HISTOIRE D U B ASEM PI RE. T O ME V I N G T I E M E.   HISTOIRE D U B AS-EMPIRE, EN CO MMENgANT a CONSTANTIN le Grand. Par Monfieur L E BEAU, Profejfeur Êmérite en FUIf iv e r sit É de Paris ï Profejfeur d'Éloquence au College Royal, Secretaire ordinaire de Monseigneur le Duc d'OrLÉans , & ancien Secretaire perpétuel de l'Académie Royale des Inscriptions et Belles-Lettres. TOME VINGTIEME. A MAESTRICHT, Chez Jean-Edme Dufour & Phil. Roux, Imprimeurs-Libraires, aflociés. M. DCC. LXXX.   SOMMAIRE D V LIVRE QUATRE-VINGT- ONZIEME. ï. EtaT de f Empire a la mort de Manuel. H. Commencement £Alexis. III. Nouveaux dejjeins d?'Andronic. IV. Andronic fe rapproche de la Cour. V. Mïcontenttment général. vi. Conjuration contre le Protofébajle. vil. Grand tumulte a Conjlantinoplc. vin. Guerre ouvertc au milieu de Conjlantinople. IX. Le Patriarche confervé malgré le Protofébajle. x. Marche d'Andronic. XI. Andronic devant Conjlantinople. XII. Traitement fait au Protofébajle. XIII. Maffacre des Latins dans Conjlantinople. XIV. Le Patriarche devant Andronic. XV. Entrée £'Andronic. XvL Méchancetés d'Andronic. XVII. Oppojition de Jean Vatace a la tyrannie cCAndronic. xvili. Couronnement du jeune Alexis. XIX. Mort de. tlmpéraTomi. XX. A i  2 S O MM AI RE DU LlV. XCIe. irice Marie. xx. Théodofe quitte k Jiege de Conjlantinople. xxi. Manege £'Andronic pour fe faire Empereur. xxil. Couronnement £'Andronic. xxili. Mort d'Alexis. XXIV. Andronic èpoufe Agnts, veuve £ Alexis. XXV. Les Prélats donnent Cabfolution a Andronic. XXVI. Malheureufe entreprife de Lampardas. xxvil. Amufements £ Andronic. xxvill. Siege de Nicée. XXIX. Siege de Prufe. XXX. Ifaac fe retire en Cifle de Cypre. XXXI. 11 y prend le titre £ Empereur. XXXII. Vengeance £ Andronic fur les amis d'lfaac. XXXIII. Difgrace £Alexis , jils naturel de Manuel. XXXIV. Nouvelles cruautés. XXXV. Prife de Duras & de Theffalonique , par le Roi de Sicile. XXXVI. Inutile armement des Grecs. XXXVII. Conduite £ Andronic. XXXVIH. Traité £ Andronic avec Saladin. XXXIX. Preparaties £'Andronic. XL. Edit cruel. XLI. Andronic confulte le fort fur fon fuccefftur. XLII. Hagiochriflophorite veut prendre Ifaac, & efl tué lui-même. XLIII. P roclamation £ Ifaac. XLiv. Fuite £ Andronic. XLV. Prife & mort £ Andronic. XLVI. Bonnes qualités £ Andronic.  Hl STOIRE D U B AS E M P I RE. L1VRE QUA TRE - VINGT - ON ZIE ME. ALEXIS COMNENE II. ANDRONIC. Les trois premiers Comnenes avoient relevé 1'Empire qui penchoit vers fa ruine. Leurs exploits les avoient rendus redoutables au-dehors. Maïs plus occupés de la gloire que du falut de 1'Etat, ils ri'avoient pas aflez travaillé a en A ij AL1.XIS II. An. 1180. I. Etat de 1'Empire a la raort de ManueS.  Alexis II. An. nSo. 4 Histoire guérir les maladies; & tandis qu'ils repouffoient les barbares ., & qu'ils réparoient les breches de 1'Empire, ils avoient été trop peu attentifs k réprimer les ennemis intérieurs, plus dangereux encore, qui en minoient les fbndements. Le luxe'& la rapine , compagnons inféparables , la mifere & 1'indignation fecrete des peuples accablés d'impöts, & déja révoltés dans le coeur , la corruption des Miniftres qui vendoient & la juftice & l'injuftice & le Prince même , 1'ignorance de la religion , dont de vaines fuperftitions avoient ufurpé la place, la débauche qui regne plus impérieufement que le Monarque, lorfqu'elle s'affied avec lui fur le tröne, tous ces défordres mena^oient des derniers malheurs, fi le ïucceffeur n'y apportoit un prompt remede. Mais c'étoit un miracle audeffus de 1'age & du génie d'Alexis, fils de Manuel. Son regne eft 1'époque fatale de la première deüruöion de 1'Empire Grec. Tous les reflbrts de 1'autorité Impériale s'étant relachés entre les mains d'un enfant , les incurfions des barbares d'Orient  du Bas-Empire. Llv. XCI. 5 & d'Occident, les révoltes fréquentes des Seigneurs ambitieux, 1'ava• rfce des Miniftres , la molleffe, la tyrannie , les meurtres, les perfidies des Souverains qui fe trahiffoient fucceffivement, acheverent d'abattre une puiffance ébranlée depuis fi longtemps, jufqu'a ce qu'enfin elle fut envahie par les Latins. Alexis n'avoit que onze ans, lorfqu'il perdit fon pere , & avec lui toutes fes reflburces. Marie, fa mere, voyant Manuel fans efpérance , n'avoit pas attendu fa mort pour fe retirer dans un Monaftere, oü elle avoit pris 1'habit de religieufe avec le nom de Xéné. Mais jeune encore, auffi légere tk auffi ambitieufe qu'elle étoit belle, elle avoit bientöt efluyé fes larmes; & fous prétexte de guider fon fils dans un age fi tendre, elle quitta au bout de peu de jours un habit & un nom qui ne la dédommageoient pas des plaifirs & des grandeurs dont elle s'étoit fait une trop douce habitude. Elle prit donc en main la tutelle de fon fils. Mais la tendrefle maternelle n'étoit pas fa paffion dominante. Alexis ProtoféA i ij Alexis II. An. n8o. II. Comraencementd'Alexis. Nicet. c. 1. Guill. Tyr. I. 2.2. C. 10) ii. Rogsr Je Hov. Leo allaü. de confenfu Eec, l, 2. C 13.  Aiex:s 11. An. 1180. 6 HlSTOIRE bafte, fils du défunt Andronic, & neveu de Manuel, lui en avoit infpiré une autre beaucoup plus vive du vivant même de fon mari. II partagea avec elle tout le pouvoir; & la curiofité libertine de la Cour découvrit aifément qu'entre eux la liaifon politique n'étoit pas la plus intime. Mais, fur un théatre li corrompu, cette intrigue caufoit moins de fcandale que de jaloulie. Les courtifans étoient divifés en trois clafles. Les uns, idolatres de la Princeffe,& plus efFéminés qu'elle-même, ne fongeoient qu'a fupplanter dans fes bonnes graces le Protofébafte ; c'étoit leur unique affaire. L'oeil enflammé, la flatterie fur les levres, en pofture d'efclaves, & vraiment efclaves de leur paflion, ils rampoient aux pieds de 1'Impératrice, étudiant tous fes mouvements, épiant fes moindres regards, qu'ils s'emprelïbient d'attirer fur eux par leur magnificence ; ils ne déroboient k cette adoration fervile, que le temps qu'ils donnoient au foin de leur iniidieufe parure : ames énervées, dignes du mépris de leur idole. D'autres, plus  du Bas-Empire. Liv. XCL 7 férieux & plus fombres, profltoient de la diftraction que ces galanteries faifoient aux affaires, pour piller le fifc &c les fujets; & prévoyant bien que ces amufements frivoles fe termineroient par quelque cataftrophe funefte, ils fe hatoient de s'enrichir a force de vols & de concuffions, pour avoir de quoi jouir lorfqu'il ne reiteroit aux autres que le défefpoir. D'autres enfin plus hardis afpiroient a la fouveraineté, & tramoient fourdement des complots pour faire tomber un enfant, Si fe mettre a fa place. Tous fe réuniffoient contre le Protofébafte, dont 1'infolent orgueil infultoit a toute la Cour. On difoit même que Marie, pour faire régner fon amant, avoit fait avaler du poifon a fon fils; mais que les médecins en avoient empêché reffet. Dans 1'agitation de tant de cabales , nul ne s'occupoit de 1'éducatiön du jeune Prince. Abandonné a lui-même, emporté comme une feuille légere au milieu des tourbillons de la Cour, perdu dans les voies tortueufes de diverfes intrigues, a chacune defquelles ii prêtoit fon nom fans le faA iv ALExrs II. in. n So  Alexis II. An. li80. An. 1181. III. Nouveau* n. II écrit lettre fur lettre au jeune Alexis, au Patriarche Théodofe, k tous ceux qu'il croit chérir encore la mémoire du défunt Empereur. II exagere 1 abus que le Protofébafte faifoit dun pouvoir ufurpé ' A yj Alexis II. An. n8i,  Alexis II. In. 11S1'. i i li HlSTOIRE !e danger évident du jeune Prince, ^e déshonneur dont un indigne favori FlétrilToit la maifon Impériale , paf[ion honteufe qui failbit rougir tout 1'Empire, & que la renommée puDÜoit dans toutes les villes, dans tou:es les Cours étrangeres jufqu'au bout :lu monde. Andronic n'étoit jamais dIus éloquent , que lorfqu'il em)loyoit le déguifement & le menfon?e. Hypocrite efFronté, il abufoitmêiie des divins oracles , & avoit touoürs a la bouche quelque paffage de Saint Paul. II fut donner a ces re3roches fanglants tant d'énergie 5 qu'il ;mbrafa tous les coeurs. On oublie :ous fes crimes; 1'infortune & une !ongue expérience or.t enfin changé fes mceurs; c'eft maintenant le patron ie la vertil. Son puiffant génie, -fon tele pour 1'honneur & le falut de 1'Emjire, en' font 1'unique relfource. On 'invite, on lattend avec impatience. :1 quitte (Enoé, & entre en PaphlaTonie. Par-tout oü il paffe, il expcfe e ferment qu'il a fait; c'eft pour 1'ac;juit de fa confcience qu'il va tirer de >éril lè fils de fon maitre chéri. Son 3affage eft fêté par toutes les villes,  dv Bas-Empire. Liv. XC'L 13 Andronic eft i'Ange exterminateur des tyrans. Les mécontents s'affemblent en foule autour de lui. Mais ne fe trouvant pas encore affez accompagné, il s'arrête fur la frontiere de Bithynie, pour attendre que les défordres de la Cour foient parvenus a leur comble. On eüt dit que le Protofébafte étoit d'intelligence avec Andronic contre lui-même. Loin de prendre des mefures pour arrêter ce commencement de révolte , & pour fe concilier les efprits, aveuglé par fon orgueil & par les faveurs de 1'Impératrice, il fe rendoit de plus en plus odieux. II éclipfoit le Prince & fon Confeil: jaloux de 1'autorité fouveraine, il vouloit être non le canal, mais la fource de toutes les graces. II diöa au jeune Empereur un édit qui portoit, que tous les ordres quelconques, quoique fignés de la main du Prince, n'auroient d'exécution , qu'après que le Protofébafte y auroit ajouté fa foufcription avec 1'encre verte en ces termes : Soit fait ainfi qu'il ejï ordonné. Muni de ce pouvoir abfolu, il ne ménagea pkis rien. Tous Alexis II. In. 11S1. Ka. nSi. V. Mécon:entenent géléral.Nicet. c, 4,  AlEXIS II. An. u82. VI. Conjuration contreleProtofébafle.Ntcct. c. .d, J» 6, 7, 8. i i < 1 14 H I S T 0 I R E les^tréfors de 1'Empire, qui avoient coüté aux Empereurs précédents tant de larmes & de malédictions, difparurent entre fes mains & en celles de 1'Impératrice mere, qui les diffipoit en fêtes, en feftins,en batiments de caprice, enaveugles profufions. Tant de fujets de mécontentement aigriffoient les efprits. Tous les yeux fe tournoient vers Andronic. On 1'attendoit comme le fauveur de 1'Empire. Les Seigneurs Pappelloient par des mefTagers continuels, & lui reprochoient fa lenteur; ils lui proteftoient qu'il feroit recu a bras ouverts, & ne trouveroit nulle oppo-. Stion. Dans la chaleur de tant de follicitations-, il n'en étoit point de plus empreffées que celles de Marie, fïlle Je Manuel, & femme du Céfar Jean. Cette Princeffe , fiere & pleine de rourage, indignée de 1'infolence du Protoiébafte , & plus encore de la üpériorité qu'il afteöoit fur elle, ne refibit d'aiguillonner Andronic, qui ie clifféroit que pour fe faire defirer lavantage. Impatiente & incapable le déguifement, elle s'oppolblt en.  du Bas-Empire. Liv. XCl. 15 face au Protofébafte ; elle n'oublioit rien pour le traverfer ; elle forma une ligue de fes ennemis. Les principaux étoient Alexis Comnene, fils naturel de Manuel, Andronic Lampardas, guerrier eftimé, Manuel & Jean, fils légitimes de ce même Andronic qu'on appelloit avec tant d'inftance, Jean Camatere, Préfet de Conftantinople. Plulieurs autres Seigneurs entrerent dans ce complot. Tous jurerent de veiller a la füreté de 1'Empereur , & de détruire le Protofébafte. On n'attendoit que 1'occafion. On fe flatta de le trouver le famedi de la première femaine de carême, jour de la fête de Saint Théodore, que le Protofébafte devoit aller célébrer dans l'Egiife de ce faint Martyr. Tout étoit préparé ; on avoit appofté des affaffins. Le coup manqua par quelque aventure, & plufieurs femaines après le complot fut découvert. Les conjurés ftirent arrêtés & mis en prifon; ils n'attendoient que le fupplice» Marie, qui les avoit précipités dans ce malheur, étoit trop ardente pour les abandonner. Après plufieurs jours de follicitations inutiles auprès de Alexis II. An. 1182 vn. Grand tumulte a Coiiflansinople.  Alexis II. An. ii 82 16 111 s t o i r e ' 1'Empereur &c de fa mere, elle leve le mafque, & eourt avec fon mari a lEglife de Sainte-Sophie, en criant a haute voix : A moi, citoyens, fecoure^ la fille de votre Empereur contre une mardtre & un indigne favori. Le Patriarche & le Clergé, touchés de compafTion, lui ouvrent les portes; le peuple accourt en foule. L etat déplorable d'une fille & d'une foeur dEmpereur tire des larmes k tous les affiftants. Marie, les voyant attendris, leur infpire la hardieffe de combattre pour elle , en fortifiant par des largefTes le pathétique de fes difcours. On gémit, on s'irrite , on court aux arm es. Dans cette allarme, 1'lmpératrice effrayée lui envoye offrir le pardon. Elle répond fiérement, que c'ejl a elle a le donner; que le Protofébajle ejl le coupable ; qu il veut faire périr tEmpereur, 6* fe rendre maitre de VEtat : que fon adminiflration pernicieufe a dej,a ruiné les affaires ; qu'elle ne lui fera grace qu'aprks quil aura mis en liberté les prifonniers, & qu'il fera dépouillid'un injujle pouvoir dont il abufe. L'Empereur, que le Protofébafte faifoit parler k fon gré , envoye ordr.e  du Bas-Empire. Lh. XCI. 17 a Marie de fortir de 1 'afyle, & la menace de 1'en faire fortir par force. Elle répond par un dén"; 6c pour fe mettre en état de défenfe, elle pofte des gardes aux portes, elle garnit de foldats toutes les fenêtres. L'Eglife devient une place de guerre. Outre une multitude de Grecs, prêts a mourir pour elle, une troupe de gladiateurs Italiens, qui fe trouvoient alors a Conftantinople , un grand nombre d'Ibériens , qui s'y rendoient tous les jours pour le commerce, gens féroces & déterminés, viennent lui of.frir leurs fervices. Elle en fait une armée. Le Patriarche, voyant le lieu faint changé en champ de bfltaille, veut en vain appaifer la Princefle par de fages remontrances. Au-lieu de 1'écouter, elle entraine le Clergé mê.me dans fon parti. Trois Prêtres, la croix a la main, fe mettent k la tête des féditieux. Ils traverfent toutes les rues, toutes les places de la ville, vomiflant mille injures contre le Protofébafte 8c 1'Impératrice. Le peuple fe joint a eux. On pille, on abat le palais du Protofébafte, 6c les maifons de tous ceux qu'on croit ctre fes amis. Alexis 11. An. 1181,  Alexis II. An. n8a. VIII. Guerre ouverte au milieu de Conftancinople. 1 i HlSTOIRE Le Préteur Théodore avoit pris Ia fiiite : la fureur fe décharge fur fes meubles, fur fes équipages, tout eft réchiit en poudre. On n'épargne pas même les regiftres publics , qu'on brüle après les avoir mis en pieces. Ces violences continuerent plufieurs jours. Ne fe trouvant pas aflez de foldats a Conftantinople pour oppofer aux révoltés, il fallut faire venir les troupes difperfées au-dela du Bofphore. Lorfqu'elles furent raflemblées, on les logea dans le palais, & Pon fit les préparatifs pour afheger Sainte-Sophie. Le Céfar , de fon cóté, fe difpofoit k la défenfe. II fit abattre plufieurs maifons contiguës, qui pouvoient favorifer les affiégeants. II fe fortifia dans plufieurs autres édifi:es de 1'Auguftéon, place immenfe 5_ui s'étendoit entre le palais Impérial & Sainte-Sophie; il en fit autant ie citadelles. Le 7 Mai 1'attaque comnen9a , & les foldats de 1'Empereur, i'étant emparés de 1'Eglife de Saint[ean 1'Evangélifte , dont le toit étoit "ort élevé, foudroyoient de-la les roupes du Céfar; & la grande pla:e étant remplie d'une foule de pea-  du Bas-Empire. Liv. XCl. 19 ple, aucun coup n'étoit perdu. Le peuple fuit; les Impériaux ferment les iffues de toutes les rues qui rendoient dans la place. Les révoltés fortent fur eux. II fe livre un grand combat dans lequel les révoltés font repoufles dans Sainte-Sophie. On les y affiege. Le Patriarche, craignant la profanation du lieu faint, fe montre aux afüégeants dans fes habits pontificaux avec le livre des faints Evangiles. La religion n'eft qu'un foible bouclier contre la fureur. Le Céfar, fuivi des gladiateurs & de fes domeftiques, fait une vigoureufe fortie; les Impériaux reculent, plufieurs font blefTés, un feul eft tué. Tous font ferme; les révoltés rentrent dans 1'Eglife, & ks traits volent de part & d'autre. Audéclin du jour, les deux partis, également fatigués, fe repofent comme de concert. Le Patriarche profite de eet intervalle pour envoyer a 1'Impératrice; il la menace de la colere de Dieu, qui lui demandera compte du fang répandu fur fes autels, & du pillage des chofes qui lui font confacrés. La Princeffe Marie envoye en même-temps portar Alexis II. An. 11S2.  AtEXIS ir. An. ii 82. IX. Le Pa- ' triarche ' eonfervé 1 malgré le , Proiofé- ( balie. ! i 1 f \ c i: £ c P 13 P a h a° HlSTOIRE des paroles de paix. Les principaux Seigneurs s'entremettent de la réconciliation. La nuit fe paffe dans une dffiancf mutuelle, mais fans afte d'hoftiüté. Le lendemain, on cpnvint d'une amniftie abfolue & fans exception. Tout rentre dans le calme; cha:un fe retire dans fa maifon, & la auit fuivante le Céfar & la PrincefTe rortent de Sainte-Sophie, & retourient a leur palais. Ce n'étoit pas fans chagrin que le 'rotofébafte fe voyoit fans vengean:e. Plein de reffentiment , il cher:hoit une viöime. Le Patriarche n'éort point compris dans 1'amniffte, 1 n'en avoit pas befoin. Le fage Préat ne s'étoit déclaré pour aucun des eux partis; toutes fes démarches n'aoient tendu qu'a calmer la difcore. Cependant le favori, irrité de fon npartialité même, gagne, par argent - par 1'appas de la bonne chere, les lefs du Clergé. AiTuré de leur comlaifance , il en compofe une comuffion dans laquelle il fait entrer lufieurs Sénateurs corrompus, qui ^oient charge de condamner le Prét, il, i feul qui sintireffe a la confervation c eet enfant augujle : perfonne ne partai mes travaux & mes inquiêtudes; voi même, Saint Patriarche, vuus ne mafjij te\pas de vos confeils, quoique Manu vous ait recommandé fon fils, & qu vous ait même préfêré a fa familie pot yeus charger d'un dépot Jiprécieux. I B vj Alexis ÏL An. 1181. i » t e 'e le s d \i ir k  Alexis II. Aa. ii Sa. XV. Entree d'An'iro>k. Nic.c, 13. ; i 35 H r s t 0 r r e Prélat, impatienté de cette plainte hy~pocrite : Prince,. répondit-il, vous le fave{; je riai abandonnéla furveillance du jeune. Empereur, que lorfquil ria: plus eu befoin de moi; je Cai regardê comme mort, du moment qu'Andronic s'e/l chargé du foin de le conduire. Cette parole fit frémir Andronic ; ellefouilloit dans fes entraiiles. Et quentende^vous par-la ?. rep!iqua-t-il, en lui lancant une ceillade terrible.. Le Patriarche , pour ne pas ir-riter ce lion qui commencoit a rugir, couvrit comme il put fon imprudence : Je veux dire, répartit-ilqiïun Prince tel qu''Andronic a 'des talents de refle pour gouverner feul & 1'Empereur & l'Emoire, & qu il riappartient ni d unPritre ni d un vieillard tel que moi de s'in%érer d des fonclions qui demandent un héros. C'étoit vouloir guérir unebleffure par 1'onction de la flatterie, qu'un 3eu plus de circonlpection fe feroit ;pargnée.. _ Cependant les deux fils d'Androlic fe rendoient maïtres du palais , & >renoient lesmefures néceffaires pour ifTurer fon entrée. Tout étant prêt, 1 monta dans fon vaifleau; & tou«-  du Bas-Ëmpire. Liv. XCI. 3,7 jours hypocrite , il traverfa le détroit — en pronongant avec allégreffe ces pa- 1 roles de David: Reviens, mon ame, ^ au féjour de ion repos ; le Seigneur ta fauvée ; il a ejjuyé tes larmes ; il ta garand des pieges tendus devant tes pas. II fe rendit au palais de Mangane prés du rivage , oü 1'Empereur &c fa mere s'étoient tranfportés , comme il 1'avoit demandé. II fe profterna devant 1'Empereur avec le plus profond refpecl, & lui baifa les pieds, les baignant de fes larmes toujours prêtes k le fervir. Quant a 1'Impératrice mere , il ne la falua que par bienféance , & d'urt air qui montroit bien la hai-. ne qu'il lui portoit dnns le cceur, Après quelques moments , il fe retira dans la tente qu'on lui avoit préparée , autour de laquelle les principaux Seigneurs avoient fait dreffer ïa leur, chacun le plus prés qu'il avoit pu , s'emprefTant k 1'envi de marquer leur attachementa celui qu'ils regardoient déja comme leur maïtre. La nuit fuivante , on arrêta un miférable mendiant, qui s'avifa de venir a heure indue mendier fon pain auteur de la tente d'Andronic. Sa mau- LEXIS II. '. n Ss. \  Alexis u. An. i iSa 3S HlSTOlRF. • vaife mine & fon air hagard le fïrent prendre par les gardes pour un for, cier qui venoit jetter fur leur maitre quelque maléfice. Ils le tourmenterent toute la nuit, & le livrerent lë lendemain au peuple, qui, dans la chaleur de fon zele, traïna ce malheureux au théatre, & le brüla vif pour faire fa cour au libérateur. Au bout de quelques jours, Andronic voulut -voir le tombeau -de fon coufin Manuel. Arrivé au Monaftere du Pantocrator , il fe fit conduire au lieu de lafépulture. La fe tenant debout, il pleura amérement; & pouffant des fanglots & desgémifTements lugubres, il donna une grande idéé de la bonté de fon cceur, par ces marqués de regrets pour un homme dont il avoit été fi vivement perfécuté. Comme fes parents vouloient 1'arracher d'un fpeftacle fi affligeant : Laife^ - moi , leur dit-il, & retirt^vous; j'ai quelque chofe d lui dire -en particulier. On .s'écarta; on le vit les mains étendues, les yeux fixés fur le marbre, remuant les levres & murmurant des paroles qu'on n'entenditpas. Les plus fimples -crurent qu'il prioit pour 1'ame de  nu Bas-Empïre. Lh. XCI. 39 Manuel ; d'autres, qu'il le maudiffoit, &C qu'il inliiltoit k fes cendres. Dès qu'il fe vit le maïtre, il donna un libre cours a fes méchancetés. S'étant mis en poffeiTion de tous les palais , qu'il voulut tous habiter, mais en paffant & comme un voyageur, il ne laiffa au jeune Empereur que les divertifTements & la chafTe, ie tenant toujours environné de gardes qui fuivoient tous fes pas, & ne permettoient k perfonne de 1'approcher. II chafTa du palais tous ceux dont le courage ou la prudence pouvoient lui donner quelque ombrage. Tous les honneurs, toutes les graces furent réfervées aux Paphlagoniens & a ceux qui avoient fervi fon ambition. Les perfonnages recommandables par leur mérite , furent les pliu maltraités. La NoblefTe , les actions de valeur, la réputation de vertu étoieal des crimes. II n'y avoit pas jufqu'aus avantages de la figure qui piquoieni fa jaloufie. Malheur a ceux dont ï avoit autrefois regu le moindre déplaifir. II n'oublioit rien que les bienfaits. Tous ces gens-la, quelque irTéprochables qu'ils fufïent., étoiem ALEXIS II. An. n8i. XVI. Méchancetésd'Andronic. NU. c. 14,  Alexis il. n. nSi. .1 1 ] 1 J I e e ■è F * i •q n i 4° HlSTOl&E chaffés de leurs maifons, bannis de leur patrie ;ëncore étoit-ce leur faire grace; la plupart avoient les yeux arrachés , ou périlToient dans les fers. La barbarie du Prince ouvrit la barrière a toutes les perfidies. On vit des freres, des fils , des peres nonfeulement abandonner au tyran ceux qui leur étoient les plus chers,mais les trahir eux-mêmes, les accufer Pavoir cenfuré la conduite du Prin:e, de le haïr, de plaindre le jeune Alexis. Souvent les accufés fe reournoient contre leurs accufateurs , es accufoient k leur tour, & les enrainoient avec eux dans les prifons, ean Cantacuzene attaquoit un Eutuque nommé Zita, comme ayant ntretenu le jeune Empereur du triile tat de 1'Empire; & dans la chaleur e fa délation, il fauta fur lui, en réfence d'Andronic , lui meurtrit le ifage a coups de poing, lui rompit )utes les dents , & lui déchira les leres. C'étoit un emportement de zele ui ne lui mérita que des louanges, lais bientöt Cantacuzene fut luilême coupable. On le convainquk 'avoir fait donner le bon jour par  du Bas-Empire. Ltv. XCL 41 un géolier a fon beau-frere Conftantin 1'Ange, détenu en prifon poui la caufe que nous raconterons dan; la fuite. Ce fut un crime de lefeMajefté; on lui creva les yeux; or le jetta dans un cachot ténébreux Perfonne n'étoit afTuré de fa liberté, ni même de fa vie. Les courtifans , le< adorateurs d'Andronic trembloiem eux-mêmes, & croyoient a tous mo» ments entendre la foudre gronder fui leurs têtes. Ceux qu'il avoit embraffés la veille , étoient maffacrés k lendemain. Rien n'étoit plus commun que de voir décapiter le foii un homrne qu'on avoit couronné k matin. Aufli les gens éclairés redoutoient les careffes ffApdromc comme Pannonce de quelque outrage ; fe; largefTes, comme un pronoftic ét confifcation; fes éloges, comme unc fentence de mort. On ne s'étoit pa« encore . douté qu'il fut habile empoifonneur. Marie, fille de Manuel, en fit épreuve la première. Elle avoii la première fignalé fon emprefTemeni pour le retour d'Andronic, jufqu'è expofer fa propre vie : un de fe< Eunuques la fit mourir par un poi- Alexis II. An. 11 Si,  Alexis II. An. nSz, XVII. Oppofi tion de Jean Vatace a la tyrannie d'Andronic, Nic, c, i6. 42 UlSTOIRE fon lent, qu'Andronic lui avoit mis entre les mains. Le Céfar fon mari la fuivit de prés. Les grands périfToient; les petits étoient épargnés; il afFecloit d'être populaire. Mais les Provinces étoient dans un état très-malheureux. Aux maux de la tyrannie fe joignoient les défolations de la guerre. Le Sultan d'Ieone avoit redouté 1'infatigable courage de Manuel ; après fa mort, il repris Sozopolis, s'empara des places voifines , forca, par un long fiege, la grande ville d'Attalie, faccagea Cotyée, & conquit des Provinces entieres. Ce n'étoit pas cependant pour Andronic 1'ennemi le plus a craindre. Jean Vatace, frere de eet Andronic, tué prés de Néocéfarée dans le temps de la bataille de Myriocéphales, guerrier vaillant & habile , qui avoit défait les Turcs au bord du Méandre, étoit a Philadelphie, alors capitale de Lydie, dont Manuel lui avoit donné le gouvernement. On le foupconnoit d'afpirer lui-même a 1'Empire. Soit par cette raifon , foit par haine du tyran, il fe déclara ouvertement contre Andro-  dv Bas-Empïre. Lh. XCL 43 nic , méprifa fes ordres , & répondit : par des menaces k celles de 1'ufurpateur. Cette hardiefTe alluma dans les ; villes d'Afië Ie feu de la difcorde. Toutes étoient divifées en deux partis, qui fe faifoient 1'un a 1'autre une guerre meurtriere. Andronic fit marcher des troupes, & mit a leur tête Lampardas. Vatace, alors malade, fit fortir les fiennes de Philadelphie, & les donna k commander a fes deux fils Manuel & Alexis. Le combat fut opiniatre ; il fe faifoit de part & d'autre un grand carnage. Vatace , au défefpoir de fe voir comme enchainé par fa maladie, moins enflammé de la fïevre ardente qui le dévoroit, que du defir de montrer k Andronic a quel ennemi il avoit affaire , fe fait porter dans fon lit fur une éminence d'oii il voyoit la bataille ; & de-la il envoye k chaque inflant des ordres k fes fils, & dirige tous les mouvements. Ce guerrier prefque mourant, remporta une vidfoire complete; 1'armée ennemie fut entiérement difïïpée. Peu de jours après, Vatace expira, & fa mort changea tout k Philadelphie. Les habitants députerent k An- Alexis n. Ln. 1181.  44 Histoire dronic. reipttant trvnto lo Alexis II. An. 11S2 XVIII. CouronnementHu jeune Alexis. hoftilités fur Vatace & fes fils. Ceuxci, craignant le relTentiment du tyran, vont fe jetter entre les bras du Sultan d'Icone. Mais ne lui trouvant pas affez de chaleur'pour époufer leur querelle , ils prennent le parti de fe retirer en Sicile. Ils fe mettent en mer, & font jettés par la tempête fur les cötes de 1'ifle de Crête : ils y font reconnus & arrêtés; on les conduit au Gouverneur, qui auroit bien voulu les fauver. Mais leur aventure avoit fait trop d'éclat; c'eüt été s'expofer a toute la colere d'Andronic. II lui donna donc avis qu'il les avoit entre les mains, &c en recut 1'ordre de leur faire ere ver les yeux; ce qui fut exécuté. Andronic triomphoit de joie. La mort de Vatace étoit, felon lui, un bienfait du Gel, qui combloit de fes bénédiöions fon entrée au miniftere. Affeclant un zele ardentpour le jeune Prince, iltrouvoit fort mauvais qu'on ne 1'eüt pas encore couronné, quoiqu'il eüt déja regu la couronne du vivant de fon pere au moment de fon mariage. II fit tout préparer pour  du Bas Empire. Liv. XCI. 45 cette augufle cérémonie; & comme fi le char le plus magnifïque n'eüt pas été digne de 1'Empereur , il le porta lui-même fur fes épaules a 1'Eglife, &C le rapporta de même au palais, verfant des larmes de tendrefle. Le peuple, toujours dupe des démonftrations extérieures , admiroit eet exces d'un amour plus que paternel: Andronic étoit le plus ferme foutien de 1'Empereur; & cependant ce même Andronic étoit un traïtre & un impitoyable bourreau , qui ne prenoit le pupille entre fes bras que pour Pécrafer contre terre. Maitre de toutes les affaires, dont il avoit écarté les principaux Seigneurs , il avoit a craindre dans 1'Impératrice Marie le crédit naturel que donne fur un jeune Prince la qualité de mere. Elle s'étoit rendue méprifable par fes galanteries ; il prit foin de la rendre odieufe même k fon fils. II ne ceffoit de lui infinuer que fa mere étoit fon ennemie, ainii que de 1'Etat; qu'elle traverfoit par fes intrigues les deffeins les plus falutaires. II feignit même de vouloir fe retirer; & par fes émifTaires, il fut fi Ai.exis IL An. i»8i, An. 1 [83. XIX. Mort de rimpératrice Marie. Nic. c. 17. Idem in Andron. i. 2. c. 6.  Alexis II. An. HS3. 46 IJlSTOIRS fi bien animer les efprits contre cette Princeffe, qu'on 1'infultoit en face par les injures les plus atroces. Le Patriarche Théodofe, plus par devoir que par eftime, confervoit pour elle les égards dus a la majefté Impériale , & ne pouvoit confentir a la voir fortir du palais. Ce jufte ménagement irrita le peuple; fa maifon étoit fans cefTe environnée d'une foule tumultueufe, qni lui reprochoit de foutenir le fcandale & le fléau de 1'Empire. II fut donc obligé de fe renfermer dans le lilence. Pour donner quelque forme juridique au traitement qu'on vouloit faire a. 1'Impératrice, Andronic afTembla un Confeil, compofé de la jurifdiction du palais. Lorfqu'on en fut venu aux opinions, tröis d'entre les Juges, qui n'étoient pas aveuglément livrés aux volontés dutyran, déclarerent, qu'avant que de prononcer, ils vouloient favoir, G c'étoit par 1'ordfe de 1'Empereur qu'on alloit juger fa mere. Cette réquifition blefTa vivement Andronic: Les voild, s'écrie-t-il, les malheureux Confeillers du Protofébajle ; voild fes indignes coopérateurs; qttonsaffure de leurs  du Bjs-Empire. Liv. XCT. 47 < pcrfonnes. Les Varangues approchoient ] pour les faifir. Le peuple, qui affiftoit a cette audience, fe jette entre J eux & les Juges, non pas pour fau1 ver ceux-ci, mais pour les maltrai1 ter & les mettre en pieces. II les i lauva cependant fans le vouloir. les Juges , s etant débarraffés des mains I de cette multitude , eurent le bon; heur de regagner leurs maifons; Sc I Andronic , content de s'en être dé; livré , ne fongea pas a les pourfui| vre. Cette violence excita 1'indignai tion de plufieurs Seigneurs. Ils concertent enfemble , & s'engagent par : ferment a ne point prendre de fom■ meil, qu'ils n'ayent öté la vie a Andronic. Les chefs du complot étoient 1 Andronic 1'Ange & le grand Duc Contoliéphane, tous deux fecondés de leurs fils pleins de courage Sc de har,dieffe. Bafile Camatere, Intendant 1 des Poftes de 1'Empire, & plufieurs autres Seigneurs, entroient dans cette : conjuration. Elle fut découverte prefque en même-temps que formée. La maifon de 1'Ange fut aufïï-töt inveftie; mais il eut 1'adrelTe de s'échapper, Sc fe fauva avec fes fils dans Alexis II. An. 11S3,  Alexis II. An. 1183. 48 HlSTOIRE une barque de pêcheur. Contoftéphane fut pris avec quatre de fes fils, ainfi que Bafile Camatere. On leur creva les yeux. On fit le même traitement a plufieurs autres fans les avoir convaincus, mais fur un fimple foupcon. Andronic faifit cette occafion pour fe défaire de tous ceux qui lui étoient fufpects. II n'épargna que ceux qui lui jurerent un dévouement fans réferve. Alors, ne craignant plus d'oppofition, il fit arrêter 1'Impératrice. Elle fut trainée avec ignominie dans un fombre cachot, dans lequel, expofée aux infultes d'une garde infolente, privée de nourriture, elle attendoit a tous moments le coup de la mort. Cependant on inftruifoit fon procés. Elle fut accufée d'avoir follicité fon beau -frere Béla, Roi de Hongrie , a faire incurfion fur les terres de 1'Empire , & a tenter une entreprife fur les villes de Branifoba & de Belgrade. Ses Juges n'avoient pris féance que pour la condamner, fans même entendre fes défenfes. Ils prononcerent qu'elle méritoit la mort; & cette injufte fentence fut préfentée par Andronic au jeune Empereur, qui,  du Bas-Empi&e. Liv. XCI. 49 qui, tremblant pour lui-même, iigna '. de fa propre main la condamnation de fa mere. Andronic choifit pour _ préüder au fupplice, Manuel, fon fils aïné, & le Céfar George, fon beaufrere. A lafeule propofition , ces deux Princes fe récrierent qu'ils n'avoient point eu de part a la condamnation de la PrincelTe, & qu'ils ne prêteroient pas leur miniftere a 1'exécution. Le tyran, auffi furieux qu'étonné de trouver auprès de fa perfonne une réfifiance fi hardie , s'emporta en injures'& en reproches. Frérniffant de rage, & fe dévorant luimême , il fe tint plufieurs jours renfermé dans fon palais. Mais il eüt été fans exemple que les ordres criminels d'un Souverain n'eiüTent pas trouvé d'exécuteurs. Conftantin Tripfyque, Commandant de la garde étrangere, & 1'Eunuque Pterygionite, qui avoit empoifonné Marie, fceur de PEmpereur, fe firent un mérite d'étrangler fa mere. Le cadavre fut jetté dans la mer; & cette Princeffe adorée, qui pafToit pour la rnerveille de fon fiecle k caufe de fa beauté, n'eut point d'autre fépulture que le fable Torni XX, C Alexis II. In, 11S3.  Alexis II. An. 1183 XX. Théodof quitte 1 lïege de Conftentinople.Nic. c. 15 Hoger c Hov. Pagi a Bar. 5° HlSTOIRB ■ du rivage. Andronic fit effacer tous fes portraits; il n'en laiffa fubfifler . qu'une ftatue a laquelle il fit donner les rides, & toute la difformité d'une vieilleiTe décrépite. Toute la familie Impériale tomboit - autour du jeune Empereur : il ne : voyoit plus de foutien que dans le zele incorruptible du Patriarche Théodofe. La conltance du Prélat, tou- " jours oppofé au crime, fut la caufe même qui en délivra le tyran. An- 1 dronic , refpectant auffi peu les loix de 1'Eglife que celles de PEtat, réfolut de marier fa fille Irene , qu'il avoit eue de Théodora, avec Alexis, fils de Manuel, & de 1'autre Théodora fa concubine. Le mariage étoit afforti en un point, les deux époux étant également le fruit d'une liaifon criminelle. Mais il étoit doublement contraire aux canons, les deux peres étant coufins germains, & les deux meres au même degré de parenté entre elles. Andronic dreffa un cas de confcience figné de fa main, & 1'envoya au Synode. Ifdemandoit fi Pon pouvoit permettre un mariage qui s'icartoit un peu des regies canoni-  bv Bjs-Empire. Ltv. XCI. 51 ques, mais qui (Tailleurs apportoit k 1'Etat de grands avantages. On devina aifément les perfonnages intérefles, & ce fut une pomme de difcorde. L'Eglife Grecque ne connoiffoit point de difpenfe fur 1'article des mariages, & faifoit profeflion d'une rigidité inflexible a obferver les canons. Mais les Prélats courtifans, accoutumés aux tables des grands, & qui, afpirant a de plus riches Evêchés, étoient toujours prêts a vendre 1'Evaiigile k la fortune , trouvoient que Ce n'étoit pas même une queftion; & qu'une alliance illicite, altérant dans fa fource toute confanguinité, des batards ne pouvoient avoir entre eux aucun degré de parenté» D'autres, plus fcrupuleux, paree qu'ils étoient moins intérefies , rejettoient ces fophifmes de Cour; & s'attachant a la loi naturelle, condamnoient ce mariage comme inceftueux, C'étoit le fentiment du petit nombre, k la tête duquel étoit le Patriarche Théodofe. Andronic fentoit 1'importance de fon fuffrage. II mit en ceuvre tout ce qu'il avoit d'éloquence pour le perfuader; il en vint même aux meC ij Alexis U. In. uSj.  Alexis II. An. 11S3. XXI. Manege tl'AndrJj-.ic pour fe faire Empereur.Nic. c. iS. Rotert de &lcme (hr. 52 , H I S T 0 I X. E naces. Elles furent également inutiles. Mais Théodofe, voyant que le mauvais parti 1'emportoit, réfolut de ne pas proftituer fon miniftere, fortit de Conftantinople, & le retira dans 1'ifle de Térébinthe, oü il s'étoit bati un hofpice & un tombeau. Andronic n'eut garde de le retenir; charmé de cette démiffion volontaire, il fit célébrer le mariage par 1'Archevêque de Bulgarie, qui fe trouvoit alors a la Cour. II s'agifToit de remplir le fiege patriarchal. Les afpirants ne manquoient pas. Bafile Camatere , différent de celui dont nous avons déja parlé, emporta la place en promettant par écrit de fe prêter fans exception a toutes les volontés d'Andronic, & de ne rejetter comme illégal que ce qui pourroit lui déplaire. Tant de crimes ouvroient un large paffage a 1'ambition d'Andronic. II ne lui reftoit plus a détruire qu'un enfant, auquel il avoit enlevé toutes fes défenfes. L'artificieux ufurpateur voulut qu'on parut lui faire vioknce a lui-même, & que le jeune Prince fut 1'artifan de fa propre ruine. II fit re-  du Bas-Empire. L:v. XCI. 53 préfenter au Sénat par fes émiffaires que tout étoit en feu dans 1'Empire, & que pour l'éteindre on avoit befoin d'un chef habile, vaillant, expérimenté, capable de réunir le pouvoir fouverain avec les qualités qui en font toute la force; que la Bithynie étoit foulevée, Ifaac l'Ange & Théodore Cantacuzene dans Nicéi, Théodore l'Ange dans Prufe , ayant levé Vêundard de la révolte; que l'Etat ne voyoit de reffource que dans la tête d'Andronic ; que pour 1'armer de t autorité nécejfaire, il falloit la ceindre du diadême, & forcer ce Prince trop modcfie d partager la puijfance avec le jeune Empereur , qui foupiroit lui-même après un collegae dont il attendoit fon falut. Cette propofition étoit a. peine éuoncée, qu'on s'écria de toute part : Cefl ce que nous defirons tous depuis long-temps ; ce feroit un crime de différer : vivent, vivent Alexis & Andronic Comnenes, qu'ils foient immortels, toujourspuiffants, toujours heureux. A ces cris tout Conftantinople accourt au palais : jeunes & vieux, nobles , bourgeois, artifans , confondus enfemble , répetent avec tranfport cette acclamation tumultueufe. Deux Magiftrats, efclaC iij Alexis An. uS> I  Alexis li. An. 1183. 54 IIlST&IAE ves fecrets d'Andronic , s'élancent hors du Sénat; & pour lignaler leur zele par la plus indecente folie, ils jettent les marqués de leur dignité ; & s'étant couverts d'une robe blanche, comme des danfeurs de théatre , ils vont danfer au milieu des carréfours, & font danfer tout le peuple, menant ce branie extravagant, & entonnant a la louange d'Andronic une ehanfon ridicule, que mille voix repetent. Tandis que le peuple fe livroit a cette ivreffe, les gens fenfés, qui connoiffoient Andronic, gémiffoient en fecret, & prévoyoient les larmes oü cette aveugle joie alloit ks conduire. Andronic , feignant d'être étonné de ces clameurs imprévues, vient au palais de Blaquernes, & entre dansl'appartement d'Alexis, comme pour lui en demander la caufe. L'Empereur, fe voyant environné d'une foule de peuple qui proclamoit Andronic, croit n'avoir d'autre parti a prendre que de fe prêter a 1'enthouliafme univerfel; il invite Andronic a partager fa couronne. Andronic refufe 1'honneur qu'il defire avec paffion; & pour vaincre la ré-  du Bas-Emptre. Liv. XCI. 55 fiftance fimulée, les plus échauffés le ! prennent entre leurs bras, 6c le portent fur le Tröne. On le dépouille de fes habits pour le revêtir des marqués de la dignité Impériale. Le lendemain les deux Empereurs vont enfemble a Sainte-Sophie: Andronic portoit naturellement dans , fon air quelque chofe de fombre Sc de 1 farouche; mais ce jour-la tout dans fon vifage 8c dans fes regards annoncoit la douceur 8c la bienveillance. Sa férocité étoit rentree au fond de fon coeur. Le peuple en concevoit le plus favorable augure. Au moment de la proclamation, l'on changea 1'ordre obfervé la veille, Andronic fut nommé avant Alexis. II n'étoit pas raifonnable, difoit-on , de préférer un enfant k un vieillard refpeótable par fa prudence 6c par la fupériorité de fon génie , autant que par fes cheveux blancs. Le Patriarche Bafile fit la cérémonie du couronnement; 6c lorfqu'on en fut venu k la participation des faints Myfteres, le fcélérat qui portoit tout 1'enfer dans fon cceur , après avoir communié fous 1'efpece du pain avec une dévotion feinte 6c C iv Alexis II. in. nSj. XXII. Couronïemcnt1'Androïic.  Alexis II. Au. ii 83. XXIII. jMortd'Alexis. 50 HlSTOIRS facrilege, prit en main le calice, & levant les yeux au Ciel, puis les abaiffant vers les afïïftants ; Jeprotefe, dit-il, d'une voix haute entre-coupée de foupirs , & je prends d témoin le corps le fut le privilege d'être affis fur des >ancs k droite Sc k gauche a cöté d»  du Bjs-Empire. Liv. XCI. 61 Tröne de 1'Empereur. Mais cette diftinction ne fubfifla pas long-temps : Andronic s'ennuya bientöt de donner a fes féances Pair d'un Concile ; il ceffa de les admettre prés de fa perfonne; on leur refufoit même 1'entrée ; Sc ces Prélats courtifans, qui s'étoient payés d'unhonneur fi frivole , fe retirerent confus d'avoir vendu leur confcience a fi bas prix. Tout plioit dans 1'Empire fous la puilTance d'Andronic , a 1'exception de quelques Seigneurs cantonnés en Afie. Mais Lampardas , qui s'étoit fignalé par fa valeur fous le regne de Manuel, Sc qui avoit fervi fon fils avec le même zele, ne put fe réfoudre k fervir Pufurpateur. Tant qu'Andronic avoit paru attaché au jeune Alexis , ce guerrier s'étoit prêté k 1'exécution de fes ordres. II avoit combattu Vatace avec courage, quoique fans fuccès. Béla ravageant le territoire de Nyfle Sc de Branifoba, Andronic 1'avoit envoyé avec Alexis Branas pour repoufler le Roi de Hongrie, Sc il s'acquittoit vaillamment de fa commifTion. Mais lorfq^'il apprit le meurtre de fon Prince Andronic.An. n&3. XXVI, Malheu^ reufe erstreprifede Lampardas.Nicet. I. I. c. i. Du Cangefam. By\. p. 185.  Andronic.An. ii S3 62 HlSTOIRE ' légitime, animé d'une jufte colere, il réiblut de fecouer le joug du tyran. Comme fon collegue avoit déja envoyé fa foumiflion au nouveau Maitre , il vit bien qu'il n'avoit rien k efpérer de lui, & n'eut garde de s'ouvrir a lui de fon deffein. II feignit au contraire d'aller a Conflantinople, pour préfenter au nou vel Empereur Phommage de tous les deux; &c 1'engagea a demeurer en Illyrie pour y attendre fon retour. II prit le chemin d'Andrinople fa patrie, d'oü il gagna le bord de la mer, & s'embarqua pour 1'Orient. II avoit grand nombre d'amis en Afie, oü il avoit fait la guerre, & il efpéroit y trouver des foldats. Andronic, informé du voyage, en pénétra le motif, & en fut allarmé. II craignoit Lampardas dont il connoiffoit le courage ; il favoit qu'il étoit lui-même en horreur dans plufieurs Provinces, & que la révolte s'y répandroit aifément. II ufa d'artifice pour la prévenir. II écrivit en diligence a tous les Commandants des villes, que c'étoit par fon ordre que Lampardas paffoit le. Bofphore , & que fa rébellion n'étoit qu'une frinte  du Bas-Empire. Lh. XCI. 63 pour découvrir les mal-intentionnés; cfii'ainfi ils ne s effrayaffent ni de fes difcours , ni de fes manoeuvres. Ces lettres devinrent bientöt publiques, &c tous les peuples fe préparoient a fermer 1'oreille a eet efpion perfide. Mais il ne fut pas befoin de cette rufe. Lampardas, en débarquant au port d'Adramytte, fut arrêté par un homme puiffant en ce pays, nommé Céphalas, qui, pour faire fa cour an tyran , lui envoya fa vicfime pieds &c mains lies. Andronic lui fit crever les yeux, & le condamna a une prifon perpétuelle , oü il mourut peu après, avec le regret de laiffer 1'affafïïn de fon Maitre fur le Tröne, & 1'Empire dans Foppreffion. Sa femme Théodore Comnene fut enfermée dans un Monaftere , & contrainte, après la mort de fon mari, de faire profeflion de la vie religieufe. Dans la fuite, lorfqu'Andronic eut été maffacré, le Roi de Hongrie la demanda pour femme , & ce fut une queftion dans le Clergé de Conftantinople, fi elle pouvoit fans violer les canons , contracter ce nouveau mariage. Un Synode affemblé exprès t Andronic.An. nSj,  Andronic.An. 1183. XXVII. Amufementsri'Andronic. Nicet. I. 1. C. 2. An. 11S4. XXVIII. Siege de Nicée. NU, l.i. 2, 3- 64 HlSTOlRB décida que Théodore ayant fait fes yceux depuis la mort de fon mari, ne pouvoit s'en dégager. Délivré d'un ennemi tel que Lampardas , Andronic, plein de joie, alla palTer quelques jours en Thrace a Cypfeles, pour y prendre le plaifir de la chaffe. Dans ce voyage , il vifita h tombeau de fon pere Ifaac , enterré k Béra dans un Monaftere. II s'y rendit avec fa Cour , & affecia d y étaler toute la pompe de la majefté Impériale , comme pour montrer a fon pere qu'il poffédoit enfin ce qu'il avoit lui-même defiré ardemment, mais fans fuccès. II revint a Conftantinople aux fêtes de Noël qu'il pafTa en fpectacles ; & comme fa cruauté plus redoutable que les orages, fe repofa dans eet intervalle, le peuple difoit plaifamment, que ces jours-la pour 1'Empire ainfi que pour la mer, étoient les jours des Alcyons. Lopade , ƒ rufe & Nicée refufoient de reconnoitre Andronic. Dés que la faifon fut propre aux expéditions militaires , il fit revenir d'Illyrie Alexis Branas, qui afïiégea Lopade , & s'en rendit maïtre en peu de jours, II alla  du Bas-Empire. Llv. XCI. 65 enfuite joindre 1'Empereur devant Nicée. Cette ville faifoit une plus opiniatre réfiftance. Elle étoit environnée d'une forte muraille de briques. & garnie de toute forte de machines, Mais fa principale force étoit dan; Théodore Cantacuzene , qui s'y étoil renfermé avec Ifaac 1'Ange. Ce brave guerrier , réfolu de mourir plutot que de fe foumettre a un tyrar qu'il méprifoit, trouvoit dans les ha bitants une haine égale a la fienne & leur infpiroit fon courage. Secon dés d'une troupe de Turcs, que lSultan d'Icöne leur avoit envoyés ils repouffoient tous les alTauts, bri foient ou brüloientles machines d'Ar dronic, & dansdefréquentesforties ils portoient jufque dans fon cam la terreur & le carnage. Andronic a défefpoir s'avifa d'un ftratagême ir humain. 11 fefit amener de Conftanti nople Euphrofyne, mere d'Ifaac 1'Ai ge, la fit lier fur Ie bélier dont il 1 fervoit pour battre la muraille , i crut couvrir cette machine de la ph füre défenfe contre les feux qu'on lancoit du haut des murs. Mais 1< affiégés dans une fortie détacherei Andronic.An. 1184, l > t » P 1- ë is y fS It  Andronic.An. nS>j 66 HlSTOIRE ' cette femme , 1'enleverent dans Ia ville, & briderent le bélier. Ce fuc. cès admiré des ennemis mêmes redoubJa 1'audace des affiégés. Non contents de fe défendre avec un invincible courage, ils accabloient l'ufurpateur d'un torrent d'injures atroees, & d'autant plus fanglantes, qu'ils n'en pouvoient imaginer qu'il n'eüt méritées. Andronic, tel qu'un lion bleffé-, ie livroit a tous les tranfports de la plus extreme fureur, courant autour de la ville, s'arrachant la barbe, vomiffant mille imprécations contre fes Officiers, contre fes foldats qu'il traitoit de poltrons en les frappant outrageufement. Cantacuzene, auffi ardent, mais plus fage , fort fur lui a la tête d'une troupe d'élite, perce les premiers efcadrons, & court piqué baiffiée droit a Andronic ; mais fon cheval qu'il preffoit trop vivement, s'abat, & le laiiTe par terre tout froiffé & prefque fans vie. Les foldats d'Andronic fe jettent fur lui, le hachent en pieces, & lui tranchent la tête, qu'Andronic envoye a Conftantinople avec ordre de la porter par toutes les rues au bout d'une pi-  du Bjs-Empire. Liv. XCl, 6r que. La perte d'un fi brave Commandant confternoit les habitants, mais n'auroit pas abattu leur courage, s'ils en euflent trouvé dans Ifaac 1'Ange qui leur reftoit. Mais ce foible guerriêr, au-lieu de foutenir leur conltance, fut le premier a leur faire peutde la cruauté d'Andronic, & des bar.bares traitements auxquels ils devoient s'attendre, fi la ville étoit emportée de force ; ce qui étoit inévitable. L'Evêque, auffi timide, fe joint a. lui pour exhorter les habitants k fauver leur patrie plutöt que de s'enfévelir fous fes ruines. Les ayant enfin déterminés k fe rendre , il fort de la ville, revêtu de fes habits pontificaux, tenant en mainle livre desEvangiles , fuivi de fon Clergé & de tou: les habitants, hommes , femmes, enfants, tête & pieds nuds, portant tou: des branches d'olivier, & criant miféricorde. Andronic, étonné d'une f prompte foumiffion, les recoit avec un feint attendriffement, il les raflure par des paroles de paix , il pleun même avec eux. Mais dés qu'il ef dans la ville , il lache la bride k f; barbarie; Nicée eft faccagé ; peu d'ha Andronic.An. 1184. : !  Andronic.An. 11S4 XXIX. Siege de Prufe. Nictt. I. i, c 4. 68 HlÉTOIRE ■ bitants, fur-toutdes plus diftingués, évitent la mort; les uns lont paffes au fil de 1'épée, les autres précipités du haut des murailles. Les Turcs auxiliaires font pendus autour des murs. II ne fait grace qu'a 1'Evêque & _a Ifaac 1'Ange , qu'il loue de n'avoir pas imité Cantacuzene, & d'avoir même fait fes efforts pour arrêter fon infolente audace. Etoit-ce la vengeance divine qui lui infpiroit ces fentiments en faveur d'ïfaac , qu'elle réfervoit pour exercer fur Andronic même fes terribles jugements? L'exemple de Nicée ne découragea pas les habitants de Prufe. La ville fituée fur la pente d'une montagne efcarpée, ne donnoit accès que par une plaine du cöté du midi. Ce fut par-la qu'Andronic fit fes approches. Tandis que fes foldats fe retranchoient & dreffoient leurs machines, il fit jetter dans la ville plufieurs lettres par lefquelles il promettoit amniftie, fi on lui ouvroit les portes , & qu'on lui mït entre les mains Théodore 1'Ange , Lachanas & Synefe. C'étoient trois braves Capitaines qui commandoient dans Prufe. Ces offres  du Bas-Empire. Liv. XCI. 69 d'Andronic furent répétées plufieurs jours fans produire aucun efFet. Prufe ne cédoit a Nicée ni en réfolution, ni en haine contre le tyran. Elle étoit défendue par de fortes murailles flanquées de tours , & le mur étoit doublé du cöté de la plaine. Les forties qu'on faifoit tous les jours , coütoient beaucoup de fang aux deux partis. Un pan de mur abattu par les coups redoublés du bélier, tomba avec un fi grand fracas , que les affiégés s'imaginerent que la muraille s'écrouloit toute entiere. La terrtur fe répand de toutes parts; on abandonne la défeniè , chacun fe difperfe avec de grands cris, & fe barricade dans fa maifon. Les affiégeants profitent de 1'allarme; ils efcaladent les murs, ouvrent les portes, & donnent entrée a toute 1'armée. On pille , on tue, on égorge & les habitants & les troupeaux, qu'on avoit retirés dans la ville de toutes les campagnes voifines. Andronic, ravi d'avoir un prétexte d'affouvir fa cruauté, paree que la place étoit emportée d'affaut, fe repait de carnage , & fait fouffrir aux habitants tout ce que la rage peut inventer, On creve Andronic.An. 11S4.  Andronic.An. 1184. 70 IIlSTOlRÊ les yeux a Théodore 1'Ange , on le met fur un ane; on le conduit ainfï hors des limites de 1'Empire, & on 1'abandonne pour être dévoré par les bêtes féroces. Des Turcs moins féroces qu'Andronic le rencontrant en eet état, 1'emmenent dans leurs tentes, & panfent fes bleffures. Synefe, Lachanas & plus de quarante autres furent pendus a des arbres aux porfes de la ville. Prufe entiere n'étoit plus qu'une affreufe boucherie. On voyoit de toutes parts déchirer des membres, hacher des mains &c des pieds. Le tyran fe faifoit un divertifTement horrible, de faire crever un ceil d'uncöté, & couper un pied de 1'autre. LahTartt ainfi ces malheureux nager dans leur fang, il court a Lopade, que Branas avoit prife, mais dont Andronic s'étoit réfervé le chatiment. II y exerce la même fureur. II fait crever les yeux a PEvêque pour ne s'être pas oppofé a la révolte; & laiffant les arbres de ces campagnes plus chargés de cadavres que de fruits, il défend de leur donner la fépulture, & veut qu'on les lauTe pourrir aux arbres oü ils font  du Bjs-Empire. Lïv. XCL 71 attachés. Viles acclamations du peuples ! on les prodigua au tyran , lorfqu'il rentra dans Conftantinople, tout fumant encore du rang des plus généreux de fes fujets; la flatterie s'épuifa en éloges. Andronic , enflé de ces honteufes adulations , paffa plufieurs jours en fêtes & en fpectacles. Un jour qu'il affiftoit aux jeux du Cirque , un échafaud voifin de fa loge , s'étant écroulé tout-a-coup, & ayant écrafé fix perfonnes, tout le peuple prit la fuite. Andronic efrrayé appelloit fa garde, & vouloit retourner au palais. II fut retenu par fes courtifans , de crainte qu'il ne fe trouvat dans cette foule un bras vengeur , qui délivrat 1'Empire de ce monftre & d'eux-mêmes. II demeura donc affis jufqu'a la fin des courfes ; mais il perdit I'envie de continuer ces fpectacles, qui devoient durer encore plufieurs jours. L'ifle de Cypre, envahie par les Saralïns dans le feptieme fiecle, étoit revenue peu de temps après au pouvoir des Empereurs Grecs, qui y tenoient des Gouverneurs avec le titre de Ducs. Sous le regne d'An- Andro- nic. An, 1184, XXX. Ifaac fe retire en 1'Hle de Cypre. Nicet. 1.1. c 5.  Andronic.An. ii 84. Roger de Jieveden. Du Cangc fim.p.iS^, I ! I 1 ! 1 < 1 < 1 3 72 IIlSTOIRS dronic, elle fut pour toujours aliénée de 1'Empire , & forma un Royaume particulier. Voici 1'origine de cette révolution. Ifaac Comneme , petitSls par fa mere d'Ifaac , frere de Manuel , avoit été chargé par Manuel iu gouvernement de 1'Arménie & de a Province de Tarfe. Dévoré d-'amsition , haïffant mortellement Androïic, lorfqu'il le vit maitre des affai•es, il réfolut de fe rendre indépenlant, leva une armée; & pour afermir fa puifTance, il fit la guerre tu Sultan d'Icöne, voifin incommo:1e. Son entreprife nc fut pas heu'eufe. II fut battu & pris dans le :ombat par Puipin , neveu de Thoros k Seigneur d'Arménie , alors allié du niltan. Rupin offrit Ifaac au Sultan, jui ne Paccepta pas. L'Arménien , ;mbarrafle dans fes montagnes d'un irifonnier de cette conféquence, en it préfent a Boëmond III , Prince 1'Antioche, qui le recut volontiers, k lui demanda foixante mille befans >our fa rancon. Ifaac les promit &C ;n tira trente mille des plus riches ïabitants de 1'ifle de Cypre. Pour 'autre moitié, il laiffa entre les mains de  i>u BasEmpire. Liv. XCI. 73 de Boëmond, fon fils 6c fa fille en ötage. Ayant acquis la liberté par ce moyen , il paffa en Cypre; & ayant emprunté le refte de fa rancpn, il la mit entre les mains des Chevaliers du Temple, pour la porter a Boëmond. Les Chevaliers furent attaqués en mer par des pirates qui leur enleverent le dépot. Ifaac prétendit que c'étoit une fupercherie du Prince d'Antioche qui vouloit fe faire payer deux fois, & protefia qu'il n'en feroit rien. Ce qui fut fa caufe que fon fils Sc fa fille demeurerent prifonniers pendant deux ans; après lefquels Boëmond les renvoya par compafTion. Cependant Confèantin Macroducas, qui avoit époufé la tante maternelle d'Ifaac, & Andronic Ducas, fon parent Sc fon ami dès 1'enfance, croyant lui rendre un bon fervice , obtinrent d'Andronic qu'il lui pardonneroit fa révolte, Sc lui permettroit de revenir k la Cour. Loin de profiter de cette grace , Ifaac la rejetta avec mépris ,6c réfolut de s'emparer de 1'ifle. On lui avoit envoyé de 1'argent de Conftantinople; il s'en fervit pour Tom. XX. D Anero- nic. An. ii 84, xxxr. II prend Ie titre d'Empereur de Cypre,  Andronic.An. 11S4. xxxn. Vengeanea d'Andronic fur les amis d'Ifaac. Nicet. 1.1. e. ; ,6. 74 BlSTOIRE lever des troupes, & contrefit uh brévet d'Andronic, qui le nommoit Gouverneur & Duc de Cypre. Lorfqu'il fe crut alTez fort, il leva le mafque, & prit ouvertement le titre d'Empereur. Les habitants n'en devinrent que plus malheureux. Au-lieu d'un tyran éloigné, ils en eurent un fur leurs têtes. Ifaac, non moins méchant qu'Andronic,traïtoitles peuples avec une cruauté inouie. Non content de les dépouiller par des impöts onéreux, par des confifcafions injuftes, il enlevoit leurs femmes &z leurs filles; il leur faifoit foufTrir les tourments les plus inhumains. II fembloit que cette ame fanguinaire & farouche, n'avoit afpiré a commander aux hommes, que pour jouir du pouvoir de les détruire. A la nouvelle de cette ufurpation, Andronic entra en fureur. II craignoit que ce rival auffi audacieux que lui-même, ne vint de Cypre lui arracher la Couronne, & qu'il ne trouvat les efprits trop difpofés a le recevoir. II fongeoit donc aux moyens de fe faifir de fa perfonne, ou de le faire périr. Mais fa marine étoit en  Mv Bas-Empire. Liv. XCI. 75 trop mauvais état pour entreprendre de Palier forcer dans fon ifle ; & depuis la confpiration du grand Amiral Contoliéphane , il n'ofoit confier a perfonne le commandement d'une flotte. Ne pouvant donc fe venger fur le rebelle, ü déchargea fa colere fur ceux qui s'étoient intérelTés en fa faveur. Macroducas & Andronic Ducas, qui avoient obtenu le retour d'Ifaac en répondant de fa fidélité, furent condamnés a mort, comme criminels de lefe-Majefté. C'étoient cependant les deux courtifans les plus attachés a 1'Empereur. II avoit honoré Macroducas du titre pompeux de Panhyperfébafte. Ducas, ame vile, perdu de crimes & de débauche, affeftoit un dévouement fans réferve ; aux plus énormes cruautés d'Andronic , il ne trouvoit a redire qu'un excès de clémence; fi Andronic faifoit crever les yeux a quelque innocent , c'étoit, felon Ducas, trop d'indulgence ; il falloit encore lui couper les deux mains, il falloit le faire expirer a un gibet. Ce méchant homme, fans être coupable du crime pour lequel on le condamnoit, D ij Andronic.An. 11S4,  Andronic.An. 1184. •76 HlSTOIRE ne méritoit que trop la mort pour fes adulations meurtrieres; &C cette injuftice d'Andronic fut louée comme la feule juftice qu'il eüt rendue en fa vie. La flatterie faifoit leur véritable crime; ce fut encore la flatterie qui exécuta leur fupplice. Le jour de l'Afcenfion, toute la Cour s'étoit rendue, felon 1'ufage, au palais de Mangane oü étoit 1'Empereur. 11 avoit donné ordre fecretement de faire paffer devant lui les deux condamnés , lorfque la Cour feroit afTemblée. Andronic fe montra au milieu de fes courtifans, fur un grand balcon qui régnoit le long d'une place remplie d'une infinité de fpectateurs. On tire de prifon, & on amene fous fes yeux les deux criminels chargés de chaïnes, & perfuadés qu'on les menoit a la mort. Arrivés fous le balcon, ils levent les yeux & les mains vers 1'Empereur, & par leur contenance pitoyable, ils implorent fa miféricorde. Alors Hagiochriftophorite, qui eüt mérité le même traitement, & qui ne demeura pas impuni dans la fuite, faififfant une groffe pierre, la décharge fur la tête de Macroducas,  du Bas-Empiae. Lh. XCL 77 qui valoit mieux que lui par fon mérite perfonnel, fon rang & fa fortune; & s'adrelTant aux autres courtifans : Quiconque, leur dit-il, épargnera ces fcélérats, riejl pas ami de CEmpereur. A ce terrible fignal, tous les courtifans deviennent autant de bourreaux.' Ils accablent leurs deux confrères d'une grêle de pierres & de cailloux; leur corps en fut bientöt couvert. Andronic , qui regardoit froidement cette horrible exécution, ordonne de les retirer de deffous ce monceau, & de les tranfporter ailleurs. Trempés de fang, brifés dans tous leurs membres , & entiérement méconnoiffables, ils refpiroient encore. On les tranfporta dans une autre place, oü ils expirerent attachés a un gibet. Tout le peuple étoit pale d'effroi; & voyant traiter avec tant de barbarie deux des principaux Seigneurs , il n'étoit perfonne qui ne tremblat pour lui-même. Les courtifans fehtoient combien ils devoient compter fur 1'amitié d'un Prince de ce caractere, & que lui prodiguer un encens qu'il ne méritoit pas, c'étoit trahir en pure perte fon honneur & D iij Andronic.\n. 1184.  Andronic.An, 1184. xxxm. Dilgrace d'Alexis , batard de Manuel. Nicet. I. 1, e. 10. Et in Ifaa- CO l. 3,C2, 7§ HlSTOIRK fa confcience. Cet exemple les effraya pour quelques moments, mais ne les corrigea pas. Quelques-uns fe hafarderent a fupplier Andronic de permettre qu'on les enfévelït. II demanda, d'un ton de douceur, s'ils étoient morts; & les bourreaux étant venus 1'en alTurer, il ajouta, en verfant fes larmes accoutumées , qu'il plaignoit leur fort, & qu'il fe plaignoit lui-même d'être obligé d'obéir < aux loix, & de faire exécuter la fentence des Juges, qui leur refufoient la fépulture. Le lendemain On pendit au-dela du golfe deux freres, nommés tous deux Sébaftien ; & le foleil ne fe couchoit guere fans avoir vu quelque exécution publique a Conftantinople, outre celles dont il n'étoit pas le témoin. Ces deux freres étoient accufés d'avoir attenté k la vie de 1'Empereur , pour élever a fa place Alexis, fils naturel de Manuel, & mari d'Irene , fille d'Andronic. En effet, il ne manquoit a ce jeune Prince qu'une naiffance légitime pour être digne de 1'Empire. Sage, courageux, affable & plein d'humanité , il joi-  du Bas E%[pire. Liv. XCI. 79 gnoit a ces belles qualités une taille avantageufe, une male vigueur & une parfaite reiTemblance k fon pere. Andronic , quoique jaloux de tout mérite, n'avoit pu fe défendre de 1'aimer; il lui avoit donné fa fille, & fut même tenté de le nommer fon fuccefTeur par préférence k fes deux fils. La contrariété de mceurs le refroidit peu-a-peu, & il en vint a ne plus confidérer Alexis que comme 1'époux d'une fille qu'il chériffoit. La conjuration vraie ou fauffe des deux Sébaftiens acheva d'étoufrer tout lëntiment de tendrefTe. II le fit aveugler, & le relégua dans le chateau de Chélé, a rembouchure du Bofphore dans le Pont-Euxin , oü il fit batir une tour pour lui fervir de prifon. II défendit a fa fille de le pleurer , étant, difoitil, obligée par Ia tendrefTe filiale de le haïr autant qu'elle 1'avoit aimé. Comme eet ordre inhumain n'arrêtoit pas les larmes d'Irene , &c ne 1'empêchoit pas de fe vêtir d'habits de deuil, il la chafia du palais. Tel fut le fort d'un mariage célébré par un nombreux concert d'épithalames, oü la verve embrafée des Poëtes, D iv Andronic.An. 1184.  