HISTOIRE D U BAS-EMPIRE. T O M E TREIZIEME.   HISTOIRE D u BAS-EMPIRE, EN CO MMENgANT a CONSTANTIN le Grand. Par Monfieur LE BE JU, Profeffeur Émèrite en 1'UniversitÉ de Paris, Profeffeur d'Eloquence au College Royal, Secretaire ordinaire de Monseigneur le Duc bOrléans, & ancien Secretaire perpêtuel de i Academie Royale des Inscription3 £t Helles-Lettres, TOME TREIZIEME. 4 MAESTR1CHT, Chez Jean-Edme Dufour & Phil. Roux, Imprimeurs-Libraires, aflbciés. M. DCC LXXX.   1 S O M M A I R E D V LIVRE SOIXANJIEME. I. d> a N STA NT favorlfe les Monothéliies. II. Inconftance de Pyrrkus, III. Type de Conflant. iv. Le Pape condamne le Type. v. Entreprife de Conflant contre le Pape. VI. Les Sarafins en Nubie, en Sicile, en Armenië & a. Rhodes. vil. Attentat contre le Pape. vill. Enlévement du Pape. IX. Voyage de Martin. X. Martin a Conjlantinople. XI. Horribles traitements faits a Martin. XII. Pyrrhus remonte fur le Siege de Conjlantinople. XIII. .Exil & mort dii Pape. XIV. Eugene Pape. xv. Perfécution de St. Maxime. XVI. II efl condamné. xvil. Mort de St. Maxime. XVlii, Bataille navale oii Conflant efl vaincu par les Sarafins. XIX. Mort tfOthman. XX. AU & Moavia fe difputent la dignité de Calife. XXI. MoaTome XIII. A  i SOMMAIRE DU LlVRE LXe. via Callfe. XXII. Vitalien Papt. XXIII. Expédition contre les Efclavons. XXIV. Paix avec Moavia. XXV. Conjlant fait tuer fonfrere. XXVI. Grimoald ufurpe la couronne de Lombardie. XXVII. Aventures de Pertharit. XXVIII. Gênérofité de Grimoald. XXIX. Vicioire de Grimoald fur les Frangois. XXX. Conjlant paffe en Italië. XXXI. II attaque Bénevent. XXXII. 11 leve le Jiege. XXXIII. Son voyage a. Rome. XXXIV. Progrïs des Lombards. XXXV. Suite du regne de Grimoald. XXXVI. Conquêtes des ■ Sarajins. XXXVII. Seconde expédition des Sarafins en Afrique. xxxvni. Affaire de tEglife. XXXIX. Révolte de Sapor. XL. Les Sarajins prennent & perdent Amorium. XLI. Mort de Conftant.  H I S T O I R E D u BAS-EMPIRE. LIVRE SOIXANTIEME. CONSTANT II. To u t fembloit favorifer les progrès des Sarafins. La jeunefle & 1'incapacité du Prince leur laiffoient une libre carrière. Conflant, plus attentif k foutenir le Monothélifme qu'a défendrefon Empire, écoutoitles difputes des Théologiens fur 1'unité d'opération & de volonté en Jefus-Chrift, tandis que les Mufulmans, le fabre k A i; Constant II. Ann. 648. I. Conflant favorife lesMonothélites. Nicep/v  Constant II. Ann. 648. Theoph. p. 275.183Cedr. p. Zon. t. 11. p.S7, 88. Anaft. in Théodora. Baronlus, Pagi ac Bar. Comhefi: hifl. Monoth. c.13 Ajjemani Bibl. Oi t. IV. Idem. ItalU. hifi fcript. t. U.p. 165 f, ftqq. II. Ir.conf- 4 II I S T O 1 R E la main, travailloient a détruire la foi en Jefus-Chrift même. II avoit hérité de fon pere la croyance catholique ; il la porta fur le tröne. Après la mort d'Héraclius , le Pape Jean IV avoit écrit a Conftantin , devenu Empereur avec Héracléonas, pour juftifier la mémoire du PapeHonorius, que Pyrrhus faifoit paffer pour Monothélite. II lui demandoit en même-temps la fuppreffion d'un formulaire hérétique que ce Patriarche faifoit figner. Cette lettre , retardée par quelque circonftance, ne vint k Conftantinople qu'aprés la fuite de Pyrrhus & l'éleöion de Conflant. Le nouvel Empereur répondit au Pape en termes refpectueux, qu'il avoit déja fait brüler ce ■ formulaire. Mais un Prince agé de onze ans, fut bientöt féduit par les Hérétiques dont fa Cour étoit remplie. II avoit été élu au mois d'Aoüt; dès le mois d'Oöobre fuivant, il mit fur le Siege de Conftantinople , Paul, Econome de Ste. Sophie , attaché k la même héréfie que fes deux prcdécefleurs. Cependant Pyrrhus, retiré en Afrique , y trouva les Evêques fort op-  nu Bas-Empire. Liv. LX. 5 pofés a fes erreurs. Pour appaifer les troubles qu'il excitoit > le Patrice Grégoire, alors Gouverneur de la Province, vint k bout de 1'engager k conférer en fa préfence avec 1'Abbé Maxime , le perfonnage le plus éclairé de fon necle. Né k Conftantinople d'une ancienne nobleffe , inftruit dans les fciences divines & humaines, il avoit été premier Secretaire d'Héraclius. L'amour de 1'étude & de la retraite lui avoit fait quitter la Cour, pour fe confacrer k Dieu dans le Monaftere de Chryfopolis. II en étoit Abbé, lorfque les progrès de 1'héréfie le'déterminerent k pafler en Afrique. Plufieurs Evêques & lesperfonnes les plus diftinguées de la Province furent témoins de cette conférence. Nous en avons encore les aftes. Pyrrhus y fut tellement confondu, qu'il ne couvrit fa honte qu'en renoncant au Monothélifme. II alla même k Rome préfenter au Pape Théodore une abjuration fignée de fa main. Le Pape le resut avec honneur , & le traita comme Patriarche légitime de Conftantinople. Mais Pyrrhus étant enfuite allé a Ravenne , 1'Exarque Platon , A iij Constant TI. Ann. 648. tance de Pyrrhui.  Constant II. hnn. 648. m. Type de Conflant. 6 UlSTOIRE imbu des mêmes fentiments que 1'Empereur, replongea ce Prélat dans fes anciennes erreurs , & lui fit faire un défaveu public de fon abjuration. Pyrrhus rentra dans Conftantinople, aufll hérétique qu'auparavant. En vain les Evêques d'Afrique tinrent des Conciles en chaque Province, pour condamner 1'héréfie; leurs lettres a 1'Empereur &c au Patriarche, jointes a celles du Pape, ne produifirent aucun eftet. L'Efthefe d'Héraclius n'avoit fait qu'augmenter les troubles de 1'Eglife. Conflant, a la follicitation de Paul, fe flatta d'être plus heureux en pu-> bliant un npiivel édit, qu'il nomma Type, c'eft-a-dire, formulaire. Paul en étoit 1'auteur, comme Sergius 1'avoit été de l'E&hefe. L'Empereur y défendoit toute difpute, ordonnant de s'en tenir a la doftrine de 1'Ecriture & des Peres , fans s'expliquer fur la queftion des deux volontés. II menacoit les contrevenants de dépofition , de privation de charges, de confifcation, de banniffement, & même de punition corporelle. Le zele du Prélat, fous le nom de 1'Empe-  du Bas-Empire. Liv. LX. 7 reur, ne trouvoit pas de chatiment trop rigoureux pour ceux qui ne penfoient pas comme lui. Cet édit devoit, ce femble, moins révolter les Orthodoxes que celui d'Héraclius: 1'Eöhefe , contradictoire dans les termes , en impofant également lilence aux Monothélites & aux Catholiques, prononcoit cependant en faveur de ï'unité de volonté en Jefus-Chrift; au-lieu que le Type lahToit la queftion indécife , & défendoit abfolument de s'expliquer fur 1'un ou fur 1'autre fentiment. Le Pape Théodore & les Evêques Catholiques le rejetterent néanmoins comme un édit dangereux, qui fermoit la bouche aux Orthodoxes, qui confondoit la vérité avec Terreur, & qui tenoit la foi captive & muette fur une queftion importante : La nature humaine efl-elle entiere & parfaite en Jefus-Chrift? Le Pape affembla un Concile , ou Paul Sc Pyrrhus furent dépofés &c frappés d'anathême. La forme de la condamn-ation fut terrible : le Pape fe tranfporta au tombeau de St. Pierre dans le Vatican ; & s'étant fait apporter un calice dans lequel on avoit A iv Constant II. Ann, 648.  Constant II. Ann. 64$. Ann. 649. IV. Le Pape ïondam11e le Type. Theoph. ?■ 276, 286. Cedr. p. Anajl. in Martino. Baronius. Pagi ad Bar. Combejis hifl. Monot. c. ij. 8 HjSTOIRE confacré, il prit quelques gouttes du fang de Jefus-Chrift, &i s'en fervit pour écrire la fentence prononcée contre les deux Patriarches ; ce qui étoitfans exemple, & ne fut jamais pratiqué depuis, finon dans la condamnation de Photius, au huitieme Concile général aflemblé en 869 a Contantinople. Paul fe vengea du Pape en perfécutant fes Légats & les Evêques Catholiques, dont les uns furent mis en prifon, les autres bannis; quelques-uns même effuyerent les traitements les plus rigoureux. Cette perfécution obligea un grand nombre u'Eccléliaftiques , Prêtres , Moines & Abbés, de venir a Rome implorer la proteftion du Saint Siege. Le Pape Théodore étant mort au mois de Mai 649 , Martin lui fuccéda. Le Clergé de Rome n'avoit pas attendu le confentement de PEmpereur pour inftallerle nouveau Pape; ce qui dans la füite autorifa les Grecs a le perfécuter, & leur fit regarder fa confécration comme irréguliere. Cependant comme TEmpereur n'y avoit point fait d'oppofition , il demandoit que par reconnoiffance, Martin resüt  #17 Bjs-Empihe. Liv. LX. 9 le Type , & qu'il le fit recevoir par les Evêques d'Occident. Le Pape affembla un Synode, qui s'ouvrit le 5 O&obre dans 1'Eglife de St. Jean-deLatran. II y affifta cent cinq Evêques qui condamnerent 1'hérélie des Monothélites, 1'Eöhefe d'Héraclius , & le Type de Conflant, fous la qualifïcation d'ouvrages impies. Théodore de Pharan, premier auteur de 1'héréfie , Cyrus d'Alexandrie, Sergius de Conftantinople , Pirrhus & Paul qui en étoient les promoteurs, furent frappés d'anathême. Théodore Calliopas, qui avoit fuccédé a Platon dans 1'Exarquat, ne put empêcher Maur, Archevêque deRavenne, retenu par une maladie, de prendre part au Concile par fes fuffragants & fes députés; & ce fut peut - être pour cette raifon que eet Exarque fut rappellé. Quoique le Concile eüt üfé de condefcendance a 1'égard de 1'Empereur, en fuppofant Paul feul auteur du Type , toutefois la lettre de Martin , qui inftruifoit Conflant de ce qui avoit été fait dans le Concile, & qui Texhortoit k faire ufage de fon pouvoir pour extirper 1'héréfie , mit A v Constant II. Ann. 649. Fleury , hifi. cccltf. I. 3S. art. 46, fr fuiv. Murat. alf nal. hal. t. IV. p. 99. Abrégê chron. d& Vhifi. £lt. t. 1. p. 213 . 114 & 138.  Constant II. Ann. 649. Ann. 650. V. . Entreprife de Conftant contre le Pape. 10 HlSTOIRE mit le Prince dans une grande colere.' Olympius, Exarque k la place de Calliopas, fut chargé de figner le Type en Italië, & de s'affurer de la perfonne du Pape. II ne put réuffir dans 1'une ni dans 1'autre commiflion. Le Type fut rejetté partoutes lesEglifes; & 1'attachement du Clergé & du peuple mit Je Pape a couvert de toute violence. L'année fuivante fe pafTa en follicitations en faveur du Type , en intrigues, en fourdes pratiques, pour gagner le Clergé & le peuple , & les détacher des intéréts du Pape, qui n'étoient que ceux de 1'Eglife. Tout fut inutile. Loin d'accréditer le Type par routes ces manoeuvres , on le rendit plus odieux, & k 1'exception de Paul, Evêque de Theffalonique , qui fut dépofé par fentence du Pape, dont il étoit Légat en Illyrie, il n'y eut pas un Evêque en Occident ni en Afrique , qui n'adhérat k la décifion du Concile. II n'en étoit pas de même en Oriënt, oü le crédit du Patriarche de Conftantinople entrainoit un grand nombre de Prélats , tandis que les Sarafins, ennemis des Catho-»  du Bas-Empire. Lh. LX. n liques, qu'ils regardoient comme plus attachés & plus fideles a TEmpire, favorifoient depréférence toutes les Sectes hérétiques. Ces redoutables conquérants faifoient trembler 1'Afrique Scl'Afie. Abdalla, Gouverneur d'Egypte, aflembla fes troupes dans la Thébaïde, & fit des courfes en Nubie , ou il trouva peu de réfiflance. Le Roi du pays, Chrétien de religion , ainfi que les Coptes & les Abyflïns, demanda la paix, & fe foumit k un tribut qu'il payoit en efclaves noirs , efpece en eltime chez les Arabes. Les Sarafins déja établis fur les cötes d'Afrique, firent une defcente en Sicile, la ravagerent, & s'établirent fur la cöte. Tant de pertes rendoient TEmpereur méprifable k fes propres fujets. Les liens de 1'obéiffance fe relachoient.de plus en plus, & les Gouverneurs des Provinces éloignées n'étoient guere. plus foumis que Mocaucas & Grégoire. Le Patrice Pafagnathe, qui gouvernoit 1'Arménie, prit les armes pour fe rendre indépendant; il fe iigua avec Moavia , auquel il donna fon fil s en ötage, L'Empereur irrité vouA vj Constant II. Ann, 6ji, VI. Les Sarafins en Nubie, en Sicile, en Armenië & a Rhodes. Theovh. f. aS6." Cedr. p. 431. Hifi. mifi. I. 19. Zon. 1.11. p. S5 , & ibi du Caji* se- Elmacini Curio hifi. Sarac. p, 23. Confi. Porph. de adm. imp, c. 2. Plin. hifi. I. 34. c 18. Philo Byx. de Scpttm orbis miri' 4UÜS. Eufek shren.  Constant II. Ann. 651. Orof. I. 4. c. 13. Said. ix KohO.0-- cctevi. Eitftath. in JJionys. Perieg, y. 505. Riccioli chronol.ref. Hifi. univ. t. XV. Murat. annal. d'ltal. t. IV. p. 111, 12 HlSTOIRE ïüt d'abord marcher en perfonne contre le rebelle ; il s'avanca jufqu'a Céfarée en Cappadoce; mais apprenant que Pafagnathe étoit en état de lui tenir tête, il retourna honteufement k Conftantinople. II faut cependantque cette révolte n'ait pas été foutenue; car on voit deux ans après les Romains encore maitres de TArménie, & Marien k leur tête livrer bataille aux Sarafins qui le défirent & le pourfuivirent jufqu'au mont Caucafe. Mais la plus mémorable conquête fut celle de 1'ifle de Rhodes. Moavia y tranfporta une armée fur douze cents barques; il s'empara de la ville & de 1'ifle. Rien ne caufa plus d'admiration aux Sarafins grofliers & ignorants dans les arts , que le fameux colofTe dufoleil, de foixante-dix coudées de proportion, & du poids de fept cents vingt mille livres. C'étoit un ouvrage de Charès de Linde, éleve du célebre Lyfippe. II avoit coüté douze ans de travail, & trois cents talents, qui font treize cents cinquante mille livres de notremonnoie d'aujourd'hui. C'étoit la fomme que les Rhodiens avoient retirée de la dé-  du Bas-Empire. Liv. LX. 13 pouille du camp de Démétrius , lorfqu'il avoit levé le fiege de leur ville. Cette dépenfe qui üiffiroit a peine aujourd'hui pour exécuter un des membres d'une pareille ftatue, avoit tellement effrayé 1'ouvrier, qu'il s'étoit tué de déféfpoir , pour éviter les reproches de fes concitoyens. Ce cololTe élevé fur le port de Rhodes, n'avoit fubfifté furpied que cinquante-fix ans. Abattu par un tremblement de terre, il demeuroit brifé & couché prés du port depuis prés de neuf cents ans; & dans eet état on le regardoit encore comme une des fept merveilles du monde. Chacun de fes doigts furpaiToit en groffeur une ftatue humaine. Les Mufulmans confidéroient avec étonnement les vaftes cavités qui s'ouvroient k 1'endroit des fra&ures, & les prodigieufes maffes de pierres dont on avoit rempli 1'intérieur du bronze , pour lui donner une affiette folide. Un marchand Juif de la ville d'Emefe acheta de Moavia ces énormes débris, qui firent la charge de neuf cents chameaux : ce que Muratori traite de fable, fans en apporter de raifon fuffifante, Constant II. Ann. 651-.  Constant II. Ann. 652. VII. Attentat contre le Pape. Anafl. in Martino. j ■ i 14 HrSTOIRE L'Italie n'éprouvoit pas encore les attaques des Sarafins; mais 1'opiniatreté de 1'Empereur a. faire recevoir le Type, y allumoit une guerre intefïine. L'Exarque Olympius, ne pouvant exécuter 1'ordre qu'il avoit regu d'enlever le Pape fans bruit & fans allarme, forma le deffein de lui öter la vie. Toutes les entrees du palais lui étant fermées, & le Pape ne paroiffant jamais en public fans être accompagné d'un nombreux cortege toujours prêt k le défendre, il réfolut de le faire affaffiner dans 1'Eglife de Ste. Marie Majeure, au moment que le Pape viendroit lui adminifïrer la communion; car chaque fidele la recevoit alors fans fortir de fa place. Ce projet facrilege ne fut fuivi d'au:un efFet. Le Dieu que Martin tenoit :ntre fes mains fut pour lui une garde ilTurée ; & 1'afïafïin qui étoit un des Scuyers d'Olympius, protefta depuis iyec ferment qu'il avoit été frappé d'amiglement, & que le Pape avoit difjaru k fes yeux. Olympius, convaincu ie la proteftion vifible de Dieu fur Vfartin , & faifi d'horreur de fon crine, alla fe jetter aux pieds du Pape ,  du Bas-Empire. Liv. LX. 15 lui avoua fon exécrable deiTein , lui découvrit les cruelles intentions de 1'Empereur, & lui demanda humblement pardon. La Cour de Conftantinople traita cette réconciliation de trahifon & de complot formé contre le Prince ; on en fit dans la fuite un crime a Martin. L'Exarque eut ordre de paffer cn Sicile pour en chafler les Sarafins. II y fut défait, & motirut peu après de maladie ou de chagrin. . Théodore Calliopas fut renvoyé en Italië, bien réfolu fans doute de regagner par fes rigueurs envers le Pape la confiance du Prince, que fa douceur lui avoit fait perdre. Martin étoit un Prélat d'une fainteté éminente, aufti patiënt k fupporter les injures , qu'inébranlable dans la défenfe de Ja vérité. Simple & frugal dans fa dépenfe, il n'étoit fomptueux \ qu'en aumönes; il envoyoit de grandes fommes d'argent aux Chretiens ' captifs des Sarafins / pour les délivrer \ d'efclavage , ou du moinsles foulager. : C'étoit aux yeux de tout 1'Empire un ange de paix , un digne fucceffeur 1 des Apötres. Mais dès qu'il eut en- CONSTANT It. Ann. 652, A.nn. 653 , VIII. Enlévenent du ?ape. Anafl. in Martino. Theoph. p, '75 ,276, tS6, 28S. Zon. t. 11. : 87, 88. ABa & pifloU Martini, üanajf. p, ■8. Baronius. Pagi ad Ur. TUury, ijl, uclef.  Constant II. Ann. 653. I. 59. 1,2.5. &fuiy. Murat. ann, éÜltah t. ir. P. 105,107, 109, & fiqq. Abrégé chron. de Vhift. d'lt. f- 244. 246 ,248. hal. hifi. Script, ab AJfcmani t.ll.p.zs, & fiqq.- 16 H I S T O I R E couru la difgrace du Prince en condamnant le Type, ce ne fut plus k la Cour qu'un fujet rebelle. La calomnie éleva fa voix autour du tröne; & tous les échos du palais répétoient fans ceffe que Martin avoit confpiré avec Olympius pour livrer 1'Italie aux Sarafins, & que fes prétendues aumönes étoient une folde qu'il payoit aux infideles. Sa perte fut réfolue. Calliopas, chargé d'exécuter ce qu'Olympius n'avoit ofé entreprendre, fe rendit a Rome le Samedi 15 Juin 653 , avec grand nombre de foldats; il étoit accompagné d'un Théodore Pellure, entre les mains duquel il devoit remettre Martin, pour le conduire k Conftantinople. Le Pape, malade au lit depuis huit mois, envoya au-devant de 1'Exarque les principaux de fon Clergé , pour le recevoir avec honneur. Calliopas témoigna un grand defir d'aller faluer le Pape; mais il s'en excufa fur la fatigue du voyage , & promit de fe rendre le lendemain •dans la bafilique de Latran. Son deffein étoit d'y arrêter le Pape ; mais ciaignant le concours du peuple affemblé le jour de Dimanche , ilman-  du Bas-Empir'e. Liv. LX. 17 qua de parole. Le Lundi il envoya dire au Pape, qu'il apprenoit que le palais pontifical étoit devenu une place deguerre; quony faifoit des amasdar' mes & de pierres; qu'il en ignoroit la caufe ; mais qu'il nepouvoit s'empêcher de condamntr ces mouvements, comme des préparatifs de révolte. Le Pape , pour route réponfe, invita les envoyés a. faire eux^mêmes la vilite du palais; il ne s'y trouva ni armes, ni pierres. C'étoit une rufe de 1'Exarque, qui vouloit s'aiTurer s'il ne trouveroit aucun obflacle a forcer le palais. Le Pape fe doutant alors de fes intentions , fit porter fon lit dans la Baulique, comme dans un afyle inviolable. Calliopas, très-capable de craindre, mais incapable de rien refpefter, s'y tranfporta auffi-töt avec fes tr-oupes. Elles y entrerent armées comme pour un aflaut, brifant les chandeliers & les cierges de 1'Eglife, & poulTant des cris affreux, joints au bruit des épées dont ils frappoient leurs boucliers. Après avoir ainfi efFrayé les efprits, Calliopas lut au Clergé une lettre de 1'Empereur , qui ordonnoit de procéder a l'éle&ion d'un Pape, Martin Constant IT. Ann. 65 3.  Constant II. Ann. 6j3. I3 IIlSTOIRE n'étant qu'un intrus. Le Clergé fe récrie & fe difpofe a foutenir fon Pafteur. Martin, jufqu'alors couché fur fon lit, regardant d'un oeil intrépide toutes ces violences dont il ne fe plaignoit qu'a Dieu feul, fe fouleve avee peine; & déterminé k périr plutöt que de laifler verfer une goutte de fang pour fa défenfe , il ordonne k fon Clergé de s'abftenir de toute réfiftance, & fe met lui - même entre les mains de Calliopas. Comme ie Clergé crioit anathême aux perfécuteurs de Martin , anathême aux ennemis de la foi Ca~ tholique : II ne sagit point de la foi, reprit Calliopas ; je profeffe la même foi que Iss Romains. Le Pape ayaat prié 1'Exarque de lui permettre de prendre avec lui quelques-uns de fes Clercs, 1'Exarque répondit , qu'on n'empêcheroit perfonne de 1'accompagner. Sur quoi plufieurs Evêques s'écrierent: Nous voulons tous vivre & mourir avec lui. Martin paffa la nuit dans le palais de 1'Exarque, & le lendemain mardi, il fut viüté d'un grand nombre de perfonnes , qui fe difpofant k partir avec ieur Pafteur, avoient déja fait embarquer leur équi-  du Bas-Empire. Liv. LX. 19 page. Mais au milieu de la nuk fuivante, on le mit entre les mains de Pellure; on écarta tous ceux de fa fuite, excepté iix de fes ferviteurs , avec lefquels on le jetta dans une barque fur le Tibre, fans lui laiffer emporter autre chofe que fes habits & un vafe a boire. On ferma en même-temps toutes les portes de Rome, pour empêcher de le fuivre. Pellure le cohduifit k Porto, & de-la au port de Meffine, oü 1'attendoit le vahTeau qui devoit le porter k Conftantinople. On avoit ordre de prolonger le voyage, & de le rendre le plus incommode & le plus fatiguant qu'il feroit poffible, pour. laffer la conftance du Pape. On paffa prés de trois mois fur les cötes de Calabre & dans diverfes ifles. Pendant tout ce tempsIk , le vaiffeau fervit de prifon k Martin ; jamais on ne lui permit d'aller k terre. Tourmenté depuis prés d'un an d'une cruelle dyffenterie , qui 1'avoit réduit a une extreme foibleffe & a un dégout mortel de toute nourriture, il n'avoit pour foutenir fa vie languiffante que les aliments grofliers des matelots. Les Prêtres & les fide- CONSTANT II. Ann. 653. IX. Voyage de Martin.  Constant II. Ann. 653. Ann. 654. X. Martin a Conftantinople. KJ HlSTOIRE les des lieux oü 1'on abordoit, s'erapreffoient en vain de lui apporter des foulagements; on les maltraitoit, on faififïbit ce qu'ils apportoient; c'étoit la proie des foldats, qui leur difoient, comme les Juifs a Pilate : Si vous aime^ eet homme , vous êtes ennemis de VEmpereur. Enfin , on s'arrêta dans 1'ifle de Naxe, oü Martin eut la permiffion de fortir du vaifleau : mais ce fut pour être retenu prifonnier une année entiere dans une maifon de la ville. Enfin, le 17 Septembre 654 , Martin arriva dans le port de Conftantinople. Tous ceux qui étoient attachés a la Cour fe faifoient un mérite de 1'outrager. On le laifla un jour entier furlerivage, couché fur un grabat, & expofé aux infultes du peuple , a qui on faifoit croire que c'étoit un ennemi de TEtat. Sur le foir on Tenferma dans la prifon, oü il demeura trois mois , fans avoir la liberté de parler a perfonne. Le 19 Décembre, on le porta dans la maifon de Bucoléon Sacellaire, c'eft-a-dire, Tréforier deTEmpereur. C'étoit un Magiftrat injufte & vendu a la Cour. Tout le  du Bas-Empire. Liv. LX. 21 Sénat étoit alTemblé. On fit comparoïtre les témoins. Les crimes dont ils chargeoient le Pape , fe réduifoient k deux chefs, le prétendu complot avec Olympius, & 1'intelligênce avec les Sarafins. De vingt témoins qui fe préfenterent, deux feuls furent entendus, & fi pleinement corifondus par le Pape , que les Juges réfolus de le condamner , s'épargnerent la honte de faire parler les autres. Pendant eet interrogatoire, Martin , que fes cruelles douleurs mettoient depuis long-temps hors d'état de fe foutenir, fut obligé par le Sacellaire encore plus cruel, de fe tenir fur fes pieds, appuyé fur deux de fes gardes. > L'Empereur, inftruit par le Sacellaire de la fermeté de Martin devant eet inique tribunal, n'en fut que plus irrité : il voulut être lui-même fpectateur des horribles traitements qu'il lui préparoit. On tranfporta le Pape dans une cour du palais , au-deffous d'une des fenêtres de 1'Empereur, qui voyoit au travers d'une jaloufie tout ce qui s'y paffoit. Le Pape , environné de gardes, fut élevé fur CONSrANT II. kan, 6 5 4. XI. Horribles traitementsfaits a Martin.  Constant II. Ann. 654. 22 HlSTOIRE une terraiTe , oü il parut debout," foutenu k droite & k gauche par des bourreaux, k la vue du Sénat & d'une foule de peuple. C'étoit un fpeétecle déplorable pour tout autre que 1'Empereur & fes courtifans, que de voir le premier Pafteur de 1'Eglife, refpeöable par fa vieillelTe, & plus encore par la fainteté de fes moeurs, a qui une langueur mortelle laifToit a peine un fouffle de vie, expofé comme fur un théatre aux outrages du Sacellaire. Ce Miniftre impitoyable le fit dépouiller du pallium & de tous fes habits, ne lui laiffant fur le corps qu'une tunique déchirée de haut en bas; il le mit enfuite entre les mains du Préfet, én lui difant: Faites-le touta-Pheure hacher en pieces, & criant aux afïiftants : Charge^ d'anathêmes eet impie, eet ennemi de CEmpire. Mais dans ce peuple innombrable, il ne fut obéi que d'une vingtaine de fcélérats, fes valets ou fes créatures; tous les autres, la tête baiffée & les yeux baignés delarmes, ne maudiffoient que le juge. Après avoir donné k 1'Empereur le temps de repaitre fes yeux d'une fi affreufe fcene, on voulut la donner a  du Bjs-Empire. Liv. LX. 23 toute la ville. On traina par les rues & les carrefours le faint Pontife, un carcan au cou, enchainé avec le géolier pour faire voir qu'il étoit condanv né k mort. Le bourreau portoit devant lui 1'épée dont il devoit être égorgé. A 1'exception de ces miférables dont je viens de parler tout le peuple fondoit en larmes; Martin feul montroit un vifage ferein ; courbé fous le poids de fes fers, pénétré des vifs aiguillons de fes maux, il fembloit triompher de fes calomniateurs. Chancelant, tombant a chaque pas, & marquant fon paflage par les traces de fon fang, il fut traïné k la prifon , oü n'ayant pour lit qu'un banc & pour matelas que fes chaïnes, il feroit mort de froid, 1'hy ver étant alors infupportable , s'il n'avoit trouvé quelque compaffion dans les géoliers mêmes, & dans le Préfet qui lui fit öter fes fers. Tant de barbarie excita la pitié du plus mortel ennemi de Martin. Le Patriarche Paul, 1'auteur du Type, \ ce Prélat opiniatre, que le Pape, k la g tête du Concile, avoit frappé d'anathê- c, me en épargnant 1'Empereur, fe trou- 11 Constant II. Ann. 654. XII. Pyrrhus :monte ir le fies de onftannople.  Constant II. Ann. 654. 24 HlSTOIRE voit alors réduit a eet état de clarté funefle, oü le voile des paflions fe déchire, pour ne laiffer voir que les égarements & les injuftices d'une vie criminelle. II étoit malade & prêt de mourir. L'Empereur lui rendit vifite le lendemain de cette horrible tragédie. II lui raconta la vengeance qu'il avoit tiréedu Pape, &il en attendoit des éloges. Mais Paul fe tournant vers la muraille : Hilas, dit-il, c'ejl encore de quoi aggraver ma condamnation ! Le Prince, étonné, lui demandant pourquoi il tenoit ce langage : Eh quoi ? reprit-il, riejt-ce pas un crime de traiter fi indignement un Evêque ? Si vous ave^ quelque foin de votre ame & de la mienne, contente^-vous de ce quil a fouffert. Le coeur de Conflant étoit endurci; il écouta ces paroles comme le délire d'un agonifant. Paul mourut, & Pyrrhus rentré en faveur par fon apoftalie, prétendoit fe remettre en poffeffion d'une dignité dont il ne s'étoit iamais dépouilié. Mais les zélateurs de 1'héréfie s'y oppofoient. II s'en étoit, difoient-ils, rendu indigne par fa rétra&ation, & le Patriarche Paul 'avoit anathématifé. Pyrrhus répon- doit  nu Bjs-Empire. Llv. LX. 15 doit qu'il ne s'étoit rétrafté que par contrainte; que le Pape Théodore lui avoit fait violence; qu'il ne s'étoit jamais écarté de fes premiers fentiments, comme il 1'avoit bien montré dès qu'il s'étoit trouvé en liberté a Ravenne. L'Empereur, pour éclaircir ce fait, fit encore interroger le Pape , qui détruifit , par fon témoignage, les menfonges de Pyrrhus. Malgré ce démenti authentique , Pyrrhus vint a. bout de ce qu'il defiroit. Mais cinq mois n'étoient pas encore écoulés, que la mort lui ravit ce malheureux fruit de fon apoftalie. L'Empereur lui donna pour fucceffeur , Pierre, qui le fut auffi de fes erreurs. Au bout de trois mois, le Pape fut ' tranfporté par mer a Cherfone ; c'étoit Texil des grands criminels. Cette ville , nommée autrefois Héraclée, étoit un port de la Cherfonefe Taurique, pays barbare & ftérile , ne produifant ni bied , ni vin, ni huile, habité par des peuplesféroces & payens pour la plupart. Le faint Pape y fouffrit avec patience , la privation des chofes les plus néceffaires k la vie, foupirant fans ceffe après le moment Terne XIII. B CONSrANT II. A.nn. 654. \.nn. 65 j. XIII, Exil & nort du ,'ape.  CONS- 1 TANT II. Ann. 65 J. i ; l XIV. Eugene, ï'ape. Anafi in Eugcnio. Baronius. Pap' ad Bar. Fleury , hifi. cccUJ. I. 39. art. 1. Murat. ann. hal. t. IV. p 112, 113 :6 HlSTOIAB jui le délivreroit de 1'injuftice des ïommes. Mais rien ne lui fut plus enfible que 1'oubü de 1'Eglife de Ro11e , qu'il avoit honorée par fes ver:us & par fa conftance héroïque. Penlant quatre mois qu'il vécut k Cherbne, il n'en regut aucun fecours, lui qui avoit foulagé tant d'infortunés , (oit k caufe de la longueur & de la difüculté du voyage, foit paree qu'il eft bien plus facile d'honorer les Martyrs après leur mort, que de les aider de leur vivant. II mourut le 16 Septembre 655 , & fa mémoire n'eft pas moins en vénération dans 1'Eglife Grecque , que dans 1'Eglife Latine. Quoique 1'Exarque Calliopas, par ordre de 1'Empereur, preflat le Clergé de Rome d'élire un nouveau Pape, 1'Eglife Romaine réfifta, pendant prés de quinze mois, k fes inflances réitérées. Elle fut alors gouvernée par 1'Archidiacre, 1'Archiprêtre &c le Primicier des Notaires , felon 1'ufage dans la vacance du Siege. Enfin, on en vint k craindre que 1'Empereur, irrité d'un fi long refus, n'envoyat de Conftantinople quelque Prélat mo-  du Bas-Empire. Liv. 'LX. 27 nothélite, qui s'empareroit, k main armee, de la Chaire de St. Pierre; & Pon élüt le 8 Septembre 654, Eugène , Prêtre de 1'Eglife de.Rome. Cette éledïion n'étoit pas fans doute conforme aux Canons : Martin vivoit encore; & loin d'être déchu du Pontifkat, il méritoit plus que jamais 1'amour & la vénération des fldeles. Mais le danger auquel 1'Eglife étoit expofée , fit paffer par-deffus les regies , inviolables en toute autre occafion. Martin lui - même approuva cette conduite; & dans la derniere lettre qu'il écrivit de Cherfone, pen de jours avant fa mort, on lit ces paroles : Je prie Dieu par Üintercejjion de St. Pierre, de conferver les Romains inébranlables dans la foi orthodoxe, & principalement le Pajleur qui les gouverne maintenant. Aufli après la mort de Martin, ne fut-i'1 pas befoin d'une nouvelle éleétion , pour valider la première, qui fut regardée comme légitime. Dans une conjonéhire ft critique , on n'ofa fe pafler de la confirmation de 1'Empereur, qui n'ofa non plus la refufer : il efpéroit que 1'exemple de Martin intimideroit le Bij Constant U. Ann. 655. Ahrègi chr. de. l'hift. Sltal. t. 1. p. 211, 248.  Constant II. Ann. 655.. 28 11 I S T 0 I R £ fuccefTeur. Mais il fe trompa dans fon attente; & quoique les apocrifiaires du faint Siege a Conftantinople , fe fuffent laiffé éblouir dans la fuite par les fubtilités des hérétiques , Eugene ne recut jamais le type. Pierre , qui fuccédoit a Pyrrhus , Prélat plus politique & plus réfervé que fes prédéceffeurs, voulut d'abord fe réconcilier avec 1'Eglife Romaine , mais fans renoncer k Terreur que le Prince s'étoit engagé de foutenir. II envoya k Eugene une lettre fynodique, qui contenoit une profefïion de foi, pleine d'obfcurité & d'équivoques. Son artifice n'eut aucun fuccès. Le Clergé & le peuple de Rome, après en avoir entendu la lefture, felon la coutume, dans 1'Eglife de Sainte-Marie majeure, n'eurent pas befoin d'avertiffement pour s'appercevoir que le Patriarche ne s'expliquoit pas clairement fur la foi des deux volontés en Jefus-Chrift. Tous fe récrierent, & fans attendre même le fentiment du Pape, ils oferent lui déclarer qu'ils ne lui permettroient pas de célébrer la meffe dans cette Eglife, qu'il n'eüt auparavant promis folemnellement de ne jamais admetire cette profeffion de foi.  nu Bas-Empire. Liv. LX. 29 Pierre ne tarda pas k fe démafquer. La perfécution fufcitée a 1'Abbé Maxime , k laquelle il eut beaucoup de part, fit connoïtre qu'il n'étoit pas tin ennemi moins dangereux pour 1'Eglife, que Paul & Pyrrhus. Maxime étoit encore plus odieux a 1'Empereur que le Pape Martin. Ce Prince le regardoit comme le héros du parti catholique , & il ne fe trompoit pas. Maxime étoit le plus favant Théologien de 1'Eglife : fon éloquence aufli exa£le & aufli judicieufe que forte & véhémente, portoit la conviöion dans les coeurs ; c'étoit lui qui avoit réduit Pyrrhus k rougir de fes erreurs; il étoit 1'ame des Conciles d'Afrique, & le Pape même avoit été éclairé par fes lumieres, & fortifié par fes confeils. L'Empereur le fit enlever & amener k Conftantinople avec fes deux difciples , qui portoient 1'un & 1'autre le nom d'Anaftafe. Son crime étoit Ie même que celui de Martin; on voulut aufli fuivre la même voie pour le perdre. On 1'accufa de crime d'Etat; on lui imputoit la perte de 1'Egypte , de la Pentapole Sc de la Tripolitaine. Mais ces calomnies avoient fi peu de B iij Constant II. Ann. 655. XV. Perfécution de Sr. Maxime. ABa Sti. Maxcmi. Theoph. p. 288. Cedr. p. 453- Manujf. p. 78. Baronius. Pagi ad Bar. Flenry , hift. Ecclef. I. 39. arl. 12 & fuiy, art. 31, 33. Murat. ann. hal. t. IV. p. 111.  Constant ii. Arm.655. XVI. 15 eft con- tiamné. 30 HlSTOIRE vraifemblance , qu'on les abandonna bientöt dans le cours de la procédure. II fubit d'abord deux interrogatoires en préfence du Sénat. Ce même Sacellaire que nous avons vu fi animé contre Martin, préfidoit a ce jugement. On peut voir dans les acres de St. Maxime , quel avantage lui donnoit fur fes adverfaires la force de la vérité , foutenue d'un efprit ferme , d'un profond favoir , & d'une admirable précifion. Les hérétiques eonfondus , terminerent la difpute , comme la terrainent toujours ceux qui ont peu de raifons & beaucoup de faveur, par un ordre du Prince, qui exiloit en Thrace 1'Abbé & fes deux Difciples, Maxime a Bizye, 1'un des deux Anaftafe , a Selymbrie, &C 1'autre a Perbere, la derniere ville de la Province. Peu de temps après , deux Commiflaires de 1'Empereur fe tranfporterent a Bizye avec Théodofe, Evêque de Céfarée en Bithynie, qui fe flattoit de le vaincre par la force de fa dialeöique. Mais vaincu lui-même, il avoua fa défaite, & les deux CommhTaires joints avec lui, déclarerent  du Bas-Empire. Liv. LX. 31 qu'ils fe rendoient aux raifons de Maxime. Leur converfion ne duraque jufqu'a ce qu'ils euffent repris 1'air de la Cour. On transféra Maxime k Rege, prés de Conftantinople. Deux Patrices fe rendirent en ce lieu, & lui offrirent de la part de 1'Empereur , les faveurs les plus fignalées, s'il vouloit communiquer avec le Patriarche. L'Evêque Théodofe qui étoit avec eux, Sc qui tenoit Ie même langage , efïuya de la part de Maxime, de vifs reproches fur fon inconflance; Sc comme le faint Abbé perfiftoit invinciblement dans fon rerus , les Patrices s'abandonnant k une colere aufïï indecente que brutale, Ie maltraiterent avec violence , 1'accablerent d'outrages; Sc peut-être 1'euffent-ils mis en pieces, fi Théodofe n'eüt arrêté leur fureur. Ils fortirent en menacant de toute la colere de 1'Empereur, Sc Maxime, Sc le Pape , & toute 1'Eglife, dés que les Sarafins lui donneroient le temps de fe venger du mépris qu'on faifoit de fes Edits. Le lendemain , Maxime fut conduit a Selymbrie. II y avoit un corps de troupes campé aux environs: & comB iv Constant I Ann, 6;  Constant II, Ann, 655. xvii. Mort de »t. Maxine. 32 BlSTOIRE me les foldats venoient en foule le voir & 1'entendre, & qu'ils commencoient k murmurer del'injuftice de fes perfécuteurs, on le transféra promptement k Perbere. On le ramena quelque temps après k Conftantinople avec fes deux Difciples, pour leur faire leur proces. Ils furent d'abord anathématiiés dans un Concile, &c avec eux la mémoire du Pape Marr tin , celle de Sophrone, mort Evêque de Jérufalem, &c tous leurs adherents, c'eft-a-dire , tous les catholiques. La fentence du Sénat fuivit celle du Concile , & fut aufïï - tot exécutée. Ils furent battus de nerfs de bceuf; on leur coupa la langue jufqu'a la racine, comme ayant proféré une doftrine blafphématoire , & ia main droite, pour 1'avoir écrite. En eet état on les promena par toute la ville, & on les exiia dans le pays des Lazes. Le refte de leur vie fut un long martyre. Privés de tout, féparés 1'un de i'autre, enfermés dans des chateaux liTreux au pied du MontCaucafe , en^re des rochers & des précipices, fans uitre confolation que 1'efpérarice de  du Bas-Empihb. Liv. LX. 33 la mort qu'ils attendoient avec patience , St. Maxime 8c 1'un de fes deux Difciples, regurent la récompenfe de leurs foufFrances en 662; 1'autreleur furvéquit de quatre ans. II refte de St. Maxime, un affez grand nombre d'écrits , qui prouvent fa profonde connoiffance des matieres théologiques, 8c la pureté de fa foi 8c de fa morale. II fut armé de fcience 8c de force pour être le fléau des Monothélites. C'eft ainfi qu'un Prince fans vertu 8c fans courage ,• n'ofant combattre les Sarafins qui lui enlevoient fes Provinces, s'occupoit k faire la guerre k des Prélats 8c k des Moines , qu'il pouvoit bien faire mourir, mais qu'il ne pouvoit pas vaincre. La treve faite avec Moavia, Gouverneur de Syrië pour les Sarafins , étoit expirée ; 8c ce guerrier auffi redoutable par fa capacité que par fon courage, fongeoit a de nouvelles conquêtes. II portoit fes vues jufque fur la capitale de PEmpire ; 8c ce fut dans le deflein de 1'attaquer, qu'il équipa vine flotte nombreufe dans le port de Tripoli de Syrië. Elle n'attendoit qu'un vent favOrable, lorfque B v Constant II. Ann. 651, XVIII. Batailie navale , oü Conf. tant eft vaincu par les Saralïns. Thcoph. pt 286 , 187. Cedr. p. 431. • Zon. t. II, P- 87-  Constant II. Ann. 6 ï 5 - Glycas , F"g- 277. Bijl. Mifc. I 19. Strab. I. 14-^.666. 34 HlSTOIRB deux freres, habitants de Tripoli 6c Chrétiens, entreprirent de fauver PEmpire du péril dont il étoit menacé. Pleins d'audace & déterminés k tout faire & k tout foufFrir , ils courent aux prifons rempliesde Romains^ brifent les portes ,. délivrent les prifonniers, vont k leur tête attaquer 1'Emir, Gouverneur de la ville, le maflacrent avec toute fa maifon > mettent le feu au palais , & enfuite k la flotte; & s'étant faifis d'un navire, ils gagnent les cötes de 1'Afie mineure , dont les Romains étoient encore les maitres, L'incendie d'ua grand nombre de vaiffeaux ne fit pas abandonner Pentreprife. Dès que Moavia eut rétabli fa flotte, il en donna le commandement k fon Lieutenant Abulabar, dont il eonnoiffoit la valeur ; & pour partager les forces des Romains, il marcha lui - même a la tête d'une autre armée vers Céfarée de Cappadoce. A la première nouvelle de 1'armement des Sarafins, 1'Empereur avoit, de fon cöté, équipé une armée navale; & par un effort de courage qui ne lui étoit pas .ordinaire , il s'étoit lui - même embarqué  du Bas-Empirs. Liv. LX, 35 pour animer fes foldats par fa préfence. II laiffa dans Conftantinople fon fils Conftantin , qxi'il avoit 1'année précédente affocié k 1'Empire. Les deux flottes fe rencontrerent prés du Mont Phénix , nommé aufïi le Mont Olympe , fur les cötes de Ly~ cie. Les Romains furent les premiers k choquer 1'enneini; ils furent recns avec vigueur, & la rner flit bientöt rougie de leur fang , &c couverte des débris de leurs vaiffeaux. Les Sarafins s'attachant avec acbarnement au vaiffeau de 1'Empereur,-Conflant changea d'habit avec un foldat; mais malgré ce déguifement, il n'auroit pu éviter de tomber entre les mains des> ennemis, fi un de ces deux Tripolitainsqui avoient mis le feu a la flotte Sarafïne, ne 1'eüt pris k braffe-corpspour le tranfporter fur un autre navire. Le Tripolitain revint enfuite au vaiffeau royal, oü il combattit jufqu'a la mort. Celui qiü portoit le manteau impérial, fut maffacré avec tout Péquipage ; & les Sarafins crurent avoir tué 1'Empereur , qui fe fauva k Conftantinople. L'entreprife que Moavia avoit formée fur Céfor COHSTANT II, Arm» 6$f;»  Constant II. Ann. 655. Ann. 656. XIX. Mort c'i'OthjTïan. Elmacin , l. I. Abulfarag'- - Theoph. p. 187,288, 289. mji, Mifi. 1.19. Conft. Porph. de adm. imp. C. 20 , 21. Chr. oriënt, f. 65 , 66. Lenncl.hifi, Mufilm. JBergeron. jR'Hcrbelot hibl. oriënt. Curio, hifi, 36 HlSTOIRE rée s fut interrompue par les troubles qui furyinrent a Médine. Ce fut fans doute ce même contre- temps qui empêcha les Sarafins de pourfuivre leur viöoire, & de profiter de la terreur que la fuite de 1'Empereur & la deftruftion de fa flotte avoient portee dans la ville Impériale. Othman régnoit depuis douze ans fur les Sarafins. Sa prédileöion pour fes parents, qu'il combloit d'honneurs & de richeffes, fa fierté qui lui donnoit la hardieffe de s'affeoir dans la Mofquée fur le fiege même de Mahomet, refpefté par Abubecre & par Omar qui s'étoient toujours aflis audeffous, la diffipation du tréfor qu'il prodiguoita fes créatures, fa cruauté a 1'égard de ceux qui murmuroient contre fon gouvernement, toutes ces raifons révolterent les efprits. Les principaux Sarafins, fuivis d'un grand nombre d'habitants, fortent de Médine, & vont camper a une lieue de I3 ville. Allarmé de cette rébellion, il promet de fe corriger. Cette foumiffion ne fait que joindre le mépris k 1'aigreur. II étoit venu k Médine des députcs de 1'Egypte , pour fe plaindre  du Bas-Empire. Liv. LX. 37 des vexations d'Abdalla, frere du Calife , & pour demander a fa place Mahomet, flls d'Abubecre, Othman, pour ne pas accroitre le nombre des mécontents, leur avoit accordé leur demande; &ils s'en retournoient avec Mahomet , lorfqu'ils rencontrerent prés d'Aïlath, a la pointe du golfe Arabique , un courrier d'Othman , chargé d'une lettre pour Abdalla. Ils 1'ouvrirent, & y trouverent un ordre de couper les pieds & les mains a Mahomet & a ceux de fa fuite, dés qu'ils feroieht arrivés, & de les pendre a des palmiers. On prétend que cette lettre étoit toute entiere de Meruan, Secretaire du Calife qui Pavoit lïgnée fans la lire. Meruan rendoit fon maïtre odieux en lui faifant figner des ordres contraires aux loix, Sc qui révoltoient les Provinces. Mais comme les Miniftres pechent fur le compte de leur maitre, Mahomet & les Egyptiens , outrés de colere, retournent a Médine; ils fe joignent a la troupe des révoltés. On affiege Othman dans fon palais, oü il fe défend pendant un mois. Enfin, Mahomet, fuivi de deus autres Mufulmans, efralade la hui- constant 11. Ann. 656. Sarac. p. 23» 24- Pagi ad Bar. Strukujïus. Jault pref. de la trad. d'Okley. Murat. Ann. hal. t. IV. p. H4. M. de Guignt, , hifi. des Huns , t. I. p. 322 , 324, 3*5- Ajfemani Bibl. or. t. II. Idem bibl. jur. or. t. IV. c. 25. Hifi. uniy. t. XV.  Constant II. Ann. 656, XX. Ali 5c Moaviafe difputenr la dignité de Calife. ( ] ] < ] l 1 < 1 t i 3 8 H I S T O I JL 2 raille, & lui plonge 1'épée dans le fein, tandis que ce Calife, toujours dévot malgré fes injiiftiees, méditoitr 1'Alcoran, qu'il tenoit fur fes genouxr fans en être détourné par le bruit des armes, ni par la crainte du péril. Jl étoit agé de quatre-vingt-deux ans. La mort d'Othman fut fuivie de grands troubles, qui ne furent calmés qu'au bout de einq: ans. Les Sarafins fe partagerent. Les révoltés nommerent Calife Ali, gendre de Mahomet; mais cette éleflion déplut a un grand üombre de Mufulmans, & fnr-tout a Aïfcha , veuve du Prophete. Elle fe nit k la tête du parti, & livra prés de Bafra une fanglante bataille, dans lamelle cette héroïne, montée fur un xiiffant ehameau, animoit les comjattants, & donnoit elle-même les>rdres. Cette journée efi jiommée >ar les Arabes, la journée du ehameau. Ufcha fut prife malgré fon courage, k Ali demeura vainqueur. II en coüta a vie k dix-fept mille Arabes. Aïf:ha prifonniere, fut traitée avec ref>eö, & elle acheva fa vie k Médine, oujours révérée des Mufulmans. Le ticcès d'Ali ne fut pas de longue du-*  du Bas-Empi&e. Liv. LX. 39 rée. Moavia, Gouverneur de Syrië, fe joignit aux mécontents; & fous prétexte de venger la mort d'Othman fon parent, il vint avec fix-vingt mille -hommes difputer la place de Calife. Ali marcha contre lui a la tête de quatre-vingt mille combattants. Ils fe rencontrerent dans les plaines de Siffin, en-deca de 1'Euphrate , fur la frontiere de Syrië. Ils demeurerent long-temps en préfence. On combattit fans cefle pendant plus de trois mois. II y eut quatre-vingtdix combats, dont aucun ne décida la viftoire. II y périt vingt - cinq mille hommes de Parmée d'Ali, & quarante-cinq mille de celle de Moavia. Le dernier combat fe livra pendant la nuit; toutes les lances furent rompues; c'étoit un carnage affreux , & un»afFreux filence. Chaque foldat s'attaehoit a un ennemi avec unacharnement horrible ; on tuoit, on périflbit fans proférer une parole,fans jetter un cri. Enfin, au lever de Paurore , Moavia fit attacher au haut de quatre piqués autant d'Alcoransen criant : Que ce livre juge entre vous é* nous. A la yue de cette -enfeigne Constant II. Ann. 65 6.'  Constant II. Ann. 656, XXI. Moavia, Calife. 40 HlSTOIRE révérée , Ali fit cefTer le combat. On convint de prendre deux arbitres pour décider la querelle felon le précepte de PAlcoran. Amrou, nommé du cöté de Moavia, lui donna Pavantage par une rufe. Ali, malgré fa promelTe, rejetta la décifion. II défia Moavia; celui-ci refufa le défi avec une franchife qui fait honneur au bon fens du Sarafin, fans déshonorer fa bravoure. Le bras a*Aii, répondit-il, ejl plus fort que le mien ; jamais il ne sejl battu fans tuer fon ennemi; mais èef la tête qui fait le Capitaine , & je le fuis. D'ailleurs, notre querelle ejl terminée par un jugement irrévocable. La guerre continua toujours a l'avantage de Moavia, qui fe rendit maïtre de la Mecque & de Médine. Enfin, trois Mufulmans, pour arrêter l'effufion du fang, comploterent en fecret de tuer les trois chefs de cette guerre , Ali, Moavia & Amrou qui s'étoient rendu maïtre de 1'Egypte pour Moavia. Amrou fut fauvé par une méprife; Moavia en fut quitte pour une bleffure qui le rendit impuiffant; mais Ali fut affaffiné dans la Mofquée de Cufa. Ha«.  du Bas-Empire. Liv. LX- 4* fan, fon nis aïné, fut recOnnu pour Calife dans 1'Arabie & dans 1'Yrac. Ce Prince, d'un caraÖere doux & fans ambition, confentit a céder k Moavia la puiffance fouveraine , «ïoyennant un dédommagement confidérable en argent & en terres, &C le traité fut figné. Ils entrerent tous deux dans Cufa , &i Hafan ayant fait affembler le peuple, déclara qu'il renongoit, en faveur de Moavia, a tous les droits qu'il avoit k la dignitc de Calife. Moavia 1'ayant fait affeoir, fe leva k fon tour, & fans chercher de détours pour voiler fa mauvaife foi: Je fuis convenu avec Hafan, dit-il, de certaines conditions pour rétablir la paix ; maintenant qu'il nejl plus befoin de ces conditions, je les revoqut en vertu du pouvoir dont je fuis revétu, On abat l'échafaud, quand fédifice eji bad. Hafan confus , mais hors d etal de fe faire rendre juftice, alla vivre a Médine, oü il mourut de poifor huit ans après. Son frere Houflair demeura en repos tant que vécm Moavia; mais après la mort de ce Calife, ayant refufé de reconnoïtre fon fils Yézid, il fut tué dans la plaine Constant II. Ann. 6 5 6»  Constant II. Aan. 656. 4*. HlSTOlRE de Kerbéla prés de Cufa. Moavia y paifible poffeffeur de Pautorifé fouveraine, établit le fiege de fon Empire k Damas, & fut le chef de la Dynaftie des Ommiades, ainfi nommée d'Ommia fon trifaïeul. Elle fubfifia quatre-vingt-douze ans, jufqu'a celle des Abbaffides. Ce Calife , fi peu fcrupuleux fur 1'article de la bonne foi, étoit cependant dévot Mahométan ; Sc dés les premiers temps de fon regne, il rendit un grand fervice a fa religion. Le recueil des traditions Mahométanes Sc des expücations -de 1'Alcoran, nommé la Sonna, croiffoit tous les jours, Sc les difputes fe multiplioient en proportion de tant d'interprétations diverfes. Moavia tint a Damas un Synode de tous les Alfaquis ou Dofteurs de la Loi. De deux cents qu'ils étoient, il en choifit fix pour réduire a de juftes bornes eet amas de rêveries. Ces Commiffaires n'en tirerent que fix livres, & le refte fut jetté dans le fleuve. On dit qu'il y avoit déja en glofes Sc commentaires la charge de deux cents chameaux. II en refta encore alTez pour faire éclorefoixante-douze fe&es, dont les  du Bas-Empire. Liv. LX. 43 deux principales, encore fubfiftantes de nos jours, font celle d'Omar fuivie par les Turcs, & celle d'Ali embraffée par les Perfans, les Tartares & les IndiensXes divifions des Sarafins donnerent quelque repos aux Chrétiens; & peut-être fe prévalurent-ils de la conjonfture pour chaffer les Sarafins de la Sicile, d'oü il paroit qu'ils fortirent en ce temps-la. L'Empereur , honteux lui-même des indignes traitements qu'il avoit fait fouffrir au Pape Martin, cherchoit a en efFacer 1'horreur. Vitalien ayant fuccédé k Eugene, qui mourut le premier Juin 657, envoya, felon l'ufage, des Légats k Conftantinople avec une lettre fynodale, pour faire part de fon éiévation k 1'Empereur & au Patriarche. Conflant regut honorablement les Légats, confirma les privileges de 1'Eglife Romaine, & envoya au Pape un livre d'évangiles, couvert de lames d'or , & enrichi de pierreries. Le Patriarche répondit par une lettre remplie de proteftations de refpeft, mais en même-temps pleine du venin de 1'héréfie. Conflant, élevé a 1'Empiredèsla- CONSTANT Ui kan. 6561 Ann. 657. XXII. Vitalien , Pape. Anafi in Vitaliano. Fleury , Hifi. EccL l. 39, art. 2J.  Constant II. Ann. 658. XXIII. Expédition contre les Efclivons.Théoph. p. 28S. Cedr. p, 4Ï3. m. Mifi. 1.19. Murat. ann. Jtal. IV. p. 115. Ann. 659. XXIV. Paix avec Moavia.' Theoph. p. 2S8. Cedr. p. 435- ; m. mifi. ; l. 19. Zon. t. ll. ■ p. 88. 1 Pagi ad ■ Bar„ i 44 Histoikr ge de onze ans, avoit déja atteintfa vingt-feptieme année. Depuis la défake de fa flotte , il n'employok fon aftivité qua faire triompher le Monothélifme & k perfécuter les Catholiques. II parok qu'il voulut cette année tourner contre les ennemis de 1'Empire, la guerre qu'il faifoit k fes fujets^les plus fideles. II fe mit k la tête d'une armée , & étant entré dans le pays des Efclavons, il fit voir que cesbarbares n'étoient redoutables que par la foiblefle des Empereurs. Ses arrnes ne trouverent point de réfiftance. II fubjugua toute la contrée , Sc revint k Conftantinople avec un grand nombre de prifonniers. Conftantin , fils ainé de 1'Empereur , étoit depuis cinq ans affbcié k 'Empire. Ses frerespuïnés, Héraclius 5c Tibere, recurent en 659 le titre le Céfars. Le fuccès de 1'expédkion le Conflant contre les Efclavons, ivoit relevé fon courage, il fe dif>ofok a équiper une nouvelle flotte )our eftacer la honte qu'il avoit re;ue par la défaite de la première. Moavia , qui avoit alors befoin de routes es forces pour foutenir contre Ali  nu Bas-Empirz. Lh. LX. 45 une guerre meurtriere, en concutde 1'inquiétude. II fit faire a 1'Empereur des propofitions de paix. Quelques Auteurs difent qu'elle fut acceptée , a condition que les Sarafins fourniroient chaque jour a 1'Empire un efclave, ün cheval, & mille pieces d'argent. La valeur de ces pieces n'eft pas exprimée ; mais ce ne peut être que des drachmes ou des deniers romains, dont mille faifoient la fomme de fept cents cinquante livres. D'autres Hiftoriens prétendent que ces offres furent faites par les Sarafins, & rejettées par 1'Empereur. Cependant on ■ ne voit pas qu'il ait fait en conféquence aucun mouvement. II y eul cette année, au mois de Juin, un grand tremblement de terre , qui détruifil plufieurs villes en Paleftine & en Syrië. II y avoit long-temps que Théodofe , frere de Conflant, exercoit les fonöions de Diacre. C'étoit par un abus facrilege établi dans ces tempsla , une punition a laquelle 1'Empereur 1'avoit condamné. On ignore h caufe de la difgrace de ce Prince; maii comme il paroït que le Patriarche Pau Constant If. Ann. 659. Ann. 660. XXV. Conflant fait tii er fon frere. , Théoph. p, , 288. ! Cedr. p. 1 45J-  Constant II. Ann. 660. Manaff. p. 78. Hifi. mifc. 1. i9. Ann. 661. XXVI. Grimoald ufurpe la couronne de Lombardie.TaulDiac. I.4. C.4S, 49,50,58. /. 5. c. I , 2>3'4. 5Aimoin. I. 4.C 32. Rubeus Hifi. Ra. venn. I. 4. Sigeb. chron. Sigon, ie 46 h i S t ó i k é y avoit contribué, on peut foupconner qu'il ne s'accorrloit pas avec fon frere fur Partiele du Monothélifme. Leur diiTenfion croilTant de jour en jour , 1'Empereur le fit alTafliner , quoiqu'il eut plufieurs fois recu de fa main la coupe facrée. Cet horrible fratricide rendit Conflant odieux, & lui caufa de cuifants remords, dont les fuites furent très-funeftes. Avant que de les raconter, il eft néceflaire d'expofer 1'état oü fe trouvoit alors le Royaume des Lombards. Rotaris étoit mort en 652 après avoir régné feize ans avec gloire. Son fils Rodoald ne lui furvécut que quelques mois; il fut tué par un Seigneur Lombard, dont il avoit violé la femme. Comme il ne laiffoit point de poftérité, on lui donna pour*fuccefïeur Aripert, fils du Duc Gondoald, frere de la Reine Théodelinde. Après neuf ans d'un regne paifible , il mouruten 661. Mais comme s'ileut voulu que la tranquillité qu'il avoit maintenue dans fes Etats , expirat avec lui, il laifla une femence de troubles &c de guerre, en nommant fes deux fils Pertharit & Gondebert, pour lui  du Bas-Empire. Liv. LX. 47 fuccéder également. L'un établit fa réfidence a Milan , 1'autre a Pavie; 1'ambition de régner feuls les arma bientöt l'un contre 1'autre. Gondebert, plus foible ou plus violent, envoyaGuaribald, DucdeTurin, prier Grimoald, Duc de Bénévent, de venir k fon fecours, lui promettant fa fille en mariage. Grimoald, aufli ambitieux que les deux freres , mais plus habile, fe met en campagne k la tête d'une armée, réfolu de dépouiller les deux Rois, & de monter k leur place fur le tröne de Lombardie. II laiiTe le gouvernement de Bénévent k fon fils Romuald , prend la route de Pavie, fe fait par fes largeffes des partifans dans tout le pays qu'il traverfe. II gagne même le député du Roi Lombard : & ce député, par une infigne trahifon , lui vend les intéréts & la vie de fon maitre. A quelque diftance de Pavie, le traïtre va trouver Gondebert, il lui confeille de venir par honneur au-devant de Grimoald; mais il 1'avertit de prendre une cuirafTe fous fa robe, pour fïïreté de fa perfonne. A la première entrevue, Grimoald embrafle Gondebert; & fen- CONSta nt II. Ann. 661. reg. hal. I. 2. Pagi ai Bar. Giann. Hifi. Nap. U 2. c. io. Murat. annal. hal. t. IV. p. 104, 10.8, 109. Abrégé ie Vhifi. Uitat, t. 1. p. 242, 2!o. Hifi. Ital. fcript. ah Affemani. t. n. p. 248 & fcqa.  Constant II. Ann. 6ói. 48 HlSTO'RS tant qu'il étoit armé fous fes habits ." Eh quoi ! s'écrie-t-il, tu tri'appelles a ton fecours, & tu viens pour móter la vie? En même-temps il tire fon épée, & la plonge dans le fein de ce malheureux Prince. Un coup fi terrible glacé d'effroi les Lombards ; tout fléchit devant Grimoald, & il fe trouve en un moment maitre de Pavie & du Royaume. Le Roi alTafiiné avoit un fils au berceau. Cet enfant, nommé Rambert, fut fauvé par de fideles ferviteurs ; & Grimoald, méprifant fon bas age, le laiffa vivre dans 1'obfcurité, fans en faire aucune recherche. Pertharit, qui régnoit a Milan, efFrayé du meurtre de fon frere, prit la fuite, abandonnant fa femme Rodelinde & fon fils Cunibert, encore enfant. Ils furent mis entre les mains de Pulurpateur, qui les fit tranfparter a Bénévent. Garibald ne jouit pas long-temps des fruits de fa perfidie ; il fut affafiiné h Turin le jour de Paques , dans 1'Eglife de St. Jean , par un domefiique de Gondedebert, qui fut lui-même fur le champ percé de coups. Grimoald, devenu maitre de toute la  nu Bas-Bmpirr. Ltv. LX. 49 laLombardie, fe fit proclamer Roi, & prit pour femme la foeur des deux Princes qui lui avoit été promife. II renvoya fes troupes a Bénévent, & retint feulement avec lui les principaux Officiers auxquels il diftribua de grandes terres. Pertharit s'étoit réfugié auprès du Khan des Abares , qui le fit bientöt fortir de fes Etats, de peur de s'attirer une guerre dont Grimoald le menagoit. Le Prince fugitif, entendant vanter la clémence de fon ennemi, prit 1'étrange réfolution d'aller fe jetter entre fes bras. II vient k Lodi, & lui fait favoir fon arrivée. Grimoald, étonné de cette hardiefle, mais flatté en même-temps d'un trait de confiance fi extraordinaire, lui promet füreté, & 1'invite a venir le trouver L'entrevue fe paffe en ernbraffements mutuels & en proteftations d'amitié. Grimoald lui jure qu'il le traitera en frere; il le loge dans un palais , & lui donne un état convenable k un Prince. Mais les devoirs que les habitants de Pavie s'empreflbient de rendre au fils de leur ancien Roi, allarmentles Miniftres dé J'ufurpateur. Ils font entendre k Gri- Tome XIII. C Constant tr. Ann. 662. XXVII. Avenmres de Pertharit.  Constant II. Ann. 662. 50 ÜISTOIX.Ë moald qu'il eft perdu , s'il ménage Pertharit. On prend la réfolution d'enlever le Prince la nuit fuivante, Sc de le tranfporter dans un chateau éloigné, ou il demeurera prifonnier tant qu'on jugera a propos de le laiffer vivre. Pour le mettre hors d'état de défenfe , on imagine de lui faire pafTer la nuit a boire, Sc de 1'enyvrer. Dans cedeffein, le Roi lui envoye quantité de viandes Scde vins de plulieurs fortes. Pertharit invite tous fes amis; on fe met k table; déja le Prince commencoit k oublier fes difgraces, lorfqu'un ancien domeftique de fon pere trouve moyen de lui parler k 1'oreille, Sc de 1'inftruire du dellein dé Grimoald. Pertharit, fans changer de contenance, continue de boire, mais il donne ordre fecretement de ne lui fervir que de Peau. Feignant d'être ivre, il fe leve de table de bonne heure, congédie les convives , Sc fait part k Hunulf, fon confident, de ce qu'il venoit d'apprendre. Déja fon palais étoit environné de gardes. Hunulf, fécond en expédients , lui fait prendre un habit d'efclave, le charge de matelats,  nu Bas-Empire. Liv. LX. 51 & le conduit devant lui hors du palais , en le faifant avancer a coups de baton , & criant qu'il aimeroit mieux ne boire de fa vie, que de tenir tête a eet ivrogne de Pertharit. Les gardes éclatant de rire les lailTent paffer, fansreconnoitre Pertharit, courbé fous le fardeau dont il paroilToit accablé. Arrivé au mur de la ville , Hunulf le fait defcendre le long d'une corde, & retourne dans fa maifon. Pertharit trouve un cheval fur lequel il gagne Afti avant le jour ; il s'y fait connoitre a quelques amis, qui prennent avec lui la route de Turin; il paffe les Alpes, & fe retire en France auprès de Clotaire IÏI, Roi de Neuftrie & de Bourgogne. Avant que de fortir de fon palais, Pertharit avoit, fous différents pré- ' textes, écarté tous fes gens; il n'y , avoit laiffé qu'un fidele domeftique, avec ordre de tenir les portes fermées le plus long-temps qu'il pourroit , afin de lui donner le moyen de s'éloigner, fans que Grimoald fut informé de fa fuite. Le domeftique arrêta les foldats jufque-bien avant dans le jour, fous prétexte que fon maitre s'étant C ij Constant II. Ann. 66 z. XXVIII. ïénéroïïé de Grinoald.  Constant II. Ann, 662. 53 H I S T 0 I R F. pris de vin, n'étoit pas encore éveillé. Enfin, furun ordre de Grimoald , on enfonce les portes, on cherche de toutes parts. Les gardes, furieux de ne pas trouver Pertharit, fe jettent fur le gardien du palais; ils le traïnent par les cheveux devant le Roi, comme un complice de 1'évafion de fon maïtre. Le Roi 1'interroge , &C ayant tout appris de fa bouche : Que pen/ei - vous, dit - il a fes courtifans, que mérite eet homme ? Un homme eft perdu , quand le Prince confulte les courtifans fur une belle aftion , qu'ils foupconnent être défagréable au Prince. Tous répondirent qu'il méritoit la mort; ils ne difFéroient dans leurs avis que fur le genre de fupplice , n'en pouvant trouver d'alTez rigoureux. Et moi , reprit Grimoald, je juge qu'il ejl digne de récompenfe, pour avoir fauvé fon maüre au péril de fa vie. En même-temps il lui donna dans fa maifon le même office qu'il avoit exercé auprès de Pertharit, lui promettant de nouvelles faveurs, s'il le fervoit avec autant de zele qu'il avoit fervi fon premier maïtre. Apprenant qu'Hunulf s'étoit retiré dans une Eglife  du Bas-Empire. Liv. LX. 53 pour fe mettre a couvert de fa colere , il lui fit dire qu'il lui donnoit fa parole de Roi, de ne lui faire aucun mal, s'il fe mettoit entre fes mains. Hunulf fe rendit au palais avec confiance. Grimoald écouta avec plaifir lerécitde fon ftratagême, le combla d'éloges, lui conferva tous fes biens, & y ajouta de nouvelles graces. Hunulf vivoit heureux dans le palais de Grimoald, s'il eut pu 1'être tandis que fon maïtre étoit dans 1'infortune. Au bout de quelques jours , comme Grimoald lui demandoit s'il ne fe trouvoit pas mieux avec lui, que de trainer une vie miférable k la fuite d'un fugitif : Prince, répondit Hunulf, je vous rends graces de vos bienfaits; mais ji vous me permette^ de vous parler avec franchife, je préférerois a toute autre fortune, celle de partager les malheurs de Pertharit. Le Roi, ayant fait la même queftion k 1'autre Officier, en recut la même réponfe. Attendri jufqu'aux larmes d'une fidélité fi conftante & fi défintéreffée, & plus jaloux de 1'amour que favoit infpirer Pertharit, qu'il ne 1'avoit été de fa eouronne , il loua ces généreux ferC iij Constant II. Ann. 6Ó2.  