HISTOIRE D U B ASEM PI RE. T O M E O N Z I E M E.   HISTOIRE D U B AS-EMPIRE, EN COMMENCANT a CONSTANTIN le Grand. Par Monfieur L E B EAU, Profejfeur Émérite en TVniv e ns 1t é de Paris ; Profejfeur d'Éloquence au College Royal, Secretaire ordinaire de Monseigneur le Duc d'Orleans , & ancien Secretaire pcrpétuel de l'Académie Royale des Inscriptions et Belles-Lettres. tome onzieme. A MAESTRICHT, Chez Jean-Edme Dufouk. & Phil. Roux, Imprimeurs-Libraires, aiïöciés, M. jDCC. LXXX,  J  I SOMMAIRE D V LIVRE QU AR ANTE - NEUVIEME. l. M.AUVA1S fuccès des Romains en Lapque. II. Mort de Mermeroês. III. Guba^e injirait l'Empereur de la mauva'ife conduite de fes Ge'néraux. IV. Complot contre Guba^e. v. II cfi affaffinL VI, Cinquante mille Romains défaits par trois mille Perfes. vu.. Les La^es dêputent a Juflinien. vin. Succes de Vambaffade. IX. Mafacre de Sotérique. X, Les Dolomites défaits par les Sabirs. XI. Inutiles propofitions de paix, XII. Les Perfes & les Romains marchent a la ville de Phafe. XIli. Préparatifs pour la défenfe. XIV. Attaque de la ville. XV. Stratagême de Martin. XVI. Nouvelle attaque. XVII. Défaites des Perfes. XVlii. Retraite de Nachoragan. XIX. Condamnadon des. affajfins de Guba^e. XX. Les Mifimiens fe donnent aux Perfes, xxi. Les Romains leurfont la guerre. T-vme XI. A  2 SOMMAIRE XXII. Les Mijimiens majfacrent les députés des Apfüiens. XXIII. Cruelle vengeance des Romains. XXIV. Réduclion des Mijimiens. XXV. Jujlin fübjlhué a. Martin. XXVI. Concuffions de Jean ÜAfricain. xxvil. Supplice de Machoragan. XXVIII. Sufpenfion darmes entre les P erf es & les Romains. XXIX. Les Zannes fubjuguis. XXX. Sédition des Juifs. XXXI. Sédition a Conjlantinople. XXXII. Tremblement de terre. XXXIII. Pejie a Conjlantinople. XXXIV. Defordres réprimés par l'Empereur. XXXV. Ambaffades des Abares. XXXVI. Alliance des Romains avec les Abares. XXXVII. Guerre des Abares contre les Huns & les Antes. XXXVIII. Ambajfade & origine des Turcs. XXXIX. Les Abares trompés par Juflinien. XL. Etat de CEmpire dans la vieillejfe de Juflinien. XLI. Incurfion des Huns. XLII. Dernier exploit de Bélifaire. XLIII. Défaite des Huns. XLiv. Suites de cette défaite. XLV. Attaque de la Cherfonnefe. XLVI. Vaine entreprife des Barbares. XLVII. lis fe retirent. XLVIII. Zabergan repajje le Danube. XLIX. L'Empereur feme la difcorde entre les Huns. L. lis fe détruifent mutuellement. LI. Troubles a Conjlantinople.  DU LlVRE XLIXe. 3 Lir. Payens punis de mort. LUI. Sédilions des faBions du Cirque. LIV. Divers événements. LV. Négociation pour la paix avec les Perfes. LVI. Articles du traité. LVII. Orgueil du Roi de Perfe. Lvin. Pierre ejfaye de rabattre la fiertê d'Ifdigune. LIX. Conclufion de la négociation. LX. Pieux ftratagême <£Anicia. LXI. Famine a Conjlantinople. LXIL, Succes de Nurses en Italië. LXIH. Confpiration contre Juflinien. LXiv. Difgrace de Bélifaire. LXV. Fable de Üaveuglement & de la mendicité de Bélifairei LXVI. Révolte en Afrique. LXVir. Factieux punis. LXVIII, Divers événements. LXix. Juflinien tombe dans l'héréjïe. LXX. Ilperfécute les Calholiques. LXXI. Sa mort. LXXII. Ses funtrailhs. A ij   HISTOIRE D u B AS E M P I RE. L1VRE QUAR ANTE - NEUV1EME. JUSTINIEN. Pendant que Narfès, toujours ftüvi de la vifloire , travailloit k réduire 1'Italie , des Généraux d'un mérite fort inférieur, continuoient la guerre en Lazique avec différents fuccès. Martin , Beffas & Buzès ne manquoient ni d'expérience, ni de courage. L'Empereur leur avoit joint depuis peu Juftin rils de GeEmain, déja A iij JVSTINIEN. Ann. 554. I. Mauvais fuccès des Romains en Lazique. Agath. I, 1.  JUSTIW1EN. Ann, 5 f4. 6 Uistoire connu par fa valeur. Mais l'aöivité de Merméroës & la fupériorité de fes forces les obligeoient de fe tenir fur la défenfive. Nous avons laifle ce Général k Muehirife, oü il s'étoit retiré fur la fin de Fannée 551, après ayoir effuyé plufieurs échecs. L'année fuivante , il marcha vers la fortereffe de Téléphis , fituée k 1'entrée de la Lazique, entre des rochers Sc des précipices. Les lieux d'alentour étoient couverts de marais profonds & d'épaiffes forêts, qui en rendoient l'accès très-difficiie. Martin, connoiffant 1'importance de cette place, s'y étoit enfermé avec une partie de fes troupes , qui travailloient avec ardeur k boucher toutes les avenues par de groffes pierres & des abattis d'arbrës. Merméroës, n'efpérant pas de forcer le paffage, eut recours au ftraragême. II fe mit au lit, comme s'il eüt été dangereufement malade, 5c paffa plufieurs jours fans fe laiffer voir, même k fes plus intimes amis. Les efpions ne tarderent pas k faire favoiraux Romains, que le Général Perfe étoit k 1'extrémité; Sccette nouvelle fit cefier les travaux. Perfuadés  du Bas-Empirb. Liv. XLIX. 7 qu'ils n'avoient rien a craindre d'une armée fans chef, ils ne fongerent plus qu'a fe divertir, fe répandant fans précaution dans les campagnes d'alentour, comme en pleine paix. La négligence s'accrut encore par le bruit qui courut que Merméroës étoit mort. Mais dès le lendemain, ce Général s'étant montré aux Perfes, les fit marcher en diligence; & ne trouvant d'obftacle que dans la difficulté des chemins, il'arriva bientöt a la vue de Téléphis. Cette apparition imprévue caufa tant de furprife aux Romains, que Martin ne put les retenir; ils abandonnerent la piace, pour aller joindre le gros de 1'armée, qui n'étoit éloignée que d'un mille; mais dans un terrein fourré & plein de rochers, la vue ne s'étendoit pas jufqu'a cette diftance. Martin laifia dans un bois, prés de la fortereiTe, cinq cents cavaliers Zannes, commandés par un de fes plusbraves Officiers, nommé Théodore, auquel il ordonna d'obferver le nombre & Ia contenance des ennemis , & de revenir promptement Pavertir, s'il les voyoit difpofés.a venir attaquer l'armée Romaine. En A iv JUSTINIEN. Ann. 5 5 4.  JUSTIN1EN. Aun. 554. TI. Mort de Merméroës. 8 HlSTOIRE effet, dès que les Perfes furent maitres de la forterefle, ils en fortirent pour marcher aux Romains. Théodore , conformément a fes ordres, prit les devants, & rencontrant fur fon paffage quantité de foldats Romains, qui s'étoient débandés pour piller les cabanes des Lazes, il les avertit du péril oü ils étoient. Plufieurs d'entr'eux, aveuglés par l?amour du pïllage, ayant refufé de fe joindre a lui, furent bientöt furpris & taillés en pieces par les ennemis qui fuivoient de prés Théodore. Déja les fuyards avoient jetté 1'épouvante dans le camp; la vue de 1'armée des Perfes acheva de déconcerter les Généraux, qui ne s'attendoient pas a une attaque fi brufque. Officiers & foldats, tous prennent la fuite, abandonnent leur bagage , & ne s'arrêtent qu'a fept lieues de-la, dans une ifle formée par un canal, qui réuniffoit les eaux du Phafe & du Docone, au-deflus du confluent de ces deux rivieres. Merméroës s'empara du camp des Romains, & fit beaucoup de railleries de leur lacheté. Cependant il  nu Bas-Empire. Liv. XL1X. gn'ofa les attaquer dans leur ifle, craignant de manquer de fubfiftances au milieu d'un pays ennemi. II paffa le Phafe fur un pont de bateaux; & après avoir renforcé la garnifon du chateau d'Onogure, dont il s'étoit rendu maitre, pour tenir en bride la ville d'Archéopolis, il fe retira dans Muchirife. Etant tombé véritablement malade, il y laiffa la plus grande partie de fes troupes, pour maintenir fes conquêtes, & repaffa en lbérie, oü il mourut bientöt après. C'étoit le meilleur Général de la Perfe, inftruit par une longue expérience , auffi prudent que courageux. Quoique fes bleffures lui euffent de* piüs long-temps öté 1'ufage des jambes , 6c que fon grand age 8c fes infirmités le miffent hors d'état de fe tenir a cheval, il fupportoit toutes les fatigues de la guerre auffi conftamment que le plus jeune de fes Capitaines; fe faifant porter dans les batailles , il donnoit fes ordres avec urie préfence d'efprit admirable; & la vue de fa litiere fuffifoit pour infpirer le courage a fes foldats, & la terreur aux fnnemis, II remporta fouvent 1'avanA v Jusit- NIEN. Ann. 5 54,  Justinten.Ann. JJ4. 10 HlSTOIRE rage fur les troupes Romaines, & balanc,a les fuccès tant qu'il vécut. Après fa mort, fon corps fut porté hors de la ville, & abandonné aux chiens & aux oifeaux de proie. C'étoit une coutume barbare qui fubfiftoit depuis long-temps chez les Perfes, fondée fur une opinion fort bifarre. Ils s'imaginoient que ceux dont les cadavres reftoient expofés pendant plufieurs jours fans être déchirés par les bêtes, étoient des méchants & des ïmpies, condamnés aux fupplices infernaux; leurs amis & leurs parents pleuroient amérement leur fort. On fe réjouiffoit au contraire du bonheur de ceux qui étoient promptement dévorés : on les révéroit comrae des faints: leurs ames toutes divines jouiffoient déja de la félicité célefte. Dans Ie cours des expéditions, les fimples foldats étoient traités d'une maniere très-inhumaine : s'ils paroiflbient atteints d'une maladie incurable, on les alloit expofer loin du camp, & on laiffoit a cöté d'eux un morceau de pain , un vafe plein d'eau , & un baton, afin qu'ils puflent fe défendre contre les bêtes. Dès que ces rmfé-  nu Bas-Empire. Liv. XLIX. ii rables n'en avoient plus la force, toute efpérance étoit perdue pour eux; ils fe voyoient déchirer tous vivants. S'ils ne périffoient pas dans eet abandon, & qu'ils repriffent affez de forces pour retourner dans leur patrie, on les fuyoit avec horreur, comme des ombres revenues de 1'enfer; & ils ne pouvoient rentrer dans la fociété, qu'après avoir été purifiés par les Mages. On peut dire qu'il n'y eut jamais de nation policée, qui , foit pour les mceurs , foit pour les ufages, alt donné dans des excès plus monftrueux que les Perfes. Des inftitutions très-fages étoient parmi eux déshonorées paf des pratiques, les unes infenfées, les autres cruelles ou contraires a la nature. Chofroës, affligé de la mort de Merméroës , donna le commandement des troupes de Lazique a Nachora- \ gan, un des Seigneurs les plus diftin- i gués de fa Cour. Tandis que ce Gé- 1 néral fe préparoit au départ, les Ro- ' mains furent fur le point de perdre r la Lazique; & ils le méritoient fans doute, par un de ces forfaits qui flé- : triffent une nation entiere. Gubaze A v] JUSTI- N1EN. A,nn. 55 4. ia. Gubaze nflruit Empeeur de Ia ïauvaife onduite e fes Gé JUX. Agath-, i.  Justinten.Ann. ^ 54, ] j i 1 ( « 1 i 1 i < ] J i t 1 1 t 12 HlSTOlRE R-oi des Lazes, Prince génémtx & fincérement. attaché a 1'Empire , ffldigné de 1'affront que les troupes Romaines avoient recu, & craignant encore plus pour la fuite, avertit l'Empereur de la mauvaife conduite de fes Généraux. II accufoit fur-tout Martin, Beffas & Ruftique. Ce dernier étoit tréforier de 1'armée; & eet ;mploi le rendant diftributeur des *races & des récotnpenfes, lui donloit ua grand crédit; en forte que ■ien ne s'exécutoit que par fes avis. -.es plaintes portées contre Beffas, irent le plus d'impreffion fur 1'efprit le Juftinien, déja mécontent de ce Sénéral, qui, deux ans auparavant, iprès la prife de Pétra, au-lieu de ermer aux Perfes 1'entrée du pays, ie s'étoit occupé qu'a défoler , par es concuffions, le Pont & PArménie. Üeffas fut donc dépouillé de fes biens, >c relégué dans le pays des Abafges. -,'Empereur , quoiqu'irrité contre bartin, lui laiffa le commandement, ans doute par un effet de ces proeöions de Cour, qui, pour fauver 'honneur d'un particulier, déshonoentl'Etat, & ruinent les affaires, pufiques.  du Bas-Empire. Liv. XLIX. i» Ce Général, jaloux du crédit que Gubaze avoit auprès de PEmpereur, le haïffoit mortellement; & Gubaze, peu capable de diffimuler , n'épargnoit pas les Commandants Romains: il ceniuroit ouvertement, tantöt leur négligence, tantöt leur avarice ; en forte qu'au-lieu de concert entre le Roi & les Généraux, ce n'étoient que défiances & contraöions mutuelles. Les avis donnés k l'Empereur acheyerent d'aigrir Martin & Ruftique; ils réfolurent de s'en venger, & de prévenir par la mort de Gubaze, les mauvais offices qu'il pourroit encore leur rendre. Dans une entreprife fi criminelle, il falloit s'affurer de 1'impunité, & fonder d'avance les difpofitions de Juftinien. Ils envoyerent donc a la Cour Jean, frere de Ruftique , qui, dans une audience fecrete , dit k 1'Empereur que Gubaze traitou avec les Perfes, & qu'il alloit incefamment les mettre en pojfefpon de la Lazique, fiVon ne fe hdtoit de prévenir fa trakifon. L'Empereur, frappé de ce rapport, fans y donner une entiere creyance , répondit qu'il vouloit s'en edaircir par lui-même, & que pour eet JUSTINIEN. Ann. 554, IV. Complot contre Gubaze,  JUSTI- NIEN. Ann. 554. V. II eft af- faffiné. 74- H I S T 0 l & e/fèi, z7falloit lui envoyer Gubaze. Mais s'il refufe, reprit le dénonciateur. // faudra Üy contraindre, répartit Juftinien, & le faire partir fous bomie garde. Et s'il refifloit, que ferions- nous ? Alors, dit l'Empereur, il mériuroit cCêtre traité comme un rebelle. II feroit donc permis de lui óter la vie, ajouta Jean. Oui, répondit Juftinien, pourvu quon n'en vint a cette extrémité, que dans le cas d'une rébellion manifefie. Jean fe retira fatisfait de cette réponfe; il favoit que dans les permiffions que donnent les Princes , les conditions reftriÉtives font ordinairement de peu de valeur, paree qu'il eft facile de les éluder , foit par une conduite artiftcieufe, foit par le menfonge. II obtint même de l'Empereur une lettre conforme , adreffée aux Généraux, &partitpour la Lazique. Après la leclure de cette lettre , Martin & Ruftique fe crurent les maitres de la vie de Gubaze , puifqu'il n'étoit queftion que d'amener ce Prince a faire quelque réuftance, Sc qu'après 1'exécution, il ne leur en coüteroit qu'une impofture , pour donner a fa conduite une couleur dé  du Bas-Empirb. Liv. XLIX. 15 rébellion. Sans faire part de leur deffein perfide a Juftin ni a Buzès, ils les engagerent a venir avec eux propofer au Roi de joindre fes troupes aux troupes Rornaines, pour attaquer de concert le chateau d'Onogure, &c ils fe mirent en marche avec un detachement de cavalerie. Gubaze, averti de leur approche , vint par honneur au-devant d'eux jufqu'au bord du fleuve Cobus. Comme il étoit fans foup9on, il étoit auffi fans défenfe, n'ayant avec lui que les Officiers de fa maifon. Lorfqu'ils fe furent réunis, ils s'entretinrent fans defcendre de cheval; & Ruftique prenant la parole : Prince , dit-il, notre deffein ejl de marcher d Onogure : plus il ejl facile eten déloger les Perjes, plus il ejl honteux de laiffer fubjijler au milieu de nous une poignèe cTennemis. Nous comptons fur vous pour une entreprife ou votre in~ térêt s'accorde avec £ honneur de £ Empire. Gubaze répondit, que tous les fuccès des Perfes en Lazique ne devoient étre imputis qu'a. la négligence des Romains ; que c'éioit a. eux feuls d reprendre la forttreffe d'Onogure , qu'eux feuls avoient laiffé perdre; que oour lui il n'entreroit JüSTIKIEN. Ann. 554  JUSTIN1EK. Ann. 554 1(3 HlSTOIHE pour rien dans les hajards de la guerre, que les Romains neujfent rèparé leurs fautes pafe'es. Ce refus parut fuffire pour fonder une preuve de rébellion ; & fur^ le champ ce même Jean qui avoit été employé a furprendre l'Empereur, frappa le Roi d'un coup de poignard dans la poitrine. La bleffure n'étoit pas mortelle; mais comme Gubaze avoit les jambes croifées fur le cou de fon cheval, il tomba par terre, & pendant qu'il fe relevoit, un des gardes de Ruftique 1'acheva par ordre de fon maitre. Juftin & Buzès qui n'étoient pas du complot , fe mettoient en devoir de défendre ce malheureux Prince; mais on les arrêta en leur difant, qu'on ne faifoit qu'exécuter les ordres de PEmpereur. Saifis d'horreur & d'effroi, ils demeurerent dans un morne filence. Un affaffinat fi atroce jetta la confternation dans 1'armée des Lazes; ils vinrent en frémifTant enlever le corps de leur Roi; & après lui avoir rendu les honneurs funebres, outrés de défefpoir, reffentant au fond de leurs entrailles le coup qui avoit percé leur Prince, mais gémiflant de leur  du Bas-Empire. Liv. XLIX. 17 foibleffe , ils s'éloignerent des Romains comme d'une nation meurtriere, & rompirent tout commerce avec eux. Martin fut d'avis de marcher fur le champ a Onogure ; il fe promettoit un fuccès affiiré, & fe flattoit que c'en feroit affez pour effacer dans 1'efprit de l'Empereur le crime qu'il venoit de commettre. Cette place, voifine d'Archéopolis, tiroit fon nom d'une viöoire que les Lazes avoient autrefois remportée fur les Huns Onogures ; elle fe nommoit auffi la fortereffe de Saint-Etienne, a caufe d'une Eglife célebre, confacrée fous 1'invocation de ce faint Martyr. Toute 1'armée, au nombre de cinquante mille hommes, vint camper au pied des murs. Elle fe difpofoit a 1'attaque, lorfqu'on amena au camp un foldat Perfe, qu'on avoit trouvé rödant autour des remparts. Appliqué è la torture, il déclara que Nachoragan, qui étoit en Ibérie, 1'avoit envoyé pour encourager la garnifon, & lui promettre qu'il arriveroit inceffamment a la tête d'une nombreufe armee j il ajouta JüSTIN1EN. Ann. 554. VI. Cinquante mille Romains défaits par trois mille Perfes.  JUSTINIEN. Ann, 5 54. ï8 Histoiab que les Perfes qui campoient k Muchirife au nombre de trois mille , s'étoient mis en marche pour fecourir Ia place. On délibéra fur le parti qu'on devoit prendre. Buzès vouloit marcher k la rencontre des Perfes qui venoient de Muchirife : Apres les avoir défaits, difoit-il, ce qui ne fera pas difjicile , vu leur petit nombre, la garnifon dénuée de fecours ne tardera vas d fe rendre; fi elle s'obfline , nous tn viendrons facilement d bout. Uligage, chef des Erules, appuyoit eet avis , en difant : Que pour enlever aifèment le rniel, il falloit chajfer les abeilles. Ruftique, devenu plus hautain & plus infolent depuis Faffaffinat de Gubaze, traitant Buzès avec mépris, prétendit qu'au-lieu de fatiguer 1'armée par une marche inutile, il falloit preffer le fiege , & envoyer un détachement au-devant de 1'ennemi. Cet avisl'em;x>rta , & c'étoit en effet le meilleur, li 1'on eut fait partir un corps de troupes affez fort pour battre les Perfes. Mais on fe contenta de détacher fix :ents cavaliers fous les ordres de Dajragefe & d'Ufigarde, & toute 1'arnée commenca 1'attaque avec ardeur,  nu Bas-Èmpire. Liv. XLIX. 19 les affiégés n'en montrant pas moins a fe défendre. Cependant les Perfes qui venoient de Muchirife, brulquement chargés par le détachement qu'ils ne s'attendoient pas de rencontre^, prirent la fuite; & la nouvelle en étant venue auffi-töt au camp des Romains , ils ne fongerent plus qu'a forcer la place , fans rien craindre du dehors. Mais les Perfes s'appercevant du petit nombre de ceux qui les pourfuivoient, tournent bride, & fondent fur eux avec de grands cris. Les Romains, trop foibles pour foutenir le choc, fuyent è leur tour, & les deux partis emportés avec une égale précipitation, 1'un par la crainte, Tautre par 1'ardeur de la pourfuite, arrivent^enfemble au camp, & s'y jettent pêle-mêle. L'épouvante & le défordre y entrent avec eux; les Romains , croyant avoir fur les bras toute 1'armée des Perfes, abandonnent leurs tentes & leurs machines; ils ne voyent ni leur nombre ni celui des ennemis; la garnifon fort en même temps de la place, & fe joint aux autres Perfes. La cavalerie Romame fe mit bientöt en füreté; ma-is J'JSTINIEN. Aan. 574.  JUSTINIEN. Ann. j 54. 50 II 1 s T 0 I k E 1'infanterie fut extrêmement maltraitée; il en périt beaucoup au paffage d'un pont trop étroit pour recevoir la foule des fuyards, qui fe renverfant & fe précipitant les uns fur les autres , tomboient dans le fleuve, ou retournoient fur leurs pas, & trouvoient la mort. II n'en feroit pas échappé un feul, fans le courage de Buzès. II avoit pris les devantsavec fes cavaliers; mais averti du péril de 1'infanterie par les cris qu'il entendoit, il revint a toute bride, & fe rendit maïtre de la tête du pont. En venant affiéger Onogure, les Romains avoient Iaiffé leurs provifions & leurs bagages dans leur camp prés d'Archéopolis : frappés d'épouvante, au-lieu de s'y retirer, ils pafferent au-dela pour gagner les forêts & les montagnes. Les Perfes, après avoir pillé ce camp, en détruifirent les retranchements, & retournerent a Muchirife avec la gloire d'avoir, au nombre de trois mille hommes, mis en déroute une armée de cinquante mille Romains. L'hyver approchoit; & les Généraux couverts de honte , n'ofant plus paroïtre en campagne.  nu Bas-Emp/re. Liv. XLIX. 21 donnerent des quartiers a leurs troupes. Les Lazes regarderent eet étrange événement comme un effet de la colere de Dieu, qui commencoit a venger la mort de Gubaze. Tous étoient également indignés contre les Généraux ; mais les uns ne croyoient pas devoir imputer ce forfait a l'Empereur , ni fe détacher de 1'Empire; lesautres accufoient Juflinien même, & déteftant toute la nation Romaine, vouloient fe livrer aux Perfes. Les. pnncipaux s'affemblerent dans une vallée du Caucafe, pour y délibérer en liberté. Après de grands débats, la faftion Romaine Pemporta, & le motif qui contribua le plus a retenir les Lazes dans 1'alliance de 1'Empire, fut Ia crainte que les Perfes ne les obhgeaffent de renoncer au Chriftianifme. On fit choix des plus diflingues de la nation par leur probité & par leur naiffance, pour aller inftruire Juflinien de Pinnocence de Gubaze , & de la perfidie de Martin & de Ruflique. Ils devoient demander Ja pumtion dun fi noir attentat, & iuppher l'Empereur de leur donner JUSTINIEN. Ann, j 54, VII. Les Lazes députent a Juftinicn.  JUSTINIEN. Ann. 554. vra. Succès de 1'ambaflade. ; i 1 1 1 i « 12 HlSTOIRE pour RoiZathès, frere puiné de Git» aaze, afin que la couronne ne fortit pas d'une familie qu'ils refpe&oient iepuis long-temps , & qui leur étoit ievenue encore plus chere par la bonté oaternelle de leur dernier Roi. L'ambaffade eut le fuccès que la lation defiroit. Zathès, qui vivoit a Conftantinople, recut de l'Empereur 'invefüture du Royaume de Lazique; k Athanafe, un des principaux Sélateurs, d'une intégrité reconnue , ;ut ordre de fe tranfporter dans le jays, pour informer du crime, &le junir felon la rigueur des loix. Zahès partit aufli-töt pour prendre pof"eflion de fes Etats, & fon entrée en Lazique eut tout 1'éclat d'un triom)he. Ilétoit revêtu des habits royaux, ju'il avoit recus des mains de 1'Em>ereur : 1'armée Romaine, dans le >lus brillant appareil , précédée de es Généraux, le falua a fon arrivée, k marcha devant lui jufqu'au lieu le fa réfidence. Les Lazes mêlant lux acclamatioris de joie les foupirs [ue leur arrachoit encore la mémoire le Gubaze , fuivoient en bon ordre bus leurs étendards, au fon des trom-  du Bas-Empire. Lh. XLIX. 23 pettes. Athanafe accompagnoit le Roi; la vue de ce juge févere & incorrup' rible, impnmoit déja la terreur dans 1 ame des coupables, & affuroit aux Lazes une jufte vengeance. Dès que cette pompeufe cérémonie fut achevee, Athanafe donna ordre d'arrêter Rufüque, & de le garder dans le cha*teau d'Apfaronte. L'impofteur Jean avoit pns la fuifej il fut pourfuivi par Maflnen , que l'Empereur avoit charge de 1'exécution des ordres d'Athanafe. On le conduifit aulTi dans les pnfons d'Apfaronte , pour y êtredétenu dans les fers, jufqu'a ce que le procés fut inlrruit. Mais une occupanon plus preffante obligea de furfeoir la pourfuite de cette affaire. Nachoi-agan s'étant rendu a Muchirife au commencement du printemps avec une nombreufe armée, il falloit travadler aux préparatifs néceffaires pour refifter k un fi redoutable ennemi. Dans une pareille conjonöure ,'il eut été de la prudence de ménager les peuples de ces contrées. Maislafïerté d brutale d'un Officier attira aux Ro- " mams de nouveaux ennemis. Soténque étoit parti de Conftantinople JUSTINIEN. Ann. jj4, IX. Waffacre ■ Sotéque.  JUSTINIEN. Ann. 5 }4. S4 HlSTOIRE avec Zathès, pour aller diftribuer les fommes d'argent qu'on payoit tous les ans aux Utigours , aux Alains & aux autres Barbares voilins de la Lazique. Cétoit un tribut honteux, auquel 1'Empire s'étoit aflujetti, pour acheter le iecours de ces peuples, ou du moins leur neutralité dans les guerres contre la Perfe. Les Mifïmiens étoient une nation fituée au Nord-Eft de 1'Apfilie; quoique fujette au Roi des Lazes, elle avoit fa langue & fes loix particulieres. L'arrivée de Sotérique dans leur pays, leur fit croire qu'il avoit deffein de s'emparer d'une de leurs places, pour établir un comptoir, oüdéformais les Barbares viendroient fe faire payer de leurs penfions, fans que les Commiffaires Romains euffent la peine d'aller les chercher au-dela du Caucafe. Sur ce foupcon bien ou mal fondé , ils lui envoyerent fignifier qu'il eut a s'éloigner de cette place, offrant de lui porter des vivres en tout autre lieu qu'il choifiroit pour fa réfidence. Sotérique, oftenie de la hardieffe d'une nation qu'il méprifoit, fit charger leurs Députés de coups de baton, & les renvoya  no Bjs-Empiile. Liv. XLIX. 25 renvoya demi-morts. Enfuite, auffi tranquille fur leur reflentiment, que s'il eütchatié fes propres efclaves, il demeura dans le même lieu, & s'endormit la nuit fuivante , fans foup^onner qu'il eut befoin d'aucune précaution. Au retour des députés, les Mifimiens, outrés de colere , avoient pris les armes; ils arrivent au milieu de la nuit, forcent la maifon oü logeoit le CommilTaire, égorgent les premiers domeftiques qu'ils trouvent endormis. Le bruit réveille les autres, qui, cherchant en vain leurs armes, chancelant, hurlant au milieu des ténebres, fe heurtent, fe renverfent les uns fur les autres. On mafïacre, on affomme, on écrafe. Sotérique eft tué avec fes deux flls. Les Mifimiens dépouillent les morts, pillent les bagages, emportent la caiffe de l'Empereur. Lorfqu'ils furent retournés chez eux, &c que leur fureur fe fut refroidie , faifant réflexion fur leur forfait, fur la vengeance qui alloit fuivre , & fur 1'impuiiTance oü ils étoient de s'en garantir, ils réfolurent de fe donner aux Perfes. Nachoragan, a la tête de foixante Tome XL B JüSTINIEN. Ann. ; 54 t Les Do-  JUSTIMEN. Ann. 5 74, lomites défaits par les Sabirs. 0.6 H I S T O I R £ mille hommes, marchoit vers 1'ifle de Phafe, oü les Généraux Romains s'étoient retranchés. Ils avoient laifle prés d'Archéopolis deux mille Sabirs, pour harceler les ennemis pendant leur marche, & leur difputer les paffages. Le Général Perfe envoya contre ceux-ci trois mille de ces Dolomites, dont j'ai déja parlé a 1'occafion du fiege d'Archéopolis ; & comme il étoit vain & fanfaron : Alle[, leur dit-il, nous dclivrer de ces guêpes incommodes ; quil nen rejle pas une feule pour venir nous piquerpar-derriere. Les Dolomites partirent k Pentrée de Ia nuit pour furprendre les Sabirs endormis; un heureux hafardfitéchouer leur deffein. Un Laze, que les ennemis avoient forcé de leur fervir de guide, s'étant échappé k la faveur des ténebres , alla donner 1'allarme aux Sabirs qui dormoient profondément. Ils courent auffi-töt aux armes, fortent du camp, & laiffant Tentrée libres & leurs tentes dreffées, ils fe mettent en embufcade k droite & k gauche. Les Dolomites, après s'être égarés plufieurs fois, arrivent néanmoins avant le jour : ils entrent fans  iw Bas-Empiae. Liv. XLIX. 27 bruit de peur de réveiller les Sabirs, piongent leurs lances & leurs épées dans les tentes & dans les lits. Alors les Sabirs fbrtant de 1'embufcade, fondent fur eux, & les taillent en pieces. Dans cette attaque imprévue, les Dolomites, faifis d'épouvante, ne pouvant fe reconnoitre dans 1'obfcurité, fe lailTent égorger fans réfiftance. II en refta huit cents fur la place ; les autres s'étant échappés avec peine, après avoir rodé autour du camp, trompés par les détours des chemins, revenoient eux-mêmes fe jetter entre les mains des ennemis. Enfin, le jour ayant paru, ils reconnurent leur route , & s'enfuirent vers le camp des Perfes , les Sabirs les pourfuivirent 1'épée dans les reins. Babas, Commandant d'Archéopolis, avoit entendu fur la fin de la nuit de grands cris & un horrible tumulte; mais comme il en ignoroit la caufe, il s'étoit tenu renfermé dans la ville» Au point du jour, voyant fuir les Dolomites , il fe joignit aux Sabirs pour les maffacrer. On en fit un fi grand carnage, qu a peine en rentra-t-il le tiers dans le camp de Nachoragan. Bij JUSTINIEN. Ann, 554,  Jtjsti- JJIEN. Ann. 554. XI. Inutiles propofitions de raix. 23 HlSTOIRE La perte de ces deux mille hommes affligea ce Général : les Dolomites étoient les foldats les plus déterminés de la Perfe. II alla camper prés des Romains, & invita Martin a une entrevue. Celui-ci s'étantrendu au camp des Perfes, Nachoragan, après 1'avoir exhorté k procurer la paix aux deux nations , qui éprouvoient toura-tour les malheurs de la guerre, lui propofa de fe retirer k Trébizonde dans le Pont avec fon armée, tandis que les Peries refteroient en Lazique, d'oü ils pourroient négocier k loifir par Pentremife de leurs Députés : Si vous ne prene^ volontairement ce partit ajouta-t-il, je faurai bien vous y contraindre; je fuis maüre de la vicloire, comme de eet anneau que je porte au doigt. Martin pour lui rendre le change, répondit, qu'il ne dejiroit pas moins la pdix, & qu'il en connoiffoit tout le prix; mais que pour en traiter avec plus de fuccès, il étoit plus d propos que les Perfes retournafjent en Ibérie , tandis que ks Romains s'avanceroient d Muchirife. Quant d la vicloire , dit-il, j'ignorois que vous Veuffiei entre les matris ; je croyois quelle dépendoit de Dieu, qui  du Bas-Empire, Liv. XLIX. 29 en difpofe d fa volonté, & non pas au gré de ceux qui fe laiffent aveugler par une vainepréfomption. Après cette conférence inutile, ils fe féparerent. Le Général Perfe, n'efpérant pas forcer les Romains dans Fifle oü ils s'étoient retranchés, réfolut d'attaquer la ville de Phafe. Cette place étoit fituée dans une plaine au midi de 1'embouchure du fleuve, dont elle portoit le nom, a fix ou fept lieues de 1'ille oü les Romains étoient campés. Comme fes murs n'étoient que de bois, Nachoragan fe flattoit de Pemporter en peu de temps. II fit donc pafTer le fleuve a. fes troupes pendant la nuit fur un pont de bateaux, que Pon portoit dans des charriots k la fuite de fon armée; & dés le point du jour, il fe mit en marche. Les Romains ne s'appercurent de fon départ que trois heures après; ils remplirent auffi-töt de foldats toutes les barques qu'ils avoient fur le fleuve, & fuivirent le fil de Peau, en ramant de toutes leurs forces pour prévenir Pennemi. Mais Nachoragan qui prévoyoit leur defcente, s'étoit arrêté a moitié chemin, & avoit barré la largeur du B iij JUSTINIEN. Ann. 554. XII. Les Perfes & les Romains marchent a Ia viile de Phafe.  NIEN. Ann. 554. XIII. Préparatifs pour la défenfs. 3° HlSTOtRH fleuve par des pieces de bols & des bateaux liés enfemble, derrière lefquels étoit rangée une troupe d'éléphants, depuis le bord jufqua 1'endroit oh 1'eau étoit plus haute que ces anirnaux. A la vue de eet obftacle, les Romains retournerent en-arriere, remontant le flewve avec peine a force de rames. Deux de leurs barques furent prifes par les Perfes; mais les foldats dont elles étoient remplies, s'étant jettés a la nage , eurent le bonheur d'échapper. Buzès refta dans 1'ifle avec fes troupes, pour garder les retranchements, & pour être a portee d'envoyer du fecours. Le refte de Parmée paffe le fleuve; & fe détournant pour ne pas rencontrer les Perfes, elle arrivé k Phafe oü elle fut diftribuée pour la défenfe des murailles. , .E!1f.s ^°*ent de bois, coinme je 1'ai déja dit, & ruinées en plufieurs endroits; mais on les avoit environnées d'uneforte paliffade & dunlarge foffé, oü 1'on avoit detourné les eaux d'un lac voifin : & pour rendre ce foffé impraticable aux nacelles, on y avoit enfoncé des pieux  du Bas-Empire. Lh. XLIX. 31 pointus qui s'élevoient k fleur d'eau. De gros vaiffeaux de charge , qu'on avoit fait remonter jufqu'au-deffous & même au-deffus de la ville, portoient de larges mannequins d'ofier fufpendus au haut des mats, & plus élevés que les tours de la place. Ils étoient remplis de foldats &c des matelots les plus hardis , armés d'arcs & de frondes; on y avoit même difpofé des machines propres k lancer des javelots ; & pour mettre ces batiments k couvert d'infulte, dix ga« leres k deux pouppes & chargées de foldats, defcendoient, remontoientfic couroient fans ceffe d'un bord k 1'au^tre. On vit alors une des plus fingulieres aventures qui puiffe arriver dans une guerre. Les Perfes avoient garni de foldats les deux barques qu'ils avoient enlevées aux Romains. ËUes étoient amarées au rivage, fort au-deffus de la ville, lorfqu'un vent furieux s'étant élevé pendant la nuit, tandis que tout 1'équipage dormoit, rompit les cables d\ine de ces barques , & 1'emporta k la dérive entre les galeres qui faifoient le guet fur le fleuve, Elles s'en faifirent, & les B iv JüSTINIEN. Ann. j$4.  JUSTINIEN. Ann. 5 54. XIV. Attaque de Ia ville. i ] ] 1 i 1 1 < 3^ H I S T O I R E Romains , que la fortune fembloii vouloir dédommager avec ufure, virent avec joie revenir pleine de prifonniers , une barque qu'ils avoient perdue vuicle de foldats. Dès que le jour parut, les Perfes fortirent de leur camp , & com-mencerent lattaque par de cominuelles décharges de fleches. Les troupes qui défendoient la ville, étoient un melange de toutes les fortes de nations qui fervoient alors dans les armées Romaines; il y avoit des Maures, des Zannes, deslfaures, des Sabirs, des Lombards, des Erules, qui fortnoient autant de corps féparés, cha:un fous un chef de fa nation. Quoijue Martin leur eut ordonné de fe :enir dans leurs pofles, Angilas & ^ilomathe, qui commandoient, 1'un es Maures, 1'autre les Ifaures, em>ortés par une bouillante valeur, brtirent a la tête de deux cents homnes,©^ coururental'ennemi. Les Zanïes, animés par leur exemple, les fui'irent raalgré la réfiflance de Théolore leur chef, qui, ne pouvant fe aire obéir, prit le parti de fe mettre : leur tête, de peur d'être foupconné  hts Bas-Empire. Liv. XLIX. 33 de poltronnerie. Les Dolomites, qui avoient leur pofte en eet endroit, méprifant ce petit nombre de téméraires, les laifterent avancer; & CQurbant enfuite leurs ailes, ils les envelopperent de toutes parts. C'en étoit fait de ces braves foldats , fi le défefpoir n'eüt enflammé leur courage & redoublé leur vigueur. Tous par une évolution foudaine font volteface vers la ville, & ferrés les uns contre les autres , courant au-devant de la mort, ils s'élancent tête baifTée fur les Dolomites , qui cédant a cette furie, ouvrent le paffage. Ils rerttrent ainfi dans la ville fans autre fuccès , que de s'être tirés du péril oü leur bravoure inconfidérée les avoit préeipités. Cependant les pionniers des Perfes, après avoir faigné le foffé pour en faire écouler Peau, achevoient de le combler. Cet ouvrage occupa long-temps un grand nombre de travailleurs. Ils y jetterent quantité de pierres & de terres; mais il falloit aller chercher bien loin ïe bois ,. tant pour les fafcines, que pour la conftruclion des béliers & des autres machines; les Romains avant le fiege B v JUSTl- Ann. JJ4.  Jtjsti- n1en. Ann. J54. Ann. jyj. XV. Stracagême de Martin» I i < 1 J 34 HlSTQlRB avoient en la précaution de mettre le feu k tous les arbres &c k tous les batiments des environs, pour priver les ennemis des matériaux dont ils pourroient faire ufage. Martin craignoit beaucoup moins les efforts des Perfes, que le découragement de fes troupes. Pour entretenir leur eonfiance, il ufa d'un ftratagême, qui donna en même-temps de 1'inquiétude aux ennemis. II fit affembler toute 1'armée, commepour délibérer fur 1'état préfent des affaires. Pendant qu'il expofoit fon avis fur les mefures qu'il falloit prendre, on voit paroitre au milieu de 1'affemblée un inconnu , couvert de fueur, Sc de poufiiere, fur un che val harraffé, :omme s'il arrivoit d'un long voya>e. II fe difoit envoyé de l'Empereur, ïc il remit une lettre entre les mains le Martin, qui, après 1'avoir parcou■ue des yeux, en fit la lefture a haute roix. L'Empereur lui mandoit, que nen quil comptdt affe^ fur la valeur de li troupes, pour ne pas craindre la fit'eriorité du nombre des ennemis, toutebis plutóe par furcroit de précaution , juepar néceffué^ il lui envoyo'u une aou-  nu Bas-Empirs. Liv. XLIX. 35 veile armee auffi forte que celle qu'il avoit dé/a. II finifïbit par exhorter fes foldats k bien faire, leur promettant de fa part tous les iecours qu'ils pouvoient attendre de fa vigilance. Martin , ayant demandé au courier oh étoit cette armée, celui-ci répondit, qu'elle étoit déja fur les bords du fleuve Neocnus, k quatre lieues de Phafe. Alors Martin prenant le ton d'un homme en colere: Qu'ils fe redtent au plutót, dit-il brufquement, & qu'ils retournent dou ils viennent. Je ne. foujfrirai pas qu'ils fe joignent d mes troupes. Ne feroit-ce pas itrange qü'elles euffent cffuyé tant de fatigues, qu'elles euffent couru tant de hafards, CV qu'a la veille dune vicïoire affurée & détifive, de nouveaux venus, fans avoir partagé les pêrils, vinffent leur ravir une partie de leur gloire & des récompenfes qu'elles feules ont méritées? Je n'ai befoin que de mes foldats: nous faurons bien terminer la guerre , fans ces fecours tardifs & fuperfius. A ces mots , fe tournant vers fes troupes: Camarades, leur ditil , n'étes-vous pas du même avis ? Ils répondirent par une acclamation générale , & fe retirerent fort contents B v) JüSTINIEN. Ann, jj-j,.  JUSTINIEN. Ann. 55;. 3<5 Hl ST O.IK. li de leur chef, & embrafés d'un nouveau courage. Affurés de vaincre, ils n'étoient plus embarrafles que du partage des dépouilles; c'étoit le fujet de tous leurs entretiens. Ce ftratagême produifit encore un autre effet, qui ne fut pas moins utile : il jetta la crainte dans 1'armée des Perfes , oü ce faux bruit ne manqua pas de fe répandre : Comment, après tant de fatigues, pourroient-ils réjifter d une nouvelle armée, dont les forces étoient toutes frakhes ? Nachoragan, fans difFérer, fit partir un grand corps de cavalerie pour fermer les paiTages, & ce fut autant de troupes perdues pour lui. Voulant prévenir 1'arrivée du fecours, il forma une nouvelle attaque; & ce préfomptueux Général fe vantoit hautement; il juroit même qu'avant la fin du jour, la ville feroit en cen-r dlres avec tous ceux qui la défenr doient. II en étoit fi perfuadé, qu'il envoya ordre aux bucherons, qui coupoient du bois dans les forêts pour le fervice du camp & du fiege, d'accourir aiüïi-töt qu'ils verroientla fumée s'élever, pour accroitre 1'embrafementj èl prendre leur part du pillage.  du Bas-Empire. Liv. XLIX. 37' Rempli de ces vaines idees , il franchit le foffé , & s'avance au pied des murs. Une heure auparavant, Juftin , qui ne croyoit pas que 1'ennemi vint atraquerla ville ce jour-la, étoit forti par la porte oppofée : pouffé par un de ces mouvements de dévotion, que la prudence ne guide pas toujours, il alloit vifiter une célebre Eglife voifine. Dans ce pélérinage, il étoit accompagné de fes plus braves fantaffins & de cinq cents cavaliers , bien armés & marchant en bon ordre fous leurs étendards. Comme la place n'étoit pas inveftie, & que 1'e cöté du fleuve reftoit libre, les vaiffeaux affemblés fur le Phafe ne permettant pas aux ennemis de fe montrer fur les bords, Juftin paffa fans être appergu des Per fes. La confiance de Nachoragan s'étant communiquée a fes troupes , 1'attaque fut vive & opiniatre. Les décharges de fleches fe fuccédant fans intervalle, offufquoient la clarté du jour; c'étoit une grêle de fer plus ferrée, que celle qui tombe dans les plus violents orages. Toutes les machines étoient en mouvement; U en partoit des pierres JüSTINIEN. Ann. 5 5 5. XVI. Nouvelle attaque.  JUSTINIEN. Ann. 5 jj. 38 HlSTQIIlE Sc des javelots enflammés. A 1'abn des mantelets, les Perfes fappoient le mur ^ qui cédoit aiféroent aux coups de haches Sc de coignées. Les Romains y de leur cöté, bordant les tours & les murailles, s'effbrcoient de montrer qu'ils n'avoient pas befoin de fecours. Tout étoit mis en oeuvre pour repouffer les Perfes; on faifoit pleuvoir fur eux les fleches, les dards^ les javelots; de groffes pierres tombant avec fracas, mettoient en pieces les mantelets Sc les machines; d'autres plus petites partoient des frondes, Sc brifoient les cafques Sc les boucliers. Les foldats, guindés dans les mannequins fufpendus au haut des mats , tiroient fans ceffe fur les ennemis , dont ils bleffoient un grand nombre; les traits lancés de leurs machines portoient fort loin , & alloient percer a la queue de 1'armée les cavaliers Sc les chevaux. Les cris de* bleffés, le fon des trompettes Romaines, le bruit des timbales des Perfes, le henniffement des chevaux, le retentiffement des boucliers Sc des cuiraffes , formoient un concert terrible, qui ranimoit la foreur des combattants»  du Bas-Empi&e. Lh. XLIX. 39 Juftin, qui revenoit a Ia ville, entendant eet horrible fracas, en devine d'abord la caufe. II met auflitöt fa cavalerie en ordre : Camarades, s ecne-t-il, Dieu exauce nos prieres ; c ejl lui qui nous conduit ici pour exterminer les ennemis. II dit, & il fond fur les Perfes k la tête de fa troupe, qui renverfe tout ce qu'elle rencontre. Les Perfes s'imaginant que c'eft la nouvelle armee qui arrivé après avoir pafte fur le ventre k ceux qu'on avoit envoyés pour 1'arrêter, prennent 1'épouvante, & reculent en-arriere. Ce mouvement attire de ce cöté-la les Dolomites , qui attaquoient la ville par un autre endroit; ils viennent fe joindreaux Perfes, laiffant feulement a leur attaque un petit nombre de leurs gens. Angilas & Théodore prennent ce moment pour faire une fortie; ils maffacrent ou mettent en ftiite cette poignée d'affaillants. Les Dolomites déja réunis aux Perfes, les quittent pour voler au fecours de leurs compatriotes; mais avec un tel défordre, que les Perfes prenant leur courfe pour une fuite, fe mirent k fiur eux-mêmes; & les Dolomites JU3TIHIEN. Inn. 555 . XVII. Défaite les Perles.  JUSTI- N1EN. Ann. 555» 40 HlSTOIRE voyant fuir les Perfes, crurent que tout étoit perdu fans reffource , & fe joignirent k eux pour fe fauver. Les Romains profitent de Terreur, & fortent de la ville : les uns pourfuivent les fuyards, les autres pour achever la défaite, tombent fur ceux qui réfiftent encore : car 1'aile droite des ennemis continuoit de combattre avec courage k 1'abri des élépbants, qui lui fervoient de rempart. Os redoutables animaux abattoient, écrafoient un grand nombre de Romains, & les archers montés fur leur dos , tiroient avec avantage. Les Romains commencoient aplier de ce cöté-la, lorfqu'un événement imprévu leur donna la viöoire. Un garde de Martin , nommé Ognare, fe voyant acculé par un éléphant dans 1'enfoncement d'un rocher, s'élance fur lui par défefpoir, & lui porte fa piqué au milieu du front avec tant de force, qu'elle y demeura attachée. L'animal, devenu furieux par la douleur de fa bleffure & par 1'agitation de la piqué qu'il fecouoit devant fes yeux, retourna fur les Perfes, bondiffaat &z courant de toutes parts, tantöt abat-  nu Bas-Emvirz. Liv. XL1X. 41 tant ou enlevant avec fa trompe ceux qu'il pouvoit atteindre ik qu'il jettoit bien loin, tantöt Pallongeant & la roidiflant pour pouffer des cris affreux , renverfant &c foulant aux pieds ceux qu'il portoit fur fon dos. II déchiroit avec les dents les chevaux qu'il rencontroit; les autres effarouchés, jettoient par terre leurs cavaliers, & fuyant au travers des bataillons, ils portoient de toutes parts le trouble & le défordre. Dans cette horribie confufion, les foldats empreffés de fe fauver, fe terrafToient, fe percoient mutuellement; il en périt autant par les armes de leurs camarades , que par 1'épée des Romains. Ceux qui jufqu'alors étoient reftés dans la ville, en fortent dans ce moment ; & fe joignant aux autres, tous en bon ordre, ne formant qu'un feul corps, couverts de leurs boucliers, ils chargent les ennemis, qui n'ont de retTource que la fuite. L'armée entiere fe débande, chacun ne prenant pour guide que fa terreur, Nachoragan leur donnoit 1'exemple: il exhortoit les autres a fe fauver au plus vite. Les Romains conti- JVSTINIEN. Ann, ; 5 5, xvnr. Retraite le Nacho:agan.  JüSTI. NIEN. ini». jjj. i I 4 ] 42 HlSTOlRB nuerent de pourfuivre & de maffacrer, jufqu'a ce que Martin eut fait fonner la retraite. Ils rentrerent dans Ia ville encore altérés de fang & bouillants de colere. Les Perfes épars dans les campagnes, fe rallierent enfin , & regagnerent leur camp prés de Pifle de Phafe. Ils avoient perdu dix mille hommes, & les Romains feulement deux cents. Martin fit mettre le feu aux machines , que les ennemis avoient laiffées autour de la ville. La fumée de eet incendie fut la caufe d'un nouveau carnage. Les bucherons, trop éloignés pour favoir ce qui fe paffoit devant la place, ne doutant plus que la ville ne fut embrafée, fe Mterent d'accourir a ce fignal, felon les ordres de Nachoragan. Mais au-lieu du butin qu'ils venoient chercher, ils ne trouverent que la mort. On les maflaeroit a metare qu'ils arrivoient; ils étoient environ deux mille, dont pas un feu! ï'échappa. Les vainqueurs, après avoir ?nfeveli leurs morts, dépouillerent :eux des ennemis. Outre des armes le route efpece, ils recueillirent un iche butin : car les Officiers Perfes,  nu Bas-Empire. Liv. XLIX. 43 pour fe diftinguer des foldats, fe paroient de colliers d'or, de bracelets, de pendants d'oreilles de grand prix, & d'autres ornements plus convenables a des femmes qu'a des hommes, qui ne font honneur qu'a 1'ennemi qui les enleve. Enfuite les Gértéraux Romains ayant laiffé garnifon dans la ville, retournerent joindre Buzès dans 1'ifle de Phafe. L'hyver approchoit, & Nachoragan commencant a manquer de vivres, fongeoit a fe retirer. Mais pour mafquer fon deffein, il envoya les Dolomites fe ranger en bataille k la vue du camp des Romains. Pour lui il décampa fans bruit, & prit le chemin de Muchirife. Lorfqu'il fut affez avancé pour ne plus craindre d'être atteint dans fa retraite, les Dolomites fe débanderent ; & comme ils étoient légérement armés, & qu'ils couroient avec une extréme viteffe, ils eurent bientöt rejoint le Général. Les troupes de détachement qui attendoient la nouvelle armée Romaine au bord du Neocnus, apprenant la défaite, gagnerent auffi Muchirife par des chemins détournés. Tous les Perfes fe trouvant enfin réu^ JUSTINIEN. Ann. 555.  JUSTINIEN. Ann. 555. XIX. Conciamnationdes aiTaffms de Gubaze. 44 HlSTOIRE nis dans ce pofte, Nachoragan y lailTa la meilleure partie de fa cavalerie, fous les ordres d'un Officier de réputation nommé Vafrife, & fe retira avec le refte en Ibérie. Après la retraite des Perfes , on procéda au jugement des aflaffins de Gubaze. Les Lazes attendoient ce jugement avec impatience ; & ce n'étoit que dans le fang des coupables que la nation Romaine pouvoit fe laver d'un forfait fi noir. Athanafe fit dreffer au milieu d'Archéopolis un tribunal élevé , oü il prit féance dans 1'appareil le plus impofant. II étoit environné de ce cortege d'Officiers, que la force prête k la juftice pour exécuter les ordres des loix. Au milieu de 1'enceinte, on voyoit les chaïnes , les carcans, les inftruments de torture. Tout ce que les jugements avoient de majeftueux & d'effrayant dans la capitale de 1'Empire , fut raflemblé au pied du Caucafe, pour, infpirer aux barbares le refpe£t de la puiffance Romaine, & pour calmer leur reffentiment par ï'éclat d'un jugement folemnel. A la gauche du tribunal, paroiffoient char-.  nu Bjs-Empire. Liv. XLIX. 45 gés de chaïnes Ruftique &Jean , tranfportés des prifons d'Apfaronte; visa-vis d'eux fe placerent les accufateurs; c'étoient les plus graves perfonnages de la nation des Lazes. Ceux-ci demanderent d'abord qu'on lüt publiquement la lettre de l'Empereur ; ce qui fut exécuté par un héraut. On vit clairement que l'Empereur , très-peu difpofé a croire les faits odieux dont on chargeoit. Gubaze , avoit feulement voulu s'en éclaircir, & qu'il n'avoit permis d'ufer de violence envers ce Prince, que dans le cas d'une rébellion déclarée. Lesaccufateurs juftifierentpleinement Gubaze ; & après avoir montré fon zelepourle fervice de 1'Empire, dans les conjonftures les plus critiques, ils démontrerent que les rapports faits a l'Empereur étoient un tiflu de calomnies, & la mort de Gubaze un horrible afiaffinat. Pendant qu'ils parloient , Parmée des Lazes répandue autour du tribunal, animée du plus vif intérêt, dévoroit toutes leurs paroles ; & ceux qui n'étoient pas a portée de les entendre, obfervant avec mquiétude leurs mouvements , leurs JUST1N1EN. Ann. 5;j.  JUSTINIEN. Ann. jsj- 46 H 1 S T O I R E regards , les changements de leur vifage , les rendoient comme dans un miroir fidele. Lorfqu'ils eurent ceffé de parler, les Barbares prononcant eux-mêmes la fentence par un murmure confus , s'éfonnoient qu'on fufpendït encore 1'exécution; & le juge ayant permis aux accufés de fe défendre, Ia multitude fe récria comme fi c'eüt été une collufion manifefte. Enfin, les accufateurs ayant calmé ce tumulte, Ruftique , auffi intrépide & auffi artificieux que méchant, prit la parole, avec la confiance que Pinnocence eft feule en droit d'infpirer. Mais quoiqu'il mit en ceuvre toutes les reflburces de laplus fubfileimpofture, quoiqu'il donnet au refus qu'avoit fait Gubaze d'aller attaquer Onogure, toutes les couleurs d'une véritable révolte , il ne put en impofer au juge. Après une exaöe difcuffion , Athanafe prononca contre Ruftique & Jean, un arrêt de mort. On les promena fur des muiets par toutes les rues de la ville, un héraut marchant devant eux, & criant : Qtion apprenne d s'abjtenir des mturtrts } & d rtfpetler  dv Bas-Empike. Lh. XLIX. 47 les loix. Eniuite ils eurent la tête tranchée ; & la vue de leur fupplice précédé & accompagné de tout 1'appareil capable d'infpirer la terreur, fit une telle impreiTion fur Pefprit des Lazes, qu'a leur colere, qui fembloit ne pouvoir être fatisfaite par les plus extrêmes rigueurs , fuccéda la compaflion. Ruftique, dans fa défenfe, s'étoit autorifé du confentement de Martin : Athanafe renvoya k l'Empereur la décifion de ce que méritoit ce Général. Cette grande affaire étant terminée, les troupes Romaines fe diftribuerent dans les places qui leur furent affignées pour quartiers d'hyver. Cette afte de juftice retint les Lazes dans Pobéiffance. Mais les Mifimiens, après s'être vengés par un crue! maffacre de 1'outrage qu'ils avoient recu, animés d'une haine implacable contre toute la nation Romaine, députerent k Nachoragan. Ils fe firent un mérite de leur révolte , & lui repréfenterent, qu'il étoit de 1'irtférêt des Perfes de ne pas refufer leur proteftion k un peuple guerrier , qui leur ouvroit une entree en Lazique» JUSTINIEN. Ann. 5 «5. XX. Les Mifimiens fe donnent aux Perfes.  JusTINIEN. Ann. 555. XXI. Les Ro- fnains leur font !a guerre. 48 HlSTQlRR Le Général Perfe les combla de louan* ges, & leur promit de puilTants fecours. Ses promeffes eurent peu d'efFet. Au retour du printemps, les Romains marcherent au nombre de quatre mille hommes , & les Mifimiens recurent des Perfes un renfort qui le rendit fupérieurs. Ces deux petites armées s'arrêterent long-temps fur les frontieres de 1'Apfilie, s'obfervant mutltellement, fans en venir aux mains, Un corps de Sabirs étoit pour lors a la folde du Roi de Perfe.. Leur nation qui faifoit partie de celle des Huns, n'avoit d'autreoccupationque la guerre; combattant tantöt pour les Romains, tantötpour lés Perfes, elle vendoit fes fervices a ceux qui les payoient le plus chérement. On les avoit vus 1'année précédente a la fuite des Romains défaire les Dolomites; ils marchoient cette année fous les enfeignes des Perfes., Cinq cents d'entr'eux , campés dans un pare a quelque diftance de leur armée, furent furpris & taillés en pieces par un parti de trois cents cavaliers: il n'en échappa que quarante. Pendant ce temps- la  vu Bas-Empire. Liv. XLIX. 49 la on reprit en Lazique la ville de Rhodople, ci-devant prife par Merméroës ; & 1'été fe paffa fans autre aclion mémorable, Les Perfes s'étant retirés felon leur coutume, dès le commencement de Fautomne, on entra dans le Pays des Mifimiens. Martin vint fe mettre k la tête des troupes ; mais une maladie 1'ayant obligë de retourner en Lazique, il lailTa le foin de cette guerre k fes Lieutenants. Les Apfiliens, voyant avec douleur les défaftres dont leurs voifins étoient menacés, effayerent de les rappeller * k Fobéiflance, & engageren! les Ro- c mains k fufpendre les hoftilités. Les ri plus confidérables & les plus fages A du pays fe chargerent de la députation. Mais les Mifimiens, loin d'être difpofés a réparer leur forfait, fe porterent k une violence encore plus barbare, en maffacrant des voifins & des amis, revêtus du facré caraétere d'Ambaffadeurs, auxquels ils ne pouVoient reprocher que le zele qu'ils avoient pour leur confervation. Après une adion fi criminelle , quoiqu'ils n'attendiffent aucun fecours des Perfes Tornt Xj, C JUSTINIEN. inn.5 5 j XXIÏ. E.es Mifi. liens lalTarent ies éputés pfili?n~.  JUSTIHIEN. Ann. 555. 5© HlSTOiRB ils demeurerent tranquilles , fe riant fur la fituation de leur pays. Mais les Romains, enflam més de colere con tre cepeuple féroce, franchirent les palfages , & fe montrerent bientöt dans la plaine. Les Mifimiens erfrayés, fe voyant hors d'état de défendre toutes leurs places, y mirent le feu, & neréferverent que la. plus forte, nommée Zachar, qu'ils regardoient comme imprénable; on 1'appelloit pour cette raifon, U Chdteau de fer. Ilss'y retirerent. avec.leurs enfants & leurs femmes. Comme les. Romains marchoient de ce cöté-la , un efcadron de quarante cavaliers , tous gens d'élite , qui devancoit 1'armée de bien loin, fe trouva tout-a-coup enveloppé d'une troupe de lix cents hommes , tant de cavalerie que d'infanterie. Leur valeur gu.idée par 1'expérience les tira du péril; ils fe firent. jour au travers des ennemis, & gagnerent une colline, oü ils fe foutinrent en attendant 1'armée. Dés qu'ellè parut, les Mifimiens prirent la fuite , pourfuivis par les Romains, qui en firent un fi grand carnage, qu'il n'en rentraque quatre-vingts dans la  du Bas-Empire. Llv. XLIX. 51 forterefle de Zachar. II eut même été facile d'emporter la place dans ce moment d'allarme , fi les chefs 1'euffent attaquée de concert. Mais leurs divifions, leurs jaloufies mutuelles, dérangeoient toutes les opérations. Martin, craignant lesfuitesde cette méfintelligence, envoya Jean Dacnas prendre le commandement de 1'armée. C'étoit un Cappadocien, que l'Empereur avoit choifi depuis peu a la place de Ruftique, pour lui rendre compte de la conduite des Généraux, & pour diftribuer les graces & les récompenfes a ceux qui les mériteroient par leurs fervices. Son courage & fon expérience ne le rendoient pas moins capable de conduire une expédition. Lorfqu'il fut arrivé devant la place , il fongea d'abord a détruire un grand nombre d'habitations qui s'élevoient fur les rochers voifins. C'étoient des cabanes baties au bord des précipices, & qui fembloient inaccellibles. Du pied de ces rochers fortoient des fources d'eau vive. Un foldat Ifaure, poftéenfentinelle, ayant appercu une troupe de Mifimiens qui venoient y puifer C ii Justït kien'- ton. 555, XXIII. Cruelle i'engean:e dej Romains.  JüSTIKIEN. Ana. jjj, 1 i $2 HlSTOIRE pendant la nuit, les fuivit dans leur retraite fans être appercu. En remarquant avec fqin la fituation des lieux, il obferva qu'il n'y avoit au haut du fèntier qu'une garde de huk hommes. H vint en avertir Dacnas, qui -lui donna la nuit fuivante cent hommes des plus déterminés pour aller détruire les cabanes & leurs habitants. Plufieurs des principaux Officiers vouIurent avoir part a cette périlleufe entreprife. Lorfqu'ils eurent grimpé jufqu'a lamoitié de la hauteur,ilsappercurent les fentinelles endormies prés d'un grand feu. En ce moment, un des Romains, foutenu fur une pointe derocher, tomba malheureufement, & le bruit de fes armes ayant réveille les fentinelles, on les vit fe lever a demi, agiter leurs javelines , & regarder autour d'eux fans rien voir, éblouis par la clarté de la flamme. Pendant ce temps-la, les Romains fe ferrant contre les rochers, s'y teaoient fufpendus fans faire aucun nouvement, & fans ofer même re)rendre haleine, jufqua ce que les Barbares , n'appercevant aucun péril, é replongerent dans le fommeiL Les  du Bas-Empire. Liv. XLJX* 53 Romains, ayant achevé de monter, les ' égorgent, &c courent aux habitations, en fonnant de la trompette. Les Mifimiens effrayés, fortent pour s'affembler, & font recus k la fortie par les Romains, qui les pafTent au fil de 1'épée a mefure qu'ils paroiffent. On met le feu aux cabanes; & la flamme de 1'incendie fur des lieux fi élevés, annonce le défaftredes Mifimiens a toutes les contrées d'alentour. Les Barbares périffent au-dedans par le feu, au-dehors par le fer ennemi. Les femmes mêmes ne font pas épargnées» Plus inhumains que ceux dont ils pu~ niffent la cruauté, les Romains, tranfi» portés de rage, arrachent les enfants des bras de leurs meres; ils écrafent les uns contre des pierres; ils jettent les autres en Fair par un jeu plus que barbare, & les recoivent fur la pointe de leurs piqués- Mais ils font eux-mêmes bientöt punis de leur inhumanité : lorfqu'ils fe croyent maitres de la contrée , & qu'ils ne fongent plus qu'a boire & a fe divertir, cinq cents. Mifimiens bien armés, fortent de la forterefle au point du jour, & viennent fondre fur eux. Ils font furpris C üj JüSTINIEN.  JUSTIWIEN. Anti. 555. xxiv. Réduction des WifiBiiens. 54 Histoirb k leur tour; trente font maffacrés; les autres redefcendent avec effroi, & retournent au camp ■, percés de traits , déchirés par les pointes des rochers , & teints de leur propre fang & de celui des ennemis. Dacnas, moins fatisfait de la mine de ces miférables cabanes, qu'affligé de la perte de trente braves foldats, après avoir obfervé la fituation de la place, difpofa tout pour Pattaque, & fit combler le foffé. Déja les machines étoient dreffées,, les pierres & les traits voloient fur la muraille, & les aflïégés fembloient réfolus de fe défendre jufqu'a Pextrêmité , lorfqu'un accident de peu d'importance, & la fuperftition abattirent leur courage. Ayant fait une fortie pour détruireles machines, comme ils rentroient dans la place en fuyant, un d'entr'eux atteint d'un coup de fleche, tomba mort fur le feuil de la porte. Ce fut pour eux une preuve évidente, que Dieu vouloit que la place fut ouverte aux ennemis. Frappés de ce finiftre préfage, ils font réflexion fur leur foibleffe, fur 1'infidélité des .Perfes qui les abandonnent, & députent k Dac-  du Bas-Empire. Liv. XLIX. 55 nas pour le fupplier de ne pas exterminer une nation depuis li long-temps foumife k 1'Empire , qui profeffoit la même Religion que les Romains, Sc qui n'ayant pris les armes que pour fe venger d'une injure atroce, n'étoit déja que trop punie de fa témérité, par le malTacre de cinq mille hommes, & d'un plus grand nombre encore de femmes Sc d'enfants. Dacnas écouta leurs prieres; la rigueur de Ia faifon, jointe au défaut de fubfiftances dans un pays défert, pouvoit rendre le fiege difficile & meurtrier. II les obligea de reftituer tout ce qu'ils avoient enlevé a Sotérique, Sc furtout la caifle de l'Empereur, qui contenoit vingt-huit mille huit cents pieces d'or ; ce qui revient environ a quatre cents mille livres de notre monnoie ac~hielle. Après avoir réduit ces Barbares a 1'obéifTance, Dacnas retourna en Lazique. Martin y commandoit en chef: habile Général, mais méchant homme , il étoit le principal auteur du complot formé contre Gubaze. Sa réputation, fes fervices, Sc le talent qu'il ayoit de fe faire aimer Sc obéir C iv Justi- NIEN. Ana. J55. XXV. Juftin fubftitué i Martin.  JUSTÏKISN. Ann. 555. XXVI. Concuffions de Jean 1'Africain. 5<5 HlSTOI&E des troupes, 1'avoient fauvé du chatiment qu'il méritoit autant que Ruftique. L'Empereur avoit diffimulé dans un temps , oü la punition de Martin auroit pu caufer une révolution en Lazique. Lorlque les troubles furent appaifés, il le rappella; & voulant concilier la reconnoiffance avec la juftice, il fe contenta de lui öter le ccm man dement. II en revêtit Juftin , R\s de Germain, qu'il avoit mandé a Conftantinople , & qu'il déclaf.a Général des troupes de Lazique & d'Arménie. Entre les Officiers de Ia fuite de Juftin, fetrouvoit, pour le déshonneur de ce Général, & pour le malheur desProvinces, un nommé Jean, Africain de nation. Cet homme de néant, avoit d'abord été valet d'armée. Paffionné pour les richeffes , il poffédoit dans un degré fupérieur tous les talents néceiïaires pour en acquérir par les voies les plus courtes , 5i trouva le fecret de s'avancer auprès de Juflin, dont les belles quaités étoient ternies par un grand foiale pour 1'argent. Après s'être infinué lans la confiance du Général, ce fcé-  su B'as-Empire. Liv. XLTX. 57 lérat lui propofa un marche trop avantageux pour être accepté par tout homme d'une confcience ün peu délicate : c'étoit de défrayer Juftin & toute fa maifon , moyennant une fomme qui lui feroit feulement avancée, & qu'il promettoit de rendre en entier, 6f même avec les intéréts. Cette énigme ne pouvoit s'expliquer, qu'en fuppofant du cöté de 1'emprunteur toutes lesreffources de la fra«de. Mais Juftin n'envifageant que Ion profït, n'entra dans aucun détail; il lui fit compter la fomme, & le laiffa le maitre de la faire valoir. Jean, pourne pas perdre de ternps, mit la main a 1'oeuvre dés le moment que Juftin partit de.Conftantinople. Voici comment il s'y prit. II devaneoit le Général d'une ou deux journées, & s'in formant exaftement des produÊtion; de chaque contrée, il s'arrêtoit clan: les Bourgs & les Villages voifins dt la route , faifoit aufli-töt affembler h commune, & lui demandoit ce quï étoit bien fur qu'elle n'avoit pas; d& bceufs, par exemple, dans les lieuj oü on n'en pouvoit trouver un feul des chameaux, oü le pays ne four C v JUS TIMEN. Ann. 5 5 5 B t  JusTINIEN. Ann. 555. •3 58 HlSTOI&E niiToit que des chevaux. Pour faire preuve de fa bonne foi, il offroit de payer d'avance, il exigeoit feulement qu'on lui livrat fur le champ ce qu'il demandoit, paree que le Général en ivoit, difoit-il, un befoin preifant. Sur les repréfentations qu'on lui faifoit de 1'impuilTance abfolue de le fa:isfaire , il s'emportoit en inveétives :ontre la mauvaife volonté des habi:ants, & les menacoit de toute la coere de l'Empereur. Ces miférables fe ettant a fes pieds, fe tenoient fort leureux, qu'il voulüt bien accepter ;n échange de ce qu'ils ne pouvoient burnir, tout 1'argent qu'ils avoient >u rafTembler. Avant qued'être arrivé n Lazique, il avoit redoublé fon ca•ital, par ce manege violent & fraululeux. II le continua dans cette Proince, & de plus , il achetoit au prix [u'il vouloit toutes les produeïions u pays, dont il chargeoit des vaifeaux, pour les envoyer vendre en 'autres contrées. Ce qui caufa bienot la cherté des vivres. Tant d'exarfions & de monopoles procureent a Jean d'immenfes richefTes, & les mit a couvert par fa ridélité k  du Bas-Èmpire. Llv. XLIX. 59 remplir les cönditions de fon traité avec Juftin , qui, de fon cöté, étoit fourd aux plaintes, & infenfible aux larmes des peuples. Jean 1'Africain auroit mérité Ié fupplice que fouffrit en ce temps-la Nachoragan. Ce malheureux Général ayant été rappellé d'Ibérie, éprouva toute la colere de 1'impitoyable Chofroës, irrité du mauvais fuccès de fes armes devant la ville de Phafe. II fut écorché vif, & fa peau, remplie de paille, confervant la forme de tous fes membres, fut fufpendue au haut d'une perche , dans la place la plus fréquentée de Ctéfiphon i fpeétacle affreux, que le premier Sapor avoit autrefois donné a la Perfe, mais avec moins de barbarie , n'ayant fait écorcher l'Empereur Valérien, qu'après la mort de ce Prince infórtüné. Tant de tentatives inutiles rebuterent enfin Chofröës. II confidéroit que les Romains avoient fur lui un grand avantage en Lazique , paree qu'étant maitres de la mer, ils ne couroient aucun rifque de manquer de vivres; au-lieu que fes convois fie pouvoient arriver a leur deftinaC vj JUSTINIEM. Ann. ;;y. xxvir. Supplice de Nachoragan. XXVIH. SufpenGon d'arraes entre les Perfes & les Romains. Mtnand.pt, 133.  