HISTOIRE D U BAS-EMPIRE. TOMÉ D I X I E M E.   HISTOIRE D U BAS EMPIRE, EN CO MMENCANT A CONSTANTIN le Grand. Par Monfieur L E BEAU, 'ProfeJJeur Émérite en tU niversite de Paris } Profejfeur d'Éloquence au college Royal, Secretaire ordinaire de Monseigneur le Duc d'Orleans , & ancien Secretaire perpétuel de l'Academie Royale des Inscriptions et Belles-Lettres. TOME DIXIEME. A MAESTRICHT, Chez Jean-Edme Dufour & Phil. Roux, Imprimeurs-Libraires, aflbciés. M. DCC. LXXX.   FASTES CONSULAIRES Des années dont l'hiftoire eft concenue dans ce Volume. 4 - Ann. Flavius Joannes folus. 5 38 Flavius Apion folus. 539 Justinius junior folus. 540 Flavius Basilius junior folus. 54* lei finit le Confulat. Voye^ L. 4G. art. 41. Tome X,  SOMMAIRE  SOMMAIRE r> u LIVRE QUARANTE-CINQÜIEME.' I.Irruption des Bulgares. ir. Retraite de Vitigès. III. Prife a"une forterejfe. iv. Les Goths affiegent Rimini. V. Et Milan. yi. Attaque d'Ancóne. VII. Arrivée de Narfès en Italië, vin. Jonclion de Narfès & de Bélifaire. lx. Enfant allaité par une chtvre. X. Levée du Jiege de Rimini. xi. Brouiller'u de Narfès & de Bélifaire. XII. Narfès s'oppofe aux dejfeins de Bélifaire. XIII. Narfès fe fépare de Bélifaire. XIV. Ur~ Mn fe rend. xv. Prife £Orviete. XVI. Horrible famine m Italië. XVII. Condnuation duJiege de Milan. XVIII. Prife & faccagement de Milan. xix. Narfès rappellé. XX. Vitigès implore le fecours des Lombards & des Perfes. XXI. Difpofitions de Chofroés. XXII. Députés de de Vitigh a.Ckofroës. XXin. Affaires JJrménie. XXIV. Mort de Sittas. xxv. Tomé X, A ï  i SOMMAIRÉ Perfidie de Bu{h. XXVI. Ambaffade des Armëniens a Chofro'ès. xxvii. Jujlinien tdche a"appaifer Chojro'ès. xxviii. 11 entre en négociation avec Vitigès. XXIX. Siege de Féfules & cfAuxime. XXX. Auxime bloquèe. XXXI. Suite du Jïege d'Auxime. xxxii. Et de Féfules. XXXIII. Expédition de Théodebert en Italië. XXXIV. Retraite des Frangois. xxxv. Trahifon dëcouverte. xxxvi. Combat devant Auxime. XXXVII. Féfules & Auxime fe rendent. XXXVIII. Bélifaire marche a Ravenne. XXXIX. Ambaffade des Frangois & des Romains a Vitigès. XL. Vitigès entre en négociation avec VEmpereur. XLi. Les Goths des Alp es Cottiennes fe rendent aux Romains. XLII. Jujlinien accorde la paix a Vitigès. XLlll. Les Goths offrent la couronne a Bélifaire. xliv. Bélifaire entre dans Ravenne. XLV. Tous les Goths fe rendent a Bélifaire. XLVI. Vraïas refuft la couronne. xlvii. Ildibad, Roi, offre en vain la couronne a Bélifaire. XLVlii. Bélifaire amtne Vitigès a Conftantinopk. XLIX. Éloge de Bélifaire. L. Incurfion des Huns. LI. Jujlinien rèpare les villes ruinées par les Barbares. lii. Sa'omon enviyë en Afrique,  du Livre XLV*. j Uil. Expédition de Salomon contre les Maures. Liv. Yabdas forcé dans fa retraite. lv. Salomon maure de la Nurrndie & de la première Mauritanië, A ij   HISTOIRE D U BAS-EMPIRE. 5 L1VRE Q UARANTE- ClNQ UIEME. JUSTINIEN. Les fuccès de Bélifaire rétabliffoient en Occident la réputation des armes Romaines : mais les Barbares du Nord, par des efForts réiteres attaquoient le coeur de 1'Empire, & faifoient trembler Conftantinople. Au commencement de 1'an 53 une nombreufe armee de Bulgares vint $ Ja fldte de deux Rois, A iij JüSTINIEN. Ann. 538. I. Irruption des Bulgares. Theoph. p, 84. Cedr, p, 371.  JUS TIMEN. 'Ann. 538. Hifi. mifi. L 16. Anaft. p. 6l. Mah!a,p, J8. 6 HlSTOIRB Vulger & Drogon, ravager la petite Scythie & la Méfie. Juftin, Badurius & Godillas , qui commandoient dans ces Provinces, marcherent a leur rencontre , & furent vaincus dans un combat, oii Juftin perdit la vie. Conftantiole, fils de Florent, fut mis a fa place. Afcum, Hun de nation, ac-? cöürufau fecours des Romains. L'Empereur 1'avoit tenu fur les fonts baptifmaux, & lui avoit donné le commandement des troupes d'Illyrie. It y eut une feconde aftion, oh les Bulgares, aprèsun fanglant combat, furent défaits a leur tour. Les Romains revenoient vainqueurs, & pleins de joie , lorfqu'ils rencontrerent unautre corps de Bulgares; qui les furprirent & les taillerent en pieces. Les Barbares portoient dans leur main gauche des filets qu'ils jettoient fur les ennemis. Conftantiole, Afcum 8c Godillas, furent ainfi enveloppés. Godillas trancha le filet avec fon épée, & fe fauva. Les deux autres furent entrainés. Mais Conftantiole fe racheta, en payant mille pieces d'or. Afcum fut emmené en efclavage avec les autres prifonniers.  du Bas-Empire. Liv. XLV. 7 Vitigès fe retiroit vers Ravenne avec ce que le fiege de Rome , li long & li meurtrier, lui avoit laiffé de troupes. Au-lieu de fuivre la voie Flaminienne, qui étoit le chemin le plus droit, comme il vouloit éviter le voifmage de Narni, de Spolete & de Péroufe, ou les Romains avoient des garnifons, il prit fa route par la Tofcane. En paffant , ü jetta mille hommes dans Qrviete, autant dans Clulium, quatre cents dans Tuder- ' te. II en envoya deux mille a Urbin, cinq cents a Céfene & au Mont Férétrius, qu'on nomme maintenant Saint-Léon de Monte-feltro; & comme Auxime, aujourd'hui Olimo , étoit pour lors la capitale du Picenum, il choifit dans fon armee quatre mille foldats des plus braves, qu'il y envoya fous la conduite de ce Vandalaire, qui étoit refté pour mort fur le champ de bataille dans le premier combat devant Rome. II prit avec le refte de fon armée la route de Rimini a deflein de 1'alïïéger. Jean , neveu de Vitalien, étoit dans cette place avec deux mille chevaux. Bélifaire , perfuadé qu'une garnifon d^inA iv JUSTINIEN. inn. 53S. II. Retraite le Viti>ès. Proi. bel. Qot.l.l.e. li. Bernardi10 Baldi lififa di ?rocopio. 'art. 2.  JUSTIKIEN. Asm, 538. ra. Prife d'u»e forte- »effe. 8 HlSTOlRE fanterie feroit plus en état de fouter nir un long fiege, fit partir Ildiger & Martin k la tête de quelques troupes, par la voie Flaminienne , afin de prévenir 1'arrivée des ennemis. Ils avoient ordre de retirer de Rimini, Jean& fes cavaliers, & d'y faire entrer k leur place la garnifon d'Ancöne, compoféed'Ifaures& de Thraces, tous fantafïïns. Conon, Commandant des Ifaures, setoit depuis peu rendu maitre d'Ancöne. Bélifaire penfoit que fi les Goths affiégeoient Rijn'mi, la cavalerie rendroit plus de fervice hors de la place, & qu'enfatiguant 1'ennemi, le harcelant fans ceffe, lui enlevant fes convois,elle le forceroit k lever le fiege. En approchant du fleuve Métaure," la voie Flaminienne fe trouvoit fermée par un roe très-élevé, & bordée d'une riviere fi rapide, qu'onne pouvoit la traverfer fans péril. Cette riviere fe nomme aujourd'hui Candiano ; elle fort de 1'Apennin, & fe jette dans le Métaure. Au-dela du roe étoit un vallon profond, qui s'élargiflbit k fon entrée. Les Romains, du temps de Vefpafien, ayant pratiqué  nu Bas-Empire. Lïv. XLV. 9 ün paflage dans le roe , le fermerent d'une porte; ils bouchereni de 1'autre cöté 1'entrée du vallon, & n'y laifferent qu'une étroite ouverture; en forte que ce lieu étoit devenu une fortereffe imprénable. Elle fe nommoit Para pertufa, c'eft-a-dire, Rock e percée, aujourd'hui Petralata; &C le pertuis ouvert dans le roe , porté maintenant le nom de Furlo. Le vallon étoit rempli de cabanes oü logeoit grand nombre de Goths. üdiger & Martin, après avoir avoir inutil'ement tenté de forcer le palfage, firent grimper fur le rocher une partie de leurs gens, qui détachant de gros quartiers de pierres , écrafoient les habitations & les habitants. Les Gots effrayés, leur tendoient les bras, & demandoient miféricorde. On leur fit quartier, a condition qu'ils pafferoient au fervice de 1'Empereur. Les deux Généraux enrölerènt dans leurs troupes ceux qui étoient en état de porter les armes, & lailferent les autres avec quelques foldats pour la garde de ce pofte. De-la ils allerent retirer d'Ancöne la plus grande partie de la garnifon , 6t arriverent trois A y JUSTINIEN. Ann, 538.'  justinien. Ann, jjS. IV. Les Goths affiegtnt Rimini. Proc. Got. I. 2. C. 12. j I i 1 i ÏO Histoirs jours après è Rimini. Jean refufa d'obeir ; quatre cents cavaliers demeurerent avec lui dans la ville , les autres fuivirent les deux Généraux, qui ayant lajffé a Rimini les foldats d'Ancöne, retournerent joindre Bélifaire» A peine s eroient-ils éloignés, que Vitigès, après avoir paffé 1'Apennin , parut devant5Rimini. Les Goths commencerent par conftruire une tour de bois , portee fur quatre roues, & plus haute que les murs de la ville. Pour la faire avancer, ils ne fe fervirent point de bceufs t comme ils avoient fait devant Rome avec fi peu de fuccès : des foldats la poulToient au-dedans a force de bras vers la partie la plus balie de la muraille. Au haut de la tour étoit un pont-levis fort large, qui devoit s'abattre lorfqu'elle feroit a la portée des créneaux. Elle fut pouffée dès le premier jour ufqu'au bord du foffé, qui n'étoit ii large ni profond. A 1'entrée de Ia nut, les Goths laifferent feulement melques foldats pour la garder, & e retirerent dans leur camp. Les ha►irants trembloient è Ja vue decette edoutable machine, & s'attendoient  du Bas-Empire. Liv. XLV. il k voir le lenclernain les ennemis au milieu de la ville. Mais le Commandant ne s'effrayoit pas. Lorfque la nuit fut avancée, il fortit a la tête des Ifaures avec des bêches & d'autres inftruments propres aremuer la terre, & leur ordonna de creufer, & d'élargir le foffé fans bruit, en rejettant la terre fur le bord du cöté des murs. Ils travaillerent avec tant d'ardeur, qu'en peu de temps la partie du mur, par oü 1'ennemi devoit 1'attaquer, fe trouva bordée d'un foffé large & profond. Les gardes qui dormoient, s'étant enfin réveillés, donnerent Fallarme au camp, &c com« me les Gotbs accouroient pour troubler ce travail, Jean rentra dans la place. Le jour étant venu , Vitigès outré de colere, fit mourir les gardes , & s'obftinant k fuivre fon entreprife , il commanda de combler le foffé, & d'y faire paffer la tour. Ses ordres furent exécutés, malgré les traits qui pleuvoient du haut des murs. Mais les fafcines qu'on avoit jettées a la hate s'étant affaiffées fous la pefanteur de la tour, elle y demeura enfoncée, fans pouvoiravancer. D'ail.* A vj JUSTI- N1EN. Vnn. 53S,  JUSTIÏJIEN. Ann. j 3S V. Et Milarr. Pree. Cot. 1. 2, e. 7, 12. Afurf. tkr. 12 H I S T O I R E ' leurs, Ia terre amoncelée fur 1'autfe bord, formoit un mur impraticable . J cetfe machine ; en forte qu'on ne fchgea plus qu'a la retirer du foffé, de crainte que les ennemis n'y miffent Ie feu la nuit fuivante. C'étoit en effet le deffein du Commandant, qui, pour obliger les Goths d'abandonner leur tour , fit fur les travailleurs une furieufe fortie. On combattit avec acharnemenr le refte du jour; enfin fur le foir , les Goths vinrent a bout d*entraïner la tour dans leur camp : mais il en coüta la vie a leurs meilleurs foldats : ce qui les fit renoncer aux attaques , & changer le fiege en blocus. Ils fe fiattoient de prendre bientöt par famine, une place mal pourvue de vivres. Pendant que Vitigès campoit devant Rimini, Vraïas, fon neveu, affiégeoit Milan. Cette ville, alors la plus confidérable de 1'Occident après Rome, par 1'étendue de fon enceintej par fon opulence, & par le nombre de fes habitants, étoit du domaine des Goths depuis la conquête de Théodoric. Datius, fon Evêque, fupporJtant impatiemment le joug d'une na-  du Bas-Empire. Ltv. XLF. 13 tion Arienne , vint trouver Bélifaire pendant le fiege de Rome : il ne lui demandoit qu'un petit nombre de foldats , avec lefquels il promettoit de chafler les Goths de Milan & de toute la Ligurie. Bélifaire différa pour lors de le fatisfaire ; mais aulfi-töt que Vitigès eut levé le fiege, il fit partir avec Datius un corps de mille hommes commandés par Mundilas. Fidelis, préfet du prétoire, né k Milan , voulut être de cette expédition , k laquelleil pouvoit beaucoupaider par le crédit qu'il avoit en Ligurie. Cette petite armée s'étant embarquéea Porto, vint aborder a Gênes. Les chaloupes, qu'on tranfporta fur des ehariots, fervirent au paflage du Pö. Sur Ia route de Pavie, les Romains eurent k combattre un grand corps de troupes qui venoit k leur rencontre. Pavie étant une place très-forte, fervoit de magafin aux Goths établis dans ces contrées; ils y avoient dépofé toutes leurs richefles, fous la garde d'une nombreufe garnifon. Après un combat fanglant, les Goths prirent la fuite , & peu s'en fallut que les" vainqueurs n'entraffent dans JUSTI- Ann. J3S.  JUSTINIEN. Ann. y38. 14 H/STOIR.E la ville avec les fuyards, qui eurent a peine le temps d'en fermer les portes. Fidelis, s'étant arrêté dans une Eglife prés des murs de la ville , pour y faire fa priere , tandis que les Romains fe retiroient, fe trouva feul affez loin de fa troupe : fon cheval s'étant abattu , quelques Goths coururent a lui, & le tuerent. Comme il étoit généralement eftimé, fa mort caufa une fenfible douleur k Mundilas & a tous les foldats. On continua la route vers Milan, dont les Romains s'emparerent fans coup férir , ainfi que de toute la Ligurie. A cette nouvelle, Vitigès fit partir Vraïas, fils de fa fceur, avec un corps de troupes confidérable. Théodébert, Roi de la France Auftrafienne, fut prié d'envoyer du fecours. Ce Prince, qui avoit traité tout a la fois avec 1'Empereur & avec Vitigès, crut fauver les apparences en faifant marcher, non des troupes Franc,oifes , mais dix mille Bourguignons, qui venoient, difoient-ils , en Italië de leur propre mouvement &c fans ordre de Théodébert , quoiqu'iIs'.fnflent fes fujets depuis l'extinftion du Royaume de  du Bas-Empirë. Liv. XLV. 15 Bourgogne. Avec ce renfort, Vraïas marcha vers Milan, & y mit le fiege. Les Romains, qui ne comptoient , pas d'être fi-töt affiégés ; n'avoient encore fait aucune provifion de vivres. II ne reftoit a Mundilas que trois cents foldats, paree que ce Général ayant pris Bergame, Cöme, Novare , & plufieurs autres places, y avoit diftribué des garnifons. Ainfi les habitants de Milan furent obligés de fe défendre eux-mêmes. Bélifaire, après avoir paffé deux mois a Rome, pour réparer les défordres que le fiege avoit caufés , partit enfin pour 1'ecourir Jean, bloqué dans Rimini, quoiqu'il n'eüt pas fujet d'être content de eet Officier fi peu obéiffant a fes ordres. Chemin faifant, il re$ut è compofition Clufium & Tuderte, d'oü il fit fortir les Goths qu'il envoya les uns a Naples, les autres en Sicile. II les rempla9a par des garnilons Romaines. De fon cöté, Vitigès voulut reprendre Ancöne , place importante, paree qu'elle fervoit de port h la ville d'Auxime, dont elle n'efi: éloignée que de quatre heues, II fit partir Vacis avec des JUSTtNIEH. Un. j 38. VI. Attaque l'Ancöie. Proc. Got. I. 1. c. IJ»  JüSTINIEN. Ann. jjS. "lö UlSTOIRE troupes, & lui ordonna d'yjoindre en paffant, la garnifon d'Auxime. La prife du chateau d'Ancöne, bati fur un promontoire, entrainoit celle de la ville, qui n'étoit point entourée de murailles. Conon l'Ifaurien, Commandant de cette place, au-lieu de s'y tenir renfermé, eut l'imprudence de fortir avec fa garnifon au-devant de 1'ennemi, jufqu'a la diftance de cinq ftades. II rangea fa petite tronpe en rond autour de la montagne fur une feule ligne , comme s'il eüt formé une enceinte de chaffeurs. Dès que les Goths parurent, fes foldats, effrayés du nombre, tournent le dos , & fuyent vers le chateau. Les Goths les pourfuivent vivement , & les habitants craignant de donner entree aux ennemis , ferment les portes , & laiffent leurs gens a la merci des barbares. On fauva Conon en le tirant fur la muraille avec des cordes. Les Goths auroient pris le chateau par efcalade, fans la valeur de deux gardes, 1'un de Bélifaire , 1'autre de Valérien, qui fe trouvant alors par hafard dans la place , repovulerent tous les efforts des  du Bas-Empire. Liv. XLV. 17 affaillants ; & couverts de bleffures, firent quitter prife aux ennemis, avant que de mourir eux-mêmes. Tandis que Bélifaire continuoit fa marche vers Rimini, il apprit que Narsès venoit d'arriver dans le Picenum. Ce célebre eunuque, honoré de la confiance de 1'Empereur , ne s'étoit encore fait connoïtre que dans le palais, oü 1'elTor de fon génie 1'avoit élevé aux premiers emplois. Chargé de conduire un fecours en Italië, il amenoit cinq mille hommes fous pluiieurs Commandants , entre lefquels étoit Juftin , maïtre de la milice d'Illyrie. A cette petite armee, s'étoient joints deux mille Érules, fous la conduite de trois chefs, les plus vaillants de leur nation, Vifande , Alueth , & Phanothée. L'autre Narsès, frere d'Aratius , qui, peu de temps auparavant, avoit auffi amené qiielques troupes a Bélifaire , alla joindre la nouvelle armée. C'étoit un brave guerrier, compatriote del'eunuque, & lié avec lui d'une étroite amitié. Les deux armées fe joignirent prés de Firmum, place tnaritime , k une JUSTINIEtf. Ann. 538. VII. Arrivée de Narfès en Italië. Proc. Got. I. 2. c. IJ. Mare. chr. Zon. torn. II. p. 68. Anaft. hifi^ p. 61, VIII. Jon£tipts de Narf ès  JUSTINIEN. Ann. 738. & de Bélifaire.Pree. Gut. I. 1. (. Ió. < l l ( i ï8 Histoihz journée d'Auxime. On tint confeil en ce^lieu pour délibérer fur Ie parti qu'il falloit prendre. On craignoit pour Rimini. D'une autre part,laif- v> d.err,iere fo1 la vilIe d'Auxime, c'étoit s'engager entre 1'armée de Vitigès & une garnifon nombreufe , qui pourroit les harceler fans ceffe , leur couper les vivres , & les tenir euxmêmes comme affiégés. D'ailleurs, la plupart des Officiers de Bélifaire, indignés contre Jean, qui, par fa témérité indocile , s'étoitlui-même pré:ipité dans ce danger, étoient d'avis de 1'abandonner a fa mauvaife for:une. Mais Narsès, ami de Jean, & jui, peut-être, s'entendoit dès-lors ivec lui pour troubler les opérations le Bélifaire , dont apparemment il imbitionnoit la place , repréfenta 'u'on feroit toujours a ttmps cfajjiéger iuxime , quani on auroit délivré Rivini: que ji on laiffoit prendre cette der'tere place , ce feroit une pene irrêparale, qui infiueroit fur toute la fuite dt 2 guerre, en rendant le courage aux roths, & lefaifantperdre aux Romains ; ue Jean étoit affe^ puni par l'extrémité uüfeyoyoit réduit; &■ que fifonim-  du Bas-Empire. Liv. XLV. 19 prudence mèritoit un autre chdtiment, ce ne devoic pas être aux dêpens de leur honntur & de celui de tEmpire. En ce moment, on recutune lettre de Jean, qui mandoit a Bélifaire, que manquant de pain depuis plujieurs jours , il ne pouvoit plus ré/ijler aux habitants , réfolus de fe rendre; qiCil iiendroil encore une femaine ; mais que ce terme ex* piré, il feroit contraint de céder a la ntcejfné , a(fe{ prefante pour lui fervir d'excufe. A la lefture de cette lettre, Bélifaire, naturellement généreux, ne fentit plus que de la compaffion pour eet Officier. II laiffa mille hommes fousle commandement d'Aratius, dans un pofte avantageux entre Auxime & Rimini. Il fit embarquer fes meilleures troupes , fous la conduite d'Ildiger, avec ordre de n'aborder k Rimini , que quand 1'armée de ter« feroit k portée de la ville. Un détachement commandé par Martin, cö toyoit le rivage, & fuivoit la flot te; il avoit ordre d'allumer granc nombre de feux , lorfqu'il feroit ; la vue des ennemis, pour leur fair croire que c'étoit toute 1'armée. Pou lui, accompagné de Narsès, 8c fui\ JUSTI- NIEN. Arm. 53S. \ l r i  JüSTINIEN. Ann. jjS. IX. Enfant allaité par une chevre. Proc. Got. I- a. e. 17. i j 1 1 t j a fi d P r< a 20 H 1 S T O I R £ du refte des troupes, il prit une rouP^/jloignee de la mer » & paffa par Urbifagha , nommée alors ^zvia pres de Pollence dans le Picenum. Cette ville tellement détruite par Alanc, qu'il n'en reftoit plus qu'une porte, offrit aux Romains au milieu de fes debris un fpeöacle plus intéreffant pour 1'humanité, que les plus iomptueux édinces. Depuis la deftrucïion de Salvia; les habitants raffemblés vivoient dans des cabanes fur les ruines de leur patne. Au paffage de Jean dans le Picenum , ils prirent 1'épouvante : & une femme nouvellementaccouchée, >ofa fon enfant k terre, s'enfuit, & ie reparut plus. Aux cris de I'enfant me chevre accourut, & fit 1'office dé nere, 1'allaitant & le défendant conre les animaux qui en approchoient. ■ rois mois après , lorfque Bélifaire ntra dans Ie Picenum , les habitants vantappris.que ce Général, loin de ure aucun mal k ceux qui étoient e race Romaine, fe déclaroit leur rotetteur, revinrent è leurs demeu■s , & furent étonnés de retrouver ■t enfant plein de vie. Les femmes-  bv BjS'Empire. Ltv. XLV. 21 s'emprefToient k 1'envi de lui préfenter leur fein; mais il refufoit de lir prendre; la chevre tournant fans ceffeautour de lui écartoit ces nourrices importunes, & fembloit les quereller par fes bêlements. On celfa done de le fatiguer, & Ton fe repofa fur la chevre du foin de fon nourriflbn. Procope raconte que lorftm'il étoit fur le lieu a la fuite de Bélifaire , on lui donna ce fpeöacle ; & que comme on faifoit crier 1'enfant, la chevre qui ne s'en éloignoit que d'un jet de pierre, accourut en bêlant, & Ie couvrit de fon corps. Cette aventure fit donner k eet enfant le nom d'Egifihe , paree qu'il fut nourri comme 1'avoit été le fils de Thyefte. Bélifaire,, dont 1'armée étoit fort inférieure en nombre k celle de Vi- fl tigès, la conduifoit par les fommets r de 1'Appennin, & ne doutoit pas que p les Goths, découragés de tant de mau- a vais fuccès , ne prifient le parti de la retraite , dès qu'ils yerroient les Romains prêts k fondre fur eux par plufieurs endroits k la fois. II ne fe trompoit pas dans fa conjeöure. A une JUSTINIEN. Ann. 5381 x. evée du "ge de imini. ■oc. Gota *■ c. 17. 'are. chr.  JUSTINIEN. Ann. y 3 8. at H I S T O I R E ïournée de Rimini, il rencontra im -Sétachement ennemi qui fut taillé en pieces , fans avoir le temps de fe reconnoitre. Ceux qui purent échapper, fe fauverent tout tremblants fur les rochers voifins, d'oü ayant confidéré. 1'armée Romaine qui s'allongeoit dans les gorges étroites de ces montagnes, & que 1'épouvante groffiffoit encore k leurs yeux, iis allerent porter 1'allarme dans le camp de Vitigès, en montrant leurs bleffures , & publiant que Bélifaire alIoit arriver en perfonne k latête d'une armée innombrable. Les Goths fe rangerent en bataille au nord de Rimini , attendant Fennemi de ce cötéla, & regardant fans cefTe les montagnes d'oü ils croyoient k tout moment le voir defcendre. A la fin du jour, ils rentrerent dans leur camp pour prendre du repos; mais ils paflerent la nuit dans 1'inquiétude, voyant h trois lieues du cöté de 1'orient un grand nombre de feux allumés ; c'étoit le corps d'armée de Martin, qui les trompoit par cette apparence. Ils s'attendoient k fe voir enveloppé de toutes parts, lorfque le jour feroit  nu Bjs-EmpirE. Liv. XLV. 13 venu. Dès qu'il parut, un nouveau fpeöacle acheva de les épouvanter. La flotte cingloit a pleines voiles vers le rivage. A cette vue, rien ne put les retenir. A peine fe donnent-ils le temps de lever leurs tentes; ce n'étoit que cris & que tumulte. Ils abandonnent une partie de leur bagage; ils fuyent en confufion, fans écouter les ordres, fans fonger a autre chofe qu'a fbrtir du camp les premiers, & a gagner au plutöt Ravenne. Si les afïïégés avoient eu affez de courage & de force pour les charger en ce moment , c'en étoit fait de 1'armée des Goths, & la guerre étoit finie. Ildiger , qui faifoit dans le même temps débarquer fes troupes, entra fans obftacle dans le camp ennemi, fit prifonniers les malades qui n'avoient pu fuir , & s'empara des bagages qu'on avoit abandonnés. Quelques heures après, Bélifaire arriva avec toute 1'armée; & voyant devant lui les foldats de la garnifon pales & exténués de difette, ainfi que leur Commandant, il dit a Jean, pour lui faire fentir fa faute avec douceur : Kous avei grandi obligadon d la dili- Justx- NIEN. Aon. $38. xr. Brouille» rie de Nar» fès & de Bélifaire,  ÏUSTI- NIEN. Ann. J38. ( < I ] 1 C £ 1 24 Histöirb geneed? Ildiger, qui a ponctuellemcttt exicuté les ordres de fon Génêral. Jean répondit fiérement : Je ne dois rien a Jldiger, & tout d Narsès. Une réponfe fi brufque & fi peu refpeöueufe, fit connoïtre a Bélifaire qu'il avoit dans Narfès un rival plus propre a traverfer fes deffeins, qu'a les feconder. En effet, Narfès étoit, fans contredit, un grand & puiflantgénie; mais il avoit fait fortune k la Cour; & il efi difficile de croire que pour 1'élever de la condition d'efclave aux premières dignités du palais, fes heureux talents ne fe fuflent pas aidés d'un peu d'intrigue & de manege. Ambitieux fans doute , il ne pouvoit être exempt de jaloufie; & il 11e voyoit plus devant lui que Béjfaire. Tous deux avoient de granles vertus ; mais celles de Narfès Jtoient moins franches & plus con:ertées; il en aimoit le brillant; auLeu que Bélifaire, n'envifageant que bn devoir, laifioit venir la gloire i'elle-même, fans jetter lesyeuxfur 11e. Ce qui prouve que telles étoient :s difpofitions de Narfès, c'eft que es artifans de difcorde, qui n'attaquent  dv Bas-Empike. Liv. XLF. 15 quent guere les ames invulnérables, ' oferent animer fa jaloufie, & qu'il prêta 1'oreille k leurs dangereufes inlinuations. Ils lui répétoient fans ceffe , qu'il ne convenoit pas au confidtnt de lEmpereur de marcher a la fuite de Bélifaire, & de ne fe mouvoir que par fes ordres : qu'il ne devoie pas s'attendre que eet impérieux Général lui donnat jamais part dans le commandement: que s'il ofoit lever la téte, 6" déclarer qu'il vouloit commander en chef une partie des troupes, il entraintroit après lui le plus grand nombre desfoldats & les meilleurs Officiers: que fes gardes, les Érules, les troupes de Juflin, de Jean, d'Aratius & de Narfès fon compatriote, formoient un corps de dix mille hommes , aufji braves qu'inviolablement attachés a fa perfonne : que ces vaillants guerriers fouhaitoient avec ardeur que Narfès partagedt avec Bélifaire thonneur de. la conquête : que fans doute en s'éloignant des emplois éclatants qu'il occupoit d la Coury Un avoit pas prétendu venirfe perdre dans Combre de Bélifaire. Ils ajoutoient, que le General, féparé de lui, ne feroit plus en état de rien cntnprendre faute de troupes ; ce qu'ils prétendoient prouver Tome X. B JUSTINIEN.  JUSTISIEN. Ann. 538 XII. Narfès ï'oppofe aux deffeins de Bélifaire. «Ó HlSTOIRE par l'énumération des garnifons qu'il étoit obligé d'entretenir, tant en Sicile que dans toute la longueur de 1'Italie. ■ Narfes, échauffé par ces difcours, fe trouvoit comme a 1'étroit dans un rang fubalterne; il affeétoit legalité. Toutes les entreprifes que propofoit Bélifaire, il ne manquoit jamais de prétexte pour les faire rejetter. Bélifaire , ayant pénétré fes intentions , convoqua tous les Officiers, & leur paria en ces termes : >> Braves Ca» pitaines , il me femble que vous » n'avez pas de 1'état préfent de la » guerre, 1'idée que j'en ai moi-mê» me. Je vois que vous méprifez 1'en» nemi, Comme s'il n'étoit plus a » craindre; & moi je fuis perfuadé » qu'il ne faut que cette confiance »> pour nous mettre en grand péril. » Ce n'eft ni par lacheté, ni par foi»> bleffe que les Barbares ont fui de» vant nous; c'eft notre conduite qui » leur en a impofé : ils ont été trom» pés , mais ils ne font pas vaincus. » Prenez-y garde; la méprife fur ce » point pourroit caufer notre perte. » Souvent celui qui fe croit vain-  du Bjs-Empis.e. Liv. XLV. 27 » queur , enivré de préfomption, v> s'endort & fe précipite; au-lieu » qu'un échec imprévu réveille tou» tes les forces de 1'ame, & lui rend » cette aftivité qui releve les vain» cus. Songez que Vitigès eft a Ra» venne avec une armée encore très» nombreufe; que Vraïas, maitre de » toute la Ligurie, affiege Milan; qu'il » y a dans Auxime une forte garni» fon; & que depuis Rimini jufqu'i » Rome , tout eft pleins d'ennemis, » qui pourroient former plufieurs ar» méés aufli fortes que la notre. Loin » d'être paifibles poffeffeurs de 1'Ita» lie , nous fommes enveloppés de » toutes parts. Nous apprenons mê» me que les Francois fe font joints » aux Goths dans la Ligurie ; allian» ce formidable , qui, redoublant le » péril, doit redoubler nos précau» tions. Je penfe donc qu'il faut en» voyer au fecours de Milan une » partie de nos troupes, tandis que » le refte attaquera Auxime. Si Dieu » favorife nos armes, ainfi que je w 1'efpere, le fuccès nous guidera k » d'autres entreprifes ". Cette propoêtion de Bélifaire fut k 1'ordinaire B ij JVSTlNIEK. ^.nn. 53S,  JuSTIHJEN. Ann. 5 38, 2.0 HlSTOIRE combattue par Narfès : c'étoit, k fon avis, mal employer les forces Romaines, que de les occuper toutes entieres devant deux villes. » Prenez » avec vous une partie des troupes, » dit-il k Bélifaire, & conduifez-les » oü vous jugerez k propos. Nous » irons avec le refte attaquer 1'Émi» lie; c'eft le centre de 1'Empire des » Goths. En faifant trembler Raven» ne, nous vous mettrons en état de »> tout entreprendre , fans craindre » que les ennemis puiffent être fe» courus. Si nous nous arrêtions avec » vous devant Auxime, je craindrois » que les Barbares, fortant de Raven» ne, ne vinffent nous aflléger nous» mêmes, & ne fiffent périr notre ar» mée en lui coupant le palfage des » vivres ". Bélifaire fentit les conféquences de ce difcours. Divifer les forces Romaines, c'étoit les anéantir en rompant le concert qui fait le fuccès d'une expédition. Pour fermer la bouche k Narfès, il produifit une lettre de 1'Empereur , qu'il avoit jufqu'alors tenue fecrete. Elle étoit adreffée aux Commandants des troupes , & con5ue en ces termes : En mvoyant  du Bas-Empire. Liv. XLV. 29 en Italië Narfès, Intendant de nos finances , nous ne lui donnons pas le pouvoir de commander notre armee : nous entendons que Bélifaire en ait feul le commandement , & qu'il employé nos troupes felon qu'il le jugera conrenable. Nous vous ordonnons d tous de fuivre fes ordres pour le bien de notre fervice. Narfès prit de ces dernieres paroles un prétexte pour éluder 1'ordre contenu dans la lettre, prétendant que dans la conjonfture préfente , Bélifaire agiflbit contre le bien du fervice , & que par conféquent on n'étoit pas obligé de lui obéir. Le Général, fans vouloir s'engager dans une conteftation peu aflortie k fa dignité, & moins encore k fon caraftere, envoya Perane alïiéger Orviete avec un détachement. II marcha lui-même vers Urbin, place importante , k une journée de Rimini. Les Goths y tenoient une forte garnifon, commandée par un Officier de réputation , nommé Morrhas. Narfès , Jean & les autres Capitaines de leur faftion, fuivirent Bélifaire ; mais lorfqu'on fut arrivé devant la ville , ils fe féparerent de lui. Bélifaire aB iij JUSTINIEN. Ann. 538. xiir. Narfès fe fépare de Bélifaire. Proc. Got. I. 1. e. 10. Mare. chr. Zon. t. Ih p. 68.  Justi- n1en. Ann. 538 30 HlSTOIRE voit pofé fon camp a 1'orient de la place, ils allerent camper a 1'occident. Urbin étoit bati fur une colline circulaire, fort élevée , qui, fans être efcarpée , ne donnoit pas un acces facile a caufe de la roideur de fa pente, excepté du cöté du nord. Bélifaire , efpérant que les ennemis , après la fuite de Vitigès , n'attendroient pas un affaut, leur envoya offrir une compolition favorable. Mais les Goths, fans permettre aux députés d'entrer dans la ville , rejetterent la propofition , & leur ordonnerent de fe retirer fur le champ. Ils comptoient fur le bon état de la place, avantageufement fituée & bien fournie de munitions. Bélifaire auffitöt donna ordre de conftruire une galerie pour aller a la fappe, & de la faire avancer'vers la muraille par 1'endroit oü le terrein étoit plus bas & plus commode pour les approches. Les partifans de Narfès affectoient de rire de ces préparatifs : k lesentendre, Bélifaire entreprenoitVimpofjible ; Jean s'étoit déja préfenté devant cette place , lorfqü'elle ri avoit encore qu'une foible garnifon, & t'avoit  nu Bas-Empirê. Liv. XLP~. 31 jugée imprmable. Ils difent vrai en ce point; mais Jean , quelque idéé qu'il eüt de fon mérite , n'étoit pas Bélifaire. Ils ajoutoient, quil ne convenoit pas d Narfès de perdre du temps d un fiege inutile ; qu'il devoit bien plutót employer Jes troupes d la conquête de VEmilie. Narfès écouta ces confeils; & ayant décampé pendant la nuit, malgréles inftances de Bélifaire, il regagna Rimini en diligence, fuivi de fes partifans & de leurs foldats. Au point du jour, Morrhas & la garnifon , voyant que la moitié de 1'armée Romaine s'étoit retirée, infultoient le refte par de piquantes railleries. Cependant Bélifaire étoit réfolu de continuer le fiege. Le hafard le fervit mieux qu'il n'efpéroit. II n'y avoit dans Urbin qu'une fontaine qui fournilfoit de 1'eau a toute la ville; elle tarit en trois jours, en forte que les habitants fe déterminerent k fe rendre. Le Général Romain n'étant pas inftruit de leur réfolution, s'avangoit pour donner un affaut , lorfqu'il s'appergut que les affiégés, au-lieu de fe préparer k h défenfe , lui tendoient les bras, & B iv JUSTINIEN. Ann. 538. XIV. Urbin fe rend.  JUSTI. NI EN. Aan. J38. i XV. Prife d'Orvie- 1 te. ; Proc. Got. j l- 2. c. 20. Mare. ehr. ( I C i c i t demandoient a capituler. II y Confentit avec joie. Les Goths eurent la vie fauve, & s'engagerent k fervir dans les troupes Romaines. Narfès n'apprh pas fans changrin un fucces dont il avoit refufé de partager Ja. gloi.re- po»r en acquérir de fon cote, il envoya Jean attaquer Céjene. Celui-ci fut vivement repouffe dans un affaut, oü il perdit grand nombre de foldats , & entre autres Officiers, Phanothée, Commandant des Erules. Rebuté de ce mauvais fuccès , il marcha vers Imola, qu il furprit; & fes Barbares abanionnant fes places fans ofer en venr aux mains, il fe rendit maitre 1 une partie de 1'Emilie. Après la prife d'ürbin, Bélifaire ie jugea pas a propos d'affiéger Auurne; la faifon étoit trop avancée, k la place paroiffoit en état de fe léfendre long-temps. II mit dans irmum en quartier d'hy ver un gros étachement, pour arrêter les cour;s de la garnifon d'Auxime, & marha vers Orviete. Pérane,qui affiéeoit cette place, apprenant des tranf. ïges que fe& vivres y manquoient3  bv Bas-Empire. Liv. XLF. 33 efpéroit q.u'elle ne tarderoit pas a rendre , fi le Général fe préfentoit devant les portes. Bélifaire , après avoir placé fon camp dans le pofte le plus avantageux , fit le tour de la place pour confidérer par quel endroit il devoit 1'attaquer. Elle étoit fur une colline ifolée, dont le pied étoit efcarpé & impraticable ; le haut fe terminoit en plate-forme. A un jet de pierre, s'élevoit tout a 1'entour des rochers de même hauteur ; entre les rochers öc la colline eouloit une riviere profonde, qui ne laiffoit qu'un paffage étroit, oii les anciens Romains avoient bati une tour; en forte qu'il ne reftoit d'entrée que par une porte, oii les Goths avoient pofté une forte garde. Quoique la ville n'eüt ni murailles , ni autre fortification , fa fituation feule la défendoit de tout, excepté de la famine. Tant que les Goths eurent affez de vivres pour ne pas mourir de faim, ils ne parierent pas de fe rendre. Lors même que leurs provifions furent épuifées, ils fe foutinrent encore quelques jours , en mangeant les peaux & les cuirs déB v JUST1- N1EN. \nri. 538.  JUSTINIEN. Ann. 538. XVI. Horrible famine en Italië. Proc. Got. I- 2. C. 20. Ccff.l.ii. ep. 28. Anaft. vita Sitver. Hifi. mifc. L 16. 1 ] I | 1 i 3 i < « 1 34 H I S T Ó I R E trempés dans 1'eau. Leur Commandant Albilas , renommé pour fa valeur , les repaiffoit de vaines efpérances. Enfin, ils ne fe rendirent que lorfqu'il leur refioit a peine affez de force pour capituler. Au fléau de Ia guerre qui défoIoit 1'Italie , fe joignit cette année une horrible famine. Comme les terres n'avoient pu être enfemencées, le bied manqua tout-è-fait dans la Ligurie, FEmilie , Ia Tofcane, le Picenum , & Ia Dalmatie fut bientöt épuifée. Les peuples de PEmilie fe retirerent dans le Picenum , ou ils ïfpéroient trouver des fubfiftances k :aufe du voifinage de la mer. Ils y róuverent Ia mêmedifette, & mou■oient de faim avec les habitants, lont ils augmentoient Ia mifere. Pro:ope dit qu'il périt cinquante mille lommes en cette feule Province; e qui paroit tout-a-fait incroyable. Dans le voifinage de 1'Apennin, on it du pain de farine de gland , qui aufa des maladies , dont bien des ;ens moururent. On ne voyoit que les corps décharnés, dont la peau ivide étoit collée fur.les os; des vi-  du Bjs-Empirê. Ltv, XLF. 35 fages haves, defféchés , teints d'un noir de fumée , Sf femblables a des torches éteintes ; des yeux hagards , fortans de la tête, & tels que ceux des frénétiques. Les miférables qui trouvoient quelque aliment, s'en rempliffant avec avidité , mouroient encore plutöt qu'ils ne feroient morts de la faim. II y en eut qui fe dévorerent les uns les autres.- Datius, Evêque de Milan, rapportoit qu'une femme attachée au fervice de fon Eglife, avoit mangé fon propre enfant. Prés de Rimini, deux femmes étoient reftées feules de tout un village ; & donnant a loger aux paffants, eiles les égorgeoient pendant leur fommeil, & s'en nourrhToient. Elles avoient déja tué dix-fept hommes. Le dix-huitieme s'éveilla lorfqu'elles approchoient de fon lit; &£ après avoir tiré de leur bouche l*aveu de ces horreurs, il les maffacra. La campagne étoit couverte de morts , dont les mains étoient encore attachées aux herbes, & aux racines qu'ils n'avoient pas eu la farce d'arracher. Ces cadavres demeuroient fans fépukure, rebutés même B vj JUSTINIEN. V.nn. 538.  XUSTIN1EN. Ann. 538* XVII. Continuation du fiege de Milan. Pree. Gut. I. 2. c. 21. Mare. ckr. Zon. t. 11, p. 68. Murat. annal. d'I- ui. t. ia. s- sH. '. ) 3<5 fflSTOIHB par les oifeaux de proie , la fair» ayant déja confumé toutes les chairs» Caffiodore,, encore Préfet du Prétoire, fit pour le (oulagement des peu» pies tout ee que lui permettoit 1'épuifement du tréfor public. Peu de temps après, prévoyant la chüte du Royaume des Goths, ce grand perfonnage quitta Ia Cour, è laquelle H auroit du renoncer après Ia mort d'Amalafonte , & fe retira prés de Squillace , fa patrie, dans le chateau de Viviers, oii il fonda un monaftere» Le fiege de Milan continuoit avec vigueur , Bélifaire avoit envoyé au fecours Martin & Vliaris., a la tête dun grand corps de troupes. Ces deux Officiers , arrivés au bord du Pö, a une journée de la ville , s'y arrêterent long-temps a chercher les moyens de paffer le fleuve. Mundilas , qui eommandoit dans Milan , leur députa un Romain, nommé Paul, qui, ayant pafle le Pö a la nage, leur repréfenta 1'extrémité oii la ville étoit réduite, I'importance de la place, & le déshonneur qu'ils s'attireroient , s'ils la laifFoient prendre >ar les Goths. On renvoya Paul,.a-  vv Bas-Empire. Liv. XLV. 37 Vee promeffe de le fuivre inceflamment. De retour k Milan , il rarama les habitants & la garnifon par 1'efpérance d'un prompt fecours. Cependant Martin ne fe preffoit pas ; & après avoir perdu plufieurs jours, il écrivit a Bélifaire , que fes troupes effrayées du grand nombre de Goths & dt Bourguignons rajfemblés autour de Milan , refufoient de paffer le fleuve ; qut Jean & Jujlin étoient acluellement er, Emilie avec des troupes confidérables . qiiil avoit befoin de ce renfort pour ba lancer les forces de fennemi. Aufli-tö Bélifaire dépêcha fes ordres k Jeat & a jultin; ils répondirent , quil. n avoient d'ordre d recevoir que de Nar fes. Bélifaire, qui avoit 1'ame tro] grande pour facrifier au point d'hon neur le bien des affaires , écrivit Narfès , que toutes les troupes de l'Em pereur ne formoient qu'un corps; qu fi les membres n'agiflbient dé concert, t corps entier feroit buntót détruit : qi< la conquéte de Ü Emilie qui n avoit poir de places fortes, n étoit pour le préfer. de nulle importance ; mais que Milan toit un des boulevards de LItalië: qu étoit lui-même trop éloigné pour y er JUSTINIEN. Ann. 5 y& i r » i e 'e e •t e li $  JlISTINIEN. Ann. 538, Ann. 539. XVIII. Prife & faccagerr.ent de Wilan. 1 33 HlSTOIRE voyer des troupes, qui, après un long trajet, arriveroient fatiguées, avec des chevaux recrus , harraffés , & hors d'état dejervir fur le champ ; au-lieu que Jean & Juf in pouvoient en peu de temps joindre Martin & Vliaris : que ces forces reünies diffiperoient aifément les ennemis , & feroient enfuite fans obllacle la conquête de l''Emilie. Narfès fe rendit a ces raifbns, & fit partir les deux Capitaines. Jean, étanf allé raffembler des barques fur la cöte de Ligurie , pour s'en fervir au paffage du Pö, tomba malade , & 1'armée de fecours demeura en-decji du fleuve. ; Pendant tous ces délais , les afïi'égés, preffés de la famine, en étoient réduits a manger les chiens, les rats & les animaux les moins propres a la nourriture des hommes. Les Barbares envoyerent propofer a Mundilas lavie fauve pour lui & pour fa garnifon , s'il vouloit rendre la ville. II répondit qu'il étoit prit d'ac:epter la condition, fi 1'on vouloit y :omprendre les habitants. Sur le rerus des Goths, il exhorta la garnifon i /aire une fortie pour mourir avec lonneur , fi la fortune ne fecondoii  nu Bas-Empire. Liv. XLV. 39 pas leurs efforts, plutöt que de livrer tant de Romains k la fureur des Barbares. Les foldats, révoltés d'une propofition fi défefpérée , envoyerent dire aux ennemis qu'ils acceptoient leurs ofTres, & ouvrirent les portes. Les Goths leur tinrent parole ; mais ils les firent prifonniers avec Mundilas, & les conduifirent a Ravenne. Les habijants, föns diftin&ion dage ni de condition, furent paffés au h*l de 1'ëpée. Procope dit qu'il en périt trois cents mille , nombre peu vraifemblable , Milan n'étant pas alors auffi étendu qu'il eft aujourd'hui; quoiqu'on puiffe fuppofer que les habitants des campagnes s'y étoient retirés. On abandonna les femmes aux Bourguignons pour récompenfe de leurs lervices. Réparat, Préfet du Prétoire , frere du Pape Vigile, fut haché en pieces. & fes membres furent jettés au> chiens. Cerventin , qui fe trouva dan! Milan., fe fauva en Dalmatie, & alh porter a 1'Empereur cette trifte nou veile. L'Evêque Datius, dont le zeh pour la religion & pour TEmpin avoit attiré la ruine de fa patrie , eu JUSTINIEN. A.nn. 539- L t  JUSTIKIEN. Ann. 539, XIX. Narfès rappellé. Proc. Got. I- 2. c 22. Mare. chr. Zon. t. U. e- 68. 4© fflSTOIRB aufïï le bonheur de fe fauver & de fe retirer a Conftantinople. La ville fut faccagée & prefque dérruite. Les Goths recurent k compofition les autres villes oü les Romains avoient garmfon , & fe rendirent maïtres de toute la Ligurie. Martin & Vliaris couverts de honte, retournerent joindre Bélifaire. Mundilas, avec trois cents hommes, avoit tenu plus de lix mois contre une armée nombreufe, & la ville ne fut prife qu'au commencement de 1'année 539. Bélifaire étoit en marche vers Ie Picenum , pour y ouvrir Ia campagne par le fiege d'Auxime, lorfqu'il recut la nouvelle de la prife de Milan. Pénétré dune vive douleur, il refufa de voir Vliaris, dont il étoit deja mécontent, k caufe de la mort de Jean 1'Arménien ; & depuis ce temps-la, jamais il ne permit k eet Officier de paroitre en fa préfence. L'Empereur, inftruit de ce défaftre, irit le parti de rappeller Narfès, dont a méfintelligence avee Bélifaire , Jouvoit ruiner les affaires en Italië, ^orfque les Erules virent partirNarès, auquel ils étoient attachés , il*  du Bas-Empirz. Lh. XLV. 41 ne voulurent plus fervir dans 1'armée Romaine; & malgré les inftances & les promefles de Bélifaire, ils prirent la route de la Ligurie. Ils y rencontrerent Vraïas, auquel ils vendirent leur butin, & promirent de ne plus porter les armes contre les Goths. Mais ils ne garderent pas long-temps leur colere. S'étant retirés en Dalmatie, Vital qui y commandoit, vint a bout de les appaifer. Ils laifferent auprès de lui Vifande, un de leurs chefs, avec fes troupes : le refte retourna k Conftantinople , fous la conduite d'Alueth & de Philémuth, fucceffeur de Phanothée. Vitigès, enfermé dans Ravenne , s'attendóit k s'y voir bientöt afliégé. Trop foible pour réfifter feul aux forces Romaines , il fongeoit k s'appuyer des autres Barbares. II ne comptoit pas fur la bonne foi de Théodébert, qui avoit en même-temps traité avec les Romains & les Goths. II s'adreffa donc aux Lombards, dont le Roi, nommé Vacon , régnoit glorieufement après avoir fubjugué les Sueves. Vitigès lui envoya des Ambafiadeurs, & lui offroit de grandes JUSTINIEN. Ann. 539. XX. Vitigès implore le iecours des Lombards 8c des Perfes. Proc. Gat. I. z. c. 2U Paul üiac% /. I. c. 2U Valtf. hifi. Franc. l< 7«  Justinten.Ann, ;j 9 42 H I S T O I R E fommes d'argent, pour 1'engager k venir a fon fecours. Vacon étoit al. 1*4 de 1'Empereur , & cette tentative fut fans fuccès. Dans 1'extrême embarras oü fe trouvoit le Roi des Goths, il affembloit fouvent fon confeil, pour délibérer fur les reffources auxquelles on pourroit avoir recours. Après beaucoup d'avis propofés & combattus tour-a-tour , un des Seigneurs repréfenta: Que les Romains riavoient tourné leurs armes vers fOccident, que depuis qu'ils n'étoient plus occupés contre les Perfes : que c'étoit d la faveur de cette paix qu'ils avoient détruit les Vandales , terrafé les Maures , attaqué les Goths ; que Ji Von venoit a bout de faire prendre les armes au Roi de Perfe , cette diverfion les obligeroit de laiffer en repos les autres veuples pour porter toutes leurs forces contre ce redoutable ennemi. Cette propofition fut applaudie. On fit partir deux Prêtres. Liguriens , auxquels on promit récompenfe, s'ils réufliffoient clans cette négociation. Pour Ie donner plus de confidération au?rès de Chofroës, 1'un prit la qua-  bv Bas-Empire. Liv. XLV. 43 .Bt'e d'Evêque , 1'autre faifoit ün röle fubalterne. Dans la difpofition oii fe trouyoit alors Chofroës , il n'étoit pas difficile de 1'engager a une rupture o\\vérte avec 1'Empire. Ce Prince, politique , jaloux de la puiflance que les Romains acquéroient en Occident, par la conquête de 1'Afrique & de ITtalie, avoit déja excité Alamondare k faire naitre quelque occafion de guerre. Deux ans auparavant, ce Sarafin , toujours prêt k tirer 1'épée, ne trouvant pas de quoi faire fubfifter fes troupes dans un pays auffi fee & ftérile que Tétoit 1'Arabie , étoit entré dans 1'Euphratefienne k la tête de quinze mille hommes. Mais Bazas , Commandant des troupes Romaines , 1'avoit par fon adreffe & par de riches préfents, engagé k fe retirer. A la follicitation de Chofroës, il chercha querelle k Aréthas , chef des tribus Sarafines attachées aux Romains, fous prétexte qu'Aréthas ufurpoit la fouveraineté fur un grand pays. C'étoit une lifiere qui s'étendoit au midi de Palmyre. depuis la Paleftine jufqu'a 1'Euphra- JüSTI» NIEN. ■ Ann. 5 39. XXI. Difpofitions de Chofroës, Proc. Per/, t. 2. c. I. Idem anecd. c• 11. Mare. chr.  JüSTINIEN. Ann. 539. 1 : ] 1 ] < 44 H1 s t 0 1 r e te, dans 1'efpace de dix journées. On Ia nommoit Strata, paree qu'elle étoit traverféepar un chemin pavé de grandes pierres. La terre brülée des ardeurs du foleil , n'y produifoit ni rruits ni moiffons ; mais feulement quelques herbages ou 1'on envoyoit paitre les troupeaux. Aréthas prétendoit que ce terrein appartenoit a 1'Empire; il le prouvoit, & par la dénomination Latine, & par le témoignage des anciens du pays. Alamondare loiitenoit que ceux qui y faifoient paitre des troupeaux, avoient toujours reconnu fon domaine, en lui payant le droit de p3turage. II appuya fes raifons de la force des armes, & battit Aréthas. L'Empereur, prévoyant les fuitesque pouvoit avoir cedifférend, envoya pour leterminer Ie Patrice Stratege, fon tréforier, aufïi Jifl-ingué par fa prudence que par fa. ïoblelTe , & Summus, ancien Comriandant des troupes de Paleftine, frere de ce Julien qui avoit étéAmwffadeur en Ethiopië. Ces deux dé)utés ne s'accordoient pas mieux que es deux Princes Sarrafins. Stratege :onfeilloit a 1'Empereur d'abandon-  du Bas-Empirb. Liv. XLV. 45 ner un terrein ftérile & de nulle valeur , plutöt que de fournir un prétexte de guerre a 1'impatience de Chofroës: Summus, au contraire , écrivoit a la Cour, qu'on ne pouvoit fans honte laiffer envahir une poffeflïon li légitime. II profita même des conférences qu'il avoit avec Alamondare, pour le tenter par de belles promeffes, & lui remit a eet effet une lettre qu'il difoit être de Juftinien. Le Sarafin n'en fit pas d'autre ufage que de 1'envoyer a Chofroës. Le Roi de Perfe en produifoit encore, qu'il prétendoit lui avoir été remifes par les Huns, que l'Empereur follicitoit k faire une irruption dans la Perfe. De ces lettres vraies ou fuppofées, Chofroës prenoit avantage pour taxer Juftinien de perfidie. Les députés de Vitigès arrivés en Perfe , fans être découverts par les gardes de la frontiere, qui, dans un temps de paix , ne croyoient pas avoir befoin de beaucoup de vigilance, furent préfentés k Chofroës; » Grand Roi, lui dirent-ils, Viti» gèi nous envoye pour plaider de» vant vous votre propre caufe. C'eü JUSTINIEN. Ann. 539,' xxn: Députés de Vitigès a Chof- ( roè's. Proc Perf. I. 2. t, 2,  J.USTINIEN. Ann. y39 46' HlSTOIRE ' » lui qui vous parle par notre bou» che. Ne peut-on pas dire que vous » abandonnez vos Etats & toute la » terre a 1'ambition de Juftinien ? Cet j» ufurpateur artificieux, qui fejoue » des traités & des ferments, étend » fes prétentions fur tous les Royau» mes du monde. II n'a fait la paix » avec vous, que pour acquérirdes » forces, & vous préparer une nou» veile guerre. II nous traitoit com» me fes amis, tandis qu'il fubju» guoit les Vandales. Devenu plus » puiffant, il a tourné fes armes con» tre nous; il les tournera contre » vous, s'il vient a bout de nous dé» truire. Rompez une paix qui vous » eft auffi préjudicable qu'a nous» mêmes. Voyez dans nos défaftres » 1'image de ceux dont les Perfes » font menacés. Ne vous flattez pas » que les Romains puiffent jamais »> devenir vos amis. Vous pouvez » défarmer leurs bras ; mais vous n'é » toufferez jamais dans leur cceur »> cette haine mortelle , auffi ancien» ne que leur Empire : elle éclate» ra toutes les fois qu'ils fe croiront » en état de vous en faire fentir les  nv Bas-Eïipire. Liv. XLF". 47 » effets. Nous occupons maintenant » les armes Romaines ; ne laiflez pas » échapper 1'occafion. II vaux mieux » fe mettre en füreté en prévenant » 1'ennemi, que de s'expofer a tout >> perdre en attendant fes attaques". Ces raifons étoient appuyées dans le cceur de Chofroës par la jaloufie qu'il avoit con9ue contre Juftinien. II réfolut donc de recommencer la guerre. La révolte des Arméniens contre 1'Empire, le confirma dans ce deffein. Voici ce qui fe paffoit alors dans ce pays. L'Empereur voulant récompenfer Symeonès des fervices qu'il avoit rendu aux Romains dans la guerre précédente contre les Perfes , le mit en poffeffion de quelques villages d'Arménie. Les légitimes poffeffeurs, fe voyant dépouillés, tuerent Symeonès, & s'enfuirent en Perfe. Juftinien donna ces mêmes villages a Amazafpe, neveu du mort , & joignit a cette faveur le gouvernement de 1'Arménie. Quelque temps après , Acace, très-méchant homme, mais aimé de 1'Empereur , accufa le Gouverneur de s'entendre avec les Perfes, pour leur livrer Théodoliopolis, & quel- JUSTINIEN. Ann. 539. XXIII. Affaires d'Arménie. Proc. Pirf. t. 2. c. 3.  JUSTINIEN. Ann. 539 XXIV. Mort de Sittas. 43 JJlSTOlRE ques autres villes. L'Empereur lui ayant permis de prévenir cette trahifon , il tua Amazafpe, & fut re=vêtu de fa charge. II ne la pofféda pas long-temps; plufieurs Arméniens, funeux de fes cruautés & de fes rapmes, 1'anaffinerent & fe fauverent dans la forterelfe de Pharange. Sittas , qui étoit k Conftantinople depuis la paix faite avec les Perfes, fut envoyé en Arménie. II ufa d 'abord de ménagement pourtacher d'adoucir les rebelles, & de faire revenir dans le pays ceux qui s'étoient retirés fur les terres des Perfes. Mais comme 1'Empereur , féduit par les calomniesd'Adolius, filsd'Acace, lui faifoit des reproches de fon inadion , il réfolut de combattre. Pour diminuer le nombre des ennemis, il effaya d'en attirer quelques-uns au parti des Romains. Les Apétiens, nation nombreufe & puilfante , fe laifferent gagner, & lui promirent de fe ranger de fon cöté, pourvu qu'il s'engageat par écrit k leur conferver leurs terres & tout ce qu'ils poffédoient. Sittas leur envoya cette promeffe fignée de fa main, tk marcha anx ennemis  du Bas-Empire. Lh. XLV. 49 nerais avec toutes fes troupes. Le courier s'égara, 6c un detachement de 1'armée Romaine , qui n'étoit pas inftruit de cette convention , rencontra un parti d'Apétiens, & les tailla en pieces. Sittas lui-même ayant fur-» pris dans une caverne un grand nombre de leurs femmes & de leurs enfants, les fit maffacrer fans les connoïtre. Ces hoftilités irriterent les Apétiens, qui fe joignirent aux autres peuples de 1'Arménie. Comme le pays étoit coupé de montagnes & de précipices, les deux armées étoient obligees de combattre par pelotons en plufieurs endroits k la fois. Sittas ayant appergu au-dela d'un yallon une troupede cavaliers Arméniens, courut k eux k la tête d'un petit efcadron, & palfa le vallon. Voyant les ennemis prendre la fuite, il s'arrêta pour fe repofer. Un cavalier .Erule quirevenoitdela pourfujte , courant a toute bride, rompit maï-adroitement la lance de Sittas; & comme ce Général avoit öté fon cafque pour fe rafraichir , il fut reconnu par les ennemis, qui le voyant fi peu accompagné, revinrent fur lui. Sittas, fans autres Tornt X. C Justi- NIEN. A.nn. $39,  Justinten.Ann. y 35 XXV. Perfid «ie Buzè 50 HlSTOlRE armes que fon épée, tourna bricle pour repaffer le vallon ; & tandis . qu'il le traverfoit, les Arméniens le pourfuivant avec ardeur, il fut atteint par Artabane 1'Arfacide , qui le perca d'un coup de lance. Ainfi mourut dans une rencontre obfcure ce grand Capitaine, dont les exploits auroient mérité une fin plus brillante. C'étoit 1'homme le mietïx fait dé fon temps, rival de Bélifaire en fait de valeur & d'habileté. Buzès fut envöyé pour lui fuccé£ der. Arrivé prés dit camp des rebel' les, il leur promit le pardon, & invita les principaux a une entrevue. La plupart refuferent par défiance dé 1'aller trouver. Mais Jean 1'Arfacide, pere d'Artabane, & depuis long-temps ami de Buzès , fe rendit auprès de lui avec fon gendre BafTacès & quelques autres Seigneurs. Ils s'arrêterent dans le lieu marqué pour la conférence du lendemain. Pendant la nuit, Baffacès s'étant appergu que 1'armée Romaine fe difpofoit a les environner, en avertit fon beau-pere , le preffant dé fe mettre en füreté par une prompte fuite. Comme Jean , par un ex-  du Bas-Empire. Liv. XLF. 51 c«s de confiance en 1'amitié de Buzès, perfiftoit k demeurer, Baflacès fe fauva avec les autres avant que les Romains les euffent enveloppés. Jean étant refté feul, fut tué par ordre de Buzès. Cette perfidie fit connoïtre aux Arméniens , qu'ils n'avoient point de grace a efpérer. N'étant pas en état de réfifter feuls aux forces de 1'Empire, ils implorerent le fecours de Chofroës. Baffacès, chef de 1'ambaffade, lui rappella 1'ancienne alliance des Rois d'Arménie tk. des Rois de Perfe. II lui repréfenta : » Que les » Romains n'avoient exécuté aucune » des conditions dont ils étoient con» venus avec le dernier Arfacès qui » leur avoit cédé le Royaume d'Ar» ménie : que Juftinien, qui fe difoit » ami de Chofroës, étoit en effet » 1'ennemi de tous les Rois & de » toutes les nations : que les Zan» nes affervis, les Lazes fubjugués, » la ville de Bofphore envahie fur » les Huns, 1'Afrique conquife, l'I» talie fur le point de 1'être, étoient » autant de preuves de fon ambi» tion démeiurée : qu'il étoit allé c ij JUSTI- >-NIEN. Ann. 539. XXVT„ Ambaffade des Ar"méniensa Chofroës.  JUSTINIEN. Ann. y39. 1 1 i s » * >; M » » » 52 HlSTOIRE » chercher au bout du monde les » Ethiopiens & les Homérites, pour » les armer contre les Perfes : que » dans fes injuftes projets, il embraf*> foit tout 1'univers : Qu'attendez»» vous, Seigneur, ajoutoit-il? Pour» quoi laiffez-vous périr tant de peu» pies, pour être vous-même dévo» ré le demier ? Vous réfervez-vous » pour éprouver le fort des Vandales » & des Maures ? N'a-t-il pas tenté de » corrompre Alamondare ? n'a-t-il » pas follicité les Huns k fondre fur » vos Etats ? Et vous feul, le plus » grand des Rois , vous obfervez * fcrupuleufement une paix qui ne > fubfifte plus. N'eft-ce pas 1'avoir > rompue, que de faire fourdement > la guerre par de perfides intrigues ? » Ordonnez feulement k vos troupes » invincibles de marcher; elles ne > trouveront point d'ennemis. Toutes les forces Romaines font occupées en Occident. L'Empereur avoit deux Généraux, Sittas & Bélifaire: nous venons de vous défaire de Sittas : Bélifaire n'eft plus au fervice de Juftinien; las d'obéir a un maïtre injufte & méprifable, il tra-  nu Bas-Empire. Liv. XLV. 53 » vaille k fe faire lui-même une fou» veraineté en Italië ". J'expliquerai dans la fuite ce qui donnoit occafion de parler ainli de Bélifaire. Chofroës entendit ce difcours avec plaifir ; il fit affembler les Seigneurs, en qui il avoit le plus de confiance, pour délibérer fur les inftances de Vitigès & des Arméniens, qui fe trouvoient auffi conformes, que s'ils euffent agt de concert. La guerre fut réfolue pour 1'année fuivante. Les Romains n'avoient encóre aucune connoiffance de ces mouvements. Dans ce même temps parut une comeie qui s'étendoit d'orient en occident. Elle fe montra dans le figne du Sagittaire, & fembloit fuivre le foleil qui étoit alors dans le Capricorne. Elle avoit la fbrme d'une lance. On la vit plus de quarante jours; & le peuple ne douta pas que ce ne fut une annonce de Ia guerre, k laquelle on apprit alors que fe préparoit Chofroës. Des deux Prêtres Liguriens députés par Vitigès, 1'un étoit mort en Perfe, 1'autre y réfidant y avoit renvoyé 1'interprete de 1'ambaffade, pour rendre compte au Roi C lij JUSTINIEN. Ann. $39. XXVIt. Juftinien rache d'appaifer Chofroës. Proc. Per/. I. 1. c. 4 , '4-  JUSTINIEN. Ann. 539. XXVIII. II entre en négociationavee Vitigès.Froc. Got. I. 2, f. 22. 54 HlSTOIKE des Goths. Cet interprete fut arrêté prés de Conftantine , par Jean, qui commandoit en Méfopotamie, & lui révéla tout le fecret de la négociation. Juftinien allarmé, chercha les moyens de conjurer 1'orage. Anaftafe, dont le zele avoit étouffé quatre ans auparavant a Dara la révolte de Jean Cottiftis , étoit pour lors k Conftantinople. Comme il avoit des liaifons en Perfe, Juftinien le chargea d'une lettre pour Chofroës. II repréfentoit k ce Prince les conféquences d'une rupture; il lui mettoit devant les yeux fes ferments tk la vengeance divine, qui ne fe laiffoit pas défarmer par des prétextes frivoles, propres tout au plus k tromper les hommes. Chofroës ne répondit point k cette lettre, & ne permit pas même a 1'envoyé de fortir de Perfe. L'Empereur, croyant avoir befoin de toutes fes forces contre un ennemi fi redoutable, fongeoit a terminer la guerre en Occident. II renvoya les députés de Vitigès qu'il retenoit depuis deux ans k Conftantinople , 8c promit de députer lui-même k Ravenne pour traiter de la paix. Béli-  du Bas-Empirb. Lh. XLV. 55 faire arrêta les envoyés des Goths a leur retour en Italië, & ne les re- J. lacha qu'après avoir obligé Vitigès As h mettre en liberté Pierre Sc Athanafe , que Théodat avoit retenus pri- . fonniers. Ces deux négociateurs étant revenus a Conftantinople furent dédommagés par 1'Empereur, des mauvais traitements qu'ils avoient effuyés dans une captivité de trois ans. Pierre fut revêtu de la charge de Maitre des offices, & Athanafe nomméPréfet du prétoire d'Italie. ÏJ"Pendant-le cours de ces diverfes : négociations, Bélifaire fe hatoit d'a- * chever la conquête de 1'Italié. Son ddeffeinétoit d'attaquer Ravenne; mais m pour affurer feS derrières, il falloit auparavant fe rendre maitre de Fé- m fules & d'Auxime. II envoya Cyprien & Juftin faire le fiege de Féfules, &i pour empêcher Vraïas qui étoit dans Milan , de venir au fecours de la place, il fit marcher vers le Pö, Martin, Jean le fanguinaire, & un autre Jean, furnommé Phagas, c'eft-Adire , le mangeur. Ceux - ci avoient ordre de fuivre Vraïas par-derriere, s'ils n'étoient pas aflez forts pour lui C iv USTIIIEN. in. 539- ÖCIX. iege de fules & luxi- oc. Got. 1. c. 2.3. are. ckr.  justinien. Ann, jjj i ] 1 ] i 56 Hjstoire" fermer Ie paffage. Ils s'emparerent de iortone, qui n'avoit aucune fortifi. , ration, & y Iogerent leurs troupes. Bélifaire, a Iatêtededouzemillehommes alla mettre le fiege devant Auxime.. Cette ville étoit fituée fur-une hauteur de difficile accès, a quatre h«ies de la mer, & è trois journees & demiede Ravenne. Vitieès, perfuade que les Romains ne feroient aucune entreprife fur Ravenne , qu'ils ^ ?»* - auParavant rendus maitre d Auxime, avoit mis en garnifon dans cette ville 1'élite de fes troupes. Le General Romain, arrivé au pied de la colline, donna ordre a fes foldats d'y affeoir leur camp. Pendant qu-ilsdrefloient leurs tentes, les Goths les voyant difperfés en divers pelotons, affez écartés les uns des autres pour ne pouvoir aifément s'entre-fecourir, firent fur le foir une forse du cöté de 1'orient, oii Bélifaire, iccompagné feulement des troupes de a garde, travailloit è s'établir. On mt auffi-tdt les armes, & onrepoufa 1 ennemi jufqu'au milieu de la coline. Les Goths firent ferme en eet mdroit i & comme ils tiroient fur les  nu Bas-Emptxe. Liv. XLV. 57 Romains avec avantage, ils en tuerent un grand nombre. La nuit fépara les combattants. Un parti de Goths , forti la veille pour aller chercher des vivres dans les campagnes d'alentour, n'étant pas inftruit de 1'arrivée des Romains, revint pendant cette nuit, A la vue des feux du camp ennemi, quelques-uns eurent affez de hardiefle pour traverfer la circonvallation qui n'étoit pas encore achevée &c parvinrent heureufement dans la ville. D'autres, plus timides ,allerent fe cacher dans les bois, oü ils furent découverts le lendemain, & taillés en pieces. La force des remparts r & la difficulté des approches, firent perdre a Bélifaire 1'efpérance de prendre la ville par aflaut. II fe détermina donc a la réduire par famine. Une prairie , voifine des murs , devenoit tous les jours un champ de bataille. Dèsqu'un parti ennemi y arrivoit pour faucher 1'herbe, un corps plus nombreux de Romains accouroit pour le combattre , & tailloit en pieees- les fourrageurs. Les Goths, toujows battus, s'aviferent d'un ar,tifice. Ils déC v JüSTIKIEN. Ann. 539, XXX. Auxims bloquée.  JUSTIN1EN. Ann, 53,9, 53 HlSTOIRE tacherent de leurs chariots les roues avec les effieux; & lorfqu'ils virent les Romains monter fur la colline, ils les firent rouler fur eux avec toute la rapidité que leur donnoit la roideur de la pente. Mais les Romains en éviterent la rencontre, & les roues arriverent dans la plaine, fans avoir produit d'autre effet que la rifée. Les Barbares eurent recours k un moyen plus fimple & plus efficace; c'étoit de cacher dans des chemins creux de gros détachements de leurs meilleurs foldats, & de ne faire paroïtre dans la prairie qu'un petit nombre de faucheurs. Dés qu'on étoit aux prifes , les Gotbs, fortant de 1'embufcade , tomboient fur les Romains, tuoient les uns, & mettoient les autres en fuite. En vain les foldats du camp, voyant accourir les Goths, avertiffoient leurs camarades par de grands cris ; 1'éloignement & le bruit des armes empêchoient de les entendre. L'ancienne difcipline Romaine étoit alors tellement altérée par la pareffe & par 1'ignorance, que les trompettes avoient perdu cette variété d'airs militaires, qui diftinguoient les di-  hv Bas-ëmpikb. Liv. XLV. S9 vers commandements. Elles ne favoient plus que fonner la charge : c'étoit par des cris qu'on donnoit le fignal de la retraite; Sc dans le tumulte d'une bataille , fouvent ces cris n'étoient pas entendus; ce qui caufoit une étrange confufion , Sc quelquefois de grandes pertes. Procope confeilla a Bélifaire d'employer la trompette de cavalerie pour la charge, Sc celle d'infanterie pour la retraite. Ces deux fons ne pouvoient être confondus, la trompette de cavalerie étant d'un bois mince recouvert de cuir, au-lieu que 1'autre étoit d'airain , 8c rendoit un fon plus éclatant. Bélifaire fuivit ce confeil, 5c inftruifit fes troupes de ce changement , qui fauva dans la fuite beaucoup de foldats, en les faifant retirer a propos. Les vivres manquoient dans Auxi. me, 6c les Goths vouloient prelfei Vitigès de les fecourir. Mais il fal loit traverfer les gardes des Romains Sc il ne fe trouvoit perfonne qui ofa en courir le rifque. Voici le moyei qu'ils imaginerent pour faciliter 1< paffage. Ayant choifi une nuit for C vj JUSTINIEN. Ann. 539. 1 XXXI. Suite Hu fieged'Auxime.i Proc. Got, £ /. 1. c-. 24. I t  JUSTIKIEN. Ann. $39 60 HlSTOTRE obfcure, ils poufferent de grands cris d'un cóté de Ia muraille , comme . pour un événement imprévu. Les Romains étonnés , fe figurerent que Vitigès arrivoit; & pour ne rien hafarder dans les ténebres , ils fe tinrent dans leur camp , & porterent leurs principales forces du cöté d'oü partoient les cris. Les Goths firent ifortir par la porte oppofée les courtfiers qu'ils envoyoient a Ravenne, oü ils arriverent au bout de trois jours. Vitigès leur promit un prompt -fecours; mais eette promeffe ne fut fuivie d'aucun effet. II eraignoit k k ibis d?