Constant II. Ann. 662. XXIX. Viftoire de Grimoald fur les Fran$ois. 54 HlSTOlRE viteurs , leur permit cl'emporter tout ce qui leur appartenoit, & donna fes ordres pour les conduire en füreté auprès de leur ancien maitre. Ce magnanime ufurpateur eut bientöt occafion de montrer encore par fon habileté dans la guerre, qu'il étoit digne de la couronne, s'il ne 1'eüt pas acquife par un crime. Une armée Francoife entra en Italië, fous prétexte de défendre les droits de Pertharit , & s'avanca jufqu'aux environs d Afti. Grimoald alla camper k la vue des ennemis; & peu après , comme s'il eut craint une bataille, il abandonna fon camp qu'il laifïa bien fourni de provifions de bouche , & des meilleurs vins d'Italie. C'étoit le ftratagême qu'avoit autrefois employé le célebre Cyrus, pour tailler en pieces 1'armée des MefTagetes. Les Frangois s'emparererit du camp des Lombards, & dans la joie de ce fuccès inefpéré, ils fe livrerent k la débauche. Pendant la nuit , lorfqu'ils étoient enfevelis dans le fommeil, Grimoald revint fur eux , & fit un fi grand carnage , qu'il n'en retourna qu'un très-petit nombre au-dela des monts,  du Bas-Empire. Liv. LX. 55 Ce fut dans ces conjonöures que Conflant prit la réfolution de palier en Italië. Depuis la deftruttion de 1'Empire d'Occident, aucun Empereur n'avoit entrepris ce voyage. Un deffein fi extraordinaire étonna 1'0 rient, & donna lieu aux plus étranges conjeéhires. Le bruit fe répandit que fon frere Théodofe , qu'il avoit fait affafïiner, venoit toutes les nuits 1'effrayer durant le fommeil, & que fon ombre fanglante fe préfentant a lui en habit de Diacre, & tenant entre fes mains une coupe pleine de fang , lui crioit d'une voix terrible : Buver, mon frere. On prétendit que ce fantöme le fuivit en Italië, en Sicile, & ne ceffa de le perfécuter jufqu'a la mort. D'autres difoient que s'étant rendu odieux a tout 1'Orient par les cruautés exercées fur le Pape Martin, fur 1'Abbé Maxime , fur un grand nombred'Orthodoxes, & plus encore par le meurtre de fon frere, il ne pouvoit plus fupporter la vue de Conftantinople. Mais la raifon qu'il donnoit lui - même étoit le defir de reconquérir PItalie entiere par 1'expulfion des Lombards, & de rétablir C iv Constant II. Ann. 662. XXX. Conftaat pafle en Italië. Theopk. p. 289, 292. Cedr. p. 435 . 436. Zon. torn. 11. P. 88. Anaft. in Viial. Manaff. pag. 78. Glycas, pag. 278. Paul Diac. I. 5. c. 6 & feqq. Regino chr. Peda de fex mundicetat, Ignoti Cajfin hijli apud. Peregrin. p. 98. Sigon. de reg. llal. I. 2. Peregrin. de fin. du. cat. Benevent. p. 65 , 66.  Constant II. Arm, 662. Holfienius ad hal. Cluver. p. 1203. Combefis h'fi Monoc. <. If. Pap' ai Bar. Du Cange fam Byi-p, 110. Fltury , hifi. ecclef. !• 39. art. 32. Giann. hifi. hal. I. 4. c.10. Murat. annal. hal. t. IV. p. 121. De Vita antiq. Benevent. Thef. alter, p. 21. \ Ahrégé chron. de riift. d'h. ,. 1. P 250 & fuiv. 56 HlSTOIRE aRome le fiege de 1'Empire, difant que la mere mérïtoit plus de conjidératwn que la fille. II équipa donc une flotte, y raflembla ce qu'il avoit de foldats ; & s'étant embarqué vers la fin de 1'année 661, avec fes tréfors, il envoya ordre a. 1'Impératrice 8c k fes trois fils de venir le joindre dans le port. Mais - André fon Chambellan, 5c Théodore de Colones, fouleverent le peuple, qui les retint par force ï Conftantinople. Ce refus qu'on lui faifoit de fa familie , ne le retarda pas d'un moment. Monté fur le tillac de fon vaifTeau, il cracha contre la ville , 5c fit fur le champ mettre k la voile. [1 alla paffer dans Athenes le refte de 1'hyver , 8c dès les premiers ours du printemps , il partit pour .'Italië. Tarente appartenoit encore k 1'Em:>ire. Conftant y débarqua fes trou3es , & fit venir des renforts de Najles 8c de Sicile. II marcha vers 1'Arulie, dont les Lombards de Bénévent étoient les maïtres. Cette incurIon imprévue répandit la terreur. Les villes furent abandonnées. Lucérie fut prife d'aflaut, pillée cc rafée. Mais  du Bas-Empjre. Liv. LX. 57 la lïtuation avantageufe d'Acérenza arrêtace torrent. L'Empereur, défefpérant de prendre la place , autrement que par famine , ne jugea pas k propos de perdre un temps précieux ; il leva le fiege &alla camper k la vue de Bénévent. A cinq lieues de cette ville, prés d'un lieu nommé aujourd'hui Mirabella, étoit fituée Eclane, ville épifcopale. Conflant la"détruilït de fond en comble. II en refle encore les ruines, d'oü 1'on a tiré de belles flatues, qui ont été tranfportées en Efpagne. L'Evêché d'Eclane futtranfféré k Frequentum, aujourd'hui Fri* gtnto. Romuald , fils de Grimoald , commandoit dans Bénévent; ce jeune Prince ne s'effraya pas des bravades de 1'Empereur. Plein de courage s mais trop foible pour livrer bataille , ilfitpartir Sefvald fon Gouverneur, pour aller k Pavie demander du fecours k fon pere. En attendant, il repouffa vaillamment tous les affauts, fit de fréquentes forties , furprit plufieurs fois les ennemis dans leurs retranchements, ruina leurs travaux , brüla leurs machines, & ne perdit pa< un pouee de terrein jufqu'a 1'arrivé^ C v Constant II. Ann. 663. XXXI. II attaque Bénévent,  Constant II. Ann. 663. \ 58 HlSTOIRE de Grimoald. Le Prêtre Barbatus encourageoit les affiégés, Ia plupart encore Payens ou Ariens, ainfi que leur Duc, & leur promettoit la prore&ion du Ciel, s'ils renongoient a leurs erreurs. Cependant Grimoald, dès qu'il eut appris le danger oü étoient fon fils 6c fon Duché , s'étoit mis en marche a la tête d'une armée. Plulieurs Lombards Pabandonnerent en chemin, & retournerent chez eux, feperfuadant que le Roi demeureroit a Bénévent, après en avoir éloigné les ennemis, & qu'il ne reviendroit plus a Pavie. Cette défertion ne retarda pas fa marche. Craignant 1'impatience des Bénéventins, il envoya devant lui Sefvald, pour aflurer fon fils qu'il alloit inceffamment le délivrer. Arrivé auxportes de Bénévent, Sefvald fut fait prifonnier. L'Empereur ayant appris de lui le fujet de fa commifïïon, le fit conduire au pied du mur, avec ordre de dire a Romuald, que fon pere ne pouvant le fecourir, lui ordonnoit de fe rendre. Le prifonnier promit tout ce qu'on voulut; mais lorfqu'il vit Romuald paroitre fur Ia muraille : Prince, lui  du Bas-Empihe. Lm. LX. 59 cria-t-il, aye{ bon courage : votre pere • ejl fur le point d'arriver ; il dok camper la nuit prochaine au bord du Sangro. Je vous recommande ma femme & mes enfants ; car ces laches vont rrióter la vie. A peine avoit - il achevé , que Conflant outré de colere , moins généreux que Grimoald , lui fit abattre la tête, Elle fut jettée dans la ville, & vint tomber aux pieds de Romuald, qui après Favoir tendrement baifée èc arrofée de fes larmes, la fit dépofer dans une fépulture honorable. L'Empereur n'eut pas le courage d'attendre 1'armée des Lombards; il leva le fiege & prit le chemin de Naples. Mittola, Comte de Capoue, 1'attaqua dans fa marche, & lui tua beaucoup de foldats prés du fleuve Calor. Ce doublé échec rabattit fa fierté; mais Saburrus , un de fes Lieutenants , fe flatta d'efïacer ces aftronts, & de rétablir Fhonneur des armesRomaines. Dès que 1'Empereur fut a Naples , il lui demanda vingt mille hommes, promettant de battre infailliblement les Lombards. L'Empereur eut Fimprudence de lui confier ce nombre de troupes, avec lefC vj CONSrANT II. kna. 663. XXXII. II leve le (iege.  Constant II. Ann. 663, 60 fflSTOIRE quelles Sabumis al!a camper dans le voifinage de Bénévent. Grimoald étoit entré dans la place, & fe préparoit k fortir lui-même pour donner une lecon a ce préfomptueux Général. Son fils le pria de lui en laiffer 1'honneur, 1'alTurant qu'il lui rendroit bon compte de ce fanfaron. Romuald marche aux ennemis, & trouye plus de réfiftance qu'il ne s'y étoit attendu. L'armée de Saburrus étoit en grande partie compofée de Napolitains, exercés depuis long-temps k combattre les Bénéventins, & piqués contre eux d'une émulation de courage. Le choc fut rude & la vidoire balancoit, lorfqu'un Lombard, nommé Amalongue, Porte-lance du Roi, & renommé pour fa force extraordinaire, tenant a deux mains une groffë javeline , perga un cavalier Napolitain avec tant de furie , que 1'ayant enlevé de deflus fon cheval, il le jettamort par-? deflus fa tête. Un.fait d'armes fi étonnant effraya tellement les troupes de Saburrus , qu'elles ne fongerent plus qu'a fauver leur vie. 11 en périt plus dans la fuite que dans la bataille; & Saburrus, au~lieu de dépouilles ik  du Bas-Empire. L'iv. LX. 61 de prifonniers qu'il avoit promis , ne ramena que les trifles débris d'une armee entiérement défaite. Romuald triomphant, alla recevoir entre les bras de fon pere , les témoignages de joie &c les éloges que méritoit fa valeur. Conflant, ayant perdu 1'efpérance de réduire les Lombards , marcha vers Rome, réfolu de réparer aux dépens de fes fujets les pertes qu'il avoit effuyées de la part des ennemis. II y arriva le mercredi 5 Juillet. Le Pape Vitalien, a la tête de fon Clergé, 1'alla recevoir a deux lieues de la ville, & le conduifit a 1'Eglife de Saint-Pierre, oü 1'Empereur laiffa un riche préfent. Le famedi fuivant, il vifita 1'Eglife de Sainte-Marie-Majeure, & y fit encore une offrande, Le lendemain, il fe rendit une feconde fois a Saint-Pierre avec toute fon armée. Le Clergé vint proceffionnelle. ment au-devant de lui. 11 y entendil la meffe , & mit fur 1'autel une piece d'étoffe d'or. Le famedi, il alla faire fa flation dans 1'Eglife de Saint-Jear de Latran. II dina dans la Bafilique de luie,, Le dünanche , il entendit la Constant II. Aan, 66;. XXXIII. Son voyüge a Rot me.  Constant II. Ann. 663 XXXIV. Progrès des Lombards. 62. -ÜISTOIRE meffe a Saint-Pierre , 6c après le faint Sacrifice, 1'Empereur & le Pape s'embrafferent, & fe direntadieu.C'étoit le douzieme jour depuis fon arrivée ; 6c pendant tous ce temps, le Prince n'avoit donné que des marqués de dévotion & d'une pieufe libéralité. Mais le refte de ce jour 8c le lendemain avant fon départ, il fut bien fe payer avec ufure de fes préfents. Depuis qu'il avoit éprouvé la valeur des Lombards , il avoit perdu 1'envie de fixer fon féjour a Rome. Avant que de la quitter, il en pilla les Eglifes; tous les ornements, tous les vafes précieux échappés aux Goths 8c aux Vandales, devinrent la proie de ce Prince facrilege. II enleva jufqu'aux carreaux de bronze dont étoit couvert le Panthéon , nommé dès-lors Notre-Dame de la Rotonde. De retour a Naples, il s'avanca jufqu'a Rhege ; & après avoir encore été battu en ce lieu par les Lombards, il paffa en Sicile, 6c choilit Syracufe pour fa demeure. Cette expédition qui devoit rendre a 1'Empire toute 1'Italie, ne fit qu'affermir 6c étendre davantage la puifiance des Lombards. Grimoald étant  nu Bas-Empir-E. Liv. LX. 63 retourné a Pavie, fon fils Romuald conquit fur 1'Empir.e Bari, Tarente, Brindes & toute 1'ancienne Calabre. II ne refta aux Empereurs dans 1'Italie méridionale que Gaëte, Naples, Amalfï, Otrante, Gallipoli, &c quelques villes fur le bord de la mer dans le pays des Brutiens , qu'on nomme aujourd'hui la Calabre ultérieure. Les Lombards de Bénévent , k 1 'exemple de Romuald , acheverent de fe convertir k la Religion Catholique, & choifirent pour Evêque Barbatus, aux prieres duquel ils attribuoient leur délivrance, autant qu'a la force de leurs armes. Grimoald, de retour k Pavie, trouva fon état en défordre par la mauvaife conduite de Loup, Duc de Frioul, auquel il en avoit confié le gouvernement pendant fon abfence. Loup, s'étant retiré dans fon Duché, leva 1'étendard de la révolte. Le Roi ne voulant pas armer les Lombards les uns contre les autres, fe fervit du fecours des Abares pour réduire les rebelles. Loup ful vaincu après un combat opiniatre qui dura trois jours, & qui fe termina pai Constant II. Ann. 663. XXXV. Suite du regne de Grimoald.  Constant II. Ann. 663. 64 II I S T 0 I & £ fa défaite entiere & fa mort. Mais ce ne fut pas fans peine que Grimoald vint a bout de renvoyer dans leur pays ces dangereux alliés, qui prétendoient demeurer maitre du Frioul par droit de conquête. II donna ce Duché k Veétaris, qui défit les Efclavons, & qui gouverna fes Etats avec fagefTe. Grimoald, pendant la guerre avec 1'Empereur, avoit regu plufieurs infultes des habitants de Forlimpopoli, ville de 1'Exarcat. Pour s'en venger, il y entra par furprife le famedi-faint , pendant que toute la ville étoit ralTemblée dans le baptiftere; il fit un horrible maffacre des habitants, fans épargner les Diacres mêmes qui adminiftroient alors le baptême, & qui furent égorgés fur les fonts. II rafa la ville. II ne traita pas moins cruellement Oderzo, ou Tafon & Caccon, fes deux freres, avoient péri par une trahifon. La reïigion Catholique, que Jean, Evêque de Bergame, fit embraffer k ce Prince, adoucit dans la fuite la dureté de fes mosurs, & fon exemple entraina le refte des Lombards. On s'appergut bientot de eet heureux changement^  du Bas-Empirz. Liv. LX. 65 II ajouta pluiieurs loix au code de Rotans, & corrigea celles qui fe relfentoient encore de la férocité primi- . tive de la nation. Alzec, chef d'une horde de Bulgares , étant venu en Italië lui ofFrir fes fervices , & lui demander un établiffement , Grimoald 1'adreffa a fon fils, auquel il céda en 667 le Duché de Bénévent; car jufqu'alors Romuald n'en avoit eu que 1'adminiftration. Ces nouveaux hötes étoient un puiffantfecours contre les entreprifes de 1'Empereur , qui fembloit ne refter en Sicile qu'a deffein de faire une nouvelle tentative. Romuald donna pour demeüre aux Bulgares , quelques villes du Samnium , qu'on nomme aujourd'hui le Comtat de Molife; &C Giannone obferve que leur langage contribua encore a 1'altération de !a langue Latine , déja corrompue par le mélange des Lombards. Un traité que Grimoald fit k la fin de fon regne avec Childéric II , Roi de France, allarma tellement Pertharit, qu'il réfolut de fe fauver chez les Saxons en Angleterre. II étoit déja embarqué, lorfqu'il apprit ia mort de Grimoald. Constant II. Vna. 663.  Constant II, Ann. 663. Ann. 664. XXXVI. Conquètes des Sarafins. Thcop. p. aS9. Anafl. in Vitaliano. Hifi. Mifc. L i9. Paul Dioc. I- 5- c. li. Murat. ann. hal. t. IV. p. *3Ï- 66 H 1 s t 0 1 ,1 e Ce Prince, moiarant après neufanqées d'un regne glorieux, nomma pour fon fucceffeur Garibald, qu'il avoit eu de la fiile d'Aripert; il le préféra, quoiqu'en bas age , au Duc de Bénévent qu'il chériffoit, & qui avoit déja fait connoitre fa prudence &^ fa valeur, paree que Romuald n'étoit pas né d'un mariage légitime. J'ai conduit 1'hiftoire de Grimoald jufqu'a fa mort, qui n'arriva qu'en 671 , pour n'être pas obligé d'interrompre ce qui me refle a raconter du regne de Conflant. Les Siciliens furent d'abord comblés de joie, de voir 1'Empereur fixer dans leur ifle le fiege de 1'Empire. Mais cette joie ne fut pas longue. Ils éprouverent bientöt 1'infatiable aviditéde ce Prince, qui multiplioitles impöts, & les exigeoit avec inhumanité. On féparoit les femmes de leurs maris , les enfants de leurs peres. On dépouilloit les Eglifes ; on enlevoit les vafes facrés. Cette ifle , la plus riche & la plus fertile de 1 univers, malheureufe par fa propre fertilité qui fait 1'attrait du brigandage, fouvent ravagée par les barbares, plus  nu Bjs-Empjre. Liv. LX. 67 fouvent encore par 1'avarice de fes maitres, n'avoit jamais été fi cruellement pillée. Le défefpoir des Siciliens fut porté a un tel point, qu'un grand nombre d'entr'eux préférerent de vivre fous la domination des Mufulmans ; ils pafferent en Syrië, &C s'établirent a Damas, oü ils oublierent leur religion avec leur patrie. Pendant què Conflant défoloit 1'intérieur de fon Empire, Moavia , qui n'avoit plus befoin de paix, en dépeuploit les frontieres. Abderraman, fils de Caled , fe fignaloit par fes ravages ; il enleva un nombre infini d'habitants. Cinq mille Efclavons pafferent en Afie, & fe joignirent k lui. II les conduifit en Syrië, & leur donna des habitations aux environs d'A* pamée. Bufur, autre Lieutenant de Moavia , pénétra en Armenië; & après Pavoir mife k feu & k fang pendant 1'été , il y laiffa Phadalas pour continuer de la ravager pendant 1'hyver. L'année fuivante efl célebre dans les annales des Sarafins , par une feconde expédition en Afrique. L'Empereur , non content d'épuifer par fes Constant II. Ann. 664. Ann. 66f. XXXVII. Seconde exoédi-  Constant II. Ann. 66 j. tion des Sarafins en Af'rique. Elmacin. I. 2. c. 7. Pagi ad Sar. Mém. Acad, l. XXI. hifi. p. 116, 117. Af. de Guignes , hifi. des Huns , t.l.p.U6. M. Cardonne,hifi.de VAf Tipt, t. I.p. 25 & fuiv. Hifi. univ. ' t. XV. p. . 469» 470. , ; ] < 1 < 1 68 IJlSTOIRE vexations la Sicile, la Calabre Sc la Sardaigne, porta fes mains avides fur 1'Afrique. Les Africains avoient befoin de fecours , loin d'être en état de fupporter de nouvelles charges. Cependant il leur envoya ordre de lui payer une fomme pareille a celle qu'ils payoient tous les ans aux Sarafins. C'étoit, difoit - il, pour les punir d'avoir fans fon confentement traité dix - fept ans auparavant avec Abdalla ; engagement forcé dont il étoit lui-même la caufe, n'ayant alors envoyé aucun fecours pour oppofer aux armes des Mufulmans. Cette demande de 1'Empereur, publiée au milieu de Carthage , allarma toute la ville. On s'écrie que VEmpereur veut ionc partager avec les Sarafins les dé~ louilles de la Province ; quil vienne lui•nême ; qu'il nous arrache la vie que les Sarafins nous om laifiee. On chafTe 'envoyé; on 1'oblige de fe rembarjuer au plus vite. Une partie de la 5rovince fe fouleve. Havage , qui lepuis la mort de Grégoire s'en étoit ait Gouverneur , fans nomination ni jppoiition du Souverain, fe met luinême k la tête des révoltés; il court  du Bjs-Empire. Liv. LX. 6*9 è Damas ; il invite le Calife a fe rendre maitre de 1'Afrique, qui lui tend les bras pour s'affranchir d'une infupportable tyrannie. Moavia leve une armee, c'étoit 1'élite des troupes de Syrië & d'Egypte ; il en donne le commandement a un habile Général qui portoit ie même nom que lui. Havage accompagne cette armée; mais il meurt en paffant par Alexandrie. Le Général Mufuhnan entre en Afrique ; il traverfe la Cyrénaïque Sc Ia Tripolitaine. II rencontre fur le bord de la mer, prés de Tripoli, une armée de trente mille hommes. C'étoient des troupes que Conflant avoit fait partir a la première nouvelle du foulevement de 1'Afrique. Moavia leur livre bataille, & remporte une vicloire complete. II avance dans le pays nommé autrefois Bizacene , Sc met le fiege devant Gélou* la , qui étoit 1'ancienne Ufula au bord de la mer , vis-a-vis 1'ifle de Cercine. II y avoit garnifon Romaine , Sc la force de cette place 1'arrêta longtemps. II étoit fur le point de lever le fiege , lorfqu'un pan de muraille s'étant tout-a-coup écroulé, les affié- Constant II. Ann. 665,  Constant ir. Ann. 665. XXXVIII Affaires de 1'Eglife. Zon. t. II. p. 88. Baronius, Pagi ad Bar. Combefis hifi. Monot. c. 14. Oriens Chrifi. t.I. p. 231. Fleury , hifi. eecU/, 70 HlSTOIRE gés Sc les affiégeants accoururent fur la brêche avec une égale ardeur. Le combat fut fanglant & opiniatre; mais il fallut céder au nombre. Les Mufulmans pillerent la ville, & paiTerent au fxl de 1'épée tous les habitants. Le butin étoit riche, & peu s'en fallut qu'il ne mit les vainqueurs aux mains les uns contre les autres. On fut obligé d'écrire au Calife pour en régler le partage; il ordonna que tout fut partagé également. Les exploits de Moavia fe bornerent alors a cette conquête : le Calife, on ne fait pour quelle raifon, rappella fon armée qui retourna en Egypte. II ne paroït pas que 1'Empereur ait fait aucun nouvel effort pour recouvrer ce qu'il avoit perdu en Afrique : il ne s'occupoit que de pillages Sc de querelles eccléfiaftiques. Ennemi du Pape Vitalien , qui oppofoit k 1'erreur toute 1'autorité de 1'Eglife Romaine, ce fut fans doute pour le chagriner qu'il favorifa les injuftes prétentions de Maur, Archevêque de Ravenne. Ce Prélat fier & hautain, étant en conteflation avec le Pape, avoit été mandé a Rome ; & fur fon refus, le Pape  du Bas-Empire. Liv. LX. 71 1'avoit menacé cl'excommunication. II avoit répondu par une menace pareille , prétendant que 1'Evêque de Rome n'avoit fur lui aucune fupériorité. Ils eurent tous deux recours a 1'Empereur , qui, fans autre examen, fitexpédier un diplome, par lequel il déclaroit les Archevêques de Ravenne exempts pour toujours de la dépendance de tout fupérieur Eccléfiaftique , & même de celle du Patriarche de tancienne Rome. II chargeoit de 1'exécution de ce décret 1'Exarque Grégoire, qui venoit de fuccéder k Théodore Calliopas. Cependant 1'Eglife de Conftantinople profita de 1'éloignement de Conftant. Son fils Conftantin , qui gouvernoit 1'Orient en fon abfence, ne prenoit aucun intérêt au progrès de 1'héréfie , & penchoit même pour les fentiments orthodoxes. On peut conjeöurer qu'il avoit cette obligationa fa mere , dont les Hiftoriens ne nous font connoitre ni le nom ni la naiflance. Le Patriarche Pierre étant mort dans la douzieme année de fon épifcopat, Thomas, Diacre & garde des archives, fut élu a fa place. Quelques Auteurs Constant II. Ann. 666. /. 39. art. 42, 4S. Murat, annal. hal. p. 136, Affemani Bibl. jur. Or. t. IV. p. 10. Abrtgé de t'hift. £1tal. t. r. p. 217, 256.  Constant II. Ann. 666. Ann. 667. XXXIX. Révolte de Sapor. Abulfarag'- Theoph. p. 2.90, 291, 292. 72 TIlSTOIRE ont douté de Porthodoxie de Thomas & de fes deux fucceffeurs , Jean & Conftantin; mais ces Prélats font juftifiés de ce foupcon par le fixieme Concile général, qui fut tenu fous le regne de Conftantin Pogonat. Après avoir prononcé anathême contre Sergius, Paul , Pyrrus & Pierre , le Concile examina les lettres fynodales de ces trois Patriarches; il déclara qu'eües ne contenoient rien que d'orthodoxe b & ordonna en contéquence que leur mémoire fut confervée dans les Diptyques. On reconnut même alors que Thomas avoit deflein de fe réunir a 1'Eglife Romaine ; mais qu'étant mort au bout de deux ans & demi d'épifcopat, il n'avoit pu faire tenir au Pape fa lettre fynodale , a caufe des troubies arrivés en Thrace, dont je vais rendre compte. Depuis que le Royaume de Perfe étoit détruit, plufieurs Officiers Perfes s'étoient donnés a 1'Empereur, & fervoient dans fes armées. Un d'entr'eux , nommé Sapor , s'étoit élevé aux premiers emplois de la guerre; ilcommandoit les troupes d'Arménie, qui  du Bjs-Empire. Liv. LX. 73 qui faifant partie desarmées de 1'Empire , étoient en quartier dans la ville d'Andrinople. Le mépris qu'il faifoit de Conflant k caufe de fa lacheté, & de Conftantin k caufe de fa jeuneffe, lui fit concevoir 1'efpérance de fe faire lui-même Empereur. Mais pour réuffir dans un projet fi hardi, il avoit befoin d'un fecours étranger. II jetta les yeux fur les Sarafins, & fon confident Sergius fe chargea d'aller k Damas folliciter Moavia de lui fournir des troupes, k condition que Sapor, maitre de 1'Empire, payeroit tribut au Calife, L'eunuque André, celui qui avoit retenu a Conftantinople la femme & les enfants de Conflant, affiftoit le jeune Conftantin de fes confeils. Ce Miniftre zélé & clair-voyant, ayant découvert cette trame perfide, partit lui-même pour la traverfer. Arrivé a Damas, il trouve la négociation fort avancée , & Sergius déja établi dans la confiance du Calife. Cependant il ne perd pas courage; il obtient une audience, & demande du fecours contre les rébelles. Le Calife avoit fait afleoir Sergius k cöté de lui, & le montrant k André: Ctlui-cï, dit-. Tornt XIII, D Constant II'. Ann. 667. Cedr. p. 436. Hifi- mifci  Constant II. Ann. 667. 74 HlSTOIRS il, me demande le contraire ; faites vos offres tous les deux ; je me déterminerai tn faveur de celui qui me donnera davantage. Sergius niojfre déja de mepayer tribut. Prince, répondit André, Sergius ne perd rien en changeant de maitre ; il ejl déja tefclave cüun Perfe. Pour moi je fuis Romain, & je najfervirai point t'Empire a une condition Ji honteufe; vous ne nous offre^ qu'une ombre, & vous exige^ quon vous abandonne un corps. Dieu ejl plus puijfant que vous ; il faura bien nous défendre. En même temps il fe retire, après avoir falué Moavia; & comme Sergius le chargeoit d'injures, Pappellant un miférable , un monftre qui a'étoit ni homme ni femme; André fe retournant & langant fur lui unregard terrible : Tu verras bientót qui je fuis, lui répondit-il. II prend fur le champ la route de Mélitine, & fait garder les défilés du mont Taurus, par oü il favoit que Sergius devoit paffer. 11 n'attendit pas long-temps. Peu de jours après, Moavia mit furpiedquelques troupes, dont il donna le commandement a Phadalas. Sergius, combjé de joie & glorieux du fuccès de  dv Bas-Empire. Liv. LX. 75 fa commiffion, avoit pris les devants pöur porter en diligence cette bonne nouvelle k Sapor. II fut fort furpris de fe voir arrêté au paffage du mont Taurus. On le charge de chaïnes , on le conduit k André. Dès qu'il 1'appercoit, il court fe profterner k fes pieds, & lui demande grace. Je te Üaccorderois, Ji tu riavois offenfe' que moi, lui dit André; mais il rien ejl point pour un traure a la patrie. Aufli-töt on le mutile & on le pend a un arbre. André envoyé un courrier k Conftantin pour i'inftruire de ce qui efl arrivé, & 1'avertir de ce qui refte k faire. Le jeune Prince fait partir une armée commandée par le Patrice Nicéphore, pour aller attaquer Sapor dans Andrinople. Mais un accident imprévu tint lieu de bataille. Le rebelle fortoit tous les jours de la ville pour exercer fon cheval, & le préparer au combat. Un jour en paffant fous la porte, comme il le preffoit d'un grand coup de fouet, 1'animal furieux brufqua fon cavalier, & lui alla rompre la tête contre la porte. Sapor tomba mort , & il ne fallut qu'un cheval pour étouffer une révoD ij Constant H. Ann. 667.  Constant II. Ann. 667. XL. les Sarafins prennent & perdent Amorium, 76 HlSTOIRE ïution naiflante, qui allarmoit tout 1'Empire. Phadalas, arrivé dans la petiteArménie , apprit ces triftes événements. II envoya demander de nouveaux ordres au Calife, qui ne voulant pas abandonner 1'entreprife, & jugeant les troupes de Phadalas infuffifantes pour agir feules , fit partir fon fils Yézid a la tête d'une nombreufe armée. Les deux Généraux traverferent 1'Afie mineure, pénétrerent jufqu'a Chalcédoine, prirent la ville d'Amorium, fur le fleuve Sangaris en Galatie, y laifferent en garnifon cinq mille hommes de leurs troupes, &retournerent en Syrië avec une multitude de prifonniers. L'hyver fuivant, pendant que la terre étoit couverte de neige,.André paffa le Bofphore avec un grand corps de troupes légeres; & étant arrivé de nuit a Amorium, il furprit la ville par efcalade , paffa au fil de 1'épée les cinq mille Sarafins fans qu'il en échappat un feul, & y laiffa une partie de fes troupes. Ce même hyver des pluies continuelles firent déborder les rivieres de 1'Afie ; le fleuve Scirtus inonda en une nuit  du Bas-Empirb. Liv. LX. 77 toute la ville d'Edeffe, & noya quantité d'habitants. II y avoit fix ans que Conflant vivoit a Syracufe, plongé dans la débauche, & ne s'occupant de fes Etats que pour les ruiner par de cruelles exaciions. Enfin, le 15 Juillet 668 , pendant qu'il étoit dans Ie bain, 1'Offkierqui le fervoit, nommé André, après lui avoir verfé de 1'eau chaude fur le corps, lui déchargea le vafe fur la tête avec violence, & prit Ia fuite. Ses gardes, étonnésde ce qu'il refloit fi long - temps dans le bain , entrent&le trouvent noyé dans 1'eau mêlée avec fon fang. II avoit régné vingt - fept ans, & en avoit vécu trente-huit. Perturbateur de 1'Eglife , perfécuteur des Orthodoxes, tyran de fes Provinces qu'il abandonnoit en proie aux Sarafins après les avoir pillées , il n'emporta au tombeau que la haine de fes fujets. D üf Constant ir. Ann. 668. XLI. Mort rle Conflant. Theoph. ƒ>.' 176 , 292. Cedr. p. 436. Niceph. r. 21.   79 * -aaagpate * SOMMAIRE LIVRE SOIXANTE-UNIEMF, i:. Constant in venge la mort de fon pere. II. Defcente des Sarajins en Sicile. iiu Sédition punie. IV. Troifieme expédition des Sarafins en Afrique. V. Fondation de Caïroan. VI. Conquêtes d'Oucba. VII. Les Sarafins perdent leurs nouvelles conquêtes. vill. Pertharit , 7?oi <&5 Lombards. IX. UEmpereur ap~ paife les différends entre le Pape & les Archevêques de Ravenne. X. Flotte des Sarajins. XI. Invention du feu grégeois. XII. Commencement du fiege de Conjlantinople. XIII. Divers événements de cinq années. XIV. Défaite des Sarafins. XV. Paix avec Moavia. XVI. Nouveaux Princes de Byblos. XVII. Origine des Maronites. XVIII. Jean Maron, Patriarche des Maronites. XIX. Progres des Maronites, XX. Origine du nom de D iv  §0 SOMMAIRE DU LlVRE LXK Mardaïtes. XXI. Suite de Chifloire des Maronites. XXU. Nouvelles viSoires des Maronites fur les Sarajins. XXIII. Hijtoire des Bulgares. XXIV. Bulgares itablis au bord du Danube. xxv. Mauvais fucces de la guerre contre les Bulgares* XXVI. Conftantin ajfemble un Concile. XX VII. Sixieme Concile général. XX VIII. Fin du Concile. XXIX. Yéjid fuccede a Moavia. XXX. Conftantin óte dJes deux freres le titre JJugujle. XXXI. Troubles chei les Sarajins. XXXII. Le Pape Benott II adopte les fils de Conftantin. xxxm. Mort de Conftantin Pogonat. XXXIV. Nouvelle d'mjion de i'Empire,  Si HISTOIRE D U BAS-EMPIRE. L1VRE S01XANTE - UN1EME. CONSTANTIN IV,, dit P O G O N A T. LE meurtre de Conflant étoit 1'effet d'une confpiration de fes principaux Officiers. Aufïi ne firent - ils aucune recherche de i'afïaflin; & après avoir célébré les funérailles du Prince , ils fongerent a fe mettre a couvert du chatiment , en fe donnant D v Coifs- TANTIB IV. Ann. 6691 I. Conftantin venge la mort  CONSTANTINIV. Ann. 669. ■de fon pere. Theoph, p. 192. Cedr* p. 436. Zon. t. IJ. p. 89. Anafi. p. 79- Glycas, p. 273. Anafi. in Adeodato. Hifi. mife. 1. 19. Paul diac. fc'f. e. li. *2. HlSTÖIRE eux-mêmes un Empereur. Leur choix tomba fur un Arménien nommé Mizize , qui n'étoit recommandable que pour fa bonne mine, plus propre a fervir de modele aux peintres Sc aux ftatuaires, qu'a gouverner un Empire. II fe rendoit lui-même juftice;. & aufll exempt d'ambition que dépourvu de talents, il fallut le contraindre d'accepter la couronne. La nouvelle de cette étrange réfolutiorc vola li rapidement a Conftantinople , qu'on fe perfuada dans la fuite qiPelle y avoit été annoncée par une voix eélefte Ie Jour même de 1'afiafllnat de Conftant ; miracle fabuleux , plus d*une fois renouvellé dans 1'hiftoire» Conftantin , fils ainé du Prince défunt, & déja aflbcié a la puiflance fouveraine , travailla auffi-töt a fe mettre en état de venger fon pere, Sc de défendre fes propres droits. Mais les principales forces de 1'Empire étoient en Sicile au pouvoir des rebelles , Sc il eut befoin du refte de 1'année pour équiper une flotte, Sc pour faire des préparatifs eapables d'affurer le fttccès d'une fi importante expédition, II envoya fes ordres- a Ra*  Dü Bas-EmPirE. Liv. LXf. 0*3 venne, en Campanie , en Sardaigne, en Afrique , pour armer tout ce qu'il y avoit de vaifleaux, qui viendroiettt le joindre en Sicile au commencement de 1'année fuivante. Le jeune Pnncè fut fervi avec zele. Le printems étoit a peine venu, qu'il fe préfenta devant Syracufe ; tout plia devant lui; on lui livra les meurtriers de fon pere & l'infortuné Mizize, qui n'avoit été forcé d'accepter la couronne, que pour la perdre avec la vie. Sa tête & celles des conjurés furent portées a Conftantinople. On ne plaignit que lePatrice Juftinien, homme vertueux, que la haine des vices de fon maitre avoit rendu criminel. Germain, fon fils , étoit innocent; mais la douleur que lui caufa la mort de fon pere, fit fortir de fa bouche quelques paroles injurieufes a 1'Empereur Elles furent punies d'un ehatimen aufli honteux que cruel; il fut mutilé; 8c ayant furvécu k ce fupplice quoiqu'il fut pour lors agé de ving ans , il devint dans la fuite Patriar che de Conftantinople. Nous le ver rons honorer cette place éminente pa fes verhis & par fa conftance a dé D vj CONSTAKTIN IV. Ann. 66q'. 1 "''  CONSTANTIN IV. Ann, 669, J i i j i 2 a 13 II. Defcente J£ des Sarafins en Si- a: cile. d Anafl. in v Adeodato , Paul diac. " /. j. c 13. fa Pegino 84 &IST01R2 fendre Ia Foi & la difcipline de 1'Eglife, contre Léon I'lconoclafte. La rebelhon s'étoit éteinte a la première vue du jeune Empereur ; dès qu'il eut rétabli 1'ordre en Occident, il reprit la route de Conftantinople i oü il rapporta le corps de fon pere qu'il fit enterrer dans 1'Eglife des Saints Apötres. Ce fut alors qu'on lui donna le furnom de Pogonat, c'eft-a-dire, le barbu ; paree qu'étant parti fans barbe quelques mois auparavant , il -evint avec une barbe longue & épaife. Comme il faifoit hautement proèflion Ae la Foi Catholique, il fut econdé dans fon expédition par le ele & Ie crédit du Pape Vitalien. Les ervices éclatants que Saint Grégoire voit rendus k Fltalie, avoient fort ugmenté 1'autorité de fes fucceiTeurs , lême dans les affaires temporelles. A peine Conftantin avoit-il quitté Sicile, qu'une flotte de Sarafins y •riva d'Alexandrie. II y a beaucoup apparence que les conjurés les asient appellés k leur fecours; mais i arriverent trop tard. Ils entrerent ns réfiftance dans le port de Syraife, II n'y eut qu'un petit nombre  du Bas-Empire. Lh. LXI. 85 d'habitants qui eurent le temps de fe fauver dans les chateaux & fur les montagnes des environs. Le refte fut égorgé. La ville livrée au pillage, éprouva la cruauté de ces barbares. Ils emporterent avec eux tous les ornements, toutes les ftatues & les vafes d'or , d'argent , d'airain , dont Conflant avoit dépouillé la ville de Rome, & que Conftantin avoit laiffés en Sicile, a deflein fans doute de les renvoyer aux Eglifes d'oü ils avoient été enlevés. Sur la fin de cette année ou au commencement de la fuivante, 1'Empereur étouffa dans Forigine une fédition qui pouvoit devenir dangereufe. II avoit honoré du titre d'Augufte fes deux freres Héraclius & Tibere. Mais pour ne pas leur communiquer fon pouvoir, il ne les avoit pas fait couronner, & ne leur donnoit aucune part aux affaires. Les foldats difperïes en Afie , excités fans doute par de fourdes intrigues, fe rendirent de toutes parts a Chryfopolis, & fe re- . gardant comme arbitres du gouver- 1 nement , ils vouloient que la puiffance fouveraine fut également par- CONSTANTINIV. Ann. 669. Murat. ann. d'Ital. t. IV. p. 140. III. Sédition punie. Theoph. p. 293. Cedr. p. 436. Zon. t. II. ?■ 89Hifi. mi/e. f.19. AJfemani VM. Jur. Or. t. IV. ni. 25. Dn Cange cam. By{. }. 120. Murat. mn. d'Ital. . IV. p. 142.  CONSTANTINIV. Ann. 669. Alrêgé de l'hifl. d'Ital. t. 1. p. 264 , 266. 86 HlSTOlRÊ tagée entre les freres. Nous adorofts les trois perfonnes de la Sainte Trinité , crloient ces hommes groffiers; nous voulons être gouvernés fur la terre, comme nous le fommes dans le Ciel: il nous faut trois Empereurs. Conftantin , effrayé d'abord de cette émeute, leur envoya Théodore de Colones, Miniftre adroit & fidele, qui, loin de combattre leur caprice , les loua beaucoup du zele qu'ils témoignoient pour la familie Impériale, les aflura que 1'Empereur avoit le même defir , qu'il n'étoit queftion que d'avoir le confentement du Sénat, auquel leur propofition ne pouvoit manquer d'être agréable. Sous prétexte d'aller eonfulter cette augufte compagnie , il choifit les plus mutins, & leur fit paffer le détroit avec lui. Dès qu'ils furent k Conftantinople, iilesfitpendre au bord de la mer vis-a-vis de Chryfopolis. La vue d'une fi prompte exécution frappa de terreur leurs ea-rnarades ; ils prirent anfli-töt la fuite, couverts de honte, comme une armée battue, &retournerentdans leurs garnifons. L'Empereur . fe contenta de faire obferver fes freres, après les  nu Bas-Empirs. Liv. LXI. 87 avoir avertis qu'ils euffent a fe conduire avec plus de tnodération & de fagelTe. . La puiffance des Sarafins croiffoit de plus en plus. L'état de foibleffe 011 1'Empire étoit réduit, favorifoit leur paffion de ravager & de conquérir. C'étoit une jeuneffe robufle & bouillante qui attaquoit un corps ufé de vieillefle & de maladie, déja privé d'une partie de fes membres. Moavia, toujours agiffant, quoiqu'affis au milieu de Damas, portoit fes regards au-dela de fes valles Etats ; il dirigeoit la marche de fes Généraux, il affuroit leurs fuccès; & tandis que Phadalas & Bufur défoloient 1'Afie mineure, & portoient le ravage jufqu'aux portes de Cyzique, il faifoit partir un nouveau Général, brülant de courage & de fanatifme, pour actiever la conquête de 1'Afrique. C'étoit Oucba, qui, depuis 1'expéditiond'Amrou, étoit demeuré a Barca pour contenii les Berbers, & pour leur prêcher 1< Mahométifme. Ce mifïionnaire guerrier regut dix mille hommes des meilleures troupes de Syrië, la plupar cavaliers , avec ordre d'étendre 1; CONSTANTIN IV. Ann. 670. IV. Troifieme expédition des Sarafins en Afrique. Theoph. p. 2.93. Ced. p. 436> 437Hifi. mife. l. 19. Herman. Contrad. chr. Okley. D'Hcrbelot, hifi. Oriënt. Mém. Acad. t. XXI. hifi. p. 117 & fuiv. M- de Guignes , hifi. des Huns , . 1- F- 346■ Af. Car. donne, hifi. de l'Afr. t. '■ I. p. 19 & i fuiv.  CoNSTANTIN IV. Ann. 670 Hifi. univ, «• XV. p. 469. V. Fondation de Caïroan. 88 H I S T 0 1' R £ puiffance & la doctrine Mufulmane.Ayant grofïï fon armée d'un grand nombre de Berbers, il s'avanca dans la Bizacene , dont les Sarafins s'étoient ouvert 1'entrée dans leur incurfion précédente. Tout ce pays fut inondé du fang des Chrétiens; mais fidele a la loi de la guerre prefcrite par Abubecre, Oucba laiffa la vie aux femmes, aux enfants&auxvieillards; il envoya quatre-vingts mille prifonniers en Egypte Maitre de cette vafte contrée, il voulut s'en affurer la poffeflion, en fondant une grande ville, qui rendit fon nom immortel, & qui fervït aux Mufulmans de place d'armes pour étendre leurs conquêtes, & de retraite dans le# événements incertains de la guerre. II choifit une fituation avantageufe prés d'une forêt, au midi d'une montagne fertile , k quarante lieues de Carthage vers le Sud-Eft, & a quinze lieues de la cöte oü étoit batie 1'ancienne Adrumet. II eft étonnant que d'habiles littérateurs, d'après un paffage d'Elmacin, mal entendu, ayent placé Caïroan fur les ruines de 1'ancienne Cyrene} qui en  du Bas-Empire. Liv. LXL 89 étoit éloignée de prés de trois cents lieues vers l'Orient; ces deux villes étant féparées par ce vafte contour de rivages qui bordent la Cyrénaïque , la Tripolitaine & la Byzacene. La ville fut environnnée d'une muraille de briques , & flanquée de tours, fur un circuit d'une lieue &£ demie. Deftinée a la réfidence du Gouverneur de 1'Afrique, elle fut bientöt peuplée de Sarafins, auxquels elle fervoit de citadelle pour maintenir les Africains dans 1'obéiflance. Fortifiée, felon 1'ufage de ces temps-la, & trop éloignée de la mer pour craindre 1'infulte des flottes ennemies, elle fe rendit confidérable non - feulement par fes richeffes, mais encore par 1'étude des fciences & des lettres. Ce fut une des plus célebres Académies des Mufulmans. Elle devint le fiege royal & la capitale des Etats, que les Califes Fatimites pofféderent en Afrique. Cette ville fameufe fubfifte encore aujourd'hui, mais fort déchiu de fon ancienne fplendeur, depui: que les Turcs s'en font rendus maitres vers le milieu du feizieme liecle Après la deftru&ion de 1'Empire de: CONSTANT1NIV. Ann, 67a» t  CONSTANTINVI. Ann. 670. VI. Conquêtesd'Oucha. 90 fflSTOIRS Sarafins, Caïroan fe foutint fous Ja domination de fes Rois particuliers. Pendant la conftruftion de cette ville, qui fut achevée au bout de cinq ans, Oucba pouffoit fes conquêtes. Mais une intrigue de Cour vint arrêter fes progrès. Obligé de céder fa place a un afFranchi protégé, nommé Dinar, il vit détruire fon ouvrage. Le fucceffeur, jaloux de la gloire d'Oucba, entreprit de batir une autre ville ; & pour la peupler, il y tranfporta les habitants de Caïroan. Après la mort de Moavia , Oucba, rétabli par Yéfid, détruifit k fon tour cette ville rivale, & rendit a Caïroan fes habitants. II mit Dinar dans les fers & reprit le cours de fes exploits. II battit les troupes Romaines prés de Melich , une des plus importantes villes du pays, qui étoit 1'ancienne Numidie ; & fans s'arrêter devant cette place , non plus que devant Bagaï, qu'il tenta en vain d'emporter d'emblée, il entra dans le Zab. C'étoit une contrée peuplée de trois cents fbixante bourgs, dont la capitale nommée Erbé, autrefois Lambefa, avoit prés de trois lieues de circuit. Le  du Bas-Empirb. Ltv. LXI. 91 Gouverneur étant venu a la rencontre d'Oucba, fut défait; il rallia fes troupes fous les remparts de Takert, oü un grand corps de Berbers vint le joindre; il fut encore taillé en pieces; & les habitants s'étant fauvés dans des lieux inaccefïïbles, les Sarafins demeurerent maitres du pays. Le vainqueur ne trouvant plus d'obftacle, traver fa la Mauritanië, & marchadroitaTanger. Julien , que d'autres nomme Elie, qui commandoit dans cette place, trop foible pour arrêter ce torrent, prit le parti de la foumiffion ; il alla offrir de riches préfents au Général Mufulman. Oucba apprit de lui que les habitants de la cöte occidentale, étoit une nation féroce, fans loix, fans humanité, fans religion. Ce rapport enflamma le zele & le courage d'Oucba. 11 va chercher ces barbares , force les paffages du mont Atlas, traverfe ce vafle pays hérifïé de hautes montagnes, & coupe de défilés , & trouve toute la nation fous les armes dans la Province de Sous, aujourd'hui la plus méridionale du Royaume de Maroc. II lei taille en pieces, malgré leur courage CONSTANT1NIV. Anti. 679.  ConstantenIV. Ann. 67c. 1 VII. Les Sarafins perdent leurs nouvelles conquêtes, 92. HlSTOIRE opiniatre ; & les ayant pourfuivis jufqu'a leur capitale, nommée aufli Sons ou Tarociant , il y entre avec eux, & y fait un budn immenfe, dont la partie la plus précieufe, fur-tout pour des Sarafins, furent les femmes; la beauté Ja plus rare dans les autres climats, étoit commune en ce pays; celles qu'ils eurent de trop, furent vendues jufqu'a miile pieces d'or & au-dela; c'eft-a-dire environ treize mille livres de notre monnoie. Tout fuyoit, tout tomboit devant Oucba; la mer feule arrêta "ce guerrier terrible; alors s'avancant fiérement fur le rivage, il pouffe fon cheval dans les flots; & levant au ciel fes yeux & fon bras armé d'un cimeterre: Grand Dieu, s'écrie-t-il , fans cette barrière que tu moppofes, firois chercher d!autres nations che[ qui ton nom ejt ignoré, r>our les forcer a riadorer que toi cu d mourir. Après cette faillie de piété Mufulxiane, il regagne le rivage; & s'étant retourné pour contempler encore eet élément, qui ofoit borner fes conquêtes , il traverfe de nouveau 1'Afrique, lont toutes les nations trembloient  nu Bas-Empirë. Lh. LXI. 9-3 fur fon pafTage, & revient a Caïroan. Fier de fa gloire & plein de mépris pour les peuples vaincus, il crut n'avoir plus befoin de fes troupes; il les difperfa dans les Provinces conquifes, & ne retint que cinq mille hommes. II reftoit encore plufieurs villes occupées par des garnifons impériales. Oucba, parcourant 1'Afrique avec la rapidité d'un éclair, n'avoit conquis que les lieux de fon paffage. Les troupes Romaines fe raffemblent, & n'ayant point de chef pour les commander, elles s'adreffent a un Prince Maure, grand Capitaine, accrédité par fa prudence & par fa valeur parmi les Berbers. II fe nommoit Kufcilé. II s'étoit fait Mahométan; mais plus ambitieux qu'attaché a une religion qu'il n'avoit embraffée que par politique, il faifit avec empreflement 1'occafion de fe faire un Royaume. Des Romains & des Berbers qui vinrent en foule fe ranger fous fes étendards, il forma une armée plus nombreufe, que ne pouvoient être les troupes Mufulmanes , quand elles auroient été réunies. II marcha auffi-töt vers Caïröan. Dinar, quoique dans CONSTANTINIV. Ann. 670.  CONSTANTINIV. Ann. 670. 94 H I S T 0 I R. E les fers , fut le premier inftruit de cette révolte; il en avertit Oucba, qui ne fe fentant pas en état de réfifter a des forces fi fupérieures, ne vit d'autre refiburce pour fauver fon honneur , que de périr les armes a la main. II fait venir Dinar devant lui: Généreux efclave, lui dit-il, je te devrcis le falut des Mufulmans, ji mon imprudence, en les féparant les uns des autres, ne les eut mis hors a"état de s'entre-fecourir. Je te rends la liberté; cherche une retraite ou tu puijfes rajfembltr de nouvelles forces, pour re'tablir ici Üempire du Prophete, Pour moije vais mourir; il ne m'ejl pas permis de fuir devant des Chrétiens. Je te remercie de la liberté que tu me rends, répond Dinar, & je veux te faire connoitre que fen fuis digne. J'ai droit de te haïr; mais j'aime encore plus la religion & la gloire Mufulmane. Penfes-tu que je fois plus capable que loi de les déshonorer par la fuite ? Je mourrai avec toi, avec qui je naurois pu vivre. Oucba, réfolu de mourir, fe met aufli-töt en marche; il épargne aux ennemis plus de la moitié du chemin. Les deux armées fe rencontrent dans le Zab. Oucba Sc  du Bas-Empire. Lh. LXI. 95 Dinar , a la tête de cinq mille hommes, vis-a-vis de cent mille, brifent les fourreaux de leurs épées, & les jettent a leurs pieds. Les foldatsimitent eet exemple; & poffédés de la même fureur , ils s'élancent en défefpérés fur les ennemis dont ils font un affreux carnage. Nul d'entre eux ne recoit la mort qu'après Pavoir donnée k plus d'un Romain ou d'un Maure. Le combat ne finit que par le maffacre du dernier Mufulman. Oucba expira fur un monceau de cadavres, & le champ de bataille qui fut fon tombeau , eft encore aujourd'hui le monument de fa valeur ; on 1'appelle le champ d'Oucba. Kufcilé vainqueur, chaffa les Mufulmans de Caïroan, dont il demeura le maïtre jufqu'a la troifieme année du fucceffeur de Conftantin. L'Italie n'étoit pas heureufe , & ne pouvoit 1'être fous la domination des Exarques, qui profitoient de 1'éloignement du Prince, pour s'enrichir aux dépens des fujets; mais au moins elle étoit tranquille du cöté des Lombards , fi Pon excepte quelques entreprifes des Ducs de Bénévent pour COKSTAKTINIV. A.nn. 670. Ann. 671. VIII. Pertharit, Roi de* Lombards.Paul diac. I. 5.'-33. 35- 56,37.  CONSTANTIN Ann. 671. Giann. hift. Nap. I. 4. c. II. Abrégè chron. de l'hift. d'Jt. t. 1. P. 258, 261 & fuiv, Ann. 672. IX. L'Empereur appaife les différends entre le Pape & 1'Arche- 96 IIlSTöIRE aggrandir leurs Etats. Grimoald étant mort en 671, Garibald, fon fils, encore enfaht, lui fuccéda; mais il ne porta que trois mois le titre de Roi. Pertharit ayant appris la mort de Grimoald au moment même qu'il s'embarquoit pour fe retirer en Angleterre, revint aufli-töt en Italië. La révolution qui le placa fur le tröne, fut aufli rapide que celle qui 1'en avoit précipité neuf ans auparavant. II trouva toute la nation difpofée a le reconnoitre; & des qu'il parut, Garibald fut oublié. II fit revenir de Bénévent fa femme Rodelinde & fon fils Cunibert, que Romuald n'ofa lui refufer. Ce Prince, inftruit par fes malheurs , ne fongea qu'a maintenir la paix dans fes Etats; & pendant les feize années de fon regne, il n'eut aucun démêlé avec 1'Empire. Mais quelques Prélats oubliant qu'un des devoirs les plus facrés de leur état, eft de maintenir 1'union & la Concorde, ne furent pas aufli pacifiques. L'Empereur fut obligé d'interpofer fon autorité pour les réduire a la fubordination légitime. Je parle des Archevêques de Ravenne. Cette ville, réfidence  du Bas-Empire. Liv. LXI. 97 réfïdence des Exarques , Lieutenants de TEmpereur en Italië , étoit devenue rivale de Rome; elle mettoit fur pied des troupes nombreufes de cavalerie & d'infanterie. Ses Archeyêques étoient riches & puiffants; ils avoient de grandes pofTefïions en Iftrie & jufqu'en Sicile. Nous avons déja vu 1'ambition de Maur, qui s'égaioit.au Pape, & qui fut confirmé dans fes orgueilleufes prétentions par un diplome de Conflant. Ce Prélat mourut en 671, & fes derniersfoupirs foufflerent encore le feu de la difcorde. II exhorta fon Clergé a fe main- ' tenir dans 1'indépendance qull lui avoit procurée , & a ne s'adreffer au Pape fa pour Tordination de fes fucceffeurs , ni pour obtenir te pallium, qu'il ne falloit, difoit-il, recevoir que de 1'Empereur. Ses confeils turbulents furent mieux fuivis que ne 1'auroient été de pieufes volontés. Son fucceffeür Reparat fit le voyage de Conftantinople ; il recut de 1'Empereur de nouveaux privileges; mais ce fut a condition qu'il rentreroit fous 1'obéiffance du Siege de Rome. II mourut A fon retour, fans avoir eu letemps Tome XIII. E C ONSTANTIN IV. Ann. 672; veque de Raver.ne. Rubeus Hifi. Rav. I. 4- Murat. annal. hal. t. IV. p. 152,166. Abrégé chr. de Vhift. Sltal. 1. Ui 0. 264 6-  cons- Vantin IV. Ann, 672.. 9f? iïlSTOIRE de donner des preuves de fa foumiffion. Théodore qui lui fuccéda, ne différa point de rempiir cette obligation : il alla fe faire facrer k Rome. Cet acte de déférence révolta 1'orgueil de fon Clergé. On fe fépare de lui; la guerre s'allume entre le Prélat & les Ecclénaftiques de Ravenne, D'uncöté, 1'Archevêque privé le Clergé de quelques droits légitimes; de 1'autre, le Clergé fait chifme, Screfufe de communiquer avec 1'Archevêque. II fallut avoir recours a la puiffance féculiere ; 1'Exarque vint a bout de réunir les deux partis. Mais les différends du Saint Siege avec les Archevêques ne furent entiérement terminés qu'en 68z, par la fage condefcendance duPapeLéon, qui, en abandonnant des droits abufifs ufurpés par fes prédéceffeurs , retint ceux qui étoient réels & légitimes. La tranfaction faite k ce fujet fut confirmée par un décret de 1'Empereur, qui dérogeant k celui de Conflant, ordonna que 1'Eglife de Ravenne rentrat fous ia dépendance du Saint Siege; & que, fuivant 1'ancien ufage , 1'Archevêque allat fe faire facrer k Rome. On cé-"  nu Bas-Emfirr* Liv. LXL 99 ïébroit a Ravenne 1'anniverfaire de 1'Archevêque Maur, comme du reftaurateur des privileges & de la gloire de fon Eglife; le Pape défendit de rendre eet honneur a la mémoire d'un Prélat mort dans les Hens de 1'excommunication, & il fut obéi. Tandis que 1'Occidentétoit en paix, les Sarafins tenoient 1'Orient dans de continuelles allarmes. Cette année 672 , ils équiperent une flotte beaucoup plus formidable qu'ils n'avoient fait jufqu'alors. L'épouvante s'empara des efprits; les phénomenes de la nature furent interprétés comme des pré» fages funeftes. Ün arc-en-ciel qui parut au mois de Mars pendant plufieurs jours, jetta les peuples dans la confternation. C'étoit, difoit-on , 1'avantcoureur de la deftruction univerfelle. Les Sarafins mêmes n'étoient pas fans crainte; une épidémie cruelle défoloit 1'Egypte. Moavia, peu fufceptible de ees terreufs, mit fa flotte en mer fous le commandement de deux renégats, Mahomet &c Caïs , qui, rangeant les cötes de 1'Afie mineure, entrerentdans 1'Archipel. La faifon étant déja avancée, la flotte fe fépara: une partie E ij CONSTANTIN IV. Ann. 671. X. Flotte deS Sarafins. Theoph, p, 194.  COKSTAKTINIV. Ann. 672. XI. Invention ereurs en faiibient un fecret; i!s ne e confioient qu'a un ingénieur nomné par eux, & réfidentaConftantiïople, dont ils exigeoient fans doute e ferment, qu'il nele communiqueoit a perfonne. Lorfqu'un Prince tranger, qu'ils vouloient fatisfaire, es prioit de lui faire part de cette in'ention, ils aimoient mieux lui enoyer la matiere toute préparée, que e 1'inflruire de Ia préparation. Confïntin Porphyrogenete , qui vivoit u dixieme fiecle, dans les inflruclons qu'il donne a fon fils, lui reommande avee beaucoup d'inflance  du Bas-Empire. Liv. LX/. 105 de tenir cette compofition fecrete; & eet Empereur, grand conteur de fables , dit qu'elle fut apportée par un Ange au grand Conftantin ; que ce Prince chargea de malédiftions quiconque la communiqueroit aux étrangers , qu'il Ie déclara infame, permit a toute perfonne de lui courir fus; füt-il Empereur ou Patriarche. Si Pon veut Pen croire , le Ciel même eut la complaifance de fe conformer a cette injonction de Conftantin ; un des dépofitaires du fecret ayant oféle révéler, futtué d'un coup de foudre. Conftantinople dut alors fon falut au peu d'expérience des Sarafins, qui n'afiïégeant les villes que pendant Pété, leur laiffoient le temps de Phyver pour réparer leurs pertes &c fe préparer a une nouvelle défenfe. La flotte s'étant réunie au printems de 673 , vint envelopper la ville. Confrantinople efl un triangle dont la bafe regarde 1'Occident, &C la pointe aboutit au Bofphore quilafépare de 1'Afie. Le cöté méridional eft appuyé fur la Propontide ; le golfe de Céras borde le coté du Septentrion. Les vaifE v CONSTANTItï IV. Ann. 672. Ann. 673. XII. Commencementditfiege de Conftantinople.Thêoph, p% 294. Cedr. p. 4YI- Niceph. pi 21 , 22. Hifi. mifi l. 19. Zon. t. II. p. S9, 90,  Constant-inIV. Ann. 673, Elmacin , l. i. c. 7. Okley. Jault fur Okley. Hifi. univ. t. XV. p. 470,4-72.1 475,480. ;<-.] .ou f^g 106 II I S 2' 0 I It E feaux ennemis occupoient tout ce vafte contour, qui s'étend depuis 1'angle de la bafe formée par la Propontide, aujourd'hui le chateau des fept tours , jufqu'au promontoire qui termine le golfe de Céras. La flotte étoit augmentée d'un nouveau renfort fous la conduite de Calé, le plus vaillant & le plus hardi des Sarafins, envoyé par Moavia en qualité de Commandant-général. Yéfid, fils du Calife, s'y tranfporta lui-même quelques. temps après. Mais ce qui animoit eneore davantage les Mufulmans, c'eft qu'ils voyoient combattre a leur tête trois vieillards refpeftés de toute la nation. C'étoient d'anciens compagnons de Mahomet, a qui le zele deleur Religion faifoit effuyer, malgré leur grand age , les dangers &c les fatigues de cette guerre. L'un d'eux s nornmé Abou-Aioub, étoit celui quiavoit donné afyle au Prophete, lorfju'il s'étoit fauvé k Médine. Etant r^ort pendant le fiege , il fut enterré Jrès des murs; & fon tombeau efl :neore en grande vénération chez les Mufulmans : c'eft-Ia que les Empeeurs Ottomans vont ceindre 1'épée,.  ïyu Bjs-Êmpïaê. Liv. LXL \6f lorfqu'ils prennent poffefïion du tró- ' ne. Les troupes de débarquement faifoient leurs attaques du cöté de la rerre. Toutes les machines alors en tifage, portoient de part & d'autre la mort dans la ville & dans 1'armée. Mais rien ne caufa plus de frayeur Bc de perte aux Sarafins , que la pluie de feu Grégeois, qui tombant fur eux du haut des murs , s'attachoit aux hommes & aux vaifléaux, 6l les dévoroitjufque dans les eaux, fans qu'il fait poffible de Péteindre. Cependant tous ces maux ne purent' vaincre leur opiniatreté. Ils étoient encouragés par une tradition, fuivant laquelle Mahomet avoit déclaré , que tous les péehés feroient pardonnés a 1'armée Mufulmane , qui prendroit la ville capitale de Céfar. Après avoir fait des efforts continuels durant cinq mois, iïsallerentattaquerCyzique, & après 1'avoir prife, ils en hrent leur place d'armes & leur quartier d'hyver. La* guerre dura fept ans ; ils révenoient tous les ans au mois d'Avril devant Conftantinople , & retournoient a Cyzique au mois de Septembre. Pendant un fi longtemps, ni'lesMufulE vj CONSTANTItïIV. Lnn. 67 j«  CONSIV. Ann, 673. XIII. Divers Vvénements de -cinq anxées. , TheopJi. p. ^ 295 , 296. , Hifi. mifi. 3 J. 19. i Anafi. in Adeoiato. ' M.deGui- 1 gnes , hifi. c des Huns , . * 7. F. V 52 J- C Affemani { ■Eibl.or.t. * U. p. 104. ï f 'fi. univ. n *. ^r. p. ,1 478. 1 t( 6 al IC^ fl 1 S T 0 I 8: B mans ne fe lafierent d'attaquer r ni les Romains de fe défendre- Les Hiftonens ne nous donnent aucun détail de ce fiege mémorable. Tant d'actions- de valeur qui ont düle fignaler de part & d'autre,. font reftées dans 1 oubh. Ainfi pendant la durée de cinq: ans ,, 1'hiftoire de 1'Empire fe réduit prefqu'au file nee.. Quoique les principales forces desSarafins fuffent raflemblées- devant conftantinopleils étoient devenus uTez puiffantS' pour former encore 1'autres entreprifes. Abdalla,. fils de -ais, joint a Phadalas, entra dans> 'ifle de Crete, ou il paffal'hy ver..Ceut la première defcente des Sarafins lans cette ifle célebre. D'autres Aueurs nomment Elaredi. Ie chef de et-te expédition. Moavia traitoit les .hrétiens avec douceur; il n'exigeoit 'eux que Ie tribut,. & ne leur refu)it pas les graces qu'il accordoit * :s aurres fujets. Ce fut a leur priere u'il voulut bien réparer a fes dépens Eglife d'Edefie. Un tremblement de rre 1'avoit fait tomber le 3. Avril 79 > & grand nombre de Chrétiens ors affemblés, avoit péri fous les  du Bas-Empike. Liv. LXl. 109 ruines. Des nuées de fauterelles ravagerent la Syrië Sc la Méfopotamie. L'Italie, fur-tout-aux environs de Rome , efTuya de furieux orages; le pays fut inondé en plein été , & grand nombre d'habitants furent tués par la foudre. Les Sarafins avoient perdu la meilleure partie de leur armée, &C la pefie faifoit périr ceux que le fer &C le feu Grégeois avoient épargnés. Leur retraite toujours réglée au mois de Septembre, rendoit inutiles tous les travaux précédents; c'étoit chaque année un nouveau fiege Sc de nouv-elles fatigues. Enfin, au bout de fept ans , ils fe rebuterent, Sc s'éloignerent de Conftantinople en 679, avec autant de honte que de regret. Les habitants attribuerent le fnccès de leur défenfe a la protection de la Sainte Vierge, dont ils avoient déja éprouvé le fecours cinquante-trois ans auparavant, lorfque les Arabes joints aux Perfes, étoient venus attaquer leur ville. Ce qui les confirma dans cette penfée , c'efl que Parmée Sarafine , encore trés - nombreufe lorfqu'elle leva le fiege, fut entiérement constantiniv. Ann. 673. Ann. 679. XIV. Defaite des Sarafins. Tkéopk. p. 295. Cedr. p, 437- Nieeph. p, 22. Zon. torn* 1. p. 90. Hifi. mifc. I.19. Confl. Porph.l. I. them. 14. Combefis not.adorat. TjÏV a,H.a-  CONSTANTiNIV. Ann. 679. XV Paix avec Moavia. H 1 s t ra 1 r g détruite dans la retraite. Comme lè feu Grégeois leur avoit fait perdre un grand nombre de vaiffeaux, ils ne purent embarquer toutes leurs troupes & trente mille hommes, fous la conduite de Sophian, prirent la routede terre pour retourner en Syrië. La flotte rangeoit la cête de Pamphylie, lorfqu'une furieufe tempête la porta fur le promontoire de Sylée, ou Perge , avec tant de violence, que tousles navires furent brifés & abymés> dans les eaux. L'armée de terre ne fiit pas plus heureufe. L'Empereur avoit envoyé k fa pourfuite tout ce qu'il avoit de troupes a Conftantinople , fous la conduite de trois Généraux, Florus, Pétronas & Gyprien. Ils la joignirent prés de Cibyre ; les foldats Sarafins languiflants , eftropiés, couverts de bleffures, ayant k peine affez de force pour une marche tranquille , furent- taillés en. pieces prefque fans réfiftance, comme des malades qu'on auroit égorgés dansleurs lits. II n'en coüta aux Romains gue la peine de les atteindre. Tant de pertes rabattirent la fierté lu Calife; II envoya des AmbalTa-  du Bjs-Empire. Liv. LXi. 111 deurs k Conftantinople pour traiter de la paix. L'Empereur les recut avec bonté; il fit partir avec eux lePatrice Pizigaude , vieillard fage ,. éloquent & très-expérimenté dans les affaires d'Etat. Après d'affez longues eonteftations, le Calife confentit a payer tribut k 1'Empire ; il devoit chaque année envoyer trois mille livres d'or, rendre cinquante prifonniers, &. faire préfent d'autant de chevaux Arabes de la meilleure race. A ces conditions la paix futconclue pour trente ans , & confirmée par le ferment des deux Princes. Pizigaude fe: fit eftimer du Calife, qui le combla de préfents. Ce joug impofé a une nation qui faifoit trembler toutes les autres, fit grand honneur k Conftantin. Ce fut un fignal qui fit tomber k fes pieds tout 1'Occident. Le Kan des Abares, le Roi des Lombards, les Ducs de Bénévent , de Frioul & de Spolete, lui députerent pour lui demander fon amitié. II prit le ton fupérieur dans les traités qvill fit avec eux ; tout plioit devant un Prince, qu'on croyoit affez habile & affez heureux pour relever 1'ancienne majefté de 1'Em- CONSTAKTIMIV. Ann. 679» Theoph. p, 295. Cedr. p, 4*7- Niceph. p* 22. Zon. t. Ui p. 90. Con/l. Porph. De adnu. inrp. c. 21. Pagi ad P,ir. AJfem. bibl. J-ir. Or. £» IV. c. 2J>  CONSTANTIN IV. Ann. 679. XVI. NouveauxPrincesde Byblos. Theoph. p, Cedr. p. 437. Conjl. Porph. de adm. imp. c. 21. Willelmus Tyr. bel. facr. I. 22. c. 8. Jaccb a Vitriaco apud ge/la Dei per Francos, p. 1093. Pagi ad Bar. Dandini, voy. du ; mont Li- : ban. c. 19. avec les re- ] marqués de ( Richard Simon. ' Faugus 1 112 IllS t O 1 R E pire , & lui rendre tout 1'éclat dont il avoit brille fous le premier Conftantin. Ce fut un nouvel ennemi , forti des cayernes du Liban, qui obligea le Calife a recevoir des conditions fi peu compatibles avec la fierté Sarafine. Les Maronites vengeoient 1'Empire malgré 1'Empereur, qui les traitoit de rébelles, paree que fe voyant abandonnés , ils s'étoient donné un chef. Ils rendoient aux Sarafins dans la Syrië, tous les maux que les Sarafins caufoient k 1'Empire dans 1'Afie mineure. Cette nation, qui, femblable aux matieres légeres, n'a point été fubmergée au milieu des flots de tant de barbares divers , dont la Syrië a été inondée, & qui fubfifte en:ore aujourd'hui fóus la proteetion iu Prince des Drufes, fe forma dans e feptieme fiecle, & dut fa naiflance i fes malheurs & k fon courage. Les nontagnes du Liban lui fervirent d'a)ord de berceau , & enfuite de rem>arts contre les fureurs des Sarafins. Z'eA ainfi qu'en plufieurs points de ïotre globe, on appercoit des naions anciennes, cachées entre des  du Bas-Empire. Liv. LXI. 113 montagnes, oü confervant leur liberté originaire a l'abri de leur ïndigence encore plus qu'a la faveur de ces boulevards naturels, elles fe maintiennent pauvres & heureufes par le mépris ou par la crainte des peuples conquérants qui les environnent. Nous avons déja dit un mot des nouveaux Souverains de Byblos, dans le récit de la bataille d'Emefe fous 1'an 634. L'occafion préfente nous oblige d'entrer dans un plus grand détail. Du temps que Chofroès Jt ravagepit la Syrië, il avoit établi des garnifons dans la vallée de Tripoli, entre les montagnes & la mer ; ce beau pays , devenu une de fes Provinces , prit le nom de Chofroëne, & porte encore aujourd'hui celui de Kefroan. Les incurfions des Perfes défolant tous les environs , dont 1'Empereur fembloit avoir abandonné la défenfe, un habitant du pays, homme puiffant & courageux, nommé Jofeph , fe mil a la tête d'une troupe d'aventurierï affez hardis pour le fuivre; il s'empara de Byblos ; & fans 1'aveu ni Foppofition de 1'Empereur, il défea- COKSTANTIN IV. Ann. 679.' Naironus ie origint Maronitarum. Le Qui en ,' Oriens Chriji. t. III. p. I. & feqq. AJfemani. Bib!. Or. t. l.c. 2,0 , 35- IJem. Ital. Hi/l.firipfi t.ll.p. 95, 94 , IOO 3 101 ,102, 104, 105, 468,469,  CONSTANTINIV. Ann, 679. j 4 ( ] ( f r x d a h d fi XVII. Origine -ft 114 HlSTOIRE dit la cöte de Phénicie. Job qui fe| iucceda, étendit fes conquêtes jufqu en Galilée , & fe rendit maitre de Ceiaree de Philippe. Héraclius regardoit avec mdifférence les procés de cette nouvelle Dynaftié; il aimoit rmeux voir ces pays au pouvoir de fes iujets naturels, que fous la domination des Perfes. Elie , Wffeur de Job, amena des troupes a 1'armée Romaine, pour combattre les Sarafins devant Emefe, & fut tué dans la bataille. Un fecond Jofeph prit fa >lace} & malgré les efiörts des Saafins, qui fe rendirent maïtres de la ote de Syrië , depuis Antioche jufui en Egypte, il fe maintint dans iyblos, & fe fortifia fur les hauteurs u Liban. Jean , héritier de fa puifmce & de fa valeur, entreprit de econquérir laTerre-Sainter une nouelle peuplade , fortie des territoires Antioche , d'Apamée & d'Emefe, a nombre de plus de quarante mille ommes, pour fe ranger fous fes orres , animoit fon courage , & fortioit fes efpérances. C'étoient des Chrétiens zélés, qui pportant impatiemment le jong des  nu Bas-Esipiré. Liv. LXL Sarafins , fe cantonnerent dans le mont Liban. Ils fe nommoient Maronites. Rien n'eft plus obfcur ni plus contefté que leur origine. Quelques Auteurs prétendent qu'ils ont pris leur nom d'une contrée de Céléfyrie , nommée Maronia. Ce fentiment feroit le plus fimple, fi cette contrée étoit connue. Eutychius, Patriarche d'Alexandrie dans le dixieme fiecle, en fait un nom de feöe, dont le chef, dit-il, fi.it un Moine héréfiarque, nommé Maron, qui vivoit du temps de Maurice , & qui n'admettoit en Jefus-Chrift qu'une volonté & une opération. Cette opinion eft appuyée du témoignage des Hiftoriens des Croifades. Ils rapportent que les Maronites abjurerent leurs erreurs, & qu'ils fe réunirent a 1'Eglife Romaine entre les mains d'Aimeric. troifieme Patriarche Latin d'Antioche, en n8a. Prefque touslesEcrivains modernes ont fuivi ce fentiment , ils prétendent même qu'après ce retour a 1'Eglife , ils retony berent dans leurs erreurs. On voii les Maronites de Cypre faire de nouveau abjuration en 1445 , fous U Constantie IV. Ann.679. des Marc^ nices.  