JUSTIKIEN. Ann. 555. i 1 i Ann. 556. ! XXIX. • . Les Zannes iubju- 1 gués. ] Agath.l.3. ( ï 2 1, F d q n ü 60 Bistoirs tion , que par des chemins fort longs & fort difficiles. II réiblut donc de faire la paix pour la Lazique, comme elle étoit déja établie pour toutes les autres Provinces des deux Etats. Dans te deffein, il fit partir pour Conftantinople fon grand Ch*mbellan , qui :onvint d'une fufpenfion d'armes, pendant laquelle les deux Empires deneureroient en poifefïion des places k des contrées qui leur étoient ac:uellement foumifes jufqu'a la con:lufion d'un traité définitif. L'armée de Lazique, délivrée de la ;uerre des Perfes, en eut une autre 1 foutenir contre les Zannes. Depuis pie ces barbares avoient enlevé les >agages des Romains devant Petra :n 549, ils étoient divifés en deux lartis : les uns demeuroient attachés lEmpire, & continuoient de ferir dans les armées Romaines ; les utres faifoient des courfes continuel;s dans le Pont & dans 1'Arménie. our les réduire, Juftin envoy a Théoore, un de fes meilleurs Capitaines, Lij étant né dans le pays, en conjiifoit parfaitement le local. Cet Of;ier pénétra dans Fintérieur de la  nu Bas-Empire. Lh. XLIX. 61 contrée, & alla camper aux environs de Théodoriade & de Rhizée fur le Pont-Euxin. S'y étant retranché, il atrira dans fon camp ceux qui étoient reftés fideles, & les combla de préfents. II fe difpofoit k forcer les autres par les armes, lorfqu'il fut prévenu par 1'audace de ces barbares, qui vinrent en grand nombre fe poffer fur une éminence voifine, d'oü ils faifoient pleuvoir les flecb.es jufqu'au milieu du camp. Les plus hardis des Romains , n'écoutant que leur colere, fortirent de leurs retranchements, & monterent a eux en défordre. Mais les Zannes les accablant de traits & de grolTes pierres , qu'ils faifoient rouler fur eux, les repoufferent après leur avoir tué quarante hommes, & vinrent attaquer le camp. Le combat fut vif & fanglant; onattaquoit, on défendoit avec une égale iurie. Théodore ayant obfervé que les Zannes , mal commandés & peu inftruits de Part de la guerre , fe portoient tous au même endroit, fit fortir un détachement qui vint les charger par-derriere, & les mit.en fuite. Deux mille furent tués dans la pour- JüSTINIEW. Ann, j 56.  JüSTINIEN, Ann, j j6. XXX. Sédition des Juifs. Theoph. p. 194, 195Cedr. p. 385. Anafl. p. 65. Maldap. 80, 8l. Hifi. mifc, l- 16. I 1 1 i < j t XXXI. 6* HlS T 0 I R E fuite ; les autres le difperferent, & toute la nation fe foumit. L'Empereur ufa des droits que lui donnoit la viöoire; au-lieu des fommes que les Zannes recevoient tous les ans, comme alliés de 1'Empire , ils furent reduits a payer le tribut. .Les Juifs de Paleftine, qui demeuroient tranquilles depuis quelques an* nees, fe fouleverent en 556 au mois de Juillet. Ils malfacrerent a Céfarée un grand nombre de Chrétiens, mirent le feu aux Eglifes, tuerent Ie Gouverneur Etienne dans- fa maifon qu'ils pillerent. La femme d'Etienne s'étant réfugiée k Conftantinople, demanda juftice k l'Empereur, qui envoya ordre au Préfet d'Orient, nommé Adamance, de paffer en Paleftiie, & de chatier les féditieux. Adanance entra dans Céfarée, fit penIre les uns, trancher la tête ou cou>er les mains aux autres, & confifqua ous leurs biens. Une fi prompte & 1 terrible exécution jetta 1'épouvante lans tont 1'Orient, & contint les uifs prêts k fe foulever dans les aures villes. Deux mois auparavant, Ia capirale  nv Has-Empire. Liv. XLIX. 63 de 1'Empire avoit donné 1'exemple de la révolte. Comme la difette de bied & d'orge obligeoit de diftribuer le pain avec économie, les habitants de Conftantinoplemurmurerent d'abord, imputant cette épargne a quelque malverfation. Enfin, le onzieme de Mai, jour auquel on célébroit des jeux publiés en mémoire de la fondation de la ville, tout le peuple alTemblé dans le Cirque , s'adreffant a l'Empereur , lui demanda du pain k grands cris ; & aufli-töt, fortant en foule , il alla mettre le feu k la maifon du Préfet Mufonius. L'Empereur, d'autant plus indigné, que 1'Ambafladeur de Chofroës affiftoit au fpeöacle, & étoit témoin de la fédition , donna ordre au Préfet de fe faifir des plus mutins, & de les punir. Ce qui fut exécuté, & cette émeute n'eut point d'autre fuite. Agafhias rapporte k cette année un tremblement deterre, que d'autres Auteurs, moins voifins de ces temps-la, different de deux ans. Le 1 ^ Décembre, au milieu de la nuit, Conftantinople entiere fut tout-acoup fi violemmentébranlée,que les JUSTIN1EN. Ann. 5 56. Conftantinople.Theoph. p, 195 , 156. Cedr. p. 385. Anafl. p. 65. Malela, p. 81. Agath.l. 5. XXXII. Tremblement de terre.  JUSTINIEN. Ana. j jó. 6+ HlSTOlRE habiranrs, croyant que leurs maifons étoient prêtes a fondre fur eux, fe jetterent dans les rues, & fe réfugierent au centre des places, de peur d'être écrafés par la chüte des édifices. Chaque fecoufTe étoit précédée d'un bruit fourd , qui fembloit être 1'explofion d'un tonnerre fouterrein. Dans 1'air, s'élevoit une vapeur noire , femblable a un nuage de fumée. II en tomboit en même-temps une neige fort menue r & les hommes, ïes femmes, les vieillards mêlés enfemble, demi-nuds & tranfis de froid, n'ofoient cependant rentrer dans leurs habitations, & ne cherchoient d'afyle que dans les Eglifes, invoquant la miféricorde divine. Le fracas des édifkes qui tomboient de toutes parts, redoubloit leurs cris. Les Eglifes mêmes n'étoient pas un lieu de fïïreté; plufieurs s'écroulerent, & ce fut alors que le döme de SainteSophie fut tellement ébranlé, qu'il tomba deux ans après , comme je l'ai raconté ailleurs. Le quartier, nommé Rkzgium, voifin de la mer, fut renverfé de fond en comble; en forte qu'il n'y refta pas pierre fur  du Bas-Empire. Liv. XLIX, 65 pierre. 11 périt un grand nombrê de citoyens ; on en retira plufieurs qui vivoient encore, après avoir été deux ou trois jours enfevelis fous les ruines. Ce tremblement de terre s'étendit au loin, & fe fit fentir en même-temps dans plufieurs villes. On vit en quelques endroits les toïts s'entre - ouvrir & fe rejoindre enfuite : on vit des colonnes arrachées de leurs fondements,& enlevées pardefïus les maifons voifines, aller tomber fur des édifices pluséloignés qu'eiles fracafïbient. Pendant dix jours , les fecoufTes recommencerent fréquemment; & quoiqu'ellesdiminuaffent de violence , elles en confervoient afTez pour abattre ce que les premières avoient ébranlé. On peut dire que ce terrible phénomene avoit agi fur les efprits autant que fur les corps; plufieurs jours après que la terre fe fut raflife, & qu'elle eut repris fon repos naturel, elle paroiffoit encore agitée aux yeux des habitants, & la frayeur dura plus longtemps que le danger. Les rues, les places publiques étoient peuplées de devins Sc d'aftrologues, qui annon» JUSTlN1EN. Ann. 556,  JUSTIHIEN. Ann. J56. i 1 < 66 ftlSTOIZE coient la fin du monde; & le peuple, que la crainte rend encore plus crédule, attendoit en tremblant la chüte des aftres & 1'écroulement de 1'univers. L'Empereur s'abiïint pendant quarante jours de porter le diadême; il convertit en aumönes les dépenfes qu'il étoit en ufage de faire aux fêtes de Noël, pour les feftins qu'il donnoit alors a toute la Cour. Les défordres celferent, & cette grande cité, remplie de corruption & de débauches , devint, comme dans une agonie univerfelle , une ville pénitente. Tout retentifioit de fanglots, de foupirs & de prieres. On accouroit en foule aux Monafteres, pour £tre admis dans ces faints afyles, &z S'avarice la plus infenfible ouvrit fes :réfors pour les répandre dans Ie fein les indigents. Mais la fécurité renlue ramena tous les vices. Entre les >erfonnes diftinguées par leurs dicniés , le feul Anatolius perdit Ia vie; 1 fut écrafé dans fon lit par la chüte les marbres , dont les murs de fa naifon étoient revêtus. II étoit Inendant des palais & des deniers de Empereur. Son caraftere dur &z fif-  du Bjs-Empirb. Liv. XLIX. 67 I cal Pavoit rendu odieux ; & le peuple regarda fa mort comme un chatiment des injuftices par lefquelles il s'étoit | enrichi, fous prétexte de zele pour | les intéréts du Prince. L'année fuivante 557 ne fut mét morable que par les ravages de cette f pefte cruelle, qui, depuis vingt-fix i ans, parcouroit toutes les contrées I du monde, & qui ne cefla de défoler la terre pendant un demi-fiecle. 1 Elle s'étoit déja fait fentir a. Confj tantinople; elle y revint cette année ! avec plus de fureur, foit que les vaj peurs élevées du fein de la terre par I le tremblement, euffent difpofé l'air I a recevoir ces malignes influences, 1 foit par quelque communication avec ! les pays attaqués de ce fléau. L'ex; périence n'avoit pas encore imaginé 1 toutes les précautions maintenant en [ ufage, pour fermer entrée a la contagion. Je ne m'étendrai point fur | les effets de cette funeffe maladie, dont j'ai tracé ailleurs les fymptömes Elle dura dans toute fa force, depuis I le mois de Février, jufqu'a la fin du mois d'Aoüt, & emporta un nombre infini de peuple; en forte que JUSTIN1EN. Ann. 557. xxxra. Pcfte a CP. Agath. 1.5. Theofh. p. 197. Cedr. p. 385. Maltin, p. ssi.  JUSTÏN1EN. Ann. 557. XXXIV. Défor- ] dres ré- 1 primés par 1'Em- < pereur. ] Novel. 77. Barunius, c I C n ü d 1c 6S //. / S T O l 'k B ' les litieres publiques employees aux funerailles, ne fuffifant plus, l'Empereur en fit faire encore mille, & aonna quantité de chariots & de dievaux, pour tranfporter les corps au bord de la mer. On en chargeoit des barques , qui les alloient porter lom de la ville; on les enterroit dans des roues profondes. Malgré ces foins, les rues de Conftantinople furent longtemps jonchées de cadavres, les vivants n'étant ni affez vigoureux, ni 'n aflez gfand nombre pour enlever ■es morts. Ce fléau fe répandit en tahe ,. oü il fit beaucoup de ravages. Juflinien , effrayé de tant de malieurs, s'efforca de les détourner k avemr en réprimant deux affreux fefordres qui régnoient alors dans a capitale, les blafphêmes & les bominations contraires a la nature l declare dans une loi qu'il fit, fans oute vers ee temps-la, que ces criïes font autant d'attentats contre la >ciété toute entiere , puifqu'ils atti>M fur elle les plus terribles coups s Ia vengeance divine, la famine, s trembjements de terre & la pefie.  nu Bas-Empire. Llv. XLIX. <$$ | Cétoienf les trois fléaux qui venoient -d'affliger fucceffivement Conftantinople. II ordonne au Préfet de la ville de faire arrêter les coupables , & de les punir de mort .il le menace de j fon indignation , ii , par inattention I ou par indulgence, il laiffe ces crimes impunis. L'année fuivante arriverent h CP. lïes Ambaffadeurs d'une nation jufj qu'alors inconnue. Leur habillement jreflembloit a celui des Huns : leur jgrande taille, la férocité peinte fur leur vifage, leurs cheveux pendants Epar-derriere en longues trefles, infpiroient au peuple une forte de i terreur qui redoubloit fa curiofité. I C'étoient ceux qui ont porté en Euirope le nom d'Abares, dont je vais icxpofer 1'origine en peu de mots. Les^ Turcs nouvellement fortis des forêts du mont Altaï, vers la fource ide 1'Irtis, ayant détruit les Abares, ipeuple puiffant en Tartarie , attaquerent & défirent encore les Ogors, nommés auffi Varchuns, nation guerriere & nombreufe, qui habitoit le long du fleuve Toula. Les vaincus, (obligés d'abandonner leur pays, fe JUSTI- NIEN. Ann. 5 57, Ann. 5 5 8» XXXV. Ambaffade des Abares.Theoph. p* 196. Menand.pi 99 ViS. Tun. Hifl. mifc. I. 16. Suid. voet A"/S«p/f. Anafl. p. 65. Malela , p. 8i. Theoph. Simoc, l. 7- C7.8. Coripp. de laad. Juft. £ 2. Vale/, rer. Fr. I. 9,  JUSTINIEN. Ann. 558. Al. de GuiSn,s , hifl. des Huns, i.4-?.35» & fuiv. Mém. Acad. t. XXV1I1. p. 108 5fuiv. jour plus heureux , pnerent Saros , chef des Alains, de leur procurer la connoiffance & 1'amitié des Romains. Saros inftruifit Juftin , qui commandoit alors en Lazique, du defir que témoignoient ces étrangers, & Juftin le fit favoir k l'Empereur, qui lui 70 HlSTOiRE jetterent du cöté de Poccident; & après avoir erré quelque temps au nord du Maouerennahar & de la mer Cafpienne, ils pafferent le Volga, 5c s'arrêterent entre ce fleuve & le Tanaïs. Les Alains & les Huns qui campoient dans ces vaftes plaines, inftruits peu exaftement de la révolution arrivée depuis peu en Tartarie, prirent ces nouveaux venus pour des Abares expatriés; & n'ofant s'oppofer k une nation redoutable, ils leur permirent de s'établir dans leur voifinage, & acheterent leur amitié par des préfents. Les Ogors, profitant de l'erreur, adopterent le nom dAbares, qui les rendoit plus formidables, & qu'ils rendirent enfuite célebre en Europe par leurs exploits & leurs ravages. Ces barbares, qui ne manrjuoient pas de politique, regardant les terres de 1'Empire comme un fe-  nu Bjs-Empire. Liv. XLIX. 71 donna ordre de faire pafTer leurs dé-; putés k Conftantinople. Candich, chef de 1'ambaiTade , s'étant préfenté k l'Empereur, lui dit qu'il vcnoit de. la part dun peuple innombrable & invincible, capable dexterminer tous les ennemis de 1'Empire, & de lui fervir de rempart; qu'il étoit de l'intérêt de Juflinien , de ne pas rebuter des alliés fi braves & fi puijfants : que pour s'attacher d jamais aux Romains, ils ne demandeient qu'une penjion annuelle & une habitation commode. Ces offres de fervice reffembloient fort k des menaces, & Juftinien ne redoutoit rien tant, que les embarras d'une nouvelle guerre. II confulta le Sénat, qui, bien inftruit des difpofitions de l'Empereur, donna, aulieu d'avis, de grands éloges k fa profonde fagefle & k fon amour de la paix. II fit donc beaucoup de carefles aux Ambafladeurs, & les combla de préfents: c'étoient des colliers & des braffelets d'or, des lits magnifiques, des habits de foie; efpérant fe concilier par ces largeffes, une nation orgueilleufe & infolente. II chargea un Officier de fes gardes, JUSTIN JEN * Ann. 5 58, XXXVt. ADiance des Romainsavec les Abares.  JUSTINIEN. Ann. 5 5 8, XXXVII. Guerre des Abares contre les Huns & Jes Antes. 1 ] 1 1 1 ?2 HlSTOlRË nommé Valentin, d'aller affurer de fon amitié le Khan des Abares: c'eft ainfi que les divers peuples de la Tartane nommoient alors leur Souverain. Valentin avoit ordre de conclure le traité, & d'engager les nouveaux alliés a faire la guerre aux autres barbares ennemis des Romains. Soit que les Abares fuffent vainqueurs , foit qu'ils fuffent vaincus & exterminés, 1'événement ne pouvoit tourner qu'a 1'avantage de 1'Empire. Valentin s'acquitta heureufement de fa commiffion, & n'eut pas de peine k faire prendre les armes k un peuple qui ne refpiroit que guerre. Les Abares attaquerent auffi - tot les Huns divifés en plufieurs hordes s entre le Volga & le Tanaïs. lis en firent un grand carnage, & ruinerent arefque entiérement les Sabirs. Ayant snfuite paffe le Tanaïs, & s'avancant e long des cötes du Pont-Euxin, ils :omberent fur les Antes, qui habioient vers le Boryflhene; & après es avoir battus, ils firent le dégat lans leur pays. Les Antes, hors d'éat de leur rélifter, leur envoyerent m des principaux de leur nation, nommé  nu Bas-Empire. Liv. XL1X. 73 nommé Mézamire , pour négocier la paix, & traiter avec eux du rachat des prifonniers. Comme ce député, naturellement fier & hautain, leur fembloit parler avec trop d'arrogance , ils le malTacrerent lans aucun égard au droit des gens , & porterent au loin leurs ravages. Ils approchoient du Danube, & déja quelques-uns de leurs partis ayant palTé ce fleuve, étoient entrés dans la petite Scythie. Ils envoyerent alors de nouveaux députés k Juflinien pour le fommer de tenir fa parole, & de leur accorder un établiflêment fur les terres de 1'Empire. L'Empereur étoit fort difpofé a leur abandonner la feconde Pannonie; mais il en fut détourné par les follicitations du grand Khan des Turcs, qui, après avoir chaffé les Ogors de leurs pays , craignoit qu'ils ne redevinlTent trop puiffants. Les Turcs paroifleni ici pour la première fois dans 1'Hiftoire de 1'Europe. Cette nation n'étoit qu'un refte de ces Huns du nord, que les Huns du midi , joints aux Chinois & aux Tartares orientaux , avoient forcés autre- Tome XI. D JüSTIKIEN. Ann. 558, XXXVIII Ambaffade & origine des Turcs. Theoph. pl 203. Theoph* By^.p.Xl, 22. D'Herhelot bibl. oriënt, au mot Tvrc. M. de Guignes , hifl. des Huns ^ I-LP.  Justinten.Ann, 55S, 1 ! 1 < 1 f i t d 74 HjStoikbfois de quitter leurs demeures. Foible d'abord & méprifée, elle étoit renfermée dans les cavernes des monts Altai, ou elle travailloit a torger le fer pour le fervice des Abares , auxquels elle étoit foumife. Le nom de Turcs, comniun a plufieurs peupIesdel'Onent, dénotoit, (don eux, 1'origine la plus noble; ils pretendoient defcendre de Turk qu'ils difoient avoir été fils ainé de faphet. Selon une tradition plus croyable, les Turcs furent ainfi appelles, paree qu'une des montagnes gu ils habitoient, avoit la figure d'un :afque, qui fe nomme Turc dans la langue du pays. Les Perfes les nomnoient Cermichions. Parmi ces forjerons, un homme ferencontra d'un ;énie aifez élevé Sc d'un alfez grand :ourage pour changer le fort de fa ïation, Sc pourlarendre fouveraine Ie ceux qui la tenoient depuis longemps en efclavage. II fe nornmoit roumuen. Après avoir effayé fes orces contre quelques hordes voines, il ferendit fameuxpar fesvic3ires, fervit les Abares avec fuccès ans plufieurs guerrespérilleufes, Sc  nu Bas-Empire. Liv. XLIX. 75 ayant enfin tourné fes armes contre eux-mêmes , il affranchit fes compatriotes de leur dominaticn. II prit alors le titre de Khan , & devint un des plus puifiants Princes de fOrient. Mokan, fon fecond fucceffeur, pouffa plus loin fes conquêtes : il détruifit entiérement la nation des Abares ; & après avoir chaffé les Ogors, apprenant que fous le nom d'Abares ils acquéroient une nouvelle puiffance en Europe, il les pourfuivit par fes négociations, jufqu'au bord du Danube, & envoya une ambaffade a l'Empereur, pour 1'engager a ne donner aucun afyle k ce peuple fu~ gitif. Juflinien recjit honorablement fes députés, & les renvoya chargés de préfents & de promeffes. Un motif encore plus fort détermina Juflinien a ne rien accorder aux Abares. Lorfque leurs députés avoient paffé par la Lazique , un d'entr'eux, gagné par Jüflin, avoit averti ce Général que les Abares cachoient fous des dehors de bienveillance, les plus mauvaifes intentions, & que leur deffein étoit de faire la guerre k 1'Empire , dès qu'ils Dij JUSTIN1EN. Ann. 5580 xxxix: Les Abares trompés par Juftinien. Menand, p- IOI. M. de Gulgnes , hifi, des Huns , '•4-P-354 & fviv,  JUSTI. NIEN. Ann, 558. . ] 1 ] 76 HlSTOIRE auroient paffe le Danube. II en inftruifit l'Empereur; & pour ne pas irnter ce peuple féroce, avant que de setre mis en état de lui réfifter, ïl lui confeilla d'amufer les députés le plus long - temps qu'il pourroit , de prendre pendant eet intervalle, les précautions néceffaires pour leur fermer le palTage du fleuve. Jufhmen fuivit eet avis; il retint les députés pendant prés de trois ans, & envoyaun Officier, nommé Bon , avec quelques troupes pour defendre les bords du Danube. Enfuite, fans donner aux Abares aucune réponfe nette & précife, il leur fit les préfents ordinaires, & les congédia. Comme il apprit qu'ils achetoient quantité d'armes a Conftantinople , il^envoya un ordre fecret a Juftin, 1'employer toutes les voies pofliiles pour leur enlever ces armes, 3endant qu'ils traverferoient fon gouvernement : ce qui fut exécuté. Cette riolence, jointe au filence de 1'Emjereur fur 1'objet de 1'ambaflade, & i fes délais afFtftés, mit le Khan dans ine furieufe colere. II réfolut de s'em)arer par force de rétablilTemenf  du Bas-Empire. Lh. XLIX. 77 qu'on paroiffoit lui refufer après une promeffe folemnelle. II étoit déja maitre de 1'ancienne Dace , qui comprenoit ce qu'on appelle maintenant la Moldavië & la Valachie; les troupes qui gardoient le Danube étant trop foibles pour lui difputer le paffage, il vint camper fur les frontieres de la Méfie & de la Pannonie , «Sc s'y établit. Néanmoins il demeura tranquille pendant le peu de temps que vécut encore Juflinien ; & il fè contenta de la peniion annuelle que l'Empereur n'ofa lui contefter malgré ion invafion. Lorfque les Abares pafferent le Tanaïs pour s'avancer vers 1'occident, plufieurs d'entr'eux étoient reftés a 1'orient de ce fleuve. On les retrouve encore aujourd'hui avec leur ancien nom dans les montagnes de la Circaflïe. Les uns font depuis quelques annéesfujets des RufTes, les autres ont confervé leur indépendance. Tranquilles au milieu de leurs montagnes, ils vivent du produit de leurs troupeaux & de leur culture dans un pays froid & flérile. Les Abares conquérants ont fait plus de bruit dans Ie monde ? D iij JUSTINIEK. Ann. 558.  JUSTINÏEN. Ann. jjS.~ XL. Etat de 1'Empire dans la vieilleffe de Juflinien.Agath. 1. Menand. ?. IOO. Joann. Ant. apud Alamann. in anecd, Proc. p. 164. i 1 i ] l < ï 1 c J ï 78 &ISTO/SE «Sc font depuis Iong-temps anéantis; ceux-ci prefque inconnus, fubiïftent encore de nos jours. L'Empire, qui avoit repris tant de force par les vicfoires de Bélifaire « de Narfès , retomboit dans un etat de Iangueur, & s'affoiblilToit avec Juftmien. Ce Prince, glacé de vieilleffe, & courbé fous le poids des affaires, qu'il n'avoit jamaisfoutenues avec yigueur , avoit renoncé aux expeditions militaires. II ne contenoit plus les Barbares, qu'en les armant les uns contre les autres par fes intrigues, ou les défarmant a force d'argent; il aimoit mieux acheter m repos précaire & incertain , que ie ie procurer par la guerre, unepaix ndependante & affurée. Croyant lonc n'avoir plus befoin de troupes, lies Iaiffoit dépérir; & au-lieu que etat militaire de 1'Empire fous les egnes précédents, montoit a fix cents [uarante-cinq mille hommes, il n'en efloit fur pied que cent cinquante mlle, difperfés en Italië, en Afriue , en Efpagne, en Lazique, en irménie , fur les frontieres de la féfopotamie & de 1'Egypte. Ses Mi-  nu Bas-Empire. Liv. XL1X. 79 niftres travailloient encore plus efficacement a la deftru&ion des armées. Chargés de la recette des tributs, & de 1'entretien des troupes, ils s'enrichilToient égalemént par ces deux voies, faifant payer plus qu'il n'étoit dü, Sc payant moins qu'ils ne devoient; en lbrte que la cailTe militaire étoit devenue leur propre trélor, oü Fargent entroit a grands flots, pour n'en fortir que goutte a goutte : encore par une ïbrte de reflux, en faifoient-ils revenir la plus grande partie a titre d'amendes. Auftï la plupart des gens de guerre, excédés de vexations & mourants de faim, abandonnoient le fervice, pour fe jetter dans des profeflions plus ufiles; & toutes les richeffes de 1'Etat alloient fe perdre dans les abymes du luxe Sc de la débauche. Au milieu d'un fi déplorable gouvernement , les Provinces demeuroient fans défenfe; la Thrace même, & les places les plus voifines de Conftantinople , dépourvues de garnifons , étoient ouvertes aux incurlions des barbares. • Zabergan, Roi des Huns, nommés D iv JUSTIKIEN. Ann. 55S.  JlMTINIEN. Ann. 5 59. XLI. Incurfion des Huns. Agath. I. 5- Men and. P- 13». i Theoph, p. ' 197 . 198. 1 386. Malela , p. 1 Via. Tun. \ Joan. Ant. "pui Ala- * man. in { inecd. r Proc. p. 117,128, 1 164. p DuCangt j Imat. fam. art. 6. >^a/e/ not. c ad Me- J nand. p. ^ 213. S Bar. Murat. P' onn. Ital. M. t. III. p. n m 80 H I S T O I R £ Cutrigours , que quelques Auteurs ont mal-a-propos confondus avec les E clavons ou les Bulgares, proJta de cette négligence. Outre le defir du pillage, il étoit animé par tin motif encore plus preffant. Les LJtigours fes voifins, qui faifoient >artie de la même nation des Huns, imis & alliés de 1'Empire, recevoient ans cefTe de l'Empereur des marqués Inonneur & de bienveillance. Za>ergan voyoit d'un ceil jaloux les jrefents qu'on envoyoita Sandil, Roi les Utigours. II voulut fe venger de ette ïnjurieufe préférence, & faire emir aux Romains, qu'il „'étoit pas loins redoutable, «Sc que fon amitié lentoit bien d'être achetéeau même tm II paffa donc au commencement e Mars fur les glacés du Danube, & ■averfa la Méfie fans rencontrer aum obftacle, permettant a fes folïts tous les excès auxquels peut abandonner une nation féroce «Sc ■utale. Arrivé dans la Thrace, il irtagea fon armée ; il en envoya ie partie dans la Grece pour la vager ; une autre dans la Cherfon:fe de Thrace, «Sc marcha lui-même  nu Bas-Empire. Liv. XLIX. 81 k la tête de fept mille chevaux vers la capitale de 1'Empire, mettant tout k feu & k fang. La longue muraille ruinée en plufieurs endroits par les tremblements de terre, n'étoit gardée nulle part; il entra par les brêches, & s'établit dans 1'enceinte. A fon approche, 1'épouvante fe répanditdans Conftantinople : les habitants ne fe croyant pas en füreté dans leurs maifons, s'attroupoient dans les places publiques, s'imaginant déja voir la flamme & le fer ennemi. C'étoient des allarmes continuelles. L'Empereur , plus effrayé que perfonne, fit enlever tous les ornements & toute 1'argenterie des Eglifes qui étoient hors des murs; on en cachoit une partie dans la ville, on en tranfportoit une autre au-dela du Bofphore. Cependant les plus hardis des habitants , joints aux gardes du palais, fortirent pour repouffer les barbares. Mais ils revinrent bientöt en fuyant, après avoir laiffé fur la place grand nombre des leurs. En effet, les troupes qui formoient la garde de l'Empereur , n'étoient plus que 1'ombre de ca qu'elles avoient été autrefois ? D v ÏUSTINIEN. Ann. 559.' M. de Cuiynes , hifi» des Huns , l. 4. p. 311 Sr fuiv%  Justinten.Am. J59. ] ( ! ] 1 1 XLII. Dernier 1 expJoitde r Bélifaire, ^ r c d P n tr d. fé dl 82 H 1 S T 0 2 R E ]orfqu'on n'y étoit admis quWès s etre fignalé dans les autres coïps. £enon avoit le premier abatardi ce iervice, en y introduifant par faveur des gens fans mérite; & cette mihce dégénérant de plus en plus , l argent qui acheve de tout corrompre , avoit feul droit d'y donner entree. Les compagnies de la garde n étoient plus compofées que de ri:hes bourgeois, qui achetoient ces joites pour jouir des exemptions & les privileges; ils n'étoient diftin;ues que par Ia magnificence de leurs labits^; foldats de parades, fort pro»res k décorer un triomphe , mais ion pas k Ie procurer. Les barbares, animés par le prener fuccès, firent des courfes jufu au fauxbourg de Syques, & vin?nt infulter les murs de la ville, du até de Blaquernes «Sc de la porte oree. Dans cette extrêmité, 1'Emïreur eut recours k Bélifaire, qui, mpant depuis dix ans au pied du one , «Sc confondu dans la foule ;s courtifans, voyoit fa gloireéclipe par la faveur de fes envieux. Le nger lui rendit tout fon éclat; il  ïsü Ï>as"Empir.e. Lh. XLtX. 83' reprit même avec fes armes ce que lui avoit óté la vieilleffe; & cette ame guerriere confervant fqn ancien courage dans un corps affoibli par les années , retrouva fous le cafque & fous la cuiraffe , cette acfivité & cette vigueur, qui avoit renverfé la puiffance des Vandales , & terraffé les Goths. Dès que le bruit fe fut répandu que Bélifaire alloit combattre, une foule de citoyens & depayfans fugitifs, dont les terres avoient été ravagées par les barbares, accou i rut fous fes étendards. C'étoit une foible reffource, la plupart étant fans armes, & n'ayant jamais vu d'ennemis. Toute la force de cette armée ne confiftoit qu'en trois cents foldats , qui avoient autrefois vaincu fous les ordres de ce grand Capitaine. Bélifaire, après avoir raffemblé tous les chevaux qui fetrouvöient a Conftantinople , fortit de la ville ; il en^ vironna fon camp d'un foffé, envoya des coureurs obferver les mouvements des ennemis, & fit allumer des feux dans toute 1'étendue de la plaine , pour faire croire aux barbares qu'il étoit fuivi d'une nombreufe arD vj JUSTINÏEN. Ann. 559*  JUSTINIEN. Ann. 5 XLIII. Défaite des Huns, i < J i 1 1 < i 84 H I S T O I R B fée lis y furent en effet trompt; oc le tinrent fur la défenfive. Cette erreur ne fut pas de longue duree. Zabergan, inftruit par fes coureurs du yeritable état des Romains, ie mit a Ia tete de deux mille cavaliers , qu'il croyoit plus que fuffifants pour les détruire. Cependant Bélifaire avoit pris les plus fages mefures, pour tirer parti de fa foibleffe. Les barbares ne pouvoient venir k lm qu]au travers d'une épaiffe forêt; il avoit placé en embufcade fur les deux bords du chemin, deux cents Archers k cheval, qui devoient les charger au paifage. II marcha lui-même a la tête de fes trois cents foldats, réfolus, ainfi que leur Général, de facnfler ce qui leur reftoit de vie. 11 fe fit fuivre par le refte de Ia trouwe , avec ordre de pouifer de grands :ns, de faire retentir leurs armes, k de trainer fur la terre des branjhes d'arbres pour élever une nuée le pouifiere. Tout fut exécuté comne il 1'avoit commandé. Les barbaes, chargés en flanc par les troupes Ie 1 embufcade, aveuglés par la poufiere que le veat leur portoit dans  nu Bjs-Empire. Liv. XLIX. 85 les yeux, effrayés des cris & du bruit des armes, attaqués avec vigueür par les foldats & par Bélifaire lui-même, aufli redoutable par fes coups qu'il 1'avoit été dans les plaines de Rome, prirent la fuite fans ofer même fe retourner en-arriere pour tirer des fleches, felon leur coutume , fur ceux qui les pourfuivoient. II y en eut quatre cents de tués , fans aucune perte du cöté des Romains, qui n'eurent même que peu de bleffés. Zabergan regagna fon camp, ou il porta une telle épouvante, que les Huns fe croyant perdus, pouffant des hurlements affreux, ik fe tailladant le vifage avec leurs épées par défefpoir, s'enfuirent a quatre lieues de • la, oü ils camperent. Dans le defordre oii ils étoient, il eut été facile a Bélifaire d'achever leur défaite, & il fe difpofoit a les attaquer. Mais tandis que toute la ville retentiffoit du bruit de fa viöoire, & que le peuple le nommoit a haute vaix le défenfeur, le fauveur de 1'Empire , ce concert de louanges bleflbit vivement fes indignes rivaux, & les mettoit en fureur. Mtiets & tremblants JU£TINIEN. Ann. 559. XL1V. Suites de cette défaite.  JUSTINIEN. Ann. 5 J9. i j i i i i < 86 Hls T O l R E a la yue du péril , ils s'étoient terras caches dans I'ombre du palais : raffuré> alors par la fuite des barbares, ils obfédoient l'Empereur : Penfef vous, lui difoient-ils, que ce foit pour votre confervadon & pour votre gloire que Bélifaire expofe fa vieilleffe? Un plus vif intérêt anime fon ambidon : il veut mourir fur le tróne ; il regne déja dans l'ejprit du peuple. Ces difcours piquoient la jaloufie dont l'Empereur n'étoit que trop fufceptible. II rappella Bélifaire; & le libérateur de Conftantinople, au-lieu du triomphe qu'd méritoif, rentra dans 1'obfcurité, oü 1'on s'efforcoit d'enfévelir fa gloire : heureux encore, fi feslaches ennemis lui etuTent pardonné le nouveau fervice qu'il venoit de leur renire , aufïi-bien qu'a tout 1'Empire. tfous les verrons bientöt fe venger Jar une calomnie atroce de 1'admi■ation que fes grandes aftions lui ivoient attirée. Les barbares qui s'atendoient a voir incontinent Bélifaire ondre fur eux, repafferent la longue nuraüle vers le milieu d'Avril, &fe etirerentprès d'Arcadiopolis, au pied (u mont Rhodope. Ils y établirens  nu Bas-EmpirE. Lh. XL1X. 87 leur camp, & ne voyant paroitre aucun corps cle troupes, ils ravagerent le pays, en liberté jufqu'au mois d'Aoüt. Lorfqu'ils fe furent éloignés de Conftantinople , l'Empereur fe tranfporta lui-même a Sélymbrie fur la Propontide, oü fe terminoit la longue muraille, dont il fit réparer les breches. Cependant les Huns envoyés vers la Cherfonnefe, s'eftbr$oient d'y pénétrer. L'entrée de cette péninfule étoit un ifthme d'environ deux lieues , fermé d'une muraille rebatie a neuf, quis'étendoit d'une mer a 1'autre. Cette muraille, bordée en-dehors d'un foffé large & profond, portoit dans toute fa longueur une galerie, dont le toit étoit garni de créneaux; en forte qu'elle pouvoit être défendue par deux étages de foldats. Les extrémités fe terminoient k deux möles batis dans la mer. Les Huns ayant comblé le foffé, firent jouer toutes les machines en ufage dans 1'attaque des villes , & donnerent plufieurs affauts ; mais ils furent toujours repouffés. Les Romains avoient pour Commandant, un jeune homme nom- JUSTINIEN. Ann. 5 $9, XLV. Attaque de la Cherfonlel'e.  JUSTINIEN. Arm. 559. 88 HtSTOIRÊ mé Germain, fils de ce brave Dorothée, qui, après s'être fignalé dans plufieurs aftions, étoit mort en Sicile a la fuite de Bélifaire. Germain étoit né k Bédériane en Illyrie, dans le yoifinage de Taurefium , patrie de Juflinien. L'Empereur avoit pris foin de lui dès fa naiffance. A 1'age de huit ans, il le fit venir a la Cour; & pour lui donner une éducation male & vigoureufe , il voulut qu'il fréquentat les écoles publiques; qu'il s'inflruisit des lettres Grecques & Latines, Sc qu'il fe formjü k tous les exercices. Dès qu'il eut atteint feize ou dix-fept ans, Juflinien, pour le fouflraire au übertinage & aux amufements frivovoles de la jeuneffe de la Cour, & pour tourner a des objets folides fa vivacité naturelle & fa paffion pour la gloire, 1'employa dans les armées, oü il paffoit 1'été a combattre, & 1'hyver a étudier le métier de la guerre. II le mit enfin a la tête des troupes qui gardoient l'entrée de la Cherfonnefe. L'incurfiondes Huns lui donna occafion de montrer fon talent fupérieur pour le commandement. Plein de feu pour courir au danger, & de  du Bjs-Empire. Liv. XL1X. 89 fang froid dans le danger même, les Huns le trouvoient a toutes les attaques , & fes ordres foutenus de fa bravoure perfonnelle , repouffoient tous leurs efforts. II avoit affez d'activité, d'efprit & de jufteffe , pour voir d'un coup d'ceil le meilleur parti; affez de fageffe & de docilité pour déférer aux avis des anciens Officiers, dont il connoiffoit la prudence. Les barbares, défefpérant de forcer la muraille , formerent Pentreprife la plus téméraire. Ils amafTerent quantité de joncs &i de rofeaux les plus longs & les plus forts qu'ils purent trouver, & les liant fortement enfemble, garniffant de laine les intervalles, afin d'empêcher 1'eau d'y pénétrer, ils en formerent des claies; ils attacherent fur chacune trois pieces de bois de traverfe, une k chaque extrémité, &c une au milieu. Joignant enfemble trois ou quatre de ces claies, ils en conftruifirent un radeau capable de porter quatre hommes. Ils en firent jufqu'a cent cinquante; & pour en faciliter la conduite , ils en avoient recourbé la pointe en forme de proue. Chaque cöté portoit deux rames, ou- JUSTI- NIEN. Ann. 559. XLVL Vaine en» treprife des Bar" bares.  JUSTINIEN. Ann. jjq, i j C 1. C p n h q Ti 9° Histojus tre plufieurs ailerons attachés le long du radeau, qu'ils croyoient propres a aider la navigation. Des pelles de bois hees a la partie poftérieure, devoient tenir lieu de gouvernail. Après avoir achevé cette flotte de nouvelle efpece , ils Ia mirent en mer pendant la nuit dans le golfe de Mélas, a 1'oecident de la Cherfonnefe, & y firent monter fix cents hommes, qui s'éloignerent bientöt du rivage quoiqu'ils fuffent fort mauvais rameurs. Les flots fe jouoient de ces :orbeilles légeres , qui montant ou lefcendant fans ceffe, obéiffoient a ous les mouvements des vagues. Le leffein des Huns étoit de doubler le nöle qui terminoit la muraille de ce pte-la, & de pénétrer dans 1'intéïeur de Ia Cherfonnefe, dont ils feoient bientöt les maïtres. La nouvelle e ce bifarre appareil, n'excita chez :s Romains que la rifée. Germain ^argea de foldats vingt galeres a deux oupes , & leur commanda de fe teir cachées derrière le möle, pour iffer approcher les barbares. Dés ie ceux-ci eurent dépaffé la mu«le, les galeres firent force de ra-.  du Bas-Empire. Liv. XLIX. 91 mes, & allerent fondre fur eux. La violence du choc donna une fi rude fecoufTe, que plufieurs des barbares fauterent a la mer; les autres couchés fur les rofeaux, s'y tenoient attachés fanspouvoir combattre. Les batiments Romains, femblables a des tours, voguant au travers des radeaux, & les traverfant dans tous les fens, les rompoïent, abymoient les uns en paffant par-deffus, chafibient les autres devant eux : on percoit les barbares k coups d'épées, de crocs, de longues javelines, comme des poiffons dans une naffe, on les affommoit a coups de rames; & coupant avec des harponts tranchants les liens de rofeaux, on en détacha tout 1 affemblage, enforte que les Huns furent tous engloutis, fans qu'un feul put regagner le bord. Les Romains, après avoir recueilli les armes qui flottoient fur 1'eau, retournerent au rivage, portant a leurs camarades la joie d'une vicfoire qui n'avoit pas coüté une goutte de fang. Germain, croyant devoir profiter du trouble oü eet événement jettoit 1'armée des Huns, fit fur eux une fur 1 JUSTINIEN. Ann, 559. XL VIL Ilsfe re-, irent.  JUSTINIEN. Ann, 559, XL VIII. Zabergan repaffe le Danube. 92 &ISTOIRE ' rieuie lbrtie. Emporté par 1'ardeur de {o" ,courage da"s le plus fort de la mêlée, il recut un coup de javelot qui lui perca la cuiffe. La douleur de fa bleffure lui auroit fait quitter le combats'il n'eüt eu 1'ame alfez forte pour s'occuper moins de fon mal, que du danger oü fes foldats demeureroient par fa retraite. II continua de combattre «Sc d'animer les flens, jufqu'a ce qu'il eut forcé les Huns par un grand carnage , a regagner leur camp. Ces barbares, confternés de leur défaite, & plus encore de la vue des cadavres que la mer pouffoit fur fes rivages, s'éloignerent de la Cherfonnefe, & allerent rejoindre Zabergan, qui n'avoit pas eu une meilleure fortune. Ils virent bientót arriver 1'autre partie de leur armée, qui, après avoir traverfé la Macédoine «Sc la Theffalie, n'avoit pu paifer les Thermopyles, défendues par un corps de troupes Romaines. Zabergan , quoique battu , n'étoit pas encore humilié. Campé au pied du mont Rhodope, il conrinuoit fes ravages pour forcer les Romains d'acheter fon amitié, comme celle des  nu Bas-Empire. Liv. XLIX. 93 Utigours. II menacoit d'égorger les : prifonniers qu'il avoit entre les mains, ü 1'on ne payoit leur rancon. L'Em- ( pereur confentit a le fatisfaire, a condition qu'il retourneroit au-dela du Danube. Juftin , fon neveu, fils de Dulciffime & de Vigilance, fut employé a cette négociation. II étoit Curopalate , c'eft-a-dire , fur-Intendant du palais, emploi qui devint le grade ordinaire pour parvenir a 1'Empire. On racheta quantité de Romains, entre lefquels fe trouva Sergius, qui auroit mérité d'expier dans une plus longue captivité, les maux qu'il avoit fait fouffrir a 1'Afrique. Cette paix caufa de grands murmures k Conftantinople : on trouvoit de la lacheté & de la bafleffe k payer les barbares, d'être venus défoler 1'Empire , & infulter la vilie impériale, Mais ce qui arriva peu après, fit voir que l'Empereur avoit pris le parti le plus fage. Au fortir du danger oü il venoit «d'être expofé, il avoit fait réflexion que le moyen le plus avantageux pour fe délivrer de ces barbares, étoit de les détruire les uns par les autres. Ainfi, pendant que Zabergan fe retiroit JUSTINIEN. Lnn. 559. XLIX. L'Empeeur feme a difcorie entre es Huns,  JüSTIN1EN. Ann. yjo. i 3 i - i ' 1 '.. 5'j> 94 Hist-oirb a petites journéës, Juftinien écrivlt en ces termes a Sandil, Roi des Utigours, attaché au fervice de 1'Empire par une penfion annuelle : » On ne » peut vous excufer d'avoir manqué » a vos alliés, qu'en fuppofant que » vous n'avez pas été inftruit de 1'ir» ruption de nos ennemis. Zabergan » n'eft venu attaquer Conftantinople » que par jaloufie, pour nous faire » connoitre que fa nation mérite plus » de ménagement que la votre, è la» quelle il fe croit fort fupérieur. II •» ne s'eft retiré qu'après avoir recu » de nous les fommes d'argent que * nous avons coutume de vous faire > tenir chaque année. II nous eut été * facile de rabattre fon infolence : > mais nous avons été bien-aifes d'é- > prouver ce que vous valez. Si vous * êtes tel que je me le perluade, Zay bergan n'aura été que le porteur > de la penfion qui vous étoit defti- > née ; vous la trouverez entre fes > mains. Si vous fouffrez eet affront, * fouffrez auffi que nous tournions ■ déformais nos libéralités fur ceux ■ a qui vous aurez cédé lavantage de la valeur %  do Bas-Empire. Liv. XLIX. 95 Cette lettre fit fur Pefprit de Sandil rimpreflïon que l'Empereur avoit efpéré. Outré de eolere, il fe mitauffitöt en campagne ; & ayant ravage le pays des Cutigours, & traïné en efclavage leurs femmes & leurs enfants, il vint tomber fur 1'armée de Zabergan, qui avoit paffé le Danube. II la tailla en pieces, & emporta avec le refle du butin 1'argent de 1'Empereur. Zabergan raffembla de nouvelles forces, & les deux peuples fe firent long-temps une guerre fanglante, j qui leur fut également funefte. Ces 1 divifions détruifirent tellement la puifi fance des Huns , que, réduits a un peI tit nombre, ils perdirent jufqu'a leur ï nom , èc fe confondirent avec d'aui tres nations qui s'emparerent de leur I Pays- H en fubfifta cependant quelques reftes, mais trop foibles pour I inquiéter 1'Empire. On vit encore f du temps d'Héraclius , un Chef de 1 Huns venir a Conftantinople deman1 der lebaptême, & embraffer le Chriftianifme avec les principaux de (es 1 fujets. ; L'Empereur étoit dans fa foixantedix-huitieme ann,ée, Le féjour de Sé- JüSTINIEN. Ann. j;9„ L. lis fe détruifentmutuellement. Ann. 560. LI. Tronblee  JUSTINIEN. Ann. 560 a Conllan tinople. Theoph. p 198, 199 Cedr. p 387- Anaft. p 66. Hifi. mifi. I. 16. Conft. Porph. Them, }. 96 HlSTOIRB lymbrie, & les mouvements qu'il s'étoit donnés pour faire réparer les , breches de la longue muraille dans • 1'efpace de dix-huit lieues, avoient affoibli fa fanté. II retourna malade \ a Conftantinople, au commencement de Septembre de Pan 560, & fe renferma dans fon palais, fans fe laiffer yoir k perfonne pendant plufieurs jours, hors les Officiers qui le fervoient. Le bruit fe répandit que l'Empereur étoit mort; & le foupcon penfa faire plus de mal que n'en auroit fait 1'événement même. Le matin du 9 Septembre, une multitude de peuple alla piller les boulangeries & les fours publics, & au bout de trois heures, il ne reftoit pas un pain k vendre dans toute la ville. On ferma les boutiques , & le jour fe paffa dans la crainte d'une révolution. Enfin , le Sénat s'étant affemblé fur le foir, ne trouva d'autre moyen de raffurer les efprits, que de les tromper. Quoique l'Empereur ne fut pas en meilleur état, on donna ordre d'allumer des feux, & d'illuminer les maifons pour fe réjouir de la convalefcence du Prince. Le peuple paffa rapidement  dv Bjs-Empirb. Liv. XLIX. 97 rapidement des fombres vapeurs de la défiance, aux éclats d'une joie tumultueule, & la tranquillité fut rétablie. Peu de jours après, l'Empereur , ayant en effet recouvré la fanté, Eugene, qui avoit été Préfet de Conftantinople, accufa deux Officiers du palais, George & Ethérius, d'avoir confpiré avec Géronce, acluellement Préfet, pour mettre fur le tröne Théodore, fils de Pierre, maitre des offices. Mais après une exacle information , la colere du Prince retomba fur Paccufareur, qui fe trouva dépourvu de preuves. Sa maifon fut confifquée, & il auroit fubi la peine qu'il méritoit, s'il ne fe fut réfugié dans une Eglife, oü fe tenant enfermé, il eut le temps d'obtenir fa grace. II y eut au mois de Décembre un incendie qui confuma grand nombre de maifons avec plufieurs Eglifes; & eet accident funefte fe renouvella au mois d'Oftobre de 1'année fuivante. Celle-ci vit achever le dernier des grands édifiees qui ont rendu le regne de Juflinien auffi célebre dans la poftérité, qu'onéreux a fes fujets, Le fleuve Sangaris en Bithynie couTome XI. E JüSTIN1EN. Ann. jéo.  JUSTINIEN. Ann. j6o, Ann. 561. LIL Payens punis de mort. Theoph. p. 199, 200. Cedr. p. 387. Anafl. p. 66. Malela,p. 82. Aimoin. I. 3'. 9- 98 HlSTOIRE loit avec tant de rapidité, que les bateaux n'olbient le traverfer. L'Empereur y fit batir un pont de cinq arches, d'une hauteur & d'une largeur fiirprenantes. Pour exécuter eet ouvrage, il fallut creufer un large & profond canal, oü 1'on détourna les eaux du fleuve. En 561, la pefte fit de grands ravages en Cilicie, & la ville d'Anazarbe fut prefque entiérement dépeuplée. Anfioche éprouva de fréquentes fecouflës de tremblements de terre; & comme fi ce fieau n'eüt pas fuffi pour la tenir en allarmes, les difputes de religion allumerent une guerre fanglante entre les Catholiques & les hérétiques Sévériens. Pour éteindre ces fureurs , l'Empereur envoya ordre a Zimarque , Comte d'Orient, de fe tranfporter dans cette ville. Celui-ci exila un grand nombre desféditieux , confifqua leurs biens , & fit couper les mains a ceux qui furent convaincus de meurtre. On de'couvrit que plufieurs payens, qui vivoient cachés dans Conftantinople , pratiquoient fecretement leurs fuperftitions. Leurs livres & les ima-  su Bas-Empir.e. Liv. XLIX. 99 ges de leurs divinités furent brülés pubüquement; ce qui ne paffoit pas les bornes d'une police Chrétienne: mais ils fubirent eux-mêmes le fupplice alors en ufage , pour la punition des crimes ignominieux : après leur avoir coupé les extrémités , on les promena nuds fur des chameaux par toutes les rues de la ville. Cette maniere cruelle de venger une religion pleine de douceur & d'humanité, ne fut pas fans doute confeillée par Germain, Evêque de Paris, qui pafla cette année par Conftantinople, au retour d'un voyage de dévotion qu'il avoit fait en Paleftine. Ce faint Prélat, que fa renommée avoit devancé, refufa conftamment 1'or & I'argent que l'Empereur le preflbit d'accepter, & ne voulut recevoir que quelques reliques. Dans les jeux du Cirque qui fe célébroient au mois de Novembre, les deux faftions s'animerent 1'une contre 1'autre, avant même que l'Empereur eut pris fa place au fpeöacle. Comme fa préfence n'arrêtoit pas leur emportement, il fit defcendre dans le Cirque deux des principaux OffiE ij JüSTINIEN. Ann. 561,' tin. Sédition des factions du Cirque,  JUSTINIEN. Ann. 561. I0O HlSTOIRE ciers du palais, qui s'efforcerent en vain de féparer les combattants. II y en eut beaucoup de bleffés & plufieurs de tuis de part & d'autre. Animés d'une rage égale, chaque parti mettoit le feu aux écuries de fesadverfaires; les cris, les flammes, les pierres qui voloient de toutes parts, rempliiToient la ville de confufion & de défordre. Ils pilloient les maifons les uns des autres, & ce tumulte dura toute la nuit jufqu'au lendemain, qui étoit un jour de Dimanche. Alors l'Empereur, obligé de recourir aux remedes extrêmes , fit prendre les armes a tous les foldats qui fe trouvoient alors k Conftantinople. On chargea les féditieux, qui fe réfugierent les uns dans 1'Eglife de la Sainte Vierge au quartier de Blaquernes, les autres dans celle de Sainte-Euphémie a Chalcédoine. Le Préfet, a la tête des foldats , ne refpecïa point ces afyles; on chaffa k coups de batons leurs meres & leurs femmes, qui, retirées avec eux dans.ces Eglifes, imploroient la clémence de l'Empereur. On diftribua les faöieux dans les différentes prifons, oü leur procés  nu Bas-Empire. Liv. XLIX. 101 fut inftruit; & les plus coupables furent (ucceffivement punis de divers fupplices. Ces exécutions continuerent jufqu'aux fêtes de Noël, & l'Empereur prit occafion de cette fainte folemnité pour pardonner a ceux qui reftoient. La même animofité fe communiqua aux faftions de la ville de Cyzique, & plufieurs maifons furent réduites en cendres. • Les Huns fe déchiroient mutuellemént par une guerre meurtriere; mais il leur reftoit encore affez de forces pour fe faire craindre. L'Empereur, voulant mettre la Thrace a couvert de leurs incurfions, y fit paffer Pannée fuivante les garnifons de Bithynie. Ces troupes mal payées fe fouleyerent contre leur Commandant. Théodore , fils de Pierre, maitre des offices , fe trouvant alors en Thrace, accourut promptement fans attendre les ordres de la Cour; & fut tellement, par fes menaces, intimider les féditieux, qu'il les fit rentrer dans le devoir. La précaution de l'Empereur ne fut pas inutile : les Huns vinrent en effet ravager la Thrace, & s'emparerent de deux villes. Mais E üj JUSTlN1EN. I Inn. 561,' Ann. 561. LIV. Divers événements.Theoph. p. 200 ,101, 203. Cedr. p. 387. Malela, p. 82. Anafl. p. 66. Du Canzt Co aft. 1.2. art. 16.  JUSTINIEN. Ann. 562. Ï02 B/STGIRE Marcel, neveu de Juflinien, a la tête d'une nombreufe armée, les obligea de repafler le Danube. C'eft le 1'eul exploit que 1'hifloire nous rapporte de ce Général. Zimarque, Comte d'Orient, convaincu d'avoir tenu des difeours injurieux è l'Empereur, fut dépouillé de fa charge. Au mois d'Oöobre, les faftions du Cirque firent encore de grands défordres. La fédition commen^a dans le lieu nommé Pittacia, c'efl-a-dire, la place aux Requêtes: c'étoit une place oü les habitants venoient dépofer leurs plaintes & leurs requêtes fur les degrés de la flatue de Léon : les Huifliers recueilloient ces billets, & les portoient k l'Empereur, qui y répondoit fur le champ. L'émeute fut bientöt appaifée par _ le prompt chatiment des plus mutins. Un mois après, la féchereffe ayant tari prefque toutes les fources, on fut obligé de fermer les bains publics. Cette privation excita de nouveau un grand tumulte; les habitants fe difputoient avec fureur le peu d'eau que pouvoient fournir les aqueducs, & il fe fit beaucoup de carnage autour des fontaines öê  nu Bas-Empirë. Liv. XLIX. 103 des réfervoirs de la ville. Les mêmes défordres arriverent encore pour la même caufe au mois d'Aoüt de 1'année fuivante. Depuis fept ans que les hoftilités avoient ceffé en Lazique, Juflinien & Chofroës travailloient par leurs Députés k établir une paix ïblide entre 1'Empire & la Perfe. Pierre , maitre des Offices , & Ifdigune, grand Chambellan de Chofroës , étoient chefs des CommilTaires nommés pour cette importante négociation; &C les conférences fe tenoient k Dara fur la frontiere des deux Etats. II étoit difficile de concilier les intéréts des deux puilTances. Les Perfes vouloient une paix perpétuelle, & outre une penfion annuelle, ils demandoient qu'on leur payat d'abord une fomme égale a la penfion dé trente ans. Les Romains , au contraire , bien réfolus de i'affranchir de ce tribut honteux , le plutöt qu'il feroit poffible, ne vouloient fixer pour la paix, qu'un terme de courte durée, & n'entendoient rien payer de plus que la penfion annuelle. II fallut des années entieres pour rapprocher des prétentions fi E iv Justinten.Ann. 562. LV. Négociation pour la paix avec les Perfes. Menand.pï Theoph. p. 202 , 20j. Pagi ad Sar. Alfemani HU. Or. U lll.p.Afi}.  JUSTIKIEN. Ann, 562, LVI. Articles du Traité. I04 ÜISTOIZB oppofées. Chofroës difputant fur toutes les fyllabes, pour fatiguer le vieil Empereur, la négociafïon fe rompit vingt fois, & fe renoua toujours. Enfin , on convint, que la paix feroit fake pourcinquante ans; que les Perfe abandonneroient entiérement la Lazique, & que dans eet efpace de temps, ils nt formeroient aucune entreprife, ni fur cette Province, ni fur ï Armenië, ni fur au~ eune partie de l'Oriënt; que les Romains payerount par an trente mille pieces lor ; ce qui revienr environ è quatre cents mille livres de notre monnoie courante ; que la penfion des fept premières années feroit payèe davance & fur le champ ; qu'a la fin de la feptieme année, on avanceroit d la fois celle des trois fuivantes, & qu'enfuite chaque année feroit payée d l'échéance. _ Après ces préliminaires, il fut queftion de régler tous les fujets de conteftation qui fubfiftoient depuis longtemps entre les Romains & les Perfes. II fe tint grand nombre de conférences dans lefquelles on arrêta onze articles, dont voici la teneur : Que les Perfes ne donneroient pajfage d aucuns barbares par les portes- Cafpiennes ,  du Bas-Empirb. Liv. XLIX. 105 & que les troupes Romaines napprockeroient ni de ce lied , 'ni d'aucune autre frontiere de Perfe : Que les Sarafinsalliés des deux Etats, feroient compris dans le traité : Que les marchands Romains & Perfes commerceroient librement en payant les droits établis : Que les députés & les courriers des deux Prlnces feroient traités fur leur route conformément d leur qualité ; qu'on leur fourniroit les chevaux & les voitures de pofte ; & que s'ils apportoient quelques mutrchandifrs, ils pourroient les échanger ou les vendre fans paytr aucun droit: Que les marchands Sarafins ou Barbarei ne pourroient entrer dans les deux Etat: que par Nifibe& Dara, qu'ils y payeroientles droits de traite ,&yprendroien, des pafe-ports, & que s'ils entreprenoien de paffer en fraude , outre la faifie d leurs marchandifes, ils feroient foumi aux peines établies dans le pays : Qu les transfuges de part & £ autre auroien acluellement la liberté de retourner dan leur patrie fans avoir d craindre aucu chdtiment; mais qu'apres la paix, ceU quifuiroient d'un Etat dans l'autre, fi roient arrêtés & ramenés par force dar leur pays : Que les griefs refpe&Lfs d E v JUSTINIEN. Ann. jé». f e t s 1 V :s ;s  Justinten.Ann. ;62. .4 ■i ( i 1 i i i ƒ l T f a U d ÏOÖ & I S T O I & E particuliers feroient jugés fur la frontiers par les Magifrats des deux Etats, qui s apmbleroiem pour punir le coupable j rTrerrU T : °-Ut tefonijuaüons de Dara fubjifleroient; mais qu'il ne feroit plus permis aux Romains ni aux terfes d'élever aucune forterefe fur la fromiere : Que les nations dépendantes des deux Empires, jouiroient des avantagesfiipulés de part & £ autre dans U 'raite : Qu'il n'y auroit d £>ara que U lombre de foldats néuffaire pour garder 'a place; que le Commandant des trouns d'Oriënt n'y feroit pas fa réfidence-; s qut fi la garnifon faifoit quelque dé<[ai'.fur la fromiere, ce Commandantfeoit tenu de réparer le dommage : Que 'ilfe commettoit fur la frontier e quelque elu,foh d main armee, foit par dol Y par furprife , les Magiftrats établis our la police du pays en rechercheroient '■s auteurs, & hs obligeroient d la répanipn; que fi leur autorité ne fujfifoh as , on auroit recours au Commandant e la Province; que fi le dommage n'i>itpas réparédans Fefpace de fix mois, lui qui en étoit l'auteur feroit obligé '■ payer le doublé; qu'en cas de déni de fut, foffenféporuroit fes plamtes au  vu Bas-Empire. Liv. XLIX. 107 Souvtrain de Foffenfeur; & que fi dans un fecond délai de fix mois, le Souverain ne rendoit pas jufiice, la paix feroit cenfée rom'pue. Ces articles étoient fuivis de prieres k 1'Etre fuprême, en faveur de ceux qui les exécuteroient fidélement, & d'imprécations contre les infra&eurs. On ajoutoit, que ces convenlions feroient fermes & (tables, tefpace de cinquante ans ; que Üan> nee feroit comptée de trois cents Joixantt & cinq jours, felon la formt depuis long temps regue, & que les deux Prince s em venoient par ècrit la ratification du traite II y avoit un article léparé en favevu des Chrétiens habitants de la Perfe il étoit ftipulé qu'il leur feroit permi. de bddr des Eglifes, & £y célébrerfan. trouble F office divin ; qu'ils ne feroien point forcés d reconnoitre les Dieux d la Perfe, ni a pratiquer aucune cérémo nie du culte des Mages ; qu'ils n entre prendroient pas non plus de détourner le Perfes de leur Religion pour Uur fa'u embrajftr li Chrifiianifme ; qu'ils pour roient enterrer leurs morts felon tufa^ établi parmi eux. On fit deux copie de ce traité , 1'une en langue Latine 1'autre en langue Perfe; elles furei E vj JüSTÏNIEN. Ann. 561. E f S e e s 5  JUSTINIEN. Ann, 562, LVII. Orgueil du Roi de Perfe, 1 i 1 LV1II. Pierre ef- ] fayedera- 4 battre la fiertéd'If- t tfcgune. I08 HlS T 0 I R £ icellées du fceau des plénipotentiaire* & des interpretes au nombre de douze, fix de chaque nation , & portées aux deux Princes, qui les ratifierent chacun par une lettre. Juflinien ne prenöit dans la fienne que le titre d'Empereur des Romains ; mais la fufcription de celle de Chofroës étoit chargée de toute 1'extravagance du falie Oriental: En voici Ia* termes: Le divin, k bon, U pacifique, l'ancien Chofroës, Roi des Rois , vieux , bienfaifant , auquel les Dieux ont donné une grande fortune & un *rand Royaume , gèant des géants , qui verte le caraclere des Dieux, d Juf timen Cefar notre frere. Elle commenfoit par ces mots : Nous favons gré i la fraternité de Céfar de la paix arrêtée mtre les deux Etats. II confirmoit eniute en général ce qui étoit convenu ■ntre les plénipotentiaires, & la dinnité du Prince s'étendoit jufqu a fes Dfficiers; il nommoit Ifdigune, nore divin Chambellan. Dans les conférences pour Ia paix, fdigune avoit foutenu 1'orgueil de on maitre avec une haiiteiir imporune , ne ceffant d'exalter, a tout  nu Bas-Empire. Liv. XLIX. 109 propos, lepuijfant, Finvincible Chofroës , qui, depuis qu'ilportoit la Cidare, avoit dompté dix nations, ajfervi dix Rois, terraffe la puijfance des Nephthalites, & mérité par fes exploits k titre de Roi des Rois attaché d fa couronne par droit héréditaire. Pierre , ennuyé de ces bravades, eiTaya un jour de les rabattre. » Séfbftris, lui dit-il, » régna autrefois en Egypte. Jamais » Prince ne fut tant favorifé de la » fortune, jamais la fortune n'inf» pira tant d'orgueil a un Prince. ►> Vainqueur de plufieurs nations, il » réduifit leurs Rois au rang de fes » plus vils efclaves; il les traita en» core plus indignement; il s'en fit » un attelage. Monté fur un char écla» tant d'or, il fe faifoit trainer pai » ces Monarques prifonniers, & tra » verfoit en eet équipage les Pro» vinces de fes Etats. Voyant un joui *> un des Princes qui tournoit fré' » quemment la tête en-arriere, qui » regardes-tu? lui dit-il. Seigneur » lui répondit ce Roi infortuné, j » confidere cette roue qui tourne fan >> cefle ; en forte que la partie la plu » élevée devient aufli-töt la plu JUSTIN1EN. Ann. 562, > S s s  JüSTINIEN. Ann, j6ï. Ann. 563, LIX. Conclufion de la négociation. 110 HistoirjX » bafle. Le Roi d'Egypte ferrtir Ie » rapport des révolutions de cette » roue avec celles des chofes hu» inaines ; il s'en fit Papplication, » délivra ces Princes d'un fi honteux » efclavage, & les renvoya dans leurs » Etats ". Pierre laiffa tirer a Ifdigune lamoralité de ce récit; & le Chambellan devint plus réfervé fur les éloges de fon maïtre. Après lechange des ratifications , Pierre délivra aux Commiflaires envoyés par le Roi de Perfe, la penfion de fept années d'avance, comme on en étoit convenu. II demeura quelques jours h Dara , pour y célébrer les fêtes de Noël & celle de 1'Epiphanie. II paffa enfuite en Perfe pour traiter immédiatement avec le Roi fur deux articles, dont on avoit réfervé la décifion a Chofroës. Le premier concernoit la Suanie : c'étoit ane contrée voifine du Caucafe, qui ivoit dépendu du Royaume de Lar.ique. Les mauvais traitements que es Suanes avoient recus des Comnandants Romains, les avoient en^agés k fe donner aux Perfes, qui lepuis dix ans étoient maitres du  du Bas-Empihr. Liv. XLIX. in Pays. Mais la Lazique entiere reve- ; nant au pouvoir des Romains, ceuxci demandoient a rentrer en poffef- / fion de la Suanie. Les Perfes, au contraire , alléguoient que ces peuples ayant paffé volontairement fous la puiflance des Perfes , avoient dèslors été détachés du Royaume de Lazique. Le Roi tint ferme fur ce point, & Pierre n'en put rien obtenir. Ce n'étoit pas au fond une grande perte pour 1'Empire, les Suanes n'étant que des fauvages & des brigands qui habitoient les cavernes du Caucale. Mais le pays étoit litué avantageufement pour empêcher les Perfes de venir ravager les frontieres de Lazique du cöté du nord. L'autre article regardoitAmbrus, chef d'une troupe de Sarafins attachés a la Perfe. Le Roi vouloit que les Romains s'obligeaffent a lui payer une penfion de mille pieces d'or, paree qu'ils 1'avoient, difoit-il , payée a fon prédéceffeur. Pierre lui repréfenta que le prédéceffeur d'Ambrus avoit en effet regu de temps en temps quelque gratification de l'Empereur, en récompenfe defes Jptvièes ; in ais quAmbrus ayant préféré de fervir la Perfe, il Justi- n1ew. jin. J&3.  JUSTINIEN. Ann. J63. : t LX. I'ieux ( ftratagême d'Ani- 1 «ia. 112 HlSTOIRE ne pouvoit avec juftice rien exiger de l'Empereur. Chofroës fe rendit k ces raifons, & Pierre revint a Conftantinople , oü il acheva bientöt une carrière brillante. Sa fortune prouva que l'entrée aux dignités n'étoit pas fermée au mérite , quoiqu'elle fut beaucoup plus ouverte a 1'intrigue & a }?, ^ayeur« Eloquent, négociatevir délié, inftruit en tout genre de littérature, il fut employé dans les affaires les plus importantes; & ce fut par la fupériorité de fes talents , que de fimple Avocat de Conftantinople, d parvint au pofte éminent de maïtre des Offices. Cette paix affez peu honorable , mais néceffaire dans la foibleffe de 1'Empire , qui fembloit v-ieillir avec le Prince, devoit fub(ifter , comme je 1'ai dit, pendant un iemi-fiecle. Elle eut le fort de Ia pluDart des traités de paix pour longues innées, qui parviennent rarement k eur terme : elle ne dura que dix ms, après avoir coüté fept années le négociations. Ce fut peut-être alors que Juflinien :herchant de 1'argent de toutes parts >our fournir la fomme promife au  nu Bjs-Empire. Liv. XLIX. 113 Roi de Perfe, eut recours k Juliana Anicia, dont la fortune égaloit la nobleffe. Vous fave^ , lui dit-il, que le tréfor ejl épuifé; tandis que je travaille d vous procurer la paix, d défendre nos fromieres, & d foulager la mifere de mesfujets. Venei a notre fecours ; pre te{-nous de Vargent; nous vous le rendrons , & vous en retirere^ leplus noblt intérêt, l'honneur davoir aidé votre pa.' irie. Julienne, qui connoiflbitle caractere de Juflinien, auffi diffipateur qu'i' étoit avide , lui demanda du temp! pour recueillir fes revenus & veu dre fes terres. Elle fit auffi-töt fairi des lames d'or d'une étendue fuffi fante pour revêtir la voute de FE glife de Saint-Polyeufte , voifine d fa maifon. Lorfqu'elles furent en pis ce, elle fit dire k l'Empereur qu'ell étoit prête k lui mettre devant 1< yeux tous fes tréfors. II vint aufl tot; elle le conduifit a 1'Eglife, i lui faifant lever les yeux vers la yoi te : Seigneur, lui dit-elle, voild 10 ce que j'ai d'or; faites-en ce qu'il vo plaira. Juflinien n'ofa ravir ce q étoit confacré a un fi faint ulage; rougit, öcfe retbra, feignant de lou JUSTlNIEN. Ann. 565.' Greg. Tut. de glorid Mariyrum, l. 1. are, 103. e :S i>£1- U 'IS ui il er  JUSTINIEN. Ann, 563. ixr. Famine a Conftan- ' tinople. ] Theoph. p. | 201. , Proc. cedif. J ti.e. i. i < t J •v d k n P' P« fe le ce 114 &ISTOIRS la piété de Julienne. Pour ne pas le renvoyer les mains vuides , elle lui donna fa bague, en lui difant : Recevei tout l'or qui me refte. Malgré 1 eloge que Grégoire de Tours fait de ce pieux ftratagême, je ne fais fi le généreux facrifice que Julienne auroit fait de fes biens, en vue de foulager 1'Empire dans une néceffité preffante, n'auroit pas été d'un beaucoup plus jrand mérite, que ce luxe de dévotiön. Le bied manquoit a Conftantino>le. Les vents du nord qui fouffieent avec violence pendant le mois l'Aöüt, fermoient l'entrée de 1'Helefpont a la fiotte d'Alexandrie: elle iit obligée de décharger fa cargaifon lans les magafins de Ténédos. C'éoit un des plus beaux édifices que ufiinien eut fait conftruire ; ils aoient deux cents quatre vingts pieds e long, fur quatre-vingts-dix de rge, avec une hauteur proportion;e. Le vent du midi étoit néceffaire )ur enfiler le détroit de 1'Hellef>nt; lorfqu'il manquoit aux vaifaux qui venoit d'Afrique ou d'Axandrie , on les déchargeoit dans t entrepot; & les marchands re-  êv Bjs-Empis.e. Liv. XLIX. 115 tournoient pour un fecond & un troifieme voyage avant 1'hyver. Dès que le temps devenoit plus favorable , des navires de tranfport alloient chercher ces marchandifes, Si les apportoient a Conftantinople. La famine ne caufa point alors de révolte; 1'inquiétude du peuple fe tourna toute entiere en dévotion , & il n'y eut point d'aujre mouvement que celui des proceflïons. La guerre qui fe ralluma pour lors en Italië , auroit eu des fuites facheufes, fi Narfès n'eüt pas maintenu la conquête par la même vakur & la même acVivité, qui Payp.it en fi peu de temps rendu maitre de cette yafte contrée. Le Comte Widin, accrédité parmi les Goths, fit révolter les villes de Vérone & de Brefce : il raffembla ce qui reftoit de foldats de fa nation , & appella les Francois a fon fecours. Aming , nommé Omnirugf par quelques Auteurs, & qu'on croi avoir été un Seigneur puiiTant dam la Suabe , ou dans la Suiffe , s'avanc; jufqu'au bord de 1'Adige a la tête d'u ne nombreufe armée. Narfès, campi fur 1'autre rive, lui envoya deux d< JUSTIN1EN. \an. 563» LXII. Succes de Narfès en Italië. Theoph, p. 201. Cedr. p. 387. Menand.p. Malela , p. 83. Anafl. p. 66. & vita Joan. iii. Mare. chr, Ckron. Avent. ' Paul. diae. L /. l.c. 2,3. . Aimoin. U r 2. c. 34. ' VaUf. rer. ï Frans, l. 3a  F JusTIKIEN. Ann. 563. ( ] 1 J 1 i c 1 r. 1 I c ii<5 H I S T O X R E fes Lieutenants, pour 1'exhorter k ne pas rompre Ia paix établie entre les Romains & les Francois. Aming montrant fon javelot, répondit : Qu'il ne le quitteroit pas tant qu'il lui refieroit un bras pour U lanur. Cette fierté fut mal (outenue. II fut défait & tué dans une bataille. Widin fut pris & conduit k Conftantinople. Vérone & Brefce , quoiquebienfortifiées & garaies de troupes , ne tinrent pas long:emps contre Ie vainqueur. Vérone m pn(e le zo Juillet, & Brefce peu le jours après. Narfès fit porter k Empereur Ie butin le plus précieux lyec les clefs de ces deux villes, dors très-opulentes. L'exemple d'Amng ne put retenir dans le devoir >indual, Chef des Erules. II avoit filélement fervi Narfès, & fa bravoure voit été récompenfée de plufieurs 'lenfaits. Sa fierté naturelle lui per;iada que Narfès lui devoit fa conuete , & qu'il pourroit Fen dépouil;r. Deux ans après la défaite d'A"ng, il arma toute fa nation, livra atadle, fut vaincu & fait prifonnier. a colere porta Narfès en cette renontrs, k une aftion tout-a-fait bar-  bu Bas-Empire. Lfo. XLIX. 117 bare, & qui déshonore fa vi&oire. II fit petvdre ce Prince a une potence fort élevée. Dagifthée, fon Lieutenant-Général, acheva de réduire les places qui avoient pris part a ces diverfes révoltes. La joie de cette heureufe nouvelle fkt bientöt troublée par la découverte d'une confpiration formée contre l'Empereur. Un riche banquier, nommé Marcel, en étoit le chef. Ablabius, Officier de la monnoie, recut de lui cinquante livres pefant d'or pour entrer dans ce complot, Sc il y engagea Sergius, neveu d'Ethérius, Intendant du palais. Leur deffein étoit d'aflafTiner l'Empereur dans fon appartement , le foir du 25 Novembre. Dés Indiens qui étoient a leurs ordres, cachés auxenvirons, devoient fe montrer aufïi-töt, 8c charger tous ceux qu'ils rencontreroient , pour donner aux meurtriers le moyen^de s'évader a la faveur du tumulte, Toutes les mefures étoient prifes pout 1'exécution de eet horrible attentat. lorfqu'Ablabius en fit confidence è deux de fes arms, dont il efpéroit dn fecours : c'étoient Eufebe, Gomman JUSTlN1EN. kun. 563, LXIIt. Confpiration contre Juflinien.Theoph. p, 101 , 202. Cedr. p. 387. Zon. t. ij. p. 89. Chr. Altx. Paul Silent. p. 522. Malela, p. 83,84. Anaft. p. 66, 67. Hifi. mifc, l. 16. Alciat. parerg. I. 4. c. 24. Alamanni. anecd. Proc. p. 152. Pagi ad Bar.  