HISTOIRE D U B ASEM PI RE. TOME Dl X-HUITIEME.   HISTOIRE D U BAS EMPIRE, EN CO MME NC A NT a CONSTANTIN le Grand. Por Monpeur LE BEAU, Profejfeur Emérite en tU niv ers it é de Paris, Profejfeur d'Éloquence au College Royal, Secretaire ordinaire de Monseigneur le Duc x> OrlÉan s , & ancien Secretaire perpétuel de t'Académie Royale ves Inscriptions et Belles-Lettres. tomé d i x-h u it i e me, A MAESTRICHT, Chez Jean-Edme Dufour & Phil. Roux, Imprimeurs-Libraires, aflbciés. M. DCC. LX X X.   SOMMAIRE d v LIVRE QUATRE-VINGT-DEUXIEME. i. Conduite £ Alexis a t égard des AJlrologues. II. Progrès des Turcs. Ml. Soliman s'empare tFAmioche. iv. Mort de Soliman. V. Artifice d'Alexis pour fe remettre en poffeffion de pluJieurs places. VI. Aboulcafem vaincu par Tacice. vu. Seconde défaite dAboulcafem. VIII. Rufe d'Alexis pour s'emparer de Nicomédie. IX. Nicêe afjiégée & délivrêe. X. Mort d'Aboulcafem. XI. Kilidge-Arflan , fils de Soliman, Sultan de Nicée. XII. Helcan vaincu & conv-erti. XIII. Naiffance de Jean Comnene & des autres enfants d'Alexis. XIV. Guerre des Pat^inaces. XV. Tatice défait les Pat^inaces. XVI. Les Pat^inaces vaincus par Maurocatacalon. xvn. Alexis marche en perfonne. XVIII. Atrfi baffade trompeufe. XIX. Alexis va ckerTome XVUL A  2 SOMMAIRE cher les Pat^inaces. XX. // perd une grande bataille. XXI. Aclions d'Alexis. XXII. Avenmres de Paléologue. xxni. Guerre des Comans & des Pat^inaces. XXIV. Robert, Comte de Flandre , a Conflantinople. XXV. Paix avec les Patyinaces. XXVI. lis rompent le traité. XXVII. Défaite des Archontopules. XXVIII. Nicétas battu fur mer par Zachas. XXIX. Expédition de Dalafjene contre Zachas. XXX. Rufe inutile de Zachas. XXXI. Perfidie du transfuge Nean^ès. XXXII. Défaite dAlexis reparée par lui - même. XXXIII. ViBoire d'Alexis. XXXIv. Stratagême d'Alexis XXXV. Troifieme vicloire d'Alexis. XXXVI. Combat de Chérobacques. XXXVII. Nouveau Jlratagême d'Alexis. Xxxviil. Retour d'Alexis a Conflantinople. XXXix. Continuation de la guerre des Pat^inaces. XL. Mouvements de CEmpertur. XLI. Arrivés des Comans. XLII, J&nclion de Méliffene. XLIII. Préparatifs de la demiere bataille contre les Pat^innces. XLIV. Bataille de Lébune. XLV.. Humanitéd'Alexis d l'égard des prifonniers. XLVI. Retraite des Comans. XLVII. Augmentation d'ini-  bu Livre LXXXII*. 3 pots. XLVlii. Négociation du Papt avcc Alexis. XLIX. Conjumtion étouffee. L. Conduite prudente d'Alexis a l'égard d'un de fes neveux. LI. Son neveu juftifie. LU. Grégoire Gabras arrété. LIII. Alexis ferme les pafagcs aux Dalmates. A ij  ■  HISTOIRE D U BAS EMPIRE. LJVRE QUATRE-V1NGT-DEUXIEME. ALEXIS. La mort de Robert augmenta beaucoupla réputation d'une feete de charlatans , que 1'ignorance du fiecle avoit déja fort accréditée. Au moment que Robert paffa pour la feconde fois en Illyrie, Seth, fameux aftrologue, dépofa entre les mains d'un Seigneur de la Cour dAlexis, en préfence de plufieurs témoins, un papier A iij 5 Alexis. An. 1085. I. Conduite d'Alexis a l'égari des Aftrologues. Annit Comn, l,»,  Alexis. An. io8j. 6 II I S T O I R E cacheté , en lui recommandant avee inftance de ne 1'ouvrir qu a fa réquifition. On ne 1'ouvrit qu'a la nouvelle de la mort du Duc, & 1'on y trouva ces mots: Unennemivenu cfOc* cident, après avoir caufè degrands troubks, périrafubitement. Perfonne ne fk réflexion qu'une prédi&ion concue en ces termes , & confignée fous une telle condition , ne couroit pas grand rifque. On aima mieux admirer Seth comme le confident intime du maïtre des événements humains. Alexis feul n'en fut pas dupe. Ce Prince, le plus fenfé de fa Cour, loin de prodiguer fa confïance a cette forte d'impofteurs , les méprifant pour lui-même, les craignoit pour 1'Etat comme des hommes dangereux , capables d'enivrer les efprits foibles, & de faire naïtre de funeftes efpérances. II s'étudia donc a les décréditer. Deux de ces prétendus prophetes avoient grande vogue a Conftantinople. L'un étoit un Egyptien d'Alexandrie, affez adroit pour compafler tellement fes rêveries, qu'il paroiffoit toujours avoir annoncé la vérité. Alexis chafla celui-la de la ville, & 1'exila a Re-  du Bas-Empire. Liv. LXXXIL 7 defte. L'autre étoit un Athénien nommé Catanange, qui, malgré la réputation que lui faifoit fon impudence, étoit mujours démenti par 1'événement. L'Empereur conferva celui-ci précieufement, & lui permit de mentir tant qu'il vécut, pour défabufer , s'il étoit poffible , les imbécilles , qui trouvoient cependant tonjours de quoi fe tromper eux-mêmes , par des interprétations forcées. La guerre d'Illyrie étoit k peine terminée, qu'Alexis en eut une autre a foutenir contre les Turcs. EUe auroit été plus funefte , fi cette nation eüt réuni fes forces, & qu'elle ne fe fut pas mutuellement déchirée par des guerres civiles. Depuis le regne.deDiogene, les Turcs, ne ceffoient de ravager 1'Afie mineure. Partagés en plufieurs bandes , qui avoient leurs intéréts féparés , quoi« qu'elles reconnuffent toutes la fouveraineté du Sultan de Perfe, ils fe répandoient de toutes parts dans ce beau pays, qui n'étoit plus couvert que de monceaux de ruines. Les habitants qui ne périflbient pas par 1'épée , étoient trainés en captivité auA iv Alexis. An. 1085. II. Progrès desTurcs. Anna Comn. I. M. de Gulgnes » A//?. des Huns , l. II.  AtEXIS. An, ie8j. IIT. S Hls T O I K E dela du Tigre, ou fur les bords de 1'Oxus & du Jaxarte. Ceux qui échappoient a la fureur des Mufidmans, n^avoient d'autre afyle que les Forêts, les cavernes ,les montagnes inacceflibles, oii ils artendoient la mort dans la plus affreufe mifere. Accablés de leurs propres malheurs , il n'y en avoit aucun qui n'eüt encore k pleurer la mort ou la captivité d'un frere, d'un fils, ou d'une fille chérie, devenue la proie des Barbares. Les Turcs poffédoient déja le Pont, la Paphlagonie, la Bithynie au midi de Nicée, une partie de 1'Ionie, la Phrygie, la Cappadoce, la Lycaonie, l'Ifaurie, une partie de la Cilicie, les cötes de Pamphylie jufqu'a Satalie i & toute cette etendue porte dès ce temps-la le nom de Turquie dansles Hiftoriens. Soliman, fils de Coutoulmifch , & petit coufin du fameux Thogrul-beg , avoit fait toutes ces conquêtes , & Malek-Schah, Sultan de Perfe & chef des Selgioucides, lui avoit abondonné la poffeflion de tous les pays depuis Antioche de Syrië, lufqu a 1'Hellefpont. La perfidie d'un Grec lui mit An-  ■ bu Bas-Empire. Lh. LXXXII. 9 tioche même entre les mains. Ce Philarete, dont j'ai déja parlé plulieurs föis, après s'être foumis k Botaniate, n'étoit pas refté long-temps fidele. Voulant profiter du démembrement de 1'Empire, dont les Turcs enlevoient les plus belles Provinces, il fe rendit maitre d'Antioche , & travailloit k fe faire un Etat indépendant. Mais n'efpérant pas y réuffir malgré les Turcs dont il étoit environné , il forma le projet de les mettre dans fon parti en fe faifant Mufulman. Son fils, plus attaché que lui a la Religion de fes perës, eut horreur de cette apoftalie; & apres avoir mis tout en oetivre pour 1'en détourner , le voyant inébranlable dans ce deffein impie , il réfolut de perdre Antioche pour fauver fon pete. II part fecretement, arrivé en hui't jours a Nicée , & perfuade k Soliman que rien ne lui fera plus facile que de s'emparer de la plus puiffante ville de 1'Orient. Le Sultan, plein d'ardeur pour étendre fes Etats, laifle dans Nicéë Aboulcafem, le plus brave de fes Officiers, & accompagné du fils de Philarete, il traverfe en douze A v At-EXIS. An. 1085. s'empare d'Antioche. Ann. Comn. 1.6." M. de Guigaes , hifii des Huns, l. II. Pagi ad Bar.  Alexis, An. ioSj IV, Mort de Soliman. ÏO Histoirb nmts PAfie mineure, fe tenant eaché pendant le jour, afin qu'on ne püt être inftruit de fa marche. II arrivé fans êtreattendu , & entre dans Antioche, dont il fe rend maitre. Dans le même temps un autre Turc nommé Charatice furprend la ville de Sinope : c'étoit le dépot de toutes les recettes des Provinces voifines. Philarete, pour fe procurer la paix avec Scharfeddoulet, Emir d'Alep &c de Moful, s'étoit affujetti k lui payer tribut. Antioche ayant changé de maitre, 1'Emir exigeoit la même redevance. Mais le Sultan , trop fier pour donner k un Emir cette marqué de foumiffion, ne répondit k fa demande que par les armes. II entre unies terres de 1'Emir, ravage le pays; & naturellement bon & jufte, il fe laiffe attendrir par les larmes des habitants, qull puniflbit de 1'infolence de leur maitre. Plein de regret d'avoir verfé le fang des Mufulmans, qu'il chériflbit comme fes freres, il leur fait refiituer tout ce qui leur avoit été enlevé , & rejette fur Scharfeddoulet la faute de ces défordnes.  du Bas-Empire. Liv. LXXXIL if L'Emir, peu fenfible a eet exemple de générofité, marche vers Antioche a defiein de 1'afiiéger. Soliman court audevant de lui, & le rencontre fur la frontiere du territoire dAlep. Les deux chefs également animés fe livrent une fanglante bataille, oü Scharfeddouleteft vaincu , & demeure entre les morts. Soliman s'avance vers Alep, & fomme le Commandant de fe rendre. Celui-ci, réfolu de conferver la place, mais trop foible pour tenir feul contre un fi puiffant ennemi, implore le fecours de Toutoufch, frere de Malek-Schah, & depuis peu établi en Syrië. Ce guerrier, briilant du defir de s'agrandir par la poffeffion dAlep , marche a Soliman, & taille en pieces fon armee. Le vaincu après avoir fait d'incroyables efforts pour rallier les fuyards, obligé de fuir lui-même la première fois de fa vie, va cacher fa honte dans une retraite écartée. On le découvre, on le prefle de venir fe mettre entre les mains du vainqueur; on lui promet un traitement honorable. Ces offres, loin de faire plier fa fierté naturelle, ne font que révolA vj Alexis. Kn. ioSj,  Alexis. Aa. 10S5. V. Artifice d'Alexis pour fe reinettre en pofleffion «de p!ufieurspla . 7 » S , 14, ij. Zon. T. II. p. 29S, 299. Bryen. praf. n. 8. Nket. in Joan. n. 9. in man. I, 3. n. 6. fam. By\. p. 176 , 1/7,1-73. 34 Bjstóire de 1'Empereur. Alexis avoit eu avan! lui deux 'filles, il en eut deux autres après lui. Anne Comnene naquit Ie premier Décembre ioSj. Si 1'on s'en rapporte a elle-même, il y eut du miracle dans fa naiffance ; mais ce miracle eft fi mince, qu'il n'a pu paroitre qu'a elle feule digne d'être tranfmis a la poftérité. Elle raconte avec une complaifance pardonnable a une PrincefTe, la joie de la Cour & de tout 1'Empire. Peu de temps après, elle fut décorée du diadême y & fon nom fut joint dans les acclamations publiques a celui de Conftantin Ducas , qui jouiffoit encore de tous fes privileges. Elle fut fïancée de. bonne heure avec ce jeune Prince , mais il mourut avant que le mariage put s'accomplir. Elle époufa Nieéphore Bryenne, qui fut honoré du titre de Céfar , & enfuite de Panhyperfébafte , Auteur de 1'Hiftoire des Empereurs de Conftantinople , depuis Ifaac Comnene jufqu'a la fin de Botaniate. II ne tint pas a elle que fon mari ne montat fur le tröne au préjudice de Jean fon frere. EUe cn eut iui fils nommé Alexis, dont  nu Bas-Empire. Liv. LXXXiï. 35 nous parierons dans la fuite. Elle furvéquit k fon mari, &c ne mourut que fous le regne de Manuel Comnene. Son tombeau fe voit encore a Conftantinople dans 1'EgHfe de Sainte-Sophie. Son hiftoire 1'a rendue plus illuftre que tous les titres qu'elle devoit k fa naiffance. Son ftyle eft fort fupérieur a celui de tous les Ecrivains de fon temps, & elle paroit écrite avec beaucoup d'élégance k ceux qui ne la comparent pas avec les trois grands Hiftoriens de 1'ancienne Grece. On doit a une femme, a une Princefle, k la fille d'Alexis, affez de complaifance pour excufer la diffufion du ftyle , les ré' flexions quelquefois frivoles , la defcription minutieufe de la figure & des habillements des perfonnes de ü familie , la prévention en faveur d( fon pere & de fes parents, malgn les proteftations fréquentes qu'ell( fait de ne rien donner a 1'intérêt per fonnel; ce qu'on ne peut guere ap percevoir de fes propres yeux. Y au roit-il de la juftice d'exiger de foi fexe cette fermeté male de Jule-Cé far, qui, ne regardant que la pofté B vj Alexis. An. 10S6. t  Alexis. An. 1086. 3^ HlSTQIKM rité, fans aucun retour fur lui-même, a écrit une partie de fa propre Hiftoire avec une fie-rté fi fupérieure aux foibleffes de 1'amour-propre , qu'on a douté quelquefois qu'il en fut 1'auteur ? La feconde frlle d'Alexis fut Marie, née en 1085. Elle époufa d'abord Grégoire Gabras, fils de Théodore Gabras, Duc de Trébizonde. Alexis, ayant enfuite rompu ce mariage, lui fit époufer Nicéphore Catacalon, qu'il nomma Sébafïocrator. Les deux filles qui naquirent après Jean , furent Eudocie & Théodora. Eudocie fut mariée a Conflantin Jafite, dont les mauvais traitements obligerent cette PrincefTe k faire diffoudre fon mariage, & a fe retirer dans un Monaftere. Théodora fut femme de Conflantin 1'Ange, citoyen noble de Philadelphie , cpie les graces de fa figure, plus qu'au> :un autre mérite éleverent k 1'honneur de cette augufte alliance. C'eft de lui qu'efï defcendue la familie des Anges, Empereurs de Conftantinolople, après les Comnenes. Dès que fean fut au monde, fes parents fonjerent a lui affurer la couronne In*.  du Eas-Empike. Liv. LXXXII. 37 périale. Elle lui fut mife fur la tête 1 dans la cérémonie de fon baptême. Les réjouiflances qui fuivirent fa naiffance, furent terminées par un terrible tremblement de terre, qui abattit a Conftantinople des maifons, des portiques, des Eglifes, fit périr quantité de perfonnes, èc changea en deuil la joie publique. La guerre contre les Turcs fut fuivie d'une autre guerre plus fanglante, qui fit craindre a Conftantino- , ple d'être renverfée par un nouvel orage du cöté de 1'Occident , avant que celui qui venoit de 1'Orient eut ' traverfé le Bofphore. Les Patzinaces,. j établis fur les deux rives du Danube vers fon embouchure , vivoient en paix avec les Grecs depuis neuf ans. Ils fervoient FEmpire en qualité d'auxiliaires ; on en voit dans toutes les armées Grecques. Quelques-uns même en afiez grand nombre s'étoient établis a Conftantinople , & une partie de la garde du Prince en étoit compofée. Dans 1'année 1085 , une multitude de Sarmates, abandonnant leurs demeures natales 9 yinrent inonder les bords du Danu- Alexis. \.a. 10SÖ, XIV. Guerre les Patzilaces. Ann. ?omn. lm J, 7- S. Ion. T. Ih '■ z99Glyc. p, 133-  Alexis. An. icSC 3? li I S T O I R E ■ be; & s'étant alliés aux Patzinaces _ avec lefquels ils fe confondirent, ils attaquerent & prirent de force plufieurs villes & chateaux de cette frontiere. S'y étant arrêtés, ils poferent les armes, & ne fembloient plus occupés qu'a cultiver les terres dont ils s'étoient emparés. Mais ce Paulicien rebelle , nommé le Begue , cantonné avec fes partifans dans le chateau de Béliatoba, faifit cette occafion de faire a 1'Empire tout le mal dont il étoit capable. II fe ligua avec ces barbares , les attira dans 1'intérieur de la Thrace, & eet homme languinaire., armé des forces de cette nation, défola tout le pays par de continuels & d'afFreux ravages. Pour réprimer leur audace, Alexis jetta les yeux fur Pacurien , grandDomeftique d'Occident. II n'avoit point de Général plus habile, plus fage, plus capable de prendre promptement fon parti felon les conjonchires. II lui donna pour Lieutenant Branas, un des plus vaillants Officiers de 1'Empire, & il les envoya tous deux a la tête d'une armée contre les Patzinaces, qui ayant déja paffé les défilés du  du Bjs-Empire. Liv. LXKX1I. 39 mont Hémus, étoient campés en-deca de Béliatoba. Pacurien jugeant de la multitude des Barbares par 1'étendue immenfe de leur camp , craignoit avec raifon un combat trop inégal. Mais Branas, dont la jeunefïe bouillante ne voyoit de gloire que dans les batailles, prétendoit que la hardiefTe a fondre fur 1'ennemi dès la première rencontre, décidoit infailliblement de la victoire; & le General , pour ne pas fe laifler foupconner de timidité , n'ofa faire ufage de fa prudence. II range 1'armée en bataille, fe place au centre , &c marche aux Patzinaces. La difproportion étoit fi grande , que les Grecs , avant que d'avoir atteint 1'ennemi, fe regardoient déja comme vaincus. Ils fe battent cependant; mais bientöt enveloppés, ils font taillés enpieces. Branas fe fait tuer; Pacurien combattant avec le plus grand courage, 6c retournant plufieurs fois en défefpéré fur les ennemis, donne contre un arbre de toute la force de fon cheval , & tombe mort par terre, Toute 1'armée fedifperfe. Alexis, affligé de cette défaite , pleura fur- Alexis. An. 1086»  Al EXIS. An. 10S6. XV. Tatice défait les Patzinaces. i ] i i l 4-0 ff I s T O I R E tout la perte du grand Domeftique dont il eftimoit la vertu, & avec lequel il avoit formé la liaifon Ja plus intime avantmême que de parvenir a 1'Empire. Pour réparer ce malheur, Alexis envoye en diligence Tatice a Andrinople, avec ordre de lever de toutes parts de nouvelles troupes , capables de tenir tête aux Barbares. II mande a Humbertopule qui étoit a Cyzique d'y laiffer garnifon, &de venir promptement joindre Tatice avec les Francs qu'il commandoit. Le nouveau Général ayant formé en peu de temps une armée nombreufe, renforcé enzore par lajonction des Francs, dans lefquels il mettoit fa principale conSance, va chercher les Barbares. II sn trouve prés de Philippopolis un jrand corps, qui revenoit du pillade , chargé de butin, & embarraffé 1'une multitude de prifonniers. Sans eur donner le temps de fe défaire le leur bagage, &prenant a peine ceui de dépofer le fien, il les fait char;er par une troupe choifie, en atendant que toute 1'armée foit dif>ofée pour le combat, II tombe en:  du Bas-Empire. Liv. LXXXH. 41 fuite fur eux avec toutes fes forces. Surpris par une attaque fi brufque, ils font entiérement défaits, & prennent la fuite après un grand carnage. Tatice vainqueur regagne tout le butin, & entre dansPhilippopolis.De-la il envoye de toutes parts des coureurs pour reconnoitre le gros de 1'armée ennemie. II apprend qu'ils font campés aux environs de Béliatoba, & que de-la, comme d'uncentre, ils font partir des détachements pour ravager la contrée. II apprend encore qu'une autre armée auffi nombreufe que la première eft en chemin & fur le point de la joindre. Cette nouvelle tint quelque temps Tatice dans une cruelle inquiétude. Comment aller heurter une maffe énorme, capable d'écrafer un peuple entier ? Cependant fa vi&oire paffee lui redonne le courage , & il fait 1'infpirer a fes troupes. Déja elles demandoient qu'on les menat a. 1'ennemi, lorfqu'un coureur hors d'haleine vient dire que les Barbares marchent è eux, & qu'ils font déja proches. Cet avis qui en auroit effrayé d'autres, ne fait que les embrafer da= Alexis. An. ioSö,  Alexis. An. ic86. 4^ HlSTOIRE vantage. Ils paffent 1'Hebre pour alIer joindre les Patzinaces, qui étoient encore au-dela. Les deux armées fe rangent en bataille. Elles femblent être animées de la même ardeur , & n'attendre que le fignal. Cependant elles étoient également frappées de terreur. La multitude des Barbares prodigieufement fupérieure, appercue de prés, faifoit palpiter le cceur aux plus braves des Grecs; & le bel ordrede 1'armée Grecque , la vue de tant de drapeaux flottants en 1'air, 1'éclat des armes & des habits , oü les rayons du foleil faifoient étinceler 1'or & 1'argent, éblouiflbient les Patzinaces qui n'avoient pour enfeignes non plus que pour habits, que des haillons ou des peaux de bêtes. Les Francs étoient les feuls que leur audace impatiente portoit a demander le iignal; & Tatice avoit peine a les contenir. Ils demeurerent de part & d'autre tout le jouren préfence, fans qu'aucun aventurier ofat fortir des rangs. Au coucher du foleil on fonna la retraite des deux cötés. Le jour fuivant fe pafla dans la même inaftion, quoique les deux Généraux Ment toutes  du Bas-Empire. Lm. LXXXII. 43 les démonftrafions d'aller a toute heure donner fur 1'ennemi. Enfin, le troifieme jour les Patzinaces décamperent de grand matin. Tatice les pourfuivit dans leur retraite; mais ils marchoient avec tant de diligence, qu'avant qu'on put les atteindre, ils avoient déja paffé ce qu'on appelloit la potte de fer ; c'étoit un défilé dans les gorges du mont Hémus, & ils fe trouvoient rendus dans leur pays, n'ayant laiffé aux Grecs k faifir que la tracé de leurs pas. Tatice revint avec toutes fes troupes k Andrinople , oü il laifla les Francs. II renvoya le refte des foldats paffer 1'hyvet dans leurs foyers, & ne ramena que les gardes du Prince a Conftantinople. Dès les premiers jours du prïntemps, une armée de quatre-vingt! mille hommes, Patzinaces, Sarmates Hongrois traverfe toute la Thrace & vient camper prés de ChariopO' lis, dans le voifinage de la Cherfo nefe. De-la ils étendent leur ravages d> toutes parts. Deux Généraux Grecs Nicolas Maurocatacalon & Bempe ziote, ainfi nomméde la ville de Bern Alexis. An, 10S6. i An. 1087. , XVI. Les Pat' 'zinaces vaincus • par Mau> rocataca- Ion. »  Alexis. An. 10S7. ] I 1 ( l 1 44 // / S T O I Jï E peze fa patrie, fituée vers 1'Euphrate, viennent fe pofïer non loin des ennemis, dans un lieu nommé Pamphyle; & voyant les habitants de la campagne faifis d'effroi déferter leurs maifons, & fe fauver avec leurs effets" dans les places fortes , ils raffemblent leurs troupes k Culé, pour mettre le pays a couvert. Les ennemis les vont chercher, & dès le jour fuivant leur préfentent la bataille. Maurocatacalon monte avec fes principaux Officiers fur une éminence pour eonfidérer 1'armée ennemie. La comparaifon de la fienne avec celle des Barbares} lui öte 1'envie de combattre. Joannace & la plupart des au:res Officiers veulent au contraire lii^rer bataille; & le Général dont la raleur égaloit la prudence, fe rend ?nfin a leur avis. II partage fes trou>es en trois corps, marche hardiment mx ennemis; & la bonne conduite hi Commandant, jointe au courage les foldats , fuppléant au petit nom>re, il les enfonce, & les met en léroute avec un grand carnage. Zei-;u, chef des Patzinaces, meurt les araes a Ia main; les autres fuyent 9  du Bas-Empire. Liv. LXXXII. 45 &c dans leur fuite fe renverfant, fe foulant aux pieds les uns les autres, aveuglés par la terreur, ils fe précipitent dans une profonde ravine, oü ils s'écrafent & périflent en monceaux. Les Grecs vainqueurs retournent a Conftantinople, oü ceux qui fe font diftingués, recoivent les récompenfes que mérite leur valeuf. Ils ne refterent pas long-temps dans la ville. Adrien, frere de 1'Empereur, nommé grand Domeftique après la mort de Pacurien, fe met a leur tête, & retourne en Thrace, pour nettoyer le pays des bandes de Barbares, qui s'y étoient difperfées après leur défaite. II en vint a bout; mais ils s'arrêterent en-deca du Danube, & continuerent leurs incurfions avec leur hardiefte & leur cruauté ordinaire. L'opiniatreté de cette indomptable nation rendoit fon vöifinage trèsincommode a 1'Empire. Elle ne eonnoiflbit nulle faifon pour le repos. Jamais raflafiée de carnage, dans le temps même que les bêtes féroces demeurent engourdies dans leurs tanieres, les Patzinaces alloient cher- Alexis. An. 10S7. An. ioSS. XVII. Alexis marche en perfonne.  AtEXIS. An, 1088. 46 HlSTOIRE cher une nouvelle proie au milieu des neiges & des glacés de 1'hyver. Animés d'une haine implacable contre les Grecs , pendant fix années que dura cette guerre , jamais les follicitations fecretes & les offres les plus avantageufes de la part de 1'Empereur ne purent détacher aucune partie de la nation. Alexis, irrité de leurs cruels pillages, fe mit lui-même a la tête de fes troupes. Leur ayant donné rendez-vous a Andrinople, il s'avanca jufqu'a Lardée entre Diampolis & Goloé. De-la il détacha George Euphorbene avec un grand corps de troupes pour aller par le PontEuxin remonter le Danube jufqu'a Drift-ra, Sc fe rendre maitre de ce paffage. Après avoir employé quarante jours k raffembler toutes fes forces, il délibere avec fon confeil fur le parti qu'il doit prendre. Son avis étoit de palier les montagnes, & d'aller relancer les Barbares jufque dans leurs demeures. Nicéphore Bryenne & Grégoire Maurocatacalon , pour laquel 1'Empereur venoit de payer une groffe rancon aux Barbares dont il étoit prifcnnier, pen-  du Bjs-Empire. Lip. LXXXIl. 47 foient au contraire qu'il n'étoit pas de la prudence d'aller attaquer les Patzinaces dans des plaines , oü ils pourroient déployer leur immenfe cavalerie, & oü ils ieroient encore a portee de recevoir k tous moments les renforts qui leur viendroient d'audela du fleuve. Mais George Paléologue, Nicolas Maurocatacalon, Nicéphore, & Léon, fils de Diogene , & les autres Officiers que le feu de la jeunefle entrainoit dans les dangers , foutenant avec chaleur 1'avis de 1'Empereur, on donne le fignal de la marche pour franchir le mont Hémus. Le vieux Nicéphore Bryenne, aïeul de celui dont je vièns de parler , vaincu autrefois par Alexis, mais plein de reconnoiflance pour fon généreux vainqueur, lui étoit tendrement attaché; & tout aveugle qu'il étoit, il les fuivoit dans les expéditions. C'étoit le plus fage de tous les Généraux, & le plus capable de diriger par fes confeils les opérations de la guerre. Entendant le fon de la trompette qui annoncoit le départ, il court k 1'Empereur; & après avoir mis tout en oeuvre pour le détour- Alexis. An. 10SS.  Alexis. An. 1088. XVIII. Ambaffade trora- 4§ HlSTOIRE ner de ce deflein, voyant que fes paroles étoient inutiles : Prince, lui dit-il , nous allons donc éprouver audela du mom Hémus, qui de nous ejl le mieux monté pour la fuite. Cependant Euphorbene remontoit le Danube. Dès que les Patzinaces appercurent la flotte, apprenant qu'Alexis venoit auflï du cöté de la terre avec une grande armée, ils fe crurent enveloppés; & craignant de ne pouvoir en même-temps rélifter k ces deux attaques , ils réfolurent d'amufer 1'ennemi pour gagner du temps, & fe mettre en état de défenfe. Ils envoyent k 1'Empereur une députation de cent cinquante perfonnes, chargëes de demander la paix, mais de mêler a leur demande des menages enveloppées & des promeffes déclarées, qu'on fe mettroit peu en peine d'accomplir. Ils avoient ordre entre autres chofes de s'engager k fourmr un fecours de trente mille chevaux pour qüelque guerre que ce fut. Soit que TEmpereur fut averti de la rufe , foit qu'il la foupconnat feulement, il recut mal cette ambaflade; &l tandis qu'il difputoit avec les Envoyés,  du Bas-Empire. Liv. LXXXIL 49 voyés , un de fes Secretaires étant venu lui dire a 1'oreille , qu'on alloit voir une éclipfe de foleil , le Prince qui avoit 1'efprit fort préfent, faifit fur le champ cette occafion d'intimider ces Barbares; & fe tournant vers eux : Jeprends, leur dit-il, le ciel même pour juge de notre querelle. S'il y paroit aujourcChui un figne extraordinaire , ce [tra une preuve ck votre mauvaifi foi : Ji-non, favouerai que je vous en aurai injujlement foupconnés. Moins •de u Bas~Emphlr. Liv. LXXXII. 61 nir de Conftantinople les fommes néceflaires, & retira des mains des ennemis ceux que le malheur de fes armes leur avoit livrés. Ils n'étoient pas encore hors du camp , & les Commifïaires Grecs étoient occupés a délivrer le prix de la rancon, lorfque les Comans arriverent. C'étoient les Barbares auxiliaires que Tat étoit allé chercher au-dela du Danube. Les Patzinaces, preffés par 1'Empereur, avoient été forcés de livrer bataille avant leur arrivée, en forte que les Comans n'avoient eu aucune part k la victoire. Ils prétendirent en avoir au butin ; la vue de tant de prifonniers & de tant d'or qu'on payoit pour eux excita leur avidité a partager une fi riche proie. Ils repréfentent aux Patzinaces, q^ctayant quitté leurs foyers pour accourir d leur fecours, il n avoit pas tenu d eux qu'ils ne partageajfent le danger : qu'ils avoient fait la plus grande diligence, & que fi Cune des deux nations méritoit quelque reproche , c'étoit affurémmt les Patzinaces, qui les ayant invités d venir fe joindre a eux pour combattre , s'étoient preffes de combattre fans eux ; que les Co- Alexis. An. 10SS,  Alexis. An. 10S8. XXIV. Robert, Comte de 62 HlSTOIRE mans vouloient bun leur pardonner cette forte d''affront; mais qu'ils mèritoient la récompenfe d'un fervice dont ils avoient fait tous les fraix ; qu'après tout ils laiffoient aux Patzinaces le choix de les traiter comme affociès , ou de les combattre comme ennemis. Les Patzinaces étant fourds aux plaintes & aux menaces , les Comans, fans attendre plus long - temps, fe font raifon a coups d'épée; ils tuent grand nonvbre de Patzinaces, & obligent les autres a fe réfugier derrière un grand marais , qu'Anne Comnene nomme Ozolimna, & que je crois être le lac Halmyris, auquel Pline donne plus de quatorze lieues de tour, & qu'on appelle aujourd'hui Karafoui dans la Dobrudzie vers les bouches du Danube. Les Comans les tinrent longtemps comme afTiégés dans ce petit efpace de terre renfermé entre le marais , la Mer noir U le Danube. Enfin, manquant eux-mêmes de fubliftances , ils retournerent dans leur pays, k deffein de revenir continuer la guerre. L'Empereur recueilloit k Bérée les débris de fon armee. II y recut les  du Bas-Empirb. Liv. LXXXII. 63 prifonniers qu'il avoit rachetés, leur donna des arme^s, & retourna avec eux k Conftantinople. Ce fut alors que Robert de Frife, Comte de Flandre , revenant de Paleftine , oü la dévotion 1'avoit conduit trois ans auparavant, eut une entrevue avec Alexis. Selon Anne Comnene, il fit hommage a 1'Empereur , comme ëètoit , dit - elle , Fufage des Primes Latins. Elle auroit dit, avec plus de vérité, que c'étoit Fufage des Empereurs Grecs, de fe regarder toujours comme Souverains d'Occident, &c celui des Latins de ne reconnoitre nullement cette prétention chimérique. Robert promit en effet k 1'Empereur de lui envoyer un fecours de cinq cents cavaliers , & 1'Empereur lui fit un accueil très-honorable. Le Comte tint parole; & dès Fannée fuivante , on vit arriver devant Apres, oü étoit pour lors Alexis, les cinq cents cavaliers bien montés, qui amenoient encore cent cinquante beaux chevaux, dont Robert lui faifoit préfent. Ils vendirent aufïi k 1'Empereur ceux qu'ils avoient de trop dans leur équipage, Sc furent employés a la Alexis. An. 10SS. Flandre, a Conftantinople.  04 HlSTOIRE défenfe de Nicomédie & du pays d'a> Alexis. A«. 1088, Au. 1089, XXV. Paix avec les Patzinaces, I lentour contre les entreprifes du Sultan de Nicée. Alexis donna fes foins k former une nouvelle armée. Après avoir pris les précautions qu'il crut nécefïaires pour effacer la honte de la campagne précédente, il alla camper devant Andrinople. Les Patzinaces, de leur cöté , ayant paffé les défilés des montagnes qui font entre Goloé & Diampolis, vinrent fe pofter k Marcelle, en-deca du mont Hémus. Gette nation toute feule étoit bien capable de donner de Pinquiétude. Ce qui 1'augmentoit encore , c'efl qu'Alexis apprit que les Comans étoient en marche : ils venoient a la vérité pour faire la guerre aux Patzinaces; mais Alexis favoit combien il étoit facile k deux peuples barbares, conformes de meeurs , de caradtere , de religion, de fe réconcilier pour tomber enfemble fur les Grecs. II réfolut donc de faire la paix avec les Patzinaces pour les oppofer aux Comans , fi ceux-ci , comme ils y paroiffoient déterminés, paflbient le Danuhe; ce qui les attireroit bientöt dans les Pro-  !. du Bas-Empire. Liv. LXXXII 65 vinces de 1'Empire. II leur envoya Synefe avec des lettres de créance, & le chargea de leur promettre les fubfiitances dont ils manquoient, s'ils vouloient lui donner des ötages, pour 1'aflurer qu'ils s'abftiendroient de faire aucune incurfion fur les terres de 1'Empire. S'ils fe rendoient difficiles , Synefe avoit ordre de revenir fur le champ. Ce député crut en peu de temps avoir gagné 1'efprit de ces Barbares ; & les Patzinaces, dans leur fimplicité grofliere, avoient toute la rufe d'une politique de mauvaife foi. Inftruits de la marche des Comans, ils craignoient de fe trouver entre deux armées ennemies, & la paix fut bientöt conclue, Cependant les Comans paflbient le Danube avec toutes leurs forces, k delTein de tomber fur les Patzinaces. Lorfqu'üs apprirent que leurs ennemis étoient audela du mont Hémus, & qu'ils avoient fait la paix, ils envoyerent demander k 1'Empereur la permiffion de paffer les montagnes, pour combattre les Patzinaces : ce qu'Alexis ne pouvoit leur accorder , fans violer le traité qu'il venoit de conclure. Mais Alexis. An. 1089.  Ar.EXis. An. 1089. XXVI. Ils rompent le traité. 66 HlSTOIRE pour ne les pas irriter, & ne poirit s'attirer de leur part une nouvelle guerre, il feignit de croire qu'ils venoient Je fecourir : il careffa beaucoup leurs députés, les combla dé préfents pour eux & pour leurs compatriotes, auxquels il les chargea de dire qu'il les remercioit de leur bienveillance ; qu'il fe reffentiroit dans 1'occafion du zele qu'ils montroient pour fon fervice ; mais que n'ayant pour le préfent aucun befoih de fecours , il les prioit de retourner dans leur pays. Dès que les Comans furent retitirés, les Patzinaces n'ayant plus riea k craindre derrière eux, recommencerent leurs ravages. Ils comptoient pour rien leurs ferments; & Synefe , qui n'étoit pas encore forti de leur camp, témoin oculaire de leur perfidie, rapporta en même-temps la ratification & 1'infraction du traité. On apprit bientöt qu'ils étoient déja k Philippopolis. L'Empereitr, informé de leur nombre, ne fe crut pas affez fort pour livrer des batailles. Sa défaite précédente le rendoit plus circonfpect; il prit le parti de faire une  mv Bas-Empire. Liv. LXXXII. 67 guerre de rufe. Evitant une action générale, fans les perdre de vue, il les harceloit fans ceffe, leur difputoit tous les paffages. Toujours campé hors d'infulte , & bien retranché, ■attentif k tous leurs mouvements, il régloit les fiens fur ceux des ennemis , & profitoit de toutes les occafions de leur nuire. Habile a pénétrer leurs defleins , il prévenoit toutes leurs entreprifes. Dès le foir de la veille , il fe rendoit maitre du pofte dont ils devoient fe faifir le lendemain, & dès le matin, il étoit logé dans celui qu'ils devoient occuper le foir. Ses partis, répandus de toutes parts, fans s'expofer eux - mêmes, les accabloient de fleches; tous les défilés, toutes les ravines, tous les lieux fourrés cachoient une embufcade. Ces petits fuccès, qui ne coütoient rien aux Grecs, affoibliflbient d'autant les Patzinaces. Mais ce n'étoit qu'un embarras, & non pas un obftacle. Ces chicanes importunes retardoient feulement la marche de 1'ennemi, fans pouvoir arrêter ce torrent, ni Fempêcher de fuivre la pente de fon Alexis. An. 1089.  Alexis. An. 10S9. 63 IllSTOIRE cours. Malgré ces oppofitions continuelles, les Patzinaces traverferent toute la Thrace, & arriverent a Cypfele fur 1'Hebre, k fept lieues de fon embouchure. Ce fut de-la que le Patzinace Neanzès , dont il fera parlé dans la fuite, vint fous 1'apparence d'un transfuge fe jetter dans le camp des Grecs. On approchoit de Conftantinople , & 1'Empereur ne recevant pas les renforts qu'il attendoit, envoya Migidene, ramafTer toute la jeunelïe des environs pour la joindre k fon armee. Le fils de eet Officier, que fon pere employoit k cette recherche , ayant aflemblé quelques payfans, fe crut un Général : il alla attaquer uri gros detachement; & s'étant engagé entre les chariots dont il étoit bordé felon 1'ufage des Patzinaces, une femme 1'enleva dans fon chariot avec un croc, & lui coupa la tête. Migidene, de retour au camp, engagea 1'Empereur a la racheter; & ce pere défefpéré, les yeux fixés fur cette tête qu'il tenoit fur fes genoux, ne cefïa, pendant trois jours entiers , de fe meurtrir la poitrine avec une pierre, jufqu'a ce que la  du Bas-Empire. Liv. LXXXII. 69 douleur lui eut a lui-même arraché la vie. Les Patzinaces paroiflbient réfolus de marcher a Conftantinople , 8c 1'Empereur n'étoit pas en état de leur fermer le paffage. II leur fit encore des propofitions de paix, qu'ils accepterent. Mais c'étoit un jeu de leur part. S'étant campés a Taurocome, prés d'Andrinople , ils ne ceflbient de piller les campagnes voifines. Ils marcherent k Chariopolis. L'Empereur, qui fe tenoit a Bulgarophyge pour couvrir Conftantinople, penfa qu'en temporifant toujours fans en venir aux mains avec 1'ennemi , il ne pouvoit que retarder la perte de 1'En ïpire. II réfolut donc d'entrer en aclion. II avoit dans fon armée un corps de jeune nobleffe, très-renommé»pour fa valeur. On les appelloit les Archontopules. Ce nom même défignoit leur origine. C'étoient les enfants des Tribuns, des Capitaines & des autres Officiers qui avoient fervi dans la guerre. Alexis, qui prenoit tous les moyens poffibles de rendre 1'ancienne vigueur a la milice de 1'Empire , affoiblie & déshonorée par Ia Alexil. An. 1089. XXVII. Défaite des Archontopules.  AlEXJS. An. 1089. 70 II I S T O I R E lacheté & 1'indolence des Empereurs précédents, avoit formé ce corps d'élite, & prenoit plaifir a le drefler k tous les exercices militaires. La noble fierté que leurinfpiroit leur naiffance, allumoit dans leur cceur des fentiments généreux, entretenus par une éducation male & vigoureufe: il efpéroit en tirer dans la fuite des Officiers aufli habiles qu'intrépides , capables de communiquer aux foldats cette ardeur de courage qui donne la vidtoire. Cette troupe, qu'il comparoit k ce fameux bataillon des anciens Thébains, qu'on nommoit la Cohorte facrée, étoit déja compofée de deux mille jeunes guerriers, & s'étoit fignalée dans les dernieres batailles. II les détacha de 1'armée, & leur donna ordre de tourner les Patzinaces, &c d'aller fur leurs derrières attaquer leurs chariots. Les Barbares, inltruits par leurs efpions , avoient polïé des troupes en embufcade au pied de 1'éminence oii ils étoient campés; Bc lorfque les Archontopules furent aux prifes avec les défenfeurs des chariots, les fol> dra tous les honneurs & tous les » biens dont il m'a dépouillé en ar» rachant la couronne k Botaniate. D iij Alexis. An. 1089,  Alexis. An, 1089. ,718 H 1 S T 0 I R E » S'il veut même cimenter notre ti« » nion par un mariage entre nos en» fants , j'ai une dot affez riche k » donner a. ma fille : lorfque ce ma» riage fera conclu entre nous, few Ion vos loix & les nötres, j'aban» donnerai toutes les ifles dont je » me luis rendu maitre; & les con» ventions étant fidélement remplies » de part & d'autre, je me retire» rai dans ma patrie ". Dalaffene , ehoqué. intérieurement de 1'infolence de ce pirate, qui ofoit traiter d'égal avec 1'Empereur, fentant bien qu'il ne cherchoit qu'a le tromper, diflimula fon indignation , & lui répondit, qWune nigociation de cette imporlance paffbit Jon pouvoir ; qu'il ïi'avoit ordre que de faire la guerre ; que le Duc Jean, frere de Flmperatrice, alloit inceffamment arriver avec de nouvelles troupes de terre & de mer; que Zachas pourroit traiter avec lui, & que perfonne netoit plus capable de faire agrèer fes propofitions d PEmpereur. En effet, Jean Ducas, qui avoit une grande expérience de la guerre, & toute la confiance de 1'Empereur, fe préparoit k mettre en mer 3 & Zachas n'avoifc  du Bas-Empire. Liv. LXXXII. 79* garde de 1'attendre. II fe fépara de Dalaffene en lui promettant de lui envoyer le lendemain une grande provifion de vivres. Mais il partit dès la nuit même avec fa rroupe, & retourna a Smyrne pour s'y préparer a une nouvelle expédition. Dalaffene , après fon départ, alla s'emparer de Boliffe, oü ayant paffe plufieurs jours a raffembler un plus grand nombre de vaiffeaux, a fe pourvoir de machines, Sc a repofer fes foldats, il retourna devant la ville de Chio, & s'en rendit maitre. Zachas, de fon coté, mieux fourni de troupes Sc de navires , fe rembarqua, Sc paffa a Mitylene. L'hyver n'étoit pas encore fini, i qüAlexis apprenant que les Patzi- . naces étoient déja en marche vers Conltantinople, & qu'ils approchoient de Rhufe, ville voifine de Rhedefte, \ fe mit en campagne, Sc fit grande di- : ligence pour arriver a Rhufe avant eux. II étoit accompagné du transfuge Néanzès, qui affectant tout 1'extérieur du dévouement le plus fide^ le , cachoit dans fon cceur une noire perfidie. Deux autres transfuges, CanD iv Alexis. Kn. 10S9. lm 1090. XXXI. Perfilie du ransfuge tféaniès»  AlEXIS. An, 109P. %° HlSTOIRE zus & Catranes , eftimés pour leur courage ,.fuivoient auffi 1'Empereur, avec un attachement plus fmcere. A fon arrivée, il détacha quelques troupes fur un corps de Patzinaces, qui pilloient les campagnes ; mais elles fiirent fort maltraitées, & ne revinrent a Rhufe qu'après une grande perte. Malgré eet échec , Alexis réfolut de donner bataille. II y étoit entourage par la jonöion d'un grand corps de Latins , nommés les Maniacates.. C'étoient les fils de ces foldats, qui cinquante ans auparavant avoient fervi le brave Maniacès en Sicile, en Italië, & enfuite dans fa révolte. Après la mort de ce guerrier célebre , ils étoient reftés en IIlyrie, & s'y étoient établis. Mais méprifant le fang des Grecs, qu'ils avoient vaincus, ils ne s'étoient alliés qu'a des femmes de leur pays; & leurs enfants héritiers de la fierté de leurs peres, formoient un corps de inilice féparé du refte des troupes Grecques, fous le nam de Maniacates. L'Empereur, déterminé a combattre le lendemain, voulut fuppléer par la furprife a la foibleffe de fon ar-  du Bjs-Empire. Liv. LXXXII. Si mée très-inférieure en nombre a celle des ennemis. II envoya le foir battre le tambour dans tous les quartiers du camp avertir que 1'Empereur marcheroit aux ennemis , fans faire fonner la trompette, & que toutes les troupes fe tinfTent prêtes pour combattre. Les Patzinaces étoient campés a fort peu de diflance , au pied d'une colline , dans un lieu nommé 1'enfer. Au point du jour, Alexis range fes foldats e» bataille; en ce moment, Néanzès obtient de 1'Empereur la permiflion de monter fur la colline , pour obferver , difoit-il, la difpofition de l'armée ennemie, & lui en faire le rapport. Mais fon intentlon étoit toute contraire. II cria aux Patzinaces en leur langue, que 1'Èmpereur approchoit; qu'ils fe miffent en bataille, mais qu'ils-n'euflent point de peur; qu'Alexis, encore intimidé de la perte qu'il venoit de faire &C très-inférieur en forces, ne tiendroit pas long-temps. Cet avis donné, il defcend pour faire a 1'Empereur un rapport tel qu'il le jugeroit k propos. Mais un foldat qui s'étoit trouvé prés de cet endroit, & qui entendoit la D v Alexis. An, 1090,  Alexis. An. i.oya. XXXII. Défaite d'Alexis ïéparée 8a Eis t o i r e langue Patzinace, accoürt avant lui & denonce fa perfidie. Néanzès fe voyant déniafqué paye d'efFronterie ; il demande d'être confronté avec Ie calomniateur; & comme le foldat lui foutenoit en face la trahifon dont il étoit témoin , pour toute réponfe, il lui abat la tête d'un coup de fabre en préfence de 1'Empereur & de toute l'armée. Alexis ne douta pas que cette maniere de fe juftifïer ne füt un aveu du crime. Cependant pour ne pas manquer 1'exécution de fon deffein en s'arrêtarit fur cet incident, il continua fa marche; & loin de montrer fon indignation, il fit donner a Néanzès un de fes meilleurs chevaux, que ce traïtre demandoit pour mieux combattre. Mais dès qu'il fut a portée de 1'ennemi, il fe détacha comme pour aller faire un coup» de lance, & alla fe joindre aux Patzinaces qu'il inftruifit de 1'état de l'armée & du plan de bataille de 1'Empereur , dont il avoit une parfaite connoiffance. Ce fut fur fes inftructions que les Patzinaces attaquerent les Grecs , & les mirentenfwite. L'Empereur, après  Du Bas-Empire. Liv. LXXXII'. 83 la déroute de fon armee, fe voyant lui-même pourfuivi jufqu'au fleuve Bithyas prés de Rhufe , tourne vifage avec quelques braves gens qui ne s'étoient pas féparés de lui, & donnant tête baiffée au travers des ennemis , il en tue plufieurs, & recoit plufieurs bleffures. II appercoit George, fur-nommé le Roux, un de fes Lieutenants-Généraux, qui fuyoit auffi vers le même fleuve : il 1'appelle , le réprimande del'avoir abandonné; & comme il voit les troupes qu'il avoit en tête groflir de plus en plus par la jon£tion des autres , qui fe réunifToient de ce cöté la, il ordonne a George de fe tenir dans ce pofte fur la défenfive jufqu'a fon retour; & lui-même ayant pafTé le fleuve fur fon cheval, gagne a toute bridè la ville de Rhufe ; il y rafïemble les foldats qui s'y étoient fauvés de la bataille, & tous les habitants en age de porter les armes. II ramaffe aufli ïes payfans avec leurs chariots. A Ia tête de ce nouveau renfort, ilrepaffe le fleuve ; & s'étant arrêté fur la rive a les mettre en ordre, il va rejoindre George. II refTentoit en ce D vj Alexis. An. 1090, par luimême.  Alexis. An. 1.090. XXXIII. Viöoire d'Alexis. £4 IIlSTOIRS moment un accès de fievre quarre dont il étoit tourmenté depuis quelques jours. Les Patzinaces voyant les Grecs qui fembloient renaitre de leur défaite, & fe multiplier même en plus grand^nombre qu'auparavant, Sc a leur tête 1'Empereur, n'oferent s'expofer aux terribles coups d'un courageux défefpoir , 8c ne firent auciin mouvement. L'Empereur, de fon cöté, faifi du frifïbn de la fievre , 8c n'ayant pas encore rallié tous les fuyards, ne crut pas a propos d'attaquer, montrant néanmoins par fa üere contenance, & par les excurfions de fes cavaliers, qu'il ne demandoit qu'a combattre. Les deux armées s'étant. tenues ainii en préfence j-ufqu'au foir, fe retirerent, les Patzinaces dans leur camp, 8c les Grecs a Rhufe. Les fuyards venoient s'y rendre lesuns après les autres. Plufieurs même de ceux qui ne s'étoientpastrouvés au combat , fe- joignoient a eux , tels. étoient Monaftras, Uzas 8c Synefe,. Officiers pleins de bravoure. L'Empereur, obligé par fafievre de fe metfre au lit , ne ceffa pas de s'occu-  nu Bas-Empire. Ltv. LXXXIL 85 per de la bataille qu'il vouloit encore livrer le lendemain. II veit Tatranès entrer dans fa tente. C'étoit un Patzinace qui, après avoir plus d'une fois pafte dans fon armee, 1'avoit autant de fois abandonné pour retournerafes compatriotes. Enfin , touché de la patience de 1'Empereur, qui lui avoit toujours pardonné, il venoit par une derniere perfidie faite a fa nation réparer celles dont il fe croyoit eoupable envers 1'Empereur; il lui donnoit un avis important : Prince, lui dit-il , le deffein des Patzinaces ejl de venir demain votts envelopper dans cette place fans dèfenfe ; fi vous ne les prévene^, vous êtes ptrdu fans rejfource. Alexis le remercia , & recut avec bonté les excufes qu'il lui faifoit de fes défertions. Etanta peine reftédans fon lit deux ou trois heures , il fe leve pour préparer le combat du lendemain. II fait partir dès la nuit même Uzas & Monaftras avec un corps de cavaliers choifis, &ieurordonne de prendre un grand détour pour venir tomber par-derriere fur l'armée ennemie, lorfqu'elle en fera aux mains avec les Grecs. II employé le refte de Alexis. Am 1090-.  Alexis. An. 1090. 8 e» Histo-ire la nult a encourager fes foldats, Sileur donner les avis néceffaires pour réparer leur honneur. II fe jette encore fur fon lit; & après un fommeil de quelques momemts, on 1'éveille pour Favertir que 1'ennemi approche, & qu'il a déja paffe le fleuve. II monte auffi-töt k cheval, range fes troupes , donne le fignal, & marche a la tête. II ordonne a fes archers de mettre pied a terre, & d'avancer a petits pas, lancant continuellement des fleches. Leurs décharges redoublées éclairciffent les rangs des ennemis, & rallentiffent leur ardeur. La vue de l'armée marchant en bon ordre, les rangs ferrés , & fur-tout la contenance affuuée de 1'Empereur, achevent de les épouvanter. Attaqués en même-temps par-derriere , ils fuyent vers le fleuve pour regagner leur eamp & leurs chariots. Les Grecs les pourfuivent 1 epée dans les reins ; & percant les uns de leurs piqués , abattant les autres de loin k coups de fleches , ils en tuent grand nombre avant le paffage. Une partie périt dans les eaux. La maifon de 1'Empereur, toute eompofé;de jeunes guerrierSj fe dif-  nu Bas-Empire. Lh. LXXXIL 87 tingua dans cette journée. Mais perfonne ne fe fignala plus que 1'Empereur même. II rentra dans fon camp après cette glorieufe victoire , & ne prit que trois jours de repos. Zurule, aujourd'hui Chiorli, étoit une petite ville fituée fur une colline au milieu d'un large plateau. Au pied couloit une riviere nommée alors Xerogypfe , & qui portoit auparavant le même nom que la ville. Alexis fe pofta fur la colline, oit il fe retrancha avec foin, ck renferma dans Ia place tous fes bagages. Les Patzinaces vinrent camper dans la plaine d'alentour. Alexis fe voyant enveloppé , & fe doutant bien que les ennemis , dont il connoiffoit 1'impatience , ne pafferoient pas vingt-quatre heures fans monter a 1'afïaut, fc fit amener tous les chariots qui fe trouvoient dans la ville & aux environs; il en détacha les roues donl chaque paire tenoit a fon eflieu , & les fit fufpendre aux crénaux. II rangea le lendemain fon armée au piec de la muraille , & donna ordre a fe« foldats de defcendre de leurs chevaui au premier fignal ? & d'aller au pe- Alexis. An. 1090» XXXIV. Strata géme d'Ale» xis,  Alexis. An. 1090 xxxv. Troiiieme vic~roire d'Alexis, 88 HlSTQIRE tit pas tirer leurs fleches pour attlrer les ennemis; enfuite lorfqu'ils les verroient s'ébranler & courir k eux, de tourner le dos & de remonter en s'écartant a droite & a gauche, de maniere qu'ils laifTafTent entr'eux un intervalle ëgal au front de l'armée ennemie. Sur le haut de la muraille étoient des gens tout prêts k couper les cordes qui tenoient les roues fufpendues, dès qu'ils verroient le front des Patzinaces découvert. Tout réuffit comme 1'Empereur le dëfiroit. Les roues bondiffant dans leur chüte, & fe précipifant enfuite fur la pente avec roideur, rompoient les jambes des chevaux, & entrainoient des efcadrons entiers, qui fe renverfant fur les fuivants, s'écrafoient les uns les autres , & rouloient en monceaux jufque dans le flélive. Tandis que cette tempête moifTonnoit les Patzinaces , les Grecs a droite & a gauche achevoient de les détruire k coups de piqués & de fleches. Les débris de Tarmée vaincue formoient encore une armée plus norabreufe quecelle desvainqueurs.Pleins de dépit & de rage, les Patzinaces re-  i>u Bas-Empire. Lh. LXXXII. 89 vinrent le lendemain, & offrirent encore la bataille. Alexis rangea la fienne fur la pente, Sc prit fa place au centre. On combattit avec fureur , Sc les Grecs firent enfin plier les Barbares. Ils les pourfuivirent fort loin, jufqu'a ce qu'Alexis craignant que cette fuite ne fut fimulée, Sc ne conduifït les fiens dans quelque embufcade, fit fonner la retraite. Les Patzinaces s'avosant enfin vaincus, après trois combats fi fanglants, allerent camper entre Bulgarophyge Sc Nicée. On avoit fait la guerre pendant 1'hyver, Sc le mois de Janvier finiffoit, lorfque 1'Empereur emmena avec lui a Conftantinople les blefies, & ceux qui, après une campagne fi laborieufe, avoient befoin de repos. II laiffa les plus vigoureux pour tenir en bride les ennemis fous le commandement de Joannace & de Nicolas Maurocatacalon, qu'il chargea de garnir les places Sc d'enlever des campagnes tous les payfans avec leurs chariots Sc leurs boeufs. II avoit deffein de faire un dernier erTort, afin de délivrer pour toujours 1'Empire de ces. ©pinialres ennemis» Alexis. An. 1090,  AtEXIS. An. 1191. xxxvi. Combat rfe Chérobacques. 