HISTOIRE D U B ASEM PI RE. TOME Q UA TORZIEME*   HISTOIRE D U B ASEM PI RE, EN CO MMENCANT a CONSTANTIN le Grand» Var Monfieur LE BEAU, Profejfeur Émêrite en Wnive rs1tê de Paris , Profejjeur d'Éloquence au College Royal, Secretaire ordinaire de monseigneur le Dl/c. d'OrlÉANS , & ancien Secretaire perpétuel de l'Academie Royale des Inscriptions et Belles-Lettres. TOME QUATORZIEME. A MAESTRICHT, Chez Jean-Edme Dufour & Phil. Roux, Imprimeurs-Libraires, aflöciés. Tl dcc lxxx.   SOMMAIRE D U LIVRE SOIXANTE-CINQUIEME. I. Copronyme demande en manage pour fonfils , Gifele, fille de Pépin. II. Conjlantin intrus fur le faint Siege. III. Eleciion du Pape Etienne III. iv. Députation £ Etienne a Pépin. v. Con~ ale de Rome. VI. Nouveaux troubles a Rome. vu. Didier vient d Rome. via. Mort de Chriftophe. ix. Rufe de Didier. X. Mort de Serge. XI. Mort de Paul Afiarte. XII. Manage de Lèon & d'Irene. Xiii. Didier tdche de mettre les Rois Frangois dans fes intéréts, xiv. Mariage de Charles & de Défidérate. xv. Violences de Lachanodracon. XVI. Défaite des Romains en Afie. xvil. Politique da Pape Adrien. XVIII. Artifice inutile de Didier XIX. Le Pape implore lefecours de Charles contre Didier. xx. // arréte Didier par la crainte de l'excommumtation.xxi. Charles paffe en Italië. XXII, Tomi XIV. A  2 SOMMAIRE DU LlV. LXV\ 11 va d Rome. XXm.'Il confirmc la do' radon de Pépin. xxiv. Contenu de la. nouvelle donation. XXV. Erreur de SU gebert. XXVI. Prife de Pavie & de Vérone. XXVII. Extinciion du Royaume des Lombards. XXVIII. Vaine entreprife d'Adalgife. XXIX. Guerre des Sarafins. XXX. Guerre de Bulgarie. XXXI. Conftantin trompé par le Roi des Bulgares. XXXII. Mort de Conjlantin. XXXIII. Réjlexions fur la mémoire de Confantin Copronyme. XXXIV. Enfants de Conf~ tantin. xxxv. Bonne conduite de Léon au commencement de fon regne. xxxvi. Le jeune Conjlantin Augujle. xxxvil. Confpiration de Nicéphore. XXXVIII. Le Roi des Bulgares Je réfugié auprls de VEmpereur. xxxix. Guerre des Sarafins. XL. Vaines tentatives des Sarafins. XLl. Défaite des Sarafins. XLII. Mort de Léon.  3 HISTOIRE D U BAS EMPIRE. L1VRE S01XANTE-CINQUIEME. GONSTANTIN V, dit Copronyme, LEON IV, dit C h az are. Depuis prés de quarante ans, les Papes tenoient k 1'égard des Empereurs la conduite la plus équivoque. Leurs démarches furent ü couvertes & fi artificieufement concertées, qu'on difpute encore aujourd'hui fur 1 epoque précife de leur inA ij ConstantieV 4.nn. 767. I. Coproïyme denande en  CONSTANTIN V. Ann. 767. tnariage pour ion fils, GifeJe, la fille de Pépin. Epift. Steph. m, Aimoin. 1. 4- <• 67. Ëaronius. Pagi ad 'Bar. Marca ie tencord. I. 3. e. 11. Fleury , Hifi. Eed. I. 43. art. 43- JJu Cange fam. By{. p. 186. 4 HlSTO/RE dépendance. Toujours foumis en apparence , ils fembloient refpefter encore les ordres des Empereurs; ils leur écrivoient comme a leurs ibuverains; ils datoient leurs aöes des années du regne de ces Princes; ils laiflbient fubfifter a Rome leurs tribunaux, leurs loix , leurs Magiftrats. Mais en même-temps la politique des Papes avangoit pas a pas vers fon but; ils s'appuyoient d'une protection redoutable aux Empereurs; tantot amis, tantöt ennemis des Lombards, ils féparoient leurs propres intéréts de ceux de 1'Empire; ils profitoientdesufurpations, & fe faifoient donner les Provinces qui devoient être reftituées a leurs maitres ; ils obéiffoient encore a leurs Princes légitimes ; mais ils régnoient déja dans 1'efprit des peuples. Dans le projet qu'ils avoient formé de fe fouftraire a la domination Impériale, ils fuivoient habilement cette maxime que 1'on a établie au fujet de 1'amitié, que lorfqu'il s'agit de s'en détachef, il ne faut pas la rompre, mais la découdre. Ce manege ne pouvoit échapper au yeux de 1'Empereur. II voyeit  du ÊAS-EmikE. Lh. LXF. 5 que la puiflance de Pépin faifoit toute la force des Papes; que pour les réduire k 1'ancienne dépendance, il falloit leur enlever la proteftion de ce Prince, &le mettre dans fes intéréts; il fentoit que le plus grand obftacle qu'il pourroit y rencontrer, étoit la diverfité de fentiments en matiere de Religion, & que pour obtenir une alliance fi avantageufe , il falloit juftifier fa doftrine, qu'il ne vouloit pas abandonner. II envoya donc en France une ambaffade de fix Patrices, accompagnés des plus habiles d'entre les Evêques & les Prêtres Iconoclaftes. Les Patrices firent k Pépin la demande de fa fllle Gifele pour Léon fils aïné de 1'Empereur , & déja revêtu lui-même du titre d'Augufte. La dot de la Princeffe devoit être PExarcat, qui, par ce mariage, fortiroit de la main des Papes pour retourner k fes anciens maïtres. Les Eccléfiaftiques, de leur cöté, combattirent fortement le culte des images ; ils rejetterent fur les Latins Taccufation d'héréfie, leur reprochant d'avoir ajouté au fymbole le mot filioque; car dès ce temps-la, A iij CONsl TANTItT V. Ann. 767;  CONSTANTIN . V. Ann. 767. ' 'N ' IL Conftantin intrut furlefaint Siege. Anafi. in Steph. UI. Marian. Scot. Baronius. Pagi ad Bar. FUury, hifi. ecchf. I. 43. art. 44. tU 6 H I S T 6 I R S les Grecs commencoient k entrer es conteftation avec les Latins fur la proceffion du Saint Efprit. Pépin renvoya cette queftion au Concile, qui fut tenu a Gentilly prés de Paris. Les. Légats du Pape y aflifterent, &foutinrent avec vigueur en préfence du Roi la caufe de 1'Eglife Latine & celle du Pape ; les raifons & les demandes des Grecs furent également rejettées. M. de Marca foupconne, que ce fut en cette occafion que, pour fermer la bouche aux Grecs fur le domaine temporel du Pape, quelques partifans trop zélés du Saint Siege, fabriquerent Pafte de donation de Conftantin. Tant d'intrigues & de mouvements qui préparoient k Rome une révolution prochaine , devoient y caufer une grande agitation dans les efprits. Aufli la mort du Pape Paul, arrivée le 28 Juin, fut-elle une occafion de troublés. II n'avoit pas encore rendu le dernier foupir, que Toton, Duc de Népi en Tofcane , homme violent & ambitieux, entra dans Rome k latête d'un grand corps de troupes & d'une multitude de payfans ar-  du Bas-Empire. Liv. LXV. 7 més, avec fes trois freres Conftantin, Paffif & Pafcal. II fe rendit maïtre du palais de Latran , fit élire Pape fon frere Conftantin, quoique laïc, forca les trois Evêques de Paleftrine, d'Albe & de Porto de lui conférer les ordres & de le facrer Evêque de Rome. Conftantin fe fit prêter ferment par le peuple Romain, & fe maintint fur le faint Siege a main armée. Comme il eft plus facile de prendre le langage des dignités, que d'en acquérir le mérits, il écrivit auïïi-töt a Pépin une lettre apoftolique , remplie des fentiments d'une profonde humilité; il lui demandoit fa proteftion & juftice du Roi des Lombards. II témoignoit un grand zele pour les faintes images ; il proteftoit que le peuple Romain 1'avoit élevé malgré lui k cette place éminente, dont il fe reconnoiffoit indigne; Pépin, inftruit de ce qui s'étoit paffé , ne répondit rien k eet ufurpateur hypocrite. Les défordres dont la mort de Paul fut fuivie, font affez connoïtre 1'état oüj la ville de Rome fe trouvoit alors, C'étoit une forte d'anarchie. Le A iv CONSTAKTINV. A.nn. 767.' Murat. anlal. t. IV. 1. 336. Abrégé de Vhift. A'ltal. t. I. ?• 359» Ann. 7ÓS. III. Eleftion da Paps  ConstantenV. Ann. 76S. Etienne III, -inaft. in S"ph. III. Pagi ad Sar: Ileury , hifi. ecclef. i' 43. art. n, f3. J4- Giann. hifi. Napl. I. 5- c. 6. Abrégi de thifi. d'Ital. t. 1. p. 360,361, 361. 8 HlSTOJRB feul refpeft de 1'autorité pontificale contenoit lés petiples; & les Magiftrats impériaux, qnoique revêtusde titres légitimes , avoient fi peu de pouvoir, qu'il n'en eft pas dit un feul mot dans toute Phiftoire de ces troubles. La même violence qui avoit mis Conftantin fur le faint Siege, Pen fit defcendre. Treize mois après fon intrufion , Chriftophe , primicier, & fon fils Serge, tréforierdePEglife, s'étant adreftés a Didier pour faire cef~ fer le fcandale, reviennent a Rome le 28 Juillet avec une troupe de Lombards; ils y font recus par intelligence; il fë livre un combat oü le Duc Toton eft tué; fes deux freres Paffif & Conftantin Pape, fe réfugient dans une Eglife, & n'en fortent que fur la promeffe qu'il ne leur fera fait aucun mal. Un Prêtre Lombard , nommé Valdipert, a la tête d'une faöion, fait élire Pape un Moine nommé Philippe. Mais Chriftophe fe déclare contre cette éleftion tumultuaire ; & dans une affemblée réguliere du clergé , de la nobleffe & du peuple , on choifit un Pape qui prend te nom d'Etienne lil, On dépofe igno-  du Bas-Empïre. Liv. LXF. 9 ininieufement Conftantin : on 1'enferme dans un monaftere. On traite cruellement fes freres & fes partifans. Le peuple fe rend en foule dans la bafilique de Saint-Pierre; & ayant fait une confeffion publique par la bouche de Léonce, Secretaire du faint Siege , il demande pardon k Dieu de ne s'être pas oppofé k Pintrufion de Conftantin. Cet aöe de pénitence eft fuivi de nouveaux excès. On creve les yeux au tribun Gracilis, ami du Pape dépofé; on traite avec la même cruauté Conftantin lui-même , & on le laifle pour mort dans une place de Rome. Le Prêtre Valdipert ne trouve pas plus de grace auprès de ces forcenés; il meurt bientöt après de fes blefiures. Le nouveau Pape avoit k craindre que le Roi de France, Patrice de Rome, ne lui imputat tant de violences. Pour fe conferver une protecrion fi utile au faint Siege, il lui députa le même Serge , qui avoil été avec fon pere le principal auteur de la révolution. Serge étoi chargé de prier Pépin d'envoyer ; Rome quelques Evêques, pour juA y Constantie V. Ann. 768. IV. Députation d'Etienne Ut a Pépin. t  CONSTANTIN V. Ann. 768 Ann. 769. V. Concile de Rome. Ced, Ca- t© Htstotre ger par eux-mêmes de 1'indignité dë Conftantin, de la juftice de fa dépofition, & pour fe convaincre que . fi elle avoit été fuivie de quelques exces , Etienne n'y avoit eu aucune part.^ Serge en entrant en France,. apprit que Pépin ne vivoit plus; il étoit mort le 24 Septembre; Prince politique & guerrier, 1'honneur de fon fiecle , aufli grand & aufli aimable fur le tröne, qu'il avoit para 1'être lorfqu'il y afpiroit. Charles & Carloman fes fils & fes fucceffeurs, Patrices de Rome comme leur pere r & non moins zelés pour le faint Siege , recurent avec refpeft les lettres apoftoliques, & nommerent, felon le defir du Pape, douze Evêques inftruits des regies canoniques, pour travailler avec le Pape k rétablir le calme dans Rome, & a réparer les maux qu'avoient caufés 1'élecrion illégitime de Conftantin & fa dépofition violente. Au mois d'A vril fuivant, le Pape tint k Rome un Concile, oü fe trouverent ces douze Prélats avec plufieurs Evêques d'Italie. La dépofition de Conftantin y fut confirmée,. &fes.  du Bas-Empire. Liv. LXV. ir ordinations déclarées nulles. II fut lui-même amené dans le Concile , & paria d'abord avec beaucoup d'humilité , fe profternant aux pieds des Evêques, & implorant leur miféricorde. Mais comme il vouloit enfuite fe juftifier par quelques exemples de laïcs élevés a 1'Epifcopat, la compaffioa des Prélats fe tourna en indignation ; ils le chaflerent honteufement de 1'affemblée. On brüla fes aftes, mais non pas fa perfonne, comme le dit fauffement la chronique de Marianus Scotus. On mit en pénitence tous ceux qui avoient été en communion avec Conftantin. On ordonna qu'a 1'avenir pour être élu Pape , il faudroit être du moins Diacre ou Prêtre Cardinal, c'eft-a-dire attaché a un titre, après avoir pafte par tous les degrés inférieurs. On fit plufieurs canons pour régler la forme des élections. Le Concile tenu par Conftantin Copronyme fut anathématifé; on pronon5a 1'excommunication contre tous eeux qui condamneroient le culte des images; 1'Empereur ne fut pas nonv mément excommunié; mais le Pape lui fit favoir le réfultat du Concile. A vj, CONSTAST1NV. Ann. 769. rotin. Epifl. 48. Anafl. in, Steph. UI. & in Air. Marian. Scot. Baronius. Elcury , hifi. ecclif. I. 43. art. 57- Murat. annal. d'Ital. t. IK p. 340. Abrégé de l'hifl. d'Ital. torn. I. p. 361.  ConstantenV. Ann. 769. VI. Nou. veaux troublesa Rome, 1 3 r é " H I $ T 0 I r B L'éleflion réguliere d'Etienne, & les foins des Rois Francois fembloient devoir difliper les troubles dont Rome venoit d'être agitée. Mais cette ville étoit alors dans un état d'altératjon & de crife, oii 1'on ne pouvoit efpérer de repos. Le Pape & Ie Roi des Lombards fe tendoient mutuellement des pieges, Didier, pour retenir les biens du faint Siege envahis par les Lombards, Etienne, pour les retirer de leurs mains. L'un & 1'autre s'enveloppant dans une profonde diffimulation , ont jetté fur les faits de ce temps-la un voile pref511e impénétrable. Je fuivrai le récit fAnaftafe, auteur barbare & confus , riais unique pour le détail de ces :vénements , & je tacherai de 1'é:laircir par des conjeöures qui naifènt du fujet. Chriftophe & Serge qui 'etoient appuyés du fecours de Diier contre Ie faux Pape Conftantin C contre fes freres, avoient enfuite ncouru la haine de ce Prince par mr zele pour les intéréts du faint t:ge. Ufant de leur crédit auprès du apequi leur étoit redevable de fon lévation, ils ne ceffoient dele pref-  du Bas-Empirb, Liv. LXV. 13 fer d'agir fortement auprès des Rois Francois, pour obliger Didier k rendre les biens ufurpes fur 1'Eglife de Rome. Didier réfolut de les perdre 1'un 8c 1'autre. Pour y réufïir, il fe fervit de plufieurs Officiers du Pape, 6c fur-tout de Paul Afiarte,Camérier & confident du Saint Pere. Ces hommes corrompus s'entendirent enfemble pour infpirer au Pape des fentiments de défiance & de jaloufie contre Chriftophe & contre Serge. C'étoient des tyrans, difoientils, qui regardant leur maitre comme leur créature, prétendoient le tenir dans un perpétuel efclavage. Ces difcours, fans faire fur 1'efprit £Etienne toute 1'impreffion qu'on . auroit defiré, y laiffoient cependant ] des foupcons; 5c les chofés étant ainfipréparées, Didier, fuivi dequel-, ques troupes, prit le chemin de Rome fous prétexte de dévotion. Chriftophe &c fon fils devinerent les intentions de ce Prince; ils firent venir des troupes de Tofcane, de Campanieöc dePéroufe, & fermerentles portes de la ville, réfolus d'en difputer 1'entrée aux Lombards, Didier CONSTANTIMV. Inn. 769. VII. Didier 'ient al lomei,  ConstantenV. Ann, 769. *4 NlSTOIRB vint camper prés de 1'Eglife de SaintPierre hors de la ville , & envoya prier le Pape de venir le trouver. Etienne fe rendit au camp des Lombards & dans cette première entrevue , il ne fut queftion que de 1'affaire des reftitutions, fur lefquelles Didier fe montroit fort difpofé a fatisfaire le faint Siege; il en fit menie le ferment furie tom-beau de Saint Pierre. Le Pape retourna au palais de Latran fort content de la conférence. Cependant Paul Afiarte & fes afïbciés travailloient fourdement k foulever le peuple contre Chriftophe & Serge. Ceux-ci, bien avertis, afTemblent leurs partifans, prennent les armes, & montent au palais dë Latran pour fe faifir de leurs ennemis. Au bruit que caufa 1'arrivée de tant de gens armés, le Pape vient audevant d'eux, leur fait de vifs reproches de leur audace , & leur ordonne de fortir. Ils obéiffent & fe liennent dans la ville en état de défenfe. Le lendemain, le Pape retourne k la conférence, qui fe tint dans. 1'EgHfe de Saint-Pierre. Ce jour-la, Didier changeant de langage, ne paria.  »u Bas-Empire, Lïv. LXP~. \$ plus de reftitution; il demanda qu'on lui mit entre les mains Chriftophe & Serge, comme des feditieux, qui ofoient faire la loi au Saint Pere. En même-temps, il fit fermer les portes de 1'Eglife, proteftant qu'il n'en laifteroit fortir ni le Pape, ni perfonne de fa fuite, qu'on n'eut fait venir ces deux chefs de fédition , auxquels il vouloit , difoit-il, apprendre leurdevoir. LePape envoya deux Evêques a la porte de la ville pour fignifier a Chriftophe 6f a fon fïls qu'ils n'avoient que deux partis k prendre , ou de fe faire moines pour fe mettre k couvert de tout foup§on, ou de venir k Saint-Pierre fe jetter aux pieds de Didier. Ils n'aceepterent ni 1'une ni 1'autre de ceseonditions; la première n'étoit pas de leur goüt, 1'autre étoit trop périlleufe, mais cette démarche du Pape les perdit. Le peuple jugeant que le Pape les abandonnoit, fe fépara d'eux; leurs parents mêmes fe retirerent, & les laifferent k la merci de leurs ennemis. II y avoit déformais moins de füreté pour eux dans Rome f, oii Paul < ] CONSTANTIKV. knn. 7Ó,y» viir, M»rt dw ^hriftoihe»  CONSTANTIN V. Ann. 769. IX. Rufe de Didier. J 1 16 HlSTOI&E Aflarte demeuroit le maitre du terrein, que dans le camp des Lombards. Ils prirent donc le parti d'en fortir la nuit fuivante, & allerent k la bafilique de Saint-Pierre pour fe jetter entre les bras du Pape. La garde poft ée fur les degrés les arrêta, & les conduifit au Roi. Le Pape qui vouloit les fauver , leur confeilloit de prendre 1'habit monaftique ; k quoi les trouvant peu difpofés, il les laifladansl'Eglife, &retourna k Rome , dans 1'intention de les y introduire pendant Ia nuit, & de leur procurer une retraite affurée. Leurs ennemis prévinrent ce bon office, & fe haterent de les faire périr. Sur le foir, Paul & fespartifans allerent trouver le Roi Lombard; & ayant terui confeil avec lui, ils enleverent ie PEglife Chriftophe & Serge, les trainerent k la porte de la ville, &c eur creverent les yeux. Chriftophe ;n mourut trois jours après. Une grande partie de ce récit pa■oit démentie par une lettre d'Etienie a Charles, Roi de France. Chrifophe & Serge y font dépeints comne deux fcélérats, qui avoient for-  du Bjs-Empire. Liv. LXF. 17 mé le complot de maffacrer le Pape ; il fe plaint vivement de Dodon que Carloman avoit envoyé a Rome, & qui étoit d'intelligence avec eux; il ajoute que bien qu'ils euffent mérité la peine qu'on leur avoit fait fouffrir , il avoit fait tous fes efforts pour lesfauver, & qu'ils avoient été punis fans fon confentement & a fon infu. Pour Didier, il lui donne des éloges ; c'eft k lui, dit-il, c'eft k fon aftiftance qu'il doit la vie; ce Prince eft d'accord avec lui fur les biens de Saint Pierre , qu'il a fidélement reftitués. Mais comme on le voit par la fuite des événements , cette lettre n'eft qu'un tiffu de fauffetés , que Didier diöa fans doute lui-même , & qu'il contraignit le Pape d'écrire. Comme il redoutoit le reffentiment des Princes Fran^ois qui chériffoient Chriftophe & Serge , il leur en fait une peinture affreufe, & les trompe en même-temps fur 1'affaire de 1'Eglife, dont ils époufoient les intéréts. Pour achever ce qui concerne cê trifte événement, & n'y plus revenir dans la fuite, je rapporterai d'avan- CONSTANT1N V. Ann. 769, \ X. Mort de Serge.  Constanten V. Ann, 769, XI. Mort de Paul Afiarte. ] « 1 I f 18 H 1 S T O I R S ' ce quelle fut la fin de Serge & de 1 aul Afiarte. Serge, enferme d'abord dans unmonaftere, fut transféré enfmte dans une loge du palais de Latrat!, oü d demeura plus de deux ans fous la proteöion du Pape. Paul Afiarte, qui jufque-la n'avoit ofé le faire penr, voyant le Pape malade & pres de mourir, le fit enlever & le nut entre les mains de fes amis > auffi méchants que lui, entre lefquels etoit le Duc Jean, frere du Pape Etienne. Après 1'avoir poignardé & etranglé pendant la nuit, ils 1'enterrerent fecretement prés de Rome. Ce meurtre fut découvert & févérement pum peu de temps après la mort d'Etienne, fous le pontificat & par les recherches dAdrien , fon fucceffeur. II en couta la vie aux plus coupables, aont le chef fecret étoit Paul Afiarte. Pendant la maladie d'Etienne & les* iiut jours de vacance du fiege jufqu'a ^eleftion dAdrien , une troupe de editjeux, fufcités par Paul Afiarte fui les faifoit agir fans paroitre luineme, avoit rempli la ville de Roae de trouble & de défordre , chafmt les Magiflrats & les principaux  du Bas-Empire. Liv. LXF. 19 du Clergé, ou les renfermant dans des cachots. Adrien, k fon avénement, avoit rappellé les bannis, mis les prifonniers en liberté, & rétabli le calme. Mais ne connoiffant pas la noirceur de Paul Afiarte, il Pemployoit auprès de Didier pour négocier les reftitutions que ce Prince promettoit & refufoit tour-a-tour, felon les conjon&ures. Le traitre Paul, fecretement vendu au Lombard, au-lieu de fervir fon maitre, promit k Didier de lui amener le Pape en le trainant par les pieds, s'il ne pouvoit faire autrement. II étoit en chemin pour revenir k Rome, lorfque Paffaffinat de Serge fut découvert. Le Pape ordonna aufli-töt a Léon , Archevêquede Ravenne, de 1'arrêter au paffage, & de le retenir en prifon, tandis qu'on achevoit les informations k Rome. Après la punition des affafiins, le Pape envoya la procédure a Ravenne, avec ordre d'en donner communication k Paul, &c de lui faire fubir interrogatoire. II avoua fon erime, & le Pape en étant informé , manda aufïï-töt a 1'Archevêque qu'il n'allat pas plus loin dans cette Constanten V. Ann. 769a  ConstantieV. Ann, 769 » 1 < XII. * Mariage de Léon ] & d'Irene. 20 HlSTOlRE affaire, mais qu'il renvoyêt Paul k Home fous la garde du tréforier Grégoire, lorfque celui-ci reviendroit • de Pavie, oü il étoit allé conférer avec le Roi Lombard. Le deffein du Pape étoit de fauver la vie a Paul Afiarte , qm ne le méritoit pas; mais le Fontife, naturellement bon & compatiffant, vouloit lui laiffer le temps de faire pénitence de fes forfaits. II avoit même écrit a 1'Empereur pour implorer fa clémence en faveur de ce criminel, & pour le prier de fe contenter de le tenir en prifon perpctuelle loin de 1'Italie. Plufieurs de les complices avoient déja été envoyés a Conftantinople. Mais 1'indulgence du Pape n'eut aucun effet L'Archevêque de Ravenne, makré lorclre qu'il avoit recu, fit mourir Paul dans la prifon, & s'excufa fur :e qu il n'avoit pu arrêter Ie cours le la juftice, ni fauver un homme :onvaincu d'un meurtre fi atroce • & e Pape fut obligé de s'en tenir k Ie vives réprimandes, qu'il £t k Archeveque. Ce récit d'Anaftafe prouve que le 'ape reconnoiffoit encore 1'Empe-  J5C7 Eas-Empihe. Liv. LXP~. ai reur pour Souverain de Rome , & fait même entendre que c'étoient des Magiftrats Impériaux qui rendoient la juftice dans cette ville. Conftantin cependant fembloit avoir abandonné le foin de fon Empire, pour ne s'occuper que de fes difputes de Religion. Mais s'il perdoit beaucoup de fes fujets par la fuite des Orthodoxes , qui alloient chercher afyle hors de fes Etats, il en recouvra cette année un aflez grand nombre. Les Efclavons, qui exercoient la piraterie , avoient enlevé quantité d'habitants des nies d'Imbros, de Ténédos & de Samothrace : Conftantin en retira deux mille cinq cents, dont il paya la rancon en étoffes de foie. II fit un échange de prifonnier avec les Sarafins. II lui étoit né cette année un quatrieme fils d'Eudocie, qu'il nomma Anthime, & le premier Avril il couronna 1'Impératrice, & lui donna le nom d'Augufte. Le lendemain jour de Paques, les fils qu'il avoit eu dëlle recurent des titres qui les approchoient du tröne : Chriftophe &c Nicéphore, celui de Céfars; & Nicétas, celui de Nobjlifiime. Cette fo- CONSr TANTIN V. Ann. 769. Theoph. p. 374- Cedr. p, 467. Niceph. p. 49- Hifi. Mifi. I. 12. Zen. t. II, p. 112. Du Cange fam. By^, p. 126. Idem. Confi. chrift. I. 4; f> 95.  Coifs- TANTIN V. Afin. 769. 22 HlSTOIRB lemnité fut rendue intéreflante par les largefïes faites au peuple. Léon, furnommé Chazare, hérkier préfomptif de la couronne , étoit deja dans fa vingtieme année ; PEmpereur lui cherchoit une femme. On ne fait quelle fut la raifon qui flxa fon choix fur une fille Athénienne nommée Irene, ainfi que lamere du jeune Prince; mais il n'auroit pu trouver pour fon fils, dans toute 1'étendue de 1'Empire, une époufe d'un génie plus vafte, plus fouple & plus diffimulé, & en même-temps plus hardi & plus ferme , plus capable k la fois d'actions héroïques & de grands crimes. On la conduifit d'abord au palais d'Hérée, '& le premier Septembre elle fit fon entrée k Conflantinople. La Cour & la ville allerent au-devant d'elle dans des barques magnifiquement ornées d'étofFes de foie; tout le Bofphore brilloit d'or & de pierredes, & ce fuperbe cortege la conduifit jufque dans le port. Deux jours après, les fiancailles furent célébrées dans la chapelle du palais; la cérémonie du mariage fut difFérée jufqu'au 17 Décembre; la Princefle  nu Bas-Empire. Liv. LXF. 23 recur ce même jour le titre d'Au- sufte- Dans le même temps, Didier projettoit d'autres mariages qui ne devoient pas être fi agréables k 1'Empereur. Le Roi Lombard fortement follicité par Etienne d'acquiter la promefle confirmée par fon ferment fur le tombeau de Saint Pierre, répondit froidement, que le Saint Pere devoit être content qu'il teut affranchi de la tyrannie de Chrijlophe & de Serge; que ce fervice valoit bien quelques métairies que lePape redemandoit, & qu'apres tout il étoit de Fintêrêt des Romains de ne fe pas détacher des Lombards , dont le fecours alloit leur être nécejfaire; que Carloman fe préparoit a marcher a Rome, & dfe venger fur le Pape même du traitement fait d fes créatures. Mais pour enlever au Pape la proteftion des Rois Francois , il forma le defiein de fe lier avec/eux par une doublé alliance. II avoit un fils & une fille ; il propofa de marier fon fils Adalgife k Gifele, fceur des deux Princes, qui avoit été refufée k Léon, fils de 1'Empereur , &c fa fille Défidérate k Charles, quoi- CONSTANTINV. Ann. 770. Xtll. Didier tache de mettre les Rois Fran. ïois dans fes inté» rêts. Steph. UI. Epift. 5. Ancft. in Hadr. Aimoin. I. 4. c. 63, 69. Baron'tus, Paei ad Sar. TUury 9 hifi. ecclcf. I. 43. art, 59- Murat. annal. d'Ital. t. IV. p. 346. Abrégè de Vhifi. d'Ital. T. I. P- 36j. Sr fuir.  Com- TANTIN V. Ann, 770, XIV. Manage de Charles & de Défidérats. H HlSTOIRE que ce Prince fut déja engagé avec une femme nomméeHimiltrude, dont il avoit un fils. Mais eet engagement inégal n'étoit qu'une de ces alliances paffageres , autorifées alors par un abus univerfel chez les nations d'origine Germanique , & que 1'Eglife étoit forcée de tolérer. La Reine Berthe , meredes deux Rois ,appuyoit de tout fon crédit la propofition de Didier; ce Prince avoit eu 1'adreffe de la faire entrer dans fes vues au retour d'un voyage de dévotion qu'elle avoit fait a Rome. Cette intrigue mettoit le Pape dans de grandes inquiétudes; il n'oublia rien pour la traverfer; & fi Pon doit lui attribuer la lettre qui porte fon nom comme adreffée aux Princes Francois, pour les détourner de ce mariage, il faut avouer qu'il alla beaucoup au-dela des bornes que lui prefcrivoient la vérité , la juflice , la charité & la dignité même de Chef de PEglife. Auffi Muratori eft-il tenté de croire que cette déclamation n'eft pas 1'ouvrage du Pape, mais de quelque bel efprit de ce temps-la. L'auteur de cette lettre, après avoirappuyé  bv BaS'Empïb.e. Liv. LXF. 55 |myé avec raifon fur 1 indiffolubilité de Funion conjugale , fait le portrait le plus affreux du peuple Lombard: c'eft felonlui, une nation perfide, parjure, abominahle , infecle, dok font ver mts les lépreux , qui n'ejl pas même ecmptce au rang des nations : affociir avec eux la noble nation des Francois, c'efl unir la lumiere avec les ténébres. II les traite dinfideles, quoiqu'ils fuffent depuis long-temps auffi Chrétiens, auffi Catholiques que les Francois ; il prétend qu'il n'eft pas permis aux Rois de France de prendre des femmes étrangeres, encore moins chez un peuple ennemi du faint Siege ; enfin, il menace les contrevenants de tous les foudres de 1'anathême. Une inveöive auffi outrageante que frivole & mal fondée dans tous les articles, ne pouvoit balaricer le crédit de Berthe, Le mariage de Gifele ne fe termina pas ; mais Charles époufa Défidérate, que la plupart des Hiftoriens Francois nomment Hermengarde, & il la répudia un an après fans aucune raifon apparente. Auffi ce divorce ne fut-il pas approuvé de la nation FrancoiT»me XIV. B COKSTANTItT V. Ann. 77«<  Constanten " V. Ann. 770, Ann. 771, XV. Violences de Lachanodra'con. Theoph. p 375,376 & ibi Goar Ccdr. p. 466, 467 Hifi. mifc, l. 22. Baronius 2(5 H I S T O I R S fe , qui regarda longTtemps comme ïllégitime le manage que ce Prince contraöa enfuite avec Hildegarde. Mais Ie Roi Lombard en eut le cceur ulcéré, & il ne tarda pas k le faire connoïtre. Carloman étant mort, Sc Charles s'étant emparé de ïes.Etats, il s'empreffa de tendre les bras k Gerberge, veuve de Carloman , qui vint avec fes enfants & tous leurs droits chercher un afyle k Pavie. Ce choc de divers intéréts préparoit la guerre en Italië; mais 1'Orient étoit le théatre de deux guerres également animées; 1'une contre les défenfeurs des images, 1'autre contre les Sarafins. Banacas, Général des troupes du Calife, dépleuploit les Pro»vinces Romaines; il reprit Germanicie. Les Romains s'en vengerent en mettant k feu & k fang 1'Arménie mineure. Mais ces ravages caufoient moins d'horreur que les violences de Lachanodracon, Gouverneur de la petite Phrygie, de la Lydie & de l'Ionie. Ce courtifan impie, voulant flatter fon maitre en imitant fes fureurs, fit conduire k Ephefe tous les Moines & toutes les Religieufes de fon Gou-  du BaS'Empire. Ltv. LXF. £7 vernement; & les ayant affemblés dans une plaihe voifine, oü il avoit fait porter quahtité dTiabits blancs, il fit crierpar un héraut: Que tous ceux qui font difpofes d faire la volontl de CÈmpereur, quittent tout-d-Chture le fac lugubre dont ils font revêtus, qu'ils prennent ckacun un des ces habits, 6* qu'ils chqijïjfent une femme entre celles qui font ici. Quiconque n'y confentira pas , perdra les yeux, & fera relégué en Cypre, Les bourreaux étoient prêts, & fur Ie champ plufieurs Moines préférerent le fupplice a f apoftafie. D'autres manquerent de courage, & obéirent; ils furent comblés de faveurs. Ce méchant homme, réfolu d'éteindre entiérement 1'ordre monaftique, envoya enfuite deux Commiffaires, tous deux du nom de Léon, 1'un fon batard, 1'autre Abbé apoftat, avec órdre de vendre tous les monafteres d'hommes & de fïlles, les vafes facrés, les métairies, & autres biens de quelque nature qu'ils fuflent; ce qui fut excuté, & le prix envoyé a 1'Empereur. Les livres & les ouvrages, tant des Moines que des faints Peres, furent J>rü!és, ainfi que les reliques qu'on B ii CONSTANTEN" Ann. 771.  CONSTANTIN V, Ann. 771. Ann. 771. XVI. Défaite a8 HlSTOlRE arrachoit avec violence du cou de ceux qui les portoient par dévotion. Temt ce. que 1'irnpiété armee de la force publique peut imaginer d'infultes, de tortures, de fupplices contre des hommes, qui n'ont de défenfe que dans Ia religion méprifée, fut impunément exercé fur les Moines; en forte qu'il n'en refta pas un feul dans toute Pétendue du Gouvernement de Lachanodracon. L'Empereur lën félicita comme d'un exploit mémorable; & les autres Gouverneurs, piqués d'émulation, s'efforcerent k 1'envi de mériter les bonhes graces du Prince par les mêmes excès. Cette année 771, Irene avoit donné un fils a Léon le 14 Janvier. Cet enfant fut nommé Conftantin, comme fon aïeul, contre 1'ufage de ce temps-la. Ces Grecs poftérieurs, plus fuperftitieux en ce point què les Payens de 1'ancienne Grece, évitoient de donner a un enfant le nom de fon pere ou de fon aïeul encore vivants ; c'étoit, difoient-ils, Ie fubftituer k leur place , 6c accélérer leur mort. Banacas revint en Ilaurie Pannée fuivante j Sc après Fayoir ravagée, il  du Bas-Empire. Lh. LXV. 29 afllégea le chateau de Sycé, au bord de la mer. Michel, Gouverneur de la grande Phrygie, Manès de Galatie, Bardane de la Province de Pont, fe réunirent par ordre de PEmpereur, & vinrent avec une nombreufe cavalerie fermer le défilé qui donnoit entrée dans la plaine de Sycé. Cette gorge étroite, entre des montagnes efcarpées, étoit le paffage par oh. Bacanas y avoit pénétré, &c le feul par oü il pouvoit en fortir. En mêmetemps la flotte de Lycie, commandée par Pétronas, premier Ecuyer de PEmpereur, s'avanca jufque dans'le port de Sycé, & borda le rivage. Banacas, enfermé de toutes parts, fe crut perdu; & fans autre deffein que de vendrë bien cher fa vie, il anima fes foldats, & fondit a leur tête fur la cavalerie Romaine. II fut plus heureux qu'il n'efpéroit, Le feul cri des Sarafins mit les Romains en fuite; il en fit un grand carnage , pilla & ravagea tout le pays d'alentour, & retourna en Syrië chargé de dépouilles. En Italië , la mort d'Etienne arrivée le premier Février, fit place au plus .grand homme d'Etat qui eüt B iij ConstantenV. Ann. 772; des Romains en Afie. Theoph. pi 375- Hifi. mifii L 2,2. xyir. Politique du Pape Adrien.  CONSTAHTINV. Ann. 77a. Anaft, in 'Air. Pagi cd Bar. Abrègè de Uift. d'I. tal. T. 1, f- 373. 30 H 1 S T 0 I S. S encore gouverné 1'Eglife. Depuis Grégoire III, les Papes avoient préparé les voies k leur fouveraineté temporelle. Une fuite de cinq Papes auffi femblables aux Apötres par Ia fainteté de leur vie, qu'ils en étoient différents par le defir de dominer, & par la finefle de leur politique, avoient habilenient profïté de 1'héréfie des Empereurs Iconoclaftes & de 1'ambition des Rois Lombards, pour ébranler ces deux puiffances, & s'élever fur leurs ruines par des progrès conftamment fuivis, mais couverts & infeniibles. Ils s'étoient attaché le cceur des Romains, & de toute la nation Italienne; ils s'étoient acquis dans les Rois de France d'invincibles protefteurs. Devenus poffeffeurs de 1'Exarcat, il ne leur reftoit plus qu'un pas a faire pour devenir maitres de Rome. Adrien acheva ce grand ouvrage; il trouva dans Charlemagne affez de zele pour facrifier fes propres intéréts k ceux du faint Siege, affez de force pour foudroyer les Lombards, affez d'éclat pour éclipfer 1'ancienne fplendeur de 1'Empire. II prévoyoit que de placer ce Prince fur  du Bas-Empire. Lh. LXF. 31 le tröne des Céfars, c'étoit y élever le fiege de Saint Pierre. Des les premiers jours de fon Pontificat, le Roi Lombard lui députa pour le féliciter, & pour lui demander fon amitié. Adrien lui répondit, qu'il aimoit tendrement tous les Chrétiens, & qu'il fouhaitoit ardemmenl de vivre en paix avec le Roi des Lombards ; mais quelle confiance pouvoit-il avoir dans la parole a"un Prince, qui en avoit manquétant defois? Didier avoit-il accompli les fermentsfolemnels faits a fon prldèceffeur ? Ju-lieu de rendre fes ufurpations, n avoit-il pas immoléa. uninjujle rejfentiment Chrijlophe & Serge ? Ne les avoit-il pas punis cruellement de leur iele pour le faint Siege? Les députés ne pouvant répondre k ces juftes reproches, lui protefterent avec ferment que le Roi étoit difpofé k faire pour lui ce qu'il avoit refufé au Pape Etienne; & qu'il defiroit fincérement contraóter avec un Pafteur fi eftimable une liaifon indiffoluble. Adrien nomma deux députés. dont Fun étoit Paul Afiarte, pour terminer les conteftations avec le Roi Lombard. Mais ils n etoient pas encori fortis de Rome, qu'on apprit que Difi ir CONSTANTIHV. Ann. 771.  CONSTAHTIN.V. Ann, 77i, XVIII. Artifice ïnutüe de %& fljSTÖJRE dier venoit de s'emparer de Faenza^ du Duché de Ferrare, de Comacehio, & des environs de Ravenne, qu'il tenoit comme bloquée, piflant & enIe van t toutes les fubfiftances. Cette ville, déja réduite a la difette, implora le fecours du Pape, qui fit partir les mêmes députés, dont il ehangea la commiflion. II les chargea de reprocher au Roi fa perfidie. Didier, après avoir donné 1'allarme a Ravenne pendant quelques jours, étoit retourné k Pavie. II répondit aux députés qu'il n'écouteroit rien qu'Adrien ne vint en perfonne conférer avec lui. Son deffein étoit d'obligér le Pape k donner Ponöion royale aux deux fils de Carloman, auxquels le Royaume d'Auftrafie appartenoit par le droit de leur naiflance. [1 fe vengeoit par-la de 1'afFront fait a fa fille; il allumoit dans la France une guerre civile, qui donneroit a Charles alfez d'occupation pour le tenir éloigné de FItalie; & il enlevoit lu Pape la proteftion de ce Prince, ^ui ne lui pardonneroit jamais d'avoit confacré les droits de fes neveux, Mais le Pape étoit trop habile  ou Bas-Empire. Llv. LXV. 33 pour donner dans le piege :les mêmes rnotifs qui engageoient Didier k le faire venir a Pavie , le détournoient de faire ce voyage. II refufa conftamment de fortir de Rome; & ce fut alors que la trahifon de Paul Afiarte fut découverte, & punie ainfi que kous Pavons raconté. Didier, ne pouvant attirer le Pape k Pavie, s'empara de Sinigallia, de Montefeltro, d'Urbin, de Gubio, & de plufieurs autres places. Blera,en Tofcane, fut furprife & faccagée. Les Lombards, le feu & le fer k la main, s'avancerent jufqu'a Ocricoli, dont ils fe rendirent maïtres. Adrien ne ceffoit d'envoyer k Pavie députés fur députés, qui, fe jettant aux pieds du Roi, le fupplioient d'épargner le lang de tant de peuples, & proteftoient que le Pape fè rendroit auprès de lui en tel lieu qu'il voudroit, dès qu'il auroit exécuté la promeffe tant de fois réitérée de reftituer k 1'Eglife lei territoires ufurpés. LeRoi, toujour; inflexible , ne répondit que par de: menaces, d'aller chercher le Pape ai milieu de Rome,s'il s'obftinoit k s'3 tenir enfermé. Le peuple Romain B v CONSTANTItT V. Ann. 771. Ann. 773. XIX. Le Pape iraplore le fecours de Charles contre Didier. Eginh% annal, Anaft. la Air. Aümoin. I. 4. c. 69. Baroniusi Fleury , hifi. Ecckf. I. 44. art, 4- Giann. ; Hifi. Nap. . /. J. c 4. Murat. an1 nat. d'ltal. r t. IV. P. 35 5 . 3-3*»  CONSTANTIN V. Ann. 773. Abrégi de l'hift. d'Ital. T. I, P- 374 . 375, 376. XX. 11 arrête Didierpar la crainte de 1'excommunication, 1 ' j l ] 3 1 34. Histoire allarmé pour fon Pafteur & pour fon propre falut, travailloit a fe mettre en défenfe. Le Pape fit murer plufieurs portes de la ville; il envoya par mer des députés au Roi de France, pour le conjurer, en qualité de Patrice des Romains, d'imiter le zele de Pépin fon pere, & d'armer fon bras invincible pour la défenfe de 1'Eglife- H lui repréfentoit .qu'il n'étoit en péril, que pour n'avoir pas voulu trahir les intéréts de Charles en faveur des fils de Carloman. Le Roi Lombard, informé de cette démarche, fentit qu'il n'avoit point de temps a perdre, s'il vouloit for:er le Pape a le fatisfaire, avant que d'avoir fur les bras toutes les forces ie la France. II fe mit donc a la tête le fon armée, marcha vers Rome, :onduifant avec lui la veuve & les ils de Carloman. Pour garder encore melques mefures, il fit dire au Pape m'il alloit le'trouver, puifqu'il ne >ouvoit 1'engager k venir conférer ivec lui. II peut s'epargner cette peine , épondit Adrien, s'il ne veut aupara•ant faire fatisfaclion d f Eglife. Je ne 'e verrai qu'après ce prialable. En mê-  du Bas-Empire. Liv. LXr. 35 me-temps, le Pape fait venir a Rome toutes les troupes de la Tofcane , de la Campanie, du Duché de Péroufe, de la Pentapole, pour combattre fous 1'étendard de Saint Pierre. II fait tranfporter dans Rome les ornements des EgUfes qui étoient hors la ville ; il en fait barricader les portes; il envoye k Didier trois Evêques pour lui défendre , fous peine d'excommunication, k lui & k aucun Lombard, d'avancer d'un pas fur le territoire Romain fans fa permifïïon. Didier étoit déja aViterbe; cette menace fit 1'effet d'une redoutable armée ; il trembla, & reprit le chemin de Pavie. Tandis que le Pape fe plaignoit de 1'obftination de Didier , Didier donnoit le démenti au Pape, & proteftoit k Charles qu'il avoit rendu tout ce qui appartenoit au Saint Siege. Le Roi de France, pour s'affurer de la vérité, envoya fur les lieux des Commiffaires, qui ayant été témoins de la mauvaife foi du Roi Lombard, allerent lui en faire des reproches, donl il ne tint aucun compte. II n'écouta pas davantage les inflances & les offres de Charles, qui lui promettoii B vj CONSTANTIH V. Ann. 77 J • " Charles paffe es Italië,  Constant-in V. Aan. 773. i i ■ < < « I 3 ï S I I ..< fflSTOlAB en dédommagement quatre mille {om d'or, prés de deux cents mille francs de notre monnoie. Irrité de tant d'opiniatreté, Charles réfolut de lui ar■racher par force ce qu'il refufoit k Ia juftice. II marcha vers Suze k la tête de fes meilleures troupes. Adalgife, que fon pere avoit envoyé avec une armee pour fermer les pafTages du mont Cénis, prit 1'épouvante, & abandonna fon camp pendant la nuit. Didier, qui s'étoit avancé avec une autre armée jufqu'a Turin, ne montra pas plus de courage : il s'enfuit a Pavie; fon fils fe renferma dans Vérone, Ia plus forte place de la Lombardie, apee la veuve & les fils de Carloman. Pavie, fiege des Rois Lombards de? puis Alboin, fortifiée par ces Princes, léfendue par Didier même, par les Seigneurs Lombards , êc par 1'élite les troupes de la nation, ne pouvoit Sire priiè d'aflaut. Charles, réfolu de a réduire par famine, 1'inveftit au nois d'Oftobre, & la tint bloquée lendant un mois. Dans eet intervalle, a terreur du nom de Charles s'étant épandue en Italië , les villes du Duhé de Spolete & de la Marche d'Aa-^  du Bas-Empire. L'ro. LXF. 37 cöne fe donnerent au Pape, & lui prêterent ferment de fidélité, tandis que les places fituées entre les Alpes & le Pö fe foumettoient aux Francois. Aux approches de la fête de Paques, qui tomboit au 3 Avril, Charles réfolut d'aller célébrer ce faint jour a Rome. Ce fentiment de dévotion étoit fans doute animé par les invitations fecretes du Pape, qui brüloit d'envie dê confolider par Pappui d'un fi grand Prince, Pédifice encore chancelant de la fouveraineté pontificale. Le Roi, accompagné des Seigneurs de fa Cour, entre lefquels étoient plufieurs Evêques & plufieurs Abbés, prit avec lui un détachement de fon armée, traverfa la Tofcane, & entra dans Rome le Samedi-faint. Le Pape Pattendit a la porte de la • bafilique de Saint-Pierre, avec toute la pompe facerdotale. Le Roi baifa humblemgnt tous les degrés; & les deux plus grands perfonnages qui vécuffent alors dans le monde connu, s'embraflerent, & entrerent dans la bafilique, en fe tenant par la main, au travers du Clergé & du peuple, qui portant des rameaux3 chantoient tUm Cons- tantin V. A.nn. 774.' XXII. II va a Rome. Anafl, in Air. Uo Ofi. l.i.c. 12. Aimoin. /. 4. c. 70. Annal. Fran. Confl.Porphyr. ie Them.l. li Sigeb. chron. Baronius. Pagi ad Bar. Fleury , hifi.EccUf. I. 44. art. Giann.hifl, tiH. I. 5. c 4 • 5 . 6. I. 6. e. li Murat. annal. £1tal. t. IV. P- 358. 359»361» 363,366,  CONSTANTINV. Ann. 774 367i370, 37i,37*, 385. JDe vita antiq. Benev. t.ll.differt. 2. Abrégé de Vhifi. d'l~ tal. t. 1, p. 318, 3*8,330, 377,378, 384,396, 399 ,400. XXIII. 11 confirme la donation de Pep in. 38 ff/STOIRE fou celui qui vient au nom du Seïoneur. Le Roi, fuivi de fon cortege, alla fe profterner devant le tombeau de Saint Pierre, rendant graces a Dieu de la viöoire qu'il lui avoit accordée fur les Lombards par 1'interceffion du faint Apötre. Pavie ne pouvant plus tenir encore long-temps, il fe regardoit déja comme Roi des Lombards, & il en prenoit même le titre. Le Roi & le Pape, s'étant mutuellement affurés 1'un de 1'autre par un ferment, entrerent dans Rome avec toute leur fuite. Les fêtes furent célébrées avec une pieufe magnificence; & felon 1'ufage de ce temps-la, on joignit aux chants folemnels de 1'Eglife des cantiques de louanges en 1'honneur de Charles. Après avoir ainfi difpofé le Prince k la bienveillance, le mercredi de Paques, le Pape, accompagné de fon Clergé & des Officiers de fa maifon, 1'ayant conduit a la bafilique, lui rappella la donation que Pépin avoit faite au St. Siege dans la perfonne du Pape Etienne; il fit lire 1'aöe qui en avoit été dreffé dans 1'afTemblée de Querfi, conlirmé par fon propre fuffrage  du Bjs-Empire. Liv. LXF. 39 &c par celui de fon frere Carloman, & de tous les Seigneurs Francois. Enfuite prenant le ton de Paffection paternelle : » Mon fils, lui dit-il, puif» que Dieu, a la recommandation » du faint Apötre, pour le falut &£ » 1'honneur de 1'Eglife , vous rend » vainqueur d'une nation ufurpatrice » & parjure , faites au Saint Siege la » juftice, dont le refus vient d'atti» rer fur Didier la colere de Dien » & la vötre. Achevez le bienfait de » votre pere; remettez 1'Eglife en » pojTeffion de fes patrimoines que » la violence lui a ravis; & par un ■» zele que le Ciel ne manquera pas » de récompenfer , affurez fur votre » tête deux couronnes, celle que vous » venez de conquérir, & celle que » le fuffrage de Saint Pierre a fait dé» férer au grand Prince qui vous 1'a » laifTée par fuccefïion". Charles, touché de ce difcours, confirma de nouveau la donation de fon pere, & y ajouta une plus grande étendue. II en fit dreffer un nouvel acte qu'il figna & fit figner par les Evêques, les Abbés & les Seigneurs. II le dépofa fur 1'autel, promettant avec fer«. CONSTANTIKV. Ann. 774.  CONSTANTINV. Ann. 774. XXIV. Contenu de la nouvelle dohation. 4-5 rllSTO/RE ment au faint Apötre & au Pape Adrien, fon fucceffeur, de conferver k FEglife la poffefTion des domaines qui y étoient énoncés. Charles en mit de fes propres mains une cGpie fur le tombeau de Saint Pierre; il en emporta une autre écrite par un des Secretaires de 1'Eglife Romaine. Si Fon en croyoit Anaftafe & Léon d'Oftie, il faudroit dire que FItalie entiere fut alors cédée aux Papes, k Fexception de quelques contrées que polïedoient encore les Empereurs , & qu'il ne feroit rien refté pour compofer leRoyaume de Lombardie, auquel prétendoit Charlemagne. Mais il eft certain qu'a la donation de Pépin , qui comprenoit FExarcat & les deux Pentapoles depuis Rimini jufqu'a Gubio, c'eft-a-dire, ce qu'on nomme aujourd'hui la Romagne & le Duché d'Urbin, Charles n'ajouta que les patrimoines de 1'Eglife de Rome, répandus dans les Duchés de Spolete Sc de Bénévent, dans la Tofcane, dans la Campanie, & ailleurs. C'étoit depuis long-temps le fujet des conteftations entre les Papes & les Rois Lombards. II paroit même par les  du Sjs-Empire. Liv. LTV. 41 follicitations réitérées d'Adrien, que Charlemagne , qui avoit fi vivement preffé Didier de les reftituer, ne fe preffa pas autant de les rendre luimême, lorfqu'il en fut le maitre. Quoiqu'il en foit, c'eft ce qui a trompé ces Ecrivains, qui ont confondu ces patrimoines avec les Provinces oü ils étoient fitués. Les Provinces refterent attachées au Royaume de Lombardie. II eft vrai que le Pape fembloit avoir alors acquis quelque droit fur le Duché de Spolete, dont les habitants s'étoient donnés k lui; mais ce Duché faifant partie des Etats conquis par Charlemagne , les habitants n'en pouvoient tranfporter la propriété au Pape, qui reconnoiflbit lui-même Charlemagne pour fon fouverain. Auffi cette pofleffion ne futelle pas de longue durée ; on voit dans la fuite que le Duché de Spolete appartenoit k Charles , & qu'il faifoit partie du Royaume d'Italie. Les Ducs de Bénévent demeurerent maitres de leur Duché; ils fe rendirent peu après indépendants, & prirent la qualité de Princes. Au refte, le feul monument qui pourroit cónftater a- CONSTANTIK V. Ann. 774J  ConstantenV. Ann. 774 XXV. Erreur de Sigebert, 42 HlS T 0 I R E vee certitude 1'érendue de la donation de Charlemagne , feroit l'aéte même; mais eet afte n'eft rapporté par aucun Ecrivain; il eft vraifemblable que 1'original & lescopies difparurent bientöt, grace aux partifans des Papes , qui ne tarderent pas k porter leurs prétentions au-dela des bornes fixées par la donation. Mais s'il s'eft trouvé des Auteurs qui ont exagéré la libéralité de Charlemagne a 1'égard des Papes, il en eft aufli qui ont fuppofé dans le Pape Adrien un excès de complaifance envers ce Prince. Sigebert a prétendu que pendant le féjour que Charles fit a Rome, Adrien, embrafé de reconnoiffance, tint un S.ynode dans lequel, outre la Principauté de Rome, il lui conféra le droit d'élire les Papes , & de donner 1'inveftiture des Archevêchés & Evêchés dans toute 1'Italie, fous peine d'anathême & de confifcation de biens contre ceux qui n'obéiroient pas a ce décret. Mais fi 1'on entend par la Principauté de Rome la dignitéde Patrice, Charles en étoit revêtu depuis Iong-temps. Ce titre le fubftituoit aux Exarques, &z  du Bas-Empire. Lh. LXF. 43 lui donnoit dans Rome une autorité réelle, quoicm'il reftat toujours dans cette ville & dans fon Duché quelques veftiges de la domination des Empereurs d'Orient; ils y tinrent leurs Officiers, & y furent reconnus pour Souverains jufqu'au Pontiflcat de Léon III, fucceffeur d'Adrien. Ce fut alors que tous leurs droits s'éteignirent dans Rome, le Sénat & le peuple, de concert avec le Pape , les ayant fait pafler fur la tête de Charlemagne , qu'ils éleverent de la dignité de Patrice a celle d'Empereur Romain. Quant k l'éle&ion des Papes , on ne voit pas que nos Rois ayent fait ufage d'un droit fi précieux, qu'ils. n'auroient pas négligé. Charlemagne ne féjourna que huit jours k Rome, après lefquels il retourna devant Pavie. II en reflerra le blocus, & réduifit la ville k une extreme difette. La pefte fe joignit a la famine, &£ le défefpoir du -peuple , qui menacoit cPouvrir les portes aux Francois, obligea enfin Didier k fe rendre k difcrétion. Charles ne voulut entendre k aucune autre condition. II entra triomphant CONSTANTIN V. Ann. 774. xxvr; Prife de Pavie & de Vérone.  COKSTANTIN v. Ami. 774. / 44 HisToirn dans Pavie au commencement de Juin; Cette prife le rendit maitre de tout le Royaume des Lombards. Dans cette conquête, plus rapide que 1'expulfion des Goihs, la valeur de ce grand Prince fut fecondée de 1'autorité & de 1'adrefle d'Adrien, qui travailloit a lui gagner les cceurs, tandis que fes foldats forcoient les remparts. Auflitöt après la réduöion de Pavie, Charles fit marcher fon armée a Vérone, oü Adalgife s'étoit renfermé. Ce jeune Prince s'y défendit d'abord avec courage; mais voyant enfin qu'il ne pourroit tenir long-temps contre le vainqueur dè fon pere, il en fortit pendan* la nuit avec fes effets les plus précieux. Auffi-töt après fa retraite ; la ville fe rendit, & remit entre les mains de Charles, Gerberge & fes deux fils. Ön ignore la deftinée de la mere & du fils ainé, nommé Pépin. Le cadet, qui portoit le nom de Siagre, alla enfevelir fes malheurs dans un cloitre, d'oïi 1'éclat de fa vertu le tira dans la fuite pour le placer fur le fiege Epifcopal de Nice. L'Eglife 1'a mis au nombre des Saints,  »u Bas-Em}ire. Liv. LXK 45De retour k Pavie, Charles emtsena en France Didier, fa femme & fa fille, cette même Princefle qu'il avoit époufée & répudiée quatre ans auparavant. II les relégua drabord k Liege , d'oü ils furent transférés k Corbie. Ce fut-la que Didier fit pénitence de cette politique injufte & faufïe, qui lui avoit fait perdre fes Etats, lorfqu'il penfoit les aggrandir. Le Royaume des Lombards avoit fub« fifté deux cents fix ans. Le nom de Lombardie ne fut pas éteint avec fes Rois; non-feulement il demeura au pays qu'avoienl pofledé les Lombards aux environs du Pö, mais même les Ducs de Bénévent donnerent ce nom aux terres de leur domination , qui comprenoit prefque tout ce qui compofe aujourdTmi le Royaume de Naples. Dans cette révoiution,' les Empereurs perdirent entiérement l'efpérance qu'ils avoient confervée jufqu'alors, de recouvrer 1'Exarcat de Ravenne, & les pays dont les derniers Rois Lombards s'étoient emparés. II ne leur reöa en Italië que les Duchés de Naples, de Melphes & de Gaëte, dont ils fcent une nouvelle CONSTANTIW V. Ann. 774; XXVII. Extinction du Royauma des Lombards.  ConstantenV. Ann, 774, XXVIII. Vaine entreprifed'Adalgife. 45 - "H 1 s r 0 in g Province a laquelle ils donnerent auflï le nom de Theme de Lombardie. Ils conférverent encöre la pointe de 1'ancienne Calabre oii font Gallipoli & Otrante, & la nouvelle Calabre depuis Cofenfe jufqu'a Rhege. La Sicile & la Sardaigne demeurerent en leur puiffance, jufqu'au temps oü les Sarafins s'en emparerent. Les deux Calabres furent réunies fous le gouvernement du Patrice de Sicile, & c'efl: de-la qu'eft venue la dénomination des deux Siciles, 1'une en-dega, 1'autre au-dela du Fare. Les Rois de France fe réferverent la fouveraineté fur les Etats accordés au Saint Siege; ce qui n'empêchoit pas que le Pape n'exercat dans 1'Exarcat & dans les deux Pentapoles la jurifdi&ion temporelle; il en avoit le domaine utile. Comme il y avoit en Italië des habitants de plufieurs nations, Italiens, Lombards, Francois, Bavarois, Charlemagne voulut que chacun fut jugé felon les loix de fon pays. Adalgife s'étoit embarqué a Pife pour fe réfugier a Conftantinoplé^ Mais obligé apparemment de relacher en plufieurs endroits, il n'y ar-  hu Bas-Empirb. Liv. LXF. 47 rïva qu'après la mort de Conftantin. Léon le re$ut avec bienveillance, lui conféra le titre de Patrice, changea fon nom Lombard en celui de Théodote, lui promit avec la vanité naturelle aux Grecs de le rétablir dans fes Etats, & ne lui donna que de belles paroles. Cependant ce jeune Prince entretenoit de fecretes intelligences avec les trois Ducs de Frioul, de Spolete & de Bénévent, qui, dédaignant d'obéir k un Roi étranger, fouhaitoient de relever le Royaume des Lombards. Adalgife leur faifoit efpérer qve 1'Empereur lui donneroit une flotte & des forces fuffifantes pour reconquérir fes Etats. Les Ducs, de leur cöté, lui promettoient de tenir leurs troupes prêtes pour le feconder. Mais le Pape, qui veilloit k maintenir la puiflance des Francois pour conferver la fienne, ayant découvert ce complot, en inftruifit Charlemagne. Le Roi ne tarda pas k revenir en Italië; & par une feule bataille , dans laquelle le Duc de Frioul perdit la vie, il détruifit cette ligue, & avec elle les efpérances d'Adalgife. D'autres tentatives , dont Constantie , V. Ann. 774. Tkeoph. pi 378. Cedr. pi 468. Hifi. mifii l. 22. Eginh. annal. Aimoin, 1. 4. *. 7°. 71. I Giann. Mfi. Nap. I. 6. c. 1. Murat. ann. d'ltal. /. IV. P. 360,361, 367.368, 373- t Abrégé dt thifi. d'ltal. t. 7, P- 384. 386,396,  CONSTANTIN V. Ann. 774. XXIX. Guerre des Sarafins. Theaph. p, 376. Cedr. p. 467. Hifi. mifc. t. 22. 4.8 HlgTQIRg nous parierons dans la fuite, ne furent pas plus heureufes, Depuis la perte de Ravenne 8c l'extin&ion de 1'Exarcat, les Empereurs regardoient avec affez d'indifférence ce qui fe paffoit dans cette partie de 1'Italie. Les Sarafins & les Bulgares occupoient toute leur attention. Ces redoutables ennemis, déja maitres des deux extrêmités de 1'Empire, infultoient fouvent la capitale même, & faifoient trembler 1'Empereur jufque dans fon palais. Le Sarafin Alphadal fit une courfe en Afie , d'oü il enleva cinq cents habitants. Mais k fon retour la garnifon de Mopfiiefte , Payant furpris dans une embufcade , lui tua mille hommes. Curie , Gouverneur du chateau de Sycé en Pamphylie, étant forti de fa place, fut enlevé par un corps de Sarafins. Le même accident arriva dans le même temps k Serge, Vice-Roi de Cypre. Ces pertes furent réparées par une nouvelle peuplade de Chrétiens Sc de Juifs , qui abandonnerent la Syrië pour fe réfugier dansl'Empire. Ces malheureux fuyoient la cruauté du Calife Alnxanfor, qui étant ven»  du Bas-Empire. Liv* LXV. 49 Verrn a Jérufalem, faifoit marquer d'unfer rouge fur les mains ceux qui n'étoient pas Mufulmans. Le mauvais fuccès de 1'expédition entreprife huit ans auparavant contre les Bulgares, femb'oit avoir découragé 1'Empereur. Le naufrage qu'il avoit efluyé lui faifoit craindre le Pont-Euxin comme le toinbeau des flottes Romaines. Cependant en cette année 774 , il fe hafarda encore fur cette mer fi orageufe. II fit voile au mois de Mai avec deux mille barques, k deffein dëntrer dans le Danube. En même-tenaps fa cavalerie eut ordre de s'arrêter aux gorges des jnontagnes, & de pénétrer dans le pays, dès qu'il auroit attiré fur lui toutes les forces des Bulgares. Mais la flotte n'étoit encore qu'a Varna, que ce Prince, inconltant & timide„ frappé d'une vaine terreur, ne fon.geoit plus qu'au retour. Les Bulgares , que ces twouvements avoient effrayés , faifis de la même crainte, vinrent lui demander la paix. Elle fut bientöt arrêtée Ik confirmée par ferment de part & d'autre. L'Empereur en fe retirant, garnit de troupes Toms XIV. C CONSTANTIN V. Ann. 774.' XXX. Guerre* de Bulgarie. Theoph. pi 376, 377-» Ced. p. 467. Zon. t. II. p. 112. Hifi. mifi. I, 3,2.  CONSTANTIN V. Ann. 774. go HlSTOIRE les forterefles qu'il avoit fait batir fur cette frontiere. II avoit des efpions dans le confeil des Bulgares; aumois d'Oftobre, il recut avis que les Bulgares projettoient de détruire une de ces forterefles nommée Berzétie, & qu'ils fe préparoient ay envoyer douze mille hommes. II y avoit alors a Conftantinople des députés des Bulgares : pour leur cacher fon deflein, il publia qu'il alloit marcher contre les Sarafins ; il aflembla une nombreufe armée, & fitpaffer en Afie fes drapeaux &fes équipages de guerre. Ayant enfuite congédié les dépu^ iés, dès qu'il les fut rentrés en Bulgarie, il fe mit en marche k la tête de quatre^vingts mille hommes, & fit tant de diligence, que les Bulgares le virent dans leur pays, ayant que d'avoir appris fon départ, II renverfa comme un torrent tout ce qu'il rencontra fur fon paffage, tailla en pie-? ces les douze mille hommes qui affiégeoient déja Berzétie, fit le dégat dans le pays , enleva grand nombre de prifonniers, & revint k Conftantinople chargé de dépouilles & couf yert du fang des Bulgares, II rentr^  du Ba$-Empire. Liv. LXV. 51 clans le pompeux appareil d'un triomphe, fe vantant d'avoir exécuté un fi glorieux exploit, fans qu'il en eüt couté k 1'Empire une goutte de fang. Non content de cette vengeance , il mit en mer, 1'année fuivante, une nombreufe flotte, fur laquelle il fit embarquer douze mille chevaux. Pour lui il prit la route de terre avec le refte de fa cavalerie. C'étoit alors toute la force des armées Romaines, & dans 1'état de décadènce ou la milice étoit depuis long-temps, on comptoit pour rien 1'infanterie, comme je 1'ai déja remarqué dès le temps de la guerre des Goths. A la hauteur de Mefembrie, la flotte effuya une furieufe tempête qui la détruifit prefque entiere, & 1'Empereur revint k Conftantinople fans avoir vu le pays ennemi. Ce qui s'étoit paffe 1'année precédente faifoit affez connoïtre è Téléric, Roi des Bidgares, qu'il avoit des traitres dans fon confeil : pour les découvrir, il ufa d'un artificequi lui/euffit. II écrivit k 1'Empereur, qu il étoit las de commander une nation ljf°^le > lw les exemples de fes prédecejfeurs mafacrés par leurs propres fw Cij CONSTANTIHV. Ann. 775, XXXI. Conftantin trompé par le Roi des Bulgares,  CONSTANT1N V. Ann. 775. XXXII. Mort d< Conftantin. Theoph. p 377.378 Ceir. p 467. Hifi. Mifi I. ia. Zon. torn II. p. lil 113. Glyc. p 2S4. 5a HlSTOIRE jets, ne lui faifoient attendre qu'une fin tragique; qu'il envioit le fort de Sabin, plus heureux d la Cour de Conjlantino- ple que fur le tróne de Bulgarie , & qu'il étoit réfolu cCuller paffer fes jours au- pres de 1'Empereur ; mais que pour executer ce dejfein, il avoit befoin de con- fidents ; qu il n'ofoit fe fier d perfonne de fa Cour , & qu'il fupplioit CEm- pertur de lui mander, fi les Romains n'avoientpas en Bulgarie quelques amis, dont la fidélité & la difcrétion pujfent l'aider d fauver fa familie, '& luiprocurer une retraite facile & ajfurée. L'Empereur donna dans le piege; il lui manda les noms de fes correfpondants, & Téléric les fit mourir dans de cruels fupplices. Conftantin , confus de fon imprudence , partit a la tête d'une armée, pour en effacer la honte dans le fang . des Bulgares. Mais a peine avoit-il • paffé Arcadiopolis , éloignée de Conftantinople d'environ vingt-cinq lieues, • qu'il fut obligé de revenir fur fes pas. _ Des charbons qui parurent fur fes jam\ bes lui cauferent une fievre ardente, que nul rem ede ne put foulager.- II ' fe fit porter k Selymbrie, pii ayant  du Bas-Empirs. Liv. LXV. 53 cté embarqué pour être tranféré a Conftantinople , il expira dans le vaiffeau au pied du chateau de Strongyle le 14 Septembre, &gé de cinquante-fix ans, après en avoir régné tr ente - quatre, deux mois & vingtfix jours. On dit qu'au milieu des ardeurs cruelles dont il étoit dévoré, il s'écrioit en défefpéré, qu'il fentoit déja toutes les fureurs des dammes éternelles ; qu'il ordonna de réparer les injures qu'il avoit faites k la Sainte Vierge &c aux Saints, de refpefter les reliques & les Eglifes, & qu'il recommanda k haute voix •ïi fon chambellan Théophane , d'avoir foin du fecret important qu'il lui avoit confïé. Léon, après la mort de fon pere, ayant voulu favoir de Théophane quel étoit ce fecret, apprit que fon pere avoit caché en terre une fomme de cinquante mille livres d'or, qui devoit être employée a 1'ufage des Céfars & du Nobiliffime. II 1'envoya fur le champ enlever, fans en faire aucune part k fes freres pour qui elle étoit réfervée. Conftantin fut enterré dans 1'Eglife des faints Apötres; mais fa mémoire fut C iij Cons- tantin V. Ann, 775; Joel. p. 177. Niceph. p. 86. Suid. in Kavtotv- TÏVQf. Menol.Bafil. ad 17 Apt. Georg. Hamart. Pagi ad Bar.  CONSTANTIN V. Ann. 77j. XXXIII. Réflexions fur la mémoiré de Conftantin Copro' «yme. 54 HisroiRn tellement & fi long-temps en horreur, que quatre-vingts ans après 9 1'Empereur Michel III, qui rétablit le culte des images, fit déterrer fes os, & les fit brüler dans une place de Conftantinople, deftinée au fupplice des meurtriers. Les hérétiques des derniers fiecles ne font pas les premiers qui fe foient efforcés vainement de remettre en honneur la mémoire de ce Prince impie. Nicéphore, Patriarche de Conftantinople, né fous fon regne, rapporte que les Iconoclaftes lui donnoient de grands éloges , & que contredifant effrontément des faits encore récents, ils le repréfentoient comme un Prince heureux, invinciblej, illuftre par de grands exploits. Geor* ge Hamartole, qui vivoit dans le neuvieme fiecle, obferveque Conftantin Copronyme eft le héros des ennemis de la Religion. Tous s'accordent, dit-il, a lecombler de louanges ;tous le donnent pour un Prince viétorieux & plein de fagefle, fléau des barbares &c de la fuperftition. Mais, felon la remarque de ces deux auteurs , ces éloges font autant de contre-vé-  vv Bas-Ëmpir-E. Lh. LXF. SS rités. II peut fe faire, il eft vrai, que la haine publique ait chargé le portrait de ce Prince, &C que par une prévention trop naturelle, les Orthodoxes perfecutés ayant donné crédit fans beaucoup d'examen a des bruits populaires; parmi tant de vices ténébreux, ils en ont cru appercevoir , qui n'exiftoient pas. Je mets dans ce rang ce qu'on lit dans Suidas, que ce Prince étoit Sarafin dans le cceur ; qu'il adoroit Vénus, qu'il lui facrifioit des victimes humaines, qu'il immoloit des enfants pendant la nuit. Mais fur quelle autorité peut-on fe fonder pour contredire les écrivains contemporains, qui dépeignent Conftantin Copronyme comme un Prince livré aux plus fales voluptés, puni de fes débauches, même pendant fa vie, par des infirmités honteufes, par des ulceres qui lui firent perdre plufieurs de fes membres ; troublé fans cefTe de terreurs qui lui ötoient le fommeil; brutal k 1'égard de fes domeftiques qu'il faifoit déchirer a coups de fouets , dégradant Ia majefté Impériale jufqu'a les frapper lui-même; inhumain autant qu'injufte, fe G iv CONSTANTIH V. Ann. 775 .  