être pourfuivi par Martin & par Jean, qui lui couperoient la communication de Ravenne, d'avoir a combattre Bélifaire, & de manquer de fübfifèance dans le Picenum, oü il ne pourroit trouver de vivres, le pays étant ravagé, ni en faire venir d'ailleurs, les Romains étant-maitres de la mer & du chateau d'Ancöne. Ses courriers, chargés de vaines efpérances, furent alfez heureux pour rentrer dans Auxime fans être appercus des ennemis. Bélifaire, averti par fes déferteurs, redoubla de vir  du Bas-Empire. L'Wi XLK tfi gilance , pour öter aux affiégés toute correfpondance avec Vitigès. Cependant Cyprien & Juftin avoient formé le fiege de Féfules; mais fe difficulté de 1'accès rendoit 1'attaque impratieable. Les Goths faifoient de fréquentes forties, aimant mieux courir le hafard des comba.ts que d'attendre la famine. Les fiiccès furent d'abord balancés. Enfin, les Romains prirent la fupériorité,, & tinrent Tennemi renfermé dans la place. Les affiégés firent favoir a Vitigès qu'ils étoient réduits k une extréme difette , & qu'ils ne pouvoient tenir longtemps. Auffi-töt Vitigès envoya ordre a Vraïas de paffer le Pö, 1'afliirant qu'il alloit lui-même partir avec toutes fes troupes pour marcher ensemble au fecours de Féfules. Vraïas paffa lefleuve, & vint camper atrois •lieues du camp de Martin : mais ni les uns ni les autres ne fe preffoient de combattre. Les Romains croyoient affez faire en arrêtant Vraïas, & celui-ci penfoit que s'il étoit battu, les affaires des Goths étoient ruinées fans reffource, paree qu'il ne feroit plus en état de. fe joindre a Vitigès, JüS TIKIEN. inn. 539, XXXII. It de Fé« "ules.  JüSTIKIEN. Ann. 530. XXXIII. Expédition de Théodebert en Mie. Pree. Got. I. 2. e. 25. Mare. chr. Jorn.fuceff, Marius Avent. Greg. Tur. hifi. I. 3. f. 32. 62 HlSTOIRE Les deux armées fe tenoient mutuellement en échec, & feroient peutëtre long-temps reftées dans cette pontion , s'il ne fut furvenu un troifieme ennemi qu'ils n'attendoient pas. Théodebert, allié des deux partis, mais également infidele a tous, les deux, voyant les Goths affoiblis, forma le deffein de s'emparer lui-même de 1'Italie. Ce Prince, le plus puiffant des Rois Frangois, outre la France feptentrionale, polfédoit encore la Thuringe, une partie de la Saxe, & la Souabe entiere , habitée alors par les Allemands. II palfa les Alpes k Ia tête de cent mille hommes. II avoit peu de cavalerie, 6c fes fantalfins n'avoient pour armes qu'une épée , un bouclier 6c une hache d'un fer trèsépais, 6c tranchant des deux cötés, avec un manche de bois fort court. Cette hache fe nommoit Francifque. Leur maniere de combattre étoit d'approcher les ennemis , de lancer leur francifque pour mettre en pieces les boucliers, 6c de charger enfuite a grands coups d'épée. Les Goths, apprenant la marche de Théodebert, leur allié, ne douterent pas qu'il ne  vu Bas-Empire. Liv. XLF. 63 vint a leur fecours : ils fe promettoient d'exterminer bientöt tout ce qu'il y avoit de Romains en Italië. Le Monarque Francois n'eut garde de les détromper d'abord : il lus falloit palfer le Pö ; & la garnifon de Pavie pouvoit lui fermer le paffage. Mais dès que les Francois furent fur le pont de Pavie, ils fe déclarerent en malTacrant 8c jettant dans le fleuve les femmes 8c les enfants des Goths que la curiofité avoit attirés. Les Ecrivains Francois ont mis cette barbarie fur le compte des Allemands, qui, étant encore idolatres, immolerent, difent-ils, ces innocents a leurs divinités, pour fe les rendre favorables au commencement de leur entreprife. Mais Procope , qui n'étoit pas loin de-la, ne fait point cette diftinftion; la nation Francoife étoit encore barbare en ce temps-la ; & ces peuples féroces n'avoient pas befoin d'être animés par la fuperftition pour commettre des meurtres. Ih continuerent leur marche au-dela dv Pö vers le camp de Vraïas. A leui approche, les Goths, ravis de joie iorürent au-devant d'eux; mais iorl- JUSTINIEN. Ann. ¥ft*  Jusrxr- MEN. Ann. 5 39. i < c < I 1 fi c I h h k tr dj fa 64 H I S T O I R E qu'ils virent qu'on lesrecevoit è coups ae haches, ils prirent la fuite avec tant d'effroi, qu'ils traverferent en loule le camp des Romains, & coururent fans s'arrêter jufqu'a Ravenne. Les Romains étonnés,& comme etourdis de ce.défordre imprévu, ne fe mirent pas en état d'arrêter ces ruyards;etantenfuite revenusi euxmemes, ils s'imaginerent que la grande armee qu'ils apperceyoient au loin, itoit celle de Bélifaire qui venoit les oindre après avoir défait les Goths. Jepuis que Vraïas étoit campé devant eux, ils fe tenoient renfermés lans leurs retranchements, en forte fu ils n'avoient eu aucune nouyelie le ce qui s'étoit pafte au-dela du o ; & Théodebert marchoit avec ne extréme diligence. Ils prirent onc les armes, & fortirent du camp omme pour aller joindre Bélifaire. s ne recoanurent leur méprife que >rfquil n'étoit plus poffible d'éviter combat. Leur réfiftance ne fut pas 'ngue ; accablés par une li grande ultitude, ils s'enfuirent en Tofcane, ou ils firent favoir a Bélifaire leur déite & le danger oü il étoit lui-même.  dv Bas-Empire. Liv. XLF. 6$ Cette incurfion des Frangois ne fut qu'un orage violent, mais paflager. Le vainqueur, au-lieu de marcher droit a Ravenne, s'arrêta k faire le dégat dans la Ligurie & dans 1'Émilie. II faccagea la ville de Gênes. II avoit trouvé d'abondantes provifions dans les deux camps ; mais elles furent bientöt confumées. Tout le pays étant ruiné, les Frangois ne trouverent plus pour aliments que la •chair des bceufs, dont les paturages étoient remplis , ni pour boiflbn, que les eaux du Pö; ce qui leur caufa de mortelles dyffenteries ; & les bceufs leur ayant manqué k la fin , Ia difette acheva de détruire leur armée= Le tiers des foldats étoit déja mort de faim & de maladie, lorfque Théodebert regut une lettre de Bélifaire, qui, pour ne pas irriter la fierté de ce jeune Prince, lui reprochoit avec ménagement, d*avoir oublié les ferments par lefquels il s'étoit lié avec les Romains : il lui faifoit entendre que 1'Empereur n'étoit pas tellement dénué de forces, qu'il ne put encore f epoufler une infulte, &c il 1'exhortoit k ne pas expofer fes polTeflions JUSTlNIEN. Ann. 539. XXXIV. Retraite des Francois,  JüSTINIEN. Ann. 539. XXXV. Trahifon découverte. Proc. Gou I. 2. c. z6, 1 66 H I S T 0 I K E légitimes, pour merker le titre d'ufurpateur. Cette lettre fit fans doute moins d'impreffion fur 1'efprit fougueux du jeune Monarque , que la difette & la crainte d'une révolte de fes troupes. Elles murmuroient hautement de ce qu'on les laiflbit mourir de faim dans une contrée déferte, oii la terre n'étoit plus couverte que de cendres & de cadavres. Théodebert prit donc le parti de repafTer les Alpes auffi promptement qu'il étoit venu. Après la retraite des Frangois, Martin & Jean rallierent leurs troupes, & retournerent dans leur premier pofte. Les Goths ', renfermés dans Auxime , n'étant pas inftruits le 1'irruption des Frangois , attenloient tous les jours avec impatiea:e, le fecours promis par Vitigès. infin, ils réfolurent de lui envoyer :ncore un courier pour réitérer leurs nftances. Mais la vigilance de Béliaire leur avoit fermé tous les pafla;es. Ils appergurent un foldat de 1'arnée Romaine , qui étoit de garde lans un pofte , pour empêcher les ïabitants de venir faucher 1'herbe.  nu Bas-Empire. Liv. XLF. 67 Comme il étoit feul, quelques habitants fe hafarderent a s'approcher de lui, & lui promirent avec ferment une fomme conlidérable , s'il vouloit rendre un fervice aux amégés. Le foldat, nommé Burcence, Befte de nation, accepta leurs offres, fe chargea d'une lettre pour Vitigès, &c tint parole. Vitigès lui en remit une autre, par laquelle il s'excufoit fur 1'incurfion des Francois; il promettoit de nouveau de fe rendre au plutot a Auxime, & exhortoit les foldats de la garnifon a répondre aux efpérances de toute la nation, dont le falut dépendoit de leur courage. II récompenfa libéralement le courrier, qui, étant revenu au camp des Romains, apporta pour caufe d'abfence, que s'étant trouvé malade, il étoit refté dans une Eglife voifine pour obtenir de Dieu fa guérifon, félon une dévotion ordinaire en ce temps-la. Le lendemain , étant retourné k fon pofte, il remit la lettre de Vitigès. Le retardement du fecours lui fit faire un fecond voya' ge. On mandoit au Roi qu'on ne pou voit plus tenir que cinq jours. D( JüSTINIEN. Ann. 539.  JUSTINIEN. Ann. 539. XXXVI. Combat devant Auxime. 6"& HlSTQIRE nouvelles promelTes infpirerent encore k la garnifon de nouvelles efpéranees- Bélifaire, inftruk de 1'extrêmité oü la ville étoit réduite, s'étonnoit qu'elle réfiftat fi long-temps, il voulut favoir la caufe d'une conf* tance li opiniitre; il donna ordre de failir quelqu'un des habitants, & de le lui amener. Valérien fe chargea de 1'exécution : il y employa un Efclavon agile & robufte qu'il avoit dans fes troupes. C'étoit un flratagêrne ordinaire aux Efclavons qui habitoient au bord du Danube, de fe tapir comme des ferpents, tantöt fous une roche, tantöt entre des buiflons ou des herbages, & de s'élancer de-la tout-a-coup fur un ennemi qu'ils entportoient dans leur camp. Celui-ci employa la même rufe, & réulfit. Le foldat Goth qu'il tranfporta dans Ia tente de Valérien , découvrit la perSdie de Burcence. Ce malheureux fut EOnvainéu par fon propre a'veu ; & Bélifaire en abandonna le chatiment i fes camarades, qui le brülerent vif i la vue de la ville. Bélifaire entreprit de vaincre par a foif une opiniatreté qui réfiftok  du Bas-Empire. Liv: XLV. 69 aux horreurs de la famine. II n'y avoit dans Auxime qu'un feul puits, qui ne pouvoit fournir aux befoins de tous les habitants. Mais hors des murs, k la diflance d'un jet de pierre, cou- i loit fur la pente de la colline un petit ruiffeau, dont l'eau fe rendoit dans un réfervoir couvert d'une maconnerie. Bélifaire fit avancer toutes fes troupes, comme s'il eüt voulu donner un affaut général; & lorfqu'il vit tout Ie contour des murs garni de foldats & d'habitants préparés k la défenfe, il détacha cinq travailleurs, qui, chargés des inftruments propres k démolir un édifïee, marcherent vers le réfervoir k 1'abri de plufieurs boucliers. Une décharge de pierres & de traits ne put les empêcher d'arriver. Pendant qu'ils s'efforcoient de détruire la fontaine, les Goths, qui fe voyoient perdus fi on leur ötoit cette reflource, fortirent fur les travailleurs. Les Romains accoururent pour les défendre, tk le combat devint furieux. L'avantage du lieu favorifoit les Goths; les Romains, en butte k leurs traits, tómboient en grand nombre, 6c rien ne les retenoit dans un JUSTINIEN. Lnn. 539. 'roe. Got. . 1. c. 27,  JUSTIKIEN. Ann. 53 70 HlSTOIRE ■ pofte fi périlleux, que la préfence du Général, qui, s'expofant lui-même, les animoit de fes paroles &£ de fes regards. Peu s'en fallut qu'il n'y perdit la vie. Une fleche alloit le percer fans qu'il 1'appercüt venir, lorfqu'un de fes gardes, nommé Unigat, oppofa fon bras, & recut le coup , dont il demeura eftropié. Le combat dura depuis le lever du foleil jufqu'a midi, avec un acharnement extréme. Sept Arméniens des troupes de Narfès & d'Aratius, s'y diftinguerent par leur agilité & leur hardieffe. Enfin , les Goths fe retirerent, & les travailleurs revinrent joindre 1'armée, fans avoir pu , pendant un fi long temps , détacher , malgré tous leurs efforts, une feule pierre de 1'édifice, tant les anciens favoient donner de folidité a leurs ouvrages. Bélifaire, n'ayant pu détruire la fontaine , en corrompit les eaux en y faifant jetter de la chaux, des cadavres & des herbes venimeufes. II ne reftoit plus aux habitants que 1'eau de leur puits, qu'on leur diftribuoit par mefure. Mais ils fe foutenoient encore par 1'efpérance du fecours. Bélifaire, de ion  vu Bas-Empire. Liv. XLF. 71 cót'é , renongant aux attaques, n'attendoit le fuccès que de fa vigilance a garder tous les paflages. La garnifon de Féfules réduite aux 'abois, avoit déja capitulé. Cyprien & Juftin, après avoir laiffé quelques troupes dans cette place, vinrent joindre 1'armée devant Auxime , amehant avec eux les principaux prifonniers. Bélifaire fit approcher ceuxci des murailles, pour les donner en fpeftaclé aux alïïégés , qu'il exhortoit en mêmé-temps a fe rendre. La famine, encore plus preflante que fes paroles, acheva de vaincre 1'opiniatreté des habitants. Mais ils demandoient la liberté de fe retirer k Ravenne avec tout ce qui leur appartenoit. Bélifaire balangoit d'envoyer k Vitigès tant de braves guerriers, tk de fortifier par un fi puhTant fecours une ville qu'il alloit attaquer. Les foldats lui faifoient inftance, pour ne pas accorder aux affiégés la permiffion d'emporter leurs richefles; ils lui montroient leurs blelfures , ils s'écrioient que les dépouilles des Barbares leur étoient dues; que c'étoit le prix de leur fang, & la légitime JüSTINIEN. - Ann. 5 39. XXXVII. Féfules & Auxime fe rendent»  JUSTIHIEN. Ann. y 3 9. XXXVIII Bélifaire marche a Ravenne. Proc. Got. 1. i. c. aS. 72 HlSTOIRE récompenfe de leurs travaux. D'une autre part . il fe hatoit de partir, pour prévenir la jonction des Frangois avec Vitigès; car on difoit qu'ils étoient déja en marche pour fe rendre k Ravenne. Enfin, les Romains prefTés par la conjonöure, & les Goths par la famine , convinrent que les affiégés conferveroientla moitié de leurs effets. Le partage étant fait, les Romains prirent poffeflion d'Auxime , après fix mois de fiege, & les Goths furent enrölés dans 1'armée de Bélifaire. II fembloit que pour terminer la guerre, il ne reftoit plus qu'a prendre Ravenne -, ou Vitigès fe tenoit enfermé. Bélifaire réfolut de 1'afliéger. Il fit prendre les devants k Magnus, avec ordre de marcher le long du Pö , pour arrêter les convois qui defcendoient par le fleuve. Vital,.arrivé depuis peu de Daimatie, en faifoit autant fur 1'autre bord. Tout réufliffoit a Bélifaire, & 1'on eüt dit que le fleuve même s'entendoit avec lui. Les Goths avoient chargé de bied en Ligurie quantité de bateaux qu'ils conduifoient k Ravenne. Les eaux dii Pö, ayant baiffé tout-a-coup, donnerent aux  du BJs-Empire. Liv. XLV. 73 aux Romains le temps d'arriver, & de fe faifir du convoi. Incontinent après, le fleuve groffit, & reprit fon cours ordinaire. La perte de ce bied incommoda beaucoup Ravenne, qui commengoit a manquer de vivres, les Romains étant maitres du Golfe Adriatique. Les Rois Francois, qui n'avoient pas perdu 1'envie d'étendre leur puiffance au-dela des Alpes, apprenant le danger oü fe trouvoit Vitigès, crurent Foccafion favorable pour Ie déterminer k céder une partie .de fes Etats, dans 1'efpérance de fauver le refte, Ils envoyerent a Ravenne offrir du fecours au Roi des Goths, k condition de partager avec lui Ia fouveraineté deTItalie. Bélifaire, inftruit de leur démarche, députa de fon cöté pour engager Vitigès a entrer en négociation avec 1'Empereur. Le chef de 1'Ambaffade étoit ce même Théodofe, Intendant de Bélifaire , & amant d'Antonine , que j'ai déja fait connoitre. Les Députés Frangois eurent audience les premiers. Sans parler des hoftilités récentes de Théodebert, ils firent yaloir le vif Tornt X, D ÏUSTINIEN. Ann. 539» XXXIX. Ambaflade des Francois & des Romains a Vitigès,  JUSTI- Ann. 539. fH Hl S T O I Jt B intérêt que leurs Maitres prenoient a la confervation du Royaume des Goths. Déja cinq cents mille hommes ■avoient, difoient-ils , paffe les Alpes, & marchoient la hache a la main pour Xailler en pieces 1'armée Romaine d la première rencontre. Si les Goths fe joignoient aux Frangois, plus de rejfouree pour les Romains. Si au contraire les Goths s'unifbient avec les Romains, les Frangois avoient des forces de rejle, pour ■écrafer les uns & les autres. N'ouhlie^ pas, ajoutoient-ils, que les Romains portent dans le cceur une haine irrécon'ciliable contre toutes les autres Nations. Nous nous unirons avec vous pour con* ferver VItalië, & nous y établirons de concert la formedu Gouvernement qui vous femblerala meilleure ; c'efa vous de choU fr, fi vous aime{ mieux périr avec les Romams, ou régner avec nous. Les Envoyés de Bélifaire prirent enfuite Ia parole : » Quand il feroit vrai, di» rent-ils, que les Francois vinffent » en auffi grand nombre qu'ils 1'an» noncent pour vous intimider, la » guerre préfente ne vous a que trop » appris, que le nombre cede a la » valeur; He s'il étoit befoin de mul-  f>v Bas-Empire. Liv. XLV. 75 >> tiplier les foldats, la France, ar» mee toute entiere, en fourniroit» elle autant que 1'Empire , dont elle » n'égale pas la dixieme partie ? Nous m fommes, a les entendre, les enne» mis naturels de toutes les nations » étrangeres : & comment les Fran» cois ont-ils traité les Thuringiens, » les Bourgufgnons ? Comment vien»> nent-ils de vous traiter vous-mê» mes ? Je leur demanderois volon>» tiers, quel Dieu ils prendront h '« témoin de leur fidélité a garder les » ferments. N'avoient-ils pas juré une m alliance avec vous, lorfqu'ils ont »> égorgé vos femmes & vos enfants, » fur le pont de Pavie; lorfqu'ils » ont taillé en pieces vos troupes » qui leur tendoient les bras com» me k leurs amis ; lorfque par un » ravage & un malTacre général, ils » vous ont confondus avec nous, » dont ils étoient auffi les alliés! » Cette Nation n'en connoït point ; » elle oublie les traités, dés qu'elle » les a jurés; ou elle ne s'en fou>» vient que pour perdre plus fure» ment ceux qu'elle a mis hors de » défenfe par une paix fimulée. AuDij "Justinten.Ann. 539.  Justinten.Ann. 5 39, XL. Vitigès entre en négociarion avec TEmpereur. 16 HlSTOIRE » jourd'huimême, n'ont-ils pas ou» blié 1'alliance faite avec vous, & » confirmée par des ferments, dont » la force fubfifte encore? Ils vous » en demandent une nouvelle, 6c » veulent vous la faire acheter par » la perte de vos poffelïïons. Fuyez » ces amis perfides : ennemis décou» verts, ils feront moins dangereux. » II vous fera plus facile de les re» pouffer en vous joignant a nous, » que de fauver de leur aviditéin» fatiable, ce que vous vous ferez » réfervé dans le partage qu'ils vous » propofent ". Vitigès , après avoir long-temps délibéréavec les principaux Seigneurs de la nation, fe détermina enfin k traiter avec 1'Empereur. On porta de part & d'autre diverfes propofitions d'accommodement. Pendant le cours de cette négociation, Bélifaire ne fe relacha point de fa vigilance k garder les paffages. II donna ordre k Vital de fe rendre maitre des places de la Vénétie, & a Ildiger de paffer le Pö, pour refferrer Ravenne de plus en plus. Sur ce qu'il apprit qu'il y refloit encore de grands amas  nv Bas-Empire. Liv. XLF. 77 de bied, il gagna par argent un des habitants qui mit le feu aux magafins. On foupconna Matafonte, femme de Vitigès, d'avoir favorifé cette trahifon ; d'autres crurent que 1'incendie avoit été caufée par le feu du ciel. Ces deux opinions différentes inquiétoient également Vitigès : il en concluoit qu'il n'y avoit pour lui aucune allurance , & qu'il avoit pour ennemis ou fa propre femme , ou Dieu même. Les Goths avoient grand nombre de chateaux dans les Alpes Cottiennes, qui font aujourd'hui partie du Piémont. Le Général Romain, informé qu'ils fongeoient a fe rendre, y envoya Thomas, un de fes Officiers, pour les recevoir a compofition. En effet, dès que celui-ci fut fur les lieux, Sifigis qui avoit le commandement fupérieur fur les garnifons du pays, fe rendit a lui, & engagea les autres Commandants k fuivre fon exemple. Vraïas marchoit alors au fecours de Ravenne k la tête de quatre mille hommes , qu'il avoit tirés de ces chateaux. Ses foldats apprenant ce qui le paffoit derrière eux, & craiD iij JüsTINIEN. Ann. 539, XLI. Les Goths des Alpes Cottiennesfe rendent aux Romain>  JUSTINIEN. Ann. 539. 'XLTI. Juftinien accordela paix a Vitigès.Troc. Got. A 2. e. 29. 78 H 1 S T 0 1 R E gnant pour leurs families, le forcerent de rebrouffer chemin. II retourna donc fur fes pas, & affiégaThomas & Sifigis. Jean & Martin qui n'étoient pas éloignés , accoururent au fecours , & prirent d'emblée plufieurs chateaux , dont ils firent les habitants prifonniers. C'étoient pour la plupart les femmes & les enfants des foldats de Vraïas, qui, pour les tirer d'efclavage, abandonnerent leur Général , & pafferent du cöté des Romains. Vraïas, hors d'état de rien entreprendre, fe retira en Ligurie. II apprit bientöt qu'il étoit inutile de fonger a fecourir Ravenne. Juftinien , réfolu de rappeller fes troupes d'Occident pour les oppofer k Chofroës , avoit envoyé k Vitigès deux Sénateurs, Domnic & Maximin , chargés de conclure la paix k ces conditions : que Vitigès conferveroit avec le titre de Roi & la moitié de fes tréfors, tout le Pays au-dela du Pö ,' & qu'il abandonneroit k 1'Empereur le refte de fes richeffes & de l'Italie. II ne traitoit fi favorablement le Roi des Goths, que paree qu'il ignoroit 1'extrémité oü ce Prince étoit  du Sas-Empirë-. Liv. XLV. 79 redui t. Les Goths, voyant qu'on ne leur demandoit que ce qu'ils avoient déja perdu, & qu'ils étoient a la veille de perdre tout le refte , étoient affez difpofés k accepter ces propofitions. Mais Bélifaire vit avec un extréme déplaifir, qu'on lui raviffoit 1'honneur d'achever une vief oire qu'il avoit entre les mains, 6c de conduire Vitigès prifonnier k Conftantinople. Comme les Goths, comptant fur fa parole plus que fur celle de 1'Empereur, exigeoient qu'il lignat ce traité, il refufa de le faire, apportant pour raifon , qu'il n'en avoit point recu 1'ordre : ce qui leur infpira tant de défiance, que toute négociation futrompue. Ce grand Capitaine, quoique d'une vertu irréprochable, avoit auprès de lui des Officiers mal intentionnés , qui ne cherchoient qu'a cenfurer fa conduite : les principaux étoient Beffas , Narsès 6c fón frere Aratius, Jean le fanguinaire qui s'étoit rendu au camp depuis la retraite de Vraïas, 6c Athanafe , Préfet du prétoire , arrivé depuis peu de Conftantinople. Cette cabale faifoït courir le bruit que Bélifaire s'oppofoit D iv JüSTIN1EN. Ann. 539.  JüSTIKIEN. Ann 539. 80 H IS 7 O I R £ k la paix, paree qu'il tramoit fourdement quelque entreprife contre les intéréts de 1'Empereur. Le Génétshi avertide ces propos calomnieux, réfolut de confentir au traité; mais comme il prévoyoit que ces mêmes perfonnes, qui le forgoient aujourd'hui de figner une paix fi peu avanrageufe , eu égard aux conjon&ures, Teroient dans la fuite les premiers k 1'accufer de n'en avoir pas détourné 1'Empereur, en 1'inftruifant de 1'état oü fe trouvoient les ennemis , il prit une fage précaution. Ayant fait affembler tous les Officiers de 1'armée en préfence des deux députés de 1'Empereur : » Vous favez, leur dit» il, quelles font les conditions écou» tées avec joie par Vitigès. Si vous » les trouvez honorables, que cha» cun de vous le témoigne haute» ment: s'il en eft quelqu'un parmi » vous qui ne croye pas impoffible »> de réduire 1'ltalie entiere, &c de » détruire abfolument la puiffance »> des Goths, qu'il dife hardiment ce » qu'il penlè. J'attends de votre bou» che ce que je dois décider fur nos » véritables intéréts, afin que vous  du Bas-Empire. Liv. XLV. 81 » ne m'imputiez pas un jour les fui» tes du parti que vous aurez pris » vous-mêmes. II feroit abfurde de » fe taire , quand on eft encore maï» tre de choifir, pour attendre k ü » plaindre quand le mal feroit de» venu irréparable ". Après qu'il eu parlé , tous déclarerent que la pan étoit nécelfaire, & qu'ils étoient hor d'état de pouffer plus loin leurs en treprifes contre les ennemis. Bélifain exigea qu'ils lui donnaflent leur avi par écrit , afin qu'ils ne puffent 1< défavouer dans la fuite. Le bonheur du Général Romain ou plutöt la haute réputation qu'i s'étoit acquife chez les ennemis mê mes, rendit inutiles tous ces préli minaires , & conduifit 1'événemen au point que Bélifaire avoit defire Les Goths, quoique rebutés des mal heurs attachés k la perfonne de Vi tigès, balancoient encore de fe rer dre k 1'Empereur , par la crainte d't tre trainés hors de 1'Italie, & tran portés k Conflantinople. Les princ: paux d'entre eux s'étant confulté; réfolurent unanimement d'offrir couronne k Bélifaire. Ils le firent f D v JUSTINIEN. Ann. 539. , XLI1I. [ LesGoths offrent la couronne ■ a Bélifai- t re" Proc. Got, • l. 2. C. 29. Zon. torn* _ II. P. 6S. f- a  JUSTINIEN. Ann. jjo. 1 i i i < « S2 Hl S T 0 I 11 E cretement folliciter de prendre fe titre de Roi, & lui promirent de le reconnoitre & de le fbutenir de tout leur pouyoir. Mais 1'ufurpation & la perfidie étoient trop éloignées du caraftere de ce grand homme ; il porton gravé profondément dans le cceur, le ferment de fidélité qu'il avoit prêté a Juftinien. Cependant, pour tourner cette bienveillance des Goths a i'ayantage de fon maitre , il feignit d'être flatté de la propofition. Vitigès, n'ofant contredire le vceu de la Nation, fe fit affez de violence, pour approuver un choix qui le déshonoroit, & pour joindre même fes inftances a celles des Seigneurs; affurant le Général Romain qu'il feroit Ie premier a lui rendre hommage. Alors Bélifaire ayant de nouveau afemblé fes Officiers , leur demanda ftls ne convenoient pas que ce feroit in exploit grand &c mémorable de aire prifonniers tous les Goths, avec Vitigès, fans coup férir, & derenIre a 1'Empire 1'Italie entiere. Ils s'érierent que rien ne pouvoit arriver e plus heureux , & leprierent d'exéuter ce noble deffein, s'il étoit en  du Bas-Empire. Liv.XLF. S3 fon pouvoir d'y réuffir. Bélifaire fait dire auffi-töt k Vitigès & aux Seigneurs , qu'il eft" prêt d'écouter leurs propofitions. Ceux-ci, déja preffés par la difette qui fe faifoit fentir de plus en plus, envoyent de nouveaux députés , pour traiter avec Bélifaire, & tirer de lui une promeffe , qu'il ne permettra de faire aucun mal k perfonne de la Nation , &. qu'ils fe déclarera Roi des Goths & de 1'Italie. Ils devoient enfuite 1'amener k Ravenne avec fon armée. Bélifaire s'engagea par ferment k la première de ces deux conditions : quant k la feconde , il répondit qu'il ne vouloit rien faire fur eet article qu'en préfence de Vitigès & des Seigneurs. Les députés, perfuadés qu'il n'étoit pas befoin de le preffer d'accepter une couronne , crurent leur commiffion remplie,- & le prierent de venir avec eux k Ravenne. Cette négociation s'étoit traitée dans le plus grand fecret, & Bélifaire, pour ne trouver aucun obftacle k 1'exécution de la parole qu'il avoit donnée de ménager les Goths comme fes amis & fes fujets, éloigna les Officiers qu'il D vj JUSTINIEN. Ann. 539. XLIV. Bélifaire entre dans Ravenne. Proc. Got. I. a, c. 19. Mare. ckr. Mar, Arent.  JUSTIK1EN Ann. jjo. 1 i 84 _ H I S T O 1 R £ favoit peu difpofés a lui obéir. II les envoya avec leurs troupes en divers cantons de 1'Emilie , fous prétexte qu'il ne pouvoit plus les faire fubfifter dans fon camp. Pour amener avec lui dans Ravenne 1'abondance & Ia joie , il fit partir fa flotte chargée de vivres, & lui donna orJre de ie rendre au port de cette ville. Enfuite accompagné des députés , il fe mit en marche avec fon armée. Son entrée fut plutót celle dün Roi qui reviendroit dans fa capitale , après une longue abfence, que celle d'un vainqueur dans une ville conquife. II avoit donné a fes troupes les ordres les plus exprès , de ne point tirer 1'épée, & de traiter les habitants comme leurs freres. Les Goths, tant de fois témoins de la valeur des foldats de Bélifaire, les confidéroient ïvec une forte d'admiration. Mais les femmes, qui, fur le rapport des rancus, s'étoient toujours figuré les Elomains comme des hommes de granie taille & invincibles par leur mulitude, les voyant au contraire beau:oup plus petits & en moindre nom>ré que les Goths, infultoient a leurs  nu Bas-Empire. Liv. XLF. 85 tnaris, 6c les taxoient de lacheté. : On s'affura de la perfonne de Vitigès ; mais on le traita avec hon- 1 neur. Les Goths qui avoient leurs établiffements en-dega du Pö , eurent la liberté de s'y retirer. II en fortit ' beaucoup de Ravenne; en forte qu'on n'avoit plus rien k craindre de leur part, ni hors de la ville, le pays étant couvert de garnifons Romaines, ni dans la ville, les Romains s'y trouvant en auffi grand nombre que les Goths. Bélifaire fe faifit enfuite des richelfes du palais, qu'il réfervoit k 1'Empereur. Fidele k fa parole, il n'öta rien aux particuliers, 6c ne permit de leur faire aucun tort. Les garnifons des places fortes ayant appris que Ravenne 6c Vitigès étoient au pouvoir des Romains, envoyerent affurer Bélifaire de leur obéiffance. Trévife 6c les autres villes de la Vénétie fe rendirent. Jean 6c Martin avoient déja conquis toute 1'Emilie ; il ne reftoit aux Goths que Céfene, dont Bélifaire s'empara dans le même temps qu'il entra dans Ravenne. Tous les Commandants de ces places vinrent fur fa parole fe ren- JUSTINIEN, Lnn. 539. XLV. Tous les Soths fe •endent s 3éüfaire,  JüSTINIEN. Ann. J39> XL VI. Vraïas refufe la couronne. Vroc. Got. /. 2. c. 30. Mare. chr. Zon. t, 11, p. 63. Proc. Ptrf. I. 3., e.6. ; 86 H I s T 0 I R E dre auprès de lui. Ildibad fut le feul qui témoigna de la dénance. C'étoit un^ Officier de grande confidération , qui commandoit dans Vérone. II étoit neveu de Theudis, Roi des Vifigoths. Comme fes^ enfants étoient entre les mains de Bélifaire qui les avoit trouvés dans Ravenne, il fit affurer le Général Romain de fa foumiffion ; mais il ne jugea pas a propos de fortir de Vérone. Ainfi fe termina la cinquieme année de la guerre des Goths. Pour ne pas interrompre ce qui regarde Vitigès , je rapporterai ïci ce qui fe paffa en Italië jufqu'au retour de Bélifaire k Conftantinople, quoique ces événements appartiennent aux premiers mois de 1'année fuivante. Les inftances que les Goths faifoient k Bélifaire d'accepter la couronne , ne pouvoient être fi fecretes, qu'elles ne parvinffent a la connoiffance des envieux que ce grand homme avoit autour de lui. Ils en écrinrent k 1'Empereur, comme d'une mtrigue criminelle. Une pareille caomnie avoit déja trouvé entrée dans 'efpnt de 1'Empereur après la con-  nu Bas-Empire. Liv. XLV. §7 quête de 1'Afrique. II rappella Bélifaire , fous prétexte de 1'employer contre les Perfes. II lui donna dèslors le titre de Commandant des armées d'Orient. Buzès fut chargé de la conduite des troupes, jufqu'au re-y tour de Bélifaire. Beflas, Jean le fan* guinaire , 8c les autres Généraux eurent ordre de refter en Italië, 8c Conftantien, de pafler de la Dalmatie k Ravenne. Les Goths qui defiroient ardemment d'avoir Bélifaire pour Roi, ne furent point d'abord allarmés de cette nouvelle. Ils ne pouvoient fe perfuader que ce Général voulut préférer a 1'honneur d'un diadême, celui d'une fidélité ftérile. Mais lorfqu'ils virent qu'il fe préparoit a partir, les principaux d'entr'eux fe rendirent k Pavie, & offrirent k Vraïas de le reconnoitre pour Roi : » Je » loue votre deffein , leur répondit *> Vraïas : il vous faut un Roi ca» pable de continuer, la guerre, fi » vous avez affez de cceur pour ne >r pas vivre efclaves des Romains. » Mais Vraïas n'eft pas celui que vous » devez choifir. Je fuis neveude Vi» tigès; je ferois méprifé des enne- JüSTI- NIEN. Ann. 5J9  Jtjsti- kien. Ann. f39. XLVII. lldibad, Roi, offre en vain la royauté a Bélifaire, 88 H I S T 0 I R E » mis, comme héritier de fes mal» heurs, & détefté de mes compa» triotes comme ufurpateur de fa couw ronne. Choififfez lldibad: vous con#> noirTez fa valeur; il eft neveu du » Roi des Vifigots, dont les forces » peuvent relever nos efpérances & » arrêter notre chüte ". Cet avis fut approuvé de tous. On va chercher lldibad a Vérone, & on le proclame Roi a Pavie. Mais Bélifaire régnoit en effet fur les cceurs. A peine lldibad fut-il revêtu de la pourpre, qu'il propofa de la quitter, & confeilla de faire de nouvelles démarches auprès de Bélifaire. On envoya donc a Ravenne des députés, qui mirent en oeuvre les motifs qu'ils croyoient les plus preffants. Ils accufoient le Général Romain d'avoir manqué k fa parole : Vous êtes, lui difoient-ils , le défenfeur de Jujlinien , & vous voule^ en être l'efclave ! honteufe modejlie , qui préfere la fervitude a ia royauté? Celui qui a vaincu les Goths ejl-il donc incapable ae les gouverner? lldibadejlnotre Roi ; rnais il vous reconnou pour le fien. 11 ejl pret d vous rendre hommage  du Bas-Empme. Liv. XLV. 89 & d metire fa couronne d vos pitds. Bélifaire , qui favoit faire de grandes chofes fans appareil, paree qu'il les faifoit fans effort, repartit en deux mots: Je fuis fujet de Juftinien, & ne toublierai jamais. Peu de jours après, il partit pour Conftantinople accompagné de quatre de fes plus braves & plus fideles Lieutenants, Ildiger , Valérien, Martin & Hérodien. II y tranfportoit Vitigès & Matafonte avec leurs enfants, les tréfors des Rois Goths, plufieurs des principaux Seigneurs, & les hls d'Ildibad. L'Empereur les vit avec joie , & les traita avec honneur. Vitigès fut revêtu des titres de Comte & de Patrice. On lui affigna des terres vers les frontieres de la Perfe; il mourut deux ans après. Sa veuve époufa Germain , comme nous le verrons dans la fuite. Juftinien fit étaler dans fon palais les tréfors des Goths; mais il n'en permit la vue qu'aux Sénateurs, fan< y admettre le peuple. Sa vanité fui alors retenue par une timide politique. II craignoit de donner trop d'éclat a Bélifaire; & ce fut pour eet JUSTIN1EN. Kan. 5 39. XLVUI. Bélifaire amene Vitigès a Conftantinople.Proc. Got, 1.1. cl. Mare- chr. Jorn. de rel. Get. c. 60. Idem dt regn. futceff. Hifi. mifi. I. 16. Marius Avent. Anafi. hifi. & yita Fi-  JUSTIMEN. Ann. y 3 9. : 1 1 i I i 1 90 MisToiRB te raifon qu'il ne lui permit pas d'entrer en triomphe, comme au retour de la conquête d'Afrique. Mais la jaloufie du Prince relevoit le General ; 8c 1'admiration des peuples lui rendoit avec ufure ce que fon maitre envioit k fa gloire. On ne parloit que de Bélifaire , qui, par deux conquetes -au-deffus de toute efpérance, effacoit la renommée des plus fameux Capitaines de I'ancienne Rome. C'étoit lui qui avoit détröné 8c conduit k Conftantinople , les fucceffeurs de Genféric & de Théodonc, les deux plus grands Rois des Barbares; c'étoit lui qui avoit arraché aux Vandales 8c aux Goths les dépouiiles des Romains, 6c rendu k Empire dans 1'efpace de fix années , la moitié de la terre 8c de la mer. Bélifaire ne pouvoit fortir de fa maion fans attirer une foule de peu)le qui ne fe laffoit pas de le coniderer. Efcorté de cette multitude SC imvi d'une troupe de Goths, de tf aures 6c de Vandales , qui tenoient 1 honneur d'être fes jirifonniers , tous es pas qu'il faifoit dans Conftantinow, fembiorent être la marche d'un  du Bas-Empirb. Liv. XLF. 91 triomphe. Sa bonnemine,la nobleffe de fes traits, fa taille avantageufe le faifoient diftinguer ; tandis que lui-même acceffible , familier avec tous ceux qui 1'abordoient, il aimoit k fe confondre avec eux, & k fe dérober k 1'admiration publique. Tout étoit héroïque dans Bélifaire, & fa valeur ne lui acquéroit pas plus d'eftime , que fa bonté , fon humanité , fa générofité ne lui concilioient d'amour de la part & des foldats &C des peuples, ck même des ennemis. C'étoit le pere de fes foldats, Non content de les faire guérir de leurs bleffures, il les en confoloit par fes largeffes, Aucune aftion de bravoure ne demeuroit fans récompenfe. La perte d'un cheval, d'une arme , étoit auffi-töt réparée par le Général. Et ce n'étoit point par le pillage qu'il fourniffoit k ces libéralités; rien ne raffuroit plus les laboureurs que la préfence de Bélifaire. Nous fomme: leurs gardes, difoit-il; une armee ej, fake pour protèger les campagnes, & nor, pour les ravager. Jamais la marche de fes troupes n'y caufa de dommage: il prenoit grand foin d'épargner le: JUSTIN1EN. Arm.5 39t XL1X. E'.oge de Bé rifair e  Jtjsti- nien. \m 539' 92 Hl S T O I R £ moiffons, & ne permettoit pas de aiedhr les fruits. Loin de furcharger les payfans de contributions, fon voifinage les enrichiffoit; il faifoit acheter leurs denrées ce qu'elles valoient. II étoit lui-même un exemple de juftice, de modération , de continence. Auffi chafte que le premier des Scipions, jamais il n'aima d'autre femme que la fienne, quoiqu'Anronine ne fe piquat nullement de fidélité.. De tam de belles prifonnieres qui tomberent entre fes mains, il n'en voulut jamais voir aucune, loin de mettre leur vertu k 1'épreuve. Une lumiere auffi füre que rapide 1'éclairoit dans toutes les affaires, & lui montroit toujours le meilleur parti dans les conjonéhires les plus équivoques. Hardi avec fageffe, il favoit ufer k propos de célérité & de lenteur. Ferme & plein de confiance dans les revers, il ne fe défioit que de la profpérité ; c'étoit alors qu'il s'obfervoit davantage, de peur de s'abandonner aux excès d'une joie indifcrete. Jamais perfonne ne vit Bélifaire échauffé par le vin. Toujours fuivi de la vidoire en Afrique &  du Bjs-Empirb. Liv. XLV. f)3 en Italië , il parut encore plus grand lorfqu'il fut de retour a Conftantinople. Ses titres, fes richeffes, le nombreux cortege de fes gardes Fauroient rendu redoutable, ft fa vertu n'eüt mis un frein a fon pouvoir. Tout obéiflbit a fes ordres; mais il obéiffoit lui-même aux loix de la Religiori & de 1'Etat. L'Empereur fut heureux d'avoir en lui un fujet fidele : li Bélifaire eüt entrepris d'ufurper 1'Empire , il auroit peut-être trouvé dans Juftinien moins de réfiftance que dans Gélimer Sc Vitigès. Pendant que Bélifaire achevoit la conquête de 1'Italie , 1'Illyrie 6c la Grece étoient ravagées par les Barbares, & les Maures difputoient aux Romains la poffeftion de la Numidie. Calluc , qui commandoit en IIlyrie, défit d'abord les Gépides, 6c fut enfuite défait 6c tué dans une grande bataille , dont on ne fait aucun détail. Une incurfion des Huns fut encore plus funefte a 1'Empire. Toul fut mis a feu & a fang , depuis le golfe Adriatique, jufqu'aux envirom de Conftantinople. Ils prirent trentedeux chateaux en Illyrie. L'ancienne JüSTINIEN. Ann. 539.' L. Incurfioa rles Huns. Proe. Perf. I. z. c. 4. Mare. chr, Jorn. yüc"ff.  JUSTIKIEN. Ann. 539, 94 H 1 s t 0 1 r e ville de Potidée, nommée Caflandrie , depuis que CalTandre , Roi de Macédoine, 1'avoit rebatie , fermoit 1'entrée de la prefqu'ifle de Pallene. Les Huns, qui jufqu'alors fe contentoient de courirles campagnes fans s'arrêter a 1'attaque des villes , la prirent d'aflaur, pénétrerent dans la prefqu'ifle, & fans rencontrer de réfiftance , retournerent dans leur pays avec un riche butin, & cent vingt mille prifonniers. L'attrait du pillage leur fit encore pafler le Danube. Ayant forcé la muraille qui couvroit la Cherfonnefe de Thrace, ils égorgerent ou trainerenten efclavage tous les habitants. Quelques détachements de ces Barbares pafferent 1'Hellefpont, & allerent piller les cötes de 1'Afie. Ils revinrent une troifieme fois, ravagerent 1'Illyrie & la Theflalie , & s'avancerent jufqu'aux Thermopyles, dont le pafiage étoit fermé d'un chateau & d'une muraille défendue par des payfans armés qui les repouflerent. Mais ayant découvert un chemin entre les montagnes, ils entrerent dans 1'Achaïe, & ne 1'abandonnerent qu'après avoir défolé tout le  du Bas-Empire. Lh. XLP. <^ pays, jufqu'a 1'ilthme de Corinthe. Ce fut alors que pour arrêter ces courfes , Juftinien borda de chateaux la rive du Danube depuis la Pannonie jufqu'a fon embouchure. Toutes les villes anciennes le long du fleuve fortirent de leurs ruines. La Bardame, la Macédoine , la Theffalie, 1'Epire, virent s'élever de toutes parts un fi grand nombre de fortereffes, que fi les tours & les murailles faifoient feules la füreté d'un pays, ces Provinces auroient été hors d'infulte pour plufieurs fiecles. II fortifia de nouveau Ie pas des Thermopyles, & y placa une garnifon de deux mille hommes. Auparavant, ce défilé netoit gardé que par les payfans, qui prenoient tumultuairement les armes a la nouvelle d'une incurfion de Barbares. L'Empereur fit murer tous les chemins qui traverfoient les montagnes voifines ; ils étoient en grand nombre & affez larges pour le paffage d'un chariot. Auffi Procope s'étonne-t-il , que 1'armée de Xerxès qui fut arrêtée en ce lieu pendant plufieurs jours , n'eüt découvert qu'un fentier fort étroit : mais ces lieux JüSTINIEN. inn. 539. Lt. Juftinien ■épare les killes ruiïées par es Barba•es. Proc. adif. '• 4-  JUSTI. NIEN. Ann, 539, 96 HlSTOIRE avoient pu changer de face depuis le temps de Xerxès. Un autre défilé conduifoit aux Thermopyles , entre Héraclée 8c Myropolis; Juftinien en houcha 1'entrée par une épaiffe muraille, 8c releva les fortifications de ces deux villes. II pourvut k la füreté de l'Achaïe, en cas que les Barbares vinffent k forcer le paffage. Les tremblements de terre, la longueur du temps, la négligence, avoient prefque ruiné Corinthe, Athenes, Platée, 8c les places de la Béotie : elles furent mifes en état de défenfe. La. réparation des villes du Péloponefe auroit demandé beaucoup de temps 8c de dépenfe; 1'Empereur fe contenta de fermer 1'ifthme par un boulevard, flanqué d'un grand nombre de tours, 8c défendu par une forte garnifon. Procope nomme prés de quatre cents villes ou chateaux batis ou rétablis dans 1'Ilyrie 8c la Grece, 8c prés de deux cents dans la feule Province de Thrace. La longue muraille batie par Anaftafe, 8c qui s'étendant du Pont-Euxin a la Própontide, fervoit de clöture aux environs de Conftantinople, jufqu'a douze  du Bas-Empire. Liv. XLF. 97 douze ou treize lieues de la ville, tomboit en ruine; en forte que les maifonsde plaifance, rempliesde meubles précieux 8c de tous les ornements du luxe 8c de 1'opulence, étoient expofées au pillage des Barbares; 1'Empereur répara les brêches; il releva les murs de Selymbrie renfermée dans cette vafte enceinte. Rhedefte étoit un port commode 8c d'une entrée facile fur la Propontide; mais comme c'étoit une place ouverte, la crainte des Barbares en avoit écarté les marchands. Elle fut fortifiée, 8c devint une retraite affurée pour les navigateurs. Le mur qui fermoit la Cherfonnefe, fut refait beaucoup plus haut 8c plus fort qu'il n'étoit aupavant. On le borda d'un foffé large 8c profond; une nombreufe garnifon fut chargée de la défenfe. Les villes de cette prefqu'ifle furent mifes en état de réfifter a de nouvelles incurfions. Toutes les places de la cöte de Thrace fur la mer Egée, celles de la Province d'Hémus & de Rhodope, détruites en partie, foit par les années, foit par les incurfions des Huns & des Efclavons, furent réparées 8c Tornt X. E JjJSTIN1.EN. A,nn. 539.  JUSTIKIEN. Ann. 539 Lil. Salomon renvoyé en Afri la difticulté de faire parvenir des vivres jufqu'a leur camp, & fur-tout le manque d'eau. Salomon gardoit lui-même celle qu'on avoit apportée, n'en diftribuoit qu'un verre par jour a chaque foldat. Tout retentiffoitde murmures contre le Général: les avoit, difoient-ils, conduits audejpts des nuées pour les faire périr -de foif, auffi deffèchès que ces rochers arides, qui ne leur offroient que la fépulture. Salomon , quoiqu'il tacbat de foutenir leur courage, étoit dans un extréme embarras, lorfqu'une heureufe témérité lui procura le fuccès, qu'il ne pouvoit attendre de la prudence. Un bas Officier, nommé Gézon , foit par défi, foit par défefpoir, entreprit de monter feul a 1'ennemi. II étoit fuivi h quelque diftance de plufieurs de fes camarades, qui admiroient fa hardieffe. Trois Maures qui gardoient ce pofte, coururent a lui, mais féparément, le f^ntier étant trop  nu Bas-Empire. Liv. XLV. 103 étroit pour les laiffer marcher de front. II les tua l'un après 1'autre. Ceux qui le fuivoient, encouragés par ce fuccès, s'élancent vers 1'ennemi. A ce fpeftacle, toute 1'armée, fans attendre le commandement, fans garder aucun ordre, accourt avec de grands cris; ils s'animent, ils s'aident les uns les autres, ils graviffent fur ces rochers. Les deux freres Rufin 6c Léonce, arrivés les premiers, portent partout 1'épouvante 6c la mort. Les Maures fuyent 6c roulent dans les précipices. Yabdas , quoique bleffé a la cuiffe d'un coup de javelot, fut affez heureux pour fe fauver : il gagna la Mauritanië. Les Romains, pour öter aux Maures la retraite du mont Aurafe , y batirent plufieurs forts, oü ils mirent garnifon. Entre les précipices de cette montagne , s'élevoit une roche efcarpée , qu'on appelloit la roche de Géminien. On y avoit autrefois bati une tour, fort petite a la vérité ; mais qui, par fon affiette, devenoit un refuge affuré. Yabdas y avoit enfermé fes femmes 6c fes tréfors , fous la garde d'un vieil Officier, dont la fidélité lui étoit E iv JüSTINIEN. A.nn. 5 39> LV. Salomon maitre de la Numtdie & de la premiere Mauritanië.  JUSTINIEN. Ann, jjq, 104 H 1 S T O I R E connue. Les Romains, en vifitanttous les détours de la montagne, découvnrent un fentier qui les conduifit au pied de cette tour. Un d'entr'eux, par bravade, fe hafarda d'y monter, & fervit d'abord de rifée aux femmes qui fe montroient au haut de la tour. Le vieux Commandant le regardant entre les créneaux , 1'invitoit par raillerie k redoubler fes efforts. Le foldat, piqué de ces infultes, fit tant des mains & des pieds, qu'il approcha d'affez prés pour s'élancer aux créneaux, & pour abattre la tête au Commandant d'un coup de fabre. Ses camarades, animés par fon exemple, fe fouleventmutuellement, & atteignent le haut de la tour. Ils enlevent les femmes & 1'argent, dont le Général fit ufage pour rebatir les murs de plufieurs villes. Les Maures, ayant abandonné la Numidie, Salomon entra dans la première Mauritanië, dont Stefe étoit capitale, &t la rendit tributaire. II ne reftoit plus aux Maures que la feconde Mauritanië. Maftigas , Roi de la nation , la poffédoit toute entiere, k 1'exception de Céfarée, dont Bélifaire s'étoit em-  du Bas-Empire. Liv. XLV. 105 paré. Pendant les quatre années qui fuivirent cette expédition , Salomon laiffa jouir les Africains des douceurs de la paix; & tandis que le feu de la guerre défoloit 1'Afie & l'Itahe , 1'Afrique étoit devenue par la modération de ce fage Gouverneur, la contrée la plus heureufe de 1'Empire* E v JUSTI- , N1EN. Ann, 539»   I©7 SOMMAIRE d v LIVRE QUARANTE-SIXIEME. ï. Ch o s ro ks marche en Syrië. II. Prife de Sura. ' III. Feinte douceur de Chofroës. IV. Mauvaife conduite des Romains. V. Hiéraple fe rachete du pillage. VI. Prife de Bérée. VII, Romains refufent de racheter la Syrië. VIII. Cfto/1 roêi /azV grace aax habitants de Bérée. IX. Antioche ajfiëgée. X. Attaque des murs. XI. Z," -Per/ei rendent maitres de la ville. XII. réduifent en cen- dres. XIII. Conditions de paix acceptées par les Romains. XIV. Chofroës d Séleucie & d Daphné. XV. ^4 Apamée. XVI. Par/dVe a/e phrate.xvill. Vaine tentative fur Êdeffe. XIX. Gënérofité de ceux d'ÉdeJfe rendue inutile par l'avarice de Bu{ès. XX. ^fwjae ina/i/e ae £>ara. XXI. Nouvelle Antioche bdtie en Perfe. XXII. Réparadon £Antioche. XXIII. Les Goths reE vj  io8 Sommaire commencent la guerre en Italië. XXIV. Vexations d'Alexandre Logothete. XXV. Succes & mort d'lldibad. XXVI. Erari'c & Totila Rois des Goths. xxvil. Vérone prife & reprife. XXViii. Totila encouragefes troupes. xxix. Bataille de Faën^a. xxx. Bataille de Mucelle. xxxi. Les La^es appellent Chofroës. XXXII. Les Perfes repoujfés devant Pétra. XXXIII. Prife de Pétra. xxxiv. Bélifaire d Dara. XXXv. Combat prés deNifïbe. XXXVI. Prife deSifauranc. xxxvii. Perfdied'Arëthas. XXXVlll. Mëchanceté d'Antonine. XXXix. Difgrace de Jean de Cappadoce. XL. Cara&ere de fes fuccejfeurs. xli. Confulat aboli. xlii. Conquête de Totila. xliii. Mauvais fuccès des Romains. XLiv. DejlruBion de la Rotte de Maximin. xlv. Naples fe rendaTotila. XLvi. Humanité de Totila. xlvii. Aciion d'une jufle fëvéritë. xlviii. Troifïeme expédition de Chofroës. xlix. Bélifaire retourne en Oriënt. l. Bélifaire trompe Chofroës. LI, Chofroës retourne en Perfe. Lil. Tremblement de terre & pefle a CP. lui. Maladie de Juftinien. Liv. Martin füccede d Bélifaire. Lv. Défaite, des Romains. lvi. Mort de Salomon en Afrique. LVII, Mauyaife conduite des  du Livre XLVR 109 neveux de Salomon^ LVIII. Adrumet pris & repris. LIX. Mort de Sto^as & de Jean, fils de Sijinniole. LX. Perfidie de Gontharis. LXi. Mort £Aréobinde. LXII. Conduite £Artabane avec Gontharis. LXHI. Mort de Gontharis, & tranquillité rendue a CAfrique. LXIV. Progrès de Totila.   JU HISTOIRE D U BAS EMPIRE. L1VRE QUARANTE-S1XIEME. JUSTINIEN. LA valeur & la fage conduite de Bélifaire avoient rendu 1'Italie a 1'Empire, & de toutes les conquêtes du grand Théodoric, il ne reftoit au nouveau Roi des Goths que Vérone & Pavie. Juftinien, auffi impatient de finir que prompt a entreprendre, fe perfuada trop tot que la JUSTINIEN. A.nn. 540. I. Chofroës marche en Syrië. Proc. Perf. I, 2. e. J.  JUSTINIEN. Ann. 540, Idem. cedif. I. 2. C. 10. Mare. chr. £rag. I. 4. c. 24. Jorn. fucceff. Affemani, Hb. Or. t. B. p. 405. ] j < < 1 1 112 H I S T O 1 s. E guerre étoit terminée; il abandonna le foin de 1'Italie k des Généraux incapables de Ia conferver, & ne fongea plus" qu'a fe défendre de 1'orage qui1 venon d'éclater enfin du cöté de la Perfe. Après avoir perdu 1'année precedente en négociations, fans faire aucuns préparatifs de guerre, il attendoit encore le retour d'Anaftafe Ion deputé, & la réponfe de Chofroës , lorfqu'il apprit que ce Prince mettoit tout k feu & k fang dans la Syne. Chofroës , au-lieu de fuivre Ia route ordinaire en traverfant la Mefopotamie , avoit paffe 1'Euphrate reuni au Tigre au-deifous de Ctéfiphon ; & remontant le long du fleuve qu'il avoit k droite, il fe trouva en peu de jours vis-a-vis de Cercufe au Circefe, aujourd'hui Kerkifié, la dermere place que les Romains pofiedoient en Méfopotamie en fuivant e cours de 1'Euphrate. L'angle que wmoit 1'Aboras en fe déchargeant ans ce grand fleuve, étoit fermé 1 une muraille; & la ville, fituée au :onfluent, pouvoit arrêter long-temps me armée. Chofroës ne jugea pas k >ropos de paffer 1'Euphratë pour ea  du Bjs-Empire. Liv. XLVL 113 faire le fiege ; Sc fuivant toujours les bords du fleuve , il arriva en trois jours devant Zénobie. Cette place, peu importante, batie fur un terrein ilérile, Sc prefque inhabité, ne valoit pas le temps qu'il eüt employé a la réduire, il fomma les habitants de fe rendre; Sc fur leur refus, il paffa outre. Après trois autres marches, il arriva aux portes de Sura , fituée au bord de 1'Euphrate. C'étoit une ville plus confidérable ; &C pour donnet de la réputation a fes armes, il tenta de 1'emporter d'emblée. Ses troupes monterent a 1'affaut, Sc furent re' pouffées avec perte. Mais 1'Armeniër Arface, qui commandoitla garnifon, ayant été tué fur la muraille, fa mor découragea les habitants, qui, dès 1; nuit fuivante, réfolurent de capituIer, Sc envoyerent leur Evêque : Chofroës. Le Prélat, fuivi de plu fieurs efclaves qui portoient du pain du vin , Sc quelques pieces de gi bier , alla fe jetter aux pieds du Roi & le conjura d'épargner une vill miférable , également méprifée Sc de Romains Si des Perfes : Je vous pa JUSTI- NIEN. Ann. 540, n. Prife de Sura» l i \ f S  JUS TIKIEN. Ann. i ] 1 ^ I i 1 I e 114 H I S T O I R £ finte ajouta-t-il, fes plus grandes richejjes ; les habitants font prêts d vous abandonnerpour leur rangon tout ce qu'ils pofedent. Chofroës, pour intimider route la Syrië par un exemple terrine , etoit réfolu d'exterminer les afïieges. Mais il diffimula fa colere traita 1'Evêque avec bonté, accepta fes prefents , & lui fit efpérer qu'il lui accorderoit fa demande , dés qu'il auroit 1'avis de fon Confeil fur la rangon qu'il devoit exiger. II le fit accompagner a fon retour d'une troupe de fes meilleurs foldats, comme poiir honorer fa perfonne. Les habitants, voyant revenir leur Prélat avec une sfcorte qui ne montroit que de 1'amtié & de la joie, ouvrirent leurs Cortes pour le recevoir. Les Perfes ; etant arrêtés au-dehors , fe fépare•ent de lm avec de grandes démonfrations de refpecL Mais lorfqu'on 'oulut refermer les portes, ils 1'em•echerent en jettant dans 1'ouverture ine groffe pierre ou une piece de ois, felon 1'ordre fecret qu'ils aoient recu de Chofroës. Tandis que £ habitants & les Perfes font des fforts contraires, les uns pour en-  vu Bjs-Empire. Liv. XLVI. 115 ïever 1'obftacle , les autres pour le maintenir, le Roi furvint avec toutes fes troupes, forga 1'entrée, püla les maifons , paffa au fil de 1'épée une partie des habitants, fit 1'autre prifonniere, mit le feu a la ville, 6e la détruifit de fond en comble. Poui lors, il renvoya 1'Ambaffadeur Anaf tafe , qu'il avoit retenu jufque-la Va dire a ton maitre , lui dit-il, qut tu as laiffé Chofroës, fils de Cabade^ fur les ruines de Sura. Juftinien reba tit enfuite cette ville, qui fubfifte en core aujourd'hui fous le nom qu'elli portoit alors.v Chofroës pofledoit 1'art de maf quer fa barbarie & fes autres vices par des dehors trompeurs. Son vi fage, fes yeux, fa contenance , fer voient admirablement la faufieté d fon ame. Au fac de cette malheureul ville, il appergut une femme de con dition trainee avec fureur par un fo dat , & trainant elle-même un er fant, qui ne pouvant fuivre, fillor noit la terre de fon corps fanglai & déchiré. A ce fpeöacle, Chofroë; affeftant de s'attendrir, leva les yen au ciel, 6c fe tournant vers Anaftaf< JUSTIN1EN. Ann. 54». III. Feinte ' douceur ■ de Chof- - roës. , Proc Per/. I.X. c. 5 j - 9. I- It '» X '»  JUSTJ- NIEN. Afin;. J40. I ] 1 »Ö H I S T O 1 R Ë dont il fe faifoit accompagner : Que Dteu punife , s'écria-t-il d'une voix entrecoupée de foupirs, que Bkupump Vauteur de tam de maux ! II vouloit perfuader k ceux qui 1'entendoient, que Juftinien feul étoit Ia caufe de la guerre. On ne dit point quil ait rien fait pour foulager ni pour venger celle dont il feignoit de plamdre le fort. Ce vainqueur fuperbe fe laifla vaincre lui-même par les charmes d'une de fes captives, nommee Euphémie, dont Ia beauté fit une fi vive impreftion fur lui, qu'il 1 epoufa dans fon camp.. II voulut faire quelque grace en faveur de fa nouvelle époufe. Pour accorder fon ayance avec eet effort de générofite, il fit propofer k Candide, Evêque de Sergiopolis, k fix lieues de 5>ura, de lui remettre pour deux cents livres d'or les douze mille prifonmers qu'il avoit entre les mains. Candide s'étant excufé fur ce qu'il nanquoit d'argent, le Roi lui fit dire pul fe contenteroit de fa promeffe )ar écrit, pourvu qu'il jurat d'acputter cette fomme dans 1'efpace d'uie année. L'Evêque donna fa promef-  du Bas-Empirb. Liv. XLP7. 117 fe, ajoutant même , que s'il manquoit k fa parole , il confentoit k payer le doublé & a quitter fon Evê.ché. Les prifonniers lui furent délivrés; mais la plupart moururent en peu de jours des bleffures & des mauvais traitements qu'ils avoient recus k la prife de leur ville. Chofroës continua fa marche en s'éloignant de 1'Euphrate pour pénétrer dans le cceur de la Syrië. Buzès, qui, pendant 1'abfence de Bélifaire , commandoit en Oriënt, étoit pour lors k Hiéraple. A la nouvelle de la deftruöion de Sura, il aflembla les habitants, les? exhorta a fe bien défendre; & après les avoir animés par de belles paroles, il pril avec lui 1'élite des troupes, & partit fans que ni les Romains, ni lei Perfes puffent favoir ce qu'il étoi devenu. Germain, qui arriva bien tot après k Antioche, avec fon fil Juftin, Conful cette année, ne fu pas d'un plus grand fecours a la Pre vince. Mais on ne peut en impute la faute k ce vaillant Capitaine. Jul tinien 1'avoit fait partir k la hate ave trois cents foldats ? lui promettar JUSTINIEN. Ann. 540. IV. Mauvaife conduite des Romains.Proc. Perf. I. l. c 6. Mare. chr. Malela, p• 77« ! t r e t  JüSTINIEN. Ann. 540 : "8 HlSTOlRE ' qu'il alloit être inceffamment fuivi d'une armee nombreufe. Germain, . a fon arrivée, vifita les murs d'Antioche , & les trouva en bon état. L'Oronte, fleuve rapide & profond, les défendoit du cöté de la plaine. La haute ville , batie fur des rochers, étoit environnée de précipices inacceffibles , excepté darts un endroit bordé en-dehors d'une roche fort large, & prefque auffi haute que la muraille. L'avis de Germain étoit de couper cette roche pour la féparer de la ville , ou d'y élever une tour qui joindroit la muraille, & qui en défendroit les approches. Mais les Ingénieurs ne voulurent entreprendre ni 1'un ni 1'autre de ces ouvrages, paree que les Perfes étant fi proches, on n'auroit pas le temps d'achever, & que le travail commencé ne ferviroit qu'a montrer a 1'ennemi 1'endroit foible de la place. Germain, après avoir attendu long-temps les troupes qu'on lui avoit promifes , :omprit enfin qu'il ne devoit plus :ompter fur la parole de Juftinien. '1 fit réflexion qu'un plus long féjour ie pourroitqu'accélérer laperted'An-  du Bas-Empire. Liv. XLVI. 119 tioche, en y attirant toutes les for- ! ces de Chofroës, qui feroit bien-aife de prendre avec la ville un neveu -k de 1'Empereur. II fe retira donc en Cilicie. Les habitants jugerent que le plus fur pour eux étoit de traiter avec le Roi de Perfe, & de 1'éloigner de leur ville a force d'argent. Mégas, Evêque de Bérée, qui fe trouvoit dans Antioche , Prélat eftimé pour fa prudence , fut député \ k eet effet. II rencontra Chofroës prés ; d'Hiéraple ; & après lui avoir repréfenté, que ni Antioche, ni les autres villes de Syrië n'avoient mérité fa colere, il lui fit fentir en termes refpe&ueux , 1'injuftice de fon invafion. Chofroës, qui fe piquoit de juftice, lors même qu'il la violoit plus ouvertement, fut vivement ofïenfé de cette remontrance : il déclara qu'il étoit réfolu de fe remettre en poffeffion de la Syrië & de la Cilicie, ancien patrimoine des Rois de Perfe ; & il donna ordre k Mégas de le fuivre k Hiéraple. Cette ville, une des plus conlidérables de la Syrië, étoit bien fortifiée, tk pourvue d'une nombreufe garnifon, A la vue de fes rem- JüSTIN1EN. Lnn. 540. V. . Hiéraple 'e rachere lu pilla;e.  JUSTINIEN. Ann. J40 VI. Prife d( Bérée. Proc. PerJ 1. 2. c. 7. Evaj>. I, 4 c 24. 120 HlSTOIRE ' parts, Chofroës craignit.d'y perclre beaucoup de temps & de foldats. Les habitants, de leur cöté, appréhenderent le pillage de leurs terres, & les périls d'un fiege difficile a foutenir, paree que leurs murailles embraf1'oient une vafte enceinte. Ils écouterent Paul, député de Chofroës, & convinrent de donner deux mille livres pefant d'argent. Paul étoit un Romain, élevé dans Antioche , qui s'étoit attaché au fervice de la Cour de Perfe. Mégas prit cette occafion pour obtenir du Roi le même traitement en faveur des autres villes de Syrië; & Chofroës ne demanda que mille livres d'or pour fe retirer des terres de 1'Empire. Dans 1'état de foiblefle oü 1'Orient fe trouvoit alors, on ne pouvoit rien ; defirer de plus avantageux. Mégas partit fur le champ pour Antioche , ' oü il ne doutoit pas que cette condition ne fut acceptée avec joje. Dés qu'il fut forti du camp, Chofroës, trop impatient pour attendre fon retour , marcha droit h Bérée. Cette ville, nommée aujourd'hui Alep, étoit fituée a moitié chemin d'Hiéraple a Antioche.  nv Bas-Empire. Liv. XLFI. fat Antioche. Les Perfes y vinrent en quatre jours; 8e Mégas, qui marchoi> a pied, felon Fufage des Evêques de ce temps-la, employa ce même temps pour arriver a Antioche. La journée d'un voyageur étoit de huit k neuf de nos lieues, 8e les armées faifoient par jour la moitié de ce chemin. Lorfque Chofroës fut campé devant Bérée , il fit fommer les habitants de fe racheter : il demanda le doublé de ce qu'il avoit exigé d'Hiéraple, paree que Bérée étoit beaucoup moins forte. Les habitants promirent tout ce qu'il voulut; mais n'étant pas plus en état de payer que de fe défendre , ils ne purent recueillir que deux mille livres d'argent: 8e comme Chofroës ne vouloit entendre k aucune remife, ils abandonnerent la ville la nuit fuivante, 8c fe retirerent tous dans la citadelle. Le lendemain, ceux que Chofroës envoyoit pour recevoir 1'argent, revinrent lui dire que les portes étoient fermées, 8c qu'il ne paroiflbit perfonne fur les murailles. II s'avance aufli-töt avec toute fon armée; on monte k 1'efcalade ; on ouvre les portes, Les Perfes met- Tornt X. F NIEN. Ann. 540,  JUSTI- N1EN. Ann. J40. VII. Les Romains refufent de racheter la Syrië. Proc. Per/, h a. c. 7. Evag. I. 4. t. 24. VIII. Chofroës fait grace aux habitants de Bérée. 122 II I S T n I R E tent le feu aux maifons. Chofroës attaque la citadelle, & perd quelques foldats. La place étoit bien fortifiée & bien défendue. Les afliégés auróient pu tenir long-temps, s'ils n'avoient eu 1'imprudence d'enfermer avec eux les chevaux & le bétaü. II n'y avoit qu'une fontaine , qui fut bientöt tarie. Les habitants d'Antioche étoient difpofés a payer les mille livres d'or que demandoit Chofroës pour évacuer la Syrië. Mais Jean , fils de Rufin , & Julien, que 1'Empereur envoyoit au Roi de Perfe, s'oppoferent a eet accommodement. C'étoit, difoient-ils , déshonorer 1'Empire , que de racheter une de fes Provinces. Julien accufa même 1'Evêque Éphrem de vouloir livrer Antioche a Chofroës. Mais ce Prélat, loin d'entretenir intelligence avec les Perfes, prit 1'épouvante a leur approche , & s'enfuit en Cilicie. Mégas, de retour a Bérée , fans avoir réufii dans 1'objet de fon voyage, trouva fes citoyens afiiégés, & fa ville réduite en cendres. Pénétré de douleur, il fupplia le Roi de lui  nu Bjs-Empis.e. Liv. XLVI. 123 permettre d'entrer dans la citadelle, pour engager fes compatriotes k le fatisfaire, fi la chofe étoit pofiible. Chofroës lui en ayant donné la permiflion, il n'eut pas plutöt vu 1'extrêmité oii les affiégés étoient réduits par la difette d'eau, qu'il revint fe jetter aux pieds du Roi, lui proteftant avec larmes qu'il ne reftoit plus que la vie a öter aux habitants. Ce Prince fe laifla pour cette fois toucher aux gémiffements & aux fupplications, il permit aux affiégés de fe retirer oii ils voudroient. La plupart des foldats , mécontents de 1'Empereur , qui, depuis long-temps , ne payoit pas leurs montres, fe donnerent a Chofroës, & le fuivirent k fon retour en Perfe. De Bérée , le Roi fe rendit devant Antioche. Quelques habitants avoient déja pris la fuite, Sc les autres étoient prêts d'abandonner la ville , lorfque Théo&ifte & Molazès, qui commandoient fur le mont Liban, leur amenerent fix mille hommes. Ce fecours les raffura. Chofroës campa fur le bord de 1'Oronte, & par fon ordre , Paul s'avanca jufqu'au pied F ij JUSTIKIEN. Ann. 540, IX. Antioche iflïégée. Proc. Ptrf. t, 2. c. 8. Mare. chr. Erag. I. 4. :. 20. lom. fuc■eff. Walela, j, '7.'  JUSTINIEN. Ann. 540 X. Attaque &cs murs, 124 H I $ T O I R E des murs, pour déclarer hautement que le Roi ne demandoit que mille , livres d'or ; il fit même entendre qu'on pourroit en être quitte pour une moindre fomme. Sur cette propofition , les principaux de la ville yinrent au camp ; & après avoir inutilemenc difputé fiir lïnjuftice des hofiilités de Chofroës, ils retournerent fans avoir rien conclu. Le lendemain, le peuple d'Antioche, toujours infolent, accourut fur les murs, d'oii il infultoit Chofroës par les railleries les plus outrageantes. Paul s'étant approché pour leur repréfenter qu'au-lieu d'aigrir le Roi par des injures, ils devoient bien plutöt fonger k 1'appaifer par leur foumifiion, ils le chargerent d'une grêle de pierres, & 1'auroient tué s'il n'eüt promptement pris la fuite. Le Roi, outré de colere, réfolut de tirer de ces infultes une vengeance éclatante. Le jour fuivant, il fit avancer toutes fes troupes. Une partie devoit attaquer la ville du cóté du fleuve. II marcha lui-même a latête des plus braves vers la haute ville, pour la forcer par 1'endroit le plus foi-  vu BaS'Empirb. Liv. XLP7. 125 ble : c'étoit le lieu oü ce rocher, dont j'ai parlé, bordoit la muraille, & fembloit être une plate - forme dreffée exprès pour favorifer les affiégeants. Trois cents hommes poftés fur ce rocher auroient fuffi pour en défendre 1'approche, & mettre la ville en füreté de ce cöté-la. Mais depuis le départ de Germain , il ne reftoit perfonne qui fut capable de donner les ordres néceffaires, & cette grande ville étoit condamnée a périr par les décrets irrévocables de Ia Providence. Comme la courtine qui s'étendoit d'une tour a 1'autre en eet endroit, avoit peu de face, les affiégés, pour y loger un plus grand nombre de combattants, 1'élargirent par le moyen d'un échafaud, compofé de longues pieces de bois liées enfemble, & attachées aux deux tours par de gros cables. Les Perfes, montés fur le rocher , combattoient prefque de niveau contre ceux qui bordoient la muraille : I'exemple & la voix de Chofroës animoient leurs efforts. Les Romairfs, fecondés des plus braves de la jeuneffe , fe défendoiént avec courage, & une grêle de fleF iij JUS TIMEN. Ann. 54«  JUSTI- MiN. Ann. J40, 126 HlSTOIRE ches portoit la mort de part & d'autre. Mais la réfiftance ne dura pas long-temps. La foule de ceux qui fe prefioient fur 1'échafaud , fit rompre les cables dont il étoit foutenu; tout s'écrouJa avec un horrible fracas; & les combattants , entaffés les uns fur les autres, tomberent au pieü de la muraille, écrafés, brifés, percés de leurs propres traits. Le bruit de cette chüte effraya ceux qui combattoient aux environs; s'imaginant que c'étoit le mur même qui s'écrouloit, ils abandonnerent leur pofte, & prirent la fuite. Les foldats a la fuite de Théoöifte & de Molazès, monterent a cheval , & coururent aux portes, criant au peuple que Buzès arrivoit avec toutes fes troupes, ö£ qu'ils alloient le joindre pour fondre enfemble fur 1'ennemi. Ce menfonge ne put contenir les habitants: hommes j femmes , enfants , tous fuyent pêle-mêle; les rues ne font pas alTez larges pour leur donner paffage; les foldats les renverfent, les écrafent , les foulent aux pieds de leurs chevaux. II en périt grand nombre dans ce tumulte.  