Andronic.An. 11S4. ] 1 f \ 3 < 1 1 1 1 An. 1185. ( XXXIV. j Nouveliescruau- ( tés. ] Nica. ,11. j 80 HlSTOIRE promettoit a fon ordinaire des jours fans nuages, & une félicité univer- le' ,La dil(grace d'un Seigneur entraïnoit dans 1'infortune tous ceux qui lui étoient attachés. Tous les domeftiques d'Alexis furent mis en prifon. Andronic fit choix des plus eftimables, pour leur faire crever les yeux. Son premier Secretaire, nomué Mamalus, le plus vertueux de :ous, fut auffi diftingué par fon fupffice. On le brüla vif au milieu du 3irque, & fa mort fut accompagnée le_ toutes les affreufes circonftances jüi peuvent accroïtre 1'horreur d'un el fpedacle. Le peuple fondoit en armes , & ce fut fans doute pour :ouvrir fa cruauté qu'Andronic fit jeter dans le bücher des papiers préendus féditieux, par lefquels ce malïeureux, difoit-il, avoit infpiré a bn maïtre une audace criminelle. C'eft un malheur pour PHiftoire 1'être forcée de tenir fi long-temps a plume trempée dans le fang, & le n'offrir que des tableaux funeftes. Azïs ehargée de reproduire les fieles a la mémoire des hommes , trop Kiireufe quand elle n'a que des hé-  Dü Sas-Empire. Liv. XCI. 8t ros k faire paroïtre , elle n'tfl pas moins obligée a peindre les monftres. Elle les préfente &c les immole aux yeux de tous les ages , fur le même échafaud qu'ils ont teint du fang des innocents, & jamais criminels ne furent environnés d'un plus grand fpectacle. Ces méchancetés d'Andronic, qui fatiguent fans doute le Lecteur, ne lafioient pas Andronic luimême. On accufa George Difypate, clerc de la grande Eglife , de quelque murmure. II fut arrêté, on inftruifit fon procés ; & la première penfée d'Andronic fut de le faire empaler & rötir, puis de faire fervir fes membres fur la table de fa femme. Heureufement pour eet infortuné,. Léon Monaftériote , fon beau-pere , étoit du confeil de 1'Empereur, & le plus accrédité de fes Confeillers ;. il le détourna de eet exécrable deflein. De plus, la nouvelle qui vint alors de la prife de Duras & du fiege de ThefTalonique frappa fi vivement le Prince , qu'elle rabattit un peu de fa férocité. Difypate refia en prifon. & la mort d'Andronic lui fauva la vie. Mais Andronic vécut afiez pom D v AndronicAn. iiSj,  AtJDRO- Nic. An, nSj S2 HlSTOIRE punir Tripfyque , d'avoir été le miniftre de fes cruautés. Tripfyque ? impitoyable délateur , efpion , témoin, juge, avoit fait périr une infinité d'innocents fur de faufTes imputations. Par ce moyen, il avoit tellement gagné le cceur du tyran, qu'Andronic, dans fes lettres, ne 1'appelloit pas autrement que fon cher fils. Hagio Chrifiophorite étoit le feul qui lui difputat le premier rang dans la faveur de leur maitre; auffi mit-il en oeuvre pour le perdre fon talent naturel. Dans une converfation fecrete avec 1'Empereur, il témoigna un extréme étonnement, que Tripfyque , honoré de fa plus intime confiance , comblé de bienfaits & de richeffes, fut affez ingrat pour s'échapper è. d'injuftes murmures, &c a des fatyres indécentes. Andronic frémit a ce rapport; & lorfque 1'impofteur comprit a fon air fombre, &C aux rides de fon front que ce premier fouffle de la calomnie allurnoit le feu de fa colere , il acheva de 1'enflammer, en lui difant que Tripfyque ne cejfoit de déchïrer dans fes dif(ours le Prince Jean, l'héritier préfomp-  nu Bas Empire. Liv. XCI. 83 lif de la Couronne, & (i digne de la porter; que dernièrement encore, voyant poffer ce Prince au milieu des acclamations que fes vertus lui attiroient, il avoit dit d fes amis : Voici notre Zin%iphi%e; & qu'il avoit ajouté en foupirant : Malheureux Grecs! quel maitre on vous dejïine! Ce Zinziphize étoit un bouffon difforme, & contrefait dans toute fa figure, qui paffoit la journée dans le Cirque a divertir le peuple de fes groffieres plaifanteries. Andronic irrité fit fur le champ crever les yeux a Tripfyque. II eüt été étonnant que les Princes voifins fufient demeurés tranquilles, tandis que la férocité dAndronic révoltoit contre lui fes propres fujets, Alexis Comnene, neveu de Manuel. &C grand Echanfon , avoit été reléguc -en Ruffie. Ennuyé de fon exil, il repaffa le Danube ; & traverfant la Macédoine, il s'attacha un habitant de Philippes, nommé Malin , né dan; 1'obfcurité , mais hardi , entreprenant, & qui cherchoit la fortune. II; vont tous deux en Sicile. Guillaume II, Prince vaillant & habile, y régnoit alors avec gloire. Ces deus D vj Andronic.An. 11S5. XXXV. Prife de Durss & deTheffalonique , par ie Roi de Sicile. Nicet. I. I. e.7. 8-9; & 1.1. cl.  Andronic.An. 11S5. * . "* 84 H I S T 0 I R E étrangers s'infinuent dans fa Cour, Sc publient le mauvais état de 1 Empire , Sc la facilité qu'on trouveroit a 1'envahir. Ces difcours étoient confirmés par le témoignage des Siciliens, qui revenoient de Conftantinople. Guillaume leve des troupes, équipe une flotte, & en donne le commandement a fon coufin Tancrede. On s'embarque le 11 de Juin, Sc le 24 Duras eft pris d'affaut. Jean Branas, que 1'Empereur avoit envoyé pour défendre la ville , eft fait prifonnier, & conduit en Sicile. On fait sroile a TheiTalonique, qu'on afïïege par terre & par mer. Cette ville, la plus confidérable de 1'Empire après Conftantinople, pouvoit tenir longtemps; la garnifon étoit forte, Sc les ïabitants courageux. II ne leur manjuoit qu'un chef capable de faire ufa;e de leur valeur. David Comnene, ache courtifan , qui n'avoit acquis pie par des intrigues peu honnêtes e gouvernement de cette grande vile, ne fe mit pas même en devoir te la défendre. En effet, les ordres [ue lui envoyoit Andronic, n'étoient ias propres a exciter fa vigilance ; il  su Bas Empike. Hvi XCl. 8$ lui mandoit qu'il fe tint fur fes gardes; mais qu'après tout, il at devoit pas craindre les Latins, qui n'ctoient que de miférables poltrons. Allffi ce Gouverneur libertin, au-lieu de diiputer les approches par des forties, comme la garnifon Pen follicitoit, ne quittoit la compagnie des femmes, auxquelles il refTembloit luimême , que pour fe promener fur fa mule, paré comme pour un bal & une fête. Jamais il n'endofTa la cuirafTe. Laiffant aux murailles toutes nues le foin de défendre la place, il palToit le temps a rire & k plaifanter avec fes compagnons de débauche. Au bruit des murs qui s'écrouloient: Entende^-vous, leur difoit-il, le babilde la vieille ? c'eit ainfi qu'il nommoit une terrible machine , dont les coups redoublés abattoient des pans entiers de muraille. L'ennemi fut bientöt dans la ville , ék avec lui tous les maux que peut produire 1'avidité & la licence du foldat vainqueur. L'attaque avoit commencé le 6 Aoüt, la ville fut prife le i 5 du même mois. II eft très-vraifemblable que Theffalonique éprouya en cette occafion tous les Andronic.Aa. t iS;. 1  Andronic.An. 11S5. 16 HlsTOIHE iéfaftres inévitables dans une place ïmportée de force. Peut-être même fut-elle traitée avec plus d'infolence qu'il n'eft ordinaire, paree que le mépris de la lacheté des Grecs fe joijnoit a 1'animofité des Latins. Mais ia defcription que Nicétas fait du lac:agement paffe toute croyance. II fauiroit fuppofer que les Siciliens étoient non-feulement des barbares, plus brutaux que les anciens Huns & lesTaïfales ,mais aufli d'impies profanateurs, ennemis déclarés du Chriftianifme. Cette déclamation ïcholafHque ne prouve que 1'horrible averfion des Grecs pour toutes les nadons Latines. Euftathe, le célebre Commentateur d'Homere, étoit alors fVrchevêque de Theffalonique. Ce Prélat relpeöable, qui pouvoit fe fouitraire aux dangers du fiege, ne voulut pas abandonner fon troupeau. Il partagea toutes fes fouffrances , ?our 1'aider a les fupporter : il ne ceffa ie le confoler, de 1'exhorter a fe bumettre avec patience & réiigna:ion aux chatiments dont Dieu les ïffligeoit en punition de leurs crimes. [1 s'empreffoit de les foulager, & par  du Bas-Empire. Liv. XCI. 87 fes aumönes, & en s'intéreffant pour eux auprès des Officiers Siciliens. En un mot, il fe fignala par une charité vraiment paternelle, qualité infïniment plus précieufe & plus utile aux hommes que la plus vafte érudition. Après le faccagement de Theffalonique, Parmée Sicihenne fe divifa en trois corps; il en demeura un dans la ville, pour en conferver la poffeffion; un autre s'étendit en Macédoine & en Thrace pour y porter le ravage ; le troifieme prit la route de Conftantinople; & fans rencontrer d'ennemi, s'avanga jufqu'a Mofynople, oü il s'arrêta pour s'emparer du pays d'alentour. Alexis Comnene qui les accompagnoit, homme vain &t préfomptueux , fans aucun mérite, fe perfuadoit que les Siciliens ne travailloient que pour lui ; il fe croyoit déja Empereur, il en avoit prit les marqués & la fierté; il fe vantoit d'être attendu avec impatience a Conftantinople, qui alloit lui ouvrir les portes dès qu'elle le verroit paroitre. Après la nouvelle de la prife de Duras , Andronic avoit raffemblé fes Andronic.A.n. 11S5. XXXVI. tnutile armemeatdesGrecs. Nicu. I, 2. c. i.  Andronic.An. itSj. 88 H I s T O I R E troupes; il en avoit donné un corps a Jean fon fils, défigné Empereur; un autre k Chumne le cartulaire ; Andronic Paléologue , Alexis Branas , & 1'Eunuque Nicéphore, grand Chambellan, en commandoient trois autres. Aucun de ces Généraux ne s'acquitta de fon devoir. Jean ne s'occupa que de chafle. Les autres Généraux n'oferent approcher des Siciliens ; ils fe tinrent au loin, & fe contenterent de faire couler des efpions dans leur camp pour en rapporter des nouvelles, qui ne produifoientde leur part aucun mouvement. Le feul Chumne fit quelques pas enayant, foit pour feconder les afiiégés, s'ils hafardoient une fortie, foit pour pénétrer lui-même dans la ville, s'il en trouvoit le moyen. Mais dès que fes foldats virent en 1'air les drapeaux Siciliens , frappés d'une lache terreur, ils fe débanderent, & prirent la fuite. Chumne ne pouvant les rallier, prit le parti de les fuivre, fans autre avantage fur fes collegues, que d'avoir appercu Pennemi. Après la prife de Theffalonique, les Grecs laifferent avec la même lacheté prendre Am-  du Bas-Empire. Liv. XCL 80 phipolis; & leurs différents corps s'étant réunis ne firent d'autre exploit, que de fuivre des yeux la marche des Siciliens au travers de la Thrace, fe tenant toujours fur les montagnes, fans ofer defcendre dans la plaine. Andronic auroit pu mieux réufïïr que fes Généraux; ilfavoitla guerre, & avoit donné des preuves de courage. Mais fon ame énervée par la débauche n'avoit plus de 'reffort que pour tourmenter fes fujets. II paffoit les jours entiers dans fes jardins ou dans des maifons de plaifance avec fes concubines. L'entrée étoit toujours ouverte aux muficiens & aux fernmes de théatre; mais il ne fe montroit qu'en certains jours & feulement en paffant k fes plus intimes confidents. Défefpéré du dépérifTement de fes forces , il envoyoit chercher jufqu'en Egypte de quoi ranimer-fa hideufe vieilleffe. De retour a fon palais, il fe faifoit environner d'une garde de,barbares, encore les tenoit-il éloignés de fes appartements. II ne comptoit que fur la fidél'ité d'un dogue énorme, propre k combattre Andronic.An. 1185. XXXVII. Conduite • d'Andronic. Nicet. I. i. té i.  Andronic.An. n8;. 90 HjSTOÏRB des lions, qui paffoit les nuits enchaitié a la porte de fa chambre, &c le réveilloit au moindre bruit par fes affreux hurlements. II mettoit fon plus grand honneur dans fes exploits de chaffe, il en tiroit vanité jufqu'a étaler aux yeux du peuple les grands bois cles cerfs qu'il avoit tués ; les portiques de la ville en étoient hériffés. Lorfqu'il avoit féjourné quelque temps dans les ifles délicieufes de la Propontide, le jour qu'il rentroit a Conftantinople , étoit regardé comme un jour malheureux. On étoit perfuadé qu'il ne revenoit que pour facnfier quelque victime a fes foupcons.En effet, il comptoit avoir perdu la journée, s'il fe couchoit fans avoir fait étrangler ou du moins aveugler quelque perfonnage diftingué. Tout trembloit dans 1'Empire; on ne dormoit pas même tranquillement; fes fatellites venoient fouvent pendant la nuit enlever une femme a cöté de fon mari, un fils entre les bras de fon pere. Les plus fages s'exiloient; heureux ceux qui eurent la conftance de fe tenir exilés jufqu'a fa mort! Si le regret d'avok abandonné leur fa-  nu Bas-Empire. L!v. XCI. 91 mille & leurs biens les rappelloit k Conftantinople, ils y trouvoient la mort. Dès qu'Andronic avoit appris que le Roi de Sicile fe difpofoit a lui faire la guerre, il avoit pratiqué une alliance avecSaladin, Sultan d'Egypte, maitre de Damas, d'Alep öc de la Méfopotamie , le plus mortel ennemi des Chrétiens. II avoit connu autrefois ce Curde redoutable-, lorfqu'il traverfoit 1'Afie en fugitif avec fa concubine Théodora. II 1'invita k renouveller leur ancienne amitié, &i Saladin, qui ne cherchoit qu'a s'aggrandir, s'y prêta volontiers. Ce traité honteux & criminel par lui-même le devenoit davantage par les conditions. Ils s'engageoient réciproquement par ferment a fe fecourir 1'un 1'autre toutes les fois qu'ils en feroient requis. Andronic devoit aider Saladin k la conquête de la Palefline. Le Sultan devoit demeurer maitre de Jérufalem & de la cöte maritime jufqu'a Afcalon ; mais k condition de tenir ce pays en fief de 1'Empire. Saladin , de fon cöté , devoit feconder Andronic pour s'emparer d'Icöne Ö£ Andronic.An. 118 5. XXXVIII Traité d'Andronic avec Saladin. Chron. de lleiclurff.  Andronic.An. 118;. XXXIX. Préparatif d'Andronic.Nicet, 1,2, ■ c. 2. ; ■'1 i 1 ] < < XL. Edit t cruel. Nicet. I. 2. * '•7.8. F h i i! )2 HlSTOIRE ie la Cilicie jufqu'a Antioche. La mort d'Andronic prévint 1'exécution iün fi infame traité. _ David, Gouverneur de ThefTalotiique, n'avoit ofé revenir a Conftaninople. L'Empereur fit mettre aux ïrs tous fes parents. D'ailleurs, il iffecta d'être fort tranquille fur les )rogrès des Siciliens. C'étoit, difoit1, une troupe de frêlons qui venoient >ourdonner autour de Conftantino>]e , & qu'une poignée de poufïiere lifïiperoit fans peine. II fit cependanf [uelques réparations aux murailles. )n abattit les édifices qui joignoient es murs, &c qui pouvoient faciliter 'efcalade. On mit a flot cent vaifeaux de guerre, pour faire face a Ia :otte Sicilienne, & porter des fecours font détenus dans les prifons, ou » condamnés a 1'exil pour leur félon» nie, 011 déja punis de leurs cri» mes par la perte de leurs yeux;  du Bas-Empjre. Liv. XCL 95 » non plus que ceux qui font liés a» vee eux par le fang, Paffinité ou » 1'amitié. Ce fera 1'unique moyen » de procurer la füreté au Prince » toujours partagé entre les foins » qu'exigent les affaires publiques, » &c les dangers perpétuels qui me» nacent fa vie fi précieufe a 1'Etat. » Ce fera en même-temps öter a nos » ennemis du dehors la funefte cor» refpondance de ces traitres , qui » les appellent a notre deftruciion , » & les inflruifent des moyens de » nous nuire. L'expérience nous a »> fait connoitre que ni la prifon, ni » 1'exil, ni la peine de Paveugle» ment ne fuffifent pour corriger » leur malice , & que leur fureur eft » irrémédiable ". Ce préambule fanguinaire étoit fuivi d'une lifte de ceux qu'on devoit faire mourir , & le fupplice de chacun étoit fpécifié. II n'en étoit aucun que ne méritalTent a bien plus jufte titre les cruels auteurs dé eet édit, qui ofoient attribuer a Dieu même leur fcélérateffe. L'édit fut approuvé & figné de tous, excepté de Manuel, fils ainé d'Andronic. Ce Prince , plus humain que fon pere & que Andronic.An. ii8j,  96 H I S T O I R E fes indignes Confeillers, protefta qu'il ANDRONIC. An, 11S5. XLT. Andronic confuhe ] e fort fur fon fucceffeur.Nicet. I. 2. c. 9. Chron. Rekh. ne donneroit jamais de confentement a une profcription cruelle, qui s'annoncoit elle-même comme n'étant point émanée de 1'autorité Impériale, & qui alloit inonder de fang la ville & les Provinces. Cette fage remontrance acheva d'indifpofer Andronic contre ce fils généreux. Cependant il relferra 1'édit, pour attendre fans doute 1'occafion de le publier. Mais il n'en eut pas le temps ; & dans la funefte cataftrophe qui termina fa vie , comme le peuple lui reprochoit entre autres horreurs eet édit meurtrier , il prétendit prouver par les termes de 1'édit même, que c'étoit uniquement Pouvrage de fes Confeillers , & qu'il n'y avoit eu d'autre part que de le fupprimer. La confeience d'Andronic lui difoit affez que la patience de fes fujets devoit être laffe , & qu'ii approchoit de fa ruine. Dans cette inquiétude, il réfolut de confulter le fort, & chargea de cette commifïïon délicate fon favori Hagiochriftophorite. L'impofteur Seth qui avoit été aveuglé par ordre de Manuel, vivoit encore ; & ion  du Bas-Empire. Liv. XCI. 97 fon chatiment n'avoit fait qu'accroïtre fa réputation. Ce fut a lui que le favori s'adrefia. Seth répondit que le fuccefTeur d'Andronic feroit Ifaac; il ajouta même, fi tout ce réck n'elf, pas un -conté fait après coup , que la révolution éclateroit avant le milieu de Septembre. Le foupcon d'Andronic tomba d'abord fur Ifaac qui régnoit en Cypre. Mais il fit réflexion, que le mois de Septembre étant cléja commencé, le temps qui reftoit ne fufüfoit pas pour unfi long voyage. Jean de Tyras, qui étoit du •confeil d'Andronic , &c un des plus ardents k lui complaire, le fit fouvenir d'Ifaac 1'Ange, & lui confeilla de -s'en défaire. Cet Ifaac étoit fils d'Andronic 1'Ange, qui s'étant fauvé de Conftantinople deux ans auparavant avec fes fils, s'étoit refugié en Paleftine dans la ville d'Accaron. Le pere y étoit mort peu après fon arrivée. Deux de fes fils étoient venus fe jetter aux pieds de 1'Empereur, qui leur avoit fait crever les yeux fur le champ. Deux autres s'étoient fauvés auprès de Saladin ; &c après y être demeurés quelque - temps, 1'un des Tome XX. E 11 Andronic.An, 11S5.  98 Histoire denv . nnmmp Tfao/~ -r^^,,.. „ Andronic.An. ii8j. XLII. Hagiochriftopliorite■veutprendre Ifaac, & eft tué lui-même. Nicet. 1.1. c. 10 , 11, 12 , 13. Chron. Reich. Chron. Alheric. Roger de Hov. Chron. Sti. Anton. Sanut. I. 3. part. II. c. I. /iin. 215. fa patrie, s'étoit hafardé a revenir a Conflantinople. II avoit été affez heureuxpour obtenir fon pardon. Andronic ne fit que rire de 1'avis qu'on lui donnoit; il méprifoit eet Ifaac comme un poltron & un imbécille, qui ne méritoit pas d'être foupconné d'une aétion de vigueur. Cependant Hagiochriftophorite , pour montrer qu'il avoit plus de fbm. de la füreté de fon maitre, que fon maitre n'en avoit lui-même, réfolut d'arrêter Ifaac 1'Ange, de le conduire en prifon, & de le faire enfuite périr au gré d'Andronic. Le foir du 11 Septembre, il fe tranfporte a la demeure d'Ifaac, & lui ordonne de defcendre & de le fuivre. Comme Ifaac, a qui la feule vue du Miniflre annongoit la mort, ne fe prefloit pas de fe mettre entre fes mains, le fcélérat commande a fes gens de l'-aller prendre par les cheveux, & de le trainer a la prifon. Ils fe mettoient en devoir d'obéir, lorfqu'Ifaac fe voyant enveloppé, s'enflamme d'un généreux défefpoir, faute a demi-nud lur un cheval, fond comme la foudre  ru Bas-Empire. L'iv. XCI. 99 fur Hagiochriftophorite, qui fuyoit effrayé , 1'atteint a la porte de fa maifon, & lui fend la tête d'un coup de fabre. II tombe enfuite fur fa troupe, qu'il met en fuite. II court de-la k Sainte-Sophie , en criant le long des rues : A moi, citoyens , jai tui le diable. On crut qu'il avoit tué Andronic. II entre dans 1'Eglife, & fe place dans le lieu oü les meurtriers avoient coutume de fe tenir, pour demander grace a ceux qui entroient & qui fortoient. A cette nouvelle, tout le peuple accourt pour voir ce qui en arriveroit. On ne doutoit pas qu'avant la fin de la nuit ce malheureux ne fut puni par les plus affreux fupplices. Jean Ducas & fon fils viennent fe joindre k lui, tremblant pour eux-mêmes; non qu'ils eufTent trempé dans ce meurtre, mais paree qu'ils s'étoient rendus caution de la fidélité d'Ifaac pour obtenir fon pardon. D'autres Seigneurs qui s'attendoient a éprouver bientöt euxmêmes la cruauté du tyran, fe rendent au même afyle , fuppliant le peuple, qui rempliffoit déja 1'Eglife, de ne les pas abandonner. Comme E ii Andronic.An. 1x85.  Andronic.An. 118;. XLIII. Procla- mation d'li'aac. IC® HlSTOIRE on ne voyoit dans cette foule ni courtifans , ni gardes d'Andronic, chacun maudilTeit le tyran, & promettoit fon fecours contre toute violence. Ifaac pafTa ainfi la nuit, ne fongeant qu'a fauver fa vie , & croyant a tout moment entendre Andronic ordonner de le mettre en pieces. II fit apporter des flambeaux, fermer les portes de 1'Eglife, & obtint de la plus grande partie du peuple, de paffer toute la nuit avec lui. Au point du jour , toute la ville accourt a 1'Eglife. On prie Dieu a grands cris de fauver Ifaac , de le mettre fur le tröne, & de délivrer 1'Empire d'un tyran barbare altéré de fang. Heureufement Andronic étoit pour lors dans un palais au-dela du Bofphore, fur le bord de la Propontide. Ayant appris pendant la nuit le maffacre d'Hagiochriltophorite, il fe contenta d'envoyer un édit pour exhorter le peuple a la tranquillité; il débutoit par ces mots : Ce qui ejl fait ? ef fait; je pardonne au meurtrier. Au matin, les amis d'Andronic fe jettent au travers de la foule du peuple , s'efforgant de la diffiper, Andro-  du Bas-Empire. Liv. XCI. 101 nic lui-même fe rendit a Conftantinople; ni leurs efforts, ni le retour du Prince n'appaiferent la fédition. On n'écoutoit rien : ceux qui s'avifoient de faire des remontrances, couroient rifque de la vie. Les féditieux s'animoient mutuellement ; chacun étoit venu , armé de ce qu'il avoit rencontré fous fa main. On repouffoit, on maltraitoit ceux qui ne paroilloient que ipeótateurs. On forca les prifons; il en fortit des flots de miférables , la plupart exempts de ' tout crime, mais enfermés fur de faux foupcons d'Andronic , ou par la malice de fes Miniftres. Entre eux fe trouvoient des gens de la première diftinction , qui donnerent des chefs a la révolte; & ce fut ce qui la for-tifia davantage. Elle prit alors un air militaire : parmi cette troupe confufe, armée de batons, de fourches, & de toutes fortes d'inftruments offenlifs, on voyoit briller des épées, des boucliers, des cuiraffes. Au milieu de ce tumulte, il s'éleva des voix qui proclamerent Ifaac Empereur; elles furent répétées par un concert unanime; un des Sacriftains détacha E iij Andronic.An, n8;.  Andro- . nic. An. n8y. j 1 1 1 J ( s i i ] i i Andronic, arrivé au grand palais , eft effrayé des cris confus qu'il entend de toutes parts. Sa première penfée eft de combattre -t il fait fon- XLIV. Fuite d'Andronic. roa Histoire le delTus 1'autel la couronne d'or qui f étoit fufpendue depuis le regne du *rand Conftantin , & la pofa fur la :ête d'Ifaac. Celui-ci fe défendoit de~ a recevoir, n'étant pas encore trop iffuré, & craignant d'irriter davan:age Andronic. Jean Ducas , moins imide , qui fe trouvoit a cöté de ui, découvrant fa tête chauve, la )réfentoit a eet ornement dangereux. k cette vue tout le peuple s'écrie : Point de tête pelle; Dieu nous garde ïun vieil Empereur; Andronic nous en i dégoutés pour jamais : vive VEmpe■eur Ifaac. En ce moment, un des che/aux d'Andronic, qu'on tranfportoit 1'au-dela du Bofphore, s'étant déta:hé des autres, & courant par les ■ues, fut arrêté par le peuple, & imerté avec fa houfle aux armes de 'Empire. Ifaac étant forti de 1'Eglife nonta deflus, efcorté de tout le peu)le, & même du Patriarche Bafile , ju'on avoit forcé malgré lui de conëntir a la proclamation.  du Bas-Empire. Liv. XCI. 103 ner l'appel des troupes qu'il avoit a Conftantinople. Se voyant mal obéi, il prend fon are, monte au haut d'une tour, & tire des fleches lur le peuple. S'appercevant bientöt du peu d'effet d'une telle défenfe, il elTaye de calmer par des paroles la fougue de la multitude ; il offre de renoncer a 1'Empire, & de mettre k fa place fon fils Manuel, qu'il favoit être le moins odieux de fes deux fils. II étoit trop tard ; on ne lui répond que par des injures contre lui, & contre le Prince qu'on auroit accepté avec joie deux jours auparavant. Le peuple enfonce les portes; Andronic n'a que le temps de fe dépouiller des marqués de fa dignité , & de fe jetter dans une barque avec fa femme & une fille de théatre , nommée Maraptique, qu'il aimoit éperduement. II vogue vers le Pont-Euxin k deffein de fe fauver dans la Cherfonefe Taurique, perfuadé qu'il n'y avoit point de falut pour lui dans aucune Province de 1'Empire. Ifaac entre dans le palais: le peuple s'y jette en foule avec lui; & criant toujours, vive l'Empereur Ifaac, E iv Andronic.An. u8j, XLV. Prife & mort d'Andronic.  Andronic. *°4 HlSTOIRE il ne lui laiffe que le diadême & pille tout le reiïe. On force toutes les portes ; on enleve Por, Pargent, le cuivre monnoyé & non-monnoyé; la vaiffelle, les vafes, les meubles précieux difparoiffent en un moment ; on n'épargne pas même la chapelle; & ce qu'on regretta davantage, fut un coffret d'or qui contenoit, felon i'opinion fabuleufe, les lettres du Sauyeur au Roi d'Edeffe. Cétoient, difok-on, les dépouilles de la tyrannie. Chacun fe charge, & ce qu'un feul ne peut emporter, plufieurs fe joignent enfemble & 1'enlevent, n'oubliant jamais de faluer profondément le nouvel Empereur % en paiiant fous fes yeux avec les meubles de 1'Empire. Ifaac &, fes amis % qui ne pouvoient empêcher ce refpeöueux pillage, fe voyant entre lesmurailles toutes nues , paffeat au palaisde Blaquernes. Peu de jours après, on recut la nouvelle de la prife d'Andronic. Ifaac avoit envoyé courir après lui, & le fugitif, faifant force de rames, étoit parvenu a Chélé , a Pentrée du Pont-Euxin. Les habitants tremblants a fa vue, quoiqu'il n'eüt  Dü Bas-Êmpire. Lm. XCI. 105 plus rien de redoutable que la me'~ moiré de fa férocité, qui refpiroit encore dans fes regards, && n'ofant 1'arrêter, lui avoient donné un vaiffeau pour gagner la Cherfonefe. La tempête 1'avoitrepoufTé plufieurs fois, & enfin fait échouer au rivage, comme fi le Pont-Euxin , qui avoit fouvent porté fur les eaux les cadavres des innocents qu'il faifoit égorger, eüt refufé de favorifer fa fuite. ïl fut pris & enchaïné dans le vaifTeau qui le pourfuivoit. II employa vainement tous les relTorts de fon éloquence, & les larmes de fes deux femmes . pour attendrir les foldats qui le tenoient dans les fers; on le conduifit k Conftantinople, & on 1'enferma dans la tour d'Anémas, chargé d'un carcan &C de deux chaines pefantes, qui lui ferroient les mains & les pieds. On le préfenta en eet état a Ifaac, qui le fit expofer en public, oü il effuya toute la rage d'un peuple trop long-temps en proie a fa tyrannie. On lui meurtrit les joues a coups de poing, on lui arracha la barbe , on lui fit fauter les dents hors de la touche, Les femmes, fur-tout, dont E y Andronic»An. 1 iSja  AliDRONIC. Att, 1185. 106 HlSTOIRE il avoit fait mourir ou aveugler fes. maris , fignaloient leur vengeance. Enfin, on lui coupa la main droite, qu'on pendit a un gibet, & on le renférma dans la tour , ou on le laiffa deux jours fans nourriture. Ou 1'en retira le troilïeme pour lui arracher un ceil , & 1'ayant attaché fur un méchant chameau, on le promena par toute la ville dans 1'équipage d'un vil efclave. Ce fpectacle hideux, qui devoit toucher les ames les moinS fenfibles , ne fit qu'enflammer la fureur. Libres de lui faire tous les maux dont ils purent .s'avifer, il ri'y eut forte d'outrage & d'infames traitements qu'ils ne lui filTent fouffrir. Chacun cherchoit a fe diftinguer par quelque trait d'inhumanité.. Une femme publique lui jetta fur la face une chaudiere d'eau bouillante. On le conduifit dans eet affreux triomphe au Cirque , oü il fut pendu par les pieds. Au milieu de ces horreurs , Andronic ne perdit point courage. Dévorant fes malheurs , fans laiffer échapper aucune injure , aucune plainte , il fe contentoit de répéter de temps en temps;  ou ëas-Empirè. Liv. XCl. iof Seigneur, aye^ pitiê S  Andronic.An. iigy. XE VI. Bonnes qualités d'Andro- ' nic. j Nicet. I. 2. ( 6,13. J X 1 é i D r h d cl fa ro8 H 1 s t o 1 r e corps des bêtes tuées dans les fpeflacles. Au bout de quelque temps, des. citoyens charitables le tirerent de ce lieu d'horreur, & Ie dépoferenf dans un caveau k cöté d un Monaftere. Ifaac ne permit pas de 1'enrerrer dans 1'Eglife des quaranteMartyrs , qu'Andronic avoit fait batir & richement orner pour lui fervir de fépulture. Comme il n'eft point de bon Prince lont la vertu ne foit mêlee de queljues défauts , il n'en eft point de néchant qui a'ak quelque mérite. ?eft la reftburce des panégyriftesi. ïntre les vices les plus noirs, on vit mre dans Andronic quelques rayons le vertu. II fut fobre ; les Hiftoriens ious difent qu'un morceau de pain c un peu de vin qu'il prenoit a la n de lajournée, faifoient toute fa ourriture. C'étoit a ce régime & k exercice continue! qu'il attribuoit • vigueur de fa fanté, qui ne fe ;mentit_ jamais. Au fortir d'une laffe.,, il dépecoit de fes propres ains les cerfs & les fangliers, les ifoit rötir lui-même, &c en man:oit avec les autres chaffeurs. II  du Bjs-Empire. Liv. XCI. 109 affiftoit les indigents , & réprimoit 1'injultice des hommes puifTants. Gratuitement cruel, il ne touchoit pas aux biens de ceux dont il n'épargnoit pas- la vie. Trop fier pour ven» dre les magiftratures r il ne les doi> noit qu'au mérite. II gageoit largement les Magiftrats, leur défendant fous des peines très-féveres, de rien prendre fur leurs inférieurs, tk. de recevoir même aucun préfent. Ennemi déclaré des monopoleurs, les vivres fe maintinrent a bas prix pendant fon regne. Les oppreffeurs ne trouvoient de reffource ni dans leurs richeffes, ni dans leur crédit. Théodore Dadibrene, un des fatellites qui avoit étranglé 1'Empereur Alexis , croyant avoit acheté par ce crime la liberté d'en commettre d'autres, alla un jour avec toute fa maifon & fes équipages, loger chez un payfan , oü il vécut a difcrétion fans rien payer, & ruina ce pauvre homme en une feule nuit. Sur la plainte du payfan qui s'adrefla a 1'Empereur , Dadibrene fut roué de coups de baton, & obligé de rendre beaucoup plus qu'il n'avoit pris, II aboiit Andho- nic. An. nSy,  Andro nic. An. nS Iïo HlSTOlRË - dans 1'Empire une coutume barbare , que 1'avarice avoit maintenue , ;. malgré les défenfes réitérées des Env pereurs précédents , & qui s'eft confervée fur d'autres rivages en dépit de 1'humanité. C'elt de piller ceux qui ont fait naufrage , & d'enlever k ces infortunés ce que leur a laiffé la tempête. II ordonna que les Seigneurs , dans le domaine duquel s'exerceroit cette déteftable piraterie , feroient pendus au mat du vaiffeau échoué, ou aux branches de 1'arbre le plus haut du rivage, pour avertir les navigateurs , difoit - il, qu'ils n'avoient plus rien a craindre des habitants des cötes, comme Dieu annonce a la terre par Parc-en-ciel, qu'elle n'a plus k redouter un nouveau déluge. Cette défenfe, appuyée du caraöere d'Andronic, qui ne manquoit jamais de parole, quand il menacoit de punir, fut mieux obfervée que celle de fes prédéceffeurs, que la faveur défarmoit toujours. II ne fouffroit pas les difputes fur les matieres de religion. Un jour qu'il étoit campé au bord du Rhyndacus, ayant entendu dans une tente prochaine?  vu Bjs-Empire. Llv. XCl. in deux Evêques qui difputoient fur un palTage de PEvangile, ii les menaea de les faire jetter dans le fleuve, s'ils ne mettoient fin a leur conteftation. II eftimoit cependant les Théologiens, les Savants, les Jurifconfultes ; il les combloit d'honneurs, leur donnoit des penfions, & les faifoit aflëoir k cöté de fon tröne. II fe fit ériger plufieurs ftatues; mais p-ar une bifarrerie difficile k expliquer, il s'en fit drefler une qui fembloit être un emblême de fon ufurpation : il étoit repréfenté fous la forme d'un faucheur mal vêtu, tenant en main une grande faux tranchante, &c ferrant entre fes bras un jeune enfant fort beau, qu'il fembloit étouffer. Un autre travers de ce Prince étoit de fe comparer avec David, & de fe donner 1'avantage r Perjecuu comme lui, difoit - il , exilé^ par un Prince injufie, fai encore goüté moim de repos ; & ce riejl pas feulement dan: la Palefiine & dans le pays cCAmalec mais jufquaux extrêmités de l'Afe, qu fai porté le nom de Dieu & la con noijfance de la vraie religion. C'étoj fans doute un fingulier Apötre, qu'u Andronic.A.n. 11S5. t e t ■  Andronic.An. iiSj. 112 fflSTOrRB, &C. libertin fcéïérat tel qu'Andronic. En reumffant tout ce qu'il eut de qualites eitimables , h peine trouveroiton de quoi racheter la moindre partie de fes crimes. Vingt ans après ia mort, fa veuve Agnès, que les Wees nommoient Anne, %ée pour lors de trente-trois ans , époufa 1 heodore Branas , dont nous parerons dans la fuite de cette Hif'oire.  ïi5 S O M M A I R E r> u LIVRE QUATRE-VINGT-DOUZIEME. i. Nouvelle race dtEmpereurs. II. Portrait d'lfaac. III. Ses Mini/tres. IV. Commencements d'Ifaac. V. Guerre des Siciliens. VI. Z.W Siciliens vaincus. VII. 5W/e leur défaite. VIII. Tê«tó^ivÉ de Branas pour fe faire Empereur. IX. Irruption des Turcs. X. Malheurcufe expédition en Cypre. XI. Révolte des Bulgares. XII. Commencemens de la guerre. XIII. Défaite de Jean Cantacuzene. XIV. Branas, proclamé Empereur. XV. 11 marche d Conjlantinople. XVI. Combat fur mer. XVII. Ldcketé de iEmpereur. XVIII. Préparatifs de la bataille. XIX. Bataille de Conftantinople. XX. Suites de la vicloire, XXI. Troubles d Confantinople. XXII, Continuation de la guerre des Bulgares. XXIII. Conrad fe retire en Palejline*  114 sommairedu LlV. XCIR xxiv. Fin de la guerre des Bulgares. xxv. Révolte de Mancaphas. xxvi. Commencement de la troifieme Croifade. xxvii. Mauvaife foi d'I/aac. xxviii. Fréderic fe met en marche. xxix. // arrivé d Philippopolis. xxx. Retour des députés de Fréderic. xxxi. Frédetic traverfe la Thrace. xxxii. Accord des deux Empereurs. xxxm. Paffage de tHellefpont. xxxiv. Fréderic en A/ie. XXXV. Ses combats contre les Turcs. xxxvi. Prife d'Icone, xxxvii. Mort de Fréderic. xxxviii. Richard en Cypre. xxxix. Ifaac , Empereur 'de Cypre , traite & rompt le traité. xl. Richard stempare de rifle. xli. Gui de Lufignan, Roi dt (■ypre. xlii. Suites de cette expédition. xliii. Impofieur qui fe dit Alexis, fis de Manuel. xliv. Autres révoltes. xlv. Traitement £ Alexis, fis naturel de Manuel. xlvi. Succeffion de Patriarches d Con/lantinople. xlvii. Ifaac, battupar les Valaques & les Bulgares. xlviii. Ridicule vanité d'Ifaac. xlix. Nouvelle guerre des Valaques & des Bulgares. l. Révolte de Conflantin tAnge. Li. Ifaac marche^ contre les Bulgares. lh. Il eft détróné par fon fiere. lui, Ses femmes & fes enfants.  i*5 HI S T O IR E D U B AS E M P I RE. LIVRE Q UA TRE- VIN GT-DOUZIE ME. ISAAC L'ANGEj Second du nom D*I S A A C. IL n'étoit pas clifficile de le faire aimer après Andronic. Ce fut lahaine de tout 1'Empire contre ce tyran, qui porta Ifaac fur le Tröne; mais il n'y porta lui-même aucun mérite. ISAAC IT. An. 1185. L Nouvelle race  ISAAC II. An. 118;. d'Empe- reurs. Theodorus Voufa in not. ad Georg. Acropolit. i ] 1 < ll6 HlSTOtRE Jamais race de Souverains ne fut plus ftérile en toute efpece de vertu, que la familie Impériale des Anges. Elle fortoit d'une fource nouvelle & de peu de valeur, & ne devoit fa fortune qu'a une intrigue de galanterie. Conftantin 1'Ange , né a Philadelphie, eft le premier dont parle 1'hiftoire. II ne fe fit connoitre que par fa bonne mine, qualité qui n'en eft une, que lorfqu'elle fert de parure a d'autres plus vraies & plus folides. II fut heureux de trouver,dans une des filles d'Alexis, une PrincefTe qui ne confulta que fes yeux pour l.e choix d'un mari; & dans Alexis, un pere indulgent pour fa fille jufqu'a la foibleiTe. Cette aHiance éleva cette familie fur le degré du Tröne, mais n'y fit paffer aucun courage. Conftantin ne commanda que pour fe faire battre. Son fils Andronic fut chargé ie deux expéditions, dont tout le fuccès fe borna a fauver fa perfonne iprès fa défaite. Ifaac, fils d'Androïic, ne devint Empereur que pour nontrer qu'il ne méritoit pas de lere. Plufieurs Auteurs Latins & Fran;pis le nomment Surfac ou Turjdc,  bv Bjs-Empire. Liv. XC/I. 117 par altération de deux mots Grecs qui {ignifïent Sire Ifaac. Ce Prince commen^oit fon regne dans 1'age le plus favorable, oü 1'ame déja nourrie. de réflexions, lorfqu'on eft capable d'en faire, trouve dans les forces du corps de quoi feconder fes defleins. II étoit dans fa trentieme année. II avoit le teint haut en couleur, les cheveux roux, la taille médiocre , une complexion faine & robufte, mais fon efprit étoit de la derniere foiblefle. II ne prit de la fouveraineté que ce que les ames élevées en méprifent comme 1'écume & la fumée de la grandeur& dont elles retranchent tout ce que la bienféance ne les force pas de fouffrir. Le luxe de la table, des habits, des équipages, les parfums, les concerts, les adorations des courtifans faifoient toutes fes délices. II aimoit les bouffons, quoiqu'ils le mifTent fouvent en colere, en lui manquant de refpett: les portes du palais leur étoient toujours ouvertes, & avec eux entroient l'impiété& la débauche. On le voyoit rarement a la ville; il paffoit la plus grande partie de fon temps dans les ISAAC II. An. 1185. II. Portrait d'Ifaac. Nicet. in Ifaacio , l. J.C. 5. * fit'  Isa ac II. An. 1185. IlS IIlSTOIStS iflcs channantes de la Propontide, ou il fit batir de magnifiques palais. Prodigv.c en denenfes frivoles, il faifoit gloire de comblcr la mer en certains endroits, & d'y créer de nouvelles ifles. Ennuyé du loifir inconnu aux Princes qui gouvernent leur Etat fans fe laifler gouverner euxmêmes, il s'occupoit de batiments. II détruifoit les rnaifons des particuliers, les palais, les Eglifes, pour faire confiruire d'autres palais, d'autres Eglifes, oü il faifoit tranfporter les marbres, lesftatues, les tableaux qui ornoient les autres édifices. II enlevoit fans fcrupule les vafes facrés, pour les employer è des ufages profanes. II altera les monnoies, augmenta les impöts, vendit les magiftratures, & mit les Magiftrats, par la foultraftion de leurs gages, dans la néceffité de vivre aux dépens des peuples. Toujours en contradiciion avec lui-même, impie & dévot, dur & compatiffant, ravifleur & charitable, il n'avoit point de carattere. Affeéfant la plus tendre dévotion envers la mere de Dieu, il ornoit fes images des dépouiües des autres Saints.  du Bjs-Empire. Liv. XCIL 119 Multipliant,par fes exactions,le nombre des pauvres, il batiH'oit des höpitaux. Libertin le refte de Pannée, mais chrétien dans la femaine fainte, il diltribuoit alors des aumönes aux veuves, il dotoit de pauvres filles. Quelquefois, par un retour d'humanité, il remettoit a des villes entieres les taxes dont il les avoit écrafées. Bienfaifant aux dépens de fes peuples, il fe croyoit généreux, lorfqu'il répandoit d'une main ce qu'il raviffoit de 1'autre. II s'irritoit, il s'appaifoit fans raifon. En un mot, il étoit alTez inégal dans fa conduite pour ne voir en lui-même que des vertus, & ne laiffer voir a fes fujets que des vices. Théodore Caftamonite, fon oncle maternel, régilToit 1'Empire fous fon nom. C'étoit unprétenduphilofophe, très-habile, fur-tout dans la fcience des impöts; aulTi"fut-il revêtu de la charge de Sur-Intendant des Finances. II gouvernoit 1'Empereur a fon gré , & Ifaac adoptoit fans examen toutes fes idéés. Comme il étoit rongé de goutte, il fe faifoit tous les jours porter dans le cabinet de 1'Empereur; &la, fans fortir de fa litiere, après Isaac H. An. 1185. m. • SeS Miaiftrjs.  ISAAC II. An. 11S5. 120 HlSTOIRE avoir trafiqué avec Ifaac de fes nouveaux projets, oü il y avoit toujours quelque chofe a gagner pour le Prince , beaucoup pour lui, 6c rien pour PEtat, il retournoit chez lui, efcorté d'une troupe de courtifans qui faifoient mine de le plaindre , 6c ne plaignoient que leur infortune. Quoiqu'il fut dans les ordres facrés, 1'Empereur lui fit prendre la robe de pourpre; c'étoit 1'habit Impérial: il fignoit les édits Sc les lettres du Prince avec le cinnabre comme 1'Empereur. L'avarice lui avoit öté tout fentiment d'humanité; la maladie lui öta la raifon même. Un jour de cérémonie, comme il paffoit dans fa litiere au milieu de la place publique, quel— ques flatteurs 1'ayant falué du nom de Maitre 6c de Souverain , quoiqu'il püt impunément accepter tous ces titres, il en fut cependant li frappé , qu'il tomba en épilepfie. Les courtifans s'empreiToiejat a le fecourir; c'étoit a qui fignaleroit fon zele par les ménagements les plus ferviles, tandis que le peuple rioit derrière eux, 6c fe moquoit également du maitre Sc des efclaves. II revint de  t>u Bas-Empirb. Lh. XCIL 121 de eet accès, mais toujours en délire , & ce ne fut pas pour long-temps. II retomba peu de jours après, & expira fans etre regretté de ceux mêmes qui lui avoient fait la cour avec le plus de bafTelTe. II fut remplacé par un jeune homme fans talents &c fans expérience, qui mourut au bout de peu de jours. Le choix d'Ifaac defcendoit toujours. Le fuccelTeur de celui-ci fut un enfant qui fortoit du college, &c dont 1'Empereur voulut cependant prendre des lecons. On le comparoit k ce petit poifTon, qui conduit, dit-on,le crocodile. II acquit,auprès d'Ifaac,encore plus d'autorité, que n'en avoit , eu Caftamonite. Adroit a cacher fon ignorance fous un air de réflexion profonde, il difpofoit fouverainement des affaires de la guerre, qu'il n'avoit j'amais vue , du choix des Généraux, de la marche des armées, des entreprifes, de 1'ordre & de la difcipline des troupes. II fuppléoit aux connoifTances qui lui manquoient par des plaifanteries & des bons mots, dont il amufoit le Prince aufli ignorant que lui.- II s'étoit tellement ren- Tome XX. F ISAAC II. An.  ISAAC II. An. ii8}. IV. Commen- cement dllaac. Nicet. in Ifaac», l.l, c. i. 122 HlSTOIAS du maitre de toutes les entrees, que perfonne n'approchoit de 1'Empereur lans fon agrément, & il ne le donnoit qu'a fes créatures. Cet écolier fe foutint dans le miniftere , par fa fidélité a remettre a 1'Empereur tout ce qu'il avoit 1'indultrie d'attirer k lui. Car Ifaac , né pour être le fubalterne de quelque Minilire , plutöt que pour éclairer la conduite des Miniftres mêmes, étoit avide des plus tninces préfents; il avoit toujours les mains ouvertes pour recevoir nonfeulement 1'or, 1'argent, les bijoux précieux, mais jufqu'au gibier 6c aux fruits. Les premiers jours d'un nouveau regne en font ordinairement les plus beaux. Ifaac s'annon^a d'abord par des acles de piété Sc de juftice. Après avoir rendu graces k Dieu qui le placoit fur le Tröne pour le foulagement de 1'Empire, ilfongeaaremplir cqjtte glorieufe vocation. II diliribua des aumónes, rappella les exilés, ouvrit les prifons è. ceux que d'injult.es foupcons y avoient condamnés, leur fit rendre ceux de leurs biens qui exifloient encore, 6c les  du Bas-Empire. Liv. XCII. 123 dédommagea des autres aux dépens de fon tréibr. Les deux hls d'Andronic furent feuls exceptés de cette grace générale. Jean ne la méritoit pas; il relTembloit trop a fon pere , qui, pour cette raifon, 1'avoit préféré a fon ainé. On lui creva les yeux, & il mourut dans de grandes douleurs. Mais fon frere Manuel fut traité avec la même rigueur, & ce fut une injuftice. Ce Prince aimable , n'avoit d'autre crime que d'être fils d'Andronic ; encore Pavoit-il reparé par fon courage a fe refufer plufieurs fois a 1'exécution des ordres injuftes de fon pere, II fut immolé k des défiances politiques. La révolution avoit été trop rapide pour lailTer aux Siciliens le temps d'en pfofiter. Ils étoient toujours campés k Mofynople, dont ils ravageoient les environs , & leur flotte étoit k 1'ancre au bord des ifles les plus voifines de Conftantinople. Ifaac, au-lieu de leur faire des propofitions de paix, leur écrivit des lettres pleines de fafte & d'arrogance, les menacant de les paffer tous au fzl de 1'épée, s'ils ne retournoient promptement d'oü ils F ij ISAAC II. An, 118;. V. Guerre des Siciliens.Nicet. l.l. C. 1,2.  ISAAC II An. 11S5 124 HlSTOIRE étoient venus. Alduin, Général de 1'armée de terre, auffi indigné de ce procédé , qu'il étoit enflé de fes fuccès, lui répondit fur un ton encore plus infultant , le traitant d'imbécille , nourri a 1'ombre, qui n'avoit jamais endoffé la cuirafle , ni entendu le fon de la trompette guerriere ; il lui confeilloit de quitter le Tröne oü il avoit été jetté par le hafard comme le vent y jette la pouffiere ; de mettre la Couronne en réferve pour le Roi de Sicile fon maïtre , a qui elle alloit bientöt appartenir, & de fonger dès ce moment a lui demander grace de la vie. Ces infultes indécentes de part & d'autre , joignirent 'une aigreur mortelle a 1'animofité naturelle dans la guerre. L'Empereur affembla tout ce qu'il avoit de troupes. II arrivoit en foule des foldats de toutes les Provinces. Ifaac avoit délivré 1'Empire d'un tyran ; on s'empreiToit de participer a fa gloire en combattant les ennemis. L'Empereur augmenta encore cette ardeur par fes'libéralités. II donna de 1'argent 6c des armes aux nouveaux fofdats, qu'il fit partir pour aller joindre 1'armée; ilinf-  du Bas-Empire. Liv. XCII. 125 pira aux anciens plus de courage qu'ils n'en avoient montré jufqu'alors , én leur envoyant la paye qui leur étoit due , & dont la fomme montoit a quatre mille livres d'or. Perfuadé que le partage du commandement entre plufieurs Généraux ne peut que nuire au bien des affaires , il rappella tous les autres, & ne lailTa a. la tête de 1'armée qu'Alexis Branas, dans lequel il avoit le plus de confiance. Branas ayant remarqué la fécurité des ennemis qui fe difperfoientdans les campagnes pour courir au piüage, fit defcendre fes foldats dans la plaine. lis n'étoient pas encore revenus entiérement de leur crainte ; de petits avantages qu'il fut leur ménager,les raffurerent, ckleur infpirerent peu-a-peu tant de hardiefTe, qu'ayant défait un parti Sicilien , ils le pourfuivirent jufque fous les murs de Mofynople. L'armée Sicilienne étant fortie au-devant d'eux, il y eut un grand combat oü les Grecs furent vainqueurs. Animés par ce fuccès, ils attaquent la ville, èc mettent le feu aux portes. La terreur avoit pafle ducötédes Sicilens, qui, F iij ISAAC II. An. iiSj. VI. Les Siciliens vaincus. Nicet. I. I. C. 2. Joann. de Ceccano chr. Chron. fojfx novx. Pagi ad Har.  ïsaac II. Aa, iiSj. I2Ö BlSTOIRE fans faire longue réfiftance, fuyent par la porte oppofée, Sc tachent de regagner Amphipolis , oir ils avoient un autre corps d'armée. Les Grecs les chaffent devant eux, Sc en font un grand carnage. Arrivés au bord du Strymon, ils y trouvent un détachement nombreux qui fervoit de garde avancée. A leurafpect,le détachement rentre en défordre dans la ville, & y jette Pépouvante. Cependant les Siciliens, honteux de fe laiffer enfermer, étant prefque en auffi grand riombre que les Grecs , fortent Sc fe rangent en bataille dans la plaine de Démetrize. Le nouveau courage des Grecs avoit fait perdre aux Siciliens leur ancienne confiance ; Sc au - lieu de fonner la charge , ils envoyent faire des propofitions de paix. Branas les écoute, Sc paroït y confentir. Mais tandis que les députés font leur rapport , Sc que les Généraux tiennent confeil, il marche Sc fond fur eux. Les Siciliens, pris au dépourvu, fe défendent quelque temps; ils font enfin renverfés Sc prennent la fuite. Les uns font tués, les autres précipités dans le fleuve. C'étoit le foir du fept  du Bas-Empjre. Liv. XCII. 127 Novembre. 'Les deux chefs Alduin &z Richard de Cerra, beau-frere de Tancrede , font faits prifonniers. Les ftiyards fe fauvent a ThelTalonique; une partie fe jettent dans les vaiffeaux qu'ils trouvent au port , levent les ancres, & prennent le large , quoique la mer foit orageufe. Mais en fuyant 1'épée des ennemis , ils périffent par la tempête. L'autre partie difperfée autour de la ville, dont les Grecs fe rendirent maïtres fur le champ, fut pourfuivie de toutes parts, & maffacrée. Les plus acharnés con* tre eux étoient les Alains auxiliaires , dont ils avoient tué le chef & plufieurs Prêtres, lorfqu'ils s'étoient emparés de ThelTalonique. Alexis Comnene, auteur de la guerre, qui fe croyoit déja Empereur, fut pris & aveuglé. Les débris de 1'armée Sicilienne fe réfugierent a. Duras , que le Roi de Sicile defiroit de conferver. Mais ne pouvant fournir aux dépenfes néceffaires, il 1'abandonna. Les Hiftoriens Occidentaux accufent Branas d'une noire perfidie; ils difent qu'il fut le premier k propofer la paix, promettant aux Siciliens de les F iv Isaac IIAn. ii»5«  ÏSAAC II. An. 11S5. VH. Suites de' leur défaite.Nicet. i. 1. c J, 4. ia8 H 1 $ r 0 1 s. e laifler retourner librement dans leur patrie : que les Siciliens fe voyant affoiblis par la perte qu'ils venoient de faire, accepterent la propofition, & promirent de leur cöté de fe retirer des terres de 1'Empire fans y faire aucun dpmmage; mais que le traité étant conclu & figné de part &C d'autre, Branas torn ba fur eux, & les défit. lis ajoutentque 1'Empereur fut fi mécontent de cette inrrdélité , qua 1'exceptiond'Alduin , ilne voulut pas retenir les prifonniers faits dans cette derniere rencontre, & qu'ayant fait a Branas de vifs reproches , il le me~ na^a de faire retomber fur lui le défhonneur dont il flétrifToit les armes de 1'Empire. Ce récit paroït confirmé par la révolte de Branas, dont nous parierons dans la fuite. La^ défaite de 1'armée des Siciliens entraina la.perte de leur flotte, compofée de plus de deux cents voiles. Ayant tenté une defcente au bord du eolfe d'Aft aque, ils furent fi maltraités par les troupes qui bordoient le rivage, qu'il leur fallut regagner le large. Quoique la flotte de 1'Empire fut plus foible de moitié , les Grecs,  du Bas-Empire. Llv. XCII. 129 encouragés par le liiccès de leurs troupes de terre , ne demandoient qu'a combattre. Quantité d'habitants , ayant armé des barques s'étoient joints a la flotte, & brnloient de la même ardeur. L'Empereur , confidérant la fupériorité des ennemis, ne voulut pas courir ce hafard, &c retint fes vailTeaux dans fes ports. Les Siciliens qui s'étoient arrêtés dix fept jours dans les ifles de la Propontide , ne recevant aucune nouvelle de leur armée de terre, & jugeant par-la du mauvais fuccès , prirent le parti du retour. Après avoir mis le feu dans 1'ifle de Calonyme & fur les cötes de PHellefpont, ils flrent route vers la Sicile. Plufieurs de leurs batiments furent brifés ou engloutis par les tempêtes; la faim ck les maladies flrent périr prefque tout le refie. Ils perdirent dans cette expédition plus de quatorze mille hommes , dont quatre mille refterentprifonniers dans les cachots de Conftantinople. Ils y furent traités avec inhumanité. L'Empereur ne leur fourniffoit pas même la nourriture , & ils feroient morts de faim fans la charité de quelques parF v ISAAC II. An. 1185,  JSAAC II. An, n§5. I30 HlSTOIRB ticuliers, tels qu'il s'en trouve toujours dans les grandes villes. Le Roi de Sicile, affligé du fort de fes malheureux fujets, écrivit a 1'Empereur: Que cétoit un procédé inoui cke^ des Chrétiens, que de faire ainfi périr des gens qui ri étoient coupables que d'avoir porté les armes fous les étendards de leur Prince : que jï la vi&oire, qu'ilne devoit qi!au fecours du Ciel, le rendoit ttufji cruel quune béte féroce, il auroit du leur arracher la vie, auffi-tót quils étoient tombés entre fes mains : que ceut été alors une hofilité barbare ; mais que de leur faire fouffrir une longue mort par le froid & par la faim , c étoit amant d'homicides. Ces juftes reproches ne firent nulle impreffion fur Ifaac , qui fe croyoit permis tout ce qu'il étoit en pouvoir de faire. Ces miférables périlToient Pun après 1'autre, & demeuroient fans fépulture. Ifaac étoit fur-tout irrité contre Alduin, dont il avoitété outrageufement infulté. Pour donner plus d'éclat a fa vengeance , il fit affembler toute fa Cour; & s'étant paré dés ornements Impériaux, affis fur un tröne tout brillant d'or & de pierreries, il fit venir devant  bu Bas-Empire. Lh, XCll 13* lui le Général Sicilien. Celui-ci comparut la tête nue,dans la contenance la plus humiliée, & le falua profondément avec la vénération la plus fervile. Alors 1'Empereur jettant fur lui des regards de colere De quoi £es-tu avifé, malheurrux , lui dit-il , de violer fi ïnfolemment le refpecl que ui dols d un Souverain, même étranger, même ennemi ? Si un fiicth de quelques moments autorife wie telle audace., juge des droits que me donne fur toi une vicloire complete. Aces motsAlduin-, encore plus adroit courtifan que brave guerrier : » Grand Empereur, » répondit - il, J'avoue mon crime; » je mérite la mort. II n'appartieii' f> qu'a Votre Majefté de ne pas fc » laiffer enivrer des faveurs de h » fortune, paree que Votre Sagefli » eft au - deffus d'elle. Je reconnoi » maintenant que c'eft combattre 1< » Ciel, que de faire la guerre a VO' » tre Majefté. Frappez une tête cou » pable. Je ne regrette pas la vie. Tou » mon défefpoir eft d'avoir conm >> trop tard, qu'Ifaac eft le plus puil » fant, le plus* fage & le plus invin » cible Monarque de 1'Univers ' F vj ISAAC II. An. ilSj. i ■ t l  ISAAC II. An, 11S5, ■ I a < £ i 2 c a a ^ HlSTOTRE Ifaac étoit 1'homme du monde Ie plus tendre a la flatterie j plus elle étoit outrée, plus elle pénétroit dans fon cceur, paree qu'elle approchoit d'autant plus Ae la haute idéé qu'il avoit de lui-même. Touché des paroles d'Alduin , il le fit reconduire èn prifon , & lui donna peu après la liberté.^ II fit plus encore % la fenfibilité qu'Alduin lui avoit infpirée, s'étendit fur tout 1'Empire. II déclara dans cette même affemblée que tant qu'il régneroit, il ne fero.it jamais perdre la vie, nimême les yeux ou quelque membre a aucun coupable , ent - il eonjuré contre 1'Etat ou contre le Prince. Cette protefïation ineonfidéfée lui attira les éloges les plus hy)erboliques. On admiroit, on élevok >lus haut que David, un Prince &. :lément .* il ne tint pas aux flatteurs le Cour qu'on ne le mït au-deflus le Dieu même , qui fait quelquefois clater fes vengeances. Mais Ifaac ne ut que trop corriger Pexcès de cette veugle douceur. II manqua bientöt e parol e ; & après 1'avoir comparé David, on fut. tenté de le mettre tl rEug d'Andronic.  du Bas-Empire. Llv. XC/I. 133 Branas, effrayé des menaces de 1'Empereur , fongeoit a fe mettre k couvert. II penla que le plus fur afyie pour lui feroit le Tröne même. L'exemple d'Ifaac Comnenequi, avec moins de courage , s'étoit rendu maitre de Cypre, lui faifoit efpérer le fuccès, s'il étoit afTez hardi pour entreprendre. II étoit eftimé des troupes qu'il avoit fit conduire k la vicToire. Cependant il ne fe fioit pas aux foldats Grecs , qu'il favoit être attachés k 1'Empereur, & il n'ofaleur découvrir fon deffein. Mais il avoit eu dans fon arméé un grand corps d'Aliemands auxiliaires , fur la valeur de£ quels il comptoit beaucoup. Cesétrangers s'embarrafToient peu de la perfonne de 1'Empereur; ils étoient trèsdifpofés k fervir celui dont ils recevroient une paye p'.us forte. Branas la leur promir. Avec leur fecours Sc celui qu'il efpéroit tirer de Conftantinople , oü grand nombre de mécontents ne manqueroient pas de fe joindre a lui, il fe crut afTez fort pour opérer une révolution. Sur un projet ü mal concu , il fe rend a 1'Eglife de Sainte-Sophie; la élevant la [SA AC II. An. nSj. viii. Tentative de Uranas pour fe faire Empereur.Nicet. I. i. c 6.  ISAAC II, An. 11S 5, 134 UlSTOIRE voix au milieu du peuple: Braves Citoyens , s'écrie-t-il, fauveq-moi la vie. Je viens de défendre la vótre par trois yicloires; je viens de conferver la Couronne d l''Empereur. Je n'ai rien fait que parfes ordres. II me veut punir de les avoir exécutés. Ce Prince, aufji ingrat qu'injufle, veut venger fur ma tête le fang que j''ai fait verf er aux Siciliens vos ennemis. Ces paroles ck d'autres femblables ne produifirent aucun mouvement. Aux cris de Branas , on denieura dans un filence glacé , & le peuple manqua cette fois a un féditieux. Mais cette nouvelle allarma le timide Empereur , qui devoit luimême fa Couronne a une pareille audace. II fe hata d'envoyer a Branas le pardon & la promeffe d'oublier fon crime , & il lui tint parole. Branas s'étant jetté aux pieds de 1'Empereur, fut re§u avec toutes les marqués de la plus fincere bienveillance, & traité dans la fuite comme le ferviteur le plus fidele. Mais tandis que le Prince ne gardoit aucun reffentiment, le coupable confervoitau fond de fon cceur toute fa haine & fon ambition.  nu Bas-Empire. Lïv. XCII. 135 Pendant que 1'Empire fe défendoit contre les Siciliens , le Sultan d'Icöne ravageoit la Lydie. Ce Prince ayant appris la mort d'Andronic, crut trouver une occafion d'avancer fes conquêtes a la faveur du défordre qu'une fi fanglante révolution devoit produire. 11 étoit d'ailleurs inftruit de 1'irruption des Siciliens. Ainfi fans perdre de temps, il envoye en Lydie un grand corps de cavalerie fous le commandement de Samès. Cet Emir trouva fans défenfe la plaine de Cilbiane. Elle étoit entiérement dégarnie de troupes , les uns étant accourus a Conftantinople pour faire leur cout au nouveau Prince , les autres ayanl été mandés pour la guerre de Sicile, ïl pilla donc le pays fans ménagement, enleva quantité d'hommes & de femmes, emmena les beftiaux de toute efpece. Ifaac ne trouva d'autn moyen d'arrêter ces ravages, qu'er s'obligeant a payer au Sultan un tribut annuel: relTource honteufe, mai: que la foiblefTe des Empereurs ne rou gilToit plus d'employer. L'ifle de Cypre gémilToit fous 1; tyrannie d'Ifaac Comnene. On lu ISAAC II. Ai). 118;. IX. Irruptiort desTurcs. Nicet. I. I. e. 4. [ ! An. 1186. I X. Malheu-  ISAAC II. An. 1186. reufe expéditionen Cypre. Meet. I. i. c. 5. Du Cange fam. p. 211. 136 H l S T 0 I R E ofFroit en vain de grandes fommes d'argent pour la retirer de fes mains. Ce cruel ufurpateur n'écoutoit aucune propofition. Altéré de fang, il faifoit toute fa joie de verfer celui de fes fujets, & imaginoit tous les jours de nouveaux fupplices. L'Empereur réfolut d'employer la force pour lui arracher fa proie. II mit en mer une flotte de foixante-dix vaifleaux. Mais il choifit mal les chefs de cette expédition. C'étoient Jean Contofléphane cafle de vieiïlefle, & Alexis Vatace, jeune & vaillant, mais aveugle. Andronic lui avoit fait crever les yeux. Le paflage fut heureux ; mais arrivés dans l'ifle, ils n'éprouverent que des malheurs. Le Roi de Sicile, allié du tyran, avoit envoyé une flotte a fon fecours fous le commandement de Margarit , le plus grand lomme de mer de ce temps-la. Les Gïrecs k leur defcente furent battus 3ar Ifaac , tandis que Margarit s'emaaroit de leurs vaifleaux. Les deux Sénéraux furent pris & mis entre es mains du Général Sicilien, qui les St conduire en Sicile. Ifaac vainqueur :na-öla dans fes troupes une partie  su Bsis-Empire. Lh. XCII. 137 des prifonniers, & fit périr les autres dans de cruels fupplices. Entre eux fe trouvoit Bafile Rhintacene, guerrier vaillant ck habile , qui avoit droit de s'attendre au traitement le plus favorable. II avoit été Gouverneur d'Ifaac Comnene , & 1'avoit inftruit dans 1'art militaire. Son éleve ne lui témoigna fa reconnoilTance, qu'en lui faifant couper une jambe jufqu'au genou. Ce monftre laiffa aller les matelots; mais prefque tous périrent, foit dans les tempêtes , foit de faim & de mifere. L'avarice & 1'imprudence de 1'Empereur fufciterent bientöt une autre guerre , qui fatigua long - temps les armes des Grecs, & détacha pour toujours de 1'Empire la grande Province de Bulgarie, qui avoit coüté k Bafile Bulgaroftone tant de travaux & de combats. Depuis ce vaillant Prince , elle étoit gouvernée par des Ducs; & la révolte des Bulgares du temps de Michel Paphlagonien , avoit été bientöt appaifée. Leur rébellion fous le regne d'Ifaac eut des fuites bien plus facheufes. Voici quelle en fut 1'occafion. Ifaac ayant perdu fa IsAAC II. An. 1186. XL Révoite des Bulgares.Nicet. 1.1. c. 4, 5Du Car.ge fam. Byi. P. 3lS, 319. Idem ad VilUhard. P- 3°3 » 304.  ISAAC IL An. n 86. 1 1 . ] i < 138 HlSTOIRB première femme , obtint de Béla , Roi de Hongrie , fa fille Marguerite, qui n'avoit pas encore dix ans. Voulant épargner fon tréfor , il s'avifa de charger les Provinces d'un nouvel impöt, pour fournir aux fraix de fes noces, qu'il defiroit célébrer avec magnificence; & cette taxe fut exigée avec toute la dureté & Pinfolence ordinaire aux commis de ces fortes de recouvrements. Les Bulgares & les Valaques , réunis alors en une feule nation, ne purent fouffrir cette vexation nouvelle. Déja alTez indociles par leur caractere, ils le devinrent ï>ien davantage, lorfqu'ils fe virent ïnlever leurs troupeaux & la dot de eurs fllles , pour donner des fêtes a a fille du Roi de Hongrie. La iituaion de leur pays leur donnoit 1'ef)érance de fe maintenir contre les brces de 1'Empire. On n'y pouvoit :ntrer que par les gorges du mont iémus; & cette chaine de montages étoit couverte de leurs chateaux >atis fur des rochers efcarpés. Malré leur mécontentement, lefouvenir ie ce qu'ils avoient fouffert fous Basle, les auroit peut-être contenus ,  ru Bas-Emmre. Liv. XCII. 139 fans la hardieffe & la rufe de deux hommes capables d'opérer une grande révolution. Pierre & Afan freres, ilTus des anciens Rois du pays, allerent trouver 1'Empereur a Cypfelês en Thrace, ou il prenoit le divertilTement de la chaffe, & lui demanderent, premiérement, que les troupes Bulgares au fervicede 1'Empire, fuffent enrölées fur le même pied que les Grecs naturels , & qu'elles reculTent le même traitement : en fecond lieu, qu'on leur cédat un territoire de peu de valeur, fitué fur le mont Hémus. On leur refufa 1'un & 1'autre, comme ils s'y étoient bien attendus : car leur intention n'étoit pas d'obtenir ce qu'ils demandoient, mais d'irriter leur nation par le refus, & de la porter au foulevement. Coir.me ils fe retiroient en murmurant, Afan ayant IailTé échapper une parole peu refpecTueufe pour 1'Empereur, Jean Sébaftocrator, oncle d'Ifaac, lui fit donner un foufflet par un de fes gardes. Outrés d'un affront fi fanglant, ils portent dans leur pays la colere dont ils font embrafés. Mais ne trouvant pas encore dans leur n?- ISAAC II. An. 11 Sé.  ISAAC II. An. 1186. XII. GommencementdeIa guerre. Nicet. I. 1. c. 5 , 6. 