HISTOIRE D U BAS EMPIRE. T O M E DOUZIEME.   HISTOIRE BAS-EMPIRE, a CONSTANTIN le Grand, Par Monfteur L E BEAU, rofejfeur Êmérite en fV JViv e rs it i de Paris } Profeffeur d'Éloquence au College Royal» Secretaire ordinaire de Monseigneur le Duc d'OrlÉans , & ancien Secretaire perpêtuel de l'Académie Royale des Inscriptions et Belles-Lettres. TOME DOUZIEME. A M A E S T R I C HT, Chez Jean-Edme Dufour & Phil» Roux, Imprimeurs-Libraires, aflöciés. D U JEN CO MMENCANT M. DCC LXXX.   SOMMAIRE D V L1VRE CINQU A NTE-QUATRIE ME, ..AL VRICÊ marche en perfonne contre les Abares. n. Rencontre de irois Norvégiens. im UEmpereur retourne a Conjlantinople. IV. Les Abares traverfent la Méjie. v. Succès & retraite du Rhan. VI. Guerre contre les Efclavons. vu. Succes de Prifque. VIII. Butin envoyé d Conjlantinople. IX. Suite de la guerre contre les Efclavons. X. Opérations de Prifque pendant fhy ver. XI. Le Général Pierre effuye unefédition des foldats. XII. Avantage des Romains furies Efclavons. XIII. Pierre chaffé iAJime. XIV. Parti de Romains dêfait par un parti de Bulgares. XV. Pierre battu par les Efclavons. xvi. Défaite des Maures en Afrique. XVII. Marche de Prifque vers la Pannonie. XVIII. II nprend Singidon. XIX. Guerre en Dalmatie. XX. Générofiti du Khan * l'égard des Romains. XXI. Mauvaife Tornt XIL A 8  2 SO MM AIR E DU LlV. LIV. .conduite de Comentiole. XXII. Suites de 'ia déroute des Romains. XXin. Maurice lefufe de racheter les prifonniers. XXIV. Reflexions fur la conduite de Maurice, au fujet du rachat des prifonniers. XXV. Maurice devient odieux. XXVI. Mécontentement de Chofroés. XXVII. La guerre Ttcommence contre les Abares. XXVIIT. Les Romains vainqueurs en cinq combats. XXIX. Rufe du Khan pour retirtr fes prifonniers. XXX. Mouvements inutiles de Comentiole. XXXI. Sédition a Conjlantinople. XXXII. Inquiétudes de Maurice. XXXIII. Pierre envoyé contre les Abares. XXXIV. Révolte des foldats Romains. XXXV. Philippique jujlifié. XXXVI. Phocas élu Général. XXXVII. Allarmes a Conjlantinople. XXXVIII. Les foldats marchent a. Conjlantinople, XXXIX. Sédition a Voccajion de Germain. XL. Fuite de Maurice. XLI. Ambition de Germain frujlne. XLII. Phocas proclamé Empereur. XLIII. Couronnement de Ja femme. XJLIV. Mort de Maurice & de fes enfants. XLV. Suites de la mort de Maurice. XLVI, Mort de Theo* dpft, fis de Mwriie,  HISTOIRE D U BA SE MP IR E. LÏVRE C1NQÜANTE-QUATR1ÈMÈ. MAURICE, T A guerre de Perfe étant termi- JLj nee, 1'Empereur rappella fes troupes , & les fit paffer en Thrace, pour les employer contre les Abares. Le Khan , toujours infatiable, demandoit une augmentation de tribut; & fur le refus de 1'Empereur, il fe préparoit k la guerre. Maurice voulut marA ij 3 Maurice.Ann. J9jï i. Maurice marcheert per onne contre lei Abares,  Maurice.Ann. 593. Simocat. I. é,e. 1,2, 3- Theoph. p. 225, 216. Zon. t. II. p. 76. Hifi. Mifi. h 17. 4 BlSTOIRE cher lui - même k la tête de fon armee. Cette réfolution étoit digne d'un Prince qui s'étoit élevé a 1'Empire par fes exploits militaires. Les Abares n'étoient pas plus redoutables que n'avoient été autrefois les Daces, & les nations Germaniques, contre lefquelles Trajan 6t Mare - Aurele fe mettoient en marche fans inquiétude & fans allarmes. Ils fe croyoient oblirgés de payer de leur perfonne : & le titre même d'Empereur leur rappelloit qu'ils devoient au moins quelquefois fe montrer k la tête des armées. Les temps étoient changés. Depuis le grand Théodofe, les Empereurs renfermés dans leur palais, au fein des intrigues & des plaifirs , idoles de leurs courtifans, ne faifoient plus la guerre que par leurs Généraux, & s'occupoient, les uns de débaucbes , les autres de fuperftitions. La guerre, malgré toutes fes rigueurs, épargne k un Souverain la plus grande partie de fes hafards & de fes fatigues, Sc Maurice n'avoit alors que cinquante-quatre ans. Cependant le deffein qu'il forma de commander en perfonne, fit trem-  du Bas-Empir.e. Liv. LIK 5 bier toute la Cour; les Miniftres , le Patriarche, l'Impératrice en pleurs , lui préfentant fes enfants, fe jetterent k fes pieds pour le retenir. II parut lui-même étonné de fa réfolution. II paffa une nuk dans 1'Eglife de Sainte-Sophie, efpérant d'y recevoir en fonge quelque révélation fur le fuccès de fon entreprife. Cette dévotion bifarre, reftée du paganifme , étoit alors aflez en ufage. Nulle apparition célefte n'ayant interrompu fon fommeil, il alla le lendemain en proceffion, fuivi de tout le peuple, a une autre Eglife fituée hors de la ville, &c renommee pour les miracles. II partit enfin de Conftantinople. La marche de 1'armée fembloit elle-même être une proceffion religieufe. A la tête paroiflbit une croix portee au bout d'une lance, revêtue de lames d'or. Le foin que les Auteurs de ce temps-la prennent de recueillir tous les événements du voyage, eft plus étonnant que le voyage même. C'étoient, s'il faut les en croire, autant de pronoftics ficheux, qui, d'intelligence avec la Cour, fe raffembloient pour rappeller 1'Empereur. Le foleii A iij Maurice.A.nn, 593,  Maurice.Ann. S9J. n. Rencontre de trois Noryégiens. 6 H 1" S T 0 I R F, s'éclipfa; la mer,. dont on cötoyoit le rivage, fut fort agitée; une foule de mendiants vint embarraffer le paffage de 1'Empereur, qui les écarta en leur diftribuant-des aumónes; fon cheval fut attaqué par un fanglier ; une femme accoucha d'un monftre fur far route le meilleur de fes chevaux que 1'on conduifolt en main a cöté, de lui, tomba mort fous fes yeux ^ un de fes gardes fut tué par un Gépide.. Mais un danger vraiment férieux , fut celui qu'il courut en partant de Selymbrie, pour aller par mer a Héracjée. A peine fut-il embarqué ,. qu'il fe vit aflailli d'une violente tempête. II montoit une galere de cinquante rames, qui» après avoir plufieurs fois manqué d'être abymée dansles flots,. fut enfin jettée dans le port de Daone.. II gagna par terre Hé« raclée. Quatre jours après, on rencontra trois voyageurs d'une taille gigantefque. Ils ne portoient ni épée, ni au» cune forte d'armes; ilsn'avoient entre leurs mains que des karpes. Aux queftions que leur fit 1'Empereur, ils répondirent: Quils êtoient Efclavons ;  nv Bas-EmPire. Liv. LÏV. f qiiils kabitoient au bord de tOcéan Occidental; que le Khan des Abares avoit envoyè des deputés a leurs Princes pour leur demdnder un fecours de troupes } que leurs Princes sétoient excufés fur la longueur du voyage, & les avoient chargés de lui porter leurs excufes; qiiaprli avoir été quinqe mois en chemin, ils s'é-* toient acquittés de leur commiffion; mais que le Khan, fans refpecler le droit des gens , les avoit retenus prifonniers > qu'ayant oui dire que les Romains étoient un peuple puiffant & fidele aux loix de thumanité, ils venoient fe réfugier entre leurs bras ; que leur pays ne produifant pas ce funefle métal que les hommes mettent en oeuvre pour fe maffacrer mutuellement, ils vivoient enfemble dans une paix profonde , & qu ignorant Pars de la guerre, ils ne s'occupoient que de muf que. L'Empereur, charmé du bon iens de ces peuples, donf il admiroit le bonheur, traita ces trois voyageurs avec bonté , & les fit conduire a Héraclée. Si 1'on pouvoit compter fur ce récit, la pofition du pays qu'ils indiquoient, nepourroit défignerque la Nórvege. C'eft une chofe remarfijuable, que la conformité de ce réA iv. Maurice.Ann. 593^  Maurice.Abii, 593. ra. 1'Empeleur retourne è ConftantiJiople. (*) Voyez un fragment du Poëte Phérénicus dans les Scholies de Pindare. Voyez auflï Hérodote, 1.1, qui regarde ces peuples comme fabuleux. Strabon, I. j, 1. 7.1. 15. Pomponius Mela, I. 3. c. j. Pline, 1. 4. c. sfc édit/Hard, S HlSTOlRE cit, avec Ia belle defcription que fait Pindare des mceurs des Hyperboréens, dans la dixieme ode de fes Pythioniques. On voit ici qu'a Ia fin du fixieme fiecle de Tere Chrétienne, fubfifloit encore 1'ancienne tradition fur le bonheur de ces nations éloignées (*). Le lendemain on vit arriver au camp une députation du Sénat, qui fupplioit^ 1'Empereur de revenir k Conftantinople. Maurice Ia congédia fans vouloir 1'entendre. Le jour fuivant, 1'armée éfant arrivée au bord d'un marais très-dangereux, qu'on ne pouvoit paffer que fur un pont fort étroit, le défordre fe mit dans les troupes. Les foldats fe précipitant les uns fur les autres, 1'Empereur defcendit de cheval, mit lui-même fes troupes en ordre, & demeura tout le jour k la tête du pont pour les faire défiler fans confufion. II alla camper  du Bas-Empire. L!v. LIF. 9 a deux milles de-la , & le lendemain il entra dans Anchiale, oü il devoit s'arrêter pour obferver les mouvements des ennemis. II y féjournoit depuis quinze jours, lorfque', frappé fans doute lui-même de ces préïages que nous avons rapportés, il céda aux inftances réitérées de la Cour, & reprit la route de Conftantinople, laiffant k Prifque le com • mandement de 1'armée. Le prétexte de fon retour fut une ambaflade que lui envoyoit Chofroës. II recut peu après une autre députation de la part de Childebert, Roi d'Auftralie , qui venoit de fuccéder k Gontran dans leRoyaume de Bourgogne. Ce Prince offroit a Maurice de fe liguer avec lui contre les Abares , k condition d'unepenfion annuelle. Maurice, choqué de la propofition, répondit qu'il feroit glorieux & utile aux Francois de fe liguer avec 1'Empire, fans autre intérêt que celui de 1'honneur. II congédia les députés avec des préfents. Le Khan avoit donné ordre aux Efclavons de lui conftruire des barques pour naviger fur le Danube. Les A y Maurice.Arm.jgjj IV. Les Abares traverfent la Méfie.  Maurice.Aan. 593. Simocat. I. 6.c. 4, 5 , 6. Tké&ph. p. 3.26, 21J. Cedr. p. 397, 393. Niceph. Ca.ll k.\%. C. 2S. Zon. t. II. p. 76. Hifi. mifc. L 17. 10 HlSTOIRZ habitants de Singidon forlirent en ar» mes, & mirent le feu aux matériaux qui furent réduits en cendres. Lesbarbares, irrités,. affiegent la ville, & au bout de fept jours, elle fe trouvoil déja réduite a 1'extrêmité , lorfque le Khan envoya ordre aux Éfclavonsde venir le joindre. Ils obéirent après avoir tiré deux mille pieces d'ör des habitants, qui n'étoient pas inftruits de eet ordre. Arrivés a Sirmium r 011 le Khan les attendoit , ils jetterent. fur la, Save un pont de bateaux , &c les Abares ayant- paffe lefleuve, tra-verferent la Méfie , marchant vers, le Pont-Euxin. Ils n'en étoient pluséloignés que de trois journées, lorf-, qu'un gros detachement de leur ar-* mée rencontra Salvien , Lieutenant de Prifque, a la tête de mille che-* vaux. Salvien avoit été envoyé pour, fermer les gorges du mont Hémus „. on s'étant retranché, il les avoit en-r fuite paffées lui-même pour avoir des nouvelles des ennemis. A la vue de :e grand corps de troupes, fort fupérieures aux fiennes, il regagna fes retranchements. Les Abares ayant entrepris de Py forcer, il y eut un com-  db' Bjs-Empirb. Liv. LIV. ri bat fanglant qui dura tout le jour, & qui coüta cher aux Abares. Le lendemain mafin , il leur vint huit mille hommes de renfort, qui furent encore repouffés avec perte. Enfin, le' Khan même arriva avec toute fon ar-rnée; & Salvien, hors d'état de tenir contre de fi grandes forces, abandonna le pofte pendant la nuit, Sc retourna joindre fon Général. Ces barbares n'étoient guidés dans leurs expéditions, que par la fougue d'une bravoure aveugle; ils n'avoient aucune connoiflance des opérations de la guerre. Ils refterent trois jours campés devant le défilé, & ne s'appercevant de la retraite des Romains que le quatrieme. Etant enfin paffes le lendemain, ils arriverenf en trois jours auxportes d'Anchiale, oü ils brülerent une Eglife, & continuerend leur route vers J'intérieur de la Thrace. Malgré les- tourments qu'iis faifoient'foufFrir aux coureurs Romains qu'iis furprenoient "dans les campagnes, ils n'avoient pas 1'adreffe d'en tirer la vérité , & fe laiffoient tromper tous les jours par de fauffes nouvelles. lis marchoient vers la lon« k vj Maurice.A.nn. 59J, V. Succes & retraite du Klianï  Maurice.Arm, J93, 12 IIlSTOIRB gue muraille j & quand ils furent ar* rivés prés de Driziperesils réfolurent de fe rendre maitres de cette ville. Les habitants, quoique fort allarmés, faifoient eependant bonne contenance. Ils tenoient même les portes ouvertes, eomme s'ils euffent été k tous moments prêts k fondre fur les barbares. Ceux-ci conftruifoient les machines propres k battre les murs lorfque tout-a-coup, en plein midi, le Khan s'imagina voir une armee innombrable fortir de la ville enfeignes déployées. Frappé d'une terreur panique, il prend la fuite vers Héraclée. Prifque fe trouvoit aux environs; croyant devoir profïter de 1'épouvante des ennemis , il les attaque; mais forcé de céder au nombre, il s'enfuit k Didymotique, & de-la il va s'enfermer dans Zu-rulle. Le Khan vint Yy affiéger, & la place ne pouvoit réfifter long-temps aux efForts d'une fi nombreufe armée. L'allarme fe répandit k Conftantinople. Zurulle étoit la derniere place qui pouvoit arrêter les ennemis au-dela :1e la longue muraille. Les feules troupes qu'on pouvoit leur oppofer y  du Bas-Empire. Liv. LIK 13 étoient enfermées, & leur perte mettoit la capitale dans un extreme danger. L'Empereur imaglna un ftratagême pour écarter les barbares. II chargea un de fes gardes d'une lettre adreflee a Prifque; il lui mandoit de tenir feulement quelques jours: Que bientöt le Khan feroit forcé de lever le fiege pour courir au fecours de fes Etats ; qu'une flotte bien fournie de troupes étoit partie pour ravager la Pannonie ; & qu'avant que le Khan eut pris Zurelle, fes femmes,fes enfants, & tout fonpeuple ,feroient dans lesfers a Conftantinople. Le mefïager avoit ordre de fe faire prendre par les ennemis. Cette rufe eut tout le fuccès defiré. A la lecture de la lettre, le Khan prit 1'allarme, il compofa avec Prifque pour une fomme peu confidérable, fit avec lui un traité de paix, & fe hfoa de regagner fon pays. Prifque , après avoir diftribué fes troupes en divers quartiers de la Thrace, pour y paffer 1'hyver , retourna a Conftantinople. Quoique les Efclavons fuffent tri- ' butaires des Abares , cependant i!s > ne fe crurent pas engagés par le traité Maurice.A.nn. 595, Lnn. 594. VI. Guerre  *4' H' r s t o I r e de Zurelle. L'Empereur, averti au'ils Maurice.Ann. 594. contre les Efclavons.Simocat. /. 6. e. 6 , 7, 8,9,10, 11. TJteoph. p. 228, 229, 230. Ced. p. 39S. Hifi. mifc. I. 17. i ] I ] t | I j i fe difpofoient a venir ravager la Thrace „ fit partir Prifque en. diligence pour garder les paflages du Danube.. Ce Général affembla fes troupes a Héraclée, d'oü il fe rendit aDriziperes en quatre jours. Après y, en avoir pafte quinze, il continua fa marche , & arriva en vingt journéesï Doroflole fur-le bord. du Danube» Le Khan regardant ces mouvements. :omme une infra&ion du traité, ea ïnvoya faire des reproches au Général. Le député barbare paria avec infolence, taxant 1'Empereur même Je violence, d'injuftice, de perfidie,. lc menacant les Romains d'une ven>eance fignalée. Les foldats, indignés le fon audace,.alloient 1'en faire re>entir, fi Prifque n'eüt calmé leur :olere, en repréfentant qu'on devoit )ardonner a un barbare, une férocité jui lui étoit naturelle. A' ce torrent 1'injures , il répondit froidement : 2«« les Efclavons n étoient pas comms dans le traité; & qiüen faifant la mix avec les Abares, les Romains na'oient pas renoncé au droit, de faire la luem a £autres nations.  dü Bas-Empire. Liv„ LIV. t5En même - temps , fans s'effrayer des menaces du Khan , il fit conftruire desbarques, & paflaJe Danube. Sur la nouvelle qu'il recut qu'une armée d'Efclavons étoit déja en campagne fous la conduite d!un chef nommé Ardagafte, il marcha droit a eux^ &c les.furprit pendant la nuit. Ardagafte s'éveillant au bruit de 1'attaque, faute tout nud.fur un cheval fans felle & fans bride, &c s'enfuit fans autre arme que fon épée. Attaqué par une troupe de foldats , il defcend de cheval , & fe bat pendant quelque temps». Prêt k fuccomber fous.le nombre,. il s'échappe par la vitefle de fa courfe, & traverfant des chemins rudes & difficiles, oü perfonne ne pouvoit Patteindre,. il paffa une riviere k la nage, & fe met en füreté. Les Romains font un grand carnage des Ef» clavons ; on ravage le canton qui appartenoit k Ardagafte ; on enchaine. les habitants. Le Général Rornain fit mettre le butin en réferve pour 1'envoyer k Conftantinople. II partageoit tout le profit de cette expédition entre 1'Empereur, 6c fes enfants. Maurice aimoit CE. Ann. ;944 VII. Succes de Prifque. vim Butin eravoyé a Conftantinople.  Maurice.Arm, 594, l6 HlSTOlRE 1'argent; fes enfants ne le connoiffoient pas encore, & un Auteur contemporain blame le Général d'avoir fait naitre dans des ames encore tendres, par des préfents de cette nature , la paffion qui déshonoroit leur pere. Les foldats, moins courtifans que le Général , fe mutinerent; ils étoient indignés qu'il fit fa cour k leurs dépens ; & qu'au-lieu de les dédommager de leurs fatigues & de leurs bleffures, en leur abandonnant ces dépouilles qu'iis avoient payées de leur fang, il s'en fervit pour acheter les bonnes graces de 1'Empereur. Tout le camp retentiffoit de murmures, & la fédition alloit éclater, lorfque Prifque convoqua dans fa tente les principaux Officiers. Le péril qu'il avoit effuyé fix ans auparavant en Méfopotamie , lui faifoit craindre les révoltes. C'étoit un homme fier &c hautain par caraftere , mais qui favoit fe plier aux conjon&ures, & très-capable, par fon éloquence, de manier les efprits. II n'eut pas de peine k faire agréer fon deffein aux Officiers ; chacun d'eux fe flattoit d'en partager le mérite, II étoit plus  dü Bas-Empire. Liv. LIF. 17 difficile d'arracher 1'approbation des foldats; il en vint a bout cependant par ce talent viöorieux qui fubjugue les cceurs , & qui n'a jamais plus de force que lorfqu'il fe déploye devant une grande multitude. Ayant aflemblé les foldats, il leur repréfenta, qu'envoyer le butin a Conftantinople, c'étoit mettre leur triomphe en évidence, c'étoit étaler les prix de leur valeur aux yeux de la ville Impériale. Oui, je l'ofe Ure, foldats, les enfants de t'Empereur, PEmpereur luimême , parés de ces dépouilles, feront pour vous autant de trophées. Vous réduife^ en efclavage vos ennemis; fere^vous vous-mêmes efclaves de Cavarice £ Vous prefere^ tous les jours l'honneur a la vie, préférere^-vous 1'argent a Ühonneur ? L'amour de 1'argent & ÜamouF de thonneur font deux paffions incompatibles ; choijijfe^ entre la richeffe & la gloire. Ces nobles fentiments, animés de toute Pénergie militaire, tranfportent les foldats hors d'eux-mêmes ; leur cceur s'ouvre aux confeils de la gloire; leurs murmures fe changent en appkttidiffement; ils louent leur Général d*entendre mieux qu'eux- Mauri> ce. Ann. 594;  Maurice.Ann, 594 18 HlSTOIRE ' mêmes leurs véritables intéréts. Prifque envoye le butin k, 1'Empereur, . fous Pefcorte de trois cents hommes, commandés par Tatimer. Le fixieme jour de leur marche, ils fe repofoient a 1'heure de midi, & prenoient leur repas fur 1'herbe, tandis que leurs chevaux paiffoient autour d'eux en liberté. Tout -a- coup ils voyent accourir un nombreux parti d'Efclavons. Tatimer fut le premier k cheyal; il court prefque feul aux ennemis; il en abat plufieurs k fes pieds; mais bientöt couvert de bleffures, il alloit être accablé, lorfque fa troupe arrivé, le dégage, charge ïes Efclavons, en tue un grand nombre , fait cinquante prifonniers, tk. met le refle en fuite. Aucune des bleflures de Tatimer ne fe trouva mortelle; il eut 1'honneur d'entrer k Conftantinople au milieu desacclamations,. & d'ofFrir k 1'Erapereur les glorieux témoignages de la valeur de fes troupes. Maurice paffa la nuifc en prieres dans 1'Eglife de Sainte-Sophie, & le lendemain fut une fête publique, ou tout le peuple rendit aDieu des aciions de graces..  nu Bas-Empirb- Liv. LIV. ro Depuis tant d'années que les Aba¬ res , les Bulgares, les Efclavons ravageoient les frontieres de PEmpire, la petite Scythie, la Méfie, 1'Illyrie , la Dalmatie toutes ces vaftes contrées qui s'étendent du Pont-Euxin au: golfe Adriatique, n'offroient plus darïs> leurs campagnes que de déplorables reftes de pillages &c d'incendie. C'étoit au-dela du Danube qu'il falloit aller chercher les dépouilles de ces Provinces. Ces peuples barbares, qu'une affreufe indigence avoit fait fortir des glacés du Septentrion, fembloient avoir changé de fortune avec les Romains ; ils avoient enlevé leurs tréfors, & leur avoient laiffé la pauvreté & la mifere. Les richeffes que Prifque avoit retirées du feul canton oii commandoit Ardagafte, attirerent plus avant ce Général. II détacha le Capitaine Alexandre , qui ayant paffé une riviere nommée Helibacias, rencontra un parti d'Efclavons. Ces barbares s'étant fauvés dans des marais couverts d'une épaifle forêt^les Romains s'y jetterent pour les. pourfuivre, &ne fe tirerent qu'avec beaueoup de peine Sc de. périi Maurice.Ann, 5.9.5, IX. Suite de la guerre contre les Efcla« vons.  Maurice.Ann. 595, 40 HlSTOIRE de la bourbe profonde ou ils s'étoient témérairement engagés. En vain voulurent - ils mettre le feu a la forêt; 1'humidité du marais étouffa 1'adtivité des flammes. Alexandre alloit renoncer a Pentreprife , lorfqu'un transfuge Gépide vint lui montrer un chemin fee pour pénétrer dans le bois. Les Efclavons furent enveloppés & pris. Alexandre fit fouffrir a ces prifonniers les plus douloureufes tortures pour en tirer des éclairciffements ; mais ces barbares méprifoient la mort, & fembloient être infenfibles k la douleur. II fallut s'en rapporter k la bonnne foi du transfuge. Interrogé fur 1'état du pays , il répondit : Que ces Efclavons étoient les fujets d'un Roi nommé Mu~ foc; que ce Prince habitoit a quarante lieues de - la. , & que fur la nouvelle de la défaite d'ArdagaJle, il les avoit envoyés pour obferver les mouvements de l'armée Romaine : que fi l'on marchoit a lui fur le champ, on ne manqueroit vas de le furprendre. Alexandre alla rejoindre le Général, qui fit paffer les prifonniers au fil de Pépée, Sc promit au transfuge une récompen-  du BaS'Empire. Liv. L1F. af fe, s'il venoit a bout de lui livrer Mufoc. Pour arriver k la réfidence de ce Prince, il falloit paffer une large riviere , que les gens du pays noramoient Pafpir. Le Gépide entreprit de faire fournir aux Romains des bateaux par Mufoc lui-même. II le va trouver, & lui dit que les troupes d'Ardagafte, échappées de ladéfaite, viennent chercher une retraite fur fes terres, & qu'elles le fupplient de leur procurer le paffage. Le Roi donne ©rdre de conduire a Pautre rive cent cinquante bateauxavec leurs rameurs, pour recevoir ces fugitifs. Le tranffuge retourne inftruire Prifque du fuccès de fa rufe, & Alexandre part auffi-töt avec deux cents hommes pour fe faifir des bateaux. Prifque fe met en marche avec trois mille hommes , paffe la riviere, arrivé pendant la nuit aux tentes du Roi barbare , qui, felon une coutume religieufe de la nation , s'étoit enivré la veille aux funérailles de fon frere. II eft pris fans Ie favoir. On paffe le reffe de la nuit k maffacrer les barbares. Le lendemain on repaffe la riviere avec un riehe butin. Mais la confian- Mauri- ce. Ann. 59fj  Maurice.Ann, 59.j, j X. Opérations de Prifque 1 pendant ; ïhyver, j ] 1 i 1 sa tl ï S T r> I R E ce que la vi&oire infpiroit aux Ro«mains, les fit tomber dans le même piege qu'iis avoient tendti aux ennemis. -La nuit étant venue, ils fe. livrerent a la débauche; & tandis que piongés dans 1'ivreffe, fans avoir même pofe de fentinelles, ils ne fongent qu'a fe divertir, les Efclavons qui s'étoient rallies, & qui les avoient fuivis fans être appercus, fondent fur eux, en tuent un grand nombre, & auroient pris une revanche complete, fans la valeur 6z i'a&ivité de Genzon, Commandant de 1'infanterie Romaine, qui les obligea enin de prendre la fuite. Prifque fit ^endre les Officiers qui étoient de *arde , & paffer par les verges les bldats qui avoient perdu leurs arnes. L'armée reprenoit la route de Thra:e , lorfque Prifque recut ordre de 'Empereur de cantonner les troupes lu-dela du Danube, pour y paffer 'hy ver. ïl comptoit diminuer la déjenfe en les faifant fubfifter dans le >ays ennemi. Mais les foldats n'en iirent pas plutót informés, que leur nécontentement fe déclara par des  nv Bas-Empire. Liv, LIF. 03 Murmures féditieux. Vouloit-on les faire perir de froid au milieu des glacés & des neiges ? Environnés de nations barbares, ils verroient dkruire par le ferf ceux que la faim & les frimats auroient épargnés. Prifque vainquit encore cetfe opiniatre réfiftance; il leur promit de les garantir, par fes foins, des incommodités du climat & de tout autre danger; enfin , il les détermina k 1'obéiffance. Cependant peu de temps après, ayant appris que les barbares s'affembloient en grand nombre, pour venir les forcer dans fes quartiers, Sc fe voyant hors d'état de tenir contre eux, il prit fur lui de repaffer le Danube Sz de camper furies bords pour mettre fes troupes en füreté. Trois jours après, il recut avis que le Khan des Abares ., irrité du maffacre des Efclavons fes tributaires, fe préparoit a 1'attaquer, Sc qu'il avoit déja envoyé ordre aux Efclavons de paffer le fleuve. Prifque entretenoit des intelligences dans le Confeil même du Khan ; plufieurs des nobles y parloient en faveur des Romains. Pour achever d'appaifer le Prince barbare , Prifque lui envoya le médecü} Maurice.Ann. 59t«;  Maurice.Ann. J9j. 24 HlSTOIRE Théodore , hornme habile, qui joignoit une douceur infinuante a une honnête liberté. Ce député fut rabattre la fierté groffiere du Khan, qui fe vantoit d'être invincible, & maitre de toutes les nations de 1'univers. A force de lui mettre devant les yeux les exemples les plus frappants que l'hiftoire fourniffe de Pinconftance de la fortune, il 1'amena enfin k defirer la paix. Le Khan, en réparation des dommages caufés aux Efclavons fes fujets, demanda feulement k partager leurs dépouilles. Ce ne fut pas fans beaucoup de peine , que Prifque obtint de fon armee qu'elle confentit k ce partage. On envoya au Roi des Abares les prifonniers; ils étoient au nombre de cinq mille; le butin refta aux Romains. Tout étant pacifié du cöté du Danube, 1'armée Romaine vint paffer le refte de 1'hyver k Driziperes, & Prifque fe rendit k la Cour, oü il ne recut que des reproches de la part de Maurice. L'Empereur taxoit de défobéif* fance la liberté que le Général avoit prife de ramener fes troupes en-de§a du Danube : c'étoit encore avoir paffe  du Bas-Empirë. Liv* LIV. &$ paffe fes pouvoirs , que de rendre les prifonniers au Khan des Abares, fans la permiffion du Souverain, qui n'ayant pas été confulté dans toute cette négociation , ne prétendoit y avoir aucun égard. Ces mécontentements déterminoient Maurice k continuer la guerre ; mais il retint Prifque a Conftantinople, & donna le commandement de Parmée a Pierre, qui n'avoit guere d'autre titre pour afpirer a eet emploi, que celui de frere de 1'Empereur. Maurice lui mit entre les mains deux édits ; 1'un conforme k fon caradtere d'économie , régloit fur un nouveau plan 1'habillement, 1'armure & la paye des troupes; 1'autre contenoit des difpofitions avantageufes aux foldats. Pierre avoit marqué, pour rendez-vous aux troupes, la ville d'Odeffus, fituée fur le PontEuxin , au-dela du mont Hémns dans la baffe Méfie. II y fut recu par 1'armée avec de grands honneurs. Mais quatre jours après, les foldats ayant appris qu'il apportoit un nouveau réglement au fujet de leur paye, pafierent rapidement du refpecl: au méTornt XII. B Maurice.Ann. 596, xr. Le Géne-' ral Pierre efluye une legitiem des foldats. Simocat. I. 8. c. 1 , 2, 3.4, 5.6. Theoph. p. ajf. 232. Cedr. p.398. Hifi. Mifi, l. 17.  Mauiii- ce. Asn. J96 25 HlSTOIRB pris; Sc fans vouloir entendre la leeture de Pédit, fans écouter les remontrances de Pierre, ilsl'abandonnerent Sc allerent en tumulte camper k quatre milles. Pierre les fuivit; Sc les ayant raflemblés, il leur re. préfenta qu'iis prenoient Pallarme fans fondement; que 1'Empereur , rempli de tendreffe pour fes troupes , ne s'occupoit que de leur avantage; Sc pour preuve de cette bonté paternelle, il leur hit le fecondédit, en fupprimant le premier, dont il ne fit aucun ufage : Noifs ordonnons, difoit PEmpereur, que nos braves guerriers , qui, par leur courage a s'expoftr aux dangers, ont encouru quelque difgrace, jouijfent du repos le rejte de leur vie ; qu'iis foient entretenus dans leur patrie aux dépens de notre tréfor; & que les enfants de ceux qui meurtnt a. notre fervice, foient infcrits fur le róle de nos troupes a la place de leurs peres. Un édit fi favorable changea fur le champ la difpofition des efprits; ceux qui invectivoient auparavant avec audace contre 1'avarice de PEmpereur, s'épuifoient enacclamations Sc enéloges de fe générofité, Sc Eierre re-.  dü Bas^Empire. Liv. LIK. 27 gagna en un inftant la confiance & l'arTecTion de 1'armée. Après avoir rendu compte par lettre a 1'Empereur du fuccès de fes édits, il marcha vers Marcianople ; & pour aflurer fa marche, il fe fit dévancer d'un corps de mille chevaux, fous la conduite d'Alexandre. Ce detachement rencontra fix cents Efclavons qui efcortoient plufieurs chariots chargés de butin; c'étoient les dépouilles des villes pillées par ces barbares, qui avoient porté le ravage jufqu'a Scupes fur les frontieres de la Macédoine. Dès qu'iis appercurent les Romains , ils égorgerent les prifonniers qui étoient en état de combattre, de crainte qu'iis ne fe joigniflent a 1'ennemi, & fe firent un rempart de leurs chariots, mettant au milieu leurs femmes & leurs enfants. Alexandre fait mettre pied k terre k fes cavaliers; ils effuyent une décharge de fleches, montent fur ies chariots, fe battent corps k corps contre les barbares, les tuent, les précipitent. Les Efclavons défefpérés, fe défendent encore dans leur enceinte; & avant que de périr, ils B ij Maurice.Ann. 596.' XII. Avantage des Romains fur les Efclzvons.  Wauri ce. Ann. 59( Ann. 59'j XIII. Pierre chaffé CS HlSTOlRB ! maflacrent le refte des prifonniers; • pas un n'échappe au carnage. Les Romains vainqueurs vont rejoindre leur Général, qui récompenfe leur valeur. Le lendemain , Pierre étant k la chaffe, & fuyant a toute bride devant un fanglier qui le pourfuivoit, fe brife le pied contre un arbre. Cette bleffure le retint au lit le refte de 1'année. Au commencement de la fuivante, ■ il. vint k Noves, oü les habitants le retinrent malgré lui pendant deux jours, pour célébrer avec eux la fête de Saint Loup, patron de leur ville. Cötoyant toujours le Danube , il pafla par Théodoropolis, par Sécurifca, 6c arriva devant Afime. Cette place étant expofée aux fréquentes jnfultes des barbares, Juftin II y avoit ctabli une fbrte garnifon , toute eompofée de foldats d'élite, qui étoit entretenue avec foin. Pierre, charmé du bon état oü il la trouvoit, fe mit en tête de la réunir k fes troupes. Les habitants lui repréfenterent que c'étoit les abandonner au pillage , & les priver d'une défenfe jugée néceffaire par les Empereurs précédents. La garnifon elle-même refufoit de par-  du Bas-Empirè. Liv. L1F. zo tir; & comme Pierre fe difpofoit a Py contraindre, elle fe réfugia dans I'Eglife principale. Pierre commanda a i'Evêque de Pen faire fortir; & fur le refus du Prélat, il donna ordre a Genzon, Commandant général de Pinfanterie, de les en chaffer a mam armée. Genzon , après les avoir exhortés a Pobéiflance , voyant leur opiniatreté, &c refpeftant la fainteté de Pafyle , fe défifla de fon entreprife. Pierre, outré de colere, envoye faifir 1'Evêque , & ordonne de Pamener au camp. La vue de Poutrage fait au Prélat, irrite les habitants; ils fe jettent fur les gardes, le délivrent de leurs mains, les chaflent hors de la ville, ferment les portes, & du haut des murailles , ils accablent Pierre d'injures, fans rien dire d'ofFenfant contre PEmpereur. Pierre s'éloigne de la ville, couvert de honfe & chargé de malédiftions. Quelques jours après, un corps de mille cavaliers qu'il envoyoit k la découverte, fut rencontré par un jj corps d'autant de Bulgares. Ces bar- u bares , fujets du Khan , comptant fur d la paix conclue entre leur maitre 6c r' B iij Maurice.Ann. 597, XIV. Parti de omains sfait par n parti 2 Bulga:s.-  Maurice.fcin. 597. JO HlSTOIRE les Romains, paflbient tranquillement & fans défiance, lorfqu'ils virent tomber fur eux une grêle de traits» Ils s'arrêtent, fe retranchent, &C envoyent témoigner leur furprife au Commandant, qui les renvoye au Général eampé k la diftance de huit milles. Pierre les recoit avec hauteur, leur répond qu'il ne connoit point ce traité dont ils couvrent leur foibleffe, & les menace d'aller bientöt lui-même leur faire fentir s'ils font amis ou ennemis. Une réponfe fi altiere, irrite les Bulgares; ils livrent eombat, & chargent les cavaliers Romains avec tant de furie, qu'iis les mettent en fuite. Pierre, indigné de eet affront, fait dépouiller & battre de verges le Commandant de ces cavaliers. Les Bulgares vont fe plaindre au Khan de la perüdie des Romains ; ce Prince en envoye faire des reproches k Pierre; celui-ci en rejette la faute fur le Capitaine; il appaife le Khan a force de préfents, & continue fa marche contre les Efclavons. Pour avoir de leurs nouvelles, il fait paffer le Danube k vingt foldats ? qui font furpris par 1'enne»  du Bas-Empire. Liv. LtV. 31 mi, & forcés eux-mêmes de découvrir les deffeins du Général Romain. Piragafte, chef des Efclavons, profite de ces inftruöions , 8c va fe mettre en embufcade dans un bois a 1'endroit oü les Romains devoient paffer le fleuve. II ne les attendit pas long-temps. Pierre fit d'abord paffer un corps de mille hommes $ qui furent enveloppés & taillés en pieces, fans qu'il en échappat un feul. Une fi grande perte rendit le Général Romain plus circonfpect. 11 fit paffer enfemble le refte de fes troupes , qui, rangées en bon ordre fur leurs bateaux, préfentoient un front redoutable, & accabloient de traits les ennemis. Ceuxci, trop foibles pour difputer le paffage, prirent la fuite, après avoir perdu leur Commandant Piragafte* Les Romains ne purent les pourfuivre, ayant laiffé leurs chevaux audela du Danube. Le lendemain leurs güides s'étant égarés, les conduifirent par des chemins arides , oü ils fouffrirent une foif extréme, Ils manquoient d'eau depuis trois jours, 8c ilsalloientpérir, lorfqu'un prifonnier, B iv Maurice.Ann. J97. XV. Pierre battu par les Efclavons,  Maurice.Ann. 597. XVI. Défaite des Mailles en Afrigue. $2 IJlSTO/RE leur indiqua le fleuve Hélibacias, qui n'étoit qua cinq lieues. Quoiqu'épuifés de fatigues, ils y marcherent avec empreffement; & dès qu'iis eurent atteint les bords, les unsfe jettent a genoux, & fe piongent le vifage dans le fleuve, les autres puifent 1'eau dans leurs cafques; tous ne fongent qu'a fe défaltérer, lorfqu'ils fe fentent percer de traits. Les Efclavons, cachés dans un bois fur 1'autre rive, tirent fur eux fans ceffe, & en font un grand carnage. Les Romains, déja bleffés pour la plupart , mais enflammés de colere, mettent enfemble des radeaux, & traverfent le fleuve en défordre. Ils font regus avec vigueur, entiérementdé.faits, obligés de repaffer 1'Hélibacias, & enfuite le Danube. Ils regagnent la Thrace, & prennent leurs quartiers d'hyver. Cette année les Maures formerent en Afrique une confpiration générale , & marcherent vers Carthage avec une nombreufe armée. Gennade, Préfet de la Province, ce qu'on nommoit alors le Decar, n'ayant pas affez de troupes a leur oppofer, les  du Bas-Empire. Liv. LÏF. 33 amufa par une négociation fimulée; & prontant d'un jour de fête, oü ils fe livroient a la débauche, il les furprit & les tailla en pieces. Cette défaite diffipa toute cette multitude de barbares. On vit en ce même temps une comete , qui, felon Pordinaire, donna occafïon a des conje&ures auffi facheufes que frivoles. Pierre n'avoit remporté aucune gloire de fon expédition. L'Empereur renvoya Prifque a la tête de fon armee ; & ce Général ayant raffemblé les troupes dans 1'Aftique , qui faifoit partie de la Thrace, les trouva fort affoiblies depuis fon départ. II étoit tenté d'en inftruire le Prince, de peur d'être refponfable des fuites que pouvoit entrainer le mauvais état de 1'armée. De plus habiles courtifans lui confeillerent de n'en rien faire, & de ne fe pas compromettre avec le frere de PEmpereur. II prit donc le parti de réparer par des recrues , les défaites paffées; & n'ofant plus fe hafarder au-dela du Danube , if fe mit en marche le long du fleuve vers la haute Méfie, & arriva a Noy«s. Cette vilie fituée en: B y Maurice.Ann. 592, Ann. 598. XVII. Marche de Prifque vers la Pan non i?,' Simocat. /. 7. «. 10 , ii. Theoph, p. 135. 134. Cedr. p. 399- Hifi. mife. h 17.  Maurice.Ann. 598.. XVIII. II reprend Singidon. 34 HlSTOIRE tre le pont de Trajan & Viminac , vers la Pannonie , étoit différente de celle du même nom, oü Pierre s'étoit rendu 1'année précédente , & qui étoit placée fur le même fleuve , entre Apiaria & Nicopolis. L'approche de 1'armée Romaine donna des allarmes au Khan des Abares quï réfidoit a Sirmium. II avoit ravagé cette frontiere oü il poffédoit plufieurs places, & fe prétendoit Souverain de cette portion de la Méfie. II envoya demander a. Prifque ce que les Romains venoient faire dans une contrée qui lui appartenoit par droit de conquête ; il ajoutoit que cette irruption fur les tèrres des Abares, étoit une infradtion manifefle de la paix que Prifque lui-même avoit jurée. Prifque, fe croyant en état de braver les Abares, répondit fiérement, que le pays oü il étoit appartenoit aux Romains ; que des barbares chaffés de 1'Orient devoient fe trouver heureux qu'on leur eut ou~ vert un afyle dans la Pannonie, & que ce n'étoit pas a des fugitifs de fixer les bornes de I'Empire. Une réponfe fi outrageante mit le  du Bas-Empire. Liv, LIK 35 Khan en fureur. II fit partir fur le champ un corps de troupes qui furprit Singidon, en abattit les murs, enleva la plus grande partie des habitants , & les tranfporta en Pannonie. A cette nouvelle, Prifque marche vers Singidon, arrivé a dix lieues de cette ville , & fait paffer fes troupes dans une ifle du Danube , visa-vis d'une place nommée Conftantinople. Le Khan y vient en perfonne , pour demander raifon au Général Romain ; il s'arrête au bord du fleuve, & Prifque s'avance dans un bateau a la portée de la voix. L'entrevue fe paffa en reproches mutuels. Le Prince barbare prétendoit que les Abares étoient maïtres des bords du Danube , dans toute Fétendue de fon cours; il accufoit les Romains de ne faire la paix , que pour continuer impunément la guerre; il en appelloit a Dieu même de la perfidie de Maurice. Prifque lui reprochoit le pillage de Singidon, la, deitruction des murs de cette ville , les violenees exercées fur les habitants. II le menacoit d'une jufte vengeance : Vous vousplaignei, lui répartit le Khan , de la ruim B- vj Maurice.Ann. 598,  CE. Ann. 598. 1 ( 1 ^ 1 Ann. j XIX. ] Guerre en Dalmarie. * Sitnecau I. c 7- 12. t Tbeoph. p. *>$ >. »34'. 3^ Hjstoihe d'une ville; voaj pleurere{ bientót Ia pene de Provinces entieres. Prononcant ces mots, il s elorgne dn bord , & retourne a Sirmium. Prifque fait partir un de fes Lieutenants nommé Guduïs, avec un grand corps de troupes pour reprendre Singidon. Comme la ville étoit démantelée, les barbares qui s'y étoient établis, en fortent ? & fe font un rempart de leurs chariots. Attaqués par les Romains, & craignant en même-temps que les habitants ne vinffent les charger parderriere , ils prennent la fuite, & abandonnentla place. Prifque en prend poffefïion, & paffe le refte de 1'été i en relever les murs, & h la metre hors d'infulte. Le Khan ne pou/ant raffembler en fTpeu de temps,, ine armée affez forte pour empêcher :es ouvrages, fe contente de décla;er la guerre. II en fait les préparav ifs pendant ITiyver. L'annéefuivante , il marche en Dafnatie, prend' de force la ville de ialbé, pille & détruit quarante aures places, & couvre de ruines &c e eendres les bords du golfe Adriaque. Prifque, trop inférieur en for-  dü Bas-Empire. Lh. LIK g? Cés , ne le- fiiivoit que de loin , évitant avec foin d'être forcé de combattre. Enfin, las de trainer fon armee a la fuite de 1'ennemi, fans autre fruit que d'être le trifte fpeélateur de tant de ravages , il s'arrêta dans un pofte avantageux, & fe contenta de détacher deux mille foldats fous la conduite de Guduïs, pour obferver les barbares. Guduïs, auffi prudent que courageux , pour ne pa« expofer fa troupe k quelque rencontre facheufe, s'écarta du grand chemin, marchant k couvert au travers des bois, ou par des fentiers inconnus & difficiles. S'étant approché des ennemis, il appercut du haut d'une éminence, une troupe de barbares qui paffoit au-deflbus. II envoya trente hommes pour les obferver de plus prés. Ceux-ci les ayant fuivis par des chemins détournés, les furprennent Ia nuit fuivante , & les trouvant endormk, ils en tuent plufieurs, 6c en enlevent trois qu'iis conduifent a leur Commandant. Guduïs apprend de leur bouche que cette troupe eft «n detachement de deux mille hommes envoyés par le Khan en Pan? Maurice.Ann. 599.  Maurice.Ann. 599. Ann. 600. XX. Générofité du Khan a 1'égard des Romains. Simecai. I. 7. c. 13. Tkeoph. p. 134. Hifi. mifi. l. 17. 38 HlSTOlRE nonie pour y tranfporter. fon butin* II part aufïi-töt, Sc va fe mettre en enibufcade a 1'entrée d'un vallon par oü les barbares devoient paffer. Le lendemain matin, dès qu'iis y font engagés, il les charge par-derriere, les mafTacre tous fans qu'il en refte un feul, & conduit k Prifque les chariots remplis de butin. C'étoient les dépouilles de la Dalmatie, Sc par ce coup de hardieffey les Romains retireren! tout le fruit des ravages que les Abares avoient faits dans cette campagne. Le Khan, auffi honteux que défefpéré de cette perte, retourna en Pannonie , & Prifque reprit le chemin de la Thrace, . Le Prince Ahare n'attendit pas la fin de 1'hyver pour fe venger de eet affront. Dès le mois de Février,-il traverfa toute la Méfie , .& vint fe préfenter devant Tomes dans la petite Scythie. Prifque fit fortir fes troupes de leurs quartiers , Sc accourut au fecours de la place. Les deux ar> mees demeurerent long-temps campées eri préfence 1'une de 1'autre, fans faire aucun mouvement. Aux approches de la fête de Paques, qui  du Bas-Empire. Livr LIK. 39 tomboit cette année au dixieme d'Avril, tout le pays ayant été ravage par les Abares, les vivres manquoient aux Romaïns, & la faim fe faifoit fentir dans leur camp. On vit alors tin Roi barbare donner un exemple d'humanité, dont les ennemis les plus généreux ont été rarement capables. Le Khan , quoique payen, envoya dire k Prifque : Que malgré le jujle rtffentiment qui lui mettoit les armes d la main, il ne pouvoit ,.fans compaf Jion , voir les Romains mourir de faim dans des jours de joie , au milieu de la plus grande folemnité de leur Religion ; que fi Prifque acceptoit fes offres, il étoit pret d lui envoyer des vivres. La nouveauté d'une propofition li peu attendue , infpira d'abord de la défïance; mais les deux chefs s'étant mutuellement donné la foi par un ferment , on convint d'une trêve de cinq jours, & Pon vit avec furprife arriver au camp quatre cents chariots chargés de vivres. Le Khan n'avoit d'abord rien demandé en échange; le quatrieme jour il fit prier le Général Romain de lui envoyer des aromates des Indes, Prifque lui fit por- Maurice.Ann. 60a,  Maurice.Ann. 600, XXI. Mauvaife «ymduite de Comentiole.Simocat. I, 7- C 13, 14. Thecph. p. 154, 135. Ceir. p. 4® HtSTQlRÊ ter du poivre, de la canelle , & quantité d'autres épiceries. Pendant tout le temps de Ia trêve, les Abares confondus avec les Romains, fréquentoient leur camp, paffoient la nuit fous les mêmes tentes , mangeoient & fe divertiffoient avec eux 'r les deux armées n'en faifoient qu'une; ils fembloient être devenus freres. Les fêtes étant paffées, ils redevinrent ennemis, & le Prince Abars rappella fes foldats dans leur camp, Six jours après, on vint luiannoncer que Comentiole marchoit vers Nicopolis fur le Danube. C'étoit une nouvelle armée que 1'Empereur envoyoit pour faire diverfion. En effet, le Khan décampa fans être fuivi de Prifque, qui n'avoit recu aucun ordre , & qui n'étant pas même inftruit de la marche de Comentiole , s'imagina fans doute que ce mouvement des ennemis n'étoit qu'une feinte pour lui faire quitter un pofte avantageux , k la faveur duquel il couvroit la ville de Tomes. Le Khan étoit encore éloigné de vingt-cinq lieues^ lorfque Comentiole s'avanca jufqu'aTa ville d'YatruSj al'embou-  du Bas-Empire. Liv. LIF. 41 chure d'une riviere de même nom, * qui fe jette dans le Danube. De-la il dépêcha pendant la nuit verslePrin- /, ce Abare un courrier, avec une lettre, dont on ne fut jamais le contetlu. Lorfque les barbares-ne furent plus qu'a cinq ou fix milles , il fit mettre fes foldats fous les armes quelque temps avant le jour. Mais eet ordre fut donné avec tant de froideur , que les troupes s'imaginant qu'il ne s'agiffoit que d'une revue, s'armerent négligemment, la plupart ne daignant pas même endoffer leurs cuiraffes. Au lever du foleil, ils furent fort furpris d'appercevoir les ennemis s'avancant en bon ordre, &c fe rangeant en bataille a la diftance de deux milles. La terreur fe répand parmi eux ; ils reprochent k leur Général fon filence perfide; ils courent prendre le refte de leurs armes, 8c viennent en tumulte former leurs rangs & leurs files. Comentiole redouble la confufion, en changeant k tous morr.ents 1'ordre de bataille, & faifant paffer les divers corps de troupes, tantöt du centre a la gauche j tantöt de la gauche k ladroite. VIauri- ce. nn. 609,  Maurice.Aon. 600. i J 1 1 < < 1 I I t \ r t h d d c 4« HïSTOÏRÊ II fait fecretement donner ordre aux corps qui formoient 1'aile droite , de s'enfuir, & de fauver leurs bagages. Ils prirent eet avis pour un eftet de la prédilection du Général, & ne manquerent pas de le fuivre. Le refte des troupes, quoiqu'allarmé de cette léfertion, conferve cependant affez le courage pour ne la pas imiter. Elles fe tiennent tout le jour en ba:aille, & fe retirerent le foir dans eur camp. Pendant la nuit ftiivane, Comentiole fait partir les meileurs foldats, fous prétexte de les nvoyer k la découverte, & leur orlonne en fecret de s'éloigner, & de e mettre en fureté. 11 part lui-mêne avant le jour a 1'infu des troues reftées dans le camp, & ne reient plus. On le cherche, on Pat;nd jufqu'a midi; alors Parmée fe oyant abandonnée & trahie, repaffe Yatrus; & toujours enfemble, mais ins garder aucun ordre, ils fuyent : refte du jour & la nuit fuivante ans Pefpace de treize lieues , pourlivis par les ennemis, qui ne leur onnoient aucun relache. Ils approloient de Nicopolis ; mais il falloit  . nu Bas-Empirr. Liv. LIK. 43 paffer entre des montagnes, dont les gorges étoient fermées par un gros detachement de cavaliers Abares. Les Romains, excédés de fatigue , voyant la mort devant & derrière eux, s'animent les uns les autres a périr en gens de cceur; ils ramaffent ce qui leur reftoit de vigueur, fondent tête baiffée fur les ennemis, & forceni le paffage avec une grande perte de! leurs. Cependant Comentiole fuyanttoujours , arrivé devant Driziperes c plus de foixante &c quinze lieues. I trouva les portes fermées , & les habitants affemblés fur les murs, d'oi ils 1'accablerent d'injures, & 1'éloignerent a coups de pierres. II pri le chemin de Conftantinople, charg< d'ignominie, & fe replongea dans le: intrigues de la Cour, oii il trouv; de quoi fe eonfoler du mépris & di la haine publique. Le Khan, vainqueu fans coup férir, marche k Drizipe res, prend la ville, brüle 1'Eglife dSaint-Alexandre ,, pille la riche fé puiture, & difperfe les os de "ce fain Martyr, qui étoit en grande véné ration dans ces contrées.. On crut qu> Maurï- ce. Ann. 6os. !■ ' XXII. Suites de ladéroute des Romains.Simocat. i. 7. t. 14, 15. ; Théoph. p. Zon. torn» i II. p. 77I Cedr. ga > 400' r t  Maurice.Ann. óoo. XXIII. Maurice refufe de racheter 2es prifonniers, i i ] s < ] ] i ï l i f i 44 HlSTOIRE la pefte qui défola enfuite fon armee , étoit un effet de la vengeance divine. Outre un nombre infini de foldats , il perdit fept de fes rils; & le pillage de ia Thrace , la multitude d'habitants qu'il fit prifonniers, les richeffes dont il chargea fon armee, ne furent qu'un léger foulagement a fa douleur. La fuite de Comentiole jetta I'alIarme dans Conflantinople; oncroyoït k tous moments voir les Abares arriver aux pieds des murs; on parloit déja d'abandonner la ville , & de fe retirer k Chalcédoine, pour met:re le Bofphore entre les Romains k les' barbares. Le Sénat preffoit 'Empereur de trailer avec le Khan , wur éloigner 1'orage prêt k fondre ur la Capitale de 1'Empire. 11 fuivit :e confeil, & députa le Sénateur larmaton avec de riches préfents. Le Chan étoit encore k Driziperes, plon;é dans la plus amere affliótion. H efufa les préfents de Maurice, &C •affa onze jours fans vouloir enten[re 1'envoyé, répétant fans ceffe qu'z7 n appelloit au jugement de Dleu ; que 'Empereur étoit l'auteur dt la guerre 5  r>u Bas-Empire. Liv. LIF. 45 & de tous les maux que fouffroient les deux nations.Enfin, ledouzieme jour, il confentit a donner audience au député : il accepta fes préfents, & propofa lui-même de rendre la liberté aux prifonniers pour une piece d'or par tête. Maurice ayant rejetté cette propofition , le Khan rabattit la moitié de la fomme; ce que 1'Empereur refufa encore. Enfin, le Khan s'étant réduit a quatre filiques par tête, ce qui ne faifoit pour chacun que quarante-cinq fols de notre monnoie, Maurice, par un trait d'avarice inconcevable , aima mieux laiffer périr fes fujets dans les fers , que de payer une fomme qui n'égaloit pas le prix des plus vils animaux. Alors le barbare outré decolere, fit égorgef tous les prifonniers. Ils étoient au nombre de douze mille. Cet emportement n?empêcha cependant, ni Maurice de demander la paix, nileKhan de 1'accorder. Elle fut conclue aux conditions , que les Romains ajouteroient encore vingt mille pieces d'or au tribut annuel qu'iis payoient aux Abares ; que le Danube feroit le terme des deux Etats; que ni i'une Maurice.Ann. 6oS(  Maurice.Ann, 600, XXIV. RéfleXions fur la conduite de Maurice , au fujet du rachat des prifonniers. 46 JfflSTOIRE ni 1'autre nation ne pourroit le paffer hors de la Pannonie cédée aux Abares; que cependant les Romains auroient cette liberté, lorfqu'ils feroient la guerre aux Efclavons. Après ce traité, le Khan fe retira dans fes Etats au-dela du Danube. Théophyladte , Auteur contemporain, qui a écrit Phiftoire du regne de Maurice, ne dit rien de 1'ofïre du Khan pour le rachat des prifonniers , ni du refus de Maurice , ni de leur maffacre : & il eft difficile de croire qu'un Empereur ait porté 1'avarice jufqu'a refufer pour la délivrance de douze mille foldats, une fomme qui n'alloit qu'a vingt-fept mille francs de notre monnoie, dans le temps même qu'il accordoit aux Abares une augmentation de prés de 3 00 mille livres de tribut annuel. Cependant Théophane & tous les autres Auteurs donnent ce fait pour indubitable jils le citentcomme la principale caufe des chagrins, des regrets, des remords, dont le cceur de Maurice fut déchiré pendant les deux années qu'il vécut encore. Mais ils ont tort, a mön avis, d'attribuer cette inhn-  du Bjs-Empire. Liv. L1F. 47 üaanité k une fordide avarice ; c'étoit un efFet de reflentiment & de vengeance Ces douze mille hommes étoient pour la plupart des foldats de Comentiole , pris dans la déroute de fon armée ; c'étoient ces mêmes féditieux qu'on a vus en Oriënt foulevés contre Philippique , tranfportés enfuite en Thrace, mutinés d'abord contre Prifque, & peu de temps après contre le frere de 1'Empereur. Maurice n'ofantles punir 9 avoit pris la cruelle réfolution de s'en défaire, en les abandonnant k 1'ennemi. La conduite de Comentiole le prouve évidejnment: ce meffage qu'il envoye fecretement au Khan, le défordre qu'il jette luimême dans fes troupes , fa fuite précipitée, indiquent la trahifon plutöt que la lacheté; & le foupgon tomba dès-lors fur 1'Empereur même, On criit que Comentiole avoit fuivi des ordres fecrets; & ce qui dut confirmer cette opinion, c'eft qu'au-lieu d.'encourir la difgrace qu'il auroit méritée , il fut encore employé dans le commandement 1'année fuivante, Maurice ayant donc réfolu de perdre ces foldats, ne youlut pas les délivrer Maurice.Ann. 6so,  Maurice.Ann. 6co. XXV. Maurice devient odieux. Simocat. I. 7. c. 16.1. S. c. 1. Theoph. p. 2j6. *8 HlSTOIRZ iorfqu'iis furent prifonniers. II ne prévoyoit pas fans doute que la colere du Khan fe porteroit jufqu'a les faire maffacrer. Mon deffein n'eft pas ici de juftifier Maurice, mais feulement d'affigner une caufe vraifemblable de fon refus. II n'en fera que plus condamnable. L'avarice eft un motif plus honteux , mais moins criminel qu'une vengeance baffe & inhumaine. Que penfer d'un Prince , qui laiffe périr une multitude d'innocents, pour fe défaire de quelques féditieux ,qui, au-lieu de punir en monarque des fujets rebelles, les livre en traitre, & qui par une perfidie plus coupable que leur fédition, abandonne au fer ennemi ceux qu'il n'ofe chatier par les armes de fa juftice ? Ce trifte événement excita contre Maurice une haine générale. Ce n'étoit dans toute la Thrace que propos injurieux, que malédiftions. L'armée de Prifque, touchée du malheureux fort de celle de Comentiole, éclatoit en imprécations. Elle députa pourdemander vengeance d'un Général perfide qui avoit trahi fes propres troupes. Ce fut dans cette rencontre que  bv Bas-Empire. Liv. LIF. 49"; cmePhocas commenca de fe faire connoïtre. II' étoit un des députés ; il fe fignala par 1'infolence avec laquelle il s'emporta . contre 1'Empereur en préfen.ce du Sénat. Son audace excita tant d'indignation , qu'un des Patrices le prit par la barbe, & lui meurtritle vifage k coups de poing. Tout ■ Conflantinople étoit en mouvement; on demandoit k grands cris juftice d'une fi indigne trahifon. Dans ce foulevement général, 1'Empereur craignant pour lui-même, nomma des commiffaires pour juger Comentiole. Mais k forcedefollicitations , de préfents., de promeffes, il fit fi bien, que les députés fe défifterent de 1'accufation. Les efprits s'aigrirent de plus en plus. Cette agitation fe répandit dans tout 1'Empire; on ne voyoit plus que prodiges, que fignes funeftes d'une révolution prochaine. L'apparition de deux monftres marins qui fe montrerent dans le Nd prés d'Alexandrie, effraya toute PEgypte. On vit un matin fortir des eaux un homme. d'une taille gigantefque ; il avoit le regard affreux., les cheveux roux mêlés de blancs, les joues charnues, la poiTome XII. C Maurice.A.nn, 6co,  Maurice.'Ann. 600. 50 HlSTOIRË trine & les épaules larges, les bras nerveux, les flancs pleins de vigueur. Le refte du corps demeura plongé dans 1'eau. Ménas, Préfet d'Egypte , qui fe trouvoit dans le voifinage, accourut k ce fpe&acle, & bientöt les bords furent couverts d'une multkude de peuple. Plufieurs encore entêtés des iuperftitions du paganifme , s'imaginoient voir le dieu du Nil, adoré dans 1'ancienne Egypte. Trois heures après, on vit paroïtre a cöté de lui un autre monftre qui refTemblpit k une femme dans la fleur de ia jeuneffe & de la beauté ; fes cheveux noirs flottoient fur fes épaules , elle ne s'éleva que jufqu'a la ceinture. Ces deux poiflbns k figure humaine fe donnerent en fpectacle pendant tout le jour, & fe replongerent aux approches de la nuit. Plufieurs relations modernes font mention de monftres femblables , qui fe font fait voir en divers temps, & fur diverfes plages. Le Nil confacré par la plus ancienne idolatrie , eut toujöurs le privilege d'être de tous les fleuves, le plus fécond en merveilles. L'antimrité a traité dans des ouvrages ex-  du Bas-Empire. Liv. LIK 51 prés, des poifTbns de ce fleuve , qui approchoient de la forme humaine. Un écrivain nommé Lydus, qui vivoit fous Juftinien , avoit pris la peine d'expliquer les événements que pronofiiquoient ces apparitions. Cet ouvrage s'eft perdu fans nous laiffer aucun regret. Peu s'en fallut qu'au commencement de 1'année fuivante, la guerre ne fe rallumat entre 1'Empire & Ia Perfe. Les Sarrafins attachés au fervice des Romains, avoient fait des courfes dans la Perfe, & Chofroës fongeoit a s'en venger. Pour prévenir une rupture , Maurice lui députa George, Préfet du prétoire d'Orient. Le Roi irrité, refufa audience pendant plufieurs jours. Enfin , faifant réflexion que fon autorité étant encore mal affermie, il y auroit de Pimprudence a s'attirer fur les bras de fï redoutables ennemis, il confentit a écouter le député, & voulut bien recevoir fes excufes. George avoit réuffi dans fon ambaffade; mais il perdit a la Cour tout le mérite du fuccès. II fe vanta d'avoir entendu Chofroës déclarer a fes Satrapes, que s'il C ij Mauri-- ce. Ann. 600, Ann. 601. XXVI. Méconrentement de Chofroës. Simocat. U 8, c. 1.  52 HlSTOÏRE ne romooit nas avec 1'Empereur, c'é- Mauri- ce. Ann. 601, XXVII. la guerr< .recomïnence a vee les Abares. Simocat, i 8. c. i, 2 3.4- Theoph. p 2.36, 237 Cörfr. ƒ 4C0, 401 Niceph. CalUl.ll (. 37. Mi/; ft 17. toit uniquement en confidération du mérite perfonnel de 1'AmbafTadeur; Ce difcours débité a 1'oreille dans un lieu oürien ne demeure fecret, que ce qui peut être favorable , piqua vivement lePrince, 8c George ne retira de fa vanité, qu'une jufte difgrace. Le traité de Driziperes étoit fi : humiliant pour 1'Empire , qu'il ne , pouvoit fubfifter long-temps. A peine fut-il conclu que Maurice fe mantra impatient de le rompre , Sc 1'hiv [ meur turbulente des Abares , qui nepouvoient s'abftenir de courfes 6c " de rapines, en fourniffoit de fréquen.' tes occafions. L'Empereur faifit la • première qui fe préfenta : il leva de' nouvelles troupes, en donna le commandement a Comentiole, 8c lè fit • partir pour aller fe joindre k Prifque, qui avoit paffe 1'hyver a Singidon. Les deux armées réunies marcherent a Viminac, oü Comentiole s'arrêta pour raifön de maladie. On foupconna' que ce n'étoit qu'un prétexte pour fe fouflraire aux yeux des foldats , dont il fe fentoit détefté. Lr  nu Bas-Empirè. Lm. LIK 33 Khan qui fe trouvoit alors au-dela du Danube , manda au'ffi-töt k fes troupes de Pannonie , de paffer la Save, & de ne rien épargner furie territoire des Romains. II raffembla en même temps une autre armee, & mit k la tête d'un gros detachement quatre de fes fils, avec ordre de défendre le paffage du Danube, Malgré cette oppofition, les Romains pafierent le fleuve fur des barques faites k la hate , repoufferent les Abares , & fe camperent fur les bords. Prifque étoit demeuré a Viminac , pour attendre que Comentiole fut en état de commander; il n'ofoit rifquer une bataille fans fon collegue, qui avoit la faveur & le fecret de la Cour. Mais les troupes qui cam« poient au-dela du Danube , lui ayant fait favoir qu'elles étoient vivement prefï'ées par les barbares, il prit le parti de les aller joindre. Dans fa première expédition contre les Abares, il ne s'étoit montré qu'un médiocre Général; mais les fuccès brillants & multipliés qu'il eut dans. la campagne de cette année, pourroient lui donner place e^ntre les:plus grands C iij MaurX' ce. Ann. 60;  Maüri- ce. Ann. 601. XXVIII. Les Romains-vainqueurs er cinq combats, 54 HlSTOIRE Capitaines, fi les Hiftorieiis du temps avoient aflez détaiüé fa conduite, pour mettre la poftérité en état de juger, s'il a dü fes vidtoires a fa capacité ou a la fortune. Dès qu'il fut arrivé, il renvoya les barques a Viminac, pour öter aux foldats le moyen de repaffer en cette ville, comme ils faifoient fans ceffe; ce qui affoibliffoit 1'armée, & la mettoit hors d'état de foutenir les attaques de 1'ennemi. Quatre jours après, il rangea fes troupes en bataille a la tête de fon camp; &z comme 1'ufage des barbares étoit d'attaquer par pelotons en . voltigeant de toutes parts, il divifa fon armée en trois corps de figure quarrée , leur donnant autant de profondeur que de front, pour être en état de faire face de tous cötés. II ordonna de ne fe fervir que de piqués & de javelines pour combattre de prés, fans tirer de fleches. Le combat ne finit qu'avec le jour, & fe termina a 1'avantage des Romains. Ils ne perdirent que trois cents hommes, & en tuerent quatre mille aux Abares, Les ennemis ne parurent point  du Bas-Empire. Liv. LIF. $y pendant deux jours. Au matin du troiïieme, comme ils fortoient de leur camp, Prifque fe rangea dans le mê- j me ordre qu'auparavant. Mais pendant le combat, il fit infenfiblement étendre les aïles de fon armee pour envelopper les barbares, qui perdirent ce jour-la neuf mille hommes. Dix jours fe pafferent fans aucune aétion. Enfin, Prifque, encouragé par deux victoires, alla préfenter le combat a fon tour. II fe pofta fur la pente d'un cöteau, au pied duquel s'étendoit un étang. De-la tombant avec vigueur fur les Abares, il les enfonca de vive force , les pouffant toujours du cöté de 1'étang. II en périt quinze mille, foit par 1'épée des Romains, foit dans les eaux oü ils fe précipiterent. De ce nombre furent les quatre fils du Khan. Le Khan lui-même courut rifque de la vie, & s'enfuit jufque fur les bords de la Teïffe. Prifque après avoir donné du repos k fes troupes, alla chercher les Abares , & un mois après la bataille précédente, il en livra une quatrieme , oü il n'eut pas moins de fuccès. Comme les yaincus avoient paffé la TeïfC iv. Maurice.Ltin. 601,  •Maurice.Ann, 601. XXIX. Riife du sé HlSTOIR t fe , Prifque envoya la nuit fiüvante quarante mille hommes au-dela de cette riviere pour les obferver. Ce detachement tomba fur une grande affemblée de Gépides, qui s'étoient rendus dans une bourgade, pour y célebrer une de leurs fêtes. Ces barbares n'étant pas informé du fuccès de, la bataille, fe livroient a lajoie, & paffoient la nuit a boire. Les Romains les ayant furpris en eet état r n'eurent que la peine de les mafïacrer. Ils en tuerent trente mille, & chargés de butin , ils retournerent joindre Prifque au-dela. du fleuve. Vingt jours après, le Khan repaffa la .TeïfTe, & vint défier les Romains, Son opiniatreté fut encore moins heureufe , & cette victoire de Prifque couronna les fuccès de cette glorieufe campagne. L'armée du Khan qui étoit très-nombreufe, fut prefque entiérement taillée en pieces ou noyée. II n'en refta que trois mille Abares, huit mille Efclavons, & fix mille deux cents autres barbares , qui furent tous faits prifonniers , &C envoyés è Tomes. Le Khan donna en cette occafion^  du Ras-Em.pijiz. Liv. LIK. 5.7 une preuve fienalée de fa fermetc Sc de fa préfence d'efprit. Au-lieu de fe lgiffer abattre par tant d'infortunes, il ufa d'une rufe qui réparoit une partie de fes pertes. Auffi-töt après fa défaite , il fit partir des courriers chargés d'une lettre pour 1'Empereur ; il leur ordonna de faire une extréme diligence , pour arriver a. Conftantinople avant la nouvelle de la derniere bataille. II demandoit qu'on lui remit les prifonniers, & en cas de refus, il menagoit de mettre a feu.8c a fang la Méfie Sc la Thrace , Sc de ne faire aucun quartier aux habitants. Maurice, dont Fefprit étoit affoibli par les révoltes qu'il avoit eflüyées , Sc par le mécontentement de fes fujets, ne fachant pas encore que le -Khan n'étoit plus en état de fe faire redouter, fe laiffa intjmider , 6c envoya ordre de relacher les prifonniers : ce qui fut e^xécuté avec autant d'étonnement que de regret, de la part du Général 6c des troupes. La gloirede Prifque, qui, dans 1'efpace de deux mois, venoit de remporter cinq victoires, excita la ja- C v GE. Ann. 601. Khan pour retirer fes pri< fonniers» XXX. Mouvements ihll. siks  Maurice.Ann. 601. Comentiole. 