90 HlSTOIRE A peine avoit-il eu le temps de quitter la cuiraffe, qu'il Mut 1'endoffer de nouveau. Sept jours après fon arrivée r il apprend que les Patzinaces ont fait un gros detachement pour s'emparer de Chérobacques, fur le chemin d'Andrinople, & que cette place eft a la veille d'être emportée de force. Auftï-töt ce Prince infatigable, & qui fembloit toujours préparé aux événements les moins attendus, raffembla la garde de Conftantinople, & quelque miüce nouvellement levée, au nombre d'environ cinq cents hommes. II paffe la nuit k les équiper , & part avant le jour. C'étoit le vendredi 7 de Février. Eiï partant, il envoye dire aux Officiers, répandus dans le voifinage , qu'ils ayent k le venir joindre dans le cours, de la quinzaine avec ce qu'ils ont de troupes : qu'ayant été tèmoin de, leurs fatigues précédentes, il leur laijje encore quelques jours de repos ; que pour lui il nen avoit pas befoin , & qu'il va leur préparer la vicloire. Arrivé k Chérobacques, il fait fermer les portes, fe faifitdes clefs, & donne ordre ji fes domeftiques les plus fideles , de fe  nu Bjs-Empire. Liv. LXXXIl. fenir fur le haut des murs, & de prendre garde qu'aucun des habitants n'y monte pour parler aux Patzinaces , ou leur donner quelque fignal. A peine eft-il dans la place, qu'il voit paroitre le detachement fur un cöteau qui joignoit les murs. Six mille Patzinaces fe féparent des autres, St vont piller les campagnes. Les autres reftent fur le cöteau. Alexis y étant monté lui-même fur le mur, obferve que les Barbares, loin de fe mettre fur leurs gardes, ne fongent qu'a fe divertir. II regarde comme une infulte cette affectation de fécurité en fa préfence. II affemble ce qu'il a" de foldats, & les exhorte a venir avec lui fondre fur ces brigands. Conv me il les voit peu difpolës a le fuivre :» Eh bien, leur dit-il, attendez » donc que ceux qui font allés ra» vager nos terres, fe foient réunis » a ceux-ci, qui, feuls, vous font tant » de peur, & que le péril foit redou» blé. Réfifterez-vous alors a un plu& » grand nombre ? défendrez - vous » long-temps cette bicoque contre » des forces fi fupérieures ? II ne vous. » refiera que de vous. eafévelir fous Alexis. An. icyu  Alexis. An, 1091. ! XXXVII. Nouveau j ftratagê- . me d'Ale- ' xis. ] i I I I C 92 HlSTOIRB », fes ruines. Mais fi les ennemis; » nous comptant pour rien, ne dai» gnent même nous attaquer ici, & * SW'ils aillent établir leur camp aux » portes de Conftantinople , pour » nous fermer le retour, il faudra » donc aller chercher a la vue de » notre patrie la mort dont nous pou» vons ici nous fauver par un eftbrt » de courage. Pour moi, dont la vie » n'eft d'aucun prix, je vais me jet» ter au milieu des ennemis. Que * ceux-la me fuivent, qui preferent '* un danger incertain & glorieux, a * une mort auffi honteufe qu'elle eft > affurée. Reftez derrière vos foibles > murailles, ames timides , incapa- > bles de fentiments plus généreux * La nuit fuivante, il fort de la place , ie fe croyant fuivi que d'un petit nom>re de foldats vaillants & fideles. Mais es autres, piqués de fes reproches, honteux de 1'abandonner, fortent fa fuite. Ils font le tour du cöteau la faveur des ténebres; & montant •ar-derriere, ils tombent fur la preniere garde des Patzinaces. L'ayant laffacrée , ils courent aux autres , ;u'ils jettent dans un défordre af-  i *>v Bas-Empire. Liv. LXXXIL 93 j freux. Ils en tuent un grand nombre, * tk. mettent le refte en fuite. Ce pre1 mier fuccès fait naitre a 1'Empereur I 1'idée d'un ftratagême qui pourroit . lui en procurer un fecond. II ren- • voye a Chérobacques fes drapeaux, fes chevaux & les habits de fes trou- i pes avec une efcorte, qui portoit au bout des piqués les têtes des ennei mis qu'on avoit tués. II fait prendre a fes foldats les habits, les chevaux ) & les enfeignes des Patzinaces, & 1 defcend au bord d'une riviere, que > devoient paffer ceux qui étoient alilés au pillage. On les voit bientót : revenir. Trompés par le déguifement i des Grecs, ils les prennent pour leurs ; camarades, & fe jettent dans le fleuve qu'ils paflent k gué avec des fignes : de joie , montrant le butin qu'ils apportoient. On les re^oit fur le bord la grands coups de cimeteres. Le défordre & 1'épouvante fe mettent parmi eux. Les uns font tués , les autres pris. Alexis retourne a Chérobacques, & y paffe le jour fuivant, di;manche de la Septuagéfime. II part le Iim'di pour retourner k Conftantinople. L'avant-garde étoit vêtue des Alexis. An, 1091,  Alexis. 94 Uisf-aiRB habits des Patzinaces, & marchoït {nuc 1pnrc prifpiornpc. Vpnnipnr pn- An. 1091, XXXVIII Retour d'Alexis i Conftantinople. fa . — fuite les prifonniers , dont chacun étoit conduit par un payfan; & derrière eux ceux qui portoient les têtes des Patzinaces. A quelque diftance, 1'Empereur fermoit la marche k la tête du refte des troupes habillées k la Grecque avec leurs enfeignes ordinaires. Paléologue, qui he fe trouvoit pas k Conftantinople, lorfque 1'Empereur en fortit, y revint en diligence; & fans vouloir profiter du délai que le Prince avoit accordé, il partit le dimanche de la Septuagélime. Pour n'être pas furpris en chemin, il fe faifoit précéder de fes domeftiques, qui avoient ordre de reconnoitre tous les paffages, & de revenir promptement, s'ils découvróient quelque parti ennemi. Ceux-ci, ayant rencontré la troupe déguifée, vinrent k toute bride 1'avertir qu'un gros corps de Patzinaces approchoit, & traverfoit déja la plaine de Dimylie. Un moment après, d'autres arriverent pour lui dire que cette troupe étoit pourfuivie par un detachement de Grecs; & Paléolo-  iBZ7 Bas-Empire. Liv. LXXX1I. 95 ;gue, s'étant lui-même avancé, reconnut 1'Empereur a la tête de 1'arrieregarde. II courut a lui; & après qu'ils le furent divertis de cette agréable illufion, Paléologue témoigna beaucoup de regret de n'avoir pas accompagné 1'Empereur au moment de fon départ, ni partagé fes dangers. Ils virent bientöt arriver les autres Officiers , qui, k 1'exemple de Paléologue, s'étoient hatés d'accourir. Ils n'auroient pu fe perfuader qu'en deux jours Alexis eut joint & battu les ennemis, s'ils n'avoient vu au bout des piqués les témoignages fanglants de la victoire. Alexis rentra dans Conftantinople au bruit des acclamations. Nicéphore Méliflene, qui, malgré les diftinctions dont il étoit honoré, confervoit dans fon cceur une fecrete jaloulïe , piqué des éloges qu'on faifoit du courage & de 1'adreffe du Prince, ne put s'empêcher de les contredire: QuüU victoire, difoit-il, qui donne d 1'Empire de la joie fans profity & aux ennemis du chagrin fans dommage ! En effet, le nombre prodigieux des Patzinaces leur rendoit infenüble une Alexis. An. 1091. XXXIX. ContLiua«ion de la  ses Alexis. An. 1091, guerredes Patzinaces. 96 HlSTOIRE perte 11 légere. Couvrant de leurs troupes toute la frontiere occidentale de 1'Empire, ils fe répandoient de toutes parts comme des torrents. Leurs partis étendirerit leurs courfes jufqu'a 1'Eglife de Saint-Théodore, pélerinage célebre a quatre lieues de Conftantinople. On n'ofoit plus fortir de la ville, dont les portes étoient fermées comme dans un fiege. A ces défaftres fe joignoit un autre fujet d'inquiétude. Zachas, après avoir équipé une nouvelle flotte, infeftoit de fes pirateries toutes les ifles & les cötes de 1'Archipel. On favoit qu'il fe préparoit k pafler en Occident, & qu'il traitoit avec les Patzinaces pour les engager a fe porter dans la Cherfonefe, Sc a lui donner la main. On apprenoit encore qu'il agiffoit vivement auprès des Turcs, pour attirer a lui les troupes qu'ils avoient promifes a 1'Empereur. La nature même fembloit s'entendre avec fes ennemis , pour augmenter les embarras d'Alexis. L'hyver, qui ne s'étoitfait fentir cette année que fort tard, avoit redoublé de rigueur. Depuis le milieu de Février jufque vers 1'équi- ■ noxe  du Bjs-Eripire. LivALXXXII 97 fioxedu printemps, il tomba tant de neige,que Conftantinople fut comme enfevelie. Tout commerce fut rnterrompu. Les glacés & les tempétes rendoient la terre & la mer également impraticables. Ces obftacles rmprévus fufpendirent pour quelques jours 1'activité de 1'Empereur. Enfin, la faifon s'étant adoucie, Alexis, qui fe voyoit menacé dn cöté de la mer & de la terre, crut devoir affembler fes troupes dans les Heux maritimes, pour faire face des deux cötés. Comme les vieux foldats étoient diftribués dans les places pour lés défendre, Nicéphore MélifTene recut ordre de faire de nouvelles levées, & de fe rendre a Enos, k 1'embouchure de 1'Hebre. Nicéphore ramaffa dans les campagnes tout ce qu'il put trouver de payfans. C efoient pour la plupart des patres Bulgares ou Valaques, accoutumés a une vie dure & fauvage. Alexis fit revenir de Nicomédie les cinq cents cavaliers Francois que lui avoit envoyés le Cömte de Flandre ; tk s'étant mis a leur tête, il arriva en diligence a Enos. Montant auffi-töt dans une Temt XV111. E Alexis. An. 1091. XL. Mouvements de 1'Empereur.  Alexis. An. 1091. XLI. Arrivée des Comans. 98 HlSTOIRB barque, il va lui-même; jufqu'a uner certaine diftance fonder les profondeurs du fleuve , examiner la difpofition des deux rives; & fur ces obfervations, il détermine le lieu le plus propre a placer fon camp. Etant revenu fur le foir, il inftruit le Confeil de ce qu'il avoit remarqué; & le lendemain, ayant pafle le fleuve avec les principaux Officiers, il obferve avec eux toute la plaine d'audela ; il les confulte fur le terrein qu'il avoit deflein d'occuper. Tous approuvant fon avis, il fait palier fes troupes fur la rive droite. La pofition qu'il avoit choilie étoit prés d'une petite ville nommée Chérene, entre 1'Hebre & une campagne marécageufe; en forte qu'il ne reftoit entre-deux que 1 'efpace néceflaire pour camper. L'armée s'y établit; & les deux flancs étant en füreté,il ne fut befoin que de tirer un fofle devant & derrière. Alexis retourna k Enos avec une détachement, pour arrêter de ce cöté-la les courfes des Patzinaces. L'inégalité de fes forces lui caufoit de mortelles inquiétudes ; & plongi  du Bas-Empire. Liv. LXXXIL 99 dans des réflexions profondes, il s'oceupoit de tous les moyens d'y funpléer, lorfque quatre jours après fon arrivée, il recoit une nouvelle allarme. On appercoit dans la plaine, fur la rive gauche de 1'Hebre, une armee de quarante mille hommes. C'étoient les Comans, qui, trois ans auparavant, avoient battu les Patzinaces. Cependant comme on favoit que ces nations barbares, aufli promptes a sTallier enfemble qu'a fe combattre, pourroient faeilement fe joindre contre les Grecs, on craignoit que 1'intérêt comraun du pillage ne les eut déja réunies. Pour s'éclaircir de leur intention, Alexis invita leurs Chefs a une entrevue. II leur fit un grand feflin; & après les avoir traités avec abondance, après avoir adouci ces ames dures & féroces par les careffes, par les préfents, par les témoignages de bienveillance, il leur demanda leur ferment & des ötages. Dans la chaleur de leur contentement, non-feulement ils confentirent a tout; ils prierent même Alexis de leur permettre de combattre feuls les Patzinaces dans trois jours, prometE ij Alexis. An. 1091.  Alexis. An. 1091. XLU. Jonftion de Méliffene. IOO II I S T O I R E tant qu'après la victoire, ils donneroient a 1'Empereur la moitié du butin. Alexis, les ayant comblés de louanges, leur déclara, que bien qu'il n'eüt pas deffein de les laiffer combattre feuls, cependant il leur abandonnoit tout le fruit de la victoire. II les congédia très-fatisfaits. Les Comans ne tarderent pas a fervir leurs nouveaux alliés. Campés en face des Patzinaces, ils ne cefferent d'efcarmoucher, & de les accabler de fleches. Trois jours après 1'entrevue , Alexis , les voyant fi bien difpofés, réfolut de profiter de leur bonne volonté. II fait paffer l'armée fur un pont de bateaux, & fe retranche de maniere qu'il puifTe fe défendre nonfeulement contre les Patzinaces, mais même, s'il en étoit befoin , contre les Comans, dont il avoit toujours quelque défiance. Dans ce moment, on appercoit une nouvelle armée qui venoit du cóté d'Enos, avec un grand nombre de chariots. L'allarme fe répand parmi les Grecs. On ne doute pas que ce ne foitun détachement de celle des Patzinaces , & que l'armée Grec-  du Bjs-Ebipire. Liv. LXXXIF. 101 que ne foit enveloppée. C'étoit déja une périlleufe entreprife de combattre les ennemis qu'on avoit en face; & comment réfifter a ceux dont on alloit être attaqué par-derriere? Pendant que les foldats, tranfis de peur, fongeoient plutöt a fuir qu'a combattre, Alexis , qui s'efforgoit de les raffurer, envoye Rhodomer reconnoitre de prés cette troupe,qui jettoit tant de terreur. Rhodomer étoit un Bulgare, parentde 1'Impératrice, 6c diftingué par fa valeur. II revient au bout de quelques moments annoncant, d'auffi loin qu'il peut fe faire entendre, qu'il apporte une bonne nouvelle. C'étoit Nicéphore Méliffene qui, felon 1'ordre qu'il en avoit recu, amenoit a 1 Empereur un grand nombre de recrues. On les recoitavec joie ; le courage revient aux foldats ; ils fe croyent maintenantinvincibles; & 1'Empereur, qui tout-a-l'heure avoit peine a les empêcher de fuir, n'en a pas moins a contenir leur ardeur. Le lendemain, Alexis redefcend le long du fleuve pour fe rapprocher d'Enos, & rencontre dans fa marche un grand corps de PatzinaE iij Alexis. An. 1091.  Alexis. An, 1091. XLIII. Préparatifs de la derniere bataille contre le! Patzinaces. 108, HlSTOIRg ces égal en nombre a l'armée Grecque. II fe livre un fanglant combat, oü les Grecs demeurent vainqueurs. Les Barbares, après une grande perte , regagnent leur camp; & les Grecs paffe la nuit fur le champ de bataille. Au point du jour, 1'Empereur continue fa marche , & arrivé k un lieu nommé Lébune. C'étoit un tertre qui s'élevoit au milieu d'une plaine unie. L'Empereur y monta; mais comme ce tertre n'étoit pas afTez fpacieux pour contenir toute l'armée , il la fit camper au pied, &c 1'environna d'un fofTé. Le traitre Néanzès eut 1'aflurance de revenir encore en ce lieu fe readre a 1'Empereur avec plufieurs Patzinaces. Mais il ne trouva plus la même indulgence. Alexis, après lui avoir reproché fa perfidie, le fit mettre dans les fers avec ceux qui 1'accompagnoient. Cependant les Patzinaces , qui n'étoient pas éloignés, travailloient fecretement a corrompre les Comans, & a les détacher des Grecs. Ils tachoient même d'amufer 1'Empereur par des propofitions de paix. Quoiqu'Alexis pénétrat leur intention 3 il feignit de fe laiffer trom-  ou Bas-Empire. Liv. LXXXIL 163 per, & les amufoit lui-même par fes réponfes, pour les tenir en fufpens, •en attendant le fecours que le Pape Urbain Second lui envoyoit de Rome. Ce Pape entretenoit avec Alexis une correfpondance fecrete; & deux ans auparavant, il 1'avoit fait abfoudre par fes Légats, de 1'excommunication fulminéê contre les Grecs. Les Comans, loin d'écouter les Patzinaces , demandoient le combat avec ar>deur. Leurs chefs allerent fur le foir trouver 1'Empereur , & lui dirent qu'ils étoient las de tous ces délais, &c qu'ils vênoient s'en plaindre pour la derniere fois. Dernain, ajouterentils, au lever du foleil, nous mangerons la chair ou du loup ou de Fagneau. Alexis, les voyant ainfi déterminés k Combattre les Patzinaces ou les Grecs, leur promit la bataille pour le lendemain , & donna ordre k fes troupes de s'y préparer. Ce n'étoit pas fans inquiétude ; il craignoit prefque autant rinconlïance &l la mauvaife foi des Comans, que la multitude innombrable des Patzinaces. Pendant qu'il étoit ainfi agité, arriva un renfort qu'il n'attendoit pas. Cinq mille, Alexis. in, 1091.  Alexis. An. 1091, XL1V. Bataille » pour fa part plus de trente Patzi» naces. Si le fommeil furprend les » Grecs ,■ ( & pourront-ils s'en dé» fendre étant harraffés de fatigue ) » qui empêchera les Barbares de s'ai» der mutuellement k rompre leurs E vj Al.EXIS. An. 109Ï. XLV. Huraanité d'Alexis a. 1'égard des prifonniers.  Alexis. A.ïï, 10qx, Iö8 11 I S T O I R E » chaïnes & de nous égorger tous ? » La feule précaution qu'il y ait a » prendre pour afïurer notre vie, » c'eft de Poter k tous les prifon» niers". A ces mots FEmpereur fixant fur Synefe un regard d'indignation: Oui f répondit-il, ce font des barbares, des ennemis ; mais ce Jont des hommes & des malheureux. N'efl-cepas affe^ pour en .avoir compajjïon ? Je ne vois rien ici de plus barbare que toi. Comme Synefe repliquoit, FEmpereur en colere lui commanda de fortir. II fit en même-temps publier 1'ordre de défarmer les Patzinaces, de rafTembler toutes leurs armes dans le même lieu , &; de veiller avec foin a la garde des prifonniers. II fe jetta enfuite fur fon lit pour prendre quelque repos. Au milieu de la nuit, réveille par des hurlements affreux , il fort brufquement de fa tente. C'étoient les foldats Grecs, qui devenus comme forcenés de concert, maflacroient les Patzinaces. II n'en reftoit plus qu'un petit nombre, lorfque FEmpereur fit cefTer avec beaucoup de peine cet horrible acharnenaent, S'étant fait amener Synefe :  du BasEmpire. Liv. LXXXIL 109 C'eji toi , lui dit-il d'un ton terrible, ctfl toi qui efl C auteur de ce cruel mafJltcre. Tu vas payer de ton fang celui di tant de mij erables que tu as fait répandre malgré leur maitre & le tien. II alloit faire exécuter cette fentence, fi les principaux Officiers étant accounts n'euffent par les plus inftantes prieres fléchi fa colere, tandis que Synefe embraffant fes genoux, proteltoit avec ferment qu'il n'avoit aucune part k cette émeute foudaine. Les foldats eux-mêmes le juftifïoient, en criant que fi c étoit un crime, ils étoient feuls coupables. Cette même nuit les Comans effrayés du bruit affreux qu'ils entendoient du camp des Grecs , prirent les armes; & foupconnant quelque perfidie de la part de FEmpereur , ils partirent & prirent la route du Danube , emportant avec eux tout ee qu'üs avoient de butin. Quelquesuns moins précipités, inltruits de la caufe de ce tumulte, demeurerent, & s'allerent joindre a FEmpereur. Alexis , pour éloigner fon armee des vapeurs peftilentielles, qu'exhaloient tant de cadavres, alla camper prés Alexis. An. 1091, XLVÏ. Retraite les Comaas.  AlEXIS. An, 1091, 11a HlSTOIRB de Chérene. Arrivé dans ce campement : Nous avons vaincu , dit-il a Nicéphore Méliffene , mais nous na*vonspas vaincu feuls. Songeons d nous acquitterde nospromejfes. Auffi-töt s'étant fait apporter le butin, qu'il avoit promis tout entier aux Comans, quoique leur retraite femblat le dégager de fa parole, il mit a part ce qu'il réfervoit pour ceux d'entre eux qui étoient demeurés avec lui, & fit charger le refte fur des muiets pour le porter aux Comans en route versie Danube. Pour ceux qui étoient reftés avec lui, il les invita a fouper, les enivra comme il convenoit a des Barbares , tk le lendemain il leur diftribua leur part, y ajouta des préfents, exigea d'eux des ötages pour afliirance qu'ils ne feroient dans leur retour aucun pillage fur les terres de 1'Empire. Comme ils demandoient de leur cöté une certitude de füreté dans leur route, il les fit accompagner par Joannace , qui eut ordre de les défrayer jufqu'a leur arrivée dans leur pays. Après cesdifpofitions, il retourna a Conftantinople , oii il rentra* triomphant a la fin de Mai, ayant  Du Bas~Empire. Liv. LXXXII. ui terminé une guerre qui auroit achevé la ruine de 1'Empire, fi les Patzinaces euflent eu k leur tête un General tel qu'Alexis. Car il en eft des Empires comme des moindres families ; un feul homme fait la deftinée de ces diverfes portions de 1'humanité, qu'on appelle des Etats. Les prifonniers Patzinaces , qu'Alexis avoit fauvés du maffacre , furent établis avec leurs femmes &c leurs enfants dans ce canton de la Macédoine, qu'on nommoit la Moglene. On en compofa un corps de troupes qu'on nomma les Moglenites, & qui fervirent enfuite 1'Empire avec autant de fidélité, qu'ils avoient montré d'acharnement k le détruire. Une victoire fi complete fur une nation fi redoutable auroit comblé Alexis d'une gloire immortelle, s'il ne 1'eut déshonorée par les énormes vexations dont il tourmenta fon Empire. Tant d'efforts ruineux avoient tellement épuifé le tréfor du Prince, que pour le remplir, il eut recours a des moyens aufli funeftes aux peuples que la guerre la plus malheureufe. Le défordre de fes finances lui Alexis. An. 1091, XL VIT. Angmentationd'impóts. Zon. T, 11. p- 298. Glycas , P' 333.  AlEXIS. An, 1-091, na IIlSTOIRÉ fit fouler aux pieds toutes les loix de Fhumanité. II fit faire un nouveau eens de tous les biens de fes fujets; & non content des contributions ordinaires, non content d'avoir impofé de fecondes décimes, il imagina des impofitions nouvelles , dont le nom feul annoncoit 1'oppreffion. Des exadteurs avides Sc impitoyables ravagtoient les Provinces en exigeant des habitants ce qu'ils devoient fous ces noms odieux, & même ce qu'ils ne devoient pas. Ne craignant pas d'encourir 1'anathême qu'il avoit luimême prononcé par un édit, il faifoit enlever des Eglifes les ofFrandes les plus précieufes. Enfin, il emplóya la reffource la plus ruineufe, en altérant les monnoies. Quelques-uns de fes prédéceffeurs avoient déja porté ce coup mortel k 1'Etat; il enchérit fur eux ; il fit mêler dans les pieces d'or une moitié de cuivre. La dragme valoit fix oboles; il fit donner a 1'obole Pempreinte Sc la valeur de la dragme. Pour fournir a la monnoie de cuivre , qu'il faifoit battre, il fit fondre quantité de flatues Sc d'autres ouvrages publics de ce mé-  du Bas-Esipire. Liv. LXXXIL 113 tal. II exigeoit le payement des impöts en or au meilleur titre, Sc ne payoit lui-même qu'en monnoie altérée & de bas alloi. On a vu fur la fin de la guerre des Patzinaces une correfpondance affez étonnante entre le Pape Sc 1'Empereur Grec. II eft k propos d'en rendre raifon. Urbain, zélé pour la paix univerfelle de 1'Eglife , avoit envoyé dès 1'an 1088, peu de jours après fon élection , deux Légats k Conftantinople pour repréfenter a 1'Empereur , qu'il ne devoit pas défendre aux Latins de fes Etats 1'ufage des azymes dans le faint facrifice , ni les forcer de fe conformer au rit des Grecs. Alexis, plus traitable en fait de religion que de finance , avoit bien recu la remontrance du Pape; 8c par fa réponfe, il le prioit de fe tranfporter a Conftantinople avec des Théologiens, pour y tenir un Concile , oü 1'on difcuteroit entre les Grecs 6c les Latins la queftion des azymes. II promettoit de s'en tenir k la décifion qui y feroit formée pour la réunion des deux Eglifes. Ce projet d'une réconciliation fi défirable, fut Alexis. An. 1091,, XL VIII. Négociation du Pape avec Alexis. Malat. I. 4. c. 13. Fleury hij}. Eccltf. I. 63. art. 42. Abrégé »• pere ferme toute entrée aux foup» cons qu'on a taché de m'infpirer. » Mais j'ai voulu vous donner lieu » de difïïper tous les nuages dont » on obfcurcifïoit votre fidélité. La » promptitude de votre obéiffance en »■ efi une preuve évidente. Allez re» prendre a Dyrrachium vos droits >y & vos honneurs. Vous n'avez rien. ». perdu de ma confiance & de ma » tendrefTe. Et vous, mon frere, dit» il a Ifaac, retournez a Conftanti» nople, '& calmez les allarmes de » notre mere , qui ne furvivroit pas »• au déshonneur de voir un de fes »- enfants coupable de perfidie ". Avant que de quitter Philippopolis,. il découvrit encore une autre in-  bv Bas-Empire. Liv. LXXXII. 119 trigue, qui alloit a troubler fes arran- : gements domeftiques. Trébizonde , ville ancienne , fondée par une colonie de Sinope, fur la frontiere de la Colchide, n'avoit jufqu'alors été diftinguée des autres cités de la Province de Pont, que par fa fituatión avantageufe fur le Pont-Euxin, dans une prefqu'ifle environnée de montagnes. Ce ne fut que la quatrieme année du treizieme fiecle qu'elle devint capitale d'un nouvel Empire. Mais elle commencoit dès ce temps-ci k figurer entre les gouvernements les plus importants, par la ferme réfiftance qu'elle oppofoit aux armes des Turcs. Ils s'en étoient d'abord rendus maitres. Mais Théodore Gabras, né dans le voifinage de cette ville, 1'avoit reconquife. Alexis lui en avoit donné le gouvernement avec le titre de Duc, tant pour le récompenfer de ce fervice, que pour éloigner , fous cette apparence d'honneur, ce guerrier vaillant & habile, mais remuant & ambitieux. II voulut même 1'attacher k fa familie par les liens d'une alliance. Le Sébaftocrator fianca une de fes filles a Grégoire, fils de Théodore; & A.LEXIS. in. 1091,  Alexis. An, 1091. 120 • HlSTOIRE comme ils étoient tous deux enfants £ Alexis retint auprès de lui ce jeune Seigneur, en attendant que le mariage put s'accomplir. Théodore, étant retourné a Trébizonde, perdit fa femme , & époufa la fille d'un Prince Alain, coufine germaine d'Irene, femme du Sébaftocrator. Cette alliance, faifant naïtre entre les deux jeunes fiancés une nouvelle affinité, felon ks canons de 1'Eglife Grecque, rompit le projet du mariage, Cependant Alexis , pour garder un ötage de la fidélité de Théodore, ne lui renvoya pas fon fils. Théodore vint a Conftantinople le redemander a 1'Empe-' reur, qui le refufa. Le pere diflimula fon chagrin, prit congé d'Alexis , & obtint de lui la fatisfacfion d'être accompagné de fon fils pendant la première journée. Au moment de la féparation , il engagea les Gouverneurs du jeune Grégoire a confentir qu'il 1'accompagnat encore jufqu'a un certain lieu qui n'étoit pas éloigné; & ainfi de proche en proche , il les amena jufqu'a Pentrée du Bofphore dans le Pont-Euxin , oü il avoit un navire tout prêt a lever 1'ancre. La, fans  du Bas-ëmpike. Liv. LXXXII. iti fans dernander d'autre permilïïon, il tranfporte fon fils dans le navire, & laiffe fur le rivage les Gouverneurs, qui retournent fort confus a Conftantinople. Alexis fait auffi-töt partir un vaiffeaux léger , qui, ayant atteint Gabras au promontoire de Carambis en Paphlagonie , lui remet des lettres de 1'Empereur. Elles portoient un ordre exprès de renvoyer fon fils, fous peine d'être traité comme rebelle. II lui témoignoit d'ailleurs les intentions les plus favorables; il lui déclaroit que fon deffein étoit de marier Grégoire avec Marie, fa feconde fille. Théodore n'ofa défobéir, &C 1'Empereur tint parole. A peine Grégoire fut-il arrivé a la Cour, qu'on procéda a la célébration de fon mariage avec la jeune PrincefTe, qui n'avoit encore que fix ans. On mit le nouveau Prince entre les mains d'un Eunuque, pour achever fon éducation , & 1'Empereur prenoit lui-même foin de 1'initruire avec une affection paternelle, II le menoit avec lui dans 1'expédition de Dalmatie, pour le former aux opérations de la guerre. Mais Grégoire, d'un caraftere turTomt XVIII. F Alexjs. An, 1091  Alexis. An. 1091. LUI. Alexis ferme les pafiages aux Dalmates. Ann. Comn.l.y, 122 BlSTOIRE bulent & indocile , ne fongeoit qu'a s'enfuir pour retourner a fon pere. II gagna plufieurs Officiers du palais, qui promirent de le fervir dans ce deffein. Un d'entr'eux , plus fidele que les autres, alla déceler le complot k 1'Empereur. Alexis , qui, malgré les défauts de Grégoire, 1'aimoit tendrement comme fon gendre , n'en voulut d'abord rien croire; il fallut des preuves évidentes pour le perfuader. Enfin, ne pouvant plus en douter, il fit enfermer les complices dans des places de füreté, & laifla Grégoire a Philippopolis , pour y être gardé dans la citadelle. Ces deux affaires avoient arrêté 1'Empereur en cette ville plus longtemps qu'il ne s'y étoit attendu. II partit enfin pour mettre en füreté la frontiere de 1'Empire. Elle étoit bordée d'une chaine de montagnes efcarpées , hériffées de forêts & de roches, & entre-coupées de vallons couverts de halliers. C'étoient des remparts naturels d'une affez forte défenfe. II ne s'agiflbit que de boucher certains paflages. L'Empereur a pied , car le terrein étoit impraticable aux  Lü Bjs-Empire. Liv. LXXXII. 123 chevaux Sc aux voitures, vifita toute — cette liiiere. II ferma toutes les en- A trees par de larges foffés, par des tours Ab de bois, par des forterefles de briques ou de pierres, dans les lieux oü il lui parut a propos d'en élever. Cétoient ailleurs des abattis de grands arbres, dont les branches Sc les racines entrelacées formoient une haie impénétrable. II étoit lui-même k la tête des ouvriers , Sc conduifoit tous les ouvrages. Après ces travaux, plus fatiguants encore que la plus rude campagne, il retourna k Conftantinople, F ij Alexis. An, 1091 Ai An   125 SOMMAIRE d v LIVRE QUATRE-VINGT-TROISIEME. I. Gr verre contre Zachas. iv. Succes des Grecs. lil. Révoltes réprimées dxns les ifl.es de Crete & de Cypre. IV. Affaffinat de Zachas. v. Guerre de Dalmatie. VI. Mauvais deffeins de Diogene. vil. Premier attentat de Diogene. vm. llveut tuer Alexis de fa propre main. IX. Seconde tentative de Diogene. X. Diogene arrêté. XI. Découverte & punition des principaux complices. XII. Inquiétude univerfelle. XIII. AJfemblée générale. XIV. Amniflie accordée par FEmpereur. XV, Fin de la guerre de Dalmatie. XVI. Suite de la vie de Diogene. XVII. Nil hérétique. xvili. Un impofieuf qui fe dli fils diRomain Diogene, fouleve les Comans. XIX. Alexis fe prépare a leur réfijler. XX. Marche des Comans. XXI. Vaine tentative des Comans fur Anchiale. XXII. Siege (FAndrinople. XX.Hl. Prife du faux F iij  Il6 SOMMAIRE DU LlV. LXXXIir. Diogene. XXIV. Défaite des Comans. XXV. Les Comans fe retirent. XXVI. Travaux £ Alexis pour mettre en füreté Nicomédie. XXVII. Naijjance des Croifades. XXVIII. Pierre ÜHermite d Jérufalem, XXIX. Prédicationde Pierre. XXX. Conciles de Plaifance & de Clermont. XXXI. Succes du Concile de Clermont. XXXII. Sur la légitimité des Croifades. XXXIII. Départ de la première bande des Croifés* XXXIV. Voyage de. Pierre CHermite. XXXV. Défaite de Pierre d Niffe. XXXVI. Pierre devant Conflantinople. XXXvil» Brigandage des Croifés. XXXVIll. L'armée de Pierre défaite en Afie. xxxix, Croifade de Godefcalc. XL. Et dEmiion. XLI. Voyage de Gedefroi de Bouillon. XLII. Prifon de Hugues le Grand, XLIH, Hugues eflrendu d Godefroi. XLiv. Combats entre les Grecs & les Latins devant Conflantinople. XLV. Entrevue de Godefroi & dAlexis. XLVI. Godefroi paffe en Afie. XLVIl. Arrivée de RaouL XL VIII. Voyage de Bo 'émond. XLIX. Boëmond d Conflantinople. L. Hommage rendu par Boêmond. LI. Autres Princes. Lil. Voyage de Raimond, Comte de Touloufe. LUI. Raimond d Conflantinople. LIV. Tatice joint aux Croifés*  HISTOIRE D U BASEMPÏRE. L1VRE QUATRE-V1NGT-TR01S1EME. ALEXIS. LA guerre des Patzinaces étant terminée, Alexis tourna fes armes contre les Turcs. Les grands efforts qu'il avoit fallu faire en Thrace pendant les deux dernieres années, avoient fufpendu 1'expédition de Jean D ucas ; & Dalaffene , après s'être emparé de Chio, y avoit mis garniF iv 127 Alexis. An. 109a, L Guerre :omre Za:has. Anna "omn, l. h  Alexis. An. 1091, 128 HlSTOIRE fon, & étoit retourné a Conftantinople. Zachas profita de cette intervalle pour augmenter fes forces, faire conftruire des vaifTeaux, & porter le ravage dans les ifles de 1'Archipel. Fier de fes fuccès, il prit le titre de Roi, s'établit dans Smyrne comme dans la capitale de fes Etats, & ne ie promettoit rien moins que la cohquête de Conflantinople. Pour s'oppofer a fes projets ambitieux, &l rëcouvrer Smyrne & les autres lieux envahis par ce redoutable pirate, Alexis leva des troupes de terre & de mer. Jean Ducas, Commandant des troupes de terre, & fous fes ordres Conftantin Dalaffene, a la tête de la flotre , combinerent tellement leur marche &c leur navigation, qu'ils fe rendirent tous deux en même-temps a la hauteur de Lesbos, & pafferent enfemble a Mytilene. Galabaze, frere de Zachas, y commandoit. Zachas, apprenant que cette ville étoit affiégée, s'y tranfporta lui-même. Pendant trois mois, ce furent des attaques & des combats continuels. On fe battoit tous les jours depuis le matin jufqu'au foir; mais ce n'étoit que  du Bas-Empire. Liv. LXXXIH. 129 de légeres efcarmouches, & les deux partis fe retiroient toujours fans avantage décifif. Les Grecs , campés a 1'occident de la ville, fe rangeant en bataille au point du jour, avoient le foleil en face; Sc lorfqu'après midi cet aftre paffoit derrière eux; déja épuifés de fatigue Sc de chaleur, ils ne pöuvoient que fe défendre. Alexis , inftruit de cette inattention de fes Généraux, leur envoya ordre de ne commencer a combattre qu'après midi ; Sc dès le premier jour, les Turcs, aveuglés par le foleil ck par la pouffiere, qu'un vent d'occident leur portoit dans les yeux , furent entiérement défaits. Zachas demanda la paix, a condition feulement qu'on lui permettroit de retourner a Smyrne, & qu'on lui donneroit des ötages pour alTurance qu'il ne feroit pas inquiété dans le paffage. Jean y confentit fous une pareille condition; c'étoit qu'on lui mit entre les mains deux des principaux Officiers Turcs, pour camion de la parole que donnoit Zachas dé quitter Mytilene , fans faire aucun tort aux habitants, Si fans en emmeF v Alexis. An. 1091. n. Succes desGrecs.  Alexis. Ab. 1092. 130 HISTOIS.E ner aucun a Smj/Tne. Ces conven* tions confirmées par ferment, furent aufli-töt violées par le pirate r qui» au fortïr de Mytilene , enleva tout ce qu'il put d'habitants avec leurs enfants & leurs femmes. II étoit a peine hors du port avec quelques-uns de fes vaiffeaux, que, pour le punir de cette perfidie, Dalaffene le pourfuivit avec toute fa flotte, Pattaqua vivement, & lui enleva plufieurs navires dont on maffacra 1'équipage» Zachas auroit été pris lui-même, s'il ne fe fut fauvé dans une chalouppe, déguifé en matelot. On ne daigna pasIe pourfuivre. II aborda au pied d'un promontoire, oü il fut accueilli par une efcorte de Turcs, qu'il avoit mandés pour 1'y attendre, en cas de malfeeur. Ils le conduifirent a Smyrne. Le refte de fa flotte , qui appareilloit pour le fuivre, fut arrêté par Jean Ducas; il fe faifit des vaiffeaux, & mit en liberté les habitants que Zachas avoit enlevés & chargés de fers» II laiffa garnifon dans Mytilene, renvoya Dalaffene, & retint une partie de la flotte, avec laquelle il reprit Samos & beaucoup d'autres ifles dont  du Bas-Empire. Liv. LXXXIII. 131 Zachas s'étoit emparé. Après cette heureufe expédition, il retourna a Conftantinople. II n'y fut pas long-temps fans être obligé de fe remettre en mer. Deux Crétois, nommés 1'un Carycas, 1'autre Rhapfomate, avoient foulevé, le premier, une partie de 1'ifle de Crete; 1'autre, 1'ifle de Cypre toute entiere. Jean Ducas prit la route de 1'ifle de Crete. II apprit a Carpathe que les Crétois fideles avoient eux-mêmes attaqué & maflacré le rebelle avec tous fes partifans. II trouva 1'ifle entiérement foumife; &z après y avoir établi quelques troupes, il fit voile vers 1'ifle de Cypre. En arrivant, il prit Cérines. Rhapfomate, qui n'avoit nul ufage de la guerre, au-lieu de tomber fur les Grecs au moment du débarquement, leur laifla tout le temps de faire les difpofitions néceffaires pour le battre. II étoit campé a Leucofie; apprenant la prife de Cérines , il s'en approcha, & vint camper fur une éminence voifine. Butumite lui débaucha d'abord grand nombre de foldats. Le lendemain, le rebelle fe rangea en bataille; & tandis F vj Alexis. An. 1092. ra. Révoltes réprimées lans les if!esdeCre:e & de Cypre. Ann. Comn. L h Zon. T. U.p. 298. Glycas, p. i33«  Alexis. An. 109 ï. 132 HlSTOIRE qu'il defcendoit a petits pas pour joindre 1'ennemi, un corps de cent cavaliers des liensprenant les devants, & courant k toute bride, comme pour attaquer l'armée Grecque, tourne vifage tout-a-coup ; & préfentant aux Cypriots la pointe de leurs lances, Va fe ranger fous les enfeignes de Ducas. II n'en fallut pas davantage pour épouvanter Rhapfomate. II fuit vers Némefe, ou il eïpéroit trouver un vaifleau pour fe fauver en Syrië. Mais ferré de prés par Butumite, il gagne une montagne fur laquelle étoit batie une Eglife célebre de la Sainte-Croix , & fe réfugié dans cet afyle. Butumite 1'y pourfuit; & lui promettant füreté, il 1'engage k venir fe rendre a Ducas. On marche enfuite k Leucolie ; on réduit 1'ifle entiere; & après s'en être afliiré par la diftribution des troupes néceffaires dans les différents poftes, on amene k Conftantinople Rhapfomate, & les autres chefs des rebelles. L'Empereur, informé que cette révolte avoit pour caufe les vexations injuftes des collecteurs des deniers publiés , envoya un Intendant équitable  du Eas-Empire. Liv. LXXXIIL 133 &c défintéreffé , nommé Caliipare , avec un plein-pouvoir de régler les contributions, II chargea Philocale Eumathius du commandement des troupes de terre & de mer qui' devoient refter dans 1'ifle. II n'étoit pas fi aifé a 1'Empereur de fe défaire de Zachas. Ce pirate, devenu Roi par fa propre 'création , faifoit conftruire, équiper, armer k Smyrne des vaiffeaux de toute grandeur, & fe préparoit a foutenir fon nouveau titre par de nouvelles conquêtes. Alexis lui oppofa encore Dalaffene , qu'il fit partir avec toute fa flotte. Mais pour le détruire plus fürement, il lui fufcita un nouvel ennemi. Zachas avoit acquis une telle confidération , que Soliman , Sultan de Nicée , avoit époufé fa fille. Alexis écrivit au Sultan une lettre infinuante & flatteufe, dans laquelle après des proteftations de la plus haute eftime, & de 1'amitié la plus fincere, il lui infpiroit de violents foupcons contre fon beau-pere. C'étoit feulement, difoit-il, pour voiler fis perfides dejfeins , que Zachas feignoit den vouloir d 1'Empire. Une lelie mtreprife étoit autant au- jAlexis. An. 1091. An. 1093. IV. Affaffinat de Zachas.  Alexis. An, 1093. .134 HlSTOIRE deffus de fes forces, que de fa naiffance. Mais après avoir endormi fon gendre par de fauffes démonflrations, il efpéroit Faccabler. II lui repréfentoit, qu'il n'y avoit point de temps d perdre, s'il vouloit conferver fa puiffance & même fk vie : que FEmpereur ne craignoit rien pour lui-même; mais que Fintérét commun, quijloit lier enfemble tous les Princes, & fon affeclion particuliere pour le Sultan lui donnoient beaucoup cFinquiétude : qu'il lui offroit tout 'ce qu'il avoit de reffources ,foit dans la prudence, foit dans la force des armes. Tandis que 1'Empereur employoit 1'artifice pour irriter Soliman contre Zachas , celui-ci, en attendant que toute fa flotte fut en état de mettre a la voile, alla par terre afliéger Abyde. Dalaffene accourut avec fes vaiffeaux au fecours de cette place importante. Au bout de quelques jours, il fut aufli fupris que Zachas de voir arriver par terre le Sultan de Nicée a la tête d'une armée. II n'avoit fallu que la lettre de FEmpereur pour erabrafer cet efprit bouillant & précipité. II avoit fur le champ pris les armes, 8c venoit pour écrafer fon  du Bas-Empire. Liv. LXXXIII. 135 beau-pere. En arrivant, il lui fit fignifier qu'il eut a lever le fiege. Zachas, enfermé entre deux ennemis , ne balanca pas de fe jetter entre les bras de fon gendre. II ignoroit k quel point Alexis 1'avoit envenimé contre lui. Soliman le reeoit avec une amitié apparente. II 1'invite k fouper, le fait boire largement; & 1'ayant enivré, il lui plonge un poignard dans le fein. II traite enfuite avec 1'Empereur. On convient de la paix; &C cet horrible afTaffinat, fruit malheureux de la fourberie d'Alexis, rendit la tranquiliité a la cöte maritime ; mais dut laiffer dans le cceur des deux Princes, des remords plus cruels que tous les maux de la guerre. Rien ne prouve mieux quelle étoit alors la foibleffe de 1'Empire , que la hardieffe avec laquelle les plus petits Princes ofoient 1'attaquer. Bodin, Roi de Servië & de Dalmatie, s'étant rendu maitre de la partie méridionale de la Servië, qu'on nommoit dès-lors Rafcie, 1'avoit divifée en deux Gouvernements nommés Jupanus, qu'il avoit cédés en toute propriété a deux Seigneurs, Bolcan, §C Mare ou Mau» Alexis. An. 1093, V. Guerre de Dalmatie. Ann. Comn. I* 9- Du Cangt fam. Dalmat, p, 281.  Alexis. An, 1093, I36 HlSTOlRE re, ne fe réfervant que Fhommage. Bolcan , Seigneur d'une contrée peu étendue , mais très-peuplée, devint, par fon audace & par fon caradfere guerrier, un voifin redoutable. II fit des courfes fur toute la frontiere, prit & brüla Lipenium, petite ville^ fituée au pied de la chaine de montagnes qui féparoient le domaine des Grecs d'avec la Dalmatie. II ne paroït pas que Bodin, Seigneur fuzerain du pays, ait pris aucune part a cette guerre; il laiffa fon vaflal lutter tout feul contre les forces de 1'Empire. Alexis marche en perfonne contre ce barbare, qui prend d'abord Fépouvante , & fe retire a Sphenzane fur les montagnes. L'Empereur le pourfuit; mais Bolcan, pour 1'arrêter, lui envoye demander la paix : les Officiers Grecs, qui commandoient fur la frontiere, étoient, difoit-il, les aggreffeurs, ayant fait plufieurs incurfions fur fes terres. II promettoit de fe tenir déformais tranquille dans fes Etats, & de donner en ötage les plus diftingués de fa familie. L'Empereur fe contenta de fes excufes; & laiffant quelques troupes  nu Bas-Empi&e. Liv. LXXXIll. 137 pour rétablir les places détruites, & recevoir les ötages , il reprit la route de Conftantinople. Mais dès que Bolcan le vit éloigné, il ne fongea plus qu'a éluder fa promeffe, remettant de jour en jour la délivrance des ötages ; & bientöt il rentra fur les terres de 1'Empire avec une armee. Alexis, après lui avoir écrit plufieurs fois pour le fommer de fa parole , le voyant obftiné dans fon refus, envoya contre lui un grand corps de troupes, fous le commandement de fon neveu Jean, fils du Sébaftocrator. Ce jeune Général plein d'ardeur, mais fans expérience, arrivé a Lipenium, paffe le fleuve qui couloit ai pied de la montagne, & va campei prés de Sphenzane, oü étoit Bolcan Le rufé barbare, voyant qu'il avoi' affaire a un jeune homme facile \ tromper, 1'amufe par des propofition: nouvelles; & tandis- que Jean s'occupoit de cette négociation illufoire Bolcan fort du camp fur le foir, & marche au camp des Grecs. Un Her mite, témoin de ce mouvement prend les devants, & court averti: le Général. Jean fe moque de ce Alexis. An. 1093. t  138 H i s 7 o i r e avis. 8c renvove 1'Hpi-mitp av^r mé- Alexis. An. 1093. VI. Mauvais defleins deDioge- : ne. Ann. Comn. 1.9. ' Zon.T.u. toutes les troupes, & sarrête aDa- pnnuce, a deux ueues de Lonitan- p pris. Mais la nuit fuivante, Bolcan tombe fur le camp des Grecs, qui ne s'y attendoient pas. La plupart font égorgés dans leurs tentes; quelquesuns fuyant au milieu des ténebres, fans connoitre le pays, fe précipitent dans le fleuve, ik périffent dans les eaux. Les plus braves fe raflemblent autour de la tente du Général, & le fauvent des mains des ennemis. Bolcan , vainqueur, regagne Sphenzane. Jean , avec le peu de foldats qui reftent, repafle le fleuve, va camper a. une demi-lieue de Lipenium; & fe voyant hors d'état de défendre le pays, retourne k Conftantinople. Bol:an , maitre de la campagne, pille , rnile, détruit les environs de Scuaes, porte encore plus loin le ravage, & ne quitte ce pays qu'après in avoir fait un défert. Alexis, indigné de voir un fi petit 3rince fe jouer & de fes propres en^agements 6c des forces de 1'Empi•e , réfolut d'aller encore en perfonie chatier fon infolence. II part avec  i du Bas-Empire. Lh. LXXXIII. 139 tinople ,poury attendre les Seigneurs de fa Cour, qui n'avoient pu le fuivre. Nicéphore Diogene s'y rend le lendemain. Ce jeune Seigneur, Hl: de FEmpereur, Romain Diogene, & d'Eudocie, frere utérin de Michel Parapinace , décoré du titre d'Augufh du vivant de fon pere, fe voyoit ave< chagrin réduit a. une condition pri vée. Son frere Léon, d'un cara&en : plus doux & plus reconnoifTant de: bons traitements qu'il recevoit d'A 1 lexis, étoit mort dans la guerre con ! tre les Patzinaces. Mais Nicéphore naturellement fombre & dévoré d'am | bition, quoiqu'il fut comblé de fa 1 veurs par Alexis , ne pouvoit lui par donner de s'affeoir fur un tröne oi i il avoit vu fon pere. II brüloit di defir d'y monter lui-même ; & de : puis long-temps il pratiquoit four ) dement les perfonnes les plus diftir ; guées dans\ les différents ordres d 1'Etat. II avoit tous les talents né cefTaires pour réuffir dans fes pro j jets. Plein d'efprit , careffant, mai ) 'fans baffefTe, modefte , mais fachar fe relever a propos , il s'étoit fa: grand nombre de créatures. II s'éto: Alexis. An. 1093. I I l e s t t t  Alexis. An, 1093, i VII. Premier attentat de Dioge- 1 140 HlSTOIRE lié d'une étroite amitié avec Michel Taronite. Ce beau-frere de 1'Empereur , honoré de la qualité de Panhyperfébafte , quoiqu'attaché par les liens les plus forts aux intéréts de la familie Impériale, fe laiffa tellement embrafer par une forte de frénéfie, qu'il facrifia tout a la fortune de fon ami. Nicéphore, pour mettre le peuple dans fon parti, n'eut befoin ni d'intrigue, ni de dépenfes. Les qualités que lui avoit données la nature , lui gagnoient tous les cceurs. Une taille avantageufe, une phyfionomie pleine de force & de vigueur, un grand courage, une adreffe merveilleufe dans tous les exercices, un air affable & populaire, le rendoient i'idole de la multitude. A ces fentiments fejoignoitla compaffion qu'ex:itoit i'injufre cruauté exercée fur fon :>ere. On 1'admiroit avec attendrifS'ement, & nul ne fembloit être plus Jigne de la couronne. II s'en croyoit ui-même plus digne qu'Alexis , & 1 réfolut de lui öter la vie. II fut violemment foupconné d'êre 1'auteur d'un premier attentat conre Alexis au milieu de Conftantino-  nu Bas-Empire. Liv. LXXXIIL 1-41 ple. Un Barbare, fous 1'habit de men. diant, trouva moyen de pénétrer jufqu'a 1'Empereur, tandis qu'il s'exercoit dans le manege du grand palais. Comme le Prince s'arrêtoit pour lui donner quelque aumöné, ce miférable voulut tirer du fourreau un poignard qu'il tenoit caché fous fes haillons : mais ne pouvant en venir a bout, malgré fes effbrts, frappé de 1'idée de fon crime, 8c perfuadé que le Ciel même en arrêtoit 1'exécution, il fe prolïerne aux pieds de 1'Empereur en demandant pardon a grands cris. Et que vtux-tu que je tepardonne ? lui dit Alexis : alors montrant le poignard dans Ie fourreau, 8c fe frappant la poitrine, il déclara le deffein qu'il avoit formé, mais fans accufer perfonne. On accourut en foule, 8c on alloit le mettre en pieces, fi 1'Empereur , qui ne perdit rien de fon fang froid, n'eüt défendu de lui toucher. II porta plus loin la clémence ; il ne voulut pas même qu'on le mit a Ia queftion, pour découvrir s'il avoit des complices. Non content de lui faire grace , il lui donna des marqués de fa libéralité ;> 8c malgré les, Alexis. An. 1093  Alexis. An, 1093, VIII. II veut siier Ale' sis de f; propre main. 14a HlSTOIRE repréfentations de fes amis, il le laifïa vivre k Conftantinople, difant que la main de Dieu qui couvre les Princes, efl pour eux la feule garde ajfurée. Cet événement faifant naïtre des foupcons, il rejettoit avec colere ceux qu'on vouloit lui infpirer , & ne permettoit pas de porter la moindre atteinte a la réputation de Diogene. Cette bonté du Prince ne juftifia pas Diogene. Bien des gens demeu1 rerent perfuadés qu'il avoit fuborné ce barbare, & la fuite ne prouva que trop qu'ils ne fe trompoient pas. Mais après ce coup manqué, Diogene réfolut de ne s'en fier a perfonne, & de n'employer que fa propre main. Rempli de ce noir deffein, lorfqu'il fut arrivé a Daphnuce , il s'étudia d'abord a faire fa cour k 1'Empereur avec plus d'empreffement que jamais; & comme par un excès d'attachement a la perfonne du Prince, il fit placer fa tente, non pas a la diftance ordinaire , mais le plus prés qu'il put de celle d'Alexis. Manuel Philocale, qui fe défioit déja de Nicéphore , ayant remarqué cette afFectation ? communiqua fes foupcons A  du Bjs-Empire. Liv. LXXXIII. 143 1'Empereur, & lui demanda la permiffion d'obliger Nicéphore a changer de pofition. Garde^-vous d'en rien faire, lui répondit Alexis; s'il efl innocent , nous lui ferions injure; s'il ejl coupable , nous lui fournirions un prétexte & une excufe. Philocale fe retira en plaignant 1'Empereur de fon indirTérence pour fa propre confervation. En effet, Alexis, très-vigilant fur tout le refte, ne négligeoit que la füreté de fa perfonne ; & quoiqu'il eüt fait des mécontents, il vivoit avec tant de confiance , que fouvent il étoit fans gardes, & que la nuit même pendant fon fommeil, fon appartement ou fa tente refloient ouverts , fans aucune fentinelle a la porte. Au milieu de la nuit, Diogene, armé d'un poignard fous fa robe, entre fans bruit dans la tente ou dormoient 1'Empereur & 1'Impératrice, qui accompagnoit fon mari dans cette expédition. II approche du lit , & voit a cöté une des femmes de la Princeffe occupée a écarter les moucherons dont ce lieu étoit rempli. II fe retire en tremblant, craignant d'avoir été reconnu, II 1'avoit été en ef- Alexis. An, 1093.  Alexis. An. 1093, IX, Seconde tentative de Diogene, 144 HlSTOIRE fet; & dès que 1'Empereur fut éveillé, cette femme ne manqua pas de 1'en inftruire. Alexis ne fit pas femblant d'en rien favoir. II continua fa marche le lendemain , & traita Nicéphore comme il avoit coutume, fe tenant fur fes gardes, fans lui donner aucun foupcon. Comme il approchoit de Serres , Conftantin Ducas, fils de Parapinace , jeune Prince d'un caradtere doux & tranquille , qui voyoit fans regret fur la tête d'Alexis la couronne qu'avoit portée fon pere, pria 1'Empereur de s'arrêter dans une maifon de campagne qu'il avoit au voifinage. C'étoit un féjour charmant, embelii par des eaux falutaires, .& dont les batiments étoient aflez fpacieux pour loger commodément toute la Cour. Alexis y pafla la nuit; & le lendemain comme il fe préparoit k partir, Conftantin , qui avoit fait d'abondantes provifions pour traiter le Prince avec magnificence, le pria de prendre quelque temps pour fe délafler du voyage, & profiter de la falubrité des eaux. Alexis lui accorda encore un jour. Cependant Nicéphore, tou- jours  du Hjs-Eaipire. Liv. LXXXTIL 145 jours occupé de fon proiet criminel, crut avoir trouvé ï'occafion de J'exécuter. Pendant que 1'Empereur fortoit du bain, il fe préfente tout armé , comme revenant de la chafle. Tatice le repoufte avec quelques paroles, qui lui firent connoïtre que fon attentat étoit découvert. II réfoïut donc de fe mettre en fureté. Alexis partit le troifieme jour; & par confidération pour la jeunefTe de Conftantin qu'il aimoit tendrement, & pour fa mere Marie qu'il traita toujours avec beaucoup de refpect, il le difpenfa de le fuivre dans cette expédition qui devoit être plus pénible que glorieufe. A fon départ, il lui fit préfent cPun beau cheval , trèsvïte a Ia courfe. Diogene, qui fongeoit korendre Ia' fuite, pria inftamment Conftantin de lui céder ce cheval; ce que le Prin-a ce refula, en dilant, qu'il ne pouvoit fans manquer au refpect dü aleur comsnun maitre, fe défaire d'un préfent qu'il venoit d'en recevoir. L'Empereur alla camper a Serres, & fe logea dans Ia ville. Diogene le fuivit tou jours inquiet, toujours partagé entre le 3e- Tornt XV11L G AtExrs. In. 109$ X. Diogene rrété.  