nu Bas-Empire. Liv. XLVL 127 En même-temps, les Perfes efcaladoient les murs; mais ils s'y arrêterent, foupconnant quelque embufcade. Chofroës ne fe preffoit pas de les faire defcendre; il craignoit que le défefpoir ne ranimat les fuyards, & ne leur rendit affez de forces pour lui arracher une fi belle conquête. II leur laifTa tout le temps de fortir ; & c'étoit un fpe&acle bifarre & fingulier , de voir les vainqueurs fur le haut des murs faire des fignes aux vaincus pour les exciter a fe fauver au plus vite. Tous fortirent en foule par la porte qui conduifoit au bourg de Daphné; c'étoit la feule que les affiégeants euffent laiffée libre. Les Perfes defcendirent enfuite, &c s'avancerent jufqu'au centre de la ville. Ils y trouverent de nouveaux ennemis. Les jeunes gens, nourris dans les faftions du Cirque, oü de fréquents combats leur avoient infpiré 1'audace guerriere , avoient formé un gros bataillon. Les uns armés, les autres n'ayant pour armes que des frondes , firent tête aux Perfes, & les repouflerent d'abord en criant : Victoire d Jujlinien. Chofroës, monté fur une tour de la F iv JUSTINIEN. Ann, 540. XI. Las Perfes fe rendent maltres de la ville.  JUSTINIEN. Ann, 540. XII. Ils la réduifentencendres. 12» HlSTOIRB haute ville , confidéroit cette opiniStre réfiftance; & comme ce Prince guerrier eftimoit la valeur, il vouloit faire quartier aux combattants. Mais Zabergane, un de fes Capitaines, étouffa ce généreux fentiment, en lui rappellant les outrages qu'il avoit recus du peuple d'Antioche : Ce font, lui dit-il, des forcenês qui refufent les effets de votre clémence: ils ont déja renonce d la vie ; tout ce qu'ils defirent, c'eft de faire périr leurs vainqueurs avec eux. Ces paroles rallumerent la colere de Chofroës; il envoya contre eux fes meilleures troupes. II fallut céder au nombre; cette intrépide jeuneffe fut enveloppée, & périt en combattant. Les Perfes fe répandirent alors dans la ville, égorgeant ceux qui n'avoient pu prendre la fuite. On rapporte que deux femmes d'une naiffance diftinguée , fe voyant pourfuivies, & craignant pour leur honneur plus que pour leur vie , s'envelopperent la tête de leur voile , & fe précipiterent dans 1'Oronte. Les deux députés de Juftinien s'étoient rendus auprès de Chofroës , lorfqu'il étoit en marche pour venir  du Bas-Empire. Liv. XLVI. 129 afïiéger Antioche. II les avoit retenus dans fon camp fans leur donner audience. Après la prife de la ville, il les fit venir devant lui, non pas pour écouter leurs propofitions, mais pour juftifier la rigueur, dont il ufoit, difoit-il, a regret. II leur fit valoir la bonté avec laquelle il avoit favorifé la fuite des habitants : Etplüt au ciel, ajouta-t-il, quej'eujfepu lesfauver tous ; ils ont eux-mêmes couru a leur perte. Dieu niaccorde aujourd'hui une éclatante vicloire; mais une profonde douleur empoifonne ma joie : non, un trophée inondé de fang ne peut plaire d Chofroës. Pour donner une preuve réelle de fa clémence prétendue, il commanda de laiffer la vie k tous les citoyens d'Antioche qu'on trouveroit difperfés dans les campagnes , & de les faire prifonniers. II abandonna le butin k fes foldats, fe réfervant feu-" lement les dépouilles de la grande Eglife. Elle étoit d'une richeffe immenfe : la quantité d'or, d'argent, de pierreries étonna ce Prince avide , &C furpaffa fes defirs. Les marbres précieux dont eet édifice étoit revêtu, furent enlevés & mis en dépot hors F v JüSTINIEN. Ann. 540. Proc. Perf. x. 2. c. 9 3 10.  JuSTINIEN. Ann. J40, < 3 ] 1 1 XIII. Condifioas de 130 H I S T O I A B de la ville, pour être tranfportés en ^erie. II fit enfuite mettre le feu aux maifons; mais a la priere des Am?,f**eurs> i! confentit \ conferver I Eghfemétropolitaine,qui avoitpayé cette grace affez chérement. Après avoir laifie un certain nombre de foldats , avec ordre de n'épargner aucun autre édifice , il fe retira dans ion camp. Ce fut ainfi que la capitale del'Onent, la rivale de Rome Se de Conftantinople , par fa magnificence Se par fa grandeur, fut détruite au mois de Juin de cette année. Cependant Ie quartier nommé Cérétée refta fur pied, non par 1'indulgence des Perfes, mais paree quetant féparé du refte de la ville, iléchappa aux flammes. Les murs furent aufli :onfervés. On brüla tous les batinents aux environs d'Antioche, ex:epté 1'Eglife de Saint-Julien Se fes lependances. Les Ambaffadeurs Ronains y Iogeoient; Se Chofroës vouut fe faire honneur de cette attenion fcrupuleufe a refpeöer le droit les gens. Après cette terrible exécution, com> ne fi fa vengence eut été fatisfaite,  nu Bas-Empme. Liv. XLV1. 131 il confentit a donner audience aux AmbafTadeurs. Ceux-ci lui repréfenterent : Que les deux Princes avoient jure' depuis peu une paix perpêtuelle : que le ferment étoit le Hen le plus facré de la fociété humaine, qui nefubffioitqud Vabri de la paix : que Jujlinien, loin d'avoir violé Caüiance formée entre £ Empire & la Perfe , étoit pret den rejferrer lts nseuds que Chofroës avoit rompus. Le Roi répondit : Que la prétenduefidéüté de Jujlinien a obferver le traité de paix , netoit qu'une hojlilitë déguifée ; qu'a la vëritë il ne déclaroit pas la guerre; mais que par de fourdes intrigues, il forcoit les Perfes d prendre les armes : & pour le prouver, il produifit les lettres écrites a Alamondare & a la nation des Huns. Les Ambaffadeurs accufoient de faux la lettre des Huns. & attribuoient celle d1Alamondar£ aux Miniftres de l'Empereur, qui n'er avoit nulle connoilfance. Après plu fieurs conteftations, Chofroës s'en tin a demander une fomme d'argent: E ne compteipas, aj outa-t-il, vous pro lurer une paix perpêtuelle par une fomm tem fois payée; tamiüé vendue d pri; d'mgcnt j ne dure qu'mttant 'que tar F-vj JUSTINIEN. Ann. 540; paix acceptéespar les Romains» [ | I t  JUSTINIEN. Aan. 540 1 1 XIV. Chofroës 1 aSéleucie . ï\ aDaph- 'c ué. -\ Hl S T O 1 R E ■ gent même; elk /ufo & fo confume d mejure qu'il s'écoule & fe dépehfe. Pour . entretenir la no'tre, il faudrala faire revivre fans ceffe par une rente annuelle. Nous nous obligerons de notre part d garder les portes Cafpiennes , & a laffer fubfifter la ville de Dara, bdtieprh de nos frontieres , contre la teneur des traités. Les Députés ayant répondu , que les Romains deviendroient donc tri- ' butaires des Perfes. Point du tout, réphqua Chofroës; ce ne fora pas un tnbut, mais une penfwn que vouspayerei aux Perfes, comme vous la paye? aux Huns & aux Sarafins pour défendre vos frontieres. On convint enfin que Chofroës cefferoit toute hoflihté , a condition que les Romains lui donneroient a&uellement cinq mille hvres pefant d'or, & cinq cents chaque ann-ée; qu'il fe retireroit dans [es Etats, dés qu'on lui auroit mis les stages entre lesmains, &quelEmJereur lui enverroit en Perfe la raification du traité. Avant fon départ, il voulut voir Jéleucie, fituée au bord de la mer i fix lieues d'Antioche. II n'y trcura point de troupes Romaines, &  du Bas-Empire. Liv. XLV1. 133 ne caufa nul dommage aux habitants. II fe baigna dans la mer , offrit des facrifices au foleil, & retourna dans fon camp. II alla enfuite au bourg de Daphné, dont il admira le bois & les fontaines. Après avoir facrifié aux Nymphes, il fe retira fans avoir rien détruit, excepté 1'Eglife de Saint-Michel, qui fut brülée par une méprife, dont voici 1'occafion. Un cavalier Perfe, fort eftimé de Chofroës, s'étant rendu avec quelques autres dans un Jieu écarté , voifin d'une autre Eglife de Saint-Michel, y apper£ut un jeune homme qui s'y tenoit caché, & qui prit auffi-töt la fuite. C'étoit un boucher d'Antioche , nommé Emaque , hardi & robufte. Le cavalier s'étant misale pourfuivre, Emaque, fur le point d'être pris , fe. retourna, & frappa le Perfe d'un coup de pierre avec tant de roideur, qu'il le coucha par terre. II court auffitöt fur lui , 1'acheve de fon propre cimeterre, le dépouille, monte fur fon cheval, & fe fauve. Le Roi 1'ayant appris, ordonna de mettre le feu k cette Eglife de Saint-Michel. Comme celle qui portoit ce nom dans le bourg JUSTXNIEN. Ann. 540. Proc. Perf. 1.1. c. 11.  JUSTI. KIEN. Ann. 540. XV. A Apamée. Proc. Ptrf. 1. 2. c. 11. Evag. I. 4. 24. 2J. Malda, 77- I 134 HlSTOIRE de Daphné étoit plus connue a caufe de fa roagnificence, les foldats y coururent, & la réduifirent en cendres avec les maifons comprifes dansl'enceinte extérieure. Ce Prince témoigna un extréme defir de voir Apamée, la plus riche & la plus belle ville de la Syrië après Antioche. Les Députés foupconnoient que fon deffein étoit de la piller ; & ce Prince ne manquoit jamais de prétexte pour exécuter ce qu'il defiroit. Ils s'oppofoient donc a cejoyage , & lui repréfentoient , qu'en conféquence du traité qu'il venoit de conclure , il devoit prendre Ie chemin le plus court pour retourner en Perfe. Enfih , de peur de Firriter de nouveau , ils y confentirent, a condition qu'après avoir vu la ville , qui lui feroit préfent de mille livres d'argent, il en fortiroit auffitot. Cette nouvelle jerta la confternation dans Apamée : tout tremblóit 3ans 1'attente du deftrucfeur d'Antio:he, & du fléau de la Syrië. On rapx>rte a cette occafion un miracle , f«fc je palTerois fous filence , s'il n'é:oitappuyé que de Fawtorité de Pro-  nu Bas-Empire. Liv. XLVI. 135 cope. Mais Evagre, Hicïorien non fufpefl, le raconte comme témoin oculaire. II y avoit dans Apamée un morceau de la vraie croix , long d'une coudée, enfermé dans une chftffe de bois enrichie d'or & de pierreries. On ne le montroit au peuple qu'en un certain jour de 1'année. Mais lorfqu'on apprit que Chofroës étoit en chemin, les habitants fe croyant a la veille de périr, conjurerent Thomas , leur Evêque, d'expofer encore une fois k leur vénération, ce gage précieux, li propre k leur infpirer le mépris de la vie. II fe rendit k leur delir. Dès que 1'Èvêque l'eut pris entre fes mains, un rayon tréséclatant alla frapper la voute ; & cette lumiere répondant perpendiculairement au bois de la croix, fit le tour de 1'Eglife, en même-temps que le Prélat. Elle difparut dès que le facré monument eut été renfermé. Ce prodige infpira aux habitants autant de confiance, qu'il leur caufa d'admiration. A 1'approche de 1'armée des Perfes , 1'Evêque alla au-devant de Chof roës; & comme ce Prince lui demandoit, s'il ne trouveroit aucune ré- JUSTINIEN. Aan. (40.  JUSTIN1EN. Ann. 540. XVI. Perfldie de Chofroës. I3Ö HlSTOIRE fiftance pour entrer dans Apamée : Je viens , répondit-il, vous invker d nous faire eet honneur. Le Roi ayant établi fon camp au pied des murs, entra dans la ville 'd la tête de deux cents cavaliers. Sans avoir égard è fa parole, au-lieu de mille livres dargent, il en demanda dix^mille, & de plus encore, lor & 1'argent renftermé dans le tréfor de 1'Eghfe, extrêmement riche. Lorfqu'ii eut enlevé tout ce que 1'Eglife d'Apamée avoit de précieux, Thomas le voyant ébloui de la vue de tant de richeffes , lui montra la chafle qui contenoit le bois de la croix : Seigneur, lui dit-il, voild lefeultréfor qui w« rejte. La caijfe vous appartient, puifquelle ejl chargée d'or & de pierreries ; je vous l'abandonne fans regret ; je vous fupplie feulement de me laijfer ce morceau de bois qu'elle renferme. Chofroës pour cette fois fe montra libéral; il n'emporta que la chafle. II vit un cirque au milieu d'Apamée , & s'étant informé de 1'ufage de eet édiSce , il fut curieux de voir unëcourfe ie chars. Apprenantque Juftinien pro-' legeoit la livrée bleue, il fe déclara  du Bas-Empihe. Lh. XLFI. 137 par antipathie en faveur de la verte. Lorfque la courfe fut commencée, comme c'étoit un cocher de la faftion bleue qui devancoit tous les autres, la fïerté du defpotifme s'en erut offenfée. Le Roi en colere, criant que la viftoire n'étoit pas faite pour le parti de 1'Empereur, fit arrêter le bleu , & paffer devant lui un cocher de la faftion verte, avec défenfe a 1'autre de prendre 1'avantage. Gjsiuici n'eut garde de lui défobéir, & par ce moyen fi fimple & fi facile, la viftoire demeura au parti de Chofroës , qui ne fit après tout dans cette rencontre frivole , que ce qu'il avoit apparemment coutume de pratiquer dans la diftribution des places, tant civiles que militaires. Avant que de quitter Apamée, il fit une aftion de jufiice. Un habitant vint fe plaindre d'un foldat Perfe, qui avoit fait violente a fa fille. Le Roi fe fit amener le coupable, & le condamna a être pendu fur le champ. Le peuple qui ne manque guere d'oublier le crime a la vue du fupplice, demandant grace a grands cris, Chofroës promit de pardonner au foldat; mais JUSTIN1EN.A.M1. 54°'  JUSTINIEN. Ann. 540, XVII. I! paffe 1'Euphrate. Proc. Per/. I. 2. C, 12. 138 H I S T O I R E il le fit pendre fecretement. II fe retira enfuite, & au-lieu de fuivre a fon retour la route qu'il avoit prife pour venir en Syrië, il réfolut de paffer par la Méfopotamie, qu'il avoit deffein de mettre a contribution. Arrivé aux portes de Chalcis, il voulut encore, malgré les conventions, tirer de 1'argent de cette ville. Paul alla par fon ordre la fommer de fe racheter, & de livrer la garnifon : en cas de refus, Chofroës menacoit de la faccager. Les habitants redoutant également la colere du Roi de Perfe, 6c le reffentiment de 1'Empereur , fauverent la garnifon par un parjure; ils firent ferment qu'ils n'en avoient point, après avoir caché dans des fouterreins les foldats & le Commandant. Ils payerent pour rancon deux cents livres d'or , qu'on eut bien de la peine a recueillir dans une ville ou 1'or étoit rare. Chofroës marcha de-la a Barbaliffe, chateau fitué a deux lieues de 1'Euphrate. Après avoir jetté un pont fur ce fleuve , dans un lieu nommé Obbane, il paffa le premier, 6V déclara qu'il feroit rompre le pont le troifieme jour a  du J3js-Empire. Liv. XLFI. 139 une certaine heure. A 1'heure marquée, quoique tous les Perfes n'euffent pas encore eu le temps d'executer 1'ordre donné , ce Prince abfolu & intraitable, fit détruire le pont. Ceux qui reftoient en-deca regagnerent par oü ils purent les frontieres de la Perfe. Chofroës, ennemi du Chriftianifme, marcha vers Edeffe, avec le deffein fecret de s'emparer de cette ville, pour démentir 1'oracle qu'on prétendoit avoir été rendu par J. C même, qu'EdeiTe ne feroit jamais prife. II paffa la nuit k Batnes, qui n*er étoit éloignée que d'une journée. E tant parti de grand matin avec foi armée, il s'égara tellement, qu'aprè avoir marché tout le jour, il fe^ rc trouva le foir au même lieu oü i avoit campé la veille. La même chof arriva le lendemain. Enfin, le troi fieme jour, comme il approchoit une fluxion douloureufe, qui lui f enfler le vifage, fobligea de s'arrê ter. Alors abandonnant fon projet il fe contenta d'exiger une contribi tion, & envoya Paul pour la rec< voir. Les habitants, qui ne craignoiei JUSTINIEN. Ann. 54a. XVIII. Vaineientative fur Édeffe. Proc. Perf. I. 2. c. 12. Chr. Edcff. apud AffiL mani , p» 416. 9 s l » t » it  JUSTINIEN. Ann. 540, XIX. GénéroGté de ceux d'Édeffe rendue inutile par 1'avarice de Buzès. Pree. Verf. U 2, c. 13. 1 » J ] ] I *4° H l S T O ƒ R E ' rien pour leur ville, confentirent ce. pendant a payer deux cents livres dor, pour fauverleurs terres du pillage. r Le Roi étoit encore devant Edefle, lorfqu'il recut une lettre de Juftinien qui acceptoit les conditions du traite. II remit auffi-töt les ötages entre les inains des AmbalTadeurs, & e difpofa au départ. On vit alors dans les habitants d'Edefle un bel exemple d une chanté vraiment chrétienne,& dans un Commandant Romain, I effetü uneavarice indignemêmed'un barbare. Chofroës déclara qu'il alloit vendre comme efclaves fes prifonmers : c'étoient les habitants d'Antioche qui n'avoient pas péri dans la vlnf£e)eur patrie' Toute la ville i tdeffe fe mit en mouvement pour les racheter :. chacun s'empreffoit de :ontnbuer è proportion, & même ni-dela de fa fortune : chacun poroit fon prefent a la grande Eglife, nu tut bientöt remplie. Les courtianes memes facrifïerent a la com>aiiion les fruits de leurs débauches -es payfans les plus pauvres, qui 1 avoient qu'une chevre ou qu'une  du Bas-Empire. Lh. XLVL '141 brebis, la donnoient avec joie. Ce zele généreux produifit une rancon fuffïïante pour tous les prifonniers, & pas un ne fut racheté. Le Général Buzès, plusefclave de 1'avarice, que ces infortunés ne 1'étoient de Chofroës, fe faifit de toutes ces richeffes, fous prétexte de les employer k des befoins plus prelfants. Le Roi emmena donc les prifonniers, & continua fa route. Lorfqu'il approchoit de Carrhes, les habitants vinrent lui offrir une grande fomme d'argent, pour fe racheter du pillage : mais fans accepter leur préfent, il épargna leurs terres : Pour les récompenfer, difoit-il, de ce qu'il y avoit dans leur ville trèspeu de Chrétiens, la plupart des Carrhéniens étant demeurés idolatres. Conftantine ne fut pas traitée fi favorablement; il recut 1'argent qu'elle lui offrit , quoiqu'il prétenditque cette ville lui appartenoit par une do'nation que rÊvêque en avoit faite k fon pere Cabade. II arriva devant Dara, & entreprit de 1'améger contre une condition expreffe du traité. Martin y commandoit j Bélifaire 1'avoit envoyéd'a- JUSTINIEN. Ann. 540. XX; Attaque inutjle de Oara. Pree. Pttf. U 1. c. j.  JüSTINIEN.Ann. 540 Idem adij l. 2. C. 2. 142 HlSTOlUB vance, en attendant qu'il vint luimême en Oriënt. Cet Officier fit les difpofitions néceffaires pour foutenir : un fiege. Dara étoit ceint d'une doublé muraille, diltantes 1'une de 1'autre de cinquante pieds : c'étoit dans cet intervalle que 1'on retiroit le bétail lorfque 1'ennemi approchoit de la ville. Lemur intérieur avoit foixante pieds de hauteur; il étoit flanqué de tours hautes de cent pieds. Le mur extérieur étoit beaucoup plus bas-, mais d'une ftructure très-folide. Chofroës attaqua la première enceinte du cöté de 1'occident; & ayant abattu a coups de fleches les foldats qui la défendoient, il mit le feu a une des portes, fans ofer cependant s'engager entre les deux murs. II aima mieux ouvrir un fouterrein ; mais il fallut le pratiquer du cöté de 1'orient, paree que la muraille, excepté en cet endroit, étoit batie fur le roe. Les Perfes commencerent a creufer auprès du foffé, & pénétrerent jufque fous le mur extérieur. L'ouvrage avancoit fans que les habitants en euffent connoiffance , lorfqu'un foldat de 1'armée des Perfes,  nu Bas-Empire. Liv. XLVL 143 on ne fait par quelle raifon, s'approcha a 1'abri de fon bouclier, comme pour ramalTer les traits que les Romains avoient lancés; & faifant femblant de les infulter par des railleries , il les avertit du péril oü ils étoient. Auffi-töt les Romains creuferent la terre entre les deux murs, & fous la direcfion d'un habile ingénieur, nomméThéodore ,(4ils ouvrirent une tranchée parallele aux murailles, & que la mine des Perfes devoit nécelfairement rencontrer. En effet, on vit bientöt déboucher dans la traverfe les travailleurs ennemis. Les premiers furent tués; les autres regagnerent promptement leur camp fans être pourfuivis, les affiégés ne voulant pas s'engager dans le fouterrein. Le peu de fuccès de cette tentative fit perdre a Chofroës 1'efpérance de fe rendre maitre de la ville. D'ailleurs, fon armée fouffroit beaucoup, paree qu'elle manquoit d'eau. Le fleuve Cordès traverfoit la ville; mais a fon entrée , il étoit bordé de roches inacceffibles, & k fa fortie les habitants étoient les maitres d'en dérober les eaux aux ennemis. Ayant JUSTI- NIEN. Ann. 540.  JUSTIN1EN. Ann. 540. XXT. Nouvelle Antioche batie en Perfe. 144 HlSTOIUS fait creufer une folTe très-profonde de quinze pieds de diametre, dans 1'intention de trouver quelque fource, ils avoient remarqué que dans les inondations, le fleuve s'y perdoit comme dans un abyme, & querencontrant des canaux fouterreins, il reparoiffoit a deux lieues de-la , prés de Théodofiopolis. Ils firent donc de cette fofle un puits perdu , oü ils détournoient les eaux du fleuve , lorfqu'ils le jugeoient k propos, en forte qu'il ne fortoit plus de la ville, & que fon lit demeuroit k fee de ce cöté-la. Chofroës prit le parti de traiter avec les habitants; il en recjit deux mille livres d'argent, & repaffa en Perfe. Ce qu'il y a d'étonnant, c'eft que Chofroës, malgré tantd'infracfions manifeftes , prétendoit que le traité fubfiftoit toujours ; & Juftinien , fans déclarer qu'il le regardoit comme rompu, fe contentoit de ne le pas exécuter, & de n'en pas envoyer la ratification. Les prifonniers tranfportés en Perfe , furent traités avec plus d'humanité qu'ils n'efpéroient. Le Roi leur fit batir une ville a une journée de Ctéfiphon,  du Bas-Empire. Liv. XLFI. 14? Ctélïphon , & la nomma 1''Antioche de Chofroës. On y conftruifit un cirque , des bains publics, & tout ce qui pouvoit contribuer a la commodité & même au plaifir des habitants. II avoit amené de Syrië des conducteurs de chars & des muficiens. II fit. fournir des fubliftances a cette colonie, jufqu'a ce que le territoire qu'il lui abandonnoit, fut en état de la nourrir. II voulut qu'elle fut exempte de la jurifdicfion des Satrapes, &c qu'elle relevat immédiatement du Roi. II en fit même un afyle pour les efclaves Romains difperfés dans la Perfe : fi quelqu'un d'eux s'y réfugioit , & qu'il fut reconnu pour parent par un des habitants , fon maitre, füt-il un des plus grands Seigneurs de la Perfe, n'avoit plus aucun droit fur fa perfonne. Cette ville fubfiftoit encore fept cents ans après, du temps d'Abulfarage , qui la nomme Al-Mahuza. Tandis que le Roi de Perfe faifoit batir une nouvelle Antioche, Juftinien réparoit 1'ancienne, nommée , alors Théopolis , & réformoit les défauts de fa fituatión. Ce n'étoit plus Tome X. G JüSTI- NIEN. Ann. 540. Proc. Perf. /.. 2. c. 14. Aiulfara* xxii; Répara • ion d'An , ioche. Proc. xdif. '. 2. c. 10 , tl.  JUSTIKIEN. Ann. 540, Affcmani hibl. Or. t. il p. SS. 146 H I S T 0 I R E qu'un monceau de cendres & de débris tellement confus, que les habitants ne pouvoient reconnoitre Remplacement de leurs maifons, On commenc,a par tranfporter les décombres loin de la ville. Les murailles trop étendues embraffoient d'un cöté des rochers, & de 1'autre des campagnes; on en refferra 1'enceinte, quinerenferma plus que les édifices. L'Oronte par fes détours s'éloignoit en plufieurs endroits, & laiffoit aux affiégeants un terrein commode pour s'y loger. On creufa pour ce fleuve un nouveau lit qui bordoit les murs, & leur tenoit lieu de foffé. Chofroës étoit entré par efcalade a la faveur de ce rocher qui joignoit la muraille, & 1'égaloit prefque en hauteur ; dans la nouvelle conftrucfion, ce rocher refta loin des murs, auxquels il ne pouvoit plus nuire. Le terrein de la haute ville, hériffé de roes, & coupé de ravines, fut applani. Le fol d'Antioche étoit aride, & 1'eau y manquoit fouvent : on y creufa des citernes & des puits, un dans chaque tour. Les murs s'appuyoient k deux montagnes , nommées Orocafiias Sc Stau-  su Bas-Empire. Liv. XLV1. 14? ris; elles n'étoient féparées que par une fondriere , qui, après de grandes pluies, fe remplilfoit d'un torrent a une telle hauteur, que 1'eau paffoit par-deffus les murs , & fe déchargeibit dans la ville, oü elle. portoit le ravage. On ferma cette fondriere par une digue très-éievée, au pied de laquelle on lailfa des ouvertures pour 1'écoulement des eaux. Le terrein de 1'enceinte fut pavé de larges pierres: on partagea les rues , & 1'on vit bientöt lever des portiques, des marchés , des aqueducs , des fontaines, des thermes , des théatres, & tous les édifices qui donnent aux villes un air de magnificence & de grandeur, Pour accélérer & faciliter aux habitants la conftruction des maifons, Juftinien fit venir de toutes parts un grand nombre d'ouvriers. Deux grandes Eglifes furent bSties & richement dotées, 1'une h 1'honneur de la Sainte Vierge, 1'autre k 1'honneur de Sainl Michel. On conllruifit aufli trois hö pitaux, pour les hommes, pour le« femmes , pour les voyageurs. Ce; ouvrages ne furent achevés que douz.e ans après en 552,, &£ Juftinien fi: G ij JUSTI- NIEN. Ann. 54Ö;  JUSTINIEN. Ann, 540, XXIII. LesGoth! recommencentla guerre en Itaüe. Proc. Got l. 3. c. 1. Jorn. fuC' 148 HlSTOIRE voir en cette rencontre, comme en plufieurs autres , qu'il s'entendoit mieux a rebatir les villes qu'a les défendre. Antioche, fouvent prife & faccagée dans la fuite , fubfifta cependant encore dans fa fplendeur pendant plus de fept cents ans. On rapporte que cette année, Tarfe fut prefque entiérement détruite par un débordement du Cydnus. Vitigès avoit excité Chofroës a la guerre. Son fuccelTeur lldibad profita de la diverfion que ce Prince faifoit en Syrië. Les Généraux que Juftinien avoit chargés de la défenfe de 1'Italie après le départ de Bélifaire , ne reffembloient en rien a ce héros. Occupés de leur intérêt propre , ils ne fongeoient qu'^ piller les habitants , & les abandonnoient a 1'infolence & a 1'avidité des foldats. Comme ils avoient tous un égal pouvoir, ils n'agiffoient point de concert; & les troupes ne fachant auquel obéir, n'obéiffoient a perfonne. Cette efpece d'anarchie fit perdre tout le fruit des travaux de Bélifaire. lldibad raffembla les Goths difperfés, auxquels fe joignit une foule de déferteurs Ro;  ï)u Bas-Empire. Liv. XLVI. 149 mains. II n'avoit d'abord k fa fuite que mille hommes , bientöt tout ce qui reftoit de foldats en Ligurie & en Vénétie, vinrent fe ranger fous fes étendards, & il consut le deffein de reconquérir 1'Italie. Un financier avide & impitoyable acheva de ruiner dans ce pays les affaires de 1'Empire. Alexandre exercoit a Conftantinople la charge de Logothete ; c'eft ainfi que les Grecs de ce temps-la nommoient le Sur-Intendant des finances. Le peuple lui donnoit le furnom de Cifoir, inftrument dont fe fervent les monnoyeurs pour couper 1'or & 1'argent, paree qu'il étoit d'une merveilleufe adrefle a rogner les pieces d'or, fans en altérer la forme. II avoit fait fortune par fa dextérité a trouver des reffources de finance. Né dans le fein de la mifere , il étoit parvenu rapidement k 1'opulence la plus fcandaleufe. Pour animer la déteftable induftrie des fubalternes qu'il employoit aux recherches fifcales, il leur abandonnoitle douzieme desfommes qu'ils faifoient venir au tréfor public. Ardent fur-tout a dépouiller les gens G iij JUSTINIEN. Ann. 540. XXIV. Vexations d'AlexandreLogothete. Proc. Goe. I. 3. c. t. Idem anecd.c. i8, 24, 26.  JUSTINIEN. Ann. J140 15e H 1 S T O I. R E de guerre, il en fit déferter un grand nombre ; & ceux qui reftoient, mou, rant de faim , perdirent le cceiir avec les forces. C'étoit la coutume que les nouvelles levées re^uffent une moindre paye, comme fiirnuméraires ; la paye augmentoit pour les foldats en pied; les vétérans étoient mieux traités que les autres : Alexandre tenoit les foldats dans le rang de furnuméraires, & laiffoit vacantes les places de ceux qui mouroient ou qui obtenoient leur congé. II lüpprima la penfion que Théodoric avoit confervée aux Prétoriens de Rome &Z a leurs defcendants, ainfi que les diftributions de bied qui fe faifoient è 1'höpital de Saint-Pierre. Enfin, le nom de Logothete, honorable par lui-même , devint par les injuftices d'Alexandre , odieux a tout 1'Empire. Ce fut k ce brigand que Juftinien confta 1'Italie, après en avoir rappellé Bélifaire. II y fit plus de ravage que n'en avoient fait les Goths. II fignala fon arrivée dans la ville de Ravenne par des recherches tyranniques, en demandant des comptes a des Ita= Hens qui n'avoient jamais manié les  nu Bas-Empire. Liv. XLFI. 151 deniers publics. Toutes les gratifkations obtenues de Théodoric &c de fes fuccefleurs, étoient aux yeux d'Alexandre autant de vols &c de crimes de péculat. Loin de récompenfer ceux qui, par leurs bleffures tk par la perte de leurs membres, avoient droit aux libéralités du Prince , il les chicanoit même fur la folde qui leur étoit due. Ces vexations srévolterent toute 1'Italie, infpirerent la haine du gouvernement, & irriterent tellement les troupes Romaines, qu'elles fouhaitoient de voir profpérer les Goths, & ne confervoienl plus aucun fentiment d'honneur. L'armée d'Ildibad grofïïffoit tous les jours. Vital, qui commandoit en Vénétie, ne voulant pas lui donner le temps de fe rendre plus puiffant, 1'alla chercher prés de Trévife. II y eut un fanglant combat, oü le Général Romain fut entiérement défait, Prefque tous les Érules, qui faifoienl fa principale force , y périrent avec Vifande leur chef. Cette viftoire don na 'beaucoup de réputation aux armes d'Ildibad. Pour arrêter fes progres, Belfas marcha de Ravenne ï G iv I JüSTINIEN. Ann. 540, Ann. 541. XXV. Succes & mort d'Ildibad.Proc. Got, l. 3. c. 1. Pagi ai Bar.  JUSTINIEN. iAnn. 541 152 H I S T O 1 R E Plaifance; mais lldibad n'étoit déja plus. Voici quelle fut la caufe de fa perte. Vraïas étoit chéri de toute la nation. II avoit fur le Roi Favantage d'avoir refufé la couronne ; mais fa modeftie le tenoit dans le rang d'un fujet obéiflant & foumis. Sa femme , au contraire, déja diftinguée par fa beauté & par fes richelfes , avoit pris tout Forgueil de la royauté. Un jour qu'elle entroit aux bains avec une fuperbe parure, & une fuite nombreufe, elle^y rencontra la Reine fimplement vêtue, & palfa devant elle en Ia regardant avec mépris. lldibad, n'ayant pas encore recouvré le domaine de fes prédéceffeurs , n'étoit pas en état de foutenir la majefté du tröne. Sa femme, qui jufqu'alors avoit eu befoin d'effort pour pardonner a cette rivale la fupériorité de la fortune tk de la beauté , perdit patience en cette occafion; & le Roi, touché de fes larmes, eut la foibleffe d'époufer fon relTentiment. II fit affaffiner Vraïas comme coupable de trahifon. Cette adfion le rendit odieux, & un de fes gardes fe chargea de la vengeance publique pour fe venger  au Bas-Empire. Liv. XLVL 153 Jui-même. C'étoit un Gépide, nommé.Vilas : éperduement amoureux d'une fille qu'il étoit fur le pointd'époufer au retour d'une expédition, il trouva que le Roi 1'avoit eontrainte de prendre un autre mari. Outré de défefpoir, il réfolut de laver cet outrage dans le fang d'Ildibad. Un jour que le Roi mangeoit avec fes principaux Seigneurs, dans le temps qu'il fe penchoit fur la table pour prendre un morceau , Vilas , qui fe tenen debout derrière lui avec les autres gardes, lui abattit la tête d'un coup de fabre, au grand effroi des convives. lldibad n'avoit régné qu'un peu plus d'un an. II fut tui avant le printemps de cette année 541. Le regne de fon fucceffeur, non> mé Eraric, fut encore plus court. Celui-ci étoit Ruge de nation. Les Ruges s'étoient joints aux Goths du temps de Théodoric, mais fans s'allier avec eux par des mariages; en forte que la diftinöion des deux peuples fe confervoit de race en race. La mort d'Ildibad ayant jetté le trouble parmi les Goths, les Ruges mi: rent fur le tröne Eraric, le plus puifG v JUSTINIEN. Ann. 541. xxvr. Eraric Sc Totila Rois des Goths. Proc. Gou l. 3. c. 2. Mare. chr. lorn.fucef. Hifi. mi/c. I. 16. Pagi ai Bar. Grot. prcef. ad Proc.  JUSTI- NII Ne Ann. 541, 154 H I S T O I 3. E fant d'entr'eux; & les Goths Ie re" connurent pour Roi, plutöt par crain* te que par eftime. Pendant un regne de cinq mois , il ne s'attira que du mépris. On ofoit même lui reprocher en face, qu'il n'étoit qu'un obftacle au rétabliflement des Goths, qui commen^oient a fe relever par le courage de fon prédécelfeur. Toute la nation tournoit les yeux vers Totila , neveu d'Ildibad, & déja, malgré fa jeunelTe , renommé pour fa valeur & pour fa prudence. II commandoit dans Trévife. A la nouvelle de laffaiTinat de fon oncle , il envoya propofer a Conftantien de fe mettre entre fes mains avec la ville & la garnifon , li on lui affuroit un traitement honorable. Conflantien promit avec ferment tout ce que demandoit Totila : on convint du jour oii les Romains entreroient dans Trévife. Les chofes étoient en cet état, lorfque .les Goths envoyerent offrir la couronne k Totila, efpérant, difoient-ils, retrouver en lui Ia valeur de fon oncle. II leur déciara avec franchife la convention faite avec les Romains, tk ajouta que s'ils  nu Bas-Empir.e. Liv. XLFI. 155 fe défaifoient d'Eraric avant le jour fixé pour Pexécution du traité , il fe rendroit a leur defir. Après cette réponfe, on ne cherchoit que 1'occafión d'öter la vie a Eraric. II la préfenta lui-même. Ayant affemblé fon Confeil ? il y propqfa de députer a 1'Emperèur, pour demander la paix aux mêmes conditions que Vitigès avoit obtenues; c'eft-a-dire, que les Goths conferveroient le pays au-dela du Pö, & céderoient le refte de PItalie. On y confenv.it en appa'rence; & fur le champ Eraric fit partir des Ambaftadeurs : il les chargea fecretement d'affurer Juftinien qu'il étoit pret k lui abandonner 1'Italie entiere, & k renoncer au titre de Roi, pourvu qu'on lui aflignat une penfion confidérable avec la qualité de Patrice. Mais k peine les députés étoient-ils en chemin , qu'Eraric fut tué , & Totila proelamé Roi k Pavis vers le mois d'Aoüt. Ce Prince, vraiment digne de fuccéder a Théodoric, portoit le nom de Baduella on Baduilla, comme on le voit par fe« monnoies : Totila n'étoit qu'un furnom , fous lequel il eft plus connu; G vj JUSTI. NI EN. Ann, 541.  JUSTINIEN. Ann. 541. XXVII. Vérone prife & reprife Proc. Got. I. 3. c. 3. Mare. chr. ] ( I I5Ó HlSTOIRE & qui, dans la langue des Goths ; fignifioit immortel. Les Généraux Romains, plus attentifs k piller 1'Italie, qu'a la défendre, ne fongeoient pas k profiter des troubles que cesrévolutions caufoient parmi les Goths. Excités enfin par les reproches de 1'Empereur, qui fe plaignoit de leur inaftion, ils fe rendirent k Ravenne , & réfolurent d'attaquer Vérone. Leur armée étoit de douze mille.hommes, commandés par onze Généraux, entre lefquels Conftantien & Alexandre tenoient le premier rang. lis vinrent camper a trois lieues de Vérone , dans les plaines qui s'étendoient entre cette ville & Vlantoue. Marcien, maitre d'un chateau voifin, & fort attaché au fer/ice de 1'Empire , leur menagea une ntelligence dans la place. Ils juge•ent a propos d'envoyer un Officier ivec quelques foldats , pour s'empaer d'une porte, & affurer 1'entrée tu refte des troupes. II ne fe trou^aque 1'Arménien Artabaze, qui vouut accepter cette commiffion hafarleufe. II étoit venu depuis peu en talie k la tête des Perfes, que Bé-  du Bas-Empire. Liv. XLVI. 157 lifaire avoit envoyés a Conftantinople après la prife de Sifaurane, ainlï que je le raconterai dans la fuite. II prit avec lui cent foldats, & s'approcha des murs k la faveur de la nuit. On leur ouvrit une porte comme on en étoit convenu : les uns vont auffi-töt avertir 1'armée; les autres montent fur les murs, & égorgent les fentinelles. Les Goths, croyant avoir fur les bras toute 1'armée Romaine, s'enfuyent par la porte oppofée : ils fe rallient fur une hauteur qui commandoit la ville , & d'oii 1'on découvroit ce qui fe paffoit dans Vérone & dans les plaines d'alentour Ils y demeurent le refte de la nuit L'armée Romaine avoit k peine faii une lieue, que les Généraux s'arrè tent a difputer enfemble fur le par tage du butin. Le jour paroït, & le: Goths, revenus de leur effroi, voyan d'un cöté le petit nombre des Ro mains dans Vérone , de 1'autre , 1 e loignement de. l'armée, defcenden en courant, & rentrent par la mêmi porte par laquelle ils étoient fortis & qu'ils trouvent encore ouverte Us fondent fur cette poignée de fol JUSTIKIEN. Ann. 54rt t t »  JUSTINIEN. Ann. J41, xxvm. Totila encourage ] fes trou- ] pes. Proc. Got. 1 /. 3. c. 4. , Jern. fuc- j «ƒ. 1 Mare. chr. 158 HlSTOIRE dats, qui, ne pouvant tenir contre eux, fe retirent fur le haut des murs, d'oü ils fe défendent avec courage. Cependant les Généraux, après une longue conteftation, s'avancent avec leurs troupes. Mais trouvant les portes fermées, & 1'ennemi en état de faire une vigoureufe réfiftance, ils prennent le parti de rebrouffer chemin, malgré les cris de leurs foldats, qui, du haut des murs, les fupplioient du moins de favorifer leur retraite. Ceux-ci, fe voyant abandonnés, fantent de la muraille en-bas; les uns Ié brifent en tombant fur des pierres ; les autres, rencontrant un terrein uni, fe fauvent, & regagnent :'armée avec Artabaze, qui accabloit 3e fanglants reproches ces laches Géléraux.^Après avoir repalfé le Pö, Is s'arrêterent k Faënza dans la Promice d'Émilie, k fix lieues de Ra^enne. Dès que Totila eut appris que Vé■one étoit en füreté, il en fit fortir a garnifon, qu'il réunit a fon armée, k alla chercher 1'ennemi a la tête le cinq mille hommes; c'étoit k quoi 'e réduifoient toutes les forces des  du Bas-Empire. Liv. XLVI. 159 Goths. Arrivé au bord du fleuve Amone, qu'il falloit paffer pour joindre les Romains , comme c'étoit le premier effai qu'il faifoit du courage de fes troupes, il leur paria en ces termes : » Camarades , nous fommes » tous parents , defcendants de la » même origine ; 1'intérêt eft égal » pour tous, ainlique le péril. Dans » la plupart des batailles, le rifque » eft le même pour les deux armées: » ici les fuites de la défaite nous fe» roient bien plus funeftes qu'a nos » ennemis. Ils ont des reffources dans » ce grand nombre de garnifons qui » rempliffent 1'Italie ; tout 1'Orient » arme pour eux. Mais fi nous fom» mes vaincus, le nom des Goths » périt avec nous. De deux cents »» mille hommes qui ont commencé » cette guerre fous les ordres de Vi» tigès , nous fommes réduits a cinq » mille. Si cette penfée nous afflige . » il en eft une autre qui doit rani» mer notre courage. lldibad n'avoil » que mille foldats a fa fuite, lorf » qu'il ofa attaquer les forces Ro> » maines; tout 1'Empire des Gothi » étoit refferré entre les murs de Pa- JüSTIN1EN. Ann, J4««  JUSTINIEN. Ann. 541, ) . J I > > l6o H I S T O 1 R E » vie, Voyez combien une feule vie» toire a multiplié vos troupes &c » reculé vos limites. II nous eft plus » aifé d'accroïtre notre puiffance , » qu'il^ ne le fut a lldibad de la faire » renaitre , lorfqu'elle étoit anéan» tie. La viftoire eft féconde, elle » grofïit les armées, elle redouble » leur vigueur. Déployez donc ici » tous vos efforts; la gloire eft de» vant vos yeux, & le tombeau fous » vos pieds. Quelle efpérance ne doit » pas vous infpirer la conduite bar» bare des Romains? Leur cruauté, » leur avarice les ont rendus 1'hor» reur de 1'Italie. Ces peuples mal» heureux après s'être livrés entre » leurs mains, gémiffent dans le plus » dur efclavage, & vous tendent les •> bras comme a leurs libérateurs. » S'ils vous ont trahis, leurs tyrans > les puniffent plus rigoureufement > que vous ne feriez vous-mêmes. > Dien vous appelle pour chatier 1'in- > juftice; fervez fa vengeance; fon- > g^ez que vous allez combattre des ■ laches qui n'ont pas encore ceffé ' de fuir, depuis que, fans avoir vu rennemi, ils ont abandonné Vé-  du Bas-Empire. Lh. XLVI. 161 » rone, dont ils étoient maïtres ". '- Artabaze confeilloit de pofter en embufcade fur les bords du fleuve un A corps de troupes, qui laiffant paffer la moitié des ennemis, la tailleroit en pieces avant que le refte put la A joindre. Mais les Généraux, qui n'étoient jamais d'accord, perdirent le temps a contefter, Sc ne firent aucun mouvement. Totila détacha trois cents hommes, qui allerent paffer le fleuve une lieue plus haut, avec ordre de fe replier fur les derrières, Sc de charger les Romains en queue, lorfque la bataille feroit engagée. Les deux armées s'approchent. Pendant qu'elles attendent le fignal,'un Goth de grande taille, d'un air menacant & terrible, couvert d'un calque Sc d'une cuiraffe, pouffe fon cheval hors des rangs, Sc s'arrêtant au milieu de la plaine, il défie au combat le plus hardi des Romains. Ce guerrier fe nommoit Viliaris; il étoit connu pour fa force Sc fon courage. Artabaze fut encore le feul qui ofat accepter le défi. Ils courent 1'un fur 1'autre, Sc fe lancent leurs javelots. Viliaris fut atteint d'un coup mortel au cöté JüSTlNIEN.nn. 541. XXIX. Bataille e Fata-, 3.  1<52 H I S T O I R £ droit. &: ÏUSTIKIEN. Ann. 541, 1 4 < xxx. 1 Bataille deMucel- I le. "wlv owiiuuc uitvai, s \\ ne fe fut foutenu fur fa lance. Tandis qu'Artabaze s'approche pour 1'achever, la lance de Viliaris, qui étoit alTurée contre une pierre, lui effleure le cou, & rencontrant une artere , en fait jaillir le fang en abondance. Viliaris tombe mort, & le vainqueur rejoint fon armée. On ne put arrêter le fang; & Ce vaillant étranger, qui , après avoir combattu les Romains fur les frontieres de la Perfe, les fervoit en Italië avec la même valeur, mourut trois jours après, emportant avec lui les regrets de tous les foldats. Son abfence rendit la victoire plus facile k Totila. Pendant qu'on panfoit fa bleffure hors de la portée du trait, les deux armées en étant venues aux mains, les Romains Jnrent 1'épouvante a la vue du dé:achement des Goths qu'ils appercesoïent derrière eux, & ne fongerent )lus qu'a fuir. La plupart furent tués ui pris; ils perdirent tous leurs étenlards; ce qui n'étoit jamais arrivé demis le commencement de la guerre. Ce premier fuccès releva les ef'érances des Goths. Le Roi en en-  nu Bas-Empire. Liv. XLVI. 163 voya une partie fous la conduite de Bleda, de Roderic & d'Uliaris, pour afïïéger Florence. Juftin , qui commandoit dans cette place, fit favoir a Ravenne , qu'il n'étoit pas en état de fe défendre. Beffas, Cyprien & Jean le Sanguinaire volerent a fon fecours, & les Goths fe retirerenl prés de Mucelle a quatre ou cinc lieues de Florence. Les Généraux Ro mains ayant pris Juftin avec eux laifterent quelques foldats dans la vil le, & marcherent a 1'ennemi. Ils fu rent d'avis de donner le commande ment général k 1'un d'entr'eux, qu prendroit les devants pour attaquer tandis que les autres fuivroient plu lentement. Mais comme ils étoien tous indépendants 1'un de 1'autre, & que chacun fe croyoit fupérieur e mérite , il fallut s'en rapporter a fort, qui tomba fur Jean le Sangu naire. Les autres refuferent de le fu: vre, & Jean partit feul avec les troi pes attachées a fa perfonne. Les Goth a fon approche, gagnerent une hai teur voifine. II les y fuivit avec a deur; on combattit opiniatrément fi la pente de la colline, 6c le carnaj JUSTINIEN. Ann. 541. Pree, Gou l. 3. f. J. Mare. chr* i * s • t t n 1 u .- 5, l- rir ;e  JüSTINIEN. Ann, 541. 1 ] j < C { c n d P n rr R d« & 1<54 Histoire étoit grand de part & d'autre. Jean ie fignaloit par fon audace; & toujours k la tête des fiens, il s'expofoit aux endroits.Jes plus périlleux, Un de fes gardes ayant été tué prés de lm, on crut qu'il étoit tué luimeme. Auffi-töt 1'effroi fe répand dans fes troupes; elles regagnent en défordre la plaine, oü les autres Généraux s'étoient arrêtés. Ils avoient des forces de refte pour faire tête uix ennemis, & même pour les enklopper; mais la terreur s'étant comnumquée k leurs foldats, tout fe deinde & fe difperfe. Beffas eft blefe : la plupart tombent fous 1'épée des joths. Ceux qui échappent au mafre, fuyent pendant plufieurs jours , ms etre pourfuivis , & dans les plaes oü ils arrivent, hors d'haleine, 1 encore pleins d'épouvante , ils 'annoncent autre chofe que la mort 2 leur Général. Cette défaite romit la communication entre les Géïjaüx, chacun d'eux fe tint renferé dans une place, Conftantien dans avenne, Jean dans Rome, Beffas ms Spolete , Juftin dans Florence , Cypnen dans Péroufe, ne fon-  du Bas-Empire. Liv. XLV1. iöf geant qu'a le fortifier & a fe met- : tre en défenfe contre Totila, qu'ils croyoient toujours k leurs portes. Ce Prince, auffi généreux que vaillant, traita les prifonniers avec tant de douceur, qu'ils prirent parti dans fon armee , & le fervirent dans la fuite avec autant de fidélité & de zele que fes fujets naturels. Pour réfifter k un ennemi auffi redoutable par fes vertus que par fa fcience militaire, 1'Italie ne fentoit que trop le befoin qu'elle avoit de Bélifaire. Mais ce Général étoit pour lors k 1'autre extrêmité de 1'Empire. Chofroës , qui, dès 1'année précédente, avoit violé Ie traité de paix auffi-töt après 1'avoir conclu, étoit paffé en Lazique a la tête d'une nombreufe armée, pour chalTer les Romains de ce Royaume. Voici quelle fut 1'origine de cette guerre. Zathius, comme nous 1'avons vu, s'étoit étroitement attaché aux Romains fous le regne de Juftin. Son fils Gubaze régnoit en Lazique depuis la mort d'Opfitès, frere de Zathius, &qui lui avoit fuccédé. Mais ce Prince étoit opprimé par la tyrannie des Commandants JUSTINIEN. \.nn. 541," xxxr: Les Lazes ippellent Chofroës. Proc. Perf. ',. 2. c. 15, Proc. Got. '.. 4. «• 9.«  JUSTINIEN. Ann, 541 166 HlSTOIRB des troupes que les Romains entretenoient dans fes Etats, Le Général , Pierre s'étoit rendu odieux par fon orgueil & par fon avarice. Ses fuo celTeurs avoient fuivi fes traces; & Jean, furnommé Zibus , acheva de foulever les peuples par fes concuffions. C'étoit un homme forti de la pouffiere, qui s'étoit élevé par les voies qui devoient conduire a 1'échafaud. Perfonne ne 1'égaloit en induftrie a imaginer les moyens de s'enrichir, & fes richelfes 1'avoient mis en état d'acheter le commandement de la Lazique, II engagea Juftinien a batir au bord de la mer la ville de Petra, dont il fit fa place d'armes 8c fon magafin, pour établir fon monopole qui ruinoit tout le pays, en lui procurant a lui feul des profits immenfes. Les Lazes n'avoient ni bied, ni vin , ni fel, & manquoient de quantité d'autres chofes néceffaires a la vie, II les tiroient des cötes méridionales du Pont-Euxin, donnant en échange des cuirs cruds ou préparés, & des efclaves. Zibus fe rendit maitre de tout le commerce; on ne pouvok vendre qu'a lui, ni ache-  du Bas-Empire. Liv. XLVI. 167 ter que de lui, au prix qu'il vouloit. Les Officiers &l les foldats Romains n'étoient plus que des fa cl eurs. II avoit deviné d'avance une bonne partie de ces raffinements de perfécution, que les traitants ont dans la fuite réduits en art. Enfin les Lazes, excédés de tant devexations, réfolurent d'avoir recours a Chofroës. Ils lui envoyerent offrir la fouveraineté , pourvu qu'il s'engageat k ne les jamais livrer aux Romains contre leur gré. Le Roi leur promit de les tirerM'efclavage, &C leur demanda s'il étoit poffible de pénétrer dans leur pays avec une armée. C'eft. qu'il avoit oui dire que les avenues en étoient fermées par tant de montagnes efcarpées, & par des forêts fi épaiffes . qu'elles étoient prefque impraticable: même aux voyageurs. Les député' répondirent que ces montagnes, qu, fembloient être inaccejjlbles, portoien, elles-mêmes de quoi en faciliter tacces, quil ne falloit quabattre Les bois don elles étoient couvertes , & dont les arbres, entajfés les uns fur les autres, coot bleroitnt les précipices; qu'ils s'offroien d lui fervir de guides, & que les gen JüSTInien. Ann. $41,  JUSTINIEN. Ann. 541, XXXII. Les Per fes repouffés devant Pétra. Proc. Perf. I. 2. c. 17. 1 » i 1 i t q e 0 l63 H I S T 0 I R E dupaysfejoindroient dfes foldats pour lui applanir les chemins. Chofroës fit auffi-töt les préparatifs de cette expédition. Pour cacher fon deffein, il recommanda le fecret aux députés, & fit courir le bruit que les Huns avoient fait une irruption en Ibérie, & qu'il alloit marcher contr'eux. _ Lorfqu'après avoir traverfé 1'lbéne, il fut arrivé aux frontieres de Lazique, Gubaze vint lui rendre hommage en fe profiernant a fes pieds, & le reconnut pour fon fouverain. Chofroës marcha vers Pétra, & détacha un corps d'armée pour aller s'en rendre maïtre, fous la conduite d'un Je fes Généraux, nommé Abeniamile. Zibus ne manquoit pas de harlieffe : il entendoit du moins les nies de guerre. II défendit aux foldats le Ia garnifon de fe montrer hors de 1 ville ni fur les murs, & il les plaa derrière les portes, avec ordre de arder un profond filence. Les Per;s, ne voyant rien paroïtre, & n'enmdant aucun bruit, fe perfuaderent "e la place étoit abandonnée. Ils n donnerent avis au Roi, qui leur rdonna d'efcalader les murs, tk d'abattre  nu Bjs-Empirs. Liv. XLFI. 169 Wtre les portes a coups de bélier. Affis fur une éminence voifine, il attendoit tranquillement le fuccès d'une opération fi facile, lorfque tout-acoup il voit les portes s'ouvrir, les JRomains fortir avec fureur, tailler en pieces un grand nombre de fes gens, & mettre les autres en fuite. Tranfporté de colere, il fait pendre Abéniamide , pour s'être laifie furprendre, difoit-il, par un miférable financier. Cet affront le rendit plus opiniatre.Tl environna la.place, 8e campa le plus prés qu'il fut poffible hors la portée des machines. Le lendemain, il vifita les dehors, 8e fit avancer toute fon armée pour lancer des fleches fur les murs. Mais les Perfes faifoient moins de mal aux affiégés, qu'ils n'en recevcient eux-mêmes. Les machines de toute efpece, dont la muraille étoit couverte, leur tuoient beaucoup de foldats. Zibus perdit la vie dans cette occafion : fin trop honorable pour un concuffionnaire public. Sur le foir, les Perfes fe retirerent dans leur camp, 8e le lendemain ils travaillerent a pratiquer un fouterreki. Pétra étoit bor- Totne X. H JUSTI- NIEN. Ann. 541,* XXXIIÏÏ Prife de Pétra. Proc. Per/. I. 1. c. 17. Idem G01. I. 4. «.45. Idem Anecd. c. 2. Tuft. navel, 28. Cellar. Geog. anti J. C. 9. 5-5.4» 16, 17,  JtrsTi- UIEN. Ann. 541, I i 170 H I S T O I R E dée d'un cöté par la raer, & de 1'autre, par des rochers qui la rendoient inacceffible. On n'y pouvoit entrer que par une gorge étroite entre deux montagnes ; & cette gorge étoit fermee d'une épaiffe muraille, aux extremités de laquelle s'élevoient deux tours, que Leur intérieur, plein & fohde jufqua une hauteur confidérable, mettoit k 1'épreuve du bélier. Les Perfes conduifirent le fottterre-in jufque fous 1'une de ces tours, & après avoir detaché beaucoup de pierres des fondements, ils foutinrent 1'édifice par des étayes oü ils mirent le feu. Les Romains, logés dans la partie fupéneure de la tour , n'eurent que le temps de fe fauver, & de fe renfermer dans 1'enceinte de la place. Cet ouvrage détruit, la ville demeuroit fans défenfe de ce cöté-la ; ce qui forca les habitants k capituler. Ils fe rendirent , a condition qu'on leur laifferoit la vie & tous leurs effets. Le Roi ne s'empara que des richefres de Zibus, qui étoient immenfes; Y il fut tellement gagner la garni"on, qu'elle s'engagea dans fon arnée. Chofroës voulut encore enle-  du Bas-Empire. Liv. XLFI. 171 ver aux Romains deux places qui leur reftoient fur cette cöte a 1'extrêmité feptentrionale; c'étoient Sébaftopo- , lis ou Diofcurias & Pityonte. Ces deux villes, éloignées 1'une de 1'autre de deux journées de chemin, autrefois trés - célebres & d'un grand commerce , étoient alors prefque ruinées, & Juftinien , dans une de fes Novelles, ne les nomme que des chateaux. Les garnifons de ces places apprenant que les troupes de Perfe étoient en chemin, & fe voyant hors d'état de les défendre, y mirent le feu, & fe fauverent par mer a Trébifonde. Dans le même temps, deux autres villes, Cepes & Phanagore, que les Romains poffédoient depuis long-temps, prés du Bofphore Cimmérien , furent prifes & rafées par les Barbares voiftns. Chofroës ne fit point d'autre entreprife cette année. Ses troupes avoient beaucoup fouffert des marches pénibles, de la difette & de la pefte. II apprit que Bélifaire approchoit de la Perfe, que 1'Aflyrie étoit déja en proie aux Sarafins, & que les Huns qu'il avoit envoyés en Arménie pour fiüre diH ij JUSTIKIEN. Liin. 541.  Jus-riff I EN. Ann, 541 I"a HlST&IRE verfion , avoient été taillés en pieces par Valérien. D'ailleurs, les foldats excédés de fatigue, ofoient dire hautement , que les entreprifes du Roi pafïoient fon pouvoir, & que les forces de la Perfe n'égaleroient jamais celles de 1'Empire. Chofroës, pour rabattre cette opinion avantageufe qu'ils avoient de la puilTance Romaine , fit lire a la tête de fon armee une lettre que Théodora écrivoit a Zabergane, pour le prier d'infpirer a fon maitre des fentiments pacifiques: elle lui promettoit une grande récompenfe : Je fuis la maitrefe , difoit-elle, de vous ouvrir les tréfors de VEmpereur; tout eft d ma difpofttion dans F Empire. Le Roi relevoit ces dernieres paroles , & leur demandoit qnelle idéé ils fe formoient d'un Etat, gouverné par une femme. II n'en falhit pas davantage dans 1'efprit d'une nation toute guerriere , pour faire fuccéder le mépris a 1'eftime qu'ils faifoient des Romains, Cependant Chofroës réfolut de partir ; il mit garnifon dans Pétra, & trainant après lui un grand nombre de prifonniers. il reprit la route de Perfe.  du Bas-Empire. Liv. XLFI. 173 Dans le temps que Chofroës fe préparoit amarcher en Lazique, 1'Empereur, qui n'étoit pas inftruit des mouvements de ce Prince, avoit rappellé Germain, & fait partir en diligence Bélifaire, afin de prévenir le Roi de Perfe, qu'il croyoit difpofé a entrer en Méfopotamie. Bélifaire, arrivé en ce pays , trouva des troupes délabrées , fans habits , fans armes, & qui n'ofoient paroïtre devant les Perfes. Son premier foin fut de les mettre en bon état. II envoya enfuite des efpions en Perfe, pour s'informer des defTeins de Chofroës: ils furent trompés par les bruits que ce Prince faifoit courir, & rapporterent que le Roi marchoit en Ibérie pour y combattre les Huns. Sur ce rapport, Bélifaire réfolut d'entrer en Perfe. II venoit de recevoir un renfort confidérable de Sarafins que lui amenoit Aréthas, & 1'Empereur le prefToit par des ordres réitérés. Ayant donc convoqué ft Dara une affemblée générale de tous les Commandants employés en Méfopotamie, il les confulta fur le plan qu'il devoit fuivre dans cette campagne^ H iij JüSTINIEN. Arm. 541. XXXIV. Bélifaire a Dara. Proc. Perf. I. 2. c. 14, 16. Mare. chri Jorn. fucccff. Pap ad Bar.  JUS TINI EN. Ann. J41, XXXV. Combat pres de Niiibe. Proc. Perf. \ l. 1. c, 18. 1 374 Histoire Pierre & Buzès penfoient qu'il falloit entrer fur le champ en aöion , & attaquer la frontiere de Perfe. Tout Ie confeil fut du même avis. Rhécitanque & Theoaifte qui commandoient un corps compofé des garnifons de Syrië, approuvoient cette refolution; mais ils refufoient de fuivre l'armée, difant que leur abfence laifferoit la Syrië & la Phénicie expofées aux courfes d'Alamondare. Bchfaire leur fit voir que leur crainte etoitmal fondée, paree qu'on étoit au follhce d'été, temps auquel les Sarafins confacroient deux mois entiers aux pratiques de leur Religion, fans faire aucun ufage de leurs armes. II promit k ces deux Officiers de les congédier auffi-töt que ce terme feroit expiré : ce qui les détermina k le fuivre. Bélifaire alla camper a deux lieues de Nifibe, dans une plaine étendue 8e arrofée de fources. Ses Lieutenants s'étonnoient qu'il s'arrêtat fi loin de :ette ville , dont ils prétendoient qu'il Falloit faire le fiege : quelques-uns néme refufoient d'obéir , en forte jue contre fa coutume, il fut obli-  du Bas-Empib-E. Liv. XLVL 175 gé de leur rendre compte des mötifs de fa .conduite. II leur repréfenta donc : Que Chofroës en s'éloignani, avoit fans doute pris foin de garnir fa fronüere ; que loin de nigliger Nijibe , le premier boulevard de la Perfe , il en avoit donné le commandement a Nabede, le plus grand Seigneur du Royaume; que pour prendre Nijibe , il falloit attirer Nabede hors de la place , & détruire la garnifon j que fi l'on fe battoit prés de la ville, ttnnemi ayant la retraite fi proche , ne recevroit pas un grand dommage; au-lieu que fi la garnifon s'eloignoit, on auroit le temps de la tailler en pieces dans la pourfuite , ou de lui couper le retour, Ces raifons fatisfirent tous les Officiers , excepté Pierre, qui alla camper a. une demi-lieue de la ville. Bélifaire le fit avertir de fe tenir fur fes gardes; que felon 1'apparence, les ennemis viendroient 1'attaquer vers le midi, paree que c'étoit 1'heure oü les Romains prenoient leur repas , ce que les Perfes ne faifoient que le foir. Pierre fe tint en bataille jufqu'a midi; mais alors fes foldats ne pouvant fupporter 1'ardeur du foleil 3 H iv JUSTINIEN'. Ann, )4U  JüSTIMIEN. •nn. 541. ! 3 3 .] 1 ( j j| t 1 ï i r I7 H I S t o l r e xnirent bas les armes, & fe djfperierent pour aller cueillir des %ues, dont ils Voyoient quantité aux environs de leur camp. Nabede pronte de leur fécurité pour faire une fortie. Ils coururent en tumulte a leurs lr!f.e,s ' & envoyerent demander a Bélifaire un prompt fecours : il s'étoit déja mis en marche a la vue des tourbillöns de pouffiere qui lui avoient annoncé la fortie des ennemis. Les troupes de Pierre étoient en neroute; elles avoient déja perdu cinïuante hommes avec Pétendard; & pas un feul ne feroit échappé , fi Béïfaire ne fut venu arracher la vic:oire aux Perfes. Les Goths quifornoient la première ligne , charge■ent fi rudement les ennemis avec eurs longues javelines , qu'ils les mient en fuite. On en tua cent cin[uante, & on pourfuivit les autres ufqua la ville. Pierre, après avoir ecu cette lecon, fe retira avec fes i-oupes dans le camp de Bélifaire. Le mdemain, les Perfes planterent com1e un trophée fur une de leurs tours 3n étendard, auquel par une balTe laifanterie, ils avoient attaché quan-  nu Bas-Empi&e. Liv. XLVL 177 tité de fauciffons, pour infulter a ce Général qui aimoit la bonne chere. Mais ils n'oferent plus fortir de la place. Le deffein de Bélifaire étant de paffer le Tigre, & de porter le ravage en Perfe, pendant 1'abfence de Chofroës, il ne voulut pas perdre le temps devant Nifibe, dont le fiege auroit été long & meurtrier. S'étant donc mis en marche , après une journée de chemin, il arriva devant Sifaurane. C'étoit une fortereffe trèspeuplée, ou étoient en garnifon huit cents cavaliers des plus braves de la Perfe, fous un Commandant de grande réputation, nommé Blefcane. A la première attaque , les Romains furent repouffés avec grande perte. Bélifaire , pour ne pas laiffer derrière M tant d'ennemis, réfolut de fe rendre maitre de cette place ; & comme les Sarafins n'étoient nullemenl propres aux travaux d'un fiege , i: leur fit paffer le Tigre avec le Roi Aréthas pour ravager 1'Affyrie, & lui rapporter des nouvelles. II y jol gnit un corps de douze cents hom mes fous le commandement de Tra H v JüSTI- H1EN. XXXVI. Prife de Sifaurane.  JUSTINIIvN. Ann. 54 rxxvn, Perfidie d'Aréthas. H t 3 t 0 1 x e - jan tk de Jean Phagas. La fortereffe ne tmt pas auffi long-temps que 1'au voit penfé Bélifaire. Ayant appris ue quelques prifonniers qu'elle manquoit de vivres , il y envoya George, hommeadroit & intelligent, qui perfuada aux affiégés de fe rendre. Les habitants, qui étoient Chrétiens & de race Romaine , eurent la liberte de fe retirer avec leurs effets. La place fut rafée , & fes Perfes furent conduits a Conftantinople avec Blefcane. L'Empereur en fit des foldats ; il les envoya en Italië pour faire Ia guerre aux Goths; & cet Artabaze, qui mourut cette année prés de Faenza, étoit un de ces prifonniers. . Cependant Aréthas après avoir paffe le Tigre , trouvant un pays abondant, tk qui depuis long-temps n'avoit éprouvé aucun ravage, fit un nche butin; & pour ne pas le par-tager avec l'armée de Bélifaire, il réfolut de ne pas retourner au camp. II fe fit donner un faux avis, qu'une nombreufe armée de Perfes paffoit aÖuellement ie Tigre, & que Bélifaire, trop foiblepourla combattre, prenoit le parti de la retraite. Par  du Bas-Empizr. Lïv. XLFI. 179 fon confeil Trajan, & Phagas rega- ' gnerent la Méfopotamie, & fe renfermerent dans Rhefene , nommée , alors Théodofiopolis. Bélifaire n'ea recevant aucune nouvelle , & craignant qu'ils ne fuffent perdus avec Aréthas , paffa inutilement beaucoup de temps a les attendre. Les chaleurs de 1'été & les ardeurs d'un climat brülant, auquel les Romains , & furtout les Thraces , n'étoient pas accoutumés, cauferent la pefte dans fon armée, & le tiers des foldats étoit déja attaqué de cette funefte maladie. Les deux mois de fête que célébroient les Saralins, étant paffes, Rhécitanque' &c Théoctifte demanderent leur congé, pour aller défendre la Syrië contre les incurlïons d'Alamondare. Jean, hls de Nicétas, confeilloit a Bélifaire de repaffer 1'Eüphrate, ck les cris des foldats le forcerent d'y confentir. II fit monter les malades dans des charriots, & retourna en Syrië. II fut enfin infiruit de la perfidie d'Aréthas; mais le Sarafin fe tint toujours fi éloigné, qu'elle deaneura irnpunié*. Dans le même temps que le Général R.omajn abanH vj JüSTINIEN. Lnn. 541.  JUSTIKIEN. Ann. J41, XXXVIII Méchan- ceté d'An- 1 tonine. Proc. a- ( necd. c. 13. Théoph. p, i %P4. 1 1 ï t I. r $ iSo HflSTOlJLB donnoit Ia Perfe, Chofroës y ren-' troit pour la défendre. Les fuccès qu'il avoit eut en Lazique, ne le confoloient pas de la perte de Sifaurane, & du ravage de 1'Affyrie. II paffa 1'hyver aux préparatifs d'une nouvelle expédition. Bélifaire revint a Conftantinople. On blama ce Général d'avoir différé de paffer le Tigre dès le commencement de la campagne : on prétendit qu'il auroit pu piller toute 1'Affyrie, pénétrer jufqu'a Ctéfiphon, & ramener avec lui !es habitants d'Antioche que Chofsoës avoit tranfportés en Perfe. Une intrigue fecrete contribua en» :ore k précipiter le retour de Bélifai•e. Photius , batard d'Antonine, mais hgne d'une autre naiffance, accom>agnoit Bélifaire en Oriënt. Antoniïe le haïffoit, paree qu'il rougiffoit les débauches de fa mere , & elle ie cherchoit que 1'occafion de le faire érir. Le jeune homme , foit par veneance, foit par un trop vif fentiient d'honneur, fit avertir Bétifaie du commerce qu'elle entretenoit n fon abfence avec Théodofe a Confmfinople. Bélifaire en fut indigné »  hv Bas-Empire. Liv. XLFL i8i & protefta qu'il alloit enfin fe venger de tant d'outrages. Antonine, qui avoit mis dans fes intéréts les domeftiques de fon mari, eut avis des mauvais fervices que lui rendoit Photius, & du danger oü elle étoit. Elle prit le parti d'éloigner pour un temps Théodofe , &d'aller elle-même trouver fon mari, fur lequel elle connoilToit fon pouvoir. Mais il étoit trop irrité pour cette fois, & lorfqu'il eut repafTé 1'Euphrate , dès qu'il fut qu'elle approchoit, il la fit arrêter fans lui permettre de paroitre devant lui. On dit même qu'il_ fuf plufieurs ibis tenté de s'en défaire : mais que fa paffion pour elle fut toujours plus forte que fa colere. A for retour, 1'Impératrice qui chérilToit h complice de fes crimes, s'empreff; de les réconcilier, &raiiTit fans beau coup d'efforts. Ceux qui entrepre noient de 'jufiifïer Antonine , étoien fürs de trouver un puilTant avoca dans le cceur de fon mari.Théodpr; traita cruellement tous ceux qui a voient contribué k éclaïrer Bélifain fur la conduite de fa femme. Pho ti«s s'étoit faifi de la perfonne d< ÏUStïNÏEN. A.iïii. 54l' i  JüSTINIEN. Ann, 541. XXXIX., Difgrace deJeande Cappadoce. Proc. Perf. I. f. 15. /. 2. C. 3. Idem anecd. c.17. Mare. chr. Malela, p. 77. I8i U I S T 0 I R E Théodofe k Ephefe , & 1'avoit tranfporté dans un chateau en Cilicie; il fut forcé par une douloureufe torture k découvrir oii il étoit. Théodora fit revenir ce fcélérat, le rendit k Antonine, le logea dans fon palais, & menasa 1'Empire de lui donner le commandement des armées. Photius fut pendant trois.ans enfermé dans un cachot atTreux , d'oü s'étant enfin fauvé , il s'enfuit k Jérufalem, oü il prit le nom de Photin, & demeura caché dans un monaftere ,^ dont il fut Abbé dans la fuite. L'Empire perdit en fa perfonne un jeune guerrier, formé par les lecons de Bélifaire, & dont la valeur donnoit les plus hautes efpérances. | Peu cle temps auparavant, ces deux remrnes, qui ne connoiflbient que la fraude & le menfonge, les avoient mis en ceuvre pour perdre un homme , que la juitice avoit droit de pumr. Jean de Cappadoce, Préfet du prétoire, tyrannifoit 1'Empire depuis dix ans. Théodora lui pafioit toutes fes injuftices ; mais elle ne lui pardonna pas d'avoir tenté plufieurs fois de la.decréduer dans J'efpm dc 1'E.m-  du Ba-S'Empire. Liv. XLFI. 183 pereur; elle réfolut de le prévenir. L'entreprife étoit délicate; le Préfet avoit la confiance de fon maitre; mais il avoit auffi trop de vices pour ne pas donner prife a fes ennemis. Son ambition démefurée lui faifoit écouter les prédicfions de certains importeurs , qui lui promettoient la cou-ronne Impériale. Ce fut par cet endroit foible que Théodora fit deffein de 1'attaquer; elle s'en ouvrit k Antonine, qui lui offrit toutes les reffources de fon génie. Le Préfet avoit une fille unique, nommée Euphémie : jeune encore & fans expérience, elle fe laifla prendre aux careffes d'Antonine, qui ne celToit de murmurer contre Théodora , contre Juftinien : c'étoient, difoit - elle,'dei monftres d'ingratitude, qui devoien' tout k Bélifaire, & ne le payoien que de difgraces. Elle lui faifoit entendre que fi fon pere vouloit fe pf ê ter k Pintérêt public, tant d'injuftices feroient bientöt réparées. Le Pré fet, quoique confommé dans le ma nege de Cour, fut la dupe de foi ambition , & donna dans le piege. 