CONSTANTIN V. Ann. 77 j, XXXIV. Enfants «le Conftantin. ^6 HlSTOIRE faifant apporter les membres fanglants des martyrs, &' fe repaiflant de leurs fupplices; cruel perfécuteur, ennemi de Dieu & des hommes , digne de n'être loué que par ceux qui lui reffemblent. II avoit eu d'Irene, Léon, qui lui fuccéda. II laiffa d'Eudocie, fa troifieme femme, cinq fils, Chriftophe & Nicéphore , qu d avoit nommés Céfars , Nicétas, auquel il donna le nom deNobiliffime, Anthime, & Eudoxe ou Eudocime, qui recurent enfuite le même titre de leur frere Léon. L'hiftoire Eccléfiaftique fait un grand éloge d'Anthufe, fille de Conftantin. Elle conferva Ia purété de Ia doétrine dans laquelle Irene fa mere 1'avoit élevée. Pendant la vie de fon pere, elle refufa de fe marier, & vécut dans la retraite. Après fa mort, elle diftribüa aux pauvres une partie de fes biens ; elle en employa une autre a relever les monafteres que fon pere avoit détruits, & a racheter les captifs. Elle donna fes habits pour 1'ornement des Eglifes. Sa belle fceur Irene, & fon neveu Conftantin Finyiterent en vain dans la fuite a vi-  bv Bas-Empire. Lh. LXV. $j vre a la Cour; elle fe ren/erma dans un monaftere. Mais ce qui rendra fa mémoire précieufe a jamais , c'eft qu'elle donna le premier exemple de ces fondations auffi utiles aux Etats qu'honorables au Chriftianifme. Elle fit batir & dota richement un höpital, oü 1'on recevoit les enfants orphelins, ou abandonnés de leurs parents : fe regardant comme leur rnere, elle les vifitoit fouvent, &veilloit a leur entretien. Dès qu'ils étoient en age d'être inftruits, elle mettoit les garcons fous la conduite dequelques fages vieillards , qui les formoient au travail & a la vertu; les filles étoient difiribuées dans des monafleres, oüelleprenoit foin de pourvoir a leur fubfiftance, & enfuite k leur établiffement. Elle a mérité dans 1'Eglife le titre de Sainte, & dans la fociété civile celui de bienfaitrice de rhumanité, L'Eglife, depuis long-temps tourmentée par les fureurs de Copronyme , parut refpirer aucommencement du regne de Léon. Ce Prince,,agé de vingt-cinq ans, fembloit vouloir réparer les maux qu'avoit caufés le C v CONSTANTHfV. Aan. 77|« XXXV. Bonne conduite de Léoa au coramencementfontegne.  LÉONIV. Ann. 77 j. Theoph. p. 37S. Cedr. p. 468. Manajf, p. 89. Zon. t. 11. P- "3. Glycas t p. 28j. Ann. 776, XXXVI. I.e jeune Conftantin Augufre. Theoph. p. 378, 379. Cedr. p, 468. Zon. t, II, P- 114. 58 HlSTOIRE mauvais gouvernement de fon pere; II refpectoit le culte ancien , il honoroit Ia profeflion monaftiqne. Plufieurs lieges métropolitains étoient vacants; il y fit nommer des Abbés recommandables par leurs mceurs &C par leur doctrine. Les troupes de FEmpire fe trouvoient dans un aufli grand défordre que les Eglifes ; la débauche & la défertion les avoient affoiblies; il reflerra les nceuds de la difcipline; il' leva des recrues dans les Provinces mêmes pour compléter les corps qui réfidoient dans chacune, L'avarice de fon pere avoit accumulé de grands tréfors; il en fit ufage poup gagner les cceurs de fes fujets, fans épuifer les fonds nécefïaires aux befoins de PEtat. Son fils Conftantin étoit agé de cinq ans. Le Dimanche des Rameaux de 1'année fuivante 776 , tous les Seigneurs fe rendirent enfemble au palais, &prierent 1'Empereur de conférer a fon fils le titre d'Augufte. Une foule de peuple qui les avoit fuivis , les fecondoit par fes cris» L'Empereur, qui le defiroit plus que perfonne, feignit de vouloir le refu-  Dü Bas-Empire. Liv. LXr. 59 ferpour les attacher plus fortement au jeune Prince. Je riai que ce fils, leur difoit-il; je fouhaïte qu'il me fuccede; mais je dejire encore plus quil vive heureux & tranquille. Si la providtncz abrigeoit mes jours , & que je laifiafil mon fils en bas dge , ptut-être mépriferie^-vpus fon enfance ; peutr être un nouveau maüre , en lui arrachant le fceptre , croifoit encore devoir , lui öter la vie. N'exige{ pas de moi que je lui fajfe un prèfent, qui pourroit lui êtrz funefle. Tqus s'écrient, que s'ils ont le malheur de perdre Léon ,sil n'aura jamais d'autre fuccéffeur que fon fils. Les inftances redöublerent de jour en jour jufqu'au Jeudi-faint. Enfin, 1'Empereur fe rendant a leurs vceux, leur ordonna de s'affembler le lendemain dans le Cirque, pour prêter ferment au nouveau Prince. Jamais on ne yit un concours fi unanime, Tout le peuple , Sénateurs, foldats, artifans jurerent fur la croix qu'ils ■ne reconnoitroient jamais d'autre Em! pereur -que Léon, Conftantin & leut poftérité, tant.qu'elle fubfifteroit. Le jour fuivant, Léon -èc fon fils, ac.«cmpagnés des deux Géfars ik de' C yj léon iv. Ann. 776.  Léon IV. Ann, 776.. 6ö IllSYolRB deux- Nobiliffimes , fe rendirenf £ Sainte Sophie, & monteren: dans lai tribune avec Ie Patriarchê, tandis que tous les ordres de 1'Etat dépoföient fur Pantel Pafte de leur ferment. Alors 1'Empereur élevant la vöix: Mes freres , leur dit-il, vous voye^ que je cede d vos dejtrs; Si leur mohtrarit Conftantin , tioüblit{ jamais que c'ejl i"E~ glife , que ceji Jefus-Chrijl mêmè qü't vous le mettent entre les mains. Ils S'écrierent, qu'ils prenoient le Fils de Dieu d iémöin 'de"- Ta fidèlitè qu'ils juroient d fon-^fils; quils le cohferve* roient comme un depot faCré £ & quils feroient toujours prêts d donnér leur vit pour fon fervice. Le couronneniettt fê fit le matin du jour de Paques. Au lever de 1'aurofe, 1'Empereur fe rendit au Cirquela couronne fut placée fur un autel qu'öh avoit drefle, Sc le Patriarchê ayant prónöncé les prieres accöutumees, 1'Eiripereür la pofa lüi-même fur la tête de fön fils, au milieu des acclamations de tout le peuple* Cette nombreiifë affemblée marcha enfuite en böh of dre a SainteSophie, oü Fon célcbra Foffice» L'Impératrice Irene y alla féparément avec  ï>u Bas-Empire. Liv. LXF. 61 toute la pompe de la majefté Impé- 1 riale, &t fe placa avec fa Cour dans 1 les hautes galeries. Cette brillante cérémonie caufoit 2 une extréme joie au peuple, toujours , avide de fpecfacles. Mais elle piquoit < Ia fecrete jaloufie des Céfars. Ils voyoient avec chagfin un enfant de j cinq ans les écarter du tröne. oü la i foible fanté de Léon leur laiffoit 1'ef pérance de parvenir. Un mois après, on accufa Nicéphore, le plus ambitieux des quatre freres -, d'avoir tramé un complot contre 1'Empereur, avec plufieurs Officiers de la maifon Impériale. L'Empereur, n'ofant fe chafger de ce que la punition pou* VOit avoir d'odieux, affembla le Sé* nat, & lui mit fous les yeux les preuVes de la conjuration. On s'écria qu'il ne falloit point épargner des parju'res, qui avoient déja oublié le ferment fait a Conftantin, de fervir fidé"lement Léon & fon fils. Une flatterie injufte & barbare condamnoit même Chriftophe , paree que fon ffere Nicéphore étoit coupable. Léon, au con» traire, plus clairvoyant fur fon véritable honneur, fit gtace a Nicéphore, .ÉON IV» Lnn. 776. OCXVII. Confpira» iondeNi- éphore. Thcop. p* ;So. lift. mifi, . aj.  ( LÉON IV j Ann. 776. ( i Ann. 777. XXXVIII Le Roi des Bulgares fe réfugié prés de 1'Empereur.Theoph. p. 380. Cedr. p. 468. Hift. mifc. I. 23. Ann. 778, XXXIX. Guerte '2 II I S T O I R E >arce que Chriftophe étoit innocent. I ne voulut pas même verfer le rang les conjurés; il fe contenta de les aire rafer & battre de verges, §£ les relégua dans le pays de Cherfone pour f être détenus en prifon perpétuelle. Un événement fingulier étonna Conftantinople, & fit fentir jufqu'oii peut aller 1'inftabilité des chofesde, la vie. Téléric, Roi des Bulgares, qui, deux ans auparavant, avoit joué Conftantin en faifant femblant de vouloir fe retirer a fa Cour, fut obligé cette année 777 , d'exécuter tout de bon ce qu'il avoit alors feint par artifice. Ayant encouru la haine de fa nation , il fe crut en danger fur un tröne enfanglanté par le mafïacre de plufieurs Rois , & fe réfugia auprès de Léon. L'Empereur, oubliant la mort cruelle que Téléric avoit fait fouffrir aux amis de fon pere, lui ouvrit un afyle , lui fit recevoir le baptême , le créa Patrice, & daigna même 1'allier a fa familie, en lui faifant époufer la coufine de 1'Impératrice. Le Calife Manadi, fils d'Almanfor , étoit monté fur le tröne la même année que Léon, Auffi guerrier que fon  du Bas-Empire. Lh. LXV. 6% pere, il ne ceffoit de ravager les Provinces Romaines. Abasbal, un de fes Généraux, arriva dans fes courfes a une caverne, oü les Romains tenoient enfermé un grand nombre de Sarafins prifonniers. II enforca 1'entrée, & délivraces malheureux, qui, depuis long-temps, n'avoient vu la lumiere du jour. Othman, fils du Calife, fe fignaloit auffi par le pillage de 1'Afie. Pour 1'obliger de quitter ce pays, 1'Empereur fit marcber du cöté de la Syrië une armee de cent mille hommes, commandée par quatre Généraux , fous les ordres de Lachanodracon. Ils affiégerent Germanicie, & 1'auroient prife, fi Lachanodracon ne fe fut laiffé corrompre par 1'argeni d'Isbal, oncle du Calife, & Gouverneur de la ville. Au-lieu de prefie! Ie fiege, il s'en éloigna pour ravagei le pays. II enleva un grand nombre de Syriens Jacobites, qui furent tranf portés en Thrace. Etant enfuite revenu devant la ville, il la trouva er état de faire une longue défenfe. Othman y avoit fait entrer des troupej & des munitions. On ne tira d'autre fruit dé cette expédition que la dé> LÉON IV, Ann. 778. des Sarafins. Theeph. p* 378, 380. Cedr. p. 468. Hifi. mifc. I, 23.  Léon IV Ann. 7781 Ann. 779. XL. Vaine tentative des Sarafins. Thcoph. p. 381 , 382. Hifi, mifi. k 23. Elmacin. t. ft. c. 4. è\ HlSTOIRE faite d'un corps de deux mille Sarafins, commandés par cinq Emirs, qui fe firent tous tuer fur la place. Les Romains exagcrerent eet avantage comme un exploit mémorable; on célébra des jenx folemnels, auxquels 1'Empereur & fon fils préfiderent avec 1'appareil d'un triomphe. On a pu obferver depuis quelques années, qu'on ne retrouve plus dans les Sarafins cette valeur impétueufe, qui, dans 1'efpace de foixante ans, avoit dompté 1'Afie depuis les Indes, & 1'Afrique jufqu'a 1'Océan. Devenus riches & puiffants, ils perdirent beaucoup de cette vivacité bouillante, qui les aveugloit fur les dangers. lis avoient méprifé la vie, tant qu'ils en avoient ignoré les douceurs; les charmes de ces riantes contrées, qu'ils avoient conquifes, fubjuguerent leur courage; ces coeurs, auffi durs que le fer de leurs épées, s'amollirent par 1'ufage des plaifirs; 1'éclat de la puiffance fit naitre 1'ambition, & celle-ci les guerres civiles, qui les affoiblirent. Cent ans après Mahomet, une armee de cent mille hommes ne portoit pas dans fon fein autant de va-  du Bas-Empire. Liv. LXV. 65 leur, qu'en avoient réuni dix mille foldats du Prophete conquérant. Dans les temps dont nous faifons 1'hiftoire, la foibleffe Romaine réfiftoit k la puiflance Sarafine; & 1'Afie mineure, 1'unique barrière qui reftat du cöté de 1'Orient pour la défenfe de Conftantinople, étoit difputée entre les deux nations avec une alternative de bons -& de mauvais fuccès. Mahadi, pour réparer la honte qu'il avoit effuyée 1'année précédente, fit partir une armée nombreufe fous la conduite d'Afan, quipénétra jufqu'a Dorylée en Phrygie, dont il commen^a le fiege. L'Empereur, ne voulant pas expofer fes troupes au hafard d'une bataille, donna ordre k fes Généraux de les diftribuer dans les places fortes, &c d'envoyer feulement quelques détachements vers Dorylée pour inquiéter les ennemis, leur couper les convois & les fourrages, & leur enlever les fubfxftances en faifant le dégat dans le pays. Cette maniere de faire la guerre ruina 1'armée Mufulmane. Après dix-fept jours de fiege, les vivres manquerent aux Sarafins, & le fourrage k leurs ehevaux, qui péri- LÉONIV. Ann. 779.  Léon IV. Ann. 780. XLI. Défaite des Saraflns. XLII. Mort de Léon. Théoph. p. 382. Cedr. p. 468, 469. Hifi. mife, h 23. 66 JtlSTOTRE rent prefque tous. Afan fe retira vers Amorium, qu'il fit mine de vouloir affiéger: mais ayant reconnu la force de la place, il retourna en Syrië. Tandis que Mahadi perfécutoit cruellement les Chrétiens de fes Etats, & faifoit des martyrs, il envoya fes deux fils Haroun & Othman fur les ten-es des Romains. II alla lui-même joindre fon fils Haroun prés d'Alep, & s'arrêta dans les plaines de Dabec. Haroun s'avanca jufque dans la Province de Pont, oü il affiégea une place forte, nommée Samalica, qui ne fe rendit qu'au bout de trentehuit jours, après avoir été prefque entiérement réduite en poudre par les machines de guerre. Othman, fuivi de cinquante mille hommes, marchoit en Afie ; Lachanodracon , a ia tête d'un camp volant, courut a fa rencontre, le défit, & le tua dans le combat. La nouvelle de cette victoire trouva Conftantinople en deuil. Léon venoit de mourir le 8 Septembre. Quelques mois avant fa mort, il avoit rompu le filence, qu'il gardoit depuis fon avénement au tróne fur les dif-  dv Bjs-Empis.e. Liv. LXF. 67 putes de religion. Le Patriarchê Nicétas, fignalé par fon zele a feconder les fureurs de Conftantin Cópronyme, étoit mort le 6 Février; & quelques jours après, Paul le Lecteur, né a Salamine en Cypre , recommandable par fa fcience & par fa vertu, avoit été élu Patriarchê malgré fa réfiftance. L'héréfie dominoit encore, quoique 1'Empereur parut tolérer les Orthodoxes. Dans 1'ordination des Evêques, on exigeoit d'eux la condamnation du culte des images, & Paul eut la foiblefle d'y föufcrire. L'Empereur n'avoit jamais renoncé aux fentiments de fon pere; & quatre jours après Pélection de Paul, il fe déclara Iconoclafte, & perfécuteur. Ayant trouvé deux images dans la chambre de 1'Impératrice , il entra dans une grande colere, & la traita de fourbe & de parjure* En effet, eette PrincefTe, élevée dans les pratiques de 1'Eglife Catholique, mais qui ne fe fit jamais fcrupule de lacrifier k fon ambition les devoirs les plus facrés, avoit juré k Conftantin fur les faints myfteres, que jamais elle ne rendroit aucun culte aux images, Léon IV, Ann. 780. Zon. 1.11, f. 114- Glycas, p, 285. Conft. Porphyr. de adm. impa c. 13. Pap ad Bar. fleury , hifi. ecdef. I. 44. art, 4. Oriënt' Chrifi. 1.1, p. 238.  LÉON IV, Ann, 780, 08 HlSTOIRE En vain elle protefta qu'elle n'avoit nulle connoiffance de celles qui étoient tombées fous la maiii de 1'Empereur ; Léon ne voulut rien écouter, & de ce moment, il rompit fout commerce avec elle. Ayant découvert que ces images avoient été apportées par un de fes Officiers nommé Papias, & que cinq autres entre lefquels étoit le Chambellan Théophane, entretenoient 1'Impératrice dans cette dévotion, il les fit rafer, fouetter outrageufement, conduire comme des criminels au travers de la ville, & jetter dans une prifon, oü Théophane confomma fon martyre. Les cinq autres furvéquirent a Léon, & acheverent leurs jours dans les pratiques aufleres de la vie monaftique. II paroït que Léon n'auroit été ni moins fanatique, ni moins cruel que fon pere; mais il n'eut pas le temps de faire autant de maux. Les débauches de fon pere avoient fans doute altéré dans fes veines la qualité du fang; il fut attaqué d'un même mal, & mourut d'une mort encore plus fubite. La circonftance fit penfer que c'étoit 1'efFet d'une punition divine.  du Bas-Empire. Liv. LXV. 69 II recherchoit avec paffion les pierrerles. Ebloui de 1'éclat de celles dont étoit enrichie la couronne placée par Maurice au-deflus de 1'autel de SainteSophie, comme il affiftoit k 1'ofHce le 8 Septembre, il fit détacher cette couronne, la mit fur fa tête, & 1'emporta dans fon palais. II fortit auffitöt de fon front des charbons peftilentiels, qui lui cauferent une fievre ardente , dont il mourut le même jour. II étoit agé de trente ans, &c avoit régné cinq ans moins fix jours. LÉON IV. Ann. 7S0.   7i SOMMAIRE D U LIVRE SOIXANTE-SIXIEME. ï. 0 dore, Patrice & grand homme de guerre, qui fut fuivi dans cette expédition par les OfHciers les plus expérimentés. II y eut plufieurs combats qui' fe terminerent k 1'avantage de Theodore, Elpide, craignant de tomber entre les mains du vainqueur, recueillit tout ce qu'il avoit de richefles, s'enfuit en Afrique avec Nicéphore Ducas. C'eft ici la première fois que 1'hiftoire fait mention de cette illuftre familie, qui, deux cents foixante& dix-huit ans après, monta fur le tröne de Conftantinople. Elpide fe retira chez les Sarafins, qui non-feulement lui promirent fïïreté} mais lui  du BjS'Empire. Liv. LXFl. 83 mirent fur la tête la couronne impériale , & le traiterent toute fa vie comme Empereur; titre frivole, qui ne le confoloit pas de la perte de fa familie & de fa patrie. Les Sarafins prirent occafion de '.'éloignement des meilleures troupes •le 1'Empire , pour en attaquer les >rovinces. Haroun fe jetta en Afie wee une armée formidable, & mar:ha droit k Chryfopolis. II détacha rente mille hommes, qu'il envoya Ui cöté de Sardes, fous la conduite le Burnich. En paffant par la Phry*ie, il y laiffa Bunufe avec un corps ■onfidérable pour faire le fiege de Nacolée. C'étoient trois armées qui défoloient en même-temps toute \ etendue de 1'Afie mineure. L'Impératrice ayant ramaffé ce qui lui reftoi de troupes, mit a leur tête Nicétas qui marcha contre le principal corp que commandoit Haroun en perfon ne. Le fils du Calife ne daigna pa fe mefurer avec un fi foible ennemi il envoya pour le combattre un d fes Généraux nommé Yézid, qui 1 défit'Sc le tua, 1'ayant renverfé d cheval d'un coup de piqué. Aprt D vj ConstantieVI. Ann. 7S1. VI. Guerres des Sarafins. Theoph. p. Zon. t. 11. p. 115. Hifi. mife. I. 13- El'nacin, hifi. Sarae. I. 2. Abxlfara- I i > S  CONSTANTINVI. Ann, 7S2, 5 1 « J 1 2 C { Ti P b '34 fflSTOlRS cette victoire, Haroun, k Ia tête de quatre-vingt-quinze mille hommes, cötoyant les bords du Sagaris , traverfa toute laBithynie, & arriva au Bofphore. Cependant Burnich étant entré en Lydie, rencontra Lachanodracon, Gouverneur de cette Province, qui venoit k lui avec une arraée de trente mille hommes. Ce combat, liyré dans uae plaine avec des forces égales-, devoit décider du-prix de la valeur entre les deux nations, Les Romains avoient k leur tête Ie meilleur Général qui fut alors dans i'Empire. Auffi la viftoire fut-elle !ong-temps difputée. Enfin, LachanoIracon, forcé de céder k Fopiniatreté Sarafine, pritla fuite, & laiffa quinze nille hommes fur le champ de bataile. Cette perte jetta Pallarme dans Conftantinople. Burnich venoit avec 'on armée viöorieufe fe joindre a Ha» oun. L'Impératriee, redontant cette éunion, fit partir Antoine, Capifaine e fes gardes, qui arrêta Burnich en ; poftant dans un défilé par oü Penemi devoit nécefïairement pafier our arriver k Chryfopolis. Tout femioit confpirer au défaftre de I'Em~  du Bas-Empire. Lh. LXPI. 85 plre; on apprit que Tazatès, Gouverneur de Galatie, s'étoit donné aux ennemis. La haine dont il étoit animé contre 1'eunuque Staurace 1'avoit porté k ce coup de défefpoir. Cet eunuque, devenu Patrice 6c Sur-Intendant des poftes de 1'Empire, avoit le plus grand crédit fur Fefprit de 1'Impératrice. Maïtre de routes les affaires , il abufoit de fon pouvoir. Tazatès , ayant eu le malheur de lui déplaire, ne put fouffrir les mauvais fervices que lui rendoit ce puiflant & implacable ennemi. II fe jetta entre les bras des Sarafins, & fe fit Mahométan. Mais-il ne haïfïbit- que Staurace , & fous Phabit de Mufulman, i! cherchoit a fervir fa patrie. Ii eut FadrefTe de perfiuder aux Sarafins, que le meilleur parti qu'ils pufTent tirer de leurs avanfages, étoit de faire une paix utile & glorieufe. Haroun fit favoir k 1'Impératrice qu'il ne reftiferoit pas d'écouter des propofitibns raifonnables. Auffi-tot Staurace, Antoine & Pierre, grand-Maitres dxi palais, fe rendirent au camp des Sarafins. Mais n'ayant pas eu la précaution d'affurer auparavant leurs per- CoNSTANTIÏT VI.  CONSTANTINVI. Ann, 7S2, Ann. 783. VII. Guerre contre les Efcla■vons. 86 HlSTOI.RE {onnes en demandant un fauf-conduit & des ötages, ils furent traités en ennemis, & chargés de fers. Haroun, maïtre des premiers Officiers de 1'Empire, fit la loi a 1'Impératrice; il ne confentit a la paix, qu'a condition qu'on lui payeroit un tribut annuel de foixante-dix mille pieces d'or; c'étoit prés d'un million de nos livres; qu'on lui pratiqueroit des chemins commodes pour fon retour, & qu'on y planteroit des colonnes pour indiquer la route. Les troubles de la Sicile, qui pour lors n'étoient pas encore appaifés, obligerent Irene d'accepter ces conditions, auffi déshonorantes qu'onéreufes, & les Sarafins s'en retournerent avec de riches dépouilles. Haroun, en fe retirant,em> mena les troupes qui avoient continué jufqu'alors le fiege de Nacolée„> Tazatès, avec fa familie, le fuivit en Syrië. Pendant le regne malheureux de Conftantin Copronyme , les Efclavons s'étoient emparés de la Grece entiere. Depuis les frontieres de la Macédoine jufqu'au fond du Péloponefe, tout étoit devenu barbare dans  du Bas-Empire. Liv. LXFI. 87 ce féjour antique des Lettres &c des Arts. L'Impératrice, délivrée de crainte de la part des Sarafins , tourna fes foins fur cette contrée , k laquelle elle devoit la naiffance. Staurace marcha vers Theffalonique avec une nombreufe armee; il entra dans la Grece, battit par-tout les Efclavons, les poufTa jufqu'aux extrêmités du Péloponefe , & les chaffa du pays qu'il rendit k 1'Empire. II revint k Conftantinople avec une multitude de prifonniers. Le favori Staurace , qui n'avoit peut-être prêté k tous ces fuccès que fön nom & fa préfence , triompha dans le Cirque le 7 Janvier avec toute la pompe d'un Miniftre adoré. Pour affurer la frontiere de la Grece contre les Efclavons, l'Impératrice vouluts'y tranfporter elle-même; & comme il eft difficile que le caraftere du fexe ne porte pas fon empreinte juf* que fur les opérations les plus males & les plus férieufes, ce voyagereffembla autant qu'il fut pofTible a une nartiedeplaifir. Irene, accompagnée le fon fils, efcortée de toutes les compagnies de la garde Impériale, trai- CONSTANTIN VI. Ann. 783. Theoph, p. 3S5. Cedr. p. 47°. Hift. mifc. I. 23. Baronius. Pagi ad Bar, Ann. 784. VIII. Irene rétablit plufieurs villes en Thrace. Theoph. p. 385. Zon. t. 11.. p. 115. Hifi. Mijt.. I. 23v '  CONSTANTIN 'VI. Ann, 7 84. IX. Mort de Paul, Patriarchêde Conftantinople, Theoph. p-, 385. «• Cedr. p. 470. Zon. tril. p. 116. Hifi. mife. I. 25. Jgnat. yita Tarajii. Baronius. Fleury , hifi. ecclef. 1. 44. art. 24. Oriens 'Chrifi.t.1.. 8-S- ÜI3T0IXS noit a fa fuite une troupe de muflciens; ce fut au fon d'une éclatante fymphonie qu'elle vifita les villes de Macédoine. Elle fit réparer Bérée , & lui donna le nom d'Irénopolis. Les Bulgares étoient encore plush craindre que les Efclavons ; l'Impératrice en retournant a Conftantinople, prit fa route par la frontiere de la Bulgarie, & mit en état de défenfe Philippopolis & Anchiale, Peu de temps après fon. retour,, elle fut témoin d'une de ces actions. héroïques qui étonnent & édifient 1'Eglife entiere; paree qu'il eft encore moins rare & moins difEcile de mériter les places éminentes que de fentir qu'on ne les a pas méritées „ Ék d'avoir le courage de les quitter. Paul, Patriarchê de Conftantinople, étant tombé malade, fe démit fans en prévenir l'Impératrice, & fe retira dans le monaftere de Flore. Dès qu'Irene en fut avertie, elle courut ivec fon fils au monaftere; elle eftitnoit ce Prélat, elle fe plaignit qu'il ïüt fi brufquement abdiqué 1'Epif:opat, dont il rempliffoit les devoirs ivec tant d'honneur,Plüt au CUlyxi~  du Bas-Empire. Lw. LXVI. &> pondit Paul enpleurant, quej ene t euffe jamais acceplê dans un temps ou il étoit déchiré par le fchifme, &foumis d tanathême. N'ayant pu rien gagner fur fon efprit, l'Impératrice fit agir les plus diftingués d'entre les Sénateurs. Leurs inftances ne purent tirer de lui que ces paroles : Si vous riaffemblei un Concile général y pour diffiper terreur dont vous êtes ayeugÜs, il n'y a point de falut pour vous. Et pourquoi donc , repartirent-ils , ave^vous Jigné vous-même ce que vous re~ prouvei aujourctkui ? Hêlas , repliquat-il , c'ejl-ld le fujet de mes larmes : cefl le crime dont je veux faire pénitence. Ldche pafleurl J'ai eraint la violence du Prince & la vóire ; & levant les yeux au ciel; Pardonne^-tnoi , Seigneur, ajouta-t-il , d'avoir été un Evêque muet & timide. II mourut peu de jours après, répétant fans ceffe ces dernieres paroles, & laiffa un profond regret a l'Impératrice &£ a toute la ville de Conftantinople, qu'il édifioit par fes vertus. II fut fur-tout pleuré des pauvres, dont les gémiffements font le plus éloquent panégyrique d'un Evêque, Sa mort fit CONSTANTIN VI. A.im. 784-;  CONSTANTINVI. Ann, 784. X. Tataife refufe le Patriarchat, 1 ] I i po HlSTOIRE une forte impreffion fur le coeur de l'Impératrice ; k 1'exemple de Paul, elle fe reprocha fon fdence. Elle commenca par donner la liberté de difputer pour & contre les images; il ne falloit plus fe cacher pour invoquer les Saints; la vérité remonta dans les chaires, & fe fit entendre dans les Eglifes ; les monafteres fe rele,roient &c fe repeuploient. Irene ordonna que 1'on rapportat de Lemnos les reliques de Sainte Euphémie. Pourremplir le fiege de la ville Impériale, Irene jetta les yeux furTa•aife. Paul au lit, de la mort, avoit iéclaré qu'il ne connoiflbit perfonne >lus capable de gouverner cette granle Eglife, mieux qu'il n'avoitfait luinême. C'étoit un homme vertueux ic favant; il étoit de familie de Parices ; fils de George, Préfet de Confantinople, & d'Eucratie, recommanlable par fa piété; le pere de Tarai'e avoit éprouvé Finjuftice & lacruaué de Conftantin Copronyme. C'étoit tne fable populaire dans la Grece, ju'un fpeftre femelle, nommé Gelo, étoit altéré du fang des enfants, :omme 1'ancienne Lamia, & qu'il fe  du Bas-Empire. Liv. LXVI. 91 fervoit pour ce cruel miniftere de femmes vivantes, qui, devenues invifibles, entroient dans les maifons les portes fermées, & venoient étouffer ces innocents dans le berceau. Plufieurs pauvres femmes étant accufées de ce crime imaginaire, George les renvoya déchargées de 1'accufation. Copronyme, entêté de ces folies autant que le dernier du peuple , fit fouetter George après 1'avoir dépouillé de la préfeclure; ce qui n'empêcha pas fon fils, fous le regne de Léon , de s'élever par fon mérite k la charge de premier Secretaire de 1'Empereur & k la dignité de Confulaire. Irene 1'ayant fait venir, lui déclara qu'elle le defHnoit k fuccédera Paul. Taraife, étonné d'une propofition fi imprévue, s'excufa d'y confentir, & ne fe rendit point aux inflances de l'Impératrice. Mais inftruite des fentiments du peuple, elle efpéroit que la voix publique obtiendroit de Taraife ce qu'il perfiftoit k lui refufer. Ayant donc afTemblé les habitants dans le palais de Magnaure: Vous fave^, leur dit-elle , qui D'uu nous a enlevé notrt pa/leur,poui CONSTANTINVI. Ann. 7S4.  COKSTANTINYl. Ann. 784. XI. Pifcours de Taraife. 91 HlSTOIRÉ le couronner d'une gloire immortelle. S'il eüt vécu plus long-temps , nous Paurions engagéd reprendre, mêmeJous Chabit monajlique, le foin de fon troupeau, 11 sagit maintenant de lui nommer un fuccejfeur qui lui rejfemble A ces mots , un cri général interrompit l'Impératrice ; on s'écria de toutes parts: Taraife , le fecretaire Taraife. Je penft comme vous , reprit Irene ; mais il refufe eet honneur. Parle^, Taraife,ajoutat-elle, dites-nous les raifons qui vous empêchent de vous rendre aux vccux de vos citoytns & de votre Empereur. Alors Taraife fe préfentant furim balcon du palais : » Chrétiens, dit— » il, écoutez un homme que vous » ne defirez pour Patriarchê, que » paree que vous ne le connoiffez » pas. Animés des mêmes fentiments » que nos très-auguftes Empereurs , » vous craignez Dien, & vous ne » cherchez que fa gloire : mais Dieu » feul voit le fond des cceurs; feul » il pefe dans une jufte balance les » vertus & les talents , paree que » c'efl: lui qui les mefure & qui les » donne. Pourrois-je, fans témérité , » afpirer a un miniffere, dont la haiv;  du Bjs-Bmpirr. Liv. LXP7. 93 » teur a paru redoutable k eet Apö» tre fwblime , le confident des fe*> crets du Très-Haut, le fpectateur »> de fa gloire, qui eut Dieu pour » maitre, & le Ciel pour école ? II s>> trembloit d'être lui-même réprou» vé, tandis qu'il travailloit au fa» lut des autres; & moi, né dans la » poufliere du fiecle , qui ai tou» jours rampé fur la terre, emporté w fans cefle dans le tourbillon des em» plois féculiers, de quel front ofe» rois-je m'élever au premier degré » du facerdoce ? Nous vivons dans »> un temps d'orage; vous avez be» foin d'un pilote expérimenté pour » gouverner cette Eglife. L'héritage » de Jefus-Chrift, fondé fur un roe » inébranlable, eft malheureufement » agité; nous le déchirons nous-mêv> mes par le combat de nos opinions. » Tout eft Chrétien, tout profeffe la » même foi; les eaux du baptême » coulent fans obftacle , & couvrent >> toute la terre depuis 1'Euphrate juf» qu'aux extrêmités de 1'Occident; » mais dans cette unité de profef» fion , que de contrariétés, que de » voix difcordantes! L'Occident ana- CONSTANTIN VI. Ann. 7S4»  CONSTANTINVI. Ann. 784. J4 HlSTOIRE » thématife 1'Orient, 1'Orient même » eft partagé. Combien d'Eglifes fe » font-elles féparéesde celle de Conf» tantinople! A ces maux il n'eft qu'un » remede ; je le demande a nos très» pieux Empereurs, & je préfume » affez de votre piété pour croire » que vous le demandez tous avec » moi. Un Concile univerfel eft le » feul lien qui puiffe rejoindre le » Chriftianifmedivifé. Jefus-Chrift, le » chef de 1'Eglife, fe rendant vifi» ble par 1'augufte affemblée des Paf» teurs , rappellera tous les membres » féparés, pour ne plus former qu'un » feul corps dans 1'unité de Dieu mê» me. Pour moi, j'ai tant de con» fiance dans ces lumieres reünies, » que je me flatte qu'elles fupplée» roient a la foibleffe desmiennes; » je puiferois a cette fource abon» dante les vertus qui me manquent: » & dans cette efpérance, fi nosPrin» ces veulent ordonner la célébra» tion d'un Concile, j'accepte la di» gnité dont vous m'honorez. Au» trement, fouffrez, mes freres, que » je ne m'expofe pas a paroïtre un » jour couvert d'anathême & déja  du Bas-Empire. Liv. LXVL 95 » condamné, devant ce juge terriy> ble, des mains duquel ni la puif» fance des Empereurs, ni tous les » peuples de la terre ne pourroient » me délivrer ". Dès qu'il eut ceffé de parler, il s'éleva un cri général, qu'il falloit convoquer un Concile. univerfel. Les fol— dats feuls demeurerent en filence; violents Iconoclaftes, ils avoient fervi Copronyme dans fes fureurs,& craignoient un Concile, qui remettroit en honneur les images qu'ils avoient profanées. Alors Taraife prenant de nouveau la parole: Ceji, dit— il, F Empereur Léon qui a commincé d ditruire les objets de Fancienne vénération de FEglife : le Concile ajfemblêpar fon fils ne les a foulés aux pieds que paree qu'il les trouvoit abattus. AujourtFhui la vérité n'efi plus captive. C'efi d FEglife qu'il appartient de décider une quejlion qui intérejfe fon culte. L'aflemblée s'étant ainfi féparée, Taraife fut ordonné Patriarchê, le jour de Noël. Rien ne lui avoit donné plus déloignement pour cette dignité, que 1'anathême dont le fiege de Conftantinople étoit chargé depuis long-temps CONSTANTINVI. Ann. 784. XII. II eft or-' donné Patriarchê. Ann. 78 j. Préparatifs du Concile.  CONSTANTINVI. Jktm. 784. Theoph. p. 388, 389. Anafi. in 'Air. Zon. t. II, f. 116. Hifi. mifi. I. 23- . Baronius. FUwry, hifi. ecclef. I. 44. art, a?, 26. )6 H ï S T 'O I R Ê le la part de 1'Eglife de Rome. II s'oc:upa donc férieufement des moyens Je rentrer en communion avec A= drien; il lui envoya fes lettres fynodales & fa profeffion de foi, oii il déclaroit fa vénération pour les images. L'Impératrice écrivit auffi au Pape pour lui faire favoir la réfolution qu'elle avoit prife d'affembler un Concile. Elle le conjuroit d'y vennen perfonne, promettant de lui rendre tous les honneurs dus au Chef de 1'Eglife. S'il ne pouvoit s'y tranfporter lui-même, elle le prioit d'y envoyer pour Légats des hommes fages & éclairés; elle donna même des ordres au Gouverneur de Sicile pour recevoir le Pape, en cas qu'il fe mit en chemin pour Conftantinople. Mais Adrien n'avoit pas affez ménagé les intéréts des Empereurs, pour compter fur leur bienveillance. llre^ut Taraife k fa communion , quoiqu'il eut été élu étant fimple laïque, mais il lui paffoit cette irrégularité en confidération de fon zele pour la laine doarine. II envoya deux Légats, qu'fl chargea de fa réponfe. Dans celle qu il faifoit a l'Impératrice, il juftifioit la tradition  su Bas-Empire. Liv. LXP7. 97 tradition de I'Eglife fur le culte des images; il en expliquoit la nature; il confentoit au Concile; mais il demandoit avant tout que le faux Concile tenu par 1'ordre de Copronyme fut anathématifé; que 1'Empereur, l'Impératrice, le Patriarchê Sc tout le Sénat, s'engageaffent par ferment k jaiaintenir la liberté dans le Concile, & a traiter les Légats avec honneur; que 1'Empereur fit rentrer fous 1'ancienne jurifdiétion les Evêques autrefois foumis k I'Eglife Romaine; & que les patrimoines de Saint-Pierre enclavés dans les terres de 1'Empire, Sc faifis par Léon Sc par Conftantin , fuffent reftitués. Au fujet du titre de Patriarchê univerfel attribué k Taraife , il bl&moit fortement cette prétention déja ancienne des Evêques de Conftantinople. Le Pape n'oublioit pas de propofer au Prince 1'exemple de Charlemagne, qui s'étoit fait un honneur immortelpar fes libéralités envers le faint Siege. Irene , ayant recu cette lettre, écrivit k tous les Evêques de 1'Empire , pour les inviter k fe rendre k Conftantinople. Les lettres adreffées aux, Patriarches Tom Xl¥. E CONSTANTINVI. Ann, 7S5,'  CONSTANTIN VI. Aan. 785. 98 HlSTOIRB d'Antioche, d'Alexandrie & de-Jérufalem ne purent leur être rendues : ■ ces Eglifes étoient affujetties k la domination des Mufulmans, auxquels il étoit dangereux de donner le moin* dre foupcon d'intelligence avec 1'Empereur. Les moines de Paleftine s'étant fecretement affemblés, députerent deux d'entr'eux pour repréfenter dans le Concile les trois Patriarches. La lettre que ces moines écrivirent k Taraife jüftifie les foupcons des Sarafins : les Chrétiens orientaux reconnoifToient toujours 1'Empereur pour leur Souverain ; & quoique foumis depuis pfès de cent cinquante ans a la puiffance des Mufulmans, ils les traitoient toujours de tyrans & d'ufurpateurs. Un li long efclavage n'avöit rien diminué de leur attachement au Saint Siege, non plus qu'a 1'Empire. Uabfence de nos Patriarches & de nos Evêques, difent-ils a Taraife , étant involontaire & förcêe , ne peul empêcher que votre Concile ne foit écuméniqiie; une pareille abfence ne porte aucun préjudice au Jixieme Concile : le cohfentement du très-faint Pape de Rome , 6* la prêfence de fes Légats tont mis hors datuinte.  nu Bas-Empire. Llv. LXFI. 99 Cette convocation mit tout 1'Empire en mouvement. II reftoit encore plufieurs Evêques de ceux qui, trente-deux ans auparavant, avoient afiifté au Concile Iconoclafte. Ceux qui étoient morts depuis ce temps-la , avoient pour la plupart des fucceffeurs infeclés desmêmes erreurs.Tous ces Prélats réunis k Conftantinople fe fortifioient les uns les autres dans leur opiniatreté, tenoient des aflemblées fecretes , animoient fiir-toutles troupes de la maifon Impériale. L'ouverture du Concile étant fixée au dix-fept Aout , la veille au foir les foldats vinrent en tumulte au baptiftere de I'Eglife des faints Apötres , oü les Prélats devoient s'affembler, & forcerent les portes en criant : Point d? images , point de Concile; la mort d quiconque ofera donner atteinte au Concile cèlèbre par Cordre de notre difunt Empereur. Cette émeute n'empêcha point les Prélats de s'aflembler le lendemain. Ils avoient déja pris féance , & l'Impératrice avec fon fils s'étoit placée dans la galerie des Cathécumenes, lorfque les foldats de la garde excités par leurs Capitaines, enE ij CONSTANTINVI. A.nn. 786. XIV. Violences des Iconoclaftes pour erapêcher le Concile. Theoph. p. 389, 390. Cedr. p. 470. Hift. mifc. I. 23. Ignat. vita Tamjii. Théod. Studit. Vita puton. Baroniusi F leury t hifl.Ecclcf. I. 44. art. 28. Oriens Chrifl. 1.1. p. 24».  CONSTANTIN VI. Ann, 786, XV, Irene cafie fa garde. I0O HlSTOIRE trent, 1'épée a la main, menacant de mort le Patriarchê, les Evêques & les Abbés Orthodoxes. L'Impératrice envoye les premiers de fa Cour pour calmer cette fureur; on les repoufle avec infulte. Le Patriarchê fe leve 6c fe retire dans le fandtuaire avec les Prélats qui n'avoient point de part a cette cabale ; les autres fortent d'un air triomphant, en criant, nous fommes valnqueurs. Il n'y eut pas néanmoins de fang répandu ; on en fut quitte pour des menaces 6c des inj lires , & 1'aflemblée fe fépara. Taraife, intrépide 6c tranquille au milieu de ce tumulte, célébra le faint facrifice, & retourna au palais épifcopal. Les Légats du Pape quitterent Conftantinople pour retourner a Rome; mais ils recurent ordre du Pape de s'arrêter en Sicile, pour y attendre un temps plus favorable. L'Impératrice, indignée d'une vioS lence qui outrageoit a la fois la religon, & la majefté Impériale, réfolut de caffer fa garde; mais craignant de pórter a une révolte déclarée des efprits li turbulents, elle fei» gnit de fe préparer a une expédition  dv Bas-Empire. Liv'. LXP7. ïoï contre les Sarafins. Elle envoya Staurace en Thrace pour en faire venir les troupes, & les difpofer a fourenir contre les mutins Pautorité de l'Empereur. Lorfque les troupes furent próche de la ville, elle fit paffer le Bofphore aux foldats de la garde ; Sc dès qu'ils 1'eurent paffe, on leur fignifia que l'Empereur n'avoit plus befoin 'de leur fervice , Sc qu'ils euffent a rendre les armes. Dansl'étonnement oü ils étoient, ils obéirent fans réfiftance. Irene leur renvoya leurs families Sc leurs effets, avec ordre de fe retirer chacun dans leur patrie, & défenfe de jamais remettre le pied dans Conftantinople. Elle fe forma une nouvelle garde des troupes de Thrace , Sc leur donna des commandants, dont elle connoiffoit la fidélité. Pour éviter les obftacles que poürroient encore faire naïtre les Icono- , claftes, dont le nombre Sc le pouvoir étoit grand a Conftantinople, & 1 pour rendre le Concile plus refpec- \ table par le lieu même de 1'affem- i blée, l'Impératrice le convoqua de ] nouveau k Nicée , ville célebre par ' E iij < CONSTANTIN VI. Ann. 786. Lnn. 787.' XVI. -e Concie eft conoqué a ricée. 'heoph. p. 90. Cedr. p. 70,47.1.  CONSTANTINVI. Aan. 7S7. Hifi. mifi. i\ 2.3. Zon. e. 11. ƒ>. 116. Anafi, in Adr. Vita. Théop. Vita Tarafii. Mé nol. Sa- fi. Baronius. Pagi ad Bar. Fleury , hifi. Ecdef. I. 44. art, if & fiiiv. 10a Histoire le premier Concile écuménique, qui avoit fervi de modele a tous les autres. Ses lettres de convocation furent envoyées au mois de Mai; & pendant tout lété, les Evêques fe rendirent a Nicée. Taraife, qui devoit préfider, quoique dans les feflions il ne fut affis qu'après les Légats du Pape, y conduifit avec lui plufieurs Magiftrats illuftres par leur piété & par leur doörine, entre lefquels étoit Nicéphore, alorsSecretaire de 1'Empereur, & dans la fuite fuccefleur de Taraife. A ce Concile aflifterent deux perfonnages mémorables, qui n'étoient pas Evêques, mais qui furent la lumiere des Evêques. L'un étoit George , furnommé le Syncelle , paree que Taraife Fhonora de cette dignité en confidération de fa fcience & de fa vertu ; c'eft Pauteur d'un célebre ouvrage de Chronologie, qu'il publia cinq ans après. L'autre fut Théophane le Chronographe, notre principal guide pour les événements de 1'Orient depuis le commencement de cette hiftoire. II étoit né en 758 , a Conftantinople, de parents illuftres. Son pere étant mort , fa mere le fïan-  du Bas-Empire. Liv. LXF7. 103 ca dès 1'age de douze ans a la fille du Pa" trice Léon. Sa mere mourut quelques années après, 8c Théophane fe trouvant poffefTeur d'un riche patrimoine, fon beau-pere 1'obligea de célébrer le mariage. Mais le jour de fes noces, le jeune homme convint avec fa femme de vivre dans la continence. II defiroit avec ardeur de fe renfermer dans un cloïtre. Le beau-pere en fut allarmé, il s'en plaignit a l'Empereur, 8c le pria de s'y oppofer. Léon Chazare, qui aimoit Théophane , 8c refpeftoit fa vertu , crut le détourner de fon deffein, en lui donnant un emploi honorable dans la ville de Cyzique. Théophane s'en acquitta avec fuccès, mais les affaires féculieres ne refroidirent point fa ferveur. Au commencement du regne de Conftantin 8c d'lrene, il engagea fa femme a fe retirer dans un monaftere , diftribua fes biens aux pauvres, 6c fe confacra lui-même a la vie monaftique. Appellé au Concile,. tandis que les autres Abbés, ainfi que les Prélats, fe piquoient k 1'envi de s'y rendre en pompeux équipage, Théophane, plus riche autrefois que: E iv CONSTANTIN VI. Ann. 7-87/ï  CONSTANTINVI. Ann. 787, XVII. Septieme Concile général. 104. HlSTOIRE tous les autres, y vint monté fur un ane, & revêtu de fon habit ordinaire, qui n'étoit qu'un fac de poil de chevre. Mais il fe diftingua par la fcience, le zele pour la vérité, & 1'innocence des mceurs. II ne mourut que fous Léon 1'Arménien, dont il éprouva la cruauté. On vit auffi dans le Concile un grand nombre de Confefleurs , qui avoient foufFert fous Conftantin Copronyme. Le Concile fe tint a Nicée dans I'Eglife de Sainte-Sophie. On y compte jufqu'a trois cents foixante-dix-fept Evêques, fans les Abbés, lesPrêtres & les Moines. Deux Cómmiflaires de l'Empereur furent témoins des délibérations; mais ce n'étoit que pou? Ia police & le maintien des regies; le Concile fut parfaitement libre. II y eut huit feffions , dont la première s'ouvrit le z4Septembre, laderniere fe termina le 15 Oftobre. Les Evêques tombés dans 1'hérélie furent admis , après avoir folemnellement abjuré leur .erreur. Entre les acclamations qui étoient d'ufage dans ces affemblées, on donna au jeune Empereur le nom de nouveau Conftantin}  du Bas*Empire. Liv. LXFL 105 & k Irene celui de nouvelle Hélene. On rétablit le culte des Images; on déclara faux & hérétique le Concile tenu fous Copronyme; on frappa d'anathême les Prélats Iconoclaftes. La huitieme & derniere fefïion fe tint dans I'Eglife de Magnaure k Conftantinople , en préfence d'Irene & de Conftantin. On y lut la définition du Concile , qui fut fignée de l'Impératrice ,&enfuite de fon fils. Lafalle étoit remplie de peuple & de gens de guerre. Pour les inftruire de la doctrine de I'Eglife , on fit la lecture des paffages des faints Peres, les plus concluants contre leslconoclaftes, & déja inférés dans les actes. Tous les affiftants joignirent leurs acclamations h celles des Evêques, & parurent convaincus de la vérité. Les prélats furent renvoyés dansleurs diocefes avec des préfents. Les images fe releverent de toutes parts, & 1'on crut enfevelie pour toujours cette héréfie fanguinaire, dont le prétexte étoit 1'ignorance & la fuperftition des peuples, & qui étoit elle-même un ef« iet de 1'ignorance des Empereurs &C de la criminelle complaifance des Evê* E v CONSTANTINVI. Knn. 787;  CONSTANTINVI. Ann. 787. XVIII. Helle action de Taraife. lOÓ UlSTOIRE Cjues. Les Grecs célebrent la mémoire de ce Concile le 11 d'Oófobre. L'Eglife devoit principalement au Patriarchê Taraife, eet heureux' retour de la paix & de la concorde. II avoit été le promoteur du Concile , il en fut 1'ame, & fa fermeté mêlée de douceur ramena les Prélats les plus opiniatres. Le cara&ere de ce faint Prélat étoit la vigueur jointe a une charité compatiffante. II eut occafion de faire ufage de ces deux qualités peu de jours après le Concile. Le Commandant de la garde Impériale , qu'on nommoitle Protofpathaire, accufé d'avoir détourné une grande fomme d'argent, fut mis en juftice. Après avoir fubi des queftions rigoureufes, renfermé dans une prifon, il trouva moyen de s'évader, & fe réfugia dans Sainte-Sophie au pied de Pautel, qu'il tenoit embraffé. Ses gardes vinrent affiéger Ie fanctuaire. Le Patriarchê defcendoit luimême plufieurs fois le jour pour lui apporter a manger, & le conduifoit dehors pour lui donner moyen de fatisfaire aux befoins de la nature. Malgré la vigilance de Taraife, les gar-  nu Bas-Empire. Lh. LXF7. 107 des furprirent eet Officier & le ramenerent au palais. Le Patriarchê y courut auffi-töt; & comme on luien refufoit 1'entrée, il prononca 1'excommunication contre quiconque feroit aucun mal a 1'accufé. Cette menace fufpendit toutes les rigueurs. On fe contenta d'un examen juridique;. 1'Officier fut reconnu innocent Sc renvoyé abfous. L'intérêt de I'Eglife & le fuccès du Concile de Conftantinople n'occupoient pas tellement le Pape , qu'il perdït de vue Pagrandiffement de fa puiffance temporelle. Déja maitre d'une portion de 1'Italie, il fongeoit a étendre fon pouvoir. Les Grecs & les Lombardsde Bénéventreflerroient fes prétentions; mais les patrimoines de Saint Pierre répandus dans toutes les Provinces , & dont il demandoit fans celTe la reftitution, étoient un lien puiffant pour entraïner beaucoup d'autres pofTeffions.il avoit dans Charlemagne un appui afluré; il fouhaitoit ardemment que ce Prince pouffat au loin fes conquêtes, perfuadé qu'il en recueilleroit lui-mêmele principal fruit. A fa follicitation, CharE vj CONSTANTIN VI. Ann. 787». XïK Affaire* d'kalie. Eginh. annah Leo Ofi. I. I. c. 27; /. 8. c. 76. Annaï. Fran. Aimoin. I. 4. e. 7S5 80. Rtgin. chron. Sigeb. chron. Baronlus. Pagi ad Bar. Fleury , Hifi. Eccl. I. 44. c. 41. Murat. a,',ttal. d'lui.  CONSTANTIN VI. Ann. 7S7. /. IV. p. 386,391, 393 . 395- Giann. Hifi. Nap. I. 6. c. 5. Abrégé de Vhifi. d'ItaU t. 1, P- 412 , 414. I08 HlSTOIRS lemagne avoit paffe pour la troifieme fois en Italië, pour forcer Arigife, Due de Bénévent, a le reconnoitre pour fon Souverain. Ge Duc, alors en guerre avec les Napolitains, fujets de 1'Empire, conclut promptement la paix avec eux, pour n'avoir a fe défendre que contre les Francois. Mais s'étant bientöt appergu de Pinfériorité de fes forces, il prit le parti de traiter avec Charles , fe reconnut vaffal des Rois d'Italie, abandonna Ca» poue, Arcé, Sora, Arpin, Aquin 8c Téane. Charles promit de donner ces villes au Pape; & le faint Pere, ne laiffant paffer aucune occafion de s'accroitre, obtint encore une nouvelle donation de plufieurs villes de Tofcane. Mais on ne fait fi ces engaments furent réalifés. On voit peti de temps après Capoue & les autres villes de la Campanie au pouvoir des Princes de Bénévent. Dès que le Roi fut retourné en France, Arigife ne fongea qu'a fe dédommager de fes pertes. II excita fecretement les Napolitains k s'emparer de Terracine, que Charlemagne avoit enlevée aux Grecs, pour 1'unir au domaine de  nu Bas-Empire. Lh. LXP7. 109 Saint Pierre. Auffi-töt le Pape implora le fecours de Charles, & pria ce Prince non-feulerrtent de reprendre Terracine , mais de fe rendre maitre de Gaëte & de Naples, pour retirer enfin , difoit-il, des mains des deieftables Grecs les patrimoines de Saint Pierre, enclavés dans le territoire de ces deux Duchés. Ces afFreufes qualifications , que le Pape prodiguoit k ceux qui mettoient quelque obftacle a fes defirs , font connoïtre avec quelle chaleur la Cour Romaine travailloit k 1'avancement de fa domination temporelle. On voit auffi pour la première fois les Papes fonger è prendre les armes, & a mettre des troupes fur pied. Adrien écrivit a Charlemagne que voyant les Grecs fe fortifler dans Gaëte & dans Terracine, & les Campaniens follicités a la révolte par les Bénéventins, il auroit penfé k envoyer une armée dans ces quartiers, sll n'eüt efpéré que le Roi, dontil avoit tant de fois éprouvé la bienveillance, retiendroit le Duc & les peuples de Bénévent. II 1'avertit en même-temps des intrigues qu'Arigife formoit avec 1'Em- CONSTANTI'K VI. Aan. 787»  CONSTANTINVI. Ann, 787. 110 HlST&IRE pereur. En effet, Arigife aufïi-tót après la foumifïion , qu'il avoit été forcé de faire a Charlemagne, avoit député a Conftantinople pour demander du fecours contre les Francois; il prioit l'Empereur de lui accorder le Duché de Naples avec le titre de Patrice , & de lui envoyer avec des troupes fon beau-frere Adalgife. II promettoit de prendre Fhabillement des Grecs, & de reconnoitre l'Empereur pour fouverain. L'Empereur lui envoya deux de fes écuyers pour lui conférer la dignité qu'il demandoit , mais non pas le Duché de Naples. Ils lui portoient des habits tiffus d'or, une épée, un peigne & des cifeaux pour fe couper les cheveux k la Grecque. L'Empereur promettoit d'envoyer incefFamment Adalgife avec une armée. Mais lorfque les députés arriverent en Italië, Arigife venoit de mourir, & fon fils Grimoald, alors entre les mains de Charles, ne pouvoit recouvrer fes Etats, qu'en renoncant a toute ligue contraire aux intéréts du Roi. Ils traiterent feulement avec Adelberge, veuve d'Arigife , &c avec les Seigneurs qu'elle avoit  du Bas-Empire. Liv. LXFI. m auprès d'elle. Cette Princeffe, fille de Didier, & ennemie des Francois, fit tranfporter fes tréfors a Tarente , k deffein de s'y retirer avec fes filles, & de favorifer les efforts de fon frere & des Grecs, lorfqu'ils débarqueroient en Italië ou en Sicile. Tant d'intérêts oppofés rompirent Falliance projettée entre Irene & Charlemagne. Le Roi, retournant de Bénévent a Rome , avoit recu k Capoue des Ambaffadeurs d'Irene. On ne fait pas au jufte le fujet de cette ambaffade : les Auteurs Francois prétendent qu'ils venoient demander Rotrude , promife fix ans auparavant k leur Souverain, & que le Pvoi, mécontent de la mau vaife fois des Grecs, la refufa. Les Grecs font honneur de ce refus k Irene. Cette diverfité d'opinion n'eft, je penié, fondée de part & d'autre que fur la vanité des Ecrivains, fouvent plus glorieux que les Princes mêmes dont ils font Fniftoire. II y a grande apparence que les deux parties y contribuerent également, & qu'Irene n'étoit pas plus difpofée k recevoir Rotrude , que Charlemagne k la donner, L'Impéra- CONST ANTIN VI. Ann. 787. XX. Rupture du mariage de Rotrude avec Conftantin.Theoph* pi 391. Cedr. pi 471. Hifi. mifi. 1. 23. Zon. *. J7> p. 115. Eginh. annal. Aimoin. /, 4- fi 78 , So. Baroniu'i\  CONSTANTIN VI. Ann. 787. Ann. 788. XXI. Entreprife & défaite d'A(dalgife.Theoph. p, 391. Hifi. mifi. I. a3. Anaal. fran. Eginh. viti Caroli. Rtgino cht, 112 HlSTOIRÊ trice, qui vouloit régner feule , n'étoit pas d'humeur fans dotite de rendre fon fils trop puiffant par une alliance fi redoutable a fon ambition ; & Charlemagne aimoit mieux accroitre fes pofTeffions en Italië , que d'en facrifier une partie k 1'honneur de placer fa fille fur le tröne de Conftantinople. Le jeune Empereur fut le feul qui témoigna du regret. Le caractere impérieux de fa mere lui faifoit fentir le prix de cette alliance. Né avec plus d'efprit que de vigueur & de fermeté, il voyoit ce qu'il avoit a craindre, étant fils d'Irene, & k efpérer, s'il devenoit gendre de Charlemagne. Cette rupture fut fuivie d'une guerre déclarée. La mort d'Arigife n'avoit pas öté k Irene 1'efpérance d'être foutenue par les Bénéventins. Elle équipa donc une flotte qu'elle ehargea de troupes; elle mit k leur tête Adalgife, auffi intéreffé qu'elle k détruire en Italië la puiflance des Francois , & qui comptoit fur fon neveu Grimoald , nouveau Prince de Bénévent. Jean le Tréforier, qui avoit de laréputation dans la guerre, lui fut  nu Bas-Empize- Liv. LXFI. 113 donné pour confeil. Théodore , Gouverneur de Sicile, eut ordre de venir joindre ï'armée fur les cötes de 1'ancienne Calabre. Le Pape, toujours attentif k ce qui fe pafToit en Italië, avoit déja mandé k Charles que deux Ecuyers de l'Empereur avec Théodore avoient abordé en Lucanie; - qu'ils étoient venus par terre k Salerne le 10 Janvier , & qu'après avoir eu pendant trois jours des conférences avec les principaux des Bénéventins, ils avoient été conduits honorablement k Naples, oü ils avoient fait un long féjour. II concluoit de ces démarches qu'il fe tramoit quetque complot entre les Grecs & les Bénéventins : il confeilloit k Charles de ne pas buffer échapper de fes mains Grimoald, qui, fuceédant k fon pere Arigife, marcheroit fans doute fur fes pas dans la ligue formée avec les Grecs. Mais le jeune Grimoald avoit déja toute la rufe & la foupleffe d'un vaffal ambitieux. II fut fi bien gagner le cceur de Charles, que, malgre les avis du Pape, il fut revêtu de la fucceffion de fon pere. Le Pape, obligé alors de changer de ton, écriyit au CONSTANTIN VI. Ann. 788. Sigeb. chron. Aimoin. I. 4. c. 80. Baranius. Pagi ad Bar. Giann. hifi. Napl, l. 6. c. 4. Murat. annal, dl' tal. t. IV. p. 386. 402,41U Abrégé de ïhifi. SU tal. t. I, p. 422 , 424, 426,  CONSTANTXN VI. Ann. 788. : IU H I S T 0 I R & Roi, que s'il lui avoit témoigné de la défïance de Grimoald, ce n'étoit nullement par un fentiment de haine contre ce jeune Prince ; qu'il n'avoit eu en vue que Phonneur de .1'Eglife de Rome, & la défenfe des donations faite au Siege apoftolique ; qu'on ne lui avoit pas encore rendu juftice fur les villes du Duché de Bénévent, & que Grimoald triomphoit a Capoue , comme s'il eut été préféré au Prince des Apötres. Tel étoit 1'état de 1% talie, lorfque le Pape, bien fervi par les émiffaires fecrets qu'il avoit a Conftantinople, inftruifit Charles de Farmementqu'on y préparoit. Le Roi envoya aufii-töt ordre k Hildebrand , Duc de Spolete, & a Grimoald, de fe mettre en campagne pour combattre les Grecs. Le jeune Prince n'avoit pas encore oublié le ferment qu'il ivoit prêté a Charles ; il marcha donc ivec fes troupes, & trompa 1'efpé■ance d'Adalgife. Vinigife , k la tête les troupes Francoifes que Charles ïntretenoit en Italië, commandoit :oute 1'armée. II fe livra une fanglante aataille, oü les- Grecs furent entiérement défaits, Suivant plufieurs Hif-  du Bas-Empire. Liv. LXVL 115 toriens, Adalgife y perdit la vie. ' Quelques-uns difent qu'il fut fait prifonnier, & mis a mort par les vainqueurs; mais, felon d'autres, ce fut ' Jean qui éprouva ce malheur; Adalgife , s'étant fauvé du carnage, pafla le refte de fes jours a Conftantinople, ou il mourut de vieilleffe. Cette défaite acheva de faire perdre aux Grecs toute efp£rance de rétablir leurs affaires en Italië. Les fuites ne leur furent pas moins facheufes que le combat. Pépin, fils de Charlemagne, & Roi d'ltalie dès 1'an 781, déja maitre de 1'Iftrie, enleva a 1'Empire laLiburnie. LesVénitiens étoient fujets de l'Empereur : Charlemagne, n'ufant plus d'aucun ménagement avec 1'Empire, ordonna au Pape de chaffer de Ravenne & de la Pentapole tous les marchands Vénitiens, oï le Pape obéit: ce qui prouve a la fois & la feigneurie du Pape fur ce pays, & la fouveraineté de Charlemagne. Irene, pour faire oublier a fon fils Rotrude, dont il avoit ardemment defiré le mariage , fongea a lui donner une autre femme, dont 1'alliance ne put lui faire a elle-même aucun COKSTANTIWVI. Lnn. 7SS. XXII. Mariage de Conftantin.Theoph. p» 391.  CONSTAFTINVI. Ann. 788 Cedr. p 471. Hifi. mifi l. 23. Zon. t. II p. 115. Menol.Bafil. 2. dcc. •Du Cange fam. f' 126. Ann. 789. XXIII. Mauvais fuccès contre les Sarafins & les Bulgares, Il6 HlSTOlKÊ 1 ombrage. Elle fit venir d'Arméme une jeune fille, nommée Marie, parfaitement belle, mais fans naiffance. Elle n'étoit connue que par la réputation de vertu de fon oncle Philarête, qui d'abord fort riche, s'étoit tellement épuifé en aumönes, qu'il en avoit lui-même befoin. La fortune de fa niece ayant relevé la fienne , il diftribua de nouveau aux pauvres les biens qu'il avoit recus de 1'Empereur, & ne conferva que fa vertu , qui lui a mérité une place au nombre des Saints. Le mariage fut célébréau mois de Novembre 788. Mais ni la beauté, ni les qualités aimables de Marie ne purent confoler le jeune Prince, qui par fon indifférence &c par fes mépris,lui fit regretter 1'état obfcur d'oü elle avoit été tirée. Les armes de l'Empereur n'ótoient pas ailleurs plus heureufes qu'en Italië. Les Sarafins, ennuyés d'une paix de fix ans, fe jetterent en 789 fur les terres de 1'Empire, Sc pénétrerent en Phrygie. Diogene, guerrier de grand courage, qui commandoit dans la Province , ayant raffemblé fes troupes & celles des Provinces  du Bas-Empire. Liv. LXPI. 117 voifines, leur livra bataille. II y fut tué, & avec lui périt un grand nombre de foldats & d'Officiers confidérables. Les Bulgares avoient repris les armes. Philete,Duc de Thrace, marcha contre eux, & fut la vicfime de fa propre négligence. S'étant campé dans le pays ennemi, fans aucune précaution pour la füreté de fon camp, il fut furpris, & périt avec une grande partie de fes troupes. Le jeune Empereur entroit dans fa vingtieme année, & n'étoit pas encore forti de la tutelle de fa mere , qui difpofoit feule du gouvernement, fans lui en donner aucune connoiffance. Elle ne partageoit le foin des affaires qu'avec le Patrice Staurace. Tous les courtifans, tous ceux qui couroient après Ia fortune , faifoient leur cour a eet eunuque, diftributeur de toutes les graces, collateur de tous les emplois, toujours environné d'une foule d'adorateurs, tandis que le Prinee étoit abandonné. Conftantin, doux par caraftere, & qu'une éducation reflerrée fous une mere impérieufe avoit rendu timide, rampoit paifiblement dans fon palais.j CONSTANTINVI. Ann. 789, Ann. 790, XXIV. Irene s'empare feule de 1'autorité. Theoph. p, 391 , 6- fm- Cedr. p. 471, 472. Hifi. mifc, 1. 13Zon. t. 11. p. 117. Ignat. yin Tarafii. Manafi". p, 90. Glycas, p, 28;.  CONSTANTINVI. Ann. 790. 113 HlSTÖIRE Sc faifoit lui-même fa cour a Staurace. Mais fes amis, ou plutöt les ennemis du Miniftre, efpérant occuper la même place auprès de lui, le piquerent de jaloufie, & le firent rougir de fon inutilité. Pierre , maitre du palais, &c les deux Patrices Théodore & Damien ne cefferent de lui répéter, qu'il étoit le maitre; que ce grand pouvoir dont fa mere abufoit, n etoit qu'une autorité £ufurpation ; quelle home de nourrir par fa patience l'infolence d'un vil favori, qu'il pouvoit renverfer d'un foujfle! En unmot, qu'il cefferoit d'être ejclave, des qu'il voudroit être Empereur. Animé par ces difcours, il réfolut de reléguer fa mere en Sicile , & de gouverner par lui-même. II en étoit a fe concerter avec fes confidents, lorfqu'un violent tremblement de terre, le 9 Février, fit fuir de Conftantinople tous les habitants, qui allerent fe loger fous des tentes k la campagne. L'Impératrice, elle-même avec fon fils, fe réfugia hors de la ville au palais de Saint-Mamas, vers la pointe du golfe. Dans ce tumulte univerfel, les conjurés , prenant moins de précaution, paree qu'ils fe  du Bjs-Empire. Liv. LXPI. 119 eroyoient moins obfervés, donnerent lieu a Staurace de découvrir le complot , & d'en avertir l'Impératrice. Elle fit arrêter tous les domeftiques de fon fils, entre autres Jean Picride, premier Ecuyer de l'Empereur, & gouverneur des enfants de la familie Impériale; ee qui étoit une dignité permanente dans le palais de Conftantinople. Elle les fit tondre , battre de verges, & les relégua en Sicile. Damien, Pierre & Théodore, après avoir recu le même traitement, furent enfermés, le premier dans le chateau d'Apolloniade, les deux autres dans leur propre maifon , d'oü ils eurent défenfe de fortir fous peine de la vie. Mais ce qui feroit incroyable de la mere d'un Empereur moins abfolue & moins violente, & d'un Empereur de vingt ans moins foible & moins timide, dans l'emportement de fa colere , elle maltraita elle-même fon fils; & après 1'avoir accable: de reproches injurieux , elle le tint enfermé dans le palais comme dan« une prifon. Pendant ce temps-la, elle fit jureraux fcldats de la garde que, tant qu'elle vivroit, ils ne recevroien CONSTANTINVI. Ann. 790.  CONSTANTIN VI. Ann. 790. XXV. Flotte Romainebattue par les Sarafins, i 1 i j i iao H1 s f 'o 1 r e aucun ordre de fon fils. Ils n'oferent refufer ce qu'exigeoit une Priricefïe, qui n'épargnoit pas fon propre fang pour fe faire ohéir. Elle apprit dans ce même temps qu'une flotte de Sarafins menacoit 1'ifle de Cypre. Auffi-töt elle affembla tout ce qu'elle avoit de vaifleaux, dont elle donna le eommandement a deux Capitaines. Ils fe rendirent au port deMyre en Lycie, & de-la ayant doublé le cap des ifles Chélidoniennes, ils entrerent dans Ie golfe d'AttaIie. Les Sarafins viennent au-devant d'eux; & après avoir été quelque temps retenus par un calme, le vent étant devenu favorable , ils voguent a pleines voiles vers la flotte Romaine. Dès que les Impériaux les apperfoivent, ils s'avancent en ligne, & livrent bataille. Elle ne leur fut pas heureufe; après avoir perdu plufieurs sraiffeaux, ils regagnerent le port d'At:alie. Ce combat procura la couronie du martyre a un brave Officier, ïommé Tbéophile, Commandant des :roupes de Cibyre. Ce guerrier, emporté par fon courage , s'étant enga*é au milieu de la flotte ennemie, fut pris  du Bas-Empire. Lh. LXVI. 121 pris par les Sarafins, qui, a leur retour , le préfenterent a Haroun, en faifant Féloge de fa valeur. Le Calife , defirant 1'attacher k fon fervice, employa les promeflés les plus flatteufes, & les plus terribles menaces pour Fengager a fe faire Mahométan: enfin, irrité de fa réfiftance invincible, il lui fit trancher la tête. . Cependant la détention de l'Empereur, & la rigueur dont fa mere ufoit a fon égard, caufoient dans les efprits une fermentation violente. La garde Arménienne, qui n'avoit pas encore prêté ferment, refufa de le prêter; elle répondit, qu'après la mort de Léon, elle avoit juré fidélité a Conftantin & d Irene ; qu'elle leur feroit fidelle jufqud la mort; mais qu'elle obferveroit conftamment l'ordre prefcrit par les loix & par la formule même du ferment, & ne foujfriroit jamais que, par un renverfement fans exemple , le nom d"Irene prêvalut fur celui de Conjlantin. Alexis Mufele , Ecuyer de l'Impératrice , & Commandant des gardes de nuit, envoyé pour les appaifer, fe mit k leur tête; ils chargerent de chaines le Patrice Nicéphore qui les comman- Tome XIF. F Constantie VI. Ann. 790. XXVI. Irene dépouilléede 1'aatorité.  