HISTOIRE D U BAS EMPIRE. TOME D IX-SEPTIEMEr   HISTOIRE BAS EMPIRE, a CONSTANTIN le Grand, Por Monfieur L E BEAU, Profejfeur Émérite en TUN'jversitÉ de Paris y Profejfeur d'Éloquence au College RoYAL, Secretaire ordinaire de Monseigneur le Duc dOrleans , & ancien Secretaire perpétuel de l'Académie Royale bes Inscriptïons et Belles-Lettres, TOME DIX-SEPTIEME. Chez Jean-Edme Dufoür & Phiï* Roux, Imprimeurs-Libraires, aflöciés. D U EN CO MMENCANT A MAE8TRICHT, M. DCC. LXXX,   S O M M A I R E D V UVRE SOIXANTE-DIX-HUITIEME. I. C OMMEN C EMENT du regne de Mickel V. ii. Ingratimde de Michel a Cégard de fon oncle Jean. III. Zoé chajfée du palais, IV. Sédition. v. Michel dèpofé. VI. Regne de Zoé & de Théodora. vu. Zoé choijit un mari. VIII. Conjlantin Monomaque Empereur. IX. Amours de Monomaque & de Scléretie. X. Caraclere de Monomaque. xi. Révolte de Flfle de Cypre. ~x.ll. Guerre de Servië. XIII. Maniacès en Italië. XIV. Révolte de Maniacès. xv. Succes & mort de Maniacès. XVI. Affaires d'Italie. XVII. Mort du Patriarche Alexis. XVIII. Mort de Jean le Minijlre. XIX. Difgrace d'Edenne Sebajlophore. XX. Guerre des RuJJes. XXI. Défaite des Ruf- fes. XXII. lis fe retirent. XXIII. Sédition. XXIV. Guerre en Armenië, XXV. Guerre contre ApUfphar. xxvi. CataTornt XVII. A T  2 SOMMAIRE calon envoyé contre Jpkfphar. XXVII.Aventures de Léon Tornïce. xxvin.' 11 efi proclamé Empereur. xxix. 11 attaque Confiantinople. XXX. 11 séloigne de la ville. XXXI. Fin de la révolte. xxxii. Commencement des Turcs Selgioucides. xxxiii. Etienne vaincu par les Turcs. XXXIV. Afan défalt par Catacalon. XXXV. Les Turcs reviennent avec de plus grandes forces. XXXVI. Attaque & prife d'Arn*. XXXVII. Bataüle de Capitre. XXXVIII. Générojité du Sultan. XXXIX. Vingt mille Patnnaces fe réfugient fur les terres de F Empire. xl. Caufe de la guerre des Patur.aces. xli. Les Patnnaces vaincus. XLII. Révolte des Patnnaces établis dans VEmpire. XLin. lis pafent le Bofphore d cheval. XLIV. Siege de Man^cien. XLV. Aplefphar réduit. XLVI. Mauvais traitement fait a Cégene. XLVii. Les Grecs battus par les Patnnaces. XLVIII. Seconde défaite des Grecs. XLIX. Troifieme défaite des Grecs. L. Conjuration. LI. Maffacre de Cégene. Lil. Les Patrjnaces réprimés. LUI. Affaires d'Italie. XIV. Conjuration de Boïlas. LV. Incurfwns du Sultan. LVI. Treve avec les Patnnaces, LVJJ, Commencement du,  du Livre LXXVIIK 3 fckifmt des Grecs. lviii. Le fchifme cnnfommé. lix. Mort de Zoé. lx. Mort de Monomaque. lxi. Réfultat du regne de Monomaque. A ij  1  HISTOIRE D U BASEMPIRE. LIVRE S01XANTE-D1X-HU1T1EME. MICHEL V, dit Calaphate, ZOÉ & THÉODORA. CONSTANTIN IX, dit Mo- noma que. Quoique Zoé eüt adopté Michel Calaphate, & que 1'Empereur, en lui donnant le titre de Céfar , 1'eüt défigné pour fon fucceffeur, cependant 1'Impératrice, a qui A iij 5 MlCKEL V. An. 1041." i Commencement  MlCHEL V. An. 1041. du regne de Michel V. Cedr. p. 749 . <£■ Zon. torn, 11. p. 242, & ftqq. Manajf. p. 125 , 126. Glycüs , p. 316, 517, 318. Joel. p. 18. Du Cange firn. p. 145. Pap ex P/Mo. 11 I S T O I R e 1'Empire appartenoit par le droit de ia naiffance, ne paroiffoit pas difpofee k mettre la couronne fur la tete de ce fils adoptif. Toute la familie de fon mari lui étoit devenue odieufe, & le nouveau Céfar n'avoit nen qui put le faire defirer pour maitre. On lui connoiffoit de 1'efprit & de 1'aftivité; mais fon mauvais caractere ne rendoit ees qualités que plus dangereufes. Le défunt Empereur en 1'eloignant de fa préfence, fémbloit avoir révoqué 1'honrieur qu'il lui avoit fait de le noaimer Céfar. Une difgrace fi déshonorante formoit contre lui un préjugé très-facheux, que fes oncles, qui s'attendoient a régner encore fous fon nóm, s'efForcerent de détruire. Ils contrefirent une lettre du défunt Empereur, qui, étant au lit de la mort, le rappelloit au palais, & lui rendoit fes bonnes gra:es, comme ayant été mal informé. Sur cette lettre, ils le font revenir, Sc le préfentent k 1'Impératrice. Mi:hel s'étant profterné k fes pieds, ils conjurent la Princeffe de ne pas abandonner celui dont elle a bien voulu devenir la mere; ils lui protef-  du Bas-Empire. Liv. LXXVIII. 7 tent qu'il ne prendra de la puiffance fouveraine que le nom d'Empereur; qu'elle en aura toute la réalité; qu'il n'agira que par fes ordres, & que de tous fes fujets elle n'en aura point de plus foumis & de plus prompt a fuivre aveuglément toutes fes volontés. Michel, embraffant fes genoux & fondant en larmes, confirmoit ces promeffes par les plus terribles ferments. Depuis fix jours que la voluptueufe Zoé fe trouvoit chargée du poids des affaires, elle s'ennuyoit déja de tant d'occupations, qui ne laiffoient point de place a fes plaifirs. Ainli plutöt pour fe décharger d'un fardeau incommode, que, par aucun autre fentiment, elle confentit a faire proclamer Michel Empereur. On dit qu'au moment qu'on lui ceignit le diadême , il fut faifi d'un étourdiffement dont il fut prefque renverfé, & qu'il fallut les odeurs les plus fortes pour rappeller fes efprits. Cette cérémonie fut accompapagnée de grandes libéralités faites au Sénat & au peuple. Le nouveau maïtre ne tarda pas a donner 1'efTor a fon mauvais natuA iv Michel V. An. 1041. An. 1042. II. Ingrautu»  ïvllCKEt V. An. 1041, de de Michel è 1'ëgard de fon oncle Jean, 8 HlSTOIRE rel. Plus indigne de régner par la baffeffe de fon coeur que par celle de fa nahïance , il étoit fourbe, injufte, ingrat, ne connoifTant ni les droits de la parente ni ceux de 1'amitié ; ennemi de la vérité qu'il ne difoit jamais , jaloux des fuccès & de la vertu. II avoit été bas & rampant dans Ia vie privée, il fut hautain & emporté fur le tröne. Inégal & inconftant, mais c'étoit pour paffer du mal au pire, plutöt que pour revevir a te juftice & a la raifon. 11 fit le premier effai de fa méchanceté fur fa propre familie. Jean, fon oncle , méritoit 1'indignation de tout 1'Empire; mais dans tout 1'Empire, Michel étoit peut-être le feul qui fut obligé de lui pardonner fes forfaits. Jean 1'avoit fait Empereur, & c'étoit un de fes crimes. Calaphate faifit cette occafion d etre ingrat avec tout I'emprefTement de la reconnoiffance , & pour rendre la chüte de fon oncle plus fenfible & plus rude, dans les premiers jours il 1'éleva fi haut, qu'il fembloit le mettre au-deffus de fa tête. II 1'appelloit fon maïtre; il le faifoit aneoir fur fon tró-  du Bas-Empire. Liv. LXXFIII. 9 ne , il déféroit k fes avis avec toute la foumiffion de 1'obéiffance. Peu-apeu il retrancha de ces honneurs & de ces dehors de confiance ; il affeftoit de le contredire ck de lui donner des dégoüts. Jean, qui avoit contrafté la facheufe habitude de dominer, dévoroit ces afFronts avec dépit ; fon ame fombre méditoit profendément fur les moyens de détruire fa créature ; il ne s'éloignoit pas entiérement de 1'Empereur; maïs il le voyoit plus rarement. Une conteftation furvenue entre lui & un de fes freres fit éclater fon reffentiment. De toute fa familie 1'Empereur n'aimoit que Conftantin; il lui avoit conféré le titre de Nobiliffime. Conftantin, fier de fa faveur, traita mal Jean fon frere en préfence de 1'Empereur, qui n'en fit que rire. Outré de cette injure, Jean s'éloigna de Conftantinople, & attira grand nombre de Sénateurs , moins par un fincere attachement k fa perfonne que par politique. On penfoit qu'avec les reffources de fon génie, il reprendroit bientöt fon ancienne faveur. L'Empereur, jaloux de ce que Jean, dans fa retraite, avoit A v Michel V. An. 1041,  Michel V. An. 104% m. Zoé chaffée du palais,, 10 HlSTOIRE une Cour plus nombreufe que la üeti ne, le manda au palais. Mais quand. 11 fut qu'il arrivoit, il quitta le palais , &c s'en alla au Cirque. Ce fier Miniftre , piqué jufqu'au vif de cette marqué de mépris, retourna fans le voir. L'Empereur alors ne garda plus de mefures; il lui envoya une barque avec ordre de venir rendre compte de fa conduite; & comme Jean approchoit du port, il fit défenfe de le recevoir, & dépêcha une trirême qui le conduifit en exil dans un monaftere au-dela du Bofphore. La colere du Prince s'étendit fur toute la familie ; il n'épargna que Conftantin ; tous les autres, même avancés en age, mariés & peres, épreuverent par fon ordre un traitement ignominieux & cruel; ils furent fait eunuques. Le peuple vit avec affez d'indifférence cette barbarie exercée fur une familie qu'il haïffoit. Mais il ne put voir fans indignation 1'ingratitude de 1'Empereur envers Zoé, dont il tenoit 1'Empire. On méprifoit cette Princeffe k caufe de fes vices , mais on ne la haïffoit pas. Le peuple pardonne  du Bas-Empire. Liv. LXXVIII. n les débauches k ceux qui le gouvernent; il médit, & il obéit; il ne hait que la tyrannie; c'eft 1'oppreffion qui le révolte. Zoé n'avoit eu aucune part aux vexations que les fujets avoient éprouvées fous le dernier regne. Conftantin, qui s'attendoit k fuccéder a toute la puiffance de Jean fon frere, crut devoir écarter 1'Impératrice , k qui le nom de mere donnoit une grande fupériorité. II ne ceffoit d'infpirer contre elle k 1'Empereur les foupcons les plus finiftres; il lui répétoit fans ceffe que s'il ne la prévenoit, elle employeroit bientöt fur lui les mêmes poifons dont elle avoit fait 1'effai fur fes deux époux. Michel, frappé de ces terreurs, defiroit de s'en afFranchir; mais aufli timide que méchant, il craignoit 1'attachement du peuple k 1'héritiere de la couronne. II réfolut donc de fonder la difpofition des efprits, & d'éprouver s'il pouvoit fe flatter d'être affez aimé pour maltraiter Zoé fans courir lui-même aucun rifque. Pour s'en éclaircir, il prit le moyen le plus équivoque. II indiqua pour le premier Dimanche d'après Paques une A vj Michel. V. An. 1042,  MlCHEI V. An. 1042 Ï2 UlSTOJRE procelïion folemnelle a l'Eglife des Apötres. II y aflifta Ia couronne fur _ la tête , accompagné du Sénat , & fuivi d'une foule de peuple que Ia curiofité attiroit. Tout le chemin étoït tendu des plus riches tapifieries; les habitants avoient étalé fur fon paffage tout ce qu'ils avoient de vafes d'or & d'argent; 1'air retentiffoit d'acclamations. Ce jeune Prince fans expérience, environné de jeunes Courtifans auffi novices que lui dans 1'art de connoitre les hommes, fe perfuada qu'il étoit adoré. II ignoroit fans doute que le peuple fe plaït a fe faire un fpeftacle, & qu'il s'étourdit luimême a 1'envi par des clameurs dont le Prince n'eft que 1'occafion. II crut pouvoir fans danger facrifier tous ceux dont il vouloit fe défaire. II commenca par le Patriarche. Dès qu'il fut rentré dans le palais, il fit venir Alexis, lui donna quatre livres d'or, & lui fignifia de fe retirer fur le champ dans un monaftere au-dela du golfe, oü il iroit, difoit-il , le trouver le lendemain pour lui donner un fuccefleur. La nuit fuivante, il fit enlever Zoé, & la fittranfporter k 1'Ifle  nu Bas-Empire. Liv. LXXVIIl. 13 du Prince, avec ordre k ceux qui la conduifoient de la rafer & de lui rapporter fes cheveux ; ce qui fut exécuté. Dès qu'il fit jour, Anaftafe, Préfet de la Ville , affembla le peuple dans la place de Conftantin, & lut une déclaration de 1'Empereur concue en ces termes : Tai éloigné de ma perfonne Zoé dontfai découvert laperfidie, & Alexis complice de fes mauvais dejfeins. Pour vous continue^ de m'être fideles, 6* attende^-vous aux effets de ma bienveillance. Cette leclure achevée , il s'éleva une voix inconnue qui s'écria du milieu de la foule : Nous ne voulons point de Üimpie Calaphate ; nous obéirons a Zoé notre mere, dont CEmpire ejl le patrimoine. Ces paroles furent fuivies d'un cri général, la mort, la mort a Calaphate. On s'arme de pierres, on rompt les bancs de 1'alTemblée; les femmes mêmes armées de leurs fufeaux fe jettent fur Anaftafe, qui n'évite la mort qu'en prenant promptement la fuite. On court au palais. Tout retentit de malédiétions contre Calaphate , de voeux en faveur de Zoé. On va chercher Théo- MlCHEL V. An. 1042.' IV. Sédition.  MjCHEL V. An. 1041. 14 HlSTOIRE dora dans fon monaftere ; on 1'amene a Sainte-Sophie, oü elle trouve Alexis, qui ayant gagné fes gardes par argent, s'y étoit refugié. Après 1'avoir revêtu de la pourpre Impériale , on la proclame Impératriceavec fa fceur Zoé. L'Empereur avoit d'abord méprifé ce tumulte , comme une émeute populaire, qui fe difliperoit aufii promptement qu'elle s'étoit excitée. Mais voyant la fédition croïtre k chaque inftant & gagner même fes gardes, la peur le faifit; il fait ramener Zoé au palais , lui öte 1'habit monaftique pour la revêtir de la pourpre; & la montrant au peuple par une fenêtre : Romains, dit-il, vous deve{ être contents ;ji vous demande^ quelque chofe de plus, je fuis pret d vous fatisfaire. On ne lui répond que par des injures & par une grêle de pierres & de fleches. Perdant courage , il étoit prêt de s'enfuir au Monaftere de Stude, & d'y prendre 1'habit de Moine; mais fon oncle Conftantin lui reproche fa foiblefle ; il lui rappelle cette parole célebre de Denysle Tyran, qu'un Monarquepour defcendre du Tróne doit attendrt quon  du Bas-Empire. Lh. LXXFII1. 15 le traine par les pieds. II fait prendre les armes a tous ceux qui étoient dans le palais; fes propres domeftiques viennent le joindre. Catacalon, guerrier intrépide, arrivé depuis peu pour apporter la nouvelle de la défenfe de Melfine , fe met k la tête des défenfeurs du Prince. Comme le peuple attaquoit le palais par trois endroits différents, la troupe Impériale fe divife en trois corps: fournie de bonnes armes contre une multitude qui n'eft armee que de pierres & de batons, elle en fait un grand carnage : trois mille habitants y péfirent. Cependant cette maffe énorme d'un peuple entier, preffée par la foule, & pouffée par la rage , fe précipitant fans ménagement fur la pointe des épées &c des lances, renverfe enfin les Impériaux , leur marche fur le ventre, force 1'entrée du palais, oü elle fe répand comme un torrent qui a rompu fes digues, pille 1'or , 1'argent, les meubles ; enfonce les portes des bureaux, déchire & met en pieces les regiftres des impofitions , & cherche Michel pour fimmoler k fa fureur. II eut le bon- MlCHEL V. Vn. 1042.  Michel V. An, 1042. V. Michel dépofé. 16 HlSTOIRS heur de n'être pas découvert dans Je lieli 011 il fe tenoit caché; & comme le palais donnoit fur le port, s'étant jetté la nuit fuivante dans une barque légere avec fon oncle & quelques amis, il fe fit conduire au monaftere de Stude , oü lui & Conftantin prirent fur le champ 1'habit monaftique. Ainfi fe termina cette fanglante fédition , qui avoit duré depuis le matin du lundi jufqu'au matin du mercredi. . Zoé, qui étoit demeurée dans le palais , fe voyant revêtue de la puiffance fouveraine, n'étoit pas difpofée k la partager avec fa foeur. Elle céda cependant aux inftances du Sénat & du peuple qui chérifibit Théodora k caufe de fes malheurs. Théodora vint donc au palais. Zoé, après avoir convoqué le Sénat pour lui témoigner fa reconnoiflance , paria du haut d'une fenêtre au peuple aflemblé dans la cour; elle le remercia de fon zele, lui promit tous les biens jwi dépendoient d'elle, lui fouhaita ïoutes les faveurs du Ciel, & finit sar lui demander quel traitement il ^ouloit qu'on fit a Calaphate. Tous  du Bas-Empire. Liv. LXXVIII. 17 s'écrient : Point de gracea.ce fcêlèrat; qWon l'attaché d un gibet ; qu'on lui arrache Ics.yeux. Zoé fentoit quelque pitié; elle vouloit épargner le fupplice k ce malheureux. Mais Théodora, aigrie par une injufte perfécution, n'eut pas 1'ame affez grande pour pardonner, lorfqu'elle fe vit maitreffe de fe venger. Elle donne ordre au nouveau Préfet de Conftantinopie , nommé Campanarès , d'aller fur le champ crêver les yeux a Calaphate & a Conftantin. Ce Magiftrat, fuivi d'une foule de peuple, fe tranfporte au monaftere. A fon arrivée, les deux condamnés, avertis de leur trifte fort, fe réfugient dans le fanöuaire de 1'Eglife. Le peuple, irrité du maffacre de tant de citoyens, fe faifit d'eux fans refpefter 1'afyle, & les traïne au travers de la Ville jufqu'a la place du Sigma. Ils effuyerent dans le chemin toutes les infwltes & les outrages dont eft capable une multitude qui triomphe de fes oppreffeurs. A la vue des inftruments du fupplice, Michel, fondant en larmes, demanda en grace qu'on commen$at 1'exécution par Conftan> Zoé & Théodo- ra. An. 1042.  Zoé & .Théodo- ra. (An. 1042. ; : 1 1 i j VI. Regne de Zoé & de ' Théodo- 1 ra. , Cedr. p. 752,753- 1 Zon. t. 11. j p. 246, 247. Glycas, p. ' 31$, 319- f Manaff. p. t 126 , 127. Joel. p. I 18?. t8 H I S T 0 I R R tin, dont les confeils avoient produit tous ces maux; & Conftantin la fouffrit avec une fermeté lus qu'elles étoient entiérement op•ofées de^caractere, & jufqu'alors nnemies 1'une de 1'autre. Cependant >ar un miracle, qu'on ne peut attriuer qu'a la courte durée de leur rene, jamais 1'Empire ne fut plus hen-  du Bas-Empire. Liv. LXXFI1I. 19 reux & nlus tranouille. Tout obéif- foit fans murmure. Affifes fur le tribunal qu'elles partageoient, au milieu de la garde Impériale , ehvironnées des refpefts du Sénat & des Magiftrats, elles rendoient enfemble la juftice, régloient les affaires publiques , donnoient audience aux Députés des Provinces & des nations étrangeres, conféroient les magiftratures & les dignités, rempliflbient toutes les fon&ions de la Royauté, & le fceptre en leurs mains ne perdoit rien de fon éclat ni de fa force. Les magiftratures étoient vénales; elles réformerent eet abus, ainfi que beaucoup d'autres, par des édits qu'elles firent publier dans toutes les Provinces. Les finances étoient dans le plus grand défordre : Conftantin le Nobilifïime en avoit difpofé k fon gré; elles le firent venir de fon monaftere pour 1'interroger : efFrayé de leurs menaces, il déclara qu'on trou— veroit dans fa maifon cinq mille trois cents livres pefant d'or enfoncés au fond d'une citerne. Cette fomme fut rapportée aux Impératrices. Elles conférerent k 1'Eunuque Nicolas , qui Zoé 8c Théodo.' RA. A.n. 1041. Pagi ex Pfello,  Zoé & Théodo- ra. An, 1042, VII. Zoé choilït un mali. 5.0 H I S T 0 I R E avoit fervi leur pere, le commandement des armées d'Orient, & celui des armées d'Occident au Patrice Conftantin Cabalïlas. Calaphate avoit tiré de prifon Maniacès; elles lui donnerent le titre de Maitre de la Milice, & 1'envoyerent commander en Italië avec un pouvoir abfolu. C'eüt été un phénomene trop ex. traordinaire, que deux femmes qui ne peuvent gouverner une familie avec un pouvoir égal, fe fuflent longtemps accordées dans le gouvernement d'un grand Etat. Zoé crut s'appercevoir que fa fceur avoit fur elle la préférence dans le cceur desfujets; & piquée de jaloufie, elle fut la première a propofer aux principaux Seigneurs 1'élection d'un Prince , pour foutenir 1'honneur de 1'Empire. Elle ajouta que, pour donner un droit légitime k celui qui feroit jugé digne de eet honneur, elle vouloit bien fe facrifier elle-même au bien de 1'Etat, & qu'elle confentiroit k 1'époufer. C'étoit un facrifice qui ne lui coütoit guere, quoiqu'elle 'eüt foixante-deux ans. La propofition parut t-rès-raifonnable, 6c 1'on crut qu'il ne  nu Bas-Empire. Liv. LXXVIII. 21 1'étoit pas moins de laiffer a la Princeffe le choix d'un mari. L'intérêt de Théodora ne fit aucune difficulté; elle étoit la cadette, & tellement éloignée du lien conjugal, qu'elle aimoit mieux perdre un Empire que de prendre un époux. Zoé fongea d'abord a Conftantin Dalaffene, enfermé depuis huit ans dans une des tours de Conftantinople. C'étoit le premier que fon pere avoit eu intention de lui donner pour mari; & de tous ceux qu'on pouvoit mettre fur le rang , Dalaffene étoit celui qui convenoit le mieux a 1'Empire, & le moins a la Princeffe. Elle le manda au palais, comme fi elle n'eüt eu d'autre deffein que de lui rendre la liberté. Dans 1'entretien qu'elle eut avec lui, elle lui trouva dans 1'efprit tant de fermeté & de roideur, qu'elle fentit qu'en donnant un maitre a 1'Empire, elle en prendroit un pour elle-même. Elle le congédia donc fans lui faire aucune ouverture, & fe tourna du cöté de fes amants , entre lefquels elle avoit k choifir. Elle jetta les yeux fur Conf|antin Artoclinès; ce n'étoit qu'un Zoé & Théodora.An. 1042,  Zoé & Théodo- ra. An. 1042. vm. Conftantin Monomaque , Empereur. 22 IIlSTOIRS des derniers Chambellans du palais, mais il étoit d'une très-belle figure; & cette qualité, dans 1'efprit de la Princeffe, tenoit lieu de nobleffe & de dignité. II avoit déja une femme; c'étoit un obftacle qui n'avoit pas arrêté Zoé dès fon premier mariage avecRomain Argyre , & la chofe fut réfolue. Malheureufement la femme dH Chambellan n'étoit pas d'une humeur auffi traitable qu'Hélene, époufe d'Argyre. Déja jaloufe de la Princeffe , qui partageoit fon mari avec elle, ce fut une furie quand elle fut que Zoé vouloit le lui ravir. Pour lui óter 1'honneur de ce triomphe, elle fit mourir fon mari par le poifon. Zoé en fxit affligée fans être inconfolable. Elle fe reffouvint de Conftantin Monomaque. C'étoit un homme auffi diflingué par fa bonne mine que par fon illuftre naiffance. Veuf d'une première femme, il avoit époufé une niece de Romain Argyre , qui ne vécut pas long-temps; & ce mariage ne lui avoit procuré, de la part de eet Empereur, qu'un libre accès auprès de fa perfonne. Plus affidu en-  du Bas-Empire. Lh. LXXF1II. 23 core auprès de 1'Impératrice, dont il connoiiToit les penchants, il s'en étoit fait aimer, & avoit profité de fon humeur libérale pour accroitre fa fortune. Leur liaifon avoit fubfifté fans trouble tant que Romain avoit vécu; Michel le Paphlagonien, plus jaloux que fon prédéceffeur, inftruit de leur ancien commerce, & perfuadé que Zoé étoit plus capable de former de nouvelles habitudes que de renoncer aux anciennes, avoit relégué Monomaque a Mitylene, fous des prétextes imaginaires. Monomaque étoit depuis fept ans dans eet exil, lorfque Zoé le rappella pour lui donner le gouvernement de la Grece. Ayant perdu Artoclinès, elle lui manda de fe rendre k 1'Eglife de Saint-Michel, fur le bord du fleuve Athyras en Thrace; & lui envoya Etienne de Pergame, un de fes Chambellans, pour hu porter la pourpre Impériale, & 1'amener par mer a Conftantinople. Dès qu'il fut arrivé elle 1 epoufa. C'étoit pour 1'un & 1'autre le troifieme mariage. Comme le Patriarche Alexis faifoit difficulté de le célébrer, k caufe des canons qui défendoient les troi- Zoé & Théodo- ra.  Zoé Sc Théodo' ra. An. 1042. IX. Amours de Monomaque & de Sclérene. Ced. p. 754- Zon. t. H. p. 247, & feqq. Page ex Pfello. S4 HlSTOIRE fiemes noces, elle fit faire la cérémonie par le Doyen des Clercs du palais ; & le lendemain , iz de Juin, Alexis ne refufa pas de procéder au couronnement. Théodora, dépouillée de toute autorité par ce mariage, eonferva le titre d'Augufte. Le fcandale monta fur le tröne avec Conftantin Monomaque. Auffi diffolu que 1'Impératrice, il ne prit aucune précaution pour cacher fon libertinage. II avoit débauché une jeune veuve parfaitement belle & d'une familie très-illuftre , fille de Romain Sclérus, & petite-fille de Bardas Sclérus, ce guerrier célebre, qui avoit difputé 1'Empire a Bafile Bulgaroctone. Elle fe nommoit Sclérene. Eprife d'une violente paffion pour Monomaque , elle lui avoit facrifié fon honneur & fa fortune, renoncant k tous les avantages d'une feconde alliance. Elle 1'avoit fuivi dans fon exil, partageant fesbiens avec lui, & préférant, par une bizarrerie de débauché , la qualité de maitreffe de Monomaque k celle d'époufe. Loin de s'oppofer k fon mariage avec Zoé, elle fut la première k lui confeiller d'acceptör  du Eas-Empire. Liv. LXXVZIl. 25 cepter une main qui lui donnoit 1'Empire ; trop contente, difoit-elle, fi elle étoit aflurée de tenir toujours la première place dans fon coeur. Cette intrigue, connue de Zoé, ne 1'avoit point dégoütée de Monomaque; 1'habitude de la débauche avoit émouffé en elle.le fentiment de jaloufie; le mariage n'étoit plus dans fon efprit qu'une affaire de politique; elle étoit difpofée a paffer a un mari tous fes écarts, pourvu qu'il lui laifTat la même liberté. Monomaque n'eut pas de peine a obtenir d'elle de faire venir Sclérene a Conflantinople; & ce fut plütöt par crainte de la cenfure publique, que par ménagement pour Zoé qu'il ne lui donna pas d'abord un brillant équipage. Mais lorfqu'il eut accoutumé les yeux des habitants a la voir honorée, il fit batir un magnifique fialais, en apparence pour lui-même, mais en effet, pour elle; il lui donna des gardes & tous les Officiers d'une maifon fouveraine, & 1'environna de tout 1'éclat de la . majefté Impériale. Enfin, du confentement de Zoé, il la logea dans fon palais, & ne mit pkis de différence Tome XVII. B CONSTANTIN IX. iVn. 1042.  CONSTANTINIX. In. 1042. 26 H I S T 0 I R E entre elle & fon époufe légitime, Elles partageoient enfemble toutes les dépouilles de 1'Empire. C'étoit dans ce doublé Océan que venoient fe perdre les tributs, les taxes, les impofitions, & tous les revenus des Provinces; c'étoit auffi de ces deux fources que partoient également toutes les graces, qui s'achetoient a grand prix. Les dignités & les charges redevinrent vénales. Pour achever la conformité, Sclérene fut décorée du titre d'Augufte. On rendoit a ces deux femmes les mêmes honneurs. On difoit que par un traité fecret, elles étoient convenues de pofféder le Prince en commun & par indivis. Elles Faccompagnoient a droite & k gauche quand il paroiffoit en public; leur appartement n'étoit féparé que par •celui du Prince. L'Impératrice n'y ■entroit qu'après s'être informée s'il n'étoit pas avec Sclérene. Ce défordre avoit pris une forme fi réguliere , qu'il fembloit que Ia qualité de maitreffe du Prince fut devenue la première dignité du palais. On ne fait ïi 1'union de ces deux rivales,fi contraire a la nature, auroit fubfifté long-  du Bas-Empire. Liv. LXXVUI. 27 temps : Sclérene, arrivée par 1'infamie au comble de la gloire, fut emportée par une maladie rapide dans les premières années du regne de fon •amant. La douceur & la clémence de Monomaque lui faifoient pardonner fes déréglements. II ne témoigna aucun reffentiment des injures qu'il avoit recues dans 1'état de'particulier. Mais la clémence étoit en lui un effet de molleffe &c non de vertu. Affis fur le tröne, il crut n'avoir rien k faire qu'a fe repofer des traverfes qu'il avoit effuyées, & a s'y endormir tranquillement entre les bras de la volupté. Sa libéralité, qui ne connoiffoit ni raifon, ni mefure, n'étoit qu'une profufion aveugle. Elle épuifa bientöt les finances, & le mit dans la néceffité de vexer fes fujets. Les Provinces frontieres étoient exemptes de tributs; pour toute redevance elles étoient obligées de défendre les paffages qui donnoient entrée aux Barbares. II abolit eet ordre fagement établi; il les affujettit aux mêmes impofitions que les autres Provinces; & les portes de 1'Empire fureat ouB ij CONSTANTIN IX. An. 1042. X. Caraftere de Monomaque.  CONS> TANTIN IX. An. 1041. XI. Révolte del'ifle de Cypre. Cedr. p. 757. Zen. t. II. p. 150. Glycas p. 319. 28 HlSTOIRE vertes. C'eft a ce Prince qu'on doit imputer dans 1'origine la facilité que les Barbar es trouverent dans la fuitei a s'emparer de 1'Orient. 11 étoit infinuant & afiez adroit a prendre chacun par fon foible. Fort ignorant luimême, il attiroit les Savants auprès de lui. II admit dans le miniftere le Philofophe Michel Pfellus, connu par un grand nombre d'ouvrages. Pour couvrir fes vices , & en impofer a fon fiecle, il achetoit des éloges a. force de bienfaits; ne fachant pas, fans doute, que ces louanges vénales ne furviverit pas aux penfions qui les ont procurées. Monomaque ne trouva pas fur Ie tröne le repos qu'il cherchoit. Son regne fut agité par des guerres continuelles, par des féditions, par des révoltes. II croyoit avoir prévenu les troubles domeftiques en éloignant Michel Calaphate & fa familie. Jean avoit été tranfporté k Desbos, Michel k Chio, Conftantin k Samos. Mais la foibleffe du Gouvernement fit naitre d'autres ennemis. Théophüe Erotique, chaffé deux ans auparavant de Servië par Etienne Boiftlave, étoit  du Bas-Empire. Liv. LXXFIII. 29 Gouverneur de Pifle de Cypre. Cet homme, d'un efprit remuant & ambitieux, apprenant la révolution qui ötoit la couronne a Calaphate, réfolut de s'emparer de 1'ifle, & de s'y former un Royaume. II fouleve les peuples contre le Financier Théophyladte, fous prétexte d'une rigueur exceflive dans l'exa£tion des tributs, & le fait maflacrer. Toute 1'ifle fe foumet k lui comme k fon libérateur. Monomaque ne tarda pas k étouffer cette révolte. Conftantin Chagé, Amiral de la flotte Impériale, n'eut que la peine de fe montrer pour ramener les Cypriots k 1'obéiffance. Théophile fut pris & conduit k 1'Empereur, qui fe contenta de connfquer fes biens , & de le faire fervir de rifée au peuple , en 1'expofant vêtu d'une robe de femme au milieu du Cirque dans les jeux équeftres. L'Empereur trouvoit un ennemi plus redoutable dans le nouveau Roi de Servië. Ce Prince infeftoit, par des courfes continuelles , 1'Illyrie entiere, & fur-tout le pays des Triballes , qui faifoit alors partie de la BulB iij CONSTANTIN IX. An. 1041. XII. Guerre de Servië. Ccdr. p.' 714, 75 5Zon. t. II. p. 247, 248.  COKSÏANTIN IX. An. 1042. Glycas, p, 319. Manajf. p, ai7« 3° H 1 $ t o 1 r g gane. Monomaque n'étoit pas en état de commander lui-même les armées: tourmenté des douleurs de la goutte, il paffa dans fon lit la plus grande partie óe fon regne, alternativement occupé de fes maux & de fes plaifirs. II ne favoit pas même choifir ceux qui devoient commander. II envoya ordre A Michel, Gouverneur de Dyrrachium, de marcher contre Etienne avec fes troupes, & celles qu'il auroit raifemblées des Provinces voifines. Quoique Michel n'eiit aucune expérience de la guerre, il obéit, & ie mit en marche a la tête de foixante mille hommes. II entra dans la Servië par des chemins rudes, montueux, & fi étroit, qu'a peine y avoitil place pour deux cavaliers de front. Après avoir paffé ces défilés dangereux, fans fonger k les faire garder ni k prendre aucune précaution pour !e retour, il fait le dégat dans la contrée; & après s'être chargé de butin, il reprend la route dé Dyrrachium. Les Serves, qui ne s'étoient pas montrés en campagne, s'étoient poftés dans des forêts k droite & k gauche au-deflus de ces gorges étroites»  nu Bas-Empire. Liv. LXXVI1I. 31 Dès que 1'armée y eft engagée, ils font rouler fur elle des rochers entiers , &c pleuvoir une grêle de traits. Les Grecs , expofés k ce violent orage , ne peuvent faire ufage de leurs armes ni de leurs bras; les uns reftent enfevelis fous les malfes de pierres qui les écrafent, les autres tombent percés de fleches. Les vallons font comblés de cadavres, de chevaux morts, d'armes brifées. II y périt quarante mille hommes, & fept Officiers généraux. Les autres, couverts de blefiures, gagnent le haut des éminences, & fe dérobent a 1'ennemi au travers des forêts. Ne marchant que de nuit, fuivis de leur Général, qui ne les commandoit plus, ils rapporterent a Dyrrachium les marqués fanglantes de leur défaite. Une perte fi honteufe jettoit 1'allarme dans Conftantinople, lorfqu'on y recut la nouvelle d'une révolte , dont les fuites étoient encore plus k craindre par les qualités.de celui qui en étoit le chef. Zoé, avant que d'époufer Monomaque, avoit envoyé Maniacès en Italië pour défendre contre les Normands Sc les Lombards ce B iv CONSTANT1N IX. An. 1041, XIII. Maniacès en Italië. Cidr. p. 756 , 757Zon. t. 11. p. 249, 250. ManaJJ'. p* 127, 128. Glycas, p. 39.  CONSTANTIN IX. An. 1042. Lup. protefp. Leo oft. !. SL c. 67. Guill. Appul. I. I. Murat. ad ehron. Bar. Idem. an~ nal. d'hal. torn. V. p. 128 , & Giann. hifi. Nap. 1. 9. c. 2. Abrêgê de l'hiji. d'Ital. t. UI. p. IOO , 102 , IO4. 32 H I S T O I R E que 1'Empire y pofledoit encore. II y trouva les affaires des Grecs en très-mauvais état. Argyre, fils de Mei, s'étant échappé des prifons de Conftantinople, étoit revenu en Apulie. Les Normands, mécontents d'Aténulf, qui, fans les confulter, avoit profité de la rancon d'Exaugufte, Sc 1'avoit remis en liberté, s'étoient féparés de lui pour mettre Argyre k leur tête. La réputation qu'avoit laiffée fon pere, lui donnoit parmi eux une grande confidération , qu'il foutint par fon mérite perfonnel; Sc fous fa conduite, ils s'étoient rendus maitres d'une grande partie de 1'Apulie. Maniacès débarqua au port d'Otrante, Sc livra bataille aux Normands entre Monopoli Sc Matera. Elle fut fanglante, Sc 1'avantage long-temps difputé demeura enfin k Maniacès. Ce Général, naturellement dur & cruel, aigri par cette réfiftance, s'en vengea fur les deux villes qui furent le fruit de fa viftoire. II ne fit de quartier ni aux femmes, ni aux enfants, encore moins aux Prêtres Sc aux Moines. Tout fut paffé au fil de 1'épée, k 1'exception des principaux  hu Bas-Empire. Liv. LXXV1II. 33 habitants, qu'il n'épargna dans le maffacre, que pour leur faire trancher la tête aux portes de leur patrie. Deux cents furent décapités devant Matera. Plufieurs autres villes fe rendirent au vainqueur; & par une de ces alternatives alors fréquentes en ce pays, 1'Apulie alloit rentrer toute entiere fous la puiffance des Grecs, lorfque Maniacès tourna fes armes contre 1'Empire. Ce guerrier poffédoit en Oriënt de grandes terres qui touchoient celles de Romain Sclérus, & ce voilinage donnoit occafion a de vives conteftatïons. Maniacès d'uncaractere bouillant & impétueux avoit voulu plufieurs fois tuer Sclérus , qui n'avoit évité la mort que par la fuite. Lorfque Monomaque fut Empereur, Sclérus devenu puhTant par le crédit de fa foeur Sclérene, fe vit en état de fe venger de fon ennemi. II profita de fon abfence pour envahir une partie de fes terres; il lui fit même 1'affront le plus fenfible en débauchant fa femme ; & pour achever de le perdre , il engagea le Prince k le dépouiller du ccmmande-ment, &t k le B v C.ONSTANTINIX. A.n. 1042.. XIV. Révolte de Mania^ cès,  C ONSTANTIN IX. An, 1042 XV, Succes t 34 HlSTOIRE rappeller k Comlantinople. Maniacès, au défefpoir de voir que fes fervices n'étoient payés que par des outra■ ges, & fentant bien qu'il feroit mat recu k la Cour, réfolut de n'y retour n er qu'en maitre Sc les armes a la main. II n'eut pas de peine k mettre fon armée dans fes intéréts. Ses foldats regardoient 1'Italie comme un exil , 8c defiroient ardemment de revoir leur patrie. II ne lui fut pasfi facile de gagner Argyre 8c les Normands, qu'il vouloit attacher k fon parti. Ils comprirent qu'en fecondant 1'entreprife de Maniacès, ils fe donneroient un maitre plus difficile k déiruire que toutes les forces de 1'Empire Grec, 8c que 1'Italie feroit perdue pour eux. Ainfi loin d'écouter la propofition du rebelle, Argyre fe déclara contre lui. A la tête de fept mille Normands, il prit la ville de Juvenace, 8c alla mettre le fiege devant Trani. II fut obligé de le lever au bout d'un mois, quoiqu'il eut fait conftruire une tour de bois de nouvelle invention, fur laquelle il comptoit beaucoup pour la prife de la ville. Cependant 1'Empereur y inftruit de  nu Bjs-Empire. Liv. LXXFIII. 35 la révolte de Maniacès, avoit envoyé pour le combattre un grand corps de troupes commandé par un de fes Ecuyers nommé Parde, qui n'avoit d'autre mérite que celui de courtifan. Ce ne fut qu'un jeu pour Maniacès de fe défaire de eet ennemi. Dès qu'il apprit fon arrivée , il courut a fa rencontre , tailla fes troupes en pieces, le tua lui-même, &c fe faifit des grandes fommes d'argent que Parde apportoit pour gagner les Normands, les Lombards & les troupes rebelles. Ce butin mit Maniacès en état de foutenir la guerre civile. Décoré du diadême & du titre d'Empereur , qu'il fe fit dónner par fes foldats , il fe préfenta devant Bari, & n'y fut pas recu. Argyre s'y étoit jetté pour la défendre. II fe retire a Tarente ; Argyre & les Normands joints au Catapan Bafile Théodorocane 1'y affiegent fans fuccès. Maniacès fe renferme dans Otrante ; le; Normands viennent encore 1'y affié ger. Enfin, las des chicanes de 1; guerre d'ltalie, il fe détermine a frap per un grand coup, qui feroit torn her tout le refte , & k marcher B vj CONSTANTINIX. An. 1042. mort ds M aniacès. t ï  CONSTANTINIX. An. 1042. i - 3 f i 36 // 1 S T 0 1 R E Conftantinople pour détröner F£m~ pereun II s'embarque fecretement; & quoique Théodorocane fermat le port d'Otrante avec une flotte, il paffe k Dyrrachium, & prend le chemin de laBulgarie. L'Émpereur, allarmé de fa marche, lui écrit pour lui promettre , ainfi qu'a ceux qui le fuivoient, I'impunité & même des récompenfes, s'ils rentrent dans le devoir. Mais fe doutant bien que ces offres feroient inutiles , il affemble en même-temps des troupes dont il donne la conduite k Etienne Sébaftophore. On appelloit ainfiles Commandants des différents quartiers de Conftantinople, paree que dans les cérémonies publiques, ils portoient a la tête de leur guartier 1'image de 1'Empereur; & c'étoit une dignité confidérable, fouvent occupée par des Patrices, quoique fubordonnée au Préfet de Ia Vile. C'étoit eet Etienne que Zoé avoit ?nvoyé porter Ia pourpre k Mononaque, lorfqu'elle 1 avoit choifi pour :poux. L'approche de cetEunuque, i qui la confiance de 1'Empereur n'apas donné la fcience militaire, fintimida point Maniacès, Les deux  du Bas-Empire. Liv. LXXFIII. 37 armées en vinrent aux mains prés ~ d'Oftrobe, Celle d'Etienne fut mife en déroute. Maniacès, combattant k 1 la tête de la fienne, portoit par-tout A la terreur & la mort, lorfqu'il recoit un coup de fleche dans la poitrine. II tombe de cheval, & expire fur la place. La fortune du combat change atiffi-töt, les fuyards tournent vifage, les vainqueurs jettent bas les armes & fe rendent. On coupa la tête k Maniacès. Etienne, d'autant plus enflé de fa viftoire, qu'il 1'avoitmoins méritée, revint k Conftantinople. Précédé de fon armée, il rentre dans Ia ville fur un cheval blanc, conduifant devant lui les Officiers rebelles montés fur des anes, &c faifant porter au bout d'une piqué la tête de Maniacès, qui fut enfuite fufpendue au haut du théatre. L'Empereur voulut être témoin de la gloire de fon Général. Environné de tout 1'éclat de la majefté Impériale, affis entre Zoé & Sclérene dans le vefiibule de 1'Eglife du Sauveur , fituée prés de 1'entrée du palais dans la grande place, il vit défiler devant lui tpute la pompe de ce triornphe, CONS'ANTIN IX. 1.1042.  CONSTANTIN IX. An. 1043. XVI. Affaires d'Italie. Guill. ap. pul. I. I. Lup. pro. tofp.chron. £ar. chron. Norm. Du Cangt fam. p. 157. Murat. annal. d'Ital. torn. VI. p. 130, & fiqq. Giann. hifi. Nap. I. 9. c. 2. Abrégi dt Thifi. d'Ital. t. III. p. 108 , n8. 38 H I S T 0 I R E L'oppofition d'Argyre aux defleinS ambitieux de Maniacès 1'avoit réconcilié avec 1'Empereur Grec. Monomaque lui pardonna le paffé, le fit Patrice, & lui accorda Bari avec le titre de Prince, auquel il joignit celui de Duc de la Pouille. Ainfi Argyre devint par le moyen des Grecs, maitre de cette même ville , que Mei fon pere s'étoit efforcé d'enlever aux Grecs pour la mettre en liberté. C'eft ainfi que fe forma la Principauté de Bari. Mais en acquérant 1'amitié des Grecs, Argyre perdit celles des Normands. Ce n'étoit pas pour 1'intérêt de 1'Empire que les Normands s'étoient déclarés contre Maniacès, & Monomaque en payant ce fervice, fut la dupe de leur politique. Ils reciirent fes préfénts, & fe féparerent d'Argyre , dès qu'ils le virent uni avec les Grecs. Guaimar, Prince de Salerne & de Capoue, jaloux de 1'élévation d'Argyre, fe donna lui-même le titre de Duc de Pouille & de Calabre; & prenant les Normands a fa folde, il alla mettre le fiege devant Bari. Mais Argyre fe tenant renfermé dans la place, fans rifquer aucun  du Bjs-Empire. Liv. LXXV1IL 39 combat, 1'obligea de fe retirer après : avoir fait le dégat dans les environs. Ce fut alors que les Normands, déja maitres d'une grande partie de la i Pouille , & pleins d'efpérance de conquérir bientöt le refte, établirent entre eux une forme de gouvernement femblable k celui que les Seigneurs Lombards avoient choifi après la mort de Clef, & qui n'avoit duré que dix ans. Ils fe partagerent les villes conquifes, auxquelles ils attacherent le titre de Comtés; & dans ce partage ils n'oublierent pas Ardoin, qui avoit été 1'ame de leur entreprife. Quoiqu'ils fuflent indépendants 1'un de 1'autre, toutefois pour éviter la confufion prefque inévitable dans la pluralité des Commandants, ils élurent un chef pour convoquer l'affemblée de la nation , y préfider & marcher^ k leur tête dans la guerre. Cet honneur étoit dü k Guillaume Bras-deFer; il eut le titre de Comte de la Pouille ; mais ce ne fut qu'un titre d'honneur; il n'étoit que le premier entre fes égaux. La ville de Meifes fut choifie pour Capitale ; c'étoit-la que fe tenoient les afTemblées géné- COKSTANTINIX. L.rt, 104J,  CONSTANT1NIX. An. 1043. HlSTOIRE rales ; elle étoit commune a tous, & n'entroit dans le partage d'aucun des. • Comtes. Cette forme d'ariftocratie fubfifloit depuis trois ans, & la puiffance des Normands s'affermiilant par une confiitution réguliere, s'étendoit peu-a-peu par de nouvelles conquêtes, lorfqu'Argyre, content de vivre tranquille dans fa Principauté de Bari , fans s'attirer fur les bras des ennemis fi redoutables, fit un voyage a Conftantinople. L'Empereur le recut avec diftinftion; mais il lui fit des reproches de fon indifférence , Sc il exigea de fa fidélité qu'il travaillat a chaffer de la Pouille une nation qui ne s'étoit établie qu'aux dépens de 1'Empire. Ce projet occupoit le Confeil de 1'Empereur, lorfqu'on recut une nouvelle qui prouvoit la difficulté de 1'exécution. Euftaife, Catapan d'Italie , avoit livré bataille aux Normands prés de Trani, & avoit éprouvé par une fanglante défaite combien il étoit inférieur en fcience militaire k Guillaume Brasde-Fer, & fes foldats en valeur aux troupes Normandes. Mais les vainqueurs firent peu de jours après une  du Bas-Empire. Liv. LXXVIII. 41 perte plus grande que celle d'une bataille. Guillaume, le héros de la première familie de Tancrede, mourut regretté des flens, admiré des ennemis mêmes autant par fa douceur & par fa bonté , que par fa brillante valeur. II ne laiflbit point d'enfants. Son frere Drogon hérita de fes titres , & foutint fa haute renommée pendant le peu de temps qu'il lui furvécut. Revenons a ce qui fe paflbit a Conltantinople. Alexis, qui gouvernoit cette Eglife depuis dix-fept ans, mourut le 20 Février 1043. Les richeffes qu'il laifla ne font pas fon éloge. L'Empereur fit enlever deux mille cinq cents livres d'or, qu'on trouva cachées dans fon palais. On lui donna pour fuccefleur, le 15 Mars fuivant, Michel Cérulaire , qui ayant été banni de Conftantinople trois ans auparavant, pour avoir conjuré contre 1'Empereur Michel le Paphlagonien, avoit embrafle 1'état monaftique. Ce fut ce Patriarche qui leva 1'étendard de la révolte contre 1'Eglife Romaine, & qui fut 1'auteur du fchifme des Grecs, ainfi que nous le rapporterons dans lafuite, Constantie IX. An. 1043. XVII. Mort du Patriarche Alexis. Cedr. p. 758. Zon. t. II. p. 250. Glycas, p. 319. Joel. p. 183 , 1S4. Oriens Chrifl. 1.1, ?■ 159 J i6o.  CONSTANTIN IX. An. 1043. XVIII, Mort de Jean le Miniftre. Cedr, p, 758. Zom. t, II, P. 2JI. XIX. Difgrace d'Etienne Sébaftophere. i j 1 1 . ] ] ] i i 4-a HlSTOIRE Jean le Miniftre vivoit au-dela du Bofphore dans un monaftere, ou Calaphate 1'avoit fait enfermer. Monomaque ne le trouva pas affez puni j il le fit tranfporter k Mitylene, avec ordre de lui ere ver les yeux. Ce fier Miniftre , qui avoit fait tant de malheureux, neut pas affez de courage pour fupporter fes propres malheurs; il mourut de défefpoir le 12 Mai „ onze jours après fon aveuglement. Deux mois après, on vit encore im exemple d'une éclatante difgrace. Etienne Sébaftophore, favori de Motiomaque, qui , 1'année précédente , ['avoit décoré du triomphe le plus arillant & le moins mérité, fut ac:ufé & convaincu d'avoir formé le leffein de détröner 1'Empereur, & 1'élever k fa place le Patrice Léon, ils de Lamprus, & Gouverneur de Vléütine. L'ingrat Etienne étoit fans loute le plus coupable; il fut le moins )uni. Soit par la faveur de Zoé, foit >ar un refte de tendreffe du Prince >our un homme qui lui avoit porté a première nouvelle de fon élévaion, foit par 1'effet de quelques-unes Ie ces intrigues de Cour, qui renr  30 Bas-Empire. Liv. LXXFIIT. 43 verfent 1'ordre de la iuftice. il en fut quitte pour perdre fes biens & être relégué dans un monaftere. On ne parle pas de Léon, qui apparemment fe déroba aux pourfuites. Mais Lamprus , fon pere, ne fut pas épargné. Après de cruelles tortures, il fut promené dans la place publique pour y efTuyer toutes les infultes du peuple. Enfin, on lui creva les yeux. II ne furvécut que peu de jours k ces rigoureux traitements. Ces évenements domeftiques qui n'intéreflbient que 1'Empereur, occupoient moins les efprits, qu'un danger qui menacoit 1'Empire. Les Grecs, environnés de barbares, & trop foibles pour réfifter k tous, achetoient la paix de plufieurs de ces peuples. Ils payoient tribut aux Ruffes, qui leur fourniffoient des troupes, & entretenoient avec eux un commerce utile aux deux nations. Des marchands RufTes, qui étoient toujours en grand nombre a Conftantinople , ayant pris querelle avec quelques habitants, on en vint aux mains, & un Seigneur Ruffe des plus diftingués, fut tué dans ce tumulte, Ja- COKSTANTIS IX. An, 104J. XX. Guerre* des Ruffes. Cedr. p. 755 . fi"  CONSTANTIN IX. Vn. 1043. i i 1 i J 44 FflSTOIRB roflas régnoit alors en Ruïne. Ce Prince guerrier, qui venoit de vaincre les Patzinaces &c de dompter les Lithuaniens, irrité de ce meurtre, fait prendre les armes a fes fujets, appelle k fon fecours les autres Barbares feptentrionaux, affemble une armee de cent mille hommes, & la fait embarquer fur le Boryfthene. II en donne la conduite a fon fils Vladimir. Tous les canots qui compofoient cette flotïe, (car les Ruffes n'avoient point i'autres navires) devoient traverfer e Pont-Euxin, & fe réunir a 1'en:rée du Bofphore, pour aller enfem3le attaquer Conftantinople. A cette ïouvelle, 1'Empereur députe k Vlalimir; il lui fait repréfenter qiïil na wint de part d l'injure dont Lts Ruffes mt a fe plaindre; quune querelle fur>enue entre des particuliers ne doit pas •ompre une paix depuis long-temps éta'die entre les deux nations; & qu'après out, il efl pret de donner aux Ruffes elle fatisfaclion que peut exiger la plus igoureufe juflice. Ses députés font renfoyés avec infulte, & 1'Empereur perlant toute efpérance d'accommodenent, fe prépare lui-mêaie k la guer-  du Bjs-Empire. Liv. LXXFIII. 45 re. II commence par faire arrêter & mettre en prifon tous les Ruffes qui étoient a Conftantinople, & donne le même ordre pour toutes les Provinces. Comme les vaiffeaux de la flotte Impériale étoient difperfés en différents parages , & que le temps manquoit pour les raffembler, il fait équiper k la hate les navires de toute efpece qui fe trouvoient dans le port de Conftantinople, il y fait embarquer ce qu'il y avoit de foldats dans la ville, avec une ample provilion de feu grégeois; il monte lui-même fur la galere, & s'avance vers les Barbares qui fe tenoient fur les ancres k 1'entrée du canal. Deux grands corps de cavalerie 1'accompagnoient k droite & k gauche, & marchoient le long du rivage. Les deux flottes s'obfervoient fans faire aucun mouvement, & chacune attendoit 1'attaque. Enfin, 1'Empereur voyant que le jour fe paffoit fans rien faire, envoye encore propofer un accommodement. II n'eft pas mieux écouté que la première fois. Vladimir répond feulement, que pour avoir la paix, il faut payer trois livres d'or CONSTANTIN IX. An, 1043, XXI. Défaite des Ruffes.  éfi HlSTOIRB CONSTANTIN IX. An. 1043. i 1 • ':n 'j < I 4 ] XXII. Ils fe re- . tirent, j ponfe fi pen raifonnable détermine i'Empereur a combattre. II ordonne a Bafile Théodorocane de prendré trois triremes, Sc d'aller harceler 1'ennemi. Bafile fait plus que I'Empereur ne lui avoit commandé; il fe jette au travers de la Hotte, brüle fept canots, en coule a fond trois avec leur charge , faute lui-même dans un canot Ruffe, Sc tue 011 jette k la mer ceux qui le montoient. Les Ruffes voyant en ce moment I'Empereur venir fur eux avec toute fa flotte , prennent la fuite, fe font échouer contre des rochers Sc des bancs de fable , Sc gagnentle bord., ou la cavalerie Grecque ;n fait un grand carnage. On y comp:a enfiiite prés de quinze mille cada/res. L'Empereur étant demeuré deux ours en eet endroit, retourna le troiieme k Conftantinople, laiffant k Ni:olas & k Bafile fa flotte bien garïie de troupes, avec ordre de garler 1'entrée du canal, Sc d'empêcher es defcentes. II reftoit encore aux Ruffes un très;rand nombre de canots qui fe rafembloient dans un port voifin; Sc  bv Bas-Empire. Liv. LXXP7H. 47 tandis que la flotte Grecque couroit le long des rivages pour piller ceux qui avoient échoué, & dépouiller les cadavres que la mer jettoit fur fes bords, vingt-quatre vaiffeaux, détachés a la pourfuite des fuyards, allerent infulter les Ruffes jufque dans le port. A peine y furerrt-ils entrés qu'ils fe virent environnés d'une prodigieufe multitude de canots, qui les affailloient de toutes parts comme un effain d'abeilles. Bientöt les vaiffeaux furent inveflis, & couverts de Ruffes qui monterent k 1'abordage, Sc les Grecs, fatigués du travail de k rame Sc de la pourfuite, pouvoient a peine rendre quelque combat. Ils voulurent fortir Sc regagner la pleine mer; mais ils trouverent le paffage ferme. Ce fut la que le Patrice Conftantin Caballure, Commandant de la flotte de Cibyre, qui confiftoit en onze vaiffeaux, fut tué en combattant avec courage. Quatre vaiffeaux furent pris entre lefquels étoit 1'Amiral. Tout 1'équipage fut pafTé au fil -del epee. Les autres échouerent contre les rochers, oh ik fe briferent. Des foldats qui les montoient , les ConftantinIX. An. 1043,  CONSTANTIN IX. An. 1043. An. 1044, XXIII. Sédition. Cedr. p. 761. Glyc. p. 310. 48 H I S T 0 I R E uns périrent dans les eaux, les autres par le fer ennemi , quelquesuns furent faits prifonniers. Ceux qui purent échapper en grimpant fur le rivage, revinrent nuds , meurtris , déchirés rejoindre leur flotte. Les Ruffes , confolés de leur défaite, reprirent la route de leur pays. Comme la perte d'un grand nombre de leurs canots en obligeoit une partie de retourner par terre, ils furent arrêtés prés de Varna par Catacalon , Gouverneur de ce pays, qui en fit un grand carnage, & en envoya huit cents a Conftantinople. Ceguerrier, auffi vigilant que brave & hardi, les avoit déja fort maltraités k leur premier paffage, Iorfqu'en allant k Conftantinople , ils avoient fait une defcente fur cette cöte. L'Empereur, échappé de ce dan- ger, penfa périr au milieu de Conftantinople. L'éclat fcandaleux dont brilloit Sclérene, éclipfoit même 1'Impératrice, & révoltoit les efprits. On craignoit que cette ambitieufe maïtreffe , pour régner feule ,. ne fe défit de Zoé & de Théodora. Le 9 Mars de 1'an 1044, jour de la féte des  du Bas-Emipre. Liv. LXXFI1I. 49 des quarante Martyrs; il fe faifoit une proceffion folemnelle, forte de dévotion fort a la mode k Conftantinople , & a laquelle les Empereurs fe faifoient plus de fcrupule de manquer qu'aux préceptes de 1'évangile. L Empereur k pied, accompagné de fa-garde, fe rendit k 1'Eglife du Sauveur au milieu des acclamations du peuple. C'étoit-la qu'il devoit monter a cheval pour marcher avec le Clergé k 1'Eglife des Martyrs. Pendant qu'il s'y préparoit, il s'éleve du milieu de la foule une voix qui s'écrie : Point de Sclérene; vivent nos Princejfes Zoé & Théodora : que Dieu les préferve du malheur qui les menace. Ces paroles bouleverfent en un mo.ment 1'efprit du peuple. Les acclamations fe changent en cris de fureur; on infulte, on veut tuer le Prince, auquel on fouhaitoit tout-a-l'heure mille ans de vie; & peut-être 1'auroit-on mis en pieces avec toute fa maifon, fi les deux Princelfes n'euflent appaifé le tumulte en parlant au peuple du haut d'une fenêtre. Monomaque , confus & tremblant,' regagna fon palais fans achever la cérémonie. Tome XVII. C CONSTANTINIX. An, 1044;  CONSTANTINIX. An. 1045 XXIV. Guerreei Armenië. Cedr. p 761 , & 53 H I S T 0 1 R E Une conteftation de domaine , qui s'éleva 1'arinée fuivante aux extrêmités de 1'Empire, alluma une grande . guerre. Vingt-quatre ans auparavant, George , Roi d'Ibérie & d'Abafgie, 1 faifant la guerre a 1'Empire', avoit , été fecondé par un Prince nommé Jobanéfic, qui poffédoit dans 1'Arménie majeure un grand territöire autour de la ville de Hani. Lorfque 1'Emreur Bafile eut vaincu George, Jobanéfic, appréhendant le reflentiment du vainqueur, le prévint en lui mettant entre les mains fa perfonne & fes Etats. Bafile , défarmé de cette foumifuQn, non-feulement ne lui óta rien de ce qu'il poffédoit, mais lui donna même pour toute fa vie le domaine ufufruitier de la grande Arménie , a condition qu'après fa mort le territöire de Hani, ainfi que 1'Arménie , reviendroit a 1'Empire. Jobanéfic accepta ceue condition par un aöe figné de fa main. Etant mort plufieurs années après Bafile, fon fxls Cacice lui fuccéda dans tous fes droits & les domaines , dont les fucceffeurs de Bafile, peut-être par ignorance , Je laifferent jouir paifiblement. Mais  du Bas-Empire. Uv. LXXFIIL 51 I'afte original étant tombé entre les mains de Monomaque, il en demanda 1'exécution. Cacice ne refufoit pas de fe reconnoïtre vafTal de 1'Empire; mais il prétendoit conferver tout 1'héritage de fon pere; & ce procés ne put être vuidé que par les armes. Monomaque envoya une armée, dont il donna le commandement a Michel Jafite , qu'il nommoit Gouverneur d'Ibérie, avec ordre de forcer Cacice a fe deffaifir de fes Etats. Cacice, de fon cóté, réfolut de fe défendre, & le fit avec tant de courage, que Jafite fe vit obligé de demander de nouveaux fecours. On lui envoya une nouvelle armée plus nombreufe que la première, fous la conduite de Nicolas, Commandant général des troupes de la garde. L'Empereur écrivit encore au Sarafin Aplefphar , Emir de Tibium &c de la Perfarmenie, fur les bords de 1'Araxe , pour 1'engager a porter fes armes dans 1'Arménie, & a faire la guerre a Cacice. Nico»las, porteur des lettres de I'Empereur, y joignit les préfents & les follicitations les plus preflantes. Aplefphar promit de poufier Cacice a toute ouC ij CONSTA NTIN" IX. An. 1045.  CONSTANTINIX. An. 104; An. 1046 XXV. Guerre contre Aplefphar. HlSTOIRS trance, li I'Empereur vouloit s'enga-* ger par écrit a le laifler maitre des conquêtes qu'il feroit fur 1'ennemi. LEmpereur y confentit par un afte authentique; auffi-töt le Sarafin fe mit en campagne, & prit fur Cacice grand nombre de places. Cacice, attaqué k la fois par les Grecs & les Sarafins, prit le parti de faire la paix avec Nicolas, & de fe mettre k la difcrétion de I'Empereur. II vint k Conftantinople fe jetter k fes pieds, & recut en récompenfe de fa foumiffion, la dignité de Maitre de la milice , avec de grandes terres en Cappadoce, oü il vécut plus heureux dans 1'opulence d'une condition particuliere, que dans une fouveraineté conteftée. Ce n'étoit pas Pintention de Monomaque de tenir parole au Sarafin, & de lui laiffer fes conquêtes; mais celle du Sarafin étoit affurément de les conferver. Dés que Cacice eüt été mis a la raifon, I'Empereur redemanda les places dont Alefphar s'étoit emparé , comme faifant partie des Etats du vaincu; & fur le refus, il ordonne a Nicolas de mettre en-  du Bas-Empi&e. Liv. LXXV-II1. 53 femble les troupes Grecques , Ibériennes & Arméniennes , & de marcher au Sarafin, qui avoit Paudace de prétendre qu'on dut tenir parole k des infideles. Nicolas raffemble toutes les forces que 1'Empire avoit dans ce Pays; & ne croyant pas apparemment qu'une telle expédition fut digne de lui, il en charge Jafite, & un Alain , fon vaffal, nomraé Conftantin. II leur ordonne d'aller attaquer Tibium. Aplefphar étoit beaucoup plus habile que Nicolas même. Outre fa valeur naturelle, il poffédoit parfaitement l'art de la guerre , & favoit rompre les mefures de I'ennemi. Se fentant trop foible pour en venir aux mains , il fe renferme dans fa ville, & bouche le lit de la riviere qui baignoit les murs pour inonder la plaine voifine. II pofte des archers fur les cöteaux dans les vignobles d'alentour, &c convient avec eux d'un fignal. Ces difpofitions faites, il attend I'ennemi. Les Grecs, perfuadés que c'étoit par crainte qu'il fe tenoit enfermé, courent fans ordre aux murailles, les uns k pied, les autres k cheval, bien affurés qu'ils vont emC iij CONSTANTIHIX. in. 1046»  CONSTANTJN IX. An, 1046, An. 1047, XXVI. Catacalon envoyé contre Aplefphar, Ï4 N 1 S T 0 I R È porter Ia ville d'emblée. Dés qie'Aplefphar voit les uns embourbés, les autres engagés dans les vignobles, U donne le fignal, & les foldats embufqués au haut des cöteaux, aecableht les Grecs de fleches & de pier-res. La plupart y laifferent la vie 5 ceux qui échappoient aux coups, ref* toient, hommes & chevaux , enfoncés dans la terre détrempée par les eaux. Jajite & Conftantin fe fauve^ rent avec un petit nombre, & allerent porter k Nicolas la nouvelle de leur défaite. L'Empereur ayant appris ce mauvais fuccès caufé par 1'ignorance de fes Généraux , rappelle Nicolas &c Jafite. II confere le gouvernement d'Ibérie k Catacalon, le meilleur guerrier de 1'Empire, & donne le commandement de 1'armée a Conftantin, Capitaine de la garde éyangere, C'étoit un eunuque,, Sarafin de naiflance , mais homme d'efprit, qui avoit la confiance de I'Empereur , auquel il avoit rendu de grands fervices dans le temps de fon infortune. Ces deux Généraux parfaitement d'intelligence ne jugerent pas a propos de com-*  nu Bas-Empire. Liv. LXXPIII. 55 meneer par le iiege de Tibium , capitale des domaines d'Aplefphar.,. Sc. en érat de faire une longue réfifïance. Ils crurent devoir affoiblir auparavant ce Prince £ en lui enievant toutes les places de. moindre confidération , qui lui fourniffoient des forces. Ils réuffirent as'en rendre maitres , malgré leur fituation avantageufe, Sc les ;fecours d'Aplefphar;, qui fut battu dans toutes ies sëncontres. Enfin,. approchant toujours ós> Tibium , ils vinrent mettre le fiege devant le fort de Chélidoine, bati fur un.roc efcarpé: comme ils avoient donné le change aux babitants êui feignant d'av'oir d'autres defTeins , o£ qu'ils avoient tout-a-coup rabattu fiir cette place , lorfqu'on s'y attendoit le moins, elle étoit mal pourvue de vivres. Elle ne pouvoit tenir long-temps; lorfqu'il vint ordre a Conftantin d'abandonner tout, Sc de revenir k grandes journées a Conftantinople avec fon armée, 'aiffant Catacalon en Ibérie. Une dangereufe révolte obligeoit 1'Empereur a raffembler toutes fes forces. Léon Tornice, fonparent, établi dans Andrinople, avoit gagné Ie C iv Constant in IX. An. 1047» XXVII. Aventure de Léon Tornice. Cidr. p.  Coxs- TANTIN IX. An. 1047. 764,765, 766. Zon. t. II. p. 251, 252. 253. Jdanajf. p. 128. Glyc. p. 710. ] . 3 I ff I S T 9 I A £ coeur des Macédoniens par fes qualités aimables, relevées encore par les graces de l'extérieur. Ces avantages lui donnoiênt déja 1'empire fur les efprits, & 1'en. étoit perfuadé qu'il monteroit un jour fur le tröne. Les Devins, qui prennent tout leur favoir dans les circonftances, ne martquoient pas de le prédire. Monomaque, dévoré de jaloufie, le haïubit mortelkrnent; mais Léon étoit dans une grande eflime auprès d'Euprépie, foeur de Monomaque. C'étoit une Princeffe généreufe, a qui la fortune de fon frere convenoit mieux qua lui -meme, L'Empereur ne 1'aimoit pas; il ne pouvoit aimer que fes plaifirs; mais il la craignoit k caufe de 1'afrendant que lui donnoit fa vertu &c ■on génie. Comme elle fentoit fon 3eu de crédit, elle alloit rarement iu palais , & c'étoit toujours pour plaider la caufe des peuples contre esFinanciers. Monomaque, jaloux de a correfpondance mutuelle d'Eupréjie & de Tornice, prit le parti de es éloigner i'uri de 1'autre. Tornice iit envoyé en Ibérie avec la qualité le Gouverneur. C'étoit un exil ho-  nu Bas-Empire. Liv. LXXVIIL 57 norable. Sa réputation le devanga. II trouva en Ibérie ce qu'il avoit quitté en Macédoine : 1'amour des peuples, que fa conduite ne fit qu'accroitre. < Ses ennemis défefpérés réfolurent de le perdre. C'étoit faire leur cour au Prince. II fut accufé d'afpirer a 1'Empire , & aufïï-töt condamné fans être entendu. On lui coupa les cheveux; & après 1'avoir revêtu d'un froc, on le fit revenir a Conftantinople pour le renfermer dans un cloïtre. L'Empereur le voulut voir fous ce nouvel habit; & fans lui dire une parole, il le congédia avec de grands éclats de rire. Cet accueil infultant fut plus fen- ; fible k Tornice , que fa comdamna- I tion même. Les Macédoniens dont il c étoit chéri, &c qui fondoient fur lui de grandes efpérances , en furent encore plus indignés. Ils vinrent 1'enlever pendant une nuit; & le tranfporterent k Andrinople. Cette Ville étoit remplie de gens de guerre mécontents de I'Empereur; les Officiers, paree qu'ils n'étoient pas employés; les foldats , paree qu'ils étoient mal payés. L'oifiveté les rendoit féditieux. C Y CONSTANTIK IX. Ln. 1047. ïxvnr. I eft prolaméEmereur.  S% H I 3 T O I R E Ils n'afpiroient au'aDrès une révofu- CONSTANTINIX. Aa, 1047, XXIX. II attaque Connantinople. tion, qui leur promettoit des occafions de pillage. Les amis de Tornice n'eurent pas de peine a les porter a la révolte. Ils proclamerent Tornice Empereur. Le defir de la vengeance lui fit accepter le diadême, & le rendit réellement coupable du crime pour lequel il avoit été injuftement condamné. Tous les efprits turbulents & audacieux, tous les bandits & les miférables vinrent grofïir fon armée. A leur tête il marche vers Conftantinople y fe flattant de n'y trouver aucune réfiftanee. Les armées étant employées aux extrêmités de 1'Orient, I'Empereur n'avoit autour de lui que fa garde ordinaire, & ne devoit trouver aucune défenfe dans les habitants , dont il étoit haï. Tornice arrivé le foir k la vue de la ville , & campe vis-a-vis de la porte de Blaquernes. Le lendem'ain il marche en bataille jufqu'au pied des naurs, & demande qu'on lui ouvre les portes, promettant aux gardes de grandes récompenfes. Comme on ne lui répondoit que par des railleries, il fe «lifpofe  bv Bas-Empire. Ltv. LXKFIII. 59 a donnér 1'afïaut. Cependant 1'Empereur fait diftribuer des armes au peu^ ple póur défendre la muraille. II raffemble environ mille hommes, partie foldats , partie bourgeois ou valets de Sénateurs ; il les fait fortir par la porte de Blaquernes ; & croyant oppofer a I'ennemi une forte barrière , il fait planter devant eux une palifTade. Argyre,qui fe trouvoit encore I Conftantinople, & qui favoit mieux la guerre que I'Empereur, avoit beau lui repréfenter, que le meilleui parti étoit de fe tenir dans la ville, nis, 1'obligerent enfin a repafler dans 1'Aderbigiane. Tandis que ces différents partis femoient 1'effroi dans toute la Perfe, Thogrul faifoit la guerre aux Ghaznévides. Après la mort de Mamoud, fils & fucceffeur de ce Prince , & 1'ayant défait dans une fanglante bataille, il demeura maitre du Chorafan , & prit le titre de Sultan. Cet exemple d'ingratitude ne fervit point de lecon au Calife de Bagdad. Ebloui de la réputation de Thogrul, HlSTOIRR un traité de paix & d'alliance , qui fut accepté & prefque aufli-töt rompu. Coutoulmifch , coufin de Thogrul , faifoit la guerre aux Arabes du Diarbek : ayant été défait dans une grande bataille prés de Sin-Jar, il prit la fuite vers le Baafparacan, & envoya demander pafTage au Gouverneur Grec, promettant avec ferment de ne faire aucun dommage. Le Gouverneur étoit Etienne, fils de Conftantin Lichudès, principal Miniftre de I'Empereur. Aufli arrogant qu'étour'di, ce jeune homme, fier de voir ks Turcs k fes pieds, non-feulement refufa le pafiage , il alla même les combattre k la tête de fes troupes, bien affuré qtie fon pere feroit vaioir ce giorieux exploit. Mais le Général Turc lui donna une lecon bien plus utile aux enfants de la faveur, que n'auroit pu être une viótoire. II ie battit, le fit prifonnier, & le vendit comme efclave en paflant par Tauris. Coutoulmifch a fon retour loua beaucoup k Thogrul la fertilité du pays de Baafparacan, qui n'étoit, difoit-il, habité que par des femmes. Thogrul, autant par le defk de s'en  nu Bjs-Emi'Ire. Liv. LXXF1IL 71 r-endre maitre , que par le jufte reffentiment de la perfidie des Grecs, fit partir vingt mille hommes fous la conduite de fon neveu Afan , avec ordre de s'emparer du Baafparacan, -s'il en trouvoit la conquête poffible. Afan entre dans cette Province, -pille, brule, maffacre tout ce qu'il rencontre fur fon paffage, fans épargner même les enfants. Aaron, fils du Bulgare Ladiflas, & frere de Prufien , avoit pris la place d'Etienne •dans le Gouvernement du Baafparacan. Trop foible pour faire tête aux 1 urcs , il envoye demander du fecours a Catacalon, Gouverneur d'Ibérie. Ce brave Capitaine part aufïitöt, & va joindre fes troupes a celles d'Aaron. Celui-ci ne voyoit que deux partis k prendre; c'étoit d'aller attaquer les Turcs en plein jour, ou de tomber fur eux pendant la nuit. Catacalon n'approuva ni 1'un, ni 1'autre. Son avis fut d'abandonner le camp la nuit fuivante, d'y laiffer les tentes dreffées, les bagages, les betes de charge; d'aller fe poffer en embufcade dans une forêt voifine , & de revenir fondre far I'ennemi, lorfqu'il Constant in IX. An. 104S. XXXIV. Afan défait par Catacalon.  CONSTANTJN IX. An. 104! XXXV LesTuri reviennent ave de plus grandes 1'orces, 72 Hl STOLRE feroit occupé au pillage du camp. Les deux armées étoient campées au bord du fleuve Stranga. Dés le matin,A• fan fe range en bataille; Sc ne voyant perfonne fe préfenter devant lui, il avance vers le camp des Grecs. La folitude, le filence lui perfuadent que les Grecs ont pris la fuite. II franchit le foffé, arrache la paliffade,& abandonne le camp a fes troupes. Vers le foir, pendant que les Turcs ne fongent qu'au pillage, les Grecs fortent de 1'embufcade, tombent fur eux avec fureur, & les maffacre fur leur butin même. Les plus braves périrertt avec Afan les armes a la main; le refle fe noye dans le fleuve ou gagne les montagnes, Sc fe fauve en Perfarménie. , . Le Sultan, honteux de la défaite ;s de fes troupes, met fur pied une arc mée de cent mille hommes,.dont il donne le commandement a fon coufin Ibrahim. Les deux Généraux Grecs tiennent confeil. Catacalon, plein de hardieffe, lorfqu'il étoit a propos de courir au danger , vouloit aller audevant de I'ennemi, Sc 1'attaquer en chernin, tandis qu'il étoit fatigué d'une  du Bas-Empire. Liv. LXXFIII. 7-3 ne longue marche, que la plus grande partie de fa cavalerie manquoit encore de chevaux, & que ceux qu'elle avoit étoient déferrés. C'étoit aufli 1'avis de toute 1'armée. Mais Aaron refufoit d'expofer fes troupes a des forces fi fupérieures fans un ordre expres de I'Empereur; & en attendant il falloit, difoit-il, mettre lés places en état de défenfe, & y retirer tout ce qui pouvoit être expofé au pillage. Le nom de I'Empereur fuffifoit pour arrêter la délibération, &c eet avis prévalut. On envoye un courier k Conftantinople. L'Empereur ordonne d'attendre 1'arrivée de .Liparite qui devoit amener un fecours d'Ibériêns. II mande en mêmetemps k Liparite, que c'eft 1'occafion de montrer fon zele, & que s'il elf. fincérement anii & allié de 1'Empire , il le prie d'aller joindre fes forces è celles des deux Généraux. Ce Liparite étoit fils de celui qui, vingtfix ans auparavant, étoit mort en combattant k la tête des Abafges contre les troupes de 1'Empire. Êtabli en Ibérie, il s'étoit fait une haute réputation de courage & de prudence; Tome XVII, D CONSTANTIN IX. An, 104S.  CONSTANTIN IX. An. 1048. 74 HlSTOIRE en forte qu'après Pancrace, Roi de 1'Ibérie feptentrionale, il avoit la plus grande confidération dans le pays. Le Roi, livré a la débauche, 8c capable de tout ofer pour fatisfaire fes paffions brutales , fit violence a la femme de Liparite. Cet homme de coeur, outré d'un fi fanglant outrage , prit ks armes ; & vainqueur de I'infoknt Monarque, il 1'obligea de s'alkr cacher dans les neiges du Caucafe, Pouffant lui-même la vengeance au-dela des bornes de 1'honneur, il fit a la mere de Pancrace la même infulte que fa femme avoit foufferte, «5c fe rendit maitre de tout le Royaurae. II écrivit enfuite a I'Empereur pour lui demander fon amitié 8c fon alliance,qui lui fut accordée. Quelque temps après, Pancrace, ayant traverfé le pays des Suanes 8c la Colchide, vint a Trebizonde , d'oii il envoya demander a I'Empereur la permifiion de venir k Confiantinopk. L'ayant obtenue, il lui reprocha en termes refpectueux d'avoir rompu 1'alliance qui fubfiftoit entre 1'Empire 8c un Monarque puiffant, Roi d'Ibérie 8c d'Abafgie , pour s'allier  du Bas-Empire. Lh. LXXFIII. 75 avec un fujet rebelle. L'Empereur 1'adoucit en fe chargeant de négocier pour lui un accommodement honorable. En effet, il engagea Liparite k fe contenter d'une Province nommée la Mefquie, dont il jouiroit en ufufruit pendant toute fa vie, & a reconnoïtre Pancrace pour fon Sotiverain. C'étoit k ce Liparite que s'adreflbit I'Empereur. Pendant qu'on 1'attendoit, Ibrahim, arrivé dans le Baafparacan, apprend que les Grecs, au bruit de fon approche, fe font retirés en Ibérie. II ié met aufTi-töt k les pourfuivre pour les combattre avant qu'ils ayent recu le fecours. Les Grecs, de leur cöté, de crainte d etre forcés d'en venir aux mains, fe retirent fur une hauteur bordée de précipices, & mandent k Liparite de hater fa marche. Ibrahim , défefpérant de les atteindre, tourne fes forces fur Arzé. C'eft aujourd'hui la ville d'Arz-Roum; c'étoit alors uo bourg d'une vafte étendue, très-peuplé & très-riche. Outre les naturels du pays, il étoit rempli d'un nombre infirti de marchands éirangers de toute nation , Syriens, D ij CONS- . TANTIN IX. An. 104S. xxxvr. Attaque & priïe d'Arzé.  CONS1ANTIN IX. An. 1048, /6 HlSTOIRE Arméniens, Juifs, Arabes. Leur muititude leur avoit paru une affez bonne défenfe, pour n'avoir pas befoin de murailles. Ils avoient même préféré cette demeure k Théodofiopolis , aujourd'hui Haffan-Kala, ville grande 6c bien fortifiée , qui n'en étoit pas k deux lieues. Les Turcs y étant arrivés, les habitants barricadent les rues; 6c montés fur leurs toits, font pleuvoir les fleches, les pierres, 6c tout ce qu'ils trouvent fous leur main propre k donner la mort. On fe bat ainfi pendant fix jours. A la nouvelle de cette attaque, Catacalon veut „courir k I'ennemi ; il preffe Aaron d'aller fondre fur les Turcs, tandis qu'ils ne fongent qu'a fe rendre maitres du bowrg. C'étoit , difoit-il, perdre le temps que ci'attendre les bras croifés un foible fccours, 6c de manquer une occaiion que toute 1'Ibérie ne leur rendroit jamais. Aaron, s'obffinant k s'en tenir k 1'ordre de 1'Empereur, Catacalon fut obbgé de fe taire. Ibrahim, voyant que 1'opiniatreté des habitants étoit invincible , facrifie 1'efpérance d'un ri£he butin, 6c m«t le feu aux maifons.  du Bjs-Empire. Lh. LXXFI1I. 77 Les Arzéniens , ne ponvant réfifter a la fois aux flammes & a I'ennemi ■> prennent la fuite. On dit qu'il y perk cent quarante mille hommes par le fer ou par le feu. II y en eut un grand nombre qui jetterent dans les flammes leurs enfants, & s'y précipiterent eux-mêmes. Ibrahim tira des cendres de eet horrible embrafement quantité d'or, d'argent, & ce qu'il n'eftimoit pas moins, beaucoup de fer dont il manquoit pour forger des armes a fes troupes, ck des fers a fes chevaux. II y gagna aufli grand nombre de chevaux, & d'autres bêtes de fomme. Après eet exploit, il fe mit en marche pour aller chercher les Grecs. Liparite étoit arrivé, «Sc les Grecs, defcendus de leur montagne, campoient dans la plaine au pied d'une colline fur laquelle étoit bati le chateau de Capetre. Comme les Turcs arrivoient en défordre, Catacalon confeilloit de les charger en ce moment. Mais Liparite s'y oppofa; c'étoit un famedi 17e. de Septembre ,& le famedi étoit dans fon idéé un jour malheureux. Ibrahim, qui n'avoit pas D iij CONStANTIfr IX. An, 104-S. XXXVIL Bjtailla de Capetre.  CONSTANTJN IX. An, 104S, 7§ II I S T 0 I R E 1'efprit blefTé de la même chimère, inftruit par fes coureurs de 1'inaction des Grecs, & du pofte qu'ils occupoient, s'avance en ordre de bataille, & force les Grecs d'en faire autant. Catacalon commandoit 1'aile droite, Aaron 1'aile gauche ; Liparite étoit k la tête du centre. Ibrahim fe pofta vis-a-vis de Catacalon ; c'étoit ou devoient fè porter les plus grands coups. Le combat ne s'engagea que vers la fin du jour. Catacalon & Aaron enfoncerentles deux ailes qui leur étoient oppofées, 6c les pourfuivii-ent bien avant dans la nuit. Mais Liparite , ayant'vu tomber k cöté de lui fon coufin germain dés le commencement de la bataille, en fut tellement troublé, qu'il fe jetta tête baiffée au travers des ennemis; & fon cheval percé de coups étant tombé fous lui, il fut fait prifonnier. Son corps d'armée prit auffi-töt la fuite. Les deux autres Généraux, de retour au camp, rendent graces k Dieu de leur vicroire, 6c attendent leur collegue, ne doutant pas qu'il ne foit occupé de fon cöté k la pourfuite des ennemis. Enfin, un foldat de Lipari-  du Bjs-Empire. Liv. LXXV1II. 79 te, échappé de la défaite, vient leur annoncer qu'il eft vaincu , & qu'Ibrahim 1'enimene prifonnier avec grand nombre d'Ibériens. La nuit fe paffe dans 1'inquiétude. On craignoit que I'ennemi ne fe ralliat, &t ne revïnt a la charge. Le jour venu, on fe fépare ; Aaron retourne k Van, capitale de fa Province, & Catacalon en Ibérie. La prjfe de Liparite valut a Ibrahim une viftoire. Fier d'avoir fait un prifonnier de cette conféquence, il arrivé k Rey en cinq jours, &C envoye porter au Sultan cette glorieufe nouvelle. On dit même que Thogrul en fut jaloux, & que ce fentiment, indigne d'une ame d'ailleurs grande & généreufe, jetta dans fon coeur les premières femences de haine contre fon coufin. La prife de Liparite affligeoit I'Empereur ; il réfolut de mettre tout en oeuvre pour le délivrer. II députa au Sultan GeorgeDrofe,Secretaired'Aaron , pour lui porter une riche rancon, & lui demander la paix. Le Sultan recut honorabloment le député, & prenant en main la rangon qu'il apportoit : Dites d votre maitre, lui D iv CONSTANTINIX. An. 1.04S.' XXXVIII. Générofité du Sultan.  