140 HlSTOIRE tion affez d'arcleur pour la vengeance , ils s'avifent d'un artifice groffier k la vérité, mais propre a mettre en mouvement des efprits fimples & ruftiques. Ayant fait batir une Eglife en 1'honneur de Saint Démétrius, patron de ThelTalonique, & particuliérement révéré dans la Macédoine & la Thrace, ils y rafTemblent un grand nombre de miférables, qu'ils payent pour faire le perfonnage de démoniaques. Ces poiTédés contrefaits, les yeux égarés, les cheveux épars, crioient d'une voix affreufe : que le moment étoit venu de fecouer le joug d'une domination tyrannique; que le martyr Démétrius avoit abandonné les Grecs; qu'il s'étoit retiré che^ les Bulgares & les Valaques , pour les fecondtr dans ce glorieux projet ; quil fallcit fans perdre de temps attaquer 1'Empire , faire la guerre d outrance , & maffacrer fans pitié tous les Grecs qui tomberoient entre leurs mains. La rage de ces forcenés fe communiqua aux Bulgares & aux Valaques, & les premiers fuccès accréditerent rimpolture. II coururent aux armes , & mirent k feu ck a fang les environs  du Bas-Empire. Lfo. XCIÏ. 141 du mont Hémus. Pierre prit la qualité de Roi. Suivi d'un corps de troupes, il alla d'abord attaquer Perilthlava fur le mont Hémus. Trouvant trop de réfiltance , il defcendit dans la Thrace , fit un horrible dégat, enleya les hommes & les troupeaux , & laiffa de toutes parts des marqués fanglantes de fa fureur. Ifaac marcha en perfonne k la tête de fes troupes. A fon approche, les barbares encore mal alfurés, regagnerent leurs défilés. II étoit difficile de les forcer dans ces_ retraites prefque inacceffibles : mais a la faveur d'un brouillard épais, qui les tint long-temps enveloppés, les Grecs tomberent fur eux , y jetter ent 1'épouvante , & les pourfuivirent jufqu'au Danube. Pierre, Afan & leurs principaüx partifans palTerent le fleuve , & allerent fe réfugier chez les Patzinaces leurs voifins. Baiile ayant reconquis la Bulgarie, avoit fait graver fur le marbre dans un Monaftere de Soithene au bord du Bofphore , un confeil k fes fuccelTeurs : Si jamais les Bulgares, difoit- il, yè révoltent de nouveau , il faudra, d mon extmple , traver/er toute la Bulgarie ', & ISAAC II. An. 1186. - f  141 UlSTOIRB ny lalffcr aucune place , aucune forte- Isaac II. An. 1186. An. 1187. XIII. Défaite de Jean Cantacuzene. reffe fans garnifon ; cejl funique moyen de tenir en bride cette nation remuante & indocile. Ifaac n'avoit pas afTez de conftance pour fuivre cette avis. Dès qu'il vit les barbares hors du premier pofte ou il les avoit. attaqués, il fe contenta de brüler leurs magafins; il fe laiffa tromper par leurs feintes proteftations d'obéiffance, & ne fongea plus qu'a retourner a Conftantinople. II n'y fut pas long-temps fans apprendre qu'Afan étoit rentré en Bulgarie fuivi d'un grand corps de Patzinaces, & que toute la nation avoit repris les armes. II fit partir aufïi-töt Jean Sébaftocrator fon oncle , qui ayant attiré les ennemis dansles plaines de Thrace , remporta fur eux de grands avantages. II étoit dangereux de trop bien fervir ce foible Empereur. Les fuccès de fon oncle lui donnerent de la jaloulie; il craignoit que Jean ne fut tenté de prendre la Couronne qu'il favoit défendre. II le rappella, & mit en fa place Jean Cantacuzene qui avoit époufé Irene , fceur d'Ifaac, Le nouveau Général, décoré  nu Bas-Empire. Lip. XCII. 143 du titre de Céfar, étoit brave & inftruit dans la fcience de la guerre , mais yain & préfomptueux; ce qui rendoit fa valeur fouvent malheureufe. C'étoit un de ceux qui avoient éprouvé la cruauté d'Andronic par la perte de la yue. On fera fans doute étonné de voir fouvent dans ces tempsla de ces fortes d'aveugles a la tête des armées, & chargés des expéditions les plus difficiles. C'eft qu'entre les diverfes manieres mifes en ceuvre pour oter la vue , la plus douce étoit de préfenter aux yeux une lame de fer rouge , dont 1'ardeur devoit brüler les membranes, & deflecher les humeurs des yeux. Mais le plus ou le moins d'efFet de cette opération barbare, dépendoit beaucoup du plus ou; du moins d'humanité dans les exécuteurs ; en forte que plufieurs de ceux qui avoient éprouvé ce fuppüee , confervoient encore quelque ufage de leur vue.D'ailleurs, dans le déclin de TEmpire , la coutume s'étoit fans doute introduite de féparer le nom d'avec la réalité; & dans la guerre ainfi que dans les emplois les plus importants, le chef quidoit être ISAAC II. An. 11S7.  IsAAC IL An. 1187 I44 " HlSTOIRE 1'ceil de toute la geliion , étoit cenfé affez clair-voyant, s'il voyoit par les yeux de fes fubalternes : procédé vraiment aveugle , qui met Ja itatue a la place de 1'homme , & qui la laifle mouvoir par les paffions 6c les intéréts de ceux qui reftent cachés derrière elle. Cantacuzene apprenant que les barbares fe tenoient fur le haut des montagnes , ne douta point que ee ne fut un effet de leur crainte ; 6c s'étant campé dans la plaine, il ne crut nullement nécelTaire de fe retrancher, de polier des gardes avancées, ni de prendre aucune précaution pour fa füreté. Cette confiance téméraire eut les fuites qu'elle devoit avoir. Les barbares étant defcendus pendant la nuit , pénetrent dans le camp, égorgent les foldats endormis, maffacrent ou font prifonniers ceux qui fuyent fans avoir le temps de prendre leurs armes. Le Céfar , réveillé par les fuyards qui fe réfugioient dans fa tente, fe leve en les accablant d'injures, les traitant de poltrons , de traitres ; il va , ditil, leur montrer ce qu'il faut faire dans une attaque foudaine. II monte fur  dü Bas-Empire. Liv. XCII. 145 fur un cheval Arabe, faifit fa lance & fon bouclier, Sc court aux ennemis en criant : fuiven-moi. Mais ne voyant pas oü il étoit, Sc ne fachant oü il alloit, il eli entrainé par la foule des fuyards, 6c fuit lui-même a toute bride. Les Bulgares pillent le camp; tous les drapeaux des Grecs tombent dans leurs mains. Pierre & Afan s'emparent de la dépouille du Céfar; & s'étant revêtus de fes habits de pourpre , ils fe montrent ainfi è leurs troupes, qui les félicitent par degrandes acclamations. N'ayant plus rien k craindre des Grecs, ils camI pent au milieu de la plaine, 6c fe re1 tranchent. L'Empereur rappella Cantacuzene; Sc ne connoilTant point de meilleur ü Général que Branas, quoique fa coni duite paffée dut le rendre très-fuf- 1 | peet, toutefois trompé par les appa: rences de fon repentir, 6c par le zele qu'il affectoit pour réparer fa faute, ; il lui confia le commandement de I 1'armée. Branas fe conduifit en grand 1 Capitaine. Toujours fur fes gardes, i n'abandonnant rien a la fortune, choi; fiffant des campements fürs, 6c fe reTomi XX. G ISAAC II. An. 1187. XIV. Branas )roc;amé ïmpeeur.  1 ISAAC II. ( An. 1187. 1 j 1 i 1 1 j 1 1 < 1 ] '] I i 1 j J 1 t ] ( 45 HlSTOIRE ranchant avec foin, marchant en orIre de bataille autant que le terrein louvoit le permettre, il fut confereer fes troupes fans aucun échec ; k, fans hafarder de bataille , détruire >eu-a-peu 1'armée ennemie par de >etits combats, qui fe terminoient oujours a fon avantage. Enfin, ayant ■epouffé 1'ennemi de pofte en pofte ufqu'au-dela du mont Hémus, il crut ivoir trouvé le moment favorable jour exécuter le projet qu'il médi* oit depuis long-temps. Les foldats, lont il ménageoit le fang , étoient >rêts a le répandre pour fon fervice* 1 affembla fes Officiers, dont la plu>art étoient fes parents, & leur ayant :xpofé 1'incapacité du Prince , il les :onfulta fur les moyens de rendre a 'Empire fon ancienne fplendeur. Pour noi, leur dit-il, je rien connois point {autre, que de mettre la Couronne Impériale fur la tête d'un homme capable le fe faire refpecler des fu/ets, & redouer des ennemis. Choifijfe^-vous un maU re de ce caraUere; je ferai le premier d 'uijurer fidélité. II étoit bien afliiré de eur fuffrage. Tous le prierent de fe rharger lui-même du gouvernement,  nu Bas-Empire. Liv, XCH. 147 II v confentit fans neine: & les avant exhortés k cüfpofer leurs foldats k ce changement, il prit la route d'Andrinople fa patrie. La , tous les efprits étant préparés , 1'armée entiere, par une acclamation unanime, le nomina Empereur. On marche k Conftantinople. Branas établit fon camp a peu de diftance de la ville , & fur le foir, fuivi de fes troupes , il s'avance afTez prés pour fe faire entendre. Alors, adreffant la parole aux foldats $C aux habitants , qui le regardoient du haut des murs: Citoyens, s'écria-t-il ,je vcus apporte la vicloire, lapaix & V abondance. Voild les biens que vous alle^ recevoir ,Jïvous m'ouvre^ vos portes: mais fi vous m'oblige^ de les forcer, attende?vous d voir entrer avec moi tous les maux de la guerre. Ayant dit ces paroles, il fe retira dans fon camp. Le lendemain au lever du foleil, il s'approche a la tête de fon armée rangée en bataille. L'Empereur, après avoir pofte fur les murs Sc derrière les portes une partie de fes troupes, fait fortir 1'autre avec ordre d'aller combattre Tennemi au-dela. du foffé; 8c, fi elle G ij ISAAC II. An. 1187. XV. II marche aConftan» tinople.  ISAAC II, An. 1187, XVI. Ccmbat ar mer. I48 fflSTOIRE fe voit prelTée, de fe retirer k 1'abri des tours & des remparts de la ville. On palTala matinée k tirer de part & d'autre, fans en venir aux mains. Sur le midi la cavalerie de Branas chargea les Impériaux, qui, ne pouvant lui réfifter, repaffent le foffé, & fe retirent au pied des murs, fous la protettion des machines & des archers qui bordoient la muraille. Branas, fans pouffer plus loin ce premier fuccès, retourne dans fon camp. Ce qui lui donnoit le plus d'avantage fur les Impériaux , c'étoit un grand corps d'infanterie Latine, compofé des prifonniers Siciliens, k qui 1'Empereur avoit donné la liberté, &c qu'il avoit armés & envoyés k Branas, faifant la guerre aux Bulgares. Le rebelle, après avoir fait repofer fes troupes pendant cinq jours, fe rapproche de la ville, efpérant y exciter quelque diviiion entre les habitants; & pour faire parade de fes forces, il les étale fur les éminences au feptentrion, depuis la pointe du golfe de Céras jufqu'au Bofphore. Ce grand nombre de drapeaux qui flottoient en Pair, & Péclat des armes  du Bas-Empirb. Lh. XC1I. 149 frappées des rayons du foleil, faifoient un fpe&acle effrayant. Branas avoit attiré a fon parti les habitants des ifles de la Propontide , la plupart pêcheurs. Ils étoient en grand nombre , peu exercés k la guerre, mais hardis navigateurs. Ayant revêtu leurs barques de planches épaiffes pour en fortifier la proue & les flancs, armés d'arcs & de frondes, ils oferent attaquer la flotte Impériale, qui voguoit autour de la ville, pour en défendre 1'approche du cöté de la mer. On fut d'abord furpris de leur hardieffe; c'étoit, difoit-on, une folie d'aller affronter de grands vaifi'eaux avec de fimples nacelles. Mais on en vint bientöt a les craindre, quand on les vit voler avec légéreté, & inveiiir de toutes parts chaque vaifleau qui, fe remuant avec plus de lenteur, pouvoit a peine fe garantir de 1'abordage. La flotte fut obligée de regagner le bord, oiï les barques la tenoient comme bloquée; lorfqu'enfin , honteufe de céder a de fi foibles ennemis, elle revire de bord; & faifant force de rames & de voiles, elle fond fur les barqwes, en coule k fond G iij FsAAC II. An, HS7.  ÏSAAC II. Aa. II87. XVII. Lacbeté de 1'Emjiêreur.Nicet. I. I. '« 7' i ï5° HlSTOIRE une partie , difperfe le refte, Sc les auroit confumées par le feu Grégeois, fi 1'armée de terre, accourant au rivage, n'eüt protégé la retraite, en faifant pleuvoir une grêle de fleches & de pierre fur les vaiffeaux de 1'Empereur. Branas, n'efpérant fe rendre maitre de la ville ni par intelligence, ni de vive force, réfolut de Ia réduire par farnine. Les Provinces voifines. tant en Europe qu'en Afie, s'étoient déja déclarées pour lui, il leur fit défenfe d'envoyer a Conftantinople aucune fubfiflance. II travailloit en niême-temps a raffembler des vaiffeaux pour être en état de combattre la flotte de 1'Empereur. Cependant Ifaac, affez heureux pour voir Ie peuple de Conftantinople animé contre Branas, Sc réfolu a foutenir un fiege plutöt que de lui ouvrir les portes, ne feconioit ces bonnes difpofitions que par les dévotions très-louables en ellesuêmes, mais dont 1'effet eft de faire irofpérer le travail & le courage, & jon pas d'en tenir lieu. II fentoit 3ien qu'il avoit grand intérêt k ne >as laiffer prolonger le fiege, & que  du Bas-Empire. Liv. XCIL 151 i'ln^^^rtmrp naturelle an neuole. pouvoit a la longue changér les esprits. Mais fa lacheté & fon inexpérience le rendok incapable de donner les ordres néceffaires. II fit placer fur la muraille, comme une défenfe infurmontable, une image célebre de la Sainte Vierge; & ayant alTemblé dans fon palais tous les Moines mendiants de Conftantinople, il paffoit la journée au milieu d'eux k prier Dieu d'écarter de lui le fléau de la guerre, & de lui conferver la Couronne. On peut douter, fans irreligion, que fes prieres euffent été exaucées, fi Tactivité de Conrad n'eüt fuppléé k fon inaction. Ce Prince, proche parent avec Reinier de Montferrat, qui avoit époüfé Marie , fille de Manuel, étoit depuis long-temps attaché a 1'Empire. II avoit fignalé fon zele fous le regne de Manuel par le défaite de 1'armée de 1'Empereut Fréderic. Ifaac le fit venir a Conftantinople, quelque temps avant la révolte de Branas , & lui donna k titre de Céfar qu'il ötoit a Cantacuzene ; il lui fit époufer fa fceur Théodora* Conrad s'étoit acquis une granG iv ISAAC TT. An. 1187,  Isaac II, An. 1187, i X i c < < { f e 4 e n %: t; XVIII. Préparatófs de Ia C bataille. fc= c v, la Pi m ig* Histoirs de réputation de vaieur & de prudence; il ne ceffoit d'exciter fon beautrere, lui repréfentmt qu'il devoitjoi*. drelaSion aux armes fpirituclks ; qu'aires avoir levé les mains au Ciel commt Motje, d falloit, comme Jofué, les tourier contre l'ennemi, & qu'une armée de Moines mendiants m fuffifoit pas conre des lances & des épées. A force de oups d'aiguiTlon , il réveilla , pour [uelques moments, 1'indolent Empeeur. Branas, étant maitre de tous les ehors, Ifaac n'avoit de reffource que ans Conftantinople pour trouver des sldats, & 1'argent lui manquoit. II ngagea aux Eglifes pour de grandes }mmes la vaiffelle Impériale, qu'il u fom de retirer après la guerre, iais fans argent. II foudoya par ce loyen un certain nombre d'habiints. Conrad, de fon coté, aiTemblales \M braves gens, qui s'attacherent a ^perfonne par eftime de fa vaieur. étoient deux cents cinquante cailiers Latins, cinq cents fantaftins, plupart Turcs & Ibériens. 11 com>fa de plus un corps de mille homes qu'il choifit entre les Officiers  dv Bas-Eaipiae. Lh. XCII. 153 du palais, & les citoyens les plus diftingués. II fembloit être un Ange envoye du Ciel pour défendre le foible Empereur. AufTi prenoit-il avec lui le ton de maitre, lui reprochant quelquefois qu'il avoit plus d'ardeur pour la table que pour fon falut & celui de 1'Empire. II le détermina enfin a livrer bataille. Ifaac endofla la cuiraffe; & ayant convoqué fes Officiers dans le palais de Blaquernes, il les exhorta par une harangue militaire a faire le devoir de fideles fujets, permettant a eeux qui ne fe fentoient pas afTez de courage, de fe retirer chez eux fans prendre d'autre parti que celui auquel les appelleroit la victoire. II ajouta même, que sil y en avoit parrni eux qui fuffent dans le coeur plus favorables au rebelle , il ne les empêchoit pas de U aller joindre; quils pouvoient en toute fureté fortir de Conftantinople ; que la trahifon feroit moim criminelle avant faclion même, para qu'elle feroit moins dangereufe. Une permiffion fi extraordinaire étonm tous les Officiers; mais Jean Sébaftoerator, oncle de 1'Empereur, fenti que c'étoit lui que 1'Empereur avoi G v ISAAC II. An.Il87. i ( t  ISAAC II. An. 1187. XIX. Bataille tle Conftantinople. Nicet. 1,1, c. 8. ] ] ] 1 < 1.54 HlSTOIRB principalement en vue. Son ancienne liaifon avec le rebelle étoit encore refferrée depuis peu par le mariage de fon fils avec la fille de Branas. Se voyant donc foupconné de perfidie, il protefta,avec les imprécations les plus terribles contre lui-même & contre toute fa familie, que jamais un finoir deffein ri étoit entrédansfapenfée; que la vieilleffe ne lui avoit pas encore óté le bon Jens, jufqu'a préférer d 1'Empereur fon neveu, de qui il avoit regu tant de bienfaits, un malheureux rebelle , dont fl? riauroit jamais accepté l'alliance, s'il eüt pu prévoir fa révolte. Branas étoit déja rangé en bataille, lorfque Parmée Impériale fortit de Conftantinople. Manuel Camyze, grand Ecuyer & coufin de 1'Empereur, commandoit 1'aile gauche. Ennemi mortel de Branas, & n'efpérant point de falut, fi le rebelle dePenoit fon maitre, il avoit abandonïé tous fes biens a 1'Empereur, pour ever des foldats. Ifaac marchoit a a tête de 1'aile droite. Conrad, qui, >ar fon courage & fa fcience 'miliaire,tenoit la place de 1'Empereur, itoit au centre, fuivi des Latins tant  nu Bas-Empire. Liv. XCII. ig$ cavaliers aue fantaffins. C'étoit auffi le pofte que Branas occupoit dans fon armée ; il y avoit affemblé 1'élite de fes troupes; les ailes étoient commandées par fes Lieutenants. La matinée fe pafta en efcarmouches. A midi le combat devint général. Conrad s'avanca le premier a la tête des Latins. II étoit fans cafque & fans bouclier; mais il portoit pour cuiraffe une toile de lin repliée en dixhuit doublés, & détrempée dans Ie fel & le vinaigre ; ce qui la rendoit impénétrable aux plus rudes coups de lance. A la portee du trait, il fit halte; le refte de Farmée le fuivoit en colonnes. Les files & les rangs ferrés, il charge & enfonce 1'ennemi , qui, ne pouvant foutenir ce choc, tourne le dos , & prend la fuite. Branas s'efforce inutilement d'arrêter les fuyards; ni fa voix, ni fon exemple ne peuvent les raffurer. Défefpéré de leur lacheté, il court luimême a Conrad; la mort de ce brave guerrier eüt décidé la vicioire. II lui lance fon javelot, qui ne fait que lui effleurer 1'épaule. Conrad, empoignant fa piqué a deux mains, b G vj ISAAC II. An. 1187-  Isaac II. An, 1137. 1 4 { 1 i ] j < < I t c c ij l ? |Ö H I S T O I R E lui porte au vifage , & le renverfe a bas de fon cheva!. Comme Branas demandoit quartier : Ne craïns rien, lm dit Conrad , il ne {en coütera que la tête; ce qui fut fur le champ exécute par fes gardes. Cependant 1'armee rebelle fuyoit de toutes fes forces. Les vainqueurs flrent peu de carnage, & ne s'acharnerent nas a la pourfuite. Ils s'arrêterent a piller Ie camp; & le peuple de la ville vint ?n foule enlever fa part du butin. Dans cette bataille fut tué un fameux iftrologue, nommé Conftantin Stébat, qui avoit prédit è Branas qu'il intreroit ce jour-la en triomphe dans -onflantinople. La prophétie fe vé'ifia tout autrement que Pun & 1'aure ne 1'avoient entendu. Comme 'Empereur rentroit triomphant clans a ville, on porta devant lui, au bout Ie deux lances, Ia tête & le pied Iroit de Branas. A cöté de ee fanjam trophée, on portoit encore la ete d'un de ces Poëtes mercenaires, ui font commerce d'éloges en méhants vers. On ne dit pas la raifori e eet alTortiment bizarre : on peut >upconner que ce favori d'Apolkm  Sü Bas-Empire. Liv. XCII. 157 s'étoit un peu trop prefl'é de chanter d'avance le glorieux fuccès de Branas. L'Empereur, s'attribuant a lui feul 1'honneur d'une vidtoire k laquelle il avoit eu fi peu de part, fit préparer un magnifique feftin, & ordonna de tenir ouvertes toutes les portes 't du palais, afin de fe montrer a fon peuple dans toute fa gloire. II crut la relever par ia plus fhipide inhumanité. II fit fervir fur fa table la tête de Branas; & Payant jettée par terre, les courtifans, qui n'ont guere d'autre ame que celle du Prince, fe firent un jeu de 1'infulter k coups de pieds, & de la percer de fleches. II la fit porter en eet état k la femme de Branas, niece de 1'Empereur Manuel ; & comme on demandoit k cette veuve infortunée fi elle la reconnoiffoit, levant fes yeux prefque éteints par la douleur : O ui, répondit-elle, & je reconnois aujji mes malheurs. Elle n'en dit pas davantage, Ik. fe replongea dans un morne filence. C'étoit une Princeffe vertueufe & modefle, celle de toutes les femmes de la Cour qui méritoit le moins un traitement fi barbare. Manuel avoit coutume de SAAC II. Vn. 1187. XX. Suites de a viöoie. Vicel. l.ï, ■• 9-  Isaac II. An. 1187. / 1 J i ] ) 1 < 1 < i I 153 HlSTOIRE PappeHer, l'konneur defon Jexe & l'ornement de la familie Impériale. Cependant Parmée vaincue, faifie du plus grand effroi, précipitoit tellement fa fuite, qu'elle nes'appercut qu'au pont d'Athyras, a fix lieues de Conftantinople, qu'elle n'étoit pas pourfuivie. Chacun alors fe difperfa pour fe retirer dans fa familie, les fimples foldats fans inquiétude, a 1'abri de leur obfcurité; mais les Officiers ■ diftingués par leur naiffance ou par leurs emplois, craignant le reffentiment du Prince, s'alTemblerent, & d'un commun avis, lui envoyerent des dé3utés pour lui dire, que s'il leurparionnoit, il riauroit point de ferviteurs üus lélés & plus fideles; mais que sü f montroit inflexible, ils alloient, quoim'd regret, chercher leur fureté, & porter eurs fervices cke^ les nations ennemies. -.'Empereur leur accorda leur pardon, plufieurs d'entre eux, étant venus 1'af'urer de leur repentir & de leur atta:hement déformais inviolable , il les ecut avec bonté; & prenanf le ton de lirecf eur de confcience, il leur coneilloit d'aller trouver le Patriarche, »our fe faire rclever de Panathême  du Bas-Empire. Liv. XCIl. 159 qu'ils avoient encouru par leur révolte. Les ames les plus timorées fuivoient fon avis; d'autres, moins fcrupuleux, en faifoient des rifées, & difoient, qu'ayant été Clerc autrefois, il' ne pouvoit perdre 1'habitude de Catéchifer. Quelques - uns s'étoient déja retirés chez les Bulgares, il les rappella par des lettres d'amniftie. II auroit au moins eu Phonneur d'avoir terminé avec douceur une guerre civile, li fa bizarrerie naturelle n'eüt flétri eet heureux commencement. Après la grace accordée aux révoltés, il permit au peuple de Conftantinople de traiter en pays enn»mi les campagnes d'alentour & les ifles de la Propontide , pour punir les habitants de s'être déclarés pour Branas. Une permifïion de faire du mal a toute la force d'un ordre; & il eft toujours promptement exécuté. Dès la nuit fuivante, on mit le feu a tous les édifices , tant facrés que profanes, tant publics que particuliers,' au-4ela du golfe de Céras. On eüt dit que les Bulgares étoient aux portel de la ville. Ce cauton fut enïiérement dévoré par les Hammes, On ISA.AC II. An. 1187» XXf. Troubles aConftantinople.Nicet. 1.1. c. 10.  ISAAC II, An. 1187. 1 1 j ] I léo IIlSTOIRS voyoit les malheureux habitants, furpris par Pincendie, fauver de leurs maifons embrafées leurs enfants, & ce qu'ils pouvoient emporter de leurs effets. Le lendemain, les Latins de Conrad, accompagnés de cette foule de miférables, qui, dans les grandes villes, n'attendent qu'un fignal pour piller les biens qu'ils n'ont pas, armés de tout ce qui leur tomboit dans la main, fe difperfent aux eneirons de Conftantinople ; ils for:ent, ils pillent, ils abattent les habitations, les Eglifes, les Monafteres. On infulte, on maltraité les Prêtres, les Moines, les Religieufes. Dn enleve jufqu'aux vafes facrés; ?n maffacre ceux qui réfiftent. Ce léfordre afrreux auroit dure plus long:emps, fi TEmpereur, fur les remonrances de quelques gens de bien, ï'eüt envoyé les Seigneurs du plus ïaut rang, pour arrêter cette fureur jopulaire. Elle fut fuivie d'un autre ;xcès non moins déplorable. Les ar:ifans de Conftantinople, déjajaloux ies Latins, qui fe vantoient d'avoir "euls fauvé 1'Empire, irrités encore lu traitement barbare qu'ils venoient  nu Bas-Empirr. Liv. XCIL 161 de faire aux Grecs, s'étant animés les uns les autres , & réunis enfemble, attaquent les Latins a leur tour. Ils courent en foule a leurs maifons, qu'ils croient remplies de richefTes , ne refpirant que le meurtre & le piliage. Ils brülent de renouveller le mafTacre qu'ils avoient déja fait du temps d'Andronic. Mais ils y trouvent plus de réfiltance. Au premier bruit de cette émeute, les Latins, tous gens de guerre, avoient fermé de grolTes pieces de bois 1'entrée des rues qui conduifoient a leurs logements; & a la faveur de ces barricades , armés de toutes pieces, ils repouffoient aifément une multitude confufe, fans chef, pleine de vin, & dont 1'ivrefTe faifoit tout le courage. L aflaut continua bien avant dans Ia nuit. Le terrein d'attaques fut bientöt jonché d'habitants tués ou bleffés & couchés par terre au pied des barricades. Au matin le peuple fe préparoit a recommencer, lorfque 1'Empereur envoya fes principaux Officiers pour appaifer ce tumulte. Les Latins y réuffirent encore mieux par un ftratagême. II avoient tranfporté Isaac II. An. ii87.  ISAAC II An, ii 87 XXII. Continuationde Ia guerre desBulgares. 162 H I S T O I R F. pendant \a nuit, dans le veftibule de leurs maifons, une grande partie des cadavres, & après les avoir habillés comme eux, & leur avoir coupé la barbe, qui diftinguoit les Grecs, ils les montroient aux envoyés de 1'Empereur comme des Latins qui avoient péri dans cette émeute; ils les prioient de fe contenter du fang de ces malheureux, & de ne pas poulTer plus loin un emportement aveugle. Le peuple y fut trompé; &c fe croyant alfez yengé, chacün retourna a fon travail ordinaire. Mais ce qui contribua le plus a calmer les eiprits, ce fut que 1'ivrelTe de la veille étant diiTipée, la chaleur qui les avoit enflammés, fe trouva fort refroidie. Les Bulgares & les Valaques avoient profité de la guerre civile pour repafTer le mont Hémus avec les Patzinaces. Ils étoient campés prés d'Agathople, & ravageoient toute cette contrée de la Thrace. Ifaac réfolut de les aller combattre en perfonne. La victoire remportée fur Branas , qu'il ne devoit qu'a Conrad, lui donnoit une grande opinion de lui-même. II manda toutes fes trou-  du Bas-Empire. Liv. XC7I. 163 pes , auxquelles il affigna rendezvous a Taurocome prés d'Andrinople, & les devanca avec quelques efcadrons qui fe trouverent prêts a partir. Lorfqu'elles furent arrivées , il envoya les bagages a Andrinople , Sc s'étant mis en marche , il prit luimême les devants avec un corps de deux mille cavaliers choifis. II fut bientöt averti par fes coureurs , que les ennemis après avoir ravagé les environs de Lardée , fe difpofoient k fe retirer dans leur pays avec un grand butin Sc quantité de prifonniers. II partit de nuit aufïï-töt; mais ne les trouvant plus, il campa prés de Bafternes , Sc fit repofer fon armée. Trois jours après, il prit la route 4e Bérée. II n'avoit pas encore fait einq lieues qu'un cavalier courant k toute bride vint lui annoncer que les Bulgares n'étoient pas loin , Sc qu'ils marchoient k petit pas , paree qu'ils étoient chargés de butin. II fait diligence pour les joindre, Sc ne fut pas long-temps fans les appercevoir. A la vue des Grecs , les barbares chargent de leur butin un détachement, avec ordre de prendre le plus court Isaac II. An. 1187.  ÏSAAC II. An. 1x87. £ <3 cl 1< c n If>4 HlSTOIRE chemin pour regagner les monfagnes; le refte de leur armee fait halte, & fe prépare k recevoir 1'erinemi. La cavalerie Grecque engage le combat, & les barbares avoient Pavantage. Montés fur des chevatix trés - vïtes a la courfe & infatigables, ils coururent d'abord k la rencontre des efcadrons Grecs ; mais après avoir tiré leurs fle:hes & porté leurs coups de lance, Is tournoient bride ; & fuyant fans e débander, ils fe laiffoient pourfui/re jufqu'a quelque dilïance : alors ■etournant tout-a-coup fur 1'ennemi, Is combattoient avec plus de force. Ze manege plufieurs fois répété faigua tellement les Grecs, qu'ils étoient Lir le point de fuccomber, & peroient déja beaucoup de leurs gens , arfque 1'Empereur fit avancer Pinmterie. Celle des Bulgares étoit en -op petit nombre pour en foutenir ? choc. Ils prirent donc le parti de lire retraite ; mais en fi bon ordre, ue 1'Empereur ne remporta fur eux 'autre avantage que de reprendre 's prifonniers qu'ils emmenoient. II antinua de les pourfuivre inutilelent. Pierre tk Afan , toujours k la  du Bjs-Empire. Llv. XCIl. 165 tête de leurs troupes. fe fïrent un ieu de fatiguer 1'Empereur, fans en venir jamais aux mains. Inftruits de tous fes mouvements, ils lui échappoient fans cefTe par la légéreté de leurs chevaux, les gens de pied étant accoutumés a fauter en croupe. Lorfque 1'Empereur alloit les chercher k Philippopoli dont ils ravageoient le territoire,avantfonarrivée ils étoient déja fur les terres d'Agathople ; couroit-il k cette derniere ville, il apprenoit qu'ils étoient retournés k Philippopoli. N'efpérant plus les atteindre, il lui vint en penfée d'entrer 1 lui-même en Bulgarie , & de fe venger fur ce pays des ravages que les Bulgares faifoi&nt en Thrace. Mais les neiges & les frimats qui fe font fentir de bonne heure en ces contrées, 1'obligerent de faire cantonner fes troupes. Ainfi prenant avec lui fa ca- , valerie légere , il retourna a Conftantinople , ou il paffa 1'hyver en fêtes & en fpectacles. Ifaac en partant de Conftantinople pour marcher contre les Bulgares, ] avoit recommandé a Conrad de le ] fuivre fans délai. Mais Conrad s'en- 1 < ISAAC U. An. 11S7, xxnr. Conrad fe etire en 'aleftine. Heet. I. i, • I.  ISAAC II. An. ii 87. Roger de Hov. Guill. de Nangis. Ahulfara- Chron. Belg. Jac. de Vitri. Hifi. de Jeruf. Exped. Frid. Guill. NeuIrig. Sanut. I. 3. part. 10. c. i. Du Cange fam.p.203. l66 HlSTOÜRE nuyoit de vivre a la Cour du Prince Grec, oü il n'efpéroit pas de plus haute fortune. La qualité de Céfar ne lui procuroit que le frivole privilege de porter la chaulTure de pourpre fans aucun droit de fuccéder a 1'Empire. D'ailleurs, la mort de Branas qu'il avoit tué de fa propre main , lui avoit attiré de puifTants ennemis, & la foible proteclion de 1'Empereur ne pouvoit le rafTurer. II profita donc de 1'abfence du Prince pour fe retirer; & comme il avoit pris la croix avant que de venir en Grece, il paffa par mer en Syrië , oü fon pere étoit déja entre les plus illuftres Croifés. II débarqua au port de Tyr, le jour même que Saladin gagna la fameufe bataille de Tibériade., qui porta un coup mortel aux Chrétiens de la Paleftine. Son arrivée fauva la ville de Tyr; il la défendit avec tant de courage & de prudence contre les attaques de Saladin , qu'il 1'obligea de lever le liege. II eut le bonheur de délivrer fon pere prifonnier entre les mains des Mufulmans. Mais fa valeur mal fecondée ne put arrêter le cours des conquêtes de ce redoutable Sultan , qui,  du Bas-Empire. Llv. XCII. 167 après s'être emparé d'Acre, deBarut, de Sidon , d'Afcalon , vint affiéger Jérufalem, & la prit en dix jours. Les fervices que Conrad rendit aux Chrétiens, lui acquirent une grande confidération en Palefiine. Sa femme Théodora étoit morte a Conftantinople avant fon départ. Sibylle, fille d'Amauri, fceur de Baudouin IV, mere de Baudouin V, tous fucceffivement Rois de Jérufalem , leur avoit furvécu. Elle porta la Couronne qui lui appartenoit, fur la tête de Gui de Lufignan , qu'elle époufa. Elle mourut deux ans après la perte de Jérufalem; & quoique Lufignan prétendit conferver le nom de Roi, qu'il ne tenoit que du chef de fa femme , Ifabelle, fceur de Sibylle, lui difputa eet honneur, &c prit le titre de Reine. Elle étoit mariée a Humfroi de Thoron, Connétable du Royaume. Mais Conrad, afTez ambitieux pour afpirer au nom de Roi, même fans Etats , enleva la PrincefTe , & 1'époufa. Ce mariage fi peu canonique fubfifta au moyen de 1'argent que Conrad . répandit , tk du befoin qu'on avoit de fon affiftance, paree qu'é- ISAAC II. An. 1187;  ISAAC II. An, ii 87. An. 11SS. XXIV. Fin de Ia guerre de Bulgarie. : i 1 1 1 < < ] 168 H1ST01R.B tant maïtre de Tyr, il ne tenoit qu'a lui d'affamer tout le pays. Ce droit paiTa par fucceffion a fa fille Marie, qui ayant époufé Jean de Brienne, Comte de la Marche, lui communiqua ce même titre fans réalité. Toute la valeur de Conrad ne put le garantir des coups de ce Prince barbare Sc fanguinaire, nommé le Vieux de la Montagne, qui s'étant érigé fur le mont Liban un tribunal meurtrier, lugeoit de-la les Princes de la Terre , Sc envoyoit du haut de fes rochers le poignard Sc la mort dans le fein ie ceux qu'il avoit condamnés. Con•ad fut aiTafliné a Tyr a la fin d'Avri\ de 1'an 1192, Au commencement du printemps ie Pan 1188, 1'Empereur retourna oindrê fes troupes qui avoient paffé 'hyver fur les frontieres de Bulgarie. II employa trois mois au fiege de a fortereffe de Lobize qu'il ne put >rendre ; & après avoir inutilement atigué fes troupes , il revint a Confantinople , oü le rappelloit le plaifir le la chalTe Sc des fpectacles , dontil :toit plus occupé que du foin de fes Ltats. II avoit enleyé dans une courfe la  du Bjs-ëmpire. Liv. XCIL 169 la femme d'Afan ; ce qui obligea le Prince Bulgare de conclure une trêve, & de donner un de fes freres en étage. L'Empereur ne s'étoit pas rendu difficile ïiir les conditions, étant alors appellé en Afie par de nouveaux troubles. Théodore Mancaphas de Philadelphie, homme hardi & ambitieux, avoit fait révolter fa patrie. Cette ville bien fortifiée & peuplée d'habitants braves & féditieux, prétendoit former un Etat féparé, ck toute la Lydie , dont elle étoit capitalè , s'étoit jointe a elle. Mancaphas prit le titre de Roi, fit battre monnoie , & mettoit tout en oeuvre pour attirer a fon parti les Provinces voifines. Ifaac, après avoir d'abord méprifé cette rébellion, en concut enfin de 1'inquiétude, & marcha lui-même a Philadelphie. Après un fiege de plufieurs jours , qui avoit déja coüté la vie k un afièz grand nombre de braves gens, 1'Empereur & le rebelle étant également fatigués , 1'un défefpérant de forcer la place, 1'autre craignant fes nouveaux fujets prefqu'autant que les ennemis, en vinrent a un accommo- Tome XX. H ISAAC II. An. ii88. An. 1189. XXV. Révolte de Mancaphas.Nicet. I. 2; c. i , 2. Du Cangs fam. p. 222. Af. de Guignes,hifi.dis Huns » Ln.p. 51,  ISAAC II. An. 1189, 17° HlSTOIRE dement. Mancaphas renonca au titre de Roi, & eut la liberté de demeirrer dans la ville, qui reconnut comme auparavant la domination de 1'Empereur, & donna des ötages de fa fidélité. Bafile Vatace étoit Gouverneur duThême des Thracefiens, dont la Lydie faifoit partie. II n'étoit pas de.la familie illuftre dont il portoit le nom. Né dans 1'obfcurité, il devoit fa fortune peut-être a fon mérite , peut - être a fon intrigue, & avoit époufé la fille de Conflantin 1'Ange, oncle de 1'Empereur. Perfuadé qu'un rebelle, quoique défarmé, eft toujours a craindre , il gagna par argent les partifans de Mancaphas; & ne pouvant les engager a le mettre entre fes mains , il vint du moins a bout de le faire chaffer de Philadelphie. Mancaphas, de Roi de Lydie, devint le fléau du pays. Azzeddin, Sultan d'Icöne, calié de vieillefTe, avoit partagé fes Etats entre fes fils, fe réfervant toujours le titre de Souverain. Ce fut chez 1'un d'eux, nommé Caïcofrhoës que Mancaphas alla chercher afyle. II ne put engager ce Prince afaire la guerre a 1'Empire;  du Bjs-Empire. Liv. XCIL 171 mais il en obtint la permiffion d'en- töler autant de volontaires qu'il s'en préfenteroit. Mancaphas en affembla un grand nombre , accoutumés a vivre de pillage; & k leur tête il fit un horrible dégat en Lydie, en Phrygie, en Carie. Animé par la vengeance , il brüloit les moiffons, maffacroit les habitants, détruifoit les Eglifes. Plus barbare que les Turcs, il s'irritoit, lorfqu'ils épargnoient le fang des Chrétiens. Pour réduire par les armes un pareil ennemi, il eüt peut - être été befoin d'une guerre longue & fanglante. L'Empereur prit une voie moins glorieufe , mais plus abrégée. II envoya des députés k Caïcofrhroë's avec une grande fomme d'argent. 11 obtint par ce moyen de fe faire livrer Mancaphas ; mais ce fut k condition qu'il ne le puniroit ni par la perte de la vue, ni par celle d'aucun de fes membres. Ifaac le condamna k une prifon perpétuelle. Les freres de Caïcofrhoës furent fi inclignés de la lacheté qu'il avoit eue de vendre a 1'Empereur un malheureux réfugié, que peu s'en fallut qu'ils ne fe téuniffent pour 1'enpunir par les armes. H ij [SAAC H. h.a. u89,  ISAAC II. An. ii 89. XXVI. CommeneementdeIa troifïeme Croii'ade. Nicet. 1. 2. c. 3. Sanut. I. 3. part. ïo. c. i. Radulf. de Diceto. Trivetti chr. Coggeshal. chron. Robert de Munte chr. 172 HlSTOIRB Tandis qu'un rebelle occupoit en Afie les armes de 1'Empereur Ifaac , un Prince ami, mais beaucoup plus redoutable,lui donnoit en Europe de mortelles inquiétudes. Fréderic, Empereur d'Allemagne a la tête d'une puillante armée, traverfoit la Bulgarie pour aller au fecours de la TerreSainte, réduite alors a un état déplorable. C'eft la troifieme de ces expéditions fameufes, qui épuiferent 1'Europe & flrent trembler 1'Afie , oü les Chrétiens après d'éclatantes vittoires & de hauts faits d'armes, ne laifferent enfin que leurs tombeaux dans les plaines qu'ils avoient couvertes de leurs trophées. La prife de Jérufalem & de la fainte Croix , qui étoit tombée entre les mains des Infideles, avoit jetté ia confternation dans tout 1'Occident. Le Pape Urbain III en mourut de douleur. Grégoire VIII fon fucceffeur fit fon premier foin de travailler au recouvrement de la ville Sainte. II ne tint pas le faint Siege deux mois entiers; mais fa mort n'interrompit pas ce delTein. Clément III s'empreffa avec la même ardeur a mettre en mouvement le zele  du Bas Empire. Liv. XCII. 173 des Princes Chrétiens. II exhorta tous les fideles a cette pieufe entreprife, leur promettant les graces du Ciel & Ia rémilTion de tous leurs péchés. Le feu de cette dévotion militaire fe ralluma dans tous les cceurs : Princes , Prélats, Barons, gens de toute condition prirent la croix. Philippe, Roi de France, Henri, Roi d'Angleterre, & fon fils Richard, 1'Empereur Fréderic BarberoulTe , s'engagerent eux-mêmes, & inviterent leurs fujets ales fuivre. Henri écrivit a Béla, Roi de Hongrie , & a 1'Empereur Ifaac, pour leur demander le palTage & le commerce des vivres. II en recut des réponfes favorables. Ifaac lui promit même de PafTuTer de fes conïeils & de fon' fecours pour une fi louable expédition. La guerre furvenue entre la France & 1'Angleterre retint les deux Rois pendant deux ans, & Henri mourut dans eet interval]e. Mais ce contre - temps n'arrêta point Fréderic. Après avoir pris la croix avec fon fils Fréderic, Duc de Suabe, dans une alTemblée des Princes de 1'Empire tenue a Mayence le 27 Mars 1188, il indiqua le rendez-vous a H iij ISAAC II. An. 1189.  ISAAC II An, 1189 l74 H I S T O I R E Ratisbonnepour le 24 du même mois de 1'année ïiiivante. II étoit lié d'amitié avec Saladin ; il lui envoya déclarer qu'il y renoncoit, & qu'il alloit porter la guerre dans fes Etats, s'il ne rendoit aux Chrétiens la fainte Croix & toutes fes conquêtes de PalelKne. II écrivit au Roi de Hongrie, a 1'Empereur Grec, au Sultan d'Ieöne. Béla promit le palTage & des fubfiftances. Ifaac envoya f Nüremberg une ambaffade folemnelle compofée de fon Chancelier Jean Ducas, & de plufieurs autres Seigneurs. On s'engagea de part & d'autre par des ferments mutuels, les Grecs a favorifer 1'entreprife, les Allemands a traverfer les terres de 1'Empire, fans y caufer aucun dommage. On convint que les Croifés feroient défrayés fur leur route de fruits, de légumes, de bois , de foin & de paille ; mais qu'ils payeroient tout le refte au prix du marché. Fréderic, en congédiant les Ambafladeurs, les fit accompagner de PEvêque de Munlier , de Robert, Comte de Naflau, & de Henri, Comte de Diech. On vit auffi arriver a Nüremberg des députés du Sultan  du Bas-Empire. Liv. XCII. 175 tl'Icöne, qui promettoit toute affurance. L'Empereur , après leur avoir fait uri accueil diftingué , renvoya avec eux un Seigneur nomraé Godefroi. Le Sultan haïlloit Ifaac, qui s'étant engagé a lui payer tous les ans quatre cents livres d'or, ne lui tenoit pas parole ; & malgré fes promeffes, il n'étoit pas mieux difpofé a 1'égard des Croifés, comme on le verra dans la fuite. Si dans les Croifades précédentes, les Chrétiens avoient foupconné de trahifon les Empereurs Alexis & Manuel, ils eurent encore bien plus de fujet d'en accufer Ifaac. II avoit contracTé avec Saladin une étroite liaifon, dont voici 1'occafion. Obligé de fuit de Conftantinople avec ion pere . ainfi que nous 1'avons raconté, il s'étoit retiré avec Alexis fon frere aine auprès de Saladin, qui les avoit bien recus. Lorfqu'Ifaac prit, le parti de retourner a Conftantinople , Alexi: craignant la barbarie d'Andronic . voulut demeurer a la Cour du Sultan Ifaac, porté fur le Tröne par une révolution inefpérée, rappella fon frere, que Saladin renvoya comblé de H iv Isa ac II. An. 1189. XXVII. Mauvaifc foi d'Ifaac. . Rtifihtrfpzrg. chron. Matthieu Paris. Ridulf. Jc Dketo.  ÏSAAC II, An, n 89. .; 1 1/6 HlSTOlRg richelTes. Mais lorfqu'Alexis paffa par Accaron, il fut arrêté comme allié du mortel ennemi des Chrétiens, par le Comte de Tripoli & le Prince d'Antioche, qui le mirent dans les fffs.L'Empereur, informéde lacapliviié de fon frere, ent recoursa Saladin ; & pour le feconder dans la guerre qu'il faifoit aux Latins, il lui enyoya quatre-vingts galeres bien armées, qui furent attaquées & prifes fur les cötes de Cypre par Margarit, .Amiral de Sicile. Le Sultan n'eut pas befoin de ce fecours pour conquérir prefque toute la Palefïine. Ayant délivré Alexis, il le renvoya avec une députation honorable , chargée de magnifïques préfents. L'Empereur fe piqua de reconnoiffance; il combla d'honneurs les députés , & les logea dans le plus beau palais de Conftantinople ; ce qu'il ne faifoit pas pour les Latins. Aleur retour, il fit partir avec eux des AmbaiTadeurs, pour remercier Saladin de la délifrance de fon frere , & lui porrer xne couronne d'or avec d'autres préénts trés riches. Voila ce que racon:ent les Hilioriens Occidentaux, &  du Bas-Empire, Liv. XCII. 177 jufque-la ils ne difent rien que de vraifemblable. Le refte peut bien avoir été inventé, ou du moins exagéré par la haine des Latins, accoutumés a imputer aux Grecs les mauvais fuccès de leurs Croifades. Ils rapportent qu'Ifaac fit avec Saladin une ligue contre les Latins; &c qu'ils convinrent entre eux, Ifaac de traverfer de toutes fes forces 1'entreprife des Croifés, Saladin d'attaquer les Chrétiens d'Orient, & d'abandonner a Ifaac après la conquête le domaine de la Terre-Sainte; que pour gage de fa parole, il avoit mis par avance toutes les Eglifes de Paleftine entre les mains des Grecs, pour y faire 1'office felon leur ufage; que fur un faux bruit qui fe répandit a Conftantinople de la défaite de Saladin devant Antioche, Ifaac avoit ordonné a tous les Latins de fortir des terres de 1'Empire. Pour rendre ce Prince encore plus odieux, ils ajoutent des circonftances tout-a-fait incroyables de fa criminelle intelligence avec les Infideles. Si 1'on veut les en croire, entre les préfents de Saladin étoit un grand vafe d'argent, H v ISAAC II. An. 1189.  ISAAC II. An. 11S9. i i ( ( ( i 1 ( 1 1 4 1 » 3 xxvm. Fréderic 1 U met en 178 HlSTOIRE rempli d'un poifon li fort, que 1'ouyerture en ayant été faite par un srifonnier Latin , au milieu d'une jlace de Conftantinople, d'oü 1'on ivoit écarté tout le monde, le pri!bnnier en mourut fur le champ. II f avoit auffi lix mille boifleaux de iarine empoifonnée , & trois mille Doifiëaux de froment pareillement ;mpoifonné , provilion meurtriere jour faire périr les Croifés. Mathieu 3aris débite férieufement, que Salalin avoit envoyé a Conftantinople ine idole de Mahomet, qu'Ifaac aroit promis de faire adorer; mais ju'elle avoit été prife fur mer par les jénois, & conduite a Tyr ; qu'en :onféquence de ces horreurs, perbnne ne prenoit la croix k Conftaninople , qu'il ne fut arrêté fur le :hamp, & jetté dans les cachots. Toues ces fables accréditées par la haine lationale , qu'elles enflammoient en:ore, & recueilliespardesHiftoriens rop crédules, n'avoient fans doute Fautre fondement, que des bruits )opulaires. L'armée de Fréderic s'étant aflemilée k Ratisbonne le jour marqué?  du Bas-Empjre. Liv. XCII. 179 il fe mit en marche, ayant avec lui fon fils Fréderic, Duc de Suabe, un Archevêque , fept Evêques , deux Ducs, dix-neuf Comtes , trois Marquis , trois mille Chevaliers, & environ quatre - vingts mille foldats. Après avoir traverfé 1'Autriche , il entra en Hongrie, ou il recut du Roi Béla, tous les fecours que 1'alliance & 1'amitié lui donnoient droit d'en attendre. Les Écrivains Anglois, qui n'étoient pas de ce voyage , font paffer Fréderic par ThelTalonique, ck difent qu'il s'en rendit maitre. Selon Fréderic lui - même , dans la lettre qu'il écrivit a fon fils, & felon les autres Hiftoriens qui le fuivirent dans cette expédition , il n'approcha pas même de cette ville, Sc prit fa route beaucoup plus haut par la Bulgarie. pour entrer en Thrace par Philippopoli. II arriva le 28 Juin au bord d( la Save, Sc vint a Belgrade. C'étoi la première ville de TEmpire fur li frontiete de Bulgarie. Fidele a fa pa role , il contenoit fon armée dans 1; plus exacte difcipline, jufqu'a puni de mort quelques-uns des Croifé cjui s'étoient portés a des acTions d H vj ISAAC II. An. 11S9. marche. Nicet. i. 2. c 3. 4. 5,6. Expeditio Apatica. Frederiei. EpifloU ai Henricum in coiieet. P. D.Mar. ten.T. 1. p. 909. Tnvettt chron. Coggcskal, chron. Bromptan chron. Chron. Belg. Radulf de Diceto. Hift. hiero■ fol. Appendix ad Radevi• cum. t Otto de Sto.Blafio. Alberic, 1 chr. - Reifcherfperg. chron. 5 Du Cange t fur VUU-.  ISAAC II. An. 11S9. hardmdn , t- 345Idem.fam,p. 203. Pagi ad Bar. E ] 3 1 1 I 1 ƒ e iSo IJ I S T 0 .1 R E violence. II s'en fallut bien qu'il trouvat la même bonne foi dans 1'Empereur Grec. Ifaac avoit a la vérité envoye ordre k toutes les contrées voifines, de porter des vivres fur la route des Croifés : mais Andronic Cantacuzene , chargé de Pexéeutkm, s'en acquitta fi mal, qu'il donna lieu de foupconner qu'Ifaac lui avoit donné fecretement des ordres contraire?. Tandis que le Duc de Belgrade Sc les autres Seigneurs du pays, venoienf amufer Fréderic par des préfents Sc des harangues flatteufes, ils ne cherchoient que 1'occafion de le perdre. Us attaquoient fes fourrageurs, infultoient fon camp pendant la nuit, enlevoient fes convois, tuoient fes follats qu'ils trouvoient écartés. Des uchers cachés dans des halliers le ong du chemin , ne celToient de tirer les fleches empoifonnées. On arrêta pand nombre de ces brigands, que rréderic fit pendre, & on découvrit >ar leurs aveux, la trahifon de PEmlereur Grec. Le Roi de Hongrie, bit qu'il ne fut pas infïruit de la peridie de fon gendre Ifaac, foit qu'il n fut lui-même complice, 1'envoya  du Bas-Empire. Liv. XCII. 1S1 excufer a Fréderic de ce qu'il différent de venir au-devant de lui; il étoit alors occupé en Alle, difoit-il, a étouffer une révolte : c'étoit celle de Mancaphas. II vint auffi un autre courrier, avec des lettres du Chancelier de Conftantinople; il mandoit que 1'Empereur étoit fort furpris que Fréderic ne lui eüt pas encore notifié fon arrivée ; qu'il auroit chargé les premiers du pays de lui rendre toutes fortes d'honneurs; & qu'a la première nouvelle de fon voyage, il avoit envoyé a Strélitz des perfonnes diftinguées, pour y attendre 1'armée , lui fournir des fubfiftances, & faluer le Roi de fa part. Les Empereurs Grecs ne donnoient pas d'autres titres aux Empereurs d'Occident. Ces témoignages de bienveillance étoient autant de menfonges. Loin de favorifer les Croifés, le Duc de Belgrade couroit tout le pays, faifoit déferter les campagnes, brifer les moulins, enlever tous les vivres. Fréderic approchant de Nyffe, vit venir a fa rencontre Nééman &i fes deux freres , Comtes de Servië & de Rafcie, qui venoient d'enlever ISAAC II. An. 1189.  ISAAC II. An, 1189, 1 1 182 HlSTOlRE depuis peu ces deux Provinces a 1'Empire. Ils rendirent hommage a 1'Empereur , lui préfenterent abondance dé yivres, en firent fournir pour de 1'argent a toute fon armée, & lui offrirent leur fecours & celui de leurs alliés, Pierre & Afan , chefs des Bulgares. Ils 1'avertirent de fe défier d'Ifaac. Ils vouloient recevoir de fes mains 1'inveftiture de Nyffe & de tout leur domaine , & le prioient de lés admettre au nombre de fes valïaux. Fréderic répondit qu'il n'étoit pas venu pour faire la guerre aux Chrétiens, mais aux Infideles ; que fi les Grecs lui fermoient le paf(age, il fauroit bien 1'ouvrir par fes armes avec le fecours de Dieu. Après avoir donné fix jours de repos a fes troupes, il continua fa route , & ne trouva qu'holtilités. On lui dilputoit tous les pafTages , on lui tuoit des foldats, on pilloit fes équipages. Les ^:>rges des montagnes étoient fermces par des murailles, par des abat:is d'arbres, & défendues par des :roupes; il falloit combattre k chapie pas. Toutes les éminences étoient ;ouvcrtes de Grecs-, de Valaques, de  du Bjs Empike. L!v. XCII. 183 Bulgares , qui les accabloient de pier- ; res Sc de traits. II fe trouvoit des Allemands affez hardis, pour grimper aux ennemis Pépée a la main; quelques-uns, les faifilTant corps a corps , rouloient avec eux jufqu'au pied des montagnes. Un foldat Allemand fe fit remarquer par fon courage ; il étoit malade Sc porté en litiere; entendant le cri des ennemis Sc les voyant approcher, la colere lui rend fes forces ; il faute en-bas, Sc court k eux, tue le premier qu'il rencontre , met les autres en fuite, Sc revient fe recoucher dans fa litiere. Les Allemands arrivent a Strélitz, qu'ils trouvent abandonné. La néceffité les force au pillage. Quelques troupes qui vinrënt enfuite joindre 1'armée , rapporterent, qu'elles avoient vu fur leur route, pendus k des arbres, les cadavres des Allemands morts en chemin , que les Grecs avoient exhumés. A 1'entrée d'un défilé, qu'oa appelloit les portes de Saint-Bafüe , on appercut une armée de Grecs qui fermoit ce pafTage. Elle étoit commandée par Manuel Gamyze, &c par Alexis Guide > grand SAAC II. 1189. XXIX. II arrivé a Philippopoli.  ISAAC II. An. 1189. 1 1 1 1 ( ï h g t d C C h Ci I('4 Histoire Domelrique d'Occident. Ils avoient ordre de harceler les Allemands, & de les inquiéter dans leur marche. Cet obiïacle ne fut pas difficile a vaincre. La vue des hommes & des chevaux revêtus de fer, effraya telIement les Grecs , qu'ils s'enfuirent k Phihppopoli, & y jetterent tant d'allarme , qu'en un moment, foldats & habitants abandonnerent la ville. II n'y refla que les Arméniens, que le :ommerce répandoit alors dans prefque tout le monde connu. Ils étoient imis des Latins, avec lefquels ils s'ac:ordoient davantage dans les dogmes ■eligieux. Nicétas, Auteur de 1'Hifoire de 1'Empire Grec , depuis Ia tiort d'Alexis premier jufqu'a celle le Baudouin de Flandres, premier Empereur Latin , étoit alors Gouerneur de cette ville. C'étoit un omme de mérite, revêtu des plus randes dignités a la Cour de Confintinople, & qui auroit été capable e défendre cette ville, fi fa bonne snduite n'eüt été traverfée par les rprices de fon maitre, qui, tantöt 11 ordonnoit de réparer les fortiiïttions de cette place , pour la met-  nu Bjs-Empirb. Liv. XCIL 185 tre hors d'inlulte , & tantöt lui man-1 doit de démolir tous les ouvrages, de peur qu'elle ne fervit de retraite aux Latins. Les Allemands avoient mis iix femaines a traverfer la Bulgarie avec beaucoup de périls & de travaux. Au fortir de ce pays, ils fe trouverent dans une plaine fertile, oü les granges étoient pleines, & les vignes chargées de raiiïns mürs. Ils arriveren! le 23 Aoüt a Philippopoli. Ce fut-la que Fréderic apprit le mauvais traitement fait a 1'Evêque de Munfter, & aux deux Comtes qu'il avoit enroyés a 1'Empereur Grec. Ces députés, accompagnés de cent foldats & d'un nombreux cortege , étoient arrivés a Conftantinople dans le temps quTfaac étoit devant Philadelphie. A fon retour, Ifaac leur fit un bon accueil; mais dés le lendemain, ils furent faifis, dépouillés, menacés de mort, & jettés dans des cachots féparés. Cette ame baffe , qui rampoit fur le tröne , violoit ainfi les droits les plus facrés de 1'humanité, pour faire fa cour a Saladin, dont il careflbit les AmbafTadeurs. Fréderic venoit d'apprendre cette nouvelle of- ISAAC II. An, 11S9.  ISAAC II. An. 11S9. J | i t J P ti P n TT TT. d s' P' le fi I§(5 HlSTOIRE fenfante, lorfqu'un Pifan, nommé Jacob , après avoir obtenu un faufGonduit, .vint lui préfenter de la part d'Ifaac, des lettres pleines de felle & d'arrogance; Ia fufcription étoit concue en ces termes : Le tres-fublime Ifaac, trèsfacré Empereur, très-excellent,tres-puiffant, établi de Dieu, maitre des Romains, Ange de toute la terre, ruccejfeur du grand Conflantin ; Souve■ain des Souverains , au cher frere de fon Empire, le tres-grand Roi £Allemagne , nvoye fa grace & fa dileclion fraterlelle. II lui mandoit, qu'il étoit indi'né que Fréderic & fes pélerins eujfent u la hardieffe d'entrer dans fes Etats 'zns fa permifjion ; qu'il favoit de bonne art, que Cintention de Fréderic étoit d'exrminer les Grecs, & de donner l'Emire auDuc de Suabe fon fils; que l'a•itié, contraclée entre le Roi d'Alleagne & les rebelles de Servië, confiroit ce rapport : que néanmoins s'ils '.mandoient d paffer en paix , & qu'ils '■ngageaffent par ferment d céder d l'Emre, la moitié des conquêtes d faire fur s Infideles, il leur accorderoit le pafge & le commerce des vivres ; mais •e , pour affurance de leur bonne foi,  du Bas-Empire. Liv. XCII. 187 il falloit, outre les députés qu il avoit déja entre les mains, lui envoyer pour étages, fon fils le Duc de Suabe , avec Jïx Evêques & d'autres Seigneurs tels quil les voudroit choifir. Un Auteur ajoute , qu'il demandoit encore, que Fréderic lui remü fa Ccuronne entre les mains, pour la recevoir enfuite de lui. Cet orgueil auffi ridicule qu'infolent, révolta toute 1'armée. Fréderic diffimula, & fe contenta de renvoyer le député fans réponfe. II fe 'rendit maitre d'une ville voiftne, nommée Scribention , & y laiffa garnifon. II avoit déja écrit k Camyze, qu après les engagements contraclés d Nüremberg , il étoit furpris de fe voir traité en ennemi; quil n'avoit jamais eu deffein de rien attenter contre 1'Empereur Grec ni contre fon Empire , & que fa conduite ne donnoit aucun fujet de le foupgonner : qu'il avoit fidélement obfervé les conventions : qu après tout, la mauvaife foi des Grecs l'étonnoit fans l'intimider ; & que s'il ne pouvoit obtenir de gré le paffage qu'ils lui avoient promis, il fauroit bien fe l'ouvrir de force. Camyze envoya cette lettre a 1'Empereur, qui ne lui répondit que par des reproches ISAAC II. An. 1189.  ISAAC II. An. 1189. 188 HlSTOIRE de fa lacheté. Au-lieu des menaces que vous rrienvoye^ de la part de votre Prince Allemand, lui di foit-il, jattendois de vous des nouvelles de la défaite de fes troupes, que vous laiffe^ courir en liberté dans les campagnes. Ne manque^ pas de m'en envoyer au plutót. Pour obéir a ces ordres, Camyze fe difpofe a réprimer les courfes des Allemands. II décampe de nuit, Sc ayant pofte le gros de fon armee derrière des montagnes, il prend avec lui deux mille cavaliers, s'approche avec eux de Philippopoli, Sc les met en embufcade, pour tomber au matin fur les fourrageurs lorfqu'ils reviendroient du pillage. Les Allemands, avertis de ce mouvement, vont au nombre de cinq mille cavaliers chercher Pennemi, qui, étant forti pour les combattre, craignoit cependan-t de les trouver. Ils fe rencontrerent fur la pente d'une montagne, d'oü les Allemands defcendoient, tandis que les Grecs y montoient. On fe choque aufti-töt; mais du cöté des Grecs , il n'y eut que 1'avant-garde qui combattit. Elle étoit compofée des Alains, commandés par Théodo-  dv Bas-Empire. Liv. XCII. 189 re Branas, fils du malheureux Alexis. Ils y périrent prefque tous. Le refte de Farmée prit la fuite , fans ofer même enviïager 1'ennemi. Camyze ne revint au camp qu'au bout de trois jours , encore faifi d'efFroi, & fe croyant pourfuivi par les vainqueurs. Les Grecs , la plupart fans armes &c fans chevaux, fe retirerent a trois lieues, ne fongeant qu'a fauver leur vie , & pillant eux-mêmes la Province dont ils devoient empêcher le ravage. Nicétas , retiré dans 1'armée de Camyze depuis la perte de Philippopoli , avoit été témoin de ce combat. II fe rendit auprès de 1'Empereur , Pinftruifit du mauvais état de fes troupes & de la fupériorité des Allemands , & vint a bout de lui infpirer des penfées de paix. Cependant le Duc de Suabe n'épargnoit pas les Grecs. II palTa au fi] de 1'épée, dans une rencontre, une compagnie de cinquante Allemands, qui étoient au fervice de 1'Empereiu Grec. II apprend qu'il y a encore ur grand corps de troupes dans Bérée il y marche avec le Duc de Méranie ISAAC II. An. 1189. XXX. Retour des députés dcFréderic. t > i  ISAAC II. An. ii 89, 190 II I S T O I Jl E c'eft le nom qu'on donnoit alors au Tirol. Les Grecs fortent de la ville comme pour combatre; mais dès qu'ils appercoivent les Allemands, ils s'enfuyent fur les montagnes, ne fe croyant pas même en füreté dans la place. Le Duc s'en rend maitre fans peine, & retourne a Philippopoli. Les habitants de Thrace, mattés par tant de pertes, viennent offrir des vivres pour de 1'argent, & Pabondance renait dans le camp. Dans cette conjondture, Jacob, accompagné de plufieurs Seigneurs, vient faire des propofitions de paix. On approchoit du mois de Novembre; & Fréderic, fans entrer en négociation , répondit froidement, que fon intention étoit de pafter 1'hyver en Thrace, & qu'on auroit le temps de difcuter les conditions d'un nouveau traité. Sur cette réponfe, Ifaac reprend fon caractere d'arrogance infenfée; il écrit de nouvelles injures a Fréderic; & prenant le ton de prophete , il lui prédit qu'il mourra avant Paques. Après bien des paroles 6c des emportements auffi contraires a la dignité Impériale qu'A la raifon, on le ramene enfin a des  t>u Bas-Empiret. Liv. XCII. 191 réflexions falutaires; on lui fait fentir qu'il n'a rien a efpérer de Fréderic , tant qu'il tiendra fes députés dans les fers. II les met donc en liberté; & le z8 OcTobre, on vient annoncer au camp , que le Chancelier de 1'Empire avec quatre Seigneurs du titre de Sébaftes ramenent 1'Evêque de Munlier & les deux Comtes. A cette nouvelle, le Duc de Suabe, fuivi de trois mille cavaliers , fort au-devant d'eux. Les Grecs, effrayés a cette vue , s'imaginant qu'on vient les attaquer, tournent bride pour prendre la fuite. Le Duc les ralfure en leur faifant dire , qu'il ne vient que pour leur faire honneur. On les loge dans le camp. On recoit les Seigneurs Allemands avec des acclamations. Fréderic les embraffe en pleurant de joie. L'Evêque de Munfter lui raconte les mauvais traitements qu'ils ont foufferts. II inftruit 1'Empereur de la ligue formée entre Ifaac & Saladin, & de Panimofité de tous les Grecs, & en particulier du Patriarche, qu'il avoit lui-même enten du prêcher dans Sainte-Sophie, qu'il falloit mqjfacrtr fans miféricorde ISAAC II. An. 1189.  Isaac II, An. 11S9, i$)2 II I & T O j R E ces faux pélerlns ; que c étoit un moyen infaillible d'effdcer tous les péchés; & que quiconque auroit tué un Grec, en obtiendroit Cabfolution en tuant dix Allemands. Fréderic apprit encore que 1'Empereur Grec, dans 1'audience qu'il avoit donnée k fes députés,ne leur avoit fait aucun honneur, quoiqu'il y eüt un grand Evêque 8c deux Comtes, illuftres parents de Fréderic ; mais qu'il les avoit laifie debout, confondus avec les domeftiques de fa Cour. II prit fa revanche par un procédé tout contraire. Ayant fait venir devant lui les envoyés Grecs avec toute leur fuite, il les fit affeoir, parmi eux leurs domeftiques fans diftinction , jufqu'a leurs cuifiniers 8c leurs palfreniers. Comme ceuxci, par refpect pour 1'Empereur, Sc plus encore pour leurs maitres, refufoient de prendre une place fi honorable: Affeye^-vous, leur dit 1'Empereur : tous les Grecs font fi grands Seigneurs, qu'on ne peut faire entre eux de difinclion de rang; il les forca de s'affeoir pêle-mêle. II leur reprocha enfuite 1'infolence de leur maitre; 8c comme Ifaac en renvoyant les dé- putés  nu Bas-Empire. Lh. XCJI. 193 putés avoit retenu leurs effets, & plus de deux mille marcs d'argent qu'ils avoient apportés avec eux, il déclara qu'Ifaac n'avoit point de paix a attendre qu'il n'eüt rendu tout ce qu'il avoit enlevé avec tant d'infamie. Sur ce qu'Ifaac prenoit dans fes lettres entre autres qualités chimériques, celle de Saint: Laplaifante fainieté, dit Fréderic , qui dépouille , emprifonne, expofe d mourir de faim & de froid des hommes religieux diputês par leur Prince, & qui s 'acquittent fidclement de leur commiffion. Dieu nous garde comme ils chicannoient fur les conditions, on les renvoya fans rien conclure. Tout trembloit a Conftantinople. Cependant les Allemands trouvoient dans les maifons fur leur route des peintures , ou la fotte vanité des Grecs avoit repréfenté les Croifés terrafTés 6c foulés aux pieds des chevaux, 6c ce fpectacle embrafoit leur colere. Le Duc de Méranie, le Comte deHollande, 6c Fréderic de Bergue retournerent a Philippopoli; 6c I ij ï Isaac il; \n. 1190. I  I(j6 IllSTOlRE de crainte que cette ville ne fervit ISAAC II. An, ii 90. XXXII. Accord des deux Emperenrs. de retraite aux ennemis, ils la détruifirent & revinrent joindre 1'Empereur a Andrinople. Pierre & Afan envoyerent propofer a Fréderic de fe rendre auprès de lui avec quarante mille hommes , s'il vouloit leur mettre fur la tête la Couronne de 1'Empire Grec. Fréderic répondit avec amitié ; mais il s'excufa de confentir k leur demande, fur 1'obligation que lui impoibit le vceu qu'il avoit fait de courir au fecours de la Terre-Sainte.. L'Empereur Grec méprifoit d'abord le danger qui le menacoit. II avoit donné fa confiance a un charlatan Vénitien , Moine de Stude, nommé Dorothée, qui contrefaifoit le prophete , & qui s'étoit acquis auprès de lui un grand crédit, paree qu'autrefois il lui avoit prédit qu'il feroit Empereur; efpece de prédiction alors fort a la mode, Pimpofteur ne pouvant qu'y gagner, fans rifquer d'y rien perdre. Ce fourbe, fur la foi de prétendues révélations, avoit perfuadé a 1'Empereur, que F expédition de Palejïine ne fervoit que de prétexte, &  du Bas-Empire. Lh. XCT1. 197 que le vrai dejfein de Fréderic étoit de s'emparer de Conftantinople ; quen effet il viendroit jufqrid la porte de Blaquernes, mais quil feroit obligé de fe 'retirer , après avoir fouffert plus de maux qu'il rien auroit fait. Prévenu de ces chimères, PEmpereur fit murer cette porte; & glorieux d'avance de la vitioire qu'on lui promettoit, montrant une fenêtre du palais de Blaquernes, d'oü Fon découvroit les environs de la ville : c'ejl par-ld, difoit-il, que je tirerai droit au emir de Fréderic les fleches très-aigués que vous me voye^ dans la main. Néanmoins après ces folies bravades, les défaftres qu'on lui annoncoit de toutes parts, lui flrent oublier la prophétie, & rappellerent fa timidité naturelle. II fit offrir de fa part les conditions humiliantes qu'il avoit auparavant denjandées a Fréderic ; qui ne fe fiant pas aux députés, envoya lui-même a Conftantinople pour s'afTurer de Ia fincérité d'Ifaac. On lui rapporta par écrit le projet du traité, dont voici les articles: L'Empereur Grec ne demandoit aucun dédommagement de tous les pillages des Croifés; il s'enI iij ISAAC H. An, 11904  Isa ac Ui An. 1190. 19S H I S T O r R E gageoit a leur fournir des vaiffeaux Óedes vivres pour paffer en Aiie, foit a Gallipoli, foit entre Sefte tk Abyde. II donnoit en ötagesquatorze perfonnes de fa familie, Andronic fon neveu , Michel fon coufin germain, fix Magiftrats, fix Bourgeois des premiers de Conftantinople , &: cinq Seigneurs, quiaccompagneroient Fréderic jufqu'a Philadelphie , d'oü ils feroient renvoyés; en réparation de 1'infulte faite aux députés, il offroit telle fatisfaction que voudroit 1'exiger le très-viótorieux Empereur des Romains ; car alors il ne refufoit plus ce titre a Fréderic. Ces conditions furent acceptées & jurées dans Sainte-Sophie, par cinq cents des premiers perfonnages de 1'Empire, en préfence du Patriarche. Les députés de Fréderic jurerent de leur cöté , que leur Maitre n'avoit jamais eu deffein d'attenter d la fouveraineté de 1'Empereur Grec, ni de faire aucun mal a fes fujets, & quil continueroit fa marche fans caufer nul dommage , fi les Grecs s'abftenoient de toute hoftilité. Nicétas rapporte que lorfqu'il fut queftion de faire partir les ötages, plufieurs des  du Bas-Empirr. Liv. XCII. 199 Magiftrats n'ofant ni fe mettre entre les mains de Fréderic, ni demeurer chez eux contre Pordre de 1'Empereur , s'allerent cacher dans des maiföns étrangeres, pour y refter jufqu'a ce que le Prince Allemand fiil pafte en Afie. Ifaac, irrité de leur défobéiflance, envoya a leur place les Greffiers du Tribunal, auxquels il conféra même leurs charges. Mais ii s'appaifa dans la fuite , & leur rendb leurs dignités. Le traité étant conclv dans toutes les formes, Ifaac envoy. a Fréderic, des étoffes précieufes avee quatre cents livres pefant d'argent monnoyé, & en recut a for tour de riches préfents. Les député; du Sultan d'Icöne vinrent aufti trou ver Fréderic dans Andrinople ; il: lui témoignoientla vénération la plu. profonde , & la plus grande joie di voir enfin Sa Majefté Impériale : o bonheur , difoient - ils , leur faifoi oublier tous les mauvais traitement des Grecs, qui les avoient retenu par force. Après ce compliment trés peu lincere, ils préfenterent une lei tre du Sultan , qui ne 1'étoit pas da vantage. II promettoit a Fréderic u ISAAC II. An. 1190. L t i s 1  ÏSAAC II. An. 1190. XXXIIT. Paflage de 1'Hellefpont.Nicet. £, 2. c. 6. Expeditie* Jfiatica Friderici. Sanut. I. 3. part. 10. c, ïlijl.hierof. Appendix ad Radevicum degcjï. Frid. Radulf. ie Diceto. Brompton, chron. Otto de Sto.B/aJio. Reifcherfp, thron. 