CONSTANTINVI. Ann. 790, 12a HlSTOIRB doit; k leur exemple, tous les autres corps de la garde Impériale, oubliant le ferment qif'ils venoient de prêter k Irene, chafferent leurs Commandants, Sc déclarerent qu'ils ne reconnoiffoient pour maitre que Conftantin. Au bruit de cette érrieute, les autres troupes de Thrace Sc d'Afie accourent a Conftantinople : affemblées prés de la ville, elles proclament Conftantin feul Empereur, 8c menacent d'appuyer leur fuffrage par la force des armes. Irene, effrayée, malgré fon intrépidité naturelle, met fon fils en liberté. II fort de la ville, 6c va joindre les troupes; il déclare fa mere déchue de toute autorité; il fait jurer aux foldats qu'ils ne reconnoitront plus Irene pour Impératrice. II confirme k Mufele le commandement de la garde Arménienne. II rentre enfuite dans la ville; fait tondre Sc battre de verges Staurace, Sc le relegue dans le Pont; il exile auffi 1'eunuque Aëce, premier Ecuyer Sc favori d'Irene, & chaffe de la Cour tous lesdomc-ftiques de cette Princeffe. II la fait fortir de lcn palais , Foblige de fe retirer dans celui d'Eleuthere,  du Bas-Empire. Lh. LXVI. 123 pour y mener, comme perfonne privée, une vie douce & tranquille. Irene avoit fait batir ce palais au bord de la Propontide, & elle y avoit mis en réferve de grands tréfors. Le calme paroiflant rétabli, ne fut troublé que par un incendie qui confuma la bibliotheque patriarchale, oü 1'on gardoit 1'autographe des ouvrages de Saint Jean Chryfoftome fur PEcriture. Le feu dévora les édifices qui s'étendoient de-la jufqu'au milliaire d'or dans la place de 1'Auguftéon. Au mois dAvril fuivant,le jeune Empereur, voulant fortir de 1'oifiveté de fon palais pour acquérir de 1'expérience & de la réputation dans la guerre, marcha contre les Bulgares. II entra dans leur pays, dont le Roi Cardam vint k fa rencontre. Après une légere efcarmouche, que la nuit termina bientöt, les deux armées, également frappées d'une terreur panique, fe retirerent; l'Empereur rentra dans Conftantinople, fans perte & fans gloire. II ne fut pas plus heureux dans une autre expédition qu'il entreprit au mois de Septembre contre les Sarafins. II alla camper d'aF ij CONSTANTIH VI. Ann. 790. Ann. 791. XXVII. Guerre contre les Bulgares & les Sarafins.Theoph, p, 394- Cedr. p. 471. Zon. torn. 11. p. 117, 118. Hifi. Mifi, l. *).  CONSTANTINVI. Ann. 791, Ann. 792. XXVIII. Irene rétablie. Theoph. p, 394. 395Ced. p. 472. Mijl. mifi. I. 23. Zon. t. 11. p. Il8. Manaff. p. Glyc. p. 3S7. 124 HlSTOIRE bord prés d'Amorium , enfuite a Tarfe. De-la s'étant avancé jufqu'a un lieu nommé les Tours fans eau, déja fatigué des opérations militaires auxquelles il n'étoit pas accoutumé, il revint fans avoir vu Pennemi. S'il en faut croire Cédrene, ces deux effais lui réuffirent, il vainquit les Bulgares , & fit beaucoup de prifonniers fur les Sarafins. Irene, accoutumée a commander, fe confumoit dans fa retraite. Comme elle n'avoit pas perdu toute efpérance, fes créatures ne 1'avoient pas encore entiérement abandonnée. Elle employa les principaux de la Cour, qui la réconcilierent avec fon fils. II lui rendit le titre d'Impératrice le 1 5 Janvier, quinze mois après 1'en avoir dépouillée; & le peuple qui s'amufe des changements de fcene fur le théatre de la Cour, vit le retour de fa faveur avec autant de joie qu'il avoit vu fa difgrace. II n'y eut que les foldats de la garde Arménienne qui conferverent leur haine contre elle. L'Empereur les avoit renvoyés en quartier dans la Province de Pont, fous le commandement du Patrice Théodo-  du Bas-Empire. Liv. LXFI. 125 re, retenant auprès de lui Alexis, qu'il avoit honoré de la qualité de Patrice. A la nouvelle du rétabliffement de l'Impératrice, ils témoignerent leur mécontentement par des cris tumultueux, redemandant Alexis. Le vif attachement qu'ils montroient pour ce Commandant, le rendit fufpect au Prince. Le bruit couroit même, que les foldats Arméniens vouloient faire Alexis Empereur. Ce qui allarma tellement ce jeune Prince , que, fans autre examen, il le fit rafer, battre de verges, &renfermer dans la prifon du Prétoire. Une telle rigueur ne pouvoit manquer de foulever les troupes d'Arménie, déja mal difpofées. Mais l'Empereur, au-lieu de prévenir la révolte en étoufFantles murmures dès le commencement, s'occupa d'une nouvelle expédition contre les Bulgares. II partit au mois de Juillet, & alla batir un chateau fur la frontiere de cette nation. Cardam affembla toutes fes troupes, &z vint fe camper avantageufement k quelque diftance des Romains. L'Empereur, emporté par une ardeur de jeunefle, enivré encore des F iij CONSTANTIM VI. Ann. 79zi XXIX. L'Empereur battu par les Bulgares.  CONSTANTIN VI. Ann, 792, XXX. Conjuration puiie. I2Ö HlSTÖIRE prédictions d'un Aftrologue qui lui promettoit la viöoire, alla, fans précaution & en défordre , attaquer les Bulgares. Son imprudente crédulité lui coüta cher. Outre la perte d'un grand nombre d'autres foldats, illaiffa fur la place prefque toutes les troupes de fa maifon. Entre beaucoup d'Officiers du premier rang, périt Lachanodracon , le meilleur Général & le plus méchant homme de 1'Empire. La moindre perte fut celle de 1'Aftrologue Pancrace, qui avoit précipité le Prince dans le malheur. Les Bul gares demeurerent maitres des bagages , des chevaux, des tentes , de la caiffe militaire, & de tous les équipages de l'Empereur. Cette fanglante défaite ne pouvoit être attribuée qu'a 1'imprudence de l'Empereur. Les troupes échappées du carnage, étant rentrées k Conftantinople couvertes de honte & de bleffures, réfolurent d'öter la couronne a un Prince qui la foutenoit li mal. Elles formerent le complot de donner 1'Empire a Nicéphore, qui avoit déa deux fois fait de vains efforts pour monter fur le tröne , & qui n'en avoit  du Bas-Empire. Liv. LXFI. 127 pas perdu le defir, quoiqu'd eut été contraint de recevoir la prêtrife. Ce fut un bonheur pour Conftantin d'avoir auprès de lui les yeux de fa mere & ceux de Peunuque Staurace qu'elle avoit fait revenir d'exil. II dut a leur vigilance la découverte de la conjuration. II fit amener fes oncles au palais de Saint Mamas; on creva les yeux a Nicéphore , on coupa la langue k fes quatre freres, Chriftophe, Nicétas, Anthime , & Eudoxe. Staurace faifit cette occafion de fe venger d'Alexis ; il ne pouvoit lui pardonner de s'être prêté k la révolution qui 1'avoit fait bannir du palais. II perfuada donc k l'Empereur , qu'Alexis , adoré des Arméniens, ne manqueroit pas de lui arracher la cou ronne, fi on ne le mettoit hors d'état de 1'entreprendre, & fur cette défiance, Conftantin fit aveugler Alexis, Les Auteurs Grecs remarquent, comme un effet fenfible de la juftice divine, que cinq ans après dans le me me mois d'Aoüt & le même jour d( famedi, Irene fit fubir k fon fils 1< même chatiment qu'il avoit fait fouf frir k fes oncles. F iv ConstantieVI. Ann. 791.  CONSTV.NTJN VI. Ann. 791. XXXI. Révolte des troupes d'Arménie. < ] ( 1 j 1 ( c ■\ 1 t \ I ci c tl h I2§ HlSTOZRB- Le fupplice d'Alexis mit en fir reur les troupes d'Arménie. Elles fe mutinerent ouvertement, & jetterent dans un cachot leur Commandant Théodore. L'Empereur 1'ayant appris, fait partir le refte de fes troupes pour faire rentrer les Arméniens dans leur devoir. II met a leur tête deux Généraux, Conftantin Artafer, premier E:uyer, & Chryfochere, Commandant les troupes de Galatie. Les Arméliens, enflammés de rage, marchent lardiment k leur rencontre , quoiai'en beaucoup plus petit nombre. 1 fe livre au mois de Novembre un :ombat fanglant, oii les troupes de Empereur font taillées en pieces, & es deux Généraux faits prifonniers. )n leur creve les yeux par repréfailles lü traitement fait a Alexis. La nouelle d'une défaite fi honteufe porte i confternation k la Cour de Confintinople; elle réfolut d'en tirer une engeance fignalée : mais la faifon l'oügea de la différer. La nuit de Noël e cette année, il s'éleva un furieux rage ; 1'air fut embrafé d'éclairs; le )nnerre gronda long-temps avec un orrible fracas. Une partie du palais  du Ras-Empire. Liv. LXFf. 129 Impérial étoit occupé par un grand nombre d'ouvriers qui travailloient pour l'Empereur ; le quartier des Brodeurs fut réduit en cendres par le feu du ciel. Les plus dangereüx ennemis d'une troupe rebelle , font dans fon fein. La crainte du chatiment ouvre leur coeur a la corruption'; tk 1'argent acheve ce que le remords a commencé. On vint k bout de regagner une grande partie des foldats Arméniens; & lorfqu'on fut afluré de leur dilpofition I trahir leurs camarades \ toutes les troupes de 1'Empire marcherent contr'eux. Le Général Nicétas leur livra bataille le 26 Mai, jour de la Pentecöte. Ceux qui étoient d'intelligence avec lui s'étant auffi-töt détachés des autres pour fe joindré a 1'armée Impériale, le refte fut enveloppé & réduit k mettre bas les armes. II fit trancher la tête fur le champ de bataille au deux principaux Capitaines, Andronic , Ecuyer de l'Empereur , & Théophjle. Grégoire, Evêque de Sinope , qÉï> fans égard a fon cara&ere , s'étoit mis k la tête des révoltés , recut le mérite chatiment, Les F v CONSTANTIN VI. Ann. 792.' Ann. 793. XXXII. Elles font vaincues & punies. Theoph, p. 395 , 396Cedr. p. 471. Zon. 1.11. p. 11S. Hifi. mife* l. »3.  CONSTANTIN VI. Ann. 793- xxxra. Grimoald époufe & répudie la coufine germaine de 1'Empereur. Erchtmp, t, 5. Du Cangt fam. Byi. p. I1J. 130 HlSTOIRE autres furent caffés & dépouülés de leurs biens. On en réferva mille des plus mutins , qui furent chargés de chaines, & conduits a Conftantinople. Le 14 Juin, on les affembla dans la grande place, &-la en préfence de tout le peuple , on leur imprima fur le front ces deux mots en caraöeres inefFagables : Armènien rebelle. On les difperfa enfuite en Sicile & en d'autres ifles pour y paffer en exil le refte de leur vie. Ceux qui les avoient trahis, fruftrés des récompenfes qu'on leur avoit promifes, fe donnerent aux Sarafins, & leur livrerent la fortereffe de Camach. A la faveur de ces troubles, les Sarafins affiégerent une place de 1'Afie mineure, nommée Thébafe , & la recurent a compofition. Erchempert, Moine du mont-Caffin, qui a continué après Paul Diacre 1'hiftoire des Lombards de Bénévent ,rapporte que Grimoald, Prince de Bénévent , répudia cette année Vantia ou Irriantia, qu'il appelle petite fiUe de l'Empereur. Du Cange foup^onne que eet Empereur étoit Conftantin Copronyme. Elle devoit 'donc être fille d'un des oncles de  du Bas-Empire. Liv. LXVI. 131 Conftantin, fils d'Irene. Grimoald? qui, malgré la guerrefaite contre Adalgife , entretenoit comme fon pere de fecretes liaifons avec l'Empereur, avoit époufé cette Princeffe, qu'il aima d'abord, & contre laquelle il concut enfuite une mortelle averfion. II étoit alors en guerre avec les Francois , qui fe tenoient offenfés de cette alliance avec un Prince dont ils étoient ennemis. Voulant donc fe réeoncilier avec eux , il faiiit ce prétexte de renvoyer fa femme. Elle fut obligée k fon grand regret de retourner k Conftantinople, oüellene pouvoit partager que la difgrace de fon pere. II fe tint 1'année fuivante k Francfort-fur-le-Mein un Concile célebre; oü fe trouverent environ trois cents Evêques des Etats de Charlemagne, Deux Légats du Pape y affifterent Après la condamnation d'une héréfu nouvellement née en Efpagne, on ) examina la queftion des images, dé cidée fept ans auparavant dans le Con cile de Nicée. Les Evêques affemblé a Francfort, faute d'entendre le text Grec des aftes de Nicée, furent trom F vj CONSTANTINVt Ann. 793- Giann. hifi. Nap. L 6. t. 4« Abrégé de, thifi. d'1tal. t. 1. p. 43*« Ann. 794. XXXIV. Concile de Francfort. Fleury , . hifi. ecclef, l '. A,%. an. " 47' i  CONSTANTINVI. Ann, 794 Ann. 795. XXXV. Conftantin répudieMarie.Theoph. p. 396, Ccmbefis. Cedr. p. 471, 473. Hifi. mifc. I. 23. Zon. t. II. P- 118 , . 119. Manajf. p. j 9<* ( Glycasip. aSj. ( Ignat. vita £ Tarafii. c Vila Pla- ■ tonis. 1 Vita Theo. C s3- HlSTOIRE pés par une mauvaife tradu&ion, & k perfuaderent qu'on y attribuoit aux images le culte de latrie. En conféquence, ils rejetterent la décifion de ce Concile. Le Pape Adrien réfiita cette injufte cenfure , Sc fit connoitre a Charlemagne que la définition de Nicée diftinguoit nettement 1'honneur dü aux images du culte qu'on doit rendre k Dieu feul. Le jeune Empereur prenoit peu de part aux affaires de la Religion. Livré k la débauche, fruit malheureux d'une éducation que fa mere avoit négligée pour le rendre incapable, Sc fe rendre elle-même néceffaire , il devint éperduement amoureux de Théodote , fille d'honneur de l'Impératrice. Brülant d'envie de 1'époufer , il réfolut de répudier Marie. Sa mere, lévorée d'ambition , Sc qui en recoufrant Je titre d'Impératrice, n'avoit >as regagné fon ancienne autorité, ne herchoit qu'a le rendre odieux, Quoi[u'elle eut fait elle-même le mariae de Marie, elle fut la première k n confeilier la diffolution. Comme falloit donner quelque couleur a ? divorce illégitime , on prit un pré-  nu Bjs-Empire. Liv. LXFL 133 texte entiérement dénué de vraifemblance. Les mceurs de Marie étoient irréprochables, mais mal afforties a. celles du Prince; on 1'accufa d'avoir voidu empoifonner l'Empereur ; & fans autre examen , on 1'obligea de fe retirer dans un monaftere. Elle confentit volontiers a quitter une Cour oü fa vertu étoit étrangere, & elle prit le voile dans le mois de Janvier 795. II ne reftoit plus qu'a célébrer les noces de Théodote; mais le Patriarchê Taraife, qui devoit prononcer fur la diffolution du mariage, s'y oppofafortement, & protefta qu'il fouffriroit la mort plutöt que d'y confentir. En vain l'Empereur le fit folliciter par les perfonnes qu'il croyoit les plus capables de 1'ébranler; il le fit venir au palais ; il employa les plus vives inftances ; il voulut lui perfuader que Marie avoit attenté k fa vie; il lui mit même devant les yeux le prétendu poifon. Taraife, convaincu de 1'innocence de Marie, demeura inflexible; il fit fentir k l'Empereur qu'il connoiffoit fa pafïion ; il le menaca de lui interdire 1'entrée du fanétuaire, s'il perfiftoit dans fon deffein. Le CONSTANTINVI. Ann. 79 j. dori Studi' tot. Baronlus, FUury , hifi. ecclef. I. 45. art. 1 1 2> 3»  CONSTANTINVI. Ann. 79 j, XXXVI. Expédition en Afie. 134 HlSTOIRE moine Jean, qui accompagnoit le Patriarchê , fit auffi des remontrances a l'Empereur; & cette liberté révolta tellement les Courtifans, efclaves des paffions du Prince, que plufieurs d'entr'eux furent fur le point de percer de leurs épées ce vénérable vieillard. L'Empereur, d'autant plus irrité qu'il n'avoit rien a répondre, chaffa Taraife de fa préfence, & lui dit, lorfqu'il s'en alloit: Si vous ne m'obiijfe^ pas , je ferai fermer vos Eglifes, & rouvrir les temples des Dieux. Le Patriarchê , fans rien repliquer k ce propos d'un Prince furieux , ferrant la main de Jean , lui dit k 1'oreille : Je crains. bien qu'il ne meure pas d'une mort tranquille. L'Empereur étoit vivement piqué de cette fermeté de Taraife. Cependant comme il ne défefpéroit pas encore de 1'amener k ce qu'il defiroit, pendant que fes confidents travailloient a fiéchir le Patriarchê, il entreprit une expédition en Afie, pour fe diftraire de fon chagrin. Etant parti au mois d'Avril, il rencontra en Cilicie prés du fleuve Anus un corps de Sarafins, qu'il mit. en fuite. Content  ou Bas-Empire. Liv. LXFL 135 de ce fuccès, qu'il prit pour une victoire, & impatient de revoir Théodote, il retourna fur fes pas. Arrivé a Ephefe, croyant réparer par quelqueacte de dévotion, le fcandale de fon divorce , il alla rendre a Dieu de folemnelles actions de graces dans I'Eglife de Saint-Jean l'Evangélifte, patron de la ville, & il ordonna que les cent livres d'or produites tous les ans par la douane d'Ephefe, fuffent déformais appliquéesau tréfor de cette Eglife. A fon retour', toujours obftiné dans fon defTein, & trouvant toujours Taraife inflexible, il paffa outre, fianca Théodote pendant le mois d'Aoüt, 8c la déclara Impératrice. Le mariage fut célébré le 4 Septembre dans le palais de Saint Mamas par Jofeph, Abbé & Econome de I'Eglife de ConftantinO' ple, qui, au refus du Patriarchê, voulut bien prêter fon miniftere au deiir de l'Empereur. 11 y eut pendani quatre jours des fêtes brillantes, qu firent diverfion au mécontentemen du peuple. Taraife ne jugea pas l propos d'exécuter la menace qu'i avoit faite, pour ne pas pouffer ; CONSTANTII»VI- Ann. 79 S> XXXVII. Mariage de Théodote. ( \ t I  CONSTANTINVI. Ann. 79j, XXXVIII Suites de ce mariage- ■ Histoire bout un Prince aveuglé par fa paffion qm auroit pu rouvrir les playes de 1 Eghfe encore récentes, & fe déclarer pour 1'héréfie. Mais ce ménagement utile k la Religion, n'appaifa point la haine de l'Empereur contre Je Prélat. Conftantin ne ceffa tant qu'il regna d'affliger en toute maniere Ie Patriarchê ; il faififfoit toutes les occalions de le maltraiter; il bannifToit ceux qui lui étoient attachés. Les domeftiques du Prélat étoient autant d'efpions aux gages de Théodote; on ne pouvoit le voir ni lui parler qu'en prefence de ces Miniftres infideles. Deux ans après, lorfque Taraife n'eut plus rien k craindre pour I'Eglife des emportements de ce jeune Prince , il excommunia Jofeph. L'exemple de l'Empereur, fcandaleux d'abord, devint peu après contagieux. Après avoir murmuré de ce divorce, on 1'imita. Les Hens facrés du mariage fe relacherent de toutes parts. Les Courtifans, les Gouverneurs deProvince, les perfonnes puiflantes , ou renvoyoient leurs femmes, ou peuploient leurs maifons de ioncubmes; en peu de temps fa dé-  du Bas-Empihe. Liv. LXFI. 137 bauche devint publique. La politique & la crainte de paroitre cenfurer les mceurs du Prince, rendoient les loix muettes, & défarmoient I'Eglife. Deux Moines eurent cependant la hardieffe de condamner le filence de Taraife, & de fe féparer même de fa communion. Pïaton, né a Conftantinople d'une familie noble & trèsriche, après avoir diftribué tous fes biens aux pauvres, sétoit retiré au monaftere du mont Olympe , ou il avoit fuccédé a 1'Abbé Théoctifte. Attaqué d'une maladie qu'il crut mortelle , il demanda un fuccefTeur, & fes Moines nommerent a fa place fon neveu Théodore. Platon revint de fa maladie; & quoiqu'il fut parent de la nouvelle Impératrice, il fe déclara contre fon mariage. En vain les Moines Courtifans lui écrivirent pour tempérer fon ardeur. L'Empereur le manda, & ne fut pas affez puiffant pourl'intimider. Platon, emporté par un zele qui fait quelquefois oublier les autres devoirs, ofa reprocher en face k l'Empereur fon adultere, & fut enfermé dans une étroite prifon. Les mauvais traitements qu'il y ef- CONSTANTINVI. Ann. 79 fi  CONSTANTINVI. Ann. 795. 138 HlSTOIRE fuya, & qui auroient été plus cruels fous un Prince fanguinaire, ne purent lui faire défavouer fes fentiments. II réfifia aux Evêques de Cour qu'on lui envoyoit dans fa prifon, pour lui apprendre a concilier fa confcience avec une complaifance politique. II demeura prifonnier jufqu'au temps oii Irene, devenue feule maitrefle de 1'Empire, le mit en liberté. Son neveu Théodore ne fut pas moins inébranlable. Ses parents occupoient les premières charges ; Nicéphore, fon coufin, étoit Préfet de Conftantinople ; leurs follicitations ne gagnerent rien fur lui. II alla même plus loin que fon oncle ; il défendit a fes Moines de communiquer avec l'Empereur dans les chofes qui concernoient la religion. II fut fouetté cruellement avec fes Moines, enlevé avec eux de fon monaftere , conduit, pieds &C mains liés, a TheiTalonique pour y vivre en exil. L'exemple de fon chatiment eut moins de force que celui de fon zele; plufieurs Abbés &t plufieurs Evêques 1'imiterent, & recurent le même traitement. Une paffion criminelle mettoit le fer k la main  du Bas-Empirb. Liv. LXVL 139 d'un Prince naturellement doux. Ce qu'il y a de plus remarquable, c'eft que dans cette perfécution , Irene changea encore une fois de röle; elle prit le parti de Platon & de Théodore; elle blamoit hautement les rigueurs qu'on exercoit fur de faints perfonnages; & toujours animée du même efprit dans une conduite oppofée , elle allumoit de plus en plus la haine que fon fils s'étoit attirée en fsivant fes confeils. La débauche produifit dans Conftantin fon effet ordinaire; elle le rendit infolent. Ne fe refpeciant pas luimême , il en vint a méprifer les autres hommes. Cardam , Roi des Bulgares , lui manda que s'il ne lui payoit tribut, il le verroit bientöt aux portes de Conftantinople. L'Empereur répondit a cette bravade par une infulte pleine de baffeffe. II lui envoya ' de la fiente de cheval avec cette réponfe : Je vous envoye le tribut qui vous convient. Par égard pour votre vieilleffe, je veux bien vous èpargnef la fatigue du voyage; rende^vous au chdteau de Marcelles, je ne tarderai pas d vous aller joïndre; Dieu y décidera notre dif- CONSTANTIN VI. Ann. 79 j, Vnn. 796. XXXIX. Infolence de Conftantin.Théoph. p. 597, 39S. Cedr, p. 4-73- Zon, t. II. >. 119. Hifi. Mifi. '- 23»  CONSTANTINVI. Ann. 796. XL. Complot formé par Irene contre fon fils. 140 HlSTOIRE férend. Auffi-töt il fit paffer le Bofphore aux troupes d'Afie, & marcha en Bulgarie. Cardam, dont 1'armée étoit beaucoup plus foible, fe retrancha dans une forêt. L'Empereur fe tint campé devant 1'ennemi pendant dix-fept jours, le harcelant fans ceffe; mais Cardam, après s'être tenu fur la défenfive, fe retira fans combattre; & l'Empereur, malgré fa préfomption, n'ayant ofé le pourfuivre, reprit le chemin de Conftantinople. Les Sarafins coururent cette année jufqu'aux portes d'Amorium , qu'ils attaquerent fans fuccès; mais ils emmenerent grand nombre de prifonniers. Au mois d'Avril, il y eut dans 1'ifle de Crete un grand tremblement de terre, & un autre qui ne fut pas moins violent k Conftantinople le 4 Mai. Au mois de Septembre fuivant , l'Empereur, accompagné de fa mere, fit le voyage de Prufe en Bithynie pour y prendre les bains. II y étoit depuis un mois lorfqu'il apprit que fa femme étoit accouchée d'un fils. 11 partit fur le champ pour Conftantinople, laiffant fa mere a Prufe avec  du Bas-Empire. Liv. LXP7. 141 toute fa maifon. Irene profite de cette abfence pour travailler fourdement a gagner les Officiers de la Cour & des troupes. Argent, promefles, follicitations vives & prelTantes , tout eft mis en oeuvre pour les engager a dépouiller fon fils du pouvoir fouverain, & a 1'en revêtir elle-même. Le complot formé, elle retourne k Conftantinople , & attend Poccafion de faire jouer les refforts qu'elle avoit préparés. C'eft encore ici un de ces exemples fi rares d'une conjuration qui demeura long-temps fecrete, quoique communiquée k un grand nombre de perfonnes. On ne peut 1'attribuer qu'a 1'aveuglement du Prince , uniquement occupé des charmes de fa nouvelle époufe, & k la trahifon ou la négligence de fes Miniftres, plus fideles k fuivre 1'exemple de leur maitre, qu'a veiller k fa fïireté. Ce malheureux Prince marcha pendant huit mois au milieu des pieges que lui tendoit fa mere , fans en appercevoir aucun. Ce Prince n'auroit pas été méprifable, fi la perfide politique de fa mere n'eut étouffé dans le germe par CONSTANTIN VI.. Ann. 796. inn. 797. XLI. Conftaa-  CONSTANTIN VI. Ann. 797. tin s'enfuit de Conftantinople.Theoph. p. 398. 399Cedr. p. 473 ,475Zon. t. II. p. 119. Hifi. mifc. I. 23. Manajf. p. 91. Glyeas , p. 285. Anonym. Band. p. 124. Du Cange fam. Byr. p. X26 , 127. 140. HlSTOIRE une mauvaife éducation les bonnes qualités qu'il avoit regues de la nature. II avoit de 1'aétivité & du courage ; nous 1'avons vu plufieurs fois è la tête de fes armées; & cette année 797, qui fut la derniere de fon regne, ayant appris que les Sarafins étoient entrés en Afie, il fortit de Conftantinople au mois de Mars avec vingt mille hommes de troupes choifies, pour les aller combattre. II étoit, pour fon malheur, accompagné de Staurace , le principal miniftre des noirs defleins d'Irene. Ce fcélérat, témoin de Pardeur des foldats & du Prince, vint a craindre qu'une victoire ne fit avorter fes projets, en rendant l'Empereur plus refpecté 6c plus cher a fes peuples. II corrompit les cavaliers qu'on envoyoit a la découverte. Ils vinrent fauflement annoncer que les ennemis avoient pris la fuite, & qu'ils étoient déja bien loin. Sur ce rapport, le Prince, au défefpoir d'avoir manqué cette occafion d'acquérir de la gloire, reprit le chemin de Conftantinople. Ce chagrin fut bientöt fuivi d'une douleur plus fenfible. II perdit fon fils, qu'il  nu Bjs-Empire. Liv. LXVL 143 avoit nommé Léon, d'autant plus chéri que c'étoit le fruit d'un mariage qui ne plaifoit qu'a lui feul. Le dixfept Juin, après le fpedtacle du Cirque, l'Empereur revenoit au palais de Saint Mamas, lorfqu'une troupe de conjurés fond fur lui pour fe faiiir de fa perfonne. II s'échappe de leurs mains , 5c fe jette dans une chaloupe qui le porte a Pyles, fur Ie golfe d'Aftaque. II paffe de-la a Triton fur la Propontide. Son deffein étoit de gagner la Phrygie; mais il s'arrêta en ce lieu pour attendre fon époufe chérie. Elle lui amena plufieurs Seigneurs Sc Officiers, tant du palais que des troupes, qu'elle croyoit fideles au Prince, Sc qui le trahiffoient. Ils cherchoient 1'occafion de 1'enlever; mais les foldats Sc les gens de toute efpece qui fe rendoient auprès de lui, Sc dont le nombre croiffoit de jour en jour, rendoient 1'entreprife plus difficile. II fe paffa ainfi prés de deux mois. Cependant Irene , fecondée des conjurés ., s'étoit emparée du palais. Effrayée d'apprendre que fon fils avoit raffemblé au* tour de lui une foule de peuple dif- CONSTANTIKVI. Ann. 797,  CONSTANTIN VI. Ann. 797. XLII. Sa mere lui fait crever les yeux. I44 II I S T 0 I R E pofée k le défendre, elle fongeoit déja k demander grace, & elle étoit fur Ie point de lui députer des Evêques pour obtenir de lui une retraite, oü elle pafferoit fes jours dans 1'obfcurité. Mais avant que de fe réduire k cette extrêmité, elle tenta encore une derniere refTource : elle manda aux traitres qui environnoient fon fils, que s'ils ne trouvoient moyen au plutöt de lui mettre l'Empereur entre les mains, elle alloit lui révéler tout le complot, öc faire fa paix k leurs dépens. Ces menaces, qu'elle étoit trèscapable d'exécuter, les déterminerent k tout entreprendre. Ils fe faiflrent de Conftantin le foir pendant qu'il faifoit fa priere ordinaire, & le tranfporterent dans une barque qu'ils tenoient prête k partir. Arrivés de grand matin k Conftantinople le famedi 19 Aoüt, ils 1'enfermerent dans une chambre du palais oü il étoit né, & qu'on appelloit Pappartement de pourpre; ce qui avoit fait donner au Prince Ie furnom de Porphyrogenete. Ils 1'y laifferent une partie du jour, tandis qu'ils tenoient con- feil  nu Bas-Empirr. Liv. LXVI. 145 feil avec Irene fur le parti qu'ils devoient prendre. Cette mere dénaturée n'ofant fe rendre 11 n cojet d'horreur en trempant fes mains dans le fang de fon fils, mais craignant encore plus de le laiffer en état de régner , ordonna qu'on lui crevat les yeux. Sa cruauté ne fut que trop bien fervie. Le Prince, accablé de fatigue, dormoit profondément vers la neuvieme heure du jour; les afTaffins, car on peut leur donner ce nom , s'approchent de fon lit, & ne le réveillent que par la douleur des poincons qu'ils lui enfoncent dans les yeux avec tant de violence, que peu s'en fallut qu'ils ne lui ötafTent la vie fur le champ. Conftantin , pouffant des hurlements affreux , fe roule par terre, & refufant tout appareil, maudiflant fa mere, le jour & le lieu de fa naiffance, il demeura plufieurs jours fans vouloir prendre de nourriture. II s'accoutuma cependant a fon malheur, & furvéquit même a fa mere , trainant une vie languiftante dans le mépris, & dans 1'oubli. II étoit agé de vingt-fept ans, & en avoit régné dix-fept. Pendant les dix-fept jours . Tornt XIV. G ConstantieVI. Ann. 797.'  CONSTANTIN VI. Ann, 797. 146 HlSTOlRE qui fuivirent cette horrible fcene * 1'air fut chargé de nuages fi épais, que les vaiffeaux en mer perdirent leur route; & le 16 Aoüt, il y eut éclipfe de foleil. La rencontre de ces phénomenes avec le malheur de Conftantin , répandit dans les efprits les idéés les plus noires; le peuple fe perfuada que le ciel refufant ia lumiere, donnoit une preuve fenfible de fon courroux; & 1'obfcurciffement de 1'aftre du jour fembloit renouveller les horreurs que les fables racontent du feftin d'Atrée. Conftantin avoit eu de Marie une fille, nommée Euphrofyne. Après le défaftre de fon pere, elle fut renfermée dans un monaftere des ifles du Prince. Nous la verrons vingt-fept ans après tirée de ce lieu, & placée fur le tröne par l'Empereur Michel le Begue. On lui donne encore une autre fille, nommée Irene, dont on ne fait que le nom & la fépulture. Dans la defcription des tombeaux de Conftantinople , on trouve que ce Prince fut enterré avec fa femme Marie & fes deux filles dans le monaftere de Saihte-Euphrofyne, que fa mere avoit fait batir.  nu BaS'Empire. Liv. LXVL 147 Irene, feule maitreffe de 1'Empire > 11e fongea plus qu'a effacer 1'horreur de fes forfaits. N'ayant plus d'intérêt a faire des crimes, elle fe montra ce qu'elle auroit toujours été, fi les fureurs de 1'ambition n'euffent pas altéré fon caracf ere. Peut-être même fit-elle mieux qu'elle n'auroit fait, fi elle n'avoit rien eu a réparer. Elle rappella Platon, Théodore, & tous ceux que la vengeance de Théodote avoit fait exiler. Son premier foin fut de procurer la paix. Abimelech, Général du Calife, ravageoit la Cappadoce & la Galatie. II prit de force la fortereffe de Safïafa. L'Impératrice lui envoya deux députés pour traiter avec lui: mais la négociation n'eut aucun fuccès, &C les Sarafins ne fe retirerent qu'après s'être chargés de butin. La douceur du nouveau gouvernement d'Irene ne put calmer dans tous les cceurs ie refTentiment de fes \ cruautés. Les fils de Copronyme vi- 1 voient renfermés dans un palais a I Conftantinople. On avoit privé Ni- , céphore de 1'ufage de lavue; on avoit i coupé la langue a fes freres; mais on G ij Irene. A.nn. 797. XLIII. Gouvernementi'Irene reule. Theoph. pi 399- Uift. mifi. '.. 13. Cedr. p. MiZon. 1.11, ■>. 120. Manajf. p. J2. Slycas, p. 185. Baronius. Vod. orig. i. 51. Ebnacin. , 1. c. 6. xuv. Nouveau nouvenent 5c louvelle 'unition les fils de ^opronyne.  Irene. Ann. 797, I48 HlSTOIRÊ n'avoit pu arracher de leur cceur le defir de régner-. Ces Princes écouterent encore les confeils des mécontents qui réveilloient leur ambition. On leur facilita les moyens de s'échapper de leur prifon. Ils fe réfugierent dans I'Eglife de Sainte - Sophie, oü le peuple étant accouru en foule, Nicéphore, le feul d'entre eux qui eut encore 1'ufage de la parole, s'écria : Citoyens, regarde^ les fils de votre Empereur; les maux qu'ils ont foufferts les ont-ils a(fe^ défigurls pour n'êtrepas reconnus? 11 ne nous refie que la vie ; qu'elle nous fioit du moins ajfurée ; que celle qui gouverne fe rende devant vous camion de notre füreté. Ceux qui les faifoient parler, efpéroient que le peuple s'attendriroit jufqu'a proclamer Nicéphore Empereur, & la compaffion excitoit déja les murmures, Sc faifoit couler les larmes; lorfque 1'eunuque Aëce arriva fort a propos pour arrêter ces premiers mouvements. Dans ce moment de balancement & de crife oü il voyoit les efprits, il prit les Princes par la main, & les adoucifTant par fes carefTes fans leur donner d'autre garantie que fa paro-  du Bas-Empire. Liv. LXVI. 149 le, il les conduifit hors de I'Eglife. Perfonne ne fe mit en devoir de les retenir. Rendus au palais, on les fit auffi-töt embarquer pour la Grece ; on leur donna pour prifon la ville d'Athenes, patrie de l'Impératrice , & entiérement dévouée k fes volontés. Leur ambition, qui ne devoit mourir qu'avec eux, les fuivit clans leur exil, ils y trouverent encore des partifans, qui animerent leurs folies efpérances. Quelques Grecs lierent une intrigue avec un Prince Efclavon, nommé Acamer, qui devoit les tirer de la ville, donner k Pun deux ia couronne impériale, & les ramener k main armée k Conftantinople. L'Impératrice, inftruite de ce complot, n'eut befoin que du zele des Athéniens; dès qu'elle eut envoyé fes ordres, le peuple prit les armes, courut a la maifon de ces malheureux Princes; on leur creva les yeux k tous. On les transféra k Panorme, que je crois être la ville de ce nom dans la Chalcidique, qui faifoit partie de la Macédoine. Deux eunuques élevés au rang de Patrices, partageoient la faveur de G iij Irene. Ann. 797. XLV. Jaloufie de Stau-  Irene. Ann. 797. race & «I'Aëee. Theoph. p. 399, 400. Hifi. mifi. k 23. Ann. 798. XL VI. lrruptioir des Sarafins, 1-0 HlSTOlRE l'Impératrice. Staurace, plus méchant^ plein de vanité & d'audace, vouloit dominer même fa maïtreffe; ce qu'il avoit fait, & ce qu'il avoit fouffert pour elle, le rendoitinfolent. Aèce, plus couvert &c plus adroit, s'étoit d'abord élevé k ï'abri de Staurace ; mais fon zele auffi modefte qu'il étoit a£tif, & fa foupleffe 1'avoit enfin égalé k fon protefreur. Tous deux pareillement ambitieux, voyant l'Impératrice fans efpérance de laiffer des héritiers de fon fang , travailloient four» dement k faire tomber 1'Empire chacun dans fa familie. Ils fe rencontre* rent bientöt dans les fouterreins de la politique, & dès qu'ils fe furent pénétrés,ils devinrent ennemis mortels, & remplirent la Cour de divifions & de cabales. Une irruption des Sarafins , qui porta 1'efFroi jufque dans Conftantinople , fufpendit pour quelque temps les effets de leur animofité. Trois corps de cavalerie Sarafine traverferent toute 1'Afie mineure , & répandirent de toutes parts la défolation & le ravage. Abimelech, k la tête d'un camp volant, s'avanga juf-  du Bas-Empirë. Llv. Lin. T51 que fur le Bofphore vis - a - vis de Conftantinople. La étoient les écu* ries de l'Impératrice &i celles de Staurace; il en enleva tous les che* vaux. Un autre corps fe jetta en Lydie , & y fit le dégat. Un troifierne pénétra dans l'Hellefpont. Le Patrice Paul, Commandant de cette Province , alla le combattre avec toutes fes troupes. II fut taillé en pieces, perdit fon camp & fes bagages , & laiffa fur la place prefque tous fes foldats. Les Sarafins remporterent de ces trois expéditions une prodigieufe quantité de butin. L'hyver fe paffa en intrigues fecretes de la part de Staurace 8i d'Aëce, qui cherehoient mutuellement a fe detruire. L'Impératrice, qui aimoit la pompe & la magnificence , voulut efFacer dans 1'efprit du peuple par un fpedtacle impofant, le déshonneur de fes armes. C'étoit la coutume que le lundi de Paques, les Empereurs fe fiffent conduire en cérémonie a I'Eglife des faints Apötres. Après y avoir enten du l'office, ils dinoient dans une falie dépendante de I'Eglife, & retournoient le fpyir au G iv Irene. Ann. 798»' Ann. 799. XL VII. Brouilleries a la Cour 't e r  Irene. Ann. 800, 154 HlSTOIRE tout 1'Empire. Elle mande au palais les Officiers de la garde , & leur défend , fous peine de vie, d'avoir aucune communication avec Staurace. Elle n'ofoit encore le faire arrêter, n'étant pas afïurée de 1'obéifTance des troupes. Mais la fierté du coupable prévint le chatiment, & Lui porta le coup de la mort. La rage de voir fes intrigues décou vertes , lui eau fa des tranfports li violents, que fes veines fe rompirent. II vomiffoit le fang k gros bouillons; & quoique les Médecins défefpéraffent de fa vie, une foule de flatteurs , & même des Moines courtifans, environnoient fon lit, & lui promettoient une prompte guérifon. Des Aftrologues, en qui il avoit toujours eu une folie confiance, ofoient même Paffurer, qu'il mourroit Empereur. Ces difcours infenfés, dont il fe laifTa bercer jufqu'au dernier fou? pire, 1'aveuglerent tellement fur fon état, qu'il fit partir des émiffaires fecrets pour foulever les troupes de Cappadoce qui lui étoient dévouées, & les engager k venir demander la mort d'Aëce. Elles prirent en effet les armes; mais Staurace expira le  ou Bas-Empire. Liv. LXFI. 155 troiiieme de Juin, deux jours avant qu'on recut a Conftantinople la nouvelle de cette révolte. Les auteurs furent punis de mort ou d'exil. Cette année, qui termina le huitiemë fiecle, eft 1 epoque d'une révolution célebre, 8c la plus importante qui fut arrivée dans 1'Empire depuis que les Souverains de Rome en avoient transféré le fiege a Conftantinople. Le Monarque Francois, le plus grand Prince qui fut alors , déja maitre d'iine grande partie de 1'Italie, couronna fes conquêtes par le titre d'Empereur , fit difparoïtre 1'ombre de fouveraineté que les fucceffeurs de Conftantin avoient jufqu'alors confervée dans Rome, Sc fit perdre aux Grecs le nom Romain, dont ils ne retenoient depuis long-temps quel'or gueil. Je n'entrerai point dans le détail des circonftances de eet événement fameux; elles font développée: dans toutes les hiftoires de France & d'Italie ; je me propofe feulement d< remettre fous les yeux des Lecteurs comment les liens de la fouveraineti des Empereurs Grecs fur Rome S fur Fltalie fe relacherent jufqu'aü rno G vj Irene. Ann. Soo, XL1X. Grande révolution dans l'Empirer  Irene. Ann. 800. L. Premières catifes d'aliénationentre les Romains & les Grecs. j J < i 1 ( I c 1 1 { HlSTOlRE ment oh le génie de Charlemagne, lecondé de la bienveillance intéreffée des Papes, vint a bout par un dernier effort de les rompre tout-afait. La préférence que Conftantin avoit donnée a fa nouvelle ville fur 1'ancienne Capitale de 1'Empire , avoit eu J'air d'une difgrace. Rome, jaloufe de fa rivale, perdit ce zeie qu'animoit la préfence de fes Souverains; & lorfque dans la fuite la divifion de 1'Empire donna des maïtres particuliers a S'Occident, elle s'étoit vu encore préférer Milan, Treves, Ravenne. Réiuite k un état de langueur & de bibleffe fous les derniers Empereurs 1'Occident , elle fe vit envahie par es Erules, par lesGoths. Elle nerennt k fes premiers maitres que par le nouvelles calamités. Souvent prireprife, défolée tour-a-tour par e fer, parlafamine, par 1'incendie, 11e éprouva toutes les horreurs duie guerre longue & cruelle. Délivrée u joug des barbares, elle n'en fut -as plus heureufe. Son peuple, acca■lé d'impöts, fon Sénat dépouiilé de anantique fplendeur, 6k réduit a la  nu Bas-Empire. Liv. LXVl. 157 condition d'un corps municipal, rampoient obfcurément a 1'extrêmité de 1'Empire; & 1'ancienne maïtrefle du monde tant de fois faccagée , n'avoit plus d'autre luftre que le nom de Rome & les tombeaux des Céfars. La religion feule fembloit lui conferver quelque fupériorité; Rome étoit la citadelle de I'Eglife , le tröne de la foi, le fiege du fucceffeur de Saint Pierre ; mais ces auguftes prérogatives excitoient la jaloufie de Conftantinople. Les Evêques de cette ville, devenus Patriarches, s'élevoient par degrés, & leur ambition prenant 1'eflör audeflus d'Antioche & d'Alexandrie, fembloit prétendre a 1'égalité avec Rome. Ils fe paroient déja du titre d'écuméniques, & les Orientaux commencoient k dire , que la primauté de I'Eglife de Rome n'étoit fondée que fur 1'avantage qu'elle n'avoit plus , d'avoir été Capitale de 1'Empire. L'invafion des Lombards détacha de 1'Empire une grande partie de l'Italie, &c tint Rome dans des allarmes continuelles. Les Exarques,fans forces fuffifantes, &C prefque tous fans mérite, ne pouvoient affurer la tranquil- Irene. Vnn. 800. LI. Progrès de cette aliénatiori,.  Irene. Ann. 8co, I58 HlSTOIRR lité des Romains; ils en furent les tyrans plutöt que les défenfeurs, & contribuerent encore k rendre odieufe Fautorité de la Cour de Conftantinople. Abandonnés des Empereurs, les Romains s'attacherent aux Papes; c'étoient leurs pafteurs & leurs peres; ils trouvoient dans leur zelecharitable du foulagement k leurs maux ; & comme ces Pontifes favoient joindre les bienfaits temporels aux fecours fpirituels , le peuple de Rome, par un retour naturel, leur donnoit auffi une grande autorité dans 1'ordre civil. L'erreur des Monothélites dont les Monarques Grecs fe déclarerent protecteurs, les cruautés exercées fur le Pape Martin , la fureur des Iconoclaftes allumée par 1'Empereur Léon, & foutenue par fon fils, firent abhorrer ces Princes comme des tyrans impies &C facrileges; & tandis que PEtat ne recevoit de Conftantinople que des édits onéreux , la Religion n'en attendoit que des perfécutions & des fupplices. Malheureufement pour de tels Empereurs , la vertu la plus éminente jointe k la prudence la plus éclairée, fiégeoit alors fur la chaire de Saint Pier-  du Bjs-Empire. Liv. LXVI. 159 re. On vit pendant quatre-vingts ans une fuite de fept Papes auffi refpecfables pour la fainteté de leur vie , que redoutables a leurs Souverains par la profondeur de leur politique. Quel contrafte de la fageffe de GrégoirelII, de Zacharie , d'Etienne II, 8c fur-tout d'Adrien, génie ferme, étendu , vraiment digne du fiecle de Charlemagne, avec la légéreté 8c les emportements de Léon t'fiaüriën 8c de Conftantin Copronyme! Ces Papes furent oppofer k 1'Empire une puiffance alors fupérieure ; ils fe fervirent des Francois pour détruire d'abord les Lombards ennemis de 1'Empire , 8c enfuite 1'Empire même en Italië; 8c quoiqu'ils euffentouvert la route aux Rois Frangois pour la conquête de la Lombardie, ils leur donnerent beaucoup moins qu'ils n'en regurent. La dignité de Patrice de Rome procuroit a Charles une autorité réelle dans cette ville. Ce n'étoit plus ur fimple titre d'honneur , comme celui que Pepin 8c fes enfants avoient regu du Pape Etienne II. Le Patriciai conféré a Charlemagne par le Séna: Sc le peuple Romain après la def Irene. Ann. Soo, hit Autorité de Charlemagnedans Rome. Theoph. p. 399, 401. ; Zon. t. 11. p. iïo.  Irene. Ann. 800. PaiJDiac. in Epifl. dedic. ad Tefium. Idem. de epifc. Metens. Aimoin. I. 4- p- 86. Eginh. annal. Idem. de vi- t ta Caroli. Anafi. in ! Adr. & i Léon III. Hifi- mifi. ) 1. 23. 1 Sigeb. I chron. Regir.o ^ chron. J Manajf. p. ( 92- , Chron. Moijfac. J Annal. £ Fran. . Sigon. de * regno hal. a i. 4- d Earonius. Marca de P concord. I. j> ï6"0 Hls T O I H B truöion du Royaume des Lombards, lui donnoit des droits au commandement, puifqu'Adrien datoit fes lettres du Patriciat de Charlemagne , q»e les Romains juroient fidélité a ce Prince, que le Pape Léon, traité cruellement Par des féditieux, eut recours a fa juftice, & qu'avant même que d'etre Empereur , ce Prince ufa 1 un pouvoir Souverain dans le ju?ement des coupables. Le Pape Alnen étant mort en 795, Léon III, on fucceffeur, envoya aufli-tót après on éleftion, des Légats k Charlema;ne, pour lui porter les clefs de la coneffion de Saint Pierre & 1'étendard de a ville de Rome. II le prioit d'en'oyer un des Seigneurs de fa Cour Grecs ne fut totalementanéantie dans ' Rome, qu'au moment qu'il fut lui- \ même revêtu de la dignité Impériale. La mofaïque même citée par M. de Marca, prouve que, dans le temps que les Romains donnoient k Léon & a Charles le titre de Dominus Nolier , ils reconnoifToient encore Pautorité des Empereurs Grecs. On voit dans cette mofaïque le Sauveur qui met un étendard dans la main d'un Prince couronné , dont 1'infcription eft Conjlantino V. Cette falie du palais de Latran ayant été batie par Léon III, qui ne fut élu Pape .que dans les derniers jours de 795, ce Conftantin ne peut être que le fils d'Irene, nommé ici le cinquieme du nom, paree qu'on ne comptoit pas au nombre des Empereurs Conftantin III, fils d'Héraclius, qui ne fit que paroitre fur le tröne qu'il Irene. Lnn. 800. Pagi ad lar. Blanc ,' lijf. fur la "uuveraineé des Rois te France lans Ro- Fleury ,' üft. ecclef. '.45. art. <■• ;, 10, 11, 20 , ir. Giann. ufl. Nap. '. 6. e. 5. Murat. %nn. d'Ital. :. IV. p. +2.3.438, 439.440, 44l . 443- Abrégé de Vhijl. d'Ital. 1.1. p. 434,436. 438,442, 450,  Irene. Ann. 800 MI. Charlemagneélu Empereur. 1 l6i Histoire partageoit avec Héracléonas. Ce qui jette tant d'obfcurité fur ce point d'hiftoire, c'eft que le pouvoir dés Empereurs de Conftantinople fur Rome ne s'éteignit pas tout d'un coup par une révolution foudaine, mais déclina peu-a-peu par des dégrés prefque infenfibles. C'étoit un mourant, dont le dernier moment eft équivoque, & qui refpire encore, lorfque des héritiers avides le croient déja mort. ^ Tout concourut a faire réuflir la réfolution prife depuis long-temps par les Papes, de fe fouftraire entiérement^ a la domination Impériale. Léon, indignement outragé par une conjuration fanguinaire le 25 Avril 799» ayant a peine fauvé fa vie, s'adrefla d'abord k la Cour de Conftantinople, felon un Hiftorien Grec des mieux inftruits. Comme il n'en recevoit aucune réponfe , il alla im^lorer la proteftion de Charles qui stoit pour lors a Paderborn. Ce Prin:e fit ce qu'un Exarque eut été en iroit de faire. II écoura les plaintes lil Pape, & Ie fit efcorter par des -ommiffaires chargés de veiller k fa  du Bjs-Empire. Liv. LXV1. 163 fureté , & de faire le procés aux coupables. II paffa lui-même les Alpes 1'année fuivante avec une armée qui devoit être employée contre le Duc de Bénévent, alors en guerre avec les Frangois. II fut recu a Rome avec joie & magnificence le 24 Noyembre, & procéda juridiquement al'examen des accufations que les ennemis du Pape avoient intentées contre lui. Les accufateurs n'ayant oü comparoitre, le Pape fe juftifia pai ferment. Charlemagne fut bientöt récompenfé de la proteftion fignalée dont fon pere d'abord, & lui-mêm< enfuite , avoient donné tant de mar ques a I'Eglife Romaine. Le jour d< Noël, pendant que le Roi étoit ei prieres devant la confeffion de Sain Pierre, le Pape, accompagné des Evê ques, des Prêtres öc des Seigneur Francois & Romains, vint lui met tre fur la tête une couronne d'or & tout le peuple s'écria : A Chai les , trls-pïeux , augujle, grand & pa cifique Empereur, que Dieu couronne vie & vicloire. Le Pape auffi-töt li rendit 1'hommage qu'on avoit cou tume de rendre aux Empereurs, i. Irene. Ann. 800, t | S » i C  Irene. Ann. 8co. 3 1 t c Jl £ a é r< te v< n ni to bi pi tir pi. Jit arriver, il fe feroit abfenté de ^ghfe ce jour-la, malgré la folemte. Ce que dit Eginhard prouve ut au plus que Charlemagne étoit ;n-aife qu'on le crüt ainfi. Mais le is puiffant Prince ne peut afiujetla polténté a ces fortes de comufances. En effet, Charles ne fit  du Bas-Empire. Liv. LXPY. 165 pas même ce qu'avoit fait autrefois ' Jule Céfar, lorfque Marc-Antoiae j avoit voulu lui mettre la couronne fur la tête, quoique Jule la défirat bien avec autant d'ardeur que Charlemagne. Aufïï-töt après cette proclamation , Charles prit le titre de Conful k 1'imitation des Empereurs , & il commenca dès-lors k dater fes actes de 1'indiction. Telle eft 1'époque précife de 1'extinction de 1'Empire Grec en Occident. Jufque-la les Empereurs avoient eu la fupériorité d'honneur fur les Rois; les Rois leur écrivant leur donnoient les titres de peres &C de Seigneurs. Les premiers Rois de France & les Rois Goths en Italië, pour légitimer leur domaine fur tant de Provinces enlevées a 1'Empire, ne faifoient pas difficulté de fe fubordonner en quelque forte aux Empereurs , en recherchant la qualité de Patrices. Maintenant Charles, par le titre d'Empereur, enleve au Monarque de Conftantinople tous fes droits fur Rome , toutes fes prérogatives d'honneur dans les contrées occidentales. II commenca d.e donner aux Irene. Lnn. Seo; LIV. ' Extincticm de ['Empire Grec en Occident.  Irene. Ann. 800. 166 H I S T 'O I R E Empereurs d'Orient le titre de freres; les aftes publics de Rome furent datés des années de fon Empire; il exerca tout acte de fouveraineté, donna des loix, rendit la juftice, punit les crimes , accorda des graces, fit battre monnoie a fon coin, & approuva Péleöion des Papes , qu'il établit Seigneurs de la ville Sc du Duché, mais avec fubordination k fa haute fouveraineté. La conjoncture étoit favorable ; c'étoit une femme qui tenoit les rênes de 1'Empire, 6c une femme odieufe par fes forfaits ; elle avoit ufurpé la couronne en faifant aveugler fon fils; on 1'appelloit la nouvelle Athalie. D'ailleurs, les Grecs ne faifoientplus que du mal a PItalie, 8c le Monarque Francois les furpaffoit en puiffance. Ce Prince , tant a titre de fucceflion qu'a titre de conquête, fe voyoit maitre d'autant de pays, qu'aucun Empereur d'Occident en eut jamais gouverné. Les Gaules , 1'Efpagne jufqu'a PEbre , la Lombardie, la Rhétie, le Norique , 1'Iftrie, la Liburnie, la Pannonie jufqu'aux confins de la Bulgarie 6c de la Thrace,  du Bas-Empirs. Liv. LXFI. 167 la Valachie, la Tranfilvanie, Ia Moldavië, toute cette vafte étendue de pays entre le Rhin , la Viftule, le Danube & la mer Baltique, que les Romains n'avoient jamais pu conquérir, obéifioient k fes ordres. II poffédoit toutes les villes qui avoient été en différents temps la réfidence des Empereurs d'Occident, Treves, Arles, Milan, Ravenne dont Pépin s'étoit réfervé le haut domaine ; k Rome même, fon pouvoir éclipfoit les foibles reftes de Fautorité Impériale. Le Sénat & le peuple Romain fe perfuaderent qu'ils étoient rentrés dans leurs anciens droits ; &c felon la maxime que les Papes avoient fuivie pour Félévation de Pépin fur le tröne de France, ils crurent devoir réunir le titre k la puifTance. II n'eft pas de mon fujet d'examiner par quels moyens ck par queli degrés les Papes, affranchis par Charlemagne de la domination des Em pereurs d'Orient, vinrent a bout en fuite de fouftraire k la fouveraine té de fes fuccefTeurs & la ville di Rome & tous les domaines, qu'il n'avoient regus qu'a cette condition Irene. Ann. 800. LV. Réclaina* tion des Empe- ■ reurs d'O- . rient. S  Irene. Ann. Soo, Ann. 801. LVI. Négociation de Charlemagneavec les Grecs. Eginh. annal. Aimoin. I. 4. c 88. Regino chr. Baronius. Pagi ad Bar. l68 HlSTOIRE Je ne dois jetter les yeux que fur' 1'Empire d'Orient. II ne lui refta en Italië que Naples & la Calabre avec la Sicile. Dépouillés d'un fi beau domaine, les Empereurs Grecs ne renoncerent pas a leurs anciens droits, quoiqu'ils n'eulTent pas la force de les faire revivre. Ils difputerent longtemps a. Charlemagne & a fes fucceffeurs le titre d'Empereur. Irene qui fe voyoit haïe de fes fujets, facrifïa fonreflentimentau befoin qu'elle croyoit avoir de Pappui de Charlemagne. II fallut du temps aux Souverains de Conftantinople pour s'accoutumer a partager un nom , qu'une longue prefcription leur avoit rendu propre. II femble que ce partage leur fut plus fenfible que la perte' de Rome. Ils confervoient fi peu d'autorité dans cette ville, qu'a peine parurent-ils s'appercevoir qu'elle leur eut été enlevée. Cet événement n'interrompit pas même le commerce d'ambalTades mutuelles, & Pon ne voit pas qu'Irene fe foit jamais plainte de cette ufurpation. Cette fiere Princeffe croyoit fans doute ne pouvoir fe plaindre  ou Bjs-Empire. Lh. LXFT. 169 plaindre fans s'avilir , n'étant pas en état de fe venger. Depuis la malheureufe tentative que les Grecs avoient faite fur PItalie fous la conduite d'Adalgife, ils paroifToient avoir entiérement renoncé au defTein de recouvrer ce qu'ils avoient perdu dans ce pays. Conftantin, qui avoit ardemment defiré d'avoir Charlemagne pour beau-pere , ne voyant dans fa propre Cour que des fujets de défiance, ne fouhaitoit pas avec moins d'ardeur de s'appuyer de 1'amitié & de la protedtion de ce puifTant Prince. La derniere année de fon regne, il lui avoit envoyé en ambaffade , Théophile, fils de Nicétas, Gouverneur de Sicile, pour faire un traité de paix & d'alliance. Théophile avoit été bien recu k Aix-la-Chapelle, oii étoit alors Charlemagne. Mais la nouvelle de la dépofitiondu Prince Grec avoit fait rompre la négociation. Irene 1'avoit renouée 1'année fuivante; elle avoit envoyé Michel Gangliën, auparavant Gouverneur de Phrygie, & le Prêtre Théophile; & Charles, qui, fans doute, méditoit dès-lors le grand delTein qu'il exécuta deux ans Tomé Xir. H Irene. Ann. Sou  Irene. Ann. Sol. 170 HlSTOIRE après , étoit bien-aife d'amufer les Grecs. II parut très-difpofé aiatisfaire l'Impératrice; il lui renvoya même pour marqué de fa bienveillance, Siiinnius, frere du Patriarchê Taraife, qui avoit été fait prifonnier dix ans auparavant dans la bataille perdue par Adalgife. En 799, dans le temps que le Pape vint a Paderborn implorer lajuftice de Charlemagne contre fes affaffins , on vit arriver dans la même ville un député de Michel, alors Gouverneur de Sicile. On ignore Ie fujet de cette députation. Comme les Sarafins avoient pillé les ifles Baléares 1'année précédente, & qu'on craignoit urte defcente en Sicile, quelques Auteurs conjecturent que 1'envoyé, nommé Daniël, venoit demander du fecours a Charlemagne, en cas que cette ifle fut attaquée. Je croirois plutöt que Daniël étoit chargé de fonder les difpofitions de Charles au fujet de la Sicile; cette ifle étoit fort afabienféance, depuis qu'il fe trouvoit maitre d'une grande partie de 1'Italie; & les Auteurs Grecs difent qu'il avoit deflein de s'en emparer-, Mais des foins plus importants  du Bas-Empïre. Liv. LXP7. 171 1'occupoient alors ; il préparoit le grand événement qui devoit éclore 1'année fuivante, Ces Hiftoriens ajoutent que ce Prince avoit formé le fingulier projet d'époufer Irene, pour réunir fur fa tête les deux Empires; que ce fut pour traiter de ce mariage qu'il envoya k Conftantinople Jeffé, Evêque d'Amiens, & le Comte Helingand ; & que le Pape, qui fouhaitoit fort cette alliance, leur joignit fes Nonces ; mais qu'Aëce , qui vouloit faire fon frere Empereur , fit échouer la négociation, II eft affez probable qu'Irene auroit confenti a ce mariage s'il eut été poffible. Elle avoit déja quelques foupcons des cabales fecretes que Nicéphore formoit contre elle dans fon palais. C'étoit un Pifidien, né k Seleucie, qui s'étant élevé par les moyens propres a reuffir dans une Cour corrompue, étoit parvenu k la dignité de grand Logothete, c'eft-a-dire grand Tréforier de 1'Empire. L'Impératrice, avertie de fes mauvais deffeins, lui en avoit fait des reproches, & il ne s'étoit juftiüé que par des ferments, qui ne coüH ij Irene. Ann. 801. LV1I. Alliance de Charlemagneavec Irene. Theoph. pi 401, 402. Cedr. p, 474- Zon. t. II, p. 120. Hifi. mifi, t. 23. Eginh, annal. Aimoin. I. 4. c. 51. Ann, Til. lian. Regino chr. Baronius. Pagi ad Bar. Murat. annal. d'Ital. t. IV. p. 448. ( Abrégé dc Vhift. d'Ital. t. 1, ». 395,  Irene. Ann. 801. 172 H I S T O I R E tent rien k un fcélérat. Elle le mépriioit trop pour. le craindre; cependant elle n'étoit pas fans inquiétude; & Charlemagne étoit le Prince de Punivers le plus capable de la niaintenir & de la rendre redoutahle. La renommée de ce grand Roi rempliffoit tout 1'Orient. Le Calife Haroun, le héros de 1'Afie, & le fléau de 1'Empire , diftinguoit Charlemagne entre tous les Souverains; il lui avoit envoyé les clefs du Saint Sépulcre , & entretenoit avec lui un commerce d'amitié. Mais quoiqu'en difent les Hiftoriens Grecs, 1'idée bifarre d'un tel mariage ne pouvoit enirer dans 1'efprit d'un Prince auffi fenfé que Charlemagne. En effet, aucun de fes Hiftoriens ne parle de ce projet. C'eft un fait hafardé fur la foi de Théophane, copié par Cédrene & par Zonare; & Muratori foupconne avec beaucoup de raifon, que cette fable n'a d'autre fondement qu'un faux bruit répandu par les ennemis d'Irene, pour la rendre plus odieufe aux Grecs. II faut donc s'en tenir au récit d'Eginhard, de Reginon & des auJaes annaliftes de ce fiecle & du fie-  du Bas-Empire. Liv. LXVL 173 cle fuivant. Selon tous ces Auteurs, ces négociations n'avoient pour objet qu'un traité de paix & d'alliance avec Charlemagne ; ce fut pour en arrêter les conditions que 1'Evêque & le Comte fïrent le voyage de Conftantinople avec Léon, Ecuyer d'Irene, qui étoit venu le premier en France en faire la propofition. Ces députés furent témoins de la révolution qui arracha la couronne a Irene. Cette ambitieufe Princeffe avoit obtenu tout ce qu'elle defiroit, hors la tranquillité de Fame & Famour de fes fujets. Elle réfolut de calmer fes remords , Sc de vaincre la haine publique a force d'adtions vertueufes. Elle fe flattoit d'avoir , ainfi que tous les Souverains, un moyen affuré de fe faire pardonner fes crimes , en faifant du bien a fon peuple , juge naturellement févere, mais qui fe laiffe corrompre par les bienfaits. Elle ouvrit donc fes tréfors , Sc les répandit k pleines mains dans le fein des malheureux. Elle fonda des Höpitaux pour les vieillards, pour les étrangers, pour les pauvres; Sc comme il eft encore plus généreux H üj Irene. Ann. Soij Ann. S01. LVIII. Conjuration contre Irene. Theoph. p. 401 , & feqq. Cedr. pi 474 1 475Hifi. mifi. I. 24Zon. t. II. P. 121 , 122. Manaff. pi 92.93Glycas, p»  Irene. Ann. S02. 174 HlSTOIRE & plus glorieux a un Prince de préferver fes fujets de la mifere, que de les foulager lorfqu'ils font miférables, elle fit une remife générale des dettes du fifc, & diminua les charges publiques. C'étoit une néceffité autant qu'une juftice. Tout 1'Empire gémiflbit fous le poids des taxes devenues fi excelïïves, que la plupart des fujets s'en affranchiffoient , en prêtant le ferment qu'on exigeoit d'eux pour les en difpenfer; c'étoit de jurer qu'ils étoient réduits a la mendicité. Ainfi 1'avidité des financiers fe dévoroit elle-même ; & pour accroïtre les contributions , dont ils favoientdétourner de larges ruilfeaux, ils en tariflbient la fource. On renoncoitaux voyages, a la navigation, au commerce, a caufe desdroits énormes qu'il falloit payer a chaque paffage, dans chaque port. Les chafleurs, les pêcheurs étoient obligés de donner le tiers de leur chaffe & de leur pêches; l'induftrie des artifans étoit taxée felon le caprice des fermiers & de leurs commis; la mort même n'exemptoit pas ; les veuves payoient pour leurs maris morts, Toutes ees exacfions  du Bas-Empire. Liv. LXFI. 175 s'étoient tellement accumulées, que les trois quarts de 1'Empire fe trouvoient fur les röles de la mendicité. Le foulagement accordé par Irene caufa une joie univerfelle; elle regagna le cceur du peuple; mais elle ne put éteindre 1'ardeur de 1'ambition, que fon exemple même avoit allumée dans fa Cour. L'eunuque Aëce, délivré d'un rival dangereux par la mort de Staurace, travailloit de toutes fes forces a. mettre fon frere Léon fur le tröne. Ils gouvernoient tous deux les plus importantes Provinces de 1'Empire , Aëce, 1'Hellefpont & la Phrygie, Léon , la Thrace & la Macédoine. Aëce, fier de fon pouvoir, méprifant les grands, foulant aux pieds les petits, attira la haine de toute la Cour plus encore fur l'Impératrice que fur lui-même. Sept eunuques, tous Patrices, confpirerent eniemble; Nicétas, Commandant de la garde , qui s'étoit uni auparavant avec Aëce pour détruire Staurace; fes deux freres Sifinnius & Léon Clocas, Théoctifte, Quefteur, un autre Léon de Sinope, furnommé le Géant, garde du tréfor, GrégoiH iv Irene.  Irene. Ana, 8oa, L1X. Nicéphore , Empereur. i i ; ( 3 ] I?cT H I S T 0 I R E re & Pierre. Ils convinrent entr'eux de faire Nicéphore Empereur. S'il en étoit le plus digne, il falloit que 1'Empire fut alors bien dépourvu de tout genre de mérite; mais fa drgnité lui donnoit une haute confidération. Plufieurs Commandants des troupes entrerent dans le complot. La confpiration de ces eunuques rendit cette efpece d'hommes plus odieufe dans la fuite, & rappella la mémoire d'un mot déja ancien chez les Grecs, & qui ne fait pas d'honneur a la nation, (i vous avt{ un eunuque, tue^-Ie; fi vous n en ave^pas, aeheu^-en un pour le uier. Irene, alors retentie au lit par une maladie, & retirée dans le palais d'Eleuthere, ignoroit ce qui fe paffoit lu-dehors. Le 31 Octobre k dix heitres du foir, les conjurés fe préfenïent a la porte d'airain du grand paais ; ils perfuadent aux gardes, que 'Impératrice, pour fe délivrer des jourfuites d'Aëce qui vouloit la conraindre k couronner fon frere , a :hoifi Nicéphore pour fucceffeur. Les ;ardes n'olant fe défier de tant de ^atricesréunis, leur ouvrent l'entrée3  du Bas-Empire. Liv. LXVt. Ifi Sc faluent eux-mêmes Nicéphore comme Empereur. Les conjurés font en même-temps courir par la ville des émiffaires, q*i crient de toutes parts: Nicéphore Jugufie, longue vie d Nicéphore. Ils poftent des gardes aux portes du palais d'Eleuthere ; & au point du jour ils en tranfportent l'Impératrice dans le grand palais , ou ils 1'enferment. AuiTi-töt ils conduifenl Nicéphore a la grande Eglife poui le faire couronner par le Patriarchê, Taraife, iaifi de crainte, environd d'épées nues, ne fachant ce qu'or avoit fait d'Irene , ne montra pas ls même intrépidité qu'il avoit témoi gnée feize ans auparavant k 1'occa fion du Concile ; il eut la foibleff de prêter fon miniftere. Les habitant accourent k Sainte-Sophie; un fom bre étonnement avoit faift tous le efprits ; au-lieu d'acclamations de joie on n'entendoit que malédi&ions 2 contre celui qui recevoit la couron ne dont il étoit indigne , Sc contr le Patriarchê affez Ikhe pour le coi ronner. Mais les épées qui brilloier a leurs yeux , Sc les troupes qiu ei vironnoient 1'Eglife, effrayerentbiei H Y Irene. Ann. Sol. .• L i s » z t- it l- Ir  Irene. Aan. 802. 