HISTOIRE D U BAS EMPIRE. TOME D IX-NE UVIEME.   HISTOIRE D U BASEMPIRE, EN COMMENCANT a CONSTANTIN le Grand. Par Monpeur LE BEAU, Profejfeur Émérite en VUniversitÉ de Paris ; Profejfeur d'Éloquente au College RoYAL, Secretaire ordinaire de Monseigneur le Duc d Orleans, & ancien Secretaire perpétuel de l'Académie Royale des Inscriptjons et b elle s-lettres. TOME Dl X-N E U V I E M E. A MAESTRICHT, Chez Jean-Edme Dufour & Phil. Roux, Imprimeurs-Libraires, aflbciés. M. DCC. LXXX.   S O M M A I R E d v LIVRE QU ATRE-VINGT-SIXÏEM E. I.Etat de la Cour. II. Conjuration. III. Glnèrofite d'Axuch. IV, Guerre contre les Turcs. V. Prife de So^opolis. VI. Nouvelle guerre contre les Pat^inaces. vu. Les Pat^inaces vaincus. vin. Guerre des Perfes. IX. Fils de Jean. x. Guerre des Hongrois. XI. Fin de la guerre de Hvngrie, XII. Autre réck de cette guerre. XIII. Les Vènitiens fe détachenl de 1''Empire. XI v. Mort de Clmpêractrice. XV. Triomphe de la Sainte Vierge. XVI. Guerre de Paphlagonie. XVII. Prife & pene de Gangres. xvm. Divers événements. XIX. Etablijfement de la quatrieme Armenië, xx. Religion & mceurs des Armêniens. XXI. Conquêtes de Jean m Cilicie. XXII. Prife £Ana\arbe. xxill. Prife de Baca. XXIV. Jean devant Antioche. XXV. AccomniQdement de l'Empereur avec le Prince £Anüoche* Tome XIX, A I  2 SOMMAIRE DU LIV. LXXXVI. XXVI. Prife de Pi{a. xxvil. Attaque inutde d'Alep. XXVIII. Siege de Shi{ar. XXIX. Shi{ar obtient la paix de l'Empereur. XXX. L'Empereur a Antioche. XXXI. 11 eft obligè eten fortir. XXXII. Retour de l'Empereur a Conftantinople. XXXIII. Ifaac réconcilié avec fon fiere. XXXIV. Nouvelle guerre contre les Turcs. XXXV. Guerre dans le Pont. XXXVI. Dèfertion du neveu de fEmpereur. XXXvil. Campagne du Rhyndacus. XXXVin. L'Empereur s'empare des ifles du lacd'Icone. XXXix. Mort des des deux fils ainés de l'Empereur. XL. Jean retourne devant Antioche. XLi. II veut aller a Jérufalem. XLII. Bleffure mortelle de lEmpereur. XLIII. 11 déclare Manuelfon fucceffeur. XLIV. Mort & portrait de Jean. XLV. Sa familie,  HISTOIRE D U BAS EMPIRE. LIVRE QUATRE-V1NGT-S1X1EME. JEAN COMNENE. UNE mere puiffante qui avolt dqnné fujet de croire qu'elle préféroit fon gendre a fon fïls, une (oeur ambitieufe qui vouloit mettre fon tnari j fur le Tröne, donnoient de 1'inquiétude au légitime fucceffeur. Renfer- 1 mé dans fon palais , il agiffoit audehors par des Miniftres intelligents & fideles, qui affuroient fes droits & travailloient avec fageffe a lui gagner le coeur des peuples. Ifaac, le A ij Jean. in. mS. I. Etat de a Cour. Nicet. in  Jean. An, ii 18. 4 HlSTOIRE fei.il frere qui lui reftoit clepuis k mort d'Andronic, le fecondoit avec zele. Les deux freres s'aimoient tendrement; ils mangeoient a la même table, s'afleyoient fnr le même tröne, & ne fe féparoient jamais. Jean confirma k Ifaac par une proclamation folemnelle, le titre de Sebaftocrator, qu'il avoit déja recu d'Alexis. II avoit d'abord mis a la tête de fes confeils Jean Comnene , qui avoit autrefois 4onné tant d'allarmes a l'Empereur Alexis fon oncle. Mais ce caraftere remuant&impérieux, quiprétendoit gouverner feul, fans avoir 1'adreffe de cacher fon deffein, perdit bientót la confiance du Prince. Grégoire Taronite , Protoveftiaire , fe foutint plus long-temps par la modeftie qu'il joignoit a fon application aux affaires. Jean lui donna pour collegue Grégoire Camatere, hemme de fortune , & qui la méritoit par fes talents & par fa vertu. Alexis ï'avoit mis au nombre de fes Secretaires, & 1'ayant enfuite honoré de fon alliance par le mariage d'une de fes parentes , il Ï'avoit élevé k la charge de grand Tréforier. Mais un étranger,  du Bas-Empire. Liv. LXXXFL 5 Turc de naiffance, nommé Axueh, qui n'avoit rien de barbare que fon origine, devanca tóus les autres dans la faveur du Prince, &c fit 1'honneur de cette Cour. 11 étoit fils d'un des principaux Officiers de Solimari. Ayant été conduit a Conftantinople après la prife de Nicée , fa bonne förtune Ï'avoit introduit dans le palais d'Alexis, & l'Empereur, charmé de fes belles qualités, Ï'avoit donné a fon fils qui étoit de même age, pour partager fes divertiffemenfs & fes études. La gaieté, la douceur , la noble complaifance du jeune Cour-tifan lui avoient gagné le coeur du jeune Prince; il étoit le plus chéri de fes Chambellans, lorfqu'Alexis mourur. Le nouvel Empereur 1'honora de la charge de grand domeftique; & tandis que 1'amitié du Prince 1'élevoit au-deffus de tous les autres, fa modération le mettoit au-deffus de 1'envie. II étoit refpefté de toute la Cour, & les Seigneurs mêmes de la familie Impériale, lorfqu'ils fe trouvoient a fa rencontre , defcendoient de cheval pour lui faire honneur. L'Empereur, après avoir pris touA iij Jean. An. ntS. II. Conj aration.  Jean. An. 1118. Nicet. c. 3- GuM. Tyr. I. IJl, 6 HlSTGIRE tes ks précautions néceffaires, commencoit a peine a fe montrer en public, qu'il fe forma contre lui une conjuration fecrete. Les intrigues d'Anne Comnene pour faire tomber la couronne a fon mari, avoient fait i Bryenne grand nombre de partifans. D'ailleurs, la douceur de ce Prince , fon affabilité , fon efprit faeile, infinuant, cultivé par les Belles-Lettres, le faifoient univerfellement aimer. On comparoit les graces de fa figure avec la mine baffe de l'Empereur , qui étoit d'une taille médiocre , affez mal fait de corps , & fort bafanné. On n'avoit pas encore eu le temps d'appercevoir que eet extérieur peu avantageux couvroit une mie é;'evée , généreufe & fort fupérieure a celle de Bryenne. Anne Comnene, femme philofophe, avoit ians fon parti tous les Philofophes de 'Empire, qui, profternés a fes pieds , *k la comblant d'éloges flatteurs , dé:lamoient fans ceffe contre 1'adula:ion. Elle étoit 1'ame de ce complot, 5c il auroit réuffi , fi fon mari lui eüt ■effemblé. La garde du palais étoit iéja corrompue, & les portes de-  du Bas Empire. Lïv. LXKXVl. 7 vóient s'ouvrir a une certaine heure de la nuit. Les conjurés bien armés n'attendoient plus que Bryenne. Mais fon peu d'empreffement, & peut-être quelque remords , lui firent paiTer le moment convenu. II manqua au rendez-vous, & les conjurés fe difperferent. Anne, au défefpoir de la négligence de fon mari, qui lui faifoit perdre le fruit de tant de manoeuvres, ^,'emporta en injures contre lui, jufqu'a dire que la nature en les formant tous deux , avoit par méprife donné a la femelle 1'ame deftinée pour le male. Dès le tendemain, ce deffein criminel fut découvert, & l'Empereur , pour confacrer par un aö:e de clémence le commencement de fon regne, pardonna aux conjurés, qui en furent quittes pour la confifcation de leurs biens ; encore la plupart y rentrerent-ils peu de temps après. Anne, la plus coupable, fut la première a éprouver la bonté de fon frere. L'Empereur s'étant tranfporté au palais de la Princeffe , & voyant tant d'or, d'argent, de riches étoffes : Hilas 1 dit-il en foupirant, mts prockss font A iv Jean. An. 1118, ra. Générofité d'Axuch. Nicet. c, 3. Arm. Comn. I, y. Pagi ad Bir. Ana.' Uflagrxca,  Jean 8 Histoiajs - donc mes ennemis, & les étrangers mtn g amis ! Puifque le crime a renverfe l'ordre de la nature,, fu^v ons celui du mérite ; & fe tournant vers Axuch: Mon ami, lui - dit-il, je vous donne toutes lcs ruhtjfes. Alors Axuch fe jettant a fes picds : » Prince , répondit-il, je » vous remercie de vos dons; mais » accordez-moi une grace infiniment » plus préeieufe a mon cceur ; c'eft » dc m'écouter avec bonté. La Prin» cefle a-mérité, fans doute, votre in» dignation; mais en oubliant qu'elle » cft votre foeur, elle n'a pas ceffé » de 1'être. Le cara&ere augufte que » lui a imprimé la nature, ne peut » s'efFacer. Son repentir en fera re» vivre le fen timent. Ne lui pardon» nez pas a demi. Oubliez vous-mê» me qu'elle a pu vous haïr, afin » qu'elle s'en fouvienne pour vous » aimer davantage. Vous 1'ayez déja » vaincue par votre clémence; ache» vez votre vi&oire. Donnez-lui ces » biens qu'elle a perdus. C'eft le paw trimoine facré de votre familie; » il eft jufte qu'il y retourne; il fe» roit profané par des mains étran» geres. Pour moi je fuis déja com-  èv Bas-Empire. Liv. LXXXFI. 9 » blé de trop de bienfaits; tk. je fe» rai toujours affez riche tant que ».Votre Majefté m'honorera de fa » bienveillance ". L'Empereur , touché de la généreufe modeftie de fon vertueux favori : Et moi, réponditil, je ferois indigne de régmr, Ji je ne favois facrifier mon reffentïment avec autant de grandeur d'ame, qu''Axuch fon propre intérêt. Auffi-töt il rendit a fa foeur fon amitié, & la lahTa jouir tnanquillement de ce qu'elle pofTédoit. Irene , qui avoit fait tant d'efforts pour écarter fon fils du Tröne, ne prit point de part acette conjuration. Dès que Jean fut en poffefïion de la Couronne , elle reprii ks fentiments de mere; & lorfqu'elle apprit le noir complot qu'on venoil de découvrir : Les barhares! s'écriat-elle , ils vouloient donc me pionger L fer dans les entrailles, & me caufer um deuleur plus cruelle , que je n'en ai éprouvé en le mettant au monde. Cette Prin ceffe , après la mort d'Alexis, fe dé tacha des intrigues de la Cour; ell< en fut redevable aux Lettres qu'ell avoittoujours cultivées. La grace ache va ce que la réftexion avoit eommen A v Jean. An. 11 iS.  Jean. An. 1 ii 8. i i 1 An. 1119. Guerre contre les ; Turcs. ' i Nicet. c. . 4'. Cinn. t I. (, 2. 10 HlSTOIRE cé, en lui infpirant le mépris des grandeurs & le goüt de la retraite. Elle fe retira dans un Monaftere qu'elle avoit fondé , y prit 1'habit avec le nom de Xené, & compofa elle-mèv me la regie des Religieufes, que nous avons encore entre les mains. Comme les affaires de 1'Empire fe font fouvent trouvé mêlées avec celles des Croifés, il ne fera pas inutile de remarquer , qu'a la mort de Baudouin l, Roi de Jérufalem , qui arriva cette année, les Chrétiens étoient en poffeffion de quatre Etats confidérables ; la Principauté d'Antioche, depuis Tarfe jufqu'a Maraclée prés de Tortofe; le Comté d'Edeffe qui s'étendoit ie 1'Euphrate au Tigre ; le Comté le Tripoli, depuis Maraclée jufqu'au leuve Adonis entre Biblos & Baruth ; k le Royaume de Jérufalem , qui :ommencoit au fleuve Adonis, &c s'éendit bientöt jufqu'aux frontieres de 'Egypte. Jean avoit toutes les bonnes quaités de fon pere, fans aucun mélange de fes défauts. Ce qui porta les 3recs, peu accoutumés a voir la ver;u fur le tröne , k lui donner le nom  nu Bas-Empire. Liv. LXXXF7. n de Beau, comme pour contredire fon extérieur : on le nommoit Calojean. Dans 1'abatardiflement des efprits, on fentoit encore dequel prix eft la beauté de 1'ame. Auffi brave quoique moins impétueux qu'Alexis , il commanda toujoursfes armées en perfonne, comme il gouvernoit par lui-même fes Etats, ne laiffant a fes Généraux & a fes Miniftres que les foins fubalternes de 1'exécution. Pendant les vingt-quatre années de fon regne, il fut prefque toujours en guerre contre les Jurcs , fur lefquels il regagna une grande étendue de pays. Dès la feconde année, il paffa en Afie, pour arrêter leurs progrès. Ces barbares ayant rompu le traité de Saïfan après la mort d'Alexis , infeftoient la Phrygie. Maitres de Laodicée, capitale du pays, ils y entretenoient une forte garnifon, commandée par un Capitaine de réputation, nommé Picharas. A la nouvelle de 1'approche de l'Empereur, leur plus brave jeunefle s'alla jetter dans cette place importante. L'Empereur campé prés de~Phi~ ladelphie, envoya d'abord Axuch avec un gros detachement de fon armée, A vj Jean. An. l i 19»  Jean. An. ii 19. An. 1120. V. Prife de ,f ozopo- ItS. HlSTOIRE pourreconnoïtrela place, & commen» eer les attaques. II le luivit bientöt lui-même avec le refïe de les troupes; & malgré la bravoure des affiégés, Laodicée fut emportée d'afTaut. Jean, auffi humain que courageux, donna fes ordres pour épargner le fang des habltants; il fe contenta de mettre aux fers la garrafon , dans laquelle il fe trouva plus de buit cents Turcs de diftinöion avec le Commandant Picharas. Ayant jetté des troupes dans la ville , il marcha aux différents corps ennemis; & par plufieurs combats ou ■il demeura toujours vainqueur , il nettoya toute la contrée. Après avoir fait les difpofitions néceffaires pour la füreté du pays, il revint k Conftantinople. L'année fuivante il traverfa la Phrygie, & entra en Pamphylie. Son deffein étoit de s'emparer de Sozopolis, place importante occupée par les Turcs. Elle étoit batie fur une montagne efcarpée & inacceffible , fi-noa par un fentier fi roide & fi étroit, qu?on ne pouvoit y monter qu'a la file , ni tranfporter les machines néceffaires pour un fiege. Ges difficul-  su Bas-Empire. Liv. EXXXP7. 13 tés rebutoient d'abord l'Empereur ; mais a force de réflexions, il imagina une rufe qui lui réuffit. II donna a deux de fes Officiers une partie de fon armee , & les inftruifit de ce qu'ils avoient k faire. L'un fe pofte en embufcade dans une forêt qui bordoit la pkine au-defTous du fentier; 1'autre monte vers la ville, comme pour 1'attaquer. Dès que celui-ci eft appercu, toute la garnifon fort de Ia place, & defcend fur lui. II prend la mite; les ennemis le pourfuivent; & laiffant la forêt derrière, ils s'écartent bien avant dans la plaine. Lorf qu'ils iont paffes , les troupes de 1'embufcade fortent du bois, & s'emparent du fentier. En même-temps 1'au tre corps qui fuyoit, fait volte-face & tombe fur les Turcs, qui fe voyanl chargés en tête & en queue , fe mettent en fuite. La plupart font tués 01 faits prifonniers. Sozopolis dépourvue de fa garnifon , ne fait nulle réfiflance ; & l'Empereur, maitre de c« pofte qui tenoit en bride tout le pay: d'alentour, s'empare encore de plufieurs chateaux, étend fes conquête: jufqu'aux portes de Tarfe , & ter- Jean. An. nz@.  Jean. An. i i2i. vr. Nouvelle guerre contre les Parzinaces. Nicct. c. 4- 5Cinn. I. I, c 3. 1 1 1 ?4 HlSTQlRE mine avec gloire cette campagne. Les mouvements desbarbaresd'Occident fufpendirent pendant quatre ans la guerre contre les Turcs. II y avoit trente ans quAlexis avoit détruit en plufieurs batailles la nation des Patzinaces. II n'étoit refté de ces barbares que les vieillards, les femmes & les enfants, qui n'avoient pas fuivi leurs maris & leurs peres. Une nouvelle génération s'étoit formée depuis ce temps-la, & les veuves défolées avoient nourri leurs enfants de fènriments de vengeance & de haine contre les Grecs, qui les avoient rendus orphelins. Lorfqu'ils furent en état de compofer une armee nombreufe, ils pafferent le Danube, & vinrent inonder la Macédoine , oü ils porterent le feu & le ravage. Jean qui avoit cantonné fes troupes en Afie, oü elles étoient néceffaires pour contenir les Turcs, en leva de nouvelles pour les oppofer a ces noupeaux ennemis; & ayant paffe la plus grande partie de 1'année en préparaifs , il marcha en Macédoine, & paffa 'hyver prés de Berée. II employa ce emps en négociations avec les Pat-  du Bas-Empjre. Liv. LXXXF1. 15 zinaces, pour les engager k la paix. II attiroit dans fon camp les principaux , & les traitoit avec magnifïcence. Ces barbares n'avoient point de Monarques : divifés en tribus , ils obéilToient k autant de Chefs indépendants 1'un de 1'autre. Ce qui donna k l'Empereur la facilité d'en détacher plufieurs, qui fe retirerent; mais il ne put gagner le corps de la nation ; & pour les forcer a la paix, il fallut les combattre. Dès que le printemps eut fait naitre les fourrages, les Patzinaces vinrent chercher l'Empereur k Berée. II ne refufa pas la bataille ; & tandis qu'i! faifoit le devoir de Général, il fut bleffé k la cuifle d'un coup de javelot. La viftoire balanca quelque temps; enfin les barbares furent défaits. Mais ce fut une retraite plutöt qu'une déroute. Ceux qui reftoient regagnerent leur camp ; & s'étant environnés de leurs chariots couverts de peaux de bceufs & liés enfemble , ils s'en firent une barrière impénétrable , & y placerent leurs femmes &C leurs enfants , laiflant de diftance en difLnce des ifTues pour fondre fur 1'ennemi. Jean. An. 1121, An. 112.2. VU. Les Patzinacesvaincus.  Jean. Vn. iu2, 16 H I S T O I R E Ce fut une forte d'aflaut qu'il fallut livrer. Les barbares fortant de temps en temps combattoient avec fureur, & ne fe retiroient qu'après avoir fait & effuyé beaucoup de carnage. L'Empereur impatient, d'aehever fa viöoire, vouloit defcendre de cheval, & attequer lui-même 1'enceinte a la tête de fes troupes. On ne pouvoit retenir fon ardeur, lorfque les Varangues pour lui épargner ce péril, fauterent fur les chariots , & les mirent en pieces k coups de haches. Cette défenfe étant ruinée, les Patzinaces a découvert ne firent plus de réfiftance. On pourfuivit les fuyards dont on maffacra un grand nombre. Les autres furent pris; & ce qu'il y eut de remarquable, c'eft que les parents & les amis des prifonniers vinrent les jours fuivants fe rendre au camp des Grecs , déclarant qu'ils vouloient vivre fous les loix de l'Empereur avec les prifonniers. Les plus forts & les mieux faits furent incorporés aux troupes de 1'Empire. On donna aux autres des terres k cultiver. lis y Mtirent plufieurs villages, &rendirent la fertilité a ces Provinces, que leurs  nu Bas-Empire. Liv. LXXXri. 17 peres &c eux-mêmes avoient défolées. Quelques-uns furent abandonnés aux foldats, qui les vendirent pour efclaves. Jean, de retour a Conftantinople, rendit a Dieu de folemnelles actions de graces , & ce jour devint une fête annuelle, qui fut nommée la fête des PatzinaceSr A cette guerre en fuccéda une autre contre des ennemis moins redoutables. Les Serves n'étoient pas aflez puiflants pour allarmer 1'Empire ; mais ils avoient aflez de forces pour inquiéter la frontiere par de fréquentes incurfions. Ils détruifirent le chateau de Rafe. Le Commandant, qu: avoit pris la fuite k leur approche, s'étant fauvé k Conftantinople , fui puni de fa lacheté. L'Empereur le fr revêtir d'une robe de femme, & pro' mener fur un ane dans la graad* place. II partit enfuite k la tête d< fes troupes, défit les Serves en ba taille rangée, &c les réduifit k de> mander la paix. II enrichit fes foi dats de leur butin ; & ayant env mené une multitude de prifonniers il enröla les uns dans fes troupes & tranfporta les autres dans les cam Jean. An. 1U2, An. 1123. vin. Guerre des Serves. Nicet. c. 5. Cinn. t. f, c. 5. » >  Jean. An. 1123. IX, Fils de Jean, An. 1124. X. ; Guerre de Hongrie.Nket. c. 5. Cinn. I. , l- c. 4. 5. 5- c. 4. Thuroc-{ Chron. 63. ; ! ,( ,3 1 l3 II I s T O I R E pagnes fertiles de Nicomédie, que les courfes des Turcs avoient rendu prefque défertes. Au retour de cette expédition qui fut de courte durée, il s'occupa de fa familie. II avojt quatre fils; Alexis l'aïné fut revêtu de la pourpre Impériale ; & dans la proclamation annuelle , fon pere PafTocia au titre i'Empereur. Andronic , le fecond , lat décoré du titre de Sébaftocrator. !^ous verrons ces deux Princes mou•jr avant leur pere, & laiffer leurs :itres a leurs cadets , Ifaac & Manuel. La réputation de l'Empereur Alexis ivoit contenu les barbares Occidentaux.. Leur humeur guerriere fe réveilla après fa mort. La défaite des Patzinaces & des Serves, n'ota pas nix Hongrois 1'efpérance d'entamer luelque Province de 1'Empire. Ils jafferent le Danube, prirent & ruilerent Belgrade, dont ils tranfporte•ent les démolitions au-dela de la >ave, pour batir une ville qu'ils nomnerent Zeugmine, dans le voifinage le 1'ancienne Sirmium. Ils porterent e ravage jufqua Triadize, & la fac[erent. Le prétexte de cette guerre  sv Bj'S-Empike. Liv. LXXXVI. 19 étoit que les habitants de Belgrade pilloient & maltraitoient les marchands Hongrois; mais un autre motif animoit le Rol de Hongrie contre l'Empereur. Ladiflas, pere de 1'Impératrice, avoit eu pour luccefleur fon neveu Caloman. C'étoit la coutume de ce pays que les freres du Roi lui fuccédaffent au préjudice de fes propres enfants. Ils vivoient donc avec lui en bonne intelligence, tant qu'il n'avoit point de fils. Mais la naiffance d'un fils étouffoit toute la tendrelTe fraternelle. Le Prince régnant, pour conferver la Couronne è fon héritier naturel, faifoit crever les yeux a fes freres. Caloman étoit devenu pere ; Almus fut aveuglé , & bientöt après maffacré dans une Eglife par l'ordre du cruel Caloman. Bela, fils d'Almus, auquel on avoit auffi crevé les yeux , fe fauva auprès de l'Empereur , qui lui donna afyle. Etienne , fils de Caloman, devenu Roi en 1114, en concut de la jaloufie ; il voulut engager l'Empereur k chaffer de fa Cour le Prince fugitif; & ne 1'ayant pu obtenir, il lui fit la guerre. La prife de Triadize Jean. An. 1124,  Jean. An. na^ 20 HlSTOIRE mettoit les Hongrois fur la frontiere de la Thrace. Pour en défendre 1'entrée , Jean fe tranfporta k Philippopolis. Son armee étoit compofée en grande partie de cavaliers Lombards & de Turcs auxiliaires. U y joignit les troupes du pays, & fit conflruire fur le Pont-Euxin quantité de barques, qui devoient paffer dans le Danube. Ses préparatifs étant achevés, il s'approche du Danube. Efienne, alors malade, s'étoit retiré au-dela du fleuve dans 1'intérieur du pays, ayant donné ordre k fes troupes de fe tenir fur la rive méridionale, pour défendre le paffage du .pont. Jean , réfolu de les envelopper, fit remonter le fleuve k une partie de fes troupes; & faifant mine de vouloir paffer avec le refte prés du chateau de Chrame oü il étoit campé, il attira de ce cöté-la toutes les forces de 1'ennemi, & faeilita le paffage a ceux qui remontcient. Dés qu'il les fut au-dela du Danube, il attaque les Hongrois, les taille en pieces, les pourfuit jufqu'au pont, oü ils fe jettent en fi grande foule , que le pont s'étant rompu, la plupart font engloutis dans  du Bas-Empire. Liv. LXXXVI. ai les eaux. Ceux qui purent gagner le bord furent maflacrés par le detachement qui s'étoit pofte au-dela en embufcade. Les plus diftmgués furent faits prifonniers. L'Empereur ayaat luimême pafle le fleuve, ramena en-deca fes troupes viöorieufes , 6c fe rendit maitre de tout le pays entre la Save 6c le Danube. C'étoit le territoire le plus fertile de la Hongrie. II s'empara de la nouvelle ville de Zeugmine, & du chateau de Chrame , fit batir a la hate un fort fur les ruines de Belgrade, oü il laifTa garnifon fous les ordres de Curtice , & retourna a Conftantinople. A peine y étoit-il arrivé, qu'il apprend que les Hongrois font revenus a Belgrade , qu'ils ont pris le fort, mafTacré ou fait prifonniers les foldats qui le gardoient, & qu'il ne s'en efi échappé qu'un petit nombre avec Curtice. L'Empereur irrité le faitarrêter, Sc le condamne au fouet, quoiqu'il prouvat qu'il n'avoit abandonné le fort, que lorfque 1'ennemi étoit dans la place, 6c mettoit le feu aux édifices. II part lui-même au milieu de 1'hyver avec un camp volant; malgré le Jean. An. 1124. XI. Fin de la guerre de Hongrie»  Jean. An. 1124, XII. _ Autre récit de cette guerre. Thuroc^. Chron. Hung. c. 63. 22 fflSTOIRS froid tk. 3a difette des fourrages, il s'arrête a Belgrade, & fait relever le fort. Etienne, inftruit du petit nombre & du mauvais état des Grecs, paffe le Danube, & marche a Belgrade. L'Empereur, averti de fon approche, trop foible pour lui rénfter, laiffe garnifon dans le fort , & décampe en diligence. II prend des chemins détournés & prefque impraticables. Etienne le pourfuit & atteint fon arriere-garde; mais il ne peut Pentamer. II s'en retourne fans remporter d"autre avantage ni d'autre butin , que quelques meubles de la tente Impériale, qu'on avoit abandonnés faute de voitures. Les Hiftoriens dé Hongrie font de cette guerre un récit fort différent. Voici en peu de mots ce qu'ils en racontent. Etienne avoit ravagé les frontieres de la Servië & de la Bidgarie. Quoique ce fut un Prince cruel, 1'Impératrice Irene 1'aimoit avec tendreffe. Elle lui manda que l'Empereur fon mari ne le ménageoit pas dans fes difcours , & que 1'ayantvoulu juftifier, elle en avoit été maltraitée. Etienne auffi - tot entre en  du Bas-Empire. Liv. LXXXP7. 23 Bulgarie, attaque & faccage plufieurs villes, & porte par-tout le ravage. Sept cent* Francois qu'il avoit dans fon armee, l'inflruifoient dans 1'art d'attaquer les places, encore ignoré des Hongrois en ce temps-la. Comme l'Empereur fe contentoit d'envoyer contre lui fes Généraux , fans fe mettre perfonnellement en campagne , Etienne lui envoya dire, qu'un Prince tel qUe lui , qui n'ofioit fortir de fon palais , & regarder en face Üenncmi, ne méritoit le nom ni d'Empereur, m de Roi ; que ce n étoit pas même un homme , mais une vieille femme. L'Empereur, irrité de cette infulte : Alle{ dire a votre Roi, répondit - il, qu'avant la fin de cette année, fans me donner la peine de Valler combattre, je le fierai mettre en telétat, qu il nepourra plus fie vanter d'êtrc homme. Jean fait partir une grande armee. Les Grecs répandent par-tout le feu grégeois, les combats ne font que des incendies ; les barques des Hongrois brülent dans les eaux. Le Roi fait prendre les armes a toutes les forces de fon Royaume; il met a leur tête te brave Stéphel, On liyre une Jean, An. 1124  Jean. An. li 14 XHl. LesVi nitiens i décachei de 1'Empire. Fulch. Carn. I. Abrégé i THifl. d tal, T. 11 24 HlST&IRS grande bataille prés d'une ville que la chronique nomme Borouch, & les Grecs font vainqueurs. Le carnage fut borrible , & la fleur du Royaume y périt. La riviere de Carafou fut comblée de cadavres qui fervirent de pont aux Grecs, pour courir a la pourfuite des fuyards. Cette défaite rabattit la fierté Hongroife. Les deux Princes en vinrent a une négociation , & firent la paix par leurs Députés, qui conférerent dans une ifle prés de Borouch. Je iaifle au Lefteur a décider entre ces deux récits contradiftoires. Celui des Hongrois plus romanefque , s'accorde moins avec le caraftere que 1'hiftoire donne a 1'Empereur & k fa femme Irene. Ce qu'il y a de fingulier, c'eft que chaque Auteur attribue 1'avantage a la nation ennemie. Les Vénitiens, qui jufqu'alors a;" voient reconnu la fouveraineté des t Empereurs Grecs, auxquels ils prêtoient leur fecours dans les guerres d'Occident, avoient recud'Alexis de 1. grands privileges. Mais leur puiflanle ce maritime donnoit de Pombrage l aux Grecs. Selon une coutume an- cienne,  èv Êjs-Empiile. Liv. LXXXVI. s$ cienne, le Doge entrant en charge étoit décoré de quelque titre honorable par la Cour de Conftantinople. Dominique Michel devenu Doge , renommé par fes viöoires fur les flottes des Mufulmans, n'ayant pu obtenir le même honneur, s'en vengea par la guerre; & c'eft de-la qu'on doit dater 1'indépendance abfolue des Vénitiens. L'Empereur les regardant comme des vaffaux rebelles, les chaffa de toutes les terres de 1'Empire, & fit ravager la contrée qu'ils poffédoient en Dalmatie. A cette nouvelle , la flotte Vénitienne qui revenoit d'Orient, oü elle avoit aidé le Roi de Jérufalem Baudouin II k la conquête de Tyr, fait voile k Rhodes, prend & pille la ville, va s'emparer enfuite de Chio , oü elle paffe 1'hy ver. L'année fuivante ,elle faccage Samos, Mytilene , Andros ; defcend dans le Péloponnefe, prend Modon dont elle détruit les murailles, fait efclaves les garcons & les filles, enleve beaueoup d'argent , & rentre dans lesportsde Venife, chargée des dépouilles des Grecs. Ce fut cette année 1124 que 1'EmTomt XIX* B Jean. Aa. 1124. f- HOI, 1105, 1107, 1108. XIV. Man rfe  Jean. An. ii 24. rimpéra«rice.tCirui. 1.1. c. 4. Du Cangt jam. Ey>{. ,/>• !79- Vérif. des ,dates , j>, 49°. An. 1125. XV. Triomphe ide la Sainte Vierge. Nicet. c.5. Cinn. :l.x, '.4> 26 HlSTOIRE pereur perdit fa femme Irene, PrincefTe vertueufe, qui conferva fur le tröne la même fimplicité demceurs & le même mépris du luxe & des plaifirs, qu'elle avoit puilé dans 1'exemple du pieux Ladiflas fon pere, Roi de Hongrie. Elle n'employa fes richeffesqu'a fecourir les malheureux; le befoin de fon affiftance étoit un titre pour avoir accès auprès d'elle &c droit a fa faveur. Elle avoit choifi fa fépulture dans un Monaftere qu'elle avoit fait conftruire avec magniücence, Sc qu'elle fit dédier a Dieu fous le nom de Pantocmtor, c'eft-adire, le Tout-puüTant. Les Vénitiens en fe détachant de 1'Empire, lui faifoient perdre une des branches les plus fécondes de fon commerce. Pour réparer ce dommage, Jean forma des liaifons avec les villes maritimes de PItalie. 11 attira dans fes ports toutes les marchandifes de la cöte du golfe de Vénife» Dans Fexpédition qu'il avoit faite en Afie quatre ans auparavant, il ne s'étoit pas contenté d'étendre le domaine de 1'Empire; en même-temps qu'il prenoit des villes , il travail-  du BaS'Empire. Lïv. LXXXFI. 27 ioit a fubjuguer les efprits, & k faire des conquêtes au Chriftianifme. On convertit grand nombre de Mufulraans , qui prirent parti dans fes troupes. La guerre de Hongrie étant terminée, il reprit le deflein qu'il avoit formé de recouvrer 1'Afie mi» neure. Les Turcs, répandus en Paphlagonie, s'étoient rendus maïtres de Caftamone, une des principales villes du pays; c'étoit Pancienne Germanicopolis. Jean s'y tranfporta, & la prit par efcalade. II repaffa enfuite le Bofphore avec un grand nombre de prifonniers, & renouvella le pieux triomphe, dont Zimifcès avoit donné le fpeöacle a k viile de Conftantinople. Le jour fixé pour 1'entrée du Prince, les rues furent tendues des plus riches tapifferies , & bordées d'échafauds chargés de fpeöateurs, depuis la porte oriëntale jnfqu'a 1'Eglife de Sainte-Sophie. Un char enrichi d'argent & de pierreries étoit attelé de quatre chevaux bkncs. Aulieu de l'Empereur, on y voyoit une ftatue de k Sainte Vierge, k la proteöion de laquelle le Prince attribuoit tous fes fuccès, Le char étoit B ij Je a n» ia. IE2S.  Jean. Ah. ii2j. An. 1126. XVI. Guerre dePaprilagonie.Nicct. c. 5. 6. Cinn. I, i. f, 6. 28 HlSTOIRB eonduit par les premiers Officiers de 1'Empire, qui tenoient les rênes. L'Env pereur a pied marchoit devant, une croix a la main. Ce magnifique cortege fe rendit a Sainte-Sophie , d'oü l'Empereur, après de folemnelles actions de graces, fe retira dans fon palais. Pendant qu'il fe délaffoit de fes fatigues , & qu'il s'occupoit a faire jouir fesïujets des douceurs d'un gouvernement humain & équitable, Doniman, maïtre de la Cappadoce, reprit Caftamone, & palfa la garnifon au fil de 1'épée. Cette nouvelle affligea l'Empereur, qu'une maladie retenoit k Conftantinople. Dès qu'il eut recouvré fes forces, il prit la route de Caftamone. Doniman étoit mort, & Mahomet fon fucceffeur étoit en difcorde avec Mafoud , Sultan d'Icone. L'Empereur proflta de la conjonfture, pour attirer Mafoud dans fon parti. 11 en obtint des troupes pour agir de concert contre Pennemi commun; & avec ce fecours, il rentra dans Caftamone. Mahomet,trop foible pour tenir tête aux deux Puiffances, comprit qu'il n avoit d autre  $v Bas-Empire. Liv. LXXXVJ. 29 reffource que de détacher Mafoud de 1'alliance de l'Empereur. 11 lui fit repréfenter qu il portoit un coup mortel a la ration entiere , en s'uniffant avec fon ennemi naturel, que c'étoit trahir la caufe commune , & qu'un procédé fi étrange le rendroit odieux k tous les Mufulmans. Mafoud, auffi prompt a changer de parti, qu'a s'y engager, rappella fes troupes. Elles partirent de nuit fans en avertir l'Empereur , qui fe voyant abandonné de fes a.lliés, fe retira en Bithynie fur les bords du Rhyndacus, prés d'un chateau qu'il y avoit fait conftruire. 11 y rees Turques qui s'étoient engagées bus fes étendards, après la prife de Caftamone & de Gangres. II vouloit flayer fi les Arméniens d'Anazarbe, 'our lors amis des Turcs, he refueroient pas de fe fervir d'eux pour  nu Bjs-Emure. Liv. LXXXFI. 43 entrer en compofition. Mais dés qu'ils parurent, les Arméniens, ainfi que les Latins, les méprifant comme des déferteurs, font fur eux une fortie générale, les chargent, les mettent en fuite, & les pourfuivent vigoureufement. L'armée Grecque, etant accourue au fecours , les Turcs tournent vifage; & foutenus du refte des troupes, ils repouffent a leur tour les habitants qui fe renferment dans leur ville. On dreffe les batteries, on forme les attaques, on foudroye les murs. Les afliégés répondent par des décharges de leurs baliftes dont 1'exécution étoit encore plus meurtriere. C'étoient des pierres d'une grofleur énorme, qui écrafoient les hommes & les toits des béliers, de gros javelots de fer ardent qui portoient Fincendie. lis fortent eux-mêmes avec fureur, & s'exhortant les uns les autres a vaincre ou k périr, ils maffacrent tout ce qui s'oppofe, & mettent le feu aux machines qu'ils réduifent en cendres. Ils joignent a eet afFreux défordre la rifée & 1'infulte, n'épargnant pas même'la perfonne de l'Empereur. Lorfqu'ils fe furent Jean. An. 1137.  Jean. Ari. 1137. XXHI. Siege de Eaca. 1 1-4 H I S T O I X z retirés, on fufpendit les attaques peniant quelques jours, & Fon travailla i réparer les ouvrages. Pour garanir les machines d'incendie, on les :ouvrit au-dehors d'un enduit de :erre grafie imbibée d'eau, dont on ivoit foin d'entretenir 1'humidité; :n forte que les javelots qu'on y ancoit , n'y pouvoient caufer de lommage. II y eut encore plufieurs brties toujours très-ianglantes. Les ïéliers ayant enfin fait brêche en pluieurs endroits, on appercut une fe:onde enceinte , derrière laquelle les iffiégés fe défendirent avec la même jpiniatreté. Ce fut un fecond fiege jui coüta encore beaucoup de fang. infin , les habitants fe rendirent k üfcrétion. L'Empereur , naturellenent humain, épargna la vie k ces >raves gens; il arrêta même le pilage, & fe contenta de s'affurer d'Aïazarbe. II ne reftoit plus aux Arméniens lans les plaines de Cilicie, que la brtereffe de Baca. Elle paflbit pour mprenable par la force de fes mu■ailles, & par fa fituation fur une •oche efcarpée. Auffi les habitants  du Bas Empire. Liv. LXXXVL 4$ rejetterent-ils avec mépris les propofitions que leur fit faire l'Empereur. Irrité de cette fierté infolente, il difpofe fes machines, jurê qu'il ne quittera la place qu'après 1'avoir prife , fallüt - il y paffer fa vie, & y recevoir les neiges de tous les hyvers. II fit favoir en même-temps aux affiégés qu'il les combleroit de faveurs, s'ils fe rendoient fans réfiftance; mais qu'il les traiteroit dans ioute la rigueur de la guerre, s'ils I'obligeoient de les forcer. Ils n'écouterent ni les promeffes, ni les menaces. Tous paroiffoient réfolus k tenir jufqu'a la mort. Mais le plus déterminé de tous étoit un des plus nobles Arméniens, nommé Conftantin, fameux par fa bravoure. Non content d'encourager les habitants, & de les animer fans ceffe contre les Grecs, il fe montroit fouvent luimême fur la pointe d'un roe qui furpaffoit les murs de la place, & de-la il accabloit k grands cris d'injures atroces & grolfieres & l'Empereur & fa femme & fes filles. Fier de fes forces & de fa taille gigantefque, il infultoit toute 1'armée, & Jean. in, 1137  Jean. in. a37. 46 HlSTOIRE défïok le plus fort & le plus vailjant k un combat fingulier. L'Empereur chargea fes Officiers de chercher quelque foldat qui fut capable de tenir tête k ce fanfaron brutal. Un Macédonien, nommé Euftrate, fut choifi pour tenter J'aventure. II fort du camp arme d'un bouclier & d'une large épée. Arrivé au pied de la muraille, il invite 1'Arménien k venir fe mefurer avec lui. Conftantin, piqué de cette hardiefle, defcend en courant; & ayant joint I'ennemi qu'il méprife, il lui porte des coups terribles, qu'Euftrate pare de fon bouclier. La partie fembloit être fi inégale entre un géant hautain & vigoureux, & un foldat modefte & de petite taille , que l'Empereur avoit perdu toute efpérance. Cependant 1'armée Grecque encourageoit fon champion , & lui crioit de frapper hardiment. On le voyoit fouvent lever le bras, & aurant de fois abaiffer fon épée, comme s'il eüt été retenu par quelque enchantement. Enfin, après avoir long-temps balancé fon coup, il le décharge fur le grand bouclier de l'adverfaire, & le tranche par le mi-  nv Bas Empire. Liv. LXXXFl. 47 Heu. II auroit du même efïbrt ouvert le ventre de 1'Arménien, fi celui-ci n'eüt pas tenu le bouclier loin de fon corps. Les Grecs pouffent un cri de joie, & Conftantin découvert s'enfuit & rentre dans la place, tout confus. On ne le vit plus paroitre; on n'entendit plus fa voix infolente. Euftrate recut les récompenfes qu'il méritoit. La défaite d'un guerrier, regardé comme invincible, abattit le cceur des habitants. La place fe rendit, Conftantin fut mis dans les fers, & conduit au bord de la mer, pour être tranfporté a Conftantinople. Le vaiffeau n'avoit pas encore levé 1'ancre, que les valets qu'on lui avoit laiffés pour le fervir, ayant trouvé moyen de le délivrer de fes chames pendant la nuit, il tombe fur fes gardes,les maffacre,& prend la fuite. Mais avant que d'avoir le temps d'exciter de nouveaux troubles, il fut repris & remis entre les mains de l'Empereur. Les Arméniens, repoufles dans leurs montagnes, ne s'afFranchirerit du joug de 1'Empire que par la difficulté de pénétrer dans les défilés , & fur les roches impra» ticables du mont Taurus. Jean. An. 1157  48 Hxstoire Maitre de la Cilicie entiere, Jean Jean. An. ii 37. XXIV. Jean devant Antioche.Cinn. I. I. t. 8. Orderic. I. 13- Guill. Tyr. I.14.C. 24. 6,/tfl. marcha vers Antioche. Arrivé devant cette ville, qui depuis quarante ans caufoit aux Empereurs tant de regrets & de jalouiie, il campe k quelque dillance, & difFere les approches, dans 1'efpérance que les habitants aimeroient mieux entrer en négociation, que de s'expofer aux travaux & aux dangers d'un fiege. Raymond, craignant de ne pouvoir rélifter k de fi grandes forces, envoya demander du fecours k Foulques, Roi de Jérufalem. Ce Prince marchoit alors au chateau de Montferrand, place importante du Comté de Tripoli, afliégée par le redoutable Zengui. Foulques promet de courir au fecours d'Antioche, dès qu'il aura fait lever le fiege de Montferrand ; mais ayant été peu après défait dans une grande bataille, & s'étant enfermé dans la place , oü il fut étroitement affiégé, il fe vit lui-même dans le plus preffant befoin d'être fecouriu Loin donc d'être en état de marcher k Antioche, il dépêcha des couriers k Raymond, ajofcelin, Comté d'Edefle , aux troupes reftées a Jérufalem , pour leur mander le dan-  du Bas-Empiae. Liv. LXXXFL 49 ger oü il étoit, & les preffer de venir 1'en délivrer. Une propofition auffi extraordinaire que celle d'appeller k fon fecours des gens eux-mêmes menacés d'un fiege, fut néanmoins favorablement écoutée. Les intéréts des Croifés étoient unis 'alors par des liens indhTolubles. Raymond donne fes ordres pour la défenfe de la ville en fon abfence; & fuivi de fes meilleures troupes, il fort d'Antioche, & prend la route de Montferrand. Mais avant fonarrivée, les affiégés ,..accab!és de fatigues & de blefTures, ne fachant pas que les. fecours étoient fi pro*ches , avoient rendu la place; & Zengui, mieux inftruit de la marche de tant de troupes, qui alloient lui tomber fur les bras, avoit accordé une compofition honorable. Le Prince d'Antioche retourna donc fur fes pas,*avec des remerciments de fa diligence, dont le Roi de Jérufalem ne pouvoit plus profitef. Pendant l'abfence de Raymond , TEmpèreur s'étoit approché de la ville, & le Prince n'y pouvoit rentrer fans pefcer 1'armée Impériale. II attend la nuit, fe met a la tete des Tornt XIX. C J E A K. An. 113», XXV. Accommodement de l'Empereur avec le Prince d'Antioche.  Jean. ui. 1137. 50 HlSTOIRE iiens, entre dans le camp ennemi fans être reconnu , comme fi fa troupe eüt été un detachement de 1'armée Impériale qui revenoit du pillage. II pénetre en filence jufqu'auprès de la tente de l'Empereur. La fes gens pouffent un grand cri, & chargent ceux qui s'oppofent a. leur paffage. Les Grecs prennent 1'effroi, tout fuit jufqu'a une lieue du camp; Raymond ne les poürfuit pas plus loin , &c rentre dans la ville au bruit des acclamations.de tous les habitants , qui forteat aufïï-töt & pillent le camp des Grecs. L'Empereur rallie fon armée , & fe rapproche de la ville. II met en mouvement fes machines. Les traits ck les pierres pleuvent de toutes parts; on travaille a combler les foffés pour aller k la fappe , ouvrir une breche , donner 1'affaut. Les affiégés,de leur cöté.font., tant denuit que de jour, de fréquentes forties, éc fe défendent avec courage. Mais les plus fenfés s'appercurent bientöt que les forces n'étoient pas égales , tk. qu'il faudroit enfin céder k un Prince habile, infatigable,plein de valeur, que leur réfiftance auroit irrké;  dv BjstEmpire. Liv. LXXXVI. 51 Ils engagerent donc Raymond a trailer d'accommodement; & de fon confentement, plufieurs d'entr'eux pafferent au camp de 1'Empereur , dont la bonté naturelle leur donnoit de bonnes efpérances. En effet, il ne leur fut pas difficile de 1'adoucir. On convint d'une entrevue entre les deux Princes. Jean repréfenta a Raymond c[\x'Antioche étoit une ville de tEmpire ; que Boémond avoit fait hommage d lEmpereur , & s'étoit engagé a lui remettre toutes les places de 1'Empire qu'il reprendroitfur les Mufulmans. Raymond répondit qu'il n étoit pas garant despromejfes de Boémond, qu'il avoit recu cette ville pour dot de Conflance; quil avoit promis foi & hommage au Roi de Jérufalem tuteur de la Princeffe ; qu'il le confulteroit fur la demandt. de l'Empereur , & qu'il ne feroit rien fans fon avis. L'Empereur lui accorda unetrêvepour confulter le Roi. Foulques, alors malade , répondit, que Jean ne difoit rien que de vrai ; que pour lui il n'étoit pas en état d'allerfecourir Raymond; qu'il lui confeilloit de s'accommoder avec l'Empereur , grand & puiffant Prince, capable de rendre de grands fervices aux LaC ij Jean. An, 1137  n. 1137 52 IIlSTOIRE tins ; que pour conferver Antioche avec jujtice , il devoit la recev.oir des mains de fJ£mpereur, qui en étoit le légitime Souverain. On voit par cette réponfe, que Foulques,Prince religieux, ne s'arrêtoit pas au prétexte qwe les Latins avoient allégué jufqu'alors pour demeurer feuls maitres d'Antioche. Raymond fuivit eet avis. II vint en perfonne faire hommage a l'Empereur , & lui jurer fidélité , s'engageantpar ferment en préfence detoute la Cour Impériale, a lui donner libre entrée dans fa ville routes les fois que l'Empereur le jugeroit a propos , & avec tel cortege qu'il voudroit choifir. L'Empereur de fon cóté promettoit qu'après avoir pris Alep, Shizar, Hama, Hems (c'étoient les villes anciennement nommées Berée , Lariffe , Epiphanée, Emeffe ) il les mettroit entre les mains du Prince d'Antioche, qui fe feroit un Etat de ces villes & de leurs environs; que ce nouvel Etat appartiendroit en propriété aux Princes d'Antioche, mais a condition de le pofféder comme fief de 1'Empire. Après eet engagement mutuel,l'Empereur donna aRaymond  du Bas-Empire. Liv. LXXXVI. 53 Srinveftiture d'Antioche & des quatre villes, dont il efpéroit faire la conquête dans le cours de la campagne prochaine. On arbora fur la citadelle 1'étendard Impérial, & Raymond rentra dans la ville comblé de préfents.Comme 1'hyver approchoit, l'Empereur fe retira en Cilicie , oü il diftribua des quartiers a fes troupes dans le voifmage de Tarfe, prés de la mer. Dès que la faifon permit d'entrer en aftion , il s'approche de 1'Euphrate &c met le fiege devant Piza, place très-forte environnée d'une doublé muraille, défendue d'un coté par' un foffé profond , de 1'autre par un roe inacceffible. A la- première vue de 1'armée Grecque, qui avancoit dans k plaine , les Mufulmans font une terrible förtie, & tombentfi vivement fur 1'avant-garde, qu'ils la mettent en déroute. L'Empereur, plus indigné de la lacheté des liens, que de 1'audace' des ennemis , cóurt lui-même k lafête des troupes de fa maifon , & repoufTe les Turcs avec tant de carnage, qu'ils n'oferent plus fe hafarder hors de leurs murailles. On comble le foffé j les béliers , les balilie? C ii;. Jean. in. 1137; \n. 1138. XXVI. Prife de ?iza. Nicet. c. 8.. Cinn. I. V.:. S.  J E A K. An. 1138 XXVII. Attaque inutile d'Alep. 54 HlSTOIRB battent avec tant de fuccès, que les tours écroulées ouvrent la place en 'plufieurs endroits; & les affiégés effrayés de cette furieufe tempête , fans attendre 1'affaut, fortent eux-mêmes par les breches, viennent en foule fe jetter aux pieds de l'Empereur, lui abandonnant toutes leurs richeffes, pour racheter leur vie. Jean envoye a Antioche les prifonniers & le burin fous la conduite de Thomas , un de fes Secretaires. Celüi-ci, plus habile a dreffer des dépêches qu'a commander des foldats , eft attaqué en chemin par un corps de Turcs. II perd les dépouilles & les prifonniers, & fe fauve lui - même a grande peine. L'Empereur fait paffer 1'Euphrate a un détachement, qui rapporte un grand butin. II donne Piza au Comte d'Edeffe, laiffe a gauche Bempeze, ville ouverte qu'il ne daigne attaquer; & a la priere du Prince d'Antioche, qui 1'accompagnoit dans cette expédition ainfi que le Comte d'Edeffe , il prend la route d'Alep. . Cette ville qu'il avoit promife au Prince d'Antioche, comme une com quête facile, trompa fes efpérances,  du Bjs-Empirê. Liv. LXXXVL SS Capitale d'une Sultanie, elle étoit forte, peuplée , défendue par des troupes nombreufes & aguerries. A la première approche de 1'armée Impériale , la garnifon fortit, & fut repoirffée. Ce mauvais fuccès ne la découragea pas. Elle continua d'inquiéter les affiégeants par des fréquentes forties , oii les Grecs , toujours vainqueurs , payoient bien cher leur avantage. L'Empereur, qui faifoit fans ceffe le tour de la place , pour diriger fes attaques , courut plufieurs fois nfque de la vie; toutes les machines étoient pomtées contre fa perfonne. Ce danger , loin d'abattre fon intrépidité naturelle, 1'auroit rendu plus opiniatre, fi le terrein d'alentour eüt pu fournir des fubfiftances k fon armée. On étoit aux premiers jours du printemps, & la terre ne donnoit encore ni grains ni fourrages. D'ailleurs, ce pays aride & fablonneux ne produifoit ni bois pour la conftruction des machines , ni aflez d'eau pour abreuver les hommes & les chevaux. II écouta donc les confeils de la prudence ; & malgré les raifons qui Tattachoient au fiege d'Alep , il 1'abanG iv J E A N. An. inS.  Jean. An. 1138. XXVIü. Siege de Shizar. Nictt. c. 8. Cinn. I, i, c. S. Guill. Tyr. /.15.CI, Sanut. I. 3. 6. *•. 17. SÖ H I S T O 1 R Z donna pour lors , & prit la route de Shizar. II fe rendit en paffant maitre du chateau de Pherep, de Chama ck de Capharda, nommée encore aujourd'hui (afartab, place forte, qui teraoit dans fa dépendance une aflez grande étendue de pays. Elle fit peu de réfiflance. On approchoit de Shizar , ville opulente & forte, batie fur la rive gauche de 1'Oronte , entre une montagne & le fleuve qui baignoit une partie de fes murs. On rencontra en chemin la petite vilk d'Iflrie, que les Patzinaces emporterent d'emblée, & qui leur fut donnée au pillage. Tous les Emirs des environs s'étoient renfermés avec leurs troupes dans Shizar pour Ia défendre. II falloit paffer le fleuve pour Fafliéger. Mais pendant que 1'armée étoit encore dans la plaine en-deca du fleuve, la cavalerie Mufulmane 1'ayant traverfé, vint avec audace attaquer k coups de traits les troupes Impériales. Malgré la viteffe de leurs chevaux, on lesatteignit, on Les mit en fuite, on les précipita dans le fleuve. Ce premier échec les rendit plus circonfpeös; renfermés dans  nu Bas-Empire. Eik LXXXVI. 57 leurs murailles, ils laiflerent ravager impunément leurs campagnes. L'Empereur ayant paffe le fleuve , attaqua le fauxbourg , qui étoit lui-même une fecdnde ville , entourée de murailles, &c flanquée dé tours. Pour ne' pas fatiguer fes troupes, il les partagea en quatre corps, felon les nations qui compofoient fon armee ; c'étoient des Macédoniens, des Grecs, des Patzinaces, des Turcs qui s'é* toient mis a fon fervice dans la guerre de Paphlagonie, ainfi que nous 1'avoris raconté. II employoit tour-atour ces quatre diviiions. Accoutnmé k partager la fatigue & le péril dass les fieges comme dans les batailles , il couroit de rang en rang 1'épée k la main, couvert d'une ?cui= raffe & d'un c'afque d'or, encöurageant fes foldats par fes paroles , par les récompenfes qu'il promettoit aux plus vaillants, & plus encore par fon exemple. II animoit, il dirigeoit les batteries; il relevoit par des troupesfraïches celles qui étoient fatiguées; infatigable lui-même, il étoit en mouvement depuis le matin jufqu'au foir, fans fonger k prendre de nourritu>* C v Jeak. Ah; 113S  Jean. An. 115S. XXiX. Shizar obtient la paix de 1'Bmpereitr. §8 HlSTOIRE re. Pendant qü'il travailloit avec tant d'ardeur, le Prince d'Antioche & le Comte d'Edeffe, jeunes tous deux, & livrés aux amufements de leur age, paffoient la journée a jouer enfemble dans leur tente, & rallentiffoient pareemauvais exemple, & par leurs railleries,l'a£tivité des autres Officiers. L'Empereur tacha plus d'une fois, mais en vain , de leur faire comprendre qu'ils fe déshonoroient par ce-tta conduite frivole, & qu'il leur étok honteux de prendre fi peu de part a une conquête, qui les intéreffoit plus que lui-même. La vive réfiftance des affiégés commengoit a rebuter les Grecs ; & l'Empereur, dont le courage ne fe laffoit point, au défefpoir d'en trouver fi peu dans fes troupes, les excitant, les réprimandant, mettant tout en oeuvre pour les embrafer de la même ardeur , vint enfin k bout de forcer le fauxbourg. Tout flit paffe au fil de 1'épée. On n'épargna que les Chrétiens & ceux qui demandoient k 1'être. L'Empereur, maïtre du fauxbourg, tourna toutes fes attaques contre la place, II fut repouffé au premier af-  du Bjs-Empire. Li-v. LXXXFI. 59 faut. Cependantles habitants craignant d'être forcés & traités avec la même rigueur que leurs compatriotes ,< demanderent une fufpenfion d'armes; pendant laquelle Machedol leur Commandant envoya fecretement fupplier l'Empereur d'épargner la ville & les habitants , lui ofFrant pour obtenir cette grace une grande fomme d'argent. L'Empereur refufa d'abord toute compofition. Maisayant éprouvé dans une nouvelle attaque, que ce fiege lui coüteroit beaucoup de lang , indigné d'ailleurs de la nonchalance du Prince d'Antioche, il écouta enfin les propofitions des afliégés. Ils lui apporterent une fomme confidérable, & s'obligeoienta.payer un tributannuel. Entre les préfents qu'ils lui firent de beaux chevaux Arabes, d'étoffes de foie brochées d'or , d'une table enrichie de pierreries, étoit une croix d'une feule pierre précieufe , d'un prix ineftimable. C'étoit un ouvrage travaillé axitrefois par 1'ordre du grand Conftantin , & qui étoil tombé entre les mains des Mufulmans dans la défaite de Romain Diogene, L'Empereur fit aufiköt publier le déC vj Jean. An. 1138.  Jean. An, li38. XXX. L'Empereur a Antioche. <3ö fflSTOIAS? part. Envain Raymond & Jofcelin, ie repentant trop tard de leur inaction, lui firent les plus vives inftances pour 1'engager k révoquer eet ordre. Quelques-uns difoient que la mauvaife conduite de Raymond étoit un effet de la malice de Jofcelin, & que le Comte, jaloux de 1'aggrandiffement du Prince d'Antioche , Ï'avoit détourné des occupations férieufes, pour le rendre méprifable k l'Empereur. L'armée Grecque , dans fon retour, fut attaquée par un Général Turc, qui, a la tête de plufieurs efcadrons, tomba fur 1'arriere-garde avec grand tumulte. Mais il fut fi mal recu, qu'il fut bientöt obligé de prendre la fuite, laiffant fur la place un grand nombre de fes gens. En exécution du traité d'Antioche , l'Empereur devoit y être regu avec tel cortege qu'il voudroit y conduire. Auffi y entra-t-il avec fes fils qui 1'accompagnoient dans cette guerre, & une partie de fon armée. Le Prince d'Antioche & le Comte d'Edelle tenoient la bride de fon cheval; le Patriarche, fuivi du Clergé & dfi peuple , vinf en proceffion au-  bu BaS'Eb/ptre. Liv. LXXXFL 61 devant de lui, chantant des pfeaumes & des hymmes au fon de quantité d'inftruments de mufique. On le conduifit ainfi a la grande Eglife, Ik de-la au palais. II s'y repofa plufieurs jours , pendant lefquels il fut honore' comme le maitre, exercant 1'autorité fouveraine, & prodiguant fes faveurs au Prinee ,-aü Comte, aux autres Seigneurs , tk k tous les habitants. Aii bout de quelque temps ayant mande Ie Prince , le Comte & les principaux, tk adreffant la parole a Raymond : » Prince , lui dit-il , vous » favez ce que j'ai fait jufqu'ici poui » vous délivrer d'un voifinage dange» reux, &c vous conquérir un Royau» me. Mon intention eft de ne pas » abandonner cette noble entreprife. » Mais vous n'ignorez pas qu'elle de»~ mande de longs travaux ck de gran» des dépenfes. II eft néceflaire que » vous nous mettïez entre les mains >► la garde de cette ville, afin que » nous puiflions y dépófer notre trér>- for, & que vous donniez k nos » troupes liberté entiere d'y entrei n' & d'en fortir. Nulle place n'efi >• plus propre a nous fervir de ma- Jean. An. 1135.  Jean. k.n. 1138. 62 HlSTOIRE » gafin & de place d'armes, pour le » fiege d'Alep & du refte de la Sy» rie, dont nous avons promis & » nous vous promettons encore de » vous rendre maïtre. Contribuez-y » de votre pouvoir. Antioche vous » appartiendra toujours en proprié» té; nous n'en demandons que 1'u» fage, comme Seigneur Suzerain ". A ces paroles le Prince & les Seigneurs demeurerent interdits. Se défiant de la bonne foi de l'Empereur, comme ils en manquoient eux - meines , ils craignoient que cette ville achetée du fang des Croifés, & dont Ja perte entraïneroit celle de la Syrië , ne pafTat entre les mains des Grecs. D'un autre cöté , ils n'étoient pas en état de réfifter a l'Empereur, sjl vouloit ufer de violence. Comme tous gardoient le filence, le Comte d'Edefle , plus hardi & plus adröit que les autres, prit la parole :»,Sei» gneur, dit-il, nous fentons tous » que dans ce que demande Votre » Majefté, elle cherche notse inté» rêt plus que le fien propre. Mais » il eft befoin de prendre quelques feul. II gouverne un peuple ardent » & prompt a prendre 1'allarme. Laif» fez - nous le temps d'avifer aux » moyens de lui faire accepter fans » murmure un arrangement qui nous >► eft très-agréable". Une propofition fi raifonnable fut approuvée de l'Empereur ; il leur donna quelques jours pour difpofer le peuple, & congédia 1'afTemblée avec de grands témoignages de fatisfa£tion. Le Comte ne fut pas plutöt retiré dans fa maifon, qu'il envoya dans la ville des émiffaires fecrets, qui, répandant de toutes parts les prétentions de l'Empereur, allarmerent le peuple, & 1'exciterent a prendre les armes. Le foulevement devient bi-entot général; on s'attroupe , on menace de faire main-baffe fur les Grecs, Le Comte, feignant d'être expofé a la colere du peuple & de craindre pour fa vie, court tout éperdu aii palais, & fe jette aux pieds de l'Empereur. » Seigneur , s'écrie-t-il, j< » demande pardon a Votre Majefté » de venir me préfenter ,devant Elle » fans obferver les égards qui ki Jean. An. 1138, XXXI. II eft obli gé d'en fortir. i  E A N. I. 1138. 1 I t J ï 64 HlSTOIRE » font dus & les ufages de la Cour » Impériale; mais une urgente né» ceffité difpenfe de toutes les loix. » Ce n'eft qu'a 1'abri de votre Tröne » que je puis trouver un afyle contre » la rage d un peuple qui me pourfuit» pour me mettre en pieces ". L'Empereur, lui demandant quel étoit le ftt-• et de cette émeute foudaine : » Je relofpis tranquillement, répondit - il , ■> lorfqu'une foule fóditieufe, armée > de tout ce qui peut fervir d'inftru» ment a la fureur, eft venue enve- > Iopper mon hofpice, pouffant des > cris afFreux, demandant qu'on lui li- > vrat le Comte d'EdefTe , ce traïtre, > eet affafïïn du peuple d'Anti®che , > qu'il vendoit a l'Empereur. Altérés ' de mon fang, ils ont enfoncé les por» t^s; chacun d'eux m'apportoit la >, mort. Je me fuis échappé par mira- de; fauvez-moi de leurs mains ". En nême-temps , l'Empereur entend un iruit efFroyable ; on crioit de toutes ■arts : Antioche ejl perdue ; elle ejl venue aux Grecs ; quiltons les demeures 'e nos ptres ; fauvons-nous dans les dé•■rts. Animés par ces clameurs, les haitants, devenus forcenés, fe jettent •  2>v Bas-Empire. Liv. LXXXFI. 