Alexis. kn, 1093. 146 H I S T O I R E fir de faire fon coup, 5c 1'envie de s'échapper; ce qu'il différok d'heure en heure. Alexis voulant enfin fe délivrer des précautions qu'il lui falloit prendre fans ceffe , s'adreffa a fon frere Adrien ; il 1'inflruifit des defféins de Diogene, 8c des tentatives que ce perfide avoit déja fakes pour Paffafïiner. II lui déclara que, malgré une fi noire ingratitude, il aimoit encore afTez ce malheureux pour vouloir le fauver. II le pria de lui parler, & de 1'engager par douceur a faire 1'aveu de Ion crime9 ck a révéler fes complices ;: qu'il pouvoit en ce cas lui promettre 1'impunité , 8c lui donner parole que TEmpereur ne conferveroit contre lui aucun refTentiment. La commifTion étoit facheufe pour Adrien , qui aimoit aufïi Diogene, dont il avoit époufé la foeur de mere. II Faccepta toiitefois par tendrefTe pour fon frere. Mais fon zele fut fans fuccès. Ni promeffes, ni menaces ne purent tirer de Diogene aucun éclairciffement. En vain il le conjura avec larmes de fauver fa propre vie ; ce qu'il ne pouvoit faire que par un aveu fincere, Rien ne put ainollk ce coeur  ma Bjs Empirz. Liv. LXXXIII. 147 intraitable ; Sc Adrien rendit compte a 1'Empereur de fon invincible opiniatreté. Alexis chargea Muzacès de s'affurerde la perfonne de Diogene, Sc de le retenir fous bonne garde. Muzacès fit plus que 1'Empereur ne lui avoit ordonné. Après avoir exhorté Diogene a révéler le fecret du complot , comme il n'en tiroit que des injures, outré de colere, il le mit a Ia torture fans 1'ordre & même contre 1'intention de 1'Empereur, 8c il le forca par les-tourments a rompre Ie filence. Diogene avoua fon projet 8c fes complices. On recut par écrit fes déclarations. Quand on fut qu'il commencoit k parler, tous ceux qui étoient initruits de quelque circonftance , envoyerent leurs dépofitions. Muzacès mit toutes ces pieces entre les mains de 1'Empereur, qui voyant dans la lifïe des conjurés les noms les plus illuftres, palit a 1'afpeét du danger qu'il avoit couru, 6c dont il n'étoit pas encore délivré. Les deux Chefs étoient Diogene Sc Catacalon furnommé Ambufte, brave guerrier , qui avoit commandé fous Alexis, dans la célébre bataille G ij Alexis. An. 1093. XI. Découverte & punition des principauxcomplices.  Alexis. An. 1093. Xlï. ïnquiêtudeuni verfelle. 148 Hl.STOIRE de Calabrya. Mais ee qui lui percoit le coeur d'un coup encore plus fenlible, c'étoit de voir entre les conjurés Michel Taronite , mari de fa foeur ainée , & 1'Impératrice Marie qu'il avoit toujours honorée, & dont il chériffoit le fils Conftantin Ducas. Les conjurés méritoient la mort; Diogene fur-tout, & Catacalon ne devoient s'attendre qu'aux fupplkes les plus rigoureux ; on penfoit que ce ieroit les traiter avec clémence, que de ne les punir que d'aveuglement. Celle d'Alexis alla plus loin ; il fe eontenta de les condamneraune prifon perpétuelle dans Céfarople, qu'on croit être 1'ancienne Amphipolis. Michel Taronite fut exilé avec confifcation des fes biens. Quant a 1'Impératrice Marie , Alexis affecta d'ignorer qu'elle eut trempé dans le complot. II rejetta toute accufation, toute information contr'elle, & continua de lui rendre les mêmes honneurs, & de lui donner les mêmes marqués de bienveillance. Tout trembloit dans le camp & dans la ville de Serres. Les complices attendoient avee crainte la déci-  du BaS'Empire. Liv. LXXXIIL 149 {ion de 1'Empereur. Ceux qui n'avoient pas eu de part a la conjuration n'étoient pas moins allarmés. Ils redoutoient les funeftes efFets du défefpoir. L'Empereur lui-même voyoit un danger égal dans 1'impunité de tant d'ennemis que les bienfaits ne favoient pas défarmer, &i dans la condamnation de tant de coupables, que leur nombre & leur force pourroient fouftraire a la punition. Et quand il ne trouveroit aucune réfiftance , pourroit-il fe réfoudre a répandre tant de fang illuftre, &z k dépouiller 1'Etat de toute fa fleur en lui enlevant ce qu'il avoit de plus difïingué dans tous les ordres. Au milieu de cette perpléxité, il fe détermina pour le parti le plus conforme k fon inclination naturelle. II fit publier^ dans le camp & par toute la ville un ordre a tous les Officiers du palais &c des troupes , a tous les Sénateurs & les Magiftrats qui fe trouvoient a la fuite de l'armée , de fe rendre Ie lendemain au point du jour fans armes dans une grande falie , qu'on appelloit le palais. Les conjurés fe trouvoient compris dans cette convocation. II prit Alexis. An, 1095,  Alexis. An, 1093 XIH. Affembléegéné'rale. *5° H I S T O 1 R E toutes les mefures de la prudence pour prévenirles émeutes & les défordres , que 1'agitation des. efprits pourroit caufer pendant la nuit fuivante. Elle fe paffa eii inquiétudes. Les parents & les amis d'Alexis, qur blamoient 1'excès de fa clémence, craignant que les conjurés ne fe por-taffent a quelque violence, firent courir le bruit qu'on avoit crevé les yeux a Diogene. Leur deffein étoit de décourager fes partifans, en leur faifant entendre que leurs efforts en fa faveur feroient inutiles, puifqu'il n'étoit plus en é.tat de régner. Dès que le jour parut, les-foldats de la garde fe rendirent les premiers au lieu de Paffemblée, les uns 1'épée a la main > les autres armés de leurs piqués , les Varangues portant fur 1'épaule leur hache d'armes. Ils fe rangerent en demi-cerle autour du tröne Impérial , la colere dans les yeux , tout prêts a fervir celle du Prince avec une meurtriere obéifTance. A cöté du tröne, a droite & k gauche, fe placerent les Seigneurs &z tous ceux qui tenoient a l'Empereur , foit par le fang, foit par alliance, La  ï>u Bas-Empire. LhrZXXXUI. i$i garde derrière eux formöit une épaiffe lifiere, hérifféed'armes, qui fe prolongeoit jufqu'aux portes de la falie. L'Empereur , en habit militaire, vint s'afTeoir fous un dais enrichi d'or. Son vifage enflatrtmé , fes regards fixes , fon air fombre & penfif montroient afléz les foucis divers dont fon ame étoit combattue. Le Prince & fon cortege étoient entrés par une ouverture intérieure. La falie étoit encórefermée. Dans le veftibule rempli d'une foule preffée régnoit un morne filence, interrompufeulement par des foupirs. La paleur répandue fur tous les vifages, les regards attachés fur les portes annoncoient dans les uns les remords, dans les autresla crainte d'être foupconnés. Enfin, les portes s'ouvrirent; & 1'afpedT: du Prince , le terrible cortege dont il étoit environné, tout 1'appareil de 1'indignation Impériale glacerent tellement les coeurs, que cette multitude, comme fi elle eut été chargée de chaïnes, n'entra qu'en tremblant, a la file les uns des autres, jettant autour d'eux des regards inquiets , ainfi que des criminels, qu'on amene devant leurs G iv Alexis. in, 1C93'.  Alexis. An. 1093. XIV. Amniftie accordée par l'Empereur, Ï5£ H I S T 0 I R B juges , & qui croyent déja voir Fepée fufpendue fur leurs têtes. Lorfqu'ils furent afTemblés entre les deux haies de gens armés, debout , en ülence, les yeuxfixés fur le tröne, d'oü ils croyoient vair partir des éclairs, l'Empereur, élevant la voix,, leur paria en ces termes : » Je vous » prends tous a témoins de ma con» duite a 1'égard de Nicéphore Dio» gene. Je n'examine point ici par » quels degrés fon pere monta fur le »tröne; je n'eus point de part a la » difgrace qui 1'en fit defcendre. Je ►>ne me fuis fait connoitre a cette !> familie que par des bienfaits. Lorf-» que le fouverain Arbitre des Em» pires m'eut donné la couronne, * je ne me contentai pas de mainte»nir Nicéphore &c fon frere Léoa » dans le même degré d'honneur; ils »trouverent en moi la tendrefTe d un •> pere; je ne les diftinguai pas de mes •>propres enfants. Combien de fois » ai-je furpris Nicéphore tout prêt a •> m'öter la vie } Je lui ai autant de » fois pardonné. Quoiqu'une funefte •> expérience m'èüt appris que mort * indulgence ne le corrigeoit pasie  du Bds-EMPikE, Liv. LXXXIII. 153 tins fes forfaits cachés au fond de » mon coeur , pour lui épargner 1'in» dignation publique. Tant de patien» ce n'a pu 1'adoucir. Pour me récom» penfer de lui avoir tant de fois laif» fé la vie, il n'a cefTé d'attenter k » la mienne. C'eft en vous rendant » complices de fon parricide, qu'il a » voulu mériter d'être votre Empe» reur ". A ces mots toute raffemblée s'écrie : Vivz Alexis; que Dieu nous conferve Alexis ; nous ne voulons qu'Alexis pour Empereur. » Ceffez, re» prit l'Empereur, de m'interrompre » par vos cris. Ecoutez la fentence «que je vais prononcer. J'ai puni » ceux dont le plus grand crime a mes » yeux eft de vous avoir rendu couwpables; & k leur jugement même » leur punition eft une grace. Je par»donne a tous les autres. Qu'ils né » craignent de ma part aucun reflen» timent. Je leur rends de bon coeur » toute la tendrefTe qu'un Prince doit » k fes fujets; qu'ils me rendent Tat»tachement & 1'amour que des fü'»jets doivent a leur Prince ". Ces parolês furent fuivies d'une acclamation générale. On combloit le Prince G v Alexis. An. 1093»  Alexis. An. 1093. ] 1 154 H 1 S T 0 1 R E de bénédi&ions. On ne trouvoit par d'expreffions aflez fortes pour exalter fa bonté, fa clémence, la générofité de fon ame. Ceux que leur. propre confcience avoit déja condamnés, fe profternoient a fes pieds , pleurant deregrets &.de joie, s'accufant euxmêmes; &.par une conjuration nouvelle , proteftant avec ferment qu'ils donneroient leur fang pour un Prin:.e auquel ils étoient redevables de la vie. Tous fortirent.de 1'afTemblée, baignés de Iarmes, s'embralTant les ins les autres, faifant retentir la ville ies éloges d'Alexis; & ce jour ,qui devoit être funefte, fut. le plus ferein §£ le plus brHlant de fon regne. Cependant le zele barbare de certains :ourtifans. y. mêla quelque nuage. rrouvant de 1'excès dans la douceur du Prince, ils envoyerent a Céfarople crê.ver les yeux a Diogene & è Catacalon.. On foupcemna qu'ils ay.oient fecretement obtenu de l'Empereur la permifïion de leur faire ce traitement; &C il y a quelque appacence qu'ils n'auroient. ofé prendre fur eux cette exécution cruelle, ou que le Prince en auroit témoigné du  bo Bas-Empire. Lh. LXXXIII. 155 reflentiment ; ce qu'il ne fit pas. Alexis, après avoir par fa clémente tiré fa gloire du péril qui menacoit fa couronne & fa vie, continua fa route vers la Dalmatie. Lorfqu'il fut arrivé a Lipenium, la feule vue de l'armée Grecque fit perdre k Bolcan toute efpérance. II envoya demander la paix, promettant de remettre au plutót les ötages, tk. de ne plus faire aucune entreprife contre 1'Empire. Alexis, las de combattre des Chrétiens, recut avec joie ces propofitions. Bolcan vint lui-même avec confiance, aceompagné des principaux Seigneurs. II cönfigna de bonne foi les ötages au nombre de vingtdeux, entre lefquels étoient Ourefe & Etienne Bolcan , fes proches parents. On termina par un traité de paix une querelle qui pouvoit couter beaucoup de fang.- De retour k Conftantinople, Alexis y fit venir Diogene, qu'il aimoit encore malgré fes forfaits. On le vit plufieurs fois s'attendrir fur fon état, & donner des larmes a fes malheurs, II lui fit rendre une partie de fes biens: c'étoit une foible confolatiofi G vj Alexis. An. 1093, XV. Fin de Ia guerre de Dalmatie, XVI. Suite de la vie de Diogene.  Alexts. An. 1093. H P S T O I K Z pour 1'ambitïeux Diogene. Plongé dan3 la mélancolie, il'vivoit k la campagne; & comme il étoit homme d'efprit r il charmoit fes ennuis par 1'étude des anciens, dont il fe faifoit lire les ouvrages. II parcourut même tout le cercle des connoiffances humaines, & fit de grands progrès en Géométrie, a Paide des figures de relief, qu'un habile Géometre lui compofoit dans la plus exacte précilion,'. Anne Comnene, qui avoit auffi étudié cette fcience,. témoigne 1'avoir plufieurs fois entendu réfoudre les problêmes les plus difficiles. Mais il ne fut tirer des fciences ni des lettres le fruit le plus falutaire qifelles foient capables de produire.. Ce ne font en effet que des remedes doux, qui guériflént Les défauts plutöt que les viees, & qui n'agifTent guere que fur les maladies médiocres. Les aiguilJbns de 1'ambition , qui étoient reftés. dans fon coeur après le renverfement de fes projets, vinrent troubler fes études. Auffi aveugle d'efprit que de corps, il eut la folie de s'imaginer que, dans 1'état oü il étoit, il pouvoit encore parvenir a 1'Empire. 11  su Bas-Empire. Liv. LXXXI1I. 157 cabala de nouveau; & ce qui éton- neroit davantage, fi 1'on ne favoit qu'il n'eft point d'extravagance unique, c'eft qu'il trouva des partifaris. Un de ceux auxquels il s'étoit adreffé , en avertit l'Empereur, qui, plus ému de pitié que de colere, lui pardonna encore cet égarement d'efprit. Une folie d'une autre efpeee donna encore quelque embarras a l'Empereur. Un Hermite, nommé Nil, auffi ignorant, mais raoins turbulent que 1'audacieux Italus, & peut-être plus capable de féduire par les apparences d'une vertu fimple & modefte , faifoit alors grand bruit k Conftantinople. Ce perfonnage, fans étude , occupé dans fa celluie a lire 1'Eeriture-fainte , qu'il n'entendoit pas T s'étoit formé un corps de doctrine qui n'étoit nullement d'accord avec Ia traditïon de PEglife, feule interprete légitime des livres faints. Lorfqu'il eut a fon avis acquis affez de lumieres pour éclairer les autres, il fe crut obligé en confcience de quitter fa retraite , & pariit a Confrantinople. II avoit de quoi fe faire fuivre par ceux qui ne FeconnoifTent Alexis. An. 109 j, An. 1094. xvnv Nil héré» tique. Anrt, Coisin, U 13.  Alexis. An, 1094. 158 H1 s t 01 r: e la doctrine & la vertu qu'a un ah? dur & fauvage, & a un extérieur négligé. Auffi eut-il bientöt grand nombre d'admirateurs. Les femmes fur-tout fe difputoient 1'honneur de 1'attirer chez elles pour Pentendre. La, au milieu d'un cercle enthoufiafte, ce nouvel Apötre, qui n'avoit pris fa miffion que de lui-même, débitoit a fon auditoire fes vifions théologiques, & prétendoit dévoiler le fecret des myiteres. Son obfcurité étoit traitée de profondeur, & fon langage groffier de fimplicité évangélique. Quelques paffages qu'il entendoit mal, & qu'il femoit a 1'aventure; quelques traits d'hiftoires apocryphes lui donnoient auprès de tels auditeurs un air de favant; & le peu qu'il en difoit faifoit penfer que toute cette érudition lui échappoit malgré lui, & que fa modeftie en cachoit bien davantage. Sa théologie s'embrouilla beaucoup dans Pexplication de 1'union hypoflatique des deux natures en Jéfus-Chrift; & 1'Empereur Alexis, plus inftruit que ce prétendu Docteur, apprenant que fon fyftême hérétique prenoit grand cré*  nu Bas-Empire. Liv. LXXXIIL 159 dit a Conftantinople, le fit venir, & fe donna la peine de lui expliquer le dogme de 1'Églife fur cetarticle. Cette eharitable condefcendance fut inutile. Nil lui protefta qu'il étoit prêt k foufFrir la prifon, 1'exil, les fupplices, & k perdre tous fes membres 1'un après 1'autre, plutöt que de renoncer a fon opinion. Les Arméniens, qui étoient en grand nombre, attachés k la doctrine d'Eutichès, dont approchoit beaucoup celle de Nil, étoient fes plus zélés fectateurs. Alexis, pouvant bien le convaincre, mais non pas le changer, le mit entre les mains d'un Synode, qui, le trouvant obftinés dans fes erreurs, le frappa d'anathême. On condamna* en même-temps un certain Blachernite, Prêtre impie qui renouvelloit les rêveries des Meffaliens. C'étoit un fé* ducteur intriguant, qui avoit déja corrompu plufieurs families. L'Empereur , après 1'avoir mandé plufieurs fois pour le faire revenir de fon égarement, mais fans fuccès , 1'abandonna.a la cenfure eccléfiaftique.. Le-nom.de Diogene étoit fatal au repos d'Alexis. A peine avoit-il ar- Alexis. An. 1094» XVIII. Un impofseur, q«i-  l6o HlSTOIRE raché le poigrtard des mains de Fin» Alexis. An. 1094, fe dit fils de RomainDioigene, fo w leve les Comans. grat Nicéphore, que 1'ombre même de cette familie ambitieufe lui fufcita une guerre, de courte durée a la vérité , mais pénible 8c pleine de dangers. Un inconnu, venu de 1'Afie , pauvre 8c couvert de haillons, mais adroit Sc intriguant, mit en mouvement tout Conflantinople. II fe difoit Conftantin, fils de l'Empereur Romain Diogene ; Sc quoiqu'on eut été perfuadé jufqu'alors que ce Conftantin avoit perdu la vie vingt ans auparavant dans un combat prés d'Antioche, cependant le fourbe, s'infinuant dans les families, 8c débitant un roman de fes aventures, trouvoit des efprits difpofés a le croire. II étoit même excité Sc foutenu par des faöieux, qui travailloient de concert avec lui a faire valoir fes menfonges. En vain Théodora, fceur d'Alexis , Sc veuve de ce Conftantin, retirée dans un Monaftere, proteftoit contre 1'impofture. On la croyoit fubornée par fon frere, pour défavouer fon mari. Alexis méprifa d'abord ce miférable , comme un perfgnnagé yU Sc fans conféquenee , qui  »u Bas-Emuke. Liv. LXXXI1I. 161 feroit bientöt démafqué. Mais voyant qu'il s'accréditoit, après 1'avoir inutilement menacé, il le fit conduire a Cherfone en Crimée, pour y être prifonnier. Les Comans, qui habitoient dans le voifinage, fréquentoient dans cette ville pour y acheter des marchandifes. Le faux Diogene, enfermé dans une tour, s'entretint plufieurs fois avec eux pendans la nuit du haut d'une fenêtre; & s'étant fauvé par leur fecours, il les fuiyit dans leur pays. II fut fi bien les mettre dans fes intéréts, qu'ils le reconnurent pour le vrai Empereur de Conftantinople. Ce peuple féroce, altéré de fang & affamé de pillage, faifit avidement ce prétexte d'aller défoler les terres de 1'Empire. L'Empereur, informé de leur defiein, fe prépare k leur oppofer une forte réfiftancet II délibere dans fon Confeil, s'il doit marcher a leur rencontre. La plupart étoient d'un avis contraire. Alexis déclare qu'il s'en rapportera au jugement de Dieu. Dans ces fiecles d'ignorance, c'étoit une fuperftition établie qui fuppofoit uri miracle» II fait venir fur Alexis. An. IC94. XIX. Alexis fe prépare i leur réfifter.  Alexis. In. 1094. 162. HlSTOIRE le foir k Sainte-Sophie les Généraux^ les principaux Officiers, tout le Clergé de cette Eglife avec Ie Patriarche ;. Sc en leur préfence, on dépofe fur Tautel deux billets cachetés , dans 1'un defquels étoit écrit: Dieu ordönne de partir, dans 1'autre : Dieu ordonne de refter. On paffe toute la nuit a chanter des pfeaumes; Sc au lever de 1'aurore, le Doyen ayant pris un de ces | billets , on Pouvre en préfence de tous les affiftanrs : c'étoit celui qui ordonnoit le départ. On fent affez quelle influence le Prince pouvoit avoir fur ce prétendu oracle. Mais le vulgaire ne s'en doutoit pas, Sc il ne fut plus queftion que de fe mettre en campagne. Alexis afTemble fes trou1pes, Sc marche vers Anchiale. II envoye a Berée, pour la garde de la I ville Sc du pays d'alentour , Nicéphore Méliffene , George Paléolo1- | gue, & Jean Taronite fon neveu, foit qu'il eut rappellé d'exil Michel y pere de Jean , foit que celui-ci fut refté en faveur malgré la difgrace de fon pere. II y avoit dans la chaine de montagnes qu'on appelloit le mont Hémus, quatre paffages par ou les Go.  iw Bas-Empire. Liv. LXXX1II. itrj mans pouvoient entrer dans la Thrace. II les fit fermer par autant de corps de troupes commandés par Da» batene , George Euphorbene, 6c Conftantin Humbertopule , exilé quatre ans auparavant, mais rentré en grace depuis ce temps-la. II fe pofte lui-même au quatrieme nommé Chortarée, d'oü il avoit 1'ceil fur toute cette lifiere, vifitant les autres poftes pour voir slis étoient bien gardés, 6e fi Ton avoit foin d'y faire les ouvrages de défenfe qu'il avoit commandés. Tout étant en bon état, il laifle a Chortarée ce qu'il falloit de troupes pour garder cette gorge , 6c va camper prés d'Anchiale. Un Valaque, nommé Pudile, de l'armée des Comans , vient pendant la nuit 1'avertir qu'ils ont paffé le Danube. Leur armée étoit beaucoup plus nombreufe que celle des Grecs. On fut d'avis de fe renfermer dans Anchiale. La place étoit très-forte , bordée d'un cöté par le Pont-Euxin , de 1'autre par des collines 6c des vignes qui rendoient le terrein impraticable aux chevaux. Berée, au centre de la Thrace,. étoit en. fureté. Pour couvrir ie Alexis. An. 1094. XX. Marchedes Comans.  Alexis. An. 1094. 164. HlSTOIRB pays a 1'Occident, il envoye Cantacuzene , Tatice & deux Commandants de Turcs auxiliaires, dont 1'un étoit Helcan le Néophyte. Tant de précautions ne purent empêcher les Comans de pénétrer en Thrace. Alexis, apprenant qu'ils marchoient vers Andrinople, manda les principaux de cette ville, entre lefquels étoient Catacalon Tarchaniote , & Nicéphore Bryenne, aveuglé après la bataille de Calabiia. II les exhorte k fe bien défendre, & leur promet de grandes récompenfes. II envoye ordre k Conftantin Euphorbene de prendre avec lui Monafiras, & de fuivre l'armée ennemie, la harcelant fans ceflé dans fa marche, fans s'expofer eux-mêmes. Les Comans , guidés par les Valaques, ayant traverfé le mont Hémus par des fentiers étroits & pleins de détours , arrivcrent a Goloé, dont les habitants leur ouvrirent aufiitöt les portes en leur livrant leur Commandant qu'ils avoient enchaïné. Conftantin Euphorbene, qui, felon les ordres d'Alexis, ne perdoit pas de vue 1'ennemi , furprit une troupe de fourrageurs qu'il tailla en  du Bas-Empire. Lw. LXXXIII. 16$ pieces, & fit conduire a l'Empereur eent prifonniers ; ce qui fit tant de plaifir au Prince , qu'il lui conféra fur le champ le titre de Nobiliffime. Les habitants de Diampolis Sc des contrées voifines, a Fexemple de ceux de Goloé, appellerent les Barbares, les recurent dans leurs villes, & proclamerent AugufTe le faux Diogene. Jufqu'alors tout réuffiffoit a ce fourbe. Maitre d'une partie de la Thrace, il prend la route d'Anchiale a ia tête des Comans. La prife de cette ville devoit terminerla guerre, & le placer fur le tröne, en lui mettant entre les mains la perfonne de l'Empereur. Mais la place étoit en état de réfifter a tous les efforts des Barbares, Sc Alexis avoit dans fon génie, ainfi que dans fon courage, aflez de reffources pour romprë toutes les mefures d'un rival fi méprifable. II le redoutoit fi peu , que dès qu'il le vit paroitre , il fit fortir fes troupes , Sc les rangea en bataille au pied des murs. Les Comans en firent autant; Sc tandis que les deux armées s'obfervoient fans rien faire , une troupe de braves, du cöté des Grecs, va, fans en Alexis. An. 1094. XXI. Vaine tentative des Comans fur Anchiale.  'Alexis. An. 1094. XXII. Siege eT Andrinople. ï66 HlSTOIRE avoir recu Tordre, attaquer un corps d'ennemis avancé fur 1'aile gauche ; & 1'ayant enfoncé, le pourfuit jufqu'a la mer. Alexis, qui ne fe voyoit pas afTez fort pour engager un combat général , les rappelle & défend de fortir des rangs. Les Comans, de leur cöté, ne faifoient aucun mouvement; &c cette inaftion continua pendant trois jours. L'avantage que donnoit aux ennemis la fupériorité du nombre, arrêtoit Alexis, & la nature du terrein, peu favorable a la cavalerie, retenoit les Barbares, qui, n'efpérant ni faire changer de pofition a l'Empereur, ni s'emparerd'Anchiale tant qu'elle auroit un tel défenfeur, renoncerent a cette entreprife, & allerent afliéger Andrinople. Diogene leur promettoit que dès * qu'il paroitroit, Nicéphore Bryenne fon oncle,'difoit-il, qui difpofoit de tout dans Andrinople , lui ouvriroit les portes, & le recevroit a bras ouverts. Cette forfanterie étoit fondée furl'amitié autrefois contracTée entre Bryenne &C l'Empereur Romain Diogene. Leur liaifon avoit été fi étroite, que Romain, felon une coutume éta-  | &u Bas-Empire. Liv. LXXXIII. 167 . blie en ces temps-la , avoit adopté pour frere Nicéphore Bryenne. Mais celui-ci recut fort mal fon prétendu neveu. A Farrivée des Comans , I'impofteur ayant demandé un entretien i avec fon oncle , Bryenne fe montra i a la fenêtre d'une tour ; & pour réponfe au compliment dont 1'autre le falua , il dit : Qu'a. U vérité il avoit aimé l'Empereur E>iog:n: comme fon frere ; qu'il avoit connu & tendrement chéri Confantin fon fils ainé tant quil avoit ' vecu ; mais que ce Prince n étoit plus ; quil avoit péri prés dAntioche , & que . celui qui prenoit fon nom rie pouvoit être quun fourhe impudent. Diogene fe re- i tira confus, & les Comans camperent devant la ville. Ce furent pendant quarante-huit jours des forties & des combats continuels. Enfin, les : afHégés, manquant de vivres, demanderent du fecours a lErnpereur. II chargea Conftantin Euphorbene de : la conduite d'un convoi qui devoit entrer dans la ville par la porte la plus lihre, fous 1'efcorte des meilleures troupes de l'armée. Mais cette entreprife n'eut pas de fuccès. Ees Comans avertis envoyerent au-de- Alexis. An, 1094.  Alexis. An. 1094. 108 HlSTOTRE vant du convoi un detachement trèsïupérieur en forces : il fallut fuir; & dans cette fuite même, Nicéphore Catacalon , fils d'Euphorbene, & qui dans la fuite époufa Marie, feconde fille d'Alexis, fe fignala par fa vaïeur. C'étoit un jeune Seigneur, dont Anne Comnene fe plaït a relever les rares qualités. Dans le portrait qu'elle fait de fon adreffe en tous les exercices, elle dit qu'a le voir a cheval, on 1'auroit pris pour un Franeois de Normandie. Au bout de quarantehuif jours de fiege, les habitants, par 1'ordre de Nicéphore Bryenne, firent une fortie générale, qui leur coüta beaucoup de fang, & plus encore aux affiégeants. Dans cette rencontre, Marien Maurocatacalon, agé feulement de dix-huit a vingt ans, qui s'étoit diftingué dans toutes les forties, Sc n'étoit jamais revenu fans être couvert du fang des ennemis, perca les efcadrons des Comans pour joindre leur Général Togortas. C'en étoit fait de ce barbare, s'il n'eüt été fauvé par fes cavaliers, qui fe j etterent audevant de Marien, 8c lui porterent de terribles coups. Griévement blef- fe.  33v Bas-Empire. Lh. LXXXIIf. 169 fé , il appercoit Diogene rêvetu de la robe Impériale, feul Sc abandonné de fes gens, fur la rive de 1'Hebre oppofée au champ de bataille. A cet afpect, 1'indignation luirend fes forces ; il poufle fon cheval dans le fleuve ; Sc pourfuivant Fimpofteur qui fuyoit a toute bride, il ne put que 1 'approcher d'aflez prés, pour lui porter plufieurs coups de fouet fur la tête, en 1'accablant de titres outrageants. Les forties des afliégés caufoient tous les jours une nouvelle perte aux Barbares, mais ne les rebutoient pas. '' Leur opiniatreté fit craindre a 1'Em- 1 pereur que la ville ne fuccombat enfin k leurs efforts. II réfolut donc de s'y tranfporter lui-même & de leur livrer bataille ; ce qui ne pouvoit s'exécuter fans un grand danger, l'armée ennemie étant de beaucoup fupérieure a la fienne. Tandis qu'il délibéroit dans fon Confeil fur le parti qu'il devoit prendre , un Officier, nommé Alacafée, lui fit dire qu'il avoit a propofer un moyen de fauver Andrinople. L'Empereur lui ayant permis d'entrer : » Prince, lui dit-il, Tornt XVIJL H Alexis. An. 1094. XXIII. Prife au 'aux Dio;ene.  Alexis An. 109, 170 HlSTOIRE • » quelque importante que foit la ville • » affiégée, votre perfonne eft encore ' » plus précieufe a 1'Empire, & il n'eft » aucun de vos fujets qui ne foit prêt » a hafarder fa vie pour épargner a » Votre Majefté le danger évident ou » elle va expofer la fienne. Dans ce » généreux facrifice, je cours moins » de rifque que perfonne. Je connois » 1'impofteur; mon pere fut lié d'a» mitié avec le fien. II me fera facile » de gagner fa confiance, & de le met» tre entre vos mains. Rappellez-vous » ce que fit autrefois Zopyre pour » rendre Darius maitre de Babylo» ne ". Alexis 1'entendit, & lui permit-de faire ce qu'il voudroit. Alacafée fe déchire le corps a coups de verges , fe fait au vifage plufieurs bleffures, & paffe dans le camp de Diogene. S'étant préfenté a lui en cet état, il lui rappelle leur ancienne amitié. » C'eft elle, lui dit-il, qui m'a » attiré ce traitement indigne. Le ty» ran a déchargé fur moi la fureur » qu'il voudroit exercer fur vous. Je » n'ai pu que fauver ma vie; & plein 9 de confiance en votre générofité, » je viens me jetter entre les bras de  du Bas-Empmb. Liv. LXXXIII. m » mon maïtre légitime. Si vous fui» vez mes confeils, nous ferons re» pentir Alexis, vous de fon ufur» pation, moi de fa cruauté ". Le faux Empereur, flatté de ce difcours, 1'embrafTe & lui demande fes avis. Alacafée lui perfuade que ce.fl confumer inutilement fes forces que de sarreter ainji aux portes £ Andrinople ; quz pendant quil s'obfline devant une place deprovince, il feroit déja maitre de la capitale , dont la prife mettroit fous fa. puiffance toutes les villes de PEmpire. » II n'eft queftion , lui dit-il, que » de vous faire un magafin dont vous » puiiïiez tirer vos fubfiitances "; ik. lui montrant la forterelTe de Pufas, peu éloignée d'Andrinople: » Voyez» vous, ajouta-t-il , cette place fi » avantageufement fituée; j'en con>» nois le Commandant; & fur ma » parole, il vous ouvrira les portes. » Employez vos Comans a ramafTer » tous les vivres des campagnes d'a» lentour, & a les porrer en ce lieu. » Nous prendrons aufli-töt la route » de Conftantinople; &c dans peu de » jours je vous fais afleoir fur le trö*> ne, oii vous place votre naiffanHij Ai-EXIS. An, ii 94.  Alexis. ka, 1094, 172 HlSTOIAC » ce. Approchez-vous de Pufas. Je » vais m'y introduire pour aller parn Ier au Commandant; & quand je »> vous donnerai un tel fignal, vous » pourrez vous préfenter aux por»> tes, &c entrer fans crainte". Diogene donne dans le piege , & Alacafée part la nuit fuivante. II avoit une lettre de l'Empereur, qui ordonnoit ,au Commandant de Pufas d'obéir en tout fans balancer au porteur de la lettre, comme a lui-même. II 1'attache a une fleche, & la jette dans la place, Le Commandant, après 1'avoir lue , introduit Alacafée. En mémetemps Diogene s'étoit approché de Pufas; & tandis que les Barbares, qu'il avoit prévenus , fe difperfoient de toutes parts pour aller au pillage , il entra dans la fortereffe accompagné des principaux. On le re$oit avec acclamation ; on lui fait un grand feftin, oü les Comans, felon leur ufage, boivent de toutes leurs forces , &C s'enivrent avec Diogene. Tandis qu'ils lont enfevelis dans lesvin & dans le fommeil, on les égorge; on enleve Diogene, & on le tranfporte a Zuxule, d'oü 1'on enyoye un courier  du Bas-Empire. Liv. LXXXI1I. 173 a 1'Impératrice mere, qui gouvernoit Conftantinople en 1'abfence de fon fils. Elle dépêche fur le champ 1'Eunuque Euftathe, qui, arrivék Zurule, fait crever les yeux k 1'impofteur. Cependant Euphorbene, qui ne perdoit pas de vue 1'ennemi, felon les ordres de l'Empereur, étoit déja campé devantPufas, & les Barbares, répandus par bandes dans les campagnes , ne s'occupoient que du pillage. Alexis, inftruit de ce qui fe paflbit, quitte Anchiale , & vient camper k Nicée. II apprend que Cizès, un des . Généraux ennemis, a raffemblé douze mille hommes, & qu'il eft campé prés de Taurocome. II marche promptement de ce cöté-la, ckcache un corps de troupes dans des halliers épais. II fe range en bataille dans la plaine voifine, & envoye une troupe de Turcs auxiliaires pour efcarmoucher & attirer 1'ennemi, Les Comans les pourfuivent, & a la vue de l'armée Grecque , ils s'arrêtent & fe mettent en ordre pour combattre. Tandis qu'ils forment leurs efcadrons, un cavalier Coman s'avance fiérement vers les Grecs , & caracolant devant eux, jetH iij Alexis. An. 1094, XXIV. Défaite des Comans.  AtEXIS An, iocjj 174 HlSTOIRR ■ tant fur eux des regards de mépris, il femble par fa eontenanee défier le plus brave. Alexis, piqué de fon infolence , oublie en ce moment ce qu'il eft ; il court a lui piqué baiffée , le perce de part en part ; Sc 1'ayant abattu, il tue fon cheval, Sc rejoint fon armée. Cet exploit, plus digne d'un aventurier que d'un Empereur, lui donne la victoire. Les Grecs, animéspar fon exemple, enfoncent les Comans; les troupes de fembufcade tombent fur eux en même-temps; rien ne réfifte. Sept mille font tués, trois mille faits prifonniers. On regagne le butin qu'ils avoient fait fur les terres. Mais l'Empereur, au-lieu de 1'abandonner a fes foldats, déclare qu'il veut le reftituer a ceux auxquels il a été enlevé. Les habitants du voifinage accourent en foule, & viennent recevoir chacun ce qui leur appartenoit, pouflant des cris de ïeconnoiffance, & comblant de bénédiftions un Prince fi jufte & fi bienfaifant. Alexis retourna h Nicée avec cette joie fi douce & fi fenfible que répandent dansl'ame les aöions d'humanité 6c de juftice. II y refta deux  du Bas-Empire. Liv. LXXXIII. 175 jours pour donner du repos a fes foldats, 8c alla témoigner aux habitants d'Andrinople , combien il étoit fatiffait de leur courageufe 8c conftante fidélité. Les principaux des Comans vinrent 1'y trouver pour lui demander la paix. Ils lui offroient de combattre déformais fous fes ordres , 8c d'employer leur valeur k fon fervice. Ce n'étoit qu'une feinte pour donner a leurs troupes le temps de faire leur retraite en füreté. Auili ces députés s'évaderent la quatrieme nuit, 8c regagnerent leur armée qui avoit pris les devants. L'Empereur, piqué de cette fupercherie, envoye des coureurs k ceux qui gardoient les défilés du mont Hémus, pour les avertir de fermer la retraite aux Barbares. II fe met lui-même a leurs trouffes, 8c les atteint dans un lieu nommé Abilebe. II va les reconnoitre en perfonne, & s'appercoit au nombre de leurs feux que leur armée eft encore beaucoup plus forte que la fienne. II revient a fon camp, fait allumer devant chaque tente jufqu'a quinze feux, 8c même davantage j ce H iv Alexis. An. 1094. XXV. Les Comans fe reiirent.  Alexis. Ar.. 1094. I?6 HlSTOIRE qui fuppofe dans la milice de ce temps =■ la un vice de campement , gü les tentes étoient apparemment beaucoup pms éloignées 1'une de 1'autre que dans 1'ancienne milice. Quoi qu'il en foit, cette faufTe apparence rabattit beaucoup la confiance des Comans , & la bataille du lendemain fe reflentit de leur épouvante. Dès le premier choc, ils tournerent le dos. L'Empereur ayant partagé fon armée en deux corps , envoya les plus alertes pour prévenir les fuyards & fe pofter fur leur route. II les pourfuivit avec le refte , les joignit au défilé nommé la porte de fer, & les battit de nouveau. II n'en échappa que la moindre partie qui laiffoit en Thrace quantité de morts , & plus encore de prifonniers. Tout le butin fut recouvré. Malgré le froid de 1'hyver qui fe faifoit déja fentir avec violence , l'Empereur paffa la nuit fur le haut de la montagne, & vintle lendemain a Goloé. II employa ce jour & la nuit fuivante a récompenfer ceux qui s'étoient diftingués par leur valeur ; & ayant congédié fes troupes , après deux jours ö£ deux nuits de  j>u Bas-Empike. Liv. LXXX1II. 177 marche, il rentra dans Conftantinople. A peine eut-il le temps de fe repofer, qu'il fallut fonger a fe défendre contre les autres ennemis qui attaquoient 1'Empire du cöté de FOrient. Tandis que l'Empereur portoit toutes fes forces en Thrace, les Turcs d'au-dela du Sangar traverfoient fans ceffe ce fleuve , & ravageoient la Bithynie. Nicomédie fur-tout & fon territoire avoient beaucoup fouffert - de leurs infultes. L'Empereur qui regardoit cette ville comme un des boulevards de 1'Empire, réfolut de la mettre a couvert ainii que toute la prefqu'ifle dont elle ferme 1'entrée jufqu'au Bofphore. Il fe tranfportah fur les lieux, & remarqua les traces d'un grand foffé, qui avoit formé une vafte enceinte autour du terrein de Nicomédie. C'étoit felon la tradition du pays, un ouvrage de FEmpereur Anaftafe. II paroiffoit que le deffein avoit été d'y faire entrer Peau d'un marais voifin de Nicomédie; mais ce foffé étoit alors comblé par les fables. Alexis le fit nettoyer & creufer plus profondément; & de crainte que le: fables s'amoncelant de nouveau ns H v Alexis. 4.n. 109;. XXVI. Travaux d'Alexis pour mettre en füreté Nico-;' médie.  Alexis. An. 109;, XXVII. Naiffanee 178 HlSTOIRE donnaflent un paffage,. il fit barir fuf le bord une fortereffe, que la hauteur & 1'épaiffeur de fes murs firent appelier la Tour de fer. Elle fut conftruite de pierres fi grofTes & d'une li énorme pefanteur, qu'il falloit pour les remuer les bras de cinquante, & pour quelques - unes ceux de cent hommes. On avoit raffemblé des campagnes voifines les payfans les plus vigoureux. Les yeux du Prince enflammoient leur émulation , & fes libéralités les animoient aux plus grands efforts. On le voyoit lui-même depuis le matin jufqu'au foir a la tête des travailleurs, couvert de poufliere, donnant fes ordres , & dirigeant en perfonne toutes les opérations, fans craindre les ardeurs de 1'été même dans les plus grandes chaleurs. L'année entiere fe pafla a terminer cette entreprife; & 1'affiduité de l'Empereur , qui n'auroit été digne que de mépris, fi elle fe fut employé a la conflruction d'un palais ou de quelque batiment de luxe ou de plaifir, étant appliquée a un travail utile a fes fujets, mérita des éloges. Alexis s'occupoit de ce grand ou-  nu Bas-Empire. Liv. LXXXIII. 179 vrag;e, lorfqu'il entendit avec joie Ie bruit des armes dont retentiflbit tout 1'Occident. II fe flatta de 1'efpérance d'un puiffant fecours, qu'il follicitoit depuis plufieurs années. Dès le temps que Grégoire VII étoit monté fur le tröne pontifical, les Chrétiens orientaux , malheureufes victimes de la barbarie des Sarafins & des Turcs, avoient imploré fon affiftance, pour cmpêcher la perte totale de la religion dans ces contrées ; & ce Pape, a qui le zele ne manqua jamais, avoit exhorté les Chrétiens d'Occident a expofer leur vie pour leurs freres. L'an 1074, pendant le regne de Michel Ducas , Grégoire avoit mandé a l'Empereur Henri par une lettre du 7 Decembre, que l'Orient appelloit le Souverain Pontife a fon fecours ; que l'Eglife de Conflantinople, qui ne s'accordoit pas avec celle de Rome au fujet du Saint-Efprit, demandoit d fe rêunir, & que Ü Armenië étoit dans les mêmes difpofitions. II ajoutoit, que plus de cinquante mille Chrétiens, tant a"'Italië que de France , lui avoient dêj.a fait favoir que s'il vouloit leur fervii de (hef dans celte pieufe expédition, ik H vj Alexis. An. 1095. des Croifades.Greg. I. 2. «f.31. 37Guibert , hift. hiero- rot. 1.1. Otho Frif. I. 7. c. 2. Chron. Vrfp. Du Cange not. in A-  Alexis. An. 1095. tSo ff/STOlRE étoient prêts d le fuivre jufquau faint Sépulcre. II proteftoit qu'il étoit difpofé d marcher en perfonne , & quen s'éloignant de Rome , il laifferoit FEglife fous la proteclion & la garde de FEmpereur. Le 16 du même mois, Grégoire adreffa encore une lettre a tous les fideles pour les exhorter a ce voyage. La querelle fcandaleufe entre le Sacerdoce & 1'Empire , qui commencoit dès-lors a s'allumer, fit échouer ce projet. Alexis , parvenu k 1'Empire , tacha de le ranimer. II écrivit plufieurs lettres au Pape Urbain II, dans lefquelles il déploroit fa foibleffe; il imploroit le fecours de 1'Occident, & promettoit toute afMance par terre & par mer k ceux qui viendroient combattre les Infideles. Robert , Comte de Flandre, a fon retour de Palefline, ayant contradté amitié avec Alexis, ainfi que nous 1'avons rapporté, cet Empereur, quatre ans après lui, avoit écrit une lettre , qu'il adrefïbit en même-temps a tous les Princes Chrétiens. II y dé^eignoit fous les couleurs les plus vit'es les horreurs exercées par les Mufelmans fur les Chrétiens de tout fexe  du Bas-Empire. Liv. LXXXIII. iSt & de toute profelïïon. II repréfentoit toute 1'Alie courbée fous le joug des Infideles , & le péril ou fe trouvoit Conftantinople. Dans la chaleur de fes fupplications, il oublioit même fa fïerté ordinaire , & proteftoit qu'il feroit eonfolé de voir Conftantinople entre les mains des Latins, qui du moins refpecteroient les Eglifes & tant de faintes Reliques; & comme s'il eut voulu les tenter plus vivement encore , il leur étaloit avec emphafe les immenfes tréfors dont cette grande cité étoit enrichie. [ Des refforts fi puiffants n'auroient cependant pas fuffi pour mettre 1'Europe en mouvement , fans 1'action que fut leur donner un perfonnage vil & méprifable a 1'extérieur, mais plein de feu, d'adrefTe & d'éloquence. Un pauvre Hermite, du diocefe d'Amiens , nommé Pierre, petit de taille & d'un air ignoble, alla vifiter le faint Sépulcre. Après un voyage pénible & femé de dangers , il arrivé a Jérufalem. Ayant payé a la porte la piece d'or que les Mufulmans exigeoient des pélerins, il entre & vok avec douleur la profana- Alexis. An. 1095. XXVÏÏT. Pierre rHermite a Jérufalem. GuilL Tyr. I.X.C. II, 12 , 13. Alben. Ag. Jac. Vitri. Sanut. I. 3. part. 4. c. I , 2. Chron. Vrfp. Baronius9  Alexis. An. 1095. ï3a HlSTOIRB tion des lieux faints, la tyrannie exercée fur les fideles , les outrages qu'effuyoit tous les jours le Patriarche Siinéon , traité comme un vil efclave. Pour s'inftruire avec plus de certitude, il va trouver le Patriarche, qui ayant fenti dans fa converfation que c'étoit un homine de génie &c fort au-deffus de ce qu'il paroiffoit, lui ouvrit fon cceur, & lui expofa le miférable état de la Paleitine : Que le domaine du Calife étoit partagé en quatre Sultanies, celle de Moful, de Damas , £Alep & de Nicée : que de cette derniere ville , oü tous les Chrétiens avoient été égorgés , fortoient fans cefft des effaims de brigands, qui ravageoient tout le pays, n' épargnant ni les hommes ni les édifices confacrés au Seigneur : que ce n étoit ni la prudence d'Alexis, ni le nombre des habitants , ni les fortifications de la ville, ni la valeur des foldats ou les forces de mer qui défendoient Conflantinople : qu'elle ne devoit fon falut qu'au Bofphore , & que les Infideles ne manquoient que de vaiffeaux pour semparer de cette grande ville, & inonder d'un affrtux debordement CEurope enden, Que les Sultans dAlep &  du Bas-Empirb. Liv. LXXXIIL 1S3 de Damas riétoient pas moins ackarnés d la pene des Chrétiens que ceux de Nicée. Qu'ils étoient maitres £ Antioche , & de toute la Syrië. Que la fainte Citéy profanée ji long-temps par l'impiété des Sarajins, gémiffoit depuis plufieurs années fous une domination encore plus barbare. Que de tant de monuments confacrés par les miracles & le fang du Sauveur, les mains facrileges des Turcs ri avoient laiffé fubfijler que le faint Sépulcre pour tirer de l'argent des pélerins, qui ne pouvoient y arriver fans rifquer cent fois leur vie. Qu'il y en avoit un grand nombre dans les prifons de Jérufalem, ou ils étoient tous les jours menacés de la mort. II lui rit une fi vive peinture de l'état déplorable des Chrétiens de Palefline , que Pierre, fondant en larmes, lui demanda s'il .n'y avoit donc aucun remede a ces maux. Alors Siméon d'une voix entrecoupée de fanglots : » Hélas, ré» pondit-il, nos iniquités nous ont » fermé 1'accès a la miféricorde du » Seigneur; il dédaigne nos gémif» féments & nos larmes; depuis qua» tre cents ans que la ville fainte eft tf entre les mains des Infideles , Ia Alexis.  Alexis. An, 1095, 184 HlSTOIRE » mefure de nos afflictions n'eft pas » encore comblée. Mais fi 1'Occident » Chrétien,fitantdefloriffantsRoyau» mes, formidables a nos ennemis, » qui le font auffi de Dieu même, » jettoient fur leurs freres un regard » de compaffion, s'ils vouloient nous w aider du moins de leurs prieres dans » les maux qui nous accablent, nous » aurions quelque efpérance de les » voir bientöt finir. Quoique liés avec » les Grecs par la proximité, par 1'in» térêt commun,'par le fang même, » étarit dans 1'origine fujets du mê» me Empire, nous n'avons nul fou» lagement a en attendre. Ils en ont » befoin eux-mêmes : leur gloire , » leur ancienne vertu eft flétrie; ils » ont perdu en peu d'années plus de » la moitié de leur Empire , dont ils » difputent a peine les miférables ref» tes ". Pierre, qui pleuroit avec lui, s'efforca de le confoler en lui difant: Que Ji fEglife Romaine , fi les Princes dOccident étoient infiruits de F exces de leur mifiere par un térnoignage authentique , il étoit perfiuadé qu'ils y apportercient un prompt remede : qu'il confeilloit a Siméon de leur adreficrune  du Bas-Empiae. Liv. LXXXIIl. 185 lettre de fa main ; quil en feroit le porteur, & que, pour la remifpon de fes péchés, il courroit dans tous les pays de l'Europe , dans toutes les Cours ; quil riépargncroil ni fatigues , ni prieres , ni larmes pour émouvoir le coeur des Potentats, & pour les exciter d la délivrance de leurs freres. Siméon , charmé de cet avis, embrafïa Pierre ; & le comblant de bénédi&ions, il lui mit entre les mains la lettre qu'il demandoit, Sc plufieurs autres lettres des Chrétiens notables qui habitoient a Jérufalem. Pierre, animé encore par une vifion qu'il eut ou qu'il crut avoir dans PEgüïe de la Réfureftion, prit congé du Patriarche , & al la s'embarquer fur un vaiffeau qui retournoit dans la Pouille. II arriva heureufement a Bari. De-la il fe rendit a Rome, Sc remit au Pape Urbain les lettres dont il étoit chargé. II les accompagna de la defcription la plus touchante de ce qu'il avoit vu lui-même. Urbain le recut avec bonté, 1'écouta avec attendrifïement, Sc lui promit de feconder fon zele de toute 1'autorité qu'il avoit dans 1'Eglife, Sc de tout fon Alexis. An. 1095, XXIX» Prédication de Pierre. Guill. Tyr. L 1-J4 & fcqq. Fulchcr. Car. Ord, Fital. I. 9, Baldcr. I. I. Sanut, l. 3. part. 4. c. 2. Chron. Btrtoldi. Chron. Al' beric. Chron. Vrfp.  Alexis. An. 1095. Chron. Cafaur. Chron, ticlgic. XXX. Conciles de Plaifance & de Clermont, 18(5 HlSTOIRE crédit auprès des Princes Chrétiens. Alk{, lui dit-il, me préparer les voies pour èmouvoir leur ame, & fcye{ mon précurfeur. L'Hermite s'acquitta de cette foncTion avec un fuccès au-deffus de toute efpérance, II traverfe l'Italie, paffe les Alpes, &répandpartout la ferveur dont il eft embrafé. Ses infinuations, fes inftances, fes railbns politiques, fes remontrances mêmes autorifées par fa réputation de fainteté, lui ouvrent les oreilles des Princes. Miftionnaire ardent, plein de ces mouvements pathétiques qui raviffent le cceur des peuples, il ne laiffe au Pape prefque rien a faire qu'a donner le fignal du départ. A fa voix , les Evêques, les Abbés, les Ciercs, les Moines, le peuple & les Nobles, vertueux, vicieux , en un mot des Chrétiens de toute profeffion, de toute condition, de tout caracfere, des femmes mêmes, faifies de 1'efprit de pénitence, s'enivre de ce pélerinage guerrier. Tandis que Pierre ébranloit toutes les nations avec une rapidité étonnante, le Pape avoit convoqué un Concile a Plaifance pour le premier  du Bas-Empire. Liv. LXXXIIL 187 de Mars 1095. II fe trouva fi nombreux, qu'il fallut 1'afTembler en pleine campagne. On y compta deux cents Evêques, prés de quatre mille Clercs , & plus de trente mille Laïques. Urbain ne s'y étoit propofé que de réformer des abus, de condamner des héréfies naifiantes, & de réformer des défordres que fa querelle avec l'Empereur produifoit, furtout en Italië. II ne s'agifToit pas en core de la croifade , dont il attendoii la maturité des prédications de Pier re. Mais Alexis, ayant envoyé a « Concile des Ambafladeurs, pour fupplier le Pape & toute la Chrétient« de le fecourir contre les Infideles, U Pape exhorta les Fideles a fe prêtei a une fi jufte demande; & dès-lor; plufieurs s'engagerent a ce voyage promettant avec ferment de s'em ployer de tout leur pouvoir au fer vice des Chrétiens d'Orient. Urbain. étant enfuite paffé en France, tint ui autre Concile h Clermont en Auver gne. II s'ouvrit le 18 Novembre Treize Archevêques, deux cents cini Prélats, tant Evêques qu'Abbés, plu fieurs Princes s'y rendirent. Pierre Alexis. An. 109;, l i »  Alexis. An. 1095. 188 II l S T ö I R E de retour de fes conquêtes évangéliques, fixoit fur lui tous les regards j & dans fon humble contenance, fous un extérieur pauvre & abject, il éclipfoit les dignités. Ce fut-la que le Pape fit les plus grands efforts. Après avoir animé les affiftants par 1'expofition des calamités, des horreurs auxquelles étoient abandonnés les Chrétiens de la PalefHne, après les avoir enflamrnés par la vue des récompenfes éternelles j il leur propofa cette expédition comme un moyen afTuré d'expier les brigandages, les incendies, les adulteres, les parjures, les homicides, & tous les autres crimes fi communs dans ce fiecle de corruption & d'ignorance. Le fang des Sarafins & des Turcs devoit effacer toutes les taches de leurs péchés. En vertu de 1'autorité apoftolique, il déclara que ce pélerinage tiendroit lieu de toutes les pénitences canoniques; que ceux qui mourroient, foit dans le voyage, foit dans les combats, feroient comptés au nombre des Martyrs ; que tant que dureroit Pexpididon , les pkerins feroient fous la protcclion de CEglife ; qu'ils riauroient d craindre nulle pourfuite, foit  nu Bas-Emvire. Liv. LXXXIII. 189 pour dettes , foit-pour crime; que quiconque oferoit les inquieter eux ou leur familie en quelque maniere que ce fut, feroit ex communie par l'Evêque du lieu, & foumis d la fentence jufqu'a entiere rèparation : que les Evêques & les Prêtres qui ne s'oppoferoient pas d tout le mal qu'on voudroit Uur faire , feroient fufpens de Uurs fonclions , jufqu a ce qu'ils eufftnt bbtenu l'abfolution du Saint Siege. II recommanila aux Prélats d'employer tout leur zele a infpirer a leurs peuples le defir de participer a une fi lainte entreprife; & pour écarter tous les obltacles qui pourroient la retarder, il ordonna que la paix, "appellée alors la Treve de Dieu , fut inviolablement obfervée. II voulut que, pour fymbole d'engagement, tous les pélerins portaffent fur leur habit la figure de la croix ; ce qui fit donner a ces expéditions le nom de Croifades. Ce difcours du Pape fut fuivi d'une acclamation univerfelle. Les ames les moins pieufes font faifies d'un pieux enthoufiafme. On s'écrie de toute part, Dieu le veut, Dieu le veut. Le Pape, frappé de cette unanimité qui Alexis. An. 1095. XXX f. Succes du Concile de Clermont,  AlEXIS. An, 1097, 190 HlSTOIRB fembloit infpirée, ordonne que ces paroles foient le cri de guerre. On apporte auffi - tot, on déchire, on coupe en pieces quantité d'étoffes rouges; on en fait des croix quechacun s'attache fur 1'épaule droite. Tous les affiftants profternés, fe frappant la poitrine, recoivent du Pape 1'abfolution de leurs péchés Sc la bénédiction. L'afTemblée fe fépare toute embrafée d'ardeur, &chacun va porter dans fa patrie la flarnme dont il brüle, & qu'il communiqué fur fon pafTage. Lè Pape, avant que de congédier les Evêques, les confulte fur le choix d'un Légat, qui tiendroit fa place dans l'armée des Croifés. Toutes les voix fe réuniflent en faveur d'Aimar, Evêque du Pui, Prélat inftruit des regies de 1'Eglife, & auflï refpecfable par la pureté de fes moeurs que par fa dignité. Peu de temps après arriverent des députés de Raimond , Comte de Touloufe, qui envoyoit dire au Pape qu'il s'engageoit k faire le voyage avec plufieurs de fes Chevaliers. C'étoit dans toutes les villes, dans toutes les families une agitation générale. On ne voit, on  nu Bas-Empire. Liv. LXXXIIF. 