1 convint d'une entrevue nofturne ave JUSTINIEN. Ann. 54«" 1 1  JüSTINIEN. Ann. 541, tj I 184 , H I S T » 1 x s Antonine dans un fauxbourg de Chalcedoine. Théodora inftruifit 1'Empereur des difpofitions perfides de Jean de Cappadoce. L'eunuque Narfès & Marcel, Commandant des gardes du palais, eurent ordre d'aller avec des foldats fe cacher dans le lieu de la conference , & de tuer fur le champ le Prefet, fi fes difcours faifoient connoitre qu'il füt coupable. On dit cependant que 1'Empereur, toujours attaché a fon Miniftre, le fit fécretement avertir d'éviter cette entrevue. Mais 1 heure étoit venue oii les crimes de Jean de Cappadoce devoient recevoir leur chatiment. II fe rendit k Chalcédoine; tk pendant qu'il s'engageoit par ferment a feconder de tout fon pouvoir le complot d'Antonine, Narfès tk Marcel fortent de leur embufcade; les gardes de Jean accourent pour le défendre; Marcel eft bleffé; Jean s'échappe tk fe refugié dans une Eglife a Conftanïmople. II fut dépouillé de fa charge, conduit a Cyzique , tk ordonné 3retre malgré lui, par un abus énorne qui régnoit alors. Jamais il n'en |t les fondions > de peur de fe fer-  vu Bas-Empire. Liv. XLFI. 185 mer le retour aux dignités , qu'il eut toujours la folie d'efpérer. Ses biens furent confifqués; mais il en fauva une partie ; & 1'Empereur, par une fuite de fon ancien attachement, lui relacha prefque tout le refte ; en forte qu'il continuoit de vivre avec fplendeur au grand déplaifir de 1'Empire dont il étoit détefté. Enfin, au bout de quatre ans, la vengeance publique fut pleinement fatisfaite. Eufebe, Evêque de Cyzique, ayant été maffacré dans une fédition, Théodora fit accufer Jean d'être 1'auteur de ce crime; & quoiqu'on n'eüt pu 1'en convaincre , il fut jetté en prifon , déehiré k coups de fouets, & obligé de faire en plein tribunal la confeffion de toute fa vie. On le fit énfuite embarquer pour lEgypte, fans autre équipage que de miférables haillons dont il fut revêtu. Dans tous les ports ou le vaiffeau relachoit, on expofoit Jean de Cappadoce fur le chemin public , & on le contraignoit de demander 1'aumöne aux paffants. 11 traverfa en mendiant une grande partie de 1'Egypte jufqu'a Antinople, ©ü il étoit relégué. C'eft. ce qui a JUSTIKIEK. kna. 54I5  JüSTINIEN. Ann, J41, XL. Caraöere de fes fucceiïeurs. Proc. aneci. c. 9 , 12 , 23 , a4, 2j. t < I8(5 H I S T O I R E donné lieu au roman de la mendicité de Bélifaire : des écrivains fans critique ont confondu la difgrace de ce grand Capitaine avec celle de Jean de Cappadoce, qui leur étoit moins connu. Ce malheureux Préfet , au milieu même de fa mifere, n'avoit pas encore perdu fon caraftere fïfcal : il^ ofa citer en juftice des habitants d'Alexandrie, comme débiteurs de 1'épargne. Après la mort de Théodora , il eut la liberté de retourner a Conftantinople, oii il mourut dans la pauvreté &z dans le mépris, Théodote lui fuccéda dans la préfeöure ; ce n'étoit pas un homme vertueux; mais comme Théodora ne le trouvoit pas affez méchant, elle le fit accufer de fortilege & de maléfices; & quoique le Quefteur Proclus 1'eut délaré innocent, il fut exilé a Jérufalem, Elle jetta enfuite les yeux fur Pierre Barfamès, en qui elle rencontroit toutes les qualités qui pou^oient lui plaire, Syrien de nation , iprès avoir fait la profeftion de banjuier oü il n'avoit rien épargné pour i'enrichir , il fut admis dans lesgarles de 1'Empereur. Devenu Préfet du  nu Bas-Empirb. Liv. XLFI. 187 prétoire, il déploya tous fes talents, détournant la paye des gens de guerre , vendant les charges & les gouvernements des Pro vinces, qu'il laiffoit enfuite piller par ceux qui en avoient acheté le droit, écartant les gens de bien pour n'employer que des fcélérats, fupprimant les gages des Officiers du palais', réduifant les Provinces a la difette, en les formant d'apporter leur bied k Conftantinople , pour le leur revendre au doublé , quoiqu'il fut gaté, & qu'il fallüt le jetter dans la mer. La foie fe tiroit des Indes par la Perfe; on h mettoit en oeuvre k Tyr Sc k Bérite en Phénicie , d'oii elle fe répandoii dans tout 1'Occident. Barfamès s'eni. para de ce commerce; il forcja le: ouvriers a ne travailler que pour lui Sc défendit, fous de groffes peines d'en vendre ni d'en acheter d'autri que de lui. II vendoit 1'once de foi< de teinture commune fix pieces d'or ce qui revient k quatre-vingts livre de notre monnoie; Sc celle de tein ture royale quatre fois davantage^ ce qui ruina entiérement Tyr Sc Bé ryte , dont les ouvriers paflerent e JUSTI" UIEN. Ann. 541. » » S 9 I  JUSTINIEN. Ann, 541 i i ( ] 1 1 < ï88 H i s t o ï & E Perfe. Les fucceffeurs de Barfamès; a ion exemple , partagerent avec le nic les immenfës profits de ce monopole. Les plaintes de tout 1'Empire , les murmures du peuple de Conftantinople, les menaces des gens de guerre.^ & plus encore les énormes richeffes dece concuffionnaire , firent enfin ouvrir les yeux a Juftinien. 1 heodora foutint long- temps un magutrat fi conforme k fes defirs. II fallut cependant céder a la haine puonque; mais le facrifice ne fut pas entier : on.lui öta la charge de Préfet du prétoire , pour lui donner celle d Intendant des finances, & on dépoiulla de celle-ci Jean de Paleftine, Magiftrat integre & défintérefie, qui, depuis peu de mois qu'il occupoit cette place, s'étoit concilié 1'eftime univerfelle. Dans cette nouvelle Jigmté, Barfamès ne changea pas de :aradtere. II fupprima prefque toutes es penfions que faifoit le Prince; ce juiréduifita la mendicité grand nom«•e de families. II retrancha auffi toues les remifes que les Empereurs éoient en ufage de faire des reliquats le contnbutions. II diminuale poids  bu Bas-Empire. Liv. XLVI. 189 de la monnoie d'or, fans rien rabattre cle la valeur. C'étoit une coutume établie dès le temps d'Augufte 9 que dans la cérémbnie des quinquennales , c'eft-a-dire, lorfque les Princes renouvelloient après cinq années la mémoire de leur avénement a 1'Empire , on diftribuat cinq pieces d'or a chaque foldat; cette libéralité, qui n'avoit jamais été interrompue depuis prés de fix cents ans, fut abolie par le confeil de Barfamès. Je ne fais fi ce fut aufli par fon avis que 1'Empereur ceffa de nommer des Confuls : mais cette fupprefiion ne portoit aucun préjudice a 1'Etat. La puiflance confulaire éclipfée depuis long-temps par 1'autorité fouveraine, n'étoit plus qu'un titre fans réalité. La fonction des Confuls fe réduifoit a fe donner en fpectacle fept fois 1'année par une marche pompeufe, pendant iaquelle ils jettoient de 1'argent au peuple. Ces dépenfes montoient deux mille livres d'or; &c comme peu de Confuls étoient en état d'y fuffire , 1'Empereur venoit au fecours, & 1'épargne en fupportoit une grande partie. Mar- JUSTINIEN. A.nn, 54:» XLI. Confulas aboli- Prec. a» nui. c. 26» Novel. 105. Baronlus. Riccioli , chron. I. c. I. Muratori thif. infcript.  JUSTINIEN. Ann. 541 I9o HlSTOIHE cien avoit voulu abolir ces largeffes mal entendues; mais la vanité des Magiftrats , & 1'avidité du peuple les avoient perpétuées. En 5 3 6, Juftinien les modéra par une loi, afin, dit-il, que 1'excès de ces dépenfes ne détruife pas le Confulat, faute de trouver des perfonnes affez riehes pour les foutenir; II n'avoit pas encore deffein d'éteindre cette dignité : mais fix ans après, il la laiffa tomber entiérement, en ne nommant plus de. Confuls. Bafile fut le dernier, & 1'année fuivantè 541, eft marquée dans . les faftes & dans les loix, la première après le confulat de Bafile. On continua de dater ainfi julqu'en 587. AIors on n'employa plus d'autre caraöerechronologique, que 1'année du regne & celle de 1'indiftion. On y ajouta enfuite les années de JefusChrift : ce qui commen5a en Italië dès 1'an 590 ; mais plus tard dans les autres pays. Quoique cette année 541 foit regardée comme la derniere du Confulat, cependant les Empereurs üiivants, tels que Juftin fecond, TiDere, Maurice & Héraclius, prirent ïncore quelquefois le titre de Con- *  nu Bas-Empire. Liv. XLVI. 1-91 ful , comme on le voit par leurs infcriptions. Le Confulat avoit duré milj le quarante-neuf ans. Après la défaite des Généraux Ro1 mains, prés de Mucelle, Totila, maij tre de la campagne , prit Céfene, Pétrapertufa & Urbin. De-la il marJ cha en Tofcane, oü ne trouvant aucune place difpofée a fe rendre, il palTa le Tibre; & fans entrer fur le territoire de Rome ; il prit la route I de Campanie. La grande réputation I de Saint Benoït attira ce Prince au I mont Caffin. II vifita le faint Abbé; I &c ce conquérant, qui faifoit trem| bier 1'Italie , n'aborda qu'avec une ï crainte refpedf ueufe un Moine foible i en apparence , mais conquérant luiI même a meilleur titre que Totila. Le I Saint lui donna des confeils, & lui I prédit les principaux événements de li ïa vie. Le Roi s'avanca jufqu'a Béi névent, qui ne fit aucune réfiftance, ; quoique cette ville fut bien fortifiée; I il en.rafa les murailles, afin qu'elle t re put fervir de retraite aux Romains. [ II s'approcha enfuite de Naples; & I n'ayant pu engager les habitants a le I recevoir, il réfolut de 1'affiéger. Co- Justi- ■ NIEN. Ann. 541= XLII. Conquêtes de To. tila. Proc. Goc. I. 3. c. 6. Flcury , hifi. ecclef. I. 33. art. 9-  JUSTINIEN. Ann. 542. XLIIÏ. Mauvais fuccès des Romains. 191 H I S T O I ~R R non y commandoit une garnifon de mille hommes. Totila campa prés de la ville, & détacha une partie de fes troupes pour fe faifir des places d'alentour; Cumes& plufieurs autres fortereffes furent prifes. On y trouva des femmes de Sénateurs, que le Roi des Goths traita avec beaucoup de refpecf , & renvoya a leurs maris. Cette modération lui fit grand honneur , & facilita fes conquêtes. Bientöt il fut maitre de la Lucanie, de 1'Apulie, de la Calabre, & du pays des Brutiens. L'Empereur, privé des revenus de ces Provinces, ne paya plus fes troupes d'Italie ; & les foldats , réduits a vivre aux dépens du pays , pilloient les habitants , & ne tenoient plus aucun compte de leurs Généraux. Pour remédier k ces défordres, 1'Empereur envoya en Italië avec le titre de Préfet du prétoire , ce même Maximin, qu'il avoit trois ans auparavant député k Vitigès. II lui donna autorité fur les Généraux , & fit partir avec lui une Hotte, fous le commandement d'Hérodien & de Pha«. zas, Ibérien de nation, & neveu de Pérane.  du Bas-Empire. Liv. XLFI. 193 Pérane. On ne pouvoit faire un plus mauvais choix. Maximin, parelfeux, timide, & tout-a-fait ignorant dans le métier de la guerre , s'arrêta en Epire, & y perdit beaucoup de temps. Démétrius, qui partit de Conftantinople peu de temps après lui, étoit plus hardi &plus aófif; il avoit fervi en Italië fous Bélifaire. II abordaen Sicile, & apprenant que les Napolitains étoient réduits k une extréme difette, il affembla un grand nombre de vaiffeaux , qu'il chargea de bied; mais il ne put les garnir de troupes. Cependant les Goths prenoient déja 1'allarme; & croyant que Démétrius amenoit aux affiégés un puiffant fecours, ils fe difpofoient a lever le fiege , dès qu'il paroitroit devant Naples. Au-lieu de profiter de cette erreur, Démétrius alla aborder k Porto prés de Rome, pour y lever des foldats; il n'en put engager un feul, tant les fuccès de Totila avoient jetté d'épouvante; & il fut obligé d'aller k Naples avec le peu de foldats qu'ils avoit amenés de Conftantinople. Le Gouverneur de la ville afliégée fe nommoit auffi Démétrius: Tornt X, I JUSTINIEN. Ann. 542  JüSTINIEN. Ann, 542 19\ HlSTOIRE c'étoit un matelot, né dans 1'ille de Céphalénie , qui étoit devenu fi ha; bile dans la navigation, qu'après avoir rendu des fervices fignalés a Bélifaire dans fes deux expéditions d'Afrique & d'Italie , il avoit recu pour récompenfe le gouvernement de Naples. Confervant toujours la rudeffe de fa première profeflion, il ne ceffoit depuis le commencement du fiege d'infulterTotila,& de vomir contre lui du haut des murs les injures les plus grofiieres. A 1'approche du fecours , il fut affez hardi pour fe jetter feul dans une chaloupe , & aflez heureux pour joindre la flotte. II ehcouragea le Commandant, & le défermina a faire la defcente. Totila, bien informé de 1'état de la flotte, ramaffa quantité de barques légeres; & dès que les ennemis eurent atteint le rivage, il fondit fur eux avec tant de furie , qu'ils ne fongerent qu'a prendre la fuite. Iln'échappa que ceux qui fe jetterent dans les chaloupes, & gagnerent le large; du nombre defquelsfut Démétrius, le Commandant. Les Goths s'emparerent de tous les vailfeaux & des équipages. L'autre  nu Bas-Empire. Liv. XLFI. 195 Démétrius fut fait prifonnier : on lui coupa la langue Sc les deux mains pour chatier fon infolence , Se en cet état on le laiffa retourner dans la ville. Maximin , inftruit de ce défaftre,. craignit qu'on ne lui fit un crime de fon inadfion. II paffa donc en Sicile; mais fa timidité naturelle le retint encore k Syracufe. F^nfin, les inftances des Napolitains qui mouroient de faim, les menaces de 1'Empereur, Sc Les reproch.es de fes propres foldats, le forcerent de faire partir fa flotte. IJ n'ofa s'embarquer lui-même, Sc laiffa la conduite du feco.urs a Hérodien, k Phazas Se k Démétrius qui s'étoit rendu en Sicile après fa défaite. On approchoit de Naples, lorfqu'une violente tempcte rit échouer les vaifleaux au rivage oii les ennemis avoient leur camp. Les Goths s'y jettent aufli-töt; Sc trouvant des gens déja troublés Sc déconcertés par 1'orage, ils maffacrent les uns, précipitent les autres dans la mer; rien ne leur réfifte. Démétrius efl; pris : Hérodien 8c Phazas fe fauvent avec tr^s.-peu de leurs foldats. I ij JUSTINIEN. An«. 541. XLIV. Deftruction de Ia flotte de Maximin. Proc. Got. 1. 2. c. 7.  JUSTINIEN. Ann. 542 XLV. Naples f rendaTo tila. I9<5 HlSTOIRE Totila fit conduire Démétrius la corde au cou jufqu'au pied des murs . de Naples , & lui ordonna d'exhorter les affiégés a fe rendre; qu'ils de- ■ voient tout attendre de la clémence dü Roi, & rien du pouvoir de 1'Empereur, qui n'avoit pas d'autre fecours d leur envoyer après la pene de la flotte, dont ils voyoient les débris. Le trifte fpectacle de Démétrius, joint a fes difcours encore plus affligeants , leur fit perdre toute efpérance. La ville étoit remplie de tümulte & de con* fufion. Totila s'approcha lui - même, & ayant fait figne pour demander qu'on 1 eeoutat : » Mes amis, » dit-il, nous ne fommes pas venus » ici pour vous faire la guerre ; mais » pour vous délivrer du joug que » vous n'avez recu qu'a regret, &Z » pour vous récompenfer de la cou» rageufe réfiftance que vous avez » oppofée aux Romains. De tous les » Italiens , vous êtes les feuls qui » ayez fignalé votre attachement k » notre nation. Mettez-nous k por* » tée de vous faire éprouver notre re» connoilfance. Nous reffentons vos » maux auffi vivement que vous*;  nu Bas-Empire. Liv. XLV1. 197 » mêmes. Ne craigoez plus rien des » Romains; leur fortune eft paffée; » Dieu fe déclare pour nous. Nous » permettons a Conon & a fes fol» dats, de fortir de la ville. Nous » fommes prêts d'en faire ferment, » ck de vous jurer a vous-mêmes » que nous vous traiterons comme » nos amis & nos freres ". Ces paroles , auxquelles la famine donnoit encore plus de force , ne faifoient pas moins d'impreffion fur la garnifon que fur les habitants. Cependant Conon, efpérant encore du fecours, & ne voulant pas manquer a. ce qu'il devoit k 1'Empereur , demanda une treve d'un mois. Totila , pour lui faire fentir qu'il fe flattoit en vain, 1'accorda pour trois mois. Mais les affiégés ne pouvant plus fupporter la difette , fe rendirent au bout de quelques jours , & Totila tint fidélement fa parole. II fit encore beaucoup plus qu'il n'avoit promis, & la garnifon dut fon falut k la bonté de ce Prince , qu'elle traitoit de barbare. Voyant les foldats Romains épuifés paria faim, & craignant qu'ils ne fe fiffent périr I iij JUSTINIEN. Ann. 542; XL VI, Humanité de Tocüa. Proc, Gat. I. 3. c. 8.  JUSTINIEN. Acn. 542 aoo HlSTÖlRB » torité des loix, eft regardé com» me dur & impitoyable. Cefl la li» cence qui renverfe ainfi les vrais » noms des chofes, pour fe procu» rer 1'impunité. Vous n'avez point » de part au crime : fongez qu'en » le défendant vous vous en rendriez » complices. Je tiens également cou*> pable 1'auteur du forfait, & celui » qui en empêche la punition. Choi» fiffez de fauver un criminel, ou » la nation entiere. Au commence» ment de la guerre, nous étions puif» fants & fortunés : le nombre & la » bravoure de nos foldats, nos ri>> cheffes, nos vief oires paffées, nous » rendoient formidables. Toutes les » fortereffes de 1'Italie étoient en nos » mains. L'injuftice de Théodat a dé» truit notre Empire. Dieu s'eft ar» mé contre nous; il a marché a la » tête d'un petit nombre de Romains, » & nos armées innombrables ont dif» paru devant de foibles ennemis, » Raffafié de vengeance, il fe tourne » maintenant vers nous ; fon bras » puiffant releve ceux que fon bras * avoit abattus : nous n'attendions > que la mort; il nous a donné la  nu Bas-Empire. Lh. XLFI. 201 » victoire. Confervons-la par notre » juftice, n'attirons pas fur nos tê» tes le chatiment que le coupable » a mérité ". Ces fages réflexions pénétrerent le cceur des Goths; ils abandonnerent le criminel; il fut exécuté, & fes biens furent donnés a la £lle qu'il avoit outragée. Pendant que Totila enlevoit 1'Italie a 1'Empire, Chofroës avoit formé le deffein de pénétrer en Paleftine , & de piller Jérufalem , 011 il efpéroit trouver de grands tréfors. Dès 1'entrée du printemps, il prit la même route qu'il avoit tenue de^ix ans auparavant, en remontant le long de 1'Euphrate. Candide, Evêque de Sergiopolis , en retirant des mains du Roi de Perfe les douze mille prifonniers de Sura, s'étoit engagé a payer deux cents livres d'or dans 1'efpace d'un an, fous peine , s'il y manquoit, de payer le doublé, & d'être dépouillé de fa dignité. 11 n'avoit pas fatiffait k fa parole, lorfqu'il apprit que Chofroës approchoit. II alla fe jetter k fes pieds, s'excufant fur fon indigence & fur la dureté de 1'Empereuj qui avoit refufé de le fecourir. Lc I v JUSTINIEN. Ann. 54Ï. XLV1II. Troifieme expédition de Chofroës. Proc. Perf. 1, X. c- 10.  JUSTIK1EN. Ann. J42. 20C tftSTOIRM Roi le fit mettre aux fers, déchirer a coups de fouets, & fuivant la convention , il le condamna a fournir le doublé de la fomme promife. Candide le fupplia d'envoyer k Sergiopolis pour y prendre tout ce qu'il y avoit de richeffes dans 1'Eglife de la ville. Chofroës n'eut pas de peine k y confentir ; mais il ne fut pas content du butin , & il commanda è une cohorte de Perfes d'aller le lendemain fouiller dans toutes les maifons: ils avoient un ordre fecret de fe rendre maitres de la ville. Un Sarafin Chrétien qui fervoit dans l'armée de Chofroës, eut connoiffance de ce deffein, & alla pendant la nuit en inftruire les habitants, qui refuferent 1'entrée aux Perfes. Le Roi irrité fit partir fur le champ fix mille hommes , pour forcer la place qui n'avoit de garnifon que deux cents foldats. Les habitants réfifterent d'abord avec courage; mais n'efpérant paspouvoir tenir long-temps , ils fongeoient a fe rendre, lorfque le même Sarafin vint encore les avertir qué les Perfes manquoient d'eau, & qu'ils parüroient dans deux jours. Cette  nu Bas Empirk. Liv. XLFI. 203 bonne nouvelle les raffura; ils continuerent a fe défendre; & au bout de deux jours, Chofroës ayant rappellé les affiégeants, décampa emmenant avec lui Candide , auquel ü ne rendit jamais la liberté. Juftinien ne pouvoit compter fur les Commandants des troupes d'Orient; ils n'ofoient fe montrer en campagne , & fe tenoient renfermés dans des forterefles. II employa fa reffource accoutumée, & fit partir Bélifaire , mais fans lui donner de troupes, Ce Général fe rendit en diligence dam 1'Euphratéfie. Jufte, un des neveus de 1'Empereur , étoit dans Hiéraph avec Buzès & plufieurs autres Généraux. Ils inviterent Bélifaire a venii fe renfermer avec eux : il leur ré pondit : Que s'il riêtoït quejlion qu de la fureté de leurs perf onnes , il fai vroit leur confeil; mais quil s'agifoi de fauver C Empire, & ne feroit-ce pa le trahir, que de laifr les Provinces la difcrètion de Chofroïs ? II les e> hortoit k venir le joindre k Europi fur 1'Euphrate , ou il avort donr rendez-vous aux troupes qu'il pot voit raffembler. lis obéirent; & ayai I vj JUSTINIEN. Anti. 542. XLIX. Bélifaire retourne en Oriënt, i e s v 1 s é ït  JUSTINIEN, Aan. I/. Béfifaïre trompe Chofroës. j i < 1 204 ÜISTOIRE laiffé Jufte dans Hiéraple avec quelques foldats, ils fe rendirent a Europus auprès de Bélifaire. Mais toutes les troupes Romaines réunies n'étoient rien en comparaifon de l'armée des Perfes; & connoiffant leur propre foibleffe , elles trembloient au feul nom de Chofroës. Ce Prince prenoit la route de Paleftine, lorfqu'il apprit que Bélifaire campoit a Europus, d'oü 1'on pouvoit aifément paffer 1'Euphrate. II ne eonnoiffoit encore ce Général que de réputation, & ne favoit pas en quel état étoit l'armée Romaine. II craignoit que tandis qu'il pillereit la Paleffine , Bélifaire n'ufat de repréfailles fur les terres de Perfe. II envoya donc Abandane, un de fes fecretaires, en apparence pour fe plaindre de ce que 1'Empereur ne ratifioit pas Ie traité arrêté depuis deux ans, mais ?n effet pour examiner les forces de Bélifaire. Le Général Romain, bien ërvi par fes efpions, fut averti des ntentions du Roi; & pour lui ca:her fa foibleffe, il choifit fix mille lommes de la plus grande taille, & i'une mine guerriere & affurée : il  dv Bas-Empire. Liv. XLP1. zog s'éloigna avec eux de fon camp comme pour une partie de chaffe, & fit paffer 1'Euphrate a mille cavaliers, fous la conduite de Diogene & de 1'Arménien Adolius, avec ordre de courir fans ceffe fur les bords du fleuve , pour faire croire que leur deffein étoit d'en difputer le paffage. II fit planter fa tente dans une plaine déferte; fes foldats, vêtus & armés légérement comme des chafleurs, voltigeoient autour de lui, & lorfque le député de Chofroës arriva, ils le regarderent k peine, & le laifferent paffer avec un air de mépris & d'indifférence, comme fongeant a toute autre chofe, & n'étant occupés que de leur divertifiement. Abandane s'étant préfenté è Bélifaire , lui dit, que le Roi de Perfe étonné qu'on ne lui envoydt point de députés, comme on en étoit convenu , s'étoit cru obligé d'entrer a main armee fur les terres de 1'Empire. Bélifaire repondit en riant, que le procédé du Roi étoit nouveau ; que c'étoit par des maf acres & des ravages, qu'il venoit annoncer fon emprejfement a conclurè la paix. Abandane, de retour auprès de fon maitre, lui exa- JUSTINIEN. \aa. 541;  se6 Histoirë eéra les forces de Bélifaire. fa fer- JUSTIKIEN. Aha, 542, tt. Chofroës retourne en Perfe. meté & fa confiance, la qualité de fes foldats. Mais ce qui effrayoit le plus Chofroës, c'étoient ces cavaliers, dont il ignoroit le nombre, tk qui fembloient vouloir lui couper la retraite. Dans la terreur dont il étoit jfaifi , il réfolut de forcer le paffage de 1'Euphrate ; le pays qu'il avoit traverfé étoit abfolument dépourvti de fubfiftance; & il ne lui reftoit plus rien des vivres qu'il avoit apportés. Bélifaire n'avoit garde de s'oppofer è fon deffein ; il donna ordre aux cavaliers de s'éloigner, & de laiffer le paffage libre. Chofroës paffafortau-deffous d'Europus; ce qui étoit facile aux Perfes , qui portoient toujours avec eux des ponts volants. Dès qu'il fut fur 1'autre bord , il envoya dire k Bélifaire , qu'il avoit fait rttirtr fes trou~ pes par bitnveillance pour les Romains, t l e e s )- :r ar ie u P* 1e i- lit rs te  JUSTINIEN. Ann, J42. ] Lil. Trembte- ' ment de terre & ] pefte a i Conftantt- , nople. 208 HlSTOIÏlE en grande partie. A 1'approche des Perfes, les plus riches habitants fe fauverent avec leurs effets, les autres furent faits prifonniers , & emmenés en Perfe; la ville fut détruite de fond en comble. Dans ce même temps, les Arméniens qui s étoient donnés aux Perfes trois ans auparavant, trouvant le nouveau gouvernement encore plus dur que celui des Romains, revinrent a leurs anciens maitres. Le même BaiTacès, qui avoit été le chef de la révolte, vint a Conftantinople fe jetter aux pieds de 1'Empereur, qui le recut avec bonté.^Bélifaire fut rappellé a la Cour, pour être envoyé en Italië , ou la mauvaife conduite des Généraux laiffoit libre carrière a la valeur de Toïla. Mais cette raifon n'étoit qu'un srétexte , puifque ce Général fut re:enu a Conflantinople pendant toute 'année fuivante. Je vais expofer quel ïit le vrai motif de fon rappel. L'Empereur venoit de faire célé?rer pour la première fois a Confantinople, la fête de la Purihcation, jui fut inflituée alors , & hxée au econd jour de Février, Mais ce Prin-  uu Bjs-Empirb- Liv. XLF1. 209 ce , très-zélé pour les pratiques extérieures de dévotion, & moins fcigneux que Totila de réprimer le libertinage qui triomphoit infolemrneat a la Cour, éprouva cette même année les plus terribles effets de la colere divine. Un tremblement de terre détruifit des édifices, des Eglifes , & une partie des murs de la ville prés de la porte dorée. Plufieurs habitants furent enfevelis fous les ruines. Incontinent après , un fléau, plus meurtrier & plus inévitable, dépeupla prefque entiéremenl cette capitale. La pefte cruelle, qui depuis fix ans ravageoit fucceflivement toutes les contrées de filmvers , la défola pendant quatre mois Le nombre des morts croiffoit de plus en plus : enfin, il monta jufqu'; dix mille en un feul jour. Des mai fons entieres devinrent des fépul chres, & toute la ville un vafte ci metiere. L'Empereur chargea Théo dore, fon référendaire, du foin d faire enterrer les morts; il lui donn des gardes du palais, & de 1'arger du tréfor, a quoi ce généreux Mï giftrat ajouta beaucoup du fien pre justik1en. Ann. 542. Theoph. p. 188. Cedr. p. 374- Anaft. p, 63. Proc. Ptrft l. 2. c. 23. Idem anicd. c. 4* l z a ,t 1-  JUSTXNIEN. Arm. 5.43 2IO H I S T O I R E ■ pre. Quand on eut rempli tous les tombeaux des environs de Confian. tinople, on prit le parti de charger les cadavres dans des barques, & de les tranfporter loin de Ia ville. Enfin, la pareffe & la langueur, fuite ordinaire de cette accablante maladie, firent imaginer une nouvelle forte de fépulture, qui devint funefte aux vivants. On découvrit les tours dont les murs de la ville étoient flanqués, & 1'on y jettoit les corps comme dans des puits. L'infection de tant de cadavres entaifés les uns fur les autres, répandoit la mort dans la ville , fur-tout lorfque le vent y portoit ces exhalaifons empeftées. On rapporte qu'il y eut trois femmes enceiïïtes, dont les enfants moururent de la pefie dans leur fein, fans que les meres en fulfent atteintes ; 6t qu'une autre femme , au contraire, mourut de ce mal en accouchant, fans que 1'enfant en apportat aucun figne. Procope dit que les débauches cefferent alors, &que les plus difiolus pratiquerent les devoirs de la religion, non pas, dit-il, que leur coeur rut changé, c'eft 1'ouvrage de la grace  nu Bas-Empire- Iav. XLVl. 211 divine, mais paree qu'ils voyoient la mort fufpendue fur leurs tetes. Aufli | mefure que le mal fe rallentiffoit, ils reprirent leurs anciennes habitudes, & devinrent pires qu'auparavant. Toutes les fortes de commerce, tous les ouvrages furent interrompus. Cette inaftion générale caufa la famine, qui emporta encore un grand nombre d'habitants. Juftinien lui-même fut attaque de ia contagion. Un charbon peftilentie fit défefpérer de fa vie, 6c le brui' de fa mort fe répandit en Onent Quelques Commandants des troupes ajoutant trop de foi k cette nouvel ie , & s'imaginant que Théodora qu'ils déteftoient, alloit difpofer d 1'Ettipire, dirent hautement ,^ que 1'on nommoit un Empereur k Con tantinople fans leur participation ïls n'y retourneroient jamais, ni em ni leurs foldats. Juftinien, revenu c fa maladie , fut informé de ces di cours par les Commandants même; qui s'accuferent les uns les autre Théodora, plus irritée que fon m ri, manda Bélifaire & les autres C ficiers de l'armée. Après les avoir e JUSTlK1EN. Aan. 54*. nn. Maladie ; de Jufti■ nien. > * e I 7 e f- •» s. af- Elr  JUSTINIEN. Ann. 542 1 £12 H I S T O I R E tendus, elle demeura convaincue par le témoignage de Pierre & de Phagas , que cette parole étoit fortie de la bouche de Buzès. Elle le fit venir au palais comme pour Ie confulter fur une affaire importante. II fut aulïïtöt chargé de fers, & jetté dans un cachot ténébreux & profbnd, ou elle avoit coutume de renfermer eeux qu'elle vouloit faire périr. II y demeura deux ans & quatre mois, fans voir la lumiere. Le géolier qui venoit tous les jours lui jetter, comme a une béte féroce, une miférable nourriture, avoit défenfe de lui dire un feul mot. II reparut enfin, au grand étonnement de toute la ville, qui connoiffoit le caraftere implacable de Théodora. Si Bélifaire ne fut pas enveloppé dans fa difgrace, il en fut fans doute redevable a fa femme. Quoiqu'Antonine n'aimat pas Bélifaire, & qu'elle lui fit des outrages continuels , elle fe trouvoit bien de 1'avoir pour mari, & le payoit ie fa patience en le couvrant du cré3it que la conformité des mceurs lui ionnoit auprès de 1'Impératrice. En rappeliant Bélifaire, 1'Empe-  nu Bas-Empire. Lh. XLVI. 413 reur avoit conféré a Martin le commandement général des troupes d'Orient, 8c la colere de Théodora s'étant tournee toute entiere contre 1'infortuné Buzès , les autres Officiers avoient été renvoyés en Méfopotamie. Chofroës continuoit fes hoftiHtés, quoiqu'il ne ceflat de demander 1'exécution du traité de paix , qtü devoit lui apporter cinq mille livres d'or. Mais Juftinien ne fe preffoit pas, craignant , avec raifon , que cette fomme qu'il auroit donnée pour acheter la paix, ne fervit a \\\\ faire la guerre. Cependant les députés chargés de la ratification, étoient enfin partis, lorfque Valérien, qui commandoit en Arménie , fit favoir I 1'Empereur 1'embarras oü fe trouvor . le Roi de Perfe. Ce Prince, très-re ligieux adorateur du Feu , la grandi divinité & 1'oracle des Perfes, avoi pafte 1'hyver dans l'Ardabigane, oi étoit le plus célebre des temples d Feu, nommés Pyrcés. Cette Provinc conferve encore aujourd'hui le nor d'Aderbigian; c'eft une partie de l'ar cienne Médie. Le deffein de Chol roës étoit d'entrer au printemps fv JUSTINIEN. Ann. 543. LIV. Martin fsccede a Bélifaire. Proc Perf, l. 2. i. 24. t l 1 2 1 ,r  JUSTINIEN. Ann. S43' LV. Défaite des Romains.Proc. Perf. I. 2. C. 2J. 214 HlSTOIRE 1 les terres de 1'Empire par la Perfarménie. La révolte de ion fils, & la pefte qui fe répandit dans fes troupes , 1'obligerent de retourner a Ctéfiphon. Sur cette nouvelle, Juftinien donna ordre k fes Généraux d'entrer en Perfarménie. Ils fe réunirent auprès de Martin, Sc l'armée Romaine fe trouva forte de trente mille hommes. Nabede , Commandant du pays, n'en avoit que quatre mille. II fe pofta entre des montagnes dans un lieu nommé Anglon. Pour rendre 1'accès plus diffic.ile, il traverfa toutes les avenues de groffes pierres, d'arbres abattus, de charriots , Sc borda fon camp d'un large foffé. II mit quelques pelotons de foldats en embufcade dans des mafures voifines. Les., Romains, arrivés a une journée de ce lieu, prirent un efpion des ennemis qui les trompa; il leur fit accroire que Nabede avoit abandonné le pofte d'Anglon, Sc qu'il étoit fort éloigné. lis fe débandent auffi-töt, & marchent en confufion , fans autre obiet que de piller le pays, qui étoit riche Sc peuplé. A la vue d'Anglon,  du bas.-empib.&. Liv. XLVL 215 leurs coureurs vinrent les avertir que les ennemis les atteradoient en bataille. Surpris de cette rencontre imprévue, ils fe rangent a la hate , & comme ils peuvent, fur un terrein rompu, inégal, embarraffé d'arbres & de pierres. Les Perfes, faifant bonne contenance, avoient ordre de fe tenir fermes dans leur pofte. Narfès, a la tête des Érules, chargea le premier , Sc mit en fuite ceux qui lu étoient oppofés. Toute l'armée fuivoit fon exemple, lorfque les Perfe; cachés dans les mafures fortent fui les Romains, & portent par-tout 1< défordre & 1'épouvante. Nabede fai en même-temps avancer le refte d< fes troupes. Dans ces gorges étrot tes, le nombre ne donnoit nul avan tage. Les Perfes accablent de trait cette foule confufe d'ennemis qu s'embarraffent & fe renverfent le uns fur les autres. Narfès recut un bleffure mortelle , & fut emport hors de la bataille par fon frere Ifa< II mourut peu de moments après perte irréparable pour les Romain Ce brave guerrier, vainqueur autr< fois de Bélifaire même, avoit enfuii JUSTINIEN. Ann. 543. t S i s e é » e  JUSTINIEN. Ann, 545 2IÖ HlSTOIRE fervi fous fes ordres, & s'étoit fignalé en Italië dans toutes les rencontres. . Trés-peu d'Érules échapperent : ils étoient prelque nuds, couverts feulement d'une cafaque grofliere , & d'un bouclier : leurs efclaves, mêlés avec eux, combattoient même fans bouclier , n'ayant permiflion de le porter qu'après s'être diftingués par quelque fait d'armes. La déroute fut entiere. On vit alors trente mille Romains fuir devant quatre mille Perfes ,' qui, étonnés euxmêmes de leur viftoire , & craignant quelque flratagême, ne les pourfuivirent que jufqu'a l'entrée de la plaine. Mais 1'effroi ne celfa pas avec le péril : les foldats & les chefs a leur tête fuyoient fans être pourfuivis ; les cavaliers, courant a toute bride , fans regarder derrière eux , jettant leurs armes & leurs cuiralfes, ne s'arrêtoient que quand leurs chevaux tomboient morts de fatigue. Les ennemis firent un grand carnage & beaucoup de prifonniers, Ils remporterent une prodigieufe quantité d'armes & de toute forte de bagages. Adolius, dans fa fuite , paffant auprès d'un chateau, recut  nu Bas-Empirb. Liv. XLVI. ai? cut un coup de pierre dont il mou- '■ rut. Ce fut la feule aftion de cette campagne. Les Généraux Romains j fe renfermerent dans les places fortes, & la maladie retint Chofroës a Ctélïphon. Les armes Romaines ne réuffiffoient pas mieux en Afrique. Pour ne plus revenir a ce qui fe paffoit dans cette vafte région, je vais ralfembler ici les événements de cette année &c des fuivantes , jufqu'au temps oü 1'Afrique fut entiérement pacifiée. Salolomon la gouvernoit avec fagelfe , & la faifoit jouir depuis quatre ans des douceurs de la paix, lorfque le defir d'avancer fa familie vint troubler fon repos & celui de la Province. II n'avoit point d'enfants; un accident Pavoit rendu eunuque dès fa première jeuneffe; mais trois neveux, Cyrus, Sergius & Salomon, lui tenoient lieu de fils. II les fit venir en Afrique , & obtint de 1'Empereur le gouvernement de la Pentapole pour Cyrus , & de la Tripolitaine pour. Sergius. Ces jeunes hommes, fans mérite & fans expérience , fiers du pouvoir de leur oncle 5 fe crurent tout Tom X. K. JUSTINIEN. i.nn. 54}. LVI. Mort de Salomon , en Afrique. Proc. Vand. I. 2." c. 21. Theoph, p. 56. Pagi ad Bar,  JUSTI-. NI EK. 'Ann, 543, i i 1 ; 2lS II I S T O I R Z permis. Les Maures, nommés Leucathes, vinrent en armes 6c en grand nombre, aux portes de la grande Lep» tis, réfidence de Sergius : demandant les préfents qu'on avoit coutume de kur faire en conféquence du traitéo Sergius fuivit le mauvais confeil de ce Pudentius, qui , dès le commen» cement de la guerre contre les Vandales , avoit utilement fervi les Romains. II recut dans la ville quatrevingts Maures des plus qualifïés, après leur avoir promis füreté en jurant fur les évangiles; & les ayant invités k un repas, il les fit égorger tous, a I'exception d'un feul, qui s'échappa Sc porta cette nouvelle k fes camarades. Une fi noire perfidie fouleva toute la nation. Les Maures marcherent a Leptis, & furent vaincus dans L'.n premier combat; mais Pudentius y perdit la vie. Ils mirent fur pied ie plus grandes forces, entrerent dans a Pentapole , Sc prirent Bérénice. Cyrus n'avoit oféles attendre ; il s'é:oit fauvé par mer k Carthage, oh bn fiere Sergius alla le jöindre. An:alas, Roi d'une autre partie de la lation, avoit été jufqu'alors fidéli-  / du Sjs-Empire. Liv. XLFI. 219 inent attaché aux Romains : mais indigné de la cruelle perfidie de Sergius , il fe joignit aux autres, & marcha vers Carthage, 11 étoit perfonnellement irrité contre Salomon , qui , après avoir fait mourir fon frere accufé de trahifon, avoit retranché a ce Prince les provifions de vivres qu'on lui foürnilToit tous les ans. Salomon, accompagné de fes trois neveux, vint aü-devant des ennemis, & les rencontra prés de Thébefte a fix journées de Carthage. Effrayé de leur nombre, il voulut entrer en négociation; il leur fit dire que s'ils avoient quelque fuj et de fe plaindre, il étoit prêt de leur jurer qu'on leur donneroit fatisfadlion. Ils répondirent, que le ferment qu'il leur offroit \ fe feroit apparemment fur ces livres facrés, que les Chrétiens nommoient Evangiles : que Sergius en avoit de/a violé un partil; & que pour favoir s'ils devoient s'y fier une feconde fois, ils étoient bien ai fes d'éprouver 'pat une batdille , fi ces livres qu'onprètendoit être divins, avoient en effet quelque v.ertu pour pünir les parjures. Le lendemain Salomon furpris d'abord uh parti de Maures chargés K ij JUSTI- NIENa \.nn. 543»  JUSTINJEN. Ann. 54 LVH. Mauvai conduiti des ne> veux d Salomoi Proc. Vand. I. C. 22. Idem j tiecd. c. 220 HlSTöIRE : de butin. Le refiis qu'il fit de le diftribuer fur le champ aux foldats, exi. cita desmurmures. Toute l'armée des Barbares , fort fupérieure en nombre, s'étant rangée en bataille, les Romains fe porterent au combat fans ardeur, & furent battus. Salomon, a la tête de fes gardes, fe défendit quelque temps avec valeur. Enfuite forcé de céder au nombre, fon cheval s'étant abattu fous lui, il tomba dans une ravine, d'oü fes gardes 1'ayant tiré tout froiffé , & hors d'état de fe tenir a cheval, il fut pris & tué par les Maures. Telle fut la fin de ee vaillant Capitaine. L'Empereur lui donna pour fuce ceffeur fon neveu Sergius. Un fi mauvais choix fut pour 1'Afrique une four: ce de malheurs. Ce jeune Commanu dant, aufïi préfomptueux que mal-hai. bile, perdu de débauche, infolent, t efféminé , avide du bien d'autrui pour /• le prodiguer, abufoit fans ceffe de fon pouvoir, & fe rendoit également odieux aux Officiers , aux foldats, aux Africains. Tous les Maures fe réunirent fous les ordres d'Antalas. Stozas fortit de fa retraite, ik vint  du Bas-Empire. Liv. XLFI. 221 du fond de la Mauritanië fe joindre a eux. Cependant Antalas, qui ne faifoit la guerre qua regret, écrivit k . Juftinien qu'il étoit pret k pofer les 1 armes, s'il rappelloit cet indigne Gou* verneur. Mais Sergius avoit époufé la niece d'Antonine, & cette alliance lui procuroit dans Théodora une proteaion plus forte que 1'Afrique entiere. Le jeune Salomon, fon frere , le furpaffoit encore en méchanceté. II paffoit pour mort depuis la bataille de Thébefte; il avoit été fait prifonnier; & pour recouvrer plus aifément . la liberté, il perfuada aux Maures qu'il n'étoit qu'un efclave Vandale; il leur dit qu'il avoit a Laribe dans le voifinage un médecin de fes amis, nom' mé Pégafius, qui ne refuferoit pas de payer fa rancon. On fit venir Pégafius , & on lui remit Salomon pour cinquante pieces d'or. Dès quele jeune homme fe vit en füreté dans Laribe , il écrivit aux ennemis pour leur infulter odeur faire favoir qui iUtoit. Les Maures, outrés d'avoir été les dupes d'un enfant, vinrent afliéger la ville. Elle manquoit de vivres; mais comme ils 1'ignoroient, Sc que K. iij JüSTI*NIEN. Un. 545»  JüSTIKIEN. Ann. 543. j 1 lviii. Adrumet | pris & repris, i Proc. < Vttnd. I, X, *• *$• ! J 1 22a H z S T O 1 R -E «Tailleurs les Maures n'entendoient nen aux fieges, ni aux attaques des places, ils confentirent a fe retirer après avoir recu trois mille pieces d'or. Salomon devoit la liberté a Pégafius; voici quelle fut fa reconnoiffance. Après la levée du fiege de Laribe , ils alloient enfemble k Carthage. Comme ce jeune libertin fe livroit fur la route aux excès les plus mfames, Pégafius prit la liberté de Ie reprendre avec douceur , & fa remontrance fut payée fur 1'heure d'un :oup d'épée, qui lui öta la vie. Saomon étant 'allé peu après k Confantinople , n'eut que la peine de denander des lettres de grace, qull obmt auffi-tót. Mais le Gel ne lui parlonna pas. Ce monftre de diffolution k d'ingratitude-, étant parti pour aler en Oriënt voir fa familie , mouut fubitement en chemin. Jean, fils de Sifinniole, étoit un Officier Romain eftimé pour fa vaeur. Mais rebuté de 1'infolence de iergius qu'il méprifoit, il fe tenoit lans 1'inaaion , & laiffoit Antalas omt a Stozas, ravager impunément * Byzacene. Enfin, a la priere des  nu Bas-Empire. Liv. XLVI. 223 Africains , it- ramaffa quelques troupes , & engagea un autre Commandant, nommé Himérius , a vemr le joindre avec ce qu'il avoit de fol. dats.' Himérius s'étant mis en marche, vint donner au milieu du camp des ennemis, qu'il ne croyoit pas il proches,& fut enveloppé. Ses foldats s'enrolerent a la fuite de Stozas„ Pour lui, les Maures le menacerent de le tuer, s'il ne les rendoit maiïres d'Adrumet. Ils s'approcherent de cette ville ; & s'étant arrêtés a quelque diftance, ils envoyerent Himérius avec des foldats, dire aux habitants , que Jean, fijs de Sifmniole, avoit taillé en pieces l'armée des Maiv re-s, & qu'il. alloit arriver avec un nombre innombrable de prifonniers, Pour les mieux tromper , on fit paroitre k leurs yeux quelque Maure; chargés de chaïnes. Ils ouvrirent leur: portes k Himérius, & fon efcorte s'er étant faifie , les Maures accoururent pillerent la ville, & y laifferent garnifon, Himérius fe fauva pendant o tumulte avec quelques-uns des fiens & retourna k Carthage. Peu de temp après, un Prêtre, nommé Paul, trou K iv JUSTINIEN. A.nn, 543 u » ï-  JUSTI- NIEN. Ann. J < 1 1 ï l e rj tl , 224 H 1 S T O ƒ R E In ,7ffi? de/emettre les Romains en poffeffion de cette ville. Etant allé .a Carthagepour folliciter Sergius de nepas laiffer entre les mains dis Barhares une place de cette importante, il n en put obtenir cue quatrevmgts foldats. Cétoit „3 fbibïèfe- AvZ' $ Wëa parfon adreff*Ayant raffemblé grand nombre de vaiileaux&debarques,!! les char! gea de payfans & de matelots déguifes en foldats Romains; & forfquil fut a la vue d'Adrumet, il fit dire aux habitants, que Germain, arrivé depuis peu a Carrhage, leur en^oyoit une armée nombreufe pour es mettre en liberté. Cette nouvelle ^emplitlavilledejoie.&glaca d'efro la garnifon. Paul, fans donner e temps m aux uns, ni aux autres e reconnoitre la vérité, entre dans f/i P ^ voiIes>fait mainaffe filr les Maures qui n'ofent mêe fe défendre, &ferend maitre de IvylIe/ St°fas & Antalas prennent ux-memes 1 epouvante, & abandonent la Byzacene. Mais bientöt après ïvenus de cette erreur, ils y^enerent, & fe vengerent par de fan-  du Eas-Empire. Liv. XLVL olants ravages, du maffacre de leur garnifon. On attribuoit ces malheurs a la lacheté de Sergius. Juftinien voulant appaifer les plaintes qu'il recevoit tous les jours, lui envoya pour collegue Aréobinde, Sénateur d'une naiffance illuftre, mari de Préjecfe, fille de Vigilance, 5c niece de Juftinien, mais qui n'avoit aucun ufage de la guerre. II fut accompagné d'Athanafe, Préfet du prétoire , Sc de deux braves Capitaines, Jean 1'Arfacide, 8c fon frere Artabane , le même qui avoit tu< Sittas en Arménie. Ces deux guer riers venoient de paffer au fervic de 1'Empereur, dans le temps qu les Arméniens avoient abandonné^l parti des Perfes pour rentrerfous 1'c béiffance des Romains. Sergius ei ordre de faire la guerre aux Mau res de Numidie, Sc Aréobinde a ceu de la Byzacene. Celui-ci en arrivai a Carthage, apprit que Stozas Sc Ai talas campoient a trois journées c eette ville, prés de Sicca Veneri II fit partir Jean, nis de Sifinnioh avec 1'élite des troupes , Sc écrivit Sergius pour le prier d'envoyer < K. "v JUSTI. NIEN. ' Ann. 543L1X. Mort de Stozas & de Jean . fils de Sifinniole. Proc. Vand. I. 2. c 24. Jorn. fucccff. Viel. Tan. 2 t X It 1- le' a. a u  JUSTI. DIEN. Ann. 54) £ló // I s T 6 i R É - fecoitrs. Cefüi-ci ne'tirfTaucun comp» te de la lettre d'Aréobinde; en forte . que Jean fut obligé de combattre une nombreufe armee avec fort peu de troupes. Jean & Stozas fe haïffoient mörtellemeht. Dès qu'ils s'appercurent, ils coitrurent 1'un fur 1'autre avec fureur. Stozas , blelfé a mort, tomba de cheval, & fut porté' par fes foldats au pied d'un arbre, poury'rendre lesderniers foupirs. En même-temps, les Maures attaquerent les Romains, & les mireht en fuite. Jean, fe voyant enveloppé , s'écria qu'il mouröit fans regret, puifqu'il' avoit tué Stozas ; & comme il achevoit ces mots, il re^ut le coup mortel. Stbzas relpiroit encore, & il eut le temps d'apprendre la mort de fon enïïemi, & de dire qu'if mouroit avec joie. Jean 1'Arfacide périt auffi dans cette bataille, après avoir fignalé fa valeur. Les foldats de Stozas ne demeurerent pas fans chef; k leur tête fe mit un Officier, qui prit le hom de Stozas le jeune. Juftinien comprit trop tard que le parrage entre deux Commandants ne pouvoit que nuire aux b'iehs des affaires; il rappella Ser-  DU ÊAS-ÊMPIRE. Liv. XLVI. 22? gius , & 1'envoya fervir en Italië. Aréobinde,moins méchant,mais également incapable , fut feut chargé du gouvernement. ' ' Gontharis, qui commandoit en Numidie , homme hardi & ambitieiix, forma le deffein de fe rendre maitre de 1'Afrique, & de prendre le titre de Roi. II excita fecretement les Maures a marcher a Carthage, & convint avec Antalas de lui céder la Byzacene. Aréobinde n'étant pas inftruii de ce complot, rappelta Gontharu pour 1'oppofer aux ennemis , & ga gna un des Rois Maures. nomméCu zlnas, qui lui promit d'abandonne: Antalas dans le combat, & de fejoin dre aux Romains. II fit confidence è ee fecret a Gontharis, 'qui ne tard; pas d'en avertir Antalas. Celur-ci n'ei témoigna rien a fon affocié, en fort que ces deux Prineesl continuerer leur marche vers Carthage ;:.Cuzinas engagé a trahir les Maures , Antalas d'intelligence avec Gontharis qui tr: hiffoit Aréobinde. Gontharis r refo. de fe défaire dè fon Général, croyc cacher fon crime en le. faifant pét dans une bataille. II lui perfuada.. K. vj JuSTIKIEN. Ann. 543. LX. Perfidie de Gontharis. froc. Vand. I. ï» «. a|« ti e ïï *l r r 1UIifc ir le  justi- Kien. Ann. J4 LXI. Mort &A ïéobinde Proc. Vand. I. ] «. 26. na. tm IflSTOIRÈ - fe mettre a la tête de l'armée, pour aller combattre les Maures qui approchoient de la ville. On devoit marcher aux Barbares dès le lever du foleil : mais Aréobinde qui n'avoit jamais endofle de cuiraffe, & qui craignoit les hafards , pafla une partie du jour k fe faire ajufter fon armure, & le refte k délibérer s'il étoit k propos qu'il expofat fa perfonne. Gontharis, fe figurant que ce délai etoit affeöé, & que fon intrigue étoit découverte, fe détermina a lever le mafque, & k s'emparer de Carthage. Le lendemain, il fait prendre les ar" mes aux foldats, & fe rend maitre des portes de la ville. II harangueles trou• pes , & leur repréfente Aréobinde . comme un lache qui n'attend que le ' moment de fe fauver avec Athanafe, & d'emporter 1'argent de l'armée , qu'il laiffera périr par Ia faim & par 1'épée des Maures. Prévenons kur deffein, ajouta-t-il; faijïffbns-nous de leurs per/onnes. Je trouverai dans les tréfors quils fe réfervent, de quoi payer tout ce qui vous efl dü. Les foldats lui applaudiffent, & le prqclament Général. Aréobinde, averti de cette ré-  du Bas-Empire. Liv. XLVL 229 ^ volte, auroit fur le champ abandon- ' né Carthage, fi une tempêtene 1'eut empêché de s'embarquer. Artabane le ralfure ; il raffemble promptement fes Arméniens avec les autres foldats qui étoient demeurés fideles, 8c 1'engage a marcher au-devant de Gontharis. On fe bat avec fureur; Artabane taille en pieces tout ce qui fe rencontre devant lui. Les féditieux commencoient k plier, lorfqu'Aréobinde, qui n'avoit jamais vu de fang ni de carnaee effrayé d'une exécution fi terrible, prend la fuite, 6c fe réfugié dans une Eglife au bord de la mer, oh il avoit déja fait retirer fa femme Sc fa familie. Ses troupes tuyenl k fon exemple ; Artabane ne peut les retenir, Sc eft lui-même entraine pai les fuyards. Gontharis fe rend mav tre du palais 8c du port. II fait ve nir Athanafe , vieillard timide , qu prend avec lui le ton flatteur, 8c ap prouve fa conduite. II envoye Re parat, Evêque de la ville , affure Aréobinde qu'on ne lui fera aucu mal, s'il vient de lui-même au pï lais; mais que s'il rêfifte, il ne do s'attendre qu'a la mort. Aréobinde n JUSTI- NIEN. i r 1 .t e  JUSTIKIEN. Anu. 543. tXII. Conduite «TArtaba- 23Ó UlSTOIRE fe rendit qu'a une condition qui mé-» rite d'être obfervée, paree qu'elle repréfente une coutume finguliere de: ce temps-la. Ce fut que 1'Evêque baptiferoit un enfant, & donneroit parole pour Gontharis en jurant fur les fonds baptifmaux. Après ce ferment Aréobinde, vêtu d'une cafaque d'efelave, accompagna lePrélat, & fe rendit au palais. Arrivé devant le tyran, il fe profterne a-fes pieds, lui ten-dant les bras, & lui préfentant le livre des Evangiles tk 1'enfant qui ve-. nok d'être baptifé , comme témoin devant Dieu dn ferment de Gontharis. Celui-ci le releve, & lui promet. de le faire partir le lendemain avec fa familie tk fes tréfors. II 1'invite a fouper avec Athanafe, lui donne la? place d'honneur , & le; fait; enfuite; coucher dans un appartement du pa^ lais. Aréobinde fe croyoit hors dedanger , lorfqu'il vir entrer les gar— des du tyran,, qui le maffacrerènf malgré fes cris & fes lamentables fupplications. On laiffa vivre Athanafe ^ par mépris pour fa vieillefte. Gontharis fit porter a Antalas la tête d'fAréobinde j mais il lui avoit  nu Bas-Empire. Liv. XLVL 231 promis de partager avec lui Pargent & les foldats; ce qu'il refufa de faire. Antalas, piqué de cette infidélite, réfolut de rentrer au fervice de 1'Empereur ;' & s'étant éloigné de Carthage , il fe joignita Marcentius , qui eommandoit qtielques troupes dans laByzacene. Le jeune Stozas vint alors joindre Gontharis avec fes foldats, Cependant Artabane, fur la parole de Gontharis, fe mit entre fes mains; & après lui avoir promis fes ferviees, il ne s'occupa que des moyen! de punir fa perfidie par une autr< trahifon. Le tyran traitoit avec bon neurla femme Sclafceur d'A'réobiri de; il ne leur fit d'autre violenci que de contraindre Préjecte d'écrir a 1'Empereur, qu'Aréobinde avoit ét tué contre 'la volonté de Gontharis & qu'elles n'avoient qu'a fe knier de procédés dé ce Général. II efpéroi par ces menfongès engager l'Emp< reur a lui donner Préjeftè en man; ge avec une fiche dot. Artabane,. é qui Ié- tyran avoit pris confiance Ifut envóyé pour combattre Antala Les deux armées fe reneon.trerent ai prés d'Adrumer. Le Prince M'aur< JUSTIKIEN. Ann. 543, ne avec Gonthar ris. »' S t > i i. i-  Justi- nien. Ann. $43 LXHT. Mort de Gontharis , & ttansjuilli- *3~ H i s t d i r e abandonné par Cuzinas, prit la nüV dès le commencement du combat; mais Artabane, au-lieu de le pourfuiyre , fit retourner Ton armée enarriere. Ce mouvement parut aux Officiers dévoués a Gontharis une trahifon manifefte, & un d'entr'eux fut rentende tuer Artabane, lorfqu'il fut rentrédans le camp. L'Arménien juftifia fa conduite par la crainte qu'il avoit eue , difoit-il, d'être pris en queue par Marcentius qui étoit dans Adrumet. II perfuada même a Gontharis qu'il n'avoit pas trop de toutes fes forces pour terminer cette guerre , & qu'il devoit marcher lui-même a la tête de fon armée. Le tyran raffembla fes troupes, fit maffacrer tous ceux qui lui étoient fufpeös, laiffa une garnifon dans Carthage fous les ordres de Pafiphile fon confident, & lui commanda de fe défaire en fon abfence de tout cè quirefloitde Romains, fans en épargner aucun. Le départ étant fixé pour le lendemain, Gontharis invita tous les Officiers de fon armée k un grand feftin. Ce fut 1'occafion q.ue prit Arta-  du Bas-Empire. Liv. XLVI. 233 bane pour lui öter la vie. II chargea fes gardes de 1'exécution. Artafire, Arménien , qui devoit le premier frapper le tyran, pria Artabane de le tuer lui-même fur le champ, s'il manquoit fon coup , de crainte , lui dit-il, que la violence du fupplice riarrache de ma boucht un aveu qui vous feroit funefie. Us attendirent que Gontharis fut ivre; alors Artafire s'approcha de lui, com me pour lui parler a 1'oreille. En ce moment critique, Artabane, agité des plus vives inquiétudes, changea plufieurs fois de couleur; & quelque! Officiers s'en étant appercus, devinerent ce qui fe préparoit; mais com me ils haiffoient eux-mêmes le tyran , ils ne firent aucun mouvement & attendirent 1'événement en filen ce. Pendant que Gontharis fe tour noit vers Artafire, celui-ci porta ui coup de fabre, qui lui fracaffa l'o du front, & lui coupa les doigts d la main droite. Quoiqu'étourdi d'u fi terrible coup, Gontharis fe levo: pour fe défendre , lorfqu'Artabane qui étoit a fa gauche fur le mêm lit, lui plongea dans le flanc fon épe jufqu'a la garde. Le tyran fit encoi JUSTINIEN. Ann. 543. té renrlue a 1'Afrique. Proc. Vand. I. z. e. 28. ]om. fucceff. Thcoph. p* 189. Cedr. p. 374- Zon. t. II. p. 63. Anaft. p. 63. ■ Malela, p. . 73. Pagi ai > Bar. . ViH. Tun. 1 i 1 t » e e e  JUSTIKIEN. Ann 54; ] < 234 H 1 s t 0 1 n b " un effort pour fauter k bas de forï ht, mais il retomba auffi-tót. Arta. bane & Artafire, fecondés des Armeniens & des Officiers Romains, niafiacrerent les amis & les gardes de Gontharis. Ils fortent en même-temps du palais, en criant : Vive Juftinien, A ce cn, les fideles fujets de 1'Empereur courent aux maifons des par* ifi dll,tyraP' ils égorgent les uns a table, les autresdans leurs lits.Paiiphile périt dans ce maffacre. Le jeune Stozas s'étant réfugié dans une fcgWe avec quelques Vandales, en iortit fur la parole d'Artabane. Ce rut ainfi que ce Capitaine détruifit Ja tyranme de Gontharis, aui n'avoit dure que trente-ftx jours, 'il envoyaPre,eöe k 1'Empereur; Sc pour /écompenfe de fa fidélité, il fut revêtudu commandement général de 1'Afnque. Mais defirant paffionnément depoufer Préjefte, il demanda avec mflance, Sc obtint auffi-töt la permifficn de retourner k Conftantinople. II y conduifit le jeune Stozas, 5ui, contre la parole donnée, fut Jendu après avoir eu les deux mains :oupees. Jean Troglita, frere de Pap-  bu Bas-Empir.e. Liv. XLFI. 235 pus, fuccéda en Afrique a Artabane. II vainquit les Maures, & reprit fur eux les enfeignes que les Romains avoient perdues dans la défaite de Salomon. 11 fut cependant vaincu luimême dans une feconde bataille; mais il eut bientöt fa revanche, & profita mieux de fa viftoire. II pourfuivit fi vivement les ennemis, que la plupart périrent dans la fuite avec dix-fept de leurs chefs. Les autres allerent chercher leur füreté aux- extrêmités de 1'Afrique , d'oii ils n'oferent revenir. Enfin, 1'an 548, cette vafte contrée inondée de fang depui: quinze ans, & couverte de cadavre; & de débris, commenca de repren dre cette face riante que lui donni fe fertilité naturelle. En Italië, Totila étendoit fes con quêtes. Sa réputation lui ouvroit tou les palfages. On comparoit fa jufti ce, fa tempérance, fon humanité avec les rapines , les débauches , le cruautés des Généraux & des foldat Romains. On defiroit deTavoir pou maitre , & avant que d'attaquer un yille, il avoit déja gagné le cceur de habitants. Conftantien manda a 1'Em JUSTI- mr.N. Ann, 543» " LXIV. ; Progrès de Totila. Proc, Got, , l. 3. c. 9» S' s r: s  JUSTINIEN. Ann. 54; 236 BlSTOIRE - pereur que fes forces n'éfoient pas fumfantes pour tenir contre un fi rel doutable ennemi; & cette lettre fut fignée de tous les Généraux. Totila, de fon cöté, écrivit au Sénat de Rome ; il lui rappelloit les bienfaits de Théodoric & d'Amalafonte; & met tqit en parallele la tyrannie des Miniftres de 1'Empereur, les vexations cruelles du fur-Intendant Alexandre, la barbarie des Généraux & des foldats , qui tenoient les Italiens dans la plus dure fervitude, fous prétexte de les défendre : Nous vous avons déja vengés en partie, ajoutoit-il ; prête^nous la main pour vous lirer de Cabyme ou votre imprudence vous a piongés. Un retour volontaire nous prouvera que votre défe&ion a été forcée. Sacrifa{ d votre füreté préfente les efpérantes dont 1'Empereur vous amufe. Cette let-. tre ayant été portée au Sénat par des prifonniers, auxquels Totila donna la liberté, Jean le Sanguinaire, qui commandoit dans Rome, empêcha d'y faire aucune réponfe. Totila en écrivit une feconde, dans laquelle il s'engageoit par les ferments les plus faints, a ne pas permettre qu'auciin  du Bjs-Empirb. Liv. XLVL 237 Romain éprouvat de la part des Goths, ■ ni mauvais traitement, ni dommage. II fit faire un grand nombre de copies de cette lettre, qui fe trouverent un matin afiichées dans les heux de Rome les plus fréquentés, fans qu'on put découvrir par qui elles avoient été introduites. On en foup'conna les Prêtres Ariens, qui furent chaffés de la ville. Totila, n'efpérant plus rien de la bonne volonté des Romains, envoya en Calabre un detachement de fon armée pour affieger Otrante, & marcha vers Rome avec le refte de fes troupes. Cependant 1'Empereur ne pouvant plus compter fur les Généraux qu'il avoit en Italië, fe détermina enfin a y renvoyer Bélifaire. JUSTIN1EN. Vnn. 543.   «39 SOMMAIRE LIVRE QUARANTE-SËPTIEMË. I. ^4 il jFt7 £ <& Bélifaire en Italië. II. Tï^Kr />w 6* faccagé par les Goths. III. Divers mouvements de Bélifaire & de Totila. IV. Aïege cTÉdejfe. V. Fn'era inutiles du médecin Etienne. VI. -^i- Je /> norable aux yeux de la poftérit » S'il eft une ville au monde qui do » ve reffentir les effets de cette bo » té, c'eft celle que vous ménao L vj JUSTINIEN. Ann, 544. V. Prieres inutiles du médecin Étienne. S t s i1- :z  JUSTINIEN. Ann, 54^ 252 HlSTOIRE ' » de détruire. Édeffe m'a donné le » jour; j'ai rendu Ia vie h votre pe. » re ; j'ai confervé votre enfance. » Hélas! quand je confeillois a Ca» bade de vous choifir pour fuccef» leur préférablement a vos freres, » pouvois-je prévoir que je prépa» rois la mine de ma patrie! Aveu» gles mortels, nous fommes nous» mêmes les artifans de nos mal» heurs! Si vous vous fouvenez de » mes fervices , je vous demande » aujourd'hui une récompenfe, qui » ne vous fera pas moins avanta» geufe qu'aux habitants d'ÉdelTe. En » leur lailfant la vie, vous vous épar» gnerez le reproche de cruauté. " Chofroës n'avoit point 1'ame fenfible a la reconnoiffance; mais fe déguifant a 1'ordinaire, il feignit d'être touché, & répondit a Étienne, qu'en fa confidération, il vouloit bien s'éloigner d'Édeffe, a condition qu'on lui mettroit entre les mains les Généraux Pierre & Pérane, nés efclaves de fon pere, qui ofoient porter les armes contre lui: » S'ils refufent » de me les livrer, ajouta-t-il, ma » bonté veut bien encore leur laif-  du Bas-Empire. Liv. XLF1L 253 »> fer le choix, ou de payer fur 1'heure » cinquante mille livres d'or, oude » recevoir dans la ville mes Offi» ciers, qui feront une exacte re» cherche, & m'apporteront tout ce >> qui s'y trouvera d'or & d'argent: » j'abandonnerai le refte aux habi» tants ". Étienne , pénétré jufqü'au cceur de cette cruelle raillerie, ne répliqua pas une parole; il partit avec une profonde trifteffe , & porta dans la ville le trouble & la confternation. II paroït que les Édefféniens commencoient a fe dérier de 1'ancienne fable, fur la foi de laquelle ils avoient cru leur ville imprénable. Ils ènvoyerent encore des députés qui furent infultés & chaffés avec outrage. Martin lui-même eut plufieurs conférences avec les principaux Seigneurs : mais elles fe pafferent en conteftations infrucfueufes. Cependant les affiégés ne perdirent pas toute efpérance. Ils creuferent un fouterrein pour faire ébouler la terraffe. Ils avoient déja pénétré jufqü'au milieu, lorfque les Perfes ayant entendu le bruit des mineurs , commencerent k fouiller les JUSTIN1EN. Ann. $44» VI. Attaque de la ville. Proc. Perf. I. 2. C. 27.  JUSTINIEN. Ann. J4 254 HlSTQIZE - flancs de la plate-forme pour les rencontrer. Les mineurs s'en étant ap- t. perc^is, combierent le fouterrein, &c fe retirerent. Ils prirent un autre moyen de détruire 1'ouvrage ; ce fut de miner feulement la pointe de la terraffe, & d'y creufer une chambre, qu'ils remplirent des bois les plus combuftibles , frottés encore d'huile de cedre, de foufre & de bitume. Le feu y prit aifément, ckdès la nuit fuivante on appercut des tourbillons de fumée qui percoient en différents endroits. En même-temps, les Romains , pour donner le change aux ennemis, yjetterentquantité de pots k feu & de fleches enflammées. Les Perfes ne fe doutant pas qu'il y eüt d'autre caufe de 1'incendie, accouroient de toutes parts pour 1'éteindre, tandis que les Romains les accabloient d'une grêle de traits. Chofroës s'y tranfportalui-même au point du jour, & fut le premier k découvrir que le feu fortoit des entrailles de la plate-forme. II fit travailler toute fon armée k jetter de la terre pour étouffer les flammes & de Peau pour les éfeindre, mais fans fuccès. La fu-  du Bas-Empize. Liv. XLF1I. 255 mée ne trouvant plus d'iffue dans un endroit, s'ouvroit ailieurs un paffage; & Peau verfée fur le foufre & le bitume augmentoit la violence de rembrafement. Sur le foir la fumée étoit fi épaiffe, & s'élevoit fi haut, qu'on 1'appercut de la ville de Carrhes a dix ou douze lieues, & en core plus loin. Dans 1'agitation & k défordre oh étoient les Perfes , U garnifon fortit de la ville, monta fui la terraffe, & fit un grand carnage Enfin, la flamme éclatant de toute parts, il fallut renoncer a cet ouvra ge. Six jours après, Chofroës fit el calader la muraille de grand matin mais après un rude combat, les Pei fes furent repouffés, & obligés d'c bandonner les échelles , que les affii gés tirerent dans la ville. Le mêm jour a midi, il fit attaquer une d< portes; la garnifon , les payfans rei fermés dans la ville, & grand non bre d'habitants, foi tirent fur les enn mis, & les repoufferent encore. Pei dant qu'ils les pourfuivoient, Pau 1'interprete ordinaire de Chofroë: vint au-devant d'eux leur annonc que Rhécinaire venoit d'arriver, JUSTINIEN. Ann. 5 44 5 » e s 1- L- 1- I, 1 » ;r Si  JüS TIKIEN. Ann. 544. VIL Nouvelle artacjue. Proc. Perf. ; l- c. 27. . Idem. Got. . * 4- c. 14. j < t n r f« v lé V s'; bi to Ie 256 H 1 s t 0 1 r e. qu'il apportoit de la part de 1'Empereur la conclufion du traité. Ce dépte etoit depuis plufieurs jours dans Ie camp des Perfes; mais le Roi en avoit fait ïnyftere , afin d'avoir Ie temps de prendre la place. Paul invitat les Généraux k fe rendre auprès du K01, pour etre témoins de Ia ratificanon. On lui répondit que Martin etant malade , ne pourroit s'y trouver que dans trois jours. Cette réponfe bleffa tellement Ta &erte de Chofroës, que Ie lendemain I e prepara de nouveau k forcer la alle.vll fit couvrir de briques les dé>ris de la terraffe, pour y placer fes 'attenes qui lancoient des pierres & Ie grosjavelots. Le jour fuivant, ton5S les troupes avancerent dès Ie erand iatm pour donner Paffaut. Les SaJüns furent placés derrière, k def;mdarrêter les fuyards, lorfquela '11e feroit prife. On planta les e'chels, ik dabord les Perfes avoient 1'a«itage , paree que les habitants ne ittendoient pas k cette attaque : mais entot I'allarme s'étant répandue , ure Ia ville accourt fur Ia murail' ies ha^tants3 les payfans, tous  nu Bas-Empize. Liv. XLVIL ^57 deviennent foldats, & repouffent 1'ennemi : les femmes, les enfants, les vieillards , fervent les combattants avec une ardeur incroyable; les uns leur fourniffent des pierres, les autres font bouillir 1'huile & la poix qu'on verfe a grands flots fur les aïfiégeants. Les Perfes, rebutésd'une réfiftance fi meurtriere , jettent leurs armes , & refufent de s'expofer a une mort certaine. Chofroës, embrafé de colere, les menace, les frappe, les oblige de retourner a Pattaque. Ils font encore contraints de céder aux efforts des affiégés. Enfin , Chofroës, plein de dépit & de rage, eft forcé fur le foir de regagner fon camp. Azaréthès que Cabade avoit autrefois fi mal reen après une viftoire qui lui avoit coüté trop de fang, le fignala en cette rencontre : peu s'en fallul qu'il ne pénétrat dans la ville ; il étoit déja maitre de 1'avant-mur , & battoit la feconde muraille , lorfqu< Pérane, k la tête d'un corps nombreux, fortit fur lui, & le repouffa Procope raconte que dans cette attaque , un grand éléphant portant fu fon dos une haute tour, chargée d< JUSTINIEN. Ann. 544-  JUSTI- Ann, J44, 1 VIII. I-evée du . liege. ( . J | n o ü c< q' te cc 258 ^/^0/Jt, nreurs d'arc s'avanca vers la ville: & fembloit etre une de ces terribles machines nommées Hélépoles, que -Uemetnus Poliorcete avoit autrefois mventees pour la deftmöion des places. Les fleches qui pleuvoient du haut de cette tour, abattoient ceux qui derendoient Ia muraille ; & Ia ville couroitrifque d'être efcaladée en cet endroit, Iorfqu'un Romain s'avifa de uipendre un porc au haut du mur. e ePh,ant>effrayé des cris de cet animal , s arreta d'abord, enfuite tourle dos, & fe retira pas a pas, "algre les efforts de fes conduceurs. Les Romains employerent la nuit ux preparatifs néceffaires pour fe lefendre contre un fecond affaut. Mais ?s ennemis ne parurent pas Ie lenemain. Le jour fuivant, après une onveile tentative qui ne fut pas fort piniatre, Paul vint encore inviter lartin a une entrevue. Ce Général rendit au camp; & 1'ouvrage de *te paix , qui, depuis quatre ans i elle etoit arrêtée, laiffoit fubfifr une guerre fanglante, fut enfin nlomme. Chofroës n'exigea des E-  nu Bas-Empire. Liv. XLVIL 259 defféniens que cinq cents livres d'or; & leur promit par écrit de ne plus exercer contr'eux aucune hoftilité. Ayant enfuite mis le feu a fon camp , il fe retira en Perfe avec fon armée. Cette année , la mer fe déborda en Thrace, & inonda 1'efpace de quatre mille pas. Les eaux couvrirent tous les environs d'OdeiTus , de Dionyfiopolis & d'Aphrodifiade. Quantité d'hommes & de beftiaux y périrent. Au bout de quelques jours, la mer rentra dans fon lit. Malgré les grandes dépenfes que Juftinien étoit obligé de foutenir pour fes guerres en Oriënt & Occident, & plus encore pour le nombre infini de batiments & de villes entieres, qu'il faifoit conftruire ou réparer, il fit un acte de générofité extraordinaire, & qui prouve que Pierre Barfamès n'étoit pas encore intendant des finances. II remit a fes fujets tous les reliquats des fommes qu'ils devoient au file depuis vingt-deux ans. Jufte, neveu de 1'Empereur, mourut de maladie, Pérane, fils de Gurgene , Roi d'Ibérie, qui depuis que fon pere s'étoit retiré è JUSTINIEN. Ann, 544, IX. Débordement de la mer. Thêoph. p. 19c. Anafi. p. 64. Cedr, p. 375- Hifl. mlfi. I. 16. Jufl Novel. 