58 HlSTOIRE loufie de Comentiole. II fe réveilla comme d'une lethargie, & courut a Noves, dans 1'intention de fe fignaler par quelque exploit, avant Ia fin de Ia campagne. Arrivé dans cette ville , il affembla les principaux habitants , & leur demanda des guides pour les conduire au-dela du Danube, par le chemin que Trajan avoit fait autrefois pratiquer au travers de Fancienne Dace. II vouloit, difoitil, couvrir de cendres tout ce vafle pays qui appartenoit au Khan des Abares. Les habitants n'ayant point de guides a lui donner, il entra en fureur, & fit trancher Ia tête a deux d'entr'eux. Effrayés de cette violence, ils fe jetterent a fes pieds, & lui dirent que perfonne a Noves ne connoiffoit ce chemin; mais qu'a quatre lieues de leur ville habitoit un vieillard de cent douze ans, fort inftruit des antiquités du pays , & qui pourroit lui en donner des indices. Comentiole s'y tranfporta lui-même , & prefik vivement ce vieillard de lui fervir de guide. Celui-ci s'en défendoit, repréfentant au Général que cette route étoit impraticable; que  nu Bas-Empire. Liv. LIF. 59 la chauffée rompue en mille endroits, traverfoit des montagnes efcarpées, des vallées profondes, de valles marais ; que depuis quatre-vingt-dix ans elle étoit entiérement abandonnée, & que la faifon étant déja fort avancée, toute cette contrée étoit couverte de glacés & de neiges. Comentiole n'écoutoit que fon ardeur téméraire; il s'obftina dans fon deffein & bientöt la rigueur du froid , 1; violence des vents, &c toutes les in commodités inféparables d'une mar che fi pénible, firent périr quantit de foldats, & la plus grande parti des bêtes de fomme. II lui fallut re tourner fur fes pas , chargé de ma lédicHons de fes troupes, & reveni a Philippopolis, oü 1'armée paffa 1'hy ver, tandis que le Général, de re tour a Conftantinople , imaginoit de prétextes pour couvrir d'abord la hoi te de fon inacïion, & enfuite Pim prudence de fon entreprife. Le jour de Paques qui tombo cette année au 26 Mars, 1'Impér; trice Conftantine, de concert av< Sophie , veuve de Juftin II, & q vivoit encore, fit préfent k 1'Emp C vj Maurice.Ann. óoi, » l r s i- it XXXI. L_ Sédition a Conftanti- nople. .li Simocat. li „_ 8. c 4, 5. Theoph, p.  Ma u iu- ce. Ann. 601 Ccd. p 401. Niceph. CalUi 18 <■ 37. 38 Zon. t. 11 p. 77, 78 Hifi. mifc r. i7. 60 £1 I S T O I R E reur d'une couronne d'or, enrichle de -pierreries, d'un prix ineftimable. , Plus eet ouvrage parut admirable aux yeux de Maurice , plus il le crut digne d'être offert a Dieu. Dès qu'il eut recu cette couronne, il fe tranf\ porta dans PEglife de Sainte-Sophie, ■ & la fit fufpendre au-deffus de 1'au1 tel, a trois chaïnes d'or, femées de pierres précieufes. Cette aelion de piété charma toute la ville , exeepté les deux Princeffes , dont la dévotion n'étoit pas fi fervente, & qui fe croyant méprifées, ne purent s'em» pêcher d'en témoigner leur chagrin. Mais a la fête de Noël de cette même année , ce .peuple admirateur de la piété de Maurice, ne:craignit pas de Ia troubler par le plus fanglant affront. C'étoit la coutume des Empereurs, de paffer la nuit de Noël dans PEglife avec le peuple , & d'affifter le jour de la fête a tous les offices..Depuisquarante jours, Conftantinople fouffroit beaucoup de la difette. Comme PEmpereur, accompagné du Clergé, & fuivi d'une foule d'habitants, marchoit nuds pieds en proceffion pendant la nuit de Noël  nu Bas-Empire. Liv. L1F. 61 au travers de .la ville, une troupe de féditieux lui demanderent du pain avec de grands cris , 1'accablerent d'injures , & firent tomber fur lui une grêle de pierres. Maurice donna ordre a fes gardes d'écarter cette multitude , en la menacant des maffes de . fer dont ils étoient armés , mais fans frapper perfonne. II fe fauva lui-même dans 1'Eglife de la Sainte Vierge au quartier de Blaquernes ; c'étoit un afyle refpe&able a la fureur la plus animée ; on prétendoit conferver en ce lieu une partie des vêtements de la Mere de Dieu. Théodofe, rils aïné de Maurice, fut fauvé par le Patrice Germain fon beau-pere , qui le cou- vnt de la robe. Cependant les Iéditieux ayant rencontré un homrae du peuple qui reffembloit a Maurice , 1'habillerent d'une méchante cafaque noire, lui environnerent la tête d'une couronne d'ail, èc le promenerent fur un ane k la lueur des flambeaux, en le chargeant d'opprobres. La fédition finit avec la nuit , & 1'Empereur demeura tout le jour dans ;l'Eglife de Blaquernes , oü il affifia a la célébration des faints. offi- Maüri- ce. Aaa'. éoïj  Maurice.Ann, 601. XXXII. Inquiétudes de Maurice. Simocat. I. 8. c. ii. Théoph. p. 239, 240. Cedr. p. 401, 402. Niceph. Call.U 18. c. 42. Zon. t. 11, p, 78. 62 HlSTOlRE ces. II fe retira le foir dans fon palais. Le lendemain, ayant fait arrêter les plus coupables, il fe contenta de les faire chatier légérement, & de les bannir ; mais il leur accorda bientöt la permiffion de revenir a Conftantinople. Quoique le tumulte fut calmé, une agitation fecrete fubfiftoit encore dans les efprits. Un Moine enthouliafte, renommé pour 1'auf- , térité de fa vie, courut dans lesrues de la ville, tenant une épée nue, & criant de toute fa force, que CEmpereurpériroitparCépée. Onajoute qu'un prétendu Prophete , nommé Hérodien, prédit publiquement k Maurice tous les malheurs qui devoient lui arriver. Maurice, effrayé de ces prédictions, & plus encore des reproches qu'il fe faifoit k lui-même, d'avoir facrifié k une cruelle vengeance , un fi grand nombre de fes foldats, étoit jour &c nuit dévoré par de mortels déplaifirs. II ne craignoit pas de mourir; la vie lui étoit devenue infupportable; mais il trembloit dans 1'attente des jugements de Dieu , qui lui redemanderoit le fang de fes fujets. Ce  du Bas-Empirb. Liv. LIF. 63 Prince religieux demandoit fans ceffe a Dieu de le punir en ce monde plutot que dans Fautre; & pour donner plus de force a fes prieres , il eut recours a celles des plus faints perfonnages de 1'Empire. II écrivit aux Patriarches, aux Evêques, aux Moines de Jérufalem , k ceux des déferts de Syrië & d'Egypte , pour les fupplier d'obtenir de Dieu qu'il voulüt bien ne le chatier que par des difgraces temporelles. II regut quelques mois après une réponfe des Moines du défert. Ces Solitaires, dont la piété fimple & grofïiere ne connohToit point de ménagement, lui écrivirent en ces termes : Le Ciel exauce vos vxux ; il accepte votre pénitence ; ilveut bien vous admettre avec votre familie au bonheur de lautre vie; mais vous perdrei 1'Empire avec douleur ^ & avec honte. Maurice regut cette fentence fans murmurer; il remercia Dieu, & attendit avec réfignafion, mais non pas fans crainte, la révolution dont il étoit menacé. Entre les prédiöions que fes inquiétudes faifoient naïtre, on 1'avoit ayerti de fe garder de la lettre Grecque, répondante aux deux Maurice.&.nn. 601. Manaff. p. n- Glycas, pi '74. Hifi. fnifi. '.. 17.  >é4 HlSTOIRS lettres Latines PH. Ses fouDConstorar- Mauri- ce. Aan. 601, Ann. 602, XXXIII. Pierre envoyé contre les Abares. Simocat. I, 8. c. j. Theoph, p, Nicepk. Call. I, 18 c 3S. berent fur fon beau-frere Philippique. II lui interdit Pentrée du palais 5 malgré les ferments de ce Seigneur, qui prenoit .Dieu k témoin de . fon inviolable fidélité. La Providence divine fe fervit de Maurice même pour hater fa perte. Prifque.s'étoit rendu redoutable aux Abares; il étoit eftimé des troupes; 1'Empereur le rappella, & le fit remplacer par fon frere, qui ne s'étoit fait connoïtre que par de mauvais fuccès. L'hiftoire n'apporte aucune raifon de ce changement ; il eft a croire que Maurice, dans les allarmes dont il étoit agité, nrofoitfe fier qu'a fa propre familie. Pierre fit camper 1'armée k Plaftole fur le Danube , oii il pafTa fans rien faire, le temps de la campagne. Au mois de Septembre, il marcha en Dardanie, oü il apprenoit qu'une armée d'Abares s'étoitt rendue, fous la conduite d'un Général nommé Apiich. Son intention étoit d'entrer en négociation , plutót que de livrer bataille. Mais Apfich voulant faire acheter la,.paix-aux.-Romains par Sa cef-  du Bas-Empire. Liv. LIF. 65 finn de auelcmes places, on fe fé- para fans rien conclure. Le Khan fe retira vers Conftantinople, 8c les Romains vers Andrinople. Peu de jours après, Pierre recut ordre de paffer le Danube, 8c d'entrer fur les terres des Efclavons. II chargea de cette expédition, fon Lieutenant Guduïs , qui fit un grand maffacre de ces barbares. Les foldats chargés de butin , vouloient repaffer le fleuve., 8c revenir en Thrace. Guduïs les retint jufqu'a ce qu'il eut recu de nouveaux ordres. Pendant ce temps-la, le Général Apfich mettoit tout a feu 8c a fang dans le pays des Artes. C'étoit une peuplade de matelots , qui navigeoient fur le .Danube. Quoiqu'Abares d'origine, ils venoient de fournir des bateaux aux Romains pour le paffage, 8c le Khan, outré de eolere, avoit ordonné de les exterminer. Cette cruelle exécution jetta la divifion entre les Abares; il y en eut un grand nornbre qui ^bandonnerent 1'armée pour fe donner aux Romains. Tandis que le Khan mettoit tout en.ceuvre pour rappeller ces défer- •Mauiu- ce. Ann. 6os.. XXXIV. Révolte «es fol-  Maurice.Ann. 602. dats Romains.Simocat. I, S. c. 6. Theoph. p, 139. Niceph. Call.1. 18. c 59. Zon. t. 11. P- 78. Hifl. mifc. I. 17. Paul. diac. I- 4- c. 27. I i 3 t i •' '•■ i ! 66 HlSTOIRE teurs, rimprudente économie de Maurice révoltoit fes propres foldats, & précipitoit fa ruine. Quoiqu'il eut déja éprouvé la répugnance que fentoient les troupes Romaines a fupporter les frimats de PEfclavonie, fon avarice, que nulle crainte , nul danger ne pouvoient guérir, lui perfuada qu'il gagneroit beaucoup a faire fubfifter fon armée dans le pays, & aux dépens des ennemis. En conféquence , il envoya ordre a Pierre de paffer 1'hyver au-dela du Danube. Une autre raifon le déterminoit encore a prendre ce parti. Dans la crainte d'une révolution dont il étoit menacé, il croyoit devöir tenir éloignés les foldats , dont la hardieffe turbulente efl: pour 1'ordinaire le premier mobile, ou le principal appui ies révoltes. Mais on vit alors ce jue tous les fiecles ont vu, que les irécautions des foibles mortels con:re les arrêts du Ciel, deviennent les noyens mêmes par lefquels ils s'exé:utent. La réfolution de 1'Empereur ie. fut pas plutöt connue des follats, que les murmures éclaterent. -a fédition s'allume, on menace le  nu Bjs-Empire. Liv. LIF. 67 Général, on marche malgré lui au Danube, on le traverfe, &c on s'établit a Plaflole. Pierre, n'ofant s'expofer a la fureur d'une multitude mutinée, fe retire a fept lieues du camp. Incertain du parti qu'il doit prendre , il confulte Guduïs; & par ï'entremife de eet Officier auffi adroit que vaillant & chéri des troupes, il vient k bout de les adoucir &c de leur perfuader de repaffer le fleuve pour achever la campagne , la faifon n'étant pas encore affez avancée pour obliger de prendre les quartiers d'hy ver. Dans ce deffein, il les fait conduire k Sécurifca. Mais tandis qu'on fe difpofoit au paflage, il tomba de fi grandes pluies, & le froid devint fi rigoureux, que les foldats perdant patience, fe mutinerent de nouveau , proteftant qu'iis ne fortiroient du camp que pour retourner en Thrace. Pierre fe tenoit toujours k fept lieues du camp ; ils lui députerent huit d'entr'eux , pour demander la permiffion d'aller paffer 1'hyver dans leurs families. Phocas étoit du nombre de ces députés, Sc il fe diftingua encore entre tous les Maurice.Kan. 602,  Maurice.Ann. '60.2. xxxv. Pbilippits marchoient fous la conduite de Phocas , & ils étoient déja en Thrace. Maurice leur \ envoya quelques Officiers de fa maifon, pour les ramener a 1'obéiffance. Mais cette démarche1 du Princene produifit d'autre effet;, que de rendre Phocas plus infolent. 11 les renvoya fans vouloir les entendre. L'Empereur s'attendant a foutenir un fie- 1 , r ■ . 1 . !„„ 1„o  du Bas-Empire. Liv. LIP". 73 ronne Impériale. Rejettés avec horreur , ils firent les mêmes ofFres a Germain , qui, fans leur donner de réponfe, partit fur le champ, & ramena fon gendre a Conftantinople. Dans les allarmes oü étoit Maurice , tout lui devenoit fufpect. Les ofFres faites k Germain, & les ménagements des rebelles k fon égard, lui firent foupconner une fecrete intelligence. II lui en fit de vifs reprocheSj & fans écouter fa réponfe, il le quitta brufquement, en lui difant : Per/uade^-vous , Germain, que la mort la plus douce pour moi, fera de pêrir par l'épee. Théodofe étoit préfent; touché du fort de fon beaupere , & tremblant pour fa vie, lorfqu'i! le vit fortir de 1'appartement de 1'Empereur, il le fuivitquelques pas , & lui dita Poreille : Fuye{, Germain, ou vous êtes mort. Germain fe retira dans fa maifon, oü, ne fe croyant pas en füreté , il en fortit furlefoir, efcorté de fes gardes, & s'alla réfugier dans une Eglife de la Sainte Vierge, voifine de fa demeure. Maurice 1'ayant appris, lui envoya 1'eunuque Etienne, Gouverneur de fes Teme XII, D Maurice.Ann. 602. XXXIX. Sédition a 1'occafion de Germain. Simocat. I. S. c 8. Theoph. p. 242. Cedr. 403.  .Maurice.Ann. 6oa, .74 H l S T O I R E enfants., & fort diftingué k la Cour-» pour calmer fes craintes. Les gardes défendirent 1'entrée de PEglife, ck repoulTerent Etienne avec infulte. ■Pendant la nuit, Germain paffe a PEglife de Sainte-Sophie. L'Empereur s'en prend k Théodofe qui avoit averti Germain; & dans 1'excès de fa colere, il s'emporte jufqu'a le frapper avec violence. II envoye plufieurs de fes Chambellans, pour engager le fugitif a fortir de fon afyle. Germain fe laiffoit perfuader, & étoit déja hors de 1'Eglife, lorfqu'un dévot, nommé André, qui avoit coutume de paffer en ce lieu les jours entiers en prieres , court après lui, & 1'engage k rentrer , lui proteftant que e'eft 1'unique moyen de fauver fa vie. En même-temps le peuple s'attroupe; mille voix confufes s'élevent contre le Prince; & entr'autres injures qui n'av.oient de fondement, qu'une féditieufe infolence, on le traits de Marcionite , fecte ancienne, mais extravagante & méprifée, dont l'Empereur ne favoit peut-être pas même Le nom, A ces cris, ceux qui feifoient la garde fat les murs, aban-  du Bas-Empirb. Liv. LIK. 75 donnent leur pofte, & viennent fe joindre aux féditieux. La révolte éclate dans tous les quartiers ; la nuit augmente le tumulte & 1'audace; la plus vile multitude , animée d'une aveugle fureur, va mettre le feu a la maifon de Conftantin Lardys , Sénateur illuftre, Patrice, autrefois Préfet d'Orient, & que le Prince honoroit de la plus intime confiance. C'étoit attaquer rEmpereur luimême; Maurice fentit qu'il n'avoit pas un moment a perdre pour fe fauver. II fe dépouille de la pourpre, & fous 1'habit d'un particulier , il court au rivage, & fe jette^dans une barqueavec fa femme, fes'enfants, fon ami Conftantin, & ce qu'il peut emporter de fes tréfors, Le peuple paffe le refte de la nuit dans un affreux défordre, chargeant de malédi&ions, & l'Empereur & le Patriarche Cyriaque, leur infultant par les railleries les plus groffieres, & par des chanfons fatyriques. Pendant ce temps-la, Maurice couroit rifque de la vie. Une tempête fit échouer fa barque a fix lieues de la ville, prés de 1'Eglife de Saint-Autonome fur la Dij Maurice.Ann. 602, XL. Fuite de Maurice,  Maurice.Ann, 601, XLI. Ambitioi de Germain fru< tree. 76 HlSTOIRE Propontide, du cöté de Nicomédie ; & comme fi la Providence eüt voulu 1'enchaïner, & le livrer a fes bourreaux, il fut au même moment attaqué d'un violent accès de goutte , maladie alors fort ordinaire aux habitants de Conftantinople. Dans cette extrêmité, il fit partir fon fils Théodofe avec Conftantin, pour aller implorer 1'afliftance de Chofroës : Falies-le fouvenir, leur dit-il, des fecours que je lui ai prétês dans fon infortune; expofe^-lui nos malheurs; ils font les mêmes qüe les flens; il efl maintenant ce que j'étois alors ; qu'il s'acquitte envers moi par une prompte reconnoiffance. Enfuite leur montrant 1'anneau qu'il portoit au doigt : Quelqu'ordre que vous recevie{ de ma part, ajoutat- il, ne revene^ pas quon ne vous préfente eet anneau. Déja quantité d'habitants fortoient tous les jours de Conftantinople , . pour aller joindre Phocas. Jufqu'alors Germain n'avoit pas mérité fa difgrace; mais voyant la couronne Impériale prête a tomber de la tête de Maurice, il fut tenté de s'en faifir. Muré de la bienveillance du peuple,  du Bas-Empire. Liv. LIK 77 il ne craignoit que la fa&ion Verte, puiffante alors, & contre laquelle il avoit pris parti, ainfi que 1'Empereur. II en follicite les chefs; il leur propofe les conditions les plus avantageufes, s'ils veulent déterminer leurs partifans a fe déclarer en fa faveur. Ces démarches honteufes n'eurent aucun fuccès. L'efprit de faction étouffoit alors tout autre intérêt. On ne put jamais perfuader aux Verds que Germain fe détacheroit de leurs rivaux : fes ofFres furent rejettées; &C après s'être montré ambitieux en pure perte , il finit par être perfide: il fe rangea du cöté de la fortune, & alla faire hommage a Phocas. Le tyran marchoit k grandes journées; il approchoit de Conftantinople , lorfque les partifans de la faction Verte , fortant en foule de la ville, allerent au-devant de lui juf* qu'a Rhegium , & 1'aborderent avec des acclamations de joie. Ils lui confeillerent de s'avancer jufqu'a 1'Hebdome, pour y prendre la couronne. Phocas, plus heureux qu'il ne 1'avoit efpéré, dépêche aufïi-töt le Secretaire Théodore , avec un ordre adrefD iij Maurice.Ann. 602. XLÏI. Phocas proclamé Empereur. Simocat. I. 8. c. 10. Theoph. p. 143. Chr. Alex. Cedr. p. 403. Niceph. Call.1. ig.' c. 40. Zon. t. II, p. 79.  Maurice.Ann. 602. Glycas , p. 275. Hifl. Mifi. I. 17. ?8 HlSTOIRE fé au Patriarche, au Sénat & au peuple, de fe rendre auprès de lui. Théodore afTemble toute la ville dans Sainte-Sophie, & du haut de la tribune, il fait la le&ure de Pordre de Phocas. Tous obéiffent, foit par légéreté, foit par crainte. On accourt a 1'Hebdome, on 1'invitepar de grands cris a fe revêtir de la pourpre. On vit alors un combat de diffimulation entre deux hommes également avides de régner. Phocas, par une feinte générofité, ofFroit la couronne a Germain ; & Germain, par une modeftie forcée, la remettoit k Phocas. Le peuple décida cette conteftation peu fincere; on proclame Phocas Empereur; & le Patriarche, après lui avoir fait promettre de conferver la foi dans fa pureté, & de protéger l'Eglife Catholique contre tous ceux qui voudroient en troubler la paix , lui met la couronne fur la tête dans l'Eglife de Saint Jean-Baptifle. C'étoit le 23 tNovembre. Deux jours après, le nouvel Empereur entre dans Conftantifiople avec 1'appareil le plus impofant, par 1'éclat & la magnificence. l\ marche au palais. dans un char at-  du Bas-Empire. Liv. LIK 79' telé de quatre chevaux blancs, 6c répand fur fon palfage une pluie d'or & d'argent, puifée dans les tréfors de 1'Empire, au milieu des applaudiflements d'une multkude auffi avids qu'infenfée. On célebre_ les jeux du Girque; 6c ce jour qui donnoit la naiffance au gouvernement le plus tyrannique, fe palfe en divertiflements & en fêtes. Le lendemain, il fit diftribuer", felon 1'ufage, une fomme d'argent aux foldats pour fon avénement a 1'Empire. C'étoit la coutume, que les Impératrices reguflent folemnellement la couronne, 6c le titre d'Auguftes. Phocas voulut procurer eet honneur k Léontie, femme digne de lui, fans éducation comme fans vertu,. née pour un foldat plutöt que pour un Empereur. Tout étoit préparé pour ia pompe du couronnement, lorfqu'il s'éleva entre les deux fa&ions un débat ©piniatre. Les .Verds prétendoient fe ranger en haie dans le veflïbule du palais ,. pour recevoir. 1'knpératrice. Les Bleus s'y oppofoient comme a une entreprife nouvelle 6c fans exemple. On étoit prèj D iv Maurice.Ann. 60a. xr.111. Couronnementde fa fem. me Léontie. Simocat. I. 8. c. 10, 11. Theoph. p. 143.  Maurice.•Ann. 602. XL1V. Mort de Maurice & de fes enfants. Simocal. I. J. c. ii , 13 5 : 80 H I S T O 1 R E d'en venir aux mains, lorfque PEmpereur en voya un de fes Courtifans, nommé Alexandre, pour appaifer le tumulte. C'étoit un homme infolent & brutal, qui s'étoit fignalé dans la révolte contre Maurice. Fier de la faveur de fon maitre, & tranchant luimême du tyran, il s'attaque a Cofmas, chef des Bleus , le charge d'injures, & le frappe avec outrage. Toute Ia faclion fe révolte; on fe jette fur lui, en criantiSors d'ici, Alexandre, fonge que Maurice vit encore. Ces paroles rapportées a Phocas, le firent trembler de crainte; ce fut pour lui un avis d'öter la vie a Maurice ; il accourt au veftibule du palais; &c par douceur, par careffe, plutót que par autorité & par menace , il appaife la querelle. Auffi-tót il donne fes ordres Dour amener Maurice a Chalcédoiie, & 1'y faire mourir avec fa familie. Une révolution fi rapide ne permettoit plus a Maurice d'attendre les. kcours de Chofroës. II rappella fon ils, & lui envoya fon anneau. Théolofe étoit a Nicée; il rebrouffa chenin fur le champ; mais fa diligence  du Bas-Empire. Liv. LIK Et ne out nrévenir 1'exécution des or¬ dres cruels de Phocas. Lorfqu'il arriva a l'Eglife de Saint-Autonome , oü il avoit lailTé fon pere , ce Prince n'étoit déja plus. Cette fanglante tra- ; gédie eft le plus terrible exemple que : fourniffe 1'hiftoire, de Faudace d'un ( rebelle, & de Fabandon d'un Sou- , verain, qui n'a pas ménagé 1'amour • de fes fujets, comme fon tréfor le 4 plus précieux. Maurice, faifi par une troupe de foldats, fut conduit avec ( fes enfants , au port d'Eutrope, dans j la ville de Chalcédoine , vis-a-vis de s Conftantinople. Trainé au bord du \ rivage, d'oü il appercevoit les tours < de fon palais, on ne différa fon fup- : plice, que pour multiplier fes dou- i leurs. II vit trancher la tête a fes cinq fils, Tibere, Pierre , Paul, Juftin , Juftinien; & quoiqu'il reffentït au fond de fon cceur les coups mortels portés a fon innocente familie, quoiqu'il mourüt d'avance chaque fois qu'il voyoit tomber un de fes fils , il ne perdit rien de fa fermeté naturelle ; couvert du fang de fes enfants, qui réjailiiffoit fur lui, il s'écrioit k chaque coup de hache : Kous Sus jufD v Maurice.Knn. 602. Theoph. p. 143,244, t45. Nictpk. iallA. iS. . 40 ,41 , Cedr. p. :03,404, .05. "hr. Alex. Zon. torn. I, p. 79 » o. danajf. p. 4- rlycas, p, 7h Pagi ad Ur.  JvIauri- ce. Aan. 602. 82 HlSTOIRE te , Seigneur , & vos jugements font équitables. Environné de ees viftimes chéries, il préfenta fa tête, & regut la mort avec 1'intrépidité d'un maitre qui commande a fes bourreaux. Ainfi périt ce Prince, grand Capitaine avant que derégner, Monarque médiocre, Héros k la mort. On dit que la nourrice du dernier de fes fils, encore au berceau, ayant fubftitué fon propre fils pour fauver le jeune Prince, Maurice en avertit les bourreaux „ en difant, quilfe rendrou lui-même complice dthomicide , s'il laiffoit périr un enfant étranger, pour foufraire le Jien a; / exécution de tarrêt prononcépar la Providence contre fa familie. II mourut le 27 Novembre, agé de 63 ans, après avoir régné 20 ans 3 mois & 13 jours. Au commencement du regne d'Héraclius, on trouva le teflament de Maurice, fcellé de fon fceau. II 1'avoit fait la quinzieme année de fon regne, dans une dangereufe maladie. II laiffoit a Théodofe, fon fils ainé, la fouveraineté de Conftantinople, & de tout 1'Orient; il donnoit k Tibere y ton fecond fils, Rome, 1'Italie & les. ifles de la mer de Tofcane; ii par-  nu Ba-s-Empirs. Liv. LIF. 83 tageoit a fes autres fils le refte des Provinces de 1'Empire. Ces Princes étant encore en bas age, il leur nommoit pour tuteur, fon parent Domitien, Evêque de Mélitine. Ce fage Prélat, qui, par fes talents fupérieurs & par fa prudence confommée, auroit peut-être écarté 1'orage prêt h fondre fur fa familie, étoit mort dès le mois de Janvier de cette année; & le Sénat, rempli de refpect pour fa vertu, 1'avoit honoré de magnifiques funérailles , & fait inhumer dans l'Eglife des Saints Apötres, fépulture ordinaire des Empereurs. Le cadavre de Maurice, & ceux de fes fils, furent jettés dans la mer; & 1'on remarqua que les flots les rapporterent plufieurs fois fur les bords, comme pour reprocher un fi cruel ma'flacre a ce peuple innombrable qui bordoit le rivage. Leurs têtes furent portées au tyran par Lilius, qui avoit préfidé a Pexécution; & Phocas, pour rendre toute 1'armée complice de fon parricide, les fit planter fur des pieux dans la plaine de PHebdome , oü elle étoit campée, EUesfurent expofées aux infultes des D vj Maurice.Ann. 601. XLV. Suites de la mort de Maurice.  Maurice.Ann. 602 XL VI. Mort de Théorfofe & de pru- 84 H 1 S T 0 I R E foldats & aux regards du peuple, faifi d'effroi & d'horreur. Enfin , lorfque ces rebelles, auflï impitoyables que leur maitre, eurent pendant plufieurs jours raflalfiés leurs yeux de eet affreux fpeöacle, quelques perfonnes pieufes obtinrent de Phocas la permiffion d'enlever ces triftes refles de la familie Impériale, & de leur donner la fépulture. La vengeance divine qui éclata dans la fuite fur le tyran, n'épargna aucun de ceux qui avoient eu part a la mort de l'Empereur. Ces foldats criminels périrent tous de mort violente, foit paria faim , foit par 1'épée des Perfes. Quelques-uns furent frappés de la foudre, & huit ans après, lorfque l'Empereur Héraclius faifoit la revue de fes troupes, il ne s'en trouva que deux qui euffent échappé a ces divers chatiments. C'efl: encore une remarque des Hiftoriens de ce tempsla , que tant qu'il en refta un feul dans les armées Romaines, elles ne ceflèrent d'être battues par les Perfes. Phocas, enivré du fang de Maurice & de fes enfants, n'en devint que plus furieux» 11 fit BiaiTacrer Pierre >  nu Bas-Empire. Liv. L1V. 85 frere de Maurice, Conftantin Lardys , Comentiole , & les principaux Officiers qui s'étoient diftingués par leur fidélité. Mais tant de meurtres étoient inutiles, s'il ne faifoit périr 1'héritier légitime de 1'Empire. Théodofe fe tenoit renfermé dans l'Eglife de Saint-Autonome. Alexandre , miniftre des cruautés de Phocas, s'y tranfporta par fon ordre, & ayant arraché ce jeune Prince de 1'autel qu'il tenoit embralfé, il le conduilit a ce funefte rivage teint du fang de fon pere & de fes freres. A la vue des bourreaux qui préparoient le fer meurtrier, Théodofe demanda le faint Viatique; 1'ayant recu , après avoir rendu graces a Dieu, il ramaffa une pierre a fes pieds , tk s'en frappant trois fois la poitrine : Seigneur Jefus-Chrijl, s'écria-t-il, vous fave^ que je riai jamais fait de mal d perfonne ; je me foumets d votre volante; faites- moi mife'ricorde. Comme il finiffoit ces paroles , il recut le coup mortel. L'Impératrice Conftantine & fes trois filles attendoient le même fort; le tyran les laiffa vivre, tant qu'il crut n'avoir rien k redouter de leur part; il fe Maurice.Ann. 602. fieurs autres.  Maurice. Ki\!U 602. 68 HlSTOIRE, &C. contenta de les tenir renfermées dansune maifon privée, avee défenfe d'en fortir. Cette conduite faifoit croire que 1'ambition feule avoit rendu Phocas fanguinaire; on commengoit a fe periiiader, qu'affis enfin fur le tróne , il remettroit 1'épée dans le fourreau.Mais on reconnut bientöt qu'une couronne acquife par le meurtre, ne fe conferve que par la cruauté; & que le fuccès d'un premier crime ne peut s'affurer que par une fuite de forfaits, dont 1'ufurpateur eft enfinlui-même la derniere vi&ime,  87 S O M M A I R E J> u LIVRE CINQUANTE-GLNQUIE M E. I.PoRTRAIT de Phocas. ir. Conduite de Saint Grégoire d l'égard de Pho- i cas. in. Chofroës fe déclare contre Phocas. IV. Commencement de la guerre de Perfe* v, Défaite des Romains. VI. Narsès brülé vif. vu. Confpiration contre Phocas. VIII. Suite de I hifoire des Lombar ds. lx. Mort du Pape Saint Grégoire. X. Ambafjade d'Agilulf d Phocas. XI. Divijïon du Patriarchat d'Aquilée. XII. Mariage de Crifpe avec la fille de Phocas. XIII. Nouvelle confpiration. xiv. Saint Théodore engage George d fouffrir la mort. XV. Crifpe invite Héraclius d détróner le \ tyran. XVI. Expédition ridicule de Phocas , pour rendre le courage d fes foldats. XVII. Vicloires des Perfes qui pénetrent ( juf qua Chalcédoine. XVIII. Sédition des Juifs d Alexandrie & d Antioche. XIX. Infultes faites d Phocas, XX. Héraclius  88 Sommaire du Liv. LVe. part dÜAfrique. XXI. Nouvelle conjuraüon contre Phocas. XXII. Héraclius arrivé d Conjlantinople. xxiii. Combat naval d'Héraclius. XXIV. Mort de Phocas, XXV. Couronnement d''Héraclius,  H ISTOIRE D U BAS-EMPIRE. L1VRE C1NQUANTE- CINQUlEME. PHOCAS. LA terreur avoit placé Phocas fur le tröne. II n'y fut pas plutöt afiis , que tous les yeux s'ouvrirent. On vit avec autant de furprife que de confufion, quel fucceffeur on avoit donné k Maurice. Phocas ayant paffe fa vie dans les derniers rangs de la milice , n'y avoit acquis que les vi- Phocas. Ann. 603. I. Portrait de Phocas. Cedr. p, 404. Manajf. p. "IA' 8't>  Phocas. Ann. 603. 90 HlSTOIRE ces les plus groffiers, qu'il ne rachetoit par aucun talent. Son audace &C fon infolenee faifoient tout fon mérite entre fes femblables. Sans honneur , fans courage , fans étude dn métier de la guerre,, dont il ne connoilToit que le défordre & la licence, adonné au vin, aux femmes r brutal, impitoyable, il n'eüt pas été digne de commander a des barbares. Son extérieur répondbit a eet arTreux caraöere. Une laideur difforme, un regard fombre & farouche, des cïreveux roux, des fourcils épais & réunis, une cicatrice qu'il portoit au virage ,.& qui fe noircifloit dans la colere, tout annoncoit une ame féroce & fanguinaire. L'Empire ne fut que troppuni d'un fi indigne choix. Le regne de ce monftre fut un tiflu de malheurs. Auffi peu capable de choifir de bons Généraux, que de commander lui-même, fes armées furent toulours battues.. La nature même fem^la fe révolter. Pendant les huit années qu'il régna, 1'Empire , ravage par les Perfes, éprouva encore tous ies fléaux qui peuvent affliger la terre. La famine, la pefte, défolerent l'O-  du Bas-Empire. Liv. LV. 91 rient: les hy vers furent fi rigoureux, que la mer fut plufieurs fois prife de glacé , & qu'au degel, elle couvroit fes rivages d'une infinité de poilTons morts. C'étoit encore la coutume d'envoyer les images des nouveaux Em> pereurs & de leurs femmes , dans toute Pétendue de 1'Empire. Les habitants des villes, portant des cierges allumés, brülant des parfums r les alloient recevoir avec de grandes démonftrations de joie. On les placoit dans les Eglifes , on leur rendoit les mêmes honneurs qu'on auroit rendus a la perfonne des Souverains. C'étoit la forme la plus augufte dans laquelle les fujets reconnoilToient leur nouveau maitre. L'image de Phocas & celle de Léontie fa femme , arriverent a Rome le 25 Avril. Le Clergé , le Sénat & le peuple, les recurent avec acclamation dans la bafilique de Jule , au palais de Latran, & Grégoire les dépofa dans l'Eglife de Saint-Céfaire. C'eüt été pour ce grand Pape une occafion bien favorable de fe rendre maitre de Rome, & de la portion IL Conduite de Sainc Grégoire a 1'égard de Phocas. Greg. I. IJ. epift. 31 , 38' 39. 40. /. 14. ep. 1. Appendix ad ep. art. II. & ihi not.Bened. Paul. diac. I. 4. c. 26, 37- Anafl. ia Bonif. UI & IV. Baronias. Fleury , Hifi. Eed. I. 3.6. art. 45. Phocas. Ann. 60}.  Phocas. Ann. 603. i 1 ï i 92 HlSTOIRE de PItalie, encore foumife aux Empereurs. Phocas ne s'étoit élevé a 1'Empire , que par la violence & le meurtre : c'étoit un ufurpateur manifefte. Les Exarques, enveloppés par les Lombards, haïs & méprifés des Italiens, qu'iis accabloient au-lieu de les défendre, n'auroient pas tenu contre le puiffant génie de Grégoire. Quel avantage n'avoit pas fur ces foibles Lieutenants un Prélat généreux, qui, par fes foins paternels, & par une vigilance infatigable, nourriffoit Rome & l'Italie dans les temps de difette, & qui protégeoit les fujets de 1'Empire, autant contre les injuftices de leurs Gouverneurs, que contre les entreprifes des barbares.' Le :hangement d'Exarque eut encore fa:ilité la révolution. Callinique venoit d'être révoqué, pour avoir mali-propos rompu la paix avec les Lombards , & Phocas renvoyoit a fa pla:e Smaragde odieux a l'Italie, qu'il ivoit déja mal gouvernée. Combien 'ambition auroit-elle trouvé de préextes pour légitimer le projet d'alier la fouveraineté temporelle avec 'autorité fpirituelle! Grégoire n'en  »v Bas-Empire. Liv. LF. 93 fut pas tenté. Vicaire de celui quia dit que fon Royaume n'efl pas de ce monde, il crut devoir laifTer a la puiffance féculiere le choix du Souverain : la foumiflion de Conftantinople & du refte de 1'Empire, lui parut un titre fuffifant en faveur de Phocas. II n'avoit pas lieu de regretter Maurice, qui fembloit avoir abandonné l'Italie aux armes des Lombards, & a 1'avidité des Exarques. Ce Prince mal difpofé a 1'égard du faint Pontife, 1'avoit traverfé en plufieurs rencontres : fourd k fes remontrances , il favorifoit les Evêques de Conftantinople , dans 1'ufurpation du titre de Patriarche univerfel. Cette méïintelligence avoit déterminé Grégoire k interrompre 1'ufage depuis long-temps établi, d'avoir un Nonce k la Cour, pour veiller aux intéréts de l'Eglife &£ de FOccident. Le changement de regne lui donna occafion de prévenir le nouveau Prince en faveur de fon Eglife. Nous avons de lui trois lettres, dont deux font adreffées a Phocas, & 1'autre k 1'Impératrice. II y félicite l'Empereur en des termes qui paroitroient flatteurs , s'ils Phocas. A.nn. 603.  Phocas. Ann. 603. 94 H I S T 0 I R £ ' n'euflent pas été de üyïe ; il 1'exhorte a réformer les abus du Gouvernement précédent; iliiche de lui infpirer la clémence par ces belles paroles : Ce qui diflingue , dit-il, nos Empereurs des Rois étrangers, c'efl que les Rois traitent leurs fujets en efclaves ; au-lieu que les Empereurs , fans rien perdre de leur puijfance, confervent leurs peuples en liberté. II lui envoye le Diacre Boniface, pour réfider auprès de lui, & le prie de fecourir l'Italie, défolée par les barbares. Cette demande ne produifit aucun effet. Phocas n'avoit pas même affez de forces pour réfifter aux Perfes. Mais cette ame farouche concut dès-lors des fentiments d'équité a 1'égard de l'Eglife Romaine; & c'eft aux douces infinuations de Grégoire , qu'on doit attribuer la juftice que rendit le tyran aux Evêques de 1'ancienne Rome. Ce faint Pape avoit inutilement exhorté Cyriaque a. rétablir la concorde entre les deiix Eglifes, en renoncant au titre d'CEcuménique. Boniface III obtint de Phocas une déclaration par laquelle il reconnoiffoit que cette prérogative n'appartenoit  du Bas-Empire. Liv. LP". 95 •qu'a la chaire de Saint -Pierre. Cependant les Grees ne fe défifterent pas de leur prétention ; ils attribuerenr 1'aveu de Phocas a fa haine perfonnelle contre le Patriarche Cyriaque. Ce Prince donna encore k Boniface IV une preuve de bienveillance : il lui accorda le iemple du Panthéon; & ce fuperbe monument de 1'idolatrie Romaine fut confacré au vrai Dieu, fous 1'invocation de la Sainte Vierge & de tous les Martyrs. Tandis que Phocas s'affuroit de IV béiffance des Provinces, il députoit k Chofroës, pour lui faire part, fe■lon 1'ufage, de fon avénement k 1'Empire. Lilius, qui avoit préfidé k 1'exé-ciition de Maurice, fut choifi poux cette ambaffade; rl étoit chargé de préfents pour le Roi de Perfe. II fut refu magnifiquejnent k Dara, dont Germain étoit Gouverneur. Narsès avoit long - temps commandé dans , cette place importante, & les obli- . gations que lui avoit Chofroës, le > rendoient plus propre que perfonne ; k maintenir la paix fur cette frontiere. Mais ce Prince ingrat, irrité des obf- ' iacles que Narzès apportoit a fes in- \ Phocas. A.nn. 603. III. Chofroës 'e déclare :ontre ?hocas. iimocat. I, ï. c. 13, ■5. Thcoph. p. 144, 245Cedr. p. Niceph. :*u. 1. is. • 43. Ion. t. 11. >. 80. Anaft. p. !6. Ajfemani , ibl. oriënt. . II. f. 02.  Ph«cas. Ann. 603. 1'Empereur. Comme il raiioit cortege a Lilius, qui entroit dans Dara avec un pompeux appareil, un foldat, indigné des honneurs qu'il prodiguoit aux meurtriers de Maurice, le frappa d'un grand coup d'épée. Mais la bleffure n'étant pas mortelIe , il en guérit au bout de quelques jours. Lilius ne fut pas fi bien recu de Chofroës. Ce Prince, pour qui la paix étoit un état violent, faifit avidement cette occalion de la rompre. II rejetta avec mépris la lettre & les préfents de Phocas, & protefta qu'il vengeroit la mort de fon bienfaiteur. Lilius fut retenu en Perfe, & traité , non pas comme 1'envoyé d'un Empereur, mais comme Fefpion d'un brigand & d'un meurtrier. Le bruit s'étoit répandu dans 1'Empire, que Théodofe, fils de Maurice, n'étoit pas mort; 90 Nistójre juftes prétentions, demanda fon éloignement, & Maurice facrifia ce brave Officier au defir de la paix. Germain qui lui fuccéda, étoit celui que les foldats, révoltés contre Philippique , avoient choifi pour Général , & qui ayant battu 1'armée des Perfes , avoit trouvé grace auprès de  bv Bjs-Empire. Liv. LV. 97 mort; on difoit qu'Alexandre, gagné par Germain, beau-pere de ce Prince, 1'avoit laifle échapper, 6c lui avoit fubftitué un jeune homme qui lui reffembloit. Cette fable s'étoit tellement accréditée, que Phocas , plein d'effroi & de colere, fit tuer Alexandre, qui fut ainfi puni de fon crime, fur le faux foupcon de ne 1'avoir pas commis. Chofroës profita encore de Ce bruit, pour mieux couvrir fon humeur turbulente 6c fanguinaire, du glorieux prétexte de générofité & de juftice. II publia que Théodofe étoit entre fes mains, 6c qu'il ne prenoit les armes que pour établir fur le tröne le légitime héritier. Son ardeur pour la guerre étoit animée par les follicitations de Narsès. Ce guerrier, fidele a la mémoire de fon maitre, quoiqu'il eut été mal payé de fes fervices , s'étoit réconcilié avec Chofroës , 6c 1'excitoit fans cefle par fes lettres, a venger un Prince, auquel il devoit fa couronne. II fut le premier a lever 1'étendard de la guerre, 6c s'enferma dans Edeffe, dont il fe rendit maitre. Sévere, Evêque de cette ville , voulant s'oppofer a la révolte ? Tornt XII. E Phocas. Aan. 603,  Phocas. Ann. 603 Ann. 604 IV. Commen cemehtdi Ia guern de Perfe. Théoph. p 245- Cedr. p 40;. Zon. tont II. p. So 98 H I S T O I R E fut lapidé. A cette nouvelle, Phocas envoya ordre a Germain d'alïiéger Edeffe. Mais au-lieu de faire les préparatifs néceffaires pour repouffer un ennemi tel que Chofroës, ce tyran mal habile paffa 1'hyver en fêtes & en réjouiffances, pour célébrer la vaine cérémonie du Confulat, dont il prenoit polTeflion, fuivant la coutume des Empereurs. Cependant Chofroës mettoit fur pied des troupes nombreufes. Aux premiers jours du printemps , une \ grande armée de Perfes entra-en Mé: lopotamie. Les Romains n'avoient dans. cette vafte Province que peu de ' troupes , oceupées au liëge d'Edef. fe, fous la conduite de Germain. Ce Général effrayé d'une invafion li fou[ daine, fe vit obligé de marcher contre les Perfes, quoique fa foibleffe ne lui laiflat prefque aucune efpérance. II ne put éviter la bataille , oü fon armée fut entiérement défaite. Bleffé lui-même, ék porté k Conftantinople, il y mourut onze jours après» Cette nouvelle jetta Peffroi dans le coeur de Phocas; il fe hata d'envoyer d'autres tro\4pes; & pour s'affurer de  nu Bas-Empirs; Liv. LF. 99 la paix avec les Abares, il accrut la honte de 1'Empire , en augmentant d'une fomme confidérable, le tribut annuel qu'on payoit a cette nation. Croyant alors n'avoir plus de diverfion k craindre du cöté de 1'Occident, il fit paffer en Afie les troupes de 1'Europe, fous le commandement du chef de fes eunuques,nommé Léonce. II lui donna ordre de faire diligence, & d'envoyer un detachement pour continuer le fiege d'Edeffe, tandis qu'il marcheroit contre les Perfes avec le gros de fon armée. II paroit qu'Edeffe ne fe flattoit plus d'être imprenable , & que cette tradition fabuleufe, qui lui donnoit la lettre de Jefus-Chrifl au Roi Abgare, pour fauve-garde affurée, avoit dès-lors perdu fon crédit. Narsès pril 1'épouvante aux approches de Léonce, & s'enfuit k Hiéraple, oü il efpéroit de fe défendre. Le Généra! Romain ayant rappellé le détachement defliné au fiege d'Edeffe s'avanca avec toutes fes forces, jufque; prés de Dara. Le Roi s'étoit rendi a la tête de fon armée, qu'il conv E ij Phocas. Ann. 604.' ▼7 Défaitï des R'iraains.  I'hocas. Ann. 604. 3 i F T. r. cl \ £ roo H 1 s t 0 1 r e mandoit en perfonne. Les Romains furent encore vaincus, & Chofroës fit égorger tous les prifonniers qui étoient en grand nombre. II laiffa enfuite fes troupes fous la conduite de fes Généraux , & retourna en Perfe. Phocas, irrité contre Léonce, le fit ;amenera Conftantinople, chargé de ers, & donna le commandement k on propre frere Domentiole, qu'il :rea Curopalate. Tel fut le commen:ement de la guerre , la plus fanglane que 1'Empire eut jamais foutenue ontre les Perfes, ces opiniatres ri;aux de la puiffance Romaine. Elle ura vingt-quatre ans , & pendant 2S dix-huit premières années, jufu'a la douzieme du regne d'HéraHus, ce ne fut pour les Romains u'une fuite perpétuelle de défaftres. -hofroës, moins grand Capitaine, mais lus cruel que fon aïeul , trouvant Empire dépourvu de Généraux ex-, érimentés , porta de toutes parts le ïaffacre & 1'incendie. Nul quartier, ulle diftinaion d'age, de condition, e fexe. Les villes brülées & renerfées, les campagnes fans culture, £ couvertes des cadavres de leurs  nu Bas-Empire. Liv. LV. 101 habitants , n'offroient aux yeux que des cendres & des ruines. Toute 1'Afie, depuis le Tigre jufqu'au Bofphore, ce pays le plus peuple, le plus riche, le plus fertile de 1'univers, ne fut plus qu'un théatre d'horreurs. Le Roi barbare fe baigna dans le fang des Romains , devenus laches en devenant criminels. On eut dit que leurs armées étoient des troupeaux de victimes que le Ciel raffembloit pour les immoler a la vengeance de Maurice. Tandis que les Généraux Perfes ravageoient la Méfopotamie , &c détruifoient les villes Romaines , Domentiole, hors d'état de leur réfifter, s'étoit retiré en-dega de FEuphrate ; & pour fervir la cruauté de fon frere, il travailloit a le rendre maitre de la perfonne de Narsès. Ce généreux Capitaine, trop crédule , paree qu'il étoit lui-même incapable de manquer a fa parole, fe laifla tromper par les ferments de Domentiole, qui luipromit au nom de Phocas , qu'on ne lui feroit aucun mauvaistraitement. Dans cette confiance, il fortit d'Hiéraple, & fe laiffa conduire a ConftantinoE iij Phocas. Ann, 604, Ann. 605. VI. Narsès brülé vif. Theoph. p. 245, 246. Cedr. p. 405. Manaff. p. 74- Zon. t. II. p. 86. Anafi. pi 86.  I0£ HlSTOlRE Die. oü il ne fut nas nliitot ari-ivp'. Phocas. Ann. 605. 1 Ann. 606. vn. | Confpiration contre Phocas. que Phocas, au mépris de tous les ferments, le fit brüler vif. La douleur de cette barbarie fe fit fentir k tous les Romains. Ils perdoient dans Ie feul Narsès, plus que dans les deux jatailles précédentes, plus que dans les villes, dont ils apprenoient tous les jours la prife & la deftruftioH. Aulfi vertueux que brave & habile dans la guerre, il ne lui avoit man:jué que la faveur de la Cour, & Vïaurice s'étoit mal fervi lui-même , m n'employant pas ce grand Général. Mais tout 1'Empire , par une efiime & une affecfion univerfelle, le iédommageoit de Pingratitude de fon naitre. Les Perfes fur-tout lui renioient juftice : ce guerrier étoit pour -Ux fi redoutable , qu'au rapport des Hiftoriens , les peres ne fe fervoient jue du nom de Narsès pour faire trem>ler leurs enfants. L'indignation pubiique ,excitée par m fi aftreux fupplice, réveilla dans le cceur de Germain , le defir de réjner, que la crainte feule 1'avoitjufp'alors contraint de diffimuler. L'oc;afion lui parut favorable pour dé-  du Bas-Empirb. Liv. LV. 103 tröner un tyran , qui, loin de faire oublier fes premiers forfaits par des aftions de clémence, y mettoit le comble par de nouvelles cruautés. Mais naturellement timide, il n'ofa fe mettre a la tête des mécontents, 8c par de fourdes intrigues, il engagea Scholaftique, eunuque puiffant dans le palais, a faire les premières démarches. Scholaftique alla pendant la nuit tirer Conftantine 8c fes trois falies, de la maifon privée oü elles étoient prifonnieres, 8c les tranfporta dans l'Eglife de Sainte-Sophie. La vue de ces Princeffes infortunées produifit 1'effet qu'on en attendoit. Le peuple fe fouleve , on prend les armes; on met Ie feu au prétoire; la flamme fe répand dans la ville. Jean de la Croix, chef, de la faétion Verte, auquel Germain avoit inutilement fait offrir une grande fomme d'argent, pour armer la faction contre Phocas, eft brulé dans fa maifon. Cette action de violence fut le falut de Phocas. La faöion irritée raffemble tous fes partifans; c'étoit laplus grande partie des principaux habitants. Ils s'attroupent, ils font main-balfe E iv Phocas. Ann. 606. Tkéoph, p. 246. Cedr. p. 405 , 406. Chr. Alex. Zon. t. Hm p. 80. • Hifi. mifi. I. 17. Du C'ange gloff. Grxcit. in 2elKehhéc- flOi & Confl. Chrift. I. 2, c. 4.  Phocas. Aon, 606. icur-, manons. La crainte & le filence fuccedent a cette émation tumultueufe. Le tyran envoye a l'Eglife de Sainte-Sophie pour enlever Conftantine & fes filles. Le Patriarche Cyriaque s'y oppofe, & ne leslaifTe fortir, qu'après avoir obligé Phocas de lurer qu'il ne leur feroit fait aucun mal. Phocas, pour cette fors, n'ofa violer fon ferment; il fe contenta de les renfermer dans un monaftere. Scholaflique expira dans les fupplices les plus affreux. Germain, 1'auteur fecret de la révolte, ne s'étoit pas déclaré ; mais comme on le foupconnoit, il fut forcé de prendre 1'ordre de prêtrife, pour être hors d^état d'afpirer jamais a la couronne. Jufqu'alors Phocas avoit épargné Philippique, quoique beau-frere de Maurice , paree qu'il n'avoitparu prendre aucun parti dans Ia révolution. II Pobligea pour lors de fe faire couper lescheveux, & de fe confiner j fous 1'habit de Moine, dans un couvent qu'il avoit fondé lui-même k Chryfopolis. II en fut dans Ia fuite tjré par Héraclius, ï°4 ff 1 S T O I H E fur les féditieux ; les uns font maffacrés , les autres fe renferment dans  du Bas-Empire. Liv. L . 105 Cyriaque ne fiirvéciit pas long-temps au fervice qu'il avoit rendu a la veuve de Maurice: il mourut cette année , le 29 Oftobre, après dix ans d'épifcopat. II eut pour mcceffeur le Diacre Thomas, Sacellaire de l'Eglife de Conftantinople, dignité qui donnoit autorité fur les monafteres des deux fexes, pour veiller au maintien de la difcipline. Les Hifloriens ne fourniffent aucun détail fur la guerre des Perfes: tout ce qu'on en fait, c'eft que pendant cette année 606, ils prirent la ville de Dara, & firent de grands ravages jufqu'en Syrië. Ce fut cette même année qu'Agilulf envoya un Ambaffadeur k Conftantinople. Je vais k cette occafion reprendre 1'hiftoire des Lombards. que j'ai continuée jufqu'a la mort de Maurice, & raconter ce qui fe paffa de plus mémorable en Italië , pendant le regne de Phocas. L'Exarque Callinique ayant rompu la paix ave< les Lombards, Smaragde, fon fuccef feur , faifoit d'inutiles efforts poui conferver les places qui reftoient \ PEmpire. Arichis, Duc de Bénévent Sc Théodelap, qui venoit de fuccéE y Phocas. Ann. 606. VIII. Suite de 1'hiftoire des Lombards. Greg. t, 11. ep. 7Paul iiac. I- 4- c ■ 19 ■>. 3°. 33» 34. 36. Anafi. vk.' . Pont. Ciacon.vitè Pont. Rubens , hifi. Ray. 1 /. 4. ' Sigon, ia  Phocas. Ann. 606. rcgno hal. I. i. Baronius. Pagi ad Bar. Murat. ann. Ital. t. IK p. 10,11,12, 14 , 16. ' FUury , kift. Ecchf. 1. 36. art. n, 53- 1 ( i IOÖ &ISTO/RE der k Ariulf dans le Duché de Spolete , ravageoient les campagnes de Ravenne & de Rome. Grégoire obtint de Cillane , Général de leurs troupes, une treve d'un mois, qui fut mieux obfervée par les Lombards que par les Romains, plus infideles alors que les barbares. Mais Agilulf, irrité de Penlevement de fa fille & de fon gendre, portoit de plus grands coups è 1'Empire. Renforcé dun fe- | cours d'Efclavons que lui envoyoit Ie Khan des Abares, il partit de Milan au mois de Juillet 603 , pour affiéger Crémone, qu'il prit le z 1 Aoüt, & qu'il ruina de fond en comble. II marcha enfuite a Mantoue, que 1'Exarque Romain avoit reprife fur les Lombards. Cette ville fe défendit pendant quelques jours ; mais la garnifon voyant les murs abattus en parie , & 1'ennemi pret a entrer par es brêches, capitula, & obtint Ia )ermiffion de fe retirer k Ravenne» Agilulf entra dans Mantouele 13 Sepembre. La fortereffe de Vulturnia fe endit fans attendre I'attaque; ce qui •pouvanta tellement la garnifon de Serfcelle, qu'elle prit k fuite, après  nu Bas'Empire. Liv. LJ?. idj avoir mis le feu a la ville. L'Exarque ne trouva d'autre moyen d'arrêter des conquêtes fi rapides, que de remettre entre les-mains d'Agilulf fa fille & fon gendre, leurs enfants , & tout ce qu'on avoit enlevé avec eux. Cette reftitution procura une treve, dont le terme fut fixé au mois d'Avril 605. Elle fut alors continuée pour un an; mais la prolongation coüta douze mille fols d'or a 1'Exarque , c'eft-adire environ cent foixante mille livres de notre monnoie. Pendant le cours de cette treve , l'Italie perdit fa reffource la plus affurée dans la perfonne du Pape Gré- ! goire. Ce grand homme, le foutien 1 de 1'Empire en Occident, mourut le 12 Mars 604 , après avoir tenu le fiege de Saint Pierre 13 ans , 6 mois & 10 jours. Dans l'éle&ion des Papes , on préféroit alors ceux qui avoient réfidé en qualité de Nonces a Conftantinople, comme plus agréables aux Empereurs, & plus inftruits des affaires publiques. Le Diacre Sabi nien fut élu. On ne fut pas longtemps k s'appercevoir, qu'en fuccédant a Grégoire, il n'avoit pas hé^ E vj Phocas. *,nn. 606. IX. Mort lu Pape ►aint Gré;oire.  Phocas. &nn. 606 ïoS Hts t o i r g> rité de fes vertus. Rome avoit foit^ vent été menacée de la difette fous le Pontificat de Grégoire mais la charité de ce faint Prélat , toujours. féconde & inépuifable, avoit entretenu Pabondance, malgré les ravavages des Lombards, & 1'intempérie des faifons. La famine fe fit fentir fous. Sabinien ; il ouvrit les greniers de l'Eglife; mais au-lieu de diftributions gratuites, il fit vendre le bied. Lespauvres s'attrouperent, demandant a grands cris,qu'on ne laiffat pas raourir de faim ceux a qui Grégoire avoit tant de fois confervé la vie. Sabinien; fe montraaux fenêtres de fon palais & s'adreffant a cette multitude affem» blée : Ceffe^ vos clameurs, leur dit-il;. fi Grégoire vous a donné du pain pour acheter vos éloges, je ne fuis pas en état' de vous rajjaffier au même prix^ Ces paroles, indignes d'un Pafteur, & injurieufes a la mémoire de Grégoire , démafquoient fa jaloufie; elle fe fit' eonnoitre encore davantage, par 1'entreprife qu'il forma, mais fans fuccès , de faire brüler les ouvrages de fon prédécefleur, a qui fes écrits ont mérité un rang honorable entre les  du Bas-Empire. Liv. LV. 109* Dofteurs de l'Eglife. C'eft k tort que quelques-uns accufent eet illuftre Pape , d'avoir fait périr les plus beaux ouvrages & les plus précieux monuments de Tantiquité payenne : il étoit lui-même trop inftruit , & il avoit 1'ame trop élevée pour defeendre k cette barbarie fuperflitienfe. Ce reproche eft fans fondement. Dès que la treve fut expirée, Agilulf entra en Tofcane, & fe rendil maitre d'Orviette & de Bagnarea, L'Exarque, trop foible pour s'oppofer k fes progrès, demanda lïne treve , & 1'obtint pour trois ans. Mau Agilnlf voulant enfin jouir en repo: du fruit de fes conquêtes, réfolut d< changer cette fufpenfion d'armes er une paix durable. Dans ce deffein, i envoya fon Secretaire Stabilicien ef ambaffade a l'Empereur. Phocas, ap paremment, pour cacher Ie mauvai: •état de fes affaires en Oriënt, feigni de fe rendre difhcile ; il n'accord; qu'une treve d'un an. Mais il en voya k fon tour des Ambaffadeurs ai Roi des Lombards, pour lui porte des préfents, & l'afïurer fecretemen de fon amitié, Smaragde profita d< Phocas. Ann, 6o&» X. Ambaffade d'AgiIulfaPhscas. ï I i t r t  Phocas. Ann. 606. XI. Divifion du Patriarchat d'Aquilée. 1 1 1 4 1 1 t I ï ÏIÖ HlSTOIRE la paix pour entourer de murailles Ferrare, qui, jufqu'a ce temps, n'avoit ete qu'un petit bourg, fur la rive du Po. II en fit une place forte , qui, s'etant accrue dans la fuite, efl devenue une ville confidérable. La mort de Sévere , Patriarche d Aquilee , réfidant a Grado , excita une vive conteflation entre les Romains & les Lombards. Gifulf,Duc de Frioul, maitre d'Aquilée, fouffroit avec peine que 1'Evêque de cette ville fit fa réfidence dans une ifle du domaine de 1'Empire, & les Suffragants d'Aquilée, la plupart fchifmatiques, refufoient de reconnoitre un métropolitaiti attaché è l'Eglife Romaine. Mais Smaragde, a la folliciation du Pape, les ayant fait enlefer & conduire a Ravenne, les conraignit a force de mauvais traitenents, de facrer Condidien, qui alla enir fon fiege a Grado. LesEvêques, Ie retour dans leurs Diocefes, proefterent contre cette éleaion, com11e extorquée par violence ; & prosgés par le Roi des Lombards, & ar le Duc de Frioul, ils facrerent 'atnarche 1'Abbé Jean, qui rétablit  nu Bas-Empirz. Lh. LK in le fiege dans Aquilée. II y eut depuis ce temps deux Patriarches d'Aquilée ; 1'un fchifmatique , reconnu par les Evêques fujets des Lombards , qui refufoient de foufcrire k la condamnation des trois chapitres; il réfidoit dans Aquilée; 1'autre uni de communion avec Rome, il tenoit fon fiege a Grado , & les Evêques fujets de 1'Empire le reconnoiffoient pour métropolitain. Cette divilïon du Patriarchat fublifta même après 1'extinction du fchifme. Le fiege partriarchal de Grado fut transféré k Venife dans le quinzieme fiecle. Phocas, dévoré de craintes & de remords, croyoit voir fufpendue fur fa tête 1'épée meurtriere dont il avoit frappé Maurice. Rien ne le raffuroit dans fes allarmes. Ceux même qu'il approchoit le plus de fa perfonne, lui fembloient toujours prêts k lui plonger le poignard dans le fein. En montant fur le tröne, il avoit comblé de faveurs Crifpe fon confident; il 1'avoit honoré de la dignité de Patrice, & de la charge de Capitaine de fes gardes. La cinquieme année de fon regne, il lui fit époufer fa filie Phocas. Ann. 6c6. Ann. 607. XII. Mariage de Crifpe avec la fille de Phocas. Theoph. 246 , 247. Zon. t. 11, f- 81. Hifi. mifi, l. 17.  Phocas. Ann. 607. 112 HlSTOIRÉ Domentia. Les noces furent célébrées avec magnificence. Les deux fadioris s'efforcerent a 1'envi de fe furpaffer par 1'éclat des fêtes qu'elles donnerent. Entre les fuperbes décorations dont elles ornoient les places de la ville, on voyoit avec les images de l'Empereur & de PImpératrice, celles des nouveaux époux. 11 n'en fallut pas davantage pour allarmer la jalotifie de Phocas; c'étoit a fes yeux un attentat criminel. II fait amener devant lui les chefs des deux fa&ions a Ia porte du palais, & par fes ordres, on les dépouille k la vue du peuple, on s'apprête k leur trancher la tête. Les clameurs d'une multitude innombrable arrêtent Pexécution. Phocas leur fait demander par quel confeil ils ont ofé affocier fa fille &c fon gendre k la puifTance fouveraine. Ils répondent qu'iis n'ont jamais eu ce deffein ; que pour Pappareil de ces fêtes, ils s'en font rapporté aux décorateurs. Ceux-ci, mandés a leur tour, fe juftifient par Pufage d'expofer a Ia vénération publique, ceux que PEmpereur honoroit de fon alliance. Le peuple en même-temps  du Bas-Empire. Liv. LV. 113 les fecondoit par fes cris^ 65c Phocas, plus intimidé que fléchi, ne verfa point de fang pour cette fois. Mais Crifpe conferva dans fon cceur un profond reffentiment; Sc ce mariage, que fon ambition avoit recherché avec ardeur, ne lui infpira qu'une haine implacable contre fon beaupere. De nouvelles confpirations enflammoient de plus en plus dans le tyran, la cruauté qui les faifoit naitre. Conftantine, trompée par le bruit public, attendoit fans ceffe fon fils Théodofe , & du fond de fon monaftere , elle préparoit la révolution. Germain la fecondoit par de fecretes pratiques. Le Patrice Romain, Avocat du Prince, Théodore, Préfet d'Orient, Jean, chef du Secrétariat, Sc Théodofe , fon premier commis, Zira, qui portoit 1'épée de l'Empereur, Athanafe, Intendant des finances, André Scombrus Sc Elpidius, tous honorés du titre d'illuftres, David, garde des archives du palais, prenoient entr'eux des mefures pour fe défaire du ty- land. 22 ran, 6c travailloient avec ardeur a {, *. , lormer un parti. Leurs mtrigues s e- Du CanSt* Phocas. Ann. 607. XIII. Nouvelle confpiration. Theoph. pi 247. Cedr. p. 406. Chr. Aha. Niceph. Call. 1.18. f. 41. Glycas In Conftanti-, no. Zon. t. II. p. 79. Hifi. mifii l. 17. Vita Thsodorï Syccoitz apud Bol*  Phocas. Ann. 607. firn. J3y^. F- 108. j 1 114 HlSTOIRE tendoient dans les Provinces, & George, Gouverneur de Cappadoce, entroit dans la conjuration. Une femme avoit tramé le complot, une femme le fit échouer. Une de ces fubalternes, qui s'infinuent dans toutes les Cours , & qui, fous une faufle apparence de dévouement & de zele, font prêtes k tout facrifier a leurs amants ou k leur fortune, avoit gagné ia confiance de Confiantine. Elle fe nommoit Pétronia, & lui fervoit de meffagere pour porter fes lettres a Germain, & pour en rapporter les réponfes. Lorfqu'elle fe vit en. état de yendre bien cher un fecret de cette importance , e)le alla le découvu-ir k Phocas. On faifit auffi-töt Conftantine ; on la met entre les mains du Préfet Théopempte, qui lui fait fouffrir les tourments les plus douloureux. Elle avoue la conjuration, 8c charge le Patrice Romain. Celui- , ci , dans les douleurs de la torture, dénonce les autres eonjurés. Ils font :ous arrêtés & mis k mort. Théodore ;xpire fous les coups de fouet. Exsidius, ame du complot, fut traité )lus cruellement que les autres; le  nu Bas-Empire. Lh. LV. 115 tyran , croyant étouffer pour toujours 1'audace des conjurations, épui- \ fa fur lui tout ce que peut imaginer rinhumanité la plus barbare ; comme fi la cruauté des fupplices ne rendoit pas les fpe&ateurs plus féroces, & plus capables de les mériter. On lui arracha la langue , on lui coupa les pieds & les mains, qu'on porta devant lui au bout d'une piqué, & on le promena en eet état fur un brancard au travers des places & des rues. II fut enfuite porté au bord de »la mer, oü après lui avoir crevé les yeux, on le jetta dans une nacelle, i. laquelle on mit le feu. Germain fut conduit dans une ifle , & décapité avec fa fille, veuve du Prince Théodofe. Conftantine eut la tête tranchée avec fes trois filles k Chalcédoine, dans le même lieu oü fon mari & fes cinq fils avoient perdu la vie. Ses filles font nommées, dans la chronique d'Alexandrie , Anaftafie , Théoftifte & Cléopatre. Celleci porte le nom de Sopatre dans le ménologe des Grecs, qui prétendent qu'elle vécut dans un monaftere a Jérufalem, avec fa tante Damianes ?HOCAS. t.nn. 607.  Phocas. Ann, 607. XIV. Saint Théodore 1 engage i George a ] ïbuffrir Ia mort. 1 I ! ] l H6 H I S T 0 I R E Les deux autres y font marquées fous les noms d'Euftolia & de Romana ; & routes les trois font honorées comme Saintes dans l'Eglife Grecque & dans l'Eglife Latine, felon Baronius. Elles furent inhumées avec leur mere a Saint-Mamas, aux portes de Conftantinople ; & dans la fuite, on grava fur leurtombeau une épitaphe touchante , qui rappelloit les défaftres de cette familie infortunée. Les Auteurs Arabes prétendent que Chofroës époufa Marie, rille de Maurice, & qu'il en eut Siroës fon fucceffeur. Ce qui peut avoir donné lieu a cette fable, c'eft apparemment le mariage ie Chofroës avec Sira, Chrétienne 3e rehgfon, & Romaine de naiffan:e, & les honneurs que cette Prin:elfe rendoit a la Sainte Vierge. George, Gouverneur de Cappado:e, étoit conduit chargé de chaïnes 1 Conftantinople. Comme il avoit >eaucoup d'amis & de clients, & que ï'efpérant aucune grace, il s'effor:oit tous les jours d'échapper a fes ;ardes, ceux-ci, en paffant par la Gaatie , envoyerent prier 1'Abbé Théolore de venir-le vifiter, pour calmer  nu Bas-Empire. Liv. LV. 117 eet efprit fougueux, & pour Pengager a fe laiffer conduire fans réfiftance, afin qu'iis ne fuffent pas euxmêmes punis de fon évafiori. Théodore , ancien Evêque d'Anaftafiopolis , ayant renoncé a fon Evêché, vivoit dans le monafhïre de Sycéon, a quatre lieues de fa ville épifcopale , & s'étoit rendu célebre par la fainteté de fa vie. II vint trouver George, & rempli de cette éloquence chrétienne qui fait infpirer le mépris de la mort, il 1'exhorta a faire généreufement le facrifice de fa vie, en expiation de fes péchés. George, touché de fes paroles , participa aux faints myfteres, & continua fa route avec une entiere réfignation, qui ne fe démentit pas dans les rigueurs du fupplice. Ce fut k 1'occafion de cette conjuration que la prifon de Conftantinople fe trouvant trop étroite pour contenir tous ceux que Phocas y renfermoit, une Dame iüuftre donna fa maifon pour procurer k ces malheureux une demeure plus faine & plus commode. Les Perfes pafferent encore 1'Euphrate cette année , &C Phocas. Ann. 607»  Phocas. Ann. 608. XV. Crifpe invite Héraclius a détröner le tyran. Theoph, p, 248. Ced. p. ,406. Zen. t. IL p. 80, 81. Chr. Alex. Hift. mife. I. 17. . Baronuis. Pagi ad Bar. Ui fflSTOI&B poufferent leurs ravages jufqu'en Paleftine & en Phénicie. L'Empire étoit dans une étrange confufion. Ravagé par les ennemis, défolé par le tyran , en proie aux injuftices, aux confufions, aux meurtres, aux brigandages, il éprouvoit tous les maux dont la fociété humaine a cru fe garantir en fe foumettant a des loix. Les Abares, au mépris du traité fait avec eux, mettoient tout k feu & a fang dans la Thrace & dans 1'Illyrie; le peu de troupes reftées dans ces Provinces, fuyoient ou périffoient par Pépée des barbares. Les Perfes avan^oient leurs conquêtes, ils étoient maitres d'Amide & de toute la Méfopotamie, excepté d'Edeffe qu'iis pri* rent 1'année fuivante. Phocas, au-lieu d'arrêter ces incurfions , verfoit a grands flots le fang de fes fujets; il recherchoit & faiföit périr tous les parents & les amis de Maurice. Les douleurs de la goutte dont il fvit attaqué , ne firent qu'une courte treve a fes fureurs. Pouffé par cette dévotion grofïiere, qui peut s'allier avec tous les vices , & dont les foufFran-  du Bas-Empike. Liv. LV. 119 ces font 1'aiguillon, il demanda les prieres de Saint Théodore Syceote, qui obtint fa guérifon; Dieu réfervant ce monftre a une punition plus exemplaire. Cependant Crifpe , indigné de tant de maffacres, & aninié par fa vengeance perfonnelle, jetta les yeux fur Héraclius, pour étouffer la tyrannie. C'étoit ce même Héraclius qui avoit tant de fois fignalé fon courage contre les Perfes, fous le regne de Maurice. Exarque d'Afrique depuis quelques années, il avoit pour Lieutenant fon frere, le Patrice Grégoire. Ces deux Officiers, parfaitement unis, gémiffoient enfemble de 1'état 011 fe trouvoit 1'Empire. Honteux de fervir un tyran, ils avoient cefle d'envoyer a Conftantinople les moiffons d'Afrique & de 1'Egypte; ce qui, joint a la ftérilité des années, augmentoit la difette, & rendoit les efprits plus difpofés a la révolte. Ce n'eft pas que, ni Héraclius, ni Grégoire , euffent deffein de fe placer eux-mêmes fur le tröne , après en avoir précipité Phocas. Trop avancés en age, & d'une ame aflez élevée pour ne point defirer la puiffance Phocas. Ann. 608.  