65 fur tous ceux qu'ils rencontrent du cortege de l'Empereur. Ils les affomment, ils les maffacrent, ils pourfuivent jufqu'au palais ceux qui leur échappent. L'Empereur, effrayé, man» de auprès de lui les Princes & les Seigneurs; & refferrant fon indigna» tton dans fon cceur : Je vois, dit-il, que mes intentions font mal interprêtées; on meprêtedes deffe'insfiniflres;je compte fur votre fidélité, & je riai garde de vous rendre refponfables de l'aveugle témérité de cette multitude. Aile^ calmerfon empcrtement; affure^-la que des dernain je la délivrtrai d'une injufle défiance, & que je fortirai d'Antioche. Tous les affiftants répondent par des louanges de fa modération & de fa prudence. Les plus mal intentionnés font ceux qui fe répandent le plus en éloges. Le Prince, le Comte, ceux qui avoient le plus de crédit, fe difperfent parmi le peuple, & travaillent a le calmer; ce qui leur fut plus difficile qu'il ne Ï'avoit été de le foulever. On quitte les armes, on fe retire, & la tranquillité eft rétablie. Dés le point du jour, l'Empereur fort du palais avec tout fon cortege , &c Jean. An. 113S  Jean. An. 1138. XXXII. Retour de l'Empereur a Conflantinople. 66 HlSTOIRE va camper aux portes d'Antioche. Raymond, Jofcelin & les autres Seigneurs voyant l'Empereur hors de la ville , appréhenderent les effets de fon reffentiment. Ils vont le trouver, tk tachent de fe difculper euxmêmes en rejettant la faute fur le peuple, qui, dans toutes les villes , eft fujet a fe livrer a un aveugle caprice, & k fe porter aux derniers excès fur le plus léger foupcon. Ils lui proteftent qu'ils n'ont aucune part k cette émeute infenfée ; qu'ils n'en ont été inftruits que par les effets, & qu'ils font prêts a recevoir fes troupes, tk k exécuter fidélement tous les articles de la convention. L'Empereur fit femblant de les croire; mais bien réfolu de ne plus s'expofer k un pareil danger, il prétexta des affaires preffantes qui le rappelloient k Conftantinople, dont il étoit abfent depuis deux ans. II leur promit de revenir au plutöt avec des fdrces fufHfantes pour conquérir la Syrië entiere, & faire au Prince d'Antioche un riche tk puiffant Royaume. La feinte fut égale des deux cötés. L'Empereur embraffa les  du Bas-Empire. Liv. LXXXVL 67 Seigneurs a fon départ, & les Seigneurs , comblant l'Empereur de vceux & de bénédiöions que leur coeur démentoit , le reconduifirent jufqu'aux portes de Cilicie-. En paffant par la frontiere de Lycaonie , il envoya un gros detachement ravager le territoire d'Icone, pour fe venger des incurfions que les Mufulmans avoient faites fur fes troupes, lorfqu'il étoit entré la première fois en Cilicie. On lui ramena grand nombre de prifonniers, de chevaux, de bêtes de toute efpece, & avec ce butin il retourna a Conftantinople. II y rentra avec fon frere Ifaac, dont le retour lui caufa plus de joie que fes fuccès. Ce Prince, qui avoil contiïbué avec tant de zele k mettre la Couronne Impériale fur la têtt de Jean, Sc qui en avoit regu tam de marqués de reconnoiffance, vivoit d'abord avec lui dans 1'union h plus intime. Cette concorde fut altérée par une caufe légere, mais tel lement exagérée par les flatteurs dt Cour, qu'elle termina Ifaac a fortii de 1'Empire avec Jean, fon fils aïné Ifaac étoit vaillant, de haute taille Jean. An. 113S. XXXIII. Ifaac réconciliéavec fon frere. Nicet. c. 9. Cinn. I. ï. c. 2. 1  J e a n. kfl. 1138. ÖS HlSTOIRE tk d'une flgure majeftueufe qui manquoit a l'Empereur, d'ailleurs trèsfupérieur a fon frere par des qualités ïnfinimént plus précieufes,mais qui ne s'annoncent que par les actionsi Le Prince mécontent fe retira auprès du Sultan d'Icone, & s'oubliajufqu'a faire des courfes fur les Provinces de 1'Empire, fe declarant ouvertement 1'ennemi de fon frere. Le*défaut d'argent, tk la conduite de l'Empereur,, auffi fage que courageufe, ayant fait échouer toutes fes entreprifes, il tornba dans le mépris des Emirs auxquels il n'impofoit plus que par fa. naifTance tk fa bonne mine. II s'appercut de ce déchet de conlidération; & regrettant celle dont il avoit joui 'k coté du Tröne, il vint avec fon fils rejoindre fon frere, qui paffoit prés. d'Icone. Le généreux Empereur le recut avec tendreffe ; il lui rendit de bonne foi fon amitié , fans retenir dans fon cceur aucune de ces traces de reffentiment, qui revivent fi aifément dans 1'ame des amis , tk furtout des Princes réconciliés. Mais ['ambition d'Ifaac troubla encore une !ois la naix entre les deux freres. Pen-  du Sas-Empire. Liv. LXXXF1. 69 dant le dernier voyage que Jean fit en Syrië , les Minifires qu'il avoit chargés du gouvernement en fon abfence , découvrirent de nouvelles intrigues formées par Ifaac pour s'emparer de 1'Empire. L'Empereur en ctant averti, donna ordre de le tranfporter k Héraclée en Bithynie , oü il refta prifonnier jufqu'après la mort de fon frere. Jean ne s'arrêta pas long-temps a Conflantinople. Apprenant que les Turcs ravageoient les plaines de Bithynie voifines du Sangar, il partit, quoique malade, fans attendre le printemps. II ne fallut que la nouvelle de fa marche pour faire prendre la fuite aux Turcs. II les pourfuivit, leur enleva qnantité de beftiaux, & fe retira a Lopade prés de Rhyndacus. N'ayant plus d'ennemis k combattre , il réfolut d'employer ce temps de paix k fe précautionner pour Ia guerre, Sc k réparer les places de Bythinie pour les mettre en état de défenfe. Comme il comptoit y féjourner long-temps, il y fit venir 1'Impératrice , & y donna rendez-vous a toutes fes troupes , qu'il devoit oc- •Jean. An, 113S, An. 1139, XXXIV. Nouvelle guerre contre les Turcs. Nicet. c. 9,  E A N. >'. 1139. 7° HlSTOIKE cuper a ces travaux. Ce fut pour tous les gens de guerre un fujet de mécontentement tk dè murmures. Quelle duretè, difoient-ils , après dtux ans de combats, de Jieges & de fatigues continuelles , de ne pas laiffer fes foldats Jouir quelques moments du repos que leur laijfent l?s ennemis; de les arracher du fein de leur familie des qu'ils la revoyent après une jï longue abfence ! Ceux fur-tout qui n'étoient pas même encore rentrés dans Conftantinople, fe plaignoient plus haut que les autres. Ayant été obligés de refter en chemin , foit par maladie ou pour caufe de bleffures, foit par défaut de vivres , foit par la perte de leurs chevaux, ils étoient forcés par les gardes des chemins tk des ports , de fe rendre au camp de l'Empereur, fans avoir la liberté d'aller refpirer Fair de leur patrie. L'Empereur, peu fenfible a ces plaintes, répétoit fouvent qu'il ne vouloit pour foldats que des hommes qui ne connulTent d'autre fatigue que 1'inacfion, d'autre familie que leur troupe, d'autre patrie que leur camp. Mais une nouvelle incurfion des Turcs ne le laiffa pas long-temps  du Bas-Empire. Liv;LXXXVI. 71 dans ces occupations paifibles. Le printemps finiffoit k peine, qu'il apprit que ces barbares ravageoient la Province de Pont, tk que Conftantin Gabras, Gouverneur de Trébizonde , s'en étoit rendu fouverain , & avoit fecoué le joug de 1'obéiffance. Réfolu de repouffer les barbares , tk de chatier le rebelle, il partit de Lopade au commencement de 1'été, tk prit la route de Paphlagonie. II vouloit pénétrer dans le Pont en cötoyant les bords de la mer, pour être affuré de fes fubfiftances, qui lui viendroient par le Pont-Euxin, tk pour ne pas courir rifque d'être enveloppé. II trouva dans cette marche plus de difficulté qu'il ne s'y étoit attendu. Mahomet, alors le plus puiflant des Emirs, après avoir conquis une partie de 1'lbérie & de la'Méfopotamie, s'étoit rendu maitre de Céfarée, en Cappadoce, tk fes troupes paffoient pour les plus braves de l'Orient. II fallut difp.uter tous les paffages; & 1'armée Grecque, harraffée de fatigues ck de combats,. ne put arriver dans le Pont que vérs le folftice d'hy ver.. Jean. An. 1139  J E A-N. An. 1140. XXXV. Guerre dans le Pont. Nicet. c. 9, 10. Cinn. I. I. c. 9. Du Cange fam. £y^. V- 189, 190. 72 H I S T 0 ï R E L'Empereur fe cantonna dans la ville de Kinta. Mais fon aöivité naturelle ne put long-temps fe contenir. Dès le milieu de 1'hyver, il fe mit en campagne, & entra.iur les terras des Mufulmans, oü il porta le ravage. Les Turcs fuyoient devant lui; mais il avoit a combattre des ennemis plus dangereux que les Turcs. C'étoient la difette & le froid trèsrigoureux dans ce pays de montagnes. Prefque tous fes chevaux Sc fes muiets ypérirent. Les Turcs, inftruits de ces défaftres, venoient 1'attaquer par bandes féparées ; & le harcelant ians cefTe, déchargeant leurs fleches , Sc clifparoifTant aufTi-töt, ils lui caufoient un grand dommage , Sc échappoient a la pourfuite. L'Empereur fit chercher ce qui lui reftoit de bons chevaux, les diftribua fur-tout aux Latins, meilleurs lanciers que les autres ; Sc les oppofant aux incurfions des Turcs, il mit a couvert le refte de fes troupes. Pour groffir 1'apparence de fes efcadrons, il faifoit porter par fes gens de pieds, des enfeignes de cavalerie ; ce qui trompa tellement les ennemis, qu'ils n'oferent plus  nu Bas-E&ivire. Llv. LXXXFI. 7% plus 1'attaquer, & le laifferent approcher de Néocéfarée qu'il afliégea. II y eut en ce lieu plufieurs aclions aflez meurtrieres, dans une defquelles Manuel, agé alors de dix-huit ans, & le plus jeune des fils de l'Empereur, étant forti des rangs fans en aveir demandé la permiffion k fon pere , courut piqué baiflee donner au milieu des efcadrons ennemis. La hardiefle du Prince, Sc le péril ou il fe précipitoit, attirerent après lui toute 1'armee. Ce fut k qui fignaleroit fon zele pour l'Empereur en dégageant fon fils. Les ennemis furent repoufles avec grand carnage. L'Empereur combla fon fils de louanges k la tête de 1'armée victorieufe; mais rentré dans fa tente, il le réprimanda vivement de fa témérité; on dit même qu'il lui fit efluyer le chatiment impofé felon les loix Romaines aux fautes des moindres foldats. Toute cette campagne fe paffa au fiege de Néocéfarée. Les fréquentes forties des affiégés, & les attaques ' de 1'armée Turque, qui venoit fans ceffe harcekr les affiégeants, retardoient le fuccès. Enfin, la défertion Tomé XIX. D Jean. An, 114c xxxvr. Oéfenïen iu neveit le 1'Em>ereur»  Jean. An. 1140. 74 HlSTOIRB du neveu de l'Empereur fit abandonner Pentreprife. jean, fils d'Ifaac, frere de l'Empereur , étoit un jeune Prince hautain & opiniatre. Un jour de bataille, l'Empereur voyant a pied un cavalier Italien, dont il eftimoit la valeur , mais qui étoit démonté, dit k fon neveu qui montoit un beau cheval Arabe : Vous ave^ ojje^ d'autres excellents chevaux ; defcende^ & donne^ celui-ci d ce cavalier. Le jeune homme, piqué de eet ordre , ne répondit rien ; mais fe tournant vers le cavalier : Emprunte un cheval, lui dit-il, & prends carrière; tu auras ce-lui-ci, Ji tu me fais quitter les argons. Cependant comme il voyoit la colere monter au vifage de l'Empereur, il defcendit, fe fit amener une autre monture, & piqua fiir le champ vers 1'arrnée des Turcs. Arrivé k la portée de leurs traits, il rejette fa lance fur fon épaule, öte fon cafque , & fe va joindre k eux. II en étoit déja connu pour avoir paffe quelque temps parmi eux avec fon pere. Ils le recurent avec joie, perfuadés qu'il leur fèroit fort Utile, par la connoiflance qu'il avoit des forces des Grecs.  bu Bas-Empire. Lw. LXXXVl. 75 Devenu traitre a fon Souverain, il i ne demeura pas long-temps Chrétien. . Ayant embrafié le Mahométifme , il < époufa la fille du Sultan d'Icone , &c t regut en dot plufieurs chateaux & ) de grandes terres, avec le furnom de ; Zélébis, qui, dans la langue Turque, ! fignifie un homme de nauTance illuf- 1 tre. II eut un fils nommé Soliman i Schah, duquel fe vantoit de defcen- ) dre Mahomet II, pour relever par I cette noble origine , celle des Prin- } ces Ottomans. L'Empereur qui avoit i déja perdu beaucoup d'hommes & 3 de chevaux, & qui manquoit de vi- I vres, fe doutant que le déferteur inf- I truiroit trop bien les ennemis de 1 1'état de fon armée , ne s'obftina pas 1 davantage. II fe retira faifant bonne i contenance. Comme fon arriere-gar- j de étoit continuellement infiiltée I par les Turcs, il gagna les bords de I la mer; & marchant en bon ordre | par des chemins oü il ne pouvoit 3 êrre enveloppé, il regagna Conftan- i tinople le quinze de Janvier, après I avoir beaucoup foufFert cette année, 1 fans aucun avantage qui put Ie dé- 3 dommager de fes pertes. D ij J E A If. An. 1140.  Jjï AN. An. 1.141, XXXVII. Campagne du Rhyndacus. An. 1142. XXXVIII. L'Empereur s'empare des ïflesdulac d'Icone. Nicet, c. 10. Cinn, 1. 1, t. 9. 76 &ISTOIRE La campagne fuivante fut moins pénible , mais auffi infructueufe. Elle fe paffa au bord du Rhyndacus, fans aucune action mémorable. Les neiges & les glacés de Thy ver le tintent quelque temps comme affiégé dans fon camp, &c le forcerent enfin a reprendre le chemin de fa capitale. Ce Prince trop guerrier ne trouvoit de repos qu'a la tête de fes armées. II partit dès les premiers jours de Pannée fuivante, fur la nouvelle que les Turcs étoient entrés en Pamphylie, &c qu'ils affiégeoient Sozopolis. Ses filles dont il étoit tendrement aimé, ne le quitterent qu'avec beaucoup de larmes , comme fi elles euffent prévu qu'elles ne le reverroient plus. Arrivé a Attalie, il apprit que les Turcs s'étoient retirés, & il s'arrêta quelque temps dans cette ville pour mettre ordre au gouvernement de fes nouvelles conquêtes. Prés de la ville d'Icone, occupée depuis long-temps par les Turcs, étoit unlac fort étendu , nommé Pafgufa, femé depetites iflespeuéloignées 1'une de 1'autre. Dans chacune de ces ifles s'élevoit une forterelTe qui fembloit  z>u Bas-Empire. Li-v. LXXXV1. ff être un écueil au milieu des eaux. Les anciens habitants s'y étoient maintenus; mais détachés de 1'Empire , ils* n'en avoient confervé que la religion, & ne reconnoiflbient d'autre maïtre que le Sultan d'Icone, ou ilsalloient & d'oü ils revenoient le même jour. L'Empereur campé au bord du lac, leur fit lignifier qu'ils euffent a recevoir de fa part un Gouverneur & des troupes, ou a fortir de leurs demeures; qu'il leur laifferoit libre le chemin d'fcone. Ils fe moquerent de ces ordres; & l'Empereur, piqué de ce mépris, réfolut d'eiriployer toutes fes forces a conquérir ces ifles, quoiqu'il vit bien qu'il lui feroit im-^ polïible de les garder. II fit conftruire a la hate des barques , en attacha plufieurs enfemble , & les chargea de machines pour aller foudroyer ces forterefTes. II y réufïit malgré les orages qui s'éleverent fur le lac , &qui détruifirent plufieurs fois fon armement. Après des efforts, auxquels ce Prince d'ailleurs prudent & fage ne s'obftina que par un point d'honneur vain & frivole, il mit garnifon dans ees- places. C'étoient des foldats perD iij Jean. \.n. 1142.  Jean. An. 1142. XXXIX. •Mort des deux fils ainés de 1'Empeieur. Nieee. c. 10,11, 12. Cinn. I. 1. e. 10. Guill, Tyr. ". J. c. 19. & feqq. Sanut. I. 3. fan. 6. c. 17. Chr. Sti. 'Ant. Alberie. Chron. p. 300. Otho Frif. ll.C. 2$. ld. de gefl. Frid. imp. e. 22 , 23. Du Catife fam. By{. p. lol. 78 HlfiTGIRE dus dont le fort eft ignoré ; mais qui après le départ de l'Empereur, ne tinrent, fansdoute, pas long-temps dans ces poftes ifolés. Jamais il ne s'étoit vu a la tête d'une fi belle armée. Prefque toutes les forces & les tréfors de 1'Empire marchoient a fa fuite. II fe propofoit de faire la conquête de la Syrië entiere , d'aller k Jérufalem dépofer fa couronne fur le faint Sépulcre, pour la recevoir enfuite comme de JefusChrift même, & de chafTer les Mufulmans de toute la Paleftine. Mais il cachoit avec foin tous ces deffeins , & feignoit de n'avoir en vue que de répondre aux follicitations du Prince d'Antioche, qui 1'invitoitpar des lettres fréquentes k venir au plutot exécuter le traité fait entr'eux quatre ans auparavant. Raymond, qui n'avoit guere plus de prudence que de bonne foi, fe flattoit qu'après ce qui s'étoit paffé, l'Empereur ne feroit plus tenté d'entrer en maitre dans Antioche, & qu'il ne fongeroit plus qua lui procurer un brillant état par la conquête des quatre plus graacles villes de Syrië. Jean, qui avoit bien  d v Bjs-Empire. Liv. LXXXPL 79 d'autres penfées , méditoit encore vin pro jet important. Manuel, le plus jeune de fes fils, étoit le plus chéri. II lui trouvoit plus d'efprit, de valeur , de reffemblance avec lui - même. II vouloit lui faire un Royaume de la Pamphylie, de la Cilicie, d'Antioche & de 1'ifle de Cypre. II ne défef péroit pas même de le faire Empereur au préjudice de fes trois ainés Jean, occupé de tous ces deffeins, étoi retourné a Attalie, pour fe difpofe: au voyage d'Antioche , lorfqu'il per dit Alexis fon fils ainé, qu'il avoi depuis long-temps affocié a la dignit< Impériale. Ce Prince mourut d'un fïevre ardente, &c fa mort fut auflï tot fuivie de celle de fon frere An dronic, qui portoit le titre de Sébal tocrator. L'Empereur, craignant pou le troifieme, qui commenooit k rei fentir quelque atteinte, le fit parti pour tranfporter k Conftantinople le corps de fes deux freres, & leur rer dre les devoirs funebres. II retint M; nuel auprès de lui; & ayant en di ligence traverfé la Cilicie, il arriva la vue du chateau de Turbeffel, huit ou dix lieues en-dega de ÏEv D iv Jean. An, 1142, t r r s k a.  J e a n. An. 1142 XL. Jean devant Antioche. 2© E 1 S T 0 1 R S phrate, fur les terres du Comte d'Edeffe, qui ne 1'attendoit pas.. Jofcelin s'étoit trop mal conduit au fiege de Shizar, pour fe flatter d'être bien voulu de l'Empereur. II craignoit une invafion contre laquelle il ne pourroit fe défendre. L'Empereur qui, de fon coté, avoit fujet de fe défier de ce Prince, lui demanda des etages , & le Comte ne tarda pas de lui envover fa fille Ifabelle. Afluré de fa fidélité par ce gage préeieux, Jean prit !a route d'Antioche, & arriva le 2.5 Septembre k un chateau nommé Gaft, k quelques lieues de cette ville. II dépêche de-la des courriers a Raymond, & lui renouvelle les mêmes demandes qui , dans fon premier voyage, avoient fait trembler le Prince, & foulevé tout le peuple. II les appuye des mêmes rnotifs. Le Prince fe trouvant dans un grand embarras , délibere avec fon Confeil. Pour le dégager de fa parole, on fut d'avis de le défavouer, comme ayant pafFé fon pouvoir dans Ie traité qu'il avoit fait. On députa donc les plus nobles de la ville , qui déclarerenta l'Empereur, au nom du  Je an. 4ï. du Eas-Empire. Lm. LXXXVI. 81 Patriarche & des habitants. au1 ils ne fe tenoient pas pour engagés par la pa- roie ae raymond ; que ce Fnnce n avoit aucun droit fur Vhéritagede fa femme ; que fa femme même ne pouvoit en aucune maniere difpofer de fes domaims fans le conftntement des autres Seigneurs & des habitants; que fi le Duc & la Ducheffe perjijtoient a en trafiquer ainfi felon leur caprice au detriment de leurs fujets, on les banniroit eux-mêmes de tout le territoire. L'Evêque de Gabale qui fe trouvoit alors dans la ville comme Légat du Pape Innocent II', fe joignit a ces députés , Sc fignifia a l'Empereur de la part du SaintSiege, qu'il eüt a s'abftenir d'entrer dans Antioche , Sc de fufeiter aucun trouble aux Latins établis en Oriënt. L'Empereur, irritéde cesoppofitions, permit k fes foldats , fous prétexte qu'ils manquoient de vivres, de ravager le territoire d'Antioche. Ils-uferent de cette liberté avec tout 1'emportement d'une foldatefque effrénée, Non contents de piller les moifTons Sc les fruits, ils couperent par le pied les arbres fruitiers, brülerent les habitations 8c les gramges, Sc firentwi D v Je ai An. li  Jean. An. 1142 XLI. 11 veut al Ier a Jéru ftile-m. $2 HlSTOÏRE horrible dégat qui ne pouvoit être réparé de plufieurs années. Quelqueauns s'emporterent a un tel excès de fureur, qu'ils maffacrerent les hermites desenvirons, &c réduifirent en cendres leurs cellules. L'Empereur demeura chargé de tout 1'odieux de ces barbaries, qu'il ne put arrêter lorfqu'il eut une fois laché la feride a cette fougueufe multitude. Pour ne pas s'éloigner d'Antioche, \ dont il vouloit s'emparer, il luivint en penfée d'aller paffer 1'hy ver a Jérufalem. Mais il ne montra que le déür de vifiter les faints lieux. II envoya donc des Officiers de diftinction en ambafTade k Foulques, Roi de Jérufalem , qui vivoit encore, tk ne mourut que le 13 Novembre de cette année. II lui mandoit qu'il defiroit ardemment de fe tranfporter dans la ville Sainte, pour y honorer les veftiges du Sauveur , & pour ofFrir aux Ghrétiens fon feccurs contre les Infideles. Le Roi, craignant une dévotion ü bien armée , de 1'avis de fon Confeil, envoya Anfelme, Evêque de Bethléem, avec deux autres Seigneurs, porter fa réponfe k l'Empereur, & lui  m Bjs-Empirb. Liv. LXXXFI. 83 dire : Qu'il ticndroit d grand honneur de le recevoir dans fa ville; mais que dans un Etat auffi borné que le fien, il ne pourroit trouver de quoi faire fuhfijler une fi grande armee; que les foldats Grecs & fes propres fujets firaiem en danger de mourir defaim : que cependant fi Sa Majefiê vouloit ne pandje avec elle que dix mille hommes, il' iroit au-devant d'elle avec tout fon peuple ; qu'on la recevroit avec des tranfports de joie, & qu'on lui rendroit leshommages dus au plus grand Prince du monde. Ce refiis affaifonné de tant de politeffe ne plut pas k l'Empereur ; il crut qu'il n'étoit pas de la dignité Impériale , d'aller fe montrer en Paleftine fi peu accompagné. II rendit au Roi les mêmes proteftations d'amitié qu'il en avoit recues, & renvoya les Ambaffadeurs comblés de préfents. II retourna paffer 1'hy ver en Cilicie, prés d'Anabarbe, bien réfolu de rentrer en Syrië, dés que la faifon le permettroit, & d'y fignaler fapuiffance par quelque exploit mémorable. Un accident funefte renverfa tou: fes projets. II aimoit la chaffe, & 3 paffoit une partie du temps que lu D vj Jean. Ati. 114*. I An. i143, XLII. • BUffwe  Jean. An. 1143 mortelle de l'Empereur. §4 HlSTOIRE laiflbient les opérations militairesi Campé dans une vallée entre deux. hautes montagnes, qu'on appelloit lesnids^ des corbeaux, il fortit avec fon équipage ordinaire; & s'étant engagé dans un bois plein de bêtes fauvages, comme le font toutes les forêts du mont Taurus , il vit venir a lui un furieux fanglier , pourfuivi par fes chiens. II attend la béte de pied ferme , tk lui plonge fon épieu dans le corps. Au milieu des violentes fecouffes de ce vigoureux animal, le carquois du Prince, rempli de fleches empoifonnées, s'étant renverfé , un de ces traifs meurtriers lui perce la main, & y fait une profonde bleflure. Pour arrêter le fang, il fe fert d'un topique auffi bifarre que frivole , mais apparemment alors en ufageparmiles chafleurs. C'étoit de s'enlever une peau du talon, & de 1'appliquer fur la bleffure, qu'on bandoit enfuite fortement. II retottrne le foir au camp, foupe a fon ordinaire, & paffe aflez tranquillement la nuit. Le venin dont on avoit ferme 1'ifTue eut le temps de fe répandre dans les veines, & le lendemain 1'enflure de  t>v Bjs-Empire. Liv. LXXXF1. fa plaie, accompagnée d'inflammation & de vives douleurs, 1'obligea d'avoir recours aux Médecins. Ils leverent ce ridicule appareil; & ayant appliqué une emplatre qui ne fut pas plus efficace, ils en vinrent a 1'incifion, qui ne procura aucun foulagement. L'enflure s'étant communiquée *au bras tout entier, on fut d'avis de lui couper le bras , fans être cependant afliiré fi cette opération cruelle lui fauveroit la vie. L'Empereur n'y voulut point confentir , difant que ce n'étoit pas trop de deux mains pour te~ nir les rênes de tEmpire. II fe détermina donc a mourir, & le feul regret qu'il témoigna fut de n'avoir pas accompli le pélerinage de Jérufalem y auquel il étoit tel-lement réfolu , qu'il avoit fait faire une lampe d'or du poids de vingt livres, pour FofFrir au Saint Sépulcre. Le jour de Paques , qui tomboit cette année au 4 d'Avril , il recut le Saint Viatique. A Fheure dufouper, ilfitouvrir lesportes de fa tente , permettant a tous les foldats d'entrer, &de lui préfenter leurs requêtes. C'étoit par le confeil d'Axuch, eet eftimabk Miniftre, qu'il J,E A N. An. 1143  Je a k. An. 1143, XLIII. II déclare Manuel fon fuccelTeur. 86 H I S T O I R- E voulut donner a fes fujets, cette derniere marqué de fa bonté. II en fit autant le lendemain ;. tk s'étant fait fervir le fouper ordinaire, il en diftribua les viandes aux aififtants. La nuit fuivante, il furvint un fi violent orage, que les torrents qui tomboient des montagnes emporterent le lit ou repofoit l'Empereur. Dés qu'il s'étoit vu menacé de la mort, il avoit fait venir auprès de lui un Moine de Pamphylie , célebre par fa fainteté, pour implorer la miféricorcle de Dieu par des prieres continuelles. Le fix d'Avril, fe fentant prés de fa fin, il fit appeller les principaux Officiers de 1'armée. Les voyant autour de fon lit, il rafiembla tout ce qui lui reftoit de forces ; tk paroilTant feul infenfible a fes maux, il leur paria en ces termes : » Mes amis, vous fa» vez que les Princes regardent leurs » Etats comme un patrimoine , &C » qu'ils les tranfmettent' a leurs en» fants felon le droit de primogéni» titre, comme les particuliers dif» pofent de leurs maifons & de leurs » terres. C'eft ainfi que j'ai recu de m mon pere le droit de commander  DU BAS-EMPhRE. » aux hommes, & vouspenfez, fans » doute, que j'en uferai de même k » 1'égard de mes enfants. II ne m'en » refte que deux, & vous ne dou» tez pas que la prérogative de 1'age » ne détermine mon choix. Mais 1'a» mour que j'ai pour vous eft fi vrai » & fi défintéreffé, que fi ni 1'un ni » 1'autre de mes fils ne méritoit 1'Em» pire , je chercherois un fuccefTeur » hors de ma familie. Un pilote qui, » par ignorance, fe perd avec fon » vaiffeau , meurt couvert de hon» te , & n'en laiffe pas moins k ce» lui qui lui a confié le gouvernail. ^> C'eft fe déshonorer que d'élever » en honneur un homme qui n'en » eft pas digne. Je n'ai que des gra» ces k rendre au maïtre des Souve» rains pour les deux fils qu'il a bien » voulu me laiffer. Ils ont tous deux » d'excellentes qualités; je les aime >> également; & s'il ne s'agiflbit pas » de 1'Empire , je fuivrois dans la » diftribution de mon héritage Vor» dre qu'a ftuvi la nature. Mais la » fucceffion a 1'Empire n'eft pas un » préfent; c'eft un fardeau , dont un » pere doit cbarger celui de fes en- Jü A K. An. II43»  Jean. An. 1143. ■! i i i >. >. 83 "Histoire » fants qui eft le plus capable de le » porten La Providence a pris fok » de défigner mon fuccefTeur. C'eft » Dieu qui nomme le premier a tous » ks emplois : les qualités de celui » qui en eft digne, font la voix de » Dieu même qui en eft j'auteur. » C'eft aux hommes a 1'écouter; je » ne fais quénoncer fon ïuffrage. ht» gez-en, & voyez fi Manuel mérite » de vous commander. Son courage •> s'eft montré devant Néocéfarée ; ' » nous lui dümes la viöoire. Vous » connoiffez fa prudence & fon ef» prit de reflburces. Vous n'igno» rez pas que, dans les conjonftures - > les plus épineufes, je me fuis plus > d'une fois bien trouvé de fes coi> > feils , & qu'il m.'a tiré des plus > grands périls. Combien de preu- > ves n'a-t-il pas données de 1'éten- > due de fon génie, de 1'élévation > de fon ame, de fa fermeté, de fon » difcernement, de fon détachement ' de tout intérêt perfonnel & des ' plaifirs de fon %e, de fon appli- cation aux affaires férieufes , de fa bonté & de fa compafTion pour les malheureux. Je deftinois Alexis a  du Bas Empire. Liv. LXXXVI. 89» 1'Empire; mes vues ne s'accordoient » pas avec les defleins de Dieu; il » me 1'a enlevé. Averti par ce coup » fi fenfible a ma tendreffe, je n'ai » plus voulu prévenir Ion choix. C'eft » lui qui m'infpire dans ce dernier » moment oü s'éteignent toutes les » affeftionshumaines. Je touche a eet » inftant ou je n'aurai plus ni tröne, » ni familie; mon dernier foupir eft » pour le bien de eet Empire. C'eft » a vous a y répondre par votre » fufFrage. Songez qu'Ifaac fut le ca» det d'Imaël, que Jacob ne vint au » monde qu'après Efaü, que Moïfe t> étoit plus jeune qu'Aaron , & que » David étoit le dernier de tous fes » freres ". Dés qu'il eut ceffé de parler , tout les afiiftants fondant en larmes, s'écrierent d'une voix mêlée de fanglots : Nous acceptons Manuel, que Manuelfoit notrt Empereur. Manuel, infenfible a toute autre chofe qu'a la perte de fon pere, la tête baiflee , baignoit la terre de fes pleurs. On le revêtit de la pourpre, on lui ceignit le diadême; on le porta dans la place d'armes, oü tous les foldats afTemblés le proclamerent Empereur. 11 Jean. in. 114?  Jean. An. 1143. XLIV. Mort & portrait de Jean. 90 HlSTOIHB étoit Agè de vingt & un ans. C'étoit Axuch qui, fur la comparaifon du caractere d'Ifaac avec celui de Manuel, avoit déterminé l'Empereur a cette préférence , fi dangereufe d'ailleurs, & li propre a trouhler la tranquillité des Etats. Mais il voyoit dans Manuel une (upériorité li généralement reconnue , qu'il n'en craignit pas les fuites , qui n'eurent en effet rien de funefte. Jean ne furvécut que deux jours,. & mourut le 8 Avril, k 1'age de 5 «f ans, après un regne de 24 ans 7 möis & 14 jours. Ce Prince, héritier du courage, de la prudence &c des autres grandes qualités de fon pere, le furpalfa encore par une vertu fans mélange d'aucun vice. II eut été digne de naitre dans les beaux jours de 1'Empire Romain ; c'eft le MarcAurele de Conftantinople. Affis fur un tröne déja ébranlé, il 1'afFermit par de brillants fuccès. II entra d'un pas ferme dans'la rsute glorieufe que fon pere lui avoit ouverte, & ouvrit lui-même k fon fils un chemin a de nouvelles conquêtes. On peut dire que le regne de ces trois Prin-  du Bas-Empire. Liv. LXXXVI. 91 ces, fut pour 1'Empire un repos, oü il s'arrêta dans fa ehüte. Pieux, régie dans fes mceurs, attentif k retenir, ou plutötarenouveller 1'ancienne difcipline, il bannit de fon palais le luxe des habits & des tables; il profcrivit la licence, donnant lui-même 1'exemple d'une limplicité augufte , d'une noble frugalité, d'une exacte décence. Ce n'étoit pas en lui médiocrité de génie; il avoit 1'ame plus grande encore que la fortune. II étoit libéral & même magnifique, mais fans profufion ; perfuadé que les grandes largeffes font de grands brigandages, & qu'un Prince n'enrichit fes favoris qu'en dépouillant fes autres fujets. Tout le palais prit bientöt le ton du maitre ; la vertu étoit devenue k moyen de plaire , & le vice cefk d'être courtifan. Sa maniere de vivre n'avoit néanmoins rien d'auftere ni de trifte. Sa eonverfation refpiroi' une gaieté honnête ; il avoit des amis, & leur donnoit une fage liberté. Pleir de douceur & de clémence, il ne condamna jamais perfonne k la mort n k la perte de fes membres. II ne f( forma contre lui d'autre conjuration Jean, An. 1 [  Jean. An. 1143. XLV. Familie de Jean. Du Cange fam. Byi. P- !79. 180,1S1. 92 HlSTÏIRB que eelle d'Anne Comnene la première année de fon regne. On eüt dit que le crime avoit fait trêve avee rhumanité pour tout le temps de fon gouvernement. On ne peut reprocher k ce grand tk vertueux Prince, que trop de paffion pour la gloire des armes. Mais fes guerres furent ou défenfives, ou entreprifes pour reconquérir les Provinces qui avoient appartenu k 1'Empire. II vécut moins dans un palais que dans un camp; vaillant, intrépide, infatigable, mais auffi incapable de témérité que de peur; il fut 1'ame de fes armées, & ne fe laiffa jamais emporter a cette fougue impétueufe qui confond le Capitaine avec le foldat. Outre fes deux fils, il laiffa trois filles ; Marie, qui étoit jumelle d'Alexis, fut femme de Roger, de la familie des Princes de Capoue. Ce Prince, dépouillé de fes biens par Roger, Roi de Sicile, s'étoit réfugié a Conftantinople. II y fut honoré du titre de Céfar, tk époufa Ia Princeffe , qui mourut dans les premières années du regne de Manuel. La feconde fille fut mariée k Etienne Contoftephane.?  nv Bjs-Empire. Liv. LXXXVI. 93 que Manuel décora du titre de grand Duc, & qui fut tué au fiege de Corfou en 1160. Sa veuve recut de Manuel le domaine de 1'ifle cie Corfou. Elle avoit eu plufieurs enfants, dont nous aurons occafion de parler dans la fuite. La troifieme époufa Théodore Vatace, qui fut un des Généraux de Manuel. Théodore Balfamon rapporte que, quelques années après la mort du Prince Alexis, qui étoit décédé du vivant de fon pere, fa veuve étant tombée dangereufement malade , eut recours a des Magiciens qui lui promettoient la fanté. II en coüta la vie a plufieurs de fes domeftiques, qui furent la viftime des forfaits de ces infames charlatans. Mais enfin, les Magiciens bien payés difparurent, & la Princefle expira dans de longues & cruelles douleurs. Jean. An, 1143,   S O M M A I R E D U LIVRE QUATRE-VINGT-S ERTIEM E, I. Pr éc AVT i ON s de Manuel pour conferver TEmpire. II. Son retour d Conftantinople. III. Son entree dans la ville. IV. Réconciliation de Manuel avec Jen frere & fon oncle. V. Couronnement de Manuel. VI. Saccagement d'Edefe. VII. Mariage de Manuel, vm. Pu^ene GrandTréforier. IX. Théodore Stypiote Chancelier. X. Changement de Manuel. XI. Le Prince d'Antioche rëduit d fe foumeitre. XII. Mort de Marie, foeur de Manuel. XIII. ViBoires remporte'es fur les Turcs. XIV. Térnéritéde Manuel. XV. Defaite des Turcs. XVI. Retour de Manuel. XVII. Infolence d'Ifaac, frere de Manuel. XVIII. Dépofition du Patriarche Cofmas. XIX. Paix avec les Turcs. XX. Seconde Croifade. XXI. Difpofitïons de Manuel d tégard des Croifés, XXII. Départ de Conrad, XXIII, Voyage 95  t)6 SOMMAIRE DU LIV. LXXXVjT. de Conrad. XXIV. Suite du voyage XXV. Conrad paffe le Bofphore. XXVI. Départ de Louis. XXVII. Voyage de Louis. XXVIII. Louis a Conflantinople. XXIX. 11 paffe le Bofphore. XXX, Sujet de querelle entre Louis & Manuel. XXXI. Bonne foi de Louis. XXXII. Mauvais fuccès de Conrad. XXXIII. Et de Louis. XXXIV. Retour de Louis. xxxv. Fin de la feconde croifade. XXXVI. Commencement de la guerre de Sicile. XXXVII. Manuel fe prepare a la guerre contre Roger. XXXVIII. Guerres des Patqinaces. XXXIX. Retardement de l'Empereur. XL. Siege de Corfffu. XLI. Suite du fiege. XLII. Sanglante querelle des Vénitiens & des Grecs. XLIII. Heureufe témérité de Manuel. XLIV. Flotte de Roger hattue. XLV. Corfou fe rend. XLVi. Enïreprife fur thalie. XLVII. Guerre en Dalmatie & en Servië. XLVIII. Bataille de Drin. XLIX. Guerre de Hongrie. L. Succes de Manuel. LI. Guerre ■des Pat{inaces. lh. Divers Patriarches. HlSTOIRF.  97 HISTOIRE D U BA S E MP IR E. LIVRE QUATRE-VINGT-SEPTIÈME. MANUEL LA prédileétion du défunt Errtpe*reur , & 1'affection des gens de guerre avoient mis Manuel mr le Tröne, mais ne lui avoient pas afftiré le fuffrage du refïe de 1'Empire, Ifaac, 1'aïné de Manuel, étoit a Conftantinople. Les droits que lui donnoit fa naiffance, le rendoient un redoutable rival ; & la guerre civile étoit inévitable, fi 1'adreïTe dAxuch Tome XIX* E ManueU An. 1143. ï. Précaut ons dé Manuel pou- con- 1'E npire. -Cinn, l. 2* c. li. NUet. 1.1, c. li,  Manuel, An. 1143. Guill. Tyr, l. 15. c. Du Cangt fam. By\. p. l8i , I90. 9S HlSTÜIRE n'eut fu conferver a. Manuel la couronne qu'il lui avoit procurée. Pendant que Jean rendoit les derniers foupirs, Axuch partit du camp, & fit tant de diligence, qu'il arriva a Conftantinople avant la nouvelle de la proclamation de Manuel & de la mort de l'Empereur. 11 fe faifit auffitöt de la perfonne d'Ifaac, qui n'avoit nulle défiance , & 1'enferma dans "un Monaftere. Ce Prince ne fut pas long - temps fans apprendre la caufe de cette violence imprévue, & la préférence donnée a fon frere. II s'emporta aux plaintes les plus ameres; elles étoient fi juftes, qu'elles pouvoient foulever toute la ville. Axuch Ï'avoit prévu, & pour en empêcher 1'effet, il employa une rufe dont la politique ne s'étoit jamais avifée. La fagelTe de fa conduite dans les affaires , fon défintéreffement, fon inclination naturelle a obliger tout le monde, lui avoient acquis la confiance de toutes les perfonnes diftinguées dans les différents ordres de 1'Etat. II n'eut pas de peine a les mettre dans les intéréts de Manuel, & convint avec eux de ce qu'il al-  du Bas Empire. Lh. LXXXFIL 9,9 ioit faire contre eux-mêmes, pour tromper Ifaac par cette feinte, & lui donner a croire que leur zele pour lui étoit la caufe de leur difgrace. Après les avoir ainli préparés, 'il pröduifit un arrêt de l'Empereur, qui les condamnoit comme rebelles, & confifquoit leurs biens.' Ce liratagême eut tout 1'efFet qu'il defiroit. Ifaac ié perfuada qu'au moindre fignal de fa part, il les trouveroit emprefTés a le fervir. II forma avec eux des intelligences qu'il croyoit fecretes , & crut n'avoir pas befoin de fe faire d'autres partifans. Ceux-ci, de leur ■ cöté, 1'amuferent par de faux meffages; & remettant d'un jour k Vautre 1'occafion d'éclater, ils l'entretinrent dans fon, erreur jufqu'a 1'arrivée de Manuel. Axuch étoit maitre du palais; mais il falloit encore mettre " dans le parti de Manuel le Clergé de Sainte-Sophie, qui avoit grand crédit dans la ville. Le Miniftre , dans ce deffein, s'étoit pourvu d'un reffort très-efficace; il apportoit un diplome de l'Empereur, qui promettoit au Clergé plus dedix mille francs par tête , s'il fe déclaroit pour lui, E ij Manuel» An. 1145°  Manuel. An. 1143. n. Son retour a Conftantinople. '4 1 1 1 j J j t i IOO HlSTOIRR Auxch étoit même chargé d'un fecond diplome, oü Ia fomme étoit augmentée , fi la première ne fuffifoit pas. Mais il n'eut pas befoin d'en faire ufage. Les EccléfiafKques de la Cathédrale trouverent dans la première offre de quoi fatisfaire leur tnodeite avidité. Cependant Manuel, en. Cilicie , i'occupoit a rendre les derniers ~devoixs a fon pere. II fit jetter les fonlements d'un Monaftere dans le lieu même oü Jean avoit fini fes jours. Le Prince d'Antioche, fe -flattant de Douvoir réparer fes pertes dans le :ommencement d'un nouveau regne, mvoya des. AmbafTadeurs k Manuel, )our lui demander la reftitution des erres de Cilicie, qui appartenoient tu Duché d'Antioche. Manuel réponlit, que, s'il étoit qutjlion de rejiituion, il falloit remettre a tEmpire Anioche même qui lui appartenoit A douiote étoit mort, après huit ans & lemi d'épifcopat.Manuel,ayant donc ait afTembler le Clergé, le Sénat & es Princes de fa familie, les confulta ur le choix d'un fucceffeur. >Entre  nv Bas-Empire. Liv. LXXXV11. ïo'S ceux qui furent propofés , prefque tous les fuffrages fe réunirent en faveur de Michel Curcuas, qui fut auffi nommé Oxite, paree qu'il étoit Abbé du Monaftere de Saint-Auxence, clans rille d'Oxie. C'étoit un homme yertueux , fort inftruit dans les faintes lettres , mais peu dans lés fciences humaines. II ne tenoit que de fa vertil , 1'afFabilité , la douceur", & une certaine politeffe de moeurs , qui ell ordinairement le fruit de 1'édtication. Après fon intrörtifation, il facra 1'Em pereur , qui dépofa fur 1'autel een! livres d'or, & affigna au Clergé de Conftantinopie une penfion annuelle de deux cents de ces livres. Ces libéralités acheverent de lui gagner 1'eftime publique. Ce fut cette année que les Chrétients perdirent en Afie une des quatre grandes Principautés, qui faifoient le partage de leurs conquêtes, Le Comté d'Edeffe avoit formé leut premier établiffement, ils en furenl redevable a la faveur & a la fage conduite de Baudouin , frere de Godefroi de Bouillon. Ce fut auffi la pre miere perte- qu'ils firent, & ils ne duE v Manuei. An. 1-143. vr. Saccagement d'Edeffe.Guill. Tyr. 1.16. c. 4 . 5 . I4.IJ. ié. Jac. Vitri. I. I. Sanut. I. 3. • part. 9. f. 2. Abulfarag.  Manuel. An. 1143. Robtrt de Mont. thron. Abl Urfperg. chr. Chron. Belg. Pagi ad Bar. Manfi ad Bar. 106 HlSTOIRE rent ce malheur qu'a la négligence & a la vie dilTolue de ce même Jofcelin, qui , dans le fiege de Shizar, avoit fi bien fait connoitre la légéreté de fon caractere. II avoit abandonné la ville d'Edeffe; & n'y laiffant pour la garder que de mauvaifes troupes, mal payées, il s'étoit retiré en-decja de 1'Euphrate dans un pays de délices, oü il menoit une vie molle & voluptueufe. II auroit pu tirer des fecours d'Antioche, dont 1'Etat confinoit avec le fien; mais Raymond & Jofcelin étoient devenus tellement ennemis, que, loin de s'entr'aider, ils étoient difpofés a fe réjouir de leurs pertes mutuelles. Zengui, ce redoutable Sultan d'Alep & de Moful, inliruit de toutes ces circonftances, vint affiéger Edeffe, & preffa le fiege avec tant d'activité, que Jofcelin n'eut pas le temps de recevoir les fecours qu'il avoit mendiés de toutes parts. Un Arménien, qui logeoit dans une des tours de la ville , juftement irrité contre Jofcelin, qui lui avoit enlevé fa fille, fit entrer les Turcs la nuit de Noël, & la ville fut horriblement faccagée. II y refta  du Bas-Empire. Lh. LXXXFII. 107 cependant quelques Chrétiens; & peu de temps après, Zengui étant mort, comme la garnifon Turque fe trouvoit réduite a un petit nombre, ils inviterent le Comte k revenir, promettant de 1'introduire dans la ville ; ce qui fut exécuté de nuit. Mais les deux fortereffes renfermées dans 1'enceinte des murailles , étant reftées au pouvoir des Mufulmans, Noradin , fils de Zengui, 8c auffi grand guerrier que fon pere , vint de nouveau affiéger EdefTe. Les habitants, trop foibles pour tenir fête en mêmetemps aux ennemis du dedans 8c ' ceux du dehors , prirent un part défefpéré; ils ouvrirent leurs por tes, fortirent en foule , hommes femmes, enfants, 6c fe jetterent av travers des afliégeants, pour y trou ver une prompte mort, s'ils ne pon voient fe faire un paffage. Ce fu une affreufe boucherie. Peu échap perent, Sc entr'autres le Comte , qv méritoit le plus de périr. La pert de cette place importante entrain celle de la Religion Chrétienne av dela de 1'Euphrate. Quelque temj après, Jofcelin , pris par les Turcs E vj Manuel. An. 1143. > l t i e a IS j  AlANUEl An. ii 43 An. 1144. VII. Mariage de Manuel.Nicet.l. 1. c. 2. Cinn. 1. 2. c. 4. Albtric. thr. 'Otto de gefiis Frider. c. 22, 23, 24. 108 HlSTOIRE i mourut de faim dans les prifons d'A• lep. Sa veuve, a laquelle il étoit " encore reflé quelques places , en tranfporta la propriété a l'Empereur avec tous fes droits. Manuel eut la vanité d'accepter ce don , & de protnettre qu'il défendroit le pays. Mais il tint mal fa parole. Quelques troupes qu'il envoya, furent taillées en pieces par Noradin, qui demeura maitre de toute la contrée. Le Comté d'Edeffe n'avoit fubfilïé que quarante-fix ans fous quatre Souverains. L'année fuivante commen^a par une brillante cérémonie ; ce fut le mariage de Manuel. Jean s'étoit ligué avec Lothaire, Empereur d'Allemagne , pour s'oppofer aux deffeins ambitieux de Roger, Roi de Sicile , qui menacoit également 1'Italie & la Grece. Lothaire étant mort, & Conrad, Duc de Franconie, lui ayant fuccédé, Jean renouvella cette alliance avec le nouvel Empereur; & afin de la rendre plus étroite, il lui fit demander une Princeffe de fa familie pour fon fils Manuel. Conrad jetta les yeux fur Berthe, fceurde fa femme Gertrude fillefc!e Berenger, Comte de Sultz-  du Bas-Empire. Liv.LXXX.FIl. 109 bach en Baviere. Ce Prince, naturellement fier & hautain, prétendoit faire grand honneur k l'Empereur Grec. La lettre qu'il lui écrivit au fujet de ce rnariage , étoit d'un ftyle vain & fanfaron ; il relevoit 1'Empire d'Occident fort au-deffus de 1'Empire d'Orient. La nouvelle Rome, difoit-il, ejl Jille de Vancienne ; elle lui doit amour & refpecl; comme auffi la nótre promet a fa fille bienveillance & proteclion. II menacoit de faire fentir fa puiffance a quiconque attaqueroit 1'un ou 1'autre Empire; & faifant allufion k 1'aigle impériale : llrieflpoint (Fennemi, difoit-il, qui puiffe échapper a la rapidite de nos ailes, des que nous les avons déploye'es. II fe vantoit d'être obéi de la France, de 1'Angleterre, de 1'Efpagne, du Danemarck & de tous les Etats de 1'Europe, du nord au midi. II demandoit une Eglife k Conftantinopie pour la nation Allemande. 11 propofoit Pierre Polano, Doge de Venife , comme ami des deux partis, pour régler les conventions entre les deux Empires ; ce que Jean accepta par une lettre plus honnête & moins fiere que celle de l'Empereur Allemand. MxnuEr.. An. 1144.  Manuel An. 1144 IIO HlSTOIRE Conrad fit partir la PrincelTe fous la conduite d'Embricon,Evêque deWitzbourg. Mais lorfqu'elle arriva k Confi tantinople , Jean étoit déja mort. Manuel montant fur le tröne fit part k Conrad de fon avénement a 1'Empire. Conrad, dans fa réponfe, fe plaint de quelques paroles de Nicéphore, envoyé de l'Empereur Grec, qui avoient bleffé fa fierté. En faveur du mariage , il fait avec Manuel une ligue défenfive. Manuel lui avoit demandé cinq cents foldats; il lui en promet deux & trois mille, s'il en a befoin, & même d'employer toutes fes forces & fa propre perfonne pour le fecourir comme fon cher fils & fon cher frere, plutöt que de lui laiffer recevoir aucun déshonneur. II lui envoya encore Embricon avec cinq autres Seigneurs des premiers de fa Cour, pour honorer de leur préfence la célébration du mariage. A 1'arrivée de Berthe , toutes les Princefies & les Dames de la Cour, k la fuite d'Irene, veuve d'Alexis, allerent au- devant d'elle, & la recurent avec autant de refpedt que de joie. Les noces furent célébrées dans la femaine d'après 1'E-  au Bas-Empire. Liv. LXXXVII. in piphanie. On changea lelon la coutume le nom de Berthe, en celui d'Irene, & le mérite de la nouvelle Impératrice donna un nouveau luftre a ce nom , que tant de grandes Princeffes avoient porté avant elle. Pleine de fens & de raifon, elle dédaigna toute parure affectée , & ne voulut jamais relever fon teint par un coloris emprunté. Elle ne cherchoit de quoi plaire k fon mari que dans la fageffe de fa conduite, &c dans les graces que donne la vertu alTaifonnée de douceur & de complaifance. Elle apportoit dans la Grece corrompue cette régularité de moeurs qui régnoit encore dans les Cours d'Allemagne ; ?'auroient été des attraits pour Théodofe; ce fut un fujet de dégout pour Manuel, qui, avec de grandes qualités, étoit de mceurs fort licencieufes. II paya la vertu de fa femme de toute forte de refpects & d'honneurs; il 1'environna de toute la décoration Impériale; mais il ne 1'aima pas; &s'égarant a d'autres amours, il porta rindifférence pour fa proprc réputation , jufqu'a entretenir , ai fcandale de tout 1'Empire, un com- Manuel. An, 1144. 1  Manuel, An. 1144. VIII. Puzene , GrandTréforier. Kiest. I. 1. c. 3. 112 HlSTOIRE merce inceitueux avecThéodora, filïe de ion frere Andronic, femme hautaine & arrogante, qui fe faifoitune maligne joie d'éclipfer par fon éclat la modelle ïmpératrice. Manuel, ayant affermi fon pouvoir, & ne craignant plus rien de fon frere ni de fon oncle, avoit a s'occuper de trois grands objets pour 1'honneur & la tranquillité de fon Empire. II falloit établir un bon ordre dans le detail de fon Gouvernement, venger la mémoire de fon pere outragée par le Prince & le peuple d'Antioche, réprimer 1'audace des Turcs, qui cherchoient fans celTe a s'étendre. Pour le premier article , il manqua de vigilance fur la conduite de fes Miniftres. Son pere lui avoit laiffé les finances dans 1'état le plus opulent; ce Prince économe fans avarice, ne donnant rien a les caprices, ni a fes plaifirs, mais ne refufant rien a la nécelTité, ni k la juflice , avoit épargné de grandes fommes , fur lefquelles la veuve & 1'orphelin n'avoient rien a redemander. II avoit donné la disection des finances k Puzene , homme habiie tk de beaucoup d'efprit, qui,  au Bas-Empire. Liv. LXXXF7I. 113 fous les yeux de Jean, s'étoit acquitté de cette fonttion importante a la fatisfaétion du Prince Sc des fujets. Mais fous le regne de Manuel, plus avide que fon pere, & moins attentif aux plaintes des peuples, il fe propofa de gagner la bienveillance du Prince en augmerut.ant fes tréfors, Sc de s'enrichir lui - même lorfqu'il y pourroit travailler impunément. II' commenca par exiger avec une extréme rigueur les arrérages de ce qui étoit du au fifc; il imagina enfuite , avecunemalheureufeinduffrie, denouvelles impofitions. Ni les prieres, nr les larmes ne pouvoient toucher cette ame impitoyable. D'un accès difficile , iourd Sc muet aux requêtes les plus raifonnables , il n'y répondoit que par un regard féroce. II s'étoit acquis tant d'autorité auprès de l'Empereur , qu'il rejettoit ou admettoit a fon gré les édits émanés de la puiffance fouveraine. Sous prétexte que 1'entretien desflottes chargeoitle Prince d'une dépenfe perpétuelle , quoiqu'on n'eut pas toujours befoin de vailTeaux, il détruifit la marine de 1'Empire, Sc fit couler a fond les na- Manuel, An, 1144,  Manuel An, 1144 114 HlSTOIRE vires prefque avec les équipages; ce qui fut regardé par Manuel comme 1'opération d'un grand politique , quoique ce fut en effet celle d'un corfaire : les mers furent ouvertes aux pirates, & les cötes expofées aux infultes des Barbares. S'appercevant a la fin que les cabales de Cour commencoient a ébranler fon crédit, & que le Prince fe refroidilToit a fon égard , il ne fongea plus qu'a fe préparer une retraite opulente. Nousavons ajfe^ travaillè pour un ingrat, dit-il k un de fes confidents ; il ejl temps de travailler pour nous - mêmes. II avoit époufé une femme d'une de ces anciennes families, qui traïnantdans 1'indigence les reftes d'un nom illuftre, eherchent k fe relever par 1'alliance d'un Financier, & il en avoit des enfants. Après les avoir enrichis d'une partie de ce qu'il enlevoit aux fujets , & qu'il déroboit k fon maitre , il refferra le refte qu'il accumula par fes vexations, & qu'il ménagea avec une avarice fordide jufqu'au moment de fa difgrace. Elle arriva enfin, quoique trop tard ; oublié de la Cour, qui perd en un moment le fouve-  au Bas-Empire. Liv. LXXXFII. 115 nir des bons tk des mauvais fervi- '■ ces, mais détefté des peuples dontle 1 reffentiment dure amant que leurs ' plaies, il fe retira avec fes tréfors dans un agféable féjour , oü jouiffant impunément des maux qu'il avoit faits , il régnoit encore parmi de vils Courtifans, tk buvoit avec eux a longstraits tk fans remords le fang de fes compatriotes. On vit dans la même Cour un perfonnage d'une autre efpece , digne de fervir de modele a ceux qui, paffionnés pour la fortune, fe font un • moyen de 1'ingratitude , & fe fervent du bras qui les tire de la pouffiere pour s'élever fur la tête de leur bienfaiteur, tk 1'écfafer par leurs intrigues. Jean Hagiothéodorite étoit Chancelier de Manuel, tk fort accrédité auprès de lui. Entre les commis qu'il employoit, étoit Théodore Stypiote , fupérieur k fon maïtre par un génie étendu , une conception vive & prompte, une juftefTe infinie k diriger fes deffeins, tk une conftance infatigable a les fuivre. Pour cacher ces qualités profondes, il favoit les couvrir d'un caractere enjoué , tk de rlANUEL. LH. I I44. IX, rhéodore itypiote , Ihanceier.  "6 Histoire toutes les eraces d'une Mncuünn f& Manuee. An. 1144. gere. Lorfqu'il fe futinfinué bien avant dans la confidence de fon maïtre, il fongea k le détruire pour fe mettre a fa place. II fut plaire a l'Empereur, & il n'eut pas de peine'a s'en faire effimer par les relTources de fon génie. Quand il eut fait ce premier pas , il prit le ton d'égal avec Hagiothéodorite. Admis dans les Confeils, tantöt il approuvoit, tantot il combattoit fon avis; & comme il s'énoncoit plus éloquemment, il avoit toujours 1'avantage. Manuel, charmé de' fes talents, Féleva au rang de collegue du Chancelier. Ce n'étoit pas iffez pour Fambition de Stypiote. II furvint une querelle dans le Péloponnefe, entre Michel Paléologue qui' sn étoit Gouverneur, & Jofeph Balfamene, beau-frere du Chancelier , Sc zette querelle pouvoit avoir des fuites facheufes pour la tranquillité de ia Province. Le rufé Courtifan fai!it cette occafion d'éloigner celui dont 1 étoit devenu le rival. II perfuade m Prince qu'Hagiothéodorite eft le sul qui puifTe étoufFer cette diffenïon capable d'exciter un grand ora-  nu Bas-Empire. Liv. LXXXV1I. 117 ge. Le Chancelier eft envoyé dans le Péloponnefe, & bientöt après difgracié. en fon abfence. Stypiote eft revêtu de fa charge, & jouit de toute la faveur du Prince. Hagiothéodorite, dépouillé de fes titres & de fes penfions, pafla le refte de fes jours dans une extréme mifere; mais il vécut affez long-temps pour voir fon perfide fucceffeur fupplanté lui-même, ainfi que nous le dirons dans la fuite. Des Miniftres de ce caractere ne donnent pas du Prince une idéé avaniageufe. Auili Manuel ne confervat-il pas long-temps ces qualités aima-bles qu'il avoit montrées au commencement de fon regne. II étoit alors compatilTant, généreux, ennemi de toute vexation , d'un accès facile, incapable de fraude, de foupeon, de malignité. C'étoit un modele de toutes les vertus royales. On le combloit de bénédidions. Corrompu par ceux qui 1'environnoient, il devint dur, hautain, libertin , plein de mépris pour les autres hommes qu'il regardoit comme fes efclaves , avide d'exactions; prompt k retrancher les penfions qu'il avoit lui-même accor- Manuei. An. 1144. X. Changement de Manuel.  'Manuel. An. 1144. XI. Le Prince d'Antioche réduit a fe' foujnettre. 118 H.IST8IRE dées aux fervices. Ce n'eft pas qu'il fut avare. Mais pillépar fes Officiers, par fes Miniftres, par fon inceftueufe concubine, il fallut épuifer fes fujets pour verfer dans ces gouffres fans fond. Ajoutez acela les dépenfes énormes des guerres qu'il fit pendant tout fon regne. Pendant que Manuel fe préparoit a faire la guerre aux Turcs , il fit partir une flotte & une armee de terre pour aller punir Raymond des infultes faites a fon pere devant Antioche. Démétrius Branas commandoit la flotte. A la tête de 1'armée de terre étoient Jean & Andronic Contoftephanes , auxquels il avoit donné pour confeil un brave Officier Turc nommé Profouch, qui s'étoit déja fignalé au fervice de 1'Empire. Cette armée étant arrivée en Cilicie, reprit en peu de temps les places dont Raymond s'étoit emparé depuis le départ des Grecs, & gagna une grande bataille contre Raymond même. Elle avanca jufqu'aux portes d'Antioche, & ravagea tout le territoire. Raymond fe tint renfermé dans la ville. Mais lorfqu'il vit les Grecs fe retirer  du Bas-Empire. Liv. LXXXFI1. 119 chargés de burin, il les iuivit fans fe killer appercevoir ; & le foir , lorfqu'ils eurent campé , il campa luimême a quelque diftance , & fortit avec un détachement pour reconnoitre les environs. Quelques fourrageurs 1'ayant découvert, en donnerent nouvelle aux Généraux , qui attendirent le jour. Ils fortirent alors dans 1'efpérance de furprendre les ennemis. Mais Raymond avoit déja mis fon armée fous les armes; & étant allé lui-même a la découverte, il rencontra les Grecs plutöt qu'il ne s'y étoit attendu. II envoya aufïï-töt porter ordre k fes troupes de venir le joindre en diligence. II y eut en ce lieu un grand combat, dans lequel les Latins furent taillés en pieces , & pourfuivis jufqu'a Antioche, oü Raymond eut bien de la peine k fe fauver. Après cette viftoire, 1'armée Grec que retourna en Cilicie. Mais Démétrius Branas arriva dans le même temps avec fa flotte. II defcendit fiu le rivage , fit le dégat fur toute U cote, enleva quantité de prifonniers, brüla grand nombre de navires qu étoient k 1'ancre , & fe rembarqua M ANUEt» An. 1144.  