200 HlSTOIRB paffage auffi für & auffi commode que s'il eüt été dans fes propres Etats. L'Empereur fe lailTa tromper par ces protefiations , & fe contenta de les faire jurer aux députés. Le 27 Février , il fortit d'Andrinople ; & après avoir beau coup foufFert de la gelée & des pluies, il arriva enfin k Gallipoli. On y trouva des barques afTez grandes Sc en affez grand nombre pour tranfporter toute 1'armée en deux paffages. Fréderic 1'avoit ainfi demandé : toujours en défiance des Grecs , il craignoit qu'en faifant palier fon armee par petites divifions, il ne 1'expofat a être taillée en pieces k mefure qu'elle débarqueroit. Le Duc de Suabe pafTa le 25 Mars avec la première divifion; c'étoit le jour même de Paques. Le refte pafla le 28 avec Fréderic, qui ne voulut s'embarquer que le dernier, pour être für du falut de fes foldats. A la vue des cötes d'Afie, les Croifés trefTailloient de joie. L'ardeur de leur courage ne leur montroit que des moiffons de lauriers dans ces belles campagnes, oü les attendoient de nouveaux périls.  du Bas-Empiae. Liv. XCII. 201 Ils traverferent l^Hellefpont au fon des flütes & des trompettes, & de toute forte d'inftruments de mufique. Ce trajet eut Pair d'un triomphe; & Pon eüt dit que c'étoit une armée non pas qui alloit pour chercher des combats , mais qui revenoit couronnée de la vidloire. Les Grecs s'attendoient eux-mêmes a une grande révolution, & les Turcs étoient en allarmes. A Conftantinople, un Aftrologue, nommé Daniël, avoit prédit, que 1'année dans laquelle la fête de PAnnonciation tomberoit au jour de Paques (ce qui arrivoit juftement cette année) les Chrétiens recouvreroient le Royaume de Jérufalem , &z feroient même la conquête de Bagdad. Les Turcs avoient auffi leurs Prophetes, qui ne leur annon$oienfc que des malheurs ; ils publioient que dans 1'efpace de trois ans une partie des Turcs périroit par Pépée , qu'une autre fuiroit en Perfe, que le refte fe feroit baptifer. Ces folies prédictions avoient pris tant de crédit, que Saladin , voulant repeupler la Paleftine , prefque entiérement dévaftée par la conquête, ne trouvoit aucun I v IS,VAC U, An. 1190,  ISAAC II. An. 1190. XXXIV.' Fréderic en Afie. Nicet-l. 2. c. 6, 7, 8. jExpeditio Afiatica Friderici. Appendix ad Radevicum. "Sanut. I. 3. pan. 10. c. 2. Roger de Hoveden. Chron. Belg. Reifcherfp. chron. Otto a Sto. Blafio. Pagi ad Bar. M. de Guignes , hifi. des Huns . l ll.p. 51, t1» 53- 202 HlSTOIRE Turc qu'il put engager a s'y établir. Dès que 1'armée fut en Afie, les ötages furent renvoyés a Conftantinople , hors les cinq Seigneurs qui devoient accompagner Fréderic jufqu'a Philadelphie. A trois journées •de 1'ancienne Troye, on trouva de nouvelles preuves de la perfidie des -Grecs : c'étoient les cadavres des avant - coureurs, de 1'armée , que les Grecs avoient malTaetrés. Un foldat d'Ulm en Suabe, ayant reconnu celui de fon frere, prend avec lui dix de fes camarades, & s'enfonce avec •eux dans un bois voifin. II appercut les alTaffins en nombre pareil au-deli •d'un marais, qui paroiffoit impratica;ble. Ses compagnons 1'exhortoient a regagner le camp : tranfporté de colere & de douleur, il fe jette feul dans le marais; & ayant gagné a la nage la rive oppofée, il tombe a grands coups d'épée fur les brigands, dont il n'échappa qu'un feul a ia vengeance. On arrivé- a Thyatire. Sur toute la route on ne ceifoit de rencontrer des partis embufqués dans les forêts, pour tomber fur les Croi-  du Bas-Empire. Liv. XC1L 203 /•'„ fa +rm\rpm\pnt a leur nor- tée; mais ils étoient eux-mêmes plus fouvent furpris & taillés en pieces. Comme les Grecs, au-lieu de fournir des vivres , felon la promelTe d'lfaac, les enlevoieat de toutes parts , les Croifés , preiïés de la faim, étant arrivés devant Philadelphie, fe mirent k couper les bleds, quoiqu'ils ne fuffent pas encore en maturité. Les habitants fortirent en armes pour défendre leurs moiffons. II fe livra un combat qui leur coüta plus cher encore; & ils furent bientöt -obligés .de regagner leur ville. On confeilloit a Fréderic de prendre Philadelphie. Non y répondit ce Prince ; c'efl dans cette contrée le boulevard des C'hrétiens & leur afyle contre les Turcs. Le Magiftrat vint lui faire humblemenl des excitfes; mais au départ de 1'armée , cinq cents cavaliers Grecs 1; fuivent, & attaquent l'arriere-gardi prés d'FÜeraple ; ils furent recus com ■me méritoit leur perfïdie, & tué prefque tous. Les Allemands furen mieux traités a Laodicée, ils trouve rent chez les habitants tous les fe cours qu'on leur avoit refufés jufqu'c I vj ISAAC 11. An, 1190. l i t  ISAAC II. An. 1190. XXXV. Ses combats contre les Turcs. J ( 1 ( c 1 r. t d n fi rr d, 204 HlS T O I R £ lors. Fréderic, attendri du zele erapreffé de ce pauvre peuple, ne put retenir fes larmes ; & fe jettant a genoux au milieu de la plaine, levant les yeux & les bras vers le Ciel, il pria le fouverain Maitre des graces de les récompenfer, & leur adreffant la parole : Hjlas! dit-il , fhumanité s'efi donc retirée fur les dernieres limites de l'Empire : fi les autres Provinces étoient peuplées d'habitants tels que vous.y nos e'pées riauroient jamais été teintes que du fang des Infideles. Azzeddin avoit traité avec Fréder/C' ^ ^es en,v°yés accompagnoient 'armee. Mais outre que ce^Prince 1'étoit pas , felon toute apparence, le meilleure foi qu'Ifaac , il avoit >erdu le pouvoir de prêter aucun feours aux Croifés. Cothbeddin, un le fes fils, s'étoit faiii d'Icöne , & de i perfonne de fon pere, qu'il teoit en captivité. Ce nouveau Sultn , farouche Mufulman, n'avoit 'autre deifein que de faire périr I'arlée Chrétienne. II attendoit qu'elle it engagée dans le pays ; & pour reux tromper Fréderic, loin de fe fclarer d'abord fon ennemi, il en-  vu B.is-Empire. Liv. XCII. 205 voya des Turcomans conduire a fon camp des troupeaux ck des marchandifes. Mais lorfque les Croifés fe furent éloignés de Laodicée , les envoyés d'Azzeddin s'échapperent; les Turcomans & les Turcs réunis enfemble commencerent a harceler 1'armée de toutes parts. A mefure qu'elle avancoit, ils s'emparoient des hauteurs, & 1'accabloient de fleches. II J' eut un grand combat prés de Phiomélium, un autre devant un chateau nommé Cingulaire. Dans ces deux actions,les Turcs furent défaits; Philomélium fut détruit. On arriva le 3 Mai a 1'entrée d'un défilé, dont les Turcs avoient occupé les iffues, efpérant d'y écrafer Fréderic, comme il avoit foudroyé Manuel a Myriocéphales. L'Empereur évita ce piege, & furprit lui-même les ennemis par un heureux ftratagême. II campa dans la plaine voifine, & pendant la nuit il partagea fon armée en deux corps. Au point du jour, le Duc de Suabe, a la tête d'un de ces corps, feignit de prendre la fuite par un autre chemin. Les Turcs, s'imaginant que c'étoit 1'armée entiere qui fuyoit, en ISAAC II. An. H90.  ISAAC II. An. 1190. XXXVI. de la difétte , traverfant un pays aride, d'oü les habitants en prenant la fuite , avoient enlevé tous les vivres. Pour trouver des fubiiftances, ils marcherent droit a Icöne. Azzeddin , qui s'étoit échappé de la prifon, oü fon fils le détenoit, envoya faire fes excufes a Fréderic, rejettant fur ce fils dénaturé toutes les hoftilités que les Croifés avoient efTuyées. Icöne étoit entourée de jardins fermés de mafures, oü les Turcs fe défendirent quelque temps. Ils y furent enfin forcés avec grand carnage. Icöne fut prüe en fix heures; & Livon, Prince o'Arménie, envoya remercier Fréde- Prife cTI oóne. S06 H I S T 0 I R E abandonnant les tentes &c les bagages, coururent au camp pour le piller. Lorfqu'ils furent proches, Fréderic fortit en bon ordre k leur rencontre; le Duc de Suabe tourna bride en même-temps, & les chargea par-derriere. Enfermés entre deux armées, ils furent taillés en pieces. II en coüta du fang au Duc de Suabe, qui, s'expofant avec ardeur dans le plus fort de la mêlée, recut une bleffure, mais fans danger pour fa vie. Les Croifés fouffroient beaucoun  nu Bas-Empize. L':v. XCIL 207 ric de 1'avoir déiivré d'un fi dangereux voifinage. II avoit déja témoigné fon zele pour les fticcès des Croifés ; & cinq mille Arméniens s'étoient joints a leur armée. Mais Pintention de Fréderic n'étoit pas de laiffer garnifon dans cette grande ville, environnée de places poffédées par les Turcs, dont la population étoit innombrable. II auroit fallu, pour en conferver la polTefllon, affoiblir confidérablement fon armée. II fe contenta donc d'y faire chanter la Meffe, & d'y féjourner pendant cinq jours , accompagné d'un détachement -de fes troupes. Le refte campa dans les fauxbourgs. 11 ne permit pas même le pillage; & n'enleva que les provifions de vivres, dont fon armée manquoit depuis long-temps. Les habitants mêmes, foit par reconnoüfanee, foit par crainte, s'emprefferent .a lui en fournir. Le Sultan Cothbeddin, qui s'étoit fauvé dans la citadelIe, traita humblement avec lui. L'Empereur, ayant recu des ötages & des guides, s'achemina vers les cótes de te mer. II fut encore attaqué dans eette marche par des partis de Turcs [SAAC IT. A.n. 1190. 1  Isaac II. An. 1190. xxxvn. Mort de Fréderic. 208 II I S T 0 I R E indépendants du Sultan d'Icöne. Toute fa route fut arrofée du fang des Mufulmans , qui, dans ces différents combats , perdirent vingt-deux mille hommes. En defcendant vers la mer de Cilieie, il fe rapprochoit des frontieres de 1'Empire Grec, qui, felon Roger deHoveden, Auteur inliruit, s'étendoit encore jufqu'a Antioche de Cilieie , nommée dès-lors Antiochette. Le fleuve Scalendros, qui eft Panden Charadros, faifoit la borne du domaine des Grecs & du Royaume d'Arménie. Le golfe de Satalie appartenoit k 1'Empire, & étoit bordé de deux chateaux, 1'un nommé Satalie la vieille, c'étoit 1'ancienne Attalie; 1'autre Satalie la neuve; celuici avoit été bati par 1'Empereur Manuel. Les Etats du Sultan d'Icöne s'étendoient du feptentrion au midi jufqu'au mont Cragus, que Roger appelle, pour cette raifon, le mont de Turquie. Fréderic fe rendit le 1 o Juin k la vue de Séleucie. Ce fut-la que ce grand Prince, chéri de fes foldats , honoré de tout POrient pour fa prudence ék 'fa valeur, redoute de Sa-  du Bas-Empire. L;v. XCII. 209 ladin même, trouva le terme de fa glorieufe carrière. Fatigué d'une longue marche fous un foleil ardent, il arriva au bord du Calycadnus. La clarté & la fraicheur des eaux de ce beau fleuve 1'inviterent a s'y jetter a cheval. Saifi d'un troid mortel, on le retira prefque fans vie. 11 expira peu de moments après. Quelques Auteurs le font aller jufqu'a Tarfe, &z difent que ce fut dans le Cydnus qu'il trouva la mort; peut-être pour lui donnerune nouvelle conformité avec Alexandre, auquel il reffembloit affez par fon invincible valeur. Mais les meilleurs Hiftoriens donnent le nom de Salef au fleuve qui lui fut funefte; & ce nom me femble plutöt être celui du Calycadnus qui paffoit a Sé leucie , nommée Selefkeh par le; Turcs. Après la mort de 1'Empereur fon fils , le Duc de Suabe, pénétn de douleur fans laifler abattre fon cou rage, pourfuivit 1'entreprife de foi généreux pere. II entra le 23 Juii dans Antioche , oii la plupart de fe foldats lui furent enlevés par une ma ladie contagieufe. Toujours vairi queur, il traverfa une grande parti ISAAC U. An. 1199. 1 1 S e  210 IJ ƒ S T 0 I R g de la *»ï7i-io T> - e. „i r Isaac II. An. ii 90. An. 1191. XXXVIII Richard en Cypre. Nicu. I. 3. • c. 8. Chran, ~ ~7 **«••» "arm tx. piuneurs autres places enlevées aux Chrétiens. II fe rendit enfin devant Saint-Jean d'Acre, affiégé depuis plus de dixhuit mois par Gui de Lufignan. II mourut a ce fameux fiege. Les foldats qui lui reiïoient, après tant d'exploits & de malheurs, s'embarquerent a Tyr, & revinrent dans leur patrie avec autant de bleffures que de gloire. Je ne dirai rien des deux Rois de France & d'Angleterre, qi'ii-n'arriverent devant Acre que 1'année'fuivante. Comme ils prirent la route de la mer, & qu'ils ri'eurent rien a démêler avec 1'Empire Grec, ce qu'ils Rrent en Paleftine n'eft pas de mon füjet. Mais le Roi d'Angleterre, ayant e-onquis fur le tyran Ifaac Comnene l'ifle de Cypre, qui étoit du domaine de 1'Empire Grec, je me crois obligé de rendre compte de cette partie de fon expédition. ; Des q«e Richard fut devenu Roi d'Angleterre, par la mort de fon pere Henri II, il fe hata d'accomplir le vceu qu'il avoit fait de marcher k la conquête de la Terre-Sainte. Setant smbarqué a Marfeille 1'année d'après  du Bas-Empire. Liv. XCII. 211 le départ de Fréderic, il paffa 1'hyver en Sicile; & partit de Meffine le mercredifaint, dixieme d'Avril, avec la Reine de Sicile, fa fceur, & Bérengere, qu'il devoit époufer, fille de Dom Garcie, Roi de Navarre. Sa flotte, compofée de cent cinquante vaiffeaux & de cinquante-trois galeres, fut affaillie d'une violente tempête le vendredi faint, & difperfee fur différents rivages. Richard, avec une partie, gagna l'ifle de Crête, & de-la l'ifle de Rhodes. Trois^ de fes vaifleaux, pouffés fur les cötes de Cypre, y périrènt devant le port de Limiffo , ville batie prés du terrein ' oü étoit 1'ancienne Amathonte. Ceux qui eurent affez de force ou de bonheur pour échapper du naufrage, trou verent fur le bord un danger plus inévitable que la tempête. Ifaac , allié de Saladin, y étant accouru avec lor armée, fit faifir ces malheureux ai fortir des eaux. On les dépouilla, or les jetta dans des cachots pour y mou rir de faim. Le Mtiment qui portoi les deux Princeffés, déja maltrait par 1'orage, s'étant préfenté devan le port, on leur en refufa 1'entrés ISAAC H. An. 1191. Trivetti. Brompton. chron* Sanut. I. 3. part. 11. c. 1, part. IO. c. 4. Ncophytus de c&lamitatibus Cypri. Rob. dc Monte. Roger {t Hoveden. Neubrig. I. 4- 19- Alheric. chr. Nasi gis chr. ■ Radulf. de Diceto. Cont'tn. de Guill. de Tyr. Leo. AUat. ne Ecclef. \ Or. & Oc. . perpetuo r canfenfu , \ l. 2. C 13. ï Du f-ange j fam. p. 1S3 , 184.  112 H I S T O I R E ISAAC II. An. 1191. Vérif. des dates > pf) 584. 1 1 < a t: P g n L II P h la qui jouiffoit d'un fpedacle fi douloureux pour une ame moins farouche, lorfque Richard , averti de leur danger.arnva avec la plus grande partie de fa flotte. II recueilïit les Princeffés , & envoya par trois fois au tyran redemander fes gens injuftement détenus. Ifaac répondit que, loin de les rendre, il feroit le même traitement k Richard, s'il ofoit nietje Ie pied dans fon ifle. Indigné d'uie fi barbare infolence, Richard fait >rendre les armes a fes foldats, faute ivec eux dans les chaloupes, & vo;ue vers je rivage. Ifaac y attendoit es Anglois k la tête de fes troupes, ui n'étoient qu'une vile canaille, mal rmee ou fans armes. Richard avanou en perfonne avec fes gens de 'ait, qui commencerent par faire leuvoir fur les Grecs, une terrible rele de fleches. Le Roi faute le preuer k terre, fuivi de fes troupes. es Grecs ne tiennent pas Iong-temps. aac, après le maffacre d'une grande irtie des fiens, prend la fuite avec refie. On les pourfuit, on les mafcre; & fi Ia nuit ne fut furvenue,  du Bas-Empire. Liv. XC1I. 213 I c'en étoit fait du tyran. LesAnglois, ne connoiffant pas les routes & les fentiers des montagnes, par oü Ifaac s'étoit fauvé, n'oferent s'engager trop I avant; & revinrent a Limiflb , qu'ils : trouverent abandonné. Ifaac rallia les débris de fon armée , ck palla la nuit dans un vallon a deux lieues , jurant que dès qu'il i feroit jour , il auroit raifon du Roi 1 d'Angleterre. Le Roi le prévint, &z : dès avant le jour il alla chercher Ifaac. 1 II trouve les Grecs endormis, & fe jette dans leur camp au fon des tam1 bours & des trompettes. Réveillés par ce bruit & par les cris de ceux qu'on ; égorge , ils ne favent ni combattre ni I fuir. Ifaac fe fauve en chemife, laifI fant fes armes, fes tentes , fes che• vaux avec 1'étendard Impérial. Le j jour venu , les Comtes & les Barons de l'ifle fe rendent auprès du Roi, i & lui donnent des ötages. Le leni demain on voit arriver en Cypre I Gui de Lufignan, GeofFroi fon frere , Humfroi de Thoron, Boëmond, 1 Prince d'Antioche, Raymond fon fils, i Comte' de Tripoli , Livon , Prince 1 d'Arménie. 11 font hommage au Roi, ISAAC II. An. 1191. XXXIX. Ifaac traite & rompt le traité.  ISAAC 1t. a«, 1191. 214 'HlSTOIRK & lui jurent fidélité envers & contre tous. Ifaac fe voyant abandonné, envoye demander la paix; tk quelque dures que foient les conditions qu'on lui impofe, il ne balance pas k s'y foumettre : c'étoit de payer vingt mille' marcs d'or, de relacher les prifonniers, de jurer fidélité au Roi, & de tenir de lui le Royaume de Cypre comme fon vaflal, de lui mettre entre les mains fa fille unique, héritiere de fes Etats, pour être mariée au gré de Richard, d'aller en perfonne a la fuite du Roi en Syrië avec cent Chevaliers , quatre cents chevaux & cinq cents hommes de pied , & d'y refter tant que le Roi voudroit y demeurer. Pour afturance qu'il obferveroit fidélement ces articles , il donnoit en gage toutes fes fortereffes. Le traité conclu & figné de part & d'autre , Ifaac vint rendre 1'hommage & jurer fidélité a Richard & a fes fuccefleurs. A peine eut-il prêté le ferment qu'il s'en repentit; & s'étant retiré dans fa tente, lorfqu'il vit que tous les Anglois fe iivroient a la joie , & qu'il n'étoit pas obfervé, il s'évada déguifé en fimple  ISAAC II. An. 1191. nu Bas-Empire. Liv. XCII. 215 foldat. Dès qu'il fe crut en füreté, il envoya dire au Roi, qu'il ne garderoit pas un traité fi déshonorant, & qu'il fe dédifoit de toutes les conventions. Richard, ravi de cette inconftance , qui alloit le rendre maitre de Cypre, charge le Roi de Jérufalem & les autres Princes de pourfuivre le traitre & de s'en faifir. II monte lui-même fur fa flotte pour faire le tour de l'ifle, & place des corps de garde fur toutes les cötes, pour empêcher Ifaac d'échapper. II enleve tous les batiments qui fe trouvent s 1'entour. A la vue cTune flotte ü nombreufe , les garnifons des villes & des chateaux les abandonnent & s'enfuyent fur les montagnes. Le Rois'er emparoit& yjettoit des troupes. Aprés s'être ainfi alTuré de toutes le: cötes, il retourne k LimilTo. Le Roi de Jérufalem avoit inuti lement parcouru 1'intérieur de l'ifle fans pouvoir trouver Ifaac. On ap prit que fa fille étoit dans un chateai trés-fort nommé Cérines; Richard ] marche avec fon armée. Au bruit d< fon approche , Ia Princefle vient f jetter a fes pieds, lui demandant mife . XL. Richard 1 s'empare ds l'ifle. t r  ISAAC IL An. ii 91. 216 ïl I S T O I R E ricorde. Toutes les autres places fe rendent. Ifaac étoit caché dans un Monafiere au cap Saint-André; il n'avoit pas encore perdu toute efpérance ; Sc confervant fon caracTere féroce au milieu de fon infortune , un jour qu'il étoit a table avec les Comtes qui 1'avoient fuivi, comme un d'entre eux lui confeilloit de faire 3a paix , de peur que toute I3 nation ne pérït avec lui, tranfporté de colere, il le frappa d'un couteau qu'il tenoit, & lui coupa le nez. L'auteur du confeil s'enfuit, Sc alla inftruire Richard de la retraite du tyran. Richard y court fur le champ. Alors Ia fureur cédant a 1'épouvante, le tyran vient fe mettre a la difcrétion du vainqueur , ne demandant que la vie Sc la grace de n'être pas mis dans les fers. Le Roi, par dérifion, le fait lier de chaines d'argent, Sc le donne en garde a Raoul fon Chambellan. Après s'être faiii de fes tréfors, Sc avoir établi 1'ordre néceflaire pour la confervation de la conquête , il laiffe la garde de l'ifle a Richard de Camville & k Robert de Turnham, Sc part pour Saint-Jean d'Acre, oüPhi- lippe  du Bas-Empire. Liv. XCII. 217 lippe, Roi de France, 1'attendoit pour la prife de cette place fameufe , dont il vouloit partager 1'honneur avec le Roi d'Angleterre. II fait tranfporter fon prifonnier a Tripoli, & Raoul étant mort, il le met fous la garde du Grand - Maitre des Hofpitaliers , qui 1'enferme dans le chateau de Margat. II en coüta aux Seigneurs de Cypre la moitié de tout ce qu'ils poffédoient pour obtenir la confirmation de leurs loix & des privileges dont ils jouiffoient avant la tyrannie d'Ifaac. Ce cruel ufurpateur avoit regné fept ans. Quelques années après ayant corrompu par argent le gardien de fa prifon, il fe mit en liberté. Sa parente Euphrofyne, femme d'Alexis 1'Ange qui régnoit alors, engagea 1'Empereur a lui pardonner tous fes forfaits, &c k le rappeller k la Cour. Ifaac refufa cette gracé, difant quil avoit pris Phabitude de corrt' mander & perdu celle. Sobéir. Au bout de quelque temps comme il cabaloit en Afie pour exciter une révolte , il fijt empoifonné par fon Echanfon , qu'on crut avoir été payé par 1'Empereur. Sa fille demeura au pouvoir Tome XX, K ISAAC II. An. 1191.  ISAAC II. An. 1191. XLI. Gui deLu fignan , Roi de Cypre. ai8 Histoire de Richard. Après avoir été fiancée au Duc d'Autriche qui mourut avant qu'elle fut arrivée , elle époufa uh Seigneur Flamand ; & celui - ci demanda inutilement la reliitution du Royaume de Cypre, comme lui appartenant du chef de fa femme. Pendant que le Roi d'Angleterre étoit devant Acre, Richard de Camville mourut, & les Grecs s'étant révoltés , fe donnerent pour Roi un Moine, .parent d'Ifaac Comnene. Robert de Turnham marcha contre eux, les défit dans un combat , prit le Moine, Sc le fit pendre. Richard avoit befoin de fes troupes, & manquoit d'argent. II engagea l'ifle aux Chevaliers du Temple pour la fomme de vingt - cinq mille marcs. Ils furent bientöt avertis que les Grecs, qui haïffoient les Latins plus encore qu'ils n'avoient haï leur tyran , avoient formé dans toute 1'étendue de l'ifle une conjuration. pour les maffacrer. Sur eet avis, les Templiers, feulement au nombre de cent, s'enfermerent dans le chateau de Nicofie, ca■pitale de l'ifle. Les Grecs vinrent en ^rand nombre l«s y affiéger. Ces bra-  du Bas-Empire. Liv. XCIL 219 ves guerriers, voyant qu'ils ne pouvoient tenir long-temps fans mourir de faim, réfolurent de périr en gens de cceur. Le jour de Paques, après avoir participé aux faints mylieres , il font une fortie , & tombent 1'épée a la main fur les affiégeants. Ils ne cherchoient qu'une mort honorable, ils trouverent la viftoire , qu'ils n'attendoient pas. Cette multitude prit auffi-töt la fuite. Ils en flrent uncarnage qui dura tout le jour, & ne laifferent dans Nicofie , ni homme , ni femme; tout fut palTé au fil de Pepée. Leurs confrères qui étoient devant Acre, inftruits de cette révolution, déclarerent au Roi d'Angleterre , qu'ils ne vouloient pas être les gardiens de cette ifle , habitée par un peuple aufll perfide que lache. Richard en donna le domaine k Gui de Lufignan , k qui Saladin avoit enlevé le Royaume de Jérufalem , k condition qu'il rembourferoit lesTempliers. Gui la trouvant prefque déferte, la repeuplade colons, qu'il fit venir d'Arménie Se du pays d'Antioche. II ouvrit afyle a tous les malheureux habitants de la Paleftine, déK ij Isa ac 11. An. 1191.  ISAAC II. An. 1191. XLI1. Suite de cette expédition. 120 II I S T O I 11 E pouillés de leurs biens par 1'épée de* Mufulmans , & leur diftribua des habitations. Tel fut Ie commencement du Royaume de Cypre , qui fubfifta trois cents ans fous dix-fept Rois, jufqu'a ce qu'il tomba par donatioh entre les mains des Vénitiens. Lorfque Gui de Lufignan eut pris pofleflion de l'ifle, il y établit des Evêques & des Prêtres Latins, comme il étoit ,d'ufage dans tous les lieux dont les Latins fe rendoient maitres. Les Grecs les accufent d'avoir tourmenté & fait mourir dans les fupplices ceux qui refterent attachés a 1'Eglife Grecque. Le favant Leo AlJatius , Grec de naiflance , & né dans une familie fchifmatique, mais qui dès fon enfance eut le bonheur d'être nourri dans le fein de 1'Eglife Romaine, au-lieu de défavouer ces procédés inhumains, prétend les juftifier en difant, qu'il faut profcrire, inaflacrer , brüler les hérétiques obftinés , & que telle a toujours été la pratique de 1'Eglife : efpece de blafphême, enfanté dans les fiecles barbares , & démenti par 1'antiquité Chrétienne, qui, loin de fuivre ces  du Bas-Empire. Liv. XCII. 221 maximes fanguinaires, les a toujours abhorrées , comme auffi contraires k 1'efprit de 1'Evangile, que 1'indifférence & 1'irréligion. L'Empereur de Conftantinople ne vit pas lans chagrin 1'ifle de Cypre aliénée du domaine de 1'Empire. II en concut contre Richard un mortel reflentiment, qui s'aigrit encore par le faux foupcon qu'il eut, que ce Prince avoit eu part a 1'aflaffinat de Conrad de Montferrat. Richard, informé de ces mauvaifes difpolitions, ayant été jetté par la tempête fur les cötes de 1'Empire Grec a fon retour de Paleftine, évita de s'y faire connoitre: il aima mieux lë confier a des pirates. Le vaifiêau ayant fait naufrage entre Venife & Aquilée, comme il pafToit par 1'Autriche en habit déguifé, il fut reconnu & mis dans les fers par les ordres du Duc Léopold , en yengeance d'un affront qu'il avoit fait k ce Duc en Paleftine. Onrapporte que ce Prince, rentré dans fes Etats après plus d'un an de prifon , concut le deffein de faire la conquête de 1'Egypte, d'aller enfuite au recouvrement de la TerreSainte, de raarcher enfin k ConftanK iij ISAAC II. An. 1191.  222 H I-S T O I R E tlnODle nnilr c'v fall-prnnrnnnDf Vm. ISAAC II, An, 1191, XLIII. Impofteui <[ui fe dii AlexiSjfil; de Manuel.Nicet. I, 3, t. I. pereur, & qu'il avoit déja formé une nouvelle Croifade, lorfqu'il fut tué dans la guerre contre le Roi de France , devant un chateau qu'il alTiégeoit en Limofin. Pendant qu'une fermentation violante agitoit l'ifle de Cypre, & faifoit naitre un nouveau Royaume, 1'Empire Grec éprouvoit dans fon fein des mouvements qui fe fuccédoient fans interruption. Le mépris que s'attiroit Ifaac par fon peu de mérite, & la faciüté avec laquelle il étoit parvenu a 1'Empire qui ne lui avoit conté qu'un coup de fabre, animoient les efpérances des ambitieux. Son indolence leur ouvroit libre carrière.. II étoit perfuadé que Dieu 1'ayant porté comme entre fes bras fur le Tröne , Dieu s'étoit aufli chargé de 1'y maintenir fans aucun foin de fa part. Pendant qu'il s'endormoit tranquillement dans cette affurance, il fut réveillé par le bruit de plufieurs révoltes. Un certain Alexis , quine tenoit du fils de Manuel que la conformité de nom & quelques traits de reflemblance, prétendit qu'il étoit ce Prince, qu'An-  du Bas-Empire. Liv. XCII. 223 rlronic avoit été trompé , & qu'il avoit exercé ia cruauté fur un autre. II étoit né a Conftantinople; & pour n'être pas reconnu, il alla paffer quelque temps en Afie. II fe logea dans la petite ville d'Harmales prés du Méandre chez un Latin, auquel il vint a bout de perfuader fes menfonges. Ils vont enfemble trouver le Sultan d'Icöne ; c'étoit encore Azzeddin. Alexis lui débite la fable qu'il avoit inventée; il lui repréfente combien il lui fera glorieux de rétablir 1'Empereur légitime , &c quels avantages il en retirera pour lui-même. Azzeddia , trompé par le ton affuré de 1'impofteur &c par ia reffemblance avec Manuel , le traite avec diftinftion t & lui faitefpérer un puiflant fecours pour remonter fur le Tröne de fes peres. Quelque temps après, un Ambafladeur d'Ifaac vient k la Cour d'Icöne , & le Sultan lui ayant demandé en préfence d'Alexis,. s'il reconnoiflbit le fils de Manuel, il répondit qu'il étoit indubitable , que le fils de Manuel avoit été affaftiné & jetté dans la mer, & que tout le récit de «e jeune homme n'étoit qu'une fable. K iv ÏSAAC II. An, 1191-  ISAAC II An. 1191, 224 H I S T 6 1 g_ E A ces paroles, le faux Alexis entre en fureur; & fans refpecr pour le Sultan , il fe jette fur lAmbalTadeur, qiu eut bien de la peine a fe débarraffer de fes mains. Cette aventure refroiditbeaucoup le zele dAzzeddin. Néanmoins a forces d'inftances, Alexis obtint de lui Ia permiffion d'enröler ceux qui voudroient bien s'engager a fon fervice. En peu de temps il mit fur pied huk mille hommes , & ayant pris le titre d'Empereur, il fe rendit maitre de gré ou de force de plufieurs places voifines du Méandre. Entre autres villes, il prit & abandonna au pillage la ville de Chones, oü les Mufulmans profanerent par toute forte d'infamies & de violences TEglife célebre de lArchange Saint Michel. On envoya contre lui fucceffivement plufieurs Généraux, qui fe voyant mal obéis de leurs foldats plus portes au fervice du faux Empereur qu'a celui d'Ifaac, revinrent fans avoir remporté aucun avantage. Dans la Cour même de Conftantinople , bien des gens , quoique perfuadés de 1'impofture , en defiroient le fuccès. Enfin , Alexis Si-  nu Bas-Empire. Liv. XCII. 125 battocrator, frere d'Ifaac , fe mit a Ia tête de quelques troupes, & marcha vers le Méandre. Mais n'ofant hafarder une bataille contre des forces fupérieures, il fe tenoit éioigné , & fe contentoit de contenir dans l'obéiffance les places qui n'avoient pas encore pris le parti du rebelle. Les chofes étoient en eet éfat , & 1'armée ennemie groffilToit tous les jours par Paffluence des déferteurs, lorfqu'un coup imprévu termina la guerre. Un jour que le faux Alexis, après avoir bu largement, dormoit d'un profond fomme, fon Aumónier ayant faifi fon épée pendue a fon chevet,. lui coupa la gorge, & porta fa tête au Séballocrator. Celui-ci la trouva li reffemblante, qu-'il ne put s'empêcher de dire que ceux qui avoient fuivi eet importeur pouvoient bien être innocents. La rébellion du faux Alexis fut le ügnal de beaucoup d autres, qui ne ', furent pas plus beureufes. On vit en Paphlagonie un autre importeur, qui ^ ' fous le même titre de fils de Manuel ? attira dans fon parti lesProvincesvoifines. Le Sébafte Théodore Chumne K v ISAAC II. An. 1191, XLIV. Lutres révoltes.Vicet, l. j.  ISAAC II. An, 1191. i2.6 HlSTOIRB te prit dans un combat, & le fit mourir. Un certain Bafile Chozas en fit autant auprès de Nicomédie; il fut pris après peu de jours, aveuglé & condamné a une prifon perpétuelle. On en vit éclore de toutes parts quantité d'autres , qui difparurent aufïi-töt comme des infeftes éphémeres. Ifaac Comnene , neven de 1'Empereur Andronic, qui étoit détenu en prifon, s'en étant échappé, courut k Sainte-Sophie pour foulever le peuple. On fe faifit de fa perfonne malgré la fainteté de 1'afyle ; on lui fit fouffrir une rigoureufe torture, pour le forcer k découvrir fes complices. II ne nomma perfonne , & mourut le lendemain. On dénonca Conftantin Tatice, homme facTieux, qui entretenoit depuis long-temps a Conftantinople , une troupe de cinq cents bandits dévoués a fes ordres. II fut arrêté, & on lui creva les yeux. On traita de même un nommé Racyndite, allié de la familie des Comnenes , qui donnoit les mêmes fujets ale défiance : mais le plus diftingué de ceux qui furent alors la vicTime de leurs attentats ou des foupcons  nu Bas-Emptre. Liv. XCII. 227 du Prince , fut Andronic Comnene, fils d'Alexis, & petit-fils de la célebre Anne Comnene, ck du Céfar Bryenne. II étoit Gouverneur de ThelTalonique. On Faccufa d'afpirer a 1'Empire , & d'avoir concerté k deffein avec Alexis, fils naturel de Manuel, dont j'ai déja parlé fous le regne d'Andronic, Ceux qui avoient ©rdre d'aller arrêter Andronic , le rencontrerent fur le chemin de Conftantinople ; & voyant qu'il venoit lui-même fe jetter dans le piege, ils éviterent de lui donner 1'allarme, & Paccompagnerent comme par honneur. Dès. qu'il fut arrivé, on Faccufa de trahifon. On lui donna d'abord des Juges ; mais fans attendre leur fentence , lans lui donner le temps de fe défendre, on le mit en prifon, & on lui creva les yeux. Son fils, furieux de ce procédé illégal; h jette dans Sainte-Sophie; c'étoil un jour de fête, & tout le peuple > étoit afièmblé : il déclame avec har dieffe contre la cruauté de 1'Empereur , quil traite de tyran. Maii pendant même qu'il parloit, avan que ce difcours féditieux fe fut ré K vj ISAAC II. An, 11.9.1;. t  «8 H 1 $ T O I R E ISAAC li. An. 1191. XLV. Traitement d'Alexis , fils naturel de Manuel. 1 1 i i i I j_ —„ .un., un ie jdint ue ia perfonne, & on lui fit le même traitement qu'a fon pere , dont il augmenta la douleur en voulant le venger. On arrêta enfuite Alexis, fils naturel de Manuel, accufé d'être complice. Nous 1'avons laiffé enfermé dans un chateau au bord du PontEuxin. Ifaac Pavoit rappellé; & quoique ce Prince eüt été privé des yeux par la cruauté d'Andronic , il 1'avoit honoré du titre de Céfar. Alexis , inftruit par 1'infortune, fe tenoit éloigné de la Cour, & fe renfermoit dans le fdence de la vie privée. Sa retraite ne put le mettre hors de prife a la calomnie. II fut condamné a perdre tous fes biens, & a paffer- le refle de fes jours dans un Monaflere. Nourri des maximes du Chriftianifne, plus folides & plus confolantes me celles d'une philofophie monlaine, il recut eet arrêt comme une aveur de la Providence, & la perte le fes biens n'arracha de fon cceur ucun foupir. Pendant qu'il montoit e mont Papyce en Thrace, oü étoit itué le Monaftere, on appercut avec  du Bas-Empire. Liv. XCII. 229 étonnement un nuaee de triftefle fe répandre fur fon vifage, auparavant tranquille & ferein. L'Hiftorien Nicétas, qui étoit du cortege, lui en demandant la caufe : Ce neft pas, lui dit-il, le changement d'habit qui maf fiige; riimporte d tamedc quelle couleut & de quelle forme foit le vêtement qui touvrefon corps. Mais je redoute les obligations que l'habit monafliqueporte avec lui. Je fais que quiconque a mis une fois la mam a la charrue (S* regarde derrière lui, rieftpas digne du Royaume de Dieu, Dans cette crainte , il ne voulut eontraéfer aucun engagement intérieur; il ne promit rien ; il ne confentit a rien, qu'a obéir a PEmpereur. On lui donna le nom d'Athanafe. II choifit pour celluie, celle oü Alexis , fils d'Axuch, facrifié comme lui a une injuite cabale, avoit fini fes jours. Au bout de trois mois., 1'Empereur le rappella a la Cour, & fit voir qu'il n'avoit pas eu de raifon pour 1'en bannir. II 1'invitoit fréquemr ment k manger k fa table. Mais malgré les diiiinciions dont il Phonoroit avec juftice , ce Prince peu fenfé n'eut pas dans Popinion pubüque ISAAC II. An. 1191,  Isa ac II. An. 1191, XL VI. Succeffion de Patriarches a Conftantinople.Nicet. I. 2, *. 4. Orierts Chr. T. V. p. 271, & faq.T.Ul. P- 505 , jeó. Fleury, hifi. Ecclcf. I. 73« "ri.44, 61 ,75. Pagi ad Bar. Manfi ad Bar. 23» II I S T O I R E 1'honneur du repentir. On n'attribua ce changement qu'a fon inconftance naturelle. ^Ce fut en cette année 1191 , qu'Ifaac réfolut de récompenfer fon prophete Dorothée , en le placant fur le fiege de Conftantinople. II eft a propos de rappeller ici la fuite des Patriarches , depuis 1'abdication volontaire de Théodofe , dont j'ai parlé fous le regne du jeune Alexis. Ifaac , dès la feconde année de fon regne, fit dépofer Bafile Camatere, fous prétexte qu'il avoit fécularifé des filles & des veuves de diftinöion, qu'Andronic avoit contraintes de prendre le voile contre leur gré. La vraie raifon étoit la défïance qu'il avoit de ce Patriarche, dont il redoutoit le crédit. L'Eglife de Conftantinople n'eut pas lieu de regretter ce mauvais Pafteur, qui s'étoit vendu aux volontés d'Andronic. Nicétas Muntanès , Sacellaire de Sainte-Sophie, fut mis a fa place. Quoiqu'il fut fort avancé en age, 1'inconftance d'Ifaac ne put attendre fa mort. Sa vieillefle fervit de prétexte pour le dépouiller de fa dignité au bout de trois ans.  na Bas-Empire. Liv. XCH. 231 On lui fubftitua un Moine , nommé '■ Léonce. Avant fa nomination, Ifaac 1 avoit protefté avec ferment, en pré- 1 fence de tout le peuple, que la mere de Dieu lui avoit apparu en fonge, & lui avoit préfenté ce Moine, qu'il ne connoiffoit pas, 8c dont elle avoit loué la haute vertu. Malgré ce fonge miraculeux , il ne le laiffa que lept mois en place, 8c réfolut d'élever a cette dignité fon ami Dorothée, qu'il avoit déja fait nommer Patriarche titulaire de Jérufalem. Depuis que les Latins étoient maitres de cette ville, ainfi que d'Antioche 8c de Tarfe, 8c qu'ils donnoient des Pafteurs a ces trois Eglifes, les Grecs n'avoient pas ceffé d'y nommer des Evêques qui n'en avoient que le titre, 8c ne fortoient pas de Conftantinople. C'eft ainfi que Théodore Balfamon , fameux Canonifte , étoit alors Patriarche d'Antioche. Comme les canons ne permettoient pas ces tranflations d'un Evêché a un autre, Ifaac, pour vaincre cette difficulté, s'avifa du même ftratagême , dont 1'Impératrice Eudocie s'étoit fervie autrefois pour tromper le Patriarche Xiphilin, 8c SAAC II. Lii. 1191.  ISAAC II An. 1191 i 4 i zJt U I S T O I R R mettre fur le tröne Romain Diegene. II fit vemr Balfamon, & lui témoigna un fenfible regret du dépérifièment ou fe trouvoit 1'Eglife, tellement depourvue de Miniftres capables & vertueux, que dans tout l'Onent il n'y avoit que Balfamon en etat de remplir dignemenr la place de Patriarche de Conftantinople, ce cS^v\lPrrtant' donnoit ™ chef a lEghfe univerfelle. Si vous Pouve{ ajouta-t-il, trouver dans la dijcplmc eccléfiafiique, dont vous aver une connoifance fi profonde & fi éten- due , des moyens de prouver au peuple , que le pajfage d'un fiege d un autre nejlpas aujourd'hui plus contraire aux canons qu'U ne l'étoit autufois , vous me dehvrere{ d'un grand embarras. Bal- [amon,,a,nderent» chacun ne fongeant ?u'a s'échapper de ce mauvais pas. LEmpereur perdit fon cafque,&au;oit perdu la vie, fans le fecours de es Officiers, qui, fe ferrant autour le fa perfonne , lui ouvrirent un •alTage en renverfant, foulant aux 'ieds, malTacrant hommes &chevaux ui fe trouvoient devant lui; en forte ue pour fauver un Prince fans méite, il en coüta la vie a grand nomre de braves gens qui valoient mieux ue lui. Pour lui il fe crut, comme n autre David , le favori de la Proidence, qui récompenfoit fes veris , & centinua de fuir fans fon?r è fon arriere-garde, commandée u Ducas. Ce Général, plus fage ie fon maitre , ne s'engagea pas ms le défilé, & fous la guide d'ua ïlgare^, qu'un de fes foldats eut 1'aeffe d'attirer, il prit un détour , Sc joignit 1'Empereur a Bérée. L'a-  »u Bas-Eupire. Liv. XCIL 237 vant - garde, qui y étoit déja arrivée, croyoit Ifaac perdu avec toute 1'armée. Pour difïiper ce mauvais bruit, il fe fit voir pendant plufieurs jours , fe vantant d'avoir remporté une grande vicioire. Mais cette ridicule bravade fut démentie par le deuil des villes d'alentour, remplies de veuves & d'orphelins. II lui fut encore moins facile d'en faire accroire au peuple de Conftantinople , oü fon arrivée avoit été précédée de celle d'un grand nombre de fuyards, qui racontoient le détail de cette malheureufe journée. Mais fa vanité n'y voulut rien perÉi dre. En partant de la ville, il s'étoit vanté qu'il y rentreroit tout rayon! nant de gloire : pour couvrir la honte s de fon retour, il, difoit que Dieu ; avoit voulu punir la rébellion de 1 Branas , & que tous ceux qui avoient ] perdu la vie, avoient été complice» j de fa révolte. Abufé par les prétenb dus devins, qui fe jouoient de fa créb dulité, il s'étoit perfuadé que la Proi vidence divine avoit abrégé le regne 9 d'Andronic en punition de fes cri^ mes, & qu'elle avoit ajouté a fon isaac 11. An. 1192. XL VIII. Ridicule vanité d'Ifaac.  238 HlSTOIRE regne les années deftinées k ce Prin- ISAAC II. An. 1191. An. 1193. XLIX. Nouvelle guerre des Valaques &des Bulgares. Nicet. I. 3. c. 4. ce; qu'il devoit régner trente-deux ans, délivrer la Paleftine, établir fon tröne fur le mont Liban, repoufler les Mufulmans au-dela de PEuphrate, anéantir même leur Empire, & qu'il auroit fous fes ordres un peuple de Satrapes, Gouverneurs d'autant de Royaumes, &c plus puiflants que les plus puiflants Monarques. Enivré de ces chimères, il ne fentoit pas les maux préfents; & battu par les ennemis, méprifé de fes fujets, il triomphoit d'avance des grands fuccès qu'il fe figuroit dans les ombres de 1'avenir. Les Bulgares & les Valaques, glorieux k meilleur droit de leur victoire, & enrichis des dépouilles des Grecs , fe répandirent 1'année fuivante dans la Thrace comme un torrent , ravageant tout fur leur paflage. Ils faccagerent Anchiale, s'emparerent de Varna, détruifirent en grande partie Triadize, pillerent Nyfle. L'Empereur ne fachant par ou commencer a repoufler les ennemis, diftribuafes troupes fous plufieurs Généraux. Ils eurent d'abord quelque fuccès ; Var-  du Bas-Empire. Liv. XCII. 259 na & Anchiale furent recouvrées & fortiflées de nouveau. Mais les ennemis reprirent enfuite le delTus, & les Grecs furent battus en plufieurs rencontres. L'Empereur crut fa préfence nécefTaire; il partit après 1'équinoxe d'automne, & marcha vers Philippopoli, trainant après lui une fuite de femmes, & toute la débauche de la Cour. Cependant comme toutes fes forces étoient raffemblées, & qu'il étoit fervi par de bons Officiers, il arrêta les courfes des Bulgares , réprima les Serves qui attaquoient de leur cöté les places de la frontiere, & les battit prés de la Morave , oü grand nombre furent noyés. II s'avanca jufqu'a la Save, oü il recut la vifite de fon beau-pere Béla, Roi de Hongrie, avec lequel il pafTa quelques jours. De retour a Philippopoli, il reprit le chemin de Conftantinople, en évitant le pafTage du mont Hémus. Comme Philippopoli étoit la place la plus expofée aux irruptions des barbares, il y mit pour Gouverneur Conftantin 1'Ange, fon coufin germain, & laiiTa fous fes ordres une grande partie de fon ar- [SAAC H.  ISAAC II An. 1193 L. Révolte de ConffantinTAnge. *40 HllTOIRE mée. C'étoit un jeune homme plein de vigueur & de fierté, déja grand Amiral de 1'Empire. Dirigé par les confeils de vieux Officiers expérimentés , il fut autant fe faire obéir de fes foldats que craindre des ennemis. Sa vigilance &l fon activité arrêta les incurfions des barbares. Pierre & Afan , toujours fous les armes & prêts a fondre en Thrace , ne pouvoient le furprendre, Si étoient fouvent furpris eux-mêmes. II ne leur donnoit aucun repos, en forte qu'il en étoit beaucoup plus redouté que 1'Empereur. La grande opinion qu'il donnoit de fon mérite , étoit encore fort audefTous de celle qu'il en avoit. Enflé de fes premiers fuccès qu'il n'attribuoit qu'a lui-même ; quoiqu'il en fut redevable aux bons avis de fes Lieutenants; il fe crut né pour n'avoir point de fupérieur , & plein de mépris pour Ifaac, il ne lui fut pas difficile d'infpirer fes fentiments aux jeunes Officiers & aux foldats. Animé par le zele qu'ils témoignoient pour fon élévation, il prit la chauffure de pourpre & le nom d'Empe- reur,  nu Bas-Empiaz. Liv. XCIL 141 reur. Bafile Vatace fon beau-frere , grand Domeftique d'Occident, étoit pour lors a Andrinople. Conftantin lui fit favoir fon entreprife. Vatace, auprès de qui les fages confeillers du jeune Général s'étoient retirés , lui répondit par une lettre , dans laquelle, tantöt tournant en ridicule fon ambition téméraire, comme une vapeur de jeunefle, tantöt déplorant fa perte prochaine, il tachoit de le détourner d'un projet fi mal concerté. Conftantin, loin de ie rendre a fes bons avis, fe flatta de 1'entrainer dans fon parti, & marcha vers Andrinople. 11 n'étoit pas encore fur le territoire de cette ville , qu'il fut faifi & enchainé par ceux mêmes qui 1'avoient excité k la révolte. Ces traitres doublement perfides, manderent a 1'Empereur , qu'ils rt avoient parit adhérer pendant quelques momenis aux attentats de- Conftantin , que pour ne pas être les viclimes de ce furieux , qui leur tenoit le poignard fur la gorge; quils avoient cherché avec emprejfement l'occajïon de lui mettre le rebelle entre les mains, & que le prompt facrifice qu ils lui en Tome XX, L Isaac II. An. 1193.  ISAAC II An. 1193 An. 1194. LI. Ifaac mar; -4- HiSTOlRE faifoient, prouvoit afe{ la fidélité qu'ils lui avoient inviolablaiient gardée au fond du c&ur. Ifaac, fans examiner s ils étoient innocents 011 coupables, ie contenta de leur excufe , & fit arracher les yeux k Conftantin. Cette execution ne caufa pas moins de joie a Pierre & a fón frere Afan, que fi le Général Grec eüt confpiré contre eux - mêmes. Ils remercioient Dieu de les avoir délivrés d'un fi dangereux ennemi; ils faifoient des vceux pour la confervation d'Ifaac & de fa tamille, difant hautement que tant que de pareils Empereurs feroient iur le tröne, les affaires des Bulgares ne pouvoient manquer de profpérer. Affranchis de crainte, ils rentrerent dans la Thrace, ravagerent le territoire.de Philippopoli, deTriadize , ék s'avancerent jufqu'auprès d'Andrinople. Les troupes Grecques ne mootrerent que de la foibleffe ; & fi elles fe hafarderent quelquefois a icombattre , ce fut avec peu de fuccès. L année fuivante fut encore plus malheureufe, Alexis Guide & Bafile Vatace, furent défaits prés d'Arca-  dv Uas-Empire. Lh. XC1I. 243 diopolis. Guide fe fauva avec peine; Vatace y périt avec la plus grande partie de fes troupes. Ifaac réfolut de marcker en perfonne. II pafTa 1'hyver h lever une grande armée, & foudoya un grand nombre de troupes auxiliaires. II eut recours au Roi de Hongrie , ,qui leur promit un puifTant fecours. II tira de fon tréfor quinze cents livres pefant dor, & fix mille d'argent; & fuivi d'une nombreufe armée , bien fournie de toutes les munitions néceffaires , après avoir recommandé a Dieu le fuccès de fes armes, il partit au mois de Mars , réfolu de ne revenir qu'après avoir lerminé Ia guerre, & réduit entiérement ces opiniatres ennemis. Ce Prince penfoit n'avoir h craindre que les Bulgares & les Valaques. Mais il conduifoit lui-même un ennemi d'autant plus dangereux , qu'il le chérifToit avec plus de tendrefTe. C'étoit fon frere Alexis, qu'il avoit retiré de captivké, & qu'il admettoit dans fa plus intime confidence, partageant avec lui fes biens , fon pouvoir, fes plaifirs, & ne fe réfervant que le titre d'Empereur &c 1'autorité Lij ISAAC II. An. 1194. che contre les Bulgares. Nktt.l. j. c 3. An. 119;. LH. Ifaac détröné par fon frere. Nicet. I, 5. c 1 , 8. Idem in Balduin» c. I. Sanut, l. 3. part. li, c. I,  ISAAC ii. An. 1195. Alberic. chr. Monach. Alt. chron. AbbasUrfperg.chron.Cajfin. chr. Rhamnufius. Doutremannus. Nangis chr. Villthard. p. 26 , 27. Du Cange fur Villehard. p. 266,271, 372. Phil. Xlouskes. Sabellicus. Gefla linie, m. Crujlus in , Turcs gr cecia l. 7. 1 Otto de Sw.BIafio. , c 43. ; Roger de Hoveden. i AcropoUt. . c. 2. ' Gunterius, ' C 8. =44 Histoire fouveraine. II hu avoit donné le palais de Bucoléon, a condition qu'Alexis le laifferoit jouir du péage du port voifin , qui rendoittous les jours a 1'Empereur quatre mille livres d'argent, affecïées a la dépenfe de fatable. Ce perfide, jaloux de voir fon cadet fur le tröne, réfolut de lui arracher la Couronne. II pratiqua fecretement les Seigneurs qu'il favoit mal difpofés pour Ifaac, & il avoit déja formé un nombreux parti, lorfqu'on en avertit 1'Empereur. Ifaac rejetta eet avis comme une calomnie malignement inventée, pour le (ëparer d'un frere qu'il regardoit :omme fon foutien le plus afTuré. Arrivé a Rhedefte, il y célébra la fête de Paques; & toujours entêté des chimères de la divination, il fut :urieux de voir un devin fort aorrédité parmi le peuple. C'étoit un :harlatan de nouvelle efpece, qui ne ■épondoit que par des fauts, des ^ambades & des mouvements extravagants mêlés de fons mal articulés, me de vieilles femmes interprétoient lux confultants imbécilles. La n>ure le 1'Empereur étoit peinte fur le mur  du Bas-Empire. Liv. XCIL 245 de fa loge. Lorfqu'Ifaac fut entré , le devin, après 1'avoir envifagé, & fait fes folies accoutumées, effaca du bout de fa baguette les yeux de la figure, & parut vouloir lui enlever fon ornement de tête. Si le fait eft tel que le rapporte Nicétas, il falloit que ce charlatan fut inftruit du complot par quelqu'un de fes efpions, comme il eft affez ordinaire a ces fortes de gens. Le Prince n'en fit que rire, & marcha a Cypfeles, oü il s'arrêta pour mettre fes troupes en ordre, & attendre celles qui le fuivoient. Cependant la noblefiè conjurée murmuroit en apparence , du mépris que 1'Empereur faifoit de fes Officiers, & du défordre des affaires; mais en effet, elle préparoit les efprits a une révolution dont elle fe promettoit de grands avantages. Ifaac, qui n'étoit nullement inftruit de ces fourdes manceuvres , monta a cheval pour aller a la chaffe , & fit inviter fon frere a 1'accompagner dans ce beau pays peuplé de gibier. Alexis s'en excufa fur une indifpofition qui le tenoit au lit. Dès que 1'Empereur fut parti, les conjurés enlevent AleL iij Isaac ir, An. 1195. Du Cange fam. p. 204 , 20 j, 215 , 259.  JSAAC II. Ac, 1195. £46 HlSTOIRE xis comme malgré lui, Ie tranfportent dans la tente d'Ifaac, & le proclament Empereur. Les chefs du complot étoient Théodore Branas, George Paléologue, Conftantin Raoul Michel Cantacuzene, tous parents d'Ifaac &c courtifans d'Alexis. Au premier bruit de cette nouveauté , toute 1'armée va fe ranger auprès d'Alexis ; les Domeftiques d'Ifaac , ceux qu'il avoit comblés de fes bien/aits, fes Miniftres mêmes, s'empreffent de faire leur cour au nouvel Empereur. Ifaac apprenant ce foulevement, revient fur fes pas ; & com duit a 1'obfcurité, 1'autre revêtu »> de la^pourpre, tous deux nés dans » le même pays 6c fortis du même » pere. Allons avec courage com» battre les Grecs tant de fois vain» cus ; ils fe font fait encore depuis » peu un nouvel ennemi, c'eft Dieu » même , en fe révoltant contre » leur Prince légitime ". Après avoir ainfi relevé le courage de fes foldats, Afan marche vers Amphipolis, Illaif-  nu Bas-Empire. Liv. XCIII. 269 fa d'abord prendre au Général ennemi quelque léger avantage , pour aiguillonner fa témérité. II n'en fallut pas plus a Ifaac , jeune Sc préfomptueux , pour fe juger invincible. Sans fe faire inftruire des forces des Bulgares , dès qu'il apprend qu'ils ravagent le territoire de Serres , il fait fonner la trompette, monte a cheval, Sc courant le premier a toute bride 1'efpace de deux lieues, fuivi de toute fa cavalerie Sc de fon infanterie qui arrivé hors d'haleine , fans donner un moment de repos a fes troupes , il charge 1'ennemi, Sc ne s'appercoit des embufcades oü il fe trouve enveloppé , que lorfqu'il ne peut plus échapper. La plus grande partie de fon armée eft taillée en pieces, 1'autre fe fauve a Serres. II eft pris lui-même par un foldat Patzinace , qui, dans 1'efpérance d'en tirer une grofle rancon , le cache d'abord avec foin; mais Afan en eft averti, Sc fe 1'étant fait amener, il le garde dans les fers. Après cette vicloire qui ne laiflbit plus de Grecs dans ce pays, Afan retourna en Bulgarie, oü il trouva M iij Alexis Iü. An. 1196. VII. Afan affaffiné.Nicet. L, 1, e. 5.  .AlEXIS III. A.n, ug6. < i I ] ] 2/0 HlSTOIRE la mort qu'il avoit bravée en tant de batailles. II avoit admis dans fa familiarité la plus intime , un Officier nornmé Ivan , qui lui refTembloitpar le déréglement de fes mceurs & par une audace déterminée. Le Sébaftocrator prifonnier le crut propre k lui procurer laliberté. Dans ce deflein, il 1'excitoit en fecret è. fe défaire d'Afan, lui repréfentant que la mort de ce tyran lui donneroit la Couronne cle Bulgarie. II lui promettoit en mariage fa fille Théodora, & le fecours de 1'Empereur. Ivan, tout ambitieux qu'il étoit, n'avoit pas encore cédé k fes follicitations , lorfqu'Afan luimême par fon imprudence précipita ra perte. II découvrit que la fceur de ra femme vivoit avec Ivan en comïierce de débauche. Fier & outré de :olere, il mande Ivan dès la nuit fuirante. Ivan fe doutant bien qu'un tel 5rdre, donné k pareille heure, n'anïon^oit rien que de facheux, remet tu lendemain. Afan renvoye auffiöt, &c lui fait dire qu'il eft étonné le fa défobéiflance : qu'il vienne fur e champ. Les réflexions du coupa)le dans eet interyalle lui avoient fait  do Bjs-Empire. Lh. XCIIL 271 fouoconner la caufe de eet empref- femënt. 11 confulte fes amis , qui lui conleillent d'aller au palais avec une , épée fous fa robe. S'il fe contente, lui difent-ils , de vous faire des reproches, vous tdchere{ de tappaifer par une humble foumiffon : Hl s'emporte & fe difpofe d prendre des voies de fait, prévenei eet homme violent & fanguinaire ; mais fonge^ d ne lui porter aucun coup qui ne foit mortel. Ivan fuit ce confeil. Dès qu'Afan l'apper^oit, il entre en fureur & court è fon épée; Ivan s'élance fur lui, Si le renverfe mort d'un feul coup.IIrejointauïïi-töt fes amis: 11 riejlplus temps de balancer, leur ditil; Pierre & leurs parents ne differeront pas decourir aux armes. 11 faut régner, Ji nous voulons vivre. Rendons-nous maitres de la Bulgarie. Si nous ne réuffiffons pas, il nous reftera une reffburce ; e'ejl de nous jetter entre les bras de C Empereur. Cet avis étant approuvé de tous , dès la nuit même ils afTemblent leurs partifans, ik vont s'emparer de Ternobe, la plus forte place du pays, iituée fur un des fommets du mont Hémus. Pierre vint les y afTiéger; mais jugeant la place M iv AlEXIS III. ia. 1196.  Alexis iu. An. 1196. VIII. Ivan fe refugié a la Cour de 1'Einpereur.Nicet. I. 1. e. 6. i BlSTOIRE imprenable , il réfolut de la réduire par famine , & Ivan fe défiant de fes forces eut recours a 1'Empereur, lui offrant de le mettre en poffeffion de Ternobe , & par ce moyen de toute la Bulgarie, s'il vouloit le fauver. La négligence d'Alexis qui ne pouvoit quitter fes plaifirs , Iaifla perdre une occafion fi favorable. Ii fe contenta d'envoyer quelqües troupes fous le ccmmandement du grand Ecuyer Manuel Camyze. Ce Général ne fut pas plutöt fur la frontiere de Bulgarie , que fes foldats fe mutinerent & refuferent d'aller plus loin : Nous ns connoijfons que trop, s'écrioient-ils, ces fune/tes montagnes, ou nous avons déja. laiffé tant de nos camarades. Cejtnous mener a la mort; & aufli-töt fans être attaqués que de leur terreur, ils fe iébandent & prennent la fuite. L'Empereur marche en perfonne avec une 3lus grande armée ; il éprouvé la néme défobéiflance , & eft contraint ie retourner fans avoir tiré 1'épée. :van n'efpérant plus de fecours, & /oyant 1'armée de Pierre groflir de our en jour, s'échappe de nuit, & fe auve a Conftantinople. Pierre devint  du Bjs-Empire. Liv. XCIII. 273 paifible pofleffeur du Tröne , mais il n'en jouit pas long-temps. 11 fut affaffiné lui-même, &c la Couronne demeura k Jean le troifieme des freres , connu fous le nom de Joannice. Ivan fut bien recu a la Cour d'Alexis. C'étoit un homme en qui la vigueur de corps égaloit les talents & le courage , mais hautain , cruel, qui ne put jamais plier fon caraftere féroce k la douceur des mceurs Grecques. Ifaac le Sébaflocrator étoit mort fubitement dans les fers, avant 1'exécution du forfait dont il étoit 1'inftigateur. Sa fille Théodora qui en devoit être le prix , n'avoit encore que quatre ans , & étoit élevée fous les yeux de 1'Empereur , qui fe rendit garant de la parole de fon gendre. Le bas age de la PrincefTe rebuta Ivan, qui aima mieux porter fes hommages k Anne Comnene, mere de Théodora , & devenue veuve par la mort d'Ifaac. Elle étoit encore jeune, mais trop aimable pour accepter la main d'un barbare tel qu'Ivan, que fa férocité naturelle conduiiit k fa perte. Mais auparavant il rendit de bons fervites a 1'Empire, en fe tenant en M v Alexis UI. Vn. 1196.  274 HisroiRE armes prés de Philippopoli, & s'on- Alexis III. An. 1197. IX. Guerre desTurcs. Nicet. 1,1. c. 7. M. de Guigncs, hifi. des Huns. Ui.p. 54! pofant comme une barrière aux incurfions de fes compatriotes. La mort du faux Alexis ne fit pas ceffer les ravages des Turcs. Ils affiégerent Dadibra en Paphlagonie, & Mafoud,Sultan d'Ancyre,qui fe trouvoit au fiege enperfonne, jura qu'il ne fe retlreroit qu'après la prife de la ville. Les affiégés, fans autre refTource que leur courage, fe défendirent pendant quatre mois. L'Empereur, aulieu de fecours, leur envoyoit des promelTes. La place étoit commandée par des collines, d'oü les ennemis Paccabloient de pierres & de traits ; ils avoient coupé tous les paffages des vivres ; ils empoifonnoient les fources quiy portoi.ent Peau, en forte que les habitants mouroient de faim & de foif. Enfin, 1'Empereur leur envoya quelques troupes fous la conduite de trois jeunes Officiers fans expérience, qui en arrivant tomberent dans une embufcade. Tout fut pris ou tué. On conduifit autour des murailles deux des chefs prifonniers, les mains liées derrière le dos, & un hérault crioit aux habitants: Regarde^  du Bjs-Empire. Lh. XC1IL 275 vn t Aéfenl'turs : vous vérirez comme eux, Ji vous riimplore\ au plutót la clêmence de Cinvincible Ma/oud. Les afliégés, dénués de toute efpérance, demanderent enfin k capituler. Ils propbfoient de refter dans la ville en payant un tribut; cette condition fut rejettée. On leur permit feulement de fortir avec leur familie & les eftets qu'ils pouvoient emporter, & la ville fat livrée aux Turcs qui s'y établirent. Les habitants fe difperferent dans les contrées voifines, a 1'exception d'un petit nombre , qui, par attachement k leur patrie , obtinrent de Mafoud la permifiion de batir des cabanes aux environs , & préférerent a 1'exil un miférable efclavage. L'Empereur, pour fetirer d'inquiétude du cöté des Turcs, fit la paix avec eux en accordant a Mafoud tout ce qu'il demandoit. II redoutoit bien davantage Henri, Empereur d'Allemagne , qui s'étant rendu maitre de la Sicile, fe préparoit k paffer en Oriënt. & portoit fes vues ambitieufes jufque fur 1'Empire Grec. Ifaac régnoii encore, lorfque ce Prince ne cher chant qu'un prétexte de guerre, lu M vj Alexis III. ka. ii97'« X. H&nri , Empereur d'Occident, exi» ge un tribut de 1'EmpereurGrec. t  Alexis HL An. ii 97, a?6 Hts t 0 1 &. e envoya demander la reftitution de tout le pays depuis Duras jufqu'a Theffalonique, comme lui appartenant par la conquête qu'en avoit faite le Roi Guillaume , dont tous les droits fe trouvoient réunis dans fa perfonne. C'étoit fans doute un droit tien mal fondé , & les autres fujets de querelle qu'il eherchoit a 1'Empereur, ne l'étoient pas davantage. II prétendoit que Manuel, par fesintrigues", avoit anirné lePape contre fon pere Fréderic, & 1'avoit fait chaffer d'Italie.. Sur de pareils fondements , il déclaroit qu'il falloit acheter la paix a grands fraix, ou fe réfoudre a la guerre. II demandoit de plus qu'on envoyat une flotte confidérable au fecours des Allemands en Paleftine» Ifaac, pour calmer eet efprit bouillant & impétueux, lui avoit envoyé un Ambafladeur du premier rang. Mais Henri ne rabattant rien de fes prétentions, en renvoya deux autres, dont Pun avoit été fon gouverneur lans fon enfance , homme fier &£ irrogant, qui avoit formé le Prince iir fon propre caraöere. Celui - ci i'acquitta de fa commifïion avec hau-  nu Bas-Empire. Liv. XC1II. 277 teur, témoignant le plus grand mépris pour les Grecs & pour 1'Empereur même , relevant le courage invincible des Allemands , & demandant des montagnes d'or. Une teïle infolence auroit été mal recue de tout autre que d'Ifaac ; & d'ailleurs ce fut dans cette conjonöure que la conjuration éclata , & qu'Ifaac fut détröné. Alexis, parvenu a 1'Empire , n'ofa expofera une nouvelle guerre fa puiffance mal affermie. II confentit a payer les fommes que demandoit Henri; & par une vanité imprudente, comme s'il eüt voulu embrafer davantage 1'avidité des AmbafTadeurs Allemands, il affeóta d'étaler k leurs yeux une grande magnificence. Le jour de Noël il fe montra revêtu d'une robe femée de pierreries , & donna ordre k toute fa Cour de paroïtre dans Péquipage le plus brillant. Ce fpecTacle , loin d'éblouir les Allemands & de leur infpirer du refpect, ne leur donna que du mépris pour une nation, qui confervoit tant de luxe au milieu de tant de foibleffe j & les excita plus vivement k la Alexis HL An, 1197, XL Lache foumiffion d'Alexis.Nicet. I. ia t. 8.  Alexis III. An. ii 97 S78 HlSTOIRË dépouiller de ces richeftes qui ne couvroient que des efclaves. Comme on , leur faifoit remarquer eet éclat de 1'Empereur & de toute fa Cour : Voila, dirent-ils, un beau parterre. Pour nous, nous laijfons ces parures a nos femmes, & nous en amufons nos enfants. Nous ne refervons pour nous que le fer ; c'ejl le fer qui taille l'or & les pierreries ; cejl lui qui gagne les batailles. Sur 1'infpeöion de cette opulence, ils demanderent cinq mille livres d'or de penfion annuelle. L'Empereur, hors d'état de payer cette fomme , fit partir Eumathius Philocale pour en obtenir la modération. Eumathius étoit Préfet de Conftantinople, extrêmement riche , & pour le moins aufli vain. II demanda la permiflion de faire le voyage avec toute la pompe de la préfeclure, & a 1'exception des voitures publiques qu'on lui fourniroit, il fe chargea de tous les fraix de rambaflade. Arrivé en Sicile oii étoit Henri, il n'y fut pas mieux recu qu'un envoyé ordinaire , & eet étalage d'ornements bifarres le rendit ridicule aux Allemands. II obtint cependant une diminution confidéra-  nu Ba's-Empire. Liv. XCIIL 279 ble, en repréfentant fous 1'or & les pierreries dont il étoit couvert, la mifere de 1'Empire. Henri fe rabattit h feize cents livres pefant d'or. Mais il ne voulut pas lailTer partir Euma^ thius, que cette fomme ne lui fut mife entre les mains. Alexis fe trouva trés - embarraffé a la fournir. II fallut taxer dans toutes les villes le Clergé, le Sénat, le peuple, jufqu'aux derniers artifans. Cette taxe , qu'on appelloit la penfion des Allemands, révolta tout 1'Empire. On crioit de toutes parts que 1'Empereur ruinoit 1'Etat par fon luxe & par celui de fes parents , auxquels il diftribuoit les gouvernements, &qui la plupart fans yeux , qu'Andronic leur avoit fait arracher, enlevoient a tatons les dépouilles des Provinces. Ces clameurs flrent tant de honte a 1'Empereur , qu'il renonca a cette impofition , &£ la remplaca en exigeant qu'on lui mït entre les mains les vafes, les ofFrandes, 1'or & 1'argenterie des Eglifes. a la réferve de ce qui fervoit aux cérémonies du faint Sacrifice. Ce furent de nouveaux cris ; on traitoil cette exaclion de facrilege. II fallui Alexis in. in, 1197.  Alexis UI. An, 1197. An. 1198. XII. Pirateries de Caphyte. S<"0 HlSTOIRE encore 1'abandonner. L'Empereur fe rédiunt a dépouiller les fépultures de fes prédécefleurs; il fit enlever les précieux métaux dont elles étoient enrichies , & n'y laiffa que les marbres. II alloit en faire autant au tombeau du grand Conftantin ; des voleurs le prévinrent, & lui épargnerent ce fcandale. De tous ces enlevements il ne tira que fept mille livres d'argent & une afTez petite quantité d'or , dont il fit battre de la monnoie. On en murmura, & la mort des deux Miniftres employés a cette opération odieufe, qui moururent peu après Tun d'hydropifie, 1'autre d'une fievre ardente, fut regardée comme une punition divine. Henri étant mort a Meffine le vingt - huit Septembre de cette année, eet argent demeura entre les mains d'Alexis , qui n'en fit nulle reftitution. Déliyré de cette inquiétude, il lui en furvint une nouvelle. Un fameux pirate Génois , nommé Caphyre , couroit les mers avec une flotte, & venoit vendre a Conftantinople les prifes qu'il avoit faites fur les vaiffeaux , qui n'étoient ni Grecs, ni des  du Bas-Empire. Liv. XC1I1. 