CONSTANTIN IV. Ann, 679. j 1 II6 HlSTOIRE Pontificat d'Eugene IV. Un Evêque Francifcain attribue leur converfion a un miracle femblable a celui qui fut fait pour Jofué ; il raconte que le foleil rétrograda ala priere d'un Francifcain Flamand, nommé Griphon, & qu'il n'en fallut pas davantage pour convertir les Maronites. D'autres retardent leur converfion jufqu'en 1582. Ce qui femble fortifier cette opinion , c'eft qu'on trouve encore des veftiges d'erreur dans les anciens livres des Maronites. Malgré toutes ces préfomptions fi peu favorables a ce peuple fingulier, plufieurs Maronites modernes, très-verfés dans leurs antiguités & très-habiles en tout genre Je critique , ont prouvé par de trèsfbrtes raifons, que les Maronites fu•ent toujours Catholiques & attachés i 1'Eglife Romaine. La Syrië étant di/ifée en un grand nombre de fefles, Vlacédoniens, Apollinariftes , Nefto■iens i Eutyquiens , Jacobites , ces ïérétiques donnerent le nom de Maonites aux Catholiques qui fuivoient a doörine de Saint Maron , & les Caholiques Padopterent comme un tire d'honneur, Maron avoit été un  du Bas-Empire. Liv. LX1. 117 des plus grands adverfaires des hérétiques , & Pon croit que c'eft le Moine nommé Maron , auquel eft adreffée une lettre de Saint Jean Chryfoftöme. Ses reliques furent depofées dans une grande Eglife dédiée fous fon invocation, & les Grecs célebrent fa fète le 14 Février. Ses Difciples batirent fous fon nom , entre Apamée & Emefe, au bord de 1'Oronte, un célebre monaftere,ou fe raffemblerent jufqu'a huit cents Moines. Les trois cents cinquante Moines qui furent maflacrés par les hérétiques du temps de Pierre le Foulon , étoient de ce monaftere. L'opinion d'Eutychius fe détruit d'ellemême ; il faitremonter jufqu'a Maurice 1'origine du Monothélifme , que nul Auteur ne fait naitre avant le regne d'Héraclius. Ce chroniqueur Arabe, aufli peu exaft pour les faits que pour la chronologie, eft le feui qui parle d'un héréfiarque, nommé Maron , perfonnage inconnu k toute 1'antiquité. On répond au témoignage de Guillaume de Tyr & des autres Hiftoriens des Croifades, que les Maronites viyant au milieu des hé- CONSTANTINIV. A.nn. 679.  CONSTANTIN IV. Ann. 679, xvm. Jean Maron , Patriarchedes Maronites. Il8 fl I s T X) 1 g E réfies , dont I'Orient étoit infecté > plufieurs d'entr'eux s'étoient écartés de la doctrine orthodoxe ; que ce fut cette portion quiabjura entre les mains du Patriarche d'Antioche, & que les Latins 1'ont mal - a - propos confondueavec la nation entiere. Les Jacobites avec lefquels ils étoient mêlés dans le civil, altérerent même leurs livres,&y glifferentdes erreurs, qu'on ne trouve pas dans leurs plus anciens manufcrits. Cette contagion gagna fur-tout dans 1'ifle de Cypre, &s'y entretint jufque dans lequinzieme & feizieme fiecles. Mais la doctrine Catholique &c Punion avec 1'Eglife Romaine, fe conferverent toujours dans le corps de la nation. Unepreuve que le nom de Maronites n'efl pas ün nom de Se&e , c'eft qu'encore k préfent ils fenomment ainfieux-mêmes, & qu'ils font ainli nommés par 1'Eglife Romaine , quoique leur orthodoxie ne foit pas fufpecte. Jean,Evêque de Philadelphie, que le Pape Martin avoit établi Vicaire du Saint Siege en Oriënt, apprit avec joie que les Maronites avoient fecoué le joug des Sarafins, & que s'étant  nu Bas-Empire. Liv. LXI. 119 joints aux Princes de Byblos, ils étoient maitres du Liban & de tout le pays depuis le mont Maurus oula montagne noire, qui eft la même que le Cafius vers Antioche, jufqu'en Gaiilée. Afin que cette nouvelle peuplade ne fut pas privée de fecours fpirituels, il leur donna pour Evêque Jean Maron, Moine dans le monaftere de Saint Maron fur 1'Oronte. C'étoit un homme favant, qui avoit déja fervi TEglife par des écrits contre les feöateurs de Neftorius & d'Eutychès. II fut facré Evêque de Bótrys, avec le titre de Patriarche des Maronites, & le pouvoir de facrer des Evêques dans tout le pays de leur dépendance. II ramena au fein de TEglife grand nombre d'hérétiques. Ses mifiïonnaires fe répandirent d'un cöté jufqu'a Jérufalem , de 1'autre jufque dans la petite Arménie; & par fes foins charitables, non-feulement il accrut le nombre des fideles, mais il augmenta même confidérablement les forces du petit Etat dont il étoit le pafteur. Quantité de nouveaux convertis, voifins, éloignés, libres, efelaves , virent peupler les retraites CONSTANTJNIV. Ann. 679;  CONSTANTIN IV. Ann. 679. XIX. Progrès des Maronites. 1 ] ; | ia© HlSTOIRE du Liban, & groflir le nombre des Maronites. Ce nom leur devint d'autant plus cher & plusprécieux, qu'ils le voyoient revivre dans leur nouveau Pafteur avec les vertus du faint perfonnage dont ils honoroient la mémoire. Jean & fes fucceffeurs choiflrent pour leur réfidence le monaflere de Canobin, fondé par le grand Théodofe dans la vallée de Tripoli, fur les bords du Nahr-Kadès , ou Fleuve Saint. Depuis Innocent III, ces Prélats ont jointa leur titre celui dePatriarches d'Antioche pour les Maronites , & ils font ainfi nommés dans les Bulles des Papes. Le nouveau Patriarche n'étoit pas moins propre a la conduite des affaires féculieres , qu'au gouvernement eccléfiaftique. II fiit allumer dans le :ceur des Maronites ces fentiments de :ourage qui les rendirent le fléau des ïarafins en Syrië. Ils devinrent follats intrépides, aufli adroits a tirer de 'are qu'a manier leurs chevaux ; les neilleursfantaflins & lesmeilleurs cavaliers de tout 1'Orient. Jean de By)los, fortifié d'un, li puiffant fecours , i'empara en peu de temps de toute la cöte.  bu Bas-Empire. Liv. LXI. 121 ; cöte depuis Marghat, qui eft 1'an: cienne Marathus , jufqu'au-dela: du i Cartnel. II pouffa les courfes d'un : cöté jufqu'a Jérufalem, de 1'autre au: del& de Damas jufqu'aux frontieres j de 1'Arabie déferte. Les cavernes du i Liban fervoient de retraite aux Ma■ ronites, & les fommets de ces hautes ! montagnes de forterefles inacceflïbles. . lis batirent trois grandes villes; Bafi conta fur le penchant du Liban du 1 cöté de POrient, au-deffus de la valI lée de Belkah , nommée autrefois , Aulon, qui féparant Ie Liban de 1'an! ti - Liban , s'étend depuis Balbek ,' 1'ancienne Héliopolis, jufqu'aux en, virons de Tyr. Haddeth fut batie dans la vallée oü coule le Nahr-Ka; dès, qui paffant fous Canobin, laiffe I Haddeth a quelque diftance fur la ; gauche. Mais le plus grand de leurs établiffements fut la ville de Befciarraï, fituée au pied du Liban, un peu au-deffous de la fource du Nahr-Kadès. Elle étoit défendue par une bonI ne citadelle; ce fut dans la fuite la demeure du chef des Maronites. Les Princes de Byblos fe difoient toujoursfujets de 1'Empire, & préTon e XIII. F COKSTANTIN* IV. Ann. 679; XX. Origine  CONSTANTIN IV. Ann. 679. du nom des Mardaïtes. IZi II I S T 0 I R E tendoient ne rlen faire que pour fadéfenfe. Cependant ris agiffoient en Souverains indépendants; & fans confidérer fi Pon étoit en paix ou en guerre avec les Sarafins , ils ne connoiffoient point de treve avec ces voiiïnsodieux. En vain, 1'Empereur leur envoyoit-il ordre de pofer les armes, toutes les fois qu'il faifoit la paix avec les Sarafins; au mépris de ces ordres, ils continuoient leurs hoftilités. Ce fut alors qu'on donna aux Maronites le nom de Mardaïtes, fous lequel ils ont été communément délignés jufqu'au temps de leur difperfion ïous le regne de Juftinien II, ainfi que nous le raconterons-dans lafuite. C'eft un mot Arabe-qui fignifie rebelles. Malgré leur proteftation, la Cour de Conftantinople ne les regarda plus que comme des fujets révoltés. Cependant quelques Auteurs penfent que le nom de Mardaïtes leur fut donné non par les Romains, mais par les Sarafins , qui fe regardant comme maitres légitimes de la Syrië par le droit des armes, traiterentde rébellion la hardieffe de ces habitants qui refufoient de leur obéir; & ce  du Bas-Empire. Lfo. LXI. i£3 qui confirme ce fentiment, c'eft que le nom de Mardaïtes eft de la langue Arabe. Les Maronites qui faïfbient la paf lie la plus coniïdérable de la nation , avoient donné le nom a tout le refte. Apv-ès la mort de Jean , ils choifirent deux chefs pleins de courage, Paul & Fortunat, qui é'tant fortis de Haddeth a la tête de quelques troupes j rencontrerent un detachement de Sarafins qu'ils taillerent en pieces, Moavia pour s'en venger, fit afliéger Haddeth par une armée nombreufe. Les Maronites parient encore aujourd'hui de ce fiege mémorable, oü leurs aneêtres, fans autre fecours que celui de leur valeur & de leur conftance, repoufferent durant fept ans les fréquents aflauts des Sarafins, & les auroient forcés a lever le fiege, fi la ville n'eüt été prife par trahilbn. Elle fut rafée. On y comptoit dix-fept cents maifons. Les Mufulmans fe préparoient k reconquérir toute la Phénicie. Les Maronites, trop foibles pour réfifter aux forces des Mufulmans, eurent recours a 1'Empereur. Ils offroient de recevoir pour chef celui F ij CONSTAHTIN IV. Ann. 6jyi XXI. Suite de 1'hiftoire des Mare-, nites.  CONSTANTIN IV, Ann, 679. 124 HlSTÖIRE qu'il voudroit leur envoyer avec du fecours, & de lui obéir fidélement. Mais Conftantin étoit alors occupé k fe prémunir Jui-même contre 1'orage qu'il voyoit prêt k fondre fur fa capilale. Les Maronites furent donc obligés de fe donner un chef; car Paul & Fortunat avoient péri dans le faccagement d'Haddeth. Je ne trouve point dans les Auteurs le nom de celui qui fut élu par les fuffrages de la nation; il ne fut proclamé qu'après avoir promis avec ferment, qu'il ne permettroit k aucun Saraiin ni hérétique de s'établir dans le pays, & qu'il n'en recevroit aucun dans fa maifon ; on lui déclara que s'il manquoit a fa parole, il feroit excommunié par le Patriarche. Le nouveau Prince cherchant a regagner les bonnes graces de 1'Empereur , envoya des députés k Conftantinople. II demandoit d'être confirmé dans fa dignité; il protefloit que les Maronites dans toutes leurs entreprifes n'avoient en vue que leur füreté &C le maintien de leur religion, & que 1'Empereur n'avoit point de fujets plus zélés & plus fideles. C'étoit le  nu Bas-Empire. Liv. LXI. 1*5 temps ou Conftantinople fe voyoit tous les ans affiégés par les Sarafins. On ne fait quelle fut la réponfe de rEmpjereur, a qui des dangers plus prochains faifoient perdre de vue la Syrië. - Ce chef des Maronites étant mort bientöt après cette députation, fon fils Salem lui fuccéda. Voulant augmenter la population de fon petit Etat, il oublia le ferment de fon pere, Sc permit aux hérétiques, qui étoient en grand nombre dans les environs, de venir s etablir dans le Liban. Le Patriarche 1'excommunia; Sc par une fuite alors inévitable chez les peuples ignorants Sc fuperftitieux, les Maronites refuferent de lui obéir. Ces difcuffions firent renaïtre aux Sarafins 1'envie d'envahir le Liban. Ils partagerent leurs forces, Sc attaquerent en même-temps Tripoli, Byblos Sc Befciarraï. Les habitants de ces trois villes fe défendirent avec tant de courage , qu'ils forcerent les ennemis de lever le fiege. Les Maronites appellerent au Liban toutes leurs troupes de Phénicie ; ils s'affemblerent au nombre de trente mille hommes, Sc F iij Constantie IV. Arm. 679. XXII. Nouvelles vi&oires des Maronites fur les Sarafins,  CONSTANTIN IV. hnn, 679. iz£ H I S T 0 1 R E fans être commandés par Salem qu'ils ne vouloient plus avoir pour maitre depuis fon excommunication, ils fe diftrihuerent fous différents chefs dans des pofies avantageux fur les divers fommets du Liban. Ils apprirent qu'une armée de Sarafins étoit campée au bord de la mer entre Byblos & Botrys. Ils réfolurent de les attaquer & s'étant partagés en plufieurs corps, ils tomberent fur eux de toutes parts, avec tant de furie, qu'ils les mirent en fuite , & les pourfuivirent avec grand carnage jufqu'a un fleuve prés d'Alfidar. Ils flrent quatre mille prifonniers, & remporterent beaucoup de butin. Quelques jours après, Salem ayant appris qu'il étoit refté dans le Liban quelques troupes de Sarafins , y courut; & pour mériter d'être relevé de 1'excommunicatios & regagner la confiance de fes Hijets, il chaffa non-feulement les Sarafins , mais aufli tous les hérétiques, auxquels il avoit auparavant permis d'habiter le Liban. Ce furent les. attaques & les courfes continuelles de ces opiniatres ennemis, qui forcerent Moavia de demander la paix a 1'Empereur»  du Bas-Empzre. Liv. LXI. 127 Nous verrons la fuite de 1'hiftoire des Maronites fous le regne de Juftinien IL Dans le même temps que les Maronites étonnoient les Sarafins dans un coin de la Syrië par leur indomptable valeur ,. une nation beaucoup plus nombreufe & plus formidable, qui n'avoit encore porté a 1'Empire que de légeres- atteintes , eommencoita 1'attaquer par des coups mortels , en lui enlevant des Provinces entieres. Les Bulgares étoient connus depuis le regne de Zénon ; sous en avons indiquc 1'origine. Une de leurs hordes s'étant avancée en 485 des bords du Volga au Boryflene, fut défaite par le grand Théodoric. Quatorze ans après, ils pénétrerent en Thrace, &C défirent une armée Romaine. Ils continuerent leurs ravages, & ce ne fut que 1'arger.t d'Anaftafe,. qui leur fit repalTer le Danube. Ce Prince, pour arrêter leurs courfes & celles des autres barbares, fit batir la longue muraille. Les Abares étoient alors les plus puiffants des peuples feptentrionaux, qui eufient entamé lesfrontieres de 1'EmF iv CONSTANTIN IV. linn. 679*. XXIII. Hiftoire ^es Bulgares. Theoph. p. 96 & feqq. Niceph. p. 22. 7.3. Cedr. p. 438,440. Hifi. mifc. l.l9. Confi. Porph. Them. p. 21. Zon. t. II. p. 91. Aincoin. I. 4. c. 24. Sigeb. chron.' Pagi ad Par. Dodwel in excerpt. S-trab. Du Cange famByl.p. 305 6feqq. M. de Guignes , hifi. des Huns , l. II. p.  CONSTANTINIV. Ann. 679, ï«4. 5M« Mém. Asad. t. XXX.hifi. f- J43- J 4 < t 3 < < i 1 l H 1 S T 0 I R E pire. Ik s'étendoient depuis Ie Norique le long du Danube jufque bien ayant en Méfie, & poffédoient les deux Pannonies. Leur domination ernbraffoit encore toute 1'ancienne Dace ; les Efclavons, habitants de ces valtes contrées qui bordent le Pont-Euxin jufqu'aux Palus Méotides, étoient leurs fujets. Les Bulgares fe joignirent a eux, & fe foumirent k leur Khan. Mais comme ils prétendoient leur étre affociés & non pas aiTujetfis, le Khan étant mort, les Bulgares voulurent faire élire un fucceffeur qui fut de leur nation. On en vint aux armes, & les Aba■es furent vainqueurs. Une partie les Bulgares ne pouvant fouffrir une lomination étrangere, fe retira dans es Etats de Dagobert, Roi de Fran:e, & lui demanda un afyle. II les !nvoya paffer 1'hyver en Baviere, ;n attendant qu'il eut délibéré fur eur requête. Le Confeil fut d'avis le fe défaire de ces hötes dangereux. )n expédia des ordres fecrets de les gorger tous dans la même nuit avec eurs femmes & leurs enfants. II en >érit neuf mille dans ce maffacre  du Bas-Empiüe. Ltv. LXL 129 cruel; il ne s'en fauva que fept cents, qui trouverent une retraite chez les Efclavons Vinides. Ceux qui étoient reftés foumis aux Abares, vinrent ravager la Méfie & la petite Scythie. Juftinien, au commencement de fon regne, arrêta leurs courfes par la valeur de Cbilbudius, qui, après les avoir réprimés pendant trois ans , fut enfin défait & tué. En 538, les Romains gagnerent fur eux une bataille , & en perdirent deux. Ils furent enfuite foixante ans fans fe montrer en-deca du Danube. En 597, on les vit de nouveau voltiger fur les terres de 1'Empire. Ils avoient un Roi; mais ils reconnoiflbient pour maitre le Khan des Abares. Vers la fin du regne d'Héraclius, leur Roi Cubrat affranchit fa nation de ce joug incommode ; il chafla les Abares de fes Etats, & s'appuya de 1'alliance de 1'Empereur, qui 1'honora du titre de Patrice. Ce Prince vécut jufqu'au regne de Conftantin Pogonat. II laifla cinq fils, auxquels il recommanda par ion teftament de demeurer unis , pour maintenir leur indépendance contre F y CONSTANTINIV. Ann. 679. XXIV. Bulgares ftablis au >ord du Danubcs  Constantie IV. Aan. 679. I30 Hl S T 0 I R-S les nations étrangeses-, & fur-toat contre les Abares. Un avis fi fage fut bientöt. oublié. La jaloufie du commandement les fépara;, ils prirent chacun fous leurs ordres une partie de la nation. Les Bulgares en s'étendant vers POccident,. avoient confervé leur ancien territoire audela du Volga ; c'eft une Province de 1'Empire des Rufles, qui porte encore aujourd'hui le nom de Bul> gar : c'étoit la réfidence du Souver rain. L'ainé des freres, nommé Baliaa ou Batbaias, y. demeura, & fa poftérité y fubfifta longrtemps; mais, affoibli par la féparation de fes freres , il ne put réfifter aux ühafars , qui le réduifirent a leur payer tribut, comme fon pere 1'avoit prévu. Le fecond frere, nommé Cotrague,.palTa Ie Tanaïs, & s'établit far le bord de ce fleuve vis-a-vis de 1'ancienne Bulgarie.Le quatrieme alla fe joindre aux Abares en Pannonie. Le cinquieme fut,.felon les apparences, eet Altec , que nous avons. vu arriver en [talie fur la fin du regne de Grimoald , & s'incorporer avec les Lomjards.dans le Duché.de Bénévent. Le  nu Bas-Empire. Liv. LXÏ. 131' tvoifieme & Ie plus célebre, nommé ! Afparuch, fut le chef de la nouvelle nation des Bulgares , qui, pendant plus de trois fïecles, furent le . fléau de 1'Empire du cöté de 1'Occi^dent. Eft-ce par vengeance ou con-> forménient a la vérité, que les Auteurs Grecs les nomment une nation impure Sc abominable, Sc qu'ils les taxent de ce vice infame , dont le nom porte encore les traces de celui des Bulgares dans la plupart des langues de PEurope ? Afparuch, ayant paffé le Boryftene ou Danapris Sc lé Danaftris, aujourd'hui le Nieper SC le Niefter, s'établit vers les bouches du Danube, dans un terrein bordé d'un cöté par de valles marais, Sc de 1'autre par des roches efcarpées, II jugea ce pofte favorable pour la fureté de fa colonie, qui, n'étantpas nombreufe, montroit plus de cowrage que de force. Gantonnés dans ce fort, comme autant d'animaux féroces, ils fe hafardoient a paffer le Danube, Sc fai■foient d'affreux ravages au midi de ce fleuve. Pour fe délivrer d'un verfmage fi incommode, 1'Empereur raf F vj É—SjiaÖ'ESS CóNSrANTIN IV. tnn. 679. XXV. Mauvais fuccès de la guerre contre les Bulgares.  CoNS Tantin IV. Aan, 679. I i j j i j i « < $ 2 fx e ft sa é tr 1'. i32 JIlSTOlRE femble enThrace fes meilleures troitPfs; il équipe une flotte, & è ls tete de fes principales forces de terre & de mer, il entre lui-méme dans le Danube , qu'il borde de fes vaiffeaux, Ie fait paffer a fon armée, & va camper a la vue des barbares. EfFrayés d'un appareil fi redoutable, les Bulgares fe croyent perdus ; ils fe tienient enfermés entre leurs marais & eurs rochers, & fortifient encore >ar des retranchements cette enceinte nacceflible. Au bout de trois ou quare jours, voyant que les Romains ïofent entreprendre de les forcer? ls reprennent courage, & commenent a méprifer des ennemis fi timi'es. Dans ces conjonöures, 1'Empeeur, tourmenté des douleurs de Ia outte, fut obligé de quitter 1'armée our aller prendre les bains a Méïmbrie. II partit avec fa maifon feule ir une efcadre de cinq vaifleaux de Jurfe, après avoir donné ordre è s Officiers de faire leurs efforts pour tirer les ennemis au.combat ou : les tenir bloqués dans leurs reancheroents jufqu'a fon retour. Mais rraée, voyant partir 1'Empereur, fe  du Bas-Empire. Liv. LXF. 133 perfuade qu'il prendla fuite; la crainte s'empare de tous les cosurs; les Officiers ne peuvent retenir les foldats qui leur préfentent la pointe de leurs épées, & fans autre raifon que 1'exemple du Prince, tout fe débande, tout fuit vers le Danube. Les Bulgares, témoins de ce défordre, fondent fur eux, tuent les uns, bleffent les autres, & les pourfuivent jufqu'au fleuve qu'ils paffent après eux. Ils traverferent la petite Scithie, s'emparent de la ville de Varna fur le PontEuxin prés d'Odeffus, & fe fixent dans une pofition qui les met hors d'infulte. Le Danube derrière eux, a leur gauche le Pont-Euxin , a droite & devant eux les hauteurs du mont Hémus, leur forment une barrière impénétrable. De-la ils fe répandent dans les contrées d'alentour. Ils y trouvent établies fept peuplades d'Efclavons, qu'ils fubjnguent par Ia force de leurs armes, & qu'ils joignent k leurs troupes. S étendant alors dans tout le pays, qui porte encore aujourd'hui le nom de Bulgarie, d'un cöté ils font face aux Abares, de 1'autre aux Romains, & défoknt par des CONSTANT1W IV. Ann. 6794  CrjNSTANTINIV. Ann. 6.79. Ann. 680. XXVI. Conftantin aflemble un Concile. Theop. p. 69 , 300. Cedr. p. 438. Niceph. p. 24. & ibi Petau. Zon. t. II, p. 90. Anafi. in Agathone «S* Benedic- to n: Hifi. mifc. £19» PaulDiac. I- 6. c. 4. Sigon. de reg. hal. I. 2. Baronius. Pagi ad Bar, *24 HlS T 0 THE courfes continuelles les villes & les campagnes de laThrace. L'Empereur, dont 1'armée étoit entiérement diftipée, n'ayant plus de reflburce dans la force, fut contraint d'aeheter la paix en s'obligeant a leur payer une pen* fion annuelle. La paix enfin rétablie dans tout 1'Empire, mettoit 1'Empereur en état de la procurer k 1'Eglife. C'étoit ce qu'il defiroit depuis. long-temps. Le Pape Adeodat,. qui avoit fuccédé k Vitalien en 671, étant mort en 676, Donus monta fur le faint Siege en 6.77.La même année, Conftantin, Patriarche de Conftantinople, eut pour fuccefleur Théodore,. chef. du parti Monothélite, avec Macaire, Patriarche d'Antioche. Conftantinople n'étoit pas encore délivrée des attaques des Sa?rafins, qui revenoient Tafliéger tous les ans,,lorfqu'en 6781'Empereur pria le Pape Dönus d'envoyer des hommes fages & inftruits pour conférer avec les deux Patriarches ,. & pour terminer-Ies différends qui déchiroient le fein de 1'Eglife. II promettoit une entiere füreté pour ces Légats, & re«onnoiffoit que dans les difputes fur  du Bjs~Empire. Liv. ZAT. 13S k foi il ne pouvoit qu'exhorter les Chrétiens a la coneordefans prétendre avoir droit de contraindre les eonfciences.11 chargeoit 1'Exarque Théodore ,.fuccefleur de Grégoire, de fournir des vaiffeaux 6c tous les fraix du voyage a ceux qui feroient envoyés par le Pape.. La lettre n'arriva que 1'année fuivante , après la mort de Donus,. lorfqu'Agathon étoit déja fur le faint Siege. Le Pape fit favoir aux Evêques d'Occident les pieufes intentions de 1'Empereur. Aufli-tot il fe tint des fynodes. dans plufieurs Provinces., Ceux d'ltalie 6c des Gaules envoyerent des députés a Rome, oü le Pape aflembla,. le 17 Mars 680, un Concile de cent vingt-einq Evêques pour nommer les Légats qui devoient aller a Conftantinople, 6c pour préparer les matieres qui feroient agitées devant 1'Empereur. ToutTOccident, fans exception,. s'accordoit a rejettet Terreur des Monothélites,.. 6c a reconnoitre dans Jefus-Chrifl deux volontés & deux opérations,. ainfi que deux natures. La lettre que le Pape écrivit a 1'Empereur pour lui expofer la foi de 1'Eglife, &. lui adreffer fes CoNSTANTTN IV. i'rm. 68Ö. Fleury , ïift. ecclej'. '.. 39. art. +8, ;6. !. .40. art. 1,2,6,7, 10 & fuiy. Orienï Chrift. t. H o. 232. t. U.p.tfX, 453- 743» Murat. ann. hal. t IV. p. 158,159» 163,164.  CONSTANTÏN IV. 4.nn._68o. i 1 i i C 3 i t, r t h f. d i d H A C tr n: 136 H i s t 0 1 n e Légats, contient une peinture roti-' chante de 1'ignorance oü 1'inondation des barbares avoit plongé 1'Occidenr. Ne vous attendei Pas 9 feli dit - il, d trouver dans nos Légats l'éloquence fécuhere, ni même la fcienceparfaite des écri'■ures. Commentces lumieres auroient-elks pu fe conferver au milieu du tumulte les armes, dans des Prélats obligés de ',agner leur nourriture journaliere par le ravail de leurs mains ? Le patrimoite des Eglifes eft devenu la proie des arbares. Tout ce qu'ils ont pu fauver 'e tant de ravages, c'efl le trêfor de la oi, qu'ils gardent dans la Jimpticitéde iur cceur telle que nos peres nous Pont -anfmife, fans y rien ajouter, fans en 'en retrancher. Les Evêques du Conile parient le même langage dans leur )ttie fynodale : // ne nous refte, di?nt-ils, d'autre fcience que la vérité, 'autre talent que celui de l'Evangihi rotre unique étude eft de conferver la foi ms fa pureté au milieu du mélange de nt de nations qui nous environnent. 'otre triomphe eft de mourir pour elle. ette lettre, trés- eftimable pour la docine & les fentiments , prouve en ême-temps par le ftyle dans lequel  du Bas Empire. Liv. LX1. 137 elle eft écrite, la vérité de 1'aveu que font ces bons Evêques. Les Légats arriverent le ïo Septembre, & furent honorablement recus de 1'Empereur, qui les logea dans un de fes palais, & donna ordre de leur fournir tout ce qui étoit néceffaire pour leur entretien. II leur recommanda de traiter la matiere conteftée fans animolité, fans contention; d'écarter de la difpute toute fubtilité philofophique, ö£ de ne s'appuyer que fur 1'écriture , les Peres 6c les Conciles. Théodore vivoit encore , mais il n'étoit plus Patriarche. Baronius conjeöure qu'il avoit été dépofé comme Monothélite; ce qui n'eft pas vraifemblable, puifque le Concile étant convoqué pour décider quelle étoit fur ce point la croyance de 1'Eglife, c'auroit été prévenir fon jugement. De plus, il paroit par les aftes que la foi de George qui lui fut fubftitué , étoit au moins trèséquivoque, & que ce Prélat ne fe détacha du parti de Macaire, que dans le Concile. La première feflion s'ouvrit le 7 de Novembre dans un falIon du palais, nommé le döme. L'Em- COKSTANTIN IV. Knn. 680. XXVII. Sixieme Concile «énéral.  CONSTANTIN IV. fcnn, 680. jt I J J -1 ( | 1 1 .1 ( J T3? H I S ¥ 0 I R E pereur,. accompagné de treize de fes principaux Officiers, occupoit la première place; a fa gauche qui étoit le cöté le plus honorable, étoient affis les Légats du Pape , les députés d'Oceident & celui de Jérufalem; a fa droite, les deux Patriarches de Conftantinople & d'Antioche. Le livre des Evangilesétoit placé au milieu, comme pour éclairer cette fainte anem-blée. II n'y avoit point alors de Patriarche a Jérufalem , & celui d'A*ïexandrie, non plus que les Evêques lépendants de ces deux fieges, étant bumis k la domination des Mufulmans , n'avoit pu fe rendre au Coi> :ile. II y eut dix - huit feffions. Les :inq premières fe tinrent cette année; es treize autres 1'année fuivante 68 r. dacaire & fes feftateurs furent conraincus d?avoir falfifié les actes du cin[uieme Concile en y inférant des pie:es qui favorifoient le Monothélifme, l'avoir tronqué les palTages des Pees qu'ils produifoient pour appuyer eurs erreurs, & de foutenir une docrine oppofée a 1'Evangile & k la tralition. L'Empereur, occupé des a£aires d'Etat, fe retira après la on-  du Bas-Empire. Lh. LX!. iyo zieme feflion, & laifla quarrc Magif- : trats pour maintenir 1'ordre & la liberté des fuftrages. Macaire fut dcpofé, & Théophane mis a fa place ' fur le fiege d'Antioche. Un vieux Protre hérétique & extravagant, nommé Polychrone, offrit de reffufciter un mort pour prouver la vérité de fa croyance; on confentit a cette épreuve, pour ne pas donner de défiance au peuple toujours facile a féduire. Elle fut fake en public; le mort demeura fourd a toutes les conjurations de 1'impofteur, qui fut frappé d'anathême & dégradé de la prêtrife. L'Empereur fut préfent k la conclufion du Concile, qui fe termina le 16 Septembre. On décida que 1'Eglife avoit toujours reconnu en JefusChrift deux natures réunies fans confufion , & deux volontés diftinctes fans oppofition. On condamna les Auteurs du Monothélifme», entre lefquels lePape Honorius fut anathématifé. Les a&es furent foufcrits par les Légats., par foixante-cinq Evêques , & par 1'Empereur qui foufcrivit le dernieir. II appuya le jugement du Concile par un édit, dans lequel il défendoit toute Coxs- IV. Icn. 6SO. XXVIK. Fin du Concile.  CONSTANTIN IV. 4.nn. 6So. i 1 I 14-3 &ISTOIKS difpute fur la queftion décidée, fous peine de dépofition pour les Eccléfiaftiques , de confifcation & de bannilTement pour les laïques. Macaire & fes feftateurs opiniatres, ayant demandé d'être renvoyés au Pape, 1'Empereur leur aflïgna la ville de Rome pour le lieu de leur exil. A la priere des Légats, il déchargea 1'Eglife Romaine de plufieurs redevances onéreufes. II remit aux Papes la fomme d'argent qu'ils avoient coutume de payer après leur élection , pour obtenir 1'agrément de 1'Empereur. Cet ufage avoit été établi par les Rois Goths. Après eux les Empereurs s'en étoient fait un droit, & les Exarques n'oublioient pas de 1'exiger. Cette fomme stoit de trois mille fous d'or; ce qui revenoit k prés de quarante mille lipres de notre monnoie aftuelle. Conftantin abandonna 1'argent, & retint reulement le droit de confirmation, mquel il renonca même dans la fuite bus le pontifkat de Benoit II. II pa•oït que fon fils Juftinien reprit le Iroit de confirmer 1'élection des Pa>es, mais fans exiger d'argent. Agabon mourut avant le retour des Lé-  du Sas-Empire. Liv. LXI. 14.1 gats. Léon II, fon fucceffeur, recut Ia copie des adtes avec une lettre de 1'Empereur, qui prioit le Pape de lui envoyer un Légat, pour réfider a Conftantinople luivant Pancien ufage; ce qui fut exécuté. Dans la lettre que le Pape écrivit a 1'Empereur, il déclara qu'il recevoit la définition du Concile , & dans les anathêmes qu'il prononce contre les auteurs de la nouvelle héréfie, il nepargne pas même Honorius.Depuis la mort d'Honorius, les Patriarches de Conftantinople ne mettoient plus le nom des Papes dans les diptyques. Cependant Vitalien avoit ufé de tant de condefcendance è legard de Conflant & de fon fuccefTeur, que fon nom y avoit été admis par une faveur particuliere. Théodore & Macaire avoient obtenu de 1'Empereur, a force d'importunités , qu'il laiflat effacer le nom de Vitalien. Mais après le Concile, eet honneur lui fut rendu ainfi qu'a tous les fucceffeurs d'Honorius. Ce fut ainfi que la fageffe de 1'Empereur fit ceffer la divifion funefte qui féparoit 1'Eglife de Conftantinople de 1'Eglife de Rome, depuis le Patriarchat de Sergius. Théo- CONSTAHTINIV. Ann. 680.  CONSTANTIEIV. Ann. 6So. XXIX. Yéfid fuccede a Moavia. Theoph. p. 296, 300. Anafl. in Agathone. Hifi. mifc. I. 19. Paul Diac. I. 6. c. 5. Elmacin. I. ï.c. 7,8. Okley. Chr. Or. p. 66. Curio. hifi, Sarac. p. 28 , 29. Pagi ui Bar,~ Af. ie Guignes , hifi. des Huns , ï./.p.325. Affem. Bibl. Or. t. II. p. 104. Hifi. univ. t. XV. p. 480,482, 502, JOJ. 14a II I S T O I R E dore dépofé abjura fes erreurs. La preuve de fon retour a 1'Eglife Catholique, c'eft qu'après la mort de George en 683 , il fut rétabli fur le fiege de Conftantinople. Dans le temps que le Pape en» voyoit fes Légats au Concile, une pefte très-meurtriere défoloit 1'Italie, &c fur-tout Rome & Pavie , qui demeura déferte; ceux que lacontagion avoit épargnés, s'étant fauvés fur les montagnes. Ce fléau fe fit fentir avec violence pendant quatre mois, & ne ceffa qu'a la fin de Septembre. Cette même année dans le mois de ,Mai, mourut k Damas le Calife Moavia, le chef & 1'honneur des Ommiades, grand guerrier & grand politique, L'ambition 1'avoit rendu perfide; dés qu'elle fut fatisfaite, il ne montra plus que de la bonne foi & de la probité. Aux talents du gouvernement il joignit la douceur & la clémence. Quoiqu'il ne fut pas même lire, il avoit beaucoup de génie, nulle dureté dans les manieres non plus que dans les mceurs, une éloquence naturelle qui le rendoit maïtre des efprits. Aucun des Califes ne reflèmbla davantage k  du Bas-Ëmpire. Ltv. LXI. 143 Mahomet; aufli fut-il aimé du Pro- ; phete; & 1'on rapporte que dans un fertin , oü fe trouvoit Moavia , Mahomet fixant les yeux fur lui, s'e- : cria : O Dieu, fauve ce jeune homme i des périls auxquels l'expofera fon couragel II avoit vécu 78 ans, & en avoit régné 19 depuis la mort d'Ali. Le caractere de fon fucceffeur rendit encore fa perte plus fenfible. Jufqu'alors la dignité de Calife avoit été élective ; Moavia la rendit héréditaire, Ce Prince clairvoyant fur tout le refte, fut aveuglé par la tendreffe pa- ! ternelle; il chérilToit, il admiroit mê- 1 me fon fils Yéfid , en qui tous les Arabes ne voyoient rien que de finiflre & méprifable. Leurs Ecrivains difent qu'il étoit de très-mauvaifes : mceurs; & pour le prouver, ils lui reprochent trois vices qu'ils regardent comme capitaux : // étoit, difent-ils, adonné au vin, d aimoit la mufique, 1 & portoit de la foie : cenfure remarquable, & qui fait connoitre combien la vertu Mufulmane étoit encore ; rude & groffiere. Malgré les plus fortes oppofitions , Moavia vint a bout ' de faire reconnoitre fon fils pour fon Constantie IV. Ann, 68c,  CONSTANTIN IV. Aon. óSo. 144 II 1 S T 0 1 R P, collegue de fon vivant, & pour fon niccelTeur après la mort. Avant que d'exécuter ce deffein , il avoit coniulté fon beau-frere Ahnaf, fur le caradtere d'Yélid ; le fage Mufulman demeura d'abord dans le fdence; enfin prefle de parler : Que voule^-vous que je vous répondt ? lui dit—il: Si je mens, je crains de déplaire a Dieu; JLje dis la vérité, je crains de vous dèplaire. Yéfid ne démentit pas ce mauvais augure. Plus lettré, mais moins fenfé & moins humain que fon pere , il aima la poéfie & la débauche; il fit des vers , & commitdes meurtres; il déshonora fa propre foeur ; il verfa par fes cruautés le plus noble fang des Arabes; Selim , fon General, lui conquit la Bukarie & le Kharifme: le Roi de Samarcand fut forcé d'acheter la paix ; mais un rebelle nommé Mo&ar, lui enleva la Perfe. Les défordres du Prince jetterent le trouble dans PArabie. Médine fe révolta ; Yéfid la prit de force, & 1'abandonna au pillage. Les habitants furent pafles au fil de 1'épée, ou réduits en efclavage. Le vainqueur qui méprifoit fa propre religion ainfi que toutes les autres,  du Bas-Empire. Liv. LXI. 145 autres, ne tint aucun compte des menaces de Mahomet, qui avoit dit: Quiconque infultera ma ville, ma colere s'arrêtera fur fa tête. Peu s'en fallut que Pambition turbulente des deux freres de Conftantin s Héraclius & Tibere , n'excitat les mêmes troubles dans 1'Empire, En montant fur le tröne, il les avoit affociés a fa dignité , fans leur faire part de fa puiffance. II leur avoit pardonné la fédition , dont ils avoient été 1'occafion & peut-être les auteurs. Depuis ce temps-la, ils jouiffoient des honneurs attachés au titre d'Augufte. Leur nom accompagnoit celui du Prince dans tous les attes publics; c'eft ce que 1'on voit jufqu'a 1'an 681. Cependant ennuyés de ne fervir que d'ombre a leur frere, ils renouerent leurs anciennes intrigues. Mais leur complot fut encore une fois éventé & prévenu. Conftantin leur öta le titre dont il les avoit honorés, & les réduifit k la condition privée. Quelques Auteurs ajoutent qu'il leur fit couper le nez; ce qui n'eft ni certain ni même vraifemblable dans un Prince naturellement porté a la douceur, Tome XIII. G CONSTANT1NIV. Ann. 6Si« XXX. Conftantin öte z fes deux freres le titre d'Augurle.Theoph, p. JOO. Cedr. p. 440. Hifi. mifi. li 19. Du Cangt fam. Bn. p. 110, 121. AJfem. bibl. fur. Or. u IV.p.-v. Abrégé de. Thifi. SItal. t. I. p- 258. 264 , 2ÖSj  CONSTANTIN IV. Ann. 683. XXXI. Troubles chez les Sarafins. Theoph. p, .300. Hifi. mifc I. I9. Elmacin. I. I. p. 8 , II, 12. Chwn. Or. p. 66, 67. Pagi ad liar. Af. de Guignes, hifi. des Huns , t.1. P. 3^5- jiffem.hibl. Or. t. U. p. 104. Idem Ital. hifi. fctïpt, t. 11. p. 480. Hifi. univ.t. XV. p. JI7.5". 527. 146 HlSTOIRE II affocia en même-temps a 1'Empire fon fils Juftinien, qui n'étoit encore que dans fa douzieme année. Le faccagement de Médine, loin d'intimider les Arabes, les mit en fureur. La Mecque fe déclara pour les mécontents, &£ fut affiégée par 1'armée d'Yéfid. Les afïiégeants n'épargnerent pas même cette célebre Mofquée, qui eft 1'objet de la vénération de tous les peuples Mufulmans. On y mit le feu ; on brüla les portes de la Caaba , dont les murs portent encore les marqués de eet incendie. Enfin , la nouvelle de la mort d'Yéfid fit lever le fiege. II mourut en 683 , a Page de 39 ans , après avoir régné 3 ans & demi. Son fils Moavia II lui fuccéda. Celui-ei étoit un dévot fcrupuleux. Après la mort de fon pere , il confulta fon Cafuifte Omar fur le parti qu'il devoit prendre : C'e/i , lui dit Omar, de régner avec jujtice, ou de renoncer a la place de Vicaire du Prophete. Sur eet avis, le nouveau Ca • life aflembla le peuple dans la Mofquée de Damas, Sc lui dit : Mon aïeul Moavia s'ejl rendu maitre de la fouveraineté au pré/udice d'un homme dont ■  nu Bas-Empire. Liv. LXL 147 li droit étoit mieux fondi que le pen. Mon pere Yéfid lui a fuccédé, & nen étoit pas trop digne ; pour moi je ne veux pas rêpondre de vous quand je paroltrai devant Dieu ; donne{ d qui vous voudre^ le droit devous commander. Ayant dit ces mots, ildeicendiule la tribune, &s'allarenfermer dans fa maifon, réfolu de fe confacrer a la vie contemplative. Les Ommiades s'en prirent au Cafuilte, qu'ils enterrerent tout vif, póur avoir, difoient-ils, troublé le cerveau de leur maïtre par des pointilleries théologiques. Le Prince reclus mourut peu après de la pefte. Son fcrupule ne fut pas conta^ieux. Deux concurrents prirent en meme-temps le titre de Calife. Abdalla, qui n'étoit pas de la familie des Ommiades, fe rendit maitre de PArabie, de 1'Irac , de 1'E. gypte & de la Syrië. Mérouan, qui defcendoit d'Ommia, s'empara de Damas , dont il défit & tua le Gouverneur. 11 entra enfuite en Egypte, cVr en fit la conquête. Mais étant de retour a Damas, il envoya contre Abdalla une armée qui fut battue. II ne furvécut pas long-temps a cette défaite. La pefte qui continuoit de raG ij CONSTANTIN IV. Ann. 683,  CONSTANTINIV. Ann. 683. Aan. 684. XXXII. Le l'3pe I40 II I S T 0 I R E vager la Syrië, i'enleva après un regne de 10 mois. Son fils Abdolmélic hérita de fes titres & de fa puiffance. Comme Abdalla étoit maitre de la Mecque , Abdolmélic entrepritde détourner de cette ville les Mufulmans, qui fe croyent obligés d'y aller en dévotion une fois en leur vie. II réfolut de les attirer a Damas, & il offrit aux Chrétiens une fomme trèsconfidérable pour les engager a lui céder une grande Eglife , dont il prétendoit faire la Mofquée des pélerins. Mais les Chrétiens n'y voulurent jamais confentir ; ils s'en défendirent par la capitulation qu'ils avoient obtenue de Caled, & le Calife refpefla la foi des traités. A leur refus, il choifit pour fon deffein la Mofquée de Jérufalem , dont il augmenta 1'édifice. Dans la fuite, ayant reprit la Mecque , il lui rendit 1'honneur du pélerinage. Abdalla difputa la fouveraineté durant neuf ans , & fut puiffamment fecouru par Moftar, qui s'étoit emparé de la Perfe. Les deux dernieres années du regne de Conllantin fourniffent peu d'événements; & dans le gouverne-  du Bas-Empire. Liv. EXL 149 ment des Empires, comme dans la vie des particuliers, c'eft affez ordinairement la marqué d'un Etat heureux, paree qu'il eft tranquille. Les Sarafins lui payoient tribut : il le payoit lui-même aux Bulgares. Les Abares §c les Lombards reftoient en paix depuis plufieurs années. L'Empereur, pour donner a 1'Eglife Romaine une nouvelle preuve de fa parfaite réconciliation, envoya au Pape Benoit II, qui venoit de fuccéder a Léon II, quelques boucles de cheveux de fes deux fils, Juftinien & Héraclius. C'étoit, felon 1'ufage de ce temps - la, inviter le Pape a les adopter pour fes enfants, 8c le reconnoitre pour leur pere fpirituel. C'eft ainfi que quelques années après on voit les Rois des Bulgares , pour témoigner leur attachement au Saint Siege , fe couper les cheveux , 8c les mettre entre les mains des Légats du Pape, fe déclarant a 1'avenir ferfs de Saint Pierre Sc de fes fucceffeurs. Après dix-fept ans Sc deux mois de regne, Conftantin mourut d'une dyflenterie dans le mois de SeptemG iij CONSTANTItfIV. Ann. 684. Benoit II adopte les fils de Conftantin. Anafl. ia Benedicto II. Du Cangc fam. Byr. p. lil. Pagi ad Bar. Murat. ann. hal. t. IV. p. Ann. 6S). XXXIII. Mort de  COKS•TANTIN IV. Ann. 685. Conftantin Pogosat. Niceph. p. 24- Theoph.p. 301. Cedr. p. 440. Hifi. mifc. l 19. Paul diac. l.b.c. 11. Glycas , pag. 278. Du Cange fam. Byt. p. 120. XXXIV. Nouvelle diviiion de 1'Empire. Confi. Porph. de Themat. initio. Du Cange Gloff. €rac. 15® HlSTHIR-È bre 681;. II fut enterré dans 1'Eglife des Saints Apötres. Deux grands événements rendent méniorable le regne de ce Prince, les Sarafins vaincus, & la paix rendue a 1'Eglife. On peut dire qu'il retint 1'Empire fur le penchant de fa ruine; & s'il ne le releva pas , on n'en doit accufer que les conjonctures & la briéveté de fon regne. C'eft une perte pour la poltérité, qu'il n'ait point eu d'Hiftorïen qui nous ait tranfmis le détail de fes aftions. Placé par la Providence entre deux mauvais Princes, Cónftant fon pere lui laüTa 1'Empire ébranlé dans toutes fes parties; Juftinien fon fils ruina les appuis qu'il avoit préparés pour le foutenir. Jufqu'aux incurfions des Sarafins, 1'Empire Romain avoit été divifé en grands gouvernements, dont un feul contenoit plufieurs Provinces. On voit encore du temps de Juftinien toute 1'Afie mineure gouvernée par un feul Proconful. Un feul Préfet commandoit les troupes dans cette vafte étendue ; Bélifaire avoit fous fes ordres toutes celles de POrient. Mais lorfque les Sarafins eurent ea-  du Bas-Emi-ire. Lh. LXI. 151 tamé les frontieres, & que ré- " pandant de toutes parts, ils tenoient en échec toutes les Provinces , les Empereurs jugerent a propos de coupe/en moindres parties les grands départements, & de loger dans chacune de ces parties un corps ^ de troupes toujours prêt a courir a la première allarme : inflitution utile , fi ces troupes euflent été plus aguerries & mieux ,commandées, & iï les Empereurs euiïent quitté plus fouvent 1'ombre de leurs palais, pour fe montrer aux foldats. Ces^ divifions nouvelles fe nommerent Thêmes, mot qui fignifie pofition dans la langue Grecque : c'étoit le nom que, dès le temps de Maurice, on donnoit aux troupes cantonnées darts une Province. On le donna dans la fviite aux cantons mêmes; & 1'Empire Romain fut divifé en vingt - neuf Thêmes , dont dix-fept étoient contenus dans la partie oriëntale depuis les cötes de 1'Archipel jufqu'a PEuphrate; & douze dans la partie occidentale, depuis Cherfone dans le Bofphore Cimmérien jufqu'en Sicile. L'époque précife de ce changement n'eft pas bier G iv Constant-in IV. Un.685.  CONSTANTIN IV. Arm. 685. 15^ HlSTOIRE, &c. connue ; il fe -fit dans Pintervalle qui s'écoula depuis les dernieres années d'Héraclius, jufqu'a la fin du regne de Conftantin Pogonat»  i53 Hg ^ggg^ S O M M A I R E L1VRE SOIXANTE - DEUXIEME. I. Pr emi er fuccès de Jufinien. II. Mardaïtes tranjportés hors de leur pays. III. Affaires de 1'Eglife. IV. Guerre contre les Bulgares. V. Quatrieme expédition des Sarajins en Afrique. VI. Défaite des Sarajins. VII. Abandon de l'ifte de Cypre. VIII. Première monnoie des Sarajins. IX. Guerre contre les Sarajins. X. Etabliffemcnt du Carage. XI. Co/zcile in Trialle XII. J^i/zs efforts de 1'Empereur pour engager le Pape d foufcrire au Concile. XIII. Les Sarajins scmparent de t'Armenië. XIV. Cruautés de Jujlinien & de fes Minijlres. XV. Révolution d Conjlantinople. XVI. Jujlinien détróné. XVII. Maffacre a Ravenne. XVIII. Premier Doge de Venife. XIX. Cinquieme expédition des Sarajins enAfrique. XX. Succes de Haffan. XXI. Cari-hage reprife par les Romains. XXII. G v  ÏJ4 SOMMAIRE BV LlVRE LXIK Les Sarajins la reprennent, & en demeurent les maitres. XXIII. Tradition romanefque des Auteurs Arabes, xxiv. Léonce , détróné par Abjimare. XXV. Irruption des Romains en Syrië. XXVI. Expédition des Sarajins. XXVII. Bardane exilé. xxviu. Affaires £ltalie. XXIX. Succes divers des Sarajins & d'fféraclius. XXX. Aventures de Juftinien dans Jon exil. XXXI. // Je réfugié che^ les Bulgares. xxxn. Juftinien rétabli. XXXIIT. Cruelle vengeance de Jufinien. XXXIV. Suite des Cruautés de Jujlinien. XXXV. Jujlinien défait par les Bulgares. XXXVI. Prife de Tyanes par les Sarajins. XXXVII. Cruautè exercée fur Ravenne, XXXVIII. Voyage du Pape d Conftantinople. XXXIX. Hardieffe des Sa* rajins. XL. Vengeance de Jujlinien contre les Cherfonites. XLI. Révolte de Ravenne, XLII. Bardane, nommé Em. pereur a Cherfone. XLHI. Seconde entreprife contre cette ville. XLIV. Jujlinien maffacré. XLV. Filépique protégé les Monotkélites. XLVI. L'Occident re/ette théréjie. XLVII. Fêlix renvoyè d Ravenne. XLVIII. Jrruption des Bulgares & des Sarajins, XLIX, Filépique détróné.  i5f HISTOIRE D U BAS-EMPIRE. L1VRE SOIXANTE-DE UX1EME, JUSTINIEN II. LÉONCE. TIBERE II. JUSTINIEN II, uneficondefois,dit alorsRHINOTM FILÉPIQUE. UN Prince de feize ans fe jouant de la puiffance fouveraine, va replonger 1'Empire dans les malheurs , dont la prudence de fon pere avoit fufpendu le cours. Juftinien II joiG vj JUSTINIEN II. Ann. 6S6. 1. Premiers  JUSTINIEN II. Ann. 686. fuccès de Juftinien. Theoph. p. 3°ï. Niceph. p. 24. Ced. p. 44°. 44*. Hifi. mifi. I. 19. Zon. 1.11. ".91,9.2. Glycas, p. 279. Manajf, p. 79» 156 Bistoirs gnoit a Pinexpérience & aux autres défauts de la jeuneffe les vices d'un mauvais naturel. Dur, cruel, préfomptueux, ne prenant confeil que de fes caprices, il fe rendit odieux a fes fujets, méprïfable a fes ennemis. Cependant fon regne s'annonca par des fuccès affez heureux.. Les Sarafins fe déchïroient par des guerres civïles. Moöar en Perfe, Abdalla en Arabie y Saïd révolté en Syrië, partageoient les forces du Calife Abdolmélic En? même-temps , Jean , chef des Maronites & fuceeffeur de Salem, ne dpnnoit point de repos aux Sarafins. S'é~tant avancé jufqu'au mont Camel, dans le deffein d'aller attaquer Jérufalem , il fut furpris par les Sarafins de Gaza , qui lui tuerent trois mille hommes. Pour fe venger de eet échec, tl marcha vers Gaza, pilla les terres des environs , défif neuf mille hommes, enleva quantité d'habitants & de troupeaux, & retourna au Liban. L'Empereur crut Ia conjoncture favorable pour attaquer les Sarafins. II rompit la paix que fon pere avoit faite pour trente ans ; mais au-lieu de tomber fur la Syrië, dont le-s  du Bas-Empire. L'tv. LXII. 157 guerres civiles & les ravages des Mardaïtes lui ouvroient 1'entrée, il porta fes forces fur les Provinces feptentrionales. Elles étoient dégarnies; toutes les troupes des Mufulmans, partagées entre Abdolmélic & fes rivaux, s'étant réunies en Méfopotamie & en Syrië. Le Patrice Léonce, k Ia tête d'une nombreufe armée, traverfa fans obftacle 1'Arménie, Plbérie, PAlbanie , la Médie; il pénétra jufqu'en Hyrcanie, faifant par-tout un horrible carnage. Chargé de riches dépouilles qu'il fït palTer a 1'Empereur , il prit la route de Syrië, oü les divifions des Sarafins fembloient Paffurer du fuccès. Le Calife , vainqueur de Saïd qu'il avoit mis k mort, étoit rentré dans Damas , & avoit repris Antioche. Mais affoibli par tant d'agitations, il propofa une fufperriion d'armes, qui fut acceptée. Paul , Agent de 1'Empereur, conclut avec lui un nouveau traité de paix a des conditions plus avantageufes que celles dont on étoit convenu avec Moavia huk ans auparavant. Le Calife confentoit a donner chaque jour a 1'Empereur JUSTIKIEN II. \na. 686. n. Mardaïtes tranfportés hors de leur pays. Theoph. p. Cedr. p. 440, 441. Hifi. mifc. I. 19. Zon. t. IL p. 9l,<)li Confi. Perph.  JUS TIMEN II. Ann. 6S6. De 'adm. imp. e.22, jo. Anafl. in Joan. V. Baronius. Pagi ad Bar. Faufius Naironus p. 64. Okley. Oriens Chrifi. t. m.p. 14. & feqq. Ajfemani hél. Or. 1. I. p. 302. Idem hal. hifi. Script, t. ii p. 488 & feqq. Hifi. univ. t. XV. p. J 34- I58 HlSTOlRB mille pieces d'or , un cheval de race & un efclave. Du cöté des Romains, on cédoit au Calife la moitié des revenus de 1'ifle de Cypre, de 1'Arménie & de Plbérie. Cette paix devoit durerdixans. Par un article fecret, 1'Empereur s'engageoit k délivrer les Sarafins des incurfions continuelles des Mardaïtes. Pour Pexécution de ce dernier article , Léonce , fuivi d'un détachement de fon armée, entra en Syrië de concert avec les Sarafins , & marcha au mont Liban. Les Mardaïtes n'étant pas inftruits de la négociation de 1'Empereur, il fut aifé de leur faire accroire que les troupes Romaines venoient pour chaffer les Mufulmans de la Syrië. Léonce étoit chargé de préfents, & d'une lettre affectueufe pour le chef des Mardaïtes ; mais il avoit ordre de le tuer. Ce Général, aufli fourbe que fon maïtre r va trouver Jean dans la ville de Cabbélias, il lui met entre les mains la lettre & les préfents de 1'Empereur. Jean lui fit le meilleur accueil. Charmé de n'être plus regardé comme un rebelle, proteftant a Léonce que jamais les Maronites  uu Bas-Empire. Liv. LX IL 159 ne s'étoient écartés de la fidélité qu'ils devoient k 1'Empereur, & qu'en combattant fans ceffe les Sarafins, ils avoient cru fervir 1'Empire autant que fe défendre eux-mêmes, il 1'invite k un repas. Tandis qu'ils étoient k table , 6c qu'ils s'entretenoient des mefures qu'il falloit prendre pour réuffir dans la guerre qu'on alloit commencer, les foldats de Léonce, au fignal qu'il leur donne, fe jettent fut Jean, & le percent de coups. Les Maronites qui étoient préfents fondeni fur les affaflïns, & font eux-même; hachés en pieces. Une aftion fi atroce révolte tout le pays. Mais Léonce, moitié par argent, moitié pai menaces , vient k bout de calme: 1'orage. II fait prêter aux Mardaïte le ferment de fidélité. II leur donn pour chef, Simon , neveu du défunl 5 etant ainfi rendu maitre des efpril 6 des forterefles, il choifit douz mille des plus braves, & fous pr« texte que 1'Empire a befoin de leu fecours, il les fait fortir du pay Les uns font tranfportés dans la p< tite Arménie , d'autres en Thrac La plupart font établis en Pamphyl» JUSTINIEN II. Ann. 686. S e r i. 7  JUSTINIEN lli Ann. 686. ] 4 < i 1 i 1 i i ïöa H i s T O 1 R E oü ils eurent dans la fuite un chef fous le nom de Capitaine, qui réfidoit dans Attalée. Ceux qui refterent dans le Liban , affoiblis par cette divifion, fe tinrent cantonnés dans leurs montagnes , oü il étoit difficile de les forcer, comme ils étoient eux-mêmes hors d'état d'inquiéter les Sarafins. Tous les Ecrivains de ces temps-la parient de cette difperfion des Maronites , comme d'une faute capitale de Juftinien, ik d'une plaie mortelle faite a TEmpire. Ces peuples guerriers te* tioient a 1'abri d'infulte les frontieres ia cöté de Ia Syrië. Les Mufulmans stoient maitres de toutes les villes , Jepuis ; Mopfuefte en Cilicie jufqu'a a petite Arménie : mais fatigués >ar les courfes des Maronites, ils les ivoient abandonnées , & ce pays éduit en défert, fervoit de barrière i 1'Empire. Des que les Maronites airent perdu leurs forces, les Sarains fe rétablirent dans cette contrée; es hauteurs du mont Amanus & du nont Taurus leur fervirent de forereffes pour foudroyer 1'Afie -miieure, & défoler les Provinces Ronaines. Outre les Maronites qui ha-  du Bas-Empire. Liv. LXH. 161 bitent encore aujourd'hui dans le Liban , on en voit plufïeurs families établies fur les confins de la Cilicie & de 1'Armenië, & fur-tout dans Alep. Une famine dont la Syrië fut affligée Pannée fuivante, en fit encore fortir grand nombre d'habitants, qui allerent s'établir fur les terres de 1'Empire. Le jeune Empereur, déja déshonoré par la plus noire perfidie, ne tarda pas k donner des marqués de fon penchant k la cruauté. Un affez grand nombre de Manichéens avoient vécu tranquillement en Arménie fous 1'empire des Mufulmans; il eut été trop long de travailler a les convertir; Juftinien jugea plus court & plus facile de les faire brüler vifs. II témoignoit un grand zele pour la religion , dont il ignoroit le véritable efprit. II recueillit les actes du fixieme Concile, qui étoient reftés entre les mains de quelques Officiers ; il les fit lire dans une nombreufe affemblée, oii il avoit convoqué les perfonnages les plus refpe&ables de 1'Eglife & de 1'Etat; il les fit fceller enfuite, & dépofer dans les arcbives JUSTINIEN 1T. Ann. 686. Aria. 687. 111. Affaires de 1'Eglife. Anafl. in Ccnone & in Sergio. Baronius.' Pagi ad Bar. FUury , hifi. cccUJ. I. 40. art* 37. 39Murat.ann. hal. t. iv. ?. 172. Ahrègi chron. dt Vhifi. i'It. t. 1. F, ÏJ2.  JUSTINIEN II. Ann. 6S7. I&i. HlSTOIRE du palais , pour les préferver de toute altération. II accordoit aux Papes des exemptions & des remifesd'arrérages dues au fifc impérial. Mais {es Lieutenants en Italië déshonoroient le Prince par leur avarice, & prétendoient vendre jufqu'a la Chaire de Saint Pierre. JeanV,fucceffeur de Benoit II, étant mort en 686, on vit s elever deux concurrents, foutenus l'un par le Clergé y I'autre par la Nobleffe. Les Magiftrats, k la tête du peuple, terminerent la conteftation en les excluant tous deux , & faifant choifir un Prêtre vertueux & fans ambition, nommé Conon, dont 1'élecKon réunit enfin tous les fuffrages. Ce bon Pape , trop facile a tromper, recut 11 n affront fenfible dans la perfonne d'un de fes Agents. Sur de faufles reeommandations, & fans confulter fon Clergé, il avoit établi un diacre de 1'Eglife de Syracufe, nommé Conftantin , directeur du Patrimoine de Saint Pierre en Sicile. C'étoit un fourbe, qui, par fes chicanes & fes rapines, révolta toute la Province. Le Pape ein le chagrin d'appren-  ëu Bas-Empire. Liv. LXII. 163 dre qu'il avoit été arrêté & renfermé dans une étroite prifon par fentence des Magiürats. Conon ne tint le Saint Siege que onze mois ; k fa mort les faftions fe réveillerent. II avoit légué par fon teftament une fomme confidérable aux Monafteres & aux Eglifes. Pafchal, Archidiacre de Rome, chargé par fa dignité de la difpenfation de ce legs religieux , en détourna une partie pour acheter le Pontifkat. II ofFrit k 1'Exarque cent livres d'or, s'il 1'aidoit k monter fur le Saint Siege. Jean Platys venoit de fuccéderdans 1'ExarchataThéodore II, qui avoit fuccédé k Grégoire. Cette première occafion de sfenrichir lui parut de bon augure; il promit tout. Pafchal fe mit fur les rangs; il partagea les fuffrages avec Théodore. l'un des deux contendants déja rejettés avant l'éle&ion de Conon. Après de grands débats, le differend fe termina comme auparavant; toutes le! voix fe réunirent en faveur d'un trol fieme, nommé Sergius. Platys arriv; trop tard pour fervir Pafchal; mai: il ne voulut pas perdre fa proie pour conhrmer 1'électïon de Sergius Justinten II. Ann. 6S7.  JUSTINIEN II. Ann, 687, 164 HlSTOIRE il exigea les cent livres d'or que Pafchal lui avoit promifes. En vain le nouveau Pape s'efforcs de lui faire horreur d'une fimonie fi criminelle ; il fallut pour le fatisfaire, mettre en gage les lampes & les couronnes fufpendues autour du tombeau de Saint Pierre. Tant d'iniquités de toute efpece que commettoient les Exarques, demeuroient impunies. L'Italie, autrefois le centre de 1'Empire, étoit devenue Provin ce frontiere ; encore ne tenoit-elle k 1'Empire que par de foibles attachés, la plus grande partie étant au pouvoir des Lombards. Les Empereurs fembloient ne s'en occuper que pour en vendre le gouvernement, & les Gouverneurs après avoir acheté leur dignité, fe lédommageoient par les rapines. Cette efpece de magiftrature n'a rien aifle de remarquable , finon que dans e nombre de dix-huit Exarques qui fe font fuccédés dans Pefpace de cent ruiatre-vingts ans, il ne s'en trouve jas un feul qui mérite le fouvenir de la poftérité. Preuve évidente que :ette place ne s'acquéroit que par argent, & par des intrigues de Cour,  du Bas-Empize. Liv. LX1I. 165 L'indignité de ceux qui repréfentoient 1'Empereur, détachoit de 1'Empire le cceur des fujets, & aviliffoit dans leur efprit la perfonne du Prince. Cependant les Papes, attentifs a leur propre agrandifïement, avoient foin de recueillir la confidération que perdoient les Empereurs; &, par une ïbrte de balance politique, a mefure que 1'autorité impériale baiffoit en Occident, celle des Papes s'élevoit dans les affaires temporelles. Juftinien, plus capable de troubler le repos de 1'Empire que d'en réformer les abus, rompit alors la paix que fon pere avoit faite avec les Bulgares. Plein de confiance en fes forces , enivré des flatteries de fes jeunes courtifans, il fit paffer en Thrace les corps de cavalerie qu'il avoit en Afie, & fe mit a leur tête pour aller exterminer les Bulgares, que fon pere, lui difoit-on, par une honteufe lacheté, avoit laiffés établir en-deca du Danube. Le début de cette campagne fut heureux. On bat-tit une armée de Bulgares qui s'étoit avancée dans la Thrace. Les Efclavons , fujets des Bulgares, avoient JUSTINIEN li. Ann. 687. Ann. 688. IV. Guerre contre les Bulgares. Theoph. p. 303, 304. Cedr. pm 441. Niceph. p. 24. Hifi. mifc. I. 19. Zon. 1.11. p. 92. Confl. Porph. De adm. imp.c. 22. Sigei. Chnn,  JüiTINIEN II. Ann. 688. Pagi ad Bar. fiudwcl in excerpt. Strab. \ i I i } IÓ6 HlSTOIRE. inondé une partie de la Macédoine,' & s'étendoient jufqu'a ThefTalonique. Ils s'étoient emparés de toutes les places , & peuploient les campagnes d'un prodigieux effain d'habitants. L'armée Romaine y porta le ravage ; & cette irruption foudaine les trouvant fans défenfe, les uns furent paffes au f51 de 1'épée, les autres en plus grand nombre fe rendirent prifonniers. L'Empereur en laiffa une partie dans le pays , k condition qu'ils fe reconnoitroient déformais fujets de 1'Empire, & qu'ils payeroient un tribut. Mais il les éloigna de ThefTalonique , & les établit dans les montagnes a 1'Occident du fleuve Strymon. II en fit paffer le plus grand nombre en Afie, & leur af(igna des demeures fur les bords de l'Hellefpont , de la Propontide & dans la Troade. II revenoit avec la üerté d'un vainqueur & la fécurité d'un jeune Prince fans expérience, orfqu'aux défilés du mont Rhodope, 1 fe vit afïailli d'une armée de Bul;ares, qui, lui fermant les paffages , bndirent fur lui de toutes parts. •lus de la moitié de fes foldats fu-  nu Bas-Empire. Liv. LXII. 167 rent tués ou bleffés, il courut luimême grand rifque de la vie, & revint en très-mauvais état a Conftantinople , ou fes lettres quelques jours auparavant avoient porté la nouvelle des plus brillants fuccès. 11 femble que 1'Afrique dans ce temps-la fut regardée par les Empereurs & par les Califes-^comme un pays détaché des deux Empires, oü les deux nations pouvoient fe faire la guerre, lans rompre la paix qui fubfiftoit ailleurs entre elles. Le traité conclu deux ans auparavant entre Juftinien & Abdolmélic, ne fut pas cenfé violé par une nouvelle entreprife des Sarafins fur 1'Afrique. Depuis la mort d'Oucba, Kufcilé, maitre de Caïroan, avoit enlevé aux Mufulmans toutes leurs conquêtes dans la Byzacene. Pour réparer ces pertes , Abdolmélic raflembla les mdlleures troupes de la Syrië, & les pourvut dargent, de vivres & de munitions de guerre. Mais ce qui en faifoit la principale force, ce fut le choix du Général. Zuheïr s'étoit fignalé fous le commandemenl d'Oucba dans 1'expédition précéden- JUSTSNIEN It. Aria. 6S8. V. Quatrie» me expédition des Sarafins en Afrique. M. Cardonne, hifi, de t'Afr. t. I. p. 41 & fuiv. Mém. Acad. t. XXI. p. 110. hifi.  JUSTINIEN II. Ann. 688. 168 HlSTOTRÊ te : il étoit Gouverneur de Caïroan , lorfque Kufcilé vint s'en emparer, & il n'en étoit forti qu'en frémifTant de rage, prêt a s'enfevelir fous les ruines de cette place, fi la garnifon n'eüt refufé de mourir avec lui. Zuheir fut choifi pour commander la nouvelle armée. II marcha auffi-töt a Caïroan. Le trajet étoit long , & Kufcilé eut le temps d'armer un grand nombre de Romains & de Berbers , qui vinrent a 1'envi s'enröler fous fes étendards. Tout fembloit égal dans les deux armées, le nombre des troupes , la valeur & la fcience militaire dans les Généraux, la bravoure dans les foldats. Mais celle des Mufulmans étoit animée par le plus violent reffort des aftions humaines; c'étoit le fanatifme qui change les hommes en bêtes féroces. Après un combat opiniatre, oii la viöoire changea fouvent de parti, Kufcilé couvert de fon fang & de celui des ennemis , tomba mort, & fa chüte öta le courage a fon armée; le carnage fut horrible. Le vainqueur entra dans Caïroan , & après y avoir fait repofer fes troupes, il fongeoit a pouffer fes conquêtes  nu Bas-Empire. L:v. LXIL idj conquêtes vers 1'Occident, lorfqu'il apprit qu'une flotte Romaine faifoit voile vers 1'Afrique. A la première nouvelle qu'avoit recu Juftinien de Pentrée des Mufulmans en Afrique , il avoit fait embarquer les troupes de Thrace, avec ordre a ia flotte de cingler vers Carthage, Sc de prendre en paffant tous les vaiffeaux Sc toutes les garnifons de la Sicile. Les Romains aborderent dans le temps même que Zuheïr vainqueur marchoit a Carthage. Son armée affoiblie par une victoirequi lui avoit coüté beaucoup de fang , fe trouvoit fort inférieure a 1'armée Romaine. Mais les Sarafins n'avoient pas encore appris k compter leurs ennemis; emportés par un enthoufiafme impétueux, ilsignoroientl'art des retraites; ils ne favoient que mourir, lorfqu'ils étoient les plus foibles. Zuheïr livra bataille; Sc malgré fa valeur héroïque, il fuccomba fous le nombre. Nul de fes foldats. ne voulut lui furvivre. Les Romains, étonnés eux-mêmes de leur victoire, n'oferent en rifquer la gloire en s'engageantdans le pays; ils fe rembaiTomc XIII. H JUSTINIEN II. Ann. 688. VI. Défaite des Sarafins.  