Phocas. Ann. 608. Ann. 609. XVI. Expediënt ridicule de Phocas pour rendrele courage a fes foldats. Theoph. p, 248. Cedr. p. 406. Chr. Alex. Zon. t. 11. p. So. Vita Tfieodori Syceotat apud Bolland. 21 Aprilis. Baronius. Elmacin , l. I. 120 HlSTOIRB fouveraine, ils avoient chacun un fiis^ qu'iis croyoient plus propres qu'euxmêmes k porter le poids d'une couronne. Mais 1'invitation de Crifpe ne leur parut pas fufHre pour fe mettre en mouvement; & ils pafferent cette année & la fuivante, k faire les préparatifs néceffaires pour le fuccès de 1'entreprife. Toutes les années du regne de Phocas étoient fignalées par de nouvelles incurfions des Perfes. Ils avoient pénétré jufqu'en Phénicie, fans trouver de réfiftance. Les peuples abandonnés au glaive ennemi, fe retiroient dans les places fortes, & les Perfes , contents de ravager les campagnes , & d'enlever un grand butin, ne s'arrêtoient k aucun fiege. L'année 609, Chofroës réfolut de porter le ravage dans 1'Afie mineure, qui ne s'étoit pas encore reffentie des maux de la guerre. Les grands préparatifs que faifoit ce Prince, réveillerent Phocas, plongé dans une honteufe léthargie. II leva des troupes, qu'il divifa en deux corps. II donna au Patrice Sergius , fon parent, le commandement d'un camp volant, qui  nu Bas-Empi&e. Liv. LV- in qui devoit obferver les mouvements des Perfes , & défendre le paffage de 1'Euphrate. II mit fon frere Domentiole k la tête du refte de 1'armée. Mais il fe défioit du courage de fes troupes, accQiitumées k fe laifler battre, & il ne trouvoit en lui-même aucune reffource pour animer leur valeur. II s'avifa d'un expediënt qui ne pouvoit tomber que dans 1'efprit d'un foldat ignorant. Comme li en ufurpant le fceptre, il fe füt emparé des clefs du ciel, M voulut faire mettre au nombre des faints Martyrs ceux qui périroient a la guerre. II favoit que 1'efpérance de cette couronne: avoit rendu des femmes & des enfants plus forts que leurs bourreaux. Mais 1'oppofition du Patriarche de Conftantinople & des autres Evêques , Pobligea enfin k fe défifter de ce projet extravagant. II s'en fallut beaucoup que les foldats montralfent le courage des martyrs. Les Perfes prirent Edefie. Chofroës avoit un médecin Jacobke, nommé Jonan. Ce médecin , zélé pour les progrès de fa lëcFe, perfuada au Roi que les Edefféniens demeure- Tome XIL F Phocas. A.nn. 609. XVII. Viftoire des Perfes qui pénetrent jufqu'a Chalcédoins.  Phocas. Ann. 609. 124 HlSTOIRE roient toujours attachés a 1'Empire l tant qu'iis profefferoient la doctrine Catholique. Chofroës , indifférent pour tous les fyftêmes de religion , ordonna de malTacrer les habitants , s'ils ne fe faifoient Jacobites. Tous obéirent. Après la prife de cette ville , les Perfes pafferent FEuphrate, & taillerent en pieces le détachement de Sergius, qui fut tué dans le combat. Ayant enfuite traverfé la petite Arménie, ils entrerent en Cappadoce. Domentiole, aufïi lache que fes troupes , n'ofoit marcher aux ennemis. II étoit accompagné de Bonofe, Préfet d'Orient, homme féroce 8c intraitable , digne miniftre des cruautés de l'Empereur. Bonofe , dévot cependant a la maniere de Phocas , voulüt voir 1'Abbé Théodore ; il le fit venir dans une Eglife qui étoit fur le chemin; & il ordonna au faint Abbé de prier pour lui. Comme Bonofe fe tenoit debout pendant que Théodore proöerné , faifoit fa priere, le Saint le prenant par les cheveux, le forca de baiffer la tête. Le Préfet, fubjugué par cette hardieffe, loin de s'irriter, lui baifa la main, 6c la porta  DU BJS'EMPIRE. Liv. LP~. 121 fur fa poitrine, le priant de le guérir d'une grande douleur qu'il y reffentoit depuis long-temps. AlorsThéodore élevant fa voix : Songe, lui ditil, d guérir d'abord Ühomme intérieur. Tes paffions font ta plus dangereufe maladie; crains Dieu : mes prieres te feront inutiles, fi tu n'agis pas fur toimême. Sois humain & compatiffant; exerce ton autorité fans dureté, pardonne aux autres, afin que Dieu te fajfe miféricorde : garde-toi de verf er le fang innocent. Bonofe, touché dans le moment , envoya des aumönes. au mo'naftere de Théodore, & ne profita pas de fes avis. Le Saint effaya d'encourager Domentiole , en lui repréfentant, qu'aw Chréden ne dok craindre qu'une chofe, de déplaire d Dieu en manquant d fes devoirs ; & que les ennemis les plus redoutables ne peuvent l'étre d celui pour qui la mort efl tentree d'une meilleure vie. Domentiole n'avoit pas 1'ame affez grande pour concevoir des fentiments fi généreux: forcé de combattre, il fut défait, & ne fauva fa vie, qu'en fe cachant dans des rofeaux. Les vainqueurs traverLrent la Galatie, la Paphlagonie, la F ij Phocas. Ann, 609.  Phocas. Ann. 609 Ann. 610, XVIII. Sédition des Juifj a Alexandrie & ï Antioche, Theoph, p. 248. Cedr. p 506. Niceph. Call.l. iS, £. 44. Chr. Alex Zon. t. 11 p. 80. Hifl. mifi l. l7. Fleury , hifi. EccleJ l. 37. art 2. Afltrnani BAL jui Or. t. 111 e. 18. 124 IIlSTOIRE Bithynie, jufqu'aux portes de Chalcédoine. S'étant raffaffiés de carnage, ils emporterent au-dela de PEuphrate les dépouilles de ces Provinces, qui repofoient depuis long-temps dans le fein de la paix & de 1'abondance. Les infultes perpétuelles que les Perfes faifoient impunément a 1'Empire, rendoit de jour en jour le tyran plus méprifable. On tramoit fecretement fa perte. Crifpe, & la plupart des Sénateurs , preffoient fans ceffe par leurs lettres Héraclius, de délivrer les Romains du jong honteux & infupportable dont ils étoient accablés; ils lui promettoient un fuccès infaillible. Phocas & fes Miniftres étoient prefque les feuls qui ne fuffent pas inftruits du péril dont ils étoient menacés. Le tyran même fembloit agir de concert avec fes ennemis , pour fe rendre plus odieux. Au ; commencement de l'annéeóio, emporté par ce zele bifarre, dont il ref, fentoit quelquefois les accès au mi■ lieu de fes cruautés & de fes débau' ches, il s'avifa d'envoyer ordre de baptifer tous les Juifs. Comme ils étoient en grand nombre dans la Pa-  du Bas-Empire. Liv. LF. 125 leftine, il fit partir le Préfet George pour les contraindre a obéir. Ce Miffionnaire de nouvelle efpece, armé & environné d'un redoutable cortege, les fit affembler a Jérufalem; &c fur leur refus, il les fit baptifer par force. La même violence fut pratiquée dans Alexandrie; ce qui excita une fédition dans laquelle le Patriarche Théodore Scribon fut mis en pieces. Les Juifs d'Antioche fe porterent encore k de plus grands excès, Ils maffacrerent les plus riches habitants , pillerent leurs maifons, y mirent le feu, allerent arracher du palais épifcopal , 1'Evêque Anaftafe , Prélat refpeöable par fa vertu , le traïnerent dans les rues, & après avoir épuifé fur fa perfonne toutes les horreurs de 1'inhumanité la plus licencieufe,ils le jetterent au feu. Phocas ne tarda pas k punir ces cruautés par des cruautés pareilles. Bonofe étoit, par fon caraftere, 1'homme du monde le plus propre k des exploits de ce genre ; il partit avec une armée entiere, commandée par Cotton, Maitre de la milice. Arrivés dans Antioche, ils firent main-bafle fur tous F iij Phocas. Anri. élbi  Phocas. Ann. 610. XIX. Infulres faites a Phocas. Theoph. p. 148. Ctdr. p. 404. Zon. t. 11. $• So. Glyc. p, ; 271. Hifi. mifi, ■ 1 '* 1 ] ] 1 1 4 J j 1 < 1 i i i i 126 H 1 S T O I R E les Juifs, fans difHn&ion d'innocent & de coupable. Ils mutilerent les uns, égorgerent les autres : un petit nombre fe fauva par la fuite. Des fcenes fitragiques n'affligeoient pas feulement les Provinces éloignées : Conftantinople nageoit dans le fang de fes citoyens. Ceux mêmes qui s'étoient empreffés d'élever Pho:as fur le tröne, indignés de fes débauches, & las de fes cruautés, ne •efpiroient que révolte ; le mépris Sc a haine avoient fuccédé k un zele iveugle, & la faction Verte, qui s'éoit fignalée en fa faveur, Pinfultoit >ubliquement. Un jour qu'on céléjroit les jeux, comme tout le peilde affemblé attendoit Phocas, qui ardoit trop a venir donner le fignal le la courfe des chars, ceux de cette 'aöion fe mirent k crier de concert: Ve Vattende^ plus; il ejl ivre. Ces cris épétés plufieurs fois, frapperent les ireilles de Phocas; il entre en fueur; Conftant, Préfet de la ville , è tranfporte au Cirque k la tête des bldats de la garde, fecondés de la action Bleue, qui, par haine contre °s rivaux, s'attacha dès ce moment  nu Bas-Empire. Liv. LV. 117 a l'Empereur. On faifit les plus fé- ! ditieux, & furie champ, fans aucune forme de procés , on abat la tête aux uns, on coupe aux autres les pieds & les mains qu'on attaché a la borne du Cirque; on en jette plufieurs dans la mer, enfermés dans des facs. A la vue de ces horribles exécutions, tous les partifans de la faction Verte s'attroupent, ils mettent le feu au prétoire, au fecretariat du Prince, aux prifons : les prifonniers fortent de leurs cachots, & fe joignent a eux; ce n'eft de toutes parts qu'incendie, que pillage, que maflaere. La cruelle animofité entre les deux faftions fe rallume avec fureur, & fe communiqué dans toutl'Orient, & jufqu'en Egypte. L'Empire entier devient le théatre d'une guerre civile. Phocas, hors d'état de punir un fi grand nombre de féditieux, fe contenta de déclarer tous les partifans de la faftion Verte, incapables d'exercer aucun emploi, ni dans le palais, ni dans 1'ordre militaire. Tant de défordres favorifoient 1'entreprife d'Héraclius & de Grégoire. Ils s'étoient enfin rendus auxpreffantes F iv - Phocas. Inn. 610. XX. Héraclius part d'Afriour parvenir au Bofphore, au-lieu jue le trajet par mer pouvoit fe faire ïn moins de douze jours. II eft plus aifonnable de dire qu'on fit prendre i Nicétas la route de terre, pour afiirer Ja révolution , & qu'il étoit leftiné k remplacer Héraclius, s'il arivoit que celui-ci, qui s'expofoit aux ifques de la mer, fut arrêté par les  nu Bas-EmPire. Lïv. LP*. vents . ou périt par quslque nau- frage. Crifpe, auteur du complot, n'avoit ofé en faire part aux principaux Officiers du palais. Ceux-ci qui n'étöient pas- moins impatients de fe défaire dn ty ran , formoient en mêmetemps une autre conjuration. Théodore & Macrobe, tous deux Capifaines des gardes, Elpidius, Intendant del'arfenal, & Anaftafe, Controleur des finanees, en étoient les chefs. S'étaht affemblés au commeneemenf de la nuit dans la maifon dë Macrobe , ils conférerent enfemble fur le temps & la maniere de Fexécution. Elpidius devoit fournir des armes ; on célebroit le Iendemain les jeux du Cirque; il ofFroit d'aller prendre Phocas fur fon tröne, de lui crever les yeux , & de le poignarder. Les autres devoient s'emparer du palais , & proclamer Théodore Empereur. Tout étoit convenu ; & s'étant féparés, après s'être mutuellement engagés par les plus horribles ferments, ehacun d'eux fe préparoit a remplii fa deftination , lorfqu'ils fe virenl forcés dans leurs maifons, & arrêtés F v Phocas. Ann. 6iö. XXI. Nouvelle conjuration contre Phocasi  Phocas. Arm, 610, XXII. Héraclius smre a CP. Theoph. p. 248, 250. Cedr. p. 406, 407. Nieeph. C.P.p.4. & iii Pctav. i Nicepk. , Call.1. 18. c. 56. 1 Manaff. p, \ 75- i Zon. t. 11. i- 8os8x. 1 13° Hxstoirë par ordre du Prince. Anaftafe , effrayé de la hardieffe de cette entreprife étoit allé fur le champ la révéler a l'Empereur. On les mit auffi-töt h la torture ; ils avouerent leur complot, & fans différer, on leur traneha la tête. Anaftafe ne fut pas épargné, quoiqu'on lui füt redevable de la découverte. Macrobe fut feul réfervé a un fupplice plus rigoureux. II fut conduit le jour fuivant a la place de 1'Hebdome y attaché au poteau qui fervoit de but aux foldats pour s'exereer è tirer de 1'arc , & tué ^ coups de fleches. On peut dire que tout 1'Empire étoit conjuré contre-Phocas. La flotte d'Afrique approchoit de 1'Hellefpont, lorfqu'il fut averti de 1'entreprife d'Héraclius. II fait auffi-töt partir fon frere Domentiole , pour défendre la longue muraille. Epiphanie, mere d'Héraclius, étoit alors a Conftantinople ivec Fabia r déja fiancée a fon fils , k fille de Rogat, diftingué par fa niiflance & par fa nobleffe entre les ïabitants de 1'Afrique. Phocas les fit nfermer dans Ie monaftere des Pélitentes, bati par Théodora, femme ■  du Bas-Empire. Lh. LV. 131 de Juftinien. II donna ordre d'armer ! tous les batiments qui fe trouvoient dans les ports de Conftantinople , & les garnit de troupes, pour s'oppofer au débarquement. Crifpe, Pretet de la ville, affeftant un zele ardent pour le fervice de fon beau-pere, le trahiffoit fecretement; & d'intelligence avec Héraclius, il rompoit toutes les mefures que Phocas prenoit pour fa défenfe. Héraclius relacha au port d'Abyde , oit Théodore, Gouverneur de cette ville , 1'inftruifit de tout ce qui fe pafToit a Conftantinople. Un grand nombre de Sénateurs & d'autres habitants, chaffés de leur patrie par le tyran , fe rendirent auprès de lui, & s'emprefferent de lui ofFrir leurs fervices. Etienne, Evêque de Cyzique, voulut avoir 1'honneur de le couronner d'avance; il luiapporta une couronne d'or qui étoit .fufpendue k Cyzique, dans l'Eglife de la Sainte Vierge. Accompagné de ce cortege , Héraclius traverfa toute la Propontide, & vint a Héraclée en Thrace. Le troifieme d'Oaobre, il ie préfenta avec fa flotte k la pointe Occidentale de Conftantinople , av F vj Phocas. Lnn. 610. ïhr. Alex. ylycas, p* 375- Hifi. mi/ci '.. 18. Du Cangc, fam. By\. p. m«  Phocas. Ann, 610. _ XXTIL Cornbat naval d'Héra- clius. ( 1 -1 1 1 i 1 ï f 2 132 H I S T 0 I R E pied du chateau qu'on nommoit dèsJors les fept Tours. Tom fes vaiffeaux portoient au haut de leurs mats 1% mage de la Sainte Vierge. Cinglant de-la vers 1'Orient, il jetta 1'ancre devant le port de Sophie, oü Domentiole ayant abandonné la longue muraille , pour accourir a la défenfe de la ville , fe préparoit a lui difputer ï'entrée. ;Phocas, qui s'étoit avancé jufqu'a 1'Hebdome , étant monté k cheval, revint le foir a fon palais , & paffa la nuit dans de mortelles.inquiétudes., Le lendëmaln qui étoit un jour de Dimanehe , Héraclius forca 1'entrée du port après un cornbat fan»lant, qui dura tout le jour. Latendreffe pour fa mere & pour fa fian:ée, prifonnieres entre les mains da yran , embrafoit encore fa valeur laturelle. H s'expofa aux plus grands >érils, & remporra une viftoire complete. Crifpe fe rangea de fon eöté, |c combattit avec courage. Pendant 'aéhon , Bonofe ayant abandonné 'hocas , qui, tranfi de crainte, n'oait fortir de fon palais, mit le feu ux maifons voifuxes, & s'enfuit vess.  nu Bas-Empire. Liv. LF. 133 ie rivage, a deffein de fe donner a Héraclius. S'étant jetté dans une barque , 6c fe voyant environné des vaiffeaux de Domentiole, qui avoient reconnu fa trahifon , preffé de toutes parts, il fauta dans la mer, oü un des gardes de Phocas le tua d'un coup de piqué. Cette viftoire rompit les fers dont 1'Empire étoit accablé. Les fentiments de haine, que la erainte tenoit renfermés, éclaterent avec violence. La fa&ion Verte, fans attendre les formes ordinaires , ofa falues a grands cris Héraclius Empereur. Tout retentiffoit d'imprécations contre le tyran, d'éloges du libérateur; & chacun dans fon cceur pronon9oil 'contre Phocas la plus terrible fentence. Perfonne ne fe livra au fommeil pendant la nuit fuivantë. On attendit avec impatience ce jour mémorable, qui devoit éclairer le fupplice du tyran , 6c la naiffahce d'un regne plus heureux. Au lever du foleil, un Sénateur, nommé Photius, don! Phocas avoit déshonoré la femme. enflammé de vengeance , courut au palais avec le Patrice Probus, k la tête Phocas. Ann. 6ioa XXIV. Mort de Phocas.  Phocas. Ann, 610. I34 HlSTOIRE d'une troupe de foldats. La garde du Prince avoit, 011 péri dans le cornbat , ou pris la fuite. On fe faifit du tyran, on le dépouille de la pourpre; & après 1'avoir couvert d'une méchante cafaque noire, on le conduit au rivage, les mains liées derrière le dos. On le jette dans une barque, & on le donne en fpeftacle a tous les vaiffeaux rangés dans le port. II eft enfuite préfenté k Héraclius , qui le regardant avec un mépris mêlé d'indignation: Malheureux, lui dit-il, ejl-ce donc ainfi que tu as gouverné C Empire ? Gouverne-le mieux , répliqua Phocas. A cette parole , Héraclius s'emporta jufqu'a une violence qui n'honoroit pas fa vi&oire : ayant renverfé Phocas , il le foula aux pieds ; il lui fit couper les mains, les pieds, & les parties de fon corps qui avoient flétri 1'honneur de tant de families. Enfin, on lui trancha la tête fur le tillac du vaiffeau, a la vue d'un peuple innombrable qui bordoit le rivage. Sa tête & fes membres plantés fur des piqués , furent portés au travers de la ville, & le tronc, objet affreux des infulfes d'u-  du Bas-Empire. Liv. LV. 135 ne multitude impitoyable, fut traïné par les rues. On traïnoit derrière lui le complice de fes forfaits & de fes débauches, Léon le Syrien, fon Tréforier; celui-ci refpiroit encore , lorfqu'un homme du peuple 1'affomma d'un coup de baton. On maffacra Domentiole , ainfi que tous ceux qui tenoient au tyran par la parente ou par la'familiarité; & leurs corps furent réduits en cendres avec ceux de Phocas & de Bonofe. Phocas avoit régné fept ans, dix mois & neuf jours. Pendant que les flammes confumoient fon cadavre, Héraclius defcendit fur le rivage, au bruit des acclamations de tout le peuple. II étoit accompagné de Crifpe. qu'il preffoit du moins en apparence d'accepter la pourpre Impériale difant qu'il n'étoit pas venu pou; s'en revêtir, mais pour venger Man rice & fes enfants. Sur le refus di Crifpe, Héraclius fe laiffa conduin au pakis; & le Patriarche Sergius qui avoit fuccédé a Thomas dès 1 18 Avril de cette année, le cou ronna le lendemain feptieme d'Oc tobrc, avec Fabia, déja fiancée.,dot Phocas. Ann. 6ic» HÉR A- XXV. Couronnementd'Héraclius.Théoph. f. 1J0. , Cedr. p. ■ 407. Niceph. ■ C.P.p.4, '■ 5- , Chr- Ahx. ' Zon. t. II. > p. 82. ; Manajf. p. . 75- Hifi. mijl: • l. 18. I DuCange,  HÉRACLIUS. Ann. 61.0. fam. Byi. P- '17. 1*2. 136 HlSTOlRE le marlage fut en même-temps célebré. Elle prit Ie nom d'Eudocie. Le nouveau Prince, agé de trentecinqans, donnoit les plus heureufes efpérances. Né dans une familie guerriere, il defcendoit de eet Héraclius d'Edeffe, qui, fous le regne de Léon, avoit conquis la Tripoiitaine fur les Vandales. Son pere s'étoit rendu redoutable aux Perfes; & quoique les intrigues de Cour Feuffent exclus du commandement des armées , il avoit fouvent, par fon habileté & par fa valeur, réparé les fautes de fes Généraux. Le fils venoit lui-même de fignaler fon courage; & fon extérieur noble & majeftueux, quoique dans une taille médiocre , annon^oit a la fois de la vigueur & de Ia bonté: H panit d'abord au-deffus de tout fentiment de jaloufie & de défiance; II nomma Crifpe Général des troupes que 1'Empire oppofoit aux Perfes dans la Gappadoce. II recut avec joie Nicétas, fon coufin germain, lorfqu'il arriva avec fon armée; il 1'aima toujours comme fon frere; il lui fit ériger une "frame équeftre, il le confultoit fur toiites les affaires, &  nv Bas-Empire. Liv. LV. 137 fembloit partager avec lui la puiffance fouveraine. Trois jours après le couronnement d'Héraclius , pendant qu'on célébroit les jeux du Cirque, on y apportala tête de Léonce, Controleur du fifc, & un des Miniftres du tyran ; elle fut bmlée auflitöt, & 1'on jetta dans le même bücher une image de Phocas. Cette image avoit été peu d'années atiparavant, promenée dans ce même Cirque par des Sénateurs vêtus de ro bes blanches , & portant des Hambeaux ; elle avoit été recue par cett« même affemblée, avec une fbrte d'adoration, On brüla auffi Pétendard d« la faction Bleue, qui s'étoit livré< a Phocas, dans le temps qu'il n'é toit plus pour tout TEmpire qu'iu objet de mépris & d'horreur. HÉRACLIUS. Ann. 610. t   139 SOMM AIRE D V LIVRE CINQUANTE-SIXIEME. I. WIaüVAIS état de 1'Empire en Oriënt, li. Etat de l'Occidenl. III. Naiffance JEpiphanie. IV. Naiffance du jeune Héraclius, & mort SEudocie. V. Jujle punition de Vitulin. VI. Confpiration des Juifs a Tyr. vil. Les Romains dépouillés d'une partie de ce quils poffédoient encore en Efpagne. VIII. Second mariage a*Héraclius. IX. Les PerfesprennentJérufalem. X. Charité de Saint Jean l'Aumönier. XI. Ravage de tEgypte. XII. Ambaffade £ Héraclius a Chofroës. XIIÏ. Troubles en Italië. XIV. Diftributions de pain abolies a Conftantinople. XV. L'Empereur veut fe retirer en Afrique. XVI. Converfion d'un Prince de la nation des Huns. XVII. Perfidie des Abares. XVIIT» Paix avec les Abares. XIX. Elabliffement des Croates. XX. & des Serves. XXI. Embarras d'Héraclius. XXII. Héraclius fe  '14O SOMMAIRE DU LlV. LVH. prépare a marcher contre les Perfes, XXIII. Commencement de ühifoire des Mufulmans. XXIV. Origine de Mahomet. XXV» Etat de la Mecque, lorfque Mahomet s'érigea en Prophete. XXVI. Religion de la Mecque. xxvil. Jeuneffe de Mahomet* XXVIII. Doublé projet de Mahomet. XXIX. llprépare les efprits. xxx. Ilpréche fa Religion. XXXI. ÜAlcoran. XXXII. Sur les miracles de Mahomet. XXXIII. Hègire. XXXIV. Succes de Mahomet. XXXV. Conquite de VArabie. XXXVI. Mahomet rebuté par Chofroës. XXXvil. 11 traite avec Héraclius. xxxvill. Première guerre des Mufulmans contre VEmpire. XXXIX. Rëcit différent des Auteurs Grecs. XL. Dêfertion d'un grand nombred''Arabes qui fe joignent a Mahomet. XLi. Autre expédition de Mahomet. XLII. Pr&grès du Mahométifme*  HISTOIRE D U BASEMPIRE. L1VRE C1NQUANTE-SIX1EME. HÉRACLIUS. Héraclius, a fon avénement ! a la couronne, trouvoit 1'Empire dans un état déplorable. Depuis huit ans, un foldat brutal St^féroce le gouvernoit comme il 1'avoit acquis , par la violence & par le maffacre. Plongé dans les plus infames débauches, baigné dans le fang de 141 HÉRACLIUS. fVnn. 611. i. Mauvais état de L'ïLmpire en Orient.  HÉRA- ( CL1US. Ann. 611. Theoph. p. Cedr. p. 407. Zon. t. II. p. 82. Hifi. mifi. U 18. \\ï IJlSTOIRE es fujets , il fembloit ne connoitre d'autre ufage de la puiffance fouveraine , que la licence, ni d'autre privilege que Pimpunité. L'exemple du Prince avoit achevé de corrompre les tnceurs, qui dégénéroient depuis longremps. Plus de courage , plus de fentiments d'honneur, plus de patrie. Les armées qui comptoient autant de défaites que de combats, ne fayoient plus que fuir. Ces guerriers rebelles, qui, après avoir tant de fois yaincu fous les étendards de Mauri:e, 1'avoient indignement trahi, pourfuivis par la vengeance du Ciel, tomaoient de toutes parts fous 1'épée des Perfes; & lorfque le nouvel Empereur en fit faire le dénombrement, II ne fe trouva que deux foldats de ceux qui avoient fervi fous Maurice. L'Orient ravage depuis le Tigre, lufqu'au Bofphore , pleuroit la ruine de fes villes, & la captivité de fes habitants. Au mois de Mai de cette année 611, les Perfes prirent Edeffe. Ayant enfuite paffé 1'Euphrate , ils s'emparerent d'Apamée, & porterent le ravage jufqu'aux portes d'Antioche. Une armée Romaine qui fe  du Bas-Empire. Liv. LVI. 143 rencontra fur leur paffage , fut en- ! tiérement taillée en pieces. Les Provinces que 1'Empire confervoit encore en Occident, ne jouiffoit pas d'un meilleur fort. La Thrace, la Méïie , 1'Illyrie, la Grece, étoient en grande partie dépeupléespar les courfes des Abares, des Bulgares , des Efclavons. L'avarice des Exarques fembloit travailler de concert avec les barbares a ruiner l'Italie. Réduits a la néceflité d'acheter tous les ans la paix avec Agilulf, ils n'étoient armés que contre les fujets de 1'Empire , employant plus d'exafteurs pour les piller, que de foldats pour les défendre. Tandis que les Abares défoloient le Frioul oü ils maffacroient les Lombards, les Efclavons ravageoient 1'Iftrie qui appartenoit encore a l'Empereur. Ik y battirent cette année un corps de troupes Romaines. Héraclius, dès le commencement de fon regne, rappella 1'Exarque Smaragde , créature de Phocas. Jean Lémigius qu'il lui fubftitua, fe rendit encore plus odieux. Après cinq années d'une infupportable tyrannie, les habitants de Ra- HÉRACLIUS. inn. 611.' II. Etat de 'Occilent.Fredeg, c. 59. Paul. iiae. I. 4. c.33, 41. Rubens , hifi. Ravenn. I, 4, Murat. annal. hal. t. IV. p. 13 ' 27Giann.hifi. Nap. I. 4. c. 4.  HÉR.AClIUS, Ann. 611. III. Naiffance d'Epiphanie. Chr. Alex. Theoph. p. 250. Zon. t. li. p. 82. Du Cangc, fam. By{. p. 11S. Pagi ad Bar. Ann. 612. IV. Naiffance du jeune Héraclius , & mortd'Eudocie.Nkcph, p. 144 HlSTOIRE venne prirent les armes, le fbrcerent dans fon palais, & le maffacrerent avec fa femme & les magiftrats qu'il avoit amenés de Conftantinople. Héraclius avoit époufé Eudocie le 7 Ocl;obre de Pannée précédente, le même jour qu'il fut couronné. Au bout de neuf mois accomplis, le 7 Juillet 611, il lui naquit une fille, qui fut nommée Epiphanie-Eudocie: c'étoient les norhs de fon aïeule maternelle & de fa mere. Elle recut le titre d'Augufte le 4 Oétobre de 1'année fuivante. Dans la fuite , elle fut promife a Ziébel, chef des Khozars. Mais ce Prinee étant mort dans le temps même qu'on la conduifoit en fon pays , elle époufa Nicétas , coufin germain de l'Empereur. II y eut le io Avrila Conftantinople un grand tremblement de terre. Le 3 Mai 611, Eudocie accoucha d'un fils qui fut nommé HéracliusConftantin. Son pere le fit couronner Empereur dès le xz Janvier fuivant; & avant que ce jeune Prince eut un an accompli, il lui fian^a Grégoria, fille de Nicétas. Le mariage ne fe fit que feize ans après : mais Héraclius s'empreffoit  du ëas-Empiae. Lh. LVI. 145 s'empreffoit dès - lors , Sc continua dans la fiiite , de refferrer de plus en plus par des alliances, les Hens de parente avec Nicétas, qui pouvoit ïeul lui donner de Pombrage. Eudocie ne furvéquit que trois mois k la naiffance de fon fils. Elle mourut d'épilepfie le 1 3 Aoüt. Un accident de la plus légere conféquence , arrivé dans fes funérailles , ne mériteroit aucune place dans 1'hiftoire, fi FéA vénement tragique dont il fut fuivi , ne contribuoit k faire connoitre les mceurs de ce fiecle. Pendant que la pompe funebre traverfoit la ville dans le plus magnifique appareil, une pauvre fervante qui regardoit d'une fenêtre, cracha par mégarde fur les étoffes précieufes qui couvroient le cercueil. On faifit auffitöt cette fille, ön la condamne au feu. L'exécution n'eft différée, que de peur d'interrompre la cérémonie, Sc le peuple court de la fépulture au bücher de cette malheureufe vidfime. Comme fi cette horrible punition ne fuffifoit pas encore, on cherche la maïtreffe pour lui faire fubir le même fupplice. Elle avoit eu le bonTome XII. G HÉRACLIUS. Ann. 612. 5,6,7, 15. & ibi Petav. Theopk. p. 251. Cedr. pi 407. Ckr. AUxi Manajf. p, 75- Zon. totn. H. p. 82. Da Cange fatn, Byr. pag. 118 , 119. Pagi ai Bar.  HÉRACLIUS. Ann. 612. V. Jufte punition de Vitulin. I46 HlSTOIRE heur de fe dérober a la fureur du peuple, &c elle ne reparut plus a Conftantinople : tant le mélange des barbares avoit altéré Phumanité Romaine. Peu de temps après, une violence criminelle fut punie d'un chatiment plus jufte a la vérité, mais dont 1'exécution fut peu conforme aux loix. Vitulin , Officier de la garde, riche, hautain & fier de fon emploi, avoit une maifon de campagne aux environs de Conftantinople. Son voifinage incommodoit fort une veuve, a laquelle il fufcitoit des chicanes continuelles. Pour abréger les procédures , il jugea k propos d'envoyer fes efclaves fe mettre en poffeffion d'un champ contefté. II y eut un cornbat, & les gens de Vitulin tuerent k coups de baton , un des fils de cette veuve. La mere défefpérée , court a Conftantinople avec la robe fanglante de fon fils; & fe jettant au-devant de l'Empereur qui traverfbit la ville , elle faifit la bride de fon cheval, &C lui portant cette robe fous les yeux : Prince, s'écria-t-elle , puiffe-t-il en arriver autant d vos fils, Ji vous refufei  du Bas-Empirr. Liv. LVI. 147 de venger, felon les loix , le fang que je vous préfente. Comme les foldats de la garde la repouffoient brufquement, l'Empereur leur défendit de la maltraiter : Et vous , lui dit - il, naye^plus la hardieffe de ni'aborder ainji, je vous ferai jujlice. Cette femme fe croyant méprifée, fe retira en pleurant & faifant des plaintes ameres. Quelques jours après, on célebroit les jeux du Cirque. Vitulin , perfuadé que le Prince avoit oublié fon crime , vint prendre fa part du divertiffement public. Mais Héraclius 1'ayant démêlé dans la foule des fpectateurs, le fit conduire en prifon, Le fpe&acle terminé, il mande la veuve, écoute fa plainte, & le coupable étant convaincu, il le livre aux autres fils de cette femme, avec ordre de 1'affommer a coups de baton, comme il avoit fait périr leur frere : fentence qui tient de la barbarie. C'eft punir les offenfés, que de les charger de la fonöion de bourreaux. Cette année, les Perfes, fous la conduite de Razatès, s'avancerent jufqu'a Célarée en Cappadoce ; ils s'emparerent de la ville, délolerent les campagnes, ÖC G ij HÉRACLIUS. Ann. 6 ii.  HÉRACLIUS. Ann. 613. VI. Confpiration des Juifs a Tyr. Theoph, p. aji. Cedr. p. 40S. Hifi. mifc. I. iS. Pagi ad 'Bar. Hottinger , hifi. Oriënt. I. I. e. 3. I48 IJlSTOIRE emmenerent avec eux un nombre infini de prifonniers. Dès le commencement de 1'année fuivante, ils repafferent 1'Euphrate, & vinrent encore ravager la Syrië. En même-temps, une troupe de Sarrafins fe jetta dans la même Province, du cöté de 1'Arabie. Les garnifons Romaines renfermées dans les forterefles , n'ofant tenir la campagne après tant de défaites, laiffoient 1'ennemi courir impunément. Les Juifs crurent Poccafion favorable pour fe fouftraire au joug de 1'Empire. Le bruit s'étoit répandu parmi eux, qu'Héraclius, adonné a Paftrologie, avoit été averti, que la puiffance Romaine feroit détruite par un peuple cïrconcis. Les Sarafins furent bien, dans la fuite, profiter de cette prophétie prétendue; mais alors les Juifs s'imaginerent qu'elle les regardoit, & que le temps étoit venu de rétablir le Royaume d'Ifraël. Le commerce en avoit attiré quarante mille dans la ville de Tyr ; ils confpirerent enfemble, & envoyerent en diligence des courriers fecrets dans 1'ifle de Cypre, a Damas, k Jérufalem, & dans  nu Bas-Empire. Liv. LVI. 149 toute la Judée , pour inviter ceux de leur nation a fe rendre la nuit de Paques aux portes de Tyr. Ils promettoient de leur ouvrir les portes ; & après avoir maffacré les Chrétiens, qui ne pafToient pas le nombre de vingt mille, ils devoient aller enfemble en faire autant k Jérufalem. Mais 1'Evêque de Tyr ayant eu avis de ce deffein perfide , les principaux habitants firent prendre les armes aux Chrétiens pendant la nuit, ik les partagerent fans bruit dans les différents quartiers. On furprit les Juifs dans leurs Hts; Sc après les avoir enchainés, on les enferma dans des cachots. On tint les portes de la ville fermées , les murs furent garnis de machines de guerrre, & tout fut préparé pour une vigoureufe défenfe. La nuit d'avant Paques , une incroyable multitude de Juifs arriva devant Tyr. On les falua d'une décharge de toutes les machines, k laquelle ils ne s'attendoient pas, & qui en abbattit un grand nombre. Voyant le complot découvert , ils tournerent leur colere fur les Eglifes du dehors, qu'iis s'emprefferent de brider ou G iij HÉRACLIUS. Ann. 613  HÉRACLIUS. Ann. 613. Ann 614. VII. Les Romainsfont dépouillésd'une partie de ce qu'iis poffédoienten Efpagne. Ifid. chr. Got. Append. ad Greg. Turen. Aimoin. I. 4- c. 13 , ai. I^O BlSTOl&E d'abattre. Mais pour chaque Eglife qu'iis ruinoient, les habitants faifant monter fur la muraille cent Juifs qu'iis tiroient des cachots, les décapitoient a la vue des afïiégeants, 6c jettoient les têtes au milieu d'eux,par le moyen des machines. II y en eut deux mille qui furent ainfi exécutés. Enfin, cette multitude confufe, effrayée d'un fi affreux fpeétacle tant de fois répété, prit la fuite en défordre, 6c les Tyriens fortant fur eux, en firent un grand carnage. Cette entreprife des Juifs les rendit fi odieux a l'Empereur , qu'il réfolut d'exterminer cette nation infidele. A 1'exemple de Phocas, il employa la contrainte pour les faire baptifer; & non content de les perfécuter dans les Provinces de 1'Empire , il mit tout en oeuvre pour animer contr'eux les autres Princes. Sifebut régnoit depuis deux ans avec gloire fur les Vifigoths. Après avoir appaifé les troubles de fes Etats, il concut le deffein de chafïer entiérement d'Efpagne, ce qui refloit encore de Romains dans 1'Andaloufie. II gagna fur eux deux batailles, 6c  nu Bjs-Empire. Liv. LFI. 151 leur enleva prefque toutes leurs places; en forte qu'iis ne confervoient plus qu'un coin de terre vers \e promontoire facré, a 1'extrêmite de la Lufitanie. II paffa même le detroit, & fe rendit maitre de Tanger, place importante, & qu'on pouvoit regarder comme la clef de la Mauritanië Tingitane. Redoutable par fes viöoires, il fe fit aimer par fa clemence. II racheta des mains de iei foldats , les prifonniers Romains, & leur rendit la liberté. Le Patnee Cé faire qui commandoit pour l'Empir< en ce pays, hors d'état de réfifter ; ce Prince belliqueux, & charmé d fa générofité, entra en négociatioi avec lui. On convint de laiffer au Romains cette partie de la Lufitanie qu'on nomme aujourd'hui le Royau me d'Algarve. Pour affurer ce trai té, Sifebut envoya des Ambaffadeui a Héraclius. L'Empereur prit cetl occafion de fe venger des Juifs. les repréfenta au Roi par fes Arr baffadeurs, comme une nationenm mie irréconciliable de tous les pei pies Chrétiens , & 1'exhorta k les ba: nir de fes Etats. Sifebut fuivit ce Co G iv HÉRACLIUS. Ann. 614. Aio chr, Mariana hifi. Efp. I. 6. c 3 Pagi ai Sar. I 1 » s e H 11ï-  152 HlSTOIRE HÉax- CLIUS. Ann. 614. VUL Second rnariage d'Héra- clius. Theoph. p. 2JI. Cedr. p. 408. Zon. t. II. p. 82. Manajf. p. 75- Niceph. p. 10, II , 15. „.„:• r\(t A moi maintenanta de- I Ml tu-l i."-" ) --J- — _ , cider fi je dois déférer a vos avis. II ny déférapas 5 Sergïus fut lui-même obhgé de célébrer le rnariage, & de mettre la couronne fur la tête de la nouvelle Impératrice. La fadion Verte , felon la licence de ces temps-la, fit publiquement la cenfure de cette alliance, au milieu des jeux du Cirque , par des cris peu refpeftueux. Ce qui acheva de perfuader au peuple, que le Gel n'approuvoit pas cette union, c'eft que des deux premiers enfants qui naquirent de Martine , 1'un nommé Flaviiu ou Fabius Conftantin , vint au monde avec les vertebres du cou tellement difloquées. qu'il ne pouvoit tourner la tête. Ce défaut n'empêcha pas fon pere de lu donner deux ans après le titre de Cé far ; mais il mourut dans 1'enfance Le fecond fils , nommé Théodofe naquit entiérement fourd ; il vécu plus long-temps, & époufa Nice, un des filles de Nicétas. 11 mourut avar fon pere. Pendant qu'Héraclius r s'occupoit que de fes plaifirs , Rom zanès , Général des Perfes,, pluscoi G v  HÊRACtlUS. Ann. 6.1 j. IX. LesPeries prennent Jérufalem. Pficeph. p, II. & ibi Petav. Chr. AU». Cedr. p. 408. Zon. torn. II. p. 83. Theoph. p. Baronius. Pagi ad Bar. BUury , Hifi. Eed. I. 37- art. JO, II, Voyagci de Chardin, t. II. p. 319. Ajjemani , ' Hb. Or. t. I < 1 1 154 H I S T 0 1 R £ nu fous le nom de Sarbar, c'efï-adire, le Sanglier, prit & faceagea Ia vil e de Damas y d'oü il emmena en eiclavage un grand nombre d'habitants. Mais I'année fuivante fut encore plus funefte. Une multitude innombrable de Perfes, fous la conduite de Sarbar ,, vint comme un torrent rayager la PalefHne. La Galilée, & les nves du Jourdain , dans toute 1'étendue de fon cours , furent couvertes de ruines. Les habitants des campagnes avoient pris la fuite ; mais quarante-quatre pauvres folitaires , que la vieilleffe Sc le mépris de la vie avoient retenus dans la laure de Saint Sabas, fouffrirent d'abord les plus horribles tortures de la part des foldats Perfes, qui vouloient les forcer ^ découvrir leurs tréfors y Sc furent ;nfuite cruellement maffacrés. Huit ours après , au mois de Juin , Sarsar marcha vers Jérufalem ; il y enTa comme dans une place de la Pere. Toutes les garnifons avoient abanlonné les villes , Sc la terreur généale n'oppofoit aucune réfiflance. Les labitants, hormnes, fem mes,enfants,  du Bas-Empire. Liv. LF1. 155 furent chargés de fers, pour être traïnés au-dela du Tigre. Mais les Juifs, que Sarbar épargnoit , triomphants du défafire des Chrétiens leurs compatriotes , & poffiédés d'une rage meurtriere , rachetoient tous ceux dont ils pouvoient payer la rancon , pour fe donner le cruel plaifir de leur arracher la vie. On dit qu'iis en maffacrerent ainfi quatre-vingt mille. L'Evêque Zacharie fut emmené en captivité. Mais la perte la plus fenfible aux Chrétiens , fut celle de la croix'tqne chacun deux auroit vouiu racheter au prix de fa propre vie. Sarbar 1'emporta , enfermée dans un étui fcellé du fceau de 1'Evêque. Le faint Sépulchre & les Eglifes furent la proie des flammes. Les Perfes enleverent les vafes facrés, & toute: les richeffes que la piété des fidele; avoit accumulées dans ces faints lieux On fauva 1'éponge qui avoit été pré fentée a Jefus-Chrift fur la croix, & la lance dont fon cöté avoit été per cé. Nicétas retira ces deux faintes re liquesdes mains d'un Officier Perfe moyennant un grande fomme d'ai gent, & les fit porter a Conftant. G vj HÉRACLIUS. \.tm, 61;. »  Eéracuus.Ann. 615. X. Charité de Saint Jean 1'Aumonier. 1 1 i t 1 < 1 2*5$' HlSTOIRE nople , ou elles furent expofées pendant quatre jours a Ta vénération des fideJes, qui les baignoient de leurs larmes. On montre encorea Tauris, nornmée alors Ganzac , dans 1'Aderbigian , les ruines d'un chateau , oir les Arméniens difent que Chofroës mit la fainte croix en dépot. Les Perfes qui faifoient la guerre en brigands, fans garder leurs conquêtes s'en retournerent chargés des dépouilles de Jérufalem, dont la partie la moins riche, étoit la plus précieufe aux yeux des Chrétiens. Lorfque les Perfes furent retirés > les_ habitants qui avoient pu fe fouftraire par lafuite, aux Perfes & aux glaives des Juifs , revinrent dans la fainte Cité. Modefie , Abbé du monaftere de Saint-Théodore , prit le gouvernement de l'Eglife , en 1'abfence le Zacharie ; il travailla auffi-töt a •établir les lieux faints. Dans cette fieufe entreprife, il recut de grands ëcours de Jean, furnommé 1'Aumölier , Patriarche d'Alexandrie. C'éoit dans cette capitale de 1'Egypte [ue s'étoient réfugiés en grand nom•re, les habitants de Ia Paleftine. Le  nu Bas-Empire. Lm. LVI. 157 faint Prélat les recut avec une tenclrefle paternelle : il les logea dans des höpitaux , oü il alloit lui-même panfer leurs bleflures,. efluyer leurs larmes, leur diftribuer la fubfiftance. Sa charité inépuifable fuftifoit a tout. II envoya un perfonnage pieux r nommé Ctéfippe, pour porter de 1'argent , du bied, des vêtements a Jérufalem. II 'mit de grandes fommes entre les mains de Théodore , Evêque d'Amathonte, de Grégoire, Evêque de Rhinocolure , &"de 1'Abbé Anaftafe, qui s'expoferent généreufement a tous les dangers, pour courir après les Perfes, & racheter autant qu'iis pourroient de prifonniers, L'année fuivante, Alexandrie eul befoin pour elle-même des fecours qu'elle venoit de fournir k la Paleftine. Les Perfes pénétrerent en Egypte , prirent & pillerent Alexandrie, & poufferent leurs ravages jufqu'am frontieres d'Ethiopie. Pendant ce temps-la, Saës,a la tête d'un autre armée , aftiégeoit Chalcédoine. Poui éviter la confufion que peuvent ap porter dans cette hiftoire, les nom; des divers Généraux Perfes employé; HÉRACLIUS. Ann, 61 js. Ann. 616» XI. Ravage de 1'Egypte. Théoph. pr 2J2. Ceir. p> 40S. Niceph. • p. 7. & ibï' Pctav. AJfemani bib. Or. t» ///,  HÉRACLIUS. Ann. 616. XII, Aiftbaffade d'Héraclius a Chofroës. Theoph. p. 2J2. Cedr, p. 158 H 1 S T 0 I R E par Chofroës , il eft bon de les diftinguer. On en voit cinq dans cette guerre, tous Capitaines expérimentés, tandis qu'Héraclius n'en avoit pas un feul a leur oppofer. Comme quelques-uns d'entr'eux portent plufieurs noms, le même Général fe trouve diverfement nommé par les différents Auteurs ; ce qui pourroit le faire méconnoitre. Nous avons déja parlé de Razatès & de Romizanès : celui-ci eft le même que Rafmizès, furnommé Sarbar, Sarbarazas, Sarbanazas , & aufli Schariar. Nous ferons mention dans la fuite de Sarablagas , ou Sarablancas , qui fit la guerre en Albanië. Nous verrons Saïs ou Sathis, nommé aufii Saïn, mourir de douleur d'avoir été vaincu par les Romains. II ne faut pas le confondre avec Saës, dont nous parions aétuellement, & qui affiégeoit Chalcédoine. La prife de cette ville devoit mettre la capitale de 1'Empire dans le plus extréme danger, fi les Perfes prenoient le parti de s'y établir. Tout étoit en allarme dans Conftantinople, d'oü 1'on voyoit 1'ennemi, le fer  nu Das-Empire. Liv. LVL 159 & la flamme a la main, voler fur le 1 bord du Bofphore, 6c mettre a feu 6c a fang cette riche contrée. Héraclius , trop foible pour hafarder une bataille, entreprit de corrompre Saës, il lui envoya des préfents ; 6c Saës, feignant d'être fenfible k ces avances généreufes, invita l'Empereur a conférer avec lui. Héraclius accepta la propofition , 6c monta dans une barque , fuivi de toute fa Cour, pour impofer aux Perfes par 1'éclat de fon cortege. Lorfqu'il fe fut arrêté k quelque diftance du rivage , Saës s'avancant fur le bord, fe profterna devant lui, comme les Perfes étoient en ufage de faire devant leur Souverain. Enfuite élevant fa voix, il s'étendit fur les avantages mutuels que la paix 6c la concorde procureroient aux deux Empires, 6c fur les malheurs d'une guerre fi funefte aux Romains. II protefta avec ferment, que tout fon defir étoit de réconcilier les deux nations. Héraclius témoigna qu'il y étoit lui-même très-difpofé ; mais que pour conclure un traité , ii étoit néceffaire de s'affurer des intentions de Chofroës. J'en fuis garant, héraclius. Vnn. 616. (.08,410, «.ii. Niceph. 7- Chr. Alex Zon. t. II, v. 82. Glycas , pi 276. Hifi. mifc. I. 18. Pagi ad Bar. A/femani , bib. Or. t. III.  HÉRACLIUS. Ann. 616. ; j lub H I S T O I R £ répliqua Saës ; fakes partir avec moi vos Ambajfadeurs ; je leur promets mes bons offices auprès de mon maitre , & je vous riponds d'une paix fincere & durable. L'Empereur, charmé de eet entretien , retourne k Conftantinople. Le Patriarche & le Sénat font d'avis de profiter d'une ouverture fi favorable. On nomma auflï-töt pour Ambafladeurs, Olympius, Préfet du prétoire ; Léonce , Préfet de la ville , 6C Anaftafe , Econome de l'Eglife de Sainte-Sophie. Saës , qui n'efpéroit pas prendre Chalcédoine cette année , paree que la failbn étoit trop avancée , laiffe devant cette ville une partie de fes troupes , pour la tenir bloquée pendant 1'hyver, & part avec le refte, accompagné des plénipotentiaires. On les traita avec beau:oup d'honneur, tant qu'iis furent fur ïes terres de 1'Empire. Mais dès qu'iis eurent le pied dans la Perfe, Saës les fit charger de chaines, & les conJuifit k Chofroës comme des prifonliers. II comptoit que fon maitre lui au rok gré de cette perfidie, & Ghof-oës étoit de caraftere a y applaudir. vlais ce Prince fier & intraitable,  du Bas-Empire. Liv. LFI. 161 n'eut pas plutöt appris 1'entreyue de Saës , & les honneurs qu'il avoit rendus a l'Empereur, que jettant fur lui des regards furieux : Miférabk, dit-il, tu as donc renonce ton Seigneur, en proftltuant a un étranger l'adoration que tu ne dois qu'd moi ? c'étoit eet Héraclius qu'il falloit prendre , & mamener pieds & poings lies. En même-temps il ordonne cle 1'écorcher vif, & de faire un outre de fa peau. Se tournant enfuite vers les Ambaffadeurs : J'épargnerai les Romains , leur dit-il, quand ils aurora abjuréleur Crucifié, pour adorer le fokil; & fur le champ, il commande de les enfermer dans des cachots, & de les traiter avec rigueur. Léonce y mourut de maladie. Les deux autres furent affommés a coups de batons a la première nouvelle que Chofroës recut fix ans après de Pentrée d'Héraclius en Perfe. Ce monftre d'ingratitude , ennemi mortel des Romains , auxquels il devoit fa couronne , avoit aufïi oublié , qu'autrefois dans 1'extrémité de Tinfortune , il n'avoit trouvé des fecours que dans le Dieu de Maurice , qu'il outrageoit par fes blafphêmes. Je ne HÉRACLIUS. A.nn. 616^  HÉRACLIUS. Ann, 616, Ann. 617, XIII. TrouMes en Italië. Théoph. p. ajï. Ccd. p. 410. Anaft. in Deus-dedit & in Bonif. V. Paul diac. l-4-c- 35, 43Rubsus , IÖ2 Hl S T 0 I R E tiens ici aucun compte d'une lettre que la chronique d'Alexandrie fup. pofe avoir été mife par le Sénat entre les mains des Ambaffadeurs, pour être rendue a Chofroës. On y demande grace a ce Prince dans les termes les plus foumis; & il n'eft nullement vraifemblable , ni que le Sénat ait eu la lacheté , ni qu'Héraclius ait permis d'avilir par tant de baffeffe la majefté de 1'Empire. J'ai réuni dans ce récit ce que plufieurs Hiftoriens ont partagé en trois ambaffades : felon un habile critique , Héraclius n'envoya jamais qu'une ambaffade a Chofroës. Sarbar acheva le ftege de Chalcédoine , & les Perfes, après avoirpille la ville, Pabandonnerent felon leur coutume. Pendant ces ravages de l'Orient, l'Italie auroit pu jouir du repos. Agilulf, dont la valeur étoit tempérée par la prudence, préféroit a la gloire des armes, le bonheur de fes fujets. Ce Prince fage & réglé dans fes mceurs, défërant aux falutaires . confeils de fa femme , la vertueufe Théodelinde, fut le premier Roi Lombard qui embraffa la religion Catho-  du Bas-Empire. Liv. LVL 163 lique. Sa mort arrivée en 615, -n'apporta aucun changement aux affaires. Théodelinde prit la tutelle de fon fils Adoloald, qui n'avoit que treize ans; & fuivant 1'exemple de fon mari, elle continua de vivre en paix avec 1'Empire. Mais faute d'ennemis étrangers, les Romains d'ltalie fe déchiroient eux-mêmes par des féditions & des révoltes. Les habitants de Ravenne s'étant foulevés contre Lémigius, & 1'ayant maffacré, l'eunuque Eieuthere, Patrice & Chambellan de l'Empereur , envoyé pour lui fuccéder, fit le procés aux meurtriers , dont un grand nombre furent punis de mort. A peine le calme étoitil rétabli dans Ravenne, qu'une autre révolte appella'Eieuthere en Campanie. Jean de Compfa , homme puiffant & ambitieux , avoit profité^ de ces troubles pour fe rendre maitre de Naples. Eieuthere forca la ville , la réduifit a 1'obéifTance , & revint a Ravenne. Jean de Compfa fut tué en combattant. Peu de temps après . 1'an 619, Eieuthere lui-même regardant l'Italie comme un membre dé taché de 1'Empire , auquel elle ne te HÉRACLIUS. inn. 617. üfl. Ratenn. Sigon. de 'eg. hal. I 2. Peregrin, de finib. Eenev, p. 33- Murat. ann. hal. t. ll.p.%%, 35 . 37 , 38, 40. Giann. Hifi. Nap. I. 4- *■ Pagi ad Bar.  HÉRACLIUS. Ann. 617. Ann. 618. xrv. Diflributions de 1 pain abo- 1 lies a Conftanti- ' nople. 1 Niceph, p, | 9- 1C4 H I S T O I R E noit plus que par les Exarques, entreprit de s'ériger en Souverain. Dans ce deffein, il prit la route de Rome a la tête d'une armée. Mais fes foldats , plutöt par mépris pour fa perfonne , que par attachement a 1'Empire, fe révolterent contre lui en Ombrie , dans un lieu nommé Lucéoles, prés de Cantiano , le tuerent, & envoyerent fa tête k Conftantinople. L'Empereur lui donna pour fucceffeur, Ifac, né en Arménie d'une familie illuftre, qui tint 1'Exarcbat pendant dix-huit ans. Pour achever de défoler l'Italie , k la méchanceté des hommes , fe joignirent de furieux tremblements de terre , qui furent fuivis d'un autre fléau. C'étoit une lepre inconnue jufqu'alors , qui dura plufieurs années , & qui fit périr une multitude d'habitants. La contagion s'étendit jufqu'en rhrace ; & comme Pirruption des 3erfes en Egypte n'avoit pas permis Penfemenfer les terres , les convois le bied qui venoient d'Alexandrie, lyant manqué cette année 618, Confantinople fe vit réduite k une exrême difette. II fallut acheter du bied  nu Bjs-Empire. Liv. LP7. \6$ k grands fraix ; & le tréfor public étant épuifé , on fut obligé d'impofer une taxe toujours onéreuie , mais plus infupportable encore dans un temps de calamité. Conftantin , pour attirer dans fa nouvelle ville un plus grand nombre d'habitants , avoit établi des diftributions de pain, qui fe faifoient gratuitement toutes les femaines a ceux qui venoient batir a Conftantinople. Cesgratifications paffoient k leurs defcendants, tant qu'iis confervoient la maifon qui faifoit leur titre. Elles s'ëtendoient encore aux Officiers du palais, & aux foldats de la garde. Chaque chef de familie recevoit un certain nombre de pains , k proportion de fa dignité; & du nombre de fes enfants; & c tte libéralité fut augmentée par Théo' dofe le Grand. Dans le défordre oi fe trouvoient les finances , Héracliu ne trouva d'autre moyen de fourni a cette dépenfe, qu'en faifant paye une fomme d'argent k ceux qui vou droient conferver ce droit. II exi gea trois pieces d'or une fois payées c'étoit environ quarante francs d notre monnoie, pour chaque pai; HÉRACLIUS. Ann. 618. Chr. AUx. Godtfr. pa* ratitl. ad lib. 17. Cod. Theod. Du Cange, Comt. Chrifi. I. 2. e. 12. Pagi ad Bar. L r >  HÉRACLIUS. Ann. 618 XV. L'Empereur veui fe retirei en Afrique. 166 HlSTQIRE qu'on avoit coutume de recevoir. Ce qu'il y eut de plus facheux , c'eft que peu de temps après, ces fommes étant épuifées ou diflipées par une mauvaife économie , il fallut fupprimer une grande partie de ces diftributions, quoiqu'elles euffent été payées d'avance : forte de banqueroute, qui ne manqua pas d'exciter de juftes murmures. II n'en auroit pas fallu davantage pour foulever cette grande ville, 6c pour faire perdre la couronne a tout autre qu'Héraclius. Mais ce Prince étoit chéri de fes fujets; on comparoit fa bonté 6c fon humanité naturelle avec latyrannie récente de Phocas. II étoit lui-même plus inconfolable que fon peuple; 6c dans 1'excès de fon chagrin, il fut tenté de quitter fa capitale , & de fe retirer en Afrique. Ce projet étoit même fi avancé , qu'il fit embarquer ce qu'il avoit de plus précieux, avec ordre aux pilotes de faire voile vers Carthage. Ce fut encore une nouvelle perte. La flotte étoit en mer, 6c déja a la vue de cötes d'Afrique , lorfqu'une violente tempête fit périr la plu-  nu Bas-Empire. Liv. LVL 167 part des vaiffeaux, ou les brifa contre les rivages. Dès que la rélblution du Prince fut connue a Conftantinople, elle y répandit la confternation. On vit en un moment accourir une foule innombrable d'habitants, qui, affiégeant les portes du palais, levant les bras vers les fenêtres , conjuroient l'Empereur avec larmes , &c par des cris lamentables, de ne les pas abandonner. Les plus impétueux menacoient d'ufer de violence pour le retenir : rien ne reffembloit mieux a. une fédition, que cette forte d'émeute , excitée par 1'amour de leur Prince, & par la crainte de le perdre. Au milieu de ces clameurs tumultueufes, le Patriarche fait fortir le Prince, &c le conduit au travers des fupplications & des gémiffements du peuple, a l'Eglife de Sainte-Sophie Arrivé dans ce faint lieu , il impofe fdence a. cette multitude, & obligf l'Empereur de jurer hautement k !•; face des autels , qu'il n'abandonner; pas fa ville Impériale. Ce fermen qu'Héraclius ne prêtoit que malgr lui, fut fuivi de cris de joie; &c 111 jour d'allarmes fe termina par les fi HÉRACLIUS- Ann. 618. L l t 1  HÉRACLIUS. Ann. 618. XVI. Converfion d'un Prince de la nation des Huns. Ann. 619. XVII. Perfidie des Abares. Niceph. p. 9 , 10. Theoph, p. 252. Cedr. p. 408. Chr. AUx. Zon. t. II. p. 82. Hifi. mifi. I. 18. S I6S HlSTOIRE gnes_ les plus éclatants de 1 allégrelTe publique. Cette même année, ou la fuivante , un Prince de la nation des Huns vint avec un grand cortege a Conftantinople , demander le biptême. L'Empereur fut Ion parrein. Les Seigneurs & les Dames de la Cour firent le même honneur aux autres Huns Sc a. leurs femmes. Le chef fut décoré de la dignité de Patrice ; &l tous retournerent clans leur pays avec de riches préfents & des titres honorables. Depuis dix-huit ans , les Abares demeuroient dans une inacïlon peu conforme k leur caraéfere turbulent Sc féroce. Cinq batailles perdues dans le cours d'une feule campagne, les avoient tellement affoiblis, qu'il leur fallut attendre une nouvelle génération, pour être en état d'inquiéter 1'Empire. Ainfi, fans avoir de traité ivec les Romains , ils n'avoient fait uicun mouvement durant tout le rejne de Phocas, & les huit premières années de celui d'Héraclius. CeDendant l'Empereur, qui fe prépa■oit k marcher contre les Perfes , ne voulant  j)u Bas-Empule. Liv. LFl. 169 voulant pas laiffer derrière lui ce fujet d'inquiétude, envoya des députés au Khan des Abares, avec des préfents, pour Pinviter k établir entre les deux nations, une paix folide. Le Khan leur répondit, que la conduite qu'il tenoit depuis tant d'années , prouvoit affez fon amitié pour les Romains; & qu'afin de 1'affurer davantage, il iroit lui-même conférer avec l'Empereur. Héracléefut choifie pour le lieu de 1'entrevue. L'Empereur voulant donner une fête au Prince barbare, fit porter avec lui tout 1'appareil d'un théatre &C d'une courfe de chars, avec quantité de riches habits qu'il deftihoit au Khan & aux Seigneurs de fa fuite. II s'arrêta trois jours k Selymbrie, oü fe rendit une foule de peuple, que la curiofité attiroit. Pendant ce tempsla,le Khan s'approcha d'Héraclée, avec un nombreux cortege ; & ayant choifi ce qu'il avoit de meilleurs foldats , il les répandit dans les bois Sc dans les vallons, prés de la longue muraille , avec ordre de fe coulerpar des chemins fourrés , pour aller envelopper l'Empereur, öl tous ceux Tomé XII. H HÉRA- CLitrs. \.na, 619*  HÉRACLIUS. Ann. 619 170 FIISTOIB.E qui 1'accompagnoient. Ils ne puren marcher fi fecretement, qu'iis ne fuf. fent appercus de quelques payfans, qui vinrent promptement en donner avis. Auffi-tot Héraclius faifi d'effroi, quitte fa pourpre, & toutes les marquesde fa dignité, prend 1'habit d'un foldat, & fuyant k toute bride avec fon cortege, regagne Conftantinople. Les Abares les pourftiivent vivement, & le fabre k la main, au travers de cette foule d'hommes, de femmes, d'enfants, qui fuyoient tout éperdus, ils les foulent aux pieds de leurs chevaux ; ils maffacrent, ils dépouillent; depuis Selymbrie jufqu'aux murs de Conftantinople, la terre eft jonchée de cadavres. Ils campent dans 1'Hebdome , & de-la s'étendant jufqu'a la pointe du golfe de Ceras, qui borde la ville du cöté du nord , ils ravagent tous les environs, brulent les métairies , enlevent les tröupeaux., pillent les Eglifes, brifent les ftatues & les autels, & couvrent toutes les campagnes de carnage. Les équipages de l'Empereur, les habits qu'il avoit apportés pour en faire préfent aux Abares, 1'appareil du fpettacle , les  nu Bas-Empire. Liv. LVL 171 ehars , les cochers, les voitures & les conduéleurs, tout fut enlevé par les barbares. Ils fe retirerent au bout de quelques jours, avec une multitude innombrable de prifonniers. Une fi horrible perfidie méritoit la plus prompte vengeance. Mais Héraclius portant toutes fes vues fur la Perfe, ne fongeoit qu'a fe mettre en repos du cöté des Abares. II envoya des députés au Khan, pour fe plaindre d'un li étrange procédé. Le Prince barbare répondit par des excufes , qui, dans un autre temps , n'auroient pas été écoutées , rejettant la faute fur fes gens , li affamés de pil— lage , qu'il n'avoit pu les contenir , offrant de remettre les prifonniers , avec tout ce qu'il pourroit recouvrer du butin, & proteftant qu'il répareroit cette infulte par un zele conftant pour la défenfe de 1'Empire. Héraclius fit femblant de fe payer de ces raifons; il conclut la paix avec les Abares, & ne s'occupa plus que de la guerre contre les Perfes. Leurs incurlions continuelles ne lui permcttoient pas de différer, a moins qu'il ne confentit a voir toute PAfie réHi] HÉRAr CLIUS. Ann. 620. xvur. Paix avec les Abares. Tkcoph. pi 253. C&dr. p, 409. Zon. t. II, p. 83. Hifi. mifi, l. 18.  HÉRACLIUS. Ann. 620. XIX. F.tabliffement des Croates. Ptolem. geog. tabula norta Europa. Confl. Porph. de *dm. imp. c. 30 , & ftqq. & ibi not. Band. Du Cange, hijl. Byl. de Daim. Croat. & Servis. Lueius de regno Daim. 1.1. c. 11, /. 4. t. 6. Pagi ad Bar, 172 HlSTOJRË duite h n'être plus que le tombeau de fes habitants. Ancyre , capitale de la Galatie , venoit d'éprouver toute la fureur de ces implacables ennemis. II fe préfenta une occafion de refferrer les Abares , fans donner atteinte au traité fait avec eux. Ils avoient dépeuplé par leurs courfes fréquentes, la Dalmatïe, & les autres contrées voifines. La haute Méfie, la Dace, la Dardanie, la Péonie, n'étoient plus qu'un vafte défert. Les Chrobates, que nous nommons aujourd'hui Croates, nation Sclavonne, habitoient alors au-dela des monts Crapacs, qui féparent la Hongrie de la Pologne. Ils étoient divifés en plufieurs petitesprincipautés, qu'iis nommoient Zupanies , mot Efclavon qui veut dire Contrêe. Cinq Zupanies s'unirent enfemble fous le commandement de cinq freres; & s'étant détachées du refte de la nation, elles pafferent le Danube, & vinrent en Dalmatie , d'oü elles chafferent les Abares, après une guerre de plufieur3 années. Maïtres de ce pays, les Chrobates s'étendirent le long de la cote du golfe Adriatique , depuis les mon-  du Bjs-Empirs. Liv. LVJ. 173 tagnes de 1'Iftrie, jufqu'auprès de Dyrrachium. Comme ils étoient ^ moins redoutables que les Abares, Héraclius qui ne pouvoit défendre ce pays, au-lieu de s'oppofer k leur établiffement, y contribua lui-même; c'étoit une barrière capable d'arrêter les courfes des Abares. II fe réferva feulement quelques places maritimes, avec les principales ifles du golfe, & les Chrobates reconnurent le domaine fouverain de l'Empereur. A leur arrivée , ils étoient idolatres ; mais leur union avec 1'Empire leur procura ut avantage plus précieux que leur conquête. Héracléonas, fucceffeur d'Héraclius, ou, felon d'autres Auteurs , Conftantin Pogonat, engagea le Pape a leur envoyer un Evêque & des Prêtres pour les inftruire, & leur conférer le baptême. Ils furent les premiers Efclavons qui embrafferent le Chriftianifme ; auffi fuivent-ils le rit Latin. Jean, Légat du Pape, firt le premier Evêque de Spalatro ; & 1'Evêque de cette ville eft encore aujourd'hui Primat de Dalmatie & de Croatie. On dit que le Pape les fit jurer k leur baptême, que jamais ils H iij HÉRACLIUS. Ann. 620.  Héraclius.Ann, 620, XX. Et des Serres. 174 HlSTOIRE n'envahiroient le pays d'autrui, & qu'iis vivroient en paix avec leurs voifins; & que de Ion cöté il leur promit, que s'ils étoient attaqués injuftement , Dieu Sc 1'Apötre Saint Pierre fe déclareroient en leur faveur , Sc leur donneroient la victoire. Fideles a ce ferment, ils s'abftinrent de toute hoftilité, quoiqu'ils fuffent devenus affez puiffants dans ia fuite pour mettre fur pied cent mille hommes dmfanterie, Sc foixante mille chevaux, & pour avoir en mer cent quatre-vingts batiments. II eft vrai que ce n'étoient que des barques , dont les plus grandes ne pouvoient porter que quarante hommes. Cette nouvelle Croatie fut diftinguée de 1'ancienne, par le nom de Croatie baptifée; 1'autre fe nommoit Bélochrobatie , c'eft-a-dire ,. la grande Croatie ou la Croatie blanche ; le terme Efclavon pouvant recevoir ces deux explications. Ce fuccès des Croates attira une nouvelle peuplade de barbares. Les Serbles, que nous nommons Serves, pour adoucir la prononciation Efclavonne, demanderent a Héraclius la  du Bjs-Empirb. Liv. LVJ. 175 même grace qu'il avoit acccordée aux • Croates. Ce peuple, qui étoit auffi une branche d'Efclavons, venoit de , la Sarmatie Aliatique. II y a beaucoup d'apparence que ce font les Serh de Ptolémée, qui les place aux environs du Volga, & qu'iis pafferent en Europe avec les Bulgares leurs voifins. Ils s'étoient établis a 1'occident du Danube, dans ce qu'on appelle aujourd'hui la baffe Hongrie. Trop refferrés dans ce pays, dont une partie étoit occupée par les Abares , ils fe partagerent, & la moitie de la nation demanda des terres k l'Empereur, qui leur donna d'abord le pays voifin de Theffalonique. S'y trouvant encore trop k 1'étroit, ils quitterent cette demeure, & repafferent la Save & la Drave pour rejoindre leurs compatriotes. Mais s'étant bientöt repentis de leur inconftance, ils eurent encore une fois recours a l'Empereur, qui leur céda un vafte pays a 1'orient des Croates; c'étoient la Méfie fupérieure , la Dace, la Dardanie, qui changerent de nom pour prendre celui des nouveaux habitants; c'eft la Servië & la BofH iv héraclius. Lnn. óïo.  HÉRACLIUS. Ann. 6jo. XXI. Embarras d'Héraclius.Baronius. Pagi ad Bar. Affemani, bib. jur. Oriënt, r. IV. e. Jt. i t i?