en furent chafles. Mais il céda aux loix des Lombards , quand ceux-ci fe furent rendus maïtres de Ravenne. Charlemagne ayant JUSTIKIEN. Lnn. 5 34* IX. En Occsdent.  JUSTIN1EN. Ann, J34, j i i 282 'HlSTOlRB détruit le Royaume des Lombards, nt en vain chercher en Italië 1'ouvrage de Juflinien. Ce tréfor demeura caché jufqu'au douzieme fiecle. Enfin , dans la guerre que 1'Empereur Lothaire II vint faire en Italië contre Roger, Comte d'Apulie & de Siale en 1127, on trouva dans la vdle d'Amalfi un exemplaire du Digefle. Les Pifans qui avoient fecouru 1 Empereur dans cette expédition , 1 obtinrent pour récompenfe de leurs fervKes. Environ trois cents ans apres, les Florentins, devenus maures de Pife, tranfporterent ce manufcrit a Florence, & 1'y confervent pré:ieufement. Quelques Auteurs, fans beaucoup de fondement, en font rebonter 1'antiquité jufqu'au temps de lnbonien. C'efl 1'original de toutes es copies des Pandeöes qui fe font ïnfuite répandues. Vers le même emps, ou découvrit a Ravenne un ?xemplaire du Code, & 1'on raffem>|a les Novelles qui fe trouverent biperfeesen Italië, & qui avoient été nconnues jufqu'alors , auffi-bien que reize édits de Juflinien. Telles furent J naiffance & les révolutions diyer-  nu Bas-Empirb. Liv. XLIII. 303 Adriatique , il y rencontra Libere & Opilion , qui lui apprirent la prifon dAmalafonte; & il dépêcha aufli-tot k 1'Empereur, pour lui demander de nouveaux ordres. Juftinien , fenfiblement affligé de 1'indigne traitement fait a cette Princeffe, écrivit k Pierre qu'il alloit employer tout ce qu'il avoit de puiffance pour la tirer d'oppreflion. II hu donna ordre de déclarer a Théodat & k tout les Goths, qu'il fe regardoit comme outragé lui-même, danslaperfonne d'Amalafonte. Pierre fe rendit promptement a Ravenne; mais Amalafonte n'étoit plus. Les Seigneurs qui vouloient s'en défaire avoient allarmé Théodat en lui repréfentant, qu'après un pareil affront il étoit perdu, s'il ne perdoit la Reine; & feignant un grand zele poui le fervice du Roi, ils avoient obteni de lui la permiflion de la faire périr Ils s'étoient aufli-töt tranfportés dan; Pifle du ïac de Bolfene, ou ils avoien étranglé Amalafonte dans le bain cette mort déplorable mit en deui toute PItalie. Pierre, animé de la co lere de fon maïtre, déclara au Ro; JUSTINIEN. Ann. 535. XX. Mort d'Amalafonte. Proc. Got. I. I. r. 4. Cajf.l. 10. ep. 19, lö, 21. Mare. chr. Jotn. de reb. Get. ca 59- 1 : t . ï  JUSTINIEN. Ann. 535. XXI. Juftinien fe prépare a la guerre. Proc. Got. 1.1. f. 13. Caff. 1.11. ep. 1.Z.12. ep. 16,27, 28. Mare. chr. 3