147 , 148. Proc. Perf. U 1. c. 2§.  JUSTINIEN. Ann. 544. Ann. 545. X. Trêve de quarreans pour la Lazique. Proc. Perf. I. 2. c. 28. Idem G01. l- 4. c. 10. Mare. chr. Agath. I. 2. Affemani HU. Or. e. U. p. 405. I ( 260 HlSTOIRE la Cour de Juftin, fervoit les Romains avec zele & avec courage, tant en Italië qu'en Oriënt, tomba de cheval k la chafle, & mourut de fa chüte. Pour le remplacer, 1'Empereur envoya en ^Oriënt Marcel, Als de fa fceur : c'étoit un jeune homme dont 1'hiftoire ne nous a confervé que le nom. Comme le traité de paix qui venoit de recevoir fa derniere forme par 1'échange des ratifications, étoit le même dont les conditions avoient été arrêtées quatre ans auparavant, Ia Lazique n'y étoit pas comprife. C'étoit une conquête poftérieure, Sc Chofroës prétendoit s'y maintenir. II fe difpofoit même k enlever aux Romains quelques places qui leur reftoient encore dans ce pays. Juftinien, de fon cöté, defiroit de rentrer en pofieflion de toute la Province. II riéputa donc au Roi, pour deman3er la reftitution de la Lazique. Chof•oës répondit que c'étoit une affaire ie longue difcuflion, Sc que pour flaneer les droits des deux partis, 3n avoit befoin d'une trêve : mais m'il ne 1'accorderoit qua condition  du Bas-Empire. Liv. XLVII. 261que 1'Empereur lui donneroit une " fomme d'argent, & lui enverroit un fameux médecin , nommé Tribun , j qui 1'avoit déja guéri d'une grande maladie. L'Empereur lui envoya fur le champ le médecin avec deux mille livres d'or, & Pon convint d'une trêve de quatre ans pour la Lazique. La mémoire de ce médecin mérite d'être confervée. Né en Paleftine, il étoit encore plus recommandable par fa piété, par fon défintérelfement, par la douceur de fes mceurs, que par la profonde connoilfance de fon art. Chofroës, après Pavoir gardé un an, lui permit de retourner dans fa patrie , &c le preffa de déclarer ce qu'il fouhaitoit pour fa récompenfe. Tribun ne demanda rien autre chofe que la liberté de quelque prifonniers Romains. Le Roi, pour ne lui pas céder en générofité, lui en fit remettre trois mille, outre ceux qu'il avoit demandés. Une querelle furvenue entre deux Princes Sarafins, auroit rompu la paix auffi-töt qu'elle fut conclue, fi Chofroës n'avoit eu befoin de repos. Quoiqu'Aréthas eut abandonné Bélifaire dans JUSTINIEN. Lnn. 545;  2Ö2 II I S T O I R E JUSTINIEN. Ann. 545. XI. L'Arméménieforrifiée.Proc. adif. 7. 3-e. 2, 3» 4i $• XII. Bélifaire la guerre de Méfopotamie, il n'avoit paschangéde parti. Alamondare, toujours attaché aux Perfes , enleva un des tlls d'Aréthas, & 1'immola k Vénus , la grande déeffe des Sarafins. Aréthas raffembla toutes fes troupes, 8c vint attaquer fon ennemi. Alamondare fut défait avec un grand carnage, & peu s'en fallut que fes deux fils ne tombalfent entre les mains d'Aréthas , qui auroit ufé de cruelles répréfailles. Ce fut apparemment pendant Ia trêve avec les Perfes, que Juftinien répara tant de places enArménie. Martyropolis n'avoit que de foibles murailles ; elles furent élargies 8c exhauffées. On fortifia les défilés des montagnes qui donnoient paffage de la Perfarménie dans la Sophanene, 8c Pon y mit garnifon. J'ai parlé fous le regne d'Analtafe des ouvrages que Juftinien fit k Mélitine 8c k Théodofiopolis. Dans la petite Arménie, il répara les murs de Satale, de Colone, de Sébafte 8c de Nicopolis : il y fit batir plufieurs fortereffes 8c un grand nombre de monafteres. Tant de dépenies épuifoient le tré-  nu Bas-Empire. Liv. XLVII. 263 lor de 1'Empereur. Ses troupes d'Italie réduites a un petit nombre, mal payées, prefque fans armes , fans habits , fans chevaux, n'ofoient paroïtre devant 1'ennemi. Bélifaire, au défefpoir, fit partir pour Conftantinople , Jean, neveu de Vitalien. Comme il fe défioit de l'affecfion de cet Officier, il lui fitpromettre avec ferment qu'il reviendroit dès qu'il fe feroit acquitté de fa commiflion. Dans fa lettre a 1'Empereur, il expofoit le déplorable état de fes troupes, 1'impoflibilité de tirer de 1'argent de 1'Italie , dont les Goths s'étoient remis en poffeffion, la défertion des foldats, le découragement de ceux qui lui reftoient, la difüculté de fe faire obéir par des troupes qu'on ne pouvoit payer. » S'il ne falloit qu'en» voyer Bélifaire en Italië, difoit» il, tout eft fait: me voici au cen» tre du pays : mais s'il eft queftion » de vaincre les Goths, il refte en» core beaucoup a faire. Un Géné» ral n'eft rien fans foldats. Envoyez» moi du moins les compagnies de » mes gardes, que vous avez reteV nues a Conftantinople : joignez-y JUSTINIEN. Ann. 545, demande du fecours a 1'Empereur. Proc. Got, l. 3 • e, 12. Idem Anecd. c. 5. lom. de reb. Get. 60.  JUSTINIEN. Ann. 545, 2Ö4 HlSTOIRE » le plus qu'il fera polïïble de Huns » & d'autres Barbares auxiliaires ; » mais n'oubliez pas de les payer ". Jean n'aimoit pas Bélifaire : arrivé a la Cour, il s'occupa bien moins de fa commiffion, que d'un mariage qui lui étoit auffi honorable qu'avantageux. Germain avoit époufé en fecondes noces, Matafonte, veuve de Vitigès. Palfara, fa première femme, lui avoit laiffé deux rils , Juftin &C Juftinien , avec une fille nommée Juftine. La haine de Théodora contre Germain étoit tellement déclarée, que perfonne n'ofoit entrer dans 1'alliance de ce Prince. Ses deux hls ne trouverent point de femme tant que 1'Impératrice vécut. Sa fille Juftine avoit déja dix-huit ans; & quoique fa naiffance, fes richefles, fes graces perionnelles & le mérite de fon pere , fuffent bien capables de piquer la plus noble ambition , les plus illuftres families en détournoient les yeux comme d'une caufe infaillible de difgrace. Jean, plus hardi que les autres, la demanda a fon pere, &l'obtint. Théodora en fut irritée, & le nouvel époux fe preffa de retourner en  }jv Bas-Empire. Liv. XLFII. 265 en Italië, oü il croyoit être plus en füreté qu'a la Cour. Mais il y trouva Antonine; & le foupcon qu'il cement avec affez de fondement, qu'elle étoit chargée par Théodora de \t faire périr, le tint dans une perpêtuelle inquiétude , jufqu'a ce qu'Antonine fut retournée a Conftantinople. Le Roi des Goths, trop habile pour ne pas profïter du mauvais état oü fe trouvoient les Romains , alla mettre le fiege devant Spolete. Hérodien, Commandant de la garnifon, étoit alors mal difpofé k 1'égard de Bélifaire , qui, étant inftruit de 'fes rapines, 1'avoit menacé de lui faire rendre compte de fa conduite. Cependant pour fauver les apparences, il convint avec Totila d'une treve de trente jours , après lefquels il fe rendroit s'il n'étoit pas fecouru; & il donna fon hls en ötage. Le terme expiré , il remit entre les mains des Goths la ville & la garnifon , & paffa lui-même au fervice de Totila. Sififrid,plus fidele k 1'Empereur,quoiqu'il füt Goth de nation, fe défendit mieux dans 1'Affife, mais il fut tué dans une fortie, & les habitants Tornt X, M JUSTlNIEN. Vnn. 545. XIII. Contruêtes de Totila. Proc. Got. I. 3. c. 12. Idem anecd. c. 5. Mare. clip*  JUS TIUIEN. • Ann. 5 4 y XIV. Totila devant Rome. Proc. Got. I. J.f. 13, 16. 266 HlSTOIRS capitulerent auffi-tot. Cyprien garcioit Péroufe; le Roi 1'envoya menacer d'un rigoureux traitement s'il fe défendoit, & lui promit une grande fomme d'argent s'il fe rendoit fans réfiftance. Comme Cyprien demeuroit ferme dans fon devoir, un de fes gardes, gagnépar argent, 1'aflaffina & fe fauva au camp des Goths: aftion indigne & capable feule de ternir le luftre des grandes qualités de Totila, s'il eft vrai qu'il en fut 1'auteur, comme le dit Procope. Ce crime ne produilit aucun fruit: la garnifon fit bonne contenance après la mort de fon Commandant; & comme la place étoit en état de foutenir un long fiege, le Roi ne jugea pas a propos de s'y engager, & marcha droit a Rome. Par-tout oü paffoit ce Prince, loin de défoler les campagnes, il protégeoit & encourageoit Fagriculture; obligeant feulement les laboureurs de lui payer leurs tailles, & de lui fournir en nature les revenus de leurs fermes; en forte qu'il ne manqua jamais de vivres. Lorfque les Goths parurent devant Rome, Artafire &  du Bas-Eaipize. Liv. XLV1L 267 Barbation firent une fortie fur eux, contre 1'avis de Beffas : ils taillerent en pieces les premiers qu'ils rencontrerent; mais s'étant laiffés emporter trop loin par 1'ardeur de la pourfuite , ils furent enveloppés, perdirent prefque tous leurs foldats , 8c n'échapperent eux-mêmes qu'avec peine. Cet échec les rendit plus circonfpefts; ils n'oferent plus fe hafarder hors des murs. Les fubfiftances manquerent bientöt aux affiégés ; les ennemis étoient maïtres de la campagne , 8c la voie de la mer étoit fermée. Depuis que les Goths avoient pris Naples, leurs barques infeftoient la mer de Tofcane, en forte qu'ils arrêtoient tous les convois. Les efclaves qui, dans une ville affiégée, font toujours les premiers a fe reffentir de la difette, défertoient en grand nombre, 8c fe rendoient au camp de Totila qui les recevoit dans fes troupes. Pendant que ce Prince étoit campé devant Rome, il envoya un détachement pour fe faifir de Plaifance, foit par force, foit par compofition. Cette ville importante étoit Ia feule que les Romains pchTédoient M ij JUSTINI EN. Ann. 5450  J.USTINIEN. Ann. 545. XV. L'Empereur envoyequelque fecours en Italië. Proc. Got. I. 3.C. 13, 14. Jorn. fic- etff, Pagi ad Sar. - Él 268 IIlSTO/RB encore dans la Province d'Emïlie.' I Comme elle refufa d'écouter aucune i propofition , elle fut afliégée, & ne I fe rendit que 1'année fuivante, après I avoir éprouvé toutes les horreurs de I la famine. Bélifaire,honteux de refter renfer- • mé dans Ravenne, y laiffa Juftin avec: quelques foldats , & conduifit le refte: aDyrrachium, pour aller au-devant:! du fecours qu'il attendoit avec irn*patience. Enfin , Jean, neveu de Vita-lien, & Ifacl'Arménien arriverent, fui-' vis de quelques cohortes de Romains i & de Barbares. L'Eunuque Narfès > étoit allé par ordre de 1'Empereur: vers les hords du Danube, pour folliciter les chefs desErules d'envoyert des troupes en Italië. II en engageai un affez grand nombre, qui, fous la: conduite de Philémuth, vinrent paffer 1'hyver en Thrace, a deffein de: partir pour 1'Italie au commencementl du printemps. Tandis qu'ils étoient! en chemin, ils eurent occafion de: rendre un grand fervice a 1'Empire. Une armée d'Efclavons qui venoit de paffer le Danube , après avoir rayagé le pays, traïnoit en efclavagef  do Bas-Empire. Liv. XLVI1. 269 une multitude d'habitants. Les Erules, quoique fort inférieurs en nombre , les battirent, & délivrerent les prifonniers. En traverfant la Thrace, Narfès rencontra un Efclavon qui fe faifoit paffer pour ce brave Chilbudius , mort treize ans auparavant en combattant contre cette nation. II alloit a Conftantinople avec un grand cortege, pour fe faire reconnoitre de 1'Empereur. Narfès ayant découvert la fourberie, le fit charger de fers, & le conduifit k la Cour. L'hiftoire ne dit pas comment fut traité cet impofteur, Dès que Bélifaire eut reen Ie renfort dont je viens de parler, il en fit embarquer une partie fous la conduite de Valentin & de Phocas , dont il connoiffoit la bravoure. Ils avoient ordre de fe rendre k Porto , & de fe joindre k la garnifon pour harceler 1'ennemi. Ils arriverentheureufement, & firent favoir a Beffas qu'ils alloient attaquer le camp de Totila ; ils le prioient de faire en même-temps une fortie avec fes meilleures troupes. Beffas , qui n'avoit que trois mille foldats dans Rome, n'eut aucun égard k leiu M iij JUSTINIEN. Ann. 54ji XVL' Secours des Romains battu devant Rome. Proc. Got. I. 3. c. 15. Pagi ai Bar.  JUSTIV1EK. Aas, J4j, 1 XVII. Flotte de Sicile prife par les I Goths. Proc. Cot. • l 3. e. 15. a.70 HlSTOJRE priere. Les deux Capitaines allerent a la tête de cinq cents hommes infulter le camp ennemi. Par cette attaque imprévue, ils jetterent 1'allarme & le défordre parmi les Goths; ils tuerent les gardes avancées; mais voyant qu'ils n'étoientpas fecourus, als ie retirerent en diligence h Porto, Sc envoyerent faire des reproches a Beffas, en lui mandant qu'ils, attaqueroient encore le lendemain, Sc qu'ils le fupplioient de feconder leurs efforts. Beffas ne fut pas moins fourd que la première fois. Ils fortirent le lendemain avec toutes leurs troupes; inais^ fur 1'avis que Totila avoit re911 d'un déferteur, il avoit mis fes meiüeurs foldats en embufcade le long du chemin : en forte que Valentin Sc Phocas , enveloppés de toutes parts, périrent en combattant avec courage. La plus grande partie de leurs foliats fut taillée en pieces; le refte fe auva dans Porto. Le Pape Vigile ayant recu ordre le 1'Empereur de venir a Conftantilople pour les raifons que j'expofe•ai dans la fuite, fortit de Rome fur a fin de Novembre, Sc s'arrêta en Si^  du Bas-Empire. Liv. XLFII. 271 cile. II y acheta une grande quantité de bied , dont il chargea plufieurs vaiffeaux, efpérant qu'ils pourroient remonter le Tibre, 8c arriver jufqu'a Rome , réduite alors a une grande difette. Ces navires approchoient de Porto , lorfqu'ils furent appercus des ennemis. La ville de Porto étoit au pouvoir des Romains ; mais comme le port étoit hors de la ville , les Goths, accourant en grand nombre, s'en rendirent maitres , 8c fe cacherent derrière les murs dont il étoit environné. La garnifon, trop foible pour combattre les Goths, monta fur les murailles de la ville, faifant figne a la flotte de ne pas aborder, 8c de prendre une autre route. Les matelots prirent ces fignaux pour des invitations 8c des marqués d'ailégreffe, 8c le vent étant favorable, ils entrerent dans le port a pleines voilesLes ennemis fe montrerent auffi-töt, maffacrerent les équipages, s'emparerent des batiments fans réfiftance , 8c leur firent remonter le Tibre jufqü'au camn de Totila. Sur cette flotte étoit un Evêque nommé Valentin, que Vigile envoyoit a Rome pour M iv JüSTl- NIEN. Ann. 545. Anaft. Vif.il. Pagi ad Bar. Noris de J. Synoio f. 3 . 4-  Justitie n. Ann. 54J. Ann. 546. ' XVIIJ. . PélagedéputéaTo- ] tila. 1 Proc. Got. t 3- c 16, ' ( f I ï t r g b L 8 d I H 1 S T 0 1 Z. £ gouverner fon Eglife en fon abfence. II fut conduit devant Totila, qui, après plufieurs queflions, ayant reconnu que cet Evêque cherchoit k nu en impofer, entra dans une funeufe colere, & lui fit couper les deux mains. Valentin furvéquit a cette cruauté, & affifta, en 5 51, au Synode que Vigiie tint k Conftantinople. II étoit Evêque de Sylva-CanJida dans le Latiura. La perte de cette flotte laiffoit les Romains fans reffource , s'ils n'éoient promptement fecourus. Ils déniterent k Totila le Diacre Pélage >our lui demander une treve de peu le jours, fous condition qu'ils renToient la ville , fi dans cet intervalle He ne recevoit aucun fecours. Pélae étoit en grande eftime dans toute Italië : revenu depuis peu de Conf)ntinople, ou il s'étoit fait aimer de Empereur, il en avoit rapporté de randes richelfes, qu'il répandoit liéralement dans le fein des pauvres, e Roi des Goths, ami de la vertu, : bien inftruit de ce qui fe paffoit ins Rome, refpeftoit ce généreux 'iacre ; il le recut avec honneur, Sz  du Bas-Empire. Liv. XLVII. 273 le raffurant par un air de bonté & de clémence : » Pélage , lui dit-il, je » vous eftime trop pour vous expo» fer a un refus; je veux vous en y> épargner la honte, en vous pré» venant fur trois chofes que je ne" » puis vous accorder. Ne me deman» dez ni que je faffe aucune grace » aux Siciliens , ni que je laiffe fub» fifter les murs de Rome, ni què » je rende aux Romains les efclaves » qui font venus fe ranger fous mes » étendards. Les Siciliens font des » perfides qui nous ont indignement » trahis fans y être forcés par les ar» mes. Ils ont ouvert leurs portes k » Bélifaire au premier fignal; ils ont » allumé , ils entretiennent encore » 1'incendie qui dévore 1'Italie. Si » vous voulez que la paix s'établiffe » entre les deux nations , il faut que » Rome foit détruite : ce feroit un » fujet éternel de jaloufie & de guer» re; les Goths & les Romains fe» roient fans ceffe tour-a-tour affié» geants & affiégés. Pour ce qui re£ garde les efclaves , jugez vous» même fi nous pouvons fouffrii » que ceux qui auront eu 1'honneui M v JüSTlN1EN. Ann. 546.  JüSTI- NIEN. Ann. J46 XIX. Famine a Rome. Proc. Got. ). c, 17. 274 HlSTQIUE » d'être nos foldats, redeviennent » vos efclaves ". Pélage, déconcerté par ce difcours, répondit en foupirant , quenvain le Roi lui permatnit de parler, puifqu'en même-temps il lui fermoit la bouche : que ne pouvant fe faire kouter des hommes, il alloit sadreffer d leur Maitre fouverain , dont les oreilles font toujours ouvertes aux prieres. Le compte que Pélage rendit de fon ambaffade, mit les Romains au défefpoir. Une foule de peuple s'attroupe autour de la maifon de Beffas & de Conon ; & pouffant des cris lamentables, leur demande du pain ou la mort: Faites-nous cgorgerpar vos foldats, difoient-ils , ou du moins ouvre^-nous les portes: nouï aimons mieux périrpar le fer que par la faim. Les Généraux les appaiferent, en léur faifant efpérer un prompt fecours. Mais ces ames avares &c impitoyables ne foulageoient ces malheureux que par des paroles; ils tenoient en réferve dans des fouterreins de grands magafins de bied, qu'ils vendoient a un prix excelfif, s'engrailfant de la mi('ere publique. Le boilfeau de bied fe  du Bas-Empire. L'tv. XLVI1. 175 vendoit lept pieces d'or, c'eft-a-dire, prés de cent francs de notre monnoie, 6c fe boiffeau de fon le quart de cette fomme. Les Gardes de Beffas vendirent cinquante pieces d'or, (prés de fept cents francs ) un bceuf qu'ils avoient pris dans une fortie. Heureux celui qui rencontroit un cheval mort, 8c qui pouvoit s'en emparer. Les chiens, les rats , les animaux les plus immondes étoient devenus des aliments exquis; la plupart des habitants ne fe nourriifoient que d'orties 5c de mauvaifes herbes , qu'ils arrachoient au pied des murailles 8c dans les mafures. Rome n'étoit plus peuplée que de fantömes décharnés Sc livides, qui tomboient morts dans les rues, ou qui fe tuoient eux-mêmes. Un per< affailli de cinq enfants en bas age qui lui demandoient du pain a grand: eris, leur dit de le fuivre ; 8c reffer rant dans fon cceur fa douleur pro fonde, fans verfer une larme, fan pouffer un foupir, il les conduifit fu un pont du Tibre. La, s'étant en veloppé la tête de fon manteau, il 1 précipita dans le fleuve, a la vue d fes enfants 8c d'une foule de peupl M vj JUSTIN1E!*. Ann. J46. ) I C 2 z e  JUSTINIEN. Arm, J4É XX Bélifaire vient a Porto. Proc. Got. j 2?6 H I S T O I R B ' rC?n'n tard P°ur Ie "tem'rj Enfin, Beffas & Conon , monftres . drgnes des plus grands fupplkes , permirent de fortir k ceux qui voulurent fe retirer. Mais ce fut moins par compaffion que par un excès d'avance : ils vendoient cette malhêureufe permiffion, auffi funefte k Ia plupart, qu'auroit pu 1'être un féjour rorce dans une ville affamée; les uns expirerent de défaillance dans les chemins; d'autres furent furpris & maffacrés par les ennemis. Bélifaire, après avoir appris Ia défaite & la mort de Valentin & de Phocas, réfolut de fe rendre luimême a Porto. Jean, neveu de Vitalien , étoit d'avis de ne point féparer l'armée, & de traverfer 1'Italie. Le Général, au contraire, penfoit que Rome ayant befoin d'un prompt fecours , ce feroit Ia livrer aux ennemis que de fuivre cette route, qu'on ne pouvoit faire qu'en quarante jours; au-lieu qu'il n'en falloit que cinq pour amver par mer, fi Ie vent étoit favorable. II donna donc a Jean une aartie de fes troupes, avec ordre de wffer par la Calabre, d'en chaffer  nu Bjs-Empihe. Lh. XLV1L 277 les Goths, qui n'y étoient qu'en petit nombre, & de venir le joindre a Porto par 1'Apulie & la Campanie. II partit enfuite de Dyrrachium avec toute fa flotte, & entra dans le port d'Otrante, que les Goths afïiégeoient de nouveau. A fon approche, ils leverent le fiege , & fe retirerent k Brindes. Comme ils penfoient que Bélifaire viendroit les attaquer dans cette place, dont les murs ne fubfiftoient plus, ils dépêcherent un courier a Totila, qui leur manda d'arrêter 1'ennemi le plus long-temps qu'ils pourroient, & qu'il voleroit inceffamment a leur fecours. Mais ils furent bientöt raffurés, lorfqu'ils apprirent que Bélifaire étoit parti d'Otrante avec un vent favorable, pour faire le tour de 1'Italie. Cette même nouvelle engagea le Roi des Goths a preffer le fiege de Rome. Pour fermer entiérement le paffage des vivres par le Tibre, & arrêter tout c« qui pourroit venir de Porto, il choifit, k quatre lieues au-deffous de Rome , 1'endroit ou le lit du fleuve étoi le moins large ; il y fit jetter dei pieces de bois en travers d'un bon JUSTINIEN. Ann. 546. i  JUSTINIEN. Ann. J46. XXI. Succes de Jean dans ritalie méridionale. : i < I 1 ( 278 & I S T 0 I X. E k 1'autre; & après avoir affuré par deux tours de bois les deux extrêmites de cette efpece de pont, il y pofta un detachement de fes meilleurs foldats , & fit tendre une chaine de fer au-devant de cet ouvrage. II laiffa campé prés de ce lieu une partie de fon armée fous le commandement de Roderic, un de fes plus braves Officiers. Ce travail étoit acheve, lorfque Bélifaire entra dans Porto. Les Goths, retirés a Brindes, crurent que toutes les troupes Romaines étoient parties avec Bélifaire. Perluades qu'ils n'avoient plus rien k craindre, ils envoyerent leurs chevaux au pSturage. Jean, ayant pris un de leurs efpions, fe fit conduire en ce lieu, fefaifit des chevaux, courut a Brindes, furprit les Goths, tk ;n ht un grand carnage. Après avoir •egagne les Calabrois par Ia douceur k par de belles promeffes, il alla ^emparer k cinq journées de-lè, de -anufe , ville fituée au centre de 1'A)uhe. Les Lucaniens & les Brutiens ie s étoient donnés au Roi des Goths, [u a caufe des vexations qu'ils éprou-  nu Bas-Emptre. Liv. XLPII. 279 voient de la part des Commandants ! Romains. Tullien, puiffant dans ces contrées, les ramena a l'obéilTance de 1'Empereur, & alla joindre Jean avec les troupes du pays, Jean devoit fe rendre a Porto , pour fe réunir k Bélifaire. Totila, exaftement informé de tous les mouvements des Romains, envoya trois cents cavaliers k Capoue, avec ordre de le fuivre, lorfqu'il auroit paffé la ville. Son delfein étoit de faire marcher un autre corps au-devant de lui, & de 1'envelopper. Mais Jean, qui craignoit Antonine , évita de rejoindre Bélifaire : au-lieu de prendre la route de Rome, il recula dans le Brutium, oh il tailla en pieces, entre Vibone & Rhege, un grand corps de Goths qui gardoient le paffage de Sicile en Italië. Après s'être affuré de tout ce pays , il fe retira en Apulie. Rome étoit dans un état fi dép'orable , qu'on avoit tout k craindre du délefpoir des affiégés. Bélifaire, dans 1'impoflibilité de hafarder une bataille, réfolut d'employer les derniers efforts pour y faire entrer ur convoi par le Tibre : projet inexé- JUSTIN1EN. iaa. 546. xxn._ Entreprife de Bélifaire pour fecourir Rome. Proc. Got. 1. 3.C 19.  JUSTINIEN. Jin. 546. j ] ( ( ( 1 < r 1 F i, F d h 28o H 1 S T O I R E cutable , fi 1'on ne détruifoit lè pont I que Totila venoit d'établir. II joignit donc enfemble deux grandes chaloupes, fur Iefquelles fut élevée une tour de bois plus haute que celles qui défendoient les deux extrêmités du pont. II fit entrer dans le Tibre deux eents barques remplies de bied & de foldats , & bordées de planches percées de trous, afin que les foldats k couvert puffent tirer fur 1'ennemi. A 1'embouchure du Tibre furent poftés k droite & k gauche deux corps de cavalerie & d'infanterie , pour défenh-e fapproche de Porto. II laiffa dans a ville fa femme & fes bagages, fous a garde d'Ifac, auquel il recomman|a très-inftamment de n'en pas forir pour quelque raifon que ce fut, [uand même il apprendroit que Béifaire auroit été taillé en pieces. Après es difpofitions, il s'embarqua, & fe ut k la tête de la flotte, faifant tier par des bceufs les deux chaloues chargées de la tour; au haut de iquelle il fit guinder un caiffon rem11 de poix, de foufre, de réfine &c autres matieres inflammables. Sur ! bord du fleuve, du cóté de Porto,  dv Bjs-Empirb. Liv. XLVIL 2S1 ^ marchoit fon infanterie. II avoit dès la veille envoyé ordre k Beffas de fortir le lendemain avec ce qu'il avoit de troupes, pour favorifer 1'entreprife par une diverfion; mais Beflas ne fit aucun mouvement. Ce fcélerat avoit encore du bied k vendre; & il aimoit mieux, en empêchant la levée du fiege, perdre Rome que le profit qu'il retiroit de la mifere des habitants. La flotte remontant le fleuve avec beaucoup de peine, arriva enfin prés du pont. On accable de traits les Barbares poftés fur les deux rives, on leve la chaine , on applique la tour contre celle que les ennemis avoient k la tête du pont s du cöté de Porto, & Ton y jette k caiffon plein de matieres embrafees Elle eft confumée en un inftant ave< deux cents Goths qui la défendoient Leur Commandant Ofdas ,1e plu vaillant de toute la nation, périt dan 1'incendie. Les Barbares, qui accou roient de leur camp en grand nom bre, font repouffés k coups de traits 1'épouvante leur fait prendre la fuk< Tout réufliffoit k Bélifaire; ij fe pn paroit a rompre le pont; c'étoit 1 JUSTIN1EN. A.nn. 54^t e  JUSTI- NIEN. Ann. $46, XXIII. La témérité d'Ifac Ia fait éc hou er. 282 H I S T O I R E ■ feul obftacle qui lui reftoit a vaincre pour parvenir a Rome, lorfqu'un contre-temps imprévu fit échouer 1'entreprife. Le bruit fe répandit a Porto, que Behfaire avoit forcé le paffage. Ifac, cl'un caraftere bouillant & impétueux, impatient de partager 1'honneur du fuccès , oublie auffi-töt les ordres de fon Général; il prend avec lui cent cavaliers, Sc court au camp de Roderic. Cette attaque imprévue jette le défordre parmi les Goths; Rodenc eft bleffé; tous prennent la fuite: Iiac fe jette dans le camp, & 1'abandonne au pillage. Cependant les Goths, revenus de leur terreur, voyant le petit nombre des ennemis , retournent fur eux, les taillent en pieces , & font Ifac prifonnier. On va portelen diligence cette nouvelle a Bélifaire, qui, frappé comme d'un coup de foudre, fe figure que les Goths font dans Porto, que fa femme eft entre leurs mains, & qu'il n'a plus deretraite. Auffi-töt, interdit & troublé , ce qu'il n'avoit jamais éprouvé dans les plus grands périls, il abandonne tout, & retourne a Porto pour  du Bas-Empire. Liv. XLVII. 233 fondre fur les ennemis, & reprendre la ville. Lorfqu'il y fut revenu, & qu'il vit que fes allarmes étoient vaines , il en fut pénétré d'une fi vive douleur, qu'il tomba malade. Une fievre violente qui 1'agita pendant plufieurs jours, le mit en danger de la vie. Deux jours après cet événement, Roderic étant mort de fa bleffure , Totila en fut tellemenl afïligé , qu'il fit titer Ifac. Beffas, au-lieu de s'occuper de 1« füreté de Rome, ne fongeoit qu'j continuer fon Ikhe & cruel mono pole. Les factions étoient abandon nées ; nul Officier ne faifoit les ron des; les fentinelles s'abfentoient 01 dormoient dans leurs potles , & Je habitants, dont il ne reftoit qü'u très-petitnombre, languiflants ocmqi rants de faim, ne pouvoient fuppléc a la négligence des foldats. Quati Ifaures qui étoient de garde a la por Afinaire, fe coulerent pendant la nu le long d'une corde, & allerent 0 frir a Totila de le faire entrer dai la ville avec fon armée. Le Roi 1 ayant comblés de promeffes, envo] avec eux deux de fes Officiers, po JUSTINIEN. Ann. 54fe- . XXIV. Prife de Rome. " Proc. Got. . I, 3. e. 20. Thcoph. p. 19O. 1 Hïft. mifc. S 16.. Mare. chr. a Jorn. fuel' ceff. r Anaft. p. e64. :e it f- ïs ?s ra.  JUSTINIEN. Ann, J46 I ] I 3 284 H I S T O I R E s'affurer de la facllité de 1'entreprife. Ils monterent fur la muraille avec les Ifaures, & rapporterent k Totila que le fuccès étoit infaillible. Ce Prince , qui tenoit pour maxime que eelt fe trahir foi-même que de fe fier aveuglément k des traitres, laiffa paffer quelques jours, après lefquels les Ifaures étant revenus , il les fit encore accomp.igner par deux autres Officiers, qui lui firent le même rapport. Dans cet intervalle, la trahifon fut fur le point d'être découverte; elle 1'étoit même, fi Rome avoit eu des Commandants moins aveugles & moins fiupides. Quelques foldats Romains , fortis pour aller reconnoitre 1'ennemi, rencontrerent dix foldats Goths, dont ils fe faifirent, & qu'ils conduifirent a Beffas. Aux queftions qu'il leur fit, ils répondirent que Totila entretenoit intelligence avec quelques Ifaures, & qu'il fe flattoit d'être bientöt maitre de Rome, Beffas & Conon ne tinrent aucun :ompte de cet avis , & n'en furent ?as plus vigilants. Enfin , les Ifaures ;tant venus une troifieme fois prefèr Totila de profiter de leur zele >  vu Ba$~Empire. Liv. XLFIf. 285 il leur donna un Officier Général, qui étoit fon patent, pour 1'inftruire en détail des moyens de réuffir. Tout étant convenu, la nuit du feize au dix-feptieme de Décembre , Totila fit marcher fes troupes en filence, vers la porte Afinaire. Quatre Goths des plus hardis 8c des plus robuftes montent fur le mur avec les Ifaures , defcendent enfuite dans la ville oü ils ne rencontrent perfonne, 8c abattent la porte a coup de hache. Totila entre avec toute fon armée; mais craignant encore quelque trahifon , 8c voulant d'ailleurs, par un effet de fa bonté naturelle, laiffer aux Romains le temps de fe fauver, il tint fes foldats enfemble , 8c fit fonjier de la trompette pendant le refte de la nuit. L'allarme s'étant répan-due dans la ville , la garnifon prit h fuite par une autre porte , avec Beffas , Conon 8c quelques-uns des principaux habitants qui avoient encore des chevaux. Depuis la retraite d< ceux qu'on avoit laiffés partir pen-dant le fiege , 8c 1'horrible famine qu défoloit Rome depuis fi long-temps il n'y reftoit plus que cinq cents per JüSTINIEN. Ann. 546. i  JUSTIN1EN. Ann. 546. XXV. Bonté de Totila. 286 HlSTOIRE ionnes, qui fe réfugierent dans les Eglifes. Comme on venoit dire k Totila que les Commandants & la garnifon fe fauvoient : Bonnc nouvelle, repondit-il; pouvoit-ilnous atriverrien de plus heureux, que de voir fuir nos ennemis ? èc il défendit de les pourfuivre. Dès que le jour fut venu, Totila fe rendit k 1'Eglife de St. Pierre, pour remercier Dieu du fuccès de fes armes. Le Diacre Pélage, tenant entre fes mains le livre des Evangiles, alla au-devant de lui; & 1'abordant avec refpecT:: Seigneur, lui dit-il, épargne{ vos fujets. Hé bien ! lui répondit Totila, vous ave^ donc changé de langage f vous ne me menace^ plus de la co~ lere du Ciel. Nous étions vos ennemis 5 reprit Pélage ; Dieu nous a rendus vos tfclaves. Le Roi, touché de ces paroles, fit réflexion qu'il étoit le Miniftre du Tout-puiflant, & qu'il devoit imiter fa bonté pour les hommes ; il défendit aux Goths de tuer aucun Romain. Ainfi, aTexception Je vingt-fix foldats & de foixante habitants , qui avoient déja été maffaorés, nul autre ne perdit la vie, II  nu Bas Empire. Liv. XLFI1. 287 permit le pillage , avec ordre de lui réferver les chofes les plus précieufes. On trouva des monceaux d'or &c d'argent dans la maifon de Beffas , & dans celle de Conon. C'étoit pour enrichir Totila qu'ils avoient fucé le fang de tant de miférables. On vit alors des Sénateurs couverts de haillons, réduits a mendier leur pain de porte en porte, &c k vivre des aumönes qu'ils recevoient des Barbares. Mais perfonne ne. méritoit plus de compaffion que Rufticienne , fille de Symmaque, & veuve de Boëce. Cette Dame, plus illuftre encore par fa vertu que par fa naiffance , après avoir épuifé fes grandes richeffes k foulager fes compatriotes pendant le fiege , ne rougifloit pas de fe voir dans le même état que ceux qu'elle avoit fecourus. Les Goths, aulieu de 1'aflifter , demandoient fon fupplice, 1'acculant d'avoir engagé les Commandants k détruire les ftatues de Théodoric , pour venger la mort de fon pere & de fon mari. Mais Totila ne fouffrit pas qu'on lui fit aucune infulte. II fe déclara le protecteur de toutes les femmes de con- JUSTINIEN. Ann. 5460  JUSTINIEN. Aan. 54' XXVI, Reproqhes de Totila aux Sén teurs. Proc. Gc h j. c. 2; 288 Hl 3 T O I R E ■ dition, qui fe trouverent dans Rome, & les liiit a couvert de 1'info; lence du foldat vainqueur. Ce foin généreux lui fit encore plus d'honneur que fa conquête. , Ce Prince religieux ne celfoit de répéter, que la vertu ejl le plus folide fondement des Empires; que les Goths *■ n avoient vu tomber leur puijfance, que t pour avoir irrité Dieu par leurs injujli. ces & par leurs crimes : qu'ils ne pouvoient fe relever, quen méritant par une conduite fage & equitable , la protection du Ciel, & l'ajfeclion des peuples. II fit venir devant lui les Sénateurs, & après leur avoir rappellé les bienfaits de Théodoric & d'Amalafonte , les magiftratures dont ils avoient été honorés , la part qu'on leur avoit donnée au gouvernement, il leur reprocha leur ingratitude, leur inconftance , & même leur folie, puifqu'en trahiffant leurs bienfaiteurs , ils s'étoient piongés eux-mêmes dans un abyme de maux : » Dites-moi, s'é» crioit-il avec véhémence , quel » mal vous avoient fait les Goths? » quel bien avez-vous re^u de Juf» tinien ? Ses Logothetes, comme il » les  nu Bas-Empire. Liv. XLV1L aSo » les appelle , ces hommes de fang ■ » qui dévorent les peuples, n'ont» ils pas vengé les Goths en vous dé- i » chirant k coups defouets, en vous » arrachant des mains ces richeffes » injuftes, que vous aviez amaffées » aux dépens de nos Rois & de leurs » Provinces ? Vous avez été bien » payés de votre perfidie. Au milieu » des horreurs de la guerre, votre » nouveau maitre vous a furchargés » d'impöts : vous avez plus fouffert » de fes receveurs que de vos en» nemis Leirr montrant alors Hérodien 6k les, Ifaures qui lui avoient livré Rome : » Ceux-ci, ajouta-t-il, » que nous n'avions jamais connus, » nous ont mis en poffeflion de Ro» me & de Spolete, &c vous, qui » êtes nés fous. nos yeux, que nous » avons élevés entre nos bras , vous » nous avez jufqu'a préfent refufé » toute retraite. Ils font nos amis , » il eft julle qu'ils foient vos maï» tres : quittez vos magiftratures : » dépouillez-vous de ces ornements » que vous déshonorez; ils vont s'en » revêtir; ils vont vous commander » comme k leurs efclaves ". Les Sé-. Tomé X. N J'USTINIEN. Lrtn. 546»  JUSTINIEN. Ann. 546. XXVTi. Totila demande la paix. Proc. Got. I. 3. c. 21. Mare. chr. 29O HlSTOiRE nateurs , tremblants 8c muets, n'ofoient lever les yeux. Pélage fe jette aux pieds de Totila; il intercede pour eux. II fit tant par fes prieres 8c par fes larmes, que ce Prince revint de fa colere, 8c promit de leur pardonner. Totila, pendant le fiege de Rome, avoit déja dépêché a Juftinien Aventius, Evêque d'Affife, pour lui porter des propofitions de paix, 8c n'en avoit recu aucune réponfe. II députa de nouveau Pélage 8c Théodore , Avocat de Rome, 8c leur fit promettre avec ferment qu'ils agiroient de bonne foi, 8c qu'ils reviendroient au plutöt en Italië. II leur recommanda de faire tous leurs efforts pour obtenir un accommodement, afin qu'il ne fe vit pas obligé de rafer Rome, de faire périr le Sénat, 8c de porter la guerre en Illyrie. Les envoyés remirent a 1'Empereur la lettre de Totila , confue en ces termes : » Je » ne vous parle pas de ce qui s'eft » pafte en Italië : vous en êtes fans » doute informé. Je vous envoye ces » députés pour vous demander la » paix. Vous devez la defirer autant  Du Bas-Ëmpike. Liv. XLV1L 29* m que je la defire. Jettez les yeux » fur les regnes d'Anaftafe & de Théo» doric. C'eft un exemple de prof» périté produite par la concorde. Si » vous confentez k ce bonheur réci» proque, je vous honorerai com» me fflon pere; & mes armes fe» ront toujours prêtes k feconder les » vötres ". Juftinien répondit en deux mots : fai donné pouvoir d Bèlifain de faire la guerre & la paix ; c'eft 6 lui que vous deve{ vous adreffer. L'hyver de 547 étoit déja fort avan cé, lorfque ces députés revinrent er Italië. L'année précédente, 1'Orien avoit beaucoup fouffert des pluk; continuelles qui détruifirent les moif fons & les vendanges. Conftantinople fut affligée d'un tremblement d< terre. Peu s'en fallut qu'une méprif du peuple au fujet du jour de Pa que, n'excitat une fédition. Le qua torzieme de la lune de Mars torn bok cette année au Dimanche pre mier d'Avril. Selon 1'ufage de 1'Eglii univerfelle , la fête de Paque devoi être différée au Dimanche fuivant huitieme d'Avril, & 1'Empereur 1'j voit ainü annoncé par un édit. Ma; n ij JUSTIKIEK. Ann. 5 46. XXVIIL Erreur a Conftanti: nople au ; fujet de la Paque. Theoph. p. ' 1 )0 & ibi ■ Goar. \ Cedr. pi ! 375- ■ Mahla, p. . 7S. Hifi. mifi, ' l. 16. - Pagi ad a Bar. Noris d: t $,Synodo.  JUSTINIEN. Ann, 546, Ann. 547, XXIX. Bèlifain empêche Totila d< ruinerRo me. Vroc. Got l, 3, e. 32 292 BlSTOIRX le peuple de Conftantinople prétendit mal-a-propos que le quatorzieme de Ia lune étant un Dimanche, cette fête devoit être célébrée ce jour-la. même , èk il s'obftina en conféquence k placer le Dimanche de la Sexagéftme au quatrieme de Février, & a commencer le Carême le lendemain, felon Pu fa ge des Grecs. C'étoit prévenir de huit jours le temps prefcrit pour Pabftinence. Auffi 1'Empereur ordonna-t-il de vendre de la viande pendant toute cette femaine : mais perfonne n'en voulut acheter; & comme le jour de Paque ne fut cependant célébré que le huitieme d'Avril, felon 1'édit de 1'Empereur, le peuple fe plaignit de ce qu'on le faifoit jeüner une femaine de trop , & fut fur le point de fe foulever. La rigueur de la faifon n'empêchoit pas les Romains & les Goths de faire la guerre en Italië. Tullien , pofté avec quelques troupes k Pentrée de : la Lucanie, battit un parti de Goths ' envoyé par Totila pour forcer ces , paffages. Totila, rélolu de reconquérir ce pays, fentoit bien que dès qu'il feroit forti de Rome, Bélifaire y renr  du Bas-Empire. Liv. XLVIl. èc)3 treroit, & lui enleveroit en un jour ! le fruit des travaux d'un long fiege. Ne pouvant conferver fa conquête, j il prit le parti de la détruire. II fit abattre le tiers des murailles en plufieurs endroits, & fe difpofoit a rafer les maifons, fans épargner les plus beaux édifices, lorfqu'il fut détourné de ce delfein barbare par les remontrances de Bélifaire, qui lui écrivit en ces termes. » Fonder des vil» les , c'eft fervir la fociété; c'eft » s'immortalifer foi-même : les dé» truire , c'eft fe déclarer 1'ennemi » des hommes, & fe déshonorer a » jamais. Tout 1'univers s'accorde & » reconnoitre la ville de Rome pour » la plus grande & la plus magnifi» que qui foit au monde. Auffi n'eft» elle pas 1'ouvrage d'un feul hom» me, ni d'une feule année; une lon» gue fuite de Rois , de Confuls , » d'Empereurs , travaillent depuis » plus de treize cents ans a 1'embel» lir; & ces fuperbes édifices qu'elle » préfente k vos yeux, font autant » de monuments qui confacrent leur » mémoire. On ne peut y porter at»> teinte, fans faire tort aux fiecles N iij JUSTIUIEN. mn. 547i  JUSTIN1EN. Am-.. j47 XXX. Totila fort de Rome. Proc. Got, l. J. c. 2i. Mare. chr. 294 fflSTOIRS » paffes en effacant les traces rie leur .» gloire, & aux fiecles k venir en , » les privant de ce beau fpeöacle. » Faites encore réflexion que cette » guerre fe terminera heureufement » pour vous ou pour 1'Empereur : w fi vous demeurez vainqueur, quel ï> regret d'avoir détruit votre plus « belle conquête ! Si vous fuccom» bez, le traitement que vous aurez » fait a Rome, fervira de regie k » 1'Empereur pour vous traiter vous» même, ou comme un ennemi gé» néreux, ou comme un deftructeur » barbare. Songez que tous les hom» mes orit maintenant les yeux fur » vous; ils attendent quel parti vous » allez prendre, pour vous donner » le titre qui demeurera pour ton» jours attaché au nom de Totila ". Cette lettre fit une vive impreffion fur ce Prince, auffi fage que vaillant. Après 1'avoir relue plufieurs fois, il répondit k Bélifaire , quil k remercioit de fes avis > & quily auroit égard. II envoya la plus grande partie de fes troupes camper k fix lieues de Rome . fur le mont Algide, afin de couper le paffage aux Romains, s'ils  nu Bas-Empire. Liv. XLVIL 295 entreprenoient de le fnivre. II fe mit enfuite a la tête d'un camp volant , pour aller chercher Jean en Apulie. En quittant Rome, il en nt fortir tous les habitants avec leurs femmes & leurs enfants, qu11I diiperfa dans la Campanie , & laiüa Ia ville entiérement déferte. Jean, averti de la marche de Totila, fe retira a Otrante. Les payfans qui compofoient la plus grande partie de 1 armée de Tullien, 1'abandonnerent. Les Goths, fe voyant maitres du pays jufqu'a Otrante, crurent n'avoir plus rien a craindre, & fe difperferent paï pelotons dans les campagnes. Jean . profitant de leur fécunté , fit attaquer un de leurs partis, qui fut taillé en pieces. Cet échec rendit Totila plus circonfpeft; il raffembla le troupes, & fe retrancha prés du mon Garaan en Apulie, dans le lieu mem oh Annibal avoit autrefois campe. Les fuccès de Totila étoient ba lancés par des pertes. Les Goths, e entrant dans Spolete, en avoient ral les murailles , & avoient fan un forterefle de 1'amphithéatre fitue au portes de la ville. Un Officier, non 4 N iv JUSTINIEN. Arttt. 547; t - XXXI. 1 Spoleus , reprife » par les e Romain*. X  JUSTINIEN. Ann, 547, XXXII. Tarente fortifiée. 2p6 E I S T 0 I X E mé Martien, qui s'étoit fauvé de Rome avec Conon dans le temps qu'elle fut prife, obtint de Bélifaire la permrffion de paffer chez les ennemis comme déferteur, promettant de fervir les Romains fous ce déguifement, Totila, qui avoit été plufieurs fois témoin de fa valeur pendant le fiege de Rome, le recut avec joie, lui rendit fa femme, & un de fes deux fils, retint 1'autre pour ötage de fa fidéüté, & 1'envoya k Spolete. Comme h garnifon étoit en partie compofée de transfuges, Martien gagna quelques foldats, & leur perfuada d'effacer le crime de leur défertion par un fervice important. II fit avertir en fecret le Commandant de Péroufe de lui envoyer du fecours. Cet Officier partit avec fes troupes, & comme il approchoit de Spolete, Martien , fecondé de quinze foldats, égorgea !e Capitaine des Goths, & ouvrit les Dortes aux Romains, qui maffacrerent une partie de la garnifon , & :onduifirent le refte a Bélifaire. Tarente étoit fituée k 1'entrée d'uie langue de terre, qui avoit une ïeue de largeur. Cette ville, d'une  nu Bjs-Empire. Liv. XLVII. 297 vafte étendue & fans murailles, appella Jean a fon fecours. Comme il défefpéroit de la défendre, il fit retirer les habitants au fond de la prefqu'ifle , & fépara ce terrein d'avec la ville par un large foffé bordé d'une muraille qui traverfoit d'un rivage a 1'autre. Après avoir mis quelques foldats dans ce retranchement, il retourna a Otrante. Cependant Totila fe rendit maitre d'une place forte fur les frontieres de la Lucanie & de la Calabre : elle fe nommoit Achérontia, & porte aujourd'hui le nom de Cirenza. II y placa une garnifon de quatre cents hommes; ck étant retourné en Campanie, ify laiffa de; troupes pour garder les Sénateurs Ro mains qu'il avoit fait prifonniers. 1 partit avec le refte de fon armée ; deffein de marcher k Ravenne.^ Bélifaire , voyant Totila éloigné voülut reconnoitre par lui-même e quel état ce Prince avoit laifféj ville de Rome ; il y marcha a la têl d'un corps de mille foldats. Un At ferteur en ayant donné avis aux ei nemis campés fur le mont Algids ceux-ci fe mirent en embufcade, N v JUSTINIEN. Ann. 547. I ï , xxxiit: ■\ Bélifaire rentre dans Roe me. ii Proc. Got. ' Z. J. c.13, 24. : , Mare. chr. ïr Jorn. fuc-  JUSTI* KIEN. Ann, J47. I 1 1 1 < I i I i t t t £ d e v n P v II i 2p8 HlïTOIRE chargerent Bélifaire au paffage. Les Romains , quoiqu'attaqués fans 1'avoir prévu , combattirent avec tant de valeur, qu'ils taillerent les Goths en pieces, & retournerent a Porto. Quelques jours après, Bélifaire laiffa un petit nombre de foldats a la ;arde de cette ville, & partit avec e refte de fes troupes pour fe renettre en poffeftion de Rome. Rien 1'étoit plus facile-que d'entrer dans me ville déferte & démantelée; mais :omment s'y maintenir & la défenlre contre un ennemi tel que Totila ï Ze fut une nouvelle occalion oü Béifaire ftt connoitre les reffources de on génie. Depuis le commencement e cette expédition, ce grand Capiline , dénué de forces , avoit été éduit a éviter le combat;, il avoit )uffert que Totila fe rendit maitre e Rome prefque a fes yeux;, il avoit ritendu tomber les murailles de cette ille , fans pouvoir la fecourir. Roie, dès qu'il y fut rentré , devinfc jus forte qu'elle ne 1'avoit été, reBtue de fes murs & de fes remparts* s'en remit en poffeftion quaraiite «urs après le départ de Totila &  dv Bas-Empirb. Liv. XLV1L s99 n'y trouva pas un feul homme. Comme il n'avoit pas le temps den reMtir les murailles, il fit a la hate fermer les brêches avec des pierres entaffées les unes fur les autres, lans ciment ni mortier; en-dehors on les borda d'une forte palüïade; ce qui fut achevé en vingt-cinq jours. Cette foible enceinte ne fut pas plutot tormée, que les habitants, duperfes dans les campagnes d'alentour revinrent a leurs maifons;&par les foms de Bélifaire, ils y trouverent abondance de vivres , dont ils manquoient depuis long-temps. A cette nouvelle, Totila, qui etoit en marche pour fe rendre a Ravenne, tourna vers Rome, ou il arriya avant que Bélifaire, faute douvriers , eut pu faire remettre des por tes a la place des anciennes que To tila avoit détmites. 11 campaau bor< du Tibre, & le lendemain, des 1 point du jour, il attaqua la ville. Le plus vaillants des Romains furent po; tés a la place des portes, les autre bordoient le haut des murs. Le com bat fut opiniatre ; les Goths, tou iours repouffés, revenoient fans eed * N'vj J-USTIK1EN. Ann. 547» XXXIV. II la défend contre Totila» l S s e  JUSTINIEN. Ann, 547 206 II / s T O I R E k la charge : la nuit fépara les combattants. Bélifaire fit femer des chauf. fes-trapes devant Pouverture des portes. Le lendemain les Goths ne furent pas plus heureux. Quelques efcadrons fortis par une des portes oppofées, firent le tour de la ville, & tombant tout-k- coup fur . les aflaillants, les mirent en déroute. Lesvainqueurs s'étant laiffés emporter trop loin par Pardeur de la pourfuite, alloient être enveloppés, lorfque Bélifaire leur envoya un fecours qui les dégagea, & fit un grand carnage. Les ennemis, après avoir paffé plufieurs jours k panfer leurs bleffés, & a remettre en état leurs armes, brifées pour la plupart, s'avancerent de nouveau. Les Romains, devenus plus hardis par leurs fuccès précédents , ne les attendirent pas; ils fortirent audevant deux. Dans ce combat, le porte-enfeigne de Totila étant blefle a mort, tomba de cheval, & fa chüté attira autour de lui les plus braves des deux armées, qui fe difputerent avec acharnement la poffeffion de Penfeigne. Enfin, les Goths en demeurerent maitres, & couperent la main  du Bas-Empire. Liv. XLV11. 301 gauche du porte-enfeigne, póur en- ! lever fon bracelet d'or : c'étoit un ornement diftingué, qu'ils croyoient ne pouvoir perdre fans déshonneur. Mais il fallut laiffer le champ de bataille aux Romains. Les Goths furent vivement pourfuivis, & ne regagnerent leur camp qu'avec beaucoup de perte. Plufieurs furent précipités dans le Tibre. Honteux de leur défaite, les principaux Officiers s'attrouperent autour de Totila, lui reprochant en face fon imprudence : Jprès avoirpris Rome, s'écrioient-ils, ne falloit-il pas ou la garder & la. défendre, ou la ruiker de fond en comble? Jugeant fa conduite d'après 1'événement, ils condamnoient par une injuftice trés-ordinaire ce qu'ils avoient eux-mêmes approuvé. Au-lieu de réportdre , Totila fit marcher k Tibur; & pour rendre aux Romains les paffages difficiles, il rompit tous les porits du Tibre, excepté le pont Milvius, qu'il n'auroit pu détruire fi prés de Rome, fans hafarder un nouveau combat. II releva les murs de Tibur qu'il avoit abattus, & en fit fa place de retraite, Cependant Bélifaire acheva de met- JüSTINIEN. Vnn. 547»  Justinten.Ann. 547. XXXV. Succes de Jean en Campanie. Proc. Got. I. 3. c.ij, 26. Mare. chr. 30a HlSTQIZE tre Rome en état de défenfe; & pour marqué de fa viftoire, il en envoya les clefs a 1'Empereur. Depuis quelque temps, Péroufe, ville confidérable & capitale de la Tofcane, étoit afliégée par un détachement de l'armée de Totila, &z les habitants commencoient a manquer de vivres. Ce Prince vint luimême preffer le fiege avec toutes fes troupes; cependant elle ne fut prife que 1'année fuivante , après un blocus de fept mois. Jean, neveu de Vitalien , affiégeoit alors Acherontia;. il 1'abandonna pour une expédition plus honorable a 1'Empire. Après la prife de Rome, le Roi des Goths avoit difperfé dans les villes de Campanie la plupart des Sénateurs avec leurs femmes & leurs enfants : Jean réfolut de les enlever. II prit avec lui fesmeilleurs cavaliers; & fans leut' faire part de fon deffein, il marcha jour éc nuit vers Capoue. Totila prévoyant cette tentative, avoit envoyé de ce cöté-la un grand corps de cavalerie. Les Goths arrivés a Minturnes a quatorze ou quinze lieues de Capoue , s'y arrêterent pour fe re-  du Bas-Empire. Liv. XLVIl. 303 pofer , & détacherent quatre cents ! cavaliers pour aller reconnoitre le pays. Ceux - ci entrerent dans Ca- ( poue au même moment que Jean y entroit par une autre porte. Ils n'avoient eu aucun avis de leur approche refpecfive, & furent très-étonnés de fe rencontrer au milieu de la ville. II fe livra un fanglant combat, oü les Goths furent tailles en pieces. Ceux qui échapperent, retournerent k Minturnes. Leurs camarades les voyant arriver couverts de fang, percés de traits, & fi effrayés, qu'ils ne pouvoient proférer une parole, remonterent promptement k cheval, & regagnerent en diligence le camp de Totila, publiant, pour couvrir leur bonte , qu'ils avoient rencontré en Campanie une armée innombrable. Jean eut le temps de raffembler les Sénateurs avec leurs families; & pour les fouftraire a de nouveaux dangers, il les fit paffer en Sicile. Totila, plein de colere, &ne cherchant que 1'occafion d'une bataille générale, laiffa quelques troupes devant Péroufe, & partit avec dix mille hommes, pour aller combattre cette JUSTINIEN. Lnn. 547- XXXVI, Jean furpris par Totila,  3^4 II I S T O 1 R E JUSTINIEN. Ann. 547. i XXXVII. Verus dé- ] fait par Totila. < Proc. Got. 1 l. 3. c. 27. ( .—- " ^uuuuuic, jean n etoit lui" vi que de mille hommes, avec lefquels il s etoit déja retiré en Lucame. Ses coureurs répandus autour de fon camp, gardoientlespaffages, de crainte de furprife. Le Roi, qui fe doutoit de cette précaution, quitta les chemins battus, & prit fa route par des montagnes qu'on croyoit impraticables. II arriva au camp pendant la nuit, dans le même temps que les coureurs venoient y donner 1'allarme. S'il eut attendu le jour, il auroit enveloppé les Romains comme dans un filet, & pas un ne feroit échappé. Mais emporté par fa colere, il tomba fur eux en arrivant, &z leur donna lieu de fe fauver k la faveur de la nuit, & de gagner les montagnes. Jean s'enfuit a Otrante, &£ en fut quitte pour la perte de i'es bagages, ét d'une centaine de foldats pij furent tués dans la première furprife. ^ Bélifaire prefioit depuis long-temps 'Empereur de lui envoyer du fe:ours. Enfin, Pacurius, fils de Péraie, & ce même Sergius qui s'étoit léshonoré en Afrique, arriverent a vee  du Bas-EmpIrE. Liv. XLV1L 3*3 fort peu de foldats. Bientöt après, Verus, fuivi de trois cents Érules, vint débarquer dans Otrante. C'étoit un homme fans jugement, prefque toujours ivre , 8c que le vin rendoit préfomptueux 8c téméraire. Fier du commandement, il ne voulut pas le partager avec Jean, 6c alla camper aux portes de Brindes avec fes trois cents Érules. Totila fe fit un jeu de donner une lecon a ce guerrier novice. II alla l'envelopper,lui tua deux cents Érules, 6c pourfuivit Vérus 6c les autres dans une forêt voifine. Ils ne pouvoient échapper, lorfque Totila appercevant des vaifleaux qui abordoient au prochain rivage, penfa que c'étoit un fecours confidérable , 6c jugea a propos de fe retirer. Ce n'étoit que quatre-vingts Arméniens que Varazès amenoit en Italië. Verus fe fauva dans ces vaifleaux; ils gagnerent enfemble Tarente, oü Jean les vint joindre avec fes troupes. L'Empereur avoit rappellé d'Arménie Valérien , 8c 1'avoit fait partir de Conftantinople avec mille foldats. Mais ce Général n'étant arrivé fur les cötes d'Epire que vers le folftice d'hy- JüSTINIEN. Ann. 547.  JUSTINIEN. Ann. J47. XXXVIII Bélifaire T)affe en Sicile. Proc. Got. I. 3. c. 27, 28. Joni. fucctff. 30(S HlSTOIRE ver , ne crut pas devoir paffer en Iralie, oü il ne trouveroit ni vivres, ni fourrage. II fe contenta d'envoyer a Jean trois cents hommes avec promeffe de le joindre au retour du printemps. Tous les fecours envoyés par 1'Empereur ne faifoient pas deux mille hommes; mais ce Prince, d'un génie étroit & peu entendu dans les affaires de la guerre, comptoit pour beaucoup les moindres efforts. II écrivit a Bélifaire qu'il lui envoyoit une nombreufe armée, & qu'il étoit k propos de réunir en Calabre toutes les troupes de 1'Italie , pour forcer enfin 1'ennemi d'abandonner le pays. Bélifaire, après avoir recu ces ordres, prit avec lui neuf cents hommes, laiffa le refte avec Conon k la garde de Rome, & s'embarquant k Porto, il publia qu'il alloit en Sicile chercher des troupes & des munitions. Son deffein, qu'il vouloit cacher a Totila, étoit de fe rendre k Tarente; mais au fortir du détroit de Meffine, une violente tempête 1'obligea de relacher k Crotone. II prit le parti de s'y arrêter, & d'y faire venir l'armée  du Bas-Empire, Liv. XLVII. 307 , de Calabre. Comme il n'y trouvoit ' point de magafins, il envoya la cavalerie fous la conduite de Phazas Sc de Barbation, s'emparer des défilés qui font la communication de la Lucanie Sc du pays des Brutiens, afin de lui fournir des vivres, Sc de fermer le paffage aux ennemis. Jean venoit de prendre Rufciane, ( aujourd'hui Roffano ) place très-forte fur le golfe de Tarente a 1'occident, Sc il y avoit mis garnifon. Totila envoyoit un gros detachement de fon armée pour la reprendre. Les cavaliers de Bélifaire 1'ayant rencontré , le chargerent, Sc quoiqu'inférieurs en nombre, ils en tuerent deux cents hommes, Sc mirent le refte en déroute. Ce fuccès produifit la fécurité Sc la négligence. Difperfés dans les campagnes, fans védettes, fans aucune précaution, ils ne fongeoient plus a garder les paffages. Totila fut profiter de ce défordre ; il fondit fui eux a la tête de trois mille chevaux; en tua un grand nombre, & diffipa le refte. Phazas, ayant rallié les plu: braves , retourna fur 1'ennemi , & après des actions d'une rare valeur JüSTINIEN. Un, 547»  JUSTINIEN. Ann. J47. l < i XXXIX. Divers événe- * ments de 1 cette an- ] née. Proc. Got. Cj /■ 3. c 29, n l. 4- c 4. t Theoph. p, 191. n Cedr. p. fi 375- C( Zon. t. 11. ^ p. 69. rr Malela, p. 79. 3°S HlSTOlRE il fut accablé par le nombre, èVpérit avec tous ceux qui 1'accompagnoient. C'étoit 1'élite des troupes de Bebfaire, & cette perte irréparable ruinoit toutes fes efpérances. Barbation, fuivi feulement de deux cavaliers, ^ courut k Crotone donner avis au General, que 1'ennemi vainqueur alloit inceffamment venir 1'attaquer. L>ans letatoii fe trouvoit Bélifaire, tl ne pouyoit attendre Totila fans > expoier a une perte certaine. Péjetrededouleur,ilfevitcontraintle feretirer en Sicile; s'étant donc ïmbarque avec un vent favorable, 1 aborda le même jour k Memne. Pendant que Totila pouffoit fes con[uetes jufqu'aux extrémités de 1'Itaie , les Efclavons avoient palfé le Janube, & ravageoient 1'Illyrie jufu aDyrrachium. Cette nation féroce laflacroit les habitants fans diltincon dage ni de fexe, ou les traioit en efclavage. L'épouvante étoit grande, qu'on abandonnoit les pla:s les plus fortes pour gagner les ontagnes & les forêts. Les Comandants Romains, k la tête de quin■ mille hommes, les fuivoient de  nu Bas-Empire. Liv. XLVIL 309 loin, fans ofer en approcher. Conftantinople & les contrées voifines, reflentirent pendant cet hyver de fré- . quents tremblements de terre , qui arrivant d'ordinaire pendant la nuit, jetterent beaucoup de frayeur, fans caufer de perte conlidérable. Une inondation extraordinaire du Nil allarma toute 1'Egypte; les eaux monterent au-deffus de dix - huit coudées. La Thébaïde fouffrit moins que les autres contrées ; le fleuve rentra dans fon lit accoutumé, & laiffa la liberté d'enfemencer & de cultiver les terres. Mais dans la baffe Egypte, les eaux féjournerent fi long-temps, qu'on ne put faire les femailles. II y eut des endroits oü. le Nil fe déborda une feconde fois , &£ emporta toutes les femences; ce qui produilit la famine, & fit périr la plupart des animaux, faute de paturage. La funefte jaloufie des faftions du Cirque fe réveilla cette année. Le 11 Mai, veille de la Pentecöte , 'jour anniverfaire de la naiffance de 1'Empereur, comme on célébroit les jeux, les Bleus & les Verds prirent querelle, & fe livrerent un fanglant combat. Lesgar> JUSTINIEN. ian. 547.  JUSTJNIEN. Ann. 547, 310 HlSTOIRE des de 1'Empereur chargerent a coups d'épée les deux partls, & en firent un grand carnage : plufieurs pourfuivis jufqü'au rivage feprécipiterent dans la mer. On prit un poiffon monftrueux , qu'on nommoit le Porphyrion, fans doute a caufe de fa couleur qui approchoit de la pourpre. II y avoit plus de cinquante ans qu'il infeftoit les cötes du Bofphore; mais il ne fe montroit que par intervalles. Ebranlant les vaifleaux par de violentes fecoufles, il faifoit fauter en mer les matelots qu'il dévoroit enfuite, & il fubmergeoit les vaiffeaux mêmes. On avoit en vain mis en ufage toutes les machines employees dans les fieges a lancer des pierres& desjavelots. Enfin, un jour que la mer étoit calme, une troupe de Dauphins aflemblés a 1'embouchure du Pont-Euxin, ayant apper^u ce terrible animal, prirent la fuite devant hu. Les uns furent dévorés , les autres fe réfugierent a 1'entrée du Sangaris en Bithynie, ou le monftre les pourfuivant, s'enfon^a fi profondément dans la vafe , qu'il ne put s'en dégager ? malgré fes ef-  \ du Bjs-Empire. Liv. XLPIL 3ix j forts. Les habitants des environs ac- ■ j courant de toutes parts, tacherent i d'abord de le tuer a coups de haches; i I mais fes écailles étant impénétrables , | ils 1'envelopperent de cables, & le I firent tirer par des bceufs fur le rij vage. II fe trouva long de trente coudées, large de dix, & fa chair dépecée fit la charge de plufieurs char: riots. Sur les bords des Palus Méoti1 des, habitoit une peuplade de Goths j nommes Tétraxites; c'étoit un refte I de ceux qui n'avoient pas fttivi leurs 1 compatriotes du temps de Valens. I Ils étoient en petit nombre, & proij feffoient la Religion Catholique. Ils envoyerent quatre Députés a Conftantinople , pour demander un Evêque , comme 1'Empereur en avoit donné un aux Abafges leurs voifins. Dans un entretien fecret, ils avertirent Juftinien, qu'un moyenfürd'étendre de leur cöté la frontiere de 1'Empire , étoit de femer la difcorde entre les Barbares de leur voifinage , & ils offrirent leurs fervices a cet effet. Les Hiftoriens de Ravenne prétendent contre toute raifon, que Juftinien vint cette année en Ita- JüSTINIEN. mn. 547.  3:12 HlSTOIRE JUSTIMEN. Ann. 548. XL. Mort de Théodora. Proc. Perf. I. 3. c. 30. Idem Gut. I. 3. c. 30. Idem A- necd.c. 17, 27. & Ui Alam. p. 169. Theoph. p. 191. Cedr. p. 375. /^■a. Tim. Anaft. p. 64. Zon. torn. II. p. 68. Evag. I. 4. c. 31. PAci. cod. 64. 8l. Male/a , p. 6? . 79Hifi. r..ifi. L 16. Cod. orïg, f- 46. lie avec Théodora , & qu'ils aflifterent k la dédicace de 1'Eglife de SaintVital. L'Empereur ne mit pas le pied en Italië pendant tout le cours de fon regne. Théodora mourut d'un cancer au mois de Juin de 1'année fuivante : fcandale & fléau de 1'Empire, qu'elle avoit déshonoré par fes déhauches , 8c défolé par fes cruautés. Elle conferva jufqu'a la fin de fa vie ce funefle afcendant que fes charmes lui avoient fait prendre fur Pefprit de 1'Empereur. Maitreffe abiblue des faveurs & des difgraces , elle fut toujours adorée des courtifans, déteftée des gens de bien , redoutée de tous. Elle ruina 1'Etat 8c 1'Eglife, en faifant a fon gré des Magiftrats 8c des Evêques. Elle corrompit les mceurs publiques par fes exemples, 8c par 1'autorité qu'elle s'attribua fur les mariages, forcant des filles 8c des veuves illuftres d'époufer les rniniftres de fes crimes; 8c des hommes d'une nailfance diftinguée, de prendre pour femmes fes favorites 8c fes complices ; encourageant la licence par la protection qu'elle accordoit aux femmes  du Bas-Empip.e. Liv. XLFIL 313 mes coupables , & par les mauvais traitements qu'elle faifoit fubir aux maris qui ofoient paroitre olfenfés. Cruelle dans fes injuftices, elle fit mourir par caprice le Patrice Baffus, en lui faifant ferrer la tête avec des cordes ; elle fit pendre Callinique , Gouverneur de la feconde Cilicie, fur le tombeau de deux fcélérats, qu'il avoit punis fuivant les loix, pour avoir affafliné publiquement un de fes domeftiques, en voulant 1'affaffiner lui-même; elle vengea ainfi ces deux meurtriers , paree qu'ils étoient de la faftion du Cirque qu'elle protégeoit. Ardente & opiniatre a foutenir les hérétiques, & deux fois frappée d'anathême par les deux Papes Agapet & Vigile , elle eft néanmoins dans quelques écrivains, qualifiée du titre de très-pieufe Impératrice : expreffion de ftyle, prodiguée aux Princes les plus impies dès le temps du paganifme, & trop libéralement appliquée par les Auteurs Eccléfiaftiques a ceux qui ont fondé des Eglifes, & doté des monafteres. Ce fut pour honorer la mémoire d'une telle époufe, que Juftinien donna fon nom a Tornt X. O JUSTINIEN. knn. 54S. Noris de 5. Synoda t. 4.  JUSTI- NIEN. Ann. 548, XLÏ. Conon affaffiné. Proc. Got. 1. 3. c. 30. Idem anecd, c. 5. 