<5 Histoire nie d'aujourd'hui. Les Serves fuivirent en tout 1'exemple des Croates; ils recurent comme eux le baptême , & demeurerent attachés a 1'Empire, fous le gouvernement de leurs Princes particuliere. Le lecleur doit être étonné de voir depuis dix ans un Prince k la fleur de fon age, iffu d'une race deguerriers, guerrier lui-même, qui avoit donné des preuves éclatantes de fon courage en arrachant la couronne a Phocas , laiffer les plus belles Provinces de fon Empire en proie k des incurfions continuelles , & languir dans une indolence léthargique, tandis que chaque année , par un retour auffi régulier que celui des faifons, voyoit revenir les Perfes, & avec eux le ravage & la mort. A quoi attribuer eet engourdiffement dans les commencements de fon regne, temps ou, pour 1'ordinaire, les Princes les plus nonchalants, jettent quelque étincelle d'aftivité ? Héraclius aimoit le repos & le plaifir; il :aiffa éteindre fur le tröne la valeur jui 1'y avoit placé; & il eut befoin le violentes fecouffes pour la rallu-  nu Bas-Empire. Liv. LVL 177 met. Ajoutez encore 1'état de foi- bleffe oü il fe voyoit r'éduit. L'Em- ; pire étoit anéanti; la tyrannie de a Phocas, comme un vent brülant & peftilentiel, avoit defféché ce grand arbre jufque dans fes racines; il falloit une longue culture pour lui rendre la vie. Tout défertoit dans les garnifons , tout fuyoit, tout périffoit dans les armées : & il eft remarquable, que, fous le regne d'Héraclius, 1'hiftoire ne montre, k 1'exception du feul Monarque, nul perfonnage, ni dans 1'ordre militaire , ni dans 1'ordre civil, qui mérite d'être connu de la poftérité. Tant 1'Empire étoit frappé de ftérilité. II eft vrai que le courage du Prince, marchant en perfonne a. la tête de fes troupes , auroit pu les ranimer. Un vaillant Capitaine fait créer de braves foldats. Mais les finances épuifées mettoient l'Empereur hors d'état de former une armée. Ce fut pour cette raifon , qu'il s'occupa premiérement a trouver des reffources; & il faut avouer qu'il eut d'abord recours k celles qu'il devoit regarder comme les moins légitimes, II envoya en Egypte H v nn. 620»  HÉRACLIUS. Ann. 620, Ann. 621. XXII. 'Héraclius I78 HlSTOIILE le Patrice Nicétas , pour densander au Patriarched'Alexandrie, Jean 1'Aumönier, 1'argent qu'il difïipoit en libéralités inutiles. C'eft ainfi qu'une Cour corrompue appelloit les aumönes, par lefquelles ce Saint Prélat a mérité le furnom particulier, qui deTroit être commun k tous les Evêques. Jean répondit au Patrice, que ce qu'il demandoit étoit le bien des pauvres, & que Dieu feul en étoit le maitre. Nicétas, piqué de ce refus, force le tréfor, & emporte le dépot de l'Eglife. Mais bientöt après, touché de répentir, ou bien étonné d'un miracle, comme le rapporte 1'Auteur de la vie du Saint Prélat, il renvoye 1'argent, y en ajoute même du fien, & devient ami du Patriarche. II Pengage k venir a Conftantinople , pour donner fa bénédiöion k l'Empereur. Jean fe mit en mer avec lui; mais étant tombé malade a Rhodes, il fe fit tranfporter en Cypre, oii il mourut dans Amathonte, lieu de fa naiffance. Tranquille du cöté de 1'Occident, Héraclius ne fongea plus qu'a réprimer 1'audace des Perfes. Chofroës,  l)ü Ras-ËmPiAÈ. Lip. LPÏ. 17$ enflé de fes fuccès, non content de verier le lang des Romains, repandoit celui de fes propres fujets, & fe rendoit de jour en jour odieux patfa cruauté & par les impöts dontil les accabloit. L'Empereur concut 1'efpérance de réduire un Prince^ puiffant k la vérité, mais qui ne régnoit plus fur le cceur de fes peuples. La lorv gue inadion des Abares avoit laiffe k la Thrace le temps de fe repeupler. Les Croates & les Serves ne demandoient qu'a elTayer leurs armes au fervice de 1'Empire ',\ Occident ofFroit une nouvelle pépmiefe de foldats, pour réparer les pertes & la défolation de 1'Orient. Mais il manquoit encore a Héraclius les deuJ erands refforts de la guerre, 1'argen & de bons Généraux. Les talents mi litaires fembloient éteints, ainfi qui la valeur. Loin qu'il fe fut formé d'ha biles Capitaines fous la tyrannie d Phocas , fa cruelle jaloufie avoit fai périr ceux qui avoient furvécu k Mau rice. Héraclius réfolut de commande lui-même fon armée, perfuadé qu'u Prince courageux & aimé de fes fu jets, vaut feul plufieurs Généraux H vj Héraclius. Ann. 6ir. fe prépare amarcher contre les Perfes. Nïceph. p. II. Thcoph. p. 153- Ceir. p. 409. Hifl. mifi. I. 18. Pagi ad Bar. t t t 1 »  HÉRACLIUS. Ann. 621. Ann. 622. XXIII. Commencementde ' i'hiftoire 1 «les Mu. limans. . 1 1 t É r f a a l8o HlS T 0 I R E & que 1'ceil du Souverain fait naitre la valeur. Pour fuppléer au mauvais état de fes finances, il fit fondre 1'or & 1'argent qui fervoit a la decoration des Eglifes, croyant qu'il etoit moins facheux de dépouiller les temples du Seigneur pour les défendre, que de les laiffer avec toutes leurs richelfes, en proie a de facnleges deftrufleurs. II paffa 1'an'née entiere en préparatifs; & ayant mis |ur pied des troupes nombreufes, il es fit paffer en Afie, a deffein d'aller fe mettre a leur tête au commencement du printemps. Tandis que les deux puiffances les )lus anciennes , les plus étendues & es^mieux affermies, fe préparoient 1 s'entre-détruire, un homme caché lans les déferts de 1'Arabie, forgeoit lans 1'obfcurité, des refiorts, dont 1 ignoroit lui-même la force, & dont es prodigieux effets devoient réduire n poudre les deux Empires, & chaner la face du monde. Mahomet étoit é, & jettoit déja les femences d'un inatifme qui fe développoit d'abord ^ec peine, mais qui, dans la fuite, areuvé de ruiffeaux de fang, prit  nu Bas-Empire. Liv. LVI. if>t des accroiffements rapides, remplit 1'Alie & 1'Afrique, & étendit fes branches jufqu'enEurope. Mahomet comp- , toit encore fes profélytes , lorfqu'en cette année 612 , il fut obligé de s'enfuir de fa patrie, fuite plus fameufe que les plus célebres vi£toires, & qui fert d'époque a'tous les peuples Mufulmans , pour compter leurs années. Comme nous verrons déformais la nation formée par Mahomet , porter les glus grands coups a 1'Empire Romain, je ne puis me difpenfer d'en rapporter 1'origine; & quoique ce redoutable importeur foit connu de toute la terre, il eft de mon fujet d'en raffembler les principaux traits, répandus dans un grand nombre d'Auteurs. Mahomet defcendoit de male en male d'Ifmaël, fils d'Abraham. Ifmaël, chaffé de la maifon paternelle avec fa mere Agar, s'arrêta dans PHegia'z , qui s'étend le long du golfe Arabique, entre 1'Arabie Pétrée & 1'Arabie Heureufe. II y trouva établis les defcendants de Je&an, queles Arabes nomment Cahtan , fils du Patriarche Héber, nommé Houd par HÉRACLIUS. Inn. 6'ii, xxrv. Origine de Mahomet. Elmacin. Abraham, Ecchel. hifi. Arab. D'Herbelot, Bibl. Gagnicr, vie de Mahsmet.  HÉRACLIUS. Ann. 6». Sale , differt. fur U Mahom. Jault pref. de la traduel. d'0kley. AJJemani , bibl. Or. t. IV. Hifi. univ. des Anglois t. XV. Mémoires de l'Acad, des Infer. & B. L. t. XXXII. p, 406. [82 fflSTOIRE les Arabes, & dont la fépulture fe tnontre encore dans 1'Arabie Heureufe. Xarab > fik de Je&an , avoit donné fon nom a la nation. Les Ifmaëlites furent appelles Moftarabes , c'eft-adire , Arabes mêlés, par diftin&ion des defcendants de Je&an, qui furent nommés Arabes purs. Ils furent auffi nommés Agaréniens, du nom d'Agar. Mais celui de Sarafins ne leur vient point de Sara, avec laquelle leur origine n'a aucun rapport; il vient d'un mot Arabe qui fignifie Orientaux ; & c'eft ainfi que les appelloient les Grecs & les Juifs, paree que 1'Arabie eft a Porient de la Judée, & des pays habités par les Grecs. Les Arabes eux-mêmes ne fe font jamais donné le nom de Sarafins : cependant pour nous conformer a 1'ufage, nous le leur donnerons prefque toujours dans la fuite de cette hiftoire. Ifmaël ayant fixé fon féjour dans le lieu même oü 1'Ange avoit montré a fa mere une fource d'eau, y batit un temple au Seigneur , & fut aidé, felon les Arabes, par fon pere Abraham dans la conftruction ie eet édifice. C'eft la fameufe Caa-  nu Bas-Empire. Liv. LFI. 183 ba , ou maifon quarrée , le centre de la dévotion Mufulmane, le pointde la terre vers lequel ils fe tournent toutes les fois qu'iis font leurs prieres en quelque pays qu'iis foient,le lieu qu'iis doivent vinter au moins une fois dans leur vie. Quelques-uns de leurs Auteurs prétendent que la Caaba fubfiftoit long-temps ayant 11maël; qu'Adam y adoroit le Seigneur fous une tente aefcendue du Ciel; que fon fils Seth batit en ce lieu un temple de pierre qm fut detruitpar le déluge, & qu Abraham & Ifmaël n'en furent que les reparateurs. Le puits de Semzem, voifir du temple , eft, felon eux, le puit: d'Agar, & ils montrent encore lui une pierre noire, très-révérée , 1 em preinte des pieds d'Abraham. La vül< de la Mecque s'étant formee autou de la Caaba, tant par la multiplica tion des enfants d'Ifmaèl , que pa le concours des étrangers que la dj votion y attiroit, les defcendants d ce Patriarche furent en meme-temf Princes de la Mecque & Pretres d temple. , - Ifmaël eut-douze fils, defquels loi HÉRACLIUS. Aan. 611» C r e s u t XXV. Eias de !a  Héraclius.Ann. 622 Mecque, lorfque Mahomei s'érigeaer Prophete 184 HlSTOIRE ■ tit une pofiérité nombreufe , qui fe divifa en. un grand nombre de tribus. Celle des Coraïfcites, dans laquelle naquit Mahomet, fut en poffeffion de ia Mecque ; elle defcendoit de Cédar, que les Arabes donnent pour Faïné des fils d'Ifmaël, quoique les Livres faints attribuent 1'honneur de la primogéniture a Nabawth, pere des Nabathéens. II paroit par 1'hiftoire de Mahomet, que la qualité de Prince de la Mecque ne donnoit pas une autorité fbuveraine, & que le Gouvernement de cette ville étoit Ariftocratique. Un Confeil formé des chefs de familie de la tribu des Coraïfcites , régloit toutes les affaires publiques. Ce petit Etat, fitué dans un terrein pauvre & ftérile, fe foutenoit par la valeur des Coraïfcites , fouvent en guerre avec les tribus voifines,, par la céiébrité du pélerinage , & par le commerce que le port menfes ou ils conduifoient leurs troupeaux, & toujours obligés d'avoir les yeux vers le ciel pour reconnoitre & diriger leur route, firent des aftres 1'objet de leur culte; ils j placerent des intelligences; ils leur donnerent des noms, leur drefferent des airtels & des fiatues ; le culte primitif fut corrompu, & enfuite oublié. La Caaba, oü le Dieu d'Abraham étoit d'abord feul adoré , fut peuplée d'idoles ; & cette nation ignorante donna aveuglément dans tous les écarts de Pidolatrie. Les Chrétiens hérétiques, chaffés des terres de 1'Empire par les édits des Empereurs, les Juifs, chargés de fuperftitions, trouroient une retraite füre dans les fables de 1'Arabie , & le mélange de eurs dogmes groffifioit encore la maf"e des anciennes erreurs. D'ailleurs, es Arabes étoient vifs, remuants, ïardis, voluptueux; & leur imagijation^ exaltée par le foleil du clinat, étoit une matiere préparée a re:eyoir la flamme du plus ardent falatifme.  du 3as-Empize. Lh. LFI. 187 Ce fut dans des circonftances fi favorables a 1'impofture, que Mohammed , que nous nommons Mahomet , naquit a la Mecque, 1'an de 1'ere Chrétienne 570. Deux mois après, il perdit fon pere Abdollah, qui laiffa dansi'indigence fa femme AmeI na. Elle ne furvécut a fon man que de fix ans. Mahomet orphelin, trouva un afyle dans la maifon de fon grandpere Abdolmotalleb. Mais cejieillard mourut deux ans après, agé de cent dix ans , & le recommanda en mourant a fon fils Abutaleb. L'unique occupation de Mahomet dans fes premières années, fut d'accompagner fon oncle dans les voyages qu'il faifoit en Syrië , pour y vendre & acheter des marchandifes. A 1'age de vingt ans, il fit fes premières armes fous les ordres du même Abutaleb, dans une guerre des Coraïfcites contre deux tribus voifines. Ce fut-la que Mahomet fit 1'effai de ce courage qui lui procura dans la fuite les fuc cès les plus étonnants. Ennuyé de vi vre dans la dépendance de fes pa rents, 1'efpérance d'une meilleure for tune, le fit paffer au feryice d'un HÉRACLIUS. Ann. 612. XXVII. Jeuneffe de Maho* met. Elm&cin* Abulfara- Abraham. Ecchell. Theoph. p. 177- Cedr. p. 421. Zon. torn. II. p. 86. Conft. Porph. de adm. Imp. c 14» 17Strukufiusfyntagma hifi. Sarae. Curio. hifi. Sarac. Hottinger , hifi. Or. I. 1. c, 4. u 2- c. 23. Sergeron , abre'g. de ■ l'hifi. des . Sar. Pagi ad ' Bar. ï D'Herbi*  Hérachus.Ann. 622. lot, bib. Or. Gagnier, vie de Mahomet,SaU, dif- fen. fur le Mahota, Okley,hifl. des Arabes. Jault. pref. de la trad, tfOkley. Ajjemani , Bibl. Or. t. IV. Hifi. Univ. des An- plois, t. XV. Mém. Acad. t XXXII, p. 412. Riccioli tbr. reform. I' l. c. 24. ; XXVIII. , Doublé projet de 1 Maho- 1 met. 1 l8§ HlSTOIRK riche veuve, nommée Cadigha; elle le chargea de la direction de fon co'mmerce, &i de la conduite de fes ca> ravanes. II n'eut pas de peine a fe faire aimer de cette femme , agée de quarante ans; il en avoit vingt-cinq. Elle 1'époufa, & en eut quatre fils, qui moururënt dans Penfance , & quatre filles qui épouferent dans la fuite les principaux chefs de la fetle Mahométane. Le nom d'Al-Caffem qu'il avoit donné a l'ainé de fes fils, lui fit prendre, felon 1'ufage des Arabes , Ie furnom d'Abul-Caifem, c'efla-dire, pere de Caffem. Mahomet, fe voyant a 1'abri de 1'indigence , ne s'occupa plus que du grand pro jet qu'il méditoit depuis long-temps. Dès 1'age de douze a treize ans , lorfqu'il fuivoit Abutaleb dans fes voyages de Syrië , il avoit ïntretenu a Bofira un moine Nefto■ien , nommé par les Arabes, Bohaï;a, & par les Romains, Sergius, chafé de Conftantinople a caufe de fes ïrreurs. Ce moine, hérétique&ignoant , mais ardent & enthoufiafte, ui avoit donné une idéé grofïiere, elle qu'il 1'avoit lui-même, de la reli-  du Bas-Empire. Liv. LFJ. 1S9 gion Chrétienne ; il lui avoit lu quelques endroits de 1'Ecriture -Sainte. Ces femences germerent dans 1'efprit ! de Mahomet; il concut dès-lors du mépris pour 1'idolatrie. L'ambition vint animer ces fentiments : il fori ma en même-temps le deffein de réformer le culte , & de fe rendre maitre du pays. Nul titre ne lui parut plus flatteur que celui de fondateur ',. k la fois d'un Empire & d'une religion. L'ignorance des Arabes prêtoit ' a la fédutf ion; la divifion & 1'indépendance mutuelle des tribus , faciliteit la conquête ; il falloit de moindres efforts pour réullir de proche en proche dans ce doublé objet fur des peuples défunis ; une tribu féduite ou fubjuguée, devoit fervir k féduire & k fubjuguer les autres. 11 eut 1'adreffe de fe faire un moyen d'un obftacle : il ne favoit ni lire ni écrire, & fe donna bien de garde de Papprendre ; il tira bien plus d'avantage de pau"er pour n'être que 1'organe du Ciel, pour n'être inftruit que par des révélations, & pourn'enfeigner aux hommes que ce qu'il ap< prenoit de Dieu même. II s'en fail HÉRACLIUS. Kan, 611J  HÉRACLIUS. Ann. 622 199 HlSTQIRE ■ gloire clans PAlcoran, oü il affe£te de fe dire le Prophete non-lettré. D'ailleurs, fes autres qualités aidoient mer« veilleufement a 1'impofture. Habile a connoïtre les hommes , & k les mouvoir , parlant peu, mais éloquent, pret k tout entreprendre & a tout fouffrir, intrépide au milieu des plus grands dangers, profond, impénétrable, plein de diffimulation & d'artifice, il avoit tous les vices qui peuvent fervir 1'ambition, & favoit les cacher fous les dehors de toutes les vertus : impie & fcélérat, la piété fembloit refpirer dans toutes fes paroles , animer toutes fes aclions ; cruel, vindicatif, n epargnant ni le poifon, ni les affallinats, il ne montroit que douceur & clémence : raviffeur injufte, il faifoit parade de juftice, de défintéreffement, de libéralité, de charité envers les pauvres. II favoit facrifier a fes intéréts tous ces caprices , tous ces défauts fubalternes, qui mettent fouvent plus d'obftacle aux fuccès que les vices décidés: fobre, d'une humeur égale, civil & complaifant, gai & familier avec fes amis, plein de condefcen-  du Bas-Empire. Lh. LVI. 191 dance pour fes inférieurs, humble, même lorfque fon orgueil y trouvoit a gagner. De tous les vices qui pouvoient nuire a fa politique , il ne retint ouvertement que 1'incontinence: la dépravation de fon cceur, & 1'ardeur de fon tempérament triompherent en ce point de Phypocrifie; mais pour couvrir fes diffolutions , il eut la hardieffe d'en rendre le Ciel complice : facrilege impofteur, il ofa faire parler Dieu même, pour fe difpenfer des loix qu'il impofoit aux autres. II ne propofa pour récompenfe dans 1'autre vie , que les plaifirs des fens : pouvoit-il manquer de fuccès au milieu d'une nation ignorante & voluptueufe ? II arma pour la défenfe de fon Evangile, les paffions les plus brutales; il donna pour refforl a fa religion , le plus puiffant mobile du cceur humain abandonné a lui-même, la corruption de la nature. Son extérieur infpiroit a la fois le refpect & la confiance : il étoit de taille médiocre ; il avoit la tête affez groffe , le teint bafané , mais relevé par la vivacité du coloris; la barbe longue ; les yeux grands, noirs & HÉRACLIUS. Ann. 622.  HÉRACLIUS. Ann. 622. XXIX. II prépare les efprits. IS>a HlSTOIRE pleins de feu; les traits réguliers; la phyfionomie douce & majeftueufe; dégagé dans fes mouvements , fa démarche , felon 1'expreffion des Arabes , reffembloit au cours d'un ruiffeau qui coule fur un terrein libre & facile. L'extérieur de la piété,le zele pour la pureté du culte, avoient diftingué Mahomet dès fa première jeunefle. On lui donnoit le furnom de Fidele. Son rnariage le mit en état de fe livrer k la vie contemplative. Chaque année , pendant un mois, rompant tout commerce avec les hommes, il fe retiroit dans une caverne du mont Hera, k une lieue de la Mecque. II ne fe laffa pas, durant quinze ans, de jouer cette comédie, pour fe faire confidérer comme un perfonnage extraordinaire , qui recevoit des vifites de la Cour célefte; & peut - être a force de jeünes, d'abflinences & de folitude , vint-il a bout de fe le perfuader a lui-même. II fut faire fervir a fon deffein jufqu'aux attaques d'épiiepfie. Cadighaqui, avant fon rnariage , ne s'étoit pas apper§ue qu'il fut fujet k cette maladie , en fut d'abord allarmée.  du Bas-Empire. Liv. LV1. 193 allarmée. Mahomet lui fit accroire que ces accès étoient autant d'extafes , pendant lefquelles 1'Ange Gabriël lui révéioit les fecrets du Trèshaut; & le Moine Sergius , que Mahomet avoit fait venir k la Mecque , acheva de la raffurer. Cadighafe trouva fort honorée d'avoir un mari en commerce avec le Ciel : on lui recommanda le fecret, afin de le répandre davantage ; mais cette confidence fe borna d'abord a quelques femmes imbécilles. Mahomet ne s'attribua la qualité de Prophete qu'a i'age de quarante ans ; aufli dit-il dans PAlcoran, qu'aucun Prophete , excepté Jefus , n'a obtenu avant eet age le don de prophétie. Ce fut alors qu'il prétendit que 1'Ange Gabriël lui apparoiffoit fur le mont Hera, & qu'il lui apportoit dans fa retraite les chapitres de 1'Alcoran. Pendant les quatre premières années , il n'ofa débiter fes menfonges qu'en fecret. Zaïd, fon efclave, Ali, fon coufin , fils d'Abutaleb, Abubecre, qui fut enfuite fon beau-pere & fon fucceffeur, furent les premiers féduits. II n'avoit encore que neuf profélytes, lorfqu'a Tornt XII. I HÉRACLIUS. Ann. 611.  HÉRACLIUS. Ann. 6zz. XXX. II prêche fa religion. 194 II I S T O I R E lage de quarante - quatre ans , il fe déclara hautement Prophete envoyé de Dieu. II ne s'annonca pas comme auteur d'une nouvelle religion. Sa miffion, difoit-il, ne confiftoit qu'a ramener a la pureté primitive, la feule religion véritable , profeffée par Adam, Noé, Abraham, Moïfe, Jefus, & tous les Prophetes; mais défigurée par les Idolatres, altérée par les Juifs & par les Chrétiens. Toute fa doctrine fe réduifoit a ces deux articles: // n'y a quun feul Dieu, & Mahomet efl fon apótre. Telle eft Peffence de 1'Iflamifme ; c'eft ainfi que les Mufulmans appellent leur religion ; & ce mot fignifie une entiere foumifïion, une réfignation du corps & de 1'ame a Dieu, «Sc a ce que Mahomet a révélé de fa part. Les principaux points de fa doctrine , étoient la circoncifion, le jeune du mois Ramadan, dans lequel 1'Alcoran avoit commencé a defcendre du Ciel, cinq prieres par jour, la purification du corps , le pélerinage de la Mecque , la défenfe de manger du fang des animaux morts d'eux-mêmes, ni de la chair de porc.  nn Bas-Empire. Liv. LVI. 195 II approuvoit Ia loi de Moïfe & celle de 1'Evangile. Selon lui, les Prophetes & les Apötres avoient annoncé la vérité; mais leurs livres avoient été corrompus par les Juifs & par les Chrétiens. II convient que JefusChrift eft fils de Dieu , mais par grace & non par nature ; c'eft le verbe de Dieu , c'eft-a-dire , un grand Prophete , né de la Vierge par la vertu clivine, & fans opération humaine : toutefois c'eft un pur homme; il n'eft pas vraiment mort ni reffufcité ; Dieu en a fubftitué un autre , que les Juifs ont crucifié: pour lui, il eft retourné k Dieu, dont il étoit 1'envoyé. Le dogme de la Trinité eft profcrit comme le polythéifme : c'eft pour cette raifon que PAlcoran confond les Chrétiens avec les Idolatres , & que les Mufulmans fe donnent le titre d'Unitaires, comme étant les feuls qui n'adorent qu'un feul Dieu. Abraham , Moïfe , Jefus , étoient autant d'Apötres , envoyés en différents temps, pour réformer les abus qui altéroient le culte primitif. Mahomet eft le dernier; il apporte aux hommes une loi plus parfaite j & HÉRACLIUS. Ann. 622.  HÉRACLIUS. 'Ann. 622, XXXI. Alcoran, Ip6 HlSTOlRB il n'en dok venir nul autre après lui, jufqu'a la confommation des llecles. Le livre dans lequel il renferma toute fa doctrine, fe nomme Alcoran , c'elt-a-dire, la leclure. C'eft un compofé monftrueux de Chriftianifme, de Judaïfme, de Paganifme. Ces trois religions partageoient alors 1'Arabie, & Mahomet emprunta de toutes les trois, pour gagner plus aifémenttous les efprits. 11 n'y a pas jufqu'aux fables de Locman , 1'Efope des Orientaux, qui ne fe trouvent mêlées avec la Sainte-Ecriture. Comme il étoit très-ignorant, il fe fervit du Moine Sergius , & d'un Rabbin nommé Abdiah ben Salom, pour raffembler toutes les pieces dont il formoit ïe corps de fa. religion. II ne leur donna aucun ordre. Les divers chapitres , & quelquefois même de firnpies verfets, lui étoient apportés au befoin, & en différents temps par 1'Ange Gabriël: & ce fut une adreffe de ce fourbe, de ne pas répandre tout a la fois fa doclrine ; il fe feroit donné des entraves a lui-même; mais d'en produire fucceffivement les diverfes parties, pour les ajufter a fes  du Bas-Empire. Liv. LVL 197 intéréts 8c k les paffions. Vouloit-il enlever une femme mariée a un autre, ou s'autorifer k prendre une con- , cubine? un nouveau chapitre defcendoit du Ciel, pour donner difpenfe au Prophete. Auffi 1'Alcoran eft-il un tiffu de pieces mal afforties Sc pleines de contradi&ions. Dans la naiffance de lafe&e, lorfqu'elle étoit encore dans un état de foibleffe, Mahomet prêchoit la tolérance univerfelle : il avouoit que les autres loix pouvoient conduire au falut, 6c qu'il n'étoit pas en droit de contraindre les confciences. Dès qu'il fe fentit en état de faire tête a fes adverfaires, il permit de faire ufage de lepée pour la défenfe de fa loi. Mais lorfqu'il fut devenu plus fort, alors 1'épée , felon le langage des Mufulmans , devint la clef du Ciel : 1'Alcoran prit un autre ton ; il menaca , il tónna: Tue^ les ldoldtres par-tout oü vous les trouvere^; aj/iégei-les ; népargne^ riert pour les faire périr; 6c par Idolatres , il entend tous ceux qui ne font pas Mufulmans. II déclara que la guerre faite aux infideles, étoit d'un grand mérite aux yeux de Dieu , Sc que I iij HÉRACLIVS. Lnn. 6zz»  HÉRACLIUS. Aon, 622. XXXII. Sur les miracles 1 vj HÉRACLIUS. iaa. 622." I  HÉRACLIUS. Ann. 622, 204 U I S T O I S. E res & voluptueufes! La cruauté de Mahomet a 1'égard des vaincus, contribuoit encore a la rapidité de fes fuccès : 1'efFroi qu'il répandoit défarmoit ceux qu'il menacoit de la guerre. Lorfqu'il la déclaroit a des peuples de religion différente , il leur propofoit trois conditions, ou d'embraffer l'Iflamifme, ou de fe foumettre & de payer tribut, ou de décider la querelle par 1'épée. S'ils prenoient le premier parti, ils étoient en fureté pour leurs perfonnes, leurs families & leurs biens; ils participoient a tous les privileges des Mufulmans : s'ils fe foumettoient au tribut , ils confervoient la liberté de profeffer leur religion , pourvu que ce ne fut pas une idolatrie grofïïere: s'ils avoient le courage de combattre, point de quartier pour ceux qui étoient pris les armes a la main; ils étoient égorgés fans miféricorde , k moins qu'iis ne fe fiffent Mahométans; les femmes & les enfants étoient réduits en efclavage. Les premiers Califes fuivirent ce plan. II eft vrai que dans la fuite, lorfque la religion Mahométane eut jetté d'affez fortes  nu Bjs-Empihe. Liv. LVI. nos racines pour n'avoir plus a craindre d'être détruite par fes ennemis, ce traitement fut jugé trop févere , & ceffa d'être pratiqué. Ce feroit m'écarter de mon fujet que de fuivre les Sarafins dans toutes leurs guerres; je dois me borner aux expéditions qui ont rapport a 1'Empire. Je ne parlerai donc qu'en paffant des exploits de Mahomet en Arabie , oü les Romains ne poffédoient que quelques places fur la fron tiere de la Syrië. Les Coraïfcites éprouverent bientöt la vengeance de leur citoyen fugitif. Sa première armee ne fut que de trois cents hommes , avec lefquels il en défit dixneuf cents, & fe rendit maitre d'um riche caravane. C'eft la fameufe ba taille de Bedre, fi vantée par les Mu fulmans, qui fe donna la feconde an née de 1'Hégire. Huit autres com bats le mirent en poffeffion de la Mee que, oü il détruifit les idoles, éta blit le nouveau culte dans la Caaba &c fe fit déclarer Souverain. Les Juii étoient puiffants en Arabie ; il les dé fit en onze combats , s'empara d toutes leurs places, & traita ave HÉRACLIUS. Ann. 622. XXXV. Conquêts de 1'Ararabie. s e c  HÉRACLIUS. Ann. 622. XXXVI. Mahomet rcbutépar Chofroës. 206 H I S T 0 1 R & une extreme rigueur cette nation , contre laquelle il étoit plus acharné que contre les Chrétiens. Maitre de toutes les tribus des Arabes, il les réunit en un feul corps fous fa domination ; & cette réunion lui fut aufïi néceffaires pour étendre fes conquêtes, que leur divifion lui avoit été utile pour les commencer & pour établir fa religion. La puiffante tribu des Homérites, qui polfédoient 1'Arabie heureufe , différa quelque temps k fe ranger fous fon obéiffance. Ces peuples avoient été foumis fucceffivement a quatre Rois, fous la proteétion du grand Négus, ou Roi d'Ethiopie; lor.;- ie Seïf, hTu de leurs anciens Princes, ayant obtenu de Chofroës un fecours que lui avoit refufé Juftin fecond, chaffa les Ethiopiens , & monta fur le tröne qu'avoient occupé fes ancêtres. II fut tué peu de temps après par des Ethiopiens qui étoient refté dans le pays. Les Perfes s'en emparerent fur fon fuccefleur Sanaturcès, au temps de la naiffance de Mahomet, ainfi que je 1'ai raconté; & depuis plus de cinquante ans, les Homérites obéiffoient  du Bas-Empirz. Liv. LV1. 107 a la Perfe, qui leur donnoit des ViceRois. La feptieme année de 1'Hégire, Mahomet portant fes vues au-dela de 1'Arabie, & joignant le zele d'un Prophete a la fierté d'un Souverain, députa aux Princes voifins, pour les inviter k reconnoitre fa miffion. Les lettres qu'il leur écrivit étoient fcellées d'un fceau qui portoit ces paroles: Mahomet C Apótre de Dieu. Chofroës recut fa lettre avec mépris, la mit en pieces; & ayant chaffé honteufement FAmbaffadeur, il manda au Vice-Roi d'Arabie de fe faifir de la perfonne de Mahomet, & de le ramener k fon bon fens, ou de lui envoyer fa tête. Mahomet, inftruit des troubles de la Perfe, & de 1'extrêmité k laquelle Héraclius avoit réduit Chofroës, comme je le raconterai dans la fuite, écouta froidemeu le rapport de fon Ambaffadeur, fan: dire autre chofe que ces mots : Diei mettra en pieces ton Royaume. II veroit d'apprendre la mort funefte di Roi de Perfe, encore ignorée en Ara bie , lorfqu'il recut un courier d< Badhan, Vice-Roi de 1'Yemen. Bad han, chargé par Chofroës de 1'alter HÉRACLIUS. Ann. 622. t  HÉRACLIUS. Ann, 622 XXXVII. II traite avec Héraclius. 20§ HlS T O I R £ native de deux commiffions également difficiles, fe contenta de mander a Mahomet, qu'il avoit ordre de 1'envoyer a la Cour de Perfe. Mahomet , pour foutenir fon röle de Prophete, différa fa réponfe au lendemain matin ; & alors il dit au courier : 11 m'a été révélé cette nuit que Chofroës a été tué par fon fils Siroës, Alle^ en infiruire votre maüre. Le courier étant de retour, Badhan recut une lettre de Siroës qui lui apprenoit la mort de fon pere, & lui défendoit d'inquiéter Mahomet. Badhan & les Perfans de fa fuite , ne doutant plus que Mahomet ne fut en correfpondance avec le Ciel, 1'envoyerent afiurer de leur obéiflance, & fe firent Mufulmans. Cette foumiflion acheva la réduótion de 1'Arabie, a la réferve de la Province d'Yamama, oü Mofeïlama, rival de Mahomet en fait d'impofiure, avoit formé un parti nombreux, qui ne fut réduit que fous le Califat dAbubecre. Tandis que le Royaume de Perfe fe détruifoit par des divifions inteftines, Mahomet conc;ut le ddïein de  du £js-Empire. Liv. LPL 209 s'aggrandir du cöté de 1'Empire. Les Hiftoriens Grecs difent qu'il alla luimême conférer avec Héraclius , qui s'étoit rendu a Emefe, dans le voyage qu'il fit a Jérufalem au retour de fon expédition de Perfe; que Mahomet fit avec l'Empereur un traité de commerce, & qu'il en obtint quelque étendue de pays. C'étoit une partie de 1'Arabie Pétrée , gouvernée alors par plufieurs petits Princes Sarafins qui relevoient de 1'Empire; mais qui, dans la guerre de Perfe, avoient pris parti pour Chofroës. Ce fut apparemment en conféquence de la conceflion d'Héraclius, que Mahomet fe rendit maitre de Daumatal-Giandal, ville fituée a quinze journées de Médine, & a cinq de Damas. Les Auteurs Arabes racontent cette négociation avec Héraclius , d'une maniere bien plus honorable a Mahomet. Selon eux, le Prophete en> voya une ambaffade a l'Empereur, & lui écrivit pour 1'inviter a 1'Iflamifme : ils rapportent même fa lettre, pleine de cette froide fimplicité, que fait afFe&er le plus ardent fanatifme. Héraclius, difent-ils, recm HÉRACLIUS. Ann. 611.  HÉRACLIUS. Ann. 622. XXXVIII Première guerre dei Mufulmans con- 210 HlSTOIRE la lettre avec refpect; il s'entretint familiérement avec 1'Ambafladeur , fur la perfonne de Mahomet, fur fa religion, fur fes miracles. II fe fit même Mahométan; mais dans la crainte de perdre fa couronne, il n'ofa en faire profeflion publique. II renvoya l'Ambaffadeur chargé de riches préfents. Ce récit, rempli de fauffeté , eft démenti par les événements qui vont fuivre. 11 n'y a pas plus de vérité dans ce que ces mêmes Auteurs rapportent du grand Negus, auquel Mahomet avoit écrit en même-temps. [Is prétendent que ce Prince avoit renoncé au Chriftianifme dès 1'an 6x3 , converti par les Mufulmans réfugiés dans fes Etats, & que la lettre de Mahomet acheva de 1'affermir dans 1'Iflamifme. Mais il eft certain que les Rois i'Ethiopie continuerent de profeffer !a religion Chrétienne, altérée par 'es erreurs d'Eutychès, telle qu'iis 'avoient rec_ue du Patriarche Diof:ore. Ce fut dans les dernieres années le Mahomet, que s'alluma cette guerre cruelle , qui dura plus de huit cents ans entre les Mufulmans &c  nu Bas-Empire. Liv. LPI. 211 1'Empire ; & qui n'étant interrompue que par de courts intervalles, couvrit de carnage 1'Afie, 1'Afrique, & une partie de PEurope , réduifit en déferts les régions les plus floriffantes de 1'Univers , éteignit dans des flots de fang le Chriftianifrne, pour établir dans ces valies contrées une religion groflïere & brutale , & ne fe termina que par la deftruction de 1'Empire Grec, & par la prife de Conftantinople au milieu duquinzieme liecle. Voici quelle fut la première étincelle qui produifit eet horrible embrafement. Mahomet envoya un député au Gouverneur de Boftra , pour 1'exhorter a embraffer 1'Iflamifme. C'étoit un de ces Princes Sarafins , attachés au fervice de 1'Empire , & a la religion Chrétienne. Ce député étant a Muta, ville de Syrië au-dela du Jourdain , fut affafTmé par ordre du Gouverneur. A cette nouvelle , Mahomet, juftement irrité, mit fur pied trois mille hommes d'élite, dont il donna le commandement a Zaïd , fon afFranchi. Cette petite troupe arrivée prés de Muta , rencontra 1'armée Romaine, dont les Hiftorien; HÉRACLIUS. Ann. 612. tre 1'Empire.  HÉRACLIUS. Ann. 622. 212 HlSTOIRE Arabes exagerent le nombre , jufqu'i lui donner cent mille hommes ; ce qui n'eft nullement vraifemblable ; il fuffit de dire qu'elle étoit fort fupérieure. Les Sarafins, brülant des premières ardeurs du fanatifme , indifférents entre la viftoire & le martyre, attaquerent les Romains avec fureur ; mais ils furent obligés de céder au nombre. Zaïd , qui portoit la grande^ enfeigne de riflamifme , fut tué. Giafar lui fuccéda, & foutint vaillamment le cornbat, jufqu'a ce qu'ayant perdu la main droite , & enfuite la gauche , il embraffa 1'étendard, & le tenoit ferré contre fa poitrine , lorfqu'un foldat Romain lui fendit la tête d'un coup de fabre. Abdollah releva 1'étendard, & rétablit le cornbat; mais ayant été tué luimême comme les deux autres , les Sarafins prirent la fuite. Caled, le plus déterminé de tous les Mufulmans, & que Mahomet appelloit Cépée de Dieu , rallie les fuyards , & a la tête des plus braves , il retourne k la charge ; tout cede a ce guerrier terrible; il enfonce les Romains , les met en fuite , & les pourfuit jufque bien  du BAs-ÊMPlkS. Liv. LPI. 213 avant dans la nuit. Les deux armées camperent au même lieu oii avoit ceffé la pourfuite. Le lendemain Caled fortit du camp dès la pointe du jour, & rangea fa troupe en bataille. Quoiqu'elle eut fait un grand carnage des Romains, elk étoit encore fort inférieure en nombre. Caled ufa de ftratagême pour couvrir fa foibleffe ; il fit faire a fes foldats des mouvements fi variés, changeant 1'arrieregarde en avant-garde , Paile droite en aile gauche, que les Romains s'imaginant qu'il lui étoit arrivé pendant la nuit de nouveaux renforts, prirent 1'épouvante; ils fedébandent, ils fuyent; les Mufulmans les pourfuivent, couvrent de morts toute la plaine jufqu'aux montagnes, fe rendent maitres du camp, & retournent a Médine avec de riches dépouilles. Les Auteurs Chrétiens donnent au contraire aux Romains, tout 1'honneur de cette campagne. Voici ce qu'iis racontent. Mahomet avoit choifi quatre Capitaines, auxquels il donna le nom d'Emirs, pour fubjuguet les Arabes Chrétiens, qui fervoiem 1'Empire. Ils marcherent vers ur HÉRACtlUS. A.nn, 6w. XXXIX. Récit différent des Auteurs Grecs.  HÉRACLIUS. Ann. 622. XL. Défertion d'un grand nombre d'Arabes DI4 H/STOIRE bourg nommé Mcucha , oü Théodore , Lieutenant du Gouverneur de Paleftine, fe trouvoit alors. Théodore fut averti de leur marche par un Coraïfcite qui trahhToit fon parti. Ayant auffi-töt raffemblé toutes les troupes des environs, il prévint les ennemis , fondit fur eux, les tailla en pieces; & des quatre Emirs, il ne refta que le feul Caled qui échappa de la défaite. II eft difficile de décider lequel de ces deux récits eft le plus véritable. Ce qu'il y a de certain , c'eft que dans ces premiers temps, les Mufulmans fe croyoient invincibles. Jamais leur petit nombre ne leur öta le courage. Sur la parole de leur Prophete, ils étoient perfuadés qu'A leur tête marchoient des légions d'Anges, qui leur affuroient la viöoire; & cette confiance étendant leurs conquêtes, les mit bientöt en état de lever des armées innombrables, & de fe paffer de ces fecours invifibles. S'il eft vrai que les Romains ayent eu 1 'avantage dans cette première rencontre, Pavarice & 1'infolence d'un de leurs Officiers leur en fit perdre  dv Bas-Empire. Liv. LVI. 215 tout le fruit. Les Sarafins employés a la garde de la frontiere du défert, recevoient une folde modique. A 1'arrivée du Tréforier, qui étoit un eunuque du palais, ils fe préfenterent pour la recevoir. Mais loin de les fatisfaire, ce Courtifan fuperbe & arrogant , ne voyant devant lui qu'une troupe dArabes demi-nuds, & dans un état miférable : Retire^-vous, leut dit-il , l'Empereur ne trouve quavei peine de quoi payer fes foldats ; il na rien d donner d fes chiens. Ces Arabes, outrés de cette cruelle infulte, abandonnerent auffi-töt le fervice de 1'Em pire, & allerent groffir les troupe; de Mahomet, dont ils embrafferem la religion. L'année fuivante, qui étoit la neuvieme de 1'Hégire, Mahomet apprii que les Romains fe préparoient a entrer en Arabie, & qu'iis étoient campés a Belkaa au-dela du Jourdain. I arma trente mille hommes, qu'il vou lut commander en perfonne. Aprè une longue & pénible marche, i campa prés de Tabuc, a moitié che min entre Médine & Damas. II re cut clans ce camp des députés de plu HÉRACLIUS. Ann. 612. qui fe joignent a Mahomet. XLI. Autre expéditionde Mahomet. !  Héraclius.Ann. 622. XLII. Progrèsi du Mahoniétifme. ül6 H/STOlRE lieurs Princes. Jean , Seigneur d'A'ïla a la pointe du golfe Arabique , vint demander a Mahomet une alliance, qui lui fut accordée, fous la condition d'un tribut annuel. Mahomet lui fit préfent d'un manteau, qui tomba depuis entre les mains des Empereurs Turcs, & que le Sultan Amurat, troifieme du nom, fit enfermer dans une caffette d'or. Giara & Adraa, villes de Syrië, fe mirent auffi fous fa protecf ion , & fe foumirent au tribut. Plufieurs autres villes & bourgades fuivirent eet exemple. Ayant appris que les Romains, fur le bruit de fa marche, s'étoient retirés , & qu'iis ne penfoient plus k porter la guerre en Arabie, il fongea auffi au retour. Mais comme il étoit campé fur les terres de 1'Empire , il écrivit encore a Héraclius, pour 1'exhorter k croire k fa miffion. II n'en recut aucune réponfe , & reprit le chemin de Médine. Cependant le Mahométifme commencoit k infefter la Syrië. Héraclius avoit donné le gouvernement de Rab> bat-Ammon , qui eft Pancienne Philadelphie, a un Sarafin nommé Far- va.  du üas-Empire. Liv. LVI. 217 va. Cet Officier né & élevê dans le Chriftianifme , s'étant laiffé féduire , peut-être par quelque prifonnier Mufulman, écrivit a Mahomet, lui envoya des préfents, & le reeonnut hautement pour 1'apötre de Dieu. II fut arrêté par ordre d'Héraclius, qui voulut d'abord le faire revenir de fon égarement, en lui promettant, non-feulement le pardon , mais le rétabliffement dans fes emplois. Farva répondit fiérément, qu'Héraclius favoit bien lui-même que Mahomet étoit 1'envoyé de Dieu, & que la crainte de perdre fa couronne, 1'empêchoit feule de le reconnoïtre a la face de tout 1'Empire. Son infolente opiniatreté fut punie de mort; il fut pendu k Ophra en Paleftine. Mahomet tournoit déja fes regards fur 1'Egypte , & il y a beaucoup d'apparence qne s'il eüt vécu plus long-temps, il auroit entrepris cette conquête , dont il laiffa 1'honneur k Omar. Mocaucas, Egyptien d'origine, & Gouverneur de Mefra, la capitale de FEgypte, s'étoit rendu très-puiffant dans ce pays. L'Empereur Favoit chargé du foin de recueillir les impöts. II Tornt XII. K HÉRA-CL1US. Ann. 611,  HÉRACLIUS. Ann. 622. 2l8 HlS-TOIRE étoit de la fe&e des Jacobites , hérétiques attachés aux erreurs d'Eutychès , & haïffoit mortellement les Grecs Orthodoxes, qu'on nommoit alors Melchites , c'eft-a-dire , Royaliftes, paree qu'iis s'accordoient de croyance avec l'Empereur. Mocaucas, profitant des troubles qui agitoient 1'Empire, retenoit les contributions de 1'Egypte, Sc prenoit la qualité de Prince des Egyptiens. Quoiqu'il n'eüt pas ouvertement fecoué le joug de 1'obéiffance, il agiffoit en Souverain indépendant, Sc craignoit le reffen- \ timent de l'Empereur. Mahomet lui écrivit, Sc 1'Egyptien recut la lettre avec refpect; il Fappliqua fur fa poitrine, difent les écrivains Mahométans, Sc la renferma dans une boite d'ivoire , qu'il fcella de fon fceau. II répondit par une lettre flatteufe , dans laqueile, fans contefter a Mahomet ia miffion divine, il demandoit du temps pour fe déclarer. On voit clairement qu'il redoutoit 1'ambition du conquérant Arabe, autant que la vengeance de l'Empereur. II accompagna fa réponfe de-préfents, entre lelquels on eft indigné de voir  bu Bas-Empire. Lh. LVI. 219 deux jeunes Egyptiennes de noble familie , que ce politique fcélérat facrifïoit a la lubricité du prétendu Prophete. Nous parierons encore de eet infidele miniftre dans 1'hifloire de la conquête de 1'Egypte. Tels font les événements de la vie de Mahomet, qui ont quelque rapport aux affaires de 1'Empire. J'ai cru convenable de les réunir, pour ne pas interrompre trop fouvent le récit de la guerre de Perfe, qui développa les talents d'Héraclius, & exerca pendant fix années, la valeur de ce Prince, par des combats prefque continuels. K ij HÉRACLIUS. Ann, 6 22.   221 S O M M A I R E LIVRE C IN QUANTE-SEPTIEME,' de Crifpe. II. Départ cFHéraclius. III. 11 exerce fes troupes. IV. Première campagne ctHéraclius. V. Défaite des Perfes. VI. Seconde campagne £ Héraclius. vil. Prife de Tauris9 nommée alors Gan^ac. vin. Fin de la ftconde campagne. IX. Les Romains chaffés entiérement de HEfpagne. X. Troifieme campagne d'Héraclius. XI. Seconde & troifieme bataille. XII. Nouvelle défaite des Perfes. XIII. Quatrieme campagne a" Héraclius. xiv. Cornbat du Sarus. xv. Emeute a Conjlantinople. XV i. Cinquieme campagne d'Héraclius. XVII. Origine des Kha^ars. XVIII. Alliance d'Héraclius avec les Kha^ars. XIX. Les Perfes & les Abares viennent afféger Conflantinople. XX. Députation inutile. XXI. Attaque de la ville. XXII. Propojitions du Khan rejettées, XXIII. Tentative inuK. iij  211 SOMMAIRE DU LlV. LVII\ tik des Abares pour fe joindre aux Perfes. XXIV. Les Abares repoüjjés par mer & par terre. XXV. Retraite des Abares. XXVI. Les Kha^ars abandonnent Héraclius. XXVII. Sixieme campagne £ Héraclius. XXVIII. Batailledu Zab. XXIX. Suites de la batailk. XXX. Marche d'Héraclius. XXXI. Pillage du palais deDaftagerd. XXXII. Fuite de Chofroës. XXXIII. Révolte de Sarbar. XXXIV. Mouvements d'Héraclius. XXXV. Révolte de Siroës contre fon pere Chofroës. XXXVI. Mort de Chofroës. xxxvil. Paix de Siroës avec Héraclius. XXXVIII. Retour a"Héraclius. XXXIX. Mort de Siroës. XL. Entree d'Héraclius a Conjlantinople. XLI. Héraclius reporte la croix d Jêrufakm. XLII. Ambaffade de Dagobert d Héraclius. XLIII. Naiffance de Conflant. XLIV. Héraclius retombe dans 1'inaUion. XLV. Naijfance de l'héréfie des Monothélites. XLVI. Le Pape Honorius trompé par Sergius. XLVII. Eiïhefe d'Héraclius.  HISTOIRE D U BAS EMPIRE. LIVRE C1NQUANTE-SEPT1EME. ■ HÉRACLIUS. L'Empereur enfin réfolu detirer vengeance de tant d'infultes qu'il recevoit fans ceffe de Chofroës, & de rabattre pour toujours 1'orgueil d'une nation formidable aux Romains depuis fept cents ans , voulut auparavant s'affurer de Crifpe , ce gendre de Phocas, auquel il avoit K iv S23 HÉRACLIUS. \.nn. aj, I. Difgra ce le Crifpe. Nicepk. '. 5- Ced. p. 407.  HÉRACLIUS. Ann. 622, Zon. torn. U. p. 83, £24 HjSTOIRE donné dès le commencement de Ion regne le gouvernement de Cappadoce. Crifpe avoit des troupes ; elles étoient fans doute infufïifantes pour tenir tête aux Perfes; mais la Cappadoce, ravagée fans qu'il eut fait aucun mouvement, Céfarée, mife au pillage fans réliftance, le rendoient juftement fufpett de lacheté ou même de trahifon. Fier d'avoir d'abord procuré 1'Empire k Héraclius, & de lui avoir enfuite cédé la couronne qu'Héraclius lui offroit, il méprifoit le Prince; il s'échappoit en difcours injurieux , comme li les plus éclatants fervices pouvoient autorifer un fujet k manquer a fon Souverain. Héraclius, frappé d'une jufte défiance, vouloit s'éclaircir par lui-même, de fes difpolitions. II alla le trqjiver k Céfarée, fous prétexte de s'inftruire par fes propres yeux, de 1'état de la Province, & de conférer avec lui fur la guerre qu'il alloit entreprendre. Crifpe, devenu encore plus infolent par la démarche du Prince , feignit d'être malade, pour fe difpenfer d'aller au-devant de lui: comme s'il eut en effet porté le diadême, qu'il avok  nu Bas-Empire. Liv. LVIL 22? regret de n'avoir pas aecepté, il lattend* dans fon lit, & prit avec lui le ton de maitre, tournant en ridicule fon entreprife, & difant qu'il convenoit peu a un Empereur de faire le perfonnage d'aventurier, & d'abandonner fon palais pour aller fe faire battre k Pextrémité de fes Etats. Héraclius diffimula fon indignation ; 6c fur la nouvelle qu'il recut que 1'Impératrice venoit d'accoucher d'un fils , il reprit en diligence le chemin de Conftantinople , après avoir invité Crifpe k s'y rendre pour être le parrain de Penfant. Crifpe le fuivit, accompagné de fes troupes. Dès qu'il fut arrivé, l'Empereur convoqua le Sénat, ou Crifpe voulut fe trouver, croyant qu'il ne s'agiffoit que de délibérer fur 1'expédition prochaine. Lorfque les Sénateurs furent affemblés avec le Patriarche Sergius, Héraclius élevant la voix : Je n'ai, ditil , qu'une queJUon d vous faire : Celu, qui outrage fon Empereur, n'offenfe-t-i. que la perfonne d'un homme mortel 1 Tous s'écrierent unanimement, qu< 1'outrage retomboit fur Dieu même de qui le Prince tient fa puiffan« K v HÉRACLIUS. Ann. óil. t 1 i  HÉKA- cuus. Ann. 622. 226 HlSTOIRE Et vous, dit-il, en fe tournant vers Crifpe, quepenfei-vous ? Crifpe, qui fe croyoit trop grand pour être accufé, ne fe douta pas même du delfein de l'Empereur. Je penfe , réponditil, quun Ji grand crime ne mérite au~ cune grace. Dès qu'il eut, fans le favoir, prononcé fa propre fentence, l'Empereur lui rappella 1'offre qu'il lui avoit faite de la couronne, les honneurs dont il 1'avoit comblé : il expofa enfuite au Sénat la conduite de Crifpe depuis qu'il gouvernoit la Cappadoce, 1'infolence avec laquelle il avoit recu fon Empereur, fesrailleries, fes mépris; Sc le frappant au vifage avec un nxdeau de pieces qu'il tenoit entre fes mains : Voici, lui ditil , d'autres accufations encore, dont je te fais grace : je fuis en faute moi-même de mêtre attendu qWun gendre perfide pourroit devenir un ami fidele. II le fit fur le champ fortir de fa préfence , & ordonnna de lui couper les cheveux, & de le renfermer dans un cloitre. Les foldats de Crifpe, apprenant ce qui fe paffoit dans le Sénat, setoient alfemblés aux portes, Sc commencoient a murmurer. Hé-  du Bas-Empire. Lh. LFII. 227 radius fortit, & les regardant d'un air afTuré : S'oldats, leur dit-il, choiJijfe^ entre la condition de valets d'un Prêtre ou de gardes de £'Empereur. Je vous mets des a prefent fur l'état de ma maifon pour compofer ma garde avec une penfion annuelLe. II n'en fallut pas davantage pour changer les murmures en acclamations &£ en acuons de graces. Crifpe mourut un an après, dans le monaftere qui lui fervoit de prifon. Philippique , beau-frere de Maurice, fut en même-temps tiré de celui ou il avoit été enfermé par ordre de Phocas. Le gouvernement de Cappadoce fut conféré a Théodore, frere d'Héraelius Sc Curopalate. Philippique lui fut donné pour adjoinl dans eet emploi , que les conjettu res rendoient très-important, Mais i ne furvéquit pas long-temps. II fu enterré a Chryfopolis dans 1'Eglifi qu'il avoit fondée. Le fils qui venoi de naitre a. l'Empereur, fut nomirj Héraclius; & pour le diftinguer d fon frere ainé r fils d'Eudocie, on lu donna dans la fuite le nom d'Hén cléonas. Tout étant pret pour le dépai K v'j HÉRACLIUS. Ann. 6w. I t i t ir. Dégart  HÉRACLIUS. Ann. 622. rl 'Héraclius.Théoph. p. 25 3» 154,. Ccdr. p. 409, 410. Niceph. p. 12. & iti Pctav. Zon. t. 11. p. 84. Hifi. mifc. Pagi ad Bar. 228 HlSTOIRE d'Héraclius, il déclara fon fils Héraclius Conftantin, régent de 1'Empire en fon abfence , quoique ce jeune Prince n'eüt encore que dix ans. Ce n'étoit qu'un titre d'honneur. L'Empereur chargea de la conduite des affaires le Patriarche Sergius, & le Patrice Bon, dont il connoiffoit la prudence. II craignoit l'humeur inquiete & turbulente du Khan des Abares; il lui écrivit une lettre remplie de proteftations d'amitié, lepriant avec inftance de maintenir inviolablement 1'alliance qu'il venoit decontraóter avec les Romains, & de fe regarder comme le tuteur & le pere du jeune Empereur. II lui promit deux cents mille pieces d'or, c'eft-a-dire, prés de trois millions de notre monnoie; & pour gage de fa parole, il lui donna trois ötages, Etienne fon neveu, fils de fa fceur Marie ck d'Eutrope , Jean, furnommé Athalaric, &c un autre Jean, fils naturel du Patrice Bon. Ces ötages demeurerent pendant douze ans au pouvoir des Abares , quoique dans eet intervalle le KJian eut rompu toute alliance avec ['Empereur en afiïégeant Conftünti-  nv Bjs-Empire. Liv. LVII. 229 nople; il en coüta de grandes fommes d'argent en 634 pour les retirer de leurs mains. Après avoir célebré avec une dévotion édifiante la fête de Paques, qui arriva cette année le 4 Avril, il (e rendit le lendemain a l'Eglife de Sainte-Sophie, & fe profternant au pied de 1'autel : Seigneur, s'écria-t-il, ne nous puniffe^pas dproportion de nos crimes; ne nous rende% pas la rifée de nos ennemis, tourne^ fut nous des regards de miféricorde; fakes que les infideles ne fe glorifient pas dt nos pertes, & ninfultent pas votre hérkage. Se tournant alors vers le Patriarche : Je laiffe, dit-il, ma capitale & mon fils d la garde de Dieu , dt la fainte Vierge, & d la votre. Prenant enfuite entre fes mains cett( image du Sauveur, qu'on difoit n'avoir pas été faité de mains d'hom me, il marcha vers le Bofphore , & s'embarqua au milieu des acclama tions & des vceux d'un peuple in nombrable. Arrivé en Afie , il ralTembla les dii férents corps de troupes difperfése: diverfes Provinces, ÖC il en form unc armée. Ce n'étoit qu'un mêlar HÉRACLIUS. Ann. 622. - III. II »xer. fes tro 1 pes.  HÉRACLIUS. Ann. 622. 230 HlSTOIHE ge confus de Romains & de barbares perdus de débauche , énervës par 1'inaöion , fans ordre, fans difcipline, fans connoiffance du maniement des armes, exercés feulement a fuir devant Pennemi. Le fon d'une trompette fuffifoit pour les glacer d'effroi. II fallut paffer une grande partie de cette année a en faire des foldats , a leur apprendre a fe fervir de leurs armes , a les dreffer aux mouvements, aux évolutions, aux faöions militaires , k fortifier leurs coeurs par I'image des combats. Ils ne favoient faire la guerre qu'aux habitants des campagnes , qu'iis pilloient & qu'iis maffacroient. L'Empereur établit dans fon camp une exacte difcipline; & loin de fe rendre odieux par une jufte févérité , il fut tellement la tempérer par fon affabilité , par fes foins paternels, par les récompenfes & par les louanges qui touchent encore plus fenfiblement les ames militaires, qu'il fe fit en même-temps aimer de fes foldats plus que leur propre vie, & redouter plus que l'ennemi : fentiments qui font les deux plus forts üguillons du courage, & les deux  nu Bjs-Empire. Ctv. LVIl 231 «l„c «rand* reflforts de la viftoire. II leur parloit fouvent; il les animoit par des difcours pleins de feu. i Naturellement vif & éloquent, il leur rappelloit la gloire de leurs ancêtres, rhonneur du nom Romain; il embrafoit leur cceur par la honte, par la vengeance , leur repréfentant les campagnes défolées, les villes faccagées, les autels profanés, lesEglifes réduites encendres. Après avoir tranfformé en corps militaires ces brigands indifciplinés , il affembla toute 1'armée; & tenant en main 1'imags de Jefus-Chrift, il jura qu'il cqmbattroit comme eux & avec eux jufqu'a la mort, qu'il partageroit tous leurs dangers, & qu'il leur feroit mféparablement uni comme un pere k fes enfants. Lorfqu'il fut entré dans la petite Arménie , fes coureurs rencontrerent un parti de cavaliers Perfes , qui ayant pris les devants , venoient fondre fur les Romains, dont ils comptoient avoir bon marché , ainfi qu'il étoit ordinaire. Mais tout étoit changé. Au-lieu de mettre en fuite 1'armée, comme ils s'en flattoient, ils furent taillés en HÉRACLIUS. Lnn. 6ü. IV. Première campagne d'Héraclius»  HÉRACLIUS. Ann. 622. £32 HlSTOIRE pieces par les feuls coureurs; le chef fut pris, chargé de chaïnes & conduit a Héraclius. On étoit déja en automne, & TEmpereur s'étant retiré dans le Pont, oü il fe rendit maïtre de tous les paffages, les ennemis fe perfuaderent qu'il avoit deffein d'y féjourner, & d'y prendre fes quartiers d'hy ver. C'étoit, felon leur penfée, la fin de la campagne ; mais felon celle d'Héraclius, ce n'en étoit que le commencement. Dès qu'il les vit retirés, il revint fur fes pas, &C marcha vers la Perfe par PArménie. Sarbar, qui commandoit les Peffes, étonné de cette marche, crut 1'arrêter par une diverfion. II entra fur les terres de 1'Empire , & fe jetta en Cilicie. Lorfqu'il vit qu'Héraclius continuoit fa route, fans prendre le change , il fe détermina lui-même a fuivre les Romains , k deffein de les furprendre a la première occafion. II crut 1'avoir trouvée dans une nuit obfeure , & il fe préparoit k les charger par-derriere, lorfque la lune cachée jufqu'alors dans des nuages épais, parut tout-a-coup , &z montra aux Romains 1'armée des P-erfes. Sarbar,  du Bas-Empire. Liv. LFII. 233 trahi par eet aftre, qu'il adoroit comme une divinité, le chargea de malédiaions, & fe retira fur les montagnes , d'oü il eut le loifir de confidérer le jour fuivant le bel ordre de 1'armée Romaine , qui lui parut tout nouveau. Héraclius refta dans la plaine , & il fe livra plufieurs combats , 011 les Romains firent le premier effai de leurs forces, toujours avec avantage. Ce qui les rendoit invincibles, c'eft qu'iis voyoient en toute occafion a leur tête, leur Prince affrontant le danger, & leur donnant 1'exemple en même-temps que les ordres. Un déferteur Perfe contribua encore a augmenter la confiance des Romains. Après s'être rendu dans leur camp, s'appercevant qu'iis étoient fort inférieurs en nombre, il fe repentit de fa défertion , 6C retourna au camp des Perfes. Mais quand il vit le découragement de fes compatriotes & 1'effroi dont ils étoient frappés, il ne douta plus qu'iis ne fuffent vaincus; & ayant paffe de nouveau du cöté des Romains dix jours après les avoit abandonnés, il les inftruifit de 1'étal HÉRACLIUS. (Vnn. 622. V. Défaite des Per fes.  HÉRACLIUS. Ann. 622. 234 HlSTOIRE oü fe trouvoient les Perfes. Sarbare naturellement vif & impatient, ennuyé de perdre le temps en petits combats, peu décififs. réfolut de livrer bataille. II defcendit dans la plaine au point du jour, & rangea fes troupes en face du foleil levant, objet de Padoration des Perfes, qui le faluerent par des cris de joie. Cet hommage qu'iis rendoienta 1'aflre du jour, loin de faire profpérer leurs armes, fut une des caufes de leur défaite. La divinké ingrate éblouiffoit leurs yeux , & leur laifToit k peine appercevoir 1'ennemi. Pour accélérer la vi&oire, Héraclius ufa de ftratagême. Par une fuite fimulée, il attire après lui les Perfes qui fe débandent dans 1'ardeur de la pourfuite. Lorfqu'il les voit en défordre, il fait volte-face , les arrête , les renverfe, les met en fuite a fon tour. On en Fait un grand carnage; on les pourfuit jufque fur les montagnes. C'étoit une chaffe ptutöt qu'une bataile. Les Perfes difperfés, ne faifant mcune réfiftance , fuyent de rochers ;n rochers comme des chevres fau;ages; les uns tombent fous le fer  nu Bas-Empihe. Lh. LV1L 235 ennemi, les autres fe précipitent; un crand nombre fe rend aux vainqueurs; lecamp eft pris&pillé, & les Romains qui, depuis plufieurs annees, fuyoient a la feule vue de la cavalerie Perfe, étonnés de leur propre vidoire , rentrent dans leur camp? levant les bras au ciel, rendant a Dieu des aaions de graces, & comblant d'éloges leur Empereur : c etoit, difoient-ils, un ange tutelaire qui effacoit leur honte paffee, c* leur annoncoit un retour de prolperités. Après cette glorieufe journee, Héraclius établit fes troupes en quartier d'hyver dans 1'Arménie, fous le commandement d'un de fes Lieutenants-généraux , & ü alla partagej avec fa capitale la joie de ce premies fuccès. L'année fuivante, Héraclius parti le 25 Mars, & ayant célébré la fet< de Paques deux jours après a Nico médie avec fa familie,il renvoya fe enfants a Conftantinople ; & retenan avec lui 1'Impératrice , il prit le che min de 1'Arménie. De 20 Avnl, 1 étoit déja dans la Perfe. Ce fut alor que Chofroës, tranfporté de colere Héraclius.Ann. 622. : Ann. 623. VI. Seconde > campagne t d'Héra- clins. ' Chr. Alex. 1 Niccph. 5 p. 12. & ibi Petav. I  236 H I S T O I B. E fit afiVvrnmo» W A ™U„JT„ J n- HÉRACLIUS. Ann. 623. Thcoph. p. 256, 257. Cedr. p. 411. Zon. t. II. p. 84. Glycas , 376. T%tttes • Chil. c. 66. Hijl. mifc. h iS. Strukhufius Syntagma hifi. Sarac- p. 2. Pagi ad Sar. Mém. Ac ad. t. xxxu, p. J60. ... MiuuiiiiLi ita .riiiijjcuidueurs 1x0mains qu'il tenoit en prifon depuis fix ans. II rappella Sarbar qui avoit déja paffe 1'Euphrate pour marcher en Bithinie ; & ayant raffemblé un grand corps de troupes, il en donna le commandement a Saïs, avec ordre de fe joindre a Sarbar, & de s'oppofe-r enfemble aux progrès d'Héraclius. A la nouvelle de 1'horrible traitement fait aux Ambaffadeurs , l'Empereur affembla fon armée:» Ro» mains, dit-il, vous voyezaquels » ennemis vous avez a faire. Ce font » des bêtes féroces plutöt que des » hommes. Ils ont rompu les liens » les plus facrés de la fociété hu» maine; en maffacrant les média» teurs de la paix, ils en ont détruit » toute efpérance. Ils déclarent la » guerre a toutes les nations; ils la » font k Dieu même. Nés pour Ia » ruine du monde, ils ne reconnoif» fent pour divinité que eet élément » deftrucieur, qui réduit en cendres » vos temples & vos autels. C'eft leur >> rage qui fait votre force. Dieu com» battra pour vous. Armez-vous de » confiance; ïa foi furmonte toutes  nu Bas-Empire. Liv. LVll. 237 » les craintes; elle triomphe même » de la mort. Nous avons traverfé » FAiie; qu'avons-nous trouvé dans » ces -belles Provinces ? Les cendres » de nos villes; les os de vos com» patriotes femés fur la terre. Nous » voici dans le cceur de la Perfe; » faifons-en a notre tour le tombeau » de fes habitants. Songez qu'envi» ronnés d'ennemis, vous ne pou» vez leur échapper que par la vic » toire: Fuir, c'eft courir a la mort" Ces paroles embrafoient tous lei cceurs; les yeux de fes foldats étinceloient de courage; & quoiqu'il eiv ceffé de parler, ils demeuroient en core immobiles, tenant leurs regard fixés fur l'Empereur, lorfque du mi lieu de ce filenee s'éleva une Voi: qui s'écria : Prince, compte^ fur notr valeur; nous ne craignons quun feu péril; cejl celui auquel vous expofe^ tro^ fouvent votre perfonne factie; ne verft que notre fang; il efl d vous plus qn le votre. Cette voix interprete des fen timents de toute 1'armée, fut foute nue d'une acclamation générale. Hé raclius fe mit en marche, & avan cant a grandes journées , fans s'ai HÉaA- CLIUS. Ann. 623* } £ i l t l  HÉRACLIUS. Ann. 613 VII. Prife d< Taurus , nommée ulors Gan 238 HlSTOIRE rêter a aucun fiege , il mettoit le feu aux villes & aux villages qu'il rencontroit fur fa route, & laiffoit partout des traces fanglantes de fon paffage. On remarqua, comme un figne de la proteciion divine fur les armes Romaines , que les chaleurs du folftice , très-ardentes en ce climat, furent adoucies par des rofées abondantes, qui répandoient une agréable fraicheur. L'armée approchoit de 1'Atropatene , lorfqu'Héraclius apprit que Chofroës, a la tête de quarante mille hommes, étoit campé aGandzac, capitale de cette Province. C'eft la ville nommée aujourd'hui Tauris , & que les Arméniensnomment encore Gandzac Schahiftan , furnom qui paroit défigner une habitation royale, paree que ce fut autrefois la réfidence des Rois de 1'Atropatene. Gandz en langue Arménienne, fignifie un tréfor, comme le mot Gaza 1'a fignifié dans les langues Orientales. En effet, les Rois de Perfe y avoient un tréfor, & felon une tradition fabuleufe, c'étoit celui de Créfus, Roi de Lydie, que Cyrus y avoit tranfporté. Héra-  du Bjs-Empire. Liv. LVII. 239 clius marcha droit a cette ville. Une troupe de Sarafins a fa folde, qui devancoient fon armée , tomberent fur les gardes avancées du camp des Perfes , les taillerent en pieces, & jetterent tant d'épouvante, que Chofroës prit auffi-töt la fuite avec toutes fes troupes. Les Romains les pourfuivent vivement, en tuent un grand nombre , font beaucoup de prifonniers , & difperfent le refte. Héraclius étant entré fans réfiftance dans Gandzac, brüla un fameux temple du Feu. Le culte de eet élément, la grande divinité de la Perfe , n'étoit nulle part fi ancien ni fi bien établi que dans 1'Atropatene ; c'eft même ce qui a fait donner a cette contrée le nom d'Aderbigian : Ader en langue Perfe, fignifie le Fm. Zoroaftre, difoit-on , étoit né & avoit vécu dans ce pays. Mais ce qui donna le plus d'étonnement, & en même-temps d'indignation a l'Empereur, ce fut le coloffe de Chofroës, qui furpaffoit encore en orgueil impie les Rois de 1'ancienne Babylone. II étoit affis au mi^ lieu du palais , fous un döme qui répréfentoit le ciel : on voyoit autour HÉRACLIUS. Ann. 623.  HÉRACLIUS. Ann, 623 VIII. Fin de I; leconde campagne. 240 HlSTOIRB de lui le foleil, la lune, & les autres alires, accompagnés d'anges qui , portoient des fceptres. Au moyen de certaines machines, le coloffe verfoit des pluies, & faifoit gronder le tonnerre. Héraclius fit jetter par terre & mettre en poudre la ftatue; il livra aux flammes toute cette fcene impie , le pyrée, & une partie de la ville, qui étoit grande & peuplée, «contenant plus de trois mille maifons. II arriva devant Thébarmès, aujourd'hui Ormia, encore plus célebre par fon pyrée. On croyoit qu'Ormia étoit la patrie de Zoroaffre, inftituteur du culte du Feu. Le temple & la ville furent confumés par les flammes, & Fon continua de pourfuivre Chofroës. Ce Prince fuyoitau travers des défilés qui donnoient paffage dans la Médie, fans s'arrêter deux jours dans le même lieu, en forte qu'il fut impoffible de 1'atteindre. On ne voit pas non plus que Sarbar &c Saïs, avec leurs armées, ayent paru pendant toute cette campagne en préfence d'Héraclius , foit qu'iis n'ayent pu le rejoindre, foit que ces Généraux  du Bas-Empirë. Liv. LFII. &41 jraux, intimidés par la défaite précédente, ayent évité fa rencontre. L'hyver approchoit, & dans le Confeil d'Héraclius , les uns étoient d'avis de retourner en-arriere, & de prendre des quartiers en Albanië , les autres de pénétrer plus avant dans la Perfe. L'Empereur, pour obtenir de Dieu la grace de 1'éclairer fur le parti qu'il devoit prendre, ordonna un jeune de trois jours ; enfuite, par un effet de fuperftition , en ufage alors & long-temps après, ayant ouvert les faints Evangiles, il crut y voir 1'ordre d'aller hyverner en Albanië. II en prit auffi-töt le chemin; & comme fon armée chargée de butin, trainoit encore avec elle prés de cinquante mille prifonniers, elle fut fouvent harcelée dans fa marche par des détachements ennemis , qui furent toujours repouffés avec perte. Les Romains eurent beaucoup k fouffrir des glacés de ces contrées, & du froid qui fut fort vif durant eet hyver. Les. prifonniers étoient réduits k un état déplorable. Dès qu'on fut en Albanië , Héraclius ,naturellement humain, les mit en liberté; il leur Tome XII. L HÉRACLIUS. Aan. óij.  