CONSTANT1N IX. An. 1048. ] 1 ! i ( ] i XXXIX. Vingtmil- j le Patziuaces fe ' 80 HlSTOlRE dit-il, quejefuis Roi, & nonpas marckand;je lui rends monprifonnier, & ne veuxpas le lui vendre. Puis fe tournant vers Liparite, qu'il avoit fait venir r Tenei, ajouta-t-il,/e vous faisprefent de ce que 1'Empereur envoye pour vous racheter. Souvene^-vous de ce jour, & confultei votre cceur; il vous dira Ji vous devei être mon ami ou mon ennemi. It fit partir avec Drofe un Ambaffadeur pour traiter de la paix ; c'étoit Ie premier Seigneur de fa Cour, celui que les Turcs nommoient Schhify qui fuccédoit au Sultan, fans doute orfqu'il mouroit fans enfants. Le Sché■if, arrivé a Conftantinople, rebuta Empereur par des propofitions pleiïes de fier té & d'arrogance. If denandoit entr'autres chofes, que 1'Emnre fe rendit tributaire du Sultan. Voyant qu'on ne lecoutoit qu'avec ndignation, il s'en retourna fans rien :onclure. Monomaque, s'attendant a a guerre, fit travailler en diligence i fortifier les places du cöté de la krfe. Dans ce même temps, une autre ïation barbare , non moins redouable que les Turcs, menacoit 1'Em-  éu Bjs-Empire. Liv. LXXV1II. Si pire du cöté du Septentrion. Les Patzinaces , qui couvroient d'un peuple innombrable ces valles pleines, aujourd'hui prefque défertes entre les embouchures du Boryfthene & cel- : les du Danube, avoient douze ans auparavant ravagé la Méfie&laThra- : ce par des incurfions réitérées. On avoit fait avec eux un traité de paix , & les deux nations vivoient en bonne intelligence , lorfqu'une divilion furvenue entre ces Barbares engagea 1'Empire dans une guerre. Tyrac , diftingué par fa noblefTe, Prince timide Sc ami du repos , régnoit fur les Patzinaces. II laifToit la conduite de fes armées k Cégene , forti d'une familie obfcure , mais qui s'étoit fait connoïtre par fa bravoure, fon activité, Sc fes talents militaires. Les Uzes, ennemis éternels des Patzinaces , Sc qui les avoient chaffés de leurs anciennes demeures entre le Volga & le Tanaïs, ne ceffoient de leur faire la guerre. Cégene avoit remporté fur eux plufieurs victoires, tandis que Tyrac fe tenoit caché dans les marais voifins du Danube. Les fervices de ce vaillant guerrier, qui D v Constantie IX. in. 1048V éfugient urlester•es de 'Empire. Cedr. p. '75 . & iqq. Zon. t. II. '■ 2S7> 158.  CONSTANTIN IX. An. 1048. ! >, 82 IIlSTOIRE méritoient toute la reeonnoifTance de Tyrac, n'exciterent que fa jaloufie. BlefTé des louanges qu'on donnoita fon Général, il Ie regarda comme un rival dangereux, & réfolut de s'en defaire. Après avoir inutilement employé 1'artifice, il prit le parti de Ie faire afTaiïïner. Cégene, averti fe faura dans les marais du Boryfthene. Du fond de fa retraite il fouleva par les meffages fecrets deux des treize ribus qui compofoient la nation des 3atzinaces ; il eut Ia hardieffe de venr fe mettre k leur tête, & de livtet bataille k Tyrac qui étoit fuivi ies onze autres tribus. Malgré 1'ex:rême inégalité des forces , Ia vic:oke balanca long-temps ; enfin, il ïallut céder au nombre. Cégene, après rvoir erré quelque temps avec les lébris de fon armée, ne trouva d'ayle affuré que fur les terres de 1'Emiirè. II s'approcha donc du Danube , k paffa avec les fiens, au nombre le vingt mille, dans une ifle de ce 3euve , voifine de Driftra. II fit aufïï:öt favoir k Michel, Gouverneur de :e pays, fon nom , fes aventures, &c ie delir qu'il avoit de fe dévouer au  nu Bas-Empire. Lh. LXXFIII. 83 fervice de i'Empereur. Michel en ayant informé Monomaque , recut ordre d'accueillir ces fugitifs, de leur fournir les chofes néceflaires , & d'envoyer Cégene a Conftantinople. II y fut bien regu; & dans une conférence qu'il eut avec I'Empereur , il promit de fe faire baptifer lui 5d toute fa fuite ; ce qui fut exécuté par le miniftere du Moine Euthymius. En récompenfe , I'Empereur honora Cégene de la dignité de Patrice &C du titre d'ami & d'allié de 1'Empire. II donna pour demeure a la nouvelle colonie trois places au bord du Danube avec une grande étendue de terres. Cégene, fe voyant en füreté, ne fongea plus qu'a fe venger. Toujours en courfe , a la tête tantöt de mille, tantöt de deux mille volontaires, il paffoit fans cefTe le Danube , & ne donnoit point de repos aux Patzinaces , ravageant leurs terres, maffacrant tous ceux qu'il pouvoit atteindre, enlevant les femmes &.lesenfants, qu'il vendoit aux Grecs. C'étoit le fléau de la nation. Tyrac, défefpérc de ces incurfions meurtrieD vj Constantie IX. An. 1048. XL; Caufe de la guerre des Patzlnaces.  CONSTANT/SN IX. An, 104S, XLI. Les Patzinaces"vaincus. $4 H I S T 0 I R E res, fit direaI'Empereur, qu'ètamalhé des Paiiirzaees, il n'auroit pas du recevoir dans fes Etats un fujet rebelle, ou du moins qu'apres tavoir regu il ne devoit pas lui permettre de vexer par fes brigandages un peuple ami de F Empire : qu'il le prioit donc d'arrêter l'infolence de Cégene; qu'autrement les Patnnaces feroient forcés de s'en venger fur l'Empire rnême. Monomaque, choqué de ces menaces, re'pondit aux députes : Qu'il trouvoit fort étrange que leur maitre prétendit lui faire la loi , & fobliger a trahir un homme qui s''étoit jettè entre fes bras, ou d Cempêcher de tirer vengeance des injures qu'il avoit regues. II les congédia fans autre réponfe. II manda en même-temps k Michel Sc k Cégene de garder avec foin les bords du Danube; Sc fi les Patzinaees venoient avec des forces fupérieures, de lui en donner avis fur le champ, afin qu'il eüt le temps de leur envoyer un ren fort de troupes eapables de les aider a défendre le paffage. Tyrac, irrité du mépris que Monomaque avoit fait de fes plaintes , ortitde fon indolence naturelle. II at-  bv Bas-Empire. Lh. LXXF1IL ?; tendit I'hyver pour paffer le Darm be fur les glacés. Au mois de Dé' cembre, le vent de Nord foufflant ave< violence, le fleuve fe glaca jufqu'; plus de vingt pieds de profondeur au rapport de Cédrene : la rigueur di froid ayant éloigné les Grecs de fe: bords, les Patzinaces profïterent d< cette occafion , & pafferent au nom bre de huit cents mille hommes, f 1'on en veut croire le même Auteur qui exagere fans doute de beaucoiq plus de moitié. Ce torrent fe répandit de toutes parts, détruifant & env portant tout fur fon paffage. On envoye en diligence demander du fecours a I'Empereur. II fait partir auflïlot les troupes de Macédoine & de Bulgarie , avec ordre de joindre Michel Sc Cégene pour combattre le; ennemis. Toutes les troupes étani réunies , Cégene fe met k leur tête i & marche aux Patzinaces , qu'il ü contente de harceler , fans rifquer une aft ion générale. II connoiffoit fes compatriotes , & attendoit que leur intempéranceplus meurtriere qu'une bataille , eüt affoibli leur armée. En effet, dès qu'ils furent en-deca du fleu- CONSTANTIN : IX. L An, I04rient ; Monomaque 1'envoye avec Nicéphore , mais en qualité de fubalterne; il lui recommande d'obéir en tout k fon Général. U donne les mêmes ordres k un brave Capitaine Normand, nommé Hervé , qui s'étoit mis au fervice de 1'Empire avec une troupe d'aventuriers attachés k fa fortune. Dans les intervalles que donnoient quelquefois les guerres de la Pouille , plufieurs Seigneurs Normands qui ne pouvoient fe réfoudre k demeurer oififs, quittoient 1'Italie pour aller chercher de 1'emploi dans les armées de 1'Empire» D'autres prenoient ce parti pour n'avoir pas eu fatisfaöion dans le partage que leurs compagnons firent de leurs conquêtes. Hervé avoit d'abord fervi Maniacès dans fon entreprife fur la Sicile, ou il avoit donné des preuves de fon courage. II étoit venu enfuite avec bon nombre de Francois k la Cour de Conftantinople ; les Grecs E ij Constantie IX. An. 1049.  CoNSTANTINIX. An. 1049. 2a vin. Seconde défaite des Grecs. 100 H I S T O I R É lui donnoient le npm de Francopule. C'étoit fans doute gratifier Hervé que de lui procurer des oceafions d'exercer fa valeur. Mais ce brave Officier, ainfi que Catacalon , devoient trouvert fort étrange de fe voir fubordonnés a un Prêtre apoftat, qui n'entendoit pas mieux la guerre que I'Empereur lui-même. Cependant fïdeles obfervateurs de la difcipline militaire , ils ne s'écarterent jamais de l'obéiflance dans le cours de cette campagne , & ils demeurerent aveuglément foumis, même aux ignorances de leur Général. Les-Patzinaces, après leur victoire, avoient repaffé le mont Hémus, & s'étoient retirés dans leur établiffement des cent Collines. Nicéphore va les y chercher en diligence. Sa folie préfomption 1'affuroit du fuccès, & il avoit tellement infpiré fa confiance a fes foldats, qu'ils avoient fait provilion de cordes & de courroyes pour lier les prifonniers: précaution prefque toujours funefte k ceux qui l'ont employée. Les Patzinaces , furpris par une marche li prompte, étoient divifés en plufieurs  du Bjs-Empire. Lh. LXXF1IL 101 corps féparés. Catacalon vouloit qu'on les chargeat en arrivant, fans leur clonner le temps de fe réunir, & le refte de 1'armée approuvoit ce confeil. Mais Nicéphore, jaloux d'ouvrir les avis, lui impofa fdence : Ejl-ce d vous, lui dit-il, de faire La legon d votre Général ? Pour moi je nai garde d'attaquer les Patnnaces tandis quils font féparés les uns des autres. Le premier corps nauroit pas plutót été battu , que les autres fe fauveroient dans les forêts , fe difpperoient dans les montagnes. Me donnerei'vous des chiens de chaffi pour les relancer dans leurs retraites? II fallut fe taire, & 1'on campa visa-vis du premier pofte des ennemis. Pendant la nuit, ils fe raffemblerent, & au point du jour, ils s'avancent en bon ordre. Les Grecs, fortis de leur camp pour marcher k leur rencontre , font étonnés de voir k leur tête Tyrac & les principaux Officiers que Monomaque leur avoit envoyés pour les engager k quitter les armes. Ces pacificateurs avoient oublié leur ferment , & s'étoient joints k leurs compatriotes. Les Grecs fe rangent en bataille. Nicéphore fe met au centre, E iij Constantie IX. An. 1049,  CONSTANTINIX. An.ic^o, 102 HlSTOIRE donne le commandement de 1'aile droite k Catacalon, & celui de 1'aile gauche k Francopule. Dès le premier choc, toute 1'armée Grecque jette les armes & prend la fiiite. Nicéphore n'eft pas des derniers. II ne refte fur le champ de bataille que Catacalon avec une poignée de braves gens qui fe font hacher en pieces. Catacalon tombe percé de coups. Les Patzinaces , étonnés d'une fi prompte déroute, craignent quelque rufe de guerre , & n'ofent pourfuivre; en forte que les Grecs ne perdirent que ce petit nombre de guerrïers , qui avoient préféré la mort a une fuite honteuïe. Les vainqueurs les dépouillent, ramaffent les armes, pillent les bagages , & paffent la nuit dans le camp des vaincus. Un Patzinace qui connoiffoit Catacalon, 1'ayant trouvé entre les cadavres, le reconnut en le dépouillant; & voyant qu'il refpiroit encore, il 1 attaché fur fon cheval, & ie conduit au camp. Catacalon n'avoit plus de voix, & prefque plus de fentiment. II avoit le crane fendu en deux d'un coup de febre, & la gorge percée jufqu'a la racine de  vu Bas-Empire. Liv. LXXF1IL 103 la langue. Toutefois fon généreux ennemi prit tant de foin de fa guérifon, qu'il lui rendit la v.ie & la fanté. Les Patzinaces, pleins de mépris pour des ennemis fi prompts afuir, pillent hardiment toute la contrée, L'Empereur, affligé de cette défaite, pafla 1'hy ver a raflembler les fuyards, & k lever de nouvelles troupes pour réparer la honte qu'il avoit effuyée. Dans 1'efpérance d'y réuflir 1'année fuivante , il mit enfemble toutes les forces d'Orient &z d'Occident, & en donna le commandement a Conftantin , Capitaine de la garde étrangere, qu'il avoit employé trois ans auparavant avec fuccès dans la guerre contre Aplefphar. Conftantin, Général prudent & circonfpect, affembla fon armée aux environs d'Andrinople, & s'étant retranché de maniere k mettre fon camp hors d'infulte, il y dreffoit k loifir le plan qu'il devoit fuivre dans cette campagne. Pendant qu'il en préparoit les opérations, les Patzinaces paffent le mont Hémus, & arrivent le 8 Juin prés d'Andrinople, Conftantin affemble le Confeil, pour décider s'il eft k propos de combatE iv Constantie IX. An. 1049. An. 1050. XLIX. Troifieme défaite des Grecs, Cedr. p. 785 • 736.  Constant™ IX. An, jojo. 104 H I S T 0 I R E tre 011 de fe tenir dans les retranchements & d'y attendre Fennemi. La témérité d'un jeune Officier déconcerta cette fage conduite. Pendant qu'on délibéroit , Samuel Burzès , plein de vanité & d'audace, chargé de la garde du camp, court a I'ennemi , fans attendre 1'ordre du Général , a la tête de 1'infanterie qu'il commandoit, & va fe jetter fur les Patzinaces. II en fut fi mal recu, qu'il fentit trop tard fon imprudence, &C envoya couriers fur couriers pour demander du fecours. Conftantin, pour ne pas laiffer périr fes troupes de pied déja en déroute, fait monter a cheval, & livre contre fon gré une bataille générale. Dans ce mouvement imprévu & précipité, il n'a pas le temps de former fes rangs ; & tandis que fes efcadrons font encore flottants, les Patzinaces , animés par leur avantage, fondent fur lui; les fuyards pêle-mêle avec les ennemis fe renverfent fur les cavaliers ; tout fe confond, tout fe débande ; on regagne le camp en défordre , ayant a dos les Patzinaces qui les chaffent devant eux a grands  du Bas-Empirr. Lïv. LXXFIU. 105 coups de fabre. -Comme la retraite étoit proche, il y eut plus de honte que de perte. Ce n'en fut pas une que celle du Patrice Michel Docéan, qui avoit fi mal fervi 1'Empirè en Italië fous le regne de Michel le Paphlagonien ; mais on regretta Conftantin Arianite, qui recut une blefïïire dont il mourut trois jours après. Les vainqueurs attaquent le camp ; ik iravaillent avec ardeur k combler le foffé; plufieurs 1'avoient déja franchi lorfque Sulzum, un de leurs Généraux, atteint d'un gros javelot lancé d'une machine, tombe percé de part en part lui & fon cheval. Un coup fi terrible glacé d'effroi les Patzinaces. En ce moment, Glabas arrivé d'Andrinople avec les troupes de la garde impériale; les ennemis le prenant pour Bafile qu'on attendoit avec un grand corps de troupes, s'éloignentdu camp, fe difperfent, & regagnent le mont Hémus. Tant de mauvais fuccès rendoient I'Empereur méprifable. Une familie nombreufe & diftinguée par Ia naiffance, confpira toute entiere contre lui. Le complot fut découvert, & E v CONSTANT1NIX. An. io;o An. 1051, L. Conjuration,  ÏC(> II I S T O I R E I'Empereur fit srace a tous, exceptê CONSTANTJ.N IX. An. ioji Ï.T. Maffacrs de Cége ne. Cedr. p. 787. au chef qui fe nommoit Nicéphore. I! fut exüé avec confifcation de fes biens. C'étoit afïurément une peine légere pour la qualité du crime. Cependant comme il fut condamné fans être entendu, & qu'on n'obferva en cette occafion aucune des formes judiciaires, on ne fut aucun gré a I'Empereur de fa clémence : il paffa pour un tyran lors même qu'il épairgnoit les coupables. Après la bataille d'Andrinople, les Patzinaces fe mirent a ravager fans crainte la Macédoine & la Thrace. Portant de toutes paris 1'incendie & le maffacre, n'épargnant pas même les enfants au berceau, ils faifoient reflentir a ce malheureux pays toutes les horreurs de la férocité la plus barbare. Un de leurs partis eut 1'audaee de s'avancer jufqu'a la vue de Conftantinople ; mais il n'en revint pas. A la garde ordinaire de I'Empereur fe joignirent les plus déterminés des habitants. Jean, furnommé le Philofophe, un des Eunuques de Zoé, fe mit k leur tête; c'étoit un homme auffi avifé que brave & hardi, II tomba pen-  du Bas-Empire. Liv. LXXFIH. 107 dant la nuit fur ces brigands; les troüvant ivres &i endormis, il les égorgea fans rifque, & remplit de leurs têtes des tombereaux qu'il fit conduire k I'Empereur. Comme le nom feul de Patzinaces étoit devenu la terreur des Grecs trois fois vaincus, I'Empereur fe réfblut d'employer contre eux des troupes étrangeres. II raffembla ce qu'il avoit de Francois & de Varangues : c'étoient des troupes de pied. II tira des cavaliers de toutes les contrées de 1'Orient, mit a la tête de chaque nation un des plus diftingués de la nation même, & donna le commandement général de cette armée a Nicéphore Bryenne avec le titre d'Ethnarque, c'eft-a-dire, Commandant des Nations. II joignit avec lui pour collegue le Patrice Michel Acolythe; & ces deux Généraux eurent ordre d'éviter le combat, ck de prendre toutes les mefures de la prudence pour arrêterles incurfions. Mais fe défiant toujours du fuccès, il ent en même-temps recours a la négociation. Cégene , guéri de fes bleffures, fut tiré de la prifon honorable oii il étpit détenu; & fur fa promeffe E vj CONSTA NTIW IX. An. 10,51,  CONSTANTIE IX. An. 1051, ML Les Patzizaces réprimés. Ccdr. p. 787 , 788. log H I S T 0 1 R E d'infpirer k fes compatriotes des fentimerits de pais, il fut envoyé pour en traiter avec éux. Cégene partit, réfolu de fervir de bonne foi I'Empereur. Avant que de paffer le mont Hémus, il envoya demander aux Patzinaces un fauf-conduit. Loin de le refufer, ils jurerent qu'ils le recevroient avec amitié. Dés qu'il fut arrivé , ils le malfacrerent; & par un excès de rage, ils hacherent fon corps en morceaux. Cependant les deux Généraux, campés prés d'Andrinople, agiffoient conformément a leurs ordres. Se tenant fur la défenfive, fans rien hafarder, ils obfervoient tous les mouvements des Patzinaces, & tomboient k propos fur les partis ennemis, qu'ils tailïoient en pieces. Cette prudente conduite ferma aux Barbares les pafTages du mont Hémus; ils n'oferent plus ravager la Thrace, & fe jetterenten Macédoine, oir ils ne s'engagerent qu'avec précaution , & par gros détachements. Les Généraux Grecs, apprenant qu'ils étoient campés prés de Chariopolis fur les confins de la Thra:s $c de la Macédoine, décampent  du Bas-Empire. Liv. LXXVIIL 109 pendant Ia nuit, fans donner connoifïance de leur defTein; & après une marche forcée, ils arrivent k Chariopolis, & s'y renferment pour attendre une occafion favorable. Le jour fuivanf, les Patzinaces, ne fachant pas que 1'armée ennemie fut fi proche, vont a i'ordinaire piller les campagnes; ils courent jufqu'aux portes de la ville; & fur le foir, ils rentrent dans leur camp chargés de butin , & pafTent le refte du jour a faire bonne chere & k fe divertir. La nuit étant venue, les Impériaux fortent de la ville , tombent fur leur camp, & les trouvant enfevelis dans le fommeil, ils en font un grand carnage. Cette furprife rabattit 1'audace des Patzinaces ; & pendant le refte de cette année & la fuivante, ils furent plus retenus dans leurs courfes, & ne s'avancerent dans le pays qu'avec circonfpection. L'Empire fe foutenoit en Oriënt; il fe défendoit contre les Barbares du Septentrion ; mais il faifoit tous les 1 ans de nouvel'les pertes en Italië. Dro- 2 gon, chefs des Normands , ayant fuc- 5 cédé a fon frere Guillaume Bras-de- L CONSTANTINix. Aq. ioji. Lm. ifFaires Italië. •■o ofl. I. C 80. /. c. 16. ■up. Pro-  CONSTANT1N IX. An. 1051. Guill. Appal. I. 2. Maraterra l. I. c. IJ. Chron. Bar. Chron. Nor. Lambert. Schafnab. p. 161. Marian. Scot. Du Cange fam. p. 157. Giann. hifi. Nap. 1. 9. c. 2 & 3. Murat. arinal. d'ltal. torn. IJl. -F- 137 , 13S. Abrégi de Thifi. d'ltal. t. lil. P- 184, & Jltiy. HO II I S T 0 I R E Fer, fuivoit fes traces, Si étendok fes conquêtes. II prit Sc détruifit Bovino entre Troja & Afcoli. Cette ville fut rebatie 1'année fuivante, mais ruinée peu de temps après par un incendie. LeCatapanEuftaife, déja vaincu par Guillaume prés de Trani, le fut encore par Drogon fur terre Sc fur mer prés de Tarente. Drogon, pour affermir davantage fon établifïement, profita du delir qu'avoit Henri, Empereur d'Allemagne, de fe faire des droits fur toute 1'Italie. Quoique ce fut fur les Grecs, Sc non pas fur les Empereurs d'Occident que les Normands avoient conquis la Pouille,cependant Henri, a 1'exemple de fes prédécefTeurs, prétendoit que cette Province, aufli-bien que la Calabre, lui appartenoit comme Roi d'Italie. En cette qualité, il recut avec plaifir les marqués de déférence des Princes Normands, Sc leur accorda volontiers l'invefliture des Comtés de Pouille Sc d'Averfe. Irrité contre les Bénéventins, qui lui avoient refufé Fentrée de leur ville, il les fit excommunier par le Pape; Sc non content de cette punition fpirituelle, il s'em-  du Bas-Empire. Liv. LXXFI1I. nr para d'une grande partie de leur territöire , qu'il donna encore en fief aux Normands. Monomaque apprit avec chagrin ces adres d'autorité que I'Empereur d'Occident exercoit en Italië, & ces accroiffements de la puiffance des Normands , qui jettoit tous les jours de plus profondes racines. II renvoye dans la Pouille Argyre, fils de Mei, en qualité de Catapan, avec quantité d'or , d'argent, & d'étoffes précieufes pour gagner les chefs de la nation Normande& les engager a paffer en Grece , fous prétexte de fecourir 1'Empire contre les Patzinaces & les Turcs. Argyre arrivé k Bari , divifée alors en deux faöions , dont 1'une favorable aux Normands lui fait fermer les portes de la ville. Mais au bout d'un mois,le parti fidele aux Empereurs Grecs reprend le deffus, & recoit Argyre , qui fe faifit des deux chefs de la facfion oppofée, les charge de fers, & les envoye k Conftantinople. II travaille enfuite k exécuter fa commifTion auprès des Normands, & n'épargne ni les préfents, ni les promeffes. Ces guerriers, fupérieurs aux Grecs en bra- cokstant1nIX. An. io;i.  CONSTANTIN IX. An. 1051. ; i 3 I 1X1 UlSTOlRË troure, égaux du moins en fineffe, entent 1'artifice , & refufent de for:ir d'Italie. Argyre, défefpéré du pen ie fuccès de fa rufe, employé ce qui ui refte de tréfors h corrompre les irincipaux habitants de la Pouille )our les porter a fe défaire des Nornands. II apofte un afTaflin qui tue Drogon dans une Eglife a coups de )oignard. On fait main-bafTe fur les STormands en plufieurs lieux de la Pouille; & ce maffacre en fit périr flus que n'en avoient détruit toutes es guerres précédentes. Adraliffe, :hef de la facfion Normande clans Ba■i, fe fauva de la ville, & s'alla jetter ;ntre les bras de Humfroi, frere & iiccefTeur de Drogon. On fe faifit le fa femme & de fa familie, qu'on ?nvoye a Conftantinople. Humfroi, lyant raflemblé fes troupes, fe ven;ea de ces aflaftiriats, & fit mourir es meurtriers dans les plus rigoureux iipplices. II marcha enfuite contre \rgyre , qui, lui ayant livré bataile prés de Siponte, perdit un grand ïombre de foldats, tant Grecs qu'I)ériens, & fe fauva couvert de blefiires. II fe livra un autre combat prés  du Bas-Empire. Liv. LXXFIIL 113 de Crotone , oii Sicon Protofpate fut vaincu. Jean, Evêque deTrani, envoyé par Argyre a Conftantinople pour rendre compte a 1'Empereur du mauvais état des affaires en Italië, pour demander de nouveaux fecours, ne put rien obtenir. Les en-, nemis dArgyre 1'accufoient d'intelligence avec les Normands; & la mort de Monomaque arrivée peu après, ne lailTa point au Catapan le temps de fe juftifier de ces calomnies. En même-temps qu'il envoyoit en Grece,il avoit dépêche des couriers au Pape, qui étoit alors enAllemagne, pour le mettre dans les intéréts de 1'Empire. II lui repréfentoit les Normands comme une nation barbare & impie, qui violoit également les loix de la Religion & de 1'humanité. Léon IX obtint des troupes de 1'Empereur , & fe mit a leur tête; mais avant qu'elles euffent pafte les Alpes, Henri les rappella; & le Pape marcha en perfonne contre les Normands avec des Ievées d'Italiens, & un petit nombre dAllemands. La bataille fe livra prés de Civitella dans la Capitanate; Humfroi, foutenu de la va- CONSTANTINIX. An. loji.  CONSTANTIN IX. An. 1051. An. 105Z. LIV. Conjuration de Boïlas. 114 Hl S T 0 1 R E leur de fon frere Robert Guifcard, remporta une viöoire fignalée. Le Pape fut pris 8c conduit a Bénévent par les vainqueurs, qui, lui baifant les pieds Sc lui demandant humblement 1'abfolution de leurs péchés, le retinrent prifonnier. II recouvra la liberté 1'année fuivante par fon traité avec les Normands, qu'il recut au rang de vafTaux de Saint-Pierre, leur accordant en fief relevant de 1'Eglife , tout ce qu'ils pofTédoient déja dans la Pouille, Sc ce qu'ils pourroient conquérir en Calabre fur les Grecs, Sc en Sicile fur les Sarafins. Ainfi la mauvaife politique d'Argyre , au-lieu d'affoiblir les Normands, ne fit qu'accroitre leur puiffance, Sc fufciter aux Empereurs Grecs, dans la perfonne du Pape, de nouveaux ennemis. Le Pape accordoit aux Normands des droits qu'il n'avoit pas lui-même; il fe faifoit des vafTaux Sc s'érigeoit en Seigneur fuzerain de ce qui appartenoit a 1'Empire. La conjonóture étoit favorable pour s'aggrandir aux dépens du maitre légitime. Monomaque, endormi dans les amufements, ne jettoit que de foi-,  du Bas-Empire. Liv. LXXFIII. 115 bles regards fur ce qui fe pafToit clans fes Etats. Ce n'étoit ni la naiffance, ni le mérite qui procuroient fa bienveillance. Le talent de la bouffonnerie, des défauts mêmes propres a divertir le Prince, faifoient fortune auprès de lui. Peu s'en fallut qu'il ne \ fut la victime de ces goüts méprifables. Romain Boïlas, né dans une condition très-baffe, fembloit condamné par la nature k demeurer dans 1'obfcurité. II étoit begue; mais loin de travailler k corriger ce défaut, il 1'affectoit davantage par un mauvais goüt de plaifanterie. C'étoit un talent précieux k la Cour de Monomaque; Boïlas devint favori. II avoit fes entrées a toute heure;l'appartement des femmes lui étoit ouvert comme le cabinet du Prince. Ce miférable, devenu grand Seigneur & comblé de richeffes, s'oublia au point de fe croire digne duTröne, s'imaginant fans doute que , pour régner, il ne falloit faire que ce que faifoit Monomaque; de quoi il fe fentoit très-capable. II réfolut donc de tuer celui qu'il faifoit rire. II falloit fe former un parti; il s'adreffoit k ceux qu'il favoit mécontents, 8c leur fai- Constantie IX. in. 1052. Cedr. p. 788. Zon. t. 11. '■ 2.59. •60. jlycas, pi |io, 321.  CONSTANTINIX. An. 1052. LV. Incurfions du Sultan. Cedr. p. 788,789. Glycas, p. 321. IIÖ . HlSTOIRE foit entrevoir fon deffein; s'ils Papprouvoient, il les échauffoit par de belles promelTes; s'ils paroiffoient le rejetter. Je voulois éprouver votre fidèUté, leur difoit-il; je vois qu'elle ejl incorruptible, & je vous en félicite; vous mérite^ toute la faveur du Prince ; je lui rendrai compte de votre attachement. Il s'affura ainfi d'un bon nombre de con[urés. Comme il avoit les clefs de tous les appartements, il pouvoit y entrer jour & nuit, & le coup étoit infaillible , s'il n'eüt été dénoncé par un de fes complices. II fut pris fur le fait, lorfqu'il entroit de nuit dans la chambre du Prince un poignard a la main. Ses complices furent punis; mais ce qui caraöérife parfaitement la fiupide indolence de Monomaque, Boïlas en fut quitte pour une courte difgrace. L'Empereur ne put fe priver long-temps d'un courtilan fi néceffaire; il lui rendit toute fa faveur. Le Sultan ravageoit alors la Perfarnénie. Coutoulmifch, fon couiin, qui i'étoit révolté contre lui, ayant été :>attu, s'étoit fauvé avec fix mille ïommes, & avoit envoyé prier 1'Empereur de lui 'donner afyle. En at-  du Bas-Empire. Lh. LXXFIH. 117 tendant la réponfe, il affiégea la ville de Kars,qui appartenoit a Thogrul, & s'en rendit maitre. Mais pendant qu'il attaquoit la citadelle, apprenant que le Sultan approchoit, & qu'il étoit déja en Ibérie, il leva le fiege; & traverfant toute 1'Afie, il s'enfuit au fond de 1'Arabie heureufe. Thogrul , plein de dépit qu'il lui eüt échappé, déchargeoit fa colere fur 1'Ibérie, qu'il mettoit a feu & a fang. L'Empereur fit partir Michel Acolythe, qui, ayant raffemblé les Francs & les Varanguesdifperfés en divers poftes de la Chaldie & de 1'lbérie, fe mit en marche pour aller joindre le Sultan. Thogrul , qui n'étoit fuivi que d'un camp volant, ne voulut point hafarder fa réputation contre des troupes réglées; il reprit la route de Tauris. Dans ce mêmetemps, Michel, fils & fucceffeur d'Etienne , Roi de Servië, fit un traité de paix avec I'Empereur, & fut recu au rang d'ami & d'allié de 1'Empire , avec le titre de Protofpathaire. Le Soudan d'Egypte, pour entretenir 1'amitié de Monomaque, lui fit préfent d'un éléphant & d'un chameau moucheté, que les Grecs nom- CONSTANTIN IX. An, 1051.  CONSTANTIN IX. An. io5 3. LVL Treve avec les Patzinases. Cedr. p. 789, 790. Glycas, p, 3H. Il3 HlSTOIRE moient Camelopardalis, & que nous nommons Giraffe; animal rare , qui ne fe trouve que dans les contrées méridionales de 1'Afrique & de 1'Afie. Quoique les Patzinaces fuffent moins hardis depuis la furprife de leur camp, ils continuoient cependant leurs courfes en Macédoine & en Bulgarie. L'Empereur fit un dernier effort pour fe délivrer de ces ennemis incommodes. II réunit toutes les forces d'Orient & d'Occident, & mit k leur tête Michel Acolythe, déja vainqueur de ces Barbares. Bafile eut ordre de le joindre avec les troupes de Bulgarie. Les Patzinaces, avertis de leur marche, fe retranchent prés de Parafthlava, environnent leur camp d'une forte paliffade & d'un folfé profond, & s'y renfermental'arrivée des Grecs, réfolus de s'y bien défendre. On les attaque fans fuccès; le temps fe paffe en efforts inutiles; & les affiégeants , commencant k manquer de vivres dans un pays dévafté, déliberent fur le parti qu'ils doivent prendre. Ils fe déterminent a la retraite, & décampent en filence k la faveur d'une nuit «bfcure, Tyrac, imtruit de leur def-  du Bjs-Empire. Lïv.LXXFlH. 119 fein par un transfuge, avoit envoyé d'avance de gros partis fe faifir des paffages ; & fe tenant alerte avec le refte de fes troupes, il les charge au moment du départ. Surpris & déconcertés par cette attaque imprévue, embarraffés de leurs bagages, ne pouvant diftinguer dans les ténebres les amis des ennemis, ils ne fongent qu'a fuir plutöt qu'a combattre. Mais en fuyant ils trouvent la mort qui les atttend a tous les paffages. La plupart périrent avec Bafile; les autres avec Michel gagnerent Andrinople. Monomaque leve une nouvelle armée, prend k fa folde des troupes étrangeres, & fe prépare k retourner contre les Barbares. Les Patzinaces, intimidés de ces grands mouvements, ont recours k la négociation ; ils envoyent demander la paix; & I'Empereur , déja fatigué des préparatifs, retombe dans fon inaction naturelle; il leur accordeune treve de trente ans; c'étoit apparemment ce qu'il fe promettoit encore de vie. Ce fut dans ce temps-la qu'éclata enfin cette divifion funefte qui fépare c encore 1'Eglife Grecque d'ayec 1'E- a CONSTANT1NIX. A.n. 1053. LV1I. ommen- 2ment u fchif-  CONSTANT1NIX. An. 1053. me des Grecs. Leo. Oft. I.1. c. 88. Leo Allci' sius de Ecclef. Occid. Oriënt, ptrpet. confenju, l. 2. c. 9. Pagi ad Bar. Oriens Chrifl. 1.1. p. 260 , Fleury, Hifi. Eccl. I. 60. art. 1 & fuiv. 120 HlSTOIRE glife Latine. L'ambition des Patriarches de Conftantinople en avoit depuis long-temps jetté les premières femences. Evêques de la ville Impériale , ils prétendirent que la majefté féculiere en changeant de réfidence entrainoit avec elle la hiérarchie eccléfïaftique, & que la capitale de 1'Empire devoit être celle du monde Chrétien. Enivrés de cette préfomption, ils s'éleverent d'abord k la dignité patriarchale, Si prirent 1'eflbr au deffus des autres Patriarches d'Orient. Enfin, parvenus au fecond rang, ils porterent la hardieffe jufqu'a difputer le premier k 1'Eglife Romaine, en ufurpant le titre de Patriarches G£cuméniques. Cependant depuis Photiüs, qui avoit porté la fierté plus haut qu'aucun de fes prédécefTeurs , 1'Eglife de Conftantinople, fous une fuite de dix-fept Evêques, étoit demeurée unie k 1'Eglife de Rome. Mais Michel Cérulaire, encore plus fougueux, quoique moins habile que Photius, réfolut de rompre avec 1'Eglife Latine. Se flattant de réuflir aifément fous un Prince ignorant & livré a fes plaifirs, il fe fit appuyer de deux  nu Bas-Empire. Lixr. LXXF1II. m deux perfonnages de grande autorité; 1'un étoit Léon, Archevêque d'Achride, métropole de Bulgarie , Ie plus favant Prélat de Ia Grece ; 1'autre, Nkétas Stéthat, Moine de Stude, qui prêta fa plume aux emportements de Cérulaire. Jamais fchifme n'eut des prétextes ü légers, & des fuites fi étendues. Rien de plus frivole que les reproches dont les Grecs chargeoient les Latins. C'étoit de confacrer avec du pain azyme, de manger des viandes fuffoquées, de jeüner les famedis de carême contre la coutume des Grecs, qui ne jeünent point les famedis non plus que les dimanches, de ne point chanter Yalleluia pendant cemêmetemps. Cespratiques étoient, a les entendre, autantd'abominations; ils croyoient ne pouvoir communiquer avec des Prélats coupables de tant d'horreurs. Un feul article fembloit mériter une plus férieufe attention : c'étoit le célibat des Prêtres auxquels les Grecs permettoient de yivre avec les femmes qu'ils avoient époufées avant leur ordination. A ces crimes contre la difcipline, & a d'autres pareils, il falloit joindre une héTomt XFI1, F CONSTANTIKTIX. A.n. 1053.  CONSTANT1NIX. An. 1053, It.St BlSTOIRE réfie; ils en crurent trouver 1'ombre clans 1'addition filioqut, faite depuis long-temps au fymbole de Conftantinople , &c conforme a la docrrine Apoftolique. On fit courir par-tout 1'Orient 1'écrit de Nicétas qui contenoit toutes ces accufations, & en conféquence les deux Prélats condamnerent publiquement 1'Eglife Romaine comme entiérement corrompue dans le dogme, dans la difcipline, dans les moeurs. Cérulaire défendit de communiquer avec le Pape , fit fermer les Eglifes des Latins, s'empara des Monafteres qui refufoient de fe foumettre k fes décifkms, excommunia tous ceux qui auroient recours au- Saint-Siege , & poufTa le fanatifme jufqu'a rebaptifer ceux qui aVoient été baptifés par les Latins. Son prétendu zele ne fe borna pas k 1'Orient & k la Grece, II fit k 1'Evêque de Trani, dans la Pouille, des reproches amers de ce -qu'il adoptoit les erreurs des Latins. Cette lettre ayant été communiquée au Pape Léon IX, qui fe trouvoit pour lors k Trani, il fe crut obligé de juftifier 1'Eglife Latine; ce qu'il fit par une lettre a-  du Bas-Empire. Liv. LXXFI1I. 123 dreffée aux deux Prélats auteurs du fchifme. Cérulaire avoit compté que I'Empereur regarderoit ce combat du moins avec indifférence; i! fe trompa. Monomaque avoit alors intérêt de ménager le Pape, dont il croyoit le crédit néceffaire pour obtenir de FEmpereur Henri du fecours contre les Normands. II écrivit donc au Pape qu'il defiroit ardemment 1'union entre les deux Eglifes ; & il obligea le Patriarche de témoigner par une lettre les mêmes fentiments, Ces lettres furent envoyées au Catapan Argyre , qui les fit tenir au Pape fur la fin de 1'an 1053. Le Pape qui fouhaitoit fincérement la paix , envoya trois Légats a Conftantinople pour conférer avec Cérulaire, & difiiper les nuages qui s'élevoient. Mais Cérulaire fit toujours femblant de croire que ces Légats n'avoient point miffion du Pape, & qu'ils n'étoient envoyés que par Argyre , fon ennemi mortel. Ils étoient chargés de deux lettres; 1'uneadreffée a I'Empereur, 1'autre au Patriarche , & avoient ordre de répondre eux-mêmes plus amplement aux obF ij Constantie IX. An. 1053, An. 1054^ LVIII. ' Le fchifme confommé.  Constantie IX. An. 1054. 124 HlSTOIRE jeófions des Grecs, & de travailler avec ardeur au rétablifTement de la concorde. Le Pape mourut peu après le départ de fes Légats. Sa mort ne refroidit point leur zele, & ne diminua rien de leur fermeté. Le Cardinal Humbert, le premier d'entre eux par fa dignité & par fon favoir, répondit en détail k toutes les imputations de Cérulaire & de Léon d'Achride : il confondit li folidement Nicétas, que ce Moine, qui étoit de bonne foi, fe rétrafta, & anathématifa fon ouvrage en préfence de I'Empereur, qui fit brüler publiquement eet écrit-fcandaleux ; il demanda pardon de fon attentat contre le SaintSiege. Mais comme le Patriarche perfiitoit dans fon opiniatreté, fans vouloir même voir les Légats , ils fe tranfporterent le 16 Juillet k Sainte-Sophie, & après avoir dépofé fur le grand autel un a£te d'excommunication en préfence du Clergé & du peuple , ils fortirent en fecouant la pouffiere de leurs pieds, & criant que Dieu yoye & qu'il juge. Ils mirent ordre enfuite au gouvernement des Eglifes Latines de Conftantinople , & pri-  du Bas-Empire. Liv. LXXFIII. 125 rent congé de I'Empereur , qui approuvoit li peu la conduite de Cérulaire , qu'il leur donna ie baifer de paix, Sc les combla de préfents tant pour 1'Eglife de Saint-Pierre que pour eux-mêmes. Ils partirent, Sc deux jours après, lorfqu'ils étoient a Selymbrie, ils furent rappellés par 1'Empereur a la follicitation de Cérulaire même, qui promettoit de conférer avec eux. Mais ce Prélat, auffi méchant qu'artificieux, ne les faifoit revenir que pour les expofer k la fureur du peuple. II avoit falfifié l'aéfe d'excommunication, le traduifantde Latin en Grec de maniere k foulever la ville entiere. A leur retour, il les fit inviter k fe trouver le lendemain a Sainte-Sophie, pour tenir, difoitil, un concile. Mais I'Empereur averti de fon mauvais deffein , déclara qu'il vouloit y affifter ; Sc fur le refus du Prélat, il fit partir les Légats. Cérulaire, outré de dépit, publiea haute voix que le Prince trahit lui-même 1'Eglife Grecque ; qu'il efl d'intelligence avec les Romains ; Sc il excite une fédition fi violente , que pour la calmer, le timide Empereur fe déterF iij Constantie IX. An, 1054,  Constantie IX. An. 1054. 126 HlSTOJRX mine, malgré lui, h févir contre les partifans des Latins, & a faire fouetter & mettre en prifon ceux qui avoient fervi d'interprêtes aux Légats. Ayant enfuite découvert la falfification de Cérulaire , il en fut tellement irrité, que, fans ofer s'attaquer directement a fa perfonne, il chaffa du palais fes parents & fes amis. Cérulaire, de fon cóté, publia un décret plein d'impofture, dans lequel il rendoit compte a fon peuple de ce qui s'étoit paffe entre lui & les Légats. La vérité y étoit fi groffiérement défigurée , qu'il ne faudroit pas d'autre preuve de la foibleffe de I'Empereur, que fon filence en cette occafion. Michel, pour confommer fon ouvrage, excommunie le Pape a fon tour ; il efface fon nom des Diptyques, &C fait tous fes efforts pour ieparer de 1'Eglife Romaine les Patriarches Orientaux par des lettres pleines de menfonges. Ses calomnies réuffirent auprès de plufieurs Evêques; mais le fchifme ne fut pas encore général; & 1'on voit dans la fuite quelques Empereurs en communion avec 1'Eglife Romaine, Le Pape Alexandre envoya Pierre,  du Bas-Empire. Liv. LXXFIII. 127 Evêque d'Anagnie, en quaüté d'Apocrifiaire a I'Empereur Michel en 1071, 6c Pierre demeura auprès de ce Prince 1'efpace d'un an , que vécut encore Alexandre. Le Pape Grégoire excommunia Nicéphore Botaniate, paree qu'il avoit détröné Michel qui communiquoit avec les Latins. Zoé ne vit pas cette révolution, 6c d'ailleurs ce n'étoit pas les affaires de 1'Eglife qu'elle avoit le plus k cceur. CettePrincefTequi, depuis vingt-quatre ans, fcandalifoit 1'Empire par le déréglement de fes moeurs, qui avoit fait trois Empereurs en les époufant j 6c les avoit enfuite fait repentir d'avoir acheté trop cher la dignité Impériale, étoit morte en 105a, agée de foixante-quatorze ans.L'Empereur, qui n'avoit pas pleuré la perte de quarante mille braves foldats tués dans le6 défilés de Servië, pleura très-amérement la mort de Zoé. Ce vieillard imbécille la mettoit au nombre des Saintes, 6c prenoit,dit Zonare, pour autaht de miracles les champignons qui naiffoient autour de fon tombeau. II ne trouva qu'un remede pour fe confoler. Sclérene ne vivoit plus deF iv COKSTANTII*IX. An. 1054, LIX. Mort de Zoé. Zon. t. II. p. 160. Du Cange fam. By{. P> 145.  CfJNS- I28 H I S T 0 I R E puis long-temps. Toujours efclave des naftir>n<; rlp fa ipiinpfTp il orvrvoll-. ÏAKTIN IX. An. 1054. LX. Mort de Monomaque. Cedr. p. 790, 791. Zon. t. 11. f. 260 , 261. 262. Manaff. p. 128. Glyc. p. r '"J"">•! " a|^v.im auprès de lui la fille d'un Prince Alain, jeune & belle, qui vivoit a Conftantinople en qualité d'otage. II la logea dans le palais ; & pour épargner a fes fujets des foupcons incertains, il lui donna des gardes avec le titre d'Augufte, & lui aftigna un entretien magnifique. La crainte de blefler Théodora, & plus encore d'en:ourir les cenfures eccléliaftiques par an quatrieme mariage, 1'empêcha de lui mettre la couronne fur la tête. Cette concubine titrée ne jouit pas long-temps de fa fortune; tout eet éclat s'éclipfa a la mort de Monomaque ; il lui fallut retourner a fon premier état, qui n'étoit guere audeffus de celui d'une prifonniere. Ces événements caufoient de grandes agitations a la Cour, mais n'excitoient que la curiolité dans le refte de 1'Empire. Conftantinople en particulier fentoit beaucoup plus vivement les maux dont elle étoit alors affligée. Outre la dureté des impöts, fléau perpétuel fous le regne de ce mauvais Prince, il tomba dans 1'été  du Bas-Empire. Lh. LXXFIII. 129 de cette année une grêle prodigieufe ,qui tua quantité d'hommes &c d'animaux. Un mal encore plus meurtrier défola cette ville pendant ceite année & la fuivante. La pefte y fit de cruels ravages. Monomaque en fut exempt; mais il ne put échapper aux atteintes de la goutte, dont il n'avoit cefi'é d'être tourmenté depuis qu'il étoit fur le tröne. C'étoit le contrepoids de fa haute fortune & le fupplément des difgraces qu'il avoit effuyées dans 1'état de particulier. II avoit tellement perdu 1'ufage de fes pieds, qu'il ne pouvoit faire un pas fans être porté ou du moins foutenu par deux Officiers. A cette maladie fon imprudence en joignit une autre. Comme il prenoit fouvent les bains chauds, & qu'il s'expofoit enfuite k Pair froid, il lui en vint un mal de cöté , d'abord léger, mais qui s'accrut en peu de temps au point de faire défefpérer de fa vie. II avoit eu pendant une partie de fon regne un excellent Miniftre, qui lui avoit épargné bien des fautes , & k fes fujets bien des malheurs. C'étoit Conftantin Lichudès , d'une familie noF y CONSTAKTIN IX. An. 1054, Joel, p. 184. Pagi ad Bar.  CONSTANTINIX. An. 1054. iJO H I S T 0 1 R E ble , d'un génie élevé, confbmmé dans la fcience du gouvernement, &C d'une probité fupérieure a toute corruption. D'autantplus incapable d'une lache complaifance, qu'il étoit plus fincérement attaché aux vrais intéréts de fon maitre; loin de fervir aveuglément fes caprices, il y réfiftoit avec refpeft, & le ramenoit quelquefois par fes remontrances au parti de la juflice & de la raifon. Monomaque n'étoit pas digne d'un Miniftre de ce caradtere. Ennuyé d'un fi fidele ferviteur comme d'un cenfeur incommode, il s'en étoit défait pour donner fa confiance a un miférable eunuque nommé Jean, né dans la baffeffe, & d'une ame auffi baffe que fa naiffance, vil flatteur, trés-ignorant dans la conduite des affaires, fans autre talent qu'une pédantefque affecfation de purifme , quoiqu'il parlat & qu'il écrivit mal. L Empereur le eombla d'honneurs, fe repofa fur lui de tout le gouvernement, le fit Prince du Sénat & grand Lcgothete. Ce Miniftre , de concert avec d'autres courtifans , .voyant que I'Empereur lui-même aT  du Bjs-Empire. Liv. LXXPIII. 131 voit perdu toute efpérance, lui confeille de fe défigner un fucceffeur ; il lui propofe, comme le plus digne, Nicéphore qui commandoit alors en Bulgarie. On dépêche aufïi-töt un courrier pour le faire venir. Malgré lesprécautions qu'on avoit prifespour cacher ce deffein a Théodora , elle en fut avertie; &c fur le champ elle laifTe I'Empereur mourant dans le monaftere de Mangane , ou il s'étoit fait tranfporter. Elle fe rend en diligence au palais, & bientöt environnée de la garde Impériale & des principaux Sénateurs , qui vinrent 1'affurer de leur dévouement, elle eft proclamée Impératrice, comme légitime héritiere de la puiffance fouveraine. La pourpre dont elle avoit été enveloppée dans fon enfance, la douceur de fon caracrere , &c les difgraces de fa vie lui concilioient tous les cceurs. Cette nouvelle porta le dernier coup a I'Empereur. Le chagrin qu'il en concut le fit tomber en délire; il n'en revint que pour rendre les derniers foupirs. II mourut le 30 Novembre après un regne de douze ans èc fix mois moins douze jours, F v,j CONSTANTIN IX. An, 1054,  CONSTANTIN IX. An. 1054, 1X1. Réfultat du regne de Monoznaque. 132 HlSTOIRE II fut enterré dans le monaftere de Mangane, dont il étoit fondateur. Ce Prince contribua beaucoup k précipiter la décadence de 1'Empire , quoiqu'il en eut étendu les bornes du cöté de 1'Arménie, partie par les armes , partie par des négociations avec les Seigneurs du pays. Mais 1'indigencea laquelle le réduifirent fes largeffes inconfidérées, 1'obligea de licencier 1'armée d'Ibérie, compofée de cinquante mille hommes. II s'imagina gagner beaucoup en s'épargnant 1'entretien de ces troupes, & attirant a fon tréfor les revenus de ce pays. Mais eet argent fe diffipa comme le refte en vaines dépenfes, & la frontiere demeura ouverte aux incurfions des Turcs. Quelques Auteurs lui font un mérite d'une forte de baffefle dans un Souverain. II étoit, difent-ils, humble & modefte jufqu'a s'abaiffer dans fes lettres au-deffous du Soudan d'Egypte , qui en devenoit plus fier & en prenoit avantage pour s'emparer des Ifles qui fe trouvoient k fa bienféance. Mais pour détruire eet éloge, il ne faut que faire attention aux effets qu'ils attribuent  du Bjs-Empire. Liv. LXXVIII. 133 eux-mêmes a cette vertu mal enten- ! due. II fit batir des höpitaux , des monafferes. II augmenta les revenus de Sainte-Sophie ; on n'y célébroit auparavant le faintSacrifice que les famedis & les dimanches; il y afïigna des rétributions pour le faire célébrer tous les jours. II enrichit cette Eglife de vafes précieux & de magnifïques ornements : actions louables en elles-mêmes ; hommages trèsagréables fans doute aux yeux du Créateur, quand ils n'entrainent pas 1'oppreffion de fes créatures; & que pour fuppléer k ces pieufes libéralités, un Prince n'eft pas forcé de fe foutenir par des exactions injuftes, Constantie IX. in. 1054.   135 S O M M A I R E D U LIVRE SOIXANTE-DIX-NEUVIEME. ÉE du regne de Thiodora. II. Commencement de Jon regne. UI. Sageffe de fon gouvernement. IV. Sa mort. V. Gouvernement de Michel Stratiotique. VI. Révolte de Théodofe. vu. Mécontentement des Généraux VIII. Bryenne en Cappadoce. IX. Aventures du Normand Hervé. X. Conjuration. XI. Bryennépris & avcugle. xil. Ifaac Comnene proclamé Empereur par les troupes d'Orient. XIII. Conduite réfervée de Catacalon. XIV. Comnene s'empare de Nicée.XV.Batailled'Adès. XVI. Allarmes de Stratiotique. XVII. Catacalon s'oppofe d faccommodement. XVIII. Duplicité de Stratiotique devenue inudle. XIX. Stratiotique détróné. XX. Divers événements. XXI. Ifaac Comnene Empereur. XXII. Conduite du nouvel Empereur. XXIII. Exil & mort de Michel Cérulaire, XXIV. Conjlantin Lichudès,  I36 SOMMAIRE Patriarcke. XXV. Guerre des Hongrois & des Patzinaces. XXVI. Jean,frere d'Ifaac, refufe la couronne. XXVII. Ifaac la donne a Conjlantin Ducas. XXVIII. Suite de la vie a"Ifaac Comnene. XXIX. Affaires dltalie, XXX. Gouvernement de Conftantin Ducas. XXXI. Conjuration. XXXII. Guerre des Turcs. XXXIII. Terrible tremblement de terre. XXXIV. Conftantin achete pour les Chrétiens la quatrieme partie de la ville de Jèrufalem. XXXV. Xiphilin, Patriarcke. XXXVI. Prife de Belgrade par les Hongrois. XXXVII. Irruption des U{es. XXXVIlI. Comete. XXXix. Maladie & mort de Conjlantin Ducas. XL. Affaires d''Italië. XLl. Prife de Bari. XLH. Gouvernement a" Eudocie. XLIH. Guerre des Turcs. XLIV. Eudocie fonge a un fecond mariage. XLV. Aventures de Romain Diogene. XLVI. Eudocie le choifit pour époux. XLVIT. Difpojidon des efprits. XLVIII. Etat de la Cour. XLIX. Conduite de Diogene. L. Commencement de la guerre contre les Turcs. LI. Expèdition dans le Pont. Lil. En Syrië. LUI. Vicloire de Diogene. LIV. Suites de la vicloire. LV. Aventures de Robert Crépin. LVI, Les Turcs battuspar Diogene. Lvil, Succès divers, LVLil,  DU LlVRE LXXIX*. 137 Icone pillé par les Turcs. LIX. Retour de VEmpereur. LX. Manuel Comnene envoyé contre les Turcs. LXI. Manuel défait & pris. LXII. Manuel amene fon vainqueur a Conftantinople. LXIH. Derniere expédition de Diogene. LXI V. Marche de I'Empereur. LXV. 11 va au-devant des Turcs. LXVI. Défaite de Bafilace. LXVII. Sanglante efcarmouche. Lxvni. VEmpereur refufe la paix. LXIX. Bataille de Man^iciert. LXX. L'Empereur prifonnier & mis en liberté. LXXI. Mouvement a Conflantinople. LXXil. On refufe de reconnoitre Diogene. LXXIII. Bataille a*Amafée. LXX IV. Diogene refufe un accommodement LXXV. Injufle condamnadon de la mere des Comnenes. LXXVI. Seconde défaite de Diogene, Lxxvn. Diogene fe rend, LXXvm. Sa mort.   139 HISTOIRE D U BASEMPIRE. L1VRE S01XANTE-D1X-NEUV1EME. THÉODORA. MICHEL VI, dit Stratiotique. ISAAC COMNENE. CO NS TANTIN X, DUCAS. EUDOCIE. ROMAIN IV, dit Diogene. ThÉodora, dans un age avancé, entroit en poffeffion d'un tröne qu'elle avoit refufé vingt-fix ans ThÉodora.An. 105 j. I. Idéé du  Théodo- ra. An. 105;. regne de Théodora.Ccdr. p. 791 • 791Zon. t. II, a62. Glycas, p. 322. Manajf. p. 128. Joël. p. 184. Herman, eontract. Chron, Norm, n. Commeneeraentsde fon regne. Ï40 H I S T 0 I R E auparavant. Jamais Princeffe n'avoit éprouvé dans le cours de fa vie plus de révolutions diverfes. Deftinée d'abord a 1'Empire, chafTée enfuite du palais, objet & viclime de la jaloufie de fa fceur, jouet perpétuel de fes caprices, exilée , Religieufe, Impératrice, replongée au bout de trois mois dans 1'obfcurité d'une vie privée, elle furvivoit k fes perfécuteurs, & régnoit fur leurs cendres. Que pouvoit-on attendre d'une femme plus que feptuagénaire , qui ne fit choix pour les Miniffres que de quatre Eunuques ? Elle régna cependant avec gloire. Les agitations de fa fortune n'avoient point ébranlé fon efprit; &. ces Eunuques , dont elle- ignora la méchanceté, dirigés par fa vigilance, Sc contenus par fa fermeté, n'oferent, tant qu'elle vécut, faire ufage que de leur habileté. II eft vrai que la courte durée de fon regne ne les Dbligea pas de fe contraindre longtemps. Son premier foin fut de prévenir les troubles. Nicéphore, que le défunt Empereur avoit mandé pour lui mettre la couronne fur la tête, fut  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. 141 arrêté a Theffaionique , & tramporté en Lydie pour y être enfermé dans un monaitere; tous fes partifans furent dépouiliés de leurs biens & relégués. Ifaac Comnene, fils de ce Manuel qui s'étoit diftingué par fa valeur fous le regne de Bafile II, commandoit les troupes d'Afie ; il fut rappellé, & la préfecfure d'Orient fut donnée k Théodore, un des quatre confidents, avec ordre de s'oppofer aux incurfions des Turcs. C'étoit chez ces Barbares une opinion populaire, fondée fur je ne fais quel oracle, que leur puifTance feroit détruite par une armée pareille k celle qu'Alexandre avoit conduite contre les Perfes. Sur .la foi de cette prédidiion, Monomaque avoit fait pafler en Afie 1'armée de Macédoine , fous le commandement de Nicéphore Bryenne. Dés que Bryenne eut appris la mort de I'Empereur, il ramena 1'armée k Chryfopolis. Pour le punir d'être revenu fans ordre, Théodora confifqua fes biens, 1'exila , & fit retourner les troupes dans les quartiers qu'elles avoient quittés. On ne vit jamais d'Empereur plus Théodora.An. 105 j III. ;ageffe(l»  Théodo- ra. An. 1055. fon gouTernement. I42 HlSTOIRE affidu a remplir toutes les fonöions de la fouveraineté. L'Impératrice donnoit tous les jours audience, répondoit aux Ambaffadeurs, nommoit les Magiftrats, rendoit la juftice 6c recueilloit elle-même les opinions. Elle décidoit de toutes les affaires publiques 8c particulieres. Son regne fut tranquille; fes fujets obéiffoient avec joie ; 1'Empire fembloit n'être qu'une familie. Cette union du Prince & des peuples impofoit aux nations étrangeres; elles n'ofoient en troubler Ie repos. La nature même fembloit refpefter cette heureufe intelligence. La terre prodiguoit fes fruits, 6c nul accident n'interrompit la pröfpérité pubüque. Quoique Henri, Empereur d'AUemagne, favorifat les Normands, Sc qu'il fe regardat comme Seigneur fouverain de toute 1'Italie, il ufoit cependant de quelque ménagement k 1'égard de 1'Empire Grec. II avoit envoyé 1'Evêque de Novare k Conftantinople. Cet Ambaffadeur, adreffé k Monomaque, trouva Théodora fur le tröne ; il en obtint la confirmation de 1'alliance entre les deux Etats , Sc fut accompagné k ion retour d'une  du Bas-Empike. Liv. LXXIX. 143 députation de 1'Impératrice au Prince Aliemand. Les Normands étoient les feuls en guerre avec 1'Empire. Ils continuoient leurs conquêtes en Italië. Humfroi battit les Grecs prés d'Oria. Robert remporta une autre vidtoire prés de Tarente, & prit la ville d'Otrante. Agée de foixante-feize ans, Théodora, d'un tempérament fain & vigoureux, fe flattoit encore d'une longue vie. Rien ne 1'avertiflbit de la vieillefTe. Elle fufKfoit fans peine k tous les travaux du gouvernement, & des Moines complaifants lui promettoient des fiecles. Mais fes Miniflres , qui la voyoient de prés, jugerent k des accès fréquents de colique inteftinale , qu'elle n^avoit pas long-temps k vivre. Ils délibérerent en« femble fur le choix d'un fucceffeur, capable de maintenir 1'Empire dans eet état de paix & de tranquillité, dont il goütoit les douceurs. Ils crurent 1'avoir trouvé dans Michel Stratiotique. C'étoit un vieux guerrier, connu par fon ancienne valeur & par une grande réputation de probité , mais de peu d'efprit &c déja Théodo- r a. An. 1055. An. 1056. IV. Sa mort.  Théodo- ra. An. ioj6. V. Gouvernementde Stratio tique. Cedr. p, 792. 793' Zon. torn, 11. p. 261, 263. Manaff. p, 128, 129, Glycas p, IJl. 144 Histoiüs caduc, très-propre a fe laifTer gouverner; & ce défaut fans doute lui tint lieu de mérite auprès des Miniftres. Ils prirent un moment de maladie pour perfuader a 1'Impératrice d'affocier Michel k 1'Empire. Elle y confentit; & après lui avoir fait jurer qu'il ne feroit rien dans les affaires publiques fans le confeil des Minifires, elle lui ceignit elle-même le diadême. Elle ne furvécut que peu de jours, & mourut le 21 Aoüt , après un regne d'un an & prés de neuf mois. Stratiotique ne reffembloit k Théodora que par fon grand age. Soit que les travaux de la guerre euffent ufé les forces de fon efprit, foit que le génie du gouvernement civil difFere abfolument du commandement militaire , il ne montra fur le tröne que fon incapacité. II fembloit qu'il eüt . changé de perfonnage avec Théodora; la vieilleffe de cette Princeffe avoit été foutenue d'un caracfere viril; celle de Stratiotique n'eut que la décrépitude d'une femme foible &C capricieufe. Efclave des Minifires, que Théodora favoit gouverner, il ne  Ijü Bas-Empire. Liv. LXXIX. 145 ne penfoit que d'après eux, & les Miniftres devenus les maitres, donnoient carrière a leur efprit tyrannique; ils prodiguoient les faveurs a ceux qui leur faifoient Ia cour, & n'avoient que des difgraces pour le mérite qui ne favoit pas fe plier k de Gaffes complaifances. Pendant qu'ils difpofoient des dignités & des magiffxatures, I'Empereur s'occupoit k faire nettoyer le prétoire, a publier des réglements fur la mode des coëffures , & a d'autres bagatelles qui lui attiroient les railleries du peuple. II öta aux Sénateurs le maniement des deniers du fifc, pour le confier k de fimples commis. D'ailleurs, pour s'attacher également le Sénat & le peuple , il n'épargnoit ni les graces ni les promeffes ; mais peu judicieux dans la diftribution de fes bienfaits, il ne confultoit pour conférer les honneurs , ni la capacité, ni les fervices. Dés les premiers jours de fon regne , le mépris qu'il s'attiroit, lui fufcita un rival. Théodofe, coufm germain de Monomaque, s'étoit attendu k lui fuceéder. II n'avoit ofé djfputer 1'Empire k Théodora, qui Tornt XVII, G Théodora.An. ioj6. vr. Révolte le Théoiofe.  Théodo- ba. An, «056. I46 fllSTOIRE avoit des droits ck des vertus. Mais 1'incapacité du fucceffeur encourageoit 1'ambition, & perfonne ne fe croyoit indigne d'un tröne oü 1'on voyoit affis Stratiotique. Théodofe raffemble fes amis 57»  Michel VI. An, 1057, X. Conjuration. Cedr. p. "96, 797. Zon. t. 11. p. 264. 154 HlSTOIRB furent maffacrés, les autres chargés de chaïnes. Quelques-uns s'échapperent en fautant du haut des murs de la ville; Hervé fut pris & enfermé dans un cachot. L'Emir fe fit un mérite de cette perfidie auprès de I'Empereur; il lui dépêcha un courier pour lui faire favoir qu'il 1'avoit défait de fes rebelles, & qu'il tenoit leur chef dans les fers. Cependant les Officiers infultés étoient fortis la rage dans le cceur. Ils fe rendent dans la grande Eglife, s'animent 1'un 1'autre, & s'engagent mutuellement par ies ferments les plus horribles k fe venger d'un Miniftre infolent, & d'un Prince aufïï injufte qu'imbécille. Catacalon fut d'avis d'affocier Bryenne k leur complot. Les troupes Macédoniennes qu'il commandoit, pouvoient être d'un grand fecours. Bryenne accourt au premier avis; rempli des mêmes fentiments, il entre avec ardeur dans la conjuration. II s'aghToit de choifir un Empereur; tous jettent les yeux fur Catacalon; c'étoit, par fon age , par fa valeur & par fon expérience, le plus capable de porter la couronne,  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. Alors cette ame généreufe, prenant la parole: » Je vous remercie, dit-il, de » l'honneur que vous me déférez; je t » m'en croirois digne , fi la nature » m'avoit donné fon fuffrage, com» me vous me donne*; le votre. La » naiffance fans les talents n'eft pas » digne du Tröne, mais elle eft né» ceffaire avec les talents. II faut un » noble pour commander a. des no» bles. Une vertu ifolée n'impofe pas » affez aux peuples. Pour les tenir » en refpeft, il faut qu'ils voyent » dans leur Souverain une longue » fuite d'ancêtres. Vous me nommez » Empereur, ck moi je nomme Ifaac » Comnene : il réunit k fon mérite » perfonnel celui de fes aïeux ". Tous jurerent fidélité k Comnene, & fe promirent avec ferment le fecret le plus inviolable jufqu'au moment de 1'exécution. Ils fe féparerent enfuite., ck allerent chacun en particulier demander un congé k I'Empereur. Ils 1'obtinrent aifément du Prince, qui ne demandoit pas mieux que de les éloigner. Bryenne, engagé par un ferment qu'il avoit bien réfolu d'accomplir, G vj Michel VI. Ln. 1057. XI. Bryenne pris & aveuglé.  MlCHÉI. vr. An. 1OJ7. Cedr. p, 797. Zon, /, ƒƒ, p. 264. 26j. ££6 H 1 S T O I Z. B va joindre fes troupes en Afie. L'Empereur lui avoit donne pour furveilIant Jean Opfaras, fous le titre de Tréforier de 1'armée; celui-ei étoit chargé de Ia paye des troupes. Arrivé en Cappadoce, Bryenne ordonne de payer Ia montre aux foldats fur un pied beaucoup plus hauf qu'il n'avoit été réglé par la Cour. Opfaras oppofe aux ordres de Bryenne le tarif arrêté par I'Empereur. Le Général lui impofe filence , & lui commande d'obéir. Sur fon refus, il s'emporte, le maltraité a coups de poings, Ie jette par terre, Sc le traine par la barbe & par les cheveux jufque dans fa tente, ou il le fait enchainer. II fe faifit de la caiffe, & fait lui-même Ia diiiribution k fon gré. Le Patrice Lyeanthe, Gouverneur de Lycaonie Sc de Pifidie , campoit dans le voifinage avec un grand corps de troupes. Ayant appris la violence faite k Opfaras, il foupconne un deffein de révolte; il va fondre fur Bryenne qui ne s'y attendoit pas, fe faifit de fa serfonne, Sc le met entre les mains i'Opfaras, qu'il délivre de fes chailes. Opfaras fait arracher les yeux k  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. 157 fon nrifonnier . & 1'envove s I'Em¬ pereur qu'il inftruit de ce qui s'étoit paffe. Le traitement fait k Bryenne loin d'étouffer la conjuration , en accélere les effets. Les principaux Officiers qui attendoient fur leurs terres en Oriënt le moment de fe déclarer, apprenant que Bryenne étoit entre les mains des Miniftres , ne douterent pas que dans les tourments de la queftion il ne découvrït fes complices, qui feroientarrêtés avant que d'avoir le temps de fe défendre. Ils fe rendent tous k Caftamone en Paphlagonie, oü Comnene faifoit fon féjour, Arrivés de nuit, ils 1'éveillent; & quoiqu'il leur repréfente qu'il n'efl: pas encore temps d'éclater, tk que leur précipitation pourra leur être funefte , ils Pemmenent malgré lui dans la plaine de^ Gunarie prés de la ville , oü ils font appeller les foldats du voifinage. Le bruit de cette émeute s'étant bientöt répandu, toutes les troupes d'alentour accourent en diligence ; chacun s'empreffe de fignaler lbn zele. Comnene elf proclamé Empereur le 8 Juin 1057, Michel VI. An. 1057. XII. Ifaac Comnene proclamé Empereur par les troupes d'Orient. Cedr, p. 797. 79S. Zon. t. 11. p, 165,  Michel VI. An. 1057 XIII. Conduits téfervée de Cataca Ion. Cedr. p. 798, 799' 158 II I S T O I R Ê Comnene campa dans cette plaine avec ce qu'il avoit de troupes, réfolu d'attendre les autres conjurés. II s'étonnoit du retardement de Cataca-Ion , ehef & premier moteur de 1'entreprife. Tandis qu'il en cherchoit la caufe, on vient lui dire que Catacalon a changé d'avis; qu'au mépris de fon ferment il s'eft livré a Stratiotique, & qu'il leve même des troupes pour venir 'combattre les conjurés. Cette nouvelle jette Comnene dans de mortelles inquiétudes ; il redoute un pareil ennemi; cependant connoifTant la fermeté de Catacalon, il n'ofe le croire capable d'une pareille perfidie , & fe tient dans fon camp en attendant des nouvelles plus certaines. Catacalon n'avoit point changé; mais une imprudence de fa part le tenoit lui-même dans une femblable perplexité. En partant de Conftantinople, il avoit rencontré un courrier de I'Empereur, qu'il avoit chargé d'une lettre pour Nicétas Xylinite, Sur-Intendant général des Pofles de 1'Empire, & fon ami particulier; il lui écrivoit en ces termes : Mon cher fiere t yousfaye^ comme nous avons  du Bas-Empirs. Liv. LXXlXr 159 été traités par votre maitre. Puifquil nous a congédiés, nous partons ; mais pour nous faire revenir, il lui faudra des troupes meilleures que les nótres. II penfoit ne courir aucun rifque par cette bravade, paree qu'il s'imaginoit que Comnene alloit fur le champ déclarer fa révolte , & que la guerre feroit commencée lorfque fa lettre arriveroit k Conftantinople. Mais voyant enfuite que Comnene ne faifoit aucun mouvement , il commenca de craindre que les conjurés n'euffent abandonné leur entreprife, & qu'il ne reftat feul expofé a la vengeance du Prince , qui pourroit être inftruit de fon deffein , foit par fa lettre interceptée , foit même par la trahifon d'un ami que fa fortune attachoit k la Cour. Dans cette penfée, il fongeoit k fe mettre en état de défenfe. II n'avoit point de troupes, & fon efcorte ne fuffifoit pas pour commencer une guerre. L'Orient étoit garni de foldats, mais il ne favoit s'il pourroit les attirer a fon parti. II craignoit fur-tout deux cohortes de Francs &c une de Ruffes , campées dans fon voifinage, qui, fur le premier foiu> MlCHEt VL An. 1057.  Michel VI. An. 1057, 160 Bis r 0 i r e con de révolte, fe faifiroient de fa perfonne, Sc le conduiroient k 1'Empereur. Ces confldérations le tenoient en échec, Sc ce délai donnoit lieu k Comnene d'appréhender un repentir. Enfin, Catacalon fe détermine a lever 1'étendard. II fe déclare d'abord k fes parents, k fes vafTaux, a fes domeftiques, Sc forme un corps de mille hommes. Pour ranger fous fes enfei* gnes toutes les troupes du pays , il contrefait une lettre de I'Empereur, qui lui ordonne de mettre enfemble les Francs, les RufTes, les garnifons de Colonée Sc de Chaldie, pour marcher contre Samuch. En conféquence, il leur donne rendez-vous k Ni* copolis. S'étant rendu dans cette ville , oii tous fe trouvoient rafTemblés, il les fait fortir le lendemain de grand matin, comme pour en faire Ia revue ;" Sc ayant dreffé une tente k quelque diffance de la place ou i!s étoient en bataille, il mande les Commandants de chaque corps. Après leur avoir expofé fon deffein: Voye^, leur dit-il, quel parti vous ave^ dprendre; il fuut mourir tout-a-Cheure , ou me jurerfidèlitê. La vue des épées nu es qui  du Bjs-Empire. Liv. LXXIX. 161 les environnoient, ne leur permettoit pas de délibérer. Ils jurent tous & font prêter ferment k leurs foldats. Catacalon dépêche auffi-töt un courrier k Comnene, &c fe met en marche k la tête de toutes les troupes de 1'Arménie mineure. Cette heureufe nouvelle raffure Comnene. II raffemble tous les conjurés; mais pour fe mettre en campagne , il attend Catacalon, dont 1'armee croiffoit de jour en jour, entrainant fur fon paffage partie de gré, partie de force, tous les gens de guerre du pays. Comnene, délivré d'inquiétude, met entre les mains de Jean fon frere, fa femme, fes enfants & fes tréfors, qu'il envoye au chateau de PémolifTe fur les bords du fleuve Halys. II établit des contributions dans toutes les Provinces de 1'Afie. II paffe le Sangar avec toute fon armée, &c marche vers Nicée. Cette place pouvoit lui fervir de retraite en cas de malheur. A la nouvelle de fon ap~ proche, 1'effroi faifit la garnifon ; les foldats, inquiets du fort de leurs femmes & de leurs enfants, fe retirent dans leurs families; les Officiers fe Michel VI. An. 1057. xrv. Comnena s'empa-e de Nicée. Ccdr. p. 799,800, 801. Zon. t. II. p. 165.  Michel VI. An. 1057, XV. Bataille d'Adès. Cedr. p. Soi, S02. Zon. t. II. f. 265 , 266. Manajf. p, I29. IÖ2 HlSTOIRB rendent auprès de I'Empereur, qu'ils infiruifent des progrès de la révolte, dont ils exagerent les lorres. Stratiotique aiTemble des troupes ; il tache de fe les attacher par des largeffes. II met a leur tête 1'Eunuque Théodore, auquel il donne pour Lieutenant Aaron, beau-frere de Comnene , mais fon ennemi. Ces deux Généraux pafTent a Chryfopolis, & marchent k Nicomédie. Ils font couper le pont du Sangar pour öter k Comnene cette voie de retraite , & campent au pied du mont Sophon, entre le lac & la montagne. Cependant Comnene, infTruit de leurs mouvements, s'approche de Nicée qu'il troitve ouverte. II s'en empare, y Iaiffe fes bagages avec une garnifon , & campe k une demi-lieue de la ville du cöté du Septentrion. Les deux armées étoient encore éleignées de dix lieues. Cependant les fourrageurs de part & d'autre fe rencontroient dans leurs courfes , &C chacun reconnoiffant dans le parti contraire des parents & des amis, aulieu de fe battre, ils entroient en pourparler, Ceux de I'Empereur exhor-  nu Bas-Empire. Liv. LXXIX. 163 toient les autres d ne pas facrifier leur fortune & leur vie d un rebelle , qui bientót viclime Lui-même de fon audace crimineLle, Les laifferoit dêpouillés de leurs biens, & expofês d toutes les ri~ gueurs d'un chdtiment légitime. Les foldats de Comnene confeilloient de leur cöté aux Impériaux, de quitter les enfeignes d'un vieillard imbécille, qui riétoit Empereur que de nom; efclave de fes Eunuques , tyran de fes Capitaines, dont il ne favoit payer les fervices que par des mépris , des infultes & des difgraces : qu'ily auroit pour eux de Hhortneur a fervir Comnene , auffi rccommandable par fes vertus que par fa naijfance, adoré de tout 1'Orient qui le reconnoiffoit déja pour maitre. Ils fe féparoient fans fe perfuader. Les Généraux de part & d'autre apprenant ces conférences militaires, y envoyoient leurs Officiers les plus habiles & les plus capables de manier les efprits. Enfin, Comnene s'appercevant qu'il ne gagnoit rien k ces entrevues, paree t que dans 1'efprit de la plupart des hommes, la crainte eft plus forte que 1'efpérance , rompit ce commerce s & défendit a fes fourrageurs de s'é- MlCHEt VI. An, 1057.  MlCHEI VI. Ac. 105- I64 HjSTOIRE - carter du camp. Théodore, s'imaginant qu'il fentoit fafoibleffe, & qu'il . fe défioit de fes propres troupes, voulut combattre , quoique les autres Capitaines ne fuffent pas du même avis. Les Impériaux vont camper a Pétroa, qui n'étoit éloigné de I'ennemi que de trois quarts de lieue. Etant ainfi a la vue les uns des autres , ils demandoient également la bataille, & les Généraux ne la defiroient pas moins. II y avoit de part & d'autres des troupes Macédoniennes , 1'élite des deux armées. Mais du cóté de Comnene, c'étoient de vieilles troupes ,' du cöté de Théodore de nouvelles levées. Comnene donne he commandement de fon aile gauche a Catacalon ; celui de 1'aile droite a. Romain Sclérus; il fe met a la têts du centre. Théodore oppofe k Catacalon Bafile Tarchaniote le plus noble & Ie plus expérimenté Capitaine des Macédoniens; il charge du commandement de 1'aile gauche Aaron, qu'il fait foutenir deLycanthe & d'un brave Normand nommé Radulfe , décoré du titre de Patrice. La bataille fe livre dans un lieu nommé Adès;  nu Êas-Empihe. Lh. LXXIX. 16$ c'eft-a-dire , ttnftr. Aaron enfonce 1'aile droite des ennemis, les pourfuit jufqu'au camp, &. fait prifonnier Romain Sclérus. Comnene prenoit 1'épouvante, & fongeoit a regagner Nicée , lorfque Catacalon renverfant les efcadrons qui lui étoient oppofés, les pourfuivit fans relache jufqu'a leur camp, dont il forca 1'entrée , maffacrant tout devant lui , coupant en pieces & abattant les tentes. La deftruction du camp Impérial, placé fur un lieu élevé , étant appercue des deux armées , releva le courage de Comnene , & abattit celui des ennemis. Ils prirent la fuite avec une grande per'te, fur-tout de Macédoniens, dont les plus renommés Capitaines fe firent tuer fur la place. Un grand nombre de prifonniers refterent entre les mains des rebelles. Au milieu de la déroute , le Normand Radulfe, entrainé par les fuyards, s'en débarraflbit quelquefois pour retourner fur I'ennemi , qu'il chargeoit a grands coups d'épée. II brüloit d'envie de racheter fon honneur en combattant quelque Officier de marqué. li appercut Botaniate , & courant è lui a Michel VL An. 1057,  Michel VI. An. 1057. XVI. Allarmes sle Stratiotique. Cedr. p. S02, 803, 804. Zon. 1.11. p. 266, 267. Manajf. p. J39. l66 H/STOIRX toute bride : Arrête , lui dit-il, jefuis Radulfe , & je viens pour te combattre. Botaniate tourne auffi-töt vers lui, & lui tranche en deux fon bouclier du premier coup de fabre. Radulfe lui décharge le fien fur la tête ; mais le cafque étant k 1'épreuve, le coup ne fit qu'engourdir le bras de Radulfe, & le fabre lui tomba des mains. On le fait aufli-töt prifonnier. II ne périt dans cette bataille du cöté de Comnene qu'un petit nombre de foldats, & un Officier nommé Léon Antiochus. L'Empereur, effrayé de cette défaite, avoitperdu toute efpérance. II étoit prêt de renoncer k 1'Empire, fi fes Miniftres, bien plus parintérêt & par crainte que par attachement k fa perfonne , n'euffent calmé fes allarmes par des difcours généreux que leur ïuggéroit leur propre timidité. II prit donc le parti de faire bonne contenance; & fe flattant d'être k couvert tant qu'il auroit pour lui le peuple de Conftantinople, il s'épuifa en largeffes. Cependant Comnene fortit de Nicée, & entra dans Nicomédie fans trouver de réfiftance. A chaque pas  du Bas-Empirb. Uv. LXX1X. 167 qu'il faifoit, les allarmes du vieil Em- • pereur redoubloient; enfin Stratiotique ne pouvant plus tenir contre fes inquiétudes , députe a Comnene Conftantin Lichudès , Léon Aiopus, & Michel Pfellus. 11 comptoit beaucoup fur 1'habileté & fur la grande éloquence de ces trois perfonnages, & principalement fur celle de Pfellus , eonfidéré comme le plus grand Philofophe de fon fiecle. Ils étoient chargés de dire a Comnene, que I'Empereur confentoit a 1'adopter & a le nommer Céfar avec une amniffie générale pour lui & pour tous fes partifans fans exception. Ces propofitions faites en préfence de 1'armée , exciterent une réclamation univerfelle. On s'écria de toutes parts qu'on ne laifferoitpas dépouiller Comnene de la robe Impériale, dont tant de braves gens 1'avoient revêtu. Les foldats s'étant retirés dans leurs tehtes, Comnene prit a part les dépu> tés & leur dit, que s'ils luipromettoient de rendre a I'Empereur un compte fidele, il alloit leur ouvrir le fond de fon cceur. Ils lui jurerent de ne rien déguifer, Sf il continua en Michel VI. in, 1057,  MtCHEL VI. An. 10 5 7 IÖ8 IIlSTÖIRE ces termes : La robe de Céfar me » fuffit; je dépoferai 1'autre fans re» gret; mais je demande que 1'Em» pereur s'engage par ferment aqua» tre chofes : k ne jamais faire paf» fer la couronne fur la tête d'aucun » autre, k ne rien óter k ceux que » j'aurai récompenfés de leurs fer» vices; k me faire part d'une porj> tion de la fouveraineté en me per» mettant de difpofer des emplois fu» balternes & de quelques grades mi» litaires : enfin , & c'eft 1'article le » plus effentiel, k fe défaire de fon » principal Miniftre , ennemi mortel » de ma perfonne & des miens. A » ces quatre conditions, je lui pro» mets de rentrer dans Conftantinot>f ple avec un efprit de paix ck de » foumiflio/i; ck comme cette récon» ciliation n'eft pas du goüt de mon » armée, je vous remettrai en pré» fence des foldats une lettre conte» nant une réponfe dure & fiere, » telle qu'ils la defirent; & en fe» cret une autre qui contiendra mes » véritables fentiments ". Tout fut exécuté felon ce proiet. Stratiotique renvoya les mêmes députés avec une ifttre  nu Bas-Empire. Liv. LXXIX. 