314 HlSTOIRE plufieurs villes, & qu'il détacha de la première Syrië les villes de Laodicée, de Gabala , de Palte; & de la feconde , celle de Balanée, pour en former une nouvelle Province , fous le nom de Théodoriade. L'Empereur fut fans doute dans tout 1'Empire le feul qui pleura cette Princefle. Bélifaire ayant reen en Sicile un renfort de deux mille hommes d'infanterie, ne tarda pas de retourner k Otrante, ou Valérien fe rendit, après avoir paffé 1'hyver en Epire. De fi foibles fecours ne pouvant le mettre en état de tenir la campagne, Antonine fe rendit k Conftantinople pour preffer 1'Empereur de faire de plus grands efforts; & voyant qu'elle n'y pouvoit réufiir , elle demanda le rappel de fon mari, qui lui fut trop facilement accordé. Juftinien étoit mécontent de Bélifaire, fans faire réflexion que fa propre négligence rendoit inutile les talents de ce grand homme. Antonine, necraignantplus Théodora, morte avant fon arrivée, fépara fa fille Joanine d'avec Anaftalè , petit-fils naturel de 1'Impératri-  nv Bas-Empize. Liv. XLF1I. 315 ce. Ce manage contrafté entre deux enfants , par 1'autorité abfolue de Théodora, malgré Bélifaire & An- j tonine , fut regardé comme illégitime. Dans le même temps, la garnifon de Rome maffacra Conon, fon Commandant, qui continuoit le monopole odieux qu'il avoit exercé pendant le fiege , conjointement avec Beffas. Après ce forfait, les foldats envoyerent deux Prêtres a 1'Empereur , pour lui demander a la fois, une amniftie, & le payement des montres qui leur étoient dues, menacant en cas de refus, de fe donner a Totila. Juftinien, trop foible pour les punir, leur accorda tout. Après la défaite des cavaliers de Bélifaire, Totila avoit mis le fiege devant Rufciane. Cette place étoit défendue par quatre cents hommes , fous le commandement de Chalazar, Hun de nation , & d'une valeur éprouvée. Quantité de nobleffe d'Italie étoit venue s'y renfermer, & la défenfe fut vigoureufe & opiniatre. Enfin, les vivres ayant manqué, on fut obligé de capituler, & 1'on convint de fe rendre, fi la place n'étoit feO ij JüSTI-, KIEN. Lnn, 548. XLII. Totila prend Rufciane,  JUSTINIEN. Ann, J4S, 31(5 HlSTOIRE courue dans un certain terme. Bélifaire , réuni avec Valérien &c avec Jean, qui n'avoit plus a craindre Antonine , partit d'Otrante pour aller au fecours. Le jour marqué pour la capitulation, comme les affiégés fe difpofoient a ouvrir les portes , ils appercurent la flotte qui s'approchoit a pleines voiles. Ils la faluerent d'un cri de joie, & fe croyoient hors de péril, lorfqu'une violente tempête s'élevant tout-a-coup , difperfa les vaifleaux. Bélifaire, après avoir perdu plufieurs jours a les raflembler dans le port de Crotone, reprit la route de Rufciane. Totila, ayant bordé le rivage de fes troupes en bon ordre, & bien armées, effraya tellement les Romains par fa contenance, qu'ils n'oferent tenter la defcente, & retournerent k Crotone. On tint confeil, & il fut décidé que Bélifaire iroit k Rome pour y faire entrer des proviiions, & pour appaifer le défordre caufé par le meurtre du Commandant: que Jean & Valérien marcheroient vers le Picenum, pour obliger Totila, par cette diverfion, a lever le fiege de Rufciane.  nu Bas-Empire. Liv. XLFIL 317 Mais Totila fe contenta d'envoyer dans cette Province deux mille de fes meilleurs cavaliers, & continua le fiege avec tant de vigueur, qu'il for§a les affiégés a fe rendre. II leur accorda la vie ; mais il punit cruellement Chalazar, d'avoir manqué k la capitulation. II lui fit couper les deux mains; & après 1'avoir fait mutiler plus indignement encore , il ordonna qu'on lui trancMt la tête. II permit aux foldats de fe retirer oii ils voudroient, feulement avec 1'habit dont ils étoient couverts. Quatrevingts fe rendirent a Crotone. Les autres prirent parti dans l'armée de Totila , qui leur laiffa tous leurs effets, & les enröla fur le même pied que les Goths, felon fa coutume. Les habitants furent dépouillés de tout ce qu'ils poffédoient. Bélifaire mettoit k la voile pour aller a Rome , lorfqu'il recut la permiffion de revenir k Conftantinople. C'étoit ce qu'il defiroit depuis longtemps. II fembloit qu'on ne 1'avoit envoyé cette fois en Italië, qu'a deffein de flétrir les lauriers qu'il avoit cueillis dans fa première expédition, O iij JUSTINIEK. Inn. 54S, XLnr. Bélifaire abandonne 1'Italie. Proc. I. 3.' c. 35. Idem. Artecd. c. 5. Jorn.fiiceff.  JUSTIKIEN. Ann. 548, 318 UlSTO/RE Sans troupes, fans munitions, fans autre argent que celui qu'il falloit arracher aux habitants, mal fervi par des Lieutenants, les uns laches , les autres indociles, qu'il n'avoit pas eu la liberté de choifir , il erroit depuis cinq ans comme un fugitif, n'ofant prefque fortir de fes vailfeaux, hors d'état dé hafarder une bataille contre un jeune Roi plein de valeur, maitre abfolu dans fon armée , & dont les forces croilfoient tous les jours. II s'éloigna des cötes de 1'Italie en foupirant, les yeux fixés fur cette fameufe contrée, qui avoit été le ihéatre de fa gloire , & qu'il laiffoit au pouvoir des Goths. Son retour a Conftantinople n'eut rien de cet éclat pompeux, avec lequel il y étoit rentré deux fois comme en triomphe, fuivi de Gélimer & de Vitigès. C'étoient aujourd'hui fes envieux qui triomphoient de lui; & après 1'avoir traverfé par les mauvais confeils qu'ils donnoient a 1'Empereur , ils lui imputoient les difgraces dont ils étoient eux-mêmes les artifans. Mais ce qui n'admet point d'excufe, c'eft qu'au[ieu des dépouilles des ennemis , Bé-  nu Bas-Empire. Liv. XLVII. 319 lifaire remporta celles des fujets de 1'Empire. Obligé de faire fubfifter fes troupes aux dépens du pays, il s'étoit réfervé une partie des contributions, & il revint avec d'autant moins de gloire, qu'il rapportoit plus de richeffes. Quoiqu'on doive fans douterej etter fur Antonine la plus grande partie de ces concuffions , Bélifaire eft encore plus blamable de n'avoir pas retenu 1'avidité de fa femme, que d'avoir fouffert fes débauches. Que d'éclat auroit ajouté aux exploits de Bélifaire, une pauvreté héroïque ! Après le retour de ce Général , le Pape Vigile, qui étoit alors è. Conftantinople, pour les railons que je dirai dans la fuite , ne ceffoit de preffer 1'Empereur d'employ er toutes fes forces au recouvrement de 1'Italie. Mais ce Prince, promettant toujours fans rien exécuter, ne s'occupoit que de difputes théologiques, dans lefquelles il ne fe laiffoit pas moins tromper, que dans les affaires de la guerre. Peu s'ep fallut que Bélifaire a fon retour ne trouvat plus Juftinien fur le tröne. II s'étoit tramé contre ce O iv JUSTI- NIEN. A.nn. 54S. XLIV. Mccontentament  JUSTI. KIEN. Ann. 548. d'Artabane. Proc. Got, Z !.'.}!. ] 1 I < 1 1 1 1 < i t ï t 3-0 Ht-STOJRE Prince une conjuration, qui échoua; comme il arrivé prefque toujours, par 1'indifcrétion des complices. Artabane, après avoir délivré PAfrique de la tyrannie de Gontharis, eut 1'ambition _ d'afpirer a une alliance qui pouvoit un jour 1'élever a 1'Empire, 11 forma le deffein d'époufer Préjecte, niece de 1'Empereur, & veuve d'Aréobinde. Préjefte ne s'en éloijnoit pas : fon libérateur, le vendeur de fon mari, lui fembloit di>ne de cette reconnoiffance. Avant pe de fe féparer en Afrique, ils fe ierent enfemble par une promeffe nutuelle; & dans cette flatteufe ef)érance, Artabane précipita fon reour. La haute valeur dont il avoit lonné des preuves, lui avoit déja oncilié 1'eftime publique; fa bonne nine, fa générofité, fa difcrétion le aifoient aimer. L'Empereur le com>la d'honneurs; il le nomma Commandant de la milice de la Cour , ïénéral des troupes alliées, & Conul honoraire : car ce titre fubfifloit ncore après 1'extinaion du Confuït annuel. Mais il lui refufa Préjece* Vn obftacle infiirmontable s'op-  du Bas-Empire. Liv. XLFII. 321 pofoit a ce mariage. Artabane avoit une première femme, dont il s'étoit féparé depuis plufieurs années. Dès qu'elle eut appris la brillante fortune de fon mari, elle fortit de 1'obfcurité oü elle s'étoit tenue modeftement renfermée, & vint fe montrer a la Cour. Théodora, dont elle implorala prote&ion, contraignit Artabane de la reprendre. Préjefte fut mariée a Jean , fils de ce Pompée, neVeu d'Anaftafe , qui avoit été mis h mort feize ans auparavant dans la révolte de Conftantinople. Artabane, au défefpoir, chaffa de nouveau fa femme aufiï-töt après la mort de Théodora, & demeura plongé dans une profonde mélancolie. Un de fes parents, nommé Arface, réfolut de profiter de fon mécontentement pour fe venger lui-même. On avoit depuis peu découvert une intelligence, que cet Arface enrretenoit avec le Roi de Perfe; & 1'Empereur 1'avoit fait battre de verges, & promener dans la ville fur un chameau. Arface, irrité de ce chatiment, ne ceffoit jour & nuit d'aigrir Artabane : » Quel contrafte dans voO v JUSTINIEN. \.nn. 548, XLV. Conjuration contre Juftinien.Proc. Got. !. I.c. 32. Jorn. fuceff. Pagi ad Sar.  Justinten.Ann. 548, J J 3 9 ) > 32C HlSTOTRE » tre conduite , lui diioit-il ! Plein » de valeur pour fervir lies autres, » & de foibleffe pour vous fervir » vous-même, vous avez fauvé 1'A» frique k Juftinien , en tuant de vo» tre propre main Gontharis votre » ami; Sc votre bras refte fans for►> ce, quand il s'agit de délivrer 1'Ar» ménie votre patrie, accablée fous » le poids des impöts, de venger vo» tre pere maffacré par la plus noire » trahifon, d'affranchir votre famil» le qui traine dans toutes les Pro» vinces de 1'Empire les liens d'une » honteufefervitude.Ebloui des vains ^> titres d'honneur dont le tyran > vous amufe , vous rampez dans * 1'efclavage. Vous ne plaignez pas > votreparent Arface, déshonorépar > un traitement indigne; Sc moi je > vous plains des outrages que vous > recevez fans paroïtre vous en ref- > fentir. On vous a privé d'une épou- > fe que vous chériffez, pour vous > enchainer a celle que vous ne pou» viez fouffrir. Vous avez rompu ces » chaines; rompez auffi le joug fous » lequel nous gémiffons tous. Que 1 craignez-vous d'un Prince imbé-  du Sjs-Empi&e. Liv. XLVU. 323 » cille, qui s'endormant fur les af» faires de fon Etat, paffe les nuits » a difputer avec des Evêques fur de » frivoles queftions de Scholaftique ? » Germain, plus refpe&é que 1'Em» pereur, n'attend que 1'occalion d'é» clater. Ce guerrier & fes deux fils, » dépouillés d'un riche héritage, fe » joindront a vous. De quoi n'eft » pas capable Artabane avec de fi » puhTants fecours " ? En effet, Germain devoit être mécontent: fon frere Boraïde venoit de mourir, 8c 1'avoit inftitué héritier de la plus grande partie de fes biens, au préjudice de fa fille unique : mais 1'Empereur avoit réformé cette injuftice en caffant le teflament. Arface, étant venu a bout de déterminer Artabane, s'affocia d'abord un de fes compatriotes, nommé Chanarange, jeune homme hardi &C entreprenant, mais étourdi Sc fans expérience. Pour gagner Germain, il s'adreffa h Juftin , 1'aïné de fes fils, Celui-ci, quoiqu'il eut été Conful er 540 , n'avoit pas encore atteint ft vingtieme année; mais il montroii déja un grand courage. Arface em O vj JUSTIKIEN. A.nn. 5 48. XL VI. Elle eft dé. couverte.  JUSTIKIEN. Ann. 54S, 3"24 &ISTOIRS 1'imprudence de lui faire part du com* plot, & mit en vain tout en ceuvre pour exciter fon reffentiment contre 1'Empereur. Juftin, d'abord interdit & déeoncerté, après quelques moments de filence, répondit d'un ton indigné, que ni lui, ni fon pere n'étoient capable d'un forfait fi atroce. II alla de ce pas déclarer la conjuration a fon pere, qui en inftruifit auffitöt Marcel, Commandant de la garde du palais. C'étoit un Officier d'une probité incorruptible, & très-attaché k TEmpereur ; mais d'un caraöere froid, circonfpeft, & tellement ennemi de 1'injuftice & de la calomnie , qu'il fe feroit cru lui-même criminel, s'il eut accufé perfonne fans avoir des preuves évidentes de fon crime, II répondit a Germain, qu'avant que de rien dire a FEmpereur, il vouloit s'affurer de la vérité. Pour y réuffir, Juftin, de concert avec fon pere, fe rapprocha des conjurés; il s'adrelTa a Chanarange, & lui fit entendre qu'il avoit rebuté Arface, paree qu'il ne fe fïoit pas k fa difcrétion : Mais, ajouta-t-il, fi vous ave{ formé avec At'abane queique deffein important, mon  nv Bas-Empire. Liv. XLVII. 325 pere ne refufera pas de vous feconder. Ils convinrent du jour Sc de 1'heure oü Chanarange fe rendroit a Ia maifon de Germain. Marcel fut averti, & envoya Léonce, dont il connoiffoit la probité Sc l'exaétitude, pour être témoin de la converfation. Germain cacha Léonce derrière une tapifferie , d'oü il entendit diftincfement tout le détail de la conjuration. Leur deffein étoit d'attendre le retour de Bélifaire qui étoit en chemin , de peur que s'ils ótoient la vie a 1'Empereur avant 1'arrivée de ce Général, il ne raffemblat des troupes , Sc ne vint les attaquer dans Conftantinople. Ils devoient, dès le'foir même de fon arrivée, entrer dans le palais pendant qu'il s'entretiendroit avec 1'Empereur, Sc poignarder a la fois 1'Empereur, Marcel Sc Bélifaire. Après cet éclairciffement, Marcel avertit le Prince, qui fit aufli-töt arrêter Artabane Sc les autres conjurés. Outre la dépofition de Léonce, on trouva dans leurs papiers des preuves du crime, Sc ils le confefferent eux-mémes a la queftion. Le Sénat, affemblé dans le palais, fit faire la JüSTINIEN. Ann. 54S,  JUSTINIEN. Aan, J48, S2fJ H/STOIRE ledfure des informations. Germain & Juftin furent affignés k comparoïtre, & déchargés fur le témoignage de Marcel &c de Léonce. Mais Juftinien, mal difpofé k 1'égard de Germain, ne lui pardonnoit pas d'avoir tardé fi long-temps k révéler le complot. Quelques Courtifans, par une flatterie meurtriere , feignoient d'entrer dans les fentiments du Prince, & excitoient encore fon indignation; les autres, par leur filence, fembloient condamner Germain. Alors Marcel élevant fa voix: S'il ejl, dit-il, quelque coupable du délai qu'on reproche a Germain, c'ejl moi feul qu'il faut punir; Germain m'a rivélé le crime dès qu'il en a eu connoijfance ; c'ejl moi qui, pour m affurer du fait par une exacle recherche, ai retenu fon empreffement. Ces paroles calmerent la colere de 1'Empereur , & le vertueux Marcel eut la gloire d'avoir hafardé pour la juftice, fa faveur & fa fortune. Juftinien lui-même fe fit honneur d'ufer de clémence. II dépouilla Artabane de les dignités; mais fans ordonner d'autre peine contre lui ni contre fes complices : il fe contenta de les faire gar-  du Bas-Empire. Liv. XLVIL 327 der dans le palais, &c voulut même ' leur épargner la honte d'être renfermés dans les prifons publiques. La valeur inquiete & impétueufe de Théodébert, Roi de la France Auftrafienne , allarmoit également Juftinien & Totila. Les Goths avoient depuis donze ans abandonné aux Francois tout ce qu'ils poffédoient dans la Gaule , au-dela des Alpes. Juftinien , pour fe concilier une nation fi redoutable, confirma cette ceffion par des lettres en forme, prétendant que les Goths n'avoient pu légitimement difpofer de ces Provinces qui appartenoient de droit k 1'Empire. Les Rois Francois faifoient battre de la monnoie d'or, dont la matiere fe tiroit des mines qui fe trouvoient alors dans la Gaule : Juftinien ordonna que celle qui feroit frappée au coin de Théodébert, auroit cours dans 1'Empire. C'étoit un privilege dont les Rois Barbares , & même les Rois de Perfe ne jouiffoient pas : car les Romains fe faifoient une loi de n'admettre dans le commerce d'autre monnoie d'or que celle qui portoit 1'image de 1'Empereur. Totila, de fon JUSTINIEN. \.nn. 548. XLVIL Théodébert irrité contre Juftinien. Proc. Got. I. 3. c. 33. 37-1. 4- Agath.l. I. Marius Avent. Pagi ad Bar. La Bafiie, nous fur la fciencc dis médailles , t.I.p.117.  JUSTINIEN. Ann. 548. 318 H i s t o i r z cöté , pour mettre Théodébert dans fes intéréts, lui envoya demander fa fille en mariage; le Prince Francois répondit fiérement : Que fa filh étoit nét pour un Roi, & que Totila n'étoit & ne feroit jamais Roi d'Italië , puifqu après avoir pris Rome, il n'avoit pu la conferver. Ce Monarque belliqueux, également recherché par les Romains par les Goths, ne fongeoit qu'a profiter de la guerre que fe faifoient ces deux nations. Lanthacaire, un de fes Généraux, fut battu par les Romains dans une rencontre, dont 1'hiftoire ne donne aucun détail. Mais cet échec n'empêcha pas les Francois de fe rendre maitres des Alpes Cottiennes, d'une partie de la Ligurie, & de prefque toute la Vénétie; en forte que les Romains ne confervoient dans cette derniere Province, que les cötes maritimes, & les Goths un petit nombre de places en terre-ferme. Après ces conquêtes, Théodébert, aigri de la vanité de Juflinien , qui prenoit entre fes titres celui de vainqueur des Francois & des Allemands, tourna contre lui toute fa coiere, & fit un accord avec les Goths,  du Bjs-Empire. Liv. XLVIL 329 Les deux Rois convinrent qu'ils demeureroient tranquilles poflefleurs de ce qu'ils avoient aéiuellement entre leurs mains; qu'ils ne feroient 1'un contre 1'autre aucun acte d'hoftilité. tant que dureroit la guerre entre les Romains & les Goths; que fi Totih étoit vainqueur, les Goths & les Fran cois partageroient a 1'amiable le domaine de 1'Italie. Le delTein de Théodébert étoit de pénétrer en Thrace, a la tête d'une nombreufe armée , & d'aller attaquer Confiantinople. Poiu s'ouvrir un paffage au travers de h Pannonie & de 1'Illyrie, il travailloii a foulever contre 1'Empire les Gé pides & les Lombards : il leur repré fentoit que Juftinien prenant auft dans les édits la qualité de vainqueui des Lombards & des Gépides, il: avoient autant d'intérêt que lui a ra battre le vain orgueil de ce Prince & a venger Pinfulte commune. Tan dis que Théodébert faifoit tremble 1'Empereur par les préparatifs d'um guerre formidable , il mourut d'ui accident a la chafle; & fon fils Théo débalde, agé de douze a treize ans d'ailleurs foible & valétudinaire, n'eü JUSTINIEN. Ann. 548, l | 1 t t :  JUSTIKIEN. Ann. 548. XLV1II. Les Gépides & les Lombards implorent le fecours de Juftinien.Proc. Got. 1.3. c.}h 34- 1 i f 3 < « ] ] i < 33° HlSTOlRB ni 1'ambition ni la force d'exécuter ces vaftes projets. II n'auroit pas été difficile a Théodébert de mettre en mouvement les Barbares voifins du Danube. Les Gépides établis a Sirmium & dans la Dace, faifoient des courfes continue!* les fur les terres de 1'Empire, dont ils fe difoient alliés; & ces hoflilités porterent enfin Juftinien a leur refufer la penfion annuelle qu'on leur payoit depuis long-temps. jll avoit accordé aux Lombards des habitations dans la Pannonie & dans le Norique, & leur avoit prodigué de granles fommes d'argent pour acheter la paix : ce qui ne les empêchoit pas ie ravager 1'Illyrie & la Dalmatie jufqu'a Dyrrachium. Le titre d'alliés de 'Empire ne leur donnoit que plus 1'audace : fi les prifonniers qu'ils enevoient dans leurs courfes venoient i s'échapper de leurs mains, ils fe :royoient en droit de les redemanIer comme des efclaves fugitifs. Les ïrules, poffeffeurs de Singidon en défie, inquiétoient fans ceffe laThra:e par leurs incurfions ; & chargés les dépouilles de 1'Empire, ils avoient  nu Bas-Empire. Liv. XLVIL 331 la hardielTe d'aller a Conftantinople demander les penfions qu'on leur avoit affignées, Sc que 1'Empereur n'ofoit leur refiifer. L'unique reffource contre ces Barbares auroit été de les détruire les uns par les autres; 8c il lëmbla s'en prélenter une occaiion. Une querelle ftirvenue entre les Gépides 8c les Lombards, leur mit les armes a la main, 8c felon la coutume de ces peuples , ils convinrent d'un jour pour fe battre. Les Lombards , qui fe fentoient les plus foibles, implorerent le fecours de 1'Empereur ; Sc les Gépides envoyerent aufti une ambaffade pour demander Ia préférence, ou du moins la neutralité. Juftinien , felon les principes d'une faine politique , prit le parti des Lombards ; il leur envoya dix mille hommes de cavalerie avec quinze cents Érules k la folde de 1'Empire, Les autres Érules, au nombre de trois mille, s'étant déclarés pour les Gépides , furent rencontrés par la cavalerie Romaine, qui les tailla en pieces. Aord, leur Général, frere de leur Roi Todas, fut tué dans ce combat. Cet heureux commencement fair JüSTINIEN. Ann. 548".  JüSTINIEN. Ann. 54S. XLIX. Services rendus a Totila par un Prince Lombard & par un garde de Bélifaire. Proc. Got. 33a HlSTOIRE foit efpérer que cette guerre fe termineroit par l'extinöion totale des Gépides, &C que 1'Empire feroit enfin délivré de ces voifins incommodes; mais ces Barbares prévinrent le danger, & firent une treve avec les Lombards. Les troupes de 1'Empire, trop foibles pour combattre les deux nations reünies, furent obligées de fe retirer. Audoin régnoit fur les Lombards. Ildige , auquel la couronne appartenoit felon la loi de fucceffion, obligé de prendre la fuite, paffa en Italië avec fix mille hommes, a deffein de s'attacher a Totila. Étant entré en Vénitie , il rencontra un corps de troupes Romaines commandées par Lazare; il 1'attaqua, & en fit un grand carnage. Cependant, au-lieu d'aller joindre Totila, il rebrouffa chemin, on ne fait pour quelle raifon, & fe retira chez les Efclavons au-dela du Danube. Un autre Barbare, nommé Ilauf, fervit mieux le Roi des Goths. II avoit été fait prifonnier par Bélifaire , qui, par eftime pour fa valeur, 1'avoit mis au nombre de fes gardes. Etant refté en Italië après la  nu Bas-Empire. Liv. XLVIL 333 retraite de fon Général, il pafla dans l'armée de Totila, qui fut bien faire ufage de fa bravoure. II 1'envoya par mer en Dalmatie avec des troupes. Ilauf étant abordé k Moicure, place maritime prés de Salone, s'annonca comme Officier Romain , & fut recu avec joie. Mais dès qu'il fut dans la place, il fit main-bafle fur les habitants, pilla les maifons, & fe rembarqua. Le même ftratagême lui réuffit encore k quelque diffance de-la, dans un lieu nommé Lauréate. Claudien, cmi commandoit dans Salone, informe de ces pirateries, fit partir des barques légeres, qu'il remplit de troupes. Elles arriverent a Lauréate, & livrerent un combat, dans lequel ïlauf fut vainqueur. II demeura maitre des barques, fe faifit des navires qu'il trouva dans le port chargés de bied & d'autres provifions , & retourna triomphant au camp des Goths. Totila, vivement piqué du refus & du reproche de Théodébert, ré- . folut de rentrer dans Rome , & d'en conferver la poffeffion. II l'affiégea ' 1'année fuivante. Bélifaire y avoit \ lailTé trois mille de fes plus vaillants JüSTINIEN. knn. 548a inn. 549; L. rotila re>rend Rone. 'roe. Got. . }.c. 36.  JüSTJNIEN. Ann. 549- Jorn. fuc ctff. 334 HlSTOIRE foldats , fous le commandement de Diogene, dont il connoilfoit la prudence & la valeur. Le fiege fut long par le courage des affiégés, & par la vigilance & l'aftivité de Diogene. Enfin, les Goths, repouffés dans tous les affauts , fe rendirent maitres de Porto; ce qui privoit les Romains des convois qui remontoient par le Tibre. Mais Diogene avoit eu la précaution de faire femer du bied dans la ville dès 1'année précédente. Une trahifon pareille a la première rendit encore cette fois Totila maitre de Rome. Quelques Ifaures quigardoient la porte de Saint-Paul, mécontents de ne rien recevoir de 1'Empereur depuis plufieurs années, & voyant que leurs camarades avoient fait fortune par la trahifon, promirent au Roi de lui livrer la ville, & convinrent avec lui du temps & de Ia maniere. Quand le jour marqué fut arrivé , Totila remplit de foldats, deux bateaux au commencement de la nuit, & leur ordonna de fonner de la trompette lorfqu'ils feroient au pied des murailles. II conduilit fon armée vis-a-vis la porte de Saint-  du Bas-Empire. Liv. XLVIL 335 Paul, fans être appercu des ennemis; & comme il ne reftoit aux Romains dans ces quartiers-la d'autre retraite que Centumcelles, il envoya, fur le chemin un corps de troupes pour maffacrer les fuyards. Tout fut exécuté felon fes ordres. Au fon des trompettes, les Romains prirent 1'allarme, & abandonnant tous les autres poftes , ils coururent vers le Tibre. En même-temps les Ifaures ayant ouvert la port de Saint-Paul, firent entrer l'armée des Goths. La garnifon fut pafiée au fil de 1'épée ; les uns périrent dans la ville même; les autres fur le chemin de Centumcelles, ou ils fe réfugioient. II ne s'en fauva qu'un petit nombre avec Diogene couvert de bleffures. Paul de Cilicie commandoit les cavaliers de la garnifon. C'étoit un vaillant Capitaine, qui, après avoir fer- j vi Bélifaire en qualité d'Intendant de fa maifon, avoit été employé dans le fervice militaire ou il s'étoit déja fignalé. Dès qu'il vit la ville prife, il s'enferma avec quatte cents cavaliers dans le maufolée d'Adrien , &c s'empara du pont qui conduifoit è JüSTINIEN. \nn, 549. LI. ïelle dé'enfe de 'aul.  JUSTINIEN. Aan. 549 336 HlSTOIRE ' 1'Eglife de Saint-Pierre. II fut attaqué par les Goths dès le point du jour, , & repoufia vigoureufement tous leurs efforts. Totila, voyant qu'il perdoit en ce lieu beaucoup de foldats, fit celTer Pattaque, perfuadé que la famine forceroit bientöt les affiégés k fe rendre. Paul & fes cavaliers pafferent ce jour & la nuit fuivante fans aucune nourriture. Le lendemain ils délibererent de manger leurs chevaux : mais faifant réflexion que n'ayant aucune reffource a efpérer , ils prolongeroient feulement de quelques jours une vie miférable, ils fe déterminerent a mourir avec honneur. Après s'être dit les derniers adieux,& s'être embraffés les uns les autres , ils ouvroient les portes pour fondre en défefpérés fur 1'ennemi, lorfque Totila, voulant épargner le fang de fes foldats, leur envoya dire qu'il leur donnoit le choix , ou de retourner en liberté a Conftantinople, en lui abandonnant armes & chevaux, avec ferment qu'ils ne combattroient jamais contre les Goths, ou de fervir dans fon armée fur le même pied que fes fujets. Ils écouterent volon- tiers  ëu Bas-Empire. Ltv. XLVI1. 337 tiers ces propofitions ; & d'abord ils 1 prenoient tous le parti de retourner a Conftantinople. Mais enfuite fe re- ; préfentant la honte de leur retour, le danger d'être matTacrés en chemin, 1'ingratitudede 1'Empereur, qui, depuis plufieurs années , ne payoit pas leurs fervices, ils s'engagerent tous fous les étendards de Totila; excepté Paul & un Ifaurien , qui prierent le Roi de leur permettre de fe retirer, paree qu'ils avoient è Conftantinople leurs femmes & leurs enfants, fans lefquels ils ne pouvoient vivre. Totila y confentit, & leur donna même de 1'argent pour leur voyage, avec une efcorte pour les accompagner jufque fur les terres de 1'Empire. Quatre cents autres foldats qui s'étoient réfugiés dans les Eglifes de Rome, fe mirent entre les mains de Totila fur fa parole , qui fut fidélement gardée. Dans le deffein oii étoit Totila de demeurer maitre de Rome, il fongea a la repeupler. II y établit plu- \ fieurs families de fa nation , & y fit 1 revenir les Sénateurs & les autres Ro- [ mains, que Jean le Sanguinaire n'a- 3 Tornt X, P JüSTINIEN. .tin, 549. lil 'otila reiblit Roïe. 'roe. Got, 7,  JUSTINIEN, Ann. 549 LUI. Prife d plufieurs villes. Proc. Go i. 3- y, 39- 338 HlSTOIRE voit pu enlever en Campanie. II préfida enfuite aux jeux du Cirque, & . fe difpofa a porter la guerre en Sicile. II fit préparer quatre cents barques & un nombre confidérable de navires, qu'il avoit pris fur les Romains. Cependant comme il fouhaitoit de fe former un établiffement durable & tranquille, il envoya faire a Juftinien des propofitions de paix. Mais 1'Empereur ayant même refufé de les entendre, il redoubla d'adfivité pour continuer la guerre. Avant que d'entreprendre la con- 3 quête de la Sicile, il alla faire le fiege de Centumcelles, afin d'öter aux Romains le feul port qui leur ref- ' toit fur cette mer. Diogene y commandoit une forte garnifon. Pour ne pas perdre de temps, Totila lui envoya propofer, ou de livrer bataille fur le champ, ou de fe joindre aux Goths , ou de s'en retourner a Conftantinople ; & dans ce dernier cas, il lui promettoit toute füreté. Diogene répondit : Que de ces trois partis il étoit maitre de prendre le premier lorfqu'il le jugeroit a propos : que le fecond n'étoit pas honnête ; quant au trai-  du Bas-Empire. Liv. XLF1I. 339 fieme, qu'il ne trouveroit point cÜexcufe auprès de 1'Empereur, s'il abandonnoit fans nécejfité une place dont la garde lui étoit confiée : que fi le Roi vouloit lui accorder une treve, pour lui donner le temps tTinformer Jujlinien de l'état de la ville , il promettoit de fe rendre en cas qu'il ne lui vint aucun fecours. Le Roi accepta la propofition : on convint du terme, & on donna trente ótages de part tk d'autre. Les Goths ayant levé le fiege, prirent la route de Sicile, & débarqués a Rhege fur le détroit, ils tenterent de s'en rendre maitre. Bélifaire y avoit laiffé une bonne garnifon fous les ordres de Thorimuth & d'Himérius. Cés deux braves Officiers, bien fecondés par leurs foldats, firent une fortie fur les Goths, & les repouflerent avec un grand carnage. Ce fuccès ne les aveugla pas; ils fentoient trop la fupériorité de 1'ennemi pour hafarder une feconde act ion, & ils fe tinrent renfermés dans la ville. Totila laiffa devant la place une partie de fes troupes pour la tenir bloquée & la réduire par famine; ce qui arriva en effet au bout de quelques mois. U P ij JUSTINIEN. fVnn, 549»  JVSTITJIEN. Ann. 549. LIV. Ravage de la Sicile. Proc. Got. I. 3. c. 39, Jorn. fuc- 340 HlSTOJRS envoya du cöté de Tarente un détachement qui s'empara fans peine de la citadelle; & dans le même temps les Goths qu'il avoit lailTés dans le Picenum , fe faifirent de Rimini par trahifon. Verus étoit aux environs avec de bonnes troupes qu'il avoit ralfemblées; il les perdit par fa témérité. Ayant attaqué prés de Ravenne les Goths fupérieurs en forces , il périt avec prefque tous fes gens en combattant avec courage. Dès que Totila fut en Sicile , il marcha vers Meffine k deffein de 1'affiéger. Domnentiole , neveu de Buzès , fit une fortie a la tête de la garnifon, & combattit avec tant de valeur & de fuccès , que Totila perdit 1'envie d'attaquer la ville , ou il prévoyoit qu'il feroit long-temps arrêté. II aima' mieux ravager le refte de la Sicile, ou il trouva beaucoup de f icheffes, & point de réfiftance. Cette nouvelle réveilla 1'indolence de 1'Empereur. II éqiiipa une flotte, & y fit embarquer un corps confidérable de troupes, dont il donna la conduite a Libere. C'étoit ce même Sénateur de Rome, qui, douze ansauparavant.  nu Bas-Empire. Liv. XLVIL 341 avoit fuccédé a Rhodon dans le Gouvernement de PEgypte, comme je 1'ai raconté. II étoit d'une probité reconnue, mais d'un age décrépit, & fans aucune expérience de la guerre. La connoiffance des hommes n'étoit pas le talent de Juftinien; cependant la méprife étoit fi grofliere , qu'auflitöt que Libere eut levé 1'ancre pour aller en Sicile, 1'Empereur fe repentit de 1'avoir chargé d'une commiffion fi peu proportionnée a fa capacité. II avoit déja rendu fes bonnes graces k Artabane, & 1'avoit nommé Général des armées de Thrace. Le jugeant avec raifon beaucoup plus capable de reconquérir la Sicile, il lui donna quelques troupes, & le fit partir avec un ordre k Libere de laiffer a Artabane le commandement de la flotte, & de revenir a Conftantinople. Avant que deraconter la fuite de cette expédition , qui ne fe termina que 1'année fuivante , je vais rendre compte de quelques faits remarquables qui arriverent en Oriënt dans ce temps-ci. L'air fut agité par de fréquents orages. D'affreux tonnerres effrayerent P iij JUSTINIEN. Ann. 549* LV. Divers événe-  JUSTIKIEN. Ann. 549 iments et Oriënt. Theoph. p 191. Cedr. p 375- Anafi. p 64. Malela, p 79. Hifi. mifi l. 16. Antholog 1. I. Aj^eman, hibl. Or. t, U. f. 89. 342 HISTOIM.E Conftantinople, abattirent des colonnes , & tuerent plufieurs habitants dans leurs Hts. Les tremblements de terre firent périr des milliers d'hommes, & ruinerent des villes entieres en Phénicie, enPaleftine, en Syrië , en Arabie, en Méfopotamie. Tyr, Sidon, Bérite, Tripoli, Biblos, Sarepta, Antarade, en fouffrirent beaucoup. ABotrys, ville maritime de Phénicie , mais qui n'avoit point de port, une maffe énorme de rochers fe détacha du promontoire voifin, nommé Lithoprofope, & tombant dans la mer, y forma un port propre a recevoir de grands vaifleaux. Le long de cette cöte, la mer fe retira avec violence, 1'efpace de deux mille pas, engloutis plufieurs navires, & revint enfuite au rivage. L'Empereur fit de grandes dépenfes pour réparer ces malheurs; mais a peine Béryte étoitelle rétablie, qu'un incendie la détruifit de nouveau. A ces fléaux fe joignoit la rage des faöions du Cirque , dont les jaloufies s'armerent de fer & de feu. II y eut des maffacres k Conftantinople , & quantité d'édifices furent la proie des flaromes.  du Bas-Empire. Liv. XLVIL 343 L'Empire, méprifé par les Barbares voifins, n'avoit pas encore perdu fon ancienne réputation parmi les peuples éloignés. II vint de 1'Inde a Conftantinople un Ambaffadeur, qui fit préfent a Juftinien d'un grand éléphant. Cinq mois après, cet animal ayant rompu les portes de fa loge, courut furieux dans toutes les rues, oü il bleffa & écrafa un'grand nombre d'habitants. Libere voguoit a pleines voiles vers la Sicile, ck Artabane le fuiyoit a la diftance de quelques journées, pour lui öter le commandement. Les vents & la mer femblerent alors combattre les volontés de 1'Empereur. Libere , pouffé par un vent favorable, entra dans le port de Syracufe , que les Goths affiégeoient ^Artabane, au contraire, fut attaqué a la hauteur de la Calabre , par une fi violente tempête , que fes vaifleaux furent, les uns fubmergés ou brifés , les autres rejettés fur les cötes du Péloponefe. 11 courut lui-même un grand péril, & ne gagna qu'avec peine 1'ifle de Malte. Libere, qui n'étoit pas inftruit de fon rappel, fe trouvant hors d'éP iv JUSTIK1EN. Ann. 549» Ann. 550. LVI. Artabane recouvre Ia Sicile. Proc. Got. I. 3. c. 40. I. 4. c. 24.  JVSTI- Aan. jjo 344 H i s r o i r e tat de défendre Syracufe, fortrt dis port pendant la nuit, & s'allarenfermer dansPanorme. Les Goths, ayant ravagé en liberté la Sicile pendant toute cette année, repafferent en Italië , chargés d'un riche butin , Iaiffant feulement garnifon dans quatre places, les plus fortes du pays. Ce fut par le confeil d'un habitant de Spolete, nommé Spinus, que Totila prit le parti de fe retirer. Spinus étoit tréforier de fon armée, & honoré de fa confiance. Ayant été pris par les Romains, il leur promit avec ferment que s'ils luirendoient la liberté, il leur en témoigneroit fa reconnoiffance en déterminant Totila a quitter la Sicilië, & il tint parole. II vint a bout de perfuader au Roi qu'il n'étoit pas de 1'intérêt des Goths de divifer leurs forces pour garderun pays, dont la conquête fuivroit d'elle-même celle de 1'Italie : qu'il falloit au contraire les réunir pour les oppofer a Germain, neveu de 1'Empereur, qui marchoit vers le golfe Adriatique, a la tête d'une nombreufe armée. Artabane, qui avoit paffe le refte de 1'année a raflembler & k radou-  nv Bas-Empihe. Liv. XLVIL 34S ber fes vaifleaux, n'arriva qu'après ! le départ de Totila ; & lorfqu'il eut fignifié a Libere les ordres de 1'Empereur , il afliégea les garnifons des Goths, & les réduifit enfin par famine. Le mauvais fucces des affaires d Italie déterminal'Empereur a employer Germain, que la mort de Théodora avoit délivré d'une ennemie opiniatre. II lui donna fort peu de foldats & beaucoup d'argent pour faire des levées dans la Thrace & dans 1'Illyrie, avec ordre de hater fa marche , & de prendre avec lui Philémuth, chef des Érules, & Jean, neveu de Vitaliën, qui étoit alors en Illyrie, ou il commandoitles troupes* Germain, plein d'ardeur & de courage , fit en diligence les préparatifs de fon départ. 11 menoit avec lui Juftin & Juftinien, fes deux fils du premier lit, & fa femme Matafonte, ef* pérant que la préfence de la petitefille de Théodoric rendroit fon camp refpeclable aux yeux des Goths. Cc Prince, riche & généreux, ajoutau de grandes fommes a celles qu'il avo* recues de 1'Empereur, eut bient© P V JUSTINIEN. \na. 5 50. LV1L Germain choili pour Général contre Totila, Proc. Got. 1. 3. t. 34Jorn. fuc-  JUSTIKIEN. Ann. 750. 1 < 1 1 { 34<ï H I S T O 1 R S mis fur pied une nombreufe arméeJ Les plus braves guerriers de 1'Empire accouroient fous fes drapeaux ï fa haute réputation attiroit même les Barbares : les bords du Danube retentiffoient du nom de Germain. Le Roi des Lombards promit d'envoyer au^ premier jour mille cavaliers armes de toutes pieces. La renommée exagérant encore les forces de Germain , porta le trouble & la terreur dans le cceur des Goths en Italië , la foie & la conhance parmi les Romains. Les Goths, déconcertés du départ de Matafonte, fe demandoient les uns aux autres , sll leur faudroit donc combattre contre les enfants de Fhéodoric. Les Romains reffentoient 'ous une égale impatience, & la ténoignoient diverfement, chacun feon fa fituation. Ceux qui, de gré oii le force, étoient engagés au fervice le Totila, envoyerent fecretement ffurer Germain, qu'ils fe joindroient lui dès qu'ils appercevroient fes eneignes. Les garnifons des villes qui eftoient a 1'Empire , fe confirmoient ans la réfolution de défendre jufu'au dernier foupir, les places qui  du Bjs-Empire. Lh. XLFIL 347 leur étoient confïées; les foldats vaincus dans les diverfes rencontres, & difperfés dans les campagnes, fe raffembloient en Iftrie, pour y attendre leur nouveau Général. Le terme üxé par Diogene pour rendre Centumcelles , s'il ne recevoit pas de fecours , étant arrivé, Totila 1'envoya fommer de tenir parole ; il répondit,que Germain étant nommé Général, & fur le point a"entrer en Italië, il n'étoit. plus le maitre de la ville ; qu'il étoit pret de rendre aux Goths leurs ótages, s'ils lui remettoient lesfiens. Après cette réponfe, il fe difpofa a fe bien défendre jufqu'a 1'arrivée de Germain. Ce Prince étoit retenu en Illyrie par une incurfion des Efclavons. Dès 1'année précédente, ils avoient paffe le Danube feulement au nombre de trois mille hommes, &battules Généraux Romains, fuivis de troupes beaucoup plus nombreufes. Asbade , qui commandoit un grand corps de cavalerie Romaine, fut défait, pris, écorché & brulé vif. lis faccagerent enfuite la Thrace & Plllyrie, & prir rent de force plufieurs chateaux; ce qu'ils n'avoient jamais ofé tenter auP vj Justinten.Ann. 550. LVIII. Incurfion des Efclavons.Proc. 1. *. t. 38, 40»  Justinten.Ann. j 50. 34g H I S T'O I R; E paravant. Après avoir poufle lews ravages jufqua la mer Egée, ils attaquerent Topire, ville maritime de Thrace , alors très-confidérable ^ la prirent par efcalade, égorgerent les hommes au nombre de quinze mille, traïnerent en efclavage les femmes & les enfants. Ce fut la première fois que, raffafiés de fang & de carnage , ils voulurent bien faire des prifonniers ; jufqu'alors ils n'avoient épargné ni age ni fexe. Ces peuples féroces exercoient des cruantés inouies fur les malheureux qui tomboient entre leurs mains. Leur coutume étoit de les empaler, de les aflbmmer a coups de maffues, ou de les brüler vifs entaffés dans des cabanes avec les troupeaux qu'ils nepouvoient emmener. Pendant que Germain affembloit fon armée k Sardique, ils pafferent de nouveau le Danube en beaucoup plus grand nombre, & marcheren! a Naïffe. Quelques-uns d'entr'eux qu'on fit prifonniers, déclarerent que leur deffein étoit de fe rendre maitres de Theffalonique , & des villes voifines. L'Empereur, allarmé du danger qui menaeoit une place fi  vu Bas-Empire. Liv. XLVIL 349 importante, envoya ordre k Germain de la fecourir. Les Efclavons, apprenant que ce Prince étoit a Sardique , furent frappés de terreur ; la défaite des Antes , leurs compatriotes, taillés en pieces au commencement du regne de Juftinien, leur avoi laiffé une impreffion de crainte qu fe réveilloit au feul nom de Germain Ils renoncerent k leur entreprife ; & n'ofant plus tenir la campagne, il gagnerent les hauteurs, Sc fe reti rerent en Dalmatie. Germain les voyant éloignés, avoi donné ordre k fes troupes de fe préparer a partir dans deux jours pou 1'Italie , lorfqu'il mourut fubitemenl C'étoit 1'honneur de la familie lm périale ; Sc un des plus mauvais fer vices que Théodora rendit a 1'Em pire , fut de laiffer perdre dans 1'inac tion les plus beaux jours dece gran Capitaine. Invincible toutes les foi qu'il combattit, il eut trop raremen occafion de mettre en oeuvre fes ta lents militaires. II fignala fa verti dans la paix : religieux obfervateu des loix, inviolablement attaché au regies de la juftice, plein de droiüi JUSTINIEN. Arm. ,ro, l t LïX. . Mort és Geimiun, r i s t i r  JüSTIN1EN. Ann. 5; o. LX. Jean lubf- . titné a Germain. ïroc. I. 3. 1 e. 4.0. /. 4. t. 21. 1 J < S 35® HlSTOIRE re & de fermeté , il fe faifoit un devoir de foutenir les foibles contre les opprelfeurs. Plus riche pour les autres que pour lui-même, jamais il ne refufa de prêter fans intérêt quelque fomme que ce fut a ceux qui imploroient fa générofité. Son caractere fe plioit merveilleufement a tous les états, a toutes les bienféances de la vie. Sévere dans fes mceurs, civil & poli dans le commerce, auffi agréable convive, que grave & férieux dans les confeils. Jamais il ne prit parti dans les facfions du Cirque, qui divifoient la ville & la Cour; jamais il n'entra dans les intrigues du palais. Trop foible pour les rompre, il les traverfoit de tout fon pouvoir; 5c il eut le courage d'être vertueux ui milieu d'une Cour corrompue. La nouvelle de la mort de Gernain répandit la confternation dans out 1'Empire. Les Romains d'Italie, )longés dans une profonde döuleur, ie profiterent pas de 1'abfence de Toila qui étoit en Sicile, & fe tinrent enfermés dans leurs garnifons. Ils fpéroient revoir Bélifaire, qui feul voit leur confïance; mais 1'Empe?  nu Bas-Empirb. Liv. XLVIL 351 reur le retenoit auprès de fa perfonne en qualité de Commandant de fa garde. Bélifaire, quoique moins ancien que plufieurs autres Patrices, les devancoit tous en confidération. Ils lui cédoient le premier rang, par refpect pour fes grandes qualités, & fes exploits lui tenoient lieu de titres. Jean, neveu de Vitalien, fut choifi pour Général. II recut ordre de paffer en Italië avec Juftinien, fils de Germain. II prit la route de Dalmatie; mais comme il manquoit de vaiffeaux, & que la faifon ne lui permettoit pas de faire le tour du golfe pour arriver a Ravenne, il paffa 1'hyver a Salone. A fon approche, les Efclavons évitant fa rencontre, fortirent de la Dalmatie. Ils fe joignirent a une autre troupe de leurs compatriotes, qui venoit de paffer le Danube, & recommencerent leurs ravages. On foupconna Totila de les avoir attirés par argent, & de les retenir fur les terres de 1'Empire. Juftinien envoya contre eux une armée fous les ordres de plufieurs Généraux, dont le chef étoit Seholafiique, eunuque du palais. Ce- JüSTINIEN. Vnn. j;©i LXI. Romains défaitspar les Efclavons.  JüSTIKIEN. Ann. 550 LXII. Courfe des Hun arrèiées par Jufti nien. Proc. Gol l 4. c. i§ 19. 352 fflSTOIRB ' lui-ci fut battu prés d'Andrinople J fes plus bravés foldats y périrent , & les Généraux ne fe fauverent qu'avee peine. Les Barbares mirent a feu & a fang la contrée de Thrace, nommée Aftique, voifine du Pont-Euxinj & comme elle n'avoit depuis longtemps éprouvé aucun pillage, ils y firent un grand butin. Ils pénétrerent jufqu'a la longue muraille, k une journée de Conftantinople. Les Romains s'étant rallies après leur défaite, furprirent k leur tour les Barbares, en tuerent un aftez grand nombre, Sc délivrerent la plupart de leurs prifonniers. Le refte des Efclavons repaffa le Danube. Ce fut vers ce temps-la que Juf- [ tinien arrêta les hoftilités des Huns en les armant les uns contre les au- • tres. Pendant la treve entre les Gépides & les Lombards, les premiers, réfolus. de recommencer la guerre, fe perfuadant que les Romains fe déclareroient en faveur de leurs ennemis , comme ils avoient déja fait, appellerent k leur fecours les Huns, nommés Cutigours , établis en-de^a du Tanaïs. II leur vint fur le champ  nv Bas-Empire. Liv. XLVIL 353 douze mille hommes , commandés par Chiniale, Capitaine de grande réputation. Comme ils étoient arrivés avant Pexpiration de la treve , les Gépides jugerent a propos de les occuper ailleurs, & les firent paffer fur les terres de 1'Empire, qu'ils ravagerent. Pour les obliger de retourner dans leurs pays , Juftinien mit en mouvement une autre horde de Huns, dits Outigours, qui habitoient au-dela des Palus Méotides. Ceux-ci, fecondés des Goths Tétraxites, pafferent le Tanaïs, ayant a leur tête leur Roi Sandil. Ils taillerent en pieces ceux qui vinrent a leur rencontre , défolerent la contrée, 8c emmenerent avec eux les femmes & les enfants. Juftinien fit favoir aux Cutigours ce qui fe paffoit chez eux, & leur donna de 1'argent pour les engager a fortir au plutöt de 1'Empire. Ils promirent de fe retirer fans faire aucun dégat, & de demeurer attachés au fervice des Romains. L'Empereur, de fon cöté, leur promettoit un établiffement en Thrace, s'ils ne pouvoient fe maintenir dans leut ancien domaine. Deux mille de ceus JUSTIKIEN. \nn. 550  JlTSTIKIEN. Ann. 5 50. Lxin. Ambaflade de Chofroës a Juftinien. Proc. Perf. 1. 2. c. 28. idem Got. l'4-c ij. i 354 ff I S T 0 I R E qui avoient échappé a Pépée des Outigours, fe donnerent a 1'Empire, & fe fïxerent en Thrace avec la permiffion de 1'Empereur. De ce nombre étoit ce Sinnion, qui avoit fervi avec diftinétion en Afrique , fous le commandement de Bélifaire. Sandil, mécontent de ce que 1'Empereur donnoit afyle a des gens contre lefquels il 1'avoit engagé a prendre les armes, en fit des plaintes ameres, qui furent appaifées a force d'argent. La treve de quatre ans dont les Romains & les Perfes étoient convenus pour la Lazique, n'étoit pas encore expirée, que Chofroës prenoit déja des mefures pour achever la conquête de ce Royaume. Plufieurs raifons lui faifoient regarder cette entreprife comme trés-importante. Poffefleur de la Lazique, il tenoit en bride les Ibériens qui n'obéifloient qu'a regret, & il leur ötoit leur unique refuge. C'étoit une barrière qui fermoit 1'entrée de la Perfe aux Barbares , habitants du mont Caucafe, & 511'il étoit le maitre de leur ouvrir sour courir fur les terres de 1'Em>ire. Etablis dans cette contrée, les  nv Das-Empire. Liv. XLVIL $$5 Perfes pouvoient a leur gré, foit par terre, foit par mer, pénétrer en Cappadoce , en Galatie , en Bithynie, & jufqu'a Conftantinople. Mais pour s'alTurer la poffeffion de la Lazique, il falloit en tranfplanter les habitants, & la repeupler de colonies tirées de fes propres Etats. II ne pouvoit compter fur la fïdélité des Lazes , trop différents de mceurs & de religion, & trop attachés aux Romains par 1'intérêt de leur commerce. Pour amufer Juftinien, il lui envoya une brillante ambaffade. Ifdigune , un des principaux Seigneurs de fa Cour, fe mit en chemin avec une fuite de cinq cents hommes. Ce nombreux cortege avoit encore un objet plus férieux. Chofroës vouloit profiter de cette occafion pour effayer de fe rendre maitre de Dara; ce qu'il avoit beaucoup plus k cceur que 1'éclat d'une ambaffade. Ifdigune, en paflant par cette ville , y devoit loger fes gens en différentes maifons, ou ils mettroient Ie feu la nuit fuivante; & tandis que les Romains s'occuperoient k 1'éteindre, les Perfes devoient ouvrir les portes k la garnifon de Niftbe , qui JüSTINIEN. Ann. 550  JUSTINIEN. Ann. 5 jo. * 1 I ( t C 35<5 Histoire feroit main-balTe fur les Romains ; & s'empareroit de Dara. Un déferteur fit avorter ce projet. Sur 1'avis qu'il en donna, George , Gouverneur de Dara, rie voulut permettre 1'estrée de la ville qu'a vingt hommes de la fuite d'Ifdigune, qui fit grand bruit de 1'affront qu'on ofoit faire a un Ambaffadeur de fa qualité. Arrivé a Conftantinople avec un pompeux appareil, il mit entre les mains de 1'Empereur les préfents & les lettres de Chofroës, qui demandoit feulement k Juftinien des nouvelles de fa fanté; & pendant dix mois pi'il demeura a la Cour, il ne paria amais de la Lazique. La vanité de 'uftinien fe repaiffoit de ces démonfrations frivoles, & jamais Ambafadeur n'avoit été traité fi honora>!ement. C'étoit la coutume que les ^nvoyés des nations étrangeres fufent toujours accompagnés de fui> 'eillants qui leur étoient donnés par Empereur. Ifdigune & fes gens jouient de la même liberté que dans le entre de la Perfe, fans avoir aucun émoin de leurs démarches. On eut it que c'étoit Chofroës qui régnoit  nu Bas-Empire. Liv. XLVIL 35:7 a Conftantinople. L'interprete Bradu- ' cion, qu'aucun Magiftrat du dernier ordre n'auroit admis a fa tible, man- . geoit a celle de 1'Empereur. Ifdigune emporta pour lui & pour fa femme des préfents confidérables, & cette ambaffade, qui n'étoit qu'un jeu pour couvrir les delTeins de Chofroës, coüta a 1'Empereur plus de mille livres d'or. Cependant on amaffoit en Lazique, par ordre de Chofroës, quantité de bois propre a conftruire des vaiffeaux; & pour donner le change aux Ro- \ mains, le Roi faifoit courir le bruit qu'il alloit garnir de machines les murs de Pétra. Pour fe rendre maitre abfolu du pays, il falloit faire périr Gubaze, qui en étoit Roi. Ces deux projets échouerent également. Le bois de conftruction fut réduit en cendres par le feu du ciel, & Gubaze, averti du deffein formé contre fa perfonne, fe tint fur fes gardes, fecoua le joug des Perfes, & demanda du fecours a 1'Empereur. Juftinien , ravi de cette heureufe révolution , lui envoya huit mille hommes fous la conduite de Dagifthée, JUSTIN1EN. Inn. j 50. LXIV. Siege de 'étra. 'ree. Perf. . 2. C. 2.9,  JUSTINIEN. Ann. 5 50, 35S H I S T O I R E qui, de concert avec Gubaze , mii le fiege devant Pétra. La place étoit bien pourvue de munitions , & fe défendoit avec vigueur. Chofroës, pour la fecourir, fit partir une grande armée fous la conduite de Merméroës. Gubaze confeilla k Dagiflhée d'envoyer une partie de fes froupes, pour garder les gorges des montagnes qui donnoient entrée dans le pays, & de continuer le fiege avec le refte. II alla lui-même au-devant des Perfes pour leur fermer un autre paffage. II avoit a fa fuite des Alains & des Sabirs, qui, pour la fomme de trois cents livres d'or, s'étoient engagés, non-feulement a défendre k Lazique, mais encore k dépleupler entiérement 1'Ibérie. Gubaze demanda cette fomme a 1'Empereur; il de* mandoit de plus les appointements de Silentiaire, qui lui étoient dus depuis dix ans. Ce Prince étoit revêtu de cette charge du palais Impérial; & quoiqu'il eut paffé prefque tout ce temps-la au fervice de Chofroës, cependant il n'avoit pas été dépouillé de ce titre, & il prétendoit en toucher les appointements. Juftinien a-  du Bas-Empme. Liv. XLVIL 359 voit trop d'intérêt de le ménager dans la conjonéhire préfente, pour lui refufer fa demande. II lui promit de le fatisfaire, & lui tint parole quelque temps après. Dagifthée étoit un jeune homme de trop peu d'expérience pour une guerre fi importante. II fe contenta d'envoyer cent hommes a la garde des paffages, & refta devant Pétra avec toute fon armée. La garnifon, quoiqu'en petit nombre, repouflbit toutes fes attaques. Enfin, les Romains ayant conduit une mine jufque fous les murs de la ville, il ne s'agiflbit plus que de mettre le feu aux étayes, pour ouvrir une large brêche. Mais le Général, déja fier d'un fuccès dont il fe tenoit afluré, perdit le temps k envoyer un courier k 1'Empereur, pour lui dire que Pétra cédoit enfin k fes efforts. II demandoit en même-temps la récompenfe de ce fervice; & pour épargner au Prince l'embarras du choix, il prenoit la liberté d'indiquer luimême ce qu'il croyoit mériter. II fe trouva par 1'événement qu'il ne mérita que la rifée. Pendant qu'il atten- JUSTIN1EN. Ann. 5 50a LXV. Levée du fiege de Pétra. Proc. Perf. i. 2. c. 19, 30.  JUSTIKIEN. Ann, 550, 1 t < < l ] 1 1 360 JIlSTOIRE doit la réponfe de 1'Empereur, un pan de la muraille tomba de lui-même, & cinquante Romains fe jetterent dans la place a la fuite d'un jeune Arménien plein de bravoure , nommé Jean Guzès. Mais comme ils ne furent point fecondés, ils revinrent au camp fans avoir rien gagné que des blelTures. Le Commandant de la place, homme adroit & rufé, apprenant que Merméroës approchoit, alla trouver Dagifthée; & après avoir flatté fa vanité par de grands éloges de fa fcience militaire, il lui promit de fe rendre incetTamment, & obtintde lui quelques jours de treve pour dreffer les articles de la capitulation. Ce^endant la mine pouffée jufque fous es murs, fut découverte &comblée jar les habitants. D'un autre cöté,' vlerméroës avoit forcé le paffage garlé par cent foldats , & il en avoit :oüté la vie a plus de mille Perfes. cette nouvelle, Dagifthée levabrufpiement le liege, fans donner a fes ;ens le temps d'emporter leurs effets. -es affiégés fortirent auffi-töt pour )iller le camp : mais les Zanes, qui 'aifoient partie de l'armée Romaine, au  du Bas-Empire. Liv. XLVIL 361 au nombre de mille, les repouflerent, 5 enleverent eux-mêmes les bagages; Sc au-lieu de rejoindre Dagifthée, ils A retournerent dans leur pays, chargés des dépouilles de leurs alliés. Merméroës, ayant appris la retraite des Romains, ne preffa pas fa marche , & n'arriva devant Pétra que ^ neuf jours après. De quinze cents L hommes qui eompofoient d'abord la garnifon de cette place, il n'en trouva que cent cinquante en état de fervir ; les autres étoient morts ou bleffés; Sc il n'oublia pas de faire remarquer aux Perfes, quel cas ils devoient faire des Romains, dont une armée entiere n'avoit pu forcer cent cinquante hommes dans une place ouverte. Gomme il manquoit de chaux & d'autres matériaux néceffaires, il fit remplir de fable les havrefacs de ■fes foldats , Sc les entaffa les uns fur les autres pour boucher les brêches des murailles. II laiffa trois mille Perfes dans la ville , & fe retira avec le refte de fes troupes. Dagifthée, fuivi de deux mille Romains, tailla en pieces, dans une embufcade, un efcadron de Perfes, Sc enleva leurs cheTomi X. O füSTINIEN. nn. 5 ja; LXVI. Les Per= s malaités ett szique.  JUSTINIEN. Ann. 5 5 o, Lxvn. Défaite de ChoTÏane.J'roc. Got. U 4. cl, S. 36a HlSTOlRE vaux. Merméroës palTa en Perfarménie, laiiTant en Lazique un corps de cinq mille hommes , qui ne fubfifta pas long-temps. Gubaze , fecondé de Dagifthée, en iurprit d'abord mille: il a!la attaquer les autres dans leur camp pendant la nuit, & peu luiéchapperent. II pourfuivit ceux-ci jufqu'en Ibérie, oü il rencontra encore un autre detachement de l'armée de Merméroës , dont il fit un grand carnage. Ainfi il ne refta en Lazique d'autres Perfes que la garnifon de Pétra; & pour lui couper les convois, Gubaze fit garder les gorges des montagnes par un grand corps de troupes. Tous ces événements font de l'année 549. L'année fuivante, Choriane,un des meilleurs Généraux de Chofroës, paffa en Lazique avec une nombreufe armée , & alla camper dans la contrée nommée Muchirifê, fur les bords de PHippis , petite riviere guéable prefque dans tout fon cours. Gubaze & Dagifthée fe réunirent pour le combattre. Les Lazes, fiers des fuccès de l'année précédente, méprifoient les Romains , qui n'ayant pas, difoient-  du Bas-Empire. Liv. XLVIL 363 ils, le même intérêt de défendre la Lazique, n'étoient pas animés de la même ardeur que les habitants du pays. Ils voulurent donc former dans la bataille un corps féparé. Mais cette bravoure leur réuffit mal: ils ne purent foutenir le choc de 1'avant garde des Perfes, 8* furent obligés de fe replier fur les Romains. Le combat fut fanglant Sc opiniatre. Un Perfarménien, nommé Artabane, fe fignala par un défi; il tua Ie plus vaillant cc le plus vigoureux cavalier de l'armée des Perfes. Le Gépide Philégage, 8c 1'Arménien Guzès, contribuerent beaucoup k Ia vicfoire. Ils commandoient la cavalerie; 8c voyant qu'elle ne pouvoit rélifter a celle des Perfes, ils firent mettre pied k terre, 8c préfenterent aux ennemis un bataillon, hérilTé de piqués Sc impénénétrable aux chevaux. La mort de Choriane acheva la défaite; les vainqueurs pourfuivirent les Perfes jufqu'a leur camp, ou ils furent arrêtés par un Alain d'une force 8c d'un courage extraordinaire. Ce barbare, fermant de fon corps 1'entrée du camp qui étoit fort étroite, tirant fans ceffe Q ij JUSTINIEN. Ann. 550.  JUSTINIEN. Ann. 5 50 LXV1II. Les Aba£ ges vain cus. Proc. Got l. 4- c. 9. 364 HlSTOIRE des fleches avec une vivacité étonnante, & déchargeant d'horribles coups . de cimeterre fur ceux- qui 1'approchoient, difputa long-temps le paffage. Enfin, Guzès s'étant feul avancé pour le combattre, le terraffa d'un coup de lance. Le camp fut pris; on y fit un grand carnage, & les Perfes qui purent échapper , abandonnerent la Lazique. Après cette viftoire, Dagifthée fut ; obligé de retourner a Conftantinople. Quelques Lazes venus a la Cour • 1'accufoient de s'être laiffé corrompre par les Perfes, & difoient qu'il n'avoit tenu qu'a lui de prendre Pétra. II fut rappellé & mis en prifon; Beffas, revenu d'Italie, fut envoyé k fa place avec le titre de Général des troupes d'Arménie. II trouva Nabede dans le pays avec une nouvelle armée de Perfes. L'expédition de Nabede fe réduifit k prendre des Abafges révoltés contre 1'Empire, foixante étages, & a enlever Théodora, Romaine de naiffance, veuve du prédéceffeur de Gubaze. Les Rois de cette contrée avoient coutume d'époufer, avec 1'agrément de I'Empe-  du Bas-Empire. Liv. XLVIL 365 reur, des filles de Sénateurs de Conftantinople. Gubaze étoit fils d'une Romaine. La tyrannie des Romains J avoit réduit les Abafges a fe foumettre au Roi de Perfe. Cette nation ayant fecoué le joug, comme je 1'aï dit, n'avoit pas joui long-temps de fa liberté. Elle fut bientöt affervie par les Commandants des troupes de Lazique. Accablés d'impöts, les Abafges , fe trouvant plus malheureux que fous la domination de leurs Princes, reprirent leur premier gouvernement: ils fe donnerent deux Rois, Opfitès & Scéparnas ; & pour fe défendre contre la puiffance de Juftinien, ils fë mirent fous la proteftion de Chofroës. Ce traité ne put être fi fecret, que 1'Empereur n'en eut avis. II donna ordre a Beffas de marcher contre eux. Beffas chargea de cette expédition Jean Guzès, & un Érule, nommé Vligage. Scéparnas étoit en Perfe ; Opfitès arma toute la nation, & vint a leur rencontre. Mais s'étant laiffé enfermer entre les deux Génénéraux qui avoient divifé leurs troupes , il fut défait & pourfuivi jufqu'a un des fommets du Caucafe, oh Q W JUSTINIEN.LIK!. 5 $C  JUSTIMIEN. Ann. 5 jo LXIX. Révolt« «tes Apfiliens ap' paifée. Proc. Got 4. c. 10, 3 S s t  JUSTINIEN. Ann. 5 51 LXXVIÏ. Progrèi de Merméroës er Lazique. Proc. Got l. 4. c. 16 3§o • H I S T 0 I R E ■ en Lazique , & la facilité depénécrerjufqu'a Conflantinople : que fous le nom , de treve , ils avoient enfin réuffi d rendre l'Empire tributaire : que pour on^e ans & demi , Chofroës s'étoit fait payer quatre mille fix cents livres d'or ; ce qui, dans le fond, revenoit d un tribut de quatre cents livres par chaque année : que dans ce commerce honteux les Romains étoient pris poür dupes, puifqu'on leur faifoit acheter la paix , fans difcontinuer la guerre : qu'un fi long ufage feroit un titre de redevance , & que pEmpire ne s'en releveroit jamais. Au milieu de ces murmures , Ifdigune partit de Conftantinople, chargé de 1'or de 1'Empire & des préfents de 1'Empereur. Avant que la nouvelle de la treve fut arrivée en Lazique, Merméroës y avoit fait de grands progrès. Gubaze demeuroit fidélement attaché a 1'Empire; mais fes fujets maltraités par les foldats & par les Officiers Romains , favorifoient fourdement les Perfes. Cette nation inconftante préféroit toujours la domination de ceux a qui elle n'étoit pas actuellement foumife. Merméroës s'em-  nu Bas-Empire. Liv. XLVIL 381 para par intelligence du chateau d'U- : chimer, & devint par ce moyen maitre d'une grande partie du pays. II marcha enfuite vers 1'embouchurë du Phafe, ou il apprenoit que les Romains & les Lazes étoient réunis. Mais ils fe féparerent avant fon arrivée. Les Romains fe difperferent pour échapper k 1'ennemi, &c Gubaze fe retira fur le haut des montagnes avec fa familie & ceux des Lazes qui lui étoient demeurés fideles. II y paffa 1'hyver au milieu des frimats tk des neiges, manquant des chofes les plus nécelfaires k la vie , & ne fe foutenant que par 1'efpérance d'un nouveau fecours. Mais, ni tant d'incommodités, ni les offres de Merméroës ne purent le détacher des Romains, ni lui faire oublier les deffeins perfides que Chofroës avoit formés contre lui. Chofroës étoit de tous les Princes, le moins efclave de fa parole. Après qu'il eut recu 1'argent de 1'Empereur, & confirmé la treve, il n'interrompit aucune de fes entreprifes fur la Lazique, & fe fervit de cet argent pour foudoyer un grand nombre de JUSTINIEN. i Vnn. 5 SL' LXXVIH La guerre continue dans la Lazique malgré la treve. Proc. Got. U 4. e. 17.  JUSTINIEN. Ann. 551. LXXIX. Phénomene extraordinaire.Proc. Got. I. 4. c. 1 J, 38a HlSTOIRË Huns Sabirs, qu'il envoya a Merméroës avec plufieurs éléphants, lui ordonnant de poufler fes conquêtes avec toute la vivacité dont il étoit capable. Dès que le printemps fut venu, ce Général marcha de nouveau vers le Phafe , ou les Romains, joints a Gubaze, étoient retranchés fous la conduite de Martin. Leur pofition avantageufe les mettoit hors d'infulte ; & Merméroës, après quelques tentatives inutiles , tourna du cöté de 1'Abafgie, dont il trouva les paffages fermés par la garnifon de Zibile. II ne fut pas plus heureux devant Archéopolis , qu'il attaqua de nouveau fans fuccès. Comme il fe retiroit a Muchirife, il fut furpris dans des défilés par les Romains, qui lui tuerent beaucoup de foldats, & entr'autres le chef des Sabirs. La nature fit en Oriënt fur la fin de l'année 551, un effort inoui jufqu'alors. L'automne amena des chaleurs pareilles k celles du fort de 1'été. On vit dans cette faifon éclore des rofes; les arbres porterent des fruits pour la feconde fois; & peu de jours après la vendange, la vigne  nu Bas-Empire. Lh. XLVIL 383 fe chargea encore de raifins. II y eut en Grece d'horribles tremblements de terre , qui détruifirent une infinité de villages Sc huit villes entieres, entr'autres Chéronée, Coronée, Naupaóle Sc Patras. La plupart des habitants furent enfevelis fous les ruines. En plufieurs endroits, la terre ouvrit des abymes, dont les uns fe refermerent auffi-töt, les autres formerent de profondes vallées. Les eaux du golfe Maliaque, entre les villes de Scarphia en Béotie, Sc d'Echinus en Theffalie, fortirent de leur lit avec fureur , Sc renverfant tous les édifices , ne s'arrêterent qu'au pied du mont Oeta. Elles tinrent long-temps ces campagnes inondées , Sc celles du golfe étoient tellement baiffées , qu'on paffoit a gué dans les ifles qui s'y rencontrent. La mer, en fe retirant, laiffa quantité de poiffons d'une forme inconnue, dont les habitants voulurent fe nourrir; mais dès qu'ils étoient fur le feu, ils fe fondoient en glaires Sc en pourriture. Dans un lieu de ce canton , qui conferva le nom de Sckifma, c'eft-a-dire, rupture, les fecouffes du tremblement de terre JUSTINIEN. A.nn. 551.  JüSTI- NIEN. Ann, 5 ji. LXXX. Des Moines apportent les vers a foie a Conftantinople.Proc. Got. I. 4. er. 17. Zon. t. 11. p. 69. Thomas Hyde de. ludis Or. p. 41. Cupr. de eleph. part, I. c. 1. 384 illSTOIRE furent plus violentes que par-tout ail* leurs. II y avoit une Eglife cëlebre » dont la fête tomboit ce jour-la ; elle fut abymée avec une foule de peuple que la dévotion avoit attiré de toutes les parties de la Grece. Ce fut vers ce temps-la que deux Moines venus des Indes, apporterent a Conftantinople des ceufs de ce ver merveilleux qui produit la foie, Le commerce de cette marchandife, dont 1'ufage étoit devenu trés - commun , quoique le prix en fut exceffif, faifoit paffer en Perfe des fommes immes d'argent de 1'Empire. Juftinien , pour ne pas enrichir une nation ennemie, avoit déja voulu , mais fans fuccès, tranfporter ce commerce ea Ethiopië. II récompenfa libéralement ces Moines, qui enfeignerent la maniere de faire éclore ces ceufs, de nourrir le ver, & de fïler la foie. On dit aufli que ce fut fous le regne de Juftinien, que le jeu des échecs palfa des Indes dans la Perfe, ö£ de-la en Arabie oi en Europe. SOMMAIRE  3^5 ^=^ËË^jggË 1 S O M M A I R E ÏTVTJF HTTAR A NT F.-14 U T TT FM F.' ,.N, RSÈS choiji pour commander en Italië. II. Son caraclere. III. Ses préparatifs. IV. Ravage de la Grece par les Goths. V. Combat naval pres de Sinigaglia. VI. Les Goths demandent en vairt la paix. vil. Négociadon de Jujlinien: avec les Frangois. vin. Totila s'empare de la Sardaigne & de la Corfe. IX. Guerres des Efclavons, des Gépides & des Lombards. X. Perfidie cflldige, cÜAlboin & de Thorifin. XI. Siege de Crotone. XII. Narfès fe met en marche. XIII. II arrivé a Ravenne. XIV. A Rimini. XV, Approche des deux armées. XVI. Les Romains & les Goths fe difputent un pojle avantageux. XVII. Sentimenls des Romains & des Goths. XVIII. Difpofition des deux armées. XIX. Preludes de la bataille. XX. Bataille de Lenta* gio. xxi. Mort de Totila. xxn. Nar; Tome X. R  386 SOMMAIRE fes renvoye les Lombards. xxin. Teia Roi des Goths. XXIV. Succès de Narfès XXV. Prife de Rome par Narfès. XXVI. Les Goths maffacrent grand nombre de Romains. XXVII. Tromperie de Ragnaris. XXVIII. Approche des deux armées. XXIX. Bataille du Véfuve. XXX. Mort de Teia. XXXI. Les Goths demandent la paix. XXXII. Leutharis & Bucelin paffe en Italië. XXXIII. Narfès afJïege Cumes. XXXIV. Mine pratiquée dans tantre de la Sibylle. XXXv. Narfès réduit la Tofcane. xxxvi. Siege de Lucques. XXXVII. Fulcaris défait pitr Bucelin. XXXVIll. Narfès répare les mauvaifes fuites de cette défaite. xxxix. Lucques fe rend. XL. Cumes rendue par Aligerne. XLI. Narfès bat un parti d'AlIemands d Rimini. XLII. Réglement au fujet des Juifs. XLIII. Troubles excités par les feclateurs eTOrigene, XLIV. Théodore engage Üaffaire des trois chapitres. XLV. Edit de Juftinien contre les trois chapitres. XLVI. Vigile a Conftantinople. XLVII. Cinquieme Concile général. XLVIII. Suites du Concile. XLIX. Schifme dAquilée. L. Nouvelle forme de félecïion des Papes. LI. Progrès de Bucelin &• de Leutharis. LU. Deftruclion de l'ar-  du L i v n e XLVIIK 3S7 mée de Leutharis. lui. Bucelin marche pour livrer bataille. Liv. On fe prépare a la bataille. lv. Difpofition des deux armées. lvi. Bataille de Cafüin. lvu. Suite de la bataille. lviii. L'Empereur donne ordre au Gouvernement de F Italië. lix. Prife de Compfa. lx. Conquête de CItalie achevée. lxi. Les Romains rentrent en Efpagne. lxii. Tremblements de terre. ixni, Loi fur les comédiennes. Rij   3§9 HISTOIRE D U BASEMPIRE. LIVRE QUARANTE-HU 1T1EME. J U S T I N I E N. Après avoir raconté ce qui fe paffoit en Oriënt pendant l'année 551, je vais reprendre la fuite de la guerre des Goths, qui faifoit le principal objet des foins de 1'Empereur. Au commencement d'Avril de cette même année, Jean, neveu de Vitalien, fe difpofoit h partir de R üj JUSTINIEN. Ann. 5 5 £. I. Narfès choifi pour commanderen Italië,  39© Histoire Salone DOur marrlipr i R avfnno \™f. Justi- vien. Ann. 551. Proc. Got. h 4. C. 21, ■3.6. Thceph, p. Ï92. Mare. chr. Anafi. p. 64. 