JUSTINIEN II. Ann. 688. Ann. 691 VII. Abandoi de 1'ifle d Cypre. Théoph, 1 304. Cedr. 1 441- Hifi. mij l. 19. Conft. Porph. adm. im c. 17Idem d Them. 1. P»$i Bar. Qritn 170 HlSTQIRB querent aufiï-töt, trop contents d'aller montrer a Conftantinople les dépouillcs des Sarafins. Le Calife, vivement touché de la perte de fon Général & de fon armée, ne fe trouva pas en état d'en pourfuivre la vengeance. 11 avoit alors k foutenir deux guerres meurtrieres , 1'une contre Moaar du cöté de la Perfe, 1'autre contre Abdalla en Arabie. II ne reprit fes projets fur 1'Afrique, qu'après la défaite & la mort de fes deux rivanx. Tous deux périrent les armes k la main ; & le cadavre d'Abdalla ayant été porté en Syrië , fa peau remplie ' de paille fut attachée k un gibet aux portes de Damas. Abdolmélic, de• venu en 691 paifible poffefleur de tout 1'Empire Mufulman, voulut réparer le temple de la Mecque, qui avoit été fort endommagé pendant le fiege. II entreprit d'y faire tranfie porter de belles colonnes de granif- te , qui foutenoient 1'Eglife, batie . dans la vallée de Gethfemani, prés 1. de Jérufalem. Deux Chrétiens, Serge ld & Patrice, puiffants en Paleftine, 6c , fort confidérés du Calife, 1'en dé-  nu Bas-Empire. Liv. LXII. 171 tournerent a force de prieres, & lui promirent d'obtenir de 1'Empereur d'autres colonnes propres a fon deffein; ce qui fut exécuté. Mais tandis qu'Abdolmélic s'occupoit a rétablir fes Etats après les délbrdres d'une longue guerre civile , Juftinien, plein d'imprudence & de caprices, fembloit ne travailler qu'a dctruire les liens. Par un article du dernier traité de paix,le Calife partageoit avec lui le domaine de 1'ifle de Cypre : 1'Empereur , fe repentant d'avoir confenti k ce partage, prit une réfolution tout-a-fait infenfée ,• ce fut d'abandonner 1'ifle entiere, & de tranfporter ailleurs les habitants de la partie qui lui appartenoit. II les fit pafler dans 1'Hellefpont, & les établit prés de Cyzique, dans une ville a laquelle il donna fön nom. La plus grande partie des malheureux Cypriots , arrachés du fein de leur palrie, furent lübmergés dans le trajet par une tempête, d'autres moururent de maladies. II n'en refla qu'un petit nombre qui revinrent en Cypre fous le regne de Léon Tlfaurien. Quelqifes Auteurs difent que ce fut H ij JUSTINIEN U. Ann. 691. Chrifi. t. II. p. 1042 , 1050. Mém. AcaA. t. XXX'T. V- 54;Af m. hifi. hal. fcript. t. 11. p': 499,500, 501.  JUSTINIEN II. Ann. 691. VIII. 1'remiere nionooie des Sarafins. Theoph. p. 304, 305. Cedr. p. 441. Zon. t. 11. p. 91. Hifi. mifc. 1.1% Elmacin. I. I. c. 11. Okliy. Pagi ad har. Hifi. univ. « XV. p. 54«. 172 H I S T 0 I R E Juftinien lui-même qui les ramena dans leurs anciennes demeures en 706. Mais dans cct inrervalle , 1'ancienne Salamine , nommée alors Conftantia, & métropole de 1'ifle entiere, avoit été détruite par les Sarafins, & elle ne s'eft jamais relevée de fes ruines. Cette émigration déplut beaucoup au Calife, qui s'attendoit bien a fe voir iticeffctmment maitre de 1'ifle entiere & de tous fes habitants. Délivré de fes ennemis domeftiques, il fouhaitoit la guerre, & regardoit la redevance k laquelle la néceflité de fes affaires 1'avoit engagé, comme un tribut déshonorant, dont il cherchoit k s'affranchir. Mais pour mettre de fon cöté une apparence de juftice , il vouloit que la rupture fut 1'ouvrage du jeune Empereur, 6c il prévoyoit qu'elle ne tarderoit pas de la part d'un Prince impétueux , hautain , imprudent, plus avide de guerre que capable d'y réuflïr. II ne fut pas trompé dans fon attente. Depuis le commencement de 1'Empire Romain, aucune monnoie d'or n'y avoit cours, qu'elle ne fut frappée au coin des Erapereurs. C'étoit avec ces efpeccs  du Bas-Empire. Liv. LXII. 173 que les Sarafins payoient la fomme fiipulée par les deux derniers traités. Ils n'avoient même jamais battu monnoie, & s'étoient toujours fervis de celle des Romains & des Perfes. Abdolmélic en fit frapper k fon coin, & voici quelle fut 1'occafion de ce changement. Toutes les lettres des Califes portoient en titre cette formule : Dites qu'il ny a qu'un Dieu, & que Mahomet ejl fon Prophete. Quoique cette fa^on d'écrire eut toujours été tolérée par les Empereurs, Juftinien voulut s'en ofFenfer; il mawda fiérement au Calife qu'il eut k fupnrimer fa formule; finon, qu'il lui enverroit une monnoie oii 1'Apötre des Mufulmans feroit caractérifé par le nom qu'il méritoit. Abdolmélic, irrité d'une menace fi outrageante, fit aflembler le peuple dans la Mofquée de Damas; il 1'inftruifit de 1'infolence du Monarque Romain, maudit Ia monnoie de 1'Empire , & déclara qu'il en alloit faire frapper d'autre. Le foin en fut confié k un Juif, nommé Sornior. On frappa des flaters d'or du poids d'une drachme & audefïbus; ils avoient pour infcription : H iij JUSTINIEN II. Ann. 691.  JUSTINIEN 1T. Ann. 692. IX. Guerre Contre les Sarafins. Tkeoph.p, 305 , 306. Cedr. p. 441- Niceph. p. 24. Hifi. mifc. I. 19. Zon, torn. II. p. 92, Okley. Hift. univ t. XV. p. 542. 174 H I S T O I R F. Dieu ejl le Seigneur. Le premier co'm étoit fort grofïier ; il fut perfeflionné fous les regnes fuivants. L'Empereur refufa cette nouvelle monnoie, & envoya au Calife une déclaration de guerre. Des Efclavons qu'il avoit tranfplantés en Afie, il compofa un corps de trente mille hommes, dont il donna le commandement k un de leurs compatriotes, nommé Nébule. Ayant joint a ce corps fes troupes de cavalerieil marcha en perfonne vers la Cilicie, & campa vis-a-vis de 1'ifle d'Eleufe. Abdolmélic, pouffant la feinte jufqu'au bout, fit publier un manifefle dans lequel il proteftoit qu'il ne defiroit que la paix; que c'étoit la nécefïité d'une jufte défenfe qui forcoit les Sarafins k prendre les armes, &C qu'il ne faudroit imputer qu'a 1'Empereur les fuites funeftes de la guerre. II fit en même-temps marcher les troupes fous la conduite d'un chef habile & plein de valeur, nommé Mahomet. Lorfque les deux armées furent en préfence, le Général Sarafin , pour fe conformer k la politique de fon maitre , envoya repréfenter k  du Bas-Empire. Liv. LXIL 175 1'Empereur qu'il fe rendoit criminel en violant un traité confirmé par fon propre ferment; & que le bras du ToutPuijjant, fufpendu fur les deux Nations , alloit foudroyer le parjure, & combattre en faveur du peuple fidele. L'eflet de ces paroles fut d'irriter davantage 1'Empereur. II chafle le député de fa préfence , & range fon armée en bataille. Les Sarafins, ayant attaché au haut d'une piqué 1'original du traité, marchent fous eet étendard, & en viennent aux mains. Ils étoient fort inférieurs en nombre; & après un choc furieux, ils commencoient k reculer , lorfque Mahomet, foutenant par fa valeur le courage des fiens , trouve le moyen de faire paffer k Nébule un carquois rempli de pieces d'or, avec promelTe d'une plus grande récompenfe s'il fe fépare des Romains. Jamais la force de ce métal dangereux n'eut un effet plus prompt; Nébule paffe du cöté des Sarafins avec vingt mille Efclavons, & leur porte la victoire ; il laifie dans 1'armée Romaine 1'épouvante & le défordre. L'Empereur prend la fuire, abandonnant fes troupes k la H iv JUSTINIEN H. Ann. 692.  JUSTIÏUEN II. A.nn. 692, X. Stablifferrtent du Carage. Théoph. p. 2S3. Cedr, p. 430. Elmacin, I. Ut. 3. D'Herbe- lot, bibl. Oriënt. Murat. an. nal. hal. t. IV. p. AJjfemant Bibl. or. t. II. p.104. 176 H I S T O I k k fureur de 1'ennemi. Arrivé au bord de la Propontide, ce Prince plein de rage le venge de la trahifon des Efclavons par une cruauté encore plus criminelle; il fait raffembler ce qui refte de cette malheureufe nation , vieillards, femmes, enfants, & les fait tous précipiter du haut d'un rocher dans le golfe de Nicomédie. Abdolmélic, affanchi par cette victoire du tribut qu'il payoit aux Romains , fe voyoit le plus puiffant Monarque de la terre. Son Empire s'étendoit depuis les Indes, dont il avoit fubjugué une partie, jufqu'aux portes de Carthage ; il fe promettoit de réduire bienïöt le refte de 1'Afrique, & de porter jufqu'en Efpagne fes armes viclorieufes. Ce Prince, aufli avide d'argent que de conquêtes , fit faire alors le dénombrement de tous les habitants de fon vafte Empire. Quelques Auteurs font remonter cette opération politique h 1'an dix-neuvieme de 1'Hégire fous le regne d'Omar; mais les plus habiles Hiftoriens la reculent jufqu'a 1'an de J. C. 69a au temps d'Abdolmélic. Jamais róle ne fut dteffé avec  du Bas-Empire. Liv. LXI1. 177 une plus rigoureufe exaftitude ; il or-donna d'enregiftrer non-feulement ehaque perfonne, mais aufli chaque tête de bétail, chaque pied d'arbre; détail odieux & capable d'abatardir une nation, en y introduifant la fraude, qui devient comme naturelle aux agents avides chargés de recueillir les impofitions, & aux fujets opprimés qui les payent. Le dénombrement achevé, le Calife impofa un tribut, dont les Chrétiens furent les plus chargés : c'eft ce que les Turcs nomment aujourd'hui Carage ; & c'eft-la l'origine de toutes les avanies que les Chrétiens efluyent dans les Etats Mahométans. II falloit a Juftinien quelque occupation importante, pour faire diverfion au chagrin que lui caufoit fa défaite. Depuis long-temps, les Evêques Orientaux demandoient un Concile, pour rétablir la difcipline de 1'Eglife, dont le fort, ainlï que celui de toutes les chofes humaines, eft de fe relacher & de s'affoiblir, fi Ton n'a foin de temps en temps de la reflerrer & de la remettre en vigueur. Les deux derniers Conciles H v JUSTINIEN II. Ann. 691, Xt. Conciie in Trullt. Anafi. üt Sergio & in Joann. VIL Paul diae. 1.6. c. II. AdoVienn. Marlan. Scot. Beda de fix mundiaxtal, Baronius. Pag: ai B»r.  JUSTINIEN II. Aon. 691. Fltury . hifi. ecckf. I. 40. art. 49 6/wk, Murat. ann. d'kal. t. IK p. 183 , 209. Oriens Chrifl. t. lll.p.X^. Abrégé chr. de l'hifi. i'Ital. t. 1. r- 294» 296,298. *'\ ^ I MttMMM-i . r i«v ' I78 HlSTOIRE' généraux ne s'étoient occupés que de la condamnation des héréfies , fans faire de Ioix eccléfiaftiques. Ce fut pour remédier è ce défaut, que les Evêques, convoqués par 1'Empereur , s'aflemblerent a Conftantinople dans 1'automne de cette année. Le Concile fe tint fous le döme du palais Impérial, & c'eft pour cette raiibn qu'il eft nommé in Tndlo, On 1'appelle auffi Quini-fexte, paree qu'il fut comme le fupplément du cinquieme & du fixieme Concile général. Paul, fucceffeur de Théodore dans la Chaire de Conftantinople , y préfida. U paroit que le Pape Sergius n'y fut pas 'invité , & qu'il n'y envoya point de Légats ; auffi refufa-t-il d'y foufcrire. Entre cent deux canons qui furent alors dreffés par les Evêques d'Orient, il y en a phifieurs qui font contraires aux ufages de 1'Eglife Romaine. Celui qui :hoquoit davantage la difcipline d'Oc;ident, c'étoit la permiflion donnée nix Prêtres, de garder leurs femmes, k de vivre avec elles comme-ils y ivoient vécu avant leur ordination» Dn' blamojt même ea c& poiat» 1'ut  nu Ras.-Empire. Liv. LXIL ifcy fage de 1'Eglife Latine , qui prefcrivoit la continence aux Prêtres, & on prétendoit qu'il étoit moins parfait & moins conforme a la dignité du Sacrement de Mariage. Quoique ce Concile n'ait jamais été recu en fon entier, cependant 1'Eglife n'en rejette pas les canons, qui ne renferment rien d'oppofé aux traditionsde 1'Eglife Romaine , aux décrets des Papes, ni aux bonnes mceurs. On s'en eft même fervi contre les Iconoclaftes, pour prouver Puniverfalité de Pu fage des images dans 1'Eglife Grecque.; Irrité du refus que le Pape faifoit de foufcrire, 1'Empereur envoya un Officier nommé Serge , avec ordre de lui amener Jean, Evêque de Porto , & Boniface , Confeiller du Siege Apoftolique, qu'il favoit être les plus oppofés k 1'acceptation du Concile. Ils partirent fans réfiftance. Mais il n'en fut pas ainfi de la perfonne même du Pape. Zacharie , Ecuyer de 1'Empereur, étant venu a Rome pour Penlever & le conduire a Conftantinople, trouva to\it Ie peuple fous les armes pour défetlH vj JUSTINIEN H. Ann. 692* XII. Vains efforts de 1'Empereur pour engsger le Pape a foufcrire au Con> cile.  JUSTINIEN II. Ann. 692. 180 H 1 ? t 0 J h t dre fon pafteur. La milice de PExarchat accouru dans le même deffein. Tout retentiffoit de cris menacants, & Zacharie n'eut point d'autre afyle que le palais de Latran. II fe refugia tout tremblant dans la chambre même du Pape, le conjurant de lui feuver la vie. Cependant le bruit fe répand que le faint Pontife a été enlevé & embarqué pendant la nuit; 1'armée de Ravenne environne le palais , demande a voir le Pape , & menace de jetter les portes par terre , li on ne fe hate de les ouvrir. Zacharie fe crut alors au dernier moment de fa vie; faifi de frayeur & hors de fens, il fe cache fous le lit du Pape , qui le raffure en lui donnant parole de ne pas permettre qu'on lui faffe aucun mal. Sergius fe montre enfuite au peuple & aux foldats; il les affemble dans la Bafilique de Théodore; il les adoucit par fes paroles , & leur demande grace pour 1'Officier de 1'Empereur. Le trouble ne s'appaifa que par la retraite de Zacharie, qui fe trouva fort heureux de pouvoir fortir de Rome a»t milieu des malédiöions  nu Las-Empiblb-. Liv. LX1I. 181 dont tout le peuple Paccabloit. Juftinien ne put fe venger de eet affront ; il étoit déja détróné & traité plus outrageufement que Zacharie ne 1'avoit été a Rome. Mais lorfqu'il fe fut rétablit fur le tróne, il reprit fon premier delTein. II envoya deux Métropolitains a Jean VII, qui tenoit alors le Saint Siege , pour le prier de confirmer les canons qu'il approuveroit, avec permiffion de rejetter les autres. Ce Pape n'ofant par timidité entrer dans cette difcuffion, fe c»ntenta de les renvoyer, fans les foufcrire ni les cenfurer. Mais le Pape Conftantin montra dans la fuite plus de fermeté &£ de fagefle, approuvant les uns, & rejettant les autres. La victoire des Sarafins les rendit maitres d'une grande partie de 1'Arménie mineure. Le Patriee Symbace y commandoit. L'approche de 1'armée Sarafine , qui marcha 1'année fuivante vers cette Province, le glaga d'effroi. II leur abandonna le pays. Un Officier Romain , nommé Sabin , indigné de cette lacheté, raffembla une troupe de volontaires; a la tête JUSTINIEK II. Ann. 692. Ann. 693. XIII. Les Sarafins s'emparent de 1 'Armenië. Theoph. p, 306. Cedr. p. 441 . 441. Zon. ,. 11, t- 93-  JUSTINIEN II. Ann 693. Hifi. mifc. I. 19. Okley. Hifi. univ. t. XV. p. $02. .ndA .IIIX ■ ms'! Ma si. l:inri: 'htnk'l .dof 182 HlSTOIRE de ce camp volant, il harceloit fans ceffe les Mufulmans, & entuoitun grand nombre. II tomba fur eux aupaffage d'une riviere ; leur chef fut renverfé de cheval, & courut grand rifque de périr dans les eaux. Mais la valeur de Sabin ne put réparer la perte qu'avoit caufée la lachetê de fon Général. Cette campagne eft beaucoup plus brillante dans le rédt des Auteurs Arabes. Voici ce qu'ils enracontent. Les Khazares, alliés des Romains, fe mirent en marche pour la défenfe de 1'Empire. A cette nouvelle , Abdolmélic fit partir deux armées , 1'une fous la conduite d'Othman marcha en Arménie ; le fuccès en fut heureux au-dela de toute efpérance : Othman avec quatre mille hommes battit foixante mille Romains. L'autre armée commandée par Mahomet, alla combattre les Khazares. Elle fut défaite, quoiqu'elle fut de cent mille hommes. Mais le Général ne perdit pas courage. A la tête de quatre miüe hommes d'élite, il retourne fur fes Khazares vainqueurs, ik les défaita fon tour. Abdolmélic ne crvif pas 1'honneur des  du Bas-Empike. Liv. LKH. 183 armes Sarafines affez réparé par cette revanche; il fit partir Ion fils Moflem avec une autre armée. Moflem paffa 1'Euphrate, joignit prés des portes Cafpiennes les Khazares, qui étoient encore au nombre de quatrevingt mille, & remporta fur eux une vi&oire complete. Le jeune Empereur fe confoloit de toutes fes pertes par le plaifir qu'il prenoit k voir élever de fuperbes batiments, qui coütoient plus k fes fujets que tous les ravages des Sarafins. Pour embellir les dehors de fon palais, il fit conltruire une magnifique fontaine, &C un lieu de parade, oii il devoit faire la revue de la faction bleue, qu'il honoroit de fa faveur. II fit batir dans fon palais même une falie de feftin d'une étendue extraordinaire, dont le pavé &C les murs étoient revêtus des marbres les plus précieux, & enrichis de compartiments d'or. II falloit pour exécuter ces deffeins abattre une Eglife de la Sainte Vierge, L'Empereur s'adreffa au Patriarche Callinique, fucceffeur de Paul, & lui ördonna de prononcer les prieres qui devoienfr JUSTINIEN II. Ann, 693. Ann, 694, XIV. Cruautés de ïuftinien & de fes Miniftres. Theoph. p. 306, 307. Cedr. p. 441. Niceph. p. ij. Hifi. mifc. I. 19. Manajf. p, 79. Zon. t.U. p. 93 Suid. tit. Du Cange; Confl. Chrifl. 1.1, c. 13.  JUSTIU1EN II. Ann. 694. , ■ aiftinil> ' ( ', •\ •\»"* ,H,i at»! 184 HlSTOIRE ' être en ufage, lorfqu'il étoit befoïn de détruire nn lieu faint. Le Patriarche répondit qu'il avoit des formules de prieres pour la conftruction des Eglifes, mais qu'il n'en avoit point pour leur deftruction. Le Prinee impatient, peu fatisfait de cette réponie, continuant de le prefler , comme s'il n'eüt ofé outrager la religion fans lui en faire des excufes, enfin , le Prélat prononca une formule d'oraifon, que Poccafion même lui fuggéra : Au Tout-Puijfant, dont la patience ejl infinie. gloire fait rendue dans tous les fiecles. C'en fut affez pour calmer les fcrupules de 1'Empereur. L'Eglife fut auffi-töt démolie. On ne pouvoit fubvenir a ces dépenfes fans écrafer le peuple d'impofitions, fufciter des chicanes aux riches pour leur enlever leurs biens, & ruiner toutes les families. C'eft en quoi 1'Empereur étoit admlrablement bien fervi par le zele de deux financiers impitoyables , voués a 1'iniquité & a la tyrannie. L'un étoit Etienne , Perfe de nation,. receveur des deniers du Prince, & chef de fes Eunuques. Cet homme  nv Sas-Empire. Liv. LXH. 185 fanguinaire, prépofé a la conftruction des nouveaux édifices , traitoit inhumainement les ouvriers, & fur le moindre fujet de plainte, il faifoit tuer a coup de pierres & les manoeuvres & les infpecteurs. Fier de fa faveur & fans refpeft pour la maifon Impériale, il porta Piniolence jufqu'a menacerla Princeffe Anaftafie, mere de 1'Empereur, de lui faire fubir le chitiment ordinaire des enfants. Juftinien étoit pour lors abfent de Conftantinople , & nul Hiflorien ne dit qu'il ait été fenfible k eet outrage. Tout 1'Empire fe reflentoit des violences & des rapines d'Etienne, qui rendoit fon maitre aulTi odieux que lui-même. II n'avoit qu'un rival en fait deméchanceté : c'étoit un Moine nommé Théodote , qui avoit longtemps vécu en reclus fur les bords du Bofphore. Tiré de fa celluie par quelque Dame de la Cour, dupe de fon hypocrifie, il étoit parvenu k la dignité de grand Tréforier; ce que les Grecs défignoient par le nom de grand Logothete. Plus cruel qüEtienne , il inventoit tous les jours de nouvelles taxes; ni le rang, ni la JUSTINIEN It. Ann. 694..  JUSTINIEN II. Ann. 694. Ann. 69;. XV. Révolution a Conftantinople. Theop. p. 307 , 30S. Cedr. p. 442. Niceph. p. 25 , 26. Manaff. pag. 79. Glycas , pag. 279. Zon. t. II. p. Cj%. Wfl. tnlfe. 1. .9. TaulDiae. I. 6. e. 12. l86 H I S T 0 I II E naiffance ne pouvoient fouftraire perfonne a fes perfécutions ; il fe faifoit un jeu des confifcations , des profcriptions, des fupplices mêmes. Payer lentement, murmurer contre 1'impofition , c'étoit un crime digne de mort. On pendoit par les pieds a un gibet les malheureufes viótimes d'un fïfc barbare, Sc on allumoit au-deflbus de leur tête un monceau de paille humide, dont la fumée les étoufFoit. Tant de cruautés foulevoienttous les efprits. Le Prince n'étoit plus qu'un objet d'horreur. Une foule d'habitants s'affembloient toutes les nuits dans les places & dans les carrefours de la ville , & fe rempliffant les uns les autres de haine & de fureur, ils ne s'entretenoient que de projets féditieux, que de malédictions contre le gouvernement. Tout tendoita une révolte prochaine. Pour la prévenir, 1'Empereur concut le plus affreux deiTein qui puiffe tomber dans 1'efprit d'un Prince; ce fut d'égorger fon peuple, pour fe mettre lui-même en iureté. II ordonna fecretement au Patrice Etienne Ru-  nu Bas-Empire. Liv. LXII. 187 fius, Général de fes armées , de faire prendre les armes k fes foldats la nuit fuivante , de maffacrer tous les habitants qui fe trouveroient hors de leurs maifons , & de commencer par le Patriarche , qu'il regardoit comme le chef des mécontents. Tout étoit difpofé pour cette fanglante tragédie; mais la juftice divine préparoit une autre vengeance, qui ne devoit éclater que fur la tête du Prince & de fes Miniftres. Léonce, le meilleur Général de 1'Empire, connu par les exploits que nous avons racontés au commencement de ce malheureux regne , n'avoit pu échapper a la cruelle jaloufie des Miniftres. II gémiffoit depuis trois ans dans les horreurs d'une prifon. L'Empereur n'ofant le faire périr k Conftantinople, jugea plus k propos de 1'éloigner, pour s'en défaire loin des yeux du peuple, dont il étoit eftimé. II le tira de prifon ; & feignant de lui rendre fes bonnes graces , il lui donna le gouvernement de la Grece, & lui commanda de partir le jour même. II étoit déja dans le port, oh il recevoit les compliments de fes amis. De ce nombre Justinten II. Ann. 695. Stad. l'xsmx.vóf. Pagi ai Bar.  JUSTINIEN II. Aan. 69J. XVI. Juftinien détróné. 188 HlSTQIRE étoient deux Moines, Paul & Grégoire, entêtés des chimères de 1'aftrologie , mais hardis & capables de réalifer par leur hardieffe ce qu'ils avoient follement prédit. Dans les fréquentes vifites qu'ils lui avoient rendues dans la prifon , ils n'avoient cefle de lui répéter, qu'il furmonteroit infailliblement la malice de fes ennemis, & que fon étoile lui projr.ettoit 1'Empire. Léonce les ayant tirés a 1 'écart: Eh bien , leur dit-il, vous voye{ la vanitè de vos prédictions ; je devois parvenir d £ Empire, & je pars pour la Grece ou mattend une mort affiirée. Je connois tEmpereur; honoré de ce nouvel emploi, je fais que je ne fuis quune viclime parée pour le facrifce. Rajfure{-vous , lui répondirent-ils; le terme fatal ejl arrivé ; vous alle{ régner, Ji vous vouie{ nous fuivre. En un moment, ils forment leur projet, en dreflent le plan , & Léonce 1'exécute. Dès que la nuit eft venue, il arme fes domeftiques, & marche fans pruitau prétoire. C'étoit la réfidence h\ Préfet de la ville; c'étoit auffi la >rifon oü. étoient détenus dans les fers  nü Bas-Empirb. Liv. LXH. 189 depuis lept & huit ans des perfonnages confidérables, la plupart Officiers de guerre. On frappe k la porte , on annonce 1'Empereur, qui vient, dit-on , pour juger quelques prifonniers. Les portes s'ouvrent, le Préfet ie préfente , on lé faifit, on Paccable de coups , on fait fortir les prifonniers, &£ on 1'enferme k leur place. Léonce, accompagné de cette troupe qui ne refpirequevengeance, court k la grande place en criant: A Sainte-Sophic , tous les Chrétiens a Ste. Sophie. Le même cri fe répete dans toute la ville. Le peuple accourt en foule au Baptiuere de Sainte-Sophie. Léonce avec fes amis, toujours précédé des deux Moines, fe tranfporte au palais du Patriarche, qui fecretement inltruit des ordres de 1'Empereur , n'attendoit que la mort. II prend Léonce pour 1'affaffin , & lui préfente la gorge, Léonce le releve , le ralïiire , le conduit au Baptiftere, & lui ordonne d'entonner 1'antienne de Paques : Voici le jour qua fait le Seigneur. Le peuple la continue; & paffant des éclats de la joie aux tranfports de la fureur, il ajoute tout JUSTINIEN II. Ann. 6yj.  JuSTINt£N II. Ann, 695. iyo H I S T ü 1 li E d'une voix : La mort, la mort a Juftinicn. De-la il court a 1'Hïppodrome. Au bruit de ce tumulte, Rufius s'étoit renfermé dans fa maifon, fans exécuter 1'ordre fanguinaire dont il avoit lui-même horreur. Au point du jour , on amene Juftinien dans 1'Hippodrome. Les clameurs redoublent; tout le peuple demande fa mort. Mais Léonce fe fouvenantdes bienfaits de Conftantin Pogonat,auquel il devoit fa fortune, obtient la vie pour ce malheureux Prince. On fe contente de lui couper le nez, & de le reléguer a Cherfone. II avoit régné neuf ans, & n'en avoit encore que vingt-cinq. Léonce eft prcclamé' Em-pereur. On va fe faifir aufli-tot du Tréforier Théodote &c du Receveur Etienne. On les accable d'outrages; &c malgré le nouvel Empereur , qui youloit les faire condamner juridiquement, le peuple , ce juge atroce , qui prononce fans examen, & qui exécute fans pitié, aufli furieux contre les Miniftres dont il a reflenti la cruauté & 1'avarice , qu'un lion bleffé par les chafleurs, les attaché enfemble par les pieds, 6; les  du Bas-Empire. Liv. LXI1. 191 traïne au travers de la ville jufqu'a la place du taureau. La ces deux miférables , refpirants encore, quoique meurtris & déchirés, font brülés vifs; & leurs maifons, qui receloient les dépouilles encore fanglantes de laville & des provinces, font abandonnées au pillage. Le trouble qu'avoit excité cette révolution, fe renferma dans Conftantinople , ou il s'appaifa en peu de jours; & la chüte de Juftinien ne caufa nulle fecoulfe dans le refte de TEmpire. Les Sarafins ne firent aucun mouvement en 696, &c cette année feroit entiérement ftérile en événements, fi Ravenne ne nous offroit une de ces fcenes affreufes, qui font la honte & Phorreur de 1'humanité. C'étoit la coutume que les dimanches & les fêtes après le diner, la jeuneffe allat fe battre k coups de fronde hors de la ville, par forme de divertifTement. Lesjeunes gens de deux quartiers différents , l'un nommé Trigur , 1'autre la Poterne, piqués düne cmulation féroce, s'acharnerent mutuellement avec tant de chaleur, qu'il y en eut un affez grand nom- JüSTINIEN II. Ann, 695. Ann. 696. XVII. Maffacre a Ravenne. Theoph. p. 309. Cedr. p. 443- Agnellus r't* epifc. Raven. Murat. ann. d'Ital. t. IV. p. 150, 191. Abrègé de l'hifi. d'Ital. t. I. p. 298 , 299, 300.  LÉONCE. \nn. 696. 192 H 1 s t 0 1 n. e bre de tués du quartier de la Poterne. Le dimanche fuivant, le même parti fut encore plus maltraité» Les vaincus, outrés de dépit, feignirent de fe réconcilier avec leurs vainqueurs, pour mieux affurer leur vengeance. Chacun d'eux en invita un de 1'autre parti a venir diner chez lui. Ce tut pour ceux deTrigur un repas funebre ; leurs hötes lesmaflacrerent, & les enterrerent dans leurs maifons, fans que le refte de la ville en eut connoiffance. Les meres, les femmes, les foeurs ne voyant revenir aucun des leurs, rempliflent toute la ville de cris lamentables ; chacun pleuroit quelqu'un de fes parents, chacun trembloit pour foi-même. Dans cette défolation générale, 1'Evêque Damien ordonna un jeune de trois jours & une proceffion, k laquelle tous les habitants, baignés delarmes, affifterent en habits de pénitents. Enfin , au bout de trois jours, on découvrit les cadavres de ces malheureufes vittimes de la plus atroce perfidie. Le peuple n'attendit pas la fentence des Magiftrats; toujours auffi précipité qu'exceffif dans les punitions, & fou- vent  nu Bas-Empire. Lh. LXII. 193 vent injufte dans les plus juftes vengeances, il mit le feu au quartierde la Poterne, & fit périr dans les flarames non-feulement les meurtriers, mais encore toutes leurs families, fans diftinction d'innocent & de coupable. Ce lieu ne fut long-temps couvert que de cendres Sc de débris ; il confervoit encore cent ans après le nom de quartier des ajfajjins. Cependant il fe formoit dans le voifinage de Ravenne , une République, qui s'élevant peu-a-peu des lagunes du golfe Adriatique, parvint dans la fuite a étendre fon commerce dans 1'Europe, 1'Afie Sc 1'Afrique, Sc fes conquêtes fur les cötes Sc dans les ifïes de la Méditerranée Sc de PArchipel, fe rendit la maitreffe de tous les tréfors de l Orient, balanca le pouvoir des plus grands Princes de 1'Europe , fervit de digue a la Chrétienté contre le torrent de la puiffance Ottomane , Sc regne encore en fouveraine fur le golfe auquel elle a fait prendre fon nom. Les foixante Sc douze ifles qui compofent 1'état de mer de Venife, devenues 1'afyle le plus fur contre les diverfes invalions Tome XIII. I LÉONCE. Aan. 696, Ann. 697. XVIII. Premier Doge de Veoife. Anafl. in. Sergio. Paul. diac. I. 6 e. 14. Pagi ad Bar. Murat. ann. iltal. t. IV. p. 191,193. Abrégé dt Thijl. d'l. tal. t. 1. p. 183, a8j,i87.  LÉONCE. Aun. 697, 194 Ris t 0 i r e des Goths, des Huns & des Lombards , s'étoient peuplées de plus en plus. Elles reconnoiilbient encore la fouveraineté de 1'Empire, & faifoient partie du gouvernement d'Iftrie. Mais cette dépendance n'étoit guere qu'une fujétion honoraire; chacune de ces ifles formoit une petite République gouvernée par fes Tribuns. Les fréquentes querelles qu'elles avoient avec les Lombards leurs voifins, les déterminerent a fe réunir en un feul corps d'Etat, pour réfifter avec plus de force a 1'ennemi commun. Chriftophe , Patriarche de Grado , les Evêques fes fuffragants, le Clergé , les Tribuns, ies Nobles & le Peuple s'étant affemblés dans la ville d'Héraclée, créerent de concert leur premier Duc. Ce fut Paul-Luc Anafefte, nommé vulgairement Paoluccio. On lui conféra 1'autorité nécefTaire pour aflembler le Conleil , nommer les Tribuns de la milice & fes Juges civils, préfider a toutes les affaires du gouvernement. II eft a préfumer que ce fut 1'Empereur même qui honora ce Magiftrat fuprême de la dignité ducale, 1'établiffant par ce ti-  du Bas-Empihe. Lh. LX1I. 195 tre Gouverneur perpétuel des ifles de la Vénétie. Ce qui prouve que ce changement ne fe fit pas fans 1'agrément de 1'Empereur, c'eft qu'on voit dans la fuite les Doges de Venife demander avec empreffement &c obtenir de la Cour de Conftantinople des charges honorables de 1'Empire , ou de la maifon de 1'Empereur. Dans le même temps, les foins du Pape Sergius mirent fin au fchifme d'Aquilée, qui duroit depuis prés de cent cinquante ans. II fit afTembleidans cette ville un Concile , ou la doctrine du cinquieme Concile général fut embraffée par le Patriarche &c par fes fuffragants. Cette réunion avec 1'Eglife Romaine ne ramena pas le gouvernement Eccléfiaftique d'Aquilée a fon premier état; il continua d'y avoir deux Patriarches, l'un dans Aquilée, 1'autre a Grado. L'établifTement de la République de Venife n'étoit qu'une légere diminution du domaine de 1'Empire, en comparaifon des pertes qu'il faifoit en Me & en Afrique. Alid, Général Sarafin, entra dans 1'Afie mineure, la ravagea , enleva une multitu1 ij LÉONCE. Ann. 697, XIX. Cinquieme expédition des Sarafins en Afrique. Theoph, p, v-9-  LÉONCE. Ann. 697. Cedr. p. 443- Nieeph. p. 26. Manaff. p. So. Zon.t. II. F- 94Paul. diac. I 6. c. IO. Hifi. mij'c, I. 20. Paêi ad Bar. Murat. cnn. dital. t. IV. p. 3S3,192. ld. de Cuia-nes , hifi. des Huns , t. I.p. 147Jljfemanihal. hifi. Script, t. II. p. 494, •495. Hifi. univ. t. XV. p. J49- M. Cardunne. hifi. de l'Afrigie, t.I.p. 44. 196 II I S T O I R E de d'habitants, Si pénétra jufqu'en Lazique, ou le Patrice Sergius lui ouvrit les portes de toutes les villes, & le rendit maïtre du pays. Mais le plus grand orage tomba iür 1'Afrique. Depuis cinquante ans, les Sarafins avoient quatre fois renouvellé leurs efforts pour conquérir cette vafte Province, & ils avoient été obligés . autant de fois d'abandonner 1'entreprife. Après avoir bati Caïroan dans leur troifieme expédition en 670, ils Tavoient perdu dans la quatrieme en 686' par la défaite & la mort du brave Zuheïr. Tant d'attaques réitérées n'avoient pu réveiller 1'indolence des Empereurs. Le défordre régnoit dans la Province; les Gouverneurs y commandoient en fouverains; la plupart des villes fans garnifon & fans défenfe, ne s'appercevoient qu'elles étoient Romaines, que par les impöts qu'on exigeoit avec rigueur. Carthage, quoique déchue de fon ancienne fplendeur, confervoit encore le rang de capitale de 1'Afrique; fa renomméeimpofoitaux Sarafins , & aucun de leurs Généraux n'avoit encore ofé 1'attaquer. A la  x>u Bjs-Empire. Liv. LXIL 197 nouvelle de la révolution qui avoit placé Léonce fur le tröne , Abdolmélic crut 1'occafion favorable pour s'en emparer. II envoya des troupes a Haffan , Gouverneur d'Egypte, avec ordre de marcher en Afrique, & de faire les derniers efforts pour en achever la conquête. Haffan joignit a la nouvelle armée un corps de quarante mille hommes qu'il entretenoit en Egypte. II entra fans réfiftance dans Caïroan qu'il trouva déferte ; & après y avoir fait repofer fes troupes, il marcha droit a Carthage, qui en étoit éloignée de quarante lieues. Le nom feul de Carthage effrayoit les Sarafins ; mais il enflammoit davantage Pardeur du Général, qui leur repréfenta que cette ville n'étoit plus que le cadavre ou 1'ombre de 1'ancienne; & qu'après tout rien ne devoit paroitre difficile aux conquérants de la Syrië, de 1'Egypte & de la Perfe. II leur promit un prompt fuccès , & leur tint parole. A peine fe fut-il préfenté devant la ville, qu'il 1'emporta par efca1ade. Les habitants, au-lieu de fe dé* fendre , le jetterent dans leurs vaiffeaux , &c fe fauverent, les uns en I iij LÉONCE. Ann. 697»  LÉONCE. Ann. 697. XX. Succes de Hsiïan. 198 HlSTOIRE Sicile, les autres en Efpagne. Ceux qui ne purent s'embarquer , furent paffes au fil de 1'épée. Haffan y laiffa une garnifon, & fit tendre une groffe chaine pour fermer Pentrée du port aux flottes Romaines, qui pourroient venir a deffein de reprendre la ville. La prife de Carthage répandit la terreur. Ce qui reftoit de Romains abandonna les campagnes & les autres villes, pour fe retirer dans les deux places les plus fortes de la contrée , Safatcoura & Bizerte, encore nommée alors H'ippo-^aritos. Les Berbers , toujours ennemis des Sarafins, y accoururent en foule, pour fe joindre aux Romains , & les deux nations réunies formerent une nombreufe armée. Mais le nombre fuccomba fous Ia valeur de Haffan & de fes foldats. L'armée vaincuefe réfugia dans Bone; c'eft ainfi que les Sarafins ont depuis ce temps-la défiguré le nom de 1'ancienne Hippo - ngïus, cette ville fameufe par 1'épifcopat de St. Auguftin. Safatcoura & Bizerte fuivirent le fort des vaincus ; il ne reftoit plus aux Romains que Bone dans les Provinces de Carthage & de Numidie. L'ar-  du Bas-Empire. Liv. EXIL 199 mée Sarafïne, chargée de dépouilles, rentra dans Caïroan. Dès que Léonce apprit que les troupes de Syrië & d'Egypte avancoient en Afrique, il mit en mer une flotte chargée de foldats, fous le commandement du Patrice Jean, gwerrier expérimenté & plein de valeur. Quoique ce Général eut fait une extréme diligence, il n'arriva qu'après la prife de Carthage & la retraite de Haffan. La vue des drapeaux Sarafins qui flottoient fur les murailles , n'abattit pas fon courage. Faifant force de rames & de voiles, il ronapt la chaïne qui fermoit le port , débarque fes troupes malgré la garnifon Sarafine qui bordoit le rivage , la taille en pieces; &c maïtre de Carthage, il y paffe 1'hyver , pendant lequel il répare les fortifications, &c demande a 1 Empereur de nouveaux renforts. Léonce, triomphant de eet heureux fuccès, ne fe preffa pas d'en envoyer. Mais les Sarafins fe haterent de réparer leur perte. Leur Général n'eut pas plutöt fait favoir au Calife ce qu'on avoit perdu, Sc ce qu'on avoit encore a craindre, qu'Abdolmélic fit partir I iv LÉONCE. Ann. 697. XXI. Carthage reprife par les Romains. Ann. 698. XXII. Les Sarafins la reprennent& en demeurentles maitres.  LÉONCE. Aan. 698. 200 H / S T 0 I R E une flotte beaucoup plus nombreufe que celle des Romains. HalTan, qui 1'attendoit au port d'Hadrumet, oir il s'étoit avancé de Caïroan, y embarqua fes troupes, & cingla vers Carthage. A fon approche, la flotte Romaine fortit du port, & fe rangea en bataille. Mais les Officiers par leur laeheté & leur inexpérience dans les combats de mer, répondirent mal a la valeur du Général. Des vaiffeaux Romains, les uns furent coulés afond, les autres prenant la fuite fe difperferent le long des cötes. La plus grande partie rentrerent dans le port, dont ils ne purent défendre Pentrée contre la flotte Sarafine. Jean fe voyant fur Ie point d'être accablé dans le port même, fauta a terre avec cequi lui reftoit de foldats, & gagna une éminence voifine, derrière laquelle fe raflembloit le refte de fa flotte. Attaqué par les Sarafins qui 1'avoient pourfuivi, il fe rembarqua avec beaucoup de défordre & de perte, & prit le large pour retourner a Conftantinople. Haflan , redevenu maïtre de Carthage, rafa les murailles, abattit les édifices; & cette ville fuperbe,  du Bas-Empire. Liv. LXIL 201 fille de Tyr, reine de 1'Afrique, rivale de Rome , auffi fameufe dans 1'hiftoire de 1'Eglife que dans les annales des nations, fut k jamais enfevelie par le bras d'un peuple nouveau , deftrudteur de l'ancien monde. Les Auteurs Arabes, partifans du merveiileux, ont revêtu 1'hiftoire de cette révolution de circonftances romanefques. Ce fut felon leur récit une Reine des Berbers, nommée Kahiné, qui défit d'abord les Arabes; mais dans une feconde bataille , elle mourut les armes a la main , après avoir fait des prodiges de valeur, &c laifia les Sarafins maïtres de toute 1'Afrique. Selon les critiques les plus judicieux , cette héroïne eft le Patriee Jean lui-même, que les hiftoriens Arabes ont déguifé en femme , paree qu'il étoit eunuque. La Religion Chrétienne fe foutint encore quelque temps dans cette partie du monde ; mais enfin elle s'y éteignit entiérement; Sc 1'on ne voit aucun Evêque d'Afrique dans le feptieme ni dans le huitieme Concile général. Jean faifoit voile vers Conftantinople, a dtffein de. demander a 1'EmI v LÉONCE. Ann. 698, XXIII. Tradition romanefque des Auteurs Araies, XXIV. Léonce détróné  LÉONCE. Ann. 698 par Abii mare. Theoph. p. 309, 310. Ced. p. 444- Nicepk. p. 26. ■Manajf. p. So. Zon. t.II. p. 94. Glycas , p. 279. PaulDiae. /. 6. f. 13. #//?. «B/Jfc 2. 20. %ei. 5for. Pari ad J)ar. S Du Cange fam. By^. P- 121. 202 HJSTOIRE pereur un renfort de troupes & de vaiffeaux, pour retourneren Afrique. Lorfqu'il fut arrivé en Crete , les Officiers de fon armée , honteux de leur défaite , & craignant la punition de leur lÉcheté, exciterent les foldats a la révolte. Les premiers a fe foulever furent ceux de la Province de Cibyre; c'eft le nom que portoient alors 1'ancienne Carie &c 1'ancienne Lycie. Ces troupes, naturellement féditieufes , proclament Empereur leur Commandant, nommé Abfimare. Les autres corps, entrainéspar eet exemple , faluent Abfimare fous le nom de Tibere II. Jean eft maffacré, & le nouveau Prince fe met a la tête de la flotte. II arrivé devant Conftantinople, & jette 1'ancre dans le golfe de Céras, entre la ville 6c le fauxbourg de Syques. Conftantinople étoit pour lors affligée d'une pefte très-meurtriere. Léonce ayant voulu faire nettoyer un des ports, comblé de vafe &c de limon , une vapeur maligne s'étoit répandue dans la ville, &C depuis quatre mois la contagion y faifoit de grands ravages. Cependant les habitants réfifterent affez long-  du Bas-Empire. Liv. LXII. 203 temps; ils aimoient Léonce dont ils efpéroient un gouvernement doux & équitable ; mais une trahifon livra la ville au nouvel ufurpateur. Conftantinople n'étoit environnée que d'une fimple muraille le long de la mer; du cöté de la terre depuis le golte jufqu'a la Propontide, eüe étoit fer mée d'un doublé mur, excepté ver; le fauxbourg de Blaquernes. L'Env pereur avoit confié la garde de cett< partie aux Commandants des troupe étrangeres, après s'être affuré de leu fidélité par un ferment terrible, qu'il avoient prononcé en prenant les clef des portes fur les autels ; mais ce fei ment fut moins puiffant que 1'argen de Tibere. Ils ouvrent les portes les foldats de la flotte fe jettent e fbule dans la ville, pillent les mai fons, & traitent les habitants comrr des ennemis vaincus. Léonce rec\ les mêmes outrages qu'il avoit fai a Juftinien; on lui coupe le nez; c 1'enferme dans un monaftere. T01 ceux qui avoient eu part a fa faveu partagent auffi fa difgrace ; on les c chire a coups de verges; on confifq leurs biens; on les condamne k 1'ex I vj LÉONCE. Ann. 69?. S s t i tl e it ts n is fi ie  TjbereII Ann. 698. Ann. 699. XXV. Irruption des Romains en Syrië. Theoph. p. 310. j Cedr. p. 1 444- Zon. t. II, 4 p. 94. hifi. mifc. I /. 20. Ann, 701. p XXVI. a Expédi- r rion des Sarafins, f< 2C4 II/STorns Tibere, fe croyant afïuré au-dedan5y fonge k fe défendre contre les ennemis du dehors. Les troupes de 1'Empire ne confifloient prefque plus qu'en cavalerie ; il en donne le eommandement général a fon frere Kéraclius , qui favoit la guerre, & ne manquoit pas de valeur. II 1'envoye en Cappadoce pour garder les défilés des montagnes , qui donnoient entrée dans 1'Afie mineure, & pour obferver les mouvements des Sarafins. Ces barbares fe déchiroient alors mutuellement par des guerres civiles, Héraclius profitant de leurs divifions, fe jette dans la Syrië , Sc portant de :outes parts Fefïroi & la défolation, 1 nepargne ni femmes, ni enfants,. ïi vieillards. Deux cents mille Ara)es font la victime de cette fureur, -es Romains, aigris par tant de peres & de défaites, étoient devenus >Ius inhumains que leurs ennemis. Le Calife , affligé de ces ravages, s voyoit hors d'état d'en tirer une rompte vengeance. Mais deux ans pres, la paix étant rétablie dans fes tats, Abdalla, un de fes Génératix, : mit en campagne & alla faire ie  du Bas-Empike. Liv. LXII. 205 fiege d'Antarade. Quoique les Sarafins fuflent depuis cinquan-te-trois ans maïtres de 1'ifle d'Arade,que Moavia, avoitconquife& ruinée, lesRomains avoient confervé le port d'Antarade , fitué fiir le continent vis-avis de cette ifle. II y entretenoientune forte garnifon. Les courfes des Maronites & enfuite les guerres civiles avoient empêché les Sarafins de rien entreprendre fur cette place. Ils 1'attaquerent en 701; mais la vigoureufe défenfe des affiégés, qui recevoient fans cefle des rafraichifiements du cöté de la mer, les obligea de lever le fiege. Abdalla s'étant avancé jufqu'en Cilicie borna fon expédition a relever les murs de Mopfuefte, détruite dans les guerres contre les Maronites. II y laifla une garnifon qui défola par fes courfes les campagnes de la Cilicie. L'élévation de Léonce , & plus encore celle d'Abfimare, avoit animé les efpérances de tous les ambitieux. Un Arménien , nommé Bardane , fils du Patrice Nicéphore, ayant vu en fonge un aigle voltiger au-dcflus de fa tête, s'imagina quece prélageluipro- TibereII Ann. 701. xxvir. Bardana exilé. Theoph. pa 319. Niceph. p. 29. Zon. t. 11, ?■ 95-  TibereII Ar.n. 701. Hifi. mifi. I. 20. 20(5 HlSTOIRE mettoit 1'Empire. II alla confulter un reclus , infefté de monothélifme , qui paflbït pour fort habile dans 1'art d'interpréter les fonges. Le pronoffc ejl indubitable, lui dit le reclus; mais Dieu qui vous dejline a 1'Empire, y attaché une condition ; il veut que vous fajjie{ ufage de la puiffance Jouveraine pour relever 1'Eglife, qui gémit dans l'opprefJion. Jure^-moi tout-a-theure que des que vous Jerei Empereur, vous caffcre^ par un édit tout ce qui a été décidé dans cette tumultueuje affemblèe, que nos ad* verfaires appellent le Jixieme Concile général. Ce na été qu'une cabale hèrétique. Bardane, auffi peu inftruit qu'indifférent fur les matieres de religion, jura tout ce que voulut fon propheie , & attendoit avec impatience 1'effet d'une li flatteufe prédiction. Sa vanité ne put la tenir long-temps fecrete ; il s'en ouvrit a un ami, qui crut ne pouvoir mieux faire que d'aller la révéler a 1'Empereur, dont il efpéroit réeompenfe. Tibere n'étoit pas fanguinaire, il feeontenta de faire battre de verges le futur Empereur, de lui faire rafer la tête comme a un kifenfé , &i de 1'envoyer chargé de  du Bas-Empire. Liv. LXH. 207 'chainesdans 1'ifle de Céphalonie.Nous verrons néanmoins dans la fuite 1'accompliflement de cette prophétie. Dans 1'état ou étoit 1'Empire, la couronne fembloit être defcendue a la portee de tous ceux qui avoient la hardieffe d'y prétendre. L'Italie fe détachoit peu-a-peu de 1'Empire. L'autorité des Papes , qui fe faifoient eftimer par leur attivité & par leurs vertus, écliplbit infenfi' blement celle des Empereurs, devenus la plupart méprifables par leur inadtion ou par leurs vices. L'exarchat ne jouiffoit de la paix qu'a la faveur des troubles dont la Lombardie étoit agitée. Après la mort de Cunibert, fils de Pertharit, l'un des meilleurs Princes qui foit monté fur le tröne des Lombards, fon filsLiutpert, encore en bas age, fut reconnu par h nation, qui le mit fous la tutelle d'Anfprand , Seigneur renommé pour fl prudence & fa valeur. Mais Rambert , fils de Gondebert, frere de Pertharit, ayant raffemblé les ancien; vaflaux de fon pere, marche a Pavit a la tête d'une armée. Une bataille livrée prés de Novare fait pafler h TibereIÏ Ann. 7c 1. Ann. 701. XXVIII. Affaires ri'ltalie. Paul Diac; l. 6. c. %1. Anaft. in Jotnne VI. Baronius* Pagi ad Bar. Murat. rer. ital. t. I. part. 1. p- 306. Ajfimani hifi. Ital. fiript. t. 11. P- 479 1 547- Dt Vita Ant. Bcnev. '.. Ik p. 136.  TibereII Ann. 702. i < £ ï i ■t i ë 1 r d 11 P P' P V 208 HtS-TOIRE couronne fur la tête de Rambert. 1Ï mourut au bout de quelques mois,. laiiTant pour fucceffeur fon fils Aripert. Celui-ei, vainqueur dAnfprand , qui étoit venu 1'attaquer jufque fous (es murs de Pavie, fe rend maïtre de la perfonne de Liutpert & le fait triourir. Anfprand fe fauve en Baviere. Aripert n'ayant pu lui óter la vie, immole a fa veBgeance la femne, les enfants, & les amis de ce ieigneur, qui n'avoit d'autre crime [ue d'avoir été fidele a fon maïtre léitime. Cependant, le tyran, malgré ï cruauté , fe laiffe attendrir par les races & paria jeuneffe de Liutprand, ;cond fils dAnfprand, & lui permet 'aller rejoindre fon pere. II ne préoyoit pas que ce jeune Seigneur réneroit un jour, & qu'il feroit par t fageffe & par toutes fes qualités >yales 1'honneur de fa nation. Au éfaut d'ennemis, les Exarques euxlêmes tenoient Ia ville de Rome dans ne crainte & dans une défiance perïttfelle. Jean Platys ayant été rapïllé , Théophylaóte fut envoyé a fa ace. ïl prit fa route paria Sicile, & 3ulut paffer par Rome, fans autr-e  du Bas-Empire. Liv. LXII. 209 deffein que de fatisfaire fa dévotion en vilitant les tombeaux des Saints Apötres. Mais les Exarques n'avoient pas coutume de prendre ce chemin pour fe rendre a Ravenne, & depuis ïong-temps , on n'avoit vu arriver k Rome aucun Miniftre de la Cour, qui ne fut chargé de quelque commiffion facheufe. Le bruit fe répand en Italië qu'on en veut k la perfonne du Pape; c'étoit Jean VI, fucceffeur de Sergius. Théophylacte, difoit-on, venoit pour fe failïr de lui, comme Zacharie avoit voulu enlever fon prédéceffeur. II n'en fallut pas davantage pour donner Tallarme. Les troupes des environs, celles même de Ravenne & de la Pentapole viennent camper devant Rome, ou Théophylacte venoit d'arriver. On fe prépare a défendre le fouverain Pontife; tout retentit de menaces contre 1'Exarque, contre 1'Empereur même. Le Pape s plus fage & mieux informé des intentions de Téophylacte, fait fermei les portes de Rome; il envoyé des Prêtres pour calmer ces terreurs , & er vient a bout k force de raifons & de prieres. II s'agiffoit d'empêchèj TlBEREÏ! Arin. 702.» 1  TlBEREll Ann. 702. 2IO H I S T O I R E Théophylafte de faire aucune violence; a peine cette crainte eft-elle difilpée , qu'on travaille a i'y ex citer. Des efprits turbulents & vïndicatifs, pour fe défaire de leurs ennemis , lui vont préfenter une lilïe de perfonnes diflinguées, qui trahiffoient^ diibientüs, les intéréts de 1'Empereur. Mais 1'Exarque ayant rtconnu par des informations fecretes 1'innocence des accifés , fit retomber la punition fur les calomniateurs. Pendant ce tempsIa, Gifulf, Duc de Bénévent, ravageoit la Campanie, &s'étoii rendu maitre de Sora, d'Arpino, & d'Arcé. II trainoit après lui un nombre infini de prifonniers, lorfque le Pape, unique reffource de PItalie dans ces temps malheureux , mit feul en ufage pour défarmer ce Prince les forces qu'eut alors le Saint Siege, & qui furent prefque toujours victorieufes, tant qu'il n'en eut point d'autres. II lui envoya des Prêtres & des pséfents apoftoliques; c'étoient des reliques & d'autres objets de dévotion. Gifulf ne réfifta pas aux remontrances du Saint Pontife ; il abandonna !e pays pour retourner a Bénévent; mais il ne rendit les pri-  du Bjs-Empire. Liv. LXII. 211 fonniers, qu'après en avoir recu la rancon. Le Pape les racheta aux dépens de fon Eglife. Les Sarafins avancoient leurs conquêtes ; & quoiqu'ils ne fufTent pas toujours heureux, leurs défaites ne faifoient qu'ajouter a leur hardieffe naturelle le defir de la vengeance. lis s'acharnoient avec plus d'opiniatreté fur les Provinces qu'ils avoient une fois teintes de leur fang. Baane, que les Chrétiens avoient furnommé les ppt Démons, s'empara de plufieurs villes dans la petite Arménie , & y laiffa des garniions. A peine eut-il retiré fes troupes, que les Seigneurs du pays formerent le complot de mafïacrer les Sarafins, & Pexécuterent. Ils députerent enfuite a 1'Empereur, & rec,urent garnifon Romaine. Mahomet , autre Général, entre a fon tour dans le pays, égorge tout ce qu'il y a de Romains, fe remet en poffeffion de 1'Arménie , raflemble en un même lieu tous les Seigneurs, & les fait brüler vifs. En même-temps Azar fe jette en Cilicie avec dix mille hommes. Héraclius marche a fa rencontre , défait fon armée, 8c envoyé pri- TlBERE II Ann. 703. XXIX. Succès divers des Sarafins 8c d'Héraclius.Theoph. p. JU. Cedr. p. 444- Zon. 1. II. p. 94. 95Hifi. mific. !. 10.  TibereII Ann. 703. "< : 1 1 ] Ann. 704. 1 XXX. 1 Avc-ntu- j resdejuf- « tinien ' dans fon ( exil. ( Theoph. p. 311, 312. • Cedr. p. 1 444 ,445- t Niceph. p. 27, 28. 1 Zon. t. II. t V' 95- e Anafi, in Joannc € rik *I2 HlSTOIRB fonniers k 1'Empereur ceux qui n'av-oient pas péri dans le combat. II remporte bientöt après une feconde vlAone fur Azib , qui étant entré dans la même Province, avoit pris & ruiné \è fortereffe de Sis , place encore fubïftante aujourd'hui k trois lieues au lord d'Anazarb'e. Héraclius vint fon:lre fur les Sarafins , & leur tua douze nille hemmes; mais les fuccès de Sé brave guerrier furent bientöt ar■êtés par une nouvëlle révolution , mi replongea 1'Empire dans les malïeurs, dont il fembloit délivré demis 1'expulfion de Juftinien. Ce Prince, reléguéaCherfone,conervoit fa férocité naturelle. Loin d'êre humilié de fon infortune , il fe 'antoit hautement qu'il triompheroit nentöt de fes ennemis. Cet efprit inlomptable ne refpirant que vengean:e, tyran jufque dans fon exil, traioit avec infolence & cruauté les habitants du pays; il ne leur prometoit que des rigueurs, lorfqu'il feroit emonté fur le tröne. Les Cherfonies, lafles de fes fureurs, & encore plus ffrayés de fes menaces , formerent nfïn le deflein de le tuer ou de le  du Bas-Empire. Lit). LXII. 213 tranfporter a Conftantinople, pour le mettre entre les mains de 1'Empereur, comme une bete féroce qu'ils ne pouvoient garder fans danger. Le complot ne put être fi fecret qu'il n'en fut averti. II prend auffi-töt la fuite, &vafe jetter entre les bras du Khan des Khazares. Le Khan, maïtre de tous les pays qui bordoient les Palus Méotides, tenoit alors fa Cour dans la ville de Dore , fituée dans 1'ancienne Gothie vers Ie bord Occidental des Palus. II comble d'honneurs 1'Empereur détróné, dont il efpere voir bientót relever la fortune, & lui fait époufer fa fceur Théodora. II donne pour demeure aux deux époux la ville de Phanagorie, place confidérable au-dela du Bofphore Cimmérien. Cependant Tibere, inftruit des projets de Juftinien , intimidé par les prédictions de fes Aftrologues auxquels il donnoit confïance, réfolut de fe défaire d'un ennemi fi dangereux. Bien affuré que dans Pefprit d'un barbare la confidération de 1'alliance la plus étroite ne tiendroit pas contre 1'éclat de 1'or, il offre au Khan Tibere II Ann. 704. Hifi. mifi. I. 10. Paul Diac. I- 6. c. 3 ï, Manajf. p, 80, 8l. Glycas 9 pag. 279. Joel, p, Codin. orig.p. 49. Suid. in iohyapoi. XXXI. 11 fe réiigie chez es Bulgares.  TibereII Ann, 704. 214 H I S T O I R E une grande fomme, s'il veut lui livrer Juftinien vif ou mort. Le Khazare oublie aufli-tót que le Prince Romain eft fon beau-frere; il lui envoyé une garde fous prétexte de le mettre en iüreté contre les fourdes pratiques de 1'ufurpateur, & charge les deux Commandants de le tuer au premier fignal qu'ils en recevront de fa part. Un efclave de Théodora découvre ce deffein k fa maitrefle , qui en inftruit fon mari. Juftinien, fans perdre un moment, mande les deux Commandants , les étrangle de fes propres mains , renvoye Théodora a fon frere, & fe jette dans une barque de pêcheur, aveclaquelle il aborde au port de Symbole fur la cöte méridionale de la Cherfonefe. De-la il envoyé fecretement a Cherfone, d'oii il fait venir fix de fes amis, & dans la même barque il cötoye les rivages pour gagner le Danube. A la hauteur de 1'embouchure du Niefter, il eft aflailli d'une fi violente tempête, que tout fon cortege n'attendoit que la mort, Prince , lui dit alors Myace , un de fes domeftiques, vous dle\ pèrir avec nous, Promette^ a Dieu  nv Bas-Empire. Liv. LXII. 215 que s il vous fauve de ce danger, vous pardonneren pour tamour de lui d tous ceux qui ont contr.bué d votre défajlre. Si j'en épargne un feul, repliqua brufquement Juftinien plein de rage , je veux que Dieu niabyme tout-d-theure au fond des fiots. Le fouverain Vengeur des crimes, qui ne prend pas confeil des impies pour les punir k leur gré, le réfervoit k une fin plus tragique. Echappé du naufrage, il entre dans le Danube, & envoyé au Roi des Bulgares un de fes amis nommé Etienne, pour le prier de 1'aider a recouvrer fes Etats , lui promettant de partager avec lui les tréfors de 1'Empire , & de lui donner fa fille en mariage. Elle étoit née d'une première femme, dontonignorele nom. Terbei régnoit alors en Bulgarie; il tend les bras k Juftinien, & s'engage par ferment k le fecourir ; bientöt il fe met en campagne avec quinze mille, tant Bulgares qu'Efclavons, & marche droit a Conftantinople. _ Tibere , qui comptoit fur fa négociation avec le Khan des Khazares, n'avoit pris aucuneprécaution ; il n'étoit pas même inftruit de 1'évafion de Tibere II Ann. 704, Ann. 705. XXXII. Juftinien rétabli.  Tibere II Ann. 705. 5.16 Histoire Juftinien, &il n'appritque ce Prince vivoit encore, que lorfqu'il le vit k la tête des Bulgares devant les murs de Conftantinople. Cependant comme 1'armée ennemie n'étoit pas nombreufe, & que les murailles étoient nouvellement réparées, les gardes du palais joints aux habitants animés par la haine qu'ils portoient k Juftinien , fe préparoient k une opiniStre réfiftance. L'ennemi campa du cöté de Blaquernes, & pendant trois jours les affauts furent repouffés avec courage. En vain 1'Empereur détróné fe préfentoit-il aux afliégés, leur tendant les bras, & leur promettant le pardon du pafte & de nouveaux privileges; on ne lui répondoit du haut des murs, que par des injures & des malédictions; mais la nuit dutroifieme jour, a la faveur d'une inteiligence, il trouva moyen de pénétrer dans la ville par le canal d'un aqueduc avec quelques-uns de fes amis. Ils rompent auftitöt Ia porte de Charfias qui étoit la plus voifine, & ils ouvrent le paflage a toute 1'armée. Juftinien s'empare du palais de Blaquernes. Au premier bruit de 1'entrée des ennemis,  nu Bas-Emptre. Liv. LXII. 217 ennemis , Tibere avoit abandonné la ville, pour fe fauver a Apollonie en Thrace fur le Pont-Euxim Mais pourfuivi fans relache , il fut ramené a Juftinien & jetté dans un cachot avec Léonce, qui fut tiré du monaftere oii Tibere Pavoit fait enfermer. Héraclius, le défenfeur de 1'Empire contre les Sarafins, fut arrêté en Thrace avec tous les Officiers qui avoient commandé fous fes ordres; il fut pendu avec eux aux crénaux des murailles. Dés que Juftinien fut le maitre , il ne trouva que trop de miniftres de fes fureurs dans ceux même dont il avoit été abhorré. Toute la Thrace étoit couverte -d'exécuteurs de fes ordres cruels, qui courant dans les campagnes, égorgeoient, maffacroient tous ceux qui avoient fervi Tibere. C'étoit un crime digne de mort de lui avoir été attaché par quelque emploi, d'en avoir même recu la folde. Ce fut au travers des flots de fang de fes fujets que Juftinien remonta fur le tröne, dix ans après en avoir été précipité. II porta depuis le furnom de Rhinotmete ; ce qui dans la langue des Grecs fignifie qu'il avoit le nez cou- Tome XIII. K JUSTINIEN II. Ann. 705. XXXIII. Cruelle vengeance de Juftinien.  JUSTIKJEN II. Ann. 70 j. * ( ] I I r T l l ti c 2l8 fflSTOIRX pé. II s'en fit mettreun d'or, & 1'on rapporte que toutes les fois qu'il le détachoit, fa vengeance fe rallumoit avec violence, & que c'étoit toujours le fignal de quelque nouveau maflacre. Fier de fon triomphe , il fit célébrer les jeux du Cirque; mais il lui falloit du fang pour rendre fa joie complete. On tira de prifon Léonce & Abfimare chargés de chaines, & après les avoir conduits ignominieufement par toutes les rues de la vjlle, on vint les jetter a fes pieds. II étoit jfiïs fur un tröne brillant dans le lieu Ie plus élevé du Cirque; & tant que iura la première courfe de chars, il :int fes deux pieds fur la gorge de :es deux malheureux Princes étenlus par terre. Le peuple, efclave de a fortune, devenu en peu de jours lufli féroce que fon maitre, appiaulifibit a cette infolence , & profaioit par des acclamations inhumaies ce verfet du Pfeaume : Tu marcheïs fur l'afpic & fur le bafilïc , & tufouras aux pieds le lion & le dragon. nfuite Juftinien donna ordre de les ainer a l'amphithéatre nommé le ynege, li eu deftiné dans ce temps-la  nu Bas-Empire. Ltv. LXII. 219 a 1'exécution des criminels, oü ils eurent la tête tranchée: & Pon vit deux rivaux , autrefois divifés par Pambition, réunis alors par Pinfortune , tous deux plus dignes de régner que celui qui leur ötoit la vie, tomber dans le fang l'un de 1'autre. Abfimare avoit régné environfept ans. II avoit afïbclé k 1'Empire fes deux fils Théodore & Conftantin ^ qui périrent apparemment avec lui. Ils ne font connus que par la date d'une bulle du Pape Jean VII, donnée le dernier de Mai de Pan 705. II y a cependant beaucoup d'apparence que celui qui eft nommé Théodore dans la date de cette bulle, eft le même que Théodofe qui fut enfuite Evêque d'Ephefe, & un des principaux chefs des Iconoclaftes. Les Hiftoriens s'accordent k dire que ce Théodofe étoit fils de FEmpereur Abfimare. Huit mois de fuppliees prefque continuels n'épuiferent pas la cruauté de Juftinien. II employa 1'année fuivante prefque entiere k 1'exécution de 1'horrible ferment qu'il avoit fait au milieu de la tempête. II fit crever les yeux au Patriarche Callinique, en punition K ij JUSTINIEN II. Ann. 705 . Ann. 706. XXXIV. Suite des cruautés de Juflinies,  JUSTINIEN II. Ann, 706. 22© &ISTOIRE d'avoir prêté fa voix k 1'inauguration de Léonce, & il 1'envoya en exil a R ome. II mit k fa place furie fiege de Conftantinople un reclus Paphlagonien, nommé Cyrus, de la ville d?Amaftris, qui lui avoit prédit fon rétabliffement. Une infinité d'habitants & de foldats périrent par divers fupplices. II en fit jetter dans la mer un grand nombre enfermés dans des facs; & fe faifant un jeu de fa cruauté, il fe plaifoit k combler de careffes ceux qu'il defiinoit k la mort, il les nommoit aux premières charges de 1'Empire; & après avoir recu leurs remerciments, il les faifoit mafïacrer k la porte du palais. II en invitoit d'autres k fouper avec lui; le repas fe paffoit dans Ia [01e; & au fortir de table , il les faifoit pendre ou égorger. Leurs biens étoient confifqués, leurs maifons réduitesen cendres. Terbei, témoin de ces horreurs, s'étonnoit que les Romains traitafTent de barbare fa nation ; il lui fembloit au contraire que 1'humanité s'étoit réfugiée chez es Bulgares. Plein de mépris pour :e monftre farouche, il exigea avec wuteur larécompenfe de fes ïervices.  