169 lettre par laquelle il accordoit toutes les demandes de Comnene. II ajoutoit même qu'il 1'avoit déja déclaré Céfar, & qu'il avoit deffein de l'affocier inceffamment a 1'Empire ; mais que certaines raifons 1'obligeoient de différer quelque temps. Comnene approchoit du Bofphore, & il étoit a Rées lorfque la réponfe de I'Empereur arriva. Tout le confeil de guerre en fut fatisfait. La difgrace de Léon Strabofpondyle portoit fur-tout la joie dans les cceurs. On étoit d'avis de mettre bas les armes ; on demandoit feulement que I'Empereur changeat fa lettre en un diplome authentique fcellé du fceau Impérial. Le feul Catacalon n'approuvoit pas eet accommodement; il vouloit abfolument que le vieil Empereur fe démit de 1'Empire. „ N'avez„ vous pas juré, leur difoit-il, par » les ferments les plus faints, de ne »> plus reconnoitre Stratiotique pour » votre Souverain ? Vous voulezdonc » vous rendre coupables de parjure. » Quittez les armes, & bientöt le poi» fon acquittera la parole donnée k » Comnene, & 1'cm nous arrachera Tornt XVlIt H Michel VI. An. 1057, xvir. Catacalon s'ep-. pofe a ï'accora-, modement.  Michel VI. An. 1057, XVIII.' Duplicit' de Stratiotique«Jevenue inutile. 170 II I S T 0 I R E » les yeux a tous tant que nous fom» mes. Point de paix, fi le difciple » de Strabofpondyle ne dépofe un « diadême qu'il porte avec tant de » honte ". On dit même que les députés trahirent alors leur commiffion; qu'ils furent les premiers k exciter fecretement Catacalon k s'oppofer au fuccès de leur négociation, &c que le Philofophe Pfellus fe prêta de bonne grace k cette perfidie. Le rang qu'il tint enfuite auprès de Comnene ne confirme que trop le bruit qui courut alors. Plufieurs perfonnes dignes de foi & très-inftruites du détail de cette intrigue , affuroient que Pfellus avoit protefté k Comnene avec ferment , qu'il étoit chéri & dejiré de tout Conftantinople ; quil n avoit qu'a fe montrer, qu'il verrolt tomber aufji-tót le fantóme ê'Empereur, & tout le peuple lui tendre les bras & courir au-devant de lui avec des cris de joie. , Les foupcons de Catacalon n'étoient que trop bien fondés. Tandis que Stratiotique négocioit avec Comnene, il prenoit des mefures pour refTerrer les liens de fa propre puiffance, & pour écarter k jamais ce-  BV Bas-Empire. Liv. LXXIX. iji •lui auquel il promettoit 1'Empire. Après avoir préparé 1'efprit des principaux Sénateurs par une profufion de faveurs & de largefles , il les avoit aflemblés dans le palais, & leur avoit fait jurer avec des imprécations horribles , que jamais ils ne reconnoitroient Comnene pour Empereur. II en avoit dreffé un aöe qu'il leur avoit -fait figner k tous. Comnene étoit encore eloigné. Mais lorfqu'on apprit qu'il approchoit, & qu'il devoit coucher. le lendemain dans le palais de Damatrys, ceux qui s'étoient enga•ges par cette proteftation inconfidérée, ne fongerent plus qua s'en affrancbir. Ils fe rendent dès le point du jour. k 1'Eglife de Sainte-Sophie; ïls appellent a grands cris le Patriar■che pour délibérer avec eux; qu'il s'agit de l'affaire la plus importante. C'étoit de les relever de leur ferment. Cérulaire defiroit la révolution au moins autant qu'eux-mêmes : mais dans 1'incertitude du fuccès, ce Prélat rufé voulut paroitre forcé, & joua très-adroitement fon röle. Au bruit qu'il entendit, il fit fermer toutes les portes de fon palais , & envoya Hij MlCHEt VI. An. 1057,  Michel VI. An. 1057. XIX. Strstioti- ■172. HlSTOlRB deux de fes neveux pour s'informer de ee qu'on defiroit de lui. Dans eet intervalleja troupe des féditieux croiffoit de moment en moment; tous les •mécontents, tous ceux qui avoient a fe plaindre du Miniftre, Sc ils étoient en grand nombre, accouroient en foule. On fe faifit des neveux du Patriarche; on menace de lesétrangler, s'il ne vient lui-même. II vient enfin ; & pour donner une forme plus authentique a fa prétendue médiation, il s'étoit revêtu de fes habits pontificaux. On le conduit k un fiege placé a la droite du Sanöuaire; onle prie d'aller trouver I'Empereur, & de lui redemander 1'acte de proteftation , qui devoit être annullé, puifqu'autrement ils fe rendroient coupables de parjure en proclamant , Comnene, ou qu'ils périroient infailliblement en ne le proclamant pas. Le Patriarche feignit d'abord d'être indigné de leur procédé, comme d'une violence facrilege. Bientöt après il feradoucit; & n'écoutant, difoit-il, que fa tendreffe paftorale , il promit de les fatisfaire. Cette condefcendance du Patnar,?  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. 173 che fit tomber le fcrupule du ferment. On crut pouvoir agir d'avance comme fi la proteffation étoit annullée, & 1'on n'en paria plus. Comnene eft proclamé Augufte. On déclare .rebelles ceux qui refuferont de le reconnoïtre. Après quelques diffieultés, Cérulaire donne les mains a cette décifion; il la fait hautement prononcer par Etienne, Doyen de SainteSophie, & par Théodore, Patriarche d'Antioche qui fe trouvoit préfent. II dépêche aufii-töt un courrier k Comnene pour le preffer de fe rendre a Conftantinople , & pour lui demander d'avance la récompenfe de fon zele. II envoye en même-temps plufieurs Evêques a Stratiotique pour 1'avertir de fortir du palaisy& de faire place au fucceffeur. Stratiotique leur demandant ce que le Patriarche lui donnoit pour 1'Empire; kRoyaume du CieL, répondirent-ils. L'échange étoit avantageux, fi le Patriarche en eüt été le maitre. II fallut fe contenter de cette dérifion, & le Prince détröné fe retira dans la maifon qu'il avoit habitée avant que d'être Empereur. II n'en avoit été abfent que treize mois H iij MlGHEE VI. An. 1057; que détröné. Cedr. p. S05. Zon. t. 11. p. 267 , 26S.  Michel VI. An. 1057. XX. Divers événements. Lup. protofp. Chron, Sar.- Chron. 'Norm. Pagi ac 'Mar, 174 H I S T O J R E neuf jours; & après ce retour ïf y vécut encore deux ans. II fortit du palais le dernier jour d'Aoüt. Le premier de Septembre, Catacalon vint de grand matin en prendre poffeffion pour Comnene, qui arriva fur le foir. Le lendemain le nouvel Empereur fe rendit en grande pompe a SaïnteSophie, oü le Patriarche lui mit la couronne fur la tête, le declarant Empereur des Romains. Car les Souverains de Conftantinople continuoient de prendre ce titre glorieux; & les Grecs, malgré leur aviliflement, n'ont cefl'é de fe qualifier de Romains jufqu a la deftrutfion totale de leur Empire. Actuellement encore les anciennes Provinces de Macédoine & de Thrace fe nomment Romélie ; & une partie de 1'Afie Turque, le pays de Roum. Pendant les trois années que régnerent Théodora & Stratiotique, les Normands avaneolent leurs conquêtes en Italië. La foiblefle & les troubles de 1'Empire Grec leur en laiffoient la liberté, & la jaloufie des Papes qui leur fufcitoient fans ceffe de nouveaux obftacles ne pouvoit les  r>ü Bas-Empire. Liv. LXXIX. 175 arrêter. La mort de Humfroi, loin de nuire a leurs progrès, ne fit qu'en accélérer la rapidité. II eut pour fuccefTeur fon frere Robert Guifcard, 1'ainé de la feconde branche de la familie de Tancrede , guerrier encore plus acfif, 6c qui joignoit a. une héroïque valeur tous les refforts de la plus profonde politique. Nommé tuteur d'Abailard, fils & légitimehéritier de Humfroi, il s'étoit emparé de fes Etats. Le peu de troupes Grecques difperfées dans le pays ne fe rencontroient devant lui que pour être battues , tk prefque toute la Calabre le reconnoiffoit pour maitre. En Oriënt, le joug des Mufulmans, fous lequel gémiffoient les Chrétiens, s'appefantiffoit de plus en plus. Le Calife dEgypte, maitre alors de la Syrië , fit fermer le faint Sépulcre, &c > défendit d'y donner entree. C'étoit le pélerinage le plus célebre de l'univers , & toute la chrétienté en fut affligée. Trois cents Chrétiens établis a Jérufalem en fortirent pour aller chercher afyle en Occident; Sc les peintures qu'ils répandirent de la barbarie Mufiümane, échaufferent les efH iv Michel VI. An. 1057. Giann. hifi. Nap. 1. 9- <■■ 4«  Isa ac. An. 1057. XXI. Ifaac Comnene Empereur.Ery. I. ï. '•1:2, 3. I?6 BlSTOIRB prits, & préparerent les premiers germes des Croifades. Depuis 1'extinétion de la poftérité mafculine de Bafile le Macédonien, le fceptre de Conftantinople avoit été le jouet de Zoé, qui le donnoit comme un préfent de noces a des hommes fans mérite , mais affez hardis pour 1'époufer. Théodora, quoique plus fage, n'avoit pas été plus heureufe dans le choix de fon fucceffeur. Ici commence une nouvelle race de Princes, qui, après une interruption de vingt années, occupa pendant plus d'un fiecleleTröne de 1'Empire d'Orient. Les Comnenes, fi connus en Occident par 1'hiftoire des Croifades, forment une époque célebre. C'eft ici le lieu den faire connoïtre 1'origine. Ils la faifoient remonter jufqu'a la fondation de 1'Empire Grec, & fe mettoient au nombre des families nobles qui avoient fuivi Conftantin lorfqu'il abandonna 1'Italie. C'étoit une vanité commune a toutes les maifons illuftres dont la fource étoit ignorée.Le premier Comnene dont 1'hiftoire faffe une mention honorable, eft ce Manuel qui  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. 177 fe fignala fous le regne de Bafile II, dans la guerre contre Bardas Sclérus. Mais ce ne fut pas fans doute le premier de fa familie qui parvint aux dignités, puifqu'il étoit déja Préfet d'Orient, lorfqu'il fauva la ville de Nicée. II laiffa deux fils en bas age , Ifaac & Jean, qu'il recommanda en mourant k I'Empereur Bafile. Ce Prince prit foin de leur éducation; il les fit élever dans le Monaftere de Stilde , pour leur faire prendre de bonne heure le goüt de la vertu; il leur donna d'excellenfs maïtres, qui les formerent a tous les exercices convenables k leur naiffance. II les mit enfuite au nombre de fes pages;c'étoit 1'école de la jeune noblefle; elle paffbit de-la les uns aux emplois civils, les autres aux grades militaires. Lorfque les deux freres furent en age d'être mariés, Bafile leur choifit des femmes dont les qualités fuffent afforties k leur nobleffe & k leur vertu. II fit époufer k Ifaac, Catherine, fille ainée de Samuel, Roi des Bulgares. Anne que Jean époufa étoit fille d'Alexis Charon, Catapan d'ItaÜe, & d'une mere fortie de 1'illufH v ISAAC. 4.n. 1057,  ISAAC. An. 1057. An. 1x58. XXIL Conduite du nouve! Empereur.Scylit^ès, p. 807, S08. Zon. t. 11. p. 26S , 269. Glycas , p. 322, 323. Joel. p. 3S4. Ijcg H1ST0I8.E tre maifon des Dalaffenes. Elle eaf de fon mari cinqfils, Manuel, Ifaac r Alexis, Adrien , Nicéphore , & trois filles , Marie , Eudocie & Théodora* Tous fes enfants furvécurent a leur pere; 1'un d'eux fut Empereur ; les autres remplirent les premières dignités de 1'Empire, les fils par euxmêmes, les filles par leurs maris. La parfaite union qui régna toujours enïre les deux freres, contribua encore k leur confidération & a leur puiffance. C'étoit, d'un cöté, une tendre affection fans hauteur , de 1'autre une déférence fans jaloufie. Comnene, naturellement fier, indifpofa d'abord contre lui une partie de 1'Empire. On trouva mauvais qu'il fe fut repréfenté fur fes monnoies un glaive k la main, comme s'il prétendoit ne devoir la eouroirne qu'at fon épée. Cependant il fécompenfa tous ceux qui Pavoient fervi dans la révolution ; mais il les renvoya dans leurs terres, de peur que ces efprits remuants n'excitaffent quelque trouble, en maltraitant ceux qui ne s'étoient pas déclarés pour leur parti. II partagea la dignité de Curopalate^  nu Bas-Empirz. Liv. LXXIX. 179- entre fon frere tk Catacalon. II nomjna de plus fon frere Commandant Général des troupes de fa maifon, ce que 1'on appelloit grand Domcjliejue. II fit revenir fa femme de PemolifTe, &lui conférale titre d'Augufte. Par reconnoiffance pour le Patriarche , a qui néanmoins il ne devoit pas autant qu'il le penfoit, il placa fes neveux dans les premières magift ratures. 11 fit plus encore; jufquela les Empereurs s'étoient réfervé 1» nomination des deux plus grandes dignités de 1'Eglife de Conftantinople après le Patriarche, eelle de grand Econome , &c celle de garde du Tréfor de Sainte-Sophie; il en abandonna la collation au Patriarche, difant que c'étoit a 1'Eglife qu'il appartenoit de choifir fes Miniftres. II trouvoit le Tréfor impérial épuifé , & hors d'état de fournir aux fraix des guerres toujours a craindre de la part de tant de Barbares qui environnoient 1'Empire. Les fucceffeurs de Bafile Bulgaroclone avoient dilïipé les fonds qu'il avoit amaffés , foit en folies dépenfes , foit en fondations de monafteres, foit en largeffes mal plaH vj ISAAC. An. 10 5  ISAAC. An, 1058 180 HlSTOIRE cées. Ifaac fe propofa de réparer ces pertes; mais il n'ufa d'aucun ména1 gement; & pour remédier aux maux de 1'Etat, il fit de nouvelles bleflures. II cafla la plupart des ordonnances de fes prédéceffeurs, & révoqua leurs donations. II fit revenir au domaine les terres aliénées par des libéralités,. & n'épargna ni le peuple, ni le Sénat , ni même les gens de guerre. Comme il prenoit fur lui-même en réduifant les dépenfes de fa maifon, on fouffroit ces changements avec affez de patience. Mais les Eccléfiaftiques ne lui pardonnerent pas de toucher a leurs biens; tout ce qu'il retrancha du fuperflu des Eglifes, fut regardé comme un facrilege. Les Moines fur-tout lui firent un crime irrémiflible en cette vie & en 1'autre, d'avoir ofé calculer leur revenu , évaluer ce qui leur fuffifoit pour Vivre conformément a leur profeffion, bannir des cloïtres le luxe & la mollefle féculiere , & affranchir leurs voifins des chicanes qu'ils leur fufcitoient fans cefle pour envahir leurs pofleflions. Auffi les clameurs furent fi grandfs ? les Moines furent  du Bas-Empirb. Llv. LXXIX. 181 fi bien fe défendre, que la réforme demeura imparfaite. II eütfallupour 1'achever toute la conftance d'un long regne, & toutes les refTources de 1'autorité. Ce n'étoit pas qu'Ifaac fut avare; en même-temps qu'il rempliffoit le Tréfor, il verfoit fur les Eglifes pauvres & fur les monafteres indigents une partie de ce que les autres avoient de trop ; fa charité s'étendoit jufque fur les families. Mais il ne vouloit pas qu'on put dire que les membres de 1'Eglife Chrétienne eufTent fait entr'eux une efpece de partage, les uns de prêcher la charité , &c les autres de la faire. II ne paroit pas que le Patriarche ait pris fort a cceur les intéréts des Eglifes & des monafteres. II ne s'occupoit guere que des fiens propres, demandant fans ceffe a I'Empereur de nouvelles graces pour lui & pour les fiens, & s'échappant même en reproches & en menaces, lorfqu'il effuyoit un refus. II porta 1'audace jufqu'a dire un jour a I'Empereur: Je vous ai donne la couronne , je faurai bien vous fóter. AfFecfant en toute maniere de s'égaler au Prince, il prit ISAAC. An. 1058. An. 1059. XXIII. Exil 8c mort de Michel Cérulaire. Scyl. p. S08, S09. Zon. t. 269, 170,  ISAAC. An. 1059. 18a HistoïRE la chauffure d'écarlatte, réfervée a la Majeflé Impériale, fous prétexte que les Patriarches 1'avoient portée autrefois , difant même que s'il y avoit quelque dijlinclion d faire entre le fa* cerdoce & F Empire, elle étoit d Favantage du facerdoce. Fatigué de fes infolentes bravades, I'Empereur réfolut de s'en délivrer; mais il n'ofoit faire arrêter le Prélat dans fon palais de Sainte-Sophie 3 de peur de fou~ lever le peuple. II attendit la fête des Arehanges, que le Patriarche alloif célébrer hors de la ville au mois de Juillet. II le fit alors enlever èi con* duire avec fes neveux dans 1'ifle de Froconefe. Ayant enfuite fait agréer fa dépofition aux Métropolitains qui fe trouvoient a Conffantinople, il lui fit dire par leur organe , que s'il ne renoneoitde lui-même auPatriarchatjil auroit la honte d'être dépofé dans un Concile ; en effet, Pfellus avoit préparé un grand difcours , ou le' vrai mêlé avec le faux formoit un corps de délit fuffifant pour le perdre. Cérulaire ne s'effraya pas de cesmenaces, & fa fermeté embarraffok fort I'Empereur 5 lorfqu'une maladie1  du Bas-Empire. Lh. LXXIX. 183 vint a propos le délivrer de ce Prélat incommode. La mort du Patriarche Ie réconcilia aveè l'Empereur; le Prince le pleura, ce qui étoit plus aifé que de Ie fouffrir, & le fit inhumer avec honneur. Le peuple qui aime k voir des miracles, en vit un dans la figure que prit en mourant la main de Cérulaire ; il fembloit encore, difoit-on, donner la bénédidtion. Conftantin Lichudès fut élu a fa place par le fuffrage des Métropolitains, du Clergé Sc du peuple. C'étoit un ancien Miniftre qui avoit fauyé bien des fautes k Monomaque, Sc que ce Prince avoit éloigné du miniftere k caufe de fa fermeté. Pour déguifer fa difgrace, il 1'avoit nommé Proëdre, Protoveftiaire , économe de Mangane, Sc Confervateur desprivileges qu'il avoit attachés en grand nombre a ce célebre monaftere en le fondant. Comnene, qui fe propofoit de réduire toutes les maifons religieufes au droit commun, avoit follicité plufieurs fois Lichudès de lui mettre entre les mains les titres de ces exemptions; mais il n'avoit pu yaincre fa ÏSAAC. An. ioj.9. XXIVo Conftantin Lichudès, Pa=r triarshe»-  1S4 HlSTOIRE réfiftance. II crut en avoir trouvé 1'oc- ISAAC. An. 1059. cafion. Dès que Lichudès fe fut dépouillé de toutes fes dignités féculieres pour être revêtu de celle de Patriarche , I'Empereur le fit venir au palais, 8c le prenant h part : » Vous » voila, lui dit-il, élu pour être no» tre chef fpirituel. Votre mérite me » perfuade qu'on a fait un bon choix. » Mais je vous avertis avec douleur, » qu'on vous fait des reproches qui » ne peuvent être éclaircis que dans » un Synode. Ils font de telle natu» re, que vous ne pouvez entrer dans » les foncfions facrées, fans vous en » être auparavant juftifié. Prenez-moi » pour votre défenfeur. Confiez-moi » ces titres que je vous demande de» puis fi long-temps, 8c je vous don» ne parole que je vous épargnerai » une difcuffion toujours facheufe, » quand elle ne tourneroit pas a vo» tre honte ". Lichudès, qui avoit déja renoncé a fes autres dignités, voyant qu'il couroit rifque d'être réduit a rien, paree que 1'innocence même eft en grand péril , lorfque le Souverain fe rend partie, facrifia fes Moines a un fi preffant intérêt.  du Bas-Empihe.' Liv. LXXIX. 185 & fut enfuite facré fans difficulté. Les opérations politiques de Com-nene furent interrompues par les irv curfions des Hongrois & des Patzinaces, qui, fortant de leurs forêts, ravageoient la frontiere de 1'Empire. II partit k la tête de fes troupes, & s'avanca jufqu'a Triadize. La les Hongrois lui envoyerent demander la paix qu'il leur accorda. Les Patzinaces en firent autant, k 1'exception d'un de leurs Capitaines , nommé Selté, trop fier pour s abaifTer k cette foumifTion. Ce Barbare, qui avoit plus de préfomption que de forces, campé fur un roe efcarpé, fe crut tellement invincible, qu'il ofa defcendre dans la plaine pour en venir aux mains avec FEmpereur. II ne fallut qu'un détachement de 1'armée Impériale pour le mettre en déroute ; il échappa, mais fa retraite fut forcée & détruite. L'Empereur alla camper au pied du mont Lobize. II y étoit le 14 Septembre, lorfqu'une pluie violente & une neige inattendue dans cette faifon fit périr un grand nombre d'hommes & de chevaux. Le débordement des nyieres le tint comme afiiégé dans. ISAAC. An. X059, XXV. Guerre des Hongrois & des Patzinaces. Scyl. p. 809, 810. Zon. 1.11. P- 170 • 171. Glyc. p. Ann. Comn. i. 3 • p. 89 , 90.  IsAAC. An. 1059. XXVI. Jean, frere d'ïfaac, refufe la couronne. Scyl. p. Sio, 811. Zon.t. II. p. 271 271. 186 fllSTOIRE fon camp pendant plufieurs jours, &C un froid exceffif, joint a la difette des vivres , mena$oit d'achever de détruire fon armée, lorfque la pluie ayant relaché de fa violence , fans cefTer tout-a-fait, il fe mit en marche pour retöurner a Conftantinople. En chemin s'étant mis a couvert fous un grand arbre avec quelquesuns de fes Officiers pour s'y repofer un moment, il entendit derrière lui un grand bruit, qui le fit éloigner promptement de quelques pas; aufïïtöt 1'arbre s'abattit a fes pieds. Effrayé du danger qu'il venoit de courir , il rendit graces a Dieu, & promit de batir une Eglife fous 1'invocation de Sainte Thecle , paree que c'étoit le jour auquel les Grecs célebrent la mémoire de cette Sainte; ce qu'il ne différa pas d'exécuter dans le palais de Blaquernes. La nouvelle d'une révolte en Oriënt avoit précipité fon retour. Cette allarme s'étant trouvée fauffe, il paffa le Bofphore pour aller prendre en Afie le divertiffement de la chaffe. Comme il s'y livroit avec trop d'ardeur, il fut attaqué d'une pleuréfie, qui le  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. 187 mit en trois jours a 1'extrêmité. S'étant fait rapporter au palais, il crut n'avoir affez de vie que pour fe donner un fuccefTeur. II n'avoit eu qu'un fils nommé Manuel, que la mort lui avoit enlevé. Perfonne n'étoit plus propre que fon frere k foutenir Péclat de la majefté Impériale. Doux, bienfaifant , laborieux , très-inftruit des affaires, ferme dans le bien, aufli prompt a récompenfer que lent k punir, il étoit deliré de tout 1'Empire. Affis auprès du lit de fon frere , il partageoit fes douleurs, lorfqu'Ifaac lui ferrant la main : » Mon cher fre» re, lui dit-il, je fens que je vais » me féparer de vous, & cette perte » m'eft infiniment plus fenfible que » celle de la couronne. L'unique con» folation que je fois capable de re»' cevoir, eft de vous laiffer la place » k laquelle Dieu m'avoit élevé. C'efl » mon amour pour mes fujets qui >> m'infpire cette penfée. Ils vous ai» ment déja comme leur pere. Ré» gnez, mon frere, avant que je meu» re. Vous favez combien de mains » s'apprêtent k faifir ce diadême au » moment qu'il tombera de ma tête. ISAAC. An. 1059. Glycas, p, 324. Bryen. 1.1. p. 18 , 19, 20. Manaff. p. 130. Du Cangc By{. fam. p. 160, l6l.  IsAAC. An. 1059. 'I .. lS8 HlSTOIRE » Je vous le donne; vous le porte» rez avec honneur; vous réparerez » mes fautes. Votre regne fera la fü» reté de notre familie & la profpé» rité de 1'Empire ". A ces paroles, Jean, fondant en larmes, fupplie fon frere de ne pas quitter le pofte oü la divine Providence 1'a placé, avant qu'elle 1'en ait rappellé elle-même. II s'efforce de 1'encourager par d'heureufes efpérances. Enfin, le voyant déterminé a renoncer a 1'Empire, il lui déclare avec fermeté qu'il ne 1'acceptera pas, & qu'il s'expofera plutöt a toutes les fuites d'une domination étrangere. En vain fa femme, plus ambitieufe, le conjure par fon amour,. par le danger dans lequel il va fe précipiter lui &c fes enfants, malheureufes vicümes de la jaloufie & des défiances d'un fucceffeur. II réfifte k fes foupirs, k fes larmes, k fes reproches , & demeure inébranlable , plus grand encore par le refus d'une couronne, qui éblouit les yeux lorfqu'on la voit fur une autre tête, que ne 1'étoit fon frere par fon courage k la dépofer, après en avoir fenti les épines.  du B.is-Empire. Lïv. LXXIX. 189 Ifaac avoit un neveu, fils de fa fceur, nommé Théodore Docéan. II avoit une fille en age d'être mariée, & dont 1'Empire pouvoit faire la dot. 11 n'étoit pas embarrafTé de trouver d'autres parents , qui naiffent toujours en foule autour du centre des graces. II fut fourd aux douces infinuations de la nature, & jetta les yeux fur Conftantin Ducas. Ce guerrier, un de fes principaux partifans dans fa révolte contre Stratotique, 1'avoit aidé de toute fa fortune, & le zele qu'il avoit toujours montré pour le fervir, 1'avoit prévenu en fa faveur. D'ailleurs, fa nailfance ne 1'éloignoit pas du tröne. On doute cependant s'il étoit iffu de eet Adronic Ducas , furnommé Lydus, qui s'engagea dans la révolte de Sclérus fous le regne de Bafile Bulgaroöone. Mais s'il defcendoit de eet Andronic, il ne pouvoit être que fon petitfils , puifqu'il y avoit quatre-vingts ans que Lydus étoit mort, lorfque Ducas parvint a 1'Empire. On doute même qu'Andronic Lydus defcendït de ce Conftantin Ducas qui périt en difputant 1'Empire au commencement ISAAC. An. 1059. XXVII. Ifaac Ia donne a Conftantvn Ducas,  Isa ac. An. 1059. XXVIII. Suite de la vie d'I&ac Conv «ene. I90 HlSTOIRS du regne de Conftantin Porphyrogenete. Zonoras prétend que toute la race de Conftantin Ducas ayant été éteinte dans fa révolte, le fucceffeur de Comnene ne pouvoit tenir k la familie des Ducas que par les femmes. Mais il fe trompe. Nicolas ayant échappé au défaftre de fa familie, & n'étant mort que cinq ans après dans la guerre contre les Bulgares, rien n'empêche de croire qu'Andronic Lydus étoit fils ou petit-fils de ce Nicolas. Quoi qu'il en foit, Conftantin Ducas avoit recueilli le nom & la confidération de cette maifon illuftre, & ce fut en fa faveur que Comnene fe démit de la couronne. II avoit régné deux ans & trois mois. Ce Prince avoit des vertus avec un peu de hauteur. II étoit brave, prompt dans 1'exécution, &c très-inf'truit de toutes les opérations de la guerre. Uniforme dans fa conduite, équitable, pénétrant, acceffible , rennemi des flatteurs, plus obligeant par les effets que par les paroles qui tenoient un peu de la dureté militaire. On ione fa continence. A la fleur  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. 191 de fon age, pendant qu'il fervoit dans 1'armée de 1'Empire au nombre des principaux Officiers , il fut attaqué d'une maladie, a laquelle les Médeeins ne connoiffoient de remede que •le commerce d'une fille, ou une opération qui le mettroit hors d'état d'ac■croïtre fa poftérité. Etant alors éloigné de fa femme, il préféra 1'opération , difant qu'il avoit affez des deux enfants que Dieu lui avoit donnés , & qu'après tout on pouvoit entrer dans le Ciel fans poftérité, mais non pas fans continence. Dés qu'il fe fut dépouillé de la pourpre Impériale , il prit 1'habit monaftique , & fe fit tranfporter au monaftere de Stude, oii il recouvra la fanté , fans regretter fon facrifice. Sa femme Catherine, loin de montrer plus de foibleffe, 1'avoit elle-même fortifié dans ce deffein pendant fa maladie , & 1'y confirma dans fa convalefcence. Elle fe confacra elle-même a la vie religieufe avec fa fille Marie, & prit le nom d'Hélene. Son mari qu'elle alloit vifiter quelquefois, lui difoit en pknfantant : Avoue^ que je vous avois faite efclave en veus donnant Ia ecu- Isaac. kn.1c >q  ISAAC. An. 10 19a UlSTOIRE ronne, & que je vous ai affranchie en vous Vótant. II vécut encore un an dans le monaltere, rejettant abfolument toute diftinction, foumis aux fupérieurs comme le dernier des freres, & s'abaiffant aux offices les plus humiliants, jufqu'a vouloir être portier a fon tour. Cet aviliffement volontaire n'empêchoit pas fon fucceffeur de le traiter avec toute forte de refpecl. II lui rendoit de fréquentes vifites , ne le nommoit que fon Seigneur & fon Empereur, ne prenoit jamais que la feconde place après lui. II rendoit le même honneur a fa femme , a fa fille & k fon frere. Après la mort d'Ifaac, fon cadavre fe fon• 185, 190, 264, a88,290, 3.92, 302. 194 HlSTOIRE du fecours. Les ennemis qu'il avoit k la Cour de Conftantinople empêchoient d'entendre fes cris, & la briéveté des regnes de Théodora & de Stratiotique ne leur laiffa pas le temps de jetter les yeux fur 1'Italie. Enfin, après avoir épuifé toutes fes reffources, fe voyant abandonné, il partit de Bari au mois d'Aoüt 1058 , & fe rendit k Conftantinople. Ifaac, irrité de fon départ, le priva de toutes fes dignités, &l'envoya en exil, oü il vécut encore dix ans dans le mépris & dans 1'infortune, maudiffant 1'injuftiee de la Cour , qui, toujours indulgente pour les coupables en faveur, punit dans les autres les mauvais fuccès, dont fa négligence ou fes cabales font la caufe. Les Normands conti nuoient d'enlever aux Grecs les villes de la Capitanate, de la Pouille, de la Calabre, & de ce qu'on nommoit alors la Lombardie. Richard, Comte d'Averfe, recut du Pape Nicolas II, la qualité de Prince de Capoue, avant même que de fe rendre maitre de la ville. Robert Guifeard fe montra digne héritier de 1'autorité de fes freres. II acheva la con-  du Bas-Empire. Ltv. LXXIX. 195 quête de la Calabre par la prife de Rege, & celle de la Capitanate en s'emparant de Troja, batie cinquante ans auparavant par les Grecs. Ces éclatants fuccès 1'éleverent tellement audeffus des autres Comtes, qu'il devint fupérieur a. toute jaloufie de commandement. Les Comtes Normands s'affemblerent k Meifes, & d'un confentement unanime, le proclamerent Chef de la nation, fous le titre de Duc de Pouille & de Calabre. L'ambition rompt les fiens les plus étroits. Robert, pour accroïtre fa puiflance par une alüance avantageufe, répudia fa première femme , fous prétexte de parente, quoiqu'il eüt d'elle un fils qui fut le fameux Boëmond, fi célebre dans 1'hiftoire de la première Croifade. II époufa Sigelgayte , fille de Gaïmar, Prince de Salerne. C'étoit une héroïne qui accompagna fon mari dans fes entreprifes militaires, & qui partagea tous fes dangers. Mais 1'efpérance d'ajouter k fes autres Etats la Principauté de Salerne, fut fans doute le plus puiffant attrait, qui engagea Robert k contracfer ce nouveau mariage. Vidtor II, I q ISAAC. An. io; l3.  constantin X. Ab, 1063. 204 UlSTOIRE repréfentations qu'ils firent au Gouverneur furent inutiles; 1'impitoyable Mufulman leur répondit qu'il falloit payer ou mourir. Dans cette extrémité, ils implorerentl'afiiftance de I'Empereur; & ce Prince, touché de leurs larmes, confentit a leur fournir la fomme exigée', k condition qu'ils obtièndroient du Calife que déformais le quartier de la ville dont ils auroient relevé les murs, ne feroit habité que par des Chrétiens; qu'ils y auroient 1'exercice libre de leur religion , & qu'ils ne feroient foumis qu'a la jurifdiction du Patriarche. Le Calife leur accorda tout, excepté l'exemption de leur taxe, ck I'Empereur leur fit délivrer 1'argent qu'on leur demandoit, fur les revenus de 1'ifle de Cypre. Les Chrétiens féparés ainfi des Mufulmans dans Jérufalem, fe trouverent affranchis des infultes & des avanies qu'ils avoient effuyées iepuis la prife de la ville ;■ & la ju■ifdicfion accordée alors au Chef de :ette Eglife fut le titre fur lequel le 5atriarche , lorfque les Croifés en >urent fait la conquête , trente-fix ans ipjrès, requit & obtint de Gode&oi  nu Bas-Empire. Liv. LXX1X. 205 de Bouillon le domaine du quart de Jérufalem en toute propriété. Dans les premiers jours de Pannée fuivante mourut Conftantin Lichudès. II eut pour fucceffeur Jean Xiphilin , oncle de 1'abbréviateur de Dion Caffius. II étoit né k Trébizonde ; & ayant pafte fes premières années k Conftantinople dans 1'étude des lettres, il fe livra enfuite aux affaires civiles, oü il fe diftingua par fon habileté autant que par fa vertu. Parvenu par fon mérite au rang de Sénateur, il fe dégoüta bientöt de la vie féculiere, & fe confacra aufervice de Dieu entre les Solitaires du mont Olympe. II ne s'occupoit que de prierres & de bonnes ceuvres, lorfqu'il fut appellé au fiege de Conftantinople. II fallut 1'arracher de fa celluie , & le tranfporter malgré lui fur le fiege patriarchal. S'il étoit dans la folitude entiérement détaché de toute ambition, il paroit qu'en rentrant dans le monde, il y reprit fes liens. Nous verrons dans la fuite qu'il ne fut pas exempt de la tentation d'avancer fa familie. Ce fut en ce temps-la que le Gou- CONSTANT1IT X. An. 1064. XXXV. Xiphilin, Patriarche. Scyl. p. 817. Zon. t. II, p. 174. Glycas p. 315. 31<5. Joel. p, 184. Pagi ai Bar. Oriens Chrifl. 1.1. p. 261 , 263. XXXVÏ. Prife de  C ONSTANTIN X. An. 1064. Belgrade par les Hongrois. Bonfin. de rib. Hungar. dee, 2, l. 3. An. 1065. XXXVII. Irruption des Uzes 20Ó HlSTOIRE verneur Grec qui commandoit en Bulgarie , eut une guerre fanglante k foutenir pour la défenfe du pays. Quelques Bulgares ayant pafie la Save k Belgrade , avoient ravagé la frontiere de la Hongrie. Salomon , Roi des Hongrois, leve auffi-töt une armée, & va faire le fiege de Belgrade. La Bulgarie, la Thrace , la Macédoine volent au fecours de la ville afTiégée. II fe livre en même-temps deux combats fur le Danube & fur les bords de ce fleuve , dans lefquels les Bulgares & les Grecs font entiérement défaits. Les afliégés aux abois ont recours aux BefTes, ancien peuple de Thrace, qui s'étoit confervé dans une forte d'indépendance entre les gorges du mont Hémus, ou il s'occupoit k fouiller les mines. Les BefTes accourent en grand nombre, & font taillés en pieces. Belgrade, dépourvue de fecours, n'en recevant aucun de I'Empereur, fut prife le troifieme mois du fiege. Une nuée de Barbares, plus féroces encore que les Hongrois, paffa le Danube 1'année fuivante. C'étoient les Uzes, peuple Tartare, de même  nut Bas-Empire. Lh. LXXIX. 207 origine aue les Turcs . établis d'a- bord dans le Captchac. Ennemis perpétuels des Patzinaces, ils les avoient chafles des bords du Volga & du Tanaïs. Si 1'on s'en rapporte aux Hiftoriens Grecs de ce temps-la, ils étoient au nombre de fix a fept cents mille. Zonaras les réduit k foixante mille, ce qui n'eft pas plus vraifemblable, puifque c'étoit une émigration de la nation entiere , hommes , femmes, enfants. Après avoir traverfé le fleuve fur des outres ou dans des canots qu'ils creuferent eux-mêmes, ils tomberent fur les troupes Grecques & Bulgares, qui vouloient leur difputer le paffage , les taillerent en pieces, firent prifonnier Bafile Apocope & Nicéphore Botaniate qui commandoient en qualité de Gouverneurs du pays , & inonderent de leur multitude toutes les plaines voifines du Danube. Un détachement de leur armée traverfa la Macédoine, & pénétra jufqu'a Theffalonique , mettant tout k feu & k fang. Mais il n'en revint au camp qu'une partie en trèsmauvais état. Le refte avoit péri par le froid de 1'hyver qui fut très-ri- ConstantieX. An. 1065." Scyl. p. S15 , 816. Zon. tOTttm II. p. 273. 274. Glyc. p. Af. de Guignes , hifi. des Huns „ lom. II, p. 5 21.  C'ONSTANTIN X. Vn. 1065. SoS HlSTOIRE goureux cette année, & par Ie fer des garnifons des villes, qui les harceloient a leur paffage, ou les furprenoient dans des embufcades. Cependant le gros de 1'armée étoit encore très-redoutable. Conftantinople étoit en allarmes. On murmuroit hautement contre I'Empereur, que les uns accufoient de lacheté , les autres d'avarice ; il n'ofoit, difoit-on, ouvrir fes tréfors pour faire marcher des troupes, & préféroit 1'argent k 1'honneur & au falut de 1'Etat. Quantité d'habitants fe mettoient déja en mouvement, pour aller chercher ailleurs une plus füre retraite. L'Empereur en effet ne connoiflbit pas de plus grand fléau que la guerre; ce qui pouvoit être vrai depuis la décadence de 1'Empire , paree qu'outre I'ignorance des commandants, & le défaut de difcipline dans les armées, les Officiers & les employés dans les troupes pilloient plus que les ennemis. Dévoré de mortelles inquiétudes, Conftantin n'épargna pas fes tréfors dans cette conjoncture. 11 effayoit k force de préfents de gagner les Chefs des Uzes; 5c les Barbares,  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. 209 amorcés par ces libéralités, ne fongeoient qu'a en attirer de nouvelles en le trompant par des promeffes, qu'ils trouvoient toujours moyen d'é- luder. Enfin , I'Empereur ne pouvant tenir contre les reproches de lacheté qui devenoient publics , & s'obflinant a fiiivre le fyfteme qu'il s'étoit formé , de ne jamais mettre une armée en campagne, prit un parti dont 1'extravagance feroit incroyable , s'il n'étoit atteflé par tous les Auteurs contemporains. II réfolut de partir lui-même pour faire preuve de courage , & de ne fe faire accompagner que de cent cinquante Cavaliers. C'étoit tout au moins ce qu'il falloit a un partifan pour battre Peftrade" Sc aller reconnoitre I'ennemi. II eft difficile d'imaginer ce qu'il fe promet« toit d'une pareille entreprife. La feule chofe qu'il fit de raifonnable , fut de recourir a Dieu. II ordonna un jeune de plufieurs jours, fit faire des prieres publiques, affifta lui-même aux proceflions avec toutes les marqués de la plus fincere pénitence. II partit enfuite avec fa petite troupe, Sc s'avanca jufqu'a Cherobacques a quel- CONSTANTIN X. i.n. 106 J,'  CONSTANT1N X. An. io6j. 218 HlSTOIRE ques lieues de la ville. II n'avoit déja plus d'ennemis. Malgré le froid de 1'hyver, la pefle s'étoit répandue dans le camp des Uzes. Les Bulgares & les Patzinaces profitant de cette oceanen , étoient tombés fur eux, & en avoient fait un grand carnage. Les deux Généraux prifonniers avoient été tirés des fers, & venoient euxmêmes annoncer que les débris de Farmée barbare s'étoient fauvés audela du Danube. L'Empereur, après avoir rendu graces a Dieu, rentra dans la ville étonnée de ce fuccès inefpéré, qu'elle attribuoit a la miféricorde divine; & tout 1'Empire fut perfuadé qu'il étoit redevable de fa délivrance, non pas aux Bulgares & aux Patzinaces , mais au bras de celui qui n'a pas befbin des hommes pour réduire en poudre les plus puiffantes armées. Cet événement caufa la difperfion des Uzes : une autre branche de leur nation étoit déja établie dans la Maouerennahar & dans 1'Arménie fous le nom de Turcomans; ceux qui s'étoient jettés du cóté del'Occident, défaits par les Patzinaces, fe diviferent encore; les uns vinrent fe jet-  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. 211 ter entre les bras de I'Empereur; il leur donna des établiffements en Macédoine, oü ils fe civiliferent & demeurerent fïdélement foumis. Leurs defcendants,confondus avec les Grecs originaires parvinrent aux honneurs & aux dignités de 1'Empire. Les autres confervant leur liberté & leur férocité naturelle, s'arrêterent au-dela du Danube dans ce qu'on nomme aujourd'hui la Moldavië & dans cette partie de la Hongrie qui porte encore le nom de Cumanie.Nous les verrons dans la fuite acharnésa leur tour a la deftrudtion des Patzinaces. Au mois de Mai fuivant parut une eomete qui s'éleva du cöté de 1'Occident aufli-tót après le coucher du foleil. Elle fembloit d'abord être auffi grande que la lune dans fon plein,, & environnée d'un brouillard épais. Le lendemain on en vit fortir une chevelure rayonnante , dont la croiffance diminuoit d'autant le globe de la comete. Elle avancoit d'Occident en Oriënt, & difparut au bout de quarante jours. Ceux qui regardent les phénomenes céleftes comme 1'annonce de ce TANTIM CONSX. An. ic6;. An. 1066. XXXVIII. Comete. Scyl. p. 817. Zon. t. II. p. 274. Glycas, pa 325. An. 1067. XXXIX. Maladie  CONSTANTIN X. An. 1067. & mort de ConftantinDucas. Scyl. p. S17. Zon. t. II. 274. 175Manaff. p. 130, 131. Glye. p. 5*6. Joél. p. 184, 1S5. Bry. p. 20, Pagi ex 212 HlSTOIRE qui doit arriver fur la terre, ne furent pas long-temps a chercher ce que fignifioit celui-ci. L'Empereur tomba malade au mois d'Oófobre; ck jugeant lui-même qu'il n'en reviendroit pas, il employa le temps 'de fa maladie , qui dura fept mois , k prendre des mefures pour affurer fa fucceflion k fes enfants. Sous le regne de Michel le Paphlagonien , il avoit époufé en fecondes noces Eudocie Macrembolitiffa, dont il avoit eu trois fils & trois filles. Le dernier des trois fils, auquel il donna fon nom, étoit né depuis qu'il étoit Empereur, &i portoit pour cette raifon le furnom de Porphyrogenete. Ce fut aufli celui qu'il affocia le premier k 1'Empire, quoiqu'il fut le plus jeune. Mais il ne tarda pas k communiquer ce même honneur aux deux autres, Michel & Andronic. Ses trois filles fe nommoient Anne, Théodora & Zoé, furnommée aufli Porphyrogenete pour la même raifon que fon frere. L'hifloire ne dit rien d'Anne, qui mourut apparemment en bas age. Théodora époufa Dominique Sylvius , qui fut Doge de Vénife. Zoé fut fem-  du Bas-Empire. Liv. LXX/X. 213 me ri'Adrien Comnene,frere del'Empereur Alexis. II paroït que Conftantin entendoit que fes trois fils régnaffent enfemble ; il ne régla point 1'ordre de la fucceflion , &c laiffa la tutel-le de tous les trois a leur mere avec le titre d'Impératrice; mais auparavant il lui fit promettre avec ferment qu'elle ne prendroit pas de fecond mari. II dépofa cette promefTe fignée de la PrincefTe &c du Sénat entre les mains du Patriarche. II fit aufli jurer a tous les Sénateurs qu'ils ne reconnoitröient pas d'autre Empereur que fes enfants; il les recommanda furtout a Jean Ducas fon frere , auquel il avoit donné le titre de Céfar; il enjoignit avec inftance k fa femme de fe conduire par les confeils du Céfar, & k fes enfants de lui obéir comme k leur pere. II lui donna pour adjoint dans larégence, le Patriarche Xiphilin. Après ces difpofitions, qui furent a-peu-près inutiles, il mourut au mois de Mai a lage d'environ foixante ans , ayant régné fept ans & cinq mois. Pendant fon regne , les Normands continuerent prefque fans obftacle la ConstantieX. An. 1067,' XL; Affaires ë'ItaÜa,  CONSTANTIN X. An. 1067 216 H l S F 0 I R £ après de Gaëte, & prit Aquino. Enorgueilli de ces fuccès, il forme le projet de fe faire nommer Empereur d'I• talie , & envoye Loffrede , un de fes Capitaines, fur le territöire de Rome , pour forcer le Pape a le revêtir des ornements Impériaux. Un Grec, nommé Maurice, homme de tête & de courage , ralfemble ce qui reftoit de troupes Grecques, qu'il joint k celles que le Pape peut lui fournir; & comptant principalement fur la valeur des Varangues dont Conftantin avoit envoyé en Italië un gros détachement, il va chercher Loffrede , le bat, & lui ferme le paffage. Richard fe met lui-même en campagne, & marche vers Rome. Godefroi, Marquis ck Tofcane, après plufieurs combats, 1'oblige d'acheter la paix, & de s'en retourner k Capoue. Pendant cette guerre du cöté de Rome, Robert avoit pris la ville de Vafto, & y avoit fait prifonnier le Catapan Cyriaque. A peine fe fut-il éloigné pour aller k d'autres conquêtes, que Maurice , profitant de fes avantages, rentra dans Otrante, dans Tarente & dans Brindes. Mais Robert, fecondé de  bv Bas-Empire. Liv. LXXIX. 217 de fon frere Roger, ne le laiffa pas long-temps maitre de ces villes; elles retournerent bientöt au pouvoir des Normands. Après tant de combats, tant derévolutions di ver fes , dans lefquelles chaque ville, chaque fortereffe fe vit plufieurs fois tantöt furprife par la rufe des Grecs, tantöt forcée par la valeur des Normands, 1'Empire Grec qui difputoit depuis cinquante ans fes anciennes pofTefTions dans 1'Italie méridionale , fut enfin obligé d'abandonner encore cette partie de fon domaine. La prife de Bari acheva la conquête. Pour terminer ici cette hiftoire, qui depuis long-temps interrompt le fil des autres événements, je vais rendre compte du dernier fiege de cette ville , quoiqu'il n'ait commencé qu'a la fin d'Aoiït de 1'année fuivante 1068 , &c qu'il n'ait fini qu'en Avril 107 r. Bari, capitale de la Pouille &c de tous les Etats que les Grecs avoient poffédés dans ces derniers temps en Italië , étoit fituée fur une langue de terre avancée dans la mer. Affurée par fa fituation, par la force de fes remparts, & remplie Tornt XVII, K Constantie X. \.n. 1067. XLL Prife de Bari.  Cofs- TANTIN X. An, 1067. Il8 HlSTOIRE de richeffes , elle avoit jufqu'alors échappé k toutes les entreprifes des Normands, Les Catapans y faifoient leur réïidenceordinaire. Robert, après la prife d'Otrante, y alla mettre le fiege par terre avec une nombreufe armée, par mer avec une flotte confidérable. D'abord les habitants, loin de s'efffayer de ce grand appareil, en font un fujet de rifée. Du haut de leurs murs, ils étalent aux yeux des affiégeants ce qu'ils ont de plus précieux; ils y raffemblent leurs inftrumentsde mufique, & lesinfultent par des chanfons remplies de piquantes railleries. Cependant Robert, peu fenfible k ces infolentes bravades, ne fongeoit qu'a prendre les mefures les plus füres pour fe rendre maitre de la ville. II dreffe fes machines , coupe le paffage des vivres, livre de fréquents affaires , contre lefquels la garnifon, fecondée par les habitants, fe défendoit avec courage. Le fiege eft changé en blocus. II y avoit deux ans qu'il continuoit; la ville perdoit tous les jours de fes défenfeurs, & ei!e étoit k la veille de manquer de vivres. Aufli infatigable qu'intrépide,  du Bas-Empirz. Lh. LXXIX. 119 Robert étoit réfolu de périr plutöt que de quitter prife. Peu s'en fallut qu'il ne périt en effet. Les habitants commencant a fe défier de leurs forces, tenterent de fe défaire de leur ennemi par un afTafïïnat. II y avoit dans la ville un transfuge nommé Eméric, animé contre le Duc par quelque mauvais traitement. Ils engagentce malheureux a les fervir dans leur noir defTein. L'afTalïin fort de Bari un foir, & s'étant mêlé parmi les domeftiques de Robert qui étoit a table, il lui tire une fleche empoifonnnée. Heureufement elle ne toucha que fes habits. Le traitre s'enfuit dans la ville plutöt qu'on ne put 1'arrêter. Ce danger n'ébranle point Ia conftance de Robert, &c les affiégés défefpérant de la vaincre autrement que par des forces fupérieures, envoyent k Conftantinople implorer le fecours de I'Empereur. C'étoit alors Romain Diogene. Ce Prince, plus- actif que fes prédéceffeurs, fait les plus grands efforts, perfuadé que la perte de cette place importante entrainei roit celle de 1'Empire en Italië. II ordonne d'équiper une flotte charK ij COKSTANTINX. An. 1067.  CONSTANTIEX. An. 1067. 2üO HlSTOIRE gée de troupes 8c de vivres; mais en attendant, il fait partir Etienne Pateran , dont il connoifïbit la probité 8c la valeur , pour foutenir le courage des affiégés. Dès que la flotte elf. en état de mettre a la voile , I'Empereur en donne le commandement an Normand Goflelin. Celui-ci envoye d'avance a Bari un Officier pour avertir les habitants de fe tenir prêts k le recevoir, 8c d'allumer des flambeaux au haut de leurs tours pendant la nuit, dès qu'ils appercevront fes vaiffeaux. Les affiégés, pleins d'impatience,s'imaginent déja voir la flotte , 8c dès le foir même de 1'arrivée de 1'OfHcier, ils allument leurs'feux. Ce ne fut un fignal que pour les affiégeants ; ils en conclurent que la ville attendoit un fecours; 8c Roger •qui étoit venu de Sicile joindre fon frere avec bon nombre de vaiffeaux , fe chargea de combattre la flotte. II ferme le port par une eflacade, & peu de jours après ayant appercu de loin fur le golfe plufieurs fanaux , il fait, embarquer fes troupes, 8c vole k la rencontre. Les Grecs croyant que ce font des vaiffeaux de Bari qui vien-  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. 221 nent au-devant d'eux pour les conduire dans le port, ne fe préparent point k la défenfe. Les Normands vont heurter les batiments ennemis avec tant de furie, qu'un des leurs chargé de cent cinquante cuiraffiers, eft brifé de laviolence du choc, 6c englouti aufFi-töt. Roger ayant reconnu la Capitane aux deux fanaux qu'elle portoit, 1'aborde, s'en rend maitre, 8c fait Goffelin prifonnier. Le refte de la flotte Grecque prend la fuite , 8c les Normands d'Italie, fi femblables aux anciens Romains pai la foiblefTe de leurs commencements. par leur indomptable courage , pai 1'habileté de leur politique , par leui fermeté dans les revers, eurent encore avec eux cette reffemblance , qu< dès la première bataille qu'ils livrerent fur mer, ils vainquirent les navigateurs les plus anciens 8c les plu; exercés qu'il y eüt alors dans Filmvers. Bari fe voyant fans reffoura fe foumitau vainqueur en Avril 1071 après un fiege de prés de trois ans Robert, auffi humain qu'il étoit vail lant, traita le Gouverneur Pateran ave douceur. II lui permit, ainfi qu'a l K üj Constantie X. An. 1067 l  CONSTANTIH X. An. 1067, XLIL Gouvernementd'Eutiocie. Scyl. p. giS, t> Zon. 1.11 P- *75 . 3.76 , 277, Manaff. p IJl. Glycas, p 316. 223 HlSTOIRE garnifon, de retourner a Conftantinople. II accorda aux habitants les conditions les plus avantageufes. Goflelin fut feul puni comme déferteur* & traitre k fa nation. On le renferma dans une prifbn ou il vécut encore quelques années. Ce fut ainfi qu'une eolonie de douzeGentilshommes, par des prodiges devaleur foutenue d'une invincible conflance , chaffa enfin les Grecs de 1'Italie. Ils réunirent dans la fuite fur la tête de leur Prince avec la Pouille, la Calabre & la Sicile, les Principautés de Capoue, de Salerne, d'Amalfi &c de Naples, & formerent eet Etat floriffant qui porte le nom de Royaume des Deux-Siciles. Dans la confufion 011 Conftantin Ducas avoit laiffé la fucceflion k 1'Empire , fa femme Eudocie s'empara du gouvernement, fans néanmoins en exclure en apparence fes trois fils. Elle s'en faifoit accompagner dans les audiences qu'elle donnoit, foit k fes fujets, foit aux Ambaffadeurs, dans les tribunaux auxquels elle prélidoit, dans toutes les cérémonies publiques. Mais aflife au milieu d'eux, elle déci-  nu Bas-Empire. Liv. LXXIX. 255 doit feule & fans confeil; & elle fe prétendoit bien la maitrefTe ou dégarder 1'Empire, ou de le donner a qui elle jugeroit a propos. Le nom d'une femme régnante rendit les Turcs encore plus hardis , & les attira fur les terres de 1'Empire. Ils ravagerent toute la frontiere Orientale, & réunirent leurs forces contre un grand corps de troupes Grecques campées prés de Mélitine. II y en avoit un autre vis-a-vis en Méfopotamie fur la rive de 1'Euphrate. Ceux-ci furent invités k venir joindre leurs compatriotes pour combattre enfemble Pennemi commun. Mais mécontents de 1'avarice du gouvernement qui les laiffoit fans paye &£ dans la difette des chofes les plus néceffaires, il refuferent opiniatrément de paffer le fleuve öc de prêter aucun fecours. Les troupes de Mélitine ainfi abandonnées, attaquées dans leurs retranchements qu'elles ne pouvoient défendre, prirent la fuite vers 1'Euphrate; & toujours pourfuivies, enveloppées d'un cöté par le fleuve', de tous les autres par les Barbares, elles fe rangerent en bataille Kiv Eudocie An. 1067. Joel. p. iSs. XLIU. Guerre des Turcs .  lUDOCIE An. 1067. Sbt Hl $ T 0 I R E pour difptiter leur vie. Elles furent bientöt écrafées par la multitude des ennemis; la plupart furent més, les autres pris. Quelques-uns furent affez heureux pour gagner Mélitine. Les Turcs, fans s'arrêter devant cette ville, plus avides de butin que de conquêtes, s'avancent vers Céfarée, pillant, ruinant, brülant tout fur leur paffage. Ils enfoncent les portes de la ville, paffent au fil de 1'épée grand nombre d'habitants , forcent 1'entrée de la magnifïque Eglife de Saint Bafile , dont ils enlevent les plus riches ornements, & brülent le refte. Ils marchent de-la en Cilicie, maflacrant tous ceux qu'ils rencontrent; Sc" après le pillage de toute la Province, traïnant après eux une multitude de prifonniers, ils prennent le chemin d'Alep. A leur tête étoit un transfugë nommé Arnertice. C'étoit un aventurier qui prétendoit defcendre des anciens Rois de Perfe. Ayant paffe au fervice de 1'Empire fous le regne de Michel Stratiotique, il avoit recu de ce Prince des préfents confidérables & degrands honneurs. Accufé enfiiite devant Conftantin Du-  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. 225 cas d'avoir formé le deffein de 1'affafïiner , il avoit été d'abord condamné a un exil perpétuel. Mais pen après, foninnocence ayant été reconnue, il fut lui-même employé con tre les Turcs. Le défaut de paye &i de fubfiftances le jetta dans un tel défefpoir, qu'il alla fe donner au> ennemis, les animant lui-même, 6i leur fervant de guide pour les conduire au pillage. Les Turcs, arrivé: devant Alep, vont ravager le terri toire d'Antioche, oü ils ne laiffen fur pied ni maifon ni arbre, emme nant 8c les hommes 8c les troupeaux Nicéphore Botaniate commandoit un armée affez nombreufe pour arrête ces ravages ; mais elle fe diflipa d'elle même. Eudocie, aufli avare que fo: mari, épargnant fur la paye 8c fu la fubfiftance des troupes , ces mi férables a demi-morts de faim, dé fertoient par bandes 8c regagnoier leur pays. Tout ce que put faire Ba taniate , fut de laiffer au Gouvernev d'Antioche quelques nouvelles levées qui montroient d'abord de la bonr volonté. Mais ces milices fans e? périence 6c mal conduites, n'ayai K y Eudocie An. 1067. t r t r t r » e rt  Eudocie An. 1067. XL1V. Eudocie fonge a un fecond raarizge. 226 IIlSTOIRE point de cavalerie pour les foutenir, manquant de pain, d'armes 8c d'habits, taillées en pieces par les Turcs dans toutes les rencontres, prirent aufli le parti de fe débander & de retourner dans leur patrie, oü elles retrouvoient la mifere qu'elles fuyoient. Botaniate abandonné revint a Conftantinople avec fes gardes 8c quelques troupes étrangeres , qui s'étant attachées a lui par eftime, 1'efcorterent dans la route. Malgré fon mauvais fuccès , il ne perdit rien de fa réputation, toute la honte retombant fur le gouvernement, qui facrifioit k 1'avarice le falut Sc 1'honneur de 1'Empire. La Cour ne lui rendit pas la même juftice. Pour fe difculper elle-même , elle rejetta fur lui fes propres fautes ; il fut difgracié 6c fe retira dans fes terres. Le ravage des Provinces 6c le défordre oü fe trouvoient toutes les affaires , faifoient affez connoitre 1'incapacité d'Eudocie. On demandoit hautement un Empereur. Les Courtifans mêmes infinuóient a la Princefle, quelle étoit dage dpartager avec m mari ft* foms de la puijjance fou-  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. 227 veraine: au'au-lieu de confunier trifle- ment fa jeuneje au milieu des inquiétudes & des êpines du Gouvernement, elle pouvoit 'ne s'en réferver que les douceurs, & rendre l'Empire heureux fans qu'il lui en coutdt autre chofe que de bons confeils : que la promeffe arrachee par le défunt Empereur , de 'demeurer veuve jufqu'a la mort, étoit un acte tyrannique & nul de plein droit, & qu'il y auroit de la foiblejfe d fe rendre ellemême & l'Etat tout entier viciime d'un caprice jaloux , pouffê au-deld des bornes de la vie. Eudocie n'étoit pas difficile k perfuader fur eet article ; elle fe flattoit qu'elle régneroit plus abfolument avec un époux qui lui feroit redevable de la couronne, qu'avec un de fes fils qui croiroit ne la devoir qu'a la nature. Elle fongea donc a. chercher un mari. Un objet fi important donnoit une aöivité prodigieufe k toutes les cabales de la Cour. Ceux des courtifans qui n'ofoient efpéiiflr pour eux-mêmes, remuoient tous les relforts de 1'intrigue en faveur de celui dont ils efpéroient davantage. La plupart prppofoient Botaniate. L'Impératrice les trompa tous. Elle ffxa K. vj Eudocie An. 1067.  Eudocie An. 1067, XLV. Aventures de RomainDiogene. 22§ II I S T O I R E fon choix fur un homme, qui cette année même avoit été beaucoup plus prés de 1'échafaud que du tröne, Romain Diogene étoit rils cte ce Conftantin Diogene , qui, fous le regne de tRomain Argyre , avoit confpiré contre ce Prince, & s'étoit précipité du haut d'une fenêtre , pour fe fouftraire aux tourments de la queftion. La difgrace du pere ne fut pas tin obftacle a 1'avancement du fils. Petit-neveu d'Argyre par fa mere, il fut bientót élevé a la dignité de Patrice, 6i fait Duc de Sardique. Sous le regne de Conftantin Ducas, il demanda la charge de grand-Maitre de la garde-robe, & ne recut du Prince que cette réponfe .- Mérite^-la par vos fervias. Diogene retourne a Sardique , tombe fur un gros parti dê Patzinaces qui ravageoient le pays, les taille en pieces, & en fait por"tef les têtes a I'Empereur, qui lui ènVT5ye aufti-töt le brevet de la charge qu'il avoit demandée, avec ces mots: Vous la deve{ non d moi, mais d votre. epie. Ce que Diogene prit tellement k la lettre, qu'il fe crut difpenfé de la reconnoiffance , & ne fe relTou-  du Bas-EAipire. Liv. LXXIX. vint que du refus qu'il avoit d'abord effuyé. Demeurant dans fa Province , il concut le deffein de fe faire Empereur. II n'ofa cependant le laiffer appercevoir qu'après la mort de Ducas. Devenu alors plus hardi, il s'ouvrit k un ami fidele, par 1'entremife duquel il forma un parti. Ce complot eut le fuccès ordinaire; il fut découvert par un des complices. On envoye fur le champ faifir Diogene ; on 1'amene chargé de fers k Conftantinople. II eft en peu de jours convaincu & condamné. On le vréfente k 1'Impératrice pour confirmer la fentence. Tous les afliftants font émus de compaflion. On plaint le fort d'un guerrier plein de valeur, feul capable de défendre 1'Empire livré en proie k la fureur des Barbares. Mais perfonne ne fut plus fenfible k fon infortune, que fon propre juge. Des motifs moins raifonnés, mais plus puiffants , touchoient vivement le cceur de la Princeffe. Diogene étoit d'une taille avanfageufe; il avoit toutes les graces de la figure; la bonne mine du coupable le jviftifia aux yeux d'Eudocié; elle renvoya le procés k EÜDOClE An. 1067»  Eudocie An. 1067. XL VI. Eudocie Ie choifit pour époux. Scyl. p. 821, S22. Zon. 1. II. P- 177 . 278. Glycas, p. 3l6, 327. Manaff. p. 131 . I31Du Cange fim. By,. p. 162, 164, 16;, '7' > 17a. 330 fflSTOIAÊ une plus ample information; & les Juges qui n'avoient pas de peine a lire leur avis dans le eceur de 1'Impératrice, ne manquerent pas de trouver Diogene innocent. Rendu a fa liberté, il prit le chemin de la Cappadoce fa patrie. Dès la feconde journée, il recut de PImpératrice un ordre de revenir a la Cour. II y arriva le jour de Noël, & fut étonné lui-même de fe voir aufii-töt nommé Maitre de la milice & Général des armées. La PrincefTe , réfolue de 1'époufer, n'étoit arrêtée que par cette fatale promefTe qui la condamnoit au veuvage. L'adf e étoit entre les mains du Patriarche, &l figné de tous les Sénateurs. II s'agiffoit de le retirer. Eudocie n'avoit pas natnrellement beaucoup de reflources dans 1'efprit; mais la plus ingénieufe de toutes les paflions lui infpira de 1'adrefTe. Elle employa pour ce manege un de ces hommes, dont les Cours ne manquent jamais, tou[ours prêts a fourber ik h mentir pour ie fervice des Princes. C'étoit un de fes Eunuques. II va trouver le Païriarche, » Vous voyez, lui dit-il,  bü Sas-Empire. Liv. LXXÏX. i%\ » très-faint Prélat, en quel état font » les affaires de 1'Empire. Attaqué » par les Turcs, il eff è la veille d'en » devenir la conquéte. Nos armées » languiffent faute d'un Chef capa» ble de les conduire. L'Impératrice » elle-même fent Ie befoin qu'elle a » d'un homme qui puiffe relever 1'E» tat penchant vers fa ruine. Elle a » jetté les yeux fur Bardas votre fre» re pour lui donner fa main avec >> la couronne. Mais 1'adf e dont vous » êtes dépofitaire la tient enchainée. » Elle vous demande votre confeil,. » fans Iequel elle ne veut rien faij v r.e "',Barcias» &ere du Patriarche, étoit 1'homme du monde le moins propre a gouverner un Etat. Libertin défefpéré, il paffoit fa vie a féduire des femmes ; & le vertueux Patriarche ne ceffoit de lui en faire des reproches. Cependant la vertu du Prélat ne fe trouva pas a 1'épreuve d'une tentation fi délicate. II fe flattoit, fans doute, que fon frere deviendroit homme de bien en devenant Empereur , quoique le changement contraire fut bien plus fouvent arriYé; ou peut-être s'attendoit-il a gou- EUDOWE in, 1067.  Eudocie An. 1067. 232 HlSTOIRE vertier lui-même fous le nom de fort frere. Quoi qu'il en foit, il ne fe montra pas difficile fur la promeffe ; il demanda feulement quelques jours pour difpofer les Sénateurs, qui s'en étoient rendus caution. Sans perdre de temps, il les fait venir 1'un après 1'autre. II leur repréfente avec chaleur le befoin de 1'Empire, la fage réfolution de 1'Impératrice, mais fans parler de fon frere. II fait fentir 1'abfurdité de eet engagement bifarre, auquel la jaloufie du défunt Empereur avoit voulu afTujettir la Princeffe. Que fi Conjlantin avoit prétendu régner encore aprls fa mort, des hommes fages & chargés comme eux de veiller a la füreté de £ Empire, ne devoient pas facrifier d une ombre le repos & le falut de l'Etat. Son éloquence animée par 1'ambition trouva peu de réfiftance. Les uns touchés de fes raifons, les autres gagnés par fes flatteries & même par fes largeffes, fe rendirent a fon avis. L'atf e fut remis a 1'Impératrice; tk Bardas ainfi que le Patriarche fe préparoient a la doublé cérémonie d'un mariage augufte & d'unpompeuxcouronnement. Tan-,  du Bas-Empire. Ltv. LXXIX- 233 dis que le Prélat renfermé avec le fiitur Empereur, s'épuifoit en bons confeils, & lbn frere en patience a les écouter, & en promeffes de les iuivre, 1'Impératrice fit entrer Diogene dans le palais la nuit du dernier Décembre, 1'époufa fur le champ par le miniftere d'un de fes Aumöniers, & le déclara le lendemain Empereur, au grand étonnement de toute la Cour & fur-tout du Patriarche. Les trois fils du défunt Empereur, qui n'avoient pas été inftruits de 1'intrigue, furent frappés de cette nouvelle comme d'un coup de foudre. Ils fe voyoient enlever par leur propre mere une couronne , qu'elle ne portoit qu'en qualité de leur tutrice ; & leur premier mouvement fut de crier i\ 1'injuftice. Les Varangues, que Conftantin avoit toujours bien payés, lorfqu'il épargnoit la folde a fes fujets naturels, animés d'un zele féroce pour la familie Impériale , prenoient les armes, & menacoient de iBrüler le palais avec Eudocie Sc fon nouveau mari. Dans cette extrémité, Eudocie fait venir fes fils ; elle mei tout en oeuvre pour leur perfuadei Eudocie An. 1067. An. io£8. XLVIf. Ditpodtion des efprits a 1'égard de Diogene. Styl. p. Sil,S23, 814. Zon. t. 11, p. 278.  Eudoci An. 106S 254 HlSTOIRË ! que Diogene ne prend en main le fcep'- tre que pour le leur conferver ; que dans ' leur bas age ils font environnés d'ambitieux , dont les noirs complots'tendent d leur arracher la vie avec la couronne ; que dès qu'ils feront en état de régner par eux-mémes , le nouveau Prince qui nejt que le régent de 1'Empire & leur defenfeur, defcendra du tróne avec plus d'emprejfement qu'il n'y monte aujourcChui; qu'il lui en a donnéparole , & qu'elle faura bien la lui faire tenir. Elle ajoute a ces raifbns toute la chaleur de la tendreflè maternelle ; & ayant efTuyé les larfnes de fes enfants , elle les engage a fe préfenter eux-mêmes aux Varangues, êkaleur dire qu'ils font contents de la conduite de leur mere, & qu'elle n'a rien fait que pour leur fervice & de leur confentement. Cette déclaration calme les Barbares. Le refte de 1'Empire ne fit aucun mouvement. Les ïlerniers regnes avoient defféché jufque dans la racine eet amour naturel des fujets pour leur Prince : 1'inf différence étoit réciproque ; & les peuples condamnés en naiffant a être la proie de 1'avidité des Monarques,  du Bas-Empirz. Llv. LXXIX. 235 s'embarraflbient peu par quelles mains ils feroient dépouillés. La Cour plioit fous 1'autorité d'Eudocie. On obéifToit au nouvel Empereur , mais a regret , & le mecontentement caché dans les cceurs attendoit 1'occafion d'éclater impunément. Pour éviter la confufion que peut produire la refTemblance des noms dans deux Princes nommés Jean, deux Andronics, deux Conltantins , il eft bon de développer 1'état oü fe trouvoit alors la Cour de Conftantinople. Elle étoit compofée de trois families ; les trois fils du défunt Empereur, Michel, Andronic & Conftantin étoient déja en état de fentir 1'injuftice de 1'ufurpation; mais trop jeunes pour s'y oppofer. Leur oncle Jean Ducas, que I'Empereur fon frere avoit fait Céfar , avoit deux fils , Andronic &c Conftantin. Ceuxci, plus avancés en age , étoient aufli plus fenfibles a 1'affront de fe voir écartés d'un tröne auquel ils avoient droit au défaut de la ligne direfte. Jean Comnene , Curopalate, qui avoit refufé 1'Empire offert par Ifaac fon frere, étoit chef d'une autre familie. ROMAIK IV. An. 1068. XLVIII. Etat de la Cour.  ROAIAIN IV. An. 106S. XL IX. Conduite de Diogene. Ü3 HlSTOIRE II mourut dans ces conjonétures, & laiffa cinq fils, Manuel, Ifaac, Alexis , Adrien & Nicéphore. Ces Princes, foit politique ck ambition plus raffinée , foit douceur de caraöere , fervirent même lenouvel Empereur, 8c s'accommoderent au temps. Les deux Andronics & les deux Conftantins, portant également le nom de Ducas, feront diftingués par la qualité de fils d'Eudocie Sc de fils du Cé:ar. Diogene trouvoit les affaires du dedans 8c du dehors dans un état de délabrement ck de foibleffe, qui fembloit être fans remede; les emplois ven dus a 1'avidité du pillage, ou proftitués a de honteufes faveurs, les finances ruinées par les moyens mêmes dont on s'étoit fervi pour les accroitre, les troupes dénuées de tout, mal commandées, accablées de mifere , obligées par la faim de piller ceux qu'elles devoient défendre; en forte qu'il ne refloit fous les diapeaux que ceux dont la défertian eüt été fans reffource. Tel étoit 1'état de 1'Empire. Diogene ne perdit pas courage. Vif, aclif, pafllonné par la gloire,  du Bas-Empïrz. Liv. LXXIX. 237 il commenca par la réforme de 1'intérieur. II confulta les hommes les plus fages & les plus expérimentés, & fuivit d'abord leur confeil pour corriger les abus de 1'adminiffration publique. Mais il étoit préfomptueux & précipité. Bientöt il n'en voulut croire que lui-même; il ne fe donna pas le temps de confommer 1'ouvrage, & la vanité lui perfuada que dès les premières opérations tout étoit achevé. Eudocie fe croyoit en droit de fe faire écouter; elle prétendoit gouverner un homme qu'elle avoit tiré des cachots pour 1'établir dans le palais. Diogene , affez fier pour rougir de devoir fon élévation a une femme, voulut au moins n'être redevable qu'a lui-même des fuccès de fon gouvernement. Après avoir dans les deux premiers mois montré beaucoup de déférence aux volontés de la Princeffe, il prit le parti de vouloir feul; & pour le faire connoitre a tout 1'Empire, il laiffa le palais a 1'Impératrice , & alla s'établir au-dela du Bofphore, ou il raffembla autour de lui toutes les troupes de fa maifon, qui n'étoient guere ROMAIH IV. An, 1068.  2^8 HlSTOIRB RoMAIN IV. An. 1068. L. Commen«ementdela guerre contre les Turcs. mieux équipées que celles des Provinces. II auroit fallu le repos d'une longue paix pour remettre 1'Empire en état de foutenir une guerre. Diogene, bouillant de courage, au-lieu d'avoir recours a la négociation pour arrêter les progrès des Turcs, ne voulut employer que les armes. II apprenoit qu'Antioche étoit menacée d'une ruine entiere; que la Cilicie étoit ravagée; que dès 1'année précédente, le Sultan Alp Arflan, fucceffeur de Thogrul , étoit entré dans le Pont avec une armée formidable; qu'il y avoit pris des quartiers a deffein de marcher au printemps vers le Bofphore , & de s'emparer de 1'Aiie mineure. II réfolut de le prévenir, ck dès le mois de Mars, il raffembla les nouvelles levées de Macédoine, de Bulgarie ck de Cappadoce. II fit prendre les armes a toute la Phrygie ; il rangea fous divers drapeaux les troupes étrangeres qui étoient k la folde de 1'Empire , Uzes, Francs , Varangues, & fe mit en marche. Cette armée, qui fembloit redoutable par le nombre , n'étoit digne que de mépris.  nu Bas-Empirz. Liv. LXXIX. 239 Point de ravnWif» rips fn]Aatc nrof- que nuds & couverts de méchants haillons; nuls chariots ; nulle machine de guerre; des faux, des fourches &c d'autres inftruments d'agriculture au-lieu d'armes; très-peu d'épées & de javelots; point de provifions ; il falloit vivre aux dépens des Heux par ou 1'on paffoit; les drapeaux mêmes, par leur délabrement, n'étoient 1'enfeigne que de la mifere. On eüt pris cette armée pour un attroupement de mendiants qui alloient chercher du pain, plutöt que pour des foldats qui marchoient k I'ennemi. C'étoit ainfi qu'ils alloient combattre un peuple féroce & aguerri, né dans les conquêtes, nourri de fang & de pillage. Ce fut un bonheur pour 1'Empire que les Turcs ne fuffent pas inflruits du pitoyable état de 1'armée Grecque. C'étoit la première fois qu'ils voyoient un Empereur k la tête de fes armées, & 1'eftime qu'ils faifoient d'eux-mêmes, leur donnoit une haute idéé de fon courage. Ils ne fe tromperent pas. Ce Prince, plein de bravoure & d'une force de corps extraordinaire , fupportoit fans peine ROMAIN IV. An. 106S.  ROMAIN IV. An. 106S, LI. Expédi tion dai le Pont, ScyL i S24,82 Zon. 1.1 P- 2.78, 279. «40 UlSTOIRE toutes les fatigues, 8c ne craignoit aucun danger. Le Sultan en fut intimidé ; 8c pour ne pas rifquer fa propre réputation, il fe retira en Perfe, après avoir partagé fon armée en deux corps. II envoya 1'un dans 1'Afie feptentrionale vers les bords du Pont-Euxin, 8c fit defcendre Pautre vers la Gilicie & la Syrië. L'Empereur prit quelque temps pour former fon armée, la divifer en bataillons, mettre a la tête de chacun les plus capables du commandement, recueillir tout ce qu'il put d'armes & d'habits. II fut par une noble familiarité, par des promefles d'ayancement, par des récompenfes, infpirer a des ames timides 8c abattues une partie de fon courage. II traverfoit la Cappadoce, 8c mar" choit vers Lycande a petites journées, 15 k deffein de pafTer en Syrië, pour délivrer Antioche 8c la Céléfyrie des \[ ravages des Turcs. Mais il n'y vou* loit arriver qu'en automne pour ne pas expofer fon armée aux chaleurs meurtrieres de ce pays. II apprit dans ■fa route que les Turcs avoient furpris Néocéfarée dans le Pont, 8c qu'a- près  »u Bas-Empirb. Lh. LXXIX. 241 prés 1'avoir faccagée & détruite, ils traïnoient les habitants en efclavage. Cette nouvelle lui fit rebrouffer chemin. II gagna Sébafte en Cappadoce, y laiffa fes bagages & fa groffe infanterie , fous le commandement d'Andronic , fils du Céfar, qu'il menoit avec lui en apparence par honneur , mais en effet pour s'affurer dans fa perfonne de la foumiflion de fa familie. 11 prend avec lui les foldats les plus vaillanrs & les plus alertes, traverfe en dilk ence de hautes montagnes, arrivé a Téphrique fur le paffage des Turcs, & les charge aufli-töt avec vigueur. Etonnés de le voir fur eux avant que d'avoir été avertis de fon approche, ils prennent la fuite. On ne les pourfuivit pas long-temps, les foldats étant fatigués d'une marche difiïcile & pénible. Ainfi il y en ent peu de tués, mais beaucoup de pris, qui n'en furent pas plus heureux; I'Empereur ne voulant pas fe charger d'une multitude embarraffante, les fit tous maffacrer. Ce premier fuccès donna de grandes efpérances , &c allarma les Turcs , qui jufqu'alors méprifant les Empereurs , Tornt XVII, L ROMAIN IV. An. 106S.  ROMAIN IV. An. 1068. LIL En Syrië. Scyl. p. S25 . «sfw „ Zon. t. II, p- 479 . 280. 242 HlSTOIRE Grecs plus encore que leurs foldats , commencerent k redouter les foldats k caufe de I'Empereur. Ils fentoient par eux-mêmes, fans 1'avoir appris du proverbe Grec, qu'une armée de cerfs conduite par un lion eft plus formidable qu'une troupe de lions k la fuite d'un cerf. L'Empereur, de retour a Sébafte, y demeura trois jours pour faire repofer fes troupes, & reprit la route de Syrië. Ayant paffé a Cucufe les défilés du mont.Taurus, il vint k Germanicie, & entra dans le pays de Téluch. II envoya un gros detachement de fon armée a Mélitine, avec ordre de défendre la frontiere contre les incurfions des Turcs, dont un grand corps commandé par un vaillant Capitaine nommé Hapfinal, menacoit les bords de 1'Euphrate. II compofa ce détachement de fes meilleures troupes, entre lefquelles étoient les Francs. Le Commandant qu'il mit a leur tête, plus timide & plus circonfpecf que brave & hardi, fe tint renfermé dans Mélitine; & les Turcs ne pouvant 1'attirer au comb'at, prirent le parti d'aller cbercher 1'Em-  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. 24.3 pereur pour le harceler. Après une marche forcée , ils atteignirent la queue de 1'armée , & tomberent fur un corps de fourrageurs qui prirent aufli-töt la fuite. C'en étoit fait de toute Parriere-garde , li I'Empereur ne fut accouru avec un renfort confidérable, qui battit I'ennemi, & l'obligea de fuir a fon tour. Délivré de ce danger , il continua fa marche, & arriva prés d'AIep. L'Emir de cette ville étoit allié de 1'Empire; mais les Turcs s'étoient emparés du pays d'alentour. Diogene en arrivant 1'abandonna au pillage, & on lui amena quantité d'hommes, de femmes, de chevaux, dont il fe fervit pour fe former une cavalerie. II remonta en* fuite vers 1'Euphrate, & fe rendit en trois jours devant Hiéraple ou Membing , défendue par une nombreufe garnifon de Turcs & d'Arabes, que commandoit Amertice. La vivacité 1 des attaques obligea en peu de jours la ville a capituler. La garnifon confentit a fortir fans armes & fans bagages ; mais Amertice fe retira dans la citadelle, bien réfolu de s'y défendre jufqu'a 1'extrêmité. Dans cette ROMAIK IV. An. 106$,  ROMA1N tv. An. i 068. 244 HlSTOIKE conjoncture, 1'Etnir d'Alep, craignant pour fa propre ville, lorfque le vainqueur feroit le maitre de tous les environs, abandonna 1'alliance de 1'Empire, & prit le parti de fe joindre aux Turcs & aux Arabes, & d'aller avec eux livrer bataille aux Grecs. L'Empereur, occupé au fiege de la citadelle, ne vouloit pas quitter prife. 11 partagea fes troupes en deux corps, & en fit fortir un pour faire tête a. I'ennemi. Hiéraple eft. environné de valles plaines, très-propres k la cavalerie , qui faifoient toute la force des Barbares. On y vit d'abord paroitre divers efcadrons, qui, voltigeant fans cefie autour des Grecs, attaquoient tantöt a droite , tantöt k gauche, &C toujours avec fuccès , auffi prompts è fe retirer , qu'a fondre fur leur proie. Après plufieurs de ces efcarmouches meurtrieres, les Barbares fe réuniflant en un feul corps, porterent toutes leurs forces fur une des alles de 1'armée Grecque rangée en bataille, la renverferent en un moment , &c la pourfuivirent avec grand carnage. Le refle de 1'armée, effrayé de cette attaque fubite, demeuroit  nu Bas-Empire. Liv. LXXIX. 