191 n'entend que préparatifs de guerre. L'Europe s'épuifoit d'habitants, & les Souverains ne s'oppofoient pas a cette ferveur épidémique; c'étoit un moven d'occuper des vaflaux remuants, & de purger leurs Etats des guerres civiles. Les liens du fang ne retenoient ni les maris, ni les fils, ni les peres. Les reclus quittoient leur celluie, les Moines leur cloitre, les uns avec la permifïion de leurs Abbés, les autres fans permifïion. Des femmes, s'imprimant une croix fur la chair avec un fer chaud, vouloient faire croire que c'étoit une impreffion miraculeufe. II s'en falloit bien que tous fufTent entrainés par de purs motifs de religion. L'efprit de liberté , le defir d'échapper a des créanciers, la mifere, les attraits d'une vie plus licentieufe en attiroient un grand nombre. Tous prenoit la croix fut leurs habits, peu la portoient dans le cceur. Dès qu'un Prince annoncoil le defTein de partir, une foule de gens de toute nation accouroit s'engager fous fes enfeignes pour tout le temps du voyage. La rémiffion des péchés tenoit lieu de folde, & la Alexis. An, 1095,  Alexis. An. 1095. XXXII. Sur la Iégitimitédes Croifades. r02 // I S T O I R X croix d'étendard. On n'eut d'autre peine que celle de retenir ceux que leur age, leur fexe , leur foibleffe rendoient incapables de foutenir les fatigues qu'il faudroit effuyer. Ce fut ainfi que s'alluma le feu de ces expéditions nommées Saintes,&C qui 1'auroient été en effet, fi 1'efprit de la Religion Chrétienne, née fous le glaive des perfécutions, étoit un efprit de guerre & de conquêtes. Le motif qui le fanétifia dans 1'opinion commune, fut, fi j'ofe le dire , ce qui les rendit répréhenfibles. II y avoit plus de quatre fiecles que les Sarafms, fortis des fables brülants de 1'Arabie, avoient envahi la Syrië, la Méfopotamie , 1'Afrique. Depuis cinquante ans, un autre déluge de Barbares, les Turcs venus des glacés du ,Nord, inondoient 1'Afie, &c cou égorgent les Mufulmans, & ne font de quartier qu'aux Grecs. De-la ils courent tout le pays. Soliman, qui a Ja première nouvelle des mouvemenrs qui fe faifoient en Occident, avoit rafTemblé des forces de tout l'Orient, arrivé trois jours après a la tête de quinze mille hommes. C'étoit- le 29 de Septembre. II force a Ion tour le chateau , & paffe tout au fxl de 1'épée. Renaud, chef de ces lélerins, fe fait Mufulman pour fau.^er fa vie. Les Francois de Civitot, iffligés de ce défaftre , veulent fur le :hamp courir a Soliman. Gautier les etient avec peine pendant huit jours; 1 cede enfin, a 1'impatience de toute 'armée , qui lui reprochoit le fang les Chrétiens maffacrés tous les jours )ar les Turcs de Nicée. Les Croifés brtent du camp au nombre de vingt:inq mille hommes, n'ayant avec eux me cinq cents chevaux. Ils marchent 1 Soliman qui vient a leur reneonre avec une armée beaucoup plus lombreufe. Après un fanglant comlat, ils font enveloppés& taillés en lieces. Gautier y périt avec fes plus  jm; Bas-Empirr. Lh. LXXXIIL sop braves Capitaines. Les Turcs pénetrent jufqu'au camp, 8c maflacrent ies malades, les clercs , les moines, les femmes, les enfants, ne réfervant que les jeunes filles 6c les jeunes garcons, condamnés a des outrages plus afFreux que la mort. 11 ne reftoit que trois mille Francois , qui fe fauverent dans un fort demiruiné au bord de la mer. Ils s'y dé» fendirent en défefpérés. La nuit fui vante, ils envoyerent a Conltantino ple avertir Pierre de 1'extrêmité a la quelle ils étoient réduits. Quoiqu'Alexis reffentit une maligne joie de h deftruction de cette armée, dont i avoit recu tant d'infultes, cependan aux inftantes follicitations de Pierre il envoya fes vaiffeaux chargés d< troupes, pour délivrer ces malheu reux reftes de tant de Chrétiens. i la vue de cette flotte, les Turcs fe re tirerent avec leur butin & leurs pri fonniers , qu'ils difperferent dans de: Provinces éloignées , mandant au? Princes & aux peuples que cette troupe de Latins qui venoient infultei 1'Afie, n'étoit qu'un vil amas de miférables 6c de poltrons, fans aucun^ AlexisAn. 1096; l i  Alexis. An. 1096 XXXIX. Croifade de Godefcalc. Guill. Tyr. /.17.C.2S. Alben, Aq. I. I. Sanut. I. 3. pan. 4. c, 6. Chron, Vrfp. Chron. Sti. Anton, 2IO HlSTÖIRB expérience militaire. Alexis recut les vaincus a Conftantinople, & acheta ' toutes leurs armes pour les mettre hors d'état de faire du mal aux habitants du pays. Tel fut le fort de cette première bande, qui fe perdit par fon audace imprudente, après avoir par fes brigandagesprévenu toute la Grece contre 1'entreprife des Croifades. Les Allemands de l'armée de Pierre n'étoient qu'un petit nombre d'aventuriers, qui, fe trouvant en-deca du Rhin dans le mouvement général de la nation Francoife, s'étoient laifles entrainer par 1'amour de la guerre & 1'efpérance du pillage. Comme le Pape étoit le chef & 1'ame de la Croifade, le fchifme, qui entretenoit alors une haine mutuelle entre les Romains & les Allemands, avoit fermé 1'entrée du pays aux prédications de Pierre. Les Saxons, les Thuringes, les Bavarois, les Autrichiens , fe moquoient même d'abord de ce voyage comme d'une folie nationale. Ils ne pouvoient voir fans étonnement tant de cavaliers, tant de fantaflins abandonner leur labourage pour une con«  du Bas-Empire. Liv. LXXXIIL 211 quête qui n'avoit rien de certain que le danger, & renoncer a leurs poffeffions pour aller envahir celles d'autrui. Peu-a-peu ils fe laifferent perfuader par ces paffagers; & lorfqu'ils eurent une fois goüté cette entreprife, ils ne furent pas long-temps fans appercevoir dans le ciel des fignes de la volonté de Dieu. Un Prêtre Allemand, nommé Godefcalc, ayant ramafTé quinze mille hommes, traverfoit la Hongrie. On les traitoit avec amitié , & tout fe paffoit en paix de part & d'autre, lorfque quelques Bavarois s'étant enivrés dans une ville de leur paffage, fe mirent a la priller ; & trouvant de la réfiftance, maffacrerent les habitants. Ils pouflerent la fureur jufqu'a empaler au milieu de la place un jeune Hongrois. Toute la nation prend les armes; on attaque les pélerins; ils fe défendent avec vigueur. Comme on ne pouvoit les forcer, on les prend par rufe. On leur fait favoir que pour obtenir la paix, il faut qu'ils remettent leurs armes au Roi de Hongrie; qu'autrement ils n'ont point de quartier a ef pérer. Ces hommes brutaux, mais Alexis. An. 1096.  fiïa Histoirb de bnnnf fn' na fa AAG~„+ j»..„ AlEXIS. An. 1096. XL. Et d'Emicon. Guill. Tyr. I. I. c. 29 , 30. Alben. Ag. !■ 1. Sanut. I, 3, f att. 4. c. 7- /. 2. €hron„ Vrfi. Chron. b er* 1 Chron. Sti. Anton, i } 1 t ( < 2 I ? JV. uuiaill pd;> u HEl peuple Chrétien, donnent dans le piege. Mais dès qu'ils ont livré leurs armes, on les maffacre fans pitié. Le Prêtre Godefcalc fe fauve prefque feul ,^ & regagne 1'Allemagne , fort dégoüté du métier de Capitaine. Son exemple ne rendit pas plus fage une autre bande de prés de deux cents mille Croifés , Francois , Anglois , Flamands, Lorrains, ramalTés de toutes parts ; mélange confus d'aventuriers, de femmes perdues , de Moities apofïats, d'impofteurs & de faux Prophetes, auxquels fe joignit Emi:on , Comte d'un pays voifin du Elhin, k la tête de douze mille homnes , qu'il avoit féduits par le récit le prétendues révélations. Ce fanaique les animoit fur-tout contre les [uifs ; ils les maffacroient par-tout iir leur paffage : c'étoit, difoit-il, apprentiflage de la guerre qu'ils aloient faire aux Infideles. Ils en firent in horrible carnage le long des bords lu Rhin, a Spire, a Worms, k Mayene , a Cologne, k Nuys. En vain Véilon, Archevêque de Mayence,vount les fauver. Plus louable que 1'E-  du Bjs-Empire. Liv. LXXXIII. 413 vêqne de Vorms, qui ne leur offrit la vie qu'a condition qu'ils recevroient le baptême, ce Prélat, d'autant plus humain , qu'il protégeoit des hommes d'une religion différente par le feul intérêt de 1'humanité, les vit, malgré fes efforts, égorger dans fon palais. Les Juifs, au défefpoir, fe poignardoient eux - mêmes ; les meres plongeoient le poignard dans la gorge de leurs enfants; les moins furieux tomboient fous 1'épée d'Emicon & de fes foldats. Après ces effais de maffacre , ces dévots affaffms prirent leur route par la Franconie & la Baviere. Ils arriverent fur les frontieres de Hongrie, oü ils croyoient trouver les chemins ouverts. Mais Caloman, qui craignoit qu'il ne vinffent venger leurs devanciers, les arrêta dès les premiers pas. Les portes de Merfbourg leur furent fermées. Cette ville étoit lituée dans des marais formés par le Danube & le Lintax, aujourd'hui Leytha. Ils députent au Roi pour demander le paffage; & fur fon refus, ils pillent & brülent tous les environs. Ils paffent au fil de 1'épée fept cents hommes envoyés pour d«- Alexis. An. 1096^  Alexis. An. 1096. XLT. Voyage de Godefroi de Bouillon. Guill. Tyr. I. 2. c. i. *./«??. 214 HlSTOIRE fendre le pays. Ils affiegent la ville, & fe préparent a donner 1'affaut. Caloman fongeoit déja a fe fauver en Ruffie , lorfque, frappés pendant la nuit d'une terreur panique, les affiégeants fuyent fans être attaqués; ils fe débandent & fe difperfent de tous cötés. Les Hongrois , le Roi a leur tête, les pourfuivent, tuentlesuns, font les autres prifonniers. Le Danube fut couvert de cadavres. II n'en échappa qu'un petit nombre avec le barbare Emicon , qui méritoit le plus de périr. Ils regagnerent la Carinthie & 1'Italie. Ces zélateurs, auffi idolatres dans le cceur qu'ils étoient meurtriers, avoient pris pour guides, dans le voyage de Jérufalem, une oye & une chevre , qu'ils prétendoient animées de 1'efprit divin, & qu'ils confultoient comme des oracles ; égarement d'efprit encore plus infenfé que le Judaïfme. Ces premières troupes, mal conduites & fans difcipline, n'étoient propres qu'a décrier l'entreprife. Nous allons déformais voir des armées régulieres , commandées par des Chefs illuftres, pleins de valeur & de fcien-  du Bas-Empire. Liv. LXXXIIÏ. aig ce militaire, dont les exploits qu'ils regardoient comme méritoires pour le Ciel, leur ont du moins acquis la renommee de Conquérants. Le premier qui fe mit en marche fut Godefroi de Bouillon, Duc de la bafTe Lorraine , qui mérita de donner le nom a la première Croifade. Pour fournir aux dépenfes néceffaires, il vendit Bouillon quinze cents marcs d'argent k PEvêque de Liege. Accompagné de fon frere Baudouin, & d'un grand nombre de Seigneurs, qui lui amenoient la nobleffe de France, de Lorraine & d'Allemagne, il partit le 15 Aoüt 1096, avec dix mille chevaux & foixante & dix mille hommes de pied , tous aguerris. Arrivé le 20 Septembre fur les confins de 1'Autriche & de la Hongrie, il n'entra dans le pays qu'après une entrevue avec le Roi Caloman. Ce Prince traita Godefroi avec refpect; il fe juftifia des hoftilités exercées fur les troupes précédentes, dont il avoit fallu réprimer les brigandages. II promirde donner un paffage libre, non-feulement a l'armée de Godefroi, mais auffi a tous les Croifés qui viendroient Alexis. An. 1096. Ann. Comn. I. 10. Et ibi du Cange. Ord. Vit. I. 9. Albtrt.Aq, Li, 2. Sanut. I. J, part. 4. c. 8, 9 , io. Tudibod, 1. I. FuLh. Carn. I. i." c. 2 , 3 , 4. Guibert, l, 2 , c. 12. is, 19. Robert Mon. Al,' 2. Badderic. 1. i. Malmesb. I. 4. c. 2. Mabill. Itin. Italië. T. 1. p. 2. Chron. ALber. Chron. S. Antan,  Alexis. An. 1096. XLII. Prifon de Hugues le •Grand, 2l5 E I S T 0 I R E après lui. Godefroi, de fon cöté, don° na parole qu'il ne permettroit de faire aucun dégat; &c fon frere demeura pour ötage. Tout fut exécuté de bonne foi, & l'armée arriva fur la frontiere de Bulgarie. En y entrant, Godefroi recut une lettre d'Alexis, qui le prioit de ne permettre aucun pilïage. II FafTuroit qu'il auroit toute liberté de commerce. A NifTe, l'Empereur fit donner gratis a Godefroi tout ce qu'il falloit pour fa fubfiftance, & a fes troupes la liberté d'acheter des vivres. On leur fit le même traitement dans toute la Bulgarie jufqu'a Pfiilippopolis, öü l'armée s'arrêta huk jours. Ce fut-la qu'on' apprit que Hugues le Grand étoit, avec plufieurs Seigneurs , prifonnier a Conftantinople. Ce Prince, frere de Philippe , Roi de France, avoit levé des troupes en fon nom pour les conduire a la conquête de la Terre-Sainte. Les plus puiffants vaflaux de la Couronne de France, tels que Robert, Duc de Normandie , fils de Guillaume le Conquérant; Etienne, Comte de Charges &c de Blois; Euftache, Comte •de  iw Bas-Empire. Lh. LXXXIIL 217 de Boulogne , & frere de Godefroi de Bouillon, s'étoient joints k lui avec leurs foldats; ce qui compofoit une armée nombreufe. Ils prirent leur route par les Alpes, recurent k Luques la bénédïction du Pape, vifiterent k Rome les tombeaux des faints Apötres, & n'étant arrivés dans la Pouille qu'au mois de Novembre, ils mirent leurs troupes en quartier aux environs de Bari, k deffein de paffer en Grece au retour du printemps. Hugues, trop impatientpour attendre ce terme, voulut reconnoitre le pays par lui-même. II s'embarque a Bari, feulement avec trois Seigneurs, & paffe au rivage de Dyrrachium, que nous nommerons déformais Duras. Le Duc Jean, Gouverneur de cette ville , inftruit de 1'arrivée des Croifés dans la Pouille, avoit répandu des corps-de-garde le long des cötes, pour obferver leur paffage. Dès que le Prince a quitté fon vaiffeau, on vienta lui, on le falue humblement, on le prie d'honorer de fa vifite le Gouverneur qui fouhaite ardemment de le vo"ïr, &c de lui rendre tous les honneurs dus a fon illuftre naiffance, Tomé XVIII. K Alexis. An, 1096,  AlEXIS. An. 1096. i ; i .< 2l3 Histoirb Hugues , flatté de ces hommages, prend la route de Duras. Jean vient au-devant de lui, 1'aborde avec toutes les marqués du plus profond refpect , le conduit a la citadelle en 1'entretenant de fa brillante entreprife, qui doit le combler de gloire en ce monde Sc en 1'autre. II lui fait un magnifique feftin ; mais lorfque le Prince fongeoit k fe retirer, il lui iéclare dans les termes les plus honnêtes, qu'il ne peut laifTer partir un Prince de fon rang, fans avoir recu es ordres de l'Empereur, Sc qu'il a léja envoye un courier a Conftantilople. Hugues & les Seigneurs, étonlés de fe voir prifonniers , fe revient en vain, Sc prennent patience ufqu'au retour du courier. II ne tarla pas k revenir ; mais il amenoit ivec lui Butumite, qui avoit ordre le les conduire a Conftantinople avec sne bonne efcorte, & de prendre une oute détournée , pour ne pas ren:ontrer quelque bande de Croifés. Uexis, qui n'épargnoit pas les dénonftrations de bienveillance , lors neme qu'il n'en avoit aucun fentioent dans le coeur, s'emprefTa de  nu Bas-Empirz. Liv. LXXXL'I. tij leur faire 1'accueille plus honorable; mais bien réfolu de ne pas fe défaire d'ötages de cette importance, qui lui répondoient de la conduite des Croifés , il les fit garder a vue. Anne Comnene prétend que Hugues fe reconnut vaffal de 1'Empereur, ck lui jura foi & hommage. Dans ce qui concerne les Croifés, cette Princeffe, qui n'a voit alprs que douze ans, ne s'accorde pas en plufieurs circonftances avec les Hiftoriens occidentaux. A-t-elle altéré 1'exacte vérité pour favorifer fon pere ? Oü doit.on imputer cette faute aux Latins ? Comme 1'intérêt filial me femble être encore plus vif que celui de nation, j'en croirai plutöt des Auteurs, dont quelques-uns font affez finceres, pour blamer leurs compatriotes en ce qui eft répréhenfible. Depuis un mois, Hugues & les Seigneurs fe voyoient, avec grande impatience, détenus loin de leur armée, lorfque Godefroi, informé de leur aventure, envoya demander leur liberté. En même-temps, il marche enavant, & paffe Andrinople. Sur le refus de i'Erflpereur, la guerre eft dér-I ij Alexis. Ar. 1096, XLIII. Hugues eft rendu a Godefroi devant ConfUntinopie.  Alexis. An. 1096. =20 IIlSTOIRE clarée. Pendant huit jours, on ravage , on brüle tous les environs de Selymbrie, a quatorze lieues de Conftantinople. Ces hoftilités mettent 1'Empereur a la raifon. II promet de renvoyer les prifonniers. Le ravage ceffe , & Godefroi, deux jours avant Noël, va camper a la vue de Conftantinople." Les prifonniers viennent aufTi-töt le joindre avec une grande joie de toute l'armée. Des envoyés de l'Empereur invitent Godefroi a fe rendre au palais avec quelques Seigneurs. Mais des Francois établis k Conftantinople, 1'avertifTent fecretement de n'en rien faire , & de fe défier même des préfents de l'Empereur, qui pourroient être empoifonnés. Sur cet avis, Godefroi fe difpenfe de fortir du camp. Alexis, offenfé de cette injurieufe défiance , interdit tout commerce avec l'armée. Baudouin, la voyant prête a manquer de tout , force l'Empereur par le pillage des terres, k lever cette défenfe. C'étoit le temps de Noël; & conformément a 1'efprit de la fête , on fe réconcilie, & ces jóurs fe pafTent en paix de part & d'autre.  du Bas-Empire. Liv. LXXXIII. 211 Cette bonne intelligence ne fut pas de longue durée. Les vues d'Alexis & celles des Princes Croifés étoient trop oppofées. L'Empereur craignoit pour lui-même ce déluge d'étrangers, dont les flots fucceflifs fe réunifTant auroient affez de maffe pour fubmerger 1'Empire. C'étoit 1'Europe entiere qui fe renverfant fur 1'Alie pouvoit dans ce terrible choc écrafer Conftantinople. De plus, ce Prince artificieux vouloit profiter des exploits des Croifés fans qu'il lui en coütat rien, & faire revenir a 1'Empire les conquêtes qu'ils feroient fur les Turcs. Pour réuffir dans ces deux objets , il vouloit faire paffer en Afie ces diverfes bandes de Croifés k mefure qu'elles arrivoient, avant qu'elles fe fuffent multipliées devant fa capitale; & comme il tenoit les clefs du paffage , il étoit bien réfolu de ne 1'ouvrir qu'a des conditions conformes k fes vues politiques. Au contraire, les Croifés, pour être en état de lui donner la loi, avoient deffein de s'attendre les uns les autres dans les plaines de Thrace; & quant k leurs conquêtes, leur intention n'éK üj Alexis. An. 1097.' XL1V. Combats entre les Grecs & les Latins devant Conftantinople.Guill. Tyri l. 1. c. 6. & fegq. Alben. Aj, l. 2. Sanut. I. 3. pan. 4. c, 10. Chron, Vrfp. Ann. Comn, l, 20.  AlEXIS. An, 1097. 2Sft H I S T O / R E toit-pas de répandre leur fang pour le fervice des Grecs; mais pour s'établir a eux-mêmes un nouvel Empire fur les ruines des peuples Infideles. Dans des projets fi différents, il n'eft pas étonnant qu'il foit furvenu entr'eux des querelles, 8c qu'ils ne fe foient accordés enfuite qu'en apparence, fans fe réunir dans un intérêt commun. Comme les Croifés campés devant la ville faifoient craindre a. tout moment qu'il ne leur prit envie d'y entrer, 8c s'en rendre maitres,Alexis, fousprétexte de les mettre k 1'abri des neiges & des pluies dont leurs tentes étoient inondées , leur offrit de les loger au-dela du pont de Blaquernes dans les maifons 8c les palais qui s'étendoient le long du golfe de Céras : ce qu'ils accepterent volontiers. II les tenoit par ce nioyen féparés de la ville, 8c comme enfermés entre le Golfe 8c le Bofphore. Alors l'Empereur invite de nouveau Godefroi k fe rendre au palais. Le Duc, toujours en détiance, lui députe trois Seigneurs pour faire fes excufes. L'Empereur fupprime de nouveau les vivres., 8c enyoye fur  cr> Bas-E&ihre. Liv. LXXXIII. 223 des barques le long du golfe des archers qui bleffent & tuent même a coups de fleches ceux qui paröiflent aux fenêtres, ou qui's'approchent du rivage. Godefroi, convaincu des mauvais defTeins d'Alexis, fonge a les prévenir. Son frere Baudouiu , a la tête de cinq cents hommes, fe rend maitre du pont de Blaquernes. Les autres mettent le feu aux palais &C aux maifons ou ils avoient logé audela du golfe, jufqu'a plus de deux lieues. S'étant enfuite réunis, ils paffent le pont a la fuite de Godefroi, & trouvent dans la plaine au pied des murs une armée innombrable de Grecs prête a combattre. Comme ce n'étoient que des troupes bourgeoifes fans expérience &c fans courage , elles furent bientöt repoufTées , quoiqu'en dife Anne Comnene, qui leur fait grand honneur de leur bravoure , & fur-tout a Conftantin Ducas, auquel elle fut fiancée. Les Croifés campent &c fe retranchent. Le lendemain Godefroi détache une partie de fes troupes pour aller ehercher 1'épée a la main les fubfiftances que l'Empereur leur refufoit. Ceux-cienX iv Alexis. An. 1097.  Alexis. An. 1097. XLV. Entrevue de Godefroi & d'Alexis. Guill. Tyr. I. Z.c. 10, ii, 12. Alben. Ag, I. 2. Sanut. I. 3. part. 4. c. 10. Chron. Vrfp. Ann. Comn. ƒ. 10. «4 HlSTOIRB levent tout dans les campagnes jufqu'a douze ou quinze lieues, & reviennent fix jours après chargés de butin. Enfin , Alexis , fatigué de tant de pillages & d'incendies, députe a Godefroi , pour le prier de ceffer fes ravages, tk de le venir trouver. II ofFre des ötages pour la füreté de fa perfonne, & promet fatisfaction. Godefroi y confent, pourvu que les ötages foient de qualité a lui donner toute afïurance. A peine les députés font-ils fortis du camp, qu'il en recoit d autres deBoëmond, qui étoit déja en Macédoine. II prioit le Duc de ne faire aucun accommodement avec l'Empereur Grec ; mais de fe retirer en Bulgarie pour y paffer le refte de 1'hy ver. II lui promettoit de fe rendre auprès de. lui avec toutes fes troupes au commencement de Mars, pour aller enfemble mettre k la raifon ce méchant Prince , & s'emparer de fes Etats. Ce projet de Boëmond juftifioit affez les défiances d'Alexis. Godefroi, d'un caractere plus doux & plus équitable, répondit , qu'ils avoient quitté leur patrit non pour  du Bjs-Empire. L'rj. LXXXIII. 225 faire des conquêtes fur les Chrétiens , mais pour aller fous les aufpices de Jefus-Chrifi dciivrer Jêrufakm du joug des Infideles : qu'il fouhahoit d'exécuter ce cüffein avec le fecours de l'Empereur même, s'il pouvoit recouvrer & conferver Familie de ce Prince. L'Empereur, inftruitde cette députation deBoëmond, en fut plus ardent a folliciter une réconciliation. II offrit de donner fon fils en ötage, fi Godefroi vouloit venir en perfonne conférer avec lui. Sur une propofition fi honorable, Godefroi décampa de devant Conftantinople , tk. retourna faire cantonner fes troupes au-dela du golfe, ordonnant a fes foldats de ne caufer aucun dommage , & de payertout ce qui leur feroit néceffaire. Le lendemain le fils de l'Empereur lui étanl mis entre les mains, il pafTa le golfe & fe rendit au palais avec plufieun Seigneurs. Baudouin n'y entra pas il fe tint fur le rivage avec une efcorte. Godefroi & fon cortege fe pré fenterent fuperbement vêtus. L'Em pereur, fans fe lever du tröne oü i étoit afiïs, les admit au baifer ; il y vinrent k genoux. Après cette cé K y An, 1097, l >  Alexis. An. 1097. 22Ö H I S T O 1 R E rémonie Oriëntale, il fit revêtir Godefroi des habits Impériaux, & lui adreffant la parole : Je fuis informé, lui dit-il, que vous êtes un Princepuïffant dans Votre pays, plein de prudence & de droiture. Je vous adopte donc pour fils , & je me repofie Jur votre bonne foi, dans la confiance que, par votre fecours, mon Empire fe maintiendra en füreté au milieu de cette multitude ttétrangers qui ni'environnent déja & qui ioivmt encore arriver. Ces paroles paeifiques efiacerent tout reffentiment dans le ceeur du Duc. II fe donna k FEmpereur non-feulement pour fils, felon Pufage des Grecs , mais pour homme lige , en mettant fes mains dans celles d'Alexis. Les autres Seigneurs rendirent le même hommage. Auflï-töt on diftribua tant k Godefroi qu'a fon cortege, de magnifiques préfents. Le traité fe réduifit a deux articles. Alexis promettoit avec ferment (Taider les Princes de fes forces qu'il conduiroit même en perfonne; de leur fournir des vivres d un prix raiQ)nnable, & de ne pas fouffrir qu'on fit •ort a aucun des Croifés. Les Princes j'engageoient réciproquement d ne  du Bas-Empire. Liv. LXXXIII. aa? rien faire contre lefervlce de FEmpereur; d lui reniettre les principales places de l'Empire qu'ils prendroient en Afie; & pour les autres terres que l'intérêt de la conquëte de Jérufalem les obligeroient de rctenir, ils promettoient de lui préter foi & hommage; bien entendu qu'ils ne feroient tenus de leur ferment quautant que l'Empereur feroit fidele au Jien. Depuis cette union d'amitié jufqu'au temps ou l'armée marcha au {lege de Nicée , c'eft-a-dire jufqu'a 1'Afcenfion, pendant 1'efpace de cinq mois, il venoit au camp toutes les femaines deux hommes chargés de befans d'or ; Sc d'autres apportoient dix bouTeaux de Tartarons, a. diftribuer au Duc, aux Seigneurs, aux foldats, Mais cet argent employé a Fachat de< fubfiflances retournoit au tréfor du Prince, Sc y entrainqit encore toutes les richelTes des Croifés. Car ce Prince financier s'étoit rendu maitre des grains, du vin, de 1'huile Sc de toutes les denrées dont il étoit feu marchand, fous le miniftere furtif d< ces ames viles qui fe proftituoient ; fon avarice; & ce monopole aufli flé triffant qu'il étoit lucratif, 1'enrichil K vj Alexis. An. I097«_ XLVL Godefroi paffe en Afie.  Alexis. An, 1097. 22S HlSTOlRE foit du fang de fes peuples. Godefroi, de retour au-dela du golfe, renvoya le fils de l'Empereur, Le Duc fit crier le lendemain dans fon camp ordre de maintenir la paix avec les Grecs, le refpect envers l'Empereur, & d'obferver toute juftice dans le commerce. L'Empereur, de fon cöté, fit publier k Conflantinople défenfe , fous peine de la vie', de faire aucun-tort aux Latins , & de commettre aucune fraude dans les poids, les mefures & le prix des denrées. Malgré la vigilance de Godefroi, cette multitude indifciplinée caufoit toujours quelque défordre. D'ailleurs, les autres armées étoient en chemin , & Alexis craignoit un orage s'il laiffoit tant de nuées d'étrangers fe raffembler fur Conflantinople. II preffa donc Godefroi de pafier en Afie, & lui fournit des navires. Les Croifés y confentirent; & vers le 15 Mars, ils allerent camper a Chalcédoine, Dès que la crainte fut éioignée, la cherté des vivres commenca d'augmenter tous les jours, Le Duc entendant les murmures de fes troupes , retournoit fouvent k Conftantinople pourfeplain-  du Bas-Empire. Liv. LXXXIII. 229 dre a l'Empereur, qui feignant d'ignorerle renchériflement, faifoit baiffer le prix pour le moment : mais c'étoit un jeu de 1'avarice d'Alexis; le prix rehauffoit bientöt, & on en étoit toujours a recommencer. Chalcédoine étoit fi proche de Conftantinople , qu'on pouvoit paffer d'une ville a 1'autre deux ou trois fois en un jour, Anne Comnene rapporte que le premier chef des Croifés qui arriva prés de Conftantinople, après le départ de Godefroi, fut un certain noitre autrement, &c qui amenoit quinze mille hommes. Les Hiftoriens des Croifades n'en difent pas un mot'. Voici ce qu'en raconte cette Princeffe. Ce Capitaine, campé le long du Bofphore, paroiflbit réfolu d'y attendre les autres Croifés, contre 1'intention d'Alexis. Pour le forcer de pafter en Afie, Opus, un des meilleurs Généraux de 1'Empire, alla lui fïgnifier la volonté de l'Empereur, a la tête d'un corps de troupes au moins égal en nombre. Raoul recut fort mal cette invitation, k laquelle Du Cange, Alexis. An. 1097, XLVH. Arrivée de Raoul. Ann. Comi. I. 10 & ibt.  Alexis. Aa, 1097. £30 I/lSTOIRE il ne répondit que par des menaces. On en vint aux mains; & les Grecs plioient déja, lorfqu'il leur vint fort a propos un fecours imprévu. Pegafuis arrivoit en ce moment avec une flotte deftinée a tranfporter cette nouvelle bande en Afie, fi 1'on pouvoit 1'engager a partir. II s'appercoit du défavantage des Grecs, débarque aufïitöt, & prend a dos les Latins, qui, fe voyant enveloppés, regagnent leur camp avec une grande perte. Cet échec abattit la fierté de Raoul. II demandalui-même le paffage. Mais l'Empereur, craignant que s'il alloit joindre Godefroi, il ne le portat a la vengeance, lui ofFrit de le faire conduire au faint Sépulcre par la voie de la mer, beaucoup plus courte, & moins dangereufe. Le Comte accepta la propofition , & fit voile vers la Paleftine. Tel eft le récit d'Anne Comnene. Ce qui en diminue la vraifemblance, c'efl non - feulement le filence des autres Ecrivains , mais encore 1'impoffibilité d'aborder alors en Paleftine, dont tous les ports étoient poffédés par les Turcs ou les Sarafms, lorfque la grande armée des  du Bas-Emptre. Liv. LXXX11L 131 Croifés arriva par terre en Syrië. Anne Comnene me paroit fi mal inftruite de ce qui fe pafla dans cette première arrivée des Croifés , les Grecs lui avoient débité a ce fujet tant de menfonges, elle eft fi peu d'accord avec les autres Hiftoriens, & quelquefois avec elle-même , elle jette dans fon récit tant de confuiïon, que je Fabandonne ici prefque entiéremen: pour fuivre les Auteurs Latins. Le concours de ceux-ci eft d'un grand poids par rapport a des événements dont plufieurs d'entr'eux ont été témoins oculaires. De tous les Princes Croifés, celui qu'Alexis redoutoit davantage étoit Boëmond , Prince de Tarente , fils du fameux Robert Guifcard, II avoit éprouvé fa valeur naiflante dans la guerre d'lllyrie, oü ce Prince avoit •fait fes premières armes au fervice de fon pere. Les batailles de Joannine, d'Arta, de LarifTe, dans lefquelles Alexis s'étoit trouvé en perfonne , avoient laiffe dans fon ame une profonde impreffion de terreur. II favoit d'ailleurs que la politique de Boëmond, auffi peu fcrupuleufe Alexis. An, 1097. XLVin. Voyage de Boëmond.G-::li. Tyt. i. z.c. 13, 14, 15. Ann. Comn. i. 10. Zon. T. tl. p. 303. Albiri. Aq. I. 1. Sanut. i. 3. part. t. c. ir. Ge/la . Franc. i. 3.  Alexis. An. 1097. Tudebod. I. 1. Ord. Vit. l.9. Baldric, 1. I. Guibert, hifi. hierofol- I. 3. Fulch. Carn. Robert. Mon. I. 2. Lup. Protofp. Chron. Alberic. Chron, Malleac. Chron. S. Anton. Du Canpe not. in Villehard. p, 294. 232 HlSTOIRE que la fienne, ne dédaignoit pas d'emi ployer la rufe &c même 1'injuftice, & qu'il avoit follicité Godefroi de fe joindre a lui pour s'emparer de 1'Empire. C'étoit un bonheur pour Alexis que Boëmond ne fut pas arrivé le premier, & qu'il eut été devancé par un guerrier jufte & fage, capable de lui impofer, & d'arrêter fa fbugue naturelle. Les préparatifs néceffaires Favoient retardé. II étoit au fiege d'Amalfi avec fon oncle Roger, Comte de Sicile , lorfqu'il apprit que les Princes d'Occident paffoient en Grece. II prend la croix aufli-töt; le même enthoufiafme faifit tout le camp; la plupart des foldats demandent & recoivent la croix. Boëmond part a leur tête; & fon oncle, prefque abandonné, eft contraint de lever le fiege, & de retourner en Sicile. Boëmond, malgré fon impatience, ne put s'embarquer que vers la fin de Fannée 1096 , lorfque Godefroi approchoit déja de Conftantinople. II débarqua dans la partie de 1'Albanie, nommée autrefois la Chaonie en Epire, auprès de 1'Andrinople d'Albanie, qui étoit Fan-  du Bas-Empire. Liv. LXXXIII. 233 cienne Phcenicé. Son armée étoit de dix mille chevaux avec une nombreufe infanterie. Ses deux coufins, le vaillant Tancrede & Richard, Comte du Principat, s'étoient joints 11 lui. On marche a Caftorie, oü 1'on célebre la fête de Noël. Pendant le féjour que les troupes y firent, les habitants, qui les prenoient pour des brigands plutöt que pour des pélerins, comme en effet on pouvoit s'y méprendre, refufant de leur vendre des vivres, les Croifés, forcés par le befoin, fe mirent a enlever fur les terres les grains & les beftiaux. Animés par ce premier pillage, ils avancent en Pélagonie, oü rencontrant un chateau rempli de provifions, ils l'attaquent, & le brülent avec les habitants. Sur cette nouvelle, l'Empereur, qui avoit en Macédoine un affez grand corps de troupes , mande au Général de prendre toutes les occalions de détruire l'armée des Croifés. Mais en mêmetemps qu'il donne ces ordres fecrets. il envoye faire des compliments ï Boëmond; il le prie de ménager fe! fujets 5 rinyite a venir au plutöt c Alexis. An. 1097.  234 HlSTOIRE Conrtantinonle recevnir Ipc marmioc Alexis. An, 1097, 1 ] ' I 1 d d -cl les plus honorables de fon amitié, &c hu promet de faire vendre fur toute la route des vivres a fon armée. Boëmond , qui connoiffoit Alexis, paye fes civilités de remerciments auffi peu finceres , & marche au Vardar, oü il arrivé le 18 Février. La plus grande partie de l'armée étoit déja paffée, lorfque les troupes de l'Empereur, qui la cötoyoient, viennent fondre fur le refte, qu'ils efpéroient écrafer. Aux cris des combattants, Tan:rede,qui étoit déja fur 1'autre bord, •epafTe le fleuve, fuivi de deux mille :avaliers : il fond fur les Grecs, en ue un grand nombre, fait les autres >rifonniers, & les conduit a Boënond. Interrogés, ils avouent qu'ils >nt agi par ordre de l'Empereur. Poute l'armée indrgnée veut faire ine guerre ouverte. Boëmond, pour ie pas fe fufciter de nouveaux obficles , diffimule fon reffentiment, Sc envoye les prifonniers. Alexis, inmidé, & n'efpérant plus arrêter ce srrent dans fon cours, envoye un e fes principaux Officiers avec orre de faire fournir des vivres pour e Fargent.  du Bas-Empirs. Liv. LXXXHI. 135 Après avoir traverfé Ia Macédoine & une partie de Ia Thrace, Boëmond vint camper prés de la ville dApres. Irrité contre Alexis, qu'il haïffoit depuis long-temps, il auroit volontiers entrepris de le détröner, s'il avoit eu affez de forces pour efpérer y réuflir malgré Godefroi. II ne s'occupoit que de pro jets de vengeance, lorfqu'il reent une invitation de venira Conftantinople avec quelquesuns de fes Officiers, mais fans fon armée. Alexis témoignoit un grand defir de le voir, & de conférer avec lui. Le Prince n'y étoit nullement difpofé, & ne fongeoit qu'aux moyens d'éviter cette entrevue , lorfque Godefroi , a la priere d'Alexis, vint le trouver accompagné de vingt autres Seigneurs. Ils le prefferent vivement de donner cette fatisfaftion a l'Empereur, dont ils ne pouvoient fe faire un ennemi, fans courir un rifque évident d'échouer dans leur entreprife. Le refpect de Boëmond pour Godefroi , qui fe rendit caution de fa füreté, le détermina enfin a venir a la Cour. II y fut recu avec de grands témoignages d'eftime & d'amitié, dont AtEXIS. An. 1097, XLIX, Boëmond a Conflantinople.  Alexis. An. 1007, £36 HlSTOlRE Alexis n'étoit jamais avare. On lui avoit préparé un logement dans le Monafïere de Saint-Cöme 6c SaintDamien, fitué aux portes de Conftantinople fur le golfe de Cétas. La magnifïcence des batiments en faifoit un palais ,6c lesremparts dont il étoit environné, une fortereffe. Le féjour du Prince le fit nommer dans la fuite le chateau de Boëmond. Eny entrant, Boëmond trouva une table fuperbement fervie de toutes les fortes de viandes que pouvoit fournir Conftantinople. Mais ce qui 1'étonna davantage, ce fut de voir dans Ia même falie autant d'animaux fraichement tués, qu'il y en avoit d'apprêtés fur Ia table. On lui dit que l'Empereur, craignant qu'il ne s'accomodat pas de la cuifine Grecque, lui envoyoit les mêmes viandes fans apprêt, afin qiFil eut la liberté de les faire apprêter a fon gré. Mais ce n'étoit qu une raifon apparente. Alexis, connoiffant les défiances de Boëmond, foupconnoit qu'il pourroit craindre le poifon. En effet, Boëmond ne fit ufage que des viandes préparées par fes ciiifiniers.  su Bas-Empire. Liv. LXXXII1. 237 En peu de jours, Alexis, aidé des follicitations de Godefroi, fut fi bien agir fur le Prince de Tarente , que, par fon adrefle, il 1'amena enfin k lui jurer foi & hommage.; Ce fut apparemment en cette occafion qu'arriva ce que raconte Anne Comnene. Un jeune Comte Francois , choqué de voir Alexis afiis fur fon tröne, tandis que tant de Seigneurs illuftres étoient debout devant lui, eut 1'audace d'y monter, & de s'afTeoir a cöté de l'Empereur. Alexis n'en fit que rire ; mais Baudouin, prenant cet étourdi par la main, le fit defcendre en 1'avertiffant que, loin de faire honneur a la aation Francoife, c'étoit la déshonorer que de violer les ufages recus dans celle 0111'on fe trouvoit. Alexis, charmé d'avoir engagé k la foumiffion un coeur altier & intraitable, combla Boëmond de préfents. II promit de lui faire un puiffant établiffement en Afie, & de lui céder, après la conquête, un territoire de quinze journées en longueur, & de huit en largeur en - deca d'Antioche. Boëmond paffa enfuite le Bofphore, oü fon armée étoit déja reünie* a celle Alexis. Kn. 1097» L. Homma;e prêté jar Boënond.  Alexis. An. 1097. LI. Autres "Princes. 438 HlSTO/RX des autres Princes. Pendant la cérémonie de 1'hommage, le fier Tancrede, rougiffant pour Boëmond, & regardant cet acte de foumifïion comme une baffeffe indigne de fa naiffance & de fa valeur, s'étoit dérobé du palais avec Richard du Principat, pour n'être pas obligés d'en faire autant; & s'étant mis a la tête des troupes , ils les avoient fait paffer en Afie. L'Empereur, pour ne pas renouveller la querelle , voulut paroitre I'ignorer,6c continua de traiter honorablement Boëmond jufqu'a fon départ. Peu de temps après, le Comte de Flandre amena des troupes encore plus nombreufes. II avoit déja fait amitié avec Alexis neuf ans auparavant, & nul Prince n'avoit contribué davantage a émouvoir 1'Occident pour former la croifade. II fuivit, fans répugnance , 1'exemple de Godefroi & de Boëmond, recut de l'Empereur des préfents confidérables, &C fe rendit & Chalcédoine. Sur la fin de Mars, arriverent Robert, Duc de Normandie; Etienne, Comte de Chartres 6c de Biois $ Euflache , Comte  ■sv Bas-Empir.e. L'tv. LXXXIII. 239 de Boulogne. Après avoir paffe 1'hyver fur les cötes de la Pouille, ils s'étoient embarqués, & avoient pris terre a Duras. Marchant fur les traces de Boëmond, mais fans faire aucun dégat, ni rencontrer aucun obftacle, ils parvinrent a Conftantinople, oü ils ne firent nulle difficulté de prêter 1'hommage. L'Empereur les aida d'argent, de chevaux & d'habits : mais il ne laiffoit entrer dans la ville que cinq ou fix Seigneurs a la fois. Foucher, un des Hifloriens de cette croifade, qui étoit k la fuite du Comte Etienne, fe récrie fur la beauté de cette grande ville, fur la magnificence des édifices, le nombre des palais & des mcnafteres, 1'abondance des richeffes, 1'activité du commerce , & fur 1'immenfe population, quoiqu'on y comptat plus de vingt mille Eunuques. Alexis avoit foin de faire paffer les Croifés k mefure qu'ils arrivoient, afin qu'il n'y eut jamais deux armées enfemble devant Conftantinople. Un des plus puiffants Princes Croifés , & le feul qui put le difputer k , Godefroi en autorité , en fageffe , \ Alexis. Vn. 1097, lit; Voya>; e Ray* ion4 j  Alexis. An. 1097. Comte de Touloufe. Guill. Tyr. I. 1. c. 17 & feqq. Ann. Comn. I. 10. Alben. Aq. I. 2. Ord. Vit. I. 9. Raymona èe Agiles, Gefia, Franc. Robert. .Mon. I. 2. Sanut. I. 3 fan. 4. c IJ. Alberic. chr. r £40 HlSTOIRE en expérience, étoitRaymond, Comte de Touloufe & de Saint - Gilles, nommé auffi Comte de Provence , dont il poffédoit une partie. II avoit été le premier k prendre la croix ; il ne partit que le dernier, paree qu'il lui fallut raffembler les troupes de fes Domaines, éloignés les uns des autres. Ce Prince vénérable par fes cheveux blancs, & renommé pour fa valeur accompagné d'Aimar, Evêque du Puy , Légat du faint Siege pour la Croifade; Guillaume, Evêque d'0range, & de quantité de Seigneurs de France & d'Efpagne, prit fa route a la tête de cent mille hommes par la Lombardie, le Frioul, 1'Iltrie, èc vint en Dalmatie. C'étoit k temps de 1'hyver, dont les frimats incommoderent beaucoup l'armée dans ce pays froid & humide, toujours couvert de brouillards épais. Les habitants , la plupart patres & prefque fauvages , fe fauvant dans les bois & les montagnes, emportoient avec eux toutes les fubfiltances, & ne fe montroient que pour tomber fur les traïneurs qu'ils maflacroient. Raymond avec les Seigneurs couvroient la  dv Bas-Empire. Liv. LXXXIII. 241 la queue de 1'armée ; & courant a toutes les attaques, ils repoufierent ces brigands, dont ils tuerent un grand nombre. On en prit plufieurs auxquels Raymond fit couper les pieds & les mains pour intimider les Barbares par cette horrible barbarie. Après trois femaines de fatigues prefque continuelles, arrivé a Scodra, il y trouva Bodin, Roi du pays, qifil efpéra gagner par des préfents. Ce Prince en effet lui promit la liberté du commerce pour les vivres. Mais foit mauvaife foi de fa part, foit qu'il ne fut pas obéi de fes fujets, les Croifés n'en furent pas mieux traités. Ils eurent beaucoup a fouffrir jufqu'a Duras , oü ils n'arriverent qu'après quarante jours de marche. Raymond fe crut alors en füreté, le Gouverneur promettolt un libre paflage, & 1'on recut des lettres de 1'Empereur qui ne parloit que d'amitié, de fraternité, du defir extréme qu'il avoit de le recevoir, de 1'honorer, de traiter avec lui des affaires de la chrétienté. Sur cette confiance, on entre en Pélagonie ; mais on s'appercut bientöt que ce n'étoit que des paroles Tomé, XVUL L Alexis. rVn. 1097^  Alexis. An. 1097. 24a UlSTOIRS perfides. Des eflains de Barbares, Comans, Bulgares, Uzes, Patzinaces au fervice de 1'Empire , voltigeoient de toutes parts, & dépouilloient, maffacroient ceux qu'ils pouvoient fiirprendre. Deux des principaux Seigneurs , Ponce Renard, & Pierre fon frere, furent tués. L'Evêque du Puy, qui s'étoit féparé du gros de l'armée, fut attaqué , jetté a bas de fa mille, meurrri de coups ; & il y auroit laifle la vie , fi, aux cris des Barbares qui fe difputoient fa dépouille, on ne fut accouru k fon fecours. II fallut en quelques endroits s'ouvrir un paflage i'épée k la main. Pendant ces hoftilités, on ne ceflbit de recevoir de lettres pacifiques de 1'Empereur. Enfin, on pafla devant Theffalonique. Rofla, dont les habitants agiflbient en ennemis, fut prife de force & faccagée. II fallut entrer k main armée dans Rhedefle fur la Propontide, pendant que les troupes de 1'Empire chargeoient l'armée par-derriere. On les mit en fuite , & 1'on pilla la ville. Les députés de l'Empereur revinrent en ce lieu avec des lettres par lefquelles Alexis promettoit a  du Bas-Empire. Lhi LXXX1U. 243 Raymond de le dédommager de tou- ' tes fes pertes, s'il vouloit venir a Conftantinople , fans être fuivi de fes troupes. Godefroi, Boëmond & les autres Seigneurs lui faifoient la même priere. Ils lui mandoient qu'Alexis avoit pris la croix, & qu'il avoit donné parole de fe mettre a la tête des troupes Chrétiennes. Raymond fe rendit donc a Conftantinople , laiftant fon armée prés ; de Rhedefte. II fut bien recu del'Em- \ pereur. Mais lorfqu'il fut queftion du ferment de fidélité, il répondit qu'il ri étoit pas venu au Levant pour y chercher un maitre : que fi l'Empereur vouloit joindre fes forces d celles des Croifés & fe mettre d leur tête, il lui obêiroit comme d fon Général ; mais qu'il ne le reconnoitroit jamais pour fon Souverain. Une réponfe fi fiere pi qua vivement Alexis, qui, felon fon caractere, diffimula fon reffentiment; & tandis qu'il amufoit Raymond par de feintes carefles , il fit de nuit attaquer fon armée. D'abord plufieurs foldats furent furpris tktués pendant leur fommeil. Bientöt 1'allarme s'étant répandue, on repoufla les Grecs, & on Lij Alexis. \.n. 1097. Lm. laymond 1 Conftanin,ople.  Alexis. An. 1097. 244 HlSTOIRE en tua un grand nombre. Quantité d'Officiers & de foldats de cette armée, rebutés de tant de difficultés, fongeoient déja a retourner dans le pays. Raymond, au défefpoir, follicitoit les autres Princes de fe joindre a lui pour fe défaire une bonne fois de ce traitre, plus a craindre pour eux que les Infideles. Mais faute de vaiffeaux, ils ne pouvoient faire repaffer leurs troupes en Europe. Alexis y avoit pourvu en faifant revenir fur le champ les navires qui conduifoient en Afie les diverfes bandes des Croifés, ou qui leur tranfportoient des vivres. Le Comte ne put donc fe venger que par les reproches qu'il fit faire a l'Empereur. Cette querelle auroit eu des fuites facheufes pour A- I exis, s'il n'eüt, a force de prieres, engagéGodefroi, Boëmond, &leComte de Flandre, a calmer Raymond. II fallut même pour défarmerle Comte , que Boëmond le menacat de fe ranger du cöté de l'Empereur , s'il En venoit aux extrêmités. L'Empereur, de fon cöté, en préfence du Comte, des Princes & de toute fa Cour, défavouales hoftilités, & promit une  du Bjs-Empire. Lw. LXXXIII. 245 entiere fatisfaétion. Raymond appaifé & preffé par les inftances des Princes , confentit a faire le ferment; mais avec une reftriction qui leur fit honte , en montrant qu'avec la même fermeté ils fe feroient épargné ce qu'il y avoit d'humiliant dans cette démarche : il jura qu'il ne feroit jamais rien contre thonneur & la vie £ Alexis, tant qu Alexis tiendroit lui-même fes engagements. Quantarhommage.il protefta qu'il mourroit plutöt que de le rendre. Alexis fut obligé de fe contenter^de cette déclaratión. Après Ia réconciliation, l'armée de Raymond eut la liberté d'approcher de Conftantinople. On la fit bientöt pafïer s Chalcédoine. Le Comte, auffi franc Chevalier qu'il étoit fier & entiei fur Partiele de 1'honneur, oublia d< bonne foi tous les mauvais procédé; d'Alexis. Celui-ci, de fon cöté, s]efforca de le regagner par les traite ments les plus honorables; il le com bla de préfents; & de tous les Princes Croifés il n'y en eut aucun dan la fuite qui foutint plus hautemen les intéréts de l'Empereur. II demeu ra quelques jours a Conftantinopl L iij Alexis. An. 1097. t  Alexis. An. 1097, 24 HlSTOIRE avec Boëmond , pour fblliciter les convois des vivres dont l'armée manquoit a Chalcédoine, & pour preffer l'Empereur de venir la commander en perfonne felon fa promefle. Mais Alexis s'en excufa toujours fur le danger auquel fon abfence expoferoit Conftantinople de la part des Barbares. Boëmond partit le premier i & dès qu'il fut arrivé a Chalcédoine , on fe mit en marche pour commencer 1'expédition par le fiege de Nicée. On pafta trois jours a Nicomédie , ou Pierre 1'Hermite vint joindre les Croifés avec une poignée de miférables échappés au glaive de Soliman. Le récit de fon défaftre excita beaucoup de compaffion; on s'em» prefla de lui fournir les fecours dont lui & fa petite troupe avoient grand befoin. De Nicomédie les troupes marcherent a Nicée , oü Pon arriva en quatre jours. Le fiege commenca le 15 Mai lendemain de 1'Afcenfion en Pabfence de Raymond, qui avoit prié les Croifés d'attendre fon arrivée. On lui répondit qu'on lui garderoit fa place dans la circonvallalion • mais qu'on ne pouvoit diffé-  du Bas-Empir.e. Liv. LXXXIII. 247 rer Pattaque. II arrivé bientöt & fe tliftingua par fon courage dans cette fameufe entreprife. Alexis refufant de marcher en perfonne , voulut au moins joindre quelques troupes a celles des Croifés, ne füt-ce que pour ne pas paroitre leur ennemi. 11 en donna le commandement a Tatice, que les Hiftoriens des Croifades nomment Tatin , & dont ils font le portrait le plus affreux. C'étoit, felon eux, le confident des perfidies d'Alexis, un vil fcélérat, chargé de crimes &c d'infamie , dont la commiffion étoit de rendre compte a fon maitre de toutes les démarches des Princes , & de mettre tout en oeuvre pour les traverfer. Cependant Anne Comnene nous donne une toute autre idéé de ee Tatice ; & nous avons vu que c'étoit un guerrier fage & vaillant, déja célebre par plufieurs victoires. La haine que les Croifés avoient coneue contre Alexis, a rejailli fur fon Général. lis ont attribué a l'Empereur prefque tous leurs défaftres ; Si { n'ont voulu voir dans Tatice qu'un fourbe fubalterne. L iv Alexis. An. 1097. LIV. Tatice joint aux Croifés,   249 5 O M M A I R E D U LIVRE QUATRE-VINGT-QUA- " T RIE M E. IN de l'Auteur au fujet des Croifades. II. Siege de Nicée. III, Nicée fe rend d l'Empereur. IV. Conduite de l'Empereur d t'égard des Turcs de Nicée. V. A Cêgard des Croifés. VI, Départ des Croifés de devant Nicée. VII. Ils arrivent devunt Antioche. VIII. Siege ct'Antioche. IX. Prife d'Antioche. ■X. Boëmondfonde la Principauté £Antioche. XI. // s'empare de Laodicée. XII, Expédition de Jean Ducas. XIII. Alexis foupqonné £être ennemi des Croifés. XIV. Nouveaux Croifés. xv. Arrivée des Italiens. XVI. Des Franqois. xvil. Troupe du Comte de Nevers. xvill. Et du Comte de Poitiers. XIX. Juflification d'Alexis. XX. Boëmond pris 6 délivré de prifon. XXI. Guerre d'Alexis contre Boëmond. xxn. Exploits L v  25° SOMMAIRE de Butumite en Cilicie. xxin. Bataille navale entre les Grecs & les Pifans. xxiv. Suites de la bataille. XXV. Précautions £ Alexis contre Boëmond. XXVI. Boëmond retourne en Occident. XXVI i.. Mariage de Jean, fils. d'Alexis. xxvill. Boëmond en Italië, xxix. Mefures que prend Alexis pour détruire les accnfalions de Boëmond. XXX. Préparatifs de l'Empereur. XXXI. Tancrede reprend la Cilicie. xxxii.. Momements de Boëmond. xxxiii. Occupations d'Alexisen Macédoine. xxxiv. Conjuration des freres Anémas. xxxv. Elle eft découverte & punie.. xxxvr. Révolte de Grégoire Taronite. XXXVII. Mefures que prend Alexis pour s'oppofer au paffage de Boëmond. Xxxvill. Adreffe de Boëmond pour rendre Alexis odieux* xxxix. 11 paffe en Illyrie. XL. Ale- • xis fe met en marche^ XLI. Conjuration contre Alexis.. XLII. Alexis paffe Ehyver a Theffalonique , & Boëmond devant Duras. xliii. Attaque de Duras. xliv. Rufe £ Alexis. XLV. Défaite de Cantacu^ene. XLVI. II défait les Francs a- fon tour.. xlvil Divers combats des Grecs & des Francs» XLVIU. Alexis efl mal fery.i par meu  du Livre LXXXIV* 2ji XLix. Conduite d'Alexis. L. Boëmond demande la paix. li. On convient dunc entrevue. LH. Entrevue dAlexis & de Boëmond. lui. Acle de Boëmond. liv. Dêpan & mort ds Boëmond,   HISTOIRE D U BASEMPIRE. LJVRE QUAT RE-V ING TQUATRIEME. ALEXIS. Dans les brillantes entreprifes, 1'ame s'éleve au-deffus d'ellemême. Enflée d'un noble orgueil, fe confidérant comme fur un théatre, environnée des regards de tous les fiecles k venir , elle concoit, elle enfante ces aftions fublimes , qu'on nomme héroïques , & qui ne font que le dernier effort de la foibleffe Alexis. An. 1097, I. Deffein de 1'Auteur aufu jet des Croifades. 253  AtEXIS. An. 1097. 