JüSTI NIEN. Ann, 563. 1 < 1 1 S 3 l C F t c IlS H I S T O I r b dant des Goths au fervice de 1'Empire, & Jean , Controleur des finances. Ceux-ci promirent de le feconder, & allerent fur lechamp en donner ayis a l'Empereur , qui les chargea d'arrêter eux-mêmes les coupables. Les conjurés furent faifis au moment qu'ils entroient dans 1'appartement du Prince ; Marcel fe tua de trois coups de poignard; on ne dit pas ce que devint Ablabius ; Sergius s'échappa & fe réfugia dans 1'Eglife de Blaquernes. C'étoit un afyle inviolable; mais il n'en étoit aucun pour les crimes de lefe-majeflré. Ser»ius en fut tiré par force, & mis dans es fers. Les ennemis de Bélifaire faiirent cette occafion de le perdre; ils >romirent a Sergius de le tirer de langer, s'il accufoit Paul, Jean&Vius; le premier, Intendant de Béliaire; les deux autres, banquiers & mis de ce Général. Déja ils s'étoient ffurés de la perfidie de ces trois foures , qui, pour une fomme d'argent onfidérable , avec promeffe de 1'imunité , s'engagerent a dépofer con•e Bélifaire. Pour inftruire le proès des coupables, l'Empereur nom-  du Bas-Empire. Liv. XLIX. 119 (I ma une commiffion compofée de ProI cope , Préfet de la ville , du Quefteur 1 Conftantin, de Julien , Secretaire, & I du Greffier Zénodore. Le Préfet Pro: cope eft différent de 1'Hiftorien, qui : étoit mort plufieurs années avant eet : événement. Les interrogatoires étant achevés, 1 l'Empereur manda le 5 Décembre le 1 Patriarche Eutychius , les Magiftrats ! & les principaux Officiers; il leur ex( pofa le détail de la conjuration , & i fit lire les aveux des accufés. Tous : chargeoient Bélifaire, qui étoit pré1 fent, & qui effuya les plus violents • éclats de la colere de l'Empereur, ; fans repliquer une parole, foit par étonnement, foit par grandeur d'ame. On le dépouilla de tous fes honneurs; on lui öta tous fes domeftiques; on ; lui donna des gardes, avec défenfe de fortir de fa maifon. Ce grand homme, le foutien & 1'honneur de 1'Empire , demeura prifonnier jufqu'au mois de Juillet de 1'année fuivante. attandant a chaque inftant du jour & de la nuit, qu'un bourreau vïnt 1'im- moler a la rage de les envieux. IL n'avoit fallu qu'une heure a ceux-ci JUSTIN1EN. Ann. 563. LXIV. Difgrace de Bélifaire.  JUSTINIEN. Ann. 563. LXV. Fable de 1'aveuglement&de3a mendicité de Bélifaire. I20 H I S T O l R E pour tramer contre lui une intrigue criminelle, il lui fallut fept mois pour fe juftifier. II rentra enfin dans les bonnes graces de l'Empereur, & dans toutes fes dignités. Les Hiftoriens ne difent pas quel fut le chatiment de Sergius. II y a toute apparence qu'on lui fit grace, ainfi qu'aux autres calomniateurs. Ce qui me le perfuade, c'eft que Paul le Silentiaire. après avoir décrit. la feconde dédicace de PEglife de Sainte-Sophie , célébrée dans ce temps-la même la veille de Noël, termine fon poëme par des louanges de l'Empereur , qui ne fait, dit-il, fentir aux coupables que fa clémence : vertu vraiment héroïque, lorfqu'elle n'eft pas un effet de foiblefle, & que le Prince fait protéger Pinnocence, & reconnoitre les fervices, en même-temps qu'il pardonne les ofFenfes perfonnelles. C'eft k 1'occafion de cette difgrace de Bélifaire, que les moraliftes débitent depuis fix cents ans un conté abfurde, qui n'a eu befoin que de fon abfurdité même pour s'accréditer. Comme fi Pon manquoit d'exemples inconteftables &c fréquents , pour prouver  nu Bas-Empire. Liv. XLIX. iüi prouver la fragilité des grandeurs humaines, on répete fans ceffe que Juftinien fit crever les yeux a Bélifaire, & que ce grand Capitaine, dépouillé de tous fes biens, fut réduit k mendier fon pain dans les rues de Conftantinople. Un contrarie fi frappant a faifi 1'imagination des Artifles; ils n'ont guere repréfenté Bélifaire que mendiant, aveugle & miférable. Cependant aucun des Auteurs contem porains, ni de ceux qui les ont mivis pendant fix cents ans, n'a dit un feul mot d'un événement ft remarquable. Jean Tzetzès, qui vivoit dan; le douzieme fiecle, auteur fans jugement , qui a confondu la difgrace de Jean de Cappadoce avec celle de Bélifaire , eft le premier garant de cette aventure. Depuis que la critique ; épuré 1'hiftoire, tous les Ecrivain judicieux fe font accordés a réfutei cette tradition fabuleufe; néanmoin elle s'efl maintenue & fe maintiendr; en crédit : le feul nom de Bélifain rappellera fans ceffe ce prétendu trai de fa vie k ceux qui en ignoreron tout le refte. Les Maures étoient tranquilles ei Totrn XL F JUSTIN1EN. Ann. 563," l t t t LXVI. R«volt$  JUSTIÏJIEN. Ann. 563. en Afri«jue. Theoph, p, 202. Anafl. p, 67- Hift.mifc. I. 16. Malela, p. $4. Ann. 564. LXVII. Fa£tieux Ï22 HlSTQIRE Afrique depuis plufieurs années. Leurs Rois foumis a 1'Empire recevoient du Gouverneur Romain des gratifications annuelles. Cuzinas, un de ces Princes , autrefois ennemi des Romains , mais qui les avoit enfuite aidéfa conquérir entiérement la Numidie & la Mauritanië , étant venu k Carthage, pour recevoir les préfents ordinaires, fut aflaffiné par les ordres du Gouverneur, nommé Jean Rogathin. Un forfait fi atroce devoit foulever toute PAfrique : le bon ordre établi par les Gouverneurs précédents, maintint le pays dans PobéifTance. II n'y eut que lesfils de Cuzinas,qui, pour venger la mort de leur pere, firent des courfes, ravagerent quelques contrées, & s'en emparerent. L'Empereur envoya pour les réduire un de fes neveux, nommé Marcien , avec une armée. A 1'arrivée de Marcien , les fils de Cuzinas, trop foibles pour lui réfifter, abandonnerënt ie pays, & laifferent les Romains maitres de toute la Mauritanië. Au mois d'Avril fuivant, André Logothete , fubftitué k Procope dans la charge de Préfet de Conüantino-  z>ü Bas-Empipe. Liv. XLIX. 123 ple , fortoit du palais dans un char , pour aller, felon la coutume, prendre poffeffion du prétoire. Les partifans de la faftion verte, contre^ laquelle il étoit déclaré , vinrent s'oppofer a fon paffage , 1'aecablant d'injures, & faifant pleuvoir fur lui une grêle de pierres. Ceux de la fa&ion bleue accoururent a fon fecours, Sc le combat dura jufqu'au foir. Juflin ie Curopalate,neveu de 1'Empereur, vint a bout de féparer les combattants, Sc de mettre en fuite les faótieux. Deux heures après, ils fe raffemblerent, Sc le défordre recommenga ayec d'autant plus de fureur, que les ténebres favorifoient 1'impunité. II fallut armer contfeux toute la milice de la ville. On mit en prifon les plus mutins, qu'on trouva avec des armes ; ils furent promenés dans la ville les jours fuivants, après qu'on leur eut coupé les pouces des deux mains. L'Empereur paffa une partie du mois d'Oftobre k Germa en Galatie , ou il étoit allé vifiter par dévotion, une Eglife célebre confacrée a Dieu fous 1'invocation des faints Anges; ce qui avoit fait donner a cette vilk F ij JUSTINIEN. A.nn. 564. punis. Theoph. pï 201. Via. Tan. Anafl. p. 67- . Hifi. mifi. I. 16. LXVIIL Divers événements.  JUSTINIEN. Ann. 564. LXIX. Juflinien tombe dans 1'héréiïe.Evag. I, 4. f. 3S , 39. Niccph. CaU.l.17. ■ c. 29, 30. Theoph. p. 1 203, 204. 1 na. Tun. ( Anafl, p. 67. 1 Jiifl. mifi. j /. 16. Zon. torn, ' II. p. 69, 1 7«'. 124 H I S T O I R B lenom deMyriangeles. A fon retour k Conftantinople, il y trouva le Sarrafm Arethas. Ce Prince, fort avancé en age, pour affurer fa fucceftion k un de fes fils, venoit le préfenter a l'Empereur, & lui demander fonagrément. II fe plaignoit aufti des incurfions qu'Ambrus faifoit fur fes terres. II paroït que Juflinien agréa le fuccelTeur ; mais qu'il n'eut point d'égardaux plaintes, de peur de troubler la paix nouvellement conclue avec Chofroës. II y eut encore k la (in de cette année un grand incendie i Conftantinople. Nous avons vu Juflinien occupé Je difputes de religion pendant une grande partie de fon regne. Tandis que les Perfes ravageoient 1'Orient, que la jaloufie de fes courtifans arrachoient les armes des mains k fes ilushabiles Généraux, que fes finan:es épuifées par 1'énorme quantité le batiments qu'il faifoit conftruire, ya pilléespar des mains avides, auxmelles il en confioit le foin , 1'obli;eoient d'accabler fes peuples d'im>ofitions, il pafToit les jours & les mits a difputer avec des Evêques ,  nu Bas-Empire. Liv. XLIX. 125 a compofer de longues diiTertations théologiques, a combattre des hérétiques, qu'il rendoit plus fiers & plus opiniatres en entrant enlice avec eux. Cette curiofité fi déplacée dans un Prince le conduifit a Terreur. On croit qu'il fut trompé fur les matieres de foi, comme il 1'avoit été pendant tout fon regne, fur les affaires d'Etat, &que Théodore, Evêque de Céfarée , qui avoit autrefois tenté de lui infinuer la doarine d'Eutychès, vint k bout de Fy ramener par des détours artificieux. Une héréfie née dans 1'école d'Alexandrie la diyifoit depuis long-temps. Elle devoit fon origine k Julien, Evêque d'Halicarnaffe, réfugié en Egypte après avoir été chalTé de fon fiege par l'Empereur Juftin. II foutenoit que Ie corps deJefus-Girift dès le moment de fa conception , n'avoit été fujel k aucune altération , & qu'il étoii impaflible avant que d'être reffufcité Cetoit contredire 1'Evangile, anéau tir Fouvrage de la rédemption, & réduire les fouffrances & la mor du Sauveur k de fauffes apparences Qn nomina pour cette raifon les fee F iij JUSTINIEN Ann. 564. Euflathius in yiti fanüi Eutichii apud Bolland. 6 April. Pagi ad Bar. Noris dl Synad. J. c. 6, 10. AJfemani Bibl. Or. t. U. p. 89. Fleury , hifi. iccUf. I. 34. art, 8, 9 , 10,  Justinten.Ann. 564, Ann. 565. LXX. 1! perfécute les Cntholi- 1 ques. | i 126 HlSTOIHB tateurs de Julien, Phantafiafles, oa incorruptibles. Juflinien s'entêta de cette erreur ; & comme plufieurs Evêques d'Afrique qui la rejettoient, étoient en même temps oppofés k la condamnation des trois Chapitres prononcéedans le dernier Concile général , il fit venir k Conftantinople fix des -plus renommés, entre lefquels étoit Viöor, Evêque de Tunone, Auteur d'une chronique utile pour 1'Hiftoire de ces temps-la. Ces Prélats foutinrent hautement la caufe des trois Chapitres contre 1'Empe-reur & contre le Patriarche Eutychius; & d'un autre cöté, ils combattirent 1'héréfie des Phantafiafles que l'Empereur avoit embraflee. Juftinien, irrité de leur hardiefle, les 6t enfermer féparément dans plufieurs monafteres de Conftantinople. ( L'Empereur, qui pardonnoit fi aifément les attentats commis contre ra perfonne, ne pouvoit fouffrir qu'on lonnat la plus légere atteinte k fes ?pinions théologiques. Jalouxal'ex:ès de cette forte d'empire, ilcom)ofa un édit oü il établiflbit fa nouvelle doarine, & réfolut de le faire  nu Bas-Empirb- Liv. XLIX. 127 foufcrire par tous les Evêques. Eutychius fut le premier k le .rqetter; l\ fut auffi la première viftime de la colere du Prince. Le Comte Etherius, a la tête d'une troupe de ioldats vint enlever ce faint Patnarche au pied de 1'autel, & 1'enferma dans un monaftere. Son proces^ lm tut fait par une affemblée d'Eveques ; afr tachés a la Cour; il fut transfers dans 1'ifle du Prince a 1'entree de la Propontide, & de-la dans un monaftere cl'Amafée, qu'il avoit autrefois gouverné. On mit k fa place fui le fiege de Conftantinople Jean 1< Scholaftique,Apocrifiaire d'Antioche L'édit fut propofé aux Evêques d O rient, qui, pour ne pas irnter lEm pereur par un refus déclare, repon dirent qu'ils attendoient 1'avis d'A naftafe , & qu'ils foufcriroient apre lui. Anaftafe, Patriarche d'Antioche étoit alors le Prélat le plus renomm de tout 1'Orient pour la fainteté t les lumieres. Juflinien luienvoya fo édit avec une lettre trés - preffante perfuadé que fon exemple entrain< roit tous les fuffrages. Mais le P triarche, auffi ferme qu'éclaire , n F iv JUSTINIEN, Ann. 5 6S. 5 f é £ n » 1-  JüSTINIEN. Ann. 565. LXXI. Sa mort. ] Theoph. p. 1 203. 1 Evag. I. 4. < f.40,6-/. j }. c. I. Cedr. p. ( 38S. r Chr. Alex. r na. Tun. I Mceph. u cm. q «■ 31. 33. A Zon. t. II. U F- 7o. p ^na/?. p, n 67. 16. p x«r'i.59. q 12» &JSTOI&E pondit a l'Empereur par une rëfiitation fohde de fa doftrine erronnée. Conlulte par les monafteresde Syrië, il les affermitdans les fentiments orthodoxe* , & leurinfpira le courage neceffaire pour endurer la perfécurion, li ropiniltreté de l'Empereur mettoit leur foi k cette épreuve. Comme il s'attendoit a 1'exil, il redoublafes inftruöions k fon peuple, & compofa un ouvrage qu'il devoit hu buffer , comme un préfervatif :ontre le venin de 1'héréfie. t Tout 1'Occidentfe déclara contre edit de l'Empereur. Saint Nicet, iveque de Treves, fit ufage en cette >ccafion, de 1'autorité que lui donloient fes vertus & quarante années lepifcopat. II écrivit k Juflinien, our 1'exhorter k reconnoitre fonégaement; il ha reprochoit avec une bertéapoflolique,lesviolencesexerses contre de faints Evêques, & lui eclaroitquel'Italie, 1'Afrique, lEfagne & la Gaule retentiffoient d'aathêmes contre fa doftrine. II pa>it que cette vive remontrance fut •evenue par la mort de Juflinien, n arriva le 14 Novembre de cette  tiv Bas-Émpire. Liu. XLIX. 129 année 565. II étoit agé de 83 ans , & en avoit regné 38, 3 mois & 14 jours. Quelques Auteurs prolongent fon regne jufqu'a 1'année fuivante. Bélifaire étoit mort dès le mois de Mars de la même année , & comme il ne laiffoit point d'héritiers, fes biens étoient revenus a l'Empereur. II eft fort incertain fi Juflinien reconnut fon erreur avant fa mort. Evagre,Hiftorien contemporain, s'exprime en ces termes : Juflinien, après avoir rempli tout 1'Empire de trouble & de déjordre, alla recevoir fon jugement dans les enfers. Quoique le zele de i'orthodoxie emporte eet Hiftorien bien loin au-deli des bornes , il eft évident qu'une cenfure fi violente exclut toute idéé d'une converfion connue. L'autorité de eet Auteur n'eft pas détruite par celle de Nicéphore Callifte , qui efpere , dit - il, fans ofer Caff-rmer , que Dieu aura fait mijéricorde d ce Prince en faveur de fes vertus, de fa dêvotion, & de la confi truclion de PEglife de Sainte - Sophie. II ajoute olifant pret de mourïr, il enjoignit d Juflin, fon fuccejfeur, dt rappeller le Patriarche Eutych us, Ge F v JUSTINIEN. Ann. 5 6 y. Nicetas chron. apud Banduri Imp. Orient. t. h p. 107. Corïpp. I. 2, ?. Trevor. obfery. Apol. c. 7, Da Cante fam. By[. p. 96. AUman. it Anecd. Proc. p. 142,166, Afftmané bib. Or. t. tl. p. 89. Pagi ad Bar. FUury , hifi. Ecclcf, l. 34. an. 7-  JUSTINIEN. Ann. 565. j 1 1 < 1 I 1 h d P d J3° H 1 s t 0 1 r z qui n'a nulle vraifemblance , puif. que Juftin laiffa ce Prélat en exil pendant douze ans, & qu'il ne le rappella qu'après la mort de Jean le Scholaftique. La plus forte preuve du retour de Juftinien aux fentiments Cathohques , fe tire des éloges qui lui lont donnés par de faints Prélats. Le PapeAgathon, dans une lettre ftgnée de cent vingt-cinq Evêques, loueJa toi de Juflinien, & dit que fa mémoire eft en vénération a tous les peuples : on peut croire que quatrevmgts ans d'orthodoxie avoient fait Dubher une éclipfe d'une année • i ailleurs, le Pape n'avoit albrs devant !es yeux que 1'héréfie des Monothéli:es, tk la foi de Juftinien n'avoit janais été fufpecïe fur eet article. Les lires de picux & de faint, dont le ïom de ce Prince eft accompagné lans quelques Conciles, ne prouvent ien en faveur de fa converfion : ce e font que des qualiiications de ftydont Saint Denys d'Alexandrie a onoré des Empereurs payens, & que es Conciles n'ontpas refufées k 1'Imeratrice Théodora, ni même a Théoonc, Roi des Goihs, quoiqu'il fut  bv Bas-Empire. Ltv, XLIX. ï$t ^ Arien. Le Ménologue des Grecs foit: une mention honorable de Juftinien: cefut Jean Chalcédonius, Patriarche de Conftantinople, qui s'avifa fix cents ans après la mort de ce Prince, djért faire mention k la meffe comme d'un Saint. On fent affez de quel poids peut être 1'autorité de ce Prélat fchifmatique , qui placoit, fans doute, Jultinien dans le ciel en récompenfe des prérogatives que ce Prince avoit attribuées a 1'Eglife de Conftantinople. Nicétas Choniate rapporte que Iorfque les Latins faccagerent cette grande ville , comme ils fouilloient jufque dans les tombeaux, le corps de Juftinien fut trouvé en fon entier, fans qu'une durée de plus de fix cents ans en eut altéré aucune partie. Tout le monde fait aujour d'hui, qu'en fuppofant la vérité di fait, on n'en pourroit rien conclun en faveur de la fainteté du perfon nage. Laiffons donc la prétendue con verfion de eet Empereur dans le fe cret de la juftice & de la miféricord divine. Juftinien en mourant défigna pov fon fucceffeur Juftin, fils de fa fceui F vj JUSTINIEN. inn.565. t é r lxxii. Ses funé * raiües.  JüSTINIEN. Ann. 565. 1 1 j ( 1 I S ii n c f< le c< la fe l'e P< l'I pc pr *3* H 1 s t 0 1 a e & conféra le titre de Patrice a Callinique, Commandant de la garde du palais, qu'il honoroit de fa confiance la plus intime. II chargea eet Officier d ordres fecrets pour élever Julïin k I Empire. Lorfqu'il eut expiré, fon corps fut expofé au milieu du veftibule du palais dans un cercueil éleve, fur lequel on mit fon diadême * ia robe de pourpre. Tout le contour etoit illuminé d'un nombre inwu de cierges; on brüloit quantité le"""s.& d'autres parfums ; tous es Officiers de fa maifon 1'environ■oient. Juflin & fa femme Sophie approcherent du cercueil, & fonant en larmes, lui dirent les deriers adieux. Sophie couvrit fon ^rps d'une étoffe oü étoient repréntés en broderie les événements s plus gloneux de fon regne. Le >nyoi fut fuivi de Juftin & de toute ville , les Diacres & les Religieus chantant des Pfeaumes, felon >rdre qu'il avoit lui - même établï air les funérailles. II fut porté k .ghfe des faints Apöt es, & déJe dans un tombeaurde marbre ;cieux, revêtu au-dedans de la-  nu Bas-Empire. Liv. XLIX. 133 mes d'or , qu'il s'étoit préparé de fon vivant. Le peuple ne manqua pas d'obferver qu'un feu qui fe faifoit voir dans le ciel en forme de lance , du Septentrion k l'Occident depuis le mois de Mai, ne difparut qu'après la mort de l'Empereur, JUSTINIEN. Ann. 565 .   *35 S O MM A I R E D V L1VRE CINQUANTIEME. I. CoURONNEMENT de Juftin, II. // payc les dettes de Juftinien. III. Calme rhabli dans PEglife. IV. Caractere de Juftin. V. Pefte en Italië. VI. Am* bajfade de Juftin a Chofroës. VII. Ambaffade des Abares. VIII. Mott Je ./«ƒ= tin , //s Je Germain. IX. Confpiration découverte. X. Lot* Je /w/Zi/z ƒ«/■ /ei mariages. XI. />tfye /ei Je«ei Jes panicuüers. XH. Origine des Lombards.. XIII. iVom, religion & habillement des Lombards. XIV. Commencements d'Alboin. XV. 5e5 /w/'e« /«r /7ta/ie. XVI. 100. r38 HisrornE leur naiffance : mais les fils de Ger; main, héritiers de la valeur de leur pere , s'étoient déja fignalés dans les guerres contre les Perfes. Juftin le Curopalate, fort inférieur en mérite , avoit fur eux un avantage qui ne fuppofe point les talents , mais qui les éclipfe prefque tonjours : affidu auprèsdu Prince, il avoit profite de fes foibleffes pour lui faire fa cour; & afin de s'appuyer de Pamour de l'Empereur pour Théodora, qui régna toujours, même après fa mort, fur le cceur de fon mari, il epoufa Sophie, niece de cette Princeffe,. plus chafte, mais aufti impéneufe que fa tante, avec moins de reflburces dans le génie. Cette polifaque vulgaire fixa fur lui la préférenee d'un Prince , qui n'étoit pas affez habile pour connoitre les hommes. Dès que Juftinien eut les yeux fermés , Callinique , felon 1'ordre qu'il en avoit recu, conduifit Juftin m Sénat. C'étoit au milieu de la riuit, & 1'on ignoroit encore dans la ville la mort de l'Empereur. Les Senateurs affemblés en diligence , irent la leclure du teftament, & s'em'  du Bas-Empire. Liv. L. 159 prefferent a 1'envi de fe jetter aux pieds de Juftin, & de le prier d'accepter le pouvoir fuprême. C'étoitla le feul droit qu'ils avoient confervé a 1'élection des Empereurs, Juftin, proclamé par le Sénat fans aucune oppofition , retourna au palais pour préparer les obfeques de Juftinien. Dès qu'elles furent achevées , il recut avec fa femme la bénédiéion & la couronne des mains du Patriarche Jean le Scholaftique. Revêtu des ornements impériaux, il fe rendit a 1'hippodrome, ou s'étant aftis fur le tröne, au bruit des acclamations réitérées , après avoir fait le figne de la croix, dont il portoit 1'image furie front, ilharangua ce peuple innombrable, promettant tout ce que les Princes, a leur couronnement, ne manquent jamais de promettre. A peine eut - il ceffé de parler, qu'il fe vit environné d'une foule de femmes, qui demandoieni è grands cris la délivrance de leur; maris ou de leurs enfants, détenu: dans les prifons. Touché de leur larmes, il fit grace aux criminels, & relacha tous les prifonniers. Cett* [ustinII. A.nn. j6j« IT. II paye les dette& de Juftinien.  JustinH. Ann, j6j. j i I i < i i i 1 I r f Ü P r 140 HjSTOIRE acïion de bonté , fit efpérer un fouJagement général. Aux acclamations de joie fe joignoient de toutes parts des gémifférnents & des plaintes. Juftinien, pour fourniraux fraix immenfes de fes batiments , avoit fucé le fang de fes peuples , & ne s'étoit fait aucun fcrupule des exaftions les plus injuftes. Après avoir épuifé toutes les reffources des impofnions, tl avoit emprunté de grandes fommes aux particuliere fur des obligations fignées de fa main. Tout le peuile tendant les bras vers le nouvel ïmpereur, lui préfentoit ces billets lont il demandoit le payement. Jufin ayant fait faire filence , excufa on prédéceffeur fur fa vieillelTe , lont fes Miniftres avoient abufé. II it auffi-tot dreffer des comptoirs Sc ouvrir le tréfor. On vit en un noment dans tout le Cirque brilïr des monceaux d'or Sc d'argent. .'Empereur écoutoit les plaintes Sc ecevoit les billets, qu'on acquittoit jr le champ, Sc qu'on jettoit dans n grand feu. Les héritiers furent ayés de ce qui étoit dü k leurs peis , Sc dès ce premier jour, il y  nu Bas-Empire. Liv. L. 141 eut un grands nombre de torts redreffés, & de dettes payées. Ce qui fut continué les jours fuivants , jufqu'a-ce que les injuftices du regne précédent euffent été pLeinement réparées. t L'Empereur fongea enfuite a retablir la paix dans 1'Eglife, troublée depuis long - temps par 1'indifcrete préfomption de Juftinien , toujours occupé de difcuffions fhéologiques. Plufieurs Evêques étoient exilés ; d'autres en grand nombre fe trouvoient k Conftantinople , foit qu'ils y euffent été appellés pour rendre compte de leur foi , foit qu'ils y fuffent venus d'eux-mêmes pour faire leur cour au Prince, ou pour folliciter des ordres rigoureux contre leurs adverfaires. Juftin rappella les exilés , a 1'exception du Patriarche Eutychius, qui ne rentra en poffeffion du fiege de Conftantinople . qu'en 577 , après la mort de Jean 1« Scholaftique. Il renvoya dans leur: diocefes tous les Prélats qui fe trou voient k la Cour, &c leur ordonn; de vaquer k leurs fonftions, d'en tretenir la paix & la concorde, 8 Justin II. Ann. 565. III. Calme ré^ tabli dans 1'Eglife. Evag. I. 5, c. 1; 4. Nkeph. Call.1. 17. c- 33 , 3 5Theoph, p, 204. Cedr. p, 388. Hifi. mifi. I. 16. L  JustinH. Ann. JTöy. IV. Caraftere de Juftin. Coripp. I. 2. Evag.l. 5. e. i. Niceph. Call.l. 17. e. 33. Theoph. p. 204. 388. Manaffê, pag. 67. Glycas , p. 272- Zon. p. 70. Greg. Tur. franc. 1.4, c. 39. I4a Histoirb de ne tien innover dans Ia foi; ce qu'il confirma par un édit adreflé a tous les Chrétiens de 1'Empire» Cet édit fut recu avec joie; & 1'héréfie, qui fe nourrit de contefhtions, laiffa enfin repofer 1'Empire pendant plus de cinquante ans. L'Abbé Photin, ce beau-fils de Bélifaire dont nous avons parlé , fut revêtu d'un plein pouvoir pour pacifier les troubles qui agitoient les Eglifes d'Egypte. De li heureux commencements promettoient un regne plein de douceur & de juftice. On croyoit voir un Prince libéral fans profufion, habile fans artifice , attaché a 1'orthodoxie, mais ennemi de toute violence. II ornoit les Eglifes, il dotoit des monafteres, il faifoit batir un palais hors de la ville, un port dans la ville même, mais fans fouler les peuples; il mefuroit fes dépenfes fur fes revenus. En un mot, tout annoncoit en lui une ame vraiment digne de commander aux autres hommes; & les graces de fon ïxtérieur fembloient encore rehaufTer ie prix de tant de belles qualités.  nu Bms-Empire. Lïv. L. 143 Mais bientöt toutes ces vertus difparurent. C'étoit un Prince foible & fans caraérere, crue la féduftion de la puiffance fouveraine n'eut pas de peine a corrompre. Comme il n etoit grand que par effort, dès qu'il trut n'avoir plus befoin de fe contraindre, il tomba dans la balTeffe. II s'abandonna aux plus infames plaifirs; fanfaron & timide , auffi prompt a s'efFrayer qu'a s'irriter; fans reffource comme fans prévoyance. II devint avare & ravifleur, méprifant les pauvres, dépouillant les riches , -vendant tout jufqu'aux dignités de 1'Eglife , dont il faifoit publiquement un trafic facrilege. Après 1'avoir admiré dans les premiers jours de fon regne, fes fujets fe trouverent heureux de le voir tomber en démence; ils regarderent comme une reflburce pour eux la néceffité oü il fut réduit de remettre en d'autrei mains les rênes de 1'Empire. Un an avant la mort de Juflinien .un phénomene étonnant avoit allar mé 1'Italie. On vit tout-a-coup fui les murailles & fur les portes des mai fons, fur les vafes, fur les vêtement Ann. 565. Paul. diac. hifi. Lang. I. 3. e. li. V. ' Pefte en • Italië. Paul diac. I. 2. e. 4. i Greg, Tur.  JUSTIN II. Ann. 565. de gloria Conf.c. 79- Greg. dlal. I. 4. c. 26. i .1 i ] VI. 1 Ambaflade de Juf- i sinaChof- J roes. Menand.p. * i°3 . 148. 144 H I S T 0 1 R £ paroitre des taches livides, & plus on les lavoit, plus ces taches devenoient fenfibles. C'étoit 1'annonce d'une contagion cruelle, qui ie déclara 1'année fuivante. Des charbons enflammés, accompagnés d'une flevre ardente, failbient périr les hommes en trois jours. Les précautions de Narfès , aufü aftif dans la paix que dans la guerre , ne purent arrêter le cours de cette pefte meurtriere. Tout le pays n'étoit rempli que de morts & de mourants; &c les campagnes furent tellement défolées, qu'il ne refla pas aiTez d'habitants pour faire ni la moiiTon ni la vendange. L'hy ver étant venu, on :royoit jour & nuit entendre dans 'air le bruit d'une armée qui mar:hoit au fon des trompettes. Ce fut i Rome & en Ligurie que la maadie üt de plus grands ravages; ;lle fe renferma dans les bornes de 'Italië, & ne pafTa ni en Allemagne li en Baviere. Dès que Juftin fut fur le tröne, 1 envoya, felon la coutume, un Amlafladeur au Roi de Perfe, pour lui iotifïer fon avénement a la Couron- ne,  du Bas-Empire. Li4- Juftini , Novel. 2 , , 3 , quee in. ter Jufti- niani No" vellus 140.  Justin II. Ann. ƒ66, i 1 j Iffa &ISTOIRE nes d'en contraÖer déformais de fernblables. L'abus avoit continué, & Juf. tin fe crut obligé de renouveller la meme indulgence pour le paffé, & la meme défenfe pour 1'avenir. Ce qui le détermina fur-tout a interdire toute recherche fur les mariages anteneurs, ce fut la rapacité des traitants. Juflinien avoit impofé de groffes amendes; il avoit même prononcé ia confifcation des biens contre ceux qui déformais formeroient ces alliances illégitimes. II s'étoit en conféquence établi une forte d'inquifition, qui etoit devenue une ferme publique. Une compagnie compofée de ces ames viles & mercénaires, qui s'enrichiffent des délits & des contraventions d'autrui, pour une fomme médiocre qu'elle donnoit au fifc, achetoit le Iroit de défoler ces Provinces, de 3orter le trouble dans toutes les famlles, & de les réduire a 1'indigen:e , en conteftant la validité des mariages les plus légitimes. Juftin abolit :es yexations. Mais la Iouange qu'il nentoit pour cette loi, fut effacée )ar ,unf autre > P»hliée cette même innée/par laquelle il portoit atteinte  du Bas-Emptre. Liv. L. i.<3 & 1'indiffolubilité de 1'union conjugale. Juftinien 1'avoit folidement établie, en declarant que ie confentement mutuel ne fuffifoit pas poux rompreun mariage. Juftin , importuné , dit-il, par les plaintes de quan tité d'époux & d'époufes, devenu' irréconciliables , permit le divorce . pourvu que les deux parties y confentiffent, & que les formes judiciaires fuffent obfervées. La raifon qu'i apporte de fa loi, eft auffi mauvaifc que la loi même; c'eft, dit-il, qii< 1'affection mutuelle forme la fociéti des deux époux, la haine récipro que doit avoir autant de force pou la diffoudre. Cette conftitution toul a-fait contraire aux maximes du Chril tianifme , caufa fans doute des défor dres encore plus grands & plus fré quents que ceux auxquels elle pre' tendoit remédier. L'année fuivante, Sophie devenu 1'objet de la haine générale par Ta faffinat du fils de Germain, regagr Taffection des peuples, par une c ces aöions de générofité, qui foi pardonner les plus grands crimes. I mifere publique avoit groffi les ufi G v Justin tl» A.fKl. 566. I r e .- Ann. 567. a xi. e Sophie paye les 't dettes des a particulieïs.  Justin II. Ann. 567. Theoph. p. 205. Cedr. p, 390. Manaff. p. 70. 71. Zon. t, 11, P- 70. Glycas, p, 27*. 16. XII. Origine des Lombards. Strabo, l, 7- Veil. Patere. I. 2. c. ic6. Tac.annal, l, 2. f. 4J, 46. war. Germ, *. 40. Ptolem, gtog, l. 2. t. ii. r Profp. Aquit. chr. Proc.Goth, ' 1 2. c. 22. 1 i h <• 33- ( J54 H 1 s t 0 1 r £ res, & multiplié les dettes. L'Impératnee fit payer a tous les créanciers ce qm leur étoit légitimement du, autant qu'il fut poffible de démêler les creances réelles au milieu de ces detours, oü Tufure a toujours fu s'envelopper. Elle fit rendre aiix débiteurs leurs billets ou leurs gages. Auffitót les éloges & les témoignages de reconnoiffance fuccéderent aux malediöions. Mais bientöt 1'arrogance de cette Princeffe replongea Ï'Empire dans de nouveaux malheurs , & lui fit p vdre fans retour la plus belle partie de 1'Italie, qui avoit coüté tant de fapg a reconquérir fur les Goths. Pour développer cette fameufe révolution, il eft k propos de faire connoitre ceux qui en furent les auteurs. S'il en faut croire Paul diacre fur 1'hiftoire de fes compatriotes, les Lombards étoient fords de la Scandinavië, qui fut, felon eet Auteur , la mere de tous ces peuples barbares, dont on vit 1'Europe inondée. Strabon, Veleius Patercülus, & Tacite les repréentent comme une nation Germanime, faifant partie des Sueves, peu  nu Bas-Emvire. Liv. L. 155 nombreufe, mais célebre par fa valeur , & ardente a défendre fa liberté. Ils furent vaincus par Tibere encore Céfar. Ce peuple guerrier & inquiet changea fouvent de demeure. Tantöt fujets des Vandales, des Gépides, des Erules, tantöt ennemis & vainqueurs de ces nations, on les voit en différents temps entre le Rhin & 1'Ems, entre le Véfer &c 1'Elbe , entre 1'Elbe & 1'Oder, dans le Palatinat, dans le Meckelbourg, dans la Marche de Brandebourg, fur les confins de la Livonie & de la Pruffe, & enfin dans la Moravie. C'étoit ce dernier pays qu'ils habitoient, lorfque Juftinien , pour arrêter leurs ravages, & pour les oppofer aux autres barbares , fur-tout aux Gépides, leur abandonna le NoriqueSc la Pannonie, c'eft-a-dire , la Hongrie au midi du Danube , avec partie de 1'Autriche & de la Baviere. Après avoir obéi a •des chefs qlti marchoient a leur tête dans leurs diverfes migrations, & qui •les commandoient dans la guerre, ils fe foumirent au gouvernement monarchiquè. Agilmond fut leur premier Roi. Ces Princes nes-occuperent que G v) 'UiTINlI. \nn. 567. Hifi. mifi. '.. 16. Gr eg. diaK l. 3. c. iS, io. La^ius de mi gr. gene. I. 12. p. 640. Cluv. Germ. anü l. 3. c. 26. Baronius, Grot. proleg. ad hifi. Goth. Lu&i wig. vita. Juftiniani „ f. 8, 55 . 143- Murat. ann. ItaU t. m.p. 350. Idem An\iq. E/lenfi, part. 1. c, 10. Giannone,' hifi. Nap. I. 4-proam. De Vita antiq. Benevent. t. II. differt. l.p. 2, 4. differt. 2. t' '9'  JustinH. Ann. 567, XIII. Nom ,religion & habillements des | Lom- j ï5<5 Histoirs des guerres de Germanie jufqu'au huv liemeRoi, nommé Vacon ouVacès, qui s'étant approché du Danube, commenca de porter fes vues fur les affaires de Ï'Empire. II fe lia d'amitiéavec l'Empereur, & refufa des fecours k Vitigès. Cette alliance qui fubfifta fous fes deux fucceffeurs Valtaris "& Audoin, n'empêchoit pas cette nation barbare de faire de fréquentes courfes fur les terres des Romains. Ils ne purent même fe contenir,. après que l'Empereur leur eut cédé la Pannonie. lis ne ceffoient encore de piller la Dab matie& 1'IUyrie. Selon les anciennes chroniques, les Lombards habiterent quarante-deux ans la Pannonie y oü ils avoient été établis fous le regne tPAudoin. Mais ce ealcul ne peut s'accorder avec Procope, Auteur contemporain , qui fait encore régner Va» :on en 539, lorfque Vitigès eut levé ie liege de Rome. Les Lombards étoient ainfi nommés, k caufe de leur longue barbe>, du de leurs longues javelines: la lan»ue Germanique fe prête également 1 ces deux étymologies. Ils étoient ;n effet fort curieux de leurs barbes»  nu Bjs-Empire. Liv. L. *57 Lorfque Charlemagne , maitre de l'Italie , rendit a Grimoald la Principauté de Bénévent, il exigea de lui qu'il obligeat fes Lomb'ards a fe rafer, afin qu'ils ne fufTent pas différents des autres fujets de Ï'Empire d'Occident. Mais les Lombards ne puf ent fe réfoudre a fe défaire d'un agrément qu'ils tenoient de leurs ancêtres : il fallut que Charlemagne fe relachat fur cette condition. A leur arrivée en Italië, ils étoient mêlés de Chrétiens & de Payens. La plupart de ceux qui profeffoient le Chriftianifme étoient Ariens; c'étoit la fecle dominante parmi les peuples de Germanie. Plufieurs de leurs Princes fe convertirent, & leur exemple entraïna le refte de la nation. Mais après leur converfion même, ils conferverent long-temps des reftes de leurs anciennes fuperftitions. Ilshonoroienl les arbres , &l ceux de Bénévent rendoient un culte divin a 1'image d'airain d'une vipere. II y eut même parmi eux des Payens fanatiques &i perfécuteurs. Le Martyrologe Romajr célebre le 6 de Mars la fête de 8c Martyrs, rois a mort en Campanie Justin H. Ann. 567. 1  . Justin II. Ann. 567. *i ] 1 1 -< 4 < XIV. Commen- "1 cements / d'Alboin. 1 I 58 ƒƒ / S T 0 I R E Tan 579, paree qu'ils refufoienr de manger.de la chair des animaux immoles aux idoles, & d'adorer une tête de chevre Autharis, leur troifieme K01 en Itahe, Prince Arien, défendit aux Lombards de faire baptifer leurs enfants par des Catholiques. Rien n etort plus bifarre que leur extérieur. C étoient des hommes la plupart de grande taille & d'une figare niaife; ils avoient le derrière de la tête rafé. Ce qui leur reftoit de cheveux, fe partageoit fur le front, & venoit pendre a droite & >, gauche jufqu'a la bauteur de la bouche. Us étoient vétus comme les Anglo-Saxons, d'un tiabit de toile, court, mais fort ara?le, chamarré de larges bandes de di/e.rJef coukurs. Leur chauffure qui aifloitlepieda découvert, s'attachoit >ar des courroies entrelacées Tune fur autre. Leur féjour en Italië leur fit ■hanger quelque chofe dans leur ha'illement, qui fe rapprocha de celui [u ils y trouverent en ufage. Après la mort de Vacon, fon fils /althans, encore en bas age, réena dus la tutelle d'Audoin , Seigneur -ombarddes plus diftingués, Le jeu-  nu Bas-Empire. Liv. L. 159 ne Prince ne vécut pas long-temps, & la couronne, par droit de fucceffion, appartenoitalldige. Mais Audoin avoit acquis affez de puiffance pour exclure Ildige & pour s'emparer du tröne. Juftinien lui fit époufer Rodelinde, fille d'Hermanfroi, Roi de Thuringe & d'Amalberge , niece du grand Théodoric. Rodelinde , ayant été conduite k Conftantinople avec Vitigès, étoit entre les mains de l'Empereur. Audoin ne ceffa de faire la guerre aux Gépides, fur lefquels il remporta plufieurs viöoires avec le ' fecours des troupes Romaines. II en fut récompenfé par la conceffion de la Pannonie, & il reconnut ce bienfait en fervant fidélement Ï'Empire. Un corps de cavalerie Lombarde étoit prêt a marcher en Italië a la fuite de Germain , lorfque ce vaillant Capitaine mourut a Sardique. Audoin étanl mort 1'année fuivante 55', Alboir lui fuccéda ; & d'abord , a l'exempk de fon pere, il parut vouloir entre' tenir Pamitié des Romains. Ses trou pes furent d'un grand fecours k Nar fès dans la guerre contre Totila; & lorfque ce Général fe crut obligé d( Justin II. Ann. 567. Proc. Goth. I. 3. 3 5 . ?9/. 4. e. IJ» 16.  Justin II Ann. J67 XV. Ses projets fur 1'Italie. Menand. p. 110 , UI. Abb. Bidar. Evag. I. 5. c. 12. Greg. Tur. hift. Franc. I.4. c 35. Paul diac. hift. Lang. I: 2. c. 27. Aimoin. /. 2. c. 35. Murat. Antiq, Ejl. part. i. c. 10. I-JO H l S T 0 I R E ' les éloigner a caufe de leurs cfuautés ' & de leurs débauches, il les congédia honorablement, après leur avoir. fait part du butin. Mais le Roi des Lombards, capable de concevoir les plus grands deffeins, de les conduire avec prudenc.e» & ^e ,es faire réuffir par fon activité & par fa. valeur, avoit formé celui de s'emparer de 1'Italie. Ses foldats k leur retour lui avoient apporté des fruits de ce pays fertile, dont ils lui vantoient les charmes & 1'abondance. Les défaftres d'une longue guerre , & enfuite ceux d'une pefte cruelle avoient défolé cette contrée. Odoacre & Théodoric, dans desconjon&ures moins favorables,n'avoient eu que la peine de fe montrer pour s'y établir. Ces confidérations encourageoient Alboin. Mais avant que de manifefter fes projets, il commenca par écarter les obftacles. II s'afura de 1'amitié des Rois Francois, les plus puifTants d'entre les Princes voifins. II y avoit déja des alliances entre les Francois & les Lombards. Théodebert, Roi de Ia France Auftrafienne, avoit époufé Vifégarde.  uv Bas-Empire. Liv. L. 161 fille de Vacon : Alboin obtint en ma- J riage Clotfvinde , fille de Clotaire. 3 Nous avons encore une lettre de Saint ' Nicet, ..Evêque de Treves , par laquelle il exhorte cette Princeffe k travailler fur 1'efprit du Roi fon mari, pour lui faire abjurer 1'Arianifme. II ne paroït pas qu'elle ait réufli dans cette pieufe entreprife. Les Gépides qui occupoient une contrée de la feconde Pannonie , entre la Save & la Drave, donnoient de 1'inquiétude au Roi Lombard. Tantöt vainqueurs, tantöt vaincus, mais toujours ennemis, ils pouvoient le troubler dans fon expédition, foit en ravageant fon pays en fon abfence, foit en tombant fur fes derrières, lorfqu'il feroit en marche. II réfolut de fe délivrer de ces voifins incommodes; & pour s'afTurer du fuccès, il oftrit au Khan des Abares de partager enfemble les terres des Gépi. des, s'il vouloit fe joindre k lui pour les exterminer. II lui repréfenta que les Abares, maitres de ce pays, feroient k portée de mettre k contribution toute Plllyrie, de s'emparer de la Thrace , & d'aller jufqu'a Conf- ustinIIj urn. 567, XVI. 11 s'allie ivec les A.bates,  JustinII, Ann. 567, XVII. Deitruc-. tion du Royaume des Gépides. Ifo H I S T 0 I R E tantinople fe venger de 1'infolence de Juftin. Le Khan , habile politique, écouta froidement les députés d'Alboin ; & pour les amer.rr a des propofitions plus avantageufes, il témoigna peu d'empreffement de les fatisfaire. Enfin, après beaucoup de feintes, de délais , de refus , qui laiffoient toujours quelque efpérance, il confentit è la ligue propofée.a condition que les Lombards lui enverroient aöuellement la dixieme partie de tous leurs troupeaux ; & qu'après la deftruöion des Gépides, les Abares auroient la moitié des dépouilles, & demeureroient feuls poffeiTeurs de tout le pays. Alboin , difpofé k tout facrifier pour la conquête de 1 Itahe, voulut bien acheter a ce prix Ie fecours des Abares. Cunimond , fils de Tori fin , régnoit alors fur les Gépides. A la nouvelle de 1'orage prêt k fondre fur fes Etats, il eut recours a l'Empereur , dont il ne put obtenir que la neutralité. Les Abares entroient déja fur fes terres du cöté de POrient, tandis que les Lombards venoient en attaquer la partie occidentale.  nu Bas-Empire. Liv. L. 16.3 Enfermé entre deux armées ennemies, il marcha contre les Lombards. Le combat fut fanglant Sc opiniatre. Enfin, la viftoire fe déclara pour les Lombards , qui ne firent aucun quartier aux vaincus. Alboin tua Cunimond de fa propre main, Sc fit faire une coupe de fon crane pour y boire dans les feftins folemnels, felon la coutume barbare de ces nations Septentrionales. Les habitants du pays , fans diftinftion d'age ni de fexe, furent réduits en efclavage. Mais une captive fubjugua fon vainqueur : Alboin , veuf de Clotfvinde, devin éperdüment amoureux de Rofemor. de, fille de Cunimond , Sc 1'époufa mariage fatal, caufe unique de1 i perte, comme on verra dans la fuitf Le butin fut immenfe; mais les tré fors du Roi échapperent aux Lon bards. Trafaric , Evêque Arien , i Reptilane,neveu de Cunimond, tro verent moyen de les enlever, 8c c les faire paffer a Conftantinople, c ils furent dépofés entre les mains < l'Empereur. Ainfi fut éteint le Roya me des Gépides, après avoir du cent quinze ans. Les foibles reu JustinU. Ann. 567. t l 1'Z1- Le ai le urées  Justin II. Ann. 567. XVIII. Difgrace ] & colere , de Narfès. J Paul diac. 1 hifi. Lang. f /. 2. C 5 , . II. 1 Fredeg. c tpit.c.61. r Anafl. in Joann. III. C Conflant. 1' Porph. de f. adm. imp. 17. g' MariusAv. pj Aimoin. I, -i 3. f. io. le Kfy HlSTOlRE de la nation détruite, efclaves des Lombards ou des Abares, perdirent juiqua leur nom. Mais celui d'Alboin devint célebre; fes expioits & a gloire faifoient encore plufieurs iiecles apres, le fujet des chambns des Bavarois , des Saxons, & des autres nations Germaniques. Les Abares s'emparerent de tout le pays. Lependant Sirmium, place forte & importante s ne tomba pas fous leur ^ouvoir : les habitants fe donnerent 1 'Empereur, qui leur ayant envoye une nombreufe garnifon, les mt en etat de fe défendre. II ne refioit plus au Roi des Lommrds qu un obftacle k Ia conquête de Italië ; mais c'étoit le pl»s inmr_ nontable. La fagefTe de Narfès mainenoit depuis treize ans dans 1'obéifince & dans la paix cette Provine, que fa valeur avoit fi heureufeient réunie è Ï'Empire. Quoique et illuftre Général fut parvenu k sge de quatre-vingt-quinze ans, >n ame avoit confervé toute fa vileur .; Ie vainqueur des Goths, des •ancois, des Allemands & des Eruï, étoit toujours redoutable, & fur  du Bas-Empirë. Liv. L. 16$ le bord du tombeau, il pouvoit encore y préeipiter avant lui Alboin & fes Lombards. L'Impératrice Sophie prit foin elle-même de délivrer Alboin de cette inquiétude. Les courtifans, jaloux de Narfès, avoient perfuadé k l'Empereur , que la guerre kant termïnêe en Italië, il falloit faire venir d Conftantinople tout l'argent qu'on en retiroit : qu'aii-lieu de laiffer Narsès s'enrichir des tribuis de ce pays, comme s'il en étoit le Souverain, il étoit plus raifonnable de remplir le tréfor épuifé. En même-temps , ils pratiquerent des intelligences avec les principaux de Rome, déja mécontents de la févérité de Narfès, qui, accoutumé au commandement militaire, gouvernoit peut-être avec trop d'empire. Ceuxci écrivirent k la Cour pour fe plaindre de la tyrannie fous laquelle , difoient-ils , on les tenoit opprimés: qu'au-lieu de les rendre li bres, on les avoit ajfervis d la domination d'un eu■ nuque, & qu'ils avoient été plus heurenx fous le gouvernement des Goths. lis mena^oient mêmed'appeller les Barbares a leur fecours , & de leur ouvrir les portes de Rome, ft on ne les déli- 'ustinII. \.nn. 567, Regïno :hr. I. i. Herman, zontr, chr. Marian. Scot. chr. Gothefr. Viterh. chr. Sigeb. chr. German. chr. I. 5. Rubeus hifi. Raven. I. 2. Sigon. d& regno hal. I. 1. Petav. rat. temp. part, ï. I. 7. c. 10. Pagi ad Bar.  JUSTINlI. Ann. 567. ï<56 HIST01S.B vroit d'un gouverneur avare Sc impitoyable. Ces calomnies, appuyées par Flmpératrice , qui, depuis longtemps, haïffoit Narfès, trouverent crédit dans Pefprit du Prince. Mais craignantde révolterun Général affez puiffant pour ne pas obéir, il fe contenta d'envoyer ordre-a Narfès de faire paffer a. Conftantinople, fans aucune retenue, tout le produit des impofitions levées fur 1'Italie. Narfès répondit qu'il étoit prêt d'exécuter tout ce qu'ordonneroit l'Empereur; mais il repréfentoitenmême-temps, que retirertout l'argent de l'Italië, fansy laijfer les fommes nécejfaires pour l'entretien des places & des troupes, c'étoit en ouvrir Centree aux barbares voifins, toujours prêts a tenvahir : qu'en cas d!irruption , il feroit bien long d'attendre les fecours de Conjlantinople ; que c'étoit la lenteur de ces envois qui avoit prolongé pendant tant^ d'années la guerre contre les Goths. II ajoutoit, qu'apres tout il étoit bien informé des plaintes qti'on avoit envoyées contre lui d la Cour; qu'il étoit prêt d rendre compte de fa conduite; & que s'il fe trouvoit coupable , il confentoit d fubir la peine des concufjionnaires, Ces raifons  nu Bas-Empire. Liv. L. 167 devoient faire impreffion fur l'Empereur ; mais la malignité des envieux fut bien les empoifonner; c'étoit, k les entendre, un refus formel d'obéir, & le rebelle Narfès fe déclaroit maitre abfolu de 1'Italie. Sophie, craignant de manquer 1'occafion de fatisfaire fa haine, fe chargèa malheureufement du foin de réduire un homme qui méritoit les plus grands égards. Cette Princeffe violente & précipitée, envoye auffi-töt a ce Général une quenouille avec un fufeau, & lui mande : Revene{ incejfamment a Conjlantinople: je vous donne la fur-intendance des ouvrages de mes femmes. C'eft la place qui vous convient : il faut etre homme pour avoir droit de manier les armes & de gouverner des Provinces. A la lecture de ce billet, Narfès lance fur le courrier des regards intincelants, & lui dit : Va dire d ta maürejfe que je lui Jile une fufée quelle ne pourra jamais devider. Auffi-töt il fort de Rome ; & n'écoutant plus que fa vengeance, inftruit des projets d'Alboin, il lui mande de venir en Italië; qu'il ne trouvera aucun obflacle k la conquête d« JustinII. Ann. 567. . XIX. II invite Alboin a venir en Italië,  Justin II. Ann. 567. i ( 1 1 i i < c t i<5§ Histoir.e ce pays. S'étant retiré a Naples, des qu'il fut rendu a lui-même, il éprouva dans fon cceur des combats plus violents que ceux qu'il avoit livré aux ennemis de Ï'Empire. Déchiré tour-a-tour par la colere & par les remords, tantöt il brüle d'impatience de voir les Lombards au milieu de Rome, d'entendre les gémifTements de cette ville ingrate, & de jouir du défefpoir de 1'Impératrice; tantöt honteux d'avoir détruit le fruit de fes victoires, &d'emporterdans le tombeau le nom de traïtre, après avoir acheté par tant de travaux celui de défenfeur de Ï'Empire, il vouloit aller k Conftantinople porter fa tête k l'Empereur; mais lui faire connoïtre, avant ■fue de mourir, la malignité de fes ;nvieux. Telles étoient les agitations le fon efprit, lorfque le Pape Jean II vint le trouver k Naples. L'habile |ontife, lié avec lui d'une étroite amiié, écouta fes plaintes, entra dans és fentiments, & vint a bout de le almer. Mais comme Narfès perfiftoit vouloir partir pour la Cour : Gat* 'ei-vous bien, lui dit-il, de vous mettre la merci de vos ennemis ; demeure{ dans ce  du Bas-Empmz. Lv. L. 169 ce pays que vous ave^/auve, & dans lequel ils ne peuvent vous nuire ; fi vous ave^ befoin a" apologie, firai plaider votre caufe. Revenei d Rome ; vos accufateurs font auffi odieux aux Romains qua vous-même. Le peuple pleure votre abfence; il vous recevra avec des tranfports de joie. Rome ejl Le trophée de votre valeur; elle fera votre plus fur afyle. Narfès confentit enfin a retourner a Rome : le peuple accourut au -de vant de lui; tous fe profternant a fes pieds, le conjuroient avec larmes de leur pardonner, & de détourner la tempête qui menacoit Tltalie. Touché lui-même de repentir, il écrivit au Roi Lombard pour Pengager a fe défifter de fon entreprife. Mais Alboin avoit déja fur pied une nombreufe armée : il n'attendoit que la fin de 1'hyver pour paffer les Alpes; & le défordre oü la difgrace de Narfès jettoit 1'Italie, étoit pour lui un nouvel encouragement. Narfès mourut peu après dans un regret amet d'avoir flétri fa gloire, en déshonorant fes derniers jours. II mourut coupable fans doute; mais fes ennemis 1'étoient encore plus que lui. Le plus Tomé XL H JustinH. Ann. 567-  JüstinII, Ann. 567, XX. Vérité de cette hiftoire.Baronius, Pagi ad Bar. Banduri ndcap. 17. Confi. Porphyr. de adm. imp. Murat. annal.ltat. t. UI. p. 47*. De vita Antiq. Bert cv ent. t. 11. p. S. Abre'gé chr. de l'hifi. d'ltal. 1.1. p. 156, ï58. Petav. rat. temp. lib. 7. (. 10. 170 HlSTOIRE grand crime de 1'envie n'eft pas de perfécuter la vertu, c'eft de 1'éteindre , en pouffant a des extrêmités criminelles les ames les plus innocentes, & en les rendant par défefpoir coupables des crimes dont elles étoient fauffement aecufées. La certitude de cette hiftoire a été ébranlée de nos jours par de favants Ecrivains. Mais les raifons qu'ils alleguent ne me femblent pas affez fortes pour détruire une opinion établie dê- ' puis tant de fiecles, & adoptée par des critiques , tels que le P. Petau & le P. Pagi. Le Cardinal Baronius n'en a paru douter que paree qu'il confond le Narfès vainqueur des Goths avec un autre Général du même nom, qui vécut jüfque fous 1'empire de Phocas, & qui., felon la conjecture du P. Petau, étoit fils de 1'autre Narfès, frere d'Aratius , mort a la bataille d'Anglon en 543. D'autres, apparemment a deffein d'épargner la mémoire de Narfès., n'apportent que des conjèctures, qui ne fuffifent jamais pour détruire des faits atteftés, quand ceux-. ci ne portent aucun caraöere de fauffeté. Us difent que les Lombards con-  nu Bas-Empihë. Liv. L. 171 noiffoient affez 1'Italie, pour n'avoir pas befoin d'être invités a en entreprendre la conquête; que 1'état du pays ravagé par une longue guerre, défolé par la pefte, privé d'un Commandant tel que Narfès qu'on rappelloit, fuffifoit pour les attirer; que Narfès pouvoit bien fe mettre k couvert des fureurs de Plmpératrice, fans s'appuyer du fecours des Lombards, Toutes ces réflexions font vraies; mais Alboin étoit bien-aife de n'avoit pas k combattre Narfès , fameux pat tant de vi&oires; & Narfès ne cher choit pas feulement fa füreté; il voulöit fe venger , & ne pouvoit portei a l'Empereur un coup plus fenfible, que de livrer 1'Italie k un Roi puiffan' & belliqueux, qui feroit en état d< s'y maintenir. On ajoute encore, pou: décréditer ce récit, qu'a 1'exceptior de Conftantin Porphyrogenete, Au teur peu exaft, .nul Hiltorien Gre< ne parle de la difgrace , ni de la trahifon de Narfès, & que c'eft une fa ble imaginée par les Italiens, toujour mécontents du gouvernement de Conl tantinople. Mais quels Ecrivains doit on confulter fur 1'hiftoire d'Italie, plu H ij JustinII. Ann, j6y» l  JustïnII. Ann. 567. XXI. Etabliffement des Exarques deRavenne. Paul. diac. 1.2. c. J. Agnellus ' vila Petri Senioris afud Mu- '\ rat. t. 11- ) nr. hal. Rubcus , hift. Ra- i venn. I. 3- 1 Sigon. de j rzgno hal. I. i. 172 HlSTOIRE tot que les Italiens mêmes? LesHiftoriens Grecs gardent le même fdence fur l'entrée d'Alboin en Italië : faudra-t-il pour cette raifon rejetter comme une fable la conquête des Lombards ? II eft donc raifonnable pour le fait dont il s'agit, de s'en rapporter a Paul Diacre, Auteur Lombard , fuivi fur ce point de toutes les chroniques les plus eftimées, pourvu qu'on retranche de fon récit quelques circonftances fabuleufes qu'il y mêle felon fa coutume. Longin , nommé.par l'Empereur pour fuccédera Narfès, n'arriva qu'après la mort de ce grand Capitaine. II étoit revêtu d'un pouvoir trèsétendu fous le titre d'Exarque ; c'étoit le nom que portoit auffi dans ce :emps-la le Gouverneur-Général de ^'Afrique.. Ce gouvernement prit une x>rme nouvelle , qui fubfilta penlant cent quatre-vingt-quatre ans. Les_ Exarques poffédoient tous les Iroits de la fouveraineté, hormis m'ils étoient è la nomination de 'Empereur, révocables quand il Je rouloit. tenus de lui payer chaque  nu Bas-Empire. Liv. L. 173 année une certaine fomme qu'il avoit ftipulée en leur conférant cette dignité. Au refte, ils difpofoient des charges & des emplois, ils étoient maitres delever des troupes & d'impofer des tributs; ils jugeoient fans appel. Ils avoient en Italië la même autorité que les Satrapes dans les Provinces de la Perfe. Au-lieu des Confulaires, des Correfteurs &c des Préfldents, Longin établit un Duc dans chaque cité, tant pour le commandement des armes , que pour 1'adminiftration de la juftice &c des finances. II étoit venu' par mer a Ravenne , oii il fixa fa réfidence , pour être plus a portee de fermer aux barbares l'entrée de 1'Italie, 6c de recevoir des fecours de Conftantinople. II avoit amené quelques troupes ; mais ne fe croyant pas affez fort pour réftfter aux Lombards, il en leva de nouvelles, dont il garnit Ravenne & les places de la Vénétie. II fortifia la Céfarée, quiétant fituée entre Ravenne & Claffe, ne faifoit avec ces deux places qu'une feule ville. Depuis ce temps , les Exarques entretinrent des garnifons H iij JUSTINII. Ann. 567. 'Murat. annal. ltal% t. lil. p. 477- Ahr. chron* de Vhifl. d'It. t. I. p. 153-  Justin II. Ann, j6SXXII.Premières conquêtes«i'Alboin én Italië. Paul diac, 1.2. c. 6, 7, 8,9, io, 12 , 14. Hift. mifc. I. 16. Greg. Tur. hift. Franc. 1,4. c 3 5Theoph. p, 20J , 206. Sigeb. thron. Gcrman. ehr. I. J. Sigon de regno hal. I. i. Murat. ann. hal, t. 111. p. 47 5, 476, 477- De Vita Antiq. Bénévent. t. II. p. 10 , 17,19. 174 H I S T O I k F. perpétuelles dans toutes les grandes villes d'Italie. On eut dit que l'Empereur étoit d'intelligence avec le Roi des Lombards. Longin n'avoit ni ufage de la guerre , ni forces fuffifantes pour combattre un Prince vaillant, expérimenté, fuivi d'une armée formidable. La réputation d'Alboin , & 1'efpérance d'une riche & brillante conquête, avoient attiré fous fes étendards des Sueves , des Bavarois, des Bulgares, des Sarmates. Plus de vingt mille,Saxons vinrent fe donner a lui, trainant avec eux toutes leurs families, tant ils étoient affurés de fe faire, par leur épée, de nouveaux établiffements. Alboin manda les chefs des Abares, & leur déclara qu'il leur abandonnoit la Pannonie toute entiere, a condition de.la rendre ,^ fi jamais les Lombards étoient forcés d'y revenir. 11 n'eft pas certain qu'il leur ait cédé le Norique> 11 envoya ordre a tous fes fujets de quitter leurs demeures, de chargep leurs bagages fur des charriots, &c de marcher k fa fuite , femmes, enfants & vieillards. Tout étant prêt  t>v L'js-Empire. Liv. L. 175 pour le départ, cette troupe innom- ! brable fe mit en marche le feconcl d'Avril, lendemain du jour de Paques , 1'an cinq cent foixante - huit. Arrivé au pied des Alpes Juliennes, Alboin trouve les palTages ouverts; du haut d'une montagne , qui fut der puis appellée tnont Koyal, il contemple avec joie ces campagnes riantes & fertiles , dont il va fe rendre maitre. La ville nommée Forum J-ulii, batie par Jule Céfar , fut la premiere dont il s'empara : c'eft aujourd'hui Cividad di Friuli, qui a donné fon nom a la Province de Frioul. Alboin ne trouva point de réfiftance dans toutes les places voifines. Les habitants fe fauverent dans les ifles de fa Vénétie, comme ils avoient fait aux approches dAttila. Aquilée étoit fans défenfe ; Paulin , Archevêque fchifmatique, fe retira dans Tifle de Grado avec le tréfor de fon Eglife. Félix, Evêque de Trévife r vint audevant du Roi Lombard, jufque fur les bords du fleuve Piavé; Alboin, auffi généreux que vaillant, le recut avec bonté, prit la ville fous fa proteöion; & tout Arien qu'il étoit v H iv ustinII. Vnn. 568.  JustinN. Ann, j68. XXIII. Etabliffe- ' ment du Duché de ' Erioul, ] J I t C h 4 I f I7<5 ƒƒ I S T O I Jt £ il confirma pariettres patentes k FEglife de Trévife la propriété de fes polfeffions. II fe rendit en peu de temps maïtre de Vicence, de Vérone, de Trente, de Brefce, de Bergame, & de toute la Vénétie, qui dès-lors s'étendoit jufqu'a 1'Adda. Mantoue, Padoue, Crémone & Monfelice, qui étoient garnies de foldats, furent les feules villes qui fe mirent en défenfe. Mantoue fut prife 1'année fuivante. Les trois autres fe maintinrent long - temps contre toute la xuffance des Lombards, & ne furent Jnfes que plus de trente ans après >ar Agiluf. i Dès qu'Alboin fe vit maitre du nnoul, il en donna le gouvernement i Grafulf fon neveu, & fon grand icuyer, avec le titre de Duc. Graulf ne confentit a Taccepter, qu'a»rès que le Roi lui eut permis de hoifir les families qui habiteroient e canton; & il choifit les plus noles de fa nation. II obtint auffi les avales de la meilleure race, pour leupler fes haras. Le Duché de Frioul it le premier des trois principaux ue les Lombards fonderent en Ita-  nu Bas-Empire, Liv. L. 177 He. Ces Ducs n'étoient d'abord que de limples Gouverneurs, amovibles a la volonté du Prince. Nous les verrons dans la fuite devenir plus puhTants , & ériger leurs Duchés en fiefs héréditairesr Tels furent les commencements d'un Royaume qui dura plus de deux fiecles, Sc qui dut fa naiflance autant k la foibleffe des Empereurs, qu'au courage d'Alboin. Juftin ne fut oppofer a ce conquérant qu'une poignée de mauvaifes troupes, & un Général incapable de les commander. Ce génie étroit & frivole, s'occupoit pendant ce tempsla a batir des palais & des Eglifes , & k pacifier les faftions du Cirque, que toute fon autorité avoit peine k contenir. On rapporte que dans 1'hyver de cette année , les plaines de 1'Italie furent couvertes d'autant de neige, qu'il a coutume d'en tomber fur le fommet des Alpes, & que dans 1'été fuivant, la moiffon fut plus abondante qu'elle n'avoit été de mérrioire d'homme. Les Garamantes, peuples ■ de 1'intérieur de 1'Afrique au midi de laGétulie, envoyereni H v Justin II, Ann. 56S» XXIV. Diveis événements.Paul diac. I. 1. c. 10. Abb. Biclar. Tac. hifi. I. 4. c. 50  JustinII. Ann, 568. 178 H I S T O I R E des Ambaffadeurs a Conftantinople pour négocier un traité d'alliance; ils demandoient auffi des Miffionnaires pour fe faire inftruire dans Ia religion Chrétienne. Ilsobtinrent 1'un & 1'autre. On ne fait pourquoï des nations fi éloignées, & comme perdues dans les fables de TAfrique, dont 1'Hiftoire ne parle plus depuis le regne de Vefpafien , s'aviferent de fe fouvenir des Romains, dont le nom deveno.it de jour en jour moins impofant, & la décadence plus marquée. II eft moins étonnant que les Maures , beaucoup plus voifins de Carthage, ayent repris les armes. Ils venoient d'embrafler le Chriftianifme; mais leur converfion ne put étouffer le reflentiment qu'avoit laifie dans leur cceur la mort de leur Roi Cuzinas, indignement maftacré cinqans auparavant. Ils fe vengerentfurThéodore, Exarque dAfrique, qu'ils furprirent & maflacrerent. Ils défirent enfuite en bataille rangée , & tuerentThéoftifte, Général des troupes Romaines dans la Province. Amabilis , fucceffeur de Théoaifte, n'eut pas un fort plus heureux.  otr Bas-Empirë, Lïv. L. i~S Après la prife de Mantoue , Alboin entra en Ligurie. Lodi , Cöme & les autres places jufqu'aux Alpes Cottiennes, fe rendirent fans réfiftance. Prefque tous les habitants du pays avoient pris la fuite; les uns s'étoient retirés a Gênesavec Honorat, Archevêque de Milan ; d'autres dans 1'ifle de Comaeine fur le lac de Cöme , oü ils fe retraneherent; la plupart dans les ifles d'un autre lac, que le débordement des rivieres avoit formé depuis peu entre Crémone & Lodi. Comme les Lombards n'avoient point de barques, ces fugitifs s'y trouvant en füreté , batirent la ville de Crème , qüi fubfifte encore, mais qui n'eft plus dans une ifle , paree que le lac fe deffécha dans H fuite, lorfque les eaux fe fjrent écou léés. Milan, rétabli par Narfès, mai: alors prefque abandonné , ouvrit fe portes le £aroniut. $9 . MlSTOI&B Milan avoit été réduit en cendres par Attila. On y voyoit un fuperbe palais, ouvrage de Théodoric. Elle etoit forte par fes remparts & par Je Tefin, qui baignoit fes murailles. On comprit alors que la rapidité des conquêtes des Lombards n'étoit due qu'a la terreur de leurs armes, & au mauvais état ou la difgrace de Narfès & la négligence du Gouvernement impérial avoit réduit 1'Itahe. Ces barbares n'entendoient rien aux fieges ; une feule place arrêta ce torrent. Alboin ayant été repoufle devant Pavie, prit le parti de I'afSeger dans les formes. II placa fon :amp du cöté de 1'Occident, & cette /die tint contre fes attaques pendant rois ans. i Pour ne Pas perdrè au fiege d'une eule place un temps précieux, Alwin lahTa devant Pavie une partie Ie fes troupes; & ayant pafTé le Pö vee le refte. il fe rendit maitre de 'Emilie jufqu'a Bologne. Tortone, 'laifance, Parme, • Berfelle , Rege, lodene n'oferent lui réfilter. II réuifn prefque entiéreme.nt fous fa uiffapee, la Tofcane & POmbrie.  du Bas-Empire. Liv. L. 181 Spolete, capitale de cette derniére Province, ville ancienne & colonie Romaine , ruinée par les Goths, rétablie par Narfès, fut érigée en Duché. Faroald en fut le premier Duc. Son diftrids'étendoit dans toute 1'Ombrie , & recut dans la fuite divers accroiffements. La famine qui avoit fuccédé a 1'abondance de 1'année précédente, faifoit encore en Italië plus de ravage que les Lombards , & contribuoit a leurs fuccès. Cependanl Rome fe maintint dahs 1'obéiffancê de l'Empereur, & Longin confervï Ravenne & la Flaminie. Pendant U cours des conquêtes d'Alboin , & fous le regne de fes fucceffeurs , Rome fut fouvent attaquée fans être jamais prife. Les Lombards s'avancerent plufieurs fois jufqu'aux porte; de la ville; ils ravageoient les faux bourgs, ils détruifoient les Eglife; dont elle étoit environnée, mais il; n'y entrerent jamais. Les Romain; ne fe flattant pas de pouvoir fe défendre par les armes, prenoient tou jours le parti d'éloigner les Rois Lom bards a force d'argent. L'année fuivante, une maladie épi JustikIL Ann. 570.  1 Justin II. Ann. 571. xxvir. Erabliffement du Duché de Bénévent.Paul diac. I. 3. c. 34. Sigon. de rcgno hal. I. I. Marius Av.Camill. Peregr. de ducat. Bénévent. Giann. hifl. Nap. t. I. I. 4. *. z. De Vita Am. Benev. t. II. , p. 9, 10, 16, 23, 131. 