Manuel. An. ii 44. XII. Mort de Marie , foeur de Manuel. Cinn. I. 2. c. 4. Nicet, l, 1, c, 2, jsto H1 s t 0 1 r e Les vents contraires ayant retenu les Grecs pendant dix jours dans ces parages, ils firent encore une defcente, battirent les ennemis, & prirent deux chateaux, oü ils trouverent des provilions , qui commencoient a leur manquer, Le vent étant devenu favorable, ils firent voile vers rille de Cypre. Après leur départ, Raymond fentant fa foibleffe , & voulant s'épargner pour la fuite de pareilles attaques, auxquelles il faudroit enfin fuccomber, prit le parti de fe réconcilier avec l'Empereur. II alla luimême k Conftantinopie. Manuel refufa de le voir, qu'il n'eut été auparavant au tombeau de fon pere , faire une forte d'amende bonorable. II 1'admit enfuite k fon audience, & recut fon ferment de fidélité. Ce n'étoit pas pour jouir du repos que Manuel avoit envoyé fes Généraux en Syrië. II étoit lui-même paffé en Bitbynie pour y relever les fortereffes que les Turcs avoient détruites dans les guerres précédentes. II en avoit déja fait rebatir plufieurs , & étoit occupé a rétablir le chateau de Mélangies , une des places les plus knportantes  nu Bas-Empire. Lw. LXXXFIL ikt importantes du pays, lorfqu'il apprit ' que fa foeur Marie, qu'il aimoit ten- ^ drement, étoit malade, & qu'on défefpéroit de fa vie. II reprit auffi-töt le chemin de Conftantinopie ; mais il la trouvamorte. C'étoit une Princeffe de grand courage , è laquelle fon frere étoit redevable d'avoir écarté un dangereux obftacle a fon élévation fur le tröne. Roger, fon mari, décoré . du titre de Céfar , y avoit vouln joindre celui d'Empereur j & après'la mort de Jean, avant que Manuel fut revenu k Conftantinopie , il avoit formé un parti de quatre cents Italiens , qui fe trouvoient alors dans la ville, difpofés k tout entreprendre en faveur de Roger leur compatriote. Sa femme n'ayant pu, malgré fes confeils & fes inïtances, le détourner de ce delTein, s'adrefTa aux Miniftres de l'Empereur, & les avertit du complot. Donne^moi, leur dit-elle, des gardes pour maffurer de la perfonne de mon mari, ou charge^-vous vous-mêmes de conferver la couronne a. mon frere. Les Miniftres, inftruits du danger, engagerent Roger fous quelque prétexte a fe rendre avec eux dans une Tome XIX. F lANUSX. n. 1144.  Manuel. An. 1144. An. 1145. XIII. Victoires remportées fur les Turcs. Cinn. I. 2. «. % , «, J22 HlSTOIRE maifon hors de la ville, Sc 1'y laiflerent prifonnier. Manuel, a fon arrivée , lui pardonna 8c lui rendit la liberté, fans lui öter, même après la mort de fa femme, le titre Sc le rang de Céfar. Jean avoit réparé la fortereffe de Lopade en Bithynie fur les bords du Rhyndacus. Manuel s'y rendit 1'année fuivante avec fon armee, Sc fit fes difpofitions pour marcher contre les Turcs qui ravageoient 1'Ifaurie. En paffant le mont Olympe pendant la nuit, ilfut tellement fuffoqué par les vapeurs épaifles qui s'exhaloient de cette montagne , qu'il en perdit connoiffance ; Sc n'étant revenu a lui que le lendemain, il fe trouva hors d'état d'aller plus loin. II envoya donc en avant un gros detachement fous k conduite de fes meilleurs Généraux. Ceux-ci rencontrerent un grand corps de troupes ennemies, les taillerent en pieces, 8c rapporterent a l'Empereur quantité de butin. Une autre bande de Turcs fortie d'Icone entra en Lydie , ravagea les environs de Sardes, 8c fe retira. L'Empereur, plein de colere, marcha aufïi-têt vers Icone,  ■bü Bas-EmpiS-E. Liv. LXXXFU. 12$ après avoir écrit une lettre mena■cante au Sultan , qui lui répondit froidement qu'il 1'attendok a Philomele. II n'ofa toutefois 1'y attendre : une partie de fon armée qu'il avoit envoyée au-devant de l'Empereur ayant été défaite, il s'enfuit lui-même. Manuel pritPhilomele , y mit le feu, &c délivra grand nombre de prifonniers Grecs, que les Turcsy tenoient dans les fers. Le Sultan, honteux de fa fuite, revint fur fes pas, & préfenta la bataille. Mais il fut défait, & fe t etira dans Icone. Craignant d'y ê-tre forcé , il en fortit en y laiffant garnifon, & divifa fon armée en deux corps. 11 pofta 1'underrière la ville, & campa avec 1'autre a la droite d'Icone fur la pente d'une montagne qui le couvroit contre 1'ennemi. Manuel , réfolu de combattre, partagea aufïï fes troupes; il en détacha une partie pour attaquer les Turcs pofrés derrière la ville , & fe mit k la tête du refte pour marcher au Sultan. Celui-ci , k deffein d'intimider les Grecs par 1'apparence d'une armée beaucoup plus nombreufe que n'étoitla fienne, avoit fait planter grand nombre d'en* F ij VlANUEl. A.n, 1-145.  Manuel. An. 1145. 124 HlSTOlRÈ feignes clans les halliers voiiins, en forte que ce qu'il avoit de troupes, ne fembloit être qite 1'avant-garde. Ce flratagême eitt fon effet. Comme les Grecs, craignant un combat inégal , refufoient d'avancer , Manuel prend par la bride le cheval du premier porte-enfeigne , & le traine avec lui a I'ennemi. Plus effrayés du péril de l'Empereur que de leur propre danger, tous les efcadrons le fuivent. La terreur paffe du cöté des Turcs; ils fe débandent; le Sultan fuit avec eux; & ne pouvant rentrer dans Icone, il s'éloigne dans la campagne oü fes troupes fe difperfent. L'Empereur les pourfuit avec ardeur. Cependant ceux qu'il avoit détachés pour combattre les Turcs derrière la ville étant tombés dans une embufcade , fe voyoient enveloppés & en danger de périr. L'Empereur, déja éloigné a la pourfuite des fuyards, leur envoye des fecours; mais apprenant que ce renfort ne fuffifoit pas, il fait partir un de fes Officiers portant a la main un cafque qu'il élevoitfort haut, en criant de toutes fes forces : Courage, camarades,  su Bas-Empire. Liv. LXXXFI1. 125 le Sultan ejl prlfonnier; veici fon cafque. Ce menfonge militaire anime les Grecs & décourage les Turcs, qui abandonnent la viétoire. L'Empereur paffe la nuit devant Icone. Au retour du jour, ayant fait le tour de la place, il jugea qu'avec le peu de troupes qu'il avoit, &c le peu de temps qui lui reftoit pour tenir la campagne,, il ne lui feroit pas poffible de la prendre. II fe détermina donc a faire retraite après avoir brülé Si" ruiné tous les environs. Comme les foldats détruifoient les tombeaux pour y chercher des tréfors, & qu'ils déterroient même les cadavres, l'Empereur défendit fur peine de la vie de toucher k la fépulture de la mere du Sultan, difant que les Princes ennemis , même après leur mort, méritoient encore du refpeB. II porta la générofité jufqu'a calmer les inquiétudes de la femme du Sultan. II lui manda que fon mari étoit hors de danger. Comme elle s'attendoit que Manuel ailoit affiéger la ville, elle fe préparoit a lui envoyer par reconnoiffance une grande provifion de vivres, lorfqu'elle apprit fon départ. Avant F iij An. 1145.  Manuel. An. 1145. Au. 1146. XIV. Temérité de Manuel.Cinn. 1. 2. '•7 .8. 9. \ I2Ö tl 1 S T * I R £ que de s'éloigner, Manuel écrivit au Sultan en ces termes: » Nous vous » avons ïbuvent cherché, & vous » vous êtes toujours dérobé a notre » pourfuite. Pour ne pas courir fans » cefTe après une ombre fugitive , » notis retournons k Conftantinopie. » Vous nous reverrez au printemps » prochain avec de plus grandes for» ces; fongez a ne vous pas désho» norer encore par une honteufe la,-» eheté ". Manuel tint parole ; & le Sultan r-enforcé de toutes les troupes Turques, répandues dans le Pont & la Cappadoce , qui vinrent fe ranger fous fes enfeignes, attendit les Grecs de pied ferme fur le chemin d'Icone, Les deux armées n'étoient féparées que par un défilé de difiicile accès , 5c fi étroit, qu'on ne pouvoit le paffer qu'a la file. Tandis que les Grecs travailloient k fe retrancher, l'Empereur , emporté par Fardeur de fa jeuneffe y réfolut d'entreprendre quelque ïxploit. hafardeux. II venoit d'époufer une Princeffe Allemande , & il fe ■eprochoit de n'avoir pas encore ïgnalé fon mariage par quelque pér  W Bas-Empire. Lïv. LXXXVII. 127 rilleufe aventure. C'étoit dans ces fiecles de Chevalerie une des extravacantes galanteries k la mode chez les°peuples occidentaux. Ayant pris avec lui deux efcadrons, il les mit en embufcade au fond d'une vallée, & leur défendit de fe montrer qu'ils ne 1'euffent vu aux prifes avec 1'ennemi. Son deffein étoit d'aller feul faire le coup de fabre; fon frere Ifaac & Axuch, grand domeltique,obtinrent de iui qu'ils partageroient le hafard, Ils apper9oivent quelques foldats Grecs répandus dans la plaine poiu faire du fourrage. Ils piquent de a cöté- la , 8c fe cachent derrière un< éminence, perfuadés que les Turc ne tarderoient pas de venir fondr< fur ces fourrageurs. Au bout de quel que temps, comme ils n'en voyoien point paroïtre, l'Empereur enyoy a la découverte un cavalier, qui re vient peu après lui' dire, qu?il vier d'en découvrir huit en un tel en droit de la plaine. Sur eet indice l'Empereur part de la main avec ft deux compagnons , & bientöt il aj pereoit de loin la troupe ennemie augmentée de dix cavaliers. Dès qu F iv Manuei» An. 1146- 'r t t » :S 1- e  Manuel, An, 1146. H 1 S T Q I A S ceux cl le voyent courir a eux, iL to urnent bride & prennent la fuite. Mais en ayant rencontré cinquante autres qui les fuivoient, ils fe joignent aeux,& attendent l'Empereur. Ifaac & Axuch veulent retenir Manuel, ils lui repréfentent la témérité d'une pareille attaque ; que c'eli courir i Ia mort fans aucun fruit, & expofer avec fa perfonne le lalut de 1'Empire ! Eh bien , répond Manuel, laiffil-moifeul, & conferve^vous pourlEmpire. Que nous confeille^vous ? repliquent-ils : nous mériterions la mort, fi nous Févitions par une jl Idche dé~ fertion. En parJant ainii, ils avancoient enlemble vers les ennemis, dont la troupe groffiffoit k chaque moment; en forte qu'ils fe trouverent bientöt au nombre de cinq cents. C'étoient les coureurs du Sultan, qui les fuivoit ,a grande diftance. Cependant ceux de 1'embufcade ayant perdu de yue 1'Empeteur, envoyerent un Officier pour découvrir oü il étoit & en quel état il fe trouvoit. Cet Officier joignit Manuel, qui le renvoya auffitöt porter ordre aux deux efcadrons d'avancer en diligence. Mais il ne les  Du Bas-Empirb. Liv. LXXXFII. 129 attendit pas, &C courut piqué baiffée avec les deux compagnons fur la ' iroupe ennemie , oü il en abattit plufieurs a fes pieds. Ce prodige de hardieffe glacé le coeur des Turcs; tartdis qu'ils fe regardent les uns les autres, craignant de s'expofer les premiers a de ii rudes Goups,. les troupes de 1'embufcade arrivent, & fe. faififfent d'une éminence voifine , défefpérant de pouvoir joindre l'Empereur que les Turcs environnoient, L'intrépide Manuel fait feul ce que tous enfemble n'ofoient faire. Suivi des deux autres, il perce les efcadrons Turcs, tue le premier qui s'oppofe a lui, effraye les autres, s'ouvre le paffage, & gagne 1'éminence. Les troupes qu'il avoit laiffées dans le camp , inftruites du danger de l'Empereur ^ s?y rendoient en grand nombre, &C l'Empereur fe trouva en företé. Ce qu'il y a de plus étonnant & que je n'oferois afiürer, fi tout ce récif n'étoit attefté par un témoin oculaire qui accompagna Manuel dans toutes fes expéditions , c'eft qu'il fortit fans aucune bleffure de tant de hafards, oü il auroit dü cent fois E y. tlAKUEt. ia. 11461  Manuel. An. 1146. i 1 ] XV. Bcfaite j ssTuros. I C ï t 130 BlSTOIRE trouver la mort: & fon aveugle témérité 1'auroit, fans doute, méritée.. Sa perte paroiffoit fi alTurée,que fon oncie Ifaac , qui étoit demeuré dans le camp, fe tranfporta dans la tente de l'Empereur, attendant la nouvelle de fa mort, pour fe mettre fur la tête la couronne qu'il fouhaitoit avec paffion , & dont il laiffa le defir comme par héritage a fon fils Andronic , ainfi qu'on le verra dans la fuite de cette hiftoire. Manuel, réuniavec une grande partie de fes troupes , reprit ie chemin de fon camp ,. toujours pourfuivi, combattant fans cefle, & retournant de temps en temps fur 'ennemi, comme s'il eüt eu regret le n'avoir pas trouvé la mort, qu'il ivoit tantdefois cherchée dans cette ournée. II arriva enfin dans fes reranchements, plus redevable a fon »©nheur qu'a fa prudence. Le lendemain il décampe, avancant oujours vers Icone. L'armée du Sulan le cötoyoit, divifée en deux corps, 'i cherchoit a 1'enfermer dans quelue pafTage difficile. Critople, guerier hardi, qui commandoit 1'infan;»je Impériale , prit avec liri quelr  bv Bas-Empi&e. Liv. LXXXV1L ï%\ ques bataillons paur écarter les Turcs; mais ayant été enveloppé, il avoit déja perdu grand nombre des fiens, & alloit périr lui-même, li l'Empereur, fuivi de quelques cavaliers, ne fut account k fon fecours. A fa vue, les Grecs reprirent courage, & les ennemis s'éloignerent. Manuel étoit devenu la terreur des Turcs. II les pourfuivit avec toute fon armée; & les ayant atteint, comme il voyoit fes troupes effrayées de leur nombre fupérieur , il arrache un étendard des mains d'un Porte-enfeigne, vole aux ennemisles met en fuite, & les pourfait avec grand carnage. On tua dans cette rencontre un certain Gebras, Grec de naiffance , mais nourri & élévé chez le Sultan r qui lui avoit donné le Gouvernement d'une Province. Sa tete fut apportée dans k eamp au bout d'une piqué comme une trophée. La- nuk approchant . l'Empereur , fans pouffer fort loin k pourfuite, revint au camp , qu'il trouva dans un alfez grand défordre. Or n'avoit pas encore eu le temps de ëécharger les bagages. II alligna lui même le campement , & diftribu* F vj Manuel. An. 1146-.  Manuee. An. 1146. j i i i ] j ) 4 132 HlSTOIRE les quartiers. Au lever du foleiï, 11 marcha en-avant, & arriva aux valies plaines d'Icone, qui bordoient le lac Pafgufa. Cinname, auteur de tout ce rédt, ne parle point des garnilbns que l'Empereur Jean avoit laiffées quatre ans auparavant dans les iiles de ce lac; & fon fdence donne a croire que le Sultan en avoit déja repris poffelüon. Ce fut en eet endroit que Manuel apprit les grands mouvements des Princes d'Occident, qui fe difpofoient de nouveau a palier en Afie. Cette nouvelle 1'obligea de retourner a Conftantinopie pour veiller a la füreté de fes Etats. L'exemple de la première Croifade lui avoit appris ce qu'il avoit a craindre de cette dévo:ion guerriere. Mais avant que de >artir, il envoya un défi au Sultan, k lui fit dire que s'il refufoit de dé:ider leur querelle en bataille ran;ée, il le reverroit au printemps pro:hain encore mieux préparé a tirer aifon de fes infultes. Le Sultan, qui ivoit fait 1'épreuve du courage inlomptable de Manuel, lui envoya sropofer la paix. L'Empereur demanla du temps pour y penfer; tk fans  du Bas-Empire. Liv. LXXXFII. 133 faire d'autre réponfe, il reprit le chemin de Bithynie. Arrivé a la fource du Méandre, il crut être fort éloigné des ennemis, & s'arrêta dans une riante prairie , bordée d'agréables forêts, & arrofée de plufieurs ruiffeaux, qui, fe réunilTant, formoient cette fameufe riviere. Les charmes de ce lieu 1'inviterent k fe délaffer des fatigues d'une fi laborieufe campagne. Pendant qu'il prenoit le plaifir de la chaffe, il appercut de loin des mouvements dans la forêt; & ne pouvant en difcerner la caufe, il envoya des coureurs qui kii rapporterent qu'une armée campoit dans ce bois. II reconnut bientót que c'étoient des Turcs qui venoient, a leur ordinaire, ravager les terres de 1'Empire. II fait partir auffitöt un détachement de troupes choifies pour leur donner la chaiTe. II mome fur une éminence pour être témoin du fuccès. Les Turcs plioient bagage , & fe retiroient; mais lorfqu'ils fe virent ferrés de fi prés, qu'ils ne pourroient échapper fans combattre, ils tournerent vifage. Après quelque réfiftance , ils continuerent de MANUEt. An. 114^. XVI. Retour de Manuel.  Manuel An. 1146. i i 1 i t i 134 H I S T O T R E fuir , toujours pourfuivis, & faifanr de temps en temps volte face, pour affurer leur retraite. Cette manoeuvre, fouvent répétée, fatigua tellement les cavaliers Grecs, que leur ardeur étant refroidie , ils fe laiffoient déja envelopper. L'Empereur, qui s'en apperclit, defcendit de 1'éminence; & fans lé donner le temps d'endoifer fa euiralTe , il court les fecourir. A fon approche, les Turcs prennent la fuke; il les pourfuit avec chalëur, & fon cheval étant fatigué, il s'arrête pour en attendre un autre, recommandant a fes gens dene pas quitter prife. Mais rebutés bientot par la longueur de la :ourfe, & par la difficulté des cherdns, ils reviennent en-arriere. L'Em)ereur, défefpéré de leur peu de cou■age, prend le cheval de fon coufin Andronic , & part fur le champ. Les Furcs , le voyant venir prefque feul k fans cuiralTe , s'animent les uns lesutres ; & réunitTant leurs efforts, tient fur lui de toutes parts. Manuel, couvert de fon bouclier, fe voyant ur un terrein oü il ne pouvoit être nveloppé , a caufe des builfons épais pui le bordoient a droite 8c. k gau-  au Bas-Empire. Liv. LXXXPTI. 13$ che. tient ferme. renverfe a fes pieds tous ceux qui ofent 1'approcher, & met le refte en fuite. Un de ceux qu'il avoit abattus 1'ayant bleue au talon , il le prend par les cheveux & le traïne avec lui fur 1'éminence. II fait panfer fa bleffure ; & comme on n'avoit rien de pret pour 1'appareil, un foldat, tirant fon épée , alloit fe couper un morceau de chair, fi Manuel ne 1'eüt empêché en le récompenfant de cette preuve héroïque d'affeclion pour fon Prince. II fe fait appliquer une piece de chair coupée k un cheval qui mouroit de laflitude; & étant remonté k cheval, il regagne fon camp a la= fource du Méandre. En paffant par la Bithynie, il fit conftruire le chateau de Pyles fur un terrein qu'il acquit par échange d'un Monaftere voifin , & le donna pour demeure aux prifonniers Grecs qu'il avoit tirés de Philomele 1'année précédente. Etant arrivé au chateau de Mélangies , il s'y repofa quelque temps. Un jour , après fon diner, la converfation tomba fur les exploits miHtaires. C'étoit un*e belie occafion; Manuel. An. 1146; XVÏI. Infolence d'Ifaac , frere de Manuel. Cinn. i. 3. f. 17.  Manuel. An. 1146. 13Ó Hl S T O I £ E de faire la cour k Manuel, qui fe piquoit d'une fuprême valeur. Auffi les Seigneurs s'efforcoient-ils a 1'envi d'élever le Prince au.dcffus de tous les guerriers préfents & paffes. Jean Comnene, fils de eet Andronic, auquei 1'Empire eüt appartenu par droit d'aineffe , s'il ne fut pas mort avant fon pere, ne prit pas le ton de courtifan. Soit qu'il confervat dans fon ceeur quelque regret de voir la couronne fur la tête de Manuel, foit qu'il füt affez hardi pour être fincere, il ne balanca point a donner k l'Empereur Jean le prix de la valeur fans exception. Manuel paroiffoit etntendre fans jaloufie 1'éloge de fon pere; il y ajoutoit même, lorfque fon frere Ifaac, noncontent d'appuyer ce difcours, fe jetta dans un parallele injurieux, tournant en ridicule les faits guerriers de Manuel. Andronic, fils de 1'autre Ifaac, oncle de Manuel, lui donna un démenti, & Ifaac, tirant fon épée , alloit lui abattre la tête, fi Manuel n'eut paré le coup qu'il recut fur fon bras. II en eut une profonde bleffure, dont la cicatrice  du Bas-Empire. Liv. LXXXFH. 137 lui refia toute fa vie. Ifaac étoit Séfcaltocrator & Commandant-Général des armées; Manuel, pour le punir de fon emportem-ent, fe contenta de lui öter les fceaux de 1'Empire, dont il étoit dépofitaire. Mais ayant reconnu en cette occafion les mauvaifes difpofitions de fon frere a fon égard, tk craignant de fa part quelque violence imprévue, il commenca désJors a porter fous fes habits une cuk raffe , qu'il ne quittoit prefque jamais. L'Eglife de Conftantinopie étoit alors dans un grand trouble. Michel Curcuas, Patriarche depuis prés de trois ans , fe reprochant a lui-même k peu de fruit que produifoient fes inftructions tk fes exemples, fe dénkt de fa dignké, & retourna dans fon Monaftere de 1'ifle d'Oxie. La profterné dans le veftibule de 1'Eglife , il fe fit fouler aux pieds par les Moines , en punition, difoit-il, de la vanité qui lui avoit fait quitte* cette fainte retraite , pour prendre un emploi dont il étoit indigne. On mit a fa place Cofmas Atticus, né dans 1'ifle d'Egine. Nicétas en fait un grand éloge. Selon eet Hiftorien, il Mahuee. An. 1146. An. 1147. XV1U. Dépofition du Patriarche Cofmas. Cinn. I. 2. c. 10. Nicet. I. 2. c. Leo. Allat. de eccl. or. & oc. per' pet. confenfii, /. 2. c. 12. Or. chrlfi. T. 1. P. 268.  Manuel. An. 1147. I3'S HlSTOIRE étoit célebre par fa fcience, plus encore par fa vertu & par fa-charité pour les indigents. Souvent il fe dépouilloit de fes habits pour les revêtir. Ifaac , frere de l'Empereur, aveit pour lui la plus profonde vénération; ce qui donna lieu a fes ennemis de faire entendre a l'Empereur, que Cofmas formoit une trame fecrete pour faire paffer la couronne fur la tête de fon frere. Sa limplicité acheva de le perdre. Un Moine, hommé Niphon, infefté de 1'héréfie des Bogomiles , avoit été condamné dans un fynode par le Patriarche Michel, tk mis erf prifon, Son extérieur mortifié, tk fes difcours , qui ne refpiroient que pitié & charité, en impoferent fellement a Cofmas, que non-feulement il le tira de prifon, mais 1'admit encore a fa familiarité la plus intime. Niphon logeoit dans le palais du Patriarche, & mangeoit avec lui. Hors de fa préfence, il femoit librement fes erreurs , tk travailloit de fon mieux k corrompre les families. Cofmas rejettoit eomrae des calomnies tous les avis qu'on lui donnoit, pour  sv Bjs'-Empijle. Liv. LXXXVH. 139 lui démafquer Fimpoiïeur. L'Empereur , de retour a Conftantinopie , ayant donné ordre d'arrêter de nouveau eet hérétique, Cofmas vint luimême pour Farracher des mains des Gardes; ce que n'ayant pu faire, il Faccompagna jufqu'a la prifon , Sc fit inftance pour y être renfermé avec lui. Un zele fi ardent révolte •le Clergé. On affembla, dans le palais de Blaquernes, un Synode de tous les Prélats qui fe trouvoient h Conftantinopie au nombre de trente-un. L'Empereur, les Princes, les Juges Eccléfiaftiques Sc Séculiers, un grand nombre de Sénateurs y affifterent. Manuel , après avoir interrogé les Evêques 1'un après Fautre fur ce qu'ils penfoient de Niphon, comme tous le chargeoient d'anathêmes, s'adrefTa enfin è Cofmas, Sc lui demanda fon fentiment. Le Patriarche répondit hardiment, qu'il ne connoijfou dans toute 1'Eglife perfonne de plus vertueux & de plus orthodoxe que celui qu'on condamnoit fi injuflement. Ces paroles exciterent une réclamatïon générale, On s'écrie que le Patriarche fe déclan fauteur £hérétiques ; qu'ilfe dénonce lui' Manu.el. An. 114.7,  Manuei. An. 1147. XIX. Paix avec 140 HlSTOIRE même ; qu'il n'efl pas befoin d'autre accufateur, & qu'il faut lejuger fur le champ. On procédé aux opinions. Tous le conciamnent & le déclarent déchu de fon fiege. La fentence de dépofition étant prononcée, Cofmas, indigné, fort en maudiffant tk le Synode , êc !a Cour, &z 1'Impératrice , qui, difoit-il, ne mettroit jamais au monde d'enfant male. Ce qui arriva en efFet, & l'Empereur, fuperftitieux , ne put s'empêcher d'attribuer dans la fuite cette difgrace aux malédicrions de Cofmas. L'Hiftorien Nicétas regarde tout ce procédé comme 1'effet d'une injuffe cabale. II canonife Cofmas comme un modele de vertu; ce qui n'eft pas facile a croire d'un Prélat fi entêté tk fi emporté. Le Siege de Conftantinopie demeura vacant pendant dix mois. Cofmas fut dépofé le 26 Février de cette année 1147 , tk Nicolas Mufalon, fon fuccefTeur , qui avoit été Archeveque de Cypre, tk s'étoit retiré depuis plufieurs années pour vivre dans la retraite, ne fut nommé Patriarche qu'au mois de Décembre fuivanr. L'Empereur, apprenantque les Pria?  du -Bjs-Empirê. Liv. LXXXFIF. 141 ces Croifés n'étoient pas encore prêts a fe mettre en chertun, crut avoir le temps de terminer la guerre avec le Sultan. II marcha vers le Rhyndacus , & fit fes préparatifs pour le fiege d'Icone. II avancoit en Phrygie, lorfqu'il recut une ambavTade du Sultan qui demandoit la paix. L'Empereur, qui, dans la crainte que lui infpiroit 1'entreprifé des Croifés , pouvoit avoir befoin des Turcs, ne fe rendit pas difficile. Les Turcs lui céder ent la ville de Pracane & les autres places dont ils s'étoient emparés en Pamphylie & en Cilicie, & Manuel retourna a Conftantinopie. II y étoit rappellé par les nouvelles qu'il recevoit d'Occident. L'Empereur Conrad étoit déja en marche avec une armée formidable , &c Louis , Roi de France , fe préparoit a le fuivfe. Ce n'étoient plus comme dans la première Cröifade diverfes bandes d'aventuriers , qui accourant de toutes parts aux cris. d'un Moine enthoufiafte , fe rangeant fous différents chefs pleins de bravoure, mais trop femblables a leurs foldats & peu d'acCord ehfemble, marchoient fous le: Manuel. An. 1147. les Turcs. Cinn* /» 2a c. 11, XX. Secondè Cröifade. Cinn. I. 2. f. 11. & feqq. & Ibu Du Cangc* Nicet, 1. i. e. 4. 5^6. Guill. Tyr. /.ió.c.iS, & feqq. Sanut. /. 3. part. 6. c. 19, 23. Gefia Lud, vii. Odo de  MaNUEI An. 114" Diogilo, i 1, C. 2-, 3 4, 7. Oho Fri <*« e* ,f ed. Frida l. i. c. 40 & /e??. ld. chron Rob. d tnonte. Chron. Belg. Chron. Cajfm. Radulf. d Diceto chr Chron. Nangis. Chr. Sti 'Anton. Romuald Salem, chr Alberic. chr. Pagi at Bar. Vu Cang 27 , dijfert fur Joinril le. 142 H I S T O I R E étendards de la Religion , qu'ils vio= • loient fans celTe par leurs brigandages & leurs débauches. C'ëtoient les | deux plus puiffants Souverains de 1'Eufope qui conduifoient deux ar\ mees régulieres , alTez nombreufes . pour écrafer les Mufulmans , & con. quérir PAfie entiere. La prife d'Edeffe allarmoit toute la Chrétienté. . Le Roi de Jérufalem, le Duc d'Antioche , le Comte de Tripoli, menacés de leur ruine, imploroient le fecours de leurs freres d'Occident. Dés Tan 1145 , 1'Evêque de Gabale alla porter leurs gémilTements au Pape Eugene , qui venoit de recevoir k Viterbe les députés des Prélats d'Arménie, envoyés pour s'inftruire des cé: rémonies du Saint Sacrifice, felon 1'ufage de 1'Eglife Romaine, k laquelle ils voidoient fe réunir. Le Pape , al: larmé du danger oü fe trouvoit la Paleftine, réfolut de rallumer dans le coeur des Chrétiens la même ardeur qu'Urbain II y avoit excitée cinquante ans auparavant. II écrivit k Louis, Roi de France, qui, avant la lettre du Pape, avoit déja formé le delTein de fe croifer, pour accomplirle voeu  : £>v Bas-Empire. Lh.' LXXXV1I. 743 qu'en avoit fait Philippe fon frere ainé-, & qu'une mort prématurée Ï'avoit empéché d'exécuter. Le Roi déclara fa réfolution dans la Cour qu'il tint a Bourges aux fêtes de Noël , - & indiqua une alTemblée générale k < Vézelai pour les fêtes de Paques. Ce fut-la que Saint Bernard , brülant de zele, animé encore par les exhortations du Pape, prêcha la Cröifade avec tant de chaleur, que cette innombrable multitude fondant en larmes , fe voua fur le champ k cette entreprife qu'elle regardoit comme fainte, & capable d'efFacer les crimes les plus énormes. Dans une autre alTemblée tenue k Chartrestrois femaines après, 1 on s'imagina que perfonne n'étoit plus capable de conduire 1'expédition, que celui qui la prêchoit avec tant de fuc- ' cès. Mais Bernard , trop éclairé pour ne pas fentir la différence de ces deux emplois , plus fage que Pierre PHermite , n'eut garde d'accepter eet hon- 1 neur. II alla porter en Allemagne le même efprit qu'il avoit répandu en France. II défendit de perfécuter les Juifs qu'on avoit maffacrés dans la première Cröifade ; il les regardoit Manuel, An, 1147,  MAKUEt. An. 1147. XXI. Difpofttions de Manuel a 1'égard ides Croifés. 144 HlStOIRE comme les dépofifaires des prophéties qui les condamnent, & comme des témöins authentiques de la v,é~ rité du Chriftianifme qu'ils rejettent. Ce font des aveugles qui portent le flambeau devant nous. Le refte de 1'année & une partie de la fuivante fe paffa en préparatifs. Le 16 Février 1147, Dimanche de la Septuagéfime , le Roi tint a Etampes une troifieme alTemblée, oii 1'on traita de la route qu'on prendroit pour fe rendre en Syrië. Les Ambaffadeurs de Roger, Roi de Sicile , confeilloient de prendre la voie de la mer, comme la plus courte & la plus füre. C'étoit le moyen d'éviter la perfidie des Grecs, ennemis irréconciliables des Latins. Roger olfroit fes ports & fes vailTeaux. Mais comme on ne pouvoit faire paffer tant de troupes qu'en plufieurs voyages, ce qui conlumeroit encore plus de temps que le chemin de terre , & que d'ailleurs une armée li floriffante ne fembloit avoir rien a craindre des Grecs non plus que des Turcs , on réfolut de prendre la route de Conffantinople. Louis écrivit a Manuel pour lui demander  »tr Bas Empire. Liv. LXXXtll. 145 mander paffage, & le prier de concourir a une expédition entreprife contre fes ennemis naturels , & pour la délivrance de la Terre-Sainte. La lettre fut portee a l'Empereur par Milon de Chevreufe. Manuel répondit par une longue lettre pleine de flatteries, ou il traitoit le Roi de France de Saint, d'ami, de frere , & lui faifoit les plus belles promeffes. Mais tandis qu'il amufoit Louis par ces fauffes proteftations, il donnoit avis au Sultan d'Icone du'danger qui le menacoit. II avoit en effet quelque fujet de redouter 1'arrivée des Croifés. H n'avoit pas oublié les défordres, par lefquels leurs devanciers avoient marqué leur paffage, les infultes qu'Alexis en avoit effuyées, le danger ou ce Prince s'étoit vu d'être renverfl de fon tröne, les emportements dcBoëmond, 1'invafion de la Cilicie j & la guerre qu'il avoit faüu foutenir en Syrië, en Theffalie, en Illyrie. D'ailleurs, dans 1'efpérance qu'i avoit de recouvrer fur les Turcs une grande partie de fes Etats, il pen foit, ainfi qu'Alexis , qu'il lui feroi plus difficile d'arracher aux Croifi: Tornt XIX, G Manuei. An. 1147,  M.AKUEI.' An. 1147- XXII. Pépartde Conrad. I46 HlSTOIRE le fruit de leurs conquêtes. Les Grecs en général s'imaginoientque les Croifades n'étoient qu'un prétexte pour couvrir le delTein de s'emparer de toutes les terres de 1'Empire. Conrad, Empereur d'Allemagne, fe mit le premier en route. II partit k 1'Afcenfion. Son armée étoit compofée de foixante-dix mille cavaliers cuirafles, fans compter la cavalerie légere, & 1'infanterie , qui étoit innombrable. II avoit eu la précaution d'envoyer des AmbalTadeurs k Manuel, pour lui demander le palTage, avec la liberté d'acheter des fubfiftances , & il en avoit recu la réponfe la plus favorable. Lorfque Manuel apprit qu'il étoit prêt de paffer le Danube , il lui envoya Démétrius Macrembolite Sc Alexandre, Comte de Gravina , qui, dépouillé de fes Etats par le Roi de Sicile, avoit paffé au fervice de l'Empereur Grec. Ils étoient chargés de pénétrer les deffeins des Allemands, Sc de tirer d'eux 1'affurance qu'ils ne feroient aucun dégat fur les terres de 1'Empire. Conrad Sc les Seigneurs qui 1'accompagnoient, ne firent aucune difficulté  bv Bjs-Emptre. Liv. LXXXFIL 147 de prêter le ferment qu'on demandoit d'eux, proteiïant qu'ils rravoient pris les armes que pour délivrer la Palelïine, & mettre les lieux faints a couvert des attaques des Muiulmans. Sur cette déclaration, on leur promit toute forte de faveur , & des vivres pour leur argent. Manuel avoit envoyé en même-temps des Ecrivains, chargés de tenir un róle exact du nombre des troupes Allemandes quipatTeroient le Danube, Ils en rompterent jufqu'a quatre-vingt-dix mille ; mais la foule des bateaux qui fuivirent ne leur permit pas de pouffer plus loin leur calcul. Quoique Conrad fut allié de Manuel , ces deux Princes ayant époufé les deux fceurs, il n'en étoit pas plus aimé; & de tous les peuples d'Occident, c'étoient les Allemands que les Grecs haïffoient davantage. Ils trouvoient fort mauvais que le Souverain d'Allemagne prit le nom d'Empereur; c'étoit, felan eux, une ufurpation; ce titre fuprême^ n'appartenoit qu'a leur Prince ; ils n'accordoient aux autres que le nom de Rois. Ainfi la bonne intelligence ne pouG ij Manuel. An. XXITT. Voyage de Conrad.  Manuel. An. 1147. I48 HlSTOIRE voit fubfifter long-temps entre deux nations jaloufes, qui fe méprifoient mutuellement. Manuel, plein de défiance, avoit ralTemblé grand nombre de troupes; il en gardoit une partie a Conftantinopie, dont il faifoit réparer les tours & les murailles. II avoit envoyé le refte au-devant des Allemands fous les ordres de Profouch, en apparence pour les acc'ompagner & leur ouvrir les paffages, en efFet pour les obferver & les empêcher de s'écarter a quelque pillage , fans cependant commettre contre eux aucune hoftilité qui put leur fervir de prétexte. Les Allemands étant arrivés k NaïiTe fur la frontiere de Bulgarie , Michel Branas , Gouverneur de la Province, leur fit trouver toutes les provifions néceflaires. Tant qu'ils eurent a traverfer un pays de montagnes, ils marcherent tranquillement, & ne fongerent a autre chofe qu'a vaincre la difficulté des chemins. A Sardique ils trouverent Michel Paléologue 6c le Cartulaire Zinziiuc qui leur firent fournir des vivres. A Philippopolis, oii ils féjournerent, la brutalité de quelques Al-  du Bas-Empire. Lh. LXXXV1I. 149 Iemands fut fur le point d'exciter une fanglante querelle. Mais Michel, Evêque de la ville, Italien fouple 8c délié, fut fi bien gagner Conrad en buvant avec lui 8c en 1'amufant de fes plaifanteries, que ce Prince, devenu le protecteur des habitants, puniffoit rigoureufement ceux de fes foldats qui s'échappoient k quelque violence. A fon départ de Philippopoiis, Ie Prélat qui 1'accompagna deux ou trois jours , fervit encore k maintenir le bon ordre. Les Allemands qui ne pouvoient fe contenir long-temps, ayanl maltraité quelques Grecs fur leur paffage , 1'armée d'obfervation en pril la défenfe; 8c la querelle s'étant échauf fée, il y eut des gens tués de par 8c d'autre. Le combat alloit devenii général, fi Michel n'eut appaifé le dé fordre en employant fon crédit au prés de Conrad. Après la retraite de Michel, tou changea de face. Les Allemands n< garderent plus de mefures. Ils empor toient fans payer ce qu'on venoi leur vendre, ou ne le payoient qu'; coups de fabre. Conrad n'écoutoi plus les plaintes , ou excufoit fes fol G iij Manuel. An. II47- : XXIV. , Suite du voyage. t t t '  i^o HrsroiRZ dats. Leurs partis couroient les cam- Manuel. An, 1147. gaucs, iveiii-tHiircim. wil Lictv» duuu- dant, ils s'arrêtoient pour s'enivrer; & les Grecs les trouvant ivres, couchés dans~les chemins y les maffa battants; il appaife Fréderic , & on fe fépare. Manuel, prévoyant les défordres que pouvoit caufer cette multitude mal difciplinée, fi elle approchoit de Conftantinopie , envoya Andronic Opus pour engager Conrad a prendre la route de la Cherfonefe, oü le palTage de Sefte étoit plus étroit, & le conduiroit dans un pays plus fertile. Conrad rejetta eet avis, & continua fa marche vers Conftantinopie. Manuel, voyant le danger approcher, crut devoir redoubler de précautions. II garnit de troupes tous les poftes tanl au-dedans qu'au-dehors de la ville . & fait partir Zicondyle , guerrier de réputation, pour aller joindre Profouch avec un nouveau renfort. I: avoit ordre de ferrer de prés 1'armée de Conrad, & d'empêher le ra vage; mais de ne rifquer de comba qu'a 1'extrémité. La grande taille de: Allemands ck 1'armure dont ils étpien G iv MAHVEt. An. 1147. XXV. Conrad paffe le Bofphore, ; Ê  Manuel, An. W47, i$s. Histoirs tout couverts faifoientpeur aux Grecs, Mais ils fe flattoient d'ëntendre beaucoup mieux les évolutions militaires, & d'être fupérieurs k la cavalerie Allemande , trop pefante tk mal en ordre. Cependant les Croifés arriverent dans la plaine de Chérobacques, oü 1'abondance des fourrages les engagea k camper entre deux fleuves, dont les eaux étoient alors fort baffes. Ils repofoient tranquillement pendant la nuit, lorfqu'un affreux orage groffiifant tout a-coup ces fleuves, en fait deux torrents impétueux, qui fe répandant au loin fur leurs bords, entraïnent k la mer tk les tentes tk les chevaux & les bagages. Ce n'étoit que cris , confufion , défefpoir. II périt dans ce déluge grand nombre d'hommes tk d'animaux. Manuel, touché lui-même de ce défaftre, ou feignant de 1'être , envoyé quelques Seigneurs de fa Cour pour confoler Conrad, & 1'inviter a venir conférer avec lui k Conftantinopie. Mais ce Prince, qui n'avoit rien perdu de fa fïerté naturelle, demande que Manuel vienne au-devant de lui ; propofition qui parut ft révoltante a la  du Bas-Empire. Liv. LXXXF1I. 153 vanité Grecque, qu'il ne fut plus queftion d'entrevue. Conrad , avancant toujours, arriva le 8 Septembre dans un grand pare orné de palais, vis-a-vis de la porte dorée. De-la après avoir confidéré la hauteur des tours & la force des murailles couvertes d'un peuple innombrable , il palTe au-dela du golfe par le pont du fleuve Barbysès. Les deux Princes s'écrivirent des lettres remplies de bravades 8c deraillëries.On en vint même,felon Cinname, aun combat,qui fetermina k 1'avantage des Grecs ; mais le filence de Nicétas, Hiftorien moins partial, fait croire que ce ne fut tout au plus qu'une rencontre de peu d'importance. Enfin , les deux Empereurs s'étant réconciliés fans fe voir , paree que 1'un ne vouloit pas entrer dans Conftantinopie , ni 1'autre en fortir , Conrad pafïa le Bofphore fur les vaiffeaux que lui prêta Manuel. Ils fou> haitoient également être éloignés 1'un de 1'autre; &c 1'impatience de Conrad ne lui permit pas de fatisfaire le Roi de France, qui lui envoyoit courriers fur courriers pour le prier de 1'attendre devant Conftantinopie. QuoiG v Manuf.i. An. 1147.  Manuel. An. 1147. XXVI. Départ de Louis. i 1 1 154 HlSTOIRE qu'il eut déja perdu beaucoup de fes gens, il fe trouva encore a fon paffage en Me , quatre-vingt-dix mille cinq cents cinquante-fix hommes. L'armée de Louis n'étoit pas moins nombreufe. Pour éviter les querelles que la jaloufie pouvoit faire naitre entre les deux nations, & trouyer plus aifément des fubfiltances, il n'étoit parti que quinze jours après Conrad, avec fa femme Eléonor &c tous les Seigneurs de fa Cour. En arrivant a Ratisbonne oü il palTa le Danube, il trouva deux Ambaffadeurs Grecs, dont il lui fallut effuyer un long_ compliment, affaifonné a 1'oriinaire des éloges les plus outrés. Geoffroi , Evêque de Langres, qui iceompagnoit le Roi, & qu'on nomnoit le Neftor de l'armée Francoire, ennuyé ainfi que Louis de leurs nfipides flatteries , les interrompif iour leur dire : Mes freres, difpenfe{•>ous de répéter fi fouveut les mots de jloire, de majejlé , de fageffe , de re 'igion du Prince ; il fe connoit & nous 'e connoiffons auji, dites-en deux mots x que vous avei d dire. Ils termine•ent leur harangue par deux deman-  bü Das -Empire. Liv. LXXXV1I. i$S des, 1'une que le Roi ne s'emparit d'aucune place appartenante k 1'Empire, 1'autre, qu'il remit entre les mains des Grecs, celles d'oiï il chafferoit les Turcs , Sc qu'il fit affurèr cette promeffe par le ferment des Seigneurs. On convint aifément du premier article; pour le fecond, il y eut conteftation, Sc 1'on s'en remit a la décifion des deux Princes, lorfqu'ils conféreroient enfemble. Des deux Ambaffadeurs, Démétrius retourna fur le champ a Conftantinopie , Maurus demeura avec les Croifés. On choifit plufieurs Seigneurs pour fe rendre avec Démétrius auprès de Manuel, qui le demandoit ainfi par fes lettres. Les troupes Francoifes étoient dlvifées en plufieurs corps, qui fe fuivoient k quelque diftance , & le Roi étoit déja devant Andrinople , que fon arriere-garde n'étoit pas encore fortie de Bulgarie. Les Grecs voivloient les faire paffer a mefure qu'ils arrivoient; & comme ils s'attendoient les uns les autres , on envoya une armée de Comans Sc de Patzinaces, qui les alküent chercher jufque dans G vj Manuel. An. 1147» XXVIK Voyage de Louis.  Manuei. An, 1147. 153 II I S T O I S. E les déferts de la Bulgarie, leur dreffoient des embüches, tk tuoienttous ceux qu'ils pouvoient furprendre. Les Francois étoient obligés de camper fur les hauteurs , & de fe faire un retranchement de leurs chariots. Ils foutfroient en même-temps de la difette des yivres, qu'on refufoit de leur vendre. Les Seigneurs qui s'étoient rendus a Conftantinopie, s'en plaignirent a l'Empereur; il leur répondit froidement qu'il n'étoit pas le maitre de contenir les Patzinaces; que les Francois n'avoient qu'a s'approcher de Conftantinopie; qu'a 1'ombre de fon palais, ils feroient en füreté , & qu'il leur fourniroit des vivres. Sur cette réponfe, les Francois marchent; les Patzinaces les pourfuivent; tk plus forts que ces bendes féparées, ils les mettent en fuite, tk s'emparent d'une partie de leurs équipages. Quelques Seigneurs, outrés de colere, fortent de Conftantinopie, & vont joindre leurs compatriotes : d'autres reftent dans la ville, tk vont porter de nouvelles plaintes k l'Empereur. II jure qu'il ignore ces dcfordres, tk demande pardon pour fes  du Bjs-Smpirx. Liv. LXXXVII. 157 gens. Cepenclant Louis devant Arrdrinople attendoit avec impatience le refte de fes troupes. Maurus faifoit fes efforts pour ï'engager'a prendre le chemin de la Cherfonefe. Le Roi perfifia dans le deffein de paffer par le Bofphore, tk de fuivre la même route que les Allemands. A une journée de Conftantinopie, il rencontra encore des députés de l'Empereur, qui lui prodiguerent les démonftrations du plus profond refpett. Flatteurs jufqu'a la balTeffe, ils ne lui parloient qu'a genoux , ils fe profternoient a. fes pieds; cette nation dégénérée fe jouoit de la limplicité Francoife. Rampants dans la crainte, infolents dans la fécurité , ils n'épargnoient pas les ferments, & n'en gardoient aucun. Tandis qu'ils endormoient le Prince par les plus humbles proteftations , ils lui faifoient tout le mal qu'ils pouvoient lui faire impunément. L'Impératrice partageoit les artifices de fon mari; elle amufoit la Reine par des lettres pleines de la plus vive affection. Enfin, Louis arriva devant Conftantinopie avec une partie de lés trou- Manuei. An. li47. XXVI li. Louis a Conftantinopie.  A4ANUEL. An. 1147. 158 H I S T O l A B pes. Manuel le fit camper hors de la ville prés du palais de Blaquernes. On découvrit que l'Empereur venoit de faire une trêve de douze ans avec les Turcs, lui qui, par des lettres trompeufes, avoit invité Louis k venir le joindre pour combattre les Infideles. Les Francois qui entroient k Conftantinopie pour acheter des armes ou des vivres , étoient fouvent maltraités , blefles , même maffacrés. Les Grecs avoient tant d'horreur des Latins, qu'ils lavoient & purifioient les autels oü un Prêtre Latin avoit dit la Mefie. Les Latins, de leur cöté, ne regardoientpas les Grecs comme Chrétiens; ils fe croyoient permis de les piller & de les tuer. Cependant on invitoit Louis k rendre vifite k l'Empereur, qui témoignoit defirer ardemment de s'entretenir avec lui, & le Roi eut la complaifance d'aller au palais. Tous les Nobles, le Clergé , le peuple fortirent au-devant de lui. L'Empereur le recut avec une civilité hautaine. Ils étoient tous deux a-peuprès de même age, grands, bien faits & d'un air majeftueux. Sur le vifage de Louis fe montroit une francrife  z>v Bas-Empire. Lh. LXXXVll. 159 vraie & naïve; celle de Manuel étudiée & contrefaite, fe trahilïoit de temps en temps par des traits de malignité. Ils s'embralTerent & pafferent du portique oü l'Empereur étoit venu recevoir le Roi, dans les appartements oü ils s'ailirent a cöté 1'un de 1'autre. Ils conférerent par interpretes , environnés de toute leur Cour. L'Empereur fouhaita au Roi les plus grands fuccès, & promit d'y contribuer de toutes fes forces; ce qu'il n'avoit nul delTein de faire. Ils fe féparerent avec les démonftrations d'une tendreffe fraternelle , & les Nobles conduifirent le Roi au palais qu'on lui avoit préparé pour demeure. Le lendemain l'Empereur 1'alla prendre pour le mener k Sainte-Sophie, & aux Eglifes les plus célebres. II lui fit enfuite un magnifique feftin. Le jour de la fête de Saint Denis , Apötre de la France, il fit célébrer 1'ofTice avec une pompe extraordinaire ; & ce Prince artificieux fut fi bien gagner le Roi & les Seigneurs, qu'ils parurent oublier tous les fujets qu'ils avoient eu de s'en plaindre, Manuei,. An. 1147.  Manuel. An. 1147. XXIX. 11 paffe le Bofphore, j < < 1 i 1 XXX. Sujet de . querelle entre I Louis & 1 Manuel. a ( C c' 3 Iortoit aux Infideles. Ainfi, fans vouoir entrer dans une querelle étran;ere, il alla rejoindre fon armée.  bv Bas-Empire. Liv. LXXXFII. 165 Celle de Conrad étoit déja en marche, & traverfoit 1'Afie pour aller attaquer Icone. Mais au-lieu de prendre a droite par les Provinces méridionales, oü elle auroit trouvé un pays plus abondant, les guides, qui avoient des ordres perfides, conduifirent les Allemands a gauche par la Cappadoce, pays aride & lïérile, oü les attendoit la difette, 1'ennemi & la mort. Au fortir de Nicomédie, fe trouvant au milieu des terres de 1'Empire , ils fe croyoient en füreté, & fe promettoient toute afiiftance de la part des villes.Grecques. Manuel s'étoit engagé a leur faire fournir des vivres pour de 1'argent. Mais ce Prince , non content des avis qu'il avoil donnés au Sultan d'Icone , prenoii tous les moyens. de faire périr le< Croifés, avant même qu'ils pufieni arriver. Des foldats Grecs , pofte: en embufcade le long des chemins, tuoient, fans miféricorde tous ceux qui s'écartoient du gros de l'armée. On mêloit de la chaux parmi les farines qu'on leur débitoit. On leui fermoit les portes des villes; & poui 3«ur vendre des vivre*, on les obli- Manuel. An. 1147, XXX[f. Mauvais fuccès dc Conrad,  Manuel An, ii 47 l66 H I S T O IR E geoit de mettre d'abord leur argent ^ dans des paniers qu'on leur defcendoit du haut des murs; & après 1'avoir recu, fouvent on ne leur renvoyoit que des railleries. Forcés de vendre quelque piece de leur armure, pour avoir de quoi fublilter, on ne leur donnoit que de fauffe monnoie, qu'on refufoit enfuite lorfqu'ils vouloient acheter lenéceffaire. Enfin, leurs guides , après les avoir engagés dans les défilés du mont Taurus, difparurent, & les abandonnerent k la merci des Turcs, qui, voltigeant autour d'eux avec leur cavalerie légere, les accablant de traits, & échappant k la pourfuite, réduifirent cette grande armée en tel état, rqu'il n'en reftoit pas la dixieme partie. Conrad regagna Nicée, oü il fe joignit k Louis. II réfolut d'abord de 1'accompagner. Mais lorfqu'on fut a Ephefe, honteux de fe voir prefque feul k la fuite du Roi de France, il s'en retourna k Conftantinopie avec ce qui lui reftoit de Nobleffe. Manuel, qui ne le craignoit plus, lui fit un accueil beaucoup plus favorable, que lorfqu'il Ï'avoit vu a la tête d'une  dv Bas -Empire. Lrv. LXXXFII. 167 belle armée. II triomphoit dans fon coeur des infortunes que fa trahifon avoitprocurées. Conrad, qu'il combloit de carefle, paffa 1'hyver k fa Cour. II en obtint, au printemps fuivant, un vaiffeau qui le tranfporta en Palefiine , oü Louis vint bientöt le joindre. Enfin , après la malheureufe entreprife des Croifés fur la ville de Damas, Conrad s'embarqua dans le port de Saint-Jean d'Acre. II trouva Manuel prés de Theffalonique, oü la guerre de Sicile Ï'avoit amené. II fe repofa avec lui pendant quelques jours, & retourna dans fes Etats, qu'il avoit inutilement épuifés d'hommes & d'argent. L'expédition de Louis ne fut guere plus heureufe; mais ce Prince foutint fes difgraces avec plus de fermeté, & pouffa plus loin fes entreprifes. Etant parti de Conftantinopie au commencement de Novembre, il reent d'abord la fauffe nouvelle que lui apportoient les perfides conducteurs de l'armée Allemande. Pour le tromper & le perdre aufli-bien que Conrad , ils venoient lui annoncer que ce Prince avoit vaincu les Turcs, Manuei, An. 1147, XXXIII. Et de Louis.  Manuel An. 1147. x . -,r r„)fr_j r0 (• rjicuic. x\ i_jjucic , v^wuiavi iv- lapara de lui, il trouva des envoyés de Manuel qui lui mandoit, avec une feinte amitié, qu'il alloit avoir fur les bras une armée innombrable de Turcs, & que, pour fe mettre a couvert d'un fi funefte orage, dont il ne pouvoit manquer d'être accablé, il lui confeilloit de fe retirer dans les places de 1'Empire. Son defiein étoit d'affoiblir l'armée Francoife en la divifant, & de la livrer aux Turcs. Louis, foupgonnant cette trahifon , répondit qu'il remercioit l'Empereur de fon avis , mais qu'il ne croyoit pas en avoir befoin , & qu'il ne craignoit pas les Turcs, en quelque nombre qu'ils fuflent. Sur cette réponfe, les envoyés lui préfenterent xine autre lettre. Ce n'étoient plus des confeils d'amitié, mais des plaintes tk des menaces. Manuel fe plaignoit des défordres que faifoient fes troupes fur les terres de 1'Empire , & lui fignifioit qu'il ne pourroit déformais empêcher fes fujets de traiter en ennemis des gens qui ne les ménageoient pas. 168 ' HlSTOlRE tk qu'il étoit dans Icone. Mais Louis i fut KierïtA* Aptrrtmnp nar OnrtraA lm-  du BaS'Rmpi&b. Lh. LXXXF1I. 169 pas. C'étoit en termes couverts une forte de déclaration de guerre. Louis, indigné, ne fit point de réponfe, &c continua fa route. Arrivé au bord du -Méandre, au commencement de Janvier, il le paffa malgré une nombreufe armée de Turcs qui 1'attendoit fur 1'autre rive, 8c qui fut entiérement défaite. Les Grecs donnerent retraite aux Turcs dans Antioche de Pilidie. Louis marcha a Laodicée de Phrygie, oü il efpéroit trouver des vivres V c'étoit la feule reffource des Croifés jufqu'a Satalie , oü 1'on ne pouvoit arriver qu'au bout de quinze jours. La garnifon Impériale alla fe joindre aux Turcs , & Ie Commandant fit fortir tous les habitants, & emporter tous les vivres. Les Grecs, unis avec les Infideles, pour faire mourir de faim les Francois, brüloient, détruifoient tout fur leur paffage. L'armée Francoife, fans guides , fans vivres, engagée dans des défilés impraticables entre les mon* tagnes de Pifidie, fut conpée par les Turcs, qui en firent un horribie carnage. Louis ne fe fauva lui-même, que par des prodiges de valeur. Les Tornt XIX* H Manuel. An. 1147,  Manuel. An. 1147. 170 H I S T O I R E débris de cette armée accablés de fatigue, arriverent le vingt Janvier prés de Satalie. Cette ville , nommée auparavant Attalie , appartenoit encore a 1'Empire Grec, mais payoit tribut aux Turcs, qui poffédoient les chateaux d'alentour, & empêchoient, par leurs courfes continuelles , de cultiver les campagnes naturellement très-fertiles. Cependant les vivres y étoient en abondance, paree qu'on femoit dans la ville , & qu'on y recueilloit quantité de fririts , fans compter ceux qui venoient par mer. Le Gouverneur , n'ofant fe déclarer er»nemi, offrit des provifions & des vaiffeaux pour tranfporter les Francois en Syrië. Le Roi , qui ne fe croyoit pas en état d'achever fon voyage par terre, accepta ces offres. Mais pendant cinq femaines que l'armée fut obligée d'attendre le vent, le Gouverneur travailla de fon mieux a ruiner fes hötes. II ne leur fournit qu'a un prix excefïif des vivres & des vaiffeaux; encore ces vaiffeaux étoient-ils en ft petit nombre, que le Roi fut contraint de laiffer k terre fon infanterie &c fes malacfes. Les  bv Bas-Empi&e. Lh. LXXXFIL 171 Grecs s'obligerent, pour une grande fomme d'argent, a prendre foin des malades jufqu'a ce qu'ils puflent fouffrir la mer, tk k donner efcorte a 1'infanterie. Mais dès que le Roi fut parti, ils appellerent les Turcs qui égorgerent les malades, & taillerent en pieces 1'infanterie. Quoique les habitants euffent fi bien fervi la haine de Manuel, il fut cependant fort irrité qu'ils eufient fourni des vaiffeaux tk des vivres, même a trèshaut prix; &, pour les en punir, il fit enlever tout 1'or & 1'argent qui fe trouvoit dans Satalie. Je ne fuivrai point Louis a Antioche , a Jérufalem, a Damas, oü la trahiion fit échouer toutes les forces de la Syrië & de la Paleftine , jointes k celles qui reftoient encore aux Croifés. L'Êmpire Grec, dont je fais 1'Hiftoire, n'eut aucune part k ces événements , & Louis n'eut rien k démêler avec les Grecs jufqu'a fon retour , qui fut au printemps de 1'an 1149. Alors, s'étant embarqué en Paleftine , il rencontra en chemin l'armée navale de Roger, Roi de Sicile, qui faifoit la guerre H ij Manuei„ An. 1147- xxxrv. Retour de Louis,  Manuel. An. 1147. IllSTOZRE aux Grecs, ainlï que je le raconterai bientöt. II fe joignit k cette flotte. Celle des Grecs, commandée par Chuiup , ayant paru peu de temps après, on en vinta un combat. Louis, qui avoit paffe de fon bord dans un vaiffeau Sicilien , fe voyant en danger : d'être pris, fit arborer le pavillon d'un des alliés de 1'Empire , ce qui le fauva. Mais les vaiffeaux qui Favoient amené de la Palcftine , furent pris avec fes gens. Manuel qui, malgré tant de maux qu'il lui avoit fufcités , prétendoit toujours être fon ami, les renvoya enfuite, a fa priere, avec tout ce qui leur avöit été enlevé. D'autres Auteurs difent même que le Roi fut pris par les Grecs , ck que comme on le conduifoit k Manuel, qui affiégeoit alors Corfou, il fut délivré par la valeur de George Lindolino, Amiral de Sicile. Ces deux récits, qui ne different que dans quelques circonflances , appuyés du rémoignage de plufieurs Hifioriens, les uns contemporains , les autres voifms de ces temps-la, ne peuvent être détruits par le filence que Louis garde kir cette aventure dans fa lettre  du Bas-Empire. Liv. LXXXVIl. 173 a 1'Abbé Suger , comme Tont prétendu quelques modernen. Tel fut le fuccès de cette feconde Cröifade, dont tout le fruit fut d'affermir davantage, 8c de faire triompher la puiffance Mufulmane, qu'elle fe propofoit de détruire. L'impmdence des Croifés, 8c la perfide politique de Manuel, rendit inutile la valeur des Héros de ce fiecle, 8c fit périr deux grandes armées. Toute 1'Europe éclata en murmure contre Saint Bernard, qui avoit allumé cette fiamme guerrkre, 8c donné le Ciel même pour garant du fuccès. li fe juftifia par la mauvaife conduite des Croifés, qui, femblables dans leurs crimes aux Ifraélites dans le défert, s'étoient attiré comme eux la colere du Tout-Puiffant. Tandis que les Croifés étoient en roarche, 8c que Manuel, craignant de leur part un péril imaginaire, employoit tous fes artifkes pour faire échouer leur entreprife, il s'élevoit contre 1'Empire un orage vraimenl dangereux. Roger , Roi de Sicile . fils du Comte Roger qui avoit fail la conquête de cette ifle, 8c neven H iij Manuel. An.ii47« XXXV. Fin de la feconde Creifede. xxxvi. Commencementdela guerre de Sicile. Cinn. I, 3. c. 2. Nieet. I. 2. e. I. Otto Frif. de geftis Fridcr. 1.1. t. 3.  Manuel. An. 1147. Rolert de Mont. chron. Pagi ad Har, 174 fflSTOÏRE de Robert Guifcard , réuniflbit les Etats, 1'ambition & la valeur de fon pere & de fon oncle. Non content de la Sicile, de la Pouille Sc de la Calabre, dont il étoit Souverain, il porta fes vues fur Ja Grece , & ne manqua pas de raifons pour faire la guerre a 1'Empire. Du vivant de Jean Gomnene, il lui avoit demandé en mariage , pour fon fils, une PrincefFe de la familie Impériale. Jean étoit mort fur ces entrefaites , Sc Roger avoit continué la même négociation auprès de Manuel, qui envoya en Sicile Bafde Xérus, pour traiter de cette affaire. L'Ambaffadeur fe laiffa corrompre, Sc fit des conventions. qui mettoient une parfaite égalité entre le Roi Sc 1 Empereur. De retour a Conftantinopie, il mourut avant que d'être puni de fon infidélité; mais au-lieu d'un mariage , il s'enfuivit une furieufe guerre. Manuel défavoua fon Miniftre, fit arrêter & mettre en prifon les envoyés de Roger, qui, 1'accufant de mauvaife foi, mit une flotte en mer, Sc commenga la guerre par 1'attaque de Corfou. Les habitants de 1'ifle , mécontents du  du Bas-Empire. Lh. LXXXVU. 