3 1 i , ] 1 i 1 1 1 1 c € r » S f< c: n P 254 H 1 s T O ƒ R E humaine. La même ivreffe fe com* munique airx Hiftoriens, qui fe laiffent enlever è la fuite de leurs héros; & comme 1'imagination peut monter plus haut que 1'acrion ne peut atteindre, ces Ecrivains, prenantl'effor au-deffus de leurs héros mêmes r ront fe perdre dans la région des miracles. C'eft ce qui me femhle être arrivé k 1'égard des Croifades. Les guer■iers , embrafés d'une ardeur furnaurelle , ont étonné 1'univers par des aits d un incroyable courage; mais eurs exploits furent furpaffés par le écit de leurs Hifloriens. Ce font touours des armées innombrables ter-affées par un petit nombre ,. des-vrcoires qui ne font fanglantes que pour ïs Infideles, des coups terribles de i part des Chrétiens, dont les brasnt la force de la foudre. Ajoutez ncore les armées céleffes, qui fe endent vifibles pour exterminer les. lufulmans, & tant d'autres prodies , qui demanderoient prefque un■cond miracle pour fubjuguer notre •oyance. Je laiffe ees événements erveilleux aux Auteurs qui fe font -opofé de les raconter. Renfermé  do Bas-Expisz; Liv. LXXXIV. 255 dans les bornes de mon projet, je ne toucherai de ces guerres célebres, que ce qui concerne 1'Hiftoire de 1'Empire. La terreur qu'avoient imprimée les ravages des Croifés en traverfant 1'Illyrie, la Macédoine Sc la Thrace, les violences qu'ils commirent a la vue de Conftantinople , la crainte que de pareils voifins ne fuffent plus dangereux que les Sarafms Sc les Turcs , 1'efpérance que 1'Empire confervoit encore de recouvrer fon ancien domaine , ce qui devenoit impoffible, s'il aidoit les Princes d'Occident a s'y établir; toutes ces raifons, jointes peut-étre a une fecrete jaloufie , empêcherent les Empereurs de contribuer autant qu'ils auroient pu faire au fuccès de 1'expédition; Sc, fi 1'on en croit les Oceidentaux, les engagerent même ala traverfer par tous les artifices d'une perfide politique. Les forces des Croifés, réunies devant Nicée, compofoient une de ces armées, qui, dans les fiecles différents , ont commencé par effrayer la terre , Sc ont fini par la couvrir de leurs débris, Ils fe trouvoient au Alexis. An. tC97j n. Siege tumite, maitre du lac, traitoit avec les habitants pour les engager k fe rendre k l'Empereur, plutöt qu'aux Croifés. II leur communiqua , par des émiiTaires fecrets, une bulle d'or qui leur promettoit non-feulement une füreté pleine &c entiere, mais même de grandes récompenfes. II afTuroit la femme & la foeur du Sultan du traitement leplus honorable. On cachoit avec foin cette négociation aux Latins, afin que la ville ne s'étant ren» Alexis. An. 1097,  Alexis. An, 1097. 260 HlSTOIRE due qu'a 1'Empereur, il put, fous un prétexte plaufible, fe difpenfer d'exécuter la convention faite avec les Croifés, de leur abandonner le butin des villes dont ils fe rendroient maïtres. Pour mieux couvrir ce manege , Tatice, a la tête des Turcopoles, fignaloit fon ardeur dans toutes les attaques. On étoit prés de monter k 1'afTaut, lorfque Butumite, ayant conclu le traité avec les habitants , & les troupes Grecques qui étoient fur le lac, étant en mêmetemps entrées dans la ville, on entendit de toutes parts le fon des trompettes, mêlé d'acclamations qui répétoient fans cefTe, vive l'Empereur Alexis. A ce bruit imprévu, les Latins fufpendent 1'attaque. La vue des enfeignes Impériales arborées fur les murs révoltent leurs efprits; on fe récrie fur la mauvaife foi d'Alexis, qui prétend jouir feul d'une conquête achetée au prix du fang des Croifés. Les foldats, pleins de colere, veulent forcer la ville, & la conquérir de nouveau fur des alliés perfides; &c Nicée, oü Pon épargnoit le fang des Turcs, alloit être inondée de celui  nu Bas-Empire. Liv. LXXXIP'. 261 des Grecs, fi les Princes n'euffentarrêté la fougue de leurs troupes. Quoiqu'indignés eux-mêmes, ils ne veulent point interrompre leur pieufe entreprife par une guerre funefte, ni tourner contre des Chrétiens les armes qu'ils n'ont prifes que contre les Infideles. Ils fe contentent de recevoir, pour récompenfe de leurs travaux, les prifonniers Latins, qui étoient reftés de la défaite de Gautier-Sans-avoir, & de Pierre 1'Hermite. Cependant Butumite , tenant les portes fermées, hors une feule, ne leur permettoit d'entrer dans Nicée que dix a la fois; & pour s'afTurer i des habitants, il eut foin d'envoyer ' a l'Empereur tous les Turcs de quelque diftinftion qui fe trouvoient en grand nombre dans cette capitale, fiege de la Cour de Soliman. II ne les faifoit partir que par bandes féparées & peu nombreufes : précaution fi néceffaire, qu'une bande s'étant trouvée plus forte que 1'efcorte qui Ia conduifoit, fe révolta contre fes gardes pendant une nuit, les mit aux fers, & alloit les trainer a Soliman, Alexis. An. 1097. IV. Conduite ie l'£mlereur a 'égard les Turcs le Nicée»  £02 IIlSTOJRE fi Monaftras, chef de cette efcorte, Alexis. An. 1097, V; A 1'égard des Croifés. n'eüt perfuadé aux Turcs que, par cette violence, ils agiffoient contre eux-mêmes, en fe privant des graces & des bienfaits que leurs femblables avoient déja recus de l'Empereur. En effet, Alexis les traitoit avec bonté. Ceux qui vouloient prendre parti dans fon fervice, étoient placés avantageufement; il permettoit aux autres de fe retirer oü ils vouloient avec des marqués de fa libéralité. II renvoya dans la fuite fans rancon k Soliman, fa fceur tk. fa femme, avec fes deux fils encore enfants. Les Croifés murmuroient. Alexis vint a bout d'adoucir les Princes par des préfents, & les foldats par des diftributions d'argent & de vivres. II crut même 1'occafion favorable pour engager a lui faire hommage ceux qui lui avoient refufé cet honneur. II les invita a venir le trouver avant que de partir pour continuer leur voyage ; & après les avoir traités avec magnificence, &c leur avoir prodigué les plus féduifantes carefTes, il leur fit adroitement entendre que, pour cimenter leur amitié mutuelle  du Bjs-Empire. Liv. LXXXIF. 263 par un gage inviolable , il étoit jufte que ceux qui ne lui avoient pas encore juré un attachement fidele, fe conformaflent aux autres Princes. Tous y confentirent, a 1'exception de Tancrede : pour lui il répondit hardiment, qu'il ne devoit de foi & d'hommage qua fon coufin Boëmond, auquel il demeureroit fidele jufqu'a la mort; mais qu'il ne reconnoitrok jamais d'autre Seigneur. En vain Boëmond même 1'exhortoit a fuivre fon exemple ; & comme un des parents de l'Empereur, le taxoit d'une fierté déplacée. Voye{-vous cette tente, lui dit Tancrede en lui montrant celle de l'Empereur qui étoit très-fpacieufe, vous la rempliriei a"or 1 1ue- vous ne me détermineriei pas a faire le ferment que votre maitre exige. Paléologue, piqué de cette opiniatreté, ayant laiffé échapper quelque terme de mépris, Tancrede, portant la main k fon épée, alloit fe venger, fi l'Empereur ne fe fut jetté entre deux. Boëmond accourut auffi, & le réprimanda de cet excès d'emportement. II arriva pour alors aTancrede, ce qu'on voit fotivent arriver a une jeuneffe inconfi- AlEXIS. An. 1197. »  Alexis. An. 1097, VI. Départ «les Croifés de devant Nicée. 264 HlSTOIRE dérée, qui, pour réparer la faute de s'être laifïee entraïner trop loin , recule même au-dela des bornes oü elle devoit fe contenir. Honteux de fon accès de violence, Tancrede prêta le ferment qu'il avoit trouvé fi contraire a fon honneur. Nicée s'étoit rendue le 10 de Juin, felon Guillaume de Tyr. D'autres Hifloriens fixent cet événement au 20 de ce mois, & plufieurs le reculent encore davantage, donnant au fiege la durée de fept femaines, & même de cinquante-deux jours. Ce fiege,, joint aux deux batailles contre Soliman , coüta la vie a treize mille Chrétiens , & a deux cents mille Turcs. Comme les Princes prenoient congé de l'Empereur, Tatice fut renvoyé avec eux pour les aider des troupes Grecques qu'il commandoit; & plus encore , pour prendre , au nom de l'Empereur , poffeffion des places dont on feroit la conquête. Les Princes allerent rejoindre leur armée prête a marcher vers Antioche , dont les Turcs étoient maitres depuis treize ans. Comme plufieurs foldats Latins manquoient déja de courage  du Bas-Empire. Liv. LXXXIK 265 courage ou de forces pour continuer de fuivreles Croifés dans une expédition auffi périlleufe quepénible, Alexis les prit a fa folde pour fervir dans la garnifon de Nicée. C'eft mala-propos que quelques Auteurs ont avancé que cette ville fut rendue a Soliman. Elle demeura au pouvoir des Empereurs, qui même y fixerent le fiege de leur Empire, lorfque les Francois furent maitres de Conftantinople. Vers la fin de Juin, les Croifés partirent, Sc le premier Juillet Soliman les ayant attaqués dans les plaines de Dorylée en Phrygie è la tête de cent cinquante mille chevaux Sc de deux cents mille hommes de pied, fut entiérement défait. Tourmentés de Ia faim Sc de la foif dans les plaines arides de la Pifidie & de la Lycaonie, ils remporterent encore fur les Turcs deux grandes vi&oires. Tancrede fe rendit maitre de toute Ia Cilicie ; Sc Baudouin traverfant 1'Euphrate, s'empara dEdefle. Cette ville célebre fe trouvoit alors ifolée au milieu des conquêtes des Turcs. Ün Gouverneur Grec , envoyé dès le Tome XVIll. M Alexis. An. 1037. vir. Ils arrivent devant Antioche,  Alexis. An. 1097. «66 IIlSTOIRZ temps de Romain Diogene, & devenu Souverain , s'y maintenoit par la force de la place, & par le courage des habitants plus que par le fien propre. La renommee de Baudouin, qui , a la tête d'un detachement, avoit pénétré jufqu'aux bords de 1'Euphrate, fit efpérer aux Edefféniens qu'ils trouveroient dans ce Prince un puiffant défenfeur. On Fenvoye prier de prêter fon fecours ; on le recoit avec joie; le vieux Gouverneur 1'adopte pour fon fils , le défigne pour fon fucceffeur, & partage avec lui fon pouvoir. II en devient bientöt jaloux,& cherche a s'en défaire. Mais il eft prévenu par les habitants , qui, pleins de confiance dans la valeur du Prince Latin, ötent la vie a leur Gouverneur , dont la dureté & 1'avarice leur étoient devenus infupportables, & fe foumettent a Baudouin. Ce fut ainfi que ce Prince , le premier des Croifés , établit en Oriënt une principauté, qui,bornée a. 1'Occident par la Cappadoce , s'étendit en Méfopotamie , & fubfiffa quelque temps avec gloire dans fa perfonne & dans celle de fes fucceffeurs.  »u Bas-Empire. Liv. LXXXIF. z6r Enfin, la grande armée réduite a trois cents mille hommes par la difette, par le manque d'eau, par les attaques continuelles , après avoir pris plus de quarante villes, entre lefquelles étoient Icöne, Tarfe, Mopfuefte ou Mamiflra , arriva devant Antioche le 2i Odtobre; & ayant paffe 1'Oronte, nommé alors le Farfar, malgré les Mufulmans qui défendoient le pont & les bords du fleuve, elle vint camper a un mille de la ville. Plufieurs vouloient qu'on attencltt' l'Empereur, qui devoit, felon fa promeffe, venir fe joindre aux Croifés ; mais Favis contraire prévalut, & les divers Seigneurs prirent chacun leur pofte pour former la circonvallation & 1'attaque de la ville. Ce feroit m'écarter de mon fujet < que de décrire les divers événements j de ce fiege mémorable, oii la valeur des Croifés triompha de tous les obf- . tacles, & leur patience de tous les c maux de 1'humanité. Ce détail appartient aux Hifloriens des Croifa- \ des; je n'en dois recueillir que les i circonftances qui ont quelque rap- < port a 1'hiftoire de 1'Empire. Suenon, { M ij Alexis. An. 1097, Ln. ioaS. vdt Siege 'Antiohe. Ann. 'omn. /. i. 't ibi. Da 'ange. ■wit, Tyr. 3. f, l%„  Alexis. Ah. 109S. & feqq. I. A, 5 . 6Alben. Aq. I- 3 »4. 5Sanut. I. 3. pan. 5, c. ï, 6. Fulek. Car. Haithon , bift.Orient. c.J5. Tudebod. I. %. Gefia Franc. Ord. Vit. I. 9. Balderic. 1. a, 3- Raymond de Agiles. Robert Mon. I. 4, 6,7,3. Abutfara- Chron. Bar. Sigeb. Chron. Chron. Urfp. Chron. Tvlalleac. Chron. Sti. Anton, 268 HlSTOIRE fils du Roi deDanemarck, s'étoit mis en marche a la tête de quinze mille hommes , pour aller joindre les Croifés devant Antioche. L'Empereur lui fit a Conftantinople un accueil digne de fa naiflance. Mais comme il traverfoit la Phrygie , attaqué pendant la nuit dans fon camp par les Turcs, il fut maffacré avec tous fes gens , & les Croifés attribuerent ce défaftre a la trahifon d'Alexis , qui avoit averti Soliman de la marche de ce Prince. Après quatre mois de fiege, les Latins étoient déja réduits a [une extréme mifere. Les vivres qu'ils avoient d'abord trouvés en abondance dans le pillage des environs, furent bientöt confumés par une armée fi nombreufe. Les pluies de 1'hyver avoient mis leurs tentes & leurs équipages hors d'état de fervir, & fait périr prefque tous les chevaux. On fouffroit beaucoup dans la ville , plus encore dans le camp des afiiégeants.Tatice, qui, felon les intentions de l'Empereur, devoit prendre en fon nom poffeffion de la place lorfqu'elle feroit prife, défefpérant du fuccès , avoit d'abord exhorté les Princes a  du Das-Empire. Lh. IXXXIF. 2.69 fe retirer dans les contrées voiiines, en attendant que l'Empereur vint les joindre avec une armée au commencement du printemps. Mais n'étant pas écouté , il partit dans le deffein , dilbit-il, de hater la marche d'Alexis, & de leur apporter des vivres , promettant avec ferment de revenir. Pour mieux tromper les Croifés , il laifla fes rentes toutes dreffées avec une partie de fes gens , qu'il abandonna, & ne revint plus. Anne Comnene, aufTi attentive a écarter de fon pere tout foupcon de trahifon , que les Hiftoriens Latins a 1'en rendre fufpect, prétend que cette retraite de Tatice fut 1'efFet d'une fourberie de Boëmond : ce Prince qui afpiroit ardemment a demeurer poiTefTeur de cette grande ville , ne pouvant, ditelle, y réuffir fans éloigner Tatice , lui perfuada avec une feinte amitié, qu'on lui imputoit des intelligences avec les Infideles; & que s'il ne fe mettoit en füreté , c'en étoit fait de fa vie & de celle de tous fes foldats; ce qui détermina le Général Grec k pafTer en Cypre, & de-la a Conftantinople. Quoi qu'il en foit, cette déM iij Alexis. An. 1098. Chron. Bdgic. Lup. protofp. Goth. n- ttr. Baronius. Pagi ad Bar. M. de Gui%nes, hijï. des Huns, t. ii , f. 22 1 23 , 24.  a;o H I S T O I R E fertion de Tatice augmenta la défïan- Alexis. An. 1098 IX. Prife d'Antio ehe. ce que les Croifés avoient concue d'Alexis, & le mépris qu'ils faifoient de Ia nation Grecque. Le Soudan d'Egypte leur députa pendant le fiege pour leur repréfenter que c'étoit injuftement qu'ils prétendoitnt s'emparer d'un pays fur lequel les Sarafins avoient un droitfilégitime , tayant conquis autrefois par la force de leurs armes; les Croifés répondirent, que cette pojtfefJion, non plus que celle des Turcs qui la détruifoit, ne donnoitpas plus de droit aux uns ni aux autres , que les brigands rien acquierent fur les biens d'un yoyageur foible & timide; que ce pays ri avoit été per du pour les Chrétiens que par la Idcheté des Grecs , nation ejféminée qui ri avoit pas eu le courage de le défendre. Par une lettre que les Chefs des Croifés écrivirent au Pape Urbain fecond, le 11 Septembre , ils lui dépeignent Alexis comme un fourbe ,qui, après leur avoir promis toute forte de ïecours, leur fufcite toutes les traverfes que la perfidie eft capable d'imaginer. Cependant l'Empereur affembloit . une grande armée, dans laquelle en-  du Bas-Empire. Liv. LXXXIF. 271 tre autres nations on comptoit quarante mille Latiras.C'étoient des Croifés , les uns reftés derrière, les autres arrivés k Conftantinople depuis le départ des Princes. II fe mit en perfonne a leur tête pour marcher, a ce qu'il paroifToit, au fecours des Croifés devant Antioche. Mais en arrivant a Philomelium en Phrygie, il apprit que la ville avoit été prife par intelligence le 3 de Juin, après fept mois & treize jours de fiege. La plupart des Auteurs, & Godefroi luimême dans la lettre qu'il écrivit en Oceident 1'année fuivante , le font durer neuf mois , paree qu'ils comptent pour deux mois complet les dix derniers jours d'Ocfobre oü il commenca , &c les trois premiers jours de Juin , dans lefquels il fut terminé; maniere de calcul qui jette fouvent du défordre dans 1'Hiftoire. Alexis apprit encore que les vainqueurs, affiégés a leur tour, étoient menacés du même fort que les vaincus. En effet, le Sultan du Corafan , a la nouvelle du fiege d'Antioche, avoit mis fur pied une armée de trois cents foixante mille hommes, fous la conM iv AtEXJS. \a. 109S.  Alexis. An, 1098, 27"- HlSTOIRE duite d'un Général d'une grande réputation parmi les Turcs , nommé Kerboga, qui n'étant arrivé que trois jours après la prife de la ville, 1'avoit auffi-töt alïiégée, avant que les Croifés euffent eu le temps de fe repofer de leurs fatigues, 6c de ramaffer des fubfiftances. Elles leur manqiioient depuis long-temps , & ils n'en avoient point trouvé dans Antioche , réduite elle-même k une extréme difette; en forte que pendant les trois femaines que dura le nouveau fiege , ils refTentirent toutes les horreurs de la famine. Etienne, Comte de Chartres, Guillaume de Grandïnefnil, quoique beau-frere de Boëmond , 6c plufieurs autres Seigneurs, fe couvrirent alors d'ignominie. Non contents d'abandonner leurs camarades, ils allerent trouver Alexis a Philomelium, 6c fournirent un prétexte plaufible de rebrouffer chemin a ce Prince, qui, felon toute apparence, n'étoit pas de lui-même trop emprefTé d'aller partager le péril des Croifés. Quelque grand que fut le danger , ils 1'exagérerent encore , & lui repréfenterent fi fortement le défaftre de  du Bas-Empire. Liv. LXXXIK 273 1'armée Chrétienne & les forces invincibles de Kerboga, que, malgré les inftances& les vifs reproches de Gui, frere de Boëmond , qui fe trouvoit alors au camp de Philomelium, l'Empereur effrayé, croyant avoir déja fur les bras les Turcs victorieux, retourna en diligence k Conftantinople, dévaftant Sc brülant tout le pays depuis Icone jufqu'a Nicée, pour öter aux ennemis le moyen de le pourfuivre. Cependant malgré le miférable état des afiiégés, leur courage héroïque, & plus encore 1'affiftance du Ciel, qu'ils armerent en leur faveur par les jeünes Sc les prieres, leur firent remporter Ie vingt-huit Juin une viöoire qui tient du miracle. Cent mille Mufulmans refterent fur le champ de bataille; il n'en coüta la vie qu'a quatre mille Chrétiens, & les Turcs difperfés par la fuite laifferent aux Croifés leur eonqucte avec une efpérance prefque certaine d'y joindre bientöt celle de Jérufalem & de toute la Syrië. Pendant le fiege d'Antioche, comme c'étoit une intelligence formée par Boëmond qui'faifoit efpérer le M v Alexis. An. ktqS X. Boëmond :onde la ?rinci-  .Alexis. An. 1098. pauté d'Antioche. 274 H I S T O I R E fuccès , les Princes Croifés étoient convenus que fi Alexis accomplifToit fon engagement en venant k leur fecours , la ville lui feroit remife felon le traité fait avec lui; mais que s'il manquoit a fa parole , Boëmond en demeureroit pofTefTeur. Lorfqu'elie fut prife, voulant mettre Alexis entiérement dans fon tort, ils lui députerent Hugues le Grand & Baudouin, Comte de Hainaut, pour 1'inviter k les accompagner en perfonne k la conquête de Jérufalem, felon qu'il 1'avoit promis, & lui déclarer qu'a cette condition, ils lui remettroient Antioche entre les mains j mais que s'il n'exécutoit pas cette prornefle, ils fe tiendroient réciproquement dégagés de leur parole, & qu'ils ne lui rendroient ni Antioche ni aucune des villes dont ils pourroient s'emparer. Quoique Boëmond brülat d'envie de pofTéder une fi belle conquête , il ne s'oppofa pas a cette dé-, férence qu'on avoit encore pour l'Empereur , dans la perfuafion oü il étoit que ce Prince, après avoir fi efTentiellement manqué aux Croifés , n'oieroit pas s'expofer a leur reffenti-  du Bas-Empire. Liv. LXXX1F. 27^ ment. En effet, cette députation fut non-feulement inutile , mais même très-malheureufe. Les deux Seigneurs ayant été attaqués prés de Nicée, le Comte de Hainaut difparut fans qu'on en ait jamais depuis appris aucune nouvelle. On crut qu'il avoit été tué par des Turcopoles de la garnifon de cette ville. Hugues s'étant fauvé dans des forêts, gagna Conftantinople , & vit l'Empereur. Maïs il perdit alors tout 1'honneur qu'ii s'étoit acquis par fon courage. II retourna en France, fans rendre réponfe aux Princes qui Favoient envoyé. Une Auteur du temps 1'appelle le Corbeau de 1'Arche. Boëmond ne trouva plus d'oppofnion a fe mettre en polTefTion d'Antioche, que dansle Comte deTouloufe. Raymond, foit fcrupule, foit jaloufie , prétendoit qu'on ne pouvoit enlever cette place a l'Empereur, fans violer le ferment fait entre fes mains; il vouloit que Boëmond abandonnat la ville & le chateau; Ik 1'on eut peine a obtenir de lui que la décifion de cette affaire feroit remife après la prife de Jérufalem. Cependant Boëmond demeura maitre d'Antioche, M vj Alexis. An. 1098.  Alexts. An. 1098, 1 l < XI. 11 s'empa- . ie deLaodicée. ' Ann. \ Comn. I. I. 11. Guill.Tlyr. j l, I.C.1É, j "~7our Alexis. Mais la plupart furent 1'avis de marcher a Jérufalem fans ;'arrêter aux promefTes d'un Prince jui les avoit toujours trompés. Nous n'entrerons pas dans le déail de cette expédition fameufe, qui i mérité d'être embellie par les fkions des Poëtes. Mais nous ne pourons nous difpenfer de rapporter en >eu de mots les révolutions qu'ef'uya pour lors Laodicée. Cette yüI$  bv Bas-Empire. Liv. LXXXIV. 277 puiffante autrefois & voifine d'Antioche dont elle avoit toujours fuivi le fort, poffédée en ce temps-la par ' les Turcs, fit quelques efForts pour j fe réunir au Domaine de TEmpire. Mais les Grecs fe trouverent trop foi- 1 bles pour fe maintenir contre Boëmond. Voici ce qui fe paffa. Tandis que Kerboga tenoit les Croifés affiégés dans Antioche, Vinemar , pirate de Boulogne, qui avoit rendu quelque fervice aux Croifés en Cilicie , aborda a Laodicée habitée par des Chrétiens, mais foumife aux Turcs qui s'en étoient emparés. II la prit fans faire part de fa prife aux Croifés d'Antioche. Pendant qu'il ne fongeoit qu'a jouir de fa conquête , Ravendin, premier Ecuyer d'Alexis, vint avec une flotte & s'en rendit maitre. Vinemar fut enfermé dans un cachot. Godefroi paffant par-la pour alleraJérufalem, Ravendin fe retira; Vinemar fut délivré de prifon, & le Comte Raymond entra dans Laodicée. Mais quelque temps après lorfqu'il fut fur le point de marcher a Jérufalem pour 1'affiéger avec les autres Croifés, il remit la ville entre Alexis. Ln. 1098. ilbert. Aq. •3, 5.6. Ord. Vit. . 10.  AlEXIS. An. iogS. 2/S HlSTOIRE les mains de l'Empereur fuivant la convention, a laquelle il fe piquoit d'être fidele. Pendant le fiege de Jérufalem,Boëmond, quine cherchoit qu'a étendre fa principauté , vint affiéger Laodicée avec une flotte de Génois & de Pifans qu'il avoit pris a fon fervice. Les Princes Croifés, k leur retour de Jérufalem, apprenant cette entreprife , lui envoyerent repréfenter fon injuttice; & comme il ne tenoit compte de leurs remontrances, ils s'adrefferent aux Génois &Z aux Pifans , qui fe détacherent de Boëmond , & leverent le fiege. Boëmond, fe voyant abandonné , & fachant que les Princes étoient réfolus d'employer la force des armes pour lui faire quitter prife, fut obligé de fe retirer. Les Seigneurs y entrerent , & Raymond en prit de nouveau poffefTion pour l'Empereur. Raymond, occupé du fiege de Tripoli , laiffa Laodicée a Zinziluc, que l'Empereur y envoyoit pour Gouverneur. Boëmond ne Peut pas plutöt appris, qu'il fit afTiéger la ville par fon coufin Tancrede, & s'en rendit maitre malgré les remontrances de  du Bj's-Empire. Liv. LXXXir. z-) Raymond, qui vouloit la coniërver a 1'Empire. Si 1'on en croit Anne Comnene, ce qui avoit retenu fi Jong - temps l'Empereur k Conflantinople , malgré le deiir qu'il avoit de fe joindre aux Croifés, c'étoient les ravagesdes Turcs , qui défoloient les Provinces maritimes & les ifles de I'Arehipel. Après la mort de Zachas, les Turcs qui avoient été attachés k fa perfonne , étoient demeurés maitres de Smyrne. Deux Emirs , nommés iangripermès & Maraces , s'étoient emparés d'Ephefe. D'autres chefs de brigands , maitres de plufieurs places dans 1'ancienne Ionie , dans la Lydie, dans IaPhrygie, faifoient des courfes continuelles , & enlevoient quantité de Chrétiens qu'ils réduifoient en efclavage. La plupart des ifles , telles que Chio, Rhodes & les autres de ces parages , ne fervoient plus que de dépots aux pirates, ou d'arfenaux pour la conftruction de leurs flottes. Alexis équipa fes vaifièaux, & lewa une armée: II donna le foin de cette expédition afon beau-frere Jean Ducas , & lui mit entre les mains la Alexis, An. 1098. XII. Expédition de Jean Ducas. Ann. Comn, /. ii.  Alexis. An, 1098. 280 HlSTOIRE Sultane, femme de Soliman , 8c fille" de Zachas, qu'il n'avoit pas encore rendue a fon mari, pour décourager les pirates Turcs qui n'étoient pas inftruits de la défaite de Soliman 8c de la prife de Nicée. Ducas, ayant afTemblé fes troupes dans Abyde , chargea du commandement de la flotte un Officier de marine habile 6c vaillant, nommé Cafpax , auquel il promit le gouvernement de Smyrne, s'il contribuoit a la recouvrer. II y conduifoit lui-même les troupes de terre. Les Turcs de Smyrne fe voyant menacés par mer 6c par terre , perdirent courage, 6c capitulerent fans attendre 1'attaque. Ils eurent la permifïion de fortir de la ville 6c de fe retirer oü ils voudroient. Cafpax fut laiffé pour y commander. Mais bientöt après, un Sarafin accufé de vol 1'afTafiina fur fon tribunal. Les foldats de la flotte pour venger la mort de leur chef, faccagerent la ville, 6c tuerent dix mille habitants. Ducas, affligé de ce maffacre, appaifa le tumuite , 6c Jaiffa une garnifon fous les ordre d'Hyalée, dont il connoiffoit la valeur, II marcha lui-même-  du Bas-Empire. Liv. LXXXIV. 281 vers Ephefe, pour en chafler Tangripermès & Maracès. Ces deux Emirs vinrent au-devant de lui, & lui préfenterent la bataille qui fut longue & fanglante. Enfin, les Turcs furent défaits , on fit fur eux deux mille prifonniers , entre lefquels fe trouverent plufieurs Emirs. Le refte faifi de terreur traverfa en fuyant toute la Lydie, & gagna Polybote fur le Méandre ^ oü ils fe crurent en füreté. Mais Ducas les relanca jufque dans cette retraite. Dès qu'il eut pourvu a la confervatión d'Ephefe, il fe mit a leurs trouffes par un chemin plus court, prit en paflant Sardes , Philadelphie, Laodicée de Phrygie, Lampé au-dela de Chöme, & arriva enfin a Polybote , lorfque les Turcs avoient k peine eu le temps d'y dépofer leur bagage. II tomba fur eux aufïï-töt , en fit un grand 'carnage, & revint avec quantité de prifonniers Grecs qu'il délivra de leurs mains dans tous les lieux qui fe trouverent fur fon paffage. A fon retour, l'Empereur fe mit a la tête des troupes qu'iï ramenoit; & ce fut avec cette armée , augmentée de quarante mille Alexis. An. 1098,  .Alexis. An. 1099. XIII. Alexis foupconné de trahit les Croifés. Guiil. Tyr. I. 9.c 13. Raymond de Agiles. Fukher. Car. I. i. Du Cange in Ann, /. ii. S.%2 IflSTOIRE Latins, qu'il s'avanca jufqu'a Philomelium. Alexis ne donna aucun fecours aux Croifés dans le fiege de Jérufalem , qui fut affiégée le 7 Juin 1099, 82 prife le j 5 Juillet fuivant. Sa conduite même donne lieu de douter, fi fa politique n'aimoit pas mieux voir cette puifiance vile au pouvoir des Turcs, qui s'en étoient emparés fur les Sarafms pendant le fiege d'Antioche , qu'entre les mains des Croifés , dont le voifinage pouvoit lui donner plus d'inquiétude. La queftion feroit décidée , s'il étoit vrai, comme le raconte Raymond d'Agilès , préfent a. cette expédition , qu'après la bataille d'Afcalon, gagnée le 12 Aoüt par les Chrétiens fur l'armée du Soudan d'Egypte, on trouva dans la tente du Général Sarafin des lettres d'Alexis, qui follicitoit le Soudan k s'oppofer aux progrès des Latins. S'il eut ces fentiments dans le cceur, il prit grand foin de les cacher fous les dehors de la bienveillance. II combla d'honneurs & de préfents le Duc de Normandie & le Comte de Flandre, lorfque revenant  l>£/ Bas-Empire. Lm. LXXXIF. agg dans leurs Etats après la prife de Jérufalem, ils pafTerent par Conftantinople. Peu de temps après, Raymond , Comte de Touloufe , auquel Alexis devoit de la reconnoiflance, alla jouir k Conftantinople de la faveur la plus diftinguée. II y demeura deux ans avant que de retourner en Syrië. Ces deux ans s'écoulerent fans qu'Alexis parut prendre de part a ce qui fe paflbit en Paleftine. Godefroi étoit mort depuis le 18 Juillet de 1'an 1100, un an & trois jours après la prife de Jérufalem. Son frere Baudouin, Comte d'Edefle, lui avoit fuccédé. Aufti brave, mais moins vertueux que Godefroi, il étendoit fon petit Etat par des viétoires. Alexis repofoit tranquillement dans fa capitale, lorfque de nouveaux eflains de Croifés , raftemblés d'Italie , de France &c d'Allemagne, prefque en auffi grand nombre & auffi indifciplinés que les premiers, vinrent donner au Prince Grec de nouvelles inquiétudes. Leur multitude a donné lieu a quelques Auteurs de compter ce voyage pour Ia feconde Croifade. Alexis. An. 1099. An. 1102. XIV. NouveauxCroifés. Ann. Comn. I. ii. GÜUI. Tyr. I. io. c. 12, 13 , 20. Alben. Ag. I. 8. Fulch. Cam. I. 2. Sanut. I. 3. pan. 6. c. 4- Otho Frif. I. 7- c. 7. Ekkehari. Ord. Vit. I. 10. Chron. Urfp.  284 HlSTOI&È Mais ce ne fut qu'une fuite de la Alexis. An. noz, Chron. Belg. Alberic. Chr. Chron. Sti. Anton. Baroniut, Pagi ad Rar. Dcutre- man. Conf- tantin&p. Belgic. I. S. c. 1. XV. Arrivée fles Italiens. première, que ces nouveaux venus ie propofoient de feconder, avec des defTeins encore plus hardis & plus vafles. Les Hiftoriens des Croifades ne s'accordent pas fur la plupart des circonftances de cette entrepriïe.Nous préférons le récit d'Albert d'Aix, qui, étant pour lors en Paleftine,. a pu être inflruit par la bouche des principaux acteurs; il nous paroit d'ailleurs plus judicieux & moins paffionné contre les Grecs, a la trahifon defquels les Latins étoient dans Fufage d'imputer tous les malheurs qu'ils s'attiroient eux-mêmes. - Trente mille Lombards s'étant réunis fous la condiiite d'Anfelme, Archevêque de Milan, & de plufieurs Seigneurs d'Italie , entrerent en Bulgarie pour faire le voyage de Jérufalem. Ils députerent a l'Empereur Grec pour lui demander libre paffage, & le commerce des vivres; ce qui leur fut accordé , a condition qu'ils ne commettroient aucun défordre. Mais cette troupe efFrénée ne put long-temps fe contenir. Ils enlevent de force tout ce qu'ils rencontrent,  du Bas-Empihe. Lh. LXXXIV. 285 pillent les Eglifes, maffacrentceux qui leur réfifient. L'Empereur mande a leurs chefs de ne pas féjourner dans ce pays, mais de ië rendre au plutöt a Conftantinople. Ils s'en approchent, campent a peu de diftance fur Ia Propontide. Ils y attendent pendant deux mois d'autres bandes de Francois & d'Allemands, qui devoient venir les joindre , &c employent ce temps a de nouveaux ravages. L'Empereur, craignant que la jonclion de leurs camarades ne les rendit plus entreprenants, les preffoit de paffer en Afie. Sur le refus qu'ils en firent, il défendit de leur vendre des vivres. Réduits k la difette , ils deviennent furieux , attaquent le palais de Blaquernes, y font breche en deux endroits , tuent un jeune homme de la maifon Impériale , Sc un lion apprivoifé, qui faifoit le plaifir de TEmpereur. L'Archevêque & les Seigneurs ont bien de la peine a calmer cette tempête. Enfin, ils les ramenent dans leur camp a une demi-Iieue de la ville, & vont faire des excufes a lEmpereur, lui protefiant qu'ils n'ont aucune part a Alexis. An. 1102,  Alexis. An. 1102. XVI. Des Fran Vois. 286 HI3T0IRB ces infultes, mais qu'ils n'ont pu contenir une multitude fougueule & indocile. Alexis, après quelques reproches, fe laifle appaifer: mais il exige qu'ils pafTent au plutöt en Afie. Les autres Seigneurs fe rendent a fes follicitations; mais 1'Archevêque tient ferme, dans la crainte que les Grecs ne fe joignent aux Turcs, pour les accabler après leur paffage. Le Comte de Touloufe, qui vivoit pour lors a la Cour, fe mêla de la réconciliation, & quelques jours après Paques, les Croifés pafTerent le Bofphore, & s'arrêterent a Nicomédie. On vit, peu de temps après, arriver a Conftantinople, Conrad, Connétable de Henri, Empereur d'Allemagne, avec deux mille Allemands. Comblé d'honneurs par Alexis, qui ménageoit fon maitre , il alla joindre les Lombards. Etienne, Comte de Chartres & de Blois, honteux d'avoir abandonné les Croifés pendant le fiege dAntioche, reprit la croix; & accompagné de plufieurs Seigneurs, fuivi d'un grand nombre de fes vaffaux, il vint a Conftantinople , & paffa en Afie. Avant la Pentecöte arriverent encore de diverfes  dv Bas-Empire. Liv. LXXXIF. 287 contrées plus de deux cents mille Croifés avec leurs enfants, leurs femmes, des Clercs , des Moines , & quanfité de gens inutiles. Ils demandent un chef h l'Empereur ; il leur donne le Comte de Touloufe avec un Général Grec nommé Zitas, & cinq cents Turcopoles. Ils vont joindre les autres. Malgré Etienne de Blois & Raymond , ils s'avancent au milieu de 1 Afie, prennent la route de Galatie, semparent d'Ancyre , que Raymond fait rendre a l'Empereur, comme une place du domaine de 1'Empire. Cette multitude rebelle a fes chefs, ne prenant 1'ordre que d'une préfomption aveugle, ne projettoit rien moins que de s'emparer de Bagdad. Ivres de débauche, ils fe promettoient la conquete de la Perfe & de toute 1'Afie. Ayant pafTé Ie fleuve Halys, ils trouverent une petite ville peuplée de Chrétiens, qui venoient au-devant d eux avec leurs Prêtres vêtus de leurs habits facerdotaux, & portam entre leurs mains des croix, & les faints hvres des Evangiles. Les pélerins, auffi peu Chrétiens que Mahomérans recoivent cette proceffion a grands Alexis. An. hoi,  AlEXIS. Ar. iio2, XVII. Troupe du Comt ds Nevers. 288 II I S T 0 I R E coups d'épée, égorgent ces habitants, les dépouillent; & couverts de leur lang , chargés d'un butin facrilege , ils marchent vers Amafée. Cependant les Turcs, plus fages, les fuivant avec précaution, tuoient les traineurs & ceux qui s'écartoient ..^ ils les inquiétoient fans cefTe, courant fur eux, les accablant de fleches, & fe dérobant aufTi-töt par la fuite, pour revenir au premier palTage difïicile. Enfin , cette armée , harraffée de fatigue, mourant de faim & de foif dans des pleines ftériles & arides de la Cappadoce, fut entiérement défaite par les Turcs, qui tuerent en un jour cinquante mille hommes. Raymond en ramena les reftes a Conflantinople , oü l'Empereur lui faifant des reproches d'avoir été le premier k fuir, il s'excufa fur ce qu'il avoit voulu fauver les Turcopoles de l'Empereur. Alexis, voyant Je trifte état de ces malheureux, voulut bien les foulager dans leurs befoins. Bientöt ils fe joignirent a Guillau, me, Comte de JSfevers, qui amenoit quinze mille hommes. Le Comte, ayant traverfé la Macédoine & la Bulgarie  du Bas-Empire. Liv. LXXXIF. 289 Bulgarie fans faire aucun dégat, 8c fans éprouver auffi aucune oppofition, fut accueilli avec amitié par Alexis , qui lui fournit des vivres 8c de 1'argent, tant qu'il fut en Afie fur les terres de 1'Empire. Mais lorfqu'il fe fut engagé dans le pays dont les Turcs étoient maitres, la difette, 8c fur-tout la foif, mirent fes gens hors de combat; 8c les Turcs, tombant fur eux , ne trouverent point de réfiftance. Le Comte de Nevers, étant échappé du carnage, il lui en coüta une grande fomme dargent pour fe faire conduire en Syrië par douze Turcopoles , qui, payés pour le défendre, le dépouillerent eux-mêmes; en forte que ce Seigneur, a pied Sc couvert de haillons, eut beaucoup de peine a gagner Antioche. ^L'Europe, 8c fur-tout la France, s'épuifoient par le zele turbulent de cette dé votion guerriere. Guillaume, Comte de Poitiers 8c Duc d'Aquitaine, accompagné de Hugues le Grand, qui étoit revenu de France, 8c d'Etienne, Comte de Bourgogne, fuivirent de prés le Comte de Nevers avec une armée dix fois plus nomTome XV 111, Jyf Alexis. An. 1102, XVIIL Et du Comte dc Poitiers.  Alexis. An. uo2. 290 H I S T O 1 R (S breufe. Ils traverferent Ia Hongrie; & étant parvenus en Bulgarie, ils prirent querelle avec le Duc du pays, qu'ils infulterent, & qui leur ferma le paffage d'Andrinople. II y eut la un grand combat entre les Croifés d'une part, & de 1'autre les Bulgares joints aux Patzinaces & aux Comans , qui étoient au fervice de l'Empereur. Plufieurs Seigneurs y perdirent la vie, d'autres furent pris. Mais le Duc des Bulgares ayant été fait prifonnier, donna lieu a un accommodement, qui fe fit le jour même. Les prifonniers furent rendus de part & d'autre. Le Duc leur accorda le paffage, & des guides jufqu'a Conftantinople , oü ils prêterent ferment de fidélité a l'Empereur. Ils pafferent le Bofphore au temps de la moiffon, & ne trouverent que féchereffe. Les Turcs avoient tout brülé fur la terre, & comblé les puits & les citernes. Cette armée périt encore. Des milliers de femmes furent emmenées dans le Chorafan. Ceux qui échapperent des mains des Turcs, fe retirerent a Conftantinople , d'oü ils paflerent par mer a Antioche au prin-  du B.is-Empire. Liv. LXXXIF. 291 temps fuivant pour le voyage de Jérufalem. Hugues le Grand, mourut a Tarfe. Le Comte de Poitiers, qui s'étoit vu a la tête de cent cinquante mille hommes, dénué de tout, Sc mendiant fon pain par les chemins, entra dans Antioche avec fix compagnons. II revint en France; mais les Comtes de Chartres Sc de Bourgogne périrent dans une bataille prés de Ramula en Paleftine. La perte de tant de Chrétiens fit penfer qu'Alexis les trahilToit. Le bruit couroit a Jérufalem que le Comte Raymond Sc les Turcopoles, par les ordres perfides d'Alexis, avoient conduit les Croifés par des déferts Sc des chemins impraticables, pour les faire périr par la faim , par la foif, par 1'épée des Turcs. Mais, dit Albert d'Aix, c'étoit un reproche calomnieux , démenti par des témoins refpeftables. Au contraire, ajoute-t-il, Alexis leur donna fouvent des avis falutaires; il les avertit plufieurs fois de ne pas s'engager dans des routes oü ils ne trouveroient que la difette Sc la mort. Baudouin , Roi de Jérufalem , prévenu lui-même par ces murN ij Alexis. An. 1101. XIX. Juftification d'Alexis.  Alexis. ^n- 1102. 292 HlSTOIRE mures populaires, envoya des AmbafTadeurs a Conflantinople , pour prier Alexis d'avoir pitié des Chrétiens , & de les fecourir de bonne foi, au-lieu d'entretenir intelligence avec les Infideles. Ces prieres, qui reflembloient fort a des reproches, furent accompagnées de quelques préfents, entre lefquels étoient deux lions apprivoifés. L'Evêque de Barcelone , qui retournoit en Occident, fut chargé de renouveller 1'alliance avec 1'Empereur. Alexis recut avec honneur les Envoyés de Baudouin; mais il parut très-fenfible k fes reproches. II s'en purgea par ferment, &z promit fecours aux Croifés, honneur & amitié k Baudouin. II pria 1'Evêque de Barcelone de le juftifïer auprès du Pape Pafcal, & 1'Evêque le promit. Mais ayant pris querelle avec l'Empereur avant fon depart, il s'acquitta fort mal de fa commiflion. De retour en Italië , au - lieu de juftifïer Alexis, il 1'accufa devant le Pape , dont il obtint même des lettres, par lefquelles le Saint Pere fe plaignoit amérement d'Alexis a tous les Seigneurs Francois, Cependant Alexis  du Bas-Empire. Liv. LXXXIK 2.93 témoignoit le plus vif intérêt pour la délivrance des Seigneurs Chrétiens, qui tomboient entre les mains des Infideles. Harpin de Bourges, Chevalier renommé pour fa bravoure, ayant été pris par les Turcs dans une bataille, fut conduit k Bagdad, & enfermé dans les prifons. Alexis , en étantinformé, fit déclarer au Sultan, que s'il ne lui renvoyoit Harpin, il feroit arrêter tous "les marchands Turcs qui fe trouvoient dans 1'Empire. Cette menace tira Harpin des fers. Alexis, après Pavoir retenu quelques jours k fa Cour, le renvoya en France avec de riches préfents; &z ce Chevalier, las des travaux de la guerre, fe retira daas 1'ordre de Clugny. Conrad, Connétable de l'Empereur d'Allemagne, étoit prifonnier du Soudan d'Egypte. Henri eut recours k l'Empereur Grec pour obtenir fa délivrance. Alexis fe prêta volontiers a cette négociation, & Conrad fut délivré. Mais malgré ces marqués de bienveillance a 1'égard des Croifés, -on ne peut difconvenir que la conduite d'Alexis n'ait été du moins équivoque, comme 1'eft celle de tous N iij Alexis. in, 1103  Alexis. An. iioi. An. 1103. XX. Boëmond pris & délivré de prifon. Guill. Tyr. k 9. c. 21. 1.10. c. 23, 25. Alben, Ag, !• 9, io. Gefia franc, Fulch. Carn, Ord. Vit. I. 10. Du Cange fam. By^. P- '73 » 180. Af. de Gui- nes, l, 11, 294 IIlSTOIRJS les Princes qu'on norame politiques, paree qu'ils favent mettre leur intérêt propre a cöté, & fouvent au-deffus de la bonne foi & de 1'honneur. Ce ne fut pas un fentiment de bienveillance qui porta l'Empereur a offrir de payer la ran5on de Boëmond prifonnier des Turcs; mais regardant ce Prince comme fon plus dangereux ennemi, il vouloit 1'avoir entre les mains pour fe tirer d'inquiétude & recouvrer Antioche. II y avoit deux ans que Boëmond, furpris dans une embufcade prés de Malatie, étoit dans les prifons de Doniman, un des Emirs de cette contrée. Alexis offroit k cet Emir deux cents foixante mille befans, s'il vouloit lui livrer Boëmond. Soliman , inftruit de cette propofition, eut envie de partager la proie. II écrivit k Doniman qu'il efpéroit bien avoir fa part de la rancon du Prince d'Antioche, attendu qu'étant affociés enfemble,ils avoient toujours partagé le butin comme les dangers. L'Emir, qui prétendoit jouir tout feul de cette heureufe aventure, refufa de fatisfaire Soliman, qui rompit avec lui, ravagea fes terres, le battit en  du Bas-Empihe. Liv. LXXXIF. 29-? plufieurs rencontres, & jura de ne lui jamais pardonner. Doniman , au défefpoir, ne cefïbit de fe plaindre en préfence de fes amis; il ne favoit quel parti prendre. Boëmond, informé de fon chagrin, s'en fervit pour fe procurer la liberté. Un jour que 1'Emir, qui favoit que Boëmond étoit un efprit de refiburce, étoit venu lui communiquer fon inquiétude : » Vous » vous êtes vous-même jetté dans ce » précipice, lui dit Boëmond, en » vendant ma tête a l'Empereur Grec. » Mais il y auroit un moyen de faire » retomber fur Soliman les maux » qu'il vous a faits, & ceux qu'il veut » encore vous faire ". Doniman lui demandant avec empreflement quel étoit ce moyen : » Rejettez les offres » d'Alexis, continua Boëmond, &i » contentez-vous de la moitié de la » fomme; je vous la fournirai, fi vous » voulez me dégager de ces fers. » Vous regagnerez un ami plus pré» cieux fans doute que cet argent que » vous facrifierez; & ce qui eft plus » encore, vous acquerrez 1'amitié de » tous les Chrétiens qui font fi puif» fants en Syrië. Le Roi de JérufaN iv Alexis. "ld. 1103,  AlEXIS. An. 1103, XXI. Guerre d'Alexis contre Boëmond. Ann. Comn, l. II. 2ortance de la fubordination, envoya  dü Bas-Empire. Liv. LXXXIF. 299 ordre de faire partir fur le champ pour 1'ifle de Cypre, Bardas & Michel avec la cabale qu'ils avoient déja formée. II leur enjoignit en termes trés-précis d'obéir fans réferve a Conftantin Euphorbene, Gouverneur de cette ifle. Les deux Capitaines accepterent avec joie ce changement de fervice. Ils ne pouvoient fouffrir Butumite ; mais ils ne furent pas longtemps a concevoir les mêmes fentiments contre Conftantin. Enivrés des faveurs de la Cour, ils ne pouvoient fe réfoudre k fe foumettre k perfonne ; & Alexis s'appercut qu'a force de les chérir, il les avoit rendus incapables de connoitre aucun devoir. II n'y trouva d'autre remede que de les éloigner. Cantacuzene venoit de partir pour la Cyrénaïque; il lui manda de prendre avec lui en paffant ces deux hommes, auxquels rien ne pouvoit convenir qu'une place ifolée k 1'extrêmité de 1'Empire. Butumite accompagné de Monaflras & d'autres Officiers accoutumés k la difcipline, entra en Cilicie ; mais il ne fe crut pas alTez fort pour rien entreprendre fur les places principales; & quant N vj Alexis. An. 1103,  ALEXIS. An. 1103. xxitï. Bataille navale entre les Grecs & les Pifans. 300 H I S T O I R £ aux autres, elles étoient fituées fur des montagnes dont étoient maitres les Arméniens alliés de Tancrede tk de Boëmond; & il n'auroit pu fans rifque^ de fe perdre , s'engager dans des défilés dangereux, oü une poignée de montagnards pouvoient écrafer la plus belle armée. II fe ccntenta donc de traverfer les plaines jufqu'a 1'extrêmité oriëntale, oü trouvant un pays plus ouvert dans la partie nommée autrefois Lycanitis, il s'empara de Marash qui étoit 1'ancienne Germanicie, & de plufieurs places du voifinage. II y établit Monaftras avec un corps de troupes, & revint a Conftantinople. Boëmond fe fentoit affez de forces & de courage pour réfifter aux attaques du cöté de la terre : mais il manquoit de vaiffeaux, & 1'Empire pouvoit en peu de temps équiper une flotte, qui lui enleveroit toutes fes conquêtes maritimes. II eut donc recours a une marine étrangere. Les Pifans, les Florentins & les Génois étoient alors puiffants fur mer. II implora leur fecours, & 1'Evêque de Pife fe mit en mer k la tête de neuf  du Bjs-Empire. Lh. LXXXIF. 301 Cents batiments , qui ne pouvoient être que des barques. En traverfant Ia Méditerranée, il en détacha plufieurs pour aller ravager les ifles de Corfou , de Céphalonie, de Leucade & de Zante. A la nouvelle de cet armement, Alexis avoit fait radouber & confiruire a neuf dans tous fes ports grand nombre de vaiffeaux , dont il donna le commandement a Tatice & a Landulphe , Capitaine Lombard, très-expérimenté dans les combats de mer, qui s'étoit mis au fervice de 1'Empire. Ces deux Généraux partis de Conftantinople avec grande provifion de feu grégeois , dont les Italiens ignoroient la compofition, toucherent en paffant a Samos , & aborderent au continent visa-vis , a caufe des fources abondantes de bitume, dont ils fe fervirent pour enduire les batiments nouvellement conftruits. lis y apprirent que la flotte ennemie étoit déja paffée , & qu'elle faifoit route au midi. Ils voguerent a 1'ifle de Cos, & n'y étant arrivés que quelques heures après que les Pifans avoient levé 1'ancre , ils allerent les chercher a Cnide , oü ils Alexis. An, iioj,  Alexis. An, 1103. ( ! ( « 1 i < 1 < « 1 1 1 ( 1 ( 1 1 t 302 HlSTOIRE ne trouverent que quelques traineursj de qui ils apprirent que les Pifans faifoient voile vers Rhodes. II les atteignirent entre Rhodes & Patare, Sc les deux flottes fe préparerent au combat. [1 commenca par une aft ion hardie d'un Capitaine Péloponnéfien, nommé Pé-ichitane, qui, faifant force de rames, ancant le feu grégeoisa droite Sc agau:he , traverfa comme un trait toute a flotte des Pifans, Sc revint joinIre la fienne. Les Grecs, fans prenIre le temps de fe ranger en bataile, vont en confufion heurter les Pians. Landulphe , lui-même , fait lan:er fon feu avec tant de précipitaion, qu'il ne produifit aucun effet. Aais le Comte Eléemon en tira plus l'avantage. Accroché par un vaifleau nnemi, il le brüla, & mit le feu k rois autres navires. En ce moment e vent change, il s'éleve une horible tempête ; les flots , également nnemis des deux flottes, font heurer les vaiffeaux & les brifent; plus le manoeuvre; tout eft confondu par 1 fureur des vagues Sc des vents ; es uns & les autres, au moment d'êre fubmergés, ne fongent plus qu'a  du Bjs-Empirje. Ltv. LXXXIV. 303 combattre Forage. Mais les Grecs n'a- ■ voient a fe défendre que contre les eaux; les Pifans, en même-temps battus des flots, & dévorés par les flammes, prirent la fuite. La flotte de 1'Empereur fe mit a couvert dans la petite ifle de Seutlufe fur la cöte de Rhodes, oii elle l{ pafia au point du jour. On y trouva ' quelques Latins, & entre autres un coufinde Boëmond, qui furent maffacrés. Les Pifans qui avoient échappé, fe trouvoient encore en aflez grand nombre pour fe dédommager de leur perte aux dépens des ifles. Ils firent d'abord une defcente en Cypre. Mais ils y furent fi mal recus par Eumathms Philocale qui en étoit Gouverneur , que fans attendre, une partie des leurs, qu'ils avoient envoyés au piHage , ils fe rembarquerent avec précipitation & gagnerent Laodicée, ou Boëmond les recut avec joie. Ceux qu'ils avoient abandonnés en Cypre, étant de retour de kur courfe, & ne retrouvant plus leurs navires, tranfportés de défelpoir , fe précipiterent dans les eaux. Butumite étoit venu en Cypre. Ayant tenu confeil avec Axexis. LÜ. hoj. XXIV. iuite de bataii-  Alexis. An, 1103. ; 1 i » i 1 1 < ] i ( XXV. Précau- ( tions d'Alexis con- l tre Boë- ; mond. 504 HlSTOJRS Philocale & les deux Généraux , 011 futd1 avis de faire a Boëmond des propofitions de paix. Butumite fut choifi pour cette négociation. II fe rendit uiprès du Prince d'Antioche , qu'il ïrouva fort peu difpofé a un accomnodement. Après quinze jours de :onférences inutiles , Boëmond lui "irdonna de fe retirer, le traitant d'ef)ion , qui n'étoit venu que pour metre le feu a ce qui reftoit de la flotte les Pifans. Butumite ayant perdu touie efpérance de conciliation , prit le )arti de retourner a Conftantinople ivec toute Ia flotte. Elle approchoit lu port & voguoit déja a la vue de a ville, lorfqu'elle fut encore attajuée d'une fi violente tempête, que ous les vaifl'eaux furent brifés conre le rivage, excepté 1'efcadre que :ommandoit Tatice. Tel fut le fuc:ès de cette expédition , qui coüta jeaucoup d'hommes &c de navires, ic qui ne fut heureufe ni pour les Srecs, ni pour les Pifans. Seleucie, voifine de 1'embouchure Ie 1'Oronte , appartenoit encore a 'Empire. Prés de cette ville étoit un meien port nommé Curice, affez vafte  du Bas-Empire. Liv. LXXXIK 305 pour contenir une grande flotte, & fitué avantageufement tant pour nayiger en Cypre, que pour recevoir les vaifTeaux qui venoient d'Italie au fecours de Boëmond. Cette place alors détruite avoit été autrefois très-fortihee. ^ Boëmond fe propofa de la rétablir, C'étoit le moyen de tenir en échec la garnjfon de Seleucie , & de profiter des avantages qu'il öteroit k l'Empereur. Alexis fit diligence pour traverfer cette entreprife, & il y réuffit. L'Eunuque Euftathe, grand Amiral, eut ordre d'aller promptement s'emparer de Curice, d'en relever les fortifkations, d'en faire de nouveiles a Séleucie, & d'y laifTer une garnifon commandée par Stratege, furnommé le Louche. C'étoit un homme d'une petite taille, mais d'un courage éprouvé. II devoit auffi laifTer dans ce port un nombre de vaiffeaux fuffifant pour arrêter ceux qui viendroient d'Italie k Boëmond, & pour veiller a la garde de 1'ifle de Cypre. Eufïathe s'acquitta de fa commiffion avec une intelligence & une exactitude qui lui mériterent des éloges & des récompenfes de la part de l'Empereur, Alexis. \.n. 1 ioj,  AtEXIS. An. 1104. XXVI. Boëmond retourne en Occiden:. Ann. Comn. 1. 11. Guill. Tyr. Ltl.e. io, a8. Zon. T. 11. p. 303. Gtfta Franc. Hifi. belli fac. Chron. Bar. Chron. Urfp. Leo Allathis deEccl. Oriënt. & Occident. Terpet. con' fen/u, /. z. t. 10. 