165. Alrêgé de Thifl. d'1tal. t. I, p. '77' i3i Histoirë' démique affligea 1'Italie & la Gauïev C'étoit un cours de ventre avec des puftules enflammées, qui faifoient périr les hommes & les animaux, mr-tout les boeufs. Plus Alboin s'éloignoit de Ravenne, moins il trouvoit de réfiftance. Après avoir bridé Pétra-Pertufa, fortereffe imprenable,. fituée en Ombrie proche d'Urbin, il continua fa marche par le Picénums. & s'éloignant de Rome qu'il laifToit fur fa droite, il pénétra dans le Samnium jufque fur les frontieres de la Campanie. Zotton étoit déja établi a Bénévent avec une troupe de Lombards. C'étoit un détachement de ceux qu'Alboin avoit envoyés a Narfès dix-neuf ans auparavanr. Le Général Elomain , ayant congédié les autres après fa yiöoire, comme je 1'ai déja dit, avoit retenu les plus braves & ies mieux difciplinés, k deffein de les employer dans fes expéditions. II leur avoit donné pour demeure la vil'e de Bénévent, ruinée par les Goths, k la charge fans doute d'en releyer les murailles. Zotton , qu'ils ivoient choifi pour chef, les gout/ernoit depuis dix ans, lorfqu'Alboin  jyxj Bas-Empizz. Llv. L. 1^3 pénétra dans ce pays. Le Pvoi Lombard lui confirma le commandement, & érigea Bénévent en Duché; il y réunit quelques villes des environsy dont il fe rendit maitre. Des trois Duchés principaux établis par ' les Lombards en Italië, celui de Bénévent de vint le plus confidérable par 1'étendue de fes limites, &c par la puiffance de fes Ducs , qui prirent Ie titre de Princes après la deftruction du Royaume de Lombardie. Le Duché de Frioul fervoit de barrière contre les barbares Septentrionaux; celui deSpolete, placé au centre d< FItalie, étoit & portée d'arrêter le! entreprifes des garnifons de Rome & de Ravenne; Bénévent devoit teni: en bride la partie méridionale, 8 fervir de place d'armes aux Lom bards pour achever la conquête. E effet, un fiecle après Fétabliffemer de ce Duché , il s'étendoit d'une me a Pautfe , depuis Pembouchure d Liris, aufourd'hui le Gariglian, dar la mer de Tofcane, jufqu'a celle d fleuve Aterno dans le golfe Adriat que. De-la tout le pays jufqu'a C< fenza d'uncêté, & de 1'autre jufqu Justin II. Ann. 571. 1 t r 11 s u r- a  Justin ir. Ann, 571, i i T V h }H HlSTOllXE Otrante , dépendoit du Duché de Bénévent, k 1'exception de Curhes, de Naples, de Surrente & d'Amalfi , qui demeurerent au pouvoir des Empereurs. Les Grecs , chaffés de toute Part- (e maintinrent dans les deux extrêmités méridionales, depuis Cofenza jufqu'au détroit du Fare; ce qui commenca dès-lors k porter le nom de Calabre ultérieure, & depuis Otrante jufqu'a la pointe nommée le promontoire de Salente : en forteque !e Duché de Bénévent comprenoit >refque toutes les Provinces qui comwfent aujourd'hui le Royaume de ^aples. C'eft ce qu'on appelloit la econde Lombardie; la première s'éendoit depuis les Alpes, jufqu'aulela du Pö. Outre ces trois Duchés, es .Rois Lombards en établirent d'aiord un grand nombre d'autres, qui e bornoient k une ville avec fon erritoire : mais ayant reconnu dans ï fuite que ce partage de leur puifmce ne contribuoit qu'a 1'affoiblir , ,s,les fupprimerent prefque tous. H 'eft pas inutile de remarquer, qua occafion des conquêtes des Lomards, le nonï de Calabre paffa d'une  du Bjs-Empire. Liv. L. 185 Province k Fautre. L'ancienne Calabre commencoit aux montagnes qui bornent 1'Apulie au midi; Sc fe renfermant dans la peninfule oü font les villes de Brindes, de Tarente, d'Otrante & de Gallipoli, elle fe terminoit a la pointe méridionale. Ce pays perdit fon nom, qui paffa de l'autre cöté du golfe de Tarente k la contrée nommée auparavant Brutium, Sc qui fe divifa en deux parties fous la dénomination de Calabre citérieure Sc ultérieure. Le favant Camillo Peregrini, qui écriyoit vers le milieu du dernier fiecle , eft le premier Auteur qui ait donné la raifon de ce changement. Les Lombards, dit-il, s'étant rendu maitres de la plus grande partie de 1'Italie, il ne reftoit plus aux Empereurs que les places maritimes de la Campanie , le Brutium , l'ancienne Calabre , Sc ls Sicile. Ils firent de ces contrées dein Provinces, qu'ils nommerent Themes, fuivant le langage alors recj dans Ï'Empire d'Orient. L'un de ce; Themes comprenoit la Sicile; l'autre , tout ce que Ï'Empire poffédoi eneore en Italië : Si comme la Ca JUST1M il. Ann. 571.  Justin II. Ann. 571. xxvur. Anaftafe chafle d'Antioche. Evag. I. J. c 5. 6. Theoph, p, ic.6. Niceph. Caürl.ij.\ C 36, Pagi ad Har. Flcury, hift. eu/ef. I- 34. art. 22. 1S6 HlSTOIRX labre en.faifoit la principale partie a caufe des villes célebres de Brindes de Tarente & d'Otrante, ce Theme fut nommé le Theme de Calabre, dans lequel étoit compris le Bmtium. Dans la fuite, Ï'Empire ayant encore perdu lancienne Calabre jufqu'a Otrante, ce nom refta au feul Bmtium, dont une grande partie continuoit d'être foumife k Ï'Empire de Conftantinople. La pointe de l'ancienne Calabre ne méritant plus le nom de Province, s'appella feulement terre d'Otrante. Tandis qu'Alboin étendoit fes conquêtes , Juftin , renfermé dans fon palais , fe livroit k la molleffe d'une vie voluptueufe. Enflé d'un vain orgueil, ce Prince , qui lahfoit perdre 1'Italie, prétendoit porter la majefté du^diadême plus haut qu'aucun de fes prédécefteurs: il ne pouvoit fouffrir aucune oppofition a fes volontés. Lorfqu'Anaftafe aVoit été élu Patriarche d'Antioche, Juffin lui avoit demandé une fomme dargent, pour lui procurer 1'agrément de Juftinien qui vivoit alors : Anaftafe n'avoit joint voulu fe prêter a cette horriale fimonie, D'ailleurs, cePatriarcbe  nu Bas-Empjre. Liv. L. 187 n'avoit pas approuvé 1'éleftiofi de jean le Scholaftique a la place d'Eutychius , que Juftinien avoit dépouillé du Patriarchat de Conftantinople , paree que ce favant ck vertueux Prélat combattoit les erreurs. Lorfque Juftin fut fur le tröne, Jean & les autres ennemis d'Anaftafe , taeherent d'aigrir le refféntiment du Prince. Ce faint Evêque, refpecté de tout 1'Orient, ils le lui dépeignirent comme un diffipateur, qui ruinoit 1'Eglife .d'Antioche par fes profuftons : c'eft ainfi qu'ils nommoient les pieufes libéralités d'Anaftafe. Ils lui imputoient même des paroles injurieufes contre l'Empereur. Ils n'eurent pas de peine a réuflir clans leut mauvais deflein. Anaftafe fut chaffé \ on lui fubftitua Grégoire , Abbé du Mont-Sinaï, qui s'acquitta fi clignement des fonftions épifcopales, qu'or ne peut lui reprocher que d'ayoii accepté la place d'un Prélat injuf tement dépoffédé. Anaftafe ne fu rétabli dans fon fiege que vingt-troi: ans après, fous le regne de Maurice après la mort de Grégoire. L'exil d'Anaftafe affligeoit 1'Egli IustinII. fcnn, 571- * aooi XXIX, Caufes de  Justin II. Ann. 571, rupture entre les Romains & ies Perfes. Evag, /, c 7. Simocat. 1, 3. c. 9. -<4«. clar. Theoph, ■Byi-p-2i, 22. (S- i« boï* Labb. 106 , , Jf I , 108, 1 Hf. I Niceph. C Call. I. I7. t 37- Zon. r. //. 11 P- 71. d Gw. Tur. l- 4- e: 39. H Hift.mifc. Cl /■ 16. n Theoph. p. , 206,207, 208. b( rocc Sa- ? 188 HlSTOIRE VvJ™ ïlfer aucun trouble «^s 1 Empire. Maïs on vit dans ce même temps fe rallumer une guerre^ pendant le cours de vingt années defola. les plus belles Pro^inces de i Unent. La paix conclue avec les series , apres une longue & pénible anTCTw'deVOit ^cinquante ans: elle fut rompue la dixieme annee. Plufieurs caufes y concoururent; «ais dies n'auroient pas exclu un iccommodement, fi la fierté de Juf. m eut pu fe foumettre aux condi* ions que Juftinien avoit acceptées our deyelopper 1'origine de cette ;uerre,il eft néceflaire d'expofer en •eu de motsce qui fe paffoit depuis uelque temps fur les frontieres fepsntnonales de la Perfe. Les Turcs mM du Mont-Altaï prés de Ia fource' e llrns, avoient pouffé leurs coni uetes vers 1'Occidenr. Après avoir .affefcs Ogors, ainfi que je M conte, ils avoient fub/ugué les Nephabtes & s'étoient établis fur les >fds du Jaxarte, dans la contrée U de leur nom, fut appellée Tur'ltan. Ayant enfuite paffé le Jaxarte setwept rendu maitres de Pan-'  du Bas-Empire. Liv. L. 189 clenne Sogdiane, fitiiée entre ce fleuve Sc 1'Oxus. Ces deux fleuves font. aujourd'hui connus fous les noms de Sihon 8c de Gihon; Sc le vatte pays qu'ils embraffent, fe nomme le Maüerennahar Sc la grande Bucharie. L'année même qu'Alboin entra en Italië, les Sogdiens , devenus fujets des Turcs, obtinrent du grand Khan la permiffion de députer a la Cour de Perfe, pour y traiter du commerce de la foie, dont ils s'offroient d'être les facteurs. Les Perfes, qui tiroient direöement cette marchandife de la Chine par les ports qu'ils avoient fur la mer des Indes, ne pouvoient, fans une perte confidérable, la recevoii de la .main des Sogdiens. Chofroë: amufa long-temps les députés; enfin, prefTé de s'expliquer, il ne le fii qu'en achetant toute la foie dont il: avoient apporté une grande quanti té, Sc la faifant brüler en leur pré fence. Le grand Khan , nommé Difabu par les Hifloriens Grecs, Sc Mo-Kai par les Auteurs Orientaux, defiroi ardemment de fe lier d'amitié avei le Roi de Perfe, pour affurer fes cor.' Justin II. Ann. 571. Pagi ad Bar. M. de Guignes , hift. des Huns. I. 5. f.385 &■ fuiv, [ XXX. I Les Turcs traitent ^ avec les : Romains;  Justin II. Ann. 571, 1 •( .1 .raat N ï 8*3 | XXXI. Arrfbaffa- i 190 H I S T O I S. E quêtes. Quoiqu'il fut mécoatent du procédé de Chofroës, il lui envoya en 560 des AmbafTadeurs, pour lui propofer un traité d'alliance. Chofroës , perfuadé qu'il ne devoit forr mer aucune liaifon avec des barbares, fur la foi defquels il ne pouvoit eompter, entreprit de les éloigner pour toujours de fes Etats. Dans ce deflein , il fit fecretement empoifonner les AmbafTadeurs , & répandre le bruit que les Turcs, accoutumés a irivre dans un pays froid & humide, Tavoient pu foutenir les ardeurs du :limat de Perfe. Le grand Khan ne fe laifTa pas tromper par ce rapport; .1 découvrit la vérité, &c réfolut de re venger. Pour être plus en état d'y réuffir, il crut devoir trailer avec es Romains, ennemis naturels des ^erfes. II envoya offrir a Juftin le ecours de fes armes contre tous ceux jui attaqueroient Ï'Empire, & lui proï)ofer le commerce de la foie. L'aliance fut conclue & confirmée par les ferments : c'eft le premier traité ;ntre les,Romains &les Turcs. L'Empereur , pour donner au ;rand Khan les dernieres afTurance-S  nu Bjs-Empike. Liv. L. 191 de fon amitié, fit accompagner les AmbafTadeurs Turcs a leur retour par Zémarque, Comte d'Orient, fuivi d'un nombreux cortege. Zémarque, après un long voyage, arriva dans la Sogdiane, oü il trouva fur fa route quantité de marcbands Turcs qui vendoient du fer : c'étoit une rufe de cette nation, pour perfuader a l'Envoyé Romain, que loin de manquer de fer, comme on le publioit avec vérité, ils en poffédoient des mines abondantes. A for* entree dans le pays, il lui fallut effuyer une cérémonie bifarre & incommode, qui fe pratiquoit encore long-temps après chez les Mogols. Une troupe de fanatiques fe faifit de fa perfonne; & murmurant des paroles magiques, dans les tranfports du plus violent enthoufiafme, avec un grand bruit de fonnettes & de timbales , au milieu d'une épaiffe fumée d'encens, ils le firent pallet entre deux feux lui & toute fa fuite, C'étoit, difoient-ils, pour le purifiei & le préferver de tout danger. I eontinua fon voyage jufqu'au mom Eöag ou Altaï, demeure ordinain Justin II. Ann. 571. de de Juf tin au grand K.han> ÏÉ  Justin II. Ann. 571. 19a HlSTOIKE du grand Khan ; ces deux mots fignifïent 1'un & 1'autre montagne a"or. Ils trouverent ce Prince dans un vallon fous une tente de foie, II étoit aflls fur un tröne d'or, foutenu fur deux roues, & traïné par un cheval. Zémarque, après lui avoir mis entre les mains les préfents de l'Empereur, lui paria en ces termes : » PuifTant » chef de tant de nations, notre grand » Empereur voulant répondre k vo» tre amitié pour les Romains, vous » fouhaite une profpérité inaltérable. » Puifliez-vous dompter tous vos en» nemis, & revenir chargé de leurs » dépouilles. Que la jaloufie, ce poi» fon mortel des liaifons les plus » étroites, ne défuniffe jamais les » deux Empires. Nous mettons au » rang de nos freres, les Turcs & » leurs fujets: prenez envers les Ro» mains les mêmes fentiments ". Difabul, après avoir répondu par des vceux Sc des proteflations femblables, traita Zémarque & fa fuite avec magnihxence. Au-lieu de vin, que 'es Turcs ne connoiffoient point , eur pays n'étant pas propre a Ia cul:ure de la vigne, ils faifoient ufage d'une  nu Bjs-Empire. Lh. L. 193 d'une boiffon que les Romains trouverent fort agréable : c'étoit apparemment cette efpece de breuvage, nommé Cofmos , dont ufent encore les Tartares, qui fe fait de lait de jument fermenté, & qui enivre comme le vin. Le lendemain on les introduifit dans les autres tentes du Khan , oü tout brilloit d'or, d'argent & de pierreries. L'art égaloit la richeffe; ón y voyoit des ftatues d'argent qui repréfentoient diverfes fortes d'animaux; & les Romains convenoient que ces ouvrages n'étoient point inférieurs pour la beauté du travail k ceux qu'on admiroit dans les différentes villes de Ï'Empire. C'étoient les dépouilles de tous les pays que les Turcs avoient ravagés depuis le Tanaïs jufque bien avant dans la Chine. Le grand Khan fe préparoit a entrer en Perfe. Dans cette expédition , il voulut être accompagné de Zémarque & de vingt hommes de fa fuite. II congédia les autres avec de riches préfents, & leur ordonna d'aller attendre 1'AmbafTadeur dans le Pays des Choliates, nommé de- Tome XI, ' l Justin U. Ann. 57ï> XXXII. Expédi* tion da. grand Khan contre les Perfes,  JUSTINII. Ann. 571. 194 HlSTOIRE puis le Captchac , au nord de la mer Cafpienne. Pour rendre a Zémarque le féjour moins ennuyeux, il lui fit préfent d'une belle prifonniere de la nation des Cerchis; c'eft ce même peuple qui ayant changé de demeure , porte aujourd'hui le nom de Circaffts fur les frontieres de la Georgië , & oü les femmes font encore renommées pour leur beauté. Difabul s'étant mis en marche a la tête de fon armée , vint camper a Taraz au nord du Sihon. II y recut un Ambafladeur de Perfe. qu'il renvoya après lui avoir reproché la cruelle perfidie de fon maïtre. II renouvelia le traité d'alliance avec l'Empereur , & permit a Zémarque de retourner a Conftantinople. Cette expédition du grand Khan, qui fembloit menacer la Perfe d'un affreux ravage, ne fut pas d'un grand effet. II entra dans le Maüerennahar, & battit les Huns Nephthalites, qui avoient pris dans cette guerre le parti des Perfes. 'Mais s'étant avancé jufqu'a Samarcande, a defiein de fe jetter dans le Corafan , première Province de la Perfe de ce cöté - la , il n'eut pas plutöt appris  du Bas-Empire. Liv. L. 195 que Chofroës approchoit a la tête d'une nombreufe armee, qu'il lui fit faire des propofitions de paix qui furent acceptées. Le grand Khan donna une de fes filles a Chofroës, & fe retira a Kashgar dans la petite Bukarie , dont les Turcs étoient les maitres. Zémarque étok accompagné de quelques Turcs & d'un Ambaffadeur nommé Tagma, que le grand Khan envoyoit encore a l'Empereur. Arrivé dans le Captchac, il y retrouva les gens de fa fuite. Après qu'ils eurent paffé le Volga, qui portoit alors le nom d'Atel, ils furent avertis par les Ogors , habitants du pays, qu'il y avoit quatre mille Perfes cacbés dans les forêts voifines du fleuve Cuban. Ces Ogors, fujets des Turcs, leur donnerent des outres remplis d'eau, qui leur furent d'un grand fecours, pour traverfer de vaftes déferts de fables arides. S'éloignant toujours des forêts oü les Perfes étoient en embufcade , ils fe rendirent en hate dans le pays des Alains , pour éviter la rencontre des Mofqües, peuple bariare qui: habitoit ;les .montagnes. I ij JustinII. Ann. 571, XXXIII. Retour des AmbalTadeurs Romains.  JustinII. Ann. S7i. Ï9<5 H I s T O I S E Chofroës avoit offert k Saros, Roi 'des Alains, une grande fomme d'argent, s'il vouloit faire périr les Ambaffadeurs Romains, lorfqu'ils pafferoient par fes Etats. Mais ce Prince eut horreur d'une fi noire trahifon : il rec;ut les Romains avec bonté. 11 ne fit pas le même accueil aux" Turcs qui les accompac^oient : comme il fe défioit de ces barbares, il ne voulut leur permettre de paroïtre en fa préfence , qu'après qu'ils auroient quitté leurs armes : ils n'y confentirent qu'au bout de trois jours de conteftation. Le chemin le plus court & le plus facile étoit par le pays des Mifimiens le long de la Suanie; mais Saros avertit Zémarque qu'un nom, breux parti de Perfes 1'attendoit dans ce paffage. Sur eet avisZémarque prit fur la droite vers le Pont-Euxin; & ayant travèrfé 1'Apfilie, il s'embarqua k 1'embouchure du Phafe , arriva au port de Trébizonde, & dela vint par terre a Conftantinople. Depuis ces ambaffades , Juftin eut foin d'entretenir la paix avec les rures, & Chofroës de fe tenir en jarde contre eette nation puiffante  nu Bas^Empike. Liv. L. 197 Be guerriere. Pour arrêter leurs courfes , il fit batir ou réparer la ville de Derbend , qui fert de barrière au Royaume de Perfe, dans le pafïage étroit entre la mer Cafpienne & les montagnes k 1'occident de cette mer. Ce fut dans le même deffein qu'il fit conftruire une large muraille Aanquée de tours, qui fermant toutes les gorges du mont Caucafe, s'éten-' doit entre les deux mers dans 1'efpace de cinquante lieues. Selon quelques Auteurs, cette muraille étoit beaucoup plus ancienne ; elle avoit été batie plus de mille ans auparavant par Darius , fils d'Hyflafpe, pour arrêter les courfes des Scythes dans la Médie. Chofroës ne fit que la réparer. Les voyageurs en trouvent encore des reftes dans quelques vallées. Cette liaifon des Romains ck des Turcs donnoit de Pinquiétude a Chofroës; il la regardoit comme une ligue formée contre lui. Pour ren- < Ore la pareille a l'Empereur , il fe ; tourna du cöté du midi, & voulut ' détacher les Homérites de leur alüance avec Ï'Empire. Ses intrigues liij Justin Iï. Aan. 571. XXXÏV. Guerre' le Chof■oës coffre les fomériesi  Justin II. Afln. 571. XXXV. Les Perfarméniens & les Ibériens fe donnent aux Romains. ISrê HlSTOIRS n'ayant eu aucun fuccès, il eut recours aux armes, & réfolut de fubjuguer cette nation. Elle avoit pour Roi Sanaturcès, petit de corps, mais d'un grand courage. Ce Prince, renfermé dans un coin de 1'Arabie, méritoit de gouverner les plus grands Royaumes. Jufte , réglé dans fes mceurs, religieux & vraiment philofophe , fans favoir peut - être le nom de la philofophie, il ne s'occupoit qu'a rendre fes fujets heureux. Chofroës, un de ces conquérants nés pour troubler le repos de la terre, fit paffer dans fes Etats une armée formidable. Sanaturcès combattit; mais trop inférieur en forces, il fut fait prifonnier; fa capitale fut pillée, & fes fujets réduits en efclavage. La révolte des Perfarméniens fut une nouvelle caufe de rupture entre les Romains & les Perfes. Ces peuples faifoient profeflion du Chriftianifme, & un article du dernier traité les mettoit a couvert de la perfécution. II y étoit ftipulé que les Chrétiens fujets du Roi de Perfe ne feroient point troublés dans Pexer-  nu Bjs-Empire. Liv. L. 199 cice de leur Religion. Cependant Chofroës , toujours inquiet , craignant que la conformité de culte ne les tint fecretement attachés a Ï'Empire , leur envoya fon principal Miniflre, qu'on nommoit le Suréna, pour leur déclarer que le Roi ne fe tiendroit jamais affuré de leur fidélité , tant qu'ils n'adoreroient pas ce qu'il adoroit lui-même. Les Perfarméniens affemblés fe récrient fur une propofition fi peu attendue; ils proteftent hautement que jamais ilsn'adoreront le feu; & comme 1'Evêque prenant la parole, faifoit voir la folie de ce culte , le Suréna 1'accablant d'injures, le fait chaffer de fapréfence a coups de baton. Le peuple indigné fe jette fur le Suréna; on le met en pieces, & auffi-töt on députe a l'Empereur , pour implorer fa protedion , & lui déclarer que la Perfarménie fe donne k Ï'Empire. Juftin recut avec joie une offre fi avantageufe; il s'obligea par un ferment folemnel a défendre les Perfarméniens comme fes fujets. Les Ibériens fuivirent leur exemple. On voit par les Auteurs de ce temps-la 1 iv Justin II. Ann. 571.  JustjnII. Ann. J71. Ann. 57ï. XXXVI. Arrogance de Juftin, derniere caufe de la guerre. 200 HlSTOIRE que la ville de Tiphlis , connue par les relations des voyageurs , étoit dès - lors capitale de 1'Ibérie. L'Empereur oublia bientöt fes promeffes; &C fans fonger a aucun préparatif de guerre , il ne s'occupa que de fes plailirs. Jamais Chofroës n'avoit eu une li jufte raifon de prendre les armes : mais ce Prince avancé en age ne défiroit plus que de paffer en paix fes dernieres années, &c de laiffer a fes enfants_un_ Royaume tranquille. II comptoit bien faire rentrer dans l'obéifTance fans beaucoup de peine la Perfarménie & 1'Ibérie, pourvu que Ia révolte ne fut pas foutenue par les forces Romaines. Pour fonder les difpofitions de l'Empereur, il lui envoya un Seigneur de fa Cour, nommé Sébochthès , avec ordre de ne rien dire de ces deux Provinces, 8c de rappeller feulement a Juftin Tobligation contractée par fon prédécefleur , de payer tous les ans aux Perfes trente mille pieces d'or. Juftin recut 1'Ambafladeur avec cette fierté dont il s'étoit fait un fyftême ; comme Sébochthès, en fe profter-  nu Bas-Empire. Llv. L. 20r nant devant lui, laiffa tomber par terre Pornement de fa tête, les eourtifans féliciterent l'Empereur de ce merveilleux événement; a les entendre , c'étoit un préfage infaillible de la conquête de toute la Perfe. Enivré de ces ridicules flatteries, il répondit fur Partiele de la penfion due aux Perfes l Qu'il koit bien réfolu de n'en rien payer; que file Roi de Perfe vouloit être fon ami, l'amitie ne devoit pas entrer en trafic : qu'il feroit ègalement hontiux d Chofroës de la vendre , & a l'Empereur de l'acheter. Etonné du filence de rAm'baffadeur fur 1'affaire de Përfarménie , Juftin lui.demanda s'il n'avoit rien a dire fur ce fujet. Le Perfe répondit froidement, qua la verite le Roi lui avoit dit qu'il étoit furvenu dans ce pays quelque défordre- de peu de confèquence; mais qu'il y avoit envoyé un Officier en etat d'appaifer ces troubles. Alors Juftin élevant la voix '.Sache^, lui dit-il, qut je prends les Perfarminiens fous ma proteSion; ils profejfent la même Religior, que moi : fi\ on ofe les attaquer, je fauroi bien les défendre. Sébochthès étoi homme d'efprit & Chrétien dans h 1 v (OSTiNlI. kan. 572, /  Justin II. Ann, 572. XXXVII. Marcian envoyé en Orient. Theoph. £y\-p. 22. Evag.l. 5. t. 8. Simoeat. i J. c. 10. ' 1 1 1 i 202 H 1 S T O I R E cceur; il fe jetta aux pieds du PHnce, le fuppliant de ne pas rompre la bonne intelligence qui faifoit fleurir les deux Empires. II lui repréfenta, que les fuccès de la guerre étoient incertains; que fuppofé même que les Romains fuffent vainqueurs , leur vicloire feroit funefle d la caufe quils prétendoient dêfendre: que la Perfe étoit remplie de Chrétiens, qui feroient enveloppés dans le carnage. Juftin , fourd è. ces raifons, protefta qu du premier mouvement de Chofroës, il feroit marcher fes armêes : il ajouta même avec arrogance, qu'il s'attendoit bien d rabaetre l'orgueil de Chofroës, & d délivrer la Perfe £un tyran perfécuteur. Ces paroles outrageantes rallumerent toute 1'ardeur guerriere du Roi de Perfe. Cependant il prit le temps nécefTaire pour faire fes préparatifs. Au contraire, Juftin crut avoir tout fait, quand il eut nommé un Géné-al. C'étoit Marden Patrice, coufin le l'Empereur, homme de mérite , nais qui n'avoit d'autre talent miliaire que celui de fe faire aimer des roupes. II partit fans foldats, fans rmes? fans munition de guerre ? ra»  r,,_ jjjs-Empire. Liv. L. 205 maffant fur fon paffage les payfans & les bergers. Avec cettte troupe mal armee & encore plus mal difciplinée, il paffa 1'Euphrate, & arriva dans 1'Ofrhoëne a la fin de 1'été. Comme les Perfes ne s'attendoient pas a une irruption fi fubite, leurs frontieres étoient fans défenfe. Marcien détacha de fon armée trois mille hommes qui s'avancerent dans 1'Arzanene , oü ils mirent tout a feu & k fang. Ce fut le feul exploit de cette année. En Italië, Alboin enlevoit tous les ans quelque Province a Ï'Empire. Pavie, affiégée depuis trois ans, réduite enfin k 1'extrêmité, fut forcée de fe rendre a difcrétion. Le vainqueur, irrité d'une réfiftancefiopiniatre, avoit réfolu de palier les habitants au fil de Pépée. Leur foumifiion défarma fa colere. II entra dans la ville non en conquérant, mais en Roi pacifique, & défendit le meurtre & le pillage. Le peuple, d'abord tremblant & renfermé dans les maifonSj oü il n'attendoit que le maflacre & 1'incendie, ne voyant faire aux Lombards aucun acle d'hoftilité, fe rafI vj JustinII. Ann. 57i. XXXVIII Prife de Pavie. Paul a"iac. I, 2. c. 17. Sigeb. chron. Sigon. de rcgno Ital, l. I.  JUSTINlI. Ann, 572. 1 Ann, 573. XXXIX. Mort d'Alboin. ' 'Paul diac. I. 2. c. 28, 29-,3o,3i. ! Abb. Bi. clar. Sigon. de ; regno hal. , 1.1. : Pagi ad ' 'Bar. j Giann. . hifi. Nap. 1 l> 4' 1. i l É l Tij 204 Histoih.*. fura , fortit en foule dans les ruc^; & courut en pouflant des cris de joie' au palais de Théodoric, oü s'étoit rendu le Roi Lombard. Les paroles du Prince , qui ne refpiroient qu'humanité , leur firent concevoir les plus douces efpérances. Alboin, charmé de la fituation.de cette ville, de a beauté de fes édinces, & de la force le fes remparts, la choifit pour la :apitale de fes Etats. „ Les yiIles affujetties par Alboin fe :ehcitoient d'avoir changé de maitre. Vlais ce Prince, qui réparoit par fa uftice & par fa clémence, la violence Sc 1'injuftice des conquêtes , ne jouit Das long-temps de fa gloire & de 1'auour des peuplesconquis. Sa douceur ïaturelle n'avoit pu effacer entiérenent le caraöere de barbarie qu'il teaoit de fa nation. A Vérone, au mois de Vfars de Fannée 573 , dans un grand ■eflin qu'il donnoit aux Seigneurs de a Cour, il fe fit apporter la coupe aitedu crane de Cunimond, enchaffé lans del'or, & après y avoir bu, chauffé par le vin, il la préfenta k 1 Reine, en 1'invitant a boire, dit, avec fon pere. Rofemonde, faiiie  du Bas-Empihe. Liv. L. 205 dhorreur, jura dans fon cceur la perre de fon mari, & communiqua fon cruel deffein a Elmige , Ecuyer & frere de lait da Prince. Elmige lui confeilla d'en confier 1'exécution a Péridée , renommé entre les Lombards pour fa force & fon courage. Péridée , fe refufant a eet horrible parrieide, la Pmicefle, déterminée £. toutes iortes de crimes pour commettre celui qu'elle méditoit, engagea une de fes femmes qui avoit un commerce de galanterie avec Péridée , a lui larffer prendre fa place dans 1'obfcuntt de la nuit. Ce malheureux, tromps par eet artifice , n'eut pas plutöt fa tisfait fa paffion, que la Reine fe fai fant connoïtre : Choijis mainunant lui dit-elle , entre mer ou mourlr. 5 m laijfe Alboin échapper d ma vengean ce, tu néchapperas pas d fa colere. Pc ridée , forcé d'öter la vie au Roi pon fauver la fienne, confentit a prêter fo bras. Dès le lendemain, Alboin s'étai jetté fur fon lit pour prendre quelqi repos pendant la chaleur du joiu Rofemonde écarté tous les dom eft ques , enleve toutes les armes a réferye de 1'épée qu'elle attaché fo JustinU, Ann. 573» j i ■ r n tt e » ilar-  JustinII. Ann. J7j. I J J 1 4 < XL. Fin mal- c heureufe de fes af- 3 faffins. C n fc ü h ïv Ia en 2°Ö H I S T 0 1 S. E tement, & introduit Péridée qui fftfc ge la fienne dans le fein du Roi I cecoup Alboin s'éveille; il voii le ftr fanglant, Péridée en fureur, & la Reine encore plus furieufe qui anime Jemeurtner. H fe jette fur fon épée « ne pouvant la tirer, il faifiï un efcabeau avec Iequel il fe défend. II tombe enfin percé de coups & le ^nqueur des GéP^ & des Romain! ïxpire aux pieds d'une femme. II n'a£it legne que trois ans & demi en en 1 r Vaincus le P^ure- ent ies Lombards inconfolables Penerrerent avec fon épée & fes orne- rPiTux au pied d'U" ^ Elmige s'étoit flatté de lui fucce_ r 1 heureux d'échapper LlX lombards , qui fe doutant du amplot, le cherchoient pour 1'im'oler a leur jufte vengeance. U fe uva vers Ia cöte de Gênes avec Rotonde , qui écrivit a Longin pour i demander afyle. L'Exarque, dén-e d une continuelle inquiétude par mort dun fi redoutable ennemi, voya aurli-töt un vailfeau , oü Ro! nonde s embarqua avec fa fille Aibf.  nu Bas-Empixe. Lh. L. 207 vinde, Elmige devenu fon mari, Péridée & tous les tréfors du Roi qu'elle avoit enlevés dans fa fuite. Cette Princeffe étoit auffi belle que méchante & perfide. Longin, homme fans efprit & fans mceurs, en devint amoureux , & lui promit de 1'époufer , fi elle pouvoit fe défaire de fon nouveau mari. Le crime n'effrayoit plus Rofemonde ; il lui coütoit peu de faire périr Elmige, après avoir trempé fes mains dans le fang d'Alboin. Comme il fortoit du bain , elle lui préfenta un breuvage empoifonné. A peine eut-il bu une partie , que fentant dans fes entrailles 1'effet du poifon, il forca Rofemonde 1'épée fur la gorge de boire le refte, & tous deux expirerent en même-temps. Longin fut peu touché de cette fcene tragique ; il fe confola en détournant une partie du tréfor des Lombards , doni il envoya le refte a la Cour avec Albf vinde & Péridée. Juftin lui en fin tant de gré, qu'il augmenta fon au torité & fes revenus. Péridée, poui faire montre de fa force, combatti un lion d'une grandeur énorme dan: un fpeftacle public en préfence d< Justin II Ann. 573  Justin II. Ann, 573.. XLT. Cleph ■ fuccede a Alboin, i i < 20S' H I S T O I 71 E l'Empereur, & le tua. II en atrendoit une recompenfe; mais Juftin craignant qu'un fi méehant homme n'abufat de fes forces, lui fit crever les yeux. Ce traitement irrita la férocité de Pendée. II réfolut de tuer 1'Empereur;& s'étant armé de deux poignards qu'il tenoit cachés fous fa robe , il fe fit conduire au palais, demandant a parler au Prince , è qui, difoif-il, il avoit d'importants fecrets a révéler. Juftin, fe défiant de ce meutrier , envoya deux Patrices pour 1'écouter, Péridée, défefpéré d'avoir manqué fon coup, s'approche comme pour leur parler a 1'oreille, & les perce tous deux en même-temps de fes deux poignards. Ils tomberent morts a fes pieds. L'hiftoire ne dit pas quelle fut Ia fin de ce fcélérat. Après la mort d'Alboin, les Seigneurs Lombards fe rendirent de toutes parts a Pavie; il ne laiffoit point 1 enfant male, & 1'intervalle de cinq iiois que dura 1'interregne , donne leu de foup?onner qu'il fe fbrma beau:oup d'intrigues & de cabales -pour ;emphr le tróne vacant. Enfin, on dut Cleph, des plus nobles de la na-  du Bas-Empire. Ltv. L. 200 tion , Payen de Religion, auffi guerrier qu'Alboin, mais avare & fanguinaire. II traita cruellement les vaincus, chafïant les nobles de leur patrie, faifant mourir les riches pour s'emparer de leurs biens. S'étant rendu odieux a fes propres fujets , il fut affaffiné par un de fes domeftiques après dix-huit mois de regne. Ce Prince ajouta de nouvelles conquêtes a celles de fon prédéceffeur. II fe rendit maitre de Tanetum entre Paruis &c Modene ; il refTerra de plus prés Ravenne par la prife de Rimini. It rétablit Forum Cornelii, place importante batie par Sy'la, ruinée par Narfès. Les Lombards éleverent au voifinage le chateau d'Imola, qui donna dans la fuite fon nom a la ville. Dans ce même temps, Ï'Empire avoit a foutenir en Afie une guerre beaucoup plus fanglante. L'imprudente fierté de Juftin 1'avoit allumée; 1'incapacité de fes Généraux foutenoit mal 1'orgueil de leur maitre; & les Perfes , plus puiffants que les Lombards, mettoient en feu la Méfopotamie & la Syrië. Marcien, retiré a Dara pendant 1'hyver, avoit fail Justin Ut Ana. 573. XL1I. Guerre de Perfe. Theoph. Byi-p.il, 23. Evag. I. 5. e. 8, 9,10. Abb. Biclar. Simo' cat. I. 3. r. 10, 11. Theoph. p. ao8, 209.  Justin II. Ann. J7J. Cedr. p, 390. Zon. t. U, ?• 71. j ] i 1 t i d ti ü n I n la c; ce ni fc er qi N; 210 B I S T O I R E lever des troupes en Arménie. Les Lazes, lesAbafges, les Alains, commandés par leur Roi Saros, étoient venus groffir fon armée. Se voyant fi fupérieur en forces, il attaqua un corps de Perfes prés de Nifibe, leur tua douze cents hommes, en fit foirante-dix prifonniers , fans autre jerte que de fept foldats. Après avoir >affé plufieurs jours a 1'attaque d'une orterelfe dont il ne put fe rendre naitre, il reprit fes quartiers d'hyer, & dès les premiers jours du prin;mps, il entreprit le fiege de Nifibe, ;lon les ordres qu'il en avoit iegm e l'Empereur. Cette ville, bien forfiée, malgré la vafte étendue de >n enceinte , & défendue par une ambreufe garnifon , ne prit point illarme a la vue de 1'armée RomaiLes habitants, pleins de confiance, ifferent leurs portes ouvertes, aciblant d'infultes & éloignant a for' de traits qui partoient d'une infité de machines , une armée trop ïble & trop mal commandée pour iporter une place de cette confélence. Sur la nouvelle dü fiege de fibe, Chofroës qui avoit paffé 1'an-  du Bas-Bmpire. Liv. L. sl-« née précédente a faire fes préparatifs, part de Ctéfiphon k la tête de plus de cent mille hommes de pied & de quarante mille chevaux. Ayant paflé le Tigre un peu au-deffus de cette ville, au-lieu de prendre le ch«min de Nifibe, il traverfe les dé^rts de la Méfopotamie , pour c?^hef la marche aux Romains, & s'^ance julqu'a cinq journées de £ir"fe» der" niere n'ace del'Emp'Te fur 1 Euphrate. £>e_U il envoye Adaarmane k la tete d<- fix mille hommes ravager la Syrië; & tournant vers le nord, il marche droit k Nifibe pour en faire lever le fiege. Juftin , ayant appris que Chofroës avoit paffe le Tigre, fe laiffoit endormir par fes courtifans, qui débitoient avec affurance, les uns que le Roi de Perfe périffoit de faim avec fon armée dans les déferts, les autres, qu'il étoit déja mort. Auffi impatient que préfomptueux, il s'étonnoit de n'avoir pas encore recu la nouvelle de prife de Nifibe; & il dépêcha des exfès, avec ordre de lui apportei au Pwöt les clefs de la ville. A peine étoiem>is partis, qU'U recut une let- JustinII. Ann. 57?' XLTIL Marcien rappellé.  Justin TI. 4nn, J7j. i c c n c c fi d V 21» H I s T O I R E tre de Grégoire, Patriarche d'Antioche, que 1'Evêque de Nifibe, affectionne aux Romains par intérêt de reJigion, avoit inftruit de 1'état du liege. Grégoire mandoit a 1'EmpelQur que Marcien ne pouvoit, ni Fe»dre Nifibe avant Parrivée de pTrf™ ^V' réflfter k rarmée ^S des P 'in^m \ V'fdon le earaaer« desPnncesjMolents & voluptueux "i'etoit pas difpoféacroirecePqurau.' rou troublé fes plaiftrs, fit rép*,dre * Grégoire, qu'il pouvoit s'abfte,;,, ie donner de fauffes allarmes ; que -nofroes n'arriveroit pas affez-tót )our prévenir la prife de Nifibe; ou pie s il la prévenoit, on en feroit quitte 'ourlebattre. En même-temps, per- uade par les ennemis de Marcien, ;ue ce Général trahiffoit Ï'Empire l tm partir Acace, homme fuperbe £ mfolent, pour öter k Marcien ïe ommandement de 1'armée, quand ieme il feroit déja dans la ville. A- Jce trouva le fiege levé aux appro- ies de Chofroës, & Marcien ne dif- ;ra pas un moment d'obéir aux rf? res de l'Empereur. Mais cette c. 11, 12. B-vag.l. 5. CII,12, 13- Coripp. I, 1. Abt. Bi. tlar. Greg. Tur. hi/f. Franc. 2-4-c 391. 5- c. 20. ! ■Pau/, diac. 1 i. 8. j Zon. torn. H- p. 70, 1 71 . 72. < Ai/7. ƒ>. 70. 1 mz/è. ] 16 , 17. | Theoph. p. 208 , 209, 1 aio.' Niceph. Call.l.17. I r. 39. ( Cedr. p. , 388, 389, 1 39°. 39i- I Manaff. p. , 68, 69, 70, 71. 2:4 . M I S T O I R g devint fujet a des accès de démence, Cet égarement d'efprit éclata d'abord par le traitement indigne qu'il fit a fon frere Baduaire. II méprifoit ce Prince, & 1'avoit obligé de fe contenter de la charge de Connétable, tandis qu'il avoit honoré de celle de grand-Maitre du palais, première dijnité ^de Ï'Empire, un autre Officier le même nom, qu'il prit pour genïre en lui donnant fa fille Arabia. Irrité contre fon frere pour un fujet iflez léger, il le fit battre a coups de K)ing par fes Chambellans en plein 3onfeil. Enfuite fur les reproches de a femme Sophie, il fe repentit de :ette brutalité, alla chercher fon free, Pembraffa, le retint a diner, & ui demanda pardon en préfence du Ion feil , témoin de fon emportenent. Les fréquentes rechütes de Juftin e tenoient prefque toujours renferné dans fon palais : inacceffible aux 'pprimés, il laiffoit, fans le vouloir, ibre carrière a la violence des homdes puiflants. La force feule décioit; les tribunaux étoient fans pouoir, & 1'Etat éprouvoit tous les dé-  du Sas-Empire. Liv. LI. ai$ fordres de 1'anarchie : fi l'Empereur paroiffoit en public , il étoit obfé- • dé d'une foule de malheureux qui crioient, juftice, juftice. Après avoir plufieurs fois affemblé les Magiftrats & tous les Grands de fa Cour, pour trouver les moyens de remédier a ces excès; après avoir inutilement prodigué les remontrances & les menaces , il établit Préfet de la ville un Magiftrat integre , plein de fermeté &t de vigueur, qu'il revêtit de toute fon autorité, pour punir les coupables fans diftinftion d'état ni de rang : il déclara que les fentences du Préfet feroient exécutées fans appel, & que le Souverain ne feroit grace a perfonne. Cette déclaration fi terrible effraya tous les tyrans; hormis uo feul qui fe crut au-deffus de toute; les loix. Une pauvre veuve vint f< jetter aux pieds du Préfet, fe plai gnant d'un Officier Général, quil'a voit dépouillée de tous fes biens. L Magiftrat» par ménagement pour c Seigneur , qui étoit parent du Prince lui écrivit pour le prier de rendi juftice , & lui fit préfenter fa letti par la perfonne offenfée. Pour tou K v USTIN II. Un. 574. Du Cangt um. By\m 7. 99. II. Exemple dejuftice, 9 e e :e  Justin II. Ann. 574. i t J 1 ' • < t c } J h d h n L a: 226 H i s t o> i r b fatisfaaion , elle ne recut que des otttrages & des mauvais traitements. Indigne de cette infulte, le Préfet cite l accufé devant fon tribunal; celui-ci ne répond qüe par des railleries & des mjures contre le juge & le jugement. Au-lieu de comparoïtre, il va diner au palais, oü il étoit invité avec un grand nombre de courtifans. Le Prefet, ayant appris qu'il étoit ataMe avec le Prince, entre dans la falie du feftin, & adrelTant la parole au Prince : Seigneur , lui dit-il , fi vous icrfiflei dans la réfolution que vous ave{ mnoncée, de chdtier- les violencts , je ontinuerai d'exécuter vos ordres 1 mais i vous renoncei d ce defein fi digne de ■ous, s'il faut que les plus méchants 'es hommes fioient honorés de votre faeur^ & recus d votre talie, accepten la 'émijfion t£une charge inutile d vos fu~ 'ts, & qui ne peut que vous dèplaire. uftin, frappé d'une remontrance fi ardie : Je nai point changé, réponït-il , pourfuivei par-tout l'injufiice : vous Üabandonne : fut-elk affife avec 'oi fur le trone, fen defcendrois pour t livrer au chdthnent. Le Magiflrat, •mé de cette réponfe, fait faifir ie'  du Bas-Empire. Liv. LI. 227 coupable au milieu des convives ; le traïne au tribunal; écoute la plainte delaveuve; & comme eet homme , anparavant fi fuperbe, alors interdit & trembiant , ne pouvoit alléguer aucun moyen de défenfe, il le fait dépouiller, battre de verges, & promener fur un ane, la face tournée en-arriere, par toutes les places de la ville. Ses biens furent faifis au profit de la veuve, & eet exemple arrêta pour quelque temps Pufurpation & la violence. L'Empereur récompenfa la fermeté du Préfet en le créani Patrice, cklui alfurant fa charge poui tout le temps de fa vie. Tandis que ce Magiflrat incorruptible veilloit au maintien de la tranquillité publique , 1'Impératrice Sophie prenoit foin des affaires du gouvernement. Chofroës fe préparoit ; rentrer en campagne; elle lui fit potter quarante-cinq mille pieces d'o pour obtenir une treve. Elle efpéroi profiter de eet intervalle pour fair confentir le Roi de Perfe a un con grès, oü Pon pourroit accorder k différends des deux nations, & pai venir a une paix folide Sc ducabl K vj Justin II. Ann. 574, III. Treve avec les Perfes. i t t S  ■ Justin II. Ann. 574. i IV. Tibere r. eft nommé Céfar. 7 D é d L ft bi P' fu 2*8 ƒƒ 1 s T O I R E Le Patnee Trajan, Quefteur du Palais, vieillard très-efïimé pour fa prudence , fut employé a cette négociation conjointement avec le Médecin Zacharie. Ils étoient chargés d'une lettre de 1'Impératrice, qui écrivoit :n fon propre nom au Roi de Perfe. Elle lui repréfentoit le trifte état ie l'Empereur : Souvene^-vous, lui hfoit-elle, que dans la maladie dont 'ous fiues autrefois accablè, non conents d'épargner vos frontieres, nous em'loydmes nos bons offices pour vousprourer la guérifon, en vous envoyant nos lédecins les plus habiles. Chofroës crut aire beaucoup pour les Romains , njeur accordant une treve d'un an, ;u'il fe faifoit chérement payer. Cette fufpenfion d'hoftilités étoit ecefTaire a l'Empereur. Son efprit affoibliffant de plus en plus, il eut le onheur de fentir lui - même qu'il ïoit hors d'état de foutenir le poids ?s affaires, & qu'il avoit befoin d'un ieutenant. II regardoit & fes deux eres & fon gendre comme incapaes d'une fonftion fi importante. Soiie lui confeilla de jetter les yeux r Tibere. II étoit de Tnrace, hom-  du Bas-Empirz. Liv. LI. 229 me de fortune, dont la naifTance eft inconnue. Juftin Pavoit élevé auprès de lui dès fon enfance; il le chériffoit comme fon fils; & après 1'avoir éprouvé dans les emplois du palais & dans les divers grades du fervice militaire , il le fit Commandant de la garde Impériale. La valeur de eet Officier, fon zele pour la juftice, tempéré par la douceur de fon caradrere, fagénérofité, fa piété nourrie des maximes du Chriftianifme au milieu d'une Cour trés- corrompue ,lui attiroient 1'eftime univerfelle. Tant de qualités étoient encore relevées aux yeux de l'Impératrice par une figure aimable, noble & majeftueufe ; c'étoit 1'homme le mieux fait de Ï'Empire , & 1'on eut dit qu'il étoit né pour commander aux autres hommes. Elle réfolut donc de le placer fur le tröne , è deffein de le partager avec lui après la mort de fon mari, dont les infirmités annon9oient une fin prochaine. II paroït que Tibere, tout religieux qu'il étoit, ne manquoit pas de dextérité pour avancer fa fortune. II pénétra le projet de l'Impératrice; il eut 1'adreffe d'en profiter, &i de lui JustinU. Ann, 574.  Justin II. Ann, 574, 230 H I S T O I R B cacher un fecret important, dont Ia connoiflance auroit infailliblement refroidi le zele de la Princefie en fa faveur. L'Empereur, qui n'avoit point d'enfant male, fe détermina fans peine a ladopterpour fon fils, & a lui conferer le titre de Céfar, fe repofant entiérement fur lui de tous les foins du gouvernement. Ayant donc fait affembler dans la Cour du palais le Sénat & le Clergé de Conftantinople, il monta fur un tribunal élevé, oü il fit monter avec lui Tibere. Alors après 1'avoir revêtu de la tunique & de la robe Impériale, il joignit au nom de Tibere le furnom de Conftantin, & déclara qu'il le choififibit pour tenir fa place, & qu'il lui faifoit part de 1'autorité fouveraine. II ardonna aux affifiants & en leur perfonne a tous fes fujets de le refpeöer Sc^de lui obéir comme a l'Empereur trsême. Enfuite fe tournant vers le louveau Céfar, il lui paria en ces ternes, qu'un Auteur contemporain dit ivoir exaöement recueillis: » Ce n'eft > pas Juftin qui vous couronne, c'eft > Dieu même; c'eft de fa main que * vous recevez ces ornements de la  bv Bas-Empire. Liv. LI. 231 » Majefté fuprême : honorez-les, » afin qu'ils vous honorent; honorez » l'Impératrice ; elle a été votre Sou- » veraine, elle devient aujourd'hui » votre mere. Que vos mains foient » pures; ne les trempez jamais dans » le fang de vos fujets. Je ne me fuis » rendu que trop odieux; ne me ref- »> femblez pas. J'étois foible; mes chü- » tes ont été fréquentes ; j'en porte » la peine; mais ceux dont les mau- » vais confeils m'ont plongé dans ces » malheurs, en rendront compte au » tribunal de Jefus-Chrifi. Ne vous h laiffez pas éblouir comme moi, par » eet éclat extérieur. Occupez-vous y> de tous vos fujets; nul d'entr'eux » ne doit être méprifable a. vos yeux. » Ne perdez jamais de vue ce que » vous avez été, ni ce que vous êtes. » Veillez fur vos foldats. Fermez l'o- » reille aux délateurs. Ne permettez » pas qu'on vous féduife, en vous n citant 1'exemple de votre prédécef- » feur:je vous le dis, paree que j'y >> ai été trompé : a combien d'inno- » vations des courtifans intéreffés & » menteurs m'ont-ils engagé, fous Ie » faux prétexte de 1'ufage ? Laiffez- IustinII. Aan. 574.  Justin II. Ann. 574, Ann. 575. V. Gouvernementdes Ducs Lom hards. Greg. dial. I. 3. c. 38. Grtg. Fur hift. Franc- 1.4. t. 35. 232 HlSTöI&E » les riches jouir de leurs biens ; » donnez-en aux pauvres. Lorfqu'il eut ceffé de parler, le Patriarche prononea une formule de priere y qui fut fuivie des vceux de tous les affiftants. Le Céfar fe profterna aux pieds de l'Empereur, qui lui dit en le relevant : Je fens bien que dans Chat ou je fuis, partager avec vous ma puiffance, c'e/f vous la donner toute entiere. Ma vie même va dépendre de vous. Que Dieu mette dans votre cceur, ce que fai oublié de vous dire. Cette augufte cérémonie fe fit un Vendredi du mois de Décembre. Elle fut accompagnée des acclamations du peuple, ravi de joie de voir la couronne fur la tête d'un Prince fi capable de la foutenir. Les progrès des Lombards en Italië affligeoient Tibere : mais le mauvais état des affaires de Ï'Empire ne lui permettoit pas de grands efforts pour la fecourir. Cleph venoit de mourir affaffiné par un de fes domeftiques; il laiffoit un fils en bas age. Cette raifon jointe k 1'amour de laliberté, & k 1'averfion que la cruauté du dernier Roi avoit infpirée pour la Mo-  vu Bas-Empire. Liv. LI. 233 narchie, détermina les Seigneurs Lombards a fe rendre indépendants. L'Empire confervoit Ravenne & les villes voifines qui formoient PExarchat. Padoue, Monfelicé, Crémone, Gênes & la cöte de la Ligurie , Sufe & les places des Alpes Cottiennes, Rome & les villes d'alentour, Naples & les autres ports de la Campanie & de la Lucanie, étoient occupées par des garnifons Impériales. Les Lombards étoient maitres du Frioul, de la Venetië, de la Ligurie prefque entiere, de 1'Ombrie & d'une grande partie de la Tofcane. Ils avoient pouffé leurs conquêtes jufque dans la Campanie & dans 1'Apulie. Cette étendue de pay; étoit gouvernée par trente-fix Ducs Chacun d'eux s'érigea en fouverair dans fon Duché. Ils établirent de: Comtes dans les grandes villes; dan: les moindres ,des Chatelains nommé: Gaftaldes , pour commander dan 1'ordre civil & militaire. Cette form de gouvernement fubfifta pendant di: années. Pour ne pas interrompre tro] fouvent le récit des autres affaires d Ï'Empire, je vais expofer ici toutd fuite ce qui fe paffa de mémorabl Justin lï. Ann. 575. Paul diac. I. 2. c. 31■, 32. Sigeb. chr, Sigon. de rcgfi>. hal. I. I. Pagi ad Bar. Praiilli proluf. in Paul. diac. Giann. hift. Nap* l. 4. !• Murat. ann. hal. t.lll.p. : 491,49*» 502. Idem An.' ■ tiq, medii • avi t. I. , differt. i. ' De Vita. ! antiq. Be- nevent. t. s II. p. 8 , C >  Justin II. Ann. 575. VI. Leur tyrannie. 1 J 1 1 1 I t ï C li d e d q la v é fu éi 234 Mistoihe en Italië dans le cours de eet interregne. Alboin avoit traité les vaincus avec douceur; fon fuccefieur, dans a courte durée d'un regne de dixluut mois, s'étoit rendu odieux mê™ a fes fujets. Mais fi un bon Roi * un rare préfent duGel _ 'oit-cn attendre de trente-fix bar>ares, nourns dans les horreurs de a. guerre, & qui ne prenoient la oi que de leur épée ? Devenus tyans aufii-tot que fouverains,ils comnencerent par exterminer ce qui refoit de nches habitants ; ils réduifient les aitres k lindigence. Bientöt n ne vit autour d'eux que des vil's nunées, des fortereffes abattues, es Eghfes & des Monafieres réduits 1 cendres, des campagnes abanonnees : ce beau pays n'étoit plus .1 un defert; les bourgs & les vilges, auparavant fi peuplés, ne ferment pllls, dit Saint Grégoire, que ! retraites aux bêtes féroces. Plu:urs de ces Ducs étoient Payens , maffacroient ceux qui refufoient participer k leurs fuperftitions ^leges; les Chrétiens qui leur  du Bas-Empire. Liv. LI. 235 cchappoient, fe réfugioient dans les ifles de la mer de Tofcane. Ces Princes, indépendants 1'un de l'autre,au-lieu d'agir de concert pour achever la conquête de 1'Italie, ne fongerent qu'a s'aggrandir a 1'envi chacun en particulier. Plufieurs d'entr'eux, voifins des Alpes, réunirent leurs forces, & fe jetterent dans la Bourgogne, qui s'étendoit alors jufqu'en Dauphiné & en Savoie. Gontran, Roi de ce pays, envoya contre eux le Patrice Amé, qui fut vaincu dans un grand combat oü il perdit la vie. Les Lombards, chargés de butin , retournerent en Italië. L'année fuivante , ils marcherent vers Embrun ; mais ils ne furent pas f heureux. Mummpl, Général des trou pes de Gontran, ayant fait rompre les chemins, les enferma entre des abattis d'arbres, & les défit entiérement. On vit dans cette bataille Salone & Sagittaire, freres & Evêques 1'un d'Embrun , 1'autre de Gap, com battre armés de toutes pieces. Ce deux Prélats, déja condamnés dans 1< fecond Concile de Lyon, rétablis en fuite par le Pape Jean III, furen JustinII. Ann. 575. Vil. Guerre des Lombards contre les Francois. Greg. Tur. hift. Franc. I. 4- 6 . 41 • 45MariusAv.Aimoin. I. 3. c. 17. Paul diac. I. 3. cl, 3 > 4, 5 . 6,7. 8. 9' Pagi ad Sar. Murat. ann. hal. t. 111. p. 494.491- t  Justin II. Ann. J7j, ] i 1 1 F n fi P h d ti P< ra ri' de le, let 23<5 H i s t o 1 R e enfin dépofes pour leurs mauvaifes moeurs dans le Concile de Chalonsur-Saone en y79. D'un autre cöté, les Saxons venus en Italië è la fuite d Alboin, au nombre de vingt mille mecontents de la fierté des Lombards qui prétendoient les traiter comme leurs fujets, s'unirent en un corps & renterent de fe faire un stabbffement en France. Ils vinrent camper prés de Riez enProvence, * commencerent a ravager le pays! Hummol alla encore fondre fur eux r * les tailla en pieces; la nuit feule mt fin au carnage. Le lendemain, -s baxons, fans fe rebuter de leur erte, fe preparoient a combattre de ouveau : le Général Francois, auffi 'ge que vaillant, ne jugea pas k ropos de forcer des défefpérés: il ur permit de fe retirer en aban>nnant leurs prifonniers & leurbu- i, outre une fomme d'argent qu'ils yerent en dédommagement de leurs v-ages. Ils ne furent pas plutót ar'es en Itahe, qil'i]s fe féparerenf s Lombards; & prenant avec eux us femmes, leurs enfants & tout lr bagage, ils retournerent en Ger-  nu Bas-Empire. Liv. LI. 237 trianie. Une troupe de Lombards entre dans le Valais, s'empare de Clufe au bord du Rhone, & féjourne dans le Monaftere d'Agaune. Ils font entiérement défaits par les Francois. Une entreprife faite par trois Ducs fur la Provence & le Dauphiné, n'eut pas un meilleur fuccès : battus par Mummol, ils furent obllgés de repaffer les Alpes, & recurent encore un nouvel échec de Sifinnius, qui commandoit dans Sufe pour l'Empereur. A peine furent-ils retirés , que Chramnichis , a la tête d'une armée de Francois Auftranens, vint ravager le territoire de Trente. Ra» gilon, Comte Lombard, ayant ofé marcher a fa rencontre, fut défait & tué : mais le vainqueur, furpris k fon tour dans fa retraite par Evin , Duc de Trente, périt avec la plus grande partie de fon armée. Pendant que les Princes Lombards, qui commandoient aux environs du Pö & des Alpes, perdoient leur temps & leurs forces k lutter contre les Francois, les Ducs de Spolete & de Bénévent travailloient utilement a ctendre leurs Etats, 1'un dans 1'Om- JustinII. Ann. 575. VIII. Progrèï des Lombards en Italië. Menani* p. 124, 126. Abb. dar.  Justin II. Ann. J7J. Paul diac. I. 3- c. 11, 13 , 20. I. 4- C IS. Hifi. mifi, ' l- 17. ] Anafl. in ( BenediSo & Pelagio 1 II. i Sigeb. chron. c Marian. I Scot. chr. ^ Greg. l.i. 'pift. 31. 1 Idem dial. 1: 1. 2. c. 17. j. Aimoin. I, . 3. c. 80. I' Sigon. de d regno hal. I. i. P Rubeus , C hifi. Ra- c, ven. I, 4. £ cw/z. n Peregr.kifl. U Longob. t. jjLp. 272. ^ /èri« aiiat. bj C$fm-P' m Ató//. bj annal, Be- R 23p H 1 S T 0 l R E brie & du cöté de Rome, Pautre dans Ia Campanie, dans la Calabre K dans le pays des Brutiens. Le Pape Benoit, qui avoit fuccédé a Jean III, jyant obtenu un fecours de Tibere, dors Céfar, Baduaire, gendre de' Empereur, paffa en Itaüe avec quelmes troupes; mais il fut défait, & nourut bientöt après. La famine ne aifoit pas moins de ravage que les rmes des Lombards: elle contribuoit néme a leurs progrès. Plufieurs plaes fe rendirent faute de vivres ; Roie, fans chef, fans garnifon ni fubftance, étoit dans le plus grand péd: les barbares, après avoir ravagé : terntoire, vinrent mettre le fiege evantla ville. Tibere, devenu Emereur, preffé par les vives inftan?s du Pape, envoya par mer un >nvoi confidérable de bied , qu'il t venir d'Egypte, & qui étant heuufement arrivé au port d'Oflie, reonta le Tibre malgré les Lombards. e fecours rendit le courage aux hatants, dont plufieurs étoient déja orts de ; faim , & fit perdre aux rbares Pefpérance de s'emparer de 3me. Ils fe retireren^ emmenaat  du Bas-Empike. Liv. LI. 239 avec eux grand nombre de prifonniers , qu'ils traiterent cruellement, faifant mourir par divers fupplices ceux qui refufoient de prendre part a leur idolatrie. Ce fut pendant ce fiege que le Pape Benoit étant mort, Pélage II fut élu après une vacance de quatre mois. L etat de la ville ne permit pas de confulter l'Empereur: mais après la retraite des Lombards , le Pape écrivit k Tibere pour lui rendre compte des raifons qui avoient empêché d'attendre fon agrément , .& pour le prier d'approuver la poffeffion qu'il avoit prife du faint Siege. Les Papes avoient alors deux Apocrifiaires , ( on nommoit ainfi ceux que Pon nomme aujourd'hui Nonccs) 1'un a Ravenne, 1'aütre a Conftantinople, pour veiller aux intéréts de ■1'Eglife de Rome. Grégoire , alors Diacre de cette Eglife, & qui fuccéda dans la fuite a Pélage, fut député k Tibere avec plufieurs Sénateurs. Ce Prince, occupé de la guerre de Perfe, ne put envoyer que quelques troupes & une fomme d'argent, pour engager les Lombards k refter en paix, Avec un fi foible fecours^ Justin H. Ann. 575. Abb. de Nuce, chr. Cajf. U i. c. z. Pagi ai Bar. Murat. annal. hal. t. 111. p. 503: 504» 506, 508. Giann. hifi. Nap; l. 4. c. 2, II. Abrégéchr. de hifi. d'h. t. l.p. M5.  Justin II. Ann, j75. 3 < j i I 1 1 1 ï c r. t 1 P l v P fi d 240 fflSTQIRE Longin ne fe crut pas en état de rien entreprendre : mais l'argent fervit k faire lever le fiege de Rome attaquée de nouveau , & k gagner imelques Capitaines Lombards , qui s'engagerent fous les étendards de 'Empire, & pafTerent en Oriënt pour f fervir contre les Perfes. Faroald, Duc de Spolete , s'avanca jufqu'a lavenne, défendue par fa fituation k par une forte garnifon. N'ofant 'attaquer, il bloqua la ville de Clafë, dont il ne put s'emparer qu'au >out de deux ans ; c'étoit le port de tavenne , & Pentrepöt de toutes ss marchandifes qui venoient par 2 golfe Adriatique. La prife de cette lace tenoit Longin en échec, & réuifoit Ravenne a de grandes extrêïités; ce qui donna aux ennemis le ?mps d'achever la conquête de la 'ofcane, Ce fut alors qu'Aquilée, refque détruite, futabandonnéeaux ombards, Elie, Archevêque de cette ille, retiré dans Pifle de Grado, k ïxemple de Paulin fon prédéceffeur, t déclarer dans un Concile que le ïge d'Aquilée demeureroit transféré ms cette ifle, qui, par cette tranflation,  eu Bas-Empire. Liv. LI. £41 lation, devint métropole de 1'Iftrie & de la Vénétie. D'un autre cöté, Zotton, Duc de Bénévent, afïiégeoit Naples; mais il fut obligé de fe retirer; & cette ville importante, plus d'une fois attaquée par les Lombards, fe défendit toujours avec fuccès. Cependant les barbares faifoient tous les ans de nouveaux progrès. Les Romains n'attendoient leur falut que de Conftantinople; ils ne manquoient pas d'argent, mais de foldats ; & comme ils penfoient que la guerre de Perfe pouvoit épuifer les tréfors de l'Empereur, ils lui firent porter trois mille livres d'or, en le fuppliant de leur envoyer un renfort de troupes. Le Patrice Pamphronius, chargé de cette commiflion, n'oublia rien pour toucher le cceur du Prince. Mais-ce n'étoit plus le temps oü 1'Empire pouvoit porter fes armes aux deux extrêmités du monde è la fois, & couvrir la terre de fes foldats. La guerre de Perfe occupoit toutes fes forces; & Tibere, quoique fenfible aux maux de fes fujets, ne put faire autre chofe pour Rome, que de lui renvoyer les trois mille Tome XL L Justin II. Ann, $75,  JustinI] Ann. 57j 242 II I S T O I R E livres d'or ; il confeillöit aux Ro• mains d'employer eet argent a ga' gner les Officiers & les foldats Lombards ; ou , s'ils n'y pouvoient réuffir, k foudoyer des troupes Fran«joifes. Le Monaftere du mont Caflin étoit célebre par la réputation de Saint Benoit fon fondateur, & déja enrichi des libéralités de plufieurs Princes. Ce fut un attrait pour Zotton; il vint 1'attaquer pendant la nuit, enleva les tréfors de 1'Eglife, & fit rafer le batiment. Les Moines s'étant fauvés pendant le pillage, fe réfugierent a Rome, ou le Pape Pélage leur donna un afyle prés de Saint-Jean de Latran. Ils y demeurerent jufqu'a 1'Abbé Pétronax, qui commenca en 720, & releva Ie Monaftere. Je fuis ici le fentiment du P. Mabillon, qui place en 582 la deflrucfion du mont Caflin : les autres Auteurs retardent eet événement de plufieurs années. Voila ce qui fe paffa de plus remarquable fous le gouvernement des Ducs Lombards, qui fubfifta jufqu'a la troifieme année de l'Empereur Maurice. Je vais reprendre 1'hiftoire des dernieres années de Juftin.  nu- Bas-Empire. Liv. LI. 243 La treve d'un an aecordée par le Roi de Perfe, étoit prés d'expirer, & Tibere, chargé depuis peu du foin des affaires, n'avoit pas encore eu le temps, ni de lever des troupes, ni de faire les préparatifs néceffaires pour une guerre li importante. II balancoit fur le parti qu'il avoit k prendre. II defiroit la paix; mais il penfoit que de la demander, ce feroit déshonorer fon avénement k Ï'Empire. Chofroës le tira de eet embarras, en lui envoyant le premier un Ambaffadeur. II offroit la paix, mais a des conditions fi dures, qu'il eut été honteux de 1'accepter. Sa lettre pleine d'arrogance étoit adreffée k Sophie; elle répondit qu'on enverroit inceffamment des députés pour traiter avec le Roi. L'intention de Tibere étoit de ne faire la paix que pour deux ou trois ans, dans 1'efpérance que eet intervalle lui fuffiroit pour rétablir les forces de Ï'Empire , & fe mettre en état de rabattre 1'orgueil de Chofroës. Mais le Roi, qui pénétroit fon deffein , vouloit actuellemeni la guerre, ou une paix de plus longue durée, k condition que L ij Justin II. Ann. 575. IX. NégociationsavecChofroës. Menand. p. IlS, 119, 157.  Justin II, Ann, J7J. I » i x. Inconf- I tance des T AIba- 1 niens & t des Sa- r kirs. i Menand. „ P. 119. P JJ8.'59. & c< d; i»i II! ne *44 ^/^to/^ annévT31115 ^„P^^ent chaMébodès, qui fur nall3faire le «vfge uir les terres de 1'Empire. Une fi prompte mcurfion fit confentir les eputes Romains au payement andes trente mille pieces d'or;ils furent que la paix ne feroit con! Jue que pour trois ans. Chofroës, te ion cote, en excepta 1'Arménie >u il fe referva la liberté de porter es armes. ^ Cette exception mettoit les Ro^nsen droit d'agir dans ces mê*es contrees. L'Ibérie & la Perfar1eme, que Chofroës vouloit reti•f d« ma,ïn* de l'Empereur, alour saffurerdespays vo.fin b curj . Iheodorequi commandoient dans ns lAlbame,&forcerent les hatante de leur donner des ötages. 1 r^»rent les Sabirs a la même ceiute; & ces deux nations voyant  du Bjs-Empire. Liv. LI. 245 leurs enfants au pouvoir des Romains, fe déterminerent a fe donner touta-fait k 1'Empire» Leurs députés furent bien recus de Juftin , qui fe mêloit encore du gouvernement dans les intervalles que lui laiffoit fa maIadie : il leur promit un traitem ent favorable , ajoutant avec fa vanité ordinaire , qu'ils prenoient le bon parti en fe foumettant volontairement , & qu'il fauroit bien forcer par les armes, ceux qui refuferoient de lui obéir. Abir , Chef de cei peuples , étoit alors abfent; dés qu'il fut revenu, il changea la difpofition des efprits ; & fans égard aux étages, il engagea la plus grande partie des Sabirs & des Albaniens k rentrer fous 1'obéiffanee du Roi de Perfe. Auffi-tót Curs & Théodore retournerent en Albanië ; ils ravagerent le pays 't &z pour s'affurer de ceux qui n'avoient pas encore abandonné le parti des Romains, ils les firent pafler en-deca du fleuve Cyrus avec toutes leurs families, pour les établir fur les terres de Ï'Empire. Juftin ne fut pas content de cette conduite modérée, il auroit voulu L lij JustinIL Ann. J7V.  JüstinII. Ann. 57j. Ann. 576. XI. Chofroës marche en Armé- j Jiie, | 1 24Ö H I S T 0 I & E qu'on exterminat entiérement & les Afoamens & les Sabirs; il menacoit de _ punir les Généraux & 1'armée entiere employée k cette expédition. Ces menaces du Prince, qui étoient un effet de fa démence, firent tant de peur aux foldats, qu'ils déierterent tous, & abandonneren! leurs Generaux; en forte que le pays demeura fans troupes & fans défenfe. Chofroës profita de ce défordre; Sc quoique la coutume des Rois de Perfe fut de ne fe mettre en campagne que bien avant dans 1'été, il jaffa le Tigre dans les premiers jours iu pnntemps k la tête d'une nomireufe armée, & marcha vers 1'Arnénie. Tibere n'ayant point encore ie troupes a lui oppofer, efiaya de 'arrêter par une négociation. II lui it^favoir par Théodore, qu'il étoit rêt d'envoyer des plénipotentiaires our terminer le différend furvenu li fujet de la Perfarménie. Chofroës oulant tenir les Romains enfufpens, lifia Théodore a Dara pour y atïndre fa réponfe , & continua fa nite. Cependant Tibere levoit des oupes ; il nomma pour comman-  du Bas-Empihe. Livi LI. 247 der 1'armée, Juftinien, fils de Germain , & frere de Juftin affalïiné dans ■ Alexandrie. C'étoit un guerrier habile & renommé pour fa valeur. Mais la lenteur des préparatifs, jomte au défaut d'argent pour payer les troupes , donna le temps a Chofroës de faire des conquêtes. II entra fans réfiftance en Perfarménie ; on eut dit que les habitants n'avoient pas ceffé de lui obéir; loin de s'enfuir & d'abandonner leurs campagnes , ils venoient en foule apporter des vivres a fon armée. II remit a iin. autre temps la punition de leur révolte. Mais lorfqu'il eut pénétré dans 1'Arménie Romaine, il në trouva plus qu'un vafte défert : tous les habitants avoient pris la fuite avec leurs troupeaux. Théodore, impatient de 1'attendre k Dara , vint le trouver en ce pays. Chofroës Famufa par de belles paroles & par un air de bienveillance, qu'il ne favoit jamais mieux prendre, que lorfqu'il en manquoit dans le cceur. II lui protefta qu'iï aimoit ttndrement Tibere, & quht ne dejiroit rien tant, que de fe lier ave< lui de ï'amiüé la plus étroite : qu'L L iv USTINlli. i.nn. 576;  Justin II. Aan, 576. 1 < ( a e 1 a fi rr d d: b) te d< ni fo tei ro m pk tio Da -43 H 1 S T O t R F nmtoit grande différence entre ce Prince ■ J,9;n \ T c ét°" Jufbn qui avoit nole le trauédepaix, ^comLcé Z ferremjufi. Suive^noi, lui dit-il; sfi vous voye{ vos Provinces inondées i'M§,fonge{ que tejl la perfidU de 'f^^rneforcedier^andre. II ri en meme-temps Ia route de Theo- !ofiopohs;& étant arrivé è Ia vue de Cl> 1 nanSea lui'mè™ rrnee en bataille, courant k cheval nrre les rangs , pour faire voir k heodore, que, malgré fon grand •ögable. Un corps de troupes Roames qui s'étoit raifemblé au bruit " famarche»PO»éfurlepenchant une rnontagne peu éloignée, fem- mpler l armee des Perfes. Théo'fiopobs etoit Ia clef de 1'Armé- Va Jimatjon avantageufe & fes rtifications la mettoient en état de »r en bride tout le pays. Chof"S c°mptoit bien s'en rendre maien peu de temps ,& en faire fa eed armes pour acheverla réducn de } Armenië & de 1'Ibérie. ns la joie que lui infpiroit cette  éü Bas-Ëmpïke. Liv. LI. 249 flatteufe idee, il fit venir Théodore , & lui montrant Théodofiopolis: Laquelle des deux , lui dit-il, juges-tu plus dijficile d prendre, de cette forterejfe ou de Dara? II vouloit lui faire entendre, que s'il avoit pris Dara, place beaucoupplus forte, il viendroit aifément a bout de forcer Théodofiopolis. Prince , lui répondit le députe, la plus imprénable fera celle dont' Dieu aura voulu prendre la déferife. La fagefle de cette réponfe fut confirmée par Pévénement. Après plufieurs attaques inutiles , Ie Roi fut obligé de renoncer a fon entre-. prife. La ville pouvoit faire une longue réfiflance; & 1'armée commandée par Juflinien étoit en marche» Chofroës renvoya Théodore a Conftantinople avec une lettre adreffée a Tibere ; il lui mandbit qu'il ne defiroit que la paix générale, & que fi Théodore étoit arrivé avant qu'il fe mit en campagne, il ne feroit pas forti de fes Etats ; mais qu'ayant fait marcher fon armée , ne pouvoit reculer fans honte : que dès qu'il feroit retourné en Perfe, il enverroit des plénipotentiaires fur la frontierc pour confértr avec ceux L v Justin II. Ann. 576.  Justin II. Ann. 576. XII. Bataille de Mélitine. Eufiathiiti in vita \ fancii Eutyehii. 