du Bas-Empire. Liv. LXII. 221 Non content de la Zagorie, pays de Thrace autour de la ville de Develtus, que lui céda Juftinien, il emporta d'immenfes trélbrs. Par une forte de moquerie, il coucha par terre fon large bouclier & le fouet dont il fe fervoit k cheval, & ordonna de couvrir entiérement l'un & 1'autre de pieces d'or. II étendit enfuite fa piqué , & y fit entafler dans toute fa longueur des étoffes de foie jufqu'a une hauteur confidérable. II obligea de plus 1'Empereur d'enrichir tous les foldats Bulgares , en leur rempliffant la main droite de pieces d'or , & la gauche de pieces d'argent. Après avoir raffafié d'or & enfin congédié ces défenfeurs avides, Juftinien envoya chercher fa femme, qui étoit demeurée auprès de fon frere le Khan des Khazares. Pour honorer le voyage de 1'Impératrice, il fit partir une flotte nombreufe, qui fut toute entiere abymée par unetempête, fans qu'il s'en put ïauver un feul homme. A cette nouvelle, le Khan lui écriviten ces termes : Infenfé, ne fujffifoit-ilpas de deux ou trois barquespour tranfporter ta femme ? Pourquoi rifquer tant d'kommes & K iij JUSTIMIEN II. Ann. 706,  JUSTIJVIEN II. Ann. 706. Ann. 708. XXXV. Juftinien «iéfait par par les Bulgares. Theoph. p. 3U, 315. Cedr. p. 446. Nkeph.p. | 28. Zon. t. 11. ' P- 96. Hifi mife. . I. 20. Sigeb. • chron. < 1 I ( C Ê£2 HlSTOIRR de vaijfeaux ? Voulois-tu donc me Penlever par force ? Elle t'a donne un fils depuis ton départ: envoyé un feul homme ; je lui mettrai entre les maïns Cenfant & la mere. Le Chambellan Théophylacte , député a eet effet, amena la Princefle avec fon fils, qui fut nommé Tibere. Ils furent tous deux couronnésa leurarrivée, & honorés du titre d'Augufte. II s'en falloit bien que les fervices laiflaflent dans 1'efprit de Juftinien une imprefiion aufli forte & aufli durable , que les injures. Deux ans après avoir été rétabli par les Bulgares, ce Prince ne fe fouvenant plus que d'avoir payé trop cher leurs fecours, rompit a paix avec eux. II fit pafler en Thra:e toute fa cavalerie, & lui donna reniez-vous fous les murs d'Anchiale, )ü il fe rendit par mer avec fa flotte. -es Bulgares occupoient les hauteurs .'oifines; & voyant les cavaliers Ronains difperfés fans ordres dans les :ampagnes , pour faire du fourrage, ls fondent fur eux, les taillent en fieces, enlevent hommes, chevaux, hariots, & pourfuivent 1'Empereur [ui fe fauve dans la ville. Ils le tien-  nu Bas-Empire. Lip. LX1L 223 nent afftégé pendant trois jours. Juftinien , hors d'état de fe défendre plus long-temps, fait couper les jarrets des chevaux, & ayant bordé d'armes le haut des murailles pour cacher fa fuite, il fe rembarque avec les débris de fon armée, & va porter fa honte a Conftantinople. a ; La valeur d'Héra«lius avoit arrete pendant quelque temps les progrès des Sarafins, fa mort lailTa 1'Empire fans défenfe du cöté de ,1a Syrië. Le Calife Abdolmélic étoit mort en 70 c., après un regne glorieux de 21 ans. II avoit achevé la conquête de 1'Afrique jufqu'au détroit de Gibraltar. ^ Toiites les villes de cette vafte contrée pafferent fous le poovoir des Mufulmans, a 1'exception de Ceuta qui demeura aux Vifigoths d'Efpagne. Sous fon regne, Mahomet avoit ravagé la Sicile. II laifla un grand nombre de fils, dont quatre régnerent fucceffivement après lui. Oualid, qui monta le premier fur le tröne des Califes, moins clément que fon pere, haïffoit mortellement les Chrétiens. II leur enleva 1'Eglife de Damas, la plus riche & h plus magnifique de 1'Orient, que for K iv JUSTlMIEN 1T. Ann. 708.- Ann. 709. XXXVI. Prifc de Tyanes par les Sarafins. Theeph. p. 312! 31?. 3«4. 31!- Niceph. p. 29. Hifi. mifi. i. 20. m. de Guignes , hifi. des Huns , p- 32) . 326.  JUST1KIEN II. Ann. 709. - i : ( l i i «4 H I S T O 1 R £ pere leur avoit laiffée conformémeM a la capitulation. Les Sarafins étoient alors dans une telle ignorance, qu'ils avoient befoin des Chrétiens, pour tenir les regiftres du tréfor. On les écrivoit en Grec. Oualid ordonna de ïesécrire enArabe, afin d'y pouvoir employer des Mufulmans. Mais il ne s'en trouva pas qui connufTent les procédés arithmétiques néceffaires pour les calculs, & il fallut encore avoir recours aux Chrétiens. Les Romains, après la perte d'Héraclius, eurent cependant encore quelque fuccès. Un Général, nommé Marien, défit une armée Sarafine en Cappadoce; Maïumas qui en étoit le chef, fut tué dans ia bataille. Mais cette victoire n'eut mcune fuite, & les Sarafins s'en ven» pent fur la ville de Tyanes. Ils 1'afiegerent; & contre leur coutume,ils jafferent 1'hyver devant fes murs. Vlafalmas & Soliman, frere du Calife, 3refToient le fiege avec vigueur; leurs nachines avoient abattu une partie les murailles; ils avoient donné pluïairs affauts; mais toujours repoufes, & enfin manquant de vivres , ls étoient fur le point de lever le fie-  du Bas-Empikz. Liv. LXIL 225 ge, lorfqu'un fecours envoyé pour fauver la ville , fut caufe de fa perte. Théodore Sc Théophylaóte, a la tête d'une multitude de payfans mal armés Sc mal difciplinés, vinrent attaquer les Sarafins. La méfintelligence des deux Commandants augmentoit encore le défordre. Ils furent taillés en pieces, Sc ceux qui ne périrent pas fous le cimeterre des Mufulmans, furent faits prifonniers. Encouragés par cette victoire, les Sarafins redoublent leurs efforts. Ils trouvent dans le camp des vaincus de quoi nourrit long-temps leur armée. Les affiégés perdant toute efpérance, fe rendirenl enfin, a condition qu'on les laifferoit en poffeffion de leurs biens Sc de leur ville. On ne leur tint pas parole, Les uns furent réduits en efclavage. les autres relégués dans les défert: de 1'Arabie. La ville de Tyanes, célebre depuis plufieurs fiecles, grande , riche, pfeuplée , capitale de li feconde Cappadoce, demeura aban donnée, Sc ne conferva que fon non Sc fes Evêques. _ Juftinien, plus occupé de vengean ■ce que du foiri de défendre 1'Empire K- v JUSTINIEN II. Ann. 709» L 1 . XXXVII. Cruauté ' exercée  JUSTINIEN II. Anrt. 709. fur Ravenne. Anafl. in Confiantine. Agnell. hifi. Epifc. Raven. Baronlus. Pagi ad Bar, FUury, hifi. ecclef. I. 41. art. 17. Murat. ann. ifltal. t. IV. p. 216. AJfemani Ital. hifi. fcript. 1.11. P- 549 . 226 HfSTOIItE ne fongeoit alors qu'a faire éprouver k la ville de Ravenne fon cruel reffentiment. On lui avoit rapporté que cette ville avoit témoigné de la joie a la nouvelle de fa difgrace. II prit occafion d'une conteftation qui fubfiftoit depuis quelque temps entre les Papes & les Archevêques de Ravenne. Le Pape Jean VII étoit mort au mois d'Ödtobre 707. Silinnius- fon fucceffeur n'avoit tenu le faint Siege que 20 jours ,. & avoit été remplacé en 708 par Conftantin.. Ce Pape ayant facré Félix, Archevêque de Ravenne, ne put jamais le faire condefcendre aux foumiffions que les Pontifes Romains étoient en ufage d'exiger de ces Prélats. L'Empereur, affectant d'être irrité de cette opiniatreté, envoyé ordre auPatrice Théodore qui commandoit en Sicile, de fe tranfporter k Ravenne avec fes troupes, & de traiter les habitants comme des rebelles. Théodore arrivé par mer ;. il jette 1'ancre arès de la ville, & étant defcendu fur Le rivage , il fait 1'accueil le plus gra:ieux aux principaux citoyens qui penoient le faluer; il les invite a fe rendre le lendemain auprès de lui,  nu Bas-Empire. Liv. LXII. no-7 pour entendre les ordres de 1'Empereur. Cependant il fait pratiquer une galerie couverte depuis fa tente jufqu'a fes vaiffeaux dans 1'efpace de cent vingt-cinq pas. Le lendemain toute la nobleffe de Ravenne fe préfente k la porte de fa tente ; il donne ordre de les introduire féparément deux a deux. Dès qu'ils étoient entrés , on fe faifüïoit d'eux, & un baillon dans la bouche, ils étoient conduits par la galerie au fond de cale d'un vaiffeau, en forte que ceux qui étoient au-dehors, ne voyoient pas ce qui fe paffoit fous la tente. L'Archeveque fut enlevé avec les autres, ainfi que le plus diftingué descitoyens, nommé Joannice, que j'aurai occafion de faire connoitre dans la fuite. Théodore entre enfuite dans Ravenne k U tête de fes foldats; il faittranfportei dans fes vaiffeaux les richeffes de ceu? qu'il tenoit prifonniers, abandonm le refte au pillage , met le feu dan divers quartiers, & fe rembarqiv pour Conftantinople. Ces infortunes la plupart innocents , les autres cou pables d'un crime digne de grace ai prés d'un Prince équitable, char§< K. vj JUSTINIEN II. Ann. 709. . ï » S  JUSTINIEN II. Ann, 709. 1 ] 1 i c < 1 t ( ê Ti y n rr P 228 H 1 S T O X R E de chaïnes & accablés de miferes traverfent toute Ia viüe, & font prélentes a 1'Empereur, qui afFeétoit encore d'infulter a leur malheur par un appareil fuperbe. II étoit affis fur un tróne enrichi d'or & parfemé d emeraudes; fon diadême étoit tiflu d'or & de perles; c'étoit un ouvrage de fa femme Théodora. Après les avoir fait pafTer devant lui, lancanr fur chacun d'eirx des regards furieux, tl ordonna de les conduire tous en prifon, pour avoir le temps de déermmer le genre de mort auquel il es condamnoit. Les jours fuivants fu;ent employés a leur faire fouffrir diferents fupplices. Le tyran inexorable voit juré doter la vie a FArchevê[ue Féljx : mais auffi fuperftitieux [u'il étoit cruel, il crut en avoir recu a défenfe dans un fonge , & fe conenta dele priver de 1'ufage de la vue. )n fit rougir au feu un baffin d'arent, & après 1'avoir arrofé de viaigre, on forca Félix d'y tenir les eux fixés , jufqu'a ce que la pruïlle fut defféchée. C'étoit un des oyens employés par les Grecs pour oeurer 1'aveuglement, L'Archevê-  du Bas-Empire. L'w. EXIL 229 que fut enfuite relégué a Cherfone. On laiffa vivre Joannice , qui avoit été fecretaire de Juftinien même; mais il fut condamné a une prifon perpétuelle. L'Empereur, qui ne pouvoit fouffrir aucune réfiftance k fes ordres, voyoit avec chagrin que les canons du Concile qu'il avoit fait affembler dans fon palais dix-huit ans auparavant , n'avoient pas été re§us a Rome. II envoya ordre au Pape Conftantin de fe tranfporter k Conftantinople , & le Pape obéit auffi-töt. II partit de Rome le ^ Oftobre 710, cc prit la route de la mer. II étoit accompagné d'un cortege affez nombreux, compofé de Prêtres, de Diacres & de deux Evêques, dont l'un mourut en chemin. En arrivant a Naples, il y rencontra Jean Rhizocope, qui alloit k Ravenne pour y rempiacer 1'Exarque Théophylacte , mort depuis peu. Rhizocope voulut paffer par Rome. Cette ville étoit alors affligée d'une famine qui dura trois ans; mais 1'arrivée du nouvel Exarque, fut pour elle un fléau encore plus trifte. II fit égorger en exé- JUSTINIEN II. Ann. 710. XXXVIII Veyage du Pape a Conft3n« tinople. Anaft. in ConfianHno & in Greg. II. PaulDiac. I. 6. c. 3 I» Pagi ad Bar. Fleury , hifi. ecclef. I. 41. C/ïj 22.  JUSTIHIEN II. Ann. 710. 230 H/STOlüE cution d'orrlres fecrets, dont on ignora toujours la raifon, quatre des principaux du Clergé. Le Pape continua fa route par la Sicile, oü il fut honorablement recu du Patrice Théodore , qui y étoit retourné après la cruelle expédition de Ravenne. II paffa par Rhege , Crotone , Gallipoli, Si féjourna quelque temps k Otrante, pour y attendre la fin de 1'hyver. II y recut un diplome de 1'Empereur, qui ordonnoit a tous fes Officiers établis dans les lieux du paffage, de rendre au Pape les mêmes honneurs qu'a 1'Empereur même. Conftantin trouva dans 1'ifle de Céa le Patrice Théophile, envoyé au-devant de lui pour Ie conduire k Conftantinople. Tibere , fils de 1'Empereur, accompagné des Patrices & de la principale Nobleffe, & le Patriarche Cyrus, fuivi de fon Clergé & d'une foule de peuple, pouffant des cris de joie, vinrent a fa rencontre jufqu'a fept mille pas de la ville. Le Pape, revêtu des mêmes ornements qu'il portoit a Rome les jours de cérémonie, & les premiers du Clergé montés fur des chevaux  du Bas-Empire. Liv. LX1L 231 des écuries de 1'Empereur, dont les ! felles, les brides & les houffes étoient enrichies de broderie d'or , entrerent comme en triomphe. Au fortir du palais de 1'Empereur, oü ils fe rendirent d'abord, on les conduifit au palais de Placidie, qu'on avoit préparé pour les recevoir. Le Prince, qui étoit alors a Nicée, écrivit au Pape dès qu'il fut fon arrivée, une lettre de félicitation, & le pria de venir a Nicomédie, oü il fe rendroit lui-même. A leur première entrevue , 1'Empereur, la couronne fur la tête , fe proflerna devant le Pape , & lui baifa les pieds. Ils s'embrafferent ertfuite au milieu des acclamations du peuple. Ce fut dans un entretien particulier qu'ils traiterent des canons du Concile, dont Conftantin rejetta une partie, & accepta 1'autre. Le Pape, avec la permiftion de 1'Empereur, ie fit aflïfter dans cette conférence par le Diacre Grégoire, qui lui fuccéda fur le fiege de Saint Pierre, C'étoit un homme favant, éloquent, & d'une tête affez ferme, pour ne pas fe laiffer éblouir par 1'éclat de la pourpre Impériale, II fatisfit plei- JUSTI- KIEN Ha \,nn, 710.  justinien II. Ann. 710. XXXIX. Hardiefl'e des Sarafins. Theoph. p. 315. Niceph. p, 29. Hlumt, an- 23 a HlSTOIKE nement a toutes les queftions de 1'Empereur. La conférence fe termina au grand contentement du Prince, qui, pour en donner un témoignage public , affilta le Dimanche fuivant a la meffe, célébrée par le Pape, & voulut recevoir de fa main la fainte Comtnunion. II le conjura de demander a Dieu la rémiffion de fes péchés; il renouvella les privileges actordes par fes prédéeeffeurs k 1'Eglife de Rome, & lui permit de retourner en Italië quand il le jugeï oit k propos; mais de fréquentes indifpofitions retinrent le Pape plufieurs mois. Enfin, s'étant mis en ïner , il trouva au port de Gaëte tout fon Clergé, & une grande partie du peuple Romain empreffé de le revoir, & il rentra dans Rome le 24 Oöobre 711 après plus d'une année d'ab» fence. La prife de Tyahes ouvroit la Cappadoce aux Sarafins. Solirnan y fit cette année un horrible ravage. La terreur s'étendoit encore plus loin. Les habitants fuyoient de toutes parts comme de timides troupeaux. Les barbares avoient concu tant de con-  vu Bas-Empire. Liv. LXII. 233 fiance, & tant de mépris pour les Romains, qu'un parti de trente Sarafins ofa traverfer toute 1'Aiïe mineure , pénétra jufqu'a Chryfopolis vis-a-vis de Conftantinople, égorgea tous les habitants, mit le feu aux vaiffeaux qui fe trouvoient dans le port, & retourna joindre Soliman, fans avoir perdu un feul homme. Cette année fut des plus funeftes k la Chrétienté. Les Mufulmans, non contents deieur vafte Empire qui s'étendoit depuis les Indes jufqu'au détroit de Gibraltar , entrerent en Efpagne , oü il; s'établirent 1'année fuivante. Ils ) jetterentles fondements d'une redou table puiffance, qui fubfifta jufqu'; la fin du quinzieme fiecle, oü Fer dinand le Catholique fe rendit mai tre de Grenade. L'année fuivante, Othman ravagea la Cilicie; il s'em para d'un grand nombre de places & traverfant PArménie mineure, i prit par trahifon la ville de Cama que, nommée auffi Daranalis & Am libla, que Ptolémée place au pie de 1'Antitaurus. Les fentiments de piété que la pn fence du Pape avoient infpirés a Ju JUSTINIEN II. Ann. 710. nah d'hab t. IV. p. 216. Hifl. mifi. I. 20. Ptol. geog. p. 129. Oriens Chrift. t. L {. 436. t > 1 i Ann. 711. XL. Vengean-  JUSTINIEN II. Ann. 71J. ce de Juftiniencontre les Cherfonites. Theoph. p. 316, 317, 318. Cedr. p. 446 , 447, 448. Niceph. pM 29.30,3I. Anaft. in Conftantino. Hifi. tnifc. I. 20. PaulDiae. ' /• 6. c. 31, ( 37 1 éCon, torn, II. P. 96, j 97- 1 Manaff. j pag. 81, 82,83. ï Glycas, ƒ>. 1 279.280. j. 176. F Du Cange. \\ deinf. avi numifm. ars, 26, C 234 HiSToiRg tinien, fembloit promettre quelque adouciffement de fon humeur violente & fanguinaire. Mais on ne fut pas long-temps a s'appercevoir que la rehgion n'avoit pas fur lui affez dempu-e pour éteindre la foif de la ^ vengeance dont il étoit confume , & dont il fut enfin lui-même la derniere viöime. Après avoir inondé de fang Conftantinople , il porta plus-loin fa fureur; & animé d'une haine implacable contre les Cherfonites, dont il n'avoit pas oublié les injures , il réfolut d'en faire un exemple terrible. II fitcontribuer tous res fujets , depuis les Sénateurs jufju'aux derniers du peuple, pour 1'éjuipement d'une grande flotte. Elle ut compofée de batiments de toute efpece, & chargée d'une armée nom•reufe, que les • Auteurs Grecs font nonter k cent mille hommes; ce qui affe toute croyance. Elle étoit com?andée par le Patrice Etienne , furommé U Farouche. II avoit ordre de affer au fil de 1'épée tous les habimts de Cherfone, fans en épargner ncun. Le Pape, qui étoit encore k bnftantinople, fit de vains efforts  uu Bas-Empihe. Liv. LXH. 235 pour détourner PEmpereur d'un deffein fi barbare. La flotte partit avec Elie, Ecuyer du Prince,'qui devoit refter dans la Cherfonefe poury commander. II emmenoit avec lui Bardane , que 1'Empereur avoit fait revenir de Céphalonie, pour le reléguer a Cherfone. L'ordre cruel ne fut pas entiérement ex.écuté. Etienne, tout impitoyable qu'il étoit, laiffa a la plupart des habitants le temps de prendre la fuite; & entre ceux qui demeurerent dans la ville , on réferva les jeunes gar^ons & les enfants pour en faire des efclaves. Les principaux de la ville furent partagés en trois bandes ; fept qui paflbient pour les plus coupables, furent enfilés enfemble par les pieds , fufpendus la tête en-bas a une traverfe de fer , & brulés a petit feu. II y en eut vingt qu'on jetta garottés dans une barque, a laquelle on attacha de groffes pierres pour la faire couler a fond. Quarante-deux furent envoyés a Jufliniec avec leurs femmes & leurs enfants De ce nombre étoient Dun & Zoïle, alliés & amis du Khan des Khazares. De fi étranges cruautés ne fa JUSTINIEN II. Ann. 711. Pagi ad Bar. Murat. ann. d'ItaL t. IV. p. 218, 219. Ajfem. hifi. Ital. fcript. t. II. p. 549- JJ«: Abrégé chrono!, de Vhift. d'It. t. I. p. 285 , 2871 289 , 3CJS 306.  JUSTINIEN II. Ann. 711. I 1 I j l i XLI. Révolte t de Raven- , _ _ c 21S. c r c c S3Ö HlSTOIRE tisfirent pas encore celle de Juftinien. Irnte contre fon Général, de ce qu'il ne ha avoit pas obéi a Ja lettre, il lui commanda de revenir, & d'amener a Conftantinople cette malheureufe jeunefle qu'il avoit épargnée Etienne fe rembarqua fur le champ, laiffant Elie h Cherfone. Mais la mer qui avoit déja chatié la vanité de ce mechant Prince, eut ordre encore de pumr les Miniftres de fes fureurs. La flotte étant partie au mois d'Odobre, efluya un affreux orage qui la fubmergea prefque entiere. Etienne fut snfeveh dans les eaux. Les Hiftoriens ^xagerent encore cette perte au-dela le toute vraifemblance. Mais on peut :roire ce qu'ils ajoutent, qu'on vit es cadavres pouffés par les vents & es vagues flotter fur les rivages de Afie, depuis Amaftris jufqu'a Héralee. Ce qui feroit incroyabïe d'un aure Prince que Juftinien, loin d'être ffligé de ce délaftre , il en témoigna e la joie. La mer, difoit-il, avoit revenu fa juftice en faifant périr eux qu'il deftinoit a la mort. II s'ocupa aufli-töt des moyens d'achever  nu Bjs-Empire. Liv. LXII. 237 ce qui manquoit a fa vengeance. Mais les nouvelles qu'il recevoit d'Italie, lui caufoient de grandes inquiétudes. Le peuple de Ravenne, défefpéré du faccagement de la ville & du maflacre de la noblefTe, fecoua le jong du cruel Empereur. II fe donna pour chef George, fils de Joannice, dont les qualités eftimables étoient encore relevées par les graces de la figure. Les villes de 1'Exarchat & de la Décapole fe liguerent avec Ravenne. George partagea les habitants fous plufieurs bannieres, qu'il diftingua par différents noms; & cette divifion du peugle de Ravenne fubfiftoit encore longtemps après. Rhizocope, qui vouloit févir contre les féditieux, fut mis en pieces. A la nouvelle de ce défordre, Juftinien fit partir 1'eunuque Eutychius, pour fuccéder a Rhizocope, Le nouvel Exarque, auffi adroit &C aufli infinuant que fon prédécefleur avoit été violent & emporté , vint k boutdecalmer les efprits, & de les ramener par la douceur a Pobéiflance. Mais il falloit du fang pour appaifer Juftinien. II tenoit dans les prifons de Conftantinople Joannice, pere JUSTINIEN II. toin. 711, /  JUSTINIEN II. Ann, 711. 233 HlSTOIRE de George. C'étoit un homme de naiffance, mais plus recommandable encore par fa vertu & par fes talents. II avoit été Secretaire de 1'Exarque Théodore. La correfpondance que eet emploi lui donnoit avec la Cour, fit connoitre fon mérite, L'Empereur le manda; & quoiqu'étant de petite taille & fort laid, fon extérieur Peut d'abord expofé k la rifée des courtifans, il s'en fit bientöt refpeöer par la fupériorité de fongénie. Après avoir pendant plufieurs années rempli avec une fidélité !k une capacité rare la charge de Secreaire d'Etat, il obtint la permifïion de ■etourner dans fa patrie. II en faifoit 'honneur, & confacroitfa vieilleffea ervir fes citoyens de fon crédit & de ès talents, lorfque Juftinien, Payant ait enlever avec le refte de la no>lefle, crut le payer amplement de es fervices en ne le faifant pas périr ivec les autres, dont la plupart étoient galement innocents. II le tenoit demis deux ans étroitement enfermé. .orfqu'il apprit le foulevement de Lavenne, dont George étoit le chef, : tira Joannice de prifon , & lui fit Duffrir les tourments les plus affreux.  nu Bas-Em?ire. Lht LXII. 239 Ce refpectacle vieillard y expira en proteftant de fon innocence , & citant le Prince a comparoïtre inceffamment au tribunal du fouverain Juge. Telles furent fes dernieres paroles, qui ne tarderent pas d'avoir leur effet. Les fugitifs étant retournés a Cherfone après le départ d'Etienne, apprirent que 1'Empereur fe préparolt k les exterminer. Ils travaillent en diligence aux fortifications de la ville; ils implorent le fecours du Khan des Khazares, qui leur envoyé quelques troupes. Elie fe joint k Bardane pour fe défendre de 1'orage qui le menacoit le premier. En effet on vit bientöt arriver le Patrice George, Tréforier général de 1'Empire ; Jean, Préfetde Conftantinople, & Chriftophe, Commandant des troupes de Thrace, fuivi de trois cents foldats. Ils étoient accompagnés de Dun & de Zoïle , que Juftinien renvoyoit pour ne pas s'attirer la colere du Prince Khazare. George avoit ordre de les rétablir dans leurs biens , d'envoyer faire des excufes au Khan, & de ram ener k Conftantinople Elie & Bardane. Lorf- JUSTINIEN II. Ann. 711. XLII. Ba>dane wmmé ïmpereur i Cherfo; ie.  JUSTINIEN II. Ann. 711. XLI1I. Seconde entreprife 240 HlSTOlRE que les trois chefs avec leur efcorte fe préfenterent devant la ville, & que George & Jean qui marchoient k la tête furent ent-rés , on ferma les portes , & on les maffacra fur le champ. En même-temps, les Khazares fortent de la place, enveloppent les trois cents foldats, & les ayant faits prifonniers , ils les conduifent k leur Khan avec Dun, Zoïle & Chriftophe. Dun étant mort en chemin, les Khazares, pourhonorerfes funérailles , immolerent fur fon tombeau Chriftophe & les trois cents foldats. Cependant la ville de Cherfone retentiflbit de malédictions contre Juftinien. On s'affemble , on renonce k 1'obéiffance d'un tyran devenu lebourreau de fes fujets ; on offre la cou« ronne a Elie qui la refufe; on nomme Bardane Empereur, on lui fait prendre le nom de Philippique. C'eft ainfi que le nomment les Hiftoriens. Mais le véritable nom étoit Filépique , comme on le voit par fes médailles ; & c'eft celui que nous lui donnerons dans la fuite. Cette nouvelle vole h Conftantinople. Juftinien, tranfporté de rage, court  nu Bas-Empirë. Liv. LXIl. 241 court a la maifon cTElie; il poignarde les deux fils encore enfants fur le fein de leur merè; il la livre elle-même a labrutaHté d'un Indien affreux qu'il avoit pour cuifinier. II met en mer une nouvelle flotte , qu'il charge de foldats & de toutes les machines de guerre propres a la aeftruction des villes. II en donne le commandement au Patrice Maur , & lui ordonne , fous les plus terribles menaces, de ruiner Cherfone de fond en comble, d'y faire paffer la charrue, & de ne pas laifïer échapper un feul de ceux qui y étoient enfermés, non pas même les enfants a Ia mamefle. II lui recommande de 1'inftruiré de tout par de fréquents meflages. Maur aborde k Cherfone, & commence aufiitöt les attaques. Ses machines avoient déja renverfé deux tours , & il fe difpofoit k donner 1'aflaut, lorfqu'il voit arriver une armée de Khazares, dont les forces fupérieures lui font perdre toute efpérance de fuccès. II fe rembarqua , mais ni lui, ni fes foldats n'ofant retourner k Qonftantinople pour y efTuyer les emportements d'un Prince furieux, ils prirent Tome XIII, L JUSTINIEN ir. Knn. 711. :ontre :ette ville.  JUSTINIEN II. Ann. 711. XL1V. Juftinien jrna.fjacré. 242 HlSTOIKE le parti de fe joindre aux Cherfonites. Filépique étoit forti de la ville avant qu'elle fut attaquée, & s'étoit retiré auprès du Khan des Khazares. On député au Khan pourleprier de renvoyer le Prince élu; il exige une piece d'or par tête, & Ie ferment d'être fidele au nouvel Empereur. Ces deux conditions étant remplies, Filépique revient a Cherfone, & y eft recu au milieu des vceux Sc des acclamations. Cependant Juftinien, étonnédene recevoir aucune nouvelle de fa flotte, fe douta qu'il étoit trahi, II affemble ce qui lui refte de foldats, Sc demande du fecours au Roi des Bulgares, avec lequel il ^étoit réconcilié. Terbei lui envoyé trois mille hommes. Juftinien paffe le détroit, Sc va camper k Damatrys, entre Chalcédoine Sc Nicomédie. Pour être plus a portée de slnftruire de ce qui fe paffoit k Cherfone , il'^s'avance avec un détachement de cavalerie jufqu'a Gingliffe prés de Sinope fur le Pont - Euxin. A peine'y eft-il arrivé, qu'il appercoit fa flotte voguant a pleines voiles vers te Bofphore. II envóye aux  du Bas-Empire. Liv. LXII. 243 ïiouvelles un brigantin léger, qui lui rapporte que Bardane eft Empereur, & qu'il va fe rendre maitre de la capitale. Auffi-tot rugiflant comme un lion, il court fans relache vers le Bofphore ; mais Filépique étoit déja dans Conftantinople. II retourne donc k Damatrys. II étoit réfolu d'aller combattre Pufurpateur; mais Filépique le prévint. Dès qu'il fut entré dans la ville, dont la haine du tyran 1'avoit rendu maitre , il prit les mefures les plus promptes pour fe défaire 8c de Juftinien 8c de fon fils Tibere , aftbcié k 1'Empire , 8c du principal Miniftre $ nommé Basbacure. Le Patrice Maur 8c Jean le Pajjèreaic eurent ordre d'aller maflacrer Tibere. Ce jeune Prince, agé de fix ans, s'étoit réfugié dans 1'Eglife de la Sainte Vierge au quartier de Blaquerr.es. II embraffoit d'une main le pilier qui foutenoit la table del'autel; il tenoitde 1'autre le bois de la vraie croix; & pour rendre fa perfonne plus inviolable, on lui avoit fufpendu au cou plufieurs reliques. Son aïeule Anaftafie, ( car il avoit perdu fa mere ) fe tenoita la porte du fanctuaire, comi L ij JUSTINIEN II. rVnn. 711,  JUSTINIEN II. Ann. 711, 244 IItstüzrb me pour en défendre 1'entrée. A 1'arrivée des affaffins, elle fe jette aux pieds de Maur avec des cris lamentables , & les tenant embraffés, les baignant de fes larmes, elle demande grace pour un enfant innocent. Pendant qu'elle fe tenoit attachée au Patrice , Jean faute dans le fanöuaire, détache de 1'autel le jeune Prince, lui arrache le bois de la croix qu'il pofe fur la table facrée , lui enleve les reliquaires qu'il fe paffe lui-même au cou, & trainant Penfant a la porte de 1'Eglife, il le dépouille, 1'étend fur les degrés & 1'égórge. II fait enfuite porter fon corps dans 1'Eglife de S. Cóme & de S. Damien, oü on lui donne la fépulture. Basbacure qui avoit pris la fuite , eft bientöt atteint & maffacré. Elie s'étoit chargé luimême de 1'exécution la plus difEcile; c'étoit d'öter la vie a Juftinien, cam-: pé k Damatrys avec fon armée. II y marcha avec les troupes de Filépique. Dés qu'il fut a portée de fe faire entendre , » Camarades, s'écria-t-il, j> je ne viens pas vous apporter la >> guerre, mais le falut & la liberté. » Séparez-vous d'un monftre odieux,  nu Bas-Empire. Lh. LXH. 245 »> altéré de vötre fang ainlï que du »> nötre, & qui a juré de perdre le » dernier des Romains. L'Empereur » vous promet füreté & récompenfe. » Et vous, Bulgares, dontil apayé » les fervices en vous allant attaquer » contre la foi des traités, quittez » eet ingrat, ce perfide. Filépique , » notre maitre , & dès ce> jour votre » allié fidele, vous ouvre vin libre »> paffage par fes Etats. Vous n'y trou» verez que des amis. Recevez la » parole &c le fauf-conduit de 1'Em» pereur ". il parloit encore, que les foldats de Juftinien fe mettoient en mouvement pour fe joindre a 1'armée ennemie. Juftinien abandonné ne forigeoit qu'a fuir. Elie ne lui en donna pas le temps; il court a lui, le faifit par les cheveux, & lui coupe la tête, qu'il envoyé fur le champ k Filépique. Après Pavoir donnée en fpeétacle k Conftantinople, on la porta en Occident jufqu'a Rome , pour annoncer le commencement du nouveau regne. On re§ut k Rome cette nouvelle vers la fin de Janvier 711, trois mois après le retour du Pape. Ainfi mourut Juftinien fecond, agé de quaL iij JUSTINIEN II. Ann. 711,  JUSTINIEN II. Ann, 711, Ann. 712. XLV. Filépique protégé les Monothélites.Theoph. p. 319, 320. Cedr. p. '446,447, 448. Anafl. in Confiantino. JSiceph.p. 31.32. Hifi. mi/c. I- 22. Paul diae. 1.6. c. 34. Per*ratio ; 24Ö" H-ISTöIré rante un ans; il en avoit régné Êx depuis fon rétabliffement au milieu du fang & du carnage. 11 fut le dernier de la familie d'Héraclius, qui avoit occupé Ie tröne pendant la durée précife d'un fiecle, dans la perfonne de fix Empereurs. Ce Prince faifant un mélange monftrueux de dévotion & de barbarie , fut le premier des Empereurs , qui fit graver fur fes monnoies 1'image de JefusChrift. Filépique, infefté dès 1'enfance de Perreur des Monothélites, ne voulut point entrer dans Ie palais, qu'on n'eüt effacé 1'image du fixieme Concile, peint furies murs du veftibule. Trop fidele a Ia parole qu'il avoit donnée au prétendu Prophete, qui lui avoit prédit fon élévation a 1'Empire , il ne fit ufage de fon pouvoir, que pour rétablir 1'héréfie, que Conftantin Pogonat avoit profcrite. II comtnenca par chafter du fiege de Conf:antinople, & par renfermer dans un Vlonaftere Ie Patriarche Cyrus, & nit a fa place le Diacre Jean, que 'ambition rendit Monothélite.Les hérétiques qui fe tenoient cachés depuis  dv Bas-Empire. Lh. LXIL 147 le regne de Pogonat, preffoient 1'Empereur d'abolir la mémoire du VI*. Concile, qui les avoit condamnés. Ils étoient lecondés par les flatteurs de Cour, toujours zélés pour la religion du Prince. L'Empereur n'eut pas de peine a fe rendte k leurs inftances. II affembla les Evêques d'Orient; & quoique les aftes de ce faux Concile ayant été enfevelis avec Filépique , en forte qu'on ne fait ni le nombre des Prélats qui le compoferent, ni ce qui fe paffa dans les diverfes féances, on peut conjeéturer qu'il fut trèsnombreux, & qu'on n'y épargna nulle des voies irrégulieres pour corrom. pre ou forcer les fuffrages. Tout l'Orient devint Monothélite, les fieges vacants furent remplis d'hérétiques s la crainte & Pintérêt flrent même fuccomber les Orthodoxes. Germain, Evêque de Cyzique, & André de Crete, Prélats renommés pour leur fcience & leur vertu, eurent la foibleffe de céder au torrent : prévarication honteufe qu'ils effacerent dans la fuite par leurs larmes & par leur fermeté héroïque k foutenir la difcipline de 1'Eglife contre les efForts de L iv Filépique. Ann. 7 ij.' Agathonis* Zon. t. II. p. 96,97» 98. Suid. KÓf. Baron rus t' Or. Chrift, t. 1. p. 234. . Pagi ai Bar. Murat. ann. d'Ital. t. IV. p. 192,193,  Filépique.Ann. 712. XL VI. L'Occi«3ent recette 1'hé- J ] » 1 248 H 1 S T 0 I R E Léon. II n'y eut qu'un petit nombre de Prélats affez courageux pour braver 1'exil & toutes les rigueurs de la perfécution. L'Empereur fit mettre dans les diptyques les noms de Sergius & d'Honerius anathématifés dans leVK Concile, dont il fit brüler les actes. Dans cette apoftafie prefque univerfelle de 1'Orient, 1'Occident moins expofé aux violences du Prince, ferma toute entree a 1'héréfie. Filépique, triomphant du fuccès de fon Concile, écrivit au Pape Conftantin une lettre remplie de fes erreurs. Elle fut rejettée, & le zele du peuple Romain en cette occafion approcha fort d'un fouievement, que la religion n'autorifa lamais. On déclara qu'on ne reconnoïtroit pas un Empereur hérétique; 511'on ne recevroit ni fes lettres ni fes nonnoies ; que fon portrait ne fe•oit point placé dans 1'Eglife felon 1'uage> q"e fon nom ne feroit pas proloncé a la meffe. On fit peindre dans 'Eglife de St. Pierre la repréfentation le fix Conciles généraux. Rome étoit ilors gouvernée par des Ducs, nomnés par 1'Exarque de Ravenne au nom  nu Bas-Empirz. Liv: LXII. «49 de 1'Empereur : Chriftophe étoit reVetu de cette dignité : Eutychius ayant envoyé Pierre pour lui fuccéder, on prit les armes; Chriftophe fe mit k la tête des révoltés : on en vint aux mains dans la rue facrée, il en coüta la vie a vingt-cinq perfonnes de part & d'autre. Enfin, le Pape fépara les combattarits par le moyén des Prêtres, qui fe j etterent k la traverfe avec la Croix & les Evangiles. A cette vue, les Catholiques fe retirerent, & lailTerent le champ de bataille au parti de Pierre, qui fut néanmoins obligé de fortir de Rome. Félix, Archevêque de Ravenne , fut le feul Prélat Orthodoxe qui éproüva de la part de 1'Empereur un traitement équitable. Aveuglé par ordre de Juftinien, & relégué a Cherfone , il avoit été compagnon d'exil de Bardane. Le Prince lui permit de retourner k Ravenne. II voulut même par fes libéralités le confoler des tourments qu'il avoit endurés. Entre les préfents qu'il lui fit, étoit une petite couronne d'or enrichie de pierreries d'un grand prix. Dans la fuite, Chademagne , maitre de Ravenne s L y FlLEÏI- QUE. Ann, 7 ii» XLVK. Félix ren voyé a Ravenne,  ÏILEMQUE. Ann. 712. xl vin. Irruption des Bulgares & des Sarafins, i 3J0 H I S T f) 1 R. S ayant voulu favoir d'un marchand Juif la valeur de cette couronne , le Juif répondit que toutes les richefles de la Cathédrale de Ravenne ne pourïoient la payer. Elle difparut cent ans après fous 1'Archevêque George. Fé3ix remonta fur fon fiege , quoiqu'il eut perdu 1'ufage de la vue. II obtint du Pape fon abfolution, en fe fouxnettant a lui rendre les mêmes hommages qu'avoient rendus fes prédécefleurs, & il continua de mériter IV mour & le refpect de fon peuple -par fa charité & par la fainteté de fa vie, Quoique Terbei, Roi des Bulgares , n'eut pas fujet d'aimer Juftinien , cependant comme il 1'avoit rétabli fur le tröne, il prit prétexte de fa mort, pour faire des courfes fur les terres de 1'Empire. II tnarcha vers 1'entrée du Bofphore du cöté de ia mer noire, & mettant tout le pays « feu & a fang, il s'avanca jufqu'au golfe de Céras. Sa marche fut fi rapide, qu'on n'en fut averti a Confrantinople que par 1'ineendie du fauxbourg de Syques. On y cé'ébroit ce iour-la les noces d'un riche citoyea  du Bas-Empi'rs. Liv. LX1I. &51 de la ville, & 1'on y avoit tranfporté par le golfe une magnifique & nombreufe argenterie, avec tout 1'appareil d'un feftin fomptueux. Tout fut la proie des Bulgares; ils firent un horrible maffacre des conviés, & pourfuivirent les fuyards jufqu'a Ia porte dorée. S'étendant eniuite dans toute la Thrace, ils la ravagerent, & retournerent vers le Danube avec un butin immenfe, & un nombre infini de prifonniers. L'Empereur , pour peupler 6l défendre ce qui reftoil aux Romains dans la petite Arménie , y avoit fait paffer des colonie: de la grande Arménie, & les avoi logées dans Mélitine & dans les pla ces d'alentour. Mafalmas, le plus re doutable des Généraux Sarafins d ce temps-la, bravant ces foibles rem parts, pénétra dans le Pont, prit Am; fée avec les chateaux des environs & dépeupla ce pays. II fe jetta er fuite dans la Lycaonie , oü pillai toutes les villes, qui ne lui firent ai cune réfiftance, il recueillit un but: ineftimable. L'année fuivante , Abbas, aut chef des Sarafins, prit Antioche < L vj FlLETIQUE. Ann. fUU jt .1 .««sS. I 6 15 kt 1n rp Ann. 713. . XLIX. *e filépique Aswöne,  FllEPI. QUE. Ann. ji j, Theoph. p, ^10, ju. Niceph, p. 32. 448. i- ia. ■Zf-ff. t. II, p. 98. Manaff, p, «4- Clycas , p, 280. ,376. i j J i F r è P ^ g] ci il 252 ^ II I S T 0 I R £ Pifidie. Cependant Filépique, infenlible a tant de pertes, ne sroccupoit que de fes plaifirs. Oifif au fond de fon palais, livré aux plus infamesdébauches, il enlevoit les femmes a leurs maris, il forcoit les Monafïeres, & arrachoit des autels les religleufes dont il entendoit vanter la beauté. Sans aftion, fans mouvement, Cnon pour les feftins & les fêtes, il difïïpa en peu de mois la plus grande partie des meubles précieux &c des tréfors aeaimulés par fes prédéceffeur, & fur-tout parle dernier Prin:e ; fruits malheureux de tant de ra>ines & de confifcations injuftes, 1 s'énoncoit avec facilité & avec race; plein d'efprit & de connoifmces, fes difcours refpiroient la olitique la plus faine & la plus éclaife; mais fes aftions déshonoroient ; tróne, & Ie rendoient méprifable fes fujets.^ Le reclus qui lui avoit rédit fon élévation, lui avoit prolis un regne long & heureux , s'il >oliiToit les décrets du fixieme Conle. Mais au bout de dix-huit mois, fe forma contre lui un complot ïi le plongea dans un état plus trifte  du Bas-Empirs. Llv. LXI1. 253 que n'avoit été fon exil. Le Patrice George Buraphe, Commandant des troupes de Phrygie, deMyfie & d'Hellefpont, étoit alors en Thrace pour défendre cette Province contre les incurfions des Bulgares. De concert avec le Patrice Théodore Myace, il prit la réfolution de dépouiller Filépique d'un titre dont il étoit indigne. 11 envoyé a Conftantinople un de fes Officiers, homme hardi & entreprenant, nommé Rufus,avec quelques foldats, & lui ordorine de faifir la première occafion d'exécuter leur deflein. Elle ne tarda pas a fe préfenter. Le troiiieme de Juin,veille de la Pentecöte , Filépique célébra le jour de fa naiflance par des courfes de chars dans Ie Cirque. II traverfa enfuite toute la ville a la tête d'une pompeufe cavalcade, au fon de mille inftruments de mufique. Après avoir pris le bain dans les Thermes de Zeuzippe, il alla fe mettre a table avec les premiers de fa Cour, & but avec excès. Le repas étant fini, pendant qu'il dormoit profondément, Rufus accourt au palais, oii tout étoit dans le défordre d'une fête tumultueufe. Filépique.Ann. 71),  FiLEPIQVE. Ann, 71 j, 254 H I S T O 1 R £, gV. Chacun , fans fonger au Prince , ne s'occupoit que de fes propres plaifirs. II pénetre fans obftacle jufqu'a 1'appartement de 1'Empereur, & le trouvant fans gardes, ivre & enfeveli dans le fommeil, il fe faifit de lui, 1'enveloppe d'un manteau , le tranfporte a 1'Hippodrome, fans être remarqué de perfonne , le Prince luimême, plongé dans Fivreffe,ne s'appercevant pas de fon enlevement. La , Rufus 1'ayant enfermé dans le veftiaire de la faclion verte, lui fait crever les yeux.  SOMMAIRE DU LIVRE SOIXANTE-TROISIEME. s. Ax AST AS E II, Empereur. II. II fe déclare pour la doctrine Cathol'f que. III. Commencements de Lêon l'lfaurien. IV. Expédition de Lêon dans le pays des Alains. V. Son retour a Conft tantinople. VI. Prêparatifs contre les Sarafins. VII. Germain transfèrê de Cy(ique d Conftantinople. VIII. Flotte en* yoyèe pour détruire les prêparatifs dts Sarafins. IX. Elle fe mutine. X. Anaft tafe détróné. XI. Regne de Théodofe HL XII. Léon proclamé Empereur par les habitants d? Amorium. XIII. Lêon fe tire des mains des Sarajins. XIV. Léon reconnu Empereur d Conjlantinople. XV. Liutprand, Roi des Lombards. XVI. Grègoirt II, Pape. XVII. Grande inonda* tion du Tibre. XVIII. Les Sarajins viennent ajfiêger Conjlantinople. XIX. Siege par terre & par mer. XX. DeJlruUiom  2)6 SOMMAIRE des dcuxfioms ennemies. XXI. Révolte appaifee en Sicile: xxil. Suite du fae XXIII. Retraite & deftruclion totale de l armee Sarafine. xxiv. Joie des Romains , & colere du Calife. xxv. Naiffance de Conftantin Copronyme. xxvi Emreprife & mort d'Anaftafe. XXVII* Leon perfécute les Juifs & les Montanif tes. XXVIII. Les Sarafins maitres de la Sardaigne. xxix. Expédition des Sarajins. XXX. Naifance d'une ifle nouvelle. XXXI. Léon forme le dejfein d'abolir le' culte des images. XXXII. Motifs qui l'y excitoient. xxxin. Edit de Léon. Xxxi v. Trou'bles excités par un édit. XXXV Germain réfifte a 1'Empereur. XXXVI. Jean DamaJcene combatpour la doctrine de lEgüfe. XXXVII. Léon veutfe dèfaire du Pape. XXXVIII. Révolte de la Grece. XXXIX. Les Sarafins attaquent Nicée XL. Nouvelles entreprifes de VEmpereur contre le Pape. XLI. Zele des Romains pour le Pape. XLII. Liutprand prof te de ces troubles. XLIII. Effórts inutiles de ffxarquepour fairepérirle Pape. XLIV Ravenne reprife par 1'Exarque. XLV.' Liutprand fe ligue avec tExarque. XLVI.' Le Pape implore le fecours de Charles Martel. XLVH. Liutprand fléchi par de  du L i v. LXIIK 257 Pape. XLVIII. Révolte appaifée par le Pape. XLIX. Germain dépouillé de CEpifcopat. L. Léon fait bruler la bibliotheque & les Bibliothêcaires. LI. Troubles a Conjlantinople. Lil. Divers martyrs. LUI. Mort de Grêgoire II. LIV. Apologie de Grêgoire II. LV. Conduite du Pape Grêgoire III. LVI. Expéditions des Sarajins. LVII. Concile de Rome. LVIII. Vaïne entreprife de Lêon contre VItalië. Lix. Vengeance de Léon. LX. Mariage de Conjlantin Copronyme. LXI. Diverfes expéditions des Sarajins. LXII. TrembUment de terre a. Conjlantinople. LXIH. Le Pape a recours d Charles Martel. LXiv. Entreprife Jur Bologne. LXV. Mort de Léon,   HISTOIRE DU BAS-EMPIRE. L1VRE S01XANTE-TR01SIEME. ANASTASE II THÉODOSE III. LÉON III, dit ClSAURIEN. Les Gardes & les Officiers du Palais , ne furent pas long-temps k s'appercevoir de 1'abfence de^ 1'Empereur. Le bruit s'en étant répandu dans la ville , on le trouya fur le foir dans le même lieu oti il avoit éte traité fi cruellement, déteftant les Anasta.» se II. Ann. 713; I. ' Anaftafe II, Empereur,  Anasta- se ir. Ann, 7i j. Annfi. in Confiantino. Theoph, p, 3". 327, * fin. Cedr. p. 443 5feqq.Aiceph. p, 32- Peroratio Agathonis. Hifi- mifc. I. 20 , 21. Zon. 1.11. | p. 98 & /«??• Manajf. p, 84. 85. Glycas , p, 80. Oriens Chrifl. t. 1 p- m-1 ■ ■•• "j 3 i i 1 i aó® II1 s t 0 1 R £ auteurs de fes maux, & plus encore fa malheureufe ambition , qui, après un éclat de courte durée, le plongeoit dans d'affreufes ténebres pour le refte de fa vie. II avoit régné environ dixfept mois. Sa chüte ne produifit aucun mouvement dans Conftantinople; il difparut fans être regretté, & rentra dans une fi profonde obfcurité, que 1'hiftoire n'a pas même daigné nous apprendre/ce qu'il devint après fa difgrace. Le lendemain , jour de la Pentecöte , le peuple s'étant rehdu en fóule dans 1'Egüfe de Sainte-Sophie, Arrémius, le premier Secretaire d'Etat , univerfellement eftimé pour fon favoir & fon expérience dans les affaires, fut proclamé Empereur. II recut la couronne desmains du Patriarche, & prit le nom d'Anaftafe II. Entre les foins qui 1'qcgulerent les premiers jours de fon re;ne, il crut devoir a fa propre fü■eté&a celle de tous les Souverains, a punition de 1'attentat commis con' re fon prédéceffeur. Dès le famedi uivant, George & Théodore fubient le même traitement, qu'ils a'oient ofé faire è leur maitre. Ilsfu-  du Bas-Empirë. Liv. LX1II. 261 rent enfuite tranfportés a Thefialonique pour y vivre en exil. Le nouvel Empereur avoit été conftamment attaché a Ia doctrine Catholique; fon élection rendit la liberté k 1'Eglife. Dans le moment même qu'il fut couronné, les Evêques, le Clergé & le peuple aflemblés dans Sainte-Sophie, s'écrierent comme de concert: Nous embraffons la foi du ftxieme Concile; il eft faïnt , il eft cecuménique. L'Empereur joignit fa voix k ces acclamations unanimes; il déclara qu'il foutiendroit de tout fon pouvoiï 1'ancienne croyance. II rendit compte de ces pieux fentiments au Pape Conftantin dans une lettre qu'il lui fit porter par le Patrice Scolaftique fon Chambellan , nommé Exarque de Ravenne k la place d'Eutychius, qui fut rappellé. Cefte nouvelle caufa beaucoup de joie aux Orthodoxes. &z replongea les hérétiques dans le filence & Pobfcurité , d'oii la faveui de Filépique les avoit tirés. Le peuple de Rome , rafluré par ce témoignage authentique de la foi de 1'Enapereur, confentit enfin k recevoir pour Dik Pierre, qui promit de foutenir la fai- Anasta- SE 11. Ann. 713, II. II fe déclarepourla doftrine catholique.  Anasta- se n. Ann, 713. III. Cgmmen- cement «le Léon 1'Ifiurien. 1 ! < 1 < i ±62 Hjstoire ne doctrine. Jean, Patriarche de Conftantinople , écrivit auffi au Pape, pour lui demander fa communion, s'excufant de fa foibleffe, témoignant un fincere repentir, & prononcant anathême contre Terreur des MonothéIites. Anaftafe, qui avoit rempli avec diftinction les premiers emplois du miniftere, étoit bien capable de faire un choix judicieux de fes Miniftres. II confia le foin des affaires civiles a des perfonnes auffi integres qu'éclairées; & il fit ufage de la valeur & des talentsmilitaires de Léon pour lecommandement des troupes. II eft temps de faire connoitre ce perfonnage célebre, dont 1'adroite politique fe frayoit dés - lors infenfiblement un chemin a 1'Empire. II naquit en Ifaurie de parents pauvres & obfcurs., le nommerent Conon. La mifere es ayant fait fortir de leur pays, ils illerent s'établir en Thrace dans la n\\t de Mefembrie , ou ils gagnerent juelque bien a faire commerce de >eftiaux. Conon , ayant pris le parti les armes, fe fit appeller Léon. II ervoit fimple foldat dans 1'armée de  du Bas-Empis-E. Liv. LXlrl. 163 Juftinien , lorfque ce Prince alla faire la guerre aux Bulgares. Comme 1'armée manquoit de vivres, il engagea fon pere a lui envoyer cinq cents moutons, dont il fit préfent a 1'Empereur. Léon étoit bien fait & d'une taille avantageufe. Juftinien , charmé de fon zele & de fa figure, le mit au nombre de fes gardes, & 1'avanca en peu de temps aux premiers grades de la milice. Une fortune fi rapide excita 1'envie ; on Faccufa de porter fes vues ambitieufes jufqu'au tröne. Mais d'exacïes informations ne laiflêrent a fes accufateurs que la confufion de la calomnie. II en refta cependant quelque impreflion dansl'efprit de Juftinien. Le mérite de Léon fuffifoit pour le rendre fufpect a ce méchant Prince, qui réfolut de Péloigner. II prit occafion de la révolte des Abafges, des Lazes & des Ibériens, que la dureté & Pavarice des Gouverneurs avoient porté a fecouer le joug de 1'Empire. II le chargea d'exciter les Alains a faire la guerre a ces peuples , & lui mit entre les mains une grande fomme d'argent pour y réulfir. La yille de Phafe étoit Anasta- se II. Ann. 713."IV. Expédition de Léondans ie pays des Alains.  Anasta- se IJ. Ann. 713, 1 i J < 2^4 HlSTOlRE demeurée fidelle; Léon y laiiTa eet argent en dépot, a deflein den faire venir ce qu'il croiroit néceffaire , felon la difpofition des efprits. Juftinien 1'ayant appris , crut avoir trouvé un moyen de perdre Léon, en le mettant hors d'état d'exécuter les promefïes qu'il auroit faites aux barbares; il fit enlever le tréfor. Mais Léon n'eutbefoin que de paroles pour engager les Alains a marcher contre les Abafges. Ils entrerent donc fur leurs terres, &y firent de grands ravages. Les Abafges, allarmés de cette irruption foudaine, dépuferent aux Alains pour réclamer leur ancienne alliance, leur offrantfix mille pieces d'or, s'iis vouloient leur mettre entre les mains ce corrupteur perfide, qui venoit défunir des peuples amis , & troubler la paix qui régnoit dans leurs montagnes. Les Alains re^urent' 'argent, & promirentde leur livrer le iéputé Romain k un jour marqué. Ce 1'étoit qu'une feinte ; ils étoient con^enus avec Léon dece qu'ilsvouloient aire. Le jour étant arrivé, les Abaf;es vinrent en grand nombre , & mmenerent Léon chargé de chaines. A  du Bas-Empirb. Liv.LXIIL 265 A peine furent-ils engagés dans les gorges des montagnes, que les Alains pofïés en embufcade fondent fur eux, délivrent Léon qui fe mettant k leur tête enveloppe toute 1'efcorte, la fait prifonniere, pénetre dans le pays, & met tout k feu & k fang. Cependant un corps de troupes Romaines ayant paffé de 1'Arménie dans la Lazique, affiégeoit Archéopolis: mais un plus grand corps de Sarafins étant accouru au fecours, obligea les Romains de lever le fiege en défordre, & de regagner le Phafe. Deux cents Romains auxquels les Sarafins avoient coupé le chemin , fe réfugierent au pied du Caucafe. Léon 1'ayant appris crut y trouver toute 1'armée; & prenant avec lui cinquante Alains , il traverfe au mois de Mai les neiges de ces affreufes montagnes. Etonné de n'y voir qu'une poignée de Romains, il apprit que 1'armée avoit pris la fuite, & que tous les paflages étoient fermés d'un cöté par les Abafges, de 1'autre par les Sarafins. II ne reftoit qu'un chemin qui conduifoit dans PApfilie , dont les peuples n'avoient point pris de part Tornt XIII. M Anasta- se II. Ann. 713; V. Sbn retour a Conftantinople*  Anasta- se II. Ann. 713. Cl66 Histoire a la révolte de leurs voifins. Ce pays avoit des ports fur le Pont - Euxin, d'oü Léon pouvoit paffer fur les terres de 1'Empire. Mais ce chemin même étoit fermé par la fortereffe de Sidere, qu'occupoient les Sarafins. Léon envoya demander paffage au Commandant, nommé Pharafmane. Le Sarafin 1'ayant refufé, il réfolut d'attaquer ra place, quoiqu'il n'eüt a. fa fuite que deux cents cinquante hommes. Mais un fecours inefpéré releva fon courage. Marin, un des principaux habitants de FApfilie, vint le joindre avec trois cents foldats, & Pharafmane croyant que c'étoit un détachement de 1'armée Romaine, qui revenoit toute entiere fur fes pas, demanda k capituler. Léon étoit trop ambitieux pour être efclave de fa parole. II promit tout, & ne tint rien. II pilla la fortereffe, mit le feu aux maifons, rafa les murailles, &gagna FApfilie , dont les habitants lui rendirent de grands honneurs. La s'étant embarqué , il entra dans le port de Trébifonde , & revint par terre k Conftantinople. Anaftafe, qui régnoit alors, le nomma Comman=  nu Bas-EmpirE-, Liv. LXTll. 267 reflent de 1'accepter. Théodofe, efrayé d'une propofition fi bifarre, echappe de leurs mains, & va fe caher dans les montagnes voifines. )n Ie cherche, on découvre fa retraït, on le force de fe laiffer couroner. Au premier bruit de cette réolte, Anaftafe laiffe une partie de :s troupes, & le refte de la flotte a Ia efenfe de Conftantinople ; pour lui, fe retire a Nicée, k deffein d'y raf-  du Bas-Empire. Liv. LXIIL 273 fembler les forces de 1'Afie. Les rebelles font des foldats de tout ce qu'ils trouvent fur leur route ; ils s'emparent des vaiffeaux marchands de toute forme & de toute grandeur, & fe rendent par terre & par mer a Chryfopolis. Conftantinopleaffectionnée k fon Prince, ne voulut entendre aaucune de leurs propofitions. Pendant fix mois, les deux flottes, è-peu-près égales en forces, refterent en \néfence 1'une de 1'autre, celle de 1'Empereur défendant 1'approche de la ville, celle des révoltés faifant de vains efforts pour s'ouvrir un paffage. C'étoient tous les jours depetits combats, mais fans aucune bataille décifive. Enfin, au mois de Janvier 716, la flotte impériale, laffe de tenir la mer fi long - temps , s'étant retirée dans le port pour s'y rafraichir, celle de Théodofe profita de la nuit fuivante pour paffer au rivage de Thrace. Les troupes y débarquerent, & marchant lelong du golfe de Céras, elles gagnerent le mur de Blaquernes. Quelques habitants, corrompu par l'arsent des rebelles, leur ayan * M v Anasta- se II. Ann. 715. Ann. 716. X. Anaflafe détróné. S t  At* ^ sta- se II. Ann. 716. 1 J 274 H l S T O I R £ ouvert une porte, ils fe jettent en> föuie dans Ja ville, mettent le feu> aux maifons, & a la lueur de Yincendie ,. ils pillent & les palais & les Eglifes. Cependant Anaftafe , retiré k Nicée , y étoit affiégé par une partie des rebelles. II en fortit avec ce qu'il avoit ramafféde troupes, & livra une grande bataille, dans-laquelle il fut vaincu avec perte de fept mille hommes. Obligé de fe renfermer dans la, ville , il attendoit- le fuccès de 1'attaque de Conftantinople, qui devoit décider de fon fort. . La vue de fes» arnis &du Patriarche Germain, qu'on: lui préfenta chargés de fers devant les murs de Nicée y lui appritque fa ca■>itale étoit au pouvoir des rebelles ,, k lui fit perdre toute efpérance. Ainii, ans s'opiniatrer contre la fortune,. 1 tira parole des aflïégeants, qu'on lui. .aifferoit la vie , qu'on épargneroit fes. imis & le Patriarche, qu'on les rétabliroit dans leurs biens & dans leurs. lignités. Auffi-töt ayant pris 1'habit nnonaftique, il fe fitconduireaThéolofe, qui lui confirma par fermentout ce qui lui avoit été promis. Seon lamauvaife coutume de ce temps-  nu Bas-Empire. Liv. LXIII. 275 la, on lui conféra la prêtrife, & il fut relégué a ThefTalonique. II avoit régné deux ans & demi. Théodofe, dépourvu des talents nécefïaires dans un état pour lequel il n'étoit pasné, n'avoit que les vertus d'un particulier. II étoit pieux & attaché a Ta do&rine Catholique. II rétablit dans le palais Timage du VIe. Concile , que Filépique avoit fait effacer. II fit la paix avec les Bulgares , mais a des conditions fort défavantageufes. 11 leur abandonna une partie de la Thrace, s'engagea a leur fournir tous les ans des étoffes & des peaux teintes en écarlate, jufqu'a la fomme de trente livres pefant d'or; d'ailleurs, ce ne fut pendant fon regne que confufion & que défordre. Tandis que les frontieres de 1'Empire étoient en proie aux Sarafins ,1'intérieur tomboit dans une léthargie univerfelle. L'étude des lettres, la difcipline militaire , qui dépériffoien également depuis long temps , furen prefque entiérement anéanties. Le mceurs fe corrompirent de plus ei plus; &£ pour opérer tant de maux il ne fallut que 1'efpace d'un an, qv M vj IhÉODO* SE III. Ann. 7164 XI. Regne de Théodofe III. Theoph. pl 323. 480,  Léon UI, Ann. 717, 284 HlSTOIRE k Rome; de Saint-Ambroife, k MiIan. Les Princes, dans les Etats defquels ils étoient renfermés, jouiffoient fur ces biens des mêmes droits que fur les autres biens de leurs fujets, & ils furent attentifs a réprimer les tentatives des Eccléiïaftiques, toujours ardents k fe fouftraire k la jurifdiflon féculiere. Le Pape Saint Grêgoire le Grand arrêta lui-même, par la.menace de Pexcommunication , les entreprifes que les direfteurs du patrimoine de Saint Pierre faifoient contre les droits du Prince & contre 1'autorité des Magiftrats. C'eft par erreur ou par un faux zele, que les Ecrivains des temps poftérieurs ont confondu la Province avec lepatrimoine. En jïi , Anfprand, fecondé des Bavarois, recommenca la guerre; & Aripert s'étant noyé dans le Téfin, il monta fur le tröne, & mourut trois mois après. La nation qid regrettoit fes grandes qualités, efpéra les voir revivre dans Liutprand fon fils; elle le choifit pour Roi , & ne fut pas trompée dans fon attente. Liutprand fut le Prince le plus accompli qui eut jamais régné en Lombardie. Prudent 3  nu Bas-Empire. Liv. LXHL 28$ penetrant, ami de la paix, & plein de valeur dans la guerre, il comptoit encore plus fur la conduite des négociations que fur la force des armes. Clément , chafte, pieux, libéral, il n'avoit aucune connoifTance des lettres; mais une heureufe nature & la droiture de fon efprit, le mettoient audeffus des Philofophes. II maintint fon peuple dans 1'abondance , il le contint dans les bornes du devoir par de fages loix. On ne peut lui reprocher que 1'ambition d'aggrandir fes Etats , qui lui fit quelquefois oublier les regies d'une fcrupuleufe probite, II reprit de nouveau fur 1'Eglife de Rome le patrimoine des Alpes Cottiennes; mais touché des remontrances du Pape Grêgoire II, il les rendit au Saint Siege, & confirmala ref titution faite par Aripert. Grêgoire égaloit Liutprand en grandeur d'ame & en génie; il le furpaffoit en fcience & en vertu. Aprè: qu'il eut fait connoitre fon habilet< dans la conférence du Pape Conftan tin avec Juftinien II, il fut élu Papi le 19 Mai 715. Son gouvernement qui fut de ieize ans, eft un model LÉON ÜJ. Ann. 717* ' XVL ■ Grêgoire . II, Pape,  IÉON III. Aan. 717. i S8ê IIïSTOfRZ de politique chrétienne. Placé entre Liutprand qui le flattoit pour étendre fes Etats aux dépens de 1'Empire, & 1'Empereur Léon, dont il ne recevoit que de mauvais traitements; toujours ferme dans fon devoir, fa prudence fervit de barrière aux entreprifes des Lombards, & de défenfe a 1'Empire. Faroald, Duc de Spolete, venoit de furprendre ClafTe, qui faifoit partie de la ville de Ravenne; i'Exarque Scholaltique avoit obtenu de Liutprand qu'elle lui fut rendue. Mais 1'autorité du Roi des Lombards n'étoit pas affez forte pour faire quitter prife a Romuald II, Duc de Bénévent , dont la puiffance étoit prefque égale a celle du Monarque. Ce Duc s'étoit emparé du chateau dé Cumes, qui dépendoit du Duché de Naples appartenant a 1'Empereur. En pain le Pape exhorta Romuald a re:irer fes troupes , lui offrant de le lédommager de la reftitution, & le nenacant de la colere de Dieu, s'il ie réparoit pas cette injuftice. Comne le Duc étoit fourd a ces remonrance, Grêgoire, a force de prieres '< de reproches, vim k bout de ré«  nu Bjs-Empire. Liv. LXI1I. 287 veiller rindolence de Jean , Duc de ' Naples, qui avoit laifle prendre cette place. II 1'éclaira de fes avis, 6c dreffa lui-même le plan del'expédition. Jean attaqua le chateau pendant la nuit, 8c le prit par efcalade. Trois cents Lombards y furent tués avec le Commandant. Les autres, au nombre de cinq cents, furent faits prifonniers, 6c conduits a Naples. Comme Romuald fepréparoitatirer vengeancede eet échec, le Pape, pour étoufFer toute femence de guerre , voulut lui donner les foixante-dix livres d'or qu'il lui avoit d'abord offertes pour la reflitution. Le caradtere de Liutprand lui faifant craindre quelque entreprife fur la ville de Rome , il en fit réparer les murs. Tel étoit le Pape Grêgoire II, auquel Léon envoya fa profefiion de foi, dès qu'il fut couronné Empereur. Le Pape lui répondit qu'il 1'embraffoit avec tendreffe , comme fils de 1'Eglife , qu'il le recevoit avec joie dans fa communion, 8c qu'il lui procureroit 1'amitié de tous les Princes d'Occident. Les images de Léon furent recues a Rome avec le refpect dü au Souverain; le Pape les en- LÊON III. ^nn, 717,  LÉON III. Ann. 717. XVII. Grande inondation du Tibre. Anafi, in Greg. 11. TaulDiac. 1.6. c 36. Marian. Scot. chr. Sigeb. chron. XVIII. Les Sarafins viennent affiéger Conftantinople. ' theoph. p. 317. 3i' &feqq. Cedr. p, 450,451: 288 HlSTOIAS voya même aux Princes Chrétiens J qui, a la recommandation du Chef de 1'Eglife, les accueillirent avec honneur. Dans le printems de cette année 717,1e Tibre fe déborda, & fit beaucoup de dégat dans Rome & dans les lieux d'alentour. Les eaux inonderent toute la ville, s'éleverent en plufieurs endroits au-deffus des murailles, & s'étendirent au loin dans les campagnes, abattant les maifons, déracinant les arbres, emportant toutes les productions de la terre. Le fleuve ne rentra dans fon lit qu'au bout de neuf jours. La piété & la charité de Grêgoire s'empreflèrent k fléchir la colere de Dieu par fes prieres, & a réparer le dommage par fes aumönes. Tout 1'Empire attendoit beaucoup du nouvel Empereur. II avoit déja donné des preuves d'un courage intrépide; il fignala le commencement de fon regne par 1'héroïque valeur, & par la fage conduite qu'il montra en délivrant Conftantinople afliégée, & en repouffant les opiniatres efforts d'un redoutable ennemi. Mouflima, outvé.  du Bas-Empire. Liv. LXIII, 289 outré de dépit d'avoir contribué k Pélévation de Léon, fans en tirer aucun fruit, réfolut d'aller reprendre, au milieu de fon palais, celui qui lui avoit échappé en Galatie par fon adreffe 6i par fon courage. II marcha vers le Bofphore , & donna ordre k Soliman de venir te joindre avec la flotte devant Abyde. II fe rendit en chemin maitre de Pergame. L'hiftoire raconte k cette occafion un de ces traits affreux, dont une fuperflition aufli aveugle qu'inhumaine , a donné plufieurs exemples. L'ignorance avoit fait croïtre le nombre des magiciens dans 1'Empire, &c la crédulité dans l'efprit des peuples. A la perfuafion d'un de ces importeurs, les habitants de Pergame, en état deporter les armes, éventrerent une femme enceinte , firent bouillir dans Peau les chairs de 1'enfant, & tremperent leurs mains droites dans le bafïïn facrilege. Mais eet abominable fortilege, qui, felon le magicien, devoit leur donner une force invincible , fit un effet tout contraire. L'horreur d'un pareil crime engourdit leurs bras, & ils ne furent capables d'au- Tome XIII, . N LÉoNiir. Ann. 717. Niceph. p. ? 4,35.36. Zon. t. II. v. IOI , 102. Anaft. in Grcg. II. Hifi. mifi. I. 21. PaulDiac. I. 6. c. 41. Elmacin. c. 15. Abulfirap. Menea II. Maii. Usnol. Bafil. ai 15. aug. Bcda dc fex cttatihits. Gretfer obfm in Codin. de Off.l.%. c. 7. Pagi ai Bar. AJfemani bib. Oriënt, t. 11. p. 105 , 106,  LÉON III. Ann. 717. XIX. Siege par terre & par mer. 29<3 HlSTOIRR curie réfiflance. Mouflima s'arrêta prés d'Abyde , oü il trouva fa flotre, fur laquelle il fit paffer fes troupes dans la Cherfonefe. Ayant ordonné a Soliman de continuer fa route par mer vers Conftantinople , il y marcha lui-même en cötoyant la Propontide ; & s'emparant d'emblée de toutes les places qui fe trouvoient fur fon pafrage, il arriva le quinzieme d'Aoüt devant la ville. II fortifia fon camp d'un large foffé , qu'il borda d'un minde pierres feches, pour fe mettre a couvert des forties. II dreffa enfuite fes machines, & attaqua la muraille qui s'étendoit de la Propontide au golfe de Céras , tandis que la flotte bloqüoit la ville du cöté de la mer. A fon arrivée , 1'Empereur lui fit propofer une conférence pour traiter de paix. Mouflima répondit fiérement, qu'il n'étoit pas queftion de paix avec des vaincus, & que la garnifon Sarafine étoit déja défignée. II avoit donné au Calife avis de fa marche, le priant de lui envoyer des renforts de troupes & de vaiffeaux. Le Calife Soliman crut Pentreprife digne de fa préfence. II envoya en  du Bas-Empire. Lï-j. LXIII. 291 Egypte ordre de préparer un grand armement pour le printemps prochain; & fans perdre de temps, il raflembla ce qui fe trouvoit de vaiffeaux de toute grandeur dans les ports de Syrië. II fe mit en chemin pour aller joindre cette flotte qu'il vouloit commander en perfonne; mais une maladie le retint a Dabec en Syrië , prés de Kennaferin, & la flotte ayant eu ordre de partir, parut le premier de Septembre k la vue de Conftantinople. Cette ville déja deux fois afliégée, n'avoit pas encore vu autour de fes murs un fi prodigieux nombre d'ennemis. Mouflima occupoit toflt le terrein, depuis le golfe jufqu'a Ia mer; fon armée étoit innombrable. Les deux flottes réunies, faifant enfemble dix - huit cents voiles, bordoient le rivage de la Propontide. Deux jours après leur réunion , un vent de midi s'étant élevé, & fouftlant avec violence, les forca de lever 1'ancre, & d'aller fe mettre a 1'abri', partie dans le port de Chalcédoine , partie fur le rivage de Thrace, depuis le chateau de Galata jufqu'au promontoire Clidium , N ij LÉON III. Ann. 717.  