17$ gouvernement Grec, qui les accabloit d'impóts , changerent volontiers de maitre, & fe donnerent aux Siciliens. Ceux-ci, animés par ce fuccès , vont attaquer Monembafïe fur la cöte oriëntale du Péloponnefe. Mais en étant repouffés, ils remontent le golfe Adriatique, ravagent les cötes de 1'Acarnanie , de 1'Etolie, entrent dans le golfe de Corinthe , débarquent au port de Criffa, pénetrent dans la Béotie , & faccageant toutes les villes qui fe trouvent fur leur paffage , ils arrivent devant Thebes. Cette ville étoit plus opulente qu'elle n'étoit forte; ils la prennent par efcalade , pillent les maifons, contraignent , a force de mauvais^ traitements , ceux qui étoient riches a leur livrer toute leur fortune, & ne leur laiffent la vie qu'après leur avoit fait jurer fur 1'Evangile, qu'ils n'en ont rien retenu. Ils leurs enlevenl jufqu'a leurs habits, emmenent les hommes les plus diftingués, les plu: belles femmes, les plus habiles ouvriers en foie, & marche a Corinthe. Ils trouvent !a ville baffe entiérement déferte. Tous les habitant: H iv MA.NUEI. A.n. U47-  Ï7^ tl I S T O 1 Jt E s'étoient retirés avec leurs efT^ rfanc Manuel. An. 1147. la citadelle. C 'étoit cette place fi célebre dans 1'antiquité, fous le nom d'Acrocorinthe, batie fur une haute montagne, qui fe terminoit en un plateau bordé d'une épaiffe muraille. Elle fembloit être imprenable, & par fon afiiette, tk par la force de fes remparts. Elle avoit de plus 1'avantage de renfermer dans fon enceinte quantité de fources très-abondantes, entre autres celle de Pirene, plus renommee encore par les Poëmes d'Komere ,* que par la pureté de fes eaux.. II n'en coüta néanmoins aux Siciliens prefque aucune peine pour s'en rendre maitres. Ce n'eft pas qu'il n'y eüt bon nombre de foldats; mais c'e^ toient de mauvaifes troupes, encore plus mal commandées. L'Amiral SLcilien y étant entré, & confidérant 1'état de la place , ne put s'empêcher de dire : C'e/l la main de Dim qui nous a conduits ici; nous ne devons cette conquête qua luifeul. II traita avec le dernier mépris la garnifon , tk fur-tout le Commandant. Miférable poltron, lui dit-il, c'ejl bien d toi d garder une place de cette impor-  du Bjs Empire. Lm. LXXXVlL 177 tance , & même d manier les arm es : prends une quenouille ; tu nes quune femme fans courage. II fe comporta en ce lieu comme il avoit fait a Thebes. II enleva même de deflus 1'autel la précieufe ftatue du Saint Martyr Théodore, patron de la ville, 6c fe rendit en Sicile avec fes vaiffeaux fi chargés de richelfes, qu'ils en étoient prefque fubmergés. L'Empereur, irrité de ces infultes, fit les plus grands efforts pour s'en venger. Malgré fon intrépidité naturelle , ce n'étoit pas fans crainte qu'il fe voyoit attaqué par des ennemis, auxquels fes prédéceffeurs avoient cté forcés d'abandonner 1'Italie & la Sicile. II raffembla donc fes meilleures troupes d'Orient 6c d'Occident. mit fes vaiffeaux en état de tenir h mer, en fit confiruire de nouveaus de toute grandeur. Les Hiftoriens lui donnent dans cette expédition -mille barques de tranfport & cinq eents galeres; ce qui me paroit pafier tout< croyance. Dans ce nombre étoien quantité de brtilots remplis de fei grégeois , dont on n'avoit depuis long temps fait aucun ufage. L'armée d H v Manuel An. 1147. An. 1148. XXXV1T. Manuel fe prépare a a la guerre contre Roger. Nicet. 1.2. c. 2. Clnn. I. J. c. 2. Jus Grtsco Bom. h 2. c i. 4'. i f  Manuel. An. 1.14S. I?8 HlSTOlïLE terre n 'étoit pas moins redoutable 5 c'étoient de vieilles troupes levées par fon pere, & formées a toutes les opérations de la guerre. II mit a la tête de laflotte fon beau frere Etienne Con~ toftephane avec le titre de grand Duc 'r c'étoit un guerrier inftruit & vaillant.. II donna le commandement de l'armée de terre k Jean Axuch-, auffi habile dans la guerre que dans les foins du gouvernement. Les Vénitiens qui , depuis le regne de Jean, setoient réconciliés avec 1'Empire, joignirent leur flotte a la fienne ; & pour éviter les querelles qui pourroient furvenir entre les deux nations, il fut arrêté que lorfqu'on feroit arrivé devant Corfou , dont on alloit faire le fiege, les vaiffeaux Vénitiens prendroient un quartier féparé des Grecs. Ce qui fit affez conrioitre 1'inquiétude de Manuel, c'eft que ce Prince indévot hors du danjer , voulut alors fe rendre le Ciel favorable ; il crut attirer le fecours de Dieu fur fes armes, en confirmant nix Eglifes la poffeflion de leurs immeubles, & en fuppléant par fon autorité a ce que leurs titres avoient  sv Bas-Êmpire. Lh. LXXXVIL 179 de défefrueux. Peu accoutumé au lan- gage fimple & modeftë de la Religion , il prend dans eet édit le ton enthouuafte ; fon pere eft Moïfe, il eft lui-même Jofué, 8c Roger eft le dragon d'Occident. II donna encore dans la fuite deux conftitutions fur le même fujet. Après ces préparatifs, il fe mit k la tête de fon armée de terre, 8c traverfa la Thrace pour paffer en Illyrie. Arrivé k Philippopolis, pendant qu'il y faifoit repofer fes troupes, & qu'il prenoit lui-même le divertilfement de la chaffe, on vint lui annoncer qu'un gros parti de Patzinaces avoit paffé le Danube , ravagé les campagnes , 8c faccagé la ville de Demnizique, fituée fur la rive d'en-decL H marche aufli-töt vers le fleuve, que les Patzinaces avoient déja repaffé. II fait raflembler ce qu'on peut de bateaux; & comme il s'en trouvoit trop peu pour faire paffer toute l'armée, il choifit cinq cents hommes , & commande au refte des troupes de 1'attendre fur le bord. II fe met feu! dans un canot a la tête de fon détachemènt. Le payfan qui conduifcil H vj Manuel.An. 114S» XXXVIÏI,- Guerre des Patzinaces.Cinn. I. 2. c. 3. Nitet. I. 2a c. 2,  Manuel. An. 1148, l8o HlSTOIRE le canot avoit eu fa cabane brülee dans 1'incurfion des Patzinaces; 6i ne connoiffant pas 1'Emperear qu'il paffoit : Mon Officier, lui dit-il en ramant , jï nous avions un Prince tel qü'étoit le défunt Empereur, Demni^ique ne feroit pas pillée, & nous naw rions pas tout perdu. Mon ami , répondit Manuel en fouriant, confole^ vous ; je veux. bien ne pas être CEmpereur , fi je ne vous fais rendre raifon par ces maudits Patzinaces. Ayant paffe le Danube, il rencontra deux autres rivieres fort larges, fur lefquelles on ne put trouver un feul bateau. II envoya chercher ceux dont il venoit de fe fervir; on les traïna a la queue des chevaux. II traverfa enfuite une affez grande étendue de pays, oü il ne trouva qu'un camp abandonné. Ne pouvant atteindre les ennemis, il détacha quelques cavaliers pour retarder leur marche en efcarmouchant avec eux , jufqu'a ce qu'il put les joindre. II apprit bientötque fesgens étoient aux mains. II accourt avec fa troupe. On fe bat avec une égale furenr ; les Patzinaces étoient plus forts en nombre, & ne cédoient pas  b-w Bas-Empirb. Llv. LXXXF1L i8t en courage. Manuel fe jette au milieu d'eux, 6c en abat plufieurs. II eft fuivi de fes gens,qui, animés par fon exemple, percent les efcadrons ennemis. Cbacun cherche k fe fignaler fous les yeux de l'Empereur. Enfin , les barbares laiffant fur la place quantité de leurs foldats, 6c leur Capitaine nommé Lazare, qui avoit parmi eux grande réputation de valeur, fe fauvent a la faveur des montagnes ,• que leurs chevaux étoient accoutumés a gravir avec viteffe; 6c l'Empereur après avoir pillé le pays, regagna le Danube. L'année étant déja avancée , l'Empereur abandonna le deflein qu'il avoit formé d'abord de traverfer 1'Illyrie , 6c de s'approcher des cótes de la mer Adriatique , oü fa flotte 1'auroit tranfporté a Corfou. 11 prit le parti de marcher au golfe de Theffalonique , 8c d'y attendre fes vaiffeaux. La flotte partie de Conftantinopie au printemps avoit été long-temps retenue en mer par les vents contraires, en forte qu'elle ne joignit l'Empereur qu'a la fin de 1 'été. Manuel brüloit d'impatience d'aller attaquer la Sicile. II fe pro- Masuei. An. u4sa XXXIX. Retardement de 1'Ëmpereur. Nicet. I. 2. C. 2 . & feqq. Cinn. I. 3. c. 4. 5Robert de monte chron. Chron. BeH-  Manuel. An. 1148. XL. Siege de Coribu. E i s t 0 1 r e pofoit non-feulement de la conquénr, mais même 1'Italie entiere , & ce grand projet n'efFrayoit point fon courage capable d'affronter tous les dangers , & de réfifter a toutes les fatigues. A 1'arrivée de fa flotte, il fe jette dans une frégate pour voguer a la tête; tous les vaifleaux appareillés pour la route commengoient a h fuivre , lorfqu'une violente tempête caufée par des vents furieux qui dominent dans ces mers, fur-tout aux approches de 1'hyver, les obligerent de regagner le port. La continuation du mauvais temps rendant la mer impraticable, lEmpereur alla camper prés de Bérée, oü il pafla une partie de 1'hyver. II n'en attendit pas la fin; mais dès que la faifon put le permettre, il partit avec toute la flotte ; & arrivé devant Corfou , il fit débarquer fes troupes de terre pour Jttaquer la ville , & demeura luimême fur la flotte, pour la tenir af[iégée du cöté de la mer. L'attaque de Corfou étoit une enreprife effrayante. La ville fituée fur a cime d'un promontoire très-éle/é, étoit environnée d'une épaiffe  bv Bas-Empire. Liv. LXXXF1I. i8< trmraillp flanrmée de hautes tours Le pied du promontoire plongeoit dans une mer profonde 8c bordée de roches efcarpées; rivage déja célébre depuis plus de deux mille ans , par les vers du Peintre de la Nature, au cinquieme livre de POdyflee.La defcription qu'en fait Homere s'aceorde avec celle de PHiftorien Nicétas. Les troupes de marine rangées fur leurs vaiffeaux, tk couvertes d'armes étincelantes , formoient un fpetfacle terrible. Celles de terre entouroient le refte de la place, k laquelle les rochers du promontoire faifoient un rempart inabordable. Avant 1'attaque, l'Empereur fit propofer aux habitants une capitulation honorable ; ils ne répondirent que par une décharge générale des machines dont la muraille étoit bordée, ainfi que d'archers 8c de frondeurs. Les Grecs de leur cöté firent jouer leurs pierriers 8c leurs baliftes. C etoit de part 8c d'autre une grêle de pierres , de fleches 8c de javelots , qui d'un cöté tombant avec roideur, portoient la mort aux affiégeants; de 1'autre s'élevant avec ettort, alloient cberchex Manuel. An. 1149.  Manuel. An, ii49, : ] 1 i « ; ; i 184 HlSTOIRE fur la muraille ceux qui s'y montroient pour la défendre. Mais 1'exécution étoit bien différente. Les coups qui tomboient d'en-haut acquéroient dans leur chüte une nouvelle vigueur; ceux qui partoient d'en-bas perdant une partie de leur force, n'avoient que peu ou point d'effet. Les affiégeants s'efforcoient de fuppléer par !eur courage au défavantage du lieu. C'étoit a qui attireroit fur lui les regards du Prince. Nul danger ne les •ebutoit ; la perte de ceux qu'ils royoient tomber k cöté d'eux redoudoit leur audace. Mais leur valeur koit fans fuccès. C'étoit le combat les géants contre le Ciel. Le grand Duc qui s'expofoit dans les attaques es plus périlleufes, fut atteint d'une jroffe pierre qui ha fracaffa les reins, k. 1'étendit fur le fable. On le tranf:orta fur Ie tillac d'un vaiffeau, oü e fentant prés de mourir, environ]é des principaux Capitaines, il em)loya fes dernieres paroles k les en:ourager : Qu'il leurfouhaitoit unheueux fuccès , & qu'il fe trouvoit heueux lui-même de facrifier fa vie d fon 3rince & d fa patrie : qu'il les croyoit  j>v Bas-Empire. Liv. LXXXFU. £$£ tous ajfe{ généreux pour préférer une mort glorieufe au déshonneur dont ils fe couvriroit ainfi que tout ÜEmpire, s'ils abandonnoient leur entreprife. Adreffant enfuite la parole k fon fils Andronic , Commandant des Varangues, ill'exhorta d ne pas pleurer fa mort qui n'étoit digm que d'envie; qu'il ne lui demandoit de fépulture que dans Venceinte de. la ville afjiégée, lorfque par fon courage il auroit contribué d la conquérir ; que ce monument mérité par le pere , érigé par le fils , & conjïruit des débris de ces murailles meurtrieres y annonceroit aux fiecles d venir la valeur de Cun & de l'autre. II expira en prononcant ces mots , tk toute l'armée en fut confternée. Les attaques cefferent; ee fut le refte du jour une trêve funebre, qui ne laiffa d'acf ion qu'aux gémifTements & aux regrets Jean Axuch qui avoit commandé l'armée de ter> re, fut chargé du commandement de Ia flotte; mais il ne recut pas le titre de grand Duc, qui, fans être fupérieur k fon mérite, fembloit être au-deffus de fa naiffance. Le fiege dviroit depuis trois mois fans avoir produit d'autre effet qu< Mandei, Atu U49' , XLI. , Suite ( 1 fiege.  Manuel. An, 1149. 1§<5 H I S T e I R S la perte d'un grand nombre de foldats. L'Empereur, déterminé a périr plutöt que d'éprouver un affront, tenta un nouveau moyen d'efcalader la ville. Au bord de la mer s'élevoit ^ pic un rocher d'une prodigieufehauteur, fur la pointe duquel aboutïffoit un pan des murailles. Au pied de ce rocher, Manuel fit établir fur plufieurs vaiffeaux attachés enfemble , & bien affurés fur les plus fortes ancres , une tour trés - élevéé , dont la plate-forme étoit affez fpapieufe pour contenir une large échel!e. Cet édifice compofé d'épais madriers & de mats enclavés les uns dans !es autres, montoit jufqu'au haut du rocher, d'oii 1'échelle selevoit aux rrénaux des murs. Cet ouvrage achevé, il fait appelier devant lui les follats les plus renommés pour leur :ourage; & les regardant avec un air le confïance : Allons braves gens , leur iit-il , que quiconque aime fon Empe'eur, & ne craint pas le danger, mon'e d Cennemi; pour le vaincre, Ü ne faut we Catteindre. Tous. levant les yeux t^ers cette hauteur énorme , recuoient d'effroi. Enfin, quatre freres  du Bjs-Empire. Liv. LXXXFII. 1S7 nommés Pétraliphes , fils de ce Pierre d'Aulps, Seigneur Provencal, qui s'étoit donné a l'Empereur Alexis aprés la mort de Robert Guifcard, s'offrent a cette périlleufe aventure. Leur exernple en détermine un grand nombre, & entre autres un des gardes d'Axuch , nommé Pupace, Turc de naiflance. L'Empereur loue leur hardieffe; il en choifit quatre cents , & leur ordonne de monter, promettant de les combler de faveurs s'ils réufliffent, & de tenir lieu de pere a leurs femmes & a leurs enfants, s'ils fuccombent dans cette glorieufe tentative. Pupace , ayant fait le figne de la croix , monte le premier. Après lui les quatre Pétraliphes & tous les autres. L'armée qui trembloit pour ces arnes intrépides, les fuivoit des yeux , & invoquoit a leur fecours le bras du Tout-PuifTant. Tenant d'une main leurs boucliers fur leur tête , de 1'autre leur épée, ils parviennent a 1'ennemi ; & les yeus étincelants, auffi fermes que fur ur champ de bataille , ils. portent de: coups mortels. Les javelots, les pier res qu'on lance fur eux de toute; Manuel. An. 1145.  Manuel An. 1149 XLH. Sanglante querelle des Vénitiens & desGrecf. 188 H I S T O I R & parts , n'ébranlent pas leur courage, ;ils grimpent, ils s'élancent au travers de cette tempête , & la ville étoit prife fans un accident qui détruifit le fuccès de ces généreux efforts. Pupace étoit déja fur le mur, lorfque Péchelle fe rompant fous les pieds de ceux qui le fuivoient, tous font précipités, & tombent les uns fur les autres dans les flots, fur la plate-forme , fur les roebes , dans les vaiffeaux. Brifés par la pefanteur de leur chüte, écrafés en même-temps par les mafTes de pierres dont les affiégés les accablent, il n'en échappe qu'un très-petit nombre. Pupace abandonné faute dans la ville ; & plus rapide que 1'éclair , il gagne une poterne voifine qui lui ouvroit une iffue , 6z fe fauve au grand étonnement de toute l'armée, & plus encore des affiégés, que 1'effroi avoit rendu imrnobiles. Manuel gémiffoit de ce défaftre, lorfqu'il apprit qu'il s'étoit élevé une fanglante querelle entre deux grands corps, 1'un de Grecs, Pautre de Vénitiens , campés fur le rivage. Des railleries & des injures on en étoit  du Bas-Empire. Liv. LXXXFIL 189 venu k tirer les épées. Aux cris des combattants accoururent & des vaiffeaux & de l'armée de terre les troupes des deux nations pour prêter mainforte a leurs compatriotes. Les principaux OfHciers s'efForcoient en vain de calmer ce tumulte. On fe battoit avec fureur, & le fang ruiffeloit de toutes parts. Axuch, envoyé par l'Empereur, fe jette au milieu d'eux, êx•horte , conjure , menace : les Grecs étoient affez difpofés k obéir; mais les Vénitiens , plus achanaés, ne vouloient rien entendre ; & leur troupe groffiffoit fans ceffe de ceux qu venoienten foule des vaiffeaux. Axucl" 4es voyant fi obffmés, les fait charter par fa garde & par un détache^ ment de l'armée, Après quelque ré fiftance, ils prennent la fuite; on le: pourfuit jufqu'a leur flotte. Mais leu; rage ne s'appaife pas. Auffi furieu: que des lions bleffés par les chaffeurs ils fe féparent de la flotte Grecque & vont mouilier k Flfie d'Afterie entre Itaque & Céphalonie. De-la il courent fur les vaiffeaux Grecs , trai •tent en pirates ceux qu'ils peuverj ■joindre, & y mettent le feu. Ils ajou Manuel. An, 11-49. 1 > » S t  Manuel. An. U49. I90 HlSTQIRE tent k ces hoftilités 1'infulte la olus atroce. Ayant enlevé un des navires qui portoient les équipages de l'Empereur , ils parent des plus beaux lapis la chambre de pouppe ; ils y placent fur une eftrade élevée comme fur un tröne un Ethiopien laid &c difforme, lui mettent une couronne fur la tête, 1'environnent d'une garde, & viennent le faluer par des révérences ridicules. C'étoit une farce infolente pour fe moquer de Manuel, qui avoit le teint fort bafané. II ne tenoit qu'a l'Empereur de punir fur Ie champ ces outrages, en faifant attaquer les Vénitiens par fa flotte entiere, a laquelle ils n'auroient pu réfifrer. Mais pour ne pas perdre le fruit de tant de travaux, il fut diffimuler fa colere, & remettre la vengeance k un autre temps. II leur envoya quelques-uns de leurs compatriotes attachés k fon fervice, qui leur promirent de la part de l'Empereur une entiere amniftie s'ils rentroient dans le devoir de bons & de fideles alliés. Plus les excès auxquels ils s'étoient livrés étoient outrés & déraifonnables, plus il fut facile de les ramt;-  du'Bas-Empire. Liv. LXXXVU. 191 ner. Confus de leurs emportements, rougiffant eux-mêmes du pardon qu'ils fentoient bien ne pas mériter , ils vinrent rejoindre la flotte. Le fiege continuoit avec Ia même opiniatreté. Les machines des afliégeants, tant du cöté de la terre que du cöté de la mer, ne ceffoient de foudroyer la ville. Plufieurs foldats, même plus hardis que les autres, graviffoient entre les rochers pour parvenir aux murailles. Tous ces efforts étoient inutiles. Les afliégés fe défendoient avec autant de prudence que de valeur. Renfermés dans leur enceinte, fans hafarder de fortie, qui leur auroit fait perdre leur avantage, ils fe contentoient d'écarter 1'ennemi par des décharges continuelles. L'Empereur , défefpéré du peu de fuccès, & réfolu de ne pas épargner fa propre vie pour ne pas laiffer au Roi de Sicile une place de cette importance , monta fur le tillac de fon vaiffeau, &c la fe tenant de bout, en butte k tous les traits des ennemis, il commanda aux rameurs d'aborder le rocher, oü il vouloit monter luimême. II ne fe rendit qu'avec beau- Manuel.' An. 1149; XLIIT. Heureufe té mé rité de Manuel.  1 •MANUEt, •An. 1149. 19* • II I S T O I R E coup de peines, aux inftantes prieres & aux larmes de fes Officiers & dê fes parents, qui le fupplioient de ne pas expofer fa perfonne facrée k un danger évident, & qui n'étoit digne que d'un aventurier. Mais bientöt après, fa bouiliante valeur le précipita dans un autre péril. Un vaiffeau Grec, des plus grands, chargé d'armes & de chevaux, poufTé par les vents dans une anfè bordée de pointes de rochers, d'oii il ne pouvoit fe dégager, y étoit fort maltraité par les maffes pefantes qu'on y déchargeoit de deffns les murailles , & couroit grand rifque d'abymer avec toute fa charge. L'équipage, effrayé, s'étoit fauvé au fond de cale. L'Empereur, en étant averti, prend d'une main un large bouclier , & s'enveloppant 1'autre bras d'une voile de navire qu'il laiffoit flotter pour amortir les coups de pierres, il fe fait conduire è ce vaiffeau , y attaché des cables, & le fait remorquer par fon navire. Pendant cette manoeuvre , il fut long-temps expofé k tous les traits ; &, peut-être, n'auroit-il pas évité la mort, fans la générofité  bv Bjs-Empire. Liv. LXXXF1I. 193 néroiité inattendue du Commandant Sicilien, qui défendit a fes gens de tirer fur Manuel: Je ferois, leur ditil, crimintl aux yeux de tout filmvers ± fi j'avois permis qu'on le privdt de ce héros Roger avoit mis fa flotte en mer pour fecourir Corfou. Churup alla au-devant avec une partie de celle de l'Empereur, & la défit. Cependant, quarante vaiffeaux Siciliens , échappés de la défaite, au-lieu de retourner en Sicile, prirent la route de Conftantinopie, & firent une defcente au promontoire de Damalis, pour mettre le feu aux édifices qui bordoient le Bofphore. Mais ils furent repouffés avec perte; & dans leur retraite, ils rencontrerent une autre flotte, qui rapportoit de Crete les deniers des impolitions. II y eut encore un autre combat, 011 les Siciliens perdirent plufieurs de leurs vaiffeaux. Tout autre que Manuel auroit renonce a une entreprife, qui, après tant de travaux, ne promettoit encore aucun fuccès. Mais ce Prince, d'un courage plus ferme que les plus Tornt X1X> l Manuel. An. 1140. XLIV. Flotte de Roger ba ttue. XLV. Corfou fe rend.  194 Histoi-rb T**""*^ fortes citadelles, regardoit comme AnTZl' une tar"he Pour fon reëne de laiffer ' au Roi de Sicile une place enlevée a 1'Empire feulement depuis deux ans, fituée au bord de fes domaines, Sc qui alloit devenir un nid de pirates Siciliens. II réfolut donc de la réduire par famine , Sc déclara qu'il ne partiroit qu'avec les clefs de la place. Les affiégés commencoient a manquer de vivres ; Sc voyant qu'ils n'avoient a efpérer ni la levée du fiege, ni fecours de Roger, ils fe déterminerent enfin a fe rendre. Ils y étoient encore pouffés par le Commandant Théodore Capellan, qui, après avoir rempli avec zele & ■avec Ie plus grand courage tous les devoirs d'un Officier fidele , crut pouvoir , fans déshonneur , fauver la vie a tant de braves gens. On envoya donc des Députés k Manuel, pour demander qu'il leur fut permis de fortir avec leurs armes & tous leurs effets. Manuel, ravi de cette propofition, diffimula copendant, Sc fe montra d'abord difficile, pour ne pas donner trop de confiancé aux affiégés. Enfin, après plufieurs pour-;  bu Bas'Empire. Liv. LXXXF1I. 195 parlers, il leur donna, pour derniere réponfe , que, nècoutant en cette oc-^ cajïon que les fentiments de génêrofué qui conviennent auvainqueur, il permet' toit aux habitants de rejier d Corfou, ou de fe retirer avec ce qui leur appartenoit. II y en eut un grand nombre qui demeurerent dans la place; les autres retournerent en Sicile. Capellan , craignant fans doute le reffentiment de Roger, paffa au feryice de l'Empereur ; ce qui donne a fa conduite un air de trahifon, que les Grecs feuls pouvoient excufer. L'Empereur, étant entré dans Corfou , ne put voir fans admiration la force de cette place. II y mit garnifon , & alla mouiller a la Valonne. Après y avoir fait repofer fes troupes pendant quelques jours, ce Prince. infatiable de combats, fit appareilIer pour aller porter la guerre en Si cile. Mais dès qu'il fut en mer, une tempête 1'obligea de rentrer dans U port. Ayant mis une feconde fois l la voile, il effuya encore un fi vü> lent orage , qu'il perdit plufieurs d< fes vaiffeaux, & eut lui-même beau coup de peine k fe fauver. Perfuad< I ij Man vi el. An, 1149- XLVÏ. Entreprife fur l'Italie.Nicec. 1.1. c 6. Cinn. I. J. c 6.  Manuel.. An. 1149. I96 HlSTOIHE que le ciel s'oppofoit a cette entreprife , il tourna fes armes contre les Dalmates , qui, pendant le fiege de Corfou, avoient fait des courfes fur les terres de 1'Empire. Comme fon deffein n'étoit pas feulement de fe venger de Roger, tk de conquérir la Sicile, mais que fon ambition s'étendoit fur 1'Italie entiere, il donna la plus grande partie de fa flotte a Jean Axuch, avec ordre de gagner le port d'Ancone, tk de s'y établir pour faire des progrès en Italië. Axuch avoit fait preuve de valeur tk d'intelligence dans la conduite des armées, mais il n'entendoit rien a la marine, & ce fut une égale faute au Prince de lui confier cet emploi, tk a ce guerrier de 1'accepter. D'ailleurs, les Vénitiens qui tiroient de grands avantages du befoin que l'Empereur avoit fouvent de leur fecours, prévoyant que fi les Grecs rentroient en poffeffion des contrées voifines, loin d'être obligés d'entretenir leur alliance, ils les inquiéteroient eux-mêmes, étoient bien réfolus de traverfer cette expédition. On étoit au mois de Septembre, tk les vents de 1'équinoxe  du Bas-Empire. Liv. LXXXFI1. 197 faifoient un grand ravage fur la mer. Axuch, au-heu de mettre fa flotte a 1'abri dans 1'embouchure de quelque fleuve , fe tint au large , & vit prefque tous fes vaiffeaux brifés par les tempêtes. Pendant ce temps-la, l'Empereur marchoit en Dalmatie. Ayant détruit le chateau de Rafe, & ravage la contrée , il laiffa les prifonniers en la garde de Conftantin 1'Ange , fon coufm-germain , né de Théodora, fille dAlexis, & avancadansle pays, emportant d'emblée toutes les place< qui fe trouvoient fur fon paffage Ga-liza fut la feule qui fit quelque réfiftance. II s'en rendit tnaitre er trois jours, & emmena les habitants qu'il diftribua enfuite fur le terreii de Sardique , & des contrées voifi nes, devenues prefque défertes. L Prince de Servië attaqua en fon ab fence, & battit Conftantin 1'Ange A cette nouvelle, Manuel accouru en diligence; mais 1'ennemi 1'avoi prévenu , & s'étoit fauvé dans le montagnes. L'Empereur fe venge fur le pays& fur les chateaux, qu: ruina de fond en comble. Les fr: Iiij Manuel. An. 1149. XLV1I. Guerreen Dalmatie & en Servië. Nicet. I. 1. c. 6, 11. Cinn. I. 3. c. 6. Du Cange; 6=. dijjert. fur Joinvilr Fleury , l Hifi. EccL l. 69. art. t t S i 1  Manuel. An. 1149, An. 1150. XLVIII. Bataille du Drin. ( ( ] 398 HlSTOIRE mars de 1'hyver 1'obligerent de retourner a Conftantinopie. II y avoit déja envoyé porter la nouvelle de fes fuccès. II y fut recu en triomphe au milieu des acclamations du Sénat & du peuple, & fe délafla pendant 1'hyver par des fpeéïacles de joütes & de tournois, que les Latins avoient introduits a Conftantinopie dès le temps d'Alexis. Cette année Manuel envoya des Ambaffadeurs au Pape Eugene , avec une lettre, pour juftifier la doctrine & les rits de 1'Eglife Grecque; ce qui n'eut pour lors aucune fuite. II naquit a Manuel une fille, qui fut nommée Marie. La beauté de cette Princeffe la fit dans la fuite rechercher de plufieurs Princes , mais ne lui procura pas des jours dIus heureux. L'expédition de 1'année précédente n'avoit pas entiérement dompté les Dalmates & les Serves. Ces peuples :>elliqueux continuoient leurs ravages , & avoient appellé les Hongrois i leur fecours. L'Empereur fe mit en :ampagne, & alla camper k Nyffa; 1'oü s'avancant vers la Save, il ariva au bord du Drin, qui fépare  su Bjs-Empire. Liv. LXXXV1L 199 la Servië de la Bofnie. Ayant rencontré en chemin un corps de Hongrois qui étoit en marche pour aller joindre les Serves, il le battit ck le mit en fuite. Mais ce n'étoit qu'un détachement. Le gros de l'armée Hongroife joignit en effet les Serves &c les Dalmates, avant que l'Empereur eut pu les furprendre, comme il en avoit le deffein. Les deux armées fe trouverent en préfence, la rivier-e & un pont entre deux. Rien n'étoit capable d'arrêter la fougue impétueuie de Manuel. L'enfeigne de la tête avancant trop lentement a for gré, il fe faifit du drapeau, & palfc le pont k toute bride , fuivides plu; braves de fon armée. C'étoit un ca ractere attaché a Manuel, de porte: avec lui la terreur. A fon afpecf, lei ennemis tournent le dos, & fuyen )ufqu'a un pofle , ou la difüculté di terrein embarraffoit la pourfuite. A lors ne fe voyant pourfuivis qui d'une poignée de Grecs , ils font vol te face; plufieurs font tucs de par & d'autre. Deux des meilleurs Of ficiers de l'Empereur fe trouvet engagés trop avant, & font envelop I iv Manuel. An. 115e. t l it 1-  Manuel. An, iijo. 1 < J «>0 H I $ T 0 1 K £ pés. L'Empereur court a eux, les dégage, & fuivi de toutes fes troupes qui s'étoient hatées de le joindre , il marche A leur tête , defirant avec ardeur d'atteindre ou le Prince des Serves, ou le GénéralHongrois, tous deux renommés pour leur valeur. Voyant fes troupes fatiguées, il leur ordonne de faire halte; & prenant avec lui deux de fes parents, Jean Ducas & Jean Cantacuzene, il continue de pourfuivre les ennemis. Je ne rapporterai pas les merveilleux faits d'armes que Cinname raconte a cette occafion. Quelque autorité qu'on donne a cet Ecrivain pour les événements de ce tempsa, dont il fut témoin oculaire,fon •écit me femble trop romanefque >our trouver place dans 1'hiftoire* -e qu'il dit de moins incroyable, :'efi que Manuel tua de fa main quaante ennemis. Cantacuzene faifoit le fon cöté un grand carnage. II oignit le Général Hongrois nommé Sacchin, qu'il auroit percé de fa lane , fi la force de fa cuiraffe ne 1'eüt auvé. Bacchin revint fur lui avec ept de fes plus vaillants Officierss 8c  nu Bas-Empirb. Lm.LXXXFIL 201 Cantacuzene qui fit tête k tous auroit fiiccombé, fi l'Empereur n'eut accouru k fon fecours , en percant un efcadron de trois cents hommes. Bacchin voyant venir l'Empereur , rappella tout fon courage. C'étoit un homme d'une grande taille , tk célebre par fa valeur. Ils fe battirent quelque temps avec un égal avantage ; enfin le barbare ayant décharge fur la tête de Manuel un fi rude coup, qu'il lui abattit lavifiere de fon cafque, Manuel prit ce moment pour le faifir au corps ,, lui arracha fon épée , tk le fit prifonnier. II vouloit courir a de nouveaux dangers ; il fut retenu par Ducas, Cantacuzene , tk Bacchin même , qui ne pouyant fe faire entendre autrement, lui montroit les cheveux de fa tête, pour fignifier qu'il alloit être accablé d'un< foule d'ennemis. Cantacuzene avoi perdu deux doigts dans ce combat L'Empereur vint rejoindre fes trou pes aVec quarante prifonniers. II yi bientöt arriver des députés duPrin ce de Servië , pour demander la paix tk fur 1'ordre qu'en donna Manuel k Prince vint lui-même fe jetter I v VIanuel. \.a, 115a. i ,i. t » * I  AJakuel, An. iijo. An. 1151. XLIX. Guerrede Hongrie. 'Cinn. I. 3, c. 10 , h. Nicet. I. 2. c 7. Otho Frif. chron. I. 7. c 34. ld. degeft. | Frid. «■•30.^.2. | 31. ] < C ■c i 204 HïSTOIRE fes pieds ; il fe reconnut vaffal de 1'Empire, promit avec ferment de le fervir fidélement, & de fuivre l'Empereur avec deux mille hommes dans toutes-les guerres d'Occident. Pour les expéditions qui fe feroienten Afie, il s'engagea a fournir cinq cents hommes : par les traités précédents, les Rois de Servië n'en fourniffoient que trois cents. Après ces fuccès, l'Empereur fe rendit k Conftantinopie. Manuel ne pardonnoit pas aux Hongrois d'avoir joint leurs armes a celles des Serves. Pour garder une apparence de modération , il écrivit d'abord k Geïfa , Roi de Hongrie, fe plaignant d'avoir été injufrement attaqué, Mais comme il vouloit la guerre , de peur que ces plaintes ne fifent naitre une négociation pacifïP-ie, il eut foin d'y joindre des meiaces. Geïfa étoit alors abfent de fes ïtats; il faifoit la guerre en Ruftte. Ze fut pour Manuel une raifon de e mettre plutöt en campagne. II traerfa la Save dans des canots, chaue cavalier tenant par la bride fon beval qui paflbitala nage. Au-dela u fleuve étoit la ville de Zeugmine  du Bas-Empire. Liv. LXXXVII. 203 batie par les Hongrois. Manuel n'ef- ; pérant pas la prendre d'emblée , tk 1 ne voulant pas s'y arrêter, y laiffa 1 Théodore Vatace fon beau-frere, avec une partie fon armée pour en faire le fiege, & s'avanca entre la Save tk le Danube, portant- par-tout le ravage. Une armée de Hongrois marcha pour couvrir le pays ; tk dés qu'elle fut en préfence, un cavalier d'une taille tk d'une force extraordinaire s'en détacha, 6c vint k courfe de cheval droit k l'Empereur , qui étoit k la tête de fes troupes. Manuel le prévint d'un coup de lance au travers de la vifiere de fon cafque , & le renverfa mort. L'armée Hongroife, déja effrayée de ce coup, s'appercevant qu'elle étoit inférieure en nombre, n'ofa hafarder le combat tk prit la fuite. L'Empereur continua fes ravages, ruina le palais du 'Roi de Hongrie, paffa au nl de 1'épée ou fit prifonniers hommes, femmes, enfants, tk réduifit en défert le pays entre les deux fleuves. II revint enfuite a Zeugmine que Vatace affiégeoit. Les habitants n'efpérant aucun fecours, offrirent de rendre la I vj lANUEt. va. 1151,  MANVEt. An. u 51, L. Succès de Manuel. £-0+ HlSTOIRt ville, a condition qu'on leur laUTe-^ roit la vie & la liberté de fe retirer, Cette propofition étant rejettée, ils fortirent tête nue, la corde au cou r vinrent fe profterner aux pieds de FEmpereur. II en eut pitié , défendit de leur faire aucun mal, leur perinit d'aller oü ils voudroient; mais il abandonna la ville au pillage. Les Grecs fe rapprochoient de la Save , trainant après eux une multitude de prifonniers, lorfqu'ils apprirent que le Roi de Hongrie, après avoir terminé avec gloire la guerre contre les Ruffes, marchoit a la tête d'une grande armée pour les combattre. Ce fut pour Manuel la nouvelle la plus agréable. II fait auffi-töt repaffer la Save aux bagages & aux prifonniers avec une garde fuffifante; & comme la plupart de fes Officiers lui confeilloient d'en faire autant , pour ne pas fe hafarcler k im combat inégal : Ce ne font que des loups, leur dit-il , & non pas des lions qui fuyent avec leur proie d la vue des berbers & des chiens. II ordonne au Commandant qui alloit paffer fur la rive oppofée, d'y retenir tous le* ca-  du Bas-Empixs. Ltv. LXXXVU. &oS nots fans en renvoyer un feul, quelque priere qu'on lui en fit, jufqu'après la bataille : Non pas même, lui dit-il, quand je vous fordonnerois moimêrne : autrement, je vous ferai pendre. II vouloit forcer fes foldats a vaincre ou h mourir. En ce moment arriva un prifonnier Grec, qui s'étant fauvé du camp ennemi, vint dire que l'armée Hongroife , étoit partagée en deux corps; que le Roi n'étoit pas' a la tête de celui qui approchoit; qu'il en avoit donné le commandement si fon oncle Bélofis. Manuel marche en diligence a la rencontre de Bélofis ; mais la nuit 1'ayant furpris en chemin , il fe couche tout armé fur fon bouclier , & ordonne a fes foldats d'en faire autant, Le lendemain Bélofis, fous prétexte d'un ordrede fon maitre, mais en effet par crainte , retourne en-arriere , & paffe le Danube. L'Empereur le fuit, traverfe le fleuve après lui, & campe en préfence. Comme 1'ennemi n'ofoit fortir de fon camp pofte dans un lieu avantageux , Manuel détache Borifê avec ordre de paffer le Temifès, aujourd'hui Temès, & de fure le dé- VlANUEL.  Manui An, li y £06 UlSTOTRE - gat dans toute la contrée. Borife étoit il un Hongrois, fils naturel du Roi Caloman, qui ayant difputé fans fuccès la couronne a Béla, neveu de Caloman, & Roi de Hongrie , s'étoit réfugié k la Cour de Jean Comnene. Ce Prince Ï'avoit élevé aux honneurs , & lui avoit même fait époufer une de fes parentes. II s'acquitta avec zele & intelligence de fa commifÏÏon,défola toute la contrée, & battit trois corps de Hongrois. Geïfa qui fe trouvoit de ce cöté-la avec les troupes qu'il s'étoit réfervées, fe mit k la pourfuite de Borife. Mais celui-ci ayant marché toute la rruit a la lueur d'un grand nombre de flambeaux, qui lui étoient néceffaires dans ce pays inconnu , échappa & revint au camp avec un grand butin. Selon Othon de Frifingue, Borife fut défait dans un combat contre les Hongrois , & tué par un Cuman qui etoit a fon fervice. Mais je ne fais h quelle année cet événement peut être rapporté. Geïfa, qui évitoitd'en venir aux mains avec l'Empereur, avoit repaffé le Danube , & Manuel ne trouvant point d'oböacle prit &  du Bas Empire. Liv. LXXXVIl. sa pilla plufieurs villes. Chargé de leur dépouilles il fe préparoit k fuivr Geïfa fur 1'autre bord, & a lui li vrer bataille, lorfqu'il regut une am baffade de ce Prince, qui demando: la paix. Manuel accorda une trêv pour le refte de 1'année, & remit 1 décifion de la paix a une négociatio ultérieure. II reprit le chemin de Con tantinople, oii il rentra avec un ri che butin , & une infïnité de prifon niers. Ce fut un triomphe auquel 1 Prince donna le plus grand éclat. avoit fait revêtir de fuperbes habii les prifonniers Serves & Hongrois dont plufieurs étoient diftingués pa leur nobleffe. Ils ne marchoient pa enfemble & confufément , mais e ordre & par bandes féparées; ce qi les faifoit paroitre en plus grand non bre. Cette pompe brillante, prome née par toute la ville, élevoit le cceu des fpettatetirs ; chacun croyoit pai tager 1'honneur de la viöoire , è 1'ardeur dont ils s'embrafoient, pré paroit a Manuel de nouveaux Cal dats. 11 en eut befoin cette année mê me. Pendant qu'il goütoit le plaifi f s — j Manue*. * An, iiji.. t e a i f- e :i s > r s i i i- r : LT. G uerre r des Patzinaces,  Manuel. An. 11} i. 208 HïSTOIRS des acclamations populaires, il ap-> prit que les Patzinaces avoient paffe le Danube, & qu'ils ravageoient la frontiere de Bulgarie. II fit partir auffitöt des troupes fous la conduite d'un Général nommé Calaman, fils de Borife. Cette expédition eut du moins 1'avantage de fervir de contre-poifon aux flatteries des Courtifans. Calaman fut battu , perdit grand nombre de foldats, & mourut lui-même de fes bleffures. Les Patzinaces, après avoir pillé le pays, chargerent le butin fur leurs chevaux, & repafferënt le Danube. La guerre ne coütoit rien' ii ces barbares. Nul embarras, nul bagage que leurs armes ; c'étoit une trouffe de fleches, une rondache, & pour quelques-uns, une lance. Ils fe nourriffbient de pillage, buvoient le fang de leurs chevaux & le lait de leurs cavales. Pour bateaux, ils n'avoient befoin que d'un balon; c'étoit un fac de cuir rempli de paille, fi bi en coufii que Peau n'y pouvoit pénétrer. Le Patzinace, affis deffus avec fa felle & fes armes, tenoit la queue de fon cheval, qui nageoit devant lui, & paffoit ainfi les plus grands  dv Bjs-Emïire. Liv. LXXXFU. socj fleuves. Une expédition militaire n'étoit pour eux qu'une promenade. Nicolas Mufalon , Patriarche de Conftantinopie depuis troisans, n'avoit jamais été tranquille. On regardoit fa promotion comme irréguliere , paree qu'ayant été Archevêque de Cypre, il avoit volontairement renoncé a 1'épifcopat, dont il s'étoit lui-même reconnu indigne. Après avoir long-temps réfifté a ces murmures, il fe démit enfin du Patriarchat, On lui donna pour fucceffeur le Moine Théodote, qui ne fiégea que deus ans. Après fa mort, Manuel nomm£ un autre Moine nommé Néophyte qui ne recut pas 1'onction épifcopa le, tk fut chaffé au bout de cinc mois, paree qu'autrefois étant dans lordre des Leéteurs, il avoit quitt< le fervice de 1'Eglife* pour reprendn 1'habit féculier. Conftantin Chliare ne , Sacellaire de la grande Eglife fut mis a fa place , & n'y vécut qui deux ans. Luc Chryfoberge lui fuc céda : en forte qu'en moins de cinc ans, Conftantinopie vit cinq Patriar ches. Manuel. An. 115r. LIL Divers Patriar- ches. Pagi ei Bar. Flcury hifi. Eccltf. U 69. art. Jl, Or. chrifl. T. 1. p. 269. i [ |   SOMMAIRE d v LIVRE QUATRE-VINGT-HU1TIEME. I. jE'x ercices militaires. II. Mamul en Pllagonie. III. Caraclere d''Andronic. IV. Son mauvais fuccès en Cilicie. V. Trakifon d''Andronic. VI. Ses attentats. VII. Suite de la guerre de Hongrie. VIII. Pai.v dvec Hongrois. IX. Conftantin l'Ange defait & pris par les Siciüens. X. Négociation avec Fréderic. XI. Barri par les Grecs. XII. <^;£ Richard , Comte <£Andrie. XIH. /<^/z l'Ange arrivé en Italië. Xiv. Afott Michel Paléologue. XV. iwccèy Ducas. xvi. Pr//è -S/v'/*«&5. XVII. Bataille navale. XVIII. Z« Greci £a««5 par Guillaume, Roi de Sicile. XIX. Suite de la guerre dUtalie. XX. Paix avec le Roi de Sicile. XXI. Lettre de Guillaume d Manuel. XXII. Conclufwn de la paix. XXIII. Conquétes de Thoros en Cilicie. XXIV. Pillage  aïi Sommaire du Liv. LXXXVIIF. de tijte de Cypre. Xxv. Manuel regagne la Cilicie. xxvi. Andronic s'éckappede PJ'M, & ejl repris, xxvii. Soumiffion du Prince d'Antioche. xxviii. vue du Roi de Jérufalem & de CEmpenur. xxix. Manueld Antioche. xxx. Entreprife fur Alep. xxxi. Chaffe de Manuel. xxxii. Bleffure de Baudouin guene par Manuel. xxxill. Retour de Manuel d Conftantinopie. xxxi v. Guerre contre les Turcs. xxxv. Manuel retourne fur les Turcs. xxxvi. Fin de la guerre contre les Turcs. xxxvu. Mort de TImpératrice Irene. xxxviii. Le Sultan d'Icone d Conftantinopie. xxxix. Fêtes données au Sultan. XL. Dêpart du Sultan. xli. Manuel fonge d unfecond mariage. xlïi. Mariage de Manuel avec Mane d'Antioche. xliii. Vengeance du Comte de Tripoli. xliv. Difpofuion de Manuel d l'égard de la rêunion des deux Eglifes.  ais HISTOIRE D U BAS-EMPIRE. LIVRE QUATRE-V1NGT-HU1T1EME. MANUEL. Dans 1'intervalle de fes guerres, Manuel y préparoit fes troupes par des exercices continuels. Dès le commencement de fon regne, il avoit fait de grands changements dans 1'armure des Grecs. Au-lieu de leurs rondaches légeres , & des fleches qui faifoient toutes leurs armes offenfives, il leur fit prendre de grands boucliers tk. de longues javelines. Mais l. Manuel. An. ii;ï, Exercices miliraires. Cinn. /. 3," c. 16.  214 II I S T O I R E il s'attacha fur-tout a former une bon- Manuel. An. 1152. II. Manuel en Pélagonie.Cinn. I. 3. e. 13. Nicet. I, 3, f. i. ne cavalerie. II étoit lui-même toujours a cheval, Sc faifoit exécuter a fes cavaliers toutes les évolutions en ufage dans la guerre. Partagés en deux corps , ils repréfentoient des combats; Sc Manuel , k leur tête, portant une javeline plus pefante Sc plus longue que toutes les autres , leur donnoit les lecons Sc 1'exemple pour attaquer 8c pour fe défendre. Raymond , Prince d'Antioche, lorfqu'il vint k Conftantinopie , -fut témoin de ces exercices. II paflbit pour le guerrier le plus vigoureux de fon temps; on 1'appelloit 1'Hercule d'Antioche. II ne put cependant manier qu'avec peine la javeline 8c le bouclier de Manuel. Geïfa, Roi de Hongrie, attendoit la décilïon de l'Empereur au fujet de la paix qu'il avoit demandée. Manuel, pour toute réponfe, porta la guerre dans fon pays, 8c vint lui-même k Sardique fe mettre k la tête de fes troupes. Cependant Geïfa, a force de prieres, détourna 1'orage; il obtint encore une trêve qui ne devoit pas être de longue durée, Sc Manuel tour»  nu Bas-Empike. Liv. LXXXPIH. 21$ na fes armes contre les Serves. II leur infpira tant de terreur, qu'ils renoncerent k leur alliance avec les Hongrois , 8c reconnurent pour Seigneur fuzerain l'Empereur Grec. Ayant congédié une partie de fon armée, il fe retira avec le refte dans la Pélagonie. Les plaines fertiles de cette contrée étoient propres a faire fubfifter fa cavalerie. C'étoit d'ailleurs une pofition commode pour veiller fur le: mouvements des Hongrois , dont le carattere remuant le tenoit en défiance. Quoique dans les joütes qui f< faifoient tous les jours, on ne fe {ervit que de javelines fans fer , ou don la pointe étoit garnie d'un bouton il arrivoit affez fouvent de facheuj accidents. Jean Comnene, neveu d< Manuel, 8c fils de défiint Andronic ^eune Prince très-aimable 8c parfai tement beau, eut un ceil crevé pa: un Chevalier Italien. Pour le confo Ier de cette difgrace, le Prince lu cönféra la charge de Protoveftiaire 8c bientót après il 1'éleva au rang di Protofébafle. Ces faveurs piquerent la jaloufid'Andronic, fds d'Ifaac, oncle de Ma Manuel. An. 1152, l » ; Ut. ■ Carailere  Manuel. An. n 51. d'Andronic. KUct. I. 3. c. t. °es 2.16 fflSTOIRE nuel. II faifoit alors la guerre en Cilicie. Avec tous les talents capables de féduire, c'étoit 1'ame la plus vile Sc la plus corrompue. Bien fait de fa perfonne, d'un courage de héros, & d'une force d'athlete, s'énoncant avec facilité & avec grace, nourri, élevé avec Manuel, il 1'accompagnoit dans tous fes exercices , il 1'amufoit par fon humeur enjouée, &c ne lui plaifoit que trop par la conformité de fes mceurs. Tous deux débauchés jufqu'a 1'incefte, tandis que Manuel entretenoit Théodora fa niece , Andronic vivoit publiquement avec Eudocie, foeur de Théodora , &C dans cet accord d'inclinations fcandaleufes , il fe vantoit d'être plus régulier que Manuel, paree qu'Eudocie n'étoit que fa coufine. Cette plaifanterie libertine n'étoit pas du goüt de Manuel; elle choquoit encore davantage Jean le Prótoveftiaire , frere des deux Princeffes concubines, & fean Cantacuzene qui avoit époufé Marie leur foeur. Ils agilfoient de concert pour perdre Andronic; mais celui-ci, auffi adroit que méchant , fe débarraffoit aifément de tous les pie-  du Bas-Empire. Lh. LXXXFIII. fio? ges que lui tendoient ces deux Seigneurs , beaucoup plushonnêtes gens que lui, mais fort inférieurs en génie. Avant que de partir pour la Hongrie , l'Empereur Ï'avoit envoyé en Cilicie. Ce pays étoit alors agité de grands troubles, &c 1'Empire couroit rifque de perdre tout le fruit des victoires que l'Empereur Jean y avoit remportées. Thoros, nommé Théodore par les Grecs , Prince d'Arménie, qui avoit fuccédé a fon frere Léon , fortit des défilés du mont Taurus; & comptant fur fa propre valeur, & fnr celle de fes troupes endurcies aux fatigues par une vie prefque fauvage , il entreprit la conquête de la Cilicie, que les Princes d'Antioche avoient long-temps difputée aux Grecs, & dont ils regrettoient la perte. Thoros étoit perfonnellement animé contre les Grecs; il avoit été pris autrefois dans les guerres de l'Empereur Jean ; & ayant été conduit a Conftantinopie, il s'étoit échappé de prifon. De retour en Cilicie, il ne refpiroit que vengeance; il avoit battu plus d'une fois les Commandants des troupes Grecques. Andro- Tome XIX* K Manuel. An. ii52. IV. Son mauvais fuccès en Cilicie.Cinn. I. J. C' 14. M 1 16.  Manuel, An. 1152, 2l8 II I S T O I R E nic, malgré fon grand courage, ne fut pas plus heureux. Ayant appris que Thoros étoit dans Mopfuefte, il va 1'y affiéger; & laiffant a fes Lieutenants la conduite du fiege, il paffe le temps avec des femmes , a table, au théatre, s'étant fait fuivre d'une troupe de Comédiens, dont il faifoit plus de cas que de fes Officiers &C de fes foldats. Thoros, qui n'entendoit rien aux pieces de théatre, mais qui favoit la guerre & ne dormoit pas toutes les nuits , en ayant obfervé une très-obfcure, dans laquelle il tomboit beaucoup de neige, fait ouvrir les portes de la ville, fort avec toutes fes troupes, fond fur 1'ennemi, renverfe , terraffe tout ce qu'il rencontre , & met le refte en fuite. Andronic , réveillé par le fracas & les cris , faute fur fon cheval, prend fes armes, court au bruit qu'il entend, donne des preuves fanglantes de fon courage; mais bientöt enveloppé, il s'ouvre un paffage a coups de lance; & ne voyant aucun moyen de rallier fes troupes que 1'épouvante avoit difperfées, il fuit lui-même, & gagne Antioche. Dans cette malheureufe fiir-  du Bas-Empirs. Liv. LXXXFIIL 219 prife périt Théodore Contoftephane, honoré du titre de Sébafie. II fut tué non par un ennemi, mais par un Officier Grec, qu'il avoit deffervi auprès de l'Empereur, & qui prit cette occafion d'une baffe & criminelle vengeance. Andronic, quidevoit être couvert de confufion, fi 1'habitude de la débauche n'émouflbit pas tout fentiment d'honneur, revint a la Cour en Pélagonie , auffi gai & auffi fier qu'il en étoit parti, faifant lui-mê-me des plaifanteries de 1'afFront qu'il avoit recu. Manuel, de fon cöté, voulant afFoiblir 1'idée de la perte qu'on avoit faite, affecfa de lui faire un bon accueil; il continua de 1'honorer publiquement de fa familiarité ; il lui donna même le Duché de Naïffe , de Branifoba ck de Caflorie: mais en particulier il le réprimanda vivement de Ia négligence & de cette pernicieufe molleffe, qui facrifioit au plaifir nonfeulement fa propre gloire, mais même 1'honneur & le falut de 1'Empire. Eudocie ne quittoit pas Andronic. Elle Ï'avoit fuivi en Cilicie, elle revint avec lui en Pélagonie. Cette Princefle agaerrie n'avoit alors d'auK ij Manuel. An. 115 ** V. Trahifon l'Androiic. Nictt,.!. J, ?. 1.  Manuel, An. 1152. Cinn. I. 3, <■. 17, iS, £20 H I S T O I R E tre demeure que la tente d'Andronic. La conduite .diffolue de Manuel ne lui faifoit pas perdre le droit d'arrêter ce défordre, mais lui en ötoit la hardieffe. Les deux Seigneurs intéreffés a réprimer un fcandale qui les rendoit la fable de toute l'armée, réfolurent d'en venir aux extrémités; & pendant une nuit, ils vinrent fe pofter avec une efcorte armée a la porte de la tente d'Andronic, pour le tuer dés qu'il fortiroit. Eudocie, plus vigilante, entendit le bruit des armes ; &c s'étant inftruite de 1'embufcade , elle réveille Andronic, lui confeille de prendre les habits d'une de fes femmes, & de fe fauver a la faveur de ce déguifement, Andronic rejette ce confeil , il ne veut pas, dit-il, être tué ou trainé a l'Empereur en habit de femme. II prend fes armes , coupe a coups de fabre la toile de fa tente , faute par-deffus une haie dont elle étoit bordée, & fe fauve a la vue des affaflins qui demeurent confus. Manuel n'en fit que rire. 11 aimoit Andronic ; mais il eut bientöt fujet de reconnoitre qu'il aimoit le plus ingrat de tous les hom-  du Bas-Empire. Liv. LXXXFIII. 221 mes. Andronic méditoit le plus noir de tous les forfaits; c'étoit de faire périr Manuel, 8c de prendre fa place. Dans ce deffein étant en Cilicie , il s'étoit lié d'amitié avec le Roi de Jérufalem, 8c le Sultan des Turcs j pour les mettre dans fes intéréts. A fon retour en Pélagonie , il voulut encore s'appuyer d'un fecours du cöté de 1'Occident. Dés qu'il fut revêtu du Duché de Branifoba 8c de Naïffe, il fit favoir au Roi de Hongrie, que s'il vouloit 1'aider dans fon deffein!-, il lui céderoitces deux places. Mais craignant que l'Empereur ne découvrit cette intrigue , il lui en fit une fauffe confidence , 8c lui dit que, par une feinte intelligence, il alloit attirerdans le piege les premiers Seigneurs de Hongrie, 8c les lui mettre entre les mains. L'Empereur étoit mieux inftruit qu'il ne penfoit. On avoit intercepté quelques-unes de fes lettres a Geïfa, qui dévoiloient toute la trahifon. Manuel, pour le mieux convainere, feignit de le croire , 8c 1'exhorta même a continuer fa correfpondance. Andronic profita de cette permif fion pour conclure fon traité avec K iij MANUEL' An. 115?.  Manuel. An. 1152. VI. Ses attentais. 2fl2 HlSTOIKB Geïfa, & pour nouer une nouvelle intrigue avec Fréderic, Empereur d'Allemagne, qui venoit de fuccéder k Conrad. Ces deux Princes devoient lui envoyer des fecours, lorfqu'il en demanderoit pour 1'exécution de fon projet. Ses pernicieux deffeins étant découverts , il étoit veillé de trop prés pour y réufïir. L'armée Grecque étoit campée prés d'Héraclée dans la Lynceflide , contrée de la Macédoine , qui, dans ce temps-la , felon Cinname , faifoit partie de la Pélagonie. L'Empereur, paffionné pour la chalfe, palfoit le temps dans les forêts k pourfuivre les ours & les fangliers; & comme il avoit autant de force que de hardieffe, il fe plaifoit a combattre a pied un épieu a la main ces terribles animaux. Souvent même il faifoit planter fa tente au milieu du bois, & y paffoit la nuit pour être en chaffe dés le point du jour. Andronic, averti du lieu oü le Prince campoit , s'y tranfporte pendant la nuit avec fes gardes bien armés; c'étoient des barbares qu'il avoit amenés d'Orient, & qui s'étoient aveu-?  du Bjs-Empire. Lw. LXXXPIII. *n glément dévoués a fon fervice. Ü les place en embufcade dans la foret, & leur laiffe fon cheval qu'il avoit choifi le plus vite k la courfe. S'étant vêtu d'une cafaque Italienne pour n'être pas reconnu, il approche de la tente de l'Empereur fans autre arme qu'un poignard. Jean Comnene , le frere de fa maitreffe, fut le premier a le reconnoitre; H en avertit la garde qui veilloit autour du Prince, & qui mit auffi-töt i'épée k la mam. Andronic fe voyant découvert fe retire &c retourne au camp. II fit en córe une autre fois la même tentative, & n'eut pas plus de fuccès. Comme l'Empereur revenoit au camp poui éviter de pareils attentats, il entendit derrière lui de grands cris; loir de fuir il retourne auffi-töt fur fe; pas. Cétoit Jean Comnene attaqut par un furieux fanglier. Manuel tu< 1'animal, & regagne le camp. II fu affez maitre de lui-même, pour n faire fentir k Andronic aucune défiar ce. II s'en falloit bien qu'Androni fut auffi prudent. II panfoit lui-mêm avec un foin extraordinaire le chev; dont je viens de parler. Un jour qu K iv MANUEt. An. 1152. t  Manuel. An. 11 jz. VII. Suite de la guerre ie Hongrie. Cinn. I, 3. c. 19. Nicet. I. 3. c. 1, S24 HlSTOIRE l'Empereur le vit dans cette occupa» tion fmguliere : Pourquoi donc , lui dit-il , cet animal vous ejl-il fi cher ? Cejl} répondit-il, qu'il mefervira d mt fauver, quandjaurai abattu la tête de mon plus mortel ennemi, C'étoit Jean Comnene, ou peut-être l'Empereur même. Manuel feignit de n'y rien entendre. II fe contenta de faire obferver toutes fes démarches, tant quïL fut dans ces contrées. Mais 1'année fuivante, dés qu'il fut de retour k Conftantinopie , il le fit enfermer dans la prifon du palais. Cependant, le Roi de Hongrie, peu inftruit de ce qui fe paflbit auprès de Manuel, vint attaquer Branifoba. Manuel, moins furpris de cette rupture de la trêve, paree qu'il étoit informé des manoeuvres d'Andronic, marche vers le Danube ; & pour engager les habitants de Branifoba k fe bien défendre , il leur envoyé la promefle d'un prompt fecours dans une lettre portée par un foldat, qui devoit la faire paffer dans la ville par le moyen d'une fleche. Le foldat ayant tiré de trop loin, la fleche avec la lettre tomba entre les mains des Hon-  du Bas-Empire. Lh. LXXXVltl èi§ grois, qui prenant 1'épóuvante comme fi Manuel eüt déja été fur eux, brülerent leurs machines , décamperenten diligence, 6c gagnerentle Danube pour mettre le fleuve entre eux 6c l'Empereur. Mais le trouvant fort enflé par les pluies , ils tournerent vers Zeugmine, oü ils avoient une faöion en leur faveur. L'Empereur, informé de la levée du fiege, ne fe preffoit pas de les pourfuivre. Apprenant que le Prince de Bofnie qui s'étoit joint aux Hongrois , retournoit dans fon pays, il donne a Bafile Zinziluc un détachement de fes meilleures troupes pour aller 1'attaquer en chemin. Bafile fe trompanl de route fe met a la pourfuite de« Hongrois; 6c les ayant atteint, il y jette d'abord le défordre , paree qu'il; s'imaginerent que c'étoit 1'Empereui même qui leur tomboit fur les bras Plufieurs fe noyerent en voulant paf fer le Danube. Mais lodqu'ils euren reconnu que ce n'étoit qu'un déta chement, 6c que l'Empereur étoit ën core éloigné, ils fe raffurerent, tour nerent vifage , 6c taillerent en piece ks troupes de Bafile , qui fut affe K v Manuel» An. li"fi.. j ï S  An. nji. An. ii 53. VIII. Paix avec les Hongrois, iZÖ IIlSTOIRE heureux pour fe fauver. A cette nouvelle, Manuel fait partir Cantacuzene pour recueillir les débris de la défaite, enterrer les morts, & s'afftirer de Zeugmine. II fe met lui-même a la pourfuite des Hongrois : mais ils étoient trop avancés. Cantacuzene lui ramena chargés de fers les habitants de Zeugmine, qui étoient dlntelligence avec les Hongrois , & Manuel difiribua fes troupes en quartier d'hyver prés de Berée en Macédoine. Les ayant raffemblées au printemps, il fe mit en marche , réfolu de périétrer jufqu'au centre de la Hongrie. ü étoit déja au bord du Danube avec toute fon armée , & quantité de vaiffeaux qu'il avoit fait venir de Conf:antinople, étoient prêts pour le paffage , lorfque Geïfa fe voyant raeriacé d'une ruine prochaine, lui envoya des députés, offrant de rendre les prifonniers , le butin, les armes, les chevaux, & a la place de ceux ^ui étoient morts , autant de chevaux Hongrois. Manuel rejetta d'a?ord ces propofitions. II s'adoucit enfuiie; & ce traité mit fin pour quel-  bu Bjs-Empire. Liv. LXXXFIII. 