1 Evag. I. 5. i e. 14, ij. . Abb. Ei, dar. 1 Niceph. T Call.l.jS. j C. 2. Simocat. (■ l. 5.C. 12, C Theoph. p. 212. t Cedr. p. J( 393. 17. ii f< P b d B 25° H I S T O I R E que Tibere auroit choijis. Comme Théodore le fupplioit de s'abfienir de toute hoftilité en attendant la réponfe de Tibere, il promit de fe tenir en repos pendant quarante jours , Sc Ieva le fiege de Théodofiopolis. II lui eut été dirficile de tenir pa■ole. Juftinien , a la tête d'une arnée nombreufe, étoit prés d'entrer ?n Cappadoce. A cette nouvelle , chofroës réfolut d'aller au - devant le lui, efpérant le rencontrer avant ro'il fut arrivé a Céfarée, vers la[uelle il dirigea fa marche après a'oir pafte 1'Euphrate. Comme il ap•rochoit de Sébafte dans le Pont, ous les habitants des villes & des ampagnes voifines fe réfugierent ans Amafée, comme dans la plus arte place du pays. Eutychius, Pa-iarche de Conftantinople , alors exi: dans cette ville , donna en cette ccafion des marqués d'une charité lépuifable. Une extréme famine dé>loit toute la Province; il fe déouilla généreufement de tous fes iens pour nourrir cette multitude z fugitifs, tant que les Perfes deeurerent en-deca de 1'Euphrate.  du Bas-Empire. Liv. LI. 251 Juftinien faifoit plus de diligence que n'avoit penfé Chofroës ; il avoit déja paffé Céfarée; & le Roi de Perfe defcendit dans les plaines de la petite Arménie vers Mélitine, pour lui livrer bataille. II rangea fon armée fur beaucoup de hauteur, pour lui donner plus de force dans le choc. Les Romains , au contraire, préfentoient un front très-étendu ; ce qui, vu leur grand nombre, n'empêchoit pas que leurs rangs ne fuffent ferrés & leurs files profondes. Les deux nations fe redoutoient mutuellement : la préfence de Chofroës , fameus par tant d'exploits, intimidoit le« Romains ; & pour ranimer leur courage, Juftinien eut befoin de cettf éloquence guerriere, dont les an ciens Généraux favoient faire ufagi avec tant de fuccès. Les Perfes, di leur cöté , ne pouvoient voir fan terreur cette épaiffe forêt de lan ces & de cafques, dont les vafte plaines de PArménie paroiffoient hé riffées, auffi loin que leur vue pou voit s'étendre. C'étoit le plus gran effort que Ï'Empire eut fait depu plufieurs fiecles. Tibere avoit épuil Lvj Justin II. Ann. 576. i S i s é  Justin II. Ann. 576. 1 i « i 1 J s il I P d 252 U 1 s t 0 1 R E de foldats tous les pays de fon obéiflance; il avoit attiré fous fes drapeaux des bords du Rhin , du Danube , du Pont-Euxin , & du nord de la mer Cafpienne, un nombre inhm de ces aventuriers barbares, qui n avoient de reffource que dans le pil age & la guerre. Cent cinquante mille hommes, tant cavalerie qu'infantene , s'avangoient en bon ordre; & Ie fon de tant de clairons & de trompettes, les cris divers de tant de nations, mêlés au henniffement des chevaux , jettoient 1'effroi dans tous les cceurs. Chofroës lui-même [emit la peur pour la première fois, Sc differant de faire fonner la charge, I amufoit les Romains par des déis & des combats finguliers. Dans •et etat d'incertitude , oü fembloient Iotter les deux armées, Curs , Scyhe i de nation , renommé. pour fa aleur, è qui Juftinien avoit confié ; commandement de 1'aiJe droite elance a la tête de fes efcadrons; renverfe tout ce qu'il rencontre ; t ayant détruit 1'aïle gauche des erfes , il pénetre jufqu'a la queue ï leur armée j il s'empare de la  du Bas-Empire. Liv. LI. «53 tente du Roi & de tous les équipages , a la vue même de Chofroës, que le refte de 1'armée Romaine tenoit tellement en échec, qu'il n'oïoit détacher aucune partie de la fienne. Enfin, Curs, fuivi de fes troupes vief orieufes, chaffant devant lui les bêtes de fommes chargées d'argent & de dépouilles, avec le char & 1'autel oii brüloit le feu facré , objet de 1'adoration des Per fes, vint fur le foir rejoindre fon Général , remportant tout 1'honneur de cette journée. La nuit étant venue , comme les deux armées fe féparoient, Chofroës , a la lueur d'un grand nombre de torches & de flambeaux, tomba fur un corps avancé de troupes Romaines , le tailla en pieces, & gagna Mélitine qu'il trouva abandonnée. II y mit le feu, & fe difpofoit a repafler 1'Euphrate, lorfqu'il fut averti que les Romains marchoient, & qu'ils étoient prêts de 1'atteindre. Auffi-töt faifi d'épouvante , il monte fur un éléphant, pafte le fleuve, & laifie derrière lui toute fon armée, dont la plus grande partie fut engloutie dans les eaux. Ce Prince fier, cou- JustinII, Ann. 576.  Justin II. Aan. 576. XIII. Ravage de la Perfe. I i 1 i t 1 s54 Histoiüle vert de honte, fe retira au fond de fes Etats; & voulant épargner a fes fuccefTeurs 1'affront qu'il venoit d'effuyer lui-même, il fit une loi auffi honteufe que fa défaite , dont elle éternifoit la mémoire : elle défendoitaux Rois de Perfe de jamais marcher en perfonne a Ia tête de leurs armées, quand il s'agiroit de combattre les Romains. Conftantinople attendoit avec inquiétude des nouvelles de la bataille, lorfqu'on y vit arriver les témoins les plus afTurés de la vifloire. Cetoient vingt-quatre éléphants chargés iu tréfor de Chofroës & des dépouilles les plus précieufes enlevées lux Perfes. Ce fut pour toute la ville in magnifique fpeftacle , & un beau ïijet de triompbe pour l'Empereur, i qui Juflinien envoyoit ces gloieux préfents. Ce Général profitant le la terreur que la défaite avoit réjandue, pafla 1'Euphrate & le Tigre, >c pénétra dans 1'intérieur de la Perfe ans trouver de réfiflance. Tout fuyoit levant lui; & la conlternation avoit ellement glacé tous les cceurs, que ?s Romains portant de toutes parts  du Bjs-Empire. Liv. LI. 255 le fer&le feu, s'avancerent jufqu'aux bords de la mer d'Hyrcanie. lis s'emparerent des vahTeaux qu'ils y trouverent, coururent toute la cöte méridionale , pillerent &c brülerent les villes maritimes, èc pafferent 1'hyver entier dans le cpeur de ce Royaume opulent, dont les armées Romaines n'avoient jamais impunément infulté Ia frontiere. Ils ne revinrent fur les terres de Ï'Empire , qu'au folftice d'été de 1'année fuivante, &c ramenerent avec eux une fi grande multitude de prifonniers, qu'un Perfe n'étoit vendu qu'une piece d'or de la valeur de treize k quatorze francs de notre monnoie. Tant de difgraces détacherent de Chofroës la plus puiffante tribu des Sarafins. Le Prince de Hira, nommé Monder ou Alamondare , comme fes prédéceffeurs, vint offrir fes fervices a Tibere , qui le renvoya chargé de préfents. Les Perfes eux - mêmes n'étoieni pas mieux difpofés k 1'égard de leut Roi. Chofroës n'étoit plus k leun y{eux qu'un vieillard imbécille, incapable de les défendre ; tout retentif- JustinII. Ann, 576. Ann. 577, XIV. Conférencespour Ia paiK.  Justin II. Ann. 577. Menand. />• H9 & Theoph. By\. p. 183. Simoc. 1. 3. c. 15. Suid. voce Ta.yyo la Perfe , étoit venu a bout de le ver une nouvelle armée. Au-lieu d Justin IT. Ann.177* XV. Elles font rompues.  Justin II. Ann. 577. < 4 I 1 I I r r li n d c c C XVI. Rétablif- le femenc i„ d'fiuty. Ia ?58 HlSTQlug trainer a fa fuite une multitude d'élephants de charriots, de payfans mal armes & tout 1'attirail embarraflant du fafle & de la magnificence feriane, d avoit choifi les foldats Jes plus yaillants & les plus expérimentes; il les avoit pourvus de bonnes armes ; & è la tête de cette troupe pleine de vigueur , il étoit alle attaquer Juflinien en Arménie, 3*par une éclatante viftoire , il lycut pris la revanche de la défaite de -holroes. Cet heureux événement •eleva le courage du Roi de Perfe, * ht hauffer Ie ton de fes plénipoentiaires. Le Roi leur manda qu'il ie confentiroit jamais k rendre Daa;& quoique Mébodès, Chef des déutes de Perfe, fit enten dre fe ere teient k Zacharie, que Ie Roifereicheroit fur ce point pour une fomie d'argent, les Romains, rebutés e tant de délais , de tant de chimes, de variations, rompirent les >nferences > & s'en retournerent a onftantinople. Eutychius étoit alors rétabli fur fiege de cette ville. Juflin 1'avoit ifle dans fon exil, jufqu'a la mort  nu Bas-Empire. Liv. LI. 259 de Jean le Scholaftique. Tout le peuple demanda fon retour , &C le recut comme en triomphe avec les plus vives démonftrations de joie. Jean, moins célebre que lui par la fainteté, le fut davantage par la fcience du droit Eccléfiaftique. II fit une nouvelle colleüion de canons. Aulieu de ranger de fuite les décrets de chaque Concile, il réduifit fous un même titre ceux des divers Conciles qui appartenoient a la même matiere, & difpofa ainfi prefque tous les canons fous cinquante titres. II compofa auffi le Nomocanon, dans lequel il compare les loix de 1'Eglife avec celle des Empereurs , Sc furtout avec les Novelles de Juftinien i preuve évidente de Terreur de ceux qui ont attribué eet ouvrage a Théodoret. L'année s'étoit paffée en négociations inutiles, & la guerre alloit fe rallumer avec plus de vigueur. Tibere , mécontent de Juftinien , qui venoit de perdre par fa défaite toui le fruit des fuccès ■ précédents , lt rappella, & choifit pour le remplaeer Maurice, Commandant de la gar JustinII. Ann. 577' chius fur le fiege de ei\ Eujiac. in viui Eutychii. Evag. I. 5. c. 16. Theoph. p. 209j 210. Ann. 578. XVII. Maurice envoyé en Orient.I Evag. I. J. c. 19.  Justin II. Ann. 578. Menand, p. 124, lij. Simocat. £ j. c. ij, 16. e/ar. Suid. ratio. Mavpl- X-lüf & fpevoy. 1 1 1 a f; d c: ir fe fo di fo re li jat tic de tli s to m* de Impériale. Maurice étoit né £ Arahffe en Cappadoce , d'une famille onginaire de Rome. Elevé dans les emplois du palais, il n'avoit 3n;^?re/ait> Suerre5 mais fon genie etendu, fage , folide, également eapable de grandes vues & de details, de fe déterminer par lui! meme & de prendre confeil , le ailoit regarder comme un homme i un merite univerfel. Réglé dans fes nceurs il ne donnoit rien au pjai& les progrès de fa fortune, miquement due a fa vertu, n'a- uftente de fa vie. Sa conduite dès ' Fff^re campagne juftife le choix e Tibere. Dans les fiecles oü la dif. pline Romame étoit en vigueur, iaais les Romains ne campoient fans Rancher:]le premierouvrage du Idat, lorfqu'il étoit arrivé au lieu 1 campement, étoit de creufer un le, & de planter la palifTade. Le lachement & la pareffe avoient aboeet ufage. Maurice le rétablit, & nais il ne campa fans cette précaun, qui mettoit 1'armée a couvert ' iurprifes , & qui épargnoit le  Dü Bas-Empire. Liv. LI. a6i nombre des gardesavancées, toujours moins füres que de bons retranchements. La treve de trois ans, conclue pour 1'Orient entre Chofroës & Tibere , n'étoit pas encore expirée; & les Romains, fideles a la convention , ne formoient point d'entreprifes hors de PArménie. Mais le Roi de Perfe, moins fcrupuleux fur 1'obfervation des traités, donna ordre k fes Généraux de ne faire aucune diftincf ion entre les Provinces, & de ne rien épargner du domaine de Ï'Empire. Maurice n'avoit pas encore raffemblé fes troupes, lorfque les Perfes s'emparerent de la fortereffe de Thomane qu'ils trouverent dépourvue de garnifon , & ravagerent les environs de Théodofiopolis, de Conftantine & d'Amide. Tamehofroës apprenant que Maurice approcheit avec une armée beaucoup plus forte que la fienne, ne jugea pas k propos de Pattendre ; il fit fa retraite au travers de 1'Arzanene. Maurice le fuivit k grandes journées, & 1'auroit atteint, s'il n'eüt été arrêté par une fievre ardente que lui cauferent les grandes Justin II. Ann. 578. XVIII. Première campagne de Maurice.  Justin II. Ann. 578. XIX. Attaque •'ie Chlomare. 262 HlSTOIRE chaleurs du climat. Dès qu'il fut revenu en fanté, il fit le dégat dans PArzanene , oü il ne trouva point de réfiftance ; il s'empara d'une place forte nommée Aphumes, ruina plufieurs autres forterefles , & fit un nombre infini de prifonniers, qui furent envoyés a Tibere. On en tranfporta dix mille dans 1'ifle de Cypre, qui manquoit d'habitants. II s'arrêta quelque temps devant Chlomare; c'étoit une place de défenfe, ou commandoit un brave &C fidele Capitaine Perfe, nommé Bigane, bien réfolu de périr plutot que de fe rendre. Cependant lorfqu'il vit mettre les machines en batterie & ouvrir les fouterreins, il députa PEvêque pour dire a Maurice, que fa place étoit peuplée de Chrétiens dont il alloit caufer la perte , s'il s'obf tinoit aux attaques; que s'il vouloit fe retirer, il étoit prêt de lui mettre entre les mains tout ce qu'il y auroit cÜor & d'argent dans la ville; que pour lui il ne fe rendroit jamais, tant qu'il lui re/ïeroit un fouffle de vie ; que c'étoit d Maurice a dêcider s'il préféroit la pcjftfjion (f un monceau de pierres d la conferva-  nu Bas-Empire. Liv. LI. 263 üon de tant de malheureux, qui adoroient le même Dieu que lui. Maurice recut FEvêque avec honneur, & après 1'avoir long - temps entretenu , pour chercher les moyens de gagner Bigane, il le chargea de lui dire, que s'il ouvroit fes portes aux Romains , il trouveroit auprès de l'Empereur des emplois plus honorables & bcaucoup plus de richejfes quil n'en pojfédoit fous la domination de Chofroës. Mais les ofFres les plus brillantes n'étoient pas capables d'éblouir une ame généreufe, qui n'envifageoit que fon devoir. Bigane répondit, qu'il n'accepteroit pa. même une couronne, pour manquer d foi d fon maitre lêgitime; & avec cett< réponfe, il fit porter a Maurice le vafes facrés & tous les ornement précieux de 1'Eglife de Chlomare, 1< priant de les accepter comme la ran con de la ville. Le Général Romaii rejettant ces préfents avec indigna tion : Je ne fuis pas venu ici, dit-il pour pïller les Eglifes; mais pour le ajfranchir de la fervitude óii elles gémij fent fous 1'Empire d'une nation impi Après un entretien fecret avec 1'E vêque , il le congédia. Bigane, aul Justin IIAnn. 578, » S 1  Justin II. Ann. 578. XX. Tibere Empereur.Evag. I. 5. c 11, IJ. Simocat. L 3. c. 16. Niceph. Call.l.i7, e. 40. I. 18. c. i. ! Chr. AUx. j Grtg. Tur, hifi. Franc, 264 HlSTOIRE prudent qu'il étoit ferme & incorruptible, en concut du foupcon; il fit arrêter le Prélat, & le tint étroirement enfermé, tant que dura le fiege. Les efforts des Romains furent inutiles : après de vives attaques & des affauts réitérés, ils fe virent forcés d'abandonnerleur entreprife. Maurice s'avanga vers Nifibe, & ravagea tout le pays jufqu'au Tigre. II fit pafler au-dela de ce fleuve un détachement de fon armée fous la conduite de Curs & de Rbmain , qui firent le dégat dans les contrées voifines; il prit la fortereffe de Singare; & aux approches de 1'hyver, il donna des quartiers a fes troupes en Méfopotamie, La fage conduite de Tibere rele* voit en Oriënt la réputation de Ï'Empire , tandis que fa bonté, fon équité, fon application aux affaires foulageoit les peuples, & ramenoit le bon irdre dans 1'intérieur de 1'Etat; fon iffabilité le faifoit aimer. II étoit lijéral avec magnificence, perfuadé jue les bienfaits ne doivent pas feuement fe mefurer fur les befoins de :elui qui recoit, mais auffi fur la grandeur  du Bas-Empire. Liv. LI. 265 grandeur de celui qui donne. Loin de ravir" d'une main ce qu'il auroit prodigué de 1'autre, il déteftoit comme 11 n tribut hömicide, Por & l'argent qui" auroit été trempé des larmes des fujets. II remit les redevances d'une année entiere. II répara les ravages qu'Adaarmane avoit faits en Syrië , & dédommagea même avec ufure les propriétaires des pertes qu'ils avoient efluyées. II réprima par des loix féveres, les concuffions, qu'un abus criminel fembloit avoir rendues légitimes; les Magiftrats fe croyant en droit de reprendre fur les peuples les fommes qu'ils avoient débourfées pouracheter leurs charges. II ne connoiflbit de bonheur que celui de fes fujets; il voulöit qu'ils régnaffent avec lui; 1'Etat faifoit fa familie, & le nóm de pere de fes peuples le flattoit bien plus que celui de maitre. II trouvöit toutes fes reffources pour la guerre dans la noble fimplicité de fa table , de fon cortege, de fes équipages, & dans le retranchement de tout eet appareil de luxe, que la vanité infinue a la grandeur comme une dé- Tome XI, M Tibere. Ann. 57S. 1.5. c. 20, 31. /. 6. c. 30. Theoph. p, 205,211. Cedr. p. 39». 39z> 393- Manajf. pag. 71. Zon. t. li. p. 72. Co dm. orig. p. 20, 44. Joel. p. '73- Hift. mifi. I. 16, 17. Suid. voce Paul diac. I. 3. c. II, 12 , I?. Pagi ai Bar.  Tibere. Ann. 578. a<5 fin- * Simocat. /. 'tH 3- c 16, fu pa 274 H 1 s t 0 1 r e tous les jours. Plongé dans une fombre mélancolie depuis la bataille de Mélitine, les pertes de la derniere campagne aigrifioient encore fes chagrins. 11 s'étoit avancé jufqu'aux frontieres le 1'Arzanene , & ce Prince accou:umé a porter le fer & le feu fur les erres de Ï'Empire, avoit vu de loin es flammes qui dévoroient fes Prodnces. Couvert de honte, & réduit tii défefpoir, il s'étoit retiré h Ctéiphon avec autant de précipitation, [ue s'il eut été pourfuivi par les Ronains. Tibere crut 1'occafion favoable pour renouer la négociation: rendoit la Perfarménie, 1'Ibérie, Arzanene, & Chofroës confentoitenn a la reftitution de Dara. La paix toit fur le point de fe conclure, lorfue le Roi de Perfe mourut après quainte-huit ans de regne. Hormifdas , fon fils & fon fuccefur, ralluma le flambeau de Ia guer- , prêt a s'éteindre. II traita avec dernier mépris les AmbafTadeurs 3mains , & rejetta leurs propofi>ns, quelque avantageufes qu'elles ff'ent k la Perfe. Ce Prince, fameux f les 'malheurs que lui attira fon  nu Bas-Empihe. 'Lïv. LI. 275 ïnfolent orgueil, eft un exemplé du peu de fruit qüe peut produire dans un mauvais naturel, la meilleure éducation. Chofroës avoit cönfié celle de fon fils a fon Viftr Buzurge Mihir, le perfonnage le plus favant & leplus vertueux de la Perfe. Les Hiftoriens Orientaux racontent ,- que ce fage Gouverneur voyant que fon éleve, après avoir paffé les nuits k fe divertir, donnoit au fommeil les matinées entieres, ne cêffoit de lui recommander la diligence , comme une qualité •néceffaire k un Souverain , pour va•queraux affaires de fon Etat. Le jeune Prince, fatigué de fes remontrances, commanda un jour a des gens 'affidés, d'aller attendre Buzurge de grand matin, lorfqu'ilfortiroit de chez lui pour venir au palais, 6c de le dé■pouiller. Cet ordre ayant été exécuté, le Gouverneur vint fe préfenter au Prince dans 1'état oü il fe trouvoif. Vous aurie^ évité cette trijle aventure, -lui dit Hormifdas , Jt vous avie^ été ■moins diligent. J'aurois encore moins rencontré.ces voleurs t repartit Buzurge, Jije métois Uvéplus matin qu'eux. Chof- roësi comme je Paj db ailleurs, fe M vj Tibere. Kwci. 579.' Zon. t. U. '• 71,. 73D'Herbc'ot. Bib!. Oritnt.auie nots Horwovz Sr Bvzur-  Tibere. Ann, J79» i ] 1 XXVÏII. Son ca« raftere. 2?S fflSTOIAX piquoit de philofophie; il aimolt è entendre difcourir fur. les matieres de morale. Un jour dans une conférence, il propofa cette queffion : Quelle etou la chofe la plus fdckeufe en ce monde^ Un Philofophe Grec prétendit que c'étoit une vieilleffe caduque jointe a la pauvreté. Un Indien foutïnt que Ie comble des maux étoit Ia maladie du corps accompagnée d'une grande peine defprit./'W vous trompe{ (ous deux, reprit Buzurge; le plus grand des maux que Chomme puijfe reffentir en ce monde, ejl de fe voir proche du terme de fa vie, fans avoirpradqué la vertu, & les deux Philofopb.es revinrent h fon fentiment. Les fentences que les Mufulmans citent encore de ce grand homme, & dont ils confervent le recueil, refpirent Ia morale même du Chriftianifme. Auffi lWoit-il fecretement embraffé; & malgré ce qu'il aroit a craindre de Chofroës, ennemi nortel de la Religion Chrétienne, il :n ofa donner des le§ons a Hormiflas , qui avoit affez de bon fens pour es écouter, & trop peu pour les metre en pratique. Ce Prince déguifa d'abord fon mé-  du Bas-Empire. Liv. LI. 277 chant naturel; mais bientöt tous fes vices éclaterent. Plus impie que fon pere, violent' jufqu'a la fureur, d'une avarice infatiable , il ne connoifToit de politique , que la fourberie & le menfonge. Ne tenant aucun compte de la juftice, il prétendit juger en perfonne les caufes de fes fujets; il caffa tous les Tribunaux, & le lien devint bientöt un théatre d'horreur. Les fautes les plus légeres étoient punies de mort; fa cruauté s'acharnoit par préférence fur les Nobles ; heureux ceux qu'il ne condamnoit qu'a finir leurs jours dans un cachot; quelques - uns périffoient par 1'épée ; la plupart étoient noyés dans le Tigre , devenu le tombeau des Grands de la Perfe. Quelques Hiftoriens font monter jufqu'a treize mille le nombre de ceux qu'il fit noyer. Une prédiction de fes aftrologues embrafoit encore fon humeur fanguinaire; ils 1'avoient averti qu'il feroit détröné par une révolte de fes fujets. II arriva pour lors, ce qu'on a vu plus d'une fois, que les vaines prophéties de ces impofteurs produifent elles-mêmes les maux qu'elles annoncent. La crainte d'un Tibere. Ann. J79»  Tibere. Ann, 579. XXIX. • II refufe Ia paix. j é 1 i c i 1 { t Ö?S . H l S T O I R JË foulevement le rendit cruel, & fa cruauté fouleva la Perfe. Enimêmetemps que fon avarice retranchoit.fur la paye & fur. la fubfiftance de fes troupes, il prodiguoit leur fang en les expofant aux plus grands périis ; il craignoit fes foldats comme des féditieux, toujours prêts a tourner leurs armes contre lui, & croyoit affertnir fa piuffance en affoibliffant fes armées. • Quoiqu'Hormifdas , par un .effet de fon orgueil naturel, n'eüt pas fuivi 1'ufage de députer a l'Empereur pour lui notifierr: fon avénement a la Couronne , 'Tibere réfolut de continuer avec lui la négociation commencée, lont la mort de Chofroës avoit feule ■etardé la conclufion. Ilordonna donc l fes Plénipotentiaires d'allèr trouver e nouveau Roi, & de lui préfenter ine lettre, par laquelle l'Empereur afTuroit de la difpofition fincere oii 1 étoit de faire la paix aux concütions bnt fon pere étoit convenu. Pour e concilier fon amitié, il lui renvoya n grand nombre de prifonniers Per;s, qu'il avoit raffemblés k Gonftannople, II av.oit porté la libéralifé  jju Bas-Empire, Liv. LI. 279 jufqu'a leur fournir des habits & toutes les commodités du voyage- Les Députés Romains arriverent a Nifibe, perfuadés qu'un préfent de fi grand prix alloit leur procurer Paccueil le plus favorable. En effet, les Perfes, & fur-tout les parents de ces prifonniers , les combloient d'honneurs, 8c ne pouvoient affez admirer la générofité Romaine. Mais Hormifdas eftimoit trop peu fes fujets, pour favoir gré a l'Empereur de les lui rendre. II méprifoit Tibere, & attribuoit k timidité , les démarches de ce Prince en faveur de la paix. Pendant que •les Députés étoient en chemin pour Ctéfiphon, un Secretaire du Prince vint au-devant d'eux , & leur demanda quel étoit le fujet de leur voyage. Zacharie & Théodore lui répondirent, qu'ils ne devoient en rendre compte qu'a fon maitre. Le lenderhain vint un autre Perfe , chargé, difoit-il, de lés conduire. Ce guide ne travailla qu'a les retarder , k les égarer, a les fatiguer par des détours qui les éloignoient de leur route; il les traitoit fansrefpecf & fans aucun égard, comme s'ils n'euffent été que des meffa- TlSERE. Ann. 579.  TlBJÏRE. Ann. 579. . i 1 1 i 1 i c X f t F t F c f< 2oO II I S T O I k B gers. II fuivoit en cela les ordres du Roi, qui vouloit avoir le temps de faire fes préparatifs de guerre, & de former des magafins de vivres dans Nifibe, dans Dara, & dans les autres places au-dela du Tigre; tout le pays ayant ete ravagé d'abord par les Romains, Sc enfuite par une multitude de fauterelles. Arrivés enfin k Ctéfiphon, les Députés furent fort mal recus des Miniftres, & plus mal en:ore du Prince. Après la lecture de a lettre de l'Empereur, remplie de emoignages de bienvieillance, il ré)ondit brufquement : Que jamais il ie rendrou Dara, non plus que Ni(ï't; que fon pere en ayant fait la con'uete, etoiten droit de s'en deffaifir, s'il t jugeoit d propos ; mais que pour lui , e feroit fe dêshonorer que de laffer perdre ucuneportion de l'héritage paterneL Son remier Miniftre paria après lui d'un 3n encore plus humiliant pour les .omains, dont il rabaiffoit les vic5ires en relevant la puiffance des erfes. Théodore & Zacharie furent ïtenus pendant trois mois, & gardés Dmme des prifonniers dans une mai>n tenébreufe qui reffembloit k xxn  nu Bjs-Empire. Liv. LI. a3i cachot, fi ce n'eft qu'elle étoit ouverte a tous les vents , & expofée aux injures de 1'air". On les congédia enfin; mais ce fut encore pour leur rendre le voyage plus facheux que leur féjour. On leur refufoit le nécelïaire; on les conduifoit par les chemins les plus difficiles; fouvent après une marche longue &c pénible, ils fe retrouvoient au même endroit d'oü ils étoient partis deux jours auparavant, L'un des deux tomba malade d'épuifement & de fatigue; & ils ne fortirent de la Perfe, qu'après avoir éprouvé tous les mauvais traitements, qu'une malice barbare peul inventer. Tibere ne comptoit pas tellemenl fur le fuccès de cette négociation qu'il ne fe mit en état de continuei la guerre. Dès le commencement di printemps, il avoit renvoyé Mauric< en Méfopotamie, & lui avoit donni pour Lieutenant, Narfès, un de fe Chambellans, grand homme de guer re, & que cette doublé reffemblane a fait mal-a-propos confondre avec 1 fameux Narfès, vainqueur des Goth; Outre les anciennes troupes, il avoi Tibere. Ann, 579. XXX. Maurice ravage fa Perfe. L Menand* . p. 168, [ 171. ' Simocat. I. i 3. c. 17. . Theoph. p^ 213. Cedr. p. i 394- Zon. torn.  Tibere. Ann, 579, Ann. 580. XXXI. Bataiüe de Cailinique.Evag. I. 5. : c. 20. Simocat. ' ' l. J. c 17. 1 Niceph. Catt.l.iS. c. J. t Zon. t. II. ƒ P- 73- ; Hifl.mifc. 1 l. I7. 222 & I S T O I & z levé parmi les barbares , fujets oüafliés de Ï'Empire, un nouveau corps de quinze mille hommes , dont les foldats furent appellés Tibérhns. Maurice avoit ordre de fe tenir prêt k tout événement, d'obferver les mouvements des Perfes, & de pouffer Ia guerre avec vigueur, fiHormifdas refufoit de faire la paix. Ces fages précautions eurent leur effet. Dés que Maurice eut appris le peu de fuccès de 1'ambaffade , il paffa le Tigre, campa fur les bords du fleuve, & fit avancer un gros détachement, qui ravagea la Médie. Aux approches de 1'hy ver , Maurice fe retira a Céfarée en Cappadoce. Au printemps, il fe rapprocha de l Euphrate, & vint paffer ce fleuve a Circefe. Son deffein étoit de trarafer les déferts qui terminent la Méopotamie au midi, & qui ne font ha«és que par des Arabes Nomades. - etoit la route la plus courte pour narcher k Ctéfiphon. Mais un Chef les Sarafins qui accompagnoit Mauice, AIamondare,inconftant& perde comme fa nation, après avoir iformé fecretement le Roi de Perfe  iw Bas-Empire. Liv. LI. 2S3 de la marche des Romains, refiifa de fuivre 1'armée, & s'en détacha avec fes gens, fous prétexte qu'il ne vouloit pas combattre les Arabes fes amis & fes alliés. Sur 1'avis qu'il avoit donné, une armée de Perfes, commandée par Adaarmane , approchoit 'déja de Callinique, menacant de paffer 1'Euphrate , & de porter en Syrië le même ravage que ce Général y avoit fait fept ans auparavant. Maurice, allarmé de cette nouvelle, brüla les vaiffeaux chargés de bied , qui le fuivoient fut 1'Euphrate; & prenant avec lui ce qu'il avoit de troupes légeres, il courut en diligence a Callinique, arrêta la marche des ennemis, & ayant donné au refte de fes troupes le temps ds le joindre, il les rangea en bataille. Dans 1'armée des Perfes étoit un grand nombre de ces Arabes, regardés conv me invincibles k caufe de la vitefle de leurs chevaux; ils fondoient fin 1'ennemi avec la rapidité d'un oifeai; de proie, & percant les bataülons, après un horrible carnage , ils échappoient avec la même légéreté. La vue de cette redoutable milice eftrayt Théodoric ■> qui conimandoit ce corpj Tibere. Ann. 5$ci. t  Tibere. Ann. 580. XXXII. Défaite des Maures enAfrique Abb. Bitlar, XXXIII. AmbafTa- 2§4 HlSTOlRB clesbarbares.-nommés les Tibériens: il ne voulut jamais avancer a la portee du trait; & foit trahifon , foit 13cheté , il s'enfuit avec toute fa troupe, fans même attendre le combat. Ce facheux contre-temps ne fit pas perdre courage aux Romains. Maurice , abandonné d'une partie fi confidérable de fon armée, mais plein de confiance dans le fecours du Ciel, chargea fi vivement les ennemis, qu'il les rompit, & les mit en fuite. Adaarmane fe fauvaau-dela du Tigre, laiffant è la merci des vainqueurs toute la Méfopotamie, oü les Romains reprirent plufieurs places, qu'ils avoient perdues fous les deux regnes précédents. En Afrique, 1'Exarque Gennadius faifoit une rude guerre aux Maures. Depuis quelques années, leur Roi Gafmul, renommé pour fa valeur, avoit battu fuccelfivement, & fait périr rhéodore, Théoftifte & Amabilis. [1 fut défait & pris dans un grand :ombat. Gennadius, pour veneer la mort des trois Généraux Romains, ui fit trancher la tête. L'alliance contraftée avec les Turcs  nu Bjs-Empire. Liv. LI. 285 fous le regne de Juftin II, n'avoit été fuivie d'aucun effet. Tibere fit une nouvelle tentative pour armer contre les Perfes cette formidable nation. II leur envoya en ambaffade Valentin, un de fes gardes, accompagné de plus de cent Turcs, qui fe trouvoient alors a Conftantinople, oü ils s'étoient établis en différentes occafions. Valentin prit la route de la mer; il fe rendit a Sinope , traverfa le Pont - Euxin , & alla débarquer k Cherfone dans la Taurique. De-la il fit le tour des Palus Méotides , & paffa par une contrée oü régnoit une femme, nommée Accagas. Anancai, chef des Outigours foumis aux Turcs , 1'avoit établie Reine de ce pays. Après un long & pénible voyage , Valentin arriva fur les terres de Tourxenth, fils de Difabul, dernier Khan des Turcs, qui s'étoit ligué avec Juftin contre Chofroës. Difabul venoit de mourir; & le titre de grand Khan étant paffé dans une autre familie, Tourxenth étoit chef d'une des huif tribus qui compofoient la nation Turque. L'AmbafTadeur lui expofa Tibere. Ann. 580. de de Tibere aux Turcs. Menand. p. 161 & fegq. M. de Gu'f gnes , hifi. des Huns. I. 5./>-39J 6- fuiv.  Tibere. Ann, 5S0. ! J i ) t t > » »: y. M » M » 286 H I S T O I H Ë Ie fujet de fon voyage : il avoit, difoit-il j traverfé le Caucafe pour faire part aux Turcs de 1'avénement de Tibere k Ï'Empire, & pour leur demander la continuation de leur alliance, & du fecours contre les Perfes. Lorfqu'il eut cefTé de parler : Vous êtes donc, reprit le Turc , ces Romains, ce peuple trompeur, qui en mpofe d toute la terre ? Alors met:ant fes doigts dans fa bouche & les •etirant auffi-töt: » C'eft ainfi, dit-i!, > que vous donnez,& que vous re» tirez votre parole. Lorfqu'une na- ► tion , féduite par vos feintes ca- ► reffes, fe jette tête baiffée dans ' le péril pour fervir vos deffeins > ambitieux, vous 1'abandonnez, & • vous profitez de fes travaux. Vous ■ ne cherchez, vous & votre maitre, qu'a nous tromper. Je n'uferai pas a votre égard du même artifice; les Turcs n'ont pas encore appris a faire ufage du menfonge. Je voüs le déclare franchement; je ferai repentir votre maitre de fa mauvaife foi. Dans le temps même qu'il traitoit avec nous, il fe liguoit avee les Abares, nos ef-  du Bas-Empirb. Liv, LI. 2-87 » claves révoltés. Qu'il fe maintienne »> dans cette alliance. Nous faurons » bien réduire les Abares k coups de » fouet, comme il convient k des w maïtres outragés de chatier leurs » efclaves; & s'ils ofent foutenir » notre vue., ils feront écrafés comm me des fourmis fous les pieds de »> nos chevaux. Et vous, Romains, » quelle eft votre impudence, de » nous dire que vous avez franchi » le Caucafe pour vous rendre ici; » comme s'il n'y avoit point d'au» tre route entre nos terres & celles » de Ï'Empire ? Vous prétendez fans » doute nous effrayer par la diffis> culté des .chemins, & nous faire »> perdre 1'envie de vous attaquer. »> Croyez-vous donc que le Niefter, » le Danube, 1'Hebre, foient pour » nous des fleuves inconnus ? Croy ez» vous que nous ignorions la route » qu'ont prife les Abares pour en» trer dans votre pays ? Je connois » vos forces; les nötres s'étendent » aufli loin que la courfe du foleil. ?> Les Alains, les Huns étoient plus ■» puiffants que vous; ils vous ont h. battus; ils ont ofé nous gombat- Tjbere. Ann. 5S0.  Tibere. Ann. 580. XXXIV. Succès de Tambaffade. 2S8 HlSTOIRE » tre, & font devenus nos fujets ". Cette rudefie barbare ne déconcerta pas Valentin. » Prince, répon» dit-il, fi ce n'étoit pas vous fou» haiter un déshonneur , qui vous » rendroit a jamais exécrable dans » la mémoire des hommes, je defi» rerois périr ici par votre épée, » plutöt que d'entendre taxer notre » Empereur & notre nation de mau» vaife foi & de menfonge. Daignez » modérer votre colere, & faire ré» flexion que des AmbafTadeurs font » les miniftres de la paix, & les » dépofitaires de la foi des nations. » Vous fuccédez a votre pere ; fon» gez que les alliances qu'il a con» traftées , font la plus noble por» tion de fon héritage. II a prévenu » nos defirs en demandant notre » amitié; il Ta préférée a celle des » Perfes. Nous n'avons rien fait pouf » perdre la votre; il feroit injufte » de nous Ia ravir. Entre deux amis, ►> celui-la fe rend coupable, qui »■ rompt le premier le lien facré qui » les unit ". Ces paroles adoucirent un peu la férocité du barbare. » Eh f » bien, dit-il, puifque vous êtes mes » amis,  du Bas-Empire. Liv. LI. 289 » amis, & que vous arrivez dans le » moment oü je pleure la mort ré» cente de mon pere, vous devez » prendre part a ma douleur, & me » donner des marqués de la votre. » C'eft avec le fang & non avec des » larmes que les Turcs pleurent la » perte de leurs parents & de leurs » Princes. " Aufti - tot Valentin & ceux de fa fuite tirant leurs épées, fe tailladerent le vifage k Pimitation des Turcs. Dans la cérémonie des funérailles, ils virent jetter dans une foffe profonde quatre prifonniers Huns, avec autant de chevaux des écuries de Difabul. Avant que de les faire égorger, Tourxenth leur ordonna , d'un ton terrible , de rendre compte k fon pere de la conduite qu'il tenoit dans le gouvernement de fes Etats. Après s'être entretenu avec Valentin pendant plufieurs jours, il lui permit de paffer plus avant, &l d'aller au mont Altaï trouver Tardou-Khan , fon parent, & le Souverain de toute la nation Turque. A fon départ, il lui déclara qu'il alloit attaquer la ville de Bofphore. En êffet, pendant le voyage de ValenTonu XL N Tibere. Ann. 580.  Tibere. Ann. 580, XXXV. Enrreprife des Ahares fur Sirmium, ] ] ] < < ( I I li h 290~ H I S T O I R E tin, le Général Bokhan, fecondé d'Anancai, chef des Outigours , prit cette ville, & s'empara d'une partie de la Cherfonnefe Taurique. On ignore ce qui fe pafTa au mont Akaï; mais il ne paroït pas que 1'ambaflade y ait eu un meilleur fuccès. Valentin , a fon retour, fut retenu par Tourxenth, qui ne le laifTa partir qu'après fa conquête. Dans le temps que Tibere follieitoit les Turcs de fe liguer avec lui contre les Perfes, les Abares enleverent a ï'Empire Sirmium , place importante, & la feule qui reftit aux Romains dans la Pannonie. Leur K.han ne pouvoit voir fans regret ;ntre les mains de l'Empereur, une rille qu'il regardoit comme faifant jartie de fa conquête. Réfolu de faire es derniers efforts pour s'en em>arer, il vint camper au confluent le la Save & du Danube, prés de 'indigon, aujourd'hui Belgrade, a lefTein de jetter un pont fur la Save, 'our affamer Sirmium en lui couant la communication avec la Mée. Seth , Gouverneur de Sindigon, ! voyant arriver avec un grand nom-  bu Bas-Empiiie. Liv. Li. 291 bre de bateaux qu'il avoit raffemblés dans fa marche le long du Danube , lui fit dire, » que dans un » temps oii les deux nations étoient » en paix, il ne concevoit pas ce » que les Abares venoient faire fur » la Save; que s'ils entreprenoient » de j etter un pont fur ce fleuve, » il s'y oppoferoit de toutes fes for» ces. Bayan répondit, qu'étant ami v> de Ï'Empire , il n'avoit d'autre » deflein que d'établir une commu» nication par Ia Save entre lui & » les Romains : qu'il efpéroit que » Seth voudroit bien donner paffa» ge k fes bateaux, ainli qu'aux dé» putés qu'il envoyoit k 1'Empereuri » qu'il n'avoit aucune intention de »' rompre avec Ï'Empire; mais que » fi les Romains s'oppofoient a 1'é» tabliffement du pont fur la Save. » ils ne pourroient s'en prendre qu'a » eux-mêmes de tous les maux qui » fuivroient la rupture de la paix". Pour confirmer ces paroles, il tira fon épée : » Je jure, dit-il, que je » n'ai nul deffein de rien faire au » préjudice des Romains ; li je penfe » autreaient, que je périffe moi & N ij Tibere. A.nn. 5S0.  Tibere. Ann. 580, 592 H I S T O I R E » toute ma nation; que le Dieu qui » habite clans le ciel falie fondre fur » nos têtes le ciel même & tous fes » feux : que les montagnes & les fo« rêts qui nous environnent, tom» bent & nous écrafent; que la Save » fouleve toutes fes eaux, & nous » engloutifle ". Après ces imprécations barbares, il demanda s'il y avoit chez les Romains quelque chofè de facré, qu'ils eufTent coutume de prendre k témoin de la vérité de leurs paroles; on lui apporta le livre des Evangiles; auffi-töt il fe leve de fon fiege, s'approche comme en tremblant du livre que 1'Evêque de Sindigon tenoit entre fes mains, fe profterne & s'écrie : Je jure por U Dieu qui parle dans ce faint livre, que je n'ai rien dit qui ne foit conforme d la vérité. Le Gouverneur, tronv pé par des ferments fi terribles, laiffa entrer les bateaux dans la Save, & donna paffage aux députés que Bayan envoyoit k Conftantinople. Ceux-ci étant arrivés, efiayerent de tromper l'Empereur par des proteflations d'une amitié inviolable; ils lui demanderent des vaiffeaux pour aller  nu Ujs-Empire. Liv. LI. 293 au-dela du Danube attaquer de nouveau les Efclavons ennemis de Ï'Empire. Mais Tibere ne fut pas dupe de leur artifke; il devina aifément que 1'unique deffein du Khan, étoit de s'emparer de Sirmium. II dilïimula cependant, & répondit, qu'il remercioit les Abares de leur bonne volome; mais qu'il les prioii d'en réj"erver l'effet pour un autre temps : que les Turcs attaquoient acluellement la Cherfonnefe ; que peut - être voudroient - ils poujfer plus loin leurs conquêtes, & que les Abares auroient befoin de toutes leurs forces pour leur réjifler ; qu'il feroit bientöt injlruit des projets de cette nation redoutable, & qu'il en injlruiroit le Khan. Les députés fentirent bien que Tibere vouloit les intimider, pour les détourner de rien entreprendre contre Ï'Empire : ils feignirent auffi d'ajouter foi a ce qu'il leur difoit des Turcs, & prirent congé de lui, après en avoir regu des préfents. En paffant par Plllyrie, ils furent rencontrés & maffacrés par un parti d'Efclavons. Pendant leur voyage, Bayan avoit fait travailler en diligence toute fon N iij Tibere. A.nn. 580, XXXVL Sirmium renduaux Abares.  Tibere. -Ann. 580, \ "94 fllSTOlRE armée k la conftruction du pont; & comme ces barbares s'entendoient peu k ces fortes d'ouvrages, il avoit forcé au travail des ouvriers Romains , que l'Empereur lui avoit envoyés quelque temps auparavant pour lui conftruire des bains. Dès que le pont fut achevé , il leva le mafque; & fans égard aux horribles ferments par lefquels il s'étoit engagé, il envoya dire a l'Empereur , » que fi 1'on vouloit éviter la guerre, » il falloit lui remettre Sirmium; que » cette ville bloquée de toutes parts » ne pouvoit lui échapper ; que fi » elle fe rendoit fans attendre les » attaques, il laifTeroit fortir la gar» nifon & les habitants avec tous leurs » efFets ; que c'étoit une barrière » dont il avoit befoin en cas de rup» ture avec Ï'Empire ; que cette » place fervoit de retraite aux défer» teurs; qu'enfin, elle lui appartenoit » au même titre qu'elle avoit ap» partenu aux Gépides , dont les » droits Jui étoient dévolus par la » conquête; qu'il n'écouteroit fur ce » point aucune compofition , tk qu'il » ne poferoit jamais les armes, qu'il  du Bas-Empize. Liv. LI. 595 » ne vit les Abares établis dans Sir» mium ". L'Empereur répondit : » que le Khan en violant fes fer» ments , déclaroit la guerre k Dieu » même; & que fi Ï'Empire manquoit » de forces pour fe venger, le fou» verain Arbitre des Empires fau» roit bien le punir de fes parju» res ". En même temps , il fit partir un Officier de marqué, nommêThéognis, avec ordre de raffembler promptement les garnifons d'Illyrie & de Dalmatie pour aller au fecours ,de Sirmium. Ces troupes s'étant rendues avec une extréme diligence dans deux petites ifles de la Save, nomméés Cafie & Carbonaire, Bayan demanda une entrevue, & s'approcha des bords du fleuve, oii étant defcendu de cheval, il s'afïit fur une chaife d'or au-deffous d'un dais enrichi de pierreries. Au-devant de fon vifage & de fa poitrine, on préfentoit un bouclier pour le garantir des traits, fuppofé que les Romains s'avifaffent de tirer fur lui. Théognis Sc fon efcorte fe tenoient éloignés a la portée de la voix. Alors les hérauts des Abares crierent de Ia part du N iv Tibere. A.nn. 580,  Tibere. Ann. 580. i i ( I < . 3 « i ] * I i 1 1 296 HiSTOlRE Khan : Que le temps de Centrevue feroit un temps de treve. Le Khan ne fit que répéter ce que fes députés avoient déja dit a l'Empereur; il ajouta feulement , que dans l'état ou étoit la place, tous les effbrts des Romains pour la /auver, feroient inutiles. Théognis répondit, qu'il étoit réColu de ne fe retirer de devant Sirmium , qu'après les Abares; & il fignifia au Khan qu'il eut d fe préparer d la ba'■aille pour le lendemain. Ce n'étoit 311'une bravade de Théognis; H n'avoit pas de forces fuffifantes pour ïafarder un combat; & au-lieu de uarcher aux Abares, qui fe préfenerent en bataifle pendant trois jours le fuite, il dépêcha un courier a 'Empereur pour Pinftruire de l'état lu fiege, & lui demander fes ordres. -a ville étoit aux abois; dépourvue le vivresdèsle commencement, elle effentoit déja toutes les horreurs de a famine. Le Commandant, nommé ialomon n'avoit aucun ufage de la ;uerre; les habitants , réduits au déefpoir, s'en prenoient aux Romains les maux qu'ils fouffroient; tout reentifioit de plaintes & de murmures.  du Bas-EmpiAe. Liv. LI. 297 Tibere, pour ne pas prodiguer le fang de tant de milliers d'hommes , confentit d'abandonner Sirmium , a condition que les habitants auroient la liberté d'en fortir chacun avec un habit. Le Khan exigea de plus qu'on lui payat fur le champ la penfion qui lui étoit due pour les trois dernieres années : c'étoit pour chaque année quatre-vingts mille pieces d'or. II demandoit encore que les Romains recherchaflent & lui remiffent entre les mains un de fes Officiers, qui 1'ayant outragé par un commerce criminel avec une de fes femmes, s'étoit fauvé fur les terres de Ï'Empire ; ck il s'obftinoit a n'accorder la paix qu'a cette condition. Cependant fur les remontrances de Théognis , qui lui repréfenta Timpoflibilité de trouver dans une fi vafte étendue de pays un malheureux fugitif, peut-être déja mort, il fe relacha fu ce point, & fe contenta de faire ju rer les Romains, qu'ils donneroien "leur foin a la recherche du coupa ble ; & que s'il vivoit encore, ils 1 renverroient au Khan fous une bonn efcorte. N v Tibere. Ann. 580. t e e  Tibere. Ann. 580. XXXVII. Emportement du peuple de Conftantinoplecontre 1'impie Anatolius. ] 4 i t i c ( a i 1. e n 298 HlSTQIRB Un tremblement de terre ébranla cette année & fendit de haut en-bas tous les édifices d'Antioche , fans les ahattre; mais le bourg de Daphné fut entiérement détruit. On vit alors dans cette même ville un exemple de ce zele fanatique, dont le peuple s'embrafe en faveur de la Religion qu'il ne connoit guere, & qu'il ne venge jamais qu'en 1'outrageant par fes violences. Un citoyen d'Antioche, nommé Anatolius, après avoir été :ocher du Cirque, s'étoit élevé par ie ne fais quels moyens de eet état néprifable, aux premières magiftraures. II s'étoit infinué dans la famiiarité de 1'Evêque Grégoire, & il iffecloit de le vifiter fouvent pour 'acquérir plus de crédit. On décou;rit qu'il étoit payen, & qu'il facriioit en fecret. II fut déféré aux Maïftrats, & arrêtéavec une troupe d'iolatres , dont il étoit le chef. Le ïouverneur de la Province, qu'il voit gagné a force d'argent, étoit ir le point de le mettre "en liberté, )rfque le peuple s'étant ameuté, surut aux portes de la prifon, mescantdele mettre en pieces, fjl'on  du Bas-Empzr.e. Liv. LI. 299 ofoit 1'en faire fortir. L'emportement de la multitude alloit même jufqu'a taxer hautement Grégoire de participer k cette cabale; & ce pieux Evêque courut rifque d'être la viftime d'un fi injufte foupcon. Tibere , informé de ce tumulte, voulut en connoïtre par lui-même ; il fit amener a Conftantinople Anatolius & fes complices. L'accufé endura la queftion la plus rigoureufe, fans charger 1'Evêque. Mais le peuple de Conftantinople fe porta a des excès encore plus violents que celui d'Antioche. Irrité de. ce que quelques - uns des moins coupables n'étoient condamnés qu'a 1'exil, il entré én fureur, force les prifons , fe faifit de ces miférables ; on les jette dans une barque de pêcheurs, on les briüe vifs a la vue de la ville. On n'entendoit que malédicfions contre les Juges, contre le Patriarche , contre l'Empereur même; c'étoit, difoit-on , de mauvais Chrétiens, des indifférents, des impies qui trahifibient la caufe de Dieü. On en vouloit fur-tout av Patriarche; & fi la Providence n< 1'eüt dérobé k ces fanatiques , ui N "vj Tibere. Anti, 5S0. L  Tibere. Ann. jSo* Ann. 581. XXXVIII Défaite des Perfes s Conftantine. , Evag. I. y. c. 20. J Niceph. I Call.l,i8. g «• 5- Simocat. ' /. 3. f. 18. 1 Menand. 1 p. 171 & fin- < Theoph. p. 1 211, 1 r c t HlS T 0 I R E Prélat irréprochable alloit être fs viöime de leur barbarie. On courut enlmte prendre Anatolius & les autres, qui furent trainés a Pamphithéatre, & déchirés par les bêtes féroces . dignes exécuteurs des fentences du peuple , qui leur reffemble dans fes fureurs. On attacha leurs cadavres a des potences hors de la ville ou les Ioups acheverent de les dévorer, Le fuccès des deux dernieres campagnes, fi malheureufes pour Ja Perfe Sc fi glorieufes k 1'Empire , rabat:irent Porgueil d'Hormifdas, fans en nfpirer a Tibere. L'Empereur n'en ;toit pas moins difpofé k faire la >aix , & le Roi de Perfe commen?oit k s'ennuyer de la guerre. On epnt^ les conférences , & pon fit 'n même -temps marcher deux arnees fous la conduite de Maurice * de Tamchofroës , qui allerent amper, Pune prés de Conftantine, autre aux portes de Nifibe. Ils a'pient ordre Pun & Pautre de fe teir dans leurs retranchements; mais etre toujours prêts d'entrer en acon au premier fignal qu'ils en re-  du Bas-Empire. Liv. LI. 301 cevroient de leur plénipotentiaire. C'étoit Zacharie pour les Romains, & Andigan pour les Perfes , tous deux également confommés dans le manege des négociations. Tandis que les deux armées demeuroient tranquilles, les deux Miniftres fe livroient mutuellement tous les affauts , &c mettoient en ceuvre toutes les rufes de la politique. Le Perfe s'obftinoit a refufer la reftitution de Dara, & a demander le payement des fommes dues en conféquence du traité fait avec Juftinien. Le Romain, au contraire, refufoit l'argent, & exigeoit que Dara fut rendu. Après beaucoup de débats inutiles , Andigan s'avifa d'un ftratagême qu'il crut propre k intimider Zacharie. Au milieu d'une conférence arrivé un courrier couvert de poufliere, & qui fembloit haraffé d'une longue courfe. II apportoit une lettre de la part de Tamchofroës , qui mandoit que 1'armée des Perfes, plus belle & plus nombreuft qu'elle n'avoit été depuis long - temps . brüloit d'impatience de combattre ; qu'u avoit beaucoup de peine d la contenir, & que fi les conférences ne fe terminoieni TlB-ERE. Ann. ;Si.  Tibere. Ann. jSi. 302 Hls T O I R E au plutót, il fe verwit ford de lacher la bride d fes foldats, & de les laffer courir le fer & la fiamme d la main fur les terres de 1'Empire. II étoit difficile d'en impofer k Zacharie; malgré les^feintes d'Andigan qui affectoit d'être fort en colere de cette précipitation, il fentit Partifïce; & prenant Ia parole : » Seigneur, dit» il, le déguifement & le menfonge » tournent h la honte de ceux qui » les employent, dès qu'ils font dé» mafqués. Renoncez a ces rufes » gróffieres, & ne prétendez pas » nous intimider. Nous avons entrew pris la guerrè a regret, & nous » fommes encore en difpofition de » préférer la paix. Mais fi vos fol» dats font fi empreffés de combat» tre, ne les contraignez pas; nous » fommes prêts a les recevoir; il ne » faudra qu'un jour pour leur en » faire perdre 1'envie ". En mêmetemps il fe retire, & fait favoir k Maurice que la conférence eft rompue, & que la querelle des deux nations ne peut fe terminer que par les armes. Tamchofroës recoit ie même avis, On s'avance de part &  nu Bas-Empire. Liv. LI. 303 d'autre dans les plaines de Conftantine, oü fe livre une fanglante bataille. Les Perfes font entiérement défaits, & Tamchofroës ne voulant pas furvivre afonhonneur, fe jette au milieu des bataillons ennemis, &z meurt en combattant. Maurice fe rendit a Conftantinople, comblé de gloire; & pour effacer la mémoire des affronts que Ï'Empire avoit trop fouvent recus des Perfes fous les regnes précédents , l'Empereur fe fit décerner 1'honneur du triomphe. Les exploits de Maurice & fes éminentes qualités, lui attachoient de plus en plus le cceur de Tibere. Ce Prince, dont la douceur mérite d'autant plus de louange, qu'elle étoit 1'ouvrage de fa vertu , étant combattue par un tempérament bilieux & mélancholique, dépériffoit de jour en jour. Quelques Auteurs ont écrit qu'ayant mangé a jeun des müres de mauvaife qualité, il tomba en phthifie. Quoiqu'il ne régnat feul que depuis quatre ans, cependant la perte de la vie & de la couronne Pinquiétoit beaucoup moins, que le danger oü fa mort alloit précipitej 1'Em- TlBERE. Ann. 581. Ann. 582,. XXXIX. Tibere nomme fon fucceffeur. Simocat. L. ï.c. I , 2, 10. 13. Evag. I. 5. c. 17 , 22. I. 6. c. 1. Niceph. Call.l. 18. c- 5,6,7, 8,9, 10, 42. Greg. Tur. I. 5. c. 20. /. 6, t. 30.  Tibere. Ann. 582. Abb. Bidar. Greg. I. 1. • 73. ; Hift. mifc. 1 A 17. ( Paul diac. A ï-c ij. 1 5W. ( vocibus i Mhciv- ' fyoc , ' M&vpi- 1 hlTTTI- . j Baronius. \ Pagi ad 1 Sar. H I S T O I R E pire. II n'avoit que deux filles, & il craignoit également de laiffer fon Etat en proie a 1'ambition des Grands, cc de fe donner un mauvais fuccefleur. Après de longues & férieufes reflexions , il fixa fon choix fur Maurice, & le nommaCéfar lecinquieme d'Aoüt s8x. II lui fianca en meme-temps Conflantine, fa fille aïtiee , & donna en mariage la feconde lommée Charito, au Patriee Gernam , le plus diftingué des Séna:eurs. Huit jours après, fentant qu'il 1 avoit plus que peu de moments a 'ivre, il affembla dans le veftibule lu palais de 1'Hebdome , oü il étoit dors, les Seigneurs de fa Cour, le iénat, les Magiftrats, les principaux labitants de Conftantinople, & le -lergé, a la tête duquel étoit le Panarche Jean, furnommé te Jeüneur, [ui, depuis quatre mois, avoit fuccédé Eutychius. S'étant fait porter en itiere fur un tröne, comme fa foilefle le mettoit hors d etat de fe faire ntendre, il fe fervit de 1'organe de ean fon Quefteur, homme éloquent, ïftruit des loix & des coutumes de Empire, & qui, chargé par fon mi-  nu Bas-Empire. Lh. LI. 305 niftere , d'exprimer les volontés du Prince dans fes édits, favoit le_ faire parler avec toute la dignité qui convient a la Majefté fouveraine. Cette augufte aftemblée , les yeux fixés fur Tibere, attendoit dans un profond fdence ce qu'il alloit leur déclarer, lorfque Jean s'étant levé fur les degrés du tröne, paria en ces termes au nom de l'Empereur : » Romains, depuis que laProvi» dence divine a daigné m'appeller » au gouvernement de eet Empire, » je n'ai vécu que pour vous, jene » me luis occupé que de vous; j'ai » partagé vos joies & vos peines: r> tous vos fentiments fe font réunis » dans mon cceur comme dans leut w centre. II eft bien jufte que vous » partagiez auffi les inquiétudes de y> mes derniers jours. Elles m'envi» ronnent, elles s'étendent fur cha» cun de vous, & dans cette grandf » afTemblée, il n'eft perfonne que ji » n'entende me dire au fond de moi » cceur : Tu as pris foin de ma proj » périté pendant ton regne ; cejl encot » ton devoir de fonger d me ï'affurer » fiand tu neferas plus. Que de crain Tibere, Ann. 582, Du Cangc fam. Ey^. p. 103, 106, 107, 10S. Xt. Difcours deTibere. t t y  Tibere. Ann, 582, 306 h 1 s t 0 1 r e » tes s'élevent dans mon ame, lorf» que je jette les yeux fur moi-mê» me, fur ma familie, fur Ï'Empire. » Souverain de la plus puiffante na» tion du monde , maïtreffe elle-mê» me de tant de nations, ne recon» noiffant fur la terre aucun fupé» neur, je vais comparoltre au pied » de ce tribunal, oü Ie Monarque » confondu avec fes fujets, ne voit » entr eux & lui-même d'autre dif» ference, que la multitude de fes » fautes proportionnée a 1'étendue de » Ion pouvoir. Je répondrai même des » acrionsd'autrui; & puifqu'ii m'ap- * Patiënt de me donner un fuccef- * leur, fi ,e ne choifis pas celui que * Je crois le P!us vertueux & le plus * "Pable, fes crimes deviendront > mes crimes, fes manquements tour- > neront k ma honte. Si je conficlere > ce que je laitfe après moi, je crains > pour ma familie, je crains pour * 1 Empire. Une époule chérie trouvera-t-elle un ami, un frere dans Ion nouveau maitre ? Mes filles dont Page tendre a befoin d'appui! trouveront-elles en lui un protec' tetir,, un tuteur, un pere? Mais,  nu Bas-Empire. Liv. LI. 307 » j'ofe le dire, & ni ma femme, ni » mes filles n'en feront jaloufes, el» les font accoutumées a ce langage , » Ï'Empire m'eft encore plus cher que » ma familie : il fait aujourd'hui le » principal objet de ma prévoyance„ » Ce n'eft pas affez pour un Prince » d'avoir confervé fon Etat; il doit » fonger a le tranfmettre a un héritier, » qui le furpaffe lui-même en méri» te : autrement ce grand édifice fe » détruira faute de réparation , &£ » tombera peu-a-peu en ruine. Cette » penfée agitoit mon efprit, & le rem» pliffoit d'inquiétude , lorfque la Sa» geffe divine eft venue a mon fe» cours, Sc m'a montré celui que je » cherchois. Vous le voyez au mi» lieu de vous ; c'eft celui qui a re» levé 1'honneur des Romains, en » abattant 1'orgueil de la Perfe; c'efl » le bouclier, c'eft 1'épée de 1'Em» pire. Eft-il un homme plus capa» ble que Maurice, de le maintenb » dans un état floriflant ? Ses travaiu » paffes, fes vicfoires, font autant d( » gages affurés de fes foins & de fe; » fuccès a venir. Je Ie déclare Em» pereur ; & pour preuve de la pu Tibere. Ann, jSl-,  Tibere. Ann. 582. I J 1 i J > y » « 308 ^ II I ST O 1 R E » retê de mes intentions dans le » choix que je fais de lui en 1'aflb» aant a Ï'Empire, je 1'affocie a ma » familie: je lui donne ma fille Conf» rantine. Prêt a partir pour le voya» ge de 1'autre vie, j'aurai en vous » perdant, la confolation de vous laif» fer plus que je n'emporte avec moi. » Regnez , Maurice, & que vos ac» tions fervent d'ornements a ma fé» puiture ; vos vertus feront mon é» loge funebre. Ne trompez pas nos » efpérances. ConnoifTez-vous vous» même ; ne perdez pas fur le tröne » les qualités qui vous y ont conduit. Que la philofophie tienne le gou•> vernail du pouvoir. La fouverai- > neté engendre 1'orgueil; c'eft un » cheval fougueux qui s'emporte, > qui franchit les barrières, & défar» conne fon cavalier, fi laraifonne > tient pas la bride. Gardez-vous de » croire que vous furpafliez tous les * hommes en prudence, paree que 1 la fortune vous éleve au - deffus d'eux. Souffrez plus volontiers d'être repris que d'être flatté : évitez cette baffeffe prefque inféparable de la grandeur, la petitefle de ne  du Bjs-Empire. Liv. LI. 309 » pouvoir endurer les avis, les inf» tructions, les remontrances. Fai» tes-vous aimer plutöt que craindre. » Ayez toujours devaiat les yeux la » juftice; qu'elle foit afïlfe fur le trö» ne a cöté de vous; elle répandra » dans votre cceur cette douce joie , » qui fait la première récompenfe de » la vertu. Songez que la pourpre » n'eft qu'un vil vêtement, fi elle » ne couvre que des vices ; que les » pierreries d'une couronne fur la » tête d'un Monarque fans mérite. « ne font pas plus eftimables que les » cailloux du bord de la mer. La pour» pre préfente dans fa couleur je m » fais quoi d'auflere & de lugubre, » qui femble avertir les Princes qiu » leur emploi eft plein de foucis &i » de chagrins , & qu'ils ne doivenl » pas s'abandonner a la joie, mai; » 1'entretenir dans le coeur de leun » fujets. Le fceptre leur annonce » qu'ils ont befoin d'appui, & que » la fouveraineté n'eft qu'une brillan » te fervitude. Tempérez votre févé» rité par la douceur , & votre con» fiance par la circonfpecfion. Ré » primez les défordres, punifTez le: Tibere. Ann. 581»  Tibere. Knn, 582. XLI. Mort de "ibere. i ] 1 < I 1 i i l £ 2 C è F <3 3IO BlSTOIRK » crimes; mais que les chatiments le » mefurent fur Tutilité publique. Je » vous adopte aujourd'hui, & je vous » parle comme un pere k fon fils. » Vous comparoitrez a votre tour » au pieds de ce Juge incorruptible, » devant lequel s'évanouiffent toutes » les diftinftions humaines, & qui ne » voit dans les hommes que leurs vi» ces ou leurs vertus ". Ce difcours tira les larmes k toute 'afTemblée. On pleuroit ce Prince aimable, qui, defcendant au tombeau, :enoit fes derniers regards fixés fur ês fujets. Tibere, rappellant ce qui ui reftoit de forces , pofa lui-même a couronne fur la tête de Maurice, k le revêtit de la pourpre Impériale. 3n combloit d'éloges la fagefTe &c a bonté de Tibere , qui n'avoit conidéré qüe Tintérêt de Ï'Empire; on dmiroit Maurice , dont la vertu feue avoit déterminé le choix du Prine ; on louoit Dieu d'avoir fi bien {forti Tame de ces deux héros. Après u'oneutjetté de l'argent au peuple, c que Maurice eut été reconnu Emereur par les acclamations publiues, Tibere fe fit reporter dans fon  vu Bjs-Empirë. Liv. LI. 311 Fit, oü il mourut le lendemain quatorzieme d'Aoüt, après avoir régné feul trois ans dix mois & neuf jours. II avoit gouverné 1'Empire avec le titre de Céfar trois ans & neuf mois. Jamais depuis le grand Théodofe, la mort d'un Empereur n'avoit caufé de fi vifs regrets. Tous les Romains prirent le deuil; ce qui n'étoit pas alors un ufage de bïenféance, mais 1'expreflion volontaire d'une profonde douleur. Le peuple en foule courut au palais de 1'Hebdome, forca les gardes qui en défendoient l'entrée a d'autres qu'aux Magiftrats, & joignit pendant la nuit entiere feschants funebres k ceux du Clergé qui environnoit le cercueil. Le matin du jour fuivant, le corps fut tranfporté par mer k Conftantinople ; & tous les habitants s'étant rendus fur le rivage pour le recevoir, accompagnerent le eonvoi jufqu'A 1'Eglife des Saints Apotres, fondant en larmes, & n'interrompant leurs fanglotsque par les éloges d'un Prince digne de régner plus long-temps. On ne fe confoloit que par les heureufes efpérances que donnoit le Tibere. Ann. 5 Sa» Maurice XLII. Caraftere de Maurice.  Maurice Ann, 582. 1 1 1 ( 1 < 1 312 II I # i' Q l Ji E nouvel Empereur. II étoit agé de qua» rante-trois ans , & Ï'Empire fe félicitöit de voir monter fur le tröne un Prince , qui n'étoit plus d'age k fe jouer de lapuifTance fouveraine. Aufli fes commencements furent-ils moins brillants que ceux des jeunes Monarques, mais plus folides &mieux foutenus. II joignit a fon nom celui de Tibere. Aulfifobre, aufli éloigné des plaifirs qu'il 1'avoit été dans fa vie privée, il de vint encore plus laborieux, plus attentif a ménager tous fes moments, dont il croyoit devoir Eompte a fes fujets. Maitre de tous les mouvements de fon ame, ferme Si conftant fans opiniatreté, il favoit fe plier aux circonftances : grave & rérieux fans hauteur, il réunifToit des palités qui femblent fe combattre, a févérité & la clémence, un grand :ourage & une prudence égale : il ;toit naturellement porté a tempo•ifer, & croyoit que toutes les affai•es ont leur point de maturité, d'oü lépend le fuccès. II protégeoit les ciences, dont il faifoit 1'amufement le fon loifir; il fe plaifoit k entendre a leclure des Poë'mes, des Hifloi- res,  du Bas-Empire. Liv. LI. 313 res, & pafïbit lui-même a 1'étude une partie des nuits. II nous a laiffé un traité de Part militaire, le fruit des obfervations qu'il avoit faites k la tête des armées. Les bienfaits qu'il répandit fur les bons Ecrivains, ranimerent pour quelques temps le goüt des lettres qui fe perdoit de plus en plus. Cependant il n'étoit pas d'un accès faeile ; il n'accordoit fes audiences qu'a des follicitations réitcrées ; mais c'étoit moins par fierté, quoiqu'il eut dans le caraftere un peu de froideur & de féchereffe, que par la crainte de fe laifler furprendre <^ de faux rapports , ou fédilirë par la flatterie , qu'il haïffoit plus que la cenfure. On lui reproche d'avoir trop aimé l'argent, & cette foiblefTe fut en effet caufe de fa perte. Néanmoins loin de fouler fes fujets, il remit le tiers des impöts établis fous les regnes prééédènts. Sa piété ne recut aucune atteinte de la pompe qui 1'environnoit. Dès qu'il fut Empereur , il écrivit a PAbbé Théodore, donl il avoit admiré la fainteté en paffanl par la Galatie: il le conjuroit de lui accorder le fecours de fes prieresTame XI. O Maurice Ann. 5Si,  Maurici Ann. 582, XLHI. Sa familie. 1 3 i 3H H I S T O I R E afin qu'il püt rendre fes peuples heureux, & les défendre contre les barbares : il le prioit de lui demander quelque grace. Le faint Abbé ne lui demanda que quelques mefures de bied, pour le foulagement des pauvres; & 1'Enipereur ordonna de lui en envoyer fix cents boiffeaux; ce qiu feroit continué tous les ans. Quant a la figure extérieure, on rapporte qu'il étoit d'une taille médiocre, d'un corps robufie, un peu roux & chauve par-devant; qu'il avoit d'aflez beaux traits, & qu'il fe rafoit, au-lieu que fes prédécefleurs avoient laiffé croitre leur barbe. Maurice aimoit fa familie; maisil ne fongea point a 1'enrichir aux dépens de Ï'Empire. Paul fon pere viyoit encore ainfi que fa mere Joanna, fceur d'Adelphius, Evêque d'Arabiffe fa patrie. II les fit venir a Conftan:inople , & ils goüterent dans leurs Jmbraffements mutuels la fatisfaaion a plus touchante & la plus douce 1 des cceurs tendres & fenfibles. Son >ere vécut encore douze ans fous on regne; Sc ce fage vieillard , fans 'ouloir régner fur fon fils, conferva  nu Bas-Empire. Liv. LI. 315 auprès de lui 1'autorité que lui donnoit fa prudence. II fut enterré avec les Empereurs dans 1'Eglife des Saints Apötres. Outre Maurice, Paul avoit un fecond fils & trois filles. Pierre, Maitre de la milice, Duc de Thrace & Curopalate, fut employé par fon frere dans le commandement des armées. Les trois fceurs de Maurice fe nommoient Gordia, Théoctifte, & Damiana. L'ainée époufa Philippique, né a Rome, & venu depuis peu a Conftantinople. C'étoit un homme diftingué par fa noblefie & par fes richeffes. Les Hiftoriens de ce temps-la font les plus grands éloges de fes talents militaires; ils le comparent au premier des Scipions. Mais les aftions qu'ils rapportent de ce Général , décelent la flatterie; elles font connoitre qu'il ne doit ces magnifiques éloges qu'a la qualité de beaufrere de l'Empereur. La poftérité qui rend a chacun la place qu'il mérite, le réduit au rang des plus médiocres Généraux. Théocfifte n'eft connue que de nom. Si 1'on en peut croire Jean Mofchus, Auteur du Pré fpirituel, ouvrage rempli de pieufes O ij Maurice Ann. j8a.  Maurice Ann, 5 82, SI<5 H 1 3 T O I R B, &c. rêveries, Damiane fut Abbefle d'ua monaftere a Jérufalem , oü elle vécut faintement avecSopatra, fille de Maurice. Elle avoit été mariée ; & fon fils Athenogene fut Evêque de Petija en Arabie,  V7 SOMMAIRE D V LIVRE CIN QUANTE - DEUXIEME. ARlAGE de Maurice. II. Clémenu de Maurice. Hl. Vicloire des Per» fes fur les Romains. IV. Punition a"un magicien. v. Les Abares recommencent la guerre. VI. Ambajfade des Romains aux Abares. vu. Mauvais traitement des Ambaffadeurs. vill. Autoris Roi des Lombards. IX. Première expédition des Francois contre les Lombards. X. Hiftoire de DroBulf. XI. Conduite des Romains d C égard d'Herménigilde. XII. Seconde expédition des Francois en Italië. XIII. Troijieme expédition des Francois. XIV. Suite des fuccès d'Autaris. XV. Inondadons extraordinaires, xvi« Saint Grégoire Pape. XVII. Quatrieme expédition des Francois. XVIII. Succès de cette expédition. XIX. La paix conclue entre les Francois & les Lombards. XX. Philippique envoyé contre O iij  Jl8 SOMMAIRE DU LlV. LI1>. te Perfes. XXI. Seconde campagne de rhihppique. XXII. Négociations inutiles. xxili. Mouvement* des deux armêes. XXIV. Difpojïtions pour la bataille. XXV. Bataille de Solacon. XXVI. Suites de la bataille. xxvu. Conduite de thilippique après la vicloire. xxvin Ses exploits dans CAr^nene. XXIX Nouvelle entreprife des Perfes. xxx Terreur panique de Philippique. xxxi. Succh cfHéraclius. xxxu. Courfes des Efclavons. XXXlli. La guerre recemmence avec les Abares. XXXIV. Divers mouvements de Comentiole. XXXV. Dé* fake &prife deCaflus. XXXVI. Terreur & fuite des deux armées. XXXVII. Les Abares prennent Apiaria. xxxvm'. Fin de la guerre des Abares. XXXIX. Exploits des Romains en Perfe.  