245 en place fans mouvement; & avant que cfavoir pu faire aucune évolution , ils virent I'ennemi revenir fur eux a toute bride. Enfoncés, culbutés , difperfés comme par un violent orage, ils regagnent le camp en défordre , après avoir perdu grand nombre d'hommes & de drapeaux, II n'y eut pas un corps qui fit la moindre réfiflance ; chacun ne fongeoit qu'a fe fauver lui-même , comme s'il eut été feul. Les ennemis couperent les têtes de ceux qui étoient reflés fur le champ de bataille, & les envoyerent dans Alep, pour encourager les Sarafins par ces marqués fanglantes de la vicïoire. Diogene, qui venoit de forcer le chateau d'Hiéraple, fut trés - affligé de cette défaite. II fort de la ville ^ avec les Cappadociens qu'il s'étoit réfervés, & va joindre fon armée. II étoit temps qu'il vïnt lui rendre le courage; tout étoit dans le plus grand abattement , & 1'infanterie Arménienne, campée a 1'extrêmité du camp, avoit tenté la nuit précédente de paffer du cöté des ennemis. Dès le point du jour, les Turcs & les Arabes enL iij ROMAIN IV. \n, 1068. LUI. Vicloire e Dioge-  ROMAIN IV. An. io68. 246 HlSTOIRE veloppent le camp des Grecs. Diogene paffe la journée a raffurer fes troupes , & a faire les difpofitions néceffaires pour 1'exécution de fon deffein. C'étoit le vingtieme de Novembre, & les ardeurs de 1'été qui eft, brülant dans ces plaines fablonneufes , s'évaporant aux approches de 1'hyver, laiffoient encore dans 1'air une douce température. L'Empereur fort de fon camp a la troilieme heure de la nuit, en bon ordre & fans bruit. Nuls fignaux, nul inftrument de guerre n'annoncoient fon approche. Les Grecs avancent a petit pas jufqu'au camp ennemi ; pouffant alors un grand cri, ils forcent les retranchements, mettent le feu aux tentes , taillent en pieces ceux qui n'ont pas le temps de fuir, font un grand nombre de prifonniers, & pourfuivent les fuyards. L'Empereur ne leur permit pas de les fuivre bien loin; il rappella fes troupes, & on le blama de cette prompte retraite, qui fauva une grande partie de 1'armée des Barbares. Mais il craignoit les hafards d'un combat noöurne ; & content de s e|re délivré des ennemis qui le te-  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. 247 noient afïiégé, il aima mieux laiffer fa victoire imparfaite , que de rifquer de la perdre par quelque retour facheux. Etant rentré dans Hiéraple, il en fit réparer la citadelle k demi-ruinée par les attaques, & y laiffa pour commandant 1'Ibérien Pharefmane. Cependant les Turcs &c les Arabes s'étant rallies , formerent une nouvelle armée , & revinrent harceler I'Empereur, qui s'avancoit vers Aza dans le deffein de s'en rendre maitre. Ils 1'incommodoient fans ceffe dans fa marche , 1'attaquant par pelotons , tombant fut fon arriere-garde, interceptant les convois, ck lui dreffant des embüches k tous les paffages. Enfin , I'Empereur arriva devant Aza j qu'il croyoit prendre d'emblée. Mais a la vue de cette place, fituée fur une colline, environnée d'une doublé muraille de bonnes pierres, oü 1'on ne pouvoit monter que par des rochers efcarpés, dans un terrein qui manquoit d'eau pour une fi norabreufe armée, il changea de deffein, alla ravager le territöire dAlep, & s'arrêta dans un lieu nommé TarchoL iy Romaist IV. An. icóS. LIV. Suites de la vi&oire.  ROMAIN IV. An. 1068. S48 IllSTOIRB la. Pendant qu'il y étoit campé, deux Arabes, cachés derrière une colline voifine du camp, eurent la hardieffe de venir jufqu'au pied du retranchement tuer deux fentinelles, & s'enfuirent aufli-töt. L'Empereur qui fut le premier a les appercevoir, fit partir après eux quelques cavaliers; mais on ne pui les atteindre. On marcha vers Artas, petite ville fur le chejnin d'Antioche au pouvoir des Sarafins, qui prirent la fuite avant 1'arrivée de I'Empereur. II y laiffa une garnifon & des vivres. II auroit voulu fe rendre dans Antioche ; mais 1'état oü fe trouvoit fon armée, harraffée de fatigue , & dépourvue de fubfiffances, 1'obligea de fonger au retour. II fallut traverfer des défilés prefque impraticables pour gagner Alexandrie fur le golfe d'IfTus; oii il fe repofa quelques jours, & paffa le mont Taurus a la fin de Décembre. Au fortir d'un pays échauffé fans ceffe par les vents du midi, il fe trouvoit dans un climat glacé entre les montagnes de la Cilicie ; & cette différence de température caufa dans 1'armée des maladies qui firent périr  du Bas-Empire: Lh. LXXTX. 24c) grand nombre d'hommes & d'ani- maux. Comme il approchoit de Podande fur la frontiere de Cappadoce, il apprit que les Turcs avoient forcé & faccagé la grande ville d'Amorium en Galatie. II vouloit courir k ces Barbares , pour fe venger de eet affront. Mais fon armée étant en trop mauvais état pour feconder fori courage, il envoya ordre au Gouverneur de Mélitine de venir le trouver avec un grand corps de troupes qu'il avoit a Zamande. Cet Officier timide s'en étant excufé fous divers prétextes, Diogene, au défefpoir de ne pouvoir réparer 1'honneur de lErnpire, diftribua en quartiers d'hyver. la plus grande partie de fon armée, donna des ordres pour les fubfiftances, & revint avec le refte a Confi tantinople , ou il rentra fur la fin de Janvier. Cette campagne, malgré h diverfité des fuccès, lui procura beau coup de, gloire. C'étoit en quelquï forte reffufciter des morts, que d'inf pirer de la confiance aux foldats Grecs & de leur apprendre a ne pas perdre courage pour un mauvais fuccès. De puis long-temps, les Empereurs ne faL v ROMAIK IV. An. 1068.  ROMAIN IV. An, 1068. £50 HlSTOIRB voient que lever des troupes, fe flatter de la vicloire, & fe faire battre. Diogene, quoiqu'auffi vain qu'aucun de fes prédéceffeurs, avoit plus de valeur réelle & de fcience militaire. Eudocie avoit gouverné les affaires de 1'Empire pendant 1'expédition de Diogene. Au retour de ce Prince, dont la viéfoire animoit la joie publique, elle fignala la fienne par un préfent plus précieux & plus durable que toutes les fêtes populaires. Elle lui adreffa, lorfqu'il étoit en chemin pour revenir a Conftantinople, la dédicace d'un ouvrage qu'elle veipoit apparemment d'achever, & qui a dü employer une grande partie de fa vie. C'eftun recueil intitulé Ionia, oü, par une immenfe leef ure , elle avoit raffemblé les généalogies des Dieux , des Héros, des Héroïnes , leurs métamorphofes, les fables avec les allégories qui fe trouvoient dans les Auteurs anciens; elle y avoit ajouté quantité d'anecdotes fur les écrivains & les perfonnages illuftres par leur favoir. Cette favante Princeffe, plus capable de bien écrire que de bien gouverner, avoit pafte depuis  m Bas-Empire. Lh. LXXIX. ktf fon enfance toutes fes heures de loifir a extraire les Livres de fa riche bibliotheque, qu'elle avoit, comme elle le. dit elle-même, augmentée k grands fraix , en y raffemblant de toutes parts les écrits les plus curieux. Elle promet a I'Empereur de faire paroïtre au plutöt, fous fon bon plaifir, plufieurs autres Ouvrages, qu'elle appelle les freres de celui-ci. C'étoient Un Poëme fur lachevelure d'Ariane, une InftruéHon k 1'ufage des femmes^ un Traité fur les occupations des Prineeffes, un autre de la vie monaftique. Ces derniers écrits ne font pas venus jufqu'a nous. Mais la bibliotheque du Roi conferve un mannfcrit unique de celui qui porte le titre d'Ionia , que le favant éditeur du Lexique d'Apollonius fe prépare k donner au public. A peine Diogene avoit-il paffé 1 quelques jours k mettre ordre aux affaires civiles, que les nouvelles qu'il , srecevoit d'Orient, 1'obligerent de ren- 1 trer en campagne. Mais avant que de 1 quitter Conftantinople, il voulut écar- i terle foupcon d'avarïce en diftribuant 2 d'avance aux principaux du palais & "i L vj j I ROMAIK IV. ka. todSi ia. 1069» LV. Aventu> es de Roert Crêin. Scyl. P: 19, 830, )« Cangi ot. in tryen. p. 06 , 307,  ROMAIN IV. An. 1069. Zgl HlSTOIRE du Sénat les libéralités qu'ils avoient coutume de recevoir des Empereurs vers la fête de Paques. La révolte d'un Officier renommé pour fa valeur, donnoit au Prince de vives inquiétudes. Plufieurs Seigneurs Normands qui avoient contribué aux conquêtes d'Italie, n'ayant point eu de partage dans la diftribution des nouveaux domaines, s'étoient retirés mécontents a la Cour de Conftantinople pour y chercher de 1'emploi & y établir leur fortune. De ce nombre étoient Hervé , Radulfe , GofTelin , dont j'ai déja parlé, & Ourfel de Bailleul, dont je parlerai dans la fuite. Un des plus diftingués par fon courage, ainfi que par fa nobleffe, étoit Robert Crêpin. II defcendoit des Grimaldi, Princes de Monaco , dont une branche s'étoit établie en Normandie du temps de Rollon, premier Duc. C'eft. de cette illuftre familie que font iflus dans notre France les Seigneurs de Bec-Crêpin, les Barons de Bourri & les Marquis de Vardes , dont la poftérité mafculine ne s'eft éteinte qu'a la fin du dernier fiecle, Ces guerriers , en pafiant en  nu Bas-Empire. Lh. LXXIX. 253 Oriënt, emmenoient avec eux leursvaiffeaux , leurs domefliques , Sc grand nombre d'aventuriers attachés a leur perfonne. C'eft ce qui compofoient ces corps de Francs qui fe fignaloient li fouvent entre les troupes de 1'Empire. Robert Crêpin étoit venu avec les Normands de fa fuite offrir fes fervices a Diogene, Sc ce Prince 1'avoit envoyé paffer 1'hyver en Oriënt pour couvrir le pays contre les incurfions des Turcs. Robert y qui avoit efpéré un traitement plus honorable , Sc qui ne recevoit point de paye pour 1'entretien de fes gens, fe vit obligé de les faire fubfiffer aux dépens du pays. II commenca par piller les caiffes des Receveurs ; enfuite fans faire diftindfion entre les deniers du Prince Sc ceux des particuliers, il mit a contribution toute la Province. Ce procédé parut être une rébellion ouverte. On fit marcher des troupes pour le réduire, il les batik autant de fois qu'il les rencontra, faifant quartier a tous ceux auxquels il pouvoit fauver la vie. Un Bulgare, nommé Samuel Alufien , dont Diogene avoit époufé la fceur RoMAiir IV. An. ioöji  ROMAIN IV. An, 1069. 254 HlSTÖIRM avant que d'être Empereur , vint Ie jour de Paques tomber fur Robert avec cinq cohortes de troupes d'Occident. Les Francs, fans être préparés k cette attaque, recurent fl mal les Grecs , que ceux - ci prirent la fuite, laiffant fur la place grand nombre de morts, & plus encore de bleffés, dont Robert prit autant de foin que de fes propres foldats. Après les avoir fait guérir, il les renvoya fans rancon. Dans le temps même qu'on le pourfuivoit comme un rebelle, il rencontra un grand corps de Turcs, qui le virent approcher fans défiance , ne doutant pas qu'il ne vint fe jetter entre leurs bras. Mais fidele k fes engagements, autant que la néceffité pouvoit le permettre, il ne joignit les ennemis que pour les combattre, & il les tailla en pieces. Diogene , arrivant a Dorylée en Phrygie , recut une députation de Robert , qui, s'excufant de fes ravages fur le befoin preffant de fes troupes, demandoit amniflie, & proteftoit de fon inviolable attachement au fervice de 1'Empire. Le Prince qui lui favoit gré de la vicloire qu'il venoit de rem-  du Bas-Empire. Llv. LXX1X. 255 porter fur les Turcs, & qui craignoit d'être traverfé dans fon expédition par un guerrier fi vaillant & fi habile, lui accorda tout , & lui manda de le venir joindre. Robert fe rendit auprès de lui avec une partie de fes gens. II en avoit laiffé le plus grand nombre dans Malazkerd, ville d'Arménie , fur 1'Euphrate. L'Empereur, comptant beaucoup fur fon courage & fur celui de fes troupes, le fit marcher k fa fuite. Mais des courtifans jaloux de 1'eftime de I'Empereur pour ce brave guerrier, vinrent a bout de le noircir dans 1'efprit du Prince. On 1'accufa de fourdes pratiques contre le fervice de l'Empire4 Sur ces imputations vagues , qu'on ne prit pas la peine d'éclaircir, il fut dépouillé du commandement, & envoyé en exil dans Abyde. Les Francs qu'il avoit laiffés k Malazkerd, irrités du mépris qu'on paroiffoit faire de la nation, leverent 1'étendard de la révolte, & fe jetterent en Méfopotamie, ou ils fe vengerent fur les ; fujets de 1'Empire du traitement injufie qu'éprouvoit leur Général. L'Empereur, arrivé a Céfarée, ap- ROMAIN IV. An. 1069. / LVt. :s Turcs  ROMAIN IV. An. 1069. battus par Diogene. Scyl. p. 230. Zon. t. 11. P- 179 > 280. 256 HisTötkË prenant qu'un grand corps de Turcs ravageoit tout le pays, envoya contre eux un gros detachement qui fut battu. II marcha donc en perfonne avec toute fon armée. Sur la fin du jour, comme il commencoit k fe retrancher , les Turcs poftés fur des éminences voifines, defcendirent touta-coup dans la plaine pour fondre fur les Grecs. Deux cohortes courent k leur rencontre, & les mettent en fuite. Pour achever leur défaite, I'Empereur laifle une partie de fon armée au travail des retranchements, & fe met lui-même avec le refte k pourfuivre les ennemis. A peine eff-il éloigné , qu'un autre corps de Turcs plus nombreux que celui qui fuyoit, vint tomber fur les travailleurs qui prennent les armes. Mais les Francs, plus hardis & plus diligents que les Grecs, joignent avant eux I'ennemi, 1'arrêtent & le terraffent par des efforts redoublés. Les Grecs , fimples fpeclateurs du combat, les laifTerent aux prifes, fans leur donner aucun fecours. C'étoit un efTet de la jaloulie nationale. Les Francs vainquirent feuls, & I'Empereur , revenant de  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. 257 la pourfuite après le foleil couché, ne trouva plus d'ennemi. Le lendemain il fit mettre a mort tous les prifonniers , fans épargner même le Général, quoiqu'il promit une riche rancon. Pendant trois jours qu'il demeura dans ce campement , il donna le temps aux Turcs de rallier les fuyards, & de faire de nouveaux ravages. S'étant enfuite remis en marche, il alla camper a deux journées de Malatia ou Mélitine. 11 y vouloit d'abord laiffer une partie de fon armée, pour fermer ce paffage aux ennemis. Mais ayant changé d'avis , il s'avanca vers 1'Euphrate avec toutes fes forces. Les Turcs, campés fur les bords, s'éloignerent a fon approche, Sc repafferent le fleuve. L'Empereur le paffa après eux a Romanople; & ayant deffein de marcher a Chleat fur le lac de Van, il partagea fon armée, & en donna une partie a Philarete, qu'il déclara Général avec plein pouvoir. Ce choix étoit 1'effet de Pintrigue, Sc ne pouvoit être plus aveugle. Philarete étoit un fanfaron, qui ne defirant le commandement que. ROMAIN IV. An. 1069. LVII. Succes divers. Scyl. p. S31, 831. Zon. t. II, p. a8o.  ROMAIN IV. An. 1069. 258 HlSTOIRE pour s'enrichir ck fe faire des créatures, fe piquoit de capacité ck de bravoure, quoiqu'il n'eüt donné dans les emplois fubalternes que des preuves d'ignorance ck de lacheté. Aufli étoit-il méprifé des troupes , meilleurs juges que la Cour en fait de fcience militaire. C'étoit de plus un libertin , plongé dans la plus honteufe débauche. L'Empereur marcha vers le Nord pour y trouver de la neige ck des eaux froides^, dont il ne pouvoit fe paffer a caufe de 1'ardeur de fon tempérament; ók ayant traverfé des pays montueux ck coupés de ravines, il parvint a une plaine fertile en bied ck en paturages. Ce lieu, nommé Anthias , paree qu'il étoit femé de fleurs, étoit un féjour délicieux , que la nature fembloit avoir préparé pour repofer une armée harraffée de chemins rudes ck difficiles dont il étoit environné. Diogene , après y avoir délaffé fes troupes , paffa le mont Munzar; c'eff le nom que prend en ce pays le mont Taurus ; traverfa encore 1'Euphrate, ck entra dans la Celzene, contrée d'Arménie, que les anciens nommoient  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. a^o Acilifene. Cependant les troupes que commandoit Philarete, voyant venir les Turcs, prennent 1'épouvante, 8c abandonnant le pays qu'elles avoient ordre de garder, elles courent a la fuite de I'Empereur, fans s'arrêter, jufqu'a la plaine d'Anthias. La, fe voyant encore pourfuivies, elles fe débandent tout-a-fait, 8c laiffant leurs bagages aux ennemis, elles fe rendent par divers chemins en Celzene auprès de la grande armée. Les Turcs, n'ofant approcher plus prés de Diogene, dont ils redoutoient le courage, fe replierent fur la Cappadoce , théatre ordinaire de leurs ravages, ck détruifant tout fur leur route , ils pénétrerent jufqu'a Icone en Lycaonie. C'étoit une grande ville , la plus peuplée ck la plus riche de ces contrées , mais fans défenfe ck fans garnifon. Située au milieu des terres de 1'Ernpire , on ne croyoil pas qu'elle eut rien a craindre. Les Turcs s'en emparerent fans réfiffance , 6c y firent un butin immenfe. Cependant les foldats de Philarete Pao cufoient devant I'Empereur, imputant leur fuite a fa poltronnerie, 6? ROMAIN IV. An. 1069, LVIII. Icone pil— lée par les Turcs. Scyl. p. S32, 833. Zon. 1.11. p. 2S0.  ROMAIN IV. An. 1069. LIX. Retour de 260 HlSTOJRZ Philarete, de fon cöté, rejettoit la faute fur la lacheté & la défobéiflance des foldats. L'Empereur ayant reconnu que tous étoient également coupables, ne punit perfonne, & demeura perfuadé que la fortune de 1'Empire ne s'appuyoit que fur lui feul, & que parmi tant de bras il n'y avoit qu'une feule tête. Les foldats ayant perdu 1'habitude du travail fous les derniers Empereurs, n'étoient plus en état de fupporter les fatigues; les Officiers, novices dans le métier de la guerre , fe croyoient des héros, lorfqu'ils en voyoient de plus poltrons qu'eux-mêmes; ils ne ceffoient de demander pour les moindres fervices les plus grandes récompenfes, & fouvent ils les obtenoient par des intrigues, dont le fuccès décourageoit la vraie valeur. Ce qui faifoit penfer a Diogene qu'un Prince ne peut être équitable, s'il ne voit tout de fes propres yeux , pour n'être pas trompé fur le mérite de ceux qu'il employé, & pour mettre une jufte proportion entre les récompenfes & les travaux. A la nouvelle de la marche des  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. 261 Turcs vers la Lycaonie , I'Empereur ayant changé de deffein, étoit revenu a Sébafte, d'oii il étoit parti auflitöt pour les atteindre &c arrêter leurs progrès. Arrivé k Comopolis, il apprit le faccagement d'Icone & la retraite des ennemis , qui craignant d'être pourfuivis, faifoient diligence pour regagner 1'Euphrate. II détacha auffitöt une partie de fon armée, & l'envoya en Cilicie pour fe joindre a Catature , dont il connoiffoit le courage. Catature qui commandoit dans Antioche de Cilicie, avoit ordre de s'avancer jufqu'a Mopfuefte, & d'y attendre les Turcs pour les écrafer dans les défilés. Mais les Barbares, avant que d'être arrivés k Tarfe, avoient déja recu un grand échec Un corps de troupes Arméniennes pofté en embufcade entre les montagnes de Séleucie, les avoit accablés, détruits au paffage , & leur avoit enlevé prefque tout leur butin. Apprenant alors qu'on les attendoit prés de Mopfuefte, ils marcherent de nuitle long de la mer, pafferent le mont Sarbadique qui fait partie du Taurus & gagnerent enfin Alep. L'Empereur, ROMAIN IV. An. 1069, I'Empereur. Scyl. p. 831, 833. Zon. t. II, p. 280.  ROMAIN IV. An, 1069. An. 1070, LX. Manuel Comnene envoyé contre le: Turcs. Scyl. p. 833,834 835. Zon. t. 11 p. 180 , 281. Bry. p. 24 25. Glyc. p 327. / 262. HlSTOIRE qui étoit déja a Claudiopolis fur la frontiere de Cilicie, ck qui efpéroit tenir les Turcs enfermés entre fon armée ck celle de Catature, apprit avec chagrin leur évafion. Comme 1'hyver approchoit, il reprit la route de Conffantinople, après avoir partagé fon armée en différents poftes pour défendre le pays contre les Turcs , dont les partis répandus de tous cötés défoloient les campagnes & infeftoient tous les chemins. A fon arrivée, il fut témoin d'une grande incendie qui détruilit la magnifïque Eglife de Sainte-Marie de Blaquernes. Depuis deux ans, il avoit les armes a la main contre les Turcs. En Syrië , en Arménie , en-deca, audela de 1'Euphrate, s'expofant luimême , partageant toutes les fatigues avec les foldats, il les animoit par fon exemple, il rallumoit dans des ■ ames abatardies cette valeur Romaine éteinte depuis long-temps , ck 1'on peut dire que le fuccès qu'il avoit eus dans ces deux campagnes étoient ' dus a fon courage, & les échecs k • 1'incapacité de lés Généraux, Après  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. 263 avoir rabattu par plufieurs combats 1'audace des Barbares, il crut pouvoir prendre impunément quelque repos, & confïa pour 1'année fuivante le. commandement de fes troupes è Manuel Comnene, fils aïné de Jean le Curopalate. II 1'avoit revêtu de cette digntié après Ia mort de fon pere. II eftimoit ce jeune Seigneur, qui joignoit a un caraéfere doux & aimable beaucoup d'efprit & de connoiffance de la guerre. Prudent audeffus de fon age, Manuel n'oublia aucune des précautions a prendre pour s'alfurer du fuccès. Ayant raffemblé les troupes k Céfarée, il établit dans fon camp la plus exacte difcipline, protégeant les fujets de 1'Empire, arretant par de juffes chatiments la violence & 1'avidité du foldat ; en forte que fon armée n'étoit a craindre qu'aux ennemis. Auffi fut-il d'abord vainqueur en toutes les rencontres. L'Empereur même en devint jaloux. Palfionné pour la gloire jufqu'a la foibleffe, il auroit vonln Manuel fe fut contenté de conferver ia reputation du Prince, fans enacquérir pour lui-même. II réfolutdonc ROMAlN IV. An. 1070.  RoMAIN IV. An. 1070. LXI. Manuel défait & pris. 264 HlSTOIRE d'affoiblir 1'armée de Manuel; & pour déguifer la haffelle de fes fentiments, il prit pour prétexte la néceffité de fecourir Hiéraple afliégée par les Turcs. II détacha pour eet effet une grande partie des troupes du Curopalate, qui fe trouvant hors d'état de rien entreprendre de confidérable , alla camper a Sébafte. Quoique Manuel eut pris la réfolution de ne rien hafarder, il ne put tenir contre les infultes d'un corps de cavalerie Turque, qui vint le braver jufqu'au pied de fes retranchements. II fortit fur eux, les mit en fuite, & les pourfuivit affez loin de fon camp. C'étoit de la part des Turcs une fuite limulée : dès qu'ils voyent les Grecs débandés a la pourfuite, ils retournent fur eux : des troupes poftées en embufcade au bord du chemin , fe montrent en mêmetemps. Les Grecs , enveloppés &C attaqués de toutes parts, font taillés en pieces; la plupart font tués; quelques-uns demeurent prifonniers, & de ce nombre eft le Curopalate avec fes' deux beaux-freres Michel Taronite & Nicéphore Méliffene. Le ca«ip  év Bas-Empire. Liv. LXX1X. 265 camp eft pris & piilé ; & fans la proximité de la ville de Sébafte, oii les fuyards fe fauverent, c'en étoit I fait de toute 1'armée. Cette nouvelle i affligea I'Empereur, qui devoits'im] puter k lui-même la caufe de cette J défaite. II en recut bientöt une au} J.re' f laquelle il ne fut pas moins lenfible. Les Turcs vainqueurs avoient traverfé en courant la Cappadoce , & étoient entrés en Phrygie, oü ils ü avoient faccagé Coloffe. Cette ville, s alors nommée Chones, étoit batie i fur une colline au pied de laquelle il deux rivieres fe plongeoient dans un canal fouterrein , & reffortoient par ; le cöté oppofé. Ce canal avoit au 1 centrede la ville un large foupirail, oü les malheureux habitants, homimes, femmes, enfants fe précipitei rent en grand nombre , aimant mieux s engloutir dans eet abyme ténébreux, |que cl'éprouver les horreurs d'une sférocité auffi brutale qu'inhumaine. Wn fi grand défaftre mit I'Empereur jau défefpoir; il vouloit partir fur le champ ; & düt-il n'être fuivi que de fa maifon, il alloit, difoit-il, périr lui-mêmë, ou venger le fane de fes Tome XVII. M ROMAIW IV. An. 1070;  ROMAIN IV. An. 1C70. LXIT. Manuel amene fon vain- a66 IIlSTOIRS. fujets. Les courtifans arrêterent cette fcugue généreufe. Nicéphore Paléclogue , le Philofophe Pfellus , & furtout le Céfar Jean Ducas lui repréfenterent, qu'il alloit fe pricipiter dans un danger évident ; qu'il ne pouvoit compterfur 1'armée vaincue; & qu'avant qu'il en eüt formé une autre, les Turcs feroient hors de prife : qu'en expofant ainfi fa perfonne fans aucun fruit ,fans aucune efpérance, il rifquoit l'honneur dé 1'Empire, Ces inftances couvertes des apparences de zele pour fa perfonne, étoient cependant Peffet d'une profonde malignité. Ces trois perfonnages attachés aux fils de Conftantin Ducas, haïfToient mortellement Diogene. Ils auroient fouhaité voir les Turcs fur le Bofphore, pour le rendre odieux, & lui arracher la couronne. Diogene, moins habile dans la connoiffance des hommes que dans les opérations militaires, leur fut gré de leur empreffement perfide, & une aventure finguliere le retint le refte de cette année k Conftantinople. Le Général qui avoit fait Manuel prifonnier fe nommoit Chryfofcul. II étoit de la familie des Sultans, 6c  !>u Bjs-Empire. Liv. LXXlt. 267 prétendoit avoir des droits a 1'Empire de la Perfe. Enivré de cette idéé, il fe révolta, ck s'engagea dans une guerre dont 1'ifTue ne pouvoit que lui être funeff e. Manuel, aufli fin ck auffi déjié que le Turc étoit groffier ck crédule , profita de cette occafion pour recouvrer fa liberté. II s'infinue dans la familiarité de Chryfofcul, le flatte fur fes prétentions, 1'encourage a les faire valoir; ck fentant que le rebelle fe défie de fes forces, ék qu'il craint la fupériorité du Sultan, il lui montre une puiffante reffource dans 1'alliance de I'Empereur. II lui perfuade d'aller fe j etter entre les bras de Diogene, Prince jufle ék généreux, qui faiüra volontiers cette occafion d'humilier le Sultan, ck d'appuyer des droits légitimes. II s'ofFre lui-même k le conduire k Conftantinople , 6k k le préfenter k I'Empereur, dont il doit attendre 1'accueil le plus honorable. Chryfofcul donne dans le piege; il part avec Manuel ck les autres prifonniers Grecs, dont il veut faire préfent k I'Empereur ; ck Conftantinople vit avec étonnement le vaincu ramener comM ij RoMA.IV IV. An. 1070. queur a Conftantinople.  ROMAIN IV. An. 1070, An. 1071. LXIII. Derniere expédition de Diogene. Bry. p. 25 & feqq. & m. Du Cange. Scyl. p. 335. * : feqq. Zon. t. 11. ] p. 281 , & , feqq. Glycas , p. ' 317.318, ] 319- 1 Manaff. p. 132 , & 1 fits. 1 2.68 HlSTOIRE me en triomphe fon vainqueur devenu en quelque forte fon prifonnier. La mauvaife mine du Prince Barbare fut pour le peuple un objet de raillerie. C'étoit un nain d'une laideur difforme, portant dans les traits de fon vifage toute la férocité de fa nation, Cependant I'Empereur le traita comme un allié , lui donna des titres honorables, & continua de 1'entretenir de belles efpérances. En effet, 1'année fuivante il parut avoir formé la réfolution de détruire par un dernier effort la puiffance des Turcs, & de faire la conquête de la Perfe. Dès le 13 Mars , il partit de Conftantinople emmenant avec lui Manuel Comnene & Chryfofcul, qui lyant laiffé des partifans dans le pays, jouvoient lui procurer des intelli^ences. II paffa quelques jours dans e palais d'Herée pour achever fes préwatifs; & fa femme Eudocie fe déacha par bienféance des plaifirs qu'elle limoit, pour aller au-dela du Bof)hore embraffer un mari qu'elle n'ainoit pas. En traverfant la Bithynie, il iit obligé d'y laiffer Manuel malade 1'un abcès dans les oreilles, qui le  du Bas-Empire. Lh. LXXIX. 269 conduifit k la mort. Ce jeune Prince qui donnoit les plus belles efpérances, mourut au pied du mont Azalas entre les bras de fa mere. Elle étoit accourue de Conftantinople pour recevoir fes derniers foupirs. On eut de la peine k retenir le défefpoir de Chryfofcul , qui fentoit bien qu'en perdant ce Prince aimable, il perdoit toute fa fortune. La généreufe mere des Comnenes voulut qu'Alexis fon troifieme fils , agé pour lors de 2z ans, allatjoindre I'Empereur pour fe former au métier de la guerre, & foutenir 1'honneur de fa familie. Mais le Prince 1'ayant recu avec attendriffement , 1'obligea de retourher auprès de fa mere pour la confoler , & ne pas aigrir encore par de nouvelles craintes le chagrin dont elle étoit accablée. Le funefte fuccès de cette campagne a fait interpréter en préfages finiftres tous les événements du voya- ' ge. Les Hifloriens funerftitieux en rapportent un grand nombre. C'en fut un, felon eux , que le feu qui prit pendant la nuit a une maifon oü I'Empereur étoit couché au bord du M iij ROMAI» IV. An. 1071; Joel. p. !S5. Elmacin. Pagi es Pfelloapui Bar. Du Cange. fam. By%. p. 162 , & feqq. m. de Gui%nes , hifi. des Huns , ■om. II, p. 107 , & reqq. LXIV. Marche Ie 1'Emlereur.  H Homais IV. Aa» 1071, 2?0 HlSTÖIRK Sangar, 8c qui confuma fes chevaux 6c fes équipages. Après avoir paffé ce fleuve, il raffembla les troupes diftribuées en différents poftes; 6c les ayant jointes a celles qu'il amenoit de Conftantinople, il fe trouva une armée fi nombreufe, qu'il crut devoir en réformer une partie. II congédia les foldats qui avoient le plus fouffert des campagnes précédentes, 6c les Officiers qu'il foupeonnoit moins affeéfionnés a fa per(bnne. Mais il y fut trompé. II renvoya Nicéphore Botaniate 6c plufieurs autres gens de cceur, dont il auroit pu tirer de bons fervices, 6c retint auprès de lui des traitres, qui 1'abufoient par de fauffes démonftrations. [1 lui reftoit encore cent mille hommes de pied avec une très-nombreufe cavalerie. II paffa le fleuve Halys, 8c laiffa Céfarée fur fa droite pour arriver k une fontaine célebre, nommée Chyras , c'eft-a-dire Peau froide. C'étoit un lieu charmant: la falubrité des bains y attiroit de toutes parts les habitants des villes 6c des campagnes. On y trouvoit en abondance tous les befoins 6c même toutes les  du Bjs-Empire. Lh. LXXIX. 271 délices de la vie. La plaine d'alentour étoit affez vafte pour y loger commodément une grande armée. L'Empereur s'y arrêta, & s'en repentit auflitot. Ce n'étoit plus le temps oü une armée Romaine campée dans un verger rempli de fruits murs, décampoit le lendemain fans qu'il manquat un feul fruit aux arbres, dont les tentes étoient couvertes. II ne lui fut pas poffible de contenir les mains a vides d'une multitude indifciplinée. Les troupes n'étoient pas encore campées, que le lieu & les environs étoient déja ravages. La garde Allemande fur-tout, qu'on nommoit les Némizes , fe débanda pour aller au pillage ; ik quand I'Empereur en eut chatié quelques-uns, tous fe mutinerent & s'emporterent k des cris féditieux qui annoncoient une défertion prochaine. Diogene monte k cheval, les enveloppe des autres troupes, leur fait mettre bas les armes; 6c après une vive réprimande , il leur öte Fhonneur de garder fa perfonne, 6c les fait paffer de la tête a la queue de 1'armée. II marcha enfuite k Sébafte, 6c vit M iv ROMAIN IV. A.n. 1071* LXV. 11 va au-  Romain IV. An. 1071, devant desTurcs, 2/* ff I S T 0 I R E en paffant les triftes débris de 1'armee de Manuel défaite 1'année précedente par la cavalerie Turque. Arrivé dans cette ville, & apprenant que Ie Sultan commencoit a fe mettre en marche, il tint confeil pour dehberer s'il iroit le chercher en Perte' O" s'il 1'attendroit fur les terres de l Empire. Les plus hardis &ceux qui ne fongeoient qu'a flatter 1'Empereur , dont ils connohToient le caraöere bouillant & impétueux, étoient d'avis d'aller en-avant , &de ne pas laiffer au Barbare 1'honneur de 1 attaque ; on le rencontreroit prés d Ecbatane au milieu de la Médie. Mais Jofeph Trachaniote, Capitaine expenmente, qui commandoit une partie de 1'armée, & Nicéphore Bryenne, Général des troupes d'Occident, petit-nls de celui qui avoit été aveugle & enfermé dans un monaftere ious le regne de Stratiotique, pensent au contraire, que 1'on ne pouvoit fans rifque s'engager dans lesmontagnes d'Armênie & de Médie pour cou'ir au-devant de I'ennemi : que le Sul'anferoit plus fort dans fon proprepays ; fuil prendroit d fon gré l'avantage des  du Bas-Empire. Llv. LXXIX. 273 pojies ; qu'il étoit plus fage de Üat'tirer en-dega du Tipre , de mettre en état de dêfenfe les villes cTalentour , & de ravager les campagnes pour lui óter tout moyen de fubjijlance : que le meilleur parti feroit de demeurer d Sébajle ; que cependant fi 1'Empereur vouloit poujfer plus loin, il pouvoit fe loger d Théodofiopolis , place auparavamt négligée, mais qu'on avoit fortifiée & garnie de munitions depuis la pene d'Ar^é: que ce poft feroit favorable pour une bataille; & que fi le Turc l'évitoit, fon armée périroit de difette dans une campagne dévaflée. Cet avis étoit le plus fenfé, mais il ne fut pas fuivi. Le Prince, naturellement préfomptueux, devenu plus fier encore pour avoir emporté d'afTaut une fortereffe & battu des fourrageurs, s'imagina que jamais la Perfe n'avoit été attaquéepar des forces plus refpecf ables, öc mieux commandées. II marche a Théodofiopolis, mais ce n'étoit pas pour y féjourner. Dès qu'il y eft arrivé, il donne ordre a fes foldats de fe fournir de fubfiflances pour deux mois, fon deffein étant de traverfer un pays inciüte & défert pour entrer en Perfe, M v R.OMA1ÏÏ IV. An, 1071;  ROMAIN rv. An. 1071. LXVI. Défaite de Bafilace. 1 i « J ] s i i < s x c £ d b fi 274 H I S T O I R B Lorfque fon armée fut pourvue de vivres, il en détacha une partie fous les ordres d'Ourfel, brave Normand del'illuftre maifon de Bailleul, qui étant venu en Italië avec les fils de Tancrede, avoit contribué par fa valeur a chaffer les Sarafins de la SiEile. Mécontent enfuite de n'avoir point de partage dans la conquête , l avoit paffé en même-temps que Zrêpin au fervice des Empereurs d'Oient. Diogene le fit partir a la tête les Francs ck des Uzes pour lui ou'rir les paffages jufqu'a Chléat furie ac de Van. II va lui-même attaquer rianziciert fur FAraxe dont le Sultan 'étoit emparé, ck Ie reprend fans pei1e. Pendant qu'il étoit devant cette ilace, Nicéphore Bafilace, un de fes ïénéraux, vint le joindre avec un enfort confidérable de troupes de yrie ék d'Arménie. II regut en mêïe-temps une lettre dün autre Ofiiter employé dans ces quartiers-la, ui lui mandoit que le Sultan ef•ayé de fon approche, avoit abanonné la Perfe, ék fe fauvoit vers Baylone. Cette fauffe nouvelle, conrmée par Bafilace, brave de fa per-;  du Bjs-Empire. Llv. LXXIX. 175 fonne, mais étourdi & inconfidéré, lui perfuada qu'il n'avoit rien k craindre , & qu'il n'étoit queftion que d'avancer en diligence. Dans cette opinion, il détacha encore fa meilleure cavalerie avec un grand corps d'infanterie, qu'il fit partir fous les ordres de Trachaniote, pour aller joindre Ourfel devant Chléar. Cet Officier , plus inflruit &c plus avifé que Bafilace, eut beau repréfenter k I'Empereur , qu'il étoit dangereux d'affoiblir fon armée ; que d'autres gouvelles , non moins certaines, annoncoient que le Sultan étoit en marche pour le combattre avec toutes fes forces, &c que dans cette incertitude il convenoit de prendre le parti le plus fur : il fallut obéir & fe féparer du gros de 1'armée. A peine étoitil éloigné, qu'on apprit que le Sultan approchoit. Mais I'Empereur, toujours trompé par la première nouvelle , aima mieux croire que ce n'étoit qu'un Officier Turc qui ramaffoit les troupes difperfées en différents poftes, pour les mettre en füreté & vuider le pays. Trois jours après, ur corps de Turcs vient fondre fur le; M vj ROMA1N IV. An. 1071.'  ROMAIN IV. An. 1071. 2?6 HlSTOIRS fourrageurs, en tue une partie, enleve les autres, & fe retire fur les montagnes voifines. C'étoit 1'avant-garcle de 1'armée du Sultan. L'Empereur fait venir Bafilace, & lui demande qui font ces ennemis, & d'oüils viennent* 11 répond avec fa confiance ordinaire, que ce n'efï qu'un détachement de la garnifon de Chléat, & qu'une poignée de foldats fuffira pour les mettre en fuite. Diogene envoye contre eux Nicéphore Bryenne , qui trouve plus de réfiftance qu'il ne s'y étoit attendu. Le combat devient fanglant; grand nombre de Grecs y perdent la vie, Bryenne bleffé envoye demander du fecours; I'Empereur fait partir Bafilace , dont la fougue impétueufe fait fuir les Turcs, mais en bon ordre. II les pourfuit vivement, fans s'appercevoir qu'il n'eft pas fuivi de Bryenne , que fa bleffure & le mauvais état de fa troupe avoient obligé de faire alte. Bafilace chaffe I'ennemi jufqu'a fes retranchements; alors les Turcs font volte face, & chargent ceux qui les pourfuivent. Les Grecs en défordre ne s'attendant «1 rien moins qu'a cette nouvelle at:  nu Bjs-Empire. Liv. LXXIX. 277 taque-, n'ont pas même le temps de fiiir a leur tour. Tous font maffacrés. Bafilace, qui fe défendoit avec courage, abattu de cheval, & accablédu poids de fes armes, eft pris & conduit au Sultan, qui venoit d'arriver au camp pendant Faction avec quarante mille cavaliers. Le prifonnier confervantfafierté, ne s'abaiiTea nulle foumiffion ; il attend d'un air intrépide la fentence qui alloit peut-être Ie condamner aux plus affreux fupplices. Mais le fuccefTeur de Thogrul n'avoit de barbare que 1'origine ; il lui fait öter les chaines, le conduit lui-même dans fon camp; &c après lui avoir montré toutes fes forces, il Pinterroge fur 1'étatde 1'armée Grecque. Bafilace , attentif k flatter adroitement fon vainqueur, fans oublier ce qu'il doit k fon maitre, admire la puifTance du Sultan; il fait 1'éloge de lés troupes; mais il lui donne en même-temps une grande idéé de celles de I'Empereur, & fouhaite que deux Princes nés pour partager entre eux 1'Empire de Punivers , n'expofent pas leur fortune au hafard d'une bataille qui peut leur être égale-, ment funefte, ROMAIS IV. An. 1071,  ROMAIN IV. An. 1071. LXVII. Sanglante cfc.rrriuu- che. 278 HlSTOIRE Bryenne, hors d'état de fecourir Bafilace, apprenant qu'il eft pris 8c que fa troupe eft taillee en pieces, regagne le camp, 8c rend compte de cct echec k I'Empereur, qui le renv y e dans fa tente, pour fe faire pen(a At fes bleffures. Diogene fort luifHchiie du camp avec fon armée pour Hm '.a difpofition du camp ennemi ; & s'étant arrêté jufqu'au foir fur une éminence , fans appercevoir dans la plaine aucun coureur , il fe perfuade que les Turcs n'ofent paroitre devant lui, 8c retourne au camp. A peine avoit-il fait quelques pas , qu'il fe fent accablé d'une grële de fleches. C'étoit la cavalerie Turque , qui étant fortie du camp k 1'entrée de la nuit, couroit autour de 1'armée, maffacrant les traineurs, fuyant, revenant k la charge, 8c ne ceffant de harceler les Grecs, qu'ils conduifirent ainfi jufqu'a leur camp. La nuit étoit fort obfeure; 8c comme on ne pouvoit diftinguer les amis des ennemis, les Grecs ofoient k peine faire ufage de leurs armes. Au bruit des combattants, Bryennne fort de fa tente tout blefle qu'il étoit; il va joindre Pen-I  zit; Bas-Empire. Liv. LXXIX. 279 nemi; & faifant le devoir d'un courageux Capitaine , il recoit de nouvelles bleffures. Enfin, 1'armée rentre dans fes retranchements, & les Barbares paffent le refte de la nuit k voltiger k 1'entour, pouffant des cris affreux, & faifant fans ceffe pleuvoir les traits ; en forte que les troupes Grecques ne purent prendre aucun repos. Le lendemain matin on vit un grand corps de cavaliers Uzes, campés k 1'extrêmité du camp , forti r avec fon commandant Sc s'aller rendre aux ennemis. Cette défertionfit craindre k Diogene qu'il n'y eut un complot fecret entre toutes les troupes étrangeres. II fe repentit d'avoir féparé fes forces , & fit partir en diligence des couriers pour faire revenir celles qu'il avoit envoyées k Chléat : mais ils arriverent trop tard. Dès que Thrachaniote & Ourfel avoient appris 1'arrivée du Sultan , faifis d'épouvante, 8c fans confidérer ni leur devoir, ni leur honneur, ils avoient regagné les bords du Tigre pour paffer en Méfopotamie. Les Turcs qui environnoient le camp, voyant fortir fur eux grand ROMAIK IV. in. 1071,  ROMAIN IV. An. 1071. Lxvni. L'Empereur refufe la paix. 180 FI I S T 6 ï R E nombre de troupes, fe retirerent après avoir perdu quelques-uns des leurs. L'Empereur, toujours enflé d'une vaine confiance, &c environné de flatteurs qui lui promettoient une victoire aflurée, avoit réfolu de livrer bataille ce jour-la. II exigea des Uzes qui ne 1'a'voient pas abandonné, un nouveau ferment de fidélité ; Sc felon la coutume de ce temps-la , il fit jurer a toute 1'armée qu'elle combattroit courageufement jufqu'a la mort. II la rangeoit en bataille , & chaque corps prenoit fon pofte , lorfqu'on vit arriver des députés du Sultan , qui apportoient des propofitions de paix. Ils furent recus avec hauteur. On leur permit d'expofer leur eommiflion. L'Empereur répondit, que fi le Sultan defiroit la paix, il falloit qu'il commencat par s'éloigner, Sc lui laiffer le pofte oü il étoit venu camper ; qu'alors on pourroit 1'écouter. On les renvoya fans autre réponfe, & on leur mit entre les mains une croix comme une fauve-garde qui les mettroit k couvert d'infulte a leur retour. Le Sultan avoit 1'ame trop élevée pour s'arrêter k des poin-  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. 281 tilleries d'honneur. Ce n'étoit pas la trainte qui lui faifoit demander la paix; plus brave ck plus intrépide que I'Empereur même , il vouloit épargner le fang de fes peuples; fa tendreffe pour eux étoit le feul frein qui retenoit fa valeur naturelle; ck il avoit pour maxime qu'un Prince ne doit tirer 1'épée qu'après avoir épuifé tous les autres moyens de fe faire rendre juftice. II délibéroit donc férieufement avec fon confeil, lorfqu'il entendit la trompette guerriere fonner du cöté des Grecs. A peine les députés étoient-ils partis, que les courtifans de I'Empereur s'étoient empreffés a 1'envi de lui perfuader que le Sultan fentoit fa foibleffe; qu'il navoit £ autre dejfein que de l'amufer par une feinte nigociation, en attendant les 'troupes qui le fuivoient; quil feroit indigne de la Majeflé Impériale (Cêtre le jouet des menfonges & de la mauvaife foi d'un Barbare. Sur ces repréfentations, I'Empereur, porté de lui-même a lëvrer bataille, s'y détermina fans garder aucune mefure avec le Sultan , ck fans lui faire dire qu'il n'étoit plus queftion d'accommodement, ROMAIN IV. An. 1071,  B.OMAIN IV. An. 1071. LX1X. Batailie de Manziciert. 282 HlSTOIRB A la tête de 1'aile droite étoit Ie Cappadocien Alyate, favori de I'Empereur. Bryenne, malgré fes bleffures , commandoit la gauche. Diogene fe mit au centre. Andronic, hls du Céfar, brave guerrier, mais ennemi fecret de Diogene , fut chargé du commandement de la réferve. Le Sultan, étonné de fe voir traité avec tant de mépris, fort du confeil pour endoffer fa cuiraffe, & range fon armée. [1 fait fa priere, & parcourant des yeux le front de fa bataille , il ne peut retenir fes larmes, faifant réflexion que ta viftoire des Princes ne s'achete qu'au prix du fang de leurs fujets. 11 fait publier permiflion de fe retirer a tous ceux qui craignoient de combattre ; & pour montrer fa propre intrépidité, il quitte fon are & fes fleches, & ne prend que fon fabre & fa maffue. II lie lui-même la queue de fon cheval; toute fa cavalerie en fait autant. II fe couvre enfuite d'un habit blanc; & s'étant parfumé comme pour la fépulture : Si je fuis vaincu, dit-il, c'ejl ici mon torn* beau. C'étoit un vendredi 26 Aoüt. L'armée Grecque ne formoit qu'une  dü Bas-Empire. Liv. LXXIX. 283 feule maffe ; le Sultan divifa la fienne en plufieurs troupes, dont les unes devoient a fa fuite attaquer de front, les autres fous la conduite d'un brave Eunuque nommé Tarangue, avoient ordre, partie de fé poffer en embufcade, partie de voltiger autour des ennemis. Lorfque les deux armées furent aux mains, les Turcs, après quelque réfiffance, reculerent a petit pas pour attirer les Grecs dans les erabufcades. L'Empereur les pourfuivoit en bon ordre fans pouvoir les atteindre, ni fe garantir des fteches de leur cavalerie, aufli prompte a fuir qu'a revenir a la charge. La nuit approchoit, & I'Empereur, défefpérant de joindre I'ennemi, fit réflexion qu'il avoit laiffé fon camp fans défenfe , & que s'il s'éloignoit davantage, il feroit facile a la cavalerie Turque de le piller avant qu'il y fut revenu. II prit donc le parti de retourner en-arriere , toujours en ordre de bataille, faifant paffer les enfeignes de la tête a. la queue, qui devenoit alors 1'avantgarde. Mais les corps les plus avancés a la pourfuite des ennemis, s'appercevant de ce mouvement, s'ima* ROMAIN IV. \a, 1071.  KOMAIÏI IV. Am. 1071 284 HlSTQlRE ginerent que I'Empereur prenoit Ia fuite. Andronic, qui ne cherchoit que . 1'occafion de faire perdre la bataille, en fit courir le bruit, & fut le premier k fuir vers le camp avec fa réferve. Toute 1'armée le fuivit en confufion , & en un moment I'Empereur faifant des efforts inutiles pour retenir fes foldats, fe vit prefque abandonné. Les Turcs, profitarit de ce défordre, tombent k coup de cimeterre fur le dos des fuyards , maffacrent les uns', foulent les autres aux pieds des chevaux. Ils enveloppent I'Empereur, qui, accompagné des plus braves de fon armée, fe défendoit avec une valeur héroïque. II fe lanca-plufieurs fois fur les ennemis, en tua de fa main un grand nombre. Enfin, fon cheval ayant été tué fous lui , & lui-même bleffé a la main, ne pouvant plus foutenir fon épée, harraffé de fatigue, environné de toutes parts, il fut faifi par un efclave Turc nommé Shady , qui le connoiffoit pour avoir été a Conftantinople, & qui s'étant profterné k fes pieds, le conduifit au camp du Sultan. II étoit déja tard, & I'Empereur paffa cette  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. 285 nuit couché fur la terre comme un prifonnier du dernier ordre , Sahdy ne voulant pas le faire connoi- . tre, de peur qu'on ne 1'arrachat de fes mains. Le lendemain, Diogene , couvert encore de fang ék de pouffiere, fut préfenté au Sultan, qui , malgré le ] témoignage de plufieurs de fes Offi- r ciers, doutoit que ce fut I'Empereur 1 n en fut perfuadé que lorfqu'il vit Bafilace fe jetter en fondant en larmes aux pieds du prifonnier. Alors fautant k bas de fon tribunal, il renverfe par terre Diogene, ék lui marche fur le corps. C'étoit le traitement en ufage dans 1'Orient, ck même k Conftantinople, a 1'égard des Princes vaincus ck faits prifonniers. Mais après ce premier tranfport, Alp-Arflan, revenant a lui-même , lui tend la main , Ie releve ék 1'embraffe. Prince , lui dit-il, ne craigne^ rien. Je fuis homme comme vous, & expofé aux mimes revers. Je ne vous traiterai pas comme un captif, mais comme un Empe-reur. Malheur a celui qui s'enivre de fa fortune, & qui n'en prévoit pas la fragilité. II donne ordre de lui dreffer R.OMMN IV. i.H. IO7I, LXX. L'Empesur prijnnierlis en lierté.  ROMA Jï IV. An. 1071. 286 IIlSTOIRS une tente, & de le fervir felon la dignité Impériale. II veut qu'il mange . avec lui, & lui fait rendre les mêmes honneurs qua lui-même. Pendans les huit jours qu'il le retint dans fon camp, il ne manqua jamais de lui rendre vifite deux ibis par jour, s'entretenant avec lui comme avec un ami, le confolant, 1'avertifTant même de plufieurs fautes qu'il lui avoit vu faire dans la bataille , & lui reprochant avec douceur le refus de la paix. Dans ces converfations, le Prince barbare avoit toujours 1'avantage de la générofité. Qu'aurie^-vous fait, dit-il un jour , fi feujje été votre prifonnier? L'Empereur répondit brufquement qu'il 1'auroit fait déchirer a coups de verges. Et moi, repliqua le Sultan , je vous ferai un trai■tement plus conforme aux maximes de votre loi : car fentends dire que votre légiflateur recommande l,humanité& C»ubti des injures. Les effets furpafferent les promeffes. II lui fit préfent de dix mille pieces d'or, lui remit entre les mams tous les prifonniers dont Diogene demanda la délivrance, les revêtit même de vertes d'honneur, fe-  bv BasEmpire. Llv. LXX1X. 287 Jon 1'ufage de 1'Orient; il fit enfuite avec lui un traité de paix & d'alliance perpétuelle , fixa les bornes des deux Empires , promit de renvoyer libres & fans rancon tous les Grecs qui fe trouvoient prifonniers dans fes Etats, a condition que les Grecs en uferoient de même a 1'égard des Turcs, lui jura une amitié inviolable, qui devoit être cimentée par le mariage de leurs enfants; & après avoir accordé au vaincu beaucoup plus qu'il n'auroit ofé efpérer, il lui rendit la hberté. II exigea cependant quinze cents mille pieces d'or pour fa rancora, & un tribut annuel de trois cents foixante mille pieces. Dans le pillage du camp, & des équipages de I'Empereur , s'étoit perdu un diamant de trés-grand prix, célebre dans tout 1'Orient; on le nommoit YOrpkelin. II fut la proie de quelque foldat, & 1'on ne put découvrir ce qu'il étoit devenu. Le Sultan ne regretta que le plaifir qu'il auroit eu de le rendre. II revêtit I'Empereur de la robe de Sultan , 1'embraffa tendrement, lui donna une nombreufe efcorte, & le fit accompagner des premiers de fa Cour, ROMAIN IV. An. 1071.  ROMAIN IV. An. 1071, tXXI. Mouvements a Conftanti' flopte. 28S UlSTOIRE qu'il envoyoit en embaffade k Conftantinople. Ce ne fut pas fans verfer des larmes que Diogene fe fépara de ce magnanime vainqueur, qui comptant pour rien le triomphe remporté fur fes ennemis , triomphoit fi glorieufement de lui-même : héros fbrmé par la nature aux tendres fentiments de 1'humanité au milieu d'une nation féroce. Diogene prit la route de Théodofiopolis , oü il s'arrêta quelques jours pour guérir fa bleffure, & reprendre fes forces affoiblies par fes malheurs. Arrivé k Colonée dans le Pont, toujours accompagné des Ambaffadeurs Turcs, il crut envoyer une agréable nouvelle k 1'Impératrice en lui mandant de fa propre main le détail de fa délivrance. Mais ce Prince trouva moins d'affeöion dans fa familie &C dans fa Cour, qu'il n'en avoit trouvé chez les ennemis. Quelques jours après la bataille, un löldat échappé du carnage avoit apporté la nouvelle de la défaite. On douta d'abord de la vérité de fon récit; mais il fut bientöt confirmé par le témoignage de plufieurs autres. Leur rapport s'accordoit  nu Bas-Empire. Liv. LXXIX. 289 cordoit pour le fond, mais non pas quant aux circonftances, chacun d'eux racontant ce qu'il avoit vu ou cru voir. Les uns difoient que I'Empereur étoit tué; les autres qu'il étoit pris. D'autres 1'avoient vu bleffé, diïbient-ils, & abattu par terre. Enfin, quelques-uns affuroient, comme témoins oculaires , qu'il avoit été conduit au camp ennemi. Dans une conjoncfure fi embarraffante, 1'Impératrice manda le Céfar Jean, qui fe voyant, non fans raifon, fufpecl k I'Empereur, s'étoit retiré en Bithynie, oü il ne s'occupoit que de chaffe. En attendant fon arrivée , Eudocie affembla les principaux de 1'Etat, pour délibérer fur les mefures qu'on devoit prendre. Tous s'accordoient k dire que la perfonne de I'Empereur n'étoit pas ce qui devoit inquiéter davantage ': qu'il fut tué, ou qu'il fut pris, 1'Impératrice ne devoit fonger qu'a conferver la couronne pour elle & pour fes enfants. Le Céfar en arrivant approuva eet avis, & ajouta qu'il falloit, par une proclamation publique, revêtir Eudocie , & Michel fon fils ainé, de 1'autorité fou- Tomt XVII. N ROMAIN IV. An. 1071,  ROMAIN IV. An. 1071, LXX1I. On refufe de reconnoitreDiogene. 290 HlSTQIRE veraine pour régner conjointemenr. Cette difpofition ne plaifoit pas aux Courtifans, qui efpéroient des fuccès plus faciles, quand ils n'auroient qu'un jeune Prince a tromper. Aufli n'eut-elle pas d'exécution , & Jean lui-même changea bientöt de fentiment. On recut alors la lettre de I'Empereur, & un moment après arriva Paul, Gouverneur d'Edefle, qui ayant appris ce qui fe paffoit a Conftantinople , & étant inftruit de la marche de Diogene, avoit fait diligence pour avertir la Cour, que le Prince, délivré de fes fers, s'avan$oit vers le Bofphore. Alors le Céfar Jean, craignant pour fes enfants, pour fes neveux, pour lui-même, ïi Diogene rentroit en poffeflion du tröne , prend les mefures les plus promptes pour 1'en exclure k jamais. II affemble les gardes du palais, & leur fait prêter ferment de fidélité k TEmpereur Michel. II les partage en deux troupes, fe met k la tête de . Tune, commande a 1'autre de fuivre fes deux fils Andronic & Conftantin , & d'obéir k leurs ordres. Ces deux Princes efcortés de ce corps  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. 291 compofé des Varangues & des autres Barbares, enlevent Michel, le tranfportent fur la tour la plus élevée du palais, & la, k la vue de toute la ville , ils le font proclamer Empereur. Cependant les foldats qui accompagnoient le Céfar frappant leurs botteliers de leurs épées , & faifant grand brult de leurs armes pour infpirer la terreur, courent a 1'appartement de 1'Impératrice. Epouvantée de ce tumulte, elle croit qu'on en veut a fa vie; & arrachant fa coëfFure Impériale , elle fe'jette dans un fouterrein ténébreux pour fe dérober k la mort. Les foldats, fe te-* nant k 1'entrée, la font trembler par leurs menaces & leurs cris affreux; & elle feroit morte d'effroi, fi le Céfar ne fut defcendu pour la raffurer. C'étoit lui qui excitoit cette émeute ; mais feignant de craindre pour elle, il lui confeille de fortir dü palais pour fe fouffxaire k la violence de ces furieux, qui, difoit-il, ne vouloient d'autre Souverain que Michel. Elle y confentit; & 'fous la conduite du Céfar, elle alla s'enfermer dans un Monaftere , qu'elle avoit fbndé au N ij ROMAIN IV. A.n. 1071,  ROMAIN IV. An. 1071,. LXXIII. Ëaiaille d'Amafce. 2$2 BlSTOTRE bord du détröit. Elle n'y fut pas longtemps tranquille. Un décret Impérial la contraignit de fe faire couper les cheveux, & de fe vouer malgré elle a. la vie monaftique. Elle y vivolt encore vingt-cinq ans après. On envoye en même-temps des couriers dans toutes les Provinces avec des lettres de Michel, Empereur, &C du Céfar Jean, qui déclarent Diogene déchu de la puhTance fouveraine, dont il n'avoit été qu'ufurpateur, défendent de lui obéir, & condamnent comme coupable de félonnie quiconque lui prêtera aucun fecours. Pfellus, complaifant de ce Prince tant qu'il avoit régné, avoit été le premier auteur de eet avis; & plus vain que connoiffeur en fait de gloire, il s'en vantoit lui-même dans fes écrits. Diogene apprend avec furprife ce foulevement. Réfolu de défendre la couxonne, il leve de 1'argent & des troupes dans les Provinces d'alentour; & ayant formé en peu de jours une armée confidérable , il entre dans Amafée, capitale du Pont. Le Céfar fait marcher contre lui Conftantin , le fecond de fes fils. Ce jeune Sei-  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. 293 gneur, aufli prudent que courageux, s'approche d'Amafée ; & faifant^ des courfes jufqu'aux portes de la ville, il attire au combat Diogene, indigné de fe voir braver par un de fes Of-! ficiers. Théodore Alyate , commandoit fous les ordres de Diogene. Les deux armées fe choquent avec fureur; il fe fait de part & d'autre un grand carnage, les deux chefs fignalent leur valeur, & la vicfoire balance long-temps. Enfin, Conftantin a la tête des plus braves, charge, par un dernier effort, le front de 1'armée ennemie, le renverfe, pénetre dans le centre, & met tout en déroute. Alyate eft pris, on lui creve les yeux. Diogene défefpéré, fe retire dans la fortereffe de Tyropée. II étoit perdu fans le fecours d'un fujet fidele. Catature, ce Commandant dAntioche, dont j'ai déja parlé, comblé de fes faveurs, ne fe crut pas difpenfé de la reconnoiffance par les difgraces de fon bienfaicteur. II raffembla ce qu'il put de troupes, fe rendit auprès de lui, releva fes efpérances, le conduifit dans les défilés de la Cilicie, dont il le rendit maitre, lui fit N iij ROMA1N IV. \a, 1071,  ROMAIN IV. An. 1071. rxxiv. Diogene refufe un accommo; dement. ... £94 H I S T O I R M trouver des foldats, des armes, de Fargent, & le mit en état de tenter de nouveau le hafard d'une bataille; Ce changement dans fa fortune donna de 1'inquiétude au nouvel Empereur Sc au Céfar. Ils affemblerent Ie Confeil. Les avis fe trouvoient partagés : les uns vouloient qu'on fit tin accommodement avec Diogene, 8c qu'on lui accordat quelque part dans le gouvernement; les autres s'obffinoient a continuer Ia guerre , fans laiffer au Prince détröné aucune ouverture pour remonter fur le tröne. L'ayis le plus doux 1'emporta. Michel écrivit k Diogene, & lui envoya des députés pour lui propofef une amniftie mutuelle, & un partage dans le commandement. Mais Diogene,dont la fierté, toujours foutenue au milieu de 1'infortune, fe trouvoit alors relevée par de nouvelles efpérances, rejetta ces conditions avec hauteur. II répondit que c'étoit lui faire injure que de lui offrir une partie des droits qui lui appartenoient en totalité, 6c que pour 1'amniftie, c'étoit k lui de Ia donner, s'il Ie jugeoit k propos, ik non pas de la recevoir.  du Bas-Empire. Llv. LXXIX. 295 Les Comnenes ne prenoient point de part a cette querelle. Manuel, 1'ainé de cette familie , étoit mort au fervice de Diogene; les autres, dans un filence politique, attendoient 1 evénement , tk leur grande jeuneffe les mettoient a Fabri de la calomnie. Mais elle attaqua leur mere , PrincefTe vertueufe & pleine de courage. Un délateur contrefit des lettres, qui fuppofoient une fecrete intelligence entre elle & Diogene, & les mit entre les mains de I'Empereur. On nommé auffi-töt des CommifTaires, on la cite devant eux. Elle comparoit avec cette confiance & cette férénité que donne 1'innocence a une ame grande & généreufe ; & tirant de deftous fa robe une image de jefus-ChrifT:: Fous êtes mes juges, leur dit-elle; mais voici le votre. Ses yeux plus perqants que les vótres , voyent le fond des cceurs. Songe^ d porter une fentence dont vous puifJie{ lui rendre compte. Ces paroles, pro- noncées avec fermeté , frapperent ceux des juges qui avoient quelque fentiment de religion. L'accufation n etant appuyée que de la parole d'un délateur, vil infecte de Cour, ils la N iv ROMAIN IV. An. 1071, LXXV. Injufte condamnation da la mere des Comnenes.  ROMAIN IV. An, 1071. 1XXVI. Seconde défaite de Diogene. 3 i i 3 \ 1 ] ] 1 1 196 -H I S T 0 I R s crurent réfutée par la fimple négative d'une Pruiceffe dont la vertu étoit refpeftée^ Ils fe leverent, & refuferent d'opiner. Les autres, vendus k la cabale du Céfar, qui leur avoit déja dióté leur fentence, n'oferent cependant la déclarer coupable : pour rnénager leur fortune & leur crédit, ils prononcerent qu'il y avoit lièu a la préfomption; & en conféquence de ce jugement inique, Anne & fes enfants furent exilés dans 1'ifle du Prince. Le refus de Diogene avoit réuni tous les avis pour la continuation de la guerre. On convenoit qu'il falloit igir fans délai, pour ne pas laifler k :'Empereur détröné le temps de forïfier fon parti. Le Céfar s'adrefla d'a)ord a fon fils Conflantin , déja vainjueur, qui refufa de marcher de nouveau. II chargea donc de cette expélition Andronic fon fils aïné, dont a perfidie avoit été la principale caufe le la défaite de Diogene dans la baaille contre les Turcs. Andronic avo.it )lus de valeur & d'intelligence dans a conduite des armées, que de bonïe foi & de probité. II accepta voontiers eet emploi, & paffa fur le  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. 297 champ k Chalcédoine, oü il s'arrêta fix jours k faire les préparatifs néceffaires. Ayant enfuite parcouru les Provinces d'Orient, pour affembler des troupes, & formé un grand corps d'armée, il prit la route de Cilicie, oü il entra par les gorges dumontTaurus. Sa marche fut fi prompte & fi. 'bien couverte, qu'on vit paroitre fes -troupes au débouché d'un défilé , avant même qu'on fut averti de fon -approche. Diogene, perfuadé par fes malheurs que la mauvaife fortune étoit attachée k fa perfonne , s'étoit renfermé dans la ville d'Adanes, & avoit confié k Catature le commandement de fon armée. Ce fidele Général détacha d'abord un grand corps de cavalerie & d'infanterie pour fe faifir des poftes d'oü il pourroit incommoder les ennemis. Mais il fe trouva prévenu. II rangea donc for armée en bataille. Andronic en fi: autant; & comptant beaucoup fur 1; valeur de Robert Crêpin, il le mi k la tête de 1'aile gauche avec ce qu'i avoit de Francs. Ce brave aventn rier, irrité de fon exil, étoit fort d'Abyde dès le commencement di N y ROMAIN IV. An. 1071. I L i  ROMAIH IV. An. 1071. i j J i J < i i f I f c 1< f< tl Cl V cl tc b S98 HlSTQIRE la guerre, & étoit venu offrir fes fervices aux révoltés. Animé d'une haine perfonhelle , il avoit beaucoup contribué au fuccès de la première bataille, ck il fut dans celle-ci le principal auteur de la vittoire. Dès qu'il eut obfervé la pofition & les moupements de la cavalerie ennemie, il fe^mit k la tête de la fienne,, ék fe lournant vers Andronic : Laifie*-moi aire^ lui dit-il, je vous épargnerai la 'ei/ie de combattre. En même-temps , 1 part comme Féclair, ék fond avec a rapidité de la foudre fur les efcaIrons de Diogene. En un moment l les enfonce ék les renverfe fur 1'inanterie, qui fe voyant feulée aux ieds de fes propres chevaux, ék fur ; point d'être enveloppée, prend la lite. II ne fe fauva du carnage que eux qui purent trouver retraite dans ;s vallons , les précipices ék 1'épaif!ur des forêts. Andronic étoit déja reuirné dans fa tente, ou il rendoit graf« ^ Dieu de la vicloire, lorfqu'on int lui annoncer un prifonnier qui :mandoit de lui être préfenté. C'é-r iit Catature; en fuyant il étoit torn? de. cheval \ &c s'étant caché dans  du Bas-Empire. Liv. LXXIX. 299 une forêt, il avoit été découvert par un cavalier qui s'étoii contenté de le dépouiller. Un autre 1'ayant trouvé en eet état, alloit lui öter la vie, s'il ne fe fut fait connoïtre. L'efpoir d'une récompenfe retint le bras du cavalier qui 1'amena nud ck enchainé fur fon cheval. Dès qu'Andronic 1'appercoit, il va au-devant de lui , le rafTure par un accueil plein de bienveillance, le fait vêtir ainfi qu'il convenoit k un homme de fon rang, ck ne le traite pas comme un prifonnier, mais comme un ami. Catature, fenfible k cette humanité d'Andronic , lui déclare , qu'en fe retirant dans la forêt ou il a été pris, il a enfoui en terre un diamant de grand prix; il demande des gardes pour 1'aller déterrer ck lui en faire préfent; ce qu'il n'eut pas de peine k obtenir. C'étoit une pierre d'un éciat ck d'une groffeur extraordinaire , qu'Androuic donna dans la fuite k 1'lmpératrice Marie. Un fi malheureux fuccès n'abattit pas encore le courage de Diogene. Les débris de fon armée s'étant retirés au prés de lui dans Adanes, il s'efforca de les ranimer par la promeffe N vj ROMAIN IV. An. io7i( LXXVIT. Diogene fe rend.  ROMAIN An. 1071, 300 H I 9 T 0 I R E d'un grand fecours de la part du Sultan. II entreprit d'affoiblir Andronic en détachant de lui Robert Crêpin par le moyen de quelques émiffaires fecrets, qui s'infinuerent dans le camp ennemi. Mais Andronic avoit fi bien fu s'attacher ce guerrier par des careffes & des récompenfes , qu'il refufa de prêter 1'oreille aux follicitations. Toutes ces reffources ne produifant aucun effet, les troupes renfermées dans Adanes perdirent entiérement 1'efpérance ; & Andronic s'étant préfenté devant la ville, Diogene lui fit dire qu'il étoit pret a lui rendre la place, & è fe mettre luimême entre fes mains, pourvu qu'on lui donnat des affurances qu'il ne lui feroit fait aucun mauvais traitement. A cette condition, il confentit a fe démettre de 1'Empire, a préndre 1'habit de Moine, & a fe réduire a la vie privée. Andronic envoya fur le champ confulter I'Empereur. Le Confeil fut d'avis de promettre tout a Diogene; &C pour lui donner plus de confiance, on fit partir les trois Archevêques de Chalcédoine, d'Héraclée & de^Colonée, qui fe rendroient garants du  £>u Bas-Empire. Liv. LXX1X. 301 traité. Ce fut dans eet intervalle que Diogene fit une action qui rend fa bonne foi k jamais mémorable. II recueillit tout ce qui lui reftoit d'argent , y joignit un diamant eftimé quatre-vingt-dix mille pieces d'or, & dépêcha un courier au Sultan avec une lettre en ces termes : » J'étois » encore Empereur lorfque je fuis » convenu avec vous de quinze cents » mille pieces d'or pour ma rancon, » Aujourd'hui dépouillé de 1'Empi» re , je vous en envoye deux cents » mille avec ce diamant, que je vous » prie de recevoir comme un gage » de ma reconnoiffance. C'eft le refte » de ma fortune. Votre générofité k » mon égard mérite ce trifte héritage » k bien plus jufte titre, que des fu» jets ingrats &c rebelles ". La réponfe étant venue de Conftantinople , & les Prélats ayant promis avec ferment a Diogene toute fïïreté pour fa perfonne, il fortit d'Adanes vêtu de 1'habit monaftique, & pleurant fes malheurs. Andronic rembraffa, & lui fit un accueil honorable ; mais il lui fignifia en mêmetemps qu'il falloit partir pour Conf- ROMAIN IV. An. 1071, LXXVIÏÏ Sa mort.  ROMAIN IV. An. 1071. 302 HlSTQIRE tantinople. C'étoit un fpectacle attendriffant de voir ce malheureux Prince, monté fur un mulet, portant fur fon vifage & fur fes habits les marqués de fon infortune, fans autre cori tege que celui d'une garde ennemie, traverfant ces Provinces qui l'avoient vu cette même année brillant de toute la gloire de la majefté Impériale, k la tête d'une nombreufe armée. On le retint quelques jours k Cotyée en Phrygie , pour y attendre les ordres de I'Empereur. II y fut tourmenté d'une colique violente , caufée par le poifon que des émiffaires du Céfar Jean lui avoient fait prendre dans le voyage. L'ordre arriva de lui creverlesyeux, & dele tranfporter dans l'ille de Proté. C'étoit l'avis du Céfar , auquel on attribua toute la barbarie dont on ufa dans cette occafion; & I'Empereur Michel protefta depuis avec ferment qu'il n'y avoit eu aucune part. Andronic fufpendit l'exécution pour repréfenter par lettre k fon pere, que ce traitement, contraire a la parole authentiquement donnée & confirmée par le ferment refpecfable de trois Prélats ', feroit  du Bas-Empire. Lh. LXXIX. 303 horreur a tout 1'Empire. Jean fut inexorable; & comme fon intention étoit de faire périr Diogene , il défendit même de panfer fes bleffures. En vain ce Prince infortuné interpella les Archevêques , & leur reprocha de 1'avoir trompé par un parjure : en vain les Prélats eux-mêmes protefferent contre cette criminelle perfidie, & menacerent de la vengeance divine ceux qui en étoient les auteurs. L'ordre fut exécuté. On conduifit Diogene fur un méchant cheval au bord de la Propontide , d'oü 1'on le tranfporta dans une nacelle k 1'ifle de Proté. II n'y vécut que peu de jours. Le défaut de panfement le mit bientöt dans un état fi horrible, que l'air d'alentour en étoit infecté. Au milieu de tant de maux, ce Prince, qui n'étoit plus qu'un cadavre hideux, ne laiffa échapper aucun murmure, aucune malédiófion contre fes perfécuteurs. Plus patiënt que ceux-mêmes qui 1'approchoient, il offroit k Dieu fes douleurs cruelles , il lui rendoit graces, il le fupplioit d'accepter par miféricorde des peines paffageres en «xpiation de fes crimes qui méritoient ROMAIN IV. An. 107 li.  R0MA1N IV. An. 1071 304 HI S T O I R E, &c. des fupplices éternels. II mourut dans ces fentiments digne dün héros Chrétien, après un regne de trois ans & huit mois. II laiffoit trois fils, Conftantin, qui fut tué deux ans après dans un combat contre les Turcs : il avoit époufé Théodora, la derniere des fceurs d'Alexis; Léon, qui fut tué en 1088 , dans une bataille contre les Patzinaces , & Nicéphore, dont il fera parlé fort au long dans la fuite.  3®5 S O M M A I R E d v LIVRE QUATRE-VINGTIEME. L EdvcA TION de Michel. li. Commencement de fon regne. Hl. Minijlere de Nicephori^e. IV. Guerre des Turcs. V. Ifaac pris par les Turcs. VI. Courage (F Alexis Comnene. VII. Ifaac délivré. VIII. Le Céfar Jean envoyé contre Ourfel. IX. Bataille de Zompi. X. Andronic prifonnier efl renvoyé d Conflantinople. XI. Jean Céfar fait Empereur par Ourfel. XII. Le Céfar & Ourfel défaits & pris par les Turcs. XIII. Paléologue défait par Ourfel. XIV. Ourfel livrépar les Turcs d Alexis. XV. Alexis demande en vain de l'argent aux principaux d"Amafée pour payer la rangon d'Ourfel. XVI. II iadreffe au peuple & réuffit. XVII. Ourfel efl amené d Conflantinople. XVIII. Ifaac, Gouverneur d'Antioche. XIX. Révolte des Bulgares. XX. Défaite & prife du nouveau Roi. XXI.  JOÖ SOMMAIRE VEmpereur veut donner d Bryenne le titre de Céfar. XXII. Exploits de Bryenne. XXIII. Révolte de Nefior. xxiv. Córne fuccede au Patriarche Xiphilin, XXV. La fille de Robert Guifcard fiancêe avec Conjlantin Ducas. XXVI. Pefie & famine d Conjtantinople. XXVII. Caufes du foulevement de Bryenne. XXVIII. lnconfiance de Bafilace. XXIX. Bryenne fe déclare Empereur. XXX. Jean Bryenne devant Confiantinople. XXXI. II décampe.^ XXXII. Mariage d?'Alexis. XXXIII. Revolte de Nicéphore Botaniate. XXXIV.' // arrivé d Nicée. xxxv. Mouvements k Confiantinople. XXXVI. Découragement de Michel. xxxvn. II fe démet de tEmpire, & Botaniate ejl couronné. XXXVIII. Premières opérations de Botaniate. XXXix. Fin malheureufe de Nicephori^e. XL. Bryenne refufe un accommodement. XLI. Alexis marche contre Bryenne. XLII. Bataille de Calabria. XLIH. On creve les yeux d Bryenne. XLIV. Affaffinat de Jean Bryenne. XLV. Botaniate époufe Marie, femme de Michel Parapinace. XLVI. Guerre de Bafilace. XLVli. Mouvement des deux armées. XLVIII. Bataille du Vardar. XLIX. Bafilace aveuglê. L, Mouyements des  du Livre LXX.X*. 307 Patzinaces. LI. Philarete fe foumet a Botaniate. LII. Révolte de Conjlantin Ducas aufji-tót étouffée. LIII. Conduite adroite d'Ifaac Comnene. LIV. Alexis arrête les ravages des Patzinaces. LV. Révolte de Nicéphore Mélijfene. LVI. UEunuque Jean devant Nicée. LVII. &z retraite. LVIII. Ingratitude de Jean. LIX. Afaa* vais dejfeins des Minifres contre les Coinnenes. LX. Les Comnenes fortent de Conftantinople. LXI. Le Céfar Jean fe joint a eux. LXII. Alexis proclamé par les foldats. LXIII. Mélijfene veutpartager l Empire. LXIV. Prife de Confiantinople. LXV. Botaniate veut donner PEmpire a Mélifene.hXVl. Négociationinudle, LXYIï. Botaniate dèpoffédé.   jo9 H I S T O I R E D U BASEMPIRE. LIVRE Q_U AT RE-VIN GT IE ME. MICHEL VII, dit Parapinace. NICÉPHORE III , dit Botaniate. Diogene, plus foldats que Capitaine, moins capable encore de gouverner un.Etat que de commander une armée, s'étoit par fon imprudence précipité dans les derriiers malheurs. L'Empire qu'il avoit Michel vii. An. 1071.' i. Educa* tion de Michel»  Michel VII. An. 1071. Seyl. p. 845,846, 850. Zon. t. 11. p. 286, 288. Bry. I. 2. e. 1,2. Glyc. p. 3*9. 330. Manajf. p, *34. SIO HlSTQIRE entrainé , penchoit de plus en plus vers fa ruine; & Michel fon fucceffeur n'avoit pas dans 1'efprit affez de force pour le relever. Né auffi foible que fon pere Conftantin Ducas, il 1'étoit devenu davantage par une éducation bifarre & mal entendue. Pfellus, fon inftituteur, fier du titre de premier Philofophe de fon fiecle, & qui fe piquoit d'être le reftaurateur de la littérature en Oriënt, n'occupa la jeuneffe de ce Prince qu'a ramper avec lui dans la poufliere de 1'école. Au-lieu de travailler a lui élever 1'ame en lui infpirant des fentiments dignes de fa fortune , au-lieu de le guider a ces connoiffances aufti étendues qu'elles font utiles a un Souverain pour rendre fon regne heureux & floriffant, il voulut en faire un favant, lorfqu'il n'en auroit du faire qu'un protecteur des fciences & des lettres. Encore n'y réuftit-il pas. L'efprit de Michel n'étoit pas fufceptible d'une forte teinture ; il ne retira des inftrucfions de Pfellus qu'une préfomption ridicule, & une eftime fxédantefque de fes propres ouvrages. Ce qu'il y eut de plus facheux, c'eft  du Bjs-Empire. Lh. LXXX. 311 que fon maitre , qui ne voyoit rien au-dela de fes propres études , le tint même fur le tröne attaché a ce genre dbccupations. II le détournoit des affaires dont Michel ne prit jamais connoiffance; & tandis que Fintérieur de 1'Empire s'affoibfiffoit par le découragement des fujets., tandis que les Turcs 1'entamoient de toutes parts, le jeune Empereur difcutoit des pointilleries de Grammaire, prönoncoit des déclamations de Rhétorique , & compofoit de ces poëmes éphémeres, qu'un Auteur titré fait toujours faire admirer, tant qu'il eft en état de payer les éloges, & d'intimider la eenfure. Aufli entre plufieurs Hfftoriens de ce temps-la, il n'en eft aucun qui donne de ce Prince une idéé avanTageufe.^ Pfellus lui-même, qui a mis par écrit les événements de 1'Empire depuis Bafile Bulgaroctone, s'arrête au regne de Michel; & quoiqu'il ait femé dans fon ouvrage quelques flatteries en faveur de fon éleve , il n'a ofé braver 1'opinion publique en écrivant fur le même ton 1'hiftoire d'un Prince fi peu digne de louange. Le Céfar Jean voyoit fans cha- MlCHEI. VII. An, 1071,' II. Comme-n-;  MlCHEI VII. An. 1071 cementd fon regne III. Miniften de Nicé phorize. 