Léon HL Ann. 717, £91 H I S T 0 I R E une lieue au nord de Conftantinople. Les vaiffeaux de tranfport, peiants par leur propre maffe, & chargés de munitions de guerre & de bouche , montés chacun de cent foldats, ne pouvoient furmonter qu'a grande peine les courants du Boiphore qui leur étoient contraires , & ne fuivoient que de loin le refte de la flotte. L'Empereur détacha fur eux un grand nombre de brülots remplis de feu grégeois ; & monté lui-même fur un vaiffeau de courfe , il perce & traverfe a plufieurs reprifes cette partie de la flotte ennemie, y met le feu & le défordre. Vingt de ces vaiffeaux embrafés vinrent échouer au pied des murailles , ou ils acheverent de fe confumer: plufieurs autres furent engloutis dans la mer avec toute leur charge; d'autres emportés par un vent violent, allerent fe brifer contre les ifles de la Propontide. Ce fuccès anima les habitants autant qu'il effraya les Sarafins. Ceux-ci avoient deffein de donner la nuit fuivante un affaut a la ville du cöté de la mer ; eet échec rabattit leur courage ; &c 1'Empereur ayant fait relacher  nv Bjs-Empire. Liv. LXIII. 293 la chaine, tendue depuis Galata jufqu'aux murs de la ville, & qui barroit 1'entrée du golfe de Céras , ils penferent que fon deffein étoit de les attirer dans le golfe, pdur leur fermer enfuite la fortie, öc les envelopper de fes brülots, qui réduiroient en cendre toute leur flotte. Ainfi, loin de s'y engager, ils s'éloignerent jufqu'au promontoire de Softhene,a. deux lieues 8c demie de la ville, oü ils fe mirent en füreté. Le 8 Octobre, le Calife Soliman mourut a Dabec, 8c fut remplacé par Omar , neveu d'Abdolmélic , dont deux fils avoient déja régné fucceffivement. Les attaques continuoient du cöté de la terre; mais le courage des foldats 8c des habitants, 8c plus encore la prudence 8c Paétivité de Léon déconcertoient les deffeins des ennemis, & repouffoient tous leurs efforts. Enfin , un hyver rigoureux qui fe fit fentir de bonne heure, 6c qui dura long-temps, vint glacer 1'ardeur des affiégeants. Pendant cent dix jours, la terre fut couverte de glacé & de neige ; le froid exceffif tint les Sarafins dans 1'inaction, & fit périr dans N iij LÉON III. Ann. 717.  Léon IIL Ann. 718. XX. Deftruction des deux flottes ennemies. ] ] i J | 1 1 294 BlSTOIRE leur camp quantité de chevaux, de chameaux, & de bêtes de toute efpece. Au commencement du printemps arriva la flotte d'Egypte, compofée de quatre cents navires , chargés d'armes & de bied avec quelques vaiffeaux de courfe. Sophian qui la commandoit, craignant les effets du feu grégeois, alla mouiller fur les cötes de Bithynie. Peu de jours après, jne autre flotte de trois cents foixante voiles, chargée des mêmes munitions, vint d'Afrique fous les ordres 3'Yézid, & prit la même route pour :viterlemême danger. Les Sarafins, iéja réduits a 1'extrêmité par la fa•nine, ne tirerent aucun fecours de :es deux flottes qui leur apportoient 'abondance. Les Egyptiens, voyant e découragement des troupes qu'ils ^enoient fecourir, formerent fecre* :ement Ie complot d'une défertion générale. Ils détacherent pendant la ïuit les chaloupes de chaque vaifeau, & gagnerent le port de Confantinople, ou ils entrerent en criant: Vivt 1'Empereur des Romains. Léon )rof!ta du moment; il chargea de  nu Bas-Empire. Liv. LXIII. 295 foldats un grand nombre de barques légeres , montées de ces tubes de bronze , p-ropres a lancer le feu grégeois. Dès qu'elles furent k la portée des deux flottes, on en vit fortir un déluge de dammes, qui s'attachant aux navires ennemis , les confumerent jufque dans les eaux. Ce fut un incendie général; fi quelques matelots ou quelques foldats fautoient dans la mer pour éviter ces feux dévorants, ils y trouvoient une mort certaine, affommés k coups de crocs & de rames, ou percés de fleches & de javelots. Les vaiffeaux qui ne furent pas la proie des dammes , abandonnés de leur équipage, furent pillés ck coulés k fond, &c les barques Romaines rapporterent dans la ville, au milieu des cris de joie, les dépouilles de PEgypte & de 1'Afrique. Le danger oü fe trouvoit Conftantinople, tenoit en échec tous les peuples de la Chrétienté. L'Occident attendoit avec effroi la nouvelle du faccagement de cette grande ville, & du renverfement de la puiffance Romaine. La Grece & Pltalie trein* N iy Léon H'5 Ann. 7iSi XXI. Révolte appaifée en Sicile.  Léon HL Ann, 71S. : 1 i i ' < ] ] 1 1 1 ] i < 1 296 HlSTÖIRE bloient de crainte, de voir 1'Afie Si 1'Afrique débarquer fur leurs cötes, Sc les Sarafins vainqueurs arborer fur leurs promontoires 1'étendard de Mahomet, Sc le fignal du maffacre & de Pincendie. Dans cette allarme uniyerfelle , Sergius, Gouverneur de Sicile , défefpérant du falut de 1'Empire , concut le deflein de fauver quelque débris de ce grand naufrage, & de fe faire dans la Sicile un Royaume indépendant. Mais n'ofant encore Tianifefter fes projets ambitieux, il ;n fit I'efiai fur un de fes Lieutenants, lommé Bafile, auquel il donna la :ouronne avec le nom de Tibere. 3oufiant jufqu'au bout cette comélie, il environna ce perfonnage de héatre de tous les Officiers , tant rivils que militaires , qui remplifient e fervice d'un Souverain. L'Empeeur, informé de cette entreprife, fit >artir Paul, fon premier Ecuyer, avec ine efcorte, Sc lui donna des letres pour tous les Comnïandants de a Grece Sc de 1'Italie : il y en avoit me en particulier adreiTée a 1'armée le Sicile. Paul s'embarqua fecretenent pendant la nuit, Sc gagna le  nu Bas-Empire. Lh. LXIII. 297 port de Cyzique. II acheva fon voyage , tantot par terre, tantöt par mer, pour éviter la rencontre, foit des vaiffeaux, foit des partis Sarafins, & il aborda enfin k Syracufe. Sergius , étonné d'une arrivée li imprévue, fe fauve en Calabre chez les Lombards, & laiffe a la merci de la fortune , le fantöme qu'il avoit créé. Paul affemble les troupes de Sicile, leur lit la lettre de 1'Empereur, &z leur fait favoir que leurs allarmes font ruines, que la. ville impériale ejl en füreté, que les ennemis battus par terre & par mer, ont vu dêtruire leurs flot*> tes & leurs efpérances ; enfin, que CEmpereur , maitre de punir la rêbellion &■ de rêcompenfer la fidélité, leur pardonne un êgarement pafjager , pourvu qu'ils abandonnent les traüres qui les ont fêduits. Ce difcours eft recu avec acclamation; on fe faifit de Bafile Sc de fes Officiers; on les livre entre les mains de Paul. II fait trancher la tête a Bafile & k George, fon prétendu Général; il envoyé k 1'Empereur leurs têtes, après les avoir fait embaumer. On battit de verges les autres chefs de la rêbellion, on le&r N y LÉON III. \nn,7i8.  Léon III Ann. 718 XXII. Suite du 268 ff 1 s T 0 I R E coupa le nez, on les rafa par ignommie , & ils furent bannis des terres de 1'Empire. Sergius, le plus coupable de tous, eut 1'adrelTe d'obtenir grace; il recouvra même dans la fuite le gouvernement de la Sicile. Paul féjourna quelque temps dans cette ifle pour la maintenir dans 1'obéiflance, & les Provinces de 1'Occident qui attendoient une révolution , rentrerent dans leur première tranquillité. Mouflima s'opiniatroitdevantConf> tantinople; mais le fiege n'étoit meurtrier^ que pour les afliégeants. Les Sarafins manquant de vivres, avoient fait paflêr en Afie un corps d'armée, qui dévafloit tout le pays, depuis le Bofphore jufqu'a Nicée. Léon , è qui rien nechappoit des entreprifes des ennemis , envoya de ce cöté-la d'habiles Officiers avec des troupes !égeres, qui fe poftant en embufcaae dans des bois, dans des creux de rochers & des ravines, tomboient touta-coup fur les Sarafins difperfés, & les obligerent de quitter cette contrée , aprcs y avoir perdu grand nombre de foldats. Cependant la ville  nu Bas-Empire. Liv. LX11I. 290 jouiffoit de 1'abondance; la crainte ! du feu grégeois tenant la flotte Sarafine éloignée, les Romains avoient la mer libre ; leurs vaiffeaux paffoieni en Afie, & revenoient chargés de vivres ; leurs barques alloient a la pêche dans la Propontide & dans le canal du Bofphore, abondant en poiffons. Les Sarafins au contraire fouffroient une fi affreufe famine, qu'après avoir mangé les chevaux, les anes, les chameaux, les racines, les feuilles des arbres,& jufqu'aux peaux & aux courroyes de leurs armes 8c de leurs chauffures, il fe virent réduits k dévorer les cadavres, Sc k fe repaïtre de ce que la nature a de plus infect & de moins propre k la nourriture. Ces horribles aliments engendrerent la pefle, qui, dans cette armée innombrable , fit périr trois cents mille hommes. Enfin Mouflima obtint la permiffion de fe retirer, qu'il demandoit depuis long-temps au Calife. Comme il décampoit pour gagner fes vaiffeaux qui 1'attendoient a 1'ancre audeffus de Conftantinople , il fut attaqué par une armée de Bulgares, Ils N vj Léon ni. 4nn, 718, XXIIT. Retraite & deftruction' totale de 1'armée Sara» iïne.  LÉON III. Ann, 718, i « ) i < 1 i 300 II I S T 0 I R E avoient pris les armes, & marchoient aux Sarafins pour leur faire lever le fiege, non par amitié pour les Romains, mais par la crainte d'avoir pour voifin un peuple puiffant & avide de conquêtes. Ils fondirent fur les Sarafins au moment du départ, & les menerent battant jufqu'au bord du Bofphore, oü Mouflima n'arriva. qu'après avoir per du vingt-deux mille hommes. La flotte leva Pancre le 15 Aoüt, le même jour que le fiege avoit.commencé 1'année précédente, C'eft mai-a-propos que plufieurs Auteurs font durer ce fiege pendant trois ans. L'armée Sarafine fut encore pkis malheureufe dans le retour. Dès qu'elle fut fortie du Bofphore, fine horrible tempête difperfant les vaiffeaux, etta les uns.fi.ir les écueils de la Prosontide, brifa les autres contre les •ochers qui bordoient les rivages. routes les cötes de cette mer furent :ouvertes de débris & de cadavres. -.a violence du vent emporta pluieurs navires dans la mer Egée , & [tielques-uns jufqu'en Cypre. De ce laufrage il ne s'en fauva que dix , lont la moitié fut prife par les Ro-  du Bjs-Empire. Liv. LXIII. 301 mains, en forte qu'il n'en rentra que cinq clans les ports de Syrië. Au rapport des Hiftoriens Arabes, les Francois eurent beaucoup de part k cette mémorable défenfe. L'amour de la gloire en attira un grand nombre au fecours de Conftantinople, & les vaiffeaux des Grecs étoient en grande partie montés des foldats dé cette nation. C'étoit le troifieme fiege que Conftantinople avoit foutenu avec gloire contre les barbares. Les Perfes & les Abares, fous le regne d'Héraclius, les Sarafins fous celui de Conftantin Pogonat 1'avoient attaquée avec aufli peu de fuccès. A 1'occalion du premier fiege, on avoit inftitué une fête en 1'honneur de la Sainte Vierge, patrone de la ville, k la protedtion de laquelle les habitants attribuoient leur délivrance, Cette fête fe célébroit, comme je 1'ai dit, le famedi de la cinquieme femaine de Carême : on y ajouta la mémoire des deux autres fieges. On donnoit k cette folemnité le nom ^Acathifli, paree qu'on paffoit la nuit entiere debout dans 1'Eglife de la Sainte Vierge. k chanter LÉON III. \.nn. 718. XXIV. Joie des lomains, k colere la Calife.  Léon III. Ann. 718. 302 HlSTOIRE des hymnes en fon honneur, fans qu'il fut permis de s'afleoir. Pendant que Conftantinople fe repolbit de fes travaux, les Sarafins pleuroient la perte immenfe qu'ils avoient faite. Le Calife déchargea fa colere fur les Chrétiens établis dans fes Etats. II ordonna d'abord de mettre a mort ceux qui ne renonceroient pas a leur foi; & eet ordre fit plufieurs martyrs. S'étant enfuite radouci, il défendit par une loi de recevoir jamais le témoignage d'un Chrétien contre un Mufulman. II porta 1'extravagance jufqu'a envoyer a 1'Empereur une expoiition de la doctrine Mahométane , Pexhortant a embralTer une religion fi raifonnable & fi divine. Ce Calife, d'autant plus cruel, qu'il étoit dévot Mufulman , paflbit en oraifon une grande partie du jour, enfermé dans une chambre de fon palais , ou perfonne n'avoit la permiflion d'entrer. Après fa mort, on y trouva unecorde fufpendue au plafond, qui fervoitale foutenir lorfqu'il étoit fatigué dans ta priere. On rapporte qu'étant au lit de la mort, comme on 1'exhor-  du Bas-Empire. Liv. LX!II. 303 tok a prendre quelque médicament, il répondit: Qiiand il ne faudroit que me frotter Üoreille, pour être guéri, je ne la frotterois pas. II n'avoit qu'une feule chemife , &. vivoit de deux drachmes par jour. C'eft un des plus grands faints du Mahométifme. L'année fuivante , la naiffance d'un fils de Léon augmenta la joie des Romains. II fut nommé Conftantin. Marie fa mere recut la couronne impériale, & dès qu'elle fut relevée de fes couches, le 21 Octobre, d'autres difent le jour de Noël, elle alla en pompe k Sainte-Sophie pour rendre graces a Dieu de fa délivrance, & pour y faire baptifer fon fils. 11 eut pour parrains les premiers du Sénat, & les plus grands Seigneurs de 1'Empire. Au milieu de cette augufte cérémonie ,. Penfant ayant fali de fes excréments 1'eau du baptiftere , on dit que le Patriarche qui lui conféroit le baptême, prédit que eet enfant feroit un jour la honte & le fléau de 1'Eglife. II y a grande apparence que cette prophétie n'a été imaginée qu'après les événement?. Rien alors ne donnoit lieu k ce finif- LÉON 111. Ann. 718. Ann. 719. XXV. Naiffance de Conftantin Copronymê.Theoph. p. 334. 33ïCedr. p. 451. 453' Niceph. p. 36, 37Zon. t. II. p. toi, 103. Manajf. pi 88. Hifi mxfei 1. 21. Du Cange fam. By\. p. 124.  Léon III. Ann. 719. XXVI. Entreprife & mort d'Anaftafe. 1 1 J < } 1 1 1 i l 1 \ 304 BlSTOIRE tre augure; Léon ne fongeoit pas encore a troubler la paix de 1'Eglife. Quoi qu'il en foit, eet accident, a peine remarquable dans un enfant ordinaire , fit donner au jeune Conftantin le furnom de Copronyme, fous lequel il a été connu de toute la poflérité. Son pere le décora du titre d'Augufte 1'année fuivante le jour de Paques, qui tomboit au 13 Mars. Anafrafe avoit montré beaucoup de fageffe dans le gouvernement de ['Empire; il n'en eut pas affez pour oublier qu'il avoit été Empereur. Ennuyé de fon exil, dont Phonneur le la prêtrife ne le confoloit pas, 1 concut le deffein de remonter fur e tröne. Le Patrice Sifinnius, furlommé Rhindace , étoit Ambaffaieur pour 1'Empereur auprès des gares; Anaffafe, qui 1'avoit eom>Ié de faveurs pendant fon regne, 'engagea par fes lettres a mettre Ter»el dans fes intéréts. Sifinnius y réufit. Terbei donna même cinq mille vres d'or pour fournir aux fraix de entreprife. .Anaftafe avoit conferé des intelligences a la Cour, avec  pu Bas-Empm.e. Liv. LXIH. 305 les premiers Officiers de 1'Empire , qu'il avoit avancés, & que Léon avoit laiffés en place. NicetasXilonite, maitre de la milice , Ifoës, Commandant des troupes de Myfie, Théognote, premier Secretaire d'Etat , Nicetas Anthrax , prépofé a la réparation des murs de Conftantinople,étoient prêts a lui ouvrir les portes de la ville, & a remettre la couronne fur la tête de leur bienfaicteur. Déja les Bulgares conduits par Sifinnius étoient arrivés a Héraclée, oü ils raflembloient quantité de canots pour fe rendre par mer a Conftantinople. Léon, averti du complot, & faifides lettres qu'on envoyoit de part & d'autre, commenca par faire trancher la tête aux quatre Seigneurs , a qui les douleurs d'une rude queftion avoient fait avouer leur crime. II écrivit en même temps aux Bulgares avec fierté, leur reprochant leur perfidie, & les menafant d'une guerre fanglante, s'ils ne lui mettoient les rebelles entre les mains. Mais ce qui fit plus d'imprefïion fur eux , ce fut une grande fomme d'argent qu'il leur offrit, & qui leur parut une raifon très-légi- L.ÉON ra. A.nn. 719.  LÉON III. Ann. 719. Ann. 722. XXVII. Léon perfécute les Juifs & les Montaniftes. Theoph. p. 1 336.& ibi , Combefts. I Cedr. p. < 43- Vifl. mifc, l, 21. 306 HlSTOIRB time de renoncer k leur premier engagement. Ils porterent le zele jufqu'a faire eux-mêmes julticea 1'Empereur ; ils lui envoyerent la tête de Sifinnius, avec Anaflafe & 1'Archevêque de ThefTalonique , qui s'étoit prêté aux intrigues de fon ancien maitre. Léon les fit tous deux décapiter dans Pamphithéatre; & après avoir fait promener leurs têtes au bout d'une piqué le long de THippodrome, il donna le fpeöacle d'une courfe de chars. Tous ceux qui avoient trempé dans la conjuration, furent battus de verges & relégués après avoir eu le nez coupé. Leurs biens furent faifis au profit du Fifc. L'Empereur , affermi fur le tröne par la défaite des Sarafins & par la mort d'Anaftafe, tourna fes foins vers le gouvernement civil, & jetta d'asord les yeux fur la religion. Le aremier ufage qu'il fit de fon pouvoit en cette partie, n'auroit eu rien ]ue de louable, s'il n'eüt pas emjloyc la contrainte & la violence , rui ne produifent d'ordinaire que les menteurs & des hypocrites. Les !uifs difperfés par toute la terre,  nu Bas-Empire. Liv. LKIIL 307 mais inébranlables dans leurs pré jugés , toujours prêts a reconnoitre pour Meffie quiconque n'eft pas le véritable, s'étoient lailTés abuler en Syrië, par un importeur qui fe difoit le Chriit. Cette nouvelle alluma le zele de 1'Empereur. II ordonna, fur peine de la vie, aux J'uifs répandus dans 1'Empire, de fe faire baptifer, & felon le déguifement dont cette malheureufe nation s'eit fait une maxime , ils obéirent. Mais auffi-töt ils s'efForcoient d'effacer le caraftere du baptême, comme une fouillure, par de purifications impies; & recevant en public les Sacrements de 1'Eglife, ils en profanoient la fainteté dans le fecret de leurs families. Les Montaniftes, plus finceres , après avoir re?u le même ordre avec les mêmes menaces, s'abandonnerent au défefpoir; & par une confpiration générale , il« fe brülerent tous a jour nommé dan< leurs Eglifes. Ce doit être vers ce temps-la que les Sarafins d'Afrique fe rendireni maitres de 1'ifle de Sardaigne: on nc fait au julte ni quand ils en priren poffeffion, ni combien de temps il: LÉON III- Ann. 712. ; Ann.^3. XXVIII. Les Sara• fins maii tres de li  Léon III. Ann. 723. Sardaigne. Paul Diac. /. 6. c. 48. Hcrm. contr. chr. Flcury , hifi. eecltf. I. 41. art. 40. Giann.hifi. Napl. I. j. c. 1. Abrégé de rhifi. enui. 1.1. p. 3y.3M. Ann. 726. XXIX. Expédition des Sarafins. Theoph, p, 333. Cedr. p. 454- : Hifi.mifc. \ 1.21. AJfemani 'SM.or.t. i II. 303 H I S T 0 I R E Ia conferverent. On voit feulement par 1'hiftoire qu'ils la poffédoient encore vers la fin du dixieme fiecle. Comme felon leur coutume, ils détruifoient les villes, ruinoient les Eglifes ou les convertifibient en mofquées, & s'efforcoient d'effacer toutes les traces du Chriftianifme, Liutprand , Prince religieux, retira de leurs mains les reliques de Saint Auguitin. Elles avoient été fauvées autrefois de la fureur des Vandales, & tranfportées d'Afrique en Sardaigne. Liutprand les racheta des Sarafins k grand prix, & les dépofa dans 1'Eghfe de Saint Pierre k Pavie, oü il fit conftruire un magnifique monument. Yézid, fucceffeur d'Omar, ne régna que quatre ans. Son frere Hefcham lui fuccéda; c'étoit le quatrieme fils i'Abdolmélic qui montoit furie tröne des Califes. Le commencement de ron regne ne fut pas heureux; étant eautre a la tête d'une armée fur les erres des Romains , il perdit une >ataille, & fut obligé de retourner ïonteufement k Damas. Mais deux ins après, c'eft - a. - dire en 726,  du Bas-Empire. Liv. LX1I1. 309 Mouflima fon frere, qui avoit échappé a tant de périls devant Conftantinople , &. enfuite fur la mer , rétablitpar quelques fuccès 1'honneur des Sarafins. II prit de force Céfarée de Cappadoce, & Néocéfarée dans le Pont , dont il vendit tous les habitants , k 1'exception des Juifs qui avoient favorifé fes attaques. Mavias, fils du Calife, fit auffi quelques ravages dans les Provinces Romaines, & revint fans avoir rencontré d'ennemis. On vit cette année un de ces prodigieux efforts de la nature, qui étonnent 1'univers , & dont le bruit retentit jufqu'a la poftérité la plus reculée. A vingt-fept lieues au nord de 1'ifle de Crete, entre 1'ifle de Thera, nommée aujourd'hui Santorin, & celle de Therafia qui en eft voiiine, on appercut au mois d'Aoüt les ea'ux bouillonner, comme par 1'effet d'une fournaife ardente ; il s'en exhaloit une vapeur, qui fe condenfant peua-peu, devint une épaifle fumée. On entendoit les coups redoublés d'un tonnerre mugiflant au fond des eaux, qui agitoit la mer par de violentes LÉON III, Ann. 726. M. de Guitnes , hifi. des Huns , u I. p. XXX. Naiffance d'une nouvelle terre. Theoph.p, 333 , 339. Cedr. p, Niceph.pl 57- Hifi. mife. '.. 21. Mémoires ie l'Acad. les Belles Lettres t. UI. p.404. Mémoires ie VAcad. lts Seint-  iéon ml Ann. 726ces, an. 708. p. a.%. Juftin. I. 30. c. 4. Strab. l.l. P- 57. Senec. nat. guaft. I. 6. c, 21. Plin. hifi. nat. I. 2. c. 89 & iót 3IÖ IJlSTOIRE fecouffes. On voyoit s'élever des roches embrafées , comme autant de fourneaux vomiitant des flammes, Sc menacant d'incendie toutes les illes d'alentour. Ce fut pendant plufieurs jours une éruption continuelle de pierres calcinées, qui s'élangant en 1'air a une hauteur prodigieufe, retomboient dans la mer, dont elles couvroient la furface dans une grande étendue. Elles furent pouiTées par les vents du midi, a la diftance de cent lieues, d'un cöté dans PHellefpont, de 1'autre fur les cötes de Macédoine. On remarqua qu'elles confervoient leur ardeur, & la communiquoienta 1'eau fur leur pauage. Enfin, les flammes s'éteignant peu-a-peu, les roches que la mer enfantoit avec tant de fracas, s'unirent enfemble & formerent une maffe continue qui alla fe joindre a 1'ifle d'Hïera. Ce n'étoit pas le premier phénomene pareil arrivé dans ces parages. Suivant l'opinion des habitants de Théra, Théra même s'étoit ainfi formée autrefois ; mais 1'époque de fa naiffance fe perd dans Pantiquité. Thérafia qui n'en eft éloignée que d'une demi-lieue, fortit  s>v Bjs-Empire. Liv. LX1II. 311 de la mer 233 ans avant 1'ere chré-1 tienne. Entre ces deux iiles , dans une anfe de 1'ifle de Théra, parut une troifieme ifle environ quarante ans après, dans le temps que les Romains faifoient la guerre k Philippe, Roi de Macédoine. Elle fut nommée Hiera & Automaté. Sous le regne de Tibere , il s'en forma une quatrieme, qui fut nommée Thia , & qui paroit s'être jointe a celle d'Hiera , dont elle n'étoit éloignée que de deux flades, c'efl-a-dire de deux cents cinquante pas. Hiera recut dans la fuite deux autres accroiflements, par 1'éruption dont je parle aéfuellement, & par une autre encore qui arriva en 1417. En 1593 , unecinquieme iflevint fe joindre aux autres; & il paroit que le volcan qui a jetté hors de fes entrailles tant de matieres terreftres , n'elt pas encore épuifé. Au commencement de ce flecle, en 1707, il fe ralluma avec violence , & au milieu des flammes, des csndres embrafées, & des mugiflements horri? bles qui fe faifoient entendre du fond des eaux, on vit éclore une nou? LÉON III. Ann, 726,  LÉON III. Ann. 726. XXXI. Léon forme le deffein d'abolir le fulte des images. Theoph. p. 336 & feqq. Cedr. p. 4?0, 453, 454Niceph. P- 37- Hifi. mifc. I. 11. Zon. torn. II. p. 103, 104. Manajf, pag. 84 & feqq. Glycas, p. 1S0, 181. Joannis Hierofol. narrat, 312 IIlSTOIRE veile terre, qui s'éleva par degrés j & s'accruttous les jours pendant plufieurs mois. C'eft une ifle de cinq ou fix milles de circuit; elle porte le nom de petite Kamméni, par diftinction de la grande Kamméni. Ce mot Kamméni dans le Grec moderne, fignifie briilée. Léon regnoit avec gloire. Aimé de fes fujets, redouté des Sarafins, il fembloit avoir été placé fur le tróne par le Ciel même , pour rendre a 1'Empire fon ancienne fplendeur. Elevé dans Finfortune qui donne une forte trempe aüx grandes ames, &C du reffort aux vertus, il étoit parvenu & fe foutenoit par fon génie. II eut été un grand Prince, fi a 1'ambition de régner, il n'avoit joint celle d'être réformateur; entreprife délicate & dangereufe en fait de relir gion. Celle-ei redoute la main du Prince; elle lui demande la protection & non pas la réforme, qu'elle n'attend que de fes Miniftres, les gardiens légitimes de fa foi & de fa difcipline. Ce caprice endormit tous les talents de Léon , étouffa toutes fes vertus, & changea en un farou- che  du Bas-Empire. Liv. LXIII. 313 che perfécuteur, un homme que la nature & la fortune avoient formé pour être bienfaifant & fenfible. II avoit été le pere de fes fujets jufqu'au moment qu'il en voulut être le Théologien, & qu'il en devint le tyran. S'il étoit permis a un Souverain d'innover en matiere de religion , jamais Prince n'en fut moins capable. Nourri dans le métier des armes, il étoit d'une ignorance profonde. Cependant comme fi Ton devoit tout iavoir, quand .on peut tout, il prenoit le ton fupérieur dans les queftions de Théologie , & prétendoit régner fur la religion même. Filépique avoit concu le defiein de profcrire le culte des images; Léon réfolut de 1'exécuter. II fe perfuadoit que cette vénération étoit une idolatrie qui altéroit la pureté du Chriftianifme; que le Ciel demandoit de lui ce facrifice , & qu'une fi fainte entreprife feroit récompenfée des plus brillantes profpérités. Plufieurs circonftances avoient fait naitre & nourriffoit dans fon efprit cette opinion infenfée. II étoit encore en Ifaurie, & fortoit a peine de Penfance , lorf» Tornt XIII. O Léon UI. A.nn. 726. apudfcriptorcs By- ASa Sleph, Jun. apud Damafc. Pagi ad Bar.  LÉON III. Ann. 726. 3T4 HlSTOIRB que dans un voyage il fit rencontre de quelques Juifs, que le Calife Yézid , fils de Moavia, avoit chaffés de Syrië. S'étant affocié avec eux, il goüta leurs déclamations contre les images des Chrétiens; & un de ces Juifs qui le vcyoit couvert de toutes les marqués de 1'indigence , lui ayant dit par plaifanterie : N'ejiil pas vrai, mon ami, que fi tu es jamais Empereur, tu détruiras toutes ces figures impies? Le jeune Conon, (c'étoit le nom qu'il portoit alors,) répondit fur le même ton, en juraht qu'il n'en laifleroit pas fubfifter une feule. Ce récit me paroit plus vraifemblable , que celui des Auteurs Grecs , qui racontent que ces Juifs prédirent férieufement k Conon qu'il feroit Empereur, & qu'ils lui firent promettre avec ferment d'abolir le culte des images. Dans 1'hiftoire de ces temps d'ignorance, tout eft plein de prédiöions, d'apparitions, de pronoftics, d'opérations magiques, que je crois devoir épargner k mes Lecteurs; il eft alors peu d'Empereurs, de ceux qui ne fembloient pas nés pour 1'Empire , en faveur defquels  du Bas-Empire. Liv. LX11I. 315. les Ecrivains crédules ne débitent des annonces merveilleufes, qui leur avoient été faites, de leur grandeur fut ure» Conon , qui, dans le fervice militaire , avoit pris le nom de Léon , étant devenu Empereur, fe rappella cette aventure de fa jeuneiTe, & s'imagina que c'étoit un engagement qu'il avoit contracté fous les aufpices de la Providence. Plufieurs circonftances le confirmerent dans cette penfée. C'étoit dans cetemps-Ia une forte de manie répandue parmi les Juifs, de faire la guerre aux images ; ils s'étoient mis en tête de les détruire par toute la terre. Un Juif de Tibériade , grand importeur, nommé en Grec du temps Sarantapechys , c'eft-adire quarante coudées , a caufe de fa taille gigantefque, s'étant infinué par fes preftiges dans la familiarité du Calife Yézid , fils d'Abdolmélic, lui fit accroire qu'il régneroit trente ans au milieu des délices & des plaifirs, s'il faifoit difparoitre dans toute 1'étendue de fon Empire les images que les Chrétiens honoroient. Le Calife, livré a la débauche & fort attaché a O i; LÉON III. A.nn. 716. XXXIL Motifs qui 1'y excitoient.  I ÉON III. A.nn. 726. 3.l6 HlSTOlRÊ la vie, rendit en conféquence de cette promefle un édit qui caufa de grands troubles. En dépit de la prédiöion, Yézid mourut au bout de quatre ans; & vingt ans après, Oualid , fils d Yézid ,. devenu Calife, punit de mort le faux prophete, pour s'être joué de la crédulité de fon pere. Mais Léon , jaloux de fe voir prévenu par Yézid, fe reprocha d'être moins zélé qu'un Sarafin pour la deftruction de ce qu'il appelloit idolatrie. Un Syrien, nommé Befer , trouva le Prince dans ces difpofitions, & les feconda dé fes artifices. Né dans la religion Chrétienne, &c prifonnier entre les mains des Sarafins, il s'étoit fait Mahométan pour fe tirer d'efclavage. Revenu enfuite fur les terres de 1'Empire , il avoit repris le Chriftianifme avec autant d'indifférence qu'il 1'avoit quitté. Sa force de corps, qui le rendoit célebre, le fit connoitre k la Cour, & la foupleffe de fon cara&ere le mit en faveur. II fut dans la fuite 1'agent du Prince & le miniftre de fes cruautés. L'Evêque de Nacolée enPhrygie, Prélat ignorant & perdu de débauche, qui n'avoit non  du Bas-Empirb. Liv. LXII1. 317 plus que Befer d'autre religion que celle du Prince, fut le premier u prêcher 1'héréfie; il tint un Synode provincial, oü le culte des images fut condamné. Cette audace eut excité une réclamation univerfelle, li elle n'eüt été foutenue de la puiffance impériale. Sous le regne de Zénon , le Perfe Xenaias, efclave fugitif & Manichéen, ayant été fait Evêque d'Héliopolis en Syrië , avoit voulu abolir les images dans fon Eglife; mais tout fon diocefe s'étoit foulevé contre eet attentat. Les autres héréfies , foibles dans leur naiffance , paree qu'elles étoient 1'ouvrage des Evêques ou des Prêtres, ne s'étoient accrues & fortifiées qu'avec lenteur; celle-ci naquit toute armée; revêtue du pouvoir fouverain , environnée de menaces & de fupplices, elle vola d'un bout de 1'Empire a 1'autre aufli rapidement que 1'édit de 1'Empereur. On avoit vu fur le tröne plufieurs Princes hérétiques; Léon fut le premier Empereur héréfiarque. Ayant fait affembler le Sénat, il déclara que pour reconnottre tant de bienfaits dont Dieu ï avoit comblé depuis O iij LÉON III. Ann. 72», XXXIII. Edit de Léon.  iÉON III. Ann, 726. XXXIV. Troublés excités par cel édit. 318 HlSTOIkE fon avinement d [Empire., il vouloit abolir [idolatrie qui s'étoit introduite dans [Eglife ; que les images de JefusChrijl, de la Vierge & des Saints étoient autant d'idoles , auxquelles on rendoit des honneurs dont Dieu étoit jaloux; qu'en qualité a"Empereur il étoit le chef de la religion, aujji-bien que de [Empire ; quil lui appartenoit de réformer les abus ; & qu'en confêquence il avoit drejfé un édit pour purger les Eglifes de cette fuperjlition facrilege, Auffi-töt , fans prendre les avis fur une affaire de cette importance , il fait publier fon édit, & donne fes ordres pour 1'exécution. A ce fignal, les courtifans, les adorateurs de la fortune, les ames timides , intéreffées, indifférentes fur la religion , ne refpecterent plus que Timage de 1'Empereur. Mais le peuple , plus attaché k fes maximes, plus fidele k fuivre les lumieres de fa confcience, paree que fes vues font moins partagées, fur-tout le peuple de Conftantinople inltruit bc foutenu par le Patriarche Germain , fut auffi indignc qu'affligé d'un édit qui lui enlevoit les objets fenfibles de fa vénération.  du Bas-Empire. Liv. LXIII. 319 On murmuroit publiquement; tout mena^oit d'une fédition; les habitants paroiffoient difpofés a défendre a main armée 1'héritage de la piété de leurs peres. L'Empereur allarmé parut d'abord céder a. ce mécontentement général ; il interpréta fon édit; il publia que fon intention n'étoit pas qu'on détruisit les images ; qu'il ordonnoit feulement de les placer plus haut dans les Eglifes, hors de la portée de la bouche & de la main , afin qu'on ne put profaner des objets fi refpectables. Son deflein étoit de les faire infenfiblementoublier, en les éloignant de la vue des fideles. 11 eft a remarquer qu'il n'y avoit alors dans les Eglifes que des images de plate peinture; les ftatues & les figures de relief n'étoient pas encore en ufage, & ne le font pas dans 1'Eglife Grecque même aujourd'hui. L'impatience de 1'Empereur fe laffe bientöt de ceménagement. Cependant il mit d'abord en ceuvre les moyens de perfuafion & de douceur. Befer, de concert avec les courtifans, tachoit de gagner le peuple, & de lui infpirer du mépris pour les images. O iv LÉON III. Ann. 716. Ann. 727. XXXV. Germain réufte a 1'Empereur. Niceph. p, 333, 339' 340.  Léon III. Ann. 727. Cedr. p. ■454. 455 » 456. A'iceph. p. 37, 38. Hifl. mifc. 1. 21. Joann. Damcfc. orat. de irnag. Anafl. in e«g- 11. Paul. diac. I. 6. c. 49. Joann, hierofal. in ■'ita Sti. Damafc. Marca de concord. I. 3. c. 11. Baronius, Papi ad Bar. Du Cange de r.umtnis ir.f, avi art. 23. Fleury , hifi. Ecclef. I. 42. art. 43- l. 43art. 1,2, 3, 6. 3^0 H 1 S T 0 I R S Ces nouveaux Miffionnaires répandus dans la ville difoient que ce culte étoit un refte de paganifme, qui refpiroit encore au milieu de fes débris ; ils s'étonnoient que les difciples de 1'Evangile ne fe fiftent aucun fcrupule de violer le premier précepte du Décalogue. Léon lui-même alTembla le peuple, & entreprit de lui faire une lecon de Théologie a fa maniere fur le culte exclufif dont Dieu eft jaloux,& qu'il défend de tranfporter a aucune créature. II n'avoit pas plus de refpect pour les reliques que pour les images : il traitoit d'illufton &c de folie 1'invocation des Saints. II eft tontefois remarquable, que ni Léon ni les autres Princes Iconoelaftes n'oferent porter leurs attentats jufque fur la croix de Jefus-Chrift; ils Ia laif* ferent expofée k la vénératión des fideles, & contribuerent de la faire graver fur leurs monnoies : elle demeura debout, & triompha encore, lorfque tout tomboit autour d'elle. Les eftbrts de Léon & de fes Miniftres étoient repoufles par trois adverfaires auffi fupérieurs en do£lrine qu'en fainteté, le Patriarche Germain , &  nu Bas-Empire. Liv. LXIII. 321 Jean Damafcene en Oriënt, le Pape Grêgoire en Occident, Germain, fans craindre la colere du Prince, combattoit fes erreurs; il inftruifoit fon troupeau, il lui montroit le culte des images recu de tout temps dans 1'Eglife ; il en établiiToit le principe; il en déterminoit la nature; il en faifoit voir la différence d'avec Padoration qui n'eft due qu'a Dieu. Non content de prévenir fon peuple contre les fophiimes de 1'héréfie , &£ de 1'affermir contre les terreurs, il fe ménageoit des entretiens avec 1'Empereur ; il en fortoit toujours victorieux , mais toujours plus haï ; il lui rappelloit le ferment qu'il avoit fait en recevant la couronne,. de veiller au maintien des traditions apoftoliques. Ce Prince , qui ignoroit les premiers éléments de la doctrine Chrétienne , s'opiniatroit par fon ignorance même , fans vouloir entendre la diftinction du culte abfolu& du culte relatif. Germain ne réuffit pas mieus auprèsde Conftantin , Evêque de Nacolée , le premier prédicateur de 1'hé rélïe, ni auprès de Thomas, Evêqui de Claudiopolis, qui s'étoit joint I O v LÉON 111. Ann. 727. Murar. ann. d'ltal, .. w. p. 2JO. Abrégc de thift. d'1tal. p. J201, }2l. I  J-ÉON III. Ann. 727. XXXVI. JeanDamafcenecombat pour la dodtrine de 1'Eglife. 322 HlSTOIRE Conftantin. En vain pour les ramener de leur égarement, employa-t-il les remontrances & les menaces des cenfures Eccléfiaftiques, ils demeurerent obftinés dans Terreur. Un autre athlete en Oriënt attaquoit Léon avec plus de hardiefle, paree qu'il n'étoit pas fon fujet. Jean, ïurnomrné par les Grecs Chryforrhoas , c'eft-a-dire fleuve d'or, k caufe de fon éloqueace qui paroiflbit admirable en ce temps-la, étoit né a Damas de parents Chrétiens. 11 fut inftruit par un Moine de Calabre, que les Sarafins avoient fait prifonnier. Son pere, quoique Chrétien, avoit été honoré de plufieurs emplois a la Cour de Damas , & le Calife con^ut encore plus d'eftime pour le fils. Dès que Jean eut connoiflance de 1'édit de 1'Empereur, il écrivit en faveur des images, & fes écrits fe répandirent dans tout POrient. Son efprit vif & ardent n'ufoit d'aucun ménagement dans la défenfe de la vérité. Comme il n'entendoit pas parler de Germain, il fe perfuada que ce Patriarche plioit fous la puiffance impériale. Indigné contre un Prélat,.jau'il croyoit tra-  nv Bas-Empire. Liv. LXIlL 323 hir lachement Ia caufe 'ie 1'Eglife , il fut aflez hardi pour écrire & envoyer a Germain une fentence de dépofition , comme fi le Patriarche eut été fornuis a fa jurifdiction. Le Pape ne fut pas plutot informé d'une eenfure auffi injufte qu'irréguliere , qull en fit a Jean de vives réprimandes, juftifiant Germain, & remontrant fans doute au cenfeur, qu'un laïc, quelque attaché qu'il fut a la doctrine Catholique , ne pouvoit, fans une témérité condamnable, prononcer contre un Evêque, 8e s'arroger a hii feul Pautorité de tout un Concile. Jean , qui n'avoit d'abord écouté que fon zele , fut docile a la correction du Pape; il y a lieu de croire qu'il fit fatistaction a Germain. Vivant au milieu de Damas, il étoit a I'abri de la colere , mais non pas des artifices de Léon. Ce Prince, violemment irriïe contre lui, réfolnt de le faire périr Comme les écrits de Jean lui étoienl parvenus, il fit contrefaire fon écriture , & fuppofa une lettre que Jear adrefioit k 1'Empereur pour 1'engagei k marcher a Damas, promettant dt 1'en rendre maitre. II envoya cetu O vi Léon Ul. Ann. 727-  Lécn ITI. Ann. 717. HlSTOIRE lettre au Calife, comme un gage cle fon amitié, & une preuve du deur fincere qu'il avoit d'entretenir la paix avec lui. Le Calife, outré de colere contre Jean , qu'il avoit jufqu'alors honoré de fa confiance , ordonna fur le champ de lui couper la main droite. Jean de Jérufalem , Auteur de la vie de ce Saint, raconte comraent fa main coupée lui fut remife la nuit fuivante par la Sainte Vierge. Ce miracle feroit fans doute infiniment audeffous de la toute-puiffance du Créateur. Mais 1'hiftoire de ces llecïes abonde en miracles ; a mefure que les lumieres naturelles s'affoibliflbient, les événements furnaturels trouvoient plus de crédit. Les annales du Chriftianifme fourniffent aflez de merveilles inconteftables, & revêtues de preuves aflez authentiqnes, pour convaincre les efprits les plus défiants, pourvu qu'ils ne s'obftinent pas a fermer les yeux. Mais ici le témoignage de Jean de Jérufalem, copié par un grand nombre d'Ecrivains , ne me paroit pas affez confidérable. La multitude des faits miraculeux , loin de fervir la religion ..eft capable de décréditér.  du Bas-Empire. Liv. LXIII. 325 les vrais miracles. Ne peut-on pas croire que Pordre du Calife fut fans effet, paree que Jean qu'il aimoit, eut le temps de fe juftifier ?. Mais la nouvelle de eet ordre s'étant fur le champ répandue , aura entraïné la croyance de 1'exécution -y enfuite la vue de Jean & de fa main droite , aura perfuadé au peuple avide de merveilleux , qu'elle lui avoit été rendue. Quoi qu'il en foit, le Calife détrompé lui ofFrit la première place dans fes confeils, & ne confentit qu'a regret qu'il fe retirat de la Cour. Jean alla s'enfermer dans la Laure de Saint Sabas en Paleftine , oü il fervit utilement 1'Eglife par de pieux ouvrages , que nous avons encore entre les mains. L'édit de 1'Empereur, porte a Rome, excita dans 1'Occident une indignation générale. Le Pape, informé par Germain de ce qui fe paffoit a Conftantinople, lui écrivit pour le féliciter de fon courage a réfifter k 1'héréfie naifïante, & pour le fortifier dans fon attachement k la tradition des Apötres. II tint k Rome un fynoolitique que Prélat vertueux , fon»ea donc h retirer Ravenne des mains les Lombards; & n'efpérant rien de a part de 1'Empire , oü tout étoit en irouble , il eutrecours aux Vénitiens. Zette fage république avoit profité de outes les conjonctures pour accroïtre es forces, & commencoit a figurer ivec gloire entre les Etats d'Italie. 3'étoit a Venife qu'Eutychius s'étoit •etiré. Le Pape engagea par des lettres  du Bas-Empire. Liv. LXI1I. 337 tres preffantes, Orib, Doge de Venife , a chaffer les Lombards de Ravenne & a rétablir 1'Exarque. Les Vénitiens font partir une flotte chargée de troupes, qui débarquent aux portes de la ville. Hilprand, neveu du Roi, en étoit Gouverneur; il préfente la bataille, eft vaincu & fait prifonnier. Les Lombards abandonnent Ravenne , Claffe , Céfarée; & Eutychius s'en remet en pofleftion. Un grand corps de troupes que Liutprand envoyoit au fecours de la ville, e& taillé en pieces prés de Rimini. Ce fuccès caufa dans ce pays une révolution générale. Les villes de la Pentapole chaffent les garnifons Lombardes , & rentrent fous 1'obéiffance de 1'Empire. Liutprand, plein de dépit d'avoir perdu le fruit de fes travaux , découvrit que c'étoit un effet des intrigues du Pape. II ne put retenir fa colere , & le taxant d'ingratitude, il réfolut non-feulement de Pabandonner, mais même de le livrer a toute la fureur de Léon. L'Exarque, de fon cöté, perfuadé qu'il ne feroit jamais maitre ni du Pape, ni des Romains, Tornt XIII, p Léon II?» Ann, 719, KLV, Liutprand fe ligueavet' 1'Exarjue,  LÉON III. Ann. 729. XLVI. LePape implore le fecours de Charles Martel. 338 BlSTOIRE tant qu'ils feroient foutenus des Lombards , cherchoit tous les moyens de gagner Liutprand , & de 1'engager k fervir 1'Empereur. Un nouveau motif acheva de déterminer le Roi des Lombards. II vouloit chatier les Ducs de Spolete & de Bénévent, qui affectoient 1'indépendance; & il ne fe fentoit pas alTez fort, fi les deux Ducs s'unilToient contre lui. Ces difpofitions réciproques rapprocherent Ie Roi & 1'Exarque. Us convinrent de réunir leurs forces , pour réduire d'abord les Ducs rebelles , & d'aller enfuite k Rome rétablir 1'autorité impériale. Cette ligue jetta Grêgoire dans les plus vives allarmes. II ne pouvoit fe défendre contre les deffeins meurtriers de 1'Exarque , que par le fecours des Lombards , ni préferver Ia ville de Rome de Pinvafion des Lombards fans Pamftance de 1'Exarque. Les deux partis s'étant réunis , fa perte & celle de Rome fembloit être inévitable. Dans cette extrêmité, il eut recours aux Francois. Charles Martel , le héros de fon liecle , gouver* noit alors la France pour Thierry  du Bas-Empiile. Liv. LXIIL 339 IV , qui n'avoit que le titre de Roi. Ce fut a Charles que Grêgoire s'adrelTa. Etoit-ce pour lui demander un fecours effeétif, ou de firn pies follicitations en fa faveur ? C'eft ce que 1'hiftoire n'explique pas. Je croirois plus volontiers qu'il ne demandoit que des inftances auprès de Liutprand , lié avec Charles, & par 1'amitié, & par des intéréts mutuels. Autrement, malgré la grandeur du péril , il feroit difficile d'excufer ce faint Pape, d'avoir oublié fes propres maximes. Plufieurs Auteurs prétendent que Grêgoire III fut le premier Pape qui implora une puiffance étrangere contre fon Souverain. Mais Anaftafe , 1'Ecrivain le plus authentique pour tous ces événements , dit formellement dans la vk* d'Etienne II, que les deuxGrégoires eurent recours a Charles Martel, & qu'Etienne ne fit que fuivre leur exemple. On ignore quelle fut Ia réponfe de Charles; mais il eft certain que la demande du Pape ne produifit aucun effet: Pexpédition étoit terminée 1 avant le retour du courrier. A peine P ij Léon UI. Ann. 729. XL VIL Liutprand flé:hi par le 'ape.  léon ni. Ann. 729. 340 Htstoirs le traité fut-il conclu, que le Roi & 1'Exarque fe mirent en marche avec leurs troupes. Les deux Ducs n'oferent attendre 1'orage qui les menacoit: ils vinrent rendre leurs hommages au Roi, lui renouvellerent leur ferment de fidélité, & lui donnerent des ötages. Pour remplir le fecond article du traité, & fatisfaire Eutychius, les deux armées marcherent k Rome, & camperent dans les prairies de Néron , entre le Tibre & 1'Eglife de Saint Pierre, vis-k-vis du chateau Saint Ange. Grêgoire avoit fait réparer k la hcite les fortifications de la ville. Mais perfuadé qu'elles ne pouvoient tenir long-temps contre des forces fi redoutables, il réfolut d'épargner k fon peuple les travaux & les défaltres d'une réfiftance inutile. II fortit de Rome k la tête de fon Clergé & d'une partie de la noblelTe, & alla fe préfenter devant le Roi avec cette intrépidité modefte , que le péril même infpire k une ame grande & vertueufe. Liutprand, d'autant plus fenfible k cette démarche généreufe, qu'il en eut été capable lui-même. le recAit avec le refpeft du k fon au-  du Bas-Empire. Liv. LXIII. 341 gufte caractere & a la fainteté de fa vie. Alors le Pape fut fi puilTammerrt émouvoir fon cceur par les motifs d'humanité, par la conlidération des promelTes qu'il avoit faites a 1'Eglife , du zele qu'il avoit témoigné pour fa défenfe , des maux qu'il lui préparoit, & de ceux qu'il alloit attirer fur lui-même & fur fon Royaume, que les armes lui tomberent des mains. Attendri jufqu'aux larmes, il fe prolterna aux pieds du Pontife, & protefta qu'il ne foufFriroit jamais qu'on troublat le repos d'une ville qu'il regardoit comme le fanctuaire de Ia religion. En vain, 1'Exarque, plus dur & moins généreux, tachoit de 1'afFermir, & le fommoit de remplir fes engagements; le Roi, fans 1'écouter, pria le Pape de le conduire a la baiilique du Vatican. La fondant en larmes , le cceur ferré de douleur, k genoux devant la confeflion de Saint Pierre, il fe dépouilla de fes habits royaux, & les dépofa avec fon baudrier, fon épée, fa couronne d'or & fa croix d'argent au pied du tombeau du faint Apötre. II pria enfuite le Pape de lever Fexcommunication P iij LÉON III. Ann. 72,9,  LÉON III. Ann. 729. XLVIII. Révolte appaifée par le Pape. Anafl. in Greg. II. Baronius. Fleury , hift. ecclef. I. 42. art. 6. Murat. annal. d'Ital t. IV. p. 261. Abrégé de Thifi. d'Ital. 1.1. p. 334. •342 NjSTOIRE lancée contre 1'Exarque, & de lui accorder fon amitié. Le Pape y confentit, & les deux armées s'étant retirées, Liutprand reprit le chemin de Pavie. L'Exarque enfin réconcilié avec le Pape & le peuple de Rome, y entra fansoppofition. II travailloit debonne foi k rétablir 1'ordre que la difcorde avoit troublé.lorfqu'on apprit qu'une partie de la Tofcane étoit révoltée. Tibere, furnommé Petafe, dont 1'hiftoire ne parle pas jufqu'a ce moment , avoit foulevé plufieurs villes ; elles lui avoient donné le titre d'Empereur, & prêté ferment de fidélité. Cette nouvelle allarma 1'Exarque. II n'avoit point gardé de troupes avec lui, & d'ailleurs il étoit plus propre a tramer un complot qu'a faire la guerre. Mais 1'intrépide Pontife lui infpira une partie de fon courage; il fit prendre les armes aux habitants de Rome, & mit k leur tête les citoyens les plus diftingués. Eutychius , fuivi de cette milice, marcha contre le rebelle , qui, plus timide encore que 1'Exarque, fe tenoit enfermé dans Maturano, place nommée aujourd'hui  nu Bas-Empire. Liv. LXIII. 343 Barbarano clans le patrimoine de St. Pierre. Elle fut emportee d'afTaut, & Petafe y perdit la vie. On envoya fa tête a 1'Empereur. Un fervice fi important méritoit de la reconnoiffance; mais Grêgoire n'en pouvoit attendre de Léon. Ce Prince, plus obltinéque jamais k détruire les objets de la vénération publique, employoit les carelTes, les menaces , les violences pour y p3rvenir. II faifoit brüler les images dans la place publique, blanchir les murailles des Eglifes qui étoient ornées de peintures. II avoit ufé jufqu'alors de quelque ménagement k 1'égard de Germain , qui étant aimé du Pape & en commerce de lettres avec lui, pouvoit contribuer k contenir 1'Italie , trop difpofée par elle-même k la révolte. Mais cette modération politique ne put fe foutenir jufqu'au bout. Un jour qu'il étoit entré en difpute avec Germain, après de longs raiibnnements que le Patriarche détruifoit d'un feul mot, réduit a ne pouvoir répliquer, il s'emporta; & rugiiTant comme un lion, il frappa au vifage, & chaffa du palais ce PréP iv léon in. Ann. 7 30. XLIX. Germain dépouillé de 1'Epifcopar.Theoph. pi 341 , 342. Cedr. p. 45 5 . 456. Joann, Damafc. orat. i. & 2. de imag. Anafi. in Greg. 11. Stephan. in vita Sri. Steph. juit, Nieeph. p. 38. PaulDiac. I- 6. c. 49. Hifi. mifi, I. 11. Zon. lom. II. p. 103. Manajf. pag. 86. Baronius. Pagi ad Bar. Fleury , hifi. ecclef. I. 42. art, A.  LÉON III. Ann. 730. Oriens Chrijl. t. 1. p. 236. 344 Bistoirë lat agé pour lors de quatre - vingtquinze ans, & plus vénérable encore par fa fainteté que par fa vieilleffe. Réfolu de le perdre, il faifoit obfef ver toutes fes paroles, toutes fes démarches, pour y trouver de quoi le condamner comme féditieux, plutöt que de lui procurer par une violence ouverte le titre de Confeffeur de la foi. Mais la fageffe de Germain ne donnoit aucune prife k la malignité. L'Empereur, impatient de s'endéfai-5 re, fit affembler le Sénat le 7 Janvier 730; & ayant fait venir le Patriarche , il lui préfenta fon édit avec ordre d'y foufcrire fur le champ. Germain prit cette occafion de juftifier publiquement la pratique de 1'Eglife, & après un aflez long difcours : Prince, ajouta-t-il, je rejpecle les or' dres de 1'Empereur ; mais fur un point qui intêreffe la foi, je ne puis céder qua t'autorité cüun Concile général. En attendant, rende^ la paix d F Eglife , CV Ji je juis Jonas, jette^-moi dans la mer. En même-temps il fe dépouille de fon pallium, renonce k 1'épifcopat, & fe retire dans fa maifon paternelle, oü il paffa le refte de fes jours  du Bas-Empire. Liv. LX.ni. 345 dans la priere & dans le fdence. II avoit tenu le fiege de Conftantinople pendant quatorze ans & demi. Sa mémoire eft en vénération dans 1'Eglife Grecque, qui célebre fa fête le douzieme de Mai. LEmpereur , fans obferver aucune forme canonique, mit a fa p'ace Anaftafe, qui fut inftallé par des foldats. C'étoit un diaere corrompu, qui avoit vendu au Prince fa foi & fa confeience. Syncelle du Patriarche, mais bien différent de fon Evêque, iln'afpiroit qu'a profiter de fes dépouilles. Germain lui fit fentir un jour que fon ambition lui feroit funefte. Comme il montoit les degrés du palais, Anaftafe qui Ie fuivoit ayant marché fur fa robe^ le Patriarche fe retournant vers lui: Ne vousprejje^ pas, Anaftafe, lui ditil; vous n arriveren que trop tot d Chippodrome. C'étoit le lieu oii il devcSt un jour fubir un chatiment ignominieux , ainfi que nous le verrons dans la fuite. Cette prophétie frappatous ceux qui 1'entendirent, excepté Anaftafe lui-même. Cet intrus ne fut pas plutöt en poffefïïon du tréfor de 1'Eglife , qu'il le mit entre les mains de P v LÉON 1IT, Ann, 730.  LÉON III, Ann. 730. L. Léon fait brüler ia bibliotheque & les Bibliothécaires. Theoph. p, 339- Cedr. p, '454. Anafl. in Greg. 11. Zon. 1. U. IO4. Manajf. p, 87", 88. Glycas t p. 281. Anon. Band. imp. er. t. 1. p. II. Codin. crig.p. 41, Du Cangt. Confi. thrift. I. %, «. 9. 346 HlSTOlRË 1'Empereur. Ce Prince , non par avance , mais par fureur, fe faififlbit des ornements des Eglifes qu'il faifoit brüler, des vafes facrés qu'il faifoit fondre, paree qu'ils étoient chargés de figures dont il vouloit abolir 1'ufage. Si Ia préfence de Germain n'avoit pu arrêter la violence de 1'Empereur , elle 1'avoit du moins retenue dans certaines bornes. Des qu'il fut éloigné, Léon s'abandonna k des excès inconnus aux plus cruels perfécuteurs. Entre Ie palais & 1'Eglife de Ste. Sophie étoit une fuperbe baftlique, nommée 1'Oöogone. Elle étoit formée de huit portiques réunis. Batie autrefois par Conftantin, Julien y placa fa bibliotheque qu'il rendit publique. Valens établit fept antiquaires, dont 1'emploi étoit de recopier les manufcrits qui dépériiToient de vétufté. Ce précieux dépot contenoit cent vingt mille volumes, lorfqu'il fut brülé du temps de Zénon. Ce Prince 1'avoit rétabli; mais jufqu'au regne de Léon, on n'avoit pu y raffembler que trente-fix mille volumes. La fondation étoit devenue encore  du Bas-Empirb. Liv. LXIII. 347 plus utile par 1'établifïement de douze Profeffeurs , entretenus aux dépens dutréfor, qui enfeignoient gratuitement les lettres tant facrées que profanes. A leur tête étoit un chef qu'on nommoit rcecuménique, c'eft-a-dire 1'univerfel, a caufe de Pétendue de fes connoilTances. Cette compagnie, dont les membres étoient choifis entre les hommes les plus éclairés de 1'Empire, avoit une grande confidération. Les Empereurs les confultoient dans les affaires importantes. Souvent on tiroit d'entr'eux les Prélats pour remplir les plus grands fieges. L'Eglife annexée a cette illuftre maifon étoit deffervie par feize Religieux favants eux-mêmes, & recommandables par leur vertu. Léon penfa que fa nouvelle doctrine acquerroit beaucoup de crédit, s'il pouvoit la faire admettre par cette pieufe & favante Académie. II entreprit de les amener a fes fentiments , & ce fut la matiere d'un grand nombre de conférences, oü fes Théologiens (car les Princes n'en manquent jamais) furent toujours confondus. Enfin , défefpérant de les perfuader,. il prit le parti P vj LÉON III. Ann. 730.  Léon III Ann, 730. LI. Troubles a Conftantinople.Theoph. p. 339- Cedr. p. 454- Vita Sti. Steph. jun. Minaa 9. Aug. Codin. erig.p. 40. Anon. Band. itnp, oriënt. 1.1, p. 9. Baronius, Pagi ad Bar. JJu Cange, Cenft, 348 H I S T 0 1 R E de les exterminer, fans épargner la bibliotheque , dont fa groffiere ignorance ne faifoit aucun cas. Ayant fait pendant la nuit environner la bafilique d'un grand amas de bois fee & dè matieres combuftibles , il y fit mettre le feu. Des gardes poftées k toutes les iflues en défendoient le paffage , &c ce cruel incendie réduit en cendres & les livres & les Profeffeurs. Un fi bel établilTement fe releva fous les Empereurs fuivants. Cette étrange barbarie fit horreur k tout 1'Empire. Peu de temps après, un attentat public contre unengure révérée de toute la ville de Conftantinople , acheva de foulever les efprits, & fit couler le fang d'un grand nombre de citoyens. Sur la porte de Chalcé, c'étoit le veftibule du palais, s'élevoit un grand crucifix de bronzequi paffoit pour un monument de la piéié de Conftantin. On attribuoit k ce crucifix plufieurs miracles. Léon, ne pouvant fouffrir la vue de cette image, qui fembloit triompher de fon édit, donna ordre a Jovin, un de fes Officiers, d'aller abattre lé Chrift ; mais de laifler fubfiiter la  du Bas-Empikë. Liv. LXUI. 349 croix; car tel étoit Pufage des Iconoclaltes. Jovin monté a une échelle avoit déja porté trois coups de hache, lorfqu'une troupe de femmes alTemblées en un moment autour de lui, pouffant de grands cris, renverfent 1'échelle , & écrafent Jovin en le foulant aux pieds. Elles courent aiülitöt a 1'Eglife , &c font pleuvoir une grêle de pierres fur le Patriarche Anaftafe, 1'accablant d'injures, & menagant de le tuer, s'il ne va promptement faire des remontrances a 1'Empereur. II y alla en effet, mais ce fut pour 1'irriter davantage. L'Empereur fait fortir fes gardes fur ces femmes attroupées a la porte du palais; elles font en un inflant maffacrées. Non content de cette vengeance, il fe perfuade que 1'émeute a été excitée par des perfonnes plus confidérables; il fait arrêter neuf Sénateurs & une Dame de naiffance illuftre, fans avoir d'autre fondement de fes foupcons que leur oppofition a fes volontés. Mais il crut que ce feroit les traiter avec trop de douceur, s'il les faifoit mourir fur le champ. Ils n'eurent la tête francbée qu'après ayoir langui LÊON III. Ann. 730. chrifl. I. %. c. 4. Fleury , hifi. eeelef. I. 41. art. 5.  Léon III. Ann. 730. Lil. Divers Marryrs. hitnol. BafiL Martyrol. Romanum. Baronius. Oriens Chrifl. t. £ F. 683. 350 HlSTOIRE huit mois dans une prifon, oü ils recevoient tous les jours cinq cents coups de fouet. Dès que Léon eut une fois trempé fes mains dans le fang de fes fujets, il n'en devint que plus féroce. Pendant les dix années qu'il vécut encore , ce 11e fut que deuil & défolation dans tout 1'Orient. Les défenfeurs des images étoient profcrits, tourmentés, emprifonnés , confumés de faim & de froid, expofés aux outrages de leurs ennemis, trai'nés par les rues, écartelés , maffacrés, fans compter ceux qui abandonnant leurs biens pour fauver leur vie, fe réfugioient dans des déferts, fur les montagnes , dans des cavernes. II faut avouer que les Orthodoxes, emportés par 1'ardeur de leur zele, aigriiToient encore le Prince par la liberté avec laquelle ils lui reprochoient fes erreurs, par les anathêmes qu'ils ofoient lancer contre lui, par les termes outrageants dont ils 1'accabloient en face. Le ménologe des Grecs eft rerapli de raartyrs qui fouffrirent les plus affreux fupplices, tant fous fon regne que fous celui de fon fils; & il me femble qu'il  du Bas-Empire. Liv. LXIIL 351 manquoit a ces généreux athletes la douceur apoftolique Sc le refpect toujours du au Souverain , lors même qu'il abufe de Ion pouvoir par des traitements injuftes. De tant defupplices, je n'en citerai qu'un feul, qui fuppofe une recherche de cruauté. II faifoit enduire de poix les cheveux &C Ia barbe des Confeffeurs , & entaffer fur leurs têtes quantité d'images auxquelles on mettoit le feu. Après les avoir trainés paria ville en eet état, on les égorgeoit, & on jettoit leurs corps aux chiens. Ce fut ainfi qu'il traita Hypace, Evêque dEphefe,auquel il donna pour fucceffeur Théodofe , fils de Tibere Abfimare, Prélat hérétique , qui fignala fon zele en faveur des Iconoclaftes. Cependant la plupart de ceux qui refufoient d'obéir k Pédit, n'étoient pas mis k mort. Après plufieurs tourments, ils étoient envoyés en exil. Léon en faifant des martyrs craignoit de multiplier les images qu'il vouloit détruire. Anaftafe, ufurpateur du fiege de Conftantinople , n'infpiroit pas au Prince des fentiments d'humanité.Cependant pour autorifer fon intrufion, LÉON 111. Ann. 730. Lin. Mort de Grêgoire II. Anaft. in  Léon 117. Ann. 731. Paul diae. I. 6. c. 49. Baronius. Bellarmin. de tranfiat. imp.l. 1. c, 12. Marca de concord. I. 3- <■ «. fleury, hifi. ecclef. I. 42. art. 5- Z?u P/n de antiq. ce- elef. dife. differt. 7. c ij. Giann.hifi. . Napl. I. j. 1 «•4. ] 1 4 < ] < i 1 1 1 i 35* HlSTOIRE il auroit voulu vivre en communlon avec Ie Pape. II lui écrivit une lettre fynodique, dans laquelle , après une profeiTion de foi orthodoxe, après avoir protelté qu'il étoit uni de cceur & d'efprit avec 1'Eglife Romaine, il s'effbrfoit de juftifïer la conduite de 1'Empereur & fes propres fentiments fur le culte des images. Léon y joi?nit aufli une lettre pour tacher d'aioucir le Pape , lui repréfentant comme des rebelles ceux qu'il étoit, difoit-il, obligé de réprimer. Mais Grêgoire, trop bien inflruit pour fe aiflèr tromper, répondit au Patriar:he, que tant qu'il fe tiendroit féaaré de 1'Eglife, en rejettant le culte ni'elle avoit adopté, 1'Evêque de lome ne pouvoit le regarder comne fon frere dans 1'épifcopat, & ju'il ne devoit attendre de fa part me des anathêmes. Sa réponfe a -éon n'étoit pas moins ferme, quoi[ue concue en des termes plus doux; 1 lui donnoit des cohfeils falutaires, >C 1'exhortoit a fe retirer de 1'abyne oü 1'avoit plongé fon attachenent a des opinions erronnées. La terté de rEmpereur-fut choquée de  nu Bas-Emp'ire. Liv. LXI1T. 353 ces remontrances. II y répliqua en menacant Grêgoire de le traiter comme Conflant avoit traité le Pape Martin, & d'envoyer a Rome abattre 1'image de Saint Pierre. Mais lorfque cette lettre outrageante parvint a Rome, Grêgoire, affranchi de toutes les menaces des hommes, avoit déja recu la récompenfe de fes travaux. II étoit mort le 11 Février 731, & laiffoit a fes fuccefleurs un exemple difficile a fuivre. La conduite de ce faint Pape eft un model*: de prudence & de fermeté. Dans la conjonóture la plus critique qui fut jamais, lorfque d'un cöté 1'héréfie armée de la puiffance impériale s'efforcoit de s'introduire en Italië, & que de 1'autre 1'Italie fembloit ne pouvoir repouffer 1'hérélie qu'en fe révoltant contre fon Souverain, il remplit également deux devoirs qui paroiffoient alors incompatibles. Chef intrépide de 1'Eglife. il s'oppofa conftamment a 1'exécution d'un édit contraire a la pratique du Chriftianifme; il fit tous fe; efforts pour détourner 1'Empereur d< fon deffein impie; il fortifia les peu- Léon III. Ann. 731. LIV. Apologie de Grêgoire II.  Léon III. Ann. 7J i. ] ] 1 ■ ] 354 Histoikë pies clans la réfolution de rejetter des ordres auxquels ils ne pouvoient obéir ^fans rrahir leur religion ; mais en même temps , fidele fiijet du Prince , il fe tint lui-même, & maintint les peuples dans une jufte obéiffance; il étouffa 1'efprit de révolte, & malgré les noirs complots que le Prince même tramoit contre fa vie, Prélat vraiment apofiolique, fupérieur k tout fentiment de vengeance ainfi que de crainte, il fut affez généreux pour conferver au Prince 1'Itahe prête k lui échapper. Deux fortes d'Ecrivains, dans des vues abfolument contraires, s'accordent k peindre ce grand Pape fous les mêmes traits, & 1'idée qu'ils en donnent eft tout-a-fait fauffe & injufte. Ils difent également qu'il excommunia Léon , qu'il le déclara déchu de 1'Empire, & qu'il délia les Italiens du ferment de fidélité; en un mot, ils lui attribuent la pratique de :es funeftes maximes, que Grêgoire VU hafarda plus de trois fiecles après ui. Les uns lui en font un mérite, es autres un crime , & tous s'apmyent fur le témoignege des Grecs. -es premiers foumettant la puiffance  nu Bas-Empire. Liv. LXIII. 355 temporelle a i'autorité pontificale , lotfent Grêgoire II de s'être fouftrait a la domination d'un Prince herétique, & d'avoir foulevé 1'Etat pour fauver la religion; les feconds, ennemis déclarés de 1'Eglife Romaine, 1'accufent d'avoir révolté 1'Italie contre fon maitre, & d'avoir appris k fes fucceffeurs k brifer les fceptres & les couronnes. Mais les éloges des premiers font directement contraires k ceux qu'il mérite, & les reproches des autres font autant de calomnies. II eft vrai que les Auteurs Grecs mettent fur le compte de Grêgoire la plupart de ces entreprifes; mais ces Ecrivains, prefque tous fort mauvais critiques, mal inftruits pour" 1'órdinaire de ce qui fe paffoit en Occident, toujours peu favorables aux Latins, fur-tout depuis le fchifme de Photius, peuvent-ils entrer en comparailbn avec les Ecrivains Occidentaux, plus voifins & des temps & des lieux de ces événements? Anaftafe le Bibliothécaire, & Paul Diacre,méritent feuls plus de croyance , que cette foule de Grecs qui fe copieni les uns les autres. Or, ces deuxHif- LÉON III» Ann. 731.  LÉON III. Ann, 731, 355 HlSTOIRE toriens rendent juftice a la droiture de Grêgoire II, & des faits inconteftables le mettent k couvert de reproche. Ce fut lui feul qui calma Pa-! gitation de 1'Italie, lorfqu'elle étoit fur le point de nommer un nouvel Empereur, & qu'elle menacoit d'aller combattre Léon jufque dans Conftantinople, Ce fut lui qui arma les Vénitiens contre Liutprand, & qui remit PEmpereur en poffeffion de Ravenne & des autres places dont les Lombards s'étoient rendus maitres. On ne peut lui reprocher que d'avoir accepté la donation de Sutri: mais pouvoit-il, fans encourir un grand danger de la part de Liutprand, & fans s'attirer même Pindignation de Rome entiere, refufer une place d'ailleurs peu confidérable, que Je Roi des Lombards s'obftinoit a ne pas rendre a 1'Empire ? Nous avons vu qu'on ne pouvoit rien conclure a fon préiudice de Ia démarche qu'il fit aupr^s de Charles Martel. II réconcilia avec les Romains, & rétablit dans Rome lExarque Eutychius, qui avoit attente contre fa vie. II étouffa dès Ia aaiftance la révolte de Pétafe : il ref-  nu Bas-Empire. Liv. LX1I1. 