1 < 1 i J I?8 HlSTOIRB tot cette multitude défarmée, & Ia forcerent a contenir fon indignation. Ce n'étoit plus qu'un murmure confus; les uns plaignoient le fort d'Irene détrónée par un homme fans mérite; les autres maudifToient ces perfides eunuques,, qu'elle avoit enriehis , comblés de faveurs, admis a fa table, & qui lui avoient fi fouvent juré un dévouement fans réferve; d'autres, interdits,confternés, fe regardoient les uns les autres dans un morne filence, & doutoient encore fi ce qu'ils voyoient n'étoit pas un fonge; quelques-uns pleuroient d'avancelesmaux de Iatyrannie dont ils alloient être accablés. Tels furent les finiftres aufpices fous lefquels fut élevé k 1'Empire un monftre d'avarice, fans foi, fans loi, fans religion , & fans aucun des talents qui peuvent voiler la difformité des vi:es. La prévention étoit fi forte contre le nouvel Empereur, que 1'obf:urité qui couvrit 1'air, & le froid ex:èffif qui fe fit fentir ce jour-la , quoiqu'on ne fut encore qu'au milieu de 'automne , furent regardés comme es préfages d'un regne malheureux*  nv Bas-Empiile. Lh. LXFI. 179 Le lendemain Nicéphore , fïiivi de plufieurs Patrices-, alla rendre vifite a Irene, qvi'il tenoit prifonniere. Comme c'étoit un fourbe infigne, prenant le mafque de la bienveillance, il lui protefta qu'il n'avoit jamais defiré la fouveraine puiflance, & qu'il ne 1'avoit acceptée que par force ; il en prenoit k témoins ces hommes faux & menteurs dont il étoit accompagné ; Si montrant ce qu'il avoit encore confervé de 1'habillement des particuliers: Voila, diloit-il, les vêtements qui me plaifent; je détefie lefajlt de la majejlé Imperiale. II exhortoil Irene k prendre confiance; il lui affuroit avec les plus horribles ferment! qu'elle trouveroit dans fon zele tou; les égards, tous les fervices qu'elh pourroit attendre du plus fidele d< fes efclaves. Invetfivant enfuite con tre 1'avarice, qui dénature les ri cheffes en les dérobant aux befoin de 1'humanité, il la fupplioit de n lui rien céler des tréfors de PEm pire. Irene, terraflee par un coup: imprévu, 8c obligée, malgré fa fiert naturelle, de plier devant un hom me , hier fon efclave , aujourd'ht H vj Irene. Ann. Soz. LX. Nicéphore trompe Irene. é li  Irene. Ann. Soa, LXI. Difcours d'Irene a Nicéphore. 3 1 i > » > y » y » » » l8o HlSTOIRE ion tyran , lui paria en ces termes : » Je n'ai pas oublié ma première for» tune. Devenue orpheline dès mon » enfance, Dieu m'a prife entre fes » bras, & m'a élevée fur un tröne » dont j'étois indigne. Je n'impute » ma chüte qu'a moi-même ; mes » crimes font la caufe de mes mal» heurs. Que le nom du Seigneur » foit béni; je me foumets a fa main >> puiffante; c'eft elle qui m'enleve » la couronne pour la placer fur vo» tre tête. Vous favez qu'on m'a plu- > lieurs-fois donné avis des deffeins > que vous formiez contre moi; & > 1'événement fait voir que ces ac- > cufations n'étoient que trop bien > fondées. Si j'y avois ajouté foi , • rien ne pouvoit m'empêcher de vous perdre. J'ai mieux aimé en croire vos fèrments ; je defirois vous trouver innocent, pour m'épargner la trifte nécellité de punir. Je me fuis abandonnée entre les bras du Maitre fouverain des Empires ; il a difpofé de mes Etats; il difpofera de ma vie. S'il me la conferve, je ne vous demande qu'une grace ; jouiffez en paix de tous  du Bas-Empire. Lh. LXFL 181 » mes domaines; lailTez-moi feule» ment le palais d'Eleuthere, que j'ai » bati, pour y terminer mes jours » dans la retraite & dans les lar» mes ". Nicéphore lui répondit, qu'il lui accorderoit tout, li elle s'engageoit k lui mettre entre les mains fes tréfors, fans en cacher la moindre partie. Elle lui en fit le ferment fur la croix, & lui tint parole. Mais dès que le tyran fe vit maitre de 1'objet de fes defirs, il la relégua dans une des ifles du Prince, ou elle avoit fondé un monaftere. Le mois de Novembre n'étoit pas encore écoulé, que s'étant déja rendu par fes rapines 1'objet de la haine générale, & craignant qu'on ne remit Irene fur le tröne, il la fit embarquer par un temps orageux , & conduire k Mitylene dans 1'ifle de Lesbos, avec ordrede la tenir étroitement aefferrée, & de ne la laiffer voir k perfonne. La cette Princeffe, autrefois fi impérieufe & fi magnihque, fut traitée avec tant de mépris, qu'on la laiffoit manquer du néceffaire, & qu'elle fut réduite a filer pour gagner fa vie. Irene. ^nn. 8os. Lxir. Fin d'ire-' 11 e,  Irene. Ann. S02. 1Ö2 H I S T O I R E, £rV. Trop accoutumée k la haute fortune pour réfifter long-temps k des chagrins fi cruels , elle mourut le 9 Aoüt de 1'année fuivante, & fut transférée après fa mort & enterrée dans le monaftere qu'elle avoit fondé. Elle étoit agée d'environ cinquante ans; & en avoit régné cinq depuis qu'elle avoit détröné fon fils. II faut que les Grecs ayent eu beaucoup de foi k fa pénitence , pour Pavoir mife au rang des Saintes. Ils en célebrent la fête le 15 Aoüt.  i»3 SOMMAIRE LIVRE SOIX ANTE-S EP TIEME. I.CarACTERE de Nicéphore. il. Bardane proclamé Empereur. iii. <£$ . 122. Continuator Theophanis. p, 4 * fiqq- Manaff. F3?- 91' Glycas. p, a8ó. 390 HlSTOIRE enlever, renvoye Conftantin, & le ' lailTe dans une indigence qui met le comble a fes malheurs. Nicéphore ne régnoit que depuis peu de jours, & il étoit déja odieux k tout 1'Empire. On avoit appris fon infatiable avarice prefque auftl-töt que fon élévation; & ceux mêmes qui Pavoient porté fur le tröne, le déteftoient & gémiffoient de 'leur imprudence. II s'en vengea fur leur chef; c'étoit 1'eunuque Nicétas, qu'il fit empoifonner. L'année fuivante, le 4 Mai, Nicéphore, dans une promenade qu'il faifoit aux portes de Chalcédoine, tomba de cheval, & fe rompit le pied droit. Guéri de fa blelTure, il recut une nouvelle bien plus capable de lui donner de 1'inquiétude. Le Patrice Bardane, furnommé le Turc, Gouverneur de cinq Provinces de 1'Orient, paffoit pour le meilleur guerrier qui fut alors dans 1'Empire. C'étoit d'ailleurs un homme vértueux & chéri des troupes. Après plufieurs avantages remportés fur les Sarafins, il s'étoit toujours montré auffi défintérefle qu'équitable dans le partage du butin, n'ayant égard qu'a la va-  du Bas-Empire. L'w. LXPIL 191 leur & au mérite des fervices. Sa juftice, fa douceur, fa générofité failbient un contrafte frappant avec 1'avarice, la dureté, la rapacité de l'Empereur, qui, non content de fouftraire une partie de la paye des foldats , avoit imaginé des vexations odieufes pour leur enlever le refte. Les troupes de Bardane réfolurent de le faire Empereur, a Pexception de celles du Pont 6c de la Cappadoce, qui refuferent d'entrer dans ce complot. Bardane fe défendit d'abord d'accepter la couronne; mais comme on le menacoit de la mort, il y confentit enfin, 6c bieniöt même il fe laiffa éblouir par 1'éclat de la puiffance fouveraine. II étoit pour lors a Philomélium en Phrygie. Avant que de commencer la guerre, il voulut confulter un reclus qui paffoit pour prophete. Si 1'on en croit les Grecs, fort crédules & fort fuperftitieux en ee temps-la, le reclus lui prédit toul ce qui lui arriva dans la fuite. II lui annonca même que Léon 1'Arménien, & Michel le Begue, pour Ion fes Ecuyers, parviendroient un joui a 1'Empire; oc que Thomas, un de fei Nicéphore.Ann. 803. Gsnefiusf P- 3. 4. j  NlCÉPHO RE. Ann. 803 irt. Suecès de la révolte. Ïp4 HlSTOIRB Officiers, échoueroit dans 1'entreprile ' qu'il formeroit pour y parvenir. Ces trois Officiers étoient nés dans 1'obfcurité; Michel, k Amorium en Phrygie; Thomas, fur les bords du marais de Gazure en Cappadoce. Léon fortoit a la vérité d'une familie plus diftinguée; Bardas, fon pere, avoit été Patrice, & Général des troupes d'Arménie. Mais ayant trempé dans la conjuration qui fe forma contre Conftantin Porphyrogenete la premiere année du regne de ce Prince, il avoit été dépouillé de fes charges, battu de verges, & banni ; fon fils Léon, né dans les montagnes d'Arménie, s'engagea de bonne heure dans le fervice, & fe iignala par fa valeur. L'anachorete fit tout ce qu'il put pour détourner Bardane de fon deffein; & c'eft probablement tout ce qu'il y a de vrai dans ce récit. Bardane 1'avoit confulté comme un prophete; après un confeil qui flattoit fi peu fon ambition naiffante, il le méprifa comme tin rêveur. Le 19 Juillet, il fe mit en marche ^ers Nicomédie, & s'avanca jufqu'a Chryfopolis. II s'arrêta pendant huit jours  du Bas-E&ipire. Liv. LXPJI. 193 jours aux environs de cette ville, efpérant toujours qu'elle lui ouvriroit les portes, & ne voulant pas 1'affiéger, pour ne pas commencer fon regne, difoit-il, par une guerre civile. Léon & Michel, prévoyant les mauvaifes fuites, de ces ménagements timides , le quitterent alors, 8c allerent offrir leurs fervices a Nicéphore, qui les récompenfa fur le champ, faifant 1'un Commandant des troupes confédérées, 8c 1'autre Comte de la tente Impériale; c'étoit une dignité a la Cour de Conftantinople. Thomas feul demeura fidele, mais Bardane ne mit pas fon zele k 1'épreuve. II s'étoit flatté que tout 1'Empire fuivroit l'exemple de fon armée, 8c que Nicéphore, univerfellement haï, feroit abandonné de tous. II apprit que l'Empereur trouvoit des foldats, 8c qu'il alloit mardier k lui avec une nombreufe armée. II fe retira vers Malagines, ville de Bithynie au pied du mont Olympe; 6c frappé de la crainte de Dieu, frémiffant d'horreur k la vue des maux que fon ambition alloit caufer, il réfolut de renoncer a fon entreprife, dans laquelle on 1'avoit précipité malTorru XIV. I NlCÊPHORR. Ann. Söj.  NiCÉPHORE. Ann, 803. IV. Bardane fe fait Moine. 194 H I S T 0 I R E gré lui. Mais il falloit cacher ce deffein a fes foldats , qui brüloient du defir de combattre. II fit donc fecretement favoir k Nicéphore, que s'il vouloit lui accorder pleine & entiere amniftie k lui 6c k fes foldats, il mettroit bas les armes, 6c rentreroit dans fon devoir. Nicéphore lui envoya par écrit une promefTe authentique fignée de lui, du Patriarchê Taraife, 6c de tous les Patrices ; il y joignit, comme un gage inviolable, une petite croix qu'il avoit coutume de porter au cou. Après avoir recu cette affurance, Bardane fortit fecretement de fon camp au milieu de la nuit du 8 Septembre, accompagné feulement de Thomas, 6c gagna le monaftere d'Héraclius dans la ville de Cius , prés du gclfe de Nicomédie. L'Abbé, refufant de lui donner Phabit monaftique qu'il demandoit, Bardane fe coupa lui-même les cheveux avec fon épée; & s'étant revêtu d'un méchant habit, il fe rendit au port, oü il trouva une barque envoyée par l'Empereur pour le tranfporter dans rille de Proté. Bardane y avoit autrefois bati ün monaftere, 6c il y pof-  nu Bas-Empire. Lh. LXF7I. 195 fédoit une petite terre, qu'il prenoit plaifir a cultiver, lorfqu'il n'étoit pas employé au fervice de 1'Empire. II y prit 1'habit de Moine; il changea fon nom en celui de Sabbas; & réfolu de confacrer a Dieu le refte de fa vie, il ne s'occupoit que de la priere &c de la culture de fon champ. II comptoit fur la parole de Nicéphore :mais ce monftre de perfldie commenca par le dépouiller de tous fes biens; & malgré 1'amniftie qu'il avoit donnée, il fit mettre en prifon grand nombre de Seigneurs, tant des Provinces que de fa capitale, 8c confifqua leurs terres, fous prétexte d'avoir entretenu intelligence avec Bardane. L'armée rebelle s'étoit diflipée après la retraite de fon chef: Nicéphore n'en fit aucune pourfuite, paree qu'il n'auroit rien gagné a dépouiller de miférables foldats. Bardane n'en fut pas quitte pour la perte de fes biens. Peu de jours après, une troupe de Lycaoniens, gens féroces dont Nicéphore fe fervoit pour de cruelles exécutions, arrivent de nuit a 1'ifle de Proté, fe jette dans le monaftere, fe faififlent de Bardane , 6c I ij NlCÉPHO RE. Ann. Se,}. V. Traitement que lui fait Nicéphore.  NlCÉPHO RE. Ann, S03 19 . !? II I S T 0 T R E lui crevent les yeux. Ils fe fauvent en' iuite a Conftantinople dans I'Eglife , «e Sainte-Sophie, comme pour fe mettre a couvert de Ia punition. C'étoit une rufe de Nicéphore, pour faire croire qu'il ne leur avoit pas commandé cette violence. Tous les gens de bien de Conftantinople en furent indignés : le Patriarchê fur-tout & les Patrices fe plaignoient amérement qu'on eut violé une promefTe, dont on les avoit obligés d'être garants. Nicéphore, habile a fe contrefaire, parut encore plus irrité que perfonne. -Comme le parjure ne lui coütoit rien, il jura en plein Sénat qu'il n'avoit au-l cune part au traitement fait a Bardane , & qu'il en puniroit les auteurs. Mais au-lien de tenir parole, il les fit évader fecretement, & ordonna d'informer contre quelques Lycaoniens qu'il favoit être inrfbcents. Pour mieux jouer la douleur & 1'affiiflion, il fe tint fept jours enfermé dans fon palais, fans fe laiffer voir a perfonne qu'a fes domeftiques, pouffant des fanglots & verfant des larmes, qu'un long èxercice de déguifement tenoit toujours prê.tes a cou-  nu Bjs-Empire. Liv. LXFI1. 197 Ier. Cependant tous ces artifkes n'en impoferent a perfonne, 8c ne firent qu'accroitre la haine Sc le mépris. Bardane fut le feul qui lui pardonna fa periidie;. il lui fut même gré d'avoir coopéré a fa pénitence. II ne ceffa le refte de fa vie de fe traiter en coupable, avec plus de rigueur que n'auroit pu faire Nicéphore; s'abftenant de vin & d'huile; couvert d'une fraiple tunique, de peau en été, de poil de chevre en hyver; la tête 8c les pieds nuds au milieu des plus grands froids; ne vivant que de pain d'orge , qu'il faifoit lui-même cuire fous la cendre. Malgré tant d'auftérités, il vécu affez pour voir fur le tröne ce même Léon qu'il avoit tiré de 1'obfcurité. II engagea fa femme Dominique, qu'il nomma Athanafie, avec une fille 8c plufieurs fils qu'il avoit, k fe confacrer k Dieu dans 1'état monaftique, 8c k donner aux pauvres tout ce qui leur reftoit de biens. Sa mémoire fut en vénération après fa mort; & la voix des peuples le mit au nombre des faints. La révolution qui avoit öté la couronne a Irene, 8c la révolte de BarI iij Nicéphore.Ann. 803, VT. Traité de Nicépho-  KlCÉPHORE. Ann. S03. te avec Charlemagne. Egingh. ann. Ado chron. Regin, thron. Herman. ttntraB. Sigeb, thron. Chron. 'Cerman. 1. 9- Lucius de regno Dalvat. I. 1. 15, 16. I>u Cange fam. By{. p. 296. B. Liebe fur l'dtendue de 1'Empire de Charlemagne. Abrégé de Vhift. d'Ital. t. 1. p. 452 198 HlSTOJRE dane, avoient fufpendu la négociation des envoyés de Charlemagne. II s'agiflbit d'un partage entre les deux Empires. Nicéphore congédia enfin Jeffé & Helingand, & les fit accompagner de trois députés qui allerent porter a Charlemagne les propofitions de leur Empereur. Ils le trouverent a Saltz fur la riviere de Sala en Thuringe, & le traité de partage fut arrêté entre les deux Princes. L'Iftrie, la Liburnie, la Dalmatie, 1'Efclavonie (c'étoit 1'ancienne Pannonie entre la Drave & la Save), la Croatie qui contenoit alors ce qu'on nomma enfuite laBolnie,demeurerent aCharlemagne, qui s'en étoit rendu maïtre. Mais il laiffoit a 1'Empire d'Orient les ifles qui bordoient la Dalmatie, ainfi que les villes maritimes de cette Province, telles que Zara, Trau, Spalato; ce qui confervoit aux Grecs le domaine de la mer Adriatique, que les Vénitiens n'étoient pas encore en état de leur difputer. Cette nouvelle république croiffoit a 1'abri de 1'Empire, dont elle reconnoiflbit la fouveraineté; elle fe bornoit a ce qu'on apj>ellele Dogado, qui contenoit Ver  nu Bas-Empike. Lm. LXF1I. 199 nife, Chiozza, Malamoco, Héraclée & Equilie. Ces deux dernieres villes fe détruifirent mutuellement dans ce temps-la, par une guerre fanglante. Les Grecs poffédoient encore le refte de la Vénétie , comme auffi dans 1'Iftrie Juftinopolis, qu'on nomme au~ jourd'hui Capo d'Iftria. Quant k la Servië, entre les Auteurs, les uns prétendent que par ce traité elle fut attachée k 1'Empire d'Orient; les autres , qu'elle entra dans le partage de Charlemagne. Je croirois plutöt que ce pays qu'occupoient des Princes particuliers depuis quatre-vingts ans par conceffion de 1'Empire, demeura dans le même état, jouiffant d'une forte d'indépéndance. Les guerres continuelles des Sarafins, celles des Bulgares, & les fréquentes révolutions civiles depuis le regne d'Héraclius , donnoient aux fujets éloignés du centre la facilité de s'en détacher; & ces peuples ne faifoient partie de 1'Empire Grec, que dans les regiftres de la Chambre impériale. Les courfes des Francois qui poffédoienl le bord feptentrional cie la Save , & les conquêtes que firent dans ces conI iv NicÉrHO- RE. Ann. 803,' /  NicÉrHO' RE. Ann. 803, VII. Les Grecs StlesFran£ois fe difputent la ibuveraineté de LVenife. 20O H I $ T O I R E trees les armes de Charlemagne , ont fait croire a quelques-uns que la Servië devint une Province de fon Empire. On. en peut dire autant de la Dalmatie & de la Crqatie. Ces peuples foumis a Charlemagne, en étoient plutöt vaffaux que fujets. Nicéphore ne confentit qu'a regret a. ces difpolitions. 11 regardoit FOccident comme Pancien pafcrimoine de 1'Empire; & le partage de la dignité impériale lui paroifToit une ufurpation. Pour profiter des conjonctures,_il envoya une flotte dans la mer Adriatique. Les, villes mar-itimes de la Dalmatie préféroient- la domination de Charles a celle de l'Empereur Grec 1'Evêque de Zara, joint au Doge de Venife, étoit allé trouver Charles a. Thionville pour lui offrir obéiflance. A cette nouvelle, le Patrice Nicétas, ala tête^ d'une armee navale, s.'avanca jufqu'a Venife. Mais cette expédition. n'eufc pas de fuite. II reprit Ja route de Conftantinople , après avoir fait une treve de quelques mois avec Pépin, fils de Charlemagne, & Roi d'Italie. Cependant le parti Francois prévaloit dans Venife.  du Bas-Empire. Liv. LXFIL aot Paul , nouvel Amiral de 1'Empire Grec, s'y rend avec fa flotte. Son deffein étoit d'y paffer Phyver, 8c de faire quelque entreprife contre les Francois. II envoyé une partie de fes; troupes s'emparer de Comacchio,. dont Pépin étoit maitre. La garnifon; les taille en pieces dans une fortie. En vain Paul veut ménager un traité de paix entre les Frangois Sc les Grecs;; fa négociation eft traverfée par les Vénitiens même, Sc il retowrne a Conftantinople. La préfence de Pépin qui campoit' prés de Venife avec une armée nombreufe, donnoit Favantage au parti Francois. Les Vénitiens firent avec ce Prince un traité de paix, dont une des conditions étoit, qu'ils n'auroieut aucun commerce avec les Grecs, qu'ils ne leur donneroient ni n'en recevroient aucun fecours. Mais bientót ils fe repentirent de eet engagement. Etablis fur la mer, ils ne pouvoient fubfifter par 1'agriculture; le commerce faifoit toutes leur reffource; 8c c'étoit s'en interdire les moyens que de fe déclarer ennemis des Grecs., maitres de la mer. Ils prennent donc le parti Nicéphore.A.nn. Soif  NlCÉPHO RE. Ann, S03 VÏÏL Conclufion de la paix entre les Francois & l'Empereur Grec. 202 HlSTOIRE de fe réconcilier avec la Cour de ' Conftantinople. Pépin, ayant découvert leurs démarches, les traite comme des perfides ; il s'empare des villes de leur dépendance , attaque leurs ifles, porte le ravage & Pincendie dans tous les lieux oü il peut defcendre; il force les habitants de fe retirer tous dans Rialto qu'il afïïege; mais fa flotte devient le jouet des vertts & des barques légeres des Vénitiens, qui rendent inutiles tous fes efforts. II envoyé quelques vaiffeaux pour ravager la cöte de Dalmatie. Mais Paul, Gouverneur de Céphalonie, leur donne la chaffe avec des forces fupérieures. En même-temps une troupe de Grecs, cantonnés dans les montagnes de 1'Appennin , oü ils s'étoient maintenus malgré la puiffance des Lombards & celle des Francois, entre en Tofcane, & ruine de fond en comble la ville de Populonie. Charlemagne, pour fauver 1'honneur de fon fils, engage fecretement le Pape k lui demander graee pour les Vénitiens*, & il ne fe rend pas difficile a 1'accorder. On leur permet le commerce avec les Grecs; les Véni-  bv Bas-Bmj>ire. Ltv. LXV1I. 203 tiens s'engagent k pay er tous les ans un tribut au Roi d'Italie, & les Francois fe retirent. Dans ces conjonaures, arrivé k Aix-la-Chapelle un Ambaffadeur Grec. Pépin venoit de mourir fans enfants males, & Charlemagne qui fe réfervoit le titre de Roi d Italië , & qui ne le donna que deux ans après a Bernard, nis naturel de Pépin, écoute les plaintes de Nicéphore. Tous les Hiftoriens du temps s'accordcnt k dire qu'il rendit Venife l l'Empereur Grec; ce qui prouve h dépendance de cette répubhque, alor; fournife k 1'Empire d'Orient. LafuiO en fournit encore une nouvelle preu ve. Charles en renvoyant Arfafe, Am bafTadeur de Nicéphore , le fit ac compagner de trois députés pour re cevoir la ratification du traité ; il le chargea en même-temps de remettr entre les mains de Nicéphore» deu de fes fujets; 1'un étoit Léon, Ecuyf de l'Empereur Grec , qui, s'étant ; chappé des prifons de Sicile, s'etc réfugié k Rome; Nicéphore les r demandoit. L'autre étoit Öbéléru Doge de Venife, que les Venitie venoient de dépofer, & qu'on e I vj Nicéphore.Ann. 803'. S e X r tb im' >> ns n-  NlCÉPHO' ££. Anrr. 803, IX. Fierté rirlicule de Nicéphore. Abulfara- ge- Elmacin , hifi. Sarac. l- I, Z. c. 6. 1 J i 1 ; 20-4 _ S T ö I R E voyoit 3 fon Seigneur comme tm fujet perfide; ce font les termes de Reginon. Ces députés-n'allerent a Conftantinople qu'en 831; l'lm deux étoit Hatton , Evêque de Bale, qui fit ia relation de ce voyage. C'étoit un malheur pour Nicéphore de fe trouver placé entre les deux plus grands Monarques qu'euffent produit depuis long-temps 1'Europe U 1 Afie. Charlemagne, du cöté de Ocadent, refferroit les hornes de 1 Empire; Haroun Rafchid , le Charlemagne de 1'Orient, lui portoit de rudes atteintes, & ravageoit impu-, nément les Provinces voifines de la Syrië. Irene avoit acheté la paix de :e Prince; Nicéphore, dont 1'incapacité n'étoit remplacée que par une wéfomption grofïïere, écrivit au Caife en ces termes : Nicéphore-, Empe■eur des Romains, d Haroun, Roi des Arabes. Irene vous a payé une fomme font vous auriei'dü payer le doublé. Ceji m effet de lafoibleffe &, de lafottife d'une emme. Auffi-tót après la leclure de cette ettre, aye^foin de- me renvoyer ce que ousaveirecu. Autrement, l'épée décidera. otre querelle, Cette fommation ridi-.  7>v Bas-Empihe. Liv. LXF1L 205 cule infpirant au Calife plus de mépris que de colere, il lui renvoya fa lettre avec cette apoiïille : Je vais moimime vous porter ma rèponfe. II part en même-temps, paffe comme un éclair au travers de 1'Alie, ck pénetre jufqu'a Héraclée en Bithynie, mettant tout a feu ck a fang. Nicéphore,.auffi prompt a prendre 1'épouvante que Harounk la donner, demande la paix; ck plus foible qu'Irene, il s'offre k payer un tribut annuel. Haroun 1'accepte, ck fe retire. C'étoit la fin de 1'automne. L'hyver qui furvint étant fort rude, Nicéphore refufa de payer au terme convenu. II fe flattoit que les Sarafins, n'ofant fe mettre en campagne au milieu des glacés ck des neiges, il auroit le temps d'affembler des forces fufHfantes pour s'affranchir d'une fervitude li déshonorante. Haroun: part, malgré la rigueur de la faifon traverfe de nouveau 1'Afie. II approchoit du Bofphore, lorfque Nicéphore, encore effrayé, lui envoyé le tribut. Haroun, plus curieux de ménager fes troupes que de fe venger d'un Prince li méprifable, reprit le chemin de Syrië. II ne tint' pas k- Nicéphore, qu'il Nicéphore.Ann. 803. X. Staurace ï  Nicéphore.Ann. 803. fils de Nicéphore , couronné. Theoph. p. 404. Cedr. p. 477- Hifl. Mifi. I. 24. Zon. t. 11. y. 122. Joel. p. I7S. Ann. 804. S05. XI. Nicéphore battu par les Sarafins.Theoph. p. 406. Ahulfara- Elmacin. 2C6 HlSTOIRE ne laifïat après lui fur le tröne fa ftupidité, fon avarice, & tous fes vices. Au mois de Décembre de cette année, il fit couronner folemnellement dans Sainte-Sophie, par le Patriarchê Taraife, fon fils Staurace, auffi foible & auffi mal fait d'efprit que de corps.Cetteaffociationmenacoit 1'Empire d'un long avilifTement. Mais les Bulgares, comme nous leverrons, délivrerent les Grecs des maux qu'ils éprouvoient de la tyrannie du pere, & qu'ils craignoient du mauvais naturel du fils. Le tribut qu'il falloit payer au Calife , coütoit beaucoup plus a 1'avarice de Nicéphore qu'a fon honneur. Ce motif lui infpira du courage. Ayantr réuni toutes les forces de 1'Empire, il voulut les commander en perfonne. II pafla en Afie, & rnarcha vers la Syrië. Haroun lui épargna la moitié du chemin, & vint a fa rencontre a la tête de cent trente-cinq mille hommes. Les deux armées fe trouverent en préfence au mois d'Aoüt prés de Crafe en Phrygie. La bataille fut très-fanglante. Selon les Auteurs Arabes, les Grecs y perdirent  du Bas-Empïre. Liv. LXFIL 207 ( quarante mille hommes. Nicéphore y recut trois bleffures, & feroit refté prifonnier, fans les efforts de fes plus braves Officiers qui Parracherent des mains des Sarafins. Après cette victoire, Haroun ayant partagé fonarmée en plufieurs corps, porta le ravage dans toute 1'étendue de 1'Afie mineure. II prit des villes, détruifit des forterefies qui faifoient la défenfe du pays. La plus grande perte que firent les Grecs , fut celle de la ville d'Héraclée en Bithynie ; le Calife la prit, y mit le feu, & en enleva feize mille prifonniers. Nicéphore , qui n'appercevoitle péril que lorfqu'il étoit proche, demandala paix, & paya le tribut. Le Prince Sarafin s'engagea a rétablir Héraclée. Les traités ne gênoient jamais Nicéphore. L'année fuivante, les troubles furvenus en Perfe ayant appellé le Calife au-dela du Tigre, l'Empereur profita de fon éloignement pour réparer Ancyre prefque ruinée dans les guerres précédentes, Sc pour relever les forterefles d'Andrafe & de Thébafe en Lycaonie au pied du monl Taurus, S'imaginant que 1'abfence d\\ Nicéphore.A.nn. S05.  NlCÉFHO RE. Ann. So6. XII. Nicéphore fuccede an Patriarchê Taraife. Theoph. p. 4°7. Ced. p. 477 .478. Hifi. mifi. 1. 24. Zon. t. II. p. 122, 226. Joel. p. 17S. Glycas, p. . a86. Theodorus . in vita PUtonis apud 1 Surium.16. ] dec. Ignatius in vita Tara- 3 fii apud , Bolland. 13 Mar. ] O rien s 1 Chrifti.t.1. < r- 240, \ 208 HlSTOIRE Calife laiffoit la Syrië fans défenfe, il y envoya un corps de troupes légeres pour la ravager; elles y furent fi mal recues, qu'il n'en échappa qu'un très-petit nombre. Conftantinople perdit 1'année fuivante le Patriarchê Taraife. II nourut le 25 Février, après 21 ans d epifcopat. Tout 1'Empire le pleura comme un vrai fucceiTeur des Apötres. Nicéphore, grand comédien, qui n'avoit guere confulté ce faint Prélat,, pendant fa vie, fit parade d'une extréme douleur a fa mort. Dans la :érémonie des obfeques, il fe prof:ernoit fur le corps du défunt, il: 'embraffoit, il le couvroit de fapour)re; il 1'appelloit fon maitre , fon pe;e, fon appui, fon étoile, 1'ange de es armées, le fléau des ennemis par es prieres. L'Eglife Grecque a hono■é la mémoire de Taraife par- des ïloges plus folides en le mettant au ïombre des Saints. L'Empereur, qui >renoit affez volontiers le bon pari, lorfque fon avarice n'étoit pas ntéreffée, confulta les Evêques , les 'énateurs & les plus diftingués d'enre les Moines fur le choix du fuc-  du Bas-Empire. Liv. LXVII. 209 ceffeur. Enfin, il jetta les yeux fur un laïc renommé pour fa vertu , ck qui portoit le même nom que lui. Le pere de ce Nicéphore avoit été Secretaire de Conftantin Copronyme, ck fon attachement aux faintes pratiques de I'Eglife lui avoit attiré Findignation de fon maitre. Copronyme le fit fouetter, lui öta fa charge, ck 1'envoya en exil. Quelque temps après, le croyant changé par le chatiment, il le rappella, ck le trouvant auffi ferme qu'auparavant, il ha fit fouffrir plufieurs tourments , ck le bannit une feconde Ibis a Nicée 011 il mourut. Sa veuve , qui avoit partagé avec lui toutes fes peines, éleva fon fils avec foin, & le fit inftruire de la Religion ck des fciences humaines. Elle fe retira dans un monaftere , lorfqu'elle le vit revêtu &t la même charge que fon pere. Nicéphore étoit éloquent , ck faifoi ufage de fes talents pour ramenei au fein de FEglife ceux qui s'er étoient écartés. II afiifta au Concih de Nicée , oü il fit la fonction de Se' cretaire. Quelque tempsaprès, il quitta la Cour, ck fe retira dans une foli Nicéphore.Ann. 806. FUury , hifi. Ecclef. I. 45. art. 33. 4i 6 J~uir. 1-  NjCÉPHOR'E. Ann. 806. XIII. Oppofitien de Platon & de Théodore Studite. I ] I SIO HlSTOIRE tude au bord du Bofphore. II y hktit un monaftere, oü, fans prendre 1'habit de Moine, il s'exercoit k la pratique de toutes les vertus monaftiques. Irene Pen fit fortir pour le charger de Padminiftration du grand höpital de Conftantinople. L'Empereur Payant propofé pour fuccefTeur de Taraife, il fut élu par le fuffrage du clergé & du peuple. II fallut lui faire violence pour le déterminer a confentir a Péleftion. II prit d'abord 1'habit monaftique , felon la coutume de ce temps-la. Ce fut Staurace , fils de l'Empereur, qui lui coupa les cheveux. Après avoir paffe en peu de jours par tous les degrés du facerdoce , il fut facré Evêque, le four de Paques, dans I'Eglife de Sainte-Sophie. II fe trouva deux hommes de grand nérite, qui s'oppoferent au vceu uniy-erfel; c'étoit le Moine Platon & "on neveu Théodore, Abbé du molaftere de Stude, le plus célebre de Conftantinople , & peuplé de fept :ents Moines. Tous deux refpeftades par leur vertu, ils étoient tous leux d'une fermeté inflexible , enne-  du Bas-Empirë. Liv. LXFIL au mis de toute condefcendance, auffi féveres pour les autres que pour euxmêmes. Ils protefterent contre 1'élection , alléguant les canons qui défendent d'élever un laïc a 1'Epifcopat. On crut k la Cour que le motifqui les animoit, étoit le dépit d'avoir manqué cette place éminente, qu'ils defiroient pour eux-mêmes; mais la vertu de ces deux faints perfonnages ne permet pas d'adopter ce foupcon. L'Empereur fit enlever Platon, & le tint en prifon Drès d'un mois ; il traita de même Théodore & plufieurs de fes Moines ; il voulut même les bannir tous de Conftantinople; or lui repréfenta que la deftruction d'un monaftere fi illuftre & fi nombreux, rendroit odieux le Patriarchat de Ni céphore; il les mit donc en liberté Mais bientöt 1'ardeur de leur zel< leur attira un nouvel orage. Sous li regne de Conftantin, ils s'étoient fé parés de Taraife, paree que ce Pa triarche ne s'étoit pas oppofé ave affez de vigueur au divorce de l'Em pereur, & ils ne s'étoient réconcilié avec lui qu'après qu'il eut excommu nié 1'Abbé Jofeph, qui avoit donn Nicéphore.Ann. So6. S  NlCÉPHORÉ. Ann, 806. 1 i < 1 I 1 c r <5 n d P c d S li u L k v; £12 HlSTOIRE au Prince adultere la bénédiction nuptiale. Cet Abbé avoit gagné les bonnes graces de l'Empereur Nicéphore dans la révolte de Bardane; c'étoit lui qui, par les remontrances, avoit défarmé ce rébelle, Sc s'étoit rendu médiateur de la paix. En récompenfe de ce iervice, l'Empereur engagea le aouveau Patriarchê a lever dans un Concile la cenfure lancée par Taraie contre Jofeph. Le même motif }ui avoit retenu Taraife dans le dirorce de Conftantin, porta Nicéphore k condefcendre au defir de Empereur. II étoit a craindre que e Prince violent & peu religieux, e^ fe vengeat fur 1'Eglife du refus. u'auroit fait le Prélat. Mais ce méagement parut k Platon Sc k Théoore une prévarication criminelle. Ils rotefterent contre le décret du Conle, & fe féparerent de communion avec le Patriarchê. Les Moines de :ude fe joignirent k leur Abbé;- Sr: ur exemple attira dans le fchifme ie grande partie de Conftantinople. Empereur employa inutilement les llicitations, les menaces, les maulis traitements. Enfin, il fitalfembler  nu Bjs-Empire. Lh. LXFII. 213 un Concile nombreux, dans lequel Platon & Théodore furent excommuniés. Jofeph, frere de Théodore, & Archevêque de Theffalonique, fut enveloppé dans la même condamnation; il fut chaffé de fon fiege, mis en prifon avec les deux autres, & peu de temps après ils furent relégués féparément dans les ifles de la Propontide , oü ils demeurerent jufqu'a la fin du regne de Nicéphore. Leurs Moines , plufieurs Abbés avec leur communauté, plufieurs Evêques attachés aux mêmes fentiments , éprouverent la même perfécution. Haroun, ayant pacifié les troubles de la Perfe, ne fongea plus qu'a fe venger de 1'infidélité ordinaire de Nicéphore , qui avoit 1'année précédente violé le traité en attaquant la Syrië. II entra fur les terres de 1'Empire avec une armee de trois cents mille hommes. Etant arrivé a Tyanes, il y batit urie mofquée. Rien ne réfifioit a ce torrent. Grand nombre de forterefles, celle qui portoit le nom d'Hercule , & qui paflbit pour imprenable , Malécopée , Sideropale, Thébafe &L Andrafe noüvellement ré- NlCÉSHORE. Ann. Sc6. XIV. Guerre contre les Sarafins. Theoph. p. 407, 408. Cedr. pm 477 ,478. Hifi. mifi. I. 24. Elmacin. I. 2. C. 6,  Nicéphore.Ann. So6. I 214 HlSTOIRS parées, furent emportées en peu de jours. Soixante mille hommes s'avancerent jufqu'aux portes d'Ancyre, & porterent le ravage dans tous les environs. Nicéphore, hors d'état d'oppofer des forces égales, trembloit au milieu de Conftantinople. L'extrêmité ou il craignoit d'être réduit, le rendit éloquent ; & comme il ne manquoit pas de belles & fages maximes, dont fon hypocrifie favoit faire ufage pour tromper les hommes, il écrivit au Calife en ces termes: » Prin»> ce, a quoi bon verfer tant de fang ►> & franchir tant de fois les bornes ►> de 1'Empire que vos peres ont éta» bli ? Votre Prophete ne vous a>> t-il pas recommandé de regarder >> les Chrétiens comme vos freres ? i Nous fommes vous & moi les maï•> tres de nos peuples; mais Dieu » eft leur pere .• vous voit-il avec > plaifir égorger fes enfants? Eft-ce > la nécefïité qui vous fait fortir de > vos Etats ? Ne font-ils pas affez > étendus ? Manquez - vous d'or & > d'argent ? Vous poffédez en abony dance tout ce qui peut faire Pob•> jet de la plus infatiable ambition  du Bjs-Empire. Liv. LXPI1. 215 » & de 1'avarice la plus avide. Si .» vos defirs ne font pas fatisfaits , » demandez; nous ajouterons enco» re a. vos immenfes richefTes. Ne » nous fatiguons pas par des guerres » éternelles , comme fi nous étions »> immortels ; n'abrégeons pas par le » fer les jours que Dieu nous don» ne. LailTons aux génies infernaux » le foin de tourmenter les hommes. » Penfons que nous devons mourir » & comparoitre devant un juge in» corruptible, qui nous demandera » compte de la vie du moindre de » nos fujets. Une guerre injufte rend f> le Prince coupable d'autant d'ho» micides , qu'il y perd de fes fu»> jets, ck qu'il y fait périr d'enne» mis ". Ces réflexions appuyées de préfents confidérables appaiferent Haroun. II témoigna qu'il étoit pret d'entrer en négociation. On convint que les Grecs payeroient tous les ans tren* te mille pieces d'or. Mais ce qu'il y eut de plus humiliant, c'eft que Haroun exigea par-defTus cette fomme trois pieces d'or pour la tête de l'Empereur , ck trois pour celle de fon fils. NlCÉPH RE. Ann. i)o6t XV. Paix hont«ufe faite Scrompue par Nicéphore,  NlCÉI-HOKE. Ann. 806. Ann. 807. XVI. Conjuration découverte.Theoph. p. 408. Mifi- Mifi' l' 14- $.16 HlSTOI&E C'étoit reconnoitre la fouveraineté du Calife par une forte de capitation & d'hommage. Auffi Haroun fe faifoit-il plus d'honneur de cette foible redevance, que d'un tribut de dix mille talents ; il fe vantoit d'avoir affervi 1'Empire. On convint encore que les fortereffes prifes Sc détruites par les Sarafins , ne feroient pas rétablies. Mais a peine le Calife futil éloigné, que Nicéphore , qui ne donnoit jamais fa parole que pour la violer, fe hata de les relever. Haroun, indigné de cette mauvaifefoi, déclara qu'il alloit recommencer la guerre pour ne jamais faire de paix avec un Prince fi perfide. II reprit Thébafe, Sc fit partir une flotte chargée de troupes pour s'emparer de 1'ifle de Cypre. II y détruifit les Egliies, Sc emmena en efclavage la plupart des habitants. Nicéphore , toujours malheureux contre les Sarafins , tourna fes armes contre les Bulgares. II fe mit en marche avec fon armée, mais il ne paffa pas Andrinople. Arrivé dans cette ville, il découvrit une conjuradon formée contre lui par plufieurs de  du Bas-Empire. Liv. LXVIL zif de fes Courtifans & de fes Officiers. Les coupables furent interrogés, jugés , condamnés fur le lieu même. II fe contenta de les faire battre de verges, &L de les punir de 1'exil avec confifcation de leurs biens. Nicéphore n'étoit pas gratuitement cruel; il laiffoit volontiers la vie aux criminels, pourvu qu'il s'emparat de leur fortune. Après ce jugement, il reprit le chemin de Conftantinople. Mais il voulut fe dédommager aux dépens de fes fujets du butin qu'ii avoit efpéré faire fur les Bulgares. L'avarice le rendoit inventif; il imagina une vexaction qui avoit échappé a tous fes prédéceffeurs. La Thrace , pays fertile , mais fouvent ravagé & défolé par les guerres, attiroit fans ceffe de nouveaux habitants : il charge un de fes écuy ers, nommé Bardane Anémas, d'enregiftrer tous ceux qui n'étant pas nés en Thrace, étoient venus s'y établir, & de les réduire a la condition de ferfs de l'Empereur ; en forte que tirant de leurs terres une fubfiftance modique , ils rapporteroient au fifc tout le refte du revenu. C'étoit fe mettre a la place Tornt XIV. K Nicéphore.Ann. 807.  Nicéphore.Ann. 807. XVII. Les Sarafins ravagent 1'ifle de Rhodes. Theoph. p. 40S. Cedr. p. 478. Hifi. mifi. L 24, 218 H I S T O I R s des propriétaires, dans une grande partie de la Thrace. A peine Nicéphore fut-il de retour a Conftantinople , qu'il apprit le ravage de 1'ifle de Rhodes. Une flotte Sarafine ayant abordé a cette ifle au mois de Septembre avoit maflacré les h'abitants, & faccagé tout le pays. La capitale, défendue par une bonne garnifon , avoit feule échappé a leur fureur. S'étant enfuite rembarqués, ils prirent & pillerent la ville de Myre en Lycie. Ils voulurent brifer le tombeau de Saint Nicolas, autrefois Evêque de cette ville, & dont la mémoire étoit en vénération dans tout TOrient, croyant y trouver de grands tréfors. Dieu ne permit pas que les cendres de ce faint Evêque fuflent profanées par ces infideles. Ils fe tromperent de fépulture, & porterent leurs coups fur un autre tombeau, Une horrible tempête , dont ils fu-» rent battus a leur retour, fut regardée comme un effet de la vengeance divine : prefque tous leurs vaiffeaux furent embrafés de la foudre , ou engloutis dans les flots. Chumid leur chef eut beaucoup de peine k  dü Bjs-Empire. Liv. LXPII. £19 fe fauver avec les débris de fa flotte. L'Empereur fongeoit depuis longtemps a marier fon fils Staurace. Ce jeune Prince étoit d'une laideur difforme , ck ce fut apparemment pour corriger ce défaut dans fa race, que Nicéphore fit chercher dans tout 1'Empire une beauté accomplie. Elle fe trouva dans Athenes; c'étoit Théophano, parente d'Irene. L'empêchemént le plus invincible de tous , ne parut pas une difEculté k Nicéphore. Théophano étoit mariée depuis quelque temps, ck habitoit avec fon mari. Elle fut enlevée & tranfportée k Conftantinople , oii le nouveau mariage fut aufli-tot célébré le io Décembre» Le Patriarchê Nicéphore, aufli vertueux que Taraife, eut-il plus de foibleffe, ck donna-t-il k cette union adultere la forme de facrement? C'efl fur quoi 1'hiftoire garde le filence. Mais elle releve un fait encore plus fcandaleux que ce mariage. Nicéphore avoit fait enlever avec Théophano deux autres filles qui Fégaloient en beauté ; elles étoient deflinées aux plaifirs du pere; ck pendant les fêtes qui fuivirent la célébration, le? K ij Nicéphore.Ann. S07.' XVIII. Mariage de Staurace. Theoph. p. 408'. Zon. 1.11. p. 122. Hifi. mifc. U 24. J  Nicéphore.Ann. 808. XIX. Nouvelle conjura- tion. Thêoph. p. 4°9- Hifi. mifi. I.24. I ] < ï 220 " HlSTOIRE amours efFrontés du vieülard, quife faifoit honneur de rajeunir pour la débauche, furent la fable de toute la ville. Le mépris qu'il s'attiroit, faifoit fréquemment oublier a ceux qui 1'approchoient de plus prés, ce qu'ils devoient k leur Souverain. Au mois de Février de 1'année fuivante, il fe forma une nouvelle conjuration. Plufieurs des principaux Seigneurs réfolurent de mettre fur le tröne le patrice Arfaber, alors Quefteur ce qu'on pourroit appeller felon nos ufages , Ie Chancelier de 1'Empire. C'étoit un perfonnage favant, expérimentédans la conduite des affaires , & religieux, clit Théophane; mais comment une ambition pouffée jufqu'a la révolte ^eut-elle fe concilier avec la Relipon ? Nicéphore, qui s'étoit lui-même ïlevé par une conjuration, étoit d'üle merveilleufe fagacité pour prefentir ces fortes d'intrigues. II éventa e complot, fit fouetter Arfaber, orlonna de lui couper cheveux, & le :onfina dans un monaftere de Bithyfie comme dans une prifon perpéuelle. C'étoit le traiter avec don-  du Bjs-Empire. Liv. LXFII. aai ceur; mais, ainfi quejePai déja dit, il fe contentoit de faifir les biens. La joie qu'il recevoit de 1'accroiffement de fon tréfor, effacoit le reffentiment du crime. II condamna les complices a la même peine; & pour groffir la conflfcation, il enveloppa dans le chatiment tous ceux fur qui tombfórent fes foupcons : c'étoient ceux qui paroiffoient les plus choqués de fes défordres, des Seigneurs diftingués, des Moines vertueux , de Saints Evêques, de pieux Eccléliaftiques, & entre autres, leSyncelle, le Sacellaire, le garde des archives de la grande Eglife , perfonnages refpedtés de toute la ville; ils étoient riches, c'en étoit affez aux yeux de Nicéphore pour être traités en criminels. L'Empire fe vit délivré 1'année {uivante 809, d'un ennemi redoutable , qui avoit autant d'avantage fur Nicéphore par la générolité & la grandeur d'ame, que par les talents mili-' taires. Haroun Rafchid mourut au mois de Mars dans le Chorafan. Ce fut le plus accompli des Califes qui réfiderent a Bagdad. Nourri dans les K iij Nicéphore.Ann. SoS. Ann. 809. XX. Mort de Haroun Rafchid. Theoph. pl 409. Hifi. mifi. I. 24. Elmacin t h 2. e. 6.  Nicéphore. Ann. 809. Af. de Gui- gnes , hifi. des Huns , /• 328. I 1 l ] ] 1 1 1 1 ( i ] 1 < 1 i 222 HisTniRE combats dès fa jeuneiTe, il porta fur Ie tröne une valeur héroïque, tempérée par 1'humanité & par fon amour pour fes fujets. Auffi dévot que guerrier, pendant les vingt-trois ans de fon regne, il fit buit ou neuf fois le pélerinage de la Mecque, & les autres années il y envoyoit a fa place trois cents pélerins qu'il habilloit, & mxquels il fourniffoit les fraix du royage. II livra en perfonne huit batailles dont il fortit toujours vaintpieur. On lifoit fur fon cafque cette nfcriptiomLe Pélerin de la Mecque ne Kut manquer de courage. Sévere dans e maintien du bon ordre, mais cha•itable& compatiflant, il diftribuoit ous les jours mille flaters aux pauzes; le flater étoit une piece d'or jefant une drachme. II aimoit les fa'ants , & dans fes pélerinages il en nenoit toujours cent avec lui. Jamais "alife n'eut a fa Cour tant de Conéillers , de Juges, d'Aflronomes, de 'oëtes. Son fceau portoit cette fenence: La grandeur & la puijfance font Dieu. II avoit entre fes femmes me jeune Egyptienne parfaitement ielle, & qu'il aimok tendrement; elle  du Bas-Empire. Liv. LXFII. ii% tomba malade, 8c les médecins de Bagdad ne pouvant la guérir, il en envoya chercher en Egypte. Le Patriarchê orthodoxe d'Alexandrie étoit expert en eet art; il fit le voyage de Bagdad, guérit 1'Egyptienne; 8c pour le récompenfer ,iHaroun fit rendre aux Catholiques d'Alexandrie toutes les Eglifes, dont les Jacobites s'étoient emparés. Haroun ne vécut que quarante-fept ans, 8c fes deux fils ainés fe difputerent la couronne par des guerres fanglantes. Pendant ion regne, Hamid fit des conquêtes dans 1'ifle de Crête. Un autre ennemi moins puifTant, mais plus formidable encore par fa proximité , étoit le Roi des Bulgares. Crum, qui régnoit depuis deux ans, avoit d'abord exercé fes forces contre les Abares. II acheva de détruire cette nation. Ce Prince, auffi politique que guerrier, faifant réflexion fur la grande puifTance qu'avoient poffédée les Abares, auxquels les Bulgares eux-mêmes avoient été foumis, voulut profiter de leurs fautes, pour afïurer les fondements de fa dominatioa. II fit venir devant K iv Nicéphore.A.nn. 809. XXI; Crum , Roi des Bulgares.' Theoph. p. 410,411, 41 2. Cedr. pi 47S. Hi/i. mifi. I. 23. Zon. e. 11, p. 126. Suidas VQ. ce B«Ay«i-  Nicéphore.Ann. S09. f J l 224 H I S T O I R z lui leurs prifonniers, les plus avancés en age, & leur tlemanda quelles étoient les caufes de la ruine de leur nation. Alors un d'entr'eux, dont les autres fembloient refpecter la fagefle , élevant la voix avec modeftie, lui répondit : » Prince, les cau» fes de nos malheurs font celles qui » renverferont toujours les plus flo» riffants Etats. Les voici : les hom» mes puhTants en intrigues & en ca» lomnieS ont écarté du miniftere les»> plus fages & les plus capables: 1'in» juflice & la corruption fe font in* finuées dans les tribunaux : le vin > & la bonne chere ont appefanti les > corps, & abruti les efprits : la juf- > tice, les emplois, les dignités, la > faveur, tout a été vénal; nous nous > fommes nous-mêmes mis en com- > merce, Sc nous fommes devenus de > vil prix. Nous étions déja détruits > avant que de 1'être par nos enne' mis D'après cette réponfe, Crum onvoqua une alTemblée générale de es Etats , & publia ces loix : Si udqu'un en accufi un autre, je mafurerai dabord de fa perfonne ; & après n mur examen, s'il ejl convaincu de  du Bas-Empire. Liv. LXFII. 225 calomnie, il fera mis d mort. Perfonne ne recevra d fa table un juge taxé d'in- ■ juftice & de rapine, fous peine de confifcation de biens. On arrachera toutes les vignes. Si un homme ejl réduit d Vindigence, & quil foit convaincu de vol, il aura les jambes rompues ; il ne lui fera pas même permis de mendier; mais pour la première fois, ceux du même état que lui fe cottiferont pour rêtablir fa fortune; quiconque refufera de contribuer d cette oeuvre d'hwnanité, fera privé de fes biens. C'eft-la ce que je puis tirer de Théophane, Auteur confus, & qui fouvent ne s'exprime qu'a demi. Je crois qu'il faut ajouter , que fi celui qui a été fecouru dans fon infortune , tombe une feconde fois dans tindigence par fa faute, il faut le laijfer mourir. Ce guerrier légiflateur fut un voilin fort incommode pour Nicéphore qui n'étoit ni 1'un ni 1'autre. L'Empereur, averti de qüelques mouvements des Bulgares , avoit fait pafler en Thrace des troupes d'Afie , qui s'étoient cantonnées fur les bords du Strymon. II envoyoit a cette armee onze cents livres d'or pour la paye K v ' ■flCÉFHORE. Lnn. 809. xxir. Guerre des Bul£ires.  KlCÉSHORE. Am,. §09. 'ixS H I S T 0 I R E des foldats. Crum 1'ayant appris in~ tercepta la caifle , & tombant enfuite fur le camp des Grecs, y fit un grand maffacre , tua le Commandant & la plupart des Officiers, & enleva tous les bagages. C'étoit au commencement de Mars. Pende jours après, il. étoit devant Sardique, qu'il furprit dans le temps qu'on traitoit de capitulation. II ruina la ville, & y tailla en pieces un corps- de fix mille hommes , fans compter un grand nombre d'habitants qui furent pafTés au fil de 1'épée. La fête de Paques tornboit cette année au huitieme d'Avril ^ Nicéphore partit de Conflantinople le mardi de Ia femaine de la paflion pour aller combattre les Bulgares, qui, de leur cöté, s'avancerent k fa. rencontre. A leur approche , fon armée fe débanda , plufieurs Officiers mêmes prirent la fuite. S'étant ralliés enfuite auprès de l'Empereur, comme il paroiflbit réfolu de punir leur iacheté, rejettant avec colere leurs. prieres & leurs excufes, Hs 1'abandonnerent pour aller fe donner aux Bulgares. On regretta fur-tout un Arabe nommé Euthyme 9 très-yerfé  du Bas'Empire. Liv. LXPII. 227 dans toutes les opérations de la méchanique. Cet Arabe s'étant fait Chrétien , l'Empereur, pour profiter de fes talents, 1'éleva d'abord k un grade honorable dans fes armées , & lui donna un établiflement k Andrinople. Mais comme loin de lui payer la penfion qu'il lui avoit promife, il lui retranc'hoit encore une partie de fa paye militaire, 1'Arabe irrité s'emporta en plaintes ameres , qui lui attirerent un traitement rigoureux. II fut cruellement battu de verges. Défefpéré & plein de vengeance , il fe donna aux Bulgares, & leur enfeigna 1'art de conftruire des machines , qu'ils avoient jufqu'alors ignoré. Nicéphore crut couvrir fa honte par un menfonge impudent, qui ne pouvoit que le déshonorer encore plus que fa déroute ; il manda k Conftantinople , qu'après avoir délait les Bulgares, il avoit célébré la fête de Paques dans le palais de Crum, & qu'il auroit rétabli Sardique abandon' née des ennemis, fi les troupes n'euf fent refufé de lui obéir. Les foldats informés de cette impofture , qui de voi't les rendre ódieux k tout 1'Em K vj NicÉrHo- RE. Ann. S09.  Nicéphore.Ann. 809, 1 1 ] 1 1 1 J ) 1 2l8 HlSTOlRE pire, fe révoltent contre leurs Cspitaines , abattent les tentes qu'ils mettent en pieces, courent en fonle a celle de 1'Empereur, 1'accablent d'injures & de malédiftions, lui reprochant fon horrible avarice, & jurant qu'ils n'obéiront plus a un tyran , calomniateur de fa propre armee. Nicéphore étoit a table ; tremblant pour fa vie, il fe préfente a euXy & s'abaiffe aux plushumblesprieres; fes Courtifans fe mêlant parmi les foldats, les careffent r les adouciffent par de belles paroles. Cette émeute devoit coüter la vie a Nicéphore ; cependant Ia fureur des foldats s'étant rallentie, ils fe retirent fur un cöteau voifin, & paffent toute a nuit a implorer k grands cris le fecours du Ciel, comme s'ils eufTent ;té battus de quelque tempête. Nicémore fait diftribuer pendant la nuit le 1'argent aux Officiers ; & dès le )oint du jour, ayant raffemblé au)rès de fa perfonne ceux en qui il ivoit le plus de confiance, il va au nilieu d'eux trouver les foldats; il eur protefle avec les ferments les dus terribles, qu'il les chérit comme  nu Bas-Empire. Liv. LXVII. 259 fes enfants, qu'il les porte tous dans fon cceur, qu'il leur pardonne leur faute, & qu'il n'en fera jamais aucune recherche. II part enfuite pour Conftantinople , laiffant le Patrice Théodofe , furnommé Salibaras , fon premier fecretaire, pour découvrir par leurs accufations mutuelles les auteurs de la fédition. Dès qu'ils furent de retour , il les affemble hors de la ville dans la plaine de SaintMamas , fous prétexte de leur payer les montres qui leur font dues; il les fait environner de troupes plus nombreufes; & fans avoir égard a fes ferments, il condamneles coupablesav fouet & au banniflement perpétuel, & les fait fur le champ tranfporter ï Chryfopolis. Les Efclavons, fujets des Bulgares. faifoient fans ceffe des courfes en Macédoine, en Grece & dans toute 1'Illyrie. Nicéphore réfolut d'établii a demeure fur cette frontiere un corp; de foldats qui n'en fortiroient jamais & dont la poftérité formeroit urn garde perpétuelle. lis furent choifi de toutes les Provinces, & eurent or dre de vendre leurs immeubles, & d ■Nicéphore.Ann. 809. l XXIII. , Nicéphore établit une garde ' perpé- . tuelle fur la frontie- • red'Efcla- ; vonie. , Theoph. p, ' 411. " Hifi. mifi.  Nicéphore.Ann. S09. Ann. 810. XXIV. Exa&ions •ie Nicéphore.Theoph, p, 411.412, 413. Cedr. p. '479, 48O. 230 HlSTOIRE fe tranfporter avec leurs families aux environs du Danube. Ce fut pour eux une extréme douleur de fe voir arrachés^ de leur patrie , d'abandonner les fépulchres de leurs ancêtres, & les biens que leurs peres leur avoient acquis par leurs travaux. Ils fe féparoientavec larmes de leurs parents, de leurs amis, comme s'ils euffent été traïnés en efclavage. Toutes les villes, toutes les campagnes retentiffoient d'imprécations contre l'Empereur. On appelloit les Sarafins ck les Bulgares; on les invitoit a venir fe rendre maïtres d'un Empire, qui n'étoit plus pour les habitants qu'un Keu d'exil ck une vafte prifon; on envioit le fort de ceux qui étoient morts dans les batailles. II y en eut qui fe pendirent de défefpoir. L'année fuivante auroit été paifible, fi Pavarice de Nicéphore n'eüt pas fait la guerre k fes fujets. Un armée d'exadteurs, plus impitoyables que les Bulgares & les Sarafins, chargée de recueillir les nouveaux impöts, infeftoit les Provinces, défoloit les families, & partageoit avec le Prince la dépouille de h veuve & de 1'or-  du Bas-Empike. Lh. LXV1I. 231 phelin. Les financiers avoient imaginé quantité de nouvelles manieres de tirer le lang des peuples. L'hiftoire en rapporte quelques-unes, & avertit que ce n'eft qu'une partie des vexations qui furent alors mifes en ufage. On enröla dans la milice tous les pauvres de chaque ville , & on forca les autres habitants de payer pour eux les impofitions , & de fournir, pour 1 équipement de chaque foldat, dixhuit pieces d'or; c'étoit a-peu-près deux cents cinquante livres de notre monnoie. On augmenta tous les impöts, & on exigea en fus un dixieme pour les fraix du recouvrement. On fit payer les fommes remifes par le file du temps d'Irene. On auroit pardonné au Prince d'exiger des fommes confidérables des Intendants qui s'étoient enrichis dans les Provinces; c'étoit une peine trop légere de la conculfion ; mais on ne lui pardonna pas de piller lui-même les Provinces plus que tous les Intendants. Les höpitaux , les églifes, les monafteres , qui étoient fous la proteftion fpéciale du Prince, & qui avoient été fondés par fes prédéceffeurs, furent les plus NlCÉPHQ. RE. Ann. Sio. Hifi. mifi. I. 24. Zon. torn. II. p. 123.  Nicéphore.Ann. 810. ; 232 II I $ T O I R £ maltraités. Outre une taxe annuelle qu'il exigea pour chaque cheminée , & qu'il fit remonter jufqu'a la première année de fon regne, il mit en fes mains les plus belles terres de ces communautés, fans les difpenfer de la taille, en forte qu'elles payoient pour ce qu'elles n'avoient plus. On forca les navigateurs des cötes d'Afie, qui ne vivoient que du commerce de mer, d'acheter ces terres auxprix que l'Empereur voulut. Tous ceux qui , depuis vingt ans, avoient déterré par hafard quelque urne fépul:rale, quelque vafe enfoui dans la terre , furent taxés comme ayant trouvé un tréfor. Ceux qui, depuis vingt ans, avoient hérité de quelques biens , furent obligés d'en faire la iéclaration , pour être taxés a proaortion de ce qu'ils avoient recu, ïncore qu'il ne leur en reftat plus rien. On fit payer deux pieces d'or pour chaque efclave. L'Empereur avoit défendu 1'ufure par une loi ; :'étoit pour en avoir le privilege ex:hifif; il fit affembler les plus riches légociants de Conftantinople, & leur uit a chacun entre les mains douze  du Bas-Empirb. Liv. LXVIl. 233 iivres d'or , avec ordre de lui en payer 1'intérêt k vingt pour cent. Des efpions répandus dans Conftantinople comme dans une ville ennemie, tenoient regiftre de la dépenfe qui fe faifoit dans chaque maifon : on excitoit les efclaves a trahir leurs maitres; on encourageoit, on récompenfoit les délateurs, & la fortune, le repos des plus illuftres families étoient k la merci des derniers des hommes , qui forgoient contr'elles des calomnies, toujours favorablement écoutées du Prince. Perfonne ne jouiflbit en affurance de fon patrimoine; l'Empereur fembloit s'établir propriétaire de tous les biens de 1'Empire. On rapporte un trait fingulier de fa rapacité. II y avoit k Conftantinople un marchand de cire, d'une probité reconnue, qui s'étoit enrichi par fon commerce. Nicéphore le manda, & lui dit : Mets la main fur ma tête, & déclare-moi avec ferment combien tu as amaffè dor. Le marchand n'ofoit d'abord lever la main fur la tête de fon Prince; mais fur un ordre réitéré , il obéit, & jura qu'il avojt cent livres d'or. Nicéphore lui NicéphoreAan. 810,  Nicéphore.Ann. 810. XXV. Affaflin arrêté. XXVÏ. Dérégle- 1 ment d'ef- ' PïicdeNL 1 234 HlSTOIRE commanda de les faire apporter, & le fit diner avec lui. Au fortir de table, il lui donna cent pieces d'or, qui faifoient treize a quatorze cents livres de notre monnoie : Va, lui dit-il, je te décharge du rejle ; ceji autant cfinquiétudes dont je te délivre. L'honneur d!avoir mangé avec ton maitre vaut bien ce que tu me laiffes. Tant de vexations Sc de rapines faifoient defirer la mort du Prince, & portoient le défefpoir dans tous les cceurs. Le premier d'Oétobre, un inconnu, vêtu d'un habit de Moine, arracha 1'épée d'un garde de la porte, & fe jetta dans le palais pour alIer tuer 1'Empereur. Deux Officiers qui voulurent Ie faifir, furent dangereufement Heffes. II fut cependant arrêté & mis k la queftion. On ne put tirer de fa bouche 1'aveu d'aucun complice; il feignit d'être pofféié du démon, qui le jettoit dans des iccès dê fureur. Nicéphore fe conïenta de le faire ehfermer avec les fu'ieux qu'on tenoit enchaïnés. II y avoit en Arménie un nom)reux effaim de Manichéens, qui fe nultiplioient de plus en plus, quoi-  du Bas-Empire. Liv. LXVII. 235 que Conftant eut fait lapider leur chef, & que Juftinien II en eut fait brüler un grand nombre. Ils avoient pris depuis quelque temps le nom de Pauliciens, d'un certain Paul qui s'étoit fignalé entr'eux, & qii avoit introduit quelque changement dans la fecte de Manès. A ces hérétiques s'en étoient joints d'autres nommés Athingans, fortis des montagnes de Pifidie & de Lycaonie, dont la doctrine étoit un melange de Pimpiété Judaïque & des blafphêmes de Bafilide & de Valentin. On croit que ces malheureux vagabonds, connus aujourd'hui fous le nom de Bohémiens, font un refte des Athingans. Nicéphore , né en Pifidie, ayant eu, dès fon enfance, commerce avec eux , s'étoit entêté de leurs vifions; il les regardoit comme de grands prophetes ; il les avoit confultés dans la révolte de Bardane, & avoit pratiqué, par leur confeil, certaines cérémonies magiques. On dit qu'il renouvella en cette occafion ce bifarre facrifice . dans lequel le facrifkateur recevoil fur toute fa perfonne le fang du taureau immolé; ce que les Payens a= Nicéphore.Ann. 81a. céphore. Theoph. pi 413, 414Cedr. p. 480. Hifl. mifi. I. 24. Zon. t. II. P- 113 « 124.  Nicéphore.Ann. Sio. 1 < 1 1 t i } ajó UlSTOIRE voient nommé Taurobok. Cette fitp'erftition , née en Perfe, avoit paffé dans tous les pays idolatres, & Manès, Perfe de nation, 1'avoit tranfmife k fes fecfateurs. C'étoit a ces pratiques extravagantes & .a d'autres femblables, que Nicéphore attribuoit fon fuccès. 'En récompenfe, il accordoit aux Pauliciens toute faveur, & ces fanatiques formoient en Arménie un petit Etat qui fe gouvernoit felon les loix de leur religion. La liberté dont ils jouiffoient attiroit dans leur fecte un grand nom» breƒ ignorants & de vifionnaires. Les Evêques, les Moines, les perfonnages vertueux , étoient fufpefts k Ni-' céphore; il les regardoit comme autant de cenfeurs de fa conduite; il fuffifoit de fe déclarer contre eux, pour être afluré de fa protedion. C'eft :e qui procura fes bonnes graces k in faux hermite , nommé Nicolas , ïui s'étant bati une celluie aux pores de Conftantinople, ne ceffoit de )rêcher une doctrine erronnée , & l'inveftiver contre le culte des jma;es. Quoique Nicéphore ne fut pas conoclafte, il foutenoit eet h vpocrite  du Bas-Empire. Liv. LXF1I. 237 contre le Patriarchê, que Nicolas attaquoit avec impudence. II ne pouvoit fouffrir la paix & la concorde entre les Chrétiens; il s'étudioit k femer entr'eux des fujets de querelles, dont il fe faifoit juge, & qu'il décidoit toujours en faveur du mauvais parti. Politique ténébreux & pervers, il croyoit dérober la vue de fes débauches , & détourner de deffus lui I'attention de fes fujets, en les occupant k fe déchirer les uns les autres. Sous fon regne, les gens de guerre , qui prennent ordinairement le ton du Prince fur le fait de la religion , traitoient en efclaves les Evêques & les Moines; ils fe logeoient dans les maifons épifcopales & dans les monafteres, vivoient aux dépens de I'Eglife , & s'emparoient de fes biens. L'Empereur blamoit hautement les préfents faits pour la décoration du culte divin ; c'étoit, felon lui, perdre 1'or & 1'argent, dont 1'unique ufage devoit être d'entrer dans fon tréfor. II prétendoit que tous fes prédéceffeurs n'avoient rien entendu au gouvernement de 1'Etat; les Conftantins, les Théodofes, n'avoient été Nicéphore.Ann. 81c,  Nicéphore.Aon. Sio. Ann. 811. XXVII. Les Sarafins s'emparent de ]a caiHe militaire de Léon. Theoph. p. 414. Cedr. p. '481. Zon. t. II. p. 114. Hifi. mife. I. 24. Autor in~ certits pofi. Theo. pag. 428. Contin, Theo. pag. ?. 8- 233 HlSTOIRB que des imbécdles; lui feul favoit régner. Athée dans le cceur, il nioit la Providence, & répétoit fouvent qu'elle étoit dans la tête du Prince , dont la prudence & la fageffe étoit Punique reflbrt des événements : préfomption impie & infenfée, dont cette même Providence qu'il outrageoit, ne tarda pas de tirer une vengeance éclatante. Un fi méchant Prince étoit mal fervi par ceux mêmes dont les talents auroient pu lui faire honneur, s'il eut fu s'en faire aimer. Léon, qui commandoit en Oriënt, depuis qu'il avoit abandonné Bardane, s'étoit fignalé en plufieurs combats contre les Sarafins. II étoit alors dans la Province d'Hélenopont, qui comprenoit une partie de la Paphlagonie & de la Cappadoce. Découragé par 1'infenfibilité d'un Prince , qui, tout occupé d'entafler des tréfors, ne favoit ni connoitre ni récompenfer le mérite , il fe livroit aux plaifirs, & négligeoit le foin de fa Province. Jeune & voluptueux, fe voyant oublié de l'Empereur , il oublioit lui-même tous fes devoirs. Les Sarafins, dont les cour-  du Bas-Empire. Lh. LXni. 239 fes infeftoient ces contrées, ayant appris qu'il avoit recu treize cents livres pefant d'argent pour payer les troupes, & que cette fomme étoit dans Euchaïtes, oii Léon faifoit fa réfidence, viennent tout-a-coup attaquer la ville. Léon, hors d'état de le défendre , prend la fuite, abandonne la ville 8c la caiffe militaire; les Sarafins s'emparent de Tune 8c de 1'autre , 8c font prifonniers ce qui étoit refté de foldats. Une pareille lacheté méritoit la mort. Nicéphore fit amener Léon a Conftantinople : mais ne confidérant que la perte de 1'argent, fans tenir aucun compte du refte, il fe contenta de le faire battre de verges, 8c de 1'envoyer er exil. L'affront qu'il avoit recu deux an; auparavant dans fon expédition contre les Bulgares, lui tenoit au cceur, II réfolut de le réparer cette année. 8c fortit de Conftantinople au moi< de Mai avec fon fils Staurace. Poui fournir aux fraix de cette guerre fan! ouvrir fon tréfor, il donna ordre ai Patrice Nicétas, grand Logothete d'augmenter les taxes impofées fu: NlGÉPHORE. Ann. 811; XXVHI. Nicéphore fe prépare a marcher contre les Bulgares. Theoph. p. 1 4i6. ' Hifi. mifc. , l. 24. Cedr. p, 4S1.  