31a HrsroiRE ■ grin I'incapacité de fon nevevt, & l'éloignement qu'il témoignoit pour . les affaires. II s'attendoit bien k réi gner fous fon nom. Mais comme il • aimoit fes plaifirs, il lui donna d'abord pour Miniftre, Jean, Archevêque de Side en Pamphylie, Prélat vertueux & habile , dont la fageffe &C 1'aöivité pouvoient foutenir la couronne fur la tête d'un Prince indolent. Ce fut par fon confeil que Michel rappella la Princeffe Anne, mere des Comnenes, avec fes fils. II voulut même s'appuyer de cette illuflre familie par une alliance. II avoit époufé Marie, fille du Roi d'Ibérie ; il en fit époufer la coufine a Ifaac 1'aïné des Comnenes. Elle fe nommoit Irene, & étpit fille du Prince des Alains, qui, dans ce temps-la, étoit vaffal du Roi d'Ibérie. Le choix d'un fi bon Miniftre étoit ; trop heureux pour être durable. La Grece avoit alors 'pour chef de la magiftrature un Eunuque nommé Nicéphorize. C'étoit un Galate, qui, k des talents fupérieurs, joignoit toute la baffeffe de 1'ame la plus noire. Ardent, infatigable, favant, éloquent, parfaitement  ■ du Bas-Empire. Liv. LXXX. 313 parfaitement inftruit du manege des Cours; mais profond, diflïmulé, ami du trouble ck de la difcorde, ck trèshabile a les exciter par fes artifices. Secretaire d'Etat fous Conftantin Ducas, ck jaloux d'un de fes collegues, il avoit taché de le perdre en infpirant contre lui de la défiance k I'Empereur. L'Impératrice, irritée de cette calomnie, obtint que ce fourbe fut éloigné : mais Conftantin, qu'il avoit fu gagner, 1'envoya en Syrië avec la qualité de Duc d'Antioche. Nicéphorize s'étoit enfin démafqué dans ce pays : les troubles qu'il y fufcita par fes concuffions ck les plaintes de toute la Province ouvrirent les yeux a I'Empereur , qui le fit mettre en prifon. Eudocie, perfonnellement offenfée, fe voyant maitreffe de 1'Empire après la mort de fon mari, fe contenta cependant de le faire tranfporter dans une ifle oh il devoit finir fes jours. Diogene, étant monté furie tröne, ck ayant befoin d'argent pour la guerre contre les Turcs, Nicéphonze, par fes intrigues, lui fit trouver de grandes fommes; ck en récompenfe rappellé d'exil, il recut la Tome XVIL O * Michel VU. An. 1071.  Michel VII. An. 1071. 314 HlSTOIRE charge de Chef de la fuftice dans la Grece Sc dans le Péloponnefe. Le Céfar , que la probité de 1'Archevêque de Side gênoit quelquefois dans fes projets , étoit bien fur de ne pas trouver eet obffacle dans le Galate. II éloigna donc le Prélat pour faire place a Nicéphorize. II le fit nommer a la charge de grand Logothete, tk lui abandonna tout le détail du Gouvernement. II ne tarda pas a en recevoir la récompenfe que méritoit ie bienfait, tk que favoit donnerle protégé. En peu de temps, Nicéphorize s'infinua fi avant dans les bonnes graces de Michel, qu'il écarta le Céfar, & le rendit fufpeft a fon neveu. II détruifit dans 1'efprit du Prince par fes calomnies tous ceux qui lui étoient le plus attachés, tk vint a bout de s'emparer feul & exclufivementa tout autre de la confiance du jeune Empereur. II s'en rendit fi bien le maitre , que toutes les fantaifies du Miniftre devenoient des édits. Tout gémiflbit dans 1'Empire; ce n'étoit qu'accufations , délations, condamnations fans forme de procés, punitions injuftes ou hafardées fur des rapports  du Bas-Empire. Liv. LXXX. 315 infïdeles , confifcations légérement ■ prononcées tant contre des particuliers que contre des villes entieres. , L'accufation tenoit lieu de preuves, & 1'accufateur de témoins. On n'entendoit que des cris , on ne voyoit que des larmes, que des families ruinées,bannies, dépouillées, dont tout le crime étoit d'être fufpettes au Miniftre. Aufli avide que méchant, il profita de fon afcendant fur 1'efprit du Prince pour étendre fes pofTeflions: fon defir eut été d'engloutir tous les tréfors de 1'Empire. Pour couvrir une partie de fes brigandages, il fe fit donner la fouveraine adminiftration du monaftere de 1'Hebdome ; & fous prétexte d'enrichir cette pieufe fondation, il attiroit quantité de donations qu'il détournoit a fon profit : ce qui lui étoit facile, n'étant aflujetti a rendre aucun compte. Mais il trou*va encore un moyen plus prompt & plus efBcace pour acquérir d'immenfes richeffes : ce fut de dévorer la fubflance même des fujets, & de leur vendre bien cher leur propre vie.Impitoyable monopoleur, ilacheta toutes les moifTons de la Thrace, O ij Michel VII. Ln. 1071.  3l6 &ISTOTRE dont il fit feul tOllt 1p mmmprra II Michel VII. An. 1071, An. 1072. IV. Guerre tlesTurcs. Scyl. p. S46, & MiZon. t. 11. p. 2S6 , 287,288. Brycn. I. 2. (. 2. &feqq. établit fon magafin général de bied k Rhédefte , & le venditune piece d'or le boiffeau , qu'il avoit diminué dün quart. Ce qui caufa une horrible famine ; & tandis qu'il s'enivroit du fang des peuples, c'étoit fur le Prince que retomboit tout 1'odieux de cette honteufe manoeuvre. II publioit & faifoit même accroire a I'Empereur que c'étoit pour lui qu'il travailleit. II nommoit Rhédefte le magafin Impérial, & ce fut en effet Michel qui porta dans la poftérité Pinfamie de fon Miniftre. On lui donna dès-lors, & il conferve encore dans 1'hiftoire le furnom de Parapinace, qui, dans la langue des Grecs , indique le retranchement d'un quart du boiffeau. Pendant qu'un cruel concuflionnaire portoit une guerre inteftine dans le fein des families, le généreux Sultan , moins barbare que Nicéphorize, indigné du traitement inhumain fait k Diogene, le vengeoit par le ravage des Provinces. Ce n'étoit plus comme auparavant des courfes pafiageres ; les Turcs s'établiffoient k mefure qu'ils avancoient dans le pays,  1 du Bas-Empire. Liv. LXXX. 317 & prenoient toutes les mefures né-. ceffaires pour afYurer leurs conquêtes. Ifaac , Général des troupes d'Orient, depuis fon alliance avec 1'Empereur , fut chargé de cette guerre. II prit avec lui fon frere Alexis. Ourfel fe joignit a eux avec fes troupes de Francs , que Crêpin, mort depuis peu, avoit commandées avec gloire. C'étoient quatre cents aventuriers nourris dans les allarmes, qui ne favoient compter ni leur nombre, ni celui des ennemis, capables d'affronter tous les périls, ck de fupporter tous les travaux, mais non pas la difcipline. L'armée étant entrée en Cappadoce campa fur les ruines de Céfarée prefque détruiteparun tremblement de terre. Elle fe repofoit pour continuer fa marche le lendemain, lorfqu'un habitant vint fe plaindre au Général d'une violence qu'il avoit effuyée d'un foldat Franc. Ifaac, pour lui faire juffice, donne ordre d'amener le foldat. Mais Ourfel qui fe prétendoit feul maitre de fa troupe, piqué de f autorité que s'attribuoit le Général, fort du retranchement avec tous fes gens , fans qu'on O iij Michel VII. An. loyz; Glyc. p. 329, 330. Anna Comn. I» I. F- 3» 6  Michel VII. An. 1072, V. Ifaac pris par les Turcs. ] 3 3 < < i 1 VI. Courage rl'Alexis Comne- 1 ne, 4 3l8 H I $ T 0 I R E ofe 1'arrêter, tk la nuit fuivante il prend la route de Sébaite. II rencontre un gros parti de Turcs , qu'il taille enpjeces. Au point du jour, Ifaac donne a fon frere Alexis un detachement de cavalerie, avec ordre de pourfuivre Ourfel, & de le ramener au camp. Alexis n'étoit pas encore parti, qu'on vient annoncer avec grande allarme que les Turcs approchent, tk qu'ils yiennent chercher les Grecs. Auffi-töt fans fonger davantage aOurfel , on fe prépare a les recevoir. [faac laiffe fon frere k la garde du :amp, tk marche au-devant des eniemis,^ Dès que les deux armées font ;n préfence , on fe charge de part k d'autre. Les Grecs ne tinrent pas ong-temps devant une armée fupéieure en nombre comme en coura;e. Le Général, défefpéré de la la:heté de fes troupes, combattoit enure a la tête de fes gardes, lorfque bn cheval percé de coups s'étant abatu, il fut fait prifonnier. Son frere, qui, brülant d'envie de ombattre, n'étoit reflé au camp qu'a egret, y trouva encore plus d'occaion de fe fignaler. Comme les Turcs  du Bas-Empire. Liv. LXXX. 319. pourfuivoient vivement les vaincus qui regagnoient leur camp en défordre ^Alexis, aceompagné de quelques braves, fort pour protéger les fuyards. Il court aux ennemis, ren* verfe d'un coup de lance le premier qu'il rencontre ; & bientöt enveloppé , fon cheval ayant été tué fous lm, il alloit être pris, lorfque les Officiers qui le fuivoient fautant a bas de leurs chevaux , & s'ouvrant le paffage a grands coups d'épée, le déga-» gent Sc 1'emmenent avec eux au travers d'une grêle de fleches & de javelots. Ils étoient au nombre de quinze, il n'en f entra que cinq au camp avec Alexis : on regarda comme un miracle que dans une fi chaude mêlee- il n'eüt recu aucune bleffure , Sc qu'il ne revint couvert que du fang des ennemis. Aufii ne prit-il aucun repos. II fit encore pendant le refte du jour plufieurs forties fur les Turcs qui environnoient le camp. Les foldats dont il avoit favorifé la retraite, le combloient de louanges; ils paroifioient difpofés k mourir avec lui plutöt que de 1'abandonner. Alexi; lui-même comptoit fur leur courage; O iv. Michel VII. An. 1071,  Michel VIL -An. 1072, VII. Ifaac déli- I 1 \ 1 1 32® H 1 s t o 1 R s mais il apprit bientöt que clans des ames degenérées la crainte eft plus forte que la reconnoilTance. Dès que la nuit eft venue , tous fe jettent hors du camp & prennent la fuite, malgre les efforts qu'il fait pour les retenir Obligé de fuir lui-même, &z pourfuivi par les Turcs, fon cheval etant outré de fatigue, il n'échappe aux ennemis qu'en graviffant entre les halhers dumontDidyme; & après avoir cowru toute la nuit, mourant de fium, de foif, de laffitude, hénffe de ronces & d'épines, il arrivé a une bourgade, oü il trouve du fecours dans la compafïion des habitants. Après s'y être repofé trois jours, d prend le chemin d'Ancyre, ou il efperoit trouver fon frere, dont il ignoroit le fort. Ce fut-la qu'il apprit qu'Ifaac étoit ^ntre les mains des Turcs , & quelle omme ils demandoient pour fa ran;on. II part aufti-töt pour Conftanmople , oü il paffe quelques jours irecueillir 1 argent, & retourne a Anyre. II y arrivé de nuit; & trouvant es portes fermées k caufe du voifï*ge des Turcs, il fe nomme pour  du Bas-Empire. Liv. LXXX. 321 les faire ouvrir. Quelle furprife & quelle joie , lorfqu'il fe voit recu par fon frere même ! Ifaac craignant que fi les Turcs s'éloignoient, fa délivrance ne devint plus difficile, s'étoit haté de payer fa rancon. II en avoit trouvé une partie dans la bourfe des amis qu'il avoit en Cappadoce ; & ayant donné des ötages pour le refte, il étoit entré ce jour même dans Ancyre, oü il s'étoit logé fur la porte dont il avoit voulu garder les clefs. Ayant reconnu la voix de fon frere , il étoit account le premier pouf jouir de la furprife d'Alexis. Après avoir paffé la nuit a fe donner des marqués mutuelles de leur tendreffe & k fe raconter leurs aventures, leur premier foin fut de rembourfer ces généreux amis qui avoient contribué a Ia délivrance d'Ifaac, & de retirer leurs ötages en envoyant aux Turcs le refte du prix convenu. Ils prirent enfuite le chemin de Conftantinople avec une efcorte de foixante-dix cavaliers. Comme ils approchoient de Nicomédie, ils rencontrerent un de leurs amis qui les invita k venir fe repofer dans fon chateau peu éloiO v Michel VII. An. 1072,"  Michel VII. An, 1072, 322 HlSTOIRE gné cki chemin. A peine y étoientils entrés, qu'un parti de deux cents cavaliers Turcs, qui traverfoient k pays dans un autre deffein , parurenr dans la plaine; & un laboureur les prenant pour des gens de la fuite d'Ifaac , leur indiqua le lieu oü il étoit retiré. Ils y courent auffi-töt & 1'afüegent. Tout efl: en allarme dans le chateau , qui n'étoit qu'une maifon de campagne fans aucune défenfe. On ne parle que de fe rendre aux meilleures conditions qu'il fera poflible. Alexis, naturellement éloquent, raffure les efprits ; il repréfente la honte Sc le danger de fe livrer a la merci d'une troupe de brigands, plus a craindre a ceux qui fe rendent qu'a ceux qui les combattent. II fait monter fur les toits vingt de fes gens , & pendant qu'ils écartent les Barbares a coups de traits , les deux freres fortent avec le refle de la troupe, a laquelle les autres fe rejoignent auflitöt; ils percent 1'efcadron Turc, & tantót fuyant, tantöt retournant fur les ennemis, ils gagnent un défilé étroit & efcarpé oü s'arrêta la pourüiite, Deux Alains, nommés Arabate  du Bas-Empme. Lh. LXXX. 323 & Chafcarès , fe figna-lerent dans cette adtion périlleufe, & feconderent par leur bouillanté aurdace la valeur d'lfaac tk d'Alexis, qui furent affez. hffe* reux pour entref dans Conftantinople fans avoir perdu un feul homme de leur efeorte. II furent recus comme en triomphe avec de grandes acclamations. Le .jeune Empereur en eüt été jaloux, fifon ame léth'argique eüt été fufceptiblb même de jaloufie. Mais Nicéphorize en prit de Fombrage , & ce fut pour rabaiffer les Comnenes qu'il fit revenir a la Cour le Céfar Jean , peu favorable a cette familie , que fon 'frere Conftantin Ducas avoit écartée du tröne. 11 y avoit plus de fix mois que le Céfar , qui n'étoit pas d'hnmeur k ramper fous la tyrannie d'un Eunuque, s'étoit retiré en Afie avec la permiflion de I'Empereur , & paroiffoit ne s'occuper que de chaffe. II avoit emmené avec lui fon fils Andronic; mais il avoit laiffé auprès du Prince fon autre fils Conftantin, d'un caraétere plus fouple & plus dilfimulé, déja revêtu d< la charge de grand Ecuyer. Celui-c O vj MlCHEI. VII. Vn. I07ÏW VIII. An. 1073. Le Céfar Jean envoye contre Ourfel. I  MlCHEI. VII. , An, 1073, i 1 I i i 1 1 t i i 324 H I S T O 1 R. s faifant fa cour au Miniftre ne cherchoit que 1'occafion de le détruire ; «11 en feroit venu k bout, s'étant infmué fort avant dans les bonnes graces du Prince, fi Michel.eüt été capable d'une réfolution vigoureufe. Nicéphorize fit donc rappeller le Céfar pour 1'oppofer aux Comnenes. Mais il s'appercut bientöt qu'il s'étoit donnéunmaitre. Jean, naturellement fier Sc hardi, foutenu des avantages qué lui donnoit le titre de Céfar, profitoit de la foibleffe & de 1'ignorance du Prince pour prendre un ton fupérieur. II dirigeoit tous les confeils, il dictoit.les arrêts, il fe renJoit maitre de toutes les affaires. Nicéphorize éclipfé alloit devenir le imple commis du minilfere, s'il n'eüt aif jouer de nouveaux refforts pour ë défaire encore d'un rival fi dan;ereux. La révolte d'Ourfel lui en burnit un moyen. Ce rebelle, plus ;uerrier que tous les Généraux de 'Empire, ayantj joint aux Francs qui ui _ étoient attachés, tous les avenuriers que le defir du burin atfiroit sus fes enfeignes , avoit formé une roupe affez nombreufe , Sc ravageoit  du Bas-Empire. Liv. LXXX. 325 la Phrygie, la Galatie, la Cappadoce, s'emparant des bourgs & des villes , foit de force, foit par compolïtiofl, & forcant les autres a contribuer pour fe mettre k couvert du pillage. Ses fuccès 1'avoient rendu plus redoutable que les Turcs. Nicéphorize exagere encore le danger k I'Empereur : il lui perfuade qu'il n'y a dans 1'Empire aucun Capitaine capable d'arrêter ce torrent; qu'il ne faut rien moins que tout le poids de la puilfance Impériale pour écrafer un tel ennemi; & que s'il ne fe met luimême a la tête de fes armées, il n'a de reffources que dans la perfonne du Céfar. Michel, que le feul nom d'Ourfel faifoit trembler dans fon palais, ne balance pas fur le parti qu'il doit prendre. II fait venir le Céfar , & lui déclare qu'il 1'a choifi pour cette importante expédition. Jean, qui fentit aufh-töt la rufe de Nicéphorize , commenca par s'excufer fur tous les prétextes qu'il put imaginer ; il propofoit fon fils Andronic dont il faifoit valoir les talents 84 le courage. Mais comme I'Empereur, foutenu par les confeils de Nigéphorize , Michel VII. An. 107J  MlCHEI, VII. An. 1073, IX. Bataille deZompi. 32rend que fon pere eft entre les mains les ennemis. II retourne aufli-töt; & louffant fon cheval au travers des fcadrons les plus épais, s'ouvrant paffage a grands coups de fabre, il ppercoit fon pere qu'on emmene  nu Bas-Empire. Liv. LXXX. 329 prifonnier. A cette vue fcm courage rlevient fureur ; ne ménageant pas plus fa vie que celle des ennemis, il court a lui tête baifTée; 6c frappant a droite 8c a gauche , au travers de mille bras levés fur fa tête, il fait des efforts incroyables pour parvenir a fon pere. II étoit prés de ï'atteindre, lorfque percé de coups lui 8c fon cheval, il tombe par terre. On 1'environne; 8c comme le fang dont il étoit couvert, le rendoit méconaoifTable, on s'efforce de lui arracher fon cafque pour lui couper la tête. Cet affreux fpettacle rend k fon pere les forces qu'il avoit perdues; il fe dégage avec, violence de ceux qui 1'entourent, il s'élance vers Andronic, 8c fe jettant fur fon corps, mêlant fon fang k celui de fon fils : Arrêtt{, barbares, s'écrie-t-il, c'efi mon fils, c'efi Andronic. A ce cri la fureuf s'arrête , on releve le Céfar, on fait Andronic prifonnier ; 8c le pere fauva la vie k fon fils , qui couroit k la mort pour lui rendre la liberté. Cette victoire mit Ourfel en poffeffion de toutes les villes voifines du Michel VII. An, 1073, X. Andronic prifon-.  Michel VII. An. 1073. nier eft renvoyé a Conftantinople. 33° H I S T 0 I R E fleuve Sangar, ckluiéleva tellemenr le courage, qu'il ofa former le projet de le rendre maitre de 1'Empire. Arrivé en Bithynie , il s'empare d'un chateau de 1'Empereur iitué fur la pente du mont Sophon, & eampe au pied de' la montagne. II aifecloit de rendre au Céfar de grands honneurs , & donnoit les foins de la plus tendre amitié a la guérifon d'Andronic, dangereufement malade de fes bleffures. Le Céfar, très-aflligé de 1'état de fon fils , obtint d'Ourfel la permiflion de le faire tranfporter a Conftantinople , a condition qu'en échange on lui mettroit entre les mains les deux fils d'A.ndronic, Michel & Jean Ducas encore en bas age. On fit donc venir au camp d'Ourfel ces deux enfants , accompagnés chaeun d'un Eunuque pour les fervir. Ils furent logés dans le chateau fous bonne garde. L'Eunuque de Michel, nommé Léontace, forma le deffein de les fauver. II choifit pour eet effef une nuit obfeure , & convint avec un payfan du voifinage de 1'heure k laquelle il fe trouveroit hors du chateau pour les conduire a Nicomédie.  bv Bas-Empire. Liv. LXXX. 331 Ayant averti fon camarade qui devoit le fuivre avec fon maitre, il dérobe les clefs du chateau, obferve le moment auquel les gardes étoient endormis, 8c fort avec Michel fans être appercu. Mais 1'autre Eunuque qui le fuivoit de prés , ayant fait quelque bruit en paffant, la garde s'éveille 8c 1'arrête. On court k la chambre des deux Princes; on n'y trouve ni Michel, ni Léontace. On ie jette fur 1'Eunuque de Jean pour lui faire dire ce que 1'autre Prince eft devenu. II fe laiffe meurtrir de coups & même rompre les jambes plutöt que de rien découvrir. Les gardes, défefpérant de vaincre fa conifance, font monter k cheval plufieurs d'entr'eux pour courir après Michel. Mais Léontace 8c le conducteur, avertis par les cris qu'ils entendoient, 8c fe doutant bien qu'ils alloient être pourfuivis, avoient quitté le grand chemin ; 8c portant tour-a-tour le jeune Prince qui ne pouvoit courir affez vïte , ils le tranfporterent fur une montagne , ou ils le tinrent caché dans des bruyeres, jufqu'a ce qu'ils euffent vu paffer 8c repalfer ceux qui Michel VII. An, 1073,  Michel VII. An. 1073. XI. Jean Céfar fait Empereur par Ourfel. 1 ] 1 1 i 1 i i 1 6 t F v il P u n P 332 BlSTOIRB le cherchoient. Etant alors fortis de leur retraite, il arriverent au point du jour a Nicomédie. Nicéphorize fembloit fort affligé de voir un étranger rebelle triompher de toutes les forces de 1'Empire. Mais fon plus grand regret étoit que Ie Céfar ne fut que prifonnier tk Andronic bleffé. II auroit fouhaité 1'exïnftion entiere de cette familie. Confantin Ducas reftoit encore, tk fes >elles qualités ne le rendoient pas noins redoutable au Miniftre. Nicé>horize confeilla au Prince de Fen^oyer venger fon pere ik fon frere, Conftantin s'y portoit de lui-mêne avec toute 1'ardeur d'une ame fenible. Après avoir recu 1'ordre de Empereur, il fe retira le foir chez ii pour fe préparer a partir le lenemain, & le perfide Miniftre comp?it beaucoup fur la valeur d'Ourfel our le débarraffer encore de ce rialincommode. Peut-être mêmemiten ceuvre un moyen encore plus rompt tk plus für : du moins c'eft n foupgon que les circonftances font aitre, & que le caraftere de Nicéhorize permet de hafarder, quoique  du Das-Empire. Lh. LXXX. 333 les Hiftoriens n'en difent rien. Cette nuit même, une colique violente , que tout Tart des Médecins ne put calirier, emportarapidement ce Prince aimable, qui ne vivoit plus au point du' jour. Ce fut pour le Céfar un furcroït d'affliöion. Mais Ourfel, que fes fuccès rendoient affez hardi pour tout entreprendre, concut un projet de la plus profonde politique pour parvenir a fe faire Empereur. II crut que le moyen le plus efBcace étoit de diverfer la familie Impériale, tk de farmer contre elle-même. II refolut donc d'oppofer le Céfar Jean a^ Michel, tk de lui donner le titre d'Empereur, bien perfuadé qu'après s'être fervi de Tonele pour détruire le neveu, il n'auroit pas de peine a ruiner fa propre créature. Jean n'écouta la propofition qu'avec répugnance. Forcé enfin par le vainqueur qui ne lui laiffoit a choifir que la couronne ou la mort, il envoya des émiffaires fecrets a Conftantinople pour fonder la difpofition des efprits, tk il n'apprit pas fans quelque plaifir qu'il avoit bon nombre de partifans clans la ville ck a la Cour. Sur cette MlCHEi VII. An. 1073,  334 HlSTOIRE affurance. il confentit k recevnW 1<= Michel VII. An. 1073, XII. Le Céfar & Ourfel dcfaits & pris par les Turcs, titre d'Augufte , 8c fut proclamé a la tête de 1'armée. Cette nouvelle mit 1'allarme dans la Cour Impériale. Ourfel marchoit vers le Bofphore. Arrivé a Chryfopolis, il met le feu a la ville. Les flammes qu'on appercoit de Conftantinople redoublent la terreur. L'Empereur , plus effrayé que perfonne , fait offrir k Ourfel la dignité de Curopalate , 8c lui envoye fa femme 8c fes enfants pour 1'engager k mettre bas les armes. Mais en même-temps, Nicéphorize, plus inquiet pour luimême que pour fon maitre , comptant peu fur les forces de 1'Empire, iraitoit avec les Turcs pour en obtenir du fecours. Ils avoient alors en Cappadoce une armée de cent mille hommes commandée par un vaillant Capitaine nommé Tutac. A force d'argent 8c de promeffes, Nicéphorize le détermine k venir combattre Ourfel, qui, après avoir brülé Chryfopolis, étoit retourné au mont Sophon, oü il ne fongeoit qu'a faire fes préparatifs pour paffer le Bofphore, 8c fe rendre maitre de Confiantinople. Rem-  du Bas-Empire. Liv. LXXX. 335 pli de fon projet, il ne penfoit nullement aux Turcs , qu'il croyoit fort éloignés. Mais Tutac , auffi-töt après la conclufion de fon traité avec Nicéphorize , s'étoit mis en marche; & faifant grande diligence , il étoit déja en Bithynie, lorfqu'Ourfel le croyoit encore aux extrêmités de 1'Empire. On appercoit du camp des Francs un parti de Turcs , qui ne fembloit être que de cinq ou fix mille hommes. Ourfel fait auffi-töt prendre les armes a fes troupes, malgré le Céfar qui lui confeilloit de faire auparavant reconnoïtre les environs. II méprife ces précautions timides, & tombe avec toutes fes forces fur cette troupe ennemie , dont une partie eft reriverfée du premier choc. Le refte prend la fuite. Ourfel les pourfuit fans relache au travers des vallons & des défilés , fans s'appercevoir qu'il laiffe derrière lui la plus grande partie de fes troupes qui n'ont pu franchir ces paffages prelque impraticables. II n'étoit fuivi que du Céfar & d'un petit nombre de chevaux fatigués &c hors d'haleine, lorfqu'il découvre la grande armée des Turcs, qui venoit Michel VII. An. 1073.  Michel VII. An, 1073. 336 HlSTOIRZ a lui. La fuite étoft impolfible : quoique furpris, il ne perd pas courage. Tous les chevaux font ahattus par une grêle de fleches, & les cavaliers a pied & la plupart bleffés difputent opiniatrément ce qui leur refte de vie. Ourfel & le Céfar, enveloppés de toutes parts, fe battent en défefpérés; enfin, ils font forcés de fe rendre prifonniers. Les Francs qui échapperent de ce combat fe fauverent dans le chateau du mont Sophon , ou la femme d'Ourfel étoit retirée, Elle n'eut rien de plus preflé que de racheter fon mari, & prévint ainfi I'Empereur qui n'auroit rien épargné pour fe rendre maitre de ce formidable ennemi. Le Céfar demeura entre les mains des Turcs , qui 1'emmenerent avec eux dans la haute Phrygie. L'Empereur ne Fy laiffa pas long-temps; il paya fa rancon , & 1'on ignore quel traitement lui préparoit Nicéphorize. Le Céfar qui n'en attendoit que des cruautés, prit le parti de s'y fouftraire en fe faifant Moine. Ce fut fous eet habit qu'il vint rendre graces a I'Empereur , & le Prince en témoigna du regret; marqué trèséquivoque  du Bas-Empire. Liv. LXXX. 337 équivoque des difpofitions d'un ame, qui ne recevoit de mouvement que de fon Miniftre. Cependant Ourfel ayant recouvré fa liberté, s'étoit retiré dans le Pont, & avec les troupes qu'il avoit raffemblées , il s'emparoit des places, Sc ravageoit le territöire d'Amafée Sc de Néocéfarée, dont il exigeoit de fortes contributions. L'Empereur eut recours au Prince des Alains, dont les Etats confïnoient avec la Province de Pont. II étoit par fon mariage allié de ce Prince. II lui envoya Nicéphore Paléologue pour lui demander des troupes que 1'Empire prendroit a fa folde. Paléologue eut permiffion de lever lix mille hommes, aveclefquels il marcha contre Ourfel. Ces barbares ne montroient qu'ardeur Sc obéiffance jufqu'au jour qu'ils devoient recevoir la paye convenue. Mais alors Paléologue leur ayant annoncé par un difcours fort pathétique qu'il manquoit d'argent; pour toute réponfe, ils s'en allerent, Sc le laifferent avec quelques foibles milices de la Province. Ourfel, inftruit de fon embarras, ne tarda pas de le Tornt XVII, P Michel VII. An. 1073. XIII. Paléologue défait par Ourfel.  Michel VII. An. 1073, XIV. Ourfel livréparle> par des conventions fecretes, lui » vendant pour fe fauver eux-mêtt mes vos campagnes, vos troupeaux » votre falut 6c celui de vos fenv P iv Michel VII. An. 1073.  VII. An. 1073. ! J J I i ) i ) > >; t y, f, I »; >: ») f. ♦I 344 Histoire * mes & de vos enfants. Laiifez é» chapper des fers ce lion furieux, •> que fa captivité aura encore irri- > té ; renvoyez-le a Tutac, & ces > deux barbares joints enfemble réu- > niront fur vous avec les maux qu'ils > vous faifoient féparément, ceux > qu'ils fe faifoient 1'un a 1'autre. Vos » Magiftrats ne courront aucun rif- > que, affez riches pouracheter d'Our- > fel la confervation de leur fortu- > ne , affez appuyés des partifans > qu'ils ont a la Cour , pour per- > fuader au Prince, fi Amafée efl: > faccagée, que ce fera la faute de votre lacheté ; fi elle ne 1'eft pas, que ce fera feffet de leur courage & de leur attention a vous contenir. Vous aurez donc feuls reffenti toutes les calamités de la guerre ; & feuls au lieu de récompenfe, vous demeurerez chargés de difgraces & d'infamie. Rachetez-vous de tous ces périls , en avancant la fomme que les Turcs demandent fans délai; I'Empereur ne tardera pas h 1'acquitter. Quel honneur pour Amafée! Quel avantagepour vous tous! Retirez-vous dans vos  du Bas-Empire. Liv. LX ?. » maifons, & délibérez avec vos fem» mes & vos enfants , Icqucl des » deux eft préférable de garder par » avarice un argent que vous nc » perdrez de vue que pour peu de » temps , ou d'aflurer la vie & le » repos de vos families ". Ce difcours changea les efprits. On fe fépare en approuvant la propolition d'Alexis. Dès le lendemain, on contribue chacun felon fes moyens. Les riches craignant d'être forcés, ouvrent enfin leurs tréfors, 8c la rancon eft envoyée a Tutac', qui relache les ötages. Les principaux d'Amafée, honteux & mécontents, continuoient de répandre des difcours féditieux. Pour fe venger d'Alexis , ils infinuoient au peuple qu'ayant payé la rancon du prifonnier, ils devoient en être les gardiens; que ce feroit le gage de leur créance , & qu'il falloit le tirer des mains du Général Grec. Alexis , connoiffant 1'inconftance du peuple, & combien il eft facile de raliumer une fédition nouvellemerrt éteinte, s'avifa d'une rufe pour perfuader aux habitants que c'en étok P y MlClltL VII. An. J57J' XVIt. Ourfel eft amené s Conftantinople,  WlCHEI VII. 'An, 1073 346 HlSTOIRE fak du malheureux Ourfel, & qu'il étoit réduït a un tel état qu'on n'en i pouvoit plus tirer aucun avantage, II ne vouloit pas prévenir le jugement de I'Empereur, & d'ailleurs fa douceur naturelle le rendoit incapable d'tui traitement crueL II fe contenta donc de feindre. La vue du bourreau qu'il fit venir chez lui avec les inftruments du fupplice , ck les cris d'Ourfel qui fe prêtoit au ftratagême, annoncoient aux habitants qu'on crevoit les yeux au prifonnier, & Je fpectacle d'Ourfel même , qu'on fit paroitre le lendemain en public avec un bandeau fur les yeux, acheva de le perfuader. On en murmura le refte du jour, & Je lendemain on n'y penfa plus. Cependant le Général s'occupoit a reprendre les places dont les Francs étoient encore maitres. II en vint a bout en peu de temps. Des Lieutenants d'Ourfel, les uns fe rendirent a compofition, les autres prirent la fuite; & la paix étant entiérement rétablie dans la Province de Pont, Alexis partit pour Conftantinople avec fon prifonnier , que toute 1'Afie croyoit aveugle, Arrivé  du Bas-Empire. Liv. LXXX, 347 en Paphlagonie , il diffipa un parti de Turcs, qui avoit pénétré jufqu'en ce pays, & rentra enfin dans Conftantinople avec la gloire de n'avoir pas fait perdre une goutte de^ fang a 1'Empire pour le rendre maitre d'un rebelle , qui en avoit tant fait répand-re. aux autres Généraux. Ourfel ne trouva pas dans I'Empereur la même clémence que dans Alexis. On le fit battre a coups de nerfs de bceuf. & jetter dans un cachot ténébreux. ou il ne recevoit de foulagement que de 1'humanité du généreux Alexis. Vers ce même temps, tout étoit er trouble dans Antioche. Jofeph Tarchaniote, qui en étoit Duc, étant mort Philarete dont j'ai parlé fous le re gne de Diogene , homme fans mé rite, mais entreprenant & factieux. travailloit a s'emparer de ce gouver nement fans y être nommé par 1 Prince , & fes partifans foulevoien le peuple. Pour calmer ce tumulte on fit partir Ifaac, frere d'Alexis ; é comme on foupconnoit le Patriai che Emilien d'entrer dans ce con plot, Ifaac eut ordre d'envoyer c Prélat a Conftantinople. II y réufl P vj MlCHEt vu. An. 1073; XVIII. ' Ifaac, Gouver' neurd'An" tioche, t > c e  MlCHEl vir. An. 1073. 1 ] < 1 I e c t f d tl J( 1 d 348 HlSTOIRz' par rufe, & demeura maitre de fa vil e. Mais Ie feu de la fédition fe ralluma bientót; on prit les armes, on maffacra les gardes du Gouverneur , on pilla les maifons des Magiftrats. Ifaac, renfermé dans la citadelle , envoya demander du fecours dans les villes voifines; & a 1'aide des troupes qui lui arriverent, il réduifit les féditieux; ce qu'il ne put faire fans verfer beaucoup de fang, A. peine la tranquillité étoit-elle ré^blie, qu'il apprit qu'une armée de rurcs entroit en Syrië. II marcha :ontre eux avec Conftantin, fils de 'Empereur Diogene, qui avoit époue Théodora, fceur d'Ifaac & d'Alexis romnene. Ifaac ne fut pas plus heueux cette année, qu'il ne 1'avoit été année précédente contre les mêmes nnemis. Malgré les efforts de fon ourage, il fut pris après avoir été leffé cle plufieurs coups. Conftantin xt tué dans le combat. Les habitants 'Antioche, pour réparer le crime de air rébellion,s'empreflerent de payer 'S vingt mille pieces d'or que les iircs demandoient pour la rancon 1 prifonnier. Ifaac, de retour, mit  du Bas-Empire. Liv. LXXX. 349. tout en oeuvre pour en témoigner fa reconnoitTance , & rien ne put altérer dans Ia fuite la concorde du Gouverneur & des habitants. Ourfel étant chargé de fers, ck les Turcs occupés de guerres civiles , 1'Empire n'avoit plus d'autre ennemi que le Miniftre Nicéphorize. L'avarice infatiable de ce cruel exacteur fit perdre patience aux Bulgares. Comme ils ne pouvoient fe faire écouter du Prince, qui n'avoit d'oreilles que pour les lecons de Pfellus," ils s'adreflerent a Michel, Roi de Servië; ils le conjurerent de les tirer d'efclavage , & de leur donner pour Roi fon petit-fïls Bodin. Depuis Conftantin Monomaque, 1'alliance des Rois de Servië avec 1'Empire ne s'étoit point démentie. Mais Michel n'eftimoit ni ne craignoit affez un Empereur purement titulaire, pour rejetter 1'offre d'un nouveau Royaume. Bodin partit avec une efcorte de trois cents Serves, & fe rendit a Prifdianes prés de Scupes, oh 1'attendoient les principaux des Bulgares. II fut proclamé Roi k fon arrivée. Nicéphore Carantene, Duc de Bulgarie, n'eut Michel VII. An. 1074. XIX. Révolte des Bulgares. Scyl. p. 850 , & feqq. Zon. p. 288. Bryen. I. 3,' (.1,1, J. Du Cangs fam. Slcav. p. 280 , 281.  Michel VII. An, 1074. 350 UlSTOIRE pas plutöt appris ce foulevement qu'il marcha vers Prifdianes avec ce qu'il avoit de troupes. II fe préparoit a combattre, lorfqu'il vit arriver un fuccefTeur, C'étoit Damien DalafTene, aufli infolent qu'étourdi, qui non content de 1'accabler d'inmres, s'emporta contre toutel'armée, :raitant les foldats de poltrons & de aches. Après les avoir ainfi encou•agés , il livra bataille, & fut défait k pris avec grand nombre d'Ofh:iers, entre lefquels étoit un Lom)ard, que les Grecs ,-felon leur mallere , nommoient Longibardopule, :omme ils avoient nommé Francomie, ftervé, Capitaine Frangois. Le amp fut pillé, & il ne refba de toute ette armée que quelques fuyards , iont la plupart furent aflbmmés par es payfans du voifinage. Pour chafer les Grecs de toute la Bulgarie, iodin partagea lbn armée en deux orps; 1'un a fa fuite marche a Nyfi; 1'autre, fous la conduite de Peril qui tenoit le premier rang après ui, prend le chemin de Caftorie , ou 2s Seigneurs fideles a 1'Empire s'éoient retirés avec Marien, Gouver-  bv Bjs~Emfire. Llv. LXXX. 351 neur d'Achride. Petril. campoit devant Caftorie, & fe difpofoit a Pattaquer, lorfque les affiégés fortant avec furie , taillent en pieces toutes fes troupes, & 1'obligent de s'enfuir par des montagnes impraticables , qu'il traverfa fans ceffer de courir , jufqu'a ce qu'il eut gagné la Servië. Son Lieutenant-Général fut pris bk conduit a I'Empereur. Bodin fut d'abord plus heureux. La plupart des places lui ouvrfeient leurs portes, tk celles qui refufoient de le reconnoïtre, en étoient punies par le ravage de leur territöire. La Bulgarie étoit perdue, fi Nicéphorize. qui connoiffoit les gens de mérite. mais qui ne vouloit pas toujours le; employer, n'eüt fait partir Saronitf avec une armée compofée en grandf partie de Francs tk de Macédoniens Saronite marcha d'abord a Scupes, & s'en étant rendu maitre fans beaucouj de peine, après avoir gagné le Gou verneur de la ville, il y logea fe troupes : mais bientöt le Gouverneu fe repentant d'avoir trahi fon mai tre, voulut réparer fa faute. II fit fa voir a Bodin que les Impériaux n's Michel VII. An. 1074. XX. Défaite Ss prife du nouveau Roi. >  MlCHEI VII. An. 1074 An. 1075. XXI. L'Empereur veut donner a Bryenne )e titre de Céfar, 35a HlSTOIRE toient pas fur leurs gardes , & que s'il venoit les attaquer, il n'en échap. peroit pas un feul. Sur eet avis, Bodin fort de NylTa; & après avoir traverfé des campagnes couvertes de neige , car c'étoit au mois de Décembre , il fe voit tout-a-coup attaqué par 1'armée de Saronite, qui étant averti de fa marche, s'avancoit audevant de lui. Ses troupes furprifes Sc fatiguées font peu de réfiffance ; elle#font taillées en pieces; il eft luimême fait prifonnier & envoyé a I'Empereur. On le conduifit en Syrië , afin d'y être gardé plus fürement fi loin de fon pays. Mais fon aïeul Michel ne perdit pas 1'efpérance de 1'enlever aux Grecs. II y réuffit par *e,m?yen ^e quelq"es navigateurs Vénitiens, qui le ramenerent en Servië , oü il régna dans la fuite. La défaite Sc la prife de Bodin ne calma pas les troubles de la Bulgarie. Longibardopule s'étoit fait aimer de la fille du Roi de Servië, Sc a 1'aide de cette Princeffe, il avoit fa tellement captiver le Roi lui-même, que de fon prifonnier il étoit devenu fon gendre, Eiêvé a ce haut de-  nu Bas-Empire. Liv. LXXX. 353 gré d'honneur, il avoit toute la con- : iiance du Prince. Une fi brillante fortune attira en Servië grand nombre . d'aventuriers Lombards, qui aimoient mieux abandonner leur patrie, que d'y vivre fous la dure domination des Princes Normands. De ces étrangers réunis aux Serves, Michel forma une armée, dont il donna le commandement a fon gendre. Longibardopule, k la tête de ces troupes , reprit plufieurs places, & tint en échec Saronite , qui n'avoit pas affez de forces pour le combattre. Ce n'étoit pas trop de la préfence même de I'Empereur pour terminer une guerre fi importante , & tout 1'Empire 1'appelloit k cette expédition : on fe fouvenoit de Bulgaroöone. Mais le Prince qui préféroit au foin de fes Etats les occupations fubalternes de fa foible littérature, fongeoit a fe donner un Lieutenant avec le titre de Céfar. II ne le trouvoit pas dans fa familie. Un fils nommé Conftantin, qu'il avoit dès fa naiflance décoré du diadême, étoit encore au berceau. Ses deux freres, Andronic ck Conftantin, auroient pu abufer de ce titre, attaché Michel VII. in. 1073,  Michel VII. An. 1075. 354 Histoire autrefois a 1'héritier préfomptif, & fruftrer fon fils de la fiicceffion. Son coufin Andronic n'avoit pu guérir de fes bleffures, & étoit attaqué d'hydropifie. Michel, par le confeil de fes plus intimes confidents , jetta les yeux fur Nicéphore Bryenne : il favoit la guerre, & fes autres qualités fembloient le rendre digne de cette place éminente. Nicéphorize ne s'y oppofoit pas; il eipéroit fe rendre maitre de fon efprit; & il fentoit bien, qu'au défaut du Prince, qui n'étoit compté pour rien, il avoit befoin d'un nom dont il put s'appuyer, & fur lequel il put rejetter tout 1'odieux de fes injuftices. On mande Bryenne, qui étoit pour lors dans Andrinople fa patrie : mais avant fon arrivée , I'Empereur changea d'avis. II fit part de fon deffein au grand Amiral Conftantin, neveu Au Patriarche Michel Cérulaire. Ce Courtifan, délié & ambitieux , qui portoit fes vues jufqu'au Tröne, rejardant 1'élévation de Bryenne comme nn obftacle k fes projets, feignit i'abord d'approuver le parti que preloitI'Empereur; & aux louanges dont  du Bas-Empire, Li®. LXXX. s55 il combla Bryenne ; il ajonta, que le Prince ne pouvoit mieux choijïr s'il s'ennuyoit de porter la couronne; qu'il ne feroit pas difficile d'engager un homme tel que le nouveau Céfar a la faire paffer fur fa tête. Cet éloge meurtrier fit trembler le timide Michel, qui craignoit jufqu'a fon ombre. II ne fut plus queftion du Céfar; ck lorfque Bryenne fut arrivé, le pro jet fe réduifit a le nommer Duc de Bulgarie, avec ordre d'en chafTer les Serves & les Efclavons. Bryenne répondit parfaitement a ce qu'on efpéroit de fa capacité tk de fon courage. En peu de temps, il obli- , gea les Serves de vuider le pays, tk il fit rentrer la Bulgarie dans 1'obéiffance. Mais les Croates inquiétoient 1'Illyrie par leurs incurfions; tk les Normands d'Italie, ayant armé plufieurs vaiffeaux, infeftoient la mer Adriatique. Pour arrêter ces brigandages, Bryenne recut ordre de paffer a Dyrrachium, capitale de 1*11— lyrie. Dès qu'il y fut arrivé, il all-a chercher les Croates campés dans des lieux de difficile accès ; ck comme il i craignoit le même accident qui avoit Michel VII. in. IC7J. XXII, Exploits Ie Bryen- ie.  Michel Vil. An, 1075. XXIII. Révolte deNeftor. Scyl. p. 85J. Zon. t. U. p. 288. 35<5 HlSTQIRE détruit trente-trois ans auparavant 1'armée de Michel, Gouverneur de Dyrrachium, il fe fit accompagner de quantité de pionniers pour élargir les chemins, & faciliter les paffages, Toute la difficulté étoit d'atteindre les ennemis ; il fut aifé de les vaincre. Après leur défaite, toutes les villes de cette contrée fe rendirent, donnerent des ötages , & recurent garnifon. De retour a Dyrrachium, Bryenne entreprit de réprimer les pirates Normands, qui troubloient Ja navigation & venoient infulter les cótes. II arma plufieurs trirêmes, qui donnerent la chaffe k ces Corfaires, en coulerent plufieurs k fond , prirent les autres, & nettoyerent entiérement le golfe Adriatique. Pendant ce même temps, Conftantinople étoit en allarmes. L'armée de Bryenne, qui avoit reconquis la Bulgarie , étoit compofée de Macédoniens, d'Allemands, de Francs & de Patzinaces. Ces derniers marchoient fous la conduite d'un chef particulier nommé Tat. En faccageant la ville de Prefpa , oü étoit un palais des anciens Rois de Bulgarie, on ayoit pillé  du Bas-Empire. L'tv. LXXX. 357 une Eglife célebre , fans épargner les : vafes {acres qui étoient devenus la proie des foldats. Bryenne les avoit . forcés de rendre ce butin facrilege, ce qu'il n'avoit pu exécuter fans exciter de grands murmures. Les Patzinaces fur tout, la plupart Payens, les autres Chrétiens grofliers & ignorants , fouffroient avec chagrin de fe voir arracher leur pillage. D'un autre cöté, les garnifons des villes qui bordoient le Danube , prétendoient avoir leur part du butin, comme ayant contribué au fuccès de 1'expédition, en arrêtant les progrès des Serves & des Bulgares. Neftor, autrefois efclave de Conftantin Ducas, parvenu depuis a la dignité de Chambellan , commandoit fous le titre de Duc toutes les troupes qui gardoient le Danube. II entra dans le mécontentement de fes foldats , s'unit avec Tat, & tous deux enfemble marchent droit a Conftantinople. Arrivés devant la ville, ils demandent ce qu'ils appellent juftice : c'étoit un dédommagement du butin dont ils fe prétendoient fruftrés. Pour toute réponfe, Nicéphorize confïfque tous les biens Michel VII. Ln. 107J.  Michel VII. An. 1075. 358 HlSTOIRE de Neftor, & lui fait fignifier qu'il ait a mettre bas les armes. Neftor, plus irrité que jamais, menace d'attaquer la ville, fi I'Empereur ne fe défait de Nicéphorize, I'ennemi de tous les gens d'honneur, & le fien en particulier. Le Miniftre, plus adroit que Neftor, gagne, par de fourdes pratiques, plufieurs Officiers du rebelle , & les engage a fe faifir de lui mort ou vif, & k le mettre entre fes mains. Neftor, averti de ce deffein, prend 1'épouvante, s'éloigne de Conftantinople , va ravager la Thrace, la Macédoine, les frontieres de la Bulgarie , & fe retire chez les Patzinaces. Un grand nombre de foldats Macédoniens , qui n'avoient point pris de part a la révolte de Neftor, crurent qu'ils feroient mieux écoutés. Ils vinrent donc k Conftantinople fe plaindre a I'Empereur même d'avoir été privés de leur récompenfe. Ils ne recurent qu'un rebut outrageant, & s'en retournerent en Macédoine le dépit dans le cceur, bien réfolus de fe venger k la première occafion, d'un Prince ingrat, qui ne penfoit que d'après un miférable Eunuque,  du Bas-Empire. Liv. LXXX. 35:9 Le Patriarche Xiphilin mourut cette année, le fecond jour d'Aoüt. Cette place éminente faifoit 1'ambition de tout le Clergé de 1'Empire. Le choix du Prince tomba fur celui auquel on penfoit le moins. Un Moine, nommé Cöme, venu de Jérufalem, s'étoit fait eftimer du Prince par fa vertu. II n'avoit aucun autre titre qui le rendit recommandable. Mais celui-la devenoit plus rare & plus précieux de jour en jour. Cöme , trés - peu inftruit des fciences profanes, ne connoiflbit que les faintes Lettres , qui faifoient la regie de fa vie. L'Empereur, qui ne voyoit guere les objets que par un cöté, le crut préférable a tous ceux que la naiffance, le génie & le favoir diftinguoient dans le Clergé de Conftantinople. Les Grecs, après tant d'efforts, pref que toujours malheureux, pour con1'erver leur ancien domaine en Italië , en avoient enfin perdu 1'efpérance. Les Princes Normands avoient étendu leurs conquêtes d'une mer a 1'autre. Robert Guifcard poffédoit , avec le titre de Duc, la Pouille, la Calabre, les Principautés de Bari, de Michel VII. An. 1075. XXIV. Cömefuccede au Patriarche Xiphilin. Scyl. v. 860. Zon. t. Hf p. 290. Joel. p. 285. Oriens Chrifl. 1.1. p. 263. Anna p, 75. An. 1076. XXV. La fille de Robert Guifcard fiancée avec Conftantin Ducas. Scyl, pf 85 3.  Michel VII. An. 1076. Zon. t. II. p. 288. Anna , p. Z> . 17, 28. 6- ibi .Du Cange Lup. Protojp. Theoph. inft. reg. c. 13' Giann. hifi. Nap. 1. 10. c. 4. 360 IIlSTOIRE Salerne, d'Amalfl, de Surrente, les terres du Duché de Bénévent, dont il avoit abandonné la ville au faint Siege. Richard étoft maitre de Capoue tk de Gaëte. II ne reftoit a conquérir que le petit Duché de Naples; tk quoique ce Duché reconnüt encore pour Souverains les Empereurs d'Orient, il avoit pris la forme d'une République gouvernée par fes Ducs & par fes Confuls, qui, profitant de la décadence de 1'Empire, s'étoient peu-a-peu affranchis de toute dépendance. Le nom de Robert étoit devenu redoutable aux Grecs; & dans la crainte qu'après avoir conquis 1'Italie , il ne portót fes vues ambitieufes fur la Grece, faute de pouvoir 1'écrafer, ils voulurent s'en faire un ami. L'Empereur lui demanda une de fes filles pour fon fils Conftantin; tk. Robert fe trouva honoré de cette alliance, dont les Hens font toujours plus foibles que les intéréts politiques. La Princeffe, a peine fortie du berceau, fut tranfportée k Confiantinople , ou elle prit le nom d'Hélene. Le mariage ne pouvoit fe faire qu'après plufieurs années, & il ne fe  du Bas-Emp.ire. Liv. LXXX. 361 fe fit jamais. Conftantin, déja Augufte, n'avoit encore que deux ans. On efpéroit beaucoup de ce jeune Prince, & on vouloit croire que la nature lui avoit réfervé tout ce qu'elle avoit refufe k fon pere. On lui donna pour inftituteur Théophylacl e, Archevêque d'Achride, Prélat vertueux & favant, dont nous avons des Commentaires fur le nouveau Teftament & fur plufieurs Prophetes. Tendrement attaché a fon éleve , il compofa pour lui un Ouvrage rempli de lecons utiles. Mais fuivant le ftyle ordinaire de ceux qui inftruifent les enfants des Princes , il débute par des éloges ft flatteurs , que le jeune Augufte devoit être tenté de croire qu'il n'avoit pas befoin d'inftrucfion. II n'eft point d'événements facheux dans 1'hiftoire de ces fiecles d'ignorance, qui ne foit précédé d'étranges pronoftics. On vit alors a Conftantinople un oifeau qui avoit trois pieds; il naquit un enfant avec des pieds de bouc & un teil au milieu du front; deux foldats de la garde furent frappés du tonnerre; les co- Tome XFlh Q Michel Vü. An. 1076. « xxvr. Pefie & famine a Conftantinople. Scyl. p, 856, 857. Zon. t. 11. P. 2S9. Glyc. p. 330.  Michel VII. An. 1076. 362 HlSTOIRE metes fe fuccédoient dans le clel. Maïs ce qui auroit mérité plus d'attention de la part du Miniftre, ce fut une horrible pefte accompagnée d'une cruelle famine, caufée par une fóule de malheureux qui vinrent alors inonder la ville. Toute 1'Afie mineure étoit en allarmes. Les Turcs recommencoient leurs ravages; 8c les habitants, défertant les villes 8c les campagnes, venoient de toutes parts fe réfugier k Conftantinople. On ne pouvoit rien attendre de I'Empereur, qui, toujours occupé des lecons de Pfellus , écartoit les foins de fon état comme une diftraöion importune. Mais Nicéphorize, au-lieu de prendre aucune précaution pour nourrir cette multitude , ck pour la préferver de la contagion qu'entraïne 1'extrême mifere, faifoit pour lui de 1'indigence publique une nouvelle fource de richeffes. Plus meurtrier que la pefte ck la famine, il doubla le prix des vivres , dont il s'étoit rendu maitre ; 6c fous prétexte que le tréfor épuifé ne pouvoit fuffire k foulager tant de miférables, il dépouilla les Eglifes , 6c en fit enlever tous les ornements,  nu Bas-Empike. Liv. LXXX. 363 qui ne tournerent qu'au profit de fon avarice, plus difficile k ralTaffier que tout ce peuple afTamé. Les fervices de Bryenne méritoient des récompenfes; ils ne lui attirerent que des difgraces. Des Courtifans jaloux le dépeignirent au Prince timide comme un ambitieux, qui afpiroit k 1'Empire. Michel en prit ombrage, & envoya en Illyrie un de fes confidents nommé Euftathe, avec ordre d'éclairer fes demarches &c de fonder fes difpofitions. Bryenne le recut avec tant d'amitié, & fut li bien le gagner, qu'Euffathe lui révéla le fecret de fa commiffion. Une défiance fi injurieufe de la part de I'Empereur, piqua vivement le Général, mais fans lui faire encore oublier ce qu'il devoit k fon Prince. II déiibéroit fur les moyens de diftiper ces injuffes foupcons , lorfque Jean Bryenne fon frere , & Bafilace, guerrier eftimé, qui venoient tous deux d'avoir quelque fuccès contre les Turcs, étant de retour a Conftantinople , & follicitant une grace auprès de Nicéphorize, n'en recurent que des refus & des mépris. Ces deux Capitaines, indignés de ce Q H Michel VII. An. 1077. XXVII. Caufes du Ibulevement de Bryenne. Bry. I. 3. c 4. !•  Michel VII. An. 1077. 364 HlSTOIRB traitement, réfolurent de fe venger & de 1'infenfibilité du maïtre, & de 1'infolence du Miniftre. Ils convinrent que perfonne n'étoit plus capable de remplir leur projet que Nicéphore Bryenne, 8c qu'il falloit au plutót le faire venir d'Illyrie. En attendant 1'exécution , ils fe jurerent mutuellement un fecret inviolable. Jean fe retira dans fes terres en Thrace ; Bafilace ne fortit point de Conftantinople. Peu de jours après, un foldat Varangue , qui paffoit par Andrinople, s'étant enivrés dans une hótellerie, fe vanta hautement d'avoir commiilion d'affafliner Jean Bryenne. Jean en eft aufti-tót averti; il fe faifit du foldat, le met i la torture, 6c après fon aveu, il lui fait couper le nez. II mande a fon frere, qui étoit a Dyrrachium, ce qui venoit d'arriver, 8c 1'excite a la révolte. Nicéphore étoit dans une grande perplexité : prendre les armes, c'étoit troubler FEmpire; demeurer en paix, c'étoit s'expofer lui-même. II flotta longtemps dans cette incertitude, malgré les follicitaiions de fon frere , t|ui, pendant ces délais, travailloit ef-  du Bjs-Empire. Liv. LXXX. 365 ficacement k mettre dans fon parti les principaux habitants d'Andrino- Ple' . , Dans cette ville fe trouvoit alors un jeune Officier nommé Tarchaniote, fort attaché au Miniftre, dont il efpéroit fa fortune. Ayant découvert toute 1'intrigue , il en écrivit a Nicéphorize , & lui clemanda du fecours pour étouffer dès fa naiffance ce dangereux complot, qui ne tarderoit pais d'éclater. Nicéphorize, foit faute d'avoir des troupes prêtes, foit par négligence, ne fit aucune réponfe. Quoiqu'étonné de ce mépris, l'Ofncier demeura fidele pendant quelques jours. Mais conlidérant le concert unanime de toute la ville en faveur de Bryenne, & le danger auquel il s'expofoit, il fe refroidit infenliblement , & il écouta la propofition que Jean lui faifoit de s'allier enfemble par un mariage. Tarchaniote avoit une fceur parfaitement belle, nommée Hélene; il confentit k la donner pour femme au fils de Jean Bryenne. Cependant I'Empereur n'étant pas inftruit de la liaifon de Bafilace avec les Bryennes, le nomma Gouverneur d'Illyrie, & Michel VII. An. 1077.' XXVIII. Inconftance de Bafilace. Bry. 1. 3, (.7, 8.  Michel Viï. An, 1077, 366 HlSTOIRE le fit partir avec des troupes pour Dyrrachium, avec ordre de fe faifir de Nicéphore , s'il étoit poflïble, & de 1'amener mort ou vif a Conftantinople. Cette nouvelle détermina Bryenne a fe mettre en marche. Bafilace , naturellement léger & inconftant, avoit changé de parti; la commifiïon dont il fe trouvoit honoré, 1'avoit réconcilié avec 1'Empereur; il marchoit a Dyrrachium dans 1'intention d'exécuter fes ordres. II arrivoit a Theflalonique, lorfqu'il apprit que Nicéphore en approchoit avec des troupes fort inférieures aux fiennes. II ne balanca pas k 1'attaquer; mais il reconnut bientöt que le nombre des combattants ne décide pas de la vicloire. Battu, tk mis en fuite, il s'enferme dans la ville, tk s'y voyant affiégé, il propofe au vainqueur de renouveller avec lui le traité qu'il avoit fait avec fon frere. Bryenne, qui faifoit confifier le fuccès de fon entreprife dans la diligence , accepte le parti, tk continue fa marche vers •Andrinople. II rencontre en chemin fon frere, qui lui amenoit toutes les troupes de Thrace Sc de Macédoi-  du' Bas-Empire. Liv. LXXX. 367 ne, dont il avoit gagné les Officiers. Jean lui apportoit en même-temps les ornements de la dignité Imperiale, & le preffoit de s'en revêtir. L'armée faifoit les mêmes inftances. Nicéphore , toujours irréfolu, demanda jufqu'au lendemain pour déliberer avec les Officiers fur le parti le plus conforme a Pintérêt commun. Malgré fon éloignement pour la guerre civile, un événement imprévu 1'obligea le lendemain d'acceptet le titre qu'il avoit refufé jufqu'alors L'armée étoit devant Trajanople, & les habitants, fideles a I'Empereur ayant fermé les portes de la ville, fi montroient fur lê haut des murs dan la réfolution de fe bien défendre. Plu fieurs foldats de Bryenne s'en étan approchés, on commenca par s'inful ter de part ck d'autre; ck des parole on paiTa bientöt a fe faluer mutuel lement h coups de frondes. Le brui en étant venu au camp, un plus gram nombre accourut, ck 1'on prépaf oi déja des echelles pour monter a 1'al faut, lorfque Bryenne, averti de c tumulte, envoya rappeller fes foldats Ók les fit rentrer dans le camp. Oi Q iv Michel VU. An. 1077. XXIX. Bryenne fe déclare Empereur.; Bry. I. 3. c 9, 10. t S t w t »  Michel VII. An. 1077 368 HlSTOIRE diftribua différents poftes autour de la ville, pour prévenir les forties nocturnes. Bryenne avoit un fils déja Patnee , quoiqu'il fut a peine en age de puberté. Ce jeune homme, d'un caraftere bouillant & hafardeux, fortit du camp la nuit fuivante avec deux autres Officiers de fon age, dans 1'inlention de faire la ronde, & de voir fi les fatlionnaires faifoient bonne garde. Les trouvant a leur devoir, jl s'avanca vers la ville; & s'étant appercu que la garde dormoit fur la muraille, il retourne au camp, fait porter des échelles, monte le premier fuivi de quelques autres, & Pér pée a la main, il réveille les fentinelles, leur ordonnant de proclamer Nicéphore Bryenne Empereur. Ceuxd , a demi-endormis, fe fentant 1'épée fur la gorge, ne font point de réfiffance. Les uns fe précipitent du haut du mur; les autres obéiffent &c proclament en tremblant Bryenne Empereur. A leurs cris , les habitants réveillés croyent la ville prife; ils courent a la muraille j non pas pour la défendre, mais pour demander quartier aux ennemis. Ils les fupplient  du BaS'Empire. Llv. LXXX. 360 d'épargner la ville ck le fang de tant d'innocents. Ils s'écrient tous qu'ils reconnoiffent Bryenne; que Bryenne eft leur Empereur. Les foldats du camp , attirés par le bruit qu'ils entendoient, vouloient monter a. 1'efcalade; le fils de Bryenne les en empêche; il leur ordonne de fe tenir au pied de, la muraille, ck de joindre leurs acclamations a celles des. habitants. Dès le matin, toute 1'armée , les Officiers a la tête , environne la tente de Bryenne : on le preffe de prendre la pourpre. Après avoir encore réfiflé quelque temps, il fe rend enfin k leurs inftances, ck recoit leurs hommages comme Empereur. C'étoit le troifieme d'Oöobre. II marche enfuite vers Andrinople fa patrie. Toutes les places fur fon paffage lui ouvrent leurs portes. II eft recu avec de grands témoignages de joie; ck après avoir rendu graces a Dieu dans 1'Eglife de la Sainte Vierge-, il fe retire dans fa maifon pour tenir confeil. L'avis des Officiers fut qu'il ne devoit pas aller luimême k Conftantinople; mais y envoyer un de fes Généraux avec un Q y Michel Vil. An. 1077.  Wichel VII. An. 1077. XXX. Jean 'Bryenne c'.evant Conftantinople.Bry. I. 3. c 11 , 12. 3/0 IIlSTOIRE corps de troupes fuffiiant pour y jetter 1'allarme; qu'en même temps, il falloit députer au Prince pour lui propofer le partage de 1'autorité fouveraine, & faire agir auprès des Magiftrats & des perfonnes en place , en leur montrant un acte en bonne forme, par lequel Bryenne s'engageoit a récompenfer par des penfions &c des dignités ceux qui fe déclareroient en fa faveur. En conféquence de cette délibération , Bryenne fit partir fon frere, qu'il décora du titre de Curopalate & de grand Domeflique. Jean fe fit fuivre d'une partie de 1'armée, d'un grand corps de Patzinaces, & de ces Uzes, qui depuis douze ans étoient établis en Macédoine , & devenus fujets de 1'Empire. Rhédefte & Panium fe rendent a lui. II brüle Héraclée. Arrivé devant Confiantinople , il trouve le peuple de la ville très-difpofé k Ie recevoir. Tous les efprits étoient tellement révoltés de la dureté du Gouvernement, que les habitants, qui bordoient le haut des murs, lui témoignoient leur joie , & lui tendant les bras 1'invitoient k  du Bas-Empirb- Liv. LXXX. %7i i„.. j^i;,,^ Ap Iphi-5 rvrans. Mais un IC5 v»v.*-v.- accident facheux fit en un moment fuccéder une haine mortelle k cette affeöion générale. Jean étoit campé vis-a-vis la porte de Blaquernes, prés 1'Eglife de Saint-Cöme & Saint-Damien. Quelques maraudeurs ayant paffé le golfe de Céras fur un pont, fe mirent a piller les maifons fituées au-dela du golfe. Les habitants s'étoient retirés dans la ville , oü il; avoient tranfporté tous leurs effets Les foldats n'y trouvant point de butin a faire, y mirent le feu. Dès qu< le Général s'appercut de cette violence, il envoya faifir ces incendiai res tk éteindre les flammes. On ar riva trop tard; 1'incendie avoit gagn tout le fauxbourg rempli de beau: édifices. Ce défaftre mit le peuple e fureur : irrité de voir qu'on ne re' pondit aux marqués de bienveillanc que par des hoftilités, il ne donr plus que des fignes de colere & d'ii dignation. Jean, n'ayant plus d'auti reffource que la force ouverte , pr para tout pour attaquer la ville. L'Empereur, ayant bordé la m ra':lle, depuis le golfe jufqu'a la Pr Q vj Michel VII. An. 1077. C I e a i- e l- XXXÏ. 11 décam3' pe.  Michel VII. An. 1077. Bry. U 3. *• !J . 14. J 3 C ï c F e d 31 fi g U C< ta d< ta: Si' elJ 3?a HiSTo/RE pontide, du peu de troupes qui fe trouvoient alors è Conftantinople, charge de la défenfe fon frere Conftantin & Alexis Comnene. II tire Ourfel de prifon, & lui pardonne, a condition qu'il employera fon courage dans un danger fi preffant. Ces trois guerriers, dépourvus de folJats, enrölent k Ia hare ceux qu'ils ■encontrent; ils y joignent leurs doneitiques , tk avec cette troupe tunultuaire, ils courent k toutes les ttaques. Alexis, ayant obfervé un etachement ennemi, qui , après avoir die Ia cote da golfe, retournoit au amp avec fon butin, fait ouvrir une orte, tombe fur les traineurs, en nleve une vingtaine qu'il entraine ans la ville, fans donner k leurs calarades le temps de les arracher de s mains. C'étoit un mince avantacependant, comme fi c'eüt été ie grande viöoire, tout le peuple >mbloit Alexis de louanges; & Confi atxn en fut jaloux, jufqu'a lui faire yifs reproches de n'avoir pas par;e avec lui 1'honneur de eet exploit. la ville étoit foiblement défendue, e etoit encore plus foiblement at-  du Bas-Empire. Liv. LXXX. 373 taquée. Jean n'avoit pas les forces néceffaires pour une telïe entreprife; & bien perfuadé qu'il ne réuffiroit qu'a fatiguer vainement fes foldats, il fongeoit a la retraite. II ne cherchoit qu'un prétexte pour fauver fon bonneur, & il ne fut pas long-temps k le trouver. La nouvelle arriva qu'un gros parti de Patzinaces avoit traverfé la Thrace, tk pénétré jufque dans la Cherfonefe, oü il mettoit tout a feu & k fang. II décampe aufli-tót comme pour aller chercher ces barbares. Ourfel fort après lui, 1'atteint prés d'Athyras, maltraité fon arrieregarde, tk s'en retourne. Jean continue fa marche, & rencontre les Patzinaces a leur retour. II les taille en pieces, tk conduit k fon frere un affez grand nombre de prifonniers. Bryenne profita de cette occafion pour mettre les Patzinaces dans fon parti; il leur rendit leurs prifonniers, fit avec eux un traité d'alliance, tk recut en ótages plufieurs des principaux du pays. Michel, fatisfait du zele d'Alexis, lui accorda enfin fon confentement pour un manage que ce jeune Sei- MlCHEL VII. An. 1077. XXXI7. Mariage d'Alexis. Dry. I. 3,  Michel VII. An. 1077, 374 H I S T O I R S gneur defiroit avec paffion. II étoit déja veuf, ayant époufé dès fa première jeuneffe une fille d'Argyre , qu'on croit être ce fils de Mei, dont il a été parlé au fujet des guerres d'Italie. Le Céfar Jean, qui vivoit clans un Monaftere, voyant fon fils Andronic attaqué d'une maladie mortelle, & les deux fils d'Andronic , Michel & Jean Ducas , encore en bas age , fongeoit k procurer un appui a fa familie. Andronic avoit trois filles , dont 1'ainée , Irene , réuniftbit toutes les graces de la beauté k Fefprit & k la vertu. Ils furent d'avis de la marier avec Alexis Comnene. La propofition fut très-bien recue d'Alexis; mais il lui étoit difficile d'obtenir Fagrément de I'Empereur , &C plus encore celui de fa mere, dont les volontés étoient pour lui une loi inviolable. Les intéréts politiques divifoient les deux maifons. L'Empereur étoit fort éloigné d'allier Alexis a fa familie par un mariage avec fa coufine. Conftantin , frere de I'Empereur , quoique ami particulier d'Alexis , s'oppofoit cependant a ce mariage ; mais par un autre motif, il  du Bjs-Eatpire. Liv. LXXX. 375 avoit deffein de lui faire époufer fa foeur Zoé. Le plus grand obftacle venoit de la part d'Anne Dalaffene, mere d'Alexis; elle ne pouvoit pardonner au Céfar 1'injuftice de fon exil. La femme d'Andronic furmonta par fon adreffe toutes ces répugnances. Elle étoit fille de Troïan, fils de Samuel , Roi de Bulgarie. Cette Princeffe , ornée de tous les avantage: de 1'efprit & de la figure , vint i bout de concilier tant d'intérêts & de paffions diverfes; elle obtint 1< confentement de toutes les parties Alexis & Irene furent fiancés. An dronic mourut prefque auffi-töt, con tent de laiffer a fa familie un fou tien fi folide. Mais h peine fut-il mort que les ennemis des deux maifons fi rent jouer de nouveaux refforts poi rompre cette alliance. Ils indifpof* rent encore I'Empereur, dont le c; radtere facile fuivoit toujours les de nieres impreffions. II défendit de pa - fer a la célébration du mariage. C'^ toit avant la révolte de Bryenne. fe rendit enfin après la levée du fie^ de Conftantinople, &C les noces f rent accompagnées de toutes les è Michel VII. An. 1077. r 1f- "11 ;e 1ë-  Michel VII. An. 1077, XXXIII. Révolte ie Nicéphore Botaniate. Scyl. p. | 857,S60, * An- ' Zon. t. II. ( p.' 2S9 , i 290,291. , B ry. I. 3. < r. ij, 6- t Manaff. p. 35- ' Joel. p. q Glycas, p. 33'. f F g n II 1cvle g> S< 1'< 376 HlSTOIRB monftrations de la joie publique. Tandis que la tyrannie de Nicéphorize détachoit de I'Empereur toute la partie Occidentale de 1'Empire , 1'Orient n'étoit pas plus tranquille. Dès qu'on y eut appris le fouevement de Bryenne, les principaux Dfficiers, aufli mécontents que ceux 1'Occident, mais trop fiers pour re:evoir de leurs mains un Empereur, ecrurent en droit de faire leurchoix, k proclamerent Nicéphore Botaniae, qui avoit le commandement géléral des Milices Afiatiques. C'étoit i dix d'Oclobre , fept jours après ue Bryenne avoit pris le même tire deyantTrajanople. Nicéphore femloit être digne de 1'Empire par fon luftre origine ; il defcendoit des hocas, qui faifoient remonter leur énéalogie jufqu'aux Fabius, la plus ohle familie de 1'ancienne Rome. s'étoit fignalé en plufieurs batails; les cicatrices dont il étoit cou;rt portoient témoignage de fa vaur; elles annoncoient un Prince terriër & redoutable aux Barbares. m age devoit lui avoir donné de :xpérience; les fuites funeftes des  vu Bas-EmpirE. Liv. LXXX. 377 mauvais gouvernements fous lefquels '■ il avoit vécu , étoient des lecons utiles, qui pouvoient lui apprendre par contrafte ce que doit être un Souverain pour fe faire aimer de fes fujets. En un mot, il fembloit promettre tout ce qu'il ne tint pas. Naturellement froid Sc plus circonfpecf qu'aclif, il eüt donné a tout autre qu'a Michel le temps de faire échouer fon entreprife : il fe paffa lix mois entre fa proclamation en Atie Sc fon couronnement a Confiantinople. Il avoit auprès de lui Chryfofcule, qui s'étoit attaché k fa perfonne depuis la mort de Manuel Comnene, Sc la bravoure de ce Général Turc ne lui fut pas inutile. II commenca par attirer k lui les Officiers répandus en Afle, en leur conférant des grades honorables, Sc en diffribuant aux principaux toutes les dignités de la Cour Impériale. Entre les Commandants employés en Oriënt, il n'y en eut que deux, qui, fideles aI'Empereur, refuferent conffamment de fe joindre a lui; c'étoient Nicéphore Méliffene Sc George Paléologue, dont le pere gouvernoit alors ce que 1'Em- MlCHEI VII. V.n. 1077.  378 Histoire pire Doffédoit encore en Méfonota- MlCHEL VII. An, 1077, An. 1078. XXXIV, II arrivé a Nicée. mie. Avant que de fe mettre en marche vers le Bofphore, Botaniate voulut s'afTurer de toutes les villes du Pont, de la Cappadoce tk de la Galatie. Pour difpofer les efprits k le recevoir a Conftantinople, il y envoya fecretement des gens affidés, qui s'inlinuant chez les perfonnes les plus diftinguées de la Cour tk de la Ville, leur promettoient des honneurs & des récompenfes , s'ils fe prêtoieht k favorifer la révolution. Comme le mécontentement étoit général contre le Prince & fon Miniftre, il s'en trouva un grand nombre tk dans le Sénat tk dans 1'ordre Eccléfiaftique, • qui s'engagerent k fervir le nouvel Empereur. Le plus ardent de tous fut Emilien, Patriarche d'Antioche, qui avoit un grand crédit dans le Clergé. Nicéphorize, qui n'étoit nullement inftruit de ces pratiques fecretes, ne fongeoit qu'a fufciter au-dehors des ennemis k Botaniate. 11 eut recours ïux Turcs, tk traita avec leur Général Soliman, qui s'engagea, moyeniiantunegrande fomme, k couper che-  du Bas Empire. Liv. LXXX. 379 min au rebelle. Soliman, a la tête d'une nombreufe armée, prévint Botaniate ; il s'empara de tous les paffages. Botaniate n'avoit que trois cents hommes : arrivé a Cotyée en Phrygie , il s'écarte des voies publiques, ck marchant de nuit par des routes détournées il va camper prés d'Azula au bord du Sangar. De-la il prend le chemin de Nicée, ck gagne le devant fur les Turcs. Soliman envoye après lui quelques cavaliers qui 1'atteignent prés de Nicée, ck le harcelent pour retarder fa marche. Ses foldats en fi petit nombre, mais pleins de courage, leur font tête, les joignent ck les mettent en fuite. Cependant craignant d'être enfin accablé par 1'armée Turque, il envoye Chryfofcule qui non-léulement engage Soliman k ceifer la pourfuite, mais obtient même une efcorte dt cavalerie pour affurer la marche cU Botaniate. Ainfi protégé de ceux mêmes qu'on avoit payés pour le détruire, il arrivé devant Nicée. A 1'ap proche-de la ville, il appercoit unc multitude innombrable, bien armé( ck divifée par troupes. A cette vue MjCHEt VII. An. 107S. 1  Michel VII. An. 107S. i : ] 1 1 1 1 1 XXXV. Mouve- t rnentj a Conftan- i tinople. j r a 1 9 38o HïSTOIRE les foldats perdent courage: comment fe défendre- contre une armée fi fupérieure ? Comment même échapper par la fuite a ce nombre de combattants frais & bien montés qui les auront bientöt enveloppés ? Botaniate détache des coureurs pour les reconnoitre tk leur demander quel elf leur deffein. Ils répondent qu'ils fe font mis fous les armes pour honorer 1'entrée de Nicéphore Botaniate, & tous ïlevant la voix, le proclament Empereur. A ce cri Botaniate accourt; 1 entre dans cette grande ville au )ruit des acclamations ; il donne aux ïabitants toutes les marqués de la >lus fenfible reconnoiffance, tk renercie Dieu de 1'avoir conduit comne par la main avec trois cents homnes au milieu de cent mille ennemis u travers de toute 1'Afie. Cette nouvelle mit en mouvement out Conftantinople. Prefque tout le énat & le Clergé, gagnés d'avance ar les émiffaires de Botaniate , fe endent a Sainte - Sophie. Emilien , Lifti éloquent que féditieux, étoit ame de la rébellion avec 1'Archevêue d'Icone. On eft d'avis de folli-  ï>u Bas'Empire. Liv. LXXX. 381 citer le Céfar a fe déclarer pour le nouveau Prince. Jean, fous 1'habit de Moine , s'étoit confervé une grande autorité. On lui députe Michel, fumommé Barus, c'eff-a-dire, le gros, homme adroit & intelligent dans la conduite des affaires. Le Céfar étoit alors au fauxbourg de Blaquernes : Michel lui expofe le vceu des conjurés, ik lui préfente des lettres de Botaniate , qui lui promettoit un ample dédommagement des injuflices qu'il avoit effuyées. Jean répond fans balancer , que nul avantage , nulle promeffe ne pourra 1'engager a trahir I'Empereur fon neveu. 11 fait même faifir le député, ék commande de le conduire a Nicéphorize pour 1'interroger ék prendre les mefures néceffaires. Michel, au moment qu'on 1'arrêtoit, parle k fon domeffique, ék lui dit k 1'oreille d'aller promptement dire aux conjurés, qu'il ne fe fent ni afje\ de farce ni ajfe{ de courage pour garder le Jeer et dans les tourments de la quejlion qu'on va lui faire fouffrir'; qu'ils fe hdtent donc de confommer leur ouvrage. Conduit au Minillre, il déclare tout ce qu'il fait. Le Miniftre auffi-töt Michel VII. An. 1078.  IV! ï CF EL VII. An. 1078. 3Sa II1 $ t 0 1 r e en rend compte a I'Empereur. Alexis étoit préfent; on le confulte fur le parti qu'on doit prendre ; il confeille d'envoyer fur le champ les foldats de la garde fe faifir des conjurés, & Nicéphorize étoit de fon avis. Mais I'Empereur qui ne connoilToit pas le prix du moment dans une occafion fi critique, voulut abfolument qu'on différat jufqu'au lendemain : la nuit commencoit, & il craignoit, difoiti!, qu'une exécution fi violente ne jettat le trouble dans la ville. Le lendemain , vingt-quatre Mars, dès avant le jour , les conjurés fe raflemblent dans Sainte-Sophie ; ils enfoncent les prifons; ils donnent des armes aux prifonniers & a tout ce qu'ils ont de domeffiques; ils envoyent menacer les premiers de la ville, qui ne s'étoient pas encore déclarés, de mettre. le feu a leurs maifons , s'ils ne fe joignent a eux. L'ordre qu'ils leur firent fignifier étoit concu en ces termes: Les très-faints Patriarches, le Synode & le Sénat vous ordonnent de vous rendre touta-theure d Sainte-Sophie. On obéit, & les uns par inclination , les autres par ' crainte accourent a la grande Eglifea  nu ïïas-Empire. Liv. LXXX. 383 L'Empereur, aufli irréfolu que la veille, mande promptement Alexis. Celui-ei repréfente que la plupart de ces fêditieux ne font que des artifans & des miférables, qui ne tiendront pas contre une troupe bien armee; qu'il faut les faire charger par les Varangues , fous la conduite d'un homme de coeur. L'Empereur avoit trop peu de courage pour fuivre ce confeil. Comme Alexis infiftoit ck proteftoit que I'Empereur n'avoit d'autre reiïource pour fauver fa couronne ck fa vie , Michel le rebutant avec un ton d'impatience: Vous voule? donc , dit-il, que je finiffe par être cruel. Ce feroit acketer trop cher la confervation de ma couronne. J'étois depuis long-temps tente de la j'pofer. Puif que les difpotions de la Providence s'accordent avec mes intentions , j'y foujcris de bon cceur. Adreffe^-vous a Conftantin mon frere; mette{-le fur le tróne d ma place. Alexis lui demande eet ordre par écrit; Michel lui expédie fur le champ un brévet en forme figné de fa main ck fcellé de fon fceau , par lequel il cede 1'Empire a fon frere ; ck aulfi-töt il fe retire dans 1'Eglife de Blaquernes avec fa femme Michel VII. A.n. 1078. XXXVI. Découra»ementdeMichel.  Michel VII. An. 1078, XXXVII. II fe démet de 1'Empire , & Botaniate eft couronne. 384 HlSTOIRE & fon fils. Alexis porte eet écrit k Conftantin, 6c Fexhorte k le fuivre au palais, pour y prendre les marqués de 1'autorité fouveraine. Conftantin , intimidé par 1'exemple de fon frere, refufe la couronne comme un préfent funefte ; & au-lieu d'aller au palais, il paffe le Bofphore pour n'être pas le dernier k faire hommage a Botaniate. II eft fuivi d'Alexis. Cependant Botaniate, inftruit de ce qui fe paffoit dans la ville, fort de Nicée, 6c marche vers le Bofphore. De Prénete il envoye Borile le plus accrédité de fes domeftiques pour fe mettre en pofTeftion du palais. II avance lui-même jufqu'a Chalcédoine , oü il s'arrête trois jours en attendant la galere Impériale, 6c les ornements convenables pour fon entrée. II congédie avec des marqués de reconnoiflance 1'efcorte Turque qui 1'avoit accompagné jufque-la. Ce fut en ce lieu que Conftantin 6c Alexis vinrent lui faire leur foumiftion. Comme il recevoit froidement 1'hommage de Conftantin , fans daigner 1'emhraffer, fans même lui préfenter la main , Alexis prenant la parole: » Sei» gneur,  du Bjs-E&ipihe. Liv. LXXX. 385 » neur, lui dit-il, ce Prince qui vient » vous aflïirer de fon obéiffance, » n'a retiré aucun fruit du pouvoir » de fa familie. Ecrafé par la gran» deur de fon frere, efclave ainli » que nous tous d'un infolent Minif» tre, il a vécu comme prifonnier » dans une trifte obfcurité. Votre » avénernent au tröne rompt fes fers » & lui rend la lumiere. II refpire, » &c efpere des jours plus lereins , » li vous voulez bien 1'honorer de y, votre bonté paternelle ". Comme Botaniate paroiffoit touché de ces paroles, & jettoit fur Conftantin des regards de bienveillance :» Pour moi, » continua Comnene, vous favez, » Prince, avec quelle conftance j'ai » fervi celui qui régnoit avant vous. » Malgré 1'empreffement que tout » 1'Empire témoignoit de vous avoir » pour maitre , je fuis demeuré le » dernier attaché k celui que la Pro» vidence m'avoit donné. Par ce que » j'ai fait pour un autre, jugez de » ce que je ferai pour vous. Ma fi» délité envers votre prédéceffeur » vous répond de celle que je vous » jure aujourd'hui ". Botaniate 1'éTome XVII. R NicÉFHo-: RE III. An. 107S,  Nicéphore HL An. 107S. 386 HlSTOTRE couta favorablement. Lorfqu'il apprit que Borile étoit maitre du palais , il s'embarqua fur lagalereImpériale, tk fut recu a Confiantinople avec eet empreffement populaire qui ne manque jamais dans un changement de regne. Avant même qu'il fut entré, Michel qui n'avoit plus que fa vie a fauver, s'étoit fait couper les cheveux & conduire fur un méchant cheval au monaftere de Stude , oü il avoit pris 1'habit monaftique après un regne de fix ans & demi. Sa femme & fon fils 1'y avoient accompagné. C'étoit par le confeil du Céfar fon oncle, qui, connoiffant la légéret»d'efprit de Botaniate, tk la méchanceté de fes valets dont il étoit gouverné, craignoit pour fon neveu quelque trai' tement plus facheux. Nicéphorize, première caufe de tous ces malheurs, fachant bien ce qu'il méritoit, étoit forti de Conftantinople la nuit précédente s & s'étoit aller jetter entre les bras d'Ourfel qui fe trouvoit pour lors a Selymbrie , oü Nicéphorize lui-même 1'avoit envoyé. Botaniate fe voyant maitre de 1'Empire, fans qu'il lui en eüt coüté une goutte de  du Bas-Empire. Liv, LXXX. 387 fang, fe fit couronner le lendemain de fon entrée, troifieme d'Avril; & quoi qu'en ayent dit de favants modernes qui fe font trompés fur ce fait, ce fut le Patriarche de Conftantinople qui en fit la cérémonie , felon le témoignage de Scylitzès, Auteur contemporain , de Zonaras & de Glycas, qui écrivoient dans les deux fiecles fuivants. De deux rivaux qui avoient pris le nom d'Empereur, le plus foible & le moins capable du gouvernement avoit été le plus heureux. Bryenne , plus jeune & plus adfif, régnoit en Illyrie & en Macédoine; mais étant mal fecondé, il n'avoit pu s'emparer de la Capitale. Botaniate', dont la froideur naturelle étoit augmentée par les glacés de la vieilleffe, n'avoit de reffort qu'autant qu'il en recevoit de Borile & de Germain. Ces deux hommes nés dans 1'efclavage„. devenus par une foupleffe fervile les confidents ie leur maitre, & enfin fes maïtres eux-mêmes, difpofoient de 1'Empire fous le nom de Botaniate. Ce Prince ayant en tête un adverfaire aufli chéri des peuples poitr fon R ij RE IIJ. An. 1078. XXXVIH Premières opérations de Botaniate. Scyl. p. 862. Zon. t. II. p. 291. Bry. I. 4. c, I.  