306 HlSTOlRE Les mauvais luccès des Pifans n'em» pêcha pas les Génois de courir la même fortune. Au printemps de 1'année fuivante, ils mirent une flotte en mer pour le fervice de Boëmond. Dès que l'Empereur en eut avis, il fit partir deux armées, 1'une de terre fous la conduite de Cantacuzene , 1'autre de mer fous le commandement de Landulphe. Celui-ci ayant pris le large, efTuya encore une tempête, dont fa flotte fut tellement maltraitée, qu'il fallut renvoyer a terre la plupart de fes vaiffeaux pour y être radoubés. II ne lui en refta que dix-huit, avec lefquels il fe tint au cap de Malée, pour y attendre la flotte Génoife, & la combattre au paffage. Mais lorfqu'il la découvrit, fe trouvant de beaucoup plus foible , il fe retira dans le port de Coron, oü il étoit en füreté. Les Génois continuerent leur route fans obftacle, & débarquerent prés d'Antioche. Cantacuzene qui ne put les atteindre , s'approcha de Laodicée , a deffein de s'en rendre maitre. 11 s'empara du port & attaqua la citadelle , mais fans ïiiccès. Après plufieurs affauts, dans  du Bas-Empire. Liv. LXXX1K 307 lefquels il fut toujours repouffé, il tenta de gagner la garnifon par des offres féduifantes, Sc ne put fe faire écouter. Réfolu de ne pas quitter prife , qu'il n'eüt emporté la place, il fit élever entre la mer Sc la ville une muraille circulaire de pierres feches; Sc ayant achevé 1'ouvrage en trois jours, il conftruifit dans cette enceinte un fort pour fervir de retraite a fes foldats, qui, par leurs courfes continuelles couperoient a la ville toute communication avec les environs , Sc 1'inquiéteroient par de fréquentes attaques. Pour empêcher les fecours qui pourroient venir par mer, il ferma 1'entrée du port d'une groffe chaine de fer, attachée k deux tours qu'il fit batir a droite Sc k gauche. Tandis qu'il occupoit k ces travaux une partie de fes foldats, il faifoit avec le refte la conquête de toute lacöte maritime jufqu'au territoire de Tripoli ; Sc ces places depuis long-temps tributaires des Sarafms , rentrerent pour quelque temps dans le domaine de 1'Empire. Alexis voulant öter a Boëmond tout moyen de fecourir Laodicée, envoya ordre a Monaftras Alexis. An. 1104,  Alexis. An, 1104. 308 IJlSTOIRB de quitter le pofte qu'il tenoit en Cilicie , & d'aller avec toutes fes troupes donner la main a Cantacuzene, pour bloquer entiérement la ville du cöté de la terre. Mais Monaftras k fon arrivée trouva Laodicée déja prife. II ne reftoit que la citadelle défendue par cinq cents hommes de pied ck cent cavaliers, qui manquant de fubfiftances, ne pouvoient tenir long-temps. Boëmond, a la tête de toutes fes troupes , y fit entrer un grandconvoi, malgré 1'oppofition des Impériaux , qui étant maitres de la ville faifoient pleuvoir fur lui du haut des murailles une grêle de pierres & de fleches. Mais ils n'oferent fortir & le combattre. II changea le Commandant & la garnifon ; & après avoir arraché toutes les vignes d'alentour & fait de tout le terrein une plaine unie & propre aux courfes de cavalerie , il reprit le chemin d'Antioche. Cantacuzene leva le fiege ; & Monaftras de retour en Cilicie, plus hardi que Butumite , a la tête d'un grand corps de cavalerie , s'empara de Longiniade , de Tarfe, d'Adanes, de Mamiftra & de toute la Provinee. Ces  su Bas-Empire. Liv. LXXX1V. 309 fuccès rabattirent la fïerté de Boëmond. II en vint a penfer qu'il n'avoit pas affez de forces pour faire tête a celles de 1'Empire, & il réfolut d'aller en perfonne en chercher de nouvelles en Occident. Mais la route de terre lui étarït fermée, &c n'ayant pas affez de vaiffeaux pour affurer fon paffage, car la flotte Génoife étoit paffée en Paleftine , il ufa d'un ffratagême fingulier pour cacher fon départ. II laiffa la garde d'Antioche k Tancrede, & fit courir le bruit que Boëmond étoit mort. Après avoir donné a cette nouvelle le temps de fe répandre ^ il s'enferma dans un cercueil, ou Ion avoit pratiqué pour la refpiration quelque fecrete ouverture. On le tranfporte ainfi au port d'Antioche; on 1'embarque dans un navire avec 1'appareil d'un convoi funebre. II étoit fuivi de dix brigantins & de trois barques légeres, nommées Sandales. L'équipage vêtu de deuil jouoit la plus grande affliftion. Il paffa ainfi k la vue de la flotte Imperiale , & les Grecs informés de la mort d'un ennemi'fi redoutable, ne nrent que des mouvements de joie, Alexis. An. 1104,  Alexis. An. 1104. XXVII. Mariage de Jean, fils d'Alexis. Zon. t. 11. p. 301. Cinnam. I. I. e. 4. Vu Cangc in Ann. p. 403. Mtm, fam, 310 HlSTOIRE ne doutant pas que Boëmond ne fut bien avant dans les flammes de 1'enfer. II defcendit a Corfou; & comme il touchoit déja PItalie, & qu'il ne craignoit rien dans cette ifle, dont la garnifon ne furpaffoit pas fon efcorte, il fortit de fon cercueil, & fe montra fur le rivage. Les habitants étonnés de cet équipage lugubre &C de la figure d'un inconnu qui fembloit revenir de 1'autre monde , s'affemblent autour de lui & le confiderent en filence. II demande le Commandant, & jettant fur lui un regard fier & mena?ant : Fakes J"avoir d votre maitre, lui dit-il, que Boëmond eft rejfufcité, & qu'il s'en appercevra bientót. II remonte en même-temps fur fon bord, & fait voile vers PItalie. Ce fut cette année qu'Alexis maria fon fils Jean Comnene, agé de feize ans, a Pyrifca, fille de Ladiflas, Roi de Hongrie, & coufine germaine de Calomanquirégnoit alors.Les Grecs, felon leurcoutume changerentde nom de cette Princeffe en celui d'Irene, plus conforme a leur langage. Nicéphore MélifTene , mari d'Eudocie , faeiir d'Alexis, qui lui avoit donné le ti-  du Bas-Empire. Liv. LXXXIF. 311 tre deCéfar, mourutle 17 Novembre. II laiflfoit un fils nommé Alexis Mélifiene , auquel l'Empereur Manuel conféra dans la fuite la ditmité de grand Duc. Boëmond, arrivé en Italië, mit tout en oeuvre pour animer contre Alexis tous les Princes d'Occident. II repréfentoit cet Empereur comme fennemi mortel des Chrétiens. II s'entendoit, ' diloit-il, avec Soliman pour les faire ' Pjnr; il Uur refufoit des vivres; illeur ) fermoit tous les paffages par terre & par i mer. Alexis étoit plus d craindre que les ( Infideles, & c'étoit contre lui que tou- \ te tEurope devoit réunir fes efforts. Le Pape, touché de ces difcours, recut J Boëmond comme le héros de la Chré- /, tienté; il lui donna 1'étendard de Saint Pierre, & 1'envoya en France pour l; y afiembler des troupes. Cependant Alexis, informé par le * Gouverneur de Corfou du voyage F de Boëmond, fe doutant bien qu'il 5 ne pafioit en Occident que pour ar- p mer contre lui les PuifTances de ces c contrées, écrivit a tous les Princes ( a toutes les Républiques, & fur-tout 3 celles de Pife, de Gênes, de Ve- v Alexis. An. 1104. By\- P- l73 .179. 4n. Iioj. XXVIII. Boëmond :n Italië. Ann. ■ oma. I, 2. ruill. Tyr. ■ ll.C. I , llbert. Aq. 10. Gifia 'ranc. Hifi. bUli 'C. Guibert9 3. Hifi. trof. ïkkehard. inut.l, 3 . 'rc. 6. c. Matthieu irif. Eulch. irn. I. 2, w. ru. 11. fe.  Alexis . An. 1105. Chron. Sti. Anton. Chron. Mar. Pagi ad Bar. Du Cange in Ann. p. 380. Idem. fam. p. 158- Theophyl. tp. 65. XXIX. Mefures tres en Cilicie , fous les ordres de Monaftras. L'Empereur manda k ces deux Généraux de ie rendre aiiprès de lui avec leur. armée. Mais ipour; ne; pas laifTer fans défenfe cette im-, portante frontiere, il envoya Péaeas a Laodicée avec un corps qu'il crut fuffifant pour conferver Cette place', & fit relever Monaftras par un Arménien alors célebre par fa valeur, nommé Afpiétès. C'étoit un defcendant des Arfacides, qui s'étoit fignalé >dans la guerre contre Robert Guifcard, L'Empereur envoya ordre a tous les corps difperfés dansles Provinces occidentales de 1'Empire, de fe réunir a Sthlanize en Macédoine,&de venirle joindre k Theffalonique, oü il fe rendit au mois de Sepfembre. II y pafla le refte de cette année & la fuivante,  du DAs-Eupim. Liv. LXXXir. 315 occupé a exercer fes foldats , & a faire fortifier fes places. La retraite de Monaftras, guerrier habile & vigilant, fit perdre de nouveau la Cilicie. Dès que Tancrede fut averti de fon départ, il marcha en Cilicie, & ne trouva prefque point de réfiftance. Ce brave Afpiétès, qui s'étoit fait honneur dans les batailles, fit voir qu'il avoit le bras meilleur que la tête, & fa réputation brillante dans les emplois fubalternes s'éc-lipfa entiérement dans un pofte fupéneur. Ladignité de Stratopédarquè, c'eft-a-dire, Général des armées d'Orient, 1'éblouit jufqu'a 1'aveugler. NulIe difcipüne, tiulle vigilance, comme s'il eut repofé dans une paix profonde. Livré aux excès de table, il fe dédommageoit des travaux qu'il avoit efluyés fous le commandement d'Alexis. Anéanti par la débauche, il n'étoit nullement en état de tenir tête k un ennemi auffi aöif, auffi vigoureux que Tancrede, qui neut pas de peine a reconquérir toute la Cilicie. II ne lui fallut que fe montrer. Avec dix mille hommes, il remonta le Pyrame, attaqua & prit Maniftras. O ij Alexis. An. 1105. XXXI. Tancrede reprendla Cilicie,  AlEXIS. An. noj. An. 1106. XXXII. lïlouvem?nts de Boëmond. $IÖ HlSTOIRE Toute. la Province rentra fous fora obéifTance, & le bruit de fes armes ne fut pas même capable de réveiller le ftupide Afpiétès , enfeveli dans 1'ivrefTe, dont il ne revint que dans les fers. Tancrede, de retour èn Syrië, ayant armé quelques vaiffeaux, prit un batiment Grec qui venoit reconnoitre ia cöte. II fit couper le nez & les pouces a ceux qui le montoient, & les renvoya dans une chaloupe. Pendant que Boëmond travailloit a foulever 1'Occident contre 1'Empire, 1'apparition d'une grande comete qui fe montra durant quarante jours, dans les mois de Février &C de Mars en 1106, donna de 1'inquiétude aux Grecs, & de 1'exercice aux Aftrologues. Le plus hardi de ces vifionnaires affura l'Empereur d'après fes. obfervations, confïrmées, diibitil, par une révélation de Saint Jean PEvangélifte, que cette comete, ayant fa direftion d'Occidént en Oriënt, e'étoit un figne infaillible, que les Latins, qui venoient d'Occidént,périroient, & difparoïtroient du même cöté que la comete. Boëmond, qui ne fe repaifoit pas de ces chimères,  bv Bas-Empire. Liv. LXXXIF. 317 trouvoit des efpérances plus folides dans la prote&ion de Philippe, Roi de France. Ce Monarque non-feulement lui permit de lever des foldats, il 1'honora encore de fon alIiance , lui donnant pour femme fa fille Conftance; & a Tancrede, laPrincelTe Cécile, fille de Bertrade, fa concubine. Les noces de Conftance furent célébrées a Chartres après Paques avec grand appareil. Au milieu de cette brillante cérémonie, Boëmond monta fur le jubé de la Cathédrale; &z auffi bouillant miffionnaire que brave Capitaine, il prêcha 1'expédition contre Alexis, avec le même feu qu'il avoit coutume de combattre. Ce fermon guerrier embrafa aifément des cceurs paffionnés pour la gloire des armes. Brunon , Légat Apoftolique , tint le 26 Mai un Concile. a Poitiers, pourrépandre la même ardeur au-dela de la Loire. Toute la France fe remue en faveur de Boëmond. On ne refpire que vengeance contre l'Empereur Grec. La NoblefTe arme fes vaffimx ; & en peu de_ jours , le Prince d'Antioche fe voit a la tête d'une belle armée. II O iij alexis. An. itc4,  Alexis. An. 1106. XXXIII. Occupations d'Alexis en Macédoine. 3l8 BlSTOIRE paffe les Pyrenees, & tire des fecours d'Efpagne, oü la Religion fut toujours guerriere. II retourne enfin en Italië; & trouvant au-dela des Alpes le même empreffement a le fuivre , il affemble fes troupes dans le port de Bari, & fe prépare a paffer en Illyrie. Alexis, de fon cöté, ne s'endormoit pas a Theffalonique. II avoit déja en» voyé quelques troupes en Illyrie fous la conduite de Michel Ducas, fon beau-frere , pour s'oppofer aux progrès de Boëmond. II formoit fes nouveaux foldats aux évolutions militaires ; il ajoutoit de nouvelles fortifications a Duras, qui devoit éprouver les premières attaques; & il établiffoit, pour Gouverneur, Alexis, fecond fi!s du Sébaftocrator. II faifoit affembler & équiper des vaiffeaux dans les Cyclades & dans tous les ports dAfie & d'Europe, pour en conv pofer une grande flotte; & quoique Boëmond ne parüt pas prêt k paffer le golfe, Alexis ne ceffoit de preffer 1'armement de terre & de mer, perfuadé que le fuccès dépend en grande partie de la diligence. Tandis qu'il s'occupoit de ces diverfesopérations,  du Bas-Empire. Liv. LXXXIF. 310 il apprit que Bolcan, en Dalmatie, recommencoit la guerre, Sc qu'il avoit déja remporté un avantage fur Jean, fils du Sébaftocrator. II marche aufli-töt de ce cöté-la avec un grand corps de troupes. Mais Bolcan prévient fon arrivée en demandant la paix, Sc donne des ötages. L'Empereur retourne a Theffalonique. II étoit accompagné de fon fils Sc de fa bellefille Irene, qui, paffant par Balabifte én Macédoine, mit au monde deux jumeaux, un fils qui eut le nom d'Alexis, Sc une fille qui fut nommée Marie. L'hyver approchoit; l'Empereur donna des quartiers a fes troupes, & fe retira a Conflantinople/ Un vent violent avoit abattu au mois d'Avril la ftatue de Conftantin ; la fuperftition avoit vu dans un accident fi naturel un préfage funefie , a l'Empereur; elle en crut voir TaccompliiTement avant la fin de cette annee. Après les révolutions précédentes, oü 1'on avoit vu la couronne devenue le jouet du caprice Sc de 1'intrigue , s'arrêter quelquefois fur des têtes méprifables/ïl n'étoit perfonne qui ne s'en 'crüt digne. QuaO iv Alexis. An. 1106. XXXiV. Conjura- :ion des 'reres Aïémat. Aan. ?om/2. lu [2,  Alexis. An. n©6. 320 - ■ B i s t » 1 r e tre freres, portant le nora d'Anémas,' defcendus de ce fameux Curupe, défenfeur de Candie contre TEmpire, & mort enfuite au fervice de 1'Empire, fous le regne de Zimifcès, formerent le projet de tuer Alexis, & de fe mettre en fa place. Ils engagerent dans leur complot les plus diflingués de 1'ordre militaire; &c comme il leur falloit beaucoup d'argent pour une ent^eprife qui ne réuffit que par la corruption , ils s'adrefferent a un Séha'téur, nommé Salomon , que fes grandes richeffes mettoient en état d'acheter les forfaits qui fe vendent au plus haut prix. C'étoit d'ailleurs un homme de peu d'efprit, mais préfomptueux , qui fe croyoit grand philofophe , & trèscapable de gouverner un Empire , paree qu'il favoit par cceur les politiques d'Ariftote, & la république de Platon. Michel, 1'ainé des Anémas, Sc chef de la^conjuration, n'eut pas de peine a Tui perfuader que c'étoit pour lui qu'on travailloit; que 1'Empire avoit befoin d'un génie tel que Ie fien, 8c que le temps étoit venu 2Ü les Philofophes alloient gouvervi O  du Bjs-Empire. Liv. LXXXIF. 321 ner le monde ,& le monde être heureux. Salomon, enchanté par ces belles paroles , ouvrit les tréiors, & Michel y puifa ce qu'il voulut, comptant bien que , fi le projet réuflïffoit, Salomon auroit été affez payé par le plaillr que lui auroit procuré un fonge fi flatteur. Le Sénateur, qui ne favoit de 1'intrigue que ce que Michel avoit jugé a propos de lui en découvrir, ne penfoit pas qu'on en voulut a la vie d'Alexis : il projettoit d'ufer de clëmence , & n'avoit intention que de le faire Moine. Empreffé de gagner des partifans , il s'adreffoit aux premiers venus; & comme s'il eut déja tenu le fceptre en main, il promettoit des penfions & des dignités. Michel, 1'ayant furprit dans une converfation de cette efpece, fentit bien que le fecret alIpi* tranfpirer, & que s'il ne hatoit I'exécution, il étoit perdu fans reffource. II n'en dit rien k Salomon; mais il alla la nuit fuivante avertir les conjurés, & 1'on convint d'attaqiier le palais dès le lendemain, & d'y affafïïner Alexis. L'Empereur, qui fe levoit de grand 1 O y { Alexis. An, noó, XXXV. Ile eft déouvertei punie.  Alexis. An, ii 06. 322 IIlSTOIRE matin, ayant déja terminé les affaires dont il s'occupoit toujonrs a fon réveil, prenoit quelques moments de relache, & jouoit aux échecs avec un de fes courtifans. On vient 1'avertir qu'il y a un complot formé contre fa perfonne, & qu'on voit déja des gens armés dans la chapelle du palais, qui communiquoit par une porte a fon appartement. II n'y avoi£ encore que George Bafilace avec fes gens & Salomon, qu'on faifoit mouvoir comme un automate, & qui devoit fe montrer a la tête des conjurés. Ils attendoient leurs camararades, lorfqu'ils fe voyent faifis par la garde Impériale, qui les amene dans la chambre voifine de celle de l'Empereur. On les interroge : ils ment d'abord qu'ils ayent aucun deffein. Alors le Sébaftocrator, adreffant la parole k Salomon , dont il cortnoiffoit la timide fimplicité, lui promet le pardon, s'il avoue le complot & les complices : il le menace des plus rigoureux tourments, s'il perfifte k nier des faits dont on a déja des preuyes aflurées. Salomon , effrayé, fe voyant environné des ha-  du Bjs-Emp-ire. Liv. LXXXIK 32:3 ches des Varangues, qui fembloient prêtes a tomber fur fa tête, déclare tout ce qu'il fait. Mais il ne favoit pas tout; & fur le deflein formé de maffacrer 1'Empereur, il protefte qu'il n'en a aucune connoiffance. Bafilace , interrogé a fon tour, fe fait un mérite de déclarer le refte. On les met dans une prifon féparée, &l'on envoye faifir les autres. Lorfqu'ils furent tous arrêtés & convaincus, comme ils n'étoient pas également coupables, on les condamna k des peines différentes. Salomon, qui n'en vouloit qu'a la Couronne, fut relégué a Sozopolis. Sa maifon, magnifiquement batie, & meublée fuperbement, fut donnée a 1'Impératrice, qui, par un fentiment généreux, n'en voulut rien prendre, 8c la laiffa toute èntiere k la femme dé Salomon. Les Officiers militaires furent exilés, &c tous leurs biens confifqués. Mais Michel &fes freres, auteurs du crime, outre l'exil, furent condamnés k une forte de triomphe ignominieux, 6c" plus douloureux k des gens de coeur, que n'auroit été la mort. Je ne fais fi ce bizarre traitement, qui joignbit O vj Alexis'. An. 1106,  Alexis. An. 1106. 1 An. 1107. ( XXXVI. , Révolte de Gré- 1 goire Ta- i ronite. Ann. Comn. I. y 11. 1 Dn Cange { fim. P. 171. ' t 324 IJlSTOI&E la bouffonnerie k 1'horreur, ne défhonoroit pas la clémence clont l'Empereur üfóit k 1 egard des autres. Ils furent promenés fur des bceufs au travers de la ville, la barbe arrachée, Ia tête rafée, couronnés de cornes de bceufs & d'entrailles de ces animaux, les bourreaux danfant devant eux, ck chantant une chanfpn groffiere fur leur crime & leur punition. On devoit enfuite leur crever les yeux dans' la grande place; & tout étoit préparé, lorfque 1'Impératrice, \ force d'inftances réitérées, obtint qu'on leur fit grace du fupplice. On es ramena en prifon dans une tour roifine du palais de Blaquernes, qui üt depuis nommée la tour d'Anémas. Michel & fes freres y étoient enrore , lorfqu'on y renferma un nouveau prifonnier. C'étoit Grégoire Taonite, Duc de Trébizonde , qui s'éoit révolté contre l'Empereur. Nous vons vu fous 1'an 1091 que Théolore Gabras étoit Gouverneur de cete ville avec le titre de Duc , & que on fils, quoique gendre d'Alexis , deenu fufpedta l'Empereur, étoit déenu comme prifonnier k Philippo-  du Bas-Empire. Liv. LXXXIF. 325 polis. Théodore ayant perdu le Duché de Trébizonde, foit par la mort, foit par la difgrace, & le mariage de fon fils avec Marie Comnene, fille d'Alexis , ayant été rompu , l'Empereur conféra ce Duché a Dabatene, & en 1104 il lui envoya pour fuccefTeur Grégoire Taronite , neveu de Michel Taronite, beau-frere d'Alexis. Dès que Grégoire fe vit revêtu de ce Gouvernement, il concut le defiein de s'en faire un état indépendant. L'éloignement de Trébizonde féparée du refte de 1'Empire par les conquêtes des Turcs, rendoit ce projet facile a exécuter, & pouvoit tenter Pambition. Voici comment il s'y prit. Ayant rencontré Dabatene qui retournoit A Conftantinople., il fe faifit de fa perfonne , dans la crainte que ce Seigneur qui connoiffbit le pays, & qui étoit aimé des habitants , ne fut employé contre lui. II le fit enfermer dans le chateau de Tabenne, ville de fon gouvernement fur les frontieres de Galatie. II fe faifit auffi des principaux de Trébizonde attachés a 1'Empire, & les envoya dans Ja même ville. Ces prifonniers Alexis. An. 1107,  Alexis. An. 1107. 326 HlSTOlRE trouvant moyen de fe réunir, tomberent fur leurs gardes, & les chafferent de la ville dont ils fe rendirent maitres. L'Empereur, informé de la conduite de Grégoire, lui envoya ordre de revenir k la Cour, lui promettant grace s'il obéiffoit , & le menacant d'un févere chatiment, s'il perfiftoit dans fa rébellion. Grégoire ne tint compte ni des promeffes, ni des menaces; & au-lieu de retourner a Conftantinople, il y envoya un libelle fatyrique, dans lequel il déchiroit les Sénateurs, la Noblefle & toute la Cour. L'Empereur, irrité de cette infolence, fit partir des troupes dont il donna le commandement k fon neveu Jean Taronite , coufin germain du rebelle. II lui recommanda d'employer d'abord les voies de douceur & d'infinuation, pour le faire rentrer dans fon devoir, mais de le poufler a toute outrance, s'il ne pouvoit le ramerier a la raifon, Grégoire, apprenant que Jean étoit en marche, fortit de Trébizonde, & prit la route de Colonée , a deffein de fe renfermer dans cette place imprenable , &C d'y attendre le fecours qu'il  du Bjs-Empirê, Lh. LXXX1K 32.7 efpéroitde 1'Emir Doniman. Jean, inftruit de ce mouvement, détacha de fon armée un corps de Francs avec Pélite des troupes Grecques, &leur ordonna de marcheren diligence pour prévenir Grégoire. Ils 1'atteignirent en effet avant qu'il eut gagné Colonée , lui livrerent bataille, & le firent prifonnier. Jean le ramena a Conftantinople ; & 1'ayant préfenté k l'Empereur, il intercédoit lui-même avec inlTance pour fon coufin. Alexis paroiffoit implacable & réfolu de lui faire crever les yeux. Enfin , fe laiffant fïéchir , il promit en fecret k Jean de faire grace de 1'aveuglement; rnais il lui recommanda de n'en rien dire. Le troifieme jour il fait conduire Grégoire au travers de la ville , la barbe & la tête rafée, & renfermer enfuite dans Ia tour d'Anémas. Grégoire n'en devint que plus furieux. II ne celToit d'inveftiver contre rEmpereur en préfence de fes gardes; & les bons traitements dii Prince, qui tachoit de le ramener par fa ciémence, ne purent adoucir cet efprit féroce. Le Céfar Nicéphore Bryenne , mari d'Anne Comnene ? Alexis. An. 1107;  Alexis. An, 1107. XXXVII. Mefures que prend Alexis pours'oppofer au paffage de Eoëmond. Ann. Comn. I. 12 , 13. Guill. Tyr. I. 11. e. 6. 1. 12 , c. 3.2. Albert. Aq. I. IO, II, 328 HlSTOIRE obtint de l'Empereur la permifiion de le villier fréquemment. Mais quoique Grégoire 1'aimat & qu'il Peut fouvent deinandé, Bryenne ne put rien gagner fur ce caradtere intraitable. La longueur de la prifon fit enfin ce que nul fentiment n'avoit pu opérer. Grégoire témoigna fon regret a l'Empereur , qui n'avoit pas moins d'envie de lui pardonner, que Grégoire de fortir de prifon. Alexis le remit en polTeflion de fes biens, le cotnbla de nouvelles faveurs, &C lui fit oublier fa punition, en oubliant lui-même le crime par lequel il 1'avoit méritée. Un ennemi bien plus redoutable donnoit a l'Empereur de plus vives inquiétudes a 1'autre extrêmité de 1'Empire. L'Illyrie alloit encore devenir le théatre d'une guerre fanglante ; elle étoit k la veille d'éprouver de nouveau, de la part de Boëmond , tous les maux que lui avoient déja fait fentir Robert Guifcard & Boëmond même. Alexis, qui, dès 1'année précédente, avoit mis ce pays en état de défenfe, nomma Ifaac Contoftéphane pour commander la flot-  »u Bas-Empirs. Liv. LXXX1F. 329 te', & le. fit partir pour Duras , le menacant de lui faire crêver les yeux, ;s'il ne prévenoit Boëmond pour s'op.pofer a fon paffage. II ne ceffoit par fes lettres d'exhorter fon neveu Alexis , Gouverneur de Duras , a fe .tenir fur fes gardes , & a prendre .toutes les précautions poflibles pour être inftruit des mouvements du Prince de. Tarente , & pour. fe défendre de fes attaques. II lui recommandoit fur-tout de 1'avertir fur le champ dès que Boëmond fe mettroit en mer. Contoftephane avoit ordre de ne fonger a rien autre cliofe qu'a garder avec foin le golfe Adriatique , & a fermer le paffage aux vaiffeaux, que 1'ennemi ne'manqueroit pas d'envoyer devant pour tranfporter fes magafins & fes machines de guerre. Mais com- ' me il ne favoit ni de quel port par- j tiroit Boëmond, ni oü il aborderoit, • il penfa que le plus fur étoit de 1'al- : Ier chercher en Italië ; &. contre les . ordres qu'il avoit recus ; il fit voile vers Otrante. II débarqua dans le J voifinage; & laiffant fes vaiffeaux k la rade, il marcha vers Brindes, oü il croyoit furprendre Boëmond. Ce Alexis. An. 1107, Fukh. Carn. I. 2. Ord. Vit. I. li. Sanut. I. J.' part. 6. e. 5- Hijl. hitro' roi Malmesi. I. 4. Matth. Pa* 'is. Chron. } Bar. Chron. S. tinton. Du Cange 'n Ann. p. J88, 390. J9*i 393- 'dem. Fam. >. 258. 'dem. dif. 'ert. fur 'oinville •7- Pagi ad lar. Manfi ad lar.  Alexis. An. 1107 •oii? ,88; *t« 1 5 330 HlSTOIRE Prince n'y étoit pas alors, & les ha, bitarrts dans une parfaite fécurité eurent a peine le temps de fermer leurs portes. Dans la furprife & 1'allarme oü ils étoient, la ville alloit être emportée du premier affaut, & les Grecs poulToient déja des cris de victoire , lorfqu'une femme leur arracha des mains cette proie dont ik fe croyoient maitres. Alberade, mere de Boëmond, autrefois répudiée par Robert Guifcard, mais qui vivoit encore , fe trouvoit dans la ville ; elle ordonna aux habitants de crier comme les Grecs , vive L'Empereur Alexis. En même temps elle envoya dire a Contoltéphane qu'il n'étoit pas befoin a"affaut ; qu'elle alloit lui pórtèr ellemême les clefs de la. ville, & conférer avec lui de plujïêurs chofes importarv tes dont il étoit bon dinjlruire l'Empereur. C'étoit pour donner k fon fils le temps de venir au fecours : elle lui avoit dépêche en diligence pour 1'avertir du danger. Le Général GreC donne dans le piege ; & tandis qu'il fe prépare k recevoir la mere, arrivé le fiis avec un corps de cavalerie légere. II tombe a grands coups  du Bas-Empire. Liv. LXXXIV. 331 de fabre fur les Grecs qui ne s'attendoient qu'a une conférence. C'étoient des troupes de marine , qui n'étant pas dreffées aux combats de terre , prirent aulE-töt la fuite, & fe noyerent la plupart en voulant regagner leurs vaiffeaux. Cependant un corps de fantaffins aguerris, a la tête defquels étoit Alexandre Euphorbene avec trois autres braves Capitaines, fit bonne contenance, & la piqué k la main arrêta affez long-temps les vainqueurs pour couvrir la retraite. Ils regagnerent enfuite eux-mêmes leurs vaiffeaux en bon ordre, faifant de temps en temps tête a 1'ennemi, & combattant prefque k chaque pas, jufqu'a 1'embarquement. Contoftéphane leva 1'ancre auffi-tót, & traverfant le golfe fe retira dans le port de la Valonne. Dans letat oii étoit alors 1'Empire Grec , les Empereurs étoient obligés de prendre a leur folde un affez grand nombre de Barbares. En cette occafion, fix Patzinaces furent faits prifonniers. Boëmond, qui favoit profiter de tout, en fit un grand ufage pour. rendre Alexis odieux a toute la Alexis. An. ii 07, XXXVIII. Adreffede Boëmond pour rendre Alexis odieux.  Alexis. An. 1107. 332 HlSTOIRE Chrétiente. II les conduifit a Rome, & les préfentant au Pape , qui n'approuvoit pas qu'on fit la guerre aux Grecs , paree qu'ils étoient Chrétiens: » Très-faint Pere, lui dit-il , don» nerez-vous encore le nom de Chré» tiens a une nation impie , qui non -» content d'infulter au Saint-Siege Sc » de profcrire les dogmes facrés de » 1'Eglife Romaine, arme contre nous » les peuples Infideles? Faire aujour» d'hui la guerre aux Grecs, c'elï » la faire aux Patzinaces, aux Uzes, » aux Comans, aux Turcs, dont leurs >> armées font compofées.Voyez-vous » ces Scythes , ces regards affreux, » ces vifages farouches , plus fem» blables a des tigres qu'a des hom» mes? Voila ceux auxquels ce pieux »> Empereur abandonne nos Eglifes , » nos vafes facrés, nos Prêtres, nos ►> Vierges cönfacrées au Seigneur. » Y0'^ Ies foldats de ce Prince Chré» tien. Mérite-t-il donc plus de mé» nagement que les Turcs! N'eft-ce •> pas contre ce perfide Sc profane en•> nemi que la Religion devroit tour>» ner toutes fes armes " ? Ces difcours ^mbrafoient tous les lieux par oii il  dv Bas-Empire. Liv. LXXXIF. 3313 paffoit; ils fe répandoient dans tout 1'Occident; & Ja vue de fix Patzinaces lui fit dans 1'Italie un grand nombre de foldats. Contoftéphane avoit d'abord diftribué fes vaiffeaux le long de la cote depuis Duras jufqu'a la Chimère', dans 1'efpace de trente lieues. Mais lorfqu'il apprit que Boëmond avoit réfolü de^ débarquer a la Valonne, il les rafiembla entre ce port & celui de Bari, oü la flotte Latine étoit è 1'ancre. II placa des fentinelles fur le promontoire de Jafon , pour 1'avertir de 1'approche des ennemis. Ces difpofitions étoient fages, mais la lacheté les rendit inutiles. Au premier avis du départ de Boëmond, Contoftephane prend Pépouvante : il commence a s'appercevoir qu'il n'a pas affez de forces pour s'oppofer a 1'ènnemi. En vain Landulphe , plus brave & plus expérimenté, lui repréfente que c'eft précifément pour la conjoncture^ préfente que la flotte Grecque a été équipée , armée, envoyée ; que c'eft le moment qu'ils attendent depuis long-temps, & qu'ils ne peuvent éviter la rencontre du Prince Latin, Alexis. An. 1107. XXXIX. II paffe en IUyrie.  Alexis. An. l i 07. 334 HlSTOlRB & lui laifTer la mer lïbre , fans fe couvrir de honte, & fans déibbéir a l'Empereur. Ces raifons ne ralTurent pas le timide Général ; il prétexte une maladie ; & ayant befoin, dit-il, de 1'air de terre , il lahTe Landxilphe avec quelques vailTeaux a la Valonne, & fe retire au port de la Chimère , oh fes gens defcendent ,a terre a la fuite de leur Général. A peine a-t-il difparu , qu'on découvre la flotte de Boëmond, qui, fecondée d'un vent favorable, formoitunmagnifique fpectacle, que les rayons du foleil levant dans un ciel fans nuage , rendoient encore plus brillant. Deux cents vailTeaux', tant grands que petits, & trente galées voguoient a pleines voiles. Les galées étoient de grands batiments fort légers, arrnés d'un long éperon , ayant chacun cent rames, & deux rameurs fur chaque rame. A la première ligne s'avancoit le vaiffèau de Boëmond, efcorté dedouze autres, & toute cette ordonnance étoit bordée par-derriere & fur les ailes d'un demi-cercle de vailTeaux de charge , qui fervoient comme de boulevard a cette ville flottante. A la vue  Alexis. du Bas Empire. Liv. LXXXIV. 335 de cet appareil, Landulphe confidérant le nombre _ la fnrm~ i„ i-r polition des navires ennemis, jugea que dans fa foibleffe ce feroit témérité que de les attendre. II quitte leport de Ia Valonne, & Boëmond y entre fans réfiitance le 9 Octobre. II s'empare en même-temps de la' Camne. II amenoit douze mille chevaux & foixante mille hommes d'infantene, Francois, Italiens , Allemands , Anglois. Ils n'eurent pas plutot le pied fur la terre, qu'ils cxmrurentau pillage, & ravagerent toute Ja cote. Le deffein de Boëmond étoit de prendre Duras, & d'étendre enfuite Ie ravage jufqu'aux portes de Conftantinople. II commenca par fe rendre maitre de tout le pays d'alentour,. la plupart des villages ayant ete abandonnés des habitants. Le 13 du mois, quatre jours après fon arrivée, il alla camper devant Duras.' Dès le moment qu'il avoit débarque en Illyrie, le jeune Alexis, Gou- ^ verneur de Duras, qui ne manquoit m ni de courage, ni de vigilance , avoit " envoye, en toute diligence, avertir 1 Umpereur. Cette nouvelle jetta 1'ef- /ii-txis. An. Ï107, XL. lexis fe et en arche.  AtEXIS. An. 1107, 336 y H I S T O I R S froi dans Conftantinople. L'Empe-. reur, qui en reffentoit les plus vives allarmes, parut le moins confterné. Quoiqu'il eut alors des foupcons d'une trame fecrete qui fe formoit contre lui au milieu de-fa Cour, il réfolut de marcher en perfonne a \ar défenfe de fa frontiere. Après :avoir donné ordre aux affaires de la villey dont il laiffa le foin a l'Euhuque* Euftathe , grand Amiral, & a Nicéphore , fils de Décan, il partit le premier de Novembre. avec 1'Impératrice. Après avoir fait quelques pastil s'arrêta, & paffa la nuit fous fa tente a Géranium, ou il demeura quatre jours. II y étoit retenu par une crainte fuperftitieufe. C'étoit une opinion répandue alors a Conftantinople , qu'au départ des Empereurs , le fuccès de leur voyage étoit annoncé par un miracle qui s'opéroit dans 1'Eglife de la Sainte Vierge de Blaquernes. On ne dit pas en quoi ce miracle confiftoit; mais il ne s'étoit pas fait cette fois, tk Alexis n'ofoit s'éloigner. .11 revint donc a Conftantinople , le foir du quatrieme jour,avec 1'Impératrice; & après'avoir paffe en prieres |  du Bas-Empirb. Liv. LXXXIF. 337 prieres une partie de la nuit dans cette Eglife, il vit enfin, ou crut voir la merveille qu'il defiroit. Raffuré par cet heureux préfage, il regagna fon campement, & prit le lendemain la route de Theffalonique. En chemin il ecnvit a Contoftéphane, qui s'étoit rembarqué lorfque le dang ;r étoit paffe, lui recommandant avec inftance de garder avec plus de foin le paffage du golfe, & d'empêcher qu'il ne vint d'Italie k Boëmond, ni convoi de vivres, ni renfort de troupes. Au bord de 1'Hebre, Plmpératnce, déja ennuyée de 1'expédition, vouloit retourner k Conftantinople. Alexis la retint malgré elle , & ayant paffé le fleuve, ils s'arrêterent k Cypfele. J c Ce fut dans cette ville qu'éclata Ie complot qui fe tramoit fourdejnent contre la vie de l'Empereur. A Ia Cour de Conftantinople étoit une ■ familie illuftre, defcendue d'Aaron, ' Pnnce Bulgare, affaffiné par fon frere iamuel fous le regne de Bulgaroctone. Un Mtard de cette familie nommc Aaron, homme violent & fedltieux , s'étant lié d'amitié avec Tornt XFIU, p Aiexi^.An. uoy. xtr. Conjuraion conre Aleds.  Alexis. An. s-107. 538 HlSTOIRB les mécontents, réfolut de les fervïr en affarTïnant Alexis. II communiqua fon defTein a fon frere Théodore , 8c tous deux chargerent de Fexécution un efclave Patzinace, nommé Démétrius : ils Favoient acheté exprès a caufe de fa force extraordinaire &C de fa hardieffe féroce, qui le rendoient capable du forfait qu'ils méditoient. Ils lui donnerent un poignard a deux tranchants; mais comme on jugeoit alors que 1'Impératrice ne faifant ce voyage qu'a regret, ne tarderoit pas a quitter FEmpereur, ils lui recommanderent de ne point tenter 1'entreprife , qu'elle ne fut partie ; perfuadés qu'il feroit plus aifé de furprendre le Prince , lorfqu'il n'auroit plus auprès de fa perfonne une garde fi zélée & li fidele. Quand ils virent que le départ d'Irene étoit différé, & qu'elle feroit compagnie a 1'Empereur plus long-temps qu'on ne s'y attendoit,. délefpérés de ce contre-temps, & voulant dégoüter du voyage 1'Impératrice, qui tenoit leurs bras en fufpens, ils compoferent une fatyre outrageante,. dans laquelle ils railloiént la PrincelTe du goüt qifelie  du Bas-Empire. Liv. LXXXIF. 339 avoit pour le militaire, & le Prince de fon attachement k iine femme fi guerriere. Comme les Ioix étoient très-féveres contre les auteurs des libelles diffamatöires, ils prirent pour répandre leur fatyre toutes les précautions que la malignité fait emprunter de la prudence. Les fuccès les ayant rendus moins circonfpefts , ils compoferent un fecond libelle plus infolent encore & plus indécent , qu'ils j etterent fous la table de l'Empereur en dinant avec lui. La table étant levée, cet écrit fut trouvé & mis entre les mains du Prince ; il étoit adrelTé k Alexis, & portoit'en loufcriptiqn : Un Moine que tu ne connois pas, mais que tu verras en fionge ; }ls fe moquoient apparemment des vinons d'Alexis, qui avoit la foibleffe --de les raconter. La nuit fuivante, un Officier de la bouche de l'Empereur, fort dévot, qui avoit coutume de fe relever ia nuit pour réciter les matines en fe promenant, étant forti de fa tente pour cette oeuvre pieufe, entendit un valet qui fortoit d'une autre tente, en difant: Fous me maltraite{; mais fi je ne fais pas connoitre vos P ij Alexis. An. 1107.  Alexjs. An. 1107. 340 HlSTOIRE complots & votre rage a forger des li* belles , dites que je ne fuls pas Stratege. C'étoit un domeftique d'Aaron, qui ne fachant pas apparemment qu'un maitre coupable fe rend efclave de fes valets quand il en fait fes complices , prétendoit ufer de fes droits fur Stratege. L'Officier de 1'Empereur 1'aborde auffi-töt, & profitant de fa colere, il n'a pas de peine a le conduire au grand Maitre-d'hötel, auquel 1'efclave révele tout ce qu'il fait. Le grand Maitre , trouvant la découverte affez importante, le mene auffi-töt a l'Empereur , qu'il réveille pour entendre le dénonciateur. Alexis , après 1'avoir menacé des plus rudes chatiments, s'il fe trouvoit calomniateur , voyant qu'il perfilloit dans fa dépofition, envoye avec lui fon Chambellan Bafile, pour fe faiiïr des papiers d'Aaron, que Stratege promettoit de lui mettre entre les mains. En effet , pendant qu'Aaron dormoit encore, on enleve fon porte-feuille, & Alexis y trouvant des preuves évidentes du complot formé contre lui, fait arrêter les coupables. Mais fuivant le fyftême de clémence,  du Bas-Empire. Liv. LXXXir. 341 qu'il s'étoit tracé dès le commencement de fon regne , il fe contenta de les reléguer dans des ifles défertes. Cette affaire retint Alexis en chemin pendant cinq jours. Arrivé k Theffalonique, oü toutes fes troupes s'étoient rendues, il s'occupoit k les exercer. Pour dreffer fes nouveaux foldats, il fe fervoit de jeunes Officiers parfaitement infïruits de toutes les manoeuvres militaires. C'étoit un corps de trois cents hommes qu'il avoit lui-même formés. Sans avoir égard k la naiffance ni a la fortune, encore moins a la protecfion, il choififfoit dans la jeuneffe ceux qui fe recommandoient eux-mêmes par une taille avantageufe, un air héroïque, une vigueur diftinguée. C'étoit la fleur de la milice Grecque. Perfonne ne favoit mieux tirer de 1'arc, ni lancer le javelot. L'Empereur en faifoit fa troupe favorite; il en étoit le Capitaine. II prenoit plaifir a les mftruire, a s'exercer avec eux. C'étoit fur eux qu'il comptoit davantage dans les occafions importantes. De ce corps furent tirés les Commandants des détachements qu'il envoya P iij Alexis. An. 1.107, XLir. Alexis paffe 1'hyJ ver a Theffalonique, fit Boëmond flevant Duras.  Alexis. An. 1107. 342 H I S T O I R B pour fermer les paffages, qui pouvoient donner entree aux Latins dans 1'intérieur de 1'Empire. II paffa 1'hyver dans ces occupations. Cependant Boëmond, campé devant Duras, Visa-vis de la porte oriëntale , n'avoit pas moins d'acfivité. 11 avoit remis ï'attaque de la ville au prinfemps ; mais dans cet intervalle, il examinoit le circuit, la lituation, les environs de la place. II en obfervoit avec foin les endroits foibles, par oü il feroit plus avantageux de faire les approches, de battre les murs, de donner des alTauts. II diftribuoit fes pofles pour couper toute communication avec les dehors. II fit brüler les vailTeaux de tranfport pour öter a fes foldats toute efpérance de retraite, & ne leur laifTer de reffource que dans leur courage. D'aiileurs, la flotte Grecque étant maitrefTe de la mer, il gagnoit pour fon armée ce qu'il auroit fallu de foldats, pour garder & défendre fes vaiffeaux. Pendant ce temps-la, les affiégeants &c les affiégés ne demeurerent pas oififs. Les Francs s'avangoient pour décocher leurs fleches fur ceux qui pa«  du Bas-Empire. Lh. LXXXIF. 343 roilToient aux crenaux; les Grecs leur ' répondoient du haut de leurs 'tours & de leurs murailles. Souvent même ils faifoient des forties, & livroient des combats. Pendant que les divers corps de Francs voltigeoient dans les campagnes, & réduifoient les places du voifinage, en forte que la ville fe trouvoit enfermée & comme bloquée de toutes parts, Boëmond dans fon camp travailloit aux préparatifs du fiege. Auffi habile Ingénieur qu'expérimenté Capitaine, il faifoit conftruire les tortues, les mantelets, les béliers, les tours roulantes , toutes les machines de batterie & de défenfe. Mais fi ces ouvrages inquiétoient les affiégés, les Francs n'étoient pas moins allarmés par la crainte d'un m:d plus meurtrier que toutes les machines de guerre. On n'avoit pas encore comrnencé les attaques, & la difette fe faifoit déja fentir. II ne pouvoit venir de convoi a Boëmond ni par mer, la flotte Grecque étant en poffeffion du golfe, ni par terre, tous les paffages étant fermés par la vigilance d'Alexis. Cette détreffe fit beaucoup fouffrir les Latins dans le cours P iy Alexis. Ln. 1.10  AlEXIS. An. li07 Aiexis. An. li07. An. 1108. XXIII. Attaque de Duras, Attaque de Duras, 344 HlSTOIRE du fiege , & leur emporta quantïté d'hommes & de chevaux. La maladie s'y joignit; c'étoit une dyffenterie caufée par 1'ufage des nourritures mal-faines, & fur-tout du millet de mauvaife qualité. Boëmond étoit fenfible aux maux de fes troupes fans en être abattu. Son courage le foutenoit; au milieu de fes foldats défaillants & mourants de faim , il fembloit leur rendre la vie, & animer fon armée entiere. Pendant 1'hy ver, Boëmond n'avoit celTé de folliciter les habitants a fe rendre, leur offrant les conditions les plus favorables. Ils avoient conftamment rejetté toutes fes propofitions. La prudence du Gouverneur avoit fourni Ia ville d'une affez grande abondance de vivres pour foutenir un long fiege. La garnifon étoit nombreufe & pleine de courage ; les habitants affeöionnés a 1'Empire. Leurs murailles affez larges pour donner place a quatre cavaliers de front, & couronnées de tours qui s elevoient au-deffus a la hauteur de onze pieds, étoient en é'tat de réfifter aux plus fortes machines. Les attaques com-  du Bas-Empire. Liv. LXXXIF. 345 mencerent aux premiers jours du printemps. Boëmond s'efforca d'abord de faire breche du cöté de 1'Orient par le moyen d'un bélier d'une groffeur extraordinaire; mais les coups terribles de cette machine firent plus de mal a la tour de bois, a laquelle elle étoit fufpendue, qu'elle n'en put faire a la muraille. Les affiégés s'en moquoient avec tant d'affurance, qu'ils ouvrirent une de leurs portes, invitant les ennemis & entrer, & leur difant par raillerie qu'ils avoient pitié d'eux, & qu'avec tous leurs efforts ils ne feroient jamais une breche auffi Jarge que 1'ouverture de leur porte. Après ces plaifanteries infultantes, ils firent tomber fur la tour une fournaife de feu grégeois, qui la réduifit en^ cendres. Ce moyen n'ayant pas réuffi, on eut recours aux travaux fouterreins. Du cöté duNord, le mur portoit fur une terre meuble fans aucun melange de roe ni de pierre' ^°fn^ond fit creufer la mine de ce cöté-la, & 1'on y pratiqua bientot une large galerie. Déja 1'ouvrage avancoit fous les fondements de la muraille, tk les travailleurs croyoient P v Alexis. An, 110S,  Alexis. Kn. i io?. 346 HlSTOlRS n'avoir plus qua ouvrir la terre pour entrer dans la ville. Mais les affiégés qui, de leur cöté, avoient contre-miné, jugeant au bruit des pies 6c des pioches en quel endroit fe faifoit le travail, percerent en ce lieu, 6c y foufflerent par le moyen des cannes creufes aux yeux 6c au vifage des mineurs, tant de feu grégeois, que ceuxci, tout embrafés, ne fongerent plus qu'a fe jetter hors du fouterrein les uns fur les autres, comme des abeilles que la fumée chalTe de leurs ruches. Le dernier effort des Latins ne fut pas plus heureux. Ils conftruifirent d'épais madriers une tour quarrée d'un vafte contour, 6c fi haute, qu'elle furpaffoit de huit ou neuf pieds les tours de la ville. Les faces étoient garnies de tout de qui pouvoit amortir les coups de pierre, 6c les défendre de 1'incendie. Elle étoit divifée en plufieurs étages, 6c percée d'embrafures pour donner paffage aux fleches 6c aux javelots. La plateforme d'en-haut étoit couverte de foldats armés de toutes pieces. On y avoit attaché un pont-levis qui devoit -s'abattre fur les tours, 6c don-  mi Bas-Empire. Liv. LXXXIF. 347 ner par fa pente plus de poids & de roideur k ceux qui en defcendroient. Le rez-de-chaufTée étoit rempli de foldats, qui, cachés au-dedans, poufloient la tour fur fes roues; en forte qu'elle fembloit fe mouvoir & avancer d'elle-même. Pour fe défendre contre cette énorme machine, le Gouverneur fit conftruire dans la ville k 1'oppofite une tour pareille, plus haute encore d'une coudée, d'oii on lancoit fur 1'autre le feu grégeois. Mais la flamme, partant de trop loin , ne faifoit qu'effleurer le batiment ennemi, & produifoit peu d'effet. On prit le parti de combler Fintervalle entre le mur de la ville & la tour de bois des Latins, de quantité de matieres combuflibles, fur lefquels on verfa des fleuvés d'huile. On y jetta enfuite des flambeaux allumés, des tifons, des charbons ardents. Cette malTe s'étant bientöt enflammée, mit le feu a la tour de bois, qui étoit -devenue immobile, paree qu'on 1'avoit affurée dans la terre. Elle alloit être le bücher de tous ceux qu'elle portoit, s'ils ne fe fuffent précipités «n-basji>rifésj eflropiés, a demi-brüP vj AtEXIS. An. 1 ldS.  Alexis. An. 110S. XLIV. Rufe d'Alexis. 348 HlSTOlRE lés, avec des cris affreux qu'accompagnoient ceux de toute l'armée qui accouroit a leur fecours. Après avoir paffe 1'hyver a Theffalonique , l'Empereur, réfolu de s'approcher du fiege, permit enfin k 1'Impératrice de retourner k Conftantinople, comme elle le defiroit depuis long-temps. II s'avance en Pélagonie, & va camper a Deabolis, au pied des montagnes qui féparent 1'Illyrie de la Macédoine. Ce Prince guerrier avoit fans doute affez de courage pour tenter le moyen le plus glorieux de faire lever le fiege, en Iivrant bataille k Boëmond. Mais tant de complots tramés contre lui, qu'il avoit déja découverts, lui faifoient craindre la trahifon , & il n'ofoit fe fier k fes Officiers pour une aöion décifive. II prit donc le parti d'affamer l'armée Latine en lui coupant toute communication. Elle ne pouvoit recevoir de vivres par mer, fi Conftotéphane faifoit fon devoir. Alexis avoit déja fermé les paffages du cöté de la terre ; il fortifia les poftes qu'il avoit établis, foit fur les montagnes, foit k 1'entfée des vallons & des défilés.  Bu Bas-Empire. Liv. LXXXIK 349 Comme il foupconnoit Boëmond d'a voir des intelligences dans fon armée, il voulut fe procurer le même avantage; & felon les Hiiroriens des Croifades, il corrompit par argent les principaux Officiers. Au contraire, Anne Comnene, qui n'a pas coutume de ménager les Latins , les difculpe fans le vouloir; & pour faire valoir apparemment 1'adreffe de fon pere, elle lui attribue un de ces maneges ténébreux , qui, produits au grand jour, feroient capables de défhonorer les plus brillants fuccès. Voici ce qu'elle raconte. Après s'être informé quels étoient ceux en qui Boëmond avoit le plus de confiance, Alexis compofa des lettres qüi fembloient être des réponfes a celles qu'il en avoit recues. II les jemercioit des avis qu'ils lui donnoient des deilèins fecrets de Boëmond ; en retour de leur amitié, il les alTuroit de toute la fienne , & les exhortoit a\ continuer leur correfpondance, dont ils le trouveroient en toute occafion très-reconnoiffant. Ces lettres étoient adrelTées a Gui, neveu de Boëmond, a Geoffroi cle Cuperfan, k Richard Alexis. 4.n. iio8.  Alexis. Aa. 1108. 350 HlSTüIRS du Principat, k Robert de Montfort, & a plufieurs autres. II efpéroit qu'étant interceptées , elles porteroient Boëmond a quelque violence qui fouleveroit l'armée , & y jetteroit le trouble & la difcorde. II chargea de ces lettres un homme affidé ; tk afin qu'elles ne manquafient pas d'être furprifes fans aucun rifque pour le porteur, il fit partir avant lui un des fourbes qu'il avoit k ion fervice. Celui-ci, fous 1'apparence de tranffuge, va trouver Boëmond : il lui déclare que Ja vie ejl en grand danger; qu il a dans fon camp & dans fa familiarité la plus intime , des fcèlerats vendus a FEmpereur, & qui le trahiffent; -quil ejl en état de lui en fournir des preuves évidentes; quil y a acïuellement en chemin des lettres d'Alexis qui leur font adreffées. II s'offre a les intercepïer, pourvu que le Prince lui donne fon ferment., comme il ne fera fait aucun mal au porteur, fon parent, miniftre innocent de la méchanceté -d'Alexis, dont il n'eft pas inflruit lui-même. Boëmond lui jure ce qu'il demandoit ; les lettres font faifies; «iles font d'abord nne yive impref»  m Bas-Empire. Liv. LXXXIF. 3.51 fion fur Boëmond, qui, fe croyant environné de traitres, entre lefquels étoit fon neveu même, fe livre aux plus cruelles inquiétudes. Enfin, après de longues réflexions fur la perte irréparable qu'il feroit, en fe privant du fecours de tant de Seigneurs diftingués par leur courage , il prend le même parti qu'Alexandre quand on lui déféra fon médecin Philippe comme coupable de trahifon. Soupconnant 1'artifice d'Alexis, il mande ceux k qui les lettres devoient être rendues, leur en fait la lecture , leur protefle qu'il n'y voit qu'une fourberie d'Alexis; que pour lui il efi fort éloigné de rien rabattre de fa confiance k leur égard; qu'il les prie aufli de ne rien dlminuer de 1'attachement & du zele dont ils lui ont donné tant de preuves. Tel efl: le récit d'Anne Comnene. 11 me paroit plus vraifemblable que celui des Auteurs Latins , qui, pour fauver 1'honneur de Boëmond obligé dans Ia fuite de lever le fiege, font «n grand nombre de ccupables. La Princeffe, toujours occupée k jufliüer fon pere, ne s'appercoit pas qu'ea Alexis. An. 110S.  AtEXIS. An. noS. XLV. Défaite de Cantacuzene. 352 H I S T 0 I R E penfant faire léloge de la dextérité d'Alexis, elle 1'accufe en effet d'une fupercherie auffi baffe que cruelle. Ainfi 1'intrépide fermeté de Boëmond déconcerta 1'artifice de l'Empereur. Les différents poftes que les Grecs occupoient autour de Duras, tenoient les Latins comme affiégés; &c foit pour recueillir du fourrage, foit pour enlever des vivres, il falloit tous les jours forcer des paffages, & livrer des combats. Les Grecs étoient toujours battus; ils ne pouvoient paroitre dans la plaine fans fe voir inveftis par les partis de Boëmond, qui voltigeoient de toutes parts. Les habitants du pays favorifoient les Francs, & fe faifoient un plaifir de les con toit un corps de Francois poflé audela d'une riviere qu'Anne Comnene nomme Bufé: ayant appercu de loin 1'attaque de Myle, ils accouroient au fecours, & n'avoient pas encore paffé la riviere, lorfque les coureurs vinrent donner 1'allarme. A ce cri tout prend 1'épouvante; ceux qui étoient déja fur le mur, prêts a fauter dans la place, fautent en-dehors; on ne fonge qu'a fuir; chacun court regagner fon cheval, 6c prend le premier Alexis, An. 1108.  354 Histoire ou'il rencontre. Tout fe heurre. tnnf Alexis. An. 1108. XLVÏ. U défait les Francois a fon ïour. fe confond. En vain Cantacuzene s'efForce de lesretenir; il ne peut les arrêter, qu'autant de temps qu'il en faut pour mettre le feu a leurs machines, afin de ne les pas laifTer aux ennemis. Ils jettent en paffant le feu grégeois aux barques qui fervent au paffage de la riviere; en forte que les Francois ne purent la traverfer pour les pourfuivre. Cantacuzene, voyant les fiens un peu raffurés, les remet en ordre,& campe dans un pofte avantageux, ayant k droite le fleuve Charzane, & k gauche un marais impraticable. Gui, neveu de Boëmond, ennuyé de demeurer fi long-temps devant une ville, voulut fortir de 1'inaction. II prit avec lui un corps des meilleures troupes, & marcha du cöté de la Canine, ou Michel, furnommé h Brülé, gardoit les gorges des montagnes. II le battit, & le mk en fuite. Animé par ce fuccès, il tourne vers Cantacuzene k deffein de Pattaquer dans fon camp. Mais a la vue de fa pofition avantageufe, il change d'avis, & campe, le fleuve Charzane entre deux. Cantacuzene, qui'fe trou-  du Bas-Esipire. Liv. LXXXIF. 