HÉRACLIUS. • Ann. 623. IX. Les Romainscliaffésentiérementrte 1'Efpaj*ne, Baronius. Pagi ad Bar. Mariana , l. 6. c 4. Murat. ann. hal. t. IV. 242 HlSTOIRE procura tous les foulagements qui furent en fon pouvoir, comme s'ils euffent été fes propres foldats; & gagna tellement leur cceur par fon humarrité, que ces malheureux fondant en larmes , conjuroient le Ciel de délivrer la Perfe de la tyrannie d'un Prince odieux, pour y établir un Monarque li bienfaifant. II eft a remarquer que 1'extinction du feu perpétuel des Perfes, qu'Héraclius enfevelit fous les ruines de leurs pyrées, donna occalion aux Mahométans d'en faire honneur a leur prophete ; ils ont faulfement publié que ce feu s'étoit éteint de lui-même & par miracle au moment de la naiffance de Mahomet. Ce fut vers ce temps-la que Suintila, Roi des Vifigoths, fucceffeur de Récarede, dont le regne n'avoit duré que trois mois après la mort de fon pere Silébut, acheva de chaffer d'Efpagne ce qui reltoit de Romains dans la "Province des Algarves. Ce petit coin de terre étoit néanmoins partagé en deux contrées fous le gouvernement de deux Patrices. LeRoi gagna 1'un par inlinuation , vainquit  du Bjs-Empire. Lh. LFIL 243' ï'autre par la force des armes, & les obligea tous deux de lbrtir du pays, & de fe retirer dans les ifles Baléares. Les fecours que les Romains tiroient du voifinage de FAfrique, les avoient jufqu'alors maintenus dans cette partie de PEfpagne. Mais la perte de Tanger, dont Sifebut s'étoit rendu maitre , leur ayant fermé toute communication avec FAfrique , il fallut abandonner entiérement cette célebre conquête des Scipions. C'étoit la première Province du continent ou ils euffent mis le pied autrefois, & ce fut la derniere qu'iis perdirent a FOccident de l'Italie. La campagne fuivante fe pafta toute entiere en Albanië. Chofroës, honteux du mauvais fuccès de fes arme: pendant les deux années précédentes, fit celle-ci les plus grands efforts Sans attendre la fin de 1'hyver, i mit fur pied trois armées, & en fi partir deux fous la conduite de Sar bar & de Sarablagas, pour préveni Héraclius, qui n'étoit pas encore fort de fes quartiers. Ils marcherent d'a bord féparément k deffein d'enferme entre deux 1'armée Romaine. Mai L ij HÉRACLIUS. Ann, 623. Ann. 624. X. Troifieme cara- , PaDne d'Héra1 clius. '. Theofh. pm . 258 6-/2JJ. Cedr. p. ; 412,413» l 414. Conjl. ie cdm. imp, l 45S Hifi. mij'c, l. IS.  HÉRACLIUS. Ann. 614. Pecav. ad Nkcph. Pagi ad har. 244 HlSTOIRE n'ofant 1'approcher de trop pres, ils fe contenterent de fe rendre maitres des défilés qui conduifoient de 1'Albanie dans la Perfe. Héraclius, ayant raffemblé fes troupes au commencement du printemps , prit un long détour vers 1'Occident, pour s'éloigner de la mer & des montagnes, & traverfa de vaftes plaines qui lui fourniffoient des vivres en abondance. Sarablagas, inftruit de cette marche, prit les devants par les gorges des montagnes pour rencontrer les Romains au moment qu'iis paroitroient au-dela ; & Sarbar fe mit a les pourfuivre. L'avis de l'Empereur étoit de retourner d'abord fur Sarbar qui le fuivoit en queue, &c dont la cavalerie étoit harraffée par des marches rudes & difficiles. Mais les Lazes, les Abafges, les Iberes qui faifoient une grande partie de fon armée, refuferent d'obéir. C'étoit, difoient - ils , perdre leur fang inutilement, que de combattre un ennemi qui fe contentoit de les fuivre fans pouvoir mettre obftacle a leurs progrès. Cepenpendant lorfqu'ils eurent tourné les montagnes , & qu'iis virent devant  r>v Bas-Empirb. Livi LVII. 245 eux Sarablagas qui leur fermoit le paiTage, en forte qu'il falloit fe hater de lui paffer fur le ventre, ou fe voir enfermés entre deux armées, i!s reconnurent leur faute, & demanderent pardon de leur défobéiffance, priant l'Empereur de ne les pas ménager , &c lui proteflant que déformais ils fuivroient aveuglément fes ordres. Héraclius marcha droit k Sarablagas , le battit, & continua fa route vers la Perfe. La perte qu'avoit faite Sarablagas n'étoit pas confidérable , Héraclius s'étant contenté de s'ouvrir le paffage, fans pourfuivre les vaincus. Ainfi les deux Généraux réunis fuivirent les Romains k defTein de les combattre. Ils y étoient encouragés par deux déferteurs qui leur perfuadoient qu'Héraclius craignoit une bataille , & que fa marche étoit une véritable fuite. De plus, ils apprenoient que Saïs alloit inceffamment les joindre avec une troifieme armée, & ils s'empreffoient de prévenir fon arrivée pour ne lui pas laiffer la gloire d'avoir battu les Romains. Ils fe haterent donc d'atteindre Héraclius , & L iij HÉRACLIUS. Ann. 624. xr. Seconde & troifieme bataille.  HÉRACLIUS. Ann, 624 246 HlSTOIRX vinrent le foir camper a fa vue, réiblus de le forcer a combattre dès le . lendemain. Pour accroïtre leur confiance , & prendre un terrein plus avantageux, l'Empereur décampa fans bruit dès que la nuit fut venue, & ayant marché jufqu'au point du jour, il campa fur le penchant d'une colline couverte de bois, & fit repofèr fes foldats. Les ennemis ne s'apcurent de fa retraite qu'au matin; ce qui acheva de leur perfuader qu'il fuyoit devant eux. Ils coururent auffitöt après lui, & arriverent en défordre au pied de la colline. Les Romains n'eurent que la peine de defcendre fur eux; ils les mirent en fuite du premier choc, les pourfuivirent dans les vallons, & en firent un grand carnage. Ils n'étoient pas encore rentrés dans leur camp , lorfque Saïs arriva : il avoit forcé fa marche pour avoir part k la bataille. La viöoire que les Romains venoient de remporter, loin de les avoir fatigués , leur fit trouver de nouvelles forces; ils fe rallient, fondent fur les troupes de Saïs, fans leur donner le temps de fe reoonnoitre, en mafiaerent une grande  du Bas-Empire. Liv. LVIL 247 ( partie, difperfent le refte, & fe ren- dent maïtres de tous les bagages. \\ eft a croire que Sarablagas avoit pen . dans le cornbat; fon nom ne paroit plus dans 1'hiftoire. . Sarbar & Saïs rallierent les debns de leurs armées, & fe réunirent pour ne faire qu'un feul corps. Héraclius, joignant la rufe a la valeur, feignoit de craindre une aaion contre toutes les forces des Perfes ainfi raflemblées: il ne marchoit que par des routes efcarpées , campoit fur des hauteurs prefque inacceffibles, cktrainoit après lui les Perfes qui ne le perdoient pas de vue. II épioit 1'occafion de les attaquer a fon avantage. Mais les Lazes & les Abafges, fatigués de ces marches pénibles, ou ils avoient fans ceffe 1'ennemi derrière eux, fe féparerent des Romains, & retournerent dans leur pays. Cette défertion, quiaffoibliffoit de moitié 1'armée Romaine , releva les efpérances des Généraux Perfes, qui fe troitvoient fort fupérieurs en nombre. Ils préfenterent la bataille, & l'Empereur, fe fiant fur le courage de fes foldats, déja tanl de fois vainqueurs, & fur les reffourL iv HÉRACL1ÜS. mn. 624. XII. NouveHe. lefaite les Per"es.  Héra- s1ius. Ann. 624. J i i < i c 1 t 1 f t F 24§ H I S T O I R £ ces de fon génie, ne la refufa pass II rangea fes troupes , & courant luimeme entre les rangs : Soldats, difoit-d, ne compteipas les ennemis; ils entfui devant vous en plus grand nombre ; ceux-ci ne font que de miférables refies de trois défaites ; ce font des vietimes échappies au tranchant de vos e'pées. Montrei-leur que ce n'efl pas aux La^es & aux Abafges que vous deve{ vos victoires. Les deux armées relierent en préfence jufques fort avant dans le lour fans en venir aux mains, cha:un voulant conferver Pavantage de ron pofte. Enfin, le foleil étant fur ron déclin, Héraclius fit défiler fon irmée en bon ordre, & fe remit en narche, toujours fuivi des ennemis, toujours pret è combattre, s'ils ataquoient fon arriere-garde. Ce Prine aöif & vigilant s'étoit fi bien fait tiftruire de la fituation des lieux, [u'il connoiflbit le pays mieux que ss Perfes mêmes. II mefuroit fes marhes avec tant de précifion, qu'il fe rouvoit toujours au foir dans un camement avantageux &c hors d'inful- Les Perfes, ayant changé de route our le prévenir , & lui couper le  nu Bas-Ëmpire. Liv. LFII, 249 chemin , s'engagerent dans des ma- * récages , oü leur armée fut fur le \ point de périr. On traverfoit alors a Ia Perfarménie : les habitants de ce pays, fujets des Perfes, & naturellement guerriers, vinrent en foule groiTir 1'armée de Sarbar; mais bientöt après, aux approches de 1'hyver, ils s'en détacherent, & regagnerent leurs demeures. Saïs étoit retourné en Perfe, & avoit laiffé fon collegue en Albanië, oü il établiffoit déja fes quartiers d'hyver. Héraclius, infatigable, &c qui ne cédoit que fort tard aux rigueurs de la faifon, voulut couronner cette campagne par une action d'éclat. Apprenant que Sarbar étoit cantonné dans un chateau de 1'Albanie, & que fes troupes campoient a 1'entour, il choifit les mieux montés de fes cavaliers, avec les plus alertes & les plus braves de fon infanterie, & les partage en deux corps. II fait partk le premier au commencement de la nuit, pour aller jetter 1'allarme dans le camp des Perfes, &c fe met lui-même a la tête du fecond pour profiter de cette première attaque, Sc achever la défaite. Après une L v 1ÉRA- :lius. nn. 6241  Héraclius.Ann. 624. 250. HlSTQIRE marche précipitée , ils arrivent au camp ennemi. Les Perfes endormis prennent les armes en défordre; ils font peu de réfiftance; Héraclius furvient, tout fuit , tout tombe fous le fer des Romains. Sarbar, réveillé en furfaut par tant de cris confus, croit que 1'ennemi eft déja dans la place; il faute fur fon cheval, fans fe donner le temps de prendre, ni fes habits ni fes armes, & fe fauve a toute bride. Ses femmes, les Satrapes, les principaux Officiers , toute la fleur de la noblefle de Perfe , logés avec lui dans le chateau, montent fur les toirs, & eflayent de fe défendre. Héraclius _y fait mettre le feu ; les uns fe précipitent, les autres font dévorés par les flammes. Ceux qui tentent de s'échapper, font ou tués ou chargés de chaines. On prend , on apporte a l'Empereur les habits & les armes de Sarbar, entre lefquelles étoit un bouclier couvert de lames d'or , & une 'ceinture enrichie de pierreries. On court k la pourfuite de ceux que la terreur avoit difperfés dans les campagnes. La plupart furent maffacrés ou faits prifonniers. Après eet  nu Bas-Empirs. Liv. LV1L 251 exploit important, Héraclius raffembla toutes fes troupes, & paffa 1'hyver dans les quartiers que Sarbar avoit deftinés pour lui-même. Quoique les Généraux Perfes euffent été battus quatre fois dans cette campagne, cependant a force de marches, de contre-marches & de chicanes militaires , ils étoient venus \ bout d'empêcher Héraclius de pénétrer dans la Perfe. , , . Depuis trois ans qu'Heraclius etoit parti de Conftantinople , chaque année avoit été fignalée par de glorieufes vi&oires. Mais malgré de fi brillants exploits, tant de batailks, tan de marches pénibles, toujours k h vue des ennemis, la difficulté de convois, les maladies, les rigueur de deux hyvers paffés dans une con trée froide & ftérile, avoient foi affoibli fon armée. II réfolut de 1 faire repofer cette année dans les fei tiles campagnes de 1'Afie Mineure ou le voifinage de la Thrace lui f ciliteroit les recrues , &; la doiv température de 1'air rétabliroit f foldats. Une autre raifon l'obligec encore a repaffer 1'Euphrate. 11 a L yj HÉRACLIUS. Ann. 6lJ, Xltt. Quatrieme campagne• d'Héra■ clius. Theoph. p. 1 161,162, 5 163. Ceir. p. 414. 4M" Hifi. mifi. t l. 18. Petav. ad ^ Niceph. Pagi ad Bar. ) 1- :e es »it p-  HÉRACLIUS. Ann. 62$. 1 » 1 1 c I c ï r l ( b a 252 H I S T O I R E prenoitque Sarbar, fuivi d'une nouvelle armée, avoit ordre de marcher a Conftantinople, & 1'état dans lequel il avoit laiffé cette ville, lui donnoit de 1'inquiétude. Loin de compter fur le fecours des Abares , il croyoit que le Khan, plus fidele a fa haine invétérée , qu'a fes nouveaux ferments, fe joindroit lui-même aux Perfes pour détruire la capitale de 1'Empire. Dès le premier jour de Mars, il raffembla fes quartiers,& prit la route de la Méfopotamie. La marche fut longue & fatijuante au travers des rochers & des ïeiges, dont le pays étoit encore :ouvert. Ils furent fept jours a tra^erfer le mont Taurus , & parvin■ent enfin au bord du Tigre. Après 'avoir paffé prés de fa fource , ils rriverent a Martyropolis, & féjourlerent k dix lieues de-Iè dans la ville 'Amide. Pendant que 1'armée fe reofoit, l'Empereur dépêcha un courier k Conftantinople pour inftruire : Sénat du détail de fes exploits. es nouvelles furent recues avec eaucoup de joie. Sarbar approchoit ^ec toutes fes forces; mais 1'Em-  du Bas-Empire. Lh. LF1I. s53 pereur qui ne vouloit pas s'arrêter en Méfopotamie, fit garder les gorges des montagnes par oü les Perfes pouvoient le joindre. II paffa le Nymphius, & arriva au bord de 1'Euphrate, dans 1'endroit même ou Sarbar s'étoit d'avance préparé un paffage, au moyen d'un pont de cordes tendues d'un bord a 1'autre. Mais a 1'approche des Romains, il avoit envoyé ordre de replier le pont fur 1'autre bord. Héraclius ayant fait fonder le fleuve, le trouva guéable en un endroit; il y fit paffer fon armée, & fe rendit k Samofate k la fin de Mars. Après avoir traverfé le mont Amanus, il entra en Cicilie. Les plaines arrofées des eaux du Sarus abondoient en paturage, il s'y établit pour refaire fa cavalerie, & campa entre la ville & le pont d'Adanes ; c'étoit une des principales villes de la Province. Sarbar avoit paffé 1'Euphrate peu de temps après l'Empereur, & il le fuivoit k la tracé. II parut bientót au bord du Sarus; en forte que les deux armées n'étoient féparées que par le pont. Le paffage en étoit dé/- HÉRACLIUS. Ann. 62;. XIV. Combat du Sarus.  HÉRACLIUS. Ann. 6ï j &54 HlSTOIRE fendu par deux redoutes conftruites a la tête, & garnies de foldats. Pendant que les Perfes s'occupoient a drelfer leurs tentes & a fe retrancher , des volontaires de 1'armée Romaine allerent fondre fur eux , & en tuerent un alfez grand nombre. L'Empereur qui craignoit que ces attaques inconfidérées n'attiraffent 1'ennemi en-deca du pont, fit défenfe a fes foldats de fe hafarder fans fon ordre. II ne fut pas obéi : c'étoient a toutes les heures du jour des efcarmouches , dans lefquelles les Romains avoient prefque toujours 1'avantage. Sarbar profita de leur témérité; il pofta un corps de troupes en embufcade au bord du fleuve entre des faules & des rofeaux ; & fe laiffant battre a deffein, il prit la fuite. Par cette feinte , il en attira un plus grand nombre , qui accoururent pour avoir part aux dépouilles. Lorfqu'il les vit affez éloignés du fleuve, il tourna vifage, & les mit en fuite a fon tour. Les foldats de 1'embufcade fe montrerent en même-temps, & leur fermerent 1'entrée du pont. Surpris & enyeloppés, ils furent tous  du Bas-Empire. Lh. LFIL 25^ taillés en pieces. Les Perfes, animés par ce fuccès , attaquerent les redoutes , & alloient fe rendre maitres du paffage, lorfqu'Héraclius accourut lui-même a la tête de fes meilleurs foldats. Au milieu du pont vint fur lui a toute bride un cavalier Perfe d'une taille gigantefque, armé d'un large cimeterre ; l'Empereur, auffi adroit qu'intrépide , le perca du premier coup de lance , & le renverfa dans le fleuve. La défaite de ce géant, renommé par fa force & fa valeur , jette 1'effroi dans le cceur des Perfes; ils fuyent devant Héraclius; les uns font tués ; les autres fe preffant fut ce pont étroit tombent dans le fleuve , tandis que leur armée rangée fui le bord , tire fans ceffe fur les Romains. Rien n'arrête Héraclius; i paffe au travers d'une grêle de fle ches; accompagné d'un peloton d< foldats , il donne tête baiffée dans 1< gros de 1'armée ennemie. On le re connoiffoit a fes bottines de couleu de pourpre, & plus encore a fon in trépidité, & k la pefanteur de fe coups. Au rapport des Hiftoriens , i fe fignala dans cette journée par de HÉRACLIUS. Ann. 625. : , r s l s  HÉRACtlüS. Ann. 62j. 1 1 t i < 256 H 1 S T O I R E efForts au-deflus de 1'humanité. Sarbar fuyant avec effroi, & tournant vers lui fes regards : Vois-tu ton maitre ? dit-il, k un déferteur Romain qui fuyoit avec lui, c'eft lui feul qui défait notre armee. Ses armes furent faulfées en cent endroits; il recut plufieurs bleffures, dont aucune ne fe trouva dangereufe. Le cornbat ne finit qu'avec le jour. Sarbar s'éloigna pendant la 'nuit avec ce qu'il put rallier de fes troupes, & ne revint de fon épouvante, qu'après avoir repaffé 1'Euphrate. II regagna promptement la Perfe, & pafla' le refte de 1'année aréparer fes pertes, pour revenir 1'année fuivante avec de plus grandes forces. L'Empereur remonta vers Sébafte dans le Pont, Sc ayant paffé 1'Halys, il mit fon artnée en quartiers de rafraichifTement fur les bords délicieux de ce fleuve. Chofroës lë vengea de la défaite de res troupes fur les Eglifes de la Perfe, lont il enleva tous les ornements; 5c pour faire dépit k l'Empereur, ^ forca les Chrétiens de fes Etats i'embrafler la fede de Neftorius. Juinze ans auparayant, par complair  nu Bas-Empire. Liv. LFII. 257 fance pour fon médecin , il avoit contraint les habitants d'Edeffe , d'adopter 1'héréfie contraire. Ce Prince violent & fuperbe, s'attribuoit les droits de fouveraineté jufque fur les penfées des hommes; il fe jouoit de toutes les religions, & prétendoit les faire obéir a fa politique & k fes paffions. Les finances de l'Empereur n'étoient pas fi bien gouvernées que fes armées qu'il conduifoit lui - même. Depuis huit ans, on avoit aboli les diftributions de pain établies par un long ufage k Conftantinople. On les avoit cependant continuées aux foldats de la garde. Jean Sifmus, tréforier de 1'épargne , fous prétexte de fournir aux dépenfes de la guerre de Perfe, les fupprima entiérement; & de plus, il voulut mettre fur les vivres un impöt qui en rehauffoit le prix dans la proportion de trois a huit; ce qui caufa une grande émeute. Le 14 Mai, le peuple & les foldats s'attrouperent dans l'Eglife de Sainte-Sophie , au moment qu'on alloit commencer 1'office, jettant de grands cris, & accablant Sifmus d'inv HÉRACLIUS. Ann. 62$. Ann. 626. XV. Emeute a Conftamineple. \  HÉRACLIUS. Ann. 626. 253 HlSTOIRE précations- Le Patriarche les calma pour quelques moments, en promei*tant d'employer fon crédit pour leur procurer fatisfaöion. Mais dès que 1'ofHce fut achevé, ils accoururent de nouveau, & les clameurs recommencerent. Le Patriarche, accompagné d'Alexandre, Préfet du prétoire, du Comte Léonce, Ecuyer de l'Empereur , & de plufieurs Magiftrats, étant monté dans la tribune, ne put les appaifer qu'en leur promettant, que la tréforerie ne feroit plus entre les mains de Sifmus, qu'on n'augmenteroit pas le prix des vivres, & qu'inceflamment on rétabliroit les diftributions fur Tanden pied. Auffitöt la multitude fatisfaite fortit en foule de l'Eglife , & alla décharger fa colere fur les ftatues de Sifmus qui furent mifes en pieces. Plus Se mérite étoit devenu rare, plus les monuments inftitués pour en être la ré:ompenfe, s'étoient multipliés. II fufïfoit d'entrer dans quelque charge , Dour fe voir décoré de ftatues , de médaillons , & d'infcriptions honorables, qui perdirent leur prix par :et abus.  T>v Bas-Empirb. Liv. LV11. 259 Chofroës, au défefpoir de voir fa : fortune enchainée par celle d'Héraclius , & de ne redoubler fes efforts depuis quatre années que pour recevoir de nouveaux affronts, mit toute la Perfe en mouvement pendant eet hyver. Sans diftinöion de libres & d'efclaves, de naturels du pays & d'étrangers , il forma trois grandes armées. II donna les meilleurestroupes a Saïs, qui devoit marcher contre Héraclius. Dans cette armée étoient cinquante mille hommes choifis dans toute la Perfe , qu'on appelloit les bataillons d'or, paree que le fer de leurs javelots étoit doré. Sarbar, a la tête d'une autre armée , avoit ordre d'aller droit a Conftantinople , & d'agir de concert avec les Abares, les Bulgares & les Efclavons , pour 1'inveftir, & s'en rendre maitre. Une troifieme armée fous la conduite de Rhazatès, étoit deftinée a couvrir la frontiere. Sur c< plan , l'Empereur divifa fes troupe; en trois corps ; il en envoya un l Conftantinople pour défendre la vil le; il mit a la tête d'un autre for frere Théodore, pour réfifter &Saïs HÉRACLIUS. Vnn. 62.6. XVI. Cinquieme campagned'Héraclius.Niceph. p. II , 12 , Chr. Ale*f Theopk. p. 263 &feqq. Cedr. p. 415, 4.16. Manaff. p. 75 - 76. Zon. t. 11. p. 84. Orat. in Fefium TH> eÏK(tfl;Vif, apud Combefts. Hifi. mifi. U 18. Du Car.ge, fam. By{. ■ p. 117, ; Il8. Petav. ad ■ Niceph. Pagi ad . Bar. D'Herbc) lot , bib.  Héraclius.Ann. 626, Or. au moi JC/io^ars. Af. de Guignes , hifl. des Huns , t.I.p.107. Mém. Acad. t. XXXII. p. J6j. 1 1 ( 1 i t d 11 c H I S T O I R E il marcha lui-même en Lazique avec le troilieme. La première aöion de cette campagne le palTa entre Saïs & Theodore. Saïs, ayant traverfé 1 Euphrate, vint attaquer Théodore dans les plaines de la petite Armenië. L'heureux fuccès de cette bataille fut attribué a la proteöion de la Sainte Vierge. Dès que les deux armees furent aux mains, il tomba fur les Perfes une grêle fi violente, qu'un grand nombre en furent tués ou blefles, tandis que 1'armée Romaine jouiffoit d'une parfaite férénite. Les Romains n'eurent pas de peine a mettre 1'ennemi en déroute; ils en firent un grand carnage. Un iccident fi imprévu n'excufa pas Saïs luprès de Chofroës , qui, dans les ranfports de fa colere, lui deftinoit ine mort cruelle. Mais le défefpoir ie eet infortuné Général prévint la arbarie du Prince. II mourut de charin peu de jours après fa défaite. iiofroè's donna ordre d'embaumer Jn corps; & 1'ayant fait apporter evant lui, il affouvit fa rage en Ie ïeurtriffant de coups , & vomiffant antre lui les plus horribles injures.  nu Bas-Empire. Liv. LFII. 261 Héraclius étant parti des bords de 1'Halys oü il avoit pafte 1'hy ver, avoii traverfé le Pont, & étoit entré . en Lazique, oü il parcouroitles bords du Phafe, mettant des garnifons dans toutes les villes, pour s'affurer de 1'obéilTance de ces peuples, qui,deux ans auparavant, avoient abandonné fon armée. En avancant vers le nord, il prit connoiflance d'une nation puiffante, qui s'étoit depuis peu établie dans ces contrées. Cétoient les Khazars, ou Khozars, que 1'Hiftoire nommé ici pour la première fois. Si 1'on en pouvoit croire les Hiftoriens Orientaux , 1'origine de ce peuple remonteroit jufqu'a la première divifion du genre humain. Khazar, fils de Japhet, & frere de Turk , difentils, s'établit fur les bords du fleuve Atel , qui eft le Volga; il y batit une ville k laquelle il donna fon nom ; & c'eft de-la que les Perfans appellent la mer Cafpienne , mer de Khozar. Les Auteurs les nomment quelquefois Turcs Orientaux , paree qu'iis venoient du cöté de la Sarmatie Afiatique. Ils s'étendirent depuis le Dagueftan le long du mont Caucafe, & HÉRACLIUS. inn. 626. XVII. Origine les Kho-. '.Ui,  Héractius.Ann. 626. XVIII. Alliance d'Héraclius avec es Khojars. 2ó2 HlSTOJRE dans tout le nord de la Circaffie & du Pont-Euxin, jufque dans la Cherfonnefe Taurique, aujourd'hui la Crimée; ce qui leur a fait donner quelquefois le nom de Taurofcytes. Leur Prince avoit le titre de Khan; ils étoient divifés en plufieurs tribus: celle de Cabar a donné le nom au pays qu'on appelle Cabarta, a l'orient de la Circaffie. C'eft une efpece de république indépendante. II y a encore au nord de la Géorgie une tribu de Tartares qui conferve le nom de Khozars. Ces barbares, conduits par Ziébel, qui gouvernoit la nation fous 1'autorité du Khan, avoient fait une irruption dans la Perfe par le détroit de Derbend; & après avoir pénétré jufque dans 1'Aderbigian, ils avoient ravagé une grande étendue de pays. Héraclius alors en Lazique, réfolut d'en tirer des fecours. II envoya donc des préfents a Ziébel qui revenoit de Perfe avec une multitude de prifonniers , & lui fit propofer une alliance. Ce Général témoigna qu'il s'en trouvoit fort honoré; & fur cette réponfe, Héraclius alla au-devant des  nu Bas-Empire. Liv. LFIL 263 Khazars. Ils fe rencontrerent prés de Tiflis, ville d'Ibérie, alors occupée par les Perfes, aujourd'hui capitale du pays de Carduel en Géorgie. Dès que Ziébel appercut l'Empereur, il s'avanca a la tête d'un efcadron, &£ fautant a bas de fon cheval, il fe profterna devant lui; toute la troupe en fit autant, & enfuite 1'armée entiere. L'Empereur leur ayant fait figne de fe relever, & a Ziébel de remonter a cheval & de s'approcher , il 1'appella fon fils, &c ötant la couronne de fa tête, il la mit fur celle du Prince Khazar. Tout cela fe paffoit k la vue des Perfes qui bordoient les murs de Tiflis. L'Empereur donna un repas a Ziébel, & lui fit préfent de toute la vaiffelle qu'on avoit fervie au feftin fur les tables, d'une robe de riche étoffe, 8c de pendants d'oreille de grand prix. II diftribua auffi des préfents aux principaux Officiers. Ziébel, charmé de la générofité de l'Empereur & de la prudence qui paroiflbit dans fes difcours , le pria de reeevoir fon fils agé de quatorze k quinze ans, afin qu'il put s'inftruire a la fuite d'un Prin- HÉRACLIUS. Kaa. 616.  HÉRACLIUS. Ann. 626 XIX. I.es Perfe & Abares viennent pour affiéger Conftantl. nople. 264 HlSTOIRE ee fi fage. L'Empereur, de fon cöté, tui préfentant le portrait de fa fille Eudocie : Je vous la promets en rnariage , lui dit-il, fi vous me fecondv? contre notre ennemi commun. La mort du Prince Khazar, arrivée peu de temps après, prévint 1'accompliffement de cette promeffe. Mais l'Empereur étoit bien réfolu de la tenir , puifque la Princeffe étoit déja en chemin. II falloit qu'Héraclius eut la deffrucïion de Chofroës plus a cceur que ni la majefté de 1'Empire, ni 1'honneur de fa familie, puifqu'il achetoit a ce prix t'alliance d'un barbare qui n'étoit pas même fouverain dans fon pays. Ziébel , comblé de libéraütés & de careffes, fe retira avec fon armée, dont il laiffa quarante mille hommes a Héraclius, pour retourner avec lui dans 1'intérieur de la Perfe. Pendant qu'Héraclius fe faifoit de nouveaux alliés en Oriënt, ceux qu'il avoit en Occident fe liguoient avec fes ennemis. Sarbar avoit engagé par fes députés le Khan des Abares a fe joindre a lui avec les Bulgares & les Efclavons, pour attaquer la capitale de 1'Empire. En attendant 1'arrivée de ces  nu Bjs-Empirb. Liv. LVll. 265 ces fecours, il demeuroit campé devant Chalcédoine dont il brüloit les fauxbourgs. Enfin, le 29 Juin , on vit arriver la tête de 1'armée Abare, compofée de trente mille hommes, qui camperent au pied de la longue muraille. Auffi-töt les différents corps de troupes Romaines, répandus autour de Conftantinople, fe renfermerent dans 1'enceinte de la ville, Le lendemain les Abares avancerent jufqu'a la diftance de quatre lieues, & camperent prés de Mélantias. Leurs partis infeftoient tous les environs, brulant les bourgs & les villages» Néanmoins dix jours après, comme il ne paroiffoit point de barbares dans la plaine, il fortit de la ville grand nombre de foldats fuivis des valets de 1'armée, & de plufieurs habitants, pour aller faire un fourrage a trois lieues. Cette hardieffe ne fut pas heu» reufe. Un corps de troupes fupérieur en forces tomba fur eux, en tua une partie, & fit beaucoup de prifonniers, Cependant les foldats Romains combattirent avec courage, & fauverent aux dépens de leur vie, celle de leurs valets 6c des habitants qui fuyoient Tom XII. M HÉRACLIUS. kan. 616.  HÉRACLIUS. Ann, 6zé XX. Députa' tion inuti Je, z6S Histoire ■ derrière eux. Ce même jour un corps d'environ mille Abares tourna le golfe . de Céras , & s'avanca au-dela du fauxbourg de Syques , jufqu'au bord du Bofphore, pour lë montrer aux Perfes campés a Chryfopolis, dans le même lieu oü eft aujourd'hui Scutari. Ils fe donnerent mutuellement des fignaux, les Abares pour avertir les Perfes de leur arrivée, les Perfes pour exhorter les Abares a commencer les attaques. Dès qu'on avoit appris k Conftantinople que le Khan fe liguoit avec les Perfes, on lui avoit député un Sénateur nommé Athanafe , pour tacher de traverfer cette négociation. Le Khan, fans avoir aucun égard a fes remontrances, ne lui permettoit pas de retourner, & le retenoit k fa fuite. Lorfqu'il fut arrivé prés d'An» drinople avec le refte de fon armée qu'il conduifoit en perfonne, il le fit venir devant lui : Va dire d tes compatriotes , lui dit - il, qu'il ejl encore iemps pour eux de me dèfanmr, pourvu qu'iis confentent d payer ma retraite: Athanafe, porteur de ces paroles, fut mal recu par le Patrice Bon & par  nu Bas-Empirr. Liv. LVII. 167 les Sénateurs, qui lui reprocherent de s'être avili jufqu'a devenir le meffager d'un barbare perfide & infolent. II s'excufa fur la commiffion dont le Sénat lui-même 1'avoit chargé, de rapporter la réponfe du Khan des Abares, ajoutant qu'il étoit prêt de lui reporter la leur fans en adoucir les termes, au rifque d'effuyer toute la colere d'un Prince brutal & cruel. Pour lui faire voir que la ville étoit en état de défenfe , on fit en fa préfence la revue des troupes. II fe trouva douze mille chevaux avec une infanterie fans doute beaucoup plus nombreufe, mais dont les Ecrivains ne fpécifient pas le nombre. Athanafe fut chargé d'une réponfe par laquelle, fans infulter le Khan, on lui fignifioit une réfolution irrévocable de fe défendre jufqu'a 1'extrémité, plutot que de s'abaiffer a des conditions que les Abares ne pouvoient propofer fans injuftice, ni les Romains accepter fans déshonneur. Le Khan, irrité de cette fermeté, chafla de fa préfence Athanafe : Va périr avec tu concïtoyens, lui dit-il, & dis-leur di ma part, qttjl fout qu'iis m'abandon' M ij HÉRACLIUS. Ann. 626.  HÉRACLIUS. Ann, 62é XXI. Attaque «ie la ville 268 BlSTOIRE nent tout, ou que je dètruirai leur ville de fond en comble. . Le peuple, animé par les difcours du Patriarche, & par la confiance qu il avoit en la protedion de la Sainte Vierge, patrone de la ville, ne s'effraya point de ces menaces. Bon difpofoit tout pour une vigoureufe défenfe, tandis que Sergius imploroit Pafliftance de Dieu , par des prieres & des proceffions , clans lefquelles on portoit les images & les reliques des Saints, en chantant les premiers verfets du pfeaume Exurgat Deus & difiipentur 'mimici ejus. Le 29 Juillet, le Khan arriva, fuivi du refte de fon armée, & s'avanca jufqu'a la portée des machines pour reconnoïtre la ville. Les Abares parurent innombrables, Le lendemain pendant qu'il faifoit repofer fes troupes, un de fes partis courut a l'Eglife de Sainte-Marie de la fontaine, qui n'étoit qu'è cent vingt-cinq pas de la porte dorée. II fut repouffé & taillé en pieces par un corps de troupes légeres qui fortirent de la ville. Le trenteun Juillet, le Khan fit battre la muraille par le bélier & par toutes for-  du Bas-Empire. Liv. LVIL a.69 tes de machines, depuis le commen- ! cement du jour jufqu'è fix heures du foir. L'attaque continua les deux jours fuivants avec la même violence. Douze tours roulantes aufli hautes que les tours des murailles, faifoient pleuvoir les pierres, les fleches, les javelots. Les affiégés fe défendoient avec un courage opiniatre ; les machines dont les murs étoient couverts, & les fréquentes forties, faifoient périr un grand nombre d'ennemis. On détruifoit, on brüloit leurs ouvrages. Les gens de mer fe joignirent aux foldats Sl aux habitants, & ces trois ordres de combattants fe difputoient le prix de la hardieffe & de la valeur. Un matelot inventa une nouvelle machine; c'étoit un mat por té fur des roues, au haut duquel étoit fufpendue une nacelle; poulté le long de la muraille , il fuivoit le mouvement des tours ennemies, auxquelles les matelots, dont la nacelle étoit remplie, mettoient le feu avec des torches ardentes qu'iis y lancoient. Après trois jours d'attaques continuelles , toujours courageufement repouffées, le Khan demanda un pourM iij HÉRACLIUS- Vaa, 5ï6» XXII. Propofiiions du Khan rejettées.  HÉ RA C1IUS Ann, 6: 270 HlSTOIRE - parler. On lui envoya cinq des principaux Sénateurs. Lorfqu'ils furent en '6t fa préfence , il fit venir trois Officiers Perfes , que Sarbar lui avoit députés; il les fit affeoir a fes cötés , laiffant de bout les envoyés Romains, auxquels il paria en ces termes.» Ces » Perfes que vous voyez viennent » m'offrir leurs bras; je n'en ferai » point d'ufage, fi vous écoutez les » confeils de ma clémence : Sortez » tous de votre ville fans rien em» porter, que 1'habit qui couvrira » votre corps; abandonnez-moi tout » le refte, & retirez-vous au camp » des Perfes, dont vous ne recevrez » aucun mauvais traitement. Sarbar » m'en a donné parole, & je fuis » garant de fa bonne foi. C'eft 1'uni» que moyen de fauver votre vie » & celle de vos families, k moins » que vous n'ayez le fecret de vous » transformer en poiffons ou en oi» feaux, pour vous échapper au tra» vers des eaux ou des airs. Que vo» tre confiance dans le fecours de vo» tre Dieu ne vous aveugle pas; je » prendai demain votre ville, &j'en » ferai un défert, Ne comptez pas  du Bas-Empirb. Liv. LVH. 271 » non plus fur votre Empereur; ces » Perfes m'affurent qu'il n'eft point » entré clans leur pays, & qu'il n'a » point d'armée ". S'ils tajfurent, reprit brufquement un des Sénateurs, ce font des impofteurs qui vous abufent par leurs menfonges. Comme un des Perlës lui répliquoit en termes injurieux : Je n'ai rien d te répondrey dit le Sénateur ; quand tu nous infultes , ce neft pas toi, c'eft le Khan qui nous outrage; & fe tournant vers le Prince Abare : Avec tant de farces, lui dit-il, vous ave{ donc encore befoin du fecours des Perfes ? Point du tout, dit le Khan; mais ils me l'offrent, paree qu ils font mes amis. Eh bien, répliqua le Romain, accepte{ leurs offres:pour nous nefpéreipas que nous abandonnions notre ville ; fi vous riave\ point Jauttepropofuion d nous faire, permette^-nous de nous retirer. Après cette entrevue, ils rentrerent dans la ville. La nuit fuivante, les trois Perfes traverfant le Bofphore dans une nacelle pour retoürner a Chryfopolis, furent pris au paffage par un vaiffeau Romain, &c conduits a Conftantinople. On trancha fur le champ la tête k 1'un des M iy HÉRACLIUS. Inn. 616. 1  HÉRACLIUS. Ann. 626. XXIII. Tentative loquer la ville du cöté du golfe Ie Céras, tandis qu'il 1'attaqueroit du öté de la terre. Mais les vaiffeaux tomains, maitres du golfe, ayant ompu fes mefures, il avoit pris le arti de jetter fes canots a 1'embou-  du Bas-Empire. Liv. LFU. 273 chure du Barbyffus, qui fe décharge è la pointe du golfe. Comme il y avoit beaucoup de vafe en eet endroit, & que Peau y étoit fort baffe, les vaiffeaux ne pouvoient en approcher, & les canots fe tröuvoient hors d'infulte. II en fit tranfporter une partie dans une baye du Bofphore, nommée Chda, a deux lieues de Conftantinople en remontant vers le nord , afin qu'iis ne fuffent point appercus de la ville. Mais malgré cette précaution, Pentreprife ne put demeurer fecrete. Plufieurs vaiffeaux fortirent du port, quoiqu'avec un vent contraire, & fe mirent en état de s'oppofer au paffage. Le Khan qui avoit voulu conduire lui-même ce tranfport, revint vers le foir devant Conftantinople , & les Romains par bravade , lui envoyerent un préfenl de vins & de gibier. Comme 1'Officier qui recevoit ce préfent leur reprochoit la cruauté dont ils venoienl d'ufer envers les députés des Perfes. & 1'infulte faite au Khan, qui fe préparoit, difoit-il, a en tirer une terrible vengeance : Nous Fatunions, répondirent-ils. La nuit fuivante , le: M v HÉRACLIUS. Ann. 616,  HÉRACLIUS. Ann. 626. XXIV. Les Abares repoufféspar mer & par terre. 274 Histojrs Perfes, prêts a s'embarquer,bordoient le rivage, & les canots des Abares traverfoient le Bofphore , lorfque les vaiffeaux Romains fondirent delfus, & s'en emparerent , maffacrant & précipitant dans la mer les Efclavons qui les conduifoient. ^ Le Khan, conflerné de cette perte, réfolut de faire un dernier effort pour emporter la ville par un aflaut général. Voici quel étoit i'ordre de 1'attaque. Toute fon armée devoit, dès le point du jour, s'avancer au pied des murs, dégarnir la muraille, & en abattre les défenfeurs par une grêle continuelle de fleches, faire jouer en même-temps toutes les machines ; & lorfqu'on feroit pret de monter a Paffaut, on devoit donner le fignal avec des torches allumées aux Efclavons qui étoient fur les canots a 1 embouchure du Barbyffus. Ceux-ci devoient aufli-töt entrerdans le golfe, débarquer le long de la ville, 1'attaquer de ce cöté-la pour faire diverfion , y pénétrer s'il étoit pofïible, & donner la main aux troupes qui auroient efcaladé du cöté de a terre. Le Patrice Bon fut ayerti a  du Bas-Empire- Liv. LV1L 2.75 temps de toutes ces difpofitions. Pour ï les rendre inutiles, il raffembla dès 1'entrée de la nuit tous les vaiffeaux i difperfés dans les différents ports de Conftantinople, Sc les fit ranger fans bruit le long des deux rivages vers la pointe du golfe. Dès que les canots , fortis de 1'embouchure du fleuve au fignal donné, fe font avancés en pleine eau, les vaiffeaux fondent fur eux a droite Sc a gauche , Sc les enveloppent ; les Efclavons font la plupart affommés Sc déchirés k coups de crocs; les autres tachent de fe fauver a la nage vers 1'endroit oü ils avoient vu briller des feux, croyant y trouver les Abares; ils y trouvent la mort. Un corps d'Arméniens rangé fur le bord de Blaquernes, les paffe au fil de 1'épée a mefure qu'iis atteignent le rivage. Quelques-uns échappent & gagnent 1'armée du Khan, qui ne leur fait pas plus de quartiers. Outré de colere de ce qu'iis avoient mal exécuté fes ordres, i' les fait tuer fans pitié. Les eaux dv golfe, étoient rougies du fang des Ef clavons, Sc couvertes de leurs cada vres flottants, entre lefquels on re M vj HÉRACLIUS. tnn. 616»  HÉRACLIUS. Aue. 626 XXV. Retraite des Abares. 27<5 HlSTOIRE connut plufieurs femmes. CepenrJant 1'armée de terre battoit les murs de , la ville. Le Khan, placé fur une éminence avec fa cavalerie, voyant toutes fes mefures rompues, fe livroit aux plus violents excès de la rage 6C du défefpoir. Les habitants profitent du défordre pour faire une furieufe fortie; lepouvante faifit les Abares; ils fuyent avec tant d'effroi, que les enfants mêmes 6c les femmes, mêlés avec les combattants, pénetrent jufqu'è leur camp. Cet échec découragea entiérement le Prince Abare. La nuit fuivante, il fit démonter toutes fes machines, brüla les tours roulantes, combla fes retranchements, pendant que le Patriarche & tout le peuple de Conftantinople, les mains levées vers le ciel, 6C verfant des larmes de joie, rendoient a Dieu des a£fions de graces. Dès le matin, étant pret a'partir avec toute fon armée, il envoya un héraut crier aux habitants, qu'il ne fe retiroit que pour revenir dans une faifon plus commode, & avec de plus grands prcparatifs : que bientót ils le reverroiene armé de touits fes fonts &  nu Bas-Empize. Liv. LVII. 27* de toute fa vengeance, pour leur faire a tous le même traitement qu'iis avoient fait aux trois députés des Perfes.^ Cependant quelques moments après , il fit demander encore une entrevue au Patrice , qui répondit, qu'il riavoit plus de pouvoir pour traiter avec les Abares; que le frere de tEmpereur étoit fur le point darriver avec fon armée victorieufe, & que ce Prince iroit incejfamment chercher le Khan dans fon pays, apparemment pour lui parler de paix. Ce menfonge jetta dans le cceur du Roi barbare une nouvelle terreur; il craignit d'avoir fur les bras 1'armée de Théodore, vainqueur de Saïs , & décampa auffi-töt. Pour couvrir fa retraite, il laiffa dans la plaine de Conftantinople fa cavalerie, qüi paffa le refte du jour a brüler ce qui fubfiftoit encore d'Eglifes & de villagea Fentour , & le rejoignit la nuit fuivante. La ville qui avoit foutenu dei attaques continuelles pendant treiz< jours, depuis le 3 1 Juillet, jufqu'ai 12 d'Aoüt, crut devoir fa délivran ce a la protettion de la Sainte Vier ge. En mémoire de eet heureux évé jnement, on inftitua une fête annuel HÉRACLIUS. Ann. 626.  HÉkACHUS. Aan. 626. Ann. 627. XXVI. Les Khozars abandoiinentHéraclius. a?8 HlSTOIRE Le, qui fe célébroit la famedi de la cinquieme femaine de Carême , & dans laquelle on paffoit la nuit a chanter des hymnes en 1'honneur de la mere de Dieu. Sarbar, quoique dénué du fecours des Abares , ne renonca pas au fiege de Chalcédoine; il y paffa 1'hyver fans difcontinuer fes ravages.^ Cette ville avoit été prife & pillée par les Perfes neuf ans auparavant; mais fortifiée depuis peu, 6C bien munie de foldats & de toutes les provifions de guerre, elle foutint un fiege de deux ans, & réfifta k tous les efforts de Sarbar. Bon, qui avoit fignalé fon courage & fa prudence dans la défenfe de Conftantinople , mourut le 21 Mai de 1'année fuivante, & fut enterréavecdegrands honneurs dans l'Eglife de Saint JeanBaptifte, au monaftere de Studius prés de la porte dorée. Le fiege de Conftantinople avoit tenu Héraclius en échec fur les frontieres de Perfe. Craignant d'être obligé de retourner fur fes pas pour cou«r au fecours de fa capita le, il n'avoit ofé s'engager dans 1'intérieur du pays. Après la retraite des Abares,  du Bjs-Empme. Liv. LVJL 279 il s'avanca dans 1'Atropatene, oü il '• paffa 1'hyver :au printemps, il entra en Affyrie, oü il prit plufieurs villes , & fit de grands ravages. On étoit déja au mois de Septembre , & les approches de 1'hyver fe faifoient fentir dans ces contrées montagneufes & froides. Ce Prince infatigable avoit tellement endurci, par 1'habitude des travaux, &c fur-tout par fon exemple, les foldats Romains perdus de molleffe avant cette guerre, qu'iis furpaffoient en force & en confiance des barbares nés dans les glacés du Nord au milieu de toutes les incommodités de la vie. Les Khazars, fatigués des marches pénibles & des combats continuels qu'il falloit foutenir contre les Perfes qui les harceloient fans ceffe , redoutant d'ailleurs 1'hyver qu'iis avoient déja paffé hors de leur pays , commencerent a déferter féparément; enfin, tous enfemble vinrent demander a Héraclius la permiffion de fe retirer. II leur donna auffi-töt leur congé k la tête de fes troupes affemblées,ö£vit quarantemille hommes fe détacher de fon armée, fan< témoigner aucun regret, Se tournani HÉRACLIUS.  HÉRACUUS. Ann. 627. xxyn. Sixieme campagne d'Héraelius. 1 ( 1 1 1 1 1 I £80 HlSTOIRE alors vers fes foldats, de peur que cette défertion ne diminuat leur courage : Mes amis, leur dit-il , nous avons vaincu fans aucuns fecours étrangers; fachons grê a ces barbares de ne pas vouloir partager notre gloire. Dieu ne vous abandonné pas ; il vcut faire voir d l'univers que nous ne devons nos fuccès qua fon bras puiffant & d la valeur quil vous infpire. L'Empereur fe vengeoit fur 1'Affyrie des ravages de 1'Afie mineure. Les habitants fuyoient de toutes parts, ou tomboient fous 1'épée des Romains. Le 9 Oftobre, il entra dans la contrée nommée Camaétha , & y fit repofer fon armée pendant fept [ours.-Cependant Rhazatès, chargé de la défenfe du pays, étant parti de Ganzac, fuivoit les traces de 1'armée Elomaine. Comme elle confumoit :ous les magafins fur fon paffage, & ju'elle détruifoit ce qu'elle ne pou'oit confumer, il avoit beaucoup le peine a faire fubfifter fes trou>es , & il perdit quantité de che'aux. Le 1er. Décembre, Hé radius ariva au bord du grand Zab , & 1'ayant »affé, il campa prés de Niniye. Rha-  nv Bas-Empire. Liv. LV1I. 281 7atès alla paffer une lieue au-deffous oü il trouva un gué, & campa prés du confluent du Zab & du Tigre. Baane, un des Lieutenants - Généraux d'Héraclius, ayant rencontré un parti de Perfes, le tailla en pieces avec le Commandant, dont il porta la tête a l'Empereur, & ramena vingtfix prifonniers, entre lefquels fe trouvoit 1'Ecuyer de Rhazatès. Celui-ci interrogé fur les deffeins de fon maitre , déclara que Rhazatès avoit ordre de combattre, & qu'il attendoit un renfort de troupes, qui devoient le joindre. L'Empereur, réfolu d'en prévenir 1'arrivée, marcha aux ennemis ; & s'étant arrêté dans une plaine affez unie & affez fpacieufe pour y développer toutes fes troupes, il les rangea en bataille. Rhazatès ne tarda pas de s'y rendre, & on fe prépara de part & d'autre a une action décifive. Le 11 Décembre, les deux arméés en vinrent aux mains. Héraclius s'avanca le premier de tous & terraffa un cavalier Perfe qui f< préfentoit pour le combattre. Un au tre accourut, & eut le même fort HÉRACLIUS. Ann. 617. XXVIII. Batatliï du Zab.  KÉRA- ctius. Ann. 627 i i < 2§2 HlSTOÏRE II en yint un troifieme, & quelques Hiftonens prétendent que c'étoit Rha, zatès lui-même. II bleffa légérement 1 Empereur de deux coups, 1 un au vifage, 1'autre au talon : Héraclius, plus animé par ces bleffures , 1'abattit d'un coup de lance. Les deux armées fe choquerent enfuite avec fureur. L'Empereur s'expofa dans le plus fort de la mêlée; fon cheval fut bleffé, il recut plufieurs coups dans fes armes, qui;étant k 1'épreuve, lui fauverent la vie. Le cornbat commencé dès le matin ne finit qu'avec le jour. Les Perfes y perdirent trois de leurs principaux Commandants avec le Général, prefque tous leurs Officiers, & plus de la moitie de leurs foldats. Du cöté des Rcmains, il n'y eut que cinquante hommes de tués; mais il y en eut un tres-grand nombre de bleffés , qui n'auroient pas évité la mort après la bataille, fansle bon ordre & les bons :raitements établis par Héraclius, qui fc-ouloit bien y veiller lui-même. Ce 3nnce favoit que les fuites d'un cornet font fouvent plus funefles que le :ombat même; qu'un höpital mili-  nu ëas-Empire. Liv. LVII. 283 faire eft un nouveau champ de bataille , & que les' vrais ennemis des foldats font moins quelquefois ceux qui les bleffent, que ceux qui font chargés de les guérir. De plufieurs milliers de bleffés, il n'en mourut que dix. On remporta vingt-huit enfeignes, fans compter celles qui furent brifées ou déchirées dans Faction. Les foldats Romains y gagnerent quantité de cafques, de cuiraffes, & toutes fortes d'armes. Ce qu'il y eut de fingulier dans cette bataille, c'eft que les Perfes, quoique trésmaltraités , ne prirent cependant pas la fuite; glacés d'effroi, & devenus comme immobiles , ils paflerent plus de la moitié de la nuit a deux portées d'arc des Romains, entre les cadavres de leurs camarades. Enfin revenus a eux - mêmes, ils regagne rent leur camp, ou ils ne rentreren que pour emporter leur bagage. II fe retirerent encore tremblants, & pleins d'épouvante , au pied d'un montagne efcarpée. Le lendemain les Romains étant entrés dans le cam ennemi, y trouverent encore beau eoup de richefles échappées a la pre HÉRACLIUS. Ann. 617. » ï  Héraclius.Ann. 627, XXIX. Suites de Ia ba taille. 1 < I I c I T cl c n Ü 2H ff I S T O I B. £ cipitation de la fuite ; des épées d br, des cemtures garnies de pierreries, la cotte-darmes & le bouclier de Khazates, couvert de fix vingts lames d'or , fa cuiraffe d'or toute entiere , ainfi que fes braffelets & Ia lelie de fon cheval. Ils trouverent auffi fon caclavre abandonné , dont ris emporterent la tête. Ori^fit prifonnier Barfemesès, Prince des Ibénens, foumis aux Perfes , qui n'avoit pu fe fauver a caufe de fes blelfures. Une fi grande viöoire redoubla Ie courage des Romains, & les rendit ïnfenfibles aux rigueurs de la faifon, qui devenoit plus fupportable, 1 mefure qu'iis approchoient de Ctéïphon. Héraclius réfolut de marcher Iroit a Chofroës, & de le ferrer de 'rès, afin de 1'obliger par fon prore danger a rappeller Sarbar, qui ontinuoit le fiege de Chalcédoine. ■e li Décembre, il apprit que le snfort de troupes , qu'avoit attenu Rhazatès, avoit joint 1'armée vainie, & que les Perfes étoient devens affez hardis pour le fuivre dans marehe. II s'empara de Ninive,  du Bas-Empire. Liv. LV1I. 2*5 qui n'étoit plus qu'une bourgade, featie des ruines de Fancienne capitale de 1'Affyrie ; il paffa de nouveau le grand Zab pour prendre la route de Ctéfiphon. George, un de fes Lieutenants, a la tête d'un corps de cavalerie , fit feize lieues en une nuit, & fe rendit maitre de quatre ponts fur le petit Zab , qui eft Tanden Caprus. II prit d'emblée plufieurs chateaux, dont il fit les habitants prifonniers. Le 27 Décembre, l'Empereur traverfa le petit Zab, Dans cette contrée de TAffyrie , le long des bords du Tigre jufqu'a Ctéfiphon, s'élevoient de diflance en diffance de fuperbes palais, oü les Rois de Perfe aimoient a faire leur féjour. L'Empereur s'arrêta quelques jours au palais d'Yefdem , pour repofer fes troupes & refaire fa cavalerie qui avoit manqué de fourrage. Chofroës , apprenant que les Romains approchoient de Ctéfiphon , avoit envoyé ordre a fon armée de hater fa marche pour atteindre Héraclius, & de lui livrer une feconde bataille. Les Perfes firent en effet tant de diligence , qu'ayant pris des routes a- HÉRACLIUS. Ann. 6ï#.  HÉRACLIUS. Ann, 627. ; Ann. 628. XXX. Marche d'Héraclius.Chr. Alex. Thecph. p, 267 &feqq. Cedr. p. 417,418, 419. Niceph. p. 12. Zon. t. 11. p. 84. Hifi. mifc. I. 18. Elmacin. I. I. AJfemani , s86 Histoire brégées, ils gagnerent une journée fur 1'Empereur. Mais ils ne fe preffoient pas d'en venir aux mains, & fe contentoient de le devancer dans ia marche & dans fes campements. Héraclius , arrivé a un fecond palais nommé Roufa, le détruilit de fond ;n comble. II craignoit que les ennemis ne 1'attendiffent au palfage de la •iviere nommée Torna , autrefois 3hyfcus, aujourd'hui Odorneh; mais lés qu'iis 1'appercurent, ils prirent a fuite. Le premier jour de Janvier, l'Empereur paffa le Torna, &c logea fon armée dans un palais nommé Béclal; c'étoit une des ménageries du Roi de Perfe. On y nourriffoit un nombre infini d'animaux de toute efpece, privés & fauvages. Les Romains y firent bonne chere, & le détruifirent ïnfuite. II y avoit un Cirque; Héraclius , pour diftraire fes foldats de leurs fatigues, leurs donna le divertiffement d'une courfe de chevaux. Ce palais n'étoit éloigné que de cinq milles de Daftagerd, ville confidérable , nommée autrefois par les Macédoniens, Artémita, fituée fur les  nu Bas-Empire. Liv. LFI1. 2S7 bords de 1'Arba, riviere profonde, dont le lït étoit relTerré par des digues, & qui donnoit paffage dans la ville par un pont fort étroit. La riviere fe norame aujourd'hui Diïala, & la ville Dafcara el Melic , c'eft-adire , la Royale, nom qu'elle a confervé du féjour de Chofroës. II y faifoit fa demeure ordinaire depuis vingt-quatre ans , ayant abandonné Ctéfiphon, paree que fes Aftrologues lui avoient prédit que Ctéfiphon lui feroit funefie. II y avoit raffemble fes troupes. Héraclius efpéroit le trouver en ce lieu, & terminer la guerre par une bataille. Mais dès le 13 Décembre, Chofroës, effrayé de 1'approche des Romains, avoit pendant la nuit percé fecretement le mur de la ville qui touchoit a fon palais, Bc s'étoit fauvé avec fes. femmes & fes enfants, fans en donner avis même aux principaux Seigneurs de fa Cour, que lorfqu'il fut éloigné de deux lieues. Alors il envoya ordre a fon armée de le fuivre. Les Romains trouverent dans le palais de Daftagerd trois cents enfeignes, gagnées fur eux dans les guer- Héra.- clius. Ann. 628. bibl. Or. t. UI. Mém. Acad. t. XXXII, p. 567. Sr fuiv. XXXI. Pillage rfii palais tie Daftagerd.  HÉRACLIUS. Arm. 628, / iS8 UlSTOIRE res précédentes, des amas immenfes d'or, d'argent, d'aromates , d'épiceries , de foies, de tentes, de meubles précieux; quantité de flatues qui repréfentoient ce Prince orgueilleux en diverfes attitudes; les jardins &C les parcs étoient peuplés de paons, de faifans , d'autruches , de chevreuils , de fangliers. On y avoit même enfermé des lions & des tigres d'une grandeur extraordinaire * pour donner au Prince le plaifir de la chafie. Le ferrail étoit rempli d'un peuple nombreux de jeunes filles, choifies entre les plus belles de la Perfe, ou enlevées fur les terres de 1'Empire. II n'eft pas poflible d'ajouter foi aux exagérations d'un Auteur Arabe. Chofroës auroit poffédé plus de richefles que tous les Princes enfemble. Selon eet Hiftorien, il entroit tous les ans dans fes tréfors plus de cinq milliards de notre monnoie ; il avoit mille coffres pleins de pierreries: mille éléphants, dont plufieurs étoient auffi blancs que la neige , plufieurs avoient douze pieds de haut; ce qui devoit être infiniment rare, la plus haute taille de ces  dv Bas-Empjrs. ÏAv. LVU. 239 ces animaux ne paffant jamais dix pieds & demi. Tout fut pilié ;. ce qu'on ne put emporter fut livré aux flammes avec le palais même, édifice d'une admirable ftructure. Grand nombre de prifonniers d'Edeffe, d'Alexandrie , & de toutes les Provinces R.omaines ravagées par les Perfes, recouvrerent la liberté. Héraclius donna quelques jours; de repos a fes troupes, & paffa en ce lieu la fête de 1'Epiphanie. Chofroës fuivoit la route de Ctéfiphon , n'étant accompagné que de fon ferrail. Ses femmes, que la jar loufie Oriëntale avoit jufqu'alors tenues comme prifonnieres, &C qui ne s'étoient jamais vues, trainant chacune leurs enfants, fuyoient k pied pêle-mêle , s'embarraffant, fe heurtant , fe querellant les unes les autres. Après huit lieues de chemin, il paffa la nuit dans une pauvre chaumiere , ou 1'on ne pouvoit entrer qu'en rampant. On la montra quelques jours après a Héraclius, qui ne put voir ce miférable hofpice du plus puiffant Roi de l'Afie , fans gémir fur le néant des grandeurs hu- Tomc XII. N HÉRACLIUS. A.nn. 62S. XXXII. Fuite de Chofroës.  Héraclius.Ann. 61S. xxxm. Révolte de Sarbar. 259 HlSTOIKE maines. Chofroës marcha trois jours, & ce Prince , qui, depuis vingt-quatre ans, frappé de la p*édiéfion de fes Aftrologues , n'avoit ofé faire un pas du cöté de Ctéfiphon, arriva en défordre dans cette ville. Mais il ne s'y arrêta pas. Dès qu'il eut pafte le Tigre , il continua fa route vers la Sufiane, ör choifit pour fa retraite une grande ville, nommée par les Perfes , Guédéfer, & par les Grecs, Séleucie, un peu au-dela de Sufe & du fleuve Eulceus, a prés de cent lieues de Ctéfiphon. II garda auprès de lui fa femme Sira , le plus jeune de fes fils, nommé Médarsès, fes filles , & trois de fes concubines. II envoya les autres avec le refte de fa familie a Mahuza. C'étoit la nouvelle Antioche, batie par fon aïeul. Réduit a de fi grandes extrémités , Chofroës n'avoit de reflburce que dans 1'armée de S'arbar. Après la défaite de Rhazatès , il lui avoit mandé de venir en diligence au fecours de fon Roi. Le courrier fut arrêté par un parti Romain, & conduit a Héraclius. L'Empereur retint le courrier 5c la dépêche ; il en fuppofa unc  du Bas-Empire. Liv. LFIL 291 autre , par laquelle Chofroës mandoit a Sarbar, qu'il avoit entiérementdéfait Héraclius joint aux Khozars; que la Perfe étoit en süreté; que Sarbar fe donnat bien de garde d'abandonner Chalcédoine, & de fe préfenter devant lui fans lui apporter les clefs de cette ville. Sarbar , trompé par eet artifice , continua le fiege. Chofroës, apprenant qu'il ne lë difpofoit nullement k revenir, fut fort irrité de cette défobéiiTance. La malice des flatteurs-, funefte inftrument de la colere divine pour la deltruction des Empires, profita de 1'occafion pour ruiner Sarbar dans 1'efprit du Roi. On lui perfuada que ce Général le méprifoit; que s'attribuant tous les fuccès précédents , il triomphoit des difgraces préfentes, & qu'il ne defiroit que la perte de fon maitre, pour ufurper le tröne. II n'en falloit pas tant pour porter aux dernieres violences un Prince aufli impétueuxque Chofroës. II fait partir un de fes Ecuyers chargé d'un ordre adreffé au Lieutenant-Général de Sarbar ; il lui commandoit de tuer Sarbar, 6c de ramener 1'armée en N ij HÉRACLIUS. Ann. 6zij, i 1  HÉRACLIUS. Ann. 628. XXXIV. Mouve .ments d'Héraclius. 204 HlSTOIRE Perfe. Le porteur de ces ordres fut encore arrêté en Galatie, & conduit k Conftantinople. Conftantin demande une entrevue a Sarbar, & lui envoye un fauf-conduit. II lui met entre les mains la dépêche de Chofroës , & Sarbar ajoute k la lettre un ordre de maflacrer avec lui quatre cents Officiers de 1'armée. II retourne enfuite au camp, affemble les troupes , leur fait la leöure de eet ordre fanguinaire, & demande au Lieutenant-Général s'il eft difpofé k 1'exécuter. Les Officiers, fans attendre la réponfe , embrafés d'une furieufe colere, s'écrient qu'iis n'ont plus d'autre ennemi que Chofroës; que c'eft k ce tyran injufte & cruel qu'il faut aller faire la guerre. On leve le fiege; on traite avec le jeune Empereur d'un confentement unanime. Sarbar lui donne en ötage deux de fes fils, & ceux du Lieutenant-Général, qui n'ofe les refufer, & Pon marche vers la Perfe. Tout y étoit dans un affreux dé' fordre. Avant que de partir de Daftagerd, Héraclius avoit écrit k Chofroës en ces termes : » Si je m'atta-  du Bas-Empire- Liv. LVÏ1. 293 v> che a. vous pourfuivre, ce n'eft pas » pour vous combattre, c eft pour » vous contraindré a faire la paix. , » Les maux qu'entraine la guerre , » m'aftlige autant que vos fujets qui » les reffentent. C'eft vous qui me » forcez a défoler vos contrées. Quit» tons les armes ; refferrons de nou» veau les noeuds d'amitié qui unif» foient les deux Empires. Si vous » voulez concourir avec moi, il fera » facile d'éteindre eet incendie, avant » qu'il ait embrafé toute la Perfe ". Chofroës méprifa ces avances que lui faifoit l'Empereur ; & par cette opiniatreté , il s'attira la haine de fes fujets. Epuifé de forces, il donna des armes k fes domeftiques, aux efclaves de fes femmes & des Seigneurs de fa Cour, & envoya ce foible renfort k 1'armée de Gurdanafpé, fefcr ceffeur de Rhazatès, dans !e commandement. II lui ordonnoit de repaffer 1'Arba, & de rompre tous les ponts. Héraclius étant parti de Daftagerd le 7 Janvier, arriva en trois jours k 1'endroit ou 1'Arba fe décharge dans le Tigre. Gurdanafpé étoit campé audela , dans le deffein de couvrir CtéN iij Hora.clius.Inn. 618.  HÉRACIIUS. Ann, 628. 294 HlSTOlRE fiphon, qui n'étoit éloigné que de quatre lieues. Son armée n'avoit de formidable que deuxcents éléphants. L'Empereur deliroit ardemment de le joindre,& de lui livrer bataille ; mais fes coureurs lui rapporterent que tous les ponts étoient rompus, & que 1'Arba n'étoit guéable en nul endroit. II apprit en même-temps que Chofroës avoit trouvé dans fa familie un ennemi plus redoutable que les Romains. II réfolut de laiffer les Perfes fe déchirer mutuellement par une guerre civile , & de donner du repos & fes troupes , en attendant 1'événement. II remonta le long de 1'Arba , jufqu'a une ville nommée Siarzur, aujourd'hui Scherzour, au pied des montagnes du Curdiftan , qui eft 1'ancienne Affyrie ; & après y avoir confumé les vivres & les fourrages, il marcha vers Ganzac, ou il efpéroit trouver plus d'abondance. II eut beaucoup de peine a paffer le mont Zara , & s'il eut tardé de quelques jours, fon armée auroit couru rif* que d'être enfevelie dans les neiges. Depuis le 24 Février de cette année, jufqu'au 30 Mars, il ne ceffa de nei-  nu Bas-Empihe. Liv. LVII. 29? ger clans ce pays. A fon approche, le. Gouverneur de Ganzac & tous les habitants, laiffant la ville déferte, fe fauverent fur les montagnes &C dans les chateaux du voifinage. Voici ce qui fe pafToit en Perfe pendant ce temps-la. Chofroës attaqué d'une cruelle dyffenterie, réfolut de fe nomtner pour fucceffeur fon fils Médarfès, qu'il avoit eu de Sira, fon époufe chérie. Dans ce deffein , il fe mit en marche pour retourner a Ctéfiphon , oü fe devoit faire la cérémonie du couronnement, conduifant avec lui Sira & Médar.fès. Siroës, fon fils ainé, étoit alors détenu a Mahuza, dans une étroite prifon. Dès que le Roi fut parti de Séleucie, un Perfe, nommé Samata, que Chofroës avoit injuftement dépouillé de fes biens, fe tranfporte en diligence a Mahuza, & fur un ordre du Roi qu'il avoit fu contrefaire , il fait élargir Siroës. Le premier ufage que le Prince fit de fa liberté , fut de maffacrer fes vingtquatre freres, que Chofroës avoit en-, voyés dans cette ville comme dans un afyle affuré. II court enfuite a N iv HÉRACLIUS. Ann. 618. XXXV. Révolre de Siroës contre fon pere Chofroës,  Héraclius.Ann. 618 296 H I S T O I jt £ Ctéfiphon, oü il arrivé avant fon pere, que fa maladie obligeoit de marcher k petites journées. II fait ouvrir les prifons , & donne aux prifonniers des armes & des chevaux. II n'avoit k craindre que 1'armée campée au bord de 1'Arba ; il écrit en ces térmes au Général Gurdanafpé: » Vous favez en quel état la Perfe » eft réduite, par le déteftable gou» vernement du plus méchant de fes » Rois. Sachez encore qu'il veut m'ar» racher la couronne qui m'appar» tient par le droit de naiffance, & » qu'il prétend la mettre fur la tête » du dernier de mes freres. Vous êtes » le maitre de vos foldats; fi vous »> les engagez k mon fervice, j'aug» menterai leur paye; je ferai la paix » avec les Romains; je délivrerai la » Perfe de tous les maux qu'elle en» dure , & vous tiendrez auprès de » moi le premier rang. Votre Roi » légitime attend de vous cette preu» ve de votre zele, pour maintenir » les loix , & rétablir 1'honneur & » la profpérité de la Perfe ". Gurdanafpé , mécontent de Chofroës, qui s'étoit rendu odieux k tous fes fujets,  du Bjs-Empire. Liv. LVH. 29? fe déclara pour le rebelle, & n'eut 1 pas de peine a entraïner fon armée dans ce parti. II fe rendit a Ctéfiphon , & trouva toute la nobleffe du Royaume déja raffemblée autour de Siroës. Leur deffein étoit d'aller combattre Chofroës; & fi la fortune leur étoit contraire, ils étoient réfolus d'aller fe jetter entre les bras d'Héraclius. Gurdanafpé fe chargea lui-même de mettre ce Prince dans leurs intéréts. L'étant allé trouver a Ganzac avec cinq des principaux Seigneurs, il en recut un accueil favorable , &C des avis pour le fuccès de Pentreprife. Ce n'étoit plus le temps ou la générofité Romaine rejettoit avec horreur des propofitions criminelles, lors même qu'elles étoient utiles. Gurdanafpé demeura auprès d'Héraclius pour 1'entretenir dans ces difpofitions, & fit favoir a Siroës le confeil que lui donnoit l'Empereur, de marcher fans délai a Chofroës, & de lui livrer bataille. II ne fut pas befoin de combattre. Abandonné de tous fes fujets, Chofroës n'attendit pas 1'armée de fon fils; il fut arrêté dans fa fuite, &c amené N v HÉat- CMUS. \.aa. Ó2.S. XXXVI. Mort de Chofroös,  HÉRACLIUS. Ann, 628. J I 1 < 1 { i t c c 298 HlSTOTRE a Ctéfiphon le 24 Février. On le chargea de chaïnes ; on 1'enferma dans une tour qu'il avoit fait batir pour y ferrer fes tréfors. Siroës fe fit cou-\ ronner dès le lendemain; & la première aétion de fon regne, fut de condamner fon pere a mourir de faim : Jufte vengeance de la part du fouverain Juge , qui puniffoit ainfi le parricide dont Chofroës s'étoit rendu complice autrefois ; mais horrible & criminelle de la,part d'un fils dénaturé, qui infultant encore au malheur de fon pere, lui adreffa ces mielies paroles : Nourris-toi de eet or,pour lequel tu as difolè Vunivers, & fan mou* rir de faim tant de milliers de tes fujets: Comme fi le parricide n'eüt pas été iiffifant pour affouvir fa rage, il fit •echercher ceux qui avoient recu de Chofroës quelque mauvais traitenent , & les envoya dans fon ca:hot, les excitant a le frapper & a 'accabler des infultes les plus outra;eantes. Médarsès fut égorgé devant es yeux de fon pere. Comme le maleureux vieillard refpiroit encore le inquieme jour, Siroës Ie fit tuer a oup de fleehes.  