NlCÉPHO' HE Hl. An. 1078, XXXIX. Fin malïieureufe 388 HlSTOIRE inclination bienfaifante, que formidable par la valeur , s'efforca de le furpaffer en libéralités. Mais pour gagner les cceurs , il ruina 1'Etat par des promfions inconfidérées. Les Empereurs avoient deux fources de récompenfes pour payer lés fervices, c'étoient les dignités & les penfions. Botaniate avilit la première en prodiguant les offices a tous ceux qui les demandoient fans les mériter; il épuifa la feconde en répandant 1'argent a pleines mains fans difcernement & fans économie; en forte que le tréfor public déja fort appauvri par la mauvaife adminiftration des regnes précédents, & par les incuflions des Turcs qui enlevoient les revenus de 1'Afie, fe trouva bientöt hors d'état de fournir aux dépenfes les plus néceffaires. II fallut avoir recours a la plus miférable de toutes les reffour1 ces ; ce fut d'altérer les monnoies; & les efforts mal entendus de Botaniate pour fe concilier 1'amour de fes fujets, ne lui attirerent que le mépris & la haine. Nicéphorize devoit a 1'Empire une fatisfaction éclatante pour les maux  du Bas-Empire. Liv. LXXX. 389 qu'il lui avoit fait fouffrir, 6c 1'hiftoire doit a. la poftérité le confolant récit de la punition des Tyrans. Ce Miniftre fugitif retiré auprès d'Ourfel , vouloit 1'engager k fe donner k Bryenne, contre lequel il 1'avoit luimême envoyé avec des troupes. Le trouvant peu difpofé k fuivre ce confeil , il le fit périr par le poifon , dont il favoit faire ufage. Les amis d'Ourfel fe faifirent de fa perfonne, 6c le conduifirent k Botaniate, qui fe contenta de le reléguer dans 1'ifle d'Oxia. Mais Borile 6c Germain, qui lui fuccédoient en faveur, appréhendant que eet homme artificieux ne trouvat moyen de rapprocher de leur maitre 6c de prendre leur place , perfuaderent au Prince que Nicéphorize poffédoit de grands tréfors , 6c qu'il avoit fait paffer dans fes coffres tout 1'argent de 1'Empire. Straboromain fut donc envoyé pour 1'interroger 6c 1'obfiger k reftitution , fans lui faire aucun mauvais traitement. Telle étoit 1'intention de I'Empereur. Mais les deux Miniftres recommanderent en particulier au Commiffaire de ne le pas ménager, Straboromain craignant R in' NlCÉFHORE III. An. 1078. de Nicé-. phorize. Scyl. p. 867, 868. Zon. t. II. p. 193. Bry. I. 3. t, 36.  NicÉr-Hore m. An. 1078. XL. Bryenne refufe un Eccommodement. Scyl. p. S62, 863. Zon. t. 11. p. 291. JSry. I. 4. C. 2 , 3 , 4. Glycas t p. 331. 39° H 1 s t 0 1 r ë beaucoup plus lemécontentement des Miniftres que celui du Prince, fit mettre Nicéphorize a la torture, quoiqu'il offrït de tout reftituer fi on lui en épargnoit les douleurs; & il s'acquitta fi bien de fa commiflion, que ce malheureux expira dans les tourments. Pendant ce temps-la, Bryenne, fuivi des troupes de Macédoine, de Thrace, & des Patzinaces fes alliés , marchoit vers Conftantinople. Botaniate, craignant un choc fi dangereux dans les commencements d'un regne, tenta un accommodement. II en chargea Straboromain, fon pa rent, & Cherorofphacfe, parent de Bryenne. Ces envoyés rencontrerent Bryen* ne en Méfie, prés de Théodoropolis. Averti de leur arrivée , il s'avan5a au-devant deux, accompagné de fes principaux Officiers. II étoit k cheval, revêtu de toutes les marqués de la dignité Impériale, que relevoit encore fa figure noble & fa taille avantageufe. Les députés s'étant approchés avec refpecf, lui préfenterent une lettre de I'Empereur, concue en ces termes: » J'ai connu vo-  Dü Bas-Empire. Liv. LXXX. 391 » tre pere , qui s'eft fignalé par des » exploits glorieux contre les enne» mis de 1'Empire. J'étois lié avec » lui d'une amitié intime , & je 1'ai » accompagné dans fes expéditions. » Je fais que vous êtes Ie digne hé» ritier de fes éminentes qualités; &c » puifque la Providence m'a placé » fur le Tröne, je veux être votre » pere, & je demande de vous les » fentiments d'un fils. Acceptez, avec » le titre de Céfar, la fecondè place » de 1'Empire, & le droit a la pre» miere, que ma vieilleffe ne vous w laiffera pas long-temps attendre ". Bryenne répondit, quil acaptoit ces offres, & quil ne tiendroit pas d lui de mettre promptementfin d la guerre civile. Mais quil fe reprocheroit comme une ingratitude inexcufable de ne pas partager les fruits de la paix avec les braves gens qui lui avoient voué leurs feryices : qu'il demandoit donc que I'Empereur s'engagedt par une promeffe irréyocable d leur conferver les mêmes grades qu'ils avoient dans fort. armee : qu'a cette condition il fe contenteroit de la dignin de Céfar, comme héritier préfomptif di (Empire ; qu'il fouhaitoit feulement re* rv iv, NlCÉPHÖRE III. An. 1078,  NicirHc- KE UI. An. 1078. SpS IllSTOIRE cevoir de tEmpereur le titre de fils adoptif , & du Patriarche la couronne de Céfar hors de Confiantinople d Démocranée en Thrace. Comme les députés lui demandoient pourquoi il ne vouloit pas que cette augufte cérémonie fe fit , felon 1'ufage, dans la capitale , il répondit, qua la vérité il ne craignoit que Dieu, mais qu'il fe défioit de ceux qui environnoient I'Empereur. Il n'en fallut pas davantage pour faire entendre aux deux Miniffres qu'ils avoient dans Bryenne un ennemi déclaré. Ils réfolurent donc de faire échouer ce projet falutaire, & y réuffirent fans beaucoup de peine en exagérant au Prince 1'audace de Bryenne, qui prétendoit le forcer a couronner la rébellion, a récompenfer des gens qui méritoient des fupplices, & a fe mettre a la merci d'une foule d'ennemis, dont il feroit fans cefle enveloppé jufque dans fon palais. On renvoya par deux fois les mêmes députés pour engager Bryenne a fe défifter de cette prétention; ils ne purent rien obtenir, & furent enfin congédiés avec des marqués Ü'impatience. Ils auroient même été  f nu Bas-Empire. Liv. LXXX. 393 outragés par les foldats, fi les Officiers n'en euffent arrêté 1'infolence. On ne fongea plus qu'a la guerre. Alexis, revêtu du titre de Nobiliffime & de Foffice de grand Domeftique, fut mis a la tête des troupes qu'on put raffembler. Elles étoient en fort petit nombre. Tout 1'Occident fuivoit Bryenne ; & les courfes continuelles des Turcs obligeoient de répandre la plus grande partie des forces de 1'Orient fur toutes les frontieres de 1'Afie mineure. L'armée d'A- , lexis n'étoit compofée que des Chomatenes, de ceux qu'on appelloit les Immortels, & de quelques troupes de Francs vernies d'ltalie en différents temps avec ces braves Capitaines Normands , dont j'ai parlé plufieurs fois. II y en avoit dans les deux armées: car ces aventuriers f fort indifférents fur les querelles des Grecs, ne cherchoient qu'a fe battre, fans autre intérêt que celui de la folde & du butin. Les Chomatenes étoient des habitants du mont Taurus prés des fources du Méandre, ainfi appellés de la ville de Choma , leur capitale; ils ayoient réputation de vaR v ■ Nicéphore III. An, 1078. XLI. Alexis marche contre Bryenne. Scyl. p, 863, S64. Zon. t. 11, ». 291 1 192. Bry. I. 4; :. 4. «S- Ann, p. 9.'  Nicéphore Hl. An, 1078. 394 HlSTQIkE leur. Quant aux Immortels, c'étoit une nouvelle milice choifie & dreffée avec /oin a tous les exercices de la cavalerie. On attendoit un nouveau fecours de Turcs que Soliman avoit promis. Avant qu'ils fulfent arrivés, Alexis recut ordre de partir, & de marcher au-devant de Bryenne , qui approchoit avec des forces fupérieures. On avoit néanmoins tant ■de confiance dans la Icience militaire d'Alexis, qu'on lui recommanda de livrer bataille a la première occafion. II campa en Thrace fur les bords du fleuve Almyre, & fe pofta de maniere que les deux camps ne pulfent fe découvrir entiérement 1'un 1'autre , de peur que la préfence des ennemis , très-fupérieurs en nombre, n'abattït le courage des flens, tandis que la vue de fa foibleffe releveroit celui des ennemis. II comptoit beau£oup moins fur la force de fes troupes , que fur les rufes de guerre, & fur fon adrefle k profiter des moments & de la fituation des lieux. Pour fe procurer un champ de bataille plus favorable, il décampa, & alla fe poffer dans un ljeu nommé  du Bas"Empisji. Liv. LXXX. 395 Calabtya; c'eil-a-dire, les belles Fontaines, oü 1'inégalité du terrein lui donnoit moyen de placer des embufcades. Bryenne, auquel cette pofition fermoit tous les paffages, alla 1'y chercher, 8c fe rangea pour combattre ; il donna le commandement de 1'aile droite k fon frere avec cinq mille tant fantaffins d'Italie, que cavaliers Theffaliens, auxquels il joignit des troupes de barbares trèsaguerris. Tarchaniote commandoit 1'aile gauche, oü étoient trois mille fantaffins Thraces 8c Macédoniens pefamment armés. Bryenne s'étoit pof!é au centre, k la tête de la cavalerie de Thrace 8c de Macédoine avec les troupes de fa garde ; c'étoit 1'élite de fon armée. Ces efcadrons, couverts de cuiraffes 8c de cafques de fer poli & luifant, relevés de hauts pannaches qui flottoient fur leur tête, éblouiffoient les yeux, 8c jettoient 1'effroi par le bruit de leurs lances, dont ils frappoient leurs botteliers. Bryenne , au milieu d'eux , les furpaffant de toute la tête, les animoit par fes regards , & par fa fiere contenance. Sur le flanc de 1'armée, k R vj Nicéphore nu An. 1078.  Nicéphore III. An. 1078, XLII. Bataille de Cala- ' fcrya. I . 1 3fj6 HlSTOIKE deux cents cinquante pas de dklarice, étoit un corps de Patzinaces, qui avoient ordre, dès que le combat feroit engagé, de tourner 1'armée ennemie, & de la charger en queue, tandis que le refte des troupes feroit effort pour 1'enfoncer par-devant.Teb le étoit la difpofition de 1'armée de Bryenne. Alexis cacha, dans des chemins creux a cöté du champ de bataille, une partie de fes troupes, avec ordre de s'y tenir jufqu'au moment que I'ennemi feroit paffé au-dela ; de fortir alors, & de le charger en queue en portant tout leur effort fur 1'aile droite. Pour lui, il fe mit a la tête des Immortels & des Francs; il donna k Catacalon la conduite des ChoTiatenes & des Turcs, & lui recomnanda d'obferver les Patzinaces, &c ie répondre k tous leurs mouveuents. Tout étant prêt pour la bataille, Bryenne s'avance en bon ordre pour Utaquer Alexis, qui 1'attendoit de ?ied ferme. Dès qu'il fut au-dela lu chemin creux, Alexis donne le fi*nal aux troupes de 1'embufcade; elles é montrent aufli-tót, & chargent  nu Eas-Empirb. Liv. LXXX. 397 i'aile droite avec tant de vigueur, qu'elles la mettent d'abord en défordre, & bientöt en fuite. Jean Bryenne , qui la commandoit, emporté par lesfuyards, & pourfuivi vivement par tin cavalier, tourne bride, abat Ie cavalier d'un coup de lance, rallie fes gens, les ramene a la charge, & repouffe I'ennemi qui fuit a fon tour* La défertion des Francs décourageoit 1'armée Impériale. Les Francs d'Alexis , au-lieu de combattre ceux de Bryenne , avoient paffé fous leurs drapeaux. Dès le commencement de la bataille, Alexis, par une fougue téméraire, s'étoit engagé au milieu des ennemis, parmi lefquels il faifoit un grand carnage. II pouffoit toujours en-avant,fe croyant fuivi des fiens. Mais s'étant appercu que fa troupe étoit défaite, & qu'il ne ref* toit avec lui que fix de fes plus vaillants Officiers, il leur propofe de donner tête baiffée par-tout oü ils croiroient rencontrer Bryenne , &C de le tuer ou de mourir a fes pieds, Théodote , Officier auffi fenfé que brave, le détourne de cette réfolution défefpérée; êc faififlant la bride Nicéphore HL An. 107S.  NlCÉPHO RE UI. An. 1078 S98 IllSTOIRE de fon cheval, il le force de retour* ' ner en-arriere. II lui fut d'autant plus facile de fe dégager, que le défordre s'étoit mis dans 1'armée de Bryenne. Les Patzinaces, ayant renverfé Catacalon , au-lieu d'exécuter leurs ordres en prenant I'ennemi en queue , avoient jugé plus a propos de piller le camp ; & chargés du butin, ils le rapportoient dans leurs tentes. A leur approche, les valets, les vivandiers & tout ce qui étoit reffé dans le camp, les prenant pour un détachemement ennemi, avoient pris 1'épouvante, & s'étoient venus jetter dans 1'armée de Bryenne, ou ils avoient porté la cónmfion. A la faveur de ce tumulte, Alexis, ayant baiffé la vifiere de fon cafque pour n'être pas reconnu, traverfoit le fabre haut les efcadrons ennemis, lorfqu'il appercut un Ecuyer de Bryenne menant en main un des chevaux de fon maitre, reconnoiffable par la magnificence de 1'équipage. II piqué a 1'Ecuyer, le renverfe, fe faifit du cheval, & le met entre les mains d'un cavalier, qui, courant entre les deux armées, crioit d'une voix tres-forte.  du Bas-Empire. Liv. LXXX. 599 LI ry enne efl tué, voila fon cheval. Ce cri glacé d'effroi 1'armée de Bryenne, & rend le courage a celle d'Alexis. Ceux qui fuyoient tournent vifage , & paree qu'ils fe croyent vainqueurs, ils le deviennent. Un heureux hafard les favorife ; en ce moment arrivé le nouveau renfort de Turcs envoyé par Soliman. Ils fe partagent auffi-töt en trois efcadrons, & donnent fur I'ennemi par trois cötés différents. Ces troupes fraïches renverfent aifément les ennemis fatigués, & ra-» niment la vigueur des troupes d'Alexis. Un des Immortels, emporté par fon courage , court a Bryenne au travers de fes gardes, il 1'atteint, & lui porte fur la poitrine la pointe de fa lance; Bryenne la rompt d'urï coup de fabre, dont il décharge fur le cavalier un fentlant fi terrible, qu'il lui abat fépaule , avec une partie de fa cuiraffe. Cependant Alexis, ayant placé dans une ravine un corps de troupes , fe met a la tête des Turcs, & après un combat de quelques moments, il feint de prendre la fuite. Lorfqu'il voit I'ennemi arrivé prés de 1'embufcade, il fait volte StlCÉPHORE III. A,n. 107S.  Nicéphore Hl. An. 107S. XLIII. On cre^e les yeuxa Bryenne, 4OC HlSTOIRE face, ck donne le fignal aux troupes cachées qui, fortant avec de grands cris, chargent en flanc ck en queue. Les ennemis, après quelque réfiftance, preffés de toutes parts, tournent le dos. Bryenne-efl: obligé de les fuivre, fe bat en retraite, fecondé de fon frere ck de fon fils, qui fe fignalerent dans cette journée. II retourne de temps en temps fur I'ennemi, abattant toujours k fes pieds celui qui le fuivoit de plus prés. Enfin, Ion cheval n'en pouvant plus, il s'arrête , ck eft affailli par deux Turcs; k 1'un defquels, il coupe la main d'un coup de fabre; ck tandis qu'il fe défend contre 1'autre, celui qu'il venoit de bleffer , faute fur la croupe de fon cheval, ck 1'embraffe en le ferrant de toutes fes forces. Bryenne, faifi par le milieu du corps, combat encore, jufqu'a ce que fe voyant environné de Turcs, qui lui crioient d'épargner fa vie, il fe rend prifonnier. Son frere fe fauve a Andrinople, ék toute fon armée fe difperfe par la fuite. Après une bataille fi opiniatre; Bryenne fut conduit avec fon fils de-  du Bas-Empire. Liv. LXXX. 401 vant Alexis, qui fit fur le champ partir un courier pour porter k la Cour la nouvelle de la vicloire avec les ornements Impériaux, dont on avoit dépouillé le vaincu. Dès le lendemain , Alexis fe mit en marche avec fon armée pour retourner k Confiantinople, traitant fon prifonnier avec honneur, Sc le confolant lui-même de fon infortune. II comptoit tellement fur la parole & fur la bonne foi de Bryenne, que dans la route ils marchoient enfemble fort loin de 1'armée , fouvent même fans gardes ; Sc Bryenne racontoit dans la fuite , que fe trouvant fatigués, ils defcendirent de cheval pour prendre quelque repos, 8c qu'Alexis ayanl fufpendu fon épée k une branche d'ar bre, fe jetta fur 1'herbe, ou il s'endormit: qu'en ce moment il fut luimême tenté de fe faifir de 1'épée poui tuer Alexis, Sc qu'il ne fut retemi que par un fentiment d'eftlme ck de compaflion en faveur d'un ennemi f généreux. Avant que d'arriver k Conf tantinople, Alexis recut ordre de remettre les deux prifonniers entre le; mains de Boriie, ck de s'abilenir ch Njcéïho- re 111. An. 107S.  NlCÉFHOBE III. An. 1078. XLIV. Aflaffinat de Jean Bryenne. 40a HlSTOIRE rentrer clans la ville; mais de partir fur le champ avec fon armée, pour aller chercher Bafilace, qui avoit pris le diadême k 1'exemple de Bryenne. Alexis vit avec chagrin qu'on ne le payoit de fes fatigues paffées que par denouvellesfatigues, 6c de nouveaux dangers. II fe détermina cependant a obéir. Bryenne ne trouva pas a Conftantinople la même humanité qu'il avoit trouvée auprès de fon vainqueur. L'impitoyable Borile lui fit crever les yeux, ainfi qu'a fon fils. L'Empereur, moins cruel que fon Miniftre, eut regret k ce traitement, qu'il n'avoit pas eu le courage d'empêcher. Ce foible Prince s'efforca du moins de confoler Bryenne dans fa difgrace, il le fit venir au palais, lui rendit fes biens, les augmenta même, Sc lui conféra de nouvelles dignités. La compaftion que lui infpiroit le malheur de Bryenne , s'étendit même fur tous ceux qui avoient foutenu fon parti. II ofa, dans cette occafion, contredire fon Miniftre, & leur pardonner. Alexis fut chargé de lettres d'amniftie fignées de I'Empereur, 6c fcellées de la bulle d'or, par lefquelles  nu Bas-Empire, Liv. LXXX. 403 les partifans de Bryenne étoient confervés dans tous leurs biens Sc leurs dignités, a condition qu'ils mettroient bas les armes, Sc qu'ils prêteroient ferment de fidélité. Ils profiterent prefque tous de la grace qui leur étoit offerte, Sc 1'on en voyoit tous les jours arriver un grand nombre , que Botaniate recevoit avec bonté. Jean, frere de Bryenne, fe fia luimême a la parole de I'Empereur, tk revint a Conftantinople. II n'eut pas a fe plaindre du Prince ; mais il fut la vidlime du reflentiment d'un foldat. Dans le temps que Bryenne prit les armes, les Varangues qui fe trouvoient hors de Conftantinople s'étoient rangés fous fes enfeignes. Leurs camarades qui fervoient auprès de Botaniate leur avoient envoyé un d'entr'eux pour les ramener a leur devoir. Celui-ci, ayant été découvert tk arrêté, avoua la commiflion dont il s'étoit chargé, & eut le nez coupé par ordre de Jean Bryenne. Le barbare ne lui pardonna pas un outrage fi fanglant; Sc un jour que Jean fortoit du palais, il lui abattit la tête d'un coup de fa hache d'armes. L'Em- NlCÉPHORE UI. An. 107J.  Nicéphore III. An. 1078. XLV. Botaniate époufe Marie , femme de Michel Parapinace. Scyl. p. S64, 865. Zon. lom. II. 292. Bry. 1. 3. c. 2;. :■ Manajf. p. Glyc. p. 531. Joel. p, 18;. Anna , p. 71.73.74. Theophyl. infl. reg. part. 1, c. 7 . & feqq. Vu Cange 404 HlSTOIRE pereur vouloit punir raffafïïn; tous les Varangues fe révolterent, ne menacant de rien moins que de maffacrer I'Empereur. II fallut pour les réduire, armer contr'eux tout le reffe de la garde. Se voyant les plus foibles, ils fe foumirent, & eurent recours a la clémence de TEmpereur, qui leur accorda le pardon. Botaniate auroit emporté quelque eflime, s'il n'eüt pas été Empereur; foit qu'il ait été corrompu par la puiffance fouveraine, foit que fon penchant a la débauche fe foit auparavant tenu caché dans 1'ombre de la vie privée, 1'hiftoire ne parleroit que de fes faits d'armes. II perdit fur le Tröne la réputation de guerrier qu'il avoit acquife, & il acquit celle de vieillard voluptueux, qui facrifioif a une paflïon imbécille les loix divines ék humaines , & la plus commune bienféance. Tandis que la guerre de Bryenne mettoit fa couronne en danger, il ne s'occupoit que d'un troifieme mariage. Verdéna , fa feconde femme, venoit de mourir ; toutes les families diffinguées s'empreffoient a l'envi de remplir une place fi brillan-  au Bas-Empire. Liv. LXXX. 405! ♦o 1,,; «ff,;* 7nó a ne & fort belle; il préféra la mere, qui devoit cependant être avancée en ■ age , puifqu'il y avoit au moins qua- j rante-trois ans qu'elle avoit époufé 1 en premières noces Conftantin Ducas. Eudocie écouta la propofition ' avec joie; elle époufoit le Tröne, ' qu'elle n'avoit quitté qu'a regret; & la défenfe que fon premier mari lui avoit faite de fe remarier après fa mort, déja une fois violée, ne lui avoit pas öté 1'envie de la violer encore. Toutefois un Moine vertueux, en qui elle avoit mis fa confiance , la détourna de cette union, condam* née par les canons de 1'Eglife Grecque. Son refus étoit une lecon pour Botaniate; il en profita fi peu, qu'il réfolut de joindre Paduitere k la trigamie. Michel, ayant pris 1'habit monaftique, Marie, fa femme, s'étoit aufli retirée dans une maifon religieufe. Le Céfar Jean, qui avoit quitté 1'habit de Moine au moment que fon neveu Michel 1'avoit pris, crut qu'il régneroit plus abfolument fur 1'efprit de fa niece, que fur celui de fa bellefceur. 11 ne ceff'oit de louer k Nicé- ^ICÉPHORE III. in. 1078; 'am. Bx{. 163, Abrégê Je 'hifi. d'1al. t. W. 75-.  Nicéphore UI. An. 1078. 406 II 1 S T 0 1 R E phore les graces de Marie, qui étoit en effet d'une beauté parfaite; & prenant autorité de 1'habit qu'il avoit porté pour décider des cas de confcience, il travailloit a lever les fcrupules de 1'un & de 1'autre fur le fecond mariage d'une femme dont le premier mari vivoit encore. La morale de Nicéphore ne réfifta pas; il eft plus étonnant que le Céfar ait pu féduire Marie, dont un Evêque, eftimc pour fa vertu & fes lumieres, releve par de grands éloges la religion & la pureté des mceurs: ce qui*, pour le dire en paffant, fait fentir quel fond 1'hiftoire peut faire fur les panégyriques des Princes. Le mariage fut donc conclu. Tout étoit pret pour la célébration; 1'Empereur & la nouvelle époufe attendoient déja le célébrant a. la porte de 1'Eglife, felon 1'ufage des Grecs, lorfque 1'Eccléfiaftique, qui s'étoit chargé de cette fond!ion, faifant réflexion qu'il all®it encourir les cenfures de 1'Eglife , &C 1'indignation de fon Evêque, s'il prócédoit k former une alliance adultere, refufa de prêter fon miniftere. Le Céfar , qui en fentoit la raifon , & qui en  bu Bjs-Empire. Lh. LXXX. 40? craignoit les fuites , dit un mot a l'oreille a Michel Ducas, hls du défunt Andronic , ck fon petit-fils; ék le jeune Prince courut auffi-töt chercher un Prêtre plus complaifant , qui fit la cérémonie fans balancer. Dès qu'elle fut achevée, il futinterdit. Le Patriarche, pour confoler Michel, 1'ordonna Prêtre; ck de Fa vis des Métropolitains, il le nomma Archevêque d'Ephefe, oii Michel n'alla jamais qu'une fois. II en revint auffitöt, ék acheva fa vie dans le Monaftere , oii il travailloit de fes propres mains. II mourut fous le regne d'Alexis , qui le traita toujours avec de grands égards. Etant prés de mourir, il déclara qu'il pardonnoit a fa femme fon infidélité , ék qu'il prioit Dieu d'ufer envers elle de la même indulgence. Elle étoit alors rentrée dans le Monaftere depuis la mort de Botaniate. Ce Prince, en époufant Marie , retira du Monaftere Conftantin, fils de cette Princeffe, ck qui étoit élevé auprès d'elle. II rompit le mariage projeité entre ce jeune Prince ckHé'ene, fille de Robert Guifcard, qu'il fit enfermer dans un Monajle- NlCÉPHORE III. An, 1078.  Nicéphore HL An. 1078. 4.08 BlSTQIRE re. Le fier Normand reffentit vivement eet affront; tk ce fut dans la fuite la caufe ou le prétexte de la guerre qu'il fit a 1'Empire, fous le regne d'Alexis. Le Pape Grégoire VII, accoutumé k faire ufage des foudres de 1'Eglife, tantöt pour fe venger de fes ennemis, tantöt pour fe faire des amis, cherchant alors a fe rapprocher de Robert, qu'il avoit ex communie , prit cette occafion pour flatter la colere de ce Prince. Entre les excommunications qu'il lanca dans un Concile tenu a Rome fur la fin de cette année, il en adreffa une k Nicéphore Botaniate. Grégoire n'avoit vu qua regret Michel dépouillé de la puiffance fouveraine. II avoit beaucoup efpéré de eet Empereur, qui, dès le commencement de fon regne, lui avoit envoyé deux Moines avec des lettres, oü il témoignoit fon refpect -pour le Pape, & fon attachement k 1'Eglife Romaine. Nous avons une lettre de Grégoire, datée du 9 Juillet 1073, par laquelle il exhorte Michel a pourfuivre le louable deffein que Dieu lui a infpiré; il protefte qu'il defire ardemmeat de rétablir la con- corde  du Bjs-Empirb. Liv. LXXX. 409 corde entre les deux Eglifes; & il nomme celle de Conllanflinople, fille de 1'Eglife de Rome. C'eft une lettre de créance donnée a Dominique, Patriarche de Venife , auquel il prie I'Empereur d'avoir une entiere confïanee pour tout ce que ce Prélat lui dira de vive voix. Ce fut par un effet de cette bienveillance que Grégoire adreffa 1'année fuivante a tous les Chrétiens une lettre datée du premier Mars, pour les engager k réunir leurs forces contre les Turcs en faveur de 1'Empire Grec. II y expofe les pernicieux progrès de ces Infideles, qui ont pouffé leurs ravages prefque jufqu'aux murs de Confiantinople, fe font emparés d'une grande partie de 1'Alie, & ont égorgé, comme de timides troupeaux,desmiliers de Chrétiens. II exhorte tous les ftdeles k ne pas épargner leur vie pour fauver celle de leurs freres, k 1'exemple de Jefus-Chrill : que pour lui, plein de confiance dans le fecours de Dieu , il met tout en ceuvre pour procurer aux Grecs la délivrance de leurs maux. II les conjure au nom du Sauveur, & leur ordonne, par 1'autorité de Tornt XVU, S Nicéphore III. An. 107S,  Nicéphore III. An. 1078. XL VI. Guerre de Bafilace. Scyl. p. 865, 866. Zon. t. II, p. 292. Glycas, p. 331. Bry. I. 4. c. "16, & feqq. Anna, p 17, & few 4IO HlSTOIRE Saint Pierre, d'avoir compafïion du maflacre de leurs freres, & de lui faire favoir au plutöt ce que la bonté divine aura infpiré a ce fujet. On peut regarder cette lettre comme le premier fon de trompette qui réveilla 1'Occident, & commenca d'allumer dans les cceurs le feu des Croifades. Pendant que la Cour n'étoit occupée que de fêtes & de plaifirs, Alexis alloit chercher Bafilace, nouveau rival de Botaniate. Ce guerrier, brave & hardi, mais aufli inconffant qu'ambitieux, n'avoit pas plutöt renouvellé fon traité avec les Bryennes, qu'il s'étoit retiré a Dyrrachium dans le deffein de recommencer la guerre, & de profiter des troubles de 1'Empire pour fe faire lui-même Empereur. II enröla toute la jeuneffe des contrées voifines, fit venir des Francs d'Italie , raffembla fous fes enfeignes grand nombre de Bulgares, de Grecs, d'Illyriens; & pendant que ' Bryenne avancoit en Thrace, il prit ■ le chemin de Thefialonique. Arrivé dans la ville d'Achride, il voulut, k Fexemple de Bryenne , fe faire pro-  du Bas-Empire. Liv. LXXX. 411 clamer Empereur. L'Archevêque 1'en détourna, lui confeillant de différer & de laiffer Botaniate & Bryenne dans une égale incertitude du parti qu'il alloit prendre. II étoit k Theffalonique lorfqu'il apprit le couronnement de Botaniate. Toujours diffimulé, il lui fit par lettres les plus fortes proteftations de foumiffion & d'obéiffance , & en même-temps il prit avec fes partifans des mefures pour le détruire. II attira grand nombre de Patzinaces, toujours prêts k vendre leurs fervices. Botaniate, informé de fes mouvements, elfaya d'abord de le gagner par des bienfaits. II lui envoya un de fes confidents avec un brevet icellé de la bulle d'or, par lequel il lui offroit la dignité de Nobiliffime, & s'engageoit k le combler de biens , s'il renoncoit k des projets qui ne pouvoient le conduire qu'a fa perte. Bafilace, fe voyant démafqué , ne garda plus de mefures. II prit le diadême, & fe prépara ouvertement a la guerre. Mais ne voulant travailler que pour lui-même , il attendit 1'événement de celle qui fe faifoit entre Botaniate & Bryenne , bien S ij Nicéphore III. An. 1078.  Nicéphore III. An. 1078. XLV1I. Mouvements des deux armées. 41a HlSTOIRË réfolu d'attaquer celui des deux qui demeureroit vainqueur. La diligence d'Alexis prévint Bafilace, qui apprit prefque en mêmetemps la défaite entiere de Bryenne, & 1'approche d'Alexis. Celui-ci n etant refté que trois jours devant Conftantinople , avoit repris la route de Macédoine; & ayant paffé le Strymon, il s'étoit campé dans une plaine large de trois ou quatre cents pas, bordée d'un cöté par le Vardar, autrefois YAxius, de 1'autre par un foffé que le fleuve en changeant de lit avoit laiffé k fee. Bafilace, étant forti de Theffalonique , qui n'étoit éloignée que de fix lieues, vint camper a quelque diftance du camp d'Alexis , qui devina par fes mouvements qu'il avoit deffein de 1'attaquer la nuit fuivante. II ordonna donc k fes troupes de prendre leur repas & de fe repofer, paree qu'elles pafferoient la nuit fous les armes. II fit en même-temps reconnoitre tous les environs, & prit toutes lesprécautions néceffaires contre les furprifes. Un déferteur avoit promis k Bafilace de lui livrer Alexis dans fon lit. Au commencement de  du Bas-Empike. Liv. LXXX. 413 la nuit, qui étoit fort obfcure, Bafilace fe mit en marche. Dès qu'Alexis en fut averti, il fit fortir fon armée en bon ordre , laiffant des lumieres dans chaque tente, & s'alla porter dans une forêt voiline, tout prêt a tomber fur I'ennemi lorfqu'il en feroit temps. Bafilace approche du camp ; il y entre fans réfiftance, & va droit a la tente d'Alexis. N'y trouvant qu'un Moine qu'on y avoit laiffé, & dont il ne put tirer aucun éclairciflêment, il crie a fes foldats : Le Begue nous a trompis : fortons, I'ennemi efl dehors, C'étoit ainfi qu'il avoit coutume de nommer Alexis, a caufe de quelque embarras dans la langue, qui lui fit donner le furnom de Bam* bacorax. Une partie de fes foldats étoit encore occupée au pillage, & le refte fortoit en défordre , lorfqu'Alexis fond fur eux avec fa cavalerie, & appercevant au travers de 1'obfcurité un homme de haute taille a la tête des efcadrons ennemis, il le prend pour Bafilace, & d'un coup de fabre il lui coupe la main dont il tenoit falance. Un de fes Capitaines, S iij Nicéphore iii. An, 1078. XL VIM. Bataille du Vardar.  Nicépho re m. An. 107S, 414 HlSTOIRE nommé Gulés, reconnut mieux Bafilace; il lui décharge un grand coup fur le cafque; mais le fabre fe rompt & tombe en morceaux. Comme Alexis s'élangoit fur les ennemis , & qu'après avoir abattu ceux qu'il trouvoit devant lui , il revenoit a fes efcadrons, un cavalier Franc de fon armée le voyant fortir des rangs oppofés, courut a lui la piqué baiffée, & le frappa fi rudement, que peu s'en fallut qu'il ne lui fit perdre les arcons. Alexis le prenant pour un traitre, court fur lui, & alloit le percer de fa lance, fi le cavalier Fayant reconnu ne lui eüt demandé humblement pardon de fon erreur. Les ténebres qui enveloppoient les combattants, cauferent cette nuit beaucoup de méprifes pareilles; les coups étoient abandonnés au hafard, & la mort confondit plus d'une fois les amis avec les ennemis. Mais lorfque le jour eut commencé a éclairer la valeur, les deux armées s'étant ralliées fous leurs enfeignes, le combat fe ralluma; Bafilace & Alexis courant de rang en rang, animoient leurs foldats par leurs paroles, & plus en-  du Bas-Empire. Liv. LXXX. 415 core par leur exemple. Manuel, neveu de Bafilace, montant fur un petit tertre au milieu du champ de bataille , crioit a fes troupes : Courage, braves gens, la vicloire efl. d nous. En ce moment, un Macédonien d'Alexis, nommé Curtice , court k lui, le terraffe d'un coup de maffe d'armes, 6c 1'entraine par les courroies de fon cafque aux pieds d'Alexis. Cet exploit vu des deux armées, redouble 1'ardeur des Impériaux, & jette 1'épouvante dans celle de Bafilace; elle fe débande, & prend la fuite. Bafilace gagne k toute bride Theffalonique, toujours pourfuivi par Alexis, qui environne auffi-töt la ville. Voulant fauver le vaincu, il lui envoye un Moine, Abbé du mont Athos, pour 1'exhorter a fe rendre, avec promeffe qu'il ne lui feroit fait aucun mal, Bafilace n'écoute rien; mais les habitants ouvrent les portes au vainqueur, & Bafilace fe retire dans la citadelle, réfolu de s'y défendre jufqu'a la mort. II ne pouvoit tenir longtemps ; fes foldats, moins opiniatres, 1'enchaïnerent eux-mêmes, & le livrerent k I'ennemi. S iv Nicéphore III. An. 107S.  NlCÉPHOJtE III. An. 1078. XL IX. Bafiiace aveuglé. 4IÖ HlSTOIILB Alexis, après avoir mandé aI'Empereur cette heureufe nouvelle, paffa quelques jours k Theflalonique pour y faire repofer fon armée, & partit enfuitepour Conftantinople. Comme il étoit entre Amphipolis 8c PhiHppes, il recut ordre de I'Empereur de remettre le prifonnier entre les mains de ceux qu'il envoyoit. II obéit k regret, prévoyant bien le traitement qu'on alloit faire k ce malheureux. En effet, les envoyés emmenerent Bafilace dans un bourg nommé Chempine, oü ils lui creverent les yeux fur le bord d'une fontaine , qui fut depuis nommée le ruiffeau de Bafilace. Alexis, le défenfeurdutröne, guerrier aufli brave qu'heureux, qui ramenoit avec lui la paix 8c la tranquilüté de 1'Empire , vainqueur de deux grandes armées conduites par les deux plus redoutables Capitaines que la Grece connüt alors , rentra couvert de gloire dans Conftantinople , adoré de tous, mais toujours haï des deux Miniftres, qui ne 1'avoient expofé a tant de dangers que dans 1'efpérance qu'il y périroit. L'Empereur le combla de préfents, 8c Thor  du Bas-Empire. Liv. LXXX. 417 nora de la dignité de Sébafte, titre nouveau pour tout autre que pour la maifon régnante. Ce terme qui dans la langue Grecque, étoit le même que celui' ÜAuguJte dans la langue Latine, commenca pour lors k devenir une dénomination fubalterne, que les Empereurs communiquoient aux particuliers. Bientöt même ce nom paroilTant encore trop modefte , on en vint aie gonflerpar des additions hyperboliques : la vanité s'efforcant dans la décadence des Empires de remplacer par 1'enflure des titres le déchet de la réalité. Les Patzinaces prenoient part k toutes les expéditions des Grecs. Ils aimoient 1'argent & la guerre, & dans les combats de Bryenne & de Bafilace contre Alexis, on les voyoit entre les troupes auxiliaires des deux armées. Un de leurs partis irrité de ce que Bryenne avoit puni de mort quelques-uns d'entr'eux, s'en ven^ea fur Andrinople, patrie de Bryenne , & pendant la guerre de Bafilace , il mit le feu k la ville, brüla quantité de maifons, & fe retira. Quoique la trêve conclue avec MonomaS v Nicéphore III. An. 1078. L." Mouvements des Patzinaces. Scyl. f. 866,867.  Nicéphore III. An. 1078. ] i LT. Philarete fe foumet iBotanis- 4l8 HlSTOIRS que ne fut pas encore expirée, les Patzinaces fongeoient a recommencerla guerre. Un certain Lécas, defcendu de ces Pauliciens, qui, après la deftruöion de leur puilfance en Afie, s'étoient répandus en Europe deux cents ans auparavant, entêté des erreurs du Manichéïfme, Sc fanatique furieux, tua 1'Evêque de Sardique dans le temps même qu'il officioit dans fon Eglife, & fe fauva chez les Patzinaces. II les excitoit a prendre les armes, & menacoit 1'Empire d'une guerre fanglante. Un autre Paulicien, nommé Dobromir, établi a Méfembrie , agiffoit d'intelli*ence avec lui, & tachoit de foulever le pays. La défaite de Bafilace Sd la terreur du nom d'Alexis intiniderent ces féditieux. Ils quitterent es Patzinaces, vinrent fe jetter aux )ieds de I'Empereur, & öbtinrentle pardon que Lécas ne méritoit pas. Botaniate avoit cette douceur que lonne 1'indolence, Philarete, ce mauvais Général qui avoit li mal fervi Diogene , s'étoit cantonné après la nort de ce Prince dans-des lieux forrs urla frontiere oriëntale,, fang'vou-  du Bas-Empire. Lm, LXXX. 419 loir reconnoïtre Michel; ék ayant ralfemblé une tröupe d'Arméniens ék de bandits de toute nation , il avoit pris la qualité d'Empereur. Lorfque Botaniate fut en pailible polfelfion du tröne par la défaite de fes deux concurrents, Philarete craignit de voir tourner contre lui toutes les forces de 1'Empire; ék fe fentant hors d'état d'y réfiffer, il prit le parti de la foumiffion; il vint lui-même rendre fes hommages k I'Empereur qui le recut avec bonté; mais eet efprit remuant ék ambitieux ne demeura pas long-temps tranquille. II s'empara encore une fois d'Antioche , comme nous le raconterons dans la fuite. Ce fut dans ce temps-la que Botaniate donna fa niece Synadene en mariage au Crale de Hongrie. C'étoit le nom qu'on donnoit aux Rois de Hongrie, ainfi qu'a ceux de Servië. Elle étoit fille de Théodule Synadene , Seigneur riche ék puiffant en Afie, ék de la fceur de Botaniate , qui revint a Confiantinople après la mort de fon mari. La guerre civile n'étoit pas encore terminée qu'on apprit que les Turcs recommencoient S vj RE li'. A.n. 107S. Lïï. Révolte de Conftantin Ducas , auffitöt étouffée. Scyl. p2 S66, 867. Zon. t. 11. ƒ>■ 293. Anna , pï 116, H7'  Nicéphore ut An. 1078. 42a H I S T 0 I R E leurs courfes en Oriënt. L'Empereur, ayant raifemblé des troupes, fe trouvoit embarraifé de leur donner un Général. Alexis, le feul Capitaine de 1'Empire capable d'un pareil emploi, étoit occupé contre Bafilace. Botaniate jetta les yeux fur Conftantin Ducas; il pouvoit du moins par fa naiffance paroitre k la tête d'une armée, & il avoit d'ailleurs quelque réputation de courage. II lui confia donc cette expédition. C'étoit fans doute une grande faute de politique de mettre les armes k la main k un Prince fils & frere d'Empereur, décoré luimême du titre d'Augufte du vivant de fon pere, & qui ne pouvoit regarder Botaniate que comme l'ufurpateur du patrimoine de fa familie. Aufli dès que Conftantin fut k Chryfopolis, il fe fit donner par fon armée le titre d'Empereur. Botaniate s'appercevant trop tard de fon imprudence, & n'ayant plus de forces ïi lui oppofer, tenta la voie de la né»ociation, mais fans fuccès. II réuffit par la corruption. Les émiffaires 'ecrets qu'il envoya dans le camp du rebelle, vinrent a bout de regagner  du Bas-Empire. Lïv. LXXX. 421 les Officiers & les foldats nar areent & par promeffes, & les déterminerent k fe faifir du Prince qu'ils venoient de proclamer, ék a le remettre entre les mains de I'Empereur. Botaniate fe contenta de le faire tondre ck de le reléguer fous 1'habit de Moine dans une ille de Ia Propontide. Alexis , fon ami, devenu dans la fuite Empereur, le tira d'exil, ck 1'employa dans.fes expéditions. L'année fuivante 1079 , Ifaac Comnene , frere ainé d'Alexis, revint de fon gouvernement d'Antioche. II s'étoit fait chérir de la Province par fa juftice ék par fa douceur; il ne trouva pas moins de bienveillance ék d'eftime a la Cour. II avoit gagné les bonnes graces de I'Empereur en lui envoyant des étoffes ék des toiles de Syrië , dont il fut payé a fon retour par la plus haute faveur. Botaniate lui donna de grandes terres, le logea dans fon palais, ck lui conféra le titre de Sébaffe. Pénétrant, judicieux, éclairé, s'énoncant avec facilité ék avec gface, il étoit employé dans la décifion de toutes les affai- NlCÉPHORE HE An. 1078, An. 1079, lui. Conduite adroite d'Ifaac Comnene; Dry, l. 4, ft 29,  Nicéphore III. An. 1079. LIV. Alexis arrêteles ravages des Patzinaces. Bry. I. 4. c. 30. 422 HlSTOIRE res, I'Empereur n'ayant lui-même aucun de fes talents. Ifaac s'étoit rendu nécefTaire par un mérite réel, foutenu d'une adroite politique , qui, dans un autre courtifan, auroit tenu lieu de mérite. Son frere Alexis entretenoit par de nouveaux exploits la gloire qu'il s'étoit acquife. En vilitant fon gouvernement d'Andrinople , il apprit que les Patzinaces avoient pris les armes, & qu'ils ravageoient lesfrontieres de Bulgarie. 11 raffemble en diligence les troupes de la Province, & fe rend a Philippopolis. La informé avec plus de certitude des mouvements de ces barbares, qui dévaftoient tout le pays entre Scupes & NaïfTe, il marche droit a eux. Ils ne 1'attendirent pas. Dès qu'il eut paffé Sardique, ils prirent la fuite avec tant de précipitation, qu'ils abandonnerent leur butin. Alexis, de retour a Philoppopolis, donna fes foins a rétablir la tranquillité & le bon ordre dans la Province. Sa libéralité , fa politeffe , fon affabilité lui gagnoient tous les cceurs. II recut a Confiantinople de nouvelles marqués de la  du BaS'Empire. Liv. LXXX. 423 fatisfatlion de 1'Empereur 8c de 1'eftime publique. Le mépris que s'attiroit Botaniate réveilloit 1'ambition de tous ceux qui fe croyoient plus dignes de 1'Empire. Les révoltes fe fuccédoient, 8c les mauvais fuccès des premières intimidoit moins, que 1'incapacité du Prince ne donnoit d'efpérance. Nicéphore Méliffene, mari d'Eudocie, foeur d'Alexis , vivoit dans 1'ifle de Cos, ou il poffédoit de grands héritages. Les liaifons qu'il avoit contractées avec les chefs de différentes bandes de Turcs , qui s'avancoient jufque fur les cötes de 1'Archipel, lui firent naïtre le deffein de fe faire Empereur. II prit la chauflure de pourpre , 8c fuivi de troupes Turques , il parcouroit les villes d'Afie qui lui ouvroient leurs portes, 6c dont les Barbares , auxquels il n'ofoit rien refufer, fe mettoient en pofleflion. En peu de temps, les Turcs fe trouverent maitres de prefque toutes les villes de la Phrygie 8c de la Galatie. Méliffene , a la tête d'une armée nombreufe, s'établit dans Nicée. L'Empereur, allarmé de ces pertes, mande Nicéphore III. An. 1080. LV. Révolte de NicéphoreMélifiene.Bry. I. 4. c. 31 , & feqq. Guill. Tyr, bellifacri , l. 3. c, I,  Nicéphore III. An, 1080. LVI. L'Eunu- 424 ff/STOIRE Alexis; c'étoit le fléau des rebelles. II lui ordonne d'atTembler les troupes qui Font fi bien fervi contre Bryenne & Bafilace, & de palTer a Chalcédoine. Alexis, qui connoiifoit la méchanceté des Miniftres &c leurs mauvaifes difpofitions a fon: égard , perfuadé que s'il éprouvoit quelque revers dans une guerre ou il auroit k combattre des forces fupérieures , on ne manqueroit pas de 1'accufer de trahifon & d'intelligence avec fon beau-frere, s'excufa auprès de I'Empereur , qui ne pouvant vaincre fa réfiftance, chargea du commandement Feunuque Jean fon favori t Grand-Maitre de la garde-robe, plus avide de gloire que capable d'en acquérir. Jean accepta eet emploi avec joie, & pafTa aufïï-töt a Chryfopolis. Alexis y conduifit les troupes, qu'il lui mit entre les mains; &c en fe féparant de lui il eut beaucoup de peine k calmer les regrets de toute 1'armée, & k faire ceffer les huées dont les foldats mécontents de fe voir commandés par un Eunuque , faluoient leur nouveau Général. On ne pouvoit attendre aucun fuc-  du Bas-Empire. Liv. LXXX. 425 cès d'une armée fi mal difpofée. Mais Jean, dont la préfomption égaloit 1'ignorance, comptoit beaucoup fur luimême. II marche a Nicée, ék campe a deux lieues de la ville. II s'empare du fort Saint-George au bord du lac Afcanius , fur lequel Nicée eff batit. Méliffene étoit dans la ville avec un grand nombre de troupes, ék le Sultan, a la tête d'une autre armée, campoit k Dorylée, tout prêt k tornberfurles Grecs, dès qu'ils auroient entrepris le fiege. On tint confeil, ék George Paléologue avec fon neveu Curtice, tous deux Capitaines expérimentés , étoient d'avis d'aller combattre le Sultan, pour ne pas courir le rifque d'être pris entre deux armées. Comme ils appuyoient leur avis parde bonnes raifons, Jeanfroncant le fourcil ék élevant la voix: C'ejl d moi, dit-il, que £ Empereur a confié le commandement de fon armée; c'efi d moi qu'on doit obéir ; je veux qu'on attaque Nicée. II fallut fe taire, ck les Officiers fenfés eurent grande pitié de la flupidité du Général, qui ne favoit pas même ce que c'étoit qu'un confeil de guerre, tandis que Nicéphore III. An. 1080. que Jean devant Nicée,  Nicéphore III. An. 1080. LVIÏ. Sa retraite. 426 HlSTOIRE de miférablesadulateursle féUcïtoienf. de la dignité avec laquelle il favoit foutenir fon rang. On alla donc camper devant Nicée, & 1'on fomma auffi-töt les habitants de fe rendre. Ceux-ci, comptant furie fecours qui n'étoit éloigné que de trois ou quatre journées, amuferent I'ennemi par diverfes propofitions , pour donner au Sultan le temps d'arriver. En effet , on apprit bientöt qu'il approchoit , & il fallut fonger a la retraite. Jean,. le plus effrayé de tous , n'étoit pas mieux inffruit de cette opération militaire que de toutes les autres. II en chargea Paléologue. Ce guerrier, fils de ce Nicéphore Paléologue, battu par Ourfel fix ans auparavant, avoit tout le fang froid néceffaire pour voir ce qu'il falloit faire , & la vivacité pour 1'exécuter. Il fit marcher en-avant la cavalerie, jui devoit fe porter dans tous les ;ndroits oü il feroit befoin de fon êcours. II mit k la queue la meileure infanterie , avec ordre d'avan:er k petits pas, & de faire tête k 'ennemi, s'il venoit fondre fur 1'ar-  du Bas-Empirë. Llv. LXXX. 4.27 riere-garde. Le long du paffage, il avoit garni les lieux fourrés de quelques efcadrons, qui, poftés de diftance en diftance, devoient lancer leurs fleches fur I'ennemi, & fe replier enfuite fur les poft es plus avancés. Pour lui, efcorté d'un efcadron de troupes légeres, il voltigeoit fans ceffe k la tête , k la queue, fur 1'aile droite ; car 1'aile gauche qui cötoyoit le lac n'avoit rien k craindre. L'armée marchoit enfemble, & tenoit en refpeft les Turcs qui étoient fortis de Nicée pour la pourfuivre, lorfque la cavalerie de 1'avant-garde rencontranl une longue muraille , qui formoil dans la plaine une vafte enceinte, & qui n'avoit d'ouverture que de loir en loin, s'écarta pour trouver un paf fage. Les Turcs profitant du momem attaquent 1'infanterie, & 1'accablem d'une nuée de traits. Tout fuit, & le Général tranfi de peur n'a pas menu le courage de fuir. Curtice confeilloit k Paléologue de laiffer périr c« poltron , qui n'avoit de force qu< pour 1'appeller a fon fecours. Paléo logue, plus généreux , court k lui, 1< raffure, le fait marcher devant lui Nicéphore UI. An. 1080.  NlCÉPHO RE III. An. 1080 423 H I S T 0 I R E & tandis quecelache Eunuquetrem^ ' ble de tous fes membres en voyant approcher les Turcs, Paléologue retourne fur eux, & abat a fes pieds le premier qu'il rencontre. Ce qu'il réitéra tant de fois, que 1'ardeur des ennemis fe rallentir. Enfin, Paléologue ayant rafïemblé quelques efcadrons, tomba fur eux avec tant de furie, qu'ils prirentla fuite, ®agnerent la ville, après avoir perdu plus de foldats qu'ils n'en avoient tué aux Grecs. On peut dire que Paléologue fe multiplia en cette journée. II combattit toujours a face découverte; Sc quoiqu'il eüt recu un coup de fleche au milieu du front dès le commencement de 1'aöion , il ne s'occupa nulIement de fa bleffüre; le vifage couvert de fon fang, il ne ceffa de donner tous les ordres, de courir a tous les dangers, & de combattre lui-même ; il fauva feul & le Général Sc 1'armée. Plufieurs Officiers lui furent redevables de la vie , entre autres [faac Contoftephane, qui étant tornde de cheval alloit être pris ou tué, a Paléologue ne Petrt relevé Sc dé:endu tandis qu'il remontoit fur un  du Bas-Empïre. Liv. LXXX. 429 autre cheval. Lorfqu'il fut arrivé k cette enceinte dont j'ai parlé , il fit arrêter la cavalerie, 6c palfer d'abord 1'infanterie avec ordre de prendre les devants & de drefler le campement. En ce lieu, Jean mourant de foif, 6c paroilfant pret k rendre 1'ame , Paléologue defcendit de cheval, 8c alla puifer dans fon cafque au fond d'un vallon de quoi défaltérer ce miférable , qui, aufli bas dans fon infortune qu'il avoit été arrogant auparavant , appelloit Paléologue fon Sauveur, fon Dieu , 8c lui promettoit de 1'adopter 6c de le faire héritier de tous fes biens. Buve{ , lui dit Paléologue ; je fais ce que jepuis pour vous ; vous fere\ ce qu'il vous plaira. Après une nuit de repos, 1'a-mée ; fe mit en marche pour retourner it Conftantinople, oii elle arriva après : avoir campé a Hélénopolis. Les Pa\ léologues n'étoit pas anciens dans les 1 faftes de 1'Empire. Le premier dont 1'hiftoire faffe mention, ne vivoit que fous le regne de Diogene. Mais un héros tel que George Paléologue vaut vingt ancêtres; fon mérite éclaire une longue poftérité; 6c a 1'ombre de fon Nicéphore III. A.n. 10S0,  NicÉrao RE III. An. 1080 LVIII. Ingratitude de Jean, 430 IIlSTöIKË nom la lacheté même &c la fainéan' tlfe croiffent avec fierté. La générofité de Paléologue recut de 1'eunuque Jean 1'unique falaire dont une ame noire & vile fache payer les fervices trop importants, la haine, la calomnie, la periécution. Avant que d'arriver a Conftantinople , Jean avoit envenimé par fes lettres 1'efprit de I'Empereur contre Paléologue & Curtice, les accufant de 1'avoir traverfé avec iniblence dans töut le cours de 1'expédition. Curtice ne s'y étoit pas trompé: en entrant a Conftantinople , il avoit prédit a fon oncle qu'il ne devoit attendre qu'ingratitude de la part de ce maudit eunuque. Ils 1'éprouverent fur le champ. S'étant préfentés tous trois esfemble a 1'entrée du palais, Jean entra le premier, 6c dit un mot a l'oreille a 1'Huiflier de la porte, qui repoufla rudement les deux autres; en forte qu'ils ne purent jamais approcher de I'Empereur. Ce traitement perfide fut 1'uivi de toutes les noirceurs dont un fcélérat puiffe s'avifer; & le monftre ne cefta, tant que Nicéphore Botaniate fut fur le tröne,  du Bas-Empire. Liv. LXXX. 431 de travailler a la perte de fon bienfaicteur. MélhTene demeura impuni jufqu'au regne d'Alexis; 8c pendant prés de deux ans, il partagea tranquillement avec les Turcs la fouveraineté d'une grande partie de 1'Afie mineure. C'efi alors que ces barbares, fous la conduite du vaillant Soliman , s'établirent dans toutes les Provinces depuis la Cilicie jufqu'a 1'Hellefpont, & qu'ils firent de Nicée la capitale de leurs conquêtes. Ils en retiroient les tributs; 8c infultant a la foibleffe de 1'Empire, leurs bureaux, placés a la vue de Conftantinople , exigeoient un péage de tous ceux qui paffoient le Bofphore. Les fervices d Alexis excitoient également la reconnohTaiace de I'Empereur, & la haine des Miniflres. Ennemis fecrets des Comnenes, ils mettoient tout en oeuvre pour les perdre dans 1'efprit du Prince. Les Comnenes, de leur cöté, employoient tou- tes les reffources de la plus adroite politique pour fe tenir en défenfe; & c'étoit une guerre domeflique plus difficile que celle de Bryenne Sc de Bafilace. Les deux freres s'aimoient NlCÉPHO-» he III. An. 1080; An. 1081. LIX. Mauvais deffeins desMiniftres contre les Comnenes. Anna , p, 43, &7%. ibi. Du Cange. Zon. t. II, P- 294>, 295.  NlCÉPHO' RE III. An, 10S1, 43a HlSTOIRE avec tendreffe. Ifaac, 1'aïné, loin d'être fufceptible d'aucun fentiment de jaloufie contre fon frere, qui 1'effacoit par fon génie & par fes exploits, préféroit la gloire d'Alexis a la fienne propre; il en parloit, il en penfoit comme tout le refte de 1'Empire. II étoit par fon mariage allié de 1'Impératrice ; il profita de eet avantage en faveur de fon frere; ck ayant engagé dans fes intéréts ceux qui avoient 1'oreille de la Princeffe, il fut lui infpirer tant de bienveillance pour Alexis, qu'elle 1'adopta pour fon fils. Ce fut pour les Miniftres un nouveau fujet de dépit, ck une occafion de rendre les Comnenes fufpects k I'Empereur. C'étoit, felon eux, manifefter le deffein qu'ils cachoient depuis long-temps : il ne leur reftoit plus qu'un pas k faire, ck le fils adoptif de 1'Impératrice, alloit au premier jour fe déclarer rival de I'Empereur. Botaniate , rempli de ces craintes , crut devoir reculer Alexis, autant que fa femme s'efforcoit de 1'avancer. II réfolut de fe nommer un fucceffeur, & jetta les yeux fur fon neveu Synadene, jeune homme d'une naiffance illuftre,  nv Bas-Empire. Liv. LXXX. 433 illuftre, qui joignoit a un bel extérieur , une ame vigoureufe. Rien ne manquoit a Synadene pour être Empereur ; mais 1'exécution manquoit k Botaniate, & fes délais firent avorter le projet. L'Impératrice, qui deftinoit 1'Empire au fils unique qu'elle avoit eu de Michel, étoit profondément affligée, fans ofer confier aperfonne le fujet de fadouleur. Les Comnenes , qui avoient un libre accès auprès delie, n'eurent pas de peine k le pénétrer. Ils tirerent d'elle fon fecret, & lui jurerent de la fervir & de défendre envers & contre tous , les droits de fon fils Conftantin. Elle leur promit k fon tour de les avertir des deffeins qu'on formeroit contre eux. En conféquence de ce traité , elle leur fit connoitre peu de jours après, qu'il s'étoit tenu une conférence fecrete entre les deux Miniftres & leurs créatures, & que la perte des Comnenes y avoit été réfolue. Sur eet avis, les deux Comnenes convinrent de ne jamais fe trouver tous deux enfemble dans le palais, afin que 1'abfence de 1'un, qui feroit en état de venger fon frere, put faire crain- Tómt XVII, T Nicéphore III. An, 10S1,  Nicéphore III. An. jo8i, LX. Les Com-' nenes fortent de Conftantinople. • 434 Históire dre d'attaquer 1'autre. L'Empereur continuoit de leur donner des marqués de bienveillance; mais quel fond pouvoient-ils faire fur 1'amitié d'un Prince qui n'agiflbit que par 1'impulfion de fes deux Miniftres, leurs mortels ennemis , auffi hardis que méchants ? Ils apprirent bientöt par le même canal, que La réfolution étoit prife de les mahder tous deux au palais pendant une nuit, comme de la part de I'Empereur, quoiqu'a fon infu, & de leur crever les yeux fous une fauffe imputation. Ils concurent alors qu'ils n'avoient de falut a. efpérer ique dans la révolte, & ils ne furent pas long-temps k en trouver 1'occafion. Les Turcs venoient de piller Cyzique, Alexis recut ordre de I'Empereur d'armer une partie des troupes d'Occident, & de les faire venir k Conftantinople. Sous ce prétexte, Alexis manda tous les Officiers attachés a fa perfonne. Comme ils fe rendoient de toutes pafts en grand nombre , Borile fit peur a Botaniate en lui difant que toutes les troupes de 1'Empire étoient en mouvement , &  du Bas-Empirs. Lh. LXXX. 435 que la ville alloit fe remplir de foldats aux ordres des Comnenes. Botaniate, effrayé de ce rapport, fait venir Alexis, qui leralfure./e n 'ai fait, lui dit-il, qu'exécuter vos ordres ; je nai mande qu'une partie de votre armée; mais comme les Officiers, arrivant fucceffvement avec leur fuite, font logés en différents quartiers, leur nombre fe multiplie aux yeux de ces paifibles citoyens, qui ne font pas accoutumés d voir des gens de guerre. II fut donner a ce difcours tant de vraifemblance, que Botaniate ne s'informa pas davantage : il demeura periuadé que l'affection de Borile pour fa perfonne 1'avoit rendu timide , & lui avoit grolli les objets. Mais ce Prince aveugle s'ahufoit fur le compte de fon Miniftre. Borile, a qui fa faveur avoit fait oublier fa naiffance fervile, fongeoit a prendre la place de fon maitre; & pour y réuflir, il vouloit auparavant, de concert avec Germain , faire périr les Comnenes; ce qui devoit sexécuter la nuit du jour fuivant. Alexis, bien fervi par fes efpions, en fut averti; il en fit part aufli-töt a fa mere & a fon frere. Ils déciderent qu'il n'y aTij Nicéphore III. An. 10S1.  Nicéphore III. An. 10S1. 436 HlSTOIRE voit pas un moment k perdre, & qu'il falloit fur le champ prendre les armes. L'armée devoit dans trois jours être réunie a Zurule, fur la frontiere de la Thrace, & les Officiers venus a Confiantinople partoient k la file pour s'y rendre. Au commencement de la nuit, Alexis va trouver Pacurien; c'étoit un Arménien de petite taille, mais d'un grand courage. Après lui avoir expofé le deffein des Miniffres, il le confulte fur le parti qu'il doit prendre. Faut - il attendre comme de laches viclimes les effits de leur cruauté, ou sexpofer a une mort honorable en Je défendant en gens de ctzur? Pacurien, voyant qu'il n'y avoit de falut que dans la diligence : Si vous J'orte^ d'ici avant le jour, lui dit-il, je vous fuivrai, & je me devouerai a votre fortune. Si vous êtes encore en cette ville au lever du foleil, j'irai moi - même vous dénoncer d £'Empereur. Alexis accepte la condition, 1'embrafle, & lui promet après le fuccès la charge de grand Domeftique, dont il efl luimême revêtu. II va enfuite trouver Humbertopule; c'étoit le fils d'Humbert, un des freres de Robert Guif-  du Bas-Empire. Liv. LXXX. 437 card, qui, mécontent de lbn partage en Italië, étoit venu s'établir a la Cour de Conftantinople. II ne fut pas befoin d'un grand dilcours. Dès que le brave Normand fut de quoi il s'agifToit, il promit avec zele tous les efforts de fon courage. Alexis , par fes procédés généreux , s'étoit fait des amis prêts a lui facrifier leur vie. AfTuré du fervice de ces deux guerriers, il va en inftruire fa familie. C'étoit la nuit du Dimanche de la Quinquagéfime, qui tomboit cette année au 14 Février. II fort de la ville avant le jour avec fon frere Sc fes partifans par la porte de Blaquernes, qu'ils ferment enfuite : ils en rompent les clefs, prennent lesmeilleurs chevaux des écuries de I'Empereur, & coupent les jarrets aux autres. Ils s'arrêtent quelques moments au Monaftere de Saint-Cöme Sc de Saint-Damien, ou ils trouvent George Paléologue, dont le pere étoit intimement lié avec I'Empereur. Ils eurent beaucoup de peine a le faire entrer dans leur complot; ils y réuftirent enfin par les vives follicitations de fa belle-mere, qui étoit retirée en Tiij Nicéphore Ilï. An. 10S1.  KlCÉFHO' RE III. An. 1081. LXI. Le Céfai Jean fe joint a eux. 4"S§ HlSTOIR£ ce Heu. Ils partent tous enfemble, & fe rendent k Zurule. Au moment de leur départ, leurs meres ck leurs femmes s'étoient réfugiées dans 1'enceinte de Sainte-Sophie; elles n en fortirent qu'avec des affurances qu'il ne leur feroit fait aucun mal. L'Empereur leur tint parole; il fe contenta de les enfermer dans le Monaftere de Petrium, avec ordre de leur conferver tous leurs effets. Toute la noblefle de 1'Empire, tous ceux qui ne pouvoient fupporter la tyrannie de Borile , fe rendoient a Zurule auprès des Comnenes. II étoit important pour eux de mettre dans leur parti le Céfar Jean Ducas. Retiré alors dans une de fes maifons de campagne, il ignoroit ce qui fe paffoit a Conftantinople. Les conjurés lui envoyent dire, qu'ils ont préparé un grand fejlin ; que sal veut en être, il faut quil fe rende au plutót a Zurule. II n'eut pas de peine k trouver le mot de 1'énigme. Après quelques moments de réflexion, il partit avec fes gens & tout fon équipage. En chemin, il rencontre un Receveur des impöts qui portoit de grandes fommes  du Bas-Empire. Liv. LXXX. 439 au tréfor impérial. N'ayant pu par fes difcours ni par fes careffes Fengager a fe joindre a lui, il le décharge de fes facs qu'il fait tranfporter dans fes voitures, & lui laifle la liberté de le fuivre, ou de continuer fa route. Le Financier, craignant d'être mal recu des Tréforiers, s'il retournoit a vuide, prend Ie parti d'accompagner fa recette. Au paffage de 1'Hebre, le Céfar trouve un corps de Hongrois qui venoient de paffer le fleuve dans le deffein de faire quelque pillage. II les engage a fervir les Comnenes, & conduit au camp de Zurule ce fecours d'argent ck de troupes. On le recoit avec une grande joie. II confeille de marcher fur le champ a Conftantinople, le fuccès dépendant de la diligence. Tous les habitants des villes ck des campagnes accouroient fur la route, & faluoient Alexis du nom d'Empereur. Ceux d'Andrinople ne lui pardonnant pas la prife de Bryenne, furent les feuls qui lui fermerent leurs portes. On s'empara d'Athyras fur le bord de la Propontide, a lix lieues de Conftantinople , Sc on alla camper au village de Schiza, T iv NlCÏPHORE III. An. loSl.  Nicéphore III. An. 10S1. LXII. Alexis proclamé Empereur. 44© H 1 S T 0 I R E Ce fut en ce lieu qu'on délibéra fur le choix d'un Empereur. Les deux Conftantin Ducas, 1'un frere, 1'autre fils de Michel Parapinace, avoient les droits les plus légitimes, fi 1'on n'eftt confultéque la naiflance. Mais Firn étoit Moine, & relégué dans une ifle, i! avoit peu de confidération : 1'autre n'étoit encore qu'un enfant, incapar ble de figurer a la tête d'une révolution. Tous les fuffrages fe partageoient entre les deux Comnenes. Ifaac étoit 1'ainé : fa valeur, fa juftice, fa douceur lui faifoient grand nombre de partifans ; mais il étoit malheureux; deux fois prifonnier des Turcs, il avoit fait Ia guerre avec plus de courage que de fuccès. D'ailleurs, dégagé de toute ambition, il n'employoit fon crédit que pour Alexis. Ce Prince philofophe, fe réfervant 1'autorité du confeil, laiffoit voIontiers a fon jeune frere la décoration de la fouveraineté. Deux éclatantes viétoires parloient pour Alexis ; toute la familie des Ducas, dont il étoit allié par fon mariage, Michel & Jean, freres de fa femme , George Paléologue, qui avoit épou-  du Bas-Empire. Liv. LXXX. 441 fé leur ïceur Anne, s'intéreffoient vivement en fa faveur. Sur-tout le Cé- 1 far Jean, leur aïeul, employoit pour lui toute fon éloquence, que relevoit encore un extérieur impofant & majeftueux. Tantöt prenant en particulier les Officiers, tantöt les raflemblant dans fa tente : » Songez, leur » difoit-il, qu'en couronnant Alexis, » vous couronnez vos propres fervi» ces. Ce n'efl point par des rapports » toujours froids , fouvent altérés » par 1'envie, qu'il eft inftruit de vos » belles actions ; il en a été le té» moin; il vous y a conduit lui-mê» me; il a partagé vos fatigues &C » vos dangers, comme il partageoit » votre pain. Combien de fois 1'a» vez-vous vu a cöté de vous dans » les embufcades ? A votre tête dans » les batailles ? n'épargnant pas fa > propre vie pour fauver la votre. » A-t-il craint de traverfer avec vous » les fleuves de la Thrace & de la »> Macédoine ? N'avoit-il pas des ailes » lorfqu'il franchiflbit devant vous » les montagnes les plus efcarpées? » Ce n'eft pas un Prince nourri k t> 1'ombre, mollement endormi au T v ÏICÉPHO' RE il' In. 10S1,  NlCÉPHÓ RE in. An. io8ï 442 IflSTOIRS » bruit enchanteur de la flatterie. Du » berceau il a volé aux combats; il » n'apprit jamais d'autre's jeux que >> la guerre ; il ne connoit que les » travaux; & ce qui doit vous le » rendre plus cher, il vous connoit » tous. Vos faits guerriers font écrits » dans fon cceur. Idolatre de la gloire » des armes, il n'aura d'autres Cour» tifans que fes foldats ". Ces difcours étoient appuyés'par Ifaac, qui travailloit fincérement pour fon frere. Alexis, de fon cöté , follicitoit pour fon ainé, peut-être de bonne fbi , plus vraifemblablement paree qu'étant affuré du vceu de prefque toute 1'armée, il pouvoit fans rifque fe faire honneur d'une feinte modération. Pendant ce combat de déférence mutuelle, toute 1'armée affemblée autour de la tente des Comnenes , attehdoit impatiemment a qui des deux refleroit la couronne, lorfqu'Ifaac vainquit enfin la réfiftance d'Alexis, & le revêtit lui-même des habits Impériaux, malgré les efforts qu'il fembloit faire pour s'en défendre. Les Ducas furent les premiers a proclamer Alexis Emperetir; leurs  du Bas-Empire. Liv. LKXX. 443 parents Sc leurs amis les Hiivirent; enfin, toute 1'armée lui affura ce titre par une acclamation générale. Pendant ces mouvements, on apprit que Nicéphore Méliffene, forti de Nicée, s'étoit avancé jufqu'au promontoire de Damalis , vis-a-vis de Confiantinople, Sc qu'il y avoit pris la pourpre. On doutoit encore de la vérité de ce rapport, lorfqu'on vit arriver des députés de fa part avec une lettre adreffée a I'Empereur Alexis , Sc concue en ces mots : » La di» vine Providence m'a conduit heu» reufement jufqu'a Damalis avec » mon armée. J'ai appris votre gé» néreufe démarche, Sc je vous fém licite du courage avec lequel, par »> le fecours de Dieu, vous avez fau» vé votre vie des attentats que for» moient contre nous tous de mifé» rables efclaves. Attaché k vous pai » une alliance intime, ék plus encore » par une tendre affecfion, dont je ♦> prends Dieu a témoin, je crois que » nous de vons réunir nos fbrces, ainfi » que nos cceurs, pour donner k cette w heureufe révolution une confiftan » ce durable. C'efi a quoi nous parT vj Nicéphore III. An. 10S1, LXI1I. Méliffene veut partager1'Empire,  Nicéphore iii. An, 1081. 444. HISTOIRË » riendf ons, fi après vous être reri» du maitre de Conftantinople, vous » partagez avez moi les embarras & » les honneurs de 1'Empire. Vous » gouvernerez 1'Occident; je demeu» rerai chargé du foin de 1'Afie, & »> nóus porterons également le titre » d'Empereur. Séparés par Ie Bof» phore, nous ferons unis de cceurs » & de fentiments; & nous appuyant » 1'un 1'autre, nulle violence, ni do» meftique, ni étrangere, ne fera ca» pable de nous ébranler "• Alexis remit la réponfe au lendemain. II fit Voir alors aux envoyés que le partage demandé étoit impraticable , & chargea George Mangane , fon Secretaire , de conférer avec eux pour convenir d'un accommodement. Cependant on approcha de Conftantinople , & on alla camper è la vue de la ville fur un tertre découvert nommé les Aretes, au bord de la Propontide. L'agrément du lieu & 1'excellence des eaux qui couloient de plufieurs fources, avoient engagé Diogene a y faire b&tir une magnifique maifon de plaifance. Le réfultat des conférences ayant été porté au Con-  rv Bas-E^mpire. Liv. LXXX. 445 feil, il fut décidé qu'on accorderoit a Méliffene le titre tk les honneurs de Céfar, avec la propriété.de Theffalonique. Ces offres ne contentoient pas les députés: mais voyant les forces d'Alexis , & craignant que , devenu maitre de Conftantinople, il ne , refufat tout, ils demanderent un acte de cette conceflion en bonne forme & munie du fceau Impérial. Mangane èut ordre de 1'expédier : mais prévoyant bien que fon maitre feroit bientöt en état de rejetter abfolument toute propofition , il remit 1'expédition de jour en jour fous différents prétextes, jufqu'a ce qu'enfin la ville étant prife, les députés recurent pour derniere réponfe, qu'il n'étoit plus quefdon de partage; que Méliffene n'avoit qua venir lui-même; qu'on lui accorderoit tous les honneurs dus d fon mérite perfonnel & d fa qualité de beau-frere de l'Empereur. Alexis n'avoit point de machines pour battre Ia ville ; il efpéroit la réduire a fe rendre en effrayant, par ' 1'afpeft de fes troupes, les habitants, ' d'ailleurs peu affecfionnés a Botaniate. II en faifoit approcher de temps Nicéphore III. An. 10S1. LXIV. Prife de ^onftaninople.  Nicéphore III. An. ioSi, 446 HlSTOIRE en temps des archers qui abattoient a coups de fleches queiques-uns de ceux qui paroilïbient fur la muraille. Botaniate avoit déja perdu courage. Ce vieillard , glacé tk tremblant, fe voyant comme enfermé entre 1'armée d'Alexis & celle de Méliffene, qui venoient tous deux pour lui arracher la couronne, fongeoit a la dépofer volontairement pour fauver fa vie. Sa timidité fe communiquoit aux habitants. Immobiles fur les murs, ils fembloient n'être que fpecf ateurs. NulIe fortie, nul mouvement pour la défenfe. Les tours étoient garnies de foldats, les uns du pays, les autres étrangers, divifés d'intérêts & de fentiments , comme de nation. Alexis crut qu'il ne feroit pas difficile d'en débaucher quelques-uns, & de s'ouvrir par leur moyen 1'entrée de la ville. II engagea le Céfar a s'approcher avec lui de la muraille , pour entrer en pour-parler avec ceux qui la bordoient. Le peuple infolent, quoique poltron , appercevant le Céfar, le falua de railleries injurieufes fur 1'état de Moine qu'il avoit quitté depuis trois ans. Pour lui, méprifant ces in-  du Bjs-Empire. Lh. LXXX. 447 fultes, il obferva tout, & reconnut que des trois tours voifines , 1'une 1 étoit gardée par les foldats qu'on nom- , moit les Immortels, une autre par les Varangues , la troifieme par la garde Germanique. II avoit beaucoup plus de crédit parmices derniers, Sc les crut plus faciles a gagner. Sur fon avis, Alexis employa un foldat Allemand, qui, s'avancant pendant la nuit jufqu'au pied des murs, y fit parvenir une lettre attachée a une fleche, & adreffée au Commandant. Par ce moyen , on convint avec lui qu'il favorileroit 1'invafion. George Paléologue, toujours prêt a courir aux dangers, s'offrit pour cette entreprife. Sur le foir, Alexis fait camper fon armée a peu de diffance, & fe retranche comme s'il eüt eu deffein de féjourner long-temps en ce lieu. Dès que la nuit eft venue, Paléologue -ef.calade la tour des Allemands. II efl: recu avec fon efcorte, & donne le fignal dont il étoit convenu avec Alexis. L'armée s'avance ; Paléologue ouvre la porte la plus voiflne, toutes les troupes entrent en foule & fans ordre. C'étoit le Jeudi-faint, premier ÏICEPHO' RE Hl. Ln. 108-t.  Nicéphore ui. An. 10s1. LXV. Botaniate veut donner 1'Empire a Mé: Silene. 44§ HlSTOIRE d'Avril. Elles le répandent dans toutes les places, dans toutes les rues. On laiffe la vie aux habitants; on ne verfe point de fang, mais on n'épargne nulle autre forte de violence. On pille les maifons, les palais, les Egli- ' fes. L'avidité militaire ne refpefte pas les vafes facrés. Conftantinople, le tréfor de toutes les impofitions , Ie gouffre oii venoit s'abymer la richeffe des Provinces, le théatre oh le luxe étaloit les dépouilles de 1'Empire, voit fon opulence devenir la proie du foldat. L'armée d'Alexis, difperfée de tous ■cótés par 1'ardeur du pillage, avoit abandonné les Comnenes : ils fe trouvoient prefque feuls au centre de la ville dans la place de Taurus; Sc fi dans ce moment Botaniate eüt eu affez de réfolution pour tomber fur eux a la tête de fa garde, il les auroit obligés de regagner les portes. Mais ce Prince, que la crainte tenoit enchaïné dans fon palais, incertain de ce qu'il devoit faire , prit enfin le plus mauvais parti; c'étoit de s'appuyer de Méliffene en lui offrant la couronne. II charge de cette com-  du Bas-Empire. Liv. LXXX. 449 miffion un de fes Ecuyers, dont il connoifToit la fidélité Sc le courage. Cependant Paléologue, accompagné d'un feul de fes gens, s'étoit avancé jufqu'au bord de la mer, a deffein de faire déclarer en faveur d'Alexis la flotte Impériale qui étoit dans le port. II fe jette dans un efquif qu'il trouve au rivage, Sc appercoit 1'Ecuyer de Botaniate qui venoit vers la cöte d'Afie : c'étoit un de fes amis. II approche de fon navire , & lui ayant demandé oü il va, il le prie de le recevoir fur fon bord. L'Ecuyer lui répond qu'il le recevroit, s'il n'étoit pas armé. Paléologue quitte auffitöt fes armes, fe jette dans le vaiffeau ; Sc après avoir embraffé fon ami, il faute fur la proue, & adreffant la parole a 1'équipage : » Braves » gens , dit-il, oü allez-vous cher» cher votre perte ? La ville eft pri» fe ; le grand Domeftique eft Em» pereur ; Conftantinople eft rem» plie de foldats. Entendez-vous les » cris des citoyens qui le faluent du » nom d'Augufte? Eft-ce votre def» fein de facrifier par une opiniatreté » inutile, votre yie Sc celles de vos NlCÉPHO*; RE III. An. 1081.  NlCÉPHO RE fit An. 10B1 45<3 UlSTOIRZ » femmes & de vos enfants k un. » Prince qui s'abandonne lui-même r » Quelle comparaifon d'Alexis k Mé» liffene ! Quels exploits celui - ci » peut-il oppofer aux éclatantes vic» toires de 1'autre? Quelle preuve » a-t-il donné de clémence, de gé» nérofrté, de valeur ? Ce vaiffeau » va-t-il feul balancer toutes les for» ces de 1'Empire, qui fe déelarent » pour Alexis ? Hatez-vous de vous » foumettre k celui que le Ciel vous » donne pour maitre. Si vous diffé» rez, vous êtes déja rebelles ". Ces paroles font impreflion fur tous les cceurs. Paléologue s'écrie: Vivt I'Empereur Alexis ; les foldats & les matelots répondent par la même acclamation; & comme 1'Ecuyer faifoit grand bruit, menacant de les chatier comme des féditieux &C des traïtres, Paléologue fe jette fur lui , le terraffe , & le lie au mat du vaiffeau. II reprend enfuite fes armes , & vogue vers la flotte Impériale, qui déja mettoit k la voile pour aller efcorter Méliffene. II réuffit, par les mêmes moyens, k y faire proclamer Alexis ; 8c après avoir enchainé le Comman-  r>v Bas-Empïre. Liv. LXXX. 451 dant, il prend lui-même le commandement de la flotte. Alors. fortant du port, il la range au pied de la citadelle pour fermer le paffage a Méliffene. II voit un vaiffeau de I'Empereur qui faifoit voile vers le palais, il court k la rencontre k deffein de 1'attaquer, & efl fort étonné d'y appercevoir fon pere , qui défendoit avec zele le parti de Botaniate. Que viens-tu faire ici, malheureux, lui dit Nicéphore ? Rien , répond Paléologue ; puifque vous étes mon pere. Oui , iele fuis, repliqua le vieillard ; & fi l'Empereur me laiffe faire, tu le rejfeniiras bientöt. Paléologue fe retire avec refpeél, tk Nicéphore continuant fa route , arrivé auprès de Botaniate. Voyant les foldats d'Alexis difperfés dans la ville, & tout occupés de pillage , il confeille a I'Empereur de les faire charger, tk ne demande que les Varangues pour chaffer les Comnenes. Mais Botaniate efl d avis de tenter un accommodement; & Nicéphore, k fa priere, fe charge a regret d'une négociation dont il n'efpere aucun fuccès. Les Comnenes ne trouvant point Nicéphore iiï. ka, ioSi. LXVL Négocia-  Nicéphore III. An. ioSi. tion 'nutde. 