355 voit fupérieur en forces, ne voulut pas le laifTer partir fans combattre. II paffa le fleuve pendant la nuit, & au matin il fe préfenta en bataille. II étoit a la tête du centre compofé des troupes Grecques; les Turcs auxiliaires avoient 1'aile gauche, les Alains 1'aile droite. Les Patzinaces, détachés en-avant, avoient ordre de tirer leurs fleches, de fe retirer, de retourner enfuite, attaquant & fuyant tour-a-tour , pour attirer les ennemis , & rompre leur ordonnance. Mais les Francs, couverts de leurs boucliers, ferrés les uns contre les autres, ayancant fur la même ligne, fans s'ouvrir ni fe déborder , fembloient être une maffe folide & impénétrable. Les Patzinaces, toujours pouffés en-avant, n'ayant plus de terrein pour leurs évolutions, cotilerent fur les ailes ; & le front de l'armée étant découvert, les Turcs donnerent les premiers, & furent mal fecus. Les Alains avancerent pour les foutenir; c'étoient les plus braves foldats de la garde Impériale, & Rofmicès, leur chef, tomba fur les Francs avec une yiolence qui tenoit Alexis. Vn. 1108.  Alexis. An. 110S. XL VII. Divers eombats des Grecs & des Francs. 356 HlSTOIRE de la fureur. II n'en trouva pas moins chez les ennemis, Sc il fallut reculer avec rage. Alors Cantacuzene, qui, voulant faire honneur a fa nation , 1'avoit réfervée pour la derniere attaque lorfque les Francs feroient hors d'haleine, courant fur eux a la tête des Grecs, les choqua fi rudement, qu'il les rompit, Sc mit leurs efcadrons en défordre. Ils prirent la fuite , Sc furent pourfuivis jufqu'au chateau de Myle. On prit dans ce combat trois Seigneurs Francois , qui furent envoyés a l'Empereur, avec un grand nombre de têtes portées au bout des piqués : fpectacle fanglant & cruel, mais qui fait le triomphe 8c la joie de la guerre. L'impétueux Boëmond, accoutumé a braver 1'ennemi , Sc tenant a défhonneur de fe réduire k la défenfive, étoit défefpéré de fe voir enfermé par mer Sc par terre; Sc femblable a un lion enchainé qui, bondilTaiit de fufeur, s'élance k droite Sc k gauche de toute la longueur de fa ehaine, il ne ceffoit de faire les plus violents efforts pour rompre la barrière dont il étoit environné. Sept  du Bas-Empire. Lw. LXXXIF. 357 cents hommes qu'il avoit envoyés au pillage du cöté de la Canine, furent enveloppés par un détachement de l'armée Grecque; trois cents furent tués, le refte pris. Boëmond choifit fix milte hommes des plus braves de fon armée, mit a leur tête fes meilleurs Capitaines, & les envoya attaquer Cantacuzene. Le Général Grec , inftruit par fes efpions dont il étoit bien fervi, fait prendre les armes k fes troupes long-temps avantlejour, s'attendant k être attaqué dès le matin. Mais les Francs, fatigués d'une marche longue & pénible, & qui ne s'étoientarrêtés que forttard, avoient refolu de fe répofer le lendemain. Cantacuzene en étant averti marche vers eux au-lieu de les attendre; il les trouve endormis au bord du fleuve Bufé. L'armée avancoit en filence, fans faire entendre aucun inftrument de guerre. Ce fut 1'affaire d'un moment. II y en eut un grand nombre de pris, plus encore de tués. Ceux qui s'éveillerent prenant aufli-töt la fuite, fauterent dans le fleuve oü Ia plupart fe noyerent. Le vainqueur fit conduire a l'Empereur les Gen- Alexis. An. 110S,  Alexis. An. 1108. 358 fflSTOlRE tilshommes prifonniers, & campa dans un lieu marécageux & d'un accès difficile , oü il féjourna fept jours, attendant fes coureurs qui devoient 1'inftruire exaftement de la pofition de tous les poftes ennemis. Ils rencontrerent dans leur courfe un detachement de cent foldats, occupés a jetter un pont fur le fleuve pour aller attaquer un village au-dela. Ils les chargerent & les firent tous prifonniers. Dans cette troupe étoit un neveu de Boëmond, d'une taille gigantefque; il fut pris par un Patzinace de très-petite taille. La chofe parut affez plai-fante pour en divertir l'Empereur; on lui préfenta le géant enchainé par le pygmée. A cet amufement puérile fuccéda une douleur férieufe. On apprit que Camyze & Cabafilas, qui gardoient chacun un pofle important, avoient été taillés en pieces avec tous leurs gens. L'Empereur en fut fi afïligé, qu'il ne put retenir fes larmes. Il eftimoit ces deux guerriers dont il connoiflbit le mérite. II donna ordre a Conftantin Gabras de fe tranfporter fur les lieux, d'examiner par quel endroit les en-  do Bas-Empire. Lm. LXXXIF. 359 nemis avoient nu iipnptror *r 4„ •_ les difpofitions néceffaires pour leur fermer le paffage a 1'avenir : Gabras, Officier brave, mais vain & orgueilleux, trouvant cet emploi au-deffous de lui, n'ofa cependant le reftifer ; mais il le recut avec dédain, & s'y porta avec tant de lenteur & de né-ghgence, qu'avant fon départ Alexis voyant bien qu'il feroit mal obéi , chargea de cet examen Marien Maurocatacalon, qu'il aimoit, & auquel il donna une bonne efcorte. Alexis Jndulgent jufqu'a la foibleffe, ne favoit pas fe faire obéir. Marien , auffi fier que Gabras,. ne fe preffa pas davantage. II n'étoit pas encore parti, qu'Alexis jugea a propos de lui conner une commiffion plus importante. Au milieu de la nuit arrivé en diligence un courrier de Landulphe , 1 qm etoit alors fur la flotte employée l a Ia garde du golfe Adriatique. Comme il avoit une grande expérience dans la marine, Alexis 1'avoit donné pour confeil & pour aide au Commandant général. Ses dépêches furent ouvertes auffi-töt : on y trouva de grandes plaintes contre Contoflépha- AtExis, An. 110S, XLVIIL Üexis e lexis leur donneroit des quartiers cühyver, qu'il leur fourniroit abondamment les provijions néceïïdires ; & qu'après thyver il leur laij/eroit la liberté de fe retirer oü ils voudroient. L'Empereur fit accompagner Boëmond jufqu'a 1'embarquement par Euphorbene, qu'il chargea auffi d'avoir foin des Latins qui reftoient en Grece, de les diftribuer dans des quartiers commodes pour la fanté & Ia füreté, & de veiller k leur confervation. Après avoir donné ces ordres, qui lui font d'autant plus d'honneur, que les Latins avoient voulu lui faire plus de mal, Alexis. An. 110S. LIV. Départ & mort de Boëmond.  Alexis. An. 1108. 378 II I S T O IR E il reprit le chemin de Conftantinople. L'hyver étant pafte, les Seigneurs de l'armée de Boëmond, qui s'étoient croifés pour le voyage de laTerreSainte , demanderent a l'Empereur la liberté de traverfer fes Etats, &c de paffer a Jérufalem. Non-feulement ils 1'obtinrent, ils recurent même d'Alexis des préfents qui les dédommagerent de 1'avarice de Boëmond. Ce Prince, de retour en Pouille, après avoir pafte deux ans a régler les affaires de fes Etats d'Italie, fe difpofoit a porter de nouveau la guerre en Grece, & avoit déja une flotte équipée, lorfqu'il fut attaqué d'une maladie dont il mourut au commencement de Mars de 1'an 1111, laiflant un fils de même nom que lui, qui n'avoit encore que quatre ans, fous la tutele de fa mere Conftance, & de fon coufin Tancrede. Ce qui marqué bien a quel point les Latins portoient la prévention contre l'Empereur Alexis, c'eft que plufieurs de leurs Hiftoriens ont avancé que ce Prince n'avoit laifle partir Boëmond, qu'après lui avoir préparé la mort par un poifon kart; & pour rendre  du Bjs-Empire. Liv. LXXXIF. 379 cette calomnie plus vraifemblable, ils le font mourir lix mois après fon départ. Mais ces faits, controuvés par la haine, font démentis par les monuments les plus authentiques. Alexis. An. tioS,   38i SOMMAIRE d U livre quatre-vingt-cinquieme. I.Rét ab li ss ement d*Adramytte. ii. Défaite d'Afan. in. Bemand, fils du Comte Raymond, fait hommage a Alexis. IV. Héréfie des Bogomiles. v. Alexis démafque Bafile, chef des Bogomiles. vi. Rufi d'Alexis pour reconnoure les vrais Hérétiques. Vil. Punition de Bafile. vin. Mort du Patriarche Nicolas. ix. Alexis fe brouille avec Tancrede. x. 11 détache de Tancrede le Comte de Tripoli, xi. II ne peut gagner le Roi de Jérufalem. xil. Butumite trompéa Tripoli. XIII. Alexis dans la Cherfonefe. xiv. Paix avec Saïfan. xv. Nouvelle guerre contre les Turcs. xvi. Défaite & prife de Camy^e. XVII. Défaite des Turcs. XVIII. Autre défaite. XIX. Occupations £ Alexis pendant la paix. XX. 11 travaille d la converfion des Pauliciens. XXI. Les Turcs recommencent la  381 SOMMAIRE DU LlV. LXXXV\ guerre. XXII. Départ & premiers fuccès d'Alexis. XXIII. Mouvements de l'Empereur. XXiv. Alexis d Nicomédie. XXV. Alexis marche d 1'ennemi. XXVI. Diverfes expêditions. XXVII. L'Empereur court au fecours de Bardas. XXVIII. Retour de l'Empereur. XXIX. Défaite de Saïfan. XXX. Attaque nocturne inutile. XXXI. Saïfan demande la paix. XXXII. Arrivée de l'Empereur d Conftantinople. XXXIII. Magriifique hópital établipar Alexis. XXXIV. Réforme de plufieurs abus. XXXV. Derniere maladie d'Alexis. XXXVI. L'Impératrice veut faire tomber la Couronne d Bryenne. XXXVII. Jean s'ajfure de 1'Empire. XXXVlll. II fe rend maitre du palais. xxxix. Mort £ Alexis. XL. Réfultat de fon regne.  3S3 HISTOIRE D U BASEMPIRE, L1VRE Q_UATRE-V1NGT-C1N0V1EME. ALEXIS. LA fage 'conduite d'Alexis 1'avoit enfin délivré de fon plus redoutable ennemi: 1'ambitieux Boëmond, qui n'afpiroit a rien moins qua la couronneImpériale, arrêté dès le premier pas , ne remportoit en Italië que la qualité de Vaffal de 1'Empire. Les Turcs , attaqués par toutes les torces de 1'Occident, ne fongeoient Alexis. An. 1109. I. Rétabüffementd'Adramytte. Ann. Comn, l, 14.  Alexis. An. 1109 I 3S4 UlSTOIRB qu'a défendre leurs conquêtes, fans en entreprendre de nouvelles. Dans cet intervalle de repos, l'Empereur occupa fon activité naturelle a remédier aux maux qu'avoient caufés tant de guerres. Sur la cöte maritime, depuis Adramytte jufqu'a Attalie, qui faifoit la borne des conquêtes des Turcs, tout étoit couvert de ruines. Ces villes, autrefois riches & floriffantes, pillées, brülées, prefque entiérement détruites par les Turcs, & fur - tout par Zachas , ne fervoient plus que de repaires aux bêtes féroces, ou de retraite a quelques brigands plus féroces que les bêtes mêmes. Les habitants fugitifs s'étoient difperfés dans les lieux les plus inacceffibles. Alexis réfolut de les rappeller & de rétablir leurs anciennes demeures. Pour accomplir ce deffein, il avoit befoin d'un homme auffi acfif que prudent, aflez refpecTable par fa naiffance & par fa vertu, pour infpirer de la confiance a ceux qu'on rappelloit, affez courageux pour repoufTer les Turcs, s'ils venoient troubler fes travaux. Toutes ces quaütés fe trouvoient reünies dans Eumathius Philocale ,  su Bas-Empis.e. Lh. LXXXF. 385 Philocale, qui , fans être guerrier, avoit une parfaite connoiffance de toutes les opérations militaires, & étoit capable de les diriger plus fïïrement que les plus vaillants Capitaines. II avoit réuiïï dans les commiffions les plus difficiles; il demanfloit celle-ci, & n'eut pas de peine a 1'obtenir. L'Empereur, en lui donnant un grand corps de troupes, lui recommanda de ne rien hafarder, mais de fe conduire en tout felon fa prudence ordinaire. Philocale ' traverfa Ie détroit d'Abyde , & coramenca par Ie rétabliiTement d'Adramytte. Cette ville, autrefois très-peuplee, fituée au fond d'un golfe visa-vis de Lesbos, dans un territoire fertile, avoit été tellement ruinée par Zachas, qu'elle n'ofTroit plus que de miférables débris épars fur les bords du golfe. A cette vue, Philocale ne put retenir fes larmes; il trayaille avec la plus grande ardeur ; les murs fe relevent, les édifices reprennent leur forme; on rappelle de toutes parts les habitants que le fer & la faim avoient épargnés; & pour remplacer les morts, & rendre a Ja Tnme XVIII, R 1 Alexis. An.1109  Alexis. An. 1109. II. Défaite d'Afan. 386 Hls T O I R E ville fon ancienne population, on y établit une nombreufe jeunefTe qu'on raffemble des contrées voifines. En peu de temps Adramytte recouvre ia première fplendeur. Les Turcs en prennent 1'allarme; ils s'avancent jufqu'a Lampé, qui n'en étoit pas éloignée. Philocale fait mareher un gros détachement, qui leur étoit fupérieur en nombre. Ils font défaits a la première rencontre: mais les vainqueurs, enivrés de leur fuccès, s'abandonnent a une rage inhumaine. Les Turcs étoient fuivis de leurs femmes & de leurs enfants : les Grecs égorgent les femmes , &, par un divertiffement plus barbare, ils jettent les enfants dans des chaudieres bouillantes. Couverts de fang, ils viennent rejoindre Philocale , qui, né avec des fentiments plus humains, ne les recoit qu'avec horreur. . Une fi affreufe victoire fit a 1'Empire tout le mal qu'auroit pu caufer une fanglante défaite : elle fit avorter le deffein aulïi utile que glorieux de relever les cités détruites. II ne fallut plus fonger qu'a fe défendre contre le jufte reffentiment des Tures.  du Bas-Empiile. Liv. LXXXr. 387 Ceux qui avoient échappé du carnage, fe couvrant d'habits de deuil, courant d'une ville a 1'autre dans 1'exteneur le plus propre a émouvoir la compaffion, pleurant, gémiffant, s'arrachant la barbe & les cheveux, racontant, avec des cris lamentables , les horribles cruautés de leurs vainqueurs, répandent par-tout la rage dont ils font poffédés. Afan , Emir de Cappadoce , homme violent & fuperbe, ne refpirant que vengeance, fe met a la tête de vingt-quatre mille hommes, & va chercher Philocale. Celui-ci, prévoyant l'orage , avoit quitté les bords de la mer, oü il n'y avoit mille place de defenfe, & s'étoit retiré a Philadelphie. Inftruit par fes coureurs de 1'approche d'Afan, qu'il n'étoit pas en etat de combattre en pleine campagne , il fait fermer les portes de la ville, & publier une défenfe de fe montrer fur le rempart, & de faire aucun cri ni aucun bruit qui püt être entendu des ennemis. Son delfein etoit d'infpirer aux Turcs du mépris pour lui-même, & de la confiance en leurs forces, & il y réuffit. Afan , R ij Alexis. An. 1109.  AtEXIS. An. II09. 388 HlSTOIRE étant refïé trois jours devant la ville fans voir paroitre perfonne, fans entendre aucun mouvement, fe perfuada qu'il n'avoit affaire qu'a une poignée de miférables , demi-morts de crainte, & qu'il n'avoit befoin d'aucune précaution. Quoique la place fut très-forte, il 1'auroit attaquée fur le champ, s'il avoit été pourvu des machines néceffaires. A ce défaut, il croit pouvoir , fans aucun rifque, piller & brüler tout le pays d'alentour. II divife fon armée en trois corps, en envoye un du cöté de Sardes, un autre vers Smyrne, le troifieme vers Pergame, avec ordre d'ufer des plus cruelles repréfailles. II fe met a la tête d'un des trois. Philocale lui voyant faire de lui-même en divifant fes forces, ce qu'il auroit defiré davantage pour laffoiblir, fe hata de profiter de cette imprudence. Dès qu'il jugea que les trois corps de troupes étoient affez écartés 1'un de 1'autre pour ne pouvoir fe fecourir, il fe mit avec tous fes gens a la pourfuite de celui qui tenoit la route de Sardes. II Fatteint, & le taille en pieces. II prend enfuite le chemin  du Bas-Empire. Liv. LXXXV. 389 de Smyrne; il trouve de ce cóté-la un peu plus de réiiftance, paree que les Turcs échappés de la première défaite, étoient venus avertir leurs camarades. On combattit ; mais la vidtoire fe déclara bientöt pour les Grecs, & ceux qui ne furent pas maffacrés ou précipités dans le fleuve voifm, furent faits prifonniers. Ce doublé fuccès donnoit aux Grecs du cou» rage & des ailes pour joindre le troifieme corps, qui alloit a Pergame. Mais après une affez longue courfe, défefpérant de l'atteindre, ils retournerent a Philadelphie, oü Philocale les combla de louanges , &c récompenfa libéralement ceux qui s'étoient diftingués dans cette rapide expédition. Le Comte Raymond étoit mort dès Van 1105 devant Tripoli de Syrië , & fon neveu Guillaume Jourdain continuoit depuis quatre ans de tenir la ville bloquée, lorfque Bertrand, fils de Raymond, ayant levé des troupes dans fon Comté de Touloufe , & s'étant joint k une flotte Génoife, aborda en Grece. Sur le refus qu'on fit de lui vendre des viR iij Alexis. An. 1109. nr. Bertrantf s ils du Comte Raynond , :ait hommage a Aexis. Guill, Tyr. . i i. c. 2 , ?. 19- Alben. Aj. [< ii.  Alexis An. i ioc Fulch. Carn. I. 1 Elmacin Abulfara ge. 390 II 1 S T fi I R F. vres, 11 enleva par forcé les provit fions dont il avoit befoin pour la fubfiftance de fes troupes. Alexis, qui . avoit recu du pere des fervices figna; lés, voulut éviter toute querelle avec le fils. II envoya ordre de lui ouvrir tous lès marchés; il 1'invita même par une lettre obligeante a venir a fa Cour, lui promettant une grande fomme d'argent, s'il vouloit, a 1'exemple de fon pere, lui prêter ferment de fïdélité. Bertrand y confentit, l'Empereur tint parole. Le Prince , comblé de préfents, & accompagné de Ia flotte Génoife, pafïa k Tripoli, qui fe rendit k lui cette même année , après avoir foutenu un blocus de dix ans. II prit pofTeffion de cette place importante, avec le titre de Comte de Tripoli, que les Croifés lui accorderent, & qui paffa k fes fucceffeurs. L'année fuivante, il aida Baudouin, Roi de Jérufalem, a faire la conquête de Baruth; & ce qui arriva dans la prife de cette ville , augmenta le foupgon déja concu contre Alexis, qu'il entretenoit des intelligences avec les Mufulmans. L'Emir de Baruth ? fe voyant prés d'ê-  du Bas-Empire. Liv. LXXXF. 391 tre forcé , s'enfuit de nuit dans 1'ifle de Cypre, qui appartenoit a 1'Empire ; & les habitants, avant que de ie rendre, y firent fecretement tranfporter toutes leurs richefies. II y avoit long-temps qu'une nouvelle fecte de Manichéens répandoit fourdement le poifon d'une déteftable héréiie. Leur chef Bafile ,Bulgare de nation, devoit être'fort avancé en age, s'il eft vrai, comme le dit Zonaras, qu'il eut été quinze ans a former le fyftême de fes rêveries, & cinqttante ans a les débiter. II nioit la Trinité , rejettoit les Livres de Moïfe , donnoit a Dieu la figure humaine. II prétendoit que le monde avoit été créé par les mauvais Anges, que 1'Archange Michel s'étoit incarné, II étoit Iconoclafte, déteftoit Ia croix , le baptême , le facrifice de la mefle. II n'admettoit d'autre réfurrection que la pénitence & la vie évangélique. Selon lui, tous fes Sectateurs concevoient le Verbe divin, &C 1'enfaritoient comme la Vierge 1'avoit concu & enfanté ; 1'humanité de Jefus - Chrift n'avoit été qu'une faufle apparence. Je laiffe aux HiftoR iv Alexis. An. 1109, An. 1110. IV. Héréfie des Bogomiles.Ann. I. I Zon. T. II. p. 3°o. 501. Baronius.  Alexis. A.e,-tiio. ] i 1 ] I jj t ' 1 1 l i l 1 c l t v. , * .lexis dé. 392 I] 'I s T O I R E riens Eccléfiaftiques Ie détail de fes autres erreurs, auffi abfurdes qu'imDies. Sa feöe prenoit le nom de Bo^omiles, ce qui, dans la langue Sclat'onne , qu'on parloit en Bulgarie , ignifioit ceux qui implorent la mife'ri•orde de Dieu, paree qu'ils murmu■oient toujours quelque priere. L'Hé•éfiarque , médecin de profeffion , riais ,yêtu en moine, fuivi de douze anatiques qu'il nommoit fes apötres, léguifoit la diffolution de fes mceurs bus 1'extérieur le plus recueilli & e plus auliere; d'autant plus difficile i démafquer, qu'il avoit pour maxine de défavouer fa doèrine , dès iu'il y avoit quelque rifque a la déouvrir. Les précautions qu'il preioit pour la cacher, 1'avoient tenue ang-temps fecrete : c'étoit un ferient qui rampoit dans les ténebres, il avoit infecfé grand nombre de lerfonnes, avant que d'être connu. dais ayant eu la vanité d'admettre es femmes au nombre de fes proélytes, fes erreurs éclaterent bien6t, & la nouvelle théologie faifoit rand bruit a Conftantinople. L'Empereur, qui fe piquoit de doe-  du Bjs-Empire. Liv. LXXXF. 393 trine , voulut s'en inftruire par luimême & en arrêter les progrès. II fe fit amener plufieurs Bogomiles , qui lui déclarerent que leur chef étoit Bafile. Mais comme ils s'en tenoient-la, fans vouloir fatisfaire aux autres queftions , il en fit mettre un k la torture , & apprit par ce moyen quel étoit ce Bafile, oü il réfidoit, ce que c'étoit que fes douze apötres. II fait aufli-töt enlever Bafile, dont 1'air pénitent & mortifié lui fit comprendre qu'il n'en tireroit rien par autorité ni par menaces, & que pour convaincre ce importeur , il falloit ufer d'artifice. C'étoit une voie qui n'étoit pas étrangere a Alexis. II recoit Bafile comme un prophete, avec le plus profond refpeft , le fait affeoir a cöté de lui, 1'admet k fa table, & lui témoigne le phïs grand defir de s'initier dans fes myfteres. II lui demande la permifïion d'admettre k fes inftruétions fon frere le Sébaflocrator, qui brule d'envie d'être fon difciple. Le rufe importeur ne fe livre pas d'abord , il s'enveloppe dans fes déguifements ordinaires, &ne dévoile que la furface de fes erreurs. Mais enfin R v Alexis. An. 1110, mafque Bafile , chef des Bogomiles.  AtEXIS, An, iiic 594 H I S T O I R R féduit par les louanges des deux Prïn° ces & par les apparences d'une aveu' gle docilité, flatté d'une fi glorieufe conquête , il confent a ne rien diffimuier. Alexis & Ifaac choififTent pour la révélation de tant de fecrets,. le lieu le plus reculé du palais, ou, ils font cacher un Secretaire avec ordre de mettre exactement par écrit toutes les paroles qui fortiroient de la bouche de Bafile. Celui-ci, encouragé par 1'approbation des Princes y qui fembloient dévorer fes lecons^ vomit fans feinte tous fes blafphêmes contre 1'incarnation du Verbe , contre rEuchariftie, coutre les Eglifes des Chrétiens, qu'il appelloit des temples d'idoles, & les palais des démons. Pendant qu'il triomphoit d'étaler tant d'impiétés, Alexis leve le mafque, Sc quittan^ le röle de Catéchumene, il ouvre les portes au Patriarche Nicolas, aux principaux du Clergé & du Sénat, qui s'étoient rendus fans bruit dans une falie voifine. Ils entrent avec la garde Impériale. L'Empereur fait lire a haute voix toutes les horreurs que Bafile venoit de débiter, L'héréfiarque fe voyant pris  du Bas-Empire. Lh. LXXKF. 395 fur le fait, cherche fa refTource dans 1'impudence; il entreprend de juftifïer fes dogmes, & protefte que pour les foutenir, il eft prêt a fouffrir la mort la plus cruelle. C'étoit un des articles de foi des Bogomiles, qu'ils n'avoient rien a craindre des plus rigoureux fupplices; & que fuffent-ils au milieu des flammes, les Anges s'emprefleroient de les en délivrer, comme les trois enfants de la fournaife de Babylone. Entêté de cette folie opinion, dont il étoit 1'auteur, mais qu'il s'étoit perfuadée a lui-même, a force de la répéter a fes difciples, il recevoit avec un front d'airain les injures dont 1'accabloient de toutes parts non-feulement les orthodoxes , mais ceux-mêmes de fes fectateurs qui vouloient fe difculper en fignalant leur zele a 1'outrager. Son opiniatreté paroiftant invincible, l'Empereur 1'envoya en prifon, d'oü il le fit fortir plufieurs fois pour 1'exhorter a revenir de fon égarement. Voulant détruire entiérement cette fefte impie , il rif rechercher tous ceux qui en étoient foupconnés. II s'en trouva dans Conftantinople, & R vj Alexis. An. 11 io„ VL Rufe d'Alexis pour reconnoitre les vrais Bogomiles.  Alexis. An. ii 10. 39Ö HlSTOIRE on en amena de toutes parts un fi grand nombre, que toutes les priïbns en furent remplies. C'eüt été un travail infini de les interroger tous; & d'ailleurs cen'eütpas été un moyen de reconnoïtre les vrais coupables, puifqu'ils étoient inftruits k défavouer leur croyance. Alexis, qui ne faifoit guere rien d'important fans quelque mélange de rufe, en fit encore ufage dans cette occafion, pour diftinguer en un moment d'avec les hérétiques obftinés , ceux qui étoient fauffement accufés ou peu afFermis dans 1'erreur. Aux deux extrêmités d'une des plus vaftes places de Conftantinople , il fit élever deux grands büchers; devant 1'un defquels fut plantée une croix. Enfuite accompagné d'un grand cortege d'Eccléfiaftiques Sc de Sénateurs, il vint fe placer fur un tröne, Sc fit amener dans la place tous les Bogomiles enfermés dans les prifons. Lorfqu'ils furent affemblés devant lui, il fait allumer les deux büchers, Sc élevant la voix: » Je vous •> crois tous coupables , s'écria-t-il. * Dans une héréfie fi monftrueufe, * c'eft mériter le feu que d'en être  du Bas-Empire. Liv. LXXXF. 397 » foupconné. Cependant j'ai voulu » faire diftinétion des obftinés & de » ceux qui n'ont d'autre crime que » d'avoir donné lieu k 1'accufation. » Que ceux qui ne font pas attachés » k 1'hérélie, ou qui s'en repentent, » meurent fous les bras de la fainte » croix. Ce bücher les préfervera des » flammes de 1'enfer qu'ils ont mé» ritées du moins par leur impru» dence. II vaut mieuxpour eux mou» rir innocents, que de vivre flétris » d'un fi horrible foupcon. Au con» traire, que les ennemis de la croix » foient jettés dans 1'autre bucher ". A ces mots les foldats qui environnoient ces miférables, fe mettent en devoir d'exécuter cet ordre cruel. Le peuple qui affiftoit en foule k cet affreux fpeöacle, eft faifi d'effroi, & murmure contre 1'injuftice d'une fentence, qui confond 1'innocent avec le coupable. Les condamnés fe féparent, les uns s'approchent de la croix , & veulent mourir a I'abri de ce figne de falut, les autres s'en éloignent avec horreur, & fe déterminent k périr hors de fa vue. Aïors Alexis fe levant: Cejï afe{, dh-il; & s'adreffant Alexis. An. iiio=  Alexis. An. 11 io. 1 ] i 1 < ] ! VH. ] Punition ce Bafile. 393 Histoirb aux premiers, je vous pardonne fS* vous rends la liberté : éloigne^-vous toute votre vie de ces méchants , comme vous vous en êtes écartés tout-a-Vheure. II ordonne de renfèrmer les autres, & leur envoye des Miffionnaires pour les catéchifer & les convertir : il prit même la peine d'en faire venir plufieurs, qu'il inftruifoit lui-même , & dont il eombattoit les erreurs. Quelques-uns ouvrirent les yeux, les autres demeurerent obftinés, & moururent dans les prifons. II penfoit que les fupplices des Hérétiques ne font propres qu'a en multiplier la race; qu'étant jufqu'au dernier foüpir capables de converfion, il faudroit plutöt prolonger leur vie, que de précipiter leur damnation en 1'abrégeant, Sc 311'il fuftifoit de les mettre hors d'é:at de corrompre les autres hommes )ar la contagion de leur hérélie. Mais i penfoit auffi qu'un héréfiarque n'éoit digne d'aucune grace, & que le :hef d'une révolte contre Dieu ne néritoit que le fort des mauvaisAn;es. II livra donc Bafile au tribunal iccléliaftique. Le Patriarche Nicolas, ala tête d'un  du Bas-Empire. Liv. LXXXV. 399 grand fynode d'Evêques, de Prêtres & de Moines, après J'avoir interrogé, Ie trouvant endurci & opiniatre, prononca fa fentence de condamnation. L'Empereur 1'ayant inutilement exhorté, follicité même avec inftance , fe détermina enfin a Ie punir. II fit allumer k un bout de 1'hippodrome un bücher fort élevé, & planter une croix a 1'autre extrêmité. On amene Bafile au milieu d'une foule de peuple, qui rempliffoit tous les degrés dont cette place étoit environnée. On lui donne le choix de renoncer a fon erreur en rendant hommage k la croix , ou de périr dans les flammes. Bafile, reconnoiflant entre les fpeöateurs plufieurs de fes anciens difciples , faifoit parade d'intrépidité : il regardoit le bücher d'un air moqueur , & invitoit les afiiftants a confidérer l'armée des Anges qui alloient defcendre du ciel, & 1'enlever du milieu des feux. Cependant lorfqu'il vit de plus prés les flammes qui s'élevoient auffi haut que 1'obélifque de 1'hippodrome, dk qu'il en fentit Pardeur , il commenga de trembler de tous fes membres, fe' pliant Alexis. An. iiia,  Alexis. An. mo 409 HlSTOlRE ' Sc fe redrefiant tour-a-tour, battant des mains, fe frappant la cuifTe, tournant les yeux en-arriere : mais dès qu'il appercevoit la croix, il les retournoit vers le bücher, ayant plus d'horreur de la croix que du fupplice. L'Empereur voulut profiter de fon effroi pour amollir la dureté de fon cceur; il lui fit encore promettre fa grace,fi, dans ce moment terrible, il abjuroit fes erreurs. Mais Bafile., comme hors de fens, étoit fourd a ces inftances falutaires, levant quelquefois la face vers le ciel, comme attendant les Anges qui devoient le fecourir. On lui arracha fon manteau , qu'on jetta au feu; Sc quoiqu'il eut été confumé aufii-tót, 1'illufion de ee malheureux étoit fi étrange , qu'il s ecna : Peuple, le voye^-vous qui s'en vole au ciel, fans avoir regu aucune atteime. Cette extravagance ótant al'Empereur toute efpérance, il le fit jetter dans les flammes qui le dévorerent en un inftant. Comme on avoit tiré de prifon fes feftateurs pour les rendre témoins du fupplice , le peuple demandoit a grands cris qu'on les traitat eomme leur maitre, Quel-  nu Bas-Empirz. Liv. LXXXV. 401 ques affiftants même emportés par un zele furieux, mettoient déja la main fur eux, & les trainoient au bücher. L'Empereur arrêra cette violence , & les fit reconduire dans leurs prifons , oü il ne cefTa de leur fournir libéralement tout ce qui efl nécefïaire a la vie. Pour étoufrer cette erreur, il fit compofer par un Moine fort favant, nommé Eutbymius Zygabene, un ouvrage dans lequel, après une réfutation de toutes les héréfies depuis le commencement de 1'Eglife, 1'Auteur combat celle des Bogomiles. Ce livre, fous le titre de Panoptie, dogmatique , s'eft confervé jufqu'a nos jours. Le Patriarche Nicolas ne furvéquit pas long-temps k la condamnation de Bafde. II mourut 1'année fuivante dans une grande vieilleffe après 27 ans de Patriarchat. L'Empereur 1'honora de magnifiques funérailles, & lui donna pour fucceffeur Jean le Hiéromnémon. C'étoit une des dignités de 1'Eglife de Conftantinople. On le nommoit aufli Jean de Chalcédoine, paree qu'il avoit long-temps vécu dans cette ville, dont fon oncle paternel Alexis. An. 1110, VIII, Mort du Patriarche Nicolas,  Alexis. An. ii io. IX. Alexis Ca brouille avec Tancrede.Ann. l, 14. Alben. Aq. I, 12. 40-* Histoire étoit Evêque. II tint Ie fiege de Conftantinople 2.3 ans.Jl étoit fort verfé dans les lettres facrées Sc profanes. Ce fut l'Empereur qui le nomma Sc I'intrönifa lui-même dans 1'Eglife de Sainte-Sophie. La mort de Boëmond , arrivée au mois de Février de cette année 111 r, avoit prévenu 1'exécution du defTein qu'il avoit formé de repaffer en Illyrie pour efFacer avec le fang le traité peu honorable , que la pefte, la famine Sc 1'habileté d'Alexis Favoient contraint d'accepter. II ne lailToit qu'un fils agé de quatre ans] fous la tutelle de fa mere Conftance. Mais fon coufin Tancrede, qui 1'avoitfecondé dans tous fes exploits, fe mit en devoir de conferver au pupile la Principauté d'Antioche, dont Boëmond lui avoit confié la défenfe, lorfqu'il étoit parti pour PItalie. L'Empereur ne comptoit plus fur la validité de 1'acte qu'il avoit fait figner a Boëmond devant Duras, & le Prince de Tarente 1'ayant déja violé par fes préparatifs de guerre, Alexis n'avoit garde de penfer }ue le fier Tancrede y feroit plus fiiele. II efpéra cependant quelque fuc-  du Bas-Empire. Liv. LXXXF. 403 ces de fa fupériorité dans les négociations. II lui envoya des députés, qui, fans faire une mention exprefTe du nouveau traité, plus capable de révolter une ame hautaine que de la faire plier, lui repréfenterent en général , que les Francs fe déshonoroient par leur peu de fcrupule d tenir leur parole^ : qu'en conféquence du ferment fait a Conftantinople, & rcnouvelléplus d'une fois, rEmpire devoit avoir fa part dans leurs conquêtes: que tant de fervices rendus par CEmpereur , tant de dépenfes pour faire fubfjfter leurs armées, tant de troupes facrifiées pour les aider dans leurs expeditions, lui donnoient encore un nouveau droit d ce partage. : qu'il ne refufoitpas de les rêcompenfer despeines qu'ils prenoient d retirer des mains des Turcs & des Sarafms l'ancien domaine de fa Couronne; mais quel nom pouvoit-on donner d des gens, qui riarrachoient d des bngands ce qu'ils avoient enlevé, que pour enjouir eux-mêmes ? Que ces ufurpations étoient autant d'infultes, & qu'il ne pouvoit, fans trahir fon devoir & fon honneur, les laiffer impunémentfe revêtir des dépouilles de 1'Empire. Tancrede avoit de quoi répondre; mais ce guer- Alexis. An. mi,  Alexis. An. mi. X. II détache de Tancrede le Comte de Tripoli. 404 HlSTOIRE rier impatient, ennemides apologïes , daigna a peine écouter les députés, & les congédia avec mépris. Alexis, indigné de cet accueil outrageant5 fut d'abord tenté d'aller droit a Antioche s'en venger par les armes. Mais, fuivant fa coutume de ne pas s'en rapporter a fes premiers mouvemenrs, il aflembla fes princi- f>anx Officiers & les Sénateurs, pour eur demander confeil. Tous furent d'avis de ne pas expo/er fans précaution Ü honneur de t Empire : qu'il étoit de la prudence de ri attaquer Tancrede , que quand on feroit fur de l'écraferj qu'il falloit auparavant détacher de lui les Princes fes alliés ; ce qui ne ftroit pas impofjible, fa fierté brutale étant odieufe d tous les Croifés; que fi le Comte de Tripoli, Ji le Roi de Jérufalem confentoient d l'abandonner, on pourroit alors le combattre avec fuccès; qriautrement il feroit dangereux tfirriter ce lion féroce, qui feroit encore puiffamment fe* couru. L'Empereur fe rendit a ces raifons. II chargea Manuel Butumite de cette négociation auprès des deux Princes, & lui donna fes inftructions. Comme il favoit que 1'argent étoit  du Bas-Empire. Lh>. LXXXF. 405 le moyen le plus efficace de perfliader les Princes Francs, Manuel devoit d'abord aller en Cypre avec un ordre a Philocale, qui en étoit Gouverneur , de lui fournir les vaiffeaux & les fommes dont il auroit befoin. II devoit enfuite fe tranfporter d'abord a Tripoli pour remettre au Comte Bertrand les dépêches d'Alexis. Elles contenoient les affurances de la plus vive amitié: il lui rappelloit Vumon intimi qu'il avoit entretenue avec fon pere, dont l 'attachement aux intéréts de 1'Empire ne s'étoit jamais démenti; qu'il fe flattoit que le fils de Raymond avoit hérité de fa bonne foi ainfi que de fes autres qualités héroïques, que c'étoit l'occajion d'en donner despreuves; que CEm~ pereur avoit enfin réfolu de chdtier l'infolence de Tancrede, qui, au mépris de Dieu & des hommes, violoit les engagements les plus facrés ; quil efpéroit que Bertrand, loin de fe rendre complice des parjures de cet homme fans foi en lui donnant du fecours , contribueroit de tout fon pouvoir d détacher de lui les autres Princes Croifés. Manuel, en conféquencedeces ordres, arrivé aTripoli avec de grandes fommes : il trouve Ber- Alexis. An, 11 u,  Alexis. An. m i. XI. II ne peut gagner le Koi de Jéf.ifalem. 406 HlSTOlRB trand dans les difpofitions les plus favorables. Ce Prince proteftoit qu'il ferviroit l'Empereur jufqu'a la mort, & qu'il n'attendoit que le moment oü il approcheroit d'Antioche pour aller lui rendre fon hommage. Le député, fe croyant affuré de Bertrand , dépofe fon tréfor entre les mains de 1'Evêque : Alexis 1'avoit ainfi ordonné,dans la crainte que Baudouin, dont il fe défioit davantage, ne fe faifit de 1'argent, pour armer en faveur de Tancrede. C'étoit affez de promettre la fómme & la montrer de loin : on ne devoit la délivrer qu'après 1'engagement contracté & affuré par des effets. Baudouin faifoit alors le fiege de Tyr. Dès qu'il apprit que Manuel étoit a Tripoli, & qu'il n'avoit pas les mains vuides, il 1'envoya inviter avec beaucoup de civilité a fe rendre a fon camp. Le député y fut recu avec de grandes marqués de bienveillance. II accompagna Baudouin qui fut obligé de lever le fiege, & de fe retirer a Ptolémaïde. Ce fut-la que Manuel expofa fa commiffion au Roi de Jérufalem; & pour le déterminer plus  du Bas-Empire. Lip. LXXXF. 407 promptement, il voulut lui faire accroire qu'Alexis, k la tête d'une armee, etoit déja en Séleucie, prêt k former le fiege d'Antioche, aui n'en etoit eloignee que de cinq lieues. Ce menfonge mal-adroit réuffit mal. Bandoiun , mieux inftruit, voyant qu'on vouloit le tromper, ordonna èf Manuelde lefuivreaJérufalem, oii il lui don.f r°/ une réponfe déciiive. 1-orfqu il y fut arrivé, il déclara qu'il ralloit commencer par lui mettre entre les mains 1'argent qu'Alexis lui avoit deffané. II s'éleva fur ce fujet une grande conteftation entre le Roi &:1e Depute. Celui-ci refufoit de fe defaiur de 1 argent avant que Baudouin fe fut mis en devoir de fervir J Empereur dans 1'expédition d'Antioche : le Roi tenoit k injure ce défeut de confiance, & prétendoit que fa parole valoit bien la fomme promi fe Ce aebat, prolongé jufqu'a Van- ntl tWant?> "'^ P« ft terminer, Manuel reprit Ie chemin de Tripoli. 1 , n%°ciation ayant échoué , il « « attendoit a retirer Ie dépot qu'il Ai avoit confiéa 1'Evêque. Mais «1 trou" Bi Alexis. An, 1111,' .un, XII. Kumite  Alexis. An. 1112. trotnpé a Tripoli. 40S HlSTOIRE va des gens auffi avides de le rete-nir, que Baudouin avoit été empreffé de s'en emparer. Bertrand étoit mort le 11 Avril, & laiffoit fon fils Pons en bas age. Les tuteurs du jeune Prince prétendirent que Bertrand , ayant pleinement fatisfait aux volontés de l'Empereur, cette fomme, qui étoit le prix de la confédération, lui avoit légitimement appartenu , & qu'elle faifoit partie de fa fucceffion. Le Député, au contraire, foutenoit que ce n'étoit qu'un dépot, que le projet de ligue ayant avorté par 1'injufte chicane de Baudouin , la fomme devoit retourner a l'Empereur , auquel elle appartenoit jufqu'a 1'exécution du traité propofé. II leur repréfentoit de quelle tache ils alloient noircir la mémoire du Prince mort & 1'enfance de leur pupille, s'ils lui faifoient com* meneer fa vie par une fi lache perfidie. 11 les menacoit même d'un dommage beaucoup plus confidérable que ne pouvoit être le profit de cette injuftice : le commerce de 1'ifle de Cypre , d'oü Tripoli tiroit toutes fes fubfiftances, leur feroit fermé , & ils alloient mourir de faim fur cet or qu'ils acquéroient  bü Bas-Empirr. Liv. LXXXF. 409 acquéroient par un crime. Cette derniere raifon fit quelque imprefïïon fur le confeil. On avoit voulu garder la fomme entiere; on confentit a rendre^ la portion deftinée a Baudouin, & a retenir la part de Bertrand, en faifant faire folemnellement au jeune Prince ferment de fïdélité a l'Empereur. Manuel, forcé d'accepter cet accommodement, retourna en Cypre, oü, par ordre de l'Empereur, il employa ce qui lui reftoitdargent a acheter des chevaux. S'étant enfuite remis en mer, & voulant éviter la rencontre des pirates qui infefïoient 1'Arehipel, il débarqua en -Pamphylie, & prit la route de terre jufqiFa 1'Hellefpont, qu'il paffa pour aller joindre l'Empereur, campé pour lors dans le voifinage. Dès 1'année précédente , pendant que Manuel travailloit a fufciter des ennemis a Tancrede, l'Empereur s'é- d toit tranfporté au bord de 1'Hellef- l pont, pour être k portée de défen- * dre 1'Empire, également menacé du cote de 1'Orient & de 1'Occident. Saïfan, fils & fuccefleur de Kilidge Arflan, que nous avons nommé Sq. Tome XVUI. s Alexis. An. mi, xnr. Alexis jns la herfone- nrt, /, 14,  Alexis. An. 1112. 410 Hl S T O I R g liman le jeune, & qui étoit mort en 1106 , ravageoit tout le pays, depuis Philadelphie jufqu'a 1'Archipel. Alexis , campé en Cherfonefe, avoit fait paffer en Troade un gros détachement, avec ordre d'avancer jufqu'en Lydie, & de couvrir ces contrées. Conftantin Gabras tenoit Philadelphie avec une forte garnifon. Monaftras commandoit dans Pergame ; les autres places étoient gardées par des Officiers de confiance, dont l'Empereur excitoit la vigilance par de fréquents avis. En même-temps qu'il prënoit ces mefures du cöté de 1'Afie, il veilloit a la défenfe des cötes de la Grece & de la Macédoine. II apprenoit" que les Pifans , les Génois êc les autres Puiflances d'Italie faifoient de grands armements , fous prétexte d'aller porter du fecours au Roi de Jérufalem, qui faifoit le fiege .dgTyr; mais en efFet, a defiein d'exercer leurs pirateries fur les cötes de la Grece, & d'infulter les ifles de la Méditerranée & de 1'Archipel. Sur , cet avis, il avoit raffemblé fes flot: tes dans les ports de la Cherfonefe, d'oii partoient fans ceffe des vaiffeaux  du Bas-Empirb. Llv. LXXXr. 411 d'obfervation & de fortes efcadres, pour garantir d'incurfion le continent & les ifles. Une efcadre de cinq vaiffeaux Latins, étant entrée dans 1'Hellefpont, s'avanca jufqu'èla hauteur d'Abyde. Dès qu'on les eut reconnus, on leur ferma la fortie du détroit; quatre furent pris ; celui qui s'échappa, alla inflruire la flotte ennemie des fages difpofitions de l'Empereur, & de l'impoflibilité de prendre fur lui aucun avantage. Sur ce rapport, la flotte Latine rentra dans les ports d'Italie, après qu'on en eut détaché un vaiffeau pour aller avertir le Roi de Jérufalem, qu'il n'avoit aucun fecours k efpérer des Latins, auxquels Alexis fermoit tous les paffages. L'Empereur fe difpofoit a retourner a Conftantinople, lorfqu'il ap- p prit que Saïfan revenoit avec des ^ troupes plus nombreufes, & qu'il ap- c prochoit de Sardes. Cette nouvelle le retint fur les bords de 1'Hellefpont, afin d'être prêt de paffer lui-même en Afie, fi les troupes qui fervoient de barrière ne fuffifoient pas pour arr«ter 1'ennemi. II fut bientöt hors S ï} Alexis. An. 1112. XIV. *ix avec iïfan. in. I. 14. uill. Tyr. II.c. ïS.  Alexis. An. ii 12, An. ii 13. XV. Nouvelle guerre contre les Turcs, 412 HlSTOIRE d'inquiétude. Conftantin Gabras, qui gardoit Philadelphie, quoique beaucoup plus foible en nombre de foldats , marcha au-devant des Barbares, & les tailla en pieces. Saïfan, honteux de cette défaite, demanda la paix, qui lui fut accordée a des conditions honorable a 1'Empire. Alexis , délivré de toute crainte, fe retira a Gallipoli, oü il fut attaqué des douleurs de la goutte, qui Ie tourmentoit depuis long-temps par intervalles, mais dont les attaques devenoient plus vives & plus fréquentes. Dès que fon mal lui permit de fupporter la fatigue du voyage, il retourna a Conftantinople. II fe vit délivré, h la fin de cette année, d'un dangereux ennemi. Tancrede mourut le 6 Décembre, & laiffa la régence des Etats du jeune Boëmond a fon coufin Roger, fils de Richard du Principat, & petit-neveu de Robert Guifcard. A peine Alexis commencoit a goüter quelque repos, qu'il apprit qu'une armée de cinquante mille Turcs fortie du Corafan , venoit enlever a 1'Empirece qui lui reftoit en Afie. II  du Bas-Empire. Liv. LXXXF. 413 paffe le Bofphore pour aller au-devant de ce nouveau torrent, & donne rendez-vous a les troupes au promontoire de Damalis. Elles s'y rendirent en grand nombre; mais une nouvelle attaque de goutte 1'obligea de s'y arrêter plus long-temps qu'il n'avoit réfolu. II n'étoit pas éncore en état de fe mettre en marche, qu'il recut avis d'Euftathe Camyze, Gouverneur de Nicée, que les Turcs étoient déja en Bithynie, & qu'ils y faifoient d'horribles ravages. 11 fort auffi-töt de fon lit, & fe faifant mettre dans un char, car il ne pouvoit encore fupporter le cheval, il prend la route de Nicée, fuivi de toute fon armée, que 1'exemple de fa conftance animoit d'un nouveau courage. II arrivé en trois jours dans un lieu nommé Egylle, d'oü il paffe par mer a Civitot. II y apprend que les Turcs s'étoient partagés en plufieurs corps; que tout le pays depuis Nicée jufqu'a Adramytte , toutes les cötes méridionales de la Propontide, tout le bord oriental de 1'Hellefpont , la Troade, la Myfie étoient en proie a leur fureur; que Prufe, S iij Alexis. An. in3. Ann. I. 14, Zon. T. U.p. 306. Glycas t P- 335-  Alexis. An. ii 13 XVI. Défaite & prife de Camyze. 414 H 1 s T O I R E Apolloniade , Cyzique avoient été faccagées, & que le Gouverneur de cette derniere ville avoit honteufement pris la fuite a leur approche, fans faire aucune réfiftance ; que les Barbares, chargés de butin, après s'être raffafiés de carnage, emmenoient un nombre infini de captifs de tout fexe & de tout age. A cette trifte nouvelle, Alexis envoye ordre k Camyze de fe mettre aux troufTes des Barbares avec cinq eents hommes, pour obferver leurs mouvements, & lui en donner avis; mais d'éviter fur-tout d'en venir aux mains avec des ennemis fi fupérieurs en nombre. Camyze atteint les Turcs prés d'une place de Bithynie, nommée Pémanene , au-dela du mont Olympe ; & oubliant les ordres de l'Empereur, n'en prenant que de fa bravoure impétueufe, il les charge avec vigueur. Les Turcs s'imaginant que c'étoit 1'avant-garde de l'armée Impériale, & que l'Empereur en perfonne alloit tomber fur eux, prennent 1'épouvante & s'enfuient. Mais pendant la nuit fuivante, ayant appris d'un prifonnier que Camyfe étoit  du Bas-Empire. Liv. LXXXV. 415 feul, & qu'il n'avoit que cinq cents hommes , ils retournent fur lui au point du jour, & le furprennent k leur tour, occupé k partager le burin. La plus grande partie de la troupe de Camyfe 1'abandonne &c prend la fuite. Mais ce guerrier intrépide, accompagné de quelques braves qui vouloient mourir avec lui , fe bat en défefpéré. Son cheval étant tombé , percé de coups, il s'appuye le dos contre un arbre, & abat k fes pieds tous ceux qui avancent k la portée de fes armes. II eft bientót environné d'un monceau de morts qui lui fait une nouvelle défenfe; & les Mufulmans, auffi étonnés qu'effrayés d'une fi prodigieufe valeur, s'arrêtent & le regardent fans ofer approcher davantage. L'Emir Mohammed, dont il étoit connu, voulant lui fauver la vie y, fait écarter les autres , defcend de cheval, & lui tendant la main : Carnyfe, lui dit-il,y'e vous aimois depuis long-temps ; au/ourd'kui je vous admire ; rende^-vous d moi; faurai foin de votre vie. Si vous voule^ périr, referve^ une fibrillante valeur pour la facrifier dans une occafion plus 'unS iy Alexis. An, 1113,  Alexis. An. 1113, XVIT. Défaite desTurcs, XVIIT. Autre défaite. 416 H I S T O I R E portante. Camyfe, qui fentoit fes forces épuifées, accepte la main de 1'Emir , Sc fe r-end a cet ennemi généreux. Les Turcs payerent bien cher ce fuccès, dont .ils n'étoient redevables qu'a la témérité de Camyze. L'Empereur ne 1'eut pas plutöt appris, qu'il les alla chercher avec toutes fes troupes au-dela du mont Olympe. II les rencontre dans une plaine bordée d'un grand marais, tout couvert de roïeaux; il les attaque Sc les taille en pieces. La plupart fe fauvent dans le marais, & fe piongent dans labourbe, ou il étoit impomble de les pourfuivre. Alexis fait mettre le feu aux rofeaux , & les force par ce moyen de regagner les bords, oii ils trouvent 1'ennemi Sc la mort. Cependant 1'Emir, dont Camyze étoit prifonnier, s'étoit féparé de fa troupe pour aller joindre une autre bande de Turcs, renforcée de Turcomans Sc d'autres barbares. Dès qu'il apprend la défaite des fiens prés du mont Olympe, il retourne fur fes pas, & court a l'Empereur a defTein de prendre fa revanche. Alexis pour-  du Bas-Empire. Liv. LXXXF. 417 iuivoit alors un autre corps de troupes Turques qui fuyoient devant lui. Mohammed tombe fur fon arrieregarde , commandée par deux braves Capitaines, Ampélas & Zipurel, qui tournent vifage; & fans confidérer s'ils étoient fuivis,de leurs gens, vont tête baiffée donner dans les efcadrons ennemis. Abattus 1'un après 1'autre par la lance de Mohammed, ils font achevés par fes gens avant que leur troupe foit arrivée pour les fecourir. Elle ne put que venger leur mort en tombant avec fureur fur les Turcs, qui prirent la fuite. Dans ce défordre, Camyze trouva 1'occafion d'échapper. II alla rejoindre l'Empereur, qui le recut avec joie prés de Philadelphie , & 1'envoya fur le champ a Conftantinople pour donner k 1'Impératrice & a toute la ville des nouvelles de fes heureux fuccès. Les Turcs, battus de toutes parts, prirent le parti de la retraite, après avoir fait avec l'Empereur un traité de paix, qu'ils étoient bien réfolus de rompre k la première occafion. Alexis, qui ne comptoit nullement fur leur bonne foi, ne laiffa pas de 1'acS v Alexis. An. 1113.  Alexis. An. ii 13. An. 1114. XIX. Occupations d'Alexis pendant la paix. 418 HlSTOIRE cepter pour donner du repos k fes troupes, & reprit le chemin de Conftantinople , ou il fut regu avec de grandes acclamations. Depuis qu'Alexis étoit fur le tröne , il avoit rarement goüté les douceurs de la paix. Toujours au milieu des orages, toujours agité, foit par des guerres, foit par des complots formés contre fa perfonne, il avoit plus d'une fois porté envie k la tranquille fécurité dont jouiffoient les derniers de fes fujets; caprice ordinaire aux ambitieux , toujours en contradicTion avec eux-mêmes, a qui la vie privée ne plait qu'autant qu'ils la regrettent; femblables k ces amants frivoles, gémifTants fans cefTe de leurs chaïnes, qui leur pefent encore moins qu'une fage liberté. II faut cependant avouer que jamais Prince ne trouva en lui-même plus de refTources pour fupporter le repos. Fort inflruit des loix, il prenoit plaifir a rendre la juftice a fes fujets, & il mériteroita ce titre un rang entre les bons Princes, s'il ne 1'eüt fouvent facrifiée a la faveur. Comme il avoit Pefprit cultivé, la leef ure occupoit agréablement  du Bjs-Empire. Liv. LXXXV. 4:10 fon loifir : il fe olaifoit fur-tout k celle des livres faints, dont il avoit fait une étude particuliere. Rarement attaché aux jeux fédentaires , il ne délafToit fon efprit, qu'en exercant fon corps. La chafTe, la paume, le manege étoient fes amufements les plus ordinaires ; 6c Iorfque la goutte commenca de le tourmenter , il fit de ces exercices fon principal remede. Ce fut ainfi qu'il pafTa prefque toute 1'année qui fuivit la guerre précédente. Vers 1'automne, il apprit que les Comans fe difpofoient a paffer le Danube pour faire une nouvelle irruption. II partit de Conltantinople au mois de Novembre , 6c diftribua fes troupes depuis Philippopolis 6c Triadize, jufqu'au Danube , leur recommandant d'avoir grand foin^ de leurs chevaux, de les dreffer a toutes les évolutions de cavalerie , 6c de les tenir en état de fervir avec avantage, dès qu'il faudroit courir aux Barbares. Pour être a portée de veiller k Ia füreté de la frontiere, il fixa fon fé- 11 jour dans la ville de Philippopolis , J oü il demeura tout 1'hy ver; 6c en di S vj ci Alexis. An, 1114, XX. travaita la con> irfion :s Pauliens»  Alexis. An, m 5, 420 HïS T O I R E attendant qu'il put repouffer les Comans, il ne cefla de combattre une autre forte d'ennemis non moins dangereux & plus difficiles a vaincre. C'éfoient les Pauliciens , qui, mêlés avec des Bogomiles, des Arméniens & des Jacobites , infeöoient toute cette contrée. Alexis r dès le commencement de fon regne, avoit purgé cette ville d'une grande partie de ces hérétiques. Mais les femenees qui en étoient reftées, avoient poufTé de nouveaux rejettons; & cette race impie s'étant multipliée, exercoit fur les Catholiques une forte de tyrannie. Alexislemploya fon loifir a travailler a leur converfion. II étoit fecondé du Céfar Nicéphore Bryenne , de 1'Evêque de Philippopolis, & d'Euflrate , Archevêque de Nicée en Thrace, Prélat fort favant, qui nous a laifTé les meilleurs commentaires d'Ariftote. Le Prince ouvrit dans fon palais des conférences publiques, oü les chefs des Hérétiques venoient en liberté foutenir leurs opinions. Infatigable controverfifte, il pafToit les jovurs entiers fans prendre de nourrijture, & quelquefois même une gran-  du Bas-Empire. Lw. LXXXV. 