281 alliés de 1'Empire. Michel Striphnus, grand Amiral, prétendit avoir part au butin, & exigea de lui un gros péage. Caphyre irrité fe met a courir fns aux vaiffeaux Grecs, infefte la mer Egée & les ifles , attaque Adramytte, & Fabandonne au pillage. On lui laiffa le temps de faire beaucoup de ravages. La marine de 1'Empire étoit en mauvais état, & le grand Amiral s'entendoit mieux a tirer des droits & a s'enrichir, qu'a naviger & k combattre. Enfin, on fit partir Jean Stirione avec trente vaiffeaux. C'étoit un pirate Calabrois , qui s'étoit rendu redoutable , & que 1'Empereur Ifaac avoit par de groffespenlions attiré a fon fervice. II ne s'en étoit pas repenti, & la bravoure de Stirione avoit été plus d'une fois utile k 1'Empire. Elle ne fut pas heureufe en cette rencontre. II fut battu par Caphyre, & obligé de regagner le port de Conftantinople avec perte de plufieurs navires. Caphyre vainqueur fit voile k Sefte, ou il favoit qu'une autre flotte étoit k 1'ancre. II y arriva vers le midi, dans le temps que les matelots tk les foldats fe repo- Alexis ra. An. 1198.  Alexis III. An. ii98. a8a Histoire foient fur le rivage. II enleva tous les batiments avec les armes & les vivres dont ils étoient chargés. Devenu plus puifTant par ce renfort, il fit des defcentes fur toutes les cötes, dans toutes les ifles, impofa des contributions, & les exigea avec rigueur. Alexis ne fe fentantpas afTez fort pour le réduire par les armes , employa une rufe plus convenable a un pirate qu'a un Empereur. II lui envoya propofer la paix par des Génois fes compatriotes & fes amis établis a Conftantinople. On lui promettoit fix cents livres d'or, & afTez de terrein pour y domicilier plus d'aventuriers qu'il n'en avoit a fa fuite. A ces conditions Caphyre confentit a fe donner a 1'Empire. Mais pendant cette négociation frauduleufe, TEmpereur équipoit en diligence d'autres vaiffeaux, a la tête defquels il mit encore Stirione , qui les chargea de Pifans, ennemis des Génois. Dès que 1'armement eft prêt, on va fondre fur Caphyre, qui, cróyant la paix conclue, n'étoit pas fur fes gardes. II eft battu , pris &c mis a mort. Stirione fe rendit maitre de tous les batiments , a la ré-  du Bas -Empire• Liv. XCIIL 283 ferve de quatre qui kii échapperent. Une autre efpece de piraterie , plus pernicieufe aux Etats, déchiroit les entrailles de 1'Empire. Cetoient les concuflions des Magiftrats , qui achetoient, des favoris &C des Miniftres, le droit de dévorer la fubftance des fujets. Au commencement de fon regne, Alexis avoit déclaré pa^n édit public , que les dignités les magiftratures ne feroient plus vénales, mais conférées uniquement au mérite éprouvé & reconnu. C'étoit prómettre le gouvernement le plus fage & le plus heureux, & 1'Empereur étoit difpofé a tenir parol e. Mais de combien de lumieres & de force n'a pas befoin un Souverain environ né de corrupteurs, pour difcerner le< bons co»feils, & repouffer ceux qui tendent a les détruire! Les parents. les courtifans de 1'Empereur, qui, dans lestroublespaffés, n'avoient travaillé qu'a s'enrichir en pillantle bier des particuliers & les revenus publiés , ne pouvoient fe détacher d'une fi douce habitude. Comme ils entou roient le Tröne, il falloit les traverfer pour y parvenir, &c ils avoiem Alexis III. An. 1198. XIII. Troubles dans Ia Cour de Conftantinople.Nicet. I, 2. c. 2.  Alexi III. An. 119 284 HlSTOIRE - foin de dépouiller les paflants, & de 1 leur vendre ce que le Prince prétens, doit donner. C'étoit a leur recommandation que fe dhTribuoient les honneurs & les places; 1'aveugle conflance du Prince , qui ne voyoit pas mieux les manoeuvres de fa Cour, que ce qui fe paffoit au bout du monde, s'en rapportoit a leur jugemenr. Les femmes fur-tout avoient grand crédit, & les bijoux, les pierreries, Pargent étoient la monnoie la plus honnête dont on achetoit leurs fuffrages; en forte qu'on voyoit élevés aux premières charges, décorés même du titre de Sébafte, des inconnus , des barbares , & ce qui étoit moins encore, des Grecs fortis de la poufTiere, oü ils avoient ramaflé de Por. Ces hommes de néant, revêtus de grands titres qui leur avoient coüté cher, s'en dédommageoient fur ceux qui devenoient leurs fujets, & la haine qu'ils s'attiroient, rejaillifToit fur 1'Empereur. Les peuples qui ne voyent le Prince que dans fes repréfentants , loin de les refpefter, maudifToient & les repréfentants tk le Prince.  du Bjs-Empire. Liv. XCIII. 285 Euphrofyne, plus clair-voyante que 1'Empereur ,%-ut devoir arrêterce défordre. Ce n'eft pas qu'elle n'en eüt toléré une grande partie, fi elle en eut profité feule; mais elle regardoit comme un vol tout ce qui tomboit en d'autres mains; & d'ailleurs confidérant 1'Empire comme fon bien propre , elle penfoit que pour le conferver, il étoit befoin d'ufer de ménagement, & qu'un brigandage fans borne iroit enfin a le détruire. Elle fit donc entendre a fon mari qu'en conféquence de fon éclit, il falloit que les charges fuflent gratuites , ou que fi 1'on en tiroit de 1'argent, ce devoit être au profit du tréfor. II s'agiflbit de trouver un Miniftre capable de tenir la main a cette réforme; elle propofa Conftantin Méfopotamite , & le Prince 1'accepta , quoique peu prévenu en fa faveur, paree qu'il avoit été bien avant dans les bonnes graces de fon frere Ifaac. C'étoit un homme infinuant, adroit, mais d'une ambition démefurée, qui éclipfa bientöt tous les autres. II fe rendit maitre abfolu de Pefprit de 1'Empereur; rien ne fe donnoit plus que par fon Alexis III. An. 1198. XIV. Complot contre Euphrofyne,  Alexis III. An. 119S, 286 HlSTOIRE 1 canal. Ce grand pouvoir appuyé de 1'Impératrice enflamma«tle dépit tous ceux qui fe virent anéantis. II n'y eut pas jufqu'aux plus proches parents d'Euphrofyne, qui en congurent de la haine contre elle-mêrr.e. Bafile Camatere, fon frere, Andronic Contoftéphane, fon gendre, qui avoit époufé fa fille Irene, réfolurent de la perdre dans 1'efprit du Prince. Ils en trouverent 1'occafion dans le libre accès qu'elle donnoit auprès d'elle k un jeune courtifan , nommé Vatace, d'une trés - belle figure, & doué de toutes ces qualités dangereufes, qui intimident une vertu moins aguerrie que celle d'Euphrofyne. Comme 1'Empereur étoit fur le point de marcher contre les Bulgares, ils lui demanderent une audience fecrete. La après lui avoir proteflé dans les termes les plus énergiques , que les Hens les plus forts étoient ceux qui les attachoient a fa perfonne ; qu'ils étoient prêts a lui facrifier non-feulement les liaifons les plus intimes, celles de Pamitié & de la nature même, mais encore leur propre vie; ils ajouterent que c'étoit avec un extreme regret,  nu Bas-Empire. Liv. XCIII. 287 qu'ils alloient lui découvrir les dangereufes intrigues d'une perfonne , qui leur étoit chere auffi - bien qu'a lui , Sc qui après lui tenoit la première place dans leur cceur. » Votre » époufe, dirent-ils, en déshonorant » la couronne que vous lui avez mi» fe fur la tête , fait auffi a notre fa» mille le plus fanglant affront. Pour » vous , Prince , votre rang fubüme » vous éleve fort au-defTus de l'in» jure; la honte ne peut monter juf» qu'a vous; mais 1'attentat y peut » atteindre. Confidérez votre péril, » inféparable du nötre. Penfez-vous » qu'une époufe ingrate Sc infidelle » ne s'efforcera pas de vous précipi» ter du tröne, pour y placer 1'ob» jet qu'elle vous préfere. Faites pé>> rir Vatace; ce malheureux mérite » la mort la plus prompte. Mais diffi» mulez avec la coupable. Conten» tez-vous de lui retirer 1'autorité >» qu'elle proflitue. A votre retour » de la guerre, vous prendrez les » mefures les plus füres pour la pu» nir ". L'Empereur, frappé comme d'un coup de foudre, mais auffi timide qu'irrité, fuivit leur confeil. II Alexis Ut. An. 1198,  Alexis ra. An. ii98. XV. Vaine expéditioncontre les Valaques & les Bulgares.Nicet. I, i, e. 3. 288 HlSTOIRE envoya fur le champ maffacrer Vatace , & s'en fit apporter la tête , qu'il foula aüx pieds, en proférant des paroles indignes de fortir de la bouche d'un Empereur. II partit aufii-töt pour Cypfeles, a defièin d'arrêter les courfes des Valaques &c des Bulgares, qui, fous Ia conduite de Chryfe, ravageoient le pays de Serres. Chryfe étoit un Valaque de petite ftature , mais d'un grand courage. Dans le temps que Pierre & Afan s'étoient révoltés contre les Grecs, fe croyant lui-même plus digne de la couronne, il s'étoit féparé d'eux, & a la tête de cinq cents hommes, il avoit paffé au fervice de 1'Empereur. Les relations qu'il confervoit avec fes compatriotes, & le bon traitement qu'il leur faifoit lorfqu'ils tomboient entre fes mains, firent foupconner fa fidélité: on 1'arrêta ; mais peu de temps après s'étant juflifié auprès de 1'Empereur, on lui confia la garde d'une place importante, nommée Strummize en Macédoine. On ne fut pas long-temps fans s'en répentir; il fe rendit maitre de Strummize, & fit a 1'Empire une guerre  Du Bas-Empire. Liv. XCIH. 289 re ouverte. Alexis marcha en perfonne contre ce nouvel ennemi, & raffembla fon armée a Cypfeles. Mais peu conftant dans fes prcjets , & ne s'éloignant qu'a regret de la vie molle de la Cour , il s'en tint aux préparatifs, & deux mois après fon départ , il revint a Conftantinople. La mort de Vatace fit trembler rimpératrice. Plus elle avoit été hautaine , plus elle devint humble & rampante devant les confidents de fon Hiari; elle les fupplioit a mains jointes de prendre fa défenfe. Les uns, touchés de compaflion , plaidoient fa caufe auprès de rEmpereur, cktraitoient de calomnies les rapports par lefquels on avoit voulu la noircir. D'autres plus infïexibles confeilloient au Prince de tenir ferme, & de ne pas fe déshonorer a la face du monde entier, en ouvrant les bras k une époufe, dont il avoit lui-même déclaré 1'infidélité par la punition du complice. II prit le milieu entre ces deux avis. II continua d'admettre Euphrofyne a fa table, mais d'un air fi contraint & avec tant de marque-s d'une averfion profonde , qu'elle fen- Tome XX. N Alexis fff. An, 119S XVI. Euphiofyne ciilgraciïe , recouvre ion crécit.  Alexis 111. An. ii98 29G II I s T f-j I R E ■ til bien qu'elle étoit perdue, fi elle ne payoit de hardiefTe. Elle demanda hautement qu'on lui fit fon procés, & protefta qu'elle confentoit afubir la peine qui feroit prononcée, fi elle étoit juridiquement convaincue; mais elle fupplioit 1'Empereur de ne fe décider que fur des preuves certaines , & non par les fuggeftions d'une artificieufe malignité. L'Empereur voulant éviter un éclat flétriflant pour lui-même , fe contenta de faire interroger a la queftion les femmes bc les eunuques de 1'Impératrice. II crut en favoir afTez pour la bannir de ia préfence, mais non pour lui öter la vie. Ainfi après 1'avoir dépouillée de toutes les marqués de fa dignité, il la fit fortir fecretement du palais fous Phabit d'une femme du commun, fans autres domeftiques que deux filles barbares, qui n'entendoient pas même la langue Grecque. On la mit ainfi dans une nacelle qui la conduifit k un Monaftere k Pentrée du PontEuxin. Elle n'y demeura que fix mois. Ses accufateurs n'avoient voulu que lui öter fon crédit, &c ne s'étoient pas iraaginé que leur maitre fut ja-  du Bas-Empirs. Liv. XCIIL 291 «nais capable d'une réfolution vigoureufe. Ils s'étoient flattés qu'en rabaiflant Euphrofyne, ils prendroient fa place, & qu'ils gouverneroient euxmêmes 1'Empereur. Mais voyant que Méfopotamite profitoit feul de la difgrace de PImpératrice , & qu'il ne leur en revenoit que 1'exécration des uns, & les railleries des autres, ils fe réunirent avec toute la Cour pour appaifer 1'Empereur. Ce qui ne fut pas plus difficile qu'il n'avoit été de 1'irriter. Euphrofyne fut rappellée ; & prenant droit de Pinjuftice qu'elle prétendoit avoir foufferte, elle regagna bientöt la tendrefTe de fon mari par fes adroites complaifances , & devint plus puiflante que jamais. Pour ne pas réveiller 1'orage , elle parut avoir oublié les chagrins qu'on lui avoit fufcités, & cette modération politique fut vantée comme 1'efFort fublime d'une magnanimité héroïque. Le retour de PImpératrice, loin d'affoiblir le pouvoir de Conftantin Méfopotamite 1'affermifToit davantage. Soutenu d'une main fi puifTante, il fe crut en état d'embralTer toute N ij Alexis in. An, 1198. XVII. Difgrace de Conftantin Méfopotamite. Nicet. I, 1, t, 4.  AlEXIS -.. III. An. 1198. j ] J J < ( ; 1 i t c r a 1 l t // I .T T O I x g efpece d'autorité. Iirefufa comme un emploi trop au-deflbus de fon rang, celui de premier Secretaire qu'il avoit exercé fous le regne d'Ifaac, & qu'Alexis lui offroit de nouveau. Son ambition étoit de régner dans 1'Eglife comme dans 1'Etat. II étoit clerc & avoit le grade de leéfeur. II demanda le diaconat, & 1'Empereur qui ne favoit lui rien refufer , le fit ordonner jar le Patriarche. Dès qu'il fut dans es ordres facrés, il déclara a 1'Empe■eur qu'il ne pouvoit plus en confcience e mêler des affaires civiles; que les laints Canons défendoient aux Ecclélafiiques de fervir en même-temps Dieu y le Jiecle , & que ces deux fonclions tant incompatibles , il alloit abandonter le palais. L'Empereur, qui croyoit ie pouvoir fe paffer de fes fervices, brea le Patriarche Xiphilin, de 1'auo-rifer par une difpenfe a réunir les eux emplois, fans bleffer la difciline eccléfiaftique. Peu de temps prés il fut nommé Archevêque de "nefTalonique , le premier fiege de Empire après celui de Conftantinole , fur lequel fans doute il portoit ?s vues. C'eüt été lk le moment de  nu Bas-Empire. Liv. XCIII. 293 quitter la Cour, pour éviter la chüte oü le préciplta bientöt fa trop grande élévation. Mais 1'ambitieux ne regarde que la hauteur 011 il aipire , fans baifler la vue fur les abymes dont elle eft environnée. II falloit s'éloigner quelque temps pour aller prendre poffeftion de fon Archevêché. De peur que quelqu'un ne prit fa place auprès du Prince, il la fit garder par fes deux freres, qu'il introduifit dans la confidence d'Alexis , &l qui -ne s'en éloignoient jamais ; on les appelloit par raillerie, les pendants d'oreille de 1'Empereur ! L'abfence ne fut pas longue. Conftantin, qui avoit précipité le voyage & 1'inftallation , revint plus hautain que jamais; & ce qui accrut encore fon orgueil , c'eft que 1'Empereur, ayant entrepris dans cette conjoncture une nouvelle expédition contre Chryfe, y réuflit mieux qu'il n'avoit fait auparavant; ce qui fut attribué non pas au mérite du Prince, dont 1'incapacité étoit connue, mais aux fages précautions & aux difpofitions du Miniftre. II étoit au comble de la gloire, ce fut le moment de fa chüte. N iij Alexis UI. An. 1198.  Alexis ■ III. An. 1198. 194 HlSTOlUE Devenu infolent, & croyant pouroix impunément écrafer les autres ïommes, qu'il voyoit ramper fous es pieds, il fit naitre contre lui-mêne une dangereufe cabale. Michel Jtryphnus, grand Amiral par fa charge , mais par fa conduite le Pirate ie 1'Empire, qu'il pilloit fans retenie, irrité des entraves que Conf:antin mettoit k fon avarice, étoit i !a tête de fes ennemis. Le Minif:re, accufé de faux crimes , ne trouva mlle refTource dans un maitre auffi fbible qu'Alexis. II fut dépouillé du niniftere, & le Patriarche, foit par jrdre de 1'Empereur, foit par la haine que les prétentions de Conftantin tui avoient infpirée, ayant formé un Synode de quelques Préiats vendus a la faveur, le dépofa comme coupable de crimes énormes, qui ne furent jamais prouvés. C'eft ainfi que des caufes injuftes dans les auteurs de la difgrace, produifirent un jufte effet dans celui qui en fut la victime. Son exemple fut très-falutaire a Théodore Irénique , fon fuccefleur dans le miniftere. Homme de bien, éloquent, laborieux, & très-attaché  du Bas-Empirë. Liv. XC1IL 295 a fes devoirs, il ne fe laifla point enivrer par les vapeurs de la fortune, & conferva dans cette élévation la douceur de mceurs, & 1'aimable iimplicité de fon premier état. Nullement jaloux de prérogatives, plus difpofé a relacher lesliens de fon autorité qu'a les refferrer outre mefure , il n'effuya aucun revers. Chéri de tout l'Ernpire, il n'eut jamais a combattre que les caprices &c 1'imprudence de fon maitre. L'enlevement de deux chevaux ful caufe d'une guerre, qui fit perdre è 1'Empire plufieurs villes de Phrygie Le Sultan d'Egypte envoyoit k 1'Em pereur deux courfiers Arabes. Comme ils paffoient par la Lycaonie . Kaïchofroës, Sultan d'Icóne, s'en faifit; & 1'un d'eux s'étant peu aprè; bleffé dans une courfe, il fe repen tit d'avoir pour un fujet fi léger troublé la paix avec 1'Empire, & en voya faire des excufes a 1'Empereur 11 protefta qu'il ri avoit pas eu dejfeii de garder ces chevaux; que run d'eu: étant devenu boüeux , tl riofoit lui ren voyer t'autre ; mais qu'il fauroit bia l'en dédommager par un pref ent de plu N iy Alexis III. An. 1198. XVIII. Guerre du Sultan d'Icöne. Nicet. L. 2, c. v » ( t i  Alexis 1U. An. 119S. I < 4 I i < } i 3 < 1 1 < 1 1 1 Ï96 H I S T 0 I R £ grande valeur. C'en étoit affez pour calmer une ame généreufe, qui n'auroit confidéré que 1'honneur. Mais Alexis, plus fenfible aux petites chofes , qu'il n'étoit affeöé des grandes, leyint plus fier par la fatisfaÖion que ui faifoit le Sultan ; & plutöt que le I'écouter, il aima mieux fe mettre ;n colere : il fit arrêter & jetter en )rifon tous les marchands Turcs & Srees qui faifoient le commerce d'I:öne, faifit leurs effets; & au-lieu le Ies_ faire vendre au profit du fjfc, :e qui dans une teile violence auroit lu moins eu 1'air d'une procédure ■éguliere, il les abandonna au pilage. Le Sultan irrité fut le plutöt en :ampagne ; il ravage les bords du vléandre, faccage deux ou trois viles , & marche vers Antioche de 'hrygie, avant qu'on fut dans le pays me Ion armée approchoit. II étoit ruit, & il fe feroit fans peine em»aré de cette ville par furprife, fans ine rencontre finguliere. Un des prinipaux habitants marioit fa fille, &c oute la ville retentiflbit du bruit des imballes & des trompettes. Le Sulan, perfuadé que c'étoient des fi-  nu Bas-Empire. Liv. XCIIL 297 gnaux militaires, & qu'on étoit averti de fon arrivée , crut le coup manqué, & fe retira a Lampé prés du Méandre. II emmenoit une foule de prifonniers, & ce Prince, homme d'efprit, réfolut de s'en faire des fujets fideles. II s'y prit de la maniere , feule capable de gagner le cceur des hommes; ce fut de les traiter avec bonté. Après les avoir fait enregiftrer fur un röle , oü 1'on marquoit leur nom, leur pays, le nom de celui qui les avoit pris, s'ils avoient perdu quelqu'un de leurs effets, fi on leur avoit enlevé leurs fils, leurs filles , leurs femmes , il leur fit rendre tout ce qui leur avoit appartenu. II mit enfemble ceux de chaque familie , de chaque contrée, & les partagea en troupes de cinq mille hommes. II prit grand foin de leur fubfifiance; &C comme c'étoit le temps de Phy ver, il porta fes attentions charitables , jufqu'a leur fournir de quoi fe chaufïer. C'étoit un fpeétacle digne des temps héroïques, de voir le Prince lui-même , une coignée a la main, leur abattre des arbres, & les Turcs, a fon exemple, travailloient pour eux comN v Alexis III. An. 1198.  Alexis III. An. 119S. m 298 HlSTOIRE me pour leurs freres. Arrivé a Philomélium,illeur affigna desdomiciles & des terres fertiles, leur diftribuant les inftruments de labourage , & de quoi enfemencer. II leur déclara que fi leur premier maitre fe réconcilioit avec lui, il les renverroit fans rancon; finon qu'il les maintiendroit pendant cinq ans exempts de tout impöt; & que ce terme expiré, il n'exigeroit qu une contribution très-fupportable qui ne croitroit jamais, & que les fraix de perception n'augmenteroient pas v felon 1'ufage de 1'Empire Grec. Après ces généreufesdifpofitions, il retourna a Icöne. Cette humanité d'un Prince barbare, qui 1'étoit moins que les Empereurs Grecs , lui attacha irrévocablement le cceur de ces prifonniers; ils fe virent plus libres & plus heureux qu'ils n'avoient été fous leur maitre naturel. Non-feulement ils oublierent leur terre natale, mais même quantité de Grecs, jaloux de leur bonheur, des villes entieres, vinrent avec emprefïement embraffer la qualité de fujets du Prince d'Icöne. En abandonnant 1'Empire , ils croyoient fuir non pas leur patrie, mais le fardeau mul-  nu Bjs-Empire. Liv. XCHI. 299 tiplié des impofitions, la mifere , les contraintes, les faifies, les prifons, en un mot toute la terreur des exactions fifcales , fouvent auffi funeftes aux fujets que les défaftres de la guerre. L'Empereur avoit d'abord envoyé contre le Sultan un corps de troupes fous la conduite d'Andronic Ducas , a peine en age de porter les armes. Auffi ne fit-il autre chofe que d'enlever quelques troupeaux, qu'il mena auffi-töt a Conftantinople, comme fi c'eut été autant de prifonniers. Enfin, 1'Empereur fe détacha avec peine du féjour délicieux des ifles de la Propontide , & vint a Nicée & a Prufe. pour arrêter les ravages des Turcs : mais il ne put être plus d'un moi; éloigné de fes plaifirs , & revint fan: autre avantage que de s'être roontn en Bithynie. Alexis fatiguoit fes troupes par de marches continuelles. Tantöt en Eu rope, tantöt en Afie, il fe mettoi a leur tête comme pour aller cher cher 1'ennemi, &£ avant de 1'avoi vu il rebrouffoit chemim Dans le jardins de Conftantinople, ü ne s'oc cupoit que de batailles, en campagia N vj Aiexis III. An. 119S. . An. H99. t XIX. Maladie d'Alexis. r Nicet. I. 2. g c. 6 Du Cange fam.p 205, e 206.  Aiexis 111. An. 1199. j < 1 < t i 300 IIlSTOIRE il foupiroit après les plaifirs de Conftantinople. Ses foldats , plus voyageurs que guerriers , harrafTés fans aucun fruit par tant de mouvements, quittoient avec peine leurs foyers, ou ils ne devoient rapporter que la mifere & la honte, au-lieu de cette douce vanité que donne la vicloire. Ils eurent ordre cependant de marcher encore 1'année fuivante , & le rendez-vous fut marqué a Cypfeles. Ils {fS attendoient 1'Empereur , lorfqu'ils apprirent qu'il étoit aux portes de la mort. Tourmenté depuis longtemps par de fréquentes attaques de *outte, & ennuyé des remedes lents ïes Médecins, il réfolut de fe guérir üi-même par une opération vigou-eufe , dont il croyoinle fuccès inaillible. S'étant donc un jour enferr né avec fes Chambellans, fans pernettre 1'entrée aux Médecins, il fe ït dans les jambes de profondes inifions avec. un fer ardent,& réfifia ux premières douleurs ; mais bienöt leur violence mit fa philofophie n défaut. On ouvrit toutes les pores , on appella tous les Médecins ; S fallut en revenir aux premiers trai-  nu Bas-Empire. Liv. XCIII. 301 tements ; & comme la goutte remontoit, on fut plufieurs jours a craindre pour fa vie. Euphrofyne étoit dans de mortelles allarmes : attachée au tröne qu'elle alloit perdre avec fon mari, elle cherchoit un fuccefieur auffi facile a gouverner. Elle n'avoit que trois filles. Eudocie 1'aïnée avoit été mariée par Ifaac fon oncle a Etienne , Roi de Servië, dans le temps que fon pere étoit encore retiré auprès de Saladin , & cette alliance 1 ecartoit du tröne de Conftantinople. Les deux autres étoient veuves, Irene d'Andronic Contoftephane, Anne d'Ifaac Comnene. On n'avoit garde de fonger au fils d'Ifaac, qui avoit cependant les droits les plus légitimes. Ainfi le confeil de la PrincefTe fe partageoit en autant d'opinions qu'il y avoit de têtes, chacun nommant celui dont il efpéroit le plus d'avantage. L'intérêt perfonnel alloit jufqu'a propofer des enfants au berceau. Jean le Sébaftocrator, oncle de 1'Empereur , & Manuel Camyre avoient leurs prétentions, mais ils s'écartoient 1'un 1'autre , & chacun des' deux auroit préféré a fon rival le dernier de 1'Em- Alexis 111. Ka. 1199.  AlEXIS m. An. u 99 XX. Irruptior des Valaieces a leur . tour, & remportent e qui leur avoit été enlevé»  HU Bas-Empire. Lh. XCIII. 305 Dès que les douleurs de la goutte eurent donné quelque relache a 1'Empereur , il fe rendit k Cypfeles, d'oü il prit la route de ThefTalonique. Son defTein étoit de chatier la révolte de Chryfe, qui s'étoit rendu maitre d'un ' canton de la Macédoine. Ce rebelle 1 faifoit fa principale réfidence dans une 1 fortereffe nommée Profaque , oü Part ] avoit fecondé la nature pour la rendre imprenable. Au bord du Vardar s'élevoit un cercle de montagnes , fermé du cóté du fleuve par deux énormes rochers, qui fe joignant par lepied, ne laifïbient entre eux qu'un paffage étroit & efcarpé , traverfé encore düne épaifTe muraille. Un doublé ehateau couvroit la cime de ces deux rochers. Chryfe y mit une forte garnifon de vieux foldats avec une immenfe provifion de vivres. Tout le contour fut bordé de machines ; & comme Penceinte étoit d'une vafle étendue, elle renfermoit des plaines, & des bois, oü paifToient un grand nombre de troupeaux. 11 n'y manquoit que de Peau, le terrein ne fournifTant aucune fource; & le roe ne permettant pas de creufer des puits, AtEXIS III. in. 1199. XXI. L'Empecur raar:he conre Chry'e. Vwet. 3. . 1.  Alexis III. An. 1199. ] I 4 4 } é i J e c t ï c i r a P € 3°J5 II J S T O I R s il falloit en aller puifer dans le Vardar. Au milieu de eet afyle , Chryfe fe croyoit en état de braver toutes les forces de 1'Empire. Les Officiers les plus fages confeilloient a 1'Empereur de commencer par s'emparer ies^ autres places dont Chryfe étoit maitre , & de n'attaquer celle - ci, qu'après avoir par des fuccès, infpiré i fes foldats afTez de courage poi;r ;fca!ader des rochers, & combattre a nature même. Mais les Eunuques k les jeunes courtifans tournoient :et avis en ridicule : Y avoit-il rien k difficile d f Empereur ? Pourquoi ne 'as attaquer Cennemi dans fon fort , 'ont la prife emponeroit tout le rejte ? youloit-on paffer Cannie dans ces afreufes contrées, tandis que les charmes 'e lautomne les rappelloient aux déliieufes retraites de la Propontide ? Ces .ïfcours fembloient être des raifons un Prince voluptueux. On marcba roit a Profaque , & Pon prit en pafint plufieurs chateaux. On brula des loiffons & des granges. Les Turcs Lixiliaires firent grand nombre de rifonniers , & PEmpereur neut auun égard a ceux qui lui repréfen-  nu Bas-Emmrm.. Liv. XCFIL 307 toient, 'qu'il ne devoit pas laifièr en- ! tre les mains de ces Infideles, des Chrétiens en danger d'abjurer leur foi pour fe délivrer d'efclavage, & qu'il valoit mieiix dédommager les Turcs par d'autres libéralités. On campa devant le mur de clöture, & fur le champ on commenca 1'attaque. L'ardeur des foldats s'anima au-dela de toute efpérance. Couverts de leurs boucliers , tenant en main leurs épées ou leurs arcs , ils grimpoient aux rochers; & parvenus au haut de la muraille, ils fe battoient a coups de main contre les défenfeurs. Après bien des efforts &c un grand carnage, ils vinrent a bout de s'emparer du mur. Mais il falloit encore efcalader les deux chateaux batis fur la cime des rochers. Les plus hardis & les plus alertes graviffoient comme des chevreuils aux avances des pierres , & guidoient avec des cordes leurs camarades qui les fuivoient. II falloit en même - temps combattre 1'ennemi qui leur difputoit tous les poftes. Enfin, k force de fatigues , après des prodiges de hardieffe & de courage, ils parvinrent au pied du Alexis ra. Ln. 1199. XXII. Attaque 'rofaque.  Alexis III. An. 1199. j 1 1 | i t i i I < } I i 3^8 Histoire chateau, & s'appercurent alors que tant de travaux étoient perdus par la négligence du Commandant des Ouvners , & par celle du Prince qui ne favoit ni récompenfer, nipünir. On manquoit de pioches, de pies; &des autres outils nécefTaires pour fapper la muraille & ouvrir une brêchs. Après en avoir demandé en vain, le défefpoir leur donnant des forces, ils fe fervoient de leurs mains & de leurs irmes pour détacher les pierres. On ïarda même long - temps a leur eni;oyer des echelles , & les plusimpa:ients fe faifant des échelons de leurs ;pées , qu'ils enfoncoient entre les ointures des pierres , alloient fe fuf)endre aux créneaux pour les abatre, au rifque d'en être eux-mêmes jcrafés. Enfin , épuifés par tant d'efbrts , confumés par les brülantes arleurs du foleil, après avoir perdu ;rand nombre de leurs camarades , ls redefcendirent maudiffant i'Em'areur, qui favoit fi mal profiter du ourage de fes troupes. En effet, les Claques avouerent enfuite que la irife dé la place & de Chryfe même ton infaillible, fi 1'on eüt fecondé  du Bjs-Empihe. Liv. XCIII. 309 Fardeur des foldats. Le lendemain ils 'voulurent recommencer 1'attaque : mais ils trouverenr IVnnpmi mipnv -- ---- - ah. 11 prépare , & encore plus opiniatre que la veille. Les machines jouoient en plus grand nombre & avec plus de fuccès. II tomboit un terrible orage de pierres énormes , qui fe brilant en plufieurs éclats fur les pointes des rochers , formoient une grêle meurtriere. Les machines étoient lërvies par un Ingénieur étranger , fort habile, qui s'étoit d'abord donné a 1'Empire ; mais mal payé, il avoit pafTé au fervice de Chryfe. La nuit fuivante, les affiégés firent une fortie , brülerent les machines des Grecs , & ayant furpris les gardes avancées , les poufTerent jufqu'a la tente du ProtovelHaire, qui s'étant réveillé aux cris des fuyards, fe fauva en chemife. Sa tente fut piilée, & fon équipage fervit de déguifement & de rifée aux barbares. Ils pafTerent le refte de la nuit a faire rouler de haut enbas des tonneaux vuides , qui bondiffant avec le fracas du tonnerre, «lacoient d'effroi le coeur des Grecs , comme fi les rochers ou le ciel mê- Alex III.  Alexis III. An. 1199. An. i2d0. XXÏ1I. Mariage Hes deux filles de 1'Empereur. yié II ï s r o 1 r e me s'écrouloient fur leurs têtes. L'Empereur, fans efpérance , qu'il perdoit toujours le premier, preffé d'ailleurs de retourner a fes plaifirs, fit propofer la paix k Chryfe; & pour 1'obtenir, il lui céda en propriété Strummize, Profaque & lepays d'alentour, Quelque temps après, pour conferver fon amitié, il lui donna en mariage une PrincefTe de fon fang, comme je Ie dirai dans la fuite ; tk fous un Prince tel qu'Alexis , un aventurier barbare lë rendit afTez formidable, pour faire rechercher fon alliance par la familie Impériale. Les actTons de cette campagne, dignes des eftbrts de 1'ancienne Grece , faifoient afièz connoïtre qu'il reftoit encore dans le cceur des Grecs des étincelles de valeur, qu'on auroit pu rallumer , & que les foldats manquoient plutêt d'un chef vaillant & habile , qu'un tel chef n'auroit manqué de braves foldats. A peine FEmpereur avoit quitté la Macédoine, que les Patzinaces y entrerent. Partagés en quatre corps, ils embrafferent dans leur ravage une grande étendue xle pays. Ils oferent même infulter des places fortes, 6c  du Bas-Empire. Liv. XCHL 311 attaquer des chateaux fitués fur des montagnes. Mais ils s'attacherent de préférence aux Monafteres, oü ils efpéroient trouver plus de richefTes; & malheur aux Meines qui n'abandonnerent pas par une prompte fuite ce qu'ils avoient de plus précieux. Pas un n'échappa au tranchant de leurs épées. Ces barbares, après avoir librement parcouru toute la Province, fe retirerent chargés de dépouilles. Pendant que la Macédoine étoit en allarmes, la Cour de Conftantinople ne s'occupoit que de divertiffements & de fêtes. L'Empereur marioit en fecondes noces fes deux filles , devenues veuves dans la fleur de leur jeunefte & de leur beauté. H leur avoit d'abord cherché des alliances che«. les nations étrangeres, & il préféroit les Princes qu'il craignoit davantage. Enfin , fa timide politique cédant au goüt des Princeffes, Alexis Paléologue répudia fa femme pour époufer Irene, que 1'ambition feule luirendoit plus aimable: Anne fut mariée a Théodore Lafcaris, jeune Seigneur déja renommé pour fon courage. II étoit 1'aïné de Alexis lil. \r. i1«0  Alexis III. An. 1200. XXIV. Révolte ci'Ivan. 312 H I S T 0 I R S fix freres pleins de valeur. Ce Prince% qui fut dans Ia fuite la refTource de 1'Empire Grec, eft le premier Lafcaris nommé dans 1'Hiftoire , quoiqu'elle attribue a cette familie une noblefiè ancienne. On étoit alors a la veille du carême , & les Grecs plus raifonnables en ce point que les autres nations Chrétiennes, fe préparoient a lapénitence par le retranchement des fpetTacles & des divertiffements publics. Les jeunes époux obtinrent de 1'Empereur qu'il fe relachat de cette févériré. Mais il voulut que les jeux fuffent renfermés dans I'enceinte du palais , & ne permit pas au peuple d'y aftifter. On drefla un théatre , on prépara un Cirque dans le palais de Blaquernes ; & par une régularité bifarre , plus indecente que la licence , les Princes, les Miniftres , les Sénateurs, & leurs enfants flrent le röle de comédiens & de cochers. Ces réjouiffances furent troublées par une facheufe nouvelle qu'on 'reput de Philippopoli. Ivan fe comportoit en maitre dans cette contrée. Chargé d'arrêter les courfes des Valaques  du Bjs-Emptre. Liv. XCII1. 313 laques & des Bulgares, il abufoit de fa commiffion pour fe rendre indépendant; & fous prétexte de fervir 1'Empire , il fervoit en effet fes vues ambitieufes. II attiroit a lui par fes libéralités grand nombre de fes compatriotes , dont il fe faifoit des foldats a la place des troupes Grecques qu'il congédioit. II conflruifoit des forts fur les fommets du mont Hémus. On avertiffoit 1'Empereur de fes intentions perfides; mais le Prince, prévenu de bienveillance pour ce barbare, auquel il avoit fiancé fa petite-fille, approuvoit fa conduite, le comblok de préfents, lui accordoit toutes fes demandes, & lui donna même le nom d'Alexis. II ne fut défabufé que par une révolte déclarée. Elle éclata touta-coup, & 1'Empereur pris au dépourvu tenta d'abord les voies de conciliation. II envoya au rebelle un Eunuque de fes amis, pour lui rappeller fes engagements & les bienfaits de 1'Empereur, qui, malgré fon infidélité, étoit très-difpofé a lui pardonner. En attendant qu'il put raffembler une armée , il fit partir les troupes de fa maifon , qui étoient les feu- Tomc XX. O Alexis III. An. 12 30,  AlEXIS III. An. izpo. ' ! i c 1 < 1 1 1 1 « i < I ( I < f t c r cl t s rand Ecuyer, de tous les Seigneurs ïe la familie Impériale, & des Offi:iers de la Cour. L'Eunuque étoit un raïtre, qui, loin de détourner Ivan le fon entreprife , 1'y affermit da^antage, & lui confeilla de fe canonner dans les montagnes, oü il éroit en füreté. Les Princes monroient d'abord beaucoup d'ardeur ; nais elle fe rallentit bientöt par la lifficulté d'aller relancer dans fon brt ce furieux fanglier entre les rokers du mont Hémus. On fut d'avis le s'arrêter a reprendre les places lont il s'étoit rendu maitre. On prit •ar efcalade le chateau de Crizime, k il en coü'ta la vie a plufieurs bra'es guerriers , dont le plus diftingué ut George Paléologue. Ivan, qui joinoit Ia rufe è la valeur, furprit les ïrecs par un flratagême. Un autre évolté nommé Jean, s'étoit emparé e la ville de Thrace , appellée au■efois Debdtus, & alors Zagora. II étoit allié avec Ivan. Celui-ci fit efcendre dans laplaine de nombreux  du Bas-Empire. Liv. XCIIL 315 troupeaux avec quelques prifonniers Grecs; c'étoient , difoit - il, un préfent qu'il envoyoit k fon ami. 11 avoit placé fes troupes en embufcade, afin de tomber fur les Grecs , qui ne manqueroient pas d'accourir, tant pour enlever cette proie, que pour délivrer leurs prifonniers. Tout arriva comme il l'avoit prévu. Les Grecs enveloppés comme dans un filet, furent pris ou tués. Camyze y perdit la liberté. Cet événement abattit le courage des Grecs, 6c releva celui des rebelles. Ivan n'ayant plus rien k craindre, traverfa les campagnes, maflacra, prit, ran^onna tout ce qu'il trouva de Grecs, 6c pénétra jufqu'a Abdere vers 1'embouchure du fleuve Neftus. Naturellement féroce 6c fanguinaire, il fe faifoit dans fes feftins un divertiffement cruel de couper en pieces fes prifonniers. D'un autre cöté, 1'Empereur, qui n'étoit guere plus humain, au-lieu de délivrer Camyze, ne fongea qu'a tirer lui - même profit de fa captivité. II s'empara de tous fes biens qui étoient très-confidérables, fe félicitant d'avoir gagné par la défaite plus que ne O ij Alexis III. An. 1200.  Alexis ui. An. 1200. XXV. Ivan pris par perfidie. Nicet. I. 3, c 4' \ i 3l6 HlSTOIRE lui auroit rapporté la vicfoire ; & pour s'affranchir des juites plaintes de la familie du prifonnier, il fit enfermer la femme & le fils de eet infortuné Général, qui avoit tant de fois expofé fa vie pour le fervir. Cependant 1'armée étant afièmblée, Alexis fe renditkAndrinople, ou il demeura plufieurs jours a délibérer fur les moyens de réduire un fi redoutable ennemi. Le nom feul d'Ivan faifoit trembler fes troupes , & la préfence de 1'Empereur ne les rafTuroit pas. Ivan employoitla rufe, mais c'étoient des rufes de guerre : Alexis crut ufer de repréfailles en mettant en oeuvre la perfidie. II lui envoya des hommes affidés , pour 1'inviter k venir trouver 1'Empereur, très-difpofé , difoient-ils ,' a faire un accord avec lui. En attendant fa réponJe, on s'avanga vers Philippopoli , & Pon emporta de force un chateau, ou quantité de barbares furent ;>ris ck réduits a 1'efclavage. Ivan ne ^ouloit écouter aucune propofition , me 1'Empereur ne lui eüt affuré par ettres - patentes la pofièifion paifible les places tk des têrres dont il s'é-  du Bas-Empire. Liv. XCIII. 317 toit emparé, & qu'il ne lui eüt mis entre les mains la Princefiè fa fiancée, pour laquelle il demandoit même les ornements Impériaux. L'Empereur lui promit tout, & le traité fut juré de part & d'autre fur les faints Evangiles. Mais dès que fur cette affurance Ivan fe fut rendu auprès d'Alexis, il fut arrêté &c mis dans les fers. Son frere Mitus fut banni de 1'Empire. On reprit fans peine toutes les places dont Ivan s'étoit faifi; & Alexis crut avoir acheté k bon marché un infame fuccès, qui ne lui coütoit qu'un parjure. La deftinée de Théodora promife a Ivan , étoit de paffer fa vie avec un marï barbare; elle fut deux ans après donnée en mariage a Chryfe, adonné au vin & a la débauche, qui la traita avec mépris. En 1'abfence de 1'Empereur, Euphrofyne avoit maintenu la tranquillité dans Conftantinople, malgré une faction dangereufe, qui cherchoit a foule ver le peuple. Plus ferme & plus vigilante que fon mari , elle avoit éto.'ffé Ia fédition naiffante , en faifent arrêter &punir Contoftéphane, O iij Alexis III. An. 120c?; XXVf. Conduite hardie d'EuphrO; fyne,  Alexis III. An. 1200. Sl8 HlSTOIRE chef des mécontents. Elle avoit eu afTez de force pour faire une action de vigueur, elle en eut trop peu pour ne pas s'enivrer des louanges qu'elle en recut. Se croyant fupérieure a fon fexe par fon courage, elle en oublia toutes les bienféances. Elle ne s'occupoit que des exercices qui font faits pour les hommes. On la voyoit vêtue en homme, un oileau Air le poing, courir les forêts k la tête d'une troupe de chafleurs, dont elle fe piquoit de furpaffer la force & la hardiefiè. N'étant plus retenue par aucun frein, elle fe mit en tête de pénétrer dans les fecrets de ['avenir, &c fe plongea dans les ténébreux myfteres de la magie. Environnée d'impofteurs, elle fe livroit idespratiques extravagantes. On mu:iloit par fon ordre les plus belles ïatues de Conftantinople, on en brioit les têtes a coups de marteau. Elle fit fouetter a la vue de toute la rille une ftatue d'Hercule, ouvrage mtique & fort eftimé. Le peuple lont elle devint la rifée , n'ofoitpar.er hautement de cette Princefle aliierej mais on fe dédommageoit de  Dl; Bas-EmPIRE. Liv. XCllï. 3ï9 cette contrainte en inftruifant de ces oifeaux, qui imitent la voix humaine ; après leur avoir appris des traits fatyriques, on les laiffoit aller en Uberté. C'étoit par leur organe , préférable a celui des courtifans, que PImpératrice apprenoit ce qu'on penfoit d'elle. L'Empire étoit tranquille du cöté des Turcs. II en étoit redevable a 1'ambition des fils d'Azzeddin , qui fe déchiroient mutuellement par des guerres fanglantes.Rokneddin,le plus remuant & le plus vaillant de tous , chafla d'Icöne fon frere Kaïchofroës, qui après s'être retiré auprès de Dhaher , fils de Saladin & Sultan d'Alep, ne pouvant engager ce Prince a le fecourir, fe rendit a Conftantinople. II efpéroit trouver dans Alexis la même bienveillance que fon pere avoit éprouvée de 1'Empereur Manuel. II n'y trouva qu'une froide indifférence, & retourna en Afie, oii, pour éviter les pourfuites de fon frere , il alla 'fe jetter entre les bras de Livon , Roi d'Arménie. Livon, allié de Rokneddin, voulut bien lui donner afyle. mais non pas le fecours qu'il demanO iv Alexis III. An. iïoo.' XXVII. Kaïchofroës chaffé de fes Etats ,iniplore en vain le fecours d'Alexis.Nicet. i. 3. f. 4- Af. de Guignes, Hifi. des Huns , /.ll.p.55-  Alexis Uï. An, 1100. An, hoi. XXVIII. . Irruption des Comans. Nicet, l, j, fi J. | 320 H 1 S T 0 I R E dok pour rentrer dans fes Etats. Ce refus le détermina a retourner a Conftantinople, oii il pafla le refte de fes jours dans la trifte condition d'un Souverain dépouilié, qu'on croit ai» deraflez en plaignant fon infortune. L'année fuivante, une armée innomhrable de Comans-vint fe jetter en Thrace; & portant de toutes parts le maffacre & 1'incendie, fans trouver de réfiftance, ils auroient pénétréjufqu'aux portes de Conftantinople , fans une attaque inattendue, qui les obligea de regagner leur pays. Les Ruffes, nouveaux Chrétiens, bruloient de zele pour la Religion qu'ils avoient embraflee. Animés par leur Archevêque, fans avoir aucune aliiance avec 1'Empire, fans être appellés au fecours, indignés feulemenê 1'apprendre que des Chrétiens étoient sn proie a des Infideles, ils prirent les armes. Romain , un de leurs Prints , qui régnoit a Halicz fur le Nief:er, femka leur tête, entra dans le >ays des Comans, & leur rendit tous es ravages qu'ils faifoient fur les ter■es de 1'Empire. Cette diverfion forca es Comans d'abandonner la Thrace,  nu Bas-Empire. Liv. XCIII. 321 pour aller défendre leurs foyers. Mais au-lieu de fe venger, ilsy trouverent leur perte. Ayant voulu fecourir un autre Prince Rufle, nommé Rurica, qui étoit en guerre avec Roraain, ils perdirent une grande bataille oü 1'élite de leurs guerriers refta fur ls place. Sous un maitre tel qu'Alexis, la police n'étoit pas mieux obfer vée dans Conftantinople, que la difcipline dans les armées. La force tenoit lieu de loi, & 1'impunité encourageoit 1'audace* Un Banquier nommé Calomode, avoit par un commerce très-adtii & trés - étendu amafle des biens immenfes. L'ufure & 1'avarice, toujour; d'intelligence , grofliflbient tous le; jours fon tréfor; &c quoiqu'il affefta' une fordide pauvreté, 1'éclat de l'oi renfermé dans fes coffres pergoitav travers des enveloppes dont il le couvroit, & éblouiffoit les yeux avide; des courtifans. Les Princesj même; avoient fouvent eflayé de le décharger d'une partie de fa fortune; mais i avoit toujours fu la fouftraire k leur: recherches. Enfin, de jeunes Seigneur: Jrouvant fcandaleux qu'un miférabh O v Alexis iiL An. 1201, XXTSC. Kiftoire du Banquier Caloraode>  Alexis ra. in. hoi. !22 UlSTöIRE soffédat tant de richeffes qui fe pet" ioient comme dans un abyme, tandis qu'ils manquoient fouvent d'ar^ent pour leur jeu & leurs autres désauches , firent le complot de le déliyrer d'un fardeau qui ne pouvoit lui :aufer que des foucis. Ils forcerent pendant la nuit les portes de fa demeure , fouillerent dans tous les re:orns fans rien trouver; & ne pouvant tirer de fa bouche aucun éclair:iffement, ils prirent le parti de le garder prifonnier dans fa maifon , jufqu'a ce qu'il eüt découvert fon fe:ret. Une pareille violence n'avoit pu ï'exécuter fans éclat. Dès le matin, tous les négociants de Conftantinople s'affemblent dans leurs différents bureaux ; ils fe rendent enfemble au palais du Patriarche. C'étoit Jean Ca*matere, frere de PImpératrice , qui, deux ans auparavant, avoit fuccédc a Xiphilin. Ils le menacent de le jetter par les fenêtres, s'il ne leurdonne furie champ une lettre pour 1'Empereur , & s'il n'obtient 1'élargiffement de Calomode. Le Prélat s'employa fi bien auprès du Prince, que Calomode fut aufii-töt tiré des mains  du Bas-Empihe. Liv. HCIIT. 323 de ces fatellites titrés; mais 1'hiftoire ne dit pas qu'ils ayent été punis, comme le méritoit une violence fi criminelle. On auroit peine k croire k quel point 1'indolence d'un Monarque peut enhardir la fcélérateffe , fi 1'hiftoire de Conftantinople n'en fourniffoit des exemples. Jean Lagus étoit Préteur de cette grande ville , 6c en cette qualité il jugeoit les délits contre la police , 6c avoit 1'intendance des prifons. II fe propofa dans cette charge de s'enrichir lui Sc fa familie. II étoit dépofitaire des aumönes que les ames pieufes faifoient en faveur des prifonniers; il les recevoit comme une penfion que la Religion lui payoit, & c'étoit fon profit le plus légitime. I en tiroit bien davantage des voleur: qu'il tenoit en prifon : ilregardoi ceux-ci comme fes commis. Maitr< 6c bienfaiteur des géoliers , il faifoi fortir de nuit ces brigands, 6c les en voyoit piller les maifons 6c les rue de la ville : a leur retour, il parta geoit le butin avec eux ; 8c fon équit dans la diftribution, les profits qu'il faifoient fans rien craindre , la prifo O vj Alexis Hf. An, 1201. XXX. Révoïre du peuple contre un mauvais Magidrat. t S s 1  Alexis III. An. 1201. 3 i I 3 i 1 é r 4 F F 324 HlSTOIRE étant pour eux un fur afyle . les agréments qu'il leur procuroit pour y viyre a leur aife, tout cela lui attachoit le cceur de ces fcélérats, dont il méntoit mieux qu'aucun d'eux de temr la place. L'Empereur enfin averti de eet horrible manege, en fut d'abord très-irrité, & promit de le pumr. Mais fa parefTe difFérant toujours ce qui ne fouffroit aucun délai, fut prévenue par une fédition, qui le fit trembler lui-même. Lagus, ayant condamné au fouet un artifan qui 1'a^oit mérité, les camarades de ce malfaiteur ameuterent tous ceux du mêne métier, & coururent enfemble k a maifon du Préteur pour le mettre ;n pieces. II s'évada & échappa de eurs mains. Le peuple fe joignit aux irtifans; & chargeant de malédiclions * Lagus & Alexis même, les uns 'emparerent de la maifon du Préeur, les autres coururent a Sainteophie. Aux portes de cette Eglife toit une garde de Varangues; le peule force la garde, entre en foule , emande a grands cris un autre Emereur. Alexis étoit alors k Chryfooli, II envoye une partie de fes gar-  du Bjs-Empire. Lh. XCIH. 325 des, &c a leur tête Conftantin Tornice, Préfet de Conftantinople, pour difliper cette émeute. A la vue de Tornice, le peuple devient plus furieux ; on Paccable de pierres ; on tombe en foule fur les gardes malgré leurs lances & leurs épées; la fureur ne connoit point de danger ; on les met en fuite ; on enfonce les portes des prifons, on pille 1'Eglife des prifonniers. On alloit forcer Ia prifon du palais, oü étoient renfermés les criminels dEtat, lorfqu'Alexis Paléologue, gendre de 1'Empereur, arriva , fuivi de toutes les troupes de la maifon Impériale. Cette vue intimida pour un moment les féditieux, mais ne les calma pas. Ceux qui avoient des armes dans leurs maifons, coururent les chercker; & revenant fur le champ joindre les autres, ils vont affronter la mort, perfuadés que les épées des gardes ne fufKront pas au maflacre d'une fi grande multitude,& qu'ils écraferont enfin par le poids de leur foule immenfe, & les foldats & les armes. Pendant ce temps-lft, on faifoit pleuvoir du haut des toits les tuiles & Alexis BI. An. izoi  Alexis III. An. 110. XXXI Jean '. Gros.pn claméEi pereur, mis a mort. Nicet. I. f. 6. 326 HlSTOIRE ? les pierres, il partoit des fenêtres une grêle de fleches. Tout le jour fe palfa en ces combats, qui coüterent la vie ' a quantité de foldats & de citoyens. La nuit étant venue , on fe fépara ; & ce qui marqué bien ce qu'étoit alors &. le peuple de Conftantinople & fonSouverain, c'eft qu'une émeute li fanglante n'eut aucune fuite ; tout fut tranquille le lendemain; le peuple ainfi que 1'Empereur fembloient avoir oublié ce qui s'étoit paffé la veille. Jamais occafion ne parut plus fae vorable pour un ufurpateur. Tout fe '- remuoit dans 1'Empire. Le Prince £ étoit méprifé ; le peuple cherchoit un autre maitre : mais ceux qui ofoient fe mettre fur les rangs, ne valoient pas mieux qu'Alexis; leur ambition n'étoit foutenue 'd'aucun courage, d'aucun génie. Un certain Jean Comnene, furnommé le Gros, è caufe de 1'épaifleur de fa taille, devenue énorme par les exces de table, fe fit une cabale d'un aflez grand nombre de partifans, qu'il s'étoit attachés par Tappas de la bonne chere. i Le complot étant formé, ils vont  öü Bas-Empire. Liv. XCIII. 327 clroit k Saante - Sophie. On détache une des couronnes d'or fufpendues au-deflus de 1'autel; Jean la met fur fa tête, & fort accompagné de fa troupe, qui le proclame Empereur. Le peuple, auprès duquel il avoit le mérite d'être inconnu, s'attroupe autour de lui en grand nombre. On le conduit avec acclamation au grand palais, dont on enfonce les portes. Alexis étoit encore k Chryfopoli. Jean prend féance furie tróne d'or, donne les ordres, diftribue les premières charges de 1'Empire. Ses partifans avec une foule de citoyens, fe répandent par toute la ville en criant: Vive tEmpereur Jean Comnene. On travaille a détruire les palais de la familie Impériale. Tout eft rempli de cris, de tumulte , de poufiiere. La nuit vient , & Jean ne fonge ni a faire garder le palais , ni même a en relever les portes. Hors d'haleine, & plus accablé d'embonpoint que de fatigue , il n'avoit d'autre foin que d'étancher fa foif très-difHcile k éteindre, Ses foldats difperfés 9a & la, faifoient la patrouille dans la ville. Le peuple s'étoit retiré, comme une volée d'oi- Alexis III. An. 1101,  Alexis III. An. 1201. i j i 1 I 1 3 1 ( i < 328 HlSTOIRE feaux, chacun dans fa demeure, & attendoit le jour pour piller les maifons opulentes. Alexis ne lui en donna pas le temps. II fait partir en diligence tout ce qu'il avoit de parents $c de gens de guerre autour de lui. tls arrivent long-temps avant le jour, rafTemblent les Varangues , tombent fur les divers pelotons de gardes; &£ rprès les avoir aifément taillés en pie:es, ils marchent au palais, affomnent le ftnpide ufurpateur, & portent a tête a 1'Empereur, qui revient a Conftantinople, & la fait pendre toute "anglante au haut de 1'arcade de la jrande place. On expofe le cadavre nonftrueux en grofleur fur un lit, è a porte du palais de Blaquernes. A)rès 1'avoir abandonné quelque temps mx regards du peuple, on le jette ur le rempart pour fervir de pature tux chiens & aux oifeaux de proie. Quelque mépris que méritat ce malïeureux , le Prince fe rendit lui-mêne méprifable, & par eet ordre inmmain, & par la curiofité barbare le repaitre fes yeux d'un fi affreux peöacle. On arrêta les conjurés, Sc >n les forea par les tourments de  du Bas-Empire. Liv.XCIII. 329 la queiTion a découvrir leurs com¬ plices. Alexis ne trouvoit point de profit qui fut honteux ni criminel, pour réparer les pertes que lui caufoient fes profufions infenfées. Après avoir épuifé toutes les reffources de la finance la plus odieufe, il s'avifa de faire le métier de pirate. II y avoit un grand commerce établi entre Conftantinople , Sc les villes maritimes du Pont-Euxin , fur-tout avec la ville d'Amife, alors très-florifTante, oü tous les marchands d'Afie, tant Grecs que Turcs, avoient de riches comptoirs. II donna fix galeres a Conllantin Francopule, & 1 envoya fur le Pont-Euxin, fous prétexte de rechercher les marchandifes d'un vaiffeau Grec, qui venant de la riviere du Phafe, avoit fait naufrage prés de Cérafonte. Mais fes ordres fecrets étoient de courir fus aux vaiffeaux marchands qui alloient au port d'Amife ou en revenoient, Sc de les piller. Conftantin s'acquitta parfaitement de fa commifïïon. II n'épargna aucun de ces batiments. II maflacroit ou précipitoit dans la mer ceux qui Alexis HL An. hoi. XXXII. Piraterie de 1'Empereur.  Alexis IÏI. An. 1201. 330 UlSTOIRE vouloient défendre leur bien; il jettoit les autres tout nuds fur le rivage. Après deux mois de croifiere, Conftantin revint a Conftantinople avec un riche butin, que 1'Empereur fit vendre au profit du fifc. Ce fut en vain que les navigateurs dépouillés vinrent porter leurs plaintes a 1'Empereur ; on ne les écouta pas. Les marchands d'Icöne s'adrefterent k Rokneddin , qui députa vers 1'Empereur pour demander reftitution de leurs effets. L'Empereur fe juftifia par un menfonge, en défavouant Conftantin, fujet rebelle, difoit-il, & déferteur de 1'Empire. Cependant,comme il s'agiffoit de paix avec Rokneddin , il confentit a lui payer outre la penfion annuelle, une fomme d'argent pour dédommager les négociants d'Icöne. Peu de jours après, Rokneddin intercepta des lettres de 1'Empereur, adrefiees k un de ces fcélérats, nommés Bathéniens , qui faifoient le métier d'affaftins. Alexis promettoit de grandes récompenfes a ce malheureux, s'il tuoit le Sultan. Le Bathénien fut pris, & la paix rompue. Les Turcs fe vengerent de  du Bas-Empire. Liv. XCIII. 331 eet infame procédé fur plufieurs vil¬ les qu'ils pillerent. Un des premiers Officiers de 1'Empire vint fe joindre a eux. Michel 1'Ange , fils naturel de Jean 1'Ange , oncle de 1'Empereur, avoit été chargé de recueillir les impöts du diftricl: de MylafTe en Carie. Quelque mécontentement le poufTa a Ia révolte : il fe faiiit de la caifTe, & prit les armes. Ayant été battu par les troupes de la Province, il fe retira auprès de Rokneddin , qui le recut volontiers, & lui donna une armée. Michel attaqua les villes du Méandre, & les traita plus cruellement que n'auroient fait les Turcomans. Alexis partit au mois de Novembre pour 1'aller combattre , & , felon fa coutume, il ne fit que fe montrer en Afie. Le refte de 1'année fe paffa en marches & en mouvements inutiles. L'hyver fit retirer les deux armées fans avoir mefuré leurs forces. Ayant renvoyé fes troupes k Conftantinople, comme l'hyver de cette année avoit toute la douceur du printemps, il réfolut de le paffer en divertiffements autour des ifles char- Alexis III. An. 1101. An. 1202. XXXIII. Dangers que court Alexis fur mer & fur terre.  Alexis HL An. 1202. 332. II I S T 0 I R Ë mantes de la Propontide. Il s'erabarqua avec fes courtifans Sc les Dames de fa Cour. Réunis dans le même yaiffeau , ce n'étoient que feftins , jeux, danfes Sc concerts. Après s'être long - temps promené le long du golfe d'Aftaque , il fe rapprochoit de Conftantinople , lorfqu'un furieux orage vint troubler fes plaifirs, 8c lui fit voir de prés toutes les horreurs du naufrage. Le tumulte 8c le défordre des manoeuvres , les cris , les vceux, les gémifiements des courtifans , & fur-tout des femmes, mêlés au mugiflement des vents Sc des flots , formoient un concert bien différent de celui qu'avoit interrompu la tempête. L'Empereur, devenu le jouet des vagues, perfonnage alors beaucoup moins important que le dernier des matelots , n'attendoit que la mort. Enfin , a force de travaux, après bien des coups de mer, on atteignit l'ifle du Prince , d'oü Pon gagna le port de Chalcédoine. Alexis, ayant pris quelques jours de repos, iraverfa le Bofphore, Sc fe rendit au grand paiais. S'étant délafie par les jeux du Cirque, qu'on donnoit  du Bas-Empire. Llv. XCITI. 333 au peuple dans cette faifon, il voulut paffer au palais de Blaquernes. Mais dans ces temps d'ignorance, les Empereurs n'ofoient faire un pas fans confulter les planettes, & leur pofition ne fe trouvoit pas alors favorable. II demeura donc jufqu'au carême dans le grand palais. Le quatrieme de Mars lui fut annoncé comme un jour heureux, pourvu qu'il partït avant le lever du foleil. Un vaifTeau 1'attendoit a 1'ancre, pour le tranfporter a Blaquernes. Toute fa familie étoit affemblée dans fon appartement , & il fe levoit avant le jour, lorfqu'un tremblement fubit fit ouvrir la terre au bord de fon lit. Un de fes Chambellans fut englouti dans un profond abyme; 1'Empereur fut préfervé; mais fon gendre Alexis Paléologue & plufieurs autres penferent y périr , & furent griévement blefTés. La Cour de Conftantinople recut en ce temps-la un affront inoui, qui ne demeura impuni qu'a caufe de fa foibleffe. Eudocie, fille ainée d'Alexis, avoit été, comme je 1'ai dit, mariée a Etienne, Roi de Servië. Ce Alexis III. An. 1202, XXXIV. Avenrures d'EucIocie,fïIIed'Alexis. Nicet. I. 3. c. 7.  Alexis UI. An. 1202. Du Cange, fam. p. 2S6, 2S7. 334. HtSTOIRE Prince , après avoir régné peu de temps, avoit pris 1'habit de Moine fur le mont Papyce, laifTant fes Etats a fon fils ainé , de même nom que lui, qu'il avoit eu d'une première femme. Le jeune Prince traitafa bellemere avec beaucoup d'honneur , il la laiiTa maïtrefTe d'une partie du Royaume ; & devenu pafïïonné pour elle, il pouffa enfin la tendrefTe audela des bornes fixées par les loix de toutes les nations, & par la nature même. Son pere étant mort, il époufa Eudocie, & en eut plufieurs enfants : excès incroyable dans un fiecle & dans une nation moins barbare. Une paffion fi révoltante s'éteignit au bout de quelque temps , & eut les fuites qu'elle méritoit. Ils en vinrent a. fe reprocher mutuellement leurs défordres. Ceux du Prince n'étoient que trop publics. La Princeffe , foit qu'elle fut réellement coupable, foit qu'on la foupconnat injuftement, effuya le plus horrible traitement dont on puiflê flétrir une vile courtifane. Le Roi 1'ayant fait dépouiller de tous fes habits, la chafTa du palais, couverte k demi de mi-  nu Bjs-Êmpirs. Liv. XCÏÏI. 335 férables lambeaux. Volk. frprp rl'F- tienne, mais plus fage 8c plus modéré , avoit employé les remontrances & les plus inftantes prieres, pour 1'engager a ne pas fe déshonorer luimême par un procédé fi atroce a Pégard de la fille d'un Empereur. N'ayant pu Pen détourner, il recut chez lui la Princefie; 8c après Pavoir revêtue, il la fit conduire a Duras. A cette humiliante nouvelle, Alexis qui auroit du armer toutes les forces de 1'Empire pour laver un fi fanglant outrage, ne fit autre chofe que d'envoyer a fa fille des habits conformes a fa dignité, & une litiere pour la tranfporter dans fon palais. La concorde ne fut pas de longue durée entre les deux Princes de Servië. Volk prit les armes contre fon frere, & le chaffa de fes Etats. Jean, que nos Auteurs riomment Joannice, & qui prenoit lui-même le nom de Calojean, avoit fuccédé a Pierre fon frere dans le Royaume de Bulgarie. Dès qu'il fut fur le tröne , il forma le deffein de faire rentrer le pays fous 1'obéilTance de 1'Eglife Romaine, 8c il envoya des Am- Alexis III. An. 1202. XXXV. Succèsde Joannice contre 1'Empire. Nicet. L. 3. c. 7. Gefia Innocent.Du Cangej fam. p. 3>9«  Alexis III. An. 1202. S3Ö* HlSTOIRE baffadeurs au Pape Innocent III. Ce fut inutilement qu'Alexis fit tous fes efforts potir Ten détourner, lui promettant de le reconnoïtre pour Roi, & de lui envoyer un Patriarche. Joannice reeut du Pape le fceptre, la couronne, un étendard qui portoit une croix & les clefs de 1'Eglife, avec le droit de battre monnoie a fon coin , privilege dont les Papes de ce temps-la s'arrogeoient la conceffion. Malgré le zele que ce Prince affeöoit pour la pureté de la Religion, il étoit cruel & fier, prétendant tirer fon origine de 1'ancienne Rome, comme les Valaques eux-mêmes fe vantoient de defcendre des Romains. Devenu plus ennemi des Grecs qu'il ne 1'étoit auparavant, il vint attaquer Conftantia prés du mont Rhodope ; il s'en rendit maitre fans peine, & en détruiüt les murailles. Le vendredi de la femaine de la Paffion , il co ruin enca le fiege de Varna. Comme la ville étoit défendue avec courage par une garnifon Latine, au fervice de FEmpire , elle ne fut forcée que le famedi Saint; & le Prince barbare , quoique Chrétien de nom, fans égard  du Bas-Empire. Liv. XCIII. 337 k la fainteté du jour , fit précipiter dans le fofle tous les malheureux habitants , les enfevelit tout vivants fous la terre dont il le combla, abattit les murailles, & retourna en Bulgarie après cette Paque fanguinaire. La prife d'Ivan n'avoit pas rendu la liberté a Camyze. II étoit demeuré entre les mains des Thraces révoltés . d'oii Joannice 1'avoit tiré en payani fa rancon, pour en faire fon prifonnier. Cet infortuné Général ne ceffoii de folliciter par lettres Alexis de h délivrer de captivité. Las d'écrire fan; recevoir de réponfe, il s'adrefla enfir è Chryfe , qui paya fa rancon a Joannice, & 1'envoya k Profaque. Dam ce nouvel exil, il continuoit de pref fer 1'Empereur, en lui repréfentan qu'il luiabandonnoit fans regret tou le refte de fa fortune; que de tan de biens faifis par le Prince , il ne lu redemandoit que deux cents livre: d'or qu'on exigeoit pour fa délivrance. Alexis, mettant en balance d'ui cóté la parenté & les fervices de Ca myze, de 1'autre fon or, fon argent fes immenfes poffeflions, trouva qu fa dépouille étoit d'un bien plus gram Tomé XX, Alexis Hï. .An. 1102. XXX VI. Révolte de Camyze & de Spyridonace. ! ■ I? i L I ï  Alkxis UI. An. 1202. 33§ HlSTOIRE pokïs que ni la juftice, ni 1'honneur, ni la reconnoiffance. D'après ce honteux calcul, il demeura fourd a toutes les inftances, & Camyze n'efpérant plus rien de ce Prince avare & ingrat, réfolut de fe donner k Chryfe , & de racheter fa liberté en le fervant contre 1'Empire. II fe mit donc k ravager avec lui la Macédoine. Ils s'emparerent de la Pélagonie , pnrent la ville de Prilape, emporterent de force les places voifines, gagnerent par argent ou par intrigue les plus éloignées , pénétrerent en ThelTalie par les vallons de Tempé , fe rendirent maitres des plaines , franchirent ces montagnes renommées qui féparent la ThelTalie du refte de la Grece , & j etterent Pallarme dans cette contrée autrefois fi fatneufe, dont les habitants n'étoient plus que les ombres de tant de braves guerriers & des plus heureux génies. En même-temps un autre rebelle foulevoit la Thrace. Jean Spyridonace,né en Cypre dans lamifere, etoit venu k Conftantinople pour y gagner fa vie du travail de fes mains. Son extérieur n'étoit pas propre k re-  nu Bas-Empire. Liv. XCIII. 339 ïever fa baffeffe. Un vifage difforme, un corps encore plus mal fait, des yeux de travers, fembloient le condamner k ramper dans la pouffiere. II n'avoit qu'un talent, & ïlfutaffez heureux pour trouver un Prince qm en faifoit grande eftime : c'étoit ƒ 1tnaginer de nouvelles formes d'impöts, dont 1'érudition financiere^, fi ingénieufe d'ailleurs k inventer d'admirables fe'crets pour appauvrir les peuples, ne s'étoit pas encore ayifee. Ce mérite 1'éleva aux emplois; d devint Carde du tréfor; & pour récompenfe de fes fervices, on lui donna le gouvernement du pays de Smolene en Thrace. II avoit vu PErnpereur de trop prés, pour 1'aimer ov le craindre. II fe voyoit dans un< contrée prefque inacceffible. II prétendit a 1'indépendance, & cefTa d'o béir aux ordres qui lui venoient d< la Cour. L'Empereur relevoit d'un» violente attaque de goutte, & ce ma douloureux lui avoit été moins fenf ble , que le doublé regret d'avoir éle vé un méchant homme tel que Spy ridonace , Sc de s'être fait un enneir de Camyze fon meilleur Capitaine. 