452 HlSTOIRE de réfiftance, délibéroient d'aller embraffer leur mere ck leurs femmes au Monaftere de Petrium, avant que de prendre pofleflion du palais. Le Céfar , tourriant en raillerie ces vaines démonftrations de tendrefle, leur fit fentir combien les moments étoient précieux dans une conjoncture fi critique, ck qu'ils ne devoient fe croire maitres de Conftantinople que lorfqu'ils le feroient du palais Impérial. Comme ils y alloient, ils rencontrerent Nicéphore Paléologue, qui leur apportoit les propofitions de Botaniate dans une lettre en ces termes: » 11 ne me refte pas long-temps a vi» vre. Je fuis feul , fans fils, fans » frere , fans aucun parent que je » puiffe regarder comme mon fuc» ceffeur naturel. Si Alexis afpire » avec tant d'empreffement au pou» voir Impérial , dont je n'ai fenti » que 1'amertume, je 1'adopte pour » fils dès ce moment. Rien ne fera » retranché aux récompenfes qu'il » peut avoir promifes a ceux qui f> 1'ont fervi. Je me dépouille abfo» lument de 1'exercice de la puiffan» ce fouveraine ; je n'en demande  nu Bas-Empire. Liv. LXXX, 453 » que le titre tk les honneurs; je » lui en abandonne toute la réalité ". Ces conditions paroiflbient flatter les Comnenes, tk ils étoient fur le point de les accepter, lorfque le Céfar regardant fiérement le député : » Al» lez dire a votre maitre, lui dit-il, » que fes offres auroient pu être écou» tées avant la prife de la ville. II » eff trop tard de vouloir rien re» tenir, lorfqu'il a tout perdu. Puif» qu'il n'a pas long-temps k vivre, » il ne doit fonger qu'a conferver ce » peu de jours. II n'a pas befoin d'un » tröne pour mourir. Qu'il defcen» de, oü point de paix ". Une réponfe fi dure choqua moins I'Empereur que le Miniftre Borile. II réfolut de profiter de la difperfion 1 des troupes tk de leur acharnement ( au pillage pour les tailler en pieces. II prit avec lui les Varangues tk les Chomatenes, & les rangea en bataille depuis le milliaire doré jufqu'a la place de Conftantin. Ces foldats intrépides tk toujours attachés k leur Prince régnant, attendoient fous les armes les ordres qui leur feroient donnés de fa part, 6c la ville alloit être Nicéphore III. An, 1081. LXVII. 3otaniate iépoffé-  Nicéphore III. An. i'oSi. 454 II I S T 0 I R E remplie de carnage. Borile animok I'Empereur, & 1'excitoit a ne pas céder lachement a fes ennemis, lorfque le Patriarche refpeclé pour fa vertu, foit par compaffion pour fon peuple, foit k la follicitation du Céfar, lié avec lui d'une étroite amitié, vint trouver I'Empereur , & 1'exhorta pathétiquëment a céder non pas aux Comnenes, mais a la volonté de Dieu qui le rappelloit a la vie privée, plutöt que de laiffer déchirer fon Empire par les horreurs d'une guerre civile, & inonder la ville du fang de tant de Chrétiens. Botaniate fe rendit k ces raifons, qui s'accordoient avec fa timidité naturelle. Pour fe fouftraire k 1'infolence des foldats qu'il pourroit trouver fur fon paffage, il s'enveloppa d'un manteau, & la tete baiffée, il prit k pied le chemin de Sainte-Sophie. Dans le trouble ou il étoit, il n'avoit pas fongé k quitter la robe Impériale.1 Borile , qui marchoit devant lui, défefpéré de fa foibleffe, s'étant tourné vers lui, & ayant appercu les pierreries dont les bras de la robe étoient ennchis, les arracha en difant avec un ris nao-  ¥>v Bas-Empire. Liv. LXXX. 455 queur: Cefi bien-ld vraiment la parure dun Empereur dépouiüé. Le Prince couvert de confufion, entra dans Sain' te-bophie pour y chercher un afyle. Les Comnenes s'étant emparés du palais, Michel, fïls d'Andronic & petit-hls du Céfar Jean, accompagné de Radene, Préfet de Conftantinople. va trouver Botaniate, & I'ayant fait embarquer dans une nacelle, ils le tranfportent au Monaftere de Périblepte , fitué dans Ia ville au bord de la Propontide. La ils 1'exhortent a prendre 1'habit monaftique. ComTi V Paroiffoit P^ difpofé, Michel & Radene, craignant quelaue mouvement de la part de Borile & des foldats de la garde qui n'avoient pas encore pofé les armes, redoublent leurs inftances, & le déterminent a fe rendre k leur defir. II vécut peu de temps dans le Monaftere. Un jour qu'on lui demandoit comment il fe trouvoit de fon changement de fortune, il répondit qu'il ne regrettoit rien, finon la liberté de manger de la viande. La regie de Saint tfalile ordonnoit une abftinence perpetuelle : c'étoit mettre les plaifirs de. Nicéphore III. An. 10S1,  Nicéphore nr. An. 10S1. SOMMAIRE 456 H I S T 0 1 R E, &c. la fouveraineté a bas prix, & peutêtre a leur jufte valeur. Ses iujets le regretterent encore moins. II avoit régné trois ans. Ufé de vieilleffe fans avoir acquis d'expérience, il ne porta fur le tröne que fa foibleffe. II ne commenca de gouverner que lorfqu'il eut befoin d'être gouverné luimême ; & dans eet état un Souyerain fait toujours un mauvais choix.  45? S O M M A I R E D V LIVRE QUATRE-VINGT-UNIE ME. *• E TA T de 1'Empire. ïï. Nouveaux titres donnés par Alexis d fa familie, lil. Soupcons fur Clmpératrice Marie. iv. Couronnement £ Irene. v. Marie fort de la Cour avec fon fils. vi. Grand pouvoir accordé par Alexis d fa mere. vu. Alexis arréte les ravages des foldats* Vin. Pénitence d'Alexis. lx. Robert Guifcard fe difpofe d la guerre contre les Grecs. x. Impofleur qui prend le nom de Michel. xi. Le Pape dupe de l'impofiure xii. Prêparatifs de Robert pour poffer en Grece. xiii. Raoulveut détourner Robert de la guerre. xiv. Paffage de Robert d Corfou. xv. Conduite perfide de Monomacat, Gouverneur de Dyrrachium. xvi. Embarras d'Alexis. xvii. II a recours aux Princes cTOccident. Xviii. Paix avec les Turcs, xix. Robert efjuye une violente tempéte. XX. Comtome XVII, V  45 3 Somma ire mencement du fiege de Dyrrachium. XXI. Le faux Michel devant ld ville. XXII. Bataille navale des Vènitiens contre la. flotte de Robert. XXin. Opinidtreté de Robert. XXIV. Attaque de la ville. XXV. Alexis fe met en campagne. XXVI. II marche d Dyrrachium. XXVII. Confeil d'Alexis. XXVIII. Fable débitéepar Anne Comnene. XXIX. Préparatifs de la bataille. xxx. Ordre des deux armées. XXXI. Bataille de Dyrrachium. XXXII. Défaite de l'armée Grecque. XXXIII. ABions d'Alexis. XXXIV. Fuite d'Alexis. XXXV. Suites de la bataille. XXXVI. Prife de Dyrrachium. XXXVII. Alexis faitufage des richeffes de quelques Eglifes. XXXVIii. Hardieffe de l'Evêque Léon. XXXIX. Nouveaux préparatifs d'Alexis. XL. Robert repaffe en Italië. XLI. Bataille de Joannine. XLU. Bataille d'Arta. xu.il. Exploits de Boémond en Grece. XLIV. Siege de Lariffe. XLV. Préparatifs de la bataille XLVi. Bataille de Lariffe. XLVII. Suites de la bataille. XLVlii. Alexis obligeBoëmond d repaffer en Italië. XLIX. L'Eglife Grecque troublée par Italus. L. Alexis reprend Caflorie. LI. Punition des Pauüciens. UI. Révolte d'un Paulicien. LUI. Murmures contre Alexis au fujet de Cen-  dü Livre LXXXK 459 levement des va/es facris. liv. Apologie a" Alexis. LV. SatisfaBion d'Alexis. LVI. Conjuration. LVH. Robert repajje en 11lyrie. LVin. Bataille navale de Robert contre les Grecs & les Venitiens. LIX. Mort de Robert. LX. Suites de la mort de Robert.   4<5i HISTOIRE D U BA S E MP IR E. L1VRE QUATRE-VINGT-UN1EME. ALEXIS COMNENE. Isaac, le premier des Comnenes, avoit mis fur fa tête la couronne Impériale. Mais ne 1'ayant portée que deux ans , il n'avoit fait que montrer a fa familie le chemin du tröne, fans 1'y établir. Alexis commence une génération fuivie, qui régna pendant cent ans fur les débris de ce yafle Empire, & 1'on peut dire que s'il eüt été poflïble d'en relever V üj Alexis. Ad. icSi. i. Etat He 1'Empire.  Alexis. An. 10S1. ff fflSTOIRE les mines, peu de Princes en euf* fent été plus capables. Avant que d'être lui-même rebelle, il avoit terraffé des révoltés redoutables, rivaux de fa valeur tk de fa gloire. Son génie fouple, adroit, plein de reffources & de rufes, auroit pu fuppléer a un moindre courage, tk les fcrupules de la bonne foi n'oppoferent jamais qu'une foible barrière a fes intéréts. Mais du cöté de 1'Orient, ce déluge de barbares, qui des bords du Jaxarte jufqu'a ceux du Bofphore couvroient de ruines les plaines de 1'Afïe, tk menacoient déja Conftantinople du haut des tours de Nicée; du cöté de 1'Occidenf, 1'ambitieux Robert Guifcard avec fes Normands, plus vaillants encore quoique moins féroces que les Turcs, tk eet orage de Croifés , dont les armes maladroites firent en paffant aux Chrétiens leurs amis des bleffures aufli fanglantes que celles qu'ils alloient faire aux Turcs tk aux Sarafins leurs ennemis; enfin, dansle cceur de 1'Empire des fujets abatardis, que le defpotifme Impérial avoit réduits a n'être plus que de miférables efclaves 5  nu Bas-Empire. Liv. LXXXI. 463 tous ces obftacles rendirent inutiles les talents d'Alexis. Dès qu'il fe vit maitre de la ville ck du palais , il fe fit couronner, felon lüfage, par le Patriarche dans 1'Eglife de Sainte-Sophie. Son premier ïbin fut de décorer fa familie. Agé de trente-trois ans, il n'avoit point eu d'enfants de fa première femme, fille d'Argyre, ék il n'en avoit point encore d'Irene, fille d'Andronic Ducas, fon époufe depuis quatre ans, qui n'étoit que dans fa quinzieme année. Mais il avoit trois freres, Ifaac, Adrien, Nicéphore, & troisfceurs, Marie, Eudocie ék Théodora. Ifaac fon ainé méritoit de fa part la plus tendre reconnoiffance. Plein de courage, mais fans ambition , il avoit facrifié a celle de fon frere les droits que 1'age fembloit lui donner. Toutes les diflin&ions des families Impériales fe réduifoient alors a deux titres au-deffous de celui d'Empereur, au titre de Céfar ék k celui de Sébafle. Mais la qualité de Céfar déja portée par Jean Ducas, étoit encore promife k Nicéphore Méliffene , ék le fréquent ufage avoit un peu ternj V iv Alexis. An. 1081. II. Nouveaux titres donnés par Alexis i fa familie. Anna Comn. /. 3- Zon. t. Ui p- 295 . 296. Gfycas, p. 332. Du Cangt fam. Byi. p. 171» 173-  Alexis. An. 1081. M 1 s T O I R £ le Iuftre de celle de Sébafte. Alexis inventa pour Ifaac Ie nom pompeux de Sebaftocrator. II fallut que fes deux puines fe contentaffent de titres moins hers; Adrien fut nommé Protofébaffe, premier Augufte, avec la qualite d'Illufirifiime, & fut revêtu de la dignité de grand Domeftique d'Occident. II avoit époufé Zoé, fille de Conftantin Ducas & dUudocie, qui i avoit auparavant offerte pour femme a Botaniate. II ne refta pour Nicéphore que le nom de Sébafte; il ut fait dans la fuite grand Amirah Des trois fceurs dAlexis, Marie étoit :elle qu'il chériffoit davantage. Son nan Michel Taronite partagea d'a>ord avec Adrien le titre de Protoébafte, auquel I'Empereur ajouta la lignité de Protoveftiaire , c'eft-a die, grand-Maitre de la Garde-robe. rfais bientöt après , par un excès de endreffe pour fa foeur, il imagina >our Michel le titre de Panhyperfé>afte; c'étoit enchérir fur 1'hyperiole.Nicéphore Méliffene,mari d'Eulocie, feconde fceur d'Alexis , étoit oujours en armes au-dela du Bof'hore : felon 1'offre qui lui en avoit  nu Bas-Empire. Liv. LXXXI. 465. été faite dans le temps de la révolte , il reent le 8 Avril avec le nom de Céfar, la propriété de Theflalonique, & 1'honneur de marcher immédiatement après le Sébaffocrator, en forte que dans des acelamations publiques, il étoit nommé le troifieme. Pour Théodora, derniere fceur d'Alexis , elle n'eut aucune part k cette diff ribution de dignités. Apr^s la mort de fon mari Conftantin Diogene, tué dans une bataille huit ans avant le regne d'Alexis, cette PrincefTe, quoique jeune encore, s'étoit enfermée dans un monaftere. Anne Comnene , qui a compofé 1'hiftoire de fon pere avec cette aflècf ion filiale qui décrédite un pareil ouvrage , admire la fécondité du génie d'Alexis dans 1'invention de tous ces titres ; & fa politique profonde qui fut fatisfaire avec un peu de fumée, 1'ambition de tant de rivaux jaloux & dangereux. On pourroit au contraire avoir pitié d'un Prince obligé de recourir k des reffources fi puériles , & plaindre un Etat en délire, qui multiplie les titres d'honneur a mefure qu'il perd 1'honneur même. V v Alexis. An. 10S1.  AlEXIS. An. 10S1, ra. -Soupconj fur 1'ImpératriceMarie. 4 raAino Alexis. An. ioSi, V. Mariefort de la Cour avec fon Hls. a y faire confentir fon fils. Irene fut folemnellement couronnée par les mains de Cöme, fept jours après le couronnement de fon mari , tk le Patriarche tintparole. Quelque temps après cette éclatante cérémonie, ayant célébré la Melfe dans 1'Eglife de SaintJean 1'Evangélifte , en defcendant de 1'autel, il dit k fon Diacre : Prene{ mon Pfeautier, & fuive^-moi ; nous n'avons plus rien d faire ici. II fe retira auffi-töt fans emporter autre chofe de fa maifon ; tk quelque femblant que fit I'Empereur de vouloir le retenir, il s'enferma dans un monaftere , ou il acheva paifiblement fa vie loin des fcandales de la Ville & de la Cour. II avoit gouverné 1'Eglife de Conftantinople cinq ans tk neuf mois. Son fucceffeur n'y fiégea qu'un peu plus de trois ans : il en fallut encore moins k la Princeffe Anne pour la détromper de la haute opinion qu'elle avoit concue de fon mérite. Après le couronnement d'Irene, Ie Céfar Jean trouva dans Marie moins de réfiftance k fortir du palais. Elle y confentit, k condition qu'outre la füreté  du Bas-Euvire. Ud. LXXXI. 471 pour elle tk pour fon fils Conftantin, on rétabliroit fon fils dans tous les honneurs dont il avoit joui fous le regne de fon pere : qu'il porteroit la chaufTure de pourpre & la couronne d'Augufte ; que dans les proclamations publiques, fon nom accompagneroit celui d'Alexis ; qu'il figneroit avec le cinnabre, comme I'Empereur, les bulles d'or & les diplömes Impériaux, tk que dans les proceftions & les pompes follemnelles, il fuivroit immédiatement I'Empereur avec la tiare fur la tête. Tous ces privileges lui furent aflurés par un acte authentique écrit en lettres rouges, & fcellé du fceau d'or de la propre main de I'Empereur. Marie fe retira enfuite au palais de Mangane, dont Botaniate lui avoit fait une donation rbrmelle, ainfi que du Monaftere joint a ce palais. Elle y fut conduite par un brillant cortege , a la tête duquel marchoit le Sébaftocrator; tk d'abord elle y vécut avec fon fils dans toute 1'a fplendeur d'une maifon Impériale. Mais au bout de quelque temps, k toute cette pompe mondaine fuccéda une pénitence volontaire ou forcée- Alexis. Ka.ioSi,  AtKXIS. An. (081. VI. Grand pouvoir accordé par Alexis a fa mere. 47- HlSTOIRE Marie prit 1'habit monailique, & il fallut que fon rils quittat dans fon exterieur tout ce qui pouvoit le confondre avec Ia maifon régnante, qui ne lui laiffa que 1'honneur d'être le premier des fujets. L'affedfion d'Ifaac pour fon frere Alexis ne fe refroidit jamais; & 1'éclat de la couronne, qu'il lui avoit cédée, ne lui donna point de regret. II continua toute fa vie de l'affifter fidélement de fes confeils. Mais Alexis trouvoit encore plus de fecours dans la tendreffe éclairée de fa mere, qu'un génie étendu , plein de force & de lumiere, une expérience confommée, un amour ardent de 1'ordre & de la juftice , une pénétration vive, une fage aüivité élevoient audeffus de fon fils, & rendoient égal» aux plus grands Princes. Devenue veuve de bonne heure, elle s'étoit elle-même chargée de 1'inftrucfion de fes enfants; elle avoit guidé Alexis dans toutes fes démarches. Le voyant fur le tröne, elle avoit réfolu de renoncer au monde. Alexis, qui fentoit quelle relfource il alloit perdre, ufa $le toute fon adreffe pour la détourr  du Bjs-Empire. Liv. LXXXI. 473 ner de ce deffein. II la confultoit fans ceffe, & n'omettoit rien pour 1'engager peu-a-peu dans les foins du gouvernement. Elle y confentit enfin par amour pour fon fils; & 1'on peut dire qu'il ne partagea pas avec elle la fouveraineté, mais qu'il la lui céda toute entiere. Tandis qu'il étoit occupé de guerres, tandis que portant fes armes tantöt en Occident, tantöt en Oriënt, il faifoit tête aux Normands & aux Turcs, il fe repofoit fur elle du gouvernement de 1'Empire. II déclara par une bulle d'or, qu'étant redevable de tous fes fuccès a la fageffe &z a la piété de fa mere, qui, conduifant tous fes pas fur la terre, intéreffoit en mêmetemps le Ciel en fa faveur, il lui donnoit le pouvoir de difpofer de toutes les affaires publiques & particulieres, de conférer ou d'öter les charges, les magiftratures, les offices de quelque nature qu'ils fuffent, de juger au fouverain tous les différends & tous les procés, d'augmenter les impofitions ou de les diminuer felon fon bon plaifir. II ordonnoit k toute perfonne de quelque qualité qu'elle fut, de quelque autorité dont elle fut revêtue, Alexis. An. ioSr  Alexis. An. 1081. 474 HlSTOIRB d'obéir fans délaj ék fans examen a tous les ordres qu'elle donneroit, foit par écrit, foit de vive voix; lefquels ordres feroient aufli abfolus ék auffi irrévocables, que s'ils étoient fortis de la bouche, ou fignés de la propre main du Prince. Chargée de tant de foins, Anne n'en fut pas accablée. Les affaires de 1'Etat ne lui enleverent rien du temps qu'elle avoit coutume de confacrer aux exercices de Religion. Son corps, auffi infatigable que fon efprit fufEfoit a tout, & le bel ordre qu'elle favoit mettre dans la difpofition de fes heures, ék qu'aucun divertiffement ne troubloit jamais , lui donnoit le moyen de remplir tous fes devoirs, fans que 1'un dérobat rien a 1'autre. Après avoir paffé une partie de la nuit a réciter les prieres de l'office noclurne de 1'Eglife, Elle fe levoit avant le jour, ék commencoit la journée par expédier les affaires publiques, nommer aux charges ék aux emplois, examinoit les requêtes, dont elle diéfoit les réponfes a fon Secretaire Généfius. Elle afïiftoit enfuite au faint Sacrifice dans 1'Eglife de Sainte-Thecle, qui joignoit  du Bjs-Empire. Liv. LXXXl. 475 fon palais. C'étoit celui que Monomaque avoit fait batir pour Sclérene; & ce féjour de diffolution & de débauche fe trouvoit changé en une efpece de monaftere. A fa table modeftement fervie, quoiqu'avec dignité, n'étoient admifes que des perfonnes recommandables par leur vertu; & ft quelques courtifans d'une humeur plus légere s'y introduifoient quelquefois, fair de vertu & de décence qu'on refpiroit autour d'elle, fuftifoit pour les contenir. Le refte du jour étoit rempli par les détails multipliés d'une adminiftration fi étendue. Telle étoit cette grande & vertueufe PrincefTe; & 1'on peut attribuer avec juftice a fon heureufe influence la plus grande partie des actions louables de fon fils, tant qu'elle fut a la tête des affaires. Elle manqua feulement d'une forte d'adreffe, dont elle ne crut pas fans doute avoir befoin ; ce fut l'art de déguifer fon pouvoir a celui même de qui elle 1'avoit re5u. Alexis devint jaloux d'une autorité qu'il avoit donnée. Dès qu'elle s'en appercut, elle y renonca, pour épargner a fon fils un trait d'ingrati- Alexis. An. 1081,  Alexis. An. ioSi VII. Alexis arré:eles ra vages de: foldats. 476 HlSTOIRB ' tude; & reprenant fon premier deffein , elle fe retira dans un Monaftere qu'elle avoit fondé ; elle y vécut' encore plufieurs années avec tous les honneurs de la majefté Impériale, & ne mourut que dans un age fort avancé. Après avoir expofé les rangs différents auxquels Alexis éleva fa familie , nous allons entrer dans le détail des événements de fon regne.. II commenca par établir la paix tk la füreté dans fa capitale. Les foldats qui 1'avoient fuivi dans fa conquête, fe payoient de leurs fervices aux dépens des citoyens. Ce n'étoient que rapines, violences, pillages. Mêlés de barbares, & devenus infolents par leur fuccès, il étoit a craindre que la févérité ne les révoltat, tk ne fit tourner contre le Prince les armes employees en fa faveur. Alexis prit donc le parti de la douceur; il combla de biens les Officiers, tk répandit fur les foldats d'abondantes largeffes. II vint a bout d'affouvir leur avidité; mais il épuifa le tréfor. Pour le remplir, il fallut fupprimer les libéralités annuelles établies par 1'ufage; tk ce fond  do Bas-Empire. Liv. LXXXI. 477 ne fuffifant pas, on fit la recherche des families riches qui s'étoient déclarées contre les Comnenes, Sc on les dépouilla d'une partie de leurs biens. Pour effacer les traces du regne de Botaniate, I'Empereur cafla toutes fes ordonnances ; on ne les regrettoit pas, mais on trouva mauvais que I'Empereur les eüt annullées par un feul mot, fans apporter d'autre motif que fa volonté fouveraine. Alexis avoit ramené le calme dans Conftantinople; mais il n'avoit pas calmé le trouble de fa confcience, qui lui reprochoit tant de families défolées Sc réduites a la mifere, tant d'Eglifes pillées Sc profanées par 1'impiété des foldats. II s'accufoit lui-même de tous les maux qu'ils avoient faits dans cette violente révolution; & foit qu'il fut touché d'un fincere repentir, foit qu'il voulüt le paroïtre, ce qui n'eft connu que de Dieu feul, il confulta fa mere fur les moyens de prévenir la vengeance du Ciel, qu'il craignoit d'avoir méritée. La rer ligieufe Princeffe 1'écoute avec une bonté maternelle, elle le confole, elle le loue des regrets que la piété for- Alexis. A.n. ioSi, VIII. ?énitetice 1'Alexis.  Alexis. An. ioSi. 4/8 IllSTOIRE moit dans fon cceur, elle le détermine k confulter le Patriarche Cöme , qui ne s'étoit pas encore démis de fa dignité. Alexis le fait venir avec fon Synode & les Chefs de 1'ordre monaftique. II fe confeffe hautement devant eux de tous les défordres dont il étoit le premier auteur; il en témoigne fon repentir, & les fupplie de lui impofer une fatisfaófion proportionnée. Ces Théologiens, après s'être confultés, le condamnent lui & fes amis qui avoient participé a la révolution , k jeüner pendant quarante jours, k coucher fur la terre, & è pratiquer les autres acres d'auftérité auxquels les pénitents publics étoient alors affujettis. Ils fe foumirent tous humblement k cette fentence , & les femmes voulurentpartager avec leurs maris le mérite de la pénitence. Ce ne fut pendant quarante jours dans le palais, que larmes, retraite, abftinence. Alexis fe diffingua entre tous les autres par une douleur plus éclatante , & une plus auftere mortification. II portoit un cilice fous la pourpre , il n'avoit pour lit que la terre, & qu'une pierre pour chevet. II s'abf-  du Bas-Empire. Liv. LXXXI. 479 tint dans eet intervalle de fe mêler d'aucune affaire d'Etat. Tout fut gouverné par fa mere. ■ La conjonéfure étoit cependant très-preffante , ék demandoit toute 1'aéKvité d'Alexis. L'impétueux Robert Guifcard étoit prêt a fondre fur 1'IUyrie. L'ardeur de fes préparatifs ' faifoit craindre aux Grecs qu'il n'en ' voulut a 1'Empire, ék qu'il n'eüt def- < fein de profiter de leur foibleffe pour ' en faire fa conquête. II étoit en effet ' affez ambitieux pour former cette en- ' treprife, affez habile ék affez coura- \ geux pour 1'exécuter. Mais s'il en con- < eut le projet, il le couvrit fousun mo- ' tif plus fpécieux. C'étoit la vengeance \ de 1'injure faite a fa fille Hélene. Mi- ( chel Parapinace 1'avoit fait venir a 1 fa Cour pour époufer Conftantin fon \ fils, lorfqu'elle feroit en age. Mais avant que le mariage put être célébré ; Botaniate ayant détröné Michel,avoit ' enfermé dans un cloïtre la jeune Prin- ^ ceffe. II eft vrai qu'Alexis, dès qu'il * fut fur le tröne, la fit revenir a la ' Cour avec fa fceur Sibile , dont elle ' étoit accompagnée. Ces deux Princeffes étoient traitées avec honneur; Alexis. A.n. 1081, IX. Robert juifcard 'e difpofe ilaguerre :ontre les jrecs. Ann. ?omn. 1.1. ruill. Apul. I. 4. Malat. I. ■up. Proofp. ïrderic. I. rreg. tpifl. , 8. epifl. iurat. anal. cVltal. VI. Giann.' ijl. Nap. 10. c. 5. Abrégé de hifi. d'Iil. t. IV. ■ 771 , 89,790, 91..  AlEXIS. An. 10S1 X. Impofteu qui pren< le nom di Michel. 480 H I S T 0 I 8. E elles recevoient du nouvel Empereur les mêmes marqués de bienveillance, ' que fi elles euffent été fes propres filles. Mais 1'alliance avec la familie Impériale étoit rompue fans retour. Alexis étoit trop habile pour appuyer les droits du jeune Conftantin a la couronne, en lui donnant un beaupere tel que Robert Guifcard; & Conftantin lui-même, foit politique , foit averfion naturelle, ne montroit que de 1'éloignement pour Hélene. Robert, vivement piqué de ce mépris , réfolut de faire fentir aux Grecs, qu'il ne le méritoit pas. C'étoit un deffein qu'il méditoit [ depuis deux ans, & il fembloit y être : excité davantage par un autre motif encore plus noble & plus capa- • ble d'éblouir les yeux, mais qui n'étoit qu'un jeu & un effet de fon artifice. II paffoit fréquemment de Grece en Italië des pélerins', & fur-tout des Moines attachés encore a 1'Eglife de Rome , qui alloient par dévotion vifiter les tombeaux des faints Apötres, & tous ces dévots n'étoient pas des faints. Robert envoya en Calabre deux de fes Officiers, gens ha- biles  du Bjs-Empire. Liv.XXXXI. 481 biles & di gnes de fa confiance, qu'il inffruifit en grand fecret de ce qu'il demandoit d'eux. C'étoit de voir entre ceux qui abordoient tous les jours dans les ports de 1'Itatie méridionaJe, s'il ne fe trouveroit pas quelqu'un qui eüt dans fon intérieur Sc dans fon efprit de quoi repréfenter Michel Parapinace. S'ils en trouvoient un tel qu'il le défiroit, il leur recommandoit de ne rien épargner pour le faire entrer dans fes vues, Sc de 1'amener a Salsrne oü il faifoit alors fon féjour. Les deux confidents ne chercherent pas long-temps. Ils rencontrerent a Crotone un Moine nommé Rector, d'une figure noble Sc affez femblable a Michel, fourbe par» fait, d'un efprit fouple, préfent, hardi, s'exprimant avec facilité Sc avec grace, qui favoit pleurer k propos , vrai caméléon propre a prendre toute forte de caracferes. II connoiffoit la Cour, & avant que de fe jetter dans un monaftere, il avoit été Officier du Gobelet au fervice de 1'Empereur. Ils n'eurent pas de peine k lui faire apprendre fon röle, Sc auffitöt ils écrivirent k Robert felon le Tome XVII. X Alexis. An, 1081, \  Alexis. An. 1081. 482 HlSTOIRE modele qu'il leur avoit dreffé ; quils avoit trouvl a Crotone le beau-pere de fa fille, échappê du monajlere dans lequcl on le tenoit prifonnier, & venu en Italië pour implorer fon fecours. Robert fait part de cette lettre a fa femme , qui bien que d'humeur fort guerriere, n'avoit pas jufqu'alors été d'avis qu'il s'engageat dans une nouvelle guerre contre 1'Empire. II affemble enfuite les premiers de fa Cour, & les principaux Officiers de fes troupes, qui tous lui confeillent d'embraffer une fi belle occafion d'étendre fon domaine avec le mérite de Ia générofité. Robert feint de fe rendre a leurs avis. II fait venir le Moine, lui donne des habits & un équipage alfortis au perfonnage qu'il alloit m faire. Le Prince de théatre jouoit I'Empereur détröné avec une préfence d'efprit merveilleufe. Son air, fa contenance, fes paroles, rien ne fe démentoit. II racontoit avec larmes comment Botaniate lui avoit cruellement enlevé fa femme , fon fils, fon diadême, pour le revêtir de haillons monaffiques : que fon crime étoit d'avoir marié fon fils k la fille du  du Bas-Eaipire. Liv. LXXXL 483 Duc : » Le tyran trembloit, difoit» il, que les Normands attirés par » cette alliance ne vinffent a fubju- ' » guer par leur invincible valeur » une nation lache tk dégénérée : » c'eft dans cette crainte que par une »> opérationcruelle, ils ont öté a mon » fils toute efpérance de poftérité, » tk qu'ils ont enfermé la Princeffe, » de peur qu'elle ne porte en ma» riage k quelque Seigneur fon droit » k la couronne. Mais la divine Pro» vidence, touchée de mes malheurs, » me jette aujourd'hui entre les bras » d'un Prince généreux, qui ne re» fufera pas fans doute de prêter fon » bras a 1'exécution des ordres du » Ciel, &~de joindre a la gloire des , » conquêtes celle de rétablir un Prin» ce injuftement détröné ". Robert qui lui avoit dicfé fa lecon, y donnoit du crédit par fes artifices. Son refpecf, fon attention k lui céder partout la place d'honneur , tk k le décorer des titres pompeux en ufage k la Cour de Conftantinople, fes foupirs qui fembloient lui échapper k la vue de ce Prince infortuné, fes difcours deconfolation, fes proteftations X ij Alexis. Ln. icSi.  7 Alexis. An. 1081 XI. Le Papi dupe de rimpofture. 484 HlSTOIRE de fervice, tout fecondoit admira_ blement ï'impofture. Le fourbeaffectoit de fe taire fur une partie de fes difgraces, pour ménager , difoit-il, la fenfibilité d'un ami fi tendre. Mais il en difoit affez pour exciter 1'avidité des courtifans, tk leur faire efpérer une grande fortune dans cette expédition auffi facile qu'avantageufe. Tandis que Robert promenoit 1'inv ; pofteur dans la Pouille tk dans Ia Calabre , lui faifant rendre par-tout les honneurs dus a un Empereur, ce qui dura deux ans, il difpofoit tout pour fon entreprife. II y avoit a la Cour du Duc plufieurs Seigneurs, qui ayant vu Michel, ne le reconnoiffoient pas dans eet étranger. Mais 1'affirmation du Prince leur impofoit lilence ; tk le peuple toujours paffionné pour les 'aventures extraordinaires , laififfoit avidement celle-ci.Ceux qui n'avoient jamais vu Michel, !& qui en avoient a peine entendu parler, étoient les plus hardis a jurer que c'étoit Michel lui-même. La fédutfion gagna Tellement, que des Hiftoriens d'ailleurs judicieux & voilins de ce tempsla , fe font laiffé emporter a la pré-  du Bas-Empire. Liv. LXXXI. 485 yention générale. II n'eiï donc pas étonnant que le Pape en ait été dupe ; d'autant plus difpofé alors a donner dans tous les fentiments de Robert , qu'il le ménageoit extrêmement, pour s'en faire un appui contre Henri qui n'étoit encore que Roi d'Italie , ennemi déclaré de Grégoire. Le Pape adrelfa en 1080, unelettre aux" Evêques de Pouille & de Calabre, pour leur notifier que Michel le très-glorieux Empereur de Confiantinople , détróné par une injufie violence , s'étoit rendu en Italië, & qu'il imploroitl'ajfiftance de Saint Pierre & du Duc Flobert; que touché de compaffion dans fes entrailles paternelles, il exhortoit les fideles d préier fecours d ci Prince. II ordonnoit en conféquence par 1'autorité apoffolique, aux gens de guerre, de prendre la défenfe de Michel; aux Evêques, d'avertir ceux qui pafferoient en Grece avec Michel & Robert, de faire une digne pénitence, & de les fervir fidélement , ayant devant les yeux la crainte & 1'amour de Dieu. A ces conditions, il comniandoit aux Prélats, appuyés de fon autorité, ou plutöt, difoit-il, de celle X iij Alexis-, An. 1081,  Alexis. An. 1081. XII. Préparatifs de Robert pout j>a£Ter en Grece. Ann. Comn. I. i & 3. Cuill. Af- tui. 1. 4. iup. Protofp. Orderic. I, 1- Eu Cangt ïn ftem. fam.Norm, 486 11 I S T O I R £ de Saint Pierre , de les abfoudre de leurs péchés. Pendant que Robert affembloit une armée a Salerne, & qu'il s'occupoit k exercer fes nouveaux foldats, il équipoit une flotte, ék envoya une partie de fes vieilles troupes 1'attendre a Otrante. II laiffa le gouvernement de la Pouille k Roger fon fecond fils, qu'il avoit eu de Sigelgaïte, & lui donna pour confeil Robert de Loritelle fon neveu, fils de fon frere Geoffroi, avec ordre de fecourir le Pape, s'il avoit befoin d'eux contre les attaques de Henri. II emmenoitavec lui Boëmond, qu'il avoit eu d'Albérade fa première femme , jeune Prince plein de valeur, la vraie image de fon pere, & qui devint enfuite très-fameux dans 1'expédition de la première croifade. Robert lui confia, malgré fa jeuneffe, le commandement général de fes troupes, & le chargea depaffer le golfe avec quinze vaiffeaux, pour s'emparer de quelque place , qui put fervir de retraite k fon armée. Cependant Robert fe rendit lui-même k Otrante , dans le deffein de paffer a Lépante 3 ék de s'ou-  nu Bas-Empire. Lfo. LXXXI. 4S7 vrir par-la une entree dans la Grece. Mais enfuite faifant réflexion que le trajet de Brindes a Dyrrachium étoit beaucoup plus court & plus commode, il fe tranfporta au port de Brindes avec toute fon armée. II y fut joint par fa femme Sigelgaïte , qui voulut être de 1'expédition. C'étoit une héroïne, qui, coëffée d'un cafque , la cuiraffe fur le dos , favoit manier un cheval dans les batailles, 8c portoit des coups auffi rudes que les plus vigoureux guerriers. Robert n'attendoit plus pour fe mettre en mer, que le refte de fes troupes 8c de fes vaiffeaux, lorfqu'il recut des nouvelles de Conftantinople. Avant que de quitter Salerne; il y avoit envoyé Raoul, furnommé Peau de hup , paree qu'il en portoit une , fur fes armes. II l'avoit chargé de fe i plaindre k Botaniate de 1'affront fait 1 a Hélene, 8c de le menacer de la guerre s'il n'en faifoit réparation. Inftruit de la méfintelügence entre Botaniate & Alexis, afin de 1'aigrir encore , il envoyoit des préfents k Alexis, alors grand Domeftique d'Occident, 8c lui offroit fon amitié. AX iv Alexis. ^n, ioSi. Xtll. Raoul 'eut déournerlobett de a guerre.  Alexis. An, 1081. i i i ] j i ; < 1 J } 1 j 4 l i l <.§8 fflSTOlRE lexis n'y fut pas infenfible : dans fes deifeins ambitieux, ilfentoit quel avantage il pourroit tirer d'un Prince tel que Robert, & il répondit a fes avan:es par les tëmoignages d'une fincere iffecfion. Mais Botaniate renvoya le léputé fans réponfe. Robert en fut rnté, & plus encore du difcours in:onfidéré de Raoul, qui, gagrié pentere par les Grecs, s'avifa de vouloir e diffuader de leur faire la guerre. laoul prit la hardieffe de lui dire, jue ce Moine qu'il honoroit du nom ie I'Empereur Michel , n'étoit qu'un mpofteur & un miférable vagabond : pgil venoit de voir d Conftantinople 'e véritahle Michel revêtu de 1'habit molaftique & vivant dans un cloitre, & 'u'il le connoiffoit affe^ pour- ne s'y •as méprendre. II ajoutoit que depuis on départ de Conftantinople, il avoit ecu des nouvelles certaines de la ré•olution .arrivée dans cette Cour : que botaniate ne régnoit plus ; qu'Alexis .voit pris fa place , & rétabli le jeune lonftantin dans tous les honneurs dus 'fa naiffance : quil ne doutoitpas que e mariage d'Hélene ne s'accomplit ineffamment ; d'oü il concluoit, qu'il.  du Bas-Empire. Liv. LXXXL 4S9 n'étoit pas jujlede fe v'enger fur Alexis des injures regues de Botaniate, & que dans une guerre injujle, on ne devoit compter ni fur les vaiffeaux,, ni fur les armes , ni fur les foldats , ni fur la force des armées dépourvues du fecours du Ciel. Cette morale déplacée jetta Robert dans une 11 violente colere ,, qu'il eut peine a n'en pas donner a Raoul des marqués fanglantes. II fe défioit déja de ce Seigneur dont le frere Roger avoit paffé a Conftantinople , pour y donner avis des deffeins de Robert. II chaffa Raoul de fa préfence, le menacant de la punition des traitres. Raoul, effrayé du danger oü il étoit , s'enfuit d'abord au camp de Boëmond, &c paffa peu après a Conftantinople, oül'onvoit fa familie établie jufqu'a la fin de 1'Empire. Ce qui 1'avoit intimidé davantage , étoient les emportements du faux Michel, qui, furieux contre Raoul & contre Roger, écumant de rage, & s'arrachant les cheveux, deman, doit k Robert pour toute grace , lorfqu'il 1'auroit rétabli fur fon tröne , de lui mettre entre les mains les deux freres; il proteftoit avec des ferments X v Alexis. A.n. ioSi,  49° H I S T O I R S horribles. mi'il Alexis, An. 1081 XIV. Paffage dc Robert i Corfou. Anna Comn.l. I, 3 . 4- Ma/ar. / Ca/7/, ^p- ?"/. /• 4Chron. Pm. Chron. Caf,n. Ohron, Bar. Roger de Hoveden. Orderic. I. 7. Luc'ms de regno Dalmat. I, 3, t, 2. Pagl ad Bar. Abrégê de Thift. «f7tal. t. IV. t> 81a. miné, s'il ne les faifoit pendre a la plus haute potence au milieu de Conftantinople. Boëmond, avec fes quinze vaiffeaux, avoit pris la route de 1'ifle de Corfou. Mais voyant le rivage bordé d'un peuple nombreux, & ne fe fentant pas en état de forcer le débarquement, il étoit retourné joindre fon pere. Le Duc partit du port de Brindes vers la fin de Juin avec une flotte de cent cinquante batiments, chargés chacun de deux cents foldats; ce qui faifoit trente mille hommes. Arrivé a Corfou, il prit d'emblée Cafliope & la capitale qui portoit le même nom que 1'ifle, dont il fe rendit entiérement maitre en peu de jours. C'étoit une perte confidérable pour 1'Empire, auquel cette ifle grande 6c fertile rapportoit tous les ans quinze cents livres pefant d'or. Pendant que Robert s'occupoit de cette conquête, Boëmond s'emparoit de Butrot, de la Valonne, de la Canine, 8c ravageoit tout le pays. Maitres de cette contrée, ils ne fongerentplus qu'a faire le fiege de Dyrrachium, dont la prife  du Bas-Empire. Liv. LXXXF. 491 leur affuroit la polfeffion de toute Ia cöte 6c la navigation du golfe Adriatique. Dans le temps de la révolte de Bafilace , Botaniate avoit nommé George Monomacat pour lui fuccéder dans le gouvernement de 1'Illyrie. Mais ■ce Seigneur qui vivoit fplendidement a la Cour de Confiantinople, avoit refufé une place qui Téloignoit de fes plaifirs. Borile 6c Germain, jaloux de;foncrédit,envenimerenttellement ce refus auprès de I'Empereur , que Monomacat fe voyant regardé de mauvais ceil, crut devoir pour fa propre füreté demander 1'emploi qu'il avoit d'abord rejetté. Secondé des deux Miniftres qui ne eherchoient qu'a 1'éloigner, il n'eut pas de peine k 1'obtenir. Etant parti de Conftantinople , il rencontre en chemin Alexis , qui méditoit dès-lors le deffein de détröner Botaniate. II lui ouvre fon coeur, & fe plaint amérement de la perfécution de deux miférab'es efclaves, qui,revêtus del'autoriti Impériale fous un Prince imbécille, déclaroient la guerre k tous les gens d'honneur, & connoilfant X vj Alexis. An. ioSi. XV. Conduite perfide de Monomacat, Gouverneurde Dyrrachium,  Alexis. An. icSi, 49^ HlSTOIRE fon tendre attachement au grand Dömeftique, le forcoient de s'exiler aux extrémités de 1'Empire. Alexis le confole, lui promet fa proteófion , & le prie de fe fouvenir dans 1'occafion de 1'amitié qu'ils fe juroient mutuellement. Monomacat ne fut pas longtemps k Dyrrachium , fans apprendre qu'Alexis avoit levé 1'étendard de la révolte, & que fes troupes 1'avoient déja proclamé Empereur. Dans 1'incertitude du fuccès de ce foulevement, il réfolut de fe ménager entre les deux partis. Ayant recu une lettre d'Alexis , qui lui mandoit la néceffité oii il fe trouvoit, & le prioit au nom de leur amitié de lui envoyer au plutöt des fecours d'argent dans une conjonöure fi preffante, Monomacat répondit par de nouvelles proteffations , mais fans aucun effet. II s'excufoit fur la foi qu'il avoit jurée k Botaniate : » Ma confcience, » lui difoit-il, me tient enchainé a » ce Prince par un Hen facré, que » je nepuis romprefansperdrel'hon» neur. Vous feriez le premier a bla» mer ma perfidie au fond de vo» tre cceur, quand je vous aurois fer^  du Bas-Empire. Lh. LXXXL 493 » vi par un parjure. Si vous réuffif» fez dans votre entreprife, vous au» rez le plus grand intérêt que la » fainteté du ferment foit inviola» ble. En ce cas je le prête dès k pré» fent entre vos mains, & fi main» tenant un lien plus fort que 1'a» mitié m'empêche de me declarer » pour vous , après que la divine » Providence vous aura rendu mon » maitre , vous n'aurez point de fer» viteur plus fidele ". Une confcienae fi timorée auroit mérité des louanges , fi la fuite n'eüt pas fait connoïtre que eet homme fi délicat fur Ia foi jurée, n'étoit qu'un politique fourbe & pret a trahir, dès qu'il y alloit de fon intérêt. Informé des projets de Robert tk du peu de reffources d'Alexis, il fut le premier a ouvrir une négociation avec le Duc, 1'exhortant a venir au plutöt, & lui promettant correfpondance. Cependant pour s'affurer une retraite en cas que fes efpérances en faveur de Robert fe trouvaffent trompées, il fe ménagea par des préfents & par des lettres affectueufes la proteöion de Bodin , qui, après les aventures que nous Alexis. An. 1081.  Alexis. An. 10S1 XVI. Embarra: d'Alexis. 494 H I S T 0 I R E avons racontées, étoit monté fur le tröne de Servië. A la première nouvelle des prépai ratifs de Robert, Alexis fe trouvoit dans un extréme embarras. D'un cöté, les Turcs ravageoient 1'Alie, de 1'autre un Prince redoutable par tant de vief oires, a la tête d'une flotte tk d'une armée formidable , lui oppofoit un fantöme d'Empereur, dans le deffein fans doute d'enlever pour luimême la couronne de 1'Empire. L'état déplorable auquel étoient réduites les forces de 1'Orient, augmentoit fes inquiétudes. Les foldats qui avoient fait la révolution, avoient été éloignés de Conftantinople, tk envoyés en Thrace fous la conduite de Pacurien, qui campoit prés d'Andrinople. II ne reftoit de troupes nationales auprès de I'Empereur que trois cents Chamatenes de peu de vigueur, & de moins encore d'expérience. Les corps auxiliaires ne confiftoient qu'en un petit nombre de Varangues. Le tréfor épuifé ne pouvoit fournir aux dépenfes pour faire de nouvelles levées, ou pour acheter des fecours étrangers. Dans cette ex-  du Bas-Empire. Liv. LXXXI. 495 trêmité, il rlépêcha des exprès a tous les Commandants des places d'Orient, auxquels il ordonnoit de ne laiflèr dans les fortereftes que les garnifons néceffaires pour la défenfe, & de fe rendre auprès de lui avec le refte de leurs troupes, 8c avec celles qu'ils pourroient entraïner en chemin. II ap« prenoit que plufieurs Commandants 8c plufieurs Comtes de 1'Illyrie, de Ia Macédoine 8c de toute la Grece abandonnoient lachement 1'Empire, &c s'alloient jetter dans le camp de Robert. Quoiqu'il ne fut pas inftruit de la trahifon fecrete de Monomacat , il s'en défioit fur le refus de ce Gouverneur ; 8c ce fut dans cette crainte qu'il fit partir George Paléologue , avec ordre d'employer toute fon adrefie pour faire fortir Monomacat de Dyrrachium , n'étant pas affez fort pour ufer de violence; & de mettre la ville en état d'oppofer a Robert une vigoureufe défenfe. II écrivit en même-temps a tous les "Commandants des places maritimes 8c des ifles du Golfe , pour ranimer leur courage , 8c les exciter k ia vigilance contre un ennemi aftif Alexis. In. 10S1,  Alexis. An. ioSi, XVII. II a recours aux Princes d'Occident, 496 HlSTOIRE tk habile a profiter du moment. Non content d'oppofer en face k Robert tous les obifacles qui pourroient arrêter fes progrès, il avoit fongé a lui fufciter par-derriere des ennemis qui 1'obligeafTent k retourner k la défenfe de fesEtats. Herman, fils de Humfroi, tk frere utérin d'Abailard , auquel le Duché de Pouille tk de Calabre appartenoit du chef de Humfroi fon pere, frere aïné de Robert , demeuroit caché dans un coin de la Province; Alexis travailloit k le mettre en mouvement. 11 agilfoit auffi auprès du Pape Grégoire, auprès de Hervé, Archevêque de Capoue, auprès des Princes tk des Seigneurs Francois, qu'il tachoit, k force de préfents & de promeffes, d'engager k prendre les armes contre le Duc. Mais Henri, Roi d'Allemagne, qui n'avoit pas encore recu la couronne Impériale, paroiffoit être I'ennemi le plus difpofé k faire la guerre k Robert, tk le plus capable de Foceuper dans fes propres Etats. Ce Prince , qui prétendoit avoir des droits fur toute 1'Italie, regardoit le Duc comme un ufurpateur, & pourfuh  Ru Bas-Empire. Liv. LXXXI. 497 voit avec acharnement le Pape Grégoire , protégé & proteéteur de Robert. Alexis cherchoit donc a mettre Henri dans fes intéréts; & le trouvant plein d'ardeur cönfre leur com»uin ennemi, il faifoit fes efforts pour le déterminer i\ fondre avec toutes fes forces fur la Pouille tk la Calabre. II lui députa Chérofphaóte avec une lettre flatteufe, dans laquelle après des éloges de fon zele a défendre les Chrétiens contre une nation impie tk barbare, c'eft ainfi qu'il caradterifoit les Normands, il lui demandoit fon ferment, tk lui promettoit le liën pour affurance d'une confédération fidelle contre tous leurs ennemis. Comme Alexis n'avoit point encore d'enfants, il lui offroit en mariage pour une de fes filles, fon neveu, fils du Sébaflocrator, auquel il delfinoit fa fucceffion. Henri, toujours les armes a la main, avoit fans ceffe befoin d'argent. Alexis lui avoit déja envoyé cent quatre mille pieces d'or, qui font prés de quinze cents mille livres de notre monnoie,avec cent pieces d'écarlate; tk il lui en promettoit encore davantage dès qu'il auroit com- Alexis. An. 1081,  Alexis. An. 1081 XVIII. Paix avec les Turcs, 498 H I S T 0 I R E mencé la conquête. A de fi grandes largefles, il ajoutoit de riches reliquaires, des vafes de prix, & du baujne de Judée, aufli eftimé pour lors que les pierres précieufes. II ne paroit pas que cette ligue ait produit aucun effet, Après une légere incurfion dans la Pouille, Henri retira fes troupes pour les tourner contre Grégoire. Alexis perdit le fruit des préfents qu'il avoit faits, & Henri ceux qu'on avoit encore promis de lui faire. Avant que d'employer contre Robert les forces de 1'Empire, il falloit fe mettre en füreté du cöté des Turcs, qui s'étendoient jufqu'aux bords de la Propontide. Ce n'eff pas qu'ils fuflent déja maïtres de toute 1'Afie mineure ; leur puiflance étoit difperfée : 1'Empire confervoit encore grand nombre de places dans cette vafte prefqulfle, bornée par 1'Euphrate. Mais fon domaine étoit traverfé en mille endroits par les conquêtes des Mufulmans. Soliman régnoit a Nicée; fes troupes ravageoient les contrées voifines, & mettoient k contribution toute la Bithynie jufqu'au Bofphore.  bv BjS'Empire. Liv. LXXXL 499 On les voyoit de Conftantinople couvrir de leur cavalerie le promontoire de Damalis, camper dans les places, dans les palais , dans les Eglifes, le long du canal; & 1'on croyoit les voir a tous moments pouffer leurs chevaux dans le détroit, &c venir infulter Conftantinople. Après avoir réfléchi fur les moyens de les éloigner, Alexis s'en tint a celui-ci. II chargea grand nombre de petites barques chacunes de dix hommes, qui devoient roder pendant la nuit le long des cötes, aborder fans bruit a la proximité des polfes ennemis, tuer ceux qu'ils pourroient furprendre; 8c après avoir porté les premiers coups , regagner promptement leurs barques, fans s'engager plus avant dans le pays. Cette petite guerre fit perdre bien des gens aux Turcs, qui abandonnerent le bord de Ia mer, & reculerent de quelques pas. L'Empereur alors ordonna a. fes gens de fe poffer dans les lieux forts que les Turcs venoient de quitter, de s'y tenir a couvert jufqu'a ce qu'ils trouvaffent une occafion de tomber fur des fourrageurs ou fur quelque troupe éloignée du camp, & de re- Alexis. An. 10S1.  Alexis. An. ioSi XIX. lobert ef> 500 HlSTOIRE ' gagner auffi-töt leurs retraites, quelque fuccès qui put les inviter a s'avancer plus loin. Ce manege, continué pendant plufieurs jours, obligea encore les barbares a s'éloigner. Après avoir par ces petits avantages rendu le cceur a fes troupes, & intimidé I'ennemi, au-lieu de dix hommes qu'il avoit d'abord jettés dans chaque barque, il y fit monter cinquante cavaliers , qui eurent ordre d'aller en plein jour voltiger autour du camp des barbares, de fabrer tout ce qu'ils rencontreroient, & de tenir tête aux efcadrons ennemis, tant qu'ils fe verroient affez forts pour les combattre. Cette prudente conduite déconcerta les Turcs. Chaffés de la Bithynie, ils fe retirerent au-dela de Nicomédie; & le Sultan Soliman demanda la paix. Alexis, qui en voyoit Ja néceffité dans la conjonaure préfente, ne fe rendit pas difficile. II fit des préfents aux Turcs; & Soliman s'engagea par un traité a lui fourmr des troupes, & a ne point paffer le fleuve Dracon, qui fe jette dans le golfe Aflacene au nord de Nicée. Délivré de cette inquiétude, Ale-  du Bas-Empire. Liv. LXXXL 501 xis ne fcngea plus qu'a réprimer 1'audace de Robert. Paléologue, en arrivant a Dyrrachium, avoit mandé a I'Empereur que Monomacat, effrayé de fon approche, ne 1'avoit pas attendu; & qu'ayant abandonné la ville , il s'étoit fauvé chez le Roi de Servië. Alexis, craignant que cetraitre ne lui nuifit de loin par fes intrigues, & aimant mieux 1'avoir fous fes yeux, lui envoya une bulle d'or, par laquelle il lui donnoit füreté entiere, & fa parole Impériale, de lui pardonner tout le paffé, s'il revenoit a la Cour; ce que Monomacat accepta avec joie. Cependant Robert, maitre de Corfou &c de la cöte du continent, divifa fon armée; il en donna un detachement a Boëmond pour fe rendre par terre devant Dyrrachium , tandis qu'il faifoit la même route par mer. Sa flotte voguoit en 1 bon ordre avec un vent favorable ; fes vaiffeaux chargés de tours qu'il avoit fait élever pour faciliter 1'efca'lade, fembloient être une ville flottante, & fes foldats, pleins de joie & d'impatience , n'afpiroient qu'au moment de décoüyrir leur future con- Alexis. An. 10S1, fuye une violente tempête.  Alexis. An. 10S1. f ^02 HlSTQIRE quête; lorfqu'au détour d'un promontoire qui leur cachoit encore Dyrrachium , ils furent affaillis d'une terrible tempête, mêlee de grêle, de pluie & de tonnerres épouvantables. Les vents échappés comme des torrents entre les montagnes voifines, foulevent les flots du fond des abymes, avec un bruit effrayant. On voit en un moment les rames brifées entre les mains des rameurs, les voiles déchirées, les mats & les cordages rompus; les tours tombent & fubmergent les vaiffeaux, qui font engloutis avec leur équipage. Le courage inutile contre cette nouvelle forte d'ennemis abandonne les foldats & les matelots. Des cris de défefpoir, des vceux, des prieres, des hurlements affreux fe mêlent au mugiffement des vagues, au fracas des navires brifés contre les rochers. Cependant Robert fauva fon vaiffeau avec la plupart des autres. II gagna le rivage bordé de débris & de cadavres flottants. Ses provifions ayant étéfubmergées ou gatées par les eaux, la famine auroit fait périr ceux que Forage avoit épargnés, fi les bleds déja  du Bas-Empire. Liv. LXXXl 503 murs & les vergers remplis de fruits n'euffent fuppléé k leurs befoins. Robert, intrépide au milieu de la tempête, n'avoit pas craint de mourir, mais de manquer fon entreprife. II ralfembleles foldats échappés du naufrage, & s'arrête fept jours k Glabinize pour donner du repos k fes troupes , & attendre le corps que Boëmond conduifoit par terre. Lorfqu'il fut arrivé, ils marcherent enfemble k Dyrrachium, & camperent le 14 Juillet fur les ruines de 1'ancienne ville, nommée autrefois Epidarnne, qui s'étoit détruite depuis quune colonie Romaine en avoit changé le nom & 1'emplacement. II ne reffoit a Robert que quinze mille hommes, fans compter les trou- 1 pes de marine qui demeurerent fur ' ce qu'il avoit encore de navires, pour < faire tête aux fecours qui pourroient < venir par mer. Mais la vue du redoutable Robert effrayoit les habi- \ tants, & multiplioit k leurs yeux le nombre des affiégeants. Le feul Pa- ( leologue confervoit cette intrépide 3 valeur, dont il avoit donné des preuves dans la derniere réyolution. II 1 Alexis. An. 10S1, XX. -ommenementu fiege' e Dyrrahium.'Anna. 'omn. I, - 5- Zon. 97. 29S. 'lycas, p. 33- Chron. i3av.  Alexis. An. 1081. Chron. Cafm. Chron. Sar. Malat. I. 3- Guill. Apf»Ü. 4Orderic. I 7- Lup. protofp. Leo OflI. 3. c. 48 Lucius di rcgno Dal ■mat. I. 3 !. 1. Pagi at Ear. 594 II I S T & ï R E borda les murailles de gros troncs d'arbres , qu'on devoit abattre fur les ennemis lorlqu'ils monteroient a 1'aflaut. II difpofa de diftance en diftance des baliftes &i des catapultes pour lancer des pierres & des javelots. Animant les affiégés par fon courage, il faifoit plufieurs fois jour & nuit la ronde lur les murs pour s'affurer de la vigilance des fentinelles. II écrivit a I'Empereur que Robert étoit arrivé; que 1'appareil de fes machines , les tours de bois qu'il élevoit au-deffus de la hauteur des murs, les baliftes dont il les chargeoit pour foudroyer la ville, les travaux de circonvallation , le nombre de troupes qui venoit de toutes parts grofhr fon armée, montroient affez une réfolution opiniatre de ne pas quitter prife; & que, felon toutes les apparences, il ne bornoit pas fes vues a 3a poffeffion de Dyrrachium ; qu'il méditoit fans doute de plus grands deffeins, & qu'il n'attaquoit cette ville que comme une clef de 1'Empire, que fon ambition dévorante fe difpofoit a envahir. Comme plufieurs habitants des plus riches  du Bas-Empire. Liv. LXXXI. 505 riches de la ville publioient que Robert , brigand de profeffion , n'avoit en vue que le pillage, & qu'avec une fomme dargent, on pourroit 1'engager a feretirer,Paléologue,mieux initruit, leur confeilla, pour les défabufer, de lui faire demander par des députés, quelles étoient fes prétentions, & pour quelle raifon il venoit troubler la paix. Robert répondit, qu'il avoit pris les armes pour leur rendre leur légitime Empereur, &c venger 1'injure faite k Michel, qu'il ramenoit avec lui. Nous connoijfons Michel, repartirent les députés, dès qu'il paroitra a nos yeux, nous nous projlernerons devant lui, & nous lui apporterons avec-joie les clefs de notre ville. Aufli-töt qu'ils fe furent retirés, Robert ordonna de revêtir Michel des ornements impériaux, & le fit conduire au pied des murs avec un brillant cortege, au fon de tous les inftruments de mufique. Toute la ville, preffée fur la muraille, attendoit avec impatience le moment de pouvoir reconnoitre fon ancien maitre. Dès quil fut affez proche pour faire diftinguer les traits de fon vifage, il Tome XVII. Y AtEXIS. An. 10S1. XXI. Le faux Michel devant la ville.  Alexis. An.-icSi, XXII. Bataille navalede! Vénitien; contre la flette de Robert, 506 IIlSTOlRE s'éleve. de toutes parts une tempête de huées, de lirHements, d'éclats de rire : Oui, s'écrient-ils , nous le recönnoijjbns ; c étoit un des derniers Echanfons du Prince, & nous l'avons vu pluJieurs fois lui verfer d boire. Ces paroles, hüvies d'un torrent d'injures , couvrent Michel de confulion; il fe retire en leur adrefTant des menaces qui exciterent de nouvelles rilées. Dans ce temps-la même, la garnifon fait une fortie, & tombe fur les Normands , qui ne s'y attendoient pas. Après en avoir maffacRé quelques-uns, elle rentre fans perte. Cependant Alexis, qui fentoit de qu'elle importance il étoit de conferver une des plus fortes barrières de 1'Empire, ne fe trouvant pas affez de forces pour tenter 1'entreprife, Sc n'en recevant pas de Henri, dont il avoit inutilement acheté le fecours, s'étoit adreffé k Soliman, qui lui envoya un grand corps de troupes. Mais il trouva encore plus de reffources dans la fidelle adfivité des Vénitiens, qu'il avoit fu engager dans fon alliance par des conditions très-avantageufes a leur commerce, Ils parurent k  du Bas-Empire. Liv. LXXXL 507 la fin de Juillet k la vue des afliégeants avec une flotte nombreufe, bien équipée, bien garnie de troupes , vis-a-vis d'un port nommé les Manteaux , oü les vaiffeaux de Robert étoient a 1'ancre, k trois quarts de lieue du camp des Normands. Ils n'oferent d'abord hafarder le combat contre la flotte ennemie rangée k 1'entrée du port, dont les jettées a droite &c k gauche étoient couvertes de balifles & de catapultes. Mais Robert, impatient de combattre, ne les eut pas plutöt appercus, qu'il leur envoya Boëmond k la tête d'une. efcadre pour leur fignifier qu'ils euffent k reconnoitre I'Empereur Michel, &c k le ialuer par les acclamations accontumées. Les Vénitiens demanderent jufqu'au lendemain ; & dès la nuit fuivante, ne pouvant, faute de vent, approcher du rivage, ils rangent leur flotte en forme de croiffant fur une feule ligne, attachant les vaiffeaux enfemble avec des cables. Ils élevent au haut de chaque mat une efpece de hune affez large pour donner place k trois ou quatre hommes avec des tas de pierres 5c de jayelots, Yij Alexis. An. ioSr*.  AtEXIS. An. 1081. 508 HlSTOIRB Ils avoient préparé une autre invention d'un effet très-dangereux, c'étoient des billots de bois qui n'avoient qu'une coudée de haut, mais fort gros, & armés d'une pefante pointe de fer, qu'on pouvoit, a 1'aide d'une poulie au bout des vergues, décharger k plomb fur les vaiffeaux ennemis. Ils attendent en eet état la flotte Normande. Au point du jour, Boëmond vient chercher leur réponfe ; ils ne lui rendent que des injures. Le jeune Prince, le moins endurant de tous les hommes, fond fur eux le premier avec fureur, & vole k 1'abordage. II efl fviivi de toute fa flotte. Comme Boëmond , qui ne fe ménageoit pas, accrochoit un des plus grands vaiffeaux, on fait tomber fur le fien un de ces moutons dont je viens de parler, qui, fe précipitant de fort haut avec pefanteur, creve le navire jufqu'a la qui Hé. L'eau entrant aufli-tót, le vaiffeau enfonce; 1'équipage fe jette k la nage ; la plupart périffent; Boëmond eft affez heureux pour gagner un de fes navires: mais fes gens le croyant perdu, ne fongent qu'a prendre la fuite. Les Vénitiens en ce moment dé-  du Bas-Empire. Liv. LXXXI. 509 tachent leur chaïne, & voguent k la ! pourfuite; ils les poufTent jufque clans le port, en emmenent plufieurs, & font enfin obligés de fe retirer par les décharges meurtrieres tant des machines dont le port étoit bordé, que de celles des vaiffeaux de Dalmatie & de Ragufe, arrivés nouvellement au fecours de Robert. Paléologue, témoin du combat, voulut avoir part k 1'honneur de cette journée; il fortit k la tête de la garnifon, pénétra jufqu'au camp des affiégeants, & revint couvert de leur fang. Des commencements fi peu favorables auroient déterminé tout autre que Robert a renoncer k 1'entreprife. j Mais ni la perte caufée par la tempête,ni la défaite de fa flotte, ni la force de la ville, &c 1'infatigable aftivité de Paléologue, ne lui firent perdre coeur. Maurice , Amiral de 1'Empire , venoit d'arriver avec grand nombre de vaiffeaux, & s'étant joint k la flotte Vénitienne, il menacoit de forcer 1'entrée du port, oh les batiments preffés les uns contre les autres, n'auroient pu manceuvrer & fe défendre. Boëmond fortit donc, & fe rangea Y iij Ilexis. ia. 10S1 XXIII. Opiniaeté de obêit.  Alexis. An. wSi. XXÏV. Attaque tic Ia ville. SIC H I S T O I R E en bataille; mais il fallut bientót céder k la iupériorité des ennemis ck gagner le rivage, 011 les navires Grecs ck Vénitiens, qui étoient de haut-bord, ne purent les pourfuivre. Ces mauvais fuccès détacherent de Robert toutes les places qu'il avoit conquifes fur la cöte d'Epire. Elles refuferent de lui envoyer ni argent, ni vivres ; ck les ennemis étant maitres de la mer, le paffage fut fermé aux convois qui lui venoient d'Italie. Tous ïes environs de Dyrrachium étoient ravagés, ék Paléologue avoit enlevé les fubfiffances qui fe trouvoient fur terre. Les partis qui fe hafardoient k s'éloigner pour chercher des vivres, étoient furpris, ék taillés en pieces par des détachements de la garnifon. Robert ne s'effraya pas de toutes ces difficultés. Depuis fon arrivée, il avoit recu d'Italie des renforts confidérables, ék fon armée fe trouvoit encore affez nombreufe pour foutenir fes efpérances. II ne fongea plus qu'aux moyens de réduire la ville. II la fit battre de toutes fes machines. Paléologue, jour ék nuit en ac~tion, y répondoit de toutes les fiennes, ck  du Bas-Empire. Liv. LXXXI. 511 travailloit fans relache a repouffer les efforts des aflïégeants. Non content de fe défendre, il fort a la tête de fa garnifon, fond fur I'ennemi, détruit une partie de fes batteries, &c s'expofant lui-même dans la plus chaude mêlee, il recoit plufieurs bleffures, entre autres un coup de fleche, qui s'enfonce an-deffous des temples. Ne pouvant 1'arracher , il fait couper fur le champ de bataille le bois qui reffoit dehors, & la tête bandée, il retourne fe j etter au milieu des ennemis , continue de combattre avec fureur, &c ne perd pas un pouce de terrein jufqu'a la nuit, qui fépare en¬ fin les combattants. Le lendemain, pour ferrer la ville de plus prés, Robert va camper a la portée de 1'arc; & pour couper les vivres aux affieges, il établit des poffes fur toutes les éminences & dans tous les vallons d'alentour. Ses machines a lancer des pierres & des javelots produifoient moins d'effet que celles qui couvroient les murs de la ville. Paléologue faifoit pleuvoir des torrents d'huile enflammée, de naphte , de poix ardente qui portoient par-tout 1'incendie. Ce Y iv Alexis. An. 10S1.  AlEXIS. An, 1081 512 BlSTOJRE qui incommodoit le plus les affiégés, & fondoit la plus grande efpérance de Robert, c'étoit une tour de bois d'un vafte contour, & fupérieure de hauteur a celles dont les murs étoient flanqués, L'étage le plus élevé étoit fermé d'une porte fort haute , qui devoit s'abattre, & former un pontlevis jufqu'a la muraille. Cinq cents hommes devoient fe jetter par-la dans la ville au point du jour. Paléologue, informé de ce projet, fit conltruire de fon cöté pendant la nuit une autre tour de même hauteur, a laquelle étoit attaché par un bout un grand mat de navire, proportionné par fa longueur a la diilance de la tour ennemie; en forte qu'en s'abattant, 1'autre bout portoit fur la porte qui devoit fervir de pont , tk 1'empêchoit de s'ouvrir. Cette invention rendit inutile la tour de Robert; tk pendant que fes gens réuniffoient au-dedans leurs efforts pour forcer 1'ouverture, on faifoit de deffus 1'autre tour des décharges continuelles fur ceux qui paroiffoient fur la plate-forme , on lancoit des fleches enflammées, & toutes fortes de matieres propres a  du Bas-Empire. Liv. LXXXI. 513 mettre le feu; en forte que le fommet de la tour étant tout en flammes, les Normands fe précipitoient en-bas les uns fur les autres. En ce moment, Paléologue fit fortir une troupe déterminée de braves gens armés de haches, qui, abattant & coupant en pieces fur leur paffage tout ce qu'ils trouvoient de Normands, fapperent le pied de la tour, & la hacherent en morceaux. Dès qu'Alexis avoit appris que Dyrrachium étoit affiégé , il avoit mandé a Pacurien de ralfembler tout ce qu'il avoit de troupes, d'y ajouter ce qu'il pourroit de nouvelles levées, & de le venir joindre au paffage de 1'Hebre. Après avoir recommandé le foin de Conftantinople h fon frere Ifaac , aidé des confeils de fa mere , il fe mit en campagne a la fin du mois d'Aoüt. Pacurien qui le fervoit avec zele, lui amenoit une belle armée, commandée fous fes ordres par Nicolas Branas, guerrier vaillant tk expérimenté. Après cette jonction, Alexis fit la revue dé fes troupes, forma les divifions des différents corps; 6c comme c'étoient pour la Y v Alexis. An. 10S1» XXV. Alexis fe met en campagne.  Al.EXIS. An. 1081. 5:4 HïSTOÏRE plus grande partie de nouveaux foldats , il leur affigna k chacun le rang qu'ils devoient tenir dans la bataille, & les fit marcher dans Ie même ordre autant que le terrein pouvoit le permettre, afin de les accoutumer a fe tenir enfemble & a reconnoitre leur pofte. Les troupes de la garde du Prince étoient commandées par Conftantin Opus, les Macédoniens par Antiochus, les Theffaliens par Andronic & Alexandre Cabafilas. Depuis la ville d'Achride jufqu'au fleuve Bardar , 1'Illyrie étoit peuplée d'une colonie de Perfes , qu'on nommoit les Bardariotes , tranfplantés en ces lieux deux cents cinquante ans auparavant par I'Empereur Théophile. A leur tête marchoit Tatice, Chef des Officiers du palais. II étoit Sarafin de naiflance. Son pere qui faifoit le métier de brigand , pris dans une courfe par Jean Comnene, pere d'Alexis, avoit paffé dans les fers le refte de fa vie. Tatice, élevé dans 1'efclavage , s'étoit avancé par fa bravoure. Un corps de Francs attachés au fervice de 1'Empire , avoit pour Commandants Panueomete & Conftantin Humberto-  hü Bas-Empire. Lh. LXXXI. 515 pule. On voyoit auffi dans cette armée deux mille huit cents de ces Pauliciens établis k Philippopolis & aux environs. Ces hérétiques, nés autrefois au milieu du carnage entre les montagnes de 1'Arménie , avoient confervé dans un pays rude & prefque fauvage leur ancienne férocité. Ils étoient conduits par Xantas & Culéon, chefs de leur fecte impie : troupe redoutable, fi une audace barbare étoit la vraie valeur. Alexis s'étant arrêté un mois a Theffalonique pour exercer fes troupes , s'y inifruifit plus en détail de 1'état du fiege. Voyant qu'il n'y avoit point de temps k perdre , il fe met en marche, &arrive au bord du fleuve Charzane, que 1'on croit être Pancien Pa* nyafus. De-la il envoye demander ac Robert, quelle raifon le porte a faire la guerre k 1'Empire; & fans attendre fa réponfe , il va camper k cinq; cents pas de I'ennemi fur une éminence , ayant la mer a fa gauche, &C fur fa droite une haute monfagne^ C'étoit le foir du quinze Otfobre.II avoit efpéré furprendre Robert ;Vla faveur des montagnes & des fleuY vh ALEXlf. An. icSs, XXVL-II marche^ a Dyrra-* chium-,  AtExis, An. 10S1 XXVII. Confeil d'Alexis, 5l6 H l & T 0 1 R E ves qui couvroient fa marche. En effet,la vued'unemultitude d'étendards ' qui fiottoient en J'air, & d'une armée qui s'étendoit a perte de vue fur les cöteaux & les plaines d'alentour, jetta d'abord 1'allarme parmi les Normands. Mais ils furent bientöt ralfurés par la bravoure de Boëmond. II étoit allé au fourrage avec cinquante cavaliers, lorfqu'il en rencontra cinq cents envoyés devant par Alexis pour reconnoitre la pofition des alliégeants. Ils étoient commandés par Bafile , Capitaine eftimé dans 1'armée Grecque. Boëmond, fans s'effrayer de leur nombre, fond fur eux, les taille en pieces , fait prifonnier Bafile, ik 1'amene au Duc, qui s'inftruit de 1'état & du nombre des troupes Impériales. Al'approche de I'Empereur, la plupart des Officiers Normands avoient été d'avis de marcher a fa rencontre , pour ne pas fe trouver enfermés entre la ville & une armée beaucoup plus forte que la leur. Mais Robert, perfuadé que s'éloigner de la ville c'étoit perdre le fruit de tous les travaux paffes, avoit perfifté a demeu-  nu Bjs-Empire. Liv. LXXX1. 517 rer dans fon camp, & a y attendre ' I'ennemi. La même prudence ne gouvernoit pas le confeil d'Alexis. Le lendemain de fon arrivée, il manda Paléologue pour conférer enfemble. Le Gouverneur, aufli fage que vaillant, lui fit repréfenter qu'il ne pouvoit fortir de la place fans la laiffer en péril. Alexis réitéra fes ordres, & Paléologue fes excufes , ajoutant que dans une conjoncfure fi critique, il ne croiroit jamais qu'un pareil ordre lui %int de I'Empereur , s'il ne le voyoit fcellé de la main du Prince. Alexis lui ayant envoyé fon anneau même, Paléologue s'embarque & fe rend auprès de lui. On tient confeil auffi-töt, & Paléologue ayant rendu compte de tout ce qui s'étoit paffé depuis le commencement du fiege, & de 1'état ou fe trouvoit la ville, Alexis lui demanda s'il jugeoit a propos de livrer une bataille décifive. Paléologue n'étoit pas de eet avis, non plus que les anciens Officiers. Ils penfoient qu'il étoit plus für de tenir Robert enferme dans fon camp , de Finquiéter fans ceffe par des efcarmouch.es, etenlever fes convois, & de lui faire couper lts paf- tLEXIS. in. ioSi.  Alexis. .An. ioSi, xXvm. ï"able débitée par Arrne Comnene. 5tS HlSTOIRÈ fages des vivres par les Serves & lés Dalmates ; que ce feroit le rrwyen de le faire périr dans fon camp fans coup fé■rir, ou de le réduire d demander d mains jointes telles conditions qu'on jugeroit k propos de lui impofer. Tel étoit 1'avis des vieillards. Mais les jeunes Officiers bouillants d'impatience, fbllicitoient vivement rEmpereur de ne pas abaiffer la puiffance Impériale jufqu'a prendre des précautions fi timides devant une poignée de Barbares , qui n'étoient dignes que de mépris. Conftantin Ducas, frere de Michel Parapinace , Nicéphore Synadene , Nempite, Commandant des Varangues , les deux fils de Romain Diogene , Léon & Nicéphore, étoient les plus animés a faire fonner bien haut 1'honneur de 1'Empire. La réponfe de Robert qui arriva dans ce moment , contribua beaucoup a faire prévaloir 1'avis des jeunes gens. II difoit qu'il n'étoit point ennemi perfonnel d'Alexis , mais qu'il étoit l'ami de f Empereur Michel injufle' ment détröné; a quoi il ajoutoit des propofitions fi révoltantes, qu'on ne crut pas qiv'elles méritaffent d'être  du Bas-Empire. Liv. LXXXL 519 écóutées jufqu'au bout. Ici Anne Comnene qui ne ménage pas Robert Guifcard , lui fait jouer une comédie abfurde jufqu'au ridicule , dont les autres Hifforiens ne difent pas un mot. Si on veut 1'en croire , ce Prince abfolu, & qui n'étoit pas homme k mettre fon pouvoir en compromis, s'en dépouille fans qu'on fache pourquoi; & après avoir fait d'Alexis & de fon armée un éloge capable de décourager la ftenne , il conjure fes troupes de choifir un autre Général. Ce n'eff qu'après le concours unanime de tous les fuffrages, qu'il veut bien reprendre fon autorité. Anne Comnene trou-i ve beaucoup de rufe dans ce procédé , peu capable cependant de mériter a Robert le furnom de Guifcard. Mais il y a grande apparence que cette Princeffe , malgré les pro* teffations qu'elle répete fouvent de préférer conffamment la vérité k 1'in•térêt , k 1'honneur même de fa familie ,a néanmoins imaginé eet épifode , ou du moins qu'elle a bien voulu donner crédit a cette fable , paree qu'elle a trouvé fort honorable pour fon pere de le rendre redoutable k Alexis. An. ioSia  Alexis. An. 1081. XXIX. Préparatifs de Ia bataille. 520 BJSTOIRE Robert, & de mettre fes Iouanges dans la bouche d'un ennemi. Le jour fuivant fe paffa de part & d'autre a fe préparer a la bataille. Le théatre ou les deux armées alloient mefurer leur valeur, étoit bien capable d'embrafer le courage. C'étoient les lieux mêmes, oü 1'univers autrefois partagé & tremblant avoit vu les deux plus grands guerriers de Rome fe difputer 1'Empire du monde. Mais fi Robert avoit des qualités qui 1'approchoient de Céfar, Alexis, malgré toutes fes vief oires paffées, étoit encore fort loin de Pompée. Son armée étoit de foixante-dix mille hommes : la plupart des Hiftoriens lui en donnent même cent mille de plus. Robert n'en avoit que quinze mille. Pour en accroitre le nombre, & plus encore pour les forcer k vaincw ou k mourir, en ötant toute retraitevaux fuyards, il mit le feu k fa flotte, & en fit palfer dans fon camp les foldats ik les matelots. Demain, leur ditïl, ou nous ne ferons plus, ou nous ferons les maitres de tout ce que pojjede I'ennemi. Alexis envoye k la garnifon de Dyrrachium ordre de fortir  nu Bas-Emtire. Liv. LXXXL 521 fur Robert, lorfqubn en feroit aux mains, & de 1'attaquer par-derriere. Pour affurer encore le fuccès qu'il croyoit indubitablë, il fait couler pendant la nuit le long de la mer un grands corps d'auxiliaires , qui devoient tourner le camp de Robert,' fe potter dans des lieux fourrés oü ils ne feroient pas appercus, & venir de-li le charger en queue, dès que le combat feroit engagé. Le dix-huitieme d'Öcf obre, longtemps avant le jour, Robert con- < duifit fon armée a 1'Eglife du Mar- c tyr Saint Théodore au bord de la * mer; & après avoir fait célebrer Ia Meffe, ou tous les foldats s'étant confeffés, participerent aux fafnts Myfferes, il leur fit prendre de la nourriture, 8c les rangea en bataille. II fe mit k la tête du centre , donna au Comte Amice, renommé pour fa prudence 8c fa valeur, le commandement de 1'aile droite proche de la mer, 8c k Boëmond celui de 1'aile gauche. Alexis rangea fon armée fur la pente de 1'éminence oh il étoit campé le long du rivage. II avoit d'abord defiiné les Varangues a fe joindre k Alexis. An. 1081. XXX. )rdre des eux arïées.  Alexis. An. 10S1 XXXI. Bataille de Dyrrachium. 522 HlSTOIRE ces auxiliaires, qu'il avoit détachés pour envelopper I'ennemi. Mais ces guerriers qui fe piquoient d'une bravoure fupérieure, demanderent 1'honneur de porter les premiers coups; & ayant quitté leurs chevaux, ils furent placés en première ligne a quelque diffance. L'Empereur fe mit au centre ; il donna 1'aile droite au Céfar Nicéphore Méliffene ,& 1'aile gauche a Pacurien. Entre les Varangues &c le reffe de 1'armée étoit placé un grand corps d'archers. Les Varangues devoient d'abord marcher en ligne pleine , & quand ils feroient a la portée du trait, s'ouvrir tout-a-coup pour donner paffage aux archers qui feroient leur décharge, fe rejoindre enfuite , & ferrés les uns contre les autres, couverts de leurs boucliers, charger avec vigueur. Ces difpofitions faites de part & d'autre , Robert détache quelques aventuriers, qui vont voltiger fur les flancs, & tachent d'attirer dans la plaine les plus hardis des cavaliers Grecs. Alexis, pour conferver fon ordre de bataille, & contenir fa cavalerie, fait avancer des troupes lége-  du Bjs-Empire. Liv. LXXXL £23 res qui efcarmouchent quelque-temps. Cependant Robert avancant a petits pas, fon aile droite étoit déja aux mains avec les Varangues, qui tombant fur elle avec leurs haches a deux tranchants faifoient un grand carnage. Les Normands, preffés de ce eöté-la, prennent la.fuite vers le rivage, bordé de la flotte Grecque & Vénitienne, fpectatrice du combat. La plupart troublés par la crainte de la mort qui les pourfuit, fe jettent dans les eaux oü ils fe piongent jufqu'au cou, & vont chercher un afyle aufli peu afluré vers les vaiffeaux ennemis. Sigelgaïte qui avoit voulu partager avec fon mari le péril & 1'honneur de cette journée , criant de toutes fes forces, rappelle & gourmande les fuyards; n'étant pas écowtée, elle court après eux la javeline a la main; & frappant a droite & a gauche, s'oppofant a leur paffage, renverfant les plus indociles , elle les ramene au combat, honteux de céder en courage a une femme. Les ayant remis en ordre, elle va a leur tête charger en flanc le corps des Varangues, qui étoient au prifes ayec le centré de Alexis. An. 1081,  Alexis. An, 10S1. XXXII. Défaite de 1'armée trecque. 