nu Bjs-£mpire. Liv. LFII. 299 Dès que le nouveau Roi de Perfe fe vit fur le tröne , il envoya un de fes Secretaires nommé Chofdaës, au camp de Gandzac, pour traiter avec l'Empereur. Comme la chüte des neiges retenoit long-temps ce député dans fon voyage, Siroës en fit partir un fecond, nommé Phaïac, qui arriva au camp le 3 Avril. Siroës témoignoit a l'Empereur un extreme defir de vivre en bonne intelligence avec les Romains. Héraclius répondit en ces termes : » Le fouverain Arbitre » des vi&oires , qui tient en fa mam » le cceur des Monarques, m'eft té>» moin que je n'ai jamais prétendii » ufurper les Etats de Chofroës, n; » ceux d'aucun Prince. Malgré le; » cruautés barbares qu'il a exercée: » fur les Romains, ainfi que fur fe: » propres fujets, je n'avois delfeii » que de le réduire, mais non pa » de le détröner. Dieu , qui connoif » foit fes funeftes intentions, a biei » voulu rendre le repos a la terre » & la paix aux deux nations , e » faifant périr celui qui feul y mei » toit obftacle. J'accepte de bon coev » 1'alliance que vous demandez, i N vj HÉRACLIUS. Ann. 618. XXXVII. Paix de Si roës avec Héraclius. Niceph. p* 14, 15- Theoph. p. 172, 273Ccdr. p. 419, 420. Manaff. p. 76. Zon. torn. 11. p. 8ï. Hifi. mifc. I. 18. Suid io:e H'pct- '1 Y.XU0(. ■ Chr. AUx. Elmacin. '' l. I. I Vetav. ad : Niceph. p. 70, f& ' DuCange, 1 ie inf. avi nam. art. ' 65. ï Gagnier, _ vie ie Ma_ hornet. I,]. f o c. ï- P Pagi ad Bar.  Héraclius. Ann. 628, M. de Gul. g":s . h ifi. des Huns , é. l. p. 40i. Hifi. univ. Angl. t. XXXVIII Retour d 'Héraclius, 1 t i I .1 c f r 30O ü I S T 0 l R E » je ne vous demande, de ma part » que des conditions auffi conform es » a la juftice qu'a nos intéréts réci» proques ". Ces conditions étoient 1 que les deux Etats fe borneroient k leurs anciennes limites; que les prifonniers feroient rendus de part & d autre, & qu'on remettroit entre les mains d'Héraclius la fainte Croix que Sarbar avoit emportée de Jérufalem. Euftathe, garde des Archives de 1'Erjipire, fut chargé de porter ces conditions a Siroës, qui les accepta fans. balancer; & après une guerre de vaiagfc quatre ans, honteufe & funefte aux Romains pendant les dix-huit premières années, mais enfin terminéeavec gloire par Héraclius , la con:orde fut rétablie entre les deux na10ns' , , • w\ « En exécution du traité, Tbéodore, Tere d'Héraclius , accompagné des Jommiflaires de Siroës, parcourut outes les villes de Syrië, dEgypte k de Méfopotamie, y mit des garlifons, en fit fortir les Perfes répanus dans toutes ces Provinces, lesnfant efcorter jufqu'a leurs frontieis. Le 15 Mai, jour dc la Pente-  nu Bas-Empire. Liv. LV1L 301 cöte , on fit a Conftantinople, dans l'Eglife de Sainte-Sophie, la lecture des lettres de 1'Empereur , qui annoncoient la conclufion de la paix, ck qui contenoient le détail des derniers événements. Elle fut recue avec toutes les marqués de la plus vive joie. L'Empereur prit fa route par* 1'Arménie , & étant arrivé au bourg de Théman, qu'on difoit avoir été bati par Noé au fortir de 1'arche, il monta fur la montagne de Giudi , la plus haute de ces contrées, pour voir le lieu oii 1'arche s'étoit arrêtée, Cette montagne faifoit partie de celles de la Gordyene. De-la il paffa par Amide, oü il s'arrêta quelque temps. En arrivant a Hiéraple, il apprit la mort de Siroës. Ce Prince, encore plus méchantque fon pere, & très-corrompu dans fes mceurs, • ne régna que fix mois. Objet d'horreur a töute la Perfe , il tomba dans une profonde mélancolie. La pefte qui fuccéda aux maux de la guerre, abrégea le cours de fa vie; & de fes crimes. La Perfe, ébranlée jufque dans fes fondements par les' fecouffes de la guerre précé- HÉRACLIUS. Vnn. 61&. XXXIX. Mort de Sirocs.  HÉRACLIUS. Ann. 628. 3©2 HlSTOIRE dente, & plus encore par la tyrannie de fes trois derniers Rois, ne fut plus qu'un théatre changeant de fanglantes & rapides révolutions. Dans 1'efpace de quatre années, elle vit huit Rois ne monter fur le tröne, que pour en être aufTï-töt précipités. Entre ces Princes, on compte deux femmes. Le plus célebre de ces Rois éphémeres eft ce même Sarbar, qui avoit fi long-temps commandé les armées de Chofroës. II avoit même époufé une des filles de ce Prince; mais malgré cette alliance , il ne s'étoit mis a couvert des injuftes foupcons de Chofroës, que par la révolte. En fortant des terres de 1'Empire, il avoit écrit a Héraclius , pour s'excufer des ravages qu'il y avoit faits pendant tant d'années, & qui ne devoient être imputés qu'a Chofroës , dont il avoit fuivi les ordres. II promettoit de les réparer, aux dépends même de tous les tréfors de la Perfe, s'il en avoit jamais le pouvoir , & proteftoit que fi l'Empereur 1'honoroit de fa bienveillance, il ne trouveroit jamais de ferviteur plus zé!é & plus fidele, Ké-  du Bas-Empire. Liv. LVIJ. 303 radius, fenfible a ces témoignages d'af tachement, 1'avoit affuré de fon amitié , & Sarbar comptant fur une fi puiffante protection, fe défit d'Artaxerxes III, qui régnoit après fon pere Siroës , & s'empara de la couronne. Mais au bout de deux mois, il la perdit avec la vie. Tant de feenes tragiques ne cefferent qu'en 6-? i , par le couronnement d'Ifdegerd III, fils de Sarbar , qui conferva vingt ans le titre de Roi , pour être le dernier & le plus malheureux de tous, comme je le raconterai dans la fuite. Après avoir traverfé une partie de la Syrië & 1'Afie Mineure toute entiere , en rétabliffant 1'ordre dans les villes, & la füreté dans les campagnes , Héraclius arriva dans le cours du mois de Septembre k Conftantinople. Le jeune Conftantin, accompagné du Patriarche , vint au-devanl de lui au-dela du Bofphore, & le recut dans le palais d'Hérée. Toul le peuple fuivoit portant des cierges allumés , des palmes , des branches d'olivier, & chantant des hymnes. L'entrevue des deux Princes fiil un fpe&acle touchant. Un pere & Hera- ctius. Ann. 6iS. XL. En:rée d'Héraclius 3 Conftantinople.  HÉRAC1IUS. Ann. 628. i 3C4 H 1 s t 0 1 r e un fils qui s'aimoient avec tendreffe, fe revoyoient après fix ans dabfence , pendant lefquels tous deux avoient couru de grands dangers, & s'étoient réciproquement caufé de mortelles inquiétudes. Conftantin fe jetta aux pieds de fon pere, qui le tint long-temps embraffé; & fe baignant mutuellement le vifage de leurs larmes, ils en firent verfer a tout le peuple. Héraclius entra dans Conftantinople avec tout 1'appareil d'un triomphe. Monté fur un char attelé de quatre éléphants, il faifoit porter devant lui la fainte Croix, que Siroës lui avoit renvoyée : c'étoit le plus glorieux trophée de fes victoires. Ces éléphants furent expofés au milieu du Cirque, pendant les courfes de chars, dont cette folemnité fut fuivie. L'allégrefle du peuple , éclata par toutes les démonftrations dont il eft capable dans ïïb yrefle de fa joie. Les Perfes, ce fléau éternel de PEmpire, fouvent vain^ueurs , toujours fe relevant après eurs défaites , 1'unique barrière que e monde eut oppofée aux armes lomaines, pour mettre k couvert de  nu Bjs-Empire. Liv. LVIL 305 leur invafion fon extrémité oriëntale , terraffés enfin & foumis, mettoient Héraclius au-deffus des Héros de 1'ancienne République. Les dangers qu'il avoit courus, les cicatrices de fes bleffures qui ajoutoient un nouvel éclat a fa pourpre & a fa couronne, le rendoient un objet de tendreffe & d'admiration. L'enthoufiafme étoit porté jufqu'a une forte de folie : on le comparoit a Dieu même, qui, après avoir , pendant fix jours, développé fa puiffance dans les ouvrages de la création, s'étoit repofé le feptieme; & cette extravagante comparaifon de fix campagnes d'Héraclius, étoit alors tellement k la mode , qu'elle fe trouve répétce par les Hiftoriens les plus graves & les plus fenfés. La joie d'Héraclius fut un peu altérée par 1'état ou il trouva fa familie; il lui étoit mort deux fils & deux filles pendant le cours de la guerre. Pour diminuer 1'amertume de cette perte, il donna le con fulat a fon fils Conftantin, & quef que temps après , le titre de Céfai a Héracléonas. Le rnariage arrêté de puis long-temps entre Conftantin & HÉRACLIUS. A.nn. óiSj  Héraclius.Ann. 628, Ann. 629. XLI. Héraclius reporte la croix a Jérufalem. Niceph. P- 15. Theoph. p, 273. Ced. p. 420. Zon. torn. II. P. 8;. Codin. orig.p. 33. Suïdt vocc H-yi- xteiof.' Hifi. mifc. I- 18. Baronius. Pagi ad ' Bar. I < 30(5 H 1 S T 0 I R E ' Grégoria, fille de Nicétas, fut célébre avec magnificence. Afin de dédommager le tréfor de Sainte-Sophie de 1 argent qu'il en avoit tiré au commencement de fon expédition, il affigna au Clergé de cette Eglife une penfion annuelle fur les revenus du Prince, & fit a tout le peuple des largefies confidérables. Aux premiers jours du printemps, 1 Empereur partit de Conftantinople pour Jérufalem, oü il vouloit rendre grace a Dieu de fes viftoires, & replacer la fainte Croix dans l'Eglife de la Réfurreclion. En paffant par Tiberiade, il fut défrayé, lui & fon cortege qui étoit très-nombreux , par un Juif extrêmement riche, nommé Benjamin. Pendant qu'il étoit dans Ia maifon de ce Juif, les Chrétiens de la ville vinrent lui préfenter une requête, par laquelle ils demandoient luftice des mauvais traitements qu'iis recevoient tous les jours de ce même Benjamin. Cehfi-ci , fans cher:her a fe juftifier, avouafranchement pTiI faifoit aux Chrétiens tout le mal lont il étoit capable, paree qu'iis :toient les ennemis de fa loi. Héra-  du Bas-Empire. Liv. LVIL 307 clius , auffi furpris que fatisfait de fa ! fincérité, lui déclara qu'il le condamnoit k s'inftruire de cette Religion qu'il perfécutoit fans la connoïtre. Un autre Juif, déja Chrétien, fut a fon égard 1'organe de la grace divine, & peu de jours après, Benjamin recut le baptême. L'Empereur , arrivé k Jérufalem, rétablit dans le fiege patriarchal, Zacharie, qui avoit été détenu prifonnier en Perfe depuis le faccagement de la ville , quatorze ans auparavant. L'Abbé Modelte , qui fuccéda enfuite a Zacharie, avoit pendant fon abfence gouverné cette Eglife avec beaucoup de fageffe. La fainte Croix fut remife entre les mains du Patriarche , au même état ou elle étoit, lorfqu'elle avoit été enlevée , les Perfes n'ayant pas même eu la cüriofité de rompre le fceau dont 1'étui étoit fcellé. Héraclius voulut marcher fur les traces du Sauveur, & porter lui-même la croix fur fes épaules jufqu'au haut du Calvaire. Ce fut pour le peuple de Jérufalem une fête folemnelle, & l'Eglife en célehre encore la mémoire le i^Septenv bre. Pour rendre plus fenfible le triom HÉRACLIUS. \.na. 629. I  Héraclius.Ann. 629. XLII. Ambaflade de Dagobert a Héraclius. Frcdeg. c. 65. Aimoin. I. 4- c. 21. | I < ï 308 H I S T 0 I R £ phe de la Croix, l'Empereur chaffa tous les Juifs de Jérufalem, avec défenfe d'en approcher de plus pres que d une lieue. II paffa le refte de 1 année & les cinq années fuivantes a Emefe, a Hiéraple, k Antioche, oc dans les autres villes de Syrië II fe mit en poffeffion d'Edeffe, d'oii d chaffa les Neftoriens. Son deffein n'eton d'abord que de fe mettre plus a portie de réparer les défordres caufes par la guerre des Perfes dans tout 1 Onent, & fur-tout dans ces contrees. Mais les progrès rapides d'un nouvel ennemi, plus redoutable encore que les Perfes, le retinrent en Syneplus long-temps;qu'il n'avoit réfolu. Héraclius recut cette année une amoaffade de Dagobert, devenu depuis peu Roi de toute la France. Ce Prince le félicitoit fur 1'heureux fuccès de fon expédition de Perfe, & rlemandoit le renouvellement de Pal* iance qui fubfiftoit depuis long:emps , entre Ia France & 1'Empire. >es Ambaffadeurs furent recus honoablement, & retournerent en Frane avec la confirmation des traités •recédents.  du Bas-Empire. Liv. LFII. 309 Lj ailUtC illlVcUlLC 11 V.UI v»v- ..... morable que la naiffance de deux Princes , dans la maifon Impériale. L'Impératrice qui accompagnoit fon mari en Oriënt, mit au monde le 7 Novembre un quatrieme fils , auquel on donna le nom de David, &c qui recut le titre de Céfar peu de temps avant la mort de fon pere. Le même jour, Héraclius devint grand-pere par la naiffance d'un fils de Conftantin , qui régna dans la fuite, & qui fut nommé Céfar dès 1'année fuivante. II porta d'abord le nom d'Héraclius. Le peuple le nomma Conftantin comme fon pere, dans la cérémonie de fon couronnement: mais il eft plus connu fous le nom de Conf tant, que lui donnent prefque tous les Hiftoriens. Nous allons voir déformais Héraclius replongé dans cette honteufi ina&ion, dans laquelle il avoit paff* les premières années de fon regne Héros dans la guerre de Perfe, le grands efforts qu'il fit alors, épui ferent fes forces. Fatigué de tant d combats, ébloui de fa propre gloi te , il s'endormit d'un profond foro HÉRACLIUS. Ann. 630. XLUI. Naiffance de Conftant. Thcoph. />. 278. Cedr. p. 429. Hifi. mife. I. iS. Du Cangt, fam. By^. p. 119, 123. Pagi ai Bar. ■ XLIV. Héraclius retorobe' ' dans 1'L. nadtion.  HÉRACLIUS. Ann. 630. XLV. Naiffance . de 1'héréfie des Monothé- ( lites. Niceph. p. 18. 1 Tkeoph. p. ^ 274. 175- . & ibi Goar. Cedr. p. I 410, 421. 310 H I S T O 1 R E meil , & ne fe réveilla plus qu'au • bruit des difputes Théologiques, qui glacerent encore fon activité. II ne fit plus que fe trainer languilfamment de queflions en queftions, d'erreurs en erreurs , tandis que les Mufulmans , nation neuve & fanatique , attaquoient a main armée le corps même de la Religion Chrétienne,& envahiffoient les Provinces de 1'Empire. Ce fut alors qu'on vit naïtre Je Monothélifme, héréfie plus fubtile que les précédentes qu'elle entreprenoit d'accorder enfemble, & qui rut pour l'Eglife un nouveau fujet de perfécution, & pour 1'Etat, une nouvelle fource de troubles. Nous al!ons en expofer briévement le commencement & le progrès, jufqu'a la Sn du regne d'Héraclius. .Trois héréfies partageoient l'O"ient; celles d'Apollinaire , de Nef:orius, & d'Eutychès. Apollinaire :onfondoit les deux natures du fils le Dieu fait homme : felon fa docrine , le Verbe tenoit lieu d'ame & Tentendement dans Jefus-Chrifi. Neforius prétendoit que Tunion des deux latures ne confiftoit que dans Tunion  du Bas-Empire. Liv. LVI1. 311 d'opération & de volonté : Eutychès ne reconnoiflbit qu'une nature. L'héréfie des Monothélites fe rapprochoit de toutes les trois; ce qui leur procura un grand nombre de fedtateurs. C'étoit une invention de Théodore, Evêque de Pharan en Arabie, qui pour concilier les Hétcrodoxes, n'admettoit en J. C. qu'une feule volonté en deux natures. II entraïna dans fon parti Sergius, Patriarche de Conftantinople, qui étant né en Syrië de parents Jacobites, avoit du penchant pour les dogmes d'Eutychès. Dès Pan 622 , lorfque l'Empereur étoit a Théodoliopoiis en Arménie, une conférence qu'il eut avec Paul, furnommé le Bofgne, attaché aux erreurs de Sévere , & chef des Acéphales, jetta dans fon efprit les femences du Monothélifme. Trop prévenude fafcienceThéologique, il prétendoit convertir eet hérétique, dont les fubtilités ébranlerent fa croyance. Quatre ans après, tandis qu'il parcouroit les bords du Phafe , pour réduire les villes de Lazique a l'obéiffance de 1'Empire, il eut un entretien avec Cyrus, Evêque de Phafe ; HÉRACLIUS. Ann. 630. Zon. torn. 11 P. 85, 86. Manaff. p. 75- Glycas , p• 176. Suid. voet H'pi- Hifi. mifi. I. 18. Baronius. Pagi ad Bar. Combtfis kift. Monoth. Flcury , hifi. Ecchf. I. 37. art. 4i e- f. t: 38. art. 6 , 7.8, ai , 22 , 24. Affemani , lib. Oriënt. I. 11. Jiffert.dcMonophys , c. 4- Idem ibid. jur. Or. t. 111. t. IV. Oriens  HÉRACLIUS. Ann. 63 c Chrifl. t. II-P-739 74°. 312 HlSTOIRE qui fe trouvant embarraffé fur Ia queftion des deux volontés, confulta par , lettres Sergius. La réponfe du Patriarche, quoiqu'elle ne parut pas déci. live, concluoit en faveur d'une feule opération ; & ces Prélats agiffant de concert, réulïirent a faire naitre dans 1'efprit de l'Empereur, des doutes fur la croyance orthodoxe. Enfin, Héraclius fe trouvant a Hiéraple en 619, entreprit de ramener a la foi Catholique, Athanafe, chef des Jacobites, lui promettant de 1'élever fur le fiege d'Antioche , s'il recevoit le Concile de Chalcédoine. Athanafe y confentit; mais en reconnoiffant deux natures en Jefus-Chrift, il demanda s'il y devoit aufli reconnoitre deux volontés. Cet hérétique rufé & difïïmulé , comme étoient la plupart des Syriens, vouloit retenir d'une main ce qu'il fembloit abandonner de 1'autre ; il fentoit bien que n'admettre qu'une volonté en Jefus-Ghrift , c'étoit dans le fond n'y reconno'itre qu'une feule Tiature. Héraclius, depuis long-temps indécis fur cette queftion, confulta Sergius , qui, de concert avec Cyrus, lui répondit fans balancer, qu'il ne  nu Bjs-Empire. Liv. LVII. 313 ne pouvoit y avoir qu'une opération & une volonté en Jefus-Chrift, puifque les deux natures étoient réu nies en une feule perfonne. II n'eft pascertain que 1'Empereu ait tenu parole au Jacobite Athanaf pour le Patriarchat d'Antioche, don le fiege étoit vacant depuis- plufieur années. Mais il n'attendit pas long temps a récompenfer un autre de fe Théologiens. George,Patriarche d'A lexandrie, étant mort en 630 , Cy rus, Evêque de Phafe, lui fuccéda, t k la faveur du Monothélifme , il n'ei pas de peine a réunir avec lui les d; verfes branches de la fede d'Euty chès, dont la ville étoit remplie ainfi que toute 1'Egypte. Les noi veaux hérétiques avoient un favai & infatigable adverfaire, le Moir Sophrone, qui devint en 63 3 , Ev que de Jérufalem. Sergius, craignai qu'il ne prévint le Pape Honorii contre la nouvelle doftrine, écriv a ce Pape une lettre flatteufedai laquelle il lui faifoit une expofitic artificieufe de tout ce qui s'étoit pal jufqu'alors; il relevoit extrêmeme en faveur de Cyrus, laprétendue ré Tornt XIL O HÉRACLIUS. ■ Ann. 630. r xlvi. , Le Pape Honorius t trompé ; par Ser. 6ius" s q t i 1ite it is . it H tl ré ut 11"  HÉRACLIUS. Ann. 630 XLVIT. Eöhefe d'Héraelius. SH H I S T 6 1 R E riion des hérétiques d'Alexandrie & d'Egypte ; il dépeignoit Sophrone comme un brouillon , qui, par des chicanes de fcholaftique, ne cherchoit qua détruire cette bonne oeuvre, & a réveiller la difcorde. Honorius trompé par ce récit , loue beaucoup dans fa réponfe, la prudence de Sergius; il traite cette queftion de difpute de mots, qu'ilfaut, dit-il, laiffer aux grammairiens ; il veut qu'on reconnoiffe en Jefus-Chrift Funité de perfonnes, avec les deux natures, fans pouffer plus loin la curiofité , pour ne donner aucun avantage, ni aux Neftoriens , en déterminant deux opérations & deux volontés, ni aux difciples d'Eutychès, en p'en admettant qu'une feule. Honorius perfifta jufqu'a la mort dans ce fyftême de condefcendance qui favoriloit 1'héréfie naiffante. La négligence du Pape ne fit que redoubler 1'activité de Sophrone. Ce fut principalementpou r fermer la bouche k ce défenfeur de la vérité, que parut en 639 , le fameux édit, nommé YEühcfe , c'eft-a-dire , CExpofe* tion. Sergius en étoit 1'auteur ; Hé-  hu Bas-Empire. Liv. LVII. 315 radius eut la foiblefle de Tadopter, & le fit publier dans tout 1'Empire. 1 e Prince impofoit filence fur la queftions des deux volöntés; 6c quoique Phéréfie fe déguifat d'abord avec affez de circonfpeciion, cependant elle fe démafquoit a la fin, & le dogme des Monothélites s'y trouvoit exprimé, comme la croyance Catholique. Cet édit contradictoire , loin d'appaifer les troubles, ne fit que les enflammer. Tandis que Cyrus 6c fes partifans 1'approuvoient dans leurs Synodes, Jean IV, afiis fur la chaire de Saint Pierre, le profcrivoit k Rome, & les Evêques d'Afrique fuivoient fon exemple. Sergius étant morl la même année 639, fon ami Pyrrhus, Moine de Chryfopolis, fuccéda également a fa dignité 6c a fes erreurs. Héraclius chériffoit le nouveau Prélat , qu'il honoroit même du nom de frere, paree que Pyrrhus avoittenu fur les fonts de baptême la fceur de l'Empereur. Cependant 1'oppofition que l'E&heferencontroitaRome, en Afrique 6c dans une partie de POrient, fit ouvrir les yeux k Héraclius Quelque temps avant fa mort, il h O ij HÉRA.' CLIUS. Ann. 63 q,  HÉRACllUS. Ann. 630. 31 H I S T O 1 S. B tholiques une entiere liberté de religion ; & fous fon regne, chaque ville épifcopale avoit deux Evêques, 1'un Catholique , 1'autre Arien , qui exercoient leurs fonctions avec une égale autorité. Ce qu'il fit de plus mémorable, fut la rédaction des loix des Lombards, dont nous parierons dans la fuite. Après la mort du Pape Honorius, arrivée le 10 OflobreójS, Severin fut élu pour lui fuccéder. Les apocrifiaires de l'Eglife Romaine étant allés a Ravenne pour obtenir Pagrément de l'Empereur , felon Pufage alors établi, trouverent de grandes difficultés. Héraclius étoit mécontent de ce que , pendant qu'il étoit en Perfe, on s'étoit haté d'inflaller Honorius fur le Saint Siege, fans attendre que 1'éleöion eut été confirmée par le jeune Empereur Conftantin , régent de 1'Ëmpire dans 1'abfence de fon pere. Pendant le cours de la négociation , qui dura prés de deux ans, furvint un nouvel obflacle encore plus difficile a lürmon.ter.' Héraclius publia fon Ecthefe : il refufoit de reconnoitre Severin pour  du Bas-Empire. Liv. LV11I. 329 Pape, jufqu'a ce qu'il eut reeu & foufcrit eet édit. Ifac, aign par les conteftations , réfolut de punir les Romains de leur réfiftance , d'une maniere qui ne lui fut pas inutile a lui-même. Le tréfor de l'Eglife de Latran étoit rempli de vafes precieux, de magnifiques ornements , & de fommes confidérables, que la piété des Empereurs , des Patrices , de: Confuls avoit accumulées dans c< dépot facré , pour le foulagement de: pauvres & la rédemption des cap^ tifs. II forma le deffein d'enlever tou tes ces richeffes , ne doutant pas qu< cette violence ne fut au moins to lérée par l'Empereur, dans un temp oü la guerre des Sarafins épuifoit le finances de 1'Empire. Pour réuffir il corrompit Maurice , Cartulaire d l'Eglife Romaine. Les foldats de Rc me murmuroient de ce que depui long-temps, on différoit de leu payer leurs montres. Maurice lei fit entendre que ce n'étoit pas 1 faute de l'Empereur; qu'il avoit er voyé plus d'une fois 1'argent de lei folde ; mais qu'Honorius, au-lieu d les fatisfaire , l'avoit verfé dans 1 HÉRACLIUS. Aan. 63 5 s » e s r r a # r e  HÉRACLIUS. Ann, 631. l VI. Punicion 33° H 1 S T O 1 3. S tréfor de l'Eglife de Latran. II n'en fallut pas davantage pour les mettre en fureur. Ils prennent les armes, ils courent a l'Eglife. Maurice lui-même fe met a leur tête, & veut enfoncer les portes du tréfor. Severin, foutenudes Officiers & des domefiïques du palais , réfifte avec courage. Cette forte de fiege dure trois jours. Enfin, Maurice vient a bout de forcer Pentrée; & accompagné des Magiffrats qu'il avoit gagnés , il met le fcellé fur le vefïiaire, fur les vafes, fur tout ce qui étoit de quelque prix. Après cette opération violente , il mande a 1'Exarque, qu'il peut, quand il voudra, venir prendre poiTcffion de ce riche héritage. Ifac ne perd point de temps; il arrivé a Rome , exile les principaux du Clergé, s'établit dans le palais de Latran, oü if paffa huit jours entiers a faire emaorter ce qu'il y avoit de précieux. [1 en envoye une partiea Confïan:inople, & retourne a Ravenne, beau:oup plus riche qu'il n'en étoit parti. -léraclius profita fans fcrupule de ce wigandage facrilege. Rien ne mérite moins, & n'exige  du Bas-Empire. Liv. LVIU. 33* plus de récompenfe, qu'un fcélérat qui a vendu fa confcience & fon honneur. Maurice apparemment ^ ne fe trouva pas affez bien partagé dans le pillage. Peu de temps après , ilfouleva contre 1'Exarque les foldats de Rome & desenvirons , fous prétexte qu'Ifac travailloit a fe rendre fouverain en Italië. II les engagea par ferment a ne plus reconnoitre les_ ordres de 1'Exarque. Ifac , inftruit de ce foulevement, envoye a Rome le Général Donus a la tête d'une armée. Son arrivée fit trembler les partifans de Maurice, qui, oubliant auffitöt leur ferment, fe joignirent a. Donus. Le perfide Cartulaire fe réfugia dans l'Eglife de Sainte-Marie Majeure : fans refpect pour eet afyle , on fe faifit de fa perfonne, on le charge de fers, on 1'envoye k Ravenne avec les principaux de fon parti. Arrivé a Ficule, aujourd'hui Cervia , k quatre lieues de Ravenne, on lui trancha la tête, elle eft portie a Ravenne, & expofée fur ur pieu au milieu du Cirque: fes complices font jettés dans des cachots pour y attendre leur fentence. Man HÉRACLIUS. Ann. 63 ij de Maurice.Anafl. ia Theodora. Rubeus ; hifi. Ravenn. I. 4. Murat. annal. hal. t. IV. p. 72, 80. Abrégi chron. dt Vhifl. £lti 1. p. 211 , 213.; i  HéracliusAnn. 631 ia tiidrue vraiment paitorale. Les Efclavons qui s'étendoient jufqu'aux confins de la Baviere, & qui peutêtre poffédoient auffi le Tirol & iepays de Daltzbourg, faifoient des courfes fréqueutes dans l'Italie, d'oü 332 Histoire dans 1'intervalle, Ifac mourut, & fa mort fauva la vie aux prifonniers. Platon , fon fuccefTeur , tint longtemps en échec les apocrifiaires de Rome , qui follicitoient la permiffion d'infïaller Severin fur le faint Siege. Ils i'obtinrent enfin; mais è condition que le nouveau Pape foufcriroit PEöhefe; promeffe téméraire, que Severin fe crut obligé de ne pas exécuter. II mourut avant que l'Empereur eut eu le temps de lui en marquer fon reffentiment. Jean IV, qui lui fuccéda, n'eut rien plus a cceur que de condamner Phéréfie des Monothélites. II écrivit a l'Empereur y pour 1'engager a fupprimer 1'Edhefe' & ce fut fur fes remontrances qu'Héraclius défavoua eet édit, qui, fous prétexte de rétablir la paix dans PEglife , y allumoit plus que jamais le feu de la difcorde. Ce Pape a rendu fa mémoire précieufe a la pofférité par  du Bas-Empirb. Liv. LVIII. 333 ils enlevoient un grand nombre de prifonniers. Ce généreux Pontife les rachetoit , croyant ne pouvoir faire un plus faint ufage des tréfors de l'Eglife. Ces événements ne paroitront que des faits obfcurs & de peu d'importance, fi 1'on jette les yeux fur ce qui fe paffoit alors en Oriënt. Qu'étoit-ce en effet que ce Royaume des Lombards , en comparaifon de la redoutable puiflance que les Sarafins commeneoient d'établir ? L'Empirc fe détruifoit en Occident par des attaques fourdes, lentes , & prefque infenfibles; mais il s'écrouloit en Afie par grandes maffes; les Arabe: abattoient k grands coups ce vafte édifice; les Provinces tomboient le; unesfur les autres avec un horribk fracas; & fur un monceau de ruines , depuis Pentrée de la Syrië, jufqu'au fond de 1'Egypte, & aux extrémités de FAfrique , s'élevoit ur nouveau culte & un nouvel Empire Mahomet mourut k Médine le 1Juin 631, dans fa foixante-troifienu année. Mais il laiflbit après lui 1'incen die qu'il avoit allumé. Prêt de mou HÉRACLIUS. Ann. 631, Ann. 632. VII. Mort de Mahomet. Theoph. p, 278. Cedr. p. 421,419Elmacin»Abulfara- ee- Ch. Oriënt.-, p. 64. OkleyMfl. } des Sarafins. Jault. pref. de la trad. ■ dOkley. , Curio. hif- tor. Sarac. ' p. 18. 1 Pagi ad Bar. Gagnier, ' vie de Ma; hornet. Sale, dif- fert. fur le ' Mahom,  HÉRACLIUS. 'Ann. 632. D'Herbelot, bib. Or. JSergeron. jiffemnni, iib. Or. t. 11 & 'IJl M. de Guifnes, hifi. des Huns , t-i.p.W. •402. Mifi. Univ. des Anglois, t. XV. VIII. Pouvoit «les fuccefleursde Mahoui et, 334 H1 s t 0 1 x e rir , 11 recommanda trois chofes k fes amis qui Penvironnoient; de chalTer tous les idolatres de la prefqu'ifle de 1'Arabie; de faire part aux profélytes de tous les droits & de tous les privileges des Mufulmans naturels , 6c de s'attacher conftamment a la priere. C'eft en conféquènce de ces ordres , que les Mahométans, qui tolerent ailleurs les Chrétiens, les Juifs & les Gaures, n'en fouffrent point dans toute 1'Arabie ; que les renégats font admis aux mêmes charges & aux mêmes emplois que ceux qui font nés Mufulmans ; 6C que les moins dévots ne fe difpenfent guere du nombre de prieres prefcrit pour chaque jour. Cet impofteur avoit réuni en fa perfonne 1'autorité royale 6c pontificale ; il la tranfmit a fes fucceffeurs. Comme Pontifes , ils interprétoient la loi, faifoient des confiitutions en matiere de religion , officioient 6c prêchoient dans les mofquées. Vers Ie milieu du dixieme fiecle, la puiffance royale ayant été envahie par différents ufurpateurs , les Califes (ce motfignifie Vicaïre & fucceffeur)  du Bas-Ëmpire. Liv. LVIH. 335 he conferverent que Pautorité de : Pontifes. Toujours refpectés, on les regardoit comme des perfonnes fa- t crées ; ils prononcoient fur lesqueftions qui concernoient 1'lflamifme; ils étoient nommés les premiers dans les prieres publiques; mais ils n'avoient aucune part au gouvernement civil. Enfin, Pautorité & le nom même de Calife furent entiérement éteints par les Tartares , lorfqu'ils prirent Bagdad en 1158. Depuis ce temps , la plupart des Princes Mahométans ont établi chacun dans leurs Etats un Chef de religion , qui porte en Turquie le nom de Mufti, ck celui de Sadre en Perfe. L'Alcoran ne permettoit que quatre femmes a 5a fois; mais le Prophete , par un privilege qu'il avoit eu foin de faire defcendre du ciel, & d'inférer dans 1'Alcoran, en avoit eu un bien plus grand nombre: Onze fuivant quelques Auteurs , & vingt & une felon d'autres. Néanmoins il ne laiffbit aucun enfant male, & la fucceffion fembloit regarder Ali, coufin & gendre de Mahomet, qui Pavoit même défigné par fon teftament, HÉRACLIUS. Lnn. 63a.' IX. Abubecre ui fuece> ie.  HÉRACLIUS. Ann, 63 li 336 HlSTOIRE comme le plus digne de régner après lui. Mais Abubecre , beau-pere du Prophete, 6c qui le premier avoit cru en lui, réunit les iuffrages en fa faveur. C'étoit le plus confidéré des Arabes, 6c Mahomet devoit a. fon zele le principal fuccès de fa prédication. De plus, Omar 6c Othman, les plus puiffants de la nation, 1'appuyoient de tout leur crédit, aimant mieux voir dans cette place, a laquelle ils afpiroient eux-mêmes, un vieillard de foixante ans, qu'un jeune hommetel qu'Ali, qui, felon le cours de la nature, devoit les en exclure pour toujours. C'eft cette préférend'Abubecre fur Ali, qui a fait naïtre ces haines irréconciliables, 6c ces guerres fi fréquentes entre les Turcs Ic les Perfans. Ceux-ci prétendent qu'Ali fut le légitime fuccefTeur de Mahomet, 6c que les trois premiers Califes n'ont été que des ufurpateurs, non plus que les Ommiades, qui ont régné après eux au préjudice desFatimites ou des enfants d'Ali, nés de fa femme Fatime, fille de Mahomet. Cette ancienne difcorde fubfifle encore ; 6c les effets n'en font aujour- d'hui  nu Bas-Empiae. Liv. LFTIL 337 d'hui que lufpendus par 1'horrible emjbrafement des guerres civiles, dont la Perfe eft le théatre depuis plufieurs années. Les Turcs qui fe qualifient de Sunnites , c'eft-a-dire , d'Orthodoxes attachés aux traditions, déteftent les Perfans , qu'iis traitent de Schiïtes , terme injurieux , qui fignifie feciaires ou fchifmatiques. Abubecre ayant fait le dénombrement de fes fujets , trouva cent vingtquatre mille Mufulmans, & ne douta point qu'avec de pareilles forces , il ne fut en état de former les plus grandes entreprifes. II commenca par réduire ceux d'entre les Arabes qui refufoient de le reconnoitre, &c fongea enfuite a étendre fa puiffance hors de 1'Arabie. Mahomet, quelquetemps avant fa mort, fe préparoit a porter la guerre en Syrië. II avoit nommé pour Général, Ofma, fils de Zaïd, tué a la bataille de Muta. Ce jeune guerrier, animé par le defir de venger la mort de fon pere, avoit en peu de jours aflèmblé des troupes ; & ayant recu 1'étendard de la main de Mahomet , il étoit allé camper k Jorf, k une lieue de Médine, lorf- Tome XII, P HÉRACLIUS. A.nn. 632, X. Les Mn'ulmansIttaquenc 'Irac Ata-  HÉRACLIUS. Ann. 632 338 HlSTOIRE ■ que la mort de Mahomet 1'obligea d'attendre de nouveaux ordres. Abubecre jugea a propos de fufpendre cette expédition, pour achever une conquête déja commencée. Les troubles dont la Perfe étoit agitée depuis la mort de Siroës, avoient attiré fur les frontieres, les armes des Sarafins. Dès 1'année précédente, Mahomet avoit en voyé Abu-Obeïda, fils de Mafoud, dans FIrac Arabique. Cette Province, qui eft 1'ancienne Chaldée , fituée vers Pembouchure de PEuphrate & du Tigre, renfermoit un petit Royaume, gouverné depuis plus de fix cents ans par des Princes Arabes nommés Mondars. Ils y régnoient fous la protection des Rois de Perfe, dont ils étoient les Lieutenants, fur tous les Arabes de PIrac; comme les Souverains de Gaffan prés de Damas, 1'étoient pour les Empereurs Romains fur les Arabes de la Syrië. La capitale des Mondars étoit Hira, prés de PEuphrate, a la pointe du lac de Réhéma. Nous avons eu plus d'une fois occafion de parler de ces Princes dans le cours de cette hiftoire. Les Perfes fe mi-  nu Bas-Empire. Llv. LFHI. 339 rent en devoir de défendre leurs vaffaux, & marcherent en grand nombre contre les Sarafins. Le Général Sarafin voulut combattre malgré 1'avis de fes Officiers, & fut tué le premier a la tête de fes troupes. Les Mufulmans, accablés par le nombre , furent obligés de repaflêr une riviere , fur les bords de laquelle ils fe tinrent retranchés , en attendant du fecours. Un brave Capitaine, nommé Mothanna, fe mit k leur tête; & ayant recu de Mahomet un nouveau renfort, il fortit de fes retranchements, & mit tout k feu & a fang le long de 1'Euphrate. Arzoumidocht, fille de Chofroës, régnoit alors en Perfe. Elle choifit douze mille cavaliers des plus braves de fes troupes, & les fit partir fous les ordres de Mahran, leplus vaillant de fes Généraux. II marche k Hira, & les deux armées fe livrent un furieux combat. Mothanna fe jette au milieu des ennemis, abattant k coups de cimeterre tout ce qui fe trouve k fa rencontre. Malgré fa valeur, fes foldats plient; il les raflure, il les ram ene au combat qui dura depuis midi jufqu'au coucher du foleil. Pour P ij HÉRACLIUS. Ann. 633.,  HÉRACLIUS. Ann. 632, XI. Ifdegerd III, dernier Ro: de Perfe. 340 HlSTOIRE décider une vidfoire fi long-temps difputée, Mahran & Mothanna s'élancent avec fureur Fun fur 1'autre , Mahran eft tué d'un coup de fabre; les Perfes prennent la fuite, & les Sarafins ne fongent plus qu'a enfevelir leurs morts , & a panfer leurs bleffés. Les Perfes, aufti honteux qu'aftligés de fe voir battus par une poignée d'ennemis, qu'iis avoient jufqu'alors méprifés comme des brigands , fe perfu ader ent que tous ces maux ne leur arrivoient que paree qüils étoient gouvernés par une femme. Ils confpirerent contre la Reine, la dépoferent, & mirent fucceftivement fur le tröne trois Princes, qui ne remplirent pas 1'efpace d'une année. Enfin , ils appellerent k la couronne, Ifdegerd, fils de Sarbar, & petit-fils de Chofroës par fa mere. Ce Prince n'a< voit alors que quinze ans. La cruauté de Siroës, qui faifoit périr toute la familie Royale , 1'avoit obligé de chercher un afyle en Arabie. II fut proclaméRoi le 16 Juin 631, la veille même de la mort de Mahomet; Sc ce jour commence une ere fameufe  du Bas-Empis.e. Lh. LVIIL 341 chez les Orientaux. Un Perfe, nommé Hormifdas, lui difputa la couronne pendant quatre ans, au bout defquels il fut tué. Ifdegerd porta pendant vingt ans le titre de Roi. Mais plus malheureux encore que fes prédéceffeurs depuis Chofroës , il vit expirer entre fes mains, cette brillante Monarchie , qui fubfiftoit avec gloire depuis tant de fiecles. Ce n'eft pas qu'il manquat de courage; mais une nation qui n'avoit cédé qu'au grand Alexandre, ÖC qui s'étant bientöt relevée, avoit pendant fept cents ans lutté contre toutes les forces Romaines, ne pat réfifter a la valeur naiffante des Mufulmans. Ifdegerd,réfolu de vengerl'honneur de Ja Perfe, ne fi.it pas plutöt fur Ie tróne , qu'il mit fur pied deux armées : Pune fousdes ordres de Ruftan, vieillard expérimenté, marcha vers PIrac, ou Caled envoyé par Abubecre , faifoit d'horribles ravages ; 1'autre commandée par un Seigaeur nommé Alharmazan, s'avanca dans le Khoufiftan, pour combattre Abu-Mufa , qui étoit entré dans cette Province avec un corps d'Arabes. Les P iij HÉRACLIUS. Ann. 6323 XII. Conquête én 1'lrac,  HÉRACLIUS. Ann. 633, XIII. Abubecre entreprend Ia conquête de la Syrië. Theopk. p, 168, 279, Cedr. p, 419. Niceph. p 16. Hifi. mifi, l. 18. Abulfara- Se- OUey. Hij}, univ t. XV. 342 HlSTOIKB deux Généraux Perfes furent également défaits, 6c le Royaume de Hira fut détruit. L'année fuivante, Caled fignaloit fon courage dans PIrac, & PEmpereur retiré a Emefe, féjour charmant & délicieux, s'endormoit dans le fein, des plaifirs. Sa vanité fut flattée d'une ambafTade que lui envoyoit le Roi des Indes. Ce Prince le félicitoit des victoires remportées fur les Perfes, & lui faifoit préfent d'un grand nombre de pierredes très-précieufes. Mais Abubecre ne s'occupoit que de fes projets de conquêtes. Ofama reprit par fes ordres 1'expédition de Syrië, & ne trouva aucun obftacle dans fa marche. Les Sarafins de la frontiere, qui jufqu'alors avoient fervi 1'Empire, indignés du refus des trente livres d'or qu'on avoit coutume de leur payer tous les ans, favoriferent fon pafrage, & lui fervirent de guides. II pénétra jufqu'a Obana , ravagea tout le pays , & revint fans aucune perte. Le fuccès de cette courfe fit efpérer au Calife , qu'il pourroit aifément s'emparer de la Syrië. Déja une nombreufe armée campoit autour  du Bas-Empiee. Liv. LVIII. 343 de Médine. Voici les ordres qu'Abubecre donna de vive voix a fes Généraux : » Fideles ferviteurs de » Dieu,& de fon Prophete , gar» dez-vous de traiter durement vos » troupes; vos foldats font mes en» fants. Confultez vos Officiers dans » toutes les occafions importantes. » Faites jultice ; les injuftes ne prof» péreront pas. Lorfque vous rencon» trerez vos ennemis, combattez vail» lamment, & mourez plutöt que de » tourner le dos. Si vous remportez » la viftoire, ne tuez ni les vieillards, » niles enfants, ni les femmes.Ne dé» truifez pas les palmiers, ne brülez '» point les bleds, ne coupez point les » arbres, ne faites point de mal au bé» tail,a 1'exception de ce qu'il faudra » pour la nourriture de vos troupes. » Gardez religieufement les paroles » que vous aurez données k vos en» nemis. Vous trouverez fur votre » route des hommes qui vivent en » retraite, & qui fe font confacrés » au fervice de Dieu; épargnez-les, » eux & leurs monafteres : mais pour » ces membres de la Synagogue de » Satan , que vous reconnoitrez a P iv HÉRACLIUS. Inn. 633,  HÉRACLIUS. Ann, 633 xrv. Premie; avantage des Mufuimans. 344 HlSTOIRB ' » leur tonfure, fendez-leur la tête ; » & ne leur faites point de quar» tier, a moins qu'iis ne fe faffent » Mufulmans, ou qu'iis ne confentent » a payer tribut ". Cette prédilection en faveur des Moines étoit apparemment fondée fur la liaifon intime que Bohaïra ou Sergius, Moine de Boflra , avoit contraftée avec Mahomet. L'armée fe mit en marche vers la Syrië. Elle étoit de vingt mille hommes, fous le commandement d'AbuObeïda, fils de Jerah. L'approche des Mufulmans allarma l'Empereur, qui vint a Damas. II détacha Sergius, Gouverneur de Céfarée, avec cinq mille hommes, pour obferver la marche des Arabes, & les combattre s'il en trouvoit 1'occafion. Sergius les rencontra prés de Tadun, ville voifine de Gaza, & ne put éviter le combat. Bleffé &c obligé de prendre la fuite, il tomba de cheval, & fut remonté par fes efclaves. Etant tombé une feconde fois, comme ils fe préparoient k le remonter encore : Sauve^-vous, leur dit-il, 6- laijfe^ périr un vieillard inutile. Les Sarafins 1'en-  du Bas-Empire. Lip. LVIII. 345 fermerent dans une peau de chameau fraïchement écorché; & cette peau fe retrécïffant a mefure qu'elle fe defféchoit, le fit mourir dans des tourments horribles. Leur haine perfonnelle contre Sergius, fut caufe de cette cruauté. II avoit empêché 1'Empereur de permettre aux Sarafins alHés, d'employer lestrente livres d'or qu'iis recevoient tous les ans, a commercer avec les autres Arabes. Le butin envoyé au Calife fit naitre aux Sarafins, qui étoient reftés dans le pays, le defir d'aller en Syrië. Ils formerent bientöt une nombreufe armée. Abubecre avoit d'abord nommé Saëd pour la commander; Omar s'y oppofa, & fut approuvé d'Aïfcha, veuve de Mahomet: elle confervoit un empire abfolu fur 1'efprit des Mufulmans, qui la regardoient comme dépofitaire des fentl ments du Prophete. Saëd lui-même, plein de refpedt pour fes décifions, remit auffi-töt 1'étendard. Je ne préten dois, dit-il, qiia combattre &d mou rir pour la Religion ; & quel que foi le Général, je combattrai volontiers fou. fes ordres, Telle étoit la grandeur d'a P V HÉRACLIUS. Ann. 633. XV. Amrpu & Caled envoyés en Syrië. r  HÉRACLIUS. Ann. 633. XVI. Les SaraUns devant Boftra. 3-46 HlSTOIRE me de ces hommes, que Dieu avoit fufcités pour chatier les Chrétiens. Ce n'étoit pas le defir de commander, c'étoit uniquement 1'intérêt public qui avoit été caufe de 1'oppofition d'Omar. II regardoit Amrou comme un Capitaine plus capable de réufiir ; Amrou fut choili pour conduire la nouvelle armée ; & dans ce même temps, Abu-Obeïda ayant re511 un échec prés de Gaza, le Calife rappella Caled de 1'Irac , pour lui donner le commandement au-defilts des deux autres Généraux. Toutes les forces des Sarafins étant raffemblées en Syrië, on fut d'avis de commencer la conquête par le fiege de Boftra. C'étoit une ville peuplée, riche & floriflante, limitrophe de 1'Arabie, & qui par fa fituation avantageufe, pouvoit fervir de place d'armes pour le refte de 1'expédition. II y avoit dans la ville douze mille hommes de cavalerie fous les ordres de Romain. Abu-Obeïda enyoya d'abord vers Boftra, Sergiabil, un de fes Lieutenants, avec quatre mille chevaux, pour reconnoitre le pays. A fon approche, Romain for-  du Bas-Empihe. Liv. LVlll. 347 tit de la ville, Sf vint lui demander ' ce que les Sarafins venoient faire k Boftra : Ils viennent, répondit froi- / dement Sergiabil, vous apporurleparadis ou Cenfer. Dêtermine^vous avous faire Mahomkans, ou d payer tribut, ou a paffer fous le tranchant de nos épées. Romain, de retour dans la ville , tacha de perfuader aux habitants de fe foumettre a payer tribut. Ils je refuferent, & fe préparerent ala defenfe. Etant fortis en armes, ils eurent d'abord quelque avantage: mais Caled arrivant en même temps de 1'Irac avec quinze cents cavaliers , les repouffa dans la ville. Le lendemain le Gouverneur fortit a la tête de fes douze mille cavaliers, & d'un grand nombre d'habitants qui formoient une groflè troupe d'infanterie. Les deux armées s'étant rangées en bataille, Romain s'avanca a cheval, & ayant appellé a haute voix Caled, qui accourut auffi-töt a lui 5 Jc defire depuis long-temps , lui dit-il, fembraffer votre religion , & fai donné le même confeil aux habitants : mais au-lieu de le: perfuader, je nai fait que matiirer leu. haine ; accorde^ - nous encore. quelque. P r 'i HÉRACLIUï. na.. 6}}.  Héra- ci.ius. Ann, 6jj ! 1 J t I 348 HlSTOIRE jours; je vais retourner dans la vitte", & renouveller mes efforts pour les en. gagerdfe rendre. Caled le loua beaucoup d'une fi fainte réfolution, & lm promit de lui conferver tous fes biens. Romain ajouta que pour ©ter tout foupcon a ceux de Boftra, témoins de cette conférence , il falloit qu'iis fiffent femblant de fe battre. Caled y confentit de bon cceur; mais peu accoutumé a mo' dérer fes coups, il en porta de fi furieux au Gouverneur, que c'en étoit fait de fa vie, s'il ne fe fut fauvé avec plufieurs blefliires. Les habitants qu'il vouloit intimider en leur exaltant la valeur de Caled & des Sarafins y ne lui répondirent que par des huées & des infultes. Ils 1'enfermerent dans fa maifon, & fe donnerent un autre Commandant, de qui ils exigerent qu'il allat défier Caled; ce qu'il fit. Mais Abderrahman, fils d'Abubecre, qui, dans fa première jeuneffe , montroit déja un grand courage, ob'int de Caled 1'honneur de ce cornet. II s'y porta avec tant de force te de valeur, que le nouveau Commandant prit la fuite pour fauver fa  du Bas-Empire. Liv. LF1II. 34.9 vie. Abderrahman, au défefpoir de voir échapper fon ennemi, déchargea fa fureur fur les Chrétiens, qui n'avoient été jufque-la que fpeétateurs. Caled & les autres chefs accoururent pour le feconder. Les deux armées fe mêlerent: les habitants fupérieurs en nombre combattoient pour leur vie, pour leurs femmes , pour leurs enfants , pour leur religion. Les Sarafins, animés par Caled, qui crioit fans ceffe, frappe^, frappe^, paradis, paradis, s'élancoient avec Pagilité & la fureur des lions. Toute la ville étoit dans une confufion étrange; on fonnoit les cloches; les femmes, les enfants, les vieillards faifoient retentir les Eglifes de cris lamentables; les Prêtres & les Moines courant par les rues, & fe frappant la poitrine, imploroient 1'affiftance de Dieu; on entendoit au-dehors Caled & Sergiabil qui invoquoient auffi a haute voix la vengeance de Dieu & de fon Prophete contre ces idolatres. Enfin , les habitants couverts de bleffures , & prefque mis en pieces, fe fauverent dans la ville , dont ils fermerent les portes, Ils arborerent HÉRACLIUS. Ann. 63 j;  HÉRACLIUS. Ann. 633. XVII. Pnfe de Boftra. 350 & I S T O I R £ fur leurs murs la croix au milieu de leurs étendards, & envoyerent en dili gence a l'Empereur demander du fecours. La nuit fuivante, Romain perca les murs de la ville auxquels touchoit fa maifon, & alla donner avis a Caled de la facilité qu'il auroit de s'y introduire. Caled fit partir fur 1'heure Abderrahman avec cent hommes. Romains les ayant fait entrer dans fa maifon, leur donna des habits femblables a ceux des foldats Chrétiens, & fous ce déguifement, ils fe répandirent en différentes rues, Abderrahman , accompagné de vingtcinq Mufulmans, fe fit conduire par Romain au chateau, oü étoit le nouveau Commandant, contre lequel il avoit combattu. Celui-ci, furpris de voir Romain, lui demanda quel fujet 1'amenoit: C'eft, lui répondit-il, pour accompagner un de tes amis qui fouhaite fort te voir & t'envoyer en enfer. Au même inftant, Abderrahman s'avance, &lui plonge fon épée dans le fein , en lui difant : Tu ne mèckapperas pas cette fois. Aufii-töt au fignal donné, les Sarafins difperfés  nu Bas-Empire. Liv. LVJIL 351 dans les rues , fe raffemblent en pouffant de grands cris, ment les gardes , ouvrent les portes , & font entrer Caled & toute 1'armée. On fait mainbaffe fur tous ceux qui fe rencontrent d'abord; mais les principaux habitants demandant quartier , Caled fit ceffer le maffacre. Maitre de Boftra , il y mit une garnifon de quatre cents chevaux. L'exercice de la Religion Chrétienne n'y fut plus permis qu'en payant tribut. Le traïtre Romain déclara publiquement fon apoftafie , & fe joignit aux Mahométans. La prife de Boftra fut fuivie de celle de Palmyre, & de plufieurs autres villes frontieres de 1'Arabie. Tan dis que Boftra étoit afïiégée, Amrou, -par ordre d'Abubecre, faifoit le fiege de Gaza. Dès que les Sarafins parurent devant la ville , le Gouverneur demanda un pourparler avec quelqu'un de leurs Officiers L'intrépide Amrou entra lui-même dans Gaza, & s'étant préfenté au Gou verneur, il le falua avec refpect. Quzl le caufe vous amene ici? lui dit fiére ment le Romain. Uordre de Dieu 6 de notre maïtre7 répondit Amrou. S, Héraclius.Ann, 633. XVIII, Prife de Gaza. Ehnacin,  HÉRACUUS. Ann. 633 352 H I S T O I R E ' vous embraffei notre religion, vous deviendre{ nos fitres. Si vous voule^ conferver la vóere, oblige{-vous d nous payer a perpétuité un tribut annuel, & nous vous défendrons contre vos ennemis. Autrement, il n'y aura que lépte entre vous & nous. Le Gouverneur reconnut a cette audace que c'étoit le chef de 1 armée, & il donna ordre de le tuer quand il fortiroit de la ville. Un efclave d'Amrou, qui entendoit la langue Grecque, en avertit fon maitre en Arabe, que le Romain n'entendoit pas. Auffi-töt Amrou , fans changer de ton ni de couleur : Seigneur dit-il, je nejuis que le der nier des dix Capitaines qui commandent 1'armée. Cefl par leur ordre que je vous,parle. Ils fouhaitent venir tous enfemble pvurtraiter avec vous, fi je leur porte unfaufconduit de votre part. Le Gouverneur efpérant fe faifir des dix Capitaines a la fois, révoqua 1'ordre qu'il avoit donné, & Amrou regagna fon armée. On 1'attendit en vain k Gaza; 8c le Gouverneur, plein de dépit de fe voir trompé, fe mit a la tête de la garnifon 6c des habitants en état de combattre, Sc fortit en ordre de  du Bas-Empire. Liv. LVII1. 353 bataille. Les Sarafms lui taillerent en pieces tout ce qu'il avoit de troupes; ils lui couperent le retour , 6l le pourfuivirent 1'efpace de quinze lieues, jufqu'a la vue de Jérufalem, oü il alla fe renfermer. Amrou, de retour k Gaza, dépourvue de Gouverneur & de garnifon , n'eut pas de peine k s'en rendre maitre. Les Sarafins avoient alors fept mille hommes fous le commandement d'Amrou , trente-fept mille fous celui dAbu-Obeïda, & Caled, Commandant Général, avoit amené de 1'Irac quinze cents chevaux. Dès le mois de Février, Caled raffembla toutes ces troupes , & marcha vers Damas. Ce pays, le plus beau & le plus riant de 1'Univers, étoit nommé dès-lors le paradis de la Syrië. Héraclius fe trouvant trop prés de 1'ennemi k Emefe, avoit choifi Antioche pour fa re« traite. Informé du deffein des Sarafins , il fit partir Caloiis avec cinq mille hommes pour fe jetter dans Damas. Ce Commandant prit le chemin d'Emefe, qu'il trouva bien pourvue de vivres, d'armes & de munitiorts de guerre. II continua fa route vers HÉRACLIUS. Ann. 63$» Ann. 634. XIX. Les Sarafins vont affiéger Darnas. Elmacin. OUey, hifi, des Sarafins. Hifi. umvK t. XV.  Héraclius.Ann, 634 354 H I S T O I R £ Balbec qui eft 1'ancienne Héliopolis. Cette ville, fituée fur une éminence, & défenduepar une forte citadelle, renfermoit dans fon enceinte les plus fuperbes édifices, dont les reftes ont fubfifté jufqu'a nos jours. A 1'arrivée de Caloüs, les habitants vinrent au-devant de lui, jettant de grands cns, & donnant des marqués de la plus vive douleur. Ils croyoient déja voir a leurs portes Caled leur propofant l'apoftaiie , Pefclavage ou la mort. Caloüs, naturellement vain & fanfaron, les raffura, en jurant qu'a fon retour il leur rapporteroit la tête de Caled au bout de fa lance. Arrivé a Damas, au-lieu de s'occuper des difpofitions néceffaires pour foutenir un fiege, il paffa le temps en conteftations avec le Gouverneur nommé Ifraïl, prétendant commander en chef; ce qu'il ne put obtemr. Bientöt les Sarafins parurent; les habitants fortirent a la fuite de la garnifon , & fe rangerent en bataille. A leur vue, un brave Sarafin, nommé Dérar, excité par Caled, fe détache de 1'armée; & fondant fur eux avec la rapidité de la foudre, il tue qua-  du Bjs-Empire. Liv. LVIIL 355 . tre cavaliers , fix fantaffins, & re- tourne auffi vïte qu'il étoit venu. Abderrahman, animé par eet exemple, en ; fait autant, & Caled infultant les Chrétiens, propofe le défi k quiconque voudra le combattre. Les habitants jettent les yeux fur le Commandant , qui, plus par honte que par fentiment de courage, s'avancé vers Caled , qu'il veut intimider par fes bravades. Caled lui répond par un coup de lance , le renverfe de fon cheval, fe faifit de fa perfonne, & fait un nouveau défi au Gouverneur, qui n'eft pas plus heureux que le Commandant. Sur le refus d'embraffer la nouvelle Religion , ils font mis k mort, & leurs têtes jettées dans la ville. Après plufieurs forties fans fuccès , les habitants fe tiennent renfermés , & envoyent demander du fecours k Héraclius. Cependant les Sarafins ayant appris des Arabes qui avoient fervi dans les troupes de 1'Empire, la fabrique & 1'ufage des machines de guerre, battoient la ville avec violence. Au bout de fix femaines, les habitants fe croyant abandonnés, offrirent k Caled mille on= HÉRACLIUS..TUI. 634.  HÉRACLIUS. Ann. 6}i XX. Théorie re , frer de 1'Empereur , battu pa les Sarafins. Thcopk. p 279Cedr. p Kift. mifc 1. 18. Du Cangt fam. By^. P"g- "7OUcy. ^356 H I S T 0 I Jt E - ces d'or, & deux cents habits de foie, S il vouloit lever le fiege. II répon.. dit qu'il ne partiroitqu'après les avoir rendu Mufulmans ou tributaires. A la nouvelle du fiege de Damas , ' 1 Empereur avoit raffemblé les garnifons de la Syrië , & mis a leur . tete. {on frere Théodore. Si 1'on en croit les Hiftoriens Arabes, 1'armée Romaine étoit de cent mille hom1 mes. Mais ces Auteurs méritent peu de croyance fur le nombre des troupes Chrétiennes, qu'iis exagerent toujours , pour relever la valeur de leur nation. Comment Héraclius, renfermé dans Antioche , auroit-il pu en fi peu de temps réunir tant-de foldats? Auffi, felon le récit des Auteurs Chrétiens , Théodore n'en avoit guere que la moitié lorfqu'il marcha vers Damas. Caled détacha un corps de Sarafins fous la conduite de Dérar, pour 1'arrêter dans fa marche. Ils rencontrerent les Romains prés de Gabata. Dérar, malgré fa bravoure, fut fait prifonnier , & les Sarafins fuyoient, lorfque Rafi , un de leurs Officiers,s'oppofanta leur fuite : Quoi &w,s'écria-t-il, ave{-vous oublié que  du Bjs-Empire. Liv. LFI1I. 357 quiconque t'ourne le dos d Üennemi offenfe Dieu & fon Prophete ? retourne{ a la charge ; je marcherai devant vous. Qiüimporte que votre Chef foit mort ou prifonnier ? Votre Dieu ejl vivant, 6* il voit votre lacheté. Us reprirent courage , & retournerent fur les Romains. En ce moment, Caled arrivé fuivi d'un grand corps de troupes ; il s'élance d'abord au travers des ennemis pour délivrer Dérar ; mais apprenant qu'on 1'avoit fur le champ envoyé a Emefe fous 1'efcorte de cent cavaliers, il fait partir Rafi avec le même nombre de chevaux. Rafi atteint Pefcorte de Dérar, la taille en pieces, & vient avec fon camarade rejoindre Caled , qui, pendant ce temps-ia, avoit défait 1'armée Romaine. II retourne incontinent au fiege de Damas. Théodore s'étant rendu auprès d'Héraclius, en fut fort mal recu. On 1'accufoit de faire des railleries de l'Empereur fon frere , qui trainant fa femme avec lui dans tous fes voyages, aimoit mieux abandonner des Provinces entieres que de la perdre de vue. Cette cenfure fut d'autant plus fenfible k HÉRACL1US. Ann. 634.  HÉRACLIUS. Ann. 634. XXI. Marche de Théodore Trithurius,& de Baane. Niceph. p. 16. Theoph. p. 279, 280. Cedr. p. 425 , 426. Hifi. mifi. I. 18. Elmacin. Okley. Curio hifi. Sarac. p. 19. Affemani, bibl. Or. t. UI. Idem bit. 358 HlSTOIRB Héraclius, qu'elle étoit fondée. La perte de la bataille fervit de prétexte a la difgrace de Théodore; il fut renvoyé a Conftantinople , avec ordre a Conftantin de le faire garder a vue, fans lui donner aucun emploi. Depuis ce temps-la, il n'eft plus parlé de Théodore , frere d'Héraclius; ce qui a fait penfer a quelques Auteurs qu'il avoit été tué a la bataille de Gabata. Héraclius, ayant raffemblé les débris de 1'armée vaincue , en donna le commandement a deux Généraux. C'étoient Théodore Trithurius, fon Sacellaire, c'eft-a-dire , Intendant de fon tréfor, Sc Baane , Perfe de nation, qui s'étoit retiré fur les terres de 1'Empire pendant les troubles de fon pays. Baane avoit amené avec lui un jeune Prince , fils de Sarbar , Sc par conféquent frere d'Ifdegerd, Sc il avoit la réputation d'un guerrier expérimenté. Héraclius, fort dépourvu d'habiles Généraux Romains , le mit a la tête de fes troupes. Ces deux Commandants étant allés a Emefe, y recurent un renfort de dix mille hommes , en forte que leur armée fe trou-  nu Bas-Empire. Liv. LF1II. 359 va encore forte de quarante mille combattants. Ils jugerent a propos de former deux camps , & de partager les troupes. Ils marcherent enfemble vers Damas , chaffant devant eux les différents corps de Sarafins qui couroient le pays jufqu'a Emefe. Ils en tuerent un grand nombre , & vinrent camper au bord du Bardanife: c'eft le Baradi, qui paffe k Damas. Manfor , Gouverneur de la ville depuis la mort d'Ifraïl, avoit ordre de fournir de 1'argent k cette armée; mais comme il étoit mécontent de l'Empereur, il différa plufieurs jours. Enfin, il arriva pendant une nuit, efcorté d'une troupe nombreufe qui faifoit un grand bruit de timbales & de trompettes. Comme il n'avoit donné aucun avis , les foldats de Baane s'imaginant que c'étoient les Sarafins qui venoient fondre fur eux, prirent 1'épouvante; un grand nombre fe jetta dans le fleuve & y périt. Manfor retourna a Damas , après avoir caufé plus de mal aux Romains par cette furprife, qu'il ne leur avoit rendu de fervice par 1'argent qu'il apportoit. HÉRACLIUS. Ann. 634. ur. Oriënt, : IV, f. 10.  HÉRACLIUS. Ann. 634 XXII. Caled marche aux Romains. 360 HlSTOTRE ' Caled, informé de Papproche des Romains , envoya ordre a routes les troupes des Sarafins difperfées dans ' le pays d'alentour, de fe ralTembler a Ainadin, lieu aujourd'hui inconnu, mais qui devoit être a quelques lieues de Damas. II décampa lui-même avec Abu-Obéïda, & ils prirent enfemble la route d'Ainadin , pour réunir toutes leurs forces , & marcher k l'ennemi. La garnifon de Damas , commandée par deux freres d'une grande valeur , nommés Pierre & Paul, les attaqua dans leur retraite , défit leur arriere-garde , & pilla leurs bagages, que Pierre conduifit auffitöt vers Damas, laiffant fon frere aux prifes avec les ennemis. Caled,averti de ce défordre, acoourut k la tête d'un détachement de cavalerie. Paul fut pris , 6c de fix mille chevaux fortis de Damas, il n'en rentra que cent. Cependant Pierre emmenoit quantité de femmes prifonnieres, la plupart de la tribu des Hémiarites, exercées k monter k cheval & k combattre. La plus diftinguée étoit Caula, fceur de Dérar. Elle égaloit fon frere en courage, & furpaflbit en beauté  du Bas-Empire. Liv. LVIIl. 361 beauté toutes les femmes de 1'Arabie. Pierre, ébloui des charmes de fa captive , avoit déja tenté de la traiter en vainqueur ; mais la fiere Sarafine , indignée des follicitations d'un Chrétien , l'avoit rebuté avec mépris. Tandis que Pierre & fes foldats fe repofoient k moitié chemin , elle perfuada aux autres femmes de s'armer chacun d'un piquet de tente, & de s'en fervir contre les ennemis , lorfqu'ils viendroient pour les faire partir. Elles fe rangerent, & fe ferrant dos a dos, armées de leurs piquets, elles fe défendirent longtemps contre les fabres & les épées. Pendant ce nouveau genre de combat arrivé Caled, qui pourfuivoit les Romains a toute bride ; il les charge ; & fecondé des femmes , il en fait un grand carnage. Pierre fut tué; Paul voyant la tête de fon frere, refufa de fe faire Mufulman pour lui furvivre, & eut auffi la tête tranchée. Les Sarafins s'étant rendus a Ainadin , marcherent aux Romains. Les deux armées étant en préfence le 13 Juillet, les Généraux animerent leurs foldats par les motifs les plus preffants, Tornt XII. Q HÉRACLIUS. Ann. 634. XXIIÏ. Bataille d'Ainadirt.  HÉRA-" CL1US. Ann. 634. 362 HlSTOlRE Du cöté des Sarafins, Caula & plufieurs autres femmes s'offrirent a combattre. Caled accepta leur fervice, & les placa a la queue de 1'armée, pour tuer les Mululmans qui prendroient la fuite. Baane fit faire k Caled des propofitions qui furent rejettées : Point de paix, répondit Caled,^ vous ne vous rende^ Mufulmans Ou tributaires. L'armée Romaine étoit plus nombreufe ,& comme elle avoit le vent a dos , Caled différa le combat , faifant plufieurs mouvements pour gagner le vent, qui, dans ces valies plaines , roule des tourbillons de poufliere. Enfin, comme les Archers Arméniens abattoient un grand nombre d'Arabes, il donna le fignal, & les deux armées fe choquerent avec fureur. Les Sarafins, qui, dans les batailles, voyoient le paradis ouvert, prodiguoient leur vie. Ils avoient Pavantage , lorfque Théodore envoya propofer une fufpenfion d'armes jufqu'au lendemain ; il offroit d'avoir une conférence avec Caled k la vue des deux armées. Son deffein étoit de placer une embufcade, pour fe faifir de Caled; mais il  du Bas-Empire. Liv. LFIII. fut trahi par le héraut même , qui décou vrit a Caled la perfidie de Théodore. Sur eet avis, Caled accepte la conférence, & envoye pendant la nuit dix Sarafins fous les ordres de Dérar, qui égorgea les foldats de 1'embufcade, ivres & endormis. Le lendemain, les Sarafins, plus animés encore que la veille , attaquerent 1'armée Chrétienne, & en firent un horrible carnage. La plus grande perte tomba fur 1'armée de Théodore. II n'en coüta pas cinq cents hommes aux Sarafins. Baane ne fe crut pas vaincu. Ses foldats , pleins de mépris pour Théodore & pour le Prince même qui employoit un fi mauvais Général, proclamerent Baane Empereur. Théodore avec le refte des troupes fe fépara auffi - tot de fon collegue, & donna aux Sarafins une nouvelle occafion de vaincre. Après quelques jours de marche, les deux armées fe rencontrerent prés d'Emefe. II y eut un fanglant combat, dans lequel le vent du midi fervit fi bien les Sarafins , que les Romains, aveuglés par les fables & la pouffiere, tomboient HÉRACLIUS. Ann. 634» XXIV. Bataiüe 1'Emeie.  