Nicéphore.Ann. Sn, Zon. 1.11 f. 124. Vita NicohtiStudit* 240 HlSTOIRB les églifes Sc les monafteres, Sc de faire payer a la rigueur les arrérages dus au file depuis huit ans ; ce qui caufa une confternation générale. Comme Théodofe Salibaras, fon plus fidele Miniftre , lui repréfentoit que le mécontentement étoit univerfel, Si que s'il lui arrivoit quelque malheur, ce feroit pour tout 1'Empire un fujet de joie : Que veux-tu? lui ditil, Dieu m'a endurci le caur, comme a Pharaon ; quel bitn mes fujets peuventUs efpérer ? pour toi, n'attends rien de moi que ce que tu vois. Si cette réponfe n'eft pas celle d'un infenfé, ce ne peut être qu'une dérifion impie de la parole de Dieu même. L'Hiftorien Théophane jure qu'il tient ce fait de la propre bouche de Théodofe. L'armée étoit nombreufe ; mais ce n'étoit qu'un amas confus de miférables , enrölés de force, dont la plupart n'avoient pour armes que des batons Sc des frondes. Car quoique Nicéphore retirat de fes fujets des fommes confidérables. pour 1'armement Sc 1'équipement des troupes, il obligeoit les foldats de s'équiper, 8c de s'armer a leurs dépens. Auffi au-lieu de cette allégreffe  du Bas-Empirë. Liv. LXPJI. 24* allégrefle qui accompagne ordinairement le départ d'une armée, on n'entendoit dans celle-ci que murmures ck malédictions. Quoiqu'il perfécutat Théodore Studite, il le confidéroit néanmoins autant que les Pauliciens ck les Aftrologues: il 1'envoya confulter fur le fuccès de la guerre ; le faint Abbé adreffant la parole k l'Empereur, comme s'il eül été préfent, répondit : Vous deve$ vous repentir de vos fauus pajjies, aulïeu d'en ajouter de nouvelles. Mais puifque, non content de vous perdre, vom entramei les autres dans le précipice, voici ce que vous annonce par ma bouche celui qui voit l'avenir comme le pajfé, vous ne reviendre^ pas de ce voyage, Cette prédicfion ne fit qu'irriter Nicéphore , qui remit la punition de ce prophete infolent k fon retour de la guerre. L'armée étant arrivée au chatean de Marcelles fur la frontiere de Bulgarie , le Roi, qui ne s'attendoit pas a cette irruption foudaine, demanda la paix. Nicéphore, fier de cette humble démarche de 1'ennemi, ck enorgueilli par les flatteries de fon con- Tome XIV. L NlCÉfHORE. Ann, Sn. XXIX. Guerre contre les Bulgares.  NlCÉI-HORE. Ann. Sn. 242. HlSTOIRE feil , tejetta cette propofition avec hauteur. II n'avoit pas encore quitté Ie chateau de Marcelles, qu'un de fes plus affidés domeftiques emporta fa garde-robe avec cent livres d'or, 8c paffa chez les ennemis ; ce qui fut regardé comme un événement de mauvais augure. Après de Iongs détours par des chemins difficiles qui fatiguoient beaucoup l'armée, l'Empereur entra le 10 Juillet , fur les terres des Bulgares , répétant prefque a chaque pas : Je ne fais fi c'eft Dieu ou le iiable qui m'entraine, mais je me fens poujjé par une force irréfiftible. Les trois premières journées furent affez heureufes. Les Bulgares fe fentant beaucoup plus foibles, fe contentoient de harceler 1'ennemi par des courfes, & étoient toujours repouffés. Ces foibles avantages paroiffoient a Nicéphore des fuccès- éclatants ; il les attribuoit k fa fortune & a celle de fon fils Staurace, qui, auffi ftupide que fon pere, fe croyoit un héros dès fa première campagne. [1 infultoit ceux qui n'avoient pas été d'avis de s'engager dans la Bulgarie , Sc menajoit de les chatier comme  du Bjs-Empire. Liv. LXVJI. 243 des traïtres. L'ordre étoit donné de : ne laifler la vie a rien de ce qui ref- 1 piroit fur les terres des Bulgares , pas même aux animaux ; mais de ménager avec grand foin *le butin , & de le réferver a l'Empereur. On brüla un des palais de Crum, après en avoir enlevé les meubles, qui furent dépofés dans des magafins fcellés du fceau de Nicéphore. De malheureux foldats, pour en avoir détourné quelques pieces de peu de valeur, eurent les mains & les oreilles coupées. Crum , hors d'état de réfifter, envoya dire qu'il étoit prêt a fe foumettre a telles conditions qu'on voudroit lui impofer, pourvu que l'Empereur fortit du pays : il ne fut pas écouté. Alors ce Prince, animé par le défefpoir, réfolut de faire périr Nicéphore & toute fon armée, ou de périr lui-même avec fa nation. Les Grecs étoient campés dans une plaine environnée de montagnes inacceflibles. Crum fait fermer toutes les gorges, tous les paffages par de grands abattis de bois. Les Bulgares travaillerent avec tant d'ardeur, qu'en deux jour» L ij ^ICÉFHORE. \.na. 3ii. XXX. Mort de Nicéphore.  Nicéphore.Ann. 8ii. 244 HlSTOIRE & deux nuits, les Grecs furent environnés d'un mur impénétrable ; &c Nicéphore étoit fi négligent & li peu entendu dans les opérations de la guerre, qu'il»ne s'appercut de eet ouvrage que lorfqu'il fut achevé. La furprife 6c la terreur rend toute 1'artnée immobile; l'Empereur, le plus effrayé de tous, courant de toutes parts fans donner aucun ordre, s'é:rioit a la vue des barrières qui fermoient chaque défilé : Nous fommes verdus; il nous faudroit des alles pour Cortir cTici. La nuit fuivante , (c'étoit celle du 25 Juillet,) les Bulgares mettent le feu a tout ce vafte contour; 5c entrant eux-mêmes par une des jorges , la fe.ule qu'ils avoient laiffée libre, ils fondent comme des furieux fur le camp des Grecs; ils laiffent dans la plaine quelques troupes de :avalerie , pour couper aux fuyards e chemin des montagnes, dont 1'ac:ès étoit d'ailleurs prefque imprati:able. C'étoit une confufion 6c un :arnage horrible. Au milieu des tércebres d'une niüt épaifTe, qui n'é:oit éclairée que par des dammes, les Srecs, faifis d'épouvante, &c fuyant  nu Bjs-Empire. Liv. LXriI. 245 de toutes parts, tomboient fous le cimeterre des Bulgares, ou s'ils échappoient au fer ennemi, ils pérhToient dans les feux qui leur fermoient le paffage. Nicéphore y perdit la vie, Sc avec lui toute la Cour de Conftantinople: Patrices, Seigneurs, Miniftres, Officiers de 1'armée & du palais, un nombre infini de foldats. La fleur de la jeuneffe, les forces de 1'Empire furent enfevelies dans cette nuit funefte; les armes, les équipages, la caifïe militaire, les richeffes des Officiers, furent la proie des Barbares. Crum ayant fait couper la tête a Nicéphore, la fit planter au bout d'une piqué, Sc la donna en fpedfacle pendant plufieurs jours. Le crane fut enfuite enchaffé en argent, Sc fervit de vafe a boire dans un grand feftin, ou fe trouverent les Seigneurs de fa Cour, Sc plufieurs Princes étrangers qu'avoit attirés la renommée de fa viöoire. Pendant que les Bulgares triomphoient, tout 1'Empire étoit en deuil; il étoit peu de maifons k Conftantinople qui n'eüt'une veuve ou un orphelin. Au milieu de tant de pertes, il ne reftoit qu'une confolaL iij NicÉrHO- RE. Ann. 81 li !  NjcéphO' re. Ann. Sn, XXXI. Staurace, Empereur. Theoph. p. 416,417, 418. Cedr. 'p. 482. Hifi. mifc. I. 24. Zon. t. II. p. I2t. Manaff. pag. 94. Aut, ineen. 246 H I S T 0 I R E tion; c'étoit d'être délivrés d'un monftre d'avarice & de diffolution , plus détefté encore que les plus odieux de fes prédéceffeurs. Perfonne ne put dire avec certitude de quelle maniere Nicéphore avoit perdu la vie. Quelques-uns difoient que fes propres foldats , pleins de rage , le voyant abattu par 1'épée d'un Bulgare, 1'avoient achevé k coups de pierres. Les mieux inftruits des circonftances de fa mort, auroient été ces infimes libertins , dont il fe faifoit accompagner jufque dans les allarmes de la guerre; mais tous avoient péri ou par le fer des Bulgares , ou dans les flammes, jufte punition de leurs horreurs. Nicéphore avoit régné huit ans & prés de neuf mois. Son fils Staurace fut du petit nombre de ceux qui fe fauverent du carnage. Quoiqu'il fut bleffé k mort, il eut cependant affez de force pour gagner Andrinople, oh fe raffemblerent les triftes débris de 1'armée. Le Patrice Etienne, Commandant de la garde Impériale , & Théocfifte, maitre des Offices, yétoient arrivés avant lui. Etienne, fidele a fes maitres, affembla fes fol-  nu Bas-Empire. IJv. LXV1I. 247 dats; ck ayant fait porter au milieu d'eux ce malheureux Prince, a qui fa bleffure mortelle n otoit pas la paffion de régner, il le fit reconnoïtre Empereur. Staurace harangue les troupes ; ck pour gagner leur eftime , il inveclive contre le gouvernement de fon pere, ck promet de réparer les maux qu'il a faits. La haine que 1'on portoit a Nicéphore, couvrit 1'indécence de cette cenfure; on applaudit a ce difcours ; on efpéra contre toute raifon, qu'un mauvais fils pourroit être un Prince eftimable. Mais ceux qui jugeoient mieux de Staurace, k la tête defquels étoit Théoctifte , offroient fecretement la couronne k Michel, furnomméRhangabé, grandMaitre du palais. II étoit fils de Théophylacte , l'un des quatre grands Officiers qui avoient conjuré co»tre Conftantin Porphyrogenete, la première année de fon regne. Michel avoit pris de fon aïeul le furnom de Rhangabé. On n'auroit pu faire un meilleur choix, fi les qualités qui font chérir un particulier, fuffifoient pour faire un grand Prince. II étoit bienfaifaint , généL iv Nicéphore.Ann. 811. ooft. Theovh-p. 4?i- Contin. Theo. p. 8. Anon. Band, Imp. Or. T. /, p. 28. Combefis ad.Theoph. p. 664. Du Caoge fam. Byxp. I2S. XXXII. Michel refufe la couronne.  STAURA' CE. Ann. Sn ■24S H I-S T O I R E reui, lans ambition ; toujours égal k hu-même, on pouvoit réiever fans , lui faire rien perdre de fa modeftie & de fon afFabilité naturelle k 1'égard de fes inférieurs. La piété ck Ia régulanté de fes moeurs relevoient encore Je prix des vernis humaines. II fe faifoit un devoir d'aififter aux offices de I'Eglife, ck re-mplifToit même, dans une Eglife de Conftantinople , les fonclions de lecteur; efpece de dévotion qui n'avoit, en ce temps-la, rien de fingulier ni de bizarre. Aux agréments de 1'efprit, fe joignoient les graces de 1'extérieur; il étoit d'une taille avantageufe , bien fait, 6k dans la force de Page. Quoique Nicéphore fut peufenfible au mérite, Michel s'en étoit fait aimer; ce Prince favoit pris pour gendre , & l'avoit revêtu de la dignité de Maitre du palais. C'étoit lui donner le premier rang dans FEmpire après fon fils, qu'il avoit nommé Augufte. Procopia, fille de Nicéphore, ne reflembloit ni k fon mari, ni a fon pere. On voyoit en elle les vertus contraires aux vices de fon pere; mais on y retrouvoit aufii plufieurs vices oppofés aux ver-  nu Bas-Empire. Liv. 'ÉXFIL 249 tus de fon mari. Elle étoit vraie, ■ chafte, généreufe, ne faifant ufage ; de fes biens que pour le foulagement , des pauvres, & pour de pieufes fondations; mais elle étoit hautaine, opiniatre, ambitieufe ; elle vouloit gouverner fon mari & tout 1'Empire. Elle fe joignit a Théotfifte pour folliciter fon mari k prendre la couronne , & Michel eut k combattre Pambition de fa. femme dans le refus qu'il fit de 1'accepter. II avoit fervi fidélement fon beau-pere , & ne s'étoit fauvé des-mains des Bulgares, qu'après avoir fait tous fes efforts pour le défendre. II répondit k Théoftifte & k fes amis, qu'il avoit juré fidélité k Nicéphore & k Staurace , & qu'il devoit au fils la même obéiffance qu'il avoit rendue au pere. Etienne, oppofé a Théocf ifte, foutenoit fortement Staurace ; il efpéroit que ce Prince guériroit de fa bleffure. II le fit porter en litiere a Conftantinople. Le Patriarchê , qui n'avoit pas les mêmes efpéranees, vint vifiter Staurace ; & croyant devoir lui donner les avis les plus falutaires dans l'extrêmité oü il le voyoit, il L v ITAURACE. Lnn. 811. xxxin; Gouvernement &£ Suurace.  Staurace.Ann. Sn, j 1 3 250 ƒƒ I S T O I R E lui confeilla de fe réconcilier avec Dieu, en réparant les injuffices de fon pere, qu'il reconnoiffoit lui-même, & en reftituant aux pofTefTeurs légitimes les biens dont ils avoient été dépouillés. Staurace, plus difpofé a imiter la rapacité de fon pere, qu'a en perdre le fruit, répondit qu'il connoiffoit 1'état de fes finances, & qu'il ne pouvoit rendre au plus que trois talents; c'étoit alors a-peu-près la fomme de trente mille livres d'aujourd'hui, portion infiniment petite, ck des tréfors & des rapines de Nicéphore. II n'efl pas étonnant qu'i! eut concu une averlion mortelle contre Théocfifte ck Michel; il pouvoit haïrl'un comme fon ennemi, 1'autre comme fon rival; mais auffi ingrat que vindicatif, il ne'haïffoit pas moins Etienne, auquel il devoit la couronne, ck le Patriarchê, dontil n'avoit recu que de bons offices. II trouva noyen de les unir enfemble par les iffronts dont il les accabloit égalenent. II n'aimoit pas davantage fa beur Procopia; fa femme Théopha10 , auffi méchante qu'elle étoit bele, lui avoit perfuadé que fa fceur  du Bas-Empire. Liv. LXVTL 251 ne cherchoit qu'a le perdre. Théophano n'avoit point d'enfants ; Michel feul lui faifoit ombrage; en le faifant périr, elle fe flattoit de pouvoir, k 1'exemple d'Irene, devenir maitreffe de 1'Empire, après la mort de fon mari. Comme les douleurs de Staurace augmentoient de jour en jour, il en vint enfin k douter luimême qu'il put recouvrer la fanté. Dans cette incertitude, il defiroit de laiffer la couronne k fa femme ; ou, s'il ne pouvoit y réufïir, d'abolir le gouvernement impérial , & de le changer en démocratie ; c'eüt ■ été porter un coup mortel k 1'Empire, dans 1'état oii il fe trouvoit alors. Pour exécuter un projet fi bizarre , il falloit fe défaire de Michel , fur lequel tout 1'Empire jettoit les yeux , ou du moins le mettre hors d'état de profiter de la bienveillance univerfelle. Staurace crut qu'Etienne le ferviroit volontiers en cette occafion. II le fit donc venir le foir du premier Octobre, & lui ordonna d'aller fe faiiir de Michel, & de lui crever les yeux. Etienne lui reprefent; 1'impoffibilité de 1'exécution; que MiL vj Staurace.Ann. 811. XXX1T. Michel 3 Empereur. Theoph. pi 41S,419, 43.0. Cedr. p. 482. Hifi. mifi. I. 24. Zon. t. 11, p. 125 , 126. Manaff, ' F"S' 94.  Staurace.Ann. Sn, Aut. ineen, poft. Theop. p. 428. Contin. Theoph, p, S. Glycas, p. 2S6. Jo'él. p. I78. Theod. in Vita Platonis. Eginh. annal. Annal. Franc. Regino thron. Ado chron. Herman, tontraeT. Fleury, Mft.Eeclef. 1. 45. art. 53 . J4- ] < i < i =52 Histoire chel étoit l'idole du Sénat & du peuple; fa maifon, toujours remplie d'amis , & fi avantageufement fituée , qu'il pouvoit s'y défendre contre toute violence. Staurace, convaincu par ces raifons, fe réduifit k demander Ie fecret fur la propofition qu'il venoit de^ faire. Etienne le luipromit, & fe hata d aller avertir Michel qu'il falloit régner ou périr. II court pendant toute la nuit chez le Patriarchê, chez les Sénateurs, chez les Officiers revenus de la défaite; il leur expofe la barbarie de ce malheureux Prince, qui, pret a rendre I'ame, eft encore altéré du fang de fes meilleurs fujets, & ne refpire que pour donner des ordres cruels. II les invite k fe rendre dans PHipprodrome pour proclamer Michel Empereur. Pendant ce temps-la, le Patriarchê va trouver Mi:hel; il lui fait donner par écrit une jromefTe de foutenir la foi, de pro:éger lesperfonnes confacrées k Dieu, ic de ne point répandre le fang des >thodoxe. Au point du jour, Mijhei fe rend k 1'Hippodrome, oü le iénat. & les principaux Seigneurs 1'atendoient; a fon arrivée, on le falue  du Bas-Empire. Liv. LXPI1. 253 Empereur; le Patriarchê le conduit a Sainte-Sophie; ck Fayant fait monter dans la tribune ,il lui met la couronne fur la tête au milieu des applaudiffements de tout le peuple. Dès que Staurace apprend cette nouvelle, il fe fait couper les cheveux, ck prend 1'habit monaftique des mains du Moine Siméon fon parent. Tremblant pour fa vie, il implore la protettion du Patriarchê Nicéphore. Procopia ck le nouvel Empereur vont le raffurer; ils lui proteftent qu'on aura pour lui tous les égards dus a fa naifTance, ck que 1'état ou le met fa bleffure, eft la feule caufe qui ait déterminé le Sénat a le décharger du fardeau de 1'Empire. A quoi Staurace ne répondit que par un foupir que le dépit arrachoit de fon cceur. Dix jours après, Procopia fut couronnée, ck recut le titre d'Augufte. Cette heureufe révolution changea la face de 1'Etat. L'avarice de Nicéphore, femblable a un vent brülant. avoit defféché toutes les fources dê la félicité publique. Michel ouvrit fe: immenfes tréfors pour les répandn fur la ville ck fur les Provinces, Toui Staurace.Ajin. 8si, XXXV'. GouvernementeleMichel.  Michel. Ann. Sn. •i ] < i i i s t li II c Ic h p dl XI XXXVI. Soiirdcs 254 HlSTQlRE fembloit fe ranimer, tout retentiffoit des louanges du Prince. Au moment de fon couronnement, il fit de grandes largeffes au Patriarchê, au Clergé, au Sénat, & aux gens de guerre. tl rendit les biens ufurpés, & fit une exacte recherche des injuftices de fon srédéceffeur, pour en effacer toutes es traces. Procopia partageoit les oins de fa générofité; & mefurant fes ibéralités fur les befoins, elle s'em)reffa de pourvoir k la fubfiflance des ' 'euves & des orphelins, qui venoient le perdre leurs maris & leurs peres lans la guerre des Bulgares. Théopha10 , femme de Staurace , qui avoit art de vains efforts pour la faire péir, voyant fes deffeins renverfés, etoit a regret jettée dans un monafsre ; Procopia , loin de fe venger, 1 combla de biens ; elle étendit mêie fes bienfaits fur les parents de ;tte Princeffe, que Nicéphore avoit iffé ramper dans 1'indigence; elle ur donna pour demeure une des us magnifiques maifons de la ville, )nt ils firent un monaftere, ou Stauce^fut enterré après fa mort. C'étoit la cóutume des Empereurs  du Bas-Empirb. Liv. LXFII. 255 de fignaler par quelque grace le commencement de leur regne. Léon 1'Arménien étoit exilé, ck quoiqu'il eut bien mérité une peine encore plus févere, cependant ce fut en fa faveur que Michel voulut donner des marqués de clémence. II aimoit Léon, en qui il avoit reconnu des talents fupérieurs; il le rappella donc d'exil^ le combla de hienfaits, le fit Patrice , Commandant général des troupesd'Orient, ck il 1'honora de toute fa confiance. Mais Léon étoit un ingrat, dévoré d'ambition, qui ne fe fervit de la bienveillance de fon maitre que pour s'ouvrir une voie k le fupplanter. II trouva même des fcélérats qui 1'y exciterent, ck lui offrirent leurs fervices. L'ignorance de ces temps-la donnoit un grand crédit k cette efpece de charlatans, qui, après avoir trompé le peuple, parviennent k fe tromper eux-mêmes, ck k fe croire infpirés. II y avoit a Conftantinople une femme qui paffoit pour être poffédée de 1'efprit de Python ; on en racontoit des prodiges. Toutes les fois qu'elle voyoit pafier l'Empereur Michel, elle lui crioit ; Defcende{, Michel. Ann. 811. intrigues de Léon. Cedr. p. 485 , 486. Aut. incerc, pofi'Théop, p. 428. Contin. Theoph. v* 5. 8, 14, 15. OrientaHum Synodica apud Combefis. Genefiuf,, p. 4.  MlCHEl. Ann. 8n. I - j 1 1 a F n a P ti z t; 256 HlSTOIRE Prince, defcendeV, céde^ la place d un autre. Un Prince moins patiënt que Michel auroit fait jetter dans la mer cette prophéteffe; il fe contenta de la faire enfermer. Un Moine, nommé Jean le Grammairien, homme corrompu, & grand ennemi du culte des images, connoiffant le defir de Leon, fe mit en tête de fe fervir de cette infenfée pour faire Léon tout-ala-foisEmpereur & Iconoclaffe. II fuiorne cette femme, Sc lui fait prédire jue le fucceffeur du Prince régnant era un puifTant Empereur, qui régnea trente ans avec gloire, & qui rem>ortera de grandes viöoires, pourvu eul ement qu 'il abolifTe a jamais le culte dolatre des images. Jean vient annonera Léon cette prédiéfion, dont étoit smoin avec lui un certain Nicéphore; lm amene encore un anachorete, uffi renommé pour fon efprit prohetique, Sc qui s'accordoit parfaiteïent avec la Pythoniffe. Léon, facile perfuader de ce qu'il defiroit avec afïïon, promet a Jean une haute formé ; il lui jure qu'il remplira avec ?le la condition k laquelle le Ciel at;che fa profpérité Sc fa gloire, &  su Bjs-E'mpire. Liv. LXPII. 257 qu'il ne laiflera fubfifter aucune image dans toute 1'étendue de 1'Empire. Ces fourdes pratiques ne purent être fi fecretes que Michel n'en eut quelque avis; il chargea Théodote , furnommé Caffiteras, un de fes Ecuyers, d'aller interroger la devinerefie, Sc de lui en rendre compte. Théodote, auffi fourbe que le Grammairien , après avoir entendu cette femme, rapporte a l'Empereur que ce n'eft qu'une malheureufe vifionnaire, dont les discours ne font qu'un tiffu d'extravagances, ck qui ne mérite que du mépris. Mais auffi-tot il va trouvei Léon, lui promet de le feconder dan: fes vues, & tire de lui une promefTt réciproque pour fon avancement. Cependant Léon, attendant une occa (ion favorable, redouble a 1'égard d< l'Empereur les apparences de zele ; 6 Michel prend plus de confiance qu< jamais dans fa fidélité. Affligé de la divifion qui troubloi I'Eglife de Conftantinople , Miche s'emprefla de réconcilier Théodore Platon, 1'Archeveque de Theffaloni que, ck les autres exilés avec le Pa triarche Nicéphore. L'économe Jo Michel. Ann. $11. : XXXVII. Paix réta1 blie.  MlCHEl, Ann. Sii. < 1 1 1 l d n P dj P( q« re P; fü du Pi< au: Ier ph; eet phj 258 H I s T O ƒ R E feph fut encore facrifié k Pintere! Je la reunion, il fut une feconde fois chaffe de I'Eglife. Le Patriarchê eut a hberte que le précédent Empereur ui avoit toujours refufée, d'écrire »u Pape fa lettre Synodique, & de lonner cette marqué de communion iu chef du corps épifcopal. Michel envoya en même-temps les trois Amaffadeurs, venus de la part de Char?magne du vivant de Nicéphore. II 3 fit accompagner d'un Evêque & e aeux grands Officiers, qui alle*t trouver Charles k Aix-la-Cba-^ ïlle, conclurent avec lui le traité ; paix, & le reconnurent pour Em'reur, lui donnant le même titre nis donnoient a leur maitre. A leur tour, ils pafferent k Rome, oü le pe, qui fouhaitoit que cette paix j iohde & durable,leurmitfolemUement entre les mains une copie meme traité dans 1'Eglife de Saint"«/ Ces AmbafTadeürs avoient fi ete chargés de demander k Charlagne une de fes filles pour Théorlaöe, fils aïné de Michel; mais te affaire n'eut point de fuite. Théodacte recu fe jour de Noël la cou-  du Bas-Empire. Liv. LXPI1. 259 ronne impériale des mains du Patriarchê, ck k cette occafion Michel fit de riches préfents, tant a I'Eglife qu'au Clergé de Ste. Sophie. Peu de temps après, il décora du même honneur fon fecond fils qui portoit le nom -de Staurace ; mais ce. jeune Prince mourut 1'année fuivante. L'autre Staurace, fils de Nicéphore , fe voyant prêt de mourir, s'étoit retiré dans le monaftere, oü fa femme pleuroit la perte du diadême , plus que celle de fon mari. Sa plaie, que nul remede ne put guérir, s'aigriflbit de jour en jour, ck rendoit une odeur fi infefte , que fes plus zélés domeftiques n'ofoient approcher de fon lit. Enfin , confumé par les douleurs, il rendit 1'ame le 11 Janvier de 1'année fuivante 812, ayant furvécu k fon pere cinq mois ck demi, dont il en avoit régné deux ck fept jours. La piété de l'Empereur étoit allarmée du progrès que faifoit en Armenië ck dans le refte de 1'Afie la feöe monftrueufe des Pauliciens. II tint confeil fur les moyens de les réprimer. Les uns vouloient qu'on em- MlCHEt. Ann, Sn. Ann. Si j. XXXVIII Mort de Staurace. Theoph. p, 420. Cedr. p. 4S2. Hifi. mife. i. 24. Contin. Theo. pag, Il8. XXXIX. Confultation fur les Pauliciens.  Michel. Ann. Siz. 1 J ( 4 < < C C r t; V' P P 2Ö0 H/STOIRB ployat les voies d'une douce correttion; qu'on travaillat k les éclairer plutót qua les perdre; qu'on leur lauTat le temps de revenir de leurs erreurs , & d'expier leurs défordres par la pénitence; que le Clergé préfervat les peuples du venin de 1'héréfie par de folides inftruftions & par 1'exemple d'une vie fainte & réguliere. Ils ajoutoient que I'Eglife n'a que des armes fpirituelles, & qu'elle ne peut infliger de peine capitale; qu'il tie lui eft pas même permis de deriander la mort de ceux qu'elle ne jeut convertir, paree qu'elle ne doit >asfoer de bornes a la miféricorde üvine, qui peut toujours amollir les :ceurs les plus endurcis. Les autres ipinoient k la mort; on ne pouvoit, : leur avis, trop févérement punir es hommes infames & opiniatres, ont les difcours fédufteurs , quoiue groffiers, corrompoient des Proinces entieres. On favoit par expéience , difoient-ils, que ces détefibles hérétiques ne fe convertiffoient imais ; les laifTer vivre, c'étoit exofer le falut des autres. Ils s'apuyoient fur 1'exemple d'Ananie &c  du Bas-Empire. Liv. LXV1I. 261 de Saphire, ck fur un pafTage de Saint Paul mal interprété, pour conclure que FEglife peut armer les Princes contre les Hérétiques. Le Patriarchê étoit a. la tête de eet avis, comme le dit exprelTément Théophane ; ce grave Hiftorien cenfure lui - même avec aigreur le fentiment contraire; il le traite de docfrine nouvelle , oppofée a celles des Apötres : ce qui prouve feulement qu'un zele amer méconnoit la douceur de 1'Evangile, ck qu'il voudroit s'autorifer de 1'exemple des Apötres dont les paroles ck la conduite ne refpirent qu'indulgence & humanité. L'Empereur, auffi irréfolu qu'auparavant, flottant entre ces deux avis , fit trancher la tête aux plus hardis des Pauliciens, ck épargna le rede. La défaite de Nicéphore avoit relevé le courage des Bulgares. Crum concut 1'efpérance de s'étendre en Thrace, ck vint affiéger Dévelt, ville ancienne , autrefois colonie Romaine, qui fe rendit au bout de quelques jours. La ville fut ruinée, ck les habitants tranfportés dans 1'intérieur de la Bulgarie. Pour arrêter les pro- MlCHEL. Ann, Si 2, XL. Marche inutile de Michel. Theoph. pt 420, 421. Hifi. mifi. I. 24. Zon. t. II. p. 126. Onelius,  Michel. Ann. S12. : i i t t 1 t I i l é n a <3 a: Ci n 262 HlSTOIAB grès de ces barbares, Michel fe mit en marche le 17 Juin. Procopia 1'accompagna jufqu'a Zurule, k moitié chemin entre Conftantinople & Andrinople ; c'eft aujourd'hui Ciorlo ou Zorli. Peut-être même ne 1'auroit-elle pas quitté alors, fi les murmures des foldats ne lui euffent pas Fait appréhender des fuites plus fa:heufes. Ceji donc d'une femme, diöient-ils, que nous prendrons tordre: : eji une femme qui nous rangera en baaille, & qui nous donnera le fignal: les ügles Romaines vont fe courber devant 'anouvelle Sèmiramis ; elle a droit,fans loute, de nous commander , puifqu'elle ommande a notre maitre. Ces railleies infolentes couroient de bouche nbouche; & les ennemis fecrets de 4ichel aigriffoient de plus en plus la lauvaife humeur des foldats. Onpeut xipconner que Léon étoit par fes miftaires 1'auteur caché de ces murmres. Le départ de Procopia ne les apaifa pas, & Michel comprit bien u'il ne pouvoit attendre d'une telle •mée que mutinerie & défobéiffanII prit donc le parti de retourit k Conftantinople.  du Bjs-Empire. Liv. LXFIT. 263 Cette retraite attira les Bulgares. Afïurés de ne point trouver de réfiftance , ils s'étendirent hardiment dans la Thrace & dans la Macédoine. Les garnifons & les habitants des villes n'étoient pas mieux difpofés que les foldats de 1'armée. Deux raifons produifoient ce mécontentement général en ces Provinces : elles étoient peuplées de ces malheureufes families que Nicéphore avoit arrachées du fein de leur patrie pour les tranfplanter en ces contrées. Aufli k 1'approchedes Bulgares Anchiale, Berée , Nicée , Philippopolis , Philippes, Strymon ( c'étoit Pancienne Amphipolis qui avoit pris le nom du fleuve,) demeurerent défertes. Tous les nouveaux habitants prirent la fuite pour retourner dans les pays de leur naiffance. D'ailleurs, la Thrace & la Macédoine étoient remplies d'Iconoclaftes qui regrettoient le regne de Conftantin Copronyme ; ils honoroient la mémoire de ce Prince, qu'ils appelloient le fléau des Bulgares, quoiqu'il eut été aufli fouvent vaincu que vainqueur. Ils portoient même le fanatifme jufqu'a le met.re MlCHEl. Ann. Si2, XLI. Succès des Bulgares.  Michel. Ann. Si2. XLÏT. Les IcoTxjclaftesré primes i Conftanttiiopie. i 1 ] 264 HlSTOIRE au nombre des Saints; & comme plufieurs de fes fils vivoient encore h Panorme dans la Chalcidique, oü ils traïnoient une malheureufe vieilleffe, on formoit le deffein de les enlever & de les proclamer Empereurs tout aveugles qu'ils étoient. Michel, averti de ces mouvements fecrets, fit tranfporter ces Princes dans une ifle de la Propontide, fans vouloir faire des recherches, qui 1'auroient obligé a répandre du fang contre fon inclination. Comme les Iconoclaftes de Conftantinople entroient dans ces complots, il en fit arrêter un grand nombre , qu'il fe contenta de chatier légérement. II fit couper la langue a un faux hermite qui avoit abattu publiquement une image de la Sainte Vierge en prononcant d'horribles blafphëmes. Le chef de ces furieux étoit eet importeur nommé Nicolas, dont 'ai déja fait mention; il fut arrêté par ordre de Michel; & comme ce Tiiférable témoignoit du repentir & iromettoit de faire pénitence, il obint grace de la vie; on le promena >ar toute la ville confeffant haute- ment  du Bas-Empiüe. Liv. LXV7I. 265 ment fes crimes, 6k il fut enfermé dans un monaftere. Grand nombre de Pauliciens & d'Athingans s'étoient rendusa Conftantinople, ck commencoient k infeéter le peuple de leurs erreurs ; Michel chargea Léon d'en purger la ville ; Léon s'acquitta avec fuccès de cette commiflion; ils furent pröfcrits & chaffés par édit. Le Prince fit enfuite aflembler les foldats dans le palais de Magnaure; il leur reprocha leur mutinerie & leur ïngratitude k l'égard du Prince qui les chériflbit*, ck qui ne leur avoit donné aucun légitime fujet de plainte ; il leur repréfenta le mépris qu'ils s'attiroient de la part des Bulgares, ck la honte dont ils couvroient 1'Empire; ck comme il favoit que plufieurs d'entr'eux étoient encore attachés k 1'héréfie, il juftifia le culte des images en leur expofant la doctrine de I'Eglife , 6k leur dit k ce fujet tout ce qu'un Prince doit favoir, ck que des foldats peuvent entendre. Ce difcours que la tendreffe pour fes fujets rendoit pathétique, fit fur leurs cceurs une telle impreffion, que fondant en larmes, ils de- Tome XIV. M MlCHEt. Ann. Sii.  Michel. Ann. S12. XLIII. Guerre contre les Sarafins.]^ Theoph. p. 411,42,, 416. Zon. t. 11. p. 126. Hifi. mifi. 1. 14. Gene/, p, 4, ! ] i j ] 1 1 < 1 HlSTOIRE manderent pardon de leur faute , & protefterent qu'ils étoient prêts de Ia réparer au prix de tout leur fang. Cependant l'Empereur n'ofant encore fe fier k cette ardeur pafTagere, remit a 1'année fuivante k éprouver la fincérité de leur repentir. D'ailIeurs, il avoit alors une autre guerre a foutenir en Oriënt. II y envoya Léon qu'il favoit être le plus habile de fes;Généraux, ck qu'il croyoit le plus fidele. Thébith, k la tête d'une armée de Sarafins, ravageoit 1'Afie : Léon lui livra bataille , lui tua deux mille hommes, mit le refte en fuite , ck demeura maitre des chevaux k d'un grand butin. Ce fuccès a .jpienta fa réputation : on comperoit a victoire avec 1'expédition infruc:ueufe de l'Empereur. Les Sarafins ne mrent alors prendre leur revanche. 3endant que les deux fils d'Haroun ilafchid fe difputoient la dignité de Calife , quatre Tyrans profitant de eur querelle, déchiroient leur Em)ire, ck s'étoient emparés de la Syie, de la Paleftine, de 1'Egypte ck le 1'Afrique. Ces Provinces défolées >ar les armes de tant de concurrents 3  du Bas-Empire. Lw. LXFII. '1167 étoient devenues le théatre des plus gffreux défordres : maflacres, ineendies , viols , rapines, chaque ville , chaque village éprouvoit toutes les horreurs d'une place prife de force par des barbares. Les Eglifes profanées, les monafteres détruits n'étoient plus -que les tombeaux des Chrétiens qui furent les premières victimes de ces fureurs. Ceux qui échapperent, Prêtres, Moines, Laïcs fe réfugierent dans 1'ifle de Cypre, d'oii la plupart paflerent k Conftantinople. L'Empereur & le Patriarchê hs recurent avec bonté ; ils leur donnerent pour habitation un grand monaftere, & leur fournirent de quoi fatisfaire k tous les befoins de la vie; ils envoyerent des fecours d'argent a ceux qui étoient demeurés en Cypre. Le Roi des Bulgares, maitre d'une partie de la Thrace & de la Macédoine, alla dans le mois d'Octobre rnettre le liege devant Méfembrie. Cependant comme il auroit bien voulu jouir tranquillement de 'fes \ nouvelles poffeifions, il envoya propofer la paix k l'Empereur aux mê- \ mes condltions , auxquelles elle avoit M ii MlCHEt. Kww. S12. XLIV. Propofiions du loi des ïulgares. Theoph. p, J.2I, & "eaq. 6 ibi "ambejif. 'iift. Mifi.  Michel. Ann. 812. Contin. Theo. pag. S» 9- Cedr. p. 486, 487. Zon. t. II. p. 126 , 127. 2(58 HlSTOIRE été conclue fous le regne de Théodofe III. II y ajoutoit deux articles ; premiérement qu'on lui rendit les transfuges , & il comprenoit fous ce nom les fujets de 1'Empire , qui ayant été pris dans la guerre, avoient trouvé moyen de s'échapper, & de revenir dans leur patrie ; k cette condition, il confentoit k rendre les prifonniers qu'il avoit. entre les mains. Secondement, il vouloit que les marchands Grecs qui venoient commercer en Bulgarie , fiffent en entrant dans le pays la déclaration de leurs marchandifes pour payer la taxe qui leur feroit impofée, fous peine de eonfifcation de tous leurs efFets. II faifoit dire en même-temps k l'Empereur que s'il différoit d'accepter ces conditions , les Bulgares alloient £tccager Méfembrie. L'article des tranffuges étoit le feul qui fit difHculté. II arrêra long-temps le Confeil, & caufa de grands débats. Le gouvernement étant, chez les Bulgares, févere jufqu'a la cruauté, ceux qui craignoient quelque chatiment, fe refugioient a Conftantinople, & s'y faifoient baptifer; ilsy attiroient plufieurs de leurs  du Bas-Empire. Liv. LXFIL 2.69 compatriotes; en forte que le Roi Bulgare craignoit de voir dépeupler fes Etats. On avoit recai un affez grand nombre de ces transfuges ; mais les Bulgares avoient encore un beaucoup plus grand nombre de prifonniers Grecs; &c cette raifon jointe a lacrainte d'une guerre fanglante, déterminoit l'Empereur & une partie du Confeil a opiner en faveur de 1'échange. Ils confidéroient qu'étant obligés d'opter entre le falut des Grecs prifonnias & celui des Bulgares transfuges, ils ne devoient pasbalancer; qua. la vérité les transfuges rendus aux Bulgares, ne devoient s'attendre qu'a. la mort; mais que les Grecs abandonnés a leur merci, neferoieni pas traités moins cruellement; & que dans cette égalité depéril, il falloit, comme dans un naufrage, fauver préférablement ceux qai devoient être les plus chers. Quant a ce petit nombre de Grecs échappés des prifons , en même- temps qu'on les rendroit d Crum , on pourroit lts racheter d prix dargent; & que le Roi, fatisfait fur tout le refle, ne fe rendroit pas dijficile fur eet article. De plus , en perdant quelques transfuges, on acquêroit la paix au-lieu que dans 1'autre parti, outre la M iij Michel. A.nn. 8 ii.  Michel. Ann. 812. 27a H i s t ö 1 r e perte de tant de compatriotes , on s'attiroit une guerre trh-fdcheufe dans Üétat ou fe trouvoit VEmpire. Telles étoient les raifons de ceux qui vouloient que les propofitions de Crum fuflent acceptées. Mais Théodore Studite ScThéoöifte, 1'ame de tous les Confeils, Sc que le foible Empereur n'ofoit jamais contredire, s'éleverent avec force contre eet avis : » Ne feroient-ee pas, difoient-ils\ » une infigne lacheté que de trahir » des malheureux qui font venus » chercher un afyle ? Ils y ont em» braffé la foi; ils ne font plus tranf» fuges : renouvellés par les eaux » dubaptême, Conftantinopleefide» venue leur patrie; cette ville eft » encore plus pour eux, c'eft un fanc» tuaire; ils fe font jettés entre les » bras de Jefus-Chrift même; les en » arracherons-nous , pour les livrer ►> k la cruauté d'un Roi infidele Sc »> barbare ? Et nos compatriotes, nos » freres, qui ont eu le bonheur de •> recouvrer la liberté, les punirons•> nous d'une évafion légitime ? DeI viendrons - nous leurs bourreaux * pour les trainer fous le glaive  nu Bjs-Empire. Liv. LXVTI, 271 » dont la Providence divine les a ' » fauvés ? Ne nous flattons pas de » les racheter; le Prince inhumain ne » les demande que pour fe défalté» rer de leur fang. Comment ce Roi » cruel ofe-t-il exiger de nous un » pareil facrifice? Quel eft le droit » des nations qui autorife cette bar» barie? En eft-il un exemple chez ». les peuples les plus fauvages ? Mais, »> dira-t-on, nous allons donc aban» donner nos freres prifonniers ? Eh » quoi! devons-nous donc les dé» livrer par un doublé crime? Ces » refugiés,devenusChrétiens,cesfu» jets de 1'Empire échappés des ca» chots & rendus k leur patrie, fontm ils moins nos freres ? C'eft avec le » fer qu'il faut affranchir d'efclavage » nos compatriotes. Mais fi nos ar» mes ne peuvent les délivrer, ils » mourront: mourons nous-mêmes , » fi nous ne favons plus vaincre, » plutöt que de nous déshonorer par » une lacheté aufli honteufe qu'elle m feroit criminelle ". Tous les Sénateurs fe rangerent k eet avis. Pendant ces délibérations, Crum preffoit le fiege de Méfembrie. La M iy MlCHEl. Un. 812. XLV.' Prife d« Méfembrie,  Michel. Ann, S12, Ann. 813. XIVI. L'Empereur marche contre les. Bulgares. 272 H I S T 0 I R E place étoit forte, mais la garnifdn manquoit de courage, & étoit mal fecondée par les habitants. Le déferteur Arabe dont j'ai parlé, fervoit les Bulgares avec zele, leur enfeignant la conftruftion & 1'ufage des machines propres k battre des murailles. La ville ne tint que quinze jours. Le lendemain du dernier confeil, fecond de Novembre, on apprit que les Bulgares étoient dans Méfembrie. Cette place importante par fa fituation, par fes richeffes, par les munitions de guerre qu'on y avoit amalTées comme dans un dépot affuré, étoit un des boulevards de Conftantinople. Les Bulgares y trouverent beaucoup d'or, beaucoup d'argent, & ce qui n'étoit pas moins eftimable , trente-fix tubes d'airain pour lancer le feu Grégeois , avec quantité de matieres toutes préparées. Après la prife de Méfembrie, Crum, irrité d'apprendre que fes propofitions étoient rejettées , envoya dire a l'Empereur, que puifqu'il ne vouloit point de paix, il devoit s'attendre k toutes les horreurs d'une guerre , oü 1'on n'épargneroit ni les hom-  du Bas-Empire. Liv. LXVII. a.73' mes, ni les animaux, ni les fruits de la terre, & que l'épée des Bulgares alloit faire de la Thrace un vafte défert. Sa colere ne lui permit pas d'attendre le printemps. II part dès les premiers jours de Février, portant par-tout le feu & le ravage. Quoique Michel n'eüt pas été d'avis de continuer la guerre, il ne fe laifïa pas effrayer des bravades du Roi Bulgare ; il fe mit en marche le quinze de Février, & s'avanca jufqu'a Andrinople avec ce qu'il avoit de troupes. 11 n'eut pas befoin d'aller plus loin ; un événement imprévu arrêta la fureur de Crum , & lui fit plus de mal qu'une fanglante bataille. Lc maladie fe mit dans fes troupes, & le forca de regagner fes Etats aprè: avoir perdu les deux tiers de fon ar mée. Michel revint a Conftantino ple ; & attribuant ce fuccès inefpé ré a 1'intercefTion de Taraife, pou lequel il avoit une finguliere véné ration, il alla rendre graces k Die prés de la fépulture de ce faint triarche , dont il fit couvrir le ton beau de lames d'argent du poids C elle armee : tous les chemins reteniffoient de vceux. Le peuple de :onftantinople qui fuivit l'Empereur e/pace de plufieurs lieues, étoit remü des plus heureufes efpérances. lais Procopia, qui feule vouloitigorer le mauvais effet que produt-  du Bas-Empire. Lh. LXVIL 275 foït fa préfence, fe croyant toujours néceffaire, accompagna encore 1'armée jufqu'a Héraclée. Cette Princeffe , plus hardie qu'adroite, ne cachoit pas affez 1'afcendant qu'elle avoit fur fon mari; on lui attribuoit toutes les fautes du Prince; en fe rendant odieufe , elle le rendoit méprifable. Ce fut donc a contre-temps qu'elle s'avifa de haranguer les troupes, & de leur recommander 1'honneur de 1'Empire & ia confervation de la perfonne de l'Empereur. Cetencouragement ,loin d'animer les foldats, renouvella^ les railleriesck les murmures. Lorfqu'elle fe fut retirée , la conduite de Michel n'effaca pas ces préventions peu avantageufes. Au lieu de travailler k reprendre Méfembrie, & de faire le; difpofitions néceffaires pour s'affurei du fuccès de la campagne , il demeur; campé aux portes d'Andrinople. Pei inftruit des moyens de faire fubfifte une armée , & trop foible pour main tenir la difcipline , fes foldats qu manquoient de vivres pilloient le Provinces, & caufoient plus de don mage que n'auroient fait les ennemi II ne favoit pas même choifir ceu M vj MlCHEt. Ann. 813 l l C, ï s l« X  'Michel. Ann. 813. 1 XL VIII. Impoftu- j ïe des Icoaoclaftes. ' Z i F n fi h g h 2 $7$ H ï S T 0 t R s dont il devoit prendre confeil. Des Courhfans,nourris a 1'ombre du pa» lais, & qui n'entendoient rien aux operations militaires, lui perfuadoient que 1'ennemi ne paroitroit pas de toute la campagne, & n'oferoit fe prefenter devant lui. Crum leur donna bientot le démenti t il avoit employé ce temps a recrüter fes troupes; mais malgré fes efforts, il n'avoit pu mettre fur pied qu'une armée fort inferieure en nombre k celle de l'Empereur. II vint les premiers jours de uin camper k Berfinicie, éloignée de bx heues du camp des Grecs. Cependant la ville de Conftantiïople adreffoit au Ciel les plus arlentes prieres pour la profpérité des rmes^ de l'Empereur. Le Patriarchê , la tête d'un peuple nombreux, fai)it tous les jours des proceffions aux nncipales Eglifes. La cabale des Ico* oclaftes, jointea celle des Pauliciens, >rma fecretement le complot de re;ver leur fecte par quelque prefUe éclatant , qui put en impofer a - fimplicitédu peuple, toujours prêt crier au miracie. La proceffion s'ént rendue a I'Eglife des Apötres,  du Bjs-Empire. Liv. LXPII. 277 oü Conftantin Copronyme étoit enterré, tout-a-coup fon tombeau s'ouvre avec grand bruit, ck ceux du complot s'écrient de concert : Levetoi, grand Prince, cours fecourir l'Etat pret d périr. En même-temps mille voix s'éievent: Le voici, difoient-ils, ouvre^-lui lepajfage; levoye^-vous monté fur fon cheval de bataille ; il va fondrefuries Bulgares; fuye^, barbares, devant le fauveur de 1'Empire : le peuple effrayé croit voir ce qu'il ne voit pas : chacun fe vante de 1'avoir vu, chacun va raconter ce prodige k fa familie, ck jure k ceux qui étoienl abfents la vérité de cette étrange apparition. On décrit le cavalier, k cheval, 1'habillement ck les armes, Le Préfet de la ville, moins crédule , fait arrêter ceux qui avoient ené les premiers; on les interroge ; ih proteftent que le tombeau s'eft ouvert de lui-même par un pur efFei de la puitTance divine. On prépan a leurs yeux les inftruments des tor tures. A cette vue, ils fe troublent ils" balancent dans leurs réponfes , & enfin il avouent 1'artifice. Onleur at tache au cou les leviers dont ils s'é Michel. Ann. Si3. 1  MlCKEl. Ann. 813. XLIX. Michel veut en vain éviterlecombat. t 1 £ c e r, -78 II I S T 0 1 R E roient fervis pour détacher la pierre du fepulcre ; ils font promenés ainfi par toute la ville, faifant euxmemes a haute voix 1'aveu de leur import ure ; & le peuple eut le chagnn d etre détrompé. Crum ne demeura pas long-temps A Berlimcie ; il vint camper prés dAndrinople k 1'entrée d'une plaine bordee par des hauteurs oü s'étendoit Ie camp des Grecs. Les deux armees refterent en préfence pendant quinze jours, & ne cefferentd'elTayer leurs forces par de petits combats, 011 les Grecs avoient toujours 1'avanfage Les chaleürs de 1'été qui furent ïxceffives cette année, faifoient pé•ir grand nombre d'hommes & de :hevaux; & quoique la perte fut a>eu-près égale de part & d'autre, elle ■ton plus fenfible dans le camp des üiïgares, k caufe de leur petit nom>re. Le defTein de Michel étoit de aiffer les Bulgares fe confumer peu-peu, fans en venir a une aftion enerale. Qu'eft-il befoin , difoit-il, e hvrer Une bataille , dont Pêvênement ft toujours incertain, puifque nousfom- ajjurés de détruire Cennemi fans  vu Bas-Empire. Liv. LXFIL 279 coup férir? Mais plus il témoignoit d'éloignement pour le hafard d'un combat, plus les foldats 8c les Officiers mêmes montroient d'empreffement & d'ardeur. Léon, réfolu de faire perdre la bataille, 6c de facrifier 6c l'Empereur 6c 1'armée a fon ambition, excitoit fourdement les murmures des foldats; il taxoit de timidité les délais de l'Empereur; il le preffoit, il 1'affuroit de la victoire. C'étoit, difoit-il, déshonorer 1'Empire ; c'étoit avouer hautement la fupériorité des ennemis. Aplacès, Commandant des troupes de Macédoine, guerrier fougueux , mais fidele 5c mieux intentionné que Léon , fe joignoit a lui pour demander le combat. » Jufqu'a quand, difoit-il, de» meurerons-nous a rien faire ? At» tendrons-nous que les ardeurs de la » faifon ayent fait périr jufqu'au der» nier de nos foldats ? Permettez-nous » de faire ufage de nos armes 6c de » notre courage : les forêts, les dé» filés, les lieux impratieables en1 » quelquefois favorifé les Bulgares: » ce champ de bataille eft une plar » ne découverte 6c unie, qui m \ MlCHEt. Ann. 813.  Michel. Ann. Si3. L. Bataille d'Andrinople. 1 1 £8o H I S T 0 I R E » promet 1'avantage qua la vraie va» leur. Je marcherai le premier, & » cette épée ouvrira le chemin de » la victoire. Pouvons-nous crain» dre un ennemi, qui ne fait pas » la dixieme partie de notre armée " ? Les foldats, animéspar 1'exemple de leurs Commandants, menacoient de fe jetter hórs du camp, & d'aller fans o»-dre fondre fur 1'ennemi. Michel, forcéde combattre,range en bataille fon armée. Crum en fait autant de fon cöté; inférieur dans tout le refte , il avoit 1'avantage d etre craint & eftimé de fes foldats; &C il mettoit fa confïance dans le mépris que les Grecs faifoient de leur chef. Les deux Princes courant de rang en rang encouragent leurs troupes , l'Empereur, par la honte de céder a un foible ennemi; le Roi des Bulgares, par la gloire de vaincre une jrmée plus nombreufe , mais qui romptoit plus d'hommes que de follats. Ils demeurerent enpréfence une ;randeparrie du jour, les. Grecs pofés a 1 avantage fur le penchant des :ollmes, les Bulgares dans la p'aik. C'étoit le Juin, & un loleil  du Bas-Empire. Liv. LXV1I. 281 ardent couvroit de fueur les hommes & les chevaux. Enfin, Michel donne le fignal. Aplacès qui commandoit une des ailes, a la tête des Thraces &C des Macédoniens, s'élance avec fureur fur les Bulgares, tout plie devant liii. En vain Crum, le plus brave de fon armée, volant de toutes parts, rallie les fuyards, les ramene a la charge , les anime de paroles & d'exemple; il alloit fuccomber fous les efForts d'Aplacès, lorfque Léon, voyant contre fon gré, la victoire fe déclarer pour l'Empereur , prend la fuite, ck entraine après lui les troupes Orientales qu'il commandoit. Le courage revient aux Bulgares ; les Grecs abandonnés prennent 1'épouvante; tout fuit a la fuite de Léon, dont on connoit la valeur, ck qu'on ne croit pas effrayé en vain. Aplacès s'efForce inutilement de les retenir; il meurt en combattant. Les Bulgares , étonnés de'cette fuite imprévue, dont ils ne peuvent deviner la eaufe , demeurent d'abord immobiles; ils s'imaginent que c'eft un ftratagême pour les attirer, & revenir fur eux: mais bientöt voyant les Grecs Michel. Ann. SiJ.  Michel. Ann. 813. < I 1 a d n a c LI. Léon pro- " claméEm- dl pereur. C A 282 H I $ T 0 J R B difperfés fe fauver en déïordre au travers des rochers & des vallens, ils fe mettent a la pourfuite. Les tuyards n'ofant tourner vifage démontés pour la plupart, prennent pour ennemis leurs propres efcaöronsjdont ils entendent le bruit derrière eux; ils fe preiTent, ils fe renverfent, & s'écrafent les uns les autres dans les gorges des montagnes. rous les chemins font jonchés de •afques, de cuirafTes, d'hommes &i Ie chevauxexpirants. Ceux qui échap>ent au vainqueur, fe fauvent dans bidrinople, oii Michel qui lui-mêtie ignoroit la trahifon de Léon, s'éoit retiré, n'imputant fon malheur iua lalacheté des troupes, & accalant de reproches les Officiers & :s loldats. Les Bulgares, chargés des rmes des vaincus comme d'autant e trophées, trainant après eux une tultitude de prifonniers, retournent leur camp, épuifés eux-mêmes de ïaleur & de fatigue. L'Empereur, plongé dans la plus nere douleur, reprit le chemin de onftantinople , laiffant Léon dans ndnnople avec le débris de 1'ar-  du Bas-Empire. Ltv. LXFI1. 283 mee, pour arrêter les Bulgares. Prévenu en faveur de ce perfide, qu'il avoit comblé de bienfaits, il ne le foupconnoit pas d'être caufe de la déroute, & perfonne n'ofoit 1'en inftruire. Cependant, comme il rentroit dans Conftantinople le 24 Juin, Jean Hexabule, qu'il avoit chargé du gouvernement de la ville en fon abfence, homme fage & plus hardi que les autres, lui demanda a qui il avoit laifTé le commandement des troupes; & fur la réponfe de Michel: Prince, lui dit-il , vous ne pouvie^ plus mal choijir; fi vous nien crqye^ , rappelle^ ce traitre ; il n'ejï capable que d'abufer de votre confiance. Michel juftifioit Léon, & faifoit Féloge de fa fidélité, lorfqu'il apprit que le perfide avoit foulevé l'armée. A peine Michel étoitil forti d'Andrinopïe , que Léon profitant de ce moment critique pour exécuter ce qu'il méditoit depuis longtemps , fit courrir fes émiflaires , qui trouverent les foldats difpofés a ccouter tout ce qu'on leur diroit contre Michel. C'en ejt fait de F Empire, difoient-ils , fi vous navc^ que Michel pour le foutinir. Que peut faire une uou- Michei.Ann. Si j.  MlCHEL. Ann. 813. t 1 < I i 1 F i c LH. Michel abdique c 1'Empire. F 2§4 Histoire pe de Vwns commandês par un eetf'timide ? llfuit, il va cacherfa home entre les bras de fa femme qui le gouverne , & dont nous fommes les efclaves. II nous laijfe en proie aux Bulgares vainqueurs, qui vont bientót nous arracher ce qui nous refte de vie, fi vous ne choi(ijjei un chef plus capable de vous dèfendre. Ces difcours féditieux fouleverent tous les eiprits; on s'affemble , on proclame Léon Empereur. Le rufé politique, auquel on donna dans la fuite le furnom de Chaméléon, feint de refufer la couronne ; encore incertain dufuccès, il fe méiage une excufe. Alors Michel le Be*ue, mettant la main fur la garde le fon épée Cette épée, lui dit-il, va 'ous ouvrir les portes de Conftantinople, 'r vous conduire au tróne , fi vous vous endei au vceu de Carmée; ou fe pioner dans votre fein, fivous vous obftid une folie rèfifiance. Léon n'eut as de peine a fe laiffer vaincre; il 2 met a la tête des troupes, & marhe vers Conftantinople. Son approche jette 1'épouvante; n tremble dans Pattente d'une guers civile. L'Empereur, étonné fans  ru Bas-Empire. Liv. LXni. 285 être abattu , délivre de crainte fes fujets; il avoit porté la couronne avec foibleiTe, il devint fort & généreux pour la dépofer, & jamais il ne parut plus digne du tröne que lorfqu'il voulut en defcendre. Après quelques mouvements d'indignation, qu'il ne put retenir, contre la perfidie de Léon: Je ne veux pas , dit-il, qu'il en coüte a mes fujets une goutte de fang pour me conferver CEmpire. Les Seigneurs de fa Cour, les Magiftrats de Conftantinople fe jettent a fes pieds, & le conjurent de faire ufage de leur zeIe ; ils lui proteftent qu'ils le défendront jufqu'au dernier foupir ; ils le prient feulement de ne pas s'abandonner lui-même. Procopia fur-tout met en oeuvre tout le pouvoir qu'elle a fur fon efprit; elle preffe, élle fe lamente , elle fond en larmes; elle lui repréfente qu'un Souverain ne peul fans lacheté quitter fon rang qu'avec la vie; ck par un mouvement de jaloufie qui trahiffoit fon fexe: Je ver' rai donc ma couronne, s'écrie-t-elle , fur la tête de la Barque ; c'étoit un nom injurieux qu'elle avoit coütume de donner a Théodofie, femme de Léon. MlCHEE. Ann. Si3.  Michel. Ann. S13. 0.86 HlSTOIRE &c fille du Patrice Arfaber , qui ayant conjuré contre Nicéphore, étoit depuis cinq ans confiné dans un monaftere. Ce mot que les Hiftoriens rapportent fans Pexpliquer, &quiembarraffe les critiques, me paroit fignifier que Procopia n'étoit pas perfuadée de la chafteté de Théodofie. Les cris & les larmes de l'Impératrice ne peuvent ébranler Michel; il réfifte pour la première fois aux voïontés de fa femme; il appelle le plus idele de fes domeftiques, & lui met entre les mains fon diadême, fapourjre & fa chaulTure d'écarlatte; c eoient les marqués de la dignité Impériale : AIU[ , lui dit-il , porter d léon ces ornements, & dites-lui de ma ■tart qu'il peut venir fans crainte fe lo*er dans le palais. En même-temps il é fait couper les cheveux ; & ce >on Prince, plus capable d'obéir que le commander, après avoir paru fur e tróne Impérial un an, neufmois >c neuf jours , prend 1'habit de Moi: ie qu'il auroit dü porter toute fa vie. I fe retira avec fa femme & fa faaille dans I'Eglife de Notre-Dame Lu Phare.  ■du Bas-Empire. Liv. LXVIL 287 Cependant Léon s'avancoit, fuivi de 1'armée, ckaccompagné d'une foule d'habitants, qui ayant appris la réiolution de Michel, accouroient au-devant de lui. II trouva un tribunal dreffé devant la porte dorée; ily monta, ckfut proclamé Empereur par un concert unanime du Sénat 8c du peuple. Le Patriarchê Nicéphore lui préfenta felon 1'ufage une formule de ferment, par laquelle il s'engageoit a protéger I'Eglife, a maintenir la doctrine Cathoiique, & en particulier le culte des images. II la ligna fans balancer, quoiqu'il n'eüt pas deffein d'accomplir ce qu'il promettorh II entra dans la ville le lendemain onzieme de Juillet, au milieu des acclamations du peuple; il fe tranfporta d'abord a Sainte-Sophie, ou il recut la couronne des mains du Patriarchê. On rapporte que les cheveux de Léon étoient fi rudes, que Nicéphore lui pofant la couronne fur la tête, fe fentit piquer comme par des épines; ce qui eft relevé par les plusgraves Hiftoriens de ce temps-lè, comme un fymbole de fon cara&ere dur & impitoyable, Léon marcha enfuite au Léon V. Ann. Si3. lui. Entree de Léon a Conftanti] nople.  LÉON V. Ann. 813. : j ; LIV. Traitement fait a Michel 1 3c a fa fa- 1 mille. 1 < 1 i ( I 288 HlSTOIKR palais; & s'arrêtant dans le veftibule devant une image de Jefus-Chrift pour y faire fa priere, felon la coutume des Empereurs a leur première entree, il quitta fon habit de guerre, qui étoit une cafaque rouge, courte & fans ceinture , & le mit entre les mains de Michel le Begue. Mir :hel s'en revêtit lui-même, & dans la fuite lorfqu'il prit la pourpre après ?n avoir dépouillé Léon , on fe rapjella cette frivole circonftance , comTie un préfage. On fe reffouvint en:ore que Léon montant alors les de*rés du palais, Michel avoit marché ur le bord de fa robe, & Favoit fait lencher en-arriere : tant il eft facile le trouver après coup de petits proïoftics de grands événements. Michel Rhangabé , incertain de fon brt, fe tenoit renfermé avec fa fanille dans I'Eglife de la Sainte Vier;e. Léon n'ofant le faire périr, Ie elégua dans un monaftere d'une ifle le la Propontide, ou il lui afligna ine penfion qui fut mal payée ; en orte que eet Empereur détröné & iépouillé même de fon patrimoine, tisnquoit fouvent du iréceffaire :xe qui  bu Bas-Empmz. Liv. LXF1I. 2S9 qui ne 1'empêcha pas de vivre encore trente-deux ans fous le nom d'Athanafe, dans une auftere pénitence, oublié de tout 1'Empire, mais n'ayant pas régné affez long-temps pour s'être oublié lui-même. Léon, lans le vouloir, lui rendit fa difgrace moins amere , en le féparant de fa femme. C'étoit raffranchir des reproches éternels d'une époufe hautaine & ambitieufe. Mais Michel, loin de fentir ce bon fervice, parut regretter encore ce furcroit de pénitence. Elle fut enfermée dans un monaftere qui portoit fon nom, & qu'elle avoit elle-même fondé dans Conftantinople. Michel avoit eu trois fils &c deux fïiles. Staurace, fon fecond fils, couronné en même-temps que fon ainé Théophylacte, étoit mort avant que fon pere fut détröné. Théophylafte & Nicétas, le dernier des trois, furent faits eunuques, & eurent la liberté de vivre avec leur pere, fous 1'habit monaftique. Le premier prit le nom d'Euftatius; il étoit alors dans fa vingtieme année , & furvéquit fon pere de cinq ans. L'autre, agé de quatorze ans, prit le nom d'Ignace, 6c deTome XIV. ' N LÉON V. Ann. 813.  LÉON V Ann. 813 290 HlSTOIRE, &C , vint dans la fuite Patriarchê de Conftantinople, ïl fe rendit célebre par la fainteté de fa vie & par fa fermeté dans une injufte perfécurion. II n'avoit encore que dix ans, lorfque l'Empereur Nicéphore, fon aïeul maternel , lui donna le commandement d'une troupe de la garde nouvellement établie , qu'on nommoit les Icanat&s. C'étoient des foldats choifis qui campoient jour & nuit fous des tentes autour du palais. Nicétas, prefque enfant, s'en étoit fait chérir par ion beau naturel, & refpecfer même par des talents au-deffus de fon age. Les deux filles de Michel, nommées Gorgon & Théophano , vécurent dans le cloitre avec leur mere.  SOMMAIRE LIVRE SOIXANTE-HUITIEME. l.LéoN récpmpenfe fes partifans. U. Crum devant Conftantinople. III. Ravages des Bulgares. IV. Léon couronne fion fils. V. Renouvellement du traité avec les Frangois.vi. Arcadïopolis prife par les Bulgares. vil. Mort de Crum. VIII. Ficloire de Léon fur les Bulgares. IX. 'Nouvelle défaite des Bulgares. X. Les Iconoclafies follicitent Léon i fe déclarer pour eux. xi. Nouvelle impoflure. XII. Antoine, Evêque de Syllée, fe joint aux ennemis des images. XIII. Léon tente de féduire le Patriarchê. XIV. Affemblée des Evêques Orthodoxes. XV. Premier attentat des Iconoclafies. XVI. Dêguifement d: Léon. XVII. Exil de Nicéphore. XVIir. Théodote , Patriarchê. XIX. Concile des Iconoclafies. XX. Perfécution. XXI. Gouvernement de Léon. XXII. Michel le Begue accufé & condamné, xxni. // échappe N ij  192 SOMMAIRE DU LlV. LXVIIP. au fupplice. XXTV, Confpiration contre Léon. XXV. Affaffinat de Léon. XXVI. Michel le Begue, Empereur. XXVII. C'araSsrd Michel. xxvin. Conduite de Michel a F égard des Catholiques. XXIX. Impiétéde Michel. XXX. Révolte de Thomas. XXXI. Alliance de Thomas avec les Sarafins. xxxil. Divers fuccès de Thomas. XXXm. 11 marche d Confiantinople. XXXiv. Son arrivée. xxxv. Attaque de la ville. xxxvi. Seconde attaque. XXXVII. Dêfaite de Grégoire. XXXVIII. Thomas vaincupar les Bulgares. XXXIX. 11 leve le fiege. XL. Mort de Thomas. XLS. Punition des complices. XLII. Michel écrit d Louis le Débonnaire & au Pape. XLIII. Entreprife des Sarafins fur F ifle de Crête. XLIV. Ils sj établiffent. XLV. Ils défont Farmée impériale & ackevent la conquéte de t'ifle. XLVI. Fondation de Candie. XLVII. Efforts inutiles pour le recouvrement de F ijle de Créte. XLVIII-. Expèdition d'Oryphas. XLIX. Second mariage de Michel. L. Les Sarafins s'emparent de la Sicile. LL. Suite de la concuéte. lih Mort di Michel.  293 HISTOIRE D U BASEMPIRE. LIVRE S 01XA NTE-HU1T1E ME. LÉON V , dit l!Armén ien. MICHEL II, dit le Begue. L'ambition , fource féconde de forfaits, avoit rendu Léon féditieux, ingrat & perfide; dès qu'elle fut fatisfaite, elle s'empretTa de récompenfer ceux qui 1'avoient fervie. Michel le Begue fut élevé au rang de Patrice, & revêtu de la charge de N iij LÉON V. Ann.813. i. Léon récompenfefes partifans. Theoph. p. 426, 427.  LÉON V. Ann. 813. Aut. ineen. pofi.Theop. ?■ 431 . 431.431Leo gramm, P- 445 . 446, 458. Contin. Theoph. p. 15. Symeon, p. 401 & feqq. Georgius monachus , p. 50O . 503, 530. Genefius , ?• 5- Hifi. mifc. U 24. n. Crum de▼ant Conftantinople. 294 HlSTOIRE Capitalnede la garde. Thomas, qui, des fon enfance, avoit vécu avec Léon, fut fait Commandant des troupes confédérées. Manuel avoit été attaché a. Michel Rhangabé, dont il étoit premier Ecuyer; cependant comme la valeur de eet Officier égaloit fa probité, Léon lui conféra le commandement des troupes Arméniennes, en difant: Vous voyi^ comme je me venge de vous : devie^-vous me préférer Procopia? Prince, lui fépohdit Manuel avec unè noble franchife, vous étts maintenant ce que Michel étoit alors : Ne devions-nous pas le fervir ? Six jours après que Léon eut été couronné, Crum ayant fait repofer fes troupes, & ne voyant point d'ennemi qui lui difpuiat le paffage, laiffa fon frere devant Andrinople, pour 1'afïiéger avéc une partie de fon armée, & s'avanca jufqu'aux portes de Conftantinople. La ce Prince idolatre, pour fe rendre fes dïeux favorables, fit les cérémonies ufitées dans fa religion barbare. On le vit du haut des rriurailles immoler des hommes & des animaux, fe laver les pieds au bord de la mer dont il verfoit de 1'eau  du Bas-Empire. Liv. LXF1II. 195 fur fa tête , 6c en faire 1'afperfion fur fon armée qui poulToit des cris d'allégreffe. II retourna enfuite a fa tente entre deux rangs de fes concubines, qui fe profternoient fur fon pafTage , 6c chantoient des hymnes en fon honneur. Pour affurer fon camp contre les forties, il fit tirer vin foffé depuis Ie golfe jufqu'a la Propontide , 6c le borda d'une paliffade. Pendant qu'il tenoit ainfi la ville affiégée, il fit le dégat dans les environs, 6c envoya faire a Léon des propofitions de paix avec toute la fierté d'un vainqueur &c 1'infolence d'un barbare. II demandoit un tribut annuel, 6c une grande quantité d'étoffes : car les Bulgares ne favoient pas encore mettre en oeuvre Ia laine ni la foie. II exigeoit de plus, qu'on lui livrat pour fes plaifirs un certain nombre de filles a fon choix, 6c qu'on lui permit de venir a cheval enfoncer fa lance dans la porte dorée. Léon, après avoir tenu confeil, lui fit réponfe; que pour enfoncer fa lance dans une porte de la ville, il falloit qu'il en fut maitre; que les autres propofitions avoient befoin d'une con N iv LÉON V. Ann. 813.  .Léon V. Ann. S13. 