319 HISTOIRE DU B ASEMPIRE. LIVRE CINQUANTE-DEUXIEME. MAURICE. JAMAIS, depuis la fondation de PEmpire, on n'avoit vu le pere & la mere de l'Empereur régnant, affifter a fon mariage. Leur préfence ajouta un nouvel intérêt a cette augufte cérémonie. Dés le lendemain de leur arrivée, toute la Cour s'étant afTemblée dans la grande falie du O iv Maurice Ann. 582. ï. Manage de Maurice. Simocat. /. I. c. 10. Evag. I, 6. e. 1,  Maurice Ann. 5S2, Niceph. Call.1. l8. e. 8. Theoph. p, 21?. Cedr, p, 394. i < t r d g 1 c E n e' Jt 3ao H 1 s t 0 1 r e P?alS* Maurice y ma"da Ie Patriarche , & Ie conjura d'adreffer a Dieu les pneres pour attirer fur fon manage les graces & les bénédiaions du C,el. Le Patriarche, après avoir reciteles oraifons accoutumées, prit les mains des deux époux, les joigmt enfemble , leur fouhaita les profpentes de 1'union conjugale , leur mit la couronne nuptiale fur la tête , & les fit participer aux divins myfteres. Le faint facrifice étant Kheve , les Pafrices , portant des lambeaux, conduifirent les époux 1 1 appartement Impérial, tapiffé de a( pourpre la plus précieufe, rele^ee de pierreries & de broderie d'or ^ependant on drelfoit dans Ie vefibule du palais, derrière un grand oile , un fuperbe tröne, d'oü 1'Emereur devoit fe montrer aux folats & au peuple , & faire les lareiies ordmaires en ces occafions. orfque tout fut préparé, la Prinsüe, conduite par le premier des unuques , alla fe placer fur le troel fans être vue du peuple. Quand le eut pris féance, l'Empereur y .arena accompagné de fes Courti-  du Bas-Empire. Llv. LIL 321 fans, tous revêtus de robes d'une blancheur éclatante. Dès qu'il y fut arrivé, on baiffa le voile , & tout Conftantinople vit l'Empereur montant fur le tröne, dont 1'éclat éblouiffoit les yeux, l'Impératrice fe levant pour le recevoir, & les deux époux s'embraffant avec tendreffe. Auflitot les fpectateurs comme de concert, entonnerent le chant de 1'hyménée, & 1'eunuque qui avoit conduit Ia PrincefTe , verfa du vin dans une coupe qu'il préfenta aux deux époux. Rien ne fut jamais plus brillant, & par la magnifïcence du fpecfacle , & par la joie du peuple, que cette fête vraiment politique, fi capable d'attendrir le cceur des fujets, & de les intéreffer au mariage de leur maitre, qui fembloit les inviter k fes noces comme fes parents & fes amis. Les réjouiffances publiques durerent fept jours ; 1'opulence étala tous fes tréfors ; ce ne fut par toute la ville que feftins, que jeux , que fpectacles , qu'acclamations. Tous les jours c'étoient des courfes de chars dans 1'Hippodrome; & la joie populaire, toujours bruyante & tumultueufe, épuiO v Maurice Ann. j8i.  Maurice Ann. 582. II. Clémence de Maurice. Evag. I. 6. e. 2. Niceph. Call.l.iS. «. 10. I 3 » < ra. Viftoire 1 des Perfes -i fur les 1 Romains. 1 Simoc. I. | *■ 9, \ 12. * Evag. i. 6. r C 3. t r b 322 H 1 S T 0 I Z E fa tous les fignes par lefquels elle fkit le manifefter. L'Empereur, dès les premiers jours de fon regne , donna des preuves de fa clemence. Le perfide Alamondare , qui avoit trahi Maurice k Ia bataxlle de Callinique, fut pris avec fon fils Naaman. Celui-ci, plus méchant encore que fon pere , k Ia tête d une troupe de Sarafins, avoit cruelement ravage la Phénicie & la Paleftine. Tous les Seigneurs étoient 1 avis de venger Ï'Empire par la mort le ces traitres. Maurice, qui s'étoit ait une loi d'épargner le fang, fe :ontenta de releguer Alamondare en Mede, & d'affigner k Naaman une mie pour prifon, fans leur impofer 1 autre peine. Depuis la bataille de Conftantine, es Perfes n'ofoient s'éloigner de eurs frontieres. Maurice, qui avoit emporté fur eux deux grandes vicoires, donna ordre a Jean Myflaon, Thrace de naiffance , qui comlandoit en Arménie, de marcher con-e eux pour les forcer d'abandoner la Méfopotamie. Ce Général vint ■s chercher au confluent du Nym-  du Bjs-Empire. Li-u. LIt. 323 phiüs & du Tigre, oh ils étoient campés. II leur offrit la bataille qu'ils eurent le courage d'accepter. S'étant mis a la tête du centre, il donna le commandement de 1'aile droite a Curs, fon Lieutenant, & celui de 1'aile gauche a un Officier Lombard , nommé Ariulphe, qui avoit paffé au fervice de Ï'Empire. Les deux armées étant a la portée du traitJean & Ariulphe chargerent vigoureufement l'ennemi,qni plia devant eux. Mais Curs, jaloux de fon Général, dont il croyoit mériter la place, ne fit aucun mouvement. Cette inacfion de 1'aile droite rendit le courage aux Perfes, & 1'öta aux Romains. Ceuxci fe voyant abandonnés , prennenl la fuite par des chemins montueux & difficiles , oü, pourfuivis par le; ennemis, ils perdent grand nombre des leurs, & regagnent leur camp avec peine. Le Général Perfe voulant profiter de fa vief oire , va mettre 3e fiege devant Aphumes , c'étoit U première conquête que Maurice avoii faite fur les Perfes, quatre ans auparavant. Myflacon , de fon cöté, envoye une partie de fes troupes atO vj Maurice Ann. 582.  Maurice Ann. jSï. j * ] ! 4 324 Histoïrk taquer la fortereffe d'Acbas, fituée lur une montagne efcarpée au bord du Nymphius. On n'y pouvoit monter que par un feul endroit, défendu par une épaifle muraille. Dés que les Romains eurent pris leur pofte entre les rochers & les précipices, dont la place étoit environnée , les habitants donnerent au Général Perfe avec des flambeaux, le fignal dont ds étoient convenus. Les Perfes quittant auffi-töt le fiege d'Aphumes, accourent en diligence , defcendent de leurs chevaux, montent a Pennend , & 1'accablent d'une grêle de fleches. Plus difpos & plus exercés è courir dans des chemins rudes & embarrafies, ils eurent bientöt nettoyé la pente de la montagne. Des Romains les uns font pris, les autres précipités de rochers en rochers juf. que fur les bords du Nymphius: 5uelques-uns paflent le fleuve h la lage, & vont rejoindre le gros de eur armée. Telle fut la fin de cette ■ampagne. Les Romains demeure•ent en pofleffion du ch^teau d'A)humes , & les Perfes de celui 1'Acbas.  nu Bas-Empire. Liv. LH. 325 L'année fuivante, au mois d'Avril, le feu prit dans la grande place de Conftantinople; & Pincendie animé par un vent violent, ne fut éteint qu'après avoir fait beaucoup de ravage. Cet accident fut fuivi d'un autre encore plus funefte, paree que les forces humaines ne peuvent 1'arrêter. Le onzieme de Mai, jour de la dédicace de Conftantinople , qu'on célébroit tous les ans par des proceflions pompeufes , & par des jeux du Cirque, la joie publique fut troublée par un horrible tremblement de terre, qui fit craindre que la ville entiere ne fut abymée. Au coucher du foleil, un affreux mugiflement fe fit entendre dans les entrailles de la terre, qui fe foulevant enfuite renverfa quantité d'édifices. Peu de jours après, on découvrit qu'un habitant, nommé Paulin, connu pour fon grand favoir , étoit entêté de magie, & qu'il s'occupoit de fortileges & d'enchantements. Le peuple ne manqua pas d'attribuer a fes preftiges les deux fléaux qu'il venoit d'éprouver ; & le Patriarche , Prélat auftere dans fes mceurs, mais plein d'un zele amer, Maurice A.nn. 58}. IV. Punitiot» d'un magicien. Simocat. I. 1. c. II, 12. Theoph. p, 213. Cedr. p, 594.  Maurice Ann. 5S3. V. Les Abales recomm encent la guerre. Simocat. i.i.jc.\P 4.5,6. j Theoph. p, < 214,215. ] Cedr. p. 394, 395! ] Zon. torn. j 'l- P- 7} , ( 74. ; Hijl.mifi, J 17. 3^6 H I S T O I k £ aufli prévenu que le peuple, folllcitoit vivement l'Empereur de faire brüler vif eet homme impie & facnlege. Maurice, rempli des fentiments de douceur, qui auroient convenu au Patriarche , penfoit qu'il yaloit mieux amener les méchants a refipifcence, que les faire périr. Mais Jean le Jeüneur, armé de quelques paffages de Saint Paul , dont abufoit fon humeur impitoyable, obligea par fes inflances l'Empereur a condamner k mort ce miférable. II fut pendu; & avant que de 1'é[rangler, on trancha fous fes yeux Ia tête k fon fils, qu'il avoit inftruit a pratiquer les mêmes maléfïces. Depuis que les Abares avoient forcé Tibere de leur abandonner Sirmium, leur Khan, devenu plus fier, :raitoit les Romains avec infolence. fyant appris qu'il y avoit k Confantinople des animaux d'une granjeur extraordinaire , il écrivit k 'Empereur qu'il feroit curieux d'en roir. Maurice, qui ménageoit ce bar>are, lui fit préfent du plus grand léphant qui lui fut venu des Indes. Khan 1'ayant k> peine confidéré,  du Bas-Empirb. Liv. LU. 327 le renvoya aufli - tot, foit qu'il en fut effrayé , foit par mépris. Comme il fe piquoit de magnificence , il pria l'Empereur de lui envoyer un lit enrichi d'or. Maurice s'emprefla de le fatisfaire : 1'ouvrage étoit admirable & par le prix de la mattere , & par la beauté du travail. Cependant le barbare n'en fut pas content ; il le fit reporter a l'Empereur. II demanda une augmentation de vingt mille pieces d'or par - defius les quatre - vingts mille que les Romains s'étoient engagés a lui payer tous les ans : fur le refus de Maurice, il rompit le traité, & fans refpecf er fes propres ferments , il vint attaquer Singidon. Quoique cette ville fut fans défenfe, elle coüta beaucoup de fang aux Abares. On y difputa le terrein avec opiriiatreté, 6c il y périt autant d'ennemis que d'habitants. Après la prife de Singidon, Bayan cötoya le Danube en avancant vers la Thrace, & faccagea la plupart des places qui bordoient ce fleuve. La petite ville d'Acqs fut épargnée a la priere de fes concubines, qui s'y étoient reti- Maurice A.nn. 583.  Maurici Ann. 583 VI. Ambaflade des Romains aux Abares. S^S HlSTOIRE rées pour profiter de fes bains d'eaux ■ chaudes. Après avoir, comme un torrent impétueux, traverfé les deux Méfies, il paffa le mont Hémus, & vint camper au bord du Pont-Euxin, prés d'Anchiale, dont il ravagea le territoire. ; Ce fut-la que les députés de Maurice vinrent le trouver. C'étoient Elpidius & Comentiole, 1'un Sénateur & ancien Gouverneur de Sicile, 1'autre Officier de la garde Impériale. Le Khan les recut avec une hauteur outrageante , menagant d'aller abattre la longue muraille qui fervoit de rempart au territoire de Conftantinople. Elpidius demeuroit enfilence; mais Comentiole, naturellement vif & hardi, ne pouvant fouffrircesbravadesinfolentes: »Prin»> ce, lui dit-il avec liberté, nous » penfions avoir affaire a un Mo» narque qui refpeftoit les Dieux »> qu'il adore, & qu'il a pris pour »> garants de fes ferments. Nous nous » perfuadions encore que vous n'ou» blieriez pas les bienfaits des Ro» mains , qui ont donné afyle a vos » peres errants 6c fugitifs. Les Ro-  du Bas-Empire. Liv. LIL 329 » mains, au contraire, veulentbien » oublier votre ingratitude paffee; & » malgré 1'infraction des traités les » plus folemnels, ils vous offrent en» core la paix. Si vous la refufez, » fongez que vous aurez a combattre » la nation qui a fubjugué 1'univers. » Ne vous croyez pas invineible, » pour avoir ravagé tant de pays. » Notre patience a fait feule vos » fuccès; craignez de la pouffer k » bout. Vous aurez contre vous , » avec les forces de Ï'Empire, & vos » Dieux, & vos ferments , & nos » bienfaits, & 1'horreur des nations » étrangeres. La poftérité même fera » la guerre k votre mémoire. Pré» férez la gloire de la reconnoiffancc » ck de la juftice k une conquête cri» minelle, qui va vous être arrachée w fi vous vous obftinez k la retenir » Voulez-vous de l'argent? les Ro> » mains vous en donneront; ils n< » font avares que d'honneur. Vou: » tenez de leur libéralité une habi » tation vafte & commode ; gardez » vous de vous étendre au - dela » L'Empire eft un grand arbre , en »> raciné depuis plus de treize fiecles Maurice Ann. 583.  Maurice Ann. jSj. vir. Mauvais j traitement des * Ambafia- ( rfeurs. a 1 r i e; g> P] ai A ü> qu pa en te« — PC Ann. 584. Va vin. pa- Autaris, cej 330 /// S T O I R £ » toujours nourri des eaux du Ciel, » toujours plein de feve & de vi» gueur: vos haches &vos coignées » ne lentameront jamais; elles fe • bnferont dans vos mains, & re> tourneront fur vous-mêmes " Une remontrance fi hardie mit Je ^han en fureur. Lancant fur Comenlole des regards étincelants, il orlonne de le jetter dans un cachot vee des entravesauxpieds, & d'alïf dechïrer fa tente : c'étoit, felon waee de la nation, un arrêt de mort. e Jendemain fa colere n'étant pas icore calmee , les principaux Seile,urs5de/a Cour fe jettent k fes eds, öc Ie conjurent d'avoir égard '■ drou des gens; de ne pas rendre les ïares odieux d tous les peuples de la ™ , enfaifant périr un Ambaffadeur ■ f ce jeune téméraire étoit ajfer puni r, la prifon Le Khan fe rendit fan a des follicitatiens fi preffan' «nvoya les députés a 1'Emreur. La paix fut renouvellée I'année fuiite, a condition que les Romains feroient aux Abares cent mille pied or de penfion annuelle. Mau-  du Bas-Empire. Liv. LIL 331 rice confentit a cette augmentation , plutöt que d'avoir a foutenir a la fois deux grandes guerres contre les Abares & contre les Perfes. II s'occupoit encore dans ce temps - la du foin de recouvrer 1'ltalie. Grégoire , apocrifiaire du Saint Siege, étant fur le point de retourner a Rome, avoit obtenu des fecours contre les Lombards , & l'Empereur faifoit partir avec lui le Patrice Smaragde , plus guerrier que 1'Exarque Longin , fon prédéceffeur. Autaris, fils de Cleph, commengoit a régner a Pavie. La nation, laffe de la tyrannie de fes Ducs , avoit mis fur le tröne ce jeune Prince, dont la fageffe répara les défordres d'une ariflocratie mal concertée, & la valeur étendit & affermit la domination des Lombards. Pour fe rendre plus refpeöable aux Romains mêmes, il prit, a 1'exemple des Empereurs, le furnom de Flavius, qu'il tranfmit a fes fucceffeurs. II laifla aux Ducs le gouvernement des villes fur lefquelles ils avoienl exercé un pouvoir abfolu; mais il s'en réferva la fouveraineté, & il ordonna qu'ils lui remettroient la moi- Maurjce A.nn. 584, Roi des Lombards.Paul. diac. I. J. c. 16 & feqq. Pratilli proluf. in Paul. diac. Aib. Biclar. Greg. Tur. hift. Franc. I. J.c. 39. I. 6. c. 41, 4ï, 43. I. 8. c. 18, 18.1. 9. c. 19. /. 10. <.i.ï. 3» 4' Aimoin. t. 3. c. 36, 37 , 38 » 74. 771 79 , 83. Theoph. p. 220. Cedr. p. 396. Hift. mifc. I. 17. Greg. I. i. epift. 5,16. Idem dial.  Maurice Ann. 584. Anaft. in Pelag. II. Simocat. I, 3. c. 4, Sigeb. thron. Herman tontraH. ehron. Chr. Andr. pteslyt. Rubens , hifi. Havin. I, 4. Sigon. de regno hal. I. I. Baronius. Pagi ad Bar. Fleury, hifi. ecclef. I. 34. art. 43- /• 35art. 13. Murat. enn. hal. t. til p. ÏI4. 5M, 516, 518, 510, jii, 513.525. f26, 536. Giann. hift. Nap. ; I.4.C. 1, J 3,3, li. HlSTOIZE tié du revenu de leurs Duchés, 6c qu'ils marcheroient a fes ordres avec leurs troupes toutes les fois qu'ils en feroient requis. II étoit le maitre de leur donner des fucceffeurs a fa volonté; mais il n'ufa jamais de ce droit, que lorfqu'ils mouroient fans enfants mal es, ou en cas de félonie. Cette modération d'Autaris fut le premier fondement de la ftabilité des fiefs; & quoique 1'origine de cette forte de feigneurie héréditaire remonte plus haut que 1'invafion des Lombards, on peut dire que c'eft aux Lombards qu'on eft redevable de la jurifprudence féodale. Ils en fixerent la nature & la forme; & tout l'Occident adopta les loix qu'ils établirent fur cette importante partie du droit public. On vit dans la perfonne d'Autaris quelle eft Pinftuence d'un Prince habile, ferme, vigilant fur une nation, pour en corriger les mceurs. II ne régna pas ftx ans, & :'en fut affez pour adoucir la féro:ité naturelle aux Lombards , qui .'étoit encore accrue dans la confuion du dernier gouvernement. La uftice 6i la füreté publique fuccé-  du Bas-Empirs. Liv. LIL 333 _ derent aux ufurpations, aux brigan- ' dages , aux meurtres, & les Grands apprirent a redouter la loi plus qu'ils n'étoient eux-mêmes redoutables. II faut cependant convenir que ce Prince ne rétablit pas le goüt des lettres. Un des plus grands maux que caufa 1'invafión des Lombards , fut 1'ignorance qui s'introduifit avec eux. Ces barbares n'eftimoient que les armes , & les peuples d'Italie , au milieu des horreurs de la guerre, n'avoient ni la volonté, ni le pouvoir de cultiver les fciences & les arts ; c'eft ce qui rend 1'hiftoire de ces temps-tè fi confufe & fi ftérile. Autaris, ayant épouféThéodélinde, fille de Garibald, Duc de Baviere, renonca au Paganifme pour embraffer la Religion Chrétienne. Théodélinde étoit Catholique; mais les Evêques Lombards communiquerent au Roi les erreurs de 1'Arianifme, dont leut nation étoit infeftée. Je yais raconter fans interruption les événement! de 1'hiftoire des Lombards , qui^ eurent quelque rapport k celle de 1'Em pire, pendant les fix années du regne d'Autaris. Maurice Ann. 584, Abrc'gc' chr, de l'hifi. d'It. t. Lp, 1S4 &■ fuh, Fredeg. Ér ib.Ruinart,  Maurice Ann. 584. IX. Première expédition des Francois «ontreles Loeihards. 1 1 j 1 i c f t X c t S a L b 334 HisToire Le nouvel Exarque étoit conti*nuellement aux prifes avec les Lombards. Les deux peuples voifins 1'un de lautre formoient fans cefTe de nouvelles entreprifes, les Lombards fur Ravenne , que les Romains avoient confervée, les Romains fur ClafTe, dont les Lombards s'étoient rendu maïtres. Smaragde, voyant que fes forces ne fuffifoient pas même pour défendre ce qui reftoit en:ore a Ï'Empire, en inflruifit 1'Em)ereur. Maurice n'ofant dégarnir TOient, oü il falloit rélifter aux Peres , ni Plllyrie, oü, malgré les traiés, on pouvoit a tout moment -aroir k combattre 1'infidelle nation les Abares, eut recours aux Rois e France. II envoya une ambaffads alemnelle k Childebert, Roi d'Aufralie , avec une fomme de cinquante lille pieces d'or; ce qui faifoit prés e fept cents mille livres de notre ïonnoie, pour 1'engager a faire la uerre aux Lombards. Childebert, yant pafTé les Alpes en perfonne k, t tête d'une grande armée, les Lomards, hors d'état de le combattre , : renfermerent dans leurs villes,  nu 3as-Empire. Lh). LH. 335 kiflerent les Francois maitres de la campagne , tandis qu'Auraris employoit la négociation pour conjurer eet orage. L'argent qu'offroit Autaris fit oublier au Roi d'Auftrafie celui qu'il avoit recu de Maurice. La paix fut conclue, & Childebert repafla les Alpes. Maurice fe plaignit en vain de cette infidélité; il envoya redemander les cinquante mille pieces d'or a Childebert, qui, faute de bonnes raifons, renvoya 1'AmbafTadeur fans réponfe. La garnifon de Brefcelle fur lé Pö, faifoit fans cefle des courfes par terre & par eau jufqu'a Ravenne. Elle étoit commandée par un vaillant Capitaine , nommé Droöulf: c'étoit un Sueve que les Lombards avoient pris au berceau dans les guerres de Germanie. Elevé dans 1'efclavage, il étoit parvenu par fon mérite ; mais quoiqu'il fervit les Lombards avec valeur, il ne pouvoit leur pardonner dans fon cceur de lui avoir autrefois ravi fa liberté. Smaragde n'oublia rien pourle gagner, & il en vint k bout. Droef ulf livra fa place aux Romains, & fe joignit k 1'Exarque pour Maurice Ann. 584. X. Hiftoire de Droclulf.  Maurice Ann. 584. I I i 1 3 < 33*5 II1 s t 0 1 n e reprendre la ville de Clafle. II raffembla les barques qu'il trouva fur la riviere de Bodrino , entra dans le port de Clafle avec fes meilleurs foldats , donna 1'aflaut a la ville du cöté de la mer, tandis que Smaragde 1'attaquoit du cöté de la terre. La place fut emportée, & Ravenne délivrée d'un ennemi qu'elle avoit a fes portes depuis long-temps. Le Sueve fe retira dans Brefcelle, d'oü il ne ceflbit de harceler les Lombards par fes incurfions fur les territoires de Parme & deRege. Pour fe délivrer d'un ennemi fi incommode, Autaris vint i'afliéger. Après une longue & vipureufe défenfe, Droftulf fe rendit, i condition qu'il pourroit fe retirer i Ravenne avec fagarnifon. Les mu■ailles de la ville furent rafées, &Bref:elle perdit alors le titre d'Evêché ju'elle avoit auparavant. Droöulf èrvit enfuite Ï'Empire avec courage lans la guerre contre les Abares; & prés s'être fignalé dans toutes les encontres , il mourut a Ravenne >ii il fut enterré dans 1'Eglife de !t. Vital. Maurice n'avoit pas a fe louer de la  ou Bas-Empihb. Liv. LH. 337 la bonne foi de Childebert. Mais un intérêt perfonnel porta le Roi d'Auftrafie k fe réconcilier avec l'Empereur , & k lui prêter de nouveaux fecours. Herménigilde, fils de Leuvigilde, Roi des Viiigoths en Efpagne, avoit époufé Ingonde , fille de Sigebert, Roi d'Auftrafie, &fceur de Childebert. Cette Princeffe, élevée dans la Religion Catholique , foutint avec une fermeté vraiment Chrétienne , toutes les rigueurs de Gofwinde, feconde femme de Leuvigilde , qui n'é pargna pas les traitements les plus barbares pour lui faire embraffer 1'Arianifme. Ingonde joignit les follicitations les plus preffantes aux inffructions de Léandre, Evêque deSéville. pour la converfion de fon mari, & elle y réuflit. Leuvigilde, Arien paffionné , animé encore par les fureurj de fa femme, pourfuivit fon fils 2 main armée, & le Als prit les arme* pour fe défendre. Grégoire de Tours, luivant les principes d'une morah plus pure & plus évangélique que cel le du Cardinal Baronius, blame Her ménigilde de s'être révolté contn fon pere & fon Roi, quoiqu'héréti Tomé XL P Maurice Ann. 584. XI. Conduite des Romains k 1'égard d'Herménigilde.  Maurice Ann. 584. ] 3 i i 1 1 t ? 338 H I S T O I li E que; il attribue le malheureux fuccès de fon entreprife k un jufte jugement de Dieu. La guerre étant allumée entre le pere & le fils, Hennénigilde implora le fecours de Tibere qui régnoit encore. Ce fage Prince refufa d'epoufer fa querelle , & 1'Evêque Léandre revint de Conftantinople fans avoir rien obtenu. Les Romains poffédoient encore un grand pays dans la partie méridionale de 1'Efpagne : éloignés du centre de Ï'Empire , ils agiflbient indépendamment de lEmpereur. Herménigilde achetaleur fecours, & ils lui fournirent des trouJes. Mais Leuvigilde les ayant fe:retement gagnés par une fomme de irente mille pieces d'or, ils abanlonnerent ce malheureux Prince, qui, iprès plufieurs revers, fut mis a mort )ar ordre de fon pere. Les Romains luxquels il avoit confié fa femme Injonde & fon fils Athanagilde , lui urent du moins fideles en ce point: Is les tranfporterent en Afrique , >our les faire paffer plus furement l Conftantinople. Mais Ingonde mouut dans ce voyage, & Athanagille trouva un afyle entre les bras de laurice.  nu Bjs-Empire. Liv. LIL 339 Childebert ignoroit la mort de fa foeur, qu'il aimoit tendrement. Croyant qu'elle étoit, ainfi que fon fils, a la Cour de Conftantinople, & voulant la faire revenir en France, il fentit bien que, pour 1'obtenir, il falloit fatisfaire l'Empereur. II envoya donc contre les Lombards une nouvelle armée, compofée de Francois & d'Allemands. Mais la jaloufie mutuelle ayant divifé les deux nations , cette expédition ne fit aucun mal aux Lombards, & 1'armée revint en France , après s'être inutilement fatiguée a pafler les Alpes. On peut conjecTurer avec fondement , que les intrigues d'Autaris furent la caufe fecrete de cette divifion. Cependant 1'Exarque agiffoit en fouverain indépendant : aufti peu exacT: k tenir fa parole, qu'a fuivre les ordres de la Cour Impériale, il faifoit, il rompoit des treves felon fes caprices. Au mois de Septembre 587, il forma une armée , & fe fit battre dans un grand combat. Cette viftoire des Lombards leur donna la liberté de courir d'un bout a 1'autre de 1'Italie, 6c détermina Maurice a hm - - ft Maurice Ann. 5S4. XII. ' Seconde expédition des Francois en Italië.  Maurice Ann. J84. XIII. Troifieme expédition des Fi-ansois. 1 ( 1 j 340 HlSTOIRE rappeller Smaragde. Une autre raifon indifpofoit l'Empereur contre eet Exarque. A la follicitation de Jean, Evêque de Ravenne, il ufoit de violence pour forcer les Evêques de la Vénétie & de 1'Iftrie a foufcrire a la condamnation des trois Chapitres : procédé tout-a-fait contraire k la douceur de Maurice, qui ne croyoit pas devoir employer la contrainte en fait de Religion. Le Patrice Romain fut envoyé a Ravenne. Le refus d'une Princeffe Auftra(ienne qu'Autaris demandoit en mariage , ralluma la guerre entre ce Prince & Childebert. Les Francois tnarchent en Italië; Autaris vient k eur rencontre. II fe livre une fanriante bataille, oü les troupes de Childebert font entiérement défaites. Le carnage fut grand, & les fuites le Ia vicloire ne furent pas moins ïeureufes aux Lombards. Evin, Duc le Trente , ravagea 1'Iftrie. Autaris é rendit maitre de 1'ifle de Comaciie dans le lac de Cöme , ou comnandoit_ Francion , qui obtint une apitulation honorable , après s etre éfendu pendant fix mois. Dans Ie  dv Bas-Empire. Liv. LIL 341 cours de cette campagne, fignalée par quantité de fieges & de combats, Autaris ne recut qu'un feul échec : un de fes détachements fut battu par la garnifon de Rome. Les fuccès d'Autaris continuerent 1'année fuivante 589. II traverfe la Campanie, la Lucanie, le pays des Brutiens, & pénetre jufqu'a Rhege , qu'il n'ofe affiéger : mais il fe rend maitre d'une grande étendue de pays, dont il augmente Ie Duché de Bénévent. S'étant enfuite emparé du Samnium , il joint cette Province au Duché de Spolete. II ne reftoit plus k Ï'Empire dans cette partie de 1'Itaïie , que Naples , Gayete , Amalfi , Surrente , Salerne & quelques autres places maritimes, dont les Lombards ne furent jamais en polfeflion, ou qu'ils ne pofféderent que longtemps après. Ce qui rendit cette année plus mémorable, ce fut une inondation telle qu'il ne s'en étoit jamais vu depuis celle qui fnbmergea toute la terre. Le dix-fept d'Octobre, 1'Adige fe déborda, & fes eaux couvrirent la ville de Vérone. Tous les fleuves P iij Maurice Ann. 584. XIV. Suite des fuccès d'Autaris,' XV. Inondations extraordinair«s.  Maurice Ann. 584. ( < < i 1 l i 342 HjSTOIRS de 1'Italie fortirent de leur lit, portant avec eux la deftruction & le ravage. Les campagnes n'étoient plus qu'une vafte mer, oü les débris des métairies, les cadavres des hommes & des animaux flottoient de toutes parts , comme dans un naufrage univerfel. Au mois de Novembre, le Tibre s'éleva jufqu'au-deflus desmurs de Rome , & fe déchargeant dans la ville , ne laiffa découvert que le fommet des fept collines, qui fembloient être autant d'illes. Avec un grand nombre d'anciens édifices , il détrui(it les greniers de 1'Eglife , &. entraïna quantité de bied amaffé pour la fubfiftance des pauvres. Son lit parut couvert de ferpents, entre lefjuels on en vit un d'une grandeur démefurée. Ils périrent dans la mer , \yu jetta leurs corps fur les rivages. I^e déluge étoit accompagné d'édairs & de tonnerres affreux , & fut üivi d'une pefte qui emporta un lombre infini d'habitants. Deux mois prés, Vérone, déja fort endomma;ée par 1'inondation , fut prefque ntiérement confumée par un inendie.  du Bas-Empihe. Liv. LIL 343 Le Pape Pélage étant mort de la pefte le 8 Février 590, après onze ans de Pontifïcat, tous les fuffrages fe réunirent en faveur de Grégoire. Ce grand homme, que le voeux de toute 1'Eglife appelloient k cette place éminente, s'en croyoit indigne. Dans fa légation de Conftantinople, il s'étoit acquis 1'eftime & 1'amitié de l'Empereur, qui lui avoit même fait Phonneur de le choifir pour parrein d'un de fes fils. II efpéra que Maurice entreroit dans fes fentiments, & il lui écrivit pour le fupplier de ne point confentir a fon éleftion, qui, felon 1'ufage de ce temps-la , devoit être confirmée par le Prince. Mais Germain, Préfet de Rome, ayant intercepté cette lettre, écrivit de fon cöté, pour conjurer l'Empereur de ne pas refufer a 1'Eglife un Chef fi capable de la gouverner; & Maurice eut plus d'égard a de fi juffes defirs , qu'il Phumilité du faint Prélat. La confirmation de l'Empereur étant arrivée, Grégoire prit la fuite, & fe cacha dans des cavernes, ou la piété des fideles le pourfuivit. II fut ramené comme en triomphe , & orP iv Maurice Ann. 584. XVI. S. Grégoire Pape.  Maurice Ann. 584. ! 1 ] ( 5 ' ■ i 1 344 Histoire donné malgré lui dans la bafilique de Saint-Pierre, le troifieme de Septembre. Un trifte événement avoit fignalé fon adminiftration pendant la vacance du faint Siege. La pefte faifoit k Rome tant de ravages , que dans^une proceffion folemnelle qu'il fïtcélébrer le 14 d'Aoüt, pour fléchir la colere de Dieu, quatre-vingts perfonnes tomberent mortes dans 1'ef pace d'une heure. Au milieu des allarmes continuelles, que non-feulement les armes des Lombards, mais encore tous les fléaux de 1'humanité, Ia pefte, les inondations , la famine donnoient alors k 1'Italie , perfonne n'étoit plus rapable de la foulager que ce fage k généreux Pontife. II ne celToit de blliciter les fecours de l'Empereur; Tiais on peut dire que fon courage, a charité, fa vigilance , furent pour 'Italië une reffource plus puiffante jue tous les efforts de Ï'Empire. Rome iir-tout lui fut redevable de fa conërvation; il la fauva de 1'efclavage, k la préferva plufieurs fois de la diêtte, en faifant venir k fes dépens les bleds de la Sicile & de 1'Afri5ue. L'Eglife & Ï'Empire agiffoient  üü Bjs-Ëmpire. Liv. LU. 345 d'intelligence pour éteindre le fchifme qui divifoit 1'Occident. Cependant la fageffe de l'Empereur crut devoir modérer en quelques occafions le zele du faint Pontife. Grégoire obtint de Maurice un décret pour faire venir a Rome,Sévere, Evêque d'Aqurlée, & fes partifans, afin de difcuter dans un fynode 1'affaire des trois Chapitres. Ces Prélats fchifmatiques refuferent de s'y rendre, & fe plaignirent a l'Empereur des prétendues violences de Grégoire : ils promettoient d'aller a Conftantinople plaider leur caufe devant le Prince, dés que les troubles d'Italie le permettroient. L'Empereur eut égard a eet appel; Grégoire reeut ordre de furfeoir les procédures . jufqu'a ce que la Providence eut rétabli la paix en Italië. Maurice, outre fon penchant naturel a la douceur, craignoit que ces Evêques s'ils étoient inquiétés , ne livraffen 1'Iftrie aux Lombards. Ainfi 1'Exar que Romain fut chargé de les met tre a couvert de toute pourfuite. Childebert, plus irrité que décou ïag,é de la défaite de fon armée, i P v Maurice Ann. 584. 1 ' XVII. S Quatrie-  Maurice Ann. 584. me expédition des Francois. i 1 1 ( 1 c i I V 34Ö H I S T 0 I k E préparoit k faire de nouveaux efforts pour fe venger des Lombards, lorfque la bonne intelligence entre ce Prince & l'Empereur fut fur le point d'être rompue par un accident imprévu. Le Roi d'Auftrafie avoit fait partir pour Conftantinople trois AmbafTadeurs, qui pafTerent par Carthage. Un de leurs valets ayant pris quelque marchandife , fans vouloir ni la payer ni la rendre, fut arrêté par le marchand, & le tua pour fe tirer de fes mains. Une aftion fi brutale fouleva toute la ville. Le Gouverneur , k la tête d'une troupe de foldats & d'une foule d'habitants, fe tranfporte k la maifon des AmbafTaieurs. Deux d'entr'eux étant fortis , ont maiTacrés par le peuple en fueiir. Le troifieme, nommé Grippon, 'échappe , & va porter fes plaintes 1 Conftantinople. Maurice promet ine vengence fignalée ; il adoucit ïnppon a force de préfents, & le envoye, en le priant avec inftance 'engager Childebert k faire marcher ?s troupes contre les Lombards. our s'acquitter de fa parole, il fait rendre a Cartbage douze habitants  nu Bas-Empire. Liv. LIL 347 accufés d'avoir tué les deux AmbalTadeurs , & les fait conduire chargés de chaïnes au Roi d'Auftrafie. II lui permettoit de les faire mourir4 mais il lui offroit pour chacun trois cents pieces d'or, fi le Roi confentoit a leur faire grace. Childebert refufa de les recevoir, difant qu'il ne favoit fi ces miférables étoient les meurtriers ; que ce n'étoient peut - être que de vils efclaves , dont le fang ne valoit pas celui de fes Ambajfadeurs ; qu'il enverroit de nouveaux Députés d Conjlantinople , pour obtenir une Jatif faclion convenable. Ce facheux incident ne fufpendit pas les préparatifs qu'il faifoit contre les Lombards. II mit fur pied une grande armée conduite par vingt Ducs, chacun k la tête, des troupes de fa Province. Cette multitude de Commandants ne pouvoit manquer de nuire au fuccès ; & peut-être même Childebert n'avoit-il pas fincérement deffein d« détruire les Lombards , dont le voifinage n'étoit pas tant k craindre que celui de l'Empereur. Avant que 1'armée Francoife eu pafTé les Alpes, 1'Exarque Roman P vj Maurice Ann. 5S4. : XVIIï. Succes dt cette expédition.  Maurice Ann, s 84. i 1 ] ! i < I « e I d A d n 348 H I 5 T O I R B étoit déja entré en aöion avec les troupes qu'il avoit raffemblées. L'Empereur faifoit auffi paffer en Italië un corps d armée , commandé par le Patrice Nordolf, & par le Général Uüon. Le nom de ces deuxCommandants fait conjecfurer qu'ils étoient de ces Lombards que Tibere avoit attires au fervice de Ï'Empire. Modene , Altino & Mantoue, furent pris par.les Impériaux, qui empê:hoientIa,onaion des troupes Lom>ardes L'Exarque fe difpofoit k metre le fiege devant Rege, Parme & Jlaifance, lorfque les Ducs de ces alles vinrent le trouver k Mantoue, >oiir lui déclarer qu'ils fe donnoient ' Pire- Gifulf, Duc de Frioul, [ui fuccedoit k fon pere Grafulf ant faire la même foumiffion, qui retort pas plus fincere , & qui ne evoit durer qu'autant de temps qu'il n falloit pour laiffer paffer 1'orage. eft meme vraifemblable que ces emarches étoient concertées avec mans. Ce Prince fit retirer fes eens 3ns les places fortes , & fe renfer_a lui-même dans Pavie, bien fornee & affea bien munie de provi-  nu Bas-Empire. Liv. LIL 349 fions pour foutenir un long fiege. L'armée Francoife, après avoir ravagé en palfant fon propre pays, entra en Italië par les Grifons, le pas de Sufe & le Trentin. Ces trois corps féparés eurent d'abord quelque fuccès. Les campagnes étoient abandonnées, & les Francois ne trouvoient nulle réfiftance. Mais le Duc Olon ayant été tué devant Bellinzone fur le lac Majeur, fes troupes furent taillées en pieces par les Lombards. Sept autres Ducs s'avancent vers Milan , détruifant tout fur leur paffage. L'Exarque leur fait dire que 1'armée Impériale ira les joindre dans trois jours, ils enattendent fix,& nerecevant aucune nouvelle , ils fe rapprochent des Alpes. Douze Ducs , entrés en Italië par le Trentin, fe rendent maitres de plufieurs chateaux qu'ils détruifent malgré la capitulation, & contre leur parole , ils én réduifent les habitants en efclavage; Ils ne font grace qu'a ceux de Verruge, qui rachetent leur liberté au prix d'une piece d'or par tête. L'Empereur accufa même de perfidie les Généraux Francois ; fi Ton en croit Maurice Ann. 584,  Maurice Ann. 584. 1 I XIX. La paix ( conclue efltrie les 1 35° H I S T O I R E la lettre qu'il écrivit k Childebert, loin de prêter leur forces a 1'Exarque , qui vouloit entreprendre le fiege de Pavie, dont la prife auroit entrainé la ruine entiere des Lombards , ils avoient traité fecretement avec Autaris , & s'étoient retirés en France, après avoir conclu une treve de dix mois. Ce qu'il y a de certain, c'eft que les Francois n'étant arrivés en Italië qu'au temps de la moiffon, les chaleurs du climat, les maladies, & fur-tout Ia dyflenterie produite par 1'ufage des fruits, caufes toujours funeftes aux nations Tranfalpines, en firent périr un grand nombre, & forcerent les autres k retourner en France , après trois mois de féjour & de ravages. Ils étoient chargés de butin, & trainoient après eux quantité de prifonniers; mais dans leur retour, ils furent tellement preffés de la famine , 511'ils fe virent réduits k vendre jufju'a leurs armes & leurs habits , pour icheter de quoi vivre. Maurice, qui avoit fait cette année Ie plus grands efforts pour le recouo-ement de 1'Italie, fe plaignit amé-  nu Bas-Empire. Liv. LIL 351 rementa Childebert de fes Généraux, dont la lacheté , 011 même la trah'ifon, avoit rompu toutes fes mefures. II fuppofoit que leRoi, fidele au traité de la ligue , n'étoit pas moins mécontent de leur conduite & de leut retraite précipitée. II le prioit de renvoyer 1'année fuivante dés le printemps , une armée mieux commandée; fur-tout de marquer k fes troupes la route qu'elles devoient tenir, & de donner des ordres précis poui épargner le pays qu'elles venoient délivrer de la tyrannie des Lombards, II exigeoit même comme une dei cönditions de la ligue , que la liberté fut rendue aux prifonniers Italiens conduits au - dela des Alpes Mais les follicitations d'Autaris trouverent plus de crédit en France, que les plaintes & les demandes de l'Empereur. Le Prince Lombard s'adref fa a Gontran , Roi de Bourgogne , & oncle de Childebert. II lui repréfentoit , que tinterêt des Francois hoi, de maintenir les Lombards comme uni forte barrière entre la France & [Empire , qui regardoit toujours tOcciden comme fon ancien patrimoine : que le. Maurice Ann. 584. Francois & les Lombards.  Maurice Ann, 584. i 1 i ] < < t « < ( S 552 Histoire Romains, igahment ennemis de toutes les nations Germaniques, ne cherchoient qu a les ruiner les unespar les autres: que plus l'Empereur s'efforgoit de les dejumr, plus leur avantage commun devoit les lier ètroitement enfemble, pour tenir tête d ces anciens tyrans de CUnivers. II promettoit aux Rois Francois tous les fervices qu'ils pouvoient attendre d'une nation généreufe brave & fidelle, Gontran recut cette' ambaffade avec honneur , & la fit paffer k Childebert. Pendant cette negociation, Autaris mourut k Pavie le fufa pas cette dignité. II fembloii par-la reconnoitre l'Empereur poui fon maitre , les Romains confervani toujours de vieilles pretentions fui le territoire compris entre le Rhoru & les Alpes. Mais ee titre fut inu tile a Syagrius; il le perdit k foi retour en France ; & eet acf e d'au torité de Maurice ne caufa point d'al larmes aux Rois Francois, plus capa bles alors d'en donner aux Empe reurs , que d'en prendre eux-mêmes Revenons a ce qui fe paffoit en Perf pendant 1'année 584. Maurice Artn. 584. I  Maurice Ann. 584. XX. Philippique envoyé contre les Perfes. Simocat. !■ I. c. 11, Evag. I, 6. 1 Niceph. Call.l,,$, ] c. 10. 1 Cedr. p. 1 39!. , Zon. t. II. I P- 74. 1 ■#(/?. mi/c. I 17- 1 iVbr/j. t differt. 3. f «ie epoch. Syroma- ^ «<*• Pagi ó differt. hy „ q u p d; le C di 354 Histoire Depuis 1'échec que les Romains avoient recu devant la fortereffe d'Acbas , Jean Myflacon fe tenoit fur la defenfive. Les deux armées pafferent année entiere è s'obferver mutuel[ement fans rien entreprendre. Cette inacfion déplut a Maurice. II avoit grande opinion des talents militaires ie Philippique; il le choifit pour rommander en Méfopotamie, d'oü I rappeiia Myftacon. Afin d'attacher dus fortement a fa perfonne le nou'eau Général, il lui fit époufer fa' oeur Gordia, & ce mariage fut céebré avec pompe, dans le temps mêne que l'Empereur faifoit la cérémone de fon entree au confulat. Céoit alors la coutume que les Empeeurs priffent une ou deux fois Ie tre de Conful au commencement e leur regne. Philippique alla camer vers le Tigre; & ayant appris ue les Perfes marchoient au mont ala, entre Amide & Nifibe, il les "évint, & s'empara de la montagne, oü il defcendit enfuite pour ravager pays qui appartenoit aux Perfes. ïux-ci vinrent le chercher, & perrent dans une marche forcée beau-  nu Bas-Empjre. Liv. LIL 355 coup d'hommes & de chevaux; mais malgré cette perte, ils étoient encore fort fupérieurs aux Romains : ce qui obligea Philippique de fe retirer, pour regagner les bords de 1'Euphrate. II partagea fon armée en deux corps, auxquels il fit prendre deux routes différentes pour marcher avec plus de célérité. Le corps dont il avoit donné la conduite a un de fes Lieutenants, s'égara; &c au-lieu de gagner 1'Euphrate, après beaucoup de détours & de fatigues, il fe trouva aux portes de Théodofiopolis. Celui que conduifoit Philippique, traverfant les plaines défertes & arides de la Méfopotamie , fut tourmenté d'une foif fi ardente, que les foldats épuifés, tomboient morts fur les chemins. Le peu de fources qu'ils rencontroient après des marches longues & pénibles, ne fuffifant pas pour les défaltérer, ils prirent le cruel parti de tuer les prifonniers, hommes & femmes, qu'ils trainoient après eux en grand nombre. La compaflion n'épargna que les enfants; mais la foif les fit tous périr. Enfin, Philippique , ayant appris que le refte de Maurice Ann. 584.  MAURIC£ Ann. ysy. XXI. Seconde campagne de Philip, piqué. Simocat. I. I. c. 4. Theoph. p. 215. Cedr. p. ■ 39*. i Zon. t. II. ' P- 74- 1 H'fl. mifc. I- 17. J f r E r e n q p pi d, m m 35^ & 1 s t 0 1 z E jon armée campoit a Théodofiopolis, lalla joindre, & pafta 1'hyver dans cette ville. J ï Lfrfque la faifon lui permit de tenir la campagne, il entra en Arzanene, Szj fit un riche butin. II auroit penetre plus avant, fans une dangereufe maladie, qui Ie tintlone■emps renfermé dans Martyropolis. Le General Perfe, profitant de la cononcture , vint attaquer la ville de tfonocarte, qui avoit pris depuis >eu:1e nom de Tibériopolis. Mais nilippique en avoit relevé les murs annee précédente, & ]'aVoit mife n etat de défenfe. Le Perfe, défef«rant de s'en rendre maitre, vint "re Ie degêt aux portes de Martyapohs, faccageant & brülant les ■ghles & les Monafteres des envi3ns. C'eft k quoi fe terminerent les sploits des Perfes pendant cette anse. Le Cardarigan , c'étoit le nom li ils donnoient k leur Général, regale Tigre k delTein de revenir 'nnee fuivante avec de plus gran;sj £orces- Phdippique, rétabli ae fa aladie aux approches de 1'hy ver, it les troupes en quartier, & re-  nu Bas-Empire. Lh. LIL 357 vint a Conftantinople. Vers la fin de Septembre, il naquit a Maurice un fils qu'il nomma Théodofe. Dès les premiers jours du printemps, Philippique prit la route d'Aïnide, oii il avoit donné rendez-vous k fon armée. 11 y recut une ambaffade d'Hormifdas. Elle étoit compofée des plus grands Seigneurs de la Perfe, k la tête defquels étoit Mébodès, déja employé dans plufieurs négociations avec les Romains. Philippique , pour donner plus d'éclat a cette audience, fe montra aux Perfes dans le plus magnifique appareil, au milieu de fes gardes & des Officiers de fon armée. Le fier Satrape, après avoir promené fes regards fur 1'aflemblée, paria en ces termes : » Je ne vois ici que des ennemis; » ils feront bientöt nos amis, s'ils » veulent écouter les confeils de la *> fagefle. Le Roi de Perfe vous of» fre la paix ; Pamour de la paix » eft digne d'une ame royale : mais » il vous Poffre fans craindre la » guerre. Ne croyez pas que vos » foibles fuccès , que vos ravages -» 1'intraiident : il eft affez puiffant Maurice Ann, 586. XXII. Négociations inutiles. Simocatt l. I . c. 15. /. 2. C. I. tsfeqq. ufqutad 10. Theoph. p, 2l6, 217. Cedr. p. 395 . 3967.071. tom% U. p. 74. Hift. mifc. I. 17. Gretfer de imaginibus non manu faétis.  Maurici Ann, 586, ( 1 1 1 358 HlSTOIRB » pour fe venger. Ce n'eft pas une » priere qu'il vous fait ; c'eft un » confeil qu'il vous donne. Vous » fütes les aggrefleurs : c'eft a vous » a réparer 1'injure & le dommage. » Ce n'eft qu'a force de préfents que » vous défarmerez fa colere. Si vous » épargnez i'or, il faura vous faire >> verfer des larmes ". Ces bravades infolentes exciterent la rifée : on interrompit Mébodès par des railleries, des murmures, des cris confus, & Philippique rompit PafTemblée fans lui répondre. L'Evêque de Nifibe vint peu de jours après faire les mêmes propofitions ; Philippique les envoya par écrit a l'Empereur. Indigné de ces offres outrageantes, Maurice écrivit k fon Général, que pour toute réponfe, il falloit marcher [ur le champ, & porter le fer & le reu dans le cceur de la Perfe. Philippique , ayant regu ces ordres, vottr ut s'afturer du courage de fes follats; il les fit afiembler, & élevant a voix : Camarades , leur dit - il , 'ouh{ - vous combattre ? voule^ - vous ■enger Vhonneur du nom Romain, ou-agé par Cïnfolenct d'une nation tant  nu Bas-Empirë. Liv. LIL 359 dt fois vaincuc? Tous s'écrierent qu'il les menat a 1'ennemi : tous protefterent avec ferment qu'ils étoient déterminés a périr ou a vaincre. II partit auffi-töt, & marcha vers Ie chateau de Bibas, fitué fur lesbords de 1'Arzamon, qui fe jette dans le Tigre. # Le lendemain, il alla camper au pied du mont Izala. C'eft une chaine de montagnes très-fertiles en vignes & en toutes fortes de fruits. Elles étoient habitées par une nation guerriere foumife a Ï'Empire, & tellement atttachée k fon pays, que les incurfions des Perfes qui les tenoient dans des allarmes continuelles, ne pouvoient les déterminer k changer de demeure. L'Izala n'eft qu'une proiongation d'une très-haute montagne , nommée Efumas, d'oü fortent deux branches ; celle de PIzala s'étend jufqu'au Tigre, & iroit fe joindre au mont Caucafe , fi elle n'avoit été coupée par le travail des hommes. Philippique avoit choifi ce campement, paree que les Perfes ne pouvoient venir a lui fans ruiner leur cavalerie, le terrein étant aride & Maurice Ann. 586. XXIII. Mouvements des deux armées.  Maurice Ann. 586. XXIV. Difpofiïionspour la bataille. 360 H I S T 0 1 ii E fans eau dans une grande étendue jufqu'au fleuve Arzamon, dont il défendoit les bords. Le Général Perfe, vain & préfomptueux, ayant appris que les Romains approchoient , ne fit d'abord que rire de cette nouvelle. Mais voyant que fes foldats en prenoient Pallarme, il confulra fes devins , qui lui promirent le fuccès le plus heureux. Cette prédicfion releva le courage des Perfes; ils chargerent leurs chameaux d'outres remplies d'eau, & fe mirent en marche , fi aflurés de vaincre, qu'ils portoient avec eux quantité de cordes 6c de chaines pour lier les prifonniers. Deux Capitaines Sarrafins, que Philippique avoit envoyés a la découverte, vinrent lui donner nouvelle de la marche des ennemis. Le Général Perfe avoit choifi un Dimanche pour attaquer les Romains, efpérant les trouver occupés de la folemnité de ce jour, que les Chrétiens confacrent aux ceuvres dereligion. Philippique, bien averti, ne fe laiffa pas furprendre; il rangea fon armée dans la plaine de Solacon; c'étoit le nom d'un chateau voifin. L'aile  du Bas-Empire. Liv. LIL 361 L'aïle gauche étoit commandée par Iliphrede, Gouverneur d'Emefe , & par Apiich, de la nation des Huns; le Centurion Vital fut mis a Ia tête de 1'aile droite : le centre avoit pour chef Héraclius , pere de celui qui fut depuis Empereur. Du cöté des Perfes , Mébodès commandoit la droite, Aphraate, neveu du Général, la gauche , & le Général lui-même marchoit a la tête du centre. Auffi-töt qu'une nuée de pouffiere eut annoncé 1'approche des Perfes, Philippique portant au haut d'une piqué une image de Jefus-Chrift, qui paffoit pour miraculeufe , courut au travers des rangs, encourageant fes foldats par fes paroles & par la vue de ce divin étendard, qui leur promettoit la victoire. Entre les images qui repréfentoient la face du Sauveur , & qu'on croyoit n'avoir pas été faites de main d'homme, il y en avoit trois célebres : la Véronique, qui fe voit maintenant k Rome dans 1'Eglife de SaintPierre; celle d'Edelfe, envoyée, difoit-on faufTement, par Jefus-Chrift même au Roi Abgare; & celle de Camuliane en Cappadoce, que JufTome XL Q Maurtce Ann. 586.  Maurice Ann. 586. 1 1 t « 1 1 < 3fo HlSTOlRE tin II avoit fait tranfporter a Conftantinople : c'étoit apparemment cette derniere que portoit Philippique. Pour ne pas 1'expofer au hafard d'une bataille , le Général, après 1'avoir montrée aux foldats, Ia fit dépofer dans un chateau voifin, nommé Mardes , ou fe trouvoit alors Syméonès, Evêque d'Amide, qui paffa tout ce jour-la en prieres devant cette image avec les habitants, implorant la proteöion divine fur les armes Romaines. On rapporte en cette occafion un fait plus propre k faire honneur k la bonté de cceur de Philippique , qu'a fa fermeté & a fa prudence : on dit qu'en exhortant fes foldats , il verfoit des larmes, fe repréfentant combien de fang on alloit répandre. Ces larmes , qui liéent fi bien k 1'humanité du vainjueur après une acfion meurtriere, koient , ce me femble, avant le :ombat, capables de détruire 1'effet le fes paroles , & d'amollir des :ceurs qu'il falloit rendre auffi fernes que Ie fer de leurs lances & de eursépées. Ce n'étoit pas cependant [u'il manquat d'intrépidité; il vou-  du Bas-Empire. Liv. LIL 363 loit combattre k la tête de fes troupes ; fes Officiers eurent beaucoup de peine k lui perfuader qu'il devoit ménager fa perfonne, & que la vicfoire dépendoit plus de la fageffe de fes ordres, que de la force de fon bras. Dès que les trompettes Romaines eurent donné le fignal, Vital, a la tête de 1'aile droite, s'élance fur 1'aile gauche des Perfes, &C la renverfe du premier choc. Aufli-tot les foldats fe débandent, & laiflant fuir Pennend , ils ne s'occupent qu'a piller les bagages. Philippique, craignant que ce défordre n'eüt des fuites funeftes, & ne voulant pas abandonner le corps de 1'armée, fait prendre fon cafque a Théodore Ilibin, un de fes gardes, & lui commande de courir fur ces pillards, & de les ramener k grands coups d'épée. Ce flratagême lui réuffit : ceux qui s'étoient difperfés , croyant reconnoïtre leur Général au pannache de fon cafque, fe rallient & reviennent joindre le centre de 1'armée , oü la cavalerie Romaine foutenoit avec peine les efforts decelle des Perfes. Le carnage étoit horQ ij Mauhice A.nn. 5 86, XXV. Bstaiüe de Solacon.  Maurice Ann. 586. 3 ï ï l F r I v li a t< d f< d 364 HlSTOIRE rible, & la terre jonchée de morts. Les armées de Ï'Empire , ainfi que celles^des barbares, ne confiftoient prefqu'alors qu'en cavalerie; mais on ri'oublioit pas encore que 1'infanterie avoit fait autrefois la principale ■orce des troupes Romaines , & que lans les occafions périlleufes, les cavaliers defcendus de cheval avoient buvent déterminé la vicfoire. C'eft :e que Philippique imita en cette ren:ontre ; & ces nouveaux bataillons >réfentant un front hériffé de piqués, '* percant les chevaux des Perfes, es mirent enfin en déroute. Les Aueurs de ce temps-la, avides de ce nerveilleux, que la fuperftition déite, & que la ftupidité adopte, raportent qu'on entendit par toute 1'arlée une voix éclatante qui crioit : tetter Pied d terre, & perce^ les cheaux. Ils ajoutent qu'après la batailun Officier, nommé Etienne, qui voit apparemment la voix du Sten)r d'Homere , foupconné d'avoir onné eet ordre, s'en défendit avec rment; ce qui fit croire que 1'or■e venojt du Ciel. II ne reftoit us de réfiftance qu'è 1'aile droite ;  nu Bas-Empire. Liv. LIL 365 elle fut enfin renverfée , & la moitié de 1'armée des Perfes périt dans cette bataille. Ceux qui échapperent au carnage, furent pourfuivis jufque prés de Dara , 1'efpace de quatre lieues. Les débris de 1'armée vaincue s'étant raliiés fur une colline avec le Général, Etienne vintjes y aflléger, les exhortant a fe renctre. C'étoit 1'élite des troupes de la Perfe; & la honte de leur défaite, loin d'abattre leur courage, y joignoit la rage &c le défefpoir. Sans provifions , fans aucune forte de fubfiflance, réfolus de mourir, plutöt que de fouffrir un nouvel affront, ils fupporterent la faim pendant trois jours. Etienne s'ennuya le premier; il ignoroit en quel état étoient les ennemis, & qu'il tenoit enfermé le Général même. Soit crainte, foit mépris, il reprit lechemin du camp. Les Perfes le voyant partir, trouverent encore en euxmêmes affez de hardieffe & de force pour venir le charger par-derriere. Ils furent mal regus; on en tua un grand nombre, & 1'on fit mille prifonniers. Avant la bataille de SolaQ üj Maurice Ann. 586, XXVI. Suites de la bataille.  Maurice Ann, $86. ; ■1 XX VII. Conduite , de Philippique a- 1 prés la Viftoire. j i \ 3&S H I g T O I R E con, Ie Général Perfe avoit fait cotir per en pieces les outres qui contenoientl'eau de 1'armée, afin de mettre fes foldats dans la nécefïité de vaincre, s'ils ne vouloient pas mounr de foif, les Romains étant maitres du fleuve Arzamon. Cette imprudence en fit encore périr une partie : car ayant rencontré quelques fources, trempés defueur, & tourmentés d'une foif ardente, ils en burentavec tant d'excèi, que plufieurs y perdirent la ^yie. Après toutes ces pertes, Ie Général fe préfenta devant Dara. Mais la garnifon 1'accablant d'injures du haut des murs, refufa de lui ouvnr les portes, alléguant pour raifon que les loix de la Perfe défenloient de recevoir dans aucune place les laches & les fugitifs. Couvert de xmte , il fut obligé d'aller chercher in autre afyle. _ Le lendemain du combat, Philippique fit la revue de fes troupes , k s'inftruifit en détail des aöions de ^aleur qui lui avoient procuré 1'honïeur de cette glorieufe journée. II :onfola les bleffés par des libéralités >roportionnées a la douleur & au  du Bas-Empire. Liv. LIT. 367 danger de leurs bleflures ; il les fit porter dans les villes Sc dans les cha;teaux voifins , pour y être traités avec foin. Entre ceux qui s'étoienl fignalés, les uns furent avancés a dei grades fupérieurs; les autres recurent des récompenfes militaires; c'étoient.de beaux chevaux de Perfe, des cafques & des carquois d'argent, dej boucliers, des cuiraffes, des lances, Le jour même qu'Etienne rejoignil 1'armée , 1'allarme s'y répandit fur le foir; on difoit que les Perfes ayanl re?u de nouveaux renforts, venoient attaquer le camp. Héraclius partil auffi-töt avec quelques cavaliers poui aller k la découverte. Ils arriverenl fur la colline d'oii les Perfes s'étoienl retirés quelques heures auparavant Comme c'étoit un cöteau fort élevé , d'oü 1'on pouvoit découvrir urn grande étendue de pays , ils y attendirent le jour ; & n'ayant point apper§u d'ennemis , ils revinrent ai camp. Dans leur retour, ils rencontrerent un Romain couché par terre , & percé de quatre traits , dont 1< plus dangereux entroit bien avani dans fes flanc. C'étoit un foldat d'EQ iv Maurice Ann. 5S6.  Ma urtce Ann. J86. i i ] 3 3 t, c c xxvni. Ses ex- ^ ploits dans 1'Ar- z' zanene. p S' fc V( <3 fe 368 H i s t o i r £ ia veille dans 1'attaque des Perfes. 11 re,fP,ro" encore. On le mit fur un cheval & on le porta au cam£ nW3 1uS3Utres ^itsjmaison ^s flancsjon etoit affuré qu'en mê- "p IempS °"Iui arracheroit la vie. re brave foldat animé du même - ltmie le celebre Epaminondas, >arla& mourur comme lui. Voyant a crainte & 1'embarras des chirurjens il demanda fi les Romains toient revenus vainqueurs ; & comje on len eut affuré : Eh bien, iMI, agijfo donc, & n'épargner pas 'a la lÜMrai avec joie, puif- 'UJ' laffe la vicloire d mes compatrL s. II expira un moment après dans ;«e operation douloureufe. Philippique n'ayant plus d'enne15 e"^e, fit Je dégat dans 1'Arinene Cette contrée ne paroiffoit us quun vafte défert, les habitants üfant tous cachés dans des foffes uterreines & profondes, oü ils aïient coutume de ferrer leurs erains. uelques pnfonniers découvrirent Ie :ret de leurs retraite;; & ce fut  du Bas-Empire. LitS. LIL 369 une forte d'expédition finguliere. Les foldats Romains, difperfés dans les campagnes , prêtoient 1'oreille au bruit qu'ils entendoient fous leurs pieds, & fouillant les entrailles de la terre , comme pour y cbercher des mines, ils en tiroient les pales habi tants qu'ils chargeoient de chaines Après avoir dépeuplé le pays, Phi lippique alla camper prés de Chlo mare, cette même place forte , de vant laquelle tous les efforts de Mau rice avoient échoué fept ans aupa ravant. Deux Arabes qui comman doient dans l'Arzanene pour le Ra de Perfe , vinrent fe rendre k lui, c" pour fe concilier fa bienveillance ils s'onrirent a lui indiquer une fitiu tion commode pour y batir une foi tereffe , qui tiendroit en bride toi le pays. C'étoit ce qu'il chercho depuis long-temps; il envoya ave eux Héraclius accompagné de vinj foldats pour vifiter le terrein. Cependant le Général Perfe avo raffemblé un grand nombre de pa} fans, de bêtes de fomme & de ch meaux , dont il avoit formé une for d'armée, efpérant du moins impol Q v Maurice Ann. 5S6. i 3 1 t it c ;t it XXIX. r_ Nouvelle entrepri1_ fedesPerte fes.  Maurice Ann. j86. 1 l i c d d k V c d ai tr V( ar C( Pc va ex 37o & i s t o i r e aux Romains par cette apparence; Herachus avec fes gens, qui n'avoient pns d'autres armes que leurs epees , 1 ayant appercu de loin , fe retira fur une hauteur; s'y voyant pourfuiv, il engagna une autre ; & hiyant ainfi de colline en colline, il scnappa aux ennemis , & dépêcha pendant Ia nuit un courier a Phiippique, pour Pavertir qu'il feroit ans doute attaqué lelendemain. Phi'ppique raffemble fes troupes , & 'oulant aller au-devant de Pennemi, l defcend de Ia montagne, fur Iauelle il étoit campé devant le fort e Chlomare.Zabertas, Commandant u tort, I ayant fuivi fans bruit, paffe Ja faveur des ténebres a cöté de armee Romaine , & va ioindre le eneral Perfe. Parfaitement inflruit ï Ia lituation des lieux, il le conduit i bord d une ravine trés - large & ss-profonde, qu'une armée ne pount, franchir a la vue d'une autre mee, fans fe perdre infailliblement. :tte pofition étoit favorable aux rfes, qui, n'ayant que de mauifes troupes, fans courage, fans penence, & prefque fans armes,  nv Bas-Empire. Liv. LIL 371 ne pöuvoient efpérer de tenir contre les Romains en rafe campagne. Philippique, pofte vis -a- vis d'eux hors de la portee du trait, n'étoit pas plus en état de les atteindre, que s'il en eut été féparé par un grand efpace. On paffa ainfi plufieurs jours en préfence, les Romains, effayant fans ceffe inutilement de franchir la ravine, &l les ennemis feconfiant dans la füreté de leur pofte. Enfin, ceuxci, guidés par Zabertas, ayant fait pendant une nuit un grand circuit, tournent la ravine, & fe trouvent le matin fur le penchant de la montagne, entre le camp de Philippique & le fort de Chlomare. Le Général Romain, voyant devant lui une ravine nuraticable, & derrière lui les Perfes dont il ignoroit la foibleffe, poftés au-deffus de fa tête , & protégés par le fort» paffa le jour dans des agitations &C des allarmes continuelles. La nuit fuivante, k peine fes foldats étoientils endormis, que, frappé d'une terreur panique, dont un guerrier expérimenté ne fembloit pas être fufceptible, il fe dérobe a fes gardes 9 Q vj Maurice Ann, 586, XXX. Terreur panique de Philippique.  Mavrice Ann. 586. i ] < I 372 HlSTOlRE & fans donner aucun ordre , 11 s'en.; fuit feul a toute bride jufqu'au chateau d'Aphumes, oü les Romains avoient garnifon. Bientöt le bruit fe répand dans le camp que le Général a difparu, On s'éveille en tumulte, on crie; tous s'interrogent fans fe répondre : la nuit étoit obfcure; au milieu de ces épaiffes ténebres, on croit voir briller le fer ennemi; c'eft un affreux défordre : demi-vêtus , demi-armés, ils courent en foule au bord de la ravine; la fe preffant, fe pouflant les uns les autres , hommes & chevaux fe précipitent pêle-mêle. Un grand nombre fut eftropié de la chüte; plufieurs y furent écrafés; le refte, après des rechütes réitérées, ne gagna le haut qu'avec des peines infinies. Tous les chevaux y périrent, & il n'auroit fallu qu'un efcadron de Perfes, ou même une troupe de valets, qui fe Fuffent montrés fur le bord , pour dé:ruire entiérement toute cette arnée. Mais les Perfes, entendant de eur camp ce bruit confus , furent mx-mêmes faifis d'effroi; ils s'ima;inerent qu'ils alloient être attaqués,  nu Bjs-Empire. Liv. LIL 373 & fe tinrent fur leurs gardes pour recevoir 1'ennemi. Ce ne fut qu'au point du jour, qu'ayant reconnu que les Romains fuyoient, ils fe mirent en mouvement pour les pourfuivre; encore ne les fuivoient-ils que de loin & avec précaution, craignant que ce ne fut un ftratagême. Ils en tuerent cependant un affez grand nombre a coups de fleches. Les Romains , arrivés au chateau d'Aphumes, ayant perdu tout refpecf pour leur Général, 1'accablent de reproches & d'injures : ils en vouloient fur-tout a Théodore, qui, chargé de faire la garde autour du camp pendant la nuit, avoit négligé, par une pareffe criminelle, une faftion fi importante. Peu s'en fallut qu'il ne fut mis en pieces; mais le Général, encore plus coupable , n'ofa même le punir. Les Perfes pillerent les bagages , & trouverent dans le camp de quoi raffafier la faim qui les preffoil depuis plufieurs jours. Philippique i accablé de honte, paffa avec granc péril le fleuve Nymphius, & marcha vers Amide , toujours harceh par les Perfes qui lui tuerent un« Maurice Ann. 586,  Maurice Ann. j 86. XXXI. Succes d'Héraclius, i I i ( I J C d d ti & rr re tc m dt ra 374 H i s t e / & b partie de fon arriere-garde. II s'arreta dans Ie fort de Thomane tur Ie mont Izala, fit rétablir les chSteaux batis fur cette montaene, & v mit garnifon. 7 Pour ne pas terminer la campagne par un événement fi honteux, il donna une partie de 1'armée a Héradius, le plus expérimenté de fes Lieutenants. Ce guerrier répara 1'honneur de Ï'Empire par fon aftivité & >ar fon courage. Non content de ra^ager tous les bords du Tigre du jöté de la Méfopotamie, il paffa ce euve, & porta 1'effroi & lecarnage ans les plus belles Provinces de la erfe. II revint couvert de gloire k heodofiopolis, d'oii il alla rejoinre Philippique au commencement e I hyver. Les fuccès d'Héraclius reoubloient Ia honte du Général. Abati par la douleur, il tomba malade; comme s'il eut renoncé au comandement,il demeura renfermé le fte de cette année & la fuivante ute entiere dans le fort de Thoane, laiffant la principale conduite armee a Héraclius. Je raconte; la fuite des exploits de ce brave  nu Bjs-Empire. Lh. LIL 375 Officier, quand j'aurai rendu compte ' de ce qui fe pafToit alors en Occident, oü 1'on eut a foutenir une rude guerre contre les Abares. Maurice avoit chérement acheté le renouvellement de la paix avec , cette nation guerriere. Maisle Khan, 1 toujours perfide, fufcita fecretement les Efclavons pour faire des courfes . dans Ï'Empire. Ces barbares, portant 1 par-tout la défolation, pénétrerent ' jufqu'a la longue muraille. L'Empe- , reur, allarmé de cette irruption imprévue , fait fortir de la ville les \ troupes de fa garde, & met a leur 1 tête Comentiole , qui repoufle les ' Efclavons jufqu'aux bords de l Ergi- : nias; c'eft un fleuve de Thrace, qui fe jette dans la Propontide prés de la Cherfonnefe. II les attaque en ce lieu au moment qu'ils ne s'y attendoient pas, & en fait un grand carnage. Pour récompenfe de fa valeur, l'Empereur lui envoye le brevet de Général. Comentiole pourfuit les vaincus jufqu'a Andrinople, oü ils fe joignent k un chef de leur nation , nommé Andragaft, qui marchoit k la tête d'un autre corps trés- Haurice Vnn. 587. XXXII. Courfes les Efclarons.Simocat. . l.c. 7, !. /. 2 , n Vfeqq uf uc ad iS. Ivag. I. 6. . io. Cedr. p. 95- iift. mifc. . iJ'heoph. p. 17 , Ïl8.  Maurice Ann. 5 87. XXXIII. La guerre recoramenceavec les Abares. 37itoit un ancien Officier, nommé hifas, qui, après s'être lignalé au fer'ice de Ï'Empire, couvert d'honoables bleffures , s'étoit retiré dans ipiara fa patrie. Accoutumé aux haards, il fortit de la ville affiégée our aller a la chaffe. II fut pris, & omme on étoit fur le point de le.  du Bjs-Empiae. Liv. LIL 383 tuer, il promit aux Abares une riche rancon, s'ils lui laiffoient la vië. On le conduilit au pied des murs, & 1'on fit dire aux habitants par un hérault , que s'ils ne lui rachetoient la vie par une fomme confidérable , on alloit 1'égorger en leur préfence. Bufas, leur tendant les bras , les fupplioit de ne pas laiffer périr un guerrier qui avoit fait tant d'honneur k fon pays; il citoit les batailles oü il s'étoit diftingué; il montroit les cicatrices dont il étoit couvert; il les prioit de prendre fes biens pour payer fa rancon, & s'ils ne fuffifoient pas, il leur repréfentoit qu'ils ne pouvoient, fans une cruelle ingratitude, refufer d'ajouter ce qui manqueroit pour fatisfaire 1'ennemi. Le peuple s'attendrilfoit; mais un jeune Officier, qui entretenoit un commerce de galanterie avec la femme de Bufas, fit rejetter la propofition des—Abares & les prieres du prifonnier. Bufas , putré de colere, ne fut que trop bien fe venger. II obtint la vie en promettant aux Abares de les mettre incefTamment en poffeffion de la ville. II leur apprit la eonftruétion tk. 1'u- Maurice Ann. 5S7.  