1 Pi) Alexis IIIAn. 120; i i :1  Alexis III. An. 1202. XXXVII. Cinquieme Croifade. 34® HlSTOlRZ partagea fes troupes en deux corps, il en donna un a fon gendre Paléologue, pour aller combattre Spyridonace; il mit a la tête de 1'autre Jean Eonopolite, pour faire la guerre a Camyze & a Chryfe. Paléologue, auffi brave que prudent, n'eut pas de peine a vaincre Spyridonace; il Pobligea de fiiir en Bulgarie. II n'étoit pas fi aifé de fe défaire des deux autres ennemis. L'Empereur alla joindre Eonopolite ; il regagna Chryfe en lui mettant entre les mains la PrinceiTe Théodora , qu'il lui avoit déja promife en mariage. Chryfe rendit la Pélagonie & la ville de Prilape. Camyze demeuroit en armes, maitre de la Theffalie ; il fut battu & fe réfugia en Macédoine dans le chateau de Statie , qu'il regardoit comme imprenable. II y fut cependant forcé. Strummize fut rendue a 1'Empereifr , & 'on fit la paix avec Joannice. On ie dit pas quel fut le fort de Canyze. Dansl'étatde foibleffe oii 1'Empire ;toit réduit, les armes des Bulgares k les entreprifes de ces aventuriers rehelles qui fe rendoient maitres de  du Bas-Empire. Liv. XCIII. 341 divers cantons de la Thrace Sc de la Macédoine, en épuifoient toutes les forces. L'Empereur , alternativement occupé a fe guérir de la goutte &a la mériter, paroifToit cependant quelquefois a la tête de fes armées ; mais c'étoient des voyages de plaifir plutöt que des expéditions guerrieres. Bientöt ennuyé de la vie militaire, fouvent même avant que d'avoir appercu 1'ennemi, on le voyoit rentrer dans 1'ombre de fon palais, ou s'aller repofer dans les jardins de la Propontide des fatigues qu'il n'avoit pas effuyées. Dans ces dernieres années ,ü entendoit fans s'efFrayer le bruk de; armes qui retentiffoit du cöté de 1'Occident. La Croifade qui s'y préparoit ne menacoit que 1'Egypte & h Paleftine. Des conjondtures imprévues, telles qu'un vent impétueux détournerent fur Conftantinople 1; plus grande partie de eet orage, qu ébranla 1'Empire jufque dans fes fon dements , & porta fur le Tröne de 1; Grece une race étrangere. Les Chrétiens de Paleftine réduil a un état déplorable, appelloient leur fecours les Princes d'Occiden P iij Alexis III. 1 l L l S XXXVIII ^ Foulque, Curé de ■ • Neuilly j  Alexis ta. srtche la Croifade. Nicet. I. 3. c.8,9. Gtfta In- Guntherus kift. Confl. Chron. Urfperg. Chron. Sri. Ant. Sanut. I. 3. part. 11. c. 1. yUithard, cl, & fitiy. jufjaW.25,& tbi. Du Cange. Acropoiit. c. 2 , & ibi Allatius. Odoric. Rayn. Herold. contin. Guill. Tyr. !. 2. c. 2g. Rhamufius, l. I. Sabellicus. i. s. Doutreman, 34- Histoire Outre la Principatité d'Antioche join* te alors au Comté de Tripoli, il ne leur reftoit de leurs conquêtes en Syrië que Tyr & Saint - Jean d'Acre. Jérufalem étoit retombée en 1187 , fous le joug des Infideles. Saphadin, prefque auffi grand guerrier que Saladin fon frere, avoit hérité de fa haine contre les Chrétiens , & Simon de Montfort, après une viftoire qui lui coütoit autant qu'une défaite , avoit été obligé de faire avec les Sarafins une trêve de dix ans. Tant de malheurs touchoient fenfiblement le cceur paternel d'Innocent III, élevé en 1198 fur la chaire de Saint Pierre. Ce Pontife, recommandable par fes vertus , par fon favoir, par fon zele apoflolique, digne de 1'admiration de tous les fiecles & de toutes les nations, s'il eüt renfermé fon pouvoir dans les bornes que JefusChrifl: lui-même s'étoit prefcrites fur la terre, & qu'il n'eüt pas étendu la main jufque fur le tröne des Rois, ne fut pas plutöt a la tête de 1'Eglife , qu'il porta fes regards fur la TerreSainte. Foulques,Curé de Neuilly-furMarne, faifoit alors entendre dans  du Bas-Eupire. Liv. XCIII. 343 toute la France le tonnerre des menaces évangéliques. Prédicateur mtrépide, il ofoit les annoncer aux Kois. La force de fes paroles , aramee nar la grace divine , & foutenue de la fainteté de fa vie, penetroit au fond des coeurs, & faifoit trembler le vice jufque dans le fanduaire. Ces fiecles d'ignorance étoient affez heureux pour conferver la vraie lumiere au fein de leurs ténebres; le vice ne fe piquoit pas d'être conféquent, & les ames les plus corrompues retenoient du moins la foi de leurs peres, Innocent chargea Foulques d'être le héraut de la guerre qu'il meditoii contre les Infideles. Succeffeur dt Pierre lUermite, ou plutöt de Sam: Bernard qui fut trop fage pour cemdre 1'épée, le nouveau MuTionnain parcourut la France & 1'AUemagne Les mouvements de fon éloquent fimple, mais perfuafive, ranimeren dans les Princes & dans les peuples cette flamme de Religion, qui ne s'é teignoit pas alors, même au milie des défordres. Innocent faifoit tous fes efton pour engager les deux Rois de Franc P iv Alexis III. Confi. Eetgica. I. i. c. ii. /. 2. c. i, i, 3 » 4. 5Fleury, hifi. EeeUf. i. 7 5. art. 14* Maimbourg.Csoifades, L 7. » X s XXXIX. Innocent e exhorte  AtEXIS Hl. en vain Alexis. 344 H I $ T 0 I R E ! & d'Angleterre a fe mettre a la tête des Croifés. Leur première expédition dans la Terre-Sainte les avoit rendus ennemis irréconciliables; ils avoient fans cefte les armes a la main pour s'entre-détruire , & les prédications de Foulques, les lettres preffantes du Saint Pere, les inftances du Cardinal de Capoue envoyé dans ce deffein , ne purent obtenir d'eux qu'une trêve de cinq ans. Toujours en défiance 1'un de fautre, ils ne jugerent pas k propos de fortir de leurs Etats. Ils permirent feulement a leurs fujets de prendre la croix, & les Seigneurs Anglois fentirent même qu'ils ne feroient pas leur cour k leur Prince en s'éloignant de fa perfonne. Innocent avoit plus d'efpérance du cöté de 1'Empereur Grec, plus foibleala vérité, mais cependant plus capable d'aider les Croifés par la proximité de fes Etats. AufTi-töt après Péleöion d'Innocent, Alexis lui avoit envoyé des députés avec des préfents , pour le prier de le vifiter par fes Légats, & le Pape avoit fatisfait k fademande, Pexhortant k réunir les deux Eglifes, &a travailler de concert avec les La-  du Bas-Empire. IJv. XCllt. 345 tins k la deftruttion du Mahométifme. II avoit dans les mêmes vues écrit au Patriarche de Conftantinople , & il propofoit un Concile général pour traiter les matieres conteftées, & procéder efficacement k la réunion. Mais ce n'étoit de la part d'Alexis qu'un effet de vanité. Dès qu'il eut recules Légats du Pape, i! ne montra plus que de 1'éloignemeni & de la mauvaife volonté. II répon dit, apparemment de 1'avis de fe: Aftrologues, que le temps de la mi féricorde de Dieu pour la délivranc» de la Paleftine , n'étoit pas encon arrivé. Quant au Concile général, i confentoit d'y envoyer des députés pourvu qu'il fe tint en Oriënt, 01 avoient été célébrés les huit premier Conciles généraux. II relevoit 1'Em pire au-deflus du facerdoce. Enfin , i repréfentoit au Pape que l'ifle d Cypre appartenoit a 1'Empire; & qu s'il n'attaquoit pas le Roi titulaire d Jérufalem , qui s'étoit attribué la po fefïion de cette ifle , c'étoit pour épa: gner le fang chrétien. II le prio d'interpofer fon autorité pour eng; ger ce Prince 3 reftituer ce domay P v Alexis Hl. i » i s 1 e e l it 1- ie  Aifxis III. XI. Indulgcft- 346 E I S T O I R Ê aux maitres légitimes. Quoique Innocent confervat peu d'efpérance de rendre Alexis favorable aux Croifés, il n'oublia rien pour y réuftir. II lui répliqua qu'il n'appartenoit pas aux hommes de fixer les moments que Dieu avoit déterminés dans fes décrets; que leur devoir étoit de mettre la main a Pceuvre, en abandonnant le fuccès a la volonté duToutpuifTant. II le félicitoit de fes bonnes, difpofitions au fujet de la réunion. Mais fur 1'article alors le plus délicat & le plus fenfible a la Cour Romaine , il combattoit les prétentions d'Alexis par les raifons & les allégories recues en ces temps-la, & tachoit de montrer que le Sacerdoce eft autant fupérieur a 1'Empire que le foleil 1'eft a la lune qui emprunte de lui fa lumiere , ces deux aftres étant, difoitil, le fymbole des deux puiftances. Quant a l'ifle de Cypre, il répondoit qu'il prendroit a ce fujet de plus amples informations. En attendant, il exhortoit TEmpereur a ne pas fufei£er de nouveaux troubles aux Chré» tiens de la Terre-Sainte. Les follicitations dTnnocent eurent  du Bas-Empis.ê* Lip. XC/IL 347 plus de fuccès auprès des Préiats & des Seigneurs de France, de Flandre, dTtalie & d'Allemagne. Pour attirer les peuples par de puiflants intéréts , foit fpirituels, foit temporels, il accorda pleine & entiere^ indulgence &c rémiflion de tous péchés k ceux qui prendroient la Croix ; il s'engageoit lui & fes fuccefleurs a prendre fous la fauve-garde de St. Pierre leurs biens & leurs families, tanl qu'ils feroient en Paleftine ; il enjoignoit aux Rois & aux Princes deies^affranchir de tout impöt, & d'annulier toutes les obligations ufuraire; contraftéesavec les Juifs ; il les dé claroit exempts de 1'interdit jetté fu le Royaume de France, k caufe di divorce de Philippe-Augufte avec 1 Reine Ingelburge. Pour contribue aux dépenfes néceflaires, il ordonn que les Evêques & les Monaftere payeroient le quarantieme de leu revenu; il fe taxa lui - même au d: xieme ainfi que les Cardinaux; & afi de donner 1'exemple d'un facrifk encore plus généreux & digne cl chef de cette illuftre entreprile , il i fondre tout ce qu'il avoit de vau P vj r Alexis ra. ces & autres faveurs accordéesaux Croifés. . .T-0 i-. I 1 r 1 s r a e 11 it  Alexis III. XLI. Grand nombre de Seigneursprennent la Croix. *i i l < I I ( è 348 HlSTOIRE 1 d'or & d'argent. Le grand-Maïtre des Hofpitaliers rappella par des ordres preffants fes Chevaliers répandus dans les diverfes contrées de I Europe. Les tournois étoient en ce tempsIa le plus brillantthéatre, ou la nobleffe Francoife s'empreffoit k fignaler fa force & fon adreffe. Sur la fin de 1'année 1 r99 , on tint une de ces aüemblees k Efcry, chÉteau fitué en Champagne fur la riviere d'Aine. Au milieu de cette fête guerriere, les Comtes & les Barons, brülants d'ardeur militaire & de dévotion , fentiments qui fouvent alors s'allioient enfemble fans trop fe connoitre, tertmnerent leurs joütes par prendre la Croix. Thibaut, Comte de Champagne , & Louis, Comte de Blois & de ^hartres , tous deux proches parents les Rois de France & d'Angleterre, ë croiferent les premiers. Leur exem>le fut fuivi d'un grand nombre de 'eigneurs Francois : entre les plus retornmés furent GeorTroi, Comte du •erche ; Mathieu de Montmorency ; .ui Chatelain de Coucy , Geoffroi e Villehardouin, Maréchal de Cham-  nu Bas-Empire. Liu. XCIII. 349 pagne, qui nous a laifle le récit de ■ cette expédition, & les Evêques de Troyes, de Soiflbns, d'Amiens & de Nevers. Au commencement du carême de Fannée fuivante, Baudoin , Comte de Flandre & de Hainaut, prit la Croix dans 1'Eglife de Saint-Donatien k Bruges , avec Marie fa femme & fes freres Henri & Euflache, Hu-» gues, Comte de Saint-Paul, Renaud, Comte de Boulogne, & plus de mille Chevaliers s'engagerent a les fuivre. Les Comtes de Norwic & de Northampton, furent les feuls Seigneurs Anglois; les autres fe réferverent k marcher k la fuite de leur Roi Richard, qui avoit deffein de retourner en Paleftine , lorfqu'i! auroit terminé fes différends avec Philippe-Augufte. Plufieurs Chevaliers Italiens fe joignirent enfuite aux Croifés. Les Evêques de Bale & d'Halberftadt; Albert, Comte de Spanheim; Berthold, Comte de Naumbourg; un autre Berthold, Comte de Catzenelbogen , & plufieurs autres Seigneurs Allemands, partagerent auffi les hafards de cette brillante entreprife. La moitié de PEurope fe mit en Alexis III.  Alexis m. XLTI. Me-fures 35° III S T O I R E mouvement. La nobleiTe, qui ne connoifibit d'autre gloire que celles des armes, auroit feule formé une armée redoutable par fa valeur. On y comptoit;'quatre mille cinq cents Chevaliers , fuivis chacun de deux écuyers. II n'en vint point d'Efpagne ; ce n'eft pas qu'elle en fut ftérile; c'étoit dans cette brave nation les fiecles de 1'héroïfme : mais toujours en allarmes , toujours aux prifes avec les Mufulmans établis dans fon fein , 1'Efpagne étoit toute entiere un champ de bataille, & la vie des Efpagnols une Croifade perpétuelle. II feroit trop long de nommer ici en détail tous les perfonnages diftingués qui s'engagerent dans cette milice. On en peut voir la lifte dans les Auteurs qui ont écrit en particulier l'hiftoire de cette Croifade. Je ne nomme pas non plus ceux qui, dans le cours du voyage, fe féparerent du gros de 1'armée , pour paffer en Syrië ou ailleurs, & qui ne prirent point de part a la conquête de Conftantinople , objet propre de mon Ouvrage. Après eet engagement folemnel , il s'agiffoit de prendre de juftes me-  du Bas-Empire. Liv. XC1II. 351 ihres nmir affurer le fuccès. On s'af- fembla pour eet effet d'abord a Soiffons, enfuite a Compiegne. Thibaut, Comte de Champagne, déja renommé pour fes qualités héroïques, quoiqu'il ne fut agé que de vingt-quatre ans, fut élu pour chef. On délibéra fur la route qu'on devoit prendre. Celle de terre étoit longue, difficile , dangereufe : les malheurs de toute efpece , qu'avoient éprouvés le Roi Louis le jeune , & les Empereurs Conrad tk Frédéric avec des armées beaucoup plus nombreufes , détournoient de choifir ce chemin. Mais d'une autre part, les nouveaux Croifés fe trouvoient en trop grand nombre pour fe mettre fur mer, k moins que d'avoir une puiflante flotte, qu'ils n'étoient pas en état de fournir. Ils réfolurent donc de s'adreffer k une puiffance maritime. Les Vénitiens, les Génois, les Pifans fe difputoient alors 1'empire de la Méditerranée. On fe détermina pour les Vénitiens qui avoient plus de vaiffeaux, & le plus grand intérêt d'abattre les Mufulmans. On choifit pour traiter du paffage fix Cornmiffaires, qu'on crut Alexis III. que prennent les Croifés.  ALEXIS m. XLUI. Les députés traitent avec les Vénitiens. 352 HlSTOIRE les plus capables, & on leur donna plein pouvoir de conclure cette importante négociation. Arrivés a. Venife, ils s'adrefferent au Doge. C'étoit Henri Dandolo, un des plus grands perfonnages de fon fiecle. II étoit agé de plus de quatrevingts ans. Trente ans auparavant, 1'Empereur Manuel, felon les Hiftoriens de Venife, en voulant 1'aveugler par une cruelle perfidie , n'avoit fait que lui affoiblir la vue. Mais la vieillefle ne lui avoit rien öté de fa vigueur, & les vives lumieres de fon génie fuppléoient avec avantage k la foibleffe de fes yeux. Animé lui-même de cette ardeur de gloire qui embrafoit tant de Seigneurs , il fit aux députés 1'accueil le plus gracieux. II porta leur demande aux différentsConfeils de la République. On convint de fournir des palandres ou vaiffeaux plats pour le tranfport de quatre mille cinq cents chevaux, & de neuf mille écuyers , des navires pour quatre mille cinq cents Chevaliers , & vingt mille hommes de pied; dës vivres pour neufmois; k condition que les Croifés payeroient quatre marcs d'arr  nu Bjs-Empire. Lh. XCIIL 353 gent pour chaque cheval, & deux pour chaque homme; ce qui montoit a la fomme de quatre-vingt-cinq mille marcs. Ces conventions devoient durer 1'efpace d'un an, a compter du jour qu'ils partiroient des ports de Venife. La République promettoit de plus d'équiper au moins cinquante galeres pour fa part, a condition qu'elle partageroit la moitié des conquêtes. Ce traité arrêté par le Sénat, fut confirmé par tout le peuple afïemblé dans 1'Eglife de SaintMarc. Après une meffe folemnelle, les députés s'étant rendus a 1'Eglife, Geoftroi de Ville-hardouin prenant la parole au nom de tous : » Sei» gneurs , dit-il, les plus hauts & les » plus puiffants Barons de France, » nous ont envoyés vers vous , pour » vous prier d'avoir pitié de Jéru» falem , qui gémit fous le dur ef» clavage des Mufulmans , & de » vouloir bien les accompagner pour » venger 1'injure faite k Jefus-ChrifT. » II vous ont choifis comme la na» tion la plus puiffante fur mer; ils » nous ont ordonné de nous jetter » k vos pieds, & d'y demeurer prof- Alexis Hl.  Alexis ui. 354 Histoirb ' » ternés , jufqu'a ce que vous leur » ayez oftroyé leur demande , 8c » promis de fecourir la Terre-Sain» te ". A ces mots les fix députés fe profternerent en verfant des larmes. Le Doge Sc les afTiftants attendris, levant les mains en haut, s'écrierent tout d'une voix , quils y confentoient, qu'ils le promettoient. Le bruit de cette acclamation étant appaifé, le Doge harangua le peuple , Sc le félicita de 1'honneur que Dieu faifoit k la République de 1'afTocier a une fi fainte &c fi glorieufe entreprife. Le traité fut figné le lendemain , & il fut décidé qu'on iroit attaquer 1'Egypte, comme la principale reffource des Saraiins 8c des Turcs, dont la conquête entraïneroit celle de tous leurs Etats. L'occafion étoit favorable. Saphadin , Sultan de Damas, avoit chafl'é le Sultan d'Egypte ; il étoit en guerre avec celui d'Alep 8c avec plufieurs autres; fa dureté le rendoit odieux a fes peuples. De plus, 1'Egypte étoit affligée de la famine, le débordement du Nil ayant manqué les années précédentes. Une autre raifon devoit encore  vu Bas-Empire. Liv. XC1II. 355 déterminer les Croifés; c'eft que le terme de la trêve conclue avec Sa- phadin pour la Paleftine , n'étoit pas encore expiré, On fixa le rendezvous a Venife pour le jour de SaintJean de 1'année fuivante 1202, auquel la flotte fe trouveroit appareillée. Les députés fe tranfporterent enfuite au grand palais , oü le Doge leur ayant délivré les lettres - patentes, fe mit k genoux, & verfant beaucoup de larmes, jura fur les faints Evangiles d'obferver fidélement tous les articles dont on étoit convenu. Le grand Confeil compofé de quarante-fix Nobles d'une part, de 1'autre les députés au nom de tous les Seigneurs, prêterent le même ferment. On dépêcha au Pape Innocent pour 1'inftruire ducontenu du traité, &c lui en demander confirmation, ce qu'il accorda volontiers; mais avec cette reftriction, que les Croifés ne cauferoient aucun dommage aux nations Chrétiennes, k moins qu'elles ne leur fiflent obftacle, & qu'en ce cas même ils n'agiroient offenfivement, qu'avec 1'approbation du Légat du Saint-Siege. Les Vénitiens, Llexis III.  Alexis iiïi XLIV. Boniface de Montierrat,élu 35(5 HlSTOIRE qui avoient un deffein fecret, refuferent de foufcrire k cette condition, Les Francois emprunterent de quelques Banquiers de Venife , deux mille marcs d'argent, qu'ils mirent d'avance entre les mains du Doge , pour fournir k la première dépenfe des vaiffeaux, & prirent enfuite congé pour retourner en leur pays. Ils pafTerent a Pife & k Gênes , pour engager ces Républiques a concourir avec eux; mais ils n'en tirerent aucun fecours. Ils rencontrerent au mont Cénis les Comtes de Brienne & de Montbéliard, qui'prenoient le chemin de la Pouille avec plufieurs Chevaliers. Gautier de Brienne alloit conquérir le Royaume de Sicile, qu'il prétendoit lui appartenir du chef de fa femme, fille du Roi Tancrede , dont le fils Guillaume III avoit été dépouillé dé fes Etats par 1'Empereur Henri. Ilpromettoit dè rejoindre 1'armée avant qu'elle fut partie de Venife ; mais ce Seigneur, après quelques fuccès, périt en Italië. Le Maréchal de Champagne, de retour k Troyes, eut la douleur de trouver le Comte Thibaut dangereu-  du B,-is-Empire. Liv. XCIIL 357 fement malade, & de le voir mourir ' peu de jours après, au grand regret des Croifés, qui comptoient beaucoup fur les qualités éminentes de [ ce jeune Seigneur. II faüut donner un autre chef a la Croifade. Le Duc de Bourgogne, ainfi que le Comte de Bar, s'étant excufés de fe charger de eet emploi, on jetta les yeux fur Boniface , Marquis de Montferrat, Prince généreux & expérimenté dans' la guerre. II étoit coufin du Roi de France, & frere de ce fameux Conrad de Montferrat, qui devint gendre de 1'Empereur Manuel, & dont nous avons raconté les aventures. Ce Prince, ayant accepté 1'honneur que lui faifoient tant de Seigneurs , fe rendit a SoifTons oü i!s étoient aflemblés, & recut la croix des mains de 1'Evêque & de Foulque de Neuilly, dans PEglife de Notre-Dame. II partit enfuite pour mettre ordre aux affaires de fon Etat, après avoir tiré parole des Croifés & donné la fienne, que tous fe trouveroient a Venife au jour marqué. Au carême fuivant, on fit encore une nouvelle perte par ia mort de Geoffroi, Comte du Per- Alexis III. lef de U roifade.  Alexis Hl. XLV. Les Croifés a Venife. Nicet. I, 3. «.8,9. 558 HlSTOJRE che, Seigneur de grand mérite, qui chargea en mourant fon frere Etienne de la conduite de fes foldats. Les Croifés commencoient a quitter leur pays. Mais malgré leur parole , tous ne fe rendirent pas a Venife. Quelques-uns prirent la route de Marfeille; d autres gagnerent les ports de la Pouille, trouvant ce chemin plus für & plus commode pour paffer, foit en Egypte, foit en Syrië. Une grande flotte partie des cötes de Flandre pour entrer dans la Méditerranée par le détroit de Gibraltar, fous la conduite de Jean de Nefle, Chatelain de Bruges, ne rejoignit plus le refte de 1'armée; & ce fut une perte irréparable pour le Comte Baudouin & pour fes freres; ils avoient chargé ces vaiffeaux de quantité de vivres & de leurs meilleurs foldats , fous la conduite de plufieurs Chevaliers diftingués , qui avoient juré fur les Evangiles de fe rendre auprès d'eux. Les chefs des Croifés, Boniface de Montferrat, Baudouin de Flandre , Louis de Blois, réunis a Venife avec leurs troupes, furent 1'accueil le plus honorable, On les logea dans  du Bas-Emïirz. Liv. XCII1. 359 l'ifle de Saint-Nicolas. C'étoit 1'élitP des guerriers de 1'Europe ; la plupart vétérans & d'une bravoure éprouvée. Le rivage étoit bordé de cabanes pour les foldats, & d'écuries pour les chevaux. Tous les canaux étoient couverts de gondoles, qui s'emprerloient d'apporter 1'abondance. La flotte prête a faire voiles auroit fuffi a une armée trois fois plus nombreufe. C'étoient plus de quatre cents vaifleaux, les uns armés en guerre, les autres conftruits pour le tranfport des chevaux , & d'une prodigieufe quantité de provifions. Le Pape étoit regardé comme le chef fpirituel de Pentreprife. On lui députa pour le prier d'obtenir du fecours de 1'Empereur de Conftantinople. II répondit qu'il avoit déja écrit k ce Prince, & qu'il en avoit recu la promefle de fournir des ■ vivres aux Croifés; que s'il manquoit , de parole, les Croifés pourroient en prendre de force ou ils voudroient, ' 8f,<ïu'i,1 ^ur en donnoit la permiflion. C'en étoit aflez alors pour tranquilhfer les confciences. Cependant les Vénitiens, fideles aux conventions Alexis m. An. 1202. Gefla Innoc. Acrop. I, 2, &ibiAl!atius. Vilhhariouin & ibi Du Cange. SanutA. 3. part. II. c. I. Herold. I. 2. c. 20. Chron. Sti. Ant. Sabel Heus l. S. Odor. Raynald. Doutrenan. conjl. Belg. I. 2. .6,7. Maim•eurg. I. 7. Fleury , i/l. Ecelef. .7 5- art.  Alexis III. ^n. hoi. 360 II I S T O I R E au-dela même de leur promefle, fommerent les Comtes & les Barons, de s'acquitter a leur tour de leur parole , en payant la fomme convenue pour le paflage. Mais on s'appercut du tort que faifoit a 1'armée 1'abfence de tant de Chevaliers qui s'en étoient féparés. La quête qu'on fit dans je camp ne put fournir qu'une petite partie de la dette, & un grand nombre de Croifés, déja ennuyés du voyage, parloient de s'en retourner. Le Comte de Flandre , animé de fentiments plus généreux, propofa aux autres Seigneurs de renoncer a leurs r-ichefles plutöt qu'a leur honneur , & n'eut pas de peine a y faire confentir les Comtes de Blois & de SaintPaul, & le Marquis de Montferrat. lis flrent porter au Doge tout ce qu'ils avoient 'd'or , d'argent, & de pierredes. Malgré ce noble facrifice, il manquoit encore trente-quatre mille marcs d'argent. Henri Dandolo, qui n'avoit pas 1'ame moins élevée, les en auroit volontiers tenus quittes; mais il étoit chef d'une République. économe , qui calculoit la gloire. Pour tirer les Croifés d'embarras, il propofa  du Bjs-Empire. Liv. XCIII. 361 propofa au Sénat de les employer a reprendre Zara, déja plufieurs fois révoltée, & qui s'étoit donnée au Roi de Hongrie. II perfuada qu'un fi important fervice méritoit bien qu'on remit le payement du refte jufqu'au temps ou leurs conquêtes les mettroient en état de s'acquitter. Cet expédient fut approuvé des Vénitiens , qui, dès le commencement, avoient congu le defiein de profiter de la conjoncture. Mais il trouva beaucoup d'oppofition de la part des Croifés. Les uns, qui fouhaitoient de retourner dans leur pays, les autres, qui brüloient d'impatience de pafier danslaTêrre-Sainte, s'écrioient qu'ils avoient fait vceu de combattre les Jnfideles & non pas les Chrétiens leurs freres : que le Roi de Hongrie, maitre de Zara , étoit non-feulement Chrètien , mais qu'il'avoit lui-même pris la croix avec le Prince André fon frere : que le fiege de Zara auroit tout l'odieux d'une guerre civile & même facrilege , puifque la bulle de la Croifade frappoit danathême quiconque attaqueroit les Croifés. Le Pape s'oppöfoit a ce fiege ; il avoit envoyé a Venife le Cardinal Tornt XX. Q Alexis III. An. 1202. 4  Alexis rif, An. 1202. XL VI. Alexis, 5&L Hls T 0 I R £ de Capoue, pour défendre aux Croifés de s'y engager, fur peine d'excommunication. Mais Dandolo combattit les raifons du Cardinal; il fit voir que ■ le chef de 1'Eglife , dont la puifance ejl toute fpirituelle, n'a aucun droit fur les intéréts des Souverains ; qu il ne peut enchainer leur pouvoir, ni fe rendre arbitre de la paix & de la guerre; que de couvrir de l'impunité des fujets rebelles, ce feroit autorifer le crime. II paria avec tant de force & d'éloquence, que les Croifés fe rendirent k fon avis. II y en eut néanmoins plufieurs qui fe détacherent des autres; & le Marquis de Montferrat, a qui le Pape avoit déclaré de vive voix fa volonté , dans un voyage que ce Prince avoit fait k Rome , ne voulut prendre aucune part a Pexpédition de Dalmatie. Le Doge , ravi d'avoir réuiïi k maintenir une ii belle entreprife, voulut en partager Phonneur. II fe fit attacher la croix folemnellement dans 1'Eglife de Saint-Marc, & fes compatriotes, k fon exemple , fe eroife- rent en afTez grand nombre. On achevoit les préparatifs du dé- , O •'v . WM: >.  du Bas-Bmpihe. Liv. XCIIL 303 part, fixé a la fin de Septembre , lorf- qu'un événement imprévu fit balancer les Croifés fur la réfolution qu'ils avoient prife de fe porter en Egypte, & les détermina enfuite a changer de route. L'ufurpateur Alexis avoit enfermé Ifaac dans une tour de Conftantinople, comme nous Pavons raconté. Mais après quelque temps de dureté & de rigueur, il lui avoit Jaiffé la liberté de recevoir des vifites. Ifaac en recevoit fur-tout des Latins qui paflbient par Confiantinople. Par leur canal, il entretenoit correfpontknce avec fa fille Irene \ mariée a Philippe, devenu Roi des Romains, & il concertoit avec elle les moyens de fe venger de fon frere, & de remonter fur le tröne. Son fils Alexis le fervoit utilement auprès de fa fceur & de fon beau-frere. Ce jeune Prince, qui n'avoit que douze ans au temps du défaftre de fon pere, fut d'abord renfermé dans une prifon. Son oncle lui rendit enfuite la liberté , & s'en fit même accompagner dans fon expédition de Thrace contre Camyze. Alexis, par le confeil de fon pere, traita fecretement avec Q n Alexis III. A.n. 1202. ais d'Ifaac , a recours aux Croifés.  Alexis III. An, 1202, 364 IIlSTOIRE un armateur Pifan , qui promit de le tranfporter en Sicile. Le vaiffeau Pifan Pattendoit a 1'ancre prés d'Athyras, oü devoit palier 1'armée Impériale , & la chaloupe avoit abordé a terre, fous prétexte de charger du fable pour lefter le navire. Arrivé en ce lieu, Alexis fe jetta dans la chaloupe qui le conduilit au vaiffeau. L'Empereur, averti de fon évafion, envoya vifiter le navire, qu'un vent contraire empêchoit de s'éloigner. Alexis, qui s'étoit fait auffi-töt rafer & déguifer en matelot, ne fut pas reconnu. II paffa en Sicile, & fit favoir fon aventure a fa fceur, qui lui envoya une efcorte pour 1'amener en Allemagne, II ne tarda pas a fe mettre en chemin; & comme il traverfoit 1'Italie, il s'adreffa d'abord au Pape, pour lui demander fa proteöion auprès des Princes Chrétiens; il promettoit de foumettre au SaintSiege 1'Eglife d'Orient. Le Pape, tout occupé de la conquête de la TerreSainte, n'écouta pas fes follicitations, ck le Prince continua fa route ; c'étoit alors que tous les Croifés fe rendoient de toutes parts a Venife, Com-  du Bas-Empire. Liv. XCIIL 365 me Alexis pafloit par Vérone, il y rencontra quelques Seigneurs , & quantité de foldats qui étoient en route pour aller joindre 1'armée. II lui vint en penfée qu'avec un peu d'adreffe il pourroit profiter de eet armement, & le détourner fur Conftantinople pour relever fa fortune & celle de fon pere. II envoya donc k Venife pour conjurer les Croifés, de prêter leur bras k une li jufte entreprife, qui devoit les couronner de gloire , & leur procurer les plus grands avantages. Le Marquis de Montferrat, en quittant la France, avoit pafte par 1'Allemagne, oii Philippe 1'avoit follicité d'employer fes forces a rétablir Ifaac, & Boniface n'avoit pas rejetté cette propofition. II étoit même allé a Rome pour la faire agréer au Pape. Mais ne le trouvant pas difpofé a y confentir, il étoit retourné dans fes Etats, fans s'occuper davantage de ce projet. L'arrivée des envoyés d'Alexis en réveilla Pidée. Ils furent bien recus. On convint avec eux que fi Alexis s'engageoit a les fecourir pour la conquête de Ia Terre-Sainte, on lui prê- Q «i Alexis III. An. ir202>  Alexis 111. An. 1202, XLvn. Depar: è Ta flotte. 366 II I $ T 0 1 S. E teroit réciproquement des fecours. On lui envoya des députés, qui devoient 1'accompagner en Allemagne, pour traiter de cette alliance avec Philippe & Irene. Les motifs qui déterminoient les Croifés a écouter les prieres du jeune Alexis, étoient appuyés dans le cceur des Vénitiens par les fentiments de leur vengeance particuliere. Le Doge ne pouvoit oublier le traitement cruel qu'il avoit recni de Manuel ; & la République , outre la faifie de fes vaiffeaux, & le pillage de fes marchandifes a Conftantinople , avoit effuyé de ce Prince de fanglants outrages. II avoit toujours favorifé les Pifans, alors ennemis des Vénitiens, & dans les querelles fanglantes des deux nations, qui en venoient fouvent aux mains , foit fur mer, foit dans 1'enceinte de la ville, les Pifans avoient toujours trouvé dans Manuel un zélé protecteur. De plus , Alexis , aótuellement Empereur, refufoit d'acquitter le refte d» la fomme ftipulée par le traité de paix. La négociation du jeune Alexis e avoit différé le départ de la flotte,  du Bjs-Empire. Llv. XCIII. 367 Enfin, ie 8 Odobre on mit a la voile au bruit des trompettes & des acclamations de tout le peuple de Venife. Jamais flotte fi nombreufe ni fi magnifiquement équipée , ne s'étoit fait voir fur le golfe Adriatique. Elle étoit compofée, felon Rhamnufio, de quatre cents quatre-vingts batiments, dont deux cents quarante armés en guerre, foixante-dix chargés de vivres & des machines alors en ufage dans les fieges, cent vingt palandres pour le tranfport des chevaux , &c cinquante galeres Vénitiennes que le Doge commandoit en perfonne, pour la part de la République. Les combattants étoient au nombre d'environ quarante mille , tant cavaliers que fantaifins. Ils demeurerent plufieurs jours a la rade de l'ifle Saint-Nicolas, pour y attendre le vent; & après avoir palTé prés d'un mois a réduire a 1'obéifTance de la République la ville de Triefte, & d'autre* places maritimes de lTftrie, qui s'étant révoltées, infeftoient la mer dc leurs pirateries, ils arriverent devani Zara la veille de Saint-Martin. Zara, fituée fur la cöte orientah Q iy Alexis ui. An. noa. | XLVIIt ' Prife d Zira.  Alexis in. An. 1202. Nicet. I. 3, « 8, 9. Acrop. c.1. &'HAllat. Villehard. %■ ibi. Du Cange. Sanut. 1. 3. pan. 2. c. 1. Gefla Inncc. Nangh chron. Aiberic. ! chrcn. Bereid. I. . l.c. 2®. 1 Odor i Rayn. ] Rhamnus. L 1. 1 Sabcttic. 1 h 7. , Dcutre- 1 man. I. 2. 7, 9. t Maim- ], bourg, l. 7, F/eory, F hifi.Ecclef. q 75- ■»«. J_ 4S> 49i5°. P tl 368 H I S T 0 I R E du golfe Adriatique, k foixante lieues Venife, environ a cinq lieues au najd .de Pancienne Jadera, colonie Komaine, étoit une ville riche, forte , peuplée, environnée d'une mer femee d'écueils. Elle ne tenoit au continent que du cöté du Sud-Ouefr. Le Roi de Hongrie, k qui elle s'étoit donnée en fe révoltant pour la quatneme fois contre les Vénitiens, y avoit mis une bönne garnifon. La hauteur des murs & la fituation avan^geufe de cette place, annoncoit aux Croifés un fiege long Sc difficile, que eur ardeur fut abréger. Les premiers irrivés jetterent 1'ancre k la vue de a ville , & attendirent les autres. Le endemain matin fe trouvant tous réuus, ils forcerent 1'enrrée du port en ompant la chaine dont il étoit fernéj §c malgré les pierres , les jave3ts, le feu grégeois, que les habimts faifoient pleuvoir du haut de Wfs remparts, ils débarquerent Sc rirent terre de 1'autre cöté du port, ui bordoit la ville au feptentrion. es habitants leur envoyerent des déLttés, pour leur offrir des'enremete au jugement du Saint-Siege; Sc  du Bas-Empire. Liv. XCHl. 3(39 fur le refus des Vénitiens, ils fufpen- dirent des croix autour de leurs murailles , comme une fauve - garde & j une proteftation qu'ils mettoient leur ville entre les mains de la Religion. Ces pieufes démonltrations n'eurent aucun efFet. On commenca 1'attaque ce jour-la même , & 1'on fit jouer toutes les machines avec tant de violence , que dès le jour fuivant les habitants députerent au Doge, & lui offrirent de fe rendre k difcrétion, fauf leurs perfonnes. II les recut avec bonté, & leur dit qu'il alloit confulter les Seigneurs, fans 1'avis defquels il ne pouvoit rien conclure. Les Seigneurs accepterent la propofition avec joie, & accompagnerende Doge pour aller conférer avec les députés, qu'il avoit laifles dans fon pavillon. Mais on ne les y trouva plus. Les mécontents, qui ne cherchoient qu'a faire échouer 1'entreprife , leur avoient perfuadé qu'ils avoient tort de fe rendre ; qu'ils n'avoient a craindre que les Vénitiens, contre lefquels il leur étoit aifé de fe défendre comme ils avoient déja fait, & que les autres Croifés retenus par le Saint-Sie- Q v Alexis W. In. 1202.  Alexis 111. An. i ioi XLIX. Sanglante tjucyeile entre les ( 37° HlSTOIRE 'ge, ne les attaqueroient pas. Pleins de confiance en ces difcours, les députés étoient retournés dans la ville. \ts Seigneurs, irrités de cette manoeuvre, protefterent au Doge, qu'ils alIoient employer toutes leurs forces, pour le rendre maitre de la place. Ils tinrent parole; & pendant cinq jours, ils battirent fi fiirieufement la ville du cöté de la terre & de la mer, que les aniégés, voyant déja les mineurs attachés a leurs tours, demanderent de nouveau a capituler. On leur accorda les mêmes eonditions qu'auparavant. Les Vénitiens rentrerent en poffeflion de la ville ; elle fut pillée ; on abattit une partie des murs; mais on épargna les habitants. Comme la faifon étoit trop avancée pour fe remettre en mer, le Doge propofa de pafier l'hyver k Zara, oü 1'on trouvoit Pabondance. Ce qui fut accepté. On logea les deux nationsféparément, les Vénitiens du cöté du port, les Francois vers Ia terre. La diftribution qui fe fit des logements felon le rang & la condition , excita une fanglante quereltev  bv Bas-Empire. Liv. XCIII. 371 Les Vénitiens , qui fe regardoient comme propriétaires , s'étant eniparés des maifons les plus belles & les plus commodes , la fierté Francoife ne put fouffrir ce partage. Des paroles on en vint aux armes, & trois joürs après la prife, fur le foir, on fe battit avec rage. Chaque rue étoii un champ de bataille. Les infultes, les imprécations, les cris, fe mêloien au cliquetis des lances §£ des épées & au fifflement des pierres &c des ja velots, qui partant des machines al loient porter la mort aux plus éloi gnés. L'acharnement général fe par tageoit en mille combats finguliers & les habitants relégués au haut d leurs maifons , regardoient avec un joie mêlée d'horreur leurs féroce vainqueitrs fe déchirer mutuellemer comme dans un amphithéatre, t exercer les uns fur les autres les fi reurs que les afliégés avoient appn hendées pour eux-mêmes. La ten étoit déja jonchée de cadavres; c'< étoit fait de toute 1'armée , & gloire de cette Croifade alloit s'e fevelir dans Zara, li le Doge & 1 Barons, avertis par le bruit affrei Q vj Alexis III. An. 1201. Francois Sc las Vénitiens. > ? 2 S t z ■e n la 1- ss  Alexis fit An, 1202. L, iMécontente^ent du Pape. 37& I S 1 O 1 R E des combattants, ne f'ufient promptement accourus. Ils fe jettent au travers de la mêlee ; ils employent la douceur, 1 autorité, les menaces, la force même pour féparer ces foreenés. Ce ne fut pas fans beaucoup de peine. Tandis qu'ils appaifoient le combat dans un lieu, il fe rallumoit dans un autre; & eet horrible tumulte dura bien avant dans la nuit. Les Vénitiens, moins forts en nombre , furent les plus maltraités. Mais les Francois perdirent auffi beaucoup des leurs. On regretta fur-tout GiHes Landas, Seigneur Flamand , eflimé pour fa valeur, qui recut dans Pceil un coup de lance dont il mourut fur le champ. II faliut une femaine entiere pour cal mer les efprits & rétablir la paix entre les deux nations. Le Marquis de Montferrat, qui, pour obéir au Pape n'avoit pas voulu prendre part a 1'attaque de Zara , s'y rendit quinze jours après qu'elle fut prife. Mais le Pape , mécontent du peu d'égard qu'on avoit eu a fes volontés, écrivit aux Croifés une lettre de reproches, qui tomboient principalement* fur les Vénitiens. II les re-  du Bas-Empire. Llv. XCIII. 373 gardoit comme les auteurs de la défobéiiTance. II défendoit aux Croifés, fur peine d'excommunication, de prêter leurs mains déformais a la deftruction daucune partie de la ville; il leur ordonnoit même de s'y oppofer de toutes leurs forces, & de faire reftituer au Roi de Hongrie tout ce qui avoit été enlevé a ce Prince dans le pillage. II leur faifoit efpérer de les relever des cenfures qu'ils avoient encourues en fecondant 1'attentat des Vénitiens. L'afFecüon paternelle qui refpiroit dans les reproches mêmes d'Innocent, toucha le cceur des Barons Francois, toujours tendrement attachés au Saint-Siege. Ils envoyerent PEvêque de SoifTons avec le Chancelier de Baudouin & deux Chevaliers pour appaifer le Saint Pere, en s'excufant fur la néceffité de fatisfaire leurs alliés, de qui dépendoit le fuccès du voyage. Ils devoient auffi le confulter fur la conduite qu'ils tiendroient avec les Vénitiens, qui rie croyant pas avoir mérité Pexcommunication , ne jugeoient pas avoir befoin de s'en faire abfoudre. Le Pape leur ordonna pour Alexis III. An, 110a  Alexis III. An. 1202, 374 II I S T 0 I R B iatisfattion de rendre tout ce qu'ils avoient du butin de Zara, de s'engager par une promefle authentique a la réparation des torts qu'ils avoient faits, & de renouveller leur ferment d'obéiflance au Saint - Siege. A ces conditions , il leur envoyoit 1'abfolution. Quant aux Vénitiens, comme ils ne voudroient pas fans doute rendre 1'argent qu'ils avoient recti pour le paffage, il permettoit aux Croifés de fe fervir de leurs vaiffeaux, attendu qu'autrement les excommuniés auroient tout le profït, & les pénitents porteroient toute la peine; mais il leur recommanda de ne communiquer avec eux que pour la néceffité , & avec amertume de cceur ; & dès qu'ils auroient paffé la mer, fi les Vénitiens perfiftoient dans leur endurcifiement, les Croifés devoient s'en féparer, & fe bien garder fur-tout de fe joindre a eux dans les batailles, de peur d'encourir la malédicTion qu'avoient tant de fois éprouvée les armes des Ifraélites, lorfqu'ils s'étoient aflbciés aux Inftdeles. Les Vénitiens n'obtinrent leur abfoliition que quelque temps après  du Bjs-Empïre. Liv. XCIIl. 375 de 1'Evêque de Nicofie , au nom & par le pouvoir du Cardinal de Capoue , alors en Paleftine. Un mois après la prife de Zara, on vit revenir les députés envoyés a Philippe de Suabe. Ils étoient accompagnés de nouveaux Ambafladeurs de ce Prince, qui ayant recu audience du Doge & des Barons, expoferent leur commiftion en ces termes : » Seigneurs Croifés, lepuif» fant Roi des Romains, plein de » confiance en votre valeur & en » votre zele pour la juftice, implore » votre fecours en faveur du légiti» me Empereur de Conftantinople ; » & en vous recommandant fon beau» frere, il croit le mettre fous la » protection de Dieu même. Défen» feurs des droits divins & humains, » vous allez remettre Jefus - Chrift » en poffeffion de fon héritage en» vahi par les Infideles; ce fera un » prélude convenable k une li fainte » expédition, que de rétablir fur le » Tröne un Prince dépouillé par un » perfide ufurpateur. Le fuccès de » cette première conquête, qui eft » infaillible, fera le gage de la fe- ALEXIS III. An. ii02. LI. Envoyés du jeune Alexis.  Alexis III. Ar. 1102 3"6 UlSTOIRB ■ » conde, & un moven für d'y réumV, » Quels avantages n'en retirerez; » vous pas ? Alexis promet fous la » foi des ferments les plus inviola» bles, de remettre 1'Orient fous Po» béiffance de la Sainte Eglife Ro>» maine , dont il a fait autrefois une » fi noble partie. Comme il fait que » les dépenfes de votre armement » ont épuifé vos relTources, il vous » fera préfent de deux cents mille » marcs d'argent, &c nourrira pen» dant un an toute votre armée. II » réparera 1'injuftice de 1'Empereur » Manuel, en faifant eftimer avec une » fcrupuleufe exacfitude, & rendre » aux Vénitiens tout ce qui leur a » été enlevé, tant en argent qu'en » marchandifes. II vous accompagne» ra en perfonne dans la conquête » de 1'Egypte, ou, fi vouslejugez » plus a propos , il vous donnera dix » miile hommes a fa folde pendant » 1'efpace d'un an, & tant qu'il vi» yra, il tiendra en Terre-Sainte » cinq cents Chevaliers entretenus a » fes dépens. Telles font les condi» tions auxquelles il s'engage. Prêtez» lui vos bras généreux dans une en-  du Bjs-Empirê. Liv. XCIIL 377 » treprife plus glorieufe pour vous » que pour lui-même, s'il eft vrai « qu'il y a plus d'honneur a donner » une Couronne qu'a la pofleder ". Les Seigneurs répondirent qu'ils en délibéreroient. Le refte du jour Sc la nuit iuivante fe paflerent en vives conteftations. Les oppofants étoient en grand nombre. L'Abbé de Vaux de Sernai, chef des mécontents qui defiroient la rupture du voyage , crioit fort haut, que c'étoit abandonner la caufe de Dieu pour embrajjer celle d'Alexis; que faire la guerre aux Grecs , c'étoit la faire aux Chrétiens ; que le voeu des Croifés les appelloit en Syrië t & qu'ils nepouvoient fans crime fe détourner ailleurs. Les autres, ayant a leur tête 1'Abbé de Los qui étoit auffi de 1'ordre de Citeaux, perfonnage accrédité par fa fagefte & par la pureté de fes mceurs, foutenoient au contraire que d'aller direclement en Syrië, c'étoit manquer l'objet de leur vceu ; qu'on n'y trouveroit aucun moyen de fubfijler; qu'on ne s'y pourroit maintenir que par le fecours de la Grece, & qu'en rétabliffant Alexis , ce qui ne pourroit les arrêter long-temps , on s'afi Alexis KL An, nos.  Alexis ' III. . An. 1102. 37§ HlSTOIRE furoit d'un fuccès facile & d'une poflej(ion durable. Le Marquis de Montferrat , le Doge, les Comtes de Flandres, de Blois, de Saint-Paul fe rangerent de ce parti , & le lendemain on arrêta les articles, que les Ambaffadeurs confirmerent par ferment au nom de leurs maitres. Mais du cöté des Francois, ils ne furent fignés que de douze Seigneurs , tant les efprits étoient partagés. Qn convint qu'Alexis fe rendroit a 1'armée dans la quinzaine après Paques. On paffa l'hyver a Zara , & la divifion fubfiftant toujours, quantité de Croifés de toute condition fe féparerent, les uns pour retourner en leur pays, les autres pour paffer en Syrië. Cinq cents foldats s'étant jettés dans un vaiffeau marchand , flrent naufrage , & périrent tous. D'autres en grand nombre voulant traverfer 1'Illyrie, furent tués par les montagnards nommés Martelos. C'étoient des brigands féroces, qui n'avoient d'autre habitation que des cavernes ou le creux des arbres. Armés d'une courte hache & d'une maffue, courant avec une légéreté incroyable au travers des rochers ere  du Bas-Empire. Liv. XCIH. 379 ces montagnes, ils maffacroient ou aiTommoient les voyageurs. II ne fe paffoit point de jour que 1'armée ne fit quelque perte. II y eut même des Seigneurs du premier rang, tels que Simon de Montfort, accompagné de 1'Abbé de Vaux de Sernai , &£ de plufieurs Barons , qui pafferent en Hongrie -au fervice du Roi Henri, Croifé lui-même, mais ennemi de< autres Croifés depuis le fiege de Zara, qu'une maladie 1'avoit empêcht de fecourir. Les premiers mouvements de; Chrétiens d'Occident, n'avoient eau fé nulle inquiétude a 1'ufurpateui Alexis. Ils nedevoient pas entrerdan: fes Etats; & ne prenant d'intérêt qu'; fon propre repos, peu lui importoi que les Sarafins, les Turcs, ou le Chrétiens fulTent maitres de la Palel tine. Mais lorfqu'il apprit les démai ches que faifoit fon neveu, il en cor cut quelque allarme ; & regardant 1 Pape comme le chef de la Croifade il lui adreffa une lettre preffante pour 1'engager a s'oppofer au deffei du jeune Alexis. II lui repréfenl que c'étoit au Saint-Siege d ne pas fou Alexïs III. An. IZ02, ; LIL L'ufurpateur AIc' xis s'a. dreffe au Paps. I t e » » n a f  Alexis 01. An. 1202. i i J J J l 1 I 6 1 t t< n 3§o H I s T 0 1 r. e frir que des armes deftinées & comme confacrées d faire la guerre aux lnfideles,fuffent plongêes dans le fein des Chrétiens : que l'attaque de Conftantinople feroit échouer le proiet de reconquérir la Terre-Sainte : que les forces des Croifés épuifées dans cette guerre in'ujle , ne feroient plus en état d'en commencer une autre fi jufte & fi glorieufe : que le jeune Alexis ri avoit aucun droit 1 CEmpire , étant né d'Ifaac avant que :elui-ci y füt parvenu ; qrien ce cas la Couronne devenoit élekive; qrielle lui ivoit été déférée felon les loix par une 'ieclion libre. Le Pape lui répondit , irien ejfet le jeune Alexis s'étoit adreffé '■u pere commun des Fidelespour le tirer le Üopprefjion qu'il foujfroit ainfi que on pere : que le Saint-Siege ri ayant pas ugé d propos de fe décider promptement ur une demande de cette importance, J Prince avoit eu recours aux Croifés, uxquels il promettoit de les fecourir dns leur deffein fur la Terre - Sainte , e rentrer dans le fein de la Sainte 'glife Romaine, & de rendre au Pape honneur & l'obéijfance que lui doivent >us les Chrétiens : que les Croifés avoient pas voulu s'engager fans con-  nu Bjs-Empire. Liv. XCHI. 381 fulter le Pape : que pour lui il ri avoit point encore forme de rêfolution dècifive, CV qu'il attendroit d la prendre , lorfqu'il auroit recu les députés de F Empereur Grec : qu'alors il en délibéreroit avec fes freres les Cardinaux, cv qu'il tdcheroit de le fatisfaire ; que cependant le jeune Alexis réuniffoit bien des fujfrages en fa faveur, d caufe de la rébellion de 1'Eglife Grecque contre le Siege Apoftolique, dont il promettoit de reconnoitre la fupériorité. II ne paroit pas que ce recours de 1'Empereur Alexis au Saint - Siege ait eu aucune fuite. II fentit apparemment qu'il n'avoit rien a en efpérer. Cependant le Pape, dont tous les vceux fe portoient uniquement au recouvrement de Jérufalem , n'étoit rien moins que favorable a 1'entreprife fur Conftantinople. Confulté par les Croifés, il fit fes eftorts pour les en détourner. II leur manda que cette penfée ne pouvoit leur être fuggérée que par Vennemi du nom Chrétien , qui , fous une apparence de jufiice & depiété, femoit entre eux une dangereufe ^i^anie : qu'ayant d'abord envifagé la Palejtine , ils rejfembloient d la femme de Loth , & Alexis III. An. 1202. Lm. Le Pape s'oppofe en vain iu defiein i'attaquer Conftantinople.  Alexis Hl. An. 1202. j < J i t i 38a II I S T 0 r R E regardoient en-arriere : que leur changement avoit déja découragé grand nombre de Croifés & relevé la hardieffe des Sarafins. II les félicitoit d'avoir obéi k fes ordres pour la fatisfaction qu'il avoit exigé d'eux au fujet de Zara; mais il ajoutoit, quils perdroiem par leur nouvelle défobéijfance le fruit de leur repentir : qu'ils ne devoient pas fe flatter d'être en droit d'attaquer les Grecs, paree que ceux-ci ri étoient pas foumis d l Eglife Romain'e, ni de détróner 1'Empereur Alexis , paree qu'il étoit ufurpateur; qu'ils ri étoient pas conjlituês juges ni des uns ni de 1'autre, & quil ne leur appartenoit pas de les punir: qu'il leur ordonnoit en vertu de 1'autorité Avoflolique, d'aller droit au fecours de la Terre - Sainte, fans fe détourner ni d iroite ni d gauche; & qu'il les aver'iffoit de fe fouvenir qu'il leur avoit dêcendu fur peine riexcommunication, de 'ien entreprendre fur les terres des Chré'iens, d moins que la nécejjitê ne les y ■ontraignit, & toujours avec la permifion préalable du Saint-Siege, repréfentê iar le Cardinal Légat. Cette lettre ne :hangea rien a la rêfolution des Croiés; & quoique felon quelques Au-  du Bas-Empire. Liv. XCIII. 383 teurs, ils vinffent a bout d'adoucir la répugnance du Pape , on voit par la fuite de 1'hiftoire, qu'elle ne fut jamais entiérement détruite. C'efl donc injuftement que les Hiftoriens de 1'Empire , élevés dans le fchifme , & par cette raifon ennemis déclaré' de 1'Eglife Romaine , imputent auj follicitations & a la malignité di Pape , tous les maux que les Grec: eurent a fouffrir dans le cours de cettf expédition. Alexis III. An. iïoz, l  SOMMAIRE  SOMMAIRE n v LIVRE QUATRE-VINGT-QUATORZIEME. ï. Dé PART de la flotte. II. Les Croifés d Corfou. III. Voyage des Croifés. IV. Les Croifés devant Conftantinople. V. lis prennent terre d Lhalcedoine. VI. Difpofitions de 1'Empereur Alexis. vil. Défaite d'un corps de Grecs. VIII. Députation de 1'Empereur Alexis aux Princes Croifés. IX. Paffage de la flotte. X. On prend Galata, & on force tentrée du port. XI. Commencement du fiege dé Conftantinople. XII. Atttaque du cóté de la terre. XIII. Attaque du cóté de la mer. XIV. Prife d'une partie de la ville. XV. L'Empereur fort de Conftantinople. XVI. Ifaac remis fur le Tróne. XVII. La nouvelle en eft portee au jeune Alexis. XVIII. Ifaac confirme le traité de fon fils. XIX. Le jeune Alexis rentre dans ConfTome XX. R  3§6 SOMMAIRE tantihople. xx. Les Croifés vont camper au-dela du golfe. XXI. Nouvelle convention entre les Empereurs & les Croifés. XXII. Expédition du jeune Alexis. xxill. Incendie a Conftantinople. XXIV. Conduite infenfée des deux Empereurs. xxv. Progres de Mur{uphle. xxvi. Les Croifés déclarent la guerre. XXVII. Les Grecs veulent bruler la flotte des Croifés. XXVIII. Fauffe réconciliation du jeune Alexis. XXIX. Canabe élu Empereur. xxx. Mort d'Ifaac. XXXI. Mort du jeune Alexis. XXXII. Rufe de Mur^uphle pour fe défaire des Latins. XXXIII. Préparatifs de Murluphle. XXXIV. Murqiphle battu par terre. XXXV. Entrevue inutile de Dandolo & de Mur^upkle. XXXVI. Délibération des Croifés. XXXVII. Convention des affiégeants entre eux. XXXVIII. Première attaque de Conftantinople. XXXIX. Délibération des affiégeants. XL. Second affaut. XLI. Prife de la ville. XLII. Fuite de Mur[uphle. XLIII. Lafcaris élu Empereur. XLIV. Pillage de la ville. XLV. Fuite de Nicétas. XLVI. Diftnbution du butin. XLVII. Elecleurs choifis pour nommer un Empereur, XLvni. Eleclion (Cun Empereur,  du L i v. XCIV*. 387 XLIX. Baudouin élu. L. Couronnement de Baudouin. LI. Caraclere de Baudouin. LH. Partage des terres & des dignités de 1'Empire. LIU. Lettres de Baudouin aux Princes Chrétiens. LIV. Election d'un Patriarche. R ij   389 HISTOIRE D U B AS-EMPIRE. livre quatre - vingt-quatorzieme. ALEXIS III. ISAAC II,pour la tf.fois. ALEXIS IV. NICOLAS CANABE. ALEXIS V, Ducas dit Murzuphle. THÉODORE LASCARIS. ' BAUDOUIN , Comte de Flandres. Tout étoit prêt pour le voyage, & la flotte chargée de vivres n'attendoit que le fignal du départ. Après qu'on eut célébré la fête R lij Alexïs III. An. iioj. I. Départ de  AlEXIS 1IL An. 1103. Ja flotte. Nicet. c. 8, *>,io. ' Villehard. dep u is le c, 5 5 jufqu'au 94- Sanut. I, 3. part. il. 0. I. Gefia Innocent. Gunther. hifi. Confi Herold. 1. 2. c. 10. Nangischr. Urfperg. chr. Atheric. chron, Lubec. chr, Chron. Sti. Anton. Rhamnus. 1. 2. Odorlc, Payn. Doutrem, Confi. Belg. 1. 2. c. 10 , & feqq. Du Cange hifi. de Confi, 39© II I S T 0 I R S de Paques avec ces mouvements de dévotion , qu'excite le befoin du fecours du Ciel au commencement d'une périlleufe entreprife, le lendemain 7 Avril la flotte fortit du port, & pafla la nuit a la rade, pendant que les Vénitiens, malgré les défenfes du Pape, achevoient de détruire les remparts & les tours de Zara. Le rendez-vous. fut marqué a l'ifle de Corfou, & Pon convint que les premiers arrivés y attendroient les autres. Dès que le jour parut, les Comtes de Flandres, de Blois, & de Saint-Paul, leverent 1'ancre avec leurs divifions. Le Doge ck le Marquis de Montferrat devoient les fuivre : mais 1'arrivée du jeune Alexis, qui vint alors les joindre avec un nombreux cortege de Seigneurs Allemands, envoyés par fon beau-frere Philippe, les arrêta deux ou trois jours. Le Prince fut recu au fon des trompettes &des timballes, mêlé auxacclamations des foldats. II falua profondement le Doge & le Marquis de Montferrat; & embraffant leurs genoux, les yeux baignés de larmes, il les remercia de la compaflion qui  du Bas-Empire. L'tv. XCIF. 391 les intéreflbit a fes malheurs & a ceux de fon pere; il les fupplia de conferver ces généreux fentiments ; il renouvella les promeffes qu'on avoit fakes en fon nom, & ajouta toutes celles qu'il put imaginer, avec cette ardeur qui dure pour 1'ordinaire autant que 1'infortune. Dès qu'il fut embarqué avec fa fuite & fes équipages, on fit voile,&Pon aborda au port de Duras. C'étoit la première ville de 1'Empire fur cette fronttere. A la vue d'Alexis, le Commandant vint lui préfenter les clefs, & les habitants s'emprefferent de lui donner des témoignages de leur fidélité , dont ils proteftoient que leur cceur ne s'étoit jamais écarté. Une fi prompte foumifllon étoit pourl'avenir unheureux préfage. On ne tarda pas a fe rendre a Corfou. Les Comtes partis les premiers, déja campés devant la ville , apprenant 1'arrivée d'Alexis, accoururent au rivage, & le recurent a la defcente du vaifleau avec les témoignages de la joie Ia plus vive. On le^conduifit au camp comme en triomphe ; on lui dreffa une tente magnifique a cöté R iv Alexis ni. An. 1203. Maimbourg.Croif. I, 7, 8. TL Les Croifés a Corfou.  117. •An. izoj. HlSTOIRE de celle du Marquis de Montferrat, qui prenoit en fa garde le jeune Printe. Alexis lui étoit recommandé par Ie Roi des Romains , &z lui tenoit encore par une alliance perfonnelle , Conrad de Montferrat, frere du Marquis, ayant époufé Théodora, tante paternelle d'Alexis. Les habitants de Corfou, effrayés d'un armement li formidable , avoiertt abandonné la ville pour fe retirer dans la citadelle. Sur la menace qui leur fut faite de les traiter a la rigueur, & de réduire leur ville en cendres , ils fe rendirent & remirent la citadelle & l'ifle entiere entre les mains du Prince. L'ifle étoit riche & fertile ; on paffa quelques jours a y recueillir de nouvelles provifions. Mais ua contretemps y retint les Croifés plus longtemps qu'ils n'auroient deiiré. La faction dont j'ai parlé, toujours obftinée a rompre 1'entreprife fur Conftantinople, avoit pendant ce fejour débauché une partie de 1'armée. Plufieurs même des principaux Seigneurs s'étoient laifies gagner , tels qu'Eudes de Champlite , Jacques d'Avefnes , Pierre d'Amiens, Guy de Coucy,  du Bas-Empire. Liv. XCir. 593 Richard &c Eudes de Dampierre. D'autres Barons des plus braves & des mieux accompagnés, qui n'oibient encore fe déclarer, devoient fe joindre a. eux, & fe féparer du refte des Croifés. C'étoit la moitié de 1'armée, & c'en étoit fait de 1'expédition , fi ce deffein s'exécutoit. Les Princes qui en fentoient toute la conféquence, étoient dans les plus vives inquiétudes. Les faöieux s'étoient rendus dans un vallon, pour conférer enfemble, & prendre les dernieres mefures. Ils délibéroient k cheval, & étoient déja convenus de s'adreffer k Gautier, Comte de Brienne , qui étoit alors a Brindes après s'êire emparé de la plus grande partie de la Pouille &c de la Calabre. Ils devoient lui demander des vaiffeaux pour 1'aller joindre, & paffer avec lui en Paleftine, dès qu'il auroit achevé la conquête de 1'Italie &c de la Sicile. Les Princes apprenant qu'ils étoient affemblés, prirent un parti qui fembloit être peu convenable a leur dignité, mais néceffaire dans la con•joncvlure : c'étoit, au-lieu d'employer 1'autorité, qui, dans des ames fieres R v Alexis III. An. 1103.  AlEXIS nr. An, 12.03. 394 fflSTOIRE & opiniatres, auroit trouvé une dangereufe réfiftance, d'avoir recours aux plus humbles ïupplications. Le Marquis de Montferrat, les Comtes, les Barons, les Evêques, les Abbés avec le jeune Alexis , vêtus d'habits de deuil, faifant porter la Croix devant eux, fe rendent en diligence au lieu de la conférence. Dès qu'ils font a portée d'être appercus , ils defcendent de cheval. Les féditieux voyant venir ainfi les plus grands Seigneurs , mettent eux-mêmes pied a terre. On s'approche de part & d'autre. Les Princes & tous ceux quL lesaccompagnent, tombent aux pieds des faftieux, & fondant en larmes ils les conjurent de ne pas trahir la caufe de Dieu ; de ne pas fe couvrir euxmêmes d'un opprobre kernei : qu'en fe féparant de la première Noblejfe d'Occident, ils renoncoient a ld conquête dc la Palejline : que tunique voie pour rèuf(ïr dans ce glorieux projet, étoit de réunir enjemble leurs bras invincibles: que Hls étoient objlinés d abandonner leurs creres, ils leur plongeajfent aüparavant 1'épée dans lefein. Pour nous , ajoutoient-ils, neus fommes réfolus de de-  nv Bas-Empire. Liv. XCIF. 395 meurer projlernés d vospieds, & de mourir d vos yeux , ji nous ne pouvons obtenir que vous foye^ fideles aux ferments facrés qui nous ont unis. Ces paroles jointes a Pétat humilié oü les mécontents voyoient leurs maitres , leurs parents, leurs amis, les toucherent fenfiblement. Ils les releverent en verfant eux-mêmes des larmes, & leur demanderent la permiffion de délibérer enfemble. Après s'être écartés quelques moments , ils revinrent Sc promirent de demeurer avec eux jufqu'a la Saint-Michel, a condition que les Barons leur donneroient parole fur les Saints Evangiles, de leur fournir enfuite dans 1'efpace de quinze jours des vaiffeaux pour paffer en Syrië. On s'engagea mutuellement par ferment. Tous revinrent au camp, oü la joie rentra avec la concorde. On prépara 1'embarquement, Sc le 24 Mai, veille de la Penteeöte, la flotte quitta le rivage de Corfou , fuivie d'un grand nombre de marchands de l'ifle, oü elle avoit féjourné plus de trois femaines. L'air étoit ferein, le vent favorable, Sc le foleil dardoit fes rayons R vj Alexis III. 1203. m. Voyage des Croifés.  Al-EXIS III. 30 H I S T O I R E ■ fur les cafques, fur lescuiraffes, fur les armes des Chevaliers : leurs écus rangés cöte a cöte le long du bord desnavires, préfentoient Papparence de crenaux de murailles. C'étoit une cité flottante que prés de cinq cents batiments de toute grandeur , voguant a 1'aide d'un vent frais fur une furface unie & tranquille. Tant de mats , de voiles r de flammes, de banderolles de diverfes. couleurs , tant de riches bannieres brodées en or & en argent, formoient un fpecTacle enchanteur. Les échos des rivages répétant le fon des clairons & des trompettes, fembloient faluer en paffant ces vaiffeaux qui portoient la plus haute valeur de 1'Europe. Après avoir rangé les ifles de Céphalonie & de Zante, on doubla le cap de Matapan , connu autrefois fous le nom de Tenare y le plus avancé du Péloponefe vers le midi. Le beau temps n'empêcha pas que le eceur ne battit a quelques-uns de nos héros aux approches du cap de Malée, qu'une ancienne renommée rendoit redoutable aux navigateurs. Ils rencontrerent dans. ce parage deux vaiffeaiu, dont  du B.is-Empire. Liv, XCIF. 397 Péquipage fe cacha & difparut dès qu'il eut appercu la flotte. Baudouin les prit pour des pirates, ck envoya fa chaloupe poür demander qui ils étoient, oü ils alloient. Ils répondirent qu'ils étoient des Chrétiens qui revenoient de Paleftine; & la chaloupe étant venue a bord , un des foldats de ces vaifleaux s'y laifla coulei le long d'un cable, & difant adieu ï fes camarades: Je vous laijfe, leur ditil, tout ce qui ni appartient dans Péquipage ; je vais conquérir des Royaumes. On apprit de lui que ces deui batiments étoient de la flotte Flamande de Jean de Nefle, qui avoi paffé de Marfeille en Syrië contn les ordres de Baudouin. Cette parti< de 1'armée des Croifés n'avoit éprou vé que des malheurs : les uns étoien morts de la pefte ; les autres avoien été pris par les Turcs; quelques-un échappés de tous ces défaftres retoui noient dans leur patrie. Après avoi doublé le cap de Malée , on all mouiller a l'ifle de Négrepont, l'an cienne Eubée : les habitants, pour év: ter le pillage , vinrent faire leur fou mifïion au jeune Alexis. On s'y re Alexis III. An. iïO}. I t { e 1  Alexis m. An. L203. 39o* HlSTOIRE pofaquelques jours, pendant Iefquels le Marquis de Montferrat avec Baudouin & Alexis, alla s'emparer de 1'ifle dAndros au Sud-Eft de Négrepont, dont elle n'eft éloignée que de trois lieues. Ils n'eurent que la peine de débarquer. Dès que leur cavalerie fut a terre, les habitants vinrent demander la paix , & Pacheterent d'une fomme d'argent. Ils n'étoient pas encore revenus d'Andros, lorfque le relte de la flotte leva 1'ancre & fit voile vers 1'Hellefpont. Dans ce trajet, Guy de Coucy mourut de maladie, & fut jetté a la mer au grand regret de fes compagnons, a qui ce genre de fépulture , nouveaux pour eux, parut fort déplorable. II étoit neveu de Mathieu de Montmoreney, & un des plus braves de 1'armée. On entra dans le détroit de 1'Hellefpont, qu'on nommoit alors le bras de SaintGeorge, & ce nom s'étendoit aufli k la Propontide, quelquefois même au Bofphore jufqu'au Pont - Euxin. La flotte jetta 1'ancre au port d'Abyde, ou le Marquis de Montferrat , le Comte Baudouin & Alexis, qui étoient demeurés derrière , vinrent  du Bas-EmpIre. Liv. XCIF. 399 la rejoindre. Les Abvdeniens - ouoi- que la ville fut grande & peuplée, fe rendirent d'abord; ce qui les fauva du pillage. C'étoit le temps de la moiffon, 6c ce territoire produifoit du bied en abondance. Les Croifés pafTerent huit jours a en ramafler ; & ayant enfuite traverféla Propontide, ils aborderent au port de Saint-Etienne, a trois lieues a 1'Oueft de Conftantinople. Les Barons étant defcendus a terre, tinrent confeil dans PAbbaye de St. , Etienne. La plupart étoient d'avis de 1 débarquer vis-a-vis de la pointe de 1 la ville qui donne fur la Propontide, 011 eft aujourd'hui Ie chateau des Sept tours. C'étoit une plaine fertile, qui leur fourniroit pendant le fiege abondance de vivres & de fourrage. Le Doge qui connoiiToit mieux le pays, leur confeilla de ne point s'établir en eet endroit: La flotte expofée aux vents qui dominent fur la Propontide > nepouvant trouver un ancrage ajes'für, n& feroit pas en état de feconder les attaques des troupes de terre : cTailleurs, les fourrages nepourroient fe recueillir fans danger, toute czm comrée .