1 j < < i i i < c t i t 296 HlSTOlRB férence ; qu'elle pourroit fe tenir au bord du golfe, oii 1'on enverroit de part & d'autre cinq ou fix perfonnes lans armes avec pouvoir de conclure le^ traité. La conférence acceptée , Léon, qui fe doutoit bien que Crum peu délicat fur le point d'honneur, y viendroit en perfonne, fit cacher la nuit fuivante dans une mafure prés de la porte de Blaquernes, trois foldats armés d'arcs & de fleches, avec ordre de tirer fur le Roi Bulgare , W fignal qui leur feroit donné. Le Lendemain,Crum, accompagné de fix 3ffioers, fe rendit au lieu convenu. [1 fe préfenta fur le golfe autant de ^recs, qui, fur la parole du Roi, ortirent de leur nacelle, & s'avan:erent fur le rivage. Crum defcenht de cheval, & s'affit a terre. On :ommencoita conférer, lorfque Crum pper?ut un fignal qu'on donnoit de a ville. Frappé de défiance, il faute ur fon cheval, & prend la fuite. En :e moment, le peuple s'écrie du haut le la muraille : ViUoin d la Croix; i les foldats de Fembufcade pouruivant le Roi, le bleffent de plueurs coups, dont aucun ne fe trou-  d.v Das-Empire. Liv. LXVI1I. 297 va mortel. De ceux qui 1'accompagnoient, un fut tué, deux autres pris ck emmenés k Conftantinople. C'étoit un Grec, nommé Conftantin , avec fon fils : ce Grec avoit paffé quelqsies années auparavant chez les Bulgares , ck s'étant avancé k la Cour,, il avoit époufé la fceur de Crum , de laquelle étoit né ce fils: Théophane, qui finit icifon hiftoire, raconte cette perfidie de Léon comme une louable entreprife; il en attribue le mauvais fuccès aux péchés des Grecs, qui furent caufe, dit-il, que la Providence ne feconda pas le delTein de Léon. Cet Auteur,. moins judicieux que dévot, eft mis au nombre des Saints; mais il écrivoit fous le regne de Léon, dont il déguile les forfaits, Tant il eft difficile, même k un Saint, de fe défendre de tout ménagement timide, en écrivant 1'Hiftoire de fes maïtces. Crum, juftement irrité de ce manque de foi, détruifit par le feu tous les édifices d'alentour. Les églifes, les monafteres, les palais, furent la proie des flammes; les Bulgares briferent les colonnes . enleverent le N v LÉON V. Ann, 813. III. Ravages des Bulgates.  LÉON V. Ann, 813. i i 2<)8 HlSTOIRE plomb & les lïatues du Cirque, qui étoit hors de la ville prés de SainiMamas. Ils malTacrerent les prifonniers, égorgerent les troupeaux, dé* folerent les bords du Bofphore jufqu'au Pont-Euxin , brülerent les arfenaux, & remporterent un butin immenfe. Ils tournerent enfuite vers la Cherfbnefe de Thrace. L'incendie dévora tout ce qui fe trouvoit entre Conftantinople Sc Rhege ; le pont qui traverfoit 1'embouchure du fleuve Athyras, ouvrage renommé pour fa beauté égale a fa folidité, fut entiérement détruit. Selymbrie & Daone furent rafées. Héraclée fe fauva dé cette fureur par la fofce de fes murailles, mais ils faccagerent les environs. Ils ruinerent Rhédefte, & pafferent les habitants au fil de 1'épée, lis trouverent Panium en état de défenfe ; Sc après 1'avoir inutilement attaqué, ils remonterent jufqu'a la ville 3'Apres, qu'ils détruifirent ainfi que es autres de cette contrée. Entre ^pres Sc Gane, lituée au bord de Ia 'ropontide , s'élevoit une chaine de nontagnes , ou s'étoient retirés tous es peuples voilins avec leurs trou-  du Bjs-Empire. Liv. LXFIII. 299 péaux : les Bulgares y pénétrerent, tuerent les hommes, enleverent les femmes, les enfants 6c le bétail. Ils entrerent enfuite dans la Cherfonefe qu'ils ravagerent jufque vis-a-vis d'Abyde. Rafiafliés de carnage 6c de burin , ils regagnerent 1'embouchure de lTiebre , qu'ils remonterent jufqu'a Andrinople, défolant tout fur leur paffage. Crum, fe joignant a fon frere , qui tenoit cette place affiégée , ne cefïa, pendant plufieurs jours, de faire agir toutes fes machines. Enfin , les habitants manquant devivres, & n'efpérant aucun fecours, furent obb gés de fe rendre. La ville fut pïllée. 6c le peuple réduit en efclavage. C'étoit , après Conftantinople, la vdl< la plus grande & la plus peuplée de 1'Empire. Les prifonniers, au nombn de douze mille, fans compter les fem mes , furent tranfportés au-dela di Danube. Léon , affligé de tous ces ravage que fa perfidie avoit attirés, n'étoi pas en état de s'y oppofer. II levoi des troupes en Afie, 6c les affembloi a Conftantinople. En attendant qu' eut formé une nouvelle armée, N vj LÉON V. Ann. Si j. L 5 _ IV. t Léon couronne ton t i il .  Léon V. Ann, 813. V, Renou"velleinent du traité 3vec les ïranjois. ; Annal. Fran. , Thegan de 1 feflis Lud. 1 Chron. de ] St. Denys. . Eginh. an- ' nal. I Chron, 1 Sax. Slgeb. I thron. 30Ö HlSTOI&E s'occupoit du fbin d'afFermir fa ptiiffance, & de la perpétuer dans fa poftérité. ^ II avoit un fils déja grand , nommé Symbate; il lui conféra le titre d'Augufte, & le couronna aux fêtes de Noël, changeant fon nom en celui de Conftantin , pour imiter Léon Plfaurien, qui avoit donné le même nom a fon fils. C'étoit ce Prince qu'il fe propofoit pour modele; il n'attendoit que la fin de la guerre des Bulgares , pour commeneer celle qu'il méditoit contre I'Eglife , & qui devoit, felon la prédidion de fes devins , lui procuref une longue profpérité. Depuis le regne d'Irene, les Empereurs Grecs n'avoient ceffé d'enïretenir correfpondance avec Charlenagne par des ambaffades mutuelles. Lorfque Léon monta fur le tröne , 1 trouva k la Cour Amalharius, Ar:hevêque deTreves, & Pierre, Ab)é de Nonantule , que l'Empereur 7rancois avoit députés k Michel Rhan;abé. En les congédiant, Léon fit >artir avec eux Chriftophe, fon prenier Ecuyer, & le Diacre Grégoire, our demander a Charlemagne du  du Bas-Empire. Uw. LXFIII. 301 fecours cqntre les Bulgares. Mais ce Prince étoit mort le 18 Janvier. Louis le Débonnaire les reeut avec honneur ; il leur donna libre accès auprès de fa perfonne, tant qu'ils furent k la Cour, 6c leur fit, k leur départ, des préfents confidérables , tant pour eux que pour leur maitre. Ils furent conduits 6c défrayés honorablement jufqu'a la fronfiere. Ils étoient accompagnés deNorbert, Evêque de Rhege, 6c de Ricoin, Comte de Poitiers, chargés de demander k Léon la continuation de 1'ancienne amitié, Sc la confirmation des traités précédents. Comme 1'hyver de cette année étoit doux Sc ferein, 6c que les rivieres n'étoient pas grofïies par les pluies , les Bulgares ne demeurerent point oififs. Un corps de trente mille cavaliers traverfa la Thrace , 6c ayant paffé le fleuve Rhigias, nommé aufli Bithyas, ils attaquerent Arcadiopolis , ville riche 6c peuplée , fituée fur la rive gauche du fleuve, environ a trente lieues de Conftantinople. Ils la prirent 6c mirent aux fers tous les habitants. Ils fe préparoient LÉON v. Ann. S13. Du Cange fam. By-{, p. 130. VT. Arcadia» polis prife par les Bulgares» Czd. p* 487, 505Zon. t. II. p. 129. Autor ineert. poft. Theoph. p. 434> 435» Contin. Theo. p. 15 t 16, 39-  Léon V. Ann. 813. Simeon , P- 409 . 410, 411. Gencfius, r- 5.7,11- Ann. 814. VIL Mort de Crum. 302 HlSTOI&E k partir, lorfqu'une pluie abondante qui dura huit jours, fit déborder le fleuve, & leur ferma entiérement le paflage. Ils demeurerent quinze jours dans leur camp, afïiégés par leseaux. C'étoit pour Léon une occafion de profiter de leur embarras, & de délivrer les pfifonniers qui 1'appelloient a leur fecours. Mais fes troupes n'étant pas encore raffemblées , il ne put fortir de Conftantinople. Enfin, le fleuve étant rentré dans fon lit, les prifonniers furent employés k couper le bois néceflaire pour y jetter un pont. Ils étoient au nombre de cinquante mille , ck furent tranfportés en Bulgarie avec leurs effets ck leurs troupeaux. Cette courfe n'étoit que le prélude d'une expédition plus importante. Crum, réfolu de périr ou de prendre Conftantinople, ck de fe venger fur l'Empereur même de fa perfidie, avoit mis fous les armes tout ce qu'il avoit de fujets en état de combattre, Bulgares, Abares, Efclavons. II avoit fait conftruire un nombre infini de toutes les efpeces de machines deftinées a la ruine des villes.  nu Bjs-Empire. Liv. LXVIII. 303 & pour les tranfporter, on avoit préparé cinq mille chariots, & raffemblé dix mille bceufs. A la nouvelle d'un fi formidable appareil, Léon envoya des efpions fur les lieux ; il apprit que les efforts du Roi Bulgare étoient encore au-deffus de ce que publioit la renommée, & qu'il^ avoit deflein d'attaquer la ville du cöté dé Blaquernes, paree que c'étoit le lieu oü il avoit couru rifque de la vie. Comme eet endroit étoit le plus foible de la ville, n'étant défendu que d'une fimple muraille , Léon y fit élever un fecond mur, & creufer un large fofle revêtu d'une paliffade. Cet ouvrage n'étoit pas encore achevé, lorfqu'un accident imprévu le rendit inutile, & délivra de crainte l'Empereur & fa capitale. Crum, au milieu des grands mouvements qu'il fe donnoit pour cette entreprife éclatante , mourut le 13 AVril, rendant le fang par la bouche, par les narines & par les oreilles. Un événement fi intéreffant pour 1'Empire, méritoit bien d'être relevé par quelque miracle. Le bruit fe répandit qu'au moment même qtie Crum expiroit, LÉON V. Ann. 814.  LÉON V Ann. 814 vul Viftoirf de Léor fur les Bulgares. 304 HlSTOIRE • vers les quatre heures'du matin ^ philieurs navigateurs, qui rangeoient alors la cöte de Bulgarie fur le PontEuxin, avoient entendu une voix du Ciel qui leur annoncoit la mort de ce Prince. . L'Empereur, perfuadé que eet accident auroit déconcerté les projets des ennemis, leur envoya faire des propofitions d'accommodement. Mais le nouveau Roi, nommé Deucom, les rejetta avec hauteur, &c déclara qu'il n'étoit pas moins déterminé a venger fon prédécelTeur, que Crum ne 1'avoit été k fe venger lui-même. II fallut donc en venir k une guerre qui devoit étre fanglante. Les deux Princes marcherent avec toutes leurs forces, & fe rencontrerent prés de Méfembrie. Les Bulgares, impatients de combattre, animés de la même indignation que leur Roi , livrent auffi-töt la bataille. Rien ne réfifte k leur fougue impétueufe. Les Grecs, attaqués par autant de bêtes féroces, prennent 1'éponvante, & fuyent; les Bulgares les preffent 1'épée dans les reins, & en font un grand carnage. Léon s'étoit pofié ayec une réferve  du Bas-Empiile. L'w. LXFII1. 305 fur une éminence voiiine , d'oii il envoyoit fes ordres. Dès qu'il vit que la pourfuite avoit mis 1'ennemi en défordre : Camarades, dit-il a fes gens , vcici le moment de la victoire; arrachons-la aux ennemis ; elle ejl d vous ,Ji vous ave\ le courage de me juivre. En même-temps, il defeend de 1'éminence avec la rapidité de la foudre; il charge en flanc, & perce 1'armée ennemie. Les fuyards tournent vifage , & reviennent fur ceux qui les pourfuivoient; les Bulgares ne peuvent fe remettre en ordre ; ils tombent, ils fe renverfent les uns fur les autres. Le Roi, abattu de cheval, alloit perdre la vie, s'il n'eüt été remonté affez promptement pour prendre la fuite. II y en eut un grand nombre de tués , plus encore de faits prifonniers. L'Empereur rentra en triomphe dans Conftantinople, rapportant les dépouilles des vaincus. - L'année fuivante , les Bulgares reprirent courage, & fe mirent de nouveau en campagne. Léon ne tarda pas a marcher a leur rencontre. Lorfqu'il fut en préfence des ennemis, affeftant une apparence de crainte, LÉON V. A.wn. Si4. Ann. Si 5. IX. Nouvelle défaite des Bulgares.  LÉON V. Ann. Si 5. %q6 HIST0I3.E pour augmenter leur confiance, il en> vironne fon camp d'une forte palilTadë, & refte plufieurs jours comme enfeveli dans de profonds rerranchements. II recevoit des vivres en liberté par fes derrières, & 1'abondance régnoit dans fon camp. Les Bulgares, au contraire, campés fur le terrein de 1'Empire, ne trouvoient de fubfiftances qu'avec peine. Voyant que les Grecs ne fortoient pas de leur camp , ils prennent le parti de les attaquer. Léon, bien fervi par fes efpions, ayant appris leur réfolution , prend avec lui un corps de fes meilleures troupes ; &c fans communiquer fon deffein a perfonne qu'a un Officier de confiance, qu'il laiffoit pour commander en fon abfence, il part de nuit, & va fe pofier derrière une hauteur yoifine. Le lendemain, le bruit fe répand dans le camp que 1'Empereur a pris la fuite, & le Commandant a bien de la peine a obtenir des foldats qu'ils attendent feulement un jour. Les transfuges portent cette nouvelle dans le camp ennemi. Les Bulgares font leurs préparatifs pour attaquer le lendemain, & fe  nu Bas-Empire. Liv. LXV1II. 307 promettent une victoire affurée. La nuit fuivante, perfuadés que l'Empereur étoit déja bien loin , ils dormoient tranquillement, lorfque Léon, defcendant fans bruit de la hauteur, pénetre dans leur canlp, les furprend dans leurs Hts, fait venir le refte de fon armée, qui n'a que la peine de mallacrer les fuyards. Pas un feul ri'échappa du carnage. Le nouveau. Roi ne fut pas lui-même épargné. Léon fe jetta enfuite dans la Bulgarie , & les Grecs rendirent aux Bulgares les cfuautés qu'ils en avoient éprouvées. On paffa au fil de 1'épée ceux qui étoient en age de porter les armes; les femmes furent trainées en efclavage; & par un excès de ragé, on vit des foldats arracher de leut fein les enfahts qu'elles aUaitoient, & les écrafer contre les pierres. Cette cruelle expédition faifoit encore trembler les Bulgares cinquante an< après; ils donnerent le nom de colline de Léon a cette hauteur derrien laquelle l'Empereur s'étoit tenu caché; & c'étoit pour eux un monit ment funefte, a la vue duquel ils n< pouvoient paffer fans frémif. Mor LÉON V. Ann. S15.  LÉON V. Ann. Si ; X. Les Iconoclaftesfoliicicent * Léon a fe i déclarer pour eux. 1 Cedr. p. j 536. , Zon. t. 11, c p. 129 & C fal- { Aut. incert. poft. Theo- £ Vh-P- 435 a & feqg. Leogramm. p. 446 , t 447. 308 HlSTOIRE tagon, qui fut peu après Roi des Bulgares, convint avec Léon d'une treve de trente ans; & dans le ferment, par lequel les deux Princes confirmerent le traité, un Hifforien remarque de la part de Léon une bizarrerie qui n'étoit pas exempte d'impiété; il jura par les Dieux des Bulgares, & il exigea de Mortagon qu'il prit a témoin Je fa bonne foi le Dieu des Chrétiens. Mais le fouvenir d'un fi funefte dé"aftre fit fur les Bulgares un effet plus lurable que tous les ferments : ils deneurerent en paix ibixante-quatorze ins. De fi brillants fuccès enflerent le :ceur de Léon. II envoya dans toutes es Provinces de 1'Empire une lettre >leine de vanité, dans laquelle, fans endre aucun hommage au fouverain bbitre öes vitfoires, il attribuoit la ienne a la fageffe de fa conduite, & la force de fon bras. Vainqueur de es formidables ennemis , auxquels es deux prédéceffeurs avoient fucombé, il fe crut affez puiffant pour ttaquer I'Eglife, & pour anéantir n culte confacré par. un ufage imïémorial, & confirmé depuis vingt-  bu Bas-Eépire. Liv. LXF1IL 309 huit ans par un Concile écuménique. II fe fouvint de Ia prétendue PythonilTe, & de eet Anachorete importeur qui lui avoit promis un regne long & glorieux , s'il détruifoit les images. II étoit environné de courtifans ignorants & fans religion, qui flattoient fon penchant a 1'héréne. Les chefs de cette troupe corrompue étoient Jean le Grammairien & Théodote Cafliteras. Le premier, nommé aulli Hy lilas, étoit de la familie des Morocharzemes, une des plus illuftres de la ville de Conftantinople. Ayant pris 1'habit de Moine clans fa première jeuneffe, il devint Abbé du monaftere de Saint-Serge & de Saint-Bacque attaché au palais, & dont les Moines faifoient partie du Clérgé Impérial. II afFeftoit un extérieur dé^ vot & contemplatif. Un jour qu'il afïïftoit a I'ofHce a cöté de l'Empereur , comme on lifoit ces paroles du quarantieme chapitre d'Ifaïe : Sous quelle image figurere^-votts le Tout-Puiffant ? La main de l'ouvrierpourra-t-elle le repréfenter avec tor & Vargent ? S'approchant de 1'oreille du Prince, il lui dit en foupirant ; Entende^-vous, LÉ0N v. Ann. 815. Contin. Theo. p. 16 & feqq. 96. Simeon , p. 402 & Ceqq- 43°- Georg. p. ■jOl&feqq. Manaff. p. 95- Glycas, p. 287. Joel. pm 178. Genef. p, 6, 7. § , 12. Vita Theodori Grapti apud Surium. 26 Déc. Vita lgnatii. 'Vita Nicephori apud Bolland. 13 Martii. Vita Theodori Studi* ta. Vila Nicolai Studitx. Du Cange fam. Byr. p. 173."  LÉON' V. Ann. Si J. Oriens Chrifi. l.J. p. 241 , 242, 243. FUury , hifi.EccUf. 1. 46. ar,. 11 Cf fuiv. 310 HlSTOlRE Seigneur, les paroles du Prophete? c'efl un avis qu'il vous donne. Cet hypocrite , pour fe faire un nom parmi le peuple imbécille, fe donnoit pour un devin du premier Qrdre , & prétendoit découvrir les fecrets du paffe & de 1'avenir par le moyen d'un baffin d 'airain; efpece de divination encore plus extravagante que les autres; ce qui lui fit donner le furnom de Lecunomante. Michel le Begue, le plus ignorant de tous les hommes, charmé de fon grand favoir, 1'engagea k fe charger de 1'éducation de fon fils Théophile, qui fut depuis Empereur, & ce charlatan corrompu fe trouva bien plus capable de communiquer a fon éleve le venin de l'héréfie que ïa connoiffance des lettres. Théodote Cafïiteras étoit de la familie des Meliffenes, déja diftinguée fous Conftantin Copronyme , qui la rendit illuftre en épo.ufant en troifiemes noces Eudocie, fceur du Patrice Michel Méliffene. Cette familie a furvécu a la ruine de Conftantinople, &c fubCiftoit encore avec éclat dans le der,nier fiecle. Théodote, fils de Michel, 5c neveu d'Eudocie, étoit prêt k tout  nu Bjs-Empire. Liv. LXFIIL 311 facrifier a la fortune : il fe lia d'amitié avec Jean Lécanomante; tous deux s'étoient déja vendus a Léon avant même qu'il fut Empereur. Dans les converfations que ce Prince avoit avec eux, ils lui répétoient fans ceffe, que les infideles n'avoient fi fouvent 1'avantage fur les Chrétiens, que par un effet de Ja colere de Dieu, qui punilToit les Grecs tombés dans l'idolatrie; qu'il falloit profcrire ce culte facrilege que la fuperftition rendoit aux images. II faifoit un paralIele de Léon 1'Ifaurien & de Coprony me avec leurs fuccefleurs: Imite^ les premiers, lui difoient-ils, & Dieu vous fera régner long-temps avec gloire; votre fils fera comblé de bénédiclions, qui sétendront fur vos defcendants jufqu'a la tinquieme génération. Animé par ces difcours féducfeurs, Léon recut encore un coup d'aiguillon qui acheva de le précipiter. Voulant récompenfer ce faux Anachorete qui lui avoit prédit 1'Empire, il lui envoya des préfents. L'Anachorete étoit mort, & un autre impofteur de même caraftere, nommé Sabbatius, s'étoit établi dans fa celluie LÉON V. Ann. 815. XI. Impofture de Théodote.  LÉON V. Ann. 815. I 1 3ia HlSTOIRE pour jouer le même röie. Sabbatius rebute avec dédain les préfents de Léon : Va lui déclarer di ma pan , ditil au meffager, que je ne regois rien d'un idolatt e; il mourra bientót, puifqu'il foujfre qu'on adore les objets d'un culte fuperjlitieux , & qu'il fuit les traces de la panthere & du flèau de I'Eglife. C'étoit l'Impératrice Irene & le Patriarchê Taraife que ce méchant homme défignoit par ces noms injurieux. Léon, furpris d'une li brufque réprimande , s'en plaint a un homme de néant, nommé Balile, qui s'étoit in(inué dans fa faveur, & qui s'entendoit avec la cabale Iconoclafte. Balile, pour le calmer, lui propofe de s'adreffer a un Moine dont il lui fait 1'éloge le plus emphatique; c'étoit, lifoit-il, un ange fous la forme hu*> naine, le confident du Très-haut; "es lumieres étoient furnaturelles, & les prédiftions infaillibles. II confeille ï l'Empereur de confulter eet oracle, ic de fe conformer a fes décilions. l^orfqu'il voit l'Empereur déterminé i 1'aller trouver fecretement la nuit 'uivante, fous un habillement qui le endroit méconnoiffable, il prend les devants,  nu Bas-Empirë. Lïv. LXVÏII. 313 devants, court a la celluie du Moine, 1'avertit de la vilite & du déguifement de l'Empereur, & lui fait la lecon fur ce qu'il doit dire. Dès que la nuit eft venue, l'Empereur fe dérobe k fa Cour, & fe tranfporte k la demeure du Moine. II n'étoit accompagné que de Bafde, chargé de confulter en fa préfence le prétendu Saint fur lé culte des images. Le Moine, au-lieu de répondre au courtifan, envifageant fixement l'Empereur : » Prince, lui dit-il, vous faites » un perfonnage bien indigne de vo» tre majefté, de la cacher fous eet » habit pour en impofer k un pau» vre pécheur. Mais celui qui voit » tout m'a ouvert les yeux pour vous » reconnoitre. Ecoutez ce qu'il vous » déclare par ma bouche. Si vous » marchezfur les traces deLéonl'Ifau>> rien, vousrégnerezfoixante-douze »> ans, avec la paix au-dedans, & la » victoire au-dehors. Vous ferez le » treizieme Apötre, & vous verrez » les enfants de vos enfants affis k » cöté de vous fur le tröne. Si vous » vous écartez de 1'exemple de ce » grand Prince, attendez-vous aux Tome XIV. O LÉON. V. Vnn. 81J.  LÉON V. Ann. 815. XII. Antoine, Evêque deSyllée, fe joint aux ennemis des images. 314 UlSTOlRE » plus grands malheurs, & a une' » mort prématurée ". Léon, frappé de ces paroles, & perfuadé que eet homme divin n'avoit pu le reconnoitre que par révélation , promet d'obéir aux ordres du Ciel, & s'en retourne embrafé de fanatifme. Dés qu'il fut rentré dans le palais, il manda Jean Lécanomante , & lui promit de le faire Patriarchê de Conftantinople , s'il le fecondoit avec zele. Jean, niuni d'un ordre du Prince qui lui ouvroit toutes les bibliotheques, va fouiller avec une troupe d'ignorants dans celles des Eglifes & des monafteres, pour y chercher des autorités contre les images. Après avoir feuilleté fans fuccès toute 1'antiquité ecclé/ïafiique , ils tombent enfin fur les aftes du Concile tenu fous Conftantin Copronyme; ils y trouvent les endroits des Peres, dont les Prélats de ce conciliabule avoient abufé pour autorifer 1'erreur. Armés de ces paffages, ils fe croient affez forts pour combattre les Orthodoxes. Ils brülent tout ce qui leur tombe fous les mains de livres contraires k leur deffein. Mais il leur falloit un chef qui fut  du B/is-Empire. L'tv. LXniI. 315 par fa dignité, autant que par fa hardieffe, en état de réfifter au Patriarchê. Ils jettent les yeux fur 1'Evêque de Syllée. C'étoit Conftantin Cazamate , fils d'un Prêtre , qui, ayant été interdit pour fes mauvaifes mceurs, s'étoit trouvé réduit a faire le métier de cordonnier. Conftantin, né avec beaucoup d'efprit ck de goüt pour les lettres, devint d'abord profelfeur de grammaire; ck s'étant enfuite abandonné a 1'étude du droit, il en fit des lecons publiques. Mais aufïi diffolu que fon pere, il fut obligé de fe retirer dans un cloitre, pour éviter le chatiment que méritoient fes débauches. II prit le nom d'Antoine, ck a force d'intrigues, il fe fit nommer Abbé d'un célebre monaftere. II avoit de merveilleux talents pour réuffir k la Cour, & il fut en faire ufage. Souple, enjoué, conteur agréable, grand joueur, complaifant,ck toujours prêt k fervir les autres dans leurs galanteries, il avoit tout le frivole du courtifan; mais il en avoit aufli les qualités folides; il favoit mentir a propos, promettre fans deffein de tenir, fupplanter fes rivaux, aiguifer O ij Léon V. Ann. 81 j.  LÉON V. Ann. Si5. xm. Léon tente de féduire le Patriarchê. 316 H I S T O 1 R E le trait d'une calomnie, changer de foi & de croyance en un inftant felon les conjonöures; Orthodoxe fous Irene, Nicéphore & Michel, il devint Iconoclafte dès le premier jour que Léon monta fur le tröne. Comme fes vices étoient k la mode, au-lieu d'être enfermé comme il 1'auroit été en un autre fiecle, il parvint k 1'Evêché de Syllée. Jean Lécanomante ne pouvoit mettre a la tête de la cabale hérétique un chef plus capable de la faire triompher, & ce fut par fon confeil que Léon fit venir Antoine k la Cour. Antoine, qui s'ennuyoit de voir fes talents enfevelis dans un dioeefe obfcur & éloigné, accourt avec emprelTement au centre de la fortune ; il promet a Léon plus que le Prince ne lui demande, & Léon a fon tour lui fait efpérer les plus flatteufes récompenfes. Quoique Léon connüt aiTez la fermeté du Patriarchê, il tenta cependant de le féduire. L'ayant fait venir au palais: » Le peuple, lui dit-il, efi » fcandalifé du culte des images; il » le taxe d'idolatrie, & fe perfuade » que tant d'avantages remportés fur  du Bas-Empire. Liv. LXFIII. 317 » nous par les barbares fous les re» gnes précédents, font autant de » chatiments du Gel. Prêtez-vous k » ce fcrupule ; abandonnez une pra» tique qui ne peut être effentielle a » la Religion, n'étant recommandée » en aucun lieu de la Sainte-Ecritu» re, oü elle paroït même profcrite. » Je ne fuis pas Théologien; mais je" » fuis Empereur, & je dois travail» Ier k réunir les efprits, dont la di» vifion peut jetter le trouble dans y> 1'Etat ". Le Patriarchê lui répondit, que le culte des images étoit appuyè fur la tradition; & que la tradition étoit aufjl-bitn que CEcriture-Sainte le fondement de la doctrine catholique; que la vénération de la croix & du livre des Evangiles n étoit nullt part recommandée dans tEcriture , & quelle étoit cependant adoptée par les ennemis mêmes du culte des images ; qu'a f''égard des dogmes, ce qui en caractérifoit la verité, n'étoit pas qu'ils fujfent écrits ; que les livres faints ne difoient pas tout, & que la doctrine recue généralement par FEglife dans tous les temps & dans tous les lieux , étoit infpirée par le SaintEfprit autant que la Sainte-Ecriture elk' O iij Léon V. Ann. 81 j.  Léon V, Ann. Sis, i 3 31§ H I S T O I K E même. Nous avons encore eette converfation du Patriarchê & de l'Empereur, dans laquelle Nicéphore fait voir combien la doctrine de I'Eglife fur les images eft éloignée de 1'idolatrie. L'Empereur le congédia en lui propofant de conférer avec Jean Sc fes adhérents, qui avoient trouvé, difoit-il, dans les écrits des anciens des preuves de leur opinion tout-afajt inconteftable, Sc capables de le défabufer. Nicéphore, qui ne favoit pas encore a quel point l'Empereur étoit prévenu , crut vaincre fon opiniatreté en lui envoyant les plus éclairés des Evêques & des Abbés pour lui expofer la doftrine de I'Eglife. Léon les ayant écoutés quelque temps avec impatience, les interrompit pour leur faire la même propofition qua Nicéphore; c'étoit d'entrer en conférence avec les Iconoclafies. Ils réaondirent que la queflion ayant déja été décidée par un Concile écumélique, il n'étoit plus permis de la nettre en difpute. Sur quoi Léon, dein de colere : Sorte{ efici, leur dit1, troupe indocile & aveugle, qui refufe^ ia lumiere qu'on vous préfente ; je faurai  nu Bas-Empire. Liv. LXVTIL 319 bien me faire obèir. II prononca ces paroles menacantes d'un ton ck d'un air propres ajetter 1'efFroi dans les cceurs. Car Léon, quoique de petite taille, avoit une voix de tonnerre, ck les traits de fon vifage, d'ailleurs affez bien proportionnés, portoient je ne fais quoi de féroce ck de terrible. Ces Prélats, tremblants fans être abattus, allerent répandre leurs craintes ck leur douleur dans le fein du Patriarchê. Nicéphore, ayant appris qu'Antoine de Syllée étoit a la tête du parti Iconoclafte, le fit venir pour s'en afliirer. Antoine, aufli fourbe qu'impie, nia le fait en préfence de plufieurs Métropolitains, donna par écrit fa profeffion de foi en faveur des images, ck prononca anathême aux Iconoclafies. Comme l'Empereur enfuite lui en faifoit des reproches, 1'r'mce, lui dit-il en riant, je n'ai de parole que pour mon Empereur; le rejle n'ejl qu'un jeu. Tai dit d ces gens-la ce qu'ils ont voulu , pour vous donner plus de facilité de faire ce que vous voudre^. L'Empereur, irrité de la réfiftance de Nicéphore, réfolut de le faire c-ondamner dans un Concile. Comme O iv LÉON V. Ann, Si;. XIV. Affemjlée des Evêques  Léon V. Ann. 81 J. Orthodoxes» 320 HlSTOlRz I'Eglife paroifToit être dans 11 n état de crife, prefque tous les Evêques d'Orient & de Thrace s'étoient rendus a Conftantinople, les uns pour faire leur cour a 1'Empereur en attaquant le culte des images, les autres pour le défendre, au rifqued'encourir la difgracede l'Empereur. Jean Lécanomante , fok par lui-même, foit par fes émilTaires, fondoit leurs difpofitions , & plufieurs qui donnoient fujet de défiance furent enfermés dans des cachots, oü on leur fourniffoit k peine de quoi vivre. II en reftoit cependant encore un alTez grand nombre, réfolus de tout fouffrir plutöt que de trahir leur confcience. Nicéphore les affembla dans fon palais avec les Abbés Orthodoxes; ils s'y trouverent au nombre de deux cents foixante-dix. Après les avoir exhortés k foutenir avec conftance 1'orage dont ils étoient menacés , le foir étant venu, il les conauifit a Sainte-Sophie, oü ils pafferent la nuit en prieres. On croit que :e fut en cette occafion que Nicéphore prononca la fentence d'excommmication contre Antoine de Syl-  du Bas-Empire. Lh. LXFIII. 321 lée, dont il avoit reconnu la mauvaife foi. A cette nouvelle, l'Empereur envoyé ordre au Patriarchê de venir au palais pour rendre compte de fa conduite. II y vint au point du jour , fuivi de toute 1'affemblée. Léon fait d'abord entrer le Patriarchê feul; il lui reproche de faire le röle d'un chef de fédition ; il infifte fur le fcandale des images, & Fexhorte encore k une conférence avec ceux de 1'autre parti. Nicéphore lui répond avec une modefte fermeté; il juftifie les intentions des Orthodoxes; il lui développe encore la doctrine de I'Eglife ; enfin , il refufe d'entrer en difpute avec des hérétiques convaincus & authentiquement condamnés. Alors l'Empereur fit entrer le refte de 1'afTemblée , & en même-temps tous les Iconoclafies de Ia Cour , les Grands, les Sénateurs , les Officiers 1'épée nue. C'étoiertt deux armées rangées en bataille, entre lefquelles paroiffoit l'Empereur environné de fes gardes. D'un cöté, brilloient les épées & toute la terreur de 1'autorité fouveraine; de 1'autre, nulle défenfe que dans des armes invifibles, O v LÉON V. Ann. Si y.  LÉON V, Ann, §22 27 1 S T 0 1 R 3 mais plus fortes que toute la puiffance temporelle. Cependant les Orthodoxes refuferent le combat; non pas qu'ils fe défiaflent de leur force, comme le leur reprochoit l'Empereur ; mais paree que 1'arbitre de la victoire étant ouvertement déclaré contr'eux, c'étoit expofer 1'honneur de la vérité, que d'en entreprendre la défenfe. Plufieurs Evêques fe fignalerent alors par la liberté avec laquelle ils reprocherent a l'Empereur fon injufte partialité. Mais perfonne ne paria avec autant de hardielTe que Théodore Studite. Seigneur , dit-il, ne troubte^ pas Fordre êtabli de Dieu même ; il vous a confiè le foin de FEtat & des armèes ; il a donné aux Pajleurs le gouvernement de FEglife. UApótre Saint Paul, dans la de/script ion de la hiërarchie Eccléfiaflique, ne nomme pas les Empereurs. Léon les chaffa de fa préfence, avec défenfe de paroïtre jamais devant lui; & lorfqu'ils fe furent retirés, il leur fit dire par le Préfet de Conftantinople, qu'ils eulfent k fe tenir renfermés chez eux, fans avoir enfemble aucun commerce, 6k fans ouvrir la bouche  du Bjs-Empire. Liv. LXFIIL 323 fur la difpute préfente. Mais Théodore Studite, d'un caraftere vif & ardent, loin d'obéir a eet ordre , fe crut obligé de redoubler fes inftances pour afFermir le Patriarchê & les autres Prélats. \ Les Iconoclafies ne fe donnoient pas moins de mouvements pour animer l'Empereur, & le porter aux extrêmités. Sur la porte du palais , nommée la porte d'airain , s'élevoit une figure de Jefus-Chrift, avec cette infeription : Léon, devenu Empereur, a fait abattre cette image; Irene Va re. tablie. Une troupe de foldats excitéi fecretement par Antoine & par Jear Lécanomante, va la couvrir de boue & 1'infulter a coups de pierres, vo miffant d'horribles blafphêmes. L'Em pereur , qui avoit lui-même confenl a eet attentat, fe tranfporte fur 1 lieu, comme s'il en eut été irrité & s'adreffant au peuple qui frémi: foit d'horreur : Citoyens, dit-il, fa\ vons cette image refpeclable de ces 01 trages fcandaleux. Antoine & Jean ; chargent de la commifïion, & 1'im ge eft enlevée. A ce premier fign de la perfécutionj les Evêques öd O vj LÉojf V» Ann. Si;. XV. Premier attentat des Icono; claftes. t > i 2 9 l' "e 1al  LÉON V, Ann, Si; XVI. Déguifemient de icon, . 3^4 HlSTOlRE Abbés s'affemblent de nouveau chez le Patriarchê; ils confultent tous les monuments de la Tradition. Nicéphore leur explique dans le fens Catholique, les paflages dont les hérétiques abufoient. Fortifiés par les difcours du Patriarchê, ils déclarent tous qu'ils combattront jufqu'a la mort pour foutenir la doctrine & ia pratique de FEglife, & ils en fignent une proteflation. ; ï-a fête de Noël approchoit : Nicéphore va trouver l'Empereur; il tache encore de I'ïnftrüire ; il le conjure avec larmes de ne pas faire de vains efForts pour ébranler 1'édifice de I'Eglife, fondé fur Jefus-Chrift même, cimenté par le fang de tant de martyrs, afFermi par une tradition non interrompue. Si ma perfonne , ajouta-t-il, ejl une occafion de trouble , je quitterai le Patriarchat avec joie. Puiffe ma retraite rétablir la paix. I'Eglife na pas befoin de Nicéphore; mais tlle ne peut fubfijïer fans la foi. L'Empereur , que tous les écrivains de ce temps-li nomment le Caméléon , change de couleur k ces paroles, il feint d'être attendri ; Et qui ofcroü,  du Bas-Empisle. Liv. LXVIIl. 325 dit-11, dépofer le Patriarchê, notre pere ? Qui oferoit changer tètat de I'Eglife? C'efl le fcrupule de quelques Orthodoxes qui m'a obligé d'examiner la quejlion des images ; ils craignent que les hommages que nous leur rendons, napprochent de t idolatrie. C'efl par condefcendance que j'ai voulu les fatisfaire. Pour moi d'ailleurs, je m'accorde avec vous dans la croyance comme dans la pratique. En même-temps il tira de fon iein un reliquaire qu'il baifa. Ce déguifement de l'Empereur étoit 1'effet de la crainte d'être exclus de I'Eglife par le Patriarchê a la fête de Noël; ce qui auroit caufé un fcan dale dangereux. C'étoit la fête de 1'an née oü le Prince étaloit le plus d< magnificence : au fortir de 1'office, i donnoit un fplendide feftin a tou les Seigneurs de la Cour, & jamai: la majefté Impériale ne brilloit avei plus d'éclat. Le Patriarchê &lesEvê ques , dupes de fa diffimulation , rel fentirentune extréme joie de ce chan gement. La fête fut célébrée avela pompe la plus folemnelle. Léon revêtu des habits les plus précieux accompagné d'un fuperbe cortege, vin LÉON V. Ann, 81;, » t  Léon V Ann. 81$ Ann. 8ió XVII. Exil de Ni céphore. 326 HIST01B.E ' k I'Eglife , entra dans le fanctuaire ' felon la coutume des Empereurs, baifa la nappe de 1'autel fur laquelle étoit brodée 1'image de la nailïance de Jefus-Chrift, & combla de joie tous les Catholiques qui affiftoient a cette augufte cérémonie. Cette hypocrifie ne fut pas de longue durée. A la fête de 1'Epiphanie, Léon étant venu k I'Eglife, ons'appercut par fa contenance & par fes regards qu'il n'avoit que du mépris pour les images qui repréfentoient le myftere. Dés ce moment, il leva le mafque, & le lendemain il fit publier un.édit, qui défendoit, fous peine d'exil & de chatiments rigoureux, de rendre aucun honneur k des repréfentations que la loi de Dieu avoit profcrites. Il n'en'fallut pas davantage pour intimider la plupart des Prélats qui avoient juré k Nicéphore une confiance inébranlable. Léon fe fervit de plufieurs d'entr'eux pour faire dire k Nicéphore, que s'il n'ufoit de condefcendance aux volontés de TEmpereur, il ne pouvoit refter fur le fiege patriarchal. Nicéphore les regardant ayec uidignation : Alh{,  ou Bas-EmpirE. Liv. LXPI1L 327 leur répondit-il, dire d celui dont vous craigne^ la colere plus que celle de Dieu même, que je ne renoncerai jamais aux décijions de I'Eglife pour me foumettre d celle de Jean Lêcanamante. Léon fe difpofoit a lui faire éprouver fa colere ; mais une grande maladie furvenue au Patriarchê, en fufpendit les efTets. En peu de jours, Nicéphore fut défefpéré des Médecins, & Léon fe flattoit de lui donner bientöt un fucceffeur a fon gré. II fut trompé dans fon efpérance; Nicéphore commencoit a ie rétablir, & l'Empereur n'en fut pas plutot averti, qu'il chargea des Officiers de confiance, d'aller de nuit enlever fecretement le Patriarchê , fans donner d'allarme au peuple. L'ordre fut mal exécuté. Les foldats commandés enfoncent a grand bruit les portes du palais patriarchal, en jurant & chargeantde malédictions Nicéphore & fes prédéceffeurs. Le peuple Catholique réveillé par ce fracas, accourt de toutes parts pour défendre fon pafteur ; & 1'on alloit voir un combat fanglant, fi le Patrice Thomas, qui avoit la charge de Prote&eur de Sainte-Sophie, ne fut LÉON V. flnn. 8 jij.  LÉON V. Ann, 816, i 1 ( t c T C \ e fi P P d Cl le q] ~ Oi m tv h S28 HlSTOIRE venu en diligence. II fait fortir les foldats déja dans la cour du palais, ferme les portes, & appaife le peuple, enl'afTurant que l'Empereur n'a point ordonné cette violence. II va auffi-töt trouver l'Empereur, & 1'inftruit de ze turnulte. Léon, a qui lemenfonge ie coütoit rien , paroit lui-même ïtöriné ; il répond qu'il n'a donné meun ordre; que ce font apparemherit les ennemis de la fuperftition, [ui, rebutés de 1'obftination du Pariarche, fe font portés d'eux-mêmes cette entreprife. Thomas, qui le conoiflbit affez pour ne rien croire de e qu'il difoit, lui repréfente que s'il eutfe défaire du Patriarchê, il ne faut nvoyer que deux hommes, pour lui gnifier 1'ordre de l'Empereur, & our le fourenir dans le chemin, iree qu'il^n'a pas encore la force ï marcher. La chofe fut ainfi exéitée la nuit fuivante. Ceux qui 1'enverent avoient ordre de s'arrêter lelque-temps dans la grande place, 1 des foldats, a la faveur des té:bres , devoient fondre fur lui, & Ie er. Ils y demeurerent une heure; >bfcurité étoit profonde, & le filence  du Bas-Empire. Liv. LXriH. 329 régnoit dans toute la ville. Voyant qu'il ne fe faifoit aucun mouvement, & que le jour alloit paroitre, ils le conduifent au bord de la mer, & le font paffer k Chryfopolis. On 1'enferma dans un monaftere, qu'il avoit lui-même fait batir au bord du Bofphore; d'oii il fut peu après tranfféré dans un monaftere plus éloigné, dont il étoit aufli fondateur. II vécut treize ans dans eet exil; il avoit gouverné fon Eglife prés de neuf ans. Pendant vingt-fept ans, le fiege de Conftantinople fut fucceffivement oceupé par trois Patriarches hérétiques. Le lendemain de 1'enlévement de •Nicéphore, fecond jour de Février, le bruit s'étant répandu dans la ville que le Patriarchê ne paroiffoitplus, l'Empereur affembla le peuple dans Sainte-Sophie; & étant monté dans la tribune : » Vous voyez , mes fre» res , dit-il k haute voix, que le » Patriarchê vous abandonne. Nous » lui ayons repréfenté 1'abus des ima» ges; que c'étoit en punition de cet> » te idolatrie que Dieu, qui veut être » feul adoré, nous avoit li fouvent » fait fuccomber fous le glaive des LÉON V. A.nn. 816. XVIII. Théodote , Patriarchê.  LÉON V. Ann. Si6. ] 1 I i 1 < i ( 1 1 33° Histoike » infideles, comme autrefoisle peuple » Juif. Ce Prélat opiniatre, n'ayant » rien k nous répondre, a pris le » parti de s'enfuir, & de renoncer » k fa dignité. Choififfons donc un » autrePatriarchê". Son defTeinétoit de faire élire Jean Lécanomante, auquel il avoit promis cette place éminente , & qui avoit fait tout ce que Léon defiroit pour la mériter. Mais les Patrices lui repréfenterent qu'ils ne pourroient fe réfoudre a révérer un homme, que ni fon age, ni fes mceurs ne rendoient refpeftable. Léon n'ofa rejetter ces raifons; il fit élire Théodote Cafïïteras , Commandant d'une des compagnies de la garde, [conoclafïe auffi décidé, mais moins ;mporté & moins violent que Jean lécanomante. II recut auffi-töt la onfure cléricale, & le jour de Pajues, qui tomboit cette année au 'ingtieme d'Ayril , il fut facré Pariarche. C'étoit un homme du mon[e , accoutumé a la vie militaire, brt ignorant, fans gout pour les hofes fpirituelles , qui n'avoit jamais li 1'Ecriture, n'aimant que le plaifir, - jeu 6f la table. Auffi dès qu'il fe  du Bas-Empire. Liv. LXF1II. 331 vit a la tête du Clergé de Conitan- ; tinople, il crut n'avoir autre chofe a faire qu'a le divertir, Sc a lui faire bonne chere. C'étoit, felon lui, le moyen le plus efficace de maintenir les uns, Sc d'engager les autres dans fes fentiments. II donnoit deux fois par jour des repas fomptueux, oii lesPrêtres , les Moines, les Evêques, nourris dés leur jeuneffe dans 1'abftinence felon la coutume de ce tempsla , fe rempliffoient de vin Sc de viandes, Sc fe dédommageoient de la vie auftere qu'ils avoient menée jufqu'alors. La table de fes prédéceffeurs n'avoit connu qu'une honnête frugalité ; la cordialité fraternelle , les converfations édifxantes en avoient fait le principal affaifonnement. A la fienne régnoient 1'abondance, le luxe , les propos licencieux, la gayeté immodérée. Les amufements qui la fuivoient étoient encore plus tumultueux; des Moines, échauffés par le vin , une fois fortis des bornes d'une profeflion réguliere & modefte, ne connoiffoient point cette retenue Sc cette décence que 1'éducation apprend aux gens du monde LÉON V. inn. 816.  LÉON V. Ann. S16. XIX. Concile «leslconoclaftes. 332 HlSTOIRE k conferver jufque dans leurs plaifirs. Après Paques, l'Empereur affembla un Concile dans I'Eglife de Sainte Sophie. Le nouveau Patriarchê y préfidoit, avec Conftantin, fils de Léon, qui n'y voulut pas affifter luimême , de peur d'anathématifer par fa foufcription la foi qu'il avoit ju* rée k fon avénement k 1'Empire, quoiqu'il ne craignit pas de fe parjurer par fes édits : fcrupule bifarre que démentoit fa conduite. On fit la lecture des actes du Concile tenu fous Conftantin Copronyme, qu'on honora du nom de feptieme Concile général. Nicéphore & tous les Evêques Orthodoxes furent frappés d'anathême. On y traina par force plufieurs Prélats Catholiques; on déchira leurs habits; on les jetta par terre , on les foula aux pieds; & après toutes les infultes & les fureurs d'une troupe fanatique & effrénée, meurtris & fanglants, ils furent jettés dans des cachots. On les en retira quelques jours après, pour voir fi tant d indignes traitements auroient amolli leur courage. Auffi fermes qu'au-  ru Bas-Empire. Liv. LXVIIL 333 paravant , ils furent abandonnés k * la févérité de l'Empereur , qui les * exila. Mais peu fatisfait d'une peine k fon gré trop légere, il envoyoit de temps en temps des bourreaux Sc des juges non moins cruels, pour leur faire fbuffrir de rigoureuies tortures. La troifieme feffion termina le Concile par la foufcription des Evêques Iconoclaftes Sc du fils de l'Empereur. Armée de ce décret, la "perfécution devint plus violente. On abattit, on brüla les images dans toutes ' les Eglifes. On brifa les vafes facrés qui portoient quelque figure; on coupoit la langue k ceux qui ofoient murmurer contre 1'impiété; on déchiroit k coups de fouets les hommes Sc les femmes qui n'adhéroient point k Terreur. La confifcation des biens accompagnoit toujours le fupplice. C'étoit une grace que 1'exil; on s'étudioit k le rendre le plus incommode Sc le plus douloureux qu'il étoit poffible. On choififlbit de préférence des pays barbares, ou le nom Chrétien étoit en horreur. Mais nul Orthodoxe n'étoit traité plus rigoureufement que ÉON V. nn. Slót XX. Perfécuion.  L~ÉON V, Ann. Si6 334 HlSTOIRE les Evêques & les Moines. Les uns expiroient fous les coups de fouet; les autres coufus dans des facs étoient jettés k la mer. Aucun afyle ne les mettoit k 1'abri de la cruauté de l'Empereur qui les pourfuivoit jufque dans le creux des montagnes & des rochers. Conftantinople elle-même étoit devenue un lieu fauvage. Une inquifition barbare rendoit la capitale de 1'Empire un repaire de bêtes féroces. Tout étoit rempli d'efpions. Les récompenfes promifes aux délateurs avoient brifé tous les liens de la fociété civile, & même de Ia nature. Les efclaves accufoient leurs maitres; on vit des enfants trahir ceux qui leur avoient donné le jour. Avoir une image, un livre qui en approuvat le culte, recevoir un exilé, fervir un prifonnier, c'étoit un crime digne de la flagellation & du bannilTement. En vain la mere de l'Empereur s'efforcoit d'adoucir la barbarie de fon fils ; fes remontrances , fes prieres étoient rejettées avec mépris; il croyoit faire beaucoup de les pardonner k 1'imbécillité de la vieillelTe. Jean Lécanomante étoit feul écouté du Prince;  J dv Bas-Empire. Liv. LXFI1I. 335 le Patriarchê n'étoit que fon miniftre. Ce Prélat ignorant étoit étonné du bruit que caufoit la chüte des images. Nourri dans les maximes du defpotifme militaire, il penfoit que la religion devoit obéir au fignal de la volonté du Souverain. II envoya fes lettres fynodales au Pape Pafcal, qui refufa de les recevoir , & députa des Légats pour foutenir la caufe des images. Leur mifïion ne fervit qu'a les rendre eux-mêmes témoins des horreurs qu'ils vouloient arrêter. Le Pape ne pouvant faire ceffer la tempête élevée contre les Orthodoxes, fut réduit a leur procurer un afyle; il fit batir k Rome le monaftere de Sainte-Praxede, pour y retirer les Grecs fugitifs, qui trouvoient dans cette retraite la fubfitance Sc le repos qu'on leur refufoit dans leur patrie. Je laiiTe k I'Hiftoire Eccléfiaftique le détail des maux que fouffrirent jufqu'a la fin du regne de ce Prince un grand nombre de Prélats, de faints Moines Sc de laïcs religieux, dont le courage invincible eft gravé en caraöeres ineffacables dans les regiftres du Ciel, Sc dans les annales de LÉON V. Ann. S16,  LÉON V. Ann. S16. 336 BlSTOIRE 1'Eglife qui en doivent être la copie. Mais je ne pourrois, fans une forte d'ingratitude , paffer fous fdence 1'éloge que mérite Théophane, dont l'ouvrage, quoiqu'affez grofiiérement écrit, & peu exact fur-tout pour les affaires d'Occident , m'a cependant été fort utile. J'en ai déja parlé au fujet du Concile de Nicée auquel il afïifta. II étoit Abbé du monaftere de Sigriane en Bithynie, lorfque Léon monta fur le tröne. Le Prince, perfuadé que 1'exemple d'un homme de ce mérite produiroit un grand effe-t en faveur de 1'héréfie , fit tous fes efforts pour 1'engager k condamner le culte des images. Comme Théophane étoit fourd k toutes fes follicitations, il fut chargé de chaïnes, & conduit k Conftantinople , quoique malade au lit depuis un an. Conftant dans fes refus, il fut mis en prifon , &! fouffrit pendant deux ans les traitements les plus durs. Enfin, affoibli par tant de maux, &t refpirant k peine , on le tranfporta dans 1'ifle dé Samothrace, oü il ne vécut que vingt-trois jours. II eft honoré du titre de Confeffeur. Son ouvrage inti- tulé  su Bas-EmpPre. Liv. LXVIII. 337 tulé Chronographie, commence a la première année de Dioclétien, & fe termine k la première année du regne de Léon 1'Arménien. Des tremblements de terre , des chaleurs exceffives & des féchereffes , fuivies de la perte & de la famine, des émeutes populaires & des féditions, tous ces maux que 1'on crut annoncés par une grande comete , phénomene toujours effrayant aux yeux du vulgaire, furent regardés par les peuples comme autant de fléaux pour punir Timpiété de l'Empereur. Léon méritoit en effet le chatiment du Ciel par fon opiniatreté k foutenir 1'héréfie. Mais les Auteurs Catholiques, qui le nomment 1'Amalécite, a caufe de la guerre qu'il faifoit aux Orthodoxes , avouent eux-mêmes que, fans ce funefte caprice, c'eüt été un Prince digne d'eftime. Sa valeur n'étoit pas équivoque; il en avoit donné des preuves éclatantes avant même que d'être parvenu k 1'Empire. Jamais Prince ne fut plus attentif k maintenir ou a rétablir la difcipline. Sa vigilance s'étendoit k toutes les parties de 1'ordre public. Avant lui Tomé XIV. P LÉON V. Ann. 817. SlS. 819. XXI. Gouvernementde Léon. Cedr. p. 490 , 491. Zon. t. 11. p. 132. Contin. Theo. pag. 16,19,21. Simeon. p. 404. Georg. p. 500. Genef. p. 7,8, 12. Leo gramm. 446.  Léon V. Ann. 819. 338 tl I S T O I R E tout fe vendoit k la Cour ; la faveur trafiquoit de toutes les places : 1'argent faifoit les Magiftrats, les Gouverneurs de Provinces , les Officiers civils & militaires, les Généraux d'armée. II abolit ce commerce honteux : défintéreffé lui-même 6c incorruptible , il n'avancoit que le mérite. Aöif & infatigable , il ignoroit les plaifirs , & ne fe donnoit point de repos pour en procurer k fes peuples. Toujours a cheval, il paffoit les hyvers k exercer fes troupes, les étés k parcourir les Provinces, réformant les abus, puniffant les vexations & les injuftices , rétablilTant les villes & les fortereffes ruinées par la guerre, relevant les barrières de 1'Empire forcées tant de fois par les Bulgares en Thrace & en Macédoine. Inftruit des loix & de 1'ordre judiciaire, on le vit fouvent préfider aux tribunaux , juge redoutable au crime, 6c fur-tout a 1'abus du pouvoir. Un jour qu'il fortoit du palais, un pauvre citoyen lui préfenta une requête, dans laquelle il expofoit que fa femme lui avoit été enlevée par un Sénateur, & que s'en étant plaint au Préfet de la vil*  du Bas-Empire. Liv. LXVIII. 339 le, il n'avoit pu en obtenir juftice. Léon commande de lui amener k fon retour 1'ofFenfé, 1'ofFenfeur & le Préfet. Dès qu'il eft rentré dans le palais, il écoute le détail de la plainte; & 1'accufé étant convaincu par fon propre aveu, il le livre a la juftice pour être puni felon la rigueur des loix. Se tournant enfuite vers le Préfet : Et vous, dit-il, pourquoi nave%~ vous pas puni cette violence ? Le Magiftrat s'excufant fur la qualité du coupable : Vous alle^ vous-même fervir de preuve , repliqua l'Empereur s que nulle dignite' ne peut couvrir le crime. Je vous dêclare déchu de la prèfeUure , 6* incapable de pojjeder jamais aucune char~ ge. Cependant comme les vertus mêmes s'alterent dans les ames imparfaites, par le voifinage des vices, fon caractere dur & cruel percoit au travers de fes a£tions de juftice. II étoit exceflif dans les chatiments , nulle proportion entre la qualité du délit & la rigueur de la punition. Pour des fautes légeres, il faifoit abattre des membres qui demeuroient plufieurs jours fufpendus dans les places de la ville : fpectacle affreux, qui imP ij LÉON V. kaa. Si9,  LÉON V, Ann. 819, Ann. 820. XXII. Wichel le Begue accufé & eondamné. Cedr. p. 491 &feqq. Leo gramm. p. 447. Zon. torn. 11. p. 132. 133. 134. Contin. Theo. pag. 21 & feqq. Simeon , P- 405 . 406, 411. Georg. p. J07, 508. Nicet. vita Jgnatii. Glycas, p. 387, 28S. Manajf. p. 95. 95- loei. p. 17*. 34° Histoire primoit plus d'horreur de la juftice que du crime. Néanmoins on peut dire que dans 1'excès de corruption & de défordre qui régnoit alors, la cruauté même étoit moins pernicieufe que n'eüt été Pindolence. L'auteur de fa mort fut celui qui Pavoit fervi avec le plus de zele pour 1'élever a 1'Empire. Michel le Begue étoit un homme audacieux, infolent, qui ne pouvoit retenir fa langue, déchirant fans ceffe l'Empereur &c l'Impératrice , quoiqu'il fut comblé de bienfaits, & revêtu des premières dignités de la Cour. Accufé de crime de lefe-majefté, s'en étant juftifié avec beaucoup de peine , il n'en devint pas plus circonfpecf. L'Empereur, qui 1'aimoit encore, voulant paroitre ignorer fes difcours, le fit avertir par des gens de confiance, qui lui confeillerent, comme d'euxmêmes, de ménager 1'honneur d'un Prince auquel il devoit fa fortune, & qui favoit punir. Comme il pofTédoit le détail de la difcipline militaire, ayant fait la guerre toute fa vie, Léon, pourl'éloigner de la Cour, pritleprétexte de 1'envoyer en Oriënt vifiter les  nu Bas-Empir.e. Liv. LXFIII. 341 divers quartiers des troupes qui campoient dans cette partie de 1'Empire. Mais apprenant que Michel fe donnoit encore plus de licence, ck qu'il étoit même a craindre qu'il n'excitat quelque révolte, il le fit re venir, ik lui reprocha avec douceur fa noire ingratitude. Comme Michel nioit hardiment tout ce qu'on lui imputoit, Léon, réfolu de ne plus ménager eet homme intraitable, le fit épier dans toutes fes converfations, qui lui étoient fidélement rapportées. II eut bientöt recueilli un grand nombre de faits , dépofés par des témoins dignes de foi , entre lefquels étoit eet Hexabule , auffi fidele a Léon , qu'il lui avoit été contraire, lorfque fon devoir Pattachoit k Michel Rhangabé. Léon, armé de ces preuve,s , fait le procés en forme k Michel le Begue. Ce téméraire, accufé juridiquement devant l'Empereur, eftconvaincu ck forcé d'avouer lui-même qu'il a eu deffein de fe faire un parti , ck d'ufurper 1'Empire. II eft condamné k être brülé vif dans la four.naife des bains du palais. C'étoit la veille de Noël. On conP iij LÉON V. Ann. 810. XXIII. H échap-  Léon V Ann. 820 peau fupplice. 542 HlSTOIRE duifbit déja Michel au fupplice , & 1'Empereur, naturellement cruel, fuivoit ce malheureux pour repaitre fes yeux jut cette horrible vengeance. L'Impératrice, avertie de ce qui fe paffoit, accourt toute éperdue; elle fe jette aux genoux de Léon : Atrêui, Prince , s'écrie-t-elle , vous recevrei demain le corps & le fang du Sauveur; vous y prépare^-vous par un fpectacle fi inhumain? Refpehe^ ce faint jour; ne le profane^ pas par un fi effroyable fupplice. Si Michel eft coupable, je ne demande point de grace ; différei fa punition, & que les cris dun mife'rable ne foient pas Üaffreux prélude de nos cantiques dejoie. C'étoit en effet la coutume des Empereurs de communier aux fêtes folemnelles, ck c'eüt été un grand fcandale de s'en abftenir. Touché de cette réflexion & des larmes de fa femme , il remet a quelques jours Pexécution de Michel; il lui fait mettre les fers aux pieds, ck le donne en garde au conciërge du palais. Se tournant enfuite vers 1'Impératrice : Je fais, lui dit-il, ce que vous voule^. Vous ne fonge^ quau fa~ lut de mon ame; mais vous expofe^ ma  nu Bas-Empire. Liv. LXVIH. 343 vie. Peut-être ce fcrupule vous fera-t-il funejle d vous & d vos enfants. Léon, tourmenté de noirs preffentirnents, ne put repoter la nuit fuivante. Des prédictions anciennes, des vifions de fa mere, de prétendus oracles, des pronoftics bizarres viennent en foule lui troubler Fefprit, & femblent lui annoncer fa perte prochaine. Agité de mortelles inquiétudes, il fe leve au milieu de la nuit, & va feul a la chambre du conciërge , pour s'alfurer de 1'état de Michel. II les trouve tous deux endormis, le conciërge couché par terre, ayant cédé fon lit k fon prifonnier. Ce qui 1'étonne encore davantage, c'eft que s'étant approché du lit, il voit Michel plongé dans un fommeil profond & tranquille. II ne doute pas que le conciërge ne foit gagné, & que le coupable n'ait des motifs d'alTurance. II fort avec un gefte menacant, qui marquoit fa colere. Depuis 1'abdication de Michel Rhangabé, Théoctifte, tombé dans la difgrace, s'étoit attaché k Michel le Begue; il ne l'avoit pas abandonné dans Ion malheur, & il s'étoit enfermé P iv LÉON V. Ann. S20. XXIV. Confpiration contre Léon.  V LÉON "S Ann. 82c XXV. Affaffinat ce Léon. 344 Histoire ; avec lui. Couché clans un coin de la chambre, & feignant de dormir, il avoit tout obfervé. II éveille le conciërge & le prifonnier, leur raconte ce qu'il vient de voir. EfFrayés également du danger qui leur devenoit commun, ils déliberent fur les moyens de 1'éviter. Le jour commencoit a paroïtre; Michel envoyé Théoctifte a Léon pour le prier de lui permettre de faire venir un ConfefTeur. Cette permiffion accordée, Michel ordonne a Théoftifte d'aller trouver les^amis, & de leur dire de fa part qu'il alloit les dénoncer eux-mêmes comme fes complices, s'ils ne le tiroient au plutöt de danger. Frappés de cette terrible menace, ils paffent le jour de Noël k conférer enfemble. Voici le moyen qu'ils prirent pour délivrer Michel. Les Clercs de la chapelle du Prince ne logeoient pas alors dans le palais, comme ils firent depuis; ils fe rendoient tous les jours vers les quatre heures du matin a une des portes qu'on nommoit la porte d'yvoire , & s'y étant affemblés, ils entroient dans la chapelle, & chantoient mati-  du Bjs-Empire. Liv. LXVIIL 345 nes. Les Empereurs, même les moins dévots, fe difpenfoient rarement d'affifter a eet office, lorfqu'ils fe trouvoient a Conftantinople; 6c Léon , qui fe piquoit d'avoir une belle voix, paree qu'il 1'avoit forte, y manquoit moins que tout autre. II prenoit furtout plaifir a. entonner les pfeaumes 6c les hymnes, 6c a régler le chant du chceur. C'étoit une petiteffe digne de la groffiéreté de ces. temps-la, mais excufable dans un Prince qui n'en avoit pas beaucoup d'autres. Les conjurés , déguifés en Clercs, viennent le matin du lendemain de Noël fe mêler parmi eux k la faveur de 1'obfcurité, 6c fe gliffent dans la foule, ayant chacun un poignard fous leur robe. Ils fe tiennent cachés dans des coins obfeurs de la chapelle en attendant le fignal; c'étoit le^Prince qui devoit le donner lui-même en entonnant une hymne. Dès que fa voix fe fait entëndre, ils fortent de leur embufcade, 6c fondent dans le chcèur. Comme il faifoit grand froid. 6c que tous les Clercs, ainfi que l'Empereur , avoient la tête couverte d'un bonriet fort épais qui fe rabattoit fui P v LÉON V. Ana. 810.  LÉON V. Ann. 820. i 1 1 j 3 ] 1 246 H. ISTOIRB le vifage, ïe Doyen du Clergé eft pris pour Léon, & recoit plufieurs coups. Le vieillard, qui fentoit la méprife, fe fait connoitre en montrant fa tête chauve. On le laiffe pour fe jetter fur l'Empereur. II s'étoit fauyé fous 1'autel, faifi de la croix dont il fe fervoit pour parer les coups. Comme il étoit fort & robufte, quoique bleffé en plufieurs endroits, il fe défendoit avec la rage d'une béte féroce attaquée par des chafleurs. De tous fes Officiers, de tous fes courtifans, pas un ne prit fa défenfe. Enfin , voyant un des meurtriers d'une taille gigantefque lever fur lui fon eimeterre, il le conjure au nom du Dieu adoré fur eet autel de lui faire grace pour fa vie; fur quoi raflaflin réponlant, ce nejlpas le moment des graces , : ejl celui des vengeances, lui décharge in coup terrible, & abat en même:emps 1'épaule du Prince, & un bras le la croix. Un autre lui tranche la ête. Telle fut la fin de Léon, après ept ans & demi de regne ; Prince némorable & digne de régner plus ong-temps, s'il n'eüt été perfécueur & cruel lorfqu'il ne devoit être  dü 3as-Empire. Liv. LXVlïï. UI que févere. Ce fut le jugement que porta le Patriarchê Nicéphore; apprenant dans fon exil la mort de Léon, la religion eft délivrée d'un grand ennemi, dit-il en foupirant; mais VEtat perd un Prince udle. Les affaffins fe partagerent: les uns trainent au Cirque le corps de Léon dépouillé & fanglant, les autres vont chercher Michel; Sc fans le décharger de fes fers, ils le prennent entre leurs bras, le portent dans la grande falie du palais, & le proclament Empereur. Tous les Officiers du palais étonnés Sc tremblants, viennent lu: rendre leurs hommages. On admire er filence ce jeu de la fortune, qui vou loit montrer une fois des chaines fu: le tröne, comme un fymbole palpa ble de la condition des Souverain: Le bruit d'une fi étrange révolutio fe répand en un inftant par toute 1 ville; on accourt de toutes part C'étoit une puifTante recommand; tion aux yeux du peuple, toujou zélé pour les malheureux, que 1 fers de- Michel. II étoit déja mid lorfqu'affis fur le tröne, d les fit roi pre a coups de marteau. Auffi-tö P vj ui run LÉON V. Ann. S20. XXVL, Michel le Begue, Empereur. Cedr. p. 495.496» 497- Leo gramm. p. 447. Zon. t. II. p. 134» 135. Conün. ' Theo. p. • 26 & /eqf. Manaff. p. " 96. • Glycas, p. 1 288. Gene/, p. 13» l4>. Du Cange & fam, By\. ■s I31* é •) n* h  MlCH£ 11. Ann, S2 Ann. S21. XXVII. Caiaftere 343 H 1 s t o i r e 5 environné des aflafïïns qui lui tenoient iieu de gardes, montrant une conte0. nance fierecomme vainqueur de Leon , & triomphant de fa condamnation &de fon fupplice , il marcha vers Sainte-Sophie, oü il fut cou. ronne par le Patriarchê. II donna ordre _ de faire fortir du palais l'Impératrice avec fes quatre fils, Conftantin de,a honore du titre d'Augufte, Bafile, Gregoire Sc Théodofe. On les jetta tous dans une barque avec le cadavre coupé par morceaux , & enferme dans un fac, & on les tranfporta dans 1'ifle de Proté. Les fils furent fait eunuques; Théodofe, le plus jeune, mourut dans cette crueile opération. Les autres, ainfi que leur mere, furent enfermés dans un monaftere ou leur infortune leur donna le defir & le temps de s'inftruire , Sc de e detromper de Terreur dans laquelle ils avoient été nourris. Michel en faififfant les biens de Léon , en referva ce qui étoit néceffaire pour leur entretien, Sc leur laiffa quelques domeftiques pour les fervir. Le nouvel Empereur, forti de la plus baffe naiffance, n'avoit jamais  du Bas-Empirz. Liv. LXFIII. 349 dü s'attendre k cette élevation. Né parmi les Athingans qui peuploient Amorium fa patrie, il avoit recu fon éducation d'une femme Juive, & paffe fon enfance dans des étables 6c dans des harras. II ne s'étoit occupé dans fes premières années qu'a connoïtre les chevaux, & c'étoit 1'unique fcience dont il fe piquoit, lors même qu'il fut Empereur. Ignorant dans tout le refte, il n'avoit aucun fentiment de religion, 8c refufa toujours de s'inftruire. Lorfqu'il fut devenu grand, il prit le parti des armes. Simple foldat, le défaut de fa langue* qui lui fit donner le furnom de Begue , ne Pempêcha pas de fe faire aimer de fon Tribun , auffi groffier que lui, mais fort riche. Ce Tribun lui fit époufer fa fille , nommée Thécla, 6c ce fut le premier degré de fa fortune. II s'avanca auprès de Bardane, 6c finit par le trahir. II fut encore plus infidele k Léon , qui, non content de le combler d'honneurs, avoit voulu tenir fur les fonts de baotême un de fes enfants; ce qui formoit alors une forte d'alliance beaucoup plus étroite qu'elle n'eii aujourd'hui. MlCHtL II. Ann. S20. de Michel.  