Maubice Ann. 5 87. XXXVIII Fin de la , guerre , des Aba- ' ras. I I J I C \ r r. £ d 384 H I S T O I R E lage de cette redoutable machine , que Ton nommoit Hélépole , & bientöt Apiaria fut prife & faccagée. Plufieurs autres places eurent le même fort. Mais Bérée en Thrace fut défendue avec vigueur; Se après des attaques réitérées & toujours repouffées courageufement , Ie Khan fe trouva trop heurenx de fauver fon honneur, en recevant une fomme d'argent pour fe retirer. II eut encore moins de fuccès devant Dio:létianople , Philippopolis & Andriiople. II n'en coüta aux habitants que |e la patience & du courage, pour 'obliger k lever le fiege. La prife de Caftus & d'Anfimuth ïxciterent de grands murmures a Conftantinople. On eftimoit ces deux Dfiiciers; & Ie peuple, accoutumé a netrre tous les événements facheux nr le compte de ceux qui gouverient, s'en prenoit k la négligence e Maurice, qui, difoit-on, n'enoyoit pas en Thrace les renforts eceffaires. On le déchiroit publiqueïent par des fatyres, par des chan>ns ; & ce fut la première femence e ces mécontentements qui fe terminerent  du Bas-Empirp,. Liv. LIL 385 jninerent enfin h une fanglante tragédie. Maurice, naturellement froid & incapable de colere, méprifa ces plaifanteries injurieufes, Sc ne fongea qu'a réparer fes pertes. II racheta Caftus Sc Anfimuth; Sc ayant rappellé Comentiole, quoique Jean My ftacon n'eüt pas réuffi contre les Perfes , il 1'envoya contre les Abares: mais il eut foin de lui donner pour Lieutenant-Général un de ces Officiers, qui font la gloire du Général , lorfque celui-ci les employé fans jaloufie , & que ceux-la le fervent de bonne foi, Sc fans autre vue que 1'intérêt de 1'Etat. C'étoit Droftulf, ce brave Sueve, que j'ai déja fait connoitre. II fit lever le fiege d'Andrinople, & le lendemain il termina la guerre par une bataille , oii les Abares furent taillés en pieces. Cette défaite abattit tellement la fierté du Khan, qu'il n'ofa fortir de la Pannonie pendant les cinq années fuivantes. II abandonna Sindigon & toutes les places qui bordoient le Danube, dont les garnifons Romaines reprirent poffeffion. La guerre continuoit en Perfe, Tome XI, R Maurice Ann. 5S7. xxxix: Explcnts  Maurice Ann. 587. des Romains en Perfe. Simocat. 1.2. C. 18. Theoph. p, 218, 219. j '4 < < 1 < I I | I C 2 386 HlSTOlRE Philippique, rerenu par la maladie dans le chateau de Thomane , divifa fon armée en deux corps; il donna le plus confidérable k Héracliiis, & mit a la tête de Pautre André & Théodore d'Addée. Héraclius attaqua une fortereffe affife fur un rocher fort élevé. Elle le tint longtem ps arrêté, Sc il fallut employer toutes les machines alors en ufage Jans les fieges. Les habitants, pour en amortir les coups, fufpendoient devant leurs murs des facs tifïïis de 3oil de chameau Sc remplis de paille. L'attaque n'étoit pas moins opiniere que la défenfe. Pour ne donner meun relache aux alTiégés, les Ronains fe diviferent en plufieurs corps, . jui fe fuccédoient tour-a-tour. Ces :fforts continuels réduifirent enfin es habitants. Les Romains, maitres le la place, y mirent garnifon. Théolore Sc André s'occupoient k réparer e fort de Mazare, qui tomboit en uine , lorfqu'on vint leur donner vis, qu'il leur feroit facile de s'em>arer du chateau de Béjude, fitué ans le voifinage, Sc dépourvu de arnifon fuffifante. C'étoit une place  du Sjs-Empire. Liv. LH. 387 importante par fa fituation 6c par la force de fes remparts. Ils partirent auffi-töt, 6c y arriverent au point du jour. L'avis fe trouva faux; le chateau étoit bien gardé, 6c ils furent falués a leur arrivée d'une grêle de pierres & de fleehes qu'on leur lanfa du haut des murs. Ils réfolurent cependant de ne pas quitter la place, qu'ils ne s'en fufTent rendus maitres. Elle étoit fituée fur un roe efcarpé, 6c défendue par une tour avancée, conftruite de pierres aufli dures que le diamant. Les Romains defcendus de leurs chevaux, montent fur le rocher, s'approchent k 1'abri de leurs boucliers; 6c malgré les pierres 6c les traits, ils donnent 1'affaut, 6c s'emparent de la tour. Ils affiegent enfuite le corps de la place, & abattent k coups de traits ceux qui fe montrent fur le haut des murs. La valeur, opiniatre 6c incroyable d'un foldat, nommé Sapérius, abrégea ce fiege qui devoit être long 6c difficile. II s'avance jufqu'au pied de Ia muraille; 6c enfoncant des coins aigus les uns au-deffus des autres entre les jointures des pierres, s'acR ij Maurice Ann, 587.  Maurice Ann, 587. i 1 s 388 H 1 s t 0 1 a. e crochant avec les mains aux inégalités du mur, il vient a bout de monter aux créneaux. II étoit prêt de les atteindre , lorfqu'un foldat Perfe, roulant fur lui une grofTe pierre, .le précipita du haut en-bas. Ses camarades le relevent, & fe mettent en devoir de le porter au camp fur un bouclier, II ne leur en donne pas Ie temps ; il n'étoit qu'étourdi de fa chüte ; bientöt revenu a lui, il faute k terre, & courant k la muraille, il remonte de nouveau, Le même Perfe le renverfe encore, en faifant tomber fur lui un pan de muraille, déja ébranlé par les coups de bélier. Sapérius , affez heureux pour n etre pas écrafé de cette maffe, retourne iine troilieme fois , &c parvenu au ïaut du mur, il abat d'un coup de abre la tête a fon ennemi, & la ette aux pieds des alïiégeants, qui, :tonnés de ces prodiges de hardieffe, ic embrafés d'émulation, s'emprefent d'affronter les mêmes périls. Un rere de Sapérius elf le premier a le Liivre; il Patteint bientöt, &. comat a fes cötés fur la muraille, renerfant & précipitant tout ce qui  du Bas-Empire. Liv. LH. 3S9 s'y trouve d'ennemis. En même- ' temps une nuée de foldats monte a ' 1'efcalade ; les premiers qui fautent dans la place , ouvrent les portes au refte de 1'armée : on maffacre, on pille, on fait grand nombre de prifonniers, & on laifTe gamifon dans Béjude. Au retour de cette expédition , Philippique mit fes troupes en quartiers d'hyver, & aux approehes du printemps , il prit la route de Conftantinople, laiflant le comlirandement a Héraclius. Ce fage Officier répara les défordres caufés par l'état de langueur oü fe trouvoit le Général depuis long-temps : il fit une exafte recherche des déferteurs; il remit en vigueur les faftions & le? travaux militaires; & par la févérité des chatiments, il rétablit la difcipline. R ii) Waukice Inn. 587,   391 S O M M A I R E d v LIVRE CINQUANTE-TROISIEME. I, Pr l s q_u e fuccede d Philippique. II. Révolte des troupes. III. Germain élu Général. IV. Suite de la fédition. V. Défaite des Perfes. VI. Les prifonniers de Léthé en Perfe s'échappent, & reviennent d Conjlantinople. VII. Üarmée refufe Philippique pour Général. VIII. Grégoire , Evêque d'Antioche, calomniê & juflifiê. IX. // ejl employé pour adoucir les foldats d t'égard de Philippique. X. Philippique regu par les foldats. XI. Les Perfes s'emparent de Martyropolis. XII. Tremblement de terre d Antioche. XIII. Maurice donne le titre SAugufe d fon fils. XIV. Guerre devant Martyropolis. XV. Bataille de Sijdrbane. XVI. Commencement des troubles de Perfe. XvilV Vicloiresde Varame fur les Turcs. XVIII. II ejl battu par les Romains. XIX. Troubles en Arménie. XX. Révolte de VaR iv  392 SOMMAIRE ramt. XXI. Progrès de la révolte. XXU. Varame dibauche les troupes envoyées contre lui. xxm. Hormifdas détróné. XXiv. Harangue cCHormifdas aux révoltes. XXV. Harangue de Bindoès. XXVI. Horrible traitement XHormifdas. xxvii. Chofroès II fuccede d fon pere, & h fait mourir. XXVIII. Vains efforts de Chofroës pour gagner Varame. XXIX. Défaite de Chofroès. XXX. Chofroës fe retirefur les terres de CEmpire. XXXl, Lettre de Chofroès d ÜEmpereur. XXXII. Varame prend le titre de Roi. XXXlii. Mouvements de Chofroès. XXXIV. Maurice accorde du fecours d Chofroès, XXXV. Confpiration contre Varame. XXXVI. Martyropolis rendu aux Romains. xxxvn. Zadefprate maf facrê. XXXVlii. Gènèrofuè de Mauriee a Cégard de Chofroès. XXXIX. Progrès de Chofroès. XL. Marche de Chofroès. XLI. II fe rend maitre des principales villes de la Perfe. XLII. Arrivèe des troupes d'Arménie. XUll. Difpofitions pour la bataille. xuv. Bataille du Balarath. XLV. Chofroès rètabli dans fes Etats. XLVI. Conduite de Chofroès après fon rétabliffement. XLVII. Agilulf, Roi des Lombards. XLVIH. // afege Rome.  du Livre LIIIe. '393 XLIX. Conduite de Saint Grégoire a régard de Maurice. L. Ambition de Jean le Jeüneur. LI. Saint Grégoire jufiifié d'avoir attenté fur la puijfance temporelle. Lil. U travaille a procurer la paix avec les Lombards. LUI. Les Lombards recommencent leurs ravages. LIV. Alliance des Lombards avec les Abares. LV. Ruine de Padoue, R Y   595 HISTOIRE D U B AS E M P I RE. LIVRE C1NQUANTE-TR01S1EME. MAURICE. Philippique, arrivantaTarfe, apprit que Maurice venoit de lui nommer un fuccefTeur. L'Empereur, ennuyé fans doute de la longue inaction de ce Général, s'étoit enfin déterminé a donner a Prifque le commandement de 1'armée de Méfopotamie. Philippique, outré contre fon beau-frere, & jaloux du nouveau Commandant, acheva de fe déshoR vj Mavrice Ann. 588. i. Prifqus fuccede a Philippique. Simocat. I. 3. c. I. Evag. I. 6. Cr 4- Nicsfh,  Ann. 588. CalLl. 18. e. 11. Theoph. p. 3.lcj. Hift. mifi, h 17- J 4 1 I 1 < C T f. tl q V 396 II I S T O I X E norer par une de ces vengeances qui ont quelquefois dégradé Ja plus haute valeur. II réfolut de s'arrêter a Tarfe, & de mettre obftacle aux fuccès de Prifque, en lui ötant fon medleur Officier, & la confiance des troupes. II manda donc a Héraclius, entierement dévoué a fes volontés, quil laiffat 1'armée fous les ordres de Narfès Gouverneur de Conftantine, & qu 4 fe retir^t dans Ia Cappadoce la patne. II lui envoyoit en mêmetemps un édit, qu'il avoit prudemment fupprimé jufqu'alors, de crainte i ahener Ie cceur des foldats. Par eet ;dit, l'Empereur, économe jufqu'a avance , leur retranchoit le quart Ie leur paye & de leurs rations. Phiippique ordonnoit a Héraclius de le oiblier avant fon départ; ce qui fut rop ponauellement exécuté. Prifue, étant arrivé a Antioche, envoya rdre aux troupes dans leurs diffé?nrs quartiers, de fe rendre incefimment a Monocarte. II paffa quae jours k Edeffe, qui n'en étoit i'k deux journées. II y trouva 1'EIque de Damas, Germain, fon ami, 11 offrit de 1'accompagner. Com-  hv Sas-Empire. Liv. LUI. 397 me ce Prélat étoit aimé & refpecté des troupes, Prifque lui fit prendre les devants pour annoncer fon arrivée. A cette nouvelle, toute 1'armée fort du camp pour aller a la rencontre du Général, qu'elle joignit a une lieue de Monocarte. II étoit d'ufage chez les Romains, que lorfqu'un Général prenoit poffeflion du commandement, 6c que fon armée venoit au-devant de lui, il defcendit de cheval, qu'il faluat avec affection les Officiers 6c les foldats, 8c qu'il marchat a pied au milieu d'eux kifqu'au camp. Prifque étoit fier 8c hautain; il ne tint compte de eet ufage, 6c les foldats s'en offenferent. Ils s'aigrirent bien davantage, lorfqu'ils virent exécuter 1'édit de l'Empereur. Prifque étoit arrivé la veille de Paques , qui tomboit cette année au dix-huitieme d'Avril. Ils laifferent paffer ce faint jour & le lendemain; mais le troifieme jour au foir, comme on leur diflribuoit leurs rations felon le nouveau réglement, ils entrent en fureur, courent a la tente du Général, jöttent Maurice Ann. $ SS. II. Révolte des tro»pes.  Maurice Ann, 5 88. j ] I 1 ( 1 a a n f< c v C e: 1'; V\ 398 H I S T O I RE des pierres, tirent leurs épées, poufJent des cris, & chargent des plus norribles imprécations, & l'Empereur & fes Généraux. Prifque, effrayé de ce tumulte, en demande la caufe; on lm répond que 1'armée a fecoué Ie joug de 1'obéiffance , & qu'elle ne reconnoit plus de Commandant. Saifi depouvante, & tremblant de tout on corps, il ordonne a un de fes Lieutenans nommé Uiphrede, de préenter aux féditieux 1'image de la face lu Sauveur, & de la promener dans e camp pour effayer de ramener le :alme. Mais la fureur étoulfant tout elpea pour la religion, on accable le pierres & Uiphrede & cette imae reverée. Le Général éperdu prend ; cheval d'un de fes gardes, & fuit toute bride. II n'avoit pas de temps perdre, peu s'en fallut même qu'il e futalfommé par les valets qui fai)ient païtre les chevaux hors du imp; il ne leur échappa qu'au traers d une grêle de pierres. II gagna onftantine; & pour appaifer les pnts, il manda aux Officiers de irmée de n'avoir point d'égard k ;dlt > & de ne rien retrancher de  du Bas-Empire. Liv. LUI. 399 la ration & de la paye ordinaire. II fongea enfuite a fe faire guérir de fes bleffures. La retraite du Général rendit les mutins plus hardis & plus infolents. On déchire fa' tente, on pille fes équipages ; les Officiers fubalternes prennent auffi la fuite; la fédition n'a plus de frein. Cependant les foldats veulent un chef; ils fe failiffent de Germain qui commandoit les troupes de Phénicie , & s'étant alfemblés tumultuairement, ils le proclament Général. Germain refufe ce titre; ils le chargent de coups, le menacent de la mort, & le contraignent d'accepter le commandement. Ils caifent tous les Officiers, depuis les Lieutenants-Généraux, jufqu'aux Décurions, & en nomment d'autres a leur gré. Germain leur fait jurer qu'ils obéiront a fes ordres, & qu'ils ne commettront aucune violence contre les fujets de Ï'Empire. Les chofes étoient en eet état, lorfque 1'Evêque de Conftantine arriva au camp. Prifque 1'envoyoit pour affurer que l'Empereur avoit révoqué fon édit, que les lettres de révocation étoient entre Maurice Ann. 5 88, III. Germain élu Général. Simoc. I. 3.f. 2, 3 Evag. I. 6" c. 4, 5. 6' Theoph. p. 119,220. Niceph. Call.LlS. c. 11. Hift. mifa l. 17.  Maurice Ann, 5 88, 1 i < < 1 c J t t c I fi P a n ci ti ti: k k ro 40O H I $ T 0 I R s les mains de Prifque , & que ce malheureux edit étoit Pouvrage de Philippique , qui Pavoit follicité auprès de ! Empereur. Ce dernier article étoit *° 1mfnfonSe hafardé pour rejetter ur Phihppique tout 1'odieux de cette ordide economie. Quoique les follats fuffent affez mal difpofés k Pé|ard de Philippique, cependant, loin le ie rendre aux remontrances de Evêque, ils Pinrerrompent en s'énant tous de concert; Chajfa, chaf. '■l Prifque de votre ville. En mêmeïmps ils fe difperfent, & vont abat'f les fatues de l'Empereur , plaees felon 1'ufage k la tête du camp. . s arrachent & foulent aux pieds ■s images attachées aux enfeignes. nfque, ne fe croyantpas en füreté Conftantine, s'enfuit a Edeffe. L'aree lui envoye quarante-cinq Offiers pour lui fignifier qu'il ait k forr de cette ville. Mais Prifque jufie fa conduite , & vient k bout de s mettre fi bien dans fes intéréts, «ils lui promettent de s'employer calmer les foldats. Ils tiennent paIe , & s'expofent eux-mêmes au is grand danger en entreprenant  du Bas-Empihe. Liv. LIIL 401 Papologie du Général. Toute 1'armée fe fouleve contr'eux; on veut les mettre en pieces; on fe contente cependant de les cafTer &c de les jetter hors du camp. On détache ua corps de cinq mille foldats, pour aller forcer Prifque dans EdefTe. Les habitants leur refufent l'entrée; ils menacent de donner affaut. Pour éviter une guerre civile, Prifque fe dérobe pendant la nuit , & revient è Conftantinople. L'Empereur crut remédier a ce défordre , en rendant le commandement k Philippique. Mais les foldats campés a Monocarte, ne Peurent pas plütot appris, qu'ils fe fouleverent de nouveau, & s'engagerent même par ferment k ne jamais reconnoitre pour Général ce fugitif, ce perfide, qui, difoient-ils, après avoir lachement abandonné fon armée, en trahiffoit fourdement les intéréts. Philippique , averti de ces difpofrtions , n'ofa pas fe hafarder k paffer 1'Euphrate ; il fe tint dans Hiérapolis, pour attendre que le calme fut rétabli. Cependant les féditieux, oubliant le ferment qu'ils avoient prêté Maurice Ann, 5 SS. IV. Suites de la fédition.  Maukic Aan, jSi V.' Défaite «les Perfes. Simocat. l- 3- c. 3 , 4, ï. Evag. I. 6. «•9,io. Theoph. p, 220. Cedr. p. 396. Hift- mifc. I. 17. mf* H 1 S T 0 I R E - a Germain, ne tenoientaucun comp. te de fes ordres. Maïtres d'un Général qu ils avoient créé, ils fe diftribuoient eux-mêmes leurs rations, fans obferver ni poids ni mefure; plus de facfions, plus de difciphne' ils quittoient le camp felon leur caprice alloient fe loger k leur gré dans les vdlages & dans les cMteaux voifins; & comme s'ils euffent été etrangers a Ï'Empire , ils Iaiffoient 1ennemi ravager impunément la frontiere. Conftantine fut attaquée, Germain, a Ia tête d'un corps de mille cavaliers furprit les Perfes, & nik la ville en furete. II eut enfuite beaucoup de peine k mettre enfemble quatre mille hommes, qu'il fit avancer iur le pays ennemi. Dans ces conjoncf ures , Ariftobule, Intendant d'un des palais de l'Empereur, vint au camp. C'étoit un homme adroit, qui fut par fes difcours & par des préfents diftribués a propos, adoucir les féditieux, & reveiller dans leur ame les fentimênts i honneur, que la révolte avoit prefque etouffés. Les foldats fe raffemHent & fe partagent eafuite en deux  du Bas-Empirb. Liv. LUI. 403 corps: 1'un marche vers Martyropolis ; 1'autre fur les terres des Perfes. Ce dernier corps rencontre 1'armée ennemie commandée par Maruzas, qui leur ferme le paffage. Trop foibles pour combattre ce Général, ils reprennent le chemin de PArzanene, paffent le Nymphius, & s'approchent de Martyropolis, oü ils rejoignent 1'autre corps d'armée. Maruzas, qui les avoit fuivis jufque-la, leur offre la bataille : elle fut très-fanglante, & Unit a 1'avantage des Romains. Le Général Perfe demeura fur la place; & de toute fa nombreufe armée, il ne refta que quatre mille hommes, dont trois mille furent pris avec les principaux Officiers, & mille fe fauverent a Nifibe. Un avantage plus grand encore , c'eft que le feu de la fédition s'éteignit dans le fang des Perfes: la joie de la vicloire diffipa cette humeur fombre & chagrine, qui accompagne 1'efprit de révolte: les foldats reprirent envers l'Empereur les fentiments de refpeft & d'obéiffance. Pour réparer par leurs hommages les attentats dont ils s'étoient rendus coupables, ils envoyerent è Maurice Ann, 588.  Maurice Ann, j88. VI. Les prifonniersde Léthé en Perfe s'échappent, & reviennent a Conftantinople. ] ( 1 i 1 < -I i 404 HlSTOIRE Maurice les étendards des Perfes avec la tête de Maruzas, & les dépouilles les plus précieufes. Ainii le termina cette campagne, dans laquelle les Romains, après avoir vaincu les Perfes, eurent la gloire de fe vaincre eux-mêmes. Pendant que la guerre fe faifoit devant Martyropolis, une aftion de hardieffe étonna la Perfe entiere, 6c porta la joie dans Ï'Empire. Le chiteau de Giligerdon, nommé par les Grecs le chateau de 1'Oubli, cette prifon affreufe dont j'ai parlé fous le regne d'Anaftafe, étoit alors remplie ie malheureux, qui ne s'attendoient 1 voir finir leurs maux qu'avec leur /ie. C'étoient des fujets difgraciés, les Cadaféniens punis de leur révolte :ontre la Perfe, dont ils habitoient es montagnes , des Romains que Chofroës avoit faits prifonniers quin:e ans auparavant , lorfqu'il s'étoit mparé de Dara. Ces infortunés, difërents de mceurs , de religion, de angage, mais réunis par un même iéfefpoir, trouverent moyen de conftirer pour leur délivrance. Les prionniers de Dara furent les chefs de  du Bas-Empire. Liv. LUI. 405 Pexécution. Ils fe jettent fur la garde , & quoiqu'elle fut très-nombreufe, ils lui arrachent les armes des mains, &la maflacrent avec le Commandant. Ils délivrent enfuite leurs camarades d'infortune ; & tous enfemble traverfent la moitié de la Perfe , au milieu de laquelle étoit litué ce chateau. Après diverfes aventures, ils arrivent a Conftantinople, oh ils font recus au milieu des acclamations du peuple , traïnant après eux , pour rendre complete cette forte de triomphe, une fceur du Commandant qu'ils avoient enlevée. La fédition s'étoit appaifée d'ellemême, & Germain, auffi empreffé de quitter lecommandement, qu'il avoit eu de répugnance a 1'accepter, attendoit avec impatience le Général que l'Empereur voudroit envoyer. Pour achever de regagner les cceurs, Maurice fit diftribuer de l'argent aux foldats, en réeompenfe de leur victoire; & en même temps, pour fauver 1'honneur de la difciplime, il fit prononcer dans fon Confeil un jugement fur la révolte. Germain & ïes chefs de la fédition furent con- Maurice Ann. 58,8. Ann. 589, VII. L'armée refufe Philippique pour Général.  Maurici Ann, 589, nn - ^ VIII. Grégoire, Evêque d'Antioche , calomnié Se juftifié. Evag. 1,6. t. 7 , II. JNiceph. Call.l.lS. u, 14. 406 HlSTOIRE 1 damnés a mort; mais l'Empereur, en leur faifant fignifier leur fentence, leur envoya des lettres de grace , qull accompagna même de largefles. André, Commandant de la garde, fe tranfporta au camp devant Martyropolis , pour y faire rentrer les Officiers que les féditieux avoient chaffés. Ils y furent rec,us fans réfiftance, & reprirent leurs emplois. Mais il n'en fut pas de même de Philippique; les foldats perfiftoient a rebuter ce Général, & il y avoit lieu d'appréhender, que fi Pon vouloit les contraindre fur ce point, la fédition ne fe rallumat. Grégoire, Evêque d'Antioche, fe trouvoit pour lors a Conftantinople. C'étoit un Prélat adroit, éloquent, & capable de manier avec dextérité les affaires les plus difficiles. Perfonne n'étoit plus propre a réuffir au prés des troupes. Sa générolité k Pégard des gens de guerre, qu'il fourniffoit d'argent , d'équipages & de provifions lorfqu'ils pafToient par Antioche, lui avoit gagné le cceur des Officiers & des foldats. Une injufte perfécution Payoit fait venir a Ia  du Bas-Empire. Liv. LI1L 407 Cour. Aftérius, Préfet d'Oriënt, ayant avec lui une conteftation, engagea dans fa querelle les premiers de la ville. Le peuple d'Antioche, dont 1'infolence & le libertinage fut de tout temps le caracf ere, prit le même parti, & bientöt il ufa fans pudeur de la liberté qu'on lui laiffoit d'infulter 1'Evêque. Les rues & les places de la ville retentifToient de propos fcandaleux, & de chanfons fatyriques contre le Prélat; on le jouoit fur le théatre, & la calomnie fe joignant au ridicule, on alloit jufqu'a lui reprocher des intrigues criminelles. L'Empereur, informé de ce défordre, fe hata de rappeller Aftérius, & mit a fa place un nommé Jean, abfolument incapable de traiter les moindres affaires. Ce perfonnage, fans fermeté comme fans jugement , fe déclara pour le parti le plus fort: il donna par édit aux habitants la permiffion de former leurs accufarions contre 1'Evêque Grégoire, II fut bientöt accablé de libelles calomnieux : un banquier d'Antioche fe fignala par fon effronterie; il accufa ce (aint Evêque d'un adultere Maurice Ann. 589,  Maurice Ann, 5S9. IX. II eft employépour adoucir les , foldats a . 1'égard de ' Philippi- 1 que. j Evag. I. 6. c. 11. 1 Niceph. 1 f-all. I. 18. j 14. IJ. Simocat. * /. 3-1.5. 408 HlSTOIRS, inceftueux avec fa propre fceur. Le Prélat, ne trouvant point de juftice dans fa ville épifcopale, prit le parti d'en appelier a l'Empereur & a un Concile; il fe rendit a Conftantinople. On y tint une afTemblée compofée du Sénat, des Patriarches, dont quelques-uns aftifterent en perfonne, & les autres par députés, & des Evêques des principaux fieges de l'Orient. Après de grands débats, fuivis d'un mur examen, Grégoire fut déclaré innocent ; 8c le banquier, fon principal accufateur, condamné a être fouetté publiquement, promené par les rues de Conftantinople, 8c banni k perpétuité des terres de Ï'Empire. Le Prélat, pleinement juftifié par m jugement fi authentique, recut orIre de l'Empereur d'employer fon :rédit auprès des troupes pour leur aire recevoir leur Général. II reourna aufli-töt a Antioche; 8c comne les chagrins qu'on lui avoit fufciés 8c les fatigues qu'il avoit efliiyées >our confondre la calomnie, Pavoient endu malade, il ne put aller au-dela le Litarbes a douze lieues d'Antioche,  du Bas-Empirë. Liv. LUI. 409 che, & il y fit venir par un ordre de l'Empereur, les principaux de 1'armée. Ils s'y rendirent au nombre de deux mille. Lorfqu'ils furent arrivés , Grégoire s'étant fait porter en Htiere fur un tertre affez élevé pour être vu & entendu de tous, leur paria en ces termes. » Romains, car votre » vicfoire vous a rendu ce nom glo» rieux qu'un trouble funefle vous » avoit fait perdre, au premier bruit » que j'entendis de vos murmures » & de vos plaintes, mon affecfion » me portoit vers vous, & je ne » pouvois voüs favoir mécontents » fans être moi-même affligé. C'efl: » pour moi la fatisfaftion la plus fenw fible de voir ici autant d'amis que »> je vois de guerriers. Mais les coups »> mortels que des ennemis domefti» ques, plus acharnés que les Perfes, »> portoient a ma réputation, m'ont » éloigné de vous jufqu'a ce jour. m Nous étions vous & moi également » a plaindre; & dans le temps, qu'em» portés par la colere, vous pourfui» viez vos Officiers, pénétré de dou» leur, je me voyois pourfuivi par » mes citoyens, Nous voila enfin. Tems XL S Maürice Ann. 5S9,  Maurice Ann. j8g. 4IO HtS T O I R E » tranquilles & rendus k nous-mê^ » mes, & nous avons également k » nous féliciter , vous de la clémen» ce, moi de la juftice de 1'Empe» reur. Lagrace divine a voulu feule » & fans 1'organe d'aucun homme, » agir fur votre cceur; elle vous a » lanfe la gloire de revenir de vous» mêmes k votre devoir. Vous avez » donné deux grands exemples a la » fois; les Perfes viennent d'appren» dre que les foldats Romains, fans » autre conduite que celle de leur > valeur, font en état de les vain- > cre;'& vous avez montré k 1'uni- > vers que la haine contre vos Offi- > ciers ne peut éteindre 1'ardeur dont > vous êtes embrafés pour la patrie. > Vous avez fait de grandes aftions; ) voyons maintenant ce qui vous > refte a faire. L'Empereur vous ■ rend fa bienveillance, il oublie vos 1 attentats; votre vicfoire , votre zele pour 1'honneur de Ï'Empire, les ont effacés de fa mémoire; il vous a déja honorés de glorieux témoignages de fa bonté; il va jufqu'a la reconnoiffance dans une conjonaure oü vous pouviez k  dv Bas-Empire. Liv. LUI. 411 *> peine vous flatter de fa clémence, » Maurice a cru fe conformer aux » volontés du Ciel, qui en vous pro» tégeant dans la bataille, a fait con« » noitre qu'il vous avoit pardonné » II vous refte k couronner votre » obéiffance. Souvenez - vous que » vous êtes les defcendants de ces »> héros, qui immoloient leur propre< » enfants a la févérité de Ia difcipline » militaire. Les grands exploits onl » befoin de deux reflbrts, prudence t> dans les chefs , obéiffance dans lei » foldats : le défaut de 1'un des deus »> fait échouer les entreprifes. Ren» dez-vous donc a mes confeils; que » l'Empereur ne trouve en vous nulle réfiftance k fes ordres: la promp» titude a les exéaiter fera votre » apologie; on imputera votre fou» levement, non a 1'efprit de révol» te, mais a la mauvaife conduite de » vos Commandants. Si vous refu» fez d'obéir, quelle douleur poui » moi, quel malheur pour vous ! » Vous n'avez pêché jufqu'ici que » par emportement &C par impatien» ce, vous allez être rebelles & cri» minels. Songez aux fuites funeftes S ij Maurice Ann. 589,  Maurice Ann. 589. X. Philippique recu par les foldats. Evag. I. 6. c. 12. Niceph. ÉW/./.lS. t, 16. 412 HlSTOlRE » de toutes les féditions. Et quelle » fera votre reffource? Ferez-vous » la guerre a votre Souverain, k » votre patrie? allez-vous devenir » barbares ? allez-vous armer contre » vous toutes les forces de 1'Empi»> re? Non, Romains; reconnoiffez » votre nom, vos étendards, votre » Empereur; reconnoiffez un Evê» que qui vous donne de nouvelles »> preuves de fon affeftion & de fon » zele. _ Confultez votre honneur, » vos intéréts inféparables de ceux » de 1'Etat. Ecoutez le Ciel niême » qui vous parle en ces faints jours. » Les mvfteres augufles dont la fo» lemnité approche, vous montrent » un Dieu obéiffant jufqu'a mourif » fur une croix ". C'étoit le Lundi de Ia Semairtefainte que Grégoire parloit ainfi, & fes larmes encore plus éloquentes que fes difcours, acheverent de toucher le cceur des foldats. II ne leur avoit pas nommé Philippique, qui leur étoit odieux; mais ils entendoient affez que cette obéiffance qu'on exigeoit d'eux, conliftoit a le recevoir. Ils demanderent quelques  nu Bas~Empire. Llv. LUI. 413 moments pour délibérer enfemble, & peu de temps après ils revinrent trouver 1'Evêque , declarant qu'ils étoient prêts k le fatisfaire , mais qu'ils s'étoient engagés par ferment, ainfi que toute 1'armée, a ne jamais reconnoitre Philippique pour Général. Je vous releve de votre ferment, leur dit-il, l'Evangile donne d 1'Evêque le pouvoir de lier & de délier dans le Ciel & fur la terre. Comme le ferment dont il s'agit, étoit un crime, on ne peut contredire ici 1'application de cette maxime, dont on a fi fouvent abufé. Ils fe rendirent k ces paroles; & le Prélat, après avoir célébré la liturgie, les admet a la participation des faints myfteres. II adminiftra le baptême k plufieurs d'entr'eux qui n'avoient pas encore recu ce Sacrement. II les fit enfuite affeoir fur 1'herbe, & leur diftribua des aliments. Le lendemain il reprit le chemin d'Antioche , & dépêcha deux couriers, 1'un k l'Empereur , 1'autre k Philippique, pour les inftruire de la foumiflion des troupes. Philippique approchoit d'Antioche, lorfqu'il rencontra les foldats qui venoient S iij Maurice Ann. 589.  Maurice Ann. 589. XI. les Perfes s'emparent de Martyropolis.Simocat. 1. 3- c. 5. Evag. I. 6. c. 13. Niceph. Call.1. 18. 17. 4H H I $ T O I & E au -devant de lui. A leur tête marchoient les nouveaux baptifés, comme plus capables de trouver grace auprès de leur Général. A fon arrivée ils fe jetterent a genoux , & Philippique leur ayant préfenté la main en figne de réconciliation, ils partirent k fa fuite, & retournerent au camp de Martyropolis. ' Peu de temps après, les Perfes semparerent de cette ville par un ftratagême dont 1'auteur fut un des principaux habitants, nommé Sittas. Irrité contre un des Officiers de la garnifon, il prit le temps qu'elle étoit fortie de la place pour une expédition particuliere. II paffa fecretement k 1'armée des Perfes, & leur confeilla d'envoyer quatre cents hommes, qui fe préfenteroient auxportes comme déferteurs. Etant enfuite rentré dans la ville, il engagea fes concitoyens k recevoir ces transfuges , qui^ feroient leur plus füre défenfe. Dès qu'ils furent entrés, ils :hafferent tous les habitants, excepté les jeunes femmes & les efclaves. Philippique, averti de la perte de :ette place importante , y marcha  nu Bjs-Empire. Liv. LUI. 415 auffi-töt, &l'affiégea, quoiqu'il fut dépourvu de tous les fecours néceffaires. II avoit déja pratiqué des fouterreins, & fait tomber une des tours , lorfque s'appercevant que les Perfes réparoient pendant la nuit les breches faites aux murailles pendant le jour, & qu'il perdoit plus d'hommes qu'il n'en tuoit aux ennemis , il prit le parti de fe retirer, & de camper a quelque diftance. Grégoire, Evêque d'Antioche, vint de la part de Maurice lui ordonner de retourner & de continuer Ie fiege, II y perdit le refte de la campagne , faute des machines alors en ufage pour battre les villes affiégées. II prit fes quartiers d'hy ver, tenant Martyropolis comme bloquée par les troupes qu'il diftribua dans les chateaux circonvoifins. pour empêcher les Perfes d'y faire entrer des fecours. Le dernier jour de Septembre de cette année 589, Antioche éprouvs un tremblement de terre, tel qu'elle n'en avoit point reffenti depuis h première année du regne de Juftinien. II commenga trois heures aprè: !§ coucher du foleil. Quantité d'éS iy Maurice Ann. 589. ' XII. . Trembfe-' ment de terre a Antioche. Evag. I. &. c.S&ibid, Valef. Nicegfa,  4 Maurice ] Ann. 589. | Call. i,iS. *. 13. 1 Pagi ad { Mar. t i C f I I r t £ d 1 ti é n t( n ir ri a; q: le tltf fl I S T 0 I Z £ lifices, plufieurs Eglifes , les deux >ains publics , dont 1'un s'ouvroit e matin, & 1'autre le foir, furent enverfés. On remarque dans ce déaflre deux événements mémorables: ous les batiments qui formoient le orps de la principale Eglife furent battus, a 1'exception du döme qui at confervé par un effet fingulier. Ibranlé par les tremblements de terre récédents, il penchoit du cöté du ord , & n'étoit foutenu que par es étaies. Une violente fecouffe les t tomber avec grand fracas, & le ome, au-lieu de les fuivre, retoma a plomb fur le ceintre, & fe reouva dans Ie même état oiiil avoit :é conftruit. L'autre fait n'eft pas loins remarquable. Le palais épif)pal s'écroula, & ceux qui 1'habifient y périrent, excepté 1'Evêque : quelques perfonnes qui s'entretesient alors avec lui : fon apparteent s'affaifla en entier fans aucune ipture , & une feconde fecouffe fant entr'ouvert les ruines fous lefjelles il étoit enfeveli, on retira Prélat avec ceux qui 1'accompaïoient. On regarda comme une  du Bas-Empike. Liv. LÏIÏ. 417 fortede miracle, que legrand nom- ' bre de feux allumés alors dans les : mailbns qui fe renverfoient, ne caufat aucun incendie. On jugea les jours fuivants par la quantité de pain qui fe diftribuoit aux habitants, qu'il avojt péri foixante mille perfonnes. Aftérius y perdit la vie. Maurice donna de fon tréfor les fommes néceffaires pour réparer le dommage. L'année fuivante 590, la fête de Paques tomboit au zó de Mars. Maurice choifit cette folemnité pour conférer le titre d'Augufte a fon fils, agé de quatre ans & demi. Ce fut le Patriarche qui lui mit la couronne fur la tête. Ce titre n'étoit plus comme du temps des anciens Empereurs , une affociation a Ï'Empire; quoique le nouvel Augufte portat aufli le nom d'Empereur , il n'en avoit pas Pautorité. Cette communication de titres fans pouvoir, devint fréquente dans le Bas - Empire ; & les Grecs firent une diffincfion entre le nom de Bafileus, qui fignifioit Roi & Empereur , & que les Souverains donnoient k ceux qu'ils défiguoient pour leur fuccéder, & le S v Maurice ft.nn. 590. XIII. Maurice lonne le :irre d'Augufte a fon fils. Abb. Eivlar. Chr. Alex. Simocat. I. 8. c. 4. Theoph. p, 215,236. Greg. I. 4. tp.-44- Cedr. p* Ï97- Zon. t. II. ?• 76. Hifi. mifi, l. 17. Codin. da off, c. 17.  Maurice Ann. 590. Cang.fam. »yi- p. 103,107. Pagi ad Bar. Fleury , hift. ecelef. L 3 5. art. 3*. I I I < I 1 < 1 XIV. Guerre r devanr t Martyro- " polis. c Evag. I. 6. j e. 13. Niceph. f Call.l.iï. C c 17. t Simocat. I. 3. c y. d f f< 4l8 HlSTOIKE nom ÜAutocrator, qu'ils fe réfervoient a eux-mêmes, comme exprimant plus particuliérement la puiffance fouveraine. Onze ans après , :'eft-a-dire, en 601, le jeune Théodofe époufa la fille du Patrice Germain, le plus diftingué des Séna:eurs. Si ce Germain eft le mari de Charito, fille de Tibere, il faudra dire jue le fils de Maurice époufa fa couine germaine, a moins que la femme le Théodofe ne fütnée du mariage de Sermain avec une autre. Quoi qu'il ;n foit, 1'Abbé de Biclare fe trom>e en difant que deux ans auparatföt, Maurice avoit nommé fon fils Céfar; ce jeune Prince ne porta janais ce nom. Les deux nations rivales , fe difutoient avec ardeur la poffeftion de Martyropolis; & malgré l'inutilité es attaques de 1'année précédente, ;s Romains, fachant qu'elle n'avoit our garnifon que quatre cents folats Perfes, fe flattoient de 1'empor;r de vive force. II ne s'agiflbit que e fermer les pafiages aux fecours. [ormifdas y envoya une armée, >us la conduite de Mébodès, & le  nu Bas-Empire. Liv. LUI. 419 fit joindre par Aphraate, Commandant * des troupes d'Arménie. II y eut une A fanglante bataille oü Mébodès fut tué, & Philippique demeura vainqueur. Mais il perdit tout le fruit de fa vi&oire , en laiffant entrer dans la ville un grand renfort de troupes ennêmies. Ce fecours affuroit aux Perfes leur nouvelle conquête; & les Romains perdant toute efpérance de la recouvrer par un fiege, allerent batir une fortereffe a neuf centspas de-la fur un terrein élevé , pour tenir la ville en échec, & profiter de toutes les occafions que leur pro-» cureroit le voifinage. C'eft a quoï fut employé le refte de la campagne. Enfin, l'Empereur, mécontent du peu de fuccès de Philippique , envoya Comentiole pour lui fuccéder. Le nouveau Général auroit encore été moins heureux fans Phéroïque valeur du Lieutenant Héraclius. II fe livra une grande bataille devant le chateau deSifarbane prés de Nifibe. Dès le commencement du combat, Comentiole eut fon cheval tué fous lui, & il auroit perdu la vie, fiun de fes gardes ne lui eut donné le fien, S vj AURICE lil. 59O. Ann. 591. XV. Bataille de Sifarbane.Simocat. I'. 3. c. 6. Evag. I. 6, c. 14. Niceph. Call.l. 18. t. 18  Maurice Ann. jji. Theoph. p, 221. Hift. mifi. I. 17. ■ 1 < < 1 ( C li I( F r; fi le fi] re P< de & va vii PJ< ph 4=9 fflSTOlAE fur lequel il prit la fuite. Toute 1'armee le fuivoit en défordre , lorfqu Héraclius, après avoir fait tous les efforts pour retenir les troupes, w?in,e,lui*même Par la foule, & lefefpere de la lacheté du chef & des oldats, réfolut de ne pas furvivrea :ette ignominie. II tourne bride, per•e les efcadrons des fuyards, & va hercher la mort au milieu des enneBis. II tombe comme Ia foudre fur le xeneral Aphraate qui couroit a la tête es Perfes, & le renverfe mort fur 1 pouffiere. Un coup fi hardi arrête 's Perfes, & rend le courage aux omains;ils fe rallient autourd'Hétchus qui porte de toutes parts Pef01 & la mort. Les Perfes fuyent è ur tour, & ferenferment dans Ni>e. Lelendemain, les Romains pillent le camp, & envoyerent a 1'Emreur les plus riches dépouilles s epées & des baudriers enrichis 3r & de pierredes, des tiares Pernes , & des étendards arrachés aux incus. Ces glorieufes marqués de *oire furent recues a Conftantino: avec des acclamations de triomr * l'Empereur fit célébrer Iesjeux  du Bas-Empire. Liv. LUI. 421 du Cirque, & la joie du peuple éclata dans des fêtes & des divertiffements, qui ne cefferent que par la lafiitude. Comentiole, devenu vainqueur par la bravoure d'Héraclius, alla mettre le fiege devant Martyropolis. II y laiffa la plus grande partie de fes troupes, & prit avec lui les meilleurs foldats pour attaquer la fortereffe d'Acbas , fituée au-dela du Nimphius , fur un roe efcarpé , d'oii Pon découvroit en plein la ville afliégée. Après bien des attaques , il s'en rendit maitre; & a la faveur de ce pofte important , il refTerra de plus prés Martyropolis. Mais les Perfes la défendoient avec tant de courage, qu'il défefpéra de Ia prendre autrement que par famine. Cependant les débris de 1'armée vaincue retirés a Nifibe, craignoient de retourner en Perfe. Hormifdas , toujours violent, toujours emporté, avoit menacé fes troupes de les faire paffer au fil de 1'épée , fi elles ne revenoient viftorieufes. II étoit affez fanguinaire pour tenir fa parole. Ainfi les chefs & les foldats confpirerent Maurice Kan. 591. XVÏ. CommeH:ementies troujles de Perfe. Simocat. I. \.c. 18. Evag. I. 6. :. 14Niceph.ZM.1.18,  Maurice Ann. 591. Theoph. p. 22.1. Hift. mifi, l. 17. ■ ' ! 1 j ! 1 i XVII. Viftoires de Varame furles ' Turcs. Simocat. 1. ( 3^.18. ( ] < » ] 4 r2i H1 s t 0 1 n s pour fe donner a Varame , qui s'étant révolté contre Hormifdas, mar:hoit alors a la tête d une armée. Je /ais développer 1'origine & les fuites ie cette étrange révolution. On y Terra un rebelle audacieux, un Moïarque victime de fes propres fu•eurs, & intraitable jufque dans les èrs , un fils parricide , un Roi chaffé ie fes Etats & rétabli par fes plus ;rands ennemis, & une guerre fanjlante, qui, depuis vingt ans,romaoit toutes les treves, & réfiftoit a routës les négociations, enfin, terminée entre Ï'Empire & la Perfe par a générofité de Maurice. Pendant qu'Hormifdas foutenoit a guerre contre les Romains fur les ïontieres de 1'Arménie, une autre >artie de fes troupes étoit employee :óntré les Turcs au nord de la mer Cafpienne. Cette nation s'étoit en•ichie aux dépens de la Perfe , qui ui payoit tous les ans un tribut de marante mille pieces d'or ; & eet >r ne fortant pas de leurs mains, voit porté chez ces barbares le luxe la magnificence. Le palais du Prin:e coralruit de beis, & couvert de  du Bas-Empire. L'tV' LlIL 423 feutre , n'étoit a 1'extérieur qu'un affemblage de cabanes ruftiques; mais il brilloit d'or au-dedans ; les tables , la vahTelle, les lits , les fieges mêmes & les marche-pieds , étoient de ce métal précieux, 1'or éclatoit fur les armes & fur les harnois des chevaux. Tant d'opidence produifit fon effet ordinaire. Les Turcs, devenu3 infolents, demanderent avec menace une excefïive augmentation de tribut. Hormifdas ne leur répondit qu'en faifant marcher contre eux une grande armée, dont il donna la conduite k Varame. Ce guerrier , le principal auteur des troubles que nous allons raconter, mérite d'être connu. II fortoit d'une des plus illuftres maifons de la Perfe , qui faifoit remonter fon origine jufqu'aux Arfacides. II fervit d'abord entre les gardes du Prince. Lorfque les Perfes prirent Dara , il commandoit un corps de cavalerie. Sa valeur le fit aimer de Chofroës, qu'il accompagna dans toutes fes expéditions, & dont il devint le favori. Revêtu de la dignité de Généraliffime des armées de Perfe, il fut encore honoré de la charge de Maurice Ann. jtji.  I» Maurice Ann. 591. XVIII. II eft battu par les Romains, Simocat. I. 3. c 6, 7. Theoph. p, 221. 1 1 ] ( I t F Jt j< r< t< ü d di cl 424 &ISTO/RE DarigmèdoTi; c'eft ainfi que les Perfes nommoient le grand - Maitre du palais, que les Romains appelloient Curopalau. II vainquit les Turcs en plufieurs barailles, & réduifit cette nation féroce a payer au Roi de Perfe le même tribut qu'elle en recevoit auparavant. De fi heureux fuccès firent concevoir a Hormifdas 1'efpérance de chaffer les Romains de la Lazique & de tout Ie pays d'entre les deux mers. II envoya ordre a Varame d'entrer sn Suanie. Varame traverfa toute :ette contrée, dont il envoya le buin a Ctéfiphon , & vint camper au »ord de 1'Araxe. Sur Ia nouvelle de ette invafion , Maurice fit partir lomain , Capitaine expérimenté, qui affembla les milices du pays , & affa en Albanië a Ia pourfuite de rarame. Le Général Perfe apprit avec >ie 1'arrivée des ennemis, il defi>it d'en venir aux mains , & comp)it fur fa propre capacité, & fur fortune. Cependant, au-Iieu d'aller oit a eux , il feignit de les craine ; & ayant pafte 1'Araxe, il mar» vers la ville de Ganzac, pour  ru Bas-Empire. Liv. LUI. 425 les attirer dans 1'intérieur de la Perfe. Romain, ne jugeant pas a propos de s'engager li avant avec fi peu de troupes , fongeoit a retourner fur fes pas: mais fes foldats embrafés d'une ardeur inconfidérée, refuferent d'obéir; & comme ils demandoient k paffer 1'Araxe, il eut befoin de toute fon éloquence pour les retenir. Cinquante coureurs qu'il avoit détachés pour aller reconnoïtre 1'ennemi, rencontrerent deux efpions Perfes habillés a la Romaine, qui, fe difant Romains, s'offrirent k les conduire pendant la nuit dans un lieu oü ilstrouveroient les Perfes couchés fur 1'herbe fans gardes ni fentinelles. Les coureurs s'y laifferent tromper, & tomberent dans une embufcade, oü ils firent enveloppés & faits prifonniers. Varame, a force de tourments , tira deux les éclairciffements qu'il defiroit, & ayant repaffé le fleuve, il continua fes ravages. Romain étoit d'avis de faire retraite ; mais encouragé par 1'impatience de fes troupes qui ne demandoient qu'a combattre, il choifit les meilleurs foldats au nombre de dix mille, laiffa les autres a la garde de Maurice kna, 591.  Maurice Ann, J91, i i i f c ■ê u n b 4'-:6 H i s t n i R s fon camp, & marcha aux ennemi bon avant-garde, compofée de deux mille hommes, rencontrant celle des J erles, Ia chargea fi k propos, qu'elle Ia renverfa toute entiere ; les uns furent précipités dans une profonde vallee qui bordoit le chemin; les autres regagnerent le camp , toujours pourfiuvis par les Romains qui les poufierent jufqu'a leurs retranchetnents. Varame, qui n'en étoitpas encore forti avecle refte de fon armée, fut etonne de tant de hardiefle, & :ommenca k refpecfer des ennemis pae fa prefomption avoit jufqu'alors neprifes. Cet avantage n'aveugloit >as Romam fur le danger d'une baaille. C'étoit un fage & prudent Caiitaine, qui aimoit mieux confumer ennemi en le harcelant k propos, Ji coupant les vivres , & lui difpumt les paffages , que de hafarder i petite troupe contre une armée fi jpeneure en nombre. II lui fallut ependant céder au vif empreffement e fes foldats, & il difpofa tout pour ne aöion générale. Les deux ariees n'étoient féparées que par un ras de 1'Araxe très-profond, mais.  nu 3as-Empire. Liv. LUI. 417 fi étroit, que pendant deux jours qu'elles furent en préfence, les foldats des deux partis s'entretenoient d'un bord a 1'autre. Le troifieme jour, Varame envoya propofer la bataille, demandant aux Romains ou leur offrant, s'ils Paimoient mieux, la liberté du paffage. Le Général, après avoir pris 1'avis de 1'armée , fe détermina a laiffer paffer Pennemi. Le lendemain, Varame employa plufieurs flratagêmes, & tenta diverfes feintes , que la prudence de Romain fiit rendre inutiles. Enfin , le cinquieme jour, on en vint a une bataille. Le centre de 1'armée des Perfes commencoit a plier, lorfque Varame détacha une partie de 1'aile gauche pour la foutenir. Romain profita de ce mouvement pour charger 1'aile gauche , qui, fe trouvant dégarnie, ne put réfiltera lavivacité d'une attaque impétueufe, & la défaite de cette partie entraina celle du refte de 1'armée. Tout prit la fuite; preffés par les Romains, qui en faifoient grand carnage, des efcadrons entiers furent engloutis dans les eaux du fleuve ; le nombre des morts furpaffa Maurice Ann. 591.  Maurice Ann. 591, XIX. Troubles en Armenië. Simocat. &3.f.8. i ] < 1 1 1 C a t Tl C f b P n ti HlSTO/RE celui des vainqueurs , & les bords de 1 Araxe furent le terme des prof- pentes de Varame. Dans le même temps , l'Empereur fut fur le point de perdre 1'Arménie. Quelques-uns des principaux du pays , excités fecrettement par des Officiers mécontents , formerent le deffein de livrer la Province aux Perfes, & commencerent par mafTacrer ie Commandant. Maurice , en étant averti, fit partir Domentiole, un des premiers Sénateurs , diflingué par fa irudence & par fon intégrité , qui jacifia ces troubles. II fit arrêter Jymbace, auteur du complot, & 1'en'oya pieds & mains Hés a Conftantiiople. Les Hiftoriens du temps louent •eaucoup Maurice d'avoir mis le . oupable entre les mains du Sénat , hn que le crime fut mieux conftas, & le jugement plus régulier & ïoins fujet a féducfion. Symbace, anvaincu par fes propres aveux, it condamné a être déchiré par des etes féroces dans 1'amphithéatre. Le ?uple étoit affemblé, & le crimi2I expoféau milieu de 1'arêne, n'atndoit qu'une mort cruelle, lorfque  du Bas-Empire. Liv. LI/1. 429 Ia clémence de Maurice prévint la compaflion des fpecfateurs. Cette grace fut recue avec de grandes acclamations de joie, & toute la ville combla de bénédictions l'Empereur, qui lui épargnoit 1'horreur d'un fpèctacle fi funefte. Hormifdas, irrité de la défaite de fes troupes, s'en vengea fur le Général ; & fans égards aux fervices fignalés que lui avoit rendus Varame , il lui envoya des habits de femme avec une lettre outrageante, par laquelle il le dépouilloit du commandement. Varame, outré d'un affront fi fanglant, perdit tout refpecf pour fon maitre; il lui rendit la pareille par une lettre pleine d'infolence, dont la fufcription étoit concue en ces termes: d Hormifdas,fille de Chofroës, Le Roi, tranfporté de la plus violente colere, dépêche un des plus grands Seigneurs de la Perfe, nommé Sarame, avec ordre de caffer Varame k la tête de 1'armée, & de i'amener a la Cour chargé de fers & d'ignominie. Dès que Sarame eut fignifié fa commiffion , Varame le fit prendre, & expofer au plus furieux Maurice Ann. 591. XX. Révolte de Varame. Simocat. /„ 3.f.S,i8. /. 4. c, i. Theoph. p. 222. Niceph. Call.l.18. c. 19. Zon. torn, II. p. 74. Hift. mifc. I. 17.  Ma.ub.ice Ann. $91. 1 XXI. frogrès 430 Hjstoirs de fes éléphants , qui l'écrafa fous fes pieds. En même-temps il affemble fes troupes; il déclare que 1'implacable Monarque, oubliant toutes leurs vicfoires a caufe d'une malheureufe ournée , a réfolu de les maffacrer tous ; il produit des lettres contrefaites , par lefquelles on leur retran:hoit une partie de leur paye ; il leur dépeint Hormifdas comme un tyran , dont 1'avidité infatiable dévore la fubftance de fes peuples, comme un monitre altéré de leur fang: Combien de fes fujets a-t-il fait pêrir ? '.ombien de families illufres font - elles •nfevelies fous les eaux du Tigre? plus mnemi de fes propres foldats que les Romains, il ejl jaloux de nos avanta*es ; il fe réjouit de nos pertes; iltient hachc de fes bourreaux toute prete wur égorger ceux qui ont échappé au Qr ennemi. Ces difcours & d'autres femblables font paffer dans le cceur des foldats la fureur dont Varame eft 2nflammé;ils s'engagent par ferment i marcher fous fes ordres pour détruire le tyran & la tyrannie. La haine qu'Hormifdas n'avoit que trop méritée par fes cruautés, groiïit  du Bas-Empire. Liv. LUI. 431 en peu de temps 1'armée des rebelles. Les Perfes battus par Héraclius, campoient devant Nifibe ; frappés des mêmes craintes que les foldats de Varame , & animés par leur exemple, ils fe préparent a les imiter. Varame, informé de ces difpofitions , leur envoye quelques-uns de fes Officiers qui achevent de les porter h la révolte. Ils marchent a Nifibe ; & ayant rencontré aux portes de la ville un infpe&eur des troupes, nommé Chubriadane, ils le jettent a bas de fon cheval, lui coupent la tête & les extrémités du corps, & font porter a Hormifdas ces horribles prémices d'une rébellion défefpérée. Etant enfuite entrés dans la ville, ils pillent les équipages de Chubriadane, &C s'obligent par d'exécrables ferments a ne pas quitter les armes, qu'ils n'ayent détröné le tyran qui les opprime. Ils envoyent en même-temps a Varame leurs principaux Officiers, pour lui déclarer que , déja unis avec lui d'intérêts de haine , ils font prêts afuivre fes étendards. Varame étoit campé fur les bords du Zab , qui defcèndant des montagnes de la Co^- Maurice Ann. $91. de la révolte. Simocat. I. 4. t' u  Maurice Ann. 591. Ann. 592. XXII. Varame débauche les troupes envoyées•ontre iui. 432 HlSTOIRB duene, prend fon cours vers le midi , & devenu navigable par la jonction de plufieurs torrents, va fe décharger dans le Tigre du cöté de 1'Adiabene; c'eft l'ancien Lycus. Le rebelle comble de carefles les envoyés; il les fait reconduire le lendemain par fes gardes, & ferme tous les paflages par ou la nouvelle de ces mouvements pouvoit parvenir a Hormifdas. Mais le maflacre de Chubriadane & les annonces fanglantes de la rage des troupes, avoient déja inftruit le Prince. Plus furieux que fes foldats , il fe livroit aux plus violents tranfports; & courant comme un forcené dans fon palais, gringant les dents, étincelant de courroux, il portoit de toutes parts les marqués du plus affreux défefpoir. La faifon de 1'hyver ne fufpendit pas les hoftilités. . x Tandis que Varame s'emparoit des forts fitués fur la frontiere de Perfe , le Roi aflembloit une armée, dontil donna la conduite au Phérocane. Les Perfes nommoient ainfi le Maitre de la milice du palais. Ce Général n'accepta le commandement, qu'ïi conditiën  vu Bas-Empire. Liv. LUI. 433 dition qu'il auroit pour Lieutenant Zadefprate, alors enfermé dans les prifons, pour avoir détourné une grande fomme de deniers royaux dans la ville de Martyropolis. Ce fut a regret que le Roi rendit la liberté a ce voleur public, & le Phérocane fe répentit bientöt de la lui avoir procurée. Zadefprate ne fut pas plutot k la vue du camp de Varame prés de la riviere de Zab, que , pour fe venger de fa détention qu'il avoit bien méritée, il paffa du cöté des rebelles. Varame le re^ut avec joie, efpérant fe fervir utilement de ce traitre, aufli adroit & entreprenant qu'il étoit méchant & perfide. Eh vain le Phérocane écrivit a Varame pour le conjurer de rentrer dans l'obéiflance, lui offrant de la part du Roi, non-feulement le pardon de fa révolte, mais encore le rétabliflement dans toutes fes dignités, & les plus flatteufes récompenfes. Varame rt'en devint que plus fier & plus opiniatre. Comme le Phérocane lui fermoit le paflage de Ia riviere, & que les troupes rebelles étoient a la veille de manquer de vivres, il eut recours Terne XI. T Maurice Ann. 591. Simocat. I. 4. c. 2. Theoph. p. 222.  Mauric: Ann. 592 XX11I Hormifdas détrö né. Simocat t 4. c, 3. Theoph, p, 2.22,223 Hifi. mijc. 1. «7. 434 H 1 s T & 1 r e • a fes artifices orclinaires. Des émif\ faires fecrets fe glifferent dans le camp ennemi; & repréfentant aux foldats le tort qu'ils avoient de venir attaquer leurs compatriotes & leurs freres , qui n'avoient pris les armes que pour les affranchir de la tyrannie d'un maitre injufte & inhumain , ils leur infpirerent leurs propres fentiments. Le Phérocane fut mafTacré dans fon lit pendant la nuit; & cette armée, fans fe joindre aux troupes de Varame, retourna fur fes pas, & ferapprocha de Ctéfiphon, Cette nouvelle révolte jetta 1'allarme dans la Perfe entiere. Tous les efprits flottoient dans une cruelle incertitude; & les villes de ce grand Royaume, voyant le tröne de leur Prince s'ébranler fous tant de coups redoublés, en attendoient la chüte, & trembloient elles-mêmes , fans ofer fe déclarer pour aucun parti. Hormifdas, qui étoit alors dans Pintérieur de la Perfe , épouvanté fans être abattu , accourt a Ctéfiphon: il ramaffe ce qui lui refte de foldats pour s'en faire une garde nombreufe; mais rien ne peut le défendre  du Bjs-Empihe. Liv. LUI. 435 contre un nouvel ennemi plus redoutable encore que Varame, paree qu'il étoit malheureux & chéri des peuples. Bindoës , allié a la familie Royale, avoit eneouru la difgrace du Prince , & gémifToit dans les fers. Beftame, fon frere , profitant de la confternation publique, enfonce les portes de la prifon, & le délivre. Dans ce moment arrivent les troupes du Phérocane , teintes du fang de leur Général, & ne refpirant que fureur. Bindoës fe met k leur tête, & les ayant rangées en bataille devant les portes du palais, il y entre hardiment fuivi d'un grand nombre d'Officiers. Hormifdas étoit afïïs fur fon tröne, environné de fes gardes &c d'une foule de courtifans. Ce Prince , pour impofer davantage, fe préfentoit ce jour-la dans le plus brillant appareil. Sa tiare, fon rnanteau Royal, fa tunique, éblouiffoient les yeux par la richeffe des étoffes, & par 1'éclat des pierreries. Dés qu'il appercoit Bindoës : Et par quel ordre , dit-il, es-tu forti de prifon ? d'oü te vient cette audace ? que fignifie ce cortege d la tête duquel tu ofes paroitre d T ij Maurice Arm. 591»  Maurice Ann. jj2. 43<5 H I S T O I R E mes yeux ? Bindoës ne lui répond que par des injures & par de fanglants reproches. Hormifdas , étonné que perfonne ne fe mit en devoir de venger la majefré Royale fi indignement outragée, fe tournant vers fes courtifans : Quoi donc ? leur dit-il, êtesvous tous complices des attentats de ce traitre ? Auffi-töt il s'éleve un cri de toute 1'affemblée; la haine du Prince profondément gravée dans tous les cceurs, forme & fait éclore en un inftant une confpiration générale. Bindoës fe jette fur le Roi; Ie traine au bas du tröne , & lui arrachant la tiare, le configne entre les mains de fes propres gardes : Vous rêpondrei, leur dit-il, d toute la Perfe de la perfonne de fon tyran. Hormifdas eft enfermé dans la prifon ou il avoit fait gémir tant d'innocents. A la vue d'une rébellion fi effrayante, fon fils Chofroës, craignant d'être enveloppé dans le même défaftre , s'enfuit & prend la route de 1'Aderbigian. Bindoës Ie fuit, le rafTure, & lui promet de le plaeer fur le tröne de fon pere. Chofroës, plus ambitieux que fenfible, lui fait prêter  du Bas-Empire. Liv. L1H. 437 ferment de fidélité, & revient a Ctéfiphon. Le lendemain le Roi fait dire aux principaux Seigneurs, qu'avant que de mourir, il a des avis importants k donner a la Perfe, & qu'il prie les Satrapes, les Officiers & les gardes de fe rendre auprès de lui pour 1'entendre. On jugea plus k propos de s'affembler dans le palais, & d'y amener Hormifdas. Alors ce Prince portant fur fa perfonne toutes les horreurs d'une affreufe prifon, mais fier encore dans eet état déplorable , lan$ant des regards farouches fur cette nombreufe afTemblée , & fecouant fes chaines, paria en ces termes : » Té» moins & auteurs de mes maux , » votre prifonnier eft votre Roi. Je » ne vois plus que 1'infulte dans ces » regards ou je voyois le refpedf &c » la crainte. Adoré jufqu'a ce jour, » revêtu de la pourpre la plus écla» tante, maitre du plus puiffant Em» pire qu'éclaire le Soleil, le Dieu » fuprême de la Perfe , me voila w chargé de fers, couvert d'oppro» bres, réduit k la plus affreufe miw fere. Je vous fuis odieux, & voT iij Maurice Ann. 591. XXIV. Harangue d'Hormifdas aux révoltés. Simocat. /• 4. c. 4. Theoph. p. 223. Hifi. mifi. 1. 17. Zon. t. II. P- 75-  Ann, jgi. J i > * > y H 43*3 Histöiae » tre haine vous permade que je nié» rite ces horribles traitements: mais » qu ont mérité mes ancêtres , ces » Monarques viöorieux, fondateurs » de eet Empire, qui ont tranfmis » a leur poftérité les droits qu'ils ont * acquis a vos refpefls par leurs ac» tions immortelles ? Les outrages * dont vous m'accablez retombent * , !"x; oui> tous les Saffanides ♦ gemiffent avec moi dans un cachot > tenebreux; ils font avec moi eou- > chés dans Ia pouffiere. Les Arfa- > xerxes, les Sapors, les Chofroës > tremblent avec moi fous les re- • gards d'un géolier impitoyable , ils • attendent le bourreau. Mais fi les • droits les plus facrés font efFacés ' de vos coeurs, fi les loix n'ont plus de pouvoir, fi vous foulez aux pieds Ia Majeflé fouveraine , Ia juftice, Ia reconnoiffance, écoutez encore une fois votre Prince écoutez mon amour pour la Perfe • il refpire encore malgré vos outrages, & il ne s'éteindra qu'avec moi. Satrapes & Seigneurs, vous tene'z entre vos bras les colonnes du plus noble, du plus puiffants du plus  nu Bas-Empihb. Liv. LUI. 439 » ancien Empire de Punivers ; la » révolte les ébranle aujourd'hui ; » c'eft a vous de les affermir; c'eft » a vous de foutenir ce vafte édi» fice, dont la chüte vous écrafe» roit. Que deviendravotre pouvoir, » s'il ne refte plus d'obéiflance ? fe» rez-vous grands, fi tout fe dérobe *> fous vos pieds ? La fédition confond » les rangs; elle éleve la pouffiere » des Etats; elle rompt cette chai» ne politique qui defcend du Prin» ce-jufqu'au dernier de fes fujets. » II faut qu'un vaiffeau périffe, ft » chacun des matelots s'érige en pi» lote, & ne prend Pordre que de >> fon caprice. Vous êtes maintenant » agités d'une violente tempête : » Varame a les armes a la main, il » débauche vos^troupes; il fouleve » vos Provinces, il naenace d'enva» hir, de mettre a feu & a fang la » Perfe entiere. Quel moment choi» fiffez - vous pour vöus défaire de » votre Roi ? jamais un chef ne vous » fut plus néceftaire. Et ce chef fera» ce Chofroës ? Je fais que vous » jettez les yeux fur lui: croyez - en » celui qui Pa vu naitre , celui qui a T iy Maurice Ann. 592.  Maurice Arjn, 592, ) * > * ft H >; >} >] » » » » 440 H i 3 t o 1 r e » vu croïtre fes inclinatie-ris perver» les, que les foins paternels n'ont * pu reformer. Faut-il que j'accufe > mon fils? mais ce fils malheureux > feroit le fléau de la Perfe. Jamais > je nappercus en lui aucun des ca- > rafteres de la Majefté royale:fans • genie, fans élévation dans 1'ame, efclavede fes paffions, impétueux dans fes defirs, livre fans réflexion è tous fes caprices, emporté , intraitable, inhumain , auffi avide dargentqu'indifférent pour 1'honneur & la gloire, ennemi de la paix, egalement incapable de fe gouverner & d'écouter un bon conleil. Jugez des qualités de fon cceur par eet air fombre & farouche qiul porte dans fes regards. Si vous êtes obltinés a changer de Prince, fi vous ne pouvez fouffrir Hormifdas , il vous offre un Roi: eert un frere de Chofroës; mais il ne 1'eft pas d'efprit & de caractere. Plus heureux qu'Hormifdas, plus digne de régner que Chofroès, il fera revivre ces Monarques fages & généreux, dont la memoire vous efl précieufe. Hélas!  nu Bas-Empire. Liv. LUI. 441 » j'ai marche fur leurs traces. N'ai-je » pas étendu leurs conquêtes ? inter» rogez les Turcs, qui vous payent » aujourd'hui le tribut qu'ils vous » avoient impofé. Interrogez les Di» limnites, que j'ai forcé dans leurs » montagnes a plier fous le joug qu'ils » refufoient de porter. Interrogez les » Romains , qui pleurent la perte de » Martyropolis. Mais oubliez tous » mes triomphes; ce n'eft plus k mes » yeux qu'un fonge brillant, qui ne » me laiffé que la mifere & 1'attente » d'une mort cruelle. Je confens k » m'oublier moi-même. C'eft- a vous » de prendre un parti dont la Perfe » n'ait pas k fe repentir ". Toute 1'afTemblée 1'écoutoit en filence; 6c felon les divers carafteres, les uns marquoient leur infenfibilité par des regards mena9ants ou par un fourire infultant & moqueur , les autres paroiffoient attendris; lorfque Bindoës élevant la voix : » Géné» reux Perfes, s'écria-t-il, que la » haine de la tyrannie réunit dans »> les mêmes fentiments, entendez» vous votre tyran , qui, du fond de » fa prifon, prétend encore régner T v Maurice Ann. 59i1 XXV. Harangue de Bindoës.Simocat. I. 4. c. 5. Theoph, p. Bijl. mife. 1.17.  Maurice Ann, J92, » » » » » » » 442 HlSTQtSLË » for vos têtes? II vous parle avec » empire; il vous prefcrit des loix ; » il accufe fon fils; il difpofe d'un < leeptre qu on a juftement arraché > de fes mains fanguinaires. Malgré ' Ia pefanteur de fa chüte, il n'eft ► pas encore revenu de 1'ivreffe oü » l a plongé le pouvoir fouverain, ' dont il a tant abufé. II ofe vous donner des confeils , lui qui n'a pas iu le confeiller lui - même. Quel garant vous produira-t-il de la füreté de fes avis ? fera-ce fa fortune ? il eft dans les fers, & vou. droit fans doute vous communiqner fes-malheurs. Non , Hormifdas , nous n'avons point eu de part a tes crimes; nous ne parfagerons pas tes difgraces. De quel front ole-t-il donc eondamner les révoltes , lui qui s'eft révolté le premier contre toutes les loix de la Perfe ? De quel front ofe-t-il s'afTocier è les ancêtres, dont il déshonore la memoire ? Son regne n'a été qu'un hngandage; fon tröne un échafaud funefte , que ce hourreau de la Perfe a trempé du fang de fes fufets. &ttez les yeux fur le Tigre  dü Bas-Empire. Lïv. LUI. 443 » gonflé de tant de cadavres enfé» velis dans fes eaux. II auroit fou» haité faire de Ia Perfe entiere un » vafte fépulcre ; monftre affamé de » carnage, qui ne vouloit régner que » fur des morts. C'eft bien a lui de » décider du mérite de fes enfants ï » c'eft bien k lui de nous défigner » un Monarque ; il n'en a jamais con» nu les devoirs. Ceffe , Hormifdas , » de parler en maitre; ceffe de nous » repréfenter nos loix; elles s'élevent » fur ta tête, elles t'écrafent, & tu » n'en dois plus fentir que la ri» gueur. Pere dénaturé autant que » barbare Monarque, tu te vengesr » fur ton fils de Pimpuiffance oii tu » es maintenant de tourmenter tes » fujets. Tu ne nous préfentes le plus» jeune, que pour outrager les droits » de la nature ; tu t'efforces de pro» longer tes crimes au-delè même » de ta vie. Tu te fais honneur des « tributs que nous payent les Turcs ; » les devons - nous a ton courage } » Tu ne tiras jamais Fépée que con» tre tes fujets : c'eft la bravoure de » nos foldats qui nous a foumis cette » nation barbare. Tu nous parle des T vj Maurice Ann. 591,  Maurice Ann. 592, 444 HiSToikE » Dilimnites ; ta cruauté les avoit » foulevés. Hélas! auffi miférables f » mais plus aveugles & plus laches » que ce peuple généreux, nous t a» vons prêté nos bras pour le rédui» re , lorfque nous devions Hmiter. >> Ofes-tunous dire que les Romains » pleurent Ia perte de leurs villes f » lis rient bien plutót de nos défai» tes ; les bords de 1'Araxe fument » encore du fang de nos guerriers. » Tes tréfors regorgent d'or & d'ar» gent; mais nos maifons fon vui^> des; nos villes, nos campagnes, » font le théatre de la plus affreufe » mifere. Tyran impitoyable , qui » dévores tes peuples , qui te repais » de leur fang, plus femblable aux » tigres de 1'Hyrcanie , qu'aux autres ►> habitants de tes Etats, délivre nos » yeux de ta préfence , retourne » dans ces fombres cachots que tu » rempliffois de nos freres; vas-y •> attendre ton fupplice. Que ta mort » répare les maux que ta naiffance > a produits a la Perfe; que pour le > falut del'humanité entiere, elle ap* prenne a 1'univers,.qu'un Roi ceffe > de Têtre , qu'il perd même tout  m Bas-Empihë. Lh. LIIL 445 »> droit a la vie , dès qu'il devient » Pennemi de fon peuple La fureur dont Bindoës étoit animé , embrafa tous les cceurs. On s'écrie, on accable d'injures Hormifdas ; la rage éclate en geftes menacants; elle ne s'abftient de le maffacrer fur le champ, que pour prolonger fes douleurs. On va chercher ce jeune fils, pour qui il demandoit lacouronne; on traine la mere par les cheveux au milieu de cette troupe forcenée; on égorge le fils; on fcie la mere par le milieu du corps; & afin que eet afFreux fpectacle foit le dernier pour les regards d'Hormifdas, on lui creve les yeux avec une aiguille ardent?, & on le renvoye dans la prifon : vengeance plus que barbare , qui furpaffoit toutes les cruautés qu'elle prétendoit punir; & 1'on peut dire que fi Hormifdas avoit mérité par fes forfaits la haine des Perfes , une nation fi inhumaine méritoit bien d'avoir des Monarques tels qu'Hormifdas. Auffi trouva-t-elle dans fon fucceffeur un tyran prefque auffi cruel. Le palais retentifibit encore des hur- Maurice Ann. 592. XXVI. Horrible traitementd'Hormifdas. Simocat. /, 4. c. 6. Theoph. p, 223. Hifl. mifi. I. 17. Zon. t. IL P- 75- XXVII. Chofroës fuccede a fon pere,  Maurice Ann. 592. & le fait mourir. Simocat, l. 4- c. 7Theoph. p. 223. Hifi. mifc. ■I. i7. Zon. t. II. P- 7J. ] 1 446 H I S T O I 8. 