étant habitee ALExrs III. ka. 1203. IV. Les Croi'és devant -onftantilople.  Aiexis III. An, 1103 400 HlSTOIRB d'un peuple innombrable, qui tomberok a tout infant fur les fourrageurs : que dans leur petit nombre ils ri'avoient pas de foldats a perdre: que pour réuffir dans une entreprife fdifftcile, il falloit mênager le fang de leurs troupes , & même réunir dans chaque combattant, s'il étoit pofpble, la force & le courage de vingt foldats Grecs : quil étoit plus prudent de s'emparer d'abord des ifles de la Propontide abondantes en fourrages & en vivres ; qu'ils en feroient leurs magafins ; qu'ils y prendroient d loifir des mefures pour diriger leurs attaques, & pour préparer d leurs troupes une retraite ajfurêe. On spprouva fon avis. Le lendemain jour de Saint Jean-Baptifle, on leva 1'ancre, & le cap a 1'Órient on paffa Ie long des murs de Conftantinople , faifant route vers les ifles femées aux environs de 1'entrée du Bofphore dans la Propontide. Trois vaifleaux ponfles par le vent approcherent fi prés des murs, qu'ils fe trouverent a la portee des pierriers & du feu grégeois, & en recurent quelque dommage. La flotte & la ville fe donnoient réciproquement un fpeftacle auffi effrayant que ma-  du Bas-Empire. Liv. XCIF. 401 gnifique. D'une part, tant de vaiffeaux fuperbement appareillés , dont le tillac étoit hériffé d'armes étincelantes Sc couvert de guerriers de haute taille Sc d'une fiere contenance, fembloient apporter 1'Europe entiere conjurée contre 1'Empire : de 1'autre, un peuple immenfe , en fi grande foule , qu'il fembloit que la ville entiere fe fut tranfportée fur fes murailles; tant de tours, tant d'édifices entre lefquels s'élevoient un nombre infini de palais, d'Eglifes , de Monafleres, que quelques Hifioriens font monter a cinq cents, donnoient 1'idée de la capitale de 1'Univers, & annoncoient' aux Croifés la grandeur Sc la difficulté de leur entreprife. Pouffés par un vent frais, ils changerent d'avis; 8c au-lieu de prendre terre aux ifles, ils gagnerent la cöte d'Afie, & entrerent dans le port de Chalcédoine, fituée a 1'embouchure du Bofphore, qui la fépare de Conftantinople par un canal d'environ deux lieues de largeur. Cette ville, autrefois célebre 6c rivale de Byzance , mais fouvent rulnée, avoit déja beaucoup perdu de fon ancienne fplen- Alexis m An. 1203. V. Ils prennent terre a Chalcédoine.j  Al.EXIS ar. An, 1103. VI. Difpofitions de L'Empereur. 4°* HlSTOIRE deur. Cependant les Empereurs y avoient encore un fuperbe palais, oh le trouvoient réunis tous les agréments de 1'art & de la nature. Les premiers Seigneurs s'y logerent. Le refte de i'armée campa dans la ville ck aux environs. La moiflbn étoit faire, & lesmeulesde bied couvroient la campagne. On en enleva tant qu'on voulut ce jour & le lendemain. Le a6 Juin 1'infanterie fe remit en mer & remonta leBofphore jufqu'a Chryfopolis, qui commencoit dès-lors a fe nommer Scutari. La cavalerie alla par terre fe poffer fur le rivage audefTus de la flotte. II fallut que 1'Empereur vit le danger fur fa tête pour fe mettre en mouvement. Car 1'activité pour les plaifirs fe glacé & devient pareffe pour les chofes utiles. Jufqu'alors ce Prince n'avoit fongé a aucun moyen de défenfe. Peu de vaiffeaux, encore étoient-ils dépourvus d'agrêts & de mature. Les Eunuques gardiens de fes pares & de fes forêts, ne permettoient pas d'y couper un arbre : la confervation d'une lieue de chaffe paroiffoit a ces ames frivoles tk viles un inté-  du Bas-Empire. Liv. XCIV. 403 iet plus précieux que celui de toute la marine de 1'Empire. Le grand Amiral , Michel Stryphnus, qui avoit époufe la foeur de PImpératrice, profitoit de cette haute alliancepour s'enrichir aux dépens de PEtat par les voies les.plus balTes. Infatiable pillard, il avoit changé en or les ancres, les voiles, les cordages &jufqu'aux eloux des navires. L'Empereur, loin de punir ces brigands, qui n'approchoient de lui qu'afin de le dépouiller, leur ouvroit fon fein , & n'avoit de faveurs que pour eux : tout^occupé de fes plaifirs, lorfqu'il ne s'y livroit pas dans fon palais, il ne connoilToit d'autre travail que de fe pratiquer d'agréables promenades & des vues charmantes, de niveller des terreins, d'applanir des collines, de combler des vallons, de tranfplanter des forêts pour environner de nantes avenues fes maifons de plaifance. II tiroit vanité de ces ouvrages , autant qu'un conquérant des grands travaux d'un liege important. Pour fournir a ces dépenfes fans rien retrancher de fon luxe ni de fes prodigalités infenfées, il écrafoit d'im- Alexis III. An. 1203  Alexis III. An. hoi VII. Défaite d'un corps de Grecs. 4^4 IflSTOIRE ï pots fes fujets. La première nouvelle qu'il avoit recue du defTein des Croi- _ fes , lui avoit donné quelque inquiétude : ce fut alors qu'il écrivit au Pape. La perte de Duras & de l'ifle de Corfou avoit renouvellé fes allarmes , mais fans le réveiller tout-afait. Son. cortegede volupté & la politique de fon ïerrail 1'avoient raflure. II tournoit en rifée 1'audace des Latins ; leurs progrès faifoient 1'amufement de fes foupers , & un fujet de bons mots pour fes courtifans. Mais lorfqu'il vit leur flotte rangée devant le port de Scutari, les proues tournees vers Conftantinople, il fortit enfin de lethargie. 11 ordonna de radouber en diligence environ vingt galeres pourries &c criblées de vers, d'abattre les maifons qui touchoient par dehors aux murs de la ville. II fit fortir ce qu'il avoit de troupes en état de combattre, & vint avec elles camper au bord du Bofphore au-deffus du golfe de Céras, a. defTein d'empêcher la defeente. Pendant le féjour de Parmée a Scutari, quatre-vingts Chevaliers fous la conduite d'Eudes de Champlite?  du Bas-Empire. Liv. XCIF. 405 Seigneur Chamnennic: Hpc r>l.,c u„ ' „„ de 1 armee, fortirent Pn pour aller a la découverte & prévemr les furprifes. Ils étoient fuivis de loldats qui, fous leur efcorte, recueilloient les fourrages, & pilloient la contree. Ils découvrirent un corps de troupes Grecques campées au pied d un cöteau a trois lieues de Scutari. le 8rand Amiral qui avoit paffe le Bofphore k la tête de cinq cents cavaliers pour arrêter les courles des Croifés. A cette vue la valeur Francoife s'allume; ils bnïlent d envie de faire le premier effai de leur courage contre le nouvel ennemi. Ils fe partagent en quatre efcadrons & volent a la charge. Les Grecs fe rangent en bataille devant leurs pavillons & les attendent. Mais il ne tinrent pas long-temps ; effrayés de la feule approche de ces hommes de rer qu'jls appelloient les diables o Uccident, ils tournent le dos. Michel eft le premier k fuir; on les pourluit une lieue, & on enleve leurs rentes & leurs équipages. Le lendemain pendant que les Seigneurs tenoient confeil dans Je palais III. An, 1203; vin. Députade  Alexis III. An. 1203. 1'Empeleur aux Croifés. 406 HlSTOIRE de Scutari, il leur arriva un député" de rEmpereur. C'étoit Nicolas Roffi, natif de Panne, qui s'étoit depuis long-temps attaché au fervice des Empereurs Grecs. Après avoir préfenté fes lettres déeréance, il expofa ainfi fa commiflion : » Seigneurs Croifés , » je fuis chargé par 1'Empereur mon » maitre de vous dire, qu'il fait bien » que vous êtes les plus grands & » les plus puiflants Princes d'entre » ceux qui ne portent point couron» ne , mais qu'il ignore quelle raifon » a pu déterminer des Chrétiens a » porter la guerre dans les Etats d'un » Empereur Chrétien. La renommee » publie que votre defTein eft- de » retirer la Terre-Sainte & le Saint » Sépulcre des mains des Infideles. » II loue votre zele, & fe fera lui>> même honneur de s'affocier a cette » pieufe entreprife : fi vous avez be» foin de vivres &C d'autres moyens » pour 1'exécuter, il eft prêt a vous » aider de tout fon pouvoir. Sortez » feulement de fes terres : ce feroit » a regret que pour vous y contrain» dre, il armeroit contre vous des » forces qu'il eft très-difpofé a en «  du Bas-Empire. Lh. XCIF 4o~ » ployer pour vous. Ne penfez pas » que ce foit la crainte qui fcj £et » dans a b,°uche ce langage pacTfr* ^ "POjfferfc faire périr une armée, fut-elle vingt fois plus forte que »> la votre». Conon de Béthune^le plus eloquent de ces guerriers fut termes :>> Votre maïtre s'étonne que >> nous foyons entrés dans fes Etats ? main armee, & il ne peut, di- : PerS;VOUS > ^ deviner fa rakon. >> Premierement, il fe trom ces Etats ne font pas les fiens;Veft lEmpire de fon frere Ifaac, qu'il » ters.celtlepatnmoine de ce jeune >> Prince que vous voyez afïis au «quil ne devme pas , ce n'eft pas » -.nous qu'ildoit la demanderfil latrouveradansfaconfcience.Un ufurpareureft rennemi detons t„ " a; "? -71'311 Cniel & ^nature eft celui du genre humain • > &quand Théodora fceur d'Ifaac ' ne fermtpasla belle-fceur du Mar' ^ de Montferrat notre chef, AtEXIS III. Vn, 1203.'  Alexis UI. An. 1203. 408 IIlSTOIRE » quand Irene , fille d'Ifaac, ne feroit » pas la femme de 1'Empereur Phi» lippe unde nos maïtres, les droits » de la juftice & de 1'humanité vio» lés par votre Alexis autoriferoient » nos armes. II n'a qu'une refTource » pour échapper k la vengeance ; c'eft >> de venir lui-même fe mettre a la » merci de fonneveu, &deluiren» dre la couronne. Nous nous join» drons k votre maitre pour obtenir » fa grace, & nous nous rendrons » garants de la parole que lui don» nera le jeune Prince de lui fournir » de quoi vivre avec honneur & dans » un repos préférable a une fouve» raineté ufurpée. S'il n'accepte pas » ces conditions , ne foyez pas affez »> hardi pour revenir nous en propo» fer d'autres ". L'envoyé partit avec cette fiere réponfe, & il ne fut plus queftion d'accommodement. II y avoit grand nombre de Latins établis k Conftantinople; Alexis craignant qu'ils ne s'entendifTent avec leurs compatriotes, leur ordonna de fortir avec leurs families. Ils offrirent en vain de jurer fidélité k 1'Empereur ; ils furent obligés d'abandonner  nu Bas-Empire. Liv. XCÏF. 409 la ville , & s'allerent ietter entre les bras des Croifés. Ils furent bien dans la fuite fe venger de ce banniffement. Le jour fuivant les Seigneurs monterent a cheval, 6c délibérerent en pleine campagne fur la divifion des différents corps de troupes, 8c fur les chefs qui devoient les commander. Ils furent d'avis de partager toute 1'armée en fix batailles : Baudouin, Comte de Flandres , fut chargé de conduire 1'avant - garde ; c'étoit de tous les Seigneurs celui qui avoit a fa fuite un plus grand nombre de braves Chevaliers , de tireurs d'arc 8c d'arbalêtriers. Le Marquis de Montferrat , Général de toute 1'armée, devoit faire Parriere - garde avec les Lombards , les Tofcans , les Allemands , 8c toutes les troupes raiTemblées dans le pays qui s'étend du mont Cénis au bord du Rhöne. Les quatre autres batailles furent commandéespar Henri, frere de Baudouin, Louis, Comte de Blois & de Chartres, Hugues, Comte de Saint - Paul, 8c Mathieu de Montmorency. On convint du jour auquel on pafferoit Ie Tome XX. S Alexis III. An. 1203. IX. 1'aflage de la flotte.  Alexis III. An. 1203, i < < 410 HlSTOIRR Bofphore pour prendre terre devant Conftantinople. Les Chefs, les Officiers, les foldats, réfolus de vaincre oudemourir, envifageant, quoique fans effroi, les dangers d'une fi rude entreprife , s'occuperent dans i'intervalle a faire leurs teftaments, & a fe préparer a tout événement par des acfes de Religion. Le jour marqué étant venu, (c'étoit le dixieme depuis leurarrivéea Scutari) les Chevaliers s'embarquerent dans les palandres, armés de pied en cap, & prêts a combattre, avec leurs chevaux fellés & couverts de teurs grandes houfles qui leur battoient jufqu'aux pieds, felon 1'ufage de ces temps-la. Le refte des troupes monta les gros navires , dont chacun étoit remorqué par une galere. Alexis les attendoit k 1'autre bord avec fón gendre Lafcaris & foixantedix mille hommes en bon ordre. On leve les ancres au fon des trompettes; k fans obferver aucun rang , chacun i'efforceal'envi de gagnerlesdevants. \ 1'approche du rivage , les Chevaiers impatients fe jettent dans 1'eau pii leur montoit a la ceinture, le afque eh tête, la lance au poing. Les  bv Bas-Empirz. Lh. XCIF. 411 gens de pied fuivent leur exemple; ■c'eft a qui atteindra le premier Pennend. II faifoit d'abord bonne contenance; mais dès qu'on en vient aux •mains, il tourne le dos & abandonne & le rivage &c fon camp. On tire les chevaux hors des navires , & 1'armée fe range felon Pordre qui avoit été arrêté. On s'empare du camp des Grecs , & la tente d'Alexis encore toute meublée fournit un riche butin. On voulut efTayer fi la vue du jeune Alexis n'exciteroit pas quelque mouvement. Les murs de Galata étoient bordes d'une foule de peuple; le Doge & le Marquis tenant le Prince entre eux deux, s'approchent k la portée de la voix, & font crier par un hérault^ Voici l'héritier du Tróne; reconnoiffè^ votre légitime Souverain; ayei pitiê de lui & de vous - mêmes } délivre^-vous dun cruel efclavage. Mais la crainte du tyran avoit glacé tous les cceurs; le peuple regardoit Alexis avec un filence ftupide, & Pon n'efpéra plus rien que de la force des armes. Au-dela du golfe de Céras, qui faifoit le port de Conftantinople , £ Alexis in. An. 1203 X. n prend aiata, &  Alexis UL An. 1203. on force 1'entrée du port. 412 HlSTOIRS s'élevoit en amphithéatre fur une colline, le fauxbourg de Péra ou Galata; c'étoit le treizieme des quatorze quartiers qui partageoient cette grande ville. Le peuple, prefque auffi ignorant qu'on 1'étoit alors en Occident, croyoit que 1'Epitre de Saint Paul ad Galatas avoit été adrefTée aux habitants de ce fauxbourg. II étoit défendu par une tour très-forte, a laquelle étoit attachée une groffe chaïne de fer de la longueur de quatre traits d'arc, & de la grolTeur du bras, qui, foutenue fur des pieux enfoncés dans la mer, fermoit 1'entrée du port, & s'accrochoit par 1'autre exirêmité a la citadelle fituée a la pointe de la ville fur le bord du Bofphore. Pour préparer 1'attaque par mer & par terre , il falloit fe faifir de la tour de Galata, & faire entrer les vaiffeaux dans le golfe. C'étoient deux opérations également difficiles, & Pon délibéra d'abord par laquelle on commenceroit. On fut d'avis de les entreprendre toutes deux en même-temps. Les Francois avec les autres troupes de terre fe chargerent d'attaquer la tour; le Doge & la flotte  du Bas-Empirè. Lh. XC/r. 413 Vénitienne , de forcer 1'entrée du golfe. On paffa la nuit devant la tour, dans un quartier habité par les Juifs, Sc Pon fit bonne garde pour fe garantir des furprifes. Le lendemain on fe difpofoit a Pattaque , lorfque la garnifon, groffie d'une foule de citoyens, qui, pendant la nuit, avoient traverfé le golfe, fit une fortie, Sc courut droit au camp. Jacques d'Avefne, fuivi de fa troupe, fut le premier aux mains , & ayant recu un coup de lance dans le vifage, il' alloit périr, fans la bravoure de Nicolas Laulain, un de fes Chevaliers, qui fe jetta dans la mêlée, Sc le tira du milieu des Grecs. L'allarme s'étant répandue dans le camp, on accourt de toutes parts ; on repouffe, on renverfe, on mafTacre les ennemis; les uns fe jettent en foule dans leurs barques , Sc la plupart font noyés dans le trajet; les autres fe fauvent vers la tour, Sc font pourfuivis de fi prés , que les vainqueurs y entrent pêle-mêle avec eux. Tous furent tués ou pris, Sc les Latins demeurerent maïtres de la tour. Pendant le même temps, la flotte VéniS iij Alexis III. An, 1203  Alexis ÏII. AX >2Q2> XI. Commencementdufiege de, ConftanJinopie. Histoirs tienne forcoit 1'entrée du port. La chaïne, outre fa grofleur, qui la rendoit très-difficile a rompre , étoit défendue par vingt galeres chargées de foldats & de machines v d'oü partoient quantité de pierres & de javelots. Malgré ces décharges meurtrieres y 1'ardeur des alfaillants étoit fi grande, que plufieurs fautant furia, chaïne, s'y tenoient comme a cheval, pour combattr.e de plus prés quelques-uns même fe jettoient de-la dans les vaifleaux Grecs, & s'en ren-doient maïtres en tuant & précipitant dans la mer tout 1'équipage. Enfin , un gros navire Vénitienpouffé.: par un vent violent, donnant avec. force contre la chaïne, vint a boutde la eouper avec de prodigieux ciféaux d'acier , qui s'ouvroient & fe fermoient au moyen d'une machine.. Toute la flotte entra dans le port.. Le Doge & fes Gapitaines étant defcendus a terre , on tint confeil fur la maniere dont on attaqueroit la ville. Les Vénitiens vouloient qu?on portat tous les efforts du cöté de la tner; les Francois au contraire foutenoient qu'il étoit plus fur 6c,, plus.  na Bas-Empire. Liv. XCIF. 415 facile d'attaquer par terre; ils difoient que pour eux n'étant pas exercés aux combats de mer, ils*étoient bien plus agiles & plus allures fur leurs chevaux que fur des planches flottantes, dont le mouvement tromperoit leurs efforts. Les deux nations ne voulant rien céder de leur avantage , on convint que les Vénitiens déployeroient du cöté de la mer tout ce qu'ils avoient d'habileté & de force , & les Francois du cöté de la terre. On palTa quatre jours a préparer les machines, &t le cinquieme toute 1'armée de terre marcha vers 1'Occident pour tourner le golfe, & gagner la porte de Blaquernes. La flotte 1'accompagnoit le long du rivage, & les deux armées arriverent enfemble a Pembouchure du fleuve Barbyfés qui fe décharge a la pointe du golfe. Les vaifleaux y jetterent 1'ancre; les troupes de terre s'y arrêterent. Les Grecs ayant rompu le pont de pierre qui ouvroit 1'entrée dans la plaine de Conftantinople, fe tenoient en armes fur 1'autre bord pour en défendre Paccès. On drefla les machines, on les écarta a coups; S iv m Alexis 01. An. iioj.  Alexis JU. An, 1203 4I<5 H I S T O I R E de traite & de pierres; & par un travail opiniatre d'un jour & d'une nuit, on rétablit le paffage. II eut été facile aux Grecs de le rendre impraticable ; il n'y pouvoit défller que trois cavaliers de front, Sc la population immenfe de la ville pouvoit aifément fournir vingt combattants contre un. Mais au premier pas qu'ils yirent faire aux Francois fur le pont, ils prirent la fuite, & fe fauverent derrière leurs murailles. L'armée campa entre la porte de Blaquernes Sc le Monaffere de Saint Cöme Sc de Saint Damien, que les Francois appelloient la tour de Boëmond, paree que du temps de la première Croifade, ce Prince y avoit logé plufieurs jours. Avant que d'en venir aux attaques, on voulut encore tenter les voies d'accommodement; quelques Barons s'approcherent a la portée de la voix, &C crierent a ceux qui paroifToient fur la muraille : Qu'il étoit encore temps d'écouter la raifon , Attaque du cöté de !*. terre. 44 S, Histoire loit fix ou fept fois chaque jour ie ranger en bataille,. & Pon ne pouvoit quitter les. armes ni pour prendre les repas,. ni pour fe délafler par le fommeil. La campagne étoit couverte d ennemis, qui voltigeoient de toutes. parts. On n'ofoit s'éïoigner de quatre traits d'arc , pour aller, au fourrage & chercher des vivres. II ce reftoit de farines que pour troisfemaines ;. excepté quelque peu de viandë falée, on n'avoit de chair que. celle des chevaux tués dans les forties.. Le camp n'avoit d'abord d'autredéfenfe que les armes & la valeur.. Les friquentes attaques obligerentde. 1'environner de barrières & de pa» lifiades; ce qui. n'empêchoit pas les Grecs de venir infulter les affiégeants.. Mais ils étoient toujours repouffés avec grande perte. L'ardeur des Latins les emportoit fi loiny qu'ils ne revenoient jamais fans laifier quelques-uns de leurs plus braves Officiers ou foldats,, écrafés des pierresqu'on faifoit tomber fur eux du haut des murs. Enfin, après dix jours deeombats prefque continuels , le 17,  ï>v Bjs-Empire. Liv. XCIV. 419 de Juillet, les Francois & les Vénitiens donnerent chacun de leur cöté un afiaut généraL Des fix divifions de 1'armée Francoife ,. deux furent chargées de la défenfe du camp ; c'étoient celles que commandoient le Marquis de Montferrat & Mathieu de Montmorency : les quatre autresallerent k 1'afïaut. Après avoir comblé le foffé on fit avancer les béliers, & deux cents cinquante autres de ces machines deftructives alors en ufage , onagres, tours roulantes, tortues pour couvrir les fapeurs. Une tour abattue ouvrit une brêche. Baudouin animoit fes foldats; on donna 1'afTaut a un avant-mur,. qui fut li vaillamment défendu par les Pifans auxiliaires,. & par les Varangues, le plus redoutable corps des troupes Impériales , que -les échelles étant lesunes brifées , les autres renverfées , il ne parvint au haut du mur que cinq Chevaliers , accompagnés chacun de deux foldats. Ces quinze guerriers combatti-rent quelque temps avec un courage héroïque, abattant a coups de hache & drépée tous ceux qui. ofoient les approcher. 11 fallut S- vj. Alexis III. An. i29j,  Alexis III. An. 1103. XIII. Attaque da cóté de la mer, ( ] i 1 j ] ] H I s T O I R E enfin céder au nombre; deux furent pris & conduits a 1'Empereur, qui tira vanité de ce mince avantage comme d'une vicioire ; les autres, culbutés du haut du mur, froiffés & prefque brifés , furent recueillis par leurs camarades. La plupart des Barons couverts de bleffures , fe repofoient pour reprendre haleine. L'Empereur, affis au haut d'une tour du palais de Blaquernes , n'étoit que le fpe&ateur oifif de tous ces com-> bats, fans donner lui-même aucun ordre. Cependant 1'attaque étoit encore plus vive du cöté de la mer. L'intrépide Dandolo, le plus grand homme de mer de fon fiecïe , fit avan:er fes vaiffeaux en deux lignes, au fon des timballes & des trompettes. Les galeres formoient le premier 'ang; leur tillac étoit couvert d'ar:hers & de baliftes. Derrière les gaeres , les grands batiments affurés ur leurs ancres, devoient faire parir de plus gros javelots & de plus ;roffes pierres. Leurs proues, leurs >ouppes étoient chargées de tours, -eurs chateaux de hune , égalant ou  du Bas-Empire. Liv. XCIFl 4at furpaffant la hauteur des murailles, contenoient chacun dix , quelquesuns même vingt combattants. La flotte , ainfi rangée en bataille, occupoit de front 1'efpace de trois traits d'arc; on y comptoit plus de quatre cents balifïes. Déja le fifflement des pierres, les cris des foldats & des matelots , le mugifTement des vagues, qui pouffées par tant de navires, frappées par tant de rames, couroient en roulant avec violence & couvertes d'écume, fe brifer contre le rivage; tant de tumulte , tant de bruit divers troubloient les affaillants mêmes. Les galeres fembloient avoir oublié leurs ordres, & n'ofoient aborder. On vit alors ce que peut un feul homme : Dandolo, confervant dans un corps chargé d'années & prefque aveugle une ame éclairée & vigoureufe, feul fe pofiedant lui-même au milieu de Pagitation générale , exhorte , prefle, promet des récom* penfes au courage. Voyant le peu d'effetde fes paroles, indigné d'une lenteur qui lui fembloit ternir la gloire des armes Vénitiennes, il monte tout armé fur la proue de fon vaif- Alexis III. An. ïicj,  AtEXI! III. An. 120 42B Htstoire - feau, & appellant k haute voix les gens de fon équipage, il leur commande de le mettre a bord , menacant de les faire pendre s'ils n'obéiffent. Ses ordres font exécutés; ils le prennent entre leurs bras & le defcendent fur le rivage, portant devant lui Pétendard de Saint Mare. A cette vue, tous les Capitaines rougiffent de leur timidité^ ils s'empreffent de joindre leur chef & de le couvrir de leur corps; les galeres s'élancent a 1'envi 1'une de 1'autre, on plante les échelles. Dandolo, la viliere de fon cafque levée, le feu dans les yeux, encourage les braves., réprimande d'une voix terrible ceux qui montrent de la peur. Les gros vaiffeaux qui formoient la feconde ligner abordant k leur tour entre les intervalles des galeres , forment un affaut fupérieur. Au haut de chaque grand mat étoit fortement attaché: un pont levis, affez large pour donner pa(Tage a quatre hommes de front. Ce pont abattu le long du mat , relevé au moment de 1'attaque par le moyen des poulies & des cables , alloit par fon exttêxnité tomber. fur les murs,&.  nu Ras-Emmre. Liv. XCIF. 425 fur les tours qu'il furpafïbit en hauteur; eu forte que les Grecs & les aflaillants fe battant k coups de main, & luttant corps a corps , les uns étoient renverfés dans la ville, les autres au pied des murs fur le rivage. Les flecl- s, les pierres,. les lances r les javelines , les poutres arrachées des édifices , le feu grégeois, tout ce qui pouvoit blefTer, repoufTer, dom ner la mort, étoit employé de part & d'autre ; & pendant que cette horrible tempête tonnoit au haut des. mits &c des tours, on fappoit le pied: des murs. t Au milieu de ce fracas-, on appercoit tout-a-coup fur une tour 1'étendard de Saint Mare. A la vue de cette redoutable enfeigne , qui fembloit avoir été tranfportée par un bras invifible, il s'éleve de part & d'autre un grand cri : les Grecs fuyent,. les. Vénitiens.fautent en foule fur le mur,. ils s'y répandent en. un. moment &c. s'emparentde vingt-cinq tours. Dandolo fait partir une chaloupe pour porter aux Barons la nouvelle de ce. fuccès; Ils ne peuvent le croire qu'a, i'arrivée d'un vaifTeau chargé de bu.-" - Alexis III. An. iioj, XIV.. Prife d'une parti« ie la ville.  Alexis III. An. 1103. 424 HlSTOIRX tin. Cependant le tyran effrayé, ne fachant s'il doit abandonner la ville , ou s'il peut encore la défendre , effaye de réfifter; il raffemble fes forces; les habitants fe joignent aux foldats. On court aux Vénitiens qui defcendoient dans la ville. Ceux - cl voyant accourir a grands flots un peuple immenfe qu'ils ne pourroient foutenir , 1'arrêtent par 1'incendie : ils mettent le feu aux édifices qui fe trouvoient devant eux. A 1'aide d'un vent violent qui fouffloit au dos des Vénitiens & au vifage des Grecs, les tourbillons de flamme fe répandent rapidement dans la partie occidentale de Ia ville; tout eft en feu 1'efpace d'une lieue depuis le quartier de Blaquernes jufqu'après la porte dorée. A la faveur de Pobfcurité que caufoit la fumée, les Véntiens regagnent leurs tours , & le peuple pouffant des cris affreux, ne s'occupe qu'a dérober aux Hammes ce qu'il peut fauver de fes biens. Le tyran prend ce moment pour attaquer 1'armée Francoife, qui fe tenant en bataille devant la porte de Blaquernes , attendoit le fuccès de 1'incendie.  nu Bas-Empire. Liv. XC1K 425 Théodore Lafcaris, fon gendre, le plus brave des Grecs, fort par la porte dorée a la tête d'un nombre innombrable de foldats. Sa cavalerie étendue fur fes ailes , il marche aux Francois. L'Empereur lui-même, honteux des cris infultants du peuple , veut faire voir qu'il mérite bien d'être défendu : il monte a cheval; &c revêtu d'armes brillantes , avec toutes les marqués de la dignité Impériale-, la robe de pourpre, le bonnet de foie brodé d'or & terminé en pointe, 1'épée au poing , il court de rang en rang , animant fes foldats du geile & de la voix ; il n'y manquaque Pexemple. Les Francois rangés en bataille devant leur camp, fans s'avancer de peur d'être enveloppés, ne formoient que fix bataillons. Les Grecs en avoient plus de foixante dont chacun furpaffoit en nombre chaque bataillon Francois. Ils approchent, ils obfcurciffent 1'air d'une nuée de fleches. Les Croifés, couverts de leurs armes, les attendent de, pied ferme. En ce moment, Dandolo averti par les trompettes qui fonnoient la charge, crie a fes foldats : Que faïfons-nous ici , Alexis III. A.n. iioj.  Alexis III. An. 1203. 426 IdlSTOIRE camarades ? Nos compagnons font aux p rif es : les laiferons-nous périr ou vaincre fans nous ? Quand nous pourrions fans eux prendre la ville , notre vicloire même nous couvriroit £infamie, & ils feroient morts avec honneur. Courons d leur fecours; Dieu & Saint Mare nous y appellent. A ces paroles, les Vénitiens abandonnent les tours, dont ils étoient maitres : ils rentrent dans leurs vaiffeaux k la fuite de leur Doge , volent k ia porte de Blaquernes, fautent fur le rivage, & fe joignent aux troupes de terre. Les Grecs, malgré 1'extrême fupériorité du nombre » n'ofoient avancer ; ils s'étoient arrêtés a la portée de l'arc^, & ne combattoient que par des railieries & des injures. Enfin , 1'Empereur, foit par défiance de fes troupes , foit par la crainte que lui infpiroient fa lacheté naturelle & les remords de fes crimes, fit fonner la retraite ; & malgré Lafcaris qui ne refpiroit que le combat, il ramena fes troupes fur le foir. Les Croifés les fuivirent &c en tuerent plufieurs fans qu'ils ofaffe'nt tourner vifage. Cette multitude qui même fans armes auroit pu fou-  nu Bjs-Empire. Liv. XCIV. 427 Ier aux pieds les Croifés, fi elle eüt ofé les joindre, rentra couverte de honte dans Conftantinople. Alexis, le plus méprifé de tous, fe retira dans fon palais; & craignant d'être abandonné & livré aux ennemis , il prit confeil non pas de PImpératrice trop intrépide pour favorifer fa timidité, mais de fes courtifannes & de fes flatteurs auffi laches que lui - même. Tous lui confeillent de céder a la fortune, &c de fe mettre era füreté dans quelque place forte. II avoit déja choili pour fa retraite la ville de Zagora ,. oü il avoit même envoyé d'avance quelques-uns de fes équipages. Dès le lendemain 18 Juillet, il ramafie tout ce qu'il peut de fes tréfors , 8z s'embarque au commeneement de la nuit avec fes pierreries & la garde - robe Impériale , n'emmenant de fa familie que fa fille Irene, & laiftant dans la ville fes deux autres filles avec fa femme Euphrofyne.. II gagna le Pont-Euxin, fuivi de queJques barques rémplies de femmes Sc des courtifans qui voulurent le fuivre. Faifant force de rames 6c de voiles, il arrivé en peit AlexisIII.An. 1203. XV. L'Empereur fort Ae Conftantinople.  Isa ac II An. 1203 XVI. Ifaac remis fur 1< tröne. Villehari c 94. at 109. Epifi. HUg aSto.Pau 10. adHeri' ricum Bra hantia Du cem. Nicet. ii lfaaco 6 Alex. c. i 2,3,4Acrop. c. 3 5- Gefla In noc. RhamnuJ l. 2. Herold. I a.r. 20. Gunther. Hifi. Confi Sanut. I 11. part. 3 c. 1. Nangis thron. Alberic, chron. 428 H I S T O I R E d'heures a la hauteur de Zagora, oh il fe renfenne. II avoit occupé le Tröne huit ans trois mois &C dix jours. La nuit avoit fufpendu les attaques, & les habitants fe délaflbient de leurs fatigues. Le filence régnoit dans la ville, lorfqu'un cri fe fait entendre '■ dans toutes les rues : Plus d'Alexis Comnene : Plus de tyran; il a pris la fuite. Auffi-töt tout eft en tumulte ; les flambeaux paroiffent a toutes les ' fenêtres ; on s'appelle, on s'interroge; les uns crient, qui va nous dé- ! fendre ? Les autres, qui va nous livrer aux Latins ? Nul ne regrette Alexis.Euphrofyne qui,pour régner, ■ n'avoit befoin que d'un fantöme, . affemble fes parents &£ fes amis; elle leur offre la Couronne ; aucun ne ' veut -accepter un préfent li dange- , reux. Cependant 1'Eunuque Conftantin , grand Tréforier, qui avoit déja abandonné dans le cceur Pauteur de fa fortune , perfuadé que 1'argent eft le figne auquel une garde mercenaire reconnoit le maitre légitime , diftribuo.it de 1'argent aux Varangues au nom d'Ifaac. Les principaux Sei-  du Bas-Empire. Liv. XCIF. 429 gneurs, de concert avec lui , ayant réuni leurs clients & leurs domeftiques , vont fe faifir d'Euphrofyne , courent a la prifon d'Ifaac, 1'en re- , tirent & renferment a fa place Eu- ■ phrofyne & fes parents. Ifaac, qui ne ' favoit ce qui fe paflbit dans la ville, \ m fi on le menoit a la mort, ni même 1 s^il étoit jour ou nuit, eft étonné de r s'entendre proclamer Empereur. On « le conduit par la main au palais de c Blaquernes, illuminé de'mille flam- / beaux; on lui ceint le diadême; revêtu des habits Impériaux , on le fait J afleoir fur Ie tröne , qu'il commence a reconnoitre. Le peuple, auprès duquel le plus grand mérite eft d'être malheureux, s'attendrit en le voyant; on lui prodigue les acclamations; on charge Alexis de malédiaions; on va chercher 1'ancienne Impératrice ; elle vivoit depuis huit ans dans une trifte retraite. On lui fait reprendre les marqués de la dignité Impériale ; on 1'amene en pompe au palais, oir on la place a cöté de fon mari. L'imbécille Ifaac ne fe 'poflede pas de joie. La Couronne n'eft pas encore bien aftife fur fa tête,& il a déja desflat- [SAAC II. In.1203. Lubcc hron. 5. inton. hron. labelt l.B. Odor. Uyn. • Doutre'■an. I. 2. ■ 14-1. 3. 1,2. Ou Cangs }ift.Conft. Maimn fils.  ISAAC II. An. 1203. 432 HlSTOIRB tune. Les Francois, après une révérence refpeétueufe & un compliment court, demanderent a 1'Empereur une audience particuliere de la part du Prince fon fils, & des Barons de 1'armée. Ifaac fe leva aufïï-töt de fon fiege, & les conduifit dans une chambre prochaine , oü il ne fit entrer que rimpératrice , fon grand Chambellan & fon Interprete. Villehardouin , du confentement de fes collegues, prit la parole : » Sire , dit-il, vous voyez » le fervice que nous avons rendu » au Prince votre fils, & notre fidé» lité a accomplir nos promeffes. II » a contrafté de fa part des engage» ments avec nous, & il ne peut » rentrer dans Conftantinople , qu'il » ne s'en foit acquitté. II s'adrefle a » vous aujourd'hui pour être garant » de fes paroles, & ratifïer le traité » dans la mê\me forme qu'il Pa fait » avec nous. Et quels en font les ar» ticles ? dit Ifaac. Premiérement , » reprit PAmbaffadeur, il s'eft obligé » a remettre 1'Empire d'Orient fous ». 1'obéiflance du Saint-Siege de Ro» me, auquel il étoit autrefois fou» mis; en fecond lieu, a nous payer » la  nu Bas-Empire. Liv. XCIF. 433 » la fomme de deux cents mille marcs » d'argent; a fournir notre armée de » vivres pendant un an; k envoyer » avec nous fur fes vaiffeaux dix mille » hommes de guerre, a les défrayer » 1'efpace d'un an , & a entretenir » tant qu'il vivra cinq cents Che» valiers dans la Terre-Sainte. Voila » les conditions auxquelles il a ob» tenu le fecours de nos armes. II » les a confirmées par ferment, & » fcellées de fon fceau & de celui de » Philippe , Roi d'Allemagne , votre »> gendre. Nous vous demandons de » les ratifler. Certes, répondit 1'Em» pereur, ces conventions font de » haute conféquence, & je ne vois » pas trop le moyen de les accom» plir. Toutefois vous nous avez li » bien fervis, que quand on vous » donneroit tout 1'Empire,vous 1'au» riez bien mérité ". Après plufieurs autres propos de part & d'autre , Ifaac ratifia le traité par fon ferment, & par des patentes fcellées du fcel d'or, qui furent fur le champ délivrées aux Envoyés. Ils prirent congé de 1'Empereur, &retournerent au camp rendre compte de leur commiffion. Tornt XX, ' T Isaac IL An. 1203.  IfAAC II. An. licj. XIX. Le jeune Alexis lentre dansConftantinople. i 134 HlSTOIRE Aufïi-töt les Barons montent a che^al, & conduilent Alexis a Conftantinople. II marchoit entre Baudouin Sc Dandolo, ftüvï de tous les Chevaliers couverts de leurs plus belles irmes, & décorés des marqués d'honleur qu'ils tenoient de leur nahTance, du qu'ils avoient méritées par leur :ourage. Les Grecs fortirent en foule ^ourles recevoir; SclaReligion,touours fenfible aux événements qui in:éreflent PEtat, envoya au - devant 1'eux fon magnifique cortege. Lorfpi'on fut arrivé au palais, les deux i^inces s'embrafTerent avec cette vi►'acité de tendrefTe, qu'une longue "éparation enflamme entre des perbnnes chéries. Ils avoient refTenti eur mutuelle infortune; le retour de .eur profpérité redoubloit leur joie. Le peuple la partageoit avec eux par un concert d'acclamations. Toutes les Eglifes furent ouvertes, Sc retentiffoient d'a&ions de graces. On yoyoit dans toutes les rues des tables chargées de viandes. Les Croifés, pleins d'allégrefTe, rendoientgrace au ToutPuifiant d'une victoire qu'ils reconnoiffoient ne tenir que de lui. Ils  du Bas-Empire. Liv. XC1F. 435 croyoient être arrivés au terme de leurs travaux, & s'être ouverts une voie aflurée k la conquête de la Paleftine : mais k une fi douce férénité devoit bientöt fuccéder les plus violents orages. Le lendemain 1'Empereur pria les Comtes & les Barons de vouloir bien aller prendre leur logement au-dela du golfe, leur repréfentant que s'ils demeuroient dans la ville, il étoit k craindre qu'il ne furvïnt quelque querelle entre deux nations, dont Pantipathie naturelle venoit d'être animée par la guerre , & que la ville ne fouffrit malgré eux de plus grands défafrres qu'auparavant. Les Barons répondirent qu'après 1'avoir fi bien fervi en tant de manieres , ils ne pouvoient lui rien refufer. Ils firent donc paffer 1'armée de 1'autre cöté du golfe, oü ils féjournerent au milieu de 1'abondance. Cette féparation n'altéroit en rien 1'union des deux peuples. Les Grecs paffoient fans ceffe au camp des Croifés, oü ils portoient des vivres tk des marchandifes de toute efpece. Les Croifés venoient fatisfaire leur curiofité a ConflantiT ij iSAAC ti. An. 1203. XX. Les Croifés vont camper 3u ■ deli iu golfe.  43*5 Histoize nople, oii ils vifkoient les Dalais Z IsAac II. An. 1203. XXI. Nouvelle convention entre les Empereurs & les Croifés. les places, les édifices publics; ils admiroient la fplendeur, les richeffes, 1'étendue de cette cité ifnmenfe; ils étoient fur-tout étonnés de la magnificence des Eglifes, & de la quantité de reliques précieufes, qui s'y trouvoient, dit Villehardouin, en plus grand nombre que dans le refte du monde entier. Toujours attachés au Prince Alexis, dont ils fe regardoient comme les tuteurs , ils convinrent avec Ifaac qu'il feroit couronné le premier du mois d'Aoüt, & qu'il partageroit avec fon pere le titre d'Empereur & la puiflance fouveraine. La cérémonie, du couronnement achevée, Alexis commenea d'acquitter une partie des fommes dües aux Croifés, promettant de payer au plutöt le refte. On mit en prifon Théophile, garde du tréfor, qui, par des chicanes de finance , retardoit 1'exécution des ordres de 1'Empereur. Ce premier payement fervit k rembourfer les particuliers des avances qu'ils avoient fakes k Venife pour 1'embarquement. Cet acte de juftice & de bonne foi augmenta PafFecfion des  £>u Bas-Empire. Liv. XCIF. 437 Croifés pour le jeune Prince. II entretenoit leur amitié par de fréquentes vifites; il les prévenoit par toutes fortes de déférences & d'honneurs. Après les avoir ainfi difpofés, il vint un jour comme ami, & fans aucun appareil de dignité, trouver le Comte de Flandres, & le pria de faire venir chez lui Ie Doge & les principaux Seigneurs. Lorfqu'ils furent affemoles , il leur paria en ces termes : » Seigneurs Croifés , fi js fuis re» monté fur le Tröne ou m'avoit » placé ma naiffance, c'eft ala bon» te Divine & a votre valeur que » j en fuis redevable; & tant que je » conferverai 1'Empire, vous régne» rez vous-mêmes dans mon cceur. » Mais il s'en faut bien que je trouve » dans Pame de mes fujets les fenti» ments que j'éprouvé de votre part; >» ijs me haïffent, & j'ofe dire que » fai è me féliciter de leur haine; » die me fait honneur; elle n'eft fon» dee que fur votre bienveillance » pour moi. Vous ne connoiflez que » trop leur antipathie contre les na» tions Latines. Ils pe peuvent me » pardonner d'avoir été rétabli par T iij IsAAC II. An. 1203.  iAc n. :. 1203. ^38 fflSTOIRS •> vos mains. Jugez fi je fuis encore * en état de me pafTer de votre fef cours. Vous approchez du terme »? de votre départ, fixé a la Saint» Michel. II m'eft impoffible d'acquit» ter en li peu de temps la dette j» que j'ai contradfée avec vous. Je » ferois même hors d'état d'y jamais » fatisfaire, fi j'étois fi-töt privé de » votre appui: je courrois rifque de » perdre la Couronne, & peut-être » la vie. Je ne vois qu'un moyen » d'aflurer pour moi votre bienfait, » pour vous ma reconnoiffance; c'eft » de prolonger votre féjour en cette » ville jufqu'a Paques prochain. J'au» rai le temps de mettre mon pou» voir hors d'atteinte, de tirer de mes »> revenus de quoi remplir mes en» gagements, & d'équiper les vaifv feaux qui doivent vous accompa» gner fuivant nos conventions. Je » me charge de vous défrayer dans »> eet intervalle de tout ce qui peut •» vous être néceflaire, & de payer » aux Vénitiens le loyer de leur flotw te. Ce délai ne vous fera rien per» dre; le temps de l'hyver vous fe» roit inutile, & vous aurez 1'été  nu Bas-Empire. Liv. XCIF. 4.39 » entier pour exécuter votre glo» rieufe entreprife ". Ces propofi- 1 tions n'avoient rien que de raifonnable, elles étoient même avantageu- , fes aux Croifés. Les Seigneurs répondirent, qu'ils les communiqueroient au refte de 1'armée, & lui feroient favoir ce qui auroit été réfolu. Alexis étant retourné a Conftantinople, on affembla le Confeil, &c la chofe fut débattue avec beaucoup de chaleur. La plupart des Chevaliers acceptoient le nouveau projet : mais ceux qui avoient toujours défapprouvé 1'expédition de Conftantinople , & qui s'étoient féparés des autres a Córfou , s'y oppofoient ; ils fommoient leurs camarades de leur fournir des vaiffeaux pour paffer en Syrië, felon la parole qu'ils leur en avoient donnée. Enfin, a force de raifons & de prieres, on obtint leur confentement. Les Vénitiens accorderent 1'ufage de leurs vaiffeaux jufqu'a la Saint-Michel de 1'année fuivante, & la nouvelle convention fut unanimement adoptée. Les Evêques & les Prêtres qui fe trouvoient au camp, crurent 1'occafion favorable pour faire exécuter T iv SAAC II. Alexis IV. tn, iioj.  iSAAC II, Alexis ':v. Aa. 1203, 440" H I S T O I R 2 le premier article du traité; ils demanderent que le Patriarche, les Prêtres, les Moines de Conftantinople abjuraffent fur le champ les erreurs qui les féparoient de 1'Eglife Romaine. Ifaac, fort peu inftruit de ces matieres, appuya leur propofition, & le Patriarche étant monté dans le jubé de Sainte-Sophie, déclara en fon nom & au nom des Empereurs & de tout le peuple Chrétien de 1'Oriënt, en préfence du Cardinal de Capoue, qu'il reconnoiflbit Innocent troifieme' du nom pour fucceffeur de Saint Pierre, premier Vicaire de Jefus-Chrift fur la terre, Pafteur univerfel du troupeau fidele : il promit que dès qu'il en auroit Ia liberté, il fe tranfporteroit luimême k Rome, pour prêter ferment entre les mains du Pape, lui rendre hommage comme k fon chef, tk recevoir de lui le pallium. Cette déclaration publique tranfporta de joie les plus dévots d'entre les Croifés. Quand ils n'auroient point eu d'autre fuccès, ils fe croyoient amplement dédommagés de leurs travaux par cette heureufe réunion de 1'Eglife Grecque. Mais comme il parut dans la fuite,  nu Bjis-Empire. Liv. XCIV. 441 €e n'étoit au'une fcene de mmpA\a que le Patriarche donnoit aux intéréts politiques. Alexis écrivit lui-même au Pape; il lui rendoit 1'hommage que fes prédécefleurs avoient rendu au Vicaire de Jefus-Chrift; il promettoit de faire fes efforts pour la réunion de toutes les Eglifes d'Orient, & de fuivre en tout les confeils des Préiats Latins qui fe trouvoient k Conftantinople. Innocent lui répondit, en le félicitant d'une rêfolution fi falutaire que Dieu lui avoit infpirée, St en Pexhortant a confommer au plutöt ce grand ouvrage. Les Croifés perdirent alors Mathieu de Montmorency, auffi eflimé pour fon courage que chéri pour fa bonté, & Ia mort d'un feul homme fut pleurée comme un malheur public. II fut enterré a Conftantinople dans 1'Eglife des Hofpitaliers. Pendant que les fuites de la révolution occupoit les Grecs & les Croifés, 1'ufurpateur Alexis qui s'étoit f( d abord retiré k Zagora, avoit ra- u maffe quelques troupes , & s'étoit avance jufqu'a Andrinople, dont il s etoit rendu maitre. D'un autre cöté T v [SAAC II. Alexis IV. kn. izoj, XXII. Expédion du une Axis. ■  IsAAC II Alexis IV. An. 1203 445 II I S T O 1 $. £ Joannice, Roi des Bulgares, Prince aftif & belliqueux, avoit profïté des troubles de 1'Empire pour étendre fes Etats ; il s'étoit emparé de prés d'une moitié de la Thrace. Les Princes Croifés qui n'avoient plus rien a faire le refle de 1'année, & qui n'étoient pas d'humeur a derneurer dans 1'inaction, confeillerentau jeune Empereur d'employer ce temps k repoufler Ie tyran, & k réduire fous fon obéiffance les pays qui ne le reconnoifToient pas encore pour maitre. II fe mit donc en campagne, & le Marquis de Montferrat , le Comte de Saint-Paul, Henri, frere du Comte de Flandres , Jacques d'Avefnes, Guillaume de Champlite, Hugues de Colemy fe joignirent k lui, en apparence comme fervant fous fes ordres, en effet comme fes maitres. Baudouin , Louis de Blois & la plus grande partie des Chevaliers & des foldats demeurerent au camp. Dès que 1'ufurpateur apprit la marche du jeune Empereur fi bien accompagné , il fortit d'Andrinople , & voulut fe retirer a Philippopoli. Mais comme il n'y fut pas recu par les habitants, il alla s'enfermer dans  r>v Bas-Empire. Liv. XCIV. 443 Mofvnoole. II pourfuivre , marcher fur le ventre des Bulgares, dont le Roi, a la tête d'une nombreufe armée, ayant tra- , verfé le mont^Hémus, s'étoit étendu dans la campagne, & fermoit tous les paffages. C'eft ce qu'on ne pouvoit entreprendre avec un camp volant, fans s'expofer k une perte prefque certaine. Alexis fe contenta donc d'avancer jufqu'a Cypfeles, & de recevoir le ferment de fidélité des villes qui fe trouvoient fur fon paflage. Peu de jours après qu'il fut forti de Conftantinople, cette ville infor- . tunée, qui commencoit k peine k l refpirer de tant de maux qu'elle avoit foufterts, éprouva une nouvelle calamité. Voici quelle en fut 1'occafion. Sur la fin de 1'année précédente lorfque la nouvelle fe fut répandue que les Croifés avoient réfolu de venir attaquer Conftantinople, les habitants , toujours ennemis des Latins, entrerent contre eux dans une efpece de fureur. Quantité de marchands de diverfes contrées d'Occident, établis dans la ville, avoient leurs magafins le long du port. Le peuple y courut T vj SAKC If. Alexis IV. \.n. 110 J. xxiir. Incendie Conftannople.  IsAAC II. ALEXIS IV. An, 1203. 444 Histoire en foule , pilla les marchandifes, détruifit les magafins. Les propriétaires ne fauverent leur vie qu'en fe dérobant par une prompte fuite, & fe tenant cachés dans les maifons de leurs amis. Quelques jours après, cette fougue étant paffée, ils porterent leurs plaintes a 1'Empereur; c'étoit encore ï'ufurpateur Alexis; il promit de les dédommager; & pour leur donner une preuve de fa bienveillance, comme les marchands Vénitiens & ceux de Pife avoient depuis long-tempsde fanglants démêlés, jufqu'a fe mafTacrer les uns les autres par-tout oü ils fe rencontroient, il s'entremit de leur querelle , & les réconcilia eniemble; ce que les raifonneurs Grecs blamerent comme une faute de politique. La ville étant alliégée, il prit le narti de s'enfuir, avant que d'avoir exécuté la réparation qu'il avoit promife. Ainfi le refTentiment fubfiftoit toujours dans le cceur des Latins. Le foir du 19 Aoüt,unde ces marchands minés buvoit avec quelques foldats Flamands; il fe mit a inveöiver contre les Grecs : Cesmi(crablcs, difoit-il, ne peuvent nous fouf-  ' nv Bas-Emfire. Liv. XCIF. 445 frlr nous autres Catholiques; ils nous font tous les maux qu'ils peuvent, tandis qu'ils careffent, qu'ils combient d'amitié les Saraftns, a qui ils ont même bad une Mofquèe. Le vin Grec leur avoit échauffé la tête. A ce nom de Sarafin , la colere s'allume dans le cceur des foldats Flamands ; en qualité de Croifés , ils fe croyent obligés de commencer par égorger ceux-la ; ils vont chercher au - dela du golfe leurs armes &c d'autres camarades, &c repaffant auffi - tot, ils courent a la Mofquée, enfoncent les portes, pillent tout ce qui eft de quelque valeur, & brifent le refte. Les Saralins avoient fui d'abord ; mais s'étant appercus du petit nombre de ces brigands, ils reviennent fur leurs pas avec une troupe de Grecs, les chargent, en bleflent & en tuent plufieurs, mettent les autres en fuite. Quelquesuns de ceux-ci, pleins de rage contre les Grecs qui fecouroient les Saralins, mettent en paflant le feu a deux ou trois maifons; c'étoit au milieu de la nuit. II eft incroyable avec quelle rapidité fe répandit 1'incendie ; il furmonta tous les efforts qu'on faiioit ÏSAAC II. Alexis IV. An. 120J.  Isa ac II. Alexis IV. An, 1203» 446 II 1 S T 0 I & E pour Péteindre. Les tourbillons de dammes pouffés par un impétueux vent du Nord, s'élancoient par-deffus plufieurs édifices, pour en aller brider d'autres plus éloignés, & le vent enfuite tournant au midi, ils rebroufToient en-arriere pour confumer :eux qu'ils fembloient avoir épargnés. Au milieu d'une fombre nuit, la lueur des dammes plus effrayante que les ténebres, le fracas des maifons écrafant en tombant ceux qui fuyoient dans les rues, les cris des femmes & des enfants tués fur Ie fein de leurs meres, tant de défaftres, tant d'horreurs donnoient le fpeótacle d'une ville faccagée par les snnemis. Et c'étoit en effet 1'ennemi e plus terrible qu'un fi vafte ineendie. Pendant huit jours entiers, felon quelques Ecrivains, le feu dévora tout dans 1'efpace d'une lieue , de3uis le milieu du golfe en tournant lu cóté de 1'Orient, jufqu'a la Pro? )ontide. II n'épargna que 1'Eglife de Sainte-Sophie, dont les briques & la naffe énorme réfiftoient a la fureur les dammes. II y périt quantité d'hajitants. Les charbons emportés par  du Bas^Empire. Liv. XCIF. 447 le vent allerent mettre le feu a un vaiffeau qui traverfoit le golfe. Les Seigneurs Croifés, touchés du malheur des Grecs, envoyerent promptement au fecours grand nombre de leurs foldats; ils fauverent environ quinze mille perfonnes , la plupart eftropiées ou a demi-brftlées , qu'ils tranfporterent au - dela du golfe. La plupart des Latins qui avoient été bannis par 1'ufurpateur, & qui étoient rentrés dans la ville avec le jeune Alexis, fe refugierent auffi au camp des Croifés avec leurs families & leurs effets. II n'y avoit plus defüretépour eux au milieu du peuple Grec, qui accufoit les Francois d'être les auteurs de ce défaftre. Les Princes qui en ignoroient la caufe , députerent a Ifaac pour lui témoigner qu'ils partageoient fincérement fa douleur, qu'ils feroient une foigneufe recherche des coupables, & que s'il s'en trouvoit entre leurs foldats , ils les puniroient plus févérement qu'il ne feroit luimême. Mais malgré les informations les plus exaftes, on n'en put découvrir aucun ; ce qui ne juftifia pas les Francois; 8c ee funefte événement ISAAC II. Alexis IV. An. 120j,  44^ II I S T Ó I R E laiffa IsAAC II. Alexis IV. An. 1203. XXIV. Conduite infenfée des deux Empereurs. Villehard. c. 109, ad. 123. Nicet. in Ifaac & Alex. c. 3, 4> 5- Idem. in Mur^uphle, c. 1 , 2. Gcjfa in- . £,>//?. > Bald. ad 1 Innoc. Acrop. e.3. iïeroW. /. ! 3.. c. 20. 1 AcS. de ' Monte. ' Gunther, 1 hifi. Confi. { Sanut. I. 3. f art. 11. e. ' !• I Chron. Sti. J Anton. Chr. Albe- - Grecs 1'impreffion profonde d'une haihe implacable. : Ve"s le milieu de Novembre, Alexis revint a Conftantinople. II y fut recu avec eet éclat de triomphe, qui couronne les moindres fuccès d'un Prince dans une nation foible & vaine. Les Latins , fans doute, moins admirateurs, s'emprefferent néanmoins a fignaler leur joie , & cette civilité de leur part fut plus fenfible a une ame légere, que les plus importants fervices. Charmé de leur complaifance, il paffoit les journées avec eux. Plus 'ouvent au'camp que dans Conftaninople, il partageoit leurs jeux, leurs :eftins , leurs plaifanteries. Nourri lans 1'infortune , n'ayant jamais recu ju'une éducation fubalterne , que 'exemple de fon pere ne corrigeoit )as, il oublioit qu'il étoit Empereur, ic la gayeté Francoife ne s'en fouveïoit guere. On lui en fit des repromes; & pour fe relever, il monta out-a-coup a une fier té arrogante. II ie recevoit plus les Latins qu'avec ïauteur; il fe livroit entiérement aux ieigneurs Grecs. Mais toujours im-  nu Bas-Empire. Liv. XCIF. 449 prudent. il choififfoif nnnr fpc amïc fes confeillers ceux qui avoient été attachés a fon oncle, & les plus grands ennemis de fon pere. Ifaac en étoit indigné ; il ne Fétoit pas moins de fe voir méprifé de fes fujets, & d'entendre nommer le jeune Prince avant lui dans les acclamations publiques, comme s'il n eüt été que 1'ombre de fon fils. Mais Ifaac lui-même n'étoit pas plus fenfé. Aveugle, accablé de goutte, courbé fous les infïrmités qui avoient devancé la vieilleffe, il s'étoit cependant perfuadé fur la foi des Aftrotogues fes parafites, qu'il' recouvreroit la vue, la fanté, la jeu- . neffe même, & qu'il deviendroit Monarque univerfel. II fe préparoit par des folies a ces merveilleux événements. Entre plufieurs extravagances, il fit tranfporter de 1'Hippodrome dans fon palais la figure du fanglier de Caiydon : c'étoit, felon fes Aftrologues, un talifman , dans lequel étoit renfermé le foyer des féditions du peuple , fort femblable a ce furieux anima!. On avoit pitié d'Ifaac, mais on haifToit Alexis , qui avilifToit, difoiton, & PEmpire & 1'Eglife Grecque, ISAAC II Alexis IV. An. 1205. Chr. Luhec. Chr. Nan- SaUllic. I. S. RhainnuPus. I. 3. Doutrtm. /.3.c.3,4, 5, 6. Odoric, Rayn. Du Cangs furi Joinrille. dif. rert. 19. Idem. hifl. ie ConJ'ant, .  ISAAC II. Alexis IV. An, 1203. XXV. Progrès deMurzu* 450 HlSTOIRB en payant tribut aux Latins, & s'afferviflant au Pontife de Rome, jufqu'a faire prononcer dans les diptyques le nom du Pape Innocent. Le trifte fpeétacle des ruines de tant d'édifices , dont on attribuoit 1'incendie aux Francois, aigriffoit encore le reffentiment. Dans un accès de colere , on abattit une belle ftatue de Minei> ve, haute de trente pieds, & pofée fur une colonne dans la place de Conftantin , paree qu'ayant un bras étendu vers 1'Óccident, on Paccufa d'appeller les Latins, & de les inviter k venir détruire Conftantinople. La plupart des Seigneurs n'étoient pas moins animés que le peuple : avec plus de préfomption & de fierté que de prudence & de force, ils ne parloient que de prendre les armes , & de fe venger de tant d'infultes. Les Empereurs, plus par timidité que par fagefle, n'écoutoient pas ces bravades. Le plus accrédité dans la ville, a caufe de fa haine contre les Latins, étoit Alexis Ducas, furnommé Murzuphle; ce qui, felon le langage qu'on parloit alors en Grece, fignifioit qu'il avoit les fourcils joints enfemble &  du Bjs-Empire. Liv. XCIF. 451 pendants fur les yeux. II étoit de 1'il- ' luftre familie des Ducas, Sc proche 1 parent des Empereurs. Dévoré d'ambition, & capable des crimes les plus noirs , il commenca par s'inlinuer dans les bonnes graces du jeune Prince; Sc quoiqu'il eüt été un des plus zélés partifans de 1'ufurpateur, quoique felon quelques Hiftoriens, il eüt lui-même été employé a crever les yeux a Ifaac, cependant Alexis, plus aveugle que fon pere, le mit au nombre de fes amis, & donna toute fa confiance k ce perfide. II 1'honora de la charge de Protoveftiaire, une des premières dignités de 1'Empire. Murzuphle ufa de tout fon pouvoir pour faire aux Latins tout le mal dont il étoit capable. Son defTein étoit de fe rendre par ce moyen encore plus agréable au peuple, Sc de 1'engager a fe défaire de fes deux fantömes d'Empereurs, pour le mettre a leur place. Ayant raffemblé fes amis Si. quelques foldats dévoués a fes volon* tés, il fort un jour de la ville, & va tomber fur un corps de Francois, qui s'étoient avancés jufqu'a la pointe du golfe. II efpéroit par eet exemple de SAAC II. Alexis IV. In,1203.  ISAAC Til Alexis IV. An. 1203. An. 1204. XXVI. Les Croifés déclarent la guerre. j 1 ] 3 ] ] 1 45a HlSTOIRE hardieffe entraïner après lui les gens de guerre, & peut-être même déterminer les Empereurs a lui envoyer du fecours. II fut trompé dans fes efpérances. Les Empereurs firent arrêter aux portes ceux qui vouloient courir k fa fuite, & les Francois le recurent fi mal, qu'après avoir perdu la plus grande partie de fon efcorte, il eut lui-même beaucoup de peine k fe fauver. Etant entré dans Conftantinople , & ne trouvant plus perfonne qui voulut le feconder pour aller attaquer les Latins, il fe mit a rravailler fourdement a foulever le peuple. L'année étoit écoulée, & la recette ies revenus de 1'Empire étant achevée , les Empereurs devoient être en ;tat d'acquitter leur dette. Les Croi"ês voyant approcher le terme de leur lépart, redoubloient leurs inftances. On les amufoit par de petits payenents & de grandes promefTes. Le Marquis Boniface, k qui la parenté & a reconnoifïance devoient donner le )lus grand crédit, preffoit vivement \lexis; il le menagoit même des fuies funeftes que pourroient avoir fon  du Bas-Empire. Liv. XCIFl 453 infidélité & 1'impatience des Croifés. Le Prince prêtoit plus volontiers l'oredle aux confeils de Murzuphle , qui ne cherchoit qu'a le mettre aux prifes avec les Latins. Fatigués enfin de tant de remifes, les Croiiés fe déterminerent k faire fignifier au jeune Empereur qu'il eüt a payer fur le champ , ou qu'on lui déclaroit la guerre. On choifit pour cette commiffionConon de Béthune, Geoffroi de Villehardouin , Miles de Braibans, &c trois Seigneurs Vénitiens. Ils partirent aufli-töt, non fans crainte d'être arrêtés & peut-être maltraités en chemin. Arrivés au palais de Blaquernes, ils y trouverent les deux Empereurs, PImpératrice & grand nombre de courtifans afiemblés. Conon de Béthune , 1'orateur des Croifés, adreffant la parole au vieil Empereur, s'exprima en ces termes : » Sire, les » Barons & le Doge vous parient » aujourd'hui par ma bouche. Vous » favez les fervices qu'ils vous ont » rendus , & perfonne ne les ignore. » Vous vous êtes engagé par ferment, » vous & votre fils, k leur en té» moigner votre reconnoiffance, lis . ISAAC II. Alexis IV. An. 1204,  ISAAC II. Alexis IV. Au. 1204. 434 BlSTOIRE » en ont la promefle fcellée de vo» tre fceau ; il femble que vous » Payez oubliée. Ils vous 1'önt rap» pellée plufieurs fois , & nous vous » la rappellons encore aujourd'hui » en préfence de votre Cour. Si » vous 1'exécutez, vous ferez jufti» ce, & nous ferons en paix. Sinon, » fachez que nos Barons ne vous » tiendront plus, ni pour Empereur w ni pour ami, mais qu'ils fe feront » raifon par toutes les voies qu'ils » pourront avifer. C'eft ce qu'ils » vous fignifient aujourd'hui avec » franchife. Ils ne favent point ufer » de furprife y ni faire la guerre fans » 1'avoir déclarée. Tel eft le fujet de » notre ambaflade. C'eft a vous, Si» re, a prendre tel parti qu'il vous » plaira ". Un défi fi hardi fit pfdir toute 1'aflemblée. Peu accoutumés k la liberté Francoife, les Grecs en furent étrangement furpris , & le tinrent k grand outrage. II s'éleva un murmure confus : fe regardant les uns les autres, jamais, difoient-ils , perfonne n'avoit eul'audace de défier en face 1'Empereur de Conftantinople. L'indignation montoit au vifage  du Bas-Empixe. Liv. XCIF. 455 d'Alexis, & fe répandoit comme un fombre nuage fur toute 1'aiTemblée. Avant que 1'orage éclatat, les Députés partirent; & étant promptement remontés a chevai, ils ne fe crurent en füreté ? que lorfqu'ils furent hors de la ville. Leur rapport acheya de déterminer les Croifés, & dès ce jour la guerre commenca entre les Frangois & les Grecs. Ce ne fut plus qu'hoftilités de part & d'autre. Par-tout oü les deux nations fe rencontroient, tant fur mer que fur terre, on en venoit aux mains, & les Grecs étoient toujours battus. Pour fuppléerau courage, ilss'aviferent d'un ftratagême qui devoit 1 faire périr la flotte des Croifés. Ils j remplirent de matieres combuftibles f dix-fept grands vaiffeaux, & attendi- ( rent un vent propre a les pouffer au nyage de Galata. Le vent de midi s etant levé au milieu d'une nuit, ils mirent le feu a ces brülots, & les laifTerent aller au gré du vent vers la flotte Latine. A 1'approche d'un fi funeux incendie, on eüt dit que toute la vdle embrafée venoit heurter la flotte pour la réduire encendres. Un tsAAC II. AlEXIS IV. \n. 1204. XXVH. ■es Grecs eulent rüler la otte de* '.tmüs.  ISAAC II. Alexis IV. An. 1204. 456 H I S T O I R E grand cri s'éleve dans le camp, on court aux armes. Les Vénitiens, plus exercés aux opérations de marine, fe jettent dans leurs chaloupes; ils vont avec autant d'intrépidité que d'adrefTe, accrocher les brülots; &c les remorquant a force de rames jufqu'a 1'entrée du canal, ils les abandonnent au gré des vagues qui les emportent au courant. Toute la ville étoit accourue au bord de la mer; tout retentiffoit de cris. Les habitants, pleins d'ardeur Sc d'inquiétudes , exprimoient par les diverfes inflexions de leurs corps les mouvements Sc les divers acciclents de leurs navires. Plufieurs fe jettoient dans des barques Sc alloient tirer fur les Vénitiens pour leur faire quitter prife ; ils en blefferent un grand nombre. Pendant ce même temps ,1a cavalerie Latine étoit fortie en bataille, dans la crainteque les Grecs ne profitaffent de cette allarme pour venir les attaquer du cöté de la terre. Elle fe tint fous les armes jufqu'au jour, qiie les brülots furent tous écartés, Sc allerent fe confumer dans la Propontide. Les Latins ne perdirent qu'un vaiffeau Pifan rempli  du Bas-Empire. Liv. XCIK 457 remnli de marchandifes . frilT fnrpnt la proie des Hammes. Ils rendirent grace k Dieu de les avoir fauvés d'un il grand défaftre , qui auroit infailliblement entrainé leur pérte. Alexis n'avoit pas moins a craindre de fes fujets que des Croifés; & c'étoit moins par haine contre ceuxci, que pour fatisfaire le peuple de Conftantinople, qu'il avoit entrepris de brüler la flotte , k laquelle ce Prince ingrat devoit fon retour tk fon rétabliffement. Dans la perplexité oü il fe trouvoit, il fut tenté de fe réconcilier avec les Croifés. II leur députa Ie traitre Murzuphle, dont les perfides confeils étoient la caufe de tous les malheurs. II leur faifoit dire que c'étoit malgré lui qu'on exercoit contre eux des acles d'hoftilité ; que pour lui il les honoroit, il les aimoit toujours comme fes libérateurs : mais qu'ils favoient que le peuple étoit une béte féroce, bien difficile a apprivoifer : que c'étoit le peuple qui leur faifoit la guerre , qui lui refufoit 1'argent néceftaire pour s'acquitter a leur égard : que pour achever de remplir fes engagements, & fe mettre lüiTome XX. V iSAAC II. Alexis IV. An. 1204. XXVIII. Fauffe réconciliation d'Alexis.  ISAAC II, Alexis IV. An. 1204, XXIX. Canat eftéluEr pereur. 