227 que temps a une guerre plus opiniafre que dangereufe. Manuel ne perdoit pas de vue le deffein qu'il avoit formé de rentrer en Italië. Auffi préfomptueux que vaillant & infatigable , il fe croyoit né pour réparer les fautes de fes prédéceffeurs. II ne fe propofoit rien moins que d'arracher aux Princes Normands toutes leurs conquêtes, & de rendre a 1'Empire la Pouille , la Calabre & la Sicile. Le choix qu'il avoit fait d'Axuch, grand homme de guerre, mais peu inflruit dans la marine , avoit fait échouer la première entreprife. Pendant qu'il fe préparoit a une nouvelle expédition, le Roi de Sicile lui demanda la paix Roger venoit de mourir. Guillaumf fon fils, qui lui fuccédoit, ne ff croyoit pas affez affermi dans fe! Ëtats peur foutenir une guerre. I offroit a Manuel la refVitution de tou ce que les troupes Siciliennes avoien enjevé dans 1'incurfion qu'elles a voient faite en Grece. II promettoi de plus, telle fatisfaöion que 1'Em pereur jugeroit a propos d'exigei Une fi hufflble foumiffion ne fut pa K vj Manuel. An. 1154. IX, Conftantin 1'Angs défait & pris par les Siciliens.Cinn. L c. 12, 13» Nicet. U 2, e. 7. Romualtfr Salern-, ckr-r l t t SS  MANtlEt. An, 1154, aaS H / s t o i a. g capable de défarmer Manuel. II rettvoya, fans réponfe, les Ambaffadeurs, travailla a mettre fa flotte en état de temr la mer; & avant qu'elle fut ëntiérement équipée, il fit partir les vaiffeaux qui fe trouverent prêts les premiers, fous le commandement de fon oncle Conftantin 1'Ange, avec ordre d'attendre le refte fur la cöte de Laconie. Avant fon départ, Manuel, fort entêté des vifions de 1'aftrologie, fit confulter la pofition des planetes pour prendre le moment Ie plus favorable; &c quand fa flotte fut fortie du port , étant averti qu'il y avoit eu erreur dans cette importante opération, il Ia fit revenir, & ne la laiffa remettre a la voile qu'après une fcrupuleufe obfervation , qui promettoit un fuccès infaillible. Conftantin, fecondé d'un bon vent, arriva en peu de jours au port de Monembafie. II y attendoit !e refte des vaiffeaux, lorfqu'il découvrit une flotte Sicilienne qui revenoit d'Egypte chargée de richeffes. Ne pcuvant retenir fon avidité, malgré les ordres de l'Empereur, qui lui avoit expreffément dé-  du Bas Empire. Liv.LXXXFIH. 2*9 fendu d'engager auciin combat avant la réunion de toute la flotte, il vogue k toutes voiles vers 1'ennemi. Les Siciliens fuyent d'abord en bon ordre; mais fe voyant pourfuivis en confufion , tk s'appercevant du petit nombre , ils revirent de bord. En même-temps le vent change, Sc devient contraire aux Grecs. Nicolas 1'Ange , frere de 1'Amiral, prend Ia fuite avec la divifion qu'il commandoit. Tout fe difperfe. Conftantin, abandonné tk enveloppé , eft pris avec fon frere. On les conduit en Sicile , & Guillaume les fit mettre en prifon. Manuel fut auffi furpris que honteux de cet échec; les planetes lui avoient manqué de parole; mais il trouva des railons pour les excufer, & elles ne perdirent rien de leur crédit fur fon efprit. L'efpérance d'un puiffant fecours 5 que devoit lui procurer 1'alliance de l'Empereur d'Allemagne, le confola de la perte qu'il venoit de faire. Fréderic, neveu tk fucceffeur de Conrad, avoit fait diffoudre fon mariage pour raifon de parenté, tk cherchoit une époufe dont la naifiance put faire Manuel. An. 11)4. X. Négociation avec Fréderic. Cinn, l. 4. c. 1. Guill. Tyr. I iS. c. 7. Otho Frif. ie, gefiis Frid. c. a, 20, ÏJ.31.  HlSTÖIRÊ honneur a la maifon de Snahp. A vanf Manuel. An. 1154. Vrfperg. shron, XI. Prife de Bari par les Grecs. Cinn. I. 4. t. 1, 3. £t iAi ifa Cange. appris qu'on élevoit a Conftantinopie une jeune Princeffe fort belle, nommée Marie, fille d'Ifaac, & niece de Manuel, il la fit demander en mariage, promettant d'aider Manuel de toutes fes forces pour la conquête de 1'Italie méridionale, & de tenir la parole qu'en avoit donnée Conrad k fon retour de Paleftine. Manuel recj.it avec joie cette propofition; & pour arrêter les conditions du traité, il députa trois des principaux Seigneurs , Michel Paléologuer Jean Ducas, & Alexandre, Comte de Gravina, Ils trouverent Fréderic dans la ville d'Ancöne. Mais ce Prince avoit déja changé dravis. II négocioit un mariage avec Béatrix, fille de Renaud, Comte de Bourgogne; & fon armée fe trouvant en trop mauvais état pour rien entreprendre en Italië, il étoit fur le point de repaffer les Alpes. II fallut donc fe paffer de fon fecours. On en trouva un , moins puiffant k la vérité, mais plus folide, dans un Prince ennemi irréconciliable du Roi de Sicile. Robert de Baffeville, Comte de Lorritelle, neveu de Ro*  v u Bas -Empire• Liv. LXXXHII. 231 crpr. avnit été chéri de fon oncle, qui fembloit même le préférer a fon fils. Guillaume en concut une jaloufie qui éclata lorfqull fut fur le fröne. Robert, fe voyant menacé de perdre fon Comté, fe ligua fecretement avec Fréderic Sc avec Manuel, contre Guillaume. Lorfqu'il vit une flotte Grecque fur les cötes d'Italie, & une armée dans le pays, il leva 1'étendard de la révolte, 8c fe joignit aux Grecs. Paléologue s'étoit déja rendu maitre de plufieurs places; il afliégeoit Bari par mer 8c par terre, lorfque Robert vint le joindre avec un grand nombre de troupes que fon crédit lui avoit fait raffembler de la Pouille 8c de la Calabre. Les aflïégés {e défendoient avec vigueur, &c le fiege duroit depuis plufieurs jours, fans aucune apparence de fuccès. Pour. vaincre 1'opiniatreté des habitants, le Comte de Gravina, qui étoit fur la flotte, s'avifa d'un moyen plus füi & plus fort que toutes les machine: de guerre. II fe charge d'or au tam qu'il en peut porter, & fe fait defcendre fur le rivage. La, déployant ü cafaque, Sc montrant a eeux qui bor Manuel. An. m 54. i  Manuel. An, 1154. 232 HlSTOIRE doient le haut des murs, 1'or dont elle étoit remplie, il s'écrie : Que tous ceux qui veulent de Cor& la liberté,viennent ici; ils trouveront 1'un & 1'autre. A lappas de ce métal féducteur, une foule d'habitants éblouis fort de la ville; ils fe jettent avec avidité fur le tréfor qu'on leur préfente, & crient: Vivet vive, l'Empereur Manuel; nous fbmmes d lui; plus de guerre. Les Grecs entrent dans la ville; mais la garnifon, qui étoit nombreufe, fe fauve dans la citadelle, qu'il fallut afïïéger. Paléologue s'en rendit encore rnaitre par un ftratagême groflïer, qui cependant lui réuffit. II y avoit, dans cette place, une Eglife de SaintNicolas en grande vénération dans le pays. Une troupe de foldats, déguifés en Moines , fe préfenterent de grand matin k la porte de la citadelIe , demandant avec inftance d'être introduits, pour fatisfaire k leur dévotion. On leur ouvre un guichet; & dés qu'ils y font entrés, ils tirent les épées cachées fous leur froc, maffacrent les fentinelles; & maïtres des portes, ils introduifent l'armée.' Les habitants, mécontents du Roi de Si-  du Bas-Empire. Liv.LXXXVllL 233 cile, qui les accabloit d'impöts, détruifïrent eux-mêmes cette citadelle. malgré les prieres de Paléologue, qui auroitj defiré de la conferver. Les Grecs s'étoient divifés en plufieurs corps pour embrafler une plu< grande étendue de pays. On n'avoii pas a combattre de grandes armées: les Seigneurs fideles a Guillaume zvoient armé leurs vaffaux; ce n'étoient que des pelotons de deux 01 trois mille hommes qui fe jettoien dans les places pour les défendre, 01 qui cherchoient a furprendre quel que détachement de l'armée Grec que. Ce qui rendoit les fuccès de Grecs plus rapides , c'étoit le mé contentement des Seigneurs & de peuples , qui, defirant depuis long temps détre délivrés de la tyranni des Rois de Sicile , fe donnoient vo lontiers k leurs anciens maitres. Un fourberie politique aidoit encore leur faire ouvrir les portes des vil les par les partifans de Fréderic. Le députés envoyés k ce Prince avoieri furpris des lettres de cet Empereur fur lefquelles ils avoient pris 1'em preinte de fon fceau. Revenus dan Manuel» An. 1154. XII. Ducas de> fait Richard , Comte d'Andrie. Cinn. I. 4. ' c. 4 , & ibi du Cangi. [ Otho Frif. ' de ge/lis l Frid. L 2. ■ '« 19'. i 5 ï S t ♦ s  234 H I S T O I R E la Pouille . ils nuhlipi-pnr Manuei. An, 1154. i I 1 I i < 1 j < < \ I deric cédoit aux Grecs le droit qu'il avoit fur les contrées maritimes ; ce qu'ils prouvoient par des lettres fcellées du fceau de ce Prince. A ce menfonge, ils joignoient 1'argent pour corrompre les principaux, & par ce doublé moyen, ils avoient difpofé une grande partie du pays a fe donner k eux. Ils avoient déja pris Trani & Juvenace, prés de Bari, & rnarchoient k Barlette, ou s'étoit renfermé Richard, Comte d'Andrie, place forte de la terre d'Otrante. Ce Comte étoit un homme cruel, qui, pour la plus légere offenfe, faifoit couper es pieds & les mains, & arracher es entrailles. A 1'approche de Jean Ducas, qui n'étoit fuivi que de lix :ents chevaux, & de quelque infanerie, il fort de Barlette k la tête le dix-huit cents chevaux, & d'une nfanterie beaucoup plus nombreufe me celle de Ducas. II eft cependant )attu & forcé de rentrer dans la pla:e. On dit que dans ce combat, Du* :as tua de fa main trente cavaliers, lichard, ne voulant pas fe laifferafiéger dans Barlette, qui n'étoit pas  •du Bas-Empike.Uv. LXXXVI1L 235 capable d'une longue réfiftance , fe ' retira & gagna le fort d'Andrie. Ducas , joint au Comte Robert, le pourfuivit; tk Richard , qui fe piquoit de valeur, fortit de la place & ie rangea en bataille. Le combat fut vil & opini&tre. Richard fe croyoit déja maitre de la victoire, lorfqu'un Prêtre de Trani , qui fe trouvoit dans l'armée de Ducas, 1'abattit d'un coup de pierre qui lui rompit une jambe. Le Comte, fe roulant par terre en faifant d'horribles imprécations, recut un autre coup qui le laiffa prefque fans vie. Le Prêtre accourt, lui arrache fon épée, lui ouvre le ventre, tk en tire les entrailles dont il lui frappe le vifage, exercant fur cet impitoyable tyran une cruauté égale a la fienne. La guerre ne s'étoit faite jufqu'alors que par des détachements. On attaquoit, on emportoit des chateaux tk des places. Les combats n'étoient que des forties de garnifons qu'on repouffoit fans beaucoup de peine, ou des rencontres de petits corps de troupes , oü les Grecs avoient ordinairement 1'avantage. Le Roi de Sicile, qui avoit déja beaucoup perdu, fit VIanuel* Vn. 1154* XIII. Jean 1'An. ge arrivé en Italië. Cinn. I. 4. c 5. 6. &> ibi du Coa»  Manuel. An. ii 54. 236 HlSTOIRE paffer en Italië une armée, & en même-temps il arriva aux Grecs un nouveau renfort. Jean 1'Ange, troiiieme fils de Conftantin 1'Ange & de Théodore Comnene, débarqua en Italië avec des troupes, tk Jean Ducas s'étant joint a lui, ils allerent affiéger un chateau dans la terre d'Otrante. Anfcotin, Chancelier du Roi de Sicile, & Général de fes troupes, marcha pour les combattre. II étoit beaucoup plus fort en nombre , tk fes troupes étoient mieux armées. Le courage des Grecs répara ces défavantages. Le combat, commencé au point du jour, fe foutint jufqu'a midi avec un égal acharnement, tk la vicfoire balancoit encore, lorfque les Siciliens, par un dernier effort, firent plier les Grecs. En ce moment, Jean Ducas rappellant tout fon courage , tk animant par fes paroles tk par fon exemple fes troupes particulieres, fe jette^ tête baiffée au travers des ennemis. Le combat fe renouvelle avec plus de fureur. Les Grecs enfin vainqueurs, taillent en pieces un grand nombre de Siciliens; tk après les avoir quelque temps pourfuivis, ils retour-  du Bas-Empirè. Lh. LXXXFIII. 137 rc^t an rriarpan nu'ils affiéereoient. le forcent, y trouvent quantité de provifions dont ils avoient befoin, & fe retirent k Bari. Cette victoire les rendit maitres d'un grand nombre de places, & entre autres de Gravina, qui fut rendue au Comte Alexandre. Le Roi de Sicile perdoit peu-a-peu fes poffeffions d'Italie, & 1'Empire recouvroit fon ancien domaine, lorfqu'il fit une perte plus importante que celle d'une bataille. Paléologue, qui, par fon génie & fon expérience, étoit 1'ame de toute cette expédition , mourut de maladie a Bari. Ce guerrier, aufïï pieux que vaillant, fe voyant prêt a rendre les derniers foupirs, voulut mourir dans 1'habit monaftique, felon la dévotion de ce temps-la, & recommanda la conduite de la guerre k Jean Ducas, qui lui rendit les derniers devoirs. Robert de BafTeviiie,mécontent de Paléologue, s'étoit féparé des Grecs. Ducas s'empreffa de regagner, pa« fes libéralités, 1'amitié de ce Comte puiffant, dont le courage & les troupes étoient très-utiles k 1'Empire. Ra Manuel. kn. 11; 4' XIV. Mort de Michel Paléologue. Cinn. I. 4; o 7. XV. Succès de Ducas. Cinn. I. 4, c. 8 , 9.  Manuel. An. zi 54. 4 4 &38 HlSTOIRÈ bert alla donc fe rejoindre k Ducas. Ils prirent enfemble Polymile , Molilfe , Mafafra , tk battirent, k une lieue de Tarente, l'armée Sicilienne commandée par Flaming, qui fe fauva dans la ville. Ce Général, tréshardi dès qu'il avoit perdu de vue 1'ennemi, piqué des railleries des Tarentins , fortit en fanfaron, donnant parole qu'il alloit réparer fon honneur, & recut un nouvel affront. A peine fe vit-il en préfence des Grecs, que la peur le prit encore; il tourna le dos, fut reconduit dans Tarente par quelques efcadrons, qui n'épargnerent pas la queue de fon armée. Les Grecs auroient volontiers attaqué la ville; mais Fentreprife paroiffant trop difRcile, ils fe contenterent de ravager la campagne. L'abondance régnoit dans ce pays fertile , tk le foldat Grec y trouva une fi grande ^uantité de troupeaux , qu'il donnoit un bceuf ou treize moutons pour un écu de notre monnoie. On tira des fers quantité de prifonniers Grecs létenus dans les chateaux. On alla ;nfuite affiéger Monopoli, ville maïtisne entre Bari & Brindes, Les ha-  Manuel.' An. 1154. du Bas-Empire. Liv. LXXXF1II. 2.39 bitants fe défendirent d'abord avec opiniatreté, dans 1'efpérance d'un fecours que Flaming leur promettoit. En effet, il s'avanca jufqu'a une lieue de la ville. Mais comme il n'ofoit approcher de plus prés, les affiégés, indignés de fa lacheté , fe rendirent. Les Grecs coururent auffi-töt a Flaming , qui n'eut pas plutöt appercu les étendards de 1'Empire plantés fur les murs de Monopoli, qu'il fe fauva le premier a toute briae, laiffant derrière lui fes troupes, qui furent fort maltraitées. TVtmc mmWp rlp or1nil-p_ nafTa 1'hv- j^"v-"j» -~ - ö* 1 r ■ - j ver a Monopoli. II avoit fans doute a fe féliciter d'un début fi beureux. Mais ce guerrier, aufli prudent qu'il étoit brave , ne croyoit pas que les fuccès paffes fufTent de fïïrs garants de 1'avenir. II écrivit a l'Empereur, qiiil rtauroit pas befoin de fecours, s'il riavoit affaire quaux troupes Siciliennes qui étoient pour lors en Italië , auffi fouvent battues qu'attaquées. Mais que le Roi Guillaume armoit par terre & par mer, & qu'on alloit avoir fur les bras toutes les forces de la Sicile. Il terminoit fa lettre en ces termes. An. 115 5. XVI. Prife de Brindes. Cihn. I. 4.' C. IQ.  240 HlSTOIRE. Toutes les paroles de Votre Majefll, Manuel. An. 115 5. font pour moi des legons toujours préfentes d mon efprit. Je lui ai plus d'une fois entendu dire, qü'entrep'rendre de grandes chofes avec peu'de forces , fi Von réujjit, c'eft fe couvrir de gloire ; mais fi fon èchoue dans Vexecution, c'eft s'attirer une doublé home, celle du mauvais fuccès, & celle de l'entreprife. En attendant 1'effet de fa demande, il fe mit en campagne au commencement du printemps; & après avoir pris Oftune, k moitié chemin de Monopoli & de Brindes, il alla camper la veille de Paques aux portes de cette derniere ville. L'armée Grecque palfa ces faints jours fans faire aucun mouvement pour 1'attaque. Ce que les habitants attribuant a lacheté, vinrent infulter le camp, & furent vivement repoulfés. Les fêtes étant paifées, on drelfa les batteries. Les murailles qui étoient d'ancienne conftruttion, paroiffoient a 1'épreuve des plus fortes machines. Mais les pierres qu'on lancoit fans celfe dans la ville, y faifoient une fi terrible exécution, que les habitants demanderent k capituler. Les conditions  du Bas-Empi&e. Liv. LXXXFUL 241 conditions étant acceptées, les Grecs furent recus dans la ville. La garnifon fe retira dans la citadelle, bien réfolue de s'y défendre jufqu'a 1'arï-ivée du Roi de Sicile. Guillaume avöit mis en mer une grande flotte; & ayant paffé le détroit, il marchoit lui-même a la tête d'une armée pour aller combattre les Grecs. Comme il avoit toute la largeur de 1'Italie a traverfer, il détacha de fa flotte une nombreufe efcadre , & 1'envoya d'avance s'emparer du port de Brindes. A cette nouvelle, Ducas quitte le fiege de la citadelle , il partage fon armée en deux corps, 1'un formé des troupes Italiennes fort de la ville fous la conduite de Robert '& de Jean 1 Ange, pour s'oppofer a Guillaume. Ducas fe met a'la tête de 1'autre, compofé de la cavalerie Grecque , armée dc toutes pieces. II n'avoit que quatorze vaiffeaux, & 1'efcadre ennemie étoit beaucoup plus forte. II leur ordonne de prendre le large en cötoyanl la flotte Sicilienne, de la laiffer entrer dans le port, ck de lui fermei cnfuite la fbrtie , tandis qu'il la fou Tornt XIX, L ManulI.. An. 11,5 5. xvir. Bataüle navalc. Cinn. L. 4, c, ii.  Manuel. An. ii55. «4* H I S T 0 I R E droieroit par les décharges de fes machines placées autour du port fur le rivage , & par les traits de fa cavalerie , dont elle feroit environnée. Pour animer le courage de fes troupes qui fembloient effrayées du nombre des vaiffeaux ennemis, il leur fait accroire que ce jour-la même alloit arriver une grande flotte de Conftantinopie. Et quelle honte pour nous , leur dit-il, fi, après tant de combats, tant de fieges & defatigues', nous laiffons a Cinn. I. 4. 1 e. 14. Meet. I, 2. ï S4<5 Histoirb Les coureurs de l'armée Grecque eurent d'abord quelque avantage fur ceux de l'armée Sicilienne; mais la bataille décida du fort de 1'Italie. Les Impériaux fort inférieur? en nombre furent entiérement défaits après une longue réfiltance. Tout fe difperfa ; Alexis &c Jean 1'Ange fe fauverent dans Brindes. Jean Ducas fut pris après s'être courageufement défendu. Brindes ouvrit fes portes au vainqueur, & Alexis fut fait prifonnier avec tous ceux qui 1'avoient accorapagné. Les Barons rébelles qui avoient pris le parti des Grecs, tomberent entre les mains du Roi. II fit pendre les uns, crever les yeux aux autres, Robert de Bafleville eut le bonheur d'échapper; il s'exila lui-même, &c ne revint en Italië qu'après la mort de Guillaume. Le vainqueur marcha enfuite k Bari , le prit & le ruina. 1 recouvra toutes les places qu'on lui avoit enlevées. ; Manuel, affligé de ces pertes, ne perlit pas néanmoins 1'efpérance de les ■éparer. Un autre Alexis, grand E:uyer, fils d'Andronic, frere de Mantel , fut envoyé a Ancone pour yj  su Bas-Empire. Liv. LXXXV11I. h7 lever de nouvelles troupes, recueilHr les débris de l'armée vaincue, 8c ranimer le courage des Seigneurs Italiens révoltés contre Guillaume. Des le temps du fiege de Corfou, Manuel voyant la mauvaife difpoütion des Vénitiens, avoit contracté une étroite alliance avec la ville d'Ancone, pour avoir une place de fürete. d'oii il put porter fes armes dans le: diverfes contrées de 1'Italie. Alexi: fe-rendit donc dans cette ville , d'oi il envoya Conftantin Otus, &c le Com te André pour raffembler des fol dats. Le Pape Adrien IV voulut em pêcher Conftantin de faire des levée fur les terres de 1'Eglife. Ce Pap avoit d'abord été ennemi de GuiJ laume , & favorifoit les Seigneurs r< belles. Manuel profitant de ces broui lèries lui avoit député Paléologue Bénévent, pour lui offrir cinq mil livres d'or, avec promeffe de cha fer Guillaume de 1'Italie, s'il voi loit lui donner trois villes fur le g< fe Adriatique. Guillaume, averti ( cette négociation, avoit taché de rompre en fe réconciliant avec le P pe, avant que d'aller combattre 1 L iv Manuel. An. ii5 5« Guill.Tyr. I. I5.c.3. Chron, Pifon. Romualdl SaUrn.thr. Platina M Aniriano IV. ; Pap a& . Bar. t S e tae f1illela 1es  Manuel. An. li jj. 248 H I S T O I K E Grecs. Adrien y étoit aflez porté de lui-même; mais plufieurs Cardinaux, ennemis du Roi de Sicile, s'y étoient oppofés. Après la vidoire de Guillaume , Adrien n'ofa plus rejetter fes propolïtions; il le reconnut pour Roi des^ deux Siciles; ce qu'il avoit refufé jufqu'alors, & fe déclara contre 1'Empire Grec. Un grand nombre de Seigneurs de 1'Etat Eccléfiaitique , que Manuel avoit eu foin de gagner , n'en furent que plus animés a favorifer Conftantin. Ils lui prêterent main-forte pour lever des foldats; & malgré 1'excommunication lancée contre eux, ils le fervirent avec tant de zele, qu'un d'entre eux, effrayé de fanathême, ayant changé de parti, ils le chaflerent de fes terres ; tk par un fïngulier caprice, épargnant fa perfonne , ils prétendirent le flétrir en faifant fouffrir a fon cheval le fupplice de 1'eftrapade. S'étant eux-mêmes révoltés contre le Pape, ils le forcsrent a lever 1'excommuaication. Alexis ayant donc mis fur pied une nouvelle armée, rentra en Pouille d'oü Guillaume s'étoit retiré, tk reprit plufieurs places. Maisbien  dü Bas Empire. Lh. LXXXFIII. H9 perfuadé qu'il feroit difficile de conferver ces conquêtes, il fut le premier a porter Manuel a la paix avec le Roi de Sicile ; & en ayant recu la permiffion, il entama une négociation avec Maius , Amiral de la flotte Sicilienne. Comme 1'afFaire trainoit en longueur, Guillaume, pour en accélérer la conclufion, donna ordre a fon Amiral d'aller avec quarante vaiffeaux légers chargés de quatre mille hommes, chercher la flotte des Grecs ,& braver l'Empereur jufqu'aux portes de Conftantinopie. Maius part au mois de Juin, rencontre la flotte de Manuel a Negrepont, c'eft 1'aneienne Chalcis en Eubée; il la défait, brille les vaiffeaux , prend la ville, & vogue vers Conftantinopie, Manuel étoit abfent, & le port fe trouvoit alors fans défenfe. L'Amiral Sicilien pénetre jufqu'au palais de Bla quernes, cueille des fruits dans le: jardins de l'Empereur, lance fur le: batiments des fleches dorées ou ar gentées; & retournantenfuite, il s'ai rête vis-a-vis du grand palais a 1'en trée du Bofphore dans la Propont de , & ra en préfence de tout le pev L v Manuel. Aa. 115 5. I  Mamvei, Aq. n 5 j, XX. Paix avec Je Roi de Sicile. Cin. I. 14. f 15 friAr. du Cange. Nicet. I. 2, ! c S. ] Chron. CflflSj. j { t t I HlSTOIkB ple afïemblé en tumulre fur le rivage, il fait proclamer Guillaume Roi de Sicile, mattre d''Aquilêe, de Capoue 9 de Pouille9 de Calabre, & de toutes les ip.es comprifes dans l'ètendue de ces pays , fur lefquels Manuel n'avoit aucun droit. Toute la flotte applaudit par de grandes acclamations. II laiffa la ville dans une extréme agitation; & fier d'avoir infulté l'Empereur jufque dans fa capitale, il retourne en Sicile au mois de Septembre. Ce fut pour Guillaume un fujet de triomphe. Mais Manuel , peu fenfible a cette vaine bravade, n'en daigna montrer aucun reffentiment. Malgré ces fuccès, Guillaume foubaitoit la paix. II étoit content d'é'oigner les Grecs de 1'Italie, &dere:ouvrer les places qu'ils lui avoient mlevées. Manuel, dont les finances 'éouifoient, ne la defiroit pas moins. 1 avoit recommandé a Alexis dén nénager les occafions. Les prifonniers ïrecs détenus en Sicile n'afpiroient ju 'après la liberté. Les mauvais traiements les avoient tellement abatlis , qu'ils s'étoient engagés par fer•ent k r-enoncer k la conquête de  duBjs-Empire. Liv. LXXXVIU. 251 1'Italie. L'Empereur, inftruit de cette promeffe téméraire , leur en fit des reproches par des lettres foudroyantes , & manda en même-temps a Guillaume, quil ne devoit pas compter fut des ferments extorqués par violence ; que ces miférables Lui promettoient ce qui n'é* toit pas en leur pouvoir; que pour lui qui étoit le mattre, loin de ratifier leun parole, il étoit bien réfolu de ne quil' ter les armes , qu'après avoir remis £-Empire en poffeffion de £ Italië & de la Si' cile , fes anciens domaines. Une proteftation fi opiniatre n'öta pas k Guillaume Pefpérance d'un accommodement. II favoit qu'avec les caractere: violents & impétueux, tels que celui de Manuel, jamais la réconcilia tion n'eft plus proche , que quand U colere les a jettés hors de mefivre. I lui répondit donc par une lettre plet ne d'adreffe , qui mérite d'être rap portée. >> Généreux Empereur , fi votn » deffein étoit de vous venger, Vo » tre Majefté doit être fatisfaite. Vou » avez pris en Italië plus de trois cent » places, & vous vous êtes acquis un » gloire , k laquelle nul Empereu L vj Manuel. Aa. 115,1 t 1 * XXT. . Lettre dé , Guillïu' me a Mn.* > nuel, S.  Manuel. An. iijj. IJlSTOIRE » n'a pu atteindre depuis Juftinïerf, » Comparez, je vous prie, 1'incur» fion paffagere que nous avons faite » en Grece avec vos conquêtes d'I» talie. Vos foldats y féjournent de» puis deux ans; que de ravages, » que de maffacresl Plus du tiers »> de cette terre infortunée eft abreu» vée de fang. Mettez dans la balance » les maux que nous avons faits &c » ceux que nous avons fbufferts. Si » Votre Majefté nous trouve trop au» deflous de fa grandeur, pour en» trer en compte avec elle , tour» nez vos regards fur vos prédécef» feurs , comparez-vous avec eux. » N'y a-t-il jamais eu de peuple qui »_ aitattaqué 1'Empire? L'Empire n'a>> t-il jamais donné la paix k ceux » qui 1'avoient attaqué ? Robert, fi »> Ie nom de ce guerrier ne blelfe w pas vos oreilles, ce Robert qui fit » trembler Dyrrachium , a livré a « votre aïeul de fanglants combats. » Votre aïeul cependant fit la paix » avec lui, & le laiffa retourner en » Italië fans 1'y pourfuivre. Vous » nous y avez pourfuivis; vous nous v y avez enlevé prefque toutes nos  du Bas-Empire. Lh. LXXXVIIT. 253 » poffeffions. Encore une fois , grand » Prince, vous n'êtes que trop ven- '. » gé. II vous fera glorieux de nous » faire fentir votre générofité , après » nous avoir fait éprouver votre puif» fance. Devenus vos amis, nous re» mettrons avec joie entre vos mains » ces guerriers illuftres, que le fort » des armes a fait tomber dans les » nötres. Si vous continuez la guer» re, qui pourra nous faire un cri» me de nos efforts pour nous dé» fendrer LaggrefTeur a 1'avantage » de la hardielfe ; celui qui fe dé» fend a pour lui la juftice ; il a pour » lui la nécefïïté, 1'arme la plus forte » que la nature ait fourni aux hom» mes. II ne tient qu'a vous, Prin» ce, de 1'arracher de nos mains. Ter» minons cette querelle fanglante par » un traité durable. Nous vous en » conjurons par 1'amour de vos peu» pies, pour qui une paix affurée » fera plus heureufe que des efpé» rances de victoires ". Cette lettre oü Guillaume, enménageant la vanité de l'Empereur, avoit fu mêler aux excufes des traits d'intrépidité , fit imprefiion fur Ma- ^rt. n 5 i' XXIT. Conclufion de la paix.  Manuel An. iijj i 1 i 254 HlSTOIRE nuel. II la relut plufieurs fois; êi croyant fon honneur k couvert, il confentit k entrer en négociation. On convint que Guillaume rendroit les prifonniers fans rancon, qu'il reftitueroit tout ce que fes troupes avoient enlevé dans leur incurfion en Grece, k 1'exception des ouvriers en foie , qu'il pourroit garder en Sicile. Ce fut le feul profit que produifit cette guerre. La Sicile s'enrichit en fe peuplant de manufaftures, qui fournirent des étoffes de foie a toute 1'Europe. On ne les tiroit auparavant que de la Grece Sc des autres parties de 1'Empire d'Orient. L'ifle d'Eubée étoit depuis long-temps renommée pour les ouvrages de tilfure; & dès le temps de Darius, fils d'Hyftafpe, les habitants d'Erétrie, qui avoient les premiers réfifté k fes armes, furent emmenés prifonniers en Perfe, pour y travailler aux étoffes précieufes. Guillaume convint encore d'aider l'Empereur de fes troupes dans toutes les >uerres qu'il auroit en Occident. A ces :onditions, la paix fut conclue pour rente ans. Ce fut ainfi que finit cette ■uerre, oii 1'Empire avoit perdu beau-  »o Bas-Eupike. Liv. LXXXV1II. &S5 /l'-jrnont Rr rlp trnunes fans au- tUU[' u ui jj,.-»... «• 1 tre fruit, que d'avoir affermi davantage la puilfance qu'il avoit entrepris de détruire. Manuel devint fincérement ami de Guillaume : il lui accorda le titre de Roi, qu'il ne lui avoit jamais donné jufqu'alors; & après fa mort, lorfque Simon, fils naturel de Roger, forma le deffein de s'emparer de la Sicile, Manuel lui refufa le fecours qu'il demandoit contre 1'héritier légitime. Pendant que Manuel employoit fes Généraux a difputer au Roi de Sicile la poffeffion de 1'Italie méridionale, il s'étoit en perfonne tranfporté en Afie. Les Turcs lui avoient enlevé plufieurs villes dans le Pont & dans la Cappadoce. II leur livra bataille dans la petite-Phrygie , les défit, ravagea leur terre ; &, partie par la terreur de fes armes, partie par 1'adrelfe d'Alexis Gifard, qu'il envoya traiter avec eux, il les réduifit a lui remettre toutes les places dont ils s'étöient emparés, 6c a conclure la paix. Des ' affaires plus preffantes 1'appelloient ailleurs. Depuis la deraite d Andro¬ nic , Thoros s'étoit rendu maitre de Manuei. An. ii5) = XXITÏ. Conquê» tes de Thoros en Cilicie. Cinn. I. 4. f. 16, 17. Nicet. I. J. c. I. Gidll. Tyr. 1.1$. c. 19, 23. Chr. Sri. Antonïni.  Manuel. An. ii55. XXIV. Piilagede 1'ifle de Cypre. . i 1 Ü5recede de fix chaffeurs k pied,qui illoient reconnoitre la forêt. Apeine !urent - ils fait quelques pas, qu'ils _ppercurent vingt-quatre cavaliers [urcs bien armés, qui couroient a ux Ia lance au poing. Ils prirent la tute, pafferent une riviere k la nae, &z vinrent inftruire l'Empereur e ce qu'ils avoient vu. Allons ks  du Bjs-Empire. Lh. LXXXVUl. 273 'rU^sUir A\t Manuel: ce eibierenvaut bi 'en un autre. Ses gens ne paroiffoient pas difpofés k s'engager dans la forêt. Manuel, fans les attendre, piqué fon cheval, tk court k 1'endroit qu'on lui avoit indiqué. II voit fortir de 1'épaiffeur du bois une troupe nombreufe qui s'y étoit tenue cachée. Rien ne 1'effraye; il fond fur eux fans regarder s'il étoit fecondé. Plus heureux que prudent il avoit été fuivi par fon efcorte , qui, bien qu'en beaucoup moindre nombre que les • ennemis, les taille en pieces, tk laiffe la forêt jonchée de cadavres. Le Roi de Jérufalem Ï'avoit fuivi a la chaffe; & voulant accompagnei Manuel qui traverfoit k toute bride les halliers les plus épais, il tombe avec fon cheval, & fe caffa un bras Manuel fit fur le champ la fonttior de chirurgien, lui remit le bras, lu appliqua 1'appareil; tk 1'ayant con duit k Antioche, il continua de le pan fer affiduement, tk ne le laiffa par tir pour Jérufalem qu'après une par faite guérifon. Son génie auffi acti qu'intelligent s'étoit exercé a remé dier a tous les maux de 1'humanité M y Manuel. An. 1156. XXXII. Bleffure de Baudouinguérie per Manu*l. 1 i f  Manuei. An, 1156. xxxm. Retour de Manuel a Conftantinopie.Cinn. I. 4. 22. Guill. Tyr. /.lS.c.25. Radcvic. dc gcfi. Frid. 1.1. ff. 47- 274 H I S T 0 I R E excepté k 1'énormité des impöts, & a Ia vexation de fes Officiers , les deux plus cruelles maladies des peuples. On Ie vit fouvent faigner des malades, remettre des membres rompus ou déboïtés, faire fans dégout toutes les opérations de chirurgie, qu'il ne regardoit pas comme indignes de fa grandeur, laiffant a fes courtifans leur arrogante & fauffe délicateffe. II s'étoit même inftruit des pratiques de la médecine; il y avoit fait d'utiles découvertes , &c les höpitaux faifoient avec fuccès nfage des remedes qu'il avoit inventés. Lorfqu'il eut ainfi recouvré la Cilicie, tk rétabli dans Antioche 1'autorité Impériale, il ne fongea plus qu'a retourner k Conftantinopie. Pour abréger le chemin il laiffa la Pamphylie fur la gauche, & prit la route de Lycaonie , après avoir licencié une partie de-fon armée. Cette imprudence lui coüta cher. II traverfoit un pays ennemi, tk le Sultan d'Icone fit attaquer fon arriere-garde prés de Laranda. Elle fut fort maltraitée, & la perte auroit été en-  du Bas~Empire. Liv. LXXXV1U. &73 eore plus grande , fi Manuel, qui avoit pris les devants, ne fut promptement revenu fur fes pas. Les ennemis s'étoient déja retirés; il trouva la terre couverte d'un grand nombre de fes foldats, les uns maiïacrés, les autres refpirant encore. II ne put retenir fes larmes; & après avoir donné lafépulture aux morts, & fait mettre dans des chariots ceux qui avoient encore quelque refte de vie, il paffa prés d'Icone. Le Sultan qui s'attendoit k être aftïégé, le voyant mar cher fans aucun acte d'hoftilite, lui envoya des vivres. Cependant il le fit fuivre par fes troupes, qui furprirent prés de Cotyée quelques corps trop écartés du gros de l'armée, en tuerent une partie, & firent le refte prifonnier. Cette perte fut peu confidérable. L'Empereur rentra entriomphe dans Conftantinopie, & rendit graces k Dieu du fuccès de fon expédition. II fit enfuite punir les crimes commis en fon abfence. Tandis qu'il étoit en Syrië, un des Secretaires du palais avoit formé contre lui une conjuration. Trois fcélérats s'étoient engagés a aller tuer 1'EmM vj Manuel. ka. 1156.  Manuel, An. ii56, An. 1157. XXXIV. Guerrede Manuel contre les ; Turcs. tCia*. I. 5. j f. U 1 4 276 H I S T e I R E pereur , & Je Secretaire avoit pris fes mefures pour fe faire proclamer Empereur le jour même de 1 affaffinat. Ce malheureux avoit trouvé un affez grand nombre de partifans. L'Impératrice fut avertie du complot; elle dépêcha en diligence des courners a l'Empereur. Les affaffins furent découverts, & arrêtés en Syrië. A Conftantinopie, on fe'faifit de 1'auteur de la conjuration & de fes complices. Au retour de Manuel, ils furent tous puni ; le Secretaire eut les yeux crevés; & par un nouveau genre de peine, on lui perca le gofier, & 1'on fit palier fa langue par cette ouverture; fupplice d'une cruauté recherchée, &qui défiguroit L'humanité. Mais le crime parohToit sncore plus affreux, & perfonne n'en murmura. ^ La gloire qu'il s'étoit acquife en Cilicie & en Syrië , avoit re$u quelque échec dans fon retour prés de Laranda & de Cotyée. II s'en vengea 'année fuivante. II affembla fes trouws de Thrace dans la plaine de Cypéles, & envoya ordre aux Commantants qu'il avoit en Alle d'entrer fé-  du Üas-Empirb. Liv. LXXXFÏII. 277 parement,mais enmême-temps, fur ' les terres des Turcs, afin que ces bar- * bares occupés a défendre chacun leur pays, ne pulfent fe donner mutuellement du fecours. Comme il devoit faire la guerre dans les plainesfablonneufes & brülantes de la Phrygie, il attendit 1'automne pour paffer 1'Hellefpont; & ayant traverfé en diligence laTroade , la Myfie, les campagnes voifines du mont Olympe , il arriva prés de Dorylée en Phrygie. Les Turcs féparés en plufieurs corps étoient répandus dans toute la Province. L'Empereur prit pour les combattre une méthode toute nouvelle. C'étoit de les attaquer par pelotons féparés. II divila fon armée, & mit a la tête de chaque divifion des Chefs expérimentés , qui devoient agir chacun de leur cöté. Pour lui, qui ne eroyoit faire la guerre qu'autant qu'il payoit de fa perfonne, il ne prit avec lui qu'un efcadron de cavalerie ; & fe tenant pofté fur des hauteurs au centre du pays, d'oü il découvroit une vafte étendue, &£ étoit a portée de recevoir promptement des avis de ce qui fe paffoil lANUEL. in. iij7«  Manuel. An. ii57. 1 ( 1 i *7,8 HisTOiR& au-dela, il couroit comme 1'éclair au fecours de la partie qui étoit aux pnfes, & fondoit fur 1'ennemi avec la rapidité de la foudre. Son nom ieul etoit devenu fi formidable aux Turcs , qu'ils n'ofoient fe hafarder a combattre que les corps oü il n'étoit pas. Mais il arrivoit prefque toujours avant que 1'affaire füt décidée ; & fa prefence qui fe faifoit auffi-töt con^ noitre par les coups qu'il portoit, ne manquoit pas de déterminer la victoire. Toujours en mouvement, lans autre arme défenfive que fon bouclier, il fe trouva k une infinité daöions particulieres, & n'en fortit [amais fans avoir fignalé fa valeur. Auffi heureux que terrible , toujours »u milieu du carnage , il ne recut uicime bleffure. Un Turc, renommé xmr fon courage, ayant ofé 1'appro:her, l'Empereur le défarma, le faifit >ar les cheveux, & le fit mettre aux ers. Dans la même rencontre, il abat}t trois autres cavaUers Turcs qu'il it enchainer les mains derrière le 'os , & il rentra dans fon camp trai-. iant après lui ces quatre prifonniers ttaches aux anneaux de fa felle. Les  du Bas-Empire. Liv. LXXXVIIl. 279. rigueurs de 1'hyver qui commencoient a fe faire fentir, 1'obligerent a ramaffer fes différents corps , & a reprendre la route de Conftantinopie. II étoit déja au chateau de Pyles en Bithynie, lorfqu'il recut une ambaffade du Sultan, dont les propofitions le mirent dans une telle colere, qu'il changea aufli-töt de route, & marcha droit a Philadelphie, d'oü il entra de nouveau fur les terres des Turcs. Ceux-ci le croyoient en Bithynie , lorfqu'ils le virent dans leur pays avec fon armée. L'Emir Soliman qui commandoit dans cette contrée s ne pouvant fe perfuader que l'Empereur fut revenu fur fes pas , tandi< que la terre étoit couverte de neige, envoya un de fes Officiers pom lui en apporter des nouvelles aflurées. C'étoit ce même Pupace qui s'é toit fignalé au fiege de Corfou, & qui de retour dans fa patrie, s'étoi attaché au fervice de fes maitres na turels. Ilconnoiffoit l'Empereur, & ei étoit connu. Manuel avoit laifïé fe troupes bien loin derrière lui, & n'é toit fuivi que de foixante cavaliers Manubi, Aq. 1157' XXXV. Manusl retourne fur les Turcs. Cinn. I. 5 c, 2. I \ |  AIanuel. Ah; ii 57. 2S0 IllSTOIRE Le Turc, étonné de rencontrer l'Empereur a la tête des coureurs de fon armée , au-lieu de fuir, s'approche , faute a bas de fon cheval, & fe profternant devant lui : Prince, lui dit-il, vous voye{ d vos pieds ce Pupace, que vous ave[ vu autrefois fur les murs de Corfou. Je fervois alors avec %ele Votre Majejlé; je fers maintenant ma patrie; elle m envoyé pour reconnoitre fi c'eji Manuel en perfonne qui rapporte encore le ravage dans nos campagnes. Pupace, répondit Manuel, vos maitres reffemblent a un homme qui voyant fa maifon en feu, au-lieu de fonger d féteindre, s'amuferoit d chercher quel ejl tincendiaire. Alle^ leur dire que vous m'ave^ vu, & quils me verront eux-mêmes iïut-d-l'heure. S'ils ont du coeur, qu'ils n'epargnent la moitié du chemin. II renroye Pupace, & avance toujours a a tête de fa petite troupe. II voit bientöt devant lui un corps nombreux i'ennemis, qui lui ferment les paffa*es. Plufieurs de fes cavaliers prenaent la fuite. Pour lui qui ne farvoit pas fuir, fans autre défenfe qu'un trèspetit nombre des plus braves & la terreur de fon nom, il tient les en-  du Bas-Emt-jhs. Liv. LXXXVIII. 1S1 nemis en refpett, il refiife même le bouclier que lui offroit Jean Comnene ; & faifant bonne contenance, defiant avec fierté le plus hardi des Mufulmans, il donne a fon armée le temps de le joindre. II tombe alors fur les Turcs qui font en un moment mis en fuite , & laiffent fur la place grand nombre de leurs foldats. Après s'être ainfi vengé de 1'infolence du Sultan , il va paffer le refte de 1'hyver a Conftantinopie. Les défaites des Turcs n'abattoient pas leur courage. Cette nation fembloit renaitre de fes pertes, & croitre au milieu de fon fang. A peine eurent-ils panfé leurs bleffures, qu'ils reprirent les armes, vinrent faccager Philete fur les frontieres de Carie, prirent & pillerent Laodicée de Phrygie , dont ils emmenerent les habitants qui étoient en age de puberté. Manuel, indignéde cette audace , auroit fur le champ couru a la vengeance, s'il n'avoit voulu mettre fur pied de plus grandes forces qu'a 1'ordinaire, 'pour écrafer enfin ces opiniatres ennemis. II envoya en Paleftine , Jean Contoftéphane , pour de- Wakuei. Kn. 1157» An. 1158. XXXVI. Fin dela guerre contre les Turcs. Cinn. I. e. 3. Nicet. I. 3. c. 5. M. de Guignes , hifi. des Huns , /. II. p. 42 , 44.  Manuel. An. iijS, i i i < ] 4 £82 HlSTOIRB mander k Baudouin les fecours qu'il avoit promis de fournir au befoin. II manda k Renaud, Prince d'Antioche, de fe rendre au plutöt en Bithynie avec ce qu'il avoit de troupes. Thoros & les autres Princes Arméniens recurent ordre de remplir le devoir de Vaffaux en lui amenant toutes leurs forces. Les habitants du mont Taurus accoururent fe ranger fous fes enfeignes. Du cöté de 1'Occident, il prit a fa folde des cavaliers Liguriens , Dalmates, Patzinaces. Comme les Latins qui alloient par mer en Palefiine avoient coutume de relacher a l'ifle de Rhodes, il en attira un grand nombre qui s'engagerent volontiers k faire Ia guerre aux Infideles. II fit affembler de toute la Thrace quantité de bceufs & de chariots pour voiturer es fourrages , les vivres &c les autres nunitions. Non content de ces grands )réparatifs, il voulut encore s'affurer iu fuccès en jettant la divifion enre fes ennemis. Mafoud , Sultan d'I:one, avoit en mourant partagé fes ïtats entre trois Princes. Manuel foueva les deux autres contre Kilidge^rflan, furnonimé Azzeddin, fils de  du Bas-Empire. Liv. LXXXFIII. 283Mafoud, qui avoit Icone clans fon partage. Celui-ci fe voyant attaqué par fes cohéritiers, prit le parti de faire la paix avec l'Empereur. II promettoit de mettre en liberté tous les Chrétiens qu'il tenoit dans les fers. Pendant cette négociation, Jean Contoftéphane revenant de Palefiine avec un corps de cavalerie, rencontra' une armée de Turcs forte de vingt-deux mille hommes. II gagna une éminence voiüne ; & après avoir exhorté fes gens a bien faire , il defcend fur les Turcs , leur marche fur le ventre, & en tue un grand nombre. Jean fe diftingua fur tous les autres par une brillante valeur ; & couvert de gloire , il fe rendit auprès de Manuel en Bithynie. Azzeddin, confterné de cette défaite, effrayé encore du menacant appareil de l'Empereur, fe porta avec d'autant plus d'empreffement a conclure la paix. A fes premières propofitions, il ajouta, quil fourniroit tous les ans un corps de troupes; qu'il ni permettroit aucune incurjion fur les terres de f Empire; quil soppoferoit dt toutes fes farces a celles des autres Princes Mufulmans; qu'il rendroit toutes lei Manuel. An. 1158.  Manuel. An. ii58. XXXVII. Mort de ( 1'Impéra- . trice Ire- 1 ne. ] Cinn. I. 5. f. 4. ' Nieet.1,3. ( c. 5. j Radevic de gefi. Frid. 1 /. 1. c. 6. I i i c t è Ti Tl y SS4 HlSTOIRE places prifes fur f Empire depuis le commencement du regne de Manuel, & qu'il efécuteroit fidèlement tous les ordres de TEmpereur. Manuel, fatisfait de ces promeffes, en fit jurer 1'exécution ; tk comme il apprenoit que les Patzinaces avoient paffe le Danube pour ravager la Thrace, il prit le chemin de PHellefpont, paffa la mer a Collipob , & marcha vers le Danube. Mais avant qu'il y fut arrivé, les Patzinaces avoient déja repaffé le fleuve. Tout 1'Empire étoit en paix. Manuel mi ne la connoiffoitpas encore, vou^ ut en effayer les douceurs, tk fe reira dans une de fes maifons de cam>agne prés de Conftantinopie. Mais :omme fi c'eüt été fa deftinée de ne amais goüter de repos, il y éproura un chagrin dont ii ne fe croyoit >as fufceptible. II n'avoit jamais aimé 'Impératrice. La piété , la bonté , la nodefïie de cette Princeffe s'accoroient mal avec le cara&ere fuperbe clibertin de Manuel. C'étoient a fon ré des qualités trop vulgaires. Elle lourut dans ce féjour, tk en ce moïent tout fon mérite reflüfcita aux eux de Manuel. II ne la crut digne  m Bas-Empire. Liv. LXXXV1H. 2.S5 de lui» qu'après 1'avoir perdue. II la pleura amérement, la lit magnifiquement inhumer dans le Monaftere du Pantacrator , oü fon pere avoit fa fépulture , & pafla plufieurs jours piongé dans la plus profonde trifteffe , jufqu'a ce qu'enfin Théodora , qui avoit elle-même rempli d'amertume la vie de la Princeffe, lui fitoublier fa douleur. Irene laiffbit deux filles, Marie dont nous avons déja parlé, & dont nous aurons occafion de parler encore , & un enfant de quatre ans qui mourut peu de temps après fa mere. Elle avoit entretenu une tendre amitié avec Fréderic, Empereur d'Allemagne , neveu d'alliance de fa fceur Gertrude, veuve de Conrad. Peu de temps avant fa mort, elle 1'envoya prier de faire Chevalier le jeune Fréderic encore enfant, fon neveu , auquel, comme fils de Conrad , 1'Empire d'Allemagne eüt appartenu, s'il eüt été héréditaire. L'Empereur Manuel y joignit fa recommandation, Les députés vinrent trouver Fréderic a "Wirtzbourg ; ils lui apportoient des préfents. Mais bouffis de la vanité Grecque, 8s croyant faire hon« Manuel. An. 1158.  Manuel. An. ii58. An. 1159. XXXVIII. Le Sultan d'Icone a Conflantinople.Cinn. I, 5. c 6. Nicet. I. 3. <■ 5 > 6. 286 HlSTOIRE neur A leur maïtrelTe qui ne leur avoit pas donné de pareilles inrtruftions, ils s'acquitterent de leur commiffion avec tant de hauteur & d'arrogance, traitant les Allemands comme des barbares, que l'Empereur crut leur faire grace de les méprifer, tk que les Seigneurs Allemands menacoient de leur répondre autrement que par des paroles. II fallut baiffer le ton tk faire des excufes. On s'appaifa, tk Fréderic voulut bien ceindre en leur préfence 1'épée au jeune Prince, qui fut dans la fuite Duc de Franconie & de Suabe. Pour mieux affurer la paix avec Manuel, Azzeddin fe tranfporta luimême 1'année fuivante a Conftantinopie. Ce fut pour cette ville un brillant fpedtacle , tk capable de flatter la vanité de l'Empereur. Manuel déploya tout 1'orgueil de 1'Empire , pour donner au Prince Mufulman une grande idee de fa puiffance. Sur une haute eftrade couverte de iapis précieux , sélevoit un tröne d'or, enrichi de pierreries, tk couronné d'un dais oü brilloient les plus belles perles de 1'Orient. Le Prince,  su Bas-Empire.Lïv. LXXXPIIL 287 affis fur le tröne, étoit vêtu d'une ' pourpre éclatante, femée de haut enbas de perles &C de pierreries de diverfes couleurs, plus artiftement arrangées que les fleurs dans le plus beau parterre. Sur fa poitrine pendoit, a des chaines d'or, un rubis étincelant, d'une grolfeur extraordinaire ; & la fplendeur de cette rayonnante parure étoit encore furpalTée par 1'éclat du diadême. La taille avantageufe du Prince 6c fon air majeftueux, s'affortilToit a ces fuperbes ornements. Aux deux cötés du tröne , fur les degrés étoient debout les Sénateurs felon le rang de leur dignité. Au premier pas quAzzeddin fit dans cette falie, qui fembloit être le palais du foleil, il s'arrêta comme ébloui, & demeura quelque temps immobile. C'étoit un homme de mauvaife mine, efiropié de prefque tous fes membres, &c tellement impotent, qu'il ne fe trainoit qu'avec peine, toujours en voiture ou fur les bras de fes efclaves; mais d'un efprit fourbe, délié, ambitieux, fans foi & faas aucune morale que fes intéréts. S'étant avancé vers 1'Em- Manueï.. dn. 1159.  Manuei An. ii59 XXXIX Fêtes do nées ai Sultan, üS8 II I S T Ö / K B ■ pereur, qui 1'invitoit a s'affeoir, il ' refiifa d'abord par refpect. II s'afïit enfin fur un fiege beaucoup plus bas que celui de Manuel. Après quelques moments d'entretien, il fe-retira dans 1'hofpice qu'on lui avoit préparé. L'Empereur, pour étaler a fes yeux toutes les richeffes de la ville, vouloit le conduire en procefïion folemnelle depuis la pointe Oriëntale jufqu'a Sainte-Sophie. On y devoit porter en pompe les ornements des Eglifes. Le Patriarche prétendit que c'étoit profaner les inftruments du culte divin, que de les faire fervir d'accompagnement a un infidele , & un tremblement de terre qui fe fit fentir la nuit fuivante, parut juflifier 1'oppofition du Patriarche. L'Empereur fe défifla donc de ce l" deffein : mais il n'oublia rien pour donner au Sultan les fêtes les plus magnifïques. C'étoient tous les jours des repas fomptueux, des courfes de chars dans leCirque, des joütes & des combats de marine dans le port , oü le feu grégeois produifoit les effets les plus furprenants & les plus terribles. Le Sultan voulut ,  du Bas-Empire. Liv. LXXXVUl. 289 lut, a fon tour , donner un fpectacle plus merveilleux que les autres. II avoit a fa fuite un Saltinbanque, qu'il croyoit un être miraculeux. Cet extravagant fit afficher que tel jour il voleroit en Fair, de la tour, de 1'Hippodrome dans toute Fétendue du Cirque, pour le divertiffement du peuple de Conftantinopie. Au jour marqué, FEmpereur, toute: la ville & le Sultan, qui n'étoit pas fans inquiétude, fe. rendent au Cirque, & attendent avec impatience le prodige annoncé. Le Turc paroït fur la tour , vêtu d'une, étoffe ample & légere , reliée de plufieurs cercles, pöur prendre & retenir le vent. En vainFEmpereur lui envoya dire, qu'il le tenoit pour auffi léger qu'un aigle ; mais que néanmoins il lui confeilloit de ne pas s'expofer a Favanture d'Icare. Le charlatan rejette cel avis avec mépris, comme étant fut de fon fait. II agite fes bras ainfi que des ailes; au premier fouffle il prenc i'elfor ; & dés qu'il a quitté la tour, il eft fi rudement précipité a terre qii'il fe brife tous les os. Cette ridi cule épreuve rendit le Sultan & lei 'Tomc XIX. N Manuel. An. 1159.  Manuel. An. ii59. XL. Départdu Sultan. 59a HlSTOIRÊ Turcs la fable de toute la ville; ils ne pouvoient paroïtre fans exciter la rifée; & l'Empereur, qui faifoit femblant d'empêcher ces avanies, s'en divertiffoit lui-même. Le Mufulman confïrma, par de nouveaux ferments , le traité déja conclu. Pendant fon féjour k Conftantinopie, les autres Sultans de 1'Atie mineure, avec lefquels il étoit en guerre, craignant de n'être plus en état de lui réfifter, s'il étoit foutènu de 1'alliance de l'Empereur, envoyerent k Manuel dés députés, pour lè prier de les réconcilier avec Azzeddin; ce que l'Empereur voulut bien entreprendre, & le Sultan s'y prêta de bonne grace , ne balancant jamais de promettre & de jurer ce qu'il n'avoit nul defTein de tenir. Avant fon départ, l'Empereur lui fit de riches préfents; & pour 1'éblouir davantage , il les fit étaler dans une falie du palais. C'étoient des étoffes de prix, des pierredes, des vafes d'or & d'argent, des raretés de diverfes efpecès inconnues k ces barbares. Après avoir conduit le Sultan dans cé fiche magafin : Que dejire^  sü Bjs-Eupiae. Lh. LXXXVIII. 291 vous de tous ces tréfors, lui dit-il? Le Sultan ayant modeftement répondu, qu'il recevroit avec reconnoiiTance ce que FEmpereur voudroit lui donr ner : Eh Hen, ajouta Manuel, je vous donnetout. LeTurc, auffi étonné que ravi, voulut fe jetter aux pieds de FEmpereur qui le retint; & dans le tranfport de fa reconnoiiTance, il promit de reflituer Sébafte, une des plus grandes villes de la Cappadoce. Manuel, de fon cotë, lui fit efpérer encore de grandes récompenfes, s'il renoit parole. Azzeddin fortit de Conftantinopie , croyant emporter avec lui tous les tréfors de 1'Empire. Quelque temps après, Conftantin Gabras fut envoyé avec de nouveaux préfents , pour prendre poffeffion de Sébafte. Mais le Prince Turc n'étoit pas plutöt rentré dans Icêne, que , pour s'affranchir de fon engagement, il avoit ruiné Sébafte & tout le pays d'alentour. Manuel, n'ayant aucun fils d'Irene, fongea a. un fecond mariage. II avoit des enfants de fa niece Théodora ; mais quoiqu'il ofat violer les loix divines öchumaines, en 1'entreN ii Manuel. Art. 115». An. 116». XL1. Manuel fonge a «nfeconi  Mam vei An. ii6c Cinn. I. j f. 7. Nicet. I. 3 t. 5. Guill. Tyi l. 18 , c 3°>5M3 Du Cang firn. By\ P- 177» i£o , ïSé 29^ H I S F 0 I K E ' tenant pour maitreffe , il n'ofa k ■ prendre pour femme. II jetta les yeux " fur les families des Princes Latins ' établis en Oriënt, & s'en rapporta . pour le choix a Baudouin, Roi de _ Jérufalem , lui demandant une Prini ceiTe de fes parentes. II lui députa, • pour cet effet, fon neveu JeanCon; toftephane , & Trafdle, le premier des interprêtes du palais , dont il • connoiffoit 1'habileté tk le zele pour fon fervice. Baudouin avoit, dans la maifon des Princes d'Antioche tk dans celle du Comte de Tripoli, deux eoufines, Marie tk Mélifende. Marie étoit fille de Raymond, Prince d'Antioche , & de Conftance, fille d'Alix, tante maternelle de Baudouin. Mélifende étoit née du mariage de Raymond , Comte de Tripoli, avec Hodierne, foeur de Mélifende , mere de Baudouin. II fe détermina en faveur de la Princefle de Tripoli, qui lui étoit d'un degré plus proche que Marie. Les députés accepterent la propofition, & en écrivirent a l'Empereur, qu'ils infiruifirent des qualités de la Princeffe. Le Comte de Tripoli, nommé Raymond comme  du Bas-Empire. Liv. LXXXVIll. 293 fon pere, comptant fur le eonfentement de l'Empereur, s'épuifa en fraix par un empreffement prématuré, pour former k fa fceur le plus magnifique équipage. Outre d'énormes dépenfes en or, en argent, en bijoux de toute efpece, il lui fit équiper douze galeres pour la conduire k Conftantinopie. Toute la nobleffe du Comté, tk ceile même du Royaume de Jérufalem s'étoit réunie k Tripoli pour faire fa cour k la jeune Princeffe, qu'elle croyoit déja voir affife fur le premier Tröne de 1'Orient; tk Raymond fe faifoit un point d'honneur de défrayer tous ces Seigneurs pendant leur féjour. Les députés, preffés de conclure , attendoient le confentement de leur maïtre, & 1'année fe paffa fans le recevoir. Baudouin , ennuyé de ce retardement, envoya demander a Manuel une parole précife. Son député revint bien tot avec une réponfe peu fatisfaifante. Manuel refufoit le parti propofé. Baudouin s'en tint très-offenfé. & les députés de Manuel, appréhendant Ie reffentiment du Comte dt Tripoli, fe jetterent dans une nacelN iij Manuel. An, 116»»  JManuei. Ab, néo. : An. 1161. 1 XLII. ; Mariage de Ma- ' cuel avec < Marie , d'Antio- 1 che. 1 ) < i i £$>4 H 1 s r 0 1 r e Ie, qu'ils trouverent par hafard , & pafTerent en Cypre. Tous les Seigneurs qui s'étoient afTemblés a Tripoli fe retirerent confus, & Baudouin fe rendit k Antioche, oii le peuple 1 'appelloit avec inftance pour veiller a la défenfe de la ville, en 1'abfence de Renaud de Chatillon , qui venoit d'être pris par les Turcs. Si 1'on en vouloit croire Cinname, le ciel même fe feroit déclaré contre Mélifende, Mais ce qu'il raconte k ce Sujet a tont 1'air d'une fable, que es amis de Manuel firent courir pour uftifier fon inconfiance : j'ai fuivi Suillaume de Tyr, Auteur judicieux Sc contemporain, dom le récit m'a )aru plus vraifemblablei Le Roi de Jérufalem fut étonné Ie voir arriver a Antioche, prefque mffi-töt que lid , trois Ambaffadeurs le Manuel. Ce Prince , auffi efclave le la volupté que paffionné pour la ;roire, avoit appris, depuis la dépuation adreffée a Baudoiün, que Maie d'Antioche étoit la plus bellePrin:effe de fon fiecle , & qu'elle furpafbit infiniment Mélifende par les graes de fa perfonne, Ce récit Ï'avoit  »u Bjs-Empire.Lïv. LXXXVIU. 295 enflammé pour elle, & refroidi pour la Princeffe de Tripoli. II avoit auffitöt dépêche Bafile Camatere, Commandant des Varangues, pour s'inftruire par fes propres yeux; & fur fon rapport, il avoit envoyé , pour faire la demande, le grand Duc Alexis, fils d'Anne Comnene, le Sébafte Nicéphore de Bryenne , un de fes neveux d'alliance , & Andronic Camatere, fon ami & fon allié, Préfet de Conftantinopie , & honoré du titre de Sébafte. II falloit avoir 1'agrément de Baudouin , fans kquel Conftance , mere de Marie, n'olbit rien conclure en 1'abfence de Renaud. Baudouin, piqué du refus de Manuel, ne fe preffoit pas de le fatisfaire. II confentit enfin, par tendreffe pour la jeune Princeffe, qui bruloit d'envie de fe voir fur la tête la couronne Impériale; & lui ayant donné un brillant cortege, ü la fit embarquer au port de Saint-Siméon, a 1'embouchure de 1'Oronte. Elle arriva a Conftantinopie vers la fin de Décembre , au milieu des acclamations du peuple prêt a 1'admirer quand elle auroit été moins belle; N iv VlANUEI. \n. néi.  Manuel. Aa. iiói, An. 1162. XLIII. Vengeance du Comte de i Tripoli. 