MlCHEt II. Ann. 821. XXVIII. Conduite de Michel a l'égard des Catholtques. Cedr. p. 498,499. Zon. t. 11. P- »35 » 136. Contin. Thto. pag, 31, 32. Simeon, p, 412. Georg. p. 510. Manajf, p, 96, Glycas, p, 288. Leogramm. p. 448. Genefius. p. 23. Jo'él. p. 178. Fïïa Niccph. Vita Theod. Stud. Vita HlSTOIRE Quoique I'Eglife ne dut pas beaucoup efpérer de Michel, les Catholiques exilés, attentifs k profiter des événements, fonderent fes difpofitions, dès qu'ils le virent parvenu a 1'Empire. Michel, très-indifFérent fur la religion, paree qu'il n'en étoit nullement inftruit, fe piquoit de phitofophie; il faifoit auffi peu de cas des Orthodoxes que des Images; il répondit aux lettres de Nicéphore & de Théodore Studite, qu'il n'étoit pas venu pour rien innover fur eet artiele ; qu'il s'en tenoit d la croyance de fon prédécejfeur, & qu'après tout chacun n'avoit qu'd fuivre tel parti qu'il voudroit} qu'il défmdoit feulement pour êviter les trouhles, de placer aucune image dans la ville de Conftantinople. On rappella les exilés, on ouvrit les prifons aux Catholiques. Mais comme 1'indifFérence eft beaucoup plus voifine de 1'erreur que de la vérité, Michel ne demeura pas long-temps en eet état. Théodore, revenu d'exil, 1'alla trouver avec plufieurs Evêques; & après 1'avoir remercié de la graee qu'il leur avoit accordée, il voulut lui parler de la doctrine de I'Eglife. Sur quoi Michel  du Bas-Empire. Liv. LXVIIL 351 1'interrompant : Ceji donc vous, lui dit-il, qui vous faites un devoir de ref Jijler aux Princes ? Cette parole, accompagnée d'un air de mépris, fit évanouir toute efpérance. La perfécution fuivit bientöt après. II fe propofa pour modele Conftantin Copronyme, le héros des Iconoclafies, qui regardoient la longueur de fon regne comme une récompenfe de fon zele. On ne paria plus que d'exils, de prifons, de fupplices. Jean Lécanomante reprit 1'autorité tyrannique dont il avoit joui fous Léon; les Moines furtout & les Evêques furent 1'objet de fa haine. Entre le grand nombre de ceux qui foufFrirent alors , je n'en citerai que deux. Théophile, fils de l'Empereur, & qui recut cette année le titre d'Augufle, fit mourir fous les coups de fouets Euthymius, Evêque de Sardes. Le Moine Méthodius fouffrit plus qu'il ne falloit pour mou' rir, fi la Providence ne leut confervé pour réparer un jour les maux de I'Eglife. II étoit né a Syracufe de parents diflingués par leur noblefle. Après avoir recu une éducation conyenable a fa fortune, il vint a Conf- MlCHEÏ, II. Anti. $zi. Thioi. Grapti. VitaNicol.. Stud. Bolland, in Thcodora 1 Febr.  Michel II. Ann. Sn. 352 HlSTOIRE tantinople pour s'avancer a la Cour. Un Moine lui fit changer de deflein; il donna tous fes biens aux pauvres, & prit 1'habit monaftique. Les fureurs de Léon 1'Arménien le déterminerent k fe retirer k Rome. Après la mort de ce Prince, il revint k fon monaftere, apportant avec lui une lettre dogmatique du Pape , qui, fur les premières nouvelles du rappel des exilés , s'étoit flatté de Pefpérance d'un heureux changement. Mais loin d'avoir aucun égard k cette lettre , l'Empereur, traitant Méthodius de féditieux, lui fit donner fept cents coups de fouet, & 1'envoya dans une ifle voifine du promontoire Acritas, dans la Propontide au midi de Chalcédoine. II y fut enfermé dans un fépulcre étroit Sc obfcur avec deux malfaiteurs. L'un étant mort peu de temps après, on le laifla pourrir auprès de Méthodius, qui effuya toutes les horreurs qu'éprouve un cadavre jufqu'a ce qu'il foit réduit en pouffiere. Un pauvre pêcheur du voifinage lui apportoit toutes les femaines la quantité d'huile nécelTaire pour 1'entretien d'une lampe. II demeura  du Bas-Empire. Liv. LXFIIL 353 dans eet affreux cachot pendant plufieurs années, s'occupant de lapriere ck de la converfion de fon camarade, qui, touché de fes inftruótions 6k de fes exemples, devint un aulTi grand Saint que Méthodius. Auffi préfomptueux qu'ignorant, Michel étoit ce qu'on appelle un efprit fort. II cenfuroit 1'Evangile 6k les Prophetes; il nioit la réfurrection, la vie future, 1'exiftence des démons. II regardoit la fornication comme une oeuvre naturelle que nulle loi ne peut défendre. Cependant élevé par une femme Juive, il mêloit a Ion déïfme quelques pratiques de la religion Judaïque. II vouloit qu'on fanctifiat le famedi; il prétendoit que la Paque devoit être célébrée felon 1'ufage de la Synagogue; il mettoit Judas au nombre des Saints. Plein de mépris pour letude de Tantiquité tant profane qu'eccléfiaftique, loin de 1'encourager , il ne cherchoit qu'a en éteindre la connoiffance, déja devenue affez rare en ce temps-la. Comme il ne favoit pas même 1'alphabet, ck qu'il pouvoit a peine épeller fon nom_, il ne vouloit pas Michel . U. Ann. 8zi. XXIX. Impiéts de Michel.  Michel II. Ann, 821, XXX, Révolte èe Thomas. Cedr. p. 49<)&feqq. Leo\gramm. V. 44§. Zon. t. 11. P- 136 & feqq. Contin. Theo. p. 32 &feqq. Simeon , p. 4ü. Georg. p. 5". 512, 5i3- Manaff, p, 96. Glycol, p. a88. Ger.ejïus , 14,15. 16, 17, 21. Baronius t. XIV. p. 62 & feqq. 3T4 H 1 s t o 1 r e qu'on apprit k lire aux enfants, & il fe perdoit en raifonnements politiques pour appuyer cette opinion bizarre. Le Patriarchê Théodore mou* rut cette année; il fut remplacé par un digne fucceffeur; ce fut Antoine de Syllée. Michel perfécutoit impunément les Orthodoxes. Difpofés k tout fouffrir plutöt que de fe défendre, ils ne lui donnoient aucun fujet de crainte. Mais bientöt il vits'élever un orage, qui fit long-temps dotter fur fa tête la couronne qu'il avoit ufurpée. Thomas, dont j'ai déja parlé plufieurs fois, commandoit en Oriënt les troupes confédérées. Après la mort de Bardane, il s'étoit attaché k Léon; & jaloux de Michel, qui couroit la même carrière, il le haiflbit d'autant plus, que fe croyant fupérieur en mérite, il le voyoit avancer par des progrès plus rapides. L'alTalfinat de Léon fon bienfaiéreur, & plus encore 1'élévation de fon rival, le mirent en fureur. II leva 1'érendard de la révolte; & dès qu'il fe fut déclaré, toute la ieunefTe de 1'Orient accourut au premier fignal. L'impiété de Michel, fa  nv Bas-Empire. Liv. LXFIIL 355 cruauté, la corruption de fes mceurs le rendoient odieux a toutes les Provinces. Sa groffiéreté, fon ignorance, fon bégaiement même le faifoient méprifer.Thomas, au contraire, quoique d'une nailTance obfcure ck demi barbare, fe faifoit aimer par fa douceur ck fon affabilité. Une grande réputation de valeur, une éloquence naturelle, un extérieur plein de nobleffe, tout, jufqu'a fes cheveux blancs, car il étoit déja avancé en age, lui concilioit le refpe£t ck la confiance. Quoiqu'une bleffure recue dans une bataille 1'eüt rendu boiteux, il avoit confervé toute la vigueur de fa jeunefle, ck rien ne lui manquoil de ce qui peut rendre un ennemi redoutable. Mais nous verrons bientöt que c'étoit un de ces génies fubalternes, qui ne brillent qu'au fecond rang, & que 1'on croit capables de commander tant qu'ils ne font qu'obéir. II commenca par fe faifir de tou tes les recettes de 1'Afie, ck employa les deniers a payer fes troupes, è faire les préparatifs d'une guerre qui devoit décider de 1'Empire , ck a gagner les peuples par fes largeffes. II MlCHEt II. Ann. 8zi.  Michel II. Ann. S21, XXXI. Alliance ' de The-- 1 mas avec ] les Sara- ( fins. ] 356 H I S T O I A E mit dans fon parti toutes les villes , foit par perfuafion & par douceur, foit par menaces & par force. Deux Provinces feules en Afie demeurerent conftamment attachées a l'Empereur. C'étoient, felon le langage du temps, ce qu'on appelloit le Thême Obfequium & celui d'Arménie. Le premier renfermoit PHellefpont & la Myfie depuis laPropontide jufqu'au golfe d'Adramytte; le fecond contenoit i'ancien Royaume de Pont, & s'étendoit en Paphlagonie jufqu'au-dela de Sinope. Catacylas & Olbien, Gouverneurs _ de ces deux Provinces, les maintinrent dans lbbéifTance; eiles furent récompenfées de leur fidélité par 1'exemption d'un impöt fort onéreux établi par Nicéphore. On payoit tous les ans pour chaque cheminée snviron quarante-cinq fois de notre nonnoie; & eet impöt fe nommoit 'axe de la fumée. La nouvelle de ces troubles mit ?n mouvement les Sarafins. Ils cruent l'occafion favorable pour étenIre leurs conquêtes, &entrerentdans 'Afie mineure. Ce contre-temps em)arrafToit Thomas : d'un cöté, les Sa-  nu Bas-Empire. Liv. LXVIU. 357 rafms, par cette facheufe diverfion, pouvoient donner a Michel le temps de fe mettre en défenfe ; de 1'autre, Thomas ne pouvoit leur abandonner 1'Afie, fans aliéner Pefprit des peuples, & perdre toutes fes reffources. II réfolut de faire un grand efFort pour terminer promptement cette guerre, & forcer les Sarafins a la paix. Aulieu de marcher a leur rencontre , il fe jetta en Syrië avec une nombreufe armée. A cette nouvelle, les Sarafins reviennent fur leur pas pour défendre leurs foyers; & trouvant Thomas en état de leur réfifter avec avantage, ils écoutent des propofitions de paix : ils conviennent de 1'aider de leurs troupes, & de fon cöté, il promet de leur abandonner les villes de la frontiere & de payer tribut, Ce traité conclu, il eut la liberté d'entrer dans Antioche, oü il fe fit couronner Empereur par le Patriarchê Job. Les Sarafins qu'il avoit intéreffés a fes fuccès, lui donnerent des troupes, &c en raffemblerent en fa faveur de toutes les Provinces. Son armée fe trouva bientöt grofiie d'une multitude de barbares. L'Egypte, la Michel Ui Arm.Szi.  MlCHEt II. Ann. 821 Ann. 822. XXXII. Divers iuccès de Thomas. 358 HlSTOIHE ■ Perfe , les Indes, 1'Affyrie, 1'Arménie, la Chaldée, 1'Ibérie, & tous les , pays Mahométans fitués fur les bords du Pont - Euxin & de la mer Cafpienne lui envoyerent leurs foldats. Les difciples de Manès, qui formoient un Etat fur les frontieres de 1'Arménie, fe joignirent k lui. Tant de forceps furent 1'origine de fa foibleffe ; fuiyi de cette nuée de barbares, il devint comme eux, fier, cruel, infolent. II fe livra fans réferve aux plaifirs, & ceffa de mériter 1'Empire, dès qu'il eut pris le titre d'Empereur. II n'avoit point de fils, fongeant a perpétuer fa puiffance, avant même que de 1'avoir établie, il adopta un inconnu, auffi mal fait d'efprit que de corps, dépourvu de tout genre de mérite, mais fouple, complaifant & flatteur; il lui donna le nom de Confiance. A fon retour de Syrië, les peuples de 1'Empire ne trouverent plus en lui ce caraftere de bonté & de clémence qui avoit gagné leurs cceurs. Toutes les villes qui tardoient k lui ouvrir leurs portes & k Ie reconnoitre pour Empereur, étoient impi-  du Bas-Empirb. Liv. LXFIII. 359 foyablement faccagées. Cependant Michel fe perfuadant que tout ce que publioit la renommee étoit exagéré, ie contenta de faire paffer quelques troupes en Afie; c'en étoit, a fon avis, plus qu'il n'en falloit pour terraffer un rébelle qu'il affecfoit de méprifer. A la première rencontre , elles furent taillées en pieces. Thomas fait en même-temps conftruire des barques légeres pour le paffage de fes troupes , & d'autres plus fortes pour le tranfport des chevaux & des provinons. II fe faifit des vaiffeaux de 1'Empire qui fe trouvent fur les cötes d'Afie, & ordonne de les raffembler tous k 1'ifle de Lesbos. II marche lui-même vers Abyde a la tête de quatre-vingt mille hommes k deffein de paffer dans la Cherfonefe de Thrace. Pour mieux reffembler k Xerxès, auquel il prenoit plaifir d'être comparé, il défole tout le pays qu'il traverfe, & réduit en cendres les villages & les villes. Une feule place , plus forte que les autres, fe défendoit du pillage; il la fait attaquer par fon fils adoptif a la tête d'un détachement. Ce jeune téméraire, fur Michel Ann, 822;  Michel üq Ann, 822 XXXIII, II marche a Conftantinople. 360 HlSTOIRE la foi de quelques importeurs qui fe difoient Prophetes , s'étoit vanté la veille que tel jour il entreroit triomphant dans Conftantinople; il marche a cette forterefle fans précaution , fans garder aucun ordre, & tombe dans une embufcade oü Olbien 1'attendoit. II y périt avec fa troupe. On porte fa tête k l'Empereur, qui la renvoye a fon pere. Thomas, qui pouvoit aifément remplacer un fils de cette efpece, s'appercoit k peine de fa perte; il profite d'une nuit obfcure, & paffe 1'Hellefpont k Horcofie. La défaite des troupes envoyées en Afie, & la marche de Thomas qui approchoit de 1'Hellefpont , avoient enfin donné de 1'inquiétude k l'Empereur. II étoit forti de Conftantinople , & avoit parcouru toute la Thrace fur la route que Thomas devoit tenir , exhortant les habitants des villes Sc des forterefles k lui être fideles , Sc k défendre leur vie Sc 1'honneur de leurs femmes 8c de leurs filles contre des barbares. Mais le mépris qu'on faifoit de Michel ren- _ doit fes paroles inutiles ; & dès que Thomas  du Bas-Empi&b. Liv. LXFIII. 361 Thomas parut, tous ces peuples fe joignirent a lui pour aller affiéger Conftantinople. Cependant Michel, i aux approches du danger, travailloit a fe mettre en défenfe. II fit venir Olbien & Catacylas avec leurs troupes ; il raffembla tout ce qu'il put de vaiffeaux, &c fit tendre la chaïne qui fermoit 1'entrée du golfe. Dans 1'ifle de Scyros , une des Cyclades , vivoit alors un exilé , ' nommé Grégoire Ptérote. C'étoit un Officier de marqué , coufin de l'Empereur Léon , qui 1'avoit fouvent employé dans le commandement. Après le maffacre de Léon, ne pouvant retenir fa colere, il avoit ofe faire en face au nouveau Prince les reproches les plus vifs. A quoi Michel avoit répondu par une ironie infultante, 1'exhortant a prendre patience & a. fe foumettre fans murmurer aux décrets de la Providence. II 1'avoit enfuite chaffé de la Cour &C relégué k Scyros. Thomas le fit venir , & lui donna un corps de douze mille hommes k commander; il mit un autre Officier k la tête de la flor. e, & leur fit prendre les devants pour Tornt XLV. Q Michel II. Lnn. S22. KXXIV. ion arri'ée.  Michel II. Ann. Sn, 362 UlSTOIRS bloquer la ville du cöté de la terre & de la mer. La flotte n'eut pas de peine a rompre la chaine, Sc traverfa le golfe dans fa longueur jufqu'a la pointe de Blaquernes, ou fe rendirent aufli les douze mille hommes commandés par Grégoire. Mais ni les uns , ni les autres, ne firent aucune entreprife contre la ville. Cependant Thomas faifoit conftruire des machines de toute efpece pour battre les murailles. A la place de ce fils adoptif qu'il avoit perdu, il en choiiit un autre, auquel il donna le nom d'Anaftafe. C'étoit un Moine apoftat Sc libertin, qui ne s'étoit fait valoir auprès de lui que par Paudace Sc 1'impudence. Secondé de ce collegue, & comptant beaucoup fur le nombre de fes troupes , il fe préfenta devant la ville , fe flattant qu'a la premierevue on alloit luiouvrirles portes. Etonné de voir qu'il ne fe faifoit aucun mouvement, & qu'aulieu des acclamations qu'il attendoit, on 1'accabloit de malédictions & d'outrages, il alla camper vers la pointe du golfe prés de I'Eglife de SaintCome Si de Saint-Damien. De-la H  du Bas-Empire. Liv. LXVIII. 363 détacha une partie de fon armée pour brüler & détruire toutes les habitations le long du Bofphore jufqu'au Pont-Euxin. Pendant qu'il travailloit a fe mettre hors d'infulte par de bons retranchements , il appercut du haut d'une éminence l'Empereur qui plantoit un étendard fur le toit de Sainte-Marie de Blaquernes pour mettre la ville fous fa protection , & Théophile, fils de l'Empereur, qui, marchant a la tête du Clergé , faifoit fur les murailles le tour de la ville , portant le bois de la vraie croix & la robe qu'on croyoit être celle de la Sainte Vierge. Le danger infpiroit a ces Princes cettepiété paffagere. Thomas, qui n'étoit pas plus dévot , en concut néanmoins de 1'inquiétude; il craignit que le Ciel ne fe déclarat pour fes ennemis. Toutefois il réfolut de donner 1'affaut. Dès le matin du jour fuivant, il partage en deux fon armée ; il en donnè Ia moitié k fon fils pour attaquer le rempart depuis la porte dorée jufqu'a la Propontide, & fe met k la tête de 1'autre pour forcer la ville du cöté de BlaquerQ ij Michel II. Ann. 821. XXXV. Attaque delaviüe.  Michel II. Ann. 822. 364 HlSTOIRS nes. Deux armées s'avancent donc en ordre de bataille , précédées d'un terrible appareil de machines. On plante au pied des murs des echelles qui les égalent en hauteur; elles font bientöt couvertes d'autant de files de foldats, qui vont porter ou chercher la mort au haut des murailles. Les béliers, les catapultes , les baliftes , tout eft en mouvement; tout s'anime a la ruine des murs ou a la perte de leurs défenfeurs. Le péril & la terreur ne font pas moindres du cöté de la mer. La flotte ennemie , qui borde d'un cöté le golfe, de 1'autre la Propontide, fait pleuvoir clans la ville, les feux, les pierres , les javelots. Les habitants, non moins ardents a fe défendre, mettent tout en oeuvre pour repouffer ces efforts. On fait tomber du haut des tours d'énormes maffes de pierres. Des flots de plomb fondu, d'eau bouillante , de fable brülant coulent le long des échelles , embrafent & précipitent les affaillants. L'inexpérience des barbares, qui faifoient jouer les machines, favorifoit encore les affiégés. Les catapultes &c les baliftes employées de  du Bas-Empire. Liv. LXFIIL 365 trop loin, ou ne portoient pas jufqu'aux murs, ou n'avoient qu'une foible portee; tanclis que celles des affiégés, placées avantageufement, avoient un effet affuré. Un contretemps encore plus facheux rompit toutes les mefures de Thomas. Pendant le fort de 1'attaque, il s'éleve une violente tempête , qui rompt les cables des ancres, difperfe les vaiffeaux, Sc délivre la ville de danger du cöté de la mer. Tant de mauvais fuccès obligerent Thomas de fe retirer; Sc comme Phyver approchoit, & que les frimats de la Thrace auroient été infupportables k fes troupes, accoutumées k des climatsplus tempérés, il alla prendre des quartiers au fond de la Cherfonefe. Aux premiers jours du printemps, ; ilrevintdevant Conftantinople; mais 1 il trouva Michel encore mieux préparé k le recevoir. Ce Prince avoit raffemblé pendant 1'hyver un plus grand nombre de troupes Sc de vaiffeaux. Thomas s'étant approché pour donner un nouvel afTaut, Michel fe montra fur le haut de la muraille, ■& adreffant la parole aux Grecs de Q üj MlCHÈ II. \aa. S22. inn. 82J. KXXVT. Seconde tuque.  Michel II. Aan. 823. 366 HlSTOIRE 1'armée ennemie : Braves compatriotes , s'écria -1 - il , de quoi me fuis-je rendu coupable d votre égard ? Quel mal vous ont fait vos freres dont vous vene^ répandre le fang ? Quitte^ ces armes parricides , que la fureur aveugle d'un rebelle vous a mifes entre les mains. Je vous promets cfoublier votre révolte, & de vous combler de biens, fi vous voule^ vous fouvenir que je fuis votre Empereur, & que cette ville eft votre patrie. Ces paroles , loin de faire impreflion fur les cceurs, n'infpirerent que du mépris. Perfuadé qu'elles étoient 1'efFet de la crainte ck de la foibleffe , ils s'avancent en défordre, comme étant affurés de ne point trouver de réfiftance. Michel profite du moment, ck fait fur eux une fi.tr rieufe fortie avec toutes fes troupes. Us ne s'attendoient k rien moins, êk du premier choc ils font renverfés. Michel ne rentre dans la ville qu'après un grand carnage. Pendant ce même temps , la flotte de l'Empereur avoit encore un fuccès plus étonnant : tous fes vaifleaux étant fortis du port, ck s'étant rangés en ordre de bataille, la flotte ennemie qui fem?  nu Bas-Empjre. Lh. LXVIII. 367 •bloit n'attendre que Ie fignal, Scd'oü partoit déja une nuée de pierres Sc de javelots , frappée d'une terreur panique, tourne tout-a-coup vers le rivage : les foldats 8c les matelots vont, les uns, fe jetter' dans 1'armée de l'Empereur qui combattoit encore , & fe rendent a lui; les autres fuyant fans être pourfuivis, gagnent le camp de Thomas. Ce doublé échec détacha Grégoire du parti des rébelles. II voyoit que Thomas, toujours malheureux, &c incapable de fe relever de fes pertes, commencoit a tomber dans le mépris , & qu'il ne pouvoit éviter d'être bientöt accablé. II crut qu'il étoit terhps de fonger k fa propre füreté, s'il ne voidoit pas être enveloppé dans la même ruine. II craignoit encore pour fa femme & pour fes enfants que Michel retenoit prifonniers. Pour faire favoir fon deffein k l'Empereur, il fe fervit d'un Moine du monaftere de Stude qu'il avoit avec lui. En même-temps, il fe fépare du gros de 1'armée avec une partie de fa troupe, qui voulut bien ie fuivre,, Sc alla camper fur les derQ iv Michel II. Aan. XXXVIÏs Défaite de Gré* goire.  MlCHEt II. Ann. S23. 368 HlSTOIRÊ rieres. II ne doutoit pas que fur fon avis l'Empereur ne fit une vigoureufe fortie; alors il devoit charger en queue les troupes de Thomas, qui fe trouvant ainfi enfermées, ne pouvoient manquer d'être taillées en pieces. Mais pour fe détacher de Thomas, il auroit dü attendre que fon avis fut parvenu k l'Empereur; fa précipitation le-perdit: le Moine ne put pénétrer dans Conftantinople, dont les afïiégeants fermoient toutes les avenues; & Thomas ne doutant point de la perfidie de Grégoire tomba fur lui avec un gros detachement, le battit, le prit lorfqu'il fuyoit, & le fit mourir comme traïtre. II rejoignit enfuite fon armée; & fier de eet exploit qu'il vantoit comme une grande vi&oire , il envoya ordre k la flotte qu'il avoit k Lesbos de fe rendre k 1'entrée du Bofphore. Elle étoit compofée de trois cents cinquante groflesbarques, partie armées en guerre , partie chargées de provifions. Pouffée par un vent favorable, elle aborda en peu de temps au port de Byride , lieu inconnu aujourd'hui, mais qui paroit avoir été fur la Pro-  bv Bas-Empire. Liv. LXFIIL 359 pontide. La flotte de 1'Empereur vint 1'y attaquer; la plupart des barques furent prifes ou confumées par le feu grégeois; celles qui échapperent eurent le bonheur d'entrer dans le golfe, ck de gagner le port de Blaquernes, oü 1'équipage les abandonna pour fe jetter entre les troupes de terre. Tous les jours il fe livroit de petits combats entre les afliégeants ck les afliégés. Michel, fon fils Théophile, Olbien , C2tacylas commandoient tour-a-tour les forties, & 1'avantage ainfi que la perte fe partagoient apeu-près également. L'Empereur n'ofoit livrer de bataille générale k une ■armée beaucoup plus nombreufe que la fienne, & plus forteen cavalerie. Dans eet état d'incertitude, il furTint k 1'Empereur un fecours imprévu, qui lui infpira d'abord plus de crainte que de confiance. Mortagon, Roi des Bulgares , inftruit du danger oü fe trouvoit Conftantinople, envoya fecretement dire k Michel qu'il alloit marcher contre Thomas, ck rendre k l'Empereur le fervice d'un allié brave 6k fidele. Ces ofFres de bienreillance firent trembler 1'Era- Q v Michel IL Ann. Szj. XXXVI lï Thomas vaincu par les BulgareSi  JM'GHEL II. Ann. 813. 370 HlSTOIRE pereur ; il craignoit que Mortagon ne voulüt 1'arracher des mains de Thomas, pour proflter lui-même de fes dépouilles. D'ailleurs, il fentoit bien qu'il faudroit payer un tel fecours, & il étoit très-avare. Ilremercia donc le Roi Bulgare, & lui fit répondre qu'il efpéroit fe défaire bientöt de fon ennemi, fans avoir befoin d'aucun fecours. Mais Mortagon, qui fe promettoit un riche butin dans la défaite de Thomas, fe fit honneur de fecourir Michel malgré lui; il vouloit , difoit-il, s'acquitter d'un devoir indifpenfable que lui impofoit le traité d'alliance fait avec Léon 1'Arménien. II marcha vers Conftantinople a la tête d'une grande armée, & vint camper a quelque diftance des rébelles. Thomas fe trouvoit dans un grand embarras : s'il divifoit fon armée, il ne pouvoit ni laiffer affez de troupes pour continuer le fiege & réfifter aux forties, ni en détacher affez pour être en état de combattre les Bulgares. II prit le parti d'abandonner le fiege & de marcher a Mortagon avec toutes fes forces. Dès que les deux armées furent en préfence,  nu Bas-Empire. Liv. LXVIIL 2 HlSTOIKE de Roi de Sicile. Les Sarafins en demeurerent polTeffeurs pendant plus de deux cents ans. De-la ils étendirent leurs ravages dans la Calabre, & dans les autres Provinces de 1'Italie. Leurs partis couroient jufqu'aux environs de Rome; ce qui engagea Ie Pape Grégoire IV k rébatir k 1'embouchure du Tibre, la ville d'Oftie entiérement ruinée; il la nomma Grégoriopolis. Aucun de fes prédéceffeurs n'avoit fait un fi grand ouvrage pour 1'utilité publique. Ce fut encore par les foins de ce généreux Pontife, que Rome fut aggrandie audela du Tibre autour de la Bafilique de Saint-Pierre. Ce nouveau quartier, fortifié de murailles & de tours, fut comme une nouvelle ville ajoutée k 1'ancienne. Mais Grégoire n'eut le temps que de jetter les fondements; elle fut achevée par Léon IV, qui lui donna le nom de ville Léonine. Les Sarafins ne durent pas feulement k la force de leurs armes les conquêtes qu'ils firent en Italië; ils furent profiter des divifions furvenues entre les Princes. Vers 1'an 850, Pandone, Gouverneur de Bari dans la Pouille,  du Bas-Empire. Liv. LXVI1L 393 les appella au feeours de Radelchis, Prince de Bénévent, & fut la victime de fon imprudence. Ces barbares qu'il avoit fait venir en qualité d'alliés, letraiterent en ennemis. Campés prés de Bari au bord de la mer, ils y pénétrerent pendant la nuit, maffacrerent les habitants, jetterent dans la mer Pandone lui-même , ck demeurerent maïtres de Bari, qu'ils tinrent pendant trente ans. Le Patriarchê Nicéphore mourut cette année 818, le z Juin, dans 1'exil oü il vivoit depuis treize ans. Ce faint Prélat joignoit aux vertus les plus éminentes toutes les connoiflances qu'on pouvoit acquérir en ce temps-la. Nous avons de lui une hifloire abrégée de cent foixante-fept ans, depuis la mort de Maurice jufqu'au mariage de Léon IV & d'Irene, une chronologie, & quelques ouvrages contre les Iconoclafies. L'année fuivante, l'Empereur Michel mourut d'une colique néphrétique, le ier. d'Oclobre , après avoir régné huit ans & neuf mois. II fut enterré dans le maufolée de Juftinien. L'Empire perdit fous fon regne la CreR v Michel II. \.nn. SiS. Ann. 819. Lil. Mort As Michel. €tdr, f. 5»3-  Michel II. Ann. 829. Zon. t. 11. p. 141. Centin. Thccp, p. Jï. Symeon. p. 414. Gcorg. p. 510, 513. Mancjf. p. 97- Glyc. p. 28S. Jo'èl. p. 178. Gcnejius , p. 23. .Du Cangc jam. By\. 394 H 1 s t 0 1 r e, &c. te, la Sicile & Ia Dalmatie entiereMais ce mauvais Prince, uniquement fenfible a fes plaifirs, loin d'en témoigner aucun regret , en plaifantoit même avec fes Courtifans. A la nouvelle de la perte de la Sicile, comme il difoit h Irénée , un de fes Miniftres : Je vous fois compliment, vous voild débarrajjed'un grandfardeau. Prince, lui repliqua Irénée , il ne faudroit plus que deux ou trois foulagements pa-reils pour être débarraffe de tout CEmpire. Outre Théophile qui lui fuccéda, il avoit eu de Thécla une fille,. nommée Hélene, que Théophile fit époufer au Patrice Théophobe, iffit du fang royal de Perfe. La fuite de ['hifloire fera connoitre les fervices. & les malheurs de ce vaillant guerrier.  SOMMAIRt D V MVRE SOIXANTE-ïfEU VIEME. I. Pu NITION des ajfajjins de Léon. II. Fable fur le mariage de Théophile. lil. Théodora Impératrice. IV. Zele de Théophile pour lajujtice. V. Autres exemples de juflice. VI. Vive réprimande d l'Impératrice. vil. Succes des Sarafins. vul. Hiftoire de Théophobe. IX. Malheureufe expédition en Abafgie. X. Mort dit Calife Al-Marnoun. XI. Hiftoire du Pkilofophe Léon. XII. Théophile refufe Léon aux follicitations d'Al-Mamoun. XIlï. Léon fait Evêque , & chaffê de fon fiege. Xiv. Expédition en Sicile. XV. Hiftoire £'Alexis Mufele. XVI. Violence de Théophile. XVII. Alexis fe retire dans un monaftere. XVIIÏ. Ambajfade de Jean Lécanomante a Bagdad. XIX. Luxe de Théophile. XX. Théophile ennemi de la débau- che. XXI. Nouvelle perfêcution. XXII. Traitementfait aux Moines. Xxm.Scuj- R vj  396 SOMMAIEE DU LlV. LXIX. frances de Tkéodore & de Théophane. XXIV. Rappel de Méthodius. XXV. Théophile vaincus par les Sarafins. XX vi. Les Sarafins vaincu par Théophile. XXvil. Théophile fauvê par Manuel. XXVIII. Difgrace de Manuel qui fe retire che{ les Sarafins. XXIX. Exploits de Manuel che^ les Sarafins. XXX. Manuel de retour d Conftantinople. XXXI. Superftition de Théophile. XXXII. Commencement des Patnnaces. XXXIII. Hardieffe d'un Couvreur. XXXIV.. Théophileprendplufieurs villes. XXXV. Sédition des foldats Perfes. XXXvi. Les Sarafins vont affiéger Amorium. XXXVII. Bataille de Da^ymene. XXXVIII. Danger que court Ü Empereur. XXXix. Prife d'Amorium. XL. Le Calife rcfufe le rachat desprifonniers. XLI. Traitement des prifonniers Chrétiens. XLII. Martyre de quarante - deux Officiers. XLIII. Nouvelle calomnie contre Théophobe. XLIV. Mort de Théophobe & de Théophile. XLV. Réftexions fur le caractere de Théophile. XLVI. Caprices de Théophile. XLVII. Ses enfants.  39? HISTOIRE D U BAS EMPIRE. L1VRE SOI XA N TE-NE U V1EME. THÉOPHILE. ThÉoTphile avoit atteint 1'age viril, lorfqu'il monta fur le tröne. Né avec beaucoup d'efprit, il étoit animé d'un grand zele pour la juftice, perfuadé qu'elle s'accorde toujours avec le véritable intérêt des Princes. Quoiqu'ü fut redevable du tröne aux affaffins de Léon, il réfo- Théo- phile, Ann. 829. I. Punition des affaffins de Léon. Leogramm, ?• 449'.  Théophile.Ann. 829. Cedr. p. 513 . 514Zon. t. II. P- 141. Contln. Theo, p. 54. Symeon. p. 4M- Georg. p. 514. jij. 398 HlSTOIRE lut de les punir, ck ce fut la premier e opération de fon regne. Comme ü ne connoiffoit pas tous les coupables, & qu'il n'en vouloit pas laiffer échapper aucun, il ordonna par édit au Sénat ck k tous ceux qui avoient rendu quelque fervice k fon pere, de fe trouver au palais. Les méurtriersde Léon y accoururent tous avec emprefTement. Lorfqu'ils furent aiTemblés, l'Empereur, naturellement artificieux, prenant un ton de douceur ck de bienveillance: » Fideles fervi» teurs de mon pere, leur dit-il, ne » croyez pas qu'en perdant celui que » vous avez fait Empereur , vouS' >> ayez perdu votre récompenfe. Mon » pere avoit deffein de combler de » biens ck d'honneurs ceux qui ont » fignalé leur zele ck leur courage » en ötant la vie k fon perfécuteur» vr Une mort prématurée a préverui » les effets de fa reconnoiffance; mais » fon fucceiTeur eft chargé de fa det» te; ck pour ne pas courir le hafard » de 1'ingratitude, il veut commencer » fon regne par s'en acquitter. Que » tous ceux qui ont eu part k la mort » de Léon, fe féparent des autres, ck  nu Bas-Empire. Liv. LXIK. 399 » fe préfentent". Ils ne tarderent pas a obéir, & chacun d'eux fe préparoit au remerciment. Alors Théophi- , le, pour rappeller au Sénat les circonftances les plus atroces du meurtre, fit apporter la Croix dont un bras avoit été abattu du même coup qui avoit tranché la tête a Léon, & la montrant aux Sénateurs: Que méritent,. leur dit-il, les coupables tfunfi horrible attentat ? Tous s'étant écriés r lis méritent la mort, l'Empereur, fe tournant vers le Préfet : Fakes votre charge, lui dit-il, &punijpi felon les loix ceux qui fe font un facrilege honneur d'avoir porté leurs mains meurtrieres fur l'oint du Seigneur, & fur le Seigneur même. En vain imploroient-ils fa miféricorde,en vain s'écrioient-ils : Que fans le fecours qu'ils avoient prêté a fon pere pour le délivrer d'une mort certaine , U ne feroit pas lui-même Empereur ; ils furent conduit au Cirque, oü ils eurent la tête tranchée. II fembloit que Théophile eut entrepris de réparer tous les crimes de fon pere: Euphrofyne comptoit fur la promeffe que le Sénat entier avoit fignée, de lui coniarver le rang d'lmpératrice après la, Théophile.i.nn. S29.  Tnio- PHIIE. Ann. S29. Ann. 830. rt Fable fur le mariage de Théophile.Cedr. p. MS . 545Zon. t. II. p. 141 , 142, 143Leogramm.p. 449. Contin. Theo. p. 56. Symeon. p, 415. Grorg. p, 5'4Manajjf. VS- 97. Glycas t p. ass. ■ | Georg. Hamart. Du Cange 1 fam. Byi. ■ 400 HlSTOIRE mort de fon mari. Théophile la fit fortir du palais, & rentrer dans fon monaftere; & le Sénat, qui avoit été forcé d'approuver ce mariage fcandaleux, ne fit aucune démarche pour maintenir la garantie, qu'une complaifance fervile lui avoit arrachée. Je me fuis abftenu depuis le commencement de cette hiftoire, de recueillir les fables que les Auteurs Grecs ont femées dans leurs ouvrages. J'aurois cru manquer au refpedt que je dois k mes Lecteurs, fi je les euffe amufés de contes frivoles. Cependant lorfque ces contes ont acquis une certaine célébrité, comme 1'aveuglement & la mendicité de Bélifaire, il eft k mon avis du devoir de 1'Hiftorien de les rapporter pour les démentir, & pour défabuferceux qui n'ont pas le temps ou les moyens de s'aider du tlambeau de la critique. lelie eft la fable du mariage de Théophile , adoptée par quelques moderies, qui ont été bien-aifes de ren:ontrer dans ces fiecles demi-barba■es un trait de galanterie romanefjue. Voici le fait raconté par cinq hiftoriens, qui, s'étanï copiés 1'un  75c; Bas-Empiee. Liv. LXIX. 401 1'autre, ne valent enfemble qu'un feul témoignage. Euphrofyne , mere de Théophile , difent-ils, voulant marier fon fils , envoya dans toutes les Provinces de 1'Empire ordre d'amener a Conftantinople toutes les filles diftinguées par leur beauté. On concoit affez quelle en dut être la multitude, fi 1'on s'en rapporta au jugement des peres & des meres. Lorfqu'elles furent arrivées, on les affetnbla toutes dans une falie du palais, & l'Impératrice mit entre les mains de fon fils une pomme d'or pour la donner k celle qu'il choifiroit pour époufe. Arrnées de tous leurs appas, elles étoient rangées fur deux files visa-vis Tune de 1'autre ; & chacune d'elles, animée d'un intérêt fi cher & fi fenfible, devoit fans doute porter dans fon cceur & dans fes regards toute la jaloufie & la haine de deux armées ennemies. Le nouveau Paris, la pomme d'or k la main, paffoit entre les deux rangs; & faifant la revue de tous ces attraits, il s'arrêta devanl Icafie, qui lui fembloit effacer toutes les autres par 1'éclat de fa beauté; alors lui préfentant la pomme, foil Théophile.Ann, 850.  Théo- phiie. Ann, 830 m. Théodora Impératriee. 402 H I S T 0 I R E faute d'efprit, foit que 1'étonnetnent lui en eut öté 1'ufage, il ne trouva rien de plus galant k lui dire que ces mots : Én vérité, les femmes ont caufé bien des malheurs ; k ce compliment, Icafie répondit: Elles ont auffi produit de grands biens; réponfe qui valoit un peu moins que le filence. Cependant Théophile craignit d'époufer une fille qui montroit tant d'efprit, & donna la pomme a Théodora. Ce conté plat & ridicule en toutes fes parties fe réfute affez de lui-même. J'obferverai feulement qu'il fuppofe contre la vérité, qu'Euphrofyne étoit mere de Théophile; elle n'étoit qu'une odieufe belle-mere ; & fi on ne Favoit pas encore fait fortir du palais , du moins eft-il certain qu'elle étoit fort éloignée de prendre un intérêt fi vif aux plaifirs du jeune Empereur. II paroit cependant qu'Icafie, foit par fa naiffance , foit par fa beauté , eut quelque prétention au titre d'Impératrice. On convient qu'étant déchue de cette efpérance par la préférence qui fut donnée k Théodora, elle batit un monaftere, oü elle paffa e refte de fes jours dans les exer-  du Bas Empire. Liv. LXIX. 403 cices de pénitence; elle y compofa plufieurs ouvrages de profe Sc de vers, qui refpiroient la piété Sc le detachement du fiecle. Théodora, fa rivale, fe diftingua encore davantage par les exemples de vertu qu'elle donna fur le tröne, & dont ni fon mari, ni fon fils ne profiterent. Son entrée a la Cour y procura des établiflements a fa nombreufe familie. Théodora étoit née en Paphlagonie dans un lieu nommé Ebiffa. Niece de Manuel, eflimé pour fa valeur, & qui pofTédoit déja les premières charges de 1'Empire, il y a apparence que ce fut par fon moyen qu'elle fe fit connoitre a la Cour. Marin, fon pere, forti de la première nobleffe du pays, avoit eu dans lesarmées des emploishonorables. Sa mere Théoftifte, furnommée Florine, n'étoit pas moins recommandable par fa piété & par le foin qu'elle prit d'élever fes enfants dans les dogmes &i dans les pratiques de I'Eglife Catholique. Outre Théodora, elle avoil deux fils & trois filles ; les deux fils étoient Bardas qui s'éleva dans la fuite m rang de Céfar, Sc Pétronas, qui Théophile.Ann, 830.-  Théophile.Aan. 831 IV. Zele de Théophile pour la juftice. Cedr. p. 5*3,514, 404 H I S T 0 I R E fut Patrice & Commandant de la garde Impériale. Théoöifte fut honorée ;. du titre de Patrice; car cette dignité fe ^communiquoit aux femmes.° Ce qu'il y a de fingulier Sc de bizarre, c'eft que pour lui donner une fonction a la Cour, on la nommaDamed'Atours de fa fille. Mais elle employa plus utilement fes foins a 1'éducation de fes petites-filles, qu'elle s'efforca de prévenir contre 1'héréfte dont leur pere faifoit profefïïon. Nicétas, qui fouffrit le martyre dans la perfécution, dont nous parierons bientöt, étoit de la même familie. Théodora recut du Patriarchê Antoine la bénédidion nuptiale le jour de la Pentecöte dans la chapelle du palais., Sc la couronne des mains de l'Empereur. Ils allerent enfuite en grand cortege a Sainte-Sophie, oü ils diftribuerent de magnifiques préfents au Patriarchê, au Clergé, Sc a tout le Sénat. Léon 1'Arménien avoit été févere jufqu'a Ia cruauté; Théophile en fe rendant redoutable au crime, fe fit aimer de la vertu & de 1'innocence. Cependant fon zele pour la juftice  du Bas-Empire. Liv. LXIX. 405 excéda quelquefois les bornes d'une louable févérité. Les Hiftoriens Catholiques, très-éloignés de le flatter, ne peuvent s'enipêcher de faire 1'éloge de fon attention k réprimer les violences des hommes puiffants, k veiller k la police de 1'Etat , Sc k procurer k fes fujets la füreté , le repos, Sc 1'abondance. II alloit toutes les femaines du palais k I'Eglife de Sainte-Marie de Blaquernes: car quoiqu'il rejettat le culte des images, il faifoit profeffion d'une dévotion particuliere envers la Sainte Vierge. Traverfant ainfi toute la ville k cheval, il donnoit un libre accès k tous ceux qui avoient quelque fujet de plainte; il recevoit leurs requêtes, Sc leur rendoit juftice fur le champ. En paffant par le marché, il fe faifoit inftruire de 1'état des provifions, Sc defcendoit aux derniers détails de ce qui concernoit la fubfiflance &l'habillement même de fes fujets, pour s'affurer que les Officiers de police s'acquittoient de leur devoir. Si le prix des denrées lui paroifToit trop haut, il mandoit le Préfet fur la-place même, Sc s'il y avoit de fa faute, Théophile.Am. 830. Zon. t. II. p. 142, 143. Manaff. p. 98, 99Leogramm.p. 45°. Contin. Théo.p. 5 3 Symeon- p. 417. Georg. p. 516,5 22. Glycas 3 p. 289. Genef. p. 35 . 36- Oratïo in. feftum rcftitutionisimaginum. Apud Com» hcfis. Bolland, in Théodora 2 fibr.  Théophile.Ann. 850. 406 H1 S T O i R £ il le^ deftituoit de fa charge; finon, il lui donnoit fes ordres pour le foulagement du peuple. L'hiftoire nous a confervé quelques traits de fa juftice inflexible. Un jour une pauvre veuve fe préfenta fur fon palfage; Seigneur, lui dit-elle, fai le malheur tfavoir pour voijïn le Commandant de vos gardes ; il éleve fa maifon a une telle hauteur, qu'il óte le jour d la mienne & la rend inhabitable. Cet homme injufte étoit Pétronas, beau-frere de ï'Empereur. Théophile le fait venir & 1'interroge fur le fait dont fe plaignoit cette femme. Pétronas ayant répondu avec mépris qu'elle ne favoit ce qu'elle difoit: Prene^ garde, dit l'Empereur, qu'elle ne me porte une feconde plainte ; vous vous en trouveriei mal. II ordonne a cette femme de revenir, fi elle n'obtient pas un dédommagement. Rebutée de Pétronas, elle revient en effet k l'Empereur , qui donne fur le champ commiflion k plufieurs Sénateurs de faire une defcente fur le lieu, & de voir fi le dommage eft réel. Sur leur rapport, il fe tranfporte k la place pu>lique, fait amener Pétronas ; &z  nu Das-Empire. Liv. LXIX. 407 1'ayan.t fait dépouiller tk battre de verges , il commande d'abattre fa maifon, & en donneles matériaux &c le fol même a la veuve. Ce qu'il y a de plus remarquable , & qui fait connoitre a quel point fhonneur étoit pour lors avili & les mceurs dégradées, c'eft que ce chatiment public n'empêcha pas Pétronas de vivre k la Cour, ni de parvenir k de nouvelles dignités fous le regne fuivant, & même au commandement des arinées. Les gardes qui efcortoient le Prince, avoient ordre de n'écarter aucun de ceux qui demandoient audience. Un homme vint un jour fe jetter au-devant de lui; & faifilfant Ja bride de fon cheval: Seigneur, lui dit-il, le cheval que monte Votre Majejlé ejl a moi, Peu s'en fallut que 1'animal effarouché de cette brufque rencontre , ne renverflt l'Empereur, qui s'étant raffuré, appella le maitre de fes écuries, qu'on nommoit le Connétable, & lui demanda de qui il tenoit ce cheval. Cet Officier répondit que le Gouverneur de 1'Hellefpont en avoit fait préfent k Sa Théo- fhile. Ann. 830. V. Autres exemples de julVce,  Théophile.Ann. 830. 40§ BlSTOIRE Majefté. Ce Gouverneur fe trouvant alors a Conftantinople, l'Empereur, de retour au palais, le fit venir avec celui qui réclamoit le cheval; & après les avoir tous deux interrogés, Sa violence étant averee : Qi?ai-)e befoin de tes préfents criminels ? dit-il au ravifieur : veux-tu donc me rendre complice de tes brigandages ? II fait fur le champ battre de verges le Magiftrat, rendre le cheval au légitime poffeffeur, qui ne voulant pas le reprendre, fut forcé d'accepter pour le prix deux livres pefant d'or. Nulle dignité ne mettoit Pin juftice a Pabri du chatiment. Le Préfet de Conftantinople étoit un homme de naiflance & des premiers du Sénat : il étoit aimé de l'Empereur. Fier de fa faveur, il fe faifit d'une barque chargée de marchandifes pour le compte d'une veuve. Cette femme ne pouvant obtenir de lui aucune juftice, porta fes plaintes k l'Empereur , qui s'étant informé de la vérité, exhorta le Préfet avec douceur a faire reftitution. Le Préfet le prómit, & ne tint compte de fa promefle. Sur la plainte réitérée de la veuve, l'Empereur le fit brüler  du Bas-Empire. Liv. LXIX. 409 brüler vif dans 1'Hippodrome. II traita prefque auffi cruellement fon Quefreur, convaincu de plufieurs injuftices : après Pavoir fait fouetter ignominieufement, il lui fit brüler la tête & le vifage avec de la poix ardente, & le condamna k un exil per'pétuel. Deux Officiers Généraux s'étoient emparés d'un champ, appartenant k de pauvres Religieufes. Elles adreflerent une requête k l'Empereur , qui chargea un Capitaine de fes gardes de les amener le lendemain devant lui avec leurs adverfaires; il jura en même-temps qu'après avoir entendu les deux parties, fi les Officiers fe trouvoient coupables, ils feroient punis de mort, & tous leurs biens confifqués au profit des Religieufes. Cette menace, dont 1'effet étoit infaillible , effraya les Officiers; ils traiterent auffi-töt avec leurs parties, & les engagerent k fe défifter de 1'accufation , en payant le doublé de la valeur de ce champ. Le Capitaine fe crut difpenfé d'exécuter 1'ordre de l'Empereur, & fe contenta de lui rendre compte de eet accommodement. Mais le Prince qui vouloit être Tom XIV. S Théophile.Ann. 83c  Théo- fhue. Ann. S50. VI. Vive réprimandea l'Impératrice. 410 H I S T 0 I R E obéi a la lettre, & qui craignoit detre trompé, fit battre de verges le Capitaine, lui ordonna d'amener les Religieufes, & ne s'appaifa qu'après s'être affuré par leur propre bouche qu'elles étoient fatisfaites. Tant d'exempies de févérité firent enfin trembler 1'audace ; le fimple projet d'une injuftice étoit puni, & la police de 1'Etat fut tellement rétablie, que, pendant dix-fept jours, l'Empereur ayant fait chercher dans Conftantinople, s'il y avoit quelqu'un qui eut des plaintes a porter devant lui, il ne s'y trouva perfonne. Théophile n'épargna ' pas même l'Impératrice, quoiqu'il 1'aimat avec tendrefle; mais il lui préféroit la juftice, fon honneur & le bien de fes fujets. Ayant fait détruire une grande citerne au pied des murs du palais du cöté du Bofphore, dans laquelle un de fes fils encore enfant s'étoit noyé, il fit conftruire en ce lieu un belvedère,accompagnédejardins délicieux , oü il fe plaifoit a paffer les foirées de 1'été. La fituation en étoit charmante; la vue fe promenoit d'un cöté fur le Bofpho-  Hu Bas-Empire. Liv. LXIX. 411 te , de 1'autre fur la Propontide , & s'étendoit fur la cöte de 1'Afie bordée de palais & cPobjets agréables. Un foir que le Prince y foupoit, il vit entrer dans le port a pleines voiles un grand vahTeau marchand tellement chargé , qu'il plongeoit dans 1'eau jufqu'a peu de diftance du bord. Curieux de favoir qui en étoit le maitre, il apprit que le navire&la charge du navire appartenoient a l'Impératrice, & que ces marchandifes venoient de Syrië. II ne dit rien fur 1'heure; mais le lendemain comme il alloit a Blaquernes felon fa coutume , il fe fit conduire au port; ck monté fur la pouppe de ce vaiffeau , s'adreffant aux Seigneurs de fon cortege: Qui de vous, dit-il a haute voix , a befoin de marchandife étrangere ? Comme on ne favoit oü il en vouloit venir , on demeuroit dans le filence. Après qu'il eut par deux fois répété cette queftion , les courtifans étonnés ne devinant pas ce qu'il vouloit dire : Eh ! Quoi! dit-il , ne voye^vous pas que d'Empereur que jétois par la grace de Dieu , je fuis , grace d ma femme, deyenu marchand. Prenant alors S ii Théo- ïh1le. Ann. 830.  Tbéo- thjle. Ann. S30. Ann. 831. VII. Succes des Sarafins. 412 UlSTOIRE un ton plus férieux, il ordonna aux gens de 1'équipage d'emporter ce qui leur appartenoit dans le vaiffeau, fans toucher a rien de ce qui étoit a l'Impératrice. Dès qu'ils furent fortis, il fit mettre le feu au batiment, qui fut réduit en cendres avec toutes les marehandifes. II fit enfuite a Théodora une vive réprimande, la menacant de toute fa colere, fi elle s'avifoit jamais de déshonorer fon mari par un indigne trafïc. Le commerce, ajouta-t-il, ejl pour nos fujets un moyen de fubfifance ; c'efl leur tirer le fang des veines, que de leur óter cette reffource. Que deviendront-ils, fi en les chargeant d'impóts, neus leur ótons le moyen de les payer} Ce caractere ne pouvoit manquer de courage. II faut dans un Prince une ame plus ferme pour terrafTer 1'injuftice, armée de toutes les forces que lui donnent les dignités, la naiffance, la proximité du fang, lesfervices même , que pour combattre & vaincre les plus puiifants ennemis. Cependant foit faute d'habileté dans la guerre, foit que fa fougueufe valeur n'écoutat pas les confeils de la  nu Bjs-Empire. Liv. LX1X. 413 prudence, quoiqu'il fut fuivi de nombreufes armées, Sc fervi par de bons Généraux, il fut plus fouvent vaincu que vainqueur; ce qui lui fit donner le iürnom eCInfortuné. Dans les premières années de fon regne, il eut en tête un redourable ennemi dans la perfonne du Calife Al-Mamoun, fils d'Haroun Rafchid , digne héritier des grandes qualités de fon pere. Les Sarafins s'étoient rendus maitres de Tarfe ; les Grecs firent des courfes de cé cöté-la , Sc tail-lerent en pieces un corps de feize cents hommes. Pour fe venger de eet affront, le Calife fe mit a la tête d'une armée, Sc afïiégea le chateau d'Antaüs, dont les habitants fe rendirent. II alla enfuite mettre le fiege devant Luie, forterefle importante prés de Tarfe. Après 1'avoir tenue affiégée pendant plus de trois mois, comme elle ne pouvoit être prife que par famine , le Calife fe retira, laiffant Azif pour commander le blocus. Les habitants furprennent Azif; & après 1'avoir gardé prifonnier pendant huit jours, ils le renvoyent avec mépris. Pour fauver une place qui fe défendoit avec S iij Théo- phile. Ann. S31.  Théo- 7h1le. Ann. 831, 414 HlSTOIRE tant de courage, Théophile fe mit lui-même en campagne , & vint envelopper Azif. A cette nouvelle, le Calife retourne fur fes pas; 6c Théophile craignant de fe voir enfermé entre deux armées plus fortes que la fienne, prend le parti de la retraite. La fortereffe fe rend aufli-tör. Pendant ce temps-la, Mutafem, frere d'Al-Mamoun, 8c Jahia fon Général défoloient une grande partie de 1'Afie; ils s'emparerent de trente forrereffes. La nouvelle colonie de Sarafins établie dans 1'ifle de Crete, ne faifoit pas moins de ravages fur la mer. Ils firent une defcente en Thrace, faccagerent toute la cöte, 8c enleverent quantité de prifonniers. Un de leurs partis ofa s'engager bien avant dans les terres , traverfer toute la Thrace, 8c pénétrer jufqu'au mont Latrus danslabafle Méfie, oü ilspilierent un riche monaftere, 8c maflacrerent tous les Moines. Mais Conftantin Contomyte, Gouverneur de Ia Province, étant tombé fur eux avec desforces fupérieures ,les enveloppa, 8c les tailla en pieces. Ils eurent leur revanche fur la flotte Impériale, qu'ils  du Bas-Empiae. Lh. LXIXi 415 vainquirent au mois d'Octobre prés de 1'ifle de Thafe, & dont prefque tous les vaifleaux furent pris ou coulés k fond. Cette victoire les rendit maitres de la mer, & laiffa toutes les Cyclades expofées k leurs pilla» ges. Tant que Théophile régna, il ne cefla d'être en guerre avec les Sarafins; & s'il y remporta quelque avantage, il en fut principalement redevable k la conduite & k la valeur de fes deux meilleurs Généraux, Manuel & Théophobe. Manuel, né en Arménie, s'étoit d'abord fait connoitre par fa fidélité conftante envers Michel Rhangabé ; il fe diftingua fous le regne de Léon par des acfions de courage, qui lui hrent une haute réputation chez les ennemis mêmes. Michel le Begue lui rendit la charge de premier Ecuyer qu'il avoit d'abord poffédée ; & Théophile ne voyoit entre fes Officiers que Théophobe qui put lui être comparé. Ce Théophobe fut un de ces hommes extraordinaires , que des conjonctures imprévues tirent de Fobfcurité pour les faire briller pendant quelS iv Théophile.Ann. 8311 VIII. Hiftoire de Théaphobe.Leo grammi 0. 45. Cedr. p. 5*3. 514Zon. t. II. p. 147. Contin. Theo. p. 68, 69, 70. Symton 0. 415. Georg. p. 515, 516. Gtnef. p, 15.  Théo- PHItE. Aan. 831, B J S T 0 I R É que temps, & les précipiter enniite, Son pere étoit iffu des Rois de Perfe. Cette origine le rendant fufpecl: aux Califes , qui, depuis la conquête de ce pays, avoient éprouvé de fréquentes révoltes, il prit la fuite, & vint chercher un afyle a Conftantinople fous le regne de Conftantin &i d'Irene. Pauvre & inconnu, il s'attacha au fervice d'une femme qui tenoit hotellerie , il 1'époufa, & mourut après-en avoir eu un fils. Les Perfes opprimés par les Sarafins , confervoient toujours 1'efpérance de fe délivrer d'efclavage ; ils chérilfoient les reftes de la familie de leurs Rois. Depuis la fuite du pere de Théophobe , ils n'avoient ceffé de faire des recherches pour découvrir fa retraite. Enfin, ils foupconnerent qu'il pouvoit être a Conftantinople. Quelques-uns d'entr'eux en firent le voyage ; & après une longue perquifition, ils apprirent enfin qu'il y avoit dans 1'ifle d'Oxia prés de Chalcédoine une femme veuve qui fe vantoit d'être la mere d'un defcendant des Rois de Perfe. Ils 1'interrogerent; & fatisfaits de fes réponfes} ils ne douterent pas  nu BAs EnèpiTLË. Liv. LXIX. 417 que eet enfant ne fut le légitime héritier du tröne de Perfe. Sa phyfionomie, Scfur-toutfon nez aquilin, les confirmerent dans la penfée qu'il étoit du fang d'Artaxerxe. II étoit alors agé de douze ans. Ils inftruifirent l'Empereur de cette aventure. C'étoit Léon 1'Arménien qui fe chargea de lui faire donner une éducation convenable k fa naiffance. Le jeune Théophobe, ce fut le nom que lui donna l'Empereur , étoit né avec tous les talents de 1'efprit & toutes les graces de Fextérieur. II répondit avec le plus grand fuccès aux foins qu'on prit de 1'inftruire. Sa vertu & la nobleffe de fes fentiments le firent aimer du Prince & de toute la Cour. Théophile, élevéavec lui, le chérilfoit comme fon frere; & lorfqu'il fut Empereur, il le fit Patrice, & lui donna fa fceur Hélene en mariage. Un Perfe nommé Babec s'étant révolté contre le Calife , avoit foutenu la guerre pendant cinq ans. Vaincu enfin & obligé de fuir du pays, il fe réfugia fur les terres de 1'Empire, & vint a Sinope avec fept mille hommes qui lui reftoient du débris de fon S v Théo- thile. Kan. S31,  Théo- ÏHItE. Ann. 831, j i t i I I < r 1 t fi 4*S HlSTOlkE armée. De-la il écrivit a l'Empereur ; qu'il fe^ donnoit a lui, & qu'il le prioit d'accepter fes ferviees & ceux de fes foldats , dont la bravoure s'étoit fouvent éprouvée contre leurs communs ennemis. Théophile recut avec joie cette importante colonie ; il en eompofa un corps, qui croif fant de jour en jour par 1'arrivée d'autres Perfes que 1'exemple de Babec attiroit dans 1'Empire , monta enfuite au nombre de quatorze mille, & enfin jufqu'a trente mille hommes. Babec étant mort , Théophobe fut mis a leur tête. Ils s'attacherent k lui comme k 1'héritier de leurs anciens Vlonarques. Pleins d'ardeur & de conïance en ce Capitaine chéri , ils definrent la terreur des Sarafins , & fe ignalerent par des courfes & de fréjuents combats contre les ufurpateurs 5c les tyrans de leur patrie. L'Em>ereur en donnant fa foeur k Théophobe, fit une loi par laquelle il acordoit aux Perfes le droit de maiage; il éleva aux premiers emplois ;s_ plus diftingués d'entr'eux, & les •aita en toute maniere comme fes ijets naturels.  dv Bas-Empirb. Liv. LXIX. 419 Bardas, frere de 1'Impératrice, commencoit a fe faire connoitre. Dévoré d'ambition, il avoit tous les vices qu'elle entraïne , mais non tous les talents qu'elle exige. Fourbe & artificieux, il étoit fait au manege de la Cour, Sc entendoit affez la conduite des affaires civiles. Mais dur & cruel, avec peu de valeur , il n'étoit pas propre au commandement des armées. Sa févérité barbare effarouchoit les foldats ; ils aimoient mieux être battus fous fes ordres, que de lui laiffer la gloire de vaincre. L'Empereur en fit une trifte épreuve dans une expédition contre les Sarafins. Les Abafges révoltés contr'eux demanderent du fecours k 1'Empire. Théophile fit partir Bardas & Théophobe avec une armée. La haine des foldats contre Bardas fut plus forte que 1'amour qu'ils portoienl a Théophobe : ils fe laifïerent battre en toutes les rencontres. Le fei ennemi, la difette, la défertion firent périr cette armée; & les Généraux couverts de honte n'en rame> nerent que de malheureux débris. Les Sarafins firentj 1'année fuivan Théo- phiie- Ann. S32.' IX. Malheureufe expéditionen Abafr. gie. Coming Theo. p. S5. Vita lgna. 1(7.  Théo- PHIIE. Ann. 83 j. X. Mort du Calife AlWamoun. Abulfara- Elmac'm , h 2. t. 8. D'Herhetot, Bibl. Oriënt, < < ( C t i r' c cl n 4^0 U 2 S T O I R £ te, une perte plus grande & pms frreparable que celle d'une armée. Le Calife Al-Mamoun mourut en retournant de Tarfe a Bagdad. II avoit régnevmgt ans & demi, & étoit a>é de quarante-neuf ans. II joignoit a les quahtés royales 1'amour des fciences , & fe rendit lui-même très-favant en aftronomie. Ce fut lui qui acheva de tirer les Arabes de la profonde ignorance oü ils avoient été piongés de tout temps. Almanfor, le iecond des AbbaiTides,&bifaïeul d'AlMamoun, avoit donné a fes fujets les premières idéés des hautes fciences. Avant lui, les Mufulmans n'étudioient 511e leur langue, leur loi & une forte ie médecine groffiere & imparfaite. 'U-Mamoun perfeftionna 1'ouvraoe jue fon bifaieul avoit heureufement :ommencé. II tira de la Grece des opies de tous les livres qui traitoient [e quelque fcience, & il les fit trafuire en Arabe par les plus babiles nterpretes. II excita fes fujets a les tudier. II faifoit tenir en fa préfene des conférences publiques fur les ïvers objets des connoiffances husaines. II regardoit les favants, dit  nu Bas-Empis.e. Liv. LXIX. 421 Abulfarage , comme des créatures choifies de Dieu même pour perfecfionner la raifon; c'étoit, difoit-il, la lumiere du monde , les maitres du genre humain, fans lefquels la terre deyiendroit fauvage. II comparoit aux animaux les hommes qui ne travaillent que pour le corps. II y eut fous fon regne d'habiles aftronomes, entre autres AI-Fragan , dont les écrits fubfiftent encore. Mais les folies de 1'aftrologie judiciaire venoientfe joindre k 1'afironomie. Ce Prince tachoit de ralTembler k fa Cour tous les favants, de quelque Religion qu'ils fuffent; ck leur laiffant toute liberté en fait de croyance ck de culte, il les combloit de biens ck d'honneurs. Ses efforts pour attirer Léon ne purent réuffir, mais ürent la fortune de ce Philofophe. Léon , né k Conftantinople, après y avoir étudié les Belles-Lettres, s'étoit tranfporté dans 1'ifle d'Andros, pour y prendre des lecons de Philofophie & de Mathématiques fous un maitre très-renommé. II eut bientöt épuifé toute la fcience de ce Docteur, qui, malgré fa grande réputa- Théo- thile. Ann. 835. XL Hiftoire du PhilofopheLéon. Cedr. f>. H7 &M<1> Contin. Theo. pag, Uï&jcqq. Symeon , p. 414. Georg. p, 513. n+  Theo- ÏHILE. Ann, 833. 422 HlSTOIRB tion, n'alloit guere au-dela des éléments. Enflammé du defir d'apprendre, il parcourut toutes les bibliotheques des monafteres , oü les fciences étoient alors enfevelies, paffant les jours ck les nuits a tranfcrire les livres qui traitoient des matieres dont il vouloit s'inftruire. Muni de ce tréfor, il fe retira dans des montagnes défertes, oü une folitude profonde, la paflion de 1'étude, une pénétration naturelle, en firent bientöt le plus habile géometre ck aftronome de 1'Empire. II revint k Conftantinople , plus pauvre encore qu'il n'en étoit parti, ck s'établit dans une efpece de cabane , qui devint en peu de temps une école célebre, ck qu'il fallut aggrandir pour contenir la foule des jeunes gens qui venoient y prendre des le5ons. Un d'entr'eux fut pris en guerre par les Sarafins, ck tomba entre les mains d'un des courtifans du Calife. Un jour que le maitre faifoit un grand éloge des géometres de la Cour , 1'efclave témoigna qu'il avoit quelques principes de cette fcience, ck qu'il feroit fort eurieux d'en entendre difcourir par des hommes li  du Bas-Empire. Liv. LX1X. 423 habiles. A la première occafion, ce Seigneur ne manqua pas de vanter au Prince les talents de fon efclave. Le Calife voulut le voir; & après 1'avoir entretenu , il le jugea capable d'écouter les maitres du palais , qui, k fon avis, n'avoient point leurs pareils dans 1'univers. L'efclave aflïfta a leurs lecons, & leur fit des queftions qu'ils jugerent infolubles, & qu'il réfolut lui-même avec facilité, Etonnés de 1'étendue de fes connoiffances , ils lui demanderent, s'il fe trouvoit a Conftantinople d'autres géometres auffi habiles que lui: 11 s'en trouve beaucoup de plus habiles, répondit-il; pour moi je ne fuis qu'un êcolier. Le Calife qui afüftoit k cette conférence, lui ayant demandé fi celui dont il avoit pris les lecons, vivoit encore : Oui, répondit-il, il vit; il ejl pauvre & inconnu au Prince , malgré fon grand favoir : ilfe nommé Léon. Aufïi-töt Al-Mamoun écrit a Léon en ces termes : » On juge » d'un arbre par le fruit. Votre dif» ciple nous a fait connoitre fon mai» tre. Puifque votre mérite n'a pas » dans votre patrie le crédit de vous Théo- phiie. Ann. 83 Je1  Théophile.Ann. 833. XII. Théophile refufe Léon aux follicitalions dAlMamoun, 4H HlSTOIRE » tirer de 1'obfcurité, venez répandre » vos lumieres parmi nous. Toute » la nation Saraïine baiffera la tête » devant vous, & vous trouverez » dans notre bienveillance plus de » richeffes & d'honneurs, que n'en » ont jamais poffédé les favoris de » vos Princes ". II mit cette lettre entre les mains de 1'efclave, lui promettant la liberté & de grands biens, s'il lui amenoit fon maitre. II lui fit faire ferment de revenir a Bagdad. Le jeune homme s'acquitta de fa commiflion avec joie. Léon recut la lettre; c'étoit de quoi flatter fa vanité , paffion que la Philofophie fait bien cenfurer, mais qu'elle ne fait pas éteindre. Cependant Léon fe croyant en danger , fi 1'on déccuvroit qu'il eut recu des lettres du Calife, & plus encore s'il entreprenoit de paffer en pays ennemi, va trouver Théoftifte, Direfteur-général des poftes, lui rend compte de tout, & lui remet la lettre. Théodfifle en inffruit l'Empereur, qui, piqué de 1'invitation du Calife comme d'un reproche de fon indifférence pour les favants, fait veniï  nu Bjs-Empire. Liv. LXIX. 425 Léon, lui défend de porter fon favoir a une nation infidelle, lui affigne une penfion honorable, & lui donne I'Eglife des quarante Martyrs pour y faire des lecons publiques. Al-Mamoun, apprenant que Léon n'eft pas difpofé k quitter fa patrie , lui adreffe des problêmes difficiles k réfoudre. Léon ne tarde pas d'en renvoyer la folution; & pour fe faire admirer davantage, il y joint des prédictions fondées fur les principes de Paftrologie. Le Calife, qui avoit laiffé entrer ces chimères dans fa tête avec les vérités folides de 1'aftronomie, fut plus empreffé que jamais de voir eet homme extraordinaire. II s'adreffe k l'Empereur même : » J'ai été » tenté, lui manda-t-il, cl'aller moi» même vous trouver comme un » ami, ou plutöt comme un difci» ple fe rend auprès de fon maitre. » Mais faifant réflexion que je ne » dois pas m'éloigner du pofte ou la » Providence m'a placé , je vous prie » de m'envoyer pour peu de temps >» ce miracle de philofophie , qui fait » un des ornements de vos Etats. » Permettez a Léon de venir paffes Théophile.Ann. 833.  Théophile.Ann, 8jj, 1 l t <3 e l ó Ê 4*6 H i s t o i r e » quelques jours avec moi, pour me » faire part de ces précieufes con» noiffances qu'il poiTede, & dont » je fuis plus avide que de toutes » les richeffes de la terre. Je ne penfe » pas que la différence de Religion » foit un obftacle k la grace que je » vous demande. Je me flatte plu^> tot que le rang que je tiens dans » le monde, me rendra digne de * fobtenir. Vous en retirerez de ► 1'honneur, en m'en procurant a ► moi-même. La fcience eft un bien * de communication ; on peut com- ► me la lumiere le partager, fans en ► nen perdre. Je veux même vous ► payer votre préfent. Je vous pro» mets deux mille livres pefant d'or, 1 & , ce qui eft encore d'un plus ■ grand prix, une paix & une al- * liance éternelie ". Théophile, jaoux du tréfor dont il étoit poiTefïur , refufa conftamment de comniniquer aux Sarafins un avantage ui avoit toujours diftingué les Grecs ntre tous les peuples de la terre. ouvrit k Léon une école publique ans le palais de Magnaure, le char?a de 1'inftruction de la jeune no-  nu Bas-Empire. Liv. LXIX. 427 blefle, & le combla d'honneurs & de privileges. Léon favoit tout, hors ce qu'il importe le plus de favoir. Très-ignorant en fait de religion, il s'en rapportoit pour eet article a Jean Lécanomante, dont il étoit coufin germain. II devint donc Iconoclafte ; il eut été fort a craindre qu'il ne fut devenu Mahométan avec Al - Mamoun. Jean , s'étant élevé dans la fuite au Patriarchat de Conftantinople , récompenfa 1'indifférence docile du géometre de 1'Archevêché de Theffalonique. Dans cette place , faute de pouvoir fe faire eftimer par les qualités propres de 1'Epifcopat, il fe fit admirer comme aftrologue. Une année ftérile avoit réduit fes diocéfains k une extréme mifere. Au-lieu d'implorer le fecours du Maitre du Cie!, il s'adreffa aux planetes; & foit illufion , foit charlatanerie , il confeilla de femer fous certains afpeefs. II arriva que 1'année d'après la moiffon fut très-abondante; ce qui, dans 1'efprit du peuple, fit un grand honneur k Léon & k 1'aftrologie. Ce Prélat n'eut pas le temps de faire une Théophile.Ann. 833; XIII. _ Léon fait Evêque , 5c chaffé de fon fieis.  