524 HlSTOIRE 1'armée Normande, oü fe trouvoit Robert. Ils éprouvoient en ce lieu une plus vive réfiftance dela part de ce guerrier terrible, qui, par fon exemple , infpiroit a fes foldats laplus héroïque valeur. Les Varangues, fatigués des efforts précédents, chargés d'armes pefantes, preffés de front par les troupes de Robert, en flanc par celles de Sigelgaïte , perdent enfin courage; ils fe réfugient dans une Eglife voifine, oü s'entaffant les- uns fur les autres, comme elle étoit trop petite pour les contenir tous, une partie monte fur le toit, qm s'écroulant fous le poids, écrafe, tue, efl.ropie ceux qui font au-deffous. La défaite des Varangues n'abattoit pas le courage des Grecs. Ils étoient fi fupérieurs en forces, qu'ils en pouvoient perdre, fans perdre 1'efpérance de la vidt oire. Entre le champ de bataille & la ville couloit une petite riviere ; Robert en avoit rompu le pont pour arrêter les forties & fermer le paffage a la garnifon de Dyrrachium. Mais en évitant ce danger, il étoit tombé dans un autre. Ses foldats refferrés dans un terrein  du Bas-Empire. Liv. LXXXI. 52$ trop étroit étoient accablés d'une grêle de traits, & ne pouvoient s'étendre a droite ni k gauche pour les évolutions néceffaires, fans fe jetter d'un coté dans la mer, de 1'autre dans la nviere. L'armée d'Alexis les croyoit vaincus, & les troupes Vénitiennes iautoient déja fur le rivage, pour fe /oindre aux auxiliaires, qui, au-lieu de^ charger en queue felon 1'ordre qu ils en avoient recu, s'étoient jettés fur le camp des Normands , tk pilloient les bagages. Dans cette extremité, Robert s'anima d'un nouveau courage ; tk faifant porter devant lui 1'étendard de Saint Pierre , qu'il avoit recu des mains du Pape, volant de rang en rang au travers de fes troupes : Camarades, s'écrioit-il, voild votre guide j c'ejt la religion même qui vous mene a tennemi : craindie^-vous de malheureux hérédques, quand Dieu marche d votre tête ? II appuye ces paroles de 1'exemple de la valeur la plus déterminée ; il fe jette tête baiffée au milieu desefcadrons des Grecs, & foule aux pieds leur infanterie; il eft fuivi des fiens qui renverfent tout devant eux; tk par des efforts Alexis. An, 10S1,  Alexis. An. 1081, XXXIII. AcHons d'Alexis. 52(5 II I S T O I R E inouis, il gagne la plaine , enfonce » rompt, difperfe toute 1'armée d'Alexis ; & fans perdre plus de trente cavaliers , il couche par terre fix mille Grecs avec la plus grande partie des Turcs auxiliaires , & met le refte en fuite. Alexis combattoit en perfonne, & difputoit encore la vicloire que fes troupes avoient abandonnée , foutenant par fa valeur celle de fes propres gardes, plutöt qu'il n'en étoit foutenu. Quoiqu'il vit morts k fes pieds Conftantin Ducas, frere de Parapinace , Nicéphore Synadene, un autre Nicéphore , pere de George Paléologue, & fes plus braves Capitaines, il portoit de fi rudes coups, que nul des ennemis n'ofoit approcher k la portée de fon épée. Atteint au front d'un coup de javeline qui lui fit fauter fon cafque, il évita la mort en fe renverfant fur la croupe de fon cheval: mais s'étant auffi-töt relevé ck affermi fur fes étriers, il continuoit de combattre, lorfqu'il vit Bodin fuir avec fes troupes. Ce Roi de Servië qui 1'étoit venu joindre, comme il s'y étoit engagé par le traité  dv Bas-Empire. Liv. LXXXI. 527 fait avec 1'Empire, s'étoit poflé fur une éminence voiiine; & fimple fpectateur du combat, fans tirer 1'épée, il avoit jufqu'alors attendu , pour fervir Alexis ou pour fuir, que la victoire le fut déclarée. La perfidie de ce Prince ótant toute efpérance a I'Empereur , il ne fongea plus qu'a fa propre füreté. C'efi ainfi qu'Anne Comnene fauve 1'honneur de fon pere. D'autres Auteurs difent que ne croyant pas qu'il fut digne d'un Empereur , de fe mefurer avec un aventurier tel que Robert, il attendoit dans un village voifin la nouvelle de la vicloire , lorfqu'il recut celle de la défaite , & qu'il n'eut part a cette journée que par fa fuite. Ce récit efl du moins auffi vraifemblable. Selon Anne Comnene, qui renouvelle en cette occafion & fort a propos fes proteftations de fincérité, la fuite d'Alexis fut celle d'un héros, &vautune illuftre vicloire. Après la défaite de 1'armée Grecque, Robert avoit promptement rallié fes troupes fans leur permettre une longue pourfuite. II avoit abandonné le camp au pillage, & pour fa part du butin, il AlEXIS. An. ioSi, XXXIV. Fuite rt'Alexis.  Alexis. An. ioSi. 5^8 HlSTOIRE s'étoit emparé de 1'Eglife de SaintNicolas , oü I'Empereur avoit mis en dépot ce qu'il avoit de plus précieux avec les principaux bagages de 1'armée. Ce qu'il defiroit le plus ardemment, étoit d'avoir I'Empereur entre fes mains. II envoya les plus braves de fes Officiers pour le pourfuivre. Ils 1'atteignirent dans un paffage étroit, refferré d'un cöté par le fleuve Charzane , de 1'autre par un rocher. Ils étoient neuf, &c plufieurs d'entr'eux 1'attaquant par la gauche, &£ portant fur fa cuiraffe la pointe de leurs piqués , 1'auroient abattu fur la droite, s'il ne fe fut appuyé a terre du bout de fa javeline, & retenu de la main gauche aux crins de fon cheval. En même-temps les autres venant par la droite, & faifant le même effort, le remirent en felle; & dans ce moment , fon cheval, le plus vigoureux qui fut alors, fe drefTant fur ies pieds de derrière, s'élance d'un faut fur le rocher, & fautant de 1'autre cöté dans la plaine, emporte fon maitre avec une merveilleufe vitefle. C'étoit le cheval de Bryenne, qui, dans la bataille de Calabria, trois ans auparavant, avoit  du Bas-Empire. Liv. LXXXI. 529 avoit donne occafion a une erreur, dont Alexis avoit fit tirer tant d'avantage. Cependant ceux qui le pouriuivoient ayant coupé par un chemin plus court, étoient prés de 1'atteindre encore, lorfque le Prince, averti de leur approche par le bruit qu'il entendoit derrière lui , tourne bride , fond la javeline a la main fur le plus avancé, le renverfe mort, & continue de courir. II fe trouve bientöt dans un plus grand danger. Une troupe de cavaliers qui revenoient de la pourfuite, occupoit le feul chemin qu'il pouvoit prendre. Dès qu'ils 1'appercoivent, ils courent a lui piqués baiffées. Alexis, encore pourfuivi, mais de bien loin, par les premiers , fe voyant entre deux périls, choifit entre les nouveaux ennemis le plus apparent, qu'il prend k la hauteur de fa taille & k 1'éclat de fes armes pour Robert lui-même. II court droit k lui avec la rapidité de la foudre ; & 1'ayant percé de part en part & couché par terre, il s'ouvre un paffage au travers de la troupe effrayée, qui ne s'occupoit qu'a donner au mourant des foulagements inuTomé XVII, Z Alexis. An. 1081,  Alexis. An. icSi, XXXV. Suite dela bataiile. 53° B i s t o i r e tiles. Après deux jours & deux nuïts de courfe continuelle par des fentiers inconnus &£ des défilés prefque impraticables, il arrivé enfin a Achride, accab-lé de fatigue & de douleur, défiguré par le fang qui couloit de fa bleffure. Dans cette bataille, 1'impofteur Michel reffa entre les morts. Robert n'eut pas de peine fans doute a s'en conïbler. Cornme les intéréts de ce fourbe avoient en apparence allumé la guerre, la vengeance de fa mort fervit de prétexte pour la continuer. Ce fut alors que les Grecs perdirent la croix d'airain que Conftantin avoit fait faire avant la bataille contre Maxence, fur le modele de celle qu'il avoit appercuedans le ciel. Cette perte fut plus fenfible aux Grecs que le malheur de leur défaite. Les Normands , poffeffeurs de ce précieux étendard, en concurent un nouveau courage, & Robert qui refufa de la rendre, quelque fomme qu'on lui offrit, la faifoit porter devant lui dans tous les dangers. II ordonna qu'après fa mort elle feroit dépofée dans Ie monaftere de la Sainte-Trinité k Vé-  du Bjs-Empire. Liv. LXXXI. $31 nufe, oü il avoit choilï fa fépulture. le trifte état oü fe trouvoit Alexis ne lui fit pas perdre de vue la dé^ fenfe de Dyrrachium. Paléologue, après le combat. n'avoit pu rentrer dans la place plus étroitement ferrée. Alexis trouva moyen d'y faire parvenir une lettre pour raffurer les habitants par la promeffe d'un nouveau fecours. II confioit la gardé de la citadelle aux Vénitiens, dont un alfer grand nombre étoit établi dans la ville. H chargeok du gouvernement général un Albanois, nommé Comifcorte 9' dans Iequel il avoit confiance, tk lui mandoit le détail de ce qu'il devoit faire dans la conjoncture préfente. L'armée viétorieufe, chargée de dépouilles, étant retournée dans fon camp devant Dyrrachium, Robert délibéra fur le parti qu'il avoit a prendre. L'hy ver approchoit, tk les premiers froids fe faifoient déja fentir avec tant de rigueur, qu'il appréhenda que fon armée n'eüt trop a fouffrir fous les barraques, dont il avoit affernblé les matériaux. II fe contenta d'établir différents poffes autour de la ville, pour couper les paffages, réZ ij Alexis. in. ioSt«  Alexis. An. loSi, An. 1082. XXXVI. Prife de Pyrra«hiujn. 532 H I S T 0 I R E folu de reprendre les travaux du fiege au printemps prochain. II fe logea avec une partie de fes troupes dans Glabinize & dans Joannine, & diftribua le refte dans les agréables vallons formés par les montagnes qui terminent a 1'Orient le territöire de Dyrrachium. Pendant 1'hyver, il batit un fort fur une éminence au bord d'une riviere qu'on appelloit le fleuve des Démons, & cette éminence fe nomma depuis le mont Guifcard. Dela il faifoit tous les jours des courfes jufqu'aux portes de Dyrrachium. Les habitants, fatigués d'un fiege qui duroit depuis fix mois, n'attendoient pas fans crainte le retour du printemps qui devoit leur ramener de nouyeaux périls. Plufieurs d'entr'eux ^enoient des aflemblées, ou la plupart étoient d'avis de traiter avec Robert , & de lui rendre la ville aux :onditipn§ les plus avantageufes qu'on pourroit obtenir. Mais pendant ces délais, Robert avoit formé une inteligence avec un noble Vénitien nomJié Dominique, chargé de défendre !a principale tour. Dans les meffages recrets qu'il pouvoit moyen de lui  du Bas-Empihë. Lw. LXXXL 533 enyoyer & de recevoir de lui, il 1'avoit engagé alui ouvrir 1'entrée, promettant de lui donner en manage une de fes nieces fort belle ék fort riche, fille de Guillaume, Comte du Principat. On convint du jour ék de 1'heure. La nuit du dix-huit Février, Robert fait planter les echelles, & efcalade la tour. Dès que fes foldats s'en font rendus maitres, Ie fon des trompettes ék le nom de Robert répété k grands cris , jette 1'épouvante dans toute la ville. On prend les armes, on fe bat pendant trois jours. Le fils du Doge efl pris avec grand nombre de Vénitiens ék plufieurs de leurs vaiffeaux. Enfin, on fe rend a Robert, qui donne la garde de la ville a Fortin de Rofane, ék marche en-avant pour fubjuguer le refte de la Province. II arrivé k Caftorie, ou étoient logés trois cents Varangues, auxquels Alexis en avoit confié la défenfe. Ils fe mettent en devoir de réfifter. Mais voyant 1'ardeur des affaillants, ék craignant de ne point recevoir de quartier s'ils étoient pris de force, ils traitent avec Robert, ék lui rendent la place. Sa douceur k Fégard de ceux i Z iij Alexis. An, 1082/  Alexis. An. 1082, XXXVII. Alexis fait ufage t}*5 richeffes de quelques Eglifes. Ï34 HlSTOIRE qui fe foumettoient k lui, achevoit de lui gagner toutes les villes , que le bruit de fes armes faifoit trembler. Ses conquêtes groffilfoient fon armée. Les vaincus , charmés de fa bonté k leur conferver leurs biens, a les faire guérir de leurs bleffures , a ménager 1'honneur de leurs femmes & de leurs filles, ne pofoient les armes que pour les reprendre k fon fervice, ék fes ennemis devenoient fes foldats. Tout trembloit devant lui, ck la terreur de fon nom fe répandoit jufque dans Confiantinople. Ces nouvelles plongeoient le poignard dans le cceur d'Alexis, déja aecablé du regret d'avoir perdu tant de braves guerriers. II demeura quelques jours dans Achryde , enfeveli dans une profonde douieur. Etant enfin revenu k lui-même, il ne fongea plus qu'a réparer la honte de fa défaite. II fe tranfporta a Déabolis, prés du lac d'Achryde, ou recueiflant les débris de fon armée , il donna fes foins au foulagements des malheureux, qui , harraffés de fatigue ck couverts de bleffures , venoient fe raffembler auprès de lui. II fit publier  nv Bas'Empire. Liv. LXXXI. 53*? de toutes parrs crue les foldats dif- perfés fe rendiffent a ThefTalonique. Faifant réflexion fur la différente de fes troupes , prefque toutes iiouvelies lévées , & de celles de Robert aguerries depuis long-temps, il cöncut qu'il n'avoit d'autre reffource que d'acheter le fecours des nations guerrieres. Mais le tréfor fe trouvoit épuifé. II eut d'abord recours a fa familie; & fa généreufe mere, qui refientoit plus vivement que perfonne les chagrins de fon fils êe les befoins de FEtat, donna Fexemple en faifant porter a la monnoie tout ce qu'elle avoit d'or 8c dargent. L'Impératrice fa femme , le Sébafiocrator fon frere, tous les Comnenes, tous leurs amis, chacun a proportion de fes moyens, cóncoururent avec empreffement a ce nöble facrifice. Mais le produit de toutes ces richeffes fut a peine fuffifant pour payer ce qui étoit dü aux troupes, qui menacoient d'abandonnet- le fervice, fi elles n'étoient pas fatisfaites. Quelques Officiers étoient même affez avides pour demander fur ces fonds précaires les récompenfes qu'ils croyoient mériter, Sc I'Empereur afZ iv Alexis. An. 1081.  AtEXIS, ,An. 10S2. 53§ JJlSTOIRK fez foible pour les leur accorder. II fallut donc ouvrir d'autres fources; & après de longues délibérations , tant dans le Confeil du Piince, que dans le Sénat plufieurs fois affemblé a ce fujet, on fe détermina enfin a convertir en monnoie 1'or tk 1'argent des Eglifes les moins fréquentées, dont les richeffes, accumulées par la piété des fideles, étoient plutöt un objet d'oflentation pour les titulaires, qu'une décoration néceffaire au culte divin. On s'appuyoit de 1'aurorité des canons , qui permettent d'employer 1'argent des Eglifes , tk de fondre même les vafes facrés pour le rachat des Captifs; tk combien de Chrétiens infortunés gémiffoient alors dans les fers des Mufulmans, en grand danger de leur falut l Après cette décifion, le Sébaffocrator fe tranfporte k Sainte-Sophie; tk ayant fait affembler le Clergé, le Patriarche, les Prélats qui fe trouvoient alors a Conftinople, il leur expofe le befoin preffant de l'Etat, & la néceffité oii les Chrétiens étoient réduits d'avoir recours a 1'Eglife, qui, fans doute, ne refuferoit pas de fe défaire en leur  du Bas-Empire. Liv. LXXXI. $37 faveur d'une partie de fes ornements fuperflus , plutöt que d'encöurir le danger d'être entiérement dépouillée par les mains des infideles. Comme il voyoit que les douces inlinuations n'étoient pas trop écoutées; alors prenant un ton plus haut : L'Empereur , dit-il, Je trouve donc contraint lui-même d'ufer envers vous d'une contrainte qui ne fajftige pas moins que vous ; c'ejlJon devoir de vous fauver malgrê vous-même. Ces paroles furent plus fortes que les raifons , & la plupart confentirent malgré la réclamation d'un petit nombre , dont la vivacité s'emporta même au-dela des bornes de la liberté eccléfiaftique. Mais cette opération délicate laiffa des traces profondes, tk rendit odieux pour long-temps le gouvernement des Comnenes. Le plus ardent des contraditteurs fut Léon , Evêque de Chalcédoine , Prélat vertueux, mais dur tk intraitable. Apprenant qu'on détachoit des portes d'une Eglife des lames d'or tk d'argent, & d'autres embeüiffements, embrafé d'un zelë féditieux, il aecourt , perce la foule du peuple , chaffe les ouvriers, tk. fe met luiZ v Alexis. An. 1082, XXXVIII Hardieffe de 1'EvêqueLéon.  Alexis. An, loSi. 53S UlSTOIRE même en garde a la porte , déclamant avec une fcandaleufe hardieffe contre 1'impiété d'une pareille entreprife. Bien plus, toutes lesfois que depuis ce moment il rencontroit I'Empereur, il 1'attaquoit ouvertement par les plus outrageantes inveöives, abufant de la patience du Prince, qui ne faifoit pas femblant de 1'entendre» Quelque temps après, une incurfion des Patzinaces ayant encore obligé I'Empereur de recourir ï la même relfource , quoique tous les Prélats y confentiffent, Léon s'y oppofa feul; ck a 1'occafion de la difpute qui s'éleva pour lors fur le refpect dü aux Eglifes ck aux images des Saints, la chaleur de la conteftation 1'emporta jufqu'a dire, que 1'honneur rendu aux images n'étoit pas un culte purement relatif, mais abfolu ck inhérent è la matiere même. Cette forte d'idolatrie étoit fans doute un effet d'ignorance : mais Léon n'étoit pas de cara ctere a fe laiffer éclairer, Les mécontents du Gouvernement 1'arguillonnoient encore; & quoique 1'Empereur proteffat qu'il étoit bien réblu de réparer le tort fait aux Eglj-  du Bas-Empire. Lm. LXXXl. 539fes, quoique les plus raifonnables d'entre les Prélats, pleinement fatiffaits, traitaffent de féditieux les partifans de Léon, cependant eet Evêque , fourd a toutes les avances du Prince, ne rabattoit rien de fon audace a 1'infulter. Comme fon erreur donnoit prifes aux cenfures eccléliaftiques, il fut dépofé dans un Synode, ck n'en devint que plus opiniatre. Sa condamnation lui gagna même un plus grand nombre de fecfatateurs. II ne travailloit qu'a troubler 1'Eglife, & rien ne pouvant réuffir a ramener eet efprit turbulent ck inflexible, il fut enfin exilé a Sozopolis dans la Province de Pont. Plus aigri par fa difgrace, il rejetta tous les adouciffements qu'on lui préfentoit; tk malgré les ordres donnés en fa faveur, ils'enveloppa obftinément dans fa mifere, ik ne voulut rien devoir a la clémence d'un Prince, que fon zele fanatique ne regardoit qn'avec ce qu'il appelloit une fainte horreur. L'Empereur a Theffalonique formoit une nouvelle armée da ceux 1 qui venoient de toutes parts fe ran- { Z vj ] Alexis. \.n. loSi. XXXIX. Nou•eaux•réparaifs d'Aexis.  Alexis. An, ioSï, ! xl; Robert epaffe en talie. 1 540 HlSTOlRÉ ger fous fes enfeignes, Sc les exercoit avec foin aux opérations miliiaires. II envoya de nouveau des Ambaffadeurs a Henri pour le folliciter a ne pas différer de faire diverfion dans la Pouille felon les conventions précédentes. II lui renouvelloit la promeffe du mariage de fon neveu, qu'il favoit que Henri defiroit ardemment. Après ces difpofitions, il laiffa Pacurien a la tête de fes troupes, 8c fe rendit a Confiantinople. Dès qu'il fut parti de Theffalonique, les chefs des Pauliciens Xantas 8c Culéon, foit par un mécontentement dont on ignore la caufè, foit par un effet de 1'argent de Robert, fe détacherent du refte de 1'armée, 8c fe retirerent a Philippopolis avec ce qui leur reftoit de foldats au nombre de deux mille cinq cents. Ils en avoient perdu trois cents dans la bataille de Dyrrachium. Ce fut en vain que I'Empereur s'efforca le les rappeller par les promeffes les )lus flatteufes; il ne put les engager 1 revenir. Robert fe difpofoit a pénétrer en Bulgarie, lorfqu'il regut des lettres lu Pape Grégoire, qui, étant afïïégé  vu Bas-Empire. Lh. LXXXI. 541 dans Rome par Henri, 1'appelloit a fon fecours en même-temps qu'il le félicitoit de fa victoire. Auffi-töt le Duc, qui fe regardoit comme foldat du faint Siege, auquel il avoit juré fidélité, abandonne toutes fes conquêtes, laiffe fon fils Boëmond pour pouffer Fexécution de fes projets, recommande aux Officiers de lui obéir, & a lui de les confulter dans toutes fes entreprifes; jure de ne point ufer de bain, de ne fe point faire couper la barbe ni les cheveux jufqu'a fon retour. II prend avec lui une efcorte peu nombreufe, paffe k Otrante fur deux navires, & fe rend a Salerne, oü il affemble fes troupes pour courir au fecours du Pape. Mais la révolte de plufieurs villes de la Pouille 1'oblige de s'arrêter dans cette Province. II ruine la ville de Cannes, ék punit celle de Bari par de fortes contributions, ék par 1'emprifonnement d'un grand nombre d'habitants. Tandis qu'il travailloit k pacifier fes Etats, ék k délivrer Grégoire d'un opiniatre ennemi, fon fils, pafiionnépour la gloire, defiroit ardemment de fe fignaler en Illyrie. II affemble tou-r Alexis, An. io8i'  Alexis. An. 1082. An. 1083. XLI. Bataille de Joannine. $42 B I S T 0 I R E tes fes troupes, auxquelles s 'étoit joint un grand nombre de déferteurs Grecs. La défaite d'Alexis 1'avoit fait abandonner de quantité de foldats, & même de plufieurs des principaux Officiers , fans compter les Commandants des places dont Robert s'étoit emparé. Boëmond va camper k Joannine; & pour en faire une place de füreté, il enferme d'un large foffé les vignobles dont elle étoit environnée. Dans ce vafte contour, il place avantageufement fes divers corps de troupes; il releve les murs, rétablit la citadelle k demi-ruinée, en fait batir une feconde bien fortifiée dans une autre partie de la ville. C'étoit dans cette place d'armes que fes partis fe répandoient dans toutes les contrées d'alentour, oü ils portoient le ravage. Ces travaux employerent le refte de 1'année, & les premiers mois de la fuivante. Par la retraite de Robert, Alexis, fe croyant délivré de fon plus redoutable adverfaire, fortit de Conftantinople au mois de Mai; & ayant joint a fes forces celles qu'ii avoit laiffées a Theflalonique fous le commander  du Bas-Empire. L'w. LXXXI. 543 ment de Pacurien , il marcha en diligence è Joannine. A fan arrivée, Boëmond, qui brüloit d'envie de combattre, lui préfenta la bataille. Mais I'Empereur, dont 1'armée étoit cette fois inférieure en nombre, ne voulut rien hafarder, fans connoitre auparayant le caraftere & la capacité de I'ennemi. II pafla donc quelques jours a efTayer fes forces par des légeres efcarmouches. Lorfqu'il eut raffuré fes foldats par quelques fuccès, & qu'il les vit difpofés è bien faire, il crut pouvoir livrer une bataille générale. II favoit par expérience que Ie premier choc de la cavalerie Normande étoit fi terrible, que rien ne pouvoit y réfiffer. Pour en amortir la violence, il prépara des chariots legers, armés au timon de quatre longues javelines , & les fit monter de fantaffins cuiraffés, qui avoient ordre de les pouffer fur les efcadrons ennemis, lorfqu'ils les verroient en mouvement, & de leur oter par ce moyen toute leur force en rompant leur ordonnance. Au lever du foleil, le jour étant clair & fans nuage, les deux armées fortent du camp. Boë- AtEXIS. An. 10S5,  Alexis. An. 10S3, r XLII. Bataille d'Aita. . 544 H I S T O i R E mond, appercevant les chariots qui bordoient le centre des Grecs, changé fur le champ fon ordre de bataille; ce qui lui étoit facile avec des troupes exercées a toutes les évolutions. II fépare fa cavalerie en deux corps, laiffe le centre vuide, & tombe avec fureur fur les deux ailes. II les renverfe après quelque réfiftance; & prenant le centre en flanc, il porte par-tout le défordre. Alexis, qui combattoit au centre, fe défend avec courage; il s'expofe au plus fort de la mêlée, rallie plufieurs fois les fuyards , recoit & porte plufieurs coups; enfin, abandonné de prefque toute fon armée, il efl: forcé de fuir. Mais en fuyant, il rencontre un gros d'ennemis ; il le perce; & traverfant des marais qui fembloient être impraticables, il gagne encore la ville d'Achride. II y raflemble une partie de fes troupes; & les laiflant a Pacurien , il fe retire vers le fleuve Bardar, non pas pour y chercher du repos , mais pour y raflembler de nouvelles forces, & revenir au plutöt tenter encore une fois la fortune. Après la vicfoire, Boëmond étoit  s>v Bjs-Empire. Liv. LXXXI. 545 allé affiéger Arta, batie des ruines de 1'ancienne Ambracie. Alexis marche au fecours. Pendant la nuit qui précéda le combat, il fema de chaufletrapes toute la plaine oii devoit fe liyrer la bataille, & fit pour fon armée les mêmes difpofitions qui avoient donné' la vicloire k Boëmond. Elle devoit s'ouvrir & fe partager en deux corps, dès qu'elle verroit la cavalerie ennemie engagée dans ces pieges, & la charger en flanc k droite & k gauche, tandis que les gens de trait rangés de front 1'accableroient d'une grêle meurtriere. Ce plan, calculé avec juiteffe, auroit eu fon effet, fi Boëmond n'en eut été inftruit par fes efpions, dont il étoit fi bien fervi, qu'il ne manquoit jamais de favoir de grand matin ce qu'Alexis avoit arrêté la veille. II drefla fon ordre de bataille fur 1'avis qu'il avóit recu. Dès que le fignal fut donné, les deux aïles de Boëmond s'étant détachées du centre, filerent le long des chaufle-trapes, & allerent choquerles deux ailes d'Alexis, qui furent en un moment renverfées. Pendant ce temps-la, le centre reftoit im- Alexis. An. 10S3,  Alexis. An. 1083. XL1U. Exploits die Boëmond en Grecc. . HlSTOIRS mobile, comme pour attendre I'ennemi. Les Grecs, k demi-vaincus d'avance par le fouvenir des deux défaites précédentes, ne firent pas longue rélïftance. Alexis, qui, ïelon le récit de fa fille, ne fuyoit jamais qu'en héros, échappa encore en faifant repentir les ennemis de leur opiniatreté a le pourfuivre. II regagna Conftantinople. Boëmond, maitre de la campagne, efpérort ne trouver plus d'obftacle a fe mettre en poffeflion des places. Achride lui ouvrit fes portes; mais la citadelle refufa de fe rendre. Comme le fiege en auroit été long & difficile, il ne s'y arrêta pas , &c marcha en-avant vers 1'intérieur de la Macédoine. II trouva les places mieux défendues qu'il ne s'étoit imaginé. Oftrove & Berrhée réfifterent a fes attaques ; & s'étant avancé dans la Moglene, il y rebatit un chateau ruiné, ou il placa une forte garnifon, fous le commandement du Comte Sarafin , pour tenir en bride toute la contrée jufqu'au fleuve Bardar. Son armée étant fatiguée, il fe cantonna dans un lieu qu'Anne Comnene nom-  nuBas-Empire. L'w. LXXXI. 547 me Blanche Eglife, & que je crois être la ville nommée aujourd'hui Eclijfo , qui eft 1'ancienne Edeffe de Macédoine. II y fëjourna trois mois, & paffa le refte de 1'hyver a Caftorie. Pendant ce féjour, il découvrit un complot formé pour le trahir. Un Seigneur Normand, de la familie des Comtes de Vexin, qui portoit le titre de Comte de Pontoife , s'étoit mis au fervice de Robert, & Boëmond venoit de Pemployer avec fuccès dans plufieurs expéditions. II avoit pris la ville de Scupes fur la frontiere de Bulgarie. Ce Comte, poufïe par quelque mécontentement, réfolut de pafler au fervice de I'Empereur Grec, & débaucha deux autres Comtes , nommés Renaud & Guillaume. Boëmond en fut averti; le Comte de Pontoife fe déroba par une prompte fuite, & gagna Conftantinople. Les deux autres furent arrêtés, & obligés , felon la coutume alors établie chez les Francs, de fe juftifier par le duel contre leurs accufateurs. Guillaume fut vaincu, & puni d'aveuglement. Renaud, plus heureux dans le combat, ne le fut pas davantage par Alexis. in. ioSj.  Alexis. An, 1083. An. 1084. XLIV. Siege de Larifle. 54S H I S T O I R E 1'événement. Roberf, auquel il fut envoyé dans la Pouille, lui fit auffi crever les yeux. Tandis que. Boëmond, retiré k Cafforie, fe préparoit a de nouvelles conquêtes, Pacurien, qui étoit reffé dans le pays avec quelques troupes, rentra dans la Moglene, attaqua le chateau que Boëmond avoit fait rebatir, tk le rafa, après avoir tué le Commandant. A cette nouvelle, Boëmond, plein de colere, au-lieu d'aller chercher Pacurien, qui, a la tête d'un camp volant, pouvoit aifément lui échapper, ou le fatiguer par une guerre de chicane, réfolut de pénétrer dans le cceur de la Grece. II entre en Theffalie par les monts Cambuniens, fe rend maitre de la Pélagonie Tripolitaine, prend d'emblée Tricala tk Civifque, & va mettre le fiege devant Lariffe, fituée prés de Pénée, ce fleuve fi fameux dans les fables de la Grece. On le nommoit dès-lors Salabria. Cette ville , la plus grande tk la plus forte de la Province, avoit un Gouverneur digne de la défendre : c'étoit Léon Céphalas, auffi habile que vailfant, attaché par un zele hé-  f>v Bas-Empire. Lm. LXXXI. 549 ïéditaire a la familie d'Alexis. II lui donna auffi-tot avis de 1'arrivée de Boëmond. L'Empereur, dépourvu de troupes, & hors d'état de fe mettre en campagne, mande k Céphalas d'employer tout ce qu'il a de reffources pour la défenfe de cette place impor- j3ntj' 11 l'anime Par tous les motifs de devoir & d'honneur ; il lui promet de faire la plus grande diligence pour courir k fon fecours; mais il ne lm diffimule pas que dans 1'état oii il fe trouve, il a befoin de toute la patience tk de tout le courage de Céphalas, pour attendre qu'il ait mis fur pied les forces nécelfaires. II travaille auffi-töt a lever de nouvelles troupes; il demande des fecours au Sultan de Nicée. Soliman lui envoye fept mille hommes fous la conduite d'un de fes meilleurs Capitaines. Les troupes nationales ne font pas fi-töt alfemblées. Les Grecs, intimidés par les défaites précédentes, refufoient de s engager dans de nouveaux pénls; chacun fuyoit le fervice, tk il fallut long-temps pour former une armee, qui n'étoit compofée que de foldats forcés, plus prêts k déferter Alexis. An. 10S4,  Alexis. An. 10S4. XLV. Préparatifs de la bataille. 550 HlSTOIRB qu'a combattre. Toutefois le foin que prit Alexis de les exercer, fa libéralité, fa douceur qui néanmoins ne rabattoit rien d'une exaöe difcipline , les encouragements qu'il employoit pour les animer, & plus que tout cela, 1'exemple de fon courage k partager avec eux toutes les fatigues, vinrent a bout de changer en foldats des payfans & des bourgeois timides. II y avoit déja plufieurs mois que Céphalas foutenoit avec conffance les attaques de Boëmond, & repouffoit tous fes efforts, lorfqu'Alexis approcha de Lariffe. II recut prés de Tricala une lettre de ce brave Gouverneur , qui lui mandoit que la ville étoit k 1'extrêmité; qu'après avoir confumé tous les aliments faits pour les hommes, on avoit épuifé les triftes reffources de la derniere néceffité, & que s'il ne les délivroit promptement, ils feroient forcés de fe rendre. Je meurs defaim, ajoutoit-il,/wtageant mon pain avec les habitants. Ce riefl pai que je craigne la mort; mais je fais que mon dernier foupir entrainera la pene de la ville, prête d ouvrir fes  nu Bas-Empire. Liv. LXXXl. 551 portes , dès que je ne pourrai plus les tenir fermées. Sur eet avis, Alexis hata fa marche ; & perfuadé par 1'expérience du paffé, que la force ouverte ne pouvoit réuffir contre des ennemis invincibles, il réfolut d'employer la rulé. Ayant confulté un habitant du pays fur la difpofition du terrein d'alentour, il apprit qu'il étoit rempli de chemins creux & de ravines propres a couvrir des embufcades. Dès le lendemain matin, il affembla le Confeil, & après avoir éeouté les différents avis, il expofa le fien. C'étoit de mettre a la tête de 1'armée fon beau-frere Nicéphore Méliffene , revêtu des marqués de la dignité impériale, tk de lui donner pour Lieutenant Curtice Bafile, furnommé Joannace, Officier diffingué par fa valeur tk par fa fcience militaire autant que par fa naiffance. II leur ordonna, lorfqu'ils auroient préludé par quelques efcarmouches, de charger de front avec toutes leurs troupes; mais après les premiers coups, de fe débander par une crainte fimulée, tk de fuir vers un bourg voifin nommé Lycoffome. II fe chargea de faire le Alexis. An. 10S4,  Alexis. An. 10S4. 552 HlSTÖlRE refte, & leur promk la vittoire, animant leur efpérance par le récit vrai ou faux d'un fonge de la nuit précédente, dans lequel le Martyr SaintDémétrius 1'avoit affuré du fuccès; Sc comme 1'approche du danger porte les ames foibles k la fiiperftition, le henniflèment des chevaux qui fe fit alors entendre dans tout le camp, parut être un augure plus infaillible que n'auroit été une acclamation militaire. L'armée étoit campée k cöté de Lariffe. C'étoit encore un théatre capable d'animer les lentiments de valeur par le fouvenir d'un des plus illuftres événements; cette plaine n'étant qua cinq lieues de celle dePharfale, fi célebre par la défaite de Pompée. Vers le foir, I'Empereur prit avec lui un gros détachement de fes meilleurs cavaliers, &C alla fe pofter dans un vallon de 1'autre cöté de la ville. Pour dérober aux ennemis la vue de ce mouvement, en fortant du camp, il les fit attaquer par un grand corps de cavalerie, qui détourna leurs regards, & les attira dans la plaine, ou 1'on efcarmoucha jufqu'a la nuit. Arrivé au lieu de 1'embufcade, Alexis  du Bas-Empire. Liv. LXXXL 553 xis fit defcendre fes cavaliers, qui pafferent la nuit avec lui ventre k terre, la bride de leurs chevaux attachée a leurs bras. Au lever du foleil, les deux armées fe rangent en bataille. Robert avoit laiffé k fon fils pour Lieutenant-général, Bryenne, Connétable de Pouille & de Calabre. La familie de ce guerrier n'avoit de commun que le nom avec celle des Bryennes de Grece. Celui-ci étoit fils d'Eudes de Redon, Comte de Penthievre, & petit - fils d'Alain III, Duc de Bretagne. II avoit fervi avec gloire Guillaume le batard dans la conquête du Royaume d'Angleterre, & étoit venu enfuite en Italië s'attacher a Robert Guifcard, qui lui avoit conféré la charge de Connétable. C'efi de lui que les Auteurs Bretons font defcendre les Barons de Chateaubriand Boëmond, voyant dans 1'armée Grecque la pompe militaire qui avoit coutume d'accompagner I'Empereur, les enfeignes qu'on portoit devant lui, les cavaliers de la garde avec leurs piqués femées de cloux d'argent, les chevaux du Prince couverts de houffes de pourpre, ne Tornt XV1L A a Alexis. An. 1084. XLVt. Bataille de Lariffe.  Alexis. ^tn. 1084. 554 H 1 S T O I R £ douta pas qu'Alexis n'y fut en perfonne. II partage fon armée en deux corps, prend fa place vis-a-vis de I'Empereur, ék donne 1'autre corps a Bryenne. II s'élance auffi-töt fur I'ennemi avec fa fougue accouturaée, brülant d'envie d'en venir aux mains avec Alexis, ck d'envoyer a fon pere un prifonnier de cette importance. Les Grecs, après quelques moments de réfiffance, tournent le dos, felo» 1'ordre qu'ils en avoient recu. Boëmond les pourfuit avec chaleur. Alexis, quiobfervoit tous leurs mouvements, jugeant par la promptitude de la fuite ék de la pourfuite, que les deux armées devoient être déja bien loin, remonte h cheval, & fortant de 1'embufcade va fondre fur le camp des Normands; il maffacre tous ceux qu'il y trouve, & fe rend maïtre des bagages.' II appercoit dans la plaine Boëmond d'un cöté, Bryenne de 1'autre également acharnés k Ia poufuite des. fuyards. II envoye k la fuite de Bryenne George Pyrrhus k la tête des archers, avec ordre de n'approcher I'ennemi qu'a la portée de 1'arc, ék de tirer aux chevaux. II  du Bas-Empire. Liv. LXXXI. 555 favoit que les cavaliers Normands, tout couverts de fer Sc chargés d'armes pefantes, perdoient leurs force dès qu'ils étoient démontés. Pyrrhus obéit, Sc les décharges de fleches en ayant abattu un grand nombre , les efforts qu'ils faifoient pour fe relever, & 1'agitation tumultueufe des hommes & des chevaux les envelopperent bientöt d'une fi épaiffe nuée de poufïïere, que ne fe voyant plus les uns les autres, il n'appercevoient pas mêmes les traits qui venoient leur apporter la mort. Bryenne détache trois cavaliers pour aller promptement donner avis a Boëmond du danger oh il fe trouvoit. Boëmond, ayant diflipé tout ce qui fuyoit devant lui, Sc fe croyant vainqueur de toutes parts, avoit déja paffé dans une petite ifle du Pénée, ou il ne fongeoit qu'a fe rafraïchir. Une nouvelle fi imprévue 1'étonne fans 1'abattre, il vole au bord du fleuve, Sc monte avec quelques cavaliers fui* une éminence voifine. Dès que les Impériaux 1'appercoivent, plufieurs efcadrons courent a lui; il defcend fur eux avec tant de vigueur, qu'il en abat cinq Aa ij Alexis. An. 1084.  Alexis. An. 1084. XL VII. Suites de Ia bataille. 55Ö -Hl ST 01.RE cents fur la plaine. L'Empereur, prévoyant que Boëmond, reflerré entre le fleuve & la ville, ne pouvoit échapper que par un paffage étroit, le fait occuper par un détachement de fes meilleures troupes, joint a un corps de Turcs auxiliaires. Le Prince, furieux , leur marche fur le ventre , taille en pieces Turcs & Chrétiens, & en renverfe uné partie dans le fleuve. II paffe la nuit fur le bord, & Bryenne vient le rejoindre. Toute fon armée étant raffemblée, il cötoye le fleuve le long d'une plaine bordée de forêts, qui fe terminoit a une gorge fort étroite entre deux collines féparées de Lariffe par un terrein marécageux. II traverfe le défilé fans être attaqué par les Grecs, qui ne furent pas profiter d'une occafion fi avantageufe. Le lendemain , mais trop tard , Michel Ducas , frere de 1'Impératrice Irene, jeune Prince plein de valeur, fuivi de toute 1'infanterie & de la cavalerie auxiliaire, parut a 1'entrée du défilé qui le féparoit de Boëmond. II avoit ordre de ne s'y pas engager, mais d'y faire feulement filer les cavaliers  du BAs-Empire. Liv. LXXXI. 557 Turcs tk Sarmates, pour voltiger dans la plaine tk tirer leurs fleches fans en venir aux approches. Mais lorfque les bataillons reftés en de-ca les virent déboucher de 1'autre cöté, tk harceler les Normands qui demeuroient immobiles, s'imaginant que c'étoit un effet de crainte, tk que I'ennemi ne fongeojt qu'a fuir, ils veulent avoir leur part de la vicloire; & fans attendre d'ordre, ils fe jettent pêle-mêle dans le paffage. Michel ne pouvant les retenir prend le parti de les fuivre. Alors Boëmond qui n'avoit contenu fes gens que pour attirer le gros des ennemis , tombe fur eux avec toutes fes forces comme fur une proie affurée. Les Grecs ne peuvent foutenir une attaque fi violente. Ils repaffent le défilé plus confufément qu'ils n'étoient venus, tk avec beaucoup de perte. Boëmond les pourfuit jufqu'au Pénée. II les auroit pouffés plus loin, tk en auroit fait un plus grand carnage fans un accident qui jetta le trouble dans fon armée. Un foldat Uze ayant percé en fuyant le porteenfeigne de Boëmond, lui arracha fon Aa iij Alexis. An. 1084.  Alexis. An. 10S4, XL VIII. Alexis o- ( blige Boëmond a ' repaffer , en Italië. 1 558 ff/STOIRE drapeau; & après 1'avoir toümé en 1'air 1'abaiffa vers la terre ; c'étoit le fignal de la mort du Général. A cette vue les Normands prennent 1'allarrne; tous excepté ceux qui environnoient Boëmond, le croyent tué; ils abandonnent la pourfuite, & fuyent vers Tricala. Boëmond ne pouvant les rallier efl: lui-même obligé de les fuivre ; & renoncant a fon entreprife fur Lariffe, qu'il avoit inutilement afliégée durant plufieurs mois, il fe retire a Caftorie. L'Empereur voyant Lariffe hors de danger, y laiffe une partie de fes troupes, & retourne par Theffalonique k Conftantinople, glorieux d'avoir réparé la honte de deux défaites par les derniers fuccès de cette campagne, dans laquelle il ivoit fait lever .le fiege d'une ville .mportante, & remporté une demiviüoire fur un ennemi toujours vainraeur. L'activité de Boëmond ne laiffok ffpérer aucun repos, tant qu'il fe•oit dans le pays. L'Empereur ufa 1'artifice pour lui faire repaffer la ner. II favoit que la plupart des Nornands étoient rebutés des fatigues  du Bas-Empire. Ltv. LXXXI. 559 continuelles que Boëmond leur faifoit elfuyer, & que depuis le commencement de la guerre, Robert ne s'étoit pas vu en état de diltribuer la paye aux foldats; il avoit fu les contenir en leur faifant part du butin, & leur promettant de grandes récompenfes. Alexis fit couler dans leur camp des émiffaires fecrets, qui fe mêlant parmi les foldats, leur infpiroient des fentiments féditieux.» Juf» qu'a quand, leur difoient-ils, pro» diguerons-nous notre vie pour des » maitres ingrats, qui ne payent nos y> travaux paffés, que par d'autres » encore plus pénibles ? Depuis qua» tre ans que nous faifons la guerre » dans un pays hériffé de rochers » & de fortereffes, tantöt perdus » dans les nues fur le fommet des » montagnes, tantöt abymés dans les »> précipices , quelle récompenfe a» vons-nous recue ? Que peut même » efpérer notre patience, finon de » nouvelles bleffures ? Toujours dans » les batailles, dans les attaques, dans y> les affauts devant des places im» prenables, eft-il dans cette mal» heureufe contrée une feule muAa iv Alexis. An. 10S4,  Alexis. An. 1084, 560 H I s T O I R £ » raiUe, efï-il une motte de terre, » qui nefbit teinte de notre fang? » Accablés de mifere,, exténués de » difette , obligés a vivre de rapi» nes & de carnage comme les bê» tes féroces, on nous fouftrait no» tre Jolde, qui ne fert qu'a entre» tenir la guerre, & a nous acheter » de nouveaux périls. Forgons nos »> tyrans k nous payer enfin de tant » de fatigues; qu'ils nous rendent » le miférable fruit de nos fervices; » ou s'ils continuent de nous le re» fufer, montrons-leur que nos vé» ritables ennemis font ceux qui nous » accablent de maux ". Ces difcours paffant de bouche en bouche foulevent toute 1'armée. On prend les armes ; on environne la maifon de Boëmond ; on demande a grands cris la paye de quatre années. II tache en vain d'appaifer les féditieux en leur promettant de les fatisfaire dans peu de jours; qu'ils lui donnent feulement le temps de mander a fon pere les^ befoins de 1'armée. Ils répondent qu'ils veulent être payés furlechamp; Sc il a bien de la peine k obtenir d'eux la liberté d'aller lui-même cher-  nu Bas-Umpire. Lh. LXXXI. 561 cher en Italië les fommes néceffaires. II part aiifli-tót, laiffant a Bryenne la garde de Caftorie, 8c s'embarque a la Valonne. L'Empereur, deretour k Conftantinople, trouva toute la ville troublée par 1'audace d'un fophifte turbulent nommé Italus. C'étoit un Ital'ien , fils d'un foldat , qui ayant paffe- fa première jeuneffe k la fuite de fon pere , n'avoit eu d'autre école que les camps 8c les armées. Ignorant, mais préfomptueux 8c fanfaron , il alla chercher fortune k Conftantinople, 8c crut la faire plus aifément en fe donnant pour Philofophe. La Grece , autnefois Ie berceau 8c le domicile de la philofophie, n'en confervoit plus que Ia vanité. Le nom de Dialedtique étoit en honneur : mais cette fcience n'étoit plus qu'une recherche de fubtilités frivoles 8c de vaines pointilleries, fur lefquelles les plus graves Dodfeurs fe battoient k outrance; Sc le peuple, fpedfateur de ces combats opiniatrément ridicules, prenoit parti avec chalèur. Italus étoil fait pour jouer un grand róle dans ces difputes. Intrépide 8c infolent. Aa y Alexis. An. 10S4. XLIX. LrEglife Grecque troublée par Italus,  Alexis. An, 1084. i F £ P v k il 5les, fe fit donner une lifte des ereurs d'Italus. On les réduifit a onze rticles, qui contenoient plufieurs rê'eries contraires a Pécriture Sc k la radition de 1'Eglife. Le nouvel hééfiarque fut obligépar ordre de FErrtereur , de monter tête nue fur le ibé de Sainte-Sophie, Sc la en pré;nce de tout le peuple , de rétrac?r Sc de condamner chacun de ces  dv Bas-Empikr. Liv. LXXXI. 565 articles. II obéit; mais cette bumiliation Ie rendit furieux. II continua de débiter fa doctrine avec plus d'effrcnterie qu'auparavant. Les Prélats s'affemblerent ék prononcerent anathême contre fa perfonne. Ce coup le terraffa ; il craiguit d'être enfin livré a la juftice feculiere; 6c ne fe fentant mille difpofition au martyre , il fe réduifit au filenee. On dit même que dans la fuite il revint de bonne foi de fes erreurs, ck qu'il donna toutes les marqués d'une vérita> ble converfion. Ce fut en cette occafion que le Patriarche Euftrate Garidas , qui avoit fait prenve d'incapai cité, fut dépofé par ordre de la Cour r & la place fut remplie par Nicolas j= furnommé Ie Grammairien, homme vertueux , mais très-médiocrement digne du furnom qu'il portoit, ék qui, dans le langage de ce temps-la ,, fignifioit un homme confbmmé dans les fciences humaines, Alexis apprit avec joie le fuccès de fon artifice ék le départ de Boëmond. Alors raffuré par 1'eloignement de ce brave guerrier, il fe remit en campagne dans le deffein de Alexis. An, 10S4» t, ilexis rewend Csf;orie. Anti. ïvmn, l, 6»  Alexis. An. 10S4. ■566 Hjstoire chaffer Bryenne de Caftorie. II arriva devant la place avec tout 1'appareil d'un fiege. Caftorie étoit fituée au milieu d'un lac dans une prefqu'ifle jointe au continent par un ifthmeferme d'une muraille flanquée de tours. Cette gorge étroke s'élargiflbit peua-peu , & fe terminoit a une place environnée de rochers qui fervoient de murs k la ville. Une fituation fi avantageufe jointeala valeur du Commandant , rendoit 1'entreprifetrès-difficile. Alexis s'établit devant l'ifthme dans un camp paliffadé & bordé de tours de bois ceintes de bandes de fer aux jointures des étages. II met enfuite fes machines en aöion, &ne celfe de battre la barrière de rifihme. Les affiégés fe défendent avec courage ; ils ferment de leurs corps les breches qu'on faifoit k la muraille, &c réparent la nuit ce qui avoit été abattu pendant le jour. L'Empereur n'efpérant pas les réduire par la force, réfolut de s'aider de la rufe. 11 avoit obfervé que les rochers quibordoient la prefqu'ifle du cöté oppofé a l'ifthme, étoient beaucoup plusélevés .& plus efcarpés que les autres j  dv Bas-Empire. Llv. LXXXI< 567 d'oit il conjectura que cette partie étoit la plus mal gardée. II efpéra donc furprendre la ville par eet endroit. Mais il falloit des bateaux pour arriver au pied de ces rochers, & il n'y en avoit pas un fur le lac. On en ramaffa de toutes les rivieres voilines; & après les avoir voiturés au camp, on les defcendit dans le lac. George Paléologue, toujours pret k courir aux entreprifes hafardeufes, s'y jetta avec les plus braves de 1'armée. L'Empereur lui recommanda d'aborder de nuit au pied des rochers , & d'y attendre le fignal; de grimper auffi-töt fur fe cime; & quand il verroit les habitants aux prifes avec I'Empereur qui les attaqueroit par l'ifthme, de defcendre fur eux, & de les charger par-derriere. II jugeoit bien que ne pouvant réfiffer k ces deux attaques è la fois, ils feroient infailliblement forcés par lüne ou par 1'autre. Tout fut exécuté felon le plan qu'avoit dreffé I'Empereur. Bryenne, pris entre deux troupes ennemies, exhortoit encore fes gens k fe défendre avec courage ; mais ils s'écrierent que ce feroit fe facrifier Alexis. An. 10S4,  Alexis. An, 1084» 568 HlSTOJRK en pure perte, & qu'il ne refïoit d'autre voie de laiut qtie de capituler. Hs: députerent donc a I'Empereur, qui leur accorda une capitulation honorable. II leur laiffa le choix de s'engager dans fes troupes, ou de repaffer le golfe pour refourner en Italië.^ Pour leur donner a ce fujetune entiere liberté, on eonvint que I'Empereur feroit planter deux drapeaux Pun prés de 1'Eglife de Saint-George, pour ceux qui voudroient paffer k fon fervice; 1'autre du cöté de la Valonne, pour ceux qui aimeroient mieux retourner dans leur pays. La plupart embrafferent Ie fervice de I'Empereur; c'étoient des aventuriers fans bien, fans familie, qui fe laifferent attirer par des efpérances de fortune, dont^ le foldat efl töujours la dupe. Alexis les auroit donnés tous' pour le feul Bryenne, dont il eftimoit la valeur. Mais ce guerrier n'étoit pas de caracfere k vendre fon honneur. Tout ce que I'Empereur put obterrir de lui, ce fut la pomeffe de ne~ plus fervir contre 1'Empire, a condition qu'Alexisle feroit efcorter jufqu'a la frontiere : ce-qui fut accor-  du Bas-Empire. Liv. LXXXL 569 dé. Bryenne, fidele a fa parole , fe retira fur fes terres en Bretagne. Avant que de fe rendre a Conftantinople, Alexis voulut punir les Pauliciens, qui avoient abandonné fon armée. On ne pouvoit fans un grand danger employer; la force contre eux : c'eut été réduire au défefpoir un peuple meurtrier tk accoutumé k braver la mort. Mais il étoit auffi d'une dangereufe conféquence de laiffer leur défertion impunie. Pour épargner le fang de ces hommes féroces, & celui de fes propres foldats , il ufa d'une feinte ; tk étant arrivé a Mofynople (a) , c'étoit 1'ancienne Maximiaoopolis dans la Province de Rhodope, a trente lieues de Philippopolis ; il y manda les principaux de la nation , comme pour les récompenfer de la valeur qu'ils avoient montrée dans la bataille de Dyrrachium. II vouloit, difoit-il, les attacher a 1'Empire par un traitement plus avantageux. La prife de (a) II faut corriger ce qui eft dit de Mofynople Tome XVI'. , page 311, fur ce qui eft dit ici. Alexis. An. 1084. LI. Punition des Pauliciens.  Alexis. An. 10S4, 57° H I S T O I R E Cafforie les avoit déja intimidés, & 1'efpérance d'une meilleure fortune les attira dans le piege. Lorfqu'ils furent arrivés en grand nombre, I'Empereur fe fit donner la lifte de leurs noms; & fous prétexte de vouloir les connoïtre chacun en particulier pour en ufer avec eux a proportion de leur mérite, il les fit appeller devant lui par dixaines. Dès qu'ils étoient entrés, on leur ötoit leurs armes &c leurs chevaux, & on les conduifoit en^iverfes prifons, qui leur étoient •préparées. Chaque dixaine fe préfentoit fans être inftruite de ce qui s'étoit fait k 1'égard des autres, & étoit traitée de la même maniere. Lorfqu'ils furent tous arrêtés, on leur fit leur procés. Leurs biens furentconfifqués & diffribués pour récompenfe aux autres foldats qui s'étoient fignalés par leur fidélité & leur bravoure, ©n envoya des gardes k Philopopolis pour chaffer leurs families de leurs maifons & de leurs terres , & en prendre pofTeflïon au nom de I'Empereur. Néanmoins on fit grace dans la fuite k plufieurs d'entre eux, 6c fur-tout k ceux qui confeil-  dv Bjs-Empike. Liv. LXXXI. 571 tirent a recevoir le baptême. Les plus coupables furent tranfportés dans des Mes défertes. Les autres eurent la liberté de fe retirer oü ils voudroient. La plupart retournerent a Philippopolis, préférant k tout autre féjour celui de leur patrie, quoiqu'ils n'y trouvaffent plus qu'une trifte indigence. Les précautions que prit I'Empereur pour les contenir dans 1'obéiffance, eurent le fuccès qu'il defiroit. 11 n'y en eut qu'un feul qui fit éclater fon reffentiment, & c'étoit celui dont il fembloit qu'on eüt le moins k craindre. Lorfqu'Alexis avoit recu de Botaniate la dignité de grand Domeftique, il avoit pris a fon fervice un Paulicien, nommé le Begue , k caufe du défaut de fa langue. Content de fon zele & de fon intelligence, il le fit baptifer, & le maria avec une fille de condition attachée au fervice de 1'Impératrice. Le Begue avoit laiffé quatre fceurs dans fon pays. II apprit qu'elles étoient enveloppées dans la profcription commune , &c dépouillées de leurs biens. Pénétré de douleur , il réfolut de Alexis. An. 10841 LH. Révolte d'un Paulicien. \  Alexis. An. 10S4. 572 HlSTQIRE venger, autant qu'il le pourroit, fa familie & fa patrie. Sa femme ayant découvert fon deffein , en avertit un Officier principal, & le Begue fe fentantdémafqué, débaucha plufieurs de fes amis , s'enfuit avec eux au fond de la Thrace, & s'empara d'une fortereffe abandonnée, fituée furie fommet d'une montagne , dont il üt une retraite de brigands. Anne Comnene la nomme Béiiatoba. Ne vivant que de rapines, il faifoit tous les jours des courfes dans les campagnes voifines, & portoit le ravage jufqu'aux portes de Philippopolis. Non content de cette vengeance , il.fit aliiance avec les Patzinaces voifins du Danube & maitres de la ville de Driftra. Alors renoncant a fa femme qu'il avoit laiffée aConftantinople, & dont il fe croyoit trahi, il époufa la fille d'un de leurs Seigneurs. 11 travailloit a les engager dans une guerre contre I'Empereur , lorfqu'Alexis prévoyant les maux qu'un feul homme pouvoit caufer a tout 1'Empire, tacha de le ramener par une amniftie, dont il lui envoya 1'affurance dans une bulle d'or. Mais le Begue ne fe laiffa  dv Bas-Empirb. Liv. LXXXI. 573 pas prendre a toutes ces belles paroles; tk profitant de 1'avantage de fon pofte tk des autres occupations de I'Empereur, il continua long-temps fes ravages. _ L'Empereur retournant a Conftantinople après la prife de Caftorie, s'attendoit a y être recu avec la joie tk les honneurs d'un nouveau triomphe. Mais au-lieu [d'acclamations, il n'y trouva que des murmures. Surpris d'une telle réception, il apprit que tout lé peuple le maudiffoit comme un tyran ; qui avoit pillé les Eglifes & profané les vafes confacrés au culte du Seigneur , tk que dans les places & les carrefours de la ville, on Ie comparoit a 1'impie fialthazar. Les zélateurs avoient profité de fon abfence pour indifpofer les efprits; tk. a force de faire gémir Ia religion éplorée , a force de montrer les autels dépouillcs , difoient-ils, par une main facrilege , ils étoient venus a bout de rendre le Prince univerfèllement odieux.^Alexis, moins attentifaconferver 1'amour du peuple , que fenfible au regret de 1'avoir perdu , fit tous fes efforts pour le fecouyrer, Alexis. An. 1084, Uil. Murmures contre Alexis au lujet de 1'enlevement des vafes facrés. Anna Coma. I. 6. Baronlus,  Alexis. An, 1084, 574 Histoire Quoique le befoin le plus urgent 1'eut forcé a recourir k cette reflburce, & qu'il ne 1'eüt employee qu'avec la réfolution de rendre après la guerre tout ce qu'il avoit tiré des Eglifes, fa confcience ne lui faifant aucun reproche , il voulut cependant faire ceffer ceux de fes fujets. II convoqua une aflembiée générale dans le palais de Blaquernes, a deffein de s'y juftifier & de plaider lui-même fa caufe. Tout le Sénat, toute la nobleffe militaire, tout 1'ordre eccléfiaffique s'y rendirent, impatients de favoir le fujet d'une convocation fi extraordinaire. Alexis étoit grand comédien. Aflis fur un fiege élevé, quoiqu'il préfidat k 1'afTemblée, il avoit cependant la contenance humiliée d'un accufé , & fembloit comparoïtre devant fes juges. II fit citer les Gardiens du tréfor des Eglifes, & lire d'une part le röle des vafes & des ornements dont ils étoient dépofitaires , de 1'autre le mémoire de ceux qu'ils avoient été obligés de mettre entre les mains de I'Empereur. II fe trouva que le Prince n'avoit fait ufage que de 1'or & de 1'argent prodï-  du Bas-Emhre. Liv. LXXX1. 575 gué par Monomaque fur le tombcau de l'Impératrice Zoé, tk de quelques vafes peu néceffaires au culre divin. Cette information achevée, I'Empereur déclara qu'il s'en remettoit au jugementdel'affemblée , & qu'il permettoit a chacun d'opiner a fa volonté. Comme cette invitation ne tentoit perfonne , tk qu'on demeuroit en lilence , TEmpereur prenant un air plus affuré tk un ton de voix plus ferme : » Vous n'ignorez pas, dit-il, en quel » état fe trouvoit 1'Empire, lorfque » vous m'en avez confié le gouver» nement. Attaqué par les Barbares, » deftitué de tous les fecours d'ar» gent & de troupes néceffaires pour » fa défenfe, il penchoit vers fa rui>> ne; j'en ai fenti tout le poids dans »> les efforts qu'il m'a faliu faire pour » le relever, Malgré 1'épuifement du » tréfor, il a fallu lever des trou» pes , les vêtir, les armer, pourvoir » è leur fubfiftance, fournir a tou» tes les dépenfes de la guerre, ce » monlire dévorant tk infatiable. Je » puis bien proteffer a auffi julfe » titre qu'autrefois Périclès, que tout Alexis. An. 1084.  Alexis. An, 1084. 5/6 HlSTQXRE » 1'argent qui m'a paffé par les mains, » n'a été employé que pour le fa» lut de rEmpire..C'eft pour défen» dre votre honneur & votre liberté » que j'ai imploré le fecours de 1'E» glife, notre mere commune. C'eft. » elle qui m'a mis les armes k Ia »> main ; c'eft fous fes aufpices que » volant moi-même a tous les dan» gers, toujours environné des ar» mes des ennemis , fentant fur mon >> corps la pointe de leurs épées, » fervant de but k leurs traits, j'ai » tant de fois expofé ma vie pour » conferver nos temples & nos au» tels. Je ne m'étonne pas cependant » que ma conduite ait éprouvé la »> cenfure. David , qui joignoit a la » majefté Royale le divin caraftere » de Prophete, n'en a pu éviter les » traits , lorfqu'il fut réduit k fe nour»> rir lui & fa troupe des pains ré» fervés aux Prêtres. J'ofe le dire ; » ce que j'ai fait eff encore plus ex» cufable , puifque la loi Judaïque » ne portoit aucune exception, & » que les canons de 1'Eglife permet>> tent de vendre les vafes facrés, » lorfqu'ilne refte aucun autre moyen » de  z>u Bjs-Empire. Liv. LXXXL 577 *> de racheter des captifs. Et.quand >> eft-ce que cette néceffité fut jamais w plus preffante ? Ce n'étoient pas » quelques malheureux qu'il s'agif» foit de délivrer ; c'étoient des Pro» vinces entieres, de grandes villes; » c'étoit Conftantinople même , c e » toit la Chrétienté que des nations ?> infideles menacoient d'une honteu» fe & cruelle fervitude. C'eft pour » éloigner ces affreux défaftres qué » nous avons non pas enlevé, mais » emprunté pour quelque temps des » vafes, des ornements de peu d'u» fage. J'efpere qu'avéc un peu de ré» flexion vous ne condamnerez pas » des vues fi chrétiennes , & que » les plus mal difpofés reviendrorit » d'une injufte prévention ". L'éloquence d'Alexis ne fit pas 1'impreftion qu'il efpéroit. Les efprits étoient aliénés. Ceux qui,deux ans auparavant, avoient condamné la roldeur inflexible de 1'Evêque Léon, étoient eux-mêmes revenus a fon rigorifme. Alexis, lifant fur tous les vifages des fignes d'improbation, reprit le ton de fuppliant, fe confeffa coupable, & fe condamna lui-même Tornt XVII, Bh Alexis. An. 1084. LV. Satisfaction d'Alexis.  AlEXIS. An, 1084. 578 HlSTOlRE a une prompte reftitution, II fit lire de nouveau les regiftres des Eglifes, & mettre le prix a tout ce qu'il en avoit enlevé. II régla la fomme qui feroit tous les ans payée de fon tréfor, jufqu'a ce que la dette fut entiérement acquittée; & pour 1'intérêt, il fe chargea de 1'entretien des Clercs qui defTervoient une des principales Eglifes de la Sainte Vierge. Són empreflëment a dilfiper tous les nuages le porta même a publier une bulle d'or, dans laquelle, après s'être excufé fur la néceffité , il confeffe fon prétendu crime, en demande pardon a Dieu a la face de tout 1'Empire , défend a fes fucceffeurs d'avoir jamais recours a cette reffource qu'il traite de facrilege , déclare impie quiconque ofera 1'employ er, & le charge de malédiftions. Une longue expérience n'avoit pas encore fuffi pour apprendre aux Princes, que toutes ces défenfes fignifiées d'avance a leurs fucceffeurs , s'enfeveliffent avec eux dans le même tombeau , tk que 1'autorité morte qui les a fakes perd fa force contre 1'autorité vivante qui les viole, Cette bulle qui fe lit en-  £>v Bas-Empire. Liv. LXXXL 579 core dans le corps du droit Oriental eft datée du mois d'Aoüt de 1'an 1082. Mais il m'a paru plus conforme k la fuite des événements de la rapporter k 1'année 1084, felon le récit d'Anne Comnene, & de fuppofer dans cette date une erreur de Copifte. On découvrit dans ce même temps une conjuration formée contre I'Empereur. La qualité des conjurés pouvoit la rendre dangereufe. L'imprudence, qui, parun bienfaitdu Gel, femble être attachée k ces complots criminels, ne la rendit funefte qu'a eux-mêmes. Ils furent accufés &convaincus. Alexis fignala fa clémence en leur laiffant la vie ; il fe contenta de confifquer leurs biens, & de les condamner k 1'exil. Pendant que ces événements occupoient I'Empereur k Conftantinople , Robert fe préparoit a repaffer en Illyrie. Les fuccès de Boëmond 1'avoient d'abord comblé de joie. Les deux journées de Joannine & d'Arta lui donnoient les plus grandes efpérances. Le jour même que fon fils avoit battu Alexis devant Arta en Bb ij Alexis. An. 10S4. XVI. Coojura-. tion. IVlT, Robert repaffe en Illyrie. Anna Comn. I. 6.' Du Cangt not. & hifi. ■ de C. P, l. 4. Malaterra , '.3,4.  Alexis. An. 1084. GuilL Appul. I. 5. Hifi. bslli facri. Order. I. 5, ' 7- Guïll. Maltneib. I. 3. Roger de Jioveden. Chron, Bar. Chron. Saler. Calend. Mauric. Andegar. Hecrol. Mslim. Chron. Amal. Lup. Protofp. Romualdi thron. Leo Allatius de Ecclcf.Orient,& Occid. perpet. confenju, 1.2. e. 10. Lucius de regno Dalmat. I, 3. f. 2. 580 HlStOIRE Epire, il avoit forcé en Italië I'Empereur Henri de fortir de Rome; en forte que par un bonheur inoui, il avoit en un feul jour dans deux diverfes coiitrées remporté deux victoires, 1'une par lui même, 1'autre par fon fils. La levée du fiege de Lariffe commenca d'altérer fon contentement. Le retour de Boëmond, la 'perte de Caftorie , & la difperfion de fes troupes, dont une partie s'étoit dorinée aux Grecs, acheverent de 1'afHiger; mais toujours ferme & intrépide au milieu des revers, il réfolut d'aller en perfonne rappeller lafbrtune, qui nbfoit le trahir qu'en fon abfe'nce. II fit publier dans tou» fes Etats une nouvelle expédition en Illyrie. Tous fes fujets étoient foldats comme leur Prince, & bientöt il vit a fa fuite une brillante jeuneffè , qui ne refpiroit que les combats & la gloire. 11 équipa en peu de jours une flotte nombreufe ; & prenant avec lui fes quatre fils, Boëmond , Roger, Robert & Gui, il it partir avant lui Boëmond & Gui jour affurer fon paffage en s'emparant de la Valonne & de Butrot; ce  du Bjs-Empirb. Liv. LXXXL 581 qu'ils exécuterent fans peine. Anne Comnene dit qu'Alexis avoit fecretement tenté la fidélité de Gui, par 1'offre d'un mariage riche ck honorable dans la maifon Impériale, Ók que ce jeune Seigneur y avoit confenti, cachant avec foin a fon pere ik k fon frere cette négociation avec I'ennemi de fa familie. Mais la fuite de la conduite de Gui ne permet pas de le foupconner d'une perfidie affurémenttrès-criminelle, quoiqu'Anne Comnene n'y attaché aucun bla» me. Robert afiembla fa flotte a Tarente , d'oü il la fit paffer a Brindes , comme au port le plus fur de cette cöte. Peu après, faifant réflexion que le trajet étoit plus court d'Otrante a la Valonne, il revint a Otrante, ou il attendit le vent favorable. II partit au mois de Septembre avec fes fils Roger ck Robert, laiffant fes Etats au gouvernement de fa femme, qui 3'accompagna jufqu'au moment du départ. Robert étant arrivé fans danger k la Valonne, fut obligé par le mauvais temps d'y féjourner deux mois fans pouvoir mettre k la voile. CepenBb iij Alexis. An. 1084. Sabelllc. dccad. 1,1. Pagl ad Bar. Giann. hifi. Nap; U 10. e, 6. Lvur. Bataille de Robert contre les Grecs & les Vénitiens.  Alexis. An. 10S4, 1 58a II 1 S T O 1 R E dant I'Empereur, dès qu'il recut Ia nouvelle des préparatifs du Prince Normand avoit écrit aux Vénitiens pour les prier de mettre leur flotte en mer, leur promettant de les dédommager des fraix de 1'armement. II equipa lui-même ce qu'il avoit de vaiffeaux , ck les garnit de troupes fous le commandement de Maurice. La flotte Vénkienne afliégeoit déja Corfou, lorfque celle de I'Empereur .vint la joindre; ck felon Anne Comnene , Robert fut vaincu dans trois grands combats. Mais comme les autres Hifforiens n'en difent rien , a 1'exception de Sabellicus, qui parle de trois combats dont un feul fut décidé k 1'avantage des Vénitiens, il eft k croire que la Princeffe a été mal informée de ces événements, qui ont fuivi de prés fa naiflance, ou qu'elle exagere comme des aftions importantes de fimples rencontres de quelques vaiffeaux, dans lefquelles Robert eut peut-être du défavantage. Mais elle convient elle-même de la grande vicfoire qu'il remporta dans une bataille générale entre Corfou ck Céphalonie , quoiqu'elle en abrege  dv Bas-Empire. Liv. LXXXI. 583 beaucouo le récit, 6c qu'elle dimi- nue autant qu'elle peut la gloire du vainqueur. Nous fuivrons donc plus volontiers Guillaume de Pouille, qui décrit les principales circonitances de cette célebre journée. La flotte de Robert étoit compofée de cent frégates légeres, 6c de vingt vaiffeaux de haut-bord. 11 divifa ceux-xi en quatre efcadres, chacune de cinq bStiments, il fe mit a la tête d'une divifion, 6c fes trois fils, Roger, Robert 6c Boëmond, k la tête des trois autres. Les batiments de moindre grandeur voguoient a la fuite de chaque divilion. Dans la flotte Impériale , les havires Grecs n'étoient que de groffes barques armées en guerre ; mais neuf vaiffeaux Vénitiens furpalfoient en force 6c en grandeur tous ceux de Robert. Ils viennent fondre fur les Normands, 6c préfentent au bout de leurs vergues de groffes maffes de fer prêtes k les abymer, lorfqu'ils viendroient a 1'abordage. En même-temps les barques Grecques, femées dans les intervalles, font pleuvoir une grêle de pierres 6c de fleches. Tous ceux qui montoient le Bb 17 Alexis. An. 1084.  AtEXIS. An» 1084. 584 IIlSTOIRM vaiffeau de Roger font bleffés; il a lui-même le bras percé d'un dard, & continue de combattre, ne fentant que 1'ardeur de vaincre. Son pere lui envoye ordre de courir fur toutes ces barques légeres qui voltigent entre les vaiffeaux Vénitiens ; il leur donne la chaffe, tk les met en fuite. 11 ne reftoit plus que les batiments de Venife, qui fembloient être autant de fortereffes flottantes. Les Normands les heurtent avec tant de violence, que fept font coulés a fond , les deux autres font pris. Quoique les barques Grecques euffent fui promptement, tk que la crainte leur donnat des ailes, on en atteignit fept qui furent amenées a Robert. On fit deux mille cinq cents prifonniers; d'autres difent cinq mille; bk felon Anne Comnene, il y eut treize mille, tant Grecs que Vénitiens , qui périrent dans les eaux. Elle ajoute, ce que le caradt ere de Robert rend peu vraifemblable , que le vainqueur traita les prifonniers avec une inhumanité barbare; qu'il fit crever les yeux aux uns, couper le nez, les mains, les pieds aux autres, tk que loin d'inti-  ruBas-Empire. Liv. LXXXl. 585 mider par ces cruautés les gens du pays , qu'il follicitoit a la révolte contre Alexis, ils lui répondirent, qu'ils demeureroient fideles a 1'Empereur , quand même ils verroient égorger a leurs yeux leurs femmes & leurs enfants. Les approches de 1'hyver rendant la mer impraticable, Robert mit fa flotte a couvert dans le lac Glykys, fur la cöte d'Epire, au fud-efl: de Corfou ^ 6c s'en alla hy verner avec fon armée k Bundicia dans le voifinage. La rigueur du froid, 6c la famine dans un pays dévafté, firent périr en trois mois dix mille fantaflins 6c cinq cents cavaliers. Boëmond malade fut oblir gé d'aller chercher du foulagement en Italië. Au retour du printemps, Roger, par ordre de fon pere, paffa dans 1'ifle de Céphalonie avec quelques vaiffeaux, 6c mit le fiege devant la capitale. L'entreprife étant plus difficile qu'elle ne 1'avoit paru, Robert alla prendre fa flotte; mais la féchereffe avoit tellement fait baiffer les eaux du lac, qu'il étoit impoflible de mettre les vaiffeaux a flot. Le Duc, fécond en expédients, ré- Alexis. An. 10S4. An. 10S5. LIX. Mort de Robert,  Alexis. An, ioSj, 586 HlSTOIRE trécit le lit du lac en enfoncant & droite & a gauche un rang de troncs d'arbres bien liés enfemble, garnis de clayes en-dedans, & en-dehors d'une épaiffe terraffe de fable, qui bouchoit toutes les fentes & foutenoit 1'ouvrage. II fit raffembler toutes les eaux dans ce canal. Elles fe trouverent bientöt affez hautes pour porter les navires a la mer , ék la flotte mouilla au promontoire d'Ather en Céphalonie, du cöté de 1'ifle d'Itaque. Mais avant que Robert eüt pu joindre fon fils, il fut pris d'une fievre ardente qui le réduifit en peu de jours dans un état oü 1'on défefpéroit de fa vie. A cette triffe nou.velle , Roger abandonne le fiege , & accourt auprès de fon pere. Sigelgaïte & Boëmond paffent le golfe en diligence, & n'arrivent que pour recevoir fes derniers foupirs le 17 Juillet. La défolation fut extréme. Ce guerrier, aufli bon & aufli généreux que hardi & invincible, étoit autant chéri de fes troupes que de fa propre familie. Quelques Auteurs ont prétendu que Sigelgaïte, mere de Roger, craignant que Robert ne don-  nu Bas-Empire. Lh. LXXXI. 587 nat fes Etats d'Italie k Boëmond, fils du premier lit, le fit mourir de poifon. Des Hiftoriens moins hardis k donner cours aux calomnies populaires, difent au contraire que cette Princeffe fut inconfolable. Roger, qu'il avoit nommé fon héritier au Duché de Pouille Sc de Calabre , fit embarquer toutes les troupes pour accompagnerle corps de fon pére qu'on tranfportoit en Italië. La flotte effuya dans le paffage une furieufe tempête; plufieurs vaiffeaux furent fubmergés, Sc le corps de Robert tomba dans la mer. On eut peine k le retirer des eaux. Comme il étoit corrompu en arrivant au port d'Otrante, on enterra dans cette ville le cceur Sc les entrailles; Sc après avoir de nouveau embaumé le refte, on le tranfporta dans 1'Eglife de la Sainte-Trinité k Venufe , comme il 1'avoit ordonné. Telle fut la fin de ce guerrier, qui avoit fait trembler les deux Empires. On peut dire que Robert Guifcard, Sc Guillaume le conquérant, furent les deux héros de leur fiecle. Tous deux également braves, rufés, politiques, ils n'eurent de fupérieur, du Alexis. An. 10S5  Alexis An. 108; LX. Suites d la mort deRoben 58S HISTOIR.E cöté de la hardiefte & de Pambition ~, que le Pape Grégoire VII, qui mou' rut cette même année. Quoiqu'Alexis fe fentït décharge ; d'un fardeau qu'il avoit peine a fup, porter, il fe fit néanmoins honneur a lui-même par les larmes qu'il verfa en apprenant la mort d'un ennemi fi" effimable. La conjondfure étoit favorable pour recouvrer tout ce qu'il avoit perdu en-deca du golfe. Aufli fut-il prompt a en profiter. II engagea les Vénitiens , que le commerce avoit attirés a Conftantinople, k folliciter par lettres leurs compatriotes qui habitoient en affez grand nombre k Dyrrachium avec des marchands d'Amalphi & d'autres Occidentaux , de fervir I'Empereur pour le remettre en poffeflion de la ville. II n'épargna nipréfents, ni promeffes, & il n'eut pas de peine a réuflir. On fit main-bafle fur les Normands & fur leurs partifans, ék 1'on envoya les clefs a I'Empereur. C'eft ce que raconte Anne Comnene. Selon d'autres Auteurs, ce fut Bodin , Roi de Servië , qui s'empara de Dyrrachium ; mais il le rendit bientöt après par  du Bas-Empire. Lh. LXXXI. 589 un traité. Quelques foldats qu'on avoit laifles dans 1'ifle de Céphalonie, prirent parti dans les troupes Grecques avec leurs Officiers. Le plus célebre fut Pierre d'Aulps, Seigneur Provencal, que 1'on nornma enfitite Pierre d'Aliphe. II fut la tige de la maifon des Pétraliphes , qui devint illuflre a Confiantinople par fes dignités ck par fes alliances. Toutes les ifles ck les places de la cóte rentrerent dans 1'obéiflance; ék de tant d'attaques^ ék de batailles ,• de tant de fang répandu en Illyrie , il ne refta que le fouvenir düne dominatión de courte durée. Pour récompenfe desimportants fervices qu'Alexis avoit recus des Vénitiens dans le cours de cette guerre, il honora le Doge, dont le fils avoit commandé la flotte, de la dignité de Protofébafte, avec uri revenu proportionné a la fplendeur de ce titre. II donna aux Vénitiens le commerce franc ék libre a perpépétuité dans toute 1'étendue de 1'Empire ; en forte qu'ils ne payeroient aucun droit, foit pour 1'importation, foit pour 1'exportation de leurs marchandifes. Malgré le fchifme qui fc- Alexis. An. 10S5,  Alexis An, 108; 590 HlSTOIRE ' paroit alors 1'Eglife Grecque, Alexis étoit fecretement uni de communiort ' avec 1'Eglife Latine. II envoyoit fréquemment des préfents au Monaftere du mont Caflin, aux Eglifes de France & dAllemagne, & même a Rome. Depuis la mort de Robert, il fit porter tous les ans quantité d'or a toutes les Eglifes de Venife. II rendit tous les marchands d'Amalphi, établis en grand nombre a Conftantinople, tributaires de 1'Eglife de SaintMarc. II donna en propre a cette Eglife quantité de maifons, tant a Conftantinople qu'a Dyrrachium & ailleurs. Selon les Auteurs de Venife, le Doge fut encore honoré du titre de Roi de Dalmatie; & Lucius prétend que. par cette conceflion, la République acquit la poffeffion entiere du golfe Adriatique. Alexis étant maitre de Dyrrachium, en donna le gouvernement a Jean Ducas, frere de 1'Impératrice, avec des troupes fuffifanïantes pour garder la ville, & pour réfifter aux Dalmates. Bodin, Roi de Servië, Prince guerrier, riche & fans foi, quoiqu'allié des Grecs, excitoit les Dalmates a la révolte, II leur four-  du Bas-Empire. Liv. LXXXI. 591 niflbit des troupes pour courir fur les terres de 1'Empire, Sc s'emparoit avec eux de plufieurs places, qu'il joignoit enfuite a la Rafcie, dont il avojt donné une partie en fouveraineté a Volcan , Seigneur Dalmate. Jean Ducas, pendant onze ans qu'il gouverna ce pays, reprit fur Volcan grand nombre de ces places, gagna plufieurs batailles, & défït dans un grand combat Bodin lui-même qu'il fit prifonnier. Nous verrons dans la fuite Jean Ducas employé contre les Turcs, & donnant par-tout des marqués de fon courage Sc de fa fidélité. Fin du Tomt dix-feptieme. Alexis. An. 10S5.  EXTRAIT DES REGISTRES de f Académie Royale des lnfcriptions & Belles-Lettres. Du Mardi 7 Févner 1775. M. c.„ RONNIER & M. BëJOT, Commiffaires nommés par 1'Académie pour 1'examen d'un Ouvrage manufcrit de M. Le Beau, de la même Académie, intitulé : HUloire du Bas-Empire , Tomes XVII & XVIII, en ont fait leur rapport, & ont dit qu'après avoir examiné eet Ouvrage , ils n'y ont rien trouvé qui düt en empêcher Pimpreffion. En conféquence de ce rapport & de leur approbation par écrit, 1'Académie a cédé £i M. Le Beau fon droit de privilege pour 1'impreffion dudit Ouvrage. En foi de quoi j'ai figné le préfent cenificat. A Paris , au Louvre , ce Mardi 7 Février 1775. D U P U Y , Secretaire perpétud de l'Aad. ' des lnfcript. &• Belles-Lettres.