3 '1 j 1 1 < i I 1 i 2S>ö H t s t 0 1 r s & le jour de Noël, le mariage fut celébré avec fplendeur dans SainteSophie par le Patriarche Luc, affnTé de deux Patriarches, Sophrone d'AIexandrie & Athanafe d'Antioche, qui avoient fuivi la Princeffe. Manuel la fit proclamer Impératrice au pied de 1'autel ; & cette journée, ainfi que les fuivantes, fe paffa en feftins, en jeux, en diftributions de largeffes aux Eglifes, aux Patriarches, aux Seigneurs, tk au peuple entier. La ville dAntioche prenoit part ^ ces réjouiffances, mais non pas le Comte de Tripoli. Outré de 1'infulte raite a fa fceur, il ne s'occupoit que le projets de vengeance. Trop foible )our attaquer l'Empereur par une ;uerre déclarée, il prit le parti d'emdoyer le brigandage. II arma en guere les douze galeres qu'il avoit équi)ées pour conduire fa fceur a Confantinople, tk en donna le commanlement a des pirates déterminés, vee ordre de defcendre par-tout oii Is pourroient fur les terres de 1'Em»ire, de n'épargner ni age, ni fexe, ii condition; de ne refpe£ler ni E;life, ni Monaftere, tk de répandre  du Bas-Empire. Liv. LXXXVLTL 297 de toutes parts le pillage, le meurtre , &c 1'incendie. Jamais ordres ne furent plus ponttuellement exécutés. Ces ames avides & cruelles couvrirent de fang tk de ruines les iiles Sc le continent oü ils purent aborder. Ils enleverent, ils détruifirent, fans diftindion du facré &C du profane. Ils arrêtoient, tant fur mer que fur terre, les pélerins qui alloient aux faints lieux ou qui revenoient, les tuoient, ou renvoyoient nuds ceux •auxquels ils laiffoient la vie. Telles furent les premières fuites de ce mariage. Les foupcons que Marie fit naïtre par fa conduite, fur-tout après la mort de Manuel, donnerent enfuite occafion k des troubles qui ne furent pas moins funeftes. Ce Nicéphore Bryenne, député k Antioche pour négocier le mariage de Manuel, recut dans la fuite un affront, qui, malgré le peu d'importance, mérite peut-être de n'être pas oublié , ne ffit-ce que pour faire connoitre h jufte fierté de la Cour de Conftantl nople. II avoit marié une de fes Alles a un Théodore Méfarite, auque en ne donne d'autre titre que celü N y VIakuel, Ad. ii6i: t - ' i  Manuel. Ac. ii6a. XLIV.. Difpofitions de Manuel a l'égard de laréunion des deux Eglifes. Petr. diac. Chron. C'ff. I. 4. ' e. 46. : Chr. foff*.. | novee. Baronlus. * Pagi ad 1 &ar. < I-co. Altar. de or. c*" oc. ^ teel. per' i fet. con- , fenfu,l.Z. C <. **, 12. C Fleury, |; Hifi. EccL L 70. art. H ipS H 1 S T 0 I R E de Grammairien de l'Empereur. Ma>* nuel fit caffer le mariage comme inégal, & comme contratté fans qu'il eüt été confulré. Andronic Camatere qui fut auffi un des trois Ambaffadeurs, étoit favant tk éloquent; il compofa un livre, dans lequel faifant parler l'Empereur, il prétendoit prouver que le St. Efprit ne procédé pas du Pere & du Fils. Manuel n'étoit pas ennemi de 1'Eglife Romaine. II faifoit de grands Diens aux Eglifes des Latins, qui fubifioient encore dans 1'Empire; tk les Latins, k leur tour,lui donnoient des narques de reconnoiiTance, en fatant peindre fon image jufque dans eurs fanctuaires. Pour profiter d'une i favorable difpofition, le Pape AIrien écrivit k Bafile , Archevêque le Theffalonique, fexhortant k la éunion. Bafile répondit que 1'Egliie grecque s'accordoit avec 1'Eglife Laine fur tous les articles effentiels, z qu'elle ne s'en éloignoit que dans es points de peu d'importance. II onjuroit le Pape de lever ces obfibles. Mais dans le temps même u'Adrien travailloit k la réconcilia-  du Sjs-Empirb. Liv. LXXXriIL 299 tion, il accorda aux Vénitiens une bulle qui dut déplaire aux Grecs: elle donnoit au Patriarche de Grade le pouvoir d'ordonner un Evêque pour Conftantinopie, tk pour toutes les villes de 1'Empire Grec, oü les Vénitiens avoient des Eglifes. Alexandre III, fucceffeur d'Adrien IV en 1159, fut perfécuté par Fréderic, Empereur d'Allemagne, qui ie déclara pour 1'anti-Pape Victor. Louis le jeune, Roi de France , ayant écrit h Manuel en faveur d'Alexandre, l'Empereur Grec lui répondit quil defroii ardemment de renouveller tancienne amitie de l'Empire avec la France; que fui le témoignagc d'un Ji grand Prince , .1 accordoit la Jlenne au Pape Alexandre & quil fouhaiioit d''avoir part auxprie res de ce digne Pontife, II écrivit at Pape fur ce qu'il avoit appris qu< 1'Occident fe préparoit a une nou veile cröifade; il lui témoignoit, qu i conccurroit avec joie a une ji louable er, treprife en donnant paffage aux Croifés & en leur fourmffdnt des fubfijlances condidon cependcnt qu'ils ne cauferoiet aucun dommage a fes fujets, & qui lui nmettroient les villes de t'ancien di N vj Manuel An. 1162. 11, 21. /. 71. art, 20. 3 5 . 5 3Du Cange fam. Bt\. p. 186'. r I l » i it 's  "Masuei, An. 1162, 3°° HlSTOIRE maine de C Empire, dont ils feroient ta conquête. II demandoit que , pour maintenir le bon ordre, le Pape mit un Cardinal a la tête de 1'expédition. Ce projet de cröifade n'ayant pas eut d'exécution, Manuel envoya, 1'année fuivante, au faint Pere, un député de la première confidération, pour lui offrir tous les fecours de fon zele contre l'injufte perfécution de Fréderic. II 1'exhortoit a prendre cette « occafion pour refïituer aux Empereurs Grecs la couronne de 1'Empire Romain , qui leur appartenoit légitimement. II promettoit de fa part d'envoyer alfez d'argent & de troupes pour mettre le Pape en poffeflïon de 1'Italie entiere, & de confommer la réunion de 1'Eglife Grecque, qu'il avoit, difoit-il, depuis long-temps dans le cceur. Le Pape fit partir 1'Evêque d'Oftie avec deux Cardinaux, pourtraiter de cette grande affaire & Ia Cour de Conftantinopie. Après deux ans de délibérations, Manuel, ayant envoyé au Pape un nouvel Ambaffadeur avec de grandes fommes d'argent pour conclure Ie traité , Alexandre, qui  du Bas-Empire. Liv.LXXXP7II. %01 avoit eu le temps de pefer mürement les demandes de Manuel, répondit, •qu'il rendoit graces d l'Empereur de fa bienveillance ; qu'il l'embraffoit avec tendrejfe comme le trh-honoré fils de SaintPierre; quil avoit entendu avec joiefes obligeantes propofidons, & qu'il étoit tres-dijpofé d le contenter avec une affection paternelle, en tout ce quilpourrou faire felon Dieu : mais qu'il ne pouvoit confendr d fa demande, au fujet de 1'Empire , fans s'engager dans une entreprif trop haute, trop dangereufe, trop difficile, fans violer les refpeclables décrets d> fes prédéceffèurs, & fans manquer d foi dtvoirde Pafteur univerfel, qui l'obligeoi, d maintenir la paix entre les Chrédens II congédia ainlï 1'Ambafladeur ave< les préfents qu'il avoit apportés, & dont il ne voulut rien recevoir. Ainl fe termina cette négociation, qui n< fervit qu'a faire voir que Manuel au roit volontiers foumis fon Eglife ai Siege de Rome, fi le Siege de Rom avoit été aflez puiflant pour lui ren dre 1'Empire d'Occident. Ce com merce politique forma entre Alexar dre &c Manuel une amitié particulie re, qui ne fut pas éteinte par le dé Manuel. An. 1161, l 1-  Manuel, An, 1161. 1 ] 3 1 | SOÏ JÏISTOIRS, &C Faut de fuccès des affaires publiques. En 1170 , Manuel adreffa au Pape me de fes nieces, accompagnée d'Efêques, de Comtes, & d'un cortege lombreux avec une riche dot d'ar;ent; le Pape avoit demandé cette Vinceffe pour Eudes Frangipani, SejU ;neur Romain, qui l'époufa.  S O M M A I R E D U 1XVRE QUATRE-VINGT-NEUVIEME. EU R infruclueufe des Comnenesr II. Caufes de la nouvelle guerre de Hongrie. III. Affaires de Servië. IV. Amauri y Roi de Jérufalem, s'allie avec l'Empereur. V. Démarches de Manuel pour s'oppofer d. tambition de Fréderic. VI. Révolution en Hongrie. vu. Desès dêpouillé de la Principauté de Servië. VIII. La fille de l'Empereur fiancée d Béla. IX. Stypiote fupplanté par Camatere. X. Renouvellement de la guerre de Hongrie. XI. Manuel paffe le Danube. XII. Opinidtreté du vieux Etienne. XIII. Condnuaiion de la guerre de Hongrie. XIV. Evafion d'Andronic. XV. Il eft rappellé d la Cour. XVI. Ligue de l'Empereur avec plufieurs Princes contre les Hongrois. XVII. Ambaffade du PrêtreJean. XVIII. Zeugmine repris par Manuel, XIX. Paix accordée aux Hongrois,  304 Sommaire du Liv. LXXXIXe. XX. Mort de Guillaume, Roi de Sicile. XXI. Retour d'Andronic en Cilicie. XXII. II débauche Philippa , fceur de [Impe'ratrice. XXIII. Nouvelles aventures d'Andronic. xxiv. Les Grecs battus par les Hongrois. xxv. Ravage de la Hongrie. xxvi. Henri, Duc d'Autriche, vient trouver Manuel. XXVII. Réparation des villes d'Afe. XXVIII. Suite de la guerre de Hongrie. xxix. Difgrace £ Alexis , fils d'Axuch. xxx. Préparatifs de la bataille de Zeugmine. XXXI. Bataille de Zeugmine. xxxil. Triomphe de FEmpereur. XXXIII. Manuel en Servië. XXXIV. Envoyés a°Amauri d Manuel. XXXV. Naiffance (PAlexis, fils de Manuel. XXXvi. Michel tTAnchiale , Patriarche de Conftantinopie. XXXVII. Expédition <£Egypte. XXXVIII. Siege de Damiette. XXXix. Mauvais fuccès du fiege. XL. Dernier affaut. XLI. Levée du fiege. XLII. Voyage d'Amauri d Conftantinopie.  305 HISTOIRE D U BA SE MP IR E. LIVRE QUATRE-VINGT-NEUV1EME. MANUEL. LA conquête des Empires eft 1'ou- , vrage de la valeur : c'eft k la fa- i geffe a les conferver. L'une &c 1'autre ' font également néceffaires pour les ■ rétablir; & lorfque le cours des ré- : volutions humaines a emporté des parties conftdérables d'un grand Etat, pour les rejoindre au centre, &C leur donner une comiftance durable t Hanuel. \XI. 11ó2'. I. /aleur in'ruitueue des -oinns» les.  Manuel. An. 1162. j i I < 1 r r f h d t< t; n 6 a 306 HlSTOIRB il faut qu'une fage politique foutienne les efForts du courage. Les trois premiers Comnenes furent autant de héros, & fi la valeur eüt pu réparer les pertes de 1'Empire, ils lui auroient rendu fon ancienne fplendeur. Leurs exploits ne firent que le retenir dans fa chüte, ils ne le releverent pas. Alexis, il eft vrai, avoit ians fon génie les reffources de la Kudence ; mais le torrent des Croiades vint troubler fes mefures, & ■enverfa les projets qu'il avoit fornés pour détruire la puiffance des r/urcs. Jean fon fils fut un grand Ca>itaine, fa valeur reconquit la Ciliie; mais fa politique échoua derant Antioche, & la Cilicie fut de ouveau perdue. On ne vit dans Mauel qu'un foldat déterminé & heusux, trop bouillant pour concerter :s démarches , trop impatient pour ■s fuivre jufqu'au bout, plus avide u brillant que des fruits de la vic)ire. II montra cependant de la confmce dans la guerre de Hongrie ; tais il n'y gagna que des viöoires, : 1'acquifition de la Hongrie même iroit a peine valu le fang qu'il lui  du Sas-Empire. Liv. LXXX1X. 307 fallut répandre pour une gloire vaine tk frivole. Geïfa, Roi de Hongrie, avoit deux freres, Ladiflas tk Etienne. Selon la loi du pays, Ladiflas devoit lui fuccéder. Mais Geïfa avoit auffi deux fils , Etienne que nous nommerons le jeune pour le diftinguer de fon oncle , tk Bela. La tendrefle paternelle deifinoit la Couronne au fils ainé, & les deux freres craignant, non fans raifon, le traitement ordinaire , prirent le parti de s'expatrier, tk fe refugierent a la Cour de Manuel. L'Empereur les recut avec joie; ils lui apportoient une femence de guerre, tk 1'efpérance de réunir a fes Etats quelque portion de la Hongrie. Pour fe les attacher par desliens plus étroits, il voulut les marier dans fa familie, Ladiflas, perfuadé qu'une alliance avec la maifon Impériale fuffiroit pour lui attirer 1'averfion des Hongrois, refufa tout engagement. Etienne, au contraire, penfant que l'Empereur étoit affez puiflant pour le placer fur le Tröne, malgré les Hongrois mêmes , accepta Marie, niece de Manuel , fille de fon frere Ifaac. Geïia Manuel. A.d. ii62. II. Caufe s de la nouvelle guerre de Hongrie. Cinn. i, f. c. 4. Nicct, 1.4. ii 1.  Manuei. An. 1162. 308 HlSTOIRS mourut en 1161; ckfelon les mefures qu'il avoit pril es, fon fils fut élu par les fuffrages de la nation. L'Empereur députa auffi-töt aux Hongrois, pour leur repréfenter le droit des deux oncles; & afin d'appuyer fa reeommandation, il fe tranfporta luimême k Sardique. Les Hongrois n'étoient pas difpofés k fe foumettre k des Princes fi étroitement lies avec l'Empereur. Ils penfoient qu'en les acceptant, ils alloient être affujettis; & que fous des Rois, humbles efclaves de 1'Empire, la Hongrie n'en feroit plus qu'une Province. Ils renvoyerent donc les députés avec cette réponfe : qu'ils avoient un Roi choifi par les fuffrages de la nation, d qui feule il appartenoit de fe donner un maure. Manuel, voyant bien qu'il ne réuffiroit que par la force, marcha vers le Danube, & fit avancer fes troupes dans le pays fous la conduite de fon neveu Alexis Contoftéphane , que les deux Princes accompagnoient. Ils fe rendirent maitre du chateau de Chrame, & de-la ils travaillerent par des émiffaires fecrets a corrompre par argent les princi?  du Bjs-Empire. Ltv. LXXX1X. 309 pattx Seigneurs. Ils vinrent k bout de former un puiflant parti, qui obligea le nouveau Roi k céder la place k fon oncle Ladiflas. Etienne , frere de Ladiflas, fut revêtu du titre de Wrum; c'étoit le nom qu'on donnoita 1'héritier préfomptifde laCouronne. Elle ne tarda pas k paffer fur fa tête, Ladiflas étant mort au bout de fix mois de regne. Tandis que Contoftéphane s'occupoit des affaires de Hongrie, Manuel qui étoit refté k Sardique, prit cette occafion de rétablir en Servië 1'autoritéde 1'Empire. Primiflas, Prince de Servië, avoit fecoué le joug de 1'obéiffance , & n'exécutoit aucune des conditions auxquelles il s'étoit engagé après la bataille du Drin. L'Empereur entra k main armée dans fon pays, oü il ne trouva nulle réiittance. II ie dépouilla de la principauté, & mit k fa place fon frere Bélufès. Cependant, par compaffion pour Primiflas, il lui donna dans une autre contrée un riche domaine. Bélufès ne put fupporter long-temps les embarras de la fouveraineté; il y renonca volontairement, ck fe retira Makuei. A.n. 1162^ III. Affaires de Servië. Cinn.1. 5. c. 5. Du Cange, fam. p. 2S5.  Manüel. An. 1162. IV. 'Amauri , Roi de Jérufalem , s'ïllie avec l'Empereur.Cinn. I, 5. e. 17. Guill. Tyr. I. 20. c. i. Du Cange fam. Byi. i>. 182. 310 H I S T 9 I li E en Hongrie, oii il goüta jufqu'a fa mort les douceurs de la vie privéer. II reftoit un troifieme frere nommé Défès , établi dans la contrée de Dendra prés de Naïfte. Manuel le fit venir; & après lui avoir fait prêter ferment de fidélité, il lui conféra le fouverain pouvoir fur la Servië, a condition cependant qu'il céderoit le pays de Dendra, qui étoit a la bienféance de 1'Empire. De retour k Conftantinopie, Manuel y trouva des Ambafladeurs d'Amauri, Roi de Jérufalem , qui venoit de fuccéder k Baudouin fon frere, mort fans enfants. Les habitants d'Antioche, qui avoient reconnu l'Empereur Grec pour Seigneur fuzerain, avoient renoncéauvaffelage de 1'Empire par un effet de leur inconftance naturelle, & étoient venus faire hommage k Baudouin, qui les avoit repus pour vaffaux. Amauri, plus circonfpetf que fon frere, voulut fonder ace fujetles difpofitions de l'Empereur : il lui demandoit en mêmetemps 1'honneur de fa bienveillance. L'Empereur lui répondit : Qu'il lui ii e e ts it k 1» k :n 3-  Manuei. An. 1163. Stypiote fupplanté jsar Camatere. Nicet. I. 3, c. 4. 3l8 H/STOIRB gue, pour propofer le mariage de fa fille avec Béla. Les Hongrois, fe croyant par ce moyen délivrés de la guerre, y confentirent; ils céderent même a Béla, en toute propriété, les terres de fon appanage. Le jeune Prince & la Princeffe, n'étant pas encore en age, furent fiancés avec grand appareil dans 1'Eglife de Blaquernes. Manuel changea le nom de Béla en celui d'Alexis , & le décora de la qualité de Defpote. Ce titre, qui fignifioit maitre & Seigneur , étoit conféré par les Empereurs k ceux de leurs parents qu'ils vouloient finguliérement honorer. Jean, oncle de Michel Calaphate , en avoit été revêtu le premier. Manuel déclara fon gendre Alexis fucceffeur k 1'Empire, avec fa fille Marie; il leur fit jurer fidélité par tous les ordres de 1'Ètat, entre les mains du Chancelier Stypiote , qui recut k cette occafion un riche préfent de l'Empereur. Une fonttion fi brillante & fi flatteufe pour la vanité de Stypiote, fut la derniere caufe de fa perte. II avoit pour rival, dans la faveur de l'Empereur, un certain Camatere, Inten-  du Bas-Empire. Liv. LXXXIX. 319 dant-Général des Poftes, encore plus méchant que lui. C'étoit un de ces hommes nés pour plaire aux Princes qui preferent ceux qui les amufent a ceux qui les fervent. Un efprit fouple , une élocution légere tk . enjouée, affez de fcience pour fe faire admirer des ignorants, tk le don fi précieux des talents frivoles étoient .encore relevés par une taille avantageufe, tk quelque réputation de courage. C'étoit le plus beau danfeur tk le meilleur muficien de la Cour. Nicétas raconte des merveilles de fes exploits de table. Indomptable buveur, fans fe reffentir des- vapeurs de 1'ivrefTe, jamais il n'avoit plus de . raifon , que quand tous fes convives 1'avoient perdue , tk Manuel fe divertiflbit a lui propofer des défis effrayants , dont il fortoit toujours .vainqueur. Stypiote méritoit bien d'être fupplanté par un homme de - ce caracTere. Pour y réuffir, Camatere n'eut autre chofe a faire qu'l copier Stypiote même. II s'infinu; dans fon amitié comme avoit fait celui -ci k 1'égard d'Hagiothéodorite Confident de tous fes fecrets, il > O iv Manuel An, 1163  Manuei. An, 1163. 320 IIlSTOTRÈ cherchoit depuis long-temps de quo! le perdre. Dès le temps que l'Empereur étoit- en Cilicie, le traïtre avoit fait une tentative qui n'avoit pas réuffi. La guerre de Sicile duroit encore , & Stypiote, dans fes entretiens familiers avec Camatere, blamoit beaucoup l'Empereur d'avoir en même-temps entrepris deux guerres fi difficiles. Le perfide ami alla rapporter a Manuel les difcours peu refpectueux de fon Chancelier ; &c pour 1'en convaincre, il lui propofa de fe tenir lui-même caché dans une chambre oü ils devoient s'entretenir. Manuel s'y rendit; & fans être vu ? il fut témoin de la converfation. Mais heureufement Stypiote, quoique provoqué par la malice de Camatere 7 ne fe trouva pas ce jour-la d'humeur a dire du mal de fon maitre; & cette épreuve ne tourna pas a fon défayantage. Camatere prit patience, toujours jaloux des diftinftions dont fon riyal étoit honoré. Enfin, après les fianpailles de Marie, ne pouvant plus retenir fon dépit, il s'avifa d'une fourberie, qui porta le dernier coup au Chancelier. II fuppofa un modele de  dv Bas-Empjre. Liv. LXXXIX. 321 lettre, que Stypiote devoit écrire au Roi de Sicile , par laquelle il 1'exhortoit a recommencer. la guerre, tk lui promettoit fidelle correfpondance. II inféra cette lettre dans le cahier du Chancelier, lorfqu'il alloit travailler avec l'Empereur, qu'il eut foin d'avertir auffi-töt. Manuel, s'étant faifi du cahier, trouva cet écrit, tk fur le champ tranfporté de colere, il fit crever les yeux a Stypiote. Sa dignité fut la récompenfe du dénonciateur. Ce fut ainfi que Camatere vengea Hagiothéodorite , tk un grain de fable peut-être vengea Stypiote. Le nouveau parvenu tomba malade peu de temps après; tk prêt de mourir, tourmenté par fes remords, il fit venir Stypiote ; alors le baignant de fes larmes, il lui demanda, avec des foupirs & des fanglots , pardon de ü perfidie , tk le fecours de fes prieres. L'hifioire s'afHige du récit de ce; horreurs, & de même que le fiech qui les vit naitre, elle ne fe confoie qu'en les voyant punies. Les deux Etiennes, qui fe difpu toient le Royaume de Hongrie, n pouvoient demeurer long-temps ei O v Manuel. An. 1163. > An. 1164, Renou-  Manuel. An. 1164. vellementdelaguerre de Hongrie. Cinn. I. 5. c.y.&feaa. 223 II I 9 T Ó I R E paix. L'oncle mécontent de l'acc©mmodement fait avec fon ennemi, s'étoit retiré k Anchiale fur le PontEuxin. De-la il travailloit k ranimer fon parti; & dés qu'il eut ralTemblé quelques troupes, il rentra dans le pays. Le neveu fe mit en défenfe; il chercha des fecours en Allemagne & en Bohème, & avec une armée déja beaucoup plus forte que celle de fon rival, il commenca par fe faifir de la contrée cédée k Béla, & marcha contre fon oncle. A la nouvelle de ces mouvements, l'Empereur reprit les armes, tant pour recouvrer 1'apanage de fon gendre, que pour défendre fon neveu d'alliance, qui s'étoit engagé témérairement, fans avoir des forces fuffifantes. II envoya promptement a. fon fecours un grand corps de troupes légeres fous les ordres d'Andronic Contoftéphane , qui arriva k propos pour tirer Ie Prince de péril. Dés que le gros de l'armée Grecque fut affemblé, Manuel marcha lui-même en diligence, 8c paffa la Save. A fon arrivée; la terreur faifit les Hongrois ; toutes les villes lui ouvrent eurs portes. Les Prêtres 8c tout le peii*  nu Bas-Empire. Liv. LXXXIX. 353 ple fortent au-devant de lui en proceffion; l'Empereur avance jufqu'a PofTéga; 1'Evêque fuivi des habitants vient lui préfenter les clefs de la ville. Etienne le jeune fuyoit devant lui; & n'ofant en.venir a une bataille, il avoir deja paffe le Danube, pour fe fauver dans 1'intérieur du pays. Manuel s'approche du Danube. Arrivé kPétri'cum, aujourd'hui Peter-Faradirt, il écrit au Roi Etienne en ces termes: ». Je ne faas pas venu pour faire la » guerre aux Hongrois, mais pour » les obliger a reftituer a votre fre» re Béla 1'héritage qui lui appar» tient, & dont vous lui avez faii » vous-même une conceflion authen» tique. Un autre motif qui vous mi » téreffe encore plus que moi, nu » met les armes k la main ; c'eft di » rétablir la paix entre vous & vc » tre oncle. Si vous voulez faire juf » tice fur ces deux articles, la guer » re eftfinie. Autrement je nelafin: » rai qu'après avoir effacé ces deu y> infultes faites a 1'Empire ". ï En attendant la réponfe, Manuf paffa le Danube , &Z dans cette o< cafion un accident fit admirer fa fon O vj Manuel, An. 1164. C :1 XI. Manoe: paffe Ie e Datvubev  Manuel. An. 1164. i •j j i 3 1 1 c e li d h c 324 H 1 s t 0 1 k b & fon humanité. Une des barques plus chargée que les autres eut k peine quitté le rivage , qu'elle pencha d'un cöté; 1'eau gagnoit le bord, & elle etoit ptête de périr. Le refte de l'armée ne s'occupant que de fon propre paffage, perfonne ne fe mettoit en peine de la fauver. Manuel fe jette dans 1'eau; & malgré la vafe molle & profonde , malgré la rapidité du Meuve, il atteintla barqne; il releve & fourient de fes épaules le bord déja fubmergé , & donne le temps de veriir au fecours. II va camper k Titul ür la Teïffe. Cependant le Roi de ïongrie recut les renforts d'AHema;ne & de Bohème. Uladiflas, Roi de tohême , conduifoit fes troupes en )erfonne. Ce Prince avoit recu de Empereur Conrad le titre de Roi, >£ c'étoit felon les Grecs une entre•rife illégitime; a les entendre, le tire d'Empereur, & le droit de faire es Rois n'appartenoit qu a leur Prine. Les Hiftoriens Grecs de ce tempsi donnent aux Bohémiens le nom e Zeques, qu'ils portent en effet dans langue Efclavonne, paree que Zéius fut le clef de la colonie des Sla-  pu Bas-Empire. Liv. LXXXIX. 325 ves qui vinrent au feptieme liecle s'é- tablir dans le pays des anciens Boiens j & des Marcomans. Uladiflas étoit un Prince jufte & généreux. Manuel lui envoya fecretement un exprès pour lui repréfenter qu'il fervoit finju/lici en f ommant l& Roi de Hongrie ufurpateur & du tróne & du patrimoine de fon frere Béla. Uladiflas répondit, que pour le tróne, il appartenoit légitimement au jeune Etienne; que fon oncle après ten avoir dépouillé par violence, avoit lui-même mérité de le perdre par la tyrannie qu'il exercoit fur les Hongrois; que pour le domaine de Béla , fon frere étoit pret a le rendre, & d reparer toutes les fautes qu'il avoit pu commettre contre SaMajejlê Impériale. Manuel, content de cette déclaration , envoya des députés pour s'alfurer qu'elle étoit fincere, & pour la faire confirmer par ferment. Uladiflas ne balanpa pas. D'auxiliaire d'Etienne, il devint médiateur entre les deux partis. Etienne rendit les terres de Béla, & fupplia l'Empereur d'engager fon oncle k pofer les armes, ou du moins de ne le pas fecourir. Manuel promit de faire fes efforts pour porter Tonele a fe il. II44.  Manuel. An. 1164. XII. Opiniatreté du vieux Etienne. 3:6 H I S T 9 I RE délilier -de fes prétentions; & après cet accommodement précipité, il repaiTa le Danube. La difHculté étoit d'engager Tonele a renoncer au tróne de Hongrie. En vain Manuel lui repréfenta qu'il y avoit de Ia folie a vouloir gouverner malgré elle une nation fiere 8c courageufe. Comme il ne pouvoit lui perfuader qu'il étoit détefté des Hongrois : » II eft , lui dit-il , un » moyen fur de vous en convain» ere. Vous avez un neveu, fils de » votre frere Almus , qui porte le mê» me nom que vous, öc qui vous ref» femble fi parfaitement, qu'il eft dif>> ficile de vous diftinguer tous deux. >> Mettez-le a la tête de ce que vous ■> avez de Hongrois , &c envoyez-le »> contre Tennemi. Tenez-vous ca» ché pendant ce temps-la. Le trai> tementqui lui fera fait, vous mon♦ trera ce que vous avez a attendre ■> pour vous-mêmes ". Etienne y confentit; il fe tint dans une barque au aord du Danube , tandis que fon neveu a la tête de fes troupes , alla :hercher le Roi de Hongrie. Mais avant que les deux armées fuffent en  dv Bjs-Empire. Liv. LXXXIX. 327 préfence , les foldats du faux Etienne fe faifirent de lui, & le conduifirent au Roi. II n'évita la mort ou la prifon qu'en fe faifant conncitre. Le fuccès de cette épreuve fuffifoit pour convaincre un efprit moins opiniatre de 1'inutilité de fes efforts. U ne convainquit pas Etienne ; & l'Empereur défefpérant de le ramener au parti de la raifon , fe fépara de lui pour retourner k Conftantinopie. Cependant pour ne le pas entiéremenl abandonner, il lui laiffa Nicéphotf Caluph, un de fes Généraux, avec 01 'corps de troupes. Le Roi de Hongrie, apprenant qu< fon oncle s'obftinoit k refter dans 1< pays, réfolut de le poufter a bout & marcha pour lui livrer bataille. At bruit de fa marche, tous les Hongroi de fon oncle défertent, & vont f rendre au Roi. Caluph confeille aj vieux Etienne de fe retirer au voi fmage de Sirmium , qui appartenoi a 1'Empire, oü il feroit en fureté & comme Etienne ne Pécoutoit pas il s'y' retire' lui-même avec fes trou pes', fous prétexte d'un ordre de 1'En pereu-r. Etienne abandonné eft Wei Manuei. An. 116^. l ! An. 1165. XIII. Continuï^ tion de la s guerre de 3 Hor. gr ie. I t » b i-  S-UtiUEl An. nój XIV. Evafion •d'Andronic. Cinn. I. J. c I5. Nicet. I. 4. e. 2. i j 3a8 H 1 s' t 0 1 a £ tot obligé de le rejoindre; & les ennemis paroiffant difpofés a le pourfuivre jufque fur les terres de 1'Empire , Manuel envoyé en diligence un renfort de troupes, pour défendre 1'entrée de fes Etats. Ce nouveau fecours étoit commandé par Michel Gabras, qui venoit d'époufer Eudocie, niece de Manuel. Cette Princeffe, autrefois concubine d'Andronic, féparée de lui depuis qu'il étoit en prifon , avoit donné fa main a Michel Gabras, & celui-ci, plus curieux de fa fortune que de fon honneur, avoit recu de l'Empereur le titre de Sébafte, pour couvrir la honte de cette alliance auffi méprifable qu'elle étoit illuftre. Andronic étoit alors occupé de tout autre foin. Enfermé depuis douze ans dans une tour du palais, il ne fongeoit qu'aux moyens d'en fortir. Sa première évafion ayant été fans fuccès, il prit de plus juftes mefures. Dn lui avoit laiffé, pour le fervir, -in petit efclave, qui avoit foin de ui porter fa nourriture. Andronic, >our diminuer Ia défiance de fes garïcs, feigait d'être malade. L'efclave  du Bas-Empire. Llv. LXXXIX. 329 adroit & intelligent, qui s'étoit familiarifé avec les gardes en les faifant boire, trouva un moment pour prendre en cire le modele des clefs de la chambre d'Andronic, & Manuel , fils d'Andronic, en fit faire de pareilles, que 1'efclave porta a fon maitre, avec un paquet de cordes au fond d'une amphore pleine de vin. Tout étant ainfi préparé, le prifonnier fort de la chambre pendant une nuit, defcend de la tour a 1'aide de la corde, & fe tient caché tout le jour dans des buiffons & des brouffailles, dont le pied de la tour étoil rempli. II falloit encore paffer un« muraille affez baffe entre la tour & le bord de la mer ; il 1'efcalade k nuit fuivante. Surpris dans cette opé ration, par une fentinelle qui ne 1< connoiffoit pas , il lui fait accroir* qu'il eft un prifonnier renfermé pou dettes, & le perfuade par le doi d'un bijou d'or qu'il avoit fur lui Une chaloupe 1'attendoit au rivage il fe fait porter a fa maifon qui étoi fur le port, fe délivre de fes chai nes, fort de la ville, & trouve au portes des chevaux tout prêts, qi Manuel. Ai». 1165. i » t t i  Manuei, An. 1165, ,33 . ■ HlSTOIKE le portent k Anchiale. Pupace, revenu pour je ne fais quelle raifon, fur les terres de 1'Empire, habitoit alors dans cette ville. II avoit fervi fous Andronic , qui avoit fouvent récompenfé fa valeur; il le fournit d'argent tk de guides, qui lui font palfer le Danube, tk le conduifent vers Galiza en Taurofcythie; c'eft aujourd'hui Halic{ dans la Ruflïe Polonnoife fur le Niefter. II approchoit de cette ville, & fe croyoit hors de danger, lorfqu'il eft reconnu tk repris par des Valaques, qui le ramenent vers Conftantinopie. Entre les mains de ces barbares, fe voyant fans reftburce, il en emprunte de fes rufes. II feint un cours de ventre, qui 1'oblige fréquemment de defcendre de cheval. Après y avoir accoutumé fon efcorte, fe voyant la nuit fuivante au bord d'une forêt, il defcend appuyé fur un baton, a caufe de fa prétendue foiblefte , s'écarte de quelques pas, plante en terre le baton qu'il revêt de fes habits , tk laiftant fa dépouille k fa place, il s'enfonce dans 1'épailfeur du bois, 8c reprend une autre route. Les bar-  du Bas-Empire. Liv. LXXXIX. 331 bares , trompés par cet objet qu'ils ne diftinguent pas au travers des ténebres , s'appercoivent enfin du ftratagême. Ils courent en vain après lui; il gagne Halicz par un autre chemin. II eft bien recu par le Gouverneur Ruffe qui 1'envoye a Kiovie, réfidence d'Hiéroflas , un des Ducs de Ruflie. Andronic , propre a prendre toute forte de mceurs, devient bientöt 1'ami inféparable d'Hiéroflas, Cependant on amenoit a Conftantinopie Pupace , convaincu d'avoir favorifé Andronic. II fut fouetté dan! les carrefours de la ville , la corde au cou , un héraut criant devant lui C'éjl ce que mérite celui qui a regu dan fa maifon, & aidé dans fa fuite l'en nemi de CEmpereur. Jjoute{, s ecnoi de brave Pupace auffi haut que 1 héraut, qui ejl aftifcélérat pour avoi affifié fon bienfaiteur , au-lieu de l • trahir. Etienne ne fe croyoit pas en fïï reté, tant que fon oncle feroit dan le voifinage de fes Etats. II fe dii pofoit donc a entrer dans le terri toire de Sirmium. L'Empereur hi manda, quil ne devoit pas avoir dij Manuel. An. 1iój. f t r t - XV. g I! eft rap» , pellé a la " Cour. - Cinn. I. J. : c. 14, 17' 1 Nitet.l.4, 1 t. X.  Manuel, An. 1165. 332 HlSTOIRB oublié des promejfes toutes récentes; qu'il dtvoit même fe fouvenir des défajlres que les guerres de fon pere ayoi.ent caufés dans fon pays ; que fon inconfance alloit les renouveller, & quen mettant le pied fur les terres de l'Empire, il en alloit attirer toutes les forces. Etienne ne tint compte de ces menaces, que pour fe procurer de nouveaux alliés. II entama une négociation avec Hiéroflas, qui devoit lui envoyer une nombreufe cavalerie, & lui donner fa fille en mariage. Andronic s'offroit a conduire ces troupes dans le cceur de 1'Empire. Malgré les forfaits d'Andronic, l'Empereur confervoit pour hu un fond de bienveillance. C'étoit a regret qu'il Ï'avoit fi long-temps tenu dans les fers. II aimoit fa gayeté, fe hardieffe ; il admiroit fon efprit de reflburces; fon libertinage même ne lui déplaifoit pas. A cette inclination naturelle fe joignoient des raifons politiques de le rappeller. Andronic étoit en grand crédit auprès des Princes Rulles; il pouvoit ou fe fervir de leurs forces pour nuire a 1'Empire , ou les attirer a une alliance avec Manuel. L'Empereur lui envoya  su Bas-Empire. Lh. LXXXIX. 533 donc une amniftie authentique , & * Andronic, ayant juré de fa part qu'il ] ne s'écarteroit jamais de la fidélité qu'il devoit k l'Empereur, revint k la Cour. Pendant ce temps-la, le Roi de Hongrie avancoit dans le pays. II défit Gabras, affiégea Zeugmine, & fit fon oncle prifonnier. Pour fe défaire d'un ennemi fi incommode, il fe fervit du miniftere d'un Chirurgien , qui, dans une légere maladie furvenue k ce Prince, le faigna avec une lancette empoifonnée. On infulta a fon cadavre , qu'on laiffa longtemps fans fépulture. Zeugmine fe rendit aux Hongrois. Manuel, irrité d'un fi noir forfait, réfolut de pouffer k bout le jeune ] Etienne, de détacher de lui les Ruffes , fes nouveaux alliés, & de foulever 1 contre lui toute 1'Allemagne. II envoya en Rufïïe un de fes parents , ] nommé Manuel comme lui, homme habile & infinuant, qui s'adreffa d'a- ' bord a deux Princes de Ruflie, Pri- j miflas & Rofiflas, déja liés d'amitié i avec l'Empereur. II en obtint aifément des troupes. II alla enfuite k Kiovie porter .a Hiérollas une lettre Manuel. Ln. 116;. XVI. jigue de 'Empeeur avec iluileurs 'rinces :ontre les longrois. Zinn. I. ö. . 14, JJ. Ou Cange ~am. By^% -. iSj, [84.  Manuel. An. 116;. 334 HlSTOIRE de l'Empereur, qui lui reprocheit fon inconftance d'avoir, fans aucun fujet de plainte , rompu fon alliance avec 1'Empire , fon imprudence d'avoir promis fa fille k un lache parricide, qui la traiteroit non pas en époufe légitime, mais en efclave. Hiéroflas , frappé de ces horreurs , retira fa parole, fe déclara ennemi de celui qui devoit être fon gendre, & promit d'aider les Grecs de tout fon pouvoir. Fréderic , Empereur d'Allemagne, pour des raifons politiques que nous expliquerons dans la fuite , & Henry, premier Duc d'Autriche, qui avoit époufé Théodora, petite fille par fa mere d'Ifaac frere de Manuel, entrerent dans cette ligue contre le Roi de Hongrie. Le Prince de Servië, Azzedin lui-même , felon le traité fait avec lui, pro«irent des troupes. Uladiflas, autre Prince de Ruffie, abandonna fon pays, lc emmenant avec lui fa femme, fes mfants, fes foldats, vint s'établir enieca du Danube, dans la contrée qu'on appelle aujourd'hui Dobrudzie. Vlanuel y avoit déja donné des éta^iffements a une colonie RuiTe, con-  du Bas-Empire. Liv. LXXX/X. 335 duite par un Prince puiffant nommé Bafdicas. Les Vénitiens, ayant renouvellé les anciens traités , promirent une flotte de cent vaiffeaux. Ce fut cette année, felon Albéric, que le Prêtre-Jean écrivit a différents Rois de la Chrétienté, & envoya en particulier des Ambaffadeurs aux Empereurs Manuel & Fréderic. II donnoit a Manuel le titre d'excellent Prince, fupérieur d tous les Rois de la terre par fa puijfance & fa vertu, & il fe vantoit d'avoir pour tributaires foixante-dix Rois. On a cru long-temps que le Prêtre-Jean étoit le Roi des Abyflins. Cette opinion a été convarncue de fauffeté. Mais il n'efl pas aifé de dire ce qu'il étoit véritablement. Les uns prétendent que c'étoit un Prêtre Neftorien qui s'empara d'une partie des Indes, 6z qui eut plufieurs fucceffeurs. D'autres ne conviennent pas que ce Prince , chef d'une dynaftie Indienne, ait été Prêtre ; ils penfent que le nom de Prêtre-Jean ou plutöt Prêtejean, n'efl que celui de Preftegian, qui , en langue Perfanne , difent-ils , fignifioit un Roi Ghrétien; & que ces Makuei; An. 1165. XVII. Ambaffadedu Prê; trejean. Alberic. chr. Du Cange fur Joinville, p. 89. D'Hcrbeht, BibL, Oriënt, au mot Ung^ ou Avenka  Manuel. An. 1165. An. 1166. ] XVIII. 1 Zeugmine repris par Ma- 1 nuel. j Cinn. I. 5. t. iS, 19, 20. 1 Nicet. I, 5. , <'3. ] ?36 HlSTOIRE 3rinces prirent ce nom , comme pro~effant le Chriftianifme & s'en dé:larant défenfeurs. Un Auteur, trèsi^erfé dans la littérature Oriëntale, lit que ce nom fut donné par les Eu•opéens k Ungkhan ou Avenkkhan , 3rince des Mogols , k caufe qu'il :toit Chrétien , ainfi que la plus granle partie de fes fujets, & qu'il ré;noit dans la partie la plus oriëntale le 1'Afie en tirant vers le Nord, fur ine tribu de Mogols qui portoit le lom de Kérit; il ajoute que fon Impire s'étendoit dans la grande fartarie jufqu'aux confins de la Chiïe. Tous ces écrivans fe réunilfent 1 dire que cet Empire fut détruit par 3enghizkhan, au commencement du reizieme fiecle. La perte de Zeugmine affligeoit 'Empereur. Réfolu de reprendre cete place, il affemble fes troupes k Sarlique 1'année fuivante, & avance vers a Save. Les Hongrois bordoient le leuve pour défendre le paffage. Maiuel laiffe vis-a-vis d'eux le gros de bn armée; tk k la tête d'un détahement, il marche vers Belgrade. .es ennemis font le même mouvement;  bv Bas-Empire. Lh. LXXXIX. 337 ment; &lorfqu'il a ainfi divifé leurs forces, il revient pendant la nuit rejoindre fon armée, & fe jette le premier dans une barque. Animés par fon exemple , les fiens le fuivent, &c forcent le paffage. Comme la barque de l'Empereur, arrêtée par la vale, ne pouvoit aborder, Manuel, fautant de trop loin fur la terre, fe donna une entorfe, qui 1'incommoda beaucoup pendant le fiege, fans rallentir fon atfivité. II paffa trois jours k détourner un canal, qui portoita la ville 1'eau de la Save, & a repouffer les habitants, qui, par de fréquentes forties, s'efforcoient d'interrompre ce travail. Mais dès que Manuel fe montroit, faifis d'effroi, ils fuyoient en défordre, & regagnoient leurs murailles. Alors , devenus hardis, ils 1'outrageoient avec infolence, & faifoient des décharges de toutes leurs ' machines. L'Empereur avoit cependant entre les affiégés des intelligences, qui 1'inftruifoient de 1'état de la place par des billets lancés de nuit au bout d'une fleche. On combla le foffé,onétablit quatre batteries, d'oiï partoient des pierres d'une énorme Tornt XIX, P SiANUEL. &.A. Il66.  tra«3B«8S» JManuei. An. 1166. 338 H I $ T O I R E groffeur. Manuel, pouflant fon cheval jufqu'a une porte de la place, y enfonca fa javeline. On eut beaucoup de peine a 1'empêcher de monter lui-même au haut d'une tour de bois , conftruite a la hauteur des murailles, pour combattre k coups de main, & fauter fur le mur. On apprit qu'Etienne venoit k la tête d'une puilfante armée, groffie des troupes de tous fes alliés. La plupart des Officiers penfoient qu'il falloit lever le fiege pour aller le combattre. Manuel ne fut pas de cet avis. II redoubla fes efforts. Andronic répara en cette occafion fes fautes paffées ; ce fut après l'Empereur celui qui fe fignala davantage. II commandoit k la principale attaque , & ouvrit une large brêche. L'Empereur, entre autres a£tions de hardieffe, appercevant fur le haut de la muraille un ennemi dirigeant fa fleche fur un de fes foldats, qui, portant fa vue ailleurs , alloit être infailliblement percé, accourut & recut le trait fur fon bouclier. Enfin , après trois affauts foutenus avec vigueur, les habitants demanderent k capituler, Manuel leur  nv Êas-Empire. Lïv. LXXXIX. 339 accordoit la vie , a condition que le Gouverneur Grégoire & les principaux Officiers fortiroient la corde au cou, la tête & pieds nuds. Ce qui n'ayant pas été accepté, 1 attaque recommenca. Dans un dernier affaur, Andronic Ducas montant a la tête d'une troupe de foldats, 1'échelle fe rompit, & il fut porté k terre avec tous ceux qui le fuivoient. Froiffé d'une chüte fi rude, il plante auffi-töt une autre échelle , monte de nouveau , & la place elf emportée. Grégoire , pour fléchir le vainqueur, demanda comme une grace de fe foumettre k 1'ignominie qu'il avoit refufée, & l'Empereur ne lui laiffa la vie qu'aux inftances de Béla. La ville fut abandonnée au pillage; tout fut paffe au fil de 1'épée. Un riche ha"bitant voyant fa femme entrainée par un foldat, courut k elle, & lui fauva 1'honneur en lui plongeant un poignard dans le fein. On trouva dans les prifons un foldat Grec, renommé pour fon adreffe a tirer de 1'arc. Ayant été pris dans une fortie, on voulut 1'obliger a tirer fur fes compatriotes ; il obéit; mais comme on Pij Manuel. An. 1166.  Manuel, An. i i6ó, XIX. Paix ac' cordée aux Hongrois.Cinn. I. 6 c. i. 340 II ï S T 0 I R E vit que tous fes coups portoient k faux, on Ï'avoit enfermé k deffein de le faire mourir lorfque le fiege feroit levé. Manuel laiffa dans la ville fon oncle Conftantin 1'Ange, avec ordre de la réparer, & de rétablir toutes les places de la frontiere. Le Roi de Hongrie, confterné de la perle de Zeugmine, qu'il avoit regardée comme imprenable , demanda la paix. II offroit a l'Empereur Zeugmine , Sirmium & la Dalmatie. Manuel ne put s'empêcher de rire :'Et quoi, dit-il aux députés, votre maitre a donc encore une feconde Zeugmine , une autre Sermium , une autre Dalmatie ? car je poffede deux villes & une province de ce nom-la. En effet, la Dalmatie avoit été conquife depuis peu par Jean Ducas ; il s'étoit rendu maitre, foit de force , foit par compofition , de cinquantefept places, dont les principales étoient Trau, Spalatro , Sebenico, Scardone, Salone , Dioclée; & Nicéphore Caluph en -étoit établi Gouverneur. L'Empereur, après s'être moqué de ces propofitions illufoires , ajouta que cependant, pour épargner le fang  x>u Bjs-Empire. Liv. LXXXJX. §$t Chrétien, il vouloit bien leur accorder la paix ; & aprês leur avoir fait prêter ferment au nofrt de leur maitre , il partit pour Conftantinopie. II y rentra en triomphe. Pour donnet a cette fête Un éclat extraordinaire, on avoit préparé au Prince un chai d'or niaffif. Mais dés qu'on y eu attelé de jeunes chevaux qui devoient le trainer, ils y donneren de fi violentes fecöuffes, que pëi s'en fallut qiTil ne fut mis en pieces Le Prince n'y monta pas; il avoi même d'abord refufé d'ufer d'un 1 pompeux appareil, qui montroit di moins autant d'orgneil que de ma gnificence. 11 apprit peu de temp après que les Hongrois & les Serve faifoient de nouveaux mouvements & il fe préparoit déja a retourne contre eux. Mais dès que ces peu pies en furent avertis, ils rentreren dans le repos. Guillaume, Roi de Sicile, mouru cette année ; & fi Ton en veut croir TAuteur de la chronique de Salerne Manuel envoya des Ambafladeurs Guillaume II, fon fils, pour lui offr Ie renouvellement de la paix, & ! P üj Manuel. Am-1166. i ï i f f t t XX. e More ds Guillauj me , Rot ;\ de Sicile. Romualdi. SaUrn,chr, e  An, 1166. An. 1167. XXI. Retour «1'Andronic en Cilicie.Cinn. I. 5. 6. t. 1. Nicet. I. 4, c 4, 5. ■ 34a Htstoire mariage de Marie fa fille unique ^ qui devoit porter 1'Empire a fon mari. Cet Ecrivain ajoute que Pambaffade fut bien recue, qu'on envoya de part ck d'autre des députés, & que la paix fut confirmée de nouveau ; mais que plufieurs difficultés empêcherent la conclufion du mariage. Ce récit ne s'accorde pas avec ce que nous avons raconté d'après Nicétas & Cinname, du mariage arrêté entre Marie & Béla, qui fut regardé comme 1'héritier préfomptif de Manuel jufqu'a la naiffance du Prince Alexis. Ainfi ou le chroniqueur s'eft. entiérement trompé fur cette propofition de mariage, ou il faut la renvoyer après 1'année 1169 , dans Iaquelle naquit Alexis. Mais alors Marie n'avoit plus aucun droit a la fucceflion impériale. Les actions de courage d'Andronic au fiege de Zeugmine avoient fait oublier a l'Empereur fes forfaits paffes. II ne tenoit qu'a lui de tenir h la Cour le rang le plus diflingué , & de jouir en repos d'une brillante fortune. Son penchant invincible a la débauche le replongea dans de nou-  du Bms-Empire. Liv. LXXXIX, 343 veaux malheurs. Son cceur fourbe tk capable des plus noirs attentats, afpiroit a 1'Empire; Sc s'il ne pouvoit arracher la couronne a Manuel, il efpéroit du moins y parvenir après fa mort. Mais 1'élévation de Béla, deftiné k être gendre de Manuel, tk k lui fuccéder, formoit un obftacle a fes deffeins , Sc excitoit fa colere. AiuTi ne ceffoit-il de murmurer contre ces difpolïtions. N'eJI-il pas étrange , difoit - il, que l'Empereur foit allé chercher un gendre dans une nation barbare & ennemie ? quil ait choiji un Hongrois pour fucceffeur ? Quel affront pour tous les Seigneurs de 1'Empire, qu'il a jugés indignes de fon alliance l Ces difcours répétés par fes partifans indifpofoient les efprits. Manuel en étant informé réfolut de 1'éloigner; mais par une imprudence inexcufable, il lui confia le commandement de la Province , oii il convenoit le moins de 1'envoyer. Alexis, fils d'Axuch, Gouverneur de Cilicie, n'y demeura pas long-temps pour les raifbns que nous dirons bientöt. Andronic fut envoyé a fa place. L'Em» pereur lui fit valoir le choix qu'il P iv Ma nu ix. An. 1167. Guill. Tyr. 1.19. c. 11. I. ii,t, 13.  Manuel. An. jié7. XXII. II debauche Philippa , foeur de 1'Impérairice. 344 HisrornE faifoit de fa perfonne , pour lui donner occafion de réparer 1'affront qu'il avoit recu autrefois dans ce pays; & afin de lui faire accepter cet emploi plus volontiers , il lui mit entre les mains de grandes fommes d'argent, & lui permit de plus de faire ufage des revenus de l'ifle de Cypre. Son libertinage 1'accompagna encore cette fois , & rendit inutile toute fa bravoure. Surpris, battu plufieurs fois par Thoros, un jour que fon armée en déroute étoit pourfuivie par les Arméniens, défefpéré de fa défaite , &c appercevant derrière lui Thoros au milieu de fes troupes, il retourne fur lui avec fureur, écarté a coups de fabre 1'efcorte du Prince, le joint & le renverfe d'un coup de lance. Thoros ne dut la vie qu'a la force de fa cuirafle. Andronic fe dégagea par fa valeur , ck rejoignit fon armée. Raimond, Prince d'Antioche, avoit laiffé deux filles, dont la beauté étoit renommée dans tout 1'Orient. Manuel avoit époufé 1'ainée, Andronic devint éperduementamoureux de Philippa la cadette , avant même que de 1'avoir vue. Emporté par cette nou-  du Bas-Empire. Lh. LXXXTX. 345 veile paffion , il choifit entre fes jeunes Officiers les plus lelies 6c les mieux faits ; accompagné de ce galant cortege, il quitte la Cilicie, 6c fe rend a Antioche. II met en oeuvre tout ce qui peut féduire une jeune Princeffe. Les graces de faperfonne, fon goüt de magnificence , fon adreffe a tous les exercices, les fêtes, les préfents , le langage fuborneur eurent bientöt abattu toutes les défenfes de la vertu 6c de 1'honneur. Philippa devint paffionnée pour Andronic. Manuel, informé de ce nouvel écart, fort irrité qu'il eüt ainfi abandonné fa Province, envoyé pour le remplacer Calaman , fils de Borife le Hongrois, dont j'ai déja parlé. II lui ordonne de paffer lui-même a Antioche , 6c de traverfer les amours d'Andronic, en propofant a la Princeffe de 1'époufer, 6c lui offrant poui ce mariage toute la faveur de l'Empereur. Manuel avoit mal choili. Calaman étoit un perfonnage grave & fenfé, qui traita férieufement 1'avem ture. La gayeté d'Andronic jetta di ridicule fur fa pefante galanterie: for bon fens déplut autant que fa peP v Manuel. An. 1167. L  Manuei. An. 1167. 346 H 1 S T O 1 R X tite taille ; & la Princeffe aima mieux refter maitreffe d'Andronic, crue de devenir femme de Calaman. Après bien des dépenfes & des foupirs perdus , le prétendant fut obligé de retourner a Tarfe. II n'y demenra pas long-temps. Noradin , Sultan d'Alep, étant venu affiéger Harem dans la Principauté d'Antioche , Raimond II,. Comte de Tripoli, Calaman & Thoros que Calaman avoit regagné, fe joignirent k Boémond III , Prince d'Antioche, pour combattre ce r'edoutable guerrier. La bataille fe livra prés d'Artaz, & les Latins furent entiérement défaits. Tous leurs chefs refterent prifonniers, k 1'exception de Thoros qui fe fauva. Ce Prince s'étant fouftrait de nouveau k l'obéiffance de Manuel, enleva plufieurs places de Cilicie fur Andronic Euphorbene, coufin de l'Empereur, qui Pavoit nommé Gouverneur de la Province pendant la prifon de Calaman. Ce qui avoit donné fujet a Thoros de reprendre les armes contre les Grecs, c'étoit la mort de fon frere Etienne, qu'il imputoit k ce Gouverneur. Le Prince d'Antioche, après a-  do Bas-Empire. Liv. LXXXIX. 347 voir été un an dans les fers, donna des ötages pour fa rancon, & recouvra fa liberté. Mais voulant la procurer aux ötages qu'il avoit laiffés entre les mains de Noradin, & ne trouvant pas dans fon tréfor les fommes fuffifantes , il eut recours a l'Empereur fon beau-frere, & fit le voyage de Conftantinopie. II y fut recu avec de grands honneurs, comme frere de 1'Impératrice; & il trouva -dans la générofité de Manuel les reffources qu'il en avoit efpérées. Les menaces de Manuel troubloient les amours d'Andronic. II craignoit ia prifon dont il avoit fi long-temps éprouvé les rigueurs ,& ne fe croyoit pas en füreté dans Antioche. D'ailleurs , fa paflion étant fatisfaite , il laiffa gaiment Philippa dans les larmes & les remords, & s'en alla k Jérufalem. L'incefte avoit des attraits pour Andronic. Théodora, veuve du Roi Baudouin, étoit petite-niece d'Ifaac Comnene, pere d'Andronic. L'exemple de Philippa ne put la fauver de la féduction, & la veuve d'un - Roi ne rougit pas de fe livrer a un commerce fcandaleux. Manuel, irrité P vj > Manuei. Ka. iï67* xxnr. Nou velles aveftturesd'Andtanic.  Manuel. An. ii67. 34i? IIlSTOlRE plus que jamais , envoya ordre a tous les Officiers de 1'Empire employés fur les frontieres de Syrië, de faire leurs diligences pour fe faifir d'Andronic, 6c de lui crêver les yeux. Ces lettres de l'Empereur tomberent entre les mains de Théodora, qui en fit part a fon amant. Celui-ci voyant le rifque qu'il couroit en reftant dans le pays, engagea la Princeffe k le fuivre ; & changeant fans ceffe de demeure , trouvant par-tout les Princes infideles difpofés k le recevoir, mais agité de défiances & de frayeurs perpétuelles , il paffa de Syrië en lbérie, d'Ibérie en Perfe, 8c fe fixa enfin auprès du Sultan de Colonée. II avoit déja trois enfants de fa femme légitime, Manuel, Jean 8c Marie. Théodora fugitive 8c enchainée par fa paffion k la fuite de ce fcélérat, lui en donna deux autres, un fils qui porta le nom d'Alexis, 8c une fille nommée Irene. Pourfuivi fans relache par les émiffaires de Manuel, qui cherchoient tous les moyens de le faire périr, il s'en défendit par fon sdreffe 8c par fa vigilance, fe vengeant de l'Empereur par des ravages,  du Bas-Empire. Liv. LXXXIX. 349 & payant fon afyle aux dépens des prifonniers qu'il enlevoit fur les terres de 1'Empire, & qu'il livroit aux Turcs. L'Eglife Grecque le frappa de fes foudres; mais les foudres de 1'Eglife n'allarmoient pas un homme tel qu'Andronic. Les Hongrois avoient déja repris les armes. Zeugmine donnoit une libre entree dans leur pays. Etienne réfolut d'employer toutes fes forces pour recouvrer cette place. II mit k la tête de fes troupes un Seigneur nommé Denis , qui palfoit k la Cour de Hongrie pour un grand Capitaine. Manuel lui oppofa deux Généraux, Michel Gabras, mari d'Eudocie , Sc Michel Branas, dont la méfintelligence ne nuifit pas moins aux affaires que leur incapacité. Après de longues conteftations, on convint enfin qu'on iroit chercher Denis , Sc qu'on 1'attaqueroit pendant la nuit. Toute 1'armée fe mit donc en marche; mais le jour la furprit en chemin, Sc elle trouva 1'ennemi préparé a la recevoir. Arrivant fatiguée 8c mal en ordre , elle fut bientöt mife en déroute. Les fitiyards regagnerent Zeugmine VlANUEt. ka. 1167. XXIV. Les Grecs battus par les Hongrois.Cinn. I. 6. c. 3. Nicet. I. 4. c. 3. /. 5. c. 1.  Manuel. An. 1167. 350 HlSTOIRR fans beaucoup de perte. Mais Denis, vain & fanfaron , voulant faire valoir ce fuccès, fit ramaffer les morts, &: entaffer fur ce petit nombre de cadavres une montagne de terre , qui auroit pu fervir de tombeau a une grande armée. Les deux Généraux, de retour k la Cour , vantoient chacun leur vaillance. Surtout les complaifants d'Eudocie, (Sc une femme de ce carattere n'en pouvoit manquer) racontoient k l'Empereur des miracles de la bravoure de Gabras, & citoient pour témoin fon collegue même qui étoit préfent. Manuel interrogea Branas. Prince , répondit-il, avant que de fatisfaire Votre Majejlé fur le compte de mon collegue, qu'elle me permette de demander d Gabras fon témoignage fur ce qui me regarde. Gabras, qui s'attendoit au retour, fit les plus grands éloges de la conduite & de la valeur de Branas; & lorfqu'il eut achevé : Vous oublie^ encore, reprit Branas , que je me fuis donné beaucoup de peine pour vous rappeller , lorjque vous prites la fuite dis le commencement du combat; mais que vous ttie^ déjajiloin que vous  du Bas-Empire. Liv. LXXXIX. 351 ne püus nientendre. Ces paroles exciterent de grands éclats de rire. Gairas demeura eonfus , & Manuel perfuadé que ni 1'un ni 1'autre n'avoit fait fon devoir. Pour réparer le déshonneur de fes armes, il partitlui-même, & fe rendit k Sardique. II partagea fon armée en trois corps. Alexis fon gendre (c'étoit Ie Prince Hongrois, nommé Béla ) marcha vers le Danube , pour tenir les Hongrois en échec, paroiffant toujours prêt a paffer le fleuve. Léon Vatace, k la tête d'un autre corps , compofé en grande partie de Valaques, s'approcha duPont-Euxin; & ayant paffé le Danube , il attaqua Ia Hongrie par le cöté oriental, qui n'avoit jamais été expofé aux incurfions. II y fit un grand dégat, brüla des villages , maffacra les habitants, & revint avec quantité de prifonniers & de beftiaux. Un troifieme corps pénétra dans les parties feptentrionales jufqu'aux frontieres de . Ruflie. Jean Ducas, qui avoit acquis tant de gloire en Italië, conduifoit ce détachement. Anrès avoir traverfé des régions incultes, il tomba fur la Manuel. An. 1167. XXV. Ravage de la Hosgrie.  Manuel, An. 1167. XXVI. Henri , Duc d'Autriche , vient trouver Manuel. Cinn, /, 6, €. 4. 552 HlSTOIRS Hongrie , oü trouvant un pays peuple 8c abondant, il mit tout a feu Sc k lang, tk rapporta un riche burin. Avant que de quitter cette contrée , il y fit planter une croix avec ane infcription qui indiquoit fes ravages tk le fang qu'il avoit répandu, faifant de 1'inftrument de la rédemption des hommes un monument de leur deftruction. Pendant cette dévaftation de la Hongrie , Henri, Duc d'Autriche , vint a Sardique avec fa femme Théodora, proche parente de Manuel. Frédéric n'étoit entré 1'année précédente dans la ligue de Manuel, que par crainte que l'Empereur Grec ne reiüfit enfin k réunir 1'Empire d'Occident avec celui d'Orient. Quantité de villes d'Italie defiroient ce changement, tk le Pape , quoiqu'il fe füt d'abord déclaré contre ce projet, paroifToit y revenir, Mais lorfque le Prince Allemand fut que la négociation étoit rompue, le Pape demandant que le fiege de 1'Empire fut rétabli k Rome, 6c l'Empereur voulant que cet honneur demeurat k Conftantinopie , il réfolut de ne plus rien minager,  du Bas-Empire. Liv. LXXXIX. 353 & fe difpofa même a envahir les terres de 1'Empire Grec. Gependant netant pas encore en état d'exécuter ce defTein, il cachoit fes intentions, & envoyoit Henri pour refferrer en apparence les liens de Tamitié. Manuel recut froidement les avances de Fréderic , dont la fincérité lui étoit fufpecf e. Henri retournant par la Hongrie convint du mariage de fa fille avec le Roi Etienne. Appuyé de cette alliance, Etienne entra en Dalmatie. Nicéphore Caluph qui commandoit dans la Province, fortit de Spalatro pour aller au-devant des Hongrois; mais ayant été abandonné d'une grande partie de fes troupes, il fut enveloppé & fait prifonnier , après s'être défendu avec un grand courage. Manuel nétoit pas tellement occupé de la guerre de Hongrie, qu'il ne portat fes vues fur le refte de fes Etats. II faifoit réparer en Afie les villes de Chliares , de Pergame & d'Adramytte , prefque ruinées par les Turcs. II les fortifia de nouveau, & fit batir plufieurs chateaux pour mettre a couvert les habitants des campagnes. Ce pays reprit une face nou- M ANUEL. in. 1167. xxvir. Réparation des villes d'A.fie. Niat. I. 4, <• 7-  Manuel Ab. 1167 An. 1168. XXVIII. Suite de la guerre de Hongrie. Cinn. I. 6. t. 5. Du Cange fur JoinviL li, differt, %. 