'Hifi. mift. 1. 16. Paul. diac. I. S. qu'il recut ordre d'attendre Narfès, que 1'Empereur venoit de Hommer Général de fes armées d'Italie. Ce choix étonna tout 1'Empire. On ne pouvoit pénétrer les raifons qui avoient pu déterminer le Prince a confier une expéditio'n de cette importance a unvieil eunuque, plus exercé au fervice du palais, qu'aux opérations de la guerre, & qui, treize ans auparavant, chargé de conduire un fecours en Italië, n'avoit fignalé que fa jaloufie contre Bélifaire. Ce qui paroilfoit le plus vraifemblable , c'eft que 1'Empereur, craignant que les Officiers de l'armée d'Italie ne refufaffent d'obéir a Jean , qu'ils regardoient comme leur égal , avoit voulu mettre k leur tête un chef capable de leur impofer par le crédit qu'il avoit k la Cour, & par la confiance intime dont le Prince 1'honoroit depuis long-temps. Perfonne n'appercevoit encore dans Narfès ces talents fupérieurs, qui, fans autre recommandation, donnent 1'empire fur tous les efprits; & peut-être que le Prince lui-même fe laiffa conduire dans ce  nu Bas-Empire. Liv. XLVIII. 391 _u„:., />,n ;n/>1ïnatïnn . nhitöt nue pal 1uu iui,""""»"! f 1;-- par fes lumieres. Narfès étoit un de ces hommes rares, que la Providence forme en fecret, & qu'elle tient comme en réferve dans fes tréfors, pour en faire la relTource des Etats dans les conjonftures défefpérées. II fembloit que la nature & la fortune ne lui euffent préparé que des obftacles. Etranger, prifonnier de guerre , efclave dans le palais, maigre & de petite taille, il n'avoit au-dehors rien que de méprifable. Placé d'abord au dernier rang , il s'éleva par degrés ; & toujours füpérieür a fes emplois , il devint Garde des Archives , GrandChambellan, favori de 1'Empereur. Un génie aufli profond qu'étendu , un fens droit & infaillible dans fes vues, une acfivité fans inquiétude, & toujours guidée par la prudence , la connoiffance de lui-même & des autres hommes, alfuroient le fuccès de fes démarches. Sans aucune teinture des lettres, il avoit plus d'habileté, de vrai favoir & d'éloquence, que 1'étude n'en procure aux hommes ordinaires. II polTédoit a un degré émiR iv JUSTIN1EN. A.nn. 55Ï. II. Son caraftere.  JüSTIKIEN. Ann, jji, ra. Ses prépa> tifs. 392 H 1 S T O I R E nent, toutes les vertus qui ne font pas incompatibles avec 1'ambition. Comblé de richeffes par fon maitre, il n'employoit a fon ufage que ce qui étoit nécelfaire a 1'avancement & au foutien de fa fortune; le refte fe répandoit en libéralités & en aumönes. Sobre & frugal, ennemi déclaré de ceux que 1'Empereur regardoit comme hérétiques, religieux & même dévot, il dépenfa beaucoup en fondations, en réparations d'Eglifes & de monafteres : & les Hiftoriens eccléfiaftiques difent que 1'Empire fut redevable de fes fuccès éclatants, a l'efficacité de fes prieres, encore plus qu'a la force de fes armes. Ses talents pour la guerre n'attendoient que Foccafion de fe développer; & fans avoir été foldat, il n'avoit befoin que d'une armée pour être un grand Capitaine. A juger des difpofitions de Narfès, par la conduite qu'il avoit tenue en Italië, il defiroit paflionnément une commifiion fi honorable ; & comme il étoit fait aux maneges de Cour, on peut foupconner qu'il ne s'emprefla pas a feconder Bélifaire auprss  bv Bas-Empire. Liv. XLVIIL 393 du Prince, lorfque ce Général demandoit des fecours; peut-être même contribua-t-il k le réduire au point de folliciter fon rappel comme une grace. Mais craignant pour lui-même le fort de Bélifaire , qui s'étoit vu comme abandonné au milieu des ennemis , fans argent, & prefque fans troupes , loin de demander le commandement, il prit le parti de fe faire prier, afin d'être en droit d'exiger des conditions qui puflent lui faciliter la viftoire. II fit donc naïtre k 1'Empereur le defir de 1'employer contre les Goths; mais fur la propofition qui lui en fut faite, il témoigna plus de répugnance que d'empreflement: il ne fe rendit aux inftances du Prince, qu'a condition qu'on le mettroit en état de foutenir 1'honneur de 1'Empire , en lui donnant les troupes, les munitions, & 1'argent néceffaires pour terminer une guerre fi importante. L'Empereur accorda tout. Narfès puifa dans le tréfor les fommes dont il eut befoin pour lever & équiper une armée. La ville de Conftantinople, laThrace, 1'Illyrie, lui fournirent des foldats. II marqua le rendez-vous de R y JUSTINIEN. Ann.  JUSTINIEN. Ann, 551. IV. Ravage ie la Grece parles Goths. Proc. Got. L 4. e, 21. 394 H I S T 0 I R E fes troupes a Philippopolis, oii il paffa le refte de l'année a faire fes préparatifs. Une autre raifon 1'y retint encore. Les Huns avoient fait une irruption en Illyrie; & leurs nombreux efcadrons , maitres de tous les paffages , pouvoient Pincommoder dans fa marche , & lui enlever beaucoup de foldats. II attendit la retraite de ces Barbares; & fur la fin de l'année , il fe rendit k Salone, oü il féjourna pendant le fort de Phyver. Cependant Totila, inftruitdes nouveaux efforts que faifoit 1'Empereur, travailloit k mettre Rome en état de défenfe. II profita du retardement de Narfès, pour ravager les cótes de la Grece. Une flotte de trois cents barques aborda k 1'ifle de Corcyre, aujourd'hui Corfou : les Goths, après 1'avoir faccagée , ainfi que les ifles voifines , firent une defcente en terre ferme. Nicopolis & Onchefmus en Épire, éprouverent toute leur fureur; ils s'avancerent jufqu'a Dodone, portant par-tout la terreur & la mort. S'étant enfuite rembarqués , ils ravagerent toute la cöte, & fe faifirent des vaiffeaux qu'ils rencontre-  du Bas-Empjre. Liv. XLFUI. 395 rpnt en affez erand nombre, dont plu¬ fieurs portoient des vivres k Salone pour l'armée de Jean & pour celle de Narfès qu'on y attendoit. Ancöne étoit le feul port qui reftoit aux Romains entre Ravenne & Otrante; c'étoit auffi 1'unique magafin oii ils puffent dépofer le bied & les fourrages , qu'ils faifoient venir d'au-dela de la mer, pour la fubfiftance de leurs armées dans cette étendue de pays. Totila fit attaquer cette place, & du cöté de la terre, & du cöté de la mer, par trois de fes plus braves Capitaines, avec un grand corps de troupes, & une flotte de quarante-fept vaifleaux. Les affiégés commencant k manquer de vivres , le firent favoir k Valérien, qui fe trouvoit pour lors k Ravenne. Trop foible pour les fecourir, il écrivit k Jean une lettre preflante ; & celuici, perfuadé qu'il devoit avoir plus d'égard k la confervation d'une place de cette importance, qu'aux ordres de 1'Empereur qui le retenoient k Salone , partit fur le champ k la tête de trente-huit vaifleaux bien armés & remplis de fes meilleurs foldats. R vj JUSTINIEN. Ann. J5 ij V. Combat naval prés de Sinigaglia.Proc. Got. I. 4. f. 23-  Jl/STINIEN. Ann. 551 396 fflSTOlRB II alla mouiller k Scardone, oü Valérien vint le joindre avec douie vaifleaux. Sans perdre un moment, ils cinglerent vers Sinigaglia , qui n'eft qu'a fix ou fept lieues d'Ancöne. Les Généraux ennemis , avertis de leur approche, font embarquer 1'élite de leurs troupes, & viennent au-devant d'eux avec toute leur flotte. Le combat s'engage auffi-töt; les deux flottes prefque égales en nombre, s'avancent proue contre proue , & font partir une grêle de fleches. Les plus braves, montés fur le tillac , combattent de pied ferme comme en pleine campagne, & s'attaquent k coups depées tk de lances. Mais bientöt Ie défordre fe met parmi les Goths, peu exercés aux combats de mer. Les uns s'écartent tk fe laiflent envelopper, les autres fe preflent tk s'embarraffent mutuellement. Leurs mats, leurs voiles, leurs cordages entrelalfés les uns dans les autres, troublent la manoeuvre , & déconcertent tous les mouvements. Ils fe heurtent, ils fe brifent, & font plus occupés k éviter le choc de leurs camarades, qu'arepouffer l'enpemi. Les Romains, au  nu Bas-Empire. Liv. XLVIU. 397 contraire, toujours en bon ordre, : toujours joints enfemble, fans fe confondre ni s'entrechoquer , profitent ^ de toutès les fautes des Barbares; ils coulent a fond ceux qu'ils trouvent féparés, heurtent en flanc, & percent de leurs éperons ceux qui fe rallient; & fautant a 1'abordage , ils maffacrent, ils précipitent dans la mer, & foldats & matelots. Les Goths ne favent ni éviter 1'ennemi, ni fe défendre , ni même fuif : la plupart, pour fe fauver, vont fe jetter au milieu de la flotte Romaine : il n'en échappa que onze vaiffeaux, auxquels ils mirent eux-mêmes le feu , dès qu'ils eurent gagné le rivage. Un de leurs Généraux fut pris; la plupart des foldats périrent , ou par le fer ou dans les eaux : le refte s'enfuit au camp, oü ils porterent un tel effroi, qu'abandonnant tentes & bagages, les affiégeants fe fauverent précipitamment a Auxime. Les vainqueurs profiterent de leurs dépouilles, fournirent Ancöne de vivres, & s'en retournerent, Valérien k Ravenne, & Jean k Salone. Cette viftoire préparoit les fuccès JUSTINIEN. VI. Les Goths  JUSTI. NIEN. Ann. 551. demandent en vain la paix. Proc. Got. I. 4. c. 24. VII. Négociation de Juftinien avec les Francois, 398 IIlSTOIRE de Narfès, en diminuant les forces des Goths, & abattant leur courage. Ils apprirent en même-temps qu'Artabane venoit de reconquérir la Sicile. Totila lui-même commenca de craindre qu'il ne put maintenir fes conquêtes contre la nouvelle armée qui s'alfembloit dans la Thrace. II n'efpéroit plus d'accommodement avec 1'Empereur; c'étoit en vain qu'il lui avoit fait repréfenter plus d'une fois par fes députés, que les Frangois étant maures d'une partie de F Italië, les Goths ne lui demandoient que le rejle d'un pays ruiné & défolé par la guerre ; qu'ils lui payeroient tribut, & Je reconnoitroient vaffaux de 1'Empire ; qu'ils renonceroient d touteprkention fur la Sicile & fur la Dalmatie, & qu'ils feroient toujourspréts d marcher d fes ordres, 6* d le fervir dans toutes fes guerres. L'Empereur, fans vouloir entrer en aucune compofition avec Totila, avoit toujours rejetté fes offres avec mépris. II recherchoit au contraire 1'amitié des Francois, & faifoit tous fes efforts pour les détacher de 1'alliance des Goths. Dès que Théodébalde eut fuccédé a fon pere Théodé-  du Bas-Empire. Liv. XLFI1I. 399 bert, Juftinien lui députa le Sénateur Léonce, pour 1'engager a fe liguer avec lui contre Totila. Léonce repréfenta au jeune Roi: Que tEmpereur riavoit commencé La guerre contre les Goths, qu après avoir acheté bien cher t'alliance des Frangois, qui lui avoient promis des fecours : qu'au' mépris de cette alliance, Théodebert avoit envahi des Provinces entieres qui appartenoient d 1'Empire : que c'étoit au fis d réparer ces injufices, en rejlituant ce que le pere avoit ufurpé : qu'il étoit de l'intérét de Théodébalde de s'unir aux Romains contre les Goths, ennemis naturels des Frangois, & qui ne manqueroient pas de tourner leurs armes contreux dès qu'ils fe verroient paifibles poffejfeurs de l'Italië. Théodébalde répondit , qu'il hdfuffifoit qu'en montant fur le tróne il eut trouvé fa nation alliée des Goths ; qu'il ri avoit aucune raifon légitime de rompre cette alliance ; qu'on avoit ton £accufer dUnjuflice la conduitt de jon pere; que Théodébert ri avoit pris pojfefion que des pays qui lui avoieni été cédés par Totila. Au refe, ajoutat-il, je ne refufe pas d'entrer en difcufJion fur cet article: jï ton prouve qm JUSTINIE1C. A.nn. 55J.  4öö HlSTOIRÉ Jl/STINIEN Ann. 551, VIII. Totila s'empare da la Sardaigne & de la Corfe. monpere au rien ufurpéfur les Romains ï /e fuis prêt de le rendre. Je vais envoyer des Députés d Conflantinoplepour éclaircir mes droits, & poter examiner le fondement de vos plaintes. II fit en effet partir avec Léonce quatre Seigneurs Francois. On ne fait rien du détail de_ cette négociation. Mais les Frangois demeurerent les maitres de ce qu'ils poffédoient dans la Ligurie & dans la Vénétie. Totila, pour fe dédommager de la perte de la Sicile, fit paffer une armée en Corfe & en Sardaigne, dont il s'empara fans réfiftance. Ces ifles dépendoient du Gouvernement d'Afrique. Jean Troglita, qui commandoit dans cette Province, fit partir aufii-tót pour la Sardaigne une flotte chargée de troupes, qui aborderent prés de Cagliari. Cette ville étoit défendue par une forte garnifon; en forte que les Romains n'efDérant pas 1'emporter d'affaut, fe difDofoient a 1'affiéger, lorfque les Goths irent fur eux une fi furieufe for:ie, qu'ils furent obligés de regagner leurs vaifleaux avec beaucoup de perte, & deretourner a Carthage,  bv Bas-Empire. Liv. XLVIII. 401 Pendant que Narfès affembloit fes troupes a Philippopolis , les Efclavons firent une nouvelle irruption en Illyrie. Juftin & Juftinien, fils de Germain , marcherent contre-eux ; mais trop foibles pour livrer bataille, ils fe contentoient de fuivre de loin les Barbares, tombant fur ceux qu'ils trouvoient féparés du gros dè l'armée. Ils en tuerent un grand nombre , & firent beaucoup de prifonniers qu'ils envoyerent a 1'Empereur ; mais ils ne purent empêcher le ravage qui dura long-temps. Enfin, les Efclavons , chargés de butin, repafferent librement le Danube; paree que les Gépides, maitres des bords du fleuve, leur acccordoient le paffage moyennant une piece d'or pat tête. Ainfi pour fermer aux Efclavons 1'entrée de 1'IUyrie , il falloil exterminer les Gépides, ou les mettre dans les intéréts des Romains. Ia fecond parti étoit le plus facile, & les Gépides eux-mêmes, prêts a recommencer la guerre contre les Lom bards, afpiroient a 1'alliance de 1'Em pire. Juftinien confentit volontiers; traiter avec eux; ils obtinrent mênv Jl/stik1en. Ann. 5 ji. IX. Guerres des Efclavons , des Gépides & des Lombards.Proc. I. 4. c. 25. Jorrt. fuC' ceff. Paul Diac, l. 7. Idem de gefl. Lang* l. i.e.23, 24.  JUSTTNIEN. Ana. 5 51, 4OS fflSTOIRE que douzeSénateurs confirmarTent par leur ferment les promeffes de 1'Empereur : précaution peu honorable au Prince, & inutile aux contractante. En effet, bientöt après, 1'Empereur accorda auffi facilement aux Lombards des fecours contre les Gépides , fous prétexte que ceux-ci avoient violé le traité, en lailfant paffer quelques troupes d'Efclavons. II mit fur pied une armée , fous la conduite de cinq Généraux. Un d'entr'eux étoit Amalfride, fils d'Hermanfroi, Roi de Thuringe , & d'Amalberge, niece de Théodoric. Après avoir été conduit a Conftantinople avec \ itigès , il s'étoit infinué dans les bonnes graces de 1'Empereur , qui donna Rodelinde, fceur de ce Prince , en mariage a Audoin , Roi des Lombards. Amalfride fut le feul des Généraux qui joignit l'armée des Lombards avec fes troupes particulieres. Les autres s'arrêterent par ordre de 1'Empereur a LHpiane en Méfie, pour appaifer une fédition que les difputes de Religion y avoient excitée. Les Lombards, avec le fecours d'Amalfride, allerent attaquer les Gépides; il  nv Bas-Empire. Liv. XLP71I. 403 y eut une fanglante bataille, oü il refta quarante mille morts de part & d'autre; elle fe termina a 1'avantage des Lombards. Alboin, qui venoit de fuccéder k fon pere Audoin, envoya porter a 1'Empereur la nouvelle de fa viftoire, & lui fit en même-temps des reproches de ne lui avoir pas fourni les fecours ftipulés par les traités , quoique les Lombards euffent depuis peu fignalé leur zele pour 1'Empire , en fe rendant en grand nombre fous les étendards de Narfès. La crainte des Gépides , voifins redoutables , tenoit Alboin attaché k 1'Empire , quoiqu'il eut depuis peu effuyé de la part de 1'Empereur un refus, très-jufie k la vérité, mais qui cependant lui devoit être fenfible. IIdige, fur qui Audoin avoit ufurpé la couronne, après avoir paffé quelque temps chez les Efclavons, ainfi que je 1'ai raconté , s'étoit retiré k Conftantinople avec trois cents Lombards , qui avoient fuivi fa fortune. Juftinien le traitoit honorablement, & lui avoit donné le commandement d'une compagnie de fa garde. Alboin JUSTINIEN. Ann, J5l« X. Perfidie d'Udige, d'Alboin & de Thorifin.Proc. Got. U 4.«. ifc  JUSTINIEN. 404 HlSTOIRB le fit demander k 1'Empereur, qui refufa de livrer ce malheureux Prince. , Ildige oublia bientöt ce bienfait : il écouta les mauvais confeils d'un Goth nommé Goar, amené autrefois prifonnier a Conftantinople. Celui-ci lui perfiiada qu'il n'étoit pas traité comme le méritoit un Prince, & 1'engagea a prendre la fuite avec fa troupe. Etant arrivés a la ville d'Apres dans la Thrace, ils fe joignent k d'autres Lombards, enlevent les chevaux des haras de 1'Empereur, défont un corps de Huns établis dans ce pays, qui yenoient a leur rencontre. Après avoir ravagé la Thrace, ils entrent en Illyrie, tk furprennent pendant la nuit une armée Romaine , commandée par quatre Généraux de réputation , qui les cherchoient pour les combattre. Les quatre Généraux font tuées , & les foldats prennent la fuite.^ Ildige tk Goar paffent chez les Gépides. Ceux-ci, après la défaite que je viens de raconter, avoient fait la paix avec les Lombards; & pour première alfurance d'une amitié fincere, Alboin envoya demander k Thorifin, Roi des Gépides, de lui Temet-  du Bas-Empire. Liv. XL VUL 405 tre entre les mains le rebelle Ildige, ' L'Empereur appuyoit la demande d'Alboin. Thorilin confulta fesprin- . cipaux Seigneurs, qui fe déclarerent hautement en faveur d'Ildige, proteftant qu'ils périroient plutöt avec leurs femmes & leurs enfants , que de noircir le nom des Gépides par une fi lache perfidie. Le Roi, fort embarralfé par cette réfiftance , chercha un expédient pour refufer Alboin fans rallumer la guerre. II n'eut pas de peine a le trouver. Les Lombards avoient auffi donné afyle a un Prince fugitif, qui avoit le même droit a la couronne des Gépidesqu'Ildige a celle des Lombards : c'étoit Uftrigothe, fils d'Elémond, dernier Roi des Gépides. Thorilin, bien perfuadé que les Lombards ne feroient pas plus difpofés que fes fujets a violer les droits de 1'hofpitalité, propofa au Roi Lombard 1'échange des deux Princes. II efpéroit fauver Ildige par ce moyen. Mais Alboin, qui favoit qu'on ne doit pas confulter pour faire une méchante act ion, ne prit 1'avis que de lui-même ; il confentit k facrifier Uftrigothe pour perdre Ildige, &c eonvint Justinten.inn,5 5 v  JüSTINIEN, Ann. 551. Ann. 552. XL Siege de Crotone. Proc. Got. I- 4. c 25, 26» 34. 405 IflSTOIRS avec Thorifin qu'ils fe fatisferoienf mutuellement, en faifant périr fecretement chacun de leur cöté, celui qu'ils avoient entre les mains. Ce qui fut exécuté. Cette doublé perfidie ne fit pas grand éclat : tous les efprits n'étoient alors occupés que de la guerre d'Italie, & de 1'entreprife de Narfès. Crotone étoit afliégée par les Goths. Pallade, Commandant de la garnifon , s'y défendoient avec courage. II avoit plufieurs fois envoyé en Sicile avertir Artabane , qu'il feroit forcé de fe rendre , s'il n'étoit fecouru. Mais Artabane avoit alors befoin de toutes fes forces pour achever de chaffer les Goths de la Sicile. L'Empereur, informé de 1'état oü fe trouvoit Crotone, donna ordre d'embarquer les fob dats qui gardoient le pas des Thermopyles. A la vue de cette flotte, les Goths leverent le fiege. Leur retraite répandit 1'allarme dans tout Ie pays d'alentour.Ragnaris & Morrhas, 1'un dans Tarente, 1'autre dans Achérontie, envoyerent a Otrante oü commandoit Pacurius, pour lui offrir de remettre leurs places entre fes mains,  nu Bas-Empirb. Liv. XLVI1I. 407 fi 1'Empereur leur aceordoit la vie a eux & k leurs foldats. Pacurius accepta leur propofition, & partit fur le champ pour la faire agréer de 1'Empereur. Ragnaris donna lïx ötages; mais il refufa dans la fuite de tenir fa parole. Dès le commencement du printemps, Narfès partit de Salone pour fe rendre k Ravenne, a la tête de la plus belle armée que 1'Empire eut mis fur pied depuis prés d'un fiecle. Outre 1'argent qu'il avoit recu de 1'Empereur pour lever des troupes, il emportoit avec lui de grandes fommes pour fournir a tous les fraix de la guerre, pour payer les montres dues depuis long-temps aux foldats d'Italie, & pour regagner les déferteurs qui s'étoient donnés a Totila. Jean, neveu de Vitalien, le fuivoit avec fes troupes & avec celles que lui avoit laiffées' Germain fon beaupere. Alboin , Roi des Lombards, lui envoya deux mille deux cents hommes de fa meilleure cavalerie, aceompagnés de plus de mille fantaffins attachés a leur fervice. On voit dèslors chez les Lombards une milice JUSTINIEK. Ann. 552. XII. Narfès fe met en marche. Proc. Got. I. 4. c. 26. Paul Diac. de gefl. Lang. I, 2, c. 1. Abrégi 'chr, de rhifl. d'h. I. i. p. 124.  JUSTINIEN. Ann. 552 408 UlSTOIiXE '■ femblable a ces hommes d'armes, qui, plufieurs fiecles après, furent d'un fi grand ufage dans les guerres de France, d'Italie, & d'autres pays de 1'Europe. II y avoit auffi deux grands corps d'Érules, 1'un de trois mille cavaliers conduits par Philémuth, 1'autre de fantaflins d'une valeur éprouvée , commandés par Aruth, qui ayant été dès fon enfance.élevé a la ■Romaine, avoit époufé la fille dè Maurice , fils du brave Mondon. Dagifthée, forti de prifon nouvellement, & devenu plus fage par fa difgrace, conduifoit les Huns que 1'efpoir du pillage avoit attirés en grand nombre. On voyoit aufli dans cette armée un corps de transfuges Perfes; ils marchoient fous les ordres de Cabade, ce fils de Zamès, qui, pour fe fouftraire k la cruauté de fon oncle Chofroës, s'étoit jetté, comme je 1'ai dit, entre les bras de 1'Empereur. Asbade, Gépide, fort jeune en: core, mais déja renommé pour fa valeur, avoit amené fix cents hommes des plus braves de fa nation. Le refte de l'armée étoit compofé de Romains, tous gens d'élite, fous le commandement  bu Bas-Empire. Liv. XLFIU. 409 mandement de Jean Phagas. Les rïcheffes de Narfès le mettoient en état d'exécuter fes deffeins, 8c fa générofité le rendoit maitre abfolu de fes troupes. Dès que le bruit s'étoit répandu dans 1'Empire qu'il étoit chargé de 1'expédition contre les Goths i, la fleur des militaires, Romains 8c Barbares, s'étoient venus ranger fous fes étendards , les uns par reconnoif£ance , les autres pour fe mettre a por» tée de mériter fes bienfaits, Lorfqu'il fut arrivé en Vénétie, il envoya demander le paffage aux Francois , maitres de Trévife, de Vicence & de Padoue : ce qu'ils refuferent, fous prétexte qu'il avoit a fa fuite des Lombards, mortels ennemis de leur nation. II apprit en même-temps que quand il forceroit les paffages, il ne pourroit prendre fa route que par Vérone, le Pö formant alors des marais immenfes dans le pays qu'on nomme aujourd'hui le Ferrarois. Or cette route lui étoit devenue impraticable par les précautions de Totila. Ce Prince, convaincu que les Romains ne s'engageroient pas le long du golfe Adriatique, k Tornt X, S justinien. Ann. f ;ï. XTIt. Il arrivé 4 Ravenne. Proc. Got. I. 4. c. 26. Sigon. de occid. ïmp% t. 19. Murai. annal. ltal, t. 111. p. 431, 43**  JUS TIKIEN. Ann. J52 XIV. A Rimini. Proc. Got. T. 4. c. 28. Bernardino-Baldi 410 HlSTOIRE eaufe des marais & de 1'embouchure des fleuves , avoit envoyé a Vérone Téia, le plus brave des Goths, avec Pélke de fon armée, pour y arrêter Narfès. Téia avoit rompu les chemins, & fermé toutes les avenues par des fofTés, par des abattis d'arbres, par des inondations d'une grande étendue. En cas que les Romains ofafTent tenter ces palTages, il fe tenoit pret a fondre fur eux. Dans 1'embarras ou fe trouvoit Narfès , Jean, neveu de Vitalien, qui connoiffoit le pays, lui confeilla de prendre le long de la mer, & de fe faire fuivre par un grand nombre de chaloupes, qui ferviroient k jetter des ponts fur les rivieres. Cet avis fut fuivi, & l'armée gagna Ravenne fans aucune perte. On dit que Narfès paffant prés des lagunes de Venife , s'arrêta dans Pifle de Rialte pour y faire fa priere, & qu'il fit vceu de batir deux Eglifes , s'il obtenoit la viöoire. Narfès trouva dans Ravenne Valérien & Juftin avec quelques foldats : il y féjourna neuf jours pour remettre fes troupes des fatigues d'u-  nu Bas-Empire. Liv. XLV1IL 411 ne marche pénible. Pendant ce tempsla, Ufdrilas, Capitaine Goth qui commandoit dans Rimini, homme vain & fanfaron, écrivit en ces termes k Valérien : Après avoir, a ce que vous penfe^, effrayé toute Citatie par une apparition fafiueufe, vous vous tene^ cachès dans Ravenne, femblables a ces fantómes qui èpouvanttnt les enfants pendant la nuit, & qui difparoiffent aux approches du jour. N'êtes-vous donc venus ici que pour écrafer par une muliitude de Barbares , un pays fur lequel vous riave^ aucun droit? Prene^ enfin les armes, rnontre^-vous aux Goths, & ne les faites pas languirplus long-temps dans timpatience oii ils font de vous voir. Narfès ne fit que rire de cette bravade; & lorfqu'il crut fes troupes bien repofées , il laiffa Juftin dans Ravenne , & marcha vers Rimini. Cette ville eft bordée du fleuve Marecchia , qui portoit alors le même nom que la ville. On le paffoit fut un pont de marbre, ouvrage merveilleux d'Augufle, & le monument le mieux confervé qui nous refte de ce Prince. Les Goths avoient depuh peu abattu les parapets, rompu & S ij JUSTIKIEN. Ann. 5 5*0 dififa Ai Procopia part, i»  JüSTlNIEN. Ann. 552, i J 1 J 1 • 1 412 HlSTOJRE renverfé les larges pierres dont il étoit pavé, & 1'avoient rendu tout-a-fait impraticable a une armée , fur-tout en préfence de 1'ennemi; Narfès s'étant avancé avec une petite troupe jufqü'au bord du fleuve , Ufdrilas parut fur 1'autre rive avec quelques cavaliers. Un foldat de Narfès ayant tué d'un coup de fleche un de leurs chevaux, ils rentrerent dans la ville. Mais ils en fortirent bientöt en plus grand nombre, & coururent fur Narfès , qui, dans 1'intervalle, avoit paffe le fleuve pour chercher un lieu commode a jetter un pont. Les Érules qui l'acccmpagnoient, allerent a leiir rencontre, & tuerent Ufdrilas fans le connoitre. Mais un Romain l'ayant reconnu, lui coupa la tête, & 1'alla porter a Narfès. Fous voye{, dit-il ilors a fes troupes , que la Providence 1 notre infu conduit nos bras & dirije nos coups. II fit paffer le fleuve i fon armée ; & fans entrer dans Rinini, il continua fa route. II ne vouoit pas s'amufer a prendre des pla:es, ayant pour principe , qu'une baaille gagnée, fait tomber les rem>arts, & difpenfe de plufieurs lie-  du Bas-Empjre. Liv. XLVUL 413 ges. II prit le chemin de Rome , fans fuivre la voie Flaminie, pour ne pas rencontrer la fortereffe de Pétra. Etant arrivé a Fano, il laiffa fur la gauche Foffombrone , &c les montagnes de Furlo, Sc rentra dans la voie Flaminie, prés du lieu ou eft maintenant le bourg d'Aqualagna. Totila ,informé de la route de Narfès , rappella Téia de devant Vérone , & partit de Rome pour marcher a la rencontre de 1'ennemi. II prit fon chemin par la Tofcane; & ayant traverfé 1'Apennin, il campa dans un lieu nommé TagineSj aujourd'hui Pagina , entre Urbin & Foffombrone. Narfès alla camper a quatre lieues, dans la plaine de Lentagio entre Aqualagna & Cagli. Cette plaine étoit environnée de petites éminences, que Procope, d'après les gens du pays, dit être les tombeaux des Gaulois vaincus par Camille. Mais cette tradition eft démentie par 1'hiftoire; & fi ces éminences étoient d'anciens tombeaux, ce ne pouvoit être que ceux des Carthaginois défaits a la fuite d'Afdrubal, fur les bords du Métaure. Le Général Romain envoya quelS iij JüSTINIEN. Ann. 5 51. XV. Approche des deux armées. Proc. Got. 1. 4. c. 29. Birnardino Baldi difefa di Procofi» part. 1»  JUSTIN1EN. Ana, 552, XVI, Les Romains & les Goths fe difputent un pofte avantageux. 4.J4 Hi.stöirë ques-uns de fes Officiers a Totila y pour 1'exhorter a la paix, & lui repréfenter qu'avec fi peu de forces, il ne pouvoit efpérer de tenir longtemps contre celles de 1'Empire, Ils avoient ordre , s'il n'écoutoit pas leurs avis, de lui demander jour pour Ie combat. Totila répondit fiérement: Qu'on attendoit trop tard a parlcr de paix, & qu'une querelle de cette impor" tance ne pouvoit plus je décider que par une bataille : que\ Narsès s'y prépardt pour le huitieme jour. Narfès, fe doutant bien que Totila vouloit le furprendre, fe tint prêt pour le lendemain. Le Roi des Goths ne manqua pas de s'ayancer ce jour-la; mais trouvant les munains fous les armes a la tête de leur camp, il établit le hen a la diflance de deux portées de fleche. Sur la gauche du camp des Romains s'élevoit un petït tertre, qui devoit donner grand avantage pendant le combat. Au pied de ce tertre régnoit un fentier bordé d'un torrent ; c'étoit le feul endroit par ou l'on put envelopper l'armée Romaine. Naries y envoya dès le milieu  nu Bas-Empirb. Liv. XLFIII. 4^5 de la nuit cinquante hommes de pied, choifis entre fes meilleures troupes, avec ordre de fe défendre de toutes leurs forces , lorfqu'ils feroient attaqués. Au point du jour , Totila voyant ce pofte occupé par les Romains , réfolut de les en déloger a quelque prix que ce fut. II détacha un gros efcadron de cavalerie, qui accóuru* avec de grands cris, dans 1'efpérance de les renverfer du premier choc. Les Romains, bien ferrés & couverts de leurs armes, non-feulement foutinrent 1'attaque, mais entre-choquant leurs boucliers , & préfentant le bout de leurs piqués comme une haie impénétrable & mena$ante , ils épouvanterent les chevaux, qui refufant d'obéir, emporterent leurs cavaliers au bas de la colline. Les ennemis revinrent plufieurs fois a la charge, & furent toujours repouffés. Un fecond 6c un troifieme detachement ne furent pas plus heureux. Enfin, le Roi des Goths, après avoir inutilement employé prefque toute fa cavalerie, laiffa les Romains maïtres du pofte. Des cinquante hommes qui le gardoient, il n'j S iv JUSTINIEN. Ann. 551.  JUSTIKÏEN, Ana. J52. XVII. Senrimeiu$ des 4l6 H I S T O I R B en eut pas un feul qui ne donnat des preuves de valeur : mais Paul & Aufilas fe fignalerent. S'étant élancés hors de rang, & maniant leur are avec une force & une adrelfe incroyables, autant de fleches qu'ils tiroient, autant ils abattoient d'hommes ou de ehevaux. Lorfque les fleches leur eurent manqué, ils firent ufage de leurs épées; tk fe couvrant de leurs botteliers, ils foutinrent feuls 1'efFort des ennemis, abattant la pointe des lances h coups d'épée. Enfin, Paul voyant ïa fienne émouifée, la jette par terre , & faififfant a deux mains la lance du premier cavalier qui court fur lui, il la lui arrache de vive force; it en défarme de même trois autres, & ce prodige d'audace & de vigueur , acheve de décourager les Goths. Pour récompenfe d'un fait d'armes fi extraordinaire, Narfès mit Paul au nombre de fes gardes. C'étoit , comme nous 1'avons vu en plufieurs rencontres , un grade des plus honorables, & qui donnoit rang entre les principaux Officiers. L'exemple d'une fi éclatante valeur , redoubla le courage des Ro-  du Bas-Empirb. Liv. XLVIII. 417 mains, fans abattre celui des Goths. ; L'impatience d'en venir aux mains étinceloit dans les yeux de tous leurs k foldats. Les Goths, par un dernier ef- j fort, fe propofoient d'affurer pour j toujours le fruit des conquêtes de < Théodoric & de Totila. Ils croyoient voir ces deux héros a leur tête: Totila , fur les bords du Métaure, leur retracoit 1'image de Théodoric fur les rives de 1'Adda, ou dans les plaines de Vérone. Les Romains, de leur cöté, fe perfuadoient que fuivre les étendards de Narfès, c'étoit marcher a la viftoire. Quoique cette bataille fut fon coup d'effai, cependant fa capacité univerfelle, & 1'élévation de fon génie lui tenoient lieu d'eixpérience. II déployoit depuis qu'il avoit le commandement, tous les talents d'un Général confommé : fes foldats 1'admiroient comme un homme infpiré de Dieu. A les entendre, c'étoit auffi par infpiration, que 1'Empereur 1'avoit choifi. La piété dont Narfès faifoit profeffion, leur donnoit le Ciel même pour garant du fuccès : c'étoit un ange envoyé pour exterminer les Barbares, pour releS v JUSTI- NIEN. Lnn. 552. lomains it des Joths,  ÏUSTIKIEN. Ann. 55 2. XVIII. Difpoiltlon des deux 3rsnées. 4l8 HtSTOIRE ver 1'honneur de 1'Empire, & la majefté du nom Romain. Les deux armées fortirent de leur camp, pour fe mettre en ordre de bataille, & fe rangerent 1'une & 1'autre fur un front très-étendu. Narfès & Jean, neveu de Vitalien, fe placerent a 1'aile gauche appuyée de Feminence ; ils avoient a leur fuite 1'élite des troupes Romaines, leurs gardes & les plus braves des Huns. A 1'aile droite étoit Valérien , Jean Phagas & Dagifthée , fuivis du refte des Romains. Au centre furent placés les Lombards , les Erules & les autres Barbares, que Narfès, pour leur rendre la fuite plus difficile , avoit fait defcendre de cheval : précaution fage contre la perfidie & contre la lacheté. Les tireurs d'arc au nombre d'environ huit mille , furent jettés fur les deux ailes. L'extrêmilé de la gauche fut prolongée en angle droit„ formé par une réferve de quinze cents cavaliers, dont cinq cents avoient ordre d'obferver les mouvements de l'armée, & de marcher au fecours de ceux qu'ils verroient plier;. fes autres deyoient charger en queu^  nu Bas-Empirb. Lïv. XLVIIL 4*9 1'infanterie des Goths. L'armée de Totila étoit rangée a-peu-près dans le même ordre; il couroit de rang en rang, animant fes foldats par fes paroles 6c par l'affurance guerriere qu'il portoit dans fes regards. Narfès en faifoit autant; & pour exciter 1'ardeur de fes troupes, on portoit devant lui au bout d'une piqué , les braffelets , les colliers d'or, 6c les autres récompenfes deftinées, felon 1'ufage des Romains, a ceux qui fe diftingueroient par leur valeur, On refta quelque temps en préfence. Le Roi attendoit deux milh hommes qui n'éteient pas loin, Si fans lefquels il ne vouloit pas engager l'action. Pour gagner quelques heures pa; un de ces défis qui fervoient alor de prélude aux batailles, un cava lier fe détacha de l'armée des Goths & vint préfenter le combat au plu hardi des Romains. Ce cavalier éto un déferteur, nommé Cocas , conn pour fa valeur dans les deux a méés. Un Arménien de la garde c Narfès, nommé Anzalas, s'offrit Je combattre; & ayant évité la re; S vj JÜSTINIEN. Ann. 5 51. ' XIX. i Prélude de la ba - taille, i S t IV .e k  JUSTIKIEN. Aan. jjj <20 HlSTOIRZ 1 contre de fa lance, il lui perca Ie flane, & 1'étendit mort fur Ia pouffiere. Les Romains j etterent un cri de joie, Sc sebranloient déja pour charger, lorfqu'ils furent arrêtés par un nouveau fpeöacle. Totila s'avanca, non pas pour défier Narfès,mais pour différer encore le combat, en faifant montre de fa force Sc de fon adreffe. Sa bonne mine, fa contenance fiere, la vigueur qui paroiffoit dans toute fa perfonne , étonnoient les regards. L'or éclatoit fur fes armes, & les ornements de fa lance brilloient de la pourpre la plus vive. II montoit un cheval vigoureux , & parfaitement drelfé , qu'il manioit fur toutes les voltes avec une merveilleufe adreffe. II lancoit en 1'air fa javeline en courant, la reprenoit par le milieu , la changeoit de main , fe renverfoit fur Ia croupe, fléchifibit fon corps a droite Sc a gauche avec tant de foupleffe, qu'on voyoit bien que, dès fon enfance, il s'étoit formé avec foin a tous les exercices militaires. La matinée s'é* Eant paffée de Ia forte, il vouluten:ore gagner du temps en faifant de-  bv Bas-Empire. Liv. XLVIIL 4x1 mander a Narfès une entrevue. Narfès répondit, que, fans doute , la demande de Totila n'étoit pas férieufe ; qu'il étoit abfurde de parler d'accommodement , lorfqu'on étoit fur le point de combattre , après avoir montré tant d'empreffement pour combattre , lorfqu'on propofoit un accommodement. Ces délais donnerent le temps d'arriver aux deux mille hommes qu'attendoient Totila. On étoit au milieu du jour, & dans les grandes chaleurs du mois de Juillet. Totila, pour raffraichir fes troupes, les fit rentrer dans le camp , & leur ordönna de prendre leur repas en diligence, fe flattant de prévenir les Romains. Mais fes efpérances furent trompées. Narfès , fans quitter le champ de bataille , permit feulement k fes foldats de prendre une légere nourriture fous les armes, & chacun dans fon rang, toujours attentifs aux mouvements des ennemis. Ceux-ci reparurent bientöt, & les Généraux firent quelque changement dans 1'ordre de bataille. Les deux ailes de l'armée Romaine, ou étoient placés les huit mille tireurs JüSTINIEN. Ann. 551. XX. Bataille de Lentagio. Vroc. Gat. I. 4. e. 32. Mare. chr. Anafi. hifi. p. 65. Idem , vita VifjL Hifi. mife. I. 16. Malela, p. So. Pati ad Bar.  JjJSTINIEN. Ann. 5 s i. 421 HlSTOIRÊ d'arc, fe courberent en forme de de-» mi-lune; & 1'infanterie des Goths fe rangea derrière la cavalerie pour la loutenir & fe joindre a elle, en cas . ' qu'elle fut enfoncée. Les cavaliers des Goths chargerent les premiers; & fe laiffant emporter k une ardeur inconfidérée, ils s'éloignerent trop de leur infanterie, fans obferver que les archers ennemis les enveloppoient. Ils ne s'en appercurent que par une grêle de fleches, qui, tombant fur leurs flancs , abattoient hommes & chevaux ; & après une grande perte, ils regagnerent en confulion le gros de leur armée. Totila les ayant remis en ordre 't ils revinrent k la charge avec plus de précaution; mais partout ils trouverent des rangs impénétrables. Les Romains & les Barbares de leur armée combattoient avec tme ardeur égale, & fe difputoient le prix de la valeur. Ils avoient 1'avantage du nombre, & leur dtfpofition plus ferme & mieux entendue, étoit également propre a 1'attaque & k la réfiftance. La nuit approchoit, lorfque la cavalerie des Goths , rebutée de tant d'efforts, fe renverfa fur fon  du Bjs-Empire. Liv. XLFIII. m ( infanterie, oii elle porta le défordre. ■ Tous prirent la fuite ; Sc dans ce tumulte affreux, chacun ne fongeant , qu'a fauver fa vie, les cavaliers terralfoient les fantaffins, Sc ceux-ci, fuyant tête baiffëe fans ofer lever les yeux, ne faifoient ufage de leurs armes que pour fe percer Sc fe renverfer les uns les autres. Six mille Goths refterent fur la place; un grand nombre fe rendirent aux vainqueurs, qui les firent d'abord prifonniers, Sc les maflacrerent enfuite. Entre les morts fe trouverent beaucoup de deferteurs Romains. La nuit couvroit déja le champ de bataille, lorfque Totila, après avoir fait d'inutiles efforts pour arrêter & rallier les fuyards, fut forcé de fuir lui-même pour la première fois. II étoit accompagné de cinq cavaliers, & pourfuivi par cinq autres qui ne le connoiffoient pas, entre lefquels étoit le Gépide Asbade. Celui-ci perca Totila d'un coup de lance par-derriere ; Sc ayant été lui-même bleffe. fes camarades cefferent la pourfuite pour le ramener au camp. Les cavaliers de Totila, fe croyant toujour; JUSTlNIEN. xxr. Mort d! Totüs.  JUSTINIEN. Ann. ; j2. 424 R I S T O I R E pourfuivis, faifoient une extreme -diligence , quoiqu'ils fuffent obligés de foutenir leur maitre, qui, perdant fes forces avec fon fang, ne pouvoit plus fe tenir k cheval. Après avoir couru quatre lieues, ils arriverent k Capres, oü ils s'arrêterent pour panfer la bleffure du Roi, qui expira entre leurs bras; Prince digne d'unmeilleur fort, & dont la juflice, la fageffe & la valeur méritent la plus haute eftime , fi 1'on peut lui pardonner quelques emportements de colere. Les compagnons de fa fuite I'enterrerent fondant en larmes, & fe retirerent. Les Romains n'apprirent fa mort que par une femme du pays, qui leur montra fa foffe. Ils ne voulurent en croire que leurs yeux; & 1'ayant tiré de terre, après 1'avoir long-temps conGdérés, touchés eux-mêmes de compafiion, ils le rendirent a la fépulture, & allerent porter cette nouvelle \ Narfès. On raconte auffi d'une autre maniere la mort de Totila. On fit que s'étant déguifé fous 1'habit le fimple foldat, afin d'être moins en butte aux traits des ennemis, il tut percé d'une fleche tirée au hafard,  nu Bas-Empïre. Liv. XLF1II. 425; rV- mie sfe fentant atteint d'une blef- fure mortelle, il fortit du combat, & gagna avec beaucoup de peine le bourg de Capres, oü il expira dans le premier appareil. On ajoute que cet accident jetta Pépouvante parmi les Goths, 8c fut caufe de leur fuite. Narfès fe hata d'envoyer a Conftantinople la cuiraffe de Totila teinte de fang, avec fa couronne enrichie de pierreries. L'Empereur, affis au milieu du Sénat, recut a fes pieds les dépouilles d'un Prince qui lui étoit fupérieur en tout genre de mérite.^ Narfès , plus grand encore après la viftoire, qu'il n'avoit paru dans la bataille, nullement ébloui d'un fuccès fi éclatant, en rapportoit a Dieu toute la gloire, &c fongeoit beaucoup plus a profiter des faveurs du Ciel, qu'a s'abandonner a la joie. II récompenfa libéralement les Lombards, dont la valeur lui avoit été d'un grand fecours. Mais il réfolut en mêmetemps de fe débarraffer de cette nation féroce & diffolue , qui , non contente de piller les lieux de fon paffage , y mettoit le feu, fans épargner les plus beaux édifices, & for- JUSTIKIEN. Anti. 5 5 li XXtï. Narfès renvoye les Lombards.Proc. Got, l. tr c. 53, Hifi. mifc, 1. 16.  JUSTINIEN. Ann. 552. xxm. Téia Roi des Goths. Proc. Got. 34- Agath. frxf.&l.i, 426 H I S T O I R E coit les femmes jufque clans les EgUfes. II chargea Valérien de conduire ces Barbares jufqu'aux frontieres de la Pannonie, avec ordre de les empêcher de faire aucun dégat fur la route. Au retour, Valérien fe préfenta devant Vérone, a deffein d'y mettre le fiege. Le Commandant de la garnifon , découragé par la défaite & par la mort de fon Roi, vint conférer avec lui , & fembloit vouloir fe rendre. Mais les Frangois établis dans ces quartiers, traverferent la négociation. Cette place , difoient-ils , étoit a leur bienféance, 6c devoit leur appartenir, ainfi que le refte de la Vénétie. Valérien, de peur de s'attirer fur les bras cette redoutable nation, prit le parti de la retraite. Les Goths échappés du combat, fe rendirent en grand nombre a Pavie, qui étoit devenue leur capitale depuis la perte de Ravenne, 8c ou Totila avoit dépofé une partie de fes tréfors. Jamais ils n'avoient eu plus de befoin d'un grand Capitaine. Pour remplacer celui qu'ils venoient de perdre, ils donnerent la couronne a Téia, fils de Fridigerne, guerrier ac-  nu Bas-Empire. Liv. XLF1I1. A-7 tif & intrépide. II travailla auffi-töt a mettre fur pied une nouvelle armée , & a fe procurer le fecours des Francois. Ses députés repréfenterent a Théodébalde qu'il étoit de fon intérêt de ne pas laiffer périr des voifins qui fervoient de barrière è fes Etats contre la puilfance Romaine. » Penfez-vous, difoient-ils, que les » Romains manqueront de prétexte » pour vous attaquer ? Ce peuple » ufurpateur fe fait de fes invalions » mêmes un droit que nul interyalle » de temps ne peut prefcrire. Ils iront » chercher dans leurs annales les con» quérants de la Gaule; ils relfufci» teront des prétentions furannées: » ils vous redemanderont 1'héritage » de leurs premiers Céfars, qui ont » porté leurs armes jufqu?au-dela du » Rhin. C'eft aïnfi qu'ils font valoir » contre nous leur ancienne poffef» fion de 1'Italie. Odoacre les en avoit » dépouillés; notre Roi Théodoric » en dépouilla Odoacre, & Zénon » lui abandonna cette contrée. - Ils » nous arrachent aujourd'hui ce que » nous poflédons depuis fi long= » temps, de par droit de conquste, justin1en. kim. 5 5 ï,\  JUSTT- NIEN. Acn. ; 52. XXIV. Succes de Narfès. 4a3 Histoisle » & par droit de cefïion. Nulle cef» fion , nulle conquête ne fait loi » contre 1'avidité devorante de cette » nation injufle. Elle ne fait parade » de la juftice , que lorfqu'elle man» que de pouvoir pour la violer. Et » voila cependant ce peuple fage, hu» rnain, religieux, qui traite de bar» bares tous les autres peuples du » monde. Prévenez 1'orage qui s'ap» proche de vous en paffant fur nos » têtes : fauvez-nous du naufrage » pour vous conferver vous-mêmes. » Le fecours que vous nous donne» rez, loin de vous être a charge, » accroitra vos richeffes. Nos tréfors » vous feront ouverts , & vos fol» dats rapporteront, avec 1'argent de w leur folde, les dépouilles des Ro» mains ". Les Seigneurs Frangois qui compofoient le Confeil du jeune Prince, ne jugerent pas a propos de s'engager dans une guerre étrangere. Leur politique étoit de demeurer neutres , de laiffer les Romains & les Goths s'entre-détruire, & de fe rendre eux-mêmes fans coup férir, maitres de toute 1'Italie. Cependant Narfès, après avoir en-  du Bas-Empirb. Liv. XLV1IL 429 voyé Valérien fur les bords du Pö, " pour couper le paffage aux Goths qui accouroient de toutes parts a Pavie, a prit la route de Rome avec le refte de fon armée. II mit en paffant garnifon dans Spolete, & donna ordre d'en relever les murailles. II prit Narni par compofition, &c envoya un détachement a Péroufe. Deux déferteurs Romains, Méligede & Uliphe, y commandoient. Le dernier avoit, lept ans auparavant, affaffiné Cyprien, Gouverneur de la place, & n'efpéroit point de grace. Auffi s'oppofoitil de toutes fes forces au deffein de fon collegue , qui vouloit fe rendre. II y eut entre les deux partis un combat qui fe termina par la mort d'Uliphe, & Péroufe fut remife entre les mains de Narfès. Rome étoit allarmée de 1'approche des Romains. Totila ne pouvant y laiffer une garnifon affez nombreufe j pour la défendre toute entiere, avoit enfermé d'une enceinte une petite portion de la ville aux environs du maufolée d'Hadrien, & en avoit fait comme une citadelle, qui joignoit les anciens murs. Les Goths, après y avoir JUSTINIEN. a.-i. 5ji. XXV. Prife de ome par tarfès,  JUSTINIEN. Ann. 5 {i 430 HlSTOIRE retiré ce qu'ils avoient de plus précieux, y laifferent une garde, & fe , tinrent dans la ville pour courir aux endroits que les ennemis voudroient attaquer. Les Romains n'étant pas non plus en alfez grand nombre pour environner tout le circuit de Rome , formerent trois attaques, fort éloignées 1'une de 1'autre, fous les ordres de Narles, de Jean, neveu de Vitalien , & de Philémuth avec fes Érules. Les Goths s'étoient partagés de la même maniere, en forte que le refte des murailles reftoit fans défenfe. Dagifthée, a la tête d'un detachement, alla par ordre de Narfès efcalader un endroit qui n'étoit ni attaqué ni défendu : il monta fans réfiftance, & courut ouvrir les portes. Les Goths, voyant 1'ennemi clans la ville, prirent la fuite, & fe retirerent, les uns dans 1'enceinte de Totila, les autres dans Porto. On remarqua en cette occafion une de ces fmgularités, qu'on appelle jeux de la fortune : Beffas, après avoir perdu Rome, avoit repris la ville de Pétra en Lazique ; & Dagifthée, qui, par fon imprudence, avoit manqué Pé-  nu Bas-Empire. Liv. XLVIIÏ. 431 tra, répara a fon tour la faute de Beffas, & remit les Romains en poffefhon de Rome. Narfès marcfia auffitöt avec toute fon armée vers la nouvelle enceinte ; mais les Goths, fans attendrePattaque, ferendirent,a condition qu'on leur laifferoit la vie. C'étoit la cinquieme fois que Rome fe voyoit prife depuis le eommencement du regne de Juftinien. Bélifaire & Totila s'en étoient emparés chacun deux fois. Narfès envoya les clefs & 1'Empereur. Les fuccès des armées Romaines exciterent la rage des vaincus, Sc coü- ] terent aux vainqueurs autant de fang 1 que la défaite la plus meurtriere. Les \ Goths , fuyant de toutes parts, dé- 1 fefpérés de ne pouvoir conferver l'I- ' talie, maffacroient tout ce qu'ils rencontroient de Romains, fans épargner ni age ni fexe. Les Barbares mêmes, qui fervoient dans l'armée Romaine, comme s'ils euffent confpiré avec les Goths, fe difperfant autour de Rome , tuoient Sc dépouilloient tous ceux qui revenoient pour rentrer dans leurs anciennes demeures. Un grand nombre de Patrices Sc de Sénateurs JUSTIKIEN. A.nn. 552. XXVL -es Goths laffarentrand iombre e Rosains.  JUSTINIEN. Ann. 551. XXVII. Tomperie de Ragnaris. 432 HlSTOIRE étoient répandus dans la Campanie , oü Totila les avoit relégués: les Goths en hrent une exacte recherche, 8c pas un ne fut épargné. Lorfque Totila s'étoit mis en marche pour aller au-devant de Narfès, il s'étoit fait amener dans toutes les villes de fon paffage les fils des principaux habitants; 6c choififfant les mieux faits, il les avoit emmenés avec lui, fous prétexte de les attacher a fa perfonne; mais en effet, pour avoir autant d'ötages de la fidélité de leurs peres. On les gardoit k Pavie au nombre de trois cents. Téia, dans un accès de fureur, les fit tous égorger. Ragnaris, Gouverneur de Tarente, avoit promis de remettre fa place aux, Romains, & Pacurius, qui lui apportoit de Conftantinople la parole de 1'Empereur, le fomma de ia fienne, 8c fe préparoit k lui rendre fes ötages. Mais Ragnaris, ayant appris que Téia étoit Roi, 6c qu'il fe difpofoit k combattre les Romains, avoit changé d'avis; 8c pour retirer fes ötages, il imagina cet artifice. II pria Pacurius de lui envoyer quelques foldats pour 1'efcorter jufqu'a Otrante, oü il  du Bas-Empire. Liv. XLFIIl. 433 il vouloit, difoit-il, s'embarquer pour Conftantinople. Pacurius, ne fe défiant nullement de fon deffein , lui envoya cinquante hommes. Dès qu'ils furent arrivés, Ragnaris les fit mettre aux fers , & fignifia en mêmetemps a Pacurius, que s'il vouloit qu'on lui rendit fes foldats, il falloit qu'il renvoyat les ötages. Pacurius, indigné de cette fourberie, partit auffitöt pour marcher a Tarente ; & Ragnaris , après avoir fait égorger les cinquante hommes, fortit a fa rencontre. II fe livra un combat , oh les Goths furent vaincus. Ragnaris, n'ayant pu rentrer dans Tarente, alla s'enfermer dans Achéröntie. Narfès, dans ce même temps, prit Porto a compofition , & s'empara de Nepi en Tofcane, & de Pétra dans la Flaminie. II fouhaitoit principalement de fe rendre maitre de Cumes, ou Totila avoit renfermé la plus grande partie de fes tréfors , fous la garde de fon frere Aligerne & d'Hérodién. II envoya donc des troupes pour en former le fiege, & paffa le refte de l'année a. Rome , ou les diverfes révolutions d'une fi longue guerre aTome X. T JUSTI- KIEN. A.nn. 5 5 ï.  JUSTINIEN. Ann. 5 53 XXVIII. Approchi des deui armées. Proc, Got l.4.c: 35 434 H I S T 0 I R E voient miné la police & les mceursi plus difficiles a rétablir que les édi. Aces. La nouvelle du fiege de Cumes ■ donnoit a Téia de vives inquiétudes. II partit au mois de Décembre avec . toutes fes troupes, réfolu de tout ha1 farder pour fauver cette place. Narfès , de fon cöté, envoya en Tofcane Jean & Philémuth, avec ordre de difputer les paffages, Mais Téia, averti de ces obftacles, & jugeant que la route la plus longue lui deviendroit la plus facile, gagna les cötes de la mer Adriatique, & vint en Campanie par le Picenum & le pays des Samnites. Narfès, informé de fa marche , rappella fes Lieutenants , raffembla toutes fes forces, & alla camper au pied du mont Véfuve. De cette montagne fort une riviere nommée le Dragon, qui va paffer prés de Nucérie. Quoiqu'elle ait fort peu d'eau , elle n'efl; guéable ni a pied ni a cheval, paree que, refferrée dans un lit fort étroit, elle s'efl creufcl un profond canal bordé de rives ef, carpées. Les deux armées campoien! fur fes bords, vis-a^vis 1'une de 1'av.  du Bas-Empire. Lh. XLVIIL 435 tre, & les Goths étoient maitres du pont, fur lequel ils avoient élevé des tours de bois garnies de baliftes & d'autres machines. Les Romains & les Goths ne pouvant fe joindre, malgré 1'ardeur dont ils étoient animés, palfoient les jours a fe tirer des fleches d'un bord a 1'autre; & leur animofité mutuelle attiroit fouvent fur le pont les braves des deux partis, qui fe donnoient en fpectacle dans des combats linguliers. Les Goths recevoient de vivres par la voie de la mer, dont ils étoient proches : mais leur flotte ayant été livrée aux Romains par celui qui la commandoit, & quantité de vaifleaux étant venus s'y joindre de la Sicile & du golfe Adriatique, Narfès demeura maitre de la mer, & les Goths commencerent a fentir la difette. Ils étoient de plus incommodés par des tours de bois que le Général Romain avoit établies le long du bord qu'il occupoit. On étoit déja au mois de Mars, & depuis deux mois les armées étoient en préfence fans pouvoir en venir aux mains. Téia prit donc le parti de fe retirer fur une colline, qu'on T ij JUSTI» NIEN. Ann. 5 j j*  JUSTIN1EN. Ann. 5 5 3 XXIX. Bataille «Ju Véfu ve. 436 IIlSTOIRE '■ nommoit alors la montagne de Lait, a caufe des nombreux troupeaux qui . s'engraiffbient dans fes paturages. La difficulté du terrein empêcha les Romains de le fuivre. Le défaut de fubfiftances obligea _ bientöt les Goths d'abandonner ce pofte. Réfolus de périr en gens de cceur, plutöt que de mourir de faim, ils defcendent au point du jour, &C fondent fur l'armée Romaine, qui ne s'attendant pas a une attaque fi brufque, n'étoit pas en ordre de bataille. Ce ne fut d'abord qu'un choc confus, ou les combattants , fans divifion d'efcadrons ni de bataillons, fans être difpofés par rang & par files, fe chargeoient, fe repouffoient en foule. Après quelques moments d'un combat tumultueux, ils fe féparerent comme de concert, & reculerent de quelques pas pour fe ranger en bataille. Leurs rangs furent bientöt formés; 1'expérience de tant de vieux guerriers prévenoit pour les mettre en ordre ,. 1'acfivité de leurs Commandants. Du cöté des Goths, la cavalerie mit pied a terre, pour fe retrancher les moyens de fuir; & 1'ardeur  nu Bas-Empire. Liv. XLVIIL 437 de leur courage les portant tous aux premiers rangs, ils formoient un front d'une grande étendue. A leur exemple, les cavaliers Romains quitterent auffi leurs chevaux. Les deux armées fe rapprochent & fe chargent avec fureur. Le défefpoir embrafe les Goths; attachés a 1'Italie dont on s'efforce de les arracher, ils veulent y refter morts, s'ils ne peuvent en demeurer les maitres. Les Romains, honteux de céder a des barbares déja vaincus, fe portent k des efforts inouis. Les deux nations brülent d'envie de terminer enfin pour toujours une querelle fi longue & fi fanglante; elles veulent fe venger dans cette journée de tant de maflacres Sc de déiaftres, qu'elles éprouvent tour-k-tour depuis dixhuit ans. A la tête des Goths, Téia, dans une contenance aflurée Sc menagante , infpiroit aux fiens le courage , aux ennemis la terreur, portant Sc recevant les premiers coups. Les plus vaillants d'entre les Romains, perfuadés que fa mort décideroit la victoire, 1'attaquoient de concert. Affailli d'une multitude de piqués, de T iij JUSTINIEN. Ann. 55 J. XXX. Mort de Teia.  JUSTINIEN. Ann. 553 438 H I S T O I K E dards, de javelots , ce Prince ; auffi vif qu'intrépide , paroit a tous les , coups ; & s'élancant par intervalles, il abattoit tous ceux qui fe trouvoient a fa portée. II combattoit ainfi depuis quatre heures, tk il avoit déja plufieurs fois changé de bouclier, lorfque ne pouvant plus qu'avec peine faire ufage du fien, chargé de douze javelots, fans reculer d'un pas, fans perdre de vue 1'ennemi, tuant toujours de Ia mam droite, & parant de la gauche, il appella fon Ecuyer pour lui fournir un bouclier nouveau. Dans le prompt mouvement qu'il fit pour le prendre, il découvrit fa poitrine, au même inftant, il fut percé d'un javelot qui lui öta la vie. Les Romains qui 1'environnoient, lui ayant coupé la tête, la préfenterent au bout d'une piqué aux deux armées. Ce fpeclacle, loin de mettre les Goths en fuite, embrafa leur rage; ils combattirent jufqu'a la nuit, & les deux armées la paflerent fur le champ de bataille. Dès que 1'aurore leur eut montré 1'ennemi, le combat recommenga avec le même acharnement, Les Goths, fans chef, ne prenant For-  du Bas-Empire. Liv. XLP7II. 439 dre que de leur courage, courent audevant du péril; leurs bleflures femblent redoubler leurs forces : s'attachant aux Romains, les mourants entrainoient leurs vainqueurs, tk expiroient en les déchirant. Cette cruelle mêlee dura tout le jour, & la nuit feule les fépara. Les Goths fe retirerent fumants de carnage, tk encore ivres de fang & de fureur. Mais le repos qui fuccédoit a deux journées fi meurtrieres, leur fit enfin fentir leur fatigue, tk refroidit peu-a-peu leurs efprits. Ils comptent les morts , ils jettent les yeux fur les bleffures dont ils font couverts, & reconnoiffent leur perte. Ils députent a Narfès les principaux Officiers. » Nous ne fentons que » trop, lui dirent-ils, que Dieu com» bat pour vous, & que notre ré» fiftance eft vaine. Nous confentons » a mettre bas les armes, pourvu » que 1'Empereur veuille nous trai» ter comme fes alliés, tk non pas » comme des efclaves. Qu'il nous >> laiffe vivre fous nos loix, ainfi que >> tant d'autres peuples voifins de » 1'Empire, Permettez-nous de nous T iv JUSTINIEN. (Vnn. 553. XXXI. Les Goths demandent la paix.  JUSTINIEN. Ann. 5J3< XXXII. Leutharis & Bucelin paffen t en Italië. Agatt.l, 1, 44° Histoikb » retirer en paix, & d'emporter pour » notre fubfiftance, 1'argent que nous » avons en réferve clans les villes de » PItalie ". Comme Narfès balancoit de leur accorder des conditions fi honorables, Jean lui confeilla d'y foufcrire, plutöt que de s'expofer encore k combattre des défefpérés. On convint que ce qui reftoit de l'armée des Goths, fortiroit fur le champ de 1'Italie avec tous fes effets, & ne porteroit jamais les armes contre 1'Empire. Pendant cette négociatïon, une troupe de mille Goths, qui refufoient d'y prendre part, fortit du camp, & marcha vers Pavie, fous la conduite de plufieurs Officiers. Les autres s'engagerent par ferment k quitter PItalie. Cette convention fut mal obfervée. Ceux qui s'y étoient engagés , après s'être repofés de leurs fatigues, fe joignirent au refte de la nation, pour implorer de nouveau le fecours des Frangois. Ceux-ci, qui avoient refufé de fecourir les Goths avant leur derniere défaitej étoient encore bien moins difpofés k prendre part a une guerre fi malheureufe. Mais  hu Bas-Emptre. Liv. XLV11L 441 'deux Seigneurs puiffants , Leutharis & Bucelin., tentés du deiir de piller 1'Italie , entreprirent, peut-être avec le confentement fecret de Théodébalde , de venger les Goths, & de partager avec eux les dépouilles des Romains. C'étoient deux freres, Allemands de naiflance , a qui Théodébert avoit confié le commandement de leur nation , foumife alors aux Frangois. Enflés d'arrogance & de prélbmption, ils fe figuroient que l'armée Romaine ne tiendroit pas devant eux, & ne fe promettoient rien moins què la conquête de 1'Italie & de la Sicile. Ils ne pouvoient, difoient-ils, pardonner aux Goths, de redouter un ennemi tel que Narfès, petit & foible de corps, accoutumé a vivre dans la mollefle & dans 1'ombre d'un palais , deftiné a fervir des femmes, & non pas a corr.mander des hommes, Ils mirent fur pied une armée de foixante & quinze mille hommes, partie Allemands , partie Frangois, & firent des préparatifs proportionnéi a la grandeur de leur entreprife. Après la bataille du Véfuve, Narfès , au-lieu de s'arrêter a goüter le: T v JUSTlNIEN. Ann, 5 53* ■ xxxwr. , Narfès af' fiege Cw roes.  JUSTINIEN. Ann. J53. i 44a IJJSTOIRE douceurs d'une viöoire achetée par de fi pénibles efforts , marcha droit a Cumes, poury joindre les troupes qui en avoient commencé le fiege. Cumes étoit la plus forte place de 1'Italie , & c'étoit pour cette raifon que Totila y avoit mis en dépot ce qu'il poffédoit de plus précieux. Cette ville batie fur une hauteur efcarpée, dont Ie pied étoit battu des flots, dominoit fur la mer Tyrrhénienne, &c fur tout le pays d'alentour. Elle étoit environnée d'une forte muraille, flanquée de tours d'une conftrudtion trèsfolide. Mais ce qui faifoit fa plus füre défenfe, c'étoit la valeur d'Aligerne, le plus jeune des freres de Totila. Ce guerrier, fans être abattu, ni par la mort de fon frere, ni par le fort déplorable de fa nation, fembloit avoir recueilli dans fa perfonne tout Tanden courage des Goths; & fe tenant ferme & inébranlable fur les ruines de leur fortune, il efpéroit voir les ?fforts de l'armée victorieufe febrifer, hnfi que les flots de la mer, au pied dc s murs qu'il défendoit. La fituation &c e bon état de la place, abondamment jourvue de tout ce qui eft néceffaire  du Bas-Empire. Liv. XLPill. 443 pour foutenir un long fiege, redoubloient fa confiance. Narfès, après avoir encouragé fes foldats, les conduifit a 1'attaque. Ils monterent avec peine fur la hauteur, & s'étant approchés a la portee du trait, ils firent ufage de leurs arcs, de leurs frondes, &c de toutes leurs machines pour abattre ceux qui fe montroient fur la muraille. On leur répondoit du cöté de la ville par une grêle de fleches & de dards ; on leur lancoit des pierres énormes, de« poutres entieres, des troncs d'arbres; & les machines dont les tours étoienl bordées, faifoient fans ceffe des dé' charges meurtrieres. Les traits qui par toient du bras d'Aligerne , fe recon noiffoient aifément par le fifflemen de l'air qui les annoncoit, & par li violence avec laquelle ils brifoien les pierres, & mettoient en piece les corps les plus durs. Voyant ui des principaux Officiers de Narfès nommé Pallade, s'approcher hardi ment, couvert d'une cuiraffe de fer il le perga de part en part avec 1 bouclier & la cuiraffe. Plufieurs jóui fe pafferent dans ces attaques, & Na fès reffentoit un extréme déplaifir d T vj JUSTIKIEN. Aiin. 5 5 J. & L t S 1 > » e s re  JUSTIKIEN. Ann. 553 XXXIV. Mine pra tiquée clans Tan tre de 1, Sibylle. 444 H i s t o i r e ■ perdre devant une petite place, tant de temps & de foldats : mais il croyoit , Ja réputation de fes armes intérelfée au fuccès. II fe flatta d'avoir enfin trouvé le moyen de rétiffir. Sous une avance . de la colline du cöté de 1'Orient, s'ouvroit un antre large & profond, creufé par les mains de la nature, ou 1'on difoit que la Sibylle de Cumes avoit autrefois rendu fes oracles. Cette cavité fe prolongeoit jufqü'au-deflbus de la muraille. Narfès y fit entrer des mineurs, qui détachant les pierres de la voute , découvrirent les fondements du mur qu'ils étanconnerent. En même-temps pour empécher d'entendre le bruit des travailleurs , on attaquoit la place par un autre endroit avec un fracas extraordinaire. Lorfque le pan de muraille qui portoit fur toute 1'étendue de la caverne, ne fut plus foutenu que fur des étaies, les mineurs y mirent le feu, & fe fauverent promptement. A peine furent-ils dehors, que le mur , & les tours, & une des portes de la ville, s'écroulerent enfemble avec un fracas horrible , &  rv Bas-Empire. Liv. XLF11I. 445 couvrirent de leurs débris toute la ■ pente de la colline de ce cöté-la. Les Romains s'attendoient a pénétrer dans la ville fans aucun obftacle : mais outre les fondrieres , les précipices, les efcarpements qui en défendoient les approches, tant de ruines amoncelées formoient un rempart auffi difficile a franchir que la muraille même. Cependant Narfès voulant profiter de la frayeur des habitants , donna 1'affaut par un autre endroit, & fut repouffé. Enfin, rebuté de tant d'efforts inutiles, & jugeant que la place ne feroit jamais emportée de vive force , il réfolut d'y laiffer une partie de fes troupes pour la tenir bloquée, & de fe tranfporter avec le refte en Tofcane. II apprenoit que l'armée des Allemands avoit déja paffé le Pö; & pour ne pas leur abandonner cette belle Province, ou ils pourroient s'établir, il vouloit s'emparer des places qui tenoient encore pour les Goths. Philémuth, chef des Érules, étant mort de maladie, il mit a leur tête Fulcaris , Officier de leur nation , & le fit partir avec Jean, neveu de VitaIjeri, Valérien & Artabane , fuivis JUSTIKIEN. Vnn. 553. XXXV. Narfès réduit Ia rofcane.  JUSTINIEN. Ann. J53. XXXVI. Siege de Lucques. 446 HlSTOIRE d'un grand corps de fes meilleures troupes. Ils avoient ordre de marcher vers le Pö, de fe faifir des paffages de 1'Appennin, de refferrer les ennemis, & de les battre s*ils en trouvoient 1'occafion; fi-non, de les harceler fans celfe, & de les retarder dans leur marche par des chicanes continuelles , pour lui donner le temps d'achever les difpofitions qu'il croyoit néceffaires. Les troupes qu'il laiffa devant Cumes, enfermerent la place d'une circonvallation, & garderent avec foin toutes les avenues , pour réduire la ville par famine : ce qu'ils efpéroient ne pouvoir tarder long-temps, les provifions devant être confumées , depuis que le fiege étoit commencé. Narfès étant paffé en Tofcane, fe rendit maitre s de prefque toutes les villes fans coup férir; Centumcelles, Volterre, Florence, Pife, & les places maritimes , lui ouvrirent leurs portes. Lucques fut la feule ville qui ofa foutenir un fiege. Elle étoit bloquée depuis quelque temps ; les affiégés étoient même convenus de fe ren-  nu Bas-Empire. Liv. XLVIII. 