357 pecïa Léon au milieu de fes fureurs; il eft faux qu'il Pait excommunié; il ne lui envoya jamais que des remontrances & des avis. En un mot, fes fentiments furent conftamment ceux que Jean Damafcene, malgré fa vivacité naturelle , exprime en ces termes en adreffant la parole a Léon : Nous vous obéijfons dans les affaires civiles ; nous vous payons les tributs, les impóts, les dons gratuits ; mais pour les chofes de la foi, nous avons la parole de Dieu & les loix de 1'Eglife. Une nouvelle preuve que Grêgoire n'avoit pas fécoué le jong de 1'obéiffance, c'eft que fon fucceffeur, en montant fur le faint Siege , reconnut Léon pour Empereur; il lui écrivit comme a fon Souverain , & felon l'ancien ufage, il date toutes fes lettres des années du regne de Léon. Si tant de preuves ne fuffifoient pas, je citerois encore le témoignage le plus authentique, celui de Charlemagne , qui, dans fa lettre a Conftantin & a Irene, rend juftice a la fidélité inviolable de Grêgoire II, & de fon fucceffeur. Ce n'eft pas que je veuille nier que fous le Pontificat de Grégoi- léon m. Ann, 731»  LÉON III. Ann. 731. LV. Conduite du Vape Grêgoire UI. Anafi. in Greg. UI. Baronius. Pagi ad Bar. Fleury , hifi. ecclef. I. 42. art. 7.8.9- Duf in de antiq, ec- 1 clef. difc. . dijfert. 7. f. I . 3. Murat. annal. £1- . tal. t. IV. ; & 257. 358 HlSTOIRE re Iï, 1'Empire n'ait perdu beaucoup de fon autorité en Italië. Ce fut alors k la vérité que commencerent k fe relacher les Hens qui tenoient les peuples de cette contrée attachés k 1'Empire. Mais Grêgoire, au-lieu de les rompre, ne travailla qu'a les refTerrer. Ce furent les Empereurs euxmêmes qui rendirent leur joug odieux. C'eft du fein de 1'héréfie des Iconoclaftes que fortit le premier germe de cette grande révolution , qui leur fit perdre 1'Italie. Après la mort du Pape Grêgoire II , Grêgoire III fut élu par le Clergé de Rome, qui écrivit k 1'Exarque pour en obtenir la confirmation. Mais ce fut la derniere fois. Léon & fes fuc:efTeurs s'opiniatrant de plus en plus ï troubler 1'Eglife, cette coutume :effa, & ne fut rétablie que prés de :ent après fous les Princes de la maibn de Charlemagne. Le nouveau Pape, plus vif & moins circonfpeér jue fon prédéceffeur, ne ménagea aas Léon dans les remontrances qu'il ê crut obligé de lui faire. Ayant recu es lettres adreffées k Grêgoire II, il f répondit en des termes qui fem-  du Bas-Empire. Liv. LXUL 359 blent pafler de bien loin ia liberté apoftolique. II reprochoit formellement a. 1'Empereur fon ignorance préfomptueufe, fa rêbellion contre 1'Eglife, fa barbarie. Comme Léon demandoit un Concile général : Vous êfes, lui répondoit-il, le feul ennemi de £ Eglife; cejfc^ de la perfècuter , il ne fera pas befoin de Concile. Avons-nous un Empereur Catholique qui puiffe y prendre féance felon Cufage ? II lui déclare que tout POccident eft révolté contre fes attentats, & que pour venger les outrages qu'il fait a JefusChrift & aux Saints, on foule aux pieds fes propres images. Sur les menaces que Léon avoit faites k fon prédéceffeur : Sache^, lui dit-il, que les Papes font les médiateurs de la paix, & .comme le mur mitoyen entre l Oriënt & rOccident ; nous ne craignons point vos menaces; d une lieue de Rome vers la Campanie nous fommes d l'abri de vos coups. Ces paroles font connoïtre que le diftrift de Bénévent s'étendoit alors jufqu'a une lieue de Rome, ou plutöt du Duché Romain. II lui fait entendre que s'il envoyé abattre 1'image de Saint Pierre, il y aura LÉON III. Ann, 73 n  LÉON UI. Ann, 731. 360 I/ISTO/RE du fang répandu. On apprend par cette lettre, que les Papes confervoient les lettres des Empereurs dans 1'Eglife de Saint-Pierre. Des reproches fi amers & fi hardis attirerent de la part de 1'Empereur une réponfe dont on ignore le contenu; on fait feulement que le Prince s'y vantoit d'être a la fois maitre de 1'Empire & du Sacerdoce. Le Pape répliqua par une feconde lettre plus mefurée que la précédente ; il y juftifïoit le culte des Images; & pour rabattre la fierté du Prince, il établiffoit cette maxime : Que les Princes n ont pas plus de pouvoir dans Vadminifradon des chofes fpirituelles , que 1'Eglife ne s'en attribue dans le gouvernement des affaires temporelles. II avouoit qu'il ne lui étoit pas permis de prendre les armes contre 1'Empereur, mais feulement d'implorer par fes prieres le fecours de Dieu. Le Prêtre George , porteur de cette lettre, étant arrivé a Conftantinople, n'ofa la préfenter a 1'Empereur, dont il redoutoit la colere : de retour a Rome, il fit au Pape 1'aveu de fa foiblefïe. Grêgoire lui ayant fait en plein Concile  du Bas-Empire. Liv. LXIIL 361 cile une févere réprimande , 1'auroit -dégradé du Sacerdoce, fi le Concile n'eüt demandé grace. II le renvoya avec la même lettre. Mais George fut arrêté en Sicile, & retenu pendant un an entier par ordre de 1'Empereur. Tandis que Léon faifoit la guerre aux images, les Sarafins ravageoie-nt 1'Empire. Mouflima traverfa la Cappadoce , & marcha contre les Turcs, qui avoient forcé les portes Cafpiennes. II les battit & les repoufla dans leur pays. Mavias & Soliman, tous deux fils du Calife Hefcham, péné- ' trerent en Paphlagonie, &c défirent ; une armée Romaine commandée par Conftantin, qui fut fait prifonnier. j La détention de George ayant fait ; connoitre au Pape, que 1'Empereur 1 s'obftinoit k ne rien écouter, il crut " devoir employer les foudres de 1'E- m glife, en ménageant feulement la per- ] ionne même du Prince, felon les regies de la prudence chrétienne. II convoqua donc un Concile, qui fe tint d dans 1'Eglife de Saint-Pierre. II s'y c trouva quatre-vingt-treize Evêques, avec le Clergé de Rome, On permit \ Tome XUI. Q , léon iir. Ann, 731, LVI. Expédi :ions des >a.-arins. Theooh. p. 145- Cedr. p. Vil- Hifi. mifc. . 21. Elmacini .r.c.ij. Ajfemani ii. or. t. I. i. de Gul"es , hifl. es Hun,, Ip.326. .na. 732. LVII. Concile e Rome. Anafl. in 'reg UI. Fleury , fi. ecclef. 42. art, 6.  Léon III. Ann. 732. 36a HlSTOlRE k la Nobleffe , aux Magiflrats & au peuple d'être témoins de la déiibération. On déclara exclus de la table fainte &c féparés du corps des fideles quiconque violeroit le refpect dü aux Images, en les détruifant, les déplacant, les profanant ou les outrageant par des blafphêmes. Ce décret fut figné de tout le Concile; & le Pape fit auffi. tot partir le défenfeur Conftantin pour Ie porter a 1'Empereur. Mais eet envoyé fut arrêté en Sicile, comme le premier. On lui arracha les écrits dont il étoit chargé , 8c on 1'enferma dans un cachot. Ce ne fut qu'au bout d'un an qu'on lui permit de retourner a Rome, après lui avoir fait de terribles menaces. Cette violence ?xcita 1'indignation de 1'Italie entiere. Eoutes les Provinces de concert, dreflerent une requête a 1'Empereur, 5c Penvoyerent par leurs députés, qui ie furent pas plus épargnés que les ;nvoyés du Pape. Sergius , Gouverneur de Sicile, qui s'eftbrcoit d'effa:er de 1'efprit de 1'Empereur le fou^enir de fa révolte précédente, les tint huit mois en prifon, 6c ne les mit en liberté qu'après leur avoir fait  du Bas-Empire. Liv. LXIIL 363 effuyer les traitements les plus injurieux. Cependant Pierre, autre défenfeur de 1'Eglife Romaine, eut encore alTez de hardiefTe , pour fe charger de la même commiffion. II prit une autre route, & remit le décret entre les mains de 1'Empereur , avec une lettre du Pape, qui écrivoit auffi au Patriarche Anaftafe. Jean , Archevêque de Ravenne, avoit affifté au Concile, & cette ville n'étoit pas moins oppolee que Rome aux volontés de 1'Emperear. Ainfi Léon , plusirrité que jamais , réfolut de chatier toute 1'Italie. II mit en mer une puifïante armée navale, fous le commandement de Manès, Duc de Cibyre. Manès devoit faccager Ravenne , traiter comme rebelles les villes de la Pentapole, marcher enfuite k Rome, y détruire les Images, ne faire pas plus de grace aux habitants qui fe rnettroient en devoir de les conferver, enlever Ie Pape, & le conduire pieds & mains liés a Conftantinople. Mais les vents & la mer firent échouer ces projets inhumains. La flotte déja prés de Ravenne, qu'elle regardoit comme fa proie, fut atQ ij LÉON III. Ann. 731. Ann. 733. LVIII. Vaine entreprifede Léon contre 1'Italie. Theoph. p. 343. Cedr. p. 457- Hifi. mifi. I. 21. Murat. ann.d'Itat. t. IV. p. 267 , 268.' Abre'gé de Vhift. d'lt. t. /. 336 , 33S^  LÉON III. Ann, 733. i ] < 1 . ) < J 1 1 1 i i i 364 IIlSTOIRE taquée d'un violent orage; partie des vaiffeaux fe brifent contre les rochers, &c font engloutis avec les foldats; les autres difperfés fur les cötes, s'étant enfin raffemblés, gagnent avec peine !e canal du Pö, le plus proche de Ravenne. Manès fait débarquer fes troupes , & marche vers la ville. Le peuple, encouragé par fon Evêque, avoit pris les armes, & tandis que les femmes &c les vieillards, revêtus de facs !k de cilices , &c profternés aux pieds les autels, implorent 1'afïiftance du Ibut-Puiffant, la jeuneffe fort au-derant des Grecs; éc dès que le comsat eft engagé, elle feint de prendre a fuite, & attire Pennemi dans une ;mbufcade. Les Grecs , attaqués de outes parts, regagnent leurs vaiffeaux. -es troupes de Ravenne fe jettent lans des barques, les pourfuivent, te coulent a fond la plupart de ces ïavires que 1'orage avoit mis hors de léfenfe. Cette victoire inefpérée fut emportée le 2.6 Juin , & ce jour fut lans la fuite unefête folemnelle a Ravenne. Durant les fix années fuivanes, les habitants, par haine contre les ïrecs, s'abftinrent de manger dupoif? bn de ce bras du Pö,  du Bas-Empire. Liv. LXI1I. 365 Cette défaite mit Léon en fnreur< II redoubla de cruauté contre les Catholiques , & ne pouvant faire d'autre mal k 1'Eglife de Rome , il eonfifqua tous les patrimoines qu'elle poffédoit dans fes Etats. Le revenu de ces biens ne montoit qu'a trois talents & demi , qui valoient a - peu - prés vingt mille livres de notre monnoie. C'étoit ravir la fubfiflance des pauvres, & les fommes néceffaires k 1'entretien de 1'Eglife de Saint-Pierre. Ces parrimoines demeurerent aliénés pour toujours, & les follicitations des Papes ne purent jamais les retirer des mains des Empereurs fuivants, même Orthodoxes. Non content d'avoir dépouillé 1'Eglife Romaine de fes biens, il lui enleva une partie confidérable de fa jurifdiction. II en détacha toutes les Provinces comprifes entre la Sicile & la Thrace, c'eft-a-dire la Grece, 1'Illyrie, la Macédoine , & les foumit au Patriarchat de Conftantinople. En vain le Pape Adrien redemanda ces diocefes dans le fecond Concile de Nicée. On peut dire que ce fut-la 1'origine de la funefte divifion de 1'Eglife Grecque & de PEQ üj Léon HL Ann. 733.. LIX. Vengeance de Léon. Theoph. p. 343.344. 346. Cedr. p. 457- Hifi. mifi. I. 21. Zon. t. il p. 105. Marca de concord. I. 3- c. 11. Du Pin, de antiq. ecclef. difc. differt. 1. c. 11. Fleury , Hifi. Eccl. I. 42. art. 17- Pagi ai Bar. Giann. Hifi. Nap. I. 4. c. 12. Murat. ann. Hul. t. 17. P. 262', 268". Ahrégé d-e l'hift. i'It. t. 1. p. 338. 340,  LÉON III, Ann. 733, LX. Mariage de Conftantin Copronyme. 366 HlSTOIHE glife Latine ; dilcorde interrompue en divers temps, jamais éteinte, ranimée avec plus de force par Photius & par d'autres Patriarches ambitieux. Léon augmenta d'un tiers la capitation de la Sicile & de la Calabre; & pour n'en pas exempter les enfants mêmes, il ordonna de les enrégiftrer dès leur naiffance. Pendant tout ce temps-la, 1'Exarque Eutychius fe tenoit tranquille dans Ravenne. II paroit qu'il étoit parfaitement réconcilié avec le Pape, & qu'il s'accordoit même avec lui pour la défenfe des Images. II fit a la bafilique du Vatican des préfents confidérables, Mais 1'autorité des Exarques étoit fort affoiblie a Ravenne ainfi qu'a Rome. On leur obéiffoit pour 1'exercice de la juftice & lepayement des tributs; mais ils ne jouiffoient d'aucun autre pouvoir. Les peuples étoient bien réfolus de ne fe pas laiffer accabler par les injuftes violences d'un Empereur impie. Conftantin, fils de Léon , avoit atteint fa quatorzieme année; il époufa la fille du Khan des Khazars; Princeffe accomplie, è laquelle il ne man-  du Bas-Empire. Liv. LXIII. 367 quoit que d'être Chrétienne , pour être digne du premier tröne de 1'univers. Elle recut le baptême avant fon mariage, 8c prit le nom d'Irene. Fidelle k la religion qu'elle embraffoit, elle vécut dans les exercices d'une piété folide, foumife en tout Ie refte k 1'autorité de fon beau-pere, 8c pleine de tendrefte pour fon mari; mais conftamment oppofée a leurs erreurs. Dans lesfixannées fuivantes, 1'hiftoire ne parle que des incurfions des Sarafins. L'Arménie, la Cappadoce , Ia Phrygie , déja tant de fois ravagées, ne ceflerent de 1'être encore par Mavias 8c Soliman, les deux fléaux de 1'Afie en ce temps-la. Mavias, en retournant en Syrië, mourut d'une chute de cheval. Soliman continua fes courfes; entre un grand nombre de prifonniers fe trouva un aventurier, né k Pergame, qui fe difoit Tibere, fils de Juftinien II. Le Calife, pour faire honneur k fon fils, 8c pour donner de 1'inquiétude k 1'Empereur, affefla de donner crédit a ce menfonge. II fit preadre a 1'impofteur les ornements impériaux, lui donna des trouQ iv léon iii. Ann. 733. Theoph. p, 343- Cedr. p. 459- Hifi. mift. I. 21. Zon. t. 11, p. 105. Niceph, p, 38. Du Cange fam. Byi. p. 12,-. Ann. 734, 739- lxi. Diverfes expéditions des Sarafins. Theoph. p. 344. 345 & ibi. not. Cedr. p. 457. Hifi, mifi. I. 21. Elmacin. 1. I. c. 17. Affemar.i Bibl. or, 1 j 11.  LÉON UI. Ana. 739. 1 i 3 ] 1 i 3<58 fflSTOlRI pes a la tête defquelles Tibere entra dans Jérufalem, le fceptre k la main & enfeignes déployées; il le fit enfuite promener par toute la Syrië avec un appareil capable d'éblouir les peuples. L'année 739 ne fut pas heureufe pour les Sarafins. Soliman entra fur les terres des Romains avec quatre-vingt-dix mille hommes. Ii partagea fes troupes en trois corps, Gamer commandoit dix mille hommes de troupes légeres, qui mirent k feu & a fang la Cappadoce , & enleverent une prodigieufe multitude d'hommes, de femmes & de chevaux. Mais Mélich & Batal, fuivis de vingt mille hommes furent attaqués prés d'Acronium en Phrygie, par une armée Romaine qui les iailla en pie:es. Les deux Généraux y périr ent,, i n'échappa au fer des vainqueurs que ix mille huit cents Sarafins, qui fe aattant en retraite avec courage, gamerent la ville de Synnade, oü les lomains n'oferent les affiéger. Ils en brtirent les jours fuivants, & alleent rejoindre Soliman campé prés de fyanes. Ceguerrier, peu accoutiuné ux revers, affligé de la perte qu'il  du Bas-Empire. Liv. LXIII. 369 avoit faite, retoiirna en Syrië. Les Sarafins d'Afrique avoient déja tenté plufieurs fois de s'établir en Sicile. Ils renouvellerent leurs entreprifes pendant ces années. Bafchar paffa dans 1'ifle avec quelques troupes. Habib afliégea Syracufe, mais fans fuccès. Huit ans après, fon fils Abderrahman y fit encore une defcente, St ne quitta le pays qu'après en avoir ravagé une grande étendue. Tandis que Léon continuoit de détruire les faintes Images, un furieux tremblement de terre abattit les ftatues des Empereurs a Conftantinople. Le 16 O&obre de 1'an 740 , fur les trois heures après midi, la terre fe föuleva par des fecoufles redoublées, détruifit quantité de maifons, de portiques, d'Eglifes, de Monafteres , & fit tomber les ftatues de Conftantin , de Théodofe le Grand, & d'Arcadius. Les murs de Conftantinople s'écroulerent du coté du continent; la plus grande partie du peuple s'enfuit de la ville, & fe logea dans des baraques au milieu de la campagne. La Thrace fut couverte de ruines; Nicomédie & Prénete en Bjthynie furent renver9. v LÉON III. Ann. 739. Ann. 740. LXIL Tremblement de terre a Conftantinople.Theoph, 346. Cedr. p. 457,453. Hifi. mifi. I. 2,1. Nieeph, pl 38. Zon. 1. 11, p. I©5 » 106. Elmacin. L 1. «. J7.  Léon III Ann. 740 Ann. 741. LXIU. Le Pape a recours a Charles Martel contre les Lombards. Anafl. in Zacharia. Paul diac. I 6. c. 53. & feqq. Aimoin. /, 4- f. 5'7. S7ö Histoire fées; de toute la ville de Nicée, il ' ne refta d'entier qu une Eglife. Ce tremblement fe fit fentir a diverfes reprifes pendant le cours d'une année , & s'étendit jufqu'aux extrêmités de 1'Orient. En Egypte, des villes entieres furent abymées avec leurs habitants , & la mer perpétuellement agitée engloutit quantité de vaiffeaux. Ce terrible fléau fit périr un nombre innombrable d'hommes & d'animaux. L'Empereur augmenta d'un douzieme la capitation du peuple de Confiantinople pour la réparation des murailles , & 1'impöt fubfifla toujours , lors même qu'elles furent réparées. Tout fembloit concourir k détacher de 1'Empire Rome & 1'Italie. On n'obéifibit qu'a regret k un Prince héréfiarque & perfécuteur : c'étoit pour Liutprand, habile k profiter des conjonctures, une occafion de s'agrandir. La révolte de Trafimond , Duc de Spolete , qui fe fentant trop foible pour réfifier, s'étoit réfugié k Rome, fourniflbit k Liutprand un prétexte plaufible d'attaquer les Romains. Le Roi les fomma dê lui livrer le rebel-  nu Bas-Empirs. Liv. LXÏ1I. 3$* le, & fur leur refus, il entra dans le Duché de Rome, pillalesterres, fe I rendit maitre de quatre places , &: retourna enfuite a Pavie. A peine futil retiré, que les Romains fe joigni- J rent a Trafimond, Sde rétablirent dans fan Duché. La guerre étant déclarée ; entre Liutprand & les Romains , le • Pape craignit que Rome ne fuccom- ; bat aux attaques des Lombards, fi elle n'étoit puiffamment fecourue. II 1 ne pouvoit avoir recours a 1'Empe- 1 reur, dont il avoit encore plus a craindre que du Roi des Lombards. Dans cette extrSmité, il crut ne pouvoir s'adreffer qu'a Charles Martel, dont les forces imprimoient du refpeft a tous les peuples voifms. II lui envoya une ambaflade folemnelle, qui fut regue avec magnifkence. C'étoit de la part du Pape une aftion de fouverainetc qui n'avoit pas encore d'exemple. Deux Nonces apportoient a Charles les clefs du tombeau de Saint Pierre, & une petite portion de fes Hens, felon Pu fage de 1'Eglife de Rome, qui, dansles préfents qu'elle fait, a toujours confervé la fimplicité du faint Apötre. Ces préfents étoient acconv; Q. v j ÉON III. .nn. 74'. Baronius. Pagi ad tar. Murat. nn. SltaU , IV. p. ,71,282, ■84) 287, .88. Abrégé de 'hifi. d'lal. t. 1. p. (4* > 343» i44-  Léon UI. Ann. 741. i 1 i < 1 1 r l y / ti d P ti L ai g< 1'< 3?a^ H1 s t 0 r R e pagnés d'une lettre concue en termes pathetiques. Le Pape repréfentoit k Charles , qu'il appelloit le nis de Saint Pierre & le fien, les hoftilités de Liutprand; il tachoit d'allumer fa colere en lui rapportant le mépris que les Lombards faifoient des Franeois. Saint Pierre % difoit-il, ejl bien afe{ puijfant iour defendre fon hêritage; mais il veui vous en la,f er la gloire & le mérite. Noneulement il fit porter a Charles 1'éendard de Saint Pierre, qui étoit 1'eneigne des défenfeurs de 1'Eglife & :omme leur inveftiture, mais il fiufibit fa lettre par ces mors: Nous ous conjurons par le Dieu vivant & véitable, CV par les clefs très-facrées de 1 confejfion de Saint Pierre , que nous ous envoyons comme les marqués de la mveraineté, de ne pointpréfêrer l'amièdu Roi des Lombards a celle du Prince '■s Apótres. A ces conditions , il lui romettoit la vie éterneile. Cette lete fait dire a Baronius, que Grêgoire 'Jfema dans les larmes, & que fes fucTeurs moijfonnerent dans la joie. 11 fam ouer que dans cette occafion, Gréire renoncoit fans déguifement k 'beuTance qu'il devoit a fon légitime  dv Bas-Empire. Liv. LX1II. 373 Souverain. Le Sénat & le peuple de Rome avoient auffi envoyé des députés, chargés de préfenter au Prince Francois un décret, par Iequel ils lui conféroient la dignité de Conful & de Patrice. C'étoit mettre Charles a la place des Exarques. II eft vrai que Pautorité des Exarques, quoique fouveraine, étoit fubordonnée a celle des Empereurs; mais n'étoit-ce pas méconnoitre Pautorité des Empereurs, que de leur donner des repréfentants fans leur aveu , & même contre leur gré ? Charles, après avoir comblé d'honneurs les Nonces du Pape Sc les Députés de Rome , les fit accompagner a leur retour par Grimon, Abbé de Corbie, & par Sigebert, Moine de Saint Denys , qui portoient au Pape de riches préfents. Mais deux raifons Pempêcherent de prendre les armes contre les Lombards , comme le Pape & les Romains le demandoient. Ce Prince fier, que fes grands exploits & fes qualités héroïques mettoient alors au-deflus de tous les Souverains, étoit fans doute peu flatté du titre de Patrice , qui fembloit le ren» dre un des Officiers de la Cour de léon nr. Ann. 74 ï-.  LÉON III. Ann. 741. LXIV. Entreprife fur Boiogne. 374 Histoire Conftantinople. D'ailleurs, il étoit lié avec Liutprand de 1'amitié la plus intime. Le Roi des Lombards avoit adopté fon fils Pepin , & 1'avoit fecouru contre les Sarafins. II eft donc très-vraifemblableque Charles fe contenta d'employer fon crédit auprès de lui, pour Pengager k ménager les Romains : ce qu'il n'étoit pas difficile d'obtenir. Liutprand ne manquoit pas de refpect pour le Saint Siege ; il vouloit feulement, difoit-il, faire fentir aux Romains le tort qu'ils avoient de foutenir des rebelles. La froideur de Charles Martel laiffa les Romains dans la dépendance de 1'Empire. Ils réfolurent d'agir par eux-mêmes contre les Lombards. Mais leur coup d'effai ne fut pas heureux, Agathon, Duc de Péroufe, entreprit de reprendre Bologne, dont Liutprand étoit maitre depuis plus de dix ans. II fe mit k la tête des troupes de Rome , & fe préfenta devant la ville. Les habitants commandés par trois braves Capitaines Lombards, firent fur lui une fi furieufe fortie, qu'en un moment fa petite armée fut taillés en pieces.  du Das-Empire. Liv. LXHI. 375 Cette année eft remarquable par la mort des trois plus grands perfonnages qui fuffent alors , 1'Empereur Léon , Charles Martel, & Grêgoire III. Léon mourut le premier, d'une hydropifie , ou felon d'autres Auteurs, d'une dyflenterie le 18 Juin, après un regne de 24 ans 2 mois & 25 jours. II fut anterré dans 1'Eglife des faints Apötres. II eut fans doute été plus heureux, s'il fut demeuré dans un rang inférieur. Elevé de la pouftiere au faïte des grandeurs hu« maines, une vanité déplacée étoufïa fon courage, & fit d'un Prince guerrier un odieux perfécuteur. Sa prévention contre les images, les reliques & 1'invocation des Saints , & fa haine contre les Papes , lui ont fait trouver grace auprès de quelques Ecrivains Proteftants; ils vont jufqu'a lui donner des éloges ainli qu'a fon fils. On peut croire fans témérité, que les Orthodoxes, feuls auteurs qui nous reftent de fon hiftoire & de celle de fon fils, ont chargé le portrait de fes vices; mais on ne peut le juftifier d'impiété & de cruauté, Léon laifla deux enfants, Anne , fem- LÉON III. Ann. 741- LXV. Mort de Léon, Theoph, p, 346. Cedr. p. 458. Hifi. mjfc* l. 2It  Léon III. Ann. 741. 37<5 Fl I S T 0 1 R E, &c, me d'Artabaze, & Conftantin fon fucceffeur , agé de zi ans, & qui avoit recu le titre d'Empereur un an après fa naiffance.  377 SOMMAIRE LIVRE SOIXANTE-QUATRIEME, i. J^öli t 1q_ve des Papes. II. /'dü; en/re /e Pa/?e c> Liutprand. III. -Le Pö/>e réconcilie Liutprand avec tEmpire. IV. Impièti de Conftantin. V. Révolte a*Artaba^e. VI. Artaba^e Empereur. VII. a"Artaba{e. vill. Conftantin affiege Conjlantinople. IX. X. /Vi/è Conjlantinople. XI. Co/z<^«^e df« Pa/^ê a C égard de Conftantin. XII. Exploits de Conftantin. XIII. i/orn'We /-£/?<;. XIV. Pai/ze- entreprife des Sarafins fur F Ifle de Cypre. XV. Conduite du Pape Zacharie. XVI. Commencement •des Abbajftdes. XVII. Zacharie contribue d Féleclion de Pepin. XVIII. Extinclion de lExarchat. XIX. Entreprife tfAftolf fur Rome. XX. Députation de VEmpereur au Roi des Lombards. XXI. Nêgociation du Pape avec Pepin. XXII. Le Pape d Pavie. XXin. U vient en.  37^ SOMMAIRE France. XXIV. Guerre de Pepin contre Afiolf. xxv. Concile qui condamne le culte des Images. XXVI. Conjlantin, Patriarche de Conjlantinople. XXVH. Cloture du Concile. XXVin. AJlolf recommence la guerre. XXIX. 11 ajfiege Rome. XXX. Pepin en Italië. XXXI. Donation de Pepin au Saint Siege. XXXII. Caracleres de cette donation. XXXIII. Didier, Aoz" des Lombards. XXXIV. 1'Empire. XXXV. ƒ«mgwcj prand apprirent aux Romains, que le plus grand danger n'efl pas d'avoir un voifin puiffant, lorfqu'il eft magnanime & gênéreux. Tandis que Zacharie défendoit contre les Lombards les débris de 1'Empire prêt k expirer en Italië, Conftantin, k peine aflis fur le trone de fon pere, couroit rifque d'en être précipité, Elevé dans 1'impiété, k la-quelle fon caractere bouillant & emporté ajoutoit 1'audace & 1'infolence, il défendit de donner le nom de Saints 3 ceux que 1'Eglife invoquoit fous ce titre , de rendre aucun honneur è leurs reliques, d'implorer leurinterceffion, difant qu'ils n'avoient aucun pouvoir, & que la Sainte Vierge elle* rnêrne, digne k la vérité de refpecl  nu Bas-Empirb. Liv. LX1V. 3S9 pendant qu'elle portoit dans fon fein le Sauveur du monde, ne différoit en rien des autres femmes depuis fon enfantement. Pour infinuer ce blafphême, il fe fervoit d'une image grofliere & impie; montrant k fes courtifans une bourfe remplie d'or : Vous l'ejlimei beaucoup , leur difoitil; & la vuidant enfuite, mainienant, ajoutoit-il, vous nen faites plus aucun cas. II achevoit de profaner les Eglifes , & s'il y reftoit encore fur les murailles quelque pieufe repréfentation , échappée aux recherches de Léon, il la faifoit effacer, pour y peindre des chaffes & des courfes de chars. Paffionné pour les chevaux, & auffi dépravé dans fes goüts que dans fes mceurs, il ne trouvoit point de parfum plus agréable que la fiente & 1'urine de cheval; il s'en faifoit frotter tous les jours, & fes favoris n'auroient ofé approcher de fa perfonne, fans s'être parfumés de cette odeur; c'eft ce qui lui fit donner le furnom de Caballin. Abandonnéaux plus infames débauches , il ne pouvoit fouffrir la pureté de la vie religieufej il détruifok les monafteres ," R iij CONSTANTltïV. Ann. 74*; Baronïus w AJfemani bibl. or. t. 12.  COKSTANTINV. Ann, 742. V. Révolte d'Artabaze. 390 HlSTOIRE & perfécutoit les moines. Les prifons en étoient remplies; 1'habit noir, qui les diftinguoit alors, lui étoit en horreur. Fort contre Dieu feul, foible dans tout le refte, il fe livroit aux plus noires fuperftitions. Nourridès 1'enfance dans les fombres myfteres de la magie , ilinvoquoit les démons par des facriftces nocturnes; il confultoit les entrailles des victimes ; un fonge, un finiftre préfage le faifoit palir d'effroi; il n'étoif ni chrétien, ni juif, ni payen ; fa religion étoit un monftre compofé de toutes les autres fans en repréfenter aucune. Ce caradtere, qui 1'avoit déja rendu aufli odieux que méprifable du vivant de fon pere, foulevoit contre lui tous les efprits. Artabaze Curopalate , qui fe trouvoit li prés du tröne par fon mariage avec Anne, fille de Léon, crtit n'avoir qu'un pas a faire pour y monter. Les Sarafins étoient entrés dans 1'Afie mineure; 1'Empereur réfolu de marcher contr'eux , partit de Conftantinople le 27 Juin de la feconde année de fon regne, & alla camper prés de Crafe en Phrygie. Artabaze étoit alors ayec  du Bas-Empire. Liv. LXIV. 391 quelques troupes a Dorylée dans la même Province. Conftantin voulant s'affurer de fa fidélité, lui envoya demander fes deux fils; il defiroit, difoit-il, les avoir auprès de fa perfonre, comme des neveux qu'il chériffoit. Artabaze fentit bien que c'étoient des ótages qu'on lui demandoit; & fans balancer davantage , il fe mit en marche pour aller combattre Conftantin. II rencontra en chemin Béfer fuivi d'une grande partie de 1'armée impériale; il 1'attaque, le défait, 8c le tue. Conftantin prend 1'épouvante, & fe réfugié dans Amorium. Ne fe croyant pas en füreté dans cette ville, il paffe dans la Phrygie Pacatienne. Longin, Gouverneur de cette Province , & Sifinnius qui commandoit en Lydie, viennent le joindre avec leurs troupes, & jurent de lui êtrefideles jufqu'a la mort. C'étoient deux Capitaines expérimentés & pleins de bravoure , qui foutinrent fur fa tête la couronne prête a tomber. Cependant Artabaze travailloit k fe rendre maïtre de Conftantinople. H avoit gagné le Patrice Théophane \ Monotès, a qui 1'Empereur avoit conR iy CONSTANTIHV. Ann. 741,' VL Artabaze ïmpeeur.  Constant-in V. Ann. 742, 392 HlSTOIRE ne le gouvernement de la ville en fon abfence. Théophane aflemble le peuple dansSainte-Sophie,& déclare que Conftantin a été tué , & Artabaze falué Empereur par le fuffrage unanime de toutes les Provinces d'A-fie; il confirme ce menfonge par une lettre d'Artabaze & par le témoignage du Silentiaire Thalaflius, qui venoit, difoit-il, en donner avis. On recoit cette nouvelle avec des tranfports de joie; on accable Conftantin de malédicïions; on rend graces k Dieu d'avoir délivré 1'Empire d'un tyran, & 1'Eglife d'un perfécuteur. Le Patriarche Anaftafe, créature de Léon , mais aufli ingrat envers fes bienfaicteurs & fes maitres, qu'infidele k fa religion, enflamme encore 1'indignation pubüque. II monte dans Ia tribune, & un crucifix a la main: Chrétiens, écoute^, s'écria-t-il, afin que >ous fachie^ quel Empereur vous venei! ie perdre. Voici ce que /ai entendu de 'a. bouche de Copronyme, & /en prends 1 temoin celui que vous voye^ attaché d •■ettecroix. Garde^-vous de croire, m'a'ril dit, que ce fils de Marie qu'on nomne le Ch'rlü, foit fils de Dieu ; il étoit  du Bas-Empire. Liv. LX1K 393 ainfi que moi un pur homme ; il riy a nulle diffirence entre fa naiffance & la mi enne; ma mere sappelloit auffi Mam. A eet exécrable blafphême, tout le peuple frémit d'horreur; on proclama Empereur Artabaze, que Léon, quoique fon beau-pere, n'avoit jamais pu entraïner dans fes erreurs. Théophane envoya en Thrace fon fils Nicéphore, Duc de cette Province , pour en amener les troupes a Conftantinople ; il ferme les portes de la ville, diftribue des gardes fur les murailles, fait battre de verges, rafer & jetter dans des cachots tous ceux qu'il foupconne d'être attachés a Conftantin. Artabaze avec fes troupes vient prendre poffeflion de Conftantinople ; Conftantin le fait, & s'avance jufqu'a Chryfopolis; 1'approche de ce Prince qu'on avoit cru mort, étonne les efprits, mais ne les change pas, Comme il ne fe faifoit aucun mouvement en fa faveur, 1'année étam trop avancée pour entreprendre ur fiege fi difficile , il reprend la rou te d'Amorium , oü il paffe 1'hy^ ver. Artabaze fait ufage de fa nou yellc autorité, pour rétablir dan R y ConstantenV. Ann. 742J l >  CONSTANTIK V. Ann. 743. VIL Défaire d'Artabaze. Theoph. p, 34*, 34-7, 3 5o&/e??. & ibi not. Cedr. p, 4S6, 461. Niceph. p. 39- 40. Anafi. in Zae. Hifi.mifc. I, 22. Zon. t. II. p. 107, 108. ^ lilanajf. p, s9. Glycas, p. 284. £aronlus. Pagi ad Bar. Du Cange ', fam. Byi, j p. 124. Fleury, J hifi. Ecclef. < l- 42. art. j 4v, , ï Aorége' de * 394 HlSTOliXB toutes les villes le culte des imao-ey. Les deux Empereurs , également aveuglés par la rage qui les animoit Puft contre 1'autre , implorerent a f envi le fecours du plus mortel ennemi des_ Romains. Le Calife Hefcham avoit deux ans auparavant fait mafTacrer les prifonniers Chrétiens; Euftathe, fils du Patrice Marin, retenu dans les fers a Carrhes en Méfopotamie, avoit fouffert une mort cruelle avec beaucoup d'autres, paree qu'ils refufoient d'embraffer le Mahométifme. Oualid, qui venoit de fuccéder a Hefcham fon pere, & qui n'étoit pas moins altéré du fang des Chrétiens, ne fongeoit qu'a profiter des divifions de 1'Empire. Loin de fecourir aucun des deux contendants, il envoya Gamer ravager les terres des Romains; & fans les guerres ciciles qui s'é'everent auffi en ce temps'a entre les Sarafins, &c qui détruifi■ent enfin la maifon des Ommiades, 'Afie entiere eut été la proie des 3arbares. Mais les deux rivaux, aharnés l'un fur 1'autre, ne connoifbient point d'autre ennemi. Arta'aze donna !a -couronne impériale è  du Bas-Empire. Liv. LXIF. 395 Nicéphore fon nis aïné, & envoya 1'autre, nommé Nicétas , pour commander les troupes en Arménie. II paffa lui-même le Bofphore au mois de Mai, fit des levées en Afie , & ravagea les pays qui refufoient de le reconnoitre. A cette nouvelle, Conftantin fe met en marche, & le rencontre prés de Sardes, comme il revenoit de la plaine de Cilbiane qu'il avoit dévafiée. L'armée dArtabaze eft taillée en pieces ; on lui prend fes bagages, on le pourfuit jufqu'a Cyzique. Artabaze fe jette dans un vaiffeau de courfe, & s'enfuit a Conftantinople. Au mois d'Aoütfuivant, fon fils Nicétas fut encore vaincu dans une grande bataille prés de Comopolis en Bithynie. Le Patrice Tiridate, Arménien , coufin dArtabaze , y perdit la vie après avoir fignalé ia valeur; & les troupes d'Arménie, déterminées a mourir pour le fervice de leur compatriote , furent prefque entiérement détruites : c'étoit .depuis •long-temps la fleur des armées Ro' maines. On vit dans cette guerre tou tes les horreurs des guerres civiles Les freres armés contre les freres , R vj Constanten V. Ann. 743. Vhifl. £1- 333 . 334-  Cons- tant1n V. Ann, 743. VIIT. Conftantin affiege Conftantinople. ] 39<5 ffirroiRB les fits contre les peres verfoient leirf propre fang, brüloient leurs propres maifons, & ruinoient leurs families, pour fervir des Princes, l'un ingrat &C rempli de vices, 1'autre fbible & fans vertu. ■ Après cette victoire, Conftantin réfolut de fe remettre en poffeffion de fa capitale. II s'approcha de Chalcédoine au mois de Septembre , & paffa en Thrace par le Bofphore, tandis que Sifinnius, après avoir traverfél'Hellefpont devant Abyde,s'avancoit vers Conftantinople en cötoyant la Propontide. L'Empereur ayant tourné le golfe de Céras, vint foindre Sifinnius devant les murs de !a ville, & s'étant montré aux habitants , il établit fon camp vers la pointe du golfe, & ferma toute commuïicatión du cöté de la terre. Arta>aze qui paroit avoir manqué d'ha)ileté dans toute la conduite de cette ;uerre, n'ayant pas eu foin de rem>lir les magafins, la ville fe vit bienöt réduite a la difette. L'unique refburce étoit de faire venir des vivres le 1'Afie ; encore failoit-il les aller hercher fort loin, les contrées Yoi-  du Bas-Empire. Liv. LXir. 397 fines étant entiérement ravagées. Artabaze envoya donc des barques légeres fur les cótes de Lesbos Sc de la Lydie, fous la conduite de deux Officiers. Conftantin avoit k fon fervice quelques vaiffeaux dé Lycie, qu'il avoit employés k faire paffer fon armée en Thrace, & celle de Sifinnius dans la Cherfonefe. 11 leur donna ordre de fe tenir en embufcade k 1'entrée de PHellefpont, & de faifir les barques k leur retour; ce qui fut exécuté. Elles furent prifes &amenées k Conftantin, qui diftribua k fes foldats les provifions dont elles étoient chargées, & fit crever les yeux aux deux Officiers. La voie de la mer étant fermée, il falloit pour introduire des convois, déboucher les paffages du cöté de la terre. Artabaze fe mit donc k la tête de tout ce qui reftoit k Conftantinople de foldats & d'habitants en état de combattre; & fit une fortie : mais il fut repouffé avec grand carnage. 11 perdit dans ce combat Théophane Monotès, dont le zele & le courage faifoit le principal foutien de fon parti, II fut plus heureux k fe défaire des CONSTANTIffV. Ann. 743; IX. Suite dti fiege.  Coss- TAJSTIN V. Ann. 74j. " >i 1 1 'i 1 3 1 } i I 398 H I S T 0 I R E vaiffeaux Lyciens, qui étant entrés dans le golfe , menacoient la ville de ce cóté-la. Des brülots de feu grégeois les obligerent de regagner le canal du Bofphore. Mais la famine croiffoit tous les jours; le boiffeau d'orge valoit douze pieces d'or; celui de millet en valoit huit; cinq livres d'huile, une; & le feptier de vin , la moitié. La piece d'or s'eftime entre treize & quatorze livres de notre monnoie courante. Grand nombre d'habitants moururent de faim; quelques-uns fe précipiterent du haut des murailles; il y en eut qui trouverent tnoyen de s'évader en corrompant les gardes des portes, & Conflamin les recevoit avec bonté. Enfin, Artabaze lonna la liberté de fortir k tous ceux nii n'étoient pas capables de défenIre la ville; & malgré le foin qu'on >renoit de les examiner aux portes, 1 s'en «chappa beaucoup déguifés en noines ou en femmes. Cependant Nicétas ayant recueilli les débris de a défaite de Comopolis , s'avanca ufqu'au Bofphore; mais comme il etournoit fur fes pas, ne voyant .ucun moyen de fecourir la ville ,  nu Bas-Empikë. Liv. LXIF. 399 1'Empereur paffa le détroit avec un gros detachement, & 1'ayant atteint prés de Nicomédie, il le battit & le fit prifonnier avec Marcellius , qui d'Archevêque de Gangres s'étoit fait Intendant de 1'armée. Le Prélat rébelle eut fur le champ la tête tranchée; Nicétas, chargé de fers, fut donné en fpecracle k fon pere aux pieds des murs de Conftantinople. Enfin, le fecond de Novembre, Conftantin ayant donné 1'affaut au commencement de la nuit, forga la ville, & s'en rendit maitre. Artabaze fe fauva par mer, & gagna Nicée, oü il raffembla encore quelques troupes, avec lefquelles il allafe renfermer dans le fort de Puzane. Mais il y fut bientöt afliégé, & pris par un détachement, qui le conduifit a Conftantinople. On lui creva les yeux, ainfi qu'a fes deux fils. Le Patrice Bactage, principal miniftre d'Artabaze , fut décapité dans Pamphithéatre; fa tête demeura fufpendue pendant trois jours au milliaire, dans la grande place de 1'Auguftéon. Cette vengeance n'éteignit pas la haine de Conftantin. Trente ans après , ce CONST/NTIN V. A.nn. 743, X. Prife de Conftantinople.  ConstantenV. inn. 74J. .1 400 HlSTOlRE Prince quin'oublioitque les fervices," croyant avoir a fe plaindre de la veuve^ de Bactage , 1'obligea d'aller ellemême déterrer les os de fon mari, qu'elle avoit fait inhumer dans un monaftere, & de les porter dans fa robe au Iieu oh 1'on jettoit les corps des criminels. II ne fit grace k aucun des Sénateurs qui avoient fuivi le parti d'Artabaze; il fit mourir les uns, crever les yeux aux autres, couper aux autres les pieds & les mains. II permit aux Officiers des troupes étrangeres, qu'il avoit k fa folde, de piller les maifons; en un mot, la ville n'auroit guere éprouvé plus de rigueurs, fi elle eut été faccagée par un conquérant barbare. Ces cruelles exécutions furent fuivies des jeux du Cirque; il y fit promener Artabaze chargé de fers avec fes fils & fes amis, tnontés chacun fur un ane, levifage tourné vers Ia queue, qu'ils tenoient ?ntre les mains; on traüa de même 'e Patriarche Anaftafe qui fe reflburint alors de la prédiction de Gernain ; on luicreva les yeux comme i tous les autres. Cependant après in chatiraent fi outrageant, Conftan-  nu Bas-Empire. Liv. LXIF. 401 tin lelaifla, tout aveugle qu'il étoit, fur le fiege de Conftantinople, n'efpérant trouver aucun Prélat fi favorable a fes erreurs. II étoit redevable de fon rétabliffement aux confeils & k la valeur de Sifinnius, qui d'ailleurs étoit fon coulin & fon ami. Tant de titres ne purent fouftraire ce brave guerrier k la barbarie de ce méchant Prince. Sur un léger foupcon , Conftantin lui fit crever les yeux, quarante jours après que Sifinnius Feut remis en poflefïion de 1'Empire; & cette noire ingratitude couronna toutes les cruautés qui furent la fuite de fes fuccès. La victoire de Conftantin affligea prefque tout 1'Empire. On 1'avoit vu avec joie combattu par un rival Orthodoxe , qui alloit rendre la paix a 1'Eglife perfécutée depuis plus de quinze ans. L'Italie fur-tout avoit reconnu pour Empereur Artabaze , comme il paroit par la date d'un Concile tenu k Rome en 743. Mais le Pape Zacharie, adroit politique, s'étoit mé nagé une reflburce en tout événement. Dès fon entrée au pontificat, i avoit fait porter a Conftantinople fe: CONSTANTINV. Ann. 74J.' xr. Conduite du Fape a l'égard de Conftantin. Theoph. pl 350 Sr ibi, nou Anaft. in Zae. Hifi. mifii l. 22. Baronius.^ Pagi ad Bar. I Fleury,  CONSTANTIN V, Ann. 743, hifi. ecclef. 1. 42. art. 4'- Abre'ge' de Vhifi. d'l- tal. t. 1. p, 33*. 334. 336. J i Ann. 746. ( XII. c Exploits j de Conftantin.Theoph. p, \ 3J4. 402 HlSTQIRE lettres fynodiques felon 1'ufage, pour difpofer 1'Empereur a favorifer ia faine doctrine. Mais ayant appris la révolte, il envoya ordre k fon Nonce de fe tenir caché dans la ville, & de ne préiènter fes lettres qu'après la querelle terminée , k celui qui demeureroit vamqueur. Cependant il datoit fes lettres particulieres du regne d'Artabaze. Conftantin rétabli fut bon gré au Nonce de la conduite ; d'ailleurs , il avoit befoin du Pape pour conferver 1'Italie. II fit préfent a 1'Eglife Romaine de deux terres confidérables du domaine impérial ; c'étoit une marqué de bienveillance Sc non pas de communion. II étoit réfolu defuivre les fraces de fon pere, Sc d'aller même encore plus loin. II inathématifa publiquement Jean Danafcene, Sc renouvella eet anathêne tous les ans, tant que vécut ce aint Dofteur, qui mourut en 760. (Les divifions des Sarafins, qui fe léchiroient mutuellement par des uerres fanglantes, donnerent a Confantin occafion de reprendre Germaicie Sc Doliché dans la Comagene. ■es Arabes établis dans ces deux  nu Bas-Empire- Liv. LXIV. 4° 3 villes fe rendirent fans réfiftance, & furent tranfportés en Thrace avec un affez grand nombre de Syriens, hérétiques de la feöe d'Eutychès , qui porterent avec eux & conferverent lone-temps leur héréfie. Conftantin n'étóit intolérant qu'a l'égard des Orthodoxes. L'Ifaurie oü fon pere étoit né, étant voifine de la Comagene , on trouva dans cette contrée plufieurs parents de 1'Empereur, qu'on fit paffer a Conftantinople. On rapporte qu'en 746, 1'air -fut couvert d'une épaiffe obfcurité depuis le dixieme d'Aoüt jufqu'au quinzieme. Ce phénomene ne fit qu'une impreffion légere au milieu des_ maux qu'éprouvoit alors Conftantinople. Une contagion meurtriere née en Sicile & en Calabre, s'étendit de proche en proche dans la Grece, dans les ifles de la mer Egée, & enfin dans la ville impériale. Elle s'annon?a pai des marqués femblables a des taches d'huile, qui s'imprimoient en forme de petites croix fiir les habits, fur leportes & fur les murailles des habitations & des Eglifes. Ce figne fu fitivi d'un fymptöme tout - a - fai Con8- tant1n V. Ann, iifiu Cedr. p. 461. Hifi. mifi. 1. 21. Zon. t. 11. p. 10S. Affemani Ital. hifi. fiript, t. II, Ann. 747. XIII. Horrible pefte. Theoph. p. 354, 555. Cedr. p. 462. Niceph. gf. 40 . 41Theod. Studit. < orat. pro. , Sto.Platlf , ne. ■ Hifi. mifi, : I.aa.  CONSTANT5N V. Ann. 747. Zon. t. ƒƒ, F- 10S. Glycas, p, 284. Conft. Porphyr. eaucoup mieux aimé que Pepin eut >afie les Alpes avec une armée. Aufii n renvoyant Droctegand avec une ettre pleine de remerciments, il en dreffoit une autreaux Seigneurs Franois , oü il les conjuroit au nom de )ieu, de Jefus-Chrift, & par le juement dernier, de 1'aider de leurs 3llicitations auprès du Roi pour 1'enager a venir au fecours de Saint ierre. Dans ce même temps arrivé;nt les Députés que le Pape avoit ivoyés a Conftantinople ; ils lui ïndirent compte des propofitions -i'Aftolf faifoit a 1'Empereur : ce  du Bjs-Empixb. Liv. LX/V. 417 n'étoientque des prétentions auffi injuftes & auffi dangereufes que la guerre même. Avec eux revenoit Jean le Silentiaire chargé d'un ordre au Pape , d'aller lui - même trouver le Roi Lombard, & de faire inftance pour retirer de fes mains Ravenne & les autres villes du domaine de 1'Empire. Quoique le Pape n'efpérat rien de eette entrevue, il fe mit en devoir d'obéir , & obtint d'Aftolf un faufconduit pour lui & pour fa fuite. Comme il fe préparoit au départ, deux nouveaux Députés de Pepin arriverentaRome; c'étoient Chrodegands Evêque de Metz, & le Duc Autchaire , qui avoient ordre de 1'amener en France. Ils 1'accompagnerent a Pavie. Le Pape fortit de Rome le 14 Oftobre avec un nombreux cor» tege, au milieu des larmes & des gémiffements du peuple qui s'efforcoit de le retenir, craignant pour lui les emportements d'un Prince violent & peu religieux. II trouva fur fa route les mêmes allarmes dans les habitants des villes voifines , qui accouroient en fcule fur fon paflage. Etienne les S v CONSTANT1N V. Ann. 753. xxir. Le Pape a Pavie.  Constant/inV. Ann. 753. j | i t 418 HlSTOIRE confolant & les raffurant par fes paroles, continua fon voyage; & comme il approchoit de Pavie, Aftolf lui envoya dire , qu'il fe gardat bien de lui parler de la reftitution de Ravenne & des places qu'il polTédoit par le droit de Ja guerre. Le Pape répondit hardiment, que la crainte ne lui fermeroit jamais la touche, torfque fon devoir l'obligeroit de parler. Arrivé k Pavie, il mit tout en ceuvre pour engager le Roi a rendre ce qu'il retenoit injuftement. Préfents , larmes , prieres, tout fut inutile. Lesremontrances du Silentiaire & les lettres de 1'Empereur n'eurent pas plus de fuccès. Les Députés Francois voyant Aftolf opiniatre dans fes refus, infiftoient fortement pour obtenir du moins qu'il permit au Pape de paffer en France. Le Lombard, qui crai;moit les fuites de ce voyage, fit tous es efforts pour en détourner le Pape. Viais le trouvant inébranlable dans :ette réfolution , & craignant d'aileurs de s'attirer la colere de Pepin, 'il s'obftinoit k y mettre obftacle , I y confentit enfin, & le Pape partit ie Pavie le 15 Novembre avec les  du Bas-Empirb. Liv. LXIV. 419 plus difiingués de fon Clergé. A peine étoit-il en chemin , que Ie Roi fe repentant de 1'avoir laiffé partir , dépêcha des courriers pour le retenir. Mais Etienne avoit fait tant de diligence , qu'il paffa les Alpes avant qu'il puffent Patteindre. II fe rendit a Saint-Maurice en Valais, ou Pepin avoit promis de fe trouver; mais la révolte des Saxons ayant retenu ce Prince a 1'autre extrémité de fes Etats, 1'entrevue fe fit a Pontyon, maifon royale dans le Pertois. Charles, fils aïné de Pepin, alors dans fa douzieme année, vint au - devant du Pape avec plufieurs Seigneurs a la diftance de plus de trente lieues. Le Roi lui-même , accompagné de toute fa Cour, alla le recevoir a une lieue de Pontyon, oü il le conduifit avec tous les honneurs' dus au Chef de 1'Eglife. C'étoit le jour de l'Epiphanie. Le lendemain, le Paps avec fon Clergé, couvert de cendre, revêtu d'un cilice, & profterné en terre, conjura Pepin par la miféricorde du Dieu Tout-puiffant & par les mérites de Saint Pierre & de Saint Paul, de 1'affranchir lui & Ie S vj Constanten V. Ann. 755. Ann. 754. xxm. II vient en France.  ConstantenV. Ann. 754. 420 fflSTOIRS peuple Romain de la tyrannie du Roi des Lombards. II ne voulut fe lever de terre, qu'après que Pepin, fes fils & les principaux Seigneurs lui eurent préfente la main, comme une aflurance de leur fecours & de fa délivrance. Ce fut alors que dans un entretien fecret, le Roi promit auPape avec ferment qu'il le protégeroit de tout fon pouvoir, & qu'après avoir retiré 1'Exarchat & la Pentapole des mains des Lombards , au-lieu de rendre ces contrées a 1'Empereur, il en feroit préfent a Saint Pierre & a fes fucceflëurs. II eft difncile de croire que Saint Pierre ait accepté cette donation. Le Roi donnoit & le Pape recevoit ce qui appartenoit a 1'Empereur , alors Souverain légitime du Pape. Conftantin étoit hérétique; il étoit hors d'état de défendre 1'Italie; mais ni 1'héréfie, ni la foibleffe ne donnoit aux autres aucun droit fur fes Etats. Ce n'eft que le confentement tacite des fucceflëurs de Conftantin & la durée d'une poffefïïon non conteftée , qui peut avoir légitime eette donation dans les fucceflëurs d'Etienne. La libéralité du Roi Fran-  nu Bas-Empirb. Lh. LXIF. 421 cois n'étoit pas fimplement 1'efFet de fon zele pour le Saint Siege; Pautorité du Pape pouvoit alors être d'un grand poids pour affurer fur fa tête la couronne qu'il avoit ufurpée. D'ailleurs, il prévoyoit qu'un e révolution qui dépouilleroit les Rois Lombards r tourneroit au profit des Rois de France. La reconnoiflance du Pape s'empreffa de feconder les defirs de fon bienfaiteur. II accorda fans difHculté k Pepin Pabfolution du parjure dont il s'étoit rendu coupable en violant le ferment de fidélité fait k Childeric. Quoique le Roi eut déja recu Fonétion facrée des mains de Boniface , Archevêque de Mayence, le Pape renouvella cette augufte cérémonie le 28 Juillet dans 1'Eglife de Saint-Denys, &facra en même-temps la Reine & fes deux fils. II prononca folemnellement une fentence d'excommunication contre les Seigneurs 'qui entreprendroient k 1'avenir d'élever fur le tröne une autre familie ; il déclara Pepin & fes enfants Patrices de Rome. Le Pape étant relevé d'une dangereufe maladie, dont il fut attaqué Constant/in V. Ann. 754. XXIV. Guerre  CONSTAKTINV. Ann. 754. de Pépin contre Aftolf. 1 j ] ] ] ] < 1 i I 1 ( 4*2 // ƒ S T 0 I R E dans ces conjonöures , Pepin députa au Roi Lombard, pour 1'exhorter a rendre ce qu'il avoit ufurpé; & fur fon refus, il convoqua un Parlement a Querfi-fur-Oife, oü la guerre contre Aftolf fut réfolue, s'il ne fatiffaifoit le Pape. La donation faite a 1'Eglife Romaine fut publiée dans cette affemblée en préfence des Seigneurs Francois, & confirmée par leur fuffrage. Le confentement ne fut pas cependant unanime. Eginhard nous apprend que plufieurs Seigneurs eurent Ia hardiefïe de déclarer hautement, qu'ils ne ferviroient pas le Roi lans cette guerre, & qu'ils fe retireroient de la Cour. II y étoient aplaremment engagés par Carloman , rere_ ainé de Pepin , qui ayant pris habit monaftique, & s'étant retiré au tfont-Caffin , fut forcé par le Roi des -ombards d'aller en France traverfer a négociation du Pape. Cette démarche de Carloman fut néanmoins inude ; la plus grande partie des Sei;neurs fe montra pleine d'ardeur pour e f:rvice du Saint Siege. Cependant 3 Pape, pour épargner le fang des ,hretiens, engagea le Roiaprendre  nu Bas-Empire. Liv. LXIF. 423 encore les voies de douceur. Mais les réponfes fieres d'Aftolf, k qui on offrit douze mille fous d'or en dédommagement de fes prétentions, déter- minerent Pepin k fe mettre en marche. Arrivé fur la frontiere, il tenta pour la troifieme fois , mais en vain, d'engager Aftolf k relacher fa proie. Enfin, il forca ie paffage des Alpes , tailla en pieces 1'armée des Lombards, pourfuivit Aftolf jufqu'a Pavie , oü il le tint plufieurs jours étroitement afliégé. Enfin, le Lombard ne voyant plus de reflburce, offrit d'entrer en accommodement. II n'avoit pas accepté douze mille fous d'or avant la guerre , il confentit alors a en payer trente mille fur le champ , & cinq mille de tribut annuel. II s'engagea par ferment k remettre les places entre les mains du Pape, & donna quarante ötages pour füreté de fa parole. Le Pape qui connoiffoit Aftolf, auroit fouhaité que Pepin eut fait exécuter le traité avant fon départ; mais Papproche de 1'hyver fit craindre au Roi Francois que les neiges ne lui fermaffent le paffage des Alpes. II retourna en France , laifiant en Italië Fulrad, Abbé de Constanter V. Lnn. 754.  ConstantenV. Ann. 754. XXV. Concile qui condamne le culte des Images. Theoph. p. 358 , 359Niceph.p. 4*- Cedr. p. 463. Hifi. mifc. I. 22. Zon. torn. II. p. 108, 109. AHa Steph. Jun. Georg. Hamart. j Baronius. Pagi ad 1 Bar. I fleury, . hifi. ecclef. I. 43. art. ' 7,8. < Band. imp. t Or. t. II p. 404. ' Oriens \ Chrifl. t. • '« P- *37- Histoire Saint-Quentin , &Jéröme, fon frere naturel, pour reconduire le Pape a Rome, & pour faire évacuer 1'Exarchat & la Pentapole. Conftantin, au-lieu de charger le Pape de fes intéréts auprès du Roi desLombards, auroit dü par lui-même faire les derniers efforts pour retirer 1'Exarchat des mains d'Aftolf ,& pour s'affurer de 1'obéiffance du Pape même & des Romains , qui ne cherchoient qu'a lui échapper. La con[onaure étoit favorable. Les Sarafins, occupés de guerres civiles & de 1'é^abliffement de la nouvelle Dynaftie les Abbaffides, avoient fufpendu le :ours de leurs conquêtes & de leurs -avages. Mais ce Prince, plus jal oux de 'honneur de fes opinions, que de la ronfervation de fes Provinces, abatoit des images , lorfqu'il devoit fon;er W terrafler les Lombards ; au-lieu 1'aflembler des armées & de marcher 1 leur tête, il convoquoit des Coniles, & leur dictoit des décifions. Zette année 754, il manda tous les Lvêques d'Orient , pour prononcer m jugement définitif fur le culte des mages. Le palais d'Hérée, fitué en  du Bas-Empire. Liv. LXIF. 425 Afie fur le bord du Bofphore, visa-vis de Conftantinople , fut choili pour le lieu de i'afiemblée. II s'y trouva trois cents trente-huit Evêques , efclaves de la faveur ou de la crainte. Nul Patriarche n'y préfida. Anaftafe, Evêque de Conftantinople, digne d'en être le chef, étoit mort d'une colique, 8c le fiege étoit vacant. On n'y vit aucun des trois autres Patriarches, foit qu'ils fuffent retenus par les Sarafins dont ils étoient fujets, foit par mépris pour une cabale hérétique. Les Préfidents furent Théodofe, Evêque d'Ephefe, Exarque d'Orient, fils de Tibere Alfimare , 8e Sifinnius Paftillas, Evêque de Perge, tous deux livrés a 1'Empereur. La première feffion fe tint le 1 o Février, Se la derniere le 8 Aoüt. On y profcrivit le culte des images. Mais 1'Empereur ne put empêcher ces Evêques de reconnoitre pour une pieufe Se fainte pratique 1'invocation de la Sainte Vierge Se des Saints ; décifion contraire k la doctrine des Proteftants, qui donnent cependant de grands éloges a ce Concile. Germain, qui avoit été Patriarche de Conftantinople, Constanten V. Ann. 754.  ConstantenV. Ann. 754. XXVI. Conftantin , Patriarchede Conftantinople. i 426 Bis t 0 i r e George, Métropolitain de Cypre; & Jean Damafcene, y furent frappes d'anathême, comme les triumyirs de 1'idolatrie. Le huitieme d'Aoüt, Ie Concile étant terminé dans le palais d'Hérée, les Evêques pafTerent a Confïantinople; & pour donner plus d'éclat a cette affemblée, 1'Empereur marchant k la tête , la conduifit en grande pompe k 1'Eglife de Notre-Dame de Blaquernes , préparée auparavant k recevoir_ les ennemis des images. On ?n avoit dépouillé les murailles, pour V peindre despayfages & des oifeaux. Dn avoit jetté les reliques au feu ou lans Ia mer. Les Evêques ayant pris éurs places, 1'Empereur monta dans a tribune ; & après avoir invectivé :ontre 1'ancienne fuperftition que le Concile venoit, difoit-il, d'abolir par in jugement irrévocable , il fit moner un Moine , nommé comme lui Conftantin, & le möntrant k 1'afïem'lée, il s'écria : Longues années d Confmun , Patriarche écuménique; ce qui ut répété par les afïiftants. Ce futainfi [ue, fans aucune forme canonique, Conftantin fut reconnu Patriarche de  du Bas-Empire. Liv. LX.lV. 427 Conftantinople. Ce Moine avoit etc Evêque de Syllée en Pamphylie, Sc chaffé de fon fiege pour fa vic fcandaleufe. Mais fouple , complaifant, toujours prêt a facrifier fa religion a fa fortune , il fut plaire a 1'Empereur, qui ne vouloit pour amis que les efclaves de fes pafïions. En effet, on ne pouvoit mieux choifir le fuccefTeur d'Anaftafe. Pour rendre plus folemnelle la fen* tence du Concile, TEmpereur voulut qu'elle fut appuyée du fuffrage de toute la ville. Le 27 Aoüt, il affembla le peuple dans la place de 1'Auguftéon, & les Evêques s'y étant rendus s'écrierent tout d'une voix : Cejl aujourd!hui que le falut ejl donné au monde ; Prince, vous nous ave^ fauvés de fidoldtrie. Enfuite préfentant la croix, le livre des Evangiles & la fainte Euchariflie , ils firent jurer les afïiftants, qu'ils tiendroient pour idoles toutes les images , & pour idoldtres ceux qui les honoreroient; quils ne recevroient point la communion d'un Moine; que s'ils en renconiroient , ils ne lui rendroient point le falut ; qu'au contraire, ils ne lui rèpondroient que par des injures, & qu'ils CON). T.XJ» TJM V. Ann, 754. XXVII. Clöture da Conr cile.  Constant-in V. Ann. 754. xxvm. Aftolf re- ■ conimence Ia ' guerre. i Epifi. , Steph. Aimoin. I. ^ 4- ^ 63. 1 Anaft. in j Steph, 428 fflSTOIRE tui jetteroient dés pierres. Copronyme avoit les Moines en horreur, paree qu'ils étoient prefque les feuls qui euffent le courage de s'oppofer ouvertement a 1'impiété des Iconoclaftes. Ils furent bientöt après chaffés de Conftantinople, ou 1'on acheva d'abattre, de brifer, d'arracher, d'effacer tout ce qui reftoit d'images fur les autels, fur les murailles, fur les vafes & fur les ornements des Eglifes. En même-temps, desEdits furent envoyés par-tout 1'Empire, pour obliger les peuples a fe conformer aux décrets du Concile. Les Orthodöxes, menacés des plus rudes chatiments, Puyoient les uns en Italië, les aures entre le Pont-Euxin & la mer Cafpienne, en Cypre, fur les fron:ieres des Sarafins, ou 1'héréfie n'avo'it pas encore pénétré. Le Pape Etienne & les trois Paxiarches d'Orient condamnerent ce Zoncile; ils écrivirent a 1'Empereur, me cette "multitude d'Evêques, ef:laves de fes volontés, affemblés fans orme canonique, ne pouvoit autorièr Terreur contre la tradition confante de 1'Eglife. Conftantin n'en de-  nu Bas-Empire. Liv. LX1V. 429 vint que plus opiniatre ; & la perfêcution qui éclata pour lors avec plus de fureur, loin d'intimider 1'Italie, nefitqu'accroïtrele defir qu'elle avoit depuis long-temps de fecouer le joug d'un Prince hérétique. C'étoit malgré le Pape que Pepin s'étoit üé k la parole d'Aftolf; le Pape lui avoit prédit que le Lombard n'exécuteroit rien de ce qu'il promettoit. Auffi dès que les troupes Francoifes eurent repalTé les Alpes , Aftolf, loin de remettre au Pape les villes ftipulées par le traité, fe mit en campagne, & s'empara encore de plufieurs places. Irrité contre le Pape qui lui fufcitoit de fi puiffants ennemis, il ravagea les environs de Rome, fans épargner les Eglifes. A ces hoftilités, le Pape n'avoit a oppofer que le fecours de Pépin; il 1'implora par une lettre preffante, oü par un abus affez commun aux Papes de ce temps-la, il détourne le fens des divines écritures, pour en appliquer les paroles k des intéréts temporels. Cette lettre fut bientöt fuivie d'une autre , oü le Pape renouvellant fes inftances, avertiffoit le Roi que fon obligation étoit entre les mains de Constanten V. Ann. 754, Baronius. Pagi ad Bar. Dijfert. de le Blane fur la fow veraineu des Rois de France dansRome, Fleury, hifi. ecclef, l. 43. art. i 5 & fuiv. Giann. hifi. Nap. I. J. c. 1. Murat. an~ nal, d'Iul. t. IV. p. fuw. Ahrégé de Thift. £U tal. 1.1. p. 3Si» 3 S  ConstantenV. Arm. 755. XXIX. 11 affiege Rome. 430 HiSTOIRE Saint Pierre, qui la repréfenteroit au jour du jugement, fi Pépin manquoit de 1'accomplir. Tandis qu'Etienne envoyoit courriers fur courriers au-dela des Alpes , Aftolf marchoit vers Rome, rélolu de s'en rendre maïtre, & de fe venger du Pape & des Romains. Le premier de Janvier 7 5 5, les Lombards parurent devant la ville, & s'établirent des deux cötés du Tibre. Une partie de leur armée campoit a 1'Occident, depuis la porte de Saint-Pierre jufqu'a celle de Porto; 1'autre, k la tête de laquelle étoit Aftolf en perfonne, attaquoit ia ville du cöté de la porte Salaria. Les Bénéventins vinrent fe joindre a lui; & s'il en faut croire 1'afFreufe peinture que le Pape fait de ce fiege dans la lettre qu'il écrivit au Roi de France, il n'eft forte de cruauté, de brutalité, de profanation & de facrilege , a quoi les Lombards ne fe foient abandonnés. II rend au contraire a 1'Abbé "Warnehaire, qu'il renvoyoit a Pépin, un témoignage trés - glorieux pour ce temps-la; c'eft que ce vaillantEccléfiaftique avoit endoffé la cuiraffe, &  toü Bas-Empire. Liv. LXIV. 431 n'avoit ceffé de combattre jour & nuit fur les murailles, & de défendre la ville de toutes fes forces. II n'eft point de fupplication que le Pape n'employe; il fe profterne aux pieds du Roi, il embraffe fes genoux ; ii lui montre Saint Pierre prêt k lui ouvrir Pentrée du Ciel. Enfin , dans les tranfports de fa vive impatience, pour accélérer la marche de Pépin , il fait defcendre du Ciel Saint Pierre luimême, & dans une derniere lettre, écrite toute entiere au nom de Saint Pierre , c'eft le Prince des Apötres qui^ s'adrefle au Roi, k fes fils, aux Evêques , k tous les Seigneurs du Royaume; il leur demande au nom de toute la Milice célefte, de fauver du carnage les Romains fes enfants , de ne pas permettre que fa fépulture foit profanée, que fes os foient difperfés, que la demeure oü il repofe foit détruite par la facrilege nation des Lombards. Pépin n'avoit différé jufqu'alors qu'a caufe de la faifon qui lui fermoit le paflage des Alpes. Aftolf en avoit profité pour attaquer Rome, qu'il efpéroit prendre avant que Pépin put CONSTANTIK V. Ann. 75 j. XXX. Pépin e» Italië.  CONSTANTINV. Ann. 755, 432 HlSTOIRE venir au fecours. Le fiege duroit de-» puis trois mois , lorfqu'il apprit que les Francois approchoient du Pas-deSuze. II décampe auffi-töt, Sc marche aux frontieres de fes Etats pour combattre 1'ennemi k la defcente des Alpes. Dans ce même-temps arrivent k Rome deux députés de 1'Empereur; c'étoient Grêgoire, premier Secretaire , Sc Jean le Silentiaire, chargés d'aller trouver Pépin, pour lui repréfenter les droits de 1'Empire fur Ravenne & la Pentapole. Le Pape n'ofant encore fe déclarer rival de 1'Empereur, fit partir avec eux un Nonce, comme pour les feconder dans leur demande. Ils prirent la route de Ia mer, pour éviter les Lombards, Sc aborderent k Marfeille. Etonnés d'apprendre que Pépin avoit déja paffe les Alpes, Sc fe défïant avec raifon de la bonne foi du Nonce , l'un retient le Nonce k Marfeille, 1'autre court en diligence au camp de Pépin ; il lui repréfente que les pays dont il va chajfer les Lombards, appartiennent de tout temps d VEmpire ; que la conquête qu'il en va faire , ne lui donnera pas plus de droit que les Lombards  du Bas-Empire. Liv. LX1V. 433 hards n'en ont eux-mêmes ; que l'Empereur altend de fa jujlice , qu'en dêpojfédant les ufurpateurs, 11 laiffera le maitre légitime rentrer en po(fej]ion de fon domaine; que le Pape étant fujet de l'Empereur ne pouvoit fans une infidelité criminelle, fe revêtir des dépouilles de fon Souverain , & qu'une pareillz ufurpation feroit encore plus odieufe que celle des Lombards ; que Conjlantin, fidele aux regies de Têquitê la plus exaile, étoit pret d dédommager amplement Pépin des fraix de la guerre. Pépin répondit, que le droit des Lombardsfur UExarchat & la Pentapole étoit le droit de conquête , le même que celui des Frangois fur la Gaule, que celui de 1'Empire fur tous les pays que CEmpire pojfêdoit; qu'il alloit lui-même acyuérir ce droit par la vicloire qu'il efpêroitavec le fecours du Ciel; que, maitre de ces pays, il en dijpqjeroit d fon gré; que ce n étoit pas pour tamour de t Empereur ni £ aucun mortel, mais en faveur de Saint Pierre & pour la rêmifJion de jes péchés qu'il avoit pris les armes; qu'il avoit promis au Saint Siege le fruit de fes travaux, & que tous les tréfors de la terre ne pourroient tenTornt XIII. T CONSTANT1N V. Ann. 75 5.  