Théophile.Ann. 833, Ann. 834, XIV. Expédition en Steile. Cedr. p, 5". Zon, t. 11, p. lij- Contin. Theo. pag. 67. Holland, in Théodora i Febr. ] ) 4*3 HXSTOIRE feconde épreuve de fon irifaiilibilité en ce genre : dès la troifieme année, Théophile étant mort, & la fede des Iconoclafies abattue, il fut chaffé de fon fiege , & réduit a reprendre fa première profeffion de maitre de ^éométrie. ö Les Hiftoriens de ce temps-la parient d'une defcente des Grecs en Lombardie & en Sicile. Mais ces Auteurs confus & peu judicieux, qui négligent fouvent les événements les plus importants, pour s'arrêter a des fables populaires, ne donnent ici aucun détail. On peut conjecïurer que Théophile envoya une flotte dans le golfe Adriatique, & qu'elle fit quelque ravage fur les bords du Pó; qu'elle aborda enfuite en Sicile, ou elle eut quelque avantage fur les Sarafins maitre? de Me , & qu'elle reprit même plufieurs villes. II faut que cette expédition ait été importante , puifju'elle fit une grande réputation a 4-Iexis Mufele , qui en étoit le chef, k qu'elle lui attira des envieux. Mais 'Empereur, pour confondre 1'envie, e fit Patrice, Proconful & Maitres les Offices.  nu Bas-Empire. Liv. LXIX. 429 Dans un efprit vif & arden:, tel que celui de Théophile, 1'amitié n'a pas de hornes non plus que la haine. II n'avoit point encore de fils; mais il venoit de lui naïtre une cinquieme fille, qu'il nomma Marie. II concut le projet le plus bifarre, & 1'exécuta; c'étoit de Ia marier au berceau avec Alexis, & de le nommer Céfar. Dans un procédé fi peu raifonnable , on ne fait pour quelle raifon il préféra fa fille Marie a fes quatre aïnées. Alexis étoit jeune & bien fait. Arménien de naiffance , il tiroit fon origine des anciens Rois du pays. L'hiftoire ne dit pas s'il étoit le fils ou le proche parent de eet autre Alexis Mufele, auffi Arménien, qui, fous le regne de Confiantin Porphyrogenete, avoit tour-a-tour éprouvé les plus brillantes faveurs & les plus cruelles rigueurs de la fortune. L'élévation d'Alexis enflamma la rage des envieux. Ils lui fuppoferent un deffein formé d'ufurper 1'Empire. Quoique leurs calomnies n'eufient pas Ie crédit de perfuader l'Empereur, elles en eurent affez pour lui infpirer des foupcons. II éloigna Mufele, fous Théo- phue. Ann. S3 5. XV. Hiftoire d'Alexis Mufele. Cedr. p. 5*3- Leogramm, V- 450, 451 ,454. Zon. t. 11, ?• 147 , Conün. Theo. pag, 67, 6S. Symeon , f>. 41S , 419Georg. pi 519» 517. Bolland, in Théodora 2 Tebr,  Théophile.Ann, S35. 430 ffjSTOIRg prétexte de Penvoyer en Sicile pour achever d'en chaffer les Sarafins, ou du moins pour conferver ce qu'il en avoit reconquis. La malignité de la cabale jaloufe le fuivit dans ce pays, & ne ceiTa pendant cinq ans d'inventer de nouvelles calomnies. On fuborna des Siciliens qui vinrent a Conftantinople donner avis a l'Empereur, qu'Alexis tramoit des intrigues avec les Sarafins pour ufurper la fouveraineté. Par malheur pour 1'accufé, la jeune Marie mourut dans ces conjonttures, & il naquit a l'Empereur un fils qu'il nomma Michel. ïnconfolable de la perte de fa fille, Théophile lui rendit des honneurs extraordinaires. II fit couvrir fon tombeau de lames d'argent, que l'Empereur Léon VI enleva dans la fuite; & il déclara que fon maufolée feroit un lieu d'afyle pour les criminels. Les liens qui 1'attachoient a Mufele étant rompus par eet événement, il réfolut de s'affurer de fa perfonne. II lui envoya FArchevêque Théodore pour l'engager a venir a la Cour; & pour gage de-la parole qu'il donnoit k Mufele de le bien traiter, il lui fit met-  nu Bas-Empire. Liv. LXIX. 431 tre entre les mains une croix qu'il avoit coutume de porter au cou. Mais dès que Mufele fut arrivé, il fut battu de Verges comme rebelle, & jetté dans un cachot. Tous fes biens furent confifqués. L'Archevêque ayant ofé lui reprocher en face, & en préfence du Sénat , qu'il avoit violé la Religion de fa promelfe , il le fit arracher de 1'autel ou il s'étoit réfugié; & après 1'avoir fait déchirer k coups de fouets, il Ie chaffa de Conftantinople, & 1'exiIa. Ce traitement indigne fait k un Archevêque, excita 1'indignation publique. Jean Lécanomante, alors Patriarchê , quoique flaneur corrompu, craignit de la partager avec l'Empereur ; il 1'arrêta comme il entroit dans Sainte-Sophie, & devenu, comme par miracle, un nouvel Ambroife, il lui fit de vifs reproches. Théophile fe repentit de fa violence; il rappella Théodore, & lui permit de retourner k fon Diocefe. Mais ce Prélat fe regardant comme indigne de reprendre les fondlions du faint miniftere, après 1'affront qu'il avoit recu , fe démit de 1'Epifcopat. L'Em- Théo- phile. Ann. 835, XVI. Violence de Théophile.  1 Théo- thiie. Ann. 835, XVII. Alexis fe retire dans un monaftere. 431 HlSTOIRR pereur le fit Econome de Sainte-Sophie, dignité éminente, ck pour lors égale en honneur aux plus hautes Prélatures. Ce repentir de l'Empereur s'étendit fur le traitement qu'il avoit fait a Mufele. Théophile , bouillant 6k impétueux dans les accès de fa colere, ne rougiflbit pas de reconnoïtes fes fautes, ck de les réparer, lorfqu'elle étoit refroidie. II tira Mufele de prifon, ck lui rendit tous fes biens. Mufele ne les recut que pour s'en défaire. DégoCité du monde, élevé de 1'obfcurité a la dignité de Céfar, ck de gendre de l'Empereur, précipité enfuite dans les ténebres d'un cachot, il réfolut de fixer 1'inconftance de la fortune, en fe dépouillant de toutes fes faveurs. Après avoir paffe par toutes les conditions, il revint a celle oü il avoit trouvé plus de repos 6k de douceurs. Malgré les inftances de l'Empereur, qui, pénétré de regret, le preffoit de demeurer a la Cour, ck lui ouvroit le tréfor des graces, il fe retira a Chryfopolis, ck ne conferva de fes biens que ce qu'il en fallut pour batir un monaftere , oü il paffa le  du Bas-Empire. Liv. LX1X. 433 le refte de fes jours dans les exercices de la pénitence. Son frere Théodore, honoré du titre de Patrice, le fuivit dans fa retraite, ayant appris par fon exemple a fuir les grandeurs, qui, après 1'expérience , ne leur parurent mériter que du mépris. Jean Lécanomande, ancien précepteur de Théophile, fut plus heureux auprès de ce Prince, qu'Alexis, qu'il avoit choifi pour gendre. Ce méchant homme, après avoir gaté Pefprit de fon éleve par fon fanatifme hérétique, continuoit de le tenir enchainé par fes impoftures. Livré a toutes les abominations de la plus noire magie , il gouvernoit abfolument l'Empereur, qui, dans le deffein de le placer fur le fiege de Conftantinople, le donna pour Syncelle au Patriarchê Antoine. Théophile étoit plein de caprices; il faififfoit avec chaleur les idéés les plus bizarres, &c rien ne 1'arrêtoit dans 1'exécution. II lui vint en tête de donner aux Sarafins -une grande opinion de fes richeffes & de fa puiffance; il choifit Jean Lécanomante pour 1'envoyer en ambaffade au Calife Mutafem, frere & fuccef- Tome XIV. T Théophile.Ann. S3 XVIII. Ambaffade deJean Lécanomante a Bagdad. Zon. tomi II. p. 144, I4S- Contin. Theo. pag. 60, 61. Georg. p, 518.  Théophile.Ann. 83 j. 434 HiSTOIRE feur d'Al-Mamoun. Outre de riches préfents pour Mutafem, il mit entre les mains de 1'Ambaffadeur quatre cents livres d'or pour les répandre en libéralités dans la Cour du Calife , avec deux grands baffins d'or enrichis de pierreries. Jean, arrivé a Bagdad, fit Pentrée La plus magnifique, prodiguant 1'or a pleines mains a tous les Seigneurs Sarafins qui 1'approchoient. Invité a fouper avec le Calife, il fait apporter un des deux baffins pour fe laver les mains, &£ donne fecretement ordre k fes domeftiques de le laifler dans la falie comme par oubli. Le baflin difparut bientöt fans qu'on fut ce qu'il étoit devenu. Comme le Calife & toute fa Cour étoit en mouvement pour découvrir 1'auteur d'un larcin de cette conféquence, Jean pria Mutafem d'arrêter ces perquifitions, traitant ce vol de bagatelle, & difant que fon maitre fauroit bien le dédommager, quand il auroit perdu une vaiffelle entiere de cette efpece. Le lendemain, in» vité encore k fouper, il fit apporter 1'autre balfin, encore plus riche que 3e premier, Cette opulence caufa le  du BaS'Empire. Liv. LXIX. 435 plus grand étonnement. Le Calife , piqué d'honneur, lui offrit des bijoux d'un prix ineftimable, qu'il s'excufa d'accepter fur la défenfe qu'il en avoit recue de fon maitre. Du moins ne refufiere^-vous pas ce que je vais vous pré/enter, Lui dit le Calife. En mêmetempsparurentcent prifonniers Grecs, fuperbement vêtus. Je vous lesdonne, dit Mutafem ; conduifie^-les d votre maitre , & qu'iljugefiles Mufulmans méritent fion amitie'. Prince, répondit 1'Ambaffadeur , ce prèfient ejl vraiment digne de vous, & jurpajje en valeur tout ce que vos tréfcrs renfierment de plus précieux. Mais permette^-moi de ne le pas accepter, q ue je ne vous aye remis un nombre e'gal de prifonniers. La grace que je vous demande , c'eft de les laijjer en libertéjnfiqu'au moment de l'échange. Aufli-töt il fit partir un courier pour l'Empereur, qui lui envoya cent Sarafins. Ils furent remis au Calife, aufli richement vêtus que les prifonniers Grecs. Mutafem & toute fa Cour ne ceflbit d'admirer 1'opulence de l'Empereur. Jean fut de tous les repas & de tous les divertiflements du Calife, qui prit plaifir a lui montrer fes tréfors, ó£ T ij Théophile.A.nn. 83 j  Theoïhixe.Ann. 835. XIX. Luxe de Théophile. Leograeim, P- 45°, 46. Cedr. p. 517. 558. Manaff. p. 98. GLycas, p. 389. Contin. Theo. p. 59 , 61 , S6 & feqq. Simeon, p. 416,411, 414> 417. . 516,SI9. 524. 5*5- Genefius, />• 35Codin, or'B-p-37- 43Ö HlSTOIRE k le promener dans tous fes palais. II Ie combla d'honneurs, & le fit conduire jufqu'aux frontieres de fes Etats par le plus brillant cortege. Ce fut k ce prix que Théophile acheta le frivole plaifir d'étonner les Sarafins. Ces richeffes auroient été plus utilement employees au foulagement de fes fujets. Jean Lécanomante , k fon retour , accrut fans doute leur mifere, en faifant naitre au Prince de nouveaux projets de dépenfes. II apportoit ie plan d'un fuperbe palais que les Califes avoient fait conftruire a Bagdad. Sur le champ, Théophile en fit batir un fur le même modele; il i'accompagna de jardirts & de cinq Eglifes , dont 1'une fait une des plus grandes & des plus magnifiques de Conftantinople. Elle étoit furmontée de trois coupoles. La voute , entiérement dorée, portoit fur plufieurs colonnes de marbre d'Italie. Les murs étoient incruftés de marbres de diverfes couleurs. Vis-a-vis s'élevoit un portique nommé le Sigma k caufe de fa forme; il étoit foutenu de quinze colonnes de marbre de Phrygie. Ces deux édifices avoient des fouterreins  du Bas-Empire. Liv. LXIX. 437 de même forme que la partie fupérieure. La place devant le Sigma étoit ornée d'une fontaine, dont le vafte baffin étoit revêtu de lames d'argent liir les bords. Dans la nouveauté de chaque efpece de fruits, le baffin, au-lieu d'eau, fe rempliffoit de fruits de la faifon, qu'on abandonnoit au pillage du peuple , pour le divertifiement du Prince. II prenoit le plaifir de ce fpectacle fur un tröne brillant d'or & de pierreries, élevé fur une terraffe, ou Pon montoit par un grand nombre de degrés de marbre. Audeffous de fon tröne étoient affis les Officiers de fa garde , les Magiftrats, les Chefs des factions du Cirque. Le refte des degrés fervoit de liege au peuple. La place au-deffous étoit couverte de danfeurs, de pantomimes, de baladins de toute efpece. Cette place étoit environnée de plufieurs fallons. Dans 1'un on rendoit la juftice, &c l'Empereur y préiidoit pour 1'ordinaire ; un autre étoit 1'arfénal. II y en avoit un qu'on appelloit le fallon de la pourpre , paree qu'au commencement de Phy ver l'Impératrice y affembloit les Dames de fa Cour, auxquelT iij Théophile.Ann. S33:;  Théo- ïhile. Aon. S35. XX. Théophile ennemi de Ia débauche. 438 BlSTOIRE les elle diftribuoit des robes de pouïpre & d'écarlatte. II feroit trop long de décrire tous les palais que fit élever Théophile; il y en avoit pour toutes les faifons, oü les plus beaux marbres, le porphyre, les peintures, les ouvrages de marqueterie, 1'or, 1'argent, les pierreries étoient prodiguées. Paffionné pour les bijoux, il faifoit faire plufieurs ouvrages de ce genre, auffi précieux par le travail que par la matiere. Les Ecrivains de ce temps-la, auffi frivoles que leur Prince, vantent beaucoup un arbre d'or, fur lequel des oifeaux de même métal faifoient entendre un ramage artificiel, & deux lions d'or de grandeur naturelle, dont les rugiflements imitoient celui des véritables lions. Je paffe fous filence la plus grande partie de ces recherches fomptueufes, que la poftérité admire lorlqu'elle n'entend plus les gémiffements des fujets qu'elles ont appauvris. Mais une dépenfe qu'on ne peut reprocher a Théophile, c'eft celle qu'il fit pour exhauffer les murs de la ville trop faciles a efcalader, & pour réparer du cöté de la mer les dommages eau»  du 3 as-Empire. Liv. LX1X. "439 ■fes par les glacés, qui s'étant rompues après un hyver rigoureux, avoient ébranlé tk emporté erl plufieurs endroits une partie des murs & des tours. II fit auffi conftruire un grand hopital en faveur des étrangers. L'emplacement de eet hopital étoit auparavant un lieu de proftitution; la débauche y habitoit dans des loges féparées. Théophile détruiiit ce fcandale public , qui n'étoit nullement conforme k fes moeurs. II ne mérita qu'un feul reproche en ce genre. II fe laiffa furprendre par les attrafts d'une des fiMes du palais* : mais touché de la douleur qu'en concut l'Impératrice , il rompit auffi-töt ce commerce, fk excufe k Théodora, & fut dans la fuite hors d'atteinte a la feduction. Le Patriarchê Antoine mourut'après quinze ans d'épifcopat. Pour parvenir k cette dignité , il s'étoit mis k Ia tête du parti Iconoclafle ; mais après 1'avoir obtenue , 1'ardeur de fon zele s'étoit refroidie. Livré 'a fes plailirs, indifférent fur tout le refte, il ne maltraitoit les Orthodoxes que par fes mépris. Son fuccefleur Jean LécanoT iv Théo- phile. \nn. 83}. Ann. 836. XXI. Nouvelle perfécu- tion. £«o grammi p. 450, 453. 455i 456. Cedr. p.  Théo- fHILE. Ann. 836. Zon. t. II. F- 143 . 144,146, 147, 15°Manaff.p.. 97. 99 . 100, ioi. Glycas , p, 289, 290. Joel. p. J7S. Contin. Theo. p. 54 Sr feqq. Simeon. T- 417, Sr feqq. Georg. p. 5M. 519. 520, 524. 5*5- Suid. Beof.'Aof. Genefius. F- 35. 36. Bolland, in Labara 23 Febr. Idem in Théodora. 11 Febr. Vita Theod. Grapti, 440 Histoike mante, ayant enfin recu la récompenfe de fes fureurs, voulut montrer qu'il en étoit digne, & la perfécution fe ralluma avec plus de violence que jamais. II ne lui fut pas difficile d'embrafer Théophile , naturellement ardent, & auquel il avoit dès 1'enfance foufilé le poifon de 1'héréfie. On vit bientöt paroïtre un édit qui ordonnoit de brifer, d'effacer, de brüler, de détruire en toute maniere les images qu'on avoit rétablies en quelquesEglifes , ck qui défendoit fous les peines les plus féveres de leur rendre aucun culte foit en public, foit en particulier. A ce fignal les prifons s'ouyrirent pour fepeupler d'Orthodoxes; les fouets , les chevalets, les feux, tous les inftruments de fupplice fe préparerent dans tout 1'Empire. Conftantinople fur-tout étoit remplie d'efp*ions, de délateurs, qui, pénétrant dans 1'intérieur des families, ne cherchoient qu'a furprendre la piété des fideles. Théodt ifte, belle-mere de l'Em> pereur, ofoit feule lui reprocher fa fureur impie , ck 1'avertir de la haine qu'il s'attiroit. II méprifoit fes remontrancesj mais Ia vénération pu~  du Bas-Empire. Liv. LXIX. 441 blique qu'elle avoit méritée par fa vertu, la mettoit a couvert des emportements de fon gendre. II fe contenta de lui enlever d'entre les mains fes filles qu'elle élevoit dans les pratiques de I'Eglife , & de défendre qu'on les menat chez elle. II ménagea moins l'Impératrice ; ayant appris qu'elle honoroit les images en fecret, il entra furieux dans fon appartement, la traita d'idolatre, 1'accabla d'injures , & fe feroit porté contr'elle aux derniers excès, fi elle n'eut eu recours au menfonge pour Pappaifer. Tant qu'il vécut , cette Princeffe prit le plus grand foin de cacher fon refpeét pour les images. Les prifons furent bientöt remplies de fideles de toute condition. Elles devinrent le féjour ordinaire des Evêques , des Prêtres, & furtout des Moines. Comme c'étoient les plus zélés défenfeurs de la foi de I'Eglife , c'étoient auffi ceux que Théophile pourfuivoit avec le plus d'acharnement. Ils furent chaffés des vil les, avec défenfe d'y rentrer, & le monafteres, réduits en folitudes, fu rent abandonnés aux féculiers. Ils n'é T v Théophile.A.nn. 836. apud Su— rium. 26 Dcc. Vita Joannicii apud. Suriunï. 4. Nov. FUury , hifl.Eiclcf. I. 47. art. 31 . 43 . 44» 45" xxit: Traitement fait aux Moi-; nes.  Théo- ïhile. Ann, 83,6. i 1 l i j J 441 HïSTOIiXE toient pas même en füreté dans le"* campagnes. Pourfuivis par-tout, ilsne trouvoient de retraite que dans les lieux inacceffibles, entre les rochers, dans les cavernes , au fond des précipices, oü ils mouroient de faim & dè mifere. Quelques-uns quitterent leur habit, pour être méconnus; mais privés de pieufes inftructions ék de bons exemples, ils paffer ent des auftérités du cloitre au relachement, ck enfin a la débauche. ïl y en eut d'afïez hardis pour s'adreffer a l'Empereur même, ck pour lui faire l'apologie de la vie monaftique, en lui repréfentant la fainteté de cette inftitution, nee dans la ferveur des premiers fiecles, féconde en verius ék en doctrine, illuftrée par ant de Saints, & d'autant plus parraite , qu'elle s'impofe pour loi les :onfeils même de 1'Evangile. Théophile , s'étant plufieurs fois repenti i'avoir eu 1'imprudence d'entrer en lifpute avec eux fur la queftion des mages, prit enfuite le parti de les ■envoyer a Jean Lécanomante. Mais :elui-ci, confondu lui-même, malgré es fubtilités de fa dialeétique, don-  óp Bas*-Empire. Liv. LXIX. 443. noit toujours, en derniere réponfe, fordre de conduire au cachot. Le monaftere entier des Abrahamites étant venu faire au Prince de fages remontrances, il les chaffa de la ville, &c les fit conduire au bord du PontEuxin, ou ils furentaffommés a coups de batons. Dans ce fiecle d'ignorance , ainfi que dans les fuivants, les cloïtres confervoient quelques étincelles des arts, des lettres & des fcien* ces, prefque entiérement éteintes partout ailleurs. Un Moine, nommé Lazare, peintre eftimé en ce temps-la, fut accufé de ne s'occuper qu'a peindre des images. Théophile le fit déchirer a coups de fouets; & pour le mettre hors d etat d'exercer fon talent , il lui fit brüler le dedans des mains avec des lames de fer rouge, Ce qui n'empêcha pas que Lazare, étant guéri, ne continuat de peindre, autant qu'il en avoit de liberté. Après la mort de Théophile, il entra en faveur auprès de Théodora, & ce fut par fes mains que Michel III fit porter a Rome les préfents qu'il faifoit a Saint Pierre. Entre les Moines défenfeurs des T vj Théophile.Ann. 836, XXIII. Souffran-  Tkéo- shile. Ann. 836. ces de Théodore Sc de Théophïse. 444 Hl STCfIKB images, les plus célebres étoient deux freres, Théodore &c Théophane. Ils étoient venus de Jerufalem expres pour foutenir le dogme Orthodoxe. L'Empereur les fit amener devant lui , & voulut d'abord les intimider par un ton menacant; mais les voyant intrépides, il feignit de s'appaifer , & leur commanda avec douceur de lui citer les preuves fur lefquelles ils fondoient le culte des images. Comme ils s'appuyoient fur des paffages de 1'Ecriture , qui ne fe trouvoient pas dans le texte que leur préfentoit l'Empereur, ils cnvoyerent chercher le manufcrit de Ia bibliotheque Patriarchale, & firent voir fenfiblement a Théophile que le fien avoit été falfifié par les Iconoclafies. L'évidence de Ia conviction au-lieu d'ouvrir les yeux au Prince obfliné, Ie mit ert fureur; il les fit en fa préfence aceabler de coups de baton; on leur imprima fur le front, en caraéferes ineffaeables, de méchants vers, dont le fens étoit que ces fcélérats chaffés de Jérufalem pour leurs crimes, s'étant réfugiés a Conftantinople, en avoient été bannis pour de nouveaux  nu Bas-Empire. Liv. LXIX. 445 forfaits. A eet ordre cruel , Théophane fe tournant vers l'Empereur: Prince, lui dit-il, vous ave^ raifon de vouloir que Cimprejjton en foit durable; vous fere^ un jour obligé de les lire devant le tribunal du fouverain Juge. On les relégua dans la ville d'Apamée en Bithynie , oü ils furent renfermésv dans une prifon. Théodore y mourut des traitements barbares qu'on ne celfa de leur faire éprouver. Mais Théophane furvécut a Théophile; && la paix étant rendue a I'Eglife , ce titre calomnieux qu'il portoit fur fon frönt, devint un éloge refpecf able ; il fut fait Archevêque de Nicée. Méthodius, enfermé pendant fept ans dans un fépulcre, en avoit déja été délivré par un caprice fingulier de Théophile. Ce Prince, plein de feu ék de vivacité, étoit curieux , de cette forte de curiofité vague qui dévore tout fans rien digérer. II lifoit des livres de toute efpece. II lui en tomba un entre les mains, rempli de queftions difficiles; on ne dit pas fur quelle matiere. Jean Léeanomante, &c le Philofophe Léon, qu'il confulta, ne purent lui fournir d'éclair- Theo- phile, Ann. 8jé» xxrv. Rappel cfc Méthodius,  Théo- thile. Ann. 836, 446" // t S T 0 I R e ciffement. Un de fes Chambellans; qui aimoit Méthodius, prit cette occafion de le faire connoitre au Prince. II lui fit Péloge de fa fageffe, & de Fétendue de fes connoiffances. Théophile fit portera Méthodius les queftions quf 1'embarraffoient, & il en recut une folution fatisfaifante. Charmé d'avoir découvert un fi habile homme , il donne ordre de le tirer de fon fépulcre, & de Pamener au palais; il lui affigne un logement avec une penfion honorable. On rapporte que le criminel enfermé avec lui depuis tant d'années , refufa de fortir en même-temps de eet horrible féjour, oii il avoit été converti par les difeours & les exemples de Méthodius, & que, par efprit de pénitence, il fe condamna lui-même a y paffer le refte de fes jours. Méthodius ne fut pas long-temps fans tomber dans une nouvelle difgrace. On avertit l'Empereur qu'il dogmatifoit en faveur des images, & qu'il avoit déja infpiré fes fentiments a plufieurs Officiers de la Cour. Outré de colere, après 1'avoir accablé de reproches, il le fit. fouetter avec violen-  du Bas-Empire. Liv. LXIX. 447 ee, & defcendre dans une cave du palais, pour y être enfermé comme dans le tombeau qui lui avoit fi longtemps fervi de demeure. Quelques amis 1'ayant retiré pendant la nuit. & tranfporté chez eux, l'Empereur confifqua la maifon. Cependant quelque temps après , le befoin qu'il croyoit avoir des lumieres de Méthodius , Padoucit a fon égard. II le fit revenir. II prenoit même plaifir è 1'entendre expliquer les paifages de 1'Ecriture , que les Iconoclaftes citoient en leur faveur. II fe faifoit accompagner de Méthodius dans fes expéditions; en forte que fans abjurer 1'héréfie , il devint beaucoup moins ardent a la foutenir & a perfécuter les Orthodoxes. Pendant que Théophile verfoit le fang de fes meilleurs fujets, une armée de quatre-vingt-dix mille Sarafins entra fur les terres de 1'Empire fous la conduite d'Ibrahim. Théophile fe mit a la tête de fes troupes , accompagné de Manuel & de Théophobe. Lorfqu'il fut en préfence de 1'ennemi, il tint confeil; 1'avis de Manuel étoit que l'Empereur n'ex- Théo- phile. Ann, Sj6i XXV. Théophile vaincu parles Sarafins.Cedr. p. Zon. t. 11, P- 147 » 148. Contin. Theo. pt 70, 71,  Théophile.Ann. 836. 443 HlSTOIRE pofat pas fa perfonne, mais qu'il laiffat a un de fes Généraux le commandement de 1'armée. Théophobe, au contraire , vouloit que l'Empereur animat fes troupes par fa préfence; mais il penfoit qu'on devoit attaquer les Sarafins pendant la nuit, pour leur óter 1'avantage que leur donnoit la fupériorité du nombre : il ofFroit de commencer 1'attaque avec 1'infanterie Perfe qu'il commandoit , perfuadé qu'après ce premier effort, la cavalerie Grecque fondant fur 1'ennemi avec furie, acheveroit aifément la défaite. L'Empereur fut de fon avis pour commander lui-même ; mais il rejetta la propofition d'un combat nocturne, toujours dangereux, & oü le fentiment de gloire, le plus vif aiguillon de lavaleur, s'endort faute de témoins. Ibrahim , foit par lacheté, foit pour quelque raifon inconnue, s'éloigna avec dix mille hommes , & laifTa le commandement k fon Lieutenant Abuchazar. Le combat fut fanglant & opiniatre. Enfin, les Grecs céderent aux efforts des Sarafins , Sc prirent la fuite. II ne refta auprès de 1'Empereur que fa garde  du Bas-Empire. Liv. LXIX. 449 & deux mille Perfes commandés par Théophobe. Accompagné de ces braves foldats, il fe retira fur une colline , qui fut auffi-töt environnée de Sarafins. On y combattit jufqu'a Ia nuit avec un acharnement égal, d'un cöté, pour faire le Prince prifonnier, de 1'autre, pour le défendre. La nuit étant venue, Théophobe ordonne a fes foldats de pouffer des cris de joie, de battre des mains, & de faire un grand bruit de trompettes & de tous les inftruments de guerre, pour donner a croire k 1'ennemi qu'il leur arrivoit du fecours. Les Sarafins, trompés par eet artifice, fe retirerent de peur d'être enveloppés , & allerent camper a deux lieues. L'Empereur profite du [moment pour fe fauver , & gagne le gros de fon armée qui s'étoit ralüée a quelque diftance. II réprimande les fuyards, comble d'éloges &c de récompenfes Théophobe & les Perfes, qui, animés parle fentiment de gloire, & par la libéralité du Prince , demandent comme une grace d'être feuls chargés de faire la guerre aux Sarafins. Théophile, après les avoir reraerciés de leur zele, ne Théophile.Ann, S36.  Théo- thile. Ann. 837. XXVI. Les Saralins vaincus par Théophile. Leo gramm. P- 453- Cedr. p. 625. Zon. torn. II. p. 148. Contin. Theo. p. 71. 72. Symeon, ƒ>• 421. Georg. p. 519. 45° Bis t 0 1 r e jugea pas a propos d'expofer ees vaillants guerriers. II reprit le chemin de Conftantinople, 6c les Sarafins celui de la Syrië. L'année fuivante, il y eut une feconde bataille prés de Charfiane en Cappadoce , oü Théophile fut plus heureux. II fit un grand carnage de Sarafins , 6c revint a Conftantinople avec vingt - cinq mille prifonniers. Après une fi éclatante victoire , il rentra dans la ville en triomphe , 6c fit célebrer les jeux du Cirque , dans lefquels il voulut difputer le prix. Monté fur un char attelé de ehevaux blancs, 6c vêtu de la livrée de la fadlion bleue , il courut au milieu des acclamations, 6c ne manqua pas de remporter la vidtoire , toujours affurée au Prince en ces fortes de combats. II n'eut pas cependant le principal honneur de cette fête. Entre les prifonniers fe trouvoit un cavalier Sarafin d'une taille avantageufe, également adroit des deux mains, 6c qui manioit deux lances a la fois ivec une foupleffe 6c une agilité ex:raordinaire. Sur le rapport du Capi;aiae des gardes qui le connoifToit  du Bas-Empire. Liv. LXIX. 451 l'Empereurvoulut faire lepreuve de fon adreffe. II le fit paroïtre au milieu du Cirque , oii le Sarafin s'attira les applaudilfements du Prince ck des fpectateurs , excepté de Théodore Cratere. C'étoit un eunuque , qui, méprifant le fervice du palais, auquel fon état le deftinoit, avoit embraffé la profeflion des armes , oii il s'étoit avancé par fa valeur. II étoit alors dans le Cirque a cöté de Théophile ; ck comme il regardoit avec un air de mépris cette parade que l'Empereur admiroit : En ferois - tu bien autant que ce Sarafin, lui dit Théophile. Prince, répondit Cratere, je ne me fuis jamais exercè d ces jeux, qui ne font d''aucun ufage dans la guerre. Mais je repondrois bien quavec une feule lance je ferois perdre les argons d ce barbare, en eüt-il quatre. Fais donc, lui dit l'Empereur. Si tu ne tiens parole , je te fe~ rai couper la tête. Auiïi-töt Cratere , empoignant une lance fans fer, prend carrière, & du premier coup abat le Sarafin. L'Empereur, quoiqu'un peu honteux d'avoir parti tant admirer un manege frivole , ne put s'empêcher. de louer Cratere.. II le récompenfa. Théophile.Ann. 837.  Théophile.Ann. 8 jS. XXVII. Théophile fauvé par Manuel.Leo gramm. P- 453Cedr. p, 526. Zon. torn. 11. p. 148, 149. Contln. Theo. p. 71, 73- Symeon. p. 421. Georg. p. 521. Genef. p. 20. e 452 H. I $ T Ó I R E d'une riche vette, forte de préfent qu'on voit dès-lors en uiage chez les Princes Orientaux. Après la défaite fanglante que les Sarafins avoient effuyée , ils fe haterent d'effacer un affront auquel ils n'étcient pas accoutumés. Dès le printemps fuivant, ils marcherent en Capparloce avec une armée formidable. L'Empereur, fier du brillant fuccès de la campagne précédente, courut a leur rencontre, & éprouva que la fortune n'a rien d'affuré. Son armée fut battue , & comme il s'expofoit lui-même avec une valeur inconfidérée, il fe trouva enveloppé. Manuel, qui fe retiroit avec Ie refte des troupes , s'étant appereu de 1'abfence de l'Empereur, raffemble en un indant les plus braves cavaliers, & fe mettant a leur tête : ALlons, dit-il, dégager l'Empereur, ou mourir avec lui, Aufli-tót s'élancant avec la rapidité de la foudre, il perce jufqu'a Théophile , qui , environné d'un gros d'ennemis, portant & recevant des coups terribles, commencoit k manquer de forces , mais non pas de courage. Suivei-moi, Prince, kü dit-il j  du Bas-Empir.e. Liv. LXIX. 453 je vais vous ouvrir un large pajfage ; ne laiffons pas d ces foldats l'honneur de faire prifonnier un Empereur. Ne leur laijfons pas non plus celui de voir fuir un Empereur devant eux , repliqua Théophile en continuant de combattre. Manuel qui, fans Pentendre, avoit aufïïtöt tourné bride , abattant k droite & a gauche les Sarafins qui fe trouvoient devant lui , s'appercut qu'il n'étoit pas fuivi de l'Empereur. II retourne fur fes pas, & par un fecond effort, il rejoint Théophile , qui refufe encore de le fuivre. Enfin, une troifieme fois Manuel, fondant en défefpéré fur les ennemis , court a l'Empereur , faifit la bride de fon cheval, & lui préfentant la pointe de fon épée devant la poitrine : Suive%moi, lui cria-t-il, ou f vous chercke^ la mort , receve^-la de cette épée faite pour vous dtfendre, & nen laijje^ pas la gloire a un Sarafin. En même-temps il entraine l'Empereur couvert de fang & de pouffiere ; & tandis que fes cavaliers arrëtent par-derriere la fougue des ennemis, il le conduit en füreté au milieu de fon armée. Elle s'étoit ralliée dans un pofte avanta- Théo- fhile. Ann. S3S.  Théo- phiie. Aan. 838, XXVIII. Difgrace tle Manuel qui fe retire chez les Sarafins. Cedr. p. 526, 527. Zon. t. 11. P- '49 1 450. Contin. Theo. p, 73 . 74. 75. Symeon. p. 419 ,420, Georg. p. 517 ,518. Genef, p. ?9& fin- 454. III S T 0 I li E geux, & elle recut avec des cris de joie fon Prince qu'elle croyoit mort ou prifonnier. Les Grecs, animés par le courage de Manuel, & par le retour de Théophile , firent fi bonne contenance, que les Sarafins fe retirerent fans ofer hafarder une feconde bataille. Manuel, couvert de bleffures dont aucune ne fe trouva dangereufe, fut d'abord ohéri de Théophile. Ce Prince ne le nommoit que fon bienfaicteur, fon fauveur. Mais une faveur fi bien méritée alluma bientöt la fureur de 1'envie. Celui qui avoit terraffé des milliers de Sarafins, ne put tenir contre les affauts d'une cabale de Courtifans. LEmpereur lui-même, accablé du poids de la reconnoiffance, crut fe foulager par 1'ingratitude , & Manuel éprouva qu'un fervice de trop grand prix pour être payé, produit fouvent 1'effet d'une offenfe. L'Empereur fe laiffa perfuader que celui qui favoit fauvé, cherchoit a le perdre, & afpiroit a 1'Empire. Manuel fut averti par un Echanfon du Prince , qui avoit fervi dans fa maifon, que la réfolution étoit prife  nu Bas-Empire. Liv. LXIX. 455 tle lui crever les yeux. Sur eet avis, il fort fecretement de Conftantinople avec trois ou quatre domeftiques, prend les chevaux de toutes les poftes, auxquels il coupe les jarrets en les quittant pour n'être pas pourfuivi, & faifant une extréme diligence, il arrivé en Syrië. Bien recu par les Sarafins, qui connoiffoient fa valeur , il fe tranfporte a Bagdad a la Cour du Calife, auquel il offre fes fervices , s'il lui permet de conferver fa religion. Mutafem le comble d'honneurs ; 1'acquifition d'un guerrier fi célebre lui paroit d'un plus grand prix, que le gain de plufieurs batailles. II lui donne bientöt fa confiance , & s'empreffe d'employer fa valeur dans les expédkions les plus importantes. v Le Chorafan s'étoit révolté. Manuel ne demanda pour le réduire que les prifonniers Grecs qu'on retenoit dans les fers, & il répondit fur fa tête qu'aucun d'eux ne prendroit la fuite. II tint parole. Jamais foldats ne furent plus fideles a leur Général. Devenus libres, mais attachés a leur libérateur par des liens plus forts que Théophile.Ann. 838,' XXIX. Exploits de Manuel chez les Saja~ fins.  Théophile.Ann. 838. Ann. 839. XXX. Manuel «ie retour .a Conftantinople. 456 HlSTOIRE les chaïnes dont il les avoit tirés," ils le fervirent avec zele, & n'épargnerent pas leur vie pour lui procurer de la gloire. L'étonnement des rebelles contribua encore a leur défaite. Ils s'attendoient a combattre des Sarafins, & voyoient, avec furprife, des ennemis dont 1'habillement, 1'armure, le langage , 1'arrangement des troupes & la maniere 'de combattre leur étoient inconnus. Ces peuples, voifins de 1'Oxus, avoient a peine entendu parler des Grecs. Ils furent fubjugués & réduits a 1'obéiffance en peu de jours. Le vainqueur employa le refte de la campagne k une autre efpece de guerre. Une prodigieufe multitude de bêtes fauvages, fortie des déferts du Maüerennahar, défoloit les contrées voifines. Manuel fit ufage de fes troupes pour leur donner la chaffe, & il en délivra le pays. Tant de fervices rendoient Manuel cher au Calife & a toute fa Cour, plus équitable que celle de Conftantinople. En même-temps la réputation qu'il acquéroit en Perfe, le faifoit regrettef de l'Empereur. Théophile  du Bas-Empir.e. Liv. LXIX. 457 Théophile reffentoit vivement Ia perte d'un guerrier, auquel il étoit redevable de la vie. II réfolut de le regagner & d'enlever k fes ennemis un fi puiffant fecours. II chargea de cette cornmiflion délicate un Moine adroit & rufé, qui s'étant joint k une caravane de pelerins pour Je voyage de Paleftine , paffa de Jérufalem a Bagdad , déguifé en mendiant. S'étant introduit dans le palais, il remit k Manuel une lettre de l'Empereur , avec une croix que le Prince lui envoyoit pour füreté de fa parole. Toutes les faveurs du Calife &c les Careffes d'une cour étrangere, ne pouvoient effacer du cceur de Manuel 1'amour de fa patrie. La vue d'un compatriote, & plus encore celle de ce gage précieux qu'il recevoit de fon maitre, lui tira des larmes. Embrafé du defir de retourner k Conftantinople , il profita de la confiance du Calife pour fe tirer de fes mains. » Prin» ce, lui dit-il, vous favez que j'ai » des ennemis dans 1'Empire; leur » malice m'a fervi malgré eux : ils » ont voulu me perdre, & ils m'ont »> élevé au comble de la gloire en Torne XIV. V Théophile.Ann, S39.'  Théo- THItE. Ann. .859. 4-53 H 1 s t 0 1 r e ►> me procurant 1'honneur d'appro-' » cher du plus grand Prince de la. » terre. Mais ils n'en méritent pas. » moins toute ma haine. Ils habitent » en Cappadoce; donnez-moi quel» ques troupes; je vous vengerai des » infultes de la nation en me ven» geant moi-même de mes calom» niateurs ". Pour mieux couvrir fon projet, il fupplie le Calife de mettre fon fils Quatheq a la tête de cette armée ; il fe réferve 1'honneur d'être Lieutenant du jeune Prince , avec Iequel il s'étoit lié d'une tendre amit\é. Mutafem, que les fervices fignalés &c le caraöere généreux de Manuel éloignoient de tout foupcon , faifit avec joie cette occafion de porter le fer & le feu dans le cceur de FEmpire. II met Manuel a la tête d'une armée. Lorfqu'elle fut fur la frontiere, Manuel envoyé fecretement au Gouverneur de Cappadoce 1'avertir de fon deffein; il le prie de pofter quelques troupes dans un lieu ou il doit fe rendre feul, pour lui fervir d'efcorte jufqu a ce qu'il foit en füreté. Arrivé a deux ou trois lieues 4e eet endroit, il fait camper 1'ar-  bu Bas-Empire. Liv. LXIX. 459snee; & prenant avec lui le fils du ' = Calife, il s'éloigne du camp comme théo- Iinilf linf» narüf* Af rh?hffent de quelque maniere que ce On crut dans la fuite que cellei s'étoit vérifiée dans la perfonne :'Eudocie, feconde femme de 1'Em•ereur Bafile. Cette Princeffe étoit de i familie des Martinaces, & d'elle Jrtit une fucceffion de quatre Emereurs, qui occuperent le tröne penant foixante-dix-fept ans. Mais une Litre prophétie donna encore plus 'ïnquiétude a Théophile. Cette fem-  du Bas-Empire. Liv. LXIX. 461 me lui prédit qu'après fa mort, le culte des images feroit rétabli, & Jean Lécanomante dépofé. Jean lui-même, toujours charlatan , quoique Patriarchê , allarmoit auffi l'Empereur. Ces événements étoient faciles a deviner, en fuppofaht feulement que l'Impératrice furvivroit a fon mari; on favoit qu'elle déteftoit les Iconoclaftes. Théophile pour détourner 1'effet de ces triftes prédicfions, fit jurei" a l'Impératrice & a Théocfifte fon Chancelier, que s'ils lui furvivoient, ils conferveroient Jean dansfa dignité, & qu'ils ne releveroient pas ce culte idolatre qu'il avoit pris foin de détruire. Après Ia retraite de Manuel, 1'armée Sarafine dont il avoit eu le commandement , demeura campée en Cappadoce , en attendant de nouveaux ordres du Calife. Ce Prince, irrité d'avoir été joué par Manuel, envoya un nouveau Général pour achever la campagne. L'Empereur, de fon cöté, oppofaaux Sarafins les troupes qu'il avoit en Afie. Mais les deux armées, après divers mouvements, craignant également d'en venir aux V iij Théophile.Vnn, 839. XXXIÏ. Commeacementdes Patzinaces. Cedr. p. 518. Contin. Theo. pag. 76 , 77- Confl. Porph. de adm. imp. c. 41. M. de Guignes , hifi.  Théophile. Ann. 839. des Huns , i.n. 1. e. t. 1. De ïlfle inadnot. in leb. Geog. *d Conft, Ferph. I . '1 462 HlSTOIRJB mains, fe retirerent fans combattre. Dans ce même temps, le Khan des Chazares, allié de 1'Empire, envoya une ambaffade a Conftantinople. II vouloit engager l'Empereur a fe joindre a lui pour écarter les Patzinaces. Cette nation barbare, inconnuejufqu'alors, habitoit entre le Volga 6z le Jaïck. S'étant multipliée, elle commen9oit k fe montrer fur les bords du Tanaïs, & faifoit craindre une invafion femblable k celle des Chazares eux-mêmes & de tant de peuples feptentrionaux , qui, des bords de la mer Cafpienne, s'étoient avancés en différents temps jufque fur le Danube. Le Bofphore Cimmérien , sxpofé k cette incurfion , étoit alors poffédé par les Chazares; mais 1'Empire y confervoit la ville de Cherfone, place importante vers 1'entrée de la prefqu'ifle , & par cette raifon il avoit un intérêt commun avec les Chazares. L'Empereur y envoya fon premier Ecuyer, nommé Camatere, jui connoiffoit le pays ; il lui donna me flotte avec quelques troupes pour dder les Chazares a fermer le paffa»e aux Patzinaces. Camatere , arrivé  nu Bas-Empire. Liv. LXIX. 463 k Cherfone, y laiffa les vaifleaux de guerre , 8c fit paffer fes troupes dans des bateaux plats , qui feuls pouvoient naviguer fur les Palus Méotides, Sc entrer dans le Tanaïs. Ayant remonté le fleuve jufqu'a quelque diftance de fon embouchure, il travailla de concert avec les Chazares a conftruire un fort capable de tenir en refpect les barbares de ces contrées, 8c de défendre le paffage. Comme les environs ne fourniffoient aucuns matériaux, on fit de la chaux avec le gravier du fleuve , Sc des briques avec la terre du lieu même; ce qui rendit le travail plus long; mais 1'ouvrage n'en fut pas moins folide. Ce fort fe nomma Sarcel; ce qui, en langue Chazare , fignifioit malfon blanche. M. de 1'Ifle, célebre Géographe, prétend que Sarcel fut batie non pas fur le grand Tanaïs qu'on nomme aujourd'hui le Don , mais fur le Donez que les anciens nommoient auffi Tanaïs, & que c'eft la ville de Ruffie nommée maintenant Bielogorod; ce qui fignifie auffi ■maifon blanche ; mais cette opinion me paroit moins vraifemblable, que V iv Théophile.Ann. 839.  Théophile.Aan, 839 XXXIII. Hardieffe d'un Couvreur.Leogramm. p. 4,6. Symeon. p, Georg. p. 1*5* 4H HlSTOIRZ celle que j'ai fuivie. II y avoit toujours une garnifon de trois cents Chazares. Camatere, de retour a Cherfone, fit favoir a l'Empereur, que pour s'affurer de la confervation de cette place importante, il falloit y envoyer un Gouverneur , & qu'il étoit dangereux de la laiffer k la difpofition des habitants , comme on avoit fait jufqu'alors. L'Empereur approuva eet avis, & nomina Camatere lui-même , avec ordre aux Cherfomtes de lui obéir. Ce fut la première fois qu'ils reeurent un Gouverneur ; & 1'on continua dans la fuite de leur en envoyer de Conftantinople. Les Auteurs de ce temps-la rapporten* "n fait peu important, a la vérité , mais qui peut trouver quelque place dans 1'hiftoire des Arts. Dans la place nommée 1'Auguftéon, étoit une ftatue équeftre de Juftinien, placée fur une colonne fort haute. Le cimier du cafque, qui étoit de bronze doré ainfi que la ftatue, fut abattu par le vent. Comme on préparoit un grand échafaudage pour atteindre a cette hauteur, un cou'vreur  bü Bas-Empire. Liv. LXIX, 465 propofa d'épargner cette peine & cette dépenfe , 8c dit qu'il n'avoit befoin que d'une corde & d'un javelot. Etant monté fur le tolt de Sainte-Sophie qui n'en étoit pas éloignée, il attacha la corde au javelot, & le faifant partir d'une machine avec roideur, il 1'enfonca dans la ftatue. S'étant enfuite coulé le long de la corde, il replaca le cimier du cafque. L'Empereur récompenfa de cent pieces d'or fon induftrie 8t fa hardielTe. Les Sarafins en perdant Manuel, fembloient avoir perdu leur courage; ils fe tenoient renfermés dans leurs limites. Théophile, profitant de leur inaöion, fe met a la tête de cent mille hommes, &c va fondre dans la Syrië. II porte par-tout le ravage, pénetre jufqu'a 1'Euphrate, prend& pille Samofate, affiege Sozopetra, autre ville de la Comagene , ou étoit né le Calife. Mutafem, allarmé du pé* ril de fa patrie, fe voyant pris au dépourvu fans avoir eu le temps de raflembler fes troupes , écrit a Théophile , le priant avec inftance d'épargner cette ville qui lui étoit chere : V v Théophile.Ann. 839. Ann. S40. xxxtv*. Théophile détruic plufieurs villes» v Cedr. p* 528, 529. Zon. t. 1U ?■ ijo» 151. Leogramm* ?■ 4Ï3- Contin. Theo. p. 77 . 7S. Symeon. p, 421 , 422. 'Georg. p. 519,  Théo- ih1le. Ann. $40 Gtnefius, ■ p. 27. 30. Abulfara- Rlmacln , 1. c. 9. XXXV. Sédition des foldats Perfes, 4-6$ HlSTOIRE Ceji mon berceau, lui difoit-il; je voasabandonneroïs plutót une Province entiere ; jonge{ que Jï je fuis farpris aujourd'hui, je ferai demain en état de me venger. L'intérêt que le Calife prenoit a cette ville ne fit qu'animer davantage l'Empereur a la détruire. II la prend de force , Ia faccage & Ia ruine. Les hommes font paffes au fi! de l'épée; les femmes & les enfants trainés en efclavage. De-la 1'armée marche a Malatia , qui étoit 1'ancienne Mélitine. On y fait un grand earnage : mille Mufulmanes font emmenées captives. Théophile retourne a Conftantinople , fier d'avoir caufé au Monarque Sarafin un chagrin fi fenfible. Sa joie fut bientöt troublée par nn événement qui pouvoit avoir des fuites funeftes. II avoit laiffé Théophobe k la tête des Perfes, pour les conduire k Sinope en Paphlagonie, aü ils devoient paffer le quartier d'hyver. Ce corps s'étant accru fuc:eflivement par les fugitifs de Perfe, nontoit alors k trente mille hommes. Arrivés k Sinope, mécontents ie ce qu'on différoit leur paye, ils  du Bas-Empire. Lh. LXIX. 467 fe mutinent & proclament Théophobe Empereur. Ce fidele Officier rejette eet honneur criminel, il refufe confiamment de fe rendre complice de leur révolte; il les menace des chatiments féveres que méritent des rebelles ; rien ne peut les calmer; ils 1'environnent; ils s'écrient: Ceji d vous d nous mettre d couvert; nous navons point de grace d efpérer de £ Empereur. Une révolte , des quelle cji déclarée ne peut échapper d la punition que par le fuccès. Théophobe inftruit fecretement l Empereur de ce qui fe paflbit a Sinope ; il lui jure qu'il fouffrira plutöt mille morts que de lui manquer de foi. Théophile lui répond qu'il eft content de fa fidélité ; mais qu'il doit au plutöt fe tirer des mains des rebelles & revenir a la Cour. Théophobe s echappe & fe rend auprès du Prince , qui le recoit avec toutes le marqués de bienveillance. II veut même en fa confidération pardonner aux Perfes, & les fait afiurer d'une pleine & entiere amniftie : mais il leur ordonne de fortir de Sinope. Déconcertés par la fuite de Théophobe, ils V vj Théophile.Ann. 840,  ThéoAnn. S4Q. Ann. 841. XXXVI. Les Sara£ns vont sffiéger A- ( jnorium. I-cogramm^ ^ p. 454- < Cedr. p. i WiSrftqq. , Zon. uUi 1 ij'. IJ2. i Contin. J. T«o. pag. . 78 6-/èjj. Symeon. p. Jj 41J. J 513. « «SS ff 1 s t 0 r r 3 obéiiTent; on les difperfe en diffe^ rentes Provinces , deux mille danschacune , fous des Officiers Grecs. qui éclairoient leurs démarches & rompoienrjeur concert. On les incorporamême ad'autres troupes, en forte qu'en peu de temps, ils fe naturahferent, &oublierent jufqu'a leus origine. Malgré le bon accueil que l'Empereur avoit fait a Théophobe,, il lui refia au fond du cceur un ai^ guillon de jaloufie, qui fe manifefta au moment de fa mort; ainfi que nous ie verrons dans la fuite.. La deftrucfion de Sozopetra mit e Calife en fureur ; il réfolut de s'en menger fur la patrie de Théophile.. C'étoit Amorium, oü étoit né Mi:hel le Begue,. ville alors la plus•iche de 1'Afie mineure. II fit venir les troupes de toutes les Provinces Ie fon Empire & du fond même de 'Afrique. Les Califes n'avoient afemblé depuis long-tenaps une fi nomreufe armée. Pour annoncer fa ré>lution, il fit écrire au milieu du ouclier de chaque foldat le nom 'Amorium. L'armée divifée en plueurs corps, pénétra dans le pays  du Bas-Empir!. Liv. LX/X. 469 par différents défilés entre les montagnes, & prit en chemin plufieurs villes. Le rendez-vous général étoit k Tarfe. Pour arrêter ce torrent, Théophile s'avanca jufqu'a Dorylée, a trois jonrnées d'Amorium. On lui confeilioit d'éviter une adtion avec les Sarafins, beaucoup plus forts en nombre , d'évacuer Amorium , & d'en tranfporter aillenrs les habitants. II rejetta ce confeil comme une lacheté honteufe. La ville étoit bien fortifiée; il donna ordre de préparer tont ce qui étoit néeeffaire pour une vigoureufe défenfe. II y envoya de bonnes troupes fous le commandement du Patrice Aëtus , auquel il joignit les plus braves Officiers de fon armée. Le Calife arrivé a Tarfe réfolut de combattre Théophile, avant que de comme neer le fiege. If détacha cinquante mille hommes, entre lefquels étoient dix mille Turcs, & mit k leur tête fon fils Ouatheq avec Sudés, Emir de la petite Armenië. Ouatheq alla camper k Dazymene k Pentrée de la Phrygie. L'Empereur fe mit auffi en marche avec fon armée compofée en gram Théophile.Ana. 841. Genef. p-. 30 6- feqq. Abulfara- Elmacin „ l. 2. c. 9. Oratio in feftum refik tut'ionis imag-inum* Apud Com* bejis. Bolland. aHa 42 martyr. é Marüi,t XXXVII, Bataille de Dazymene.  Théophile.Ann. S41 4? > > I I f 47<5 HlSTOIRE la tête. Mutafem recut bientöt une nouvelle ambaffade de Théophile, qui lui offroit deux mille quatre cents livres d'or pour le rachat des prifonniers, entre lefquels fe trouvoient plufieurs parents de l'Empereur. Le Calife traita ces députés avec le mépris le plus outrageant. Ils fervirent de nfée a toute fa Cour. Enfin, chargés d'infultes & d'opprobres , il les congédia en leur difant: » Votre maitre » rn'offre beaucoup moins qu'il ne •> m'en a coüté pour rabattre fon or- > gueil. J'admire fa folie : il a prodi- > gué cent mille livres d'or par une > vanité puérile dans cette ridicule > ambaffade qui femoit 1'or comme > la pouffiere; & il n'efiime que deux > mille livres un fi grand nombre de > fes plus braves fujets, & même de ; fes proches : il parloit de 1'ambafade faftueufe de Jean Lécanomante : ' Qu'p fache, ajouta-t-il, qu'ils ne > fortiront pas de mes mains , quand • il me donneroit pour chacun d'eux ■ ce qu'il m'offre pour tous ". Le apport de ces députés pénétra Théotóle de la plus vive douleur : i! paffa lufieurs jours dans la folitude & pref-  nu Bjs-Empihe. Liv. LXIX. 477 que fans nourriture; fentant fes entrailles embrafées d'une exceflive chaleur, il ne vouloit pour boifTon que de 1'eau de neige, qui lui caufa une dysenterie dont il mourut quelques mois après. Mais les douleurs qu'il fouffroit le tourmentoient moins encore que le regret de la perte d'Amorium. Plus occupé de fa vengeance que de fa fanté, il envoya au Roi de France le Patrice Théodofe, pour lui demander un fecours de troupes. H ne comptoit plus fur la fidélité de fes fujets , perfuadé que tous les malheurs qu'il avoit effuyés dans Ia guerre, étoient plutöt 1'effet de la trahifon que de Ia foibleffe. II prioitaufïï Ie Roi de favorifer fes efforts en Afie, par une puiiTante diverfion en Afrique. L'Ambafiadeur fut bien recu è la Cour de France ; & le Roi paroiffoiit difpofé a fecourir Théophile; mais la mort de Théodofe, & peu de temps après celle de l'Empereur, firent avorter tous fes projets. Mutafem avoit fait batir une ville ' nommée Samara fur Ie Tigre, a quelques lieues au-deflus de Bagdad. II " y faifoit fa réfidence ordinaire, &cen Théophile.Ann. 841. XLI. Traitelent des rifoniers.  Théo- THltE. Ann. 841. Leogramm. r- 454t 455. Cedr. p. ÏJ*. Contin. Tkée. pag. Si, 82, Si. Symeon, p. 424. Grorg, p. 5*3- Acla 42 Mar. Apud Bolland. 6 MartlL Fleury , hill. ecclef. I. 48. art. *J , 16. 478 HZSTOIRB, fut-la qu'il fit tranfporter les quarante-deux Officiers. II les avoit féparésdes autres pour les engager a fe faire Mahométans, & pour les employer enfuite dans fes armées. Les deux plus confidérables étoient le Patrice Aëtius & ce Théodore Cratere, qui avoit terraffé dans le Cirque le Sarafin fanfaron dont nous avons parlé. On les enferma tous enfemble les fers aux pieds dans un cachot ténébreux. La, privés de toute confolation, fans lumiere, fans lit, fans autre nourriture que du pain & de 1'eau, ils ne voyoient que leurs géoliers & leurs gardes. On permettoit feulementquelquefois a un d'entr'eux d'aller mendier du pain dans la ville , enchainé & efcorté de foldats. On les tenta par toutes fortes de voies; ils réfifkrent aux menaces , aux promeffes, aux féducfions des Doöeurs Mufulmans. Badizès, qui s'étoit fait Mahométan, fut employé pour les gagner, & rejetté avec horreur. On efpéra que la longueur de leurs fouffrances abattroit enfin leur courage; on les • tint fept ans enfermés dans eet horrible cachot, oü la main de Dieu les -  nu Èjs-Empire. Liv. LXIX. 479conferva tous au milieu des incommodités les plus capables, non-feulement d'affoiblir, mais même de détruire la nature. Mutafem mourut dès, le mois de Janvier fuivant ; fon fils Ouatheq ne régna pas fix ans entiers; ainfi ces généreux athletes ne furent tirés de leur prifon pour fubir le dernier fupplice, qu'au commencement du regne de Motaouakkel, frere &c. fucceffeur d'Ouatheq. Enfin, 1'an 848 , le 5 Mai, veille du jour marqué pour 1'exécution , Badizès vint les avertir qu'ils mourroient le lendemain , s'ils ne fe rendoient au defir du Calife; il s'avifa même de les exhorter a fuivre fon exemple; qu'il n'étoit queftion que de fe laiffer circoncire, cérémonie par elU-même indifférente , & d'alkr d la Mofquée, oü ils pourroient fans fcrupule unir leurs prieres d celles des Mufulmans, qui adoroient comme eux le vrai Dieu; en forte que fous un extérieur Mahométan, ils conferveroient une ame Chrétienne. Ils ren-, voyerent avec indignation ce miiërable fuborneur, & rendant graces a Dieu de leur prochaine clélivrance, ils paflerent la nuit a chanter des hyra- Théo- phile.- Ann. S41. XLTI. Martyre de$4z Officiers.  ThéorHiiE.Ann. 841. 480 H l S T 0 I 2. E nes.; Le matin un Magiftrat Mufulman vint a la prifon , & les fit fortir pour les conduire au bord du fleuve. II tenta encore de pervertir Cratere , perfuadé que fon exemple entraineroit les autres. Mais il fentit qu'il n'avoit rien a efpérer de cette ame invincible. Les Mufulmans , accourus en grand nombre a ce fpectacle, contemploient avec étonnement la contenance tranquille & affurée de ces guerriers, qui alloient a la mort comme a un triomphe. Sur leur front brilloit déja un rayon de la gloire célefte; la paleur & 1'effroi avoient paffé fiir le vifage des fpeöateurs. Pendant que les bourreaux Ethiopiens préparoient leurs épées, Cratere , que la Providence fembloit avoir donné pour chef a fes compagnons dans cette glorieufe journée, craignant que le Patrice Aëtius ne s'attendrit en voyant couler le fang de fes amis , s'approehe de lui : Seigneur, lui dit-il, vous ave\ toujours marche a notre tête ; votre rang & votre vertu vous appellent le premier d cueillir lapalrne du martyre. Non, lui répondit Aëtius; ƒ ƒ ai droit de vous eommander encore, marche^ & donne^- nous  du Bas-Empire. Liv. LXIX. 481 nous Üexemple. Cratere, s'étant recommandé a Dieu, fe préfenta au coup mortel, & le reeut avec joie. II fut fuivi d'Aëtius & de toute la troupe, qui s'avancant fur une file au-devant de la mort, chacun felon le rang qu'il occupoit dans le fervice militaire , fit frembler par fa confiance intrépide le Magiflrat qui préfidoit a 1'exécution. Leurs corps furent jettés dans le fleuve. Cet événement a jamais mémorable, & confacré dans les fafles de I'Eglife, fut fuivi d'un autre auquel on ne s'attendoit pas, & qui ne mérite pas moins d'être remarqué. Au récit d'une mort fi généreufe, le Calife, forcé d'admirer ces braves guerriers, fentit un vif regret de n'avoir pas épargné leur vie; & voyant devant lui le renégat Badizès : Ce traüre, dit-il, fans doute auffi mauvais Mufulman qu'il a été mauvais Chrétien , n'eft pas digne de leur furvivre. Aufïi-töt il le fait faifir, conduire & décapiter au même lieu. Le corps eft jetté dans le Tigre entre ceux des martyrs. Comment la trahifon ofe-t-elle encore fe produire, après tant d'exemples de traitres puTerne XIV. X ' Théophile.Ann. S41,'  Théophile.Ann. 841. xi.ni. Nouvelle calomnie contre Théophobe. Cedr. p. 521, 523. Zon. t. 11. 152. Leogramm, p. 456. Contin. Theo. pag. 66, 67, *4, 8j, 86. Symeon. p, 418. Georg. p. 515. 516. Glycas, p. 290,291. Joel. p. 178.J79Oratio in fefium reflitktionisimaginum apud Com* befis. Du Cange, fam. %r. P- *33. *34« 4o2 HlSTOIRE nis par ceux mêmes qu'ils ont fervis ? Conftantinople, affligée de la perte d'Amorium &c de fes plus braves Officiers, fe voyoit a la veille de perdre l'Empereur même. Ce Prince, confumé de chagrin & de maladie, dépérifToit de jour en jour. La profonde mélancolie oü le plongeoit 1'afpedt d'une mort prochaine , le rendoitplus fufceptible que jamais des plus noirs foupcons. Les ennemis de Théophobe profiterent de fa foibleffe, pour lui infinuer que ce guerrier ambitieux attendoit fa mort avec impatience, pour s'emparer de 1'Empire au préjudice de 1'héritier légitime. Théophobe , averti du danger qui le menacoit de la part d'un Prince trop facile a écouter la calomnie, prit le parti de s'enfuir de la Cour avec fa femme, fes enfants & quelques amis, & de fe retirer k Amaftris en Paphlagonie. Ses ennemis furent donner k cette retraite innocente l'air d'une révolte. On équipe une flotte, on la charge de troupes, on va chercher Théophobe avec un appareil formidable, comme s'il eut été un ennemi déclaré. Oryphas ? Commandant de  du Bas-Empire. Liv. LXIX. 483 cette expédition, porte au prétendu rebelle un ordre de revenir a la Cour, avec promeffe de la part du Prince qu'il y fera en füreté ék en honneur. 11 n'étoit befoin que d'une lettre pour rappeller Théophobe. Etonné de eet armement, il revient fur la parole de l'Empereur. A fon arrivée , aulieu du bon traitement qu'on lui a promis, il eft enfermé dans la prifon du palais. Cependant Théophile fe fentant jvrès de fa fin, fe fit porter en litiere au palais de Magnaure. Le Sénat ék les principaux habitants s'y étoient afTemblés par fon ordre. Lorfqu'il fut au milieu d'eux , il fe fit foulever fur fon lit, ék recueillant ce qui lui reftoit de forces , il paria en ces termes : » Tourmenté par de cruelles » douleurs, qui m'arrachent la cou» ronne ék la vie, ce n'eft pas cette » perte qui caufe mes regrets. La »> couronne n'a eu pour moi que des » épines, ék j'ai trouvé dans la vie * plus de maux que de biens. Mais » je plains une époufe chérie, ék un » fils encore enfant, que je laifle » fans défenfe, s'ils ne trouvent en X ij Théo- shile. \nn. S41; Banduri numifmata in Theophilo. Ann. S41,' XLIV. Mort de Théophile.  Théophile.Ann. 841. 484 HlSTfJIHE » vous la fidélité avec laquelle vous » m'avez fervi. C'eft un dépot facré » que je vous conhe. J'ignore le fort » que Dieu me prépare pour Tau» tre vie; je Ie prie de me faire mi» féricorde. Mais je ne le conjure pas » avec moins d'inftance, de vous in£» pirer pour ma femme & pour mon » fils ces fentiments de iendreffe que » vous avez éprouvés de ma part. » C'eft un retour de juftice que vous » demande cette voix mourante Ce difcours , plufieurs fois interrompu par la foibleffe, excita les larmes & les fanglots de tous les affiftants. Dès que le Prince fut retombé fur fon lit, leur douleur éclata par des cris, par des vceux pour la guérifon de l'Empereur, par des proteftations de fervir fidélement l'Impératrice & fon fils, de leur conferver 1'Empire , & de facrifier pour eux, s'il en étoit befoin, leur propre vie. Théophile fe fit rapporter au palais qu'il habitoit; & toujours perfuadé des mauvais deffeins de Théophobe, il 1'envoya égorger pendant la nuit, fe fit apporter fa tête; & comme fa vue étoit déja prefque éteinte , portant  du Bas-Emrire. Liv. LXIX. 485 fur cette tête fes mains tremblantes, & lui tatant le vifage : Tu nes donc plus Théophobe, dit-il; ni moi Théophile , ajouta-t-ïl en foupirant. Quelques Auteurs difent que Théophobe ne fut pas ramené a Conftantinople, & qu'Oryphas le fit mourir fecretement pendant la nuit fur le vailfeau même. Quoi qu'il en foit, fa mort fut fi. fecrete , que les Perfes , toujours attachés k fa perfonne, & pleins de vénération pour fa vertu, crurent long-temps qu'il n'étoit pas mort; mais qu'ü avoit été enlevé au Ciel comme le Prophete Elie. Après ce dernier acte de cruauté, Théophile entra dans un délire caufé par la per» fécution qu'il avoit exercée. II crioit de toutes fes forces : Malheureux que je fuis, on me déchire d coups de foueis, II paffa toute la nuit k répéter ces cris affreux, tandis que l'Impératrice , fondant en larmes, imploroit la miféricorde divine. Théodtifte, fon Chancelier , vrai Catholique , portoit k fon cou une image du Sauveur qu'il cachoit avec foin. Théophile ayant appercu cette image, 1'iiïvitoit par fignes a s'approchermais X iij Théophile.Ann. 841;  Théophile.Ann. 842. XLV. Réflestions fur 1« carac- 486 HlSTOIRÊ Théoétifle, qui craignoit que cette vue n'irritat l'Empereur, s'éloignoit de plus en plus. Enfin, arrêté par ■les Officiers du Prince, il fut conduit tout tremblant k fon lit. Les fignes équivoques que faifoit l'Empereur, firent croire k ces Officiers , qu'il demandoit k lui arfacher les cheveux; ils approcherent fa tête des mains du Prince, & Théoclifle ne doutoit pas qu'il ne fut au moment de perdre la vie, lorfque Théophile fe faifit de 1'image , & 1'appliqua fur fes levres. II parut auffi-töt que fes douleurs fe calmerent; fes cris cefferent; & lorfqu'il étoit prêt a rendre les derniers foupirs, Théodora lui fit baifer une image de Jefus-Chrifl & de la Sainte Vierge. II mourut le 7.0 Janvier 842 , après douze ans &c trois mois de regne. Avec lui expira 1'héréfie des Iconoclafies , qui , depuis cent vingt-cinq ans, troubloit I'Eglife & 1'Etat. II avoit déclaré 1'Impératrice régente de 1'Empire pendant ï'enfance de fon fils. Ainfi mourut Théophile, que I'hïftoire auroit moins maltraité, s'il n'eüt été Icojioclafte, ou fi des lconoclaf-  . ou Bas-Empize. Lh. LXIX. 487 tes avoient écrit fa vie. Son zele pour la juftice feroit feul un grand Prince, & fa valeur intrépide, un héros. II eft vrai que fa juftice alloit jufqu'è la cruauté, & qüe fa valeur n'étoit pas guidée par la prudence. Mus dans des fiecles infortunés, oh Pon peut dire qu'il y a difette de vertu , on eft trop heureux de trouver dans les Princes les grandes qualités de leur état, quoiqu'altérées par quelque alliage d'imperfecïion. Les Hiftoriens de ce temps-la, tous Catholiques, tous zélés pour le culte des images qu'il profcrivoit avec fureur, ne lui ont pas rendu juftice; ils ne voyent jamais en lui que 1'ennemi de I'Eglife, & fon nom dans leurs ecnts eft toujours flétri par quelque titre injurieux. C'eft fans doute un grand malheur pour ce Prince d'avoir eté hérétique, un plus grand encore d'avoir été perfécuteur. Mais ce vice , qui devant Dieu a effacé toutes fes vertus, ne doit pas les noircir aux yeux des hommes. Ce n'eft pas fur le jugement de fes Hiftoriens qu'il faut régler le nötre; c'eft fur le récit qu'il font eux-mêmes de fes ac? Théo- philjc. Ann. 842, tere de Théophile.  Théophile.Ann. S4Z. h11e. Ann. 842,' XLVL Caprices de Théo^  Théophile.Ann. S42. XL VII. Ses enfants, Fin du Tomé quatorrieme. ^Cjo HlSTOJRE, CSC. fur le compte du Prince , dont le Ciel, difent-ils , puniffoit 1'impiété. II laiffa un fils nommé Michel, qui lui fuccéda, & quatre filles, Thecle, Anne , Anaftafie & Pulcherie. Thecle , 1'ainée de tous fes enfants, fut dans la fuite ' promife a l'Empereur Louis II, fils de Lothaire ; mais cette promefle fut fans eftet, & Thecle paffa fa vie avec fes fceurs.dans un monaftere. Une médaille donne k Théophile un fecond fils qu'elle nomme Conftantin; mais ce Prince eft toutk-faït inconnu a 1'hiftoire; & cette médaille a déja fourni aux antiquaires la matiere d'une difcuffion, qui feroit déplacée dans eet Ouvrage. Seroit-ce ce fils qui, étant enfant, fe noya dans une citerne, ainfi que je 1'ai rapporté ?