44? dre, fi, dans Pefpace de trente jours, il ne leur venoit un fecours aflez confidérable pour livrer bataille, & ils avoient donné des ötages. Ils efpéroient que l'armée Allemande ne tarderoit pas d'arriver. Le terme étant expiré fans qu'elle parut, ils refuferent de fe foumettre. Narfès, irrité de cette infidélité, fe difpofoit a les attaquer. On lui confeilloit de s'en venger fur les ötages : mais trop humain pour décharger fa colere fur des innocents, il fe contenta de faire craindre ce qu'il pouvoit exécuter, felon les droits de la guerre. II fit amener devant la ville a la tête de fon armée , les ötages chargés de chaines, les mains attachées derrière le dos , fuivis de foldats qui tenoient la hache levée. Ce trifie fpeciacle attira fur les murs tous les habitants, qui pouflbient des cris lamentables. Ces infortunés étoient les fils des plus illuftres citoyens. Leurs meres , leurs femmes courant fur les remparts comme des forcenées, donnoient toutes les marqués du plus violent défefpoir. Elles chargeoient le cruel Narfès des malédicfions les plus outra- JUSTIKIEN. A.nn. $53"  Jjjsti- nien. Ann. 553. XXXVII Fulcari défait pa Bucelin. 44'3 H I S T O I li E geantes; elles vouloient fe précipiter pour mourir avec leurs enfants, avec leurs époux. Alors Narfès faifant figne de la main, pour demander qu'on 1'écoutat : Vous mérite^, s'écria-t-il, de perdre ceux qui vous font fi chers ; mais il riefl pas digne de moi de les faire périr; je vous les rends; & donnant ordre a fes foldats de tirer leurs épées : Voild, dit-il, fur quoi je compte plus que fur vos ferments ni fur vos étages. En même temps il fit détacher les ötages, & les renvoya dans la ville. Ils y furent recus avec des tranfports de joie. Témoins de 1'humanité de Narfès , de fa générofité , de fa juftice , les éloges qu'ils ne ceffoient d'en publier , difpofoient les habitants a la foumiflion , & faifoient fur les cceurs les plus obftinés , une impreffion plus vive que tous les efforts de l'armée Romaine. Agathias a chargé ce récit de circonftances fi puériles & fi peu vraifemblables, que je me fuis difpenfé d'en faire ufage. Pendant le fiege de Lucques, peu ; s'en fallut que la témérité de Fulcaris n'ouvrit aux Allemands un libre paffage. Le corps d'armée que Nar-  du Bas-Empire. Liv. XLFIII. 449 fès avoit envoyé fur les frontieres de 1'Emilie , s'étoit d'abord campé avantageufement, & les troupes qu'on en détachoit, foit pour harceler les ennemis , foit pour leur enlever leurs convois , foit pour leur öter les moyens de fubfifter , en défolant les campagnes, marchoient d'abord avec les précautions en ufage dans la guerre. Fulcaris s'ennuya bientöt de tant de circonfpeaion : brave , mais fougueux & téméraire , il faifoit confifter le mérite d'un Commandant , non pas a faire agir fes troupes, mais k payer lui-même de fa perfonne, & a fe fignaler par la force de fon bras, plutöt que par la fageffe de fes ordres. II fe fépara des autres Généraux , & courut a Parme a la têt< de fes Érules, & des Romains qu voulurent le fuivre, fans avoir fai reconnoïtre 1'état des ennemis, fan obferver aucun ordre dans fa mar che. Bucelin étoit maitre de Parme il cacha dans les hautes galeries d 1'amphithéatre, qui étoit aux porte de la ville , un bon nombre de fe meilleurs foldats, & les inftruifit d ce qu'ils avoient k faire. Fulcaris, far J.USTINIEN. Ann. 553. i t i S s e s  JüSTIN1EN. Ann. J53 ( ( 450 H 1 S T O I R E ' prendre même la précaution de viliter 1'enceinte, s'y engage avec fes gens; & auffi-töt les ennemis fe montrant de toutes parts, font pleuvoir unegrêle de javelots, defcend entavec de grands cris, & font un horrible carnage. Les Érules tombant pêle-mêle les uns fur les autres, périffent en fouie au milieu de 1'arêne. Ceux qui peuvent s'échapper, laiffent leur Commandant avec fes gardes, enveloppé des ennemis. Fulcaris, réfolu de ne pas furvivre a fon déshonneur, contmua de combattre adoffé contre un tombeau ; & tantöt s'élancant avec fureur fur ceux qui 1'attaquoient, tantöt fe battant en retraite, il difputa long-temps fa vie. II pouvoit encore Je fauver en fuyant, tk fes gardes 1'y exhortoient :Et de. quel front, leur répondit-il, meprèfenterauje a Narfès ? Craignant donc les reproches de fon Général plus que le fer ennemi, il ne ceffa de faire face aux affaillants, ufqu'a ce qu'enfin accablé par le nomare, percé de plufieurs javelots, la ete fendue d'un coup de hache, & :ombattant encore au moment qu'il ?xpiroit, il tomba mort fur fon bbu-  du Bas-Empire. Liv. XLVIU. 451 clier. Ses gardes fe firent tous tuer '. fur fon corps. Cette défaite n'accrut pas feulement i la fiertédes Allemands; elle leur pro- : cura encore de nouvelles forces. Les 1 Goths, difperfés dansl'Emilie & dans 1 la Ligurie , accoururent de toutes ( parts fe joindre aux vainqueurs. Les 1 fuyards porterent 1'épouvante dans ' le camp Romain, & les Généraux croyant déja voir cette nuée d'ennemis fondre fur leurs têtes, abandonnerent leur pofte, cV fe fauverent a Faënza, pour fe rapprocher de Ravenne , qu'ils regardoient comme la feule retraite affurée. Narfès recut devant Lucques la nouvelle de ce malheur. Aftligé de la perte de tant de braves & d'un guerrier tel que Fulcaris; mais fupérieur a tous lesévénements, & toujours armé contre les revers, il raffura fes troupes allarmées , & preffa plus vivement les affiégés. II dépêcha aux Généraux retirés a Faënza, un fage Officier, nommé Étienne, avec une efcorte de deux cents chevaux, pour les menacer de fon indignation , & de celle de 1'Empereur , s'ils ne gardoient les paffa- JUSTINIEN. Lnn. 553; CXXVIII farfcs rélare les riauvaies fuites le cette léfaite.  452 H i s t o i r e JüSTIKIEJJ. Arm. 553. XXXIX. • Lucques fe rend. ges de 1'Apennin. Comme les partis ennemis étoient répandus dans toutes les campagnes, Étienne ne marchoit que de nuit, & toujours pret a combattre. Dans cette traverfe de trente lieues, ils entendoientfans ceffe les cris des payfans qu'on maffacroit, lesmugiffements destroupeauxqueles Barbares emmenoient, & le bruit des arbres qu'ils abattoient dans les forêts. Au travers de ces horreurs, ils arriverent heureufement a Faënza. Sur les reproches d'Étienne , les Généraux alléguoient diverfes excufes pour couvrir la honte de leur fuite: Qu'ils ri avoient pas trouvé dans le pays dequoi faire fubfifter leurs troupes, & qriAntiochus, Préfet d'Italie, fe tenoit dans Ravenne , fans leur envoyer ni urgent , ni munifion. Pour leur öter ces prétextes, Étienne courut a Raven- • ne, d'oii ilamena le Préfet; & après avoir levé toutes les difficultés, il leur perfuada de retourner a leur premier pofte. Le fiege de Lucques étoit pouffé ivec vigueur. On lancoit dans la ville des traits enflammés; perfonne n'oroit plus paroitre fur la muraille , &  nu Bas Empire. Liv. XLFHI. 453 les machines avoient fait brêche en plufieurs endroits. Les ötages ren*voyés par Narfès redoubloient les infïances pour engager leurs compatriotes a traiter avec un ennemi fi bienfaifant, & la plupart y étoient difpofés. Mais quelques Officiers Allemands & Frangois, qui s'étoient enfermés dans la ville , s'y oppofoient de toutes leurs forces, & exhortoient les habitants a la conffance. Ils fe mirent a leur tête, & firent plufieurs forties fans fuccès, le peuple ayant plus d'envie de fe rendre que de combattre. Enfin, le parti qui vouloit la paix, 1'emporta; & après trois mois de fiege, on ouvrit les portes k Narfès, qui, fanstémoigner aucun reffentiment de leur infidélité paffée, n'exigea d'autre condition , que de reconnoitre la fouveraineté de 1'Empereur. Pour maintenir la ville dans 1'obéiffance , malgré les follicitations des Barbares , il y laiffa garnifon fous les ordres d'un Officier de confiance, nommé Bon , également propre k gouverner pendant la paix , & k commander dans la guerre. JUSTIKIEN. Ann. 553.  JCSTIN1EK. Ann. 553 XL. Cumes rendue par Aligerne. 454 HlSTOIRE On approchoit du folftice d'hyver, & Narfès fon geoit a donner des quartiers a fes troupes. II ne vouloit pas combattre dans cette faifon , des ennemis qui, étant nés dans un climat froid & humide, redoubloient de vigueur en hyver, & s'affoiblirToient dans les chaleurs de 1'été. II fépara donc fon armée ; & après avoir logé fes foldats dans les places vohines de FApennin, avec ordre de fe raiTembler a Rome au commencement du printemps , il alla paffer quelques jours a Ravenne, fans autre efcorte que fa garde & fa maifon ; ce qui faifoit quatre cents hommes. II ne s'attendoit pas d'y voir arriver Aligerne. Ce brave guerrier, qui, depuis unan, défendoit Cumes avec un grand courage, voyant les Allemands & les Francois en-deca du Pó , n'eut pas de peine a comprendre que ces nations conquérantes , fous prétexte de fecourir les Goths, n'avoient en vue que de s'emparer de litalie. Or, s'il falloit avoir des maitres , il croyoit plus fupportable d'obéir aux Romains qu'a des Barbares, &c plus jufte de rendre 1'Ita-  du Bas-Empire. Liv. XLVI1L 453 lie aux anciens poffelTeurs. Occupé de ces réflexions, il alla trouver Narfès , & remit entre fes mains les clefs de la ville de Cumes, lui promettant de le fervir déformais avec autant de zele qu'il 1'avoit combattu jufqu'alors. Narfès le recut avec joie, lui alfura le traitement le plus honorable , & envoya ordre k l'armée qui étoit devant Cumes, de prendre pofleffion de la ville, de mettre en füreté le tréfor des Rois Goths, & de fe partager enfuite de maniere qu'il demeurat dans Cumes une garnifon fuffifante, & que le refte des troupes prit fes quartiers d'hy ver dans les places du voifinage. Aligerne fe retira dans Céfene, & eut ordre de fe montrer fur le haut de la muraille aux Allemands, qui faifoient fans ceffe des courfes jufqu'aux portes de cette ville, & de leur apprendre que Cumes & les tréfors qui les avoient attirés en-deca des Alpes , étoient perdus pour eux. Aligerne s'acquitta de fa commiflion, raillant les Barbares fur leur lenteur , & leur confeillant de quitter 1'Italie, oü ils ne trouveroient plus a gagner que des bleffu- JUSTINIEN. Ann. 555;  Justt- nien. Ann. 553. XLI. Narfès bat un parti d'AlIemands a Rimini. 456 HlSTOIRE res. Les Aüemands lui répondoient par des injures ; mais ils étoient en effet découragés , & balancoient s'ils continueroient la guerre. Ils fe déterminerent enfin a pourfuivre leur entreprife. Par la mort de Fulcaris, les Érules avoient perdu leur chef: leurs fuffrages fe partageoient entre deux guerriers également recommandables par leur valeur, Aruth Sc Sindual; mais 1'age donnoit au dernier plus d'expérience. Narfès fe déclara en fa faveur, 8c prit foin d'affigner un quartier d'hy ver commode a cette nation, qui le fervoit avec zele 5c avec courage. Un corps de Varnes , a la folde des Goths, étoit en garnifon dans Rimini. Leur chef envoya faire fa foumifïion a Narfès, qui prit poffeffion de cette ville, 8c fit de grandes largeffes aux Varnes, pour les attacher au fervice de 1'Empire. Pendant qu'il féjournoit aRimini, un parti de deux mille Frangois 8c Allemands, tant cavaliers que fantaflins, vint faire le dégat jufqu'aux portes de la ville. Narfès, temoin de ce ravage , monta auffi-töt a cheval, 8c fe fit fuivre par  nu Bas-Empire. Liv. XLFIIL 457 par trois cents hommes de fa maifon. Les ennemis les voyant venir aeux, fe réunirent & fe formerent en un t bataillon, bordé de cavalerie fur les deux aïles. Ils occupoient un pofte avantageux k la tête d'une épaiffe forêt, dont les premiers arbres les mettoient a couvert des traits. Pour les attirer dans la plaine , Narfès donna ordre k fes cavaliers de fuir enfemble fans confondre leurs rangs. Ils tournent bride, Narfès a leur tête ; & les Barbares les croyant en déroute , s'élancent hors de la forêt, & fe débandent dans la pourfuite : les cavaliers prennent les devants; les fantaflins fuivent en défordre , a proportion de leur force & de leur vitelfe. Ils fe flattent déja que cette rencontre va terminer la guerre par la prife de Narfès. Lorfqu'ils fe furent éloignés de la forêt, les cavaliers Romains faifant volteface , retournent fur eux en bon ordre , & les chargent avec vigueur : la cavalerie Allemande fuit k fon tour, & regagne le bois : 1'infanterie, effrayée de cette attaque imprévue, fe laiffe maffacrer fans réfifiance. Les Tornt X, V JUSTINIEK. tnn. 553.  JUSTIKIEN. Ann. 5 53 XLÜ. Réglements ai fujet de Juifs. Novsl. 146. J,UUU,p 80. 458 HlSTOIRE ■ Barbares perdirent neuf cents hommes , & rejoignirent le gros de leur . armée , couverts de honte & de bleffures. Narfès, de retour a Ravenne , après avoir mis ordre a tout ce qui demandoit fes foins Sc fa prévovance , s'en alla paffer 1'hyver k Rome. Un changement que 1'Empereur ( vouloit faire dans les monnoies, ex- i cita cette année quelques mouvements a Conftantinople ; mais ce projet ayant été abandonné, le calme fut rétabli. . II s'étoit élevé une grande conteftation entre les Juifs : le peuple, qui n'entendoit plus la langue -'originale, voulut qu'on lüt 1'Ecriture-fainte en Grec; les Dodfeurs faifoient un point de religion, de n'empioyer dans les fynagogues que la langue fainte. Juftinien ne crut pas cet objet indigne de fon attention : il permit aux Juifs de lire leur loi, non-feulement en'Hébreu, mais en telle langue qu'ils voudroient , k condition que , pour le Grec, ils ne fe ferviroient que de la verfion des Septante , ou de celle d'Aquila ; mais U bannit des fynagogues le livre des traditions juives, nommé la Mifchna ou la Deuteró-  nu Bas-EmPire. Liv. XLF11I. 459 fe , c'eft-a-dire, la feconde loi, comme étant fans autorité, & remplie de vinons & de chimères. Ilejijujle, dit-il dans fa loi, qu'on leur fa(fe entendre les prophéties qui les condamnenty & qui peuvent les rappeller de leur égarement. II ne fut pas fi facile a 1'Empereur de calmer 1'orage qui agitoit 1'Eglife depuis plufieurs années; & 1'on peut dire qu'il 1'augmenta lui-même par un zele imprudent & peu modéré. La malignité d'un Prélat orgueilleux réveilla une querelle fagement étouffée depuis un fiecle par le Concile de Chalcédoine, fouleva 1'Orient & 1'Occident, défola les Diocefes par 1'exil & la dépofition des Pafteurs , fit répandre du fang jufqü'au pied des autels, & déchira le fein de 1'Eglifè par un fchifme opiniatre. J'ai différé de parler de cette conteftation jufqu'a cette année, oü elle fut décidéepar le cinquieme Concile général. Je me bornerai a raconter fommairement les faits, fansentrer dans le détail des queftions théologiques , qui ne font pas de mon fujet. II eft néceffaire de remonter y ij JUSTIKIEN. Ann. 555. XLIII. Troubles excités par les Seftateurs d'Origene. Baronius. Ftcury , hifi. ecclef. I. 33. un. 4- Nor in de Syn. 5. c. 1,1, 3-  JUSTINIEN. Ann. $53. 460 HlSTOIRE jufqu'a Porigine de ces troubles. Dès le commencement du regne de Juftinien , Saint Sabas étoit venu a Conftantinople demander juftice des violences exercéesen Palefline par quelques Moines turbulents, entêtés des erreurs attribuées a Origene. Les Perfes & les Vandales occupoient alors toute Pattention de 1'Empereur, tk lui paroilToient des ennemis plus redoutables que des Moines, quelque furieux qu'ils fuffent. Saint Sabasétant mort peu de temps après, les Origénifles redoublerent d'infolence; ils étoient foutenus parDomitien, Evêque d'Ancyre, & fur-tout par Théodore Afcidas , Evêque de Céfarée.en Cappadoce. Ce Prélat hautain, intriguant, accrédité auprès de 1'Impératrice, palfoit fa vie & la Cour, & jie réfida jamais un an entier dans fon Diocefe, comme le lui reprocha dans la fuite le Pape Vigile. Quoiqu'il ne fut pas plus favant que ne peut Pêtre un Evêque de Cour, il affefloit cependant un grand air de fuffilance, & c'étoit un des Prélats aveclefquels Juftinien palfoit une partie des nuits a difputar fur les mafieres  DU B.4S-EMPIRE. Liv. XLVIll. 461 eccléfiaftiques. II étoit Origénifte dans le coeur , & fervoit le parti avec zeIe , fermant tout accès auprès du Prince a ceux qui venoient fe plaindre des violences auxquelles fe portoient les fe£toteurs d'Origene. Malgré fa vigilance, on trouva moyen d'inftruire 1'Empereur. Pélage, Légat du faint Siege , aidé du Patriarche Mennas , lui fit connoitre les défordres de la Paleftine; &c le Prince , faifiïTant avec plaifir Poccafion de traiter des queftions de Théologie, ou la préfomption & la flatterie lui faifoient croire qu'il excelloit , au-lieu de donner les ordres , compofa une longue lettre circulaire : il y combattoit les Origéniftes; il lancoit 1'anathême contre chacune de leurs erreurs; il exhortoit les Prélats a profcrire cette pernicieufe doftrine. Cette lettre fut fouf crite par Mennas, par les Evêques qui fe trouvoient alors a Conftantinople , & par ceux de la Paleftine auxquels elle fut envoyée. Les foins de 1'Empereur pour ter» miner cette difpute, en firent naitre une nouvelle. Jaloux du crédit de Pélage, qui avoit engagé 1'Empereur V iij JlJSTt- ■ NIES. Ann. 5 5 3'. XLIV. Théodore engage 1'affaire des trois  JUSTINIEN. Ann. 553, Chapitres. 46a Hls T O I R E a fe déclarer contre les Origéniftes, Théodore réfolut de rendre le change a fon rival. La mémoire dEutychès étoit encore en honneur auprès d'un grand nombre de perfonnes-. On les nommoit Acéphales, paree qu'ils n'avoient point de chef. Sans adopter ouvertement les dogmes de cet héréfiarque , ils s'accordoient a rejetter le Concile de Chalcédoine. L'Impératrice favorifoit ce parti ; Juftinien , au contraire, avoit fort k cceur 1'acceptation du Concile : les Acéphales le nommoient par raillerie le Synodite. Selon fa méthode ordinaire , il avoit k ce deffein compofé des livres , qu'il fit diftribuer dans toutes les Provinces , & nous avons encore dans les aöes du fixieme Concile général, un long écrit de Juftinien contre les Neftoriens, & contre les Acéphales. L'Evêque de Céfarée lui perfuada qu'il réuniroit facilement tous les efprits , fi Pon corrigeoit feulement dans le Concile trois articles qui les fcandalilbient. Les Peres de Chalcédoine avoient regu Théodoret a la communion, fans condamner les écrits par lefquels il avoit  nu Bas-Empire. Liv. XLVIU. 463 combattu Saint Cyrille, & s'étoient contentés de Panathême qu'il avoit prononcé contre Neftorius ; ils avoient inleré dans les acfes, fans aucune marqué d'improbation , la lettre d'Ibas, Evêque d'Edelfe , au Perfe Maris , dans laquelle donnant des éloges a Théodore de Mopfuefte, qu'on regardoit comme le maitre de Neftorius , & qui avoit beaucoup écrit contre Origéne, il blamoit Saint Cyrille , & accufoit le Concile d'Ephefe d'avoir condamné Neftorius avec trop de précipitation, L'Evêque de Céfarée propofoit donc de flétrir par un jugement authentique les ouvrages de Théodore de Mopfuefte, les livres de Théodoret contre Saint Cyrille , & la lettre d'ibas. C'eft ce qu'on nomma les trois chapitres. Théodora qui vivoit encore , fe joignit a Théodore , en haine du Concile de Chalcédoine, dont elle efpéroit détruire 1'autorité , en le faifant réformer en quelque partie. Juftinien donna dans le piege : il publia contre les trois chapitres un édit, qui fut comme le fignal de la guerre. 11 y établit les dogmes CaV iv JÏJSTINIEW. Ann. 553. XLV. Edit de Juftinien contre le» trois Chapitres,  jUSTINIEN. Ann. 553. Chr. Altx. Proc. bel. Col. I. 4. c. 25. Earonius. Pagi ad Bar. Fleury, hifi. Ecclef. 1. 33. art. ai , 22. Noris de sy. J. c. 3. y. 4Ó4 HjSTOlRE tholiques contre Arius, Neftorius & Eutychès; il recoit les quatre Conciles , fait plufieurs canons contre les héréfies, anathématife les trois chapitres , & décide qu'on peut condamner les hérétiques après leur mort. Cet édit étoit adreffe a toute 1'Eglife. Les trois Patriarches de Conftantinople , d'Antioche & de Jérufalem , le foufcrivirent avec grand nombre d'Evêques en Oriënt. Mais le Pape, fecondé de toute 1'Italie, de 1'Ulyrie & de PAfrique, le rejetta, craignant de porter atteinte au Concile de Chalcédoine. Le Diacre Pélage, revenu depuis peu aRome, s'éleva fortement contre 1'édit. L'Empereur menaca d'abord, & paffa bientöt des menaces aux voies de fait. Les Evêques d'Orient qui refuferent de foufcrire, furent exilés & dépofés. Zoïle , Patriarche d'Alexandrie , fut chafle de fon fiege , & Apollinaire inftallé a fa place. La divifion éclata en plufieurs lieux; il y eut des Eglifes inondées de fang. L'armée de l'Em?ereur, qui marchoit au fecours des Lombards contre les Gépides, eut ^rdre de s'arrêter a Ulpiane en Mé-  nu Bas-Empire. Liv. KLFIIL 465 fie , oü 1'animofité de deux partis fe portoit aux dernieres violences. L'Empereur, dans 1'efpérance deramener les efprits , réfolut d'aifembler un Synode k Conflantinople. II y invita le Pape Vigile, qui, peutêtre , ne fut pas faché d'avoir ce prétexte de fortir de Rome, alors affiégée par Totila, & défolée par la famine. Le Pape, après un féjour de quelques mois en Sicile, fe rendit k Conftantinople. II y fut recu avec les plus grands honneurs; mais comme il nefe prêtoit pas aux intentions de PEmpereur , il elfuya bientöt les traitements les plus injurieux. II feroit trop long de fuivre pas k pas tous les procédés de ce Pape pendant huit années qu'il fut retenu k Conftantinople. II fufpendit de fa communion le Patriarche Mennas; il excommunia Théodore & 1'Impératrice même. Mennas fe vengea par un décret pareil contre le Pape , qui fe réconcilia enfuite avec lui, & leva les cenfures qu'il avoit fulminées contre Théodore & contre 1'Impératrice. Vigile tint des Synodes inutiles avec les Evêques Latins qu'il avoit amenés, V v JüSTINIEN. Ann. 5 5 3XLVI. Vigile a Conftantinople. -Liberat. brev. c- 22. Zon. t. II. p. 67. Niccph. I. 17- c- 26. Chr. Alex. Theoph. p. 190. Cedr. jf. 375- Anaft. p. 64. Idem , vita nt. Via. Tun. Mare. chr. Proc. Got. I. 3. c. 16. Paul Diae. 1. 16. Malela, p. 78 , 80. Aimoin. I. 2. c. 32. Earonius. Pagi ai Bar. Manfi ad Bar. Fleury, hifi.  JUSTIMEN. Ann. 5 5 3 Ecckf. h 33 art. 26 30 6* yaiv Noris Syn 5. 8- Murat. ecnr.al. hal t. ïii. p. 413» 465 HlSTOIRE Enfin il confentit a condamner les trois chapitres, &c par cette condefcendance il fouleva contre lui les Evêques d'Occident & lés propres Diacres. Au milieu de ces agitations, il ne perdit pas de vue les intéréts de ' fon fiege. Periécuté dans Conflantinople , il vint a bout de faire réciter fon nom dans les diptyques, avant celui du Patriarche. II efl louable des foins paternels qui 1'occupoient encore dans le temps même que fa perfonne étoit dans le plus grand danger : il écrivoitalors a Aurélin, Evêque d'Arles, pour le prier d'implo-' rer la protection du Roi des Francois auprès de Totila, afin que ce Prince ne fit aucun tort ni a 1'Eglife Romaine , ni a la Religion CathoKque. Cependant les Evêques d'Afrique tenoient des Conciles, oh ils excommunioient le Pape , qui les excommunioit a fon tour. D'un autre cöté , quoiqu'il eut condamné les trois chapitres , néanmoins comme il avoit ajouté une réferve qui fauvoit 1'autorité du Concile de Chalcédoine , les ennemis de ce Concile ne hai en favóient pas plus de gré. En-  uu Bas-Empire: Liv. XLVI1I. 467 fin, il convint avec 1'Empereur, qu'on aflembleroit un' Concile général oü fe rendroient des Députés de toutes les Provinces d'Orient Sc d'Occident. Le Pape demandoit qu'il fut tenu en Italië ou en Sicile ; ce qu'il ne put obtenir. Le Concile fut indiqué a Conftantinople. Les Occidentaux prévenus contre 1'Empereur Sc contre Vigile même , refuferent de s'y rendre. Leur refus détermina le Pape a retirer le jugement qu'il avoit donné par écrit contre les trois chapitres ? ce qui mit 1'Empereur dans une telle colere , qu'il donna ordre de 1'arrêter Sc de le mettre en prifon. Vigile averti fe fauve dans 1'Eglife de SaintPierre; le Préteur s'y tranfporte avec des foldats; on chafle outrageufement fes clers; on veut arracher avec vio» lence Ie Pape, qui s'étant réfugié fous 1'autel, en tenoit les colonnes embraflees. Comme il étoit grand Si puiflant, il entraine avec lui les colonnes ; la table de 1'autel tombe & fe brife ; le peuple accourt, prend le parti du Pape , &c met en fuite le Préteur Sc les foldats. Les principaux Sei gneurs de la Cour viennent le trou V vj JUSTINIEN. Ann. ;; j,.  JUSTINIEN. Ann. 5 5?. ] I 4üS HlSTOltLE ver de la*part de 1'Empereur, & Pengagent k revenlr fous la füreté du ferment au palais de Placidie, oü il avoit choili fa demeure. Comme on continuoit de 1'inquiéter, il s'enfuit k Chalcédoine dans 1'Eglife de SainteEuphémie. II excommunie de nouveau Théodore, & fufpend Mennas avec tous les Evêques de leur parti. Les follicitations du Clergé d'Italie portées a 1'Empereur par les Ambaffadeurs de Théodébalde, en faveur du Pape & de Datius, Evêque de Milan , abfent depuis quinze ou feize ans de Ion Eglife, ne produifent aucun effet. On preffe Vigile de retourner k Conftantinople, & on lui offre toute füreté; il refufe conftamment, k moins que 1'Empereur ne révoque fon édit eontre les chapitres. L'Empereur cede enfin, & réferve la décifion au Concile général. Théodore & Mennas & les autres Evêques font fatiffaöion au Pape, qui leve la fentence prononcée contr'eux. Mennas meurt Dientöt après; Eutychius, Moine d'Anafée, déclaré contre les trois chaütres, lui fuccede, & donne k Vi;ile fa profsflion dé foi.  nv Bas-Empixe. Liv. XLVJU. 469 Les Evêques d'Orient fe rendoient de toutes parts a Conftantinople. Comme le Pape n'avoit avec lui que trèspeu d'Evêques , tant d'Italie que d'IIlyrie & d'Afrique, il demandoit un Synode compofé d'un nombre égal de Prélats d'Orient & d'Occident. Cette propofition révolta les Orientaux : ils difoient qu'ils étoient venus de tant de Provinces éloignées , pour un Concile cecuménique; quune affemblée qui repréfentoit l'Eglife univerfelle , ne devoit pas être compofée d'un petit nombre; que dans les Conciles généraux, les Grecs avoient toujours fait la plus grande partie ; qua. Nicée , il n'y avoit que des Grecs; qua Chalcédoine , entre fix cents trente Peres, il ne s'étoit trouvt d'Occidentaux que les Légats du Pape Léon ; qu'on connoiffoit l'objlination des Latins en faveur des trois chapitres ; & que les faire venir, ce feroit s'expofera des difputes interminables, qui rendroiem le Concile fans effet. Sur ces repréfentations, 1'Empereur indiqua 1'ouverturedu Concile au cinquieme de Mai 553 ; c'étoit un lundi, jour auquel s'étoient onverts les quatre Conciles généraux. Trois Patriarches, & JüSTINIEN. Ann. 553. XL VII. ' Cinquieme Concile général.  JüSTINIEN. Ann. 5 5 J. 470 HlSTOIRE cent foixante & cinq Evêques y afiifterent. On y lut la lettre de 1'Empereur , qui proteftoit que fon plus grand defir étoit de rendre la paix a FEglife , en étouffant les hérélies, Sc de faire ceffer les troubles excités par ies Acéphales. Comme on favoit que les décifions du Concile n'auroient aucune force auprès des Occidentaux, li le Pape n'y avoit point de part, on Pinvita par la députation la plus honorable. II répondit qu'il ne pouvoit affifter a une affemblée , ou les Occidentaux étoient en trop petit nombre pour contrebalancer les fuffrages des Grecs; Sc qu'il enverroit en particulier k 1'Empereur fon avis fur les trois Chapitres. Les Officiers de 1'Empereur qui avoient accompagné les Evêques chez Vigile , exhorterent le Concile k prononcer en fon abfence, Sc on procéda a 1'examen des queftions. Eutychius, Patriarche de Conftantinople , prélida en Pabfence de Vigile. On condamna la doctrine Sc la perfonne de Théodore de Mopfuefte, les écrits de Théodoret contre Saint Cyrille, Sc la lettre d'Ibas ; mais on  du Bas-Empjre. Liv. XLVIIL 47* épargna la perfonne des deux der- niers, paree qu'ils avoient été admis a la communion de 1'Eglife par t\ le Concile de Chalcédoine. Les erreurs d'Origene, qui excitoient de fi grands troubles en Oriënt , furent auffi condamnées. Pendant la tenue du Concile, Vigile fit porter a 1'Empereur une conftitution, par laquelle il anathématifoit la do&rine de Théodore de Mopfuefte ; mais il prétendoit qu'on ne pouvoit rien prononcer contre fa perfonne, paree qu'il étoit mort dans le fein de 1'Eglife. II juftifioit Théodoret & Ibas , paree qu'ils avoient condamné Neftorius at Chalcédoine , & foufcrit aux décrets du Concile : il déclaroit nul & abufif tout ce qui feroit ftatué de contraire a cette Conftitution : elle étoit fignée de feize Evêques. L'Erhpereur n'en donna point de connoiffance au Concile , de crainte qu'elle ne fit quelque impreffion , & qu'elle ne retardat la condamnation des trois chapitres, qu'il fouhaitoit ardemment. C'eft ainfi que fe termina le einquieme Concile général, dont la derniere conférence fe tint le a de Juin. |USTINIEN. nn. 553.  JüSTINIEN. Ann. 553 XLVIIÏ. Suites rli Concile. ViS. Tun Proc. Vand. 1. i, C 26. Mare. chr. Anaft, vita Vigil. & Pdag. Earonius. Pagi aa Bar. Norit dt Syn. 5. c. 7, S, 9, 10. Pleury , hifi. ecclif. l- 33- c. 52 & fuiv. 472 HistoiRE Si Pintention de Théodore de Céfarée, qui en fut le principal promoteur, étoit de foutenir les Acéphales & les Origéniftes, la Providence divine ne permit pas un fi grand mal. Les décilions prononcées a Chalcédoine demeurerent hors d'atteinte, & les erreurs d'Origene furent frappées d'anathême. Quoique ce Concile n'ait été compofé que des Evêques d'Orient , cependant 1'acceptation de 1'Eglife univerfelle Pa enfin mis au rang des Conciles (Ecuméniques. La paix ne fut entiérement rétablie qu'après de longues & de vives conteftations. L'Empereur exila & dépofa les Evêques qui refuferent de foufcrire. Réparat, Evêque de Carthage , fut exilé a Euchaïtes, autrement Hélénople dans le Pont, ou il mourut douze ans après. On 1'accufa fauffement d'avoir fecondé Gontharis pour faire périr Aréobinde. Son Diacre Primafe fut placé fur fon fiege ; mais il en coüta du fang, & les Eglifes d'Afrique furent long-temps déchirées par un fchifme. Prefque tout 1'Occident fe révolta en faveur des  vu Bas-Empire. Liv. XLVI1L 473 trois chapitres; Sc il fe tint un grand nombre de Conciles particuliers, qui réclamerent contre celui de Conftantinople. Les Origéniftes ne ceflerent pas de troubler la Paleftine. Il fallut employer huit mois après, le fecours du Duc Anaftafe, pour les chaffer des monafteres. On fuborna des émiffaires, on fuppofa de fauffes lettres pour décrier en Italië Vigile & Datius , Evêque de Milan , & pour exciter les peuples a nommer d'autres Evêques k leur place. Enfin, le Pape fe rendit. II publia une conftitution par laquelle il adhéroit A la condamnation des trois chapitres. Narfès, k la foilicitation du peuple de Rome, demanda & obtint fon retour en Italië au mois d'Aoüt de l'année fuivante. Mais étant tombé malade en Sicile, il mourut des douleurs de la pierre k Syracufe. Pélage ayant obtenu avec Vigile la permiffion de retourner en Italië , fut élevé fur le fiege de Rome, au mois d'Avril 555. a la recommandation de Narfès, qu agiflbit par ordre de 1'Empereur. Cette éleöion excita de grands murmures on foupconnoit Pélage d'avoir foor- JUSTINIEN. Ann. 553;  JUSTINIEN. Ann. 553. XLIX. Schifme d'Aquilée. 1 1 474 Histoire dement contribué aux mauvais traitements que Vigile avoit foufferts a Conftantinople ; quelques-uns mêmes 1'accufoient d'être complice de fa mort. Ces foupcons injuftes n'étoient fondés que fur la faveur dont 1'Empereur 1'honoroit ouvertement. II fallut, pour appaifer les efprits , qu'il proteftat de fon innocence, en jurant fur les évangiles & fur la croix, en préfence du peuple affemblé dans 1'Eglife de Saint-Pierre. Les plus opiniatres a rejetter les décrets du Concile, furent les Evêques d'Iftrie & de Vénétie. Pélage exhortoit Narfès a ufer de contrainte a 1'égard de ces Prélats : mais ils porterent la hardieffe jufqu'a excommunier Narfès lui-même. A leur tête étoit Paulin d'Aquilée, qui prit dans cés troubles Ie titre de Patriarche , que fes fucceffeurs ont confervé. Le diftrici de cette métropole s'étendoit depuis lafeconde Pannonie, jufqu'a 1'Adia dans le Milanès, & comprenoit la flhétie, le Norique, Plftrie, la Vélétie & le Frioul. Les Evêques de :es Provinces demeurerent pendant )rès de cent cinquante ans féparés de  nv Bas-Empitle: Liv. XLFIII. 475 1'Eglife Romaine, & tinrent plufieurs Conciles pour la défenfe des trois chapitres. L'invafion des Lombards, qui fe rendirent maitres de ce pays, favorifa le fchifme, qui ne fut entiérement éteint qu'en 698 , fous le pontificat de Sergius. Depuis la deftruöion de la puiffance des Goths, tout prenoit une nouvelle ferme en Italië. Ce fut alors que les Empereurs, a 1'imitation des Rois Goths, commencerent A s'attribuer le droit de conhrmer 1'élection des Papes. On leur payoit a cet effet une certaine quantité d'or. Le fiege vacant étoit gouverné par les trois principaux Miniftres du Clergé, 1'Archiprêtre, 1'Archidiacre , & le Primicier des notaires. Ceux-ci notifioient a 1'Exarque la mort du Pape. Après les funérailles & un jeune de trois jours, on procédoit a 1'élecf ion , a laquelle alfiftoit le Clergé, les principaux de la ville, le peuple & les foldats établis a Rome pour défendre PItalie contre les Lombards. On faifoit enfuite part de 1'életf ion A 1'Empereur, dont on attendoit la confirmation. On en écrivoit a 1'Exarque. JUSTINIEN. Ann. 553. t. Nonvelle forrae de i'élection des Papes. Pagi ad Bar. Anafi. ie Agathone.'  ; Jwsti- HIEN. Ann. J5J. Ann. 554. LI. Progrès de Bucelin & de Leutharis. Proc. Got. I. 4. c. 21, 26. Theoph, p. 192. Mare. chr. Anafl. p. 64. Hifi. mife. I. 16. Paul, diac. L 8. 476 H 1 S T 0 1 R £ aux Juges, k 1'Archevêque & a 1'Apocrifiaire de Ravenne, pour les prier de s'intéreffer auprès du Prince, en faveur de celui qui avoit été élu. Après 1'agrément de 1'Empereur, le Pape élu étoit ordonné auprès de la confeffion de St. Pierre, il y pronon?oit fa profeffion de foi, & 1'envoyoit a toutes les Eglifes. L'obligation oü l'qn étoit d'attendre que 1'éleöion fut confirmée par 1'Emperenr, rendit les vacances du faint Siege beaucoup plus longues qu'elles n'avoient été auparavant. _ Après avoir raconté le plus fuccinftement qu'il nous a été poffible, ce qui concerne la condamnation des trois chapitres, il faut reprendre la fuite des affaires d'Italie. Au commencement du printemps de l'année 554, Narfès, qui avoit paffé 1'hyver a Rome , y raffembla fes troupes, & pour les tenir en haleine jufqu'a 1'ouverture de la campagne, il les occupoit aux exercices militaires. II avoit rappellé auprès de lui celles qui gardoient les défilés de 1'Apennin, paree que les ennemis, au-lieu de prendre la route de Rome, s'étoient approchés  du Bas-E^pire. Liv. XLF11L 7x7 du golfe Adj/iatique, & traverfant l'Émilie, la Flaminie , & le Picénum, s'étoient avancés jufque dans le pays des Samnites, déiblant tout fur leur paffage. Arrivés dans cette contrée, ils fe partagerent. Bucelin ayant pris avec lui les meilleurs troupes, ravagea la Campanie, la Lucanie, le pays des Brutiens, &pénétia jufqü'au détroit de Sicile. Leutharis mit a feu Sc a fang 1'Apulie Sc la Calabre jufqu'a Otrante. Les Francois faifant profeffion du Chriflianifme , épargnoient les Eglifes ; mais les Allemands , encore payens , après les avoir pillées , les détruifoient de fond en comble. D'ailleurs, les deux peuples , également fanguinaires, ne laiffoient après eux que des cendres &£ des cadavres. Les chaleurs de 1'été commencoient a fe faire fentir, &c les Allemands, Chargés de butin , ne les fupportoient qu'avec peine : ce qui détermina Leutharis a retourner au-dela des Alpes.. II confeiiloit a fon frere de prendre le même chemin , &c d'emporter en Allemagne les dépouilles de 1'Italie , fans s'expofer au iifque de les perdre dans la guerre, JUSTINIEN. Ann. 554  JUSTTNIEN. Ann. 554. LH. Deftruction de l'armée de Leutharis. Paul Diac. I. 8. Idem de gefl. Lang. I. 2. e. 2. Agath. 1.4. Greg. Tur. hifi. Franc. I. 3. c. 3ï. 478 HlSTOIRE dont les fuccès font toujours incertains. Mais Bucelin fut retenu par le ferment qu'il avoit fait aux Goths de combattre les Romains, 8c par 1'efpérance de la Royauté dont les Goths flattoient fon ambition. Leutharis partit après avoir promis a fon frere de lui envoyer des fecours , dès qu'il auroit mis fon butin en füreté. II cötoyoit la mer Adriatique'; 8c étant arrivé prés de Fano, il détacha trois mille hommes pour aller a la découverte. Artabane 8c Uldac étoient alors dans Pifaure avec quelques troupes de Huns & de Romains. Dès qu'ils appercurent les AIlemands, ils fortirent fur eux en bon ordre, les taillerent en pieces, en précipiterent une partie dans la mer, 6c mirent le refte en fuite. Ceux-ci porterent 1'allarme dans le camp de Leutharft, qui rangea fes troupes en bataille. Les prifonniers qu'il trainoit en grand nombre, proflterent du moment pour s'échapper, emportant avec eux tout ce qu'ils purent du butin. Artabane öc Uldac ne fe fentant pas alféz forts pour hafarder un combat contre toute l'armée ennemie, fe conten-  du Bjs-Empire, Lh. XLF1II. 479 terent de leur avantage, & fe renfermerent dans Fano. Leutharis, qui fe hatoit de fortir de 1'Italie, fe rapproeha de 1'Apennin , pour éviter les fables & les lagunes du rivage. Ayant palfé le Pö, il arriva enfin a Cénete, ville de la Vénétie, qui appartenoit aux Francois. II avoit perdu une grande partie de fon butin ; mais ce qui l'affligea davantage , fut une pefte meurtriere, qui fit périr en peu de jours tous fes foldats , & qui fut regardée comme le jufle chatiment de leurs facrileges. Le Général expira dans un accès de rage, pouffant des hurlements affreux, &c fe déchirant lui-même avec les dents. Les maladies faifoient auffi beaucoup de ravage dans l'armée de Bu- , celin. Les foldats, faute d'autres fub- i fiflances, fe nourriffoient de raifins, & ' la dyffenterie en emportoit un grand ! nombre. Bucelin réiblut de combat- J tre ayant que de les voir tous périr, \ & prit le chemin de la Campanie. II vint camper prés de Capoue fur le t Cahlin, riviere ainfi nommée d'une 1 ancienne ville qui ne fubfiftoit plus. Le pofte étoit avantageux : fa droite ] i JUSTINIEN. kaa, 554. lui. Bucelin narche tour li'rer baaille.igath. I, 2. •Aarc. chr. 'aul diac. ■ s. Idem de eft. Lang. ■ 2. c. 2. Marius Ivent. rrec. Tur. ijl. Franc. , 3.f. 32.  JUSTINIEN. Ann. 554, 4S0 HlSTOIRB étoit bordée de la riviere; il fe rendit maitre du pont, fur lequel il fit élever une tour de bois, qu'il garnit de fes meilleurs foldats pour défendre le paffage. II environna fes retranchements d'une forte palliffade; &C comme il avoit a fa fuite une infi-nité de chariots, il en fit enfoncer les roues jufqü'au moyeu, ne laiffant a fon camp qu'une iffue affez étroite. Avec ces précautions, il fe croyoit le maitre de ne livrer bataille que lorfqu'il le jugeroita propos. C'étoit pour lui un trifle préfage de ne point voir arriver les troupes que fon frere avoit promis de lui envoyer. Mais cette inquiétude ne lui otoit pas le courage ; il fe flattoit d'être en état de vaincre fans aucun fecours, fe voyant encore fuivi de trente mille hommes, au-lieu que Narsès en avoit a peine dix-huit mille. Plein de confiance , il ne ceffoit d'encourager fes troupes : Nous riavons encore, difoit-il, que parcouru 1'Italië; c'eft. fur ce champ de bataille que nous allons en prendre pojfeffïon : elle eft d nous, ft nous avons du cceur. Songe^ que fair en cette rencontre , ceft courir d la mort. Fous riave^ de ref- fource  du Bas-Empirb. Liv. XLVHl. 4S1 Jouree que dans la viélocre. Animés par ces paroles & par leur propre valeur, les Allemancls & les Frangois le prcparoient avec ardeur a un combat, dont le luccès devoit les rendre maïtres de la plus belle contrée de 1'univers. On ne voyoit dans tout le camp que fourbir des épées & des javelots, aiguifer des haches a deux tranchants, ajufter des boucliers. C'étoit-la toute leur armure; ils ne faifoient ufage nid'arcs, nide frondes, ni d'aucune forte de traits. Ils ne connoiffoient d'armes défenfives que le bouclier & le cafque : encore la plupart avoientils la tête nue, ainfi que le corps jufqu'a la ceinture; le refte étoit couvert d'un calecon de toile ou de cuir qui leur tomboit jufqu'aux pieds. Leurs javelots, d'une grandeur médiocre , pouvoient également être lancés & tenus k la main. Cette arme étoit 1'invention de l'induftrie la plus meurtriere. Le bois, prefque revêtu de lames de fer, réfiftoit a tous les efforts qu'on auroit faits pour le rompre ou le trancher. Au-delTous de la pointe, fortoient des crochets fort aigus en forme de hamecons recourbés vers le Tornt X. X JUïTI- sits. Arm. 554,  JUSTINIEN. Ann. 5J4 LIV. On fe pré pare è li Litaille. 482 H I S T O I Ti E bas ; en forte qu'on ne pouvoit le tirer du corps , fans déchirer cruellement la.partie ble'ffée. Si le javelot s'enforrcoit dans le bouclier, le foldat aecouroit aulTr-töt, & mettant le pied fur la hampe qui traïnoit a terre , il faifoit bailfer le bouclier; voyant alors fon ennemi a découvert, il lui fendoit la tête de fa hache, ou le percoit -d'un autre javelot. Narfès vint camper de 1'autre cöté de la riviere vis-a-vis des ennemis, & les deux armées démeurerent quelque temps en prélénce, fe rangeant tous les jours en bataille, fans en venir aux-mains. L'efpérance, la crainte, & tous ces mouvements incertains qui s'élevent & fe détruifent tour-a-tour a la vue d'un grand &c illuftre péril, agitoient également les deux partis. Toute 1'Italie en fufpens, attendoit le moment fatal qui devoit décider de fon fort. Cependant les troupes de Bucelin fubfilloient aux dépens des contrées voifines, qu'elles pilloient en liberté. Ghanarange fut chargé d'arrêter ces ravages; c'étoit ce même Arménien , qui, hx ans auparavant, avoit montré tant deté-  no Bas-Empire. Liv. XLVIIL 483 mérité dans la conjuration d'Arface. Depuis qu'il fervoit fous Narfès, il avoit joint la réflexion & la prudence a fa hardieffe naturelle; & il paroit, par fon exemple, &par celui de Dagifthée , que ce grand Capitaine avoit 1'art d'épurer les bonnes qualités de fes fubalternes , & d'en corriger les excès. Chanarange, a la tête d'un détachement de cavalerie , furprit un grand convoi, & tailla 1'efcorte en pieces. S'étant faifi de tous les chariots , il en fit avancer un chargé de foin fee, jufqü'au pied de la tour de bois qui défendoit le pont, & y mit le feu. La flamme gagna bientöt la tour, & forca les ennemis de 1'abandonner; ce qui rendit les Romains maïtres du paflfage. Les Allemands , outrés de dépit, courent aux armes, & demandent le combat malgré les devins de leur nation , qui leur défendoient de rien entreprendre ce jour-la. Narfès fait aufii prendre les armes a fes foldats, & paffe le fleuve. Au moment qu'il fortoit du camp, on lui annon^a qu'un Capitaine Érule des plus diftingués venoit de tuer un de fes domeftiques pour une faute léX ij JUSTINIEN. Ann. 554,  JUSTIN1EN Ann. J54. LV. Diipofition des 4.84. H I S T 0 I R^E gere; il s'arrêta auffi-töt, & donna ordre d'amener devant lui le meurtrier : Ce feroit, dit-il, attirer la coUre de Dieu fur nos tétes, que de combattre fans avoir puni ce forfait. Comme le barbare, loin de fe repentir de fon crime, s'en glorifioit avec audace, foutenant hautement qu'il étoit le maitre de la vie de fes gens, & qu'il traiteroit de même ceux qu'il jugeroit a propos, Narfès le fit tuer en fa préfence. Une fi prompte juftice révolta les Érules, ils jettent leurs armes, & refulent d'aller au combat. Narfès, fans s'inquiéter de leur mutinerie, fe tourne vers fes foldats, en difant : Qui veut vaincre me fuive ; & en même-temps il marche a 1'ennemi. Sindual, chef des Érules, faifant réflexion qu'il alloit fe couvrir de honte, lui & fa nation, & que leur colere ne paroitroit qu'une poltronnerie déguifée , envoya prier Narfès de les attendre. Narfès répondit , qu'il ne les attendroit pas; mais que s'ils vouloient le joindre, illeur affigneroit leur place. Lorfqu'il fut arrivé au lieu qu'il avoit choifi pour champ de bataille,  du Bas-Empire. Liv. XLVIII. 4S5 il fit halte, & rangea fon armée, 1'infanterie au centre, la cavalerie fur les aïles. II prit fon pofte a 1'aile droite avec fa maifon, commandée par Zandalas. Les flancs de l'armée étoient appuyés contre deux petits bois, derrière lefquels il pofta Valérien 6c Artabane, fuivis de leurs efcadrons, avec ordre de tourner le bois, 6c de charger 1'ennemi en flanc, lorfque le combat feroit engagé. En-avant de 1'infanterie étoit un grand corps de fantaffins armés de pied en cap, qui formoient la tortue; on nommoit ainfi un bataillon quarré dont toutes les faces 8c la partie fupérieure étoient couvertes de boucliers ferrés les uns contre les autres, en forte qu'il fembloit être une maffe foiide 8c impénétrable. Les troupes légeres, telles que les tireurs d'arcs 8c les frondeurs, fe tenoient a. 1'arriere-garde , attendant le fignal pour fe couler dans les intervalles, 8c venir faire leur décharge. II avoit réfervé une piace pour les Érules au centre de l'armée. Deux Érules qui avoient paffé du cöté des ennemis au moment de la mutinerie , 8c qui ne favoient pas qu'elle fut calX iij JUST1KIEK. Ann. 5 54. deux armées.  JUSTINIEN. 'Ann, 5J4, LVI. Bataille du Cafilin. 486 HlSTOIRE mée, les excitoient a combattre fans délai; les affurant que leur nation s'étoit féparée , & que tout étoit en défordre parmi les Romains. Bucelin n'eut pas de peine a croire ce qu'il fouhaitoit: perfuadé qu'il alloit tout renverfer du premier choc, il fondit rapidement fur 1'ennemi. Le centre de fon armée fe terminant en pointe, & s'élargiffant par la bafe, formoit ce qu'on appelloit tête de porc. Les ailes qui avoient beaucoup plus de profondeur, s'écartoient Tune de fautre de plus en plus k mefure qu'elles fe prolongeoient en-arriere , en forte qu'elles laiffoient entr'elles un grand vuide. La première attaque des Francois & des Allemands fut terrible, lis percerent a coups de haches le bataillon avancé, traverferent la première ligne par 1'efpace réfervé aux Érules qui n'étoient pas encore arrivés, renverferent la feconde ligne ; & fans faire beaucoup de carnage, pénétrerent jufqu'a la queue. Quelques-uns de leurs foldats coururent au camp de Narfès pour le piller. LesR.omains, aguerris par un long ufage, céderent  du Bas-Empire. Liv. XLFUL 487 k cette fougue, fans s'effrayer ni rom- pre leurs rangs, & le Général, toujours de fang froid au milieu des pé- j rils & du tumulte des batailles, dut a fa préfence d'efprit une viftoire qui fembloit être défefpérée. Par les ordres qu'il donna, les ailes fe replierent fur les ennemis qui traverfoient l'armée, &£ qui furent obligés de fe partager dos a dos, pour faire face a droite & a gauche. Cette difpolition fit naitre k Narfès une idéé touta-fait nouvelle & finguliere. Les cavaliers Romains de chacune des ailes , pofés derrière une ligne de fantaffins, accabloient fans ceffe les ennemis par des décharges meurtrieres; mais ils ne tiroient pas fur ceux qu'ils avoient en face ; les fleches qui partoient des deux ailes fe croifoient fur la tête des ennemis, & alloient percer a dos ceux qui faifoient face a 1'aile oppofée. Cette opération étoit facile k des cavaliers, qui, n'ayant devant eux que des fantaflins, découvroient aifément ceux qui leur tournoient le dos, & tiroient fur eux pardeffus ceux qu'ils avoient en tête. Les Allemands &c les Frangois , occupés X iv JUSTINIEN. Lnn. 554-  JUSTINIEN. Ann. 5 54. 1 1 1 1 ] \ 1 ] 4S8 HlSTOIRE a combattre 1'infanterie Romaine, fe fentoient per eer par-derriere fans voir d'oii leur venoient ces coups ; il en tomboit a la fois des rangs entiers, & leur nombre étoit déja fort diminué, lorfque Sindual arriva a la tête de fes Érules. II rencontra d'abord les foldats qui alloient piller le camp , & qui, fur le rapport des deux déferteurs, s'imaginoient que les Érules venoient fe joindre a eux. Mais Sindual les détrompa bientöt en fondant fur eux, taillant en pieces les uns , & pouflant les autres dans le fleuve , oü ils fe noyerent. S'étant joint enfuite aux Romains, il enfonga ce qui reftoit des deux lignes qui coupoientl'armée, & regagna le terrein ^ui lui étoit deftiné. Par tant d'heureux efforts, les troupes Romaines e rejoignirent, & fe retrouverent au néme état oü elles étoient au comnencement de la bataille. Elles coninuerent de poufler les Barbares eniérement rompus , & qui ne com>attoient plus que par pelotons. Dans :et affreux défordre, ils étoient ex)ofés a tous les coups; les fleches, es javelots, les épées en faifoient un  du Bas-Empire. Liv. XLVIII. 480 horrible carnage; la cavalerie les enveloppoit; Valérien & Artabane leur fermoient la retraite; tous tomboient fous le fer ennemi , ou périffoient dans le fleuve ou la terreur les précipitoit. Bucelin fut tué en combattant. Jamais viftoire ne fut plus complete: fi 1'on en croit Agathias; de trente mille hommes, il n'en échappa que cinq, &£ les vainqueurs ne perdirent que quatre-vingts hommes , qui furent tués dans le premier choc. II n'y eut pas un Romain qui ne donnat des preuves d'une valeur héroïque. Entre les auxiliaires, Aligerne fe fignala. Sindual & fes Érules mériterent par leur valeur que Narfès oubliat leur première défobéiffance. Mais c'étoit a Narfès que les vainqueurs rapportoient toute leur gloire; ils 1'admiroient comme un génie créateur, qui gouvernoit a fon gré le deftin des batailles, & qui favoit faire naitre la viftoire du feir même du défordre. Les Romains, après avoir enterrc leurs morts, recueilli les dépouille: & les armes des ennemis, pillé leiu camp, & détruit leurs retranchements X v JUSTINIEN. Ann. 5 54« LV1Ï. . Suites d la batai le.  JUSTINIEN. Ann. j J4- LVIII. L'Empereur doniie ordre au Gouvernement d'Italie, 490 HlSTOIRË retournerent a Rome chargés de butin, couronné de fleurs, chantant des airs de viftoire, & conduifant au milieu d'eux leur Général comme en triomphe. Ce fut alors qu'ils apprirent la deftruftion totale de l'armée de Leutharis. Le peuple, qui s'abandonne fans réferve a la joie comme a la trifteffe, ne pouvoit fe raffafier de fêtes, de jeux, de fpeftacles. II fe figuroit qu'il ne reftoit plus d'ennemi, 6c que 1'Italie , théatre d'une guerre fanglante depuis dix-neuf ans , alloit devenir a jamais le féjour de la paix & de 1'abondance. Les foldats fe livroient avec tout 1'emportement militaire a ces divertiffements tumultueux : mais Narfès les rappella bientöt a la févérité de la difcipline. Ce Général infatigable ne s'endormoit pas entre les bras de la viftoire ; il favoit que les fruits des exploits guerriers ne fe confervent que par i'aftivité qui les a produits. Quoiqu'il eut détruit en Italië la puiffance des Goths 6c les efpérances des Frangois, il lui reftoit encore beaucoup a faire pour y rétablir le bon ordre 6c la tranquillité, II fal-  du Bas-Empirë. Liv. XLFIIl. 491 ïóit releverles ruines dont cette vafte contrée étoit couverte, remédier aux défordres d'une longue guerre, réduire a 1'obéiffance le refte des Goths difperfés depuis leur défaite , arracher aux Frangois les conquêtes dont ils étoient en poffeftion au-dela du Pö. II donna fes ordres pour réparer les murailles des villes, &c les monuments publics de première utilité, Deux magnifiques infcriptions, qu'on lit encore fur le pont Salaro a une lieue de Rome, nous apprennent qucNarfès rétablit ce pont détruit pal Totila. II fit exécuter le réglemen que 1'Empereur avoit accordé a 1; priere de Vigile, lorfque ce Pape étoi parti de Conftantinople pour retour ner en Italië : c'eft ce qu'on appell la pragmatique de Juftinien; elle f trouve a la fuite des Novelles : ell eft datée du treizieme d'Aoüt de 1 vingt-huitieme année du regne de c Prince; c'eft- a-dire , de Pan 5 54, S adreffée au Chambellan Narfès, & Antiochus, Préfet du Prétoire d'Ita lie. En vertu de cet édit, les loix d Juftinien devinrent la regie des ji gements. On ouvrit a Rome des ée< X vj JUSTINIEN. Ann. 554. Pragmatici Juftiniani Grut. infcript. LXI. I , 2. Murat. ann. hal. t. 111. p. 145. t jj 1 c k e L>-  JUSTIKIEN. Ann t J4, 3 4 J i C F 404 H I S T O I R E lespubliques de Philofophie, de Médeerne, de Jurifprudence & de Belles-Lettres , & on rétablit les gages des Profeffeurs fondés par Théodoric, mais dont le payement avoit été interrompu pendant la guerre. Les acles de Théodoric , d'Athaiaric, d'Amalafonte & de Théodat furent ratings; 1'édit ne parle point de Vitigès; mais toutes les difpofitions de Totila furent caffées & abrogées;ü eft traité de tyran, fans doute paree que 1'Empereur prétendoit avoir acquis un nouveau droit fur 1'Italie par Ja ceftion de Vitigès, & par celle d'Eraric. II eft ordonné que les dommages caufés aux habitants foient réparés autant qu'il eft poftible, & que les années de la guerre ne foient point comptées pour acquérir la prefcription de trente ou de quarante ans. fuftinien recommande au Pape & au >énat l'infpeftion des poids & des nefures; il corrige les abus fur le :ours des monnoies, il regie les im>óts, il défend aux gens de guerre de e mêler des jugements civils. Quoiue Narfès employat tous fes foins our rendre a Rome fon ancien lui-  du Bas-Empire. Lfo. XLFIIL 493 tre , cependant' le fiege du gouvernement fut fixé a Ravenne , a caufe de fa fituation. Ce fut ainfi que le Royaume des Goths prit fin en Italië. II avoit fubfifté foixante ans, k compter depuis que Théodoric s'étoit rendu maitre de Ravenne. Cert mal-a-propos que le nom des Goths eft décrié auprès du vulgaire. Cette nation illuftre, après avoir fubjugé 1'Italie par fa valeur, méritoit de s'en faire aimer par fon humanité & par fa jufiice. Les Goths traiterent les vaincus comme leurs freres; ils ne changerent rien aux magiftrats , aux loix, aux coutumes des Romains. Ils leur permirent même des relations de déférence & de refpett avec leurs anciens maitres. Quoiqu'attachés a 1'Arianifme , la plus intolérante de toutes les fecles, ils ne furent point perfécuteurs. Cependant cette différence de Religion fut Punique caufe qui fit fouhaiter aux Italiens de changer de maitres; ils en changerent, & ne furent pas long-temps fans fe repenlir. Dans une fuite de huit Rois, les Goths avoient eu deux héros, Théodoric & Totila; 1'un avoit conquis JUSTINIEN.  JUSTINIEN. Ann. 5 54, L1X. Prife de Compfa. Agath. 1.2. 494 Mis t 0 i r e 1'Italie fur un gue-rrier fameux & redoutable; 1'autre avec le même génie , la perdit par les fuccès inefpérés d'un Général dont les talents avoient été inconnus jufqu'alors. Sept mille Goths s'étant réunis , fe jetterent dans Compfa, aujourd'hui Conza, ville du pays nommé Principauté ultérieure. La place étoit trèsforte, & fituée fur une montagne efcarpée. Réfolusdes'y bien défendre, ils avoient a leur tête Ragnaris, Hun de nation, guerrier auffi rufé qu'intrépide , très-propre a gagner le cceur de la multitude, & paffionné pour la gloire. II avoit formé le deffein de raffembler tous les Goths répandus en Italië, & de renouveller la guerre._ Narfès, pour étouffer 1'incendie qui menacoit de renaitre , marcha lui-même a Compfa; & comme la place étoit inacceflible a une armée, il 1'environna d'un blocus. Les affiégés bien fournis de vivres, pafferent 1'hy ver a faire fur les Romains de fréquentes forties pour les forcer a fe retirer : mais la vigilance du Général rendoit inutiles tous leurs efforts. Au printemps, comme ils s'enr  nu Bas-Empire. Liv. XLVIIL 495 nuyoient d'être fi long-temps renfermés , Ragnaris propofa une entrevue a Narfès, & s'y rendit avec une efcorte peu nombreufe. Mais Narfès voyant que ce barbare enflé d'un vain orgueil, ne propofoit que des conditions déraifonnables, rompit la conférence , & fe fépara fans rien conclure. Ragnaris, plein de rage &C de dépit, n'étoit pas encore éloigné d'une portée de trait, lorfqu'ayant bandé fon are, & fe tournant tout-acoup, il tira fur Narfès qu'il n'atteignit pas. Sa perfidie fut punie fur le champ : les gardes de Narfès firent fur lui une décharge de fleches, dont il fut mortellement bleffé. II mourut deux jours après, & les affiégés fe rendirent, a condition d'avoir la vie fauve. Narfès, pour les éloigner de 1'Italie, les envoya tous a 1'Empereur. La réduöion de Compfa termina la conquête, & Narfès gouverna 1'Italie pendant treize ans fans aucun titre nouveau. Ce fut Longin, fon fucceffeur en 567 , qui porta le premier le nom d'Exarque. Comme les Frangois, qui, depuis quelques an- JUSTIN1EN. A.nn, 554. LX. Conquête Je 1'Italie schevée. Agaht. 1.1. Marius AvcnL Grsg. Tur. hifi. Franc,  Justinten.Ann. 5 54. /. 9. e. 20. h 10. c. 3. Buinart ad Greg. Tur. I- 4- <=■ 9. VaUf. rer. Fr. 1. 8. Murat. ann. hal. t. III, P. 448, 453. Pagi ad Bar. 496 HlSTÖIRB nées, poffédoient plufieurs places dans la Ligurie & la Vénétie, avoient fourni des troupes a Leutharis & A Bucelin , Narfès envoya pour les déloger un detachement qui fut défait. Les Francois pourfuivirent les vaincus jufqu'au-dela du Pö, & firent un grand ravage. Mais Narfès les battit a fon tour , & les forca d'abandonner ce qu'ils poffédoient entre le Pö &Z les Alpes. Cependant on voit encore peu de temps après, Clotaire maitre de quelque portion de cette contrée; & lorfque les Lombards s'y établirent , ils payerent tribut aux Rois de France. Pour ce qui eft des Goths , ils ne furent pas tous chaffés d'Italie. Ceux qui fe foumirent a 1'Empereur, & qui lui jurerent fidélité, eurent la permifiion d'habiter dans les lieux oü ils avoient fixé leur demeure. Mais laVindélicie fut a jamais perdue pour PEmpire. Elle fut occupée par les Bavarois, nommés alors Bajoares , qui defcendoient des anciens Boïens établis en Germanie. lis s'étoient joints aux Allemands contre Clovis, & ayant été paincus avec eux a Tolbiac, ils ref-  du Bas-Empire. Liv. XLFIII. 497 terent foumisace Prince, & après lui aux Rois de la France Amtrafienne. Lorfque Théodébert fe fut emparé de la Vindélicie, il y fit paffer les Bavarois , qui s'emparerent encore d'une partie du Norique. Ce fut alors que ce pays prit le nom de Baviere. La contrée qu'ils habitoient auparavantau-dela de la riviere du Lech, rut laiffée aux Allemands ; c'eft la Souabe d'aujourd'hui. Juftinien occupé du recouvrement de 1'Italie, négligea le foin de la Vindélicie; &c I'invalion des Lombards affura aux Bavarois la poffeffion de cette contrée. Ils étoient gouvernés par des Ducs, qu'ils choififfoient eux-mêmes, & I'éleólion devoit être confirmée par le Roi des Frangois, qui pouvoit les deltituer. Ces Ducs étoient cependant fouverains , & avoient droit de vie & de mort fur leurs fujets. Théodébalde, Roi d'Auftrafie , étant mort cette année ou la fuivante , fa veuve Valdrade , rille de Clotaire, époufa le Duc de Baviere. 11 s'offrit dans le même temps a 1'Empereur une occalion de regagner une partie de 1'Efpagne. Athanagilde JlISTIN1EN. Ann. 5;4Ö Lxr. Les Romains reutrent en Efpagne.  JUSTINIEN. Ann. 5 54. Greg. Tur. hifi. Franc. I. 4. c. 8. lfid. chr. I. 4- Paul diac. de gijl. Lang. I. 3. C. 28. Mariana, hifi. Hifp. 1. 5- e.9Z- 6. c. 4. JPa/e/; rer. Franf. /. S. ] 1 1 1 498 H/STOIRE s'étant révolté contre Agila, Roi des Viligorhs , demanda du fecours a Juftinien , avec promeffe de céder a 1'Empire une grande étendue de pays. Le Patrice Liberius partit avec une flotte a deffein de profiter de ces troubles pour reconquérirl'Efpagne. Agila, défait prés de Séville par le fecours des Romains, s'enfuit a Mérida; & Liberius , felon la convention , demeura maitre d'un grand pays qui s'étendoit d'une mer a Pautre dans Ia Bétique &c Ia Lufitanie. Mais les Seigneurs Vifigoths, craignant que les Romains, a la faveur des guerres civiles, ne vinffent a bout de fubjuguer toute 1'Efpagne, comme ils avoient reconquis i'Afrique, tuerent Agila, & fe réunirent tous fous Athanagilde. Celui-ci ne fe vit pas plurót paifible polfeiTeur , qu'il voulut fe défaire de fes alliés. II leur fit une ;uerre fanglante, oü il fut tantöt vain:u, tantöt vainqueur. Liberius cou■ut avec fa flotte toute la cöte d'Ef)agne, fit une defcente dans 1'Aqui:aine, & attaqua Bordeaux, dont il ie put fe rendre maitre. Les Ronains fe fo.utinrent fi bjen par leur  nu Bas-Empire. Lh. XLVIIL 499 courage, & par les-fecours qu'ils recevoient d'Afriqueque ni Athanagilde ni fes fuccelfeurs, ne purent pendant foixante oc dix ans les chalfer du pays. Le Duc Francion qui fuccéda k Liberius, réduifit la Cantabrie. II avoit commandé en Italië fous Narfès, & il devint enfuite encore plus célebre, ayant tenu pendant vingt ans dans une iïle du lac de Cöme contre les Lombards. II fut enfin obligé de la rendre k Autharis, Roi de cette nation, après un fiege de fix mois, & obtint une capituiation honorable. Ce que 1'Empire poffédoit en Efpagne s etendoit le long de la mer, & fe 'prolongeoit dans les terres jufqu'a Ebora , que les Vifigoths fortifierent pour fe défendre contre les courles des Romains. On voit encore dans cette ville deux tours d'une ftructure très-folide , que la tradition du pays dit avoir été baties dans ce tempsla. Cette contrée reconquife fe divifoit en deux Provinces , fous le Gouvernement de deux Patrices. Vers 1'an 613, Suinthila, Roi des Vifigoths, gagna par adreffe un de ces Gouverneurs , vainquit 1'autre , & vint k JUSTINIEN. Inn, 554.  JUSTI- NIEN. .Ann 554 LXII. Tremblements de terre. Agath. 1.1. 'héoph, p. CU. p. '4. 185. ijl. mifc. I. 16. Anajl. p. 65. MaUla , p. So. AJfemani , tUl. Or. t.ll.p. 89. 5C0 HlSTOIRE bout d'éteindre entiérement en Efpagne la domination Romaine. II ne fe paffoit guere d'année que 1'Orient ne vit quelque ville ébranlée ou détruite par les tremblements de terre. En 554, le quinzieme d'Aoüt, i! y en eut un terrible qui fe fit fentir en des pays très-éloignés 1'un de 1'autre. II Jura quarante jours a Conftantinople, oü il renverfa quantité de maifons, des Eglifes, des bains publiés , une portion des murs de la ville. Grand nombre dhabitants y périrent. On fit dans la fuite mémoire annueüe de ce défafire , & tout le Clergé alloit ce jour-la en proceffion a 1'Hebdome. Nicomédie fut ruinée en grande partie, ainfi que Béryte , qui, depuis quelques arinées , avoit déja plufieurs fois éprouvé ce fléau. En attendant qu'elle fut rebatie , fes écoles de Droit, célebres dans tout PEmpire, furent transférées a Sidon. Quelques fecoufles, quoiqu'affez légeres , jetterent néanmoins une grande allarme dans Alexandrie , paree que la terre ne tremble jamais en Egvpte , & que les maifons de cette ville n'étant baties que  nu Eas-Empire. Liv. XLVIIL 501 d'un feul rang de briques , pouvoient être aifément renverfées. L'ille de Cos fut plus maltraitée que les autres pays. La mer s'étant gonflée jufqu'a une hauteur extraordinaire, inonda fes rivages, entraïna les maifons & les habitants. L'intérieur de 1'ifle fut fi violemment ébranlé , que de tous les édifices, il ne refia fur pied que les cabannes des payfans , conftruites de terre. L'Hiftorien Agathias, qui revenoit alors d'Alexandrie a Conftantinople , fut témoin de ce malheur. La ville de Cos n'étoit plus qu'un amas confus de pierres, de terre, de colonnes & de poutres brifées. Toutes les eaux des fources étoient devenues ameres comme celles de la mer. Au milieu de ces déplorables ruines , on voyoit errer ca & la quelques habitants échappés è la deftruöion générale, mais pales & livides, qui fembloient être des cadavres fortant de leurs fépulcres. II ne reftoit plus d'autre ornement a cette ifle célebre , que la mémoire de fa fameufe école de médecine, &z la gloire d'avoir été le berceau d'Hippocrate & d'Apelles. Le feptieme de JUSTINIEN. A.nn. 554.  JUSTtNIEN. Ann. 5 54, LXIII. Loi fur les Comédiennes.Navel. 51. Novel. 14. Cod. I. 5. til. 4. leg. 29. Cod. Th. I. 15. fit. 7. 'leg. 12. 502 HlSTOIRE Septembre, k la troifieme heure du jour, 1'Eglife de Cyzique s'écroula toute entiere , pendant qu'on y li foit 1'Evangile , & fervit de tombeau a une foule de peuple. La corruption des mceurs avoit introduit une coutume , qui tenoit les femmes publiques enchainées a la débauche. Elles s'engageoient u ceux qui exercoient ce trafic infame , & leur donnoit caution qu'elles ne déferteroient pas. Si le repentir leur faifoit changer de vie , les cautions payoient la fomme lüpulée. Juftinien avoit aboli cet ufage criminel ; il avoit auffi profcrit ce cautionnement k 1'égard des femmes de théatre , que les loix Romaines confondent avec les proftituées. Mais les maitres de troupe avoient inventé une autre forte d'engagement; ils faifoient prêter ferment aux comédiennes , qu'elles ne quitteroient pas le fervice du théatre; & par fcrupule, dit la loi, pour ne pas commettre un parjure, elles continuoient le commerce de proftitution. L'Empereur défendit cet abus impie du ferment; il condamna ceux qui 1'exigeroient, a une amende de  du Bas-Empire. Lh. XLVIII. 503 dix livres d'or au profit de la comédienne qui renonceroit au théatre. Les Magiftrats eurent ordre d'y tenir la main, fous peine de payer eux-mêmes cette fomme. A leur défaut, les Evêques furent chargés de veiller a 1'exécution de cette loi, & de s'adrelfer a 1'Empereur, s'il étoit befoin de contrainte. Fin du Tome dixieme. JUSTIHIEN. Ann. 5 54.