354 Histojke veile. Devenu prefque falivage, ne fervant plus que de retraite a des brigands , il fe vit couvert de laboureurs , & reconnut fon ancienne fertilité. Le nom de Manuel lui fervoit de barrière, tk les Turcs croyant voir ce nom terrible tracé fur les frontieres de 1'Empire, n'ofoient que rarement les infulter. L'Empereur, de retour a Conftantinopie , paffa 1'hyver en préparatifs, réfolu de rentrer en campagne avec de plus grandes forces, dès le commencement du printemps. Un accident retarda fon départ. Comme il jouoit k la paume k cheval avec fes Courtifans, efpece de jeu fort k la mode dans la Cour de Conftantinopie , mais très-dangereux, fon cheval s'abattit , tk l'Empereur s'étant relevé froiffé & meurtri, il continua cet exercice, tk s'en trouva fi mal, qu'il fut obligé de fe mettre au lit. Deux jours après, fon impatience naturelle faifant taire fa douleur , il prit le chemin de Sardique. Mais il ne put paffer Selymbrie , ou il fut contraint de s'arrêter jufqu'après les fêtes de Paques. Alors fe fentant mieux, il fe  nu Bas-Empire. Liv. LXXX1X. 355 rendit k Philippopolis, oü il recut une. ambaffade du Roi de Hongrie. Peu fatisfait des propofitions de ce Prince qui demandoit une trêve, il renvoya les députés, qu'il fit accompagner d'un héraut pour redemander Caluph, détenu priibnnier, menacant de 1'aller chercher lui-même k la tête de fon armée, fi Pon refufoit de le rendre. Après leur départ, il s'avanca jufqu'a Sardique. . Ce fut-la qu'une injufte difgrace fit triompher une cabale de Cour, & affligea les gens d'honneur, fans les étonner. Alexis , fils dAxuch, & grand Ecuyer de 1'Empire, recommandable par les fervices fignalésde fon pere, tk par fon mérite perfonnel , avoit été rappellé de Cilicie, oü fa bonne conduite le faifoit aimer des troupes tk craindre de Thoros. Ses ennemis Paccufoient d'une intelligence criminelle avec le Sultan d'köne. Non contents d'avoir engagé le Prince a fe priver lui-même des talents & du zele de cet Officier, ils réfolurent de le perdre. Alexis faifoit batir une maifon prés de Conftantinopie , ck la décoroit de peintu- Manuei. An. n63. XX!X. Difgrace i'Alexis , ïls d'Atuch.Cinn. i. 6. :. 6.  Manuel. An. 1168. 356 H I S T O I R E res. Sujet fidele , mais peu Coiirtifan, il ne lui vint pas dans 1'efprit d'y faire peindre lescombats de l'Empereur , tk fes merveilleux exploitsde chaffe , dont le Prince fe faifoit grand honneur. On le fit re-marquer k Manuel; & pour lui perfuader que c'étoit un effet des difpofitions perverfes d'Alexis , on I'accufa de mettre en oeuvre les fecrets de la magie pour priver l'Empereur de poftérité male , & le faire périr lui-même. Un méchant homme, nommé Aar-on , interprete pour la langue latine auprès de Manuel, fut le canal par lequel on fit paffer ces calomnies, tk de grands Seigneurs les appuyerent. Les richeffes de 1'accufé, dont la confifcation alloit augmenter le tréfor du Prince, difpofoient Manuel a le croire coupable. II le fit venir k Sardique , & 1'envoya prendre dans fon lit la nuit fuivante. En vain la femme d'Alexis , niece de l'Empereur , la plus vertueufe Princeffe de la Cour, vint fe jetter aux pieds de fon oncle, & implorer fa juftice. Ses larmes, fes fanglots, fes vives proteftations de finviolable fi-  nu Bas Empihe. Liv. LXXXIX. 357 délité de fon mari, dont elle rappelloit fes fervices, ne purent toucher le cceur du Prince. Pénétrée de la plus profonde douleur, elle en perdit 1'efprit, & mournt peu après de langueur , lailfant deux fils qui ne furent héritiers que de la difgrace de leur pere. Pour lui, uniquement fenfible a 1'afrlicfion de fa chaffe époufe , animé du courage que donne 1'innocence k une ame forte & généreufe, fans s'abaiffer k des juftifications inutiles , il demanda la permiffion de prendre 1'habit monaflique; & fe dépouillant fans regret de toute fa fortune , renoncant aux délices de la vie, qu'il avoit trop aimées , il trouva fa confolation dans les auftérités de la pénitence, moins ameres dans leurs fuites que le breuvage perfide de la volupté. Aaron fon accufateur ne jouit pas long-temps des récompenfes fecretes de fes calomnies. Convaincu d'avoir trahi l'Empereur k 1'occafion de quelques Ambafladeurs Latins, dont il étoit 1'interprete, il fut condamné k perdre les yeux. Quelques années après, lorfqu'An dronk fe fut rendu maitre de Hanuel. ik. 116$,  Manuel. An. 116S. 358 HlSTOIRR 1'Empire , ce fcélérat, tout aveugle qu'il étoit, devint le favori du tyran. II fut le principal inftigateur de fes cruautés, lui confeillant de ne point faire grace de la vie a ceux qu'il vouloit punir, & lui prouvant par fon propre exemple, qu'il ne fuffifoit pas de leur crever les yeux, quand on leur laiffoit la langue, le plus pernicieux inftrument de la malice des hommes. En conféquence de cette lecon, Ifaac 1'Ange, fucceffeur d'Andronic , ayant fait arrêter Aaron, lui fit couper cette langue envenimée. Deux autres importeurs , nommés Seth tk Sicydite, qui profeffoient 1'aftrologie, tk qui avoient fecondé Aaron pour perdre Alexis, furent convaincus de maléfices, tk aveuglés. Seth continua d'abufer par fes preftiges de la crédulité du peuple, & des grands Seigneurs non moins dupes que le peuple. Sicydite fe fit Moine & n'en devint pas meilleur; il paffa le refte de fes jours a compofer un ouvrage impie. J'ai fuivi dans cette hiftoire d'Alexis le récit de Nicétas. II m'a paru plus vraifemblable que celui de Cinname^ qui repréfen-  du Bas-Empire. Liv. LXXX/X. 359 te Alexis comme coupable fans doute fur la foi des bruits publics , trop fouvent peu favorables a 1'innocence accufée. Les menaces de l'Empereur n'effrayerent pas le Roi de Hongrie. Son Général Denis , fuivi de fes meilleures troupes , marcha vers Sirmium. Manuel, de fon cöté, defiroit de terminer la guerre cette année par une bataille décifive. On délibéra s'il fe mettroit lui-même a la tête de fon armée. Son ardeur martiale Pappelloit a ce pofte; le péril avoit pour lui des attraits. On lui repréfenta que ce feroit avilir la majefté Impériale , que de la commettre contre une nation tant de fois vaincue; que c'étoit aflez pour fa gloire d'oppofer un Général Grec, a un Général Hongrois. La foiblelfe de fa fanté, encore mal affermie, lui fit accepter ce confeil ; & fes troupes étant affemblées, il en donna la conduite a Andronic Contoftéphane. II apprit alors que de deux ftatues d'airain fort anciennes , élevées dans la grande place de Conftantinopie, 1'une nommée la Romaine venoit de tomber., Manuel. An. 116S. XXX. Préparatifs de la bataille de Zeumine.Cinn. I, 6. c 7. Nicet. I. 5. c. 1, %,  1VJ AJIUET-. An. 1168. 360 HlSTOIRE 1'autre qu'on appelloit la Hongroife> étoit reftee fur pied. C'étoit aux yeux de la fuperftition le plus funefte préfage. Pour le corriger tk le tourner en fens contraire, Manuel donna ordre de relever la Romaine, & d'abattre la Hongroife, & ce changement frivole, tranquillifa fon efprit. II ne laiffa partir Contoftéphane quaprès 1'avoir inftruit en détail de toutes les opérations qui devoient lui procurer le fuccès. II lui prefcrivit 1'ordre de la bataille , il anima les Officiers tk les foldats par les motifs d'honneur, &c par 1'efpérance des récompenfes. Toute l'armée répondit par des cris embrafés d'ardeur tk d'impatience , demandant qu'on la menat fur le champ a 1'ennemi. Andronic paffa la Save, tk entra dans Zeugmine. II envoya des coureurs qui lui.amenerentun prifonnier, dont il apprit que l'armée Hongroife étoit compofée partie de cavaliers armés de toutes pieces avec leurs chevaux bardés, partie d'archers tk de troupes légeres; qu'ils n'étoient que quinze mille hommes, mais remplis d'audace, & perfuadés que les Grecs ne tiendroient  du Bas Empire, Liv. LXXXIX. 361 tiendroient pas devant eux. Denis fur-tout, enflé du fuccès précédent, fe vantoit d'élever encore une montagne d'offements d'ennemis. Andronic renvoya le prifonnier dire au Général Hongrois , qu'il alloit iprou' ver fi des difcours ji fiers étoient autre chofe que de valnes bravades. Son armée fut rangée fur trois lignes , felon le plan qu'en avoit dreffé l'Empereur. Contoftéphane fe mit au centre ; 1'aile droite étoit commaadée par Andronic Lampardas, petit de taille, mais grand Capitaine; 1'aïle gauche par d'autres Officiers, entre lefquels étoient deux freres, Démétrius & George Branas. A quelque difïance des deux ailes furent placës deux corps de réferve, defiiriés è foutenir ceux qu'ils verroient plier. En ce moment, Contofléphane recut une lettre de l'Empereur, qui, fur Ie rapport des AftrologuesNlui défendoit de combattre ce jour-la , attendu que c'étoit un jour malheureux. Le Général , moins frappé de fuperfiition que le Prince , mit la lettre dans fon fein fans la communiquer k perfonne, &C ©fa livrer une bataille qui ne.pou* Tome XIXt Q Manuel. An, 116S. XXXL Bataille de Zeugmine,  Manuel. An. ii63. 3Ó2 IIlSTOJRE voit être juftifiée que par le fuccès." II exhorte fes foldats a bien faire, & marche. Arrivés au tertre , dont la vanité de Denis avoit fait un tombeau de grande apparence , ils defcendent de cheval, baifent cette terre qui couvroit les os de leurs compatriotes, & jureut de les venger ou de fubir le même fort. Dès que Denis fe voit en préfence des ennemis, pour leur faire infulte, il ordonne k fes foldats de boire k la fanté des Grecs; ce qui fut exécuté fur le champ avec de grandes rifées. Son armée ne formoit qu'une maffe fans divifions, les meilleures troupes faifant la tête, tout au contraire de 1'ordonnance des Grecs. Au centre s'élevoit fur un chariot pefant attelé de quatre paires de bceufs , une groffe & haute perche, au haut de laquelle flottoit au gré du vént un large drapeau, efpece d'enfeigne qui fut alors & dans la fuite fort en ufage dans les guerres d'Italie. Toute cette armée fembloit être une forêt de lances. Le henniffement des chevaux, 1'éclat éblouiffant des armes frappées des rayons du foleil, multiplioient aux oreilles ck aux yeux  av Bas Empire. Liv. LXXX1X. 363 des Grecs le nombre dés Hongrois. Sur le midi les deux armées s'étant approchées a la portée du trait, Andronic ordonna a la première ligne de tirer fes fleches , & de fïler enfuite le long des flancs a droite Sc a gauche pour gagner la queue. L'ordre fut mal exécuté; au-lieu de fe retirer en bon ordre pour découvrir la feconde ligne, ils fe débanderent, Sc fuyant en confufion, ils ne furent arrêtés que par la Save. Le plus grand effort des ennemis fe porta fur 1'aile gauche, qui fut enfoncée. II n'y refta que deux efcadrons. Démétrius Branas fe voyant abandonné , fe jetta au milieu des ennemis avecquatre-vingts cavaliers , Sc combattant en défefpéré, il fut porté k terre d'un coup mortel & fait prifonnier. Son frere George prit la fuite. L'aile gauche fut entiérement détruite. Mais 1'aÏÏe droite Sc le corps de bataille avoient un fuccès tout différent. Lampardas après avoir renverfé les ennemis qu'il avoit en tête, fe joignit a Contoftéphane , & le combat feranima avec fureur. Du premier choc quatre-vingts Grecs furent couchés par terre, mais Q H Manuel. An. iióc.  Manuel. An. ii68. XXXIT. Triom- phe de 1 Empereur, 364 UlSTOIRE ils abattirent un bien plus grand nombre de Hongrois. Ce fut enfuite une affreufe mêlee , & la bataille générale fe trouvoit changée en autant de combats finguliers qu'il y avoit de lbl< ;ts. Les lances étant rompues &c I S L;.)ées émouffées , il ne reftoit aux Gl ecs que leurs maffes d'armes , avec lefquelles ils alfommoient les ennemis. La terre fut en un moment jonchce d'hommes, de chevaux, d'armes brifées. Le grand drapeau fut enlevé ; Denis s'échappa, mais fon cheval tut pris. Les fuyards qui fe jettoient dans le fleuve pour le paffer a la nage, étoient arrêtés par les barques qui leur fermoient le paffage. Prefque toute l'armée Hongroife périt. On fit prifonniers cinq Généraux, & huit cents foldats, parmi lefquels fe trouverent les Officiers les plus diftingués. Entre une infinité d'attions mémorables , Jean Contoftéphane Sc Andronic Lampardas fe fignalerent par leur courage. La nuit étoit avancée lorfque les Grecs rentrerent dans leur camp; ils y rapportoient deux mille cuiraffes , une infinité de gafques, de boucliers jj  du Bas-Empike. Liv. LXXXIX. 3^5 d'épéé's. Au point du jour, ils marcherent au camp des Hongrois , & le trouvant abandonné , ils le pillerent. Cette bataille termina enfin les guerres" de Hongrie , qui depuis dixhuit ans ne laiffoient que de courts intervalles. L'Empereur rentra triomphant a Conftantinopie. Ce fut une fête brillante. Les habitants y déployerent toute leur magnificence. Les nies étoient bordées d'échafaudadeux ou trois étages. Les prifonniers marchoient devant le char , fur lequel s'élevoit la ftatue de la Sainte Vierge, patronne de la ville , & a i'interceffion de laquelle les Princes les moins dévofs attribuoient tous leurs fuccès. Derrière le char fuivoient les parents & les amis de l'Empereur s les Sénateurs & les Magiftrats. L'Empereur a cheval fermoit la marche, ayant a cöté de lui Contolléphane, qui partageoities honneurs qu'on rendoit au Prince. On alla dans cet ordre a Sainte-Sophie , rendre graces au fouverain Auteur des vicloires; & le retour d'une campagne fi glorieufe fut célébré par des courfes de chars, & par toutes les fortes de fpecQ üj Manuel, An, 1168.  Manuel. An. 1169. XXXIII. Manuel en Servië. Nieet. I. 5. c 4. GuiU. Tyr. f. ZO. c. 4. I i ] 1 1 t s t 3éÓ HlSTOfRg tacles que la joie publique fait imaginer. Les Hongrois cédoient enfin a la fupériorité des armes de Manuel, Mais Nééman, Prince de Servië , quoiqu'avec moins de forces, ne pouvoit contenir fon humeur audacieufe & turbulente. II prétendoit avoir des droits fur la Croatie & Ia Dalmatie. Toujours les armes a la main, il inquiétoit les terres de 1'Empire par des courfes continuelles. Manuel envoya d'abord Théodore Paiiate pour le tenir en refpetf avec quelques troupes : ce qui ne fuffiant pas, il partit lui-même avec un :orps plus nombreux. A fon appro:he, Nééman prit, 1'épouvante ; il ;'enfuit dans les forêts & entre les nontagnes de fon pays ; & après i'y être tenu caché quelque temps, :raignant d'être dépouillé de fa Prin:ipauté , il vint demander grace a 'Empereur. Cette lecon ne le corigea pas. II ne ceffoit de reprendre es armes, & de former des ligues antöt avec les Allemands , tantót vee les Hongrois. Mais il n'en couoit a l'Empereur que de fe montre?  du Bas-Empire. Liv. LXXXIX. 367 en Thrace. Au premier bruit de fa marche , Nééman pofoit les armes; aflez femblable k ces animaux farouches , qui, domptés par un maitre, reprennent leur férocité lorfqu'ils le perdent de vue , tk. regagnent en frémiffant leur retraite , dés qu'ils voyent le baton levé fur leur tête. Manuel revenoit de cette expédition , & traverfoit la Pélagonie, lorfqu'il recut une ambaffade d'Amauri, Roi de Jérufalem. Voici quel en étoit le fujet. Depuis qu'Amauri étoit fur le tróne, il avoit fait plufieurs entreprifes fur 1'Egypte. L'occafion paroiffoit favorable pour s'emparer de cette riche contrée, habitée par un peuple efféminé, & gouvernée par des fantómes de Princes, qui, fous le nom de Califes, perdus de luxe tk de volupté, abandonnoient leur autorité a des Soudans, efclaves en apparence, mais en effet tyrans de leurs propres maïtres. Amauri avoit follicité l'Empereur Grec de 1'aider d'argent tk de troupes, lui promettant de partager avec lui le butin tk la conquête; tk l'Empereur, flatté de 1'efpérance d'aggrandir fes Etats, Q iv MANUtr. An, 1169. XXXiV. Envoyésd'AmanriaiVlanucI. GuiU. Tyr. I. 20. c. 4. Sanut. I. 3. part. 6. c. 22.  An, 1160. i XXXV, Naiffan'ce , d'Alexts , ' fils de Ma- 1 auel. Cinn. I. 6, c. II. Nicct.l. 5. ] c. 8. , Romuald. Salern. chr. ' Du Cange i 36S U I S T O T R E & peut-être de recueillir tout le fruit d'une alliance fi inégale, avoit écouté ces propofitions, II avoit envoyé de fa part Alexandre, Comte de Gravina, & Michel d'Otrante , pour entamer la négociation. Les Ambafladeurs d'Amauri, entre lefquels étoit S'Hiftorien Guillaume, alors Archidiacre de Tyr, & depuis Archevêque de cette ville , venoient con!ommer 1'affaire, & régler le nombre & la qualité des fecours que 'Empereur devoit fournir. Ils joiznirent Manuel k Butelle prés d'A;hride , & terminerent le traité. Après les ferments réciproques, ils reprirent le chemin de Paleftine avee les préfents & des lettres, qui con:enoient les engagements de 1'Emjereur. A fon retour 1'Impératrice lui donia un fils le 10 Septembre. Tandis nie tout 1'Empire rendoit graces k Dieu & témoignoit fa joie par des ctes publiques, Manuel faifoit tirer 'horofcope du jeune Prince. Les Afrologues , a force d'obfervations & le calculs , trouverent qu'il feroit khe,/& qu'il fuccéderoit a fon pe-  du Bas Empire. Liv. LXXKIX. 369 re; ee qui n'étoit pas difïicile a deviner. Ils ajouterent qu'il feroit unique ; ce qu'ils abandonnerent au hafard qui ne les démentit pas cette J fois. Pour célébrer cet heureux événement , l'Empereur, felon 1'ufage , invita les Seigneurs k un grand feftin, auquel ils allifterent avec des couronnes d'olivier. II donna au nouveau né le nom d'Alexis, non pas, dit 1'Hiftorien , en confidération de fon aïeul , mais pour obéir k un prétendu oracle. Deux ans après, il le déclara fon fucceffeur, & lui fit prêter ferment en cette qualité par les Seigneurs Se les Magiftrats, dans 1'Eglife de la Sainte Vierge de Blaquernes. Jufqu'a ce temps-la, Béla , Prince de Hongrie , k qui l'Empereur avoit auffi donné le nom d'Alexis, étoit regardé comme 1 héritier préfomptif de 1'Empire , en vertu de fon mariage futur avec Marie, fille unique de l'Empereur. La naiffance d'un fils rompit ce projet. Peu de temps après que le jeune Alexis eut été déelaré fucceffeur , Manuel retira fa parole a Béla. Les Hiftoriens n'en donnent aucune raifon. On peut foup- Q v VIanue: in. 1161 im. By >. 167, [68.  37° U I S T O I R E conner cue ce fut a Ia {n\\\c\tat\nn Mahuel. An. 1169. de fa femme Marie d'Antioche, dont il fit époufer a Béla la fceur utérine , nommée Agnès, fille de Conftance & de Renaud de Chatillon. Etienne, Roi de Hongrie, étant mort en 1173 , Manuel fit partir Béla avec un magnifique cortege , après lui avoir fait jurer qu'il ne fe départiroit jamais du fervice de l'Empereur & de 1'Empire. Béla ne trouva point d'obftacle a fes jufles prétentions. La mémoire de fon pere Geïfa étoit chere aux Hongrois , & la couronne que fon frere & fon oncle s'étoient difputée avec tant d'opiniatreté, lui fut déférée du confentement unanime de la nation. Manuel chercha pour fa fille un autre mari. II je«a les yeux fur tes Princes étrangers qui n'avoient point encore de femme, on qui ayoient des fils deftinés a-leur fuccéler ; & il les fixa enfin fur Guillaune II, Roi de Sicile, agé de vingt ins. Guillaume recut avec joie la prowfition de cette alliance, & il y eut le part Sc d'autre plufieurs ambafades pour en régler les conditions. , fout étoit convenu; on avoit fixé  du Bas Empire. Liv. LXXXIX. 371 le jour & le lieu oü Marie feroit remife entre les mains de fon époux: Guillaume s'étoit rendu k Tarente avec fon frere Henri, Prince de Capoue, pour y attendre la Princeffe. Mais après de müres réflexions, l'Empereur , qui n'avoit pas entiérement renoncé k fes deffeins fur la Sicile, ne voulut pas s'en interdire la conquête en y placant fa fille, & dans cette penfée, il rompit la négociation. Luc Chryfoberge, qui gouvernoit depuis quinze ans 1'Eglife de Conftantinopie, mourut cette année 1169, Pendant fon pontificat, cesparoles de 1'évangile, mon pere ejl plus grand que moi, avoient excité une grande difpute, dans laquelle l'Empereur, qui fe piquoit de dialeftique, & même de Théologie , avoit pris parti; & quoiqu'il foutint la doctrine orthodoxe , cependant les gens fenfés jugerent dès-lors qu'il convenoit aux Princes, non pas de décider les queftions de foi, mais de foutenir de leur autorité les décifions de 1'Eglife, & qu'ils n'avoient pas tant befoin de lumieres théologiques, que de dif- Q vj Manuel. An. 1169. xxxvr. Michel d'Anchiaiefticcedei Luc, Patriarcheie Conftantinopie. FUuiy,kift. Zeelef. I. Jl.art.37, JS. Pagi ad Bar. Manfi ad Bar. Ir. cl. rijt. r. /. 17c  Manuel. Aii. nét). 5/2 Hl S T O IR E :ernement & de droiture pour diftinguer les jugements canoniques d'a« vee eeux que 1'intrigue, la cabale, les paffions humaines voudroient faire paffer pour tels, comme il étoit arrivé du temps de Conftantin Copronyme. Luc, dans cette occafion , s'attira la haine de ceux qui défendoient l'opinion heterodoxe; ils 1'accuferent fur plufieurs chefs. Mais l'Empereur le déclara innocent, & le maintint dans fon fiege. Ce Patriarche préfida a plufieurs Coneiles , dans 1'un defquels le droit d'afyle , attaché k 1'Eglife de Sainte-Sophie en faveur des plus grands crimes, fut reftraint k 1'égard des homicides volontaires, Jufqu'alors on s'étoit contenté d'enfermer 1'homicide dans un Monaftere pour y paffer le refte de fes jours, Manuel jugeant , avec raifon , que cette profeffion forcée déshonoroit 1'état religieux fans juftifier le coupable, ordonna que le criminel feroit puni d'une prifon perpétuelle, Sc que cependant après de longues Sc rigourcufes épreuves, il pourroit ;tre admis a la profeffion , s'ii en émoignoit un defir non équivoque.  du Bjs-Empirë. Liv. LXXXIX. 373 L'ordonnance du Prince fut approuvée tk confirmée par les Prélats. Un autre Concile défendit aux Prêtres tk aux Diacres toute fondtion temporelle, tk même celle de Médecin. Les Diacres cependant pouvoient faire celle d'Avocat, pourvu qu'ils ne fuffent pas du nombre de ceux qui étoient enrégiltrés dans les Tribunaux féculiers, tk qui recevoient penfion de l'Empereur. A Luc fuccéda Michel, Evêqtie d'Anchiale, qui portoit le titre de Prince des Philoibphes; efpece de prééminence inconnue a la bonne antrquité , tk auffi chimcrique que la philofophie même , telle qu'elle étoit alors dans 1'Empire Grec. Ce Patriarche fut grand ennemi des Latins. II combattit de tout fon pouvoir 1'inclination de Manuel pour la réunion des deux Eglifes ; tk dans un entretien qu'il eut a ce fujet avec ce Prince, il pouffa fon entêtement frénétiqtie jufqu'a dire qu'un Prince Mahométan lui paroiffoit moins infidele que le Pontife Romain, & qu'il lui obéiroit plus volontiers. L'Empereur s'étoit engagé a fecou- Manuel, An, 1169. An. 1170,  Manuel. An. 1170. XXXVII. Expédition d'Egypte.Nuet.l. 5. C-4.&feqq. Cinn. I. 6. c. 9. Guill. Tyr. I. 20. c. 14. & feqq. Jac. Vitri. I. i. Du Cao ge fam. By{. p. 180. M. de Guignes, hifi. des Huns , /. 13. P. 207,20S, Ï09. M. Dan- ville, Egypte ancienne, p. 88, 89 , 90. 374 II I S T 0 I R E rir Amauri dans la guerre d'Egypte ; il fit plus qu'il n'avoit promis. Le fecours qu'il envoya fut fi confidérable, que la fcene changea de face: Manuel parut le chef de 1'entreprife , Amauri ne fit plus que le perfonnage d'auxiliaire, & c'eft fous ce point de vue que les Hiftoriens de 1'Empire préfentent cette expédition. La flotte Grecque étoit de cent cinquante vaiffeaux de guerre k deux rangs de ram es, de foixante autres plus grands pour porter la cavalerie , & de dix ou douze d'une capacité encore fupérieure , chargés de provifions d'armes & de machines. A la tête de cet armement étoit le grand Duc Andronic Contoftéphane; il avoit pour Lieutenants-Généraux deux Officiers de grands mérite , Théodore Maurozume, confident de Manuel, qui comptoit beaucoup fur fon expérience, & Alexandre, Comte de Converfan en Appulie, qui s'étoit attaché au fervice de l'Empereur. Maurozume eut ordre de prendre les devants avec foixante vaiffeaux , & d'aller en Paleftine avertir Amauri du départ de la flotte ,  j>v Bas-Empire. Liv. LXXXIX. 375 1'exhorter a faire diligence pour fe mettre en état d'agir de concert, & porter de 1'argent & des vivres aux Chevaliers de Saint-Jean , qui devoient fuivre Amauri, & que l'Empereur s'étoit chargé d'entretenir dans le cours de cette guerre. Le $ Juillet, la flotte fe rendit a Mélibote fur la cöte d'Afie , ou l'Empereur en fit la revue, & donna fes inftruftions a Contofiéphane , qui prit enfuite la route de 1'Hellefpont. II embarqua fes troupes de terre a Ccele vis-a-vis d'Abyde , & fit voile vers l'ifle de Cypre. Ayant rencontré en mer fix vaiffeaux Egyptiens, envoyés a la découverte , il en prit deux , les autres lui échapperent. Arrivé en Cypre , il envoya donner avis a Amauri , lui laiffant le choix de le venir joindre dans cette ifle, ou de 1'attendre a Jérufalem. Amauri ne fe preffa pas de répondre; il fe voyoit plus puiffamment fecouru qu'il n'avoit defiré, & il foupconnoit, non fans raifon, que Manuel fongeoit k travailler pour lui-même beaucoup plus que pour fon allié. Après avoir délibéré quelque temps, voyant quil Manuet» An, 1170,  ANUEL. 1. II70. ] I .1 i ] 3~(5 IIlSTOIRE ne pouvoit plus s'en dédire, il pria Contofiéphane de venir a Jérufalem pour prendre enfemble les mefures :onvenables. L'Amiral Grec s'y étant rendu , le Roi temporifoit encore bus différents prétextes. Contoftéïhane brüloit d'impatience. La flotte qui, après avoir mouillé k Tyr , atendoit Amauri k Saint-Jean d'Acre, fétoit fournie de provifions que pour rois mois , k commencer au mois 1'Aoüt., & 1'on approchoit de la fin le Septembre. Enfin, le Roi confenit au départ; mais il préféra la route le terre, comme plus füre ck plus :ommode. II vouloit fe rendre maire en paffant de plufieurs chateaux itués dans la plaine qui fépare fE;ypte de la Paleftine , & dont les habitants étoient la plupart Chrétiens, juoique fujets du Calife. Les trou>es des deux natïons s'affemblerent Ionc k Afcalon , d'oü, cötoyant la ner, elles marcherent vers 1'Egype. La prife des chateaux, dépourms de garnifon , ne les retarda pas; nais la néceflité de chercher de 1'eau louce dans ce défert aride, tk la renontre d'un grand marais que la mer  du Bas-Empire. Liv. LXXXIX. 377 avoit formé depuis quelque temps , les obligerent k s'écarter quelquefois du rivage. Elles arriverent en neuf jours k Pharamia, ville autrefois trèspeuplée , alors déferte, fituée a une heue de la première embouchure du Ni!, prés des ruines de 1'ancienrce Pélufe. lis y trouverent la flotte qui les tranfporta au-dela du premier bras du Ni). Prenant enfuite leur route entre lessmarais tk la mer, ils laifferent fur leur gauche Tanis, cette cité autrefois fi célebre, réduite aiors a n'être plus qu'un pauvre village;, & fe rendirent en deux jours a Damiette, oü ils camperent entre la ville èc la mer, Damiette , 1'ancienne Tamiathis, : fnuée fur la rive occidentale du Nit, n'étoit aloi-s qu'a un mille de 1'em- \ bouchure du fleuve, plus prés de la mer qu'elle n'efl aujourd'hui, ayant été detnute après le départ de SaintLouis, & rebatie enfuite k quelque diftance. La flotte , arrêtée par les vents contraires, n'arriva que trois jours après l'armée de terre. Elle entra dans le fleuve , & fe mit k 1'ancre le long du bord entre la ville tk Manuel. An. i i-jz* £XXViIL Siege de e.  Manuel. An. 1170. 378 H I S T O I R. E la mer. Sur la rive oppofée, s'élevoit une haute tour bien garnie de foldats ; une chaïne tendue depuis cette tour jufqu'aux murs de la ville, fermoit le paffage du fleuve, en forte que les affiégés recevoient librement tous les fecours qui leur venoient du Caire. La ville étoit d'abord fi mal pourvue de défenfeurs, que fi l'armée eut donné raffaut en arrivant, elle auroit pu être emportée d'emblée. Le délai de trois jours donna le temps a une infinité d'Arabes & de Turcs d'y defcendre par le fleuve , & de s'y jetter k la vue des Grecs & des Francs, qui ne purent 1'empêcher. Pendant cet intervalle , les affiégés avoient amufé les ennemis par des forties, dans lefquelles il ne hafardoient rien , ne s'éloignant pas de la ville, oü ils trouvoient une prompte retraite. II fallut donc affiéger Damiette dans les formes. On conflruifit , a grands fraix & avec beaucoup de peine , une tour k fept étages , d'oü Pon devoit découvrir tout 1'intérieur de la ville, & la foudroyer k coups de pierres, de fleches , de javelots. On dreffa des bat-  du Bas Empire. Liv. LXXX1X. 379 teries k Iancer de groffes pierres; on fit avancer des mantelets pour couvrir la rappe ; on conduifit des fouterreins jufques fous les fondements des murailles. Les affiégés oppofoient effbrts k efforts, ouvrages k ouvrages. Ils détruifoient tous lestravaux, ik ne manquoient ni d'adreffe ni de courage. Les affiégeants rebutés, fe rdachoient de jour en jour; leur première ardeur s'éteignoit par la réfiftance, tk s'évaporoit en murmures. La méfintelligence de Contoftéphane tk d'Amauri , qui ne s'épargnoient pas dans leurs difcours, allumoit dans les deux camps le feu de la divifion. Les Grecs tk les Latins s'accufoient réciproquement de négligence , ou même de trahifon. Toutes les opérations échouoient, foit par ignorance, foit par malice. Cette tour, qui devoit faire une exécution fi terrible , fi elle eüt été placée avec intelligence , devint prefque inutile. Après 1'avoir fait avancer avec des travaux infinis, par des chemins prefque impraticables , on 1'établit visa-vis de 1'endroit oü la muraille étoit la plus haute tk la plus forte; en forte Manuel. An. 1170.  Manuel. An. 1170, XXXIX. Mauvïis fuccès du fiege. 380 IIlSTOIRÉ qu'elle ne produifit d'autre effet que d'abattre une Eglife de la Sainte Vierge, que les Mufulmans avoient laiffée aux Chrétiens. Selon la tradition du pays, c'étoit le lieu oü la mere de Dieu s'étoit retirée avec fon fils & Saint Jofeph, dans le temps qu'elle avoit fui en Egypte. Ce qui donna occafion aux Mufulmans d'inlülter les affiégeants, comme des impies qui n'épargnoient pas dans leur fureur les monuments les plus facrés de leur religion. Depuis cinquante jours que duroit le fiege , il n'étoit pas plus avancé que la première journée. La famine , ce fléau qui n'efl ordinairement redoutable qu'aux affiégés, fe faifoit cruellement fentir aux affiégeants. Toutes les provifions des Grecs étoient épuifées. Refferrés dans un coin de terre entre le fleuve, la mer , un défert ftérile & un pays dévaflé par fes propres habitants, ils ne pouvoient trouver ni pain pour les hommes , ni fourrage pour les chevaux. Réduits a gratter la terre pour en arracher les racines , & k brouter les fommités des branches des palmiers  du Bas-Empire. Liv. LXXK1X. 381 abattus pour la conftruction des machines , il ne leur reftoit de forces que pour fe plaindre, tk pour maudire les Latins, qui, mieux fournis de vivres, les vendoient bien cher, ou refufoient d'en vendre par crainte d'en manquer eux-mêmes. Pour furcroit de maux, ii tomba pendant plufieurs jours un déluge de pluie, qui les inondoit jufque fous leurs pavillons ; & pendant que les eaux défoloient l'armée de terre, la flotte étoit en proie aux flammes. Comme le vent du midi foufflant avec violence précipitoit le cours du fleuve", les Sarafins profitant du moment , remplirent un brülot de bois fee, de poix & d'autres matieres combuftibles; & après y avoir mis le feu, ils le lacherent fur la flotte. Le vent qui augmentoit la flamme, le pouffant avec rapidité, il répandit j>artout 1'incendie. Six grands vaiffeaux furent entiérement réduits err cendres, 61 le refte n'auroit pas échappé , fi les matelots excités par les cris d'Amauri, qui étoit account au premier bruit de ce défaftre, n'euflént promptement détaché tk féparé les Manuel. An. 1170,  Manuel. An. 1170, XL. Dernier affïut. 5S2. JflSTOIRE navires , dont la plupart emportoient des flammes dans leurs ceuvres & dans leurs agrêts; mais le fecours des eaux du Nil, qu'on y verfoit a grands flots, les fauva d'une perte totale. Les afliégés faifoient de fréquentes forties du cöté fur-tout oü campoient les Grecs , qu'ils croyoient plus affoiblis par la difette. Contoftéphane & fes deux Lieutenants k la tête de leurs foldats les animoient par leur exemple; & quoiqu'il arrivat tous les jours de nouveaux renforts aux habitants, ceux-ci étoient toujours repouffés. Cependant les murmures croiffoient de jour en jour dans toute l'armée. On entendoit dire de toutes parts , que leur opinidtreté leur feroit funejle; que Dieu même réprouvoit leurs efforts, & qu'il valoit mieux renoncer d cette entreprife téméraire , que de périr en Egypte, foit par la famine, foit par tepée des Sarafins. Ces difcours choquoient moins Amauri que le brave Contoftéphane. Le Roi écoutoit les propofitions de paix que les Emirs lui envoyoient faire fecretement. L'Amiral Grec qui n'en avoit aucuneconnpifïance,apprenantqu'un  du Bas-Empire. Liv. LXXXIX. 383 grand corps d'Arabes étoit en chemin pour fecourir Damiette, réfoJut de faire un dernier effort pour les prévenir; & comme il fe défioit de la bonne foi d'Amauri, il ne voulut employer que fes foldats. Après les avoir affemblés dans fon camp dont il avoit fait fortir tous les Latins , il leur paria en ces termes : » Camarades, il eft facheux de ref» ter ici au milieu de tant d'incom» modités; il eft plus facheux en» core d'en fortir fans rien empor» ter que de la honte, au lieu des » depouilles que nous avions lieu * d'efpérer. Mais le plus grand mal» heur pour nous feroit de compter » fur la foi d'un allié plus mal in» tentionné que les ennemis mêmes. » Ne voyez-vous pas cet allié per» hde , aihs tranquillement dans fon » camp, fpeöateur oifif de noscom» bats, comme fi les Grecs, vils gla» diateurs, ne 1'euffent invité qu a les » voir mourir ? Placés entre la mort » & 1'nifulte , d'un cöté les Sarafins » nous accablent de traits , de 1'au» tre les Latins femblent boire des » yeux notre fang & triompher de VÏANUEt. \n. 1179.  Manuel. An. li70. 384 H 1 3 T O 1 S E » nos pertes. L'or des Infideles tient » Amauri enchaïné; il a vendu no» tre vie. Attendrons-nous que la » famine ait aehevé de coniommer » nos forces; ou n'uferons-nous de » celles qui nous reftent que pour » fuir & porter notre ignominie aux » yeux de nos concitoyens, aux re» gards irrités de l'Empereur ? N'a» vons nous donc traverfé tant de ter» res, tant de mers , que pour ren» trer dans Conftantinopie plus hu» miliés que ces captifs , que nous » y avons tant de fois trainés dans » nos triomphes, plus chargés d'op» probres qu'ils n'étoient chargés de » chaïnes ? Mourons plutöt que de » fubir un fi fanglant affront; ne quit» tons cette terre dévorante que pour » voler k 1'ennemi. S'il a des traits » meurtriers, nous avons des bou» cliers a fépreuve; s'il a 1'avanta» ge du pofte, en un moment no» tre courage nous élevera jufqu'a » lui. Suivez-moi; je vais monter a f> votre tête, ou plutöt 1'Ange du » Seigneur montera devant nous ; » c'eft notre unique allié, c'eft no» tre confédéré fidele, Nous combat» tons  du Bas-Empire. Liv. LXXXIX. 385 » tons contre fes ennemis ". Animés par ces paroles, les Grecs prennent les armes. Contoftéphane marche devant eux. Les Sarafins font une décharge de toutes leurs machines : au milieu de cette grêle de traits, Contoftéphane pouffant fon cheval, va enfoncer fa lance dans la porte de la ville. II eft fuivi de fes foldats. Les trompettes , les timballes , tous les inftruments de guerre étourdiffent la crainte, &c embrafent la valeur. Les pierres & les javelots lancés des baliftes & des catapultes, vont abattre les Sarafins fur la muraille. On plante déja les échelles. Au bruit de cette attaque, Amauri, frappé d'étonnement, comme fi cet affaut Teut menacé lui-même, monte a cheval, &C fe faifant fuivre de fes meilleurs cavaliers , il court aux Grecs, & d'auflï loin qu'il peut fe faire entendre : Ou coure{-vous , s'écrie-t-il ? Arrête^, la paix ejl fake. A ce mot de paix, toute Tardeur des Grecs fe refroidit ; le fentiment de leurs maux plus fort que les paroles de Contoftéphane, leur fait tomber les armes des mains. Sans s'mibrmer des conditions de cette paix , Tome XIXX R Manuel. An, 1170.  Manuel. . An. 1170. XLI. ï-evée du iïege. $S HlSTOIRB 'idee du retour s'empare de leur ef>rit. Ils mettent le feu k leurs ma:hines fans 1'ordre du Général, & -empliffent le camp de tumulte. Les Sarafins , les Turcs auxiliaires "ortent de la ville, & viennent aux ieux camps embraffer les Latins &c les Grecs comme leurs amis. Les Grecs & les Latins entrent librement ians Ia ville; ils achetent ce qu'ils veulent. On eüt dit que ces nation s li acharnées deux heures auparavant ï leur deftruttion mutuelle, n'euffent lamais interrompu leur commerce. Trois jours après, c'étoit le 4 Décembre, les Grecs fe rembarquent; ils fe jettent en foule dans les vaiffeaux , redoutant moins les orages ordinaires en cette faifon, qu'empreffés de fuir cette funefte contrée. Contoftéphane avec les troupes de terre, fttivit Amauri par le même chemin qu'il étoit venu. II arriva le 21 Dé:embre k Afcalon ; & ayant accompagné les Latins jufqu'a Jérufalem , il prit la route d'Antioche , traverfa le territoire d'Icone fans obftacle de la part des Turcs, &revintaConftai tinople. Le retour de la flotte ne.  du Bas-Empire. Liv. LXXXIX, 387 fut pas fi heureux. Dès qu'elle eut pris le large, il furvint une fi violente tempête , qu'elle fut entiérement difperfée; il ne refta pas enfemble fix vaiffeaux. Les uns furent fubmergés avec leur équipage ; les autres ayant échoué fur divers rivages , furent abandonnés au gré des flots. II en rentra fort peu dans le port de Conftantinopie, & quelquesuns jettés fur des cotes éloignées ne revinrent qu'au printemps fuivant. Les Sarafins craignant pour 1'avenir de pareilles attaques, envoyerent a l'Empereur des Arribaffadeurs avec des préfents , & en obtinrent la confirmation de la paix. Ainfi fe termina cette expédition, dont les deux nations rejetterent 1'une fur 1'autre le malheureux fuccès. Les Latins en accufoient 1'avarice de l'Empereur, qui laiffa manquer fes foldats d'argent & de vivres; les Grecs taxoient Amauri de mauvaife foi. On peut foupconner qu'ils étoient fondés de part & d'autre dans leurs reproches, & qu'ils n'avoient tort' que dans les raifons qu'ils apportoient pour fe ïtiftifier, R ij Manuel. An. 1170.  Manuel. An. 1170. XLII. Voyage d'Amauri a Conftantinopie.Grill. Tyr. I. 20. c. 24 , 25 , 26. i ] ] 1 1 I ( i 388 H 1 S T 0 I R g La méfinteliigence qui avoit fait échouer cette entreprife, n'empêcha pas Amauri d'avoir encore deux ans après recours a l'Empereur Grec. On me permettra d'avancer cet événement, pour ne pas interrompre ce qui regarde ce Prince. Le redoutable Saladin, devenu maitre de 1'Egypte, donnoit de cruelles inquiétudes aux Chrétiens dePaIeltine.il avoit pris Gaza , & menacoit le Royaume de Jérufalem. Dans ces allarmes, Amauri envoya des Ambaffadeurs dans tout 1'Occident; mais il alla lui -même avec dix vaiffeaux & un grand :ortege k Conftantinopie, d'oü il ef^éroit un plus prompt & un plus auiffant fecours. L'Empereur, flatté de ■ecevoir k fa Cour un Prince que fa :ouronne rendoit refpecfable a toute a Chrétienté, envoya fon neveu Jean e Protofébafte, beau-peredAmauri, )our lui faire rendre fur fon paffage es honneurs convenables. Jean alla u-dev£*.t de lui jufqua Gallipoli. Manuel le regut dans le palais de Conftantin , oü il arriva par mer, c monta par les dégrés de marbre ui defcendoient au Bofphore; dif-  du Bas-Empire. Liv. LXXXIX. 389 tinction finguliere dans les ufages des Grecs, cette entree étant interdite a toute autre qu'a l'Empereur. On lui prodigua tous les honneurs qu'on pouvoit rendre a un grand Prince. Pendant fon féjour qui fut de prés de trois mois, il fut traité fplendidement avec toute fa Cour. Les fêtes, les fpectacles, les promenades fur le Bofphore rempliffoient les moments que Manuel ne donnoitpas aux affaires publiques ou aux entretiens particuliers avec Amauri. Charmé de ce brillant accueil, comblé de préfents, & plus fafisfait encore des magnifiques promeffes qu'on lui faifoit, il prit congé de Manuel. Sa mort arrivée deux ans après ne lui laiffa pas le temps d'éprouver la fincérité de l'Empereur. R iij Manuel. An. 1170.   SOMMAIRE D V LIVRE QUATRE-VINGT-DIXIEME. I. GuERRE des Vénitiens. II. Caufes de cette guerre felon les Auteurs Italiens. III. Autre récit des Grecs. IV. Hof tilites de la fout Vénitienne. V. Retour de lajlotte Vénitienne. VI. Guerre d'Aneóne. vu. Paix avec les Vénitiens. VIII. Hojlilités du Sultan d'Icone. IX. Ravages & défaite des Turcs. X. Renouvellement de la guerre contre A^eddin. XI. Réparation de Dorylée. XII. Entreprife inutile fur Amafie. XIII. Cruautê (Tlfach. xiv. Guerre contre le Sultan d'Icone. XV. Bataille de Myriocéphals. XVI. Suite de la bataille, xvil. Diverfes aventures de Manuel & de fes troupes. XVIII. Le Sultan offre la paix. XIX. Retour de l'Empereur. XX. Bataille du Méandre. XXI. Projet d'une nouvelle expédition en Egypte. XXII. Lacheté d'Andronic 1'Ange. XXIII. Manuel CantaR iv  39* SOMMAIRE DU J_IV. XC". cu^enepunide fes exces. XXIV. Manuet fait lever le fiege de Claudiopolis. XXV. Correfpondance de Manuel avec Fréderic. XXVI. Doublé mariage de la fille & du fils de Manuel. XXVII. Mort de Manuel. XXVIII. Exaclions de Manuel. XXIX. Ses Eunuques. XXX. Ses bdtiments. XXXL Sa conduite a l'égard des Monafieres. xxxil. Mauvaife économie^. I egard de tentretien des troupes. XXXIII. Liberté rendue aux citoyens devtnus efclaves. XXXIV. Retranchement des fêtes. XXXV. Inclination de Manuel en faveur des Latins. XXXVI. Manuel Théologien.  393 HISTOIRE D U BAS EMPIRE. LIVRE QUATRE-VINGT-D1X1EME. MANUEL. LE s cités commercantes d'Italie .Genes r Pife, Florence & Venife' avoient alors des comptoirs k Conftantinopie , & leur mutuelle jaloufie cautoient fouvent des querelles, oui troubloient le repos de la ville. D'ailleurs, les intéréts de ces Républiques ne saccordoient pas toujours avec ceuxdefEmpire. En i, 6 |, les P|fa„s R y Manuel. An. 1171. L Guerre des Vénitiens.Cinn. I. 6. c- 10 , li. f- Ui. Du Cange: Saldi, 1 3 C l Ti a & u U Cl Tli tr 40O /ƒ ƒ S T 0 I R E de trop loin, ou n'y mordit pas & retomba dans la mer. On les pourfm vit quelque-temps ; mais ils eurent bientot tant d'avance, qu'on défefpéra de les joindre, & les Varandeuxrangs de rames. On y ajouta 'ingt caraques. On ordonna k tous ss yaiffAaux marchands de fe tenir ppareillés pour partir au premier orre. On raffembla les batiments & ?s foldats de 1'lflrie & de la Daliatie. Le Doge Michel Vital fut mis Ja tete de ce formidable armement, ' Partit de Venife le premier de Sepmbre.Il s'empara en paffantdes vils que les Grecs poffédoient fur la «e du Golfe. Trau fut prife & rui:e. Ragufe ne put réfifïer. On déuifit la muraille qui étoit baignée  du Bas-Emppre. Liv. XC. 401 de la mer, & la tour fur laquelle : étoit planté 1'étendard de 1'Empire. 1 Après ces premiers exploits on entra J dans 1'Archipel, & on alla attaquer l'ifle de Négrepont. Quoique toutes les places de cette ifle fuffent en état de défenfe , cependant le Gouverneur , foit par crainte , foit par un ordre fecret de Manuel, qui vouloit gagner du temps, exhorta Vital a députer k l'Empereur, étant affuré, difoit-il , des difpofitions favorables de ce Prince. Vital s'y laiffa tromper. II fit partir pour Conftantinopie deux perfonnes diftinguées , & en attendant leur retour, après avoir fait quelque dégat dans l'ifle, il paffa k celle de Chio, dont il prit la capitale; ce qui le rendit maitre de l'ifle entiere. II s'abftint pendant 1'hyver de toute autre entreprife, dans 1'efpérance que l'Empereur accorderoit aux Vénitiens unefatisfattion convenable. Mais Manuel amufoit les députés, accofdant, refufant, revenant cent fois fur fes pas , les trainant dans tous les détours d'une négociation artificieufe. Enfin avertis par le traitre Aaron , qui n'étoit pas encore puni, que Ianuel. .n. 1172.  Manuel. An. 1172. An. 1173. V. Retour de la flotte Vénitien«e. f.99 HlSTOïRE ['Empereur ne cherchoit qu'a les trom? per , & que tanelis qu'il traitoit avec eux, il armoit une flotte nombreufe, chargée de troupes de débarquement, ils rompirent les conférences Sc s'en retournerent. Cependant la pefte s'étoit répandue dans les troupes Vénitiennes , Sc elles avoient fi mauvaife opinion de Manuel, qu'elles 1'accufoient d'avo'it fait empoifonner toutes les fontaines de 1'ifle. Dans ce défaftre , Vital , apprenantque la flotte Impériale, forte de cent cinquante voiles, verioit 1'attaquer , fe remet promptetnent en mer, gagne Lesbos; d'oü 1 paffe a Lemnos, & de Lemnos a Scyros, toujours pourfuivi par les Srecs, & défolé par la maladie qui lui enlevoit quantité de foldats & de matelots. Plufieurs de fes vaiffeaux tomberent entre les mains des ennemis : les autres regagnerent Venife. Andronic Contoftéphane les pourfuivit jufqu'au cap de Malée, d'oii il re:ourna a Conftantinopie, content d'avoiv diflipé la tempête qui menacoit :outes les illes de 1'Archipel. La flotte Venitienne ne rapporta dans fa pa-  du Ba s-Empire. Liv. XC. 403 trie que la contagion; & le peuple qui s'étoit flatté des plus brillants fuccès , concut tant de fureur contre Vital qu'il accufoit de trahifon , que ce Doge , homme de grand mérité, fut affaffiné en plein jour au milieu de h ville. Vital en quittant la Grece n'avoit pas renoncé a 1'efpérance de la paix. II avoit envoyé k Manuel des Ambaffadeurs entre lefquels étoit Henri Dandolo, recommandable par fa fageffe & fon courage. L'Hiftorien de Venife impute ici k Manuel une cruauté criminelle. Ce Prince 1'ayant fait venir en particulier , comme pour s'entretenir avec lui du fojet de fon ambaffade , lui fit approcher des yeux un fer ardent pour le priver de la vue. Si le fait eft véritable , elle ne fut que confidérablement affoiblie : il en refta affez a ce grand homme pour voir trente ans après les fucceffeurs de fon perfide ennemi profternés k fes pieds, & devenus 1'objet de la vengeance de Dieu & des hommes. Ancöne jouiffoit de fa liberté fous la protection de l'Empereur Grec, qui y tenoit un Commandant avec quel- Manuel. An. 1173. An. 1174. VI. Guerre d'Ancöne.  Manuel. An, 1174. ' ) • ' J 4°4 H 1 s r 0 1 r e ques troupes. Les Vénitiens, depuis long-temps jaloux de cette ville, qui partageoit les profits du commerce du Levant, animés encore par le défir de fe venger de Manuel, fe liguerent avec l'Empereur Fréderic pour 1'aiTiéger. L'Archevêque de Mayence, a ja tête des troupes Allemandes, vint 1'inveftir du cóté de la terre , tandis que les Vénitiens 1'attaquoient par mer. Le fiege commencé le 3 Avril, duroit encore dans le mois d'Octobre,^ & les habitants réduits a laplus extréme mifere, demanderent acapituler. L'Archevêque ne vouloit les recevoir qu'a difcrétion. Une veuve Italienne, nommée Aldrude, Comteffe de Bertinoro , touchée de compafiion , & embrafée d'un grand courage , fe joignit a Guillaume Adelard , riche citoyen de Ferrare. Ils leverent rnfembie une armée : pour fournir aux fraix de cet armement, ils enga>erent leurs terres, & Aldrude fes Dropres enfants. Elle fit paffer des expres dans Ancöne pour encourager es habitants, & les exhorter a la fe:onder par une vigoureufe fortie.,A a nouvelle de fon approche, 1'Ar-  du Bas-Empir.e. Lh. XC. 405 chevêque, moins brave que dur & cruel, s'éloigna de la ville, & 1'héroine vint fe potter au pied des muradles. Alors a la tête de fes foldats , auxquels vinrent fe joindre les troupes & les habitants d'Ancöne, elle hvra une fanglante bataille, oii les Allemands furent taillés en pieces. Peu s'en fallut que 1'Archevêque ne fut pris. Après cette victoire , Aldrude fait monter fes troupes dans les vaiffeaux qui fe trouvent au port d'Ancöne ; & accompagnée de Guillaume, elle fond avec une audace déterminée fur la flotte Vénitienne. L'ayant mife en fuite, ils rentrent dans la ville en criant avec tout le peuple , vive l'Empereur Manuel. Peu de jours après, Guillaume va recevoir a Conffantinople la récorapenfe d'un fervice fi important. II en rapporte des lommes fufHfantes pour retirer fes terres & celles de la Comteffe. On dédommage les habitants de leurs pertes ; & cette guerre fut un nouveau hen qui attacha la ville d'Ancöne k 1'Empire Grec plus fortement que jamais. Les mouvements des Turcs, qui I Manuei, An. 1174. VU. aix avee  Manuel. An. 1174. les Vénitiens. VIII. Hoftilités du Sultan :eddin.v "inn. I. 6» '• I3, I4„ Vicet.l.6, . I.  Manuel. An. 117J. 41a HlSTOIRE que par fes Généraux; & du centre de fon palais, il dirigeoit toutes les opérations d'une campagne. Manuel, ardent & impétueux, a la nouvelle d'une incurlion étoit le premier a cheval. Non content d'être la tête de fes armées, il en vouloit être le bras, & ne penfoit pas faire la guerre, s'il n'en affrontoit les dangers. Sanifan, qui avoit été Sultan de Galatie, chaffé de fes Etats par fon frere Azzeddin , après avoir erré quelque temps de contrée en contrée , s'étoit retiré a la Cour de Manuel, & Panimoit encore contre ce Prince farouche, qui facrifioit a fon ambition la foi, la reconnoilfance, & les devoirs même de la nature. II n'étoit pas befoin de tant de motifs pour faire prendre les armes a Manuel. Tranquille du cóté de 1'Occident, il leve une armée pour paffer en Afie. Azzeddin employé fes rufes ordinairespour détourner 1'orage. II envoyé des Ambafiadeurs protefter a Manuel qu'il eft, prêt k le fatisfaire , & k 1'aider même de fes troupes pour fe remettre en poffeffion des villes qu'il voudroit réunir k 1'Empire. Quoique Manuel  sv B a s-Em p ire. Liv. XC. 413 ne comptat pas beaucoup fur les pa- 1 J_ r> • 1 iuic5 ue ce i-rince, cepenaant pour mettre la perhdie au grand jour, il accepta ces propofitions, tk fit partir Alexis Pétraliphe avec fix mille hommes. Dès quAzzeddin fut qu'ils avangoient, il fit favoir aux villes d'Afie dont il n'étoit pas encore le maitre, tk qui s'étoient mifes en liberté , que l'armée de l'Empereur étoit en marche , tk qu'en vertu des traités il feroit obligé de s'y joindre pour les attaquer, a moins qu'elles ne fe hataffent de prévenir leur ruine en fe donnant a lui : qu'en ce cas il les défendroit contre les Grecs , s'ils perfifioient dans leur mauvais deffein. Elles ne balancerent pas k lui ouvrir leurs portes ; & s'en étant rendu maitre, il refufa, malgré fa promeffe, de les rendre aux Grecs. Irrité de ce manque de parole, l'Empereur réfolut de ne pliw ufer de ménagement avec un aflié fi infide- \ le. Mais comme b> ï'aifon étoit déja avancée, il c«»t qu'il étoit trop tard d'entrepr»1(lre la conquête d'Icöne. II jivfr^a donc plus a propos d'empJoyer le refte de 1'année a rétablir S iij in ..... . . / , XI. Réparaion de >orylée.  Manuel. An. 117J. 414 II r S ï* O ƒ RB Dorylée. Cette ville fituée en Phrygie , au milieu d'une plaine fertile en bied tk en excellents paturages, au confluent de deux rivieres trèspoiffonneufes, étoit autrefois une des plus grandes tk des plus célébres de PAfie mineure. Le Céfar Nicéphore Meliffene. beau-frere de l'Empereur Alexis, avoit pris plaifir a la décorer de tout ce qui pouvoit contribuer a la rendre une habitation commode tk délicieufe. Les palais, les portiques , les bains naturels , que formoient des fources d'eaux chaudes, environnés de fuperbes édiiices, joints aux charmes de la fituation, y avoient attiré grand nombre d'habitants, tk la campagne d'alentour étoit peuplée de villages riants Scderiches hameaux. Les Turcs, peuple deftrucf eur , avoient 'rafé cette belle ville , défolé fes environs, tk n'avoient laiffé d'autres veftiges de fon ancienne fplendeur, que des monceaux de ruines ép?rs dans une vafte étendue. Manuel réioVat de rebatif cette place importante, qui pouvoit fervir, de barrière contre les TUrcs d'Icone. II paffa donc en Bithynit t  Dü Bas-Empire. Liv. XÖ. 415 tk ayant raffemblé fes troupes au bord du Rhyndacus, il marcha vers Dorylée. Arrivé en ce lieu, il fit travailler toute fon armée, & mit lui-même la main a Pceuvre, portant fur fon dos les pierres tk la terre. L'exemple du Prince infpiroit une ardeur incroyable. En peu de temps, Dorylée fortit de fes ruines; les murs s'éleverent ; on creufa a 1'entour un large foffé , tk dans 1'intérieur de la place grand nombre de puits pour fournir de 1'eau en cas de fiege. Cet ouvrage donna de la crainte aux Turcs, qui s'étoient établis avec leurs troupeaux dans les plaines de Dorylée. Dés que Manuel s'étoit mis ea campagne, le Sultan, inftruit de ce qu'il vouloit faire , mais feignant de 1'ignorer , lui avoit envoyé demander la caufe de fon voyage, le priant d'arrêter fa marche pour ne pas troubler la paix. Manuel, fans s'expliquer davantage , avoit répondu, qu'il étoit furpris que le Sultan ne devinat pas fon deffein. Pendant le cours de Pouvrage, les Turcs fis-ent touc leurs efforts pour en empêcher Pexécution. Ilsattaquoient fans S iv Manuel. An. 1175.  An, 117J, Entreprife inutile i'ur Araa- 416 H I S T O I R S ceffe les travailleufs; ils dreffoient des embufcades a ceux qui alloient chercher les vivres & le fourrage; ils mettoient le feu aux granges & aux magafins. Pour la füreté desfourrageurs, le Prince prit le parti de les «ommander lui-même; il fortoit le matin a la tête du detachement, & ne le ramenoit avec lui que le foir, Un jour qu'il s'en étoit difpenfé , on vint lui dire, comme il étoit a table. que fes gens étoient enveloppes; il prend auffi-töt fes armes, monte a cheval, perce les ennemis, dégage fes foldats, & les ramene au camp. Sanifan ne fut pas fi heureux. FEmpereur Ï'avoit envoyé pour faire Ie dégat aux environs d'Icönp. A peine avoit-il fair quelque chemin , qu'il fut rencontré par une troupe de Turcs, qui taillerent en pieces fon efcorte. II regagna avec peine le camp de l'Empereur. Avant que de partir de Conftantinopie , l'Empereur avoit envoyé Michel Gabras vers Amafie. Cette ville occupée depuis long-temps par les IurCS, venoit de tomber onrrp \plée , que ja crois être 1'ancienne Silbium prés des fources du Méandre. II y fut encore inquiété par les Turcs qu'il fallut combattre 5t repouffer plufieurs fois. Ayant mit tout ce pays en état de défenfe, il reprit la route de Conftantinopie. Comme il remarquoit qu'une grande partie de fes foldats s'étoient débandés malgré fes défenfes réitérées, il chargea de la recherche de ces déferteurs un certain Ifach , barbare de nation , mais qui s'étoit avancé au fervice dé 1'Empereur , jufqu'au grade d'un des premiers Officiers du Palais. Ifach, qui, malgré la fortune qu'il avoit trouS vj; Manuel. An. 117$»- XIIL CruautéI'Ifach,  Manuel. Aa. U7j. i i j < 3 3 < 4"° HlSTOIkE yée a Conftantinopie, confervoit dans fon cceur un fond de haine contre la nation Grecque, abufa du pouvoir dont il étoit revêtu, pour fatisfaire fa rage. II arrêtoit tous ceux qu'il rencontroit, laboureurs, marchands, voyageurs ; & quoiqu'i-ls n'euffent jamais porté les armes, il les traitoit comme déferteurs, & les puniffoit encore plus cruellement,. leur faifant arracher les yeux. L'Empereur, de retour a Conftantinopie, apprenant cette injufte barbarie , entra d'abord en grande colere, tk 1'ajant rappellé, il fut fur le point de. lui faire fubir le même fuppiice ; tk c'eüt été le traiter encore avec trop d'indulgence. II lui pardonna cependant; mais la juftice üivine fe chargea de punir ce monftre. [1 mourut miférablement peu après, &c fes enfants, héritiers de 1'exécration jublique, périrent tous par divers malïeurs. Manuel, qui n'avoit pas parlonné a Gabras, le mit entre les mains les Juges pour lui faire fon procés élon les formes régulieres. Les Jur »es le condamnerent, tk remirent fa )unition a la difcrétion du Prince, mi le fit char'ger de chaines & met-  su Bas-Empire. Liv. XC. 421 tre en prifon. Mais auelerue tpmnc prés, il lui accorda fa grace , & lui rendit même toutes fes dignitéc Le rétabliifement de Dnrylée chagrinoit beaucoup 1© Sultan d'Icone. II envoya un des Seigneurs les plus diftingués de fa Cour porter fes plaintes a l'Empereur, & lui faire les offres les plus avantageufes, s'il vou^ loit renouveller le traité d*paix& d'alliance. L'Empereur ne répondit que par des reproches d'ingratitude & de mauvaife foi, & fe prépara a une guerre, qu'il ne vouloit t»*«rP ner que par la deih-uaion d'Icone ' &C par la ruïne entiere des Turcs. Je . ne poferai les armes , difoit - il, que quand je tiexdrai fous mes pieds la tête \ du Sultan. II mit donc en campagne la plus grande armée qu'il eüt enco* re levé'e, II manda toutes les troupes de Servië r prit a la folde celles de Hongrie, & raffembla de la Thrace une prodigieufe quantité de boeufs, & plus de trois mille chariots,. pour voiturer les vivres & les fburrages» Après cespréparatifs, il fe rendit avec troupes a 1'Eglife de Sainte-Sophie, puur implorer le fecours du Ciel, Manuel. An. H75'. An. 1176.. XIV. Guerre contre le Sultan (TIcóne.Nicet. I. 6. I. &feqq. Cinn. I. 6. ■• 13.M. Quill. Tyr. '. 