HÉRACLIUS. Ann. 634, XXV. Prife de Darras, 3^4 HlSTOIRE fous le cimeterre ennemi, fans voir le bras qui les frappoit. Le fils de Sarbar fe fauva dans Emefe, & Baane ne pouvant plus efpérer de süreté dans 1'Empire après 1'extravagante proclamation de fes foldats, alla fe cacher dans le défert du mont Sinaï, oü eet Empereur d'une journée prit 1'habit de moine. Dans cette bataille fut tué Elie , qui avoit joint quelques troupes a celles de Baane. Pendant que les Perfes dominoient en Syrië , un certain Jofeph , homme hardi 6f entreprenant , s'étoit rendu maitre de Biblos, fans aucune oppofition de la part des Romains. II ne prenoit d'autre titre que celui de ferviteur de 1'Empire fur la cöte de Phénicie, qu'il défendoit contre Chofroës. Après lui, Job , fous le même prétexte, étendit fon petit Etat jufqu'a Céfarée de Philippe , & en Galilée. Elie , fucceffeur de Job, fervit Héraclius contre les Sarafins. Nous parierons plus en détail de cette dynaftie, lorfque nous traiterons de Pétabliffement des Maronites. Le retour des Sarafins vainqueurs öta Pefpérance aux habitants de Da-  nu Bas-Empixe. Liv. LF1IL 365 mas. Privés de toutes leurs relTources , ils ne voyoient d'autre parti que de ie rendre. Mais Thomas, gendre de PEmpereur, qui s'étoit enfermé dans la ville, fans titre & fans emploi, après avoir, pendant le fiege, foutenu par fa valeur le courage des habitants, les retenoit encore par les motifs de religion & d'honneur. II fit fur les ennemis une furieufe fortie , dans laquelle il eut un ceil crevé d'un coup de fleche, tirée par une femme, dont il venoit de tuer le mari. Deux autres forties coüterent du fang aux Sarafins; mais lamoitié de la garnifon & des habitants y laiffa la vie. Enfin, on envoya demander a Caled une fufpenfion d'armes pour traiter de la capitulation. II la refufa. On s'adrefla la nuit fuivante a Abu-Obeïda, plus doux &plushumain, qui campoit a une autre porte. Ce Général voulut bien traiter avec eux , & leur accorda fept Eglifes. L'accord étant fait, il recut des ötages} & entra dans la ville avec cent hommes , auxquels il défendit de tirer 1'épée. Cependant Caled n'étant pas inliruit du traité, donnoit un violent aflaut, Q üj HÉRACLIUS. Kna. 63.  366 Bistoire Tandis qu'on fe battoit de nart &z HÉRACLIUS. Ann. 654, d'autre avec un égal acharnement, un Prêtre, nommé Jonas, vinttrcuver Caled, & lui offrit d'introduire les Mufulmans. Caled lui donna cent hommes, qui eurent ordre de rompre les portes , dès qu'iis feroient entrés. Ce qui étant exécuté, les Sarafins fe j etterent de ce cöté-la dans Ia ville, maffacrant tous ceux qu'iis trouvoient fur leur paffage. En avancant, Caled rencontra Abu-Obeïda h la tête de fa troupe, 1'épée dans le fourreau , & marchant en paix. Etonné de cette inaöion , il apprend le traité fait avec les habitants; il entre dans une grande colere, proteftant qu'on n'avoit pu rien conclure fans la participation du principal Chef, & qu'il n'y auroit aucun égard. En même temps, les foldats altérés de fang, fe jettoient fur les habitants, dont il ne feroit pas refté un feul, fi Abu-Obeïda, a force de prieres, n'eut calmé 1'impitoyable Caled. Ce fut ainfi que Damas tomba au pouvoir des Sarafins le 30 d'Aoüt, après fix mois de fiege. On déclara aux habitants qu'iis étoient maitres de  du Bas-Empire. IJv. LVllI. 367 fe retirer oü ils voudroient; mais Caled ne voulut leur accorder que trois jours de süreté , après lefquels on pourroit les traiter en ennemis , en quelque lieu qu'iis fe trouvaflent. On leur permit de fortir avec leurs effets, & chacun une arme , lance , are ou épée. Le mouvement qu'un ordre fi rigoureux excitoit dans la ville, reffembloit au tumulted'un faccagement & d'un pillage. On voyoit emporter quantité d'or , d'argent, de pierreries. Outre la garde - robe de l'Empereur, il y avoit plus de trois cents charges de foie teinte en pourpre , & d'étoffes précieufes. Baignés de larmes, ofant a peine faire entendre leurs fanglots au milieu des rifées & des infultes des Sarafins , bail'ant le feuil de leurs maifons, & traïnant après eux leurs femmes & leurs enfants, ils partoient courbés fous la crainte du cimeterre ennemi, autant que fous les fardeaux dont ils étoient chargés. Dans cette troupe déplorable , on voyoit des" Dames foibles &c délicates, nourries dans les délices de ce beau pays, fe trainer a pied par des déferts affreux, Q iv HÉRACLIUS. Ann. 634.  ~~—< HÉRACLIUS. Ann. 634. < ] l 2 r \ è £ T XXVI. Aventure ^ d'un habi- lent de tl Damas. g t< V la fc rr m ai 01 Té P1 G cl re :6S H 1 s t 0 1 r £ te des montagnes efcarpées, mouant de faim & de foif, & privées Ie tous les foulagements de la vie. ,es habitants qui s'affujettirent a payer tri tribut, eurent la liberté de refter Damas ; mais ce fut le plus petit ombre. On dit qu'a la première nouelle qu'Héraclius re§ut de la prife e Damas, il s'écria: Adieu la Syrië; l qu'il fit dès ce moment fes difpotions pour abandonner le pays 6c ïtourner a Conftantinople. Durant le fiege de Damas , 1'aïour fit naitre une aventure qui fe :rmina par 1'événement le plus traique. Une patrouille de Sarafins en- ndit pendant la nuit hennir un cheal qui fortoit par une des portes de ville. Ils 1'attendirent, & firent prinnier celui qui le montoit. Un moent après, ils virent fortir de la ême porte un autre cavalier , qui •pella le premier par fon nom. Ils donnerent a leur prifonnier de lui pondre, afin de Pattirer & de le endre. Le premier cria en langue recque , Üoifeau ejl pris. Sur le amp , le fecond tourna bride & ntra dans la ville. Les Sarafins de-  nu Bas-Empire. Liv. LV1II. 369 vinerent aifément, que le premier avoit averti 1'autre. Ils vouloient d'abord le tuer; mais ils jugerent plus a propos de le conduire a Caled. Qui es-tu } demanda le Général Saralin ». Je fuis , répondit-il, un hom» me de qualité; mon nom eft Jonas. » J'ai fiancé une jeune fille que j'ai» me avec paftion, & dont je fuis » aimé. Mais fur le point de la célé» bration du rnariage, les parents me » i'ont refufée, difant qu'iis avoient » changé de deffein. Nous fommes » convenus fecretement de fortir » de la ville. Je 1'ai averti de mon » malheur pour 1'en garantir. Je ne » puis vivre fans la voir ; mais je » mourrois fi je la voyois captive. » Otez-moi la vie, ou ma douleur *> me 1'ötera bientöt ». Oui, tu mourras , reprit Caled , fi tu rtfufis de te faire Mufulman ; mais fi tu embraffes la vraie religion , rien ne manquera a ton bonheur. Je te rendrai ton époufe i dhs que la ville fera prife. Jonas, aveuglé par fa paffion , pirit fans balance] le dernier parti; & plus ardent ; la prife de la ville que tous les Sa rafins , il les fervit avec chaleur Q v Héraclius.Ann. 6 3 4. 1 (  HÉRACLIUS. Ann. 63. XXVII. Maffacn A*s fugi ti£s. 370 H 1 S T O 1 R E Dès que la capitulation fut arrêtée, il chercha fa maïtrefTe ; & 1'ayant .. trouyée dans un monaftere, oü elle s'étoit confacrée a Dieu pour le refte de fes jours , il lui raconta fon aventure, & voulut Pengager a le fuivre. Elle le rejetta avec horreur, & rien ne put 1'ébranler dans fa réfolution. Lorfque Thomas & les autres Chrétiens fortirent, elle partit avec eux. , Les trois jours accordés aux habi. tants pour affurer leur retraite, étant écoulés , Caled, fuivi de quatre mille chevaux , fe mit a leur pourfuite. II y étoit excité par le defir d'enlever un fi riche butin, par la rage défefpérée de Jonas , & par le zele de Dérar, barbare dévot de 1'Iilamifme, qui faifoit grand fcrupule aux pieux Mufulmans, d'avoir épargné tant de fang infidele. Après une route trèspénible par des montagnes impraticables, Caled atteignit prés de Laodicée, ces infortunés fugitifs. II les trouva qui fe repofoient iiir 1'herbe , oü ils avoient étendu leurs habits après une grande pluie. II en rit un cruel maiTacre. Thomas fut tué en fe dé-  du Bjs-Empire. Liv. LVlll. 371 fendant vaillamment: Jonas y retrouva fa fiancée ; elle fe battit contre lui; mais ayant été renverfée par terre, devenue prifonniere de fon amant, elle fe perca le cceur d'un couteau. Une autre femme d'une rare beauté , diftinguée de toutes les autres par la richeffe de fa parure , fe diftinguoit encore plus par fon courage. Elle fe battit long-temps contre Rafi, dont elle tua le cheval avant qu'il put 1'obliger a fe rendre. Enfin, Rafi s'en étant rendu maitre, 1'offrit k Jonas pour le confoler de la perte de fon époufe. Mais Jonas inconfolable ,la refufa. Caled, apprenant que cette belle héroïne étoit la veuve de Thomas 6c la fille de l'Empereur , fut affez généreux pour la faire conduire k Antioche avec honneur, 8c remettre entre les mains de fon pere. Abubecre mourut de phtifie le jour même de la prife de Damas, agé de 63 ans. II avoit régné deux ans, deux mois 6c demi. Ce qui rend fa mémoire plus précieufe aux Mufulmans, c'eft qu'il recueillit 8c réduifit en un corps les chapitres de l'Alcoran détachés 6c fans fuite, Mais ce qui lui Q vj HÉRACLIUS. Ann. 634. XXVIIE. Mort d'Abubecre.Theoph. p, 179. Cedr. p, Chr, oriënt, p. 64. Confl. Perph, de  HÉRACLIUS. Ann. 634 adm. Imp, £. 18. Elmacin. Abulfara- Hottingtr , hifi. Or. U 3. c. 5. Pagi aa Bar. Okley. Hifi. univ, t. XV. D'Herlc lot, Bib. Or. 372 HlSTOIRE dok conferver Feftime de toutes les nations , c'eft fon défintéreffement 6c fa juftice. Après la conquête 6c le pil— lage des plus riches contrées, fa iucceflion ne monta qu'a cinq ftaters, qui font environ quarante écus de notre monnoie. II ne prenoit dans le tréfor pour fa dépenfe journaliere, que trois drachmes , c'eft-a-dire, environ cinquante fois. Tous les vendredis, qui font les jours de dévotion dans la Religion Mulülmane, il diftribuoit ce qu'il y avoit d'argent dans le tréfor, a proportïon du mérite de chacun , d'abord aux gens de guerre, enfuite aux favants, (ilsappelloient ainft leurs Théologiens , leurs Poëtes, leurs Aftrologues ) enfin a ceux qui avoient mérité quelque récompenfe par leur trayail. Mahomet lui avoit donné deux furnoms, celui de Seddik, c'eft-a-dire , témoin fidele, paree qu'il avoit attefté aux Arabes la vérité du voyage célefte du Prophete; 6c celui A Atik, qui lignifie le prédejlinè. II défigna Omar pour fon fucceffeur; 8c comme Omar le prioit de ne point penfer a lui, dir fant qu'il n'avoit pas befoin de cette  du Bas-Emrire. Liv. LVIII. 373 dignité : Je le fais bien, repliqua le • Calife ; mais cette dignité a befoin de vous. Son teftament commencoit par \ ces paroles mémorables : Ceci eft le teftament dCAbubecre, qu'il a fait fur le point de fortir de ce monde pour entrer dans l'autre; dans le temps ou. les incredules commencent d croire , oit les impies n'ont plus de doute, & ou les menteurs difent la vérité. II avoit fouvent a la bouche cette fentence: Les bon~ nes aclions font une fauve-garde contre les coups de Üadverfité. II étoit maigre & de haute taille; il buvoit & mangeoit peu. L'exemple de fes vertus apparentes étoit bien capable de féduire ceux que Pépée de Caled avoit conquis a la Religion Mufulmane. Omar qui lui fuccéda, fut, felon quelques Auteurs, le premier des Galifes qui prit le titre A'Emir al Mou- ' menin , c'eft-a-dire , Prince desfideles. Ce mot corrompu dans les langues de PEurope, a formé celui de Miramolin. A la nouvelle de la mort d'Abubecre & de 1'élévation d'Omar, Caled s ecria : Je ne fuis donc plus Général. En effet, dès le premier Ociobre arriya une lettre d'Omar, qui HÉRACLIUS. mn, 634. XXIX. Omar , Calife.  HÉRACLIUS. Ann. 634. XXX. Héraclius reporte la fainte Croix a Conftantiple. Niceph, p. «5 » 17» 18. Théoph. p. 280. Ced. p. 416. hifi. mifi. I. 18. Suid. roet 374 Histoire nommoit Abu-Obéïda Commandant principal en Syrië. Omar le préféroit a caufe de fa douceur & de fa modeiiie. Ce Caled, qu'on peut regarder comme un de ces puilTants S>c terribles inftruments que Dieu employé dans fa colere pour la deftruction des Empires; ce génie violent & impétueux , mais vraiment magnanime, defcendit fans murmurer aux emplois fubalternes; il foumit fa fierté naturelle a 1'amour du bien public , & facrifia de bonne foi tout ce qu'il avoit de talents & de forces a la gloire d'un Général, auquel il fe fentoit fupérieur. Héraclius étoit défefpéré des nouvelles qu'il recevoit tous les jours. Ayant affemblé fon Confeil, il demanda quelle pouvoit être la caufe des fuccès étonnants des Arabes , fi inférieurs aux Romains pour le nombre , pour la fcience militaire, pour la maniere des'armer; barbares miférables, la plupart fans armes défenfives, ayant même a peine affez d'habits pour fe couvrir. Après quelques moments de filence , un vieillard fe leva, & dit: Qu'on ne pouvoit attribuer les vicloires  nu Bas-Empize. Lh. LFIII. 375 des Sarafins qu'a la colere de Dieu irrité contre les Romains, quifoulant aux pieds les loix de Ü Evangile, s abandonnoient aux plus honteux défordres, & fefaifoient une guerre intejtine, plus opinidtre que celle des Sarafins, par leurs concufjions, leurs violences, leurs injuflices & leurs ufures. L'Empereur convint de la vérité de ces reproches, & déclara qu'il alloit quitter la Syrië, & fe retirer £i Conftantinople. En vain fes Officiers lui repréfenterent que cette retraite öteroit le courage a fes fujets, & fourniroit aux Sarafins un fujet de triomphe. II perfifta dans fa réfolution , & partit pour Jérufalem. Perfuadé que cette ville feroit bientöt la proie de 1'armée Mufulmane, il vouloit du moins fauver la Sainte Croix, qu'il avoit eu 1'honneur de retirer des mains des Perfes. Le Patriarche Sophrone, fondant en larmes avec tout fon peuple, lui remit ce facré dépot, & l'Empereur prit par terre le chemin de Conffantinople avec PImpératrice. Ce Prince, dont 1'efprit étoit affoibli par fes malheurs, étoit devenu timide, & craignoit la mer, Arrivé au Bofphore, il n'ofa HÉRACLIUS. Ann. Ó34» OkUy. Pagi ai Bar.  HÉRACLIUS. Aon. 634. 375 HlSTOIRB fe montrer vaincu & fugitif, a cette même capitale, oü vainqueur des Perfes , il avoit fait quelques années auparavant une entrée qui rappelloit les triomphes des anciens Romains. II s'arrêta dans le palais d'Hérée fur la cöte d'Alie, & y féjourna longtem ps , malgré les inftances des Magiftrats & du Sénat, qui le preffoient de fe rendre aux vceux dün peuple dont il étoit chéri. II fe contentoit d'envoyer fes fils les jours de fêtes & de réjouiffances publiques, pour affifter, felon Pufage, k Poffice folemnel, & pour préfider aux jeux du Cirque. Pendant ce féjour , il découvrit, ou crut découvrir une conjuration formée contre fa perfonne. On en accufoit Athalaric, fon fils naturel, Théodore fon neveu, fils de fon frere Théodore , & plufieurs autres de moindre confidération. Sa mélancolie lui fit croire aifément qu'iis étoient coupables; & fans beaucoup d'examen, il leur fit couper le nez, les mains, & le pied droit. Athalaric fut relégué dans 1'ifle du Prince, & Théodore dans celle de Gaulos , aujourd'hui Gozo prés de Malte. Enfin, 1'Em-  du Bas-Empire. Liv. LVIII. 277 pereur confentit a rentrer dans Conftantinople. Mais pour ménager fa foibleffe, il fallut jetter fur le Bofphore un pont de bateaux que 1'on recouvrit de terre, & dont les cötés garnis de branches d'arbres & de feuillages épais, déroboient la vue de la mer. Après avoir paffé fur ce pont comme fur la terre ferme, il cötoya le rivage jufqu'a la pointe du golfe de Céras, & ayant traverfé le pont du Barbyffus , il entra dans Conftantinople. Tant d'infortunes n'avoient pas encore fait perdre a ce Prince la réputation qu'il s'étoit acquife dans la guerre de Perfe. Cubrat, Roi des Bulgares, fecoua le joug du Khan des , Abares ; il les chaffa de fes Etats avec outrage , & leur en défendit 1'entrée. En même-temps il envoya une ambaffade a Héraclius, & fit avec lui un traité de paix, qui dura inviolablement jufqu'au regne de Conftantin Pogonat. Héraclius envoya des préfents au Roi des Bulgares , & lui conféra Ie titre de Patrice. La Paleftine déja allarmée des ravages des Sarafins , fut encore affligée d'un terri- HÉRACL1US. Ann. 634, XXXI. AUiance des Bul;ares. Niceph. 7. 16. Theoph. p. 179. Uifl. mifi. '.. 18. Elmacin,  HÉRACLIUS. Ann. 634. Ann. 635. XXXII. Maflacre du monaftere d'Abilkodos. OUey. 1 ] j 1 1 378 HlSTOlRR ble tremblement de terre, dont les fecouffes fe renouvellerent par intervallespendant quarante jours. Cefléau fut fuivi de la pefte qui emporta grand nombre d'habitants. Abu-Obeïda fit repofer fes troupes a Damas, dont la conquête lui ouvroit les portes de la Phénicie 6c de toute la Syrië. Le refte de 1'année & le commencement de la fuivante fe paflerent en courfes 6c en ravages , qui s'étendoient a trente lieues a la ronde. A quelque diftance de Tripoli, étoit le monaftere d'Abilkodos , célebrepar le féjour d'un faint vieillard , dont la vertu étoit renommée dans tout le pays d'alentour. On venoit de toutes parts lui deman^ der fa bénédicfion; on lui amenoit ies nouveaux mariés pour les bénir. Les Sarafins n'auroient pas troublé :ette dévotion, s'il n'y eut eu une foire très-ricbe & très-fréquentée, qui fe tenoit tous les ans a Paques jrès de ce monaftere. Le Général réblut de la piller. II fit partir dans :e deffein Abdalla, avec cinq cents cavaliers. Un Chrétien perfide, qui ivoit donné eet avis, fervit de con-  du Bas-Empire. Liv. LFIU. 379 dufteur; & ayant pris les devants pour reconnoitre le lieu, il rapporta qu'il y avoit cette année un concours beaucoup plus grand qu'a 1'ordinaire; que le Gouverneur de Tripoli y avoit amené fa fille, mariée depuis peu, pour recevoir la communion des mains de ce vénérable Moine, & qu'elle étoit efcortée de vingt mille chevaux. Sur ce rapport, les Sarafins étoient d'avis de s'en retourner : mais Abdalla protefta qu'il ne fuiroit pas, & que düt-il être feul, il iroit, de peur de s'attirer la colere de Dieu, toujours prêt a punir ceux qui fe portent avec froideur a fon fervice. Les Sarafins, touchés de ces pieux fentiments, s'écrierent qu'iis ne 1'abandonneroient pas. lis avancent & arrivent pendant que le vieillard prêchoit a une foule de gens, qui fe preflbient autour de lui pour 1'entendre. La jeune époufe environnée de fa garde, brilloit au milieu de eet auditoire. A cette vue, Abdalla fe tournant vers les Sarafins : Mes amis, leur dit-il, tapötre de Dieu a déclaré que le paradis ejï fous l'o/nbre des épées ; nous allons gagner un ri- HÉRACLIUS. Ann, 63 J.  Héraclius.Ann, 63;. 380 II I S T f) I R E cke butin ou un keureux martyre. En même-remps il s'élance le cimeterre a la main au travers de cette affemblée, & la dévotion Mufulmane en fait une fanglante boucherie. Les Chrétiens s'imaginant avoir fur les bras tous les Sarafins de Damas, fuyent de toutes parts avec d'horriblescris; mais s'étant bientöt reconnus, & s'appercevant que ce n'étoit qu'une poignée d'ennemis, ils reprennent courage , & enveloppent les Sarafins; enforte, dit un Auteur Arabe , que cette troupe ttèlus ne paroiffoit que comme une tache blanche fur la peau d'un chameau noir. Pendant que les Arabes fe défendent avec courage, Abdalla envoye a toute bride demander au Général un prompt fecours. Abu-Obeïda n'avoit ofé jufqu'alors employer Caled, qu'il croyoit irrité. II avoit cependant befoin de fa vivacité & de fa valeur dans un danger fi preffant. II le conjure au nom de Dieu de courir au fecours de fes freres : Commande, lui dit Caled , fobéïrois d un enfant ,file Calife lui avoit donné le commandement de F armée, Tu me trouveras toujours prét d fuivre tes ordres. Je te  du Bas-Empire. Liv. LFIII. 381 refpecle encore d un autre titre; tu as profeffé avant moi la véritablc Religion. II part auffi-töt avec fa troupe, & arrivé lorfque les Sarafins étoient aux abois. Sa vue ranime leur courage, ils fe joignent; ils fondent tous enfemble fur les Chrétiens; tout eft maffacré; le Gouverneur de Tripoli eft tué par Dérar ; on n'épargne que le vieillard par refpect pour la mémoire d'Abubecre, qui avoit accordé fa protecïion aux Moines. On enleve toutes les richeffes étalées autour du monaftere. La nouvelle mariée eft prife avec quarante filles qui 1'accompagnoient; on la donne a Abdalla. Dès que Caled fut de retour a Damas , Abu-Obéïda rendit compte au Calife de ce qui s'étoit paffé. II donnoit dans fa lettre de grands éloges a Caled , qu'il favoit qu'Omar haïffoit. II 1 'avertiflbit en même-temps d'un défordre fcandaleux qui s'inttoduifoit dans 1'armée : Nos Mufulmans , difoit-il, ont appris en Syrië d boire du vin. Omar répondit, que ces prêvaricateurs méritoient d'être privês de tous les biens de la vit; quau-litu de fa- HÉRACLIUS. A.nn. 63 jj XXXIII. Sévéricé t'Omar,  HÉRACLIUS. Ann. 63 5. XXXIV. MouveTementsdes Sarafins en Syrië, 382 Hl S T O 1 R E tisfaire kurs appetits fenfuels , ils feroient bien mieux cTobferver les commandements de Dieu , de croire en lui, de le fervir & de lui rendre graces. Ce font les termes de fa lettre. II condamnoit tous ceux qui avoient bu du vin a recevoir quatre-vingts coups de batons fur la plante des pieds. Cette fentence fut fcrupuleufement exécutée. Mais ce qu'il y eut d'étonnant, c'eft qu'Abu-Obéïda vint a bout de perfuader a fes foldats , que ceux qui fe fentoient coupables de ce crime , devoient s'accufer eux-mêmes & s'offrir a la punition. II y en eut un grand nombre que leur confcience feule conduifit au fupplice , & qui fe foumirent volontairement k cette rigoureufe pénitence. Le Général ayant laiffé k Damas une garnifon de cinq cents chevaux, prit la route d'Alep, Fancienne Bérée , a deffein de s'emparer de cette place importante, & d'aller enfuite affiéger Antioche. Mais un ordre d'Omar 1'arrêta devant Emefe. II avoit déja fait fes difpofitions pour le fiege, lorfque les habitants vinrent lui offrir dix mille pieces d'or, & deux  du Bas-Empire. Liv. LFIII. 3S3 cents robes de foie, pour obtenir une trêve d'un an. Ils promettoient de fe foumettre, lorfque les Sarafins fe feroient rendus maïtres d'Alep, d'Alhadir & de Kennefrin, qui eft 1'ancienne Chalcis. II accepta ces conditions , & fe contenta de ravager le pays. II fit grand nombre de prifonniers , qu'on taxoit a quatre pieces d'or par tête. Ils fe foumettoient a payer tribut, & s'engagoient a fecourir les Mufulmans de tout leur pouvoir. On leur rendoit leurs femmes, leurs enfants & tous leurs effets; on enregiftroit leur nom &c leur demeure. Cette conduite facilita les progrès des Arabes. Ces Chrétiens ainfi enrölés, leur fervoient d'interprêtes, de guides & d'efpions. Les habitants d'Alhadir & de Kennefrin étoient tentés de fuivre eet exemple : mais Luc , Gouverneur de ces deux places qui étoient voifines, réfolut de fe défendre. Cependant il diffimuloit, & fit demander au Sarafin une trêve d'un an, qui lui fut accordée, a condition que fi l'Empereur envoyoit du fecours, les deux garnifons fê tiendroient renfermées HÉRACLIUS. Ann. 63;.  HÉRACLIUS. Ann, 635. 3^4 HlSTOIRE dans leurs murailles, fans donner aucune afïïftance aux troupes impériales. On convint que les habitants , pour la füreté de leurs terres, placeroient une marqué fur leurs limites. Ils y drefferent une colonne qui portoit la flatue d'Héraclius. Quelques cavaliers Arabes, palTant paria , s'arrêterent pour confidérer cette ftatue qu'iis admiroient , quolqu'elle fut affez groffiere. Elle avoit des yeux poliiches. Un Sarafin par hafard lui fit fauter un ceil du bout de fa lance. Ce fut pour les habitants de Kennefrin une infraction manifefte de la trêve. Ils envoyerent faire de grandes plaintes au Général, qui leur protefta qu'on n'avoit eu aucun deffëin d'infulter l'Empereur , offrant telle fatisfatfion qu'iis pourroient raifonnablement defirer. Ils répondirent que rien ne les fatisferoit que la loi du talion, & qu'il falloit crever un ceil a Omar. A cette parole, peu s'en fallut que les Sarafins ne les miffent en pieces. Mais Abu-Obéïda arrêta leurs bras, en leur difant qu'iis devoient pardonner a ces Grecs, nation imbécille Sc dépourvue de fens; que  bv Bas-Eripire. Liv. LVUL 3S5 que ces miférables vouloient apparemment parler non de la perfonne d'Omar, mais de fon image. II offrit aux députés de leur donner la fienne, dont ils feroient ce qu'iis jugeroient a propos. Ils s'obftinerent a vouloir celle d'Omar; le Sarafin, plus fenfé qu'eux, y confentit; & ils traiterent la ftatue d'Omar comme on avoit traité celle d'Héraclius. Cette repréfaille, loin d'irriter la Cour de Médine , ne fervit qu'a la divertir. Quelques mois après, on apprita Damas que le Gouverneur de Ken. nefrin, fans avoir égard aux conditions de la trêve, avoit demandé du fecours a l'Empereur, & qu'il étoit forti de la ville pour aller au-devant. Abu-Obeïda partit auffi-töt , & envoya devant lui Caled avec quelques troupes. Suivant dans fa marche le cours de 1'Oronte, il accorda la même trêve aux habitants d'Arreftan , de Hama & de Schizar; ce font des villes fituées le long de ce fleuve, & qui portoient encore les noms d'Aréthufe, d'Epiphanée & de Larifle. II n'eut pas befoin de paffer outre. Caled, toujours prompt dans fes Tome XII. R HÉRACLIUS. Ann. 63 f, XXXV, Prife de Kennefrin. Elmac'm, OkUy.  HÉRACLIUS. Ann. 63 5. XXXVI. Prife de Balbec. 535 H I $ T O 1 R Z expéditions, avoit rencontré le Gouverneur a la tête d'une troupe plus forte que la fienne ; ce qui ne 1'avoit pas empêché de le combattre, de le vaincre, & de le tuer même dans le combat. Les habitants ayant perduleur Gouverneur, s'étoientfoumis aux Sarafins. Malgré la déplorable lituation des Chrétiens , ils contribuoient a fe ruiner eux-mêmes par leurs divifions. II y avoit dans Alep affez de forces pour fecourir Kennefrin, & ces deux villes ne font éloignées 1'une de 1'autre que de cinq a fix lieues. Mais les deux Gouverneurs étoient fi peu d'accord, qu'on ne put les engager a fe réunir pour la défenfe de la caufe commune. Le fort d'Alhadir fuivit celui de Kennefrin. -. Les Mufulmans murmuroient de toutes ces trêves qu'Abu-Obeïda accordoit aux villes Chrétiennes. C'étoit , a leur avis, trahir les intéréts de Dieu & de fon Prophete. Omar lui-même en fit par lettres des reproches k fon Général. Mais AbuObeïda, religieux obfervateur de fa parole, effuya ces mécontentements,  du Bas^Empire. Liv. LVIIL 387 plutöt que de prévenir d'un feul jour le terme fixé par les conventions. Cependant, pour appaifer ces murmures, en attendant 1'expiration de la trêve feite pour Emefe, il alla faire le fiege de Balbec. Les habitants voyant du haut de leurs murs païoitre les Sarafins , s'imaginerent que ce n'étoit qu'un parti de fourrageurs, & envoyerent contre eux fix mille chevaux , qui furent taillés en pieces. Le Général, qui épargnoit le fang autant que fa loi pouvoit le permet* tre , les invitoit en vain a fe rendre. Ils firent plufieurs forties dans lefquelles Habis, leur Commandant, fignala fa valeur, & repouffa rude-ment les Sarafins. Enfin, s'étant laiffé emporter trop loin par fon courage, les ennemis lui couperent le retour; & les habitants pour lui fauver la vie, capitulerent, & recurent garnifon Sarafine. Le terme de la trêve étant expiïé, Abu-Obeïda retourna devant Emefe. Comme la ville étoit forte & abondamment pourvue pour un long fiege, après une vigoureufe fortie oü fes troupes furent fort maltröitées, ', R ij Héraclius.Ann. 635. Inn. 636. XXXVII. Prife 1'Arrefan, de üama & ie Schier.  HÉRACLIUS. Ann. 636, 353 HlSTOlRB il s'avifa d'un ftratagême. II offritaux habitants de fe retirer, a condition qu'iis lourniroient a fon armée des vivres pour cinq jours. La propofition fut acceptée. Après avoir recu les provilions dont on étoit convenu, il acheta toutes celles qui reftoient dans Emefe. Son intention étoit de revenir bientöt affiéger la ville dépourvue de vivres. Pour mafquer ce defTein, il marcha vers les trois villes fituées fur 1'Oronte, dont la trêve ne fubfiftoit plus. II fe préfenta d'abord devant Arreflan , place bien fortifiée, & munie d'un bon nombre de troupes, & la fomma de f* rendre. Sur le refus du Gouverneur, il le pria de lui permettre d'y laiffer quelques gros bagages qui 1'embarralfoient, difoit-il, dans fa marche. Le Gouverneur, fe trouvant trop heureux de voir les Sarafins s'éloigner, y confentit. Abu-Obeïda fit enfermer vingt de fes plus braves Capitaines dans autant de caiffes, qui furent portées dans le chateau, & fe mit en marche comme pour aller ailleurs. II laiffa Caled en embufcade prés de la ville avec quelques trou-  nu Bas-Empire. Liv. LFIII. 389 pes. Dès que les ennemis eurent décampé, les habitants, ravis de joie , coururent k la grande Eglife pour rendre k Dieu des aftions de graces. Les Sarafins enfermés les entendant chanter, fortent de leurs cailTes, fe faififfent de la femme du Gouverneur, qui étoit demeurée dans le chateau, la forcent de leur donner les clefs de la ville. Ils courent a l'Eglife, maflacrent cette multitude d'habitants, & ouvrent les portes k Caled. On permit a ceux qui reftoient, de fe retirer oii ils voudroient. Quelques-uns changerent de Religion, la plupart fe retirerent k Emefe. On laiffa dans la place deux mille hommes de garnifon. Quoique les Auteurs Arabes ne difent rien de Hama dans le récit de cette expédition, il eft k croire qu'on s'en empara, avant que de paffer outre pour aller a Schizar. Dans cette derniere ville , les habitants tuerent le Gouverneur qui vouloit fe défendre, & porterent les clefs au Général Sarafin. II lestraitahumainement, fans les obliger même k changer de religion. Maitre de ces trois places, il revint fur fes pas, & reparut deR iij HÉRACLIUS. Ann. 6361  Héraclius.Ann. 6.36. xxxvm Prife d'E«efe. i 1 j 4 1 39o H IS T O 1 R Ë vant Emefe, lorfqu'il y étoit le moins attendu. . Dès le premier jour, les habitants, refolus de fe défendre, firent fortir cinq mille cavaliers bien armés & pleins de courage, qui tomberent fur les Sarafins occupés du campement, & en tuerent un grand nombre. Pendant deux mois que dura le fiege, ce ne furent que combats continuels , oü les affiégés avoient prefque toujours Pavantage , malgré le nombre fupérieur des Sarafins. Dans une de ces aéfions, Caled fit preuve d'une vigueur extraordinaire. Son épée s'étant rompue, tandis qu'il fe battoit contre un cavalier, il fe jetta fur lui, Ie fajfit & le ferrafi fortement, qu'il lui brifa les cötes , & le renverfa mort de fon cheval. Enfin, par le :onfeil de Caled, les Sarafins eurent •ecours a la rufe. Ils décampent en .umulte, & feignent de prendre la üite; les habitants les pourfuivent iffez loin; alors les Sarafins faifant 'olte-face, les enveloppent & les aillent en pieces. Le Gouverneur qui 'étoit diftingué par fon courage dans outes les forties, fut tué en com-  du Bas-Emppre. Liv. LVIIL 391 battant. La place qui depuis long-temps ' manquoit de vivres, dénuée alors de troupes & de Commandant, confen- A tit a capituler. Les Sarafins ne fe rendirent pas diificiles; ils apprenoient, ce qu'on ignorok dans la ville, que l'Empereur avoit fait un dernier effort, & qu'iis alloient incontinent avoir fur les bras une armée formidable. Dans une conjon&ure ft pref-* fante , ils fe contenterent de la parole des habitants, dont ils recurent des ötages, fans fe donner le temps de prendre polTeiTion de la ville, & fe mirent en marche pour livrer une bataille, qui alloit décider du fort de la Syrië. Héraclius avoit ralTemblé toutes 3 les forces de 1'Afié & de 1'Europe v * dont il avoit donné le commande- f ment a un Général nommé Manueh 1 Jabala, Roi des Arabes de GatTan, (s Chrétien de religion , y avoit joint / ce qu'il avoit de foldats. Si Pon. veut 1 eh croire Elmacin ^ 1'armée Romaine ■* étoit de deux cents quarante mille hommes ; mais , felon toute apparence, il en faut au moins rabattre la raoitié, & c'en eut encore été trc$ R iy HÉRAClIUS. an. 63,6» □cnx: pproche e 1'armée: omaine» 'Imacïn. «&, af- • rh fur la "ahorn, 'ét I»  HÉRACLIUS. Ann. 636. 392 H I S T O 1 R E aux Scipions & k Céfar, avec des foldats tels que les leurs , pour fubjuguer 1'univers. Manuel donna ordre k Jabala de marcher toujours k la tête avec fes Sarafins, difant, qu'il n'y avoit ritn de tel que le diamant pour couper le diamant. Cette armée auffi infupportable aux Provinces que les ennemis mêmes, s'abandonnoit fur fon paffage k toute forte de défordres , funefte préfage pour le fuccès. Le bruit de fon approche effraya d'abord les Sarafins ; plufieurs d'entr'eux vouloientfe retirer en Arabie; mais les plus braves s'écrierent qu'iis aimoient mieux mourir pour la défenfe de cette contrée opulente & délicieufe, qu'iis venoient de conquérir au prix de leur fang, que de retourner dans leurs déferts pour y trainer une vie pauvre & miférable. Leur armée étoit de trente-fix mille hommes. Ils fe rendirent prés de la ville d'Yarmouc fur les bords d'une riviere de ce nom. Manuel vint camper a leur vue; mais il ne fe preffa pas de donner bataille. II avoit ordre de l'Empereur de faire des propofitions de paix. Elles furent re^  nu Bas-Empirb. Liv. LVlll. 393 jettées. II fe paffa plufieurs jours en pour-parlers. Les Sarafins tenterent inutilement d'engager Jabala a garder la neutralité. Caled, irrité de fa réfiftance, attaqua pendant la nuit fon quartier ; il y jetta le défordre, & maffacra un affez grand nombre de fes Arabes ; mais il y laiffa prifonniers les trois plus braves Officiers des troupes Sarafines, Dérar, Refi & Yézid. A la première nouvelle qu'AbuObéida avoit recue de la marche des R.omains, il avoit dépêché un courrier au Galife, pour demander le fecours de fes prieres, & un renfort de troupes. A Parrivée du courrier , Omar monta en chaire dans lamofquée de Médine , & repréfenta aux Mufulmans de quel mérite il étoit de combattre pour la caufe de Dieu. II répondit a fon Général par une lettre remplie de confolations'fpirituelles tirées de 1'Alcoran ; il lui envoya fa bénédiction., & ce qui valoit mieux fans doute, huit mille hommes fous Ie commandement de Saïd , Capitaine d'une grande valeur, qui ayant rencontré dans fa marche le GouR v HÉRACLIUS. Ann. 636 KL: Omar esvoye du fecours lux Sïtï-  HÉRACLIUS. Ann. 636. XLI. Conférence de Caled & de Manuel. i 1 ] i * J < J i 394 HlSTOIRB verneur d'Amman a la tête de cinq mille hommes , les tailla en pieces fans qu'il en reftat un feul. Les vainqueurs arriverent au camp, portant au bout de leurs lances , les têtes écorchées des ennemis: fpectacle affreux qui ralluma le courage de 1'armée Sarafine. En attendant ce fecours , AbuObeïda amufoit les Chrétiens par des conférences. Caled fut un des négociateurs. II fe fit accompagner de cent Sarafins. Manuel vouloit que Caled vint le trouver feul; ce qu'il refufa. On prétendit Pobliger lui Sc toute fa troupe, de mettre pied a terre a Pentrée de la tente de Manuel , & de rendre leurs épées: il reetta fiérement tout ce cérémonial, Sc il fallut lui permettre d'entrer :omme il voulut. Les Sarafins trouperent le Général Romain aflis fur ine eftrade élevée, & des fieges >réparés pour eux. Ils öterent les ïeges , Sc s'afiirent a terre. Manuel eur en demandant la raifon : Dieu , lit Caled, a donné la terre aux Muutmans pour leur fervir de fiege, & 'en efi un plus riche que les plus fu-^  du Bas~Empire. Lte. LVÏIÏ. $tf perbes tapis des Chrétiens-. Manuel fe plaignit d'abord des hoitilités des Sarafins jCaled lui répondit ee qu'il voulut.Le Romain, étonné'de la nobleiïe de fes réponfes „ ne put s'empêcher de lui témoigner que fa; vifite lui donnoit de 1'eftime pour- les Arabes , qu'on lui avoit dépeints comme une nation ignorante öc ftupide. Nous étions tels- en effet, reprit Caled r avant que- Dieu nous eut envoyl Mahomet , fon Prophete vpour nous ap- Nous » favons, répondit le Général, que » Jérufalem eft une ville facrée ; que » notre Prophete y fut tanfporté dans » cette nuit miraculeufe , pendant » laquel il monta au Ciel, & s'en» tretint avec Dieu même. Nous fa» vons que c'eft le berceau & le » tombeau des Prophetes , &£ c'eft » a tous ces titres que cette ville » nous eft chere ; nous fommes plu& » dignes que vous de la pofféder. » Auffi ne cefferons-nous de 1'affié» ger , jufqu'a ce que Dieu 1'ait mife » entre nos mains, comme il nous » a livré tant d'autres places ". Sophrone confentit a capituler, pourvu que ce fut avec le Calife en perfonne. Omar , informé de cette convention , fe mit en marche dans un équipage , dont 1'auftere fimplicité feroit aujourd'hui remarquable dansle Chef HÉRACLIUS. Ann. 637-, XLVI. Arrivée d'Omar,  HÉRACLIUS. Ann. 637. 404 H I S T O I R E d'un ordre religieux. Auffi peut-on dire que dans ces premiers temps , la nation entiere étoit une fociété religieufement fanatique , qui concilioit une dévotion groffiere, une obéiflance aveugle, une étroite auftérité, avec 1'efprit de conquête, 1'intrépidité du courage, la conftance opiniatre dans fes ambitieux projets , le mépris des autres nations , & le zele le plus fanguinaire. Rien de plus fimple que 1'extérieur de eet homme , qui, du fond de fa retraite de Médine , bouleverfoit alors la Syrië Sc la Perfe , méditoit 1'invafion de 1'Egypte , & préparoit pour fes fucceffeurs les refforts de la Monarchie univerfelle. II avoit fort peu de fuite. II montoit un chameau chargé de deux facs; 1'un contenoit la provifion ordinaire des Arabes, c'eftè-dire , de 1'orge, du riz, ou du froment bouilli Sc mondé ; 1'autre renfermoit des fruits. Devant lui étoit une outre rempli d'eau ; derrière lui un grand plat de bois. II mangeoit avec fes gens fans diftinction. Arrivé au camp, il débuta par un fermon; & ayant appercu des Sara-  du BaS'Empire. Liv. LF1II. 405 fins vêtus d'habits de foie , qu'iis avoient gagnés au pillage, il les fit trainer dans la boue le vifage contre terre , & commanda que 1'on mït en pieces leurs magnifiques habits. Sa tente n'étoit que de poil; il n'avoit d'autre fiege que la terre. Après quelques conférences avec Sophrone, on convint des conditions. Comme cette capitulation a fervi dans !a fuite de modele aux Mufulmans, j'en rapporterai les articles d'après les auteurs Arabes de 1'hiftoire de Jérufalem. » Au nom de Dieu très-mi» féricordieux. De la part d'Omar » aux habitants d'^Elia ". ( on appelloit ainfi Jérufalem du nom de familie de l'Empereur Hadrien qui 1'avoit rétablie ). » Ils feront proté» gés; ils conferveront la vie & leurs » biens. Leurs Eglifes ne feront pas .»> démolies; eux feuls en auront 1'u» fage; mais ils n'empêcheront pas » les Mufulmans d'y entrer ni jour » ni nuit; ils en ouvriront les por»> tes aux paflants & aux voyageurs; » ils n'érigeront point de croix au» deflus; ils ne fonneront point les » cloches, & fe contenteront de tin- HÉRACL1US. Van. 637, XL VII. Capitulaioh de Jé'ufalem.  HÉRACLIUS. Ann, 637. 40ïS HlSTOIHE » ter ; ils ne batiront de nouvelles » Eglifes ni dans la ville, ni dans » fon territoire. Si quelque voyageur » Muiulman paffe par leur ville , ils » feront obligés dè le loger & de »> le nourrir gratuitement pendant » trois jours. On ne les obligerapoint » d'enfeigner 1'Alcoran a leurs en» fants : mais ils ne parleront point » ouvertement de leur Religion aux » Mufulmans, ne folliciteront per»> fonne a 1'embraffer, Sc n'empêche» ront point leurs parents de la quit*» ter pour faire profeffion du Mu» fulmanifme. Ils ne montreront pas •» publiquement dans les rues leurs » croix & leurs livres. Ils témoigneront du refpect aux Mufulmans, » & céderont leur place , lorfque w ceux-ci voudront s'affeoir. Ils ne » feront pas vêtus comme eux; ils » ne porteront ni leurs bonnets, ni » leurs turbans, ni leur chatiffure; » ils garderont par-tout un habille» ment diftinciif, & ne quitteront s> jamais la ceinture. Ils ne partage» ront pas leurs cheveux comme les »> vrais fideles. Ils ne parleront pas » la mêmelangue, ne prendrontpas  bv Bas-Empire. Liv. LF1IL 40; *> les mêmes noms, & ne fe fervi» ront pas de la langue Arabe dan; » les devifes de leurs cachets. Ils n'i» ront point a cheval avec des fel» les. Ils ne porteront aucune forte » d'armes. Ils ne vendront point de » vin. Ils ne prendront chez eux au » cun domeftique, qui ait fervi ur » Mufulman. Ils payeront ponctuel» lement le tribut. ils reconnoïtront » le Calife pour leur Souverain, & » ne feront jamais, ni direcfement, » ni indireéfement, rien de contrai» re a fon fervice ". A ces conditions, ils eurent liberté de religion, en payant le tribut que les vainqueurs jugerent a propos de leur impofer a & 1'on continua de voir arriver a Jérufalem des pélerins Chrétiens de toutes les contrées de PUnivers. Ce fut ainfi qu'au mois de Mai 637, la ville Sainte tomba entre les mains des plus mortels ennemis du Chriffianifme , qui en font toujours demeurés maitres, excepté dans 1'intervalle d'environ quatre-vingt-dix ans, qu'elle fut poffédéepar les Chrétiens du temps des Croiiades. La capitulation étant fignée de la HÉRACLIUS. Afin,Ó37 XL VUL Omar er»?  HÉRACLIUS. Ann. 637. tre dans Jérufa- ïem. 4C8 HlSTOIRE main d'Omar, les habitants ouvrirent les portes, & le Calife entra feulement avec les gens de fa fuite. II étoit accompagné du Patriarche, avec lequel il s'entretenoit familiérement, lui faifant diverfes queflions fur les antiquités de la ville. Entre autres endroits célebres, ilvifita l'Eglife de la Réfurreiftion, & s'alTit au milieu. Sophrone ne put s'empêcher de dire en langue Grecque aux Chrétiens qui 1'accompagnoient, que c'étoit-la véritablement 1'abomination de la défolation qui devoit s'établir dans le lieu faint, felon la prophétie de Daniël, & les larmes coulerent en abondance de fes yeux. Après les avoir effuyées, il s'approcha d'Omar, qui étoit vêtu d'un méchant habit de poil de chameau, fale & déchiré, & il eut beaucoup de peine a 1'engager a fe revêtir d'une autre robe , pendant quelques moments qu'on employa a laver fes haillons, qu'il reprit aufli-töt. L'heure de la priere des Mufulmans étant venue, Omar demanda au Patriarche une place oü il put s'acquitter de ce devoir indifpenfable. Le Patriarche lui ayant dit  du Bas-Empir.e. Liv. LVIII. 409. dit de la faire oü il étoit, le Calife le refufa. Sophrone le conduilït a l'Eglife de Conftantin, & fit étendre une natte pour lui; mais il ne voulut pas non plus prier en eet endroit, & fe retira feul fur les degrés du portique oriental de cette Eglife, oii il fe mit a genoux, & fit fa priere. S'étant relevé enfuite : Vous ignore^ fans doute, dit-il au Patriarche, pour quelle ra'ifon j'ai refufé de prier Dieu dans une Eglife Chréeienne ; c'eft par égard pour vous; les Mufulmans s'en feroient faifïs aujfl-tót, & rien n'auroit pu les empêcher de prier eux-mêmes dans une Eglife ou le Calife auroit prié. II demanda au Patriarche en quel lieu il pourroit batir une mofquée ; le Prélat lui montra Pendroit oü étoit Ia {fierre fur laquelle Jacob s'endormit, orfqu'il eut la vifion de Péchelle myf« térieufe. Cette pierre étoit couverte d'ordures accumulées depuis longtemps. Omar fit affembler grand nombre de Mufulmans pour nettoyer ce lieu; il mit lui-même la main a Pceuvre, & prit dans fa vefte autant qu'il put de ces ordures, qu'il porta loin de-la. Les Mufulmans, a fon exemTomt XII. S HÉRACLIUS. Aan. 637»  HÉRACLIUS. Ann. 637. 410 HlSTOÏRE ple, mirent bientöt la pierre a découvert, & Ton travailla fur le champ k batir la Mofquée. Le Mtiment commencoit k s'élever, lorfqu'il s'écrotila tout-a-coup. Les Juifs , plus ennemis des Chrétiens que les Mufulmans mêmes , perfuaderent au Calife que eet édifice ne pourroit fubfifier tant qu'il y auroit une croix élevée fur le mont des Olives ; il la fit abattre, & k cette occafion, les Mufulmans détruifirent toutes les croix. Omar fe rendit k Bethléem , entra dans l'Eglife batie fur le lieu même oü étoit né le Sauveur, & y fit fa priere. Mais pour empêcher que les Sarafins ne s'en rendiflènt les maïtres, il donna au Patriarche une fauve garde fignée de fa main, portant défenfe aux Mufulmans de prier dans cette Eglife , plus d'un feul k la fois. Malgré ces précautions, les Mufulmans s'en emparerent dans la fuite, ainfi que de la moitié du portique de Conftantin a Jérufalem, & ils batirent une mofquée dans ces deux endroits. Omar divifa la Syrië en deux parties, AbuObeïda fut chargé du Gouvernement de tout le pays , entre Hauran &  du Bas-Empire. Liv. LFIIL 411 Alep, avec ordre d'en achever la conquête. Yézid eut pour fon département , la Paleftine & les cötes de la mer. Amrou eut ordre de leur prêter la main a tous deux, & d'envahir 1'Egypte, lorfque toute la Syrië feroit foumife. La douleur de la prife de Jérufalem abrégea les jours de Sophrone. Ce faint Prélat, zélé défenfeur de la foi de l'Eglife contre les Monothélites, fut remplacé par un intrus fort différent de lui pour les mceurs & pour la doctrine. Sergius, Evêque de Joppé, n'eut ui fcrupule ni honte de faire fa cour aux Sarafins, pour parvenir au rang de Patriarche. Mais ni lui, ni fes fucceffeurs, pendant foixante ans, ne furent reconnus par l'Eglife Romaine , qui nomma des Vicaires de l'Eglife de Jérufalem pendant la vacance du fiege. Avant que de retourner a Médine , Omar fe préfenta en perfonne devant Ramla qui n'étoit éloignée de Jérufalem que de fept a huit lieues. Arténon qui commandoit dans la place, la rendit aux Sarafins, fans ofer faire de'réfiftance. Omar étant parti pour Médine, f Si; HÉRACLIUS. Ann. 637 XLIX. rife d'A- OkUy,  HÉRACLIUS. Ann, 637. 41a H I S T O 1 K E fes Généraux fe mirent en devoir d'exécuter leurs ordres. Yézid marcha vers Céfarée; mais la trouvant bien fournie de toutes fortes de munitions , envoyées depuis peu par mer, avec un renfort de deux mille hommes , il n'ofa 1'attaquer, & alla rejoindre Abu-Obeïda, qui marchoit vers Alep. C'étoit une ville riche &Z de grand commerce. La prife de Kennefrin & d'Alhadir y avoit déja jetté Fallarme. Le Gouverneur , nommé Yukinna , faifoit fa réfidence dans le chateau , le plus fort de toute la Syrië , avec douze mille hommes de troupes. II fe mit k leur tête pour combattre les Sarafins. Abu-Obeïda avoit fait prendre les devants k un détachement de mille hommes, fous les ordres de Caab. Yukinna tomba fur eux, en tua deux cents, & bleffa la plupart des autres. Cependant ils tinrent ferme jufqu'a la nuit, qui fit cefler le combat. Pendant la nuit les principaux habitants d'Alep, plus attachés k leur commerce qu'a 1'Empire & k leur Religion même, s'affemblerent en fecret , Sc ayant réfolu de fe rendre, ils députerent trente  nu Bas-Empire. IAv. LV1U. 413 d'entre eux au Général Sarafin, qui '• étoit arrivé la veille a Kennefrin. Ils lui apprirent quTukinna étoit forti i de la ville pour aller attaquer Caab. Le Général traita avec eux, leur promit füreté , & leur fit prêter le ferment en ufage chez. les Chrétiens. Yukinna, inftruit de cette démarche , abandonna les Sarafins, dont il avoit deffein d'achever la défaite , dès que le jour paroitroit, & fe hata de regagner le chateau. II en fortit bientöt avec fes troupes, & fit main-baffe furies habitants, qui, de leurcöté, avoient pris les armes. II en avoit déja tué trois cents, fans épargner fon propre frere qui intercédoit pour eux, lorfque Caled arriva, & le forca de rentrer dans le chateau, après lui avoir tué trois mille hommes. Le Gouverneur fe préparoit a la défenfe , tandis que les habitants livroient aux Sarafins quarante foldats de la garnifon, qu'iis avoient pris, & dont fept feulement voulurent fauver leur vie en fe faifant Mahométans; les autres eurent la tête tranchée. Les Sarafins donnerent un affaut qui dura tout le jour, & furent repouffés avec S iij HÉRACLIUS. urn, 637.  HÉRACLIUS. Ann. 637. i ( 3 4H &1ST0IRE courage. Yukinna fit fur eux une fortie pendant la nuit, il en tua foixante, & fe retira avec cinquante prifonniers , auxquels il fit le lendemain trancher la tête fur la muraille. Un detachement qu'il fit fortir la nuit fuivante ne fut pas fi heureux. Ils tuerent d'abord cent trente fourrageurs ; mais ils furent furpris a leur tour : Caled les tailla en pieces, & m réferya trois cents, qui furent Ie lendemain par repréfailles , décapi:és devant le chateau. Le fiege du"oit depuis quatre mois, & le Sa■afin, rebuté d'une fi longue réfiftan:e, ibngeoit a fe retirer , lorfqu'il ecut d'Omar un renfort de troupes ivec un ordre exprès de ne pas abanlonner la ville , qu'elle ne fut prife. infin , un efclave Sarafin nommé Danés , fuivi feulement de trente homnes , efcalada le chateau pendant une mit, & en ouvrit les portes. Les afiégés demanderent quartier; on le ït a ceux qui fe rendirent Mahoméans, & Yukinna, auffi mauvais Chréien que brave Capitaine , donna 'exemple de l'apoftafie. Les autres urent paffés au fil de 1'épée; on n'é-  dv Bas-Empire. Lh. LVIII. 415 pargna que les vieillards, les fem¬ mes & les enfants. Déja maitres de la plus grande partie de la Syrië, les Sarafins fongerent a couronner leurs exploits par la prife d'Antioche. Cette ville , capitale de tout POrient, rivale d'Alexandrie , le cédoit A peine a Conftantinople , réfidence des Empereurs. Héraclius croyant toujours régner en Syrië, tant qu'il conferveroit cette puifTante cité , hafarda pour lors ce qu'il avoit de plus cher au monde après fes plaifirs. II envoya par mer fon fils Conftantin avec une flotte chargée de troupes. L'Impératrice qui deftinoit la couronne a fon fils Héracléonas, ne 1'empêcha pas fans doute d'expofer 1'héritier préfomptif de 1'Empire, A des dangers qu'il s'épargnoit a lui-même. L'arrivée du jeune Empereur & de fes troupes raflura les habitants d'Antioche, tremblants au bruit de tant de places qui tomboient autour deux. Les Sarafins s'approchoient pour commencer le fiege ; mais Yukinna qui les fervoit avec autant d'ardeur qu'il les avoit combattus, leur confeilla de s'emparer S iv HÉRACLIUS. Ann. 6$8. L. Prife du chateau. d'Azaz,  HÉRACLIUS. Ans, 63 8 416 H t S T O I R z auparavant du chateau d'Azaz, fitué entre Alep & Antioche , & capable , d'incommoder également ces deux villes. II leur offrit de les rendre maitres de cette place importante, oü commandoit Théodore fon coufin-germain. II ne demandoit pour cette expédition que cent hommes vêtus k la Grecque , qui feroient fuivis de mille autres Sarafins, avec leurs habits ordinaires. II ne doutoit pas qu'il ne fut bien recu par fon coufin, en lui déclarant qu'il n'avoit embraffé le Mahométifme qu'en apparence , Jufqu'a ce qu'il trouvat occafion de s'échapper. II devoit enfuite fe jetter pendant la nuit fur la garnifon, & faire entrer les mille autres Sarafins. On lui promit de grandes récompenfes. Mais ce projet fut découvert par un efpion, qui en inftruifit Théodore par Ie moyen d'un billet attaché fous 1'aïle d'un pigeon. Théodore envoya auffi-töt demander du fecours k Lucas , Gouverneur d'Arravendan, k neuf ou dix lieues d'Azaz. Yukinna arrivé au chateau fut arrêté par Théodore , qui le fit enfermer avec fa troupe. Cependant Malec, chef des  du Bas-Empire. Liv. LFIII. 41? mille autres Sarafins, furprit Lucas qui amenoit cinq cents chevaux, & 1'enveloppa. II habilla fes gens de la dépouille de ces prifonniers, envoya dire a Théodore que Lucas venoit a fon fecours, & fe mit en marche. En approchant des murs pendant la nuit, il entendit de grands cris , mêlés du fon des trompettes. C'étoient les fuites d'une fcene horrible, qui venoit de fe paffer dans le chateau. Théodore avoit deux fils, Luc & Léon, tous deux éperdument amoureux de la fille d'Yukinna. Léon offrit au prifonnier de rompre fes chaines, & même de tuer fon propre pere , fi Yukinna lui promettoit fa fille, Yukinna lui ayant donné fa parole, Léon le mit en liberté avec fes Sarafins , & leur rendit leurs armes. II courut en même temps pour aller tuer fon pere, qu'il croyoit trouver endormi. Mais il le trouva mort. Luc fon frere, animé de la même efpérance, & poffédé de la même fureur , l'avoit prévenu dans eet exécrable parricide. Les Sarafins fe voyant en liberté , fe jetterent fur la garnifon qu'iis maffacrerent. Malecarriva S v HÉRACLIUS.  HÉRACLIUS. Ann. 638. LT. Perfidie d'Yukinna. 418 HlSTOI&E dans ce moment , & ayant appris Padtion de Luc, il lui donna fa bénédiction, avec de grands éloges, pour avoir facrifié fon pere au defir d'embraffer la fainte Religion de Mahomet. Yukinna, non content d'une perfidie , en méditoit une autre. II voulut rendre les Sarafins maitres d'Antioche. II prit avec lui deux cents renégats : lorfqu'il fut prés de la ville, il en choifit quatre pour 1'accompagner ,. & commanda aux autres de fuivre la grande route des caravanes, & de faire femblant de fuir devant les Sarafins. II prit enfuite un chemin détourné. Quelques foldats du jeune Empereur 1'ayant rencontré , 1'interrogerent, & dès qu'iis furent que c'étoit le Gouverneur d'Alep, ils le conduifirent au Prince. Conftantin, en le voyant, ne put retenir fes larmes, déplorant fon apoftafie, dont il étoit informé. Le perfide s'excufa fur le deflein qu'il avoit eu de fauver fa vie pour la facrifier au fervice de Sa Majefté; il ajouta: Qu'ayant tromt Voccafion a"écnapper /A^a^, il Cavoit faijie avec joie, pour  hu Bas-Empire. Liv. LVIIL 419 rentrtr dans le feln de la vraie religion / ' que la vigoureufe dèfenfe d'Alepprouvoil ajfei fa fidélité. Le Prince, trompé par i ces belles paroles, le traita favorablement, & les deux cents renégats étant arrivés peu après , il lui en donna le commandement. Haïm,fils de Jabala , qui couroit dans les em virons d'Antioche, y amena deux cents prifonniers Sarafins, entre lefquels étoit Ie brave Dérar. Conftantin leur fit diverfes queftions fur Mahomet & fur fa doctrine; ils y répondirent avec 1'affurance que leur infpiroit le fanatifme. Cependant Yézid, conjointement avec Abu-Obeïda, approchoit, & étoit déja maitre d'un pont peu éloigné d'Antioche, que Pon nommoit le pont de fer. Ce pont étoit défendu par deux tours garniesde trois cents foldats. Mais ceux-ci ayant été chatiés quelques jours auparavant a caufe de leur négligence, livrerent les tours aux ennemis. Le jeune Prince , irrité de cette trahifon, vouloit faire mourir les deux cents prifonniers ; Yukinna Pen détourna, fous prétexte qu'iis fervifoient a faire des échanges. S vj HÉRACLIUS. i,nn. 63S.  Héraclius.Ann. 638, lil Conftantin veut faire afiaflïner Qmar. j 1 j i c f 1 ƒ e | r q $ lui. Prife . ti'Antio- M elie. 11 420 H I S T O / R £ ' Le plus grand malheur des Romains dans ces temps de décadence, eft d avoir mérité leurs difgraces. Bien eloignés de ce qu'iis avoient été au temps de Pyrrhus, ils ne fe faifoient plus fcrupule de cette fombre & affreufe politique, qui rampe au travers des crimes, pour parvenir au but qu'elle fe propofe. Conftantin, au Jelefpoir, ne fe fioit, ni fur la fidéJte , ni fur la valeur de fes troupes. 1 crut que la voie la plus füre & la )lus courte pour conjurer 1'orage qui illoit fondre fur Antioche, étoit de aire périr le Calife. C'étoit 1'ame de outes les armées des Sarafins, &ce oup terrible devoit tenir leurs bras ufpendus, & les arrêter au fort de sur courfe. II envoya donc un afafin a Médine. Ce criminel attentat ut le fuccès qu'il méritoit. Tremblant la vue d'Omar, 1'affaffin lui avoua ïeme le deflein du jeune Empereur, c Omar, loin de perdre la vie, acuit encore la gloire de pardonner aV )n meurtrier. Les deux armées campoient devant ntioche. Le Général Romain, nomie Neftorius, ne manquoit pas de  uu Bas-Empire. Liv. LVHL 421 valeur. II fe diflingua même dans deux combats finguliers, dans lefquels il eut 1'avantage. Mais fon courage ne put fauver 1'armée Chrétienne : elle futentiérement taillée en pieces, après un choc trés - rude & un fanglant combat. Rien ne contribua plus a la défaite des Romains, qu'une nouvelle perfïdie d'Yukinna. Dès que le combat fut engagé, ce traitre mit en liberté Dérar avec les deux cents prifonniers ; & les ayant réunis a fa troupe, il fortit de la ville, & alla joindre 1'armée Sarafine. La vue de ces nouveaux ennemis fit perdre cceur aux Chrétiens , qui s'imaginerent que tout le peuple d'Antioche venoit fondre fur eux. La plaine de Poffene, oü fe livra la bataille, fut jonchée de morts, & Hatton qui vivoit vers la fin du treizieme fiecle, rapporte qu'on y voyoit encore des offements amoncelés, triftes monuments de cette funefie journée. Les habitants fe voyant fans reflburce, capitulerent, & fe racheterent du pillage en payant trois cents mille pieces d'or, qui font plus de quatre millions de notre monnoie, Yézid prit poffefllon d'Antio- HÉRA.CL1US. Ann. 63$, Thcopk. p. 282. Cedr. p. 429. Hotton,' hifi. Oriënt, p. 25. Baronitis. Okley.  Héraclius.Ana, 638, LIV. Expéditïon dans les montagnes de Syrië. 42a HlSTOIRE che le 11 Aoüt 638. Conftantin en étoit parti depuis quelques jours , & s'étoit retiréa Céfarée. Grand nombre de Chrétiens abandonnerent la ville, & fe répandirentenOccident, oh ils tranfporterent les reliques des Saints, qu'iis avoient fauvées de la profanation. Le Général Sarafin , craignant pour fes foldats les délices de cette ville voluptueufe, plus qu'il ne eraignoit les armes Romaines, ne les y laiffa repofer que trois jours. Les Romains, échappés de la bataille , s'étoient enfuis dans les montagnes de Syrië, oii s'étant rallies, ils fe trouverent encore au nombre de trente mille hommes. Abu-Obeïda , par ordre d'Omar, envoya un de fes Lieutenants pour détruire ces reftes de 1'armée vaincue. Mais comme il ne s'attendoit pa's qu'iis fuffent fi confidérables, il ie contenta de donner a Meïffara , qu'il chargeoit de cette expédition, trois cents Arabes avec mille efclaves noirs. Meïffara, qui croyoit n'avoir qu'a donner la chaffe a une poignée de fugitifs , ayant atteint les Romains après beaucoup de fatigues, fe vit enveloppé  du Bas-Empire. Liv. LVM. 425 d'une armée entiere. II eut befoin de toute fon adtivité pour gagner un pofte avantageux, & de toute fa bra- j voure pour s'y maintenir jufqu'a 1'arrivée du fecours qu'il envoya demander k fon Général. Caled accourut, fuivi de trois mille chevaux. Le nom feul de Caled valoit une armée; la terreur vole avec lui, &C le devance au camp des Romains; ils fe retirent pendant la nuit, abandonnant tentes & bagages. Mais ils emmenerent avec eux un prifonnier de la plus grande diftinction entre les Sarafins. C'étoit Abdalla, coufin-germain de Mahomet. On le fit auffi-töt partir fous bonne garde pour Conftantinople. Le Calife qui le chériffoit, afïligé d'une perte plus fenfible pour lui que celle d'une bataille, écrivit fur le champ a l'Empereur, menacant Conftantinople & tout 1'Empire, fi on ne lui rendoit Abdalla. Héraclius, déja fubjugué par la terreur , n'ofa éprouver 1'effet de ces menaces ; il relacha ce dangereux prifonnier, & envoya même k Omar des préfents de grand prix; libéralité fervile, qui ne le rendoit que plus méprifable. HÉRACLIUS. Ltin. 638.  Héraclius.Ann. 6 38, LV. Amrou marche a Céfarée. Thcoph. p, 282 , 283. Cedr. p. 426,429, 430. Hifi. mifi. I. 18. Elmacin. Okley. Pagi ad Bar. Afiemanï, hibl. Or. t. UI. p. 103. Hifi. univ. t. XV. P. 358,361, 363. ■I ( 4*4 HlSTOIlXB Quoiqu'après la prife 'de Jérufalem , Omar eut affigné a fes Généraux des départements féparés, cependant Abu-Obeïda, Yezid & Amrou agiffoient de concert dans une parfaite intelligence. Sans jaloufie , fans délicatefle fur leurs partages refpectifs, ils préféroient 1'intérêt commun a un faux point d'honneur : toute entreprife devenoit légitime , quand la nation étoit fervie. Le droit de bien faire ne leur fembloit borné par aucun partage. Céfarée étoit du département d'Yézid; Amrou , attendant avec impatience la rédudtion entiere de la Syrië pour attaquer 1'Egypte , marcha vers Céfarée, oü le jeune Empereur avoit encore ralTemblé.quarante mille hommes. C'étoit en automne, & la faifon étant déja extrêmement rude : plufieurs Mufulmans furent faifis de froid, au point de ne pouvoir fuivre 1'armée. Un vieux Chrétien leur fit boire du vin , :omme un excellent remede pour re:ouvrer leur chaleur & leurs torces. [Is en burentfi largement, qu'iis n'en ?urent que plus de peine a gagner le :amp. Amrou confulta fur ce point  nv Bas-Empire. Liv. LVIU. 425 Abu-Obeïda, qui répondit qu'il falloit que chacun des coupables recül fur la plante des pieds le nombre d« coups de baton déja fixé par Omai en pareil cas : ce qui fut exécuté Malgré la rigueur de ce chatiment, ces Mufulmans étoient fi repentanti de leur faute , qu'iis croyoient n( pouvoir la réparer pleinement, qu'er tuant le Chrétien fuborneur. Ce qu'il; auroient fait, li Amrou ne 1'eüt fouftrait a 1'emportement de leur zele. A 1'approche des ennemis , Conftantin fortit de la ville , & les deux armées camperent en préfence 1'une de 1'autre. Le jeune Prince ayant defiré une entrevue, Amrou fe rendil fans crainte au camp des Romains, Conftantin lui demanda quel droif les Sarafins prétendoient avoir a la pofleflion de la Syrië : Le droit qut confere le Créateur, répondit Amrou , la terre appartïent d Dieu ; il la donnt pour héritage d qui il lui plait de fei ferviteurs, & c'eft le fuccès des armes qui manifejle fa volonté. Au refte, ajouta-t-il en s'adreflant aux Romains qui étoient préfents ,je vous offre un moyen de vous fauver i faitts-vous Makome* HÉRACLIUS. Ann. 638. 'éls l LVI. Entrevue de Conftantin h d' Amrou.  HÉRACLIUS. Ann. 63 8. LVII. Bataille de Céfarée. 1 j t\l6 II 1 s T O I R Z tans , ou foumette[-vous d payer tributLes Romains ayant répondu qu'iis ne feroient ni 1'un ni 1'autre : Eh bien , reprit Amrou , il ne refte plus qua vuider notre differend par les armes. Après ces paroles, Amrou fe retira, & Pon fe prépara de part &i d'autre k la bataille. Les de,ux armées attendoient le fignal, lorfqu'on vit fortir des rangs de P armée Chrétienne un Officier richement vêtu, qui défia au combat fingulier le plus hardi des Sarafins. Irois fe préfenterent, & furent tués fucceffivement. Enfin, Sergiabil, un des plus braves , entra en lice, & ïlloit fubir le même fort, fi un cavalier de 1'armée Chrétienne n'eut iccouru en ce moment, & n'eüt abatïu d'un coup de fabre la tête k POfScier vainqueur. Après ce coup imsrévu, qui étonna également les deux irmées, il s'alla jetter entre les Sar rafins. C'étoit un Arabe, nommé Toleia, qui s'étant érigé en Prophete iu vivant de Mahomet, avoit été déFait par Caled, & obligé de fe rérugier fur les terres de PEmpire, oü 1 s'étoit mis au fervice d'Héraclius,  du Bas-Empi&e. Liv. LVIIL 457 En récompenfe de cette adtion, il obtint fa grace d'Omar. La bataille qui fe livra enfuite ne fut pas de longue durée; le jour étoit fort avancé ; la plupart des foldats Romains, nouvelles milices fans difcipline & fans courage, fe débanderent, Sc prirent la fuite. La nuit étant furvenue, Conftantin fe retira dans Céfarée , abandonnant fon camp aux ennemis. Amrou marcha droit a Céfarée , ou Yézid & Obéïda vinrent le joindre pour attaquer enfemble Tyr & Tripoli. L'adrelTe d'Yukinna leur épargna la peine d'affiéger Tripoli; il s'en rendit maitre par trahifon. A peine étoit-il en poffeffion de la ville, qu'il y arriva cinquante vaiffeaux venant des ifles de Crete & de Cypre, chargés darmes & de provifions pour les troupes de Conftantin. Les Officiers de la flotte ne fachant pas que Tripoli avoit changé de maitre, y débarquerent fans crainte; ils furent recus a bras ouverts par Yukinna, qui \ un moment après, fe faifit de leurs perfonnes & de leurs navires; il les remit a Caled qui venoit d'arriver. Le fuccès de cette perfidie en fit réuf- HÉRAClIUS. Ann, 6]S, LVÏÏÏ. Prife de Tripoli , de Tyr & ie Céfarée.  