CONSTANTINV. Aan. 755. XXXI. Donation de Pépin au Saint Siege. 434 Histoïre gager a manquer d fa parole. 11 congédia ainfi F Ambajfadeur fans lui permettre de rêpliquer. k 1'approche des Francois, Aftolf prit 1'épouvante, 6e fe retira dans Pavie. II n'ofa même y foutenir un fiege; 8e dès que Pépin parut, il offrit de traiter avec lui. On renouvella le traité précédent; & pour punir le Roi Lombard de ne 1'avoir pas exécuté, Pépin exigea de plus la ville de Comacchio, Se le rembourfement des fraix de la guerre. La donation que Pépin faifoit a Saint Pierre 8e aux Papes fes fucceflëurs k perpétuité, fut confignée dans un afte authentique. L'Abbé Fulrad, accompagné des Commiflaires Lombards, prit au nom du Roi 8e du Pape pofleflion de Ravenne 8e des villes de la Pentapoie 8e de l'Emilie; il en tira des ötages, il en recut les clefs, ékfuivi des principaux de chaque ville , il alla dépofer a Rome fur le tombeau de Saint Pierre 8c les clefs 8e 1'acte de la donation, qui fut mis enfuite dans les archives de 1'Eglife. Par cette libéralité k jamais célebre, les Papes devinrent poffeffeurs de trois Pro vinces 6c de vingt-  nu Bas-Empip.e. Liv. LXIFi 435 deux villes, auxquellesPépin ajouta Narni, qui étoit du Duché de Rome, mais dont les Ducs de Spolete s'étoient depuis long-temps emparés. Tel eft , felon la remarque de Muratori, le premier domaine temporel avec jurifdidtion donné aux Pafteurs fpirituels. Les autres Eglifes profiterent de 1'exemple; elles travaillerent k fe procurer de femblables fouverainetés ; les monafteres même acquirent des Seigneuries.Ceft la plus grande révolution qui foit arrivée dans 1'économie de 1'Eglife; elle influa jufque dans les efprits. La puiffance temporelle des Papes eft née de leur autorité fpirituelle; mais il n'eft pas certain que celle-ci en ait recu plus d'éclat ni de véritable force. Le fpirituel & le temporel fe font quelquefois confondus , jufqu'a effacer la ligne de diftinction qui doit les tenir eflentiellement féparés. L'adfe de donation étant perdu depuis longtemps , on nefait pas clairement quellesen furent les conditions. On nepeut douter, dit Muratori, que Pépin riait donné au Saint Siege CExarchat & la Pentapole, fans y rien laiffér d l'EmTi; CONSTANTJN V. Ann. 7;;. XXXII. Cara fteres de cette donation.  CCNSTANTIN V. Anir. 755. 436 HlSTOlRE pereur Grec; mais s'il s'y réferva pour lui - même quelque forte de domaine , c'ejl ce qui n'eft pas dêcidê. Un Hiftorien d'au-dela des monts qui s'exprime en ces termes, paroit n'ofer ni avouer, ni contredire ce que foutiennent les Ecrivains Francois, que le Roi fe réferva la fouveraineté fur ces Provinces, & qu'il n'en donna au Pape que le domaine utile. Pour ce qui eft de la ville de Rome & de fon Duché , c'eft a tort que quelques Auteurs ont prétendu que dès ce temps-la les Papes commencerent d'y exercerpleine jurifdiftion. Pépin en donnantl'Exarchat au Pape, ne lui donnoit que les terres de J'Exarchat, ck non pas Pautorité d'Exarque, qui dépendoit de 1'Empereur. II n'enrichit le Pape que des dépouilles des Lombards, qui ne furent jamais maitres de Rome. Cette ville & le Duché demeurerent jufqu'au temps de Charlemagne fous la fouveraineté de 1'Empire; quoiqu'a vrai dire cette fouveraineté fut prefque éclipfée par Pautorité que la religion donnoit au Pape , par la puiffance & la proteftion des Francois , par Péloignement & la foi-  nu Bas-Empïrb. Liv. LXIV. 437 blefle des Empereurs , & par la haine que leur héréfie infpirolt aux Romains. C'eft ce qui a jetté de 1'obfcurité fur eet endroit de 1'hiftoire. Les traits de la fouveraineté impériale fur la ville de Rome & fur fes dépendances s'étant efFacés de plus en plus jufqu'a fon entiere extinction fous Charlemagne , la plupart des Ecrivains ont ceffé de les appercevoir. Les uns ont prétendu que dès le temps de Grêgoire II, le Sénat & le peuple Romain, après avoir fecoué le jong de 1'Empire, s'étoient foumis au Saint Siege , & quedès-Iors, les Papes avoient acquis la fouveraineté de Rome. Les autres , que Pépin, en qualité de Patrice, étoit devenu Souverain de cette ville, & qu'il en avoit abandonné le domaine au Pape Etienne II, ou 1'avoit du moins partagé avec lui. Mais les meilleurs critiques , tels que le Blanc & Giannone, ont trés - bien prouvé la faufleté de toutes ces fuppofitions. La queftion paroit décidée par les Papes mêmes : leurs lettres jufqu'a 1'élévation de Charlemagne a 1'Empire, fontdatées du regne des Empereurs de ConftanT iij CONSTANTIN V. Ann. 75 J.  CONSTANTIN V. Ann. 755. Ann. 756. XXXIII. Didier , Roi des Lombards. Anajh, in Steph. II. Eginh. annal, Sigeb. chron. Baronius. Pagi ad Bar. Manfi ad Bar. Murat. ann.d'Ital. t. IV. p. 316,317, 312. Giann. hifi. Nap. t. 1. I. 5. *■ ï, 3.4- Abrégc de Vhifi. d'It. L p. 314 Sr fuiv. 353. 438 HlSTOIRE tinople, qu'ils reconnohTent par cette date pour leurs vrais Souverains; &c le Sénat ainfi que le peuple de Rome écrivant k Pépin, ne nomment point le Pape leur Seigneur, mais leur Pafteur & leur pere. Aftolf, qui s'étoit vu k la veille de ranger toute 1'Italie fous fes loix, dévoroit en fecret le chagrin d'avoir perdu le fruit de fes conquêtes ; & il y a grande apparence qu'il ne feroit pas long-temps demeuré oifif, li la mort n'eüt prévenu fes entreprifes. Etant tombé de cheval dans une chaffe fur la fin de 1'année fuivante 756 , il mourut trois jours après. D'autres le font mourir d'une blefTure qu'il recut d'un fanglier ou d'un coup de fleche. Didier, qu'il avoit fait Duc d'Iftrie, & qui commandoit a'ors en Tofcane , ayant appris la mort du Roi, vint k Pavie avec fes troupes pour fe faire couronner, ne voyant dans la nation perfonne qui put lui difputer le premier rang. Mais Ratchis, qui s'ennuyoit d'obéir dans un monaftere, fentit alors réveiller le defir de commander , & fortit du cloitre dans le deftêin de reprendre  nu Bas-Empire. Liv. LX1V. 439 la couronne. Plufieurs Seigneurs vinrent le joindre avec des troupes , & la Lombardie alloit être le théatre d'une guerre civile. Le Pape, devenu Prince & ami des Francois, devoit être d'un grand poids pour faire pencher la balance en faveur de celui dont il prendroit le parti. Didier, plus adroit que Ratchis, s'empreffa de le mettre dans fes intéréts en lui promettant quatre villes , qu'Aftolf avoit retenues. Aufli-töt le Pontife, periuadé du bon droit de Didier, lui envoya le Diacre Paul fon frere, accompagné de 1'Abbé Fulrad & du Confeiller Chriftophe , pour tirer de lui une promeffe authentique. Didier la donna par fon ferment & par écrit; & ^fur le champ le Pape enjoignit k Ratchis de rentrer dans fon cloïtre, fit partir Fulrad avec les Francois qui fe trouvoient k Rome , &£ prépara encore d'autres fecours pour foutenir Didier en cas de guerre. Ratchis ne fe rendit pas d'abord aux ordres du Pape ; il fe maintint quelque temps en Tofcane fous le titre de Prince des Lombards. Mais au commencement de 1'année fuivante, voyant fon parti T iv CONSTANTIIï V. Inn. 756.  C ONSTANTIN V. Ann, 7j6. Ann. 757. XXXIV. Etat de 1'Empire. Theoph. p. 360 , 361. Cedr. p. 464. Hifi. mifc, l. 22. Marianus Seol. Lamhert a Schafnab. Aimoin. I. 4- c. 64. Eginh. annal. Pagi ad Bar. Giann. ■hifi. Nap. /. ï.c. 3. 44° HlSTOIRE s'affoiblir de jour en jour, il abandonna fes prétentions, & retourna dans fon monaftere. Didier, délivré de ce concurrent, fut proclamé Roi au mois de Mars dans une afTemblée de la nation. Le Pape Etienne mourut un mois après, & eut fon. frere Paul pour fucceffeur. II ne reftoit plus a 1'Empereur en Italië que le Duché de Naples, celui de Gaëte, la Ponille , la Calabre, le Pays des Brutiens, ou fon autorité fubfiftoit encore toute entiere , & le Duché de Rome dont il poffédoit la fouveraineté, mais prefque fans pouvoir. Les habitants de Naples donnerent en 1'an 757 , une preuve de leur fidélité en refufant Pentrée de leur ville a PEvêque Paul nommé par le Pape, paree que 1'Empereur s'oppofoit k fa réception. Cette marqué d'obéiffance étoit d'autant plus éclatante , qu'elle devoit beaucoup coüter k leur religion. Paul n'étoit odieux k Conftantin que pour avoir empêché qu'on ne recüt k Naples le décret du Concile contre les images. La révolution que Pépin avoit caufée en Italië , fit connoïtre k Conftantin ce qu'il  du Bas-Empirz. Liv. LX/F. 441 avoit encore a craindre de ce Prince puiffant & guerrier. II rechercha fon amitié , & lui envoya des Ambafïadeurs & des préfents, entre lefquels étoit un buffet d'orgues, invention de 1'Orient encore inconnue en France. Pépin répondit avec générofité aux avances de 1'Empereur; mais cette bonne intelligence ne fut pas de longue durée. Conftantinople étoit alors en allarmes de la part des Bulgares & des Sarafins. L'Empereur , ayant fait conftruire en Thrace de nouvelles forterefïes, les Bulgares en conr curent de la défiance, & demanderent un nouveau traité. Irrités enfuite du, mépris que Conftantin avoit fait de leur demande & de leurs députés, ils vinrent en armes jufqu'a la longue muraille, ravageantimpunémenttout le pays, & s'en retournerent avec une multitude de prifonniers. Selon Nicéphore, 1'Empereur eut tout 1'honneur de cette guerre; étant forti de la ville , il mit en fuite les Bulgares, les pourfuivit, & en tua un grand nombre. Ayant enfuite affemblé fon armée , il s'avanga dans leur pays , pendant qu'une flotte de cinq cents T v CONSTANTINV. Ann. 757.  CONSTANTIN V. Ann. 7J7» 44a HlSTOIRR voiles entroit dans le Danube. II fit le dégat dans une grande étendue de terrein. II y eut une feconde bataille fur la frontiere, oü les Bulgares furent encore vaincus. Abattus par ces défaites, ils demanderent la paix,& donnerent des ötages. Tel eft le récit de Nicéphore. D'un autre cöté, Salem, Gouverneur de Syrië pour les Sarafins, entra fur les terres des Romains a la tête de quatre vingts mille hommes, & s'avanca dans la Cappadoce. Mais fur la nouvelle que 1'Empereur venoit le combattre, il prit ï'épouvante, & fe retira en Syrië, fans avoir caufé d'autre perte que celle de quelques Arméniens, qui renoncerent a leur religion, & le fuivirent. Ce Général des Sarafins étoit grand ennemi du Chriftianifme. II relégua dans Ie pays des Moabites, Théodore, Patriarche d'Antioche , fous prétexte qu'il fervoit d'efpion a FEmpereur. II défendit aux Chrétiens de réparer leurs Eglifes, d'expofer la croix en public, de difputer .de religion avec les Arabes. Le Calife les traitoit encore plus durement; il les accabloit de tributs, fans eri excepter ceux f  du Bas-Empihe. Liv. LXir. 443 r»êmes qui ne vivoient que d'aumönes , tels que les Moines, 'es Reclus , les Stylites; car cette dévotion finguliere de vivre fur des colonnes , fubfiftoit encore. II confifquoit le tréfor des Eglifes , & vendoit aux Juifs les vafes facrés. Cependant les Sarafins étoient encore moins cruels a l'égard des Chrétiens, que 1'Empereur a l'égard des Catholiques , comme nous le verrons bientöt. La Cour de Pépin étoit Ie centre des négociatiöns de 1'Empereur, du Pape , &C du Roi des Lombards au fujet de 1'Italie. Chacun des trois s'efforcoit de gagner la bienveillance de ce Prince. Le Pape tendoit a fe rendre maitre de Rome & de fon Duché, comme il Pétoit de 1'Exarchat. L'Empereur vouloit y conferver fon pouvoir,& recouvrer celui qu'il avoit perdu dans Ravenne. Didier cher' choit a les abattre tous deux; mais pour amuferPépin, il lui promettoit de fatisfaire le Pape. Chacun avoit fon rélident auprès de Pépin. Le Secretaire George follicitoit pour 1'Empereur ; le Prêtre Marin pour le Pape. Quoique les intéréts fuflentoppofés, T vi Constant/in V. Ann. 757. Ann. 75 8. XXXV. Intrigues de Didier & duPape auprès de Pépin & de 1'Empereur. Pauli tpifl. Baronius. Pagi ad Bar. Giann. Hifi. Nap. I. 6. c. 3. Murat. ann. tTItal. t. IV. p. 312,323, 314, 31?. JiS. 334.  CONSTANTIN V. Ann. 758. Abre'gé de Vhift. d'It. t. I. p. 354.35 5- 444 H I S T O I R E George & Marin fe lierent d'amitié ; le Pape en concut de la défiance, & foupconnant Marin de trahifon, il le dépouilla d'un titre qu'il poffédoit k Rome. Cependant k la priere de Pépin , il s'adoucit k fon égard. Ce procédé du faint Pere montre affez dans quelles difpofitions il étoit envers 1'Empereur. D'un autre cöté, Didier voyant que fesintrigues ne pouvoient détacher Pépin de la protection qu'il avoit vouée au Saint Siege, prit le parti d'agir par lui-même. Les Ducs de Spolete & de Bénévent, refufant de le reconnoïtre , s'étoient déclarés vaffaux de Saint Pierre & de Pépin. II marcha contr'eux, ravagea en paffant la Pentapole, entra dans Spolete qui n'ofa faire de réfiftance, deftitua & mit en prifon le Duc Alboin. De-la il paffe dans le Duché de Bénévent. Le Duc Liutprand abandonne la ville, & fe réfugié dans Otrante. Didier 1'y pourfuit, attaque Otrante, & ne peut s'en rendre maïtre. De retour a Bénévent, il y attire George, Secretaire de Conffantin, qui, après avoir rélidé quelque temps k la Cour de Pépin, retournoit k Conftantino-  nu B.is-Empirs. Liv. LXIV. 445 ple, & fe trouvoit pour lors k Naples. Didier traite avec lui, &propofede fe liguer avec l'Empereur k ces conditions : Que l'Empereur enverroit une armée en Italië pour reprendre Ravenne; que la flotte de Sicile iroit attaquer Otrante ; que Didier taideroit de toutes fes forces dans ces deux entreprifes, & que VEmpereur, maitre de ces deux villes , lui mettroit entre les mains le Duc de Bénévent. II eft k croire que ce ne fut pas-la le feul avantage ltipulé par Didier; mais 1'hiftoire ne donne pas plus de détail k ce fujet, paree que cette ligue n'eutpas lieu. Conftantin, fans doute, ne fe trouvoit pas en état de faire un fi grand effort; il fe contenta d'envoyer en Italië un Officier, nommé Léon , pour folliciter k la révolte Ravenne & 1'Exarchat. L'arrivée de Léon fuffifoit pour inquiéter le Pape. Une faufle nouvelle qui fe répandit alors, lui donnoit encore de plus vives allarmes. On difoit que l'Empereur envoyoit en Italië une flotte de trois cents voiles commandée par fix Patrices. II en écrivit a Pépin, voulant lui per- Cgns- t \ntin V. Ann. 75S. xxxvr. Conduits du Pape a 1'égird de Didier.  CONS- j TANTIN V. Ann. 75 S. ] i L46 HlSTOlRÏ. uader que les déujlables Grecs (ce ont fes termes ) ne pourfuivoient es Romains qu'a caufe de leur atachement a la doctrine de 1'Eglife , :omme ü, dit Muratori, la faifie de 'Exarchat 8c Pautorité que les Papes Drenoient dans Rome au préjudice ie 1'Empire, n'étoient pas pour PEmDereur une caufe affez forte de mé:ontentement. Mais la politique fe fervoit dès-lors de la religion pour :rier au fecours. Le Pape tachoit en:ore de perfuader a Pépin, que le ieffein des Grecs étoit de fe jetter fur la France après avoir réduit 1'Italie : il le prioit d'engager Didier a fecourir les villes qui feroient attaquées par les Grecs. Pépin, moins prompt a s'allarmer , le raffura par fa réponfe, 8c 1'exhorta a maintenir la paix avec les Lombards. Didier vint lui-même a Rome vers Pautomne, comme s'il eut voulu terminer toutes les querelles. Sur la demande que lui faifoit le Pape des villes qu'il retenoit encore, quoiqu'il eut promis :ette année même aux envoyés de Pépin de les remettre au Saint Siege, .1 témoigna qu'il étoit prêt de con-  du Bjs-Emptre. Liv. LXir. 447 tenter le Pape, dès que Pépin lui auroit renvoyé fes ötages, & pria le Pape d'en écrire a Pépin. Le Pape fe chargea en apparence de la négociation; mais comme fes intentions étoient oppofées k celles du Roi Lom' bard, craignant que fa lettre ne fut interceptée, il en écrivit deux , 1'une conforme aux defirs de Didier, par laquelle il prioit Pépin de relacher. les ötages; 1'autre fecrete, par laquelle il le conjuroit de n'en rien faire, que Didier n'eüt pleinement fatisfait le Saint Siege ; d'employer même la force pourl'y contraindre, & de n'avoir aucun égard k 1'autre lettre qu'il n'avoit pu refufer aux inftances de Didier. II le prioit aufli de forcer les Grecs k rendre ce qu'ils avoient enlevé k 1'Eglife. Pépin fnivit les intentions du Pape ; mais tout ce qu'il put obtenir de Didier, ce fut de rendre au Saint Siege des domaines de peu de conféquence ; encore n'étoit-ce que par forme d'échange, k mefure que le Saint Siege lui rendoit k lui-même quelques terres ufurpées fur les Lombards. Enfin, Didier ayant recommencé CONSTANTINV. Ann, 758. xxxvn. Paix en-  CONSTANTINV. Ann. 758. tre le Pape & le Roi des Lombards. Ann. 759 760. XXX VII Guerre 448 H I S T 0 I II E- fes hoftilit és, Pépin envoya des Commiffaires pour terminer les différends. Après de longues conférences, on convint de la paix. Les Romains Sc les Lombards fe rendirent réciproquement ce qu'ils avoient envahi les uns fur les autres. Depuis le commencement de 1'héréfie, les Evêques des villes encore foumifes k 1'Empire , telles que Naples & Gaëte, alloient par ordre de l'Empereur fe faire facrer k Conftantinople, dont le Patriarche étendoit fes droits a cette occafion. Didier, k la follicitation de Pépin, forca par les armes les Ducs de ces villes, d'envoyer déformais leurs Evêques k Rome, pour y être facrés par le Pape felon Tanden ufage. Tant de bienfaits de la Cour de France touchoient fenliblement le Saint Pere; il en fit k Pépin des reinerciments, qui marquent une extréme chaleur de reconnoiffance: Qiiand tous les cheveux de notre tête, dit-il dans fa lettre, deviendroient autant de langues, ils ne pourroient encore vous ' rendre ajfe^ de graces. Tout TOccident avoit alors les ( yeux fur les divers mouvements du 1 »  nu Bas-Empire. Liv. LX/P". 449 Pape & du Roi des Lombards , qui, femblables k deux habiles lutteurs, employoient la force & la rufe a fe difputer la pofïeflion de Rome &c de 1'Exarchat. On ne tenoit aucun compte 1 de l'Empereur, qui, feul, avoit fur ' ces pays des droits légitimes. Mais il , ne pouvoit les foutenir que par des négociations, toujours foibles, quand elles ne peuvent être appuyées par les armes. Preffé d'un cöté par les Bulgares, de 1'autre par les Sarafins, il ajoutoit a ces dangers de nouveaux embarras en perfécutant fes propres fujets. Le Calife Almanfor fit marcher a Mélitine une armée de foixante-dix mille hommes; ils n'eurent pas de peine k s'emparer de la ville qu'ils trouverent prefque détruite. Après Pavoir rétablie, ils y laifferent une garnifon de quatre mille hommes , avec beaucoup d'armes & d'argent. Cette place étoit importante; c'étoit, felon qu'elle étoit poffédée par les Romains ou par les Sarafins, la clef de 1'Empire ou de la Syrië. L'année fuivante, les Sarafins, ayant traverfé la Cilicie, pénétrerent jufqu'en Pamphylie , &C taillerent en Constant! n V. Lnn. 760. le Confantin.Abulfara!*> Theoph. p. j6i, 361. Cedr. p. Zon. I. 1. 7. 109. Hifi. mifc. '.. 22.  CONSTANTIN V. Ann. 760. Ann. 761, < 762. XXXIX. ' Miityre ' 45° H I S T 0 I R E pieces fur les bords du Mélas une armee Romaine, commandée par le Général Paul. Ils firent un grand nombre de prifonniers, entre lefquels fe trouverent quarante - deux Officiers. Mais Conftantin fongeoit alors k fe garantir d'un péril plus prochain. Les Bulgares, qui avoient repris les armes, donnoient de fréquentes allarmes k Conftantinople , & les Efclavons ligués avec eux, fe répandoient dans la Grece. L'Empereur marcha d'abord en perfonne contre les Efclavons, qui ne firent point de réfiftance a cette attaque inopinée, & fe foumirent, bien réfolus de fecouer le joug , dès que les Romains feroient éloignés. II n'eut pas le même fuccès contre les Bulgares. S'étant sngagé entre des montagnes, les Barbares fondirent fur lui, taillerent en pieces fon armée, lui tuerent pluleurs Officiers de marqué, & Pctsligerent de regagner Conftantinople ans armes ni bagages. Le chagrin de cette défaite Ie renlit fombre & féroce. Sa colere s'enr lamma contre les Orthodoxes. Un econd édit plus menacant que le pre-  du Bas-Empire. Liv. LXIF. 451 mier,jettaPallarmedans tout 1'Orient. Les Catholiques fuyoient; les villes refioient défertes ; les prifons étoient remplies non plus de malfaiteurs, mais de confeffeurs. II en vouloit furtout aux Moines ; &c pour abolir la profeffion monaftique, il leur défendit de recevoir des novices. Un grand nombre d'entr'eux fe réfugia a Rome, & ce fut pour leur donner un afyle que le Pape Paul fit de fa maifon paternelle un monaftere, & ordonna que 1'office s'y feroit en Grec. Le Pape lui écrivit en vain plufieurs lettres pour adoucir ce cceur barbare. Non content des cruautés qu'il faifoit exercer par fes Officiers dans la ville & dans les Provinces, il voulut préfider lui-même aux fupplices, & voir couler le fang. II fe fit drefler un Tribunal dans la bafilique de Saint* Manas aux portes de Conftantinople. La, environné de bourreaux, au milieu de la pompe Impériale, il fe fit amener les Catholiques prifonniers. A leur arrivée , tout fe met en mouvement pour les tourmenter ; on flagelle les uns, on arrache aux autres les yeux & la langue, on coupe 4 CONSTANTINV. Ann. 762. d'André le Calybite. Theoph. p. 363. Cedr. p. 464. Anafl. in Paulo, Menologe. Zon. 1.11. p. 109. Hifi. mifi. I. 22. Baronius. Pagi ad Bar. Fleury , hifi. ecclef. I. 43. are. 32 , & fuiv.  CoNSTAN TIN V. Ann. 761. 452 HlSTOlRE quelques-uns les pieds & les mains; fpeftacle horrible pour tout autre que pour l'Empereur & fes courtifans. Le Moine André, furnommé le Calybite paree qu'il vivoit en reclus dans 1'ifle de Crete, en étoit venu exprès ces jours-la pour foutenir la conftance des fideles au milieu de la perfêcution. II perce la foule, & fe préfentant k l'Empereur : Prince , lui dit-il, fi vous croye{ en Jefus-Chrijl, comment ofe^-vous traiter ainfi fes images vivantes? A ces mots, on fe jette fur lui, on le traine, on 1'accable de coups. L'Empereur arrête cette fureur, il le fait approcher,& tente de le gagner par douceur, ou de 1'intimider par menaces. Pourquoi, lui dit André, tandis qu'on punit ceux qui outragent les images de l'Empereur, ordonne{-vous a"outrager celles de JefusChrijl qui eft plus grand que CEmptreur ? Penfi{-vous qu'il fera moins irrité contre ces profanateurs facrileges ? Eh bien ! répartit Conftantin, puifque de ton aveu ceux qui manquent de refpecl au portrait du Souverain , méritent chdtiment, que ne mérites-tu pas pour en manquer au Souverain même ? II le  nu Bas-ëmpire. Liv. LX/F. 453 fait en même-temps dépouiller & déchirer de verges. Ce qui fut étrange, c'eft que tous les afïiftants, pour faire leur cour k l'Empereur, devinrent autant de bourreaux; c'étoit k qui frapperoit le faint Martyr k coups de batons, k coups de pierres , k coups d'épées. L'Empereur Ie retire encore des mains de ces forcenés; il eflaye encore de le féduire; il regardoit André comme le chef des Orthodoxes, & fe perfuadoit qu'en 1'attirant k lui, il en entraineroit un grand nombre. Le voyant inflexible, il lui fait brifer les machoires, & le renyoye en prifon. Quelques jours après, il 1'en fit fortir pour endurer le dernier de tant de fupplices. On le flagella de nouveau ; attaché par les pieds, on le traina au travers de la ville; il expira enfin au milieu des violences d'un peuple hérétique, qui s'empreflbit k 1'enyi de fe fignaler par fes fureurs. Mon deflein n'eft pas de raconter en détail tous les événements de cette perfêcution cruelle. La paftion de ] l'Empereur mettoit en oeuvre la rufe, la trahifon, les plus noirs artifices, Covs- TANTIN V. Ann, 761 XL. Perfécuion d'Eienne.  CONSTANTINV. Ann. 762. 454 II I S T 0 I R. E pour déshonorer ceux qu'on ne pouvoit pervertir. Etienne, Abbé d'un Monaftere fur le mont Saint-Auxence prés de Nicomédie , retracoit dans la fainteté de fa vie la vertu angélique des anciens Anachoretes. On s'eftbrca d'engager une femme a 1'accufer d'un commerce criminel avec elle; & fur le refus qu'elle fit conftamment de fe prêter a une li horrible calomnie, on la fit périr elle-même. Un courtifan va par ordre de l'Empereur fe préfenter au Monaftere; il conjure Etienne de le recevoir au nombre de fes difciples; Etienne lui oppofe la défenfe de l'Empereur, & refufe longtemps de Padmettre. Admis enfin a force de larmes & de prieres, eet importeur, vêtu de la robe monaftique, retourne a Conftantinople ; & l'Empereur, fous prétexte qu'Etienne eft rebelle a fes ordres , fait difperfer les Moines, brüler le Monaftere,meurtrir de coups le faint Abbé, qui avoit confondu cinq Evêques de Cour envoyés pour le pervertir. Enfin, il 1'exile dans 1'ifle de Proconnefe; &c de peur qu'on ne rétablifle le monaftere, il défend, fous peine de la vie,  nu Bas'Empire. Lh. LXIK 455 d'approcher feulement du montSaintAuxence. Une nouvelle guerre contre les Bulgaresfufpenditpour quelque temps le cours de la perfêcution. Cette nation barbare, ennuyée d'obéir depuis long-temps a la même familie,la maffacra toute entiere, & fe donna pour Roi un jeune audacieux; il fe nommoit Téléfis. Une partie des Efclavons , réunis alors aux Bulgares, refuferent de lui obéir; ils pafferent le Pont-Euxin au nombre de plus de deux cents mille, & vinrent demander des terres k l'Empereur, qui les etablit en Bithynie fur les bords du fleuve Artanas. Les ravages prefque continuels des Sarafins, avoient déja depeuplé une partie de 1'Afie mineure. Téléfis, voulant fe faire valoir a fes nouveaux fujets, fit aufli-töt des courfes & des ravages fur les terres des Romains. Pour arrêter dès le premier pas ce fougueux ennemi, 1'Empereur partit de Conftantinople le i7 Jmn , & alla camper aux portes d'Anchiale, tandis qu'une flotte de huit cents barques, dont cbacune portoit douze chevaux, traverfoit le Pont- Constanten V. Ann. 763. XLI. Guerre des Sulgares.Theoph. p% 363, 364. Niceph. p. 43.44. 4T. Hi/l. mifcm l. 22. Zon. t. II, p. 109.  CONSTANTIN V. Ann. 763. 456 IilSTOIRE Euxin pour gagner les bouches du Danube. Téléfis, a la tête des Bulgares , foutenus de vingt mille Efclavons , s'approcha du camp de l'Empereur. II garnit de troupes les paffages des montagnes, & vint préfenter la bataille le 30 Juin. Elle fut très-fanglante; on combattit depuis huit heures du matin jufqu'au foir. Enfin, les Bulgares céderent a 1'opiniatreté des Romains. Un grand nombre furent tués dans la fuite ou pris par les vainqueurs. D'autres, échappés du carnage , vinrent d'eux-mêmes fe donner k l'Empereur, & demanderent a s'enröler dans fes troupes. L'Empereur, glorieux d'un fi éclatant fuccès, voulut renouveller la pompe des anciens triomphes. II rentra dans Conftantinople, armé de toutes pieces fur un char brillant, fuivi de fon armée en ordre de bataille. Les habitants pouflbient des crisdejoie. A la fuite du char, marchoient les prifonniers chargés de chaines. Lorfqu'il fut arrivé au palais, il les fit conduire hors de la porte dorée ; & par une bifarrerie inhumaine, il les dutribua aux diver- fes  du Bjs-£mpire. Liv. LXIF. 457 fes factions du Cirque, pour leur trancher la tête. On vit alors plufieurs snilliers d'hommes périr par les mains des habitants devenus autant de bourreaux; & cette fête cruelle fut terminée par les jeux du Cirque, dans lefquels on porta les dépouilles des vaincus. On y remarqua deux baffins d'or, chacun du poids de huit cents livres, que les Rois Bulgares avoient fait faire en Sicile. La défaite de Téléfis le rendit méprifable. On fe révolte, on le tue, on met le fceptre entre les mains de Sabin, gendre d'un Roi de la nation, mort depuis quelques années. II ne fut pasplutöt fur le tróne, que voyant 1'état de foibleffe ou le mauvais fuccès de la guerre avoit réduit les Bulgares, il envoya demander la paix a l'Empereur. Cette démarche offenfa la fierté de ce peuple indomptable. Les Etats s'étant affemblés, s'oppoferent au defTein du Roi, lui reprochant de vouloir affervir aux Romains un peuple libre, qui préféroit la mort a Pefclavage. Letumulte croiffant de plus en plus, &t la fédition êtant prête d'éclater, Sabin craignit Tome XIII, V Constantie V. A.nn. 763, XLIT. Troubles :hez les Jülgares.  CONSTANTIN V. Ann. 76 J. 458 BlSTOIRE le fort qu'avoit éprouvé fon prédéceffeur, & s'enfuit k Méfembrie & de-la a la Cour de l'Empereur, avec fes amis les plus fideles. Leurs femmes & leurs enfants fe tenoient cachés pour fe fouftraire a la fureur des féditieux. Quelques Officiers envoyés par l'Empereur, eurent. 'adreffe de les tirer de leurs retraites, & de les amener k Conftantinople. Cependant la première fougue des Bulgares ayant fait place k la réflexion, ils reconnurent qu'ils n'étoient pas en état de continuer la guerre, & députerent eux-mêmes k l'Empereur pour traiter de paix. Conftantin refufa de les entendre, & fe mit de nouveau en campagne. Les barbares, cantonnés entre leurs montagnes, en fortifierent li bien tous les paflages, qu'il en auroit coüté beaucoup de fang pour les forcer. L'Empereur alors fe montra plus traitable; il voulut bien donner un fauf-conduit pour leur nouveau Roi nommé Pagan, qui vint le trouver avec fes Officiers. Ils furent recus en préfence de Sabin, affis a cöté de l'Empereur , qui, après leur avoir reproché leur infidélité k l'égard des Ro-  nu Bas-Empire. Liv. LX1F. 459 mains & de leur Prince, leur accorda la paix. Dans les derniers mois de 1'année 763 , toutes les guerres, toutes les affaires même civiles furent fufpendues par un froid excefïïf, qui fit craindre 1'extinction entiere & des hommes Sc des animaux. La nature parut être fur le point d'expirer dans toute 1'étendue de la terre, felon le récit des Auteurs Byzantins; mais ils ne nous donnent de détail que fur Conftantinople &c les environs. Dès le commencement d'Ottobre,le PontEuxin fe glaca a la profondeur de quarante-cinq pieds jufqu'a plus de trente lieues de fes bords. II torn ba fur cette glacé trente pieds de neige, ! en forte que depuis la Chazarie, aujourd'hui la Crimée, jufqu'a Méfembrie dans la Thrace, la mer fe confondant avec la terre offrit pendant quatre mois entiers une route aufïi folide & aufïi füre aux voitures les plus pefantes. On paffoit k pied fee de Conftantinople a Chryfopolis; on traverfoit de même tout le golfe de Céras. Au mois de Février de 1'année fuivante , cette furface fe rompit V ij CONSTANTIN V. Ann. 764. XL11I. Froid exceffif.Theoph. p. 365. 366. Cedr. p. 464. Hifi. mifi. I. 21. Niceph. p. 43 > 44. Zon. tont. II. p. 109, HO. Glycas, p, 184. Breve, 'hron.apud Vened. t. 7- e- 19.  CONSTANTIE V. Ann. 764. 460 HlSTOIRE en une infinité de glacons , qui fembloient autant de montagnes. Pouffés par les vents fur les cötes de Bithynie & a 1'entrée du Bofphore, ils fe porterent fur Conftantinople , dans la Propontide, dans 1'Hellefpont fur la cöte d'Abyde, jufqu'aux ifles de la mer Egée, dont ils borderent tous les rivages. L'Hiftorien Théophane rapporte qu'étant alors fort jeune, il monta fur un de ces glacons avec trente de fes camarades, & qu'ils y trouverent des cadavres d'animaux tant domeftiques que fauvages. La Ciradelle de Conftantinople s'avancoit jufqu'au Bofphore; une de ces montagnes de glacé en emporta les degrés par oü 1'on defcendoit k la mer. Une autre vint donner contre la muraille avec tant de force, que les édifices voifins en furent ébranlés. La violence du choc ayant fait rompre eet énorme glacon en trois morceaux, il embrafla la citadelle, & fembloit être une feconde muraille appliquée k la première qu'ellefurpaffoit en hauteur. Les habitants de Conftantinople furent jour & nuit dans des allarmes continuelles jufqu'au 16 Mars, que  du Bas-Empire. Liv. LXIV. 46*1 ces glacés commencerent a fondre. Dans ce même mois , 1'air parut embrafé de tant de feux, que les peuples s'imaginerent que les étoiles tomboient du ciel, & que le monde alloit périr. L'été fuivant, une longue féchereffe , caufée par des vents fecs & brülants, fit tarir prefque toutes les fources & les fleuves. Mais Pintempérie des faifons étoit moins k craindre que le déréglement d'efprit de rEmpereur. II eut voulu [ renverfer toute la doctrine de 1'Egli- r fe , &c cherchoit fans cefle quelque 3 dogme k contredire. Ayant un jour 3 mandé le Patriarche Conftantin, com- a me pour le confulter fur une matiere j importante : // me vient enpenfée , lui '1 dit-il, cCóter d la Vierge le nom de mere P de Dieu, & de ne lui laijfer que celui de mere de Chrijl : y trouve^-vous qüel- F que inconvénient ? Le Prélat Iconoclafte £ ne put s'empêcher de frémir a ce dif- i cours ; & fe jettant k fes pieds : Prin- p. ce, s'écria-t-il, au nom de Dieu, ban- G nifti cette penfée ; ceft la doctrine de " Nefiorius , & vous fave^ combien eet hérécique eft en horreur. Rajfure^-vous, répliqua l'Empereur ; ce n étoit qu um V iij Constantie V. Un. 764. XLIV. Opiniareté de Empeeur. 'heoph. p. 66. Cedr. p. 6f. ïifl. mifi. lx. 'on. t. II. . 110. Nicepk. 45- Pagi ai ar,- ~)u Cange nu Bn. 12 j». oar. not. TAeophi. 626.  CONSTANTIN V. Ann. 764. 4.62 fJlSTOIRE quejlionde pure curiofitt; puijquelle vous fcandalife, nen parions plus, &garde^moi le fecret. Après la perte de 1'Exarchat, il fe voyoit a la veille de perdre Rome. Mais craignant bien moins cette révolution de la part des Lombards que de celle des Francois, il cherchoit a gagner la bienveillance de Pépin, & il efpéroit y réuflir, s'il pouvoit 1'engager dans fon héréfie. II lui envoya donc Anthime, un de fes Ecuyers, avec 1'eunuque Synefe, pour lui perfuader de bannir de fes Etats le culte des images. LeRoi de France, accoutumé a s'en rapporter k 1'Eglife fur les matieres de foi , ne voulut les entendre qu'en préfence des Légats Apoftoliques. La conférence ne produifit aucun effet. Le Roi envoya des Députés a Conftantinople & a Rome pour rendre compte a l'Empereur & au Pape de ce qui s'étoit pafte, & le Pape le remercia de fon attachement au Saint Siege & a la dodfrine catholique. Pendant ce temps la, lesSarafins d'Afrique firent une defcente en Sicile ; mais les garnifons du pays s'étant raffemblées , les combattirent avec fuccès, &c les chafierent de 1'ifle,  nv Bas-Empire. Liv. LXIF. 463 L'Empereur avoit déja trois fils; Léon étoit né d'Irene , fa première femme; la feconde, nommée Marie, étoit morte peu de temps après fon mariage fans lui donner d'enfants; Eudocie qu'il avoit époufée en troifieme noees, étoit déja mere de Chriftophe & de Nicéphore; elle mit au monde cette année un troifieme fils qui fut nommé Nicétas. Ce troifieme mariage déplaifoit aux Grecs, qui , encore aujourd'hui, tolerent lesfecondes noces, regardent les troifiemes comme un effet d'incontinence, ne les permettant qu'en impofant une pénitence, & défendent les quatriemes. Paga, Roi des Bulgares, fe défioit a jufte titre de la bonne foi de l'Empereur. II demanda la permiflion de venir a Conftantinople pour conférer avec lui, & s'affurerde fes difpofitions. L'ayant obtenue , il y vim avec les principaux Seigneurs de fa Cour. L'Empereur, affettantune orgueilleufe fupériorité , les recut fans fe lever de fon tröne , Sabin étant aflis auprès de lui; & après leur avoir encore reproché le traitement qu'ils avoient fait a Sabin , il les congédia avec des V iv ConstantieV. Ann. 764. Ann. 765. XLV. Conduite de l'Empereur a l'égard des Bulgares.Theoph. p." 667. Cedr. p. 465. Niceph. p. 45- Hifi. mifi. I. 11,  ConstantieV. Ann, 765. 464 H 1 S T 0 1 R Ë paroles de paix, qui n'étoient que fur fes levres. Dès qu'ils furent partis, il envoya fecretement quelques foldats , qui, s'étant introduits en Bulgarie a la faveur d'un déguifement, enleverent un chef d'Efclavons, nommé Sévere, & 1'emmenerent a Conftantinople. II s'étoit fignalé par fes ravages dans la Thrace. Ils furprirent aufli un fameux chef de brigands, Chrétien apoftat, nommé Chriflin , qui s'étoit rendu redoutable. On ne dit pas ce qu'on fit de Sévere ; mais Chriflin fut traité avec une barbarie qui furpaflbit la fienne. On amena ce nalheureux fur le möle de Saint Thonas; la on lui coupa les pieds & les riains; on 1'abandonna enfuite tout ^ivant aux Chirurgiens de PEmpe■eur, qui lui ouvrirent le ventrefur e lieu même a la vue de tout le peilde , & fouillerent dans fes entrailles >our y faire des obfervations anatoniques; après eet horrible fpeftacle , m jetta fon corps dans les flammes. Conflantin, qui n'avoit rafluré lesBul;ares que pour les mieux tromper, ie différa pas d'entrer dans leur pays; 1 trouva les paflages ouverts, &les  nu Bas-Empire. Liv. LXIV. 465 habitants fans défiance, fe repofant fur la parole de 1'Empereur. II pénétra jufqu'a Tunzes dans le centre de la Bulgarie. Les Bulgares , attaqués plutöt qu'avertis, fe fauvoient dans les bois voifins du Danube. Les principaux & Pagan lui-même périrent dans cette furprife. Campagan , le premier chef de la nation après le Roi, s'étant réfugié k Varna, ou il fe croyoit en füreté y y fut tué par fes propres efclaves. Les Romains mirent le feu dans toutes les campagnes, &c cette contrée pouvoit être entiérement reconquife en cette occafionli Conftantin avoit fu faire la guerre. Mais frappé d'une terreur panique, il retourna k Conftantinople , après beaucoup de fang répandu, fans avoir gagné un pouce de terrein. Dès 1'année fuivante, il reprit les armes; & fans attendre la faifon, il partit de Conftantinople le zo Janvier. Tandis qu'il marchoit vers la frontiere, une flotte de deux mille fix cents barques chargées de troupes , voguoit vers Anchiale & Méfembrie. Les Barbares, effrayés d'un fi grand apparei! , imploroient déja V v Constant/inv. Ann. 765, Ann. 766, xlvi. Expédition malhetfreufecontre les Bulgares. Theoph, p, 36s. Cedr. p, 466.  CONSTANTIN V. Ann. 766. Niceph. p. «47. Bijl. mifi. I. 12. Zen. t. 11. P- 3. —555»! ( 1 ] 3 1 XLVII. 1 Perfccu; tion. 4^6 IllSTOIRE la miféricorde de l'Empereur, lorfqu'un accident, qu'il eut été facile de prévoir, leur rendit le courage. La flotte n'ofant prendre le large dans une faifon & une mer fi orageufes, cötoyoit ces rivages dangereux. Soudam un vent du nord s'élevant avec violence , rompt les mats, déchire les voiles, emporte les navires, en fubmerge une partie , brife 1'autre contre les rochers. Conftantin, qui n'étoit pas éloigné, accourt & voit toute la cöte couverte de débris & de cadavres. Ce Prince bifarre, qui avoit renoncé aux pratiques du Chriftianifme , fembla pour lors vouloir rappeller les anciennes fuperftitions ie la Grece : comme s'il eut craint e chatiment qu'avoient autrefois ésrouvé les Généraux Athéniens après a bataille des Arginules , il perdit juatre mois a recueillir les corps flotants fur les eaux, & a leur rendre es devoirs funebres. II ne rentra dans Zonftantinople que le 17 Juillet, ne ■amenant que le petit nombre des roupes qu'il avoit conduites par erre. Un mauvais fuccès dans la guerre  nu BaS'Empi&e. Liv. LXIF. 467 annoncoit prefque toujours un renouvellement de perfêcution. L'Empereur fe vengeoit des Bulgares ou des Sarafins fur les Catholiques de fes Etats. Sa fureur s'acharnoit de préférence fur les Moines. II n'étoit ni outrages, ni tourments qu'il n'imaginat contre ceux qui demeuroient fidélement attachés a leur profeffion & aux pratiques de 1'Eglife. On leur brüloit la barbe enduite de poix, on la leur arrachoit, on leur brifoit fur la tête les images des Saints peintes fur bois, on crevoit les yeux aux uns, on mutiloit les autres. Cestraitementscruels, joints a tout ce que la féduction peut avoir d'attrayant, en pervertirent plufieurs , qui renoncerent a leurs vceux, & prirent des femmes. Les Sénateurs, les Magiftrats, les Officiers de guerre n'étoient pas épargnés. L'honneur ren du aux images étoit un crime de lefeMajefté puni d'exil, fouvent même de« plus rigoureux fupplices. Et afin qu< perfonne ne put fe couvrir de 1'obf curité de fa condition, 1'Empereu: ordonna par édit a tous fes fujets fan exception , de faire ferment entre le mains des Magiftrats, de ne jamais rer V vj CONSTANTIN v. Ann. 766. Theoph. p. 367 & feqq. Cedr. pl 465 , 466, 467. Niceph. p. 45 Hifi. mifci l. XX. Zon. t. II. p. 3. Glycas, p. 284. George Hamart. Fleury , hifi. ecclef l. 43. ars. 42. Oriens Chrifi. 1.1, p. 258.  CONSTANTINV. Ann. 766. XL VUT. Les Moiies diffa. «és par 468 II I S T O I m B dre aucun culte aux images. Le Patriarche Conftantin donna 1'exemple; il monta dans la tribune de Sainte-Sophie, & tenant une croix entre fes mains, il jura qu'il n'avoit jamais révéré ces figures faites de la main des hommes, & qu'il ne leur rendroit jamais aucun hommage. Lorfqu'il hit defcendu de la tribune, 1'Empereur, comme pour le récompenfer de fon obéiffance , lui mit fur la tête une couronne , & Pemmena au palais, oii il le régala d'un grand feftin & d'un concert de mufique. II lui fit manger de toutes fortes de viandes; c'étoit lui faire abjurer Ia régularité monaftique ; & ce fut un grand fcandale dans Conftantinople. Conftantin, Moine avant que d'être Patriarche , demeuroit foumis h toutes les obligations de fon premier état, felon 1'ufage de 1'Eglife en ce temps-la; & l'abftinence de la chair étoit alors pour tous les Moines un devoir indifpenfable, comme elle 1'eft encore aujourd'hui pour les Moines Grecs. Chafler les Moines , détruire les Monafteres, n'étoit pas le coup le ?lus mortel que rEmpereur put por-  nu Bas-Empirb. Liv. LX1F. 469 ter a 1'état monaftique: il s'avifa d'un artiflce vraiment diabolique pour les couvrir de mépris & d'horreur. Entre les Moines bannis de Conftantinople, quelques-uns fe rendoient k fes volontés; ils fignoient 1'Edit contre les images, ils changeoient d'habit, & fe marioient. Rentrant alors dans la ville & dans tous les droits de citoyens, ils étoient comblés de bien'faits; l'Empereur prenoitfoin de leur fortune. Mais ceux qui demeuroient attachés a leur foi & a leur état, n'éprouvoient que fes rigueurs. Un mois après fon retour , le vingt - unieme d'Aoüt, jour auquel il donnoit des courfes de chars, il les fit raflembler des environs de la ville & amener dans 1'hippodrome.La, fous les yeux du peuple, qui rempliffoit tous les degrés, il les fit défiler, chacun accompagné d'une femme perdue. Dans cette procefïion fcandaleufe, ils furent en butte k toutes les infultes d'une multitude effrénée ; également outragés & par les libertins qui favoient que c'étoit une méchanceté de l'Empereur , & par les gens de bien qui ss'en étant pas inftruits, penfoient CONSTANTIN V. Ann, 766. la malice de l'Empereur.  CONSTANTIN v. Ann. 766. XLIX. Traiteraent outrageux & cruel de plufieurs Seigneurs. 470 H 1 S T 0 ƒ R E qu'on les avoit furpris avec ces femmes. Ce fpeöacle plut a l'Empereur. II le renouvella quatre jours après aux dépensde dix-neuf Officiers des plus confidérables de 1'Empire, qu'il accufoit d'avoir conjuré contre fa perfonne. Leur véritable crime étoit d'être attachés a la faine doctrine, d'avoir eu des liaifons avec 1'Abbé Etienne, relégué dans 1'ifle de Proconnefe, d'entretenir commerce avec lui dans fon exil, & d'avoir plufieurs fois donné des éloges a fa conftance dans les tourments. II les fit promener dans 1'hippodrome , excitant le peuple a cracher fur eux ck a les charger de malédi&ions; les deux plus qualifiés eurent enfuite la tête tranchée. C'étoient deux Patrices freres, Conftantin , Contröleur-général des Poftes, & Stratege, Commandant de la garde. Les autres furent aveuglés & relégués dans une ifle, oii il ne manqua jamais, tant qu'il vécuf, d'envoyer des bourreaux une fois tous les ans, pour leur donner a chacun cent coups de nerfs de bceuf. Ayant appris que le peuple, touché du fupplice de Conf-  nu Bas-Empirb. Liv. LXIF. 471 tantin & de Stratege , n'avoit pu retenir fes larmes Sc fes murmures , il s'en prit au Préfet Procope, quiauroit du , difoit-il, arrêter ces gémiffements féditieux, il le fit fouetter & lui öta fa charge. Les honneurs indecents & bifarres que le Patriarche Conftantin avoit recus de l'Empereur, furent bientöt fuivis d'une éclatante difgrace. Le Prince, ayant appris qu'il avoit eu des entretiens fecrets avec un des Seigneurs accufés de cortjuration , fuborna luimême des témoins qui dépoferent qu'ils 1'avoient entendu parler contre l'Empereur. Et comme le Patriarche interrogé nioit conftamment le fait & ne pouvoit être convaincu, l'Empereur engagea fecretement les témoins a confirmer leur dépofition en jurant fur la croix. Aufli-töt fans autre preuve, il envoya mettre le fcellé fur la porte de la maifon patriarchale, & relégua d'abord le Patriarche au palais d'Hérée au-dela du Bofphore; peu de jours après, il le fit transférer dans 1'ifle du Prince. C'étoit lé 30 Aoüt que Conftantin fut dépofé. Le ï 6 Novembre, l'Empereur nommaNi- CONSTANT1N V. A.nn. 766. L. Le PatriarcheGonftancin dépofé.  ConstantieV. Ann. 766. Ann. 767. Li. TVofanation des reli^ues. 472 HlSTOlüE cétas pour remplir fa place , fans obferver aucune forme canonique. Ce Prince, impie èkaudacieux , plein de mépris pour les loix de 1'Eglife, n'en connoiffoit aucune que fon propre caprice. Le nouveau Patriarche , plus indigne encore de cette éminente dignité que n'avoit été Conftantin, étoit un eunuque , Efclavon d'origine. Occupé dans fa jeuneffe au fervice des femmes , il favoit k peine lire. Cependant, k larecommandationde quelï ques Dames de la Cour, le Patriarche Conftantin lui avoit conféré la prêtrife , & 1'avoit revêtu d'un titre dans 1'Eglife des Saints Apötres. Ils méritoient tous deux l'un un tel dévancier,. 1'autre un tel fucceffeur. Nicétas, k fon entréedans le palais patriarchal, montra qu'il étoit digne du choix de l'Empereur, en détruifant de magnifiques mofaïques, dont les murailles étoient ornées, & que fes deux prédéceffeurs avoient laiffé fubfifter a caufe de leur beauté. C'étoit cette même forte de mérite qui . faifoit parvenir aux premières dignités de 1'Empire. Un violent Iconoclafte étoit aux yeux de l'Empereur  du Bas-Empire. Liv. LX1V. 473 capable de tous les emplois civils 6c militaires. Ce fut par-la que Michel MélifTene , frere de 1'Impératrice Eudocie , obtint le gouvernement de Phrygie , Lachanodracon, celui de 1'Alie, Manès , celui de Galatie. Fideles miniftres des fureurs du Prince , chacun d'eux fe fignala dans fa Province par la profanation des Eglifes , la perfêcution des Moines , la deftru£tion des images. Ils arrachoient des fanftuaires les reliques des Saints; ils les jettoient dans les égouts ou dans les rivieres; les faifoient brüler avec des offements d'animaux, afin qu'on ne put en démêler les cendres. Les reliques de Sainte Euphémie, martyre, étoient le principal tréfor de la ville de Chalcédoine ; FEmpereur fit jetter la chaffe dans la mer, 5c changea 1'Eglife partie en arfenal, partie en un lieu immonde pour recevoir toutes les ordures de la ville. La chaffe fut portee par les eaux a 1'ifle de Lemnos, 6c recueillie par les habitants. Vingt - deux ans après la mort de Copronyme , 1'Impératrice Irene, qui régnoit alors avec fon fils Conftantin , fit rapporter ce précieux ConstantieV. Ann. 767. Theoph. p, 570 & feqq. Cedr. p, 465 , 466. Niceph. p. 48, 49Hifi. mifc. I. 22. Zon.t. II. p. HO, 111 , 11 Manaff. p. 89. AHa Steph. jan. Codix. 47,48,5 5. Georg. Hamart. Baronius. Pagi ai Bar. Marea de concord. /. 3. c. 12. Fleury , Hifi. EccU l. 43. art. 42, 45 Cf fuiv. Ajfemani bibl. or. u II.  Constantie V. Ann, 767 LH. Dégrada tion du Patriarche Conf tantin. 474 Histo/re ■ dépot a Chalcédoine , & nettoyer 1'Eglife, qu'elle rétablit dans fon ancien état. Le Patriarche Conftantin éprouvoit depuis treize mois dans 1'ifle du Prince les traitements les plus inhumains. L'Empereur apprit que ce malheureux Prélat avoit ré vélé le difcours impie qu'il lui avoit tenu fur la mere de Dieu, & fur lequel il lui avoit recommandé le fecret. Outré de colere , il ordonne de le tranfporter a Conftantinople; & après lui avoir fait donner tant de coups de baton qu'il ne pouvoit plus fe tenir fur fes pieds , il le fait porter en litiere dans 1'E- . glife de Sainte-Sophie, pour y fubir la honte de la dégradation. On le jette fur les marches du fanétuaire; & en préfence de tout le peuple affemblé par ordre de l'Empereur, un Secretaire de la Cour lit k haute voix un libelle d'accufations, dont il lui frappoit le vifage k chaque article qu'il prononcoit. Pendant ce tempsla , Nicétas étoit afïis fur le tröne pontifical, & préfidoit k 1'ignominieux traitement que recevoit fon bienfaiteur. La lecture, achevée, Nicétas prit en  nu Bas-Empire. Liv. LXIF. 475 main le libelle, & ayant fait porter Conftantin dans la tribune de 1'Eglife, oü plufieurs bras le foutenoient debout pour le montrer au peuple , ' il y fit monter un de fes fuffragants, qui prononca Panathême, ledépouilla des vêtements épifcopaux , & 1'apoftrophant en termes outrageants, le chafla de 1'Eglife en le faifant marcher a reculons. Le lendemain, jour des jeux du Cirque, on lui arracha la barbe, les fourcils & les cheveux; & Payant revêtu d'une courte robe de laine fans manches, on lui fit traverfer le Cirque fur un ane, conduit par fon neveu , a qui 1'on avoit coupé ie nez. Le peuples &les facrions 1'accabloient d'injures & d'opprobres. Arrivé al'extrêmité de la carrière, on le jette enbas , on le foule aux pieds, on le fait afleoir fur une pierre prés de la borne , pour y recevoir, tant que dura le fpeöacle, les outrageantes railleries des cochers qui paffoient devant lui. Après tant d'infultes atroces, il fut mis en prifon, oü il demeura comme oublié jufqu'au quinzieme d'Aoüt de 1'année fuivante. Ce jour fut le CON-STANTIN V. tnn. 767. LUI. Sa mort, *  CONSTANT1N V. Ann. 767. 3 j > i I i I | 47<5 H 1 s t 0 1 r e dernier ■ de fes fouffrances. L'Empereur lui envoya deux Patrices pour lui demander ce qu'il penfoit de la foi du Prince & de la doftrine du Concile. Ce foible Prélat, encore courtifan dans fon cachot, efpérant adoucir fes maux par une réponfe flatteufe , s'écria que la foi de £ Empereur étoit fainte, & que le Concile avoit élabli la faine doctrine. C'eft un aveu que nous vouhons tirer de ta bouche impure, dirent auffi-töt les Patrices; ilnetereftt plus qu'a mourir. En même-temps ils lui prononcerent fa fentence , & le conduifirent k 1'amphithéatre, oü il eut la tête tranchée. Elle fut attachée au müliaire , & fervit de fpeöacle au peuple pendant trois jours. Le cadaire fut train é au Pélagium : c'étoit a place oü avoit été une Eglife de >ainte-Pélagie, que l'Empereur avoit fit démolir , pour en faire le lieu unefte oü 1'on jettoit les corps des :riminels après leur fupplice : comme 1 avoit fait abattre TEglife de SaintWré au-dela du golfe, & 1'avoit hangée en une place pour les exé:utions. C'eft ainfi que ce Prince fa-  nv Bas-Empire. Lh. LX/V. 477 rouche récompenfa le Patriarche d'avoir facrifié fa foi & fa confcience pour autorifer les impiétés de fon maïtre. Ce fut a cette affreufe tragédie que fe terminerent ces careffes & ces fêtes, dont le Prince avoit couronné les criminelles complaifances de fon Evêque : traitement d'autant plus harbare, que 1'infortuné Prélat avoit contracté avec lui une affinité fpirituelle felon 1'ufage de ce temps-lè , en baptifant deux de fes fils. Cependant le bruit des merveilles que Dieu opéroit par le miniftere d'Etienne exilé dans 1'ifle de Proconnefe, avoit allarmé l'Empereur. Peutêtre lui eüt-il pardonné fes miracles; il en auroit été quitte pour les contredire fans examen : mais Etienne convertiffoit ceux qu'il guériffoit; c'eft ce qui avoit déterminé le Prince k le faire amener k Conftantinople. II voulut 1'interroger lui-même ; & comptant beaucoup fur la force de fa dialectique & fur fes lumieres théologiques, que les Evêques de Cour admiroient, il entra en difpute avec le Saint Abbé, qui détruifoit d'un feul mot les longs & pénibles raifonne- C ONSTANTIN V. Ann. 767. LIV. Etienne k Conftantinople.  CONSTANTINV. Aan, 767. LV. Son marlytc. 478 ff/STOIRE ments de 1'Empereur. Enfin , Conftantin s'étant avancé jufqu'a dire qu'on pouvoit fouler aux pieds les images de Jefus-Chrilt, fans offenfer JefusChrift même, Etienne s'approchant de lui , 5e lui montrant une piece de monnoie qui portoit fon image 5c celle de fon fils : Je puis donc, dit-il, traiter de même cette piece de monnoie, fans manquer au rejpect que je dois aux Empereurs ; 6c 1'ayant jettée par terre , il marcha deflus. Les courtifans, témoins de cette hardiefle, fe jettoient déja fur lui pour le mettre en pieces; mais l'Empereur les arrêta, 8c le fit conduire a la prifon du prétoire, avec ordre de lui faire fon procés felon les loix, pour avoir outragé 1'image de l'Empereur. Etienne trouva dans la prifon trois cents quarante-deux Moines, qui portoient tous les marqués des tourments qu'ils avoient déja foufferts, 6c qui attendoient leur derniere fentence, Bientöt la prifon devint un monaftere ; quantité d'habitants venoient fe rendre auprès d'eux; on paflbit les nuits a pfalmodier; Pexemple de ces pieux athletes faifoit de vives im-  du Bas-Empire. Liv. LX/V. 479 preffions fur les gardes & fur les géoliers mêmes. On en avertit l'Empereur , qui étoit alors a boire & a jouer de la lyre au milieu de fes courtifans dans une galerie du palais; il célébroit ce jour-la k la maniere des Payens la fête de Bacchus. II paffe auffi-töt des excès de la joie k ceux de la fureur; il ordonne de tranfporter Etienne au-dela du golfe, & de le faire mourir dans la place de Maure. Le Saint étoit déja en chemin, lorfque l'Empereur faifant réflexion que ce feroit pour Etienne un fupplice trop doux que d'avoir la tête tranchée , envoya un contreordre, & le fit ramener en prifon. Le foir étant k table, il charge deux freres , Officiers du palais, d'aller au prétoire , & de faire expirer Etienne fous le baton. Au-lieu d'exécuter eet ordre cruel, ils fe profternent aux pieds du faint Abbé, & lui demandent fa bénédiction. De retour au palais , ils difent qu'ils ont laiffé Etienne expirant. Conftantin, charmé de ce faux rapport, fe livre k la joie , & continue fon feftin. Mais le lendemain matin, 2,8 Novembre, CONSTANTIN V. Ann, 767,  C ONSTANTINV. Ann. 767, 480 HlSTOIRB ayant appris qu'on 1'avoit trompé, il entre dans une violente colere, & courant comme un forcéné au tra- _ vers des appartements du palais, il crie qu'il ejl trahi, qu'il n'ejl plus Empereur , qu'Etienne eft fur le tróne , & que cel abominable Moine (c'étoit la qualité qu'il joignoit toujours au nom de Moine ) brave fous fes haillons la pourpre Impériale, & toute la 'puijfanct de l'Empereur. Quoi, s'écrioit-il, ne trouverai - je donc perfonne qui me defafje de ce rebelle, & qui me rende le repos ? La rage de l'Empereur paffe dans le cceur des courtifans; ils fortent en foule, pouffant d'effroyables cris; ils courent a la prifon. Etienne fe préfente lui-même dans une contenance affurée ; on le jette par terre, on attaché des cordes aux fers qu'il portoit aux pieds, on le traine par les rues. Le peuple Iconoclafte le frappe de tout ce qui lui tombe fous la main. Enfin , les^ reftes de fon cadavre déchiré fontlettés dans ia foffe du Pélagium. L'Empereur entend eet horrible récit avec de grands éclats de rire ; & comme s'il eut remporté une mémorable victoire ,  du Bjs-Empire. Liv. LXIF. 481 toire,ilfemeta table avec ces meurtriers, trempés du fang d'Etienne. Une exécution lï barbare endurcit encore le coeur de l'Empereur, & redoubla fa férocité naturelle. Pierre le Stylite fut traité comme Etienne. Conftantinople entiere étoit devenue un théatre de fupplices; on ne voyoit de toutes parts que crever les yeux, couper les narines, déchirer a coups de fouets, jetter dans la mer les Catholiques. Invoquer la Sainte Vierge, ne füt-ce que par une habitude de langage dans un accident imprévu , affifter aux offices de la nuit, fréquenter les Eglifes, c'étoit fe rendre fufpect au Prince; il n'en falloit pas davantage pour être mis k la torture, prefque toujours fuivie de la mort. Les plus célebres monafteres d'hommes & de filles furent donnés pour logement aux foldats. Celui de SaintJulien fut réduit en cendres avec les Moines qu'on y tint renfermés. Le Patrice Antoine , Pierre, maitre des offices, les foldats de la garde étoient a Conftantinople les exécuteurs de ces ordres inhumains. Les Commandants des Provinces fe difputoient-a Tornt XIII, X CONSTANTIN v. Ann. 767.' LVI. Redoublementde la perfêcution.  C ONSTANTIN V. Ann. 767. XVII. DébaucVies de Conftantin. 48a HlSTOIRE Penyi les bonnes graces de l'Empereur , par leur acharnement contre les Catholiques. Théophane Lardaryre, Gouverneur de rille de Crete, fe fignaloit entre les autres; mais il le cédoit encore a Lachanodracon, Gouverneur ^d'Afie, le plus fanguinaire de tous les courtifans. Entre une infinité de cruautés dont ce monflre affligea fa Province^ on raconte qu'ayant enfermé trente-huit Moines dans la voute d'un vieux bain au pied d'une montagne prés d'Ephefe, il en boucha 1'entrée, & fit miner la montagne qui les enterra tous vivants. Le récit de ces horreurs divertiffoit Conftantin; c'étoient les plus amufants de fes propos de table. II paflbit le temps dans les feftins, dans les concerts, dans les danfes , dans les entretiens de libertinage. Tandis que tout étoit en pleurs au-dehors, la Cour nageoit dans la joie. Le goüt du Prince, émouflé par Pabus desplaifirs, n'en recherchoit plus que d'extraordinaires. II y avoit a Conftantinople une fille de naiffance illuftre, nommée Agathe, célebre par fa beauté. Elle étoit parvenue jufqu'a la  du Bas-Empire. Liv. LXIV. 483 vieillefle fans trouver d'époux qu'elle crüt digne d'elle. L'Empereur fe fit un jeu de la féduire, & la combla de richefles. Son caprice excita le mépris, Sc fes profufions 1'indignation publique. La liberté du peuple de Conftantinople, opprimé alors par fes Princes, s'étoit cependant conferyée dans les fpe£tacles; elle alloit même quelquefois jufqu'a 1'infolence. Un jour que le Prince affiftoit aux jeux du Cirque , une mauvaife plaifanterie échappée a un des fpedtateurs, fut répétée par tout le peuple ; on s'écria de toutes parts : Prince, vous faites auffi des miracles ; vous ave^ rajeuni la vieille Agathe. Ces railleries, qu'il lui falloit dévorer, le couvroient de honte, maisne le corrigeoient pas. II s'abandonna même a ce vice infame, qui fait rougir la nature; & Ia cruauté vengeoit les intéréts de la débauche. Un de fes trop bons amis, nommé Stratege, touché du remords de fes crimes, s'étant jetté entre les bras d'un faint Anachorete, nommé Macaire, pour en recevoir les remedes fpirituels, il les fit mourir tous deux fous le faux prétexte de conjuXij CONSTANTINV. Ann. 767.  CONSTANTIN V. Ann. 767. Lvm. Autres ëvénetnents4 ans 1'Empire d'Orient. 484 IIlSTOIRE ration contre fa perfonne. Cependant ce Prince bifarre, dévot par accèsau milieu des plus affreux défordres ,prêchoit a Conftantinople. II compofa treize fermons, qu'il fit lire au peuple afiemblé,dans Pefpace de quinze jours. II n'eft point de Prince fi méchant qui ne fafle quelque bien , fur-tout dans un long regne. C'eft Ia refiource des panégyriftes. On fut redevable k Conftantin Copronyme de la réparation de 1'aqueduc de Valens, qui avoit autrefois fourni beaucoup d'eau k Conftantinople. II avoit été ruiné par les Abares du temps d'Héraclius. L'an 767, la fécherefle ayant tari toutes les fources, l'Empereur fit venir de la Thrace, de la Grece &c de 1'Afie plus de fept mille ouvriers pour rétablir eet aqueduc. Plufieurs Sénateurs furent chargés de, preffer 1'ouvrage, dont l'iftfpe&eur-général étoit un Patrice. II fut achevé en peu de temps.. Pour éviter les féditions qu'une perfêcution cruelle pouvoit exciter , & qui s'allument pour 1'ordinaire dans le dernier ordre du peuple , il veilla pendant tout fon regne k maintenir les yivres a bon marché,  dv Bas-Empire. Liv. LXIF. 48; Mais ce qui faifoit voir que c'ctoi par crainte plutöt que par fentimen d'humanité ,-c'eft qu'en même-temp: qu'il taxoit a très-bas prix le produi des récoltes, il accabloit d'impöts le: poflefleurs des terres & leur fermiers en forte qu'ils portoient feuls tout le poids de 1'avarice du Prince. L'hiftoi re ne dit pas quel moyen employoii Conftantin pour éviter les mauvaife« fuites d'un procédé, qui devoit produire 1'abandon de la culture & par conféquent la difette. Les Sarafins firent dans ce temps-la quelques mouvements. Le Calife Almanfor fit attaquer une place forte nommée Camach fur la frontiere d'Arménie; elle fut fi bien défendue , qu'après y avoir pafte tout 1'été; les Sarafins fe retirerent avec honte. Ayant entrepris de rebatir Arfamofate en Arménie prés du fleuve Arfanias , ils furent troublés dans leurs travaux par les troupes Romaines de la frontiere; mais lorfqu'elles furent retirées, ils reprirent Pouvrage avec une nouvelle ardeur; & cette ville célebre dans 1'antiquité fe releva de fes ruines. Fin du Tornt trei^ieme. > CONSTANTIN! V. ; Ann. 767.   EXTRA FT DES REGISTRES de C'Académie Royale des Infcriptwns & Belles-Lettres. Du Vendredi 27 Juillet 1770. IVT. 1'Abbé de la Bi. eter ie & M Caperonnier, Commiffaires nommés par 1 Academie, pour 1'examen d'un Ouvrage manufcrit de M. L e Beau, Secretaire perpétuel de ladite Académie, intit^\\j.HiJlolre du Bas-Empire, Tornes XI11 & XIP, en ont fait leur rapport, & ont dit qu après avoir examiné eet Ouvrage, ils n'y ont tien trouvé qui dut en empêcher 1 impreffion. En conféquence de ce rapport , & de leur approbation par écrit 1 2Académie a cédé a M, Le Beau fon droit de privilege pour 1'impreffion dudit Uuvrage. En foi de quoi nous avons figné le préient certificat. A Paris, au Louvre ce Vendredi 27 Juillet 1770. LANAUZE, Diretleur.