21- <• Rob. de yionte. Romuald. >alern. chr. Roger. de. iovedcn. ladulf. de Oketa.  ?«lANUEt. An. u7o> XV. , Baaille de Myrio«éphaies. 42a H I $ T 0 I K E & partit de Conftantinopie. II fut obligé de s'arrêter long-temps au bord Rhyndacus, en forte que 1'été étoit deja commencé lorfqu'il prit la route d'Icone. ^ Pour éviter les montagnes , l'arméetraverfalaLydie, & entra en Phrygie par Laodkée, d'oü elle marcha a Chones, a Lampis,a Célenes vers les fources du Méandre, a Chome, & enfin k Myriocéphales, vieille fortereffe alors déferte, qui devint fameufe par la défaite des Grecs. C'étoit-la que fe terminoient lcc terres de 1'Empire. L'Empereur avancoit avec précaution, toujours en bon ordre , fe retranchant tous les foirs de peur de furprife. Le tranfport des machines & tout 1'attirail des vivres, qu'il n'efpéroit pas trouver dans des fables arides 6c dans un pays ennemi, retardoient fa marche. Les Turcs qui fe montroient de temps en temps , harceloient fon armée > enlevoient les fourrages, & corrompoient les eaux ; ce qui fit périr de dy flenterie un grand nombre de Grecs, On étoit déja au mois de Septembre. Le Sultan fe comporta dans cette guerre avec toute la fageffequi coh-r  du Bas-Empijle. Liv. XC. 423 venoit a l'Empereur , & Manuel avec cet emportement aveugle qui caractérife les barbares. Azzeddin ayant fait venir de grands fecours des Princes Mufulmans, envoya encore des députés a l'Empereur , pour lui offrir la paix aux conditions qu'il voudroit prefcrire, & les Officiers les plus ^xpérimentés lui confeilloient de Pat» cepter. Ils lui repréfentoient 1'incertitude du fuccès, qui ne pouvoit lui procurer de plus grands avantages que ceux qui lui étoient offerts ; la difficulté des paffages dont les ennemis étoient les maitres; les maladies qui affligeoient fes troupes. Manuel écoutaplus volontiers les confeils audacieux des jeunes Officiers, dont la plupart n'avoient jamais vu 1'ennemi, ck dont les avis n'étoient confidérabies que par la fierté de leur contenance , & par Por & 1'argent qui brilloient fur leurs habits. II renvoya donc les députés en leur difant , quihrendroit réponfe d leur maitre dans Icóne, ,Au fortk de Myriocephales s'ouvroit un défilé nommé -Cibrïlcine , entre une longue chaine de montagnes féparées 1'une de 1'au- An. 11.76.  ANtmt.. 1. I I76. ( i 1 1 ( I I { i F 424 H IST0I8.E tre par de profondes vallées, Sc des maffes de rochers efcarpés Sc pendants en précipices. Manuel s'y engagea fans renvoyer a la queue de fon armée les chariots qui portoient les machines Sc les bagages , Sc fans déloge»- les ennemis poftés fur les hauteurs pour traverfer le paiTage, II marchoit avec la même affurance qu'il auroit fait en rafe campagne, Les deux fils de Conftantin 1'Ange, Jean Sc Andronic conduifoient 1'avantgarde; ils étoient fuivis de Conftantin Macroducas Sc d'Andronic Lampardas. Dans le corps d'armée , Baudouin , beau-frere de l'Empereur, cominandoit 1'aile droite, Sc Théodore vlaurozume 1'aile gauche. Venoient mfuite les valets , les bagages, les nachines. L'Empereur fuivoir a la ête d'une troupe d'élite, Sc Andro)ic Contoftéphane fermoit la marhe. L'armée étoit tellement refferée qu'elle fe prolongeoi't dans 1'eface de dix milles. L'avant-garde paffa ins danger , ayant détaché fon inmterie poiur. dépofter 1'ennemi, & eut-être que le refte auroit eu le ïême fuccès, fi, a la faveur des ar-  du Bjs-Empire. Lh. XC. 445; chers qui auroient garni les flancs & k 1'abri des boucliers, on eüt fuivi en diligence 1'avant-garde , fans laiffer d'intervalle. Faute de cette précaution, on laiffa aux Turcs le temps de defcendre & de couper la colonne de la marche. Ils fe porterent avec fureur fur 1'aile gauche, 1'accablerent de traits , la rompirent & en firent un horrible carnage. Baudouin, au défefpoir, accourt de 1'aile droite , fe jette au travers des ennemis , &C y trouve la mort qu'il bravoit par fa valeur. Les Grecs, refferrés k droite & a gauche par les rochers & par les montagnet, nc peuvent ni reculer , ni recevoir des fecours de l'Empereur & de 1'arriere-garde ; les chariots qui la féparoient formant une barrière impénétrable. Les hommes & les chevaux tomboient pêle-mêle percés de traits. Une grande partie culbuta dans un précipice, oü pér rirent quantité d'Officiers & plufieurs parents de l'Empereur, dont le plus digne d'être regretté fut Jean le Protofébafte, le Prince le plus aimable & le plus vertueux de la Cour. Les troupes de la queue ne purent même Manuel, An, 1176.  Manuel •An, ii76, 42.6 HISTOIR.E échapper au carnage, les Turcs s'étant faifis des derrières; en forte que les Grecs enfermés de toutes parts, XVI. Suite de la bataille. ne Jauioient a 1 ennemi que la peine de les égorger. Ce qui acheva de leur öter le courage, ce fut de voir au bout d'une piqué entre les mains des Turcs la tête d'Andronic Varace, neveu de l'Empereur. Manuel Ï'avoit envoyé avec des troupes pour prendre poifeiTion de Néocéfarée ,■ qui offroit de fe donner a 1'Empire. Surpris en chemin par un corps de Mufulmans , il avoit été taillé en pipces avec toute fon efcorte. A cette vue, Manuel, ptrcó a0 douleur, défefpéré du maffacre de fes gens qu'il voyoit égorger a fes yeux fans pouvoir les fecourir, dépourvu de tout, excepté de courage, ne favoit quel parti prendre. Cependant 1'avant-garde s'étant tirée de ce mauvais pas , avoit gagné une colline oü elle s'étoit retranchée. Le découragement des Grecs enflammoit de plus en plus 1'audace des Turcs. Vainqueurs de la plus grande partie de l'armée, ils s'efforcoient d'acbever la vicloire en terralTant l'ar«  su Bas-Empire. Liv. XC. 427 nere-garde, 6c la troupe de l'Empereur. Manuel, de fon cöté, après d'inutiles efforts pour ouvrir aux flens un paffage, voyant cette nuée d'ennemis le groffir k tous moments, 6c fe tenant affuré de mourir, foit qu'il reftat, foit qu'il avancat, aima mieux aller chercher la mort que de 1'at* tendre; tk après avoir crié a fes gens: Tout ejt per du ; fauve^-vous ou vous pourrei; il va tête baiffée donner au milieu des Turcs; 6c au travers des lances, des cimeterres , des maffes d'armes, fon bouclier hériffé de trente fleches, il perce avec la force tk la rapidité de la foudre les efcadrons barbares, tk leur échappe comme par miracle. Ce ne fut pas fans bleffures. Son corps couvert de plaies ou de contufions, fon cafque fauffé ou rompu en plufieurs endroits, tk enfoncé dans la peau de fon crane, ne lui laiffoient guere plus de vie, qu'il n'en reftoit aux malheureux expirants fous des monceaux de morts. II craignoit néanmoins plus pour les flens que pour lui-même. Serrés de tous cötés par les barbares qui leur faifoient fentir la pointe de leurs lan- Manuet.» An. 117Ó.  Manuee, An. 1176. 4»8 Histoixb ces , ils s'écrafoient, ils fe renverfoient , ils fe fouloient aux pieds. Ceux qui parvenoient a fortir du défilé, rencontroient a. la fortie 1'ennemi & la mort. Le défilé k fon iffue fe partageoit en fept profondes vallées , d'abord affez larges , mais qui fe reflerroient en gorges étroites, fermées par des pelotons d'ennemis. Une tempête qui furvint accrut encore Ia confufion & le carnage. Des nuées de fable élevées par le vent, & poulfées de toutes parts au gré des tourbillons, déroberent le jour & aveuglerent tellement les deux armées, qu'elles ne diftinguoient pas mieux les amis des ennemis , que dans la nuit la plus épailfe. Chacun tuoit celui qui fe trouvoit a la portée de fes armes, & tomboit lui-même fous le bras d'un compatriote. Ces coups égarés & abandonnés au hafard abattoient autant de Turcs que de Grecs; en forte que tout ce terrein n'étoit plus qu'un vafte cimetiere, oh Grecs, Turcs, chevaux, bceufs d'attelage mêloient leur fang, & s'entaffoient les uns fur les autres. L'obfcurité étant difiipée avec 1'ouragan,  du Bjs-Empire. Liv. XC. 429 on vit des malheureux accablés fous un tas de cadavres, qui n'ayant de libre que la tête & les bras, les tendoient a ceux qui paflbient k leur vue , & les appelloient k leur fecours par des cris lamentables. Mais la terreur étouffoit la compafïïon; chacun, craignant un pareil fort, ne fongeoit qu'a fauver fa vie. L'Empereur, abandonné feul, fans écuyer, fans garde , s'étoit arrêté fur une hauteur, appuyé contre un poirier fauvage. Un cavalier Grec 1'appercoit & s'approche; il effuye la poulTiere & le ïang dont il étoit couvert; il bande fes bleflures; il rajufte fur fa tête les pieces de fon calque, & le remet k cheval. En ce moment arrivé un Turc qui failit la bride de fon cheval , & le veut emmener. II ne reftoit a Manuel qu'un tron^on de lance; il en décharge un coup terrible fur la tête du Turc, & le couche par terre. D'autres Turcs accourent & veulent le prendre vif; armé de la lance de fon cavalier, il en tue un; le cavalier en tue un autre d'un coup d'épée; le refte s'enfuit. Enfin, dix foldats Grecs s'étant réunis au- Manuel. An. 1176»  Manuel. An. 1176. XVII. Diverfes aventures de Manuel & de fes troupes. 4.30 ff I S T 0 1 R E prés de lui, il defcend pour tacher de rejoindre fon avant-garde. Mais après quelques pas, il trouve le chemin ferme par les Turcs & bouché par les cadavres. II perce les Turcs, pouffe fon cheval fur les cadavres, fort enfin de ces gorges, & traverfe une riviere qui en bordoit 1'entrée. Plufieurs Grecs viennent fe joindre a lui. II voit en paffant Jean Cantacuzene , fon neveu d'alliance, enveloppé d'une bande de Turcs qui le tuent & le dépouillent. Ces mêr mes Turcs reconnoiffant l'Empereur, courent k lui comme a une riche proie, pour le prendre ou le tuer. C'étoient des Officiers du premier rang qui montoient de beaux chevaux Arabes magnifiquement harnachés & ornés de fonnettes; ce qui étoit chez eux une marqué de grande diftinction. L'Empereur lesrepouffe ; & avancant toujours au travers de plufieurs troupes de Turcs qui accourent pour le prendre, & qu'il écarté a coups de lance , il rejoint enfin fon avant-garde, qui, le croyant perdu , le recoit avec des tranfports •de joie. Epuifé de fatigue , &c brü-  su BasEmpire. Lïv. XC. 431 lant de foif, il envoyé puifer de 1'eau ! dans la riviere prochaine; &c après 1 y avoir porté fes levres , fentant J qu'elle étoit mêlee de fang , il la jette k terre , & dit en foupirant: Ah, malheureux ! cejl du fang des Chre'tiens. Un foldat brutal, qui fe trouvoit préfent, eut 1'audace de lui dire: ■Ce n'efl pas d'aujourd hui, Prince, que vous goüte^ de cet honible breuvage; vous en ave^ bu d longs traits, vous vous en êtes enivré, lorfque vous ave^ prejfe vos propres fujets en les écrafant dimpéts. Manuel dévora en filence cette affreufe vérité; & voyant des Turcs qui éventroient des facs d'argent pillés dans fon équipage : Coure^, ditil k fes gens, arrache^-leur ce butin; vous y ave%_ plus de droit que ces brigands. Oui, fansdoute, repartit ce même foldat; mais il auroit bien mieux valu ne pas arracher cet argent a vos peuules, que de le rendre maintenant que nous ne pouvons le ravoir qu'au prix de notre fang. Manuel, qu'un inftant d'infortune avoit réduit au niveau du dernier de fes fujets, founrit encore avec patience cette lecon cruelle. Enfin, Andronic Contoftéphane arriva Va. 1176,  Manuel, An. 1176, XVIII. Le Sultai offre la paix. 432 H I S T^O I È. E avec ce qui reftoit de 1'arriere-gar» de, & peu-a-peu tous ceux qui étoient échappés du carnage, fe rendirent auprès du Prince. Ils pafferent la nuit dans une profonde triftefle, les amis, les parents fe cherchant 1'un 1'autre, s'embraflant avec larmes lorfqu'ils fe rencontroient, & fe difant les derniers adieux, comme devant mourir le lendemain. Car les barbares, courant autour du camp , appelloient k grands cris leurs compatriotes, qui étoient entrés au fervice des Grecs, foit pour changer de religion, foit pour quelque autre motif. Sorte^, crioient-ils en les nommant , forte% ttavec ces chiens avant le jour. Ceux que Caurore trouvera ici, feront égorgés fans pitte. Les Grecs, pales de crain*e, entendoient retentir de toutes part au milieu des ténebres cette fentence de mort. L'Empereur en fut lui-même ef1 frayé. II affemble fon confeil, & déclare qu'il va prendre la fuite, & que chacun , de fon cöté, peut fonger a fa füreté. Tous , & Contoftéphane plus que les autres, paroilfent étonnés d'une réfolution fi peu conforme  bü Bas-Empire. TJv. XC. 433 a ce caractere généreux & intrépi- : de, qu'il avoit montré dans tout le ] cours de fa vie. Un fimple foldat qui ' fe trouvoit a la porte de la tente, ayant entendu ce propos , sécrie : Sont-ce ld les paroles a"un Empereur? & s'adreffant a lui-même : N'efl-ce pas vous, lui dit-il, qui nous ave^jette's dans ce chemin fi funefle ? qui nous avï{ pilés comme dans un mortier entre ces rockers & ces montagnes? Quavionsnous affaire dans cette vallêe de larmes, dans ces gorges infernales ? Qiiel démêlé avions-nous tous tant que nous fommes avec ces barbares? Nous vous avons facrifii notre vie , & vous , pour fauver la votre, vous nous abandonne^ dia boucherie. Manuel, frappé de ces juftes reproches, changea de delfein, & réfolut de fe fauver avec fes gens, ou de périr avec eux. Les Grecs, condamnés a la mort, ne fongeoient plus qua vendre bien cher leur vie, lorfqu'ils re5urent leur falut de ceux mêmes dont ils attendoient leur perte. Le Sultan avoit fuivi fon armée, & s'étant arrêté a quelque diftance de Myriocéphales, il recevoit a chaque infrant des nouvelles de 1'état Tome XIX. T iIanuel. in. 1176»  Manuel, An. 1176. 434 HlSTOIRE des ennemis , & des opérations de fes troupes. Ce Prince politique fit réflexion , qu'en égorgant ou faifant prifbnnier Manuel, & ce qui lui reftoit de foldats, il ne détruilbit pas 1'Empire Grec, & que 1'occafion étoit favorable pour vendre la paix, qu'il n'avoit pu acheter jufqu'alors. Ses Miniftres, qui recevoient des penlions de l'Empereur pendant la paix , le confirmoient dans cette penfée. II fe détermina donc a. traiter avec l'Empereur. Cependant le jour commencoit k paroïtre , & les barbares, qui n'étoient pas inftruits de ce deffein de leur maïtre , approchoient dans 1'efpérance de fe défaire en un moment de ce miférabie refte d'une armée vaincue. Ils tenoient le camp enveloppé , & leurs fléches venoient percer les Grecs jufque dans leurs retranchements. L'Empereur fit fortir fur eux Jean 1'Ange avec fon efcadron , qui fut bientöt obligé de revenir. Macroducas, qui fortit enfuite, n'eut pas plus de fuccès. Déja les Turcs arrachoient la paliffade , loifqu'un Emir des plus diftingués , accourant a toute bride , leur ordonne  du Bas-Empire. Liv. XC. 435 de la part du Sultan de fufpendre 1'attaque; & s'étant fait annoncer k l'Empereur, il entre dans le camp. II fe profterne humblement devant Manuel, & lui préfente de la part de fon maitre un fabre magnifique, &c un cheval de parade de la meilleure race. Le voyant accablé de chagrin, il lui parle quelque temps k 1'oreille pour le confoler, & lui propofe la paix. L'Empereur, aufli étonné que s'il fut forti du tombeau , n'ajoute foi k fes paroles qu'après s'être affuré par plufieurs interrogations que la propofition eft férieufe. Dans le cours de 1'entretien , 1 Emir voyant la robe de pourpre brochée d'or que l'Empereur portoit par-deffus fa cuiraffe : Seigneur, lui dit-il, cette robe nejl pas digne d'un Prince guerrier, tel que Votre Majejlé ; la cuirajjh ejl le plus magnifique habit de guerre. Manuel fourit, &c fe dépouillant de fa robe, il la lui dorma. Le traité mis enfuite par écrit fut figné de l'Empereur, & envoyé au Sultan qui le ratifia, Entre les autres conditions que la conjoncfure préfente ne permettoit pas de contefter, Manuel s'engageoit a T ij An, 117Ó.  436 Histoirë détruire Dorylée & Sublée. Après 1'é- Manüel. An. H76. XIX. Retour de l'Empereur. change des fignatures, rEmpereur fe mit en marche pour le retour. II y avoit dans l'armée Impériale plufieurs Seigneurs Anglois. Roger de Hoveden, Auteur contemporain, nous a confervé la lettre de Manuel a Henri II, Roi d'Angleterre, dans laquelle il lui rend compte de cette funelte bataille, & le remercie du fecours qu'il lui a envoyé. II le traite d'ami &c d'allié de 1'Empire. Son intention étoit de changer de route, pour s'épargner la vue du carnage de fon armée. Les guides, au contraire , pour lui donner ce funefle fpectacle, le ramenerent par le même chemin. Rien n'étoit plus capable de faire détefter les fureurs de la guerre. C'étoit un affreux théatre oü la mort étaloit toutes fes horreurs. La terre, détrempée de fang, & jonchée de cadavres, le défilé & les vallons comblés de corps tronqués, mutilés, défigurés par d'horribles plaies, faifoient frémir la nature. Les Grecs, plus malheureux encore que ceux dont ils déploroient les maux , & qui en avoient perdu le fentiment, paf-  du Bas-Empire. Liv. XC. 437 foient en pleurant dans un morne filence interrompu de temps en temps par des cris lugubres, appellant leurs parents & leurs amis, qui ne les entendoient plus. Sortis du défilé, ils furent furpris de fe fentir attaquer en queue par les Turcs. Ils n'étoienl pas plutöt partis, que le Sultan s'étoit repenti de les avoir lailTé aller, & il avoit permis de les pourfuivre mais ce n'étoit qu'une partie de fon armée, les autres étant retournés chez eux avec leur burin. Ils tuerent encore un grand nombre de Grecs que leurs bleffures empêchoient de fuivre la marche. Enfin , on arriva a Chones , oü, fe voyant en füreté , ils fe repoferent. L'Empereur leur diftribua quelque argent pour achever le voyage. Pour lui, il alla de Chones a Philadelphie, oü il féjourna quelque temps pour fe rétablir de fes fatigues, & faire guérir fes bief fures. De-la il fit partir un courier pour Conftantinopie avec des lettres , dans lefquelles, balancant entre la honte d'un trifte aveu & celle d'un menfonge inutile, tantöt il fe comparoit a Romain Diogene , fur T dj Manuel. An. 1176.  Manuel. *.n, 1176, An. 1177. XX. Bataille Au Mcanilre. 4-38 HlSTOIRE lequel il avoit 1'avantage d'avoir évité la captivité, tantöt il couvroit fa défaite en faifant valoir la paix demandée par le Sultan, & dont il envoyoit Pafte authentique figné d'Azzeddin. II fe rendit peu de jours après a Conftantinopie. 11 avoit, en paflant, détruit Sublée, comme il s'y étoit engagé; mais il avoit laiffé fubfifter Dorylée. Aux plaintes qu'en fit le Sultan, il répondit qu'il ne fe croyoit pas obligé a tenir une parole arrachée par la néceflité. Sur cette réponfe , le Sultan fait partir vingt-quatre mille hommes, avec ordre a fon Général de mettre tout a feu & a fang jufqu'a la mer, fans épargner perfonne , & de lui rapporter de 1'eau de la mer, une rame & une poignée de fable du rivage. Le Général faccagea tous les bord du Méandre, prit Tralies & Antioche de Carie, détruifit toutes les fortereffes, & poufla fes ravages jufqu'a la mer dont il défola toute la cöte. L'Empereur, dont les forces n'étoient pas encore rétablies , envoya contre eux fon neveu Jean Vatace , dont il avoit éprouvé la va-  du Bas-Empire. Liv. XC. 439 leur; c'étoit le frere d'Andronic Vatace, tué dans la campagne précédente. II lui donna pour LieutenantsGénéraux Conftantin Ducas, encore fort jeune , mais d'un mérite prématuré, tk Michel Afpiete. II leur recommanda de ne rien précipiter, tk de n'attaquer les barbares que lorfqu'ils feroient parfaitement inftruits de leurs forces, tk affurés de la victoire. Les Turcs retournoient chargés de butin, ravageant tk pillant ce qui leur avoit échappé au premier paffage. Vatace, avec les troupes qu'il avoit recues de l'Empereur, tk raffemblées en chemin, marche droit a Hyele , ou étoit un gué du Méandre. Ses coureurs lui ayant rapporté que les Turcs n'étoient pas loin, tk qu'ils fe difpofoient a paffer le fleuve , il partage fon armée en deux corps; il met 1'un en embufcade fur un cöteau en - deca du paffage, tk pofte 1'autre dans des halliers au-dela , avec ordre de charger 1'ennemi lorfqu'il atteindroit le bord. Les Turcs arrivent & entrent dans le fleuve. Les Grecs, poftés fur le cöteau, les accablept de traits , & en abattent un T iv Manuel, Au. 1177.  Manuel, An. 1177, 440 H J S T O I R E grand nombre. Pour détourner cet orage qui fondoit fur leur tête, & leur procurer un paffage tranquille, le General Turc, k !a tête d'une troupe choifie, monte fur le cöteau, charge les Grecs avec vigueur; tk par des acuons de Ia plus haute valeur, il occupe toutes leurs forces. Mais appercevant au-dela du fleuve d'autres troupes qui égorgeoient fes gens a mefure qu'ils paffoient, tout fon courage 1'abandonne; il prend la fuite, tk remomant le fleuve, il va chercher un gué plus fur. N'en trouvant point, il fe fert de fon bouclier pour nacelle, de fon fabre pour aviron , tk tient de la gauche la bride dé ion cheval qui nage k cöté de lui. II gagne ainfi la rive ; mais ii ne peut eviter la mort. Etant monté fur un tertre, tk appellant de-la les Turcs. pour les raffembler autour de lui, il eft prévenupar un foldat Alain, qui le perce de fon épée. Les Turcs firyent, la plupart fe noyent dans le Méandre. Cette adion rabattit 1'audace des Mufulmans , qui ne s'étoient promis rien moins que la deftruöion entiere de la Phrygie tk de la Carie jufqu'a  du È as Em p i re. Liv. XC. 441 la mer. Afpiete périt clans ce combat. Son cheval, heurté violemment par un cheval Turc, le renverfa dans le fleuve oü il fe noya. Baudouin IV étoit depuis quatre ans fur le Tróne de Jérufalem, &t avoit renouvellé le traité fait avec Manuel par Amauri. L'Empereur qui ne perdoit pas de vue la conquête de 1'Egypte , députa Andronic 1'Ange avec trois autres Seigneurs, pour 1'engager k entreprendre cette expédition, & lui promettre les mêmes fecours qu'il avoit prêtés k fon prédéceffeur. L'occafion paroiffoit favorable. Philippe d'Alface , Comte de Flandre , venoit d'arriver dans la Terre-Sainte , & les troupes de ce Prince devoient faciliter le fuccès aux confédérés. Mais le Comte non-feulement refufa, fous divers prétextes, de s'engager dans une entreprife fi périlleufe, il en empêcha même 1'exécution ; & les députés furent obligés de s'en retourner fans avoir fait autre chofe que des conventions inutiles. Dés que Manuel fut guéri de fes feleffures, il reprit les armes, & paffa T v Manuel. An. 1177a XXL Projet d'une nouvelle expédition en Egypte. GuilL TyK l. 21.c. ló. 17, iS. An. 1178.  M a.nuel. An. i 178. XXII. Lacheté d'Andronic 1'Ange. /Vi'cet. /, 6. c 8. 442 II I S T 0 I R Ê en Phrygie. Les Turcs avoient deux corps d'armée aflez éloignés Pun de Pautre au voiflnage du Méandre. II tomba fur le premier, & le tailla en pieces. Avant que d'aller attaquer Pautre , it voulut connoitre la pofition & le nombre des ennemis. II envoya pour cet effet un homme du pays, qui s'étant infinué dans le camp des Turcs, leur apprit que l'Empereur venoit en perfonne. Effrayés a cette nouvelle , ils prirent la fuite & difparurent. L'efpion croyant avoir mérité récompenfe pour avoir lui feul diflipé une armée entiere , revint au camp vantant le fervice qu'il avoit rendu. L'Empereur, au contraire, irrité qu'il lui eüt fait perdre une proie afllirée, lui fit couper le nez. Comme il vit que , les Turcs n'ayant pas fur pied d'armée confidérable, la campagne fe pafferoit en actions peu importantes, il reprit le chemin de Conftantinopie , & fe contenta de laiffer une partie de fes troupes fous la conduite d'Andronic 1'Ange, fon coufin germain , auquel il donna pour Lieutenant Manuel Cantacuzene. Celuiei , très-brave de fa perfonne, étoit fils  j)ü Bas-Empire. Liv. XC'. 443 de Jean Cantacuzene, que l'Empereur avoit vu mafïacrer a fes yeux dans le défilé de Myriocéphales. II leur commanda de marcher contre les Turcs affemblés prés de Charax, ville de Phrygie. L'Ange étoit un homme de peu de valeur, que la naiffance 6cles amis de Cour avoient avancé aux premiers grades. ü fe contenta d'enlever quelques troupeaux avec leurs bergers; & les Turcs s'étant approchés de nuit avec de grands cris , il monte a cheval tout éperdu, &c fans donner aucun ordre, f court a toute bride a Chones, oü il n'ofe même s'arrêter, & fe fauve i Laodicée. Son armée abandonnée dt Général fe débande; & laifTant foi butin k Pennemi, elle fuit fans êtn pourfuivie. Cantacuzene court aprè les fuyards , il les force a grand coups d'épée de s'arrêter, & les re met enfemble. Mais n'ayant pas reci de l'Empereur Pautorité de comman der en chef, il ne peut faire autr ehofe que de les ramener a Conftar tinople. La terreur étoit fi grande par mi eux , qu'un feul Turc pofté fu une éminence, au pied de laquell T vi MANUEt, An. n 78. i l f ï ■ e r e  An. 1178. XXIII. Manuel Cantacuzene puni tle fes exces.Cin. I. (. €. 13. Oriens , Chr. T. I. \ /'■ 171 , 2.72. I 1 1 444 H r s t 0 1 r e ilspaffoient, les percoit impunément depêches tirées avec tant de force, quelles pénétroient au travers des cuiraffes. Hen tua ainfum grand nombre , jufqu'a ce qu'un Officier , nomme Manuel Xérus , fautant a bas de Ion cheval,, courut k lui, 1'atteignit malgré fon agilité entre les rochers ou il fuyoit , & lui 3battit la tête d un coup de fabre. La lacheté d'Andronic 1'Ange irrita tellement l'Empereur , qu'il fut fur je po-mt de ]e faire conduire en habit de femme par les rues de Conftantinopie. II ne fut retenu que par la confidération de la parenté. On étoit redevable de la confervaüon de l'armée a Manuel Cantacuzene. Mais ce jeune Seigneur n'avoit de mérite que pour la guerre. Plongé d'ailleurs clans les plus affreuss débauches, il faifoit horreur k 'Empereur même, qui, peu réglé dans esmceurs, confervoit cependant les lehors de la bienféance. Le Prince jui avoit aimé le pere , & qui eftinoit la bravoure du fils , avoit bien rou!u lui donner de fréquents avis 'our le ramener a une vie pius dé-  du JJjs-Empire. Liv. XC. 445 eente. Comme il vit qu'il ne gagnoit rien flir ce cceur dépravé, il commanda de le mettre en prifon. Les Magiftrats croyant fervir la colere du Prince, allerent fort au-dela de leurs ordres, & lui firent crêver les yeux. L'Empereur en témoigna de 1'indignation; iljura qu'il n'avoit point de part k cette cruauté. Mais comme il n'en fit aucune punition , il laiffa foupconner qu'il ne la défapprouvoit pas. Michel d'Anchiale, Patriarche de Conftantinopie, étoit mort Pannée précédente. 11 eut pour fucceffeur Chariton , qui ne fiégea que onze mois ; & cette année 1178 Théodofe, Arménien denaiffance , &Moine de Saint-Auxence en Bithynie, fut élevé fur le fiege patriarchal. Ce fut un Prélat d'une vie exemplaire, auquel fa vertu & fa fermeté dans Pobfervation des loix de 1'Eglife n'attirerent que des perfécutions dans ces temps de corruption & de défordre. L'année fuivante, Manuel apprit que lesTurcs aftiégeoient Claudiopolis, au- ' trement nommée Bithy nium,ville confidérable k 1'extrémité de la Bithynie, 1 vers Ia frontiere de Paphlagonié. Les ! Manuel. An. 1178, In. 1179. XXIV. Manuel ait lever elicge de Haudio>uÉs,  Manuel, An. 1179, 446 Utstoire affiégés mandoient que s'ils n'étoient promptement fecourus, ils feroient fprcés par la famine, & par la fupériorité des ennemis, d'ouvrir les portes de leur ville. Manuel, fans attendre davantage , part dés le lendemain , fans autre équipage que fes armes & fes chevaux. II traverïe avec une extreme diligence toute la Bithynie ; & quoique dans un age avancé , marchant a pied jour & nuit k la lueur des flambeaux, au travers des vallons & des forêts dont ce pays eft hériifé , fi la défaillance de fes forces 1'obligeoit k prendre du repos, il n'avoit d'autre lit qu'une terre marécageufe , fur laquelle on étendoit quelques bottes de foin ou de padie. Son exemple foutenoit fes foldats dans une marche ft pénible; & l'Empereur, trempé de pluie & couvert de fange , leur paroiffoit plus admirable que fous Ie diadême & la pourpre. Les ennemis ne 1'attendire'nt pas. Dés qu'ils apperfurent fes enfeignes, ils fe retirerent en tumuite. II les pourfuivit fort loin ; 8i après avoir taillé en pieces ceux qu'il put atteindre, il entra dans la  n-v B.js-Empire. Liv. XC. 447 ville que fon incroyable a&ivité avoit fauvée. S'y étant repofé quelque temps, & ayant pourvu a la füreté de la place , il retourne a. Conftantinopie. Les deux Empereurs d'Orient & d'Occident, jaloux 1'un de 1'autre, étoient ennemis dans le cceur. Manuel aidoit de fecours d'argent les Lombards qui étoient en guerre avec Fréderic. Celui-ci, de fon cöté, afpiroit k fe rendre maitre de Corfou. II écrivit pour ce fujet k George, Evêque de cette ifle , qui lui répondit avec beaucoup de fageffe, que l'ifle de Corfou étoit une conquête de peu de valeur pour un fi grand Prince, Pexhortant avec douceur k ne point defirer ce qu'il ne pouvoit acquérir fans injuftice. II lui dépeignoit Manuel comme un Prince jufte , généreux, qui lui étoit fincérement attaché,, & qui méritoit de fa part une fidelle correfpondance. Malgré ces difpofitions fecretes, les deux Princes gar doient les dehors de 1'amitié. Manue propofoit une ligue k Fréderic contre Ie Roi de Sicile. II avoit mêmf été queftion du mariage de Marie Manuel. An. 1179. XXV. Correfpondancede Manuel avec Fréderic. Cinn. I. 6, c. ii. Nicet. I. 7. c. i. Baronius* Otto de Slo. Blei' fio. Doutrc- man, L t- c. 8. i  44§ II i s t o i■ k £ fille de Manuel, avec Henri, fils aine de Fréderic , & c'étoit fans doute un des fujets qui avoient amené k Conftantinopie Henri, Duc de Saxe, dont l'ambaflade avoit été très-brilante. Nous avons encore deux let:res de Manuel k Wilbod, Abbé de Stavelo en Flandre, par lefquelles on voit jue l'Empereur Grec aimoit ce Préat ; il fe recommande a fes prieres, & lui parle d'un mariage propofé , üt-il, par Fréderic. II déclare qu'il fou* ïaite fort Ia bonne intelligence entre es deux Empires , & qu'il envoyé les députés en Allemagne pour traier de ce mariage. On ne voit auune fuite de cette négociation. Au etour de la défaite fanglante de Myiocéphales, Manuel écrivit k Frédeic en caracferes d'or, une lettre pleie de menfonges., II lui mandoit que ; Sultan d'Icone étoit foumis a 1'Emire ; qu'il avoit demandé miféricore, & prêté ferment de fidélité. Mais réderic étoit déja prévenu par le Sulin qui lui marquoit tout le contraire, zzeddin lui avoit envoyé des AmafTadeurs pour faire alliance avee u i il lui demandoit même fa fiüe An. H79. i ' ] i ( 1 1 1 < 1 ï i r 1 F d F t; A b h  bu B as-Em pi re. Liv. XC. 449 en mariage , 6c promettoit de fe faire Chrérien avec tout fon peuple. Car, s'il eft vrai qu'il fe fut déja fait baptifer, fa converfion étoit demeurée fecrete. Fréderic avoit confenti au mariage ; mais Ia Princeffe mourut avant 1'accompliffement de cette promeffe. Le Prince Allemand, piqué de ce que Manuel dans fa lettre mettoit fon nom avant celui de Fréderic , 6c prenoit le titre de Prince des Romains , inftruit d'ailleurs des intrigues qu'il entretenoit en Italië, lui répondit par une lettre , oü il prenoit a. fon tour le titre de Prince des Grecs ; il 1'avertiffoit de Phonneur qu'il devoit rendre k 1'Empire Romain , 6c k celui qui en étoit le chef. II infiftoit même fur la foumiffion & Pobéiffance que le Souverain Pontife de 1'Eglife Romaine avoit droit d'exiger de l'Empereur Grec , ainfi que de toute la Chrétienté. Fréderic, réconcilié depuis peu avec le Pape Alexandre, qu'il avoit traité fi in-, jurieufement pendant le fchifme , lui rendoit alors le refpect dü au légitime fucceffeur de Saint Pierre, 6c lui donnoit le nom d.e Saintitè. Ma- Manuel. An. 1179.  Manuel. An. 1180. XXVI. Doublé rr.ariagè de la fille & du fils de Manuel.Nicet. I. 5. c 8. /. 7. c. I. Guill. Tyr. I. 22. C. 4. Robert. de Monte. Radulf. de Dictto. Chron. Belg. Trivet, chr. Du Cange fam. By-{. F- 187. 450 H 1 S T O I R E nuel ne témoigna aucun reffentiment d'une réponfe fi fiere. • La malheureufe journée de Myriocéphales laiffa dans le cceur de l'Empereur de fi triftes imprelfions, qu'il perdit fa gayeté naturelle. Plongé dans une fombre mélancolie , il ne goütoit plus de repos. Le fommeil fuyoit de fes yeux, ou fi 1'accablement venoit quelquefois a fermer fes paupieres, il ne fe préfentoit a fon efpritquedes images funeffes. C'étoient les ombres fanglantes de tant d'infortunés que fa témérité avoit traïnës a la mort, qui erroient autour de lui, qui lui montroient leurs b!eflures, qui 1'appelloient leur meurtrier. Sa fanté en fut détruite, & cette vigueur héroïque, qui avoit animé toute fa vie, 1'abandonna entiérement. Forcé de fe mettre au lit dès le mois de Mars 1180, il n'en releva que dans de courts intervalles. Ce fut alors qu'il s'occupa férieufement du foin de fa familie. II avoit de fes deux mariages une fille & un fils. Marie, qu'il avoit ene de Berthe ou Irene fa première femme, après avoir été fiancée a Béla, devenu depuis Roi de  r>u Bas-Empire. Lh. XC. 451 Hongrie, promife a Guillaume, Roi de Sicile, demandée par l'Empereur Fréderic pour fon fils Henri, renommée par toute PEurope pour fon éclatante beauté , attendoit encore que la tendrefTe capricieufe de fon pere ie fut fixée fur le choix d'un gendre. Recherchée par tant de Monarques, cette fiere Princeffe , qui avoit déclaré qu'elle n'épouferoit jamais qu'un Roi , fut obligée de fe contenter d'un Marquis. Guillaume, Marquis de Montferrat, venoit de fervirla jaloufie de Manuel en faifant la guerre a l'Empereur Fréderic. Aidé de 1'argent que lui fourniffoit l'Empereur Grec, il avoit levé une armée, & Conrad fon parent avoit défait les Adlemands , & emmené prifonnier 1'Archevêque de Mayence leur Général. Baudouin, filsainéde Guillaume , étoit déja marié. Manuel fit venir fon frere puïné nommé Raynier, qui 1'accompagna dans 1'expédition de Claudiopolis. De retour a Conftantinopie, il lui fit époufer fa fille, le nomma Céfar; Sc pour fatisfaire la fierté de la Princeffe , il érigea en Royaume la Province de Theffaloni- Manuel. An. 11S0.  Manuel. An. nSo, XXVII. Mor: de 452 Histoire que, & en donna le titre au nouvel époiix avec le nom de Jean. Le Patriarche Théodofe les maria dans 1'Eglife de Blaquernes , & l'Empereur étala toute fa magnifkence dans les fêtes qui fuivirent. Le jeune Prince, très-digne de cette alliance par les graces de fa perfonne, & plus encore par la douceur de fes mceurs, n'étoit agé que de dix-fept ans, & la Princeffe en avoit déja trente. La joie publique fut redoublée par le mariage du jeune Alexis, qui n'étoit que dans fa onzieme année. Manuel avoit demandé pour lui k Louis Vil, Roi de France, fa derniere fille Agnès , & cette Princeffe étoit arrivée a Conftantinopie dés 1'année précédente. La cérémonie du mariage fut célébrée le dimanche i Mars de cette année par le Patriarche Théodofe dans le palais de Conftantin, au lieu même oii s'étoit tenu le fixieme Concile général fous le regne de Conftantin Pogonat. Alexis & la Princeffe qui n'avoit pas encore huit ans , r ecu rent en même-temps la Couronne Impériale. L'Empereur s'affoibliflbit de jour  du Bas Empire. Ltv. XC. 453 en jour, tk fon état faifoit craindre une mort prochaine. Le Patriarche Théodofe 1'exhortoit a prendre les mefures que la tendreffe paternelle, tk le foin de fes fujets exigeoient de lui, tandis que fon efprit avoit encore affez de force pour choifir un Adminiftrateur fidele, tk capable de conduire la jeuneffe de fon fils. Mais l'Empereur ne 1'écouta pas. II étoit perfuaié qu'il avoit encore plufieurs années a vivre. C'eft ce que lui avoient mis dans 1'efprit fes Aftrologues, qui ne celfoient de lui affurer qu'il releveroit de fa maladie, & qu'il vivroit encore quatorze ans. Lorfqu'il auroit dü ne s'occuper que des penfées de 1'autre vie, ces impofteurs ne 1'entretenoient que des conquêtes qu'il feroit encore; ils ranimoient même fon inclination au libertinage, en lui promettant de nouveaux plaifirs. Ils lui annongoient qu'il ne mourroit pas qu'il n'eut vu une étrange révolurion dans toute la maffe de Punivers, le choc impétueux des aftres, de furieufes tempêtes, & une convulfion générale de la nature. Pour mieux établir ce menfonge abfurde, ils fpéci- Manuel. A.n. 1180. Manuel. Nicet. 1.7, :. 7.  Manuel. An. 11S0. 4 54 H i s r o i tt E fioient précifément , non-feuiement 1'année & le mois, mais le jour & 1'heure oü ces prodiges devoient éclater. Le foible Prince en étoit 11 frappé, qu'il faifoit creufer des grottes fouterreines pour s'y réfugier, lorfque ce bouleverfement arriveroit. On démoliffoit par fon ordre le toit de fes palais, de peur qu'il n'en fut écrafé. Ce qu'il y avoif de plaifant dans cette folie, c'eft que fes courtifans, par une forte d'hypocrifie plus ridicule , mais moins dangereufe tk moins criminelle que lorfqu'elle fe tourne k contrefaire la vertu, feignoient d'être failis de la même terreur. On voyoit ces infectes de Cour fouir la terre , &c s'y faire des magalins comme les fourmis. Mais les douleurs violentes dont l'Empereur fut tourmenté an bout de quelques jours, firent enfin fuir les Aftrologues, tk le guérirent de fa crédüiité. II fentit fa foibleffe, & défefpéra de fa vie. Alors, après avoir recommandé fon fils aux afïïftants par un difcours entrecoupé de foupirs , dans lequel il pronoftiquoit les défaftres qui alloient fuivre fa mort, il fitxeürer tout le mon-  du Bas-Empirr. Lh. XC. 455 de, & ne retint auprès de lui que le Patriarche. Le Prélat, ayant cal- ] mé le trouble de fon ame par des ' difcours édifiants , lui fit figner une courte formule , par laquelle il renoncoit aux vifions de 1'Aftrolooie, & demandoit pardon k Dieu "d'y avoir donné trop de croyance. Manuel s'étant enfuite taté le pouls, fe frappa la cuifle; & poiüfant un profond foupir, il demanda 1'habit monallique. C'étoit alors une dévotion fort commune de mourir dans cet habit, comme fi ce déguifement pouvoit en impofer k celui qui pénetre le fond des coeurs. A cette demande de 1'Empereur , 1'aliarme fe répandit dans le palais : on le dépouille de la pourpre, on lui jette fur le corps un froc noir, qu'on appelloit la robe fpirituelle ; on le croit dés ce moment enrölé dans la milice célefte. Les plus fenfés déplorent le néant de ces héros qui étonnent 1'univers, & dont 1'ame, ainfi que celle des derniers des hommes, eft enfermée dans un vale fragile, dont elle partage la foibleffe. II expira le 24 Septembre , dans la cinquante-hui- Manuel. In. 11S0.  Manuel, An. 11S0. XXVIII. Exaftion! de Manuel. 45<5 HlSTOIRE tieme année de fon age, ayant régné trente-fept ans cinq mois & feize jours. II fut inhumé dans 1'Eglife du Pantocrator. On pofa prés de Ion tombeau une pierre de couleur rouge, de la hauteur d'un homme, qui étoit en grande vénération. C'étoit, difoit-on, celle fur laquelle le corps du Sauveur avoit été enféveli & embaumé , lorfqu'on Feut defcendu de la croix. Elle avoit été tranfportée d'Ephefe; & l'Empereur, qui favoit auffi-bien que tout autre allier les dévotions populaires avec une vie diffolue, avoit lui-même courbé fes épaules fous ce pieux fardeau , lorfqu'elle avoit été apportée en grande pompe dans la ville. Outre fon fils & fa fille, il laiffoit, de fon commerce inceftueux avec fa niece Théodora , un fils nommé Alexis , dont nous aurons fouvent occafion de parler dans la fuite. Avant la naifTance de fon fils légitime , il avoit eu Ia penfée de nommer pour fon fucceffeur ce fils naturel. Dans 1'hiftoire de Manuel, nous ne nous fommes prefque occupés que de fes expéditions militaires, qui ont en  du Bas-Empirb. Liv. XC. 457 en effet rempli tout le cours de fa vie. Mais ce Prince; qu'on peut ap- i peller le dernier des Comnenes, a ' joué un trop grand röle fur le théatre du monde, pour qu'on ne foit pas curieux de connoitre fon adminiftration intérieur e. II ne fut héros que dans la guerre. Tandis qu'il faifoit trembler les Turcs, les Hongrois & les Serves, il tiroit des larmes a fes propres fujets, par les impöts dont il les accabloit, & par les abus de la perception. II vendoit les magiftratures aux Fermiers publics, qui s'étoient enrichis par les vexations. Les Intendants de fon domaine y faifoient paffer par des chicanes les terres les plus fertiles, enlevées aux légitimes propriétaires. II eft vrai qu'il ne profitoit pas de ces iniquités; & c'étoit encore un malheur pour les peuples qui verfoient leur fang dans un gouffre, d'oii il s'écouloit fans ceffe. Les fommes prodiguées fans difcernement a fesparents, a fes courtifans, épuifoient fes finances. II faifoit des penfions aux Miniftres des Princes étrangers , qui recevoient fon argent, &, par fcrupule de confcience, le traTomt XIX. V Hanuel. Vn. iiSs.  458 HlSTOIRE' hiflbient enfuite pour ne pas trahir Manuel. An. 1180. XXIX. Ses Eunu «jues. 11 IC IJlcUlUlL d 1CS CUi 11,1111 , hommes demi-barbares, pour qui la langue Grecque étoit étrangere , ainfi que les loix, revêtus d'emplois importants & des premières magiftratures, s'aiTéioient fur les Tribunaux pour juger, en dernier reiTort , des leurs maïtres. Les aumönes, qu'il répandoit aflez libéralement dans le fein des pauvres, pouvoient a la vérité en quelque forte expier le vice de tant de diffipations; mais ce n'étoit après tout qu'une reftitution, & Manuel feroit fans doute plus louable, s'il n'eut pas fait tant de pauvres. Sa concubine Théodora, femme hautaine , infolente & d'une avidité infatiable, fe faifoit un point d'honneur d'effacer l'Impératrice même par les dépenfes de fa maifon, & par la pompe de fes équipages. Ce fut bien pis encore, quand elle eut un fils & plufieurs autres enfuite. Ces enfants adultérins devinrent autant d'infectes qui dévoroient en herbe une partie de la fubftance de 1'Empire. 1 Ses Eunuques étoient fes minif¬ tres & fes confidents les nlus intimes.  du Bas-Empire. Lh. XC. 459 caufes difficiles qu'ils n'entendoient pas. C'étoient eux qu'il envoyoit dans lesy Provinces pour affeoir les tailles tk les impofitions. II leur donnoit a la vérité pour adjoint quelque perfonnage diftingué ; mais celui-ci n'étoit chargé que de 1'odieux de la perception; il rendoit compte a 1'Eunuque, & lui mettoit entre les mains 1'argent qu'il recueilloit. L'Ëunuque, après avoir détourné a fon profit tout ce qu'il pouvoit fouftraire impunément, ce qui faifoit toujours la meilleure partie, jettoit le refte dans le tréfor du Prince; en forte, qua proprement parler, ces miférables étoient les fouverains des Provinces , & celles-ci leurs tributaires. Malgré les déprédations de ces receveurs, il ne diminuoit rien des dépenfes que 1'efprit de magnifïcence lui faifoit faire en batiments. II décora fuperbement plufieurs appartements de fon palais, oü il avoit grand foin de faire peindre, par les rneiïleurs maïtres, fes combats & fes chaifes. II fit batir dans les ifles de la Propontide plufieurs maifons de plaifance, oü il alloit paffer délicieufemenc T ij Manuel. An. 11S0. i XXX. Ses batiments.Nicct.Lj. Cinn. C. 6.  .AXVEL XXXI. Sa con- ü:ï al'é- \6o HlSTOIRE les beaux jours de 1'été , lorfqu'il n'alloit pas fe couvrir de poufliere k la tête de fes armées. Car ce Prince fupportoit les travaux de la guerre, comme s'il n'eut pas connu les plaifirs, & il fe livroit aux plaifirs comme s'il ne fut né que pour la volupté. Ses fujets accablés admiroient en gémiffant la ftructure de ces édifices qui leur coütoient fi cher : mais ils lui favoient gré des ouvrages qui contribuoient a la fanté & a la füreté de fes peuples. Conftantinopie manquoit d'eaux , ou n'en buvoit que d'impures; il fit nettoyer & réparer les anciens aqueducs. On en conftruifit un nouveau, qui apportoit k la ville des eaux faines tk abondantes. On éleva une tour au bord de la mer au pied du promontoire de Damalis, du cöté de 1'Afie, tk une autre vis-a-vis, du cöté de Conftantinopie. Une chaine de fer attachée a ces deux tours traverföit le Bofphore , & fermoit aux vaiffeaux des barbares 1'accès de la citadelle tk 1'entrée du port. Peu conféquent dans fa conduite, tandis qu'il fcandalifoit 1'Empire, il  J)v B a s-ë m pi re. Llv. XC. 461 décoroit les Eglifes, il favorifoit les Monafteres. Une confiitution de la quinzieme année de fon regne, déclare les Moines légitimes poffeffeurs de tous les biens dont ils font actuellement en jouifTance, nonobftant le défaut de titres ou le vice de ceux fur lefquels ils fondent leurs droits. Elle ordonne que le préfent édit leur tiendra lieu de titre inconteftable, &C défend aux parriculiers tk au fifc même , de les inquiéter fur leurs préfentes pofTeffions. Ce n'eft pas cependant qu'il voulut enrichir les. Moines ; c'étoit pour couper la racine d'une infinité de procés , qu'on leur fufcitoit fans cefTe, ou qu'ils faifoient eux - mêmes ; en forte que tous les Tribunaux retentiffoient de leurs demandes tk de leurs défenfes. Loin d'approuver ces initituts religieux, qui laiffent a la cupidité une libre carrière pour accumuler des biens immenfes, il renouvella la loi de Nicéphore Phocas, qui défendoit aux Moines les nouvelles acquiiitions. II blamoit hautement fon pere , fon aïeul, tous les Empereurs précédents, non pas d'avoir confacré a Dieu une V iij Manuei, gard des Monafteres. Nicet. I. 7. c. 3. Cinn. I. 6. c. }. Novel. 9.  MABÜÉt, 46a IJlSTOIRE portion de leurs richeffes, mais d'avoir jetté dans les Monafteres qu'ils fondoient un germe de relachement & de corruption. Citoit, difoit-il , dans les folitudes , dans les cavernes, fur le haut des montagnes, quils auroient dü établir les Moines, loin des villes , loin du chant des Sirenes dont les accents féducleurs retentiffent jufque dans les cloitres; & cejt, au contraire, dans les places, dans les carrefours de Conjlantinople, qu'ils ont bad les Monafteres , oü des habitants de plumage' divers, voletant de toutes parts dans la journée , & rentrant le foir dans leur volière, ne confervent de leur kat primidf que la tonfure, thabit & la barbe. L'efprit de dilïipation qui régnoit alors dans les Couvents de Conftantinopie , donnoit lieu a ces difcours iatyriques de Manuel. II penfoit que fes prédéceffeurs n'avoient conftruit ces fuperbes édifices , que par vanité, pour y placer leur maufolée, environner leurs cendres de tout le luxe de leur tróne, & figurer encore avec pompe lorfqu'ils ne feroient plus. Pour donner un modele de ces faintes retraites, il fonda lui-même un  du Bas-Ëmpire. Liv. XC. 463 Monaftere k 1'entree du Bofphore dans le Pont-Euxin; il y tranfporta les Moines les plus célebres par leur vertu; & pour leur donner moyen de mener une vie dégagée de tous les foins du fiecle , & uniquement occupée des chofes céleftes, il ne leur donna ni terres iabourables, ni vignobles , ni aucun revenu a. recueillir ; il leur afiigna une penfion fur le tréfor public, pour leur fubftftance &c leur entretien. Nicétas qui rapporte ce fait, ne dit pas fi cette penfion fut fidélement payée. Mais les convulfions étranges qui agiterent 1'Empire après la mort de Manuel, donnent fujet de craindre que ce bel étabiiflement n'ait pas long-temps fubfifté , ou qu'il n'ait entiérement changé de forme. II eft étonnant qu'un Prince fi guerrier aitfi mal entendu la maniere d'entretenir fes troupes. II ceffa de les payer de fon tréfor, & leur afiigna leur paye fur les villes & les Provinces. Ce fut pour fes fujets une furcharge plus accablante que toutes les autres contributions. Abandonnés a la difcrétion des gens de guerre, T iv VEakvW," xxxuï Mauvaife économie a 1'égard de 1'entre. rien des troupes. Nicet, l, ..• f. 4<  464 HlSTOlRB ils devinrent la proie de ceux qui devoient être leurs défenfeurs. Les Officiers prépoles a cette perception taxoient arbitrairement les particuliere; nulle équité, nulle proportion entre la fortune & 1'exaction. Tantot on impofoit aux habitants des villes & des campagnes une taxe fi forte, que plufieurs dépouillés de tout étoient obligés de s'enfuir, abandonnant kurs femmes & leurs enfants. Tantöt on aflignoit a un cavalier fa fubfiffance k prendre fur un ou plufieurs habitants, qu'il réduifoit bie«töt k un état pire que le fien, s'emparant de leurs meilleures terres; en forte que ces malheureux devenoient les fermiers & même les efclaves de ceux qui ne devoient recevoir d'eux que le néceffaire. Ce changement caufa encore un autre mal, qui dépeuploit les villes, & faifoit tomber les Duvrages & le commerce. Les artifans voyant qu'il valoit mieux vexer jue d'être vexés , quittoient leurs attëliers, & fans aucune des qualités requifes pour former de bons foliats_, moyennant quelque préfent aux Capitaines , ils fe faifoient enröler  du Bas-Empire. Liv. XC. 465 dans les compagnies, & achetoient pour peu d'argent le droit de faire beaucoup de mal. D'un autre cöté, les gens d'honneur, qui n'avoient plus rien a efpérer da Prince, quelque fervice que put rendre leur valeur , tk qui ne fe fentoient pas 1'ame alTez barbare pour traiter leurs compatriotes comme des ennemis, fe retiroient & renoncoient a un métier qui approchoit de celui de corfaires. Ce ne fut que dans les derniers temps de fa vie, que Manuel s'avifa de cette funefte économie; s'il eüt vécu plus long-temps, il eüt éprouvé fans doute qu'en écrafant fes fujets, il avoit aliéné fes foldats, qui n'obéiffent qua ceux qui les payent, tk qui fe payoient par eux-mêmes. Cette cruelle tyrannie détruilïttout fentiment d'honneur dans le cceur du peuple, & ne lailfa que des efclaves. Se voyant ravir le fruit de leurs travaux , réduits k ne pouvoir vivre , ils vendoient leur liberté aux gens riches, qui déja maitres de leurs biens , devenoient propriétaires de leurs perfonnes. Si la dureté de la fervitude les forcoit k prendre la fuite, Manuel. XXXIII. Liberté rendue aux citoyensdevenus efclaves.Cinn. I. 6. e. 8.  Mak vei. XXXIV. Rerranchemenrsdes fètes. XXXV, Inclination de Manuel en faveur des Latins. 466 H I S T 0 I R E on les pourfuivoit, on les punifibii comme des efclaves fugitifs. Manuel, lans remédier k la caufe du mal, fe contenta d'en arrêter 1'erfet. II affranchit par Edit tous les habitants de 1'Empire qui étoient nés libres, tk leur rendit cette liberté naturelle , que fon mauvais gouvernement ne celToit d'anéantir. Le nombre des fêtes étoit tellement multiplié, qu'il reftoit dans 1'année peu de jours k 'Fexercice de la juftice; en forte que quantité de pro-f cès furvivoient aux plaideurs. II réforma ce défordre. II lailfa fubfifter les fêtes confacrées aux principaux myfteres de la Religion , ou k la mémoire de la Sainte Vierge& des Saints du premier ordre. II abolit les autres , ou les partagea de maniere que la matinée étoit employee au fervice divin, tk que 1'après-dïnée le barreau étoit ouvert, chaam pouvant vaquer aux affaires féculieres. f Nous avons déja parlé du defir que témoignoit Manuel de réunir 1'Eglife Grecque avec 1'Eglife Romafne. II ne prenoit lui-même aucune part au fchifme. Ses fentiments ne s'écar-  dtj B a s-Em p iR e. Liv. XC. 467 toient en rien de Porthodoxie , & le Pape Alexandre entretinr avec lui une étroite ccrrefoondance. Ce Pontife ayant convoqué le troifieme Concile de Latran , Manuel y envoya George , Métropolitain de Corfou , qui étant tombé malade a Brindes ou a Otrante , fut rappellé a Conftantinopie , pour aftifter k un autre Concile affemblé par le Patriarche. Nectaire, Abbé des Cafules, fe rendit k fa place au Concile de Latran. Manuel regut avec honneur Guillaume , Archevêque de Tyr, qui revenoit de ce Concile; il le fit conduire & efcorter par une efcadre de fes vaiffeaux jufqu'aü port d'Antioche. II avoit auprès de lui un interprête Latin , nommé Léon , dont Ie frere Hugues Ethérien vivoit a Conftantinopie fous la protection de l'Empereur, qui 1'écoutoit volontiers. Hugues difputoit contre les Grecs Schifmatiques, & réfutok leurs objecfions fur la procefiion du Saint-Efprit. II en compofa un livre qu'il envoya au Pape Alexandre. Nortéfis Catholique, c'efta-dire , Patriarche des Arméniens , qui n'admettoient qu'une nature en Je- Manuei.' Nicet. !. 7. c. 5 , 6, 7. Cm. I. 4. c. 16. /. 6. c. 2, 13Guill. Tyr. 1.11. c. 26. Baronius.  Makuei XXXVI. Manue Théologien. 468 H I S T 0 I R E fus-Chriit, écrivit a l'Empereur pour • lui demander des éclairciffements fur la doctrine, témoignant un grand défir de s'inftruire. L'Empereur lui envoya un Théologien habile, nommé Théonen , qui étant entré en conference avec ce Prélat, vint a bout de le ramener de fon erreur, & avec lui plufieurs Evêques d'Arménie. Ce zele k maintenir la pureté de la fci auroit mérité des éloges, s'il n'eut pas youlu être lui-même Théologien. C'étoit, comme nous 1'avons déja obfervé , une prétention des Empereurs Grecs d'être des doöeurs de 1'Eglife , & d'avoir la clef des écritures. Auffi jaloux de ce privilege que de leur couronne , ils décidoient en dernier reffort des points conteltés ; & malheur k celui qui ne fe foumettoit pas k leur fentiment; la dépofition èc 1'exil étoient le dernier argument du Souverain. Manuel, aufli redoutable dans la controverfe que dans la guerre, ne fouffroit pas impunément la contradiöion. Enivré de 1'opinion de fon favoir, que fes flatteurs admiroient , s'exprimant d'ailleurs avec facilité & avec grace, il  du Bas-Empire. Lh. XC. 469 aimoit a raifonner fur les Myfteres; k embarralTer les Théologiens; & fans égard k la Tradition, defpote dans 1'Eglife comme dans 1'Etat, il prétendoit faire valoir les interprétations qu'il donnoit aux livres faints. Les Grecs de ce temps-la tranfportoient dans 1'étude de la Religion les fubtilités de la Métaphyfique. Ariftote leur tenoit lieu de tous les Saints Peres. Les premiers hérétiques s'étoient attachés a des dogmes importants : leur objet étoit fubftantiel & palpable. Les nouveaux Grecs couroient après des ombres ; il ne leur reftoit que les cendres des anciennes héréfies, qu'ils remuoient fans ceffe. Aufli préfomptueux que frivoles ils difputoient, ils fe faifoient la guerre fur la nature , fur les opérations de la Divinité, &fetraitoient mutuellement d'hérétiques fur des points également incompréhenfibles aux uns & aux autres. Les Empereurs fur-tout fe flattoient d'être , s'il eft permis de parler ainfi, les confidents de 1'Etre fuprême, & de pénétrer dans 1'abyme de fes fecrets. Cette prérogative étoit fi bien établie dans 1'opinion publi- Manvel,  Manüei. Fin du Tomc dix-ncuvicme. 470 HiSTOiRS, &c. que , que Cinname, Hiftorien d'ailleurs aflez fenfé , dit férieufement, que ces hautes matieres ne font du reflbrt que des Prélats & des Empereurs. Je ne rapporterai pas les fujets de difcuflion oü Manuel perdoit fon loifir. Ils ne méritent pas plus J'attention des Leef eurs, qu'ils ne méritoient I etude du Prince. II fuftira de dire qu'il dépofa des Evêques, & defiitua d'autres perfonnes en place , paree qu'ils ne penfoient pas comme lui. & qu'il drefla un formulaire qu'il fit foufcrire dans un Concile, avec menace d'excommunication & même de mort , contre quiconque oferoit non-feulement le contredire, mais même le foumettre a 1'examen.  EXTRAIT DES REGISTRES de t'Académie Royale des Infcriptions & Belles-Lettres. Du Mardi 2 Juillet 1776. MEffieu rs de 31 geais & BïJOT. Commiffaires nommés par 1'Académie 'pour 1'examen d'un Ouvrage manufcrit de M. Le Beau, intitulé : Hïftoire du Bas-Empire, Tomes XIX & XX, en ont fait leur rapport, & ont dit qu'après avoir examiné cet Ouvrage, ils n'y ont rien trouvé qui dut en empêcher 1'impreffion. En conlequence de ce rapport & de leur approbation par écrit, 1'Académie a cédé a M. Le Beau fon droit de Privilege pour rimpreffion dudit Ouvrage. En foi de quoi nous avons figné le préfent Certificat. A Paris, au Louvre, ce Mardi 2 Juillet 1776. Signé , DU Y,-Secretaire perpétucl.