HÉRACLIUS.' Ann. 638. 428 HlSTOIRS fir une feconde. Yukinna, monté fur ces mêmes vaiffeaux, alla fe préfenter devant Tyr. Son arrivée caufa beaucoup de joie; il apportoit, difoit-il, des munitions & des troupes pour mettre la place en état de défenfe. II defcendit & terre avec neuf cents hommes , qui furent logés dans la ville. Mais ayant été trahi lui-même par un d'entr'eux, il fut mis aux fers avec fa troupe. On les auroit fait mourir fur le champ fans un nouveau fujet d'allarme. Yézid paroiffoit a la vue de Tyr avec deux mille hommes. Le Gouverneur, fuivi de la garnifon, fortit pour le combattre ; & tandis que les deux partis étoient aux mains, Yukinna & fes foldats furent mis en liberté par un certain Bafile, qui, déja Mufulman dans le cceur, n'attendoit que 1'occafion de fe lignaler en faveur des Sarafins. Yukinna fait auffi-töt informer de fa délivrance les foldats qu'il avoit laiffés fur la flotte : ils viennent fe joindre a lui; il envoye en même temps avertir Yézid de ce qui fe paflbit a Tyr. Le Sarafin repouffoit vigoureufement la garnifon, & lui coupoit le  du Bas-Empire. Liv, LV1II. 429 retour, Tout s'accordoit fans s'être concerté. On ouvre les portes; les Sarafins du dedans & ceux du dehors s'étant réunis, font un grand carnage des habitants. La plupart des Tyriens fe firent Mahométans pour éviter la mort ou 1'efclavage. Cette nouvelle óta toute efpérance a Conftantin; il s'embarqua fecretement pendant la nuit au port de Céfarée,pour retourner a Conftantinople. Après fa retraite, qui ne fut connue des habitants que le lendemain, Céfarée fe rendit en payant pour fa füreté deux cents mille pieces d'or, qui font plus de trois millions de notre monnoie. Les autres villes de Syrië, Acre, Joppé, Afcalon, Tibériade, Naploufe, qui eft Pancienne Sichem, fe foumirent incontinent. Sidon, Beryte, ; Jabala, Laodicée, fuivirent leur exemple. Caled s'avanca jufqu'a PEuphrate, & prit par compofition Menbig , Pancienne Hiérapolis, & toutes les villes le long de ce fleuve. Ce fut ainfi que les Mufulmans , dans 1'efpace de fix années, fe rendirent maïtres de la Syrië, que les Romains poffédoient depuis fept cents ans; con* HÉRACLIUS. Ann. 6)S, LIX. Rédue:ion eniere de Ia iyrie.  HÉRACLIUS. Ann. 638. LX. Pene en Syrië. 430 HlSTQJRE trée fameufe entre toutes les eontrées de la terre par les merveilles que le Tout-Puiffant y avoit opérées en faveur du peuple Juif, par 1'éclat & la puhTance des Séleucides, par les vicfoires des Romains, & infiniment plus encore par la naiffance, les miracles Sc la mort du Sauveur du monde. Les Chrétiens, en la perdant, perdirent le berceau de leur religion, livré a la profanation d'une feéte impie. Le regret qu'iis en concurent, perpétué de fiecle en fiecle, leur fit fans ceffe verfer des larmes, & cinq cents ans après, des torrents de fang. Leurs efforts , tant de fois réitérés pour arracher la Terre-Sainte des mains des infideles, leur ont été encore plus funeftes que n'en avoit été la perte. A peine la conquête de la Syrië étoit-elle achevée, crue la Province entiere , mais fur-tout Emmaiis Sc fes environs, furent ravagés par une pefle fi cruelle, que les Arabes appellent cette année, P année de la mortalitè. Vingt-cinq mille Sarafins, qui avoient furvécu a tant de fieges & de bataille, furent la victime de cette  nu BaS'Ëmpire. Liv. LFIll. 431 contagion. Ils perdirent plufieurs de leurs plus fameux Capitaines, AbuObeïda , Yézid, Sergiabil. Caled, qui échappa a ce fléau, mourut deux ou trois ans après d'une autre maladie. L'année fuivante vit commencer la conquête de 1'Egypte. Mais comme celle de la Méfopotamie, qui fut faite en même-temps, fe termina dans 1'efpace d'une feule année, & que 1'Hiftoire ne nous en donne que peu de détail , je vais d'abord la mettre fous les yeux du lecteur. Dès l'année 637, Jean Cateas, Gouverneur de 1'Ofrhoëne, efFrayé des progrès rapides des Sarafins, étoit entré en négociation avec Yézid, & dans une conférence qu'iis eurent enfemble k Kennefrin, il étoit convenu de payer tous les ans cent mille pieces d'or , k condition que les Sarafins ne pafferoient pas rEuphrate. De retour at Edefle, il avoit envoyé a Yézid le payement de la première année. L'Empereur , irrité d'un traité fi déshonorant, fait k fon infu , exila Cateas, & envoya en Méfopotamie un Général nommé Ptolémée, Auffi - tot HÉRACLIUS. Ann. 639a LXI. Conquête de la Méfopotamie. Thioph. p, 282. Ctd. p. 429. Hifi. mife. I. 18. Ehnacin* Hifi. t. xr.  Héraclius.tan. 639. 432 H 1 s t r> 1 r e Ayad, un des Généraux d'Omar, recut ordre de paffer PEuphrate avec une puiffante armée. II étoit fur le point d'affiéger Edeffe , lorfque Ie Gouverneur offrit de la rendre, pourvu qu'on affurat la vie a la garnifon Romaine, 6c aux habitants la jouiffance de leurs biens, 6c le libre exercice de leur religion. A ces conditions , ils fe foumettoient a payer tribut. Ces propofitions furent acceptées, 6c les Mufulmans prirent poffeffion de la ville. Conftantine fut prife d'affaut, 8c trois cents Romains y périrent. Dara fut forcée 6c faccagée. Carrés ouvrit fes portes fans attendre Pattaque. Ayad fe rendit aifément maitre de Callinique, qui reprit fon ancien nom de Racca. II emporta Nifibe 6c les autres places Ie long de PEuphrate 6c du Tigre. Rhezene, qui prit enfuite le nom d'Aïn-Verda, 6c Circefe qui conferva le fien fous la prononciation Arabe, furent foumifes par les Lieutenants d'Ayad. La Méfopotamie, ainfi nommée par les Grecs, a cauie des deux grands fleuves dont elle eft prefque entiérement environnée , fut alors nommés  du Bas-Empire. Liv. LVIIL 433 nommée d'Jl-gefire, c'eft-a-dire, Fifle. Les villes anciennes conquifes par les Sarafins, reprenoient dans tout 1'Orient les noms qu'elles avoient portés avant les conquêtes des Grecs. Le pays d'entre PEuphrate & le Tigre, avoit été autrefois habité par des Arabes , que la fameufe inondation du lac Al-Arem avoit obligés d'abandonner PArabie. Trois de leurs tribus étoient venues s'y établir fous la conduite de trois Chefs , Beer, Modar & Rabia , qui partagerent le pays en autant de Provinces, & leur donnerent leur nom , qu'elles portent encore aujourd'hui. La conquête fut terminée par la prife d'Amide, qui conferve fon nom. Les Turcs la nomment Cara-Amid, ou Diarbekir du nom de la Province dont elle efl capitale. Selon quelques Auteurs , ce fut en ce temps-la que Cufa fut batie par Omar fur le lac de Rehéma, a J deux lieues au midi de Hira, qu'Abubecre avoit détruite. Mais cette 1 ville fubfifloit avant Omar. C'eft la 1 même qu'Akula dans la Chaldée. Cufa fignifïe fabh rouge, ou une bdtiffe Tome XII, T HÉRACLIUS. Ann. 6554 LXIL Fonda- ion de -ufa. AJfeman! ib. Or. t. r.P. 7ió«  HÏRACL1US. Ann. 639. LXIH. Intrigues de Cyrus avec les Mahométans. Niceph. p. 17. Theoph. p. = 80. hifi. mifc. I. 18. Oriens Chifi.t.11. f. 449' I 434 Histoirb de joncs & de rofeaux couverts de terre; & ce nom fut donné a cette ville, paree qu'elle ne fut d'abord qu'un affemblage de pareilles cabanes , fur «n terrein de fable rouge. Ruinée aujourd'hui, elle fut long-temps trèscélebre. Les Califes, dont elle a été le féjour, avant qu'iis euffent bati Bagdad , y établirent une école qui devir.t trés - floriffante , & rivale de celle de Bafra. C'eft de cette école que les anciens caracteres Arabes ont pris le nom de Cufiques. Outre les Mahométans, il y avoit dans cette ville des Chrétiens Nelloriens & Jacobites fous la conduite de deux Evêques. Les Sarafins n'avoient pas befoin de prétexte pour entrer en Egypte. Mais 1'audace imprudente du Patriarche d'Alexandrie leur en fournit un, qui donnoit quelque apparence de mftice a Pinvafion de ces barbares. Quatre ans auparavant, Cyrus, prévoyant bien que les Sarafins fe jet:eroient en Egypte , dès qu'iis fe•oient en pofTeffion de la Syrië, avoit ié une intrigue fecrete avec Omar; k fans confulter PEmpereur, il pro-  dv Bas-Empire. Lh. LVIIL 43$ mettoit au Calife deux cents mille pieces d'or de tribut armuel , s'il s'aböenok d'attaquer 1'Egypte. Le crédit de Mocaucas , avec lequel il étoit d'intelligence , lui avoit fait trouver une partie de cette fomme , qu'il avoit déja envoyée a Médine. Mais ne pouvant la recueillir toute entiere fans Pautorité du Prince, il fe vit obligé d'en demander la permiffion k l'Empereur; lui faifant valoir cette convention comme un grand fervice rendu a 1'Empire , & lui voulant perfuader qu'on pourrok lever fur les marchandifes & fur le commerce de 1'Egypte de quoi fatisfaire a eet engagement , fans aucune diminution des revenus de l'Empereur. II ajoutoit qu'il avoit en tête un projet trés - avantageux pour faire tomber les armes des mains aux Sarafins ; mais qu'il craignoit de s'en ouvrir k l'Empereur fans un ordre particulier de fa Majeffé. Héraclius, indigné que le Patriarche eut ofé de fon chef rendre une Province de 1'Empire tributaire des Sarafins, difümula cependant fa colere, pour ne pas aigrir &c porter aux extrémités Tij HÉRACLIUS. kna. 639^  HÉRACLIUS. Ann. 639, LXIV. Amrou entre en Egypte. Iheoph. p. 2S0, 281. Cedr. p. 426. Niceph. p. Ï7 . 18. Hifi. mifc. I. iS. Elmaein. Okley 6Jault. Pagi ad Bar. Oriens Chrif.t.Il. p. 449. Mém. 'Acad. t. XVI. pag. 370. Affemani , hib.jur. or. t.lV.c.j. Hifi. univ. t. XV. p. 380,381, 383. M. Danville, Mé' 43f5 HlSTOIRE eet efprit remuant & dangeureux; il fit partir Jean, Duc de Barca , 6s Manuel, Général des armées de Thraee , avec des troupes pour s'oppofer a Firruption des barbares. Lorfqu'ils arriveren t en Egypte 2 Amrou étoit déja en chemin , & il approchoit de la frontiere. La Coiuj de Médine , toute auftere qu'elle étoit, n'étoit pas tout-a-fait exempte de ces jaloufies & de ces cabales, qui traverferrt 1'intérêt public jufque dan$ les fociétés les plus régulieres. Amrou recut une lettre d'Omar, con^ué en ces termes : Si d Farrivée de mes lettres, vous êtes encore en Syrië, ne paffe{ pas en Egypte. Si vous êtes d&ja en EgyPte > continue^ votre marche avec l'aide de Dieu, C'étoit un effet de 1'envie des courtifans , qui voyoient a regret ce Général fur le point de recueillir une ample moiffon de gloire ; & les termes faifoient affez connoitre qu'Omar n'avoit écrit que pour fatisfaire a leur importunité. Mais Amrou avoit auffi fes amis, il fut averti du contenu de la lettre d'Omar. II la recut a Raphia , derniere ville de la Palefïine ? & ne 1'ouvrit  du Bas-Empire. Liv. LFIII. 437 que lorfqu'il fut' arrivé a Rhinocolure. II en fit alors la lechire en préfence des principaux Officiers , tte leur demanda s'ils étoient en Syrië ou en. Egypte. Sur ce qu'iis répondirent que Rhinocolure étoit une ville d'Egypte : Eh bien, dit-il, obêiffons donc au Vicaire du Prophete , & continuons notre marche , Dieu nous ordonne de nous rcndre maitres de ce pays. Cependant les Généraux Romains qui marchoient a fa rencontre, envoyerent lui demander ce qu'il venoit chercher en Egypte : Je viens, dit-il, recueillir le tribut qu'on s'ejl engagé d nous payer. Manuel répondit que la parole de Cyrus n'étoit pas celle de VEmpereur , & qu'Amrou n'auroit pas affaire d un Evêque, mais d une armée. La fierté de cette réponfe fut mal foutenue par les effets. Amrou n'avoit avec lui que quatre mille hommes; c'en fut affez pour tailler en pieces les deux Généraux Romains, dont 1'un fut tué dans la bataille , & 1'autre eut beaucoup de peine a fauver fa vie. Dès que l'Empereur eut appris la défaite de fon armée, il envoya de £ T ii; c HÉRAClIUS. Ann. 639, moirés fut '■'Egypte incienne & •noderne, LXV. :ojet abrde de yrus.  HÉRACLIUS. Ann, 639, 438 HlSTQIRB nouvelles troupes fous la conduite d'un de fes Chambellans , nommé Marien , lui ordonna de conférer avec Ie Patriarche pour favoir de lui quel étoit ce merveilleux projet qu'il avoit annoncé a 1'Empereur. Marien fut fort étonné d'apprendre que Cyrus avoit imaginé de donner en rnariage au Calife une fille de l'Empereur. C'étoit, difoit-il, un moyen infaillible de défarmer le Sarafin , qui ne manqueroit pas de fe faire baptifer pour parvenir a une alliance fi honorable. Le Général inflruifit l'Empereur de cette extravagance , & fe mit en marche pour aller combattre les ennemis. Ils étoient déjamaitres de Farma, place importante, fr tuée a 1'embouchure du bras orien= tal du Nil. C'étoit alors la clef de *'Eg>Tfe '■> eMe avoit remplacé Pelufe a demi-détruite. Elle fut prife après un mois de fiege. Amrou avancoit le long du Nil vers 1'intérieur du pays, lorfqu'il fut arrêté par 1'armée de Marien, beaucoup plus forte que la fienne. Réfolu de périr plutöt que de renoncer a fon entreprife , il livra bataille, & fut vainqueur. Marien y  nu Bas-Empize. Liv. LFII1. 439 perdit la vie avec un grand nombre de fes foldats. Après cette victoire, Amrou mar- t cha droit a Mefra, que quelques Auteurs modernes croyent être Memphis, paree que le nom de Mefra devoit être celui de la capitale, étant proprement le nom de 1'Egypte entiere, dont Mefraïm , petit-fils de Noé, fut le premier Roi. Mais les circonftances du fiege que nous allons raconter, ne peuvent convenir a Memphis, batie fur la rive gauche du Nil; elles défignent inconteftablement la Babylone d'Egypfe , fituée fur la rive oriëntale, un peu audeflus de la pointe du Delta , k trente-quatre lieues de Farma. Babylone étoit apparemment devenue capitale, depuis que Memphis, déja prefque ruinée, avoit perdu fon ancien luftre; Alexandrie, étant regardée comme une colonie Grecque, qui n'appartenoit pas a 1'ancienne Egypte. Mefra étoit defendue par un ancien chateau fortifié ; & pour en rendre Faccès plus difficile aux Mufulmans, on creufa a 1'entour un large foffé, oü 1'on fema quantité de chauffe-trapT iv HÉRACLIUS. Lnn. 64©. LXVI. Siege de lefra,  HÉRACLIUS. Ann. 640. LXVIT. Prife de «ette vil- 1 1 ( i 1 < 3 c 44° H 1 s t 0 1 r e pes. Amrou , qui n'avoit que quatre mille hommes, demeura fept mois entiers devant ce chateau , & fut contraint de demander de nouvelles troupes au Calife, qui lui envoya encore quatre mille hommes. Mais la perfidie du Gouverneur lui fut d'un bien plus grand fecours. C'étoit ce Mocaucas qui avoit eu des relations fecretes avec Mahomet. L'Empereur, qui devoit être mécontent de fa conduite depuis dix ou douze ans, n'avoit ofé le dépouiller de fon gouvernement, dans la crainte de perdre 1'Egypte en révoltant toute la nation des Coptes , dont tvfocaucas difpofoit en Souverain. On nommoit dès-lors Coptes les anciens habitants du pays , de race Egyptienne , pour les diftinguer des Grecs qui s'y étoient établis fous Alexan3re & fes fuccelTeurs. Mocaucas ne :herchoit qu'a livrer le chateau aux >arafins k des conditions avantageues pour lui-même; & s'il tenoit fi ong -temps contre leurs attaques, : eft qu'il n'étoit pas maitre d'une ;arnifon fi nombreufe, dont les Offiiers 1'obfervoient avec défiance, &  du Bas-Empire. Liv. LV11I. 441 ne prenoient 1'ordre que du confeil de guerre. Cependant a force de fe contrefaire, il vint k bout d'en impofer k fes furveillants. Le Nil formoit vis-a-vis du chateau une ifle , qu'on nomme aujourd'hui 1'ifle de Rouda. Ce perfide repréfenta aux Officiers: » Qu'iis ne pouvoient te>» nir encore long-temps ; qu'iis n'a» voient aucun fecours k efpérer ; » que le meilleur parti étoit de fe » retirer dans cette ifle, & de fouf» traire k la cruauté des Sarafins la » plus grande partie de la garnifon , » qu'il falloit conferver pour la dé» fenfe du refte du pays; que pour » lui il fe dévouoit volontiers k la » mort pour le fervice de 1'Empire , » & qu'il refteroit dans le chateau m avec un petit nombre de foldats » pour s'y défendre jufqu'a 1'extré» mité, & s'enfevelir fous les rui» nes, s'il ne pouvoit obtenir urre » capitulation honorable ". La difette , 1'ennui, les bleflures, les fati gues d'un long fiege donnoient di poids au confeil de Mocaucas : ot fe laiffa perfuader , & la plus grand' partie de la garnifon paffa dans 1'ifle T v héraclius. Ann. 640, L 1  HÉ11A- cuvs. Ann, C40 442 HlSTOlRB Mocaucas, fe trouvant alors maitre de fes démarches , députa au Général Sarafin pour demander un aceommodement ; il 1'avertifToit que s'ilne fe hatoit de traiter, le débordement du Nil alloit mettre inceffamment fon armée en grand danger. Amrou lui fit faire les propofitionsordinaires des Mufulmans. Le Gouverneur répondit: » Que jamais les » Chrétiens ne confentiroient k chan» ger de religion; que pour ce qui» étoit du tribut , il ne falloit pas » s'attendre que les Romains vou-' » luffent s'y foumettre ; mais que » lui Seks Coptes fes amis s'y affu» jettiroientvolontiers;qu'aprèstout » il n'étoit refté dans le chateau » qu'une poignée de Romains ". Sur cette réponfe , Amrou fait efcalader la place. Les foldats de la garnifon , hors d'état de réfifter , fe jettent dans des barques , Sc fe fauvent dans 1'ifle. Les Sarafins font main-baffe fur tous ceux qu'iis peuvent atteindre. Ceux qui échappent , perfuadés enfin de la perfidie du Gouverneur , paffent ivec leurs camarades de 1'autre cöté Ju fleuve, & fe rttirent entre Mefra  du Bas-Empïre. Liv. LVI1I. 445 & Alexandrie, dans une place que les hiftoriens Arabes nomment Keramol Schoraïk. Pendant ce tempsla, Mocaucas arrête avec Amrou les articles de la capitulation pour tous les Coptes de 1'Egypte; on convient qu'iis payeront chaque année deux ducats par tête , k Pexception des vieillards , des femmes & des enfants au-deffous de feize ans. Le nombre des Coptes qui furent enrégiftrés pour le tribut, fe trouva de fix millions ; tant 1'Egypte étoit encore peuplée. II ne reftoit aux Sarafins que de prendre Alexandrie , pour être maitres de toute 1'Egypte. Ayant palTé le Nil, ils attaquerent Keramol Schoraïk , qui ne put tenir que trois jours, Quelques corps de troupes Romaines qui fe rencontrerent fur leui palTage, furent aifément défaits. Lei vaincus fe refugierent tous dans Alexandrie comme dans leur derniéi afyle, & fe préparoient k s'y défen dre. Bien tot les Mufulmans para rent & camperent k la vue de la ville Amrou , qui donnoit dans les batail les Fexemple de la valeur, ne s'ei T vj HÉRA» CLIUS. Ann, 64©» LXV1II. Amrou affiege Alexandrie, l  HÉRACLIUS. Ann, 640. 444 HlSTOÏRE rapportoit qua lui-même de tous les détails de la guerre. II voulut reconnoitre en perfonne la fifuation Sc la force de la place; il ne prit avec lui que Verdan fon efclave, & un des principaux Officiers, nommé Muflima. Mais s'étant approché de trop prés des murailles, il fut pris & conduit devant le Gouverneur, qui lui fit encore cette demande inutile , qu'on faifoit par-tout aux Sarafins; Sc il en recut la réponfe ordinaire. La fïerté de fes paroles Sc de fa conterance fit juger au Gouverneur que ce prifonnier étoit le Général: Cefl Amrou lui-même, dit-il a fes gens ; qu'on lui tranche la tête tout-d-l'heure. Verdan, qui entendoit la langue Grecque , voyant le danger de fon maitre , qu'il avoit déja fauvé dans une pareille occafion au fiege de Gaza, fe tourna vers lui avec mépris, Sc le frappant rudement : De quoi t'axifcs-tu de ripondre ? lui dit-il , tu nes < que le dernier des Mufulmans ; laiffe parIer tes fupérieurs. Muflima , prenant auffi - tot la parole , dit que le Général les envoyoit pour demander une entrevue-; qu'il defiroit de tr-.i-  nu Bas-Empire. Lh. LFIIL 445 ter avec le Gouverneur ; &c que li ! les Romains vouloient faire ou accepter des propofitions raifonnables, j la paix feroit bientöt conclue. Le Gouverneur fut la dupe de cette feinte ; il fe perfuada qu'il fe trompoit, & qu'Amrou n'étoit qu'un firnple foldat; il révoqua 1'ordre, & les renvoya. Mais au-lieu de 1'entrevue propofée, Amrou fe montra le lendemain au pied de la muraille avec toutes fes troupes , & commenga les travaux du fiege. L'Empereur , confterné de cette nouvelle, réfolut de confentir aux 1 conditions les plus dures, plutöt que 1 de perdre Alexandrie, &c avec elle r la plus belle Province de fes Etats. 5 Pendant le fiege de Babylone , il avoit fait venir Cyrus a Conftantinople ; & outré de colere contre ce Prélat, il s'emporta jufqu'a compromettre la Majefté fouveraine. II le firconduire a la grande place pour le juger en préfence de tout le peuple, qui accourut en foule ; & fe portant luimême pour accufateur , il reprocha a 1'Evêque d'avoir livré 1'Egypte^aux Sarafins. Cyrus, devenu plus fier 6c HÉRACllUS. Lnn, 640, LXIX. >éputaoninuti: de Cyis aux arafins.  HÉRAClIUS. Aan. 640. r4 Prétendez-vous répondre aux Am» bafladeurs des PuuTances étrange» res ? Sera-ce une femme qui com» mandera nos armées ? k Dieu ne » plaife que PEmpire Romain fevoye » réduit a un gouvernement qui vieni » de faire rougir les Perfes ". L'Impératrice, couverte de confufion & pleine de dépit, fe retira dans fon paJais. Quoique la puiffance fouveraine eut été également partagée entre les deux Princes , Martine, ne pouvant la ! retenir, fouhaitoit du moins la mettre entre les mains de fon fils. Mais 1'affeöion du peuple la donnoit toute entiere k Conftantin. On n'obéiffoit qu'a fes ordres. Le premier qu'il donna ne fit pas honneur au commencement de fon regne; Son tréforier Philagre lui confeilla de faire retirer du tombeau une couronne d'or de grand prix qu'on avoit enfévelie avec fon pere. Le chambellan Callinique CONSTANTINIII. & HÉRACLÉONAS. Ann. 641, IL Conduite Ie Coni"; antin.  CONSTANTIN lii. & HÉRACIÉONAS. Ann. 641. III. Sa mort. 456 HlSTOIRE n'exécuta qu'avec douleur une ü trifte commiflion:il trouva ie cadavre d'Héraclius déja prefque réduit en eau, & la couronne tellement adhérente k fa tête , qu'il fallut enlever avec elle une partie des cheveux. Elle pefoit foixante & dix livres. Philagre fit encore revenir au Prince un tréfor plus conlidérable, &£ dont PenleVement fut moins odieux, mais fans doute plus fenfible k ceux qui le virent arracher de leurs mains. II avertit l'Empereur qu'Héraclius dans fa derniere maladie avoit fait porter chez le Patriarche Pyrrhus de grandes fommes d'argent, deftinées k Pentretien de 1'Impératrice , s'il arrivoit que Conftantin la fit fortir du palais. Le Prince fit venir Pyrrhus qui nia d'abord le dépot : mais convaincu par Philagre, il le rendit k regret. Ce Patriarche li chéri d'Héraclius, étoit en horreur a Conftantin, que ni 1'exemple, ni Pautorité de fon pere n'avoier j pu engager dans les erreurs du Mo' nothélilme. Conftantin voyoit fa fanté s'affoiblir tous les jours. L'air de Conftantinople lui étant contraire, il s'étoit retirv^  nu Bas-Empire. Lïv. L1X. 457 retiré a Chalcédoine dans un palais qu'il avoit fait batir. II craignoit moins pour lui-même, que pour fes deux fils, Conftant & Théodofe, qu'il avoit de fa femme Grégoria, fille de . Ni- 1 cétas. Philagre, qui appréhendoit encore plus pour lui-même le reffentiment de Martine, aigriffoit encore les foupcons de Conftantin. II engagea ce Prince k écrire aux armées répandues en diverfes Provinces , que s'il venoit d manquer , il leur recommandoit fes deux fils ; qu'il les conjuroit d'en prendre foin, & de ne pas permettre qu'on les privdt de leurs droits. Valentin, Ecuyer de Philagre, fut chargé de^ces lettres & de grandes fommes d'argent qu'il devoit diflribuer aux foldats, pour les engager a s'oppofer aux entreprifes de Martine & d'Héracléonas. Peu de temps après, Conftantin mourut le 15 Mai, n'ayant régné que trois mois & demi depuis la mort de fon pere. On foupconna généralement Martine & Pyrrhus d'avoir abrégé fes jours par le poifon. L'ambitieufe Martine, devenue maitreffe de 1'Empire , comme elle Pé- Torne XII, y d constantinIII. & héra- :i.éonas.' lnna 641. IV. Regne Héra-  HÉRACLÉONAS.Ann. 641. cléonas. Niceph. p. 10 , Ü. Theoph. p. 275, 183. Cedr. p. 430. 4JIHifi. mifc. I. 18. Zon. t. II. p. 87. ManeJJ". p. 78. Jdlycas, />. 176. Congé, fam. By-i. p. 11S , 119 , no. Pagi ad 'Bar. Manfi ad 'Bar. Affemani, hih.jur. Or. f. W. c. 9. 4.53 HlSTOIRB toit de fon fils, fongea d'abord k gagner 1'eftime des peuples & 1'affeöion des foldats. Ce fut par fon confeil que le jeune Empereur fit préfent a l'Eglife de Sainte-Sophie , de la couronne tirée du tombeair d'Héraclius, & qu'il envoya ordre k Valentin de diftribuer en fon nom aux foldats 1'argent qu'il avoit recu de Conftantin. Le Patriarche Cyrus fut renvoyé dans (on Eglife; Philagre fut dépouillé de fa charge, forcé d'entrer dans le Clergé, & relégué k Ceuta aux extrémités de FAfrique. On lui laiffa la vie , mais on fit périr ceux qui lui avoient prêté leur miniftere. Valentin étoit celui qui devoit craindre davantage : il avoit eté plus avant que tout autre dans la confidence de Philagre; il étoit auffi le plus redoutable, ayant entre fes mains de quoi gagner les foldats. Auffi 1'Impératrice lui fit-elle des avances pour lui témoigner de 1'amitié & de la confiance. Mais Valentin, auffi rufé qu'il étoit hardi & entreprenant, loin de donner dans le piege, leva 1'étendard de la révolte , & s'empara de Chaicédoine.  bv Bas-Emfire. Liv. LFX. II prit pour prétexte la défenfe des deux fils de Conftantin fon maitre, auxquels 1'Empire appartenoit, & qui alloient, difoit-il, être, ainfi que leur pere, les viöimes d'une maritre perfide, & d'un oncle jaloux de leurs droits, fi les fideles fujets du défunt Empereur ne s'uniflbient pour les tirer de leurs mains. Martine, a la veille de fe voir attaquce dans Conftantinople, prenoit les précautions néceflaires pour fa füreté, tandis que fon fils publioit des manifeftes pour fe juftifier de ces odieufes imputations. II proteftoit que rien au monde ne lui étoit plus cher que la confervation de fes neveux ; il en appelloit a leur propre témoignage: Quelle noiruur, difoit-il, de me fuppofer des deffeins criminels contre ces Princes, qui me font attachés de fiprh par les Hens du fang, & dont Cun me tient encore par une alliance fpirituelle & facrie? II parloit de Conftant qu'il avoit levé des fonts baptifmaux. Pour confirmer ces proteftations par 1'ade le plus authentique, il fe tranfporta dans l'Eglife de Sainte-Sophie, & Ik en préfence du Patriarche, tenant V ij Héra- CLÉONAf^ Ann. 641. y. Révolte de Valentin.  HÉRA- CLÉONAS. Ann. 641. VI. Conftant couronne. 460 HlSTOIRE la main fur la vraie croix , il jura que jamais il ne nuiroit aux fils de Conftantin, ni par lui-même, ni par le miniftere d'aucun autre. II fit plus encore ; il fe hafarda de paffer k Chalcédoine avec Conftant, & offrit k Valentin de jurer entre fes mains qu'il n'avoit pour les deux Princes, que les fentiments de la plus fincere affeöion. Valentin refufa de recevoir fon ferment; ck par affecTation de générofité, il ne profita pas de 1'imprudence du jeune Empereur, & le laiffa retourner a Conftantinople. Après ces démarches, Héracléonas perfuada facilement au peuple que la füreté des Princes n'étoit qu'un faux prétexte dont fe fervoit Valentin, pour s'emparer lui-même de 1'Empire. Mais le peuple changea bientot de difpofition. On approchoit du temps de la vendange; & les habitants de Conftantinople ayant pour la plupart des vignobles en Afie, apprenoient avec chagrinque 1'armée de Valentin, maitreffe du détroit, ravageoit impunément leurs poffeflions, &C leur enlevoit le revenu de 1'année. Ils s'attroupent autour du palais du Patriar-  bv Bjs-Empire. Liv. LIX. 461 'is , & demandent a grands cris que Conftant foit couronne. Pyrrhus les traite d'abord de rebelles, qui ne propofent de couronner Conftant, que pour donner 1'Empire a Valentin. Mais Ie peuple redoublant fes cris, & le menacant lui-même des dernieres violences, il va infiruire Héracléonas de la fédition prête a éclater. L'Empereur, faifi de crainte, conduit auffitöt Conffant a l'Eglife. Dès qu'il paroït fur la tribune avec le Patriarche, il s'éleve un cri général: La couronne , la couronne d Conftantin : c'eft le nom que le peuple donna pour lors au jeune Prince; jufque-la il portoit celui d'Héraclius, & dans la fuite il fut plus connu fous le nom de Conftant. Héracléonas , fans différer, fait apporter la couronne de fon pere , qu'il avoit dépofée dans cette Eglife, & Pyrrhus la met fur la tête du nouvel Empereur. Cette condefcenclance du Patriarche ne fut pas encore capable d'adoucir les efprits. On le détefloit comme le confeiller de Martine , & Pauteur de tous les maux. On veut le mettre en pieces; une foule de miférables auxquels fe joignent V iij HÉRACLÉONAS. CONSrANT II. knn. 641.  Héra- cléonas- Constant II. Ann. 641. VII. Fuite . II. Okley. D'Herbc. '■» bib. Pagi ad ir. 'ffemani »' > Or. t. p 103.' ■ de Guihift.1 Huns, '■p.321. II. univ. XV. p. 9 > 400,  Constant II. Ann. £44, 482 HlSTÖIRE jettoient fur lui , il en bleffa treize , dont fept moururent, & fe poignarda lui-même. Omar ne furvécut que trois jours ; 6c comme on lui demandoit fon avis fur celui qu'il jugeoit digne de lui fuccéder , quelqu'un ayant nommé fon fils : Non, répondit-il; c'eft affe^ pour les enfants de Kettab (c'étoit le nom de fon pere) qu'il y en ait eu un chargé de rendre compte d Dieu du gouvernement des Fideles. II fe contenta de nommer fix commiflaires , 6c leur donna trois jours pour délibérer enfemble fur le -choix de fon fucceffeur. lis choifirent Othman, que Mahomet avoit rejetté comme trop attaché a fes parents , qu'il préféreroit aux gens de mérite dans la diftribution des emplois; 6c la conduite d'Othnian juftifia dans la fuite le jugement de Mahomet. Omar laiffa aux Mufulmans les plus vifs regrets, 6c c'eft encore Eujourd'hui le plus révéré de tous les Califes chez les Mahométans Sunnites. II fut la gloire de la nation, 6c le modele de fa fedte. La Syrië , la Méfopotamie , la Perfe prefque entiere jufqu'a 1'Oxus, 1'Egypte 6c la  nu Bas-Empis.s; Liv. L1X. 483 Libye, jufqu'aux confins de la Tripolitaine, tant de pays fubjugués fuffiroient pour illuftrerla vie de plufieurs conquérants. Dans 1'efpace de dix ans & demi , felon Kondemir, hiftorien de Perfe , il fe rendit maitre de trente-fix mille villes, places ou chateaux; il détruifit quatre mille temples de Chrétiens, de Mages, d'Idolatres ; il fit batir quatorze cents Mofquées. La fageffe de fon gouvernement rendit fes conquêtes folides & durables. Le baton d'Omar , difent les Arabes , infpiroit plus de crainte que 1'épée de fes fuccelTeurs. Ce prodigieux accroiffement de puiffance n'apporta aucun changement dans fes mceurs, ni dans fa facon de vivre. Pauvre powr lui-même , riche pour les autres, il diftribuoit tous les Vendredis 1'argent du tréfor , comme 1'avoit pratiqué Abubecre ; mais il régloit fes libéralités fur un principe différent; Abubecre avoit proportionné fes largeffes au mérite; Omar ne confidéroit que les befoins , difant que les biens de ce monde ne nous font donnés par la Providence que pour fubvenir è Pindigence, Sc X ij COTJS- :ant II. Lnn, 644.  Constant II, Ann. 644, 4i?4 HlSTOlRB non pour récompenfer la vertu, quï ne doit être couronnée que dans 1'autre vie. On fait de grands élcges de fa juftice ; jamais le rang des coupables ne les exempta du cMtiment. Mais il portoit jufqu'a un excès de férocité & de barbarie 1'idée qu'il avoit de la foumiffion que les inférieurs doivewt k leurs fupérieurs, &C il en donna un exemple terrible, n'étant encore que particulier. Un Mufulman faifoit un mauvais procés a un Juif; Mahomet jugea en faveur du Juif. Le Mufulman déclara qu'il n'acquiefceroit pas au jugement que 1'affaire n'eüt été revue par Omar. Les deux plaideurs vont le trouver ; ils le rencontrent comme il fortoit de fa maifon , & lui expofent le fait. Jittende{ un moment, leur dit-il ; & il rentre chez lui. II revient incontinent le fabre k la main , & d'un feul coup il abat la tête au Mufulman : Voild, dit-il, ce que mèritent ceux qui fe révoltent contre la. fentence de leur juge fouverain. Les Mufulmans euxmêmes lui reprochent d'avoir penfé quelquefois qu'on n'eft pas obligé de tenir la parole donnée aux infi-  nu Bas-Empirb. Liv. LIK. 485 deles, & d'avoir fait mourir plufieurs Chrétiens, malgré la promeffe qu'il leur avoit faite de ne pas les forcer de renoncer a leur foi. Ce fut lui qui jetta les fondements de Bafra a 1'embouchure du Tigre , pour öter aux Perfes la navigation du golfe Perfique , & la liberté du commerce des Indes en Arabie. Cette ville , qui devint bientöt célebre, fut batie en trois ans. Mahomet avoit déja porté fes armes fur les frontieres de la Perfe. Caled, envoyé par Abubecre dans 1'Irac Arabique , ouvroit par fa valeur aux Sarafins 1'entrée de ce vafte Royaume, lorfqu'il fut rappellé pour la conquête de la Syrië. Omar , loin d'abandonner ce projet, le pouffa fi vigoureufement, qu'il ne laiffa prefque rien a faire a fon fucceffeur. Quoique 1'hiftoire de Perfe ne foit pas proprement de mon fujet, elle a eu depuis le fiecle de Craflus & d'Antoine, tant de liaifon avec celle des Romains , que je ne puis me difpenfer de raconter fuccinftement, quelle fut la fin de cette puiffance rivale, qui exerca fi long-temps les armes ' X iij Constant II. kas.. 644. Ann. 645. XXI. Conquête ie Ia PerFe par les Mufulmans.Elmacin. Abulfara* Thcoph. p9 282, 283. Cedr. p. 429, 430. Bcrgeron , hifi. des Sar. Pagi ad Bar. OUey. D'Herie . o£, Bib. 7r.  Constant II. Ann, 64J. Af. de Guitnes , hift. Hes Huns, t. Lp. 55, 57. 402. t. II. p. 484. 491AJfemani t bib. Or. t. III. 486 HlSTOIRE Romaines. Pendant que les remparts de la Syrië tomboient fous les efforts des Mufulmans , une autre partie de leurs forces portoit le fer & le feu fur les bords de PEuphrate & du Tigre. A peine Omar fut-il élevé a la dignité de Calife, qu'il fit partir pour PIrac une armée. de trente mille hommes, fous le commandement de Saad, un des héros de ce premier fiecle des Mufulmans. Les Perfes, de leur cöté, réveillerent leur ancien courage ; ils firent des efforts inouis pour arrêter ce torrent, déja groffi par tant de ravages, & Pon peut direque les Sarafins ne demeurerent maïtres de ce pays, que lorfqu'il ne refla prefque plus d'habitants pour le défendre. La première bataille , auffi fameufe chez les Arabes, que celle d'Arbelles chez les Grecs , fe livra l'an 636 prés de Cadéfie, ville de la Province d'Irac, a 1'occident de i'ancienne Babylone, dont elle étoit éloignée de vingt-cinq lieues. Roftan, le meilleur Général d'Ifdégerd, étoit a la tête de fix vingts mille hommes. On fe battit durant trois iours avec un acharnement hprrible;  du Bas-Empire. Liv. LIX. 48? fept mille cinq cents Mufulmans y périrent; mais enfin la vi&oire fe déclara pour eux ; Sc Ifdegerd qui attendoit dans Modin le fuccès du combat , s'enfuit dans le Chorafan a 1'extrémité de fes Etats. Modin , nommé par les Arabes Madaïn , c'eft-a -dire , les deux villes , réuniffoit Ctéfiphon Sc Coqué , Sc s'étendoit fur les deux bords du Tigre. Capitale de la Perfe fous le regne des Saffanides , elle avoit été embellie par le grand Chofroës, Sc le palais des Rois paffoit pour le plus fuperbe édifice de tout POrient. Saad viöorieux, marche vers cette ville, Sc le Gouverneur étant forti a la tête de la garnifon Sc des habitants, fut en un moment terraffé Sc fait prifonnier. Saad lui fit trancher la tête au pied des murailles ; Sc étant entré fans réfiftance , il abandonna la ville au pillage. Les Sarafins trouverent dans le palais plus de quarante millions en monnoie d'or, quantité de vafes & de meubles d'un prix ineftimable. C'étoit ce que les révolutions précédentes avoient épargné des tréfors de Chofroës. On parle X iy Constant It. Ann. 64;. XX». Prife de Modin.  CONSTAKT II. Ann. 64J, XXIII. Bataille de Gialoula. 488 H I S T 0 I J? E fur-tout d'nn tapis de foixante aunes en quarré, tiffu de foie,d'or, d'argent, & femé de pierreries, oü toute iorte de plantes & de fleurs étoient artiflement lïgurées è 1'aiguille. Les foldats 1'ayant dépecé & coups de fabre pour le partager entr'eux , une feule piece fort petite fut vendue vmgt mille écus a des marchands üe Syrië. Ce fut dans ce pillage que les Sarafins perdirent cette heureufe ignorance des .richeffes & du luxe, tréfor plus précieux que ceux de Chofroës , & qui fortifioit leur fanatifme dans le mépris de la vie. Ils apprirent a eftimer 1'or, & peu de temps après , Abbas, fils d'Abdolmotalleb, & oncle de Mahomet, laiffa en mourant une fuccefiion de dixfept millions de nos livres. Les filles de Chofroës qui avoient furvécu a tant d'infortunes, furent prifes dans le palais de Modin, & envoyées au Calife, qui les traita avec humanité. Ce Prince Perfe, qui avoit paffé avec Baane au fervice de 1'Empire, s'étoit retiré a Emefe après la bataille d'Yarmouc. II étoit fils de Sarbar, & frere depered'Ifdégerd. Loin  du Bas-Empire. Liv. LIX. 489 d'être touché des malheurs de fon frere, il entreprit de Faccabler pour relever fa propre fortune. II promit par lettre au Calife de lui foumettre toute la Perfe, 011 il avoit des intelligences , & de lui livrer Ifdegerd , s'il vouloit lui donner des troupes. Omar eut horreur d'une fi dé» teftable perfidie : il apprit encore des filles de Chofroës que ce miférable étoit une ame bafie, déja noirciede crimes & de trahifons. Pour toute réponfe, il le fit mettre en croix au milieu d'Emefe. II envoya ordre k Saad d'aller chercher Ifdégerd au fond de fa retraite. Saad traverfa la Perfe entiere, & fans être arrêté ni par les montagnes, ni par les vafles déferts , auffi infatigable que fes foldats , il atteignit Ifdégerd k Gialouk dans le Chorafan , défit dans une fanglante bataille tout ce qui lui reftoit de troupes, & le forca d'abandonner fes Etats. Le Roi fugitif alla chercher un afyle k Fergana dans le Turqueftan. Une troifieme bataille décid'a du fort de la Perfe. Roftan , ayant raffemblé tous les Perfes en état de pofX y CoNS-* TANT II. Ann, 64;» XXIV. Progrès fles Sarafins «n Perfe,  49° Histoire ter les armes, s'avanga dans 1'Irac Constant II. Aon. 645. 1 eruque, a la tete d'une armée innombrable. Nooman , Général des troupes du Calife, vint a fa rencontre. II fe donna un furieux combat prés de Nahavend. Les Perfes firent les derniers efforts pour foutenir leur Monarchie expirante. Nooman fut tué dans la mêiée, & les Sarafins alloïent prendre la fuite, lorfqu'Hodaïfa, un des principaux Officiers, s'étant mis k leur tête, ranima leur courage ; & malgré la valeur opiniatre des Perfes, il rompit leurs efcadrons , & en fit un horrible carnage. C'eft cette journée fatale k la Perfe, que les Arabes appellent la vicloire des vicloires. Depuis cette bataille, les Perfes n'oferent plus paroitre en corps d'armée devant les Sarafins. La prife d'Hamadan livra aux Mufulmans tout PIrac Perfique ; les villes de 1'Aderbigian ouvrirent leurs portes. Dans ce même temps, Saad faifoit la conquête du Coufiftan, qui eft Pancienne Sufiane ; il ne trouva de réfiftance que dans Sufe, nommée Tojler par les Arabes. Cependant Ifdégerd , réduit a Pextrémité, implo-;  du Bas-Empire. Liv. LIX. 491 roit le fecours de tous les barbares du Turqueftan &c du Mauérennahar. II envoya jufque dans la Chlne demander l afliftance de l'Empereur dont il étoit allié. La mort d'Omar & la retraite de Saad lui donnerent quelque efpérance. fPrevint en Perfe , & s'enferma dans Eftakar, Pancienne Perfépolis, ville célebre, capitale du Royaume fous les Hyftafpides , & dont les énormes & fuperbes batiments paffeient parmi le peuple pour être 1'ouvrage des démons. Mais bientöt Abdalla , envoyé par Othman, vint affiéger la ville. Ifdégerd ne Pattendit pas. II traverfa le défert de Carmanie, & paffa dans le Ségeftan, oü il demeura caché prés de cinq années. Son deffein étoit de fe retirer a Ia Chine, s'il ne pouvoit tirer aucun fecours des barbares voifins de la Perfe, qu'il follicitoit fans ceffe par des menages fecrets. Enfin, un Prince Turc , nommé Tarkhan, vint le joindre avec fix mille hommes. Mais avant qu'il eut rien entrepris, Pimprudent Ifdégerd , fier encore au milieu de fes défaftres, le congé Jia X vj Constant II. Ann. 645. XXV. Vlort d'Ifr legerd.  Constant II. Ann. 64;. 492 BlSTOIRE avec hauteur, a caufe de quelques paroles peu refpectueufes dont il fe tenoit offenfé. Tarkhan, irrité de cet affront, retournoit avec bonte dans fon pays ; mais étant arrivé a Mérou , ville du Chorafan , fujette de la Perfe , il fe joignit au Gouverneur, mécontent lui-même d'lfdégerd, & tous deux enfemble allerent chercher ce malheureux Prince , qui avoit encore ramaffé quelques troupes. Elles furent taillées en pieces; il échappa par la viteffe de fon cheval, & étant arrivé au pied d'un moulin aux environs de Mérou , il pria le meünier de le cacher, lui offrant pour récompenfe fon anneau , fon baudrier & fes braffelets enrichis des plus rares pierreries. Le meünier qui connoiffoit auffi peu le Prince que le prix des bijoux qu'il lui offroit , lui répondit : Mon moulin me vaut quatre drachmes (environ un écu ) par rour; fi vous me les donne^, farrêterai ma meule , & je ne moccuperai aujour'ïhui que de votre süreté. Tandis qu'iis faifoient ce marché, furvint une troupe de cavaliers Turcs, qui égorgerent Ifdégerd fans le eonnoïtre. Ceil ainfi  uu Bas-Empire. Liv. LIX. 493 que finit en 651 Tanden Royaume '. de Perfe. La dynaftie des Saffanides avoit fubfifté quatre cents vingt-fïx : ans, ayant commencé Pan de J. C. ' deux cents vingt-cinq, par la révolte d'Artaxerxès. Pérofe , fils d'Ifdégerd, fe fauva a la Chine, oü il fut reconnu pour Roi de Perfe, & fit a l'Empereur hommage de fes Etats , qu'il ne pofféda jamais. L'Empereur lui donna Pemploi de Capitaine de fes gardes, Sc fit paffer enfuite ce titre a fon fils , que les Chinois feignirent de vouloir rétablir dans fon Royaume. Ils le firent partir avec une armée. Mais leur deffein n'étoit que de furprendre les peuples du Tibet, chez lefquels il falloit paffer. Cette rufe ayant réuffi , leur Général ramena ce Prince qui mourut a Siganfu , fans laifler de poftérité. Après la mort d'Ifdégerd , cette horde de Turcs , qui étant venu pour le fecourir, avoit achevé de le per- \ dre, s'arrêta dans le Chorafan, du fi confentement des Sarafins. Ils leur payerent tribut, embrafferent le Mahométifme , & demeurerent foumis aux Califespendant environ trois cents CONS'A NT II, bin. 64;, XXVT, üa Perfe lumife ■ix Saraas.  Constant II. Ann. 645. 494 H 1 s t 0 1 r e ans; après lefquels ils chafferent leurs maitres, Scs'emparerent du pays. Les Sarafins fe mirent en poffeflion de toute la Perie. Eflakar, Afpa, aujourd'hui Ifpahan, furent pris par Abdalla. Nifabour, capitale du Chorafan , ne tint pas contre fes attaques, & toute la Province tomba au pouvoir des Mufulmans. Abdalla ne revint a Médide qu'après avoir bu dans la riviere de Balk. Abu-Mufa prit la grande ville de Raï a préfent ruinée; c'eft la Ragès de PEcriture. II foumit tout PIrac Perfique. Uthal acheva la conquête de 1'Irac Arabique, & de tout le pays renfermé entre PEuphrate & le Tigre. Habit fubjugua une grande partie de 1'Arménie, & pénétra entre la mer Noire & la mer Cafpienne jufqu'au mont Caucafe. Mogheïra paffa en Cappadoce 011 il fe rendit maitre de Sivas , nommée jufqu'alors Sébajle. Cette vafte étendue de Provinces formoit feule un grand Empire. Mais deux fiecles après,plufieurs aventuriers, les unsTurcs, les autres originaires de Perfe, enleverent aux Califes en différents temps plufieurs de ces Provinces, & yéta-  du Bas-Empire. Liv. LIX. 495 blirent des dynafties particulieres ; en forte que la Perfe divifée en plufieurs Royaumes, ne fut réunie en un feul corps de Monarchie , que fous le regne des Sophis. A peine Abdalla étoit-il revenu de Perfe, qu'Othman, dont il étoit frere utérin, 1'envoya gouverner 1'Egypte. II en avoit rappellé Amrou, qui, après en avoir fait la conquête, fe faifoit autant aimer par fa douceur & par fa générofité, qu'il s'étoit rendit redoutable par fa valeur. Le Calife eut bientöt fujet de fe repentir de ce changement. Manuel, qui avoit été battu par Amrou, après la prife de Farma, vint avec une flotte chargée de troupes fe préfenter devant Alexandrie. A la vue des vaiffeaux Romains, les anciens habitants prennent les armes, chaffent la garnifon Sarafine, tropfoible pourréfifter a un peuple fi nombreux, & ouvrent les portes aux troupes Impériales. Cette nouvelle portee a Médine, fut bientót fuivie des follicitations preffantes des Coptes, qui craignant de retomber entre les mains de l'Empereur qu'iis ayoient trahi, redemandoient Constant II. Ann. 64;. Ann. 646, XXVII. Alexandrie reprite par les Romains, & enfuite par les Mufulmans. Elmacin, Qkley.  Constant II. Ann, 646, 49Ó HlSTOIRE avec inftance leur premier Gouveri neur, comme feul capable de lesdéfendre. Amrou, renvoyé en Egypte, fi.it recu avec joie par Mocautas, qui joignit a fon armée une multitude innombrable de Coptes. Onmarcha vers Alexandrie. Les Romains foutinrent les attaques pendant plufieurs jours avec tant de courage, que le Général Sarafin, irrité de leur opiniatreté , jura qu'il abattroit les murs de la ville, fi Dieu lui donnoit la viöoire. Enfin, il 1'emporta d'aflaut, & fa bonté naturelle plus forte que fa colere, épargna tous ceux qu'il put fauver du glaive de fes foldats. II batit enfuite une mofquée dans Pendroit oü il avoit arrêté le carnage; elle fut nommée la mofquèedela miféricorde. Manuel, échappé du maffacre, fut aflez heureux pour fe rembarquer avec les débris de fes troupes. Les murs d'Alexandrie furent démolis. Depuis ce temps-la , cette ville, dépouillée de toute fa fplendeur, réduite a une enceinte beaucoup plus étroite & remplie de ruines , n'eft plus que le tombeau de Pancienne. Elle ne fubfiiie que par la bonté de fon port, & par fa fi-  du Bas-Empire. Liv. LIX. 497 tuation avantageufe pour le commerce. Le Calife n'avoit renvoyé Amrou en Egypte que pour reprendre Alexandrie. Cette gloire appartenoit a ce grand Capitaine, parée qu'Alexandrie étoit fa conquête. Auffi dès que Pexpédition fut terminée , Othman remit Abdalla en poffeffion du gouvernement de 1'Egypte. Amrou étoit cependant beaucoup plus capable d'exécuter le projet que le Calife méditoit; mais la prédileéïion d'Othman pour fes parents , nuifoit fouvent au bien des affaires, comme Mahomet 1'avoit prévu, & la faveur d'Abdalla fut une des caufes qui rendirent ce Calife odieux aux zélés Mufulmans. Ils fe fouvenoient qu'Abdalla employé autrefois par Mahomet a mettre par écrit fes révélations, avoit encouru la difgrace du Prophete, pour avoir renoncé a 1'Iflamifme, & que Mahomet, après la prife de la Mecque , 1'auroit mis k mort, fi fon frere n'eüt obtenu fa grace a force de prieres. Othman, devenu Calife, cherchoit , k effacer ce crime aux yeux des Mu- ■ fulmans, & a lui procurer des oc- I Constant II, Ann. 647, XXVIII. EntreprifedesMu.fulmans fur 1'Afrique. Elmacin. Theoph. p. 285. Hifi. mifi. I. 19. Curio, hifl. Sarac. p. 21. Pagi ad Bar. Mém. Acad. t. XXI. pag. 114, ii j. M. de Gui%nes, hifi. des Huns , i. 1. p. 546. M. Carlonne, hifi. le VAfrime, t. I. p, ï & fuiv. Hifi, unir, . xr. f.  Constant II Ann, 64- 498 HlSTOIRE ' canons de fe fignaler par quelque ex* ploit éclatant. Abdalla étoit vail'ant, * comme tous les Sarafins de ce tempsla ; il avoit réuffi en Perfe ; mais les fuccès qu'il avoit eus dans ce pays étoient partagés avec un trop grand nombre d'autres Capitaines. Othman lui deftinoit la conquête de FAfrique. Cette entreprife fembloit être facile. Amrou s'étoit rendu maitre de la Cyrénaïque , & avoit porté fes armes jufque tur les frontieres de la Tripolitaine. Les Arabes avoient fait depuis peu avec fuccès plufieurs incurfions fur les terres des Romains. Les troubles de FAfrique offroient encore une occafion favorable. Le Patrice Grégoire , Gouverneur de cette Province , s'étoit érigé en fouverain; il ne reconnoiflbit plus les ordres de PEmpereur, & fe rendoit odieux aux peuples par fa tyrannie. Othman réfolut donc de profiter de ces conjonctures pour étendre fon Empire jufqu'au détroit de Cadis. II leva vingt mille hommes entre les plus braves des Arabes. II prêcha lui-même cette armée, & la fit partir au mois d'OctQbre 647, fous les ordres de Mer-  du Bas-Empire. Liv. LIX. 499 van , qui devoit en remettre le commandement k Abdalla , dès qu'elle feroit arrivée en Egypte. Abdalla y joignit vingt autres mille hommes, qu'il avoit levés dans fon gouvernement, & marcha vers Tripoli. C'étoit 1'ancienne Sabrata, qui avoit pris le nom de la Province; c'eft aujourd'hui/fiv/i«.r Tripoli, a douze ou treize lieues k 1'Occident du nouveau Tripoli, bati depuis fur le terrein de Pancienne ville d'QEa. Un détachement qui devancoit 1'armée, s'empara de quelques vaiffeaux vernis au fecours de la place , & ramena cent prifonniers auxquels Abdalla fit trancher la tête. Tripoli fut invefti du cöté de la terre; mais les Sarafins n'avoient ni flotte, ni vivres, ni machines de guerre, & la place étoit défendue par une forte garnifon jointe aux Berbers , qui firent une vigoureufe réfiftance. Les Berbers étoient les habitants du pays que nous nommons aujourd'hui Barbarie. C'étoit, felon quelques Auteurs, la poftérité de ces Chananéens , que Jofué chaffa de la Paleftine. Selon d'autres, ils defcendoient de cinq coló-. É Constant II.' Ann. 647, XXIX. Première entree des Sarafins en Afrique.  Constant II. Ann. 647. Ann. 648. XXX. Bataille d'Yacoubé. 500 HlSTOIRE nies d'Arabes Homérites , qui pafferent en Afrique , fous la conduite dAfrikin, fils de Kis, & petit-fils de Safi, Roi des Homérites; & c'eft ce chef de colonie qui donna fon nom k cette vafte portion de notre continent. Ces cinq colonies fubfiftent encore fous leur ancien nom, & font maintenant divifées en plus de fix cents lignées de Berbers, qui habitent les uns fous des tentes, les autres dans des villes. Abdalla, contraint de lever le fiege, alla former celui de Cabès, nommée alors Tacapé, &C fut par les mêmes raifons obligé de 1'abandonner. A la première nouvelle de 1'irruption des Sarafins, le Patrice Grégoire avoit raffemblé cent vingt mille hommes. Abdalla n'en avoit quequarante mille; mais c'étoit 1'élite des tribus Arabes. Les deux armées fe rencontrerent dans un lieu nommé Yacoubé. Le Général Sarafin, felon 1'ufage des Mufulmans, envoya d'abord offrir la paix au Patrice , k condition qu'il fe rendroit avec tous fes fujets, ou Mufulman ou tributaire. Grégoire, ayant rejetté avec mépris  ■ nu Bas-Empire. Llv. LIX. 501 f ün' & 1'autre parti, on en vint a ia bataille. Elle fut fanglante , & dura jufqu'a la nuit avec un égal avantage. Ce qui étonna le plus 1'intrépidité Sarafine , ce fur la fille du Général Romain. Grégoire donnoit 1'exemple de la valeur; mais fa fille, éclatante par fa beauté Sc par la magniificence de fa parure , le furpaflbit encore en courage. Montée fur un cheval vigoureux, elle ne ceffa de combattreacöté de fon pere, Sc par des coups terribles, elle abattoit les Sarafins , que fes charmes avoient déja éblouis. A Ia fin du jour, Ofman qui commandoit un corps de réferve, fe trouva derrière le camp des Africains , qui le féparoient de fon armée. Les Sarafins, rentrés dans leur camp, s'appercurent de fon abfence. L'inquiétude étoit mutuelle; Ofman ignoroit 1'état de 1'armée Sarafine; Abdalla craignoit que la réferve n'eüt été taillée en pieces. II fe trouva douze foldats d'Ofman affez déterminés, pour traverfer pendant la nuit le camp ennemi, ayant Zobeïr a leur tête, Sc affez heureux pour n'être pas reconnus. Ils feren- CONSTANT II. Ann. 64S.  Constant II. Ann. 648. XXXI. Autres eombats. 5oi fflSTOI&£ dirent auprès d'Abdalla, & leur arrivée excita des cris de joie , qui porterent 1'allarme dans le camp des Africains. Ceux-ci, perfuadés que les Sarafins alloient fondre fur eux, prennent les armes avant le jour, & fe rangent en bataille pour les recevoir. Ils n'attendirent pas long-temps : dès qu'Ofman eut rejoint 1'armée, les Sarafins fortirent du camp, Sc.l'on combattit avec le même acharnement que la veille. Zobeïr, fans fe donner le temps de prendre du repos, court au plus fort de la mêlée, & cherche des yeux Abdalla; ne 1'appercevant pas, il retourne au camp, & le trouve afiis dans fa tente. Quoi donc ? lui dit-il avec une noble hardiefle, tjl-ce ld le pofte d'un Général, tandis que fes foldats font aux mains avec les infideles ? Abdalla lui répond, que fes amis tont forcé de fe tenir renfermé dans fa tente, pour éviter une mort affurée ; que Grégoire a fait publier dans fon armée qu'il donneroit fa fille avec une dot de cent mille dinars ( c'étoit environ feize cents mille livres de notre monnoie ) d quiconque , foit Chrétien, foit  au BjS'Empire. Liv. LIK. 503 Mufulman , lui apporteroit la telt du General Arabe; que la beauté de cette fille, connue des deux armées, jointe d l'appas d'une fi riche dot, tourneroit infaillibiement contre lui les armes de tous les Chrétiens, & peut-être celle des Mufulmans mêmes. Eh bien , reprit Zobeïr , veneer au champ de bataille , & faites faire la même proclamation dans votre armée contre Grégoire. II nejl point de Mufulman qui n'aime mieux mériter la même récompenfe par un exploit glorieux, que par une perfidie. Abdalla fui> vit fon avis , & Grégoire fe vit ex. pofé au péril oü il avoit jetté le Général Sarafin. Ce combat fe termina encore fans décider la viétoire. On fe battit ainfi pendant plufieurs jours: les deux armées fortoient du camp au lever du foleil; elles combattoient avec acharnement jufqu'a midi; alors également excédées de fatigues Sc de chaleur, elles fe féparoient comme de concert, a deflein de recommencer le lendemain. Ce qu'une valeur obflinée n'avoit pu faire, un ftratagême 1'acheva; & ce fut encore un confeil de Zobeïr. ] Une partie des Sarafins eut ordre de É CONSr ANT II. Ann.648. XXXIT. Défaite les Afrv; ains.  Constant H. .Ann. 648. 504 HlSTOlRB fe tenir fous les tentes, en état de charger au premier fignal; & le refte de 1'armée marcha dès le matin aux ennemis, ainfi que les jours précédents. Le combat fut foutenu de part & d'autre avec Popiniatreté ordinaire. Zobeïr, 1'ame de toutes les batailles , prolongea 1'aciion le plus longtemps qu'il lui fut poflible , pour épuifer les forces des Africains. Enfin, les Sarafins fe retirent & quittent leurs armes , comme ne fongeant plus qu'a fe repofer. Les Africains , accablés de laflitude, & brülés du foleil de midi, fe mettent en mouvement pour défiler vers leur camp. Au mêmeinftant, les Sarafins, cachésfous les tentes , fautent fur leurs chevaux, & Zobeïr a leur tête , ils viennent k toute bride fondre fur 1'ennemi. Une attaque fi brufque jette la terreur & le défordre; tout fe débande , tout fuit. Grégoire, fuivi de fes plus braves foldats, effaye en vain d'arrêter cette fougue impétueufe; il eft renverfé d'un coup de lance , & expire fur la pouffiere. On fait un grand carnage de 1'armée Chrétienne ; ceux qui échappent fe réfu- gient  bu Bas-Empire. Liv. LIX. 505 gient dans la ville de Sbaïtla, abandonnant leur camp aux ennemis. La fille de Grégoire, après avoir immolé fur fon cadavre plufieurs Mufulmans, eft prife les armes a la main. On la conduit au Général qui lui demande des nouvelles de ion pere: 11 efl plus heureux que moi, réponditelle; je l'ai vu mourir en homme de cceur, & moi je fuis captive. Une feule efpérance me cónfole : je vais fans doutt trouver ici la mort, quej'ai en vain cherchée dans la bataille. Abdalla, étonné qu'il ne fe préfentat perfonne pour recevoir la récompenfe promife a celui qui tueroit Grégoire , fait venir devant elle les principaux Officiers ; dès qu'elle appercoit Zobéïr : Ah! dit-elle en détournant fes regards, le voild celui que vous cherche^. Abdalla ayant demandé a Zobéïr la caufe de fon filence : Je nai combattu, répondit-il, que pour ma religion, & je ne veux d'autre récompenfe que l'honneur de tavoir fervie. Le Général, auffi charmé de ce noble défintéreffement que de fa valeur, 1'obligea d'accepter les cent mille dinars, & !a belle captiye, que le fier Sarafin ne recut qu'aTome XII, f Constant I Ann. 64!  Constant II. Ann. 648. XXXIII. Progrès des Sarafins, | 9 Tt ■1 ^ 5o5 HlSTOIRE vee dédain, malgré fes attraits & fa gloire. Après cette viöoire , les Sarafins allerent affiéger Sbaïtla, nommée auffi Sabtélé & Soubaïthala, felon les diverfes manieres de prononcer les mots Arabes. C'étoit Pancienne Sufetula en Byzacene, ville opulente, décorée de fomptueux édifïces, & devenue trésconfidérable depuis que Carthage avoit perdu fon ancien luftre. Elle fut prife d'affaut, & pillée, Le butin qu'on y fit en or & en argent, eft porté, par les Auteurs Arabes, a une fom-> me tout-a-fait incroyable; ils le font monter a prés de fix cents millions. On en préleva, felon la eoutume , !a cinquieme partie pour le tréfor public. Le refte fut diftribué aux folJats. Les cavaliers eurent le triple fes fantaffins, un tiers pour eux, les f eux autres pour leurs chevaux. Les Arabes ont toujours fait une eftime inguliere de ces animaux, jaifquaen lonferver la généalogie avec autant le foin que la leur propre. Le peu Phabitants échappé du carnage fe réügia dans les fortereffes des environs, jui ne tinrent pas long-temps con-  du Bas-Empire. Lh. LIX. 50? tre les attaques. La place la plus forte, nommée Sfax, ou Sfakès, n'ofa même les attendre; elle obtint avec peine & par des inftances réitérées , de fe racheter du pillage en payant trois cents livres d'or. Plufieurs places prévinrent leur mine en fe foumettant a payer tribut. Zobeïr, dont la valeur & la prudence avoient le plus contribué a ces fuccès , fut choifi pour en porter la nouvelle au Calife. Lorfqu'il fut arrivé a Médine après vingt jours de marche , Othman aflembla le peuple dans la mofquée, & fit monter Zobeïr dans la tribune pour annoncer lui-même ces glorieufes conquêtes. Son récit fut mille fois interrompu par des cris de joie, & des aclions de graces a Dieu & au Prophete. Cependant 1'armée Mufulmane, affoiblie par les combats & par les maladies, ne pouvoit fubfifter plus long-temps en Afriquerotteile étoit depuis quinze mois. Les Députés de la Province traiterent>avec Abdalla fans laparticipation de PEmpereur. On convint de la paix, a condition que les Sarafins refteroient en poffeflion de tout Y ij Constant II. Ann. 64S. XXXIV. lis fe recirent.  Constant II. Ann. 648. XXXV. Les Sarafins entrent dans .1'ifle de Cypre. Théoph. p. 385, 286. Ced. p. Hifi. mifc. & 19. Elmacin. Hayton , 'hifi. Or. e. 135OkUy.'jiffemani , Ml. Or. e. //. p. 13 03. 'ir//?. univ, h XV. 508 HÏSTOIRB ce qu'iis avoient conquis. Ils laifferent des troupes pour s'y maintenir , & retournerent en Egypte. Ce fut ainfi que fe termina cette première expédition; & pendant les feize années fuivantes , les Mufulmans ne firent fur PAfrique aucune nouvelle entreprife. Pendant qu'Abdalla faifoit la guerre en Afrique, Moavia, fils d'AbuSofian , Gouverneur de Syrië, grand Capitaine, & qui fut dans la fuite le plus célebre des Califes depuis Mahomet , achevoit de foumettre entiérement cette Province, ou quelques places peu confidérables tenoient encore pour les Romains. N'ayant plus rien a faire dans le continent de la Syrië, il paffa dans 1'ifle de Cypre avec une flotte de dix-fept cents barques, ravagea 1'ifle entiere, & prit la capitale nommée alors Conftantia: c'étoit Pancienne Salamine. Elle fut faccagée & entiérement détruite. Un peuple innombrable fut trainé en efclavage.. Moavia ne quitta 1'ifle de Cypre qu'après avoir impofé aux habitants un tribut annuel de fept mille deux cents ducats, C'étoit la moitié  du Bjs-Empire. Liv. LIX, 509 de ce que cette ifle payoit a l'Empereur. Mais cette conquête ne fut pas de longue durée. Au bout de deux ans, une flotte Romaine chargée de troupes, & commandée par Cacorize, Chambellande Conftant, chaffa les Sarafins, & feremit en poffeffion du pays. A la hauteur de 1'ifle de Cypre, a vingt ftades du continent de la Syrië & de 1'embouchure du fleuve Eleutherus , étoit 1'ifle d'Arade, célebre dans 1'antiquité , quoique peu confidérable par fon étendue. Ce n'étoit qu'un rocher de fept ftades de circuit, mais couvert d'édifices fort élevés, qui renfermoient un grand peuple. DesSidoniens fugitifs avoient autrefois Mti cette ville, qui avoit enfuite étendu fon domaine fur la cöte voifine. Gouvernée d'abord par fes Rois , elle avoit paffe fucceffivement fous la domination des Perfes, des Macédoniens, & enfin des Romains. Moavia 1'attaqua, & fit battre les murailles. Comme elles étoient a 1'épreuve des machines, il y envoya Thomaric, Evêque d'Apamée , pour perfuader aux habitants d'abandonner leur ville aux Sarafins, s'ils Constant II, Ann. Ó4S. XXXVI. Deftruction d'Arade.  Constant ri. Ann. 648. 510 Fl i s t 0 1 r e, &t. ne vouloient être tous paffes au fit de 1'épée. Les Aradiens retinrent 1'Evêque , & refiiferent de fe foumettre. Après avoir perdu un affez long temps devant cette place, Moavia , aux approches de 1'hyver, retourna a Damas , fa réfidence ordinaire. II revint 1'année fuivante, & forca enfin les habitants a fe rendre , & condition qu'iis auroient la liberté de fe retirer oü ils voudroient. On mit le feu Ua ville; on en détruifit lesmurailles, en forte que cette ifle demeura déferte. Moavia, maitre de toute la Syrië, porta fes armes au-dela du mont Amanus. Bufur , undefes Lieutenants, entra dans PAfie mineure, &£ ravagea la Cilicie & 1'Ifaurie, d'oü d emmena cinq mille captifs. Conftant , effrayé de cette incurfion , qui Duvroit aux Sarafins la route de Conftantinople , entra en négociation. Le Sénateur Procope obtint de Moavia une treve de deux ans. Grégoire, Sis de^ Théodore, demeura en qualité d'ötage a Damas, oü il mourut trois ans après : fon corps fut rapporté a Conftantinople. Fin du Tomé doufume.  EXTRA IT DES REGISTRES de l'Académie Royale des Infcripdons & Belles-Lettres. Pu Vendredi 15 Avril 1768. M. 1'Abbé de la Bleter ie & M. Caperonnier, Commiflaires nommés par 1'Académie, pour 1'examen d'un Ouvrage manufcnt de M, L e Beau, Secretaire perpétuel de ladite Académie, intitulé : Hifloire du Bas-Empire, Tomes XI & Xll, en ont fait leur rapport , & ont dit qu'après avoir examiné cet Ouvrage, ils n'y ont rien trouvé qui dut en empêcher FimprelTïon. En conféquence de ce rapport , & de leur approbation par écrit, I'Académie a cédé a M. Le Beau fon droit de privilege pour l'impreffion dudit Ouvrage. En foi de quoi nous avons figné le prélent certificar. A Paris, au Louvre, se Vendredi 15 Avril 1768. BARTHELEMY, Dirclltur. È