3 lements effroyables que la rage & la douleur arrachoient au malheureux pere, lorfque le fils fut placé furie tröne. On Ie proclame Roi, on Padore felon la coutume des Perfes ; aux reproches , aux injures, aux cris de fureur fuccedent des acclamations de joie. Le nouveau Prince, quoiqu'aflez peu fenfible aux imprefiions de Ia nature, voulut d'abordfe faire honneur en paroilfant compatir aux malheurs de fon pere. II le faifoit fervir en vaiffelle d'or, & lui envoyoit les meilleurs mets de fa table. Mais Hormifdas rejettoit avec horreur cesïdouciffements perfides; il fouloitaux pieds les viandes envoyées par fon fils; il maltraitoit les domeftiques qui venoient le fervir; jufqu'a ce qu'enfin Chofroës, ne cherchant qu'un prétexte pour s'en défaire , permit aux jéoliers de fe défendre de fes fureurs; ils 1'affommerent a coups de 3aton. Pour faire oublier ce parricile , il combla de Iargeffes les princijaux Seigneurs de la Perfe; il fit ouvrïr les prifons, & tenta de défarner par de feintes carefles le rebelle Sarame.  t>v Bas-Empire. Liv. LI1I. 447 Dès le fixieme jour de fon regne , 11 lui envoya de magnifiques préfents , & lui écrivit une lettre remplie de témoignages d'affecfion, lui promettant avec ferment le pardon de fa révolte , & lui offrant Ia feconde place dans fon Royaume. Varame, devenu d'autant plus fier, qu'il fe voyoit plus redouté , refufa avec hauteur les préfents de Chofroës, tk répondit par une lettre pleine d'orgueil & d'infolence. II y prenoit le titre d'ami des Dieux, d'ennemi des tyrans, de Satrape des Satrapes, de Commandant Général des troupes de la Perfe. Loin de donner & Chofroës le titre de Majeflé, il ne le qualihbit que par les termes injurieux. de ton imbéc 'tllité, ton impudence. II lui reprochoit 1'irrégularité de fon élection, lui ordonnoit de dépofer la couronne, de fortir du palais, & de faire rentrer dans les prifons les criminels qu'il en avoit délivrés fans aucun droit, pour les foiiftraire aux chatiments qu'il méritoit lui-même autant qu'eux. A ces conditions, il lui promettoit le gouvernement d'une Proyince; finon , il le menacoit de Mauricï Ann. 592. XXVIII. Vains e£forts de Chofroës pour regagnerVarame. Simocat. /. 4. c. 7 . 8.  Maurice Ann. j 92. 448 HlSTOlRB lui faire fubir le fort de fon pere, Cette lettre ayant été lue dans le confeil de Chofroës, y excita la plus vive indignation. Tous les Seigneurs a 1'envi s'empreffoient d'animer la colere du Prince. On vouloit fur le champ déclarer Varame ennemi de la nation, & mettre fa tête a prix. Mais le Roi, dont la cruauté favoit fe déguifer fous une diffimulation profonde, feignoit de vouloir calmer les efprits; il excufoit Varame, qu'une dureté infultante avoit foulevé contre fon Souverain: avant que de pouffer a bout ce caraclere farouche , il falloit, difoit-il, tenter encore de le ramener par la douceur. II lui écrivit donc une feconde fois avec amitié; il rejettoit fur le Secretaire de Varame les termes outrageants de fa lettre; il 1'exhortoit a rentrer dans fon devoir, &c finiiToit par ces paroles : Pour moi, loin de dépofer ta couronne , s'il étoit . encore un autre monde, je prétendrois le conquérir. je vais marcher d vous en Souverain, pour ■vous ramener par mes avis, ou vous réduire par mes armes. Choijiffe^ de vivre auprïs de nous dans la plus bril-  nu Bas-Empire. Liv. LUI. 449 lante faveur, ou de pèrir notre ennemi. Chofroës prévoyoit bien que cette lettre ne produiroit d'autre efTet , que de rendre Varame plus intraitable. Auffi raffembloit-il en mêmetemps ce qu'il1 avoit de troupes dans les Provinces voifines. Dès qu'elles furent réunies, il fe mit k leur tête, accompagné de Bindoës, dont la bravoure & le zele fembloient 1'affurei du fuccès. Ayant paffé le Tigre , il alla camper devant Nifibe en préfence de Varame, dont 1'armée n'étoit féparée de la iienne que par la riviere de Mygdone. II fe paffa fix jours er pourparlers inutiles & en efcarmouj ches oü périffoient beaucoup de foldats fans aucun avantage décifif. Varame avoit un camp bien retranché Chofroës , après s'être tenu tout 1< jour en bataille, faifoit retirer rou les foirs fes troupes dans la ville C'étoit a lui d'attaquer le rebelle qu'il étoit venu chercher. Ses foldat voyant qu'il évitoit le combat, f perfuaderent qu'il craignoit 1'enne mi ; cette crainte paffa dans leur cceurs, & fe joignit k la haine qu leur infpiroit déja contre Chofroës Maurice Ann. 591. XXIX. Dcfaite de Chofroës. Simocat. I. t.c. 9. Theoph. p. 213. Evag. 1, 6. c. 16. Hifi. mifc. I. 11. Zon. torn. II. p. 7$. 1 i t  Maurice Ann. 592. ; < < i ] 1 £ \ t b g XXX. Chofroës n fe retire ^ fur Jes r' terres de fa J'Empire. U] Simocat. I, , 4- c. 10. *e Evag. I. 6. qI e. 16. a Chr.Altx. A Zon. t. II. tU p- 7$. in 45° H 1 s t 0 1 r & Ia mort de quelques-uns de leurs Officiers, maffacrés fur de fimples foupcons de trahifon. Le Roi, inftruit de la mauvaife difpofition de fes troupes , faitpartir fes femmes , & fonge iiu-même a prendre la feite le Ien3emain. Varame Ie prévient la nuit uivante; il paffe la riviere fans bruit, :ache fes troupes dans un bois prés le Nifibe; & dés que celles de Chofoes font forties de la ville, felon eur cotitume, il fond fur elles avec a rapidité dun éclair, en fait un rand carnage, & y jette tant d'épouante, qiie ceux qui refloient, metm les armes bas, & fe donnent a rarame. Chofroës fe fauve a toute nde avec un petit nombre de fes irdes. Echappé d'un fi grand péril, & fe ;rfuadant que fa défaite rendoit Vame maïtre de toute la Perfe, il ne voit ou chercher une retraite. Les is lui confeilloient de s'enfuir chez 5 Turcs; les autres, dans les roers inacceffibles du mont Caucafe. .1 milieu de cette cruelle incertidece Prince peu religieux, mais [fruit par fon malheur du befoin  nu Bsis-Empire. Liv. LUI. 451 qu'il avoit de Faffiftance divine , n'efpérant aucun fecours des Dieux de Ia Perfe qu'il méprifoit, leve les yeux vers le ciel, & s'écrie : Dieu unique , créateur & maitre de l'univers, toi que les Romains adorent, ouvre-moi un afyle dans tes bras; guide toi-même les pas de Chofroès. II abandonne en mêmetemps la bride de fon cheval, & le prend pour guide. L'animal en liberté le porte au travers des déferts de Ia Méfopotamie, jufqu'a dix milles de Circefe fur 1'Euphrate. Chofroës envoye de-la un courrier a Probus, Gouverneur de la ville, pour Pinf* truire de fon défaftre, & le fupplier de lui donner retraite. L'envoyé arriva au milieu de la nuit, & Probus, étonné d'une fi étrange aventure , attendit le jour, crainte de quelque furprife. II ouvre alors les portes a Chofroës, & lui rend les plus grands honneurs. On vit avec un fombre effroi entrer dans Circefe un des plus terribles exemples des trahifons de la fortune; le plus puiffant Monarque de 1'Orient alors fugitif, couverl de pouffiere, harafTé de fatigue, mourant de faim & de foif, fuivi feule- Maurice Ann. 591.  Maurice Ann. 592. XXXI. Lettre de Chofroës a l'Empereur.Simocat. I, 4. c. 11, 1 J ] 1 1 I C r » » » » M 452 HlSTOlRE ment de trente gardes & de fes conciimnes,qui,l'ayant rejoint dans fa tuite, portotent leurs enfants k la mammelle. Dèsje lendemain, Chofroës écrivit a Maurice, & Probus envoya fa lettre k Comentiole qui fe trouvoit HZ " a H.léraP^, & qui la fit porter en dihgence , inftruifdnt en meme-temps l'Empereur d'un événefen* fi .extraordinaire. La difgrace 1 j s°es' ,3lloiqu'ennemi natuel des Romains, tira des larmes a Maurice. I ouvrit avec empreffement ï lettre du Roi de Perfe ; je vais ï rapporter telle que nous 1'a tranfTf u" A»teur contemporain , qui eclare 1'avoir fidélement copiée d'ares longinal. » Chofroës, Roi de £erie, au rrès-fage Empereur des Romains , bienfaifant, pacifique , puifiant, ami des nobles défenfeurs des oppnmés, oubliant les injures, lalut. La Providence divine a placé des le commencement dans le monde la puiffance Romaine & 1'Empire des Perfes comme deux yeux pour 1'éclairer & le conduire. C'eft a ces deux Etats que les nations  du Bas-Empire. Liv. LUI. 453 » doivent leur paix & leur tranquil» lité; c'eft ce doublé frein qui re» tient tant de peuples féroces tou» jours prêts a défoler la terre. Com» me 1'univers eft rempli de génies » pervers & malfaifants, qui s'effor» cent fans ceffe de renverfer 1'or» dre établi par la volonté de Dieu » même, il convient aux amis de » Dieu, a ceux auxquels il a com» muniqué les tréfors de fa fagefle » & les armes de fa juftice, de com» battre leurs efforts. Ces efprits def» trudteurs fe font, dans ces derniers » temps, déchainés contre la Perfe; » ils y ont porté le défordre & le » ravage; ils ont armé les efclaves » contre leurs maitres , les fujets » contre leur Prince, 1'infolence con» tre la police & la difcipline, tous »> les maux contre tous les biens. Va» rame, ce vil efclave, que mon aïeul » a tiré de la pouffiere, ébloui de » 1'éclat qui 1'environnoit, ne pou» yant fe foutenir dans le rang oü » il fe voyoit élevé, s'eft élancé fur » mon tröne, & a bouleverfé toute » la Perfe. Plein de fureur, il met » tout en oeuvre pour steindre la Maurice Ann. 591.  Maurice Ann. 592, j j ! ♦ » » » » » 454 Histoirb » lumiere de 1'Orient, & pour fou» lever ces nations farouches, alté» rees du fang des autres nations, » & qui n'auront pas plutöt dévoré » la Perfe, qu'elles fe jetteront fur » vos Etats. C'eft donc une entre» prife digne de votre fagelTe d'é» tendre votre bras pour foutenir » un puifTant Royaume ébranlé par » des tyrans, & d'élever aux yeux * de 1'univers un glorieux trophée, > oü la poftérité joindra au nom de > Maurice les titres de fondateur , > de confervateur, de réparateur de > Ï'Empire des Perfes. II eft du devoir ' des grands Princes de faire régner ' la juftice ; il eft de leur intérêt commun de défendre les droits des Souverains, & de contenir tous les fujets dans Pobéiffance. En remédiant aux défordres de la Perfe, vous travaillerez pour vous-même, & vous procurerez aux Romains une gloire immortelle. . C'eft la priere que vous fait Chofroës , votre fuppliant & votre fils; car je me flatte que mes malheurs ne vous empêcheront pas de m'accorder ce titre glorieux. Que les An-  bu Bas-Empire. Liv. LUI. 455 » ges, difpenfateurs des bienfaits de » Dieu fur les hommes, gardent vo» tre Empire de toute infulte & de » la fureur des rebelles ". Tandis qu'on délibéroit a la Cour de Conftantinople fur la demande de Chofroës, Varame faifoit chercher ce Prince dans toute la Méfopotamie. On trouva Bindoës, qui fut amenéau vainqueur, & chargé de fers. Varame, fe voyant maitre des tréfors , des équipages , & de toute la maifon du Roi, marcha droit a Ctéfiphon , & fe logea dans le palais. II defiroit avec ardeur Ia couronne ; mais pour 1'atfermir fur fa tête, il youloit la tenir du fuffrage de la nation. II travailla donc d'abord a gagner les grands par des carelfes & des libéralités. Bientöt cette voie paroiifoit trop longue a fon impatience , d'autant plus que les Mages, armés de 1'autorité que leur donnoit la Religion, s'oppofoient è fes deffeins; il leva le mafque, & dans une fête folemnelle que les Perfes célébroient tous les ans en 1'honneur du Ciel & des aflres, il ceignit le diadême, & fe proclama lui-même Maurice Ann. 592. XXXII. Varame prend le titre de Roi. Simocat. I. 4- «■ 12. Theoph. p. 224. Hifi. mifi, l. 17-  Maurice Ann. 591, Ann. y 9 3. XXXIII. Mouvements de Chofroës. Simocat. I, 4. t. 12. 45^ H I S T 0 1 k. Roi de Perfe. II envoya ordre k Ia garnifon de Martyropolis de continuer k fe défendre contre les Romains , & de ne plus obéir a Chofroès. Le courrier fut pris par les affiegeants. Chofroës ne fe donnoit pas moins de mouvements pour réparer fes pertes. II vint k Hiérapolis, oü Comentiole, par ordre de l'Empereur, le recut avec magnificence. Ce Général alla au-devant du Roi hors de la ville, lui donna une garde nombreufe, &c affigna pour fa perfonne & pour fa fuite, un entretien très-honorable. Chofroës, afin de reconnoïtre en apparence les bons offices de l'Empereur, fit partir pour Martyropolis un Satrape, qui portoit a la garnifon de cette place 1'ordre de fejendre aux Romains. Mais en même-temps, ce Prince, ingrat & trompeur, envoyoit fecretement un contre-ordre,& défendoit au Commandant d'avoir aucun égard k la lettre dont le Satrape étoit chargé. II paffa Phyver k Hiérapolis, plein d inquiétude & d'impatience. II vouloit aller lui-même implorer la protection  vu Bas-Empire. Liv. LUI. 457 tection de l'Empereur; & c'etit été pour un Prince plus vain que Maurice , un fpecfacle bien flatteur, de voir a fes pieds le Roi d'un Etat puiffant, & jufqu'alors rival de Ï'Empire. Mais ce généreux Prince ne confidéra que Pintérêt du fuppliant, qui en s'éloignant de la Perfe, auroit laiffé a Varame une plus libre carrière. II ne lui permit pas de venir a Conftantinople. Cette capitale vit alors arriver prefque en même-temps les Ambaffadeurs de Varame, & ceux de Chofroës. Varame, fans faire d'apologie, ne demandoit a l'Empereur que la neutralité; il offroit en récompenfe la ville de Nifibe, & tout le territoire jufqu'au Tigre. Les députés de Chofroës déployoient avec éloquence les motifs de religion, de juftice, de politique ; ils promettoient de rendre Martyropolis, Dara & 1'Arménie entiere, & de faire avec les Romains une paix perpétuelle , fans exiger aucune des fommes ftipulées par les traités antérieurs. Le Sénat, confulté par l'Empereur, décida en faveur de Chofroës, 6c l'Empereur, Tornt XI. V Maurice Ann. 593* XXXIV. Maurice accorde du fecours a Chofroës. Simocat. /. 4- c, 13 , 14.  Maurice Ann. y93. i t c i 3 < 1 f i e i d F 4 r rr d: d, ni in 458 Hl StT O I R E en envoyant ce décret au Roi, lui remit entre les mains les Seigneurs Perfes, qu'on avoit faits prifonniers dans le cours de la guerre. L'aflurance d'une fi puiflante protection , diffipa les craintes & les inquiétudes de Chofroës. Accompagné de Comentiole, il repaffa 1'Euphrate, Sc s_avan5a jufqu'a Contramine. Domiaen, Evêque deMélitine, Sc parent le Maurice, & Grégoire, Evêque iAntioche, fe rendirent auprès de ui par ordre de l'Empereur, pour e confoler dans fa difgrace, & 1'ailer de leurs confeils. Ces deux Préats, également refpecfables par la ainteté de leur vie, lui furent d'un rand fecours par la douceur de leur ntretien , par leur aftivité Sc leur itelligence dans les affaires. La ville e Nifibe balanfoit encore entre fon nnce légitime Sc 1'ufurpateur ; & Lioiqu'elle eut vu tailler en pieces irmée de Chofroës, elle avoit feré fes portes a Varame, & atten)it pour fe déclarer Ia mine entiere : 1'un des deux partis. Varame, pour : pas abandonner une place de cette iportanee, avoit laiffé aux envi-  du Bas-Empirb. Liv. UIL 459 rons un détachement de fes troupes. Chofroës y envoya quelques Officiers pour ranimer le zele & 1'affection des habitants envers la familie Royale; & pour les exhorter a ne pas recevoir le joug d'un tyran, au mépris de la loi fondamentale du Royaume, qui avoit toujours placé fur le tröne le fils ainé après la mort du pere. L'orgueil & la crHauté de Varame favorifoient les effbrts de Chofroës. A peine fe vit-il affis fur le tröne, qu'il fe rendit odieux a toute la Perfe. Les principaux Officiers de fon armée, ayant confpiré contre lui, réfolurent de mettre k leur tête Bindoës, dont la hardieiTe déja éprouvée, leur fembloit propre k terrafTer ce nouveau tyran. Ils forcent pendant la nuit la prifon oü il étoit renfermé, & ayant rompu fes fers, ils vont fous fa conduite attaquer Varame dans le palais. Varame, averti de ce foulevement, avoit déja fait prendre les armes k fes gardes & aux troupes étrangeres qu'il avoit attirées k fon fervice. Le combat dura toute la nuit; Varame repouffa les affailVij Maurice Ann. 593. XXXV. Conlpiration contre Varame. Simocat. /. 4. c. 14,  Maurice Ann. 593. XXXVI. Martyropolis rendue aux < Romains. j Simocat. I. 4. c. Ij, 1 16. 1 Evag. 1.6. I c. 18. j t t 5 g li jt P 4 ti L 4&> H I S T f) I R s lants; les chefs du complot furent pris; & dès le jour luivant, il leur fit couper les bras & les jambes, & expofa le refte de leur corps k la fureur de fes éléphants, qui les écraferent fous leurs pieds. Bindoës fe lauva dans 1'Aderbigian, oü il rafembla des troupes , & ramena fous l obéiffance du Roi un grand nombre de ceux qui avoient pris le parti lu rebelle. La fortune de Chofroës commenfoit k changer de face. Déja Binioe* «eut a la tête d'une armée. Jean vlyftacon qui commandoit en Arnéme, avoit recu ordre de 1'Empeeur de marcher contre 1'ufurpateur, * d'aider le Roi de toutes fes forces. -es troupes de Varame qui étoient :evant Nifibe, vinrent k Conftanme fe ranger a la fuite du Roi, & olchane, Gouverneur de Nifibe, o-ané par les promeffes de Chofroës, u remit la ville & toutes les places ifqu'au Tigre. La garnifon de Mar'ropolis , fidelle aux ordres fecrets felle avoit recus de Chofroës, connuon de fe défendre avec vigueur, Evêque Domitien , ayant décou-  du Eas-Empire. Liv. LUI. 461 vert la mauvaife foi du Roi de Perfe , lui en fit de vifs reproches, & I'obligea d'envoyer aux afliégés un ordre précis de fe rendre furie champ. 11 fallut obéir. Les principaux Officiers de la garnifon fe rendirent a Conftantine; & comme Sittas, qui avoit livré Martyropolis aux Perfes quatre ans auparavant, paroiflbit au milieu d'eux avec diftinction,bravant encore les Romains, & fe tenant affuré de la protecfion de Chofroës, Domitien déclara au Roi, que s'il ne livroit ce traitre, il alloit être abandonné de l'Empereur, qui tourneroit toutes fes forces en faveur de Varame. Cette menace effraya le Roi; il ne balanca pas de facrifier Sittas k fa propre füreté, & le mit entre les mains de Comentiole, qui le fit bruler vif. Tous ceux qui avoient trempé dans le même complot , furent punis de mort. Domitien fe tranfporta lui-même a Martyropolis, oü il fut recu avec des acclamations de joie. Les habitants refpiroient enfin après un fiege de quatre ans, qu'ils avoient foutenu malgré eux, plus maltraités par la garnifon des PerV iij Maurice Ann. 593.  Maurice Ann. J93. XXXVII. Zadefpraie maffa ■ cré. Simocat. I. 5- *• 1,2. Zon. t. II, ?' 75. j 1 1 ( 1 c < I t I c c l 462 B I S T O I R E fes, que par les Romains qui lesaffiégeoient. L'Evêque les afTembla dans la grande Eglife; & après avoir rendu a Dieu des actions de grace, il célébra les divins myfteres, auxquels tous s'emprefTerent de participer. Cette fainte cérémonie fut fuïvie de réjouiflances publiques pendant fept jours. _ Varame, voyant les forces de Ï'Empire armées en faveur du Roi, ne perdit pas courage. Réfolu de foutenir on ufurpation, il raffembla les meileures troupes de la Perfe, appella luprès de lui les plus braves Offi:iers, & prit les mefures néceffaires )our arrêter les progrès de fon enïemi. Chofroës, moins intrépide , dlarmé des mouvements de ce reloutable rival, eut encore une fois ecours k raffiftance divine, dont il voit éprouvé les effets. La mémoire le^ Saint Serge étoit en vénération, néme chez les barbares de ces con> rées; ce Prince , qui n'étoit reliieux que par crainte ou par caprie, lui adrefTa fes prieres;il fitvceu 'envoyer k 1'Eglife de Sergiopolis, le faint Martyr lui procuroit la  du Bjs-Empire. Liv. LUI. 463 victoire, une croix d'or pur, enrichie des pierreries les plus précieufes. Cependant Varame envoya au chiteau d'Anatha prés de Circefe, le Satrape Miradurin avec un gros detachement, pour garder les palTages de 1'Euphrate; il fit partir Zadefprate pour aller s'emparer de Nifibe. Ces deux expéditions ne furent pas heureufes. Miradurin fut mafTacré fur la route par fes propres foldats , qui envoyerent fa tête a Chofroès. Zadefprate, ayant fait dire aSolchane qu'il marchoit a Nifibe pour en prendre poffeiTion , & qu'il comptoit bien n'y trouver aucune réfiftance, Solehane , pour toute réponfe, fit charger de chaines & conduire au Roi les envoyés de Zadefprate. II entrepot même de faire périr ce traitre. Dans ce deffein, un Officier de la garnifon, nommé Rofas, part a la tête d'une troupe de cavaliers , & s'approche pendant la nuit d'un chateau oii Zadefprate s'étoit logé. II envoya un foldat dire aux fentinelles , qu'il leur arrivoit un renfort de cavalerie, & qu'il venoit en donner avis a leur Capitaine. Zadefprate V iv Maurice Ann. 593.  Maurice Ann. 593. XXXVIII Générofité de Maurice a 1'égard de Chofroës. i 1 i 1 < i t l 464 U I S T 0 J R £ avoit paffe une partie de la nuit dans la débauche; on leveille pour lui annoncer cette bonne nouvelle; il fe leve, encore a derni-ivre,fait ouvrir la porte du chateau, & ne s'appercoit de fa furprife, que lorfqu'il voit maffacrer fes foldats. II demande en vain la vie; il tombe percé de coups, & fa tête portee a Solchane eft envoyée a Conftantine. De ft heureux commencements donnoient a Chofroës les meilleures efpérances. II attribuoit fes fuccès au Dieu des Romains. Ce Prince idotëtre jufque dans les hommages qu'il rendoit k 1'Etre fuprême, croyoit i'honorer en le mettant au-deffus de Mithra & des autres divinités de la Perfe; il proteftoit hautement qu'il fadoreroit déformais que lui : mais 1 comptoit encore plus fur la proecfion de Maurice. II 1'informa du :hangement de fa fortune , le fup)lia de Ia feconder par de nouveaux fforts, & lui demanda une grande bmme d'argent, qu'il s'engagea par crit a rendre lorfqu'il feroit rétabli lans fes Etats. Maurice ne tarda as a le fatisfaire, & Chofroës em-  du Bas-Empire\ Liv. LUI. 465 ploya cette fomme k récompenfer ceux qui lui étoient attachés, & k gagner de nouveaux partifans. Mécontent de Comentiole, dont il fe croyoit méprifé , & qu'il accufoit de négligence & d'une lenteur préjudiciable k fes intéréts , il obtint qu'il fut rappellé , & que le commandement de 1'armée fut donné k Narfès. Pour s'afTurer des environs de Nifibe , il fe tranfporta au chateau de Marde, fitué au nord de cette ville fur le mont Mafius. Tous les Seigneurs de ces contrées s'y rendirenl pour lui protefler de leur fidélité. & lui mirent entre les mains des ötages dont il confïa la garde aux Romains. Peu de temps après, Narfès vint a Dara avec fon armée. La vue de ces troupes richement équipée; & bien fournies de munitions , inf pira une nouvelle confiance k Chof roes; il fit fon entrée a leur tête a vee toute la fierté d'un vainqueur & pouffé par une vaine curiofité ou peut-être par une dévotion bifar re , il entre k cheval, couvert d< toutes fes armes, dans la grande Egli V v Maurice Ann. 593, XXXIX. Progrès de Chofroës.Simocat. I. 5. c. 3.  Maurice Ann, J93. 3 I 4 < 1 I I i I a r r: <1 Cl R ei SJ cc R fo ne qu ré' Histoire fe de Dara, pendant qu'on y célébroit les faints mylteres. Les habitants , fcandalifés de cette indécence, pouffent des cris d'indignation ; ils lerappellent que le grand Chofroës, ipres avoir pris la ville, n'avoit rien ait contre ^le refpect dü k la Reli;ion. L'Evêque Domitien court au[evant du Roi; & faififTant la bride Ie fon cheval, Ie menace d'emmeier fur le champ fes troupes k Confantine, s'il ne fort de 1'Eglife. Chofoes confus fe retire, en s'excufantir j'ignorance oii il étoit encore des ratiques du Chriftianifme. Six jours prés, il recut de la part de 1'Empe;ur un baudrier enrichi de pierrees, une tiare, des lits & des tables or; &pour rendre la perfonne de : Pnnce également refpeftable aux omains & aux Perfes, Maurice lui ivoyoit une partie de fes propres rdes, & lui formoit une maifon nvenable a la majeflé d'un grand Ji. Cette pompe contribua plus que ut autre motif plus folide, k ramer aj'obéiffance la plupart de ceux i s'étoient Iaiffés entraïner k Ia folte. Le Roi, pénétré de reconnoif-  nu Bas-Empirb. Liv. LUI. 467 fance, fit porter a l'Empereur par un des principaux Satrapes, les clefs de Dara, avec un acte authentique , par lequel il faifoit donation de cette ville k Ï'Empire. Le Satrape fut regu avec de grands honneurs ; Maurice le combla de préfents , & confïrma le traité fait avec Chofroës, auquel il donna le titre de fils. Le Roi de Perfe , appuyé d'un fi puiffant fecours, crut qu'il étoit temps de marcher contre Varame, & de lui arracher la couronne qu'il avoit ufurpé. Singare paffoit pour imprenable par la force de fes remparts, par fa nombreufe garnifon , & par fa fituation dans une plaine fablonneufe , oü 1'on ne trouvoit pas une goutte d'eau. II y fit tranfporter fes femmes & fes enfants fous la conduite de Mébodès, fuivi de deux mille hommes, &C il lui ordonna de marchei enfuite droit k Séleucie fur le Tigre Quelques jours après, il partit deDarj avec toute 1'armée. Lorfqu'il fut < deux lieues de cette ville , Domitier prit congé de lui pour retourner < Mélitine. Grégoire étoit déja revenv k Antioche , oü il mourut peu d< V vj Maurice Ann. 593. XL. Marche de Chofroës.Simocat. I. 5. c.4, 5. Evag. I. 6. c. 23. [  Maurice Ann. J9j. I t C 4 468 HlSTOlRE temps après, laiflant le fiege a Anaftafe , exilé depuis vingt - trois ans. Ayant que de quitter Chofroës, Domitien lui remit devant les yeux les bienfaits de l'Empereur, & plus encore les faveurs qu'il avoit recues du Dieu unique & véritable; il lui recommanda de fuivre les avis de Narfès , & voulut lui rendre un dernier fervice, en réveillant dans le cceur des troupes Romaines , eet aiguillon de gloire, & cette noble ardeur qui affuré la viftoire. Etant donc monté fur un tertre élevé, ce Prélat éloquent fut li bien enflammer le courage des foldats par un difcours plein de feu, qu'il les laiffa brulants d'impatience de vaincre ou de mourir ivec honneur. Trois jours après , 'armée arriva au bord du Tigre , oii :11e s'arrêta pour attendre les trou)es qui venoient d'Arménie. Chofoës choifit mille foldats de la garle , toute compofée de Romains ; >C leur commanda de paffer le fleuve i©ur obferver les mouvements des nnemis. En approchant de la riviere e Zab, ils apprirent que Bryzace, nvoyé par Varame pour le même  nu Bas-Empijie. Liv. LUI. 469 deffein , campoit aux environs. Ils 1'attaquerent pendant la nuit, taillerent fa troupe en pieces , le prirent lui-même, & 1'envoyerent $ Chofroès, après lui avoir coupé le nez &les oreilles. Le Roi, encouragé par ce premier avantage, exhorte Narfès a en profiter; 1'armée paffe le Tigre, & fe retranche dans un lieu nommé Dinobod. Chofroës y donne un grand repas aux principaux Officiers des Romains & des Perfes; & pour égayer le feftin, ce Prince cruel fait amener Bryzace. Après que l'état déplorable de ce malheureux prifonnier eut affez long-temps fervi de divertiffement aux convives , le Roi fit un ligne de la main : car felon la coutume des Perfes, il n'étoit pas permis de parler pendant le repas ; & auffi-töt Bryzace fut mis en pieces a leurs yeux. Les Romains fe retirerent frémiffant d'horreur de fervir un Prince fi barbare. Le lendemain Chofroës paffa Ie Zab. Cependant Mébodès arrivé prés de Séleucie, envoye ordre au Gouverneur de lui fournir des vivres & de l'argent, fous peine de mort, Mauricb Ann. 593. XLT. II fe rend maitre des principale*villes de la 1'erfe.  Maurice Ann. y93. Simocat. I. J.f. 6, 7. j 1 I 4 < 1 £ £ c tl a ai rr il 479 HlS T O I R E s'il differe d'obéir. Le Gouverneur eriraye prend la fuite pendant la nuit avec fes foldats, & fe fauve a Ctéhphon.Medodès, informéde fon évaiion, attend la nuit fuivante; il ordonne a fes troupes d'enfoncer les portes, d'entrer en poulfant de grands cns, & de faire main-baffe fur tous ceux qu'ils rencontreront. Les habitants, faifis d'épouvante, fe renferment dans leurs maifons, & fe garantilfent du malfacre en proteltant de leur foumiffion k Chofroës. La terreur palTe en un moment a Ctéiphon ; les principaux de la ville en ront porter les clefs k Mébodès , qui net en füreté fous bonne garde les refors de la couronne, & fait proilamer Chofroës Roi de Perfe. II marche auffi-töt k la nouvelle Antioche, •atie a une journée de Ctéfiphon , inquante ans auparavant , par le rand Chofroës, qui avoit établi en e beu les prifonniers faits fur les ïrres de Ï'Empire. Mébodès mande ix habitants , qu'il vient pour les rranchir d'un trop long efclavage ; ais que pour mériter cette faveur, feut lui mettre entre les mains les  du Bas-Emvire. Liv. LUI. 471 partifans de 1'ufurpateur; en cas de refus, il les menace de les traiter en ennemis. On obéit fur le champ a fes ordres; on remet k fes envoyés ceux qui s'étoient déclarés en faveur de Varame , avec leur chef. Mébodès lui fait donner la queftion pour découvrir les delfeins des rebelles ; & après lui avoir fait couper le nez & les oreilles-, il 1'envoye k Chofroës. Les autres furent paffés au fil de 1'épée. S'étant emparé du palais, il en choifit les plus riches ornements, qu'il fit porter au Roi.Six jours après, il mit k mort par divers fupplicej tous Jes Juifs établis en grand nombre dans cette ville, qui s'étoient fignalés dans la révolution. Les Juifs formoient alors dans Ia Perfe un parti redoutable. Après la ruine de Jérufalem, regardant la Perfe comme le berceau de leur nation, paree que leur Patriarche Abraham étoit forti de la Chaldée, ils s'y étoient retirés en foule , & y avoient apporté leurs effets les plus précieux. S'étant encore depuis ce temps-la enrichis par les ufures & par le commerce, ils étoient devenus puiffants, Sc leur Maurice Ann. J9J.  Maurice Ann, 593. j ] 1 i XLII. Arrirée |: des trou- , pes d'Ar- * rnénie. fj Simocat, l, j S-c. S. n e cl C d h d P lc V 472 // I S T O I ft E penchant a la révolte avoit plas d une fois allarmé les Rois de Perfe. Un Auteur de ce temps-la tracé leur Jortrait en ces termes : Ce/?, dit-il, me nation perverfe , fiditieufe, jaloufe, 'erfide en amitié, & irréconciliable dans a hame. Mébodès leur donna pour ors une terrible lecon; & le chatinent de ceux de la nouvelle Antioche dut rappeller aux autres Ie fan[lant edit qu'Afliiérus avoit autrefois >ubbe dans ces mêmes contrées: mais lans le temps dont je parle, ils ne rouverent point d'Efter. Tandis que Médodès réduifoit fous obeifTance de fon maitre légitime , :sprihcipales villes de la Perfe, 1'arïee de Chofroës, après quatre jour* e marche, étoit arrivée dans un lieu ommé Alexandriane, oul'onvoyoit ticore les ruines d'une forterefte étruite autrefois par Alexandre le rand. Elle alla camper Ie lendemaia ins la plaine de Cnéthas. Cependant :an Myftacon approchoit, & Bin3es s'étoit joint k lui avec fes trouws. Ils n'étoient pas loin du Zab, rfque Myftacon dépêcha mille cadiers pours'afturer du paflage. Va-  nu Bas-Empire. Liv. LUL 473 rame, qui avoit deffein de le battre avant qu'il eut joint Narfès, fut averti de fon approche, & fe rendit maitre du pont. Narfès, informé de ces mouvements, rebrouffa chemin , & ayant regagné en quatre jours les bords du Zab, il paffa lui-même le fleuve au-deffus de Varame, & fit le dégat fur les terres des Aniféniens. Varame, pour empêcher la jonction des deux armées , partagea fes troupes en deux corps, dont 1'un faifoit face a 1'orient pour arrêter Narfès, tandis que 1'autre marchoit vers le nord au-devant de Myftacon. Ceuxci rencontrerent bientöt les troupes d'Arménie, qui n'étoient féparées que par un grand lac, & Myftacon fe difpofoit a livrer bataille , lorfqu'il recut ordre de Narfès d'éviter le com bat. Bindoës, qui connoiffoit le paysi fit pendant la nuit filer les troupes è 1'orient du lac, en forte qu'elles fe trouverent au matin entre Varame & lé Zab. Ce fut alors que Chofroës recut la nouvelle des rapides fuccès de Mébodès ; & ce Général fe rendit bientöt lui - même auprès du Roi, poui Maurice Ann, 595. XLIII. Difpofitionspour la bataille. Simocat* l, J. c. 9'  Maurice Ann. jcjj, l 1 c 1 j t c e c; £( fe fa pi <3l rn vi qv Clj & 474 . H i s t o i r e partager 1'honneur d'une journée qui devoit décider du fort de la Perfe. Deja Myftacon avoit joint Narfès oc les deux armées reünies fe communiquerent réciproquement de la hardielfe & de 1'alfurance. Chofroës le voyoit a la tête de plus de foisante mille hommes : Varame, qui ien avoit quequarante mille, tenta le ïurprendre les ennemis k la faveur ie la nuit; mais la difficulté des chenms retarda tellement fa marche, [u il fut prévenu par la clarté du jour. ^es deux armées demeurerent deux >urs en préfence; le troifieme, les •oupes de Varame, impatientes de ambattre , fortirent de leur camp * tumulte , & pouffant de grands ■is. Les Perfes de Chofroës imitoient : defordre; au contraire, les Romains rangeoient en bataille fans bruit & ns confufion; & Narfès , ayant réimandé Bindoës & Mébodès de ce uls ne pouvoient contenir leurs )upes & les réduire au filence it a bout de rétablir cette trandlité, qui met une armée bien dif•hnée en état d'entendre 1'ordre, d'y obéir de concert. L'armée Rq-  du Bas-Empire. Liv. LUI. 475 maine étoit divifée en trois corps. Chofroës & Narfès étoient a la tête du centre; Mébodès commandoit 1'aïle droite, oü étoient les Perfes; Myftacon 1'aïle gauche, compofée des troupes d'Arménie. Les Romains, embrafés d'ardeur, attendoient le fignal, lorfque 1'armée de Varame, effrayée de leur nombre, de leur contenance & de leur ordre de bataille, prit la fuite, & fe retira fur une montagne. II y eut même un corps de cinq cents hommes qui mit bas les armes, & pafTa du cöté des Romains. Chofroës vouloit attaquer 1'ennemi fur cette éminence, & preffoit Narfès d'y faire monter fes troupes. Mais ce Général cmi favoit la guerre , jugeant cette entreprife tout-a-fait téméraire, retint les Romains dans leur pofte. Le Roi, irrité de ce refus, donna ordre aux Perfes d'y monter, &c ne tarda pas a s'en repentir : les Perfes , repouffés avec grande perte, auroient tous été taillés en pieces, fi les Romains n'euffent arrêté la fougue des ennemis. Au coucher du foleil, les deux armées rentrerent dans leur camp. Maurice Ann. 593.  Maurice Ann. 593, XLIV. Bataille du Balarath. Simocat. I. 5- c 10, li. Theoph. p. 224 i 215'Evag. I. 6. c 17. Hifl.mifi. ( /• 17. Zen. <. ƒ/. I />• 75. I ] 1 < 1 1 C ƒ t a 1; cl d f P t« 47<» HtsToi&s . yafame, ayant reconnu la fiipériorite des ennemis, partit dès le point du jour, & alla camper entre des hauteurs inacceffibles k la cavalerie. Les Romains le luivirent, & s'avancerent jufqu'a la plaine de Ganzac. Varame, pour lesfatiguer & ralentir leur ardeur, changea de pofte, & après les avoir promenés par plufieurs déïours, il s'arrêta enfin prés d'une ririere nommée Balarath. Les Romains, jui ne le perdoient pas de vue , vin■ent camper dans le voifinage, & les le lendemain ils fe rangerent en «taille dans la plaine qui bordoit la ïviere. Leur armée garda le même >rdre qu'elle avoit obfervé fur les •ords du Zab. Narfès eneouragea fes roupes, & leur donna pour mot .u guet les premières paroles de la dutation Angélique. C'étoient des ?rmes inconnus aux Perfes; & il les voit choifis exprès, afin que dans i confufion de la bataille , les Perfes e fon armée puffent fe diftinguer e leurs compatriotes qui component 1'armée ennemie. Varame, ne ouvant éviter le combat, fitufage de >ut fon favoir pour difpofer ayan-  du Bas-Empire. Liv. LIII. 477 tageufement fon armée. 11 fe mlt a la tête du centre; il placa devant fa cavalerie fes éléphants comme autant de tours, & les fit monter par les plus braves de fes foldats. II y en avoit auffi dans 1'armée de Chofroës, & ce Prince efcorté de cinq cents cavaliers , exhortoit les Perfes de fon parti a ne pas céder aux Romains le prix de la valeur. Aux cris des Perfes fuccede un affreux filence; on n'entend plus que le fon menacant des trompettes; & les deux armées s'approchent avec cette fombre fureur qui annonce Ie carnage. On ne s'arrêta pas long-temps a la décharge des traits, & bientöt on en vint a la mêlée. Varame, croyant trouver moins de réfiifance de la part des Perfes qui faifoient 1'aile gauche de 1'armée Romaine, quitta le centre, & fe porta fur fon aile droite, a la tête de laquelle il chargea les troupes de Mébodès. Tout plia devant lui, & les Perfes, prêts a tourner le dos, alloient entraïner dans leur fuite le refte de 1'armée, lorfque Narfès leur envoyant plufieurs renforts les uns fur les autres , vint a bout de les foutenir. Va- Maurici Ann, 593,  Maurice Ann. 593, 1 < 1 £ 1 C c cl C t( r< d aj Ui PJ le af le er 478 BlSTOIRE rame, perdant 1'efpérance de les enfoncer, retourne au centre , & charge Narfès; mais ce Général intrépide, méprifant la fureur des éléphants, perce au milieu d'eux, fond fur le centre des ennemis, rompt leurs rangs, renverfe les cavaliers fur les fantaffins; rien ne réfifte a la violence de bn attaque , & toute 1'armée de Va■ame fe diffipe comme un tourbillon le pouffiere. Les Romains pourfuirent avec ardeur, & bientöt toute a plaine eft jonchée de cadavres. Les léphants fe défendoient encore , & 3S Perfes montés fur leur dos , ne efToient de tirer fur les vainqueurs ; n les environne; on abat les conucteurs, & on livre les éléphants a hofroës. Six mille Perfes qui s'é>ient retirés fur une montagne , fumt enveloppés & forcés de fe ren•e. Les Romains les conduiflrent 1 Roi; & ce Prince inhumain fe fit 1 divertilTement cruel de les voir :rcer è coups de fleches, ou écrar fous les pieds des éléphants. Ayant pris qu'il y avoit des Turcs entre > prifonniers, il les fit féparer &c voyer a Maurice, comme autant  du Bas-ëmpirë. Liv. L1IL 479 de trophées qui rendoient témoignage de la valeur des Romains. On remarqua qu'ils portoient tous fur le front 1'empreinte d'une croix; Maurice leur en ayant demandé la raifon, ils répondirent que dans un temps de peite , quelques Chrétiens avoient confeillé aux femmesTurques de marquer ainfi leurs enfants, &c qu'en effet ils avoient été préfervés de la contagion. Les Romains pillerent le camp de Varame , & fe rendirent maitres de fes femmes , de fes enfants & des ornements royaux, dont ils firent préfent a Chofroës. Le lendemain on recueillit les dépouilles, & 1'on porta les plus précieufes dans la tente du Roi. De toute 1'armée de Varame, il n'étoit échappé que dix mille hommes avec Varame lui-même. On fit partir pour les pourfuivre un gros détachement, fous la conduite de Marin & de Beftame , qui revinrent quelques jours après fans ramener aucun prifonnier. Tous s'étoient difperfés; & foit que Varame eut péri dans la fuite, foit qu 11 fe fut fauvé dans quelque pays barbare , on n'en recut depuis ce Maurice Ann. 593. XLV. Chofroës rétabli dans fes Etats,  Maurice Ann. 593. 480 HlSTOJRB temps-la aucune nouvelle. Les vainqueurs étant démeurés trois jours campés prés du champ de bataille , 1'infection des cadavres les obligea de s'éloigner. Ils fe retirerent a Ganzac, oü le Roi, plus enflé de fes profpérités, que s'il les eüt mérités par fa propre valeur, fit aux Officiers Romains un fuperbe feftin, accompagné de tous les inflruments de mufique en ufage chez les Perfes, pour célébrer fa vicfoire. Dix jours après, il congédia les troupes de Ï'Empire fans les récompenfer de leurs fervices, autrement que par des paroles; & emmenant avec lui fes foldats Perfes, il prit le chemin de Séleucie. Narfès, en le quittant, lui recommanda de ne jamais oublier qu'il étoit redevable de fa vie & de fa couronne ala générofité des Romains. Chofroës écrivit a Maurice une lettre remplie de témoignages de reconnoiflance; & comptant plus fur les domains que fur fes propres fujets, dont il avoit épronvé la perfidie, il le prioit pour derniere grace, de lui taiffer pour fa garde mille foldats Romains; ce qui lui fut accordé. Chofroës ^  nu Bas-Empi&e. Liv. LUI. 481 Chofroës , rétabli dans fes Etats, n'oublia pas le vceu qu'il avoit fait dans fon infortune. II fit porter k 1'Eglife de Saint-Serge la croix d'or qu'il avoit promife. C'étoit celle que fon aïeul avoit enlevée de Ssrgiopolis , & dépofée dans fon tréfor. Chofroës ajouta de nouveaux ornements a ce riche préfent, avec une infcription qui annoneoit fa reconnoiffance. Ce Prince inconféquent & bifarre, malgré fes acres de dévotion chrétienne, malgré les proteftations plufieurs fois réitérées au milieu de fes difgraces, de ne jamais adorer que le Dieu des Romains, perfiita toute fa vie dans le paganifme tel qu'il étoit établi en Perfe. Toujours attaché en apparence a la religion du pays, qu'il méprifoit dans le cceur, paree qu'il n'en avoit aucune, il y porta une nouvelle atteinte , en époufant contre les loix de la Perfe, & faifant déclarer Reine, une Chrétienne, nommée Sira, Romaine de naiffance , dont il étoit devenu éperduement amoureux. Ayant paffe deux ans avec elle fans en avoir d'en-r fants, il eut encore recours a Saint Tomé XI, X Maurice Ann. 593. XL VI. Conduite de Chofroës après fon rétabliffement.Simocat. f. 4. c. 13, 14, 15. Evag. I, 5, c. 20.  Maurice Ann. 593, 482 HlSTOlRB Serge; & s'étant, dix jours après1 appercu du fuccès de fa priere, il envoya encore de magnifiques préfents , avec une lettre adrefTée a ce faint Martyr , implorant fa proteöion fur Sira & fur le fruit dont elle étoit enceinte. Dès qu'il fe vit pailible poffeffeur de la couronne de fes ancêtres, fon premier foin fut de punir les rebelles. Varame lui avoit échappé; il fit mourir tous ceux qui avoient eu part k fa révolte. II fembloit que Bindoës ne devoit attendre que des récompenfes; il avoit couronné Chofroës , il avoit fignalé fon zele dans tout le cours de la guerre contre Varame. Cependant, dès qu'il cefTa d'être utile, Chofroës ne vit plus en lui qu'un audacieux rebelle , qui avoit ofé porter fur fon Roi Hormifdas , une main facrilege ; il le fit noyer dans le Tigre. La paix fut rétablie entre la Perfe Si Ï'Empire. Ce fut ainfi que Maurice , loin de profiter, par une politique baffe & inhumaine , des troubks d'un Etat voifin , toujours jaloux, fouvent ennemi, eut 1'honneur de calmer la Perfe, de replacer fur le tröne lé Prince légiti-  vu Bas-Empire. Liv. LUI. 483 me, & de terminer par une générofité, plus glorieufe que toutes les victoires, une guerre opiniatre & funefte aux deux peuples. La fuite des guerres de Ï'Empire contre la Perfe nous a fait perdre de vue les affaires d'Occident, depuis la mort d'Autaris en 590. Nous allons reprendre 1'Hiftoire d'Italie , autant qu'elle fe trouve mêlee a celle de Ï'Empire, & pour éviter de trop fréquentes interruptions, nous laconduirons jufqu'a la mort de Maurice en 602. Agilulf, reconnu Roi des Lombards par les Seigneurs de la nation , affemblés a Milan au mois de Mars 5 91, aimoit la paix , mais favoit faire la guerre. Son premier foin fut de retirer des mains des Francois les prifonniers Italiens, en quoi il fut généreufement fervi par la Reine Brunehaut, qui en racheta un grand nombre. Ce Prince s'occupoit en même-temps k réduire plufieurs Ducs qui refufoient de fe foumettre. Une grande féchereffe fit manquer la récolte en Italië ; la famine s'accriit par le ravage que fit fur-tout dans le territoire de Trente, une multiX ij Maurice Ann. 593. XLVII. Agilulf Roi des Lombards.Paul. diac. I.4. c 1, 4,8, 13, 15 > »7 » 19 , 21 , 24. 15 . 26. Greg. I. 2. ep. 32,62, 6%. 1.4'?. 19» 31 • 33» 34. 35, 3«./ï.cp. 13, 34, 4i. 60, 63 , 64. /. 6. ep. 9." .23. 25W.. 7ep. 2, 5 , 20/79,, So, 81. io2.1. 8; 'P- 37. I. 9. ep. 42 j 43- Idem lib. 2.' Hamel. 6. 10.  Maurice Ann. 593. Simocat. I, 7. c. 6. Rubens , hift.Rav.l. 4- Sigon. dc regno hal, L 1. Maronius, Pagi ad Sar. Mabill. dipl- c. 9. Morin, de peenit. p. 77. Thomafjin de vttere& novaecclef. difc.t. 1.1 1. c. II. Fleury, hifi. Ecclef, l. 35. art, 32 , 31 , 40. 41 . jo. /. 36, Art. 2,4, 44, 43- Oriens Chrifi. 1.1. p. 226. Murat. annal. hal, torn. 111. 484 UlSTOIRE tude innombrable de fauterelles d'une prodigieufe grofleur. La pefte vint enfuite défoler ces malheureufes contrées. Elle s'étendit depuis Plftrie jufqu'a Rome; & ce fut alors que le maufolée d'Hadrien prit le nom de chateau Saint-Ange , paree que 1'on vit ou 1'on crut voir fur le haut de ce monument, un Ange, qui, tenant une épée nue , la remettoit dans le fourreau; ce qui annoncoit la fin de la contagion. Tant de fléaux furent terminés par un hyver plus rigoureux qu'on n'en avoit reffenti de mémoire d'homme. L'année fuivante, PExarque Romain , qui, a 1'exemple de fes prédécefTeurs, agiffoit en fouverain indépendant, réfolut de recommencer la guerre, oii fon avarice efpéroit trouver des occafions de s'enrichir. Mais diffimulant d'abord fon deffein, il parut ne quitter Ravenne , que pour faire le voyage de Rome. II fe fit cependant accompagner de fes troupes. A fon approche, le peuple de Rome & la garnifon. enfeignes déployées, fortirent au-devant de lui. L'Exarque alla d'abord a la Bafdique de Latran , pour y ren-?  nu Bas-Empire. Liv. LUI. 485 dre fes refpecfs au Pape qui 1'attendoit en ce lieu ; & cette cérémonie fe renouvella toutes les fois que les Exarques vinrent a Rome. A fon retour, il s'empara des villes de Sutri, Bomarzo, Orta, Amérie , Todi, Lucéolo, & de quelques autres qui fe trouvoient fur fa route. Maurition , Duc de Péroufe , gagné par argent, recut garnifon Romaine. Ces actes d'hoftilité furent pour les Lombards un lignal de guerre. Ariulf, Duc de Spolete, furprit & brüla la ville d'Ancone ; il marcha enfuite vers Rome, tandis qu'Aréchis qui venóit de fuccéder k Zorton dans le Duché de Bénévent, s'avancoit vers Naples. Le Pape Grégoire, tout occupé du falut de 1'Italie , pendant que 1'Exarque ne fongeoit qu'a Pépuifer par des impofitions tyranniques , & par le tralie honteux qu'il faifoit de la guerre & de la paix, employoit en vain les plus preflantes follicitations pour engager Romain k traiter avec les Ducs ennemis. Enfin, ne trouvant aucune reffource dans cette ame intérefTée, il prit le parti de négocier lui-même avec 'Ariulf, dont il acheta une treX iij Maurice Ann. 593. 543 > 546, 55i.551, $54, 556, 5 57, 560. t. IV. p. 1 , 2. Giann. hift. Nap. I. 4. e. 1 , 3.4- AJfemant bib. juris Oriënt, t. 111. c. 14. De Vh,t amiq. Bénévent.thef. alter, differt. i. p. 16 , 21.  Maurice Ann. 593. 486 H I S T O I R £ ve k fes propres depens. 'Mais les foldats de la garnifon de Rome lui firent perdre le fruit de fa générofité. Ils fortirent k Pinfu du Pape fur les Lombards, & en tuerent un grapd nombre. La guerre fe rallume avec plus de fureur; Ariulf fe venge de la perfidie, enbnilant les environs, & paffant au fil de 1'épée tous les Romains qui fe rencontrent hors de la ville. Enfin , obligé de lever le fiege , il fe rendit maitre de Camérino, & s'alla joindre a Aréchis, qui campoit devant Naples. Cette ville avec celle de Cumes étoit alors la feule ville murée qu'il y eut en ces eontrées. Quoiqu'elle ne fut pas encore capitale du Duché , l'Empereur en avoit depuis peu aggrandi le territoire , en y ajoutant les ifles d'Ifchia , de Procida & de Nifita. On y joignit dans la fuite Cumes , Stabia , Surrente, Amalfi; & le Duché de Naples devint fi confidérable, que les Gouverneurs envoyés de Confiantinople, prenoient le titre de Ducs de C ampanie. Grégoire, abandonné de 1'Exarque , prit les plus fages mefures pour conferver cette ville a  nu Bas-Empire. Liv. LUI. 487 Ï'Empire. Elle tint contre tous les efforts des Lombards, qui Pattaquerent a plufieurs reprifes, toujours fans fuccès. Comme elle étoit environnée de leurs Etats, le Duc Maurence, qui la gouverna fept ans après , y établit une forte garnifon; & par furcroït de précaution, il obligea les habitants a monter la garde fur les murailles, fans en exempter les Moines, ni même leur Abbé Théodofe , malgré fon age & les plaintes du Pape. La perte de Péroufe, capitale de laTofcane, chagrinoit Algilulf. II vint en perfonne affiéger cette place; & 1'ayant reprife après quelque jours de fiege, il fit trancher la tête a Maurition. II marcha enfuite vers Rome, dont il défola le territoire. Saint Grégoire fait une vive peinture des maux dont cette ville étoit environnée. II expliquoit alors dans fon Eglife Ie Prophete Ezéchiel : accablé de triftefTe , il interrompit fes Homélies , qu'il termina par ces paroles : Ne vous ajfemble^ plus pour nientendre ; mon cceur ejl Jlétri par la douleur. Nous ne voyons autour de nous que le glaive & la mort. Nos citoyens nous font enlevés par le X iv Maurice Ann. 593, XLVUT. II affiege Rome.  Maurice Ann, j93. XLIX. Conduite de S. Grégoire a 1'égard de Maurice. 488' HlSTOIRE maffacre ou par Pefclavage. Ceux qui rentrent dans Rome riy rapportent que les malheureux rejles de leurs corps mudles par le fer ennemi. Non, je ne vous parlerai plus; ma voix fe glacé, & ne forme que des foupirs ; mes yeux ne font ouverts qu'aux larmes ; mon ame s'afjlige de ma vie. Malgré eet acharnement des Lombards, Agilulf n'eut pas le même fuccès qu'Alaric, Genferic & Totila. Le courage des alfiégés , ou peut-être l'argent de Grégoire, lui fit lever le fiege. II emmena grand nombre de prifonniers qu'il envoya vendre aux Francois, Saint Grégoire n'abandonna pas ces infortunés; fa charité les fuivit dans leur captivité. S'épargnant tout h lui-même, il prodiguoit fes biens pour les racheter. II obtint d'abondantes aumönes de l'Empereur & de toute la Cour de Conftantinople. Quoique Grégoire foutint avec zeIe les intéréts de Ï'Empire, & qu'il travaillat fans relache a réparer les maux que caufoit la négligence ou Pavarice des Exarques, on voit cependant par fes lettres qu'il étoit mécontent de la conduite de Mau-  nu Bas-Empiré. Liv. LUI. 489 nee; & fans s'écarter du refpect qu'il devoit au Souverain, il eut avec lui de fréquents démêlés. Les affaires d'Italie, écrit-il k un ami, peuvent-elles profpérer fous un Prince qui vend les charges, qui n'écoute que les mauvais eonfeils , & qui met en place des miniftres corrompus, dont Cunique emploi ejl de fucer le fang des peuples ? Les concuffions de Romain & celles des Gou» verneurs particuliers autorifoient fes plaintes. Romain tyrannifoit Rome & Ravenne. L'Exarque d'Afrique, de qui dépendoit la Sardaigne, vendoit aux Payens la permiflion de facrifier k leurs idoles; lorfqu'ils eurent été convertis par les foins de Grégoire, il continuoit d'exiger d'eux le même tribut; & fur lesreproches que lui en faifoit 1'Evêque de Cagliari, il répondit que s'étant engagé avec la Cour k payer une grande fomme d'argent pour obtenir fon gouvernement, il ne pouvoit autrement acquitter cette dette. EnCorfe, les habitants étoient réduits k vendre leurs enfants pour fournir aux impöts; ce qui en détermina un grand nombre k fe donner aux Lombards, dont ils recevoient X v Maurice knn. 593.  Maurice Ann. 593. 490 HlSTOIRE un traitement plus doux. En Sicile, un exaóteur, nommé Etienne, s'enrichiffoitpar des confifcationsinjuftes & par des taxes arbitraires. Maurice luimême éprouva plus d'une fois la fermeté de Grégoire, qui ne s'accordoit pas toujours avec lui. L'Empereur & le Pontife fembloient avoir changé de röle. Maurice, retenu par une douceur paftorale , défendoit d'ufer de violence pour convertir les fchifmatiques, les hérétiques , les payens : Grégoire, animé d'uri zele ardent, s'armoit quelquefois du defpotifme impérial, pour étendre les conquêtes de 1'Egliie. II ordonne dans une lettre a 1'Evêque de Cagliari, deforcer les payfans idolatres, ferfs de 1'Eglife, a fe faire baptifer, & de les charger de plus fortes redevances pour les obliger a fe convertir; il efpéroit, difoit-il, que les enfants de ceux qui auroient été ainfi trainés de force au fein de 1'Eglife , y demeureroient attachés par une heureufe habitude, & qu'ils feroient meilleurs Chrétiens que leurs peres. L'Evêché de Saione en Dalmatie étoit difputé par deux concurrents également élus; Grégoi-  nu Bjs-Empire. Ljv: LUI. 491 re foutenoit Honorat; l'Empereur &t 1'Exarque étoient déclarés pour Maxime. Ce différend dura fix années. Maxime Pemporta enfin; mais ce ne fut qu'après une foumiffion très-humiliante. Le Pape ne paflbit rien a l'Empereur de ce qu'il croyoit pouvoir intéreffer le falut des ames. Maurice avoit défendu par une loi d'admettre a la cléricature, & de recevoir dans les monafteres ceux qui étoient revêtus de charges publiques, ceux même qui fortoient d'exercice, non plus que les foldats avant que le temps de leur fervice fut achevé. Grégoire entreprit de faire révoquet cette loi. Mais il ufa en cette occafion de tous les ménagements d'une refpecfueufe politique. II commen?a par obéir en faifant publier la loi de l'Empereur. Quelque temps après, il lui envoya fes remontrances; & poui éviter 1'éclat, il les fit préfenter, nor pas publiquement par fon Nonce mais en particulier par le médecii Théodore, ami du Prince & du Pon tife. II reconnoiffoit que la puiflana fouveraifte s'étend fur les miniftre des autels; mais il repréfentoit a Man X vj Maurice Ann. 593. I l  Maurici Ann. 593 L. Ambition de Jean le Jeuneur. 492 H I S T"O I R E rice que fa loi ne s'accordoit pas avec '■ 1'évangile, & que le Prince ne devoit ' pas détourner du fervice de Dieu , ceux que Dieu avoit bien voulu attacher au fervice du Prince. L'Empereur eut égard a des remontranres fi fages & fi bien ménagées; il exigea feulement que ceux qui fortoient de charge, ne fuffent admis qu'après avoir rendu leurs comptes; pour les foldats, ils pouvoient être recus dans les monafteres, mais après trois ans d'épreuve. C'étoit le temps marqué par les loix de Juftinien pour le noviciat de tous les moines. Grégloire 1'avoit abrégé en le reftreignant a deux ans; mais Tanden ufage fubfiftapour les gens de guerre, qui vouloient avant la vétérance, embrafter la vie monaftique. Le plus férieux démêlé de Saint Grégoire avec Maurice, s'éleva au fujet du nouveau titre que s'attribuoit le Patriarche de Conftantinople. Juftinien avoit donné aux Evêques de fa capitale le nom tf(Ecuméniques ; mais aucun d'eux n'avoit encore ofé fe parer de ce titre. Jean, renommé )our 1'auftérité de fa vie, qui luifif  bv Bas-Empire. Liv. LUI. 493 donner le furnom de Jeuneur, avoit fui Pépifcopat, & n'en fut pas plütot revêtu, qu'il entreprit d'en relever les prérogatives. Loin de rien rabattre de 1'amnition de fes prédéceffeurs, il affecfoit dans toutes fes lettres le nom de Patriarche univerfel. Pélage II s'y étoit oppofé; il 1'avoit même menacé d'excommunication, s'il con» tinuoit d'ufurper une qualité qui réduifoit les autres Evêques au rang de fes Vicaires. Jean n'avoit tenu compte de ces menaces; & ce Prélat, humble dans fa perfonne, mais jaloux de 1'honneur de fa place, étoit foutenu de Maurice , qui partageoit la vanité de 1'Evêque de fa ville Impériale. Les Evêques d'Orient, qui n'avoient d'aceès que par lui auprès de l'Empereur, le flattoient aufli dans' fes prétentions. Grégoire, prévoyant les fuites facheufes que pourroit entraïner 1'ambition des Patriarches de Conftantinople, tachoit inutilement de rabaiffer par fes lettres, la vanité de ce Prélat. Preffé par l'Empereur, il s'eflbrga de lui faire fentir dans fa réponfe les conféquences du titre orgueilleux que Jean s'arrogeoit; & faifant allufion Maurice Ann, 59$,  Maurice Ann. 593, 494 H I S T O I R B au furnom de Jeuneur: Nos os, dit-if; font dejféchés par les jeünes , & notre efprit ejl enflé d'orgueil; nous avons le cceur élevé fous des habits méprifables ; couchés fur la cendre, nous afpirons d la grandeur. Toutes ces repréfentations ne produifirent aucun effet: malgré les inftances du Pape auprès de l'Empereur, de l'Impératrice, du Prélat intéreffé dans la querelle, & des autres Patriarches; malgré le contrafte que préfenta Grégoire en prenant alors la qualité de Serviteur des Serviteurs de Dieu, que les Papes ont confervée jufqu'a ce jour, 1'Evêque de Conftantinople retint opiniatrément le titre d'GÊcuménique; & après plufieurs fiecles de conteftations, ce nom eft refté a fes fuccefTeurs. Jean le Jeuneur mourut en 595, après treize ans & cinq mois d'épifcopat. Ses grandes aumönes Pavoient réduit k une extréme pauvreté. Non content de s'être dépouillé lui-même, il emprunta une fomme confidérable k l'Empereur, engageant par contrat tout ce qu'il poffédoit de biens. Après fa mort, Maurice ayant fait faire 1'inventaire, trouva qu'il ne reftoit k  nu Bas-Empire. Liv. LUI. 405 Jean en propriété qu'une couchette de bois, une tunique de laine & un manteau ufé. Plein de vénération pour le Prélat, il fit porter au palais ces débris de la fortune patriarchale ; & dans le Carême, il couchoit lui même fur ce mauvais lit, qu'il préféroit k toute la magnificence Impériale. Quoique la conteftation de Jean avec Saint Grégoire lui ait attiré les cenfures des Latins, elle n'empêcha pas Saint Grégoire lui-même de lui donner après fa mort le titre de trés-Saint. Les Grecs Font toujours honoré au nombre des Saints ; & plufieurs Savants modernes, d'après le feptieme Concile général, ont juftifié fa mémoire. Cyriaque, fon fucceffeur, fut en communion avec Saint Grégoire, fans renoncer cependant au titre de Patriarche univerfel. Quelques Ecrivains ont avancé que ce Saint Pape eft le premier qui ait étendu 1'autorité des Souverains Pontifes fur le temporel des Rois, & que Grégoire VII, hardi k former des entreprifes fi peu apoftoliques, ne fit que marcher fur fes traces. On cite en preuve une charte, par laquelle il Maurice Ann. 593. LI. S. Grégoire juf» tifié d'avoir attente fur la puiffancetempo» relle.  Maurice Ann. J93. 49^ HlSTÖIRB accorde des privileges au monaftere* de Saint Médard de SoilTons , & qui eft terminée par ces paroles: Si un Roi, un Evêque, un Magijlrat, ou quelque perfonne féculïere , viole, contredit, ou négligé les décrets de notre autorité apojlolique ; s'il inquiete ou trouble les moines , ou qu'il porte atteinte d ce que nous avons réglé, en quelque dignité ou élèvation qu'il puiffe être, nous Cen dêclarons déchu. Mais d'excellents critiques, tels que M. de Launoy & le P. le Cointe foutiennent que cette charte eft fuppofée. Un privilege accordé par le même Pape a un hópital d'Autun, oü il menace de privation de toute dignité, quiconque ofera violer ce privilege, n'eft pas plus authentiques; le P. Mabillon prétend que cette claufe n'eft qu'une addition d'un fauflaire. En effet, la conduite fage & modérée de ce Saint Pontife a Pégard de Maurice, détruit ces imputations. On voit même qu'il ne donna le pallium a Syagrius, Evêque d'Autun, qu'après avoir obtenu le confentement de Maurice; & ce trait eft une preuve de Pautorité que les Empereurs confervoient fur les Pa-  du Zas-Empixb. Liv. LUI. 497 pes; puifque ceux-ci ne pouvoient, fans la permiffionde l'Empereur, honorer de cette marqué de diftinction les Evêques mêmes qui n'étoient pas dépendants de Ï'Empire. Les fujets de plainte que Maurice donnoit aGrégoire, ne rallentiffoient pas le zele de ce faint Prélat pour la confervation de ce que Ï'Empire poffédoit en Italië. II ne voyoit de reffource que dans la paix, ou du moins dans une treve de longue durée. Dans ce deffein,il traitoit avec Agilulf; mais PExarque, toujours avide de pillage, rompoit toutes fes mefures. II en vint même a vouloir le rendre fufpecl k l'Empereur, qui, fans ajouter foi a ces calomnies, fe perfuada feulement que Grégoire étoit dupe des Lombards ; il le traita dans une de fes lettres avec affez de mépris, comme un homme fimple & peu capable de démêler les artifices d'Agilulf. Grégoire reffentit vivement cette forte d'injure; & fans manquer ni a Phumilité Chrétienne, ni au refpect qu'il devoit au Prince, il lui expofa avec fermeté ce qu'il avoit fait pour fon fervice , le trifte état de 1'Italie, & le Maurice Ann. 59J. Liï. II travaüle a procurer la paix aveles Lombards,  Mauric] Ann. 593 lui. Les Lombards recommencentleursravages. i 498 ff I 3 T 0 I R E befoin qu'elle avoit de la paix. Cette ■ lettre troüva l'Empereur trop prévenu , pour faire impreffion fur fon efprit. L'Exarque porta 1'infolence jufqu'a faire afficher pendant la nuit dans les places de Ravenne, un placard injurieux k Grégoire & k fon Secretaire Cafiorius, qu'il employoit a négocier la paix avec les Lombards. LePape, informé de cette infulte, adreffa une lettre k 1'Evêque, au Clergé, & au peuple de Ravenne, par laquelle il fommoit 1'auteur de fe déclarer, & de prouver les faits qu'il avancoit; finon, il le privoit, quel qu'il "fut, de la communion des fideles. Les Lombards, fatigués de tant de Ienteurs, rentrerent furies terres des Romains. Ils firent une defcente en Sardaigne. Le Duc de Spolete vint ravager la campagne de Rome; le Duc de Bénévent s'avanca jufqu'a Cro> tone, dont il s'empara par furprife. Se voyant hors d'état de garder cette ville maritime, faute de vaiffeaux , il 1'abandonna après 1'avoir pillée, Emmenant avec lui les habitants de ■out age & de tout fexe. Ils auroient aéri dans Ie plus dur efclavage, fans  vv Bas-Empire. Liv. LUI. 459 la charité inépuifable de Grégoire , qui les racheta. Ce Prélat généreux prodiguant fans ceffe & fes biens propres & ceux de fes amis, fe nommoit lui-même avec raifon h tréforier des Lombards. Enfin, Romain étant mort 1'an 597, Grégoire trouva dans fon fucceffeur Callinique moins d'oppofition a la paix. Mais on ne put convenir que d'une treve pour deux ans. Dans eet intervalle, Ravenne & les cötes de la mer Adriatique furent défolées par la pefte , qui fit encore de plus grands ravages a Vérone. Les Efclavons vinrent piller 1'Iftrie, &infulter les Lombards fur leur frontiere. Comme cette nation étoit tributaire des Abares, Ie Khan, qui étoit alors en guerre avec Ï'Empire, appréhendant de s'attirer de nouveaux ennemis, fe hata de renouveller avec Agilulf 1'alliance qu'il avoit contraftée avec Autaris. II obtint même du Roi Lombard des conftruéteurs de navires; & bientöt les Abares fe virent maitres d'une flotte, avec laquelle ils s'emparerent d'une ifle de la Thrace, & porterent la terreur jufque dans Conftantinople. Maurice Ann. 593. LIV. Alliance des Lombardsavec les Abares.  Maurice Ann. 593. LV. Ruïne de Padoue. 1 1 1 ' } 1 < i c c ï i I r i l 50O HlSTOIRE La treve entre les Romains & les Lombards devoit expirer au mois de Mars 601. Callinique, fans attendre ce terme, s'empara par furprife de la ville de Parme dès le commencement de cette année. II y fit prifonnier le Duc Godefcalc avec fa femme, fille d'Apilulf, Sc les conduifit a Ravenne. AgiiuIf irrité, rafTemble fes troupes, 5c marche a Padoue, qui s'étoit jufm'alors maintenue fous 1'obéifTance le Ï'Empire, au milieu des conquêtes les Lombards, ainfi que Crémone 6c Vlontfélicé. Padoue, que les incurions des barbares avoient prefque uinée, avoit été rétablie 6c fortifiée >ar 1'Exarque Longin. La garnifon, prés s'être défendue pendant quel-[ues jours, fe rendit a compofition, >C obtint la liberté de fe retirer a Ra'enne. Elle fut fuivie d'une partie les habitants; les autres fe réfugierent lans les lagunes de Venife, qui fe leuploit & s'agrandjffoit peu-a-peu •ar les défaftres des contrées voifines. -a ville de Padoue, dont la plupart des laifons n'étoient que de bois, fut réuite en cendres. Agilulf en abattit :s murailles. Cependant Ariulf, Duc  ou Bas-Empire. Liv. L1IL 501 de Spolete , & Aréchis, Duc de Bénévent , pour faire diverfion , marchoient a la tête d'un corps de troupes , 1'un vers Ravenne, 1'autre vers 1'extrémité méridionale de 1'Italie , por tant par-tout le ravage. Callinique vint au-devant d'Ariulf, qui le défit dans une bataille prés de Camérino. Aréchis avoit deffein de paffer en Sicile ; il avoit déja raffemblé grand nombre de navires ; & 1'ifle entiere, confternée & dépourvue de troupes, avoit recours aux vceux & aux prieres. Elles eurent plus de fuccès que n'en auroient eu les armes des habitants. Aréchis changea de deffein , & retourna a Bénévent. L'année fuivante , le chateau de Montfélicé, dans le voifinage de Padoue, fe rendit aux Lombards après un long fiege, & Agilulf acheva de fe venger de 1'enlevement de fa fille, en fe joignant a une troupe d'Abares qui ravagerent l'Iftrie. Ce fut le dernier exploit de ce Prince fous le regne de Maurice. Maurice Ann, 593. Fin du Tornt on^ttfit.  1