421 de partie des nuits a les écouter Sc k leur répondre avec patience. II en convertit un grand nombre. Au milieu de la chaleur de ces difputes, on vient lui annoncer que les Comans font en marche , Sc qu'ils ont déja paffé le Danube. II prend auffitöt ce qu'il avoit de foldats avec lui, Sc court k leur rencontre. A fon approche, les barbares effrayés repaffent le fleuve. II envoye après eux un détachement de fes meilleures troupes , qui les pourfuit pendant trois jours fans pouvoir les atteindre. De retour a Philippopolis, il reprit les conférences. Les plus opiniatres de ces Hérétiques étoient Culeon, Cufin Sc Pholus. Ces trois fanatiques, auffi hardis qu'entêtés, oubliant que même en foutenant la vérité, il efl dangereux d'avoir plus de raifon que fon maitre, attaquoient le Prince fans ménagement; Sc convaincus par la force de fes preuves, ils ne pouvoient encore fe réduire au filence. Leur mauvaife foi obftinée laffa enfin 1'Empereur. II les fit conduire a Conftantinople. Ceux qui avoient abjuré 1'héréfie, furent récompenfés k pro- Alexis. An, 111;,  Alexis. An. inj, i 42a HlSTOIRB portion de leur condition & de leur naiffance. Les plus diftingués recurent des penfions & des emplois honorables dans le fervice militaire. Les autres, qui fe trouvoient en très-grand nombre, furent établis avec leurs femmes & leurs enfants dans une nouvelle ville que l'Empereur fit batir prés de Philippopolis au - dela de ï'Hebre, & qu'il nomma Alexiopolis : mais Pufage plus puiffant que la volonté des Princes la fit nommer Neocaflrum, c'eft-a-dire , Chdteauneuf. II fit diftribuer a la colonie, des maifons, des terres labourables , des vignobles, & par un diplome authentique, revêtu de toutes les formes légales, il ordonna que ces donations pafferoient a leur poflérité, & qu'au défaut d'enfants , les femmes hériteroient du partage de leurs maris. De retour a Conftantinople, il fit de nouveaux efforts pour la converfion des trois chefs de 1'héréfie. Dieu toucha le cceur de Culeon, qui renon^a a fes erreurs , & recut le baptême. Les deux autres furent condamnés a une prifon perpétuelle, oü ils moururent dans leur endurciffement.  du Bas-Empire. Liv. LXXXV. 423 Le Corafan & les pays d'au-dela de POxus étoient alors a 1'égard de 1'Afie, ce qu avoient été pour 1'Eürope la Scandinavië & les contrées d'au-dela du Danube & de la Viftule dans le quatrieme & le cinquieme liecles. C'étoit une fource intariffable d'ennemis. Des nuées de Barbares fortis des glacés de la Tartarie, & tous nommés Turcs dans 1'hïf- ' toire, fe fuccédoient fans cefTe, & venoient inonderl'Afie mineure, dont 1'heureufe température & le terrein -fertile les attiroit, comme 1'opulence de ia Syrië avoit autrefois attiré les Sarafms des fables brülants de 1'Arabie. Tant de villes riches & peuplées offroient a leurs mains avides une proie abondante. Non contents de les piller, ils en égorgeoient les habitants , ils en rafoient les murs & les édifices ; ils plantoient leurs tentes & leurs miférables cabanes fur les ruines des Eglifes & des palais; & ce peuple deftrucfeur , accoutumé aux cavernes du Maouerennahar , faifoit du plus beau pays de 1'univers un défert fauvage. Saïfan, qui n'avoit fait la paix quatre ans auparavant, que Alexis. An. n 16. XXI. Les Turcs recommencentIa guerre. Ann. /. 14, Zon. t. II. 0. 306 , & rm- Glyc. p. 335.  Alexis. An, ii 16. 424 HlSTOlRE pour fe préparer a une nouvelle guerre, faifoit venir du Corafan une armée ; il y joignoit les troupes du Sultan d'Alep qui s'étoit Jigué avec lui. Au premier avis qu'en recut Alexis, il réfolut de prévenir le Sultan & d'allerattaquer Icone, qui, depuis la prife de Nicée, étoit devenue la capitale de cette puifTante Sultanie. II aflemble donc de toutes parts les forces de 1'Empire , mande les fecours de fes alliés, foudoye des troupes étrangeres, & travaille a fe mettre en état de repoiuTer les Turcs par un dernier effort jufqu'au-de-la de 1'Euphrate. II falloit toute 1'acfivité d'Alexis pour accélérer tant de préparatifs. Mais au milieu de ces mouvements, elle fe trouva tout-a-coup arrêtée par une attaque de goutte plus violente que jamais, qui le retint au lit pendant plus d'un mois. Cet accident retarda la réunion de fes troupes, & donna le temps k Saïfan de ie mettre le premier en campagne. Ne trouvant point d'obftacle, le Sultan divifa fon armée en plufieurs corps, qui fe répandirent dans toute 1'Anatolie portant par-tout le ravage. Ce  bu Bas-Empire. Liv. LXXXV. 42$ qui piquoit plus vivement Alexis , c'eft que les Turcs s'imaginant que fa maladie n'étoit qu'une feinte pour déguifer fa timidité, en faifoient publiquement des railleries; c'étoit le fujet le plus ordinaire des plaifanteries a la table du Sultan ; & dans les farces grofïieres, dont cette nation s'amufoit ainfi que tous les peuples du monde, on jouoit lagoutte d'Alexis, qu'on apportoit fur le théatre dans un équipage ridicule. Irrité de ces infultes, dès qu'il fut en état de fe mettre en route, il paffa le Bofphore; & s'étant rendu k Nicée, il s'avanca jufqu'a Lopade, dont il favoit qu'une troupe de Turcs n'étoit pas éloignée. Ils ravageoient alors les plaines voifines du mont Olympe , & campoient fur la rive du Rhyndacus. AParrivéede l'Empereur, qu'ils n'attendoient pas, la crainte fuccede a leur folie affurance; ils effayentde 1'épouyanter; & pour lui faire croire qu'ils étoient en plus grand nombre, ils allument pendant la nuit dans une grande étendue quantité de feux, qui donnoient 1'idée d'un campement immenfe, Ce ftratagême n'en impofa pas Alexis. An. 1116, XXII. Départ Sc premiers ïuccèj d'Alexis.  Alexjs. An. 1116. 426 HlSTOlRE a l'Empereur. II marche au point du jour pour les attaquer ; mais il ne trouve dans leur camp , qu'ils venoient d'abandonner, que les traces récentes d'une rage inhumaine , des prifonniers Grecs nouvellement égorgés, & dont quelques-uns rendoient encore les derniersfoupirs. Animé par la compafiion & par la vengeance, il brüloit d'ardeur de pourfuivre avec toutes fes troupes ces cruels ennemis. Mais un fi grand corps ne pouvoit fe mouvoir avec affez de viteffe, pour atteindre des brigands , qui voloient fans attirail, ne fubfiftant que de pillage. II détache donc après eux; un corps de cavalerie légere, compofé de fes meilleurs efcadrons. Ceux-ci atteignent les Turcs, fondent fur eux avec furie, en tuent un grand nombre , font prifonniers les principaux , leur enlevent leur butin, & reviennent joindre l'Empereur. Ce premier fuccès lui promet une heureufe campagne; il retourne a Lopade pour y attendre le refte de fes troupes qui étoit en marche. D'ailleurs, les chaleurs de 1'été étant infupportables cette année, il auroit rifqué de faire périr fon ar-  bv Bas-Empire. Liv. LXXXK 427 mée dans les plaines arides qu'il lui faüoit traverfer pour arriver a Icone. II réfolut donc de garder ce pofte jufqu'au commencement de 1'automnc. L'Impératrice s'étoit avancée jufqu'a Fiile du Prince , pour être plus k portee de recevoir des nouvelles de PEmpereur; il la fit venir au camp, tant pour recevoir de fa tendrefTe les fecours dont il avoit befoin dans les attaques de goutte qu'il redoutoit, que pour fe garantir par fa vigilance des complots fecrets formés fans ceffe autour de lui par ceux mêmes qui lui témoignqient le plus d'attachement. Trois jours après Tarrivée d'Irene, on vint en grande allarme annoncer qu'une armée de Turcs approchoit, \ & qu'elle étoit déja prés de Nicée. 1 Alexis fit auffi-töt partir 1'Impératrice pour Conftantinople ; mais une tempêre Pobligea de s'arrêter k Hélénopolis. L'Empereur monte a cheval & marche a Nicée avec toutes fes troupes. Les Turcs n'en font pas plutöt inftruits, qu'ils retournent fur leur pas. Strabobafile & Stypiote, deux braves Capitaines, qui gardoient les défilés de Germa, fe mettent a leur Alexis. In. mó, XXIIT. Mouvsnents de Empseur.  Alexis. An. ii 16, 428 HlS T O I R B pourfuite, & les défont dans la plaine. Arrivé a Nicée,l'Empereur ne trouva plus d'ennemis, & neut rien a faire qu'a récompenferlesvainqueurs.Pour raffurer 1'lmpératrice , que 1'approche des Barbares avoit jettée dans 1'inquiétude , il va lui-même lui annoncer leur défaite ; & après des témoignages réciproques de tendreffe, il retourne k Nicée. Sur le bruit d'une autre incurlion du cöté de Lopade, il s'y tranfporte de nouveau. A peine y eft-il parvenu, qu'il apprend qu'une armée de Turcs plus nombreufe que la première marche encore vers Nicée; il reprend aulïi-töt la même route, & paffe au-dela de Nicée pour s'inftruire de plus prés des forces de 1'ennemi. Ce n'étoient que des coureurs détachés de la grande armée commandée par un Emir de grande réputation nommé Monolyc , qui les avoit envoyés battre la campagne, pour obferver les mouvements de l'Empereur. Alexis renvoye a. Lopade Léon Niceritas avec quelques efcadrons; il lui recommande de veiller a la garde des paffages, & de 1'ayertir de toutes les entreprifes que les  du Bas-Empire. Lm. LXXXV. 429 Turcs pourroient faire de ce cöté-Ja. Pour tui, perfuadé que Monolyc, qui n'étoit pas encore inftruit de Ia défaite du premier corps de troupes & de 1'approche de l'Empereur, rebroufferoit chemin & reprendroit celui d'Icone, dès qu'il en feroit informé, il ne jugea pas a propos de fatiguer inutilement fes troupes a le pourfuivre. Le feul moyen d'attirer Monolyc & de le furprendre, étoit de s'éloigner lui-même, comme s'il eut voulu finir la campagne & fe retirer k Conflantinople. II penfoit que le Général^ Turc, trompé par cette feinte, s'avanceroit vers Nicée, & que croyant n'avoirrien a craindre, ilpermettroit a fes troupes de fe difperfer pour le pillage , felon la coutume des Turcs ; ce qui donneroit occafion de les battre en détail. Sur ce plan Alexis recula jufqu'a Nicomédie, pofte avantageux pour y refaire fes foldats & fes chevaux harraffés par tant de marches & de contre-marches, & pour recevoir de Conftantinople abondancede vivres. C'étoit la cavalerie dont il avoit le plus de befoin pour combattre les Turcs, tous cavaliers : il Alexis. An. 1116, XXIV. Alexis k Nicomédie.  Alexis. An. 1116. 430 IJlSTOIRE recommanda de ne point fatiguer les chevaux, foit k la chaffe, foit a de violents exercices ; mais de les tenir feulement en haleine par des courfes modérées. II fit fermer exaétement tous les paffages, pour öter aux ennemis toute connoifTance de fon armée. Aucun de fes Officiers n'étoit inftruit de fon deffein, Sc tous fe perfuadoient qu'Alexis ne fongeoit qu'a fe repofer, 6c qu'après quelque féjour il retourneroit k Conftantinople. Dans cette penfée, tout le camp murmuroit; c étoit, difoit-on , une lacheté honteufe davoir hevê d Ji grands fraix une nombrtufe armée , & de s'être mis en marche dans un appareil Ji menacant, pour venir prendre le frais dans les jardins de Nicomédie, tandis que les Barbares, lefer & la jlamme d la main, Jaccageoient en liberté les villes Chrétiennes, & couvroient les campagnes des cadavres de leurs lahoureurs; que la vieillejfe avoit éteint le courage d!Alexis, & quil ne rejloit plus que tombre de ce guerrier Ji actif& (iintrépide. Toute la ville retentifioit de ces murmures, 6c Flmpératricevenue d'Hélénopolis en étoit allarmée. L'Empereur feul méprifoit  du Bas-Empire. Liv. LXXXV. 431 ces vaines rumeurs , &attendoit fans s emouvoir 1'occafion de fe juftifïer par une viétoire. Comme fon armée etoit en grande partie compofée de nouvelles levées, qu'on lui amenoit encore tous les jours, il s'occupoit k les exercer au maniement des armes & a toutes les évolutions militaires. II y avoit déja quelque temps qu'Alexis attendoit k Nicomédie des nouvelles de 1'approche des ennemis, lorfqu ilreconnutqu'ils 'étoit trompédans les conieéfures. Monolyc, foit qu'il eut deyine 1'intention de l'Empereur, ioit qu il eut lui-même deffein de terminer la campagne, loin davancer vers Nicee , fe retiroit dans 1'intérieur de la Phrygie. L'équinoxe d'automne etoit déja paffé , & l'Empereur n avoit point de temps k perdre , s'il vouloit recueillir quelque fruit d'un armement fi confïdérable. II fe met donc en marche k la tête de toute fon armée, & prend la route d'Icone. II iaifle a Nicée quelques troupes Jéeeres avec ordre de donner la chaffe aux differents corps ennemis qui couroientle pays, mais de ne pas s'écarter trop loin , &de faire retraite Alexis. An. 1116 XXV. Alexis marche a rennemi.  Alexis. An. 1116 432 HlSTOIRE en bon ordre avant que de courir le rifque d'être enveloppées. Pour lui il marche en-avant; & parvenu dans les valles plaines de Dorylée en Phrygie, trouvant un terrein uni tk propre a toutes les évolutions d'une armée , il fait ,1a revue de fes troupes, & les drefTe a un nouvel exercice qu'il avoit formé fur la maniere de combattre de 1'ennemi. II avoit remarqué que les Turcs ne combattoient pas enfemble comme les autres nations: les deux ailes &le centre faifoient comme trois armées féparées Tune de 1'autre par de grands intervalles; & le corps de réferve toujours placé derrière, s'éloignoit beaucoup du corps de bataille. Lorfqu'on attaquoitun de ces corps, les autres accouroient par les flancs pour envelopper l'armée ennemie, &£ 1'accabler a coups defleches. S'ils trouvoient de la réfiftance, ils fuyoient avec rapidité, toujours en bon ordre ; puis revenoient fur 1'ennemi, lorfqu'ils le voyoient débandé k la pourfuite. Leurs chevaux Arabes ou Tartares étoient d'une docilité merveilleufe & d'une grande viteffe. Semblables aux anciens Parthes, ils n'étoient  t>u Bas-Empire. Liv. LXXXK 433 Jpient pas moins redoutables dans la iiute que dans le combat, tirant pardernere avec tant de jufteffe & de force, qu'ils ne manquoient guere de Dercer de part en part Ie cheval ou e cavalier. Ils faifoient peu d'ufage de Ia lance; c'étoit dans 1'arc que confiftoit toute leur force, auffi ne combattoient-ils guere que de loin. Alexis, parfaitement inftruit de Ia taftique des anciens, mars qu'une longue expérience accompagnée de profondes réfiexions, avoit mis en état de *'en ecarter avec avantage felon les occa*ions, avoit imaginé une nouvelle ordonnance pour combattre les Turcs Son hiftoire écrite par une main quï n etoit nullement militaire, ne nous donne a ce fujet aucun éclairciffemenr, Toiit ce qu'on peut recueillir d'Anne Comnene au travers d'une affez grande obfcurité, c'eft que les Turcs ie decouvrant a droite en tirant de I are, & le refte de leur corps "étant couvert de leur bouclier pafte dans Ie bras gauche, Alexis ordonna a fes foldats de ne pas tirer droit devant eux felon 1 ufage, mais obliquement, chacun fur celui qui étoit è la gauche Temt XFllh T AtEXIS. An, 1116,  ■ AlEXXS. An. 1116. XXVI. Di verfes expéditior.s. 434 Utstoire de 1'ennemi qu'il avoit en face. Par ce moyen , leurs fleches portoient toujours fur la droite de 1'ennemi. II fit dans les plaines de Dorylée 1'effai de fa nouvelle formede bataille, & s'arrêta quelque temps a y faconner fes foldats , qui fe crurent alors invincibles. Continuant enfuite fa marche, il arrivé a Santabaris, & fait prendre les devants k Camyze avec une partie de fes troupes, pour lui ouvrir les paffages vers Polybot & Cédrée, petite place, mais importante par fa force & par fa fituation. II donne un autre détachement a Stypiote pour aller enlever un camp de Turcs pofté prés d'Amorium. La marche de Camyze fut annoncée k Cédrée par deux déferteurs, & le Commandant ayant auffi-töt pris la fuite avec fa garnifon , les Grecs trouverent la place abandonnée. Camyze fe rabattit fur Polybot, oii il n'étoit pas attendu. II y fit un grand carnage de Turcs, reprit fur eux le butin & les prifonniers, & attendit l'Empereur. Stypiote eut le même fuccès, Sc vint rejoindre le gros de l'armée. Alexis, arri-  du Bas-Emp{re. Liv. LXXXr. 455 vé a Cédrée, apprend qu'un grand nombre de Turcs étoient cantonnés dans les places voifines. C'étoit un pays autrefois pofiedé par ce brave Burzès, qui s'étoit fignalé fous le regne de Bafile Bulgaroclone. Bardas, petit fils de ce Burzès, fervoit avec réputation dans les troupes d'Alexis. L'Empereur lui donna un détachement pour reconquérir 1'ancien héritage de fes peres. Comme il fe difpofoit a fe remettre en route, il recut avis que le Sultan, fur la nouvelle de fa marche, avoit dévafté tout le pays par ou l'armée Grecque devoit paffer , en forte qu'on n'y trouvoit nulle fubfiftance pour les hommes ni pour les chevaux; que de plus il arrivoit des parties fupérieures de 1'Afie une effroyable armée de Barbares , pour défendre Icone, dont le danger allarmoit toute la nation. Dans cet embarras , Alexis, incertain s'il continueroit fa marche vers Icone, oü s'il tourneroit vers Philomele pour y combattre une armée de Turcs, rcfolut de confulter Dieu; & conformérnent a cette pratique fuperftitieufe, dont j'ai parlé, il fit mettre deux T ij Alexis. An. iub  Alexis. An. m 6. xxvn. L'Empeïeurcourtau fecours <5eBardas. 4.36 UlSTOIAE billets fur Pautel. Après la cérémonie déja racontée, le fort décida qu'il falloit marcher a Philomele. II fe préparoit a obéir a 1'oracle , lorfqu'il recut une nouvelle qui 1'obligeoit a porter du fecours a Bardas. Toute 1'Afie étoit couverte de diverfes bandes de Turcs qui couroient a 1'attrait du pillage. Bardas, en allant au lieu de fon expédition, en rencontra une dans la plaine d'Amorium. II lui livre combat, la taille en pieces , & s'empare des bagages. Pendant Paöion, une autre bande de Turcs enleve les fiens & s'enfuit. II pourfuit quelque temps ceux-ci; mais défefpérant de les atteindre, il tourne bride & marche A fa deftination. II ne trouve dans les places qu'il alloit attaquer , que des vivres dont il avoit grand befoin ; les garnifons & les habitants avoient pris la fuite. C'étoient des places fans défenfe, qu'il étoit impoflible de conferver tant qu'on ne feroit pas maitre d'Icone. II revient donc fur fes pas pour rejoindre la grande armée. II n'en étoit pas éloigné, lorfqu'il rencontre encore un corpsde Turcs beaucoup plus con-  du Bas-Empire. Lh. LXXXV. 437 fidérable. On fe bat auffi-töt, & les deux partis fe difputent la victoire avec acharnement. Comme les Turcs, quoique plus forts en nombre , trouvoient une vigoureufe réfiffance, le Commandant envoye dire a Bardas, que s'il lui veut rendre le butin qu'il a fait fur fes compatriotes , il fe retirera fans lui caufer d'autre dommage. Bardas rejette la propofition, & continue de fe battre fur le bord d'une riviere. Mais voyant que fes foldats mourant de foif fe détachoient fouvent du combat pour aller fe défaltérer, & revenoient enfuite reprendre leurs rangs, ce qui jettoit le défordre dans fon armée , craignant d'ailleurs de fuccomber a la fupérionté du nombre, il envoye avertir l'Empereur du danger oü il efl:. Alexis part auffi-töt, & s'avance en diligence. Les Turcs fe difpofent a le recevoir. A la vue des ennemis, Nicéphore, neveu de l'Empereur, jeune Prince plein de feu, s'élancehors des rangs, & fiuvi d'une troupe des plus hardis, il va tête baiffée heurter les plus épais efcadrons. Le choc eft funeux. Nicéphore bleffé abat d'un Tiij Alexis. An. 1116.  Alexis . An. in6. 438 IIlSTOIRB coup de lance le Turc dont il avoit recu la bleffure; & fecondé de Bardas , s'ouvrant un paffage a grands coups deeimererre, il jette unetelle épouvante, que l'armée Turque étoit déja en fuite avant que l'Empereur put la joindre. Alexis combla de louanges ce jeune guerrier, qui remportoit tout 1'honneur de cette journée, & prit auffi-töt le chemin de Philomele. Cette ville fut emportée d'emblée. Alexis n'efpérant plus avoir le temps de faire la conquête d'Icone avant 1'hyver, fe contenta d'envoyer ravager le pays d'alentour; ce qui fut exécuté avec beaucoup de promptitude & de fuccès. On rapporta un riche butin, & on lui amena grand nombre de prifonniers Grecs qu'on avoit délivrés, & un plus grand nombre encore de Barbares qu'on avoit faits prifonniers. Ils étoient accompagnés d'une multitude d'habitants , qui, pour s'affranchir de la dure fervitude fous laquelle ils gémiffoient, venoient avec leurs femmes & leurs enfants fe jetter entre les bras de l'Empereur , qu'ils regardoient comme leur maitre naturel. Alexis les re?ut avec  du Bas-Empire. Liv. LXXXV. 439 bonté, & les compta dès ce moment au nombre de fes fujets. Pour affurer fa retraite au milieu de tant d'ennemis, il difpofa fon armée en bataillon quarré , bordé de toutes parts de boucliers. II fembloit que ce fut une cité ambulante, environnée de fes murs. II donna des ordres exprès que perfonne ne fortit de fon rang. Les femmes , les enfants , les prifonniers, le butin , les bagages étoient enfermés au centre , comme dans une place de füreté. II pafToit ainfi fans rien craindre a la vue des villes ennemies, dont les garnilbns n'ofoient 1'infulter. On marcha long-temps fans appercevoir les Barbares. Cependant Monolyc avec un camp volant fuivoit l'armée Grecque fans fe montrer, toujours a couvert des forêts ou des montagnes, attendant quelque occafion. II crut 1'avoir trouvée dans une plaine bordée d'un cöté par la ville de Polybot & par quelques cöteaux, de 1'autre par un grand lac. II avoit caché fes troupes derrière ces cöteaux; & dès que l'armée Grecque fut entrée dans la plaine, il parut fur les hauT iv Alexis. An. 1116. XXVIII. Retour da FEmpereur.  AlEXIS An. j 11 s 440 // I S T O 1 li £ - teurs, tout prêt k fondre fur elle, : Pour multiplier aux yeux le nom' bre de fes troupes", il les divifa en plufieurs corps , qui defcendant féparément fe montroient les uns vers Ia tête , les autres en queue, d'autres fur les flancs, tachant en même-temps d'effrayerles Grecs par le fon d'une infinité d'inftruments de guerre; mais ilsn'oloient en veniraux approches, fe contentant de tirer de loin quelques fleches qui faifoient peu d'effet. L'Empereur, fans rompre fon ordonnance, avancoittoujours a petits pas , au milieu des cris & des vaines menaces de ces Barbares, qui n'excitoient dans l'armée Impériale, que la rifée & le mépris. A la fin du" jour les Turcs remonterent fur les cöteaux, oü ils allumerent quantité de feux, & ne cefferent pendant toute la nuit d'infulter les Grecs & de poufler des hurlements affreux pour jetter 1'épouvante. Au point du jour , l'armée fe remit en marche dans le même ordre, & Monolyc fe mettoit en devoir de la harceler ainfi que la veille, lorfque Saïfan vint le joindre avec un renfort de troupes.  du Bas-Empire. Liv. LXXXP. 441 Le Sultan confidérant de defliis les hauteurs la difpofition de l'armée Grecque, ne put s'empêcher de 1'admirer. Cependant comme il étoit jeune & fier, il fe perfuada que Monolyc n'avoit manqué que de hardiefle pour entamer, rompre, terraffer les ennemis, & il lui en fit des reproches. Je fuis vieux, répondit le fage Général; peut-être que Cd* ge rria rendu trop timide. Vous êtes jeune, Seigneur; cet exploit étoit réfervé d votre courage. L'événement ferct ma condamnation ou mon apologie. Saïfan fe met a la tête d'une divifion , & va charger les Grecs en queue. II les fait en même-temps attaquer par le front & par les flancs. Les Grecs, fans perdre leurs rangs,font face de toutes parts ; leur bataillon couvert de boucliers & fraifé de lances ne s'ébranle non plus qu'une citadelle. Cependant comme les fleches des Turcs abattoient quelques chevaux , Andronic, fils puiné d'Alexis, qui commandoit 1'aile gauche, obtint de fon pere la permiffion de fe détacher avec une brigade de cavalerie, & de courir a la queue, oiï T v Alexis. An. 1116. XXIX. Défaite de Saïfan. /  Alexis. An. 1116. XXX. Attaque nofturne inutile. 44» fflSTGIRE Saïfan en perfonne faifoit les plus grands efforts. Le combat s'engage de ce cöté-la, & le Géfar Nicéphore Bryenne qui commandoit 1'aile1 droite, craignant pour Andronic, ne* tarde pas a le fecourir. Les Barbares font mis en fuite. Saïfan ï leur tête fe fauve vers les hauteurs, & eft vivementpourfuivi; Tous fes gens fe difperfent. Accompagné d'un feuï de fes Officiers, il fe retire dans une chapelle environnée dè hauts cyprès. II y efl: fuivi par quatre foldats de l'armée Grecque , qui ne le connoiffant pas de vue , prennent TOfficier pour lui, & le laiffent échapper. L'Empereur, mécontent de la méprife, paffe la nuit fur le champ de bataille. Saïfan rallie fes troupes fur les cöteaux, & fe difpofe a une nouvelle attaque. Un déferteur vient fe pré'fenter a lui: » Seigneur, lui dit-il, » je ne vous ferois pas un grand pré* » fent, fi je ne vous donnois que ma » perfonne. Je fuis un foldat Patzr» nace. Mais je vous apporte la vic» toire. Si vous attendez le jour, vo» tre proie votis échappera encore. » Alexis faura bien donner a fes trou-  dü Bjs-Empire. Lh. LXXXV. 443 » pes une difpolïtion qui le rendra » invincible. Profitez du moment » préfent. Ici la plaine fe retrécit. » L'Empereur a été obligé de ferrer » fes tentes, &c de déranger fon or» dre de marche & de bataille. Tout » eft confondu. Faites defcendre au » pied de ces hauteurs vos meilleurs » archers pour tirer fur le camp des » Grecs. Ils font tellement preffés » qu'aucun coup ne fera perdu ". Un autre déferteur rendit cet avis inutile. C'étoit un Turc qui, ayant entendu le difcours, alla fur le champ en avertir l'Empereur, pour en recevoir récompenfe. Alexis détache auili-tot autant de foldats qu'il en falloit pour border le camp du cóté de 1'ennemi, & leur ordonne de fe tenir de pied ferme dans leur pofte , a couverts de leurs boucliers. C'étoit une paliflade impénétrable a tous les traits. Pendant ce temps-la, il difpofoit fon armée pour la marche; en forte que les foldats qui faifoient face a 1'ennemi, n'euftent qu'un léger mouvement k faire pour s'aligner avec le refte. II part au point du jour fans avoir fait aucune perte. En vain T vj Alexis. An. 1 n6.  Alexis. An. iiió. - XXXI. Saïfan demande la paix. j 444 IIistoire Saïfan tente encore de Tentamer ; it paffe Je jour en attaques inutiles ; Sc la nuit fuivante k délibérer avec Monolyc & les autres Emirs fur le parti qu'il devoit prendre. De 1'avis de fon Confeil, il réfolut de faire la paix avec l'Empereur; & dès que le jour parut, il envoya lui demander une entrevue. Alexis Paccorda, & fur le champ il fit faire halte : il donna 1'ordre que chacun fe tint dans fon rang, fans quitter les armes, fans defcendre de cheval y fans décharger les bagages. II appréhendoit quelque furprife de la part des Turcs. II s'avance lui-même a. cheval a la tête de fon armée, efcorté k droite & a gauche d'une longue fuite de fes parents Sc de fes prin:ipaux Officiers, dont les cafques, re[evés d'un haut panache, & les cui-affes d'airain, frappées des rayons lu foleil, jettoient un éclat éblouifanf. Le Sultan arrivé accompagné Ie fes Emirs, entre lefquels on difinguoit le vieux Monolyc, que fa ;éputation de valeur & de fageffe •elevoit au-deffus de tous les Génésaux de la nation Turque, L'entre-  dv Bas-Empire, Liv. LXXXF. 445 vue fe fit en Phrygie entre Acronium & Auguflopolis. De fi loin que les Emirs appercurent l'Empereur, ils ' mirent pied a terre. Saïfan voulut en faire autant; l'Empereur lui fit figne de refter a cheval: mais lorfqu'il fut plus proche, fautant légérement a terre, il courut baifer les pieds d'Alexis , qui lui tendit la main, & le fit monter fur un de fes plus beaux chevaux, dont il lui faifoit préfent. Le Sultan, s'étant placé a cöté de l'Empereur, Alexis détacha fon manteau, & le mit fur les épaules du Prince Turc. Alors Saïfan, dans une contenance refpeftueufe : Seigneur, dit-il, je vous demande la paix; & ma confiance montre af[é{ que je la mérite. Elle ejl déja fake dans mon coeur. Dictel-en les conditions. Je rien attendsque d'équitables £un Prince fi généreux. Après un moment de réflexion, l'Empereur répondit, que fi les Turcs vouloient de bonne foi mettre fin d leurs incurfions fur les terres des Chrétiens,. il les traiteroit comme fes amis ; quil les laiferoit yivre en paix dans le pays quils avoient poffédé avant la défaite de Romain Diogene, & qu'il s'efforceroit Alexis. Lr», 111 d.  Alexis. An, ii 16, 446 IlrSTOIRÈ de contrlbuer a leur bonheur par tous les bons offices qu'on pouvoit attendre d'un dmijincere & puiffant; qu autrement ils ne trouveroient en lui qu'un implacabte ennemi. Saïfan & les Emirs repartirent, qu'ils ne feroient pas venus fe mettre entre fes mains , s'ils ri étoient bien réfolus de vivre en paix, & de ne s'écarter jamais du refpect dont ils venoient Faffurer. Après ces déclarations mutuelles, l'Empereur les fit conduire dans les tentes qui leur étoient préparées, oii ils furent traités auffi fplendidement que la conjoncture pouvoit le permettre. Le lendemain le traité fut figné, & revêtu de toutes les formes ordinaires; & après leur avoir diftribné des préfents, Alexis les congédia. Mais avant le départ, l'Empereur , mieux inftruit que le Sultan même de ce qui fe tramoit a Icone, Favertit du deflein que fon frere Mafoud avoit formé de lui enlever fa dignité, & peut-être fa vie. II lui confeilloit de demeurer auprès de lui en attendant des nouvelles plus certaines. Comme le Sultan , auffi préfomptueux qu'imprudent, ne déféroit pas a cet avis, Alexis lui offrit une  nu Sjs-Empirë, Lh. LXXXF. 447 efcorte pour fa füreté, de peur que fes propres foldats ne fuffent gagnés pour le trahir; ce que Saïfan ayant refufé, il ne tarda pas a s'en repentir. Attaqué par les troupes de Mafoud , & trahi par les fiennes avant que d'être parvenu a Icone, il voulut fe réfugier auprès de l'Empereur; mais il fut pris & mis entre les mains de fon frere , qui lui fit öter la vie. Alexis continua fa route toujours dans le même ordre pour fe garantir des attaques imprévues. Cette foule de peuple, qui s'étoit réfugiée auprès de lui, trouvoit dans le centre de l'armée la tranquillité, les commodités même, qu'elle auroit pu defirer a Conftantinople. La lenteur de la marche leur épargnoit la fatigue r les enfants, les vieillards, les malades, les femmes enceintes , dont il y avoit un affez grand nombre, tranfportés dans des voitures, y recevoient les mêmes foulagements que dans deshöpitaux.Lorfqu'une femme étoit prife des douleurs c!e 1'enfantement, on faifoit halte jufqu'a ce qu'elle fut délivrée. II en étoit de même quand un malade étoit pret de rendre les derniers foupirs; 1'Empe- Alexis. An. mó1. xxxir. Arrivée de l'Empereur a Conftanrinople.  Alexis. tn. mé. XXXIII. Magnifi fiqiie hó pital éta- 448 H I S T O I R E reur fe tranfportoit auprès de lui, le faifoit aflifter par les Clercs de fa chapelle, joignoit fes prieres aux leurs; ÓC l'armée ne fe remettoit en marche qu'après que le corps avoit été mis en terre avec les cérémonies de 1'Eglife. Lorfque le Prince prenoit fon repas, fa table étoit environnée de pauvres qu'il nourriffoit, & dont les vceux &C les bénédiótions lui étoient plus agréables &z fans doute plus utiles , que les concerts de mufique qui avoient coutume d'accompagner les repas des Princes. II arriva ainfi fur le foir au bord du Bofphore. On lui préparoit a Conftantinople une fuperbe entrée; il la fixa au lendemain ; &C pour fe dérober a ce vain appareil, témoignage très-équivoque de 1'amour des fujets, il rentra dès la nuit même , & fe retira fans bruit dans fon palais. II donna le lendemain au foin des prifonniers & de cette multitude indigente qui 1'avoit fuivi, & qu'il diftribua dans les divers höpitaux. Au pied de la citadelle de Conftantinople , vers 1'entrée du Bofphore .dans laPropontide, étoit depuis long.  su Bas-Empire. Lh. LXXXF. 449 temps un höpital qui renfermoit 1'Eglife de Saint-Paul. Alexis le répara, 1'aggrandit , & en fit un batiment vafte & magnifique, divifé en plufieurs corps de logis. Les foldats invalides , les bleffés , les infirmes, les malades que leur pauvreté mettoit hors d'état de pourvoir a leurs befoins, y trouvoient une retraite fans autre recommandation que celle de leur indigence. Les differents fexes &c les différents ages y avoient des demeures féparées. L'Empereur prenoit un foin particulier des orphelins; il fe faifoit un devoir de leur tenir lieu de pere. II en confioit quelques-uns entre les mains de leurs parents, auxquels il payoit une penfion; il en diftribuoit d'autres dans les Monafleres, ou il les faifoit nourrir & inftruire, avec défenfe de les employer a des minifteres ferviles. Mais le plus grand nombre étoit logé dans fon hópital; ils y étoient partagés en différentes claffes , fous des maitres gagés par l'Empereur, qui leur enfeignoient la fcience de la Religion & les lettres humaines. Ce palais de 1'indigence, lieu précieux a 1'huma- Alexis. An. 1117, bli par Alexis.  Alexis. An. ii 17. 450 HlSTOlRE nité quand il efl: gouverné par une charité défintéreflee, formoit comme une feconde ville renfermée dans 1'enceinte de Conflantinople. C'étoit le ferrail de la charité & de la vertil , Sc il occupoit le même terrein que profane aujourd'hui celui de la volupté. II contenoit dix mille ames, fans compter un nombre prefque égal de Médecins, de Chirurgiens, d'Officiers, de Valets de toute efpece, de femmes employées au fervice de leur fexe. II étoit venu a Conftantinople une nuée de Moines d'Ibérie, qui, chaffés de leurs Monafteres par les Mufulmans , mendioient leur pain , Sc étoient a charge k la ville. Alexis les établit dans cet höpital pour le deflervir, Sc il y joignit encore un Clergé nombreux. L'Eglife fut pourvue de tous les ornements qui contribuent a la décence du fervice divin. II attacha a cette maifon de grands revenus; en forte que rien ne manquoit aux habitants pour la nourriture, le vêtement, les remedes, Sc toutes les néceflités de la vie. Mais il prit foin auffi d'établir une économie fi exacte, qu'elle ne donna lieu  du Bas-Empire. Liv. LXXXF. 4.51 ni a la fraude, ni a la négligence. II n'en affecTa pas le gouvernement a certaines dignités , mais il le confia aux talents & au mérite. C'étoient des Officiers militaires, des Sénateurs d'une probité connue, & capables par leur intelligence & leur attention, de régler tout, felon les loix d'une fage difpofition. Les parents mêmes de l'Empereur, ne dédaignoient pas de s'employer a cette bonne oeuvre, & l'Empereur lui-même veilloit fur 1'adminiftration , &c fe faifoit rendre les comptes. Alexis , pendant le cours de fon regne, avoit réformé plufieurs abus. Dans le recouvrement de la taille proportionnelle , les R.eceveurs exigeoient beaucoup plus qu'ils ne rendoient au Prince. II réprima leur avarice en fixant en détail la quotité des contributions &z la qualité des monnoies dont on feroit ufage dans le payement. II ne négligea pas la réformé de la difcipline Eccléfiaftique , & peut-être porta-t-il trop loin 1'autorité qu'il s'attribua en ces matieres. Mais il fe croyoit grand Théologien , & c'étoit une fantaifie commune aux Alexis. An, 1117. XXXIV. Alexis regie la taille & réformé Ie Clergé de Ste. Sophie. Novell» d'Alex. Raüonarium d'Alexis. Fleury, Hift. EccL l. 66. art. 54.  452 Bistoirs Emnereurs Grprs a nu! v\nn™*,~™* Alexis. An. n 17, j t ] 1 i < 1 I j i C c '. ' '; t t; C P t , „ iigjiuiam.g de leur Clergé n'étoit pas capable d'impofer. II déclare dans une de fes loix, que l'Empereur a droit d'ériger en métropoles les Evêehés, & de régler a fon gré 1'éledtion des Prélats & la difpofition des Eglifes. tl donna au Patriarche la vifite & la :orrection de tous les monafteres de on Diocefe. Le Clergé de Sainte-So>hie, le plus riche & le plus nom)reux de 1'Empire, attira fur-tout fon tttention. II y avoit un nombre fixé Ie titulaires, & un plus grand nom>re de furnuméraires. Les uns & les iiitres y avoient été recus fur des émoignages fouvent mendiés & faux, ant de doörine que de bonnes mceurs; e qui avoit ouvert une large entrée 1'ignorance & au libertinage. L'Emereur ordonna un nouvel examen, c voulut que ceux qui fe trouvoient icapables ou déréglés fufTent fufpenus de leurs foncfions par le Patriarhe, jufqu'a ce qu'ils fe fufTent infruits ou corrigés. II enjoignit au Pa■iarche d'exhorter, d'inftruire chaan en particulier, d'avancer aux remieres dignités ceux qui le mé-  nu Bas-Empire. Liv. LXXXV. 453 riteroient, & de les faire connoitre au Prince qui les honoreroit de fes faveurs. Ceux qui , après plufieurs monitions, ne fe corrigeroient pas, devoient être rayés du Clergé par le Synode. Pour éteindre les furnuméraires, il défendit d'admertre aucun étranger, a moins que ce ne fut un perfonnage éminent en fcience & en vertu , jufqu'a ce que tout fut réduit au nombre marqué pour les titulaifes. On ne devoit enfuite recevoir perfonne qu'après un rigoureux examen. II fonda des revenus pour ceux qui feroient capables d'inltruire le peuple , & voulut qu'ils étendifTent leurs foins, non-feulement fur les Laks, mais aufïi fur les Pafteurs, fur les ConfefTeurs, fur les monafteres, qu'ils déféraflent au Patriarche, & même aux Magiltrats, les défordres qu'ils appercevroient. II recommanda la lecfure & 1'obfervation des Canons , qu'il fortifia de 1'autorité impériale. II ordonna la réforme de la difcipline, menacant de fa colere ceux qui refuferoient de 1'accepter. Les Evêques furent invités a faire fréquemment la vifite de leurs Dioce^ Alexis. An. 1117  Alexis. An. mS. XXXV. Derniere maladie d'Alexis. Ann. /. i 5. Zon. t. II. P- 30I, & feqq. Glyc. p. 334 335- Nicet. I. I. e. a. Pagi ad Bar. Du Cangt fam. J3yi. P- 177»*7S. 454 IIlSTOIRE fes, & k inftruire le peuple par eux- mêmes & par des Prédicateurs ca- pables. Un an après le retour de 1'expédition d'Afie , Alexis , affiftant aux jeux du Cirque, fut faifi d'un friffon, qu'on attribua d'abord a la rigueur du froid & a la violence du vent qui foufïloit alors. Porté dans fon lit, il fut pris d'une fievre ardente; le bruit courut dans la ville qu'il étoit mort. Selon Anne Comnene , il ne tint pas k fes Médecins que cette nouvelle ne fe vérifiat. Par jaloufie contre Calliclès, le premier d'entre eux, ils s'oppoferent au traitement que prefcrivoit ce fage & habile Médecin. Cependant 1'événement parut les faire triompher. L'Empereur recouvra en apparence la fanté; mais peu après il retomba dans un état plus déplorable. La defcription qu'en fait Anne Comnene , donne lieu de penfer que c'étoit un effet de fa goutte remontée dans la poitrine. Accablé d'une opprefïion cruelle, il ne pouvoit qu'avec une peine extréme, prendre aucune nourriture, aucun remede, ni même refpirer, Bien-  nu Bas-Empire. Lh. LXXXF. 455 tot il devint enflé de tout le corps^ On le tranfporta dans le grand palais k 1'Oriënt; & ce changement ne diminuant rien a fes fouffrances, on le porta au palais de Mangane, du cöté du midi, dans 1'efpérance que 1'air y étant plus tempéré, pourroit lui procurer du foulagement. On faifoit alors grand ufage du feu dans les maladies : on lui appliqua le cautere fur 1'eftomac. Tout fut inutile. Cependant certains Moines flattoient encore dans ce Prince mourant la paffion naturelle a tous les hommes, & fur-tout aux Grands, de prolonger leur vie. Ils favoient, diibient-ils, par des révélations infaillibles, qu'il ne mourroit point qu'il n'eüt vu Jérufalem & le Saint Sépulcre , & qu'il n'eüt dépofé fa couronne fur le tombeau du Sauveur. Depuis le commencement de la maladie , 1'Impératrice étoit chargée de toutes les affaires. L'Empereur qui, dans fa jeunefTe, s'étoit quelquefois égaré a d'autres amours, étoit enfin revenu a elle; & perfuadé de fa capacité , il lui avoit donné toute fa confiance. Elle gouvernoit ayec fa- Alexis. An. 111S. * XXXVI. L'Impératrice vent faire tornberla couronne a Bryenne,  Alexis. An, mS, 456 HlSTOIRE geffe , &C 1'on ne pouvoit lui reprocher que 1'averlion qu'elle avoit con511e pour Jean, fon fils aïné. II eft vrai que le Prince lui en donnoit affez de fujet, par une oppofition trop fréquente a fes volontés. Elle vouloit Fécarter du tröne, pour y placer fon gendre Bryenne, mari d'Anne Comnene fa fille, qu'elle aimoit de préférence. Alexis, au contraire, chériffoit ce fils , qui lui reffembloit par fes bonnes qualités; & Ie défignant pour fon fucceffeur, conformément au vo3u de la nature, il lui avoit conféré le titre d'Augufte. Irene ne ceffoit de le dépeindre comme un étourdi, un libertin, capable de détruire fout ce que fon pere avoit fagement établi: Bryenne, au contraire, étoit un Prince parfait, un génie éclairé par les fciences, propre a faire fleurir la mémoire de fon prédécefleur, en fecondant fes glorieux projets. Alexis, diffimulé jufqu'a la mort ,tantöt ne faifoit pas femblant de 1'entendre, tantöt la remercioit de fes avis, & lui promettoit d'y penfer. Un jour, pouffé a bout par fes follicitations impor!;«nes : » Princeffe , lui dit-il, mon » plus  nv Bas-Empire. Liv. LXXXF. 457 n plus grand defir feroit de vous fa» tisfaire : mais ne cefTerez-vous ja» mais de m'exciter a troubler 1'or» dre de la nature pour 1'intérêt de » votre fille ? Je 1'aime autant que » vous 1'aimez, mais d'une autre ma» niere. Ma tendrefTe fe renferme » dans les bornes de la juftice. Con» fidérez avec moi, je vous prie , fi » jamais aucun Empereur, ayant un » fils capable de lui fuccéder, a don» né la préférence k un gendre. J'aï »> commencé par «ne injuftice en » m'emparant , par des voies peu » chrétiennes , d'un tröne qui ne » m'appartenoit pas; je finirois par » une autre, en le raviflant k mon » fuccefleur légitime, pour le don» ner a un Macédonien ". C'eil ainfi .qu'il nommoit Bryenne , originaire d'Andrinople. S'appercevant qu'une declaration fi précife mortifioit 1'Imperatrice, il fe replongea dans fon deguifement ordinaire ; & pour la confoler, il embarraffa tellement Ie refte de fa réponfe, qu'il lui iaifToit encore quelque efpérance. Le quinzieme d'Aoüt après midi, 3 3 Empereur fe trouva fi mal, qu'0n l Tomé Xrill. y f' Alexis. An. 1118, XXVIÏ. ;an s'af* ire de Empire,  Aiexis. An. m8, 458 HlSTOIRE jugea qu'il ne pafferoit pas la journée.' L'Impératrice & fes filles étoient air* tour de fon lit, fondant en larmes, & tout occupées a chercher quelque foulagement a fes douleurs. Jean , averti de 1'état de fon pere, & des intentions de fa mere , entre dans la chambre du moürant. II fe profterne a cöté de fon lit, & 1'embraffant tendrement, il détache de fon doigt 1'anneau Impérial, fans être appercu de la mere. Quelques-uns difent qiie ce fut du gré de fon pere, ce qui eft très-vraifemblable. Convaincu par fes yeux qu'il n'avoit pas de temps k perdre pour s'alTurer de la couronne, qu'on travailloit k lui enlever, il fort auffi-töt, monte k cheval, & prend avec lui fon frere Ifaac, qui le fervit avec zele dans cette occafion importante. S'étant mis tous deux k la tête de leurs amis , ils courent au grand palais. Ils rencontrent en chemin une troupe d'Abafges, qui venoient d'amener a Conftantinople la fille de leur Roi, donnée en mariage au fils ainé de Bryenne. Ces étrangers , peu inftruits de 1'intrigue du palais, fe joignent a eux. L'Impéra-  du Bas-Empire. Lh. LXXXV. 459 trice , informée de ee coup d'éclat, envoye dire a Jean que fon pere vit encore, & que fon empreffement eft un crime. Le Prince n'a aucun égard a cette remontrance, & pouffe vivement fon entreprife. Elle veut exciter Bryenne a prendre les armes, & lui promet de le feconder; elle ne trouve pas en lui affez de réfotion pour courir tant de rifque. Enfin , pour tenter un dernier effort, elle s'approche du lit de fon mari prés d'expirer, & le ferrant entre fes bras, le baignant de fes larmes : Cher époux, lui cria-t-elle, vous vive^, & votre fils vous arrache la couronne. Alexis, qui n'étoit plus occupé que de 1'autre vie, leve les yeux au Ciel fans rien répondre. Comme elle continuoit de 1'importuner par fes cris, le Prince mourant, jettant un fourire d'agonie : Laijfe^-moi avec Dieu, lui dit-il en paroles entre-coupées ;je lui demande pardon de mes crimes ; ce monde ne rriejl plus de rien. La Princeffe défefpérée fe renverfant fur fon fiege, ne peut s'empêcher de dire : Vous mourre\ comme vous ave^ vicu, toujours plein de deguifitmenu V ij Alexis. In. inS,  Alexis. An. ii 18. XXXVIII II fe rend maitre du ^•lais. 460 H/STOIRE Cependant la proclamation de Jean s'étant répandue dans toute la ville, fes parents, les Officiers de guerre, les Sénateurs accourent a fa fuite. On lui vient dire que les Varangues qui gardoient le palais, en avoient fermé Pentrée. Troublé de cette nouvelle, il leur fait demander quel efl; leur deffein. II envoye en même-temps k la grande Eglife annoncer que l'Empereur eft mort, & que Jean, fon fils, a qui le tröne appartient, demande d'être reconnu pour fon fuccefleur, II eft fur le champ obéi de ce cötéla. Le Patriarche & le Clergé le proclament dans Sainte-Sophie. Mais les Varangues répondent que tant que 1'Empereur refpirera, ils n'ouvriront point les portes. Jean arrivé, & leur montre 1'anneau Impérial: Ce/?, leur dit-il, ce que je tiens de mon pere, comme un gage du droit qu'il me tranfmet d votre obéiffance. Ces foldats, accoutumés k une foumilfion littérale, ne fe rendent pas encore : il fallut que Jean leur jurat qu'Alexis avoit expiré. C'étoit un parjure de quelques moments ; mais apparemment que le fcjrupule n'eft pas d'une fi étroite pré-  du Bas-Empike. Liv. LXXXV. 461 cifion, lorfqu'il s'agit d'une couronne. Une foule de peuple entra avec lui, & les portes furent auffi-töt fermées. Ceux qui s'y étoient jettés, y refterent enfermés pendant plufieurs jours avec le Prince , fans en pouvoir fortir; en forte qu'il fallut loger &c nourrir dans le palais cette multitude, qui, felon un ufage bizarre , eut la liberté de piller tout ce qui fe trouva fous fa main. Alexis, dont 1'agonie fut longue & laborieufe , ne mourut que le foir. Toute fa maifon 1'abandonna auffitöt ; & ce Prince li refpecté, fi ponctuellement obéi pendant fa vie, n'eut prefque perfonne après fa mort pour donner les derniers foins a fon cadavre. Le lendemain matin, Irene envoya avertir le nouvel Empereur de venir affifier aux obfeques de fon pere. II répondit par des témoignages de la plus vive douleur, & des proteftations de la plus refpeöueufe tendrefTe pour fa mere. Mais il s'excufa fur les affaires preffantes qui ne lui laiffoient pas un moment pour s'acquitter de ce devoir. II craignoit irop fa mere même-, & fon beau-frëV iij Alexis. An. 1118. XXXIX. Mort d'Alexis,  ■ Alexis. Au. mS, XL. Réiuitat du regne d'Alexis. 462 HlSTOIRE re, pour s'écarter un inftant du palais , qu'il auroit pu trouver fermé a fon retour. Alexis fut donc porté a la fépulfure fans les cérémonies ufitées dans les funérailles des Empereurs, &c inhumé dans un monaftere qu'il avoit fait batir en 1'honneur de Jefus-Chrift, fous le titre d'ami des hommes. II avoit vécu foixante-dix ans, & en avoit régné trente-fept, quatre mois & quinze jours. Les Hiftoriens des Croifades ne voyent dans ce Prince que des vices; fa fille ne lui donne que des vertus. Ses aftions , feul témoignage fidele du mérite des hommes, prêtent également au panégyrique & k la cenfure. Ön y voit un mélange de bien & de mal, qui tient la balance prefque en équilibre. Aétif, infatigable , grand Capitaine , parfaitement inftruit de la fcience militaire , intrépide dans les plus grands dangers , digne d'admiration même dans fes défaites qui ne 1'abattirent jamais, il fut infpirer k fes foldats une partie de fon courage, & les Grecs fous fa conduite femblent être d'autres hommes que fous le regne de  Du Bas-Empire. Liv. LXXXV. 463 fes foibles prédécefïeurs. Le traitement qu'il fit aux Croifés lui attira leur haine, & le décria dans tout 1'Occident. Rien n'auroit été plus injufte, s'il leur eut fait la guerre k face découverte , & qu'il leur eut rendu fans déguifement le mal qu'il en recevoit. Ses rufes , fes traités qu'il n'eut jamais defTein d'accomplir, fa politique timide a leur égard, ont noirci fa conduite. On doit une haute eftime k ce Prince pour s'être défendu avec fuccès contre un héros tel que Robert Guifcard, & pour avoir réfifté aux attaques du fougueux Boëmond, qu'il fut défarmer par fon habileté. Ses vertus civiles, plus effentielles, quoique moins brillantes que le mérite guerrier, en auroient fait un grand Prince, s'il ne les eut pas tenues par les impöts dont il écrafa 1'Empire, crime que la poftérité, perfuadée que les Princes font nés pour les peuples, ne pardonne pas aux plus éminentes qualités; & li les Souverains fuccedent k la grandeur & k la puiffance de leurs peres, la poflérité conferve auffi, comme par héritage , les fentiments de Al ex is. An. 111S  Alexis. An, mS. 464 HlSTOIkB leurs fujets. Ce n'eft pas qu'il fut avare; on ne trouva après la mort que peu de fonds dans fes tréfors; il étoit même charitable; & il auroit porté au plus haut degré cette vertu, chere a 1'humanité, & vraiment royale paree qu'elle eft paternelle, s'il n'eüt prodigué 1'argent a fes parents & a fes Miniftres, dont les penfions exorbitantes , les équipages fomptueux, le luxe infolent, les palais égaux en grandeur a des villes , en magnificence aux maifons Impériales , épuifoient les revenus du Prince &c le fang des peuples. II fut modefte, maitre de fa colere , lent a punir, de facile accès, tempérant; il honoroit les hommes vertueux &z fages dont il écoutoit les confeils. Doux & gracieux dans le domeftique, il adouciflbit, par une familiarité décente, les impreflions facheufes que pouvoit donner 1'humeur fiere & hautaine de 1'Impératrice, qui ne defcendoit jamais du faite de fa grandeur. Mais il eut peu d'égard aux anciens ufages; il diftingua peu fon patrimoine de celui de fes fujets; il ne refpecta pas les droits de propriété; il fe crut  du Bas-Empire. Liv. LXXXF. 465 non radminiftrateur, mais le maitre de la tortune publique; & quoiqu'il ne fit aucun cas des flatteurs, il fe flattoit lui-même, & s'empoifonnoit des fauffes idees du defpotifme. Sans égard pour les Sénateurs, pour les Magiftrats, il les regardoit comme fes valets, & non pas comme fes Officiers & fes repréfentants. II voyoit la noblefle fi loin de lui, qu'elle fe confondoit a fes yeux avec la roture. Le plus capital de fes vices, fans comparaifon, c'eft que la juftice fous fon regne fuccomboit prefque toujours k la faveur. Le fond de fon caradtere fut la dilfimulation & la rufe, qualité que chacun nomme en foi-même politique & prudence, dans les autres artifice & fourberie. Tel fut ce Prince, & tel fut auffi le déplorable état de 1'Empire , qu'on eut fouvent fujet de le regretter. Alexis. An. m 5.' Fin du Tome dix-huitieme.