458 HlSTOIRE même en fiïreté k 1'abri de leur prcteéiion , il leur ouvriroit le palais de Blaquernes , oü ils mettroient garnifon & tiendroient en bride toute la ville. Pour gage de fafincérité, illeur donnoit fon ferment, & pour ötages plufieurs Seigneurs de fa Cour. Les Chevaliers pleins de franchife accepterent des offres fi avantageufes. Dès le lendemain matin, le Marquis de Montferrat , fuivi d'un nombre de foldats qui devoient compofer la garnifon , alla fe préfenter a la porte de Blaquernes fans bruit pour ne pas allarmer leshabitants. II attendoit qu'on lui ouvrit fecretement, comme on 1'avoit promis, lorfqu'il lui vint un mefiage de 1'Empereur qui lui faifoit des excufes , & lui mandoit que 1'entreprife ayant été découverte, le peuple foulevé contre lui ne lui permettoit pas de 1'exécuter. II fallut retourner au camp, & 1'on garda les ötages que ce Prince fans honneur ne löngea pas même a redemander. C'étoit le 15 Janvier. Tout Conftantinople étoit en ale larmes. Murzuphle, abufant de la confiance de 1'Empereur pour le perdre,  nu Bas-Empire. Liv. XCIK 459 avoit eu foin de répandre dans la ville par fes émiflaires, le defTein formé de livrer aux Francois la fortereffe de Blaquernes, & le peuple outré de colere s'emportoit en injures contre Alexis. On le traitoit en face de traitre, de parjure, d'ennemis de 1'Empire. On crioit de toutes parts: Alexis riejl qu'un efclave; il nous faut un maitre. Le Prince effrayé fe renferme dans fon palais; le peuple a la fuite du Sénat & du Clergé court a SainteSophie. On y délibere fur le choix d'un Empereur. On demande 1'avis de Nicétas; c'eft 1'Ecrivain même qui nous a laifle 1'hiftoire de ces temps malheureux; il réuniflbit fur fa tête les premières dignités de 1'Empire, Ce judicieux Magiftrat, quoiquepeu courtifan , fit cependant fes effbrts pour calmer la fédition. » Qu'allez» vous faire ? s'écrioit-il : vous ve» nez de rendre la couronne au pe» re; vous Pavez mife encore fur la » tête du fils, & vous voulez main» tenant 1'arracher a tous les deux. » Je ne parle ni de la juftice, ni de » la honte dont vous couvrira vo» tre inconftance. Confidérons feuV ij [SA AC II. Alexis IV. An. 12.04.  JsAAC n. AlEXIS IV. An. 1204. 460 BlSTOIRE » lement notre propre ftireté. Quel » que foit 1'Empereur que vous choi» firez, penfez que 1'armée des La» tins eft a vos portes. Croyez-vous » qu'ils verront tranquillement dé» truire leur ouvrage ? Ils prendront » les armes, ils viendront attaquer » fur le tröne même le malheureux » fantöme que vous y aurez placé. » Avez - vous afTez de forces pour » défendre votre choix ? Jugez du » fuccès par les maux que vous avez » foufferts & que vous fouffrez en»> core ". Le peuple, qui n'écoute que fes paflïons, Pinterrompit par fes cris: Nous ne voulons plus de la race des Anges, tyrans de leur patrie, vendus d nos ennemis. Nous ne fortirons pas ici que nous riayons un nouveau maitre. On cherche donc un Empereur. On fait pafler en revue les noms les plus diftingués : ceux que les uns propofent, font rejettés par les autres. Aucun des Seigneurs ne peut réurrir les fuffrages. On jette les yeux fur les Sénateurs ; plufieurs d'entre eux avoient leurs partifans , qui leur offroient le diadême ; fur leur refus on ufoit de violen ce, & 1'épée fur la gorge, on  nu Bas-Empire. Lw. XCIF. 461 vouloit forcer leur confentement ; mais la crainte de la mort n'étoit pas affez forte pour faire accepter ce préfent funefte, que 1'ambition a fi fouvent recherché au péril de la vie. La couronne étoit devenue un fer ardent, jetté aux pieds de tout le monde , auquel perfonne n'ofoit toucher. Dans eet embarras, on engagea enfin le peuple aremettre la délibération, & trois jours après il fe trouva un homme plus foible que hardi, qui fe laiffa nommer Empereur; c'étoit un jeune imprudent, de familie nobte,. nommé Nicolas Canabe. Alexis, informé de ces troubles. ne favoit a qui avoir recours. Toujours trompé par Murzuphle, il Penvoye 1 de nouveau au camp des Croifés, pour implorer leur afliftance. Le traïtre fe jette aux pieds du Marquis de Montferrat, & 1'amene fecretement au palais. Dans cette trifte entrevue, on ne trouve d'autre reflburce que de faire entrer les Frangois dans le palais de Blaquernes, pour défendre 1'Empereur contre la fureur du peuple. Boniface retourne au camp pour en amener des troupes. Murzuphle , V iij Isa ac II. Alexis IV. An. 1204. XXX. Mort d'Iaac.  isAAC U, Alexis IV. Caxabe. An. 1404, 46a HlSTOIRB de fon cöté , inftruit le peuple de ce nouveau complot, il raflemble toute la familie des Ducas; il gagne par argent 1'Eunuque Conftantin, toujours pret a fe vendre. Par fon moyen , il fe rend maitre des Varangues , gardes du corps de 1'Empereur. II avertit les habitants que les Latins doivent s'introduire la nuit fuivante; qu'ils ayent a faire bonne garde, & qu'ils lui laiffent le foin du refte. La nuit venue, il fe rend a 1'appartement d'Alexis dont 1'entrée étoit toujours ouverte au Protoveftiaire ; & le trouvant endormi : Leve^-vous, Prince, lui criet-il d'une voix tremblante , comme s'il eüt été dans le plus grand efFroi: Sauve^ votre vie : le peuple, les Sei' gneurs , les Varangues font d votre porie: il ont appris que vous appelles les Latins : ils vont fondre ici & vous égorger. Alexis, plus mort que vif, fe jette entre fes bras comme dans fon unique afyle : le perfide Fenveloppe dans une robe de chambre, & le conduit par une porte dérobée dans un cabinet écarté, oü il étoit attendu par une troupe de fatellites. On met Alexis dans les fers; on le jette dans un  du Bas-Empire. Liv. XCIF. 463 horrible cachot. Ifaac étoit alors ma- * lade au lit; a cette affreufe nouvelle, < il eft faifi d'un tremblement foudain qui fe termine par 1'agonie. II étoit 1 dans fa cinquantieme année; & ce ■ Prince infortuné, plus heureux dans fa-difgrace qu'il ne le fut enfuite fur le tröne , fembla n'être forti de prifon que pour périr au grand jour. Dès le matin , Murzuphle aflemble le peuple : il rend compte de ce qu'il . a fait; qtiil a prévenu l'irruption des \ Latins ; quil a écarté le traitre qui avoit conjuré avec eux la perte de la ville; qu'a pré/ent le peuple eft le maitre de choijir un Empereur, de le couronner, de toppofer aux barbares : que ce/i d eux d? actiever Vouvrage qu'ils ri ont fait qriébaucher au milieu du tumulte : que pour lui il y a long-temps qu'il a voué fes fervices d la patrie ; qu il s'y dévoue encore par un nouveau ferment, & qu'il eft pret d ver/er tout fon fang pour elle ; qu'elle n'a qu'a lui affigner le pofte qu'il doit remplir. On applaudit k ce généreux facrifice; les uns veulent qu'on lui confie la garde de la ville; les autres, le commandement de 1'armée; la plupart le deV iv SAAC II. Alexis IV. "ANASE. In, 1204. xxxr: Mort dn enne A« exis.  Alexis IV. C^SABE. Alexis VAn, 1104. \ 4^4 H I S T O I R B mandent pour Souverain ; c'étoit Ie prix qu'il attendoit de fes forfaits. Enfin, prefque toutes les voix fe réunifTent a le proclamer Empereur. Quelques-uns cependant tiennent encore pour Canabe, & c'étoit en effet un meilleur choix. Canabe avoit de 1'efprit, de la douceur, & n'étoit pas fans courage. Mais fon foible parti fut bientót obligé de céder k la multitude, & Canabe fut mis entre les mains de Murzuphle , qui le fit enfermer chargé de chaines dans le même cachot qu'Alexis. II reftoit encore k ce tyran une inquiétude; il étoit alors Pidole du peuple ; mais les aventures d'Ifaac & d'Alexis lui avoient appris, que le peuple n'eft pas moins fujet aux regrets qu'aux emportements de colere, & que fon inconftance fe fait un jeu d'abattre & de relever tour-atour. Pour fe mettre a couvert de fes :aprices, il fallok encore lui öter Alexis; il lui fit par deux fois avaler in breuvage empoifonné; la force du tempérament ou peut-être quelque intidote le fauva autant de fois. Imjatient de s'en défaire, il defcend ui-même au cachot le 8 Février; tte  nu Bas-Empire. Llv. XCIK 465 öprès av.oir dïné avec ce Prince ,il fe jette tout-a-coup fur lui; & fourd a fes fupplications, infenfible k fes larmes, ill'étrangle de fes propres mains. Non content de cette action horrible, pour faire croire qu'il s'étoit tué par une chüte, il meurtrit fon cadavre k coups de maffue, & lui brife tous les os. Ainfi perdit la vie ce jeune Empereur, fix mois & fix jours après avoir recu la couronne , dont il ne fentit jamais que les épines. Canabe dont il n'eft plus parlé dans la fuite , n'eut pas apparemment un meilleur fort. Murzuphle, fe croyant bien affuré au-dedans k force de crimes , ne fongea plus qu'a fe délivrer des dangers du dehors. Comme il craignoit que < fi les Latins appr-enoient la mort d'A- ' lexis, ils n'entrepriffent de la venger ' il prit des précautions pour la tenir cachee jufqu'a ce qu'il eüt exécuté le deifein qu'il avoit formé. C'étoit d'attirer les pnncipaux d'entre eux & de les faire périr. II leur envoya donc un de fes Officiers de la part d'Alexis comme s'il régnoit encore , pour les inlviter k venir fouper avec lui v Y Alexis IV. Canabe. Alexis V. An. 1104, xxxrr. Rufe de durzu'hle pour e défaire es Lams,  Alexis IV. Canabe Alexis V. An. 120.< t\66 IIlSTOIRE ■ promettant d'achever le payement des fommes dont il leur reftoit re- , devable. L'invitation fut bien recue ; on promit de fe rendre le lendemain chez Alexis, & Pon s'y préparoit avec " joie. Mais Dandolo qui connoiffoit mieux les Grecs, ne donna pas dans le piege. Après le départ des députés , ayant affemblé les Barons : » Avez» vous doncdéja oublié, leur dit-il, » les perfidies d'Alexis ? Rétabli par » votre valeur , tout couvert de vos » bienfaits, lié par des ferments fo» lemnels, ce Prince ingrat , dès » qu'il a cru n'avoir plus befoin de » vos fervices, s'eft déclaré votre en» nemi: il a tourné contre vous les » armes que vous lui aviez mifes en» tre les mains. Malgré la foi jurée, » il a attaqué vos troupes, il a voulu » faire périr votre flotte. II vous a » déja joué par des offres trompeu»> fes, qu'il renouvelle aujourd'hui. » Vous laiflerez-vous encore abufer n par les mêmes menfonges ? Vous » avez accepté fon invitation; man» quez-lui une fois de parole , il vous » ena manqué tant de fois. Prenons » le temps de nous inftruire de ce qui  du Bjs-Empike. Liv. XCir. 467 » fe paffe dans Conftantinople Son avis fut approuvé, Sc fa prudence en préfervant les chefs de 1'armée d'une perte certaine, fauva 1'armée entiere. On fut bientöt informé de la mort d'Ifaac, du meurtre d'Alexis, & de tous les forfaits de Murzuphle, Sc ces nouvelles exciterent une horreur générale. Les foldats ainfi que les chefs s'écrioient, qu'il falloit étouffer ce monftre, oc'punir une nation perfide qui couronnoit le crime Sc vendoit 1'Empire aux affaffinats. Les Eccléfiaftiques qui fe trouvoient dans le camp, & le Nonce apoftolique animoient encore les efprits. » Ce n'eft » pas feulement, diibient-ils, 1'inté» rêt & 1'honneur des Latins que les » Grecs attaquent, ils fe révoltent » contre Dieu même; ils renoncent » a robéiffance qu'ils ont promife h » 1'Eglife Romaine; ils fe replongent » dans le fchifme & dans leurs an» ciennes erreurs, qu'ils fembloient » avoir abjurées. Des fcélérats , des » parricides, des rebelles k Dieu & » aux hommes, c'eft juftice, c'eft » piété même de les exterminer. Ils » ont perdu tous les droits de rhivmaV vj Alexis V. An. 1204,  AtEXIS V. A1V.-IZ04. 468 HlSTOIRË » nité : leurs terres, leurs poffeffions, » leur vie même appartient aux exé» cuteurs de la vengeance Divine, » Prenez les armes, & croyez quele xxxm. Prépara tifs de Murzuphle. » Souverain Pontife vous accorde » pour cette guerre religieufe les » mêmes indulgences que pour com» banreles Infideles". Ces difcours, conformes aux maximes recues en ces temps-lè , embrafoient les Croifés; ils fe difpofent a attaquer de nouveau Conftantinople. Murzuphle ne pouvanf plus tenir fecrete la mort d'Alexis , voulut du moins perfuader quil n'y avoit point de part. II lui fit de magnifiques funérailles. Alexis fut enterré dans 1'Eglife des Apötres avec toute la pompe accoutumée dans les obfeques des Empereurs. La guerre étant inévitable , il fai• Ioit fonger a la défenfe, & la principale confiftoit dans le zele & 1'attachement du peuple. Murzuphle s'en fit aimer par une familiarité grofliere, par des bravades, paruneaffectation de juftice , de tempérance , de courage infatigable. Toujours une maflue de fer a la main, c'étoit, difoit-il, de quoi écrafer cette poignée  du Bas-Empire. Liv. XCIF. 469 de 13ch.es ennemis. Mais de tous fes ; parents il n'avoit pour lui que Philocale fon beau-pere. Les autres , qui en effet ne méritoient aucune eftime, gens fans honneur & perdus de débauche, ne pouvoient foufFrir fa dureté & fa rudeffe , qui s'annoncoit par le ton même de fa voix. II comptoit beaucoup fur les confeils de Philocale, auffi méchant que lui, & plus habile. Pour le mettre a la tête des affaires, il dépouilla de toute dignité Nicétas, grand Logothete, quoiqu'il n'eüt rien a lui reprocher que fa vertu , & mit Philocale k fa place. Celuici, pour n'avoir k parler qu'a fon gendre , & n'être pas contredit dans le confeil, feignit d'être tourmenté de la goutte j & ne fortoit pas de fon lit. Le tréfor public étoit vuide ; ce fut par fon confeil que pour le remplir le nouvel Empereur eut recours a un expédient, qui ne feroit pas défavoué de la juftice, fi dans Ie procédé elle étoit feule écoutée; c'étoit de faire le procés a tous ceux qui, fous le gouvernement des Anges , avoient profité de leur crédit & de la négligence des Princes, pour s'enri- AlEXIS V. Ln. 12,04.  Alexis V. An, 1204. 470 HlSTOIRE chir aux dépens de 1'Etat. II tira de leurs confifcations des fommes immenfes , qui le difpenferent de fe rendre odieux par de nouvelles impolitions. C'eft la leule aftion d'équité qu'il ait faite fous fon malheureux regne. II répara les murs que Pattaque précédente avoit endommagés. Ils avoient été conftruits de petites pierres fi bien liées avec la chaux & le ciment, que le tout enfemble étoit devenu a la longue une feule maffe trés - folide. Quoiqu'ils fuffent fort élevés, il les exhauffa encore du cöté du golfe, par oii 1'expérience du pafte lui faifoit penfer que fe donneroit la principale attaque. Ils étoient flanqués de tours éloignées feulement de cinquante pieds 1'une de 1'autre; il rehauffa ces tours de plufieurs étages, & dans chacun des intervalles il fit élever fur la plateforme des murs larges de vingt pieds, une tour de bois de trois, de quatre, quelques-unes de fix étages, qu'il garnit de foldats, & entre chaque tour on établit une balifte ou mangonneau. Au dernier étage de chaque tour étoit attaché un pont-levis avec  du Bas-Em.pire.Lw. XCIK 471 un parapet des deux cötés, qui devoit s'abattre en-dehors fur les tours & les chateaux de hune des vaiffeaux ennemis. Voilé ce qu'il imagina pour fa füreté. La multitude innombrable de bras que lui fournilToit une prodigieufe population , acheva très-promptement tous ces ouvrages. Mais non content de travailler k la défenfe de la ville , il fongeoit a mettre les Latins hors d'état de 1'attaquer; ileflayadonc encore de brüler leur flotte; mais il n'eut pas plus de fuccès qu'Alexis. Pendant le même temps il agiflbit du cöté de la terre; mais ce n'étoient que des efcarmouches, qui tenoient en inquiétude les Croifés, fans leur caufer aucun dommage. Les Généraux Latins ne s'endormoient pas ; ils s'avancoient jufqu'a la porte de Blaquernes fous Pétendard de la croix, & de-la les foldats, les valets même de 1'armée défioient les Grecs par des railleries. II arrivoit quelquefois que les Officiers Grecs, piqués de ces infultes, & honteux de leur poltronnerie , fortoient avec leurs troupes; mais toujours battus & repoufles, ils Alexis V. An. 1204. XXXIV. Murzuihlebattu.jar terre»  Alexis V. An. UP4 455* II I S T Ü I R E rentroient bientöt dans la ville en moindre nombre qu'ils n'en étoient fbrtis. Pour ne pas perdre le temps en ces petits eombats de peu d'efTet , Henri de Hainaut, frere de Baudouin, entreprit une expédition plus importante. II prit avec lui Jacques d'Avefnes , Baudouin de Beauvais,Eudes &£ Guillaume de Champlite , avec environ mille foldats , & étant parti fur le foir , après avoir marché toute la nuit, il fe trouva le matih aux pieds des murs de Philée , ville fltuée fur le Pont-Euxin a Pendroit oü fe terminoit la longue muraille batie fous Pempire d'Analtafe. C'étoit 1'ancienne Phinopolis, célebre dans les temps fabuleux par le palais de Phinée qui recut chez lui Jafon & les Argonautes. Les habitants, quoique lürpris, fe défendirent pendant quelques heures avec afTez de courage, mais ils furent enfin forcós par efcalade , & la ville fut faccagée. Le pillage dura trois jours. On y enleva quantité d'or , d'argent, de bétail & de prifonniers, qu'on envoya par mer au camp des Croiiés. Les vainqueurs, débarrafies de ce butin , fe mirent en marche  du Bas-Empire. Liv. XCIF. 473 pour le retour. Cependant Murzuphle, informé de cette excurfion, fortit pendant la nuit de Conftantinople . avec une troupe beaucoup plus nombreufe, & alla fe pofter en embufcade fur Ie chemin. Les Latins, croyant n'avoir rien a craindre , marchoient fans ordre & fans précaution. Les Grecs les laiflent pafler & fe tiennent couverts, jufqu'a ce qu'ils appercoivent Henri qui f?rmoit 1'arriere-garde. Ils fortent alors de Pembufcade, & chargent avec vivacité la petite armée k 1'entrée d'une forêt. Les Latins, fans s'effrayer, fe mettent en ordre en un moment & font volte face; le combat s'échauffe & devient furieux. Les Grecs , qui s'attendoient k une prompte déroute, perdent peua-peu courage. Henri & les autres Capitaines n'en veulent qu'è Murzuphle , ils ne cherchent que lui. Peu s'en fallut qu'il ne fut pris; il n'échappa que par la vitefle de fon cheval, laiflant fur le champ de bataille fon bouclier , fes armes & grand nombre de fes gens, entre lefquels étoient vingt Officiers de la première diftin&ion. Mais la pene la plus fen* Alexis V. In. 1204  Alexis V. An. 1204. XXXV. Entrevne rnutile de Dandolo fcdeMurxuphle. 474 Histoirb fible aux Grecs fut Pétendard Impérial: c'étoit une image célebre de la Sainte Vierge , que les Empereurs ne faifoient porter devant eux que dans les occafions périlleufes. Baudouin , dans fa lettre au Pape, dit qu'on en fit préfent a 1'Ordre de Cïteaux : Rhamnufio prétend qu'elle fut tranfportée a Venife, & que c'eft elle qu'on expofe a la vénération des fideles dans PEgfife de Saint - Mare , les jours de fête de la Sainte Vierge. Malgré les grands préparatifs de Murzuphle , il n'ignoroit pas combien il devoit peu compter fur le courage de fes fujets, & ce qu'il avoit a craindre de celui des ennemis. II tenta donc un accommodement, & envoya demander aux Princes une entrevue. Tous rejettoient la propofition avec horreuf; c'étoit, difoient - ils , fe déshonorer que de traiter avec ce monftre exécrable. Dandolo fut d'un autre avis; il repréfenta qu'il falloit facrifier a 1'utilité publique les plus juftes répugnances , èc voir fi 1'on pouvoit fe procurer la paix en confervant 1'honneur de Dieu & des Croifés. II fe chargea lui-mê-  nu Bjs-Empire. Liv. XCIF. 475 me de la négociation; & de 1'aveu des Barons, il fe rendit fur fa galere è la pointe du golfe. Murzuphle y vint k cheval. Le Doge lui reprocha d'abord fon horrible parricide, 6c lui déclara qu'il feroit trés - difncile d'engager les Latins a prendre aucune confiance dans un homme, qui, au mépris des loix divines & humaines, avoit par la plus cruelle perfidie trempé fes mains dans le fang de fon Prince. Murzuphle eflayoit en vain de fe juflifier par des réponfes artificieufes, que Dandolo détruifoit d'un feul mot. On en vint enfin a traiter des conditions de paix. Le Doge demandoit cinq müle livres d'or payables fur le champ: de plus, qu'il aidat les Croifés a la conquête de la TerreSainte, conformément k la promeffe qu'en avoit donnée Alexis, & qu'il jurat de nouveau obéiffance k 1'Eglife Romaine. Murzuphle confentoit k tout, excepté au dernier article : il protefioit qu'il fe laifleroit hacher en pieces, qu'il s'enféveliroit lui 6c tous les Grecs fous les ruines de PEmpire, plutöt que de foumettre 1'Eglife d'Orient au Pontife Romain. Alexis V. An. 1104.  Alexis V. An. 1204. XXXVI. Délibération des Croifés. Vdlehard. e. 122. ad 156. & ibi Du Cange. Nicet. in Munt. e. 2. Idem de Statu Confi. ie. 1. ad 6. Acrop. e. 3. 4- Gefia Inttoc. Herold. I. 2. c. 20. Sanut. I. 3. part. 11. e. 1. Guntherus hifi. Confi. Chron. Cajfin. Chron. Lubec. Chron, Vfptrg. Chron, Alberic. 476 HlSTOIRE Son opiniatreté étant invincible , les deux Princes fe féparerent, déterminés de part & d'autre a en venir aux extrêmités. On travailloit de part & d'autre depuis trois mois , les habitants a fe fortifier, les Latins k fe mettre en état d'attaquer avec fuccès. Déja le tillac des vaiffeaux étoit couvert d'échelles, de baliftes , de monceaux de pierres & de javelots. Au haut des mats étoient fufpendus ces ponts hardis qui n'attendoient que le moment de s'élever en Pair, & de porter fur les murailles le fer & la mort. Le printemps commengoit, & il étoit temps de terminer une guerre qui fufpendoit Pexécution de la principale entreprife. On affembla le confeil pourprendre une derniere rêfolution. Quelques Barons penfoient qu'on ne pouvoit fans témérité attaquer avec fi pzu de troupes une ville devenue imprenable par tant de nouveaux ouvrages ; qu'a la tête d'un million d'habitants etoit maintenant un chef plus vaillant & plus habile qu Alexis; que Cunique moyen de s'en rendre maitres étoit de la réduire par famint en ravageant les campagnes,  dv Bas-Empire. Liv. XCIV. 477 & lui tnltvant les places dalentour qui luiprocuroient la fubfifiance, & dont U feroit facile de s'emparer. Mais les autres s'écrioient, que le retardement étoit plus d craindre que toutes les forces des afjiégés ; que moins il leur reftoit de foldats, moins ils en avoient d perdre, & que les chicanes dun long fiege en diminueroit toujours le nombre; que fans une flotte immenfe, il étoit impofjible daf famer une ville environnée de trois mers. Pourquoi ddilleUrs défefpérer de prendre une place , qdon avoit déja prife une fois ? Que le fouvenir récent du premier fuccès ferviroil les vainqueurs mieux que toutes les machines de guerre , & óteroit aux vaincus la confiance que pouvoient leur infpirer leurs nouveaux préparatifs. Cet avis Pemporta , & tout étant pret pour entrer en aétion, on fixa 1'attaque au neuvieme d'Avril, vendredi avant le Dimanche de la Paffion. On ne doutoit pas du fuccès; & pour prévenir les jalouiies & les querelles que pourroit faire naïtre entre les vainqueurs le partage d'une fx ri- j che conquête, ils convinrent entre ! eux des articles fuivants. » 1 o. Après » que par le fecours de Dieu, la ville AXEXÏS V. An. 1204. Chron. Sti, Ant. Rohert de Monte. Rhamnufius l. 3. Sabellic. L S. Odor. Payn. Doutrcman. I. 3, c 6,7. Du Cangt) fam. p. 205 , 206. Idem Hifi. Confi. Maimbourg l, 8. xxxvir. Convenions des iffié- ;eants :ntre eux.  At EX IS V. An, 1204. 478 HlSTOIRE » fera réduite au pouvoir des Croi» fés, tous obéiront fans réferve aux » Commandants, qui feront choiüs » par le fufFrage commun des Fran» cois & des Vénitiens ". Sous le nom de Francois étoient compris tous ceux qui compofoient 1'armée des Croifés, de quelque nation qu'ils fuffent,excepté les Vénitiens.» i°.Tout » le butin trouvé dans la ville prife, ♦> de quelque nature qu'il foit, fera » fidélement porté dans le lieu mar» qué pour le recevoir, fans qu'il » foit permis a perfonne d'en dé» tourner aucune partie. 3 °. Les Fran» cois & les Vénitiens partageront le » butin par portion égale. Les Fran» 5ois payeront fur leur part aux » Vénitiens, le refte de ce qu'ils leur » doivent pour le loyer de leurs vaif» feaux. 40. Le bied & les autres » fubfiftances feront dépofées en ma» gafm, moitié pour les Francois, » moitié pour les Vénitiens, & leur » feront départis pour leur nourritu» re journaliere tout le temps qu'ils » refteront enfemble. S'il s'en trouve » de refte a leur féparation, on leur » en tiendra compte. 5». Les Véni-  W Bas-Empire. Lh. XCIK 479 » tiens, dans toute 1'étendue de 1'Em» pire, conferveront les titres, hon» neurs, privileges dont ils jouilïent » dans leur pays, tant pour le fpi» ntuel que pour le temporel ; ils »> feront gouvernés felon leurs loix » & leurs coutumes, tant écritesque » non écrites. 6°. Pour donner un » nouvel Empereur a Conftantino>» ple, on nommera, par le fuffrage » commun de toute 1'armée, fix Elec» teurs Fran?ois & autant de Véni»» tiens, qui choifiront dans 1'armée » ou dans la flotte celui qu'ils juge» ront le plus capable de rétablir , » gouverner, défendre PEtat, & d'y >» mamtenir la piété envers Dieu, » 1 obeiffance a la Sainte Eglife Ro» maine, & la dignité de 1'Empire. » Celui qui fera élu par la pluralité, » iera reconnu pour Empereur par » tous les Croifés. S'il arrivoit que « les Francois en nommaffent un, & » les Vénitiens un autre, le fort en » décideroit. 70. L'Empereur poffé» dera en domaine le quart de la » conquête, avec les deux palais de » Bucoléon & de Blaquernes. 8°. Le » Clergé de la nation qui n'aura pas Alexis V. ia. 1204.  Alexis V. 4n. 1104. 480 . HlSTOIRE » eu Phonneur de donner 1'Empereur, » donnera le Patriarche, & celui-ci » fera mis en poffeiTion de 1'Eglife » de Sainte-Sophie, & difpofera de » 1'adminiftration de cette Eglife. » 90. Les Eccléfiaftiques des deux na» tions auront le gouvernement des » Eglifes comprifes dans les terres » échues en partage a leur natión. » On leur affignera fur les revenus » de ces Eglifes, les fonds néceffai» res pour une fubfiftance honnête, » pour 1'entretien des Eglifes , & » pour les dépenfes convenables au » culte divin. io°. Les Francois &C y> les Vénitiens s'engageront par fer» ment a demeurer pendant un an, » k commencer du dernier jour du » préfent mois de Mars, au fervice » de 1'Empereur, & a lui rendre ref» peft & obéifTance. n°. Ceux qui » s'établiront fur les terres de 1'Em» pire, préteront foi & hommage a » 1'Empereur felon la coutume; ils » jureront de s'en tenir au partage » qui fera fait de la conquête, & » de ne s'en jamais départir. 1 x°. On » choifira entre les Francois & les » Vénitiens douze CommilTaires ou » davantage,  ëu Bas-Empire. Liv. XC/K 481 » davantage, qui, après avoir prêté : » ferment, diftribueront, felon leur » confcience a la pluralité des voix, ■i » les fiefs, charges & dignités, com» me auffi détermineront les devoirs » & fervices auxquels les Francois » & les Vénitiens feront tenus en» vers 1'Empereur & 1'Empire ; ils » mettront les feudataires & les vaf» faux en pleine jouiffance de leurs » fiefs,charges & dignités, avec pou» voir de les tranfmettre a perpén tuité a leurs héritiers males ou fe» melles, & d'en difpofer k leur vo» loaté, fauf les droits de 1'Empe» reur & de 1'Empire toujours ré» fervés. Hors les redevances » & les fervices auxquels les vaf» faux & les feudataires feront obli» gés par la condition de leurs fiefs, » 1'Empereur demeurera chargé de » tout le refte pour la füreté & 1'u» tilité de 1'Empire. 14°. On ne re» cevra fur les terres de 1'Empire » aucune perfonne des nations qui » feront en guerre avec les Francois » ou les Vénitiens, tant que cette » guerre durera. 15 °. Les Francois & » les Vénitiens employeront leur créTerne XX, X Alexis V. Cd. 1204,  Aiexis V. An. 1204. 482 IIlSTOIRE » dit auprès du Pape, pour Pengager » k confirmer les prélentes conven» tions, & a prononcer 1'excommu» nication contre ceux qui lés vio» leroient ou refuferoient de s'y fou» mettre. 160. L'Empereur jurera » d'obferver, faire exécuter & main» tenir inviolablement les partages, » collations èc réglements ci-deiTus » exprimés. S'il fe trouve quelque » chofe, foit a ajouter, foit a re» trancher, la décifion en appartien*> dra aux douze CommiiTaires Fran» qols & Vénitiens, affiftés du Mar>< quis de Montferrat, & de fix Con» feillers de fa nomination. 170. Le » Doge, par un honneur particulier » qu'on défere a fa perfonne, ne fera » point tenu de prêter ferment a » 1'Empire ni a 1'Empereur, pour les » fervices ou devoirs des fiefs ou di» gnités dont il fera revêtu; privin. lege qui lui fera perfonnel, & ne » s'étendra pas a ceux auxquels paf» feront enfuite fes fiefs & digni» tés ". Telles furent les conditions arrêtées entre les Croifés, dans le camp devant Conftantinople au mois de Mars 1204.  du Bas-Empire. Liv. XC1K 4S3 Après qu'elles eurent été mnfi,. mees par ferment. i s 1'exécution. Comme on vouloit n'attaquer la ville que par mer, toutes les troupes fe réunirent au bord du golfe. On tranfporta dans les vaiffeaux les armes, les vivres, les chevaux , les équipages ; enfin toute 1'armée s'embarqua le 8 Avril. On divifa d'abord la flotte en autant d'efcadres qu'il y avoit dans 1'armée de différents corps; on les aligna enfuite a peu de diftance 1 une de 1'autre, la proue tournée vers les murailles. La ville & la flotte fe donnoient mutuellement un fpe&acle , auffi beau que formidable. D'un cóté , tant de navires rangés fur la même hgne, chargés de machines & de guerners, dont les armes étincelantes lancoient des éclairs & menacoient de la foudre, couvroient la mer dans 1'étendue d'une demi-lieue. De 1'autre, de hautesmuraiiles, hériflees de lances & de javelots, bordées de bahftes, de catapultes, de bouches d'airain prêtes a vomir le feu grégeois, couronnées de tours prodigieufement exhaufTéeSj&garnies detout ce qu'un X ij v. An. 1204. XXXVIII Première attaque de Conilantineple.  Alexis V. An. 1204. 4S4 HlSTOIRE art homicide a inventé pour Ia perte des affaillants, fembloient défier les Croifés, & leur préparer une tempête plus terrible que celles de la mer. Mais les Croifés ne craignoient que la honte d'une défaite, & les Grecs quoique moins généreux, aimoient mieux cependant périr avec honneur 'fur leurs murailles, que d'être égorgés dans leur ville avec leurs femmes & leurs enfants. Le neuvieme d'Avril, au point du jour , toute la flotte enfemble leva 1'ancre, & eut bientöt traverfé la largeur du golfe. Les uns fautent a terre , plantent les échelles au pied du mur, & montent a Faffaut malgré tout le fracas qui fond fur leurs têtes. Les autres, fur les vaiffeaux mettent en mouvement toutes leurs machines, pour abattre les défenfeurs; ils dreffent & font tomber fur les murs leurs ponts-levis, qui portent les affaillants fur les courtines ou 1'on fe bat a coup de main. Murzuphle avoit fait planter fur une éminence dans la ville, une tente d'écarlate, d'oii il confidéroit l'aftion,&animoit les foldats par fes regards & par fes mouvements. L'a-  du Bas-Empire. Liv. XCIF. 48$ charnement étoit égal de part & d'au- ■ tre; mais la hauteur des tours, d'oü il tomboit fans ceffe fur les Croifés k une pluie de feu, de pierres, de javelots, donnoient aux Grecs un terrible avantage; & comme on combattoit en plus de cent lieux différents , & que le nombre des affiégés étoit infïniment fupérieur, les nuées de traits qui partoient continuellement, précipitoient du haut des échelles & des ponts-levis les plus hardis affaillants, les uns morts, les autres bleffés. L'attaque durajufqu'è midi , fans rallentir le courage des foldats Croifés. Mais les Capitaines, qui couroient rifque de perdre toute leur armée, ayant même déja perdu plufieurs de leurs machines que le feu grégeois avoit réduites en cendres, donnerent a grand regret le fignal de la retraite; & les foldats, reffentant plus vivement la honte & le défefpoir que la fatigue & les bleffures , remonterent dans les vaiffeaux avec beaucoup de précipitation , & encore plus de danger, étant accablés d'une grêle de traits jufqu'a ce qu'ils fuffent hors d'infulte. Cette journée X iij Alexis V. ia. 1204  Alexis V. te. 1204. XXXIX. Délibération des affiégeants. 48Ö H 1 S T O 1 R B fut plus meurtriere pour les Croifés que pour les Grecs, a qui eet avantage caufa une extréme joie. Les vaiiTeaux fe retirerent les uns hors de la portée des traits , les autres encore affez prés, pour adreffer aux murailles & en reeëvoir les coups de pierriers & de mangonneaux. Sur le foir les principaux Capitaines s'affemblerent dans une Eglife voifine, pour délibérer fur le parti qu'ils devoient prendre. Tous étoient également confternés de 1'échec qu'ils venoient de recevoir; mais les avis étoient différents : les uns vouloient qu'on changeat 1'attaque , & qu'on allat affaillir la ville par le bord de la Propontide, oü la muraille étoit plus bafTe & fans aucun nouvel ouvrage, paree que les Grecs ne s'étoient pas attendus k être attaqués de ce cöté-la. Les Vénitiens, qui connoiffoient mieux cette mer, repréfentoient que le fond n'étoit pas tenable, & que malgré les ancres les vaiffeaux feroient emportés dans 1'Hellefpont p3r les courants. Cette raifon n'arrêtoit pas plufieurs Capitaines, qui, n'ayant confenti qu'avec peine  nu Bas-Empire. Liv. XCIF. 487 au fiege de Conftantinople , & rebutés encore par le mauvais fuccès de cette journée, ne demandoient pas mieux que d'être emportés dans 1'Archipel, & forcés a changer de deffein. Mais les autres, en plus grand nombre , réfolus de réparer leur honneur par un nouvel effbrt, déciderent qu'on pafleroit le lendemain famedi & le Dimanche fuivant, a faire les difpofitions néceflaires pour un fecond affaut : que les navires feroient accouplés enfemble deux a deux pour aflaillir chaque tour; 1'expérience leur ayant fait connoitre qu'un navire feul ne fuffifoit pas pour i'attaque d'une tour, ou fe trouvoient beaucoup plus de défenfeurs que le navire ne portoit d'aflaillants. Ces mefures prifes, on attendit le lundi pour retourner a raflaut. Dès le matin de ce jour, la trompette annonca fur la flotte le comHiencement de I'attaque. Les deux partis n'étoient pas exempts de quelque fentiment de crainte. D'un cöté, la fatigue du combat précédent, & 1'invincible opiniatreté des Croifés ébranloient le courage des Grecs ; X iv ALEXIS V. An. 12.04. XL, Second iffaut,  Alexis V. An. 1204. 488 HlSTOIRE de 1'autre, 1'échec déja effiiyé, faifoit refpeéfer aux Latins ces terribles murailles, & ces défenfes menacantes qui les avoient repoufTés. Pour renouveller leur ardeur, on fit crier par un héraut, que le premier qui monteroit fur le mur auroit cent marcs d'argent pour récompenfe. Aufli-töt les vaifleaux joints deux a deux, s'avancerent rapidement fur la même ligne, & chaque couple s'attache a une tour. Les pierres partent des baliftes; les ponts-levis s'abattent Scfont bientót couverts d'une foule de guerriers ; les échelles plantées au pied des murs font en un inftant chargées de foldats, qui montent a la file, &i s'empreflent de gagner les creneaux. Du haut des tours & des courtines, tombent de toute part & de la main même des femmes , auxquelles la peur tient lieu de courage, des pierres , des pieces de bois, des maffes de toute efpece , des flots de feu grégeois; & eet affreux orage renverfe , fracafle , éerafe les uns, tandis que les autres périflent environnés de flammes que rien ne peut éteindre. Les Capitaines. animent,  vu Bas-Empire. Liv. XCIK 4S9 encouragent , preffent les combattants & de la voix & de 1'exemple. II étoit déja midi, & les Grecs avoient 1'avantage , lorfqu'un vent de Nord fe leve pendant ce furieux combat, & poufTe prés du mur deux vaiffeaux liés enfemble, nommés la Pélerine & le Paradis , que montoient les Evêques de Soiffons & de Troyes. A peine 1'échelle élevée fur la hune de la Pélerine eft appliquée contre le mur , qu'on voit déja au haut de la tour un Francois, nommé André d'Urboife , & Pierre Alberti, Vénitien , qui font fuivis d'une foule de leurs camarades. Les Grecs qui Ia défendoient font maffacrés , ou fe précipitent eux-mêmes. Le brave Alberti , couvert de gloire, eft tué par un Francois qui le prend pour un Grec, & qui reconnoiffant fon erreur , alloit fe tuer lui-même, fi 1'on n'eüt arrêté fon défefpoir. Les drapeaux des deux Evêques font les premiers plantés fur la muraille. A ce fignal, le refte de la flotte s'embrafe d'une nouvelle ardeur; c'eft k qui fautera le premier fur le bord, & montera a 1'efcalade. On renyerfe X y Alexis V. kn. 1204  Alexis V. Ln. 1104. XLT. Prife de & -/iUe. j.90 HlSTOIRE es défenfeurs; en un moment on fe "aifit de quatre autres tours , d'oii 'on faute dans la ville. Les béliers m-dehors frappent 8c abattent trois ?ortes. Toute 1'armée entre a grands 3ots , & avec elle la terreur Sc ie :arnage. Un feul ennemi met mille Srecs en fuite. Chaque Croifé eft un ion, qui, de fes feuls regards, chaffe ievant lui un troupeau de cerfs. Murzuphle fembloit réfolu a tenir ferme, ÖC a mourir les armes a la main. Sa garde rangée devant fa tente, lui formoit une barrière. La vue de Pierre de Bracheux, Chevalier du Beauvaifis , guerrier de haute taille, Sc que 1'épouvante repréfentoit aux Srecs comme un géant, courant a la tête de fa troupe , effraye & les >ardes & Murzuphle; tous prennent a fuite ; les uns gagnent la porte de Blaquernes, les autres difperfés, fe fauvent avec Murzuphle par divers :hemins au palais de Bucoléon, ou ils fe barricadent comme dans une dtadelle. Lesrues de Conftantinople, quoique fcrt larges, ne 1'étoient pas affez pour donner paffage aux fuyards.  du Bas-Empirb. Liv. XCIV. 491 Quelques-uns, ramaffant ce qui leur reliek de force & de courage, réfiftoient encore, & difputoient leur vie. Cependant le maitacre ne fut pas auffi grand que 1'animofité des vainqueurs devoit le faire craindre, & 1'on ne doit pas s'en rapporter fur ce point a la defcription horrible qu'en ont faite les Hiftoriens Grecs. Portes de leur nature a 1'exa? gération, ils ne 1'ont pas épargnée dans une peinture tracée par la haine & le défefpoir. Un Ecrivain Latin , poftérieur a ces temps-la, a eu tort de dire, fans doute fur la foi de ces Hiltoriens qiiavant la prife. de Confantinople, les Croifés étoient des Saints, & qu après la prife ce furent des diables. Ils ne furent jamais ni 1'un ni 1'autre. Selon les Auteurs s les plus dignes de croyanee, les Prêtres & les Moines, qui fe trouvoient en grand nombre entre les Croifés, travaillerent avec tant de zele a calmer la fureur de la viöoire, qu'il n'y eut dans la ville que deux mille hommes de tués; encore le furentils prefque tous par ces Latins qu'Alexis avoit chaffós de ConftantinoX vj Alexis V. An. 1204  Alexis V. An. 1204. XLII. Fuite de Murzuphle. 49i IJlSTOTHB ple, comme nous 1'avons raconté* On rapporte que les Croifés, depuis qu'ils furent entrés dans la ville, ne perdirent qu'un feul homme , qui fe tua en tombant dans un fofTé avec fon cheval. Comme la nuit approchoit, & que les habitants, qui ne s'étoient pas fauvés hors des portes, s'étoient renfermés dans leurs maifons, la fatigue & la crainte de s'engager dans une ville immenfe , dont on ne connoiffoit pas les détours, déterminerent les vainqueurs a fonner la retraite, & a fe raffembler dans la grande place, oü ils tinrent confeil , & réfolurent de fe loger cette nuit prés des murailles & des tours dont ils s'étoient rendus maïtres. A la vue de tant d'Eglifes, de tant de palais, qui fembloient être autant de forterefTes, & qui pouvoient être défendus par un peuple innombrable, ils penfoient qu'il leur faudroit peut-être plus d'un mois pour en être tranquilles pofTeiTeurs. Selon cette rêfolution, ils allerent paffer la nuit prés des murs. Le Comte Baudouin fe logea dans les tentes d'écarlate de Murzuphle ; Henri fon  du Bas-Empirr. Liv. XC1V. 493 frere devant le palais de Blaquernes , le Marquis de Montferrat plus avant dans la ville. Le Comte de Blois étoit refté malade dans fon vaiffeau. Une fievre opiniatre, dont il avoit langui pendant tout l'hyver, privoit les Croifés du fecours de ce Prince , également eftimé pour fa prudence & pour fa valeur. Tandis que les Croifés fe repofoient, Murzuphle , tourmenté par fes remords , fongeoit a fe fouftraire au traitement qu'il Biéritoit. II affembla auprès de lui ceux qu'il crut attachés a fa perfonne , fous prétexte d'aller avec eux furprendre les Francois. Mais au-lieu d'exécuter cette aft ion généreufe, il prit les chemins les plus éloignés des quartiers ou campoient les Croifés, Sc fortit de Conftantinople par la porte dorée, avec ce qu'il put emporter de plus précieux du palais de Bucoléon. II emmenoit avec lui Euphrofyne , femme de lüfurpateur Alexis, & fa fille Eudocie, que ce Prince , auffi efclave de fes paftïons qu'injufte & cruel, avoit époufée pendant le fiege du vivant d'une autre femme , qui n'étoit pas elle - même Alexis V. An. 1204  494 H i s T O i r e plus léeitime. avant fuccédé a une Alexis V. An. 1204. XLIH. Lafcaris élu Empereur, première encore vivante. II avoit régné deux mois &c quatre jours. Grand nombre de Grecs fe fauverent cette nuit, foit par mer, foit par terre, k Pinfu des Croifés qui ne fongeoient qu'a leur fiireté. II furvint encore k cette ville infortunée, un accident également facheux pour les vainqueurs & pour les vaincus. Quelques Allemands de la fuite du Marquis de Montferrat, craignant d'être attaqués par les Grecs , mirent le feu aux maifons d'alentour. La flamrne fe communiqua dans une affez grande étendue , & enleva aux vainqueurs une partie de leur butin. C'étoit le troilieme incendie depuis 1'arrivée des Croifés. II dura toute la nuit & le lendemain jufqu'au foir, &, felon Viüehardouin , ce fléaii confuma dans Conftantinople plus de maifons, qu'il n'y en avoit alors dans les trois plus grandes villes de France. En moins de fix mois, Conftantinople avoit vu cinq Empereurs, dont trois avoient perdu la vie : les deux autres étoient fugitifs, & avoient peu  nu Bas-Empire. Liv. KCIF. 495 d'efpérance de la conferver. La flamrne dévoroit une partie de la ville, & les ennemis établis dans 1'enceinte , n'attendoient que le jour pour la faccager. Cependant, tant eft violente & aveugle la fureur de régner, il fe trouva des hommes afTez défefpérément ambitieux, pour chercher encore le diadême parmi les cendres de la ville, & pour fe difputer un malheureux fceptre, qu'il falloit arracher des mains d'un ennemi vainqueur. Dès qu'on fut que Murzuphle avoit abandonné Conftantinople , Théodore Ducas & Théodore Lafcaris, tous deux de naiflance il* luftre , tous deux connus par leur courage , afpirerent au titre d'Empereur. Ils courent avant le jour a 1'Eglife de Sainte-Sophie; ils y font fuivis du Patriarche , du Clergé &c d'une troupe de peuple. Chacun des deux rivaux fait valoir fes prétentions. On difpute, on balance les avantages de 1'un & de 1'autre; enfin , on fe décid* en faveur de Lafcaris. II eft prociamé Empereur ; mais, par une modeftie forcée, il ne veut prendre que le titre de Dtsf Lascaris An. 1204,  ASCARIS o. 1204. 49<) II I s 1• 0 I R E pote, jufqu'a ce qu'il ait , dit - if, rétabli les affaires de 1'Empire, & rendu a la couronne Impériale fon ancien luftre. II en étoit en effet plus capable qu'aucun autre Grec, fi ce miracle eüt été poffible. Dès qu'il fut élu, il fe rendit avec le Patriarche dans la grande place; une infinité de peuple s'y affemble autour de lui : » Citoyens, s'écrie-t-il, 1'en» nem'i eft fur nos têtes: nous avons » devant les yeux la mort, ou ce » qui eft plus affreux encore , un » honteux efclavage. Mais plus le » péril eft preffant, plus il nous fe» ra glorieux de nous en délivrer. » Comptez le nombre de vos enne» mis,. & conlidérez le votre. Une » poignée de barbares détruira-t-elle » un Empire établi depuis vingt iie» cles ? C'eft la main de Dieu qui » les a trainés ici, qui les a enfer» més dans 1'enceinte de nos rau» railles, comme des bêtes féroces » dans un pare oü elles doivent » périr. Prenez les armes, tout peut » vous en fervir jufqu'aux tifons de » 1'incendie. Si vous êtes Romains, » la vicfoire fera facile. Et quand il  du Bjs-Empiae. Liv. XCIF. ^97 » faudroit mourir, balanceriez-vous » de rendre le dernier foupir entre » les bras de votre patrie vengée, » plutöt que laches déferteurs vous » lailTer entraïner chargés de fers dans » une terre étrangere ? Puis fe tour» nant vers les Varangues : Et vous, » braves foldats , gardes fideles & » invincibles de vos Princes, fuivez» moi au combat. Votre falut n'eff, » que dans la vi&oire. Plus vous êtes » redoutables, moins vous avez de » grace k efpérer. Mais fi votre va» leur vous met dans un plus graad » danger de la part de 1'ennemi, elle » doit auffi attendre de yotre chef » de plus grandes récompenfes ". Ses paroles furent interrompues par le fon de la trompette qu'on entendit des divers endroits oü campoient les ennemis. Auffi - tot les Grecs , fourds a la voix de 1'honneur, & n'écoutant que la crainte, pales & tremblants,fe difperfent, comme unevolée d'oifeaux au bruit des chaiTeurs. L'aurore commencoit a poindre, & Pardeur du pillage devan^oit les ordres des Généraux ; les foldats im- ' patients étoient fous les armes. Acca- Lascaris An. 1204. XLIV. Pillage e la ville. I  Lascaris An. iz04- 49S HlSTOIRE blés de mifere & de fatigues , ce jour alloit les enrichir; & déja frappés de Podeur du butin de la plus opulente cité de l'Univers, on n'avoit de peine qu'a les retenir, de peur que fe difperfant dans cette vafte étendue pour courir après leur proie , ils ne le devinffent eux-mêmes. Les Barons qui confervoient dans 1'ivrefTe même de la viöoire les fentiments d'humanité inconnus a la multitude , flrent crier par un héraut, qu'on épargnat la vie des habitants, 1'honneur des femmes êc des filles : ils abandonnoient le refte aux foldats , en les faifant fouvenir qu'ils devoient, fous peine de la vie, rapporter tout le butin dans un magafin général, d'oii il feroit diftribué a chacun dans une proportion équitable. Les Evêques ajouterent la peine d'excommunication contre quiconque en détourneroit la moindre partie. Pour le dépot on affigna trois Eglifes, Sc on en donna la garde a un certain nombre de Francois 8c de Vénitiens d'une probité reconnue. On étoit prêt de courir au pillage, lorfque le Comte Baudouin vit arriver une troupe de Prêtres 8c de peuple  nu Bas-Empire. Lw. XC1F. 495 portant des croix , des images de Saints &c des reliques; ils fe profternoient a fes pieds, & fondant en larmes, demandant grace de la vie, ils embrafToient fes genoux & ceux de fes Capitaines. II en eut pitié , & les recommanda a ceux qu'il laiffoit pour la garde du dépot. Alors les Princes partagerent k leurs troupes les différents quartiers de la ville. Le Marquis de Montferrat alla attaquer le palais de Bucoléon. Ceux qui en avoient la garde, ou qui s'y étoient réfugiés, fe rendirentaufli-töt, acondition qu'ils auroient la vie fauve. On y trouva une quantité prodigieufe de toutes les richeffes que 1'opulence & 1'orgueil accumulent dans les de meures des Monarques. II y avoit auffi grand nombre de femmes & de filles des premières maifons de 1'Empire ; entre lefquelles étoient deux grandes Princeffes , Agnès, fille de Louis VII, Roi de France, mariée d'abord au jeune Alexis, fils de Manuel , enfuite k fon meurtrier Andronic ; & Marguerite de Hongrie , veuvede 1'Empereur Ifaac, dont la beauté captiva le Marquis de Montferrat, Lascaris An. 1104.  Lascaris An. 1204. 500 HlSTOlRE qui 1'époufa dans la fuite. Pendant ce temps-la, Henri, frere de Baudouin, s'emparoit du palais de Blaquernes, oü Pon ne trouva pas moins de tréfors. On mit des gardes dans ces deux palais. L'armée fe répandit enfuite dans la ville. Le butin fut immenfe; on ne peut exprimer la quantité de richefles en or , en argent, en pierreries, en fourrures exquifes, en étoffes, en vafes, en meubles précieux. Villehardouin, témoin de ce pillage, & qui en étoit encore ébloui en le décrivant, s'écrie que depuis la création du monde, jamais il ne fut fait un jfi grand butin dans une ville conquife; & Baudouin, dans fa lettre au Pape, dit qu'il ne croit pas qu'il y eüt autant de richefTes dans tout le refte de PEurope. Les femmes , les enfants, les vieiliards qui n'avoient pu fuir, couroient éperdument a la rencontre des foldats, & ne pouvant autrement fe faire entendre , ils mettoient leurs doigts en croix pour protefter qu'ils étoient Chrétiens, 8c crioient d'une voix lamentable : Saint Roi Marquis , ayt{ pitié de nous. C'étoit le Marquis de  du Bas-Empirz. Liv. XCIF. 501 Montferrat qu'ils imploroient, par¬ ee qu'ils le connoiffoient davantage , & qu'ils le croyoient déja Roi de la ville. Quoiqu'on ne doive pas croire toutes les horreurs 6c les excès de débordement 6c de cruauté que les Hiftoriens Grecs imputent aux Croifés dans ce défordre , on ne doit pas non plus fe perfuader que les ordres d'humanité 6c de modeftie donnés par les Généraux ayent été fcrupuleufement obfervés. II y eut fans doute du fang répandu, 6c ce feroit un miracle que 1'avidité 6c 1'emportement militaire n'eufTent pas arraché par violence ce que 1'amour de la propriété ou de 1'honneur vouloient retenir. Les Evêques avoient auffi prononcé excommunication contre ceux qui pilleroient les Eglifes; elles furent pillées; les foldats en enlevoient 1'or 6c 1'argent ; 6c les Eccléliaffiques fe faifant fcrupule de fouiller leurs mains par Fenlevement des chofes profanes, emportoient les croix, les vafes facrés , les reliques 6c les reliquaires. Ces excès inévitables dans le faccagement d'une ville ne font que trop coaftatés par la let- Lascabjs An. 1204.  Lascaris An. 1104, XLV. Fuite de N'.cétas. 502 II I S T O I R E tre que le Pape écrivit enfuite au Marquis de Montferrat. II reproche aux Princes Croifés le pillage des Eglifes , & les violences exercées fur les femmes , & même fur les filles confacrées a Dieu : En forte, dit-il, que votre conquête , loin tCattirer les Grecs k Fobéïffance quils doivent d l'Eglife de Rome, les en a êloignés davantage par thorreur que leur ont infpirée contre les Latins ces forfaits & ces ceuvres de ténebres. Les Généraux , pour épargner le maflacre, lailToient ouvertes les portes de la ville : tous les chemins d'alentour étoient remplis de fugitifs , qui pouflant des cris lamentables, pleuroient 1'un fa maifon & fa fortune , 1'autre une femme & une fille que 1'infolence des vainqueurs lui avoit enlevée. L'Hiftorien Nicétas, un des perfonnages les plus diftingués de 1'Empire , raconte lui-même ion défaftre. Sa demeure conforme a fa dignité ayant été coniümée par les flammes dans le fecond incendie, il s'étoit retiré dans une maifon obfcure & détournée, 011 1'ardeur du pillage attira 1'ennemi, a qui rien  dv Bas-Empikz. Lh. XCIV. 503 n'échappoit. Nicétas dut alors fon faIut & celui de fa familie a un marchand Vénitien, fon ami, qui s'étant déguifé en foldat, & pofte fur la porte, repouflbit fes compatriotes, en leur c-iant que cette maifon étoit a Jui, qu'il s'en étoit emparé le premier. Mais voyant accourir une'troupe de Francois, dont 1'emportement n'avoit point d'oreilles, il prend Nicétas & fa femme qui tenoit un enfant a la mamelle, charge fur leurs épaules deux autres petits enfants qu'ils ayoient encore, & les traïne enchainés comme fes prifonniers. 11 pafte ainfi au travers des ennemis, & les conduit a une autre maifon ou il les croyoit plus en füreté. Ils y furent cachés cinq jours; & comme leurs parents & leurs amis venoient s'y raffembler autour d'eux, craignant d'attirer 1'avidité des vainqueurs, ils prirent le parti de fuir hors de la ville. La fureur étoit rallentie; mais les foldats répandus dans toutes les rues ne laiflbient palier perfonne, fans le dépouiller s'il étoit bien vêtu, ou chercher fous fes lambeaux s'il ne cachoit pas de 1'or ou Lascaris An. 1104.  Lascaris Aa. 1204. XLVI. Biftribt tion du butin. 504 HlSTOIRE de 1'argent. La beauté des femmes & des filles couroit le plus grand rifque après la richelTe. Nicétas fit un peloton de fa compagnie , fe couvrit luimême & les autres d'habits qui ne pouvoient faire envie, & fit barbouiller de boue le vifage des filles qu'il mit au milieu de la troupe. II traverfa ainfi la ville pour atteindre la porte dorée. Ses précautions n'empêcherent pas un foldat Francois de démêler la beauté d'une jeune fille , qu'il arracha des bras de fon pere. Nicétas, a force de repréfentations tk. de prieres auprès des Officiers, vint a bout de la faire rendre, & gagna enfin Selymbrie. Le Patriarche 1'accompagnoit monté fur un ane, n'emportant de tous fes tréfors qu'une méchante tunique. Cette révolution cruelle bouleverfa toutes les fortunes; la fordide pauvreté prit la place de 1'opulence ; la lie du peuple & les payfans s'enrichirent des dépouilles des palais & des Eglifes , que les foldats leur vendoient a vil prix. Les Croifés pafTererrt le Dimanche " des Rameaux 8c la Semaine-iainte, en  du Bas-Empire. Liv. XCIV. 505 en aftions de graces & en procefïions. Mais on ne peut guere douter que la joie de la vicïoire n'ait donné quelque atteinte auférieux de leur dévotion. Après la fête de Paques, le Marquis de Montferrat, le Doge & les autres Princes, procéderent k la diftribution du butin. Les plus honnêtes gens avoient fidélement rapporté ce qui leur-étoit tombé entre les mains, Mais dans le plus grand nombre , les confeils de 1'avarice avoient fait taire la confcience, & 1'avoient même emporté fur la crainte. Quelques-uns furent découverts & punis de mort. Le Comte de Saint-Paul fit pendre , 1 ecu au col, un de fes Chevaliers convaincu d'avoir retenu fon butin. Tout ce qu'on put recouvrer ayant été raffemblé, on en fit le partage. On mit le quart k part pour celui qui feroit élu Empereur.. Lè refte fut divifé par moitié entre les Francois & les Vénitiens. On préleva fur la part des Francois ce qu'üs devoient encore aux Vénitiens, qui furent alors entiérement payés. Lè refte fut départi de telle forte, que ie Chevalier eut le doublé du limple Tornt XX. Y Lascaris An. 1204.  Lascaris An. 1204. 506 IIlSTOIRE cavalier , & celui - ci le doublé du fantafïin. Au moment de la prife de la ville, le Doge avoit propofé aux Francois de laiiTer tout le butin aux Vénitiens , a condition que ceux-ci donneroient a chaque Chevalier Francois quatre cents marcs , aux Prêtres & aux cavaliers, deux cents, & cent a chaque fantafïin; ce que les Francois n'avoient pas accepté. Mais quand on en vint au partage, il ne fe trouva plus que vingt marcs pour chaque Chevalier , dix &c cinq pour les deux autres clafTes : tant il y avoit eu de butin , foit emporté ou enfoui par les •fugitifs, foit détournéSc xetenu par les foldats. II feroit trop long de faire 1'énumération des ffatues, des vafes précieux, des pierreries, des ornements de toute efpece, dont les deux nations flrent entre elles le .partgge. Le tréfor & 1'Eglife de Saint ->Marc a Venife , font jencore aujourd'hui fuperbement enrichis des dépouilles de Conftantinople ; .& les reliques enlevées fur les autels de cette ville fe font répandues dans tout 1'Occident. Telle fut la fin du premier Empire de Couftantino-  du Bas-Empihe. Ltv. XCIF. 507 ple, dont les fbndements après une durée de neuf fiecies , pendant lefquels ils avoient réfifté aux attaques de tant de barbares , fuccomberent enfin a un fléau plus funefte aux Etats que les plus formidables ennemis ; ce fut, dit un Hiftorien de ce tempsla, Pignorance , la négligence , Pincapacité, ia vie diffolue des Princes mal élevés, livrés au plaifir , au fommeil, k la bonne chere, ne fongeant qu'a recueiilir des fleurs en hyver, & au printemps les fruits de 1'automne. Après la répartition du butin , Ie premier foin des Princes fut de s'afiembler pour choifir un Empereur. II s'agiflbit non-feulement de gouverner, mais de relever un Empire qu'ils venoient d'abattre, & qui crouloit depuis plufieurs fiecies ; & c'étoit un ouyrage plus difficile que la conquête. D'ailleurs, qu el attrait pouvoit avoir une couronne qui ne donnoit pour fujets, qu'un peuple miférable, dé- ' pcmillé depuis peu de tous fes biens, t n'obéifTant qu'a regret a un maitre * étranger, dans lequel il ne verrolt „ jamais qu'un tyran & un ravifTeur • Yij Lascarj» An. 1z04. XL VIL Eledeurs choifis pour nommer un Empereur.Villehard. ■. 136, ad. 140. Et ibi du Cange. Du Cange 'iifl.Confi. Nicet. "onfi. fia. •s c. 6. Gcfta Jnoc. Epi/1. 'aU.  Lascaris An. 1204. Chron, Lubtc. Chr. Albe- Guntherus hift. Confl. Rhamnus, l. 3. Doutreman, U 3. c 8. /. 4. c. 2. OriensChr, r. 1. P. 276. Maimbourg. I. S. 508 HlSTOIRE chacun cependant ne voyant dans la puiflance fouveraine que Péclat emprunté qui la décore , deliroit, foit pour lui-même , foit pour fon chef, le titre de fucceffeur du grand Conftantin. Rien ne fut conclu dans cette afTemblée, que le jour auquel on fe raffembleroit pour nommer felon la convention les douze Eleöeurs. Ce jour étant arrivé, on nomma du cöté des Francois fix Eccléfiaftiques, tant par eftime de leur probité & de leur difcernement, que paree qu'ils étoient plus défintérefles, ne pouvant euxmêmes prétendre a cette dignité : c'étoient les Evêques de Soiflbns, de Troyes, d'Halberftadt, de Bethléem qui faifoit dans 1'armée 1'office de Légat du Saint Siege, 1'Archevêque élu de la ville d'Acre, & 1'Abbé de Loces. Les Vénitiens furent Vital Dandolo , Amiral de la flotte; Othon Quirini, Bertuccio Contarini , Nicolo Navagieri, Pantaléon Barbo, & Jean Bafegio , ou felon d'autres , Michieli. Après avoir fait ferment fur les faints Evangiles, qu'ils n'écouteroient que leur confeience, 6c qu'ils ne donneroient leur voix qu'a celui qu'ils croi-  nu Bas-Empire. Liv. XCIK 509 roient le plus capable , ils convinrent du fecond Dimanche après Paques , neuvieme de Mai, pour procéder a l'éleclion. Dans cette intervalle, Pattente d'un li grand événement agitoit tous les efprits. Chacun prenoit le röle d'Electeur, & donnoit d'avance fon fuffrage. Le Marquis de Montferrat, le Comte de Flandres & le Doge rëuniiToient toutes les voix. Tous trois déja Souverains, tous trois recommandables par leur vertu, leur fageflé , & par une valeur héroïque. Les Vénitiens fe déclaroient pour leur Doge. Ce vieillard, difoient - ils, na. point acheté l'expérience aux dipens des farces de fajeunejfe; il en conferve tout le feu, toute la vigueur: cejl un aveugle plein de lumieres ; ceft lui qui a pris Confantinople. Les Francois fe partageoient entre Baudouin & Boniface ; üs craignoient feulement que 1'élection n'excitat une dangereufe jaloufie. Mais le remede, difoit-on, elf facile; il ne faut que faire a celui des deux qui ne fera pas élu , un fort li avantageux , qu'il ne puiffe regretter la couronne Impériale. Dès le matin Y iij Lascaris An. 1204. XLViir. Eleffion d'un Empereur.  Iascaris An. 12x4. 3IO fflSTOIRE du neuvieme de Mai, le palais de Bucoléon & Ia grande place qui étoit devant, fe trouverent remplis d'une foule innombrable. Les Barons, les foldats, tout ce qui redoit d'habitants a Conftantinople , attendoient avec impatience ces douze perfonnages qui alloient décider du fort de 1'Empire. On avoit choifi ce lieu par confidération pour le Doge, qui y faifoit fa demeure. Les Eiecteurs s'y étant rendus s'enfermerent dans la chapelle du palais; & après avoir affifté k La MeiTe, & imploré les lumieres du Ciel , ils délibérerent fur le choix qu'ils devoient faire. La balance perv choit d'abord en faveur du Doge : les Evêques de SoifTons & de Troyes fe déclaroient pour lui, & les Véntiens alloient fe joindre a eux, lorfque Pantaléon Barbo, également refpeÖable par fa fagefle, fa fermeté d'ame & fon zele pour la Religion & pour la patrie , s'adreffant k 1'affemblée :» Sa» ges Eiecteurs, dit-il, je vous vois » difpofés a conferer a notre Doge » 1'autorité Impériale , & je penfe » comme vous qu'entre tant de hé» ros il n'en eft aucun qui foit plus  du Bjs-Empire. Lt'v. XCfls. 511 » digne de ce rang augufte. Cepen» dant, ce qui vous étonnera fans » doute, je fuis perfuadé qu'il en eft » plufieurs qui doivent lui être pré» férés ". Un début fi contradictoire excitant un murmure général. » Ecou» tez-moi, dit-il, & je voudrois que » Dandolo lui-même fütpréfent : j'ai » tant de confiance dans la droiture » &i 1'éiévation de fon ame, que je » ne doute pas qu'il n'approuvat lui» même mon avis. Cet Empire, que » vous allez renouveller , environné » de tant d'ennemis, ne pourra fe » conferver, il eft vrai, fans de gran» des forces navales , & les Vénitiens » font feuls en état de les fournir. » Notre République peut par de puif» fants fecours défendre Conftantino» ple , comme fa flotte a pu la rédui» re. II lui fera plus facile d'y faire » voler des vaifleaux , que ni au » Comte de Flandres, ni même au » Marquis de Montferrat , de tirer ft de leurs Etats des efcadrons de » cavalerie. Mais notre République » court rifque de fe détruire elle>r même, fi elle fe met en poffefTion » de 1'Empire. Sans parler des cabaY iv Lascaris An. 1204.  S15. HlSTOIRE » les &Z des divifions aue fera naitre Lascaris An, 1204. »> parmi nous dans la fuite 1'ambition » de régner, & qui déchireront no» tre fein , qui peut nous rafTurer » contre le danger que nous aurons » continuellement a. craindre de la w part d'un compatriote devenu Em» pereur ? Maitre de toute la Grece » & d'une partie de 1'Orient, enflé » de 1'orgueil de la puiffance fouveV raine, demeurera-t-il foumis k no& » loix t Reconnoitra-t-il fa patrie r » Dandolo, fans doute, eft par la » hauteur de fon ame au-defTus de ♦> ces fentirnents; mais qui nous 'ré» pondra de fes fuceeffeurs ? Qui » nous aflurera que Venife ne fera w pas écrafée par la lourde mafte de »> 1'Empire ? Que le fiege de la Ré» publique ne fera pas transféré k » Conftantinople , & que notre li>> berté ne recevra pas de mortelles » atteintes ? C'eft au milieu de nos » lagunes que s'eft élevée cette puif» fance qui fe fait refpeöer de 1'Eu» rope entiere; détachée du fol qui » 1'a vuenaitre, tranfplantée fur les » bords du Bofphore, elle dégéné» rera fans doute ; elle ceflera d'ê-  du Bas-Emp/re. Liv. XCIF. 513 » tre la notre. Venife , reine des » mers, ne fera plus qu'une ville » fujette, une dépendance de PEm» pire Grec. On peut me répondre , » que Dandolo & fa poftérité ceffe» ront k la vérité d'être Vénitiens , » mais que Venife aura 1'honneur » d'avoir donné des maitres k la Gre» ce. C'eft une condition que Dan» dolo n'accepteroit pas lui-même. » Plus glorieux d'être le chef d'une v République vieforieufe, queleSou» verain d'un Etat vaincu, il ne con» fentiroit pas a eet échange. Quel » Romain auroit voulu devenir le » Roi de Carthage ? Et nous, qu'au» rons-nous gagné par la conquête , » fi elle nous fait perdre une de nos » plus illuftres families ? Confidérez » encore que par cette élection vous » allez vous mettre hors d'état de » remplir le principal objet de votre » entreprife. Les autres Princes fe » fépareront de vous , & emmene» ront leurs troupes. Souvenez-vous » du danger auquel la jaloufie du » Comte de St. Gilles laifïa la Palef» tine expofée , lorfque Godefroi de » Bouitlon fut élu Roi de Jérufalem. Y v Lascaris An. 1204^  Lasc i.ais Aa. 1204, 514 H I S T fi I R B » Raymond, piqué de la préférence l » non content de fe retirer lui-même ^ * entraïna tous les autres Seigneurs; * & fans un miracle de la main du * Tout-puiflant, Jérufalem étoit per>> due. Nous courons aujourd'hui la » même fortune. Si vous êtes fiddes •> au ferment que vous avez fait en » prenant la Croix r il ne vous reffe » qu'a choilïr entre le Marquis de ►» Montferrat & le Comte de Flan» dres. Ces deux Princes puiflants , » eflimés de toute Parmée , refpec» tés des vaincus mêmes, font éga» lement capables par leur prudence » &C leur valeur , de conferver la <* conquête dont nous partageons la >> gloire. Pour prévenir les effets •> d'une funefte difcorde, convenons * que celui des deux qui fera honoré » de vos fuffrages, cédera a 1'autre * fous la condition de foi & homma» ge, le domaine de l'ifle de Can>> die & de tout ce que 1'Empire pof- * lede encore au-dela du Bofpho» re.. Par ce moyen, vous les atta- * cherez Pun a 1'autre. Si vous pre- * nez un autre parti, vous les per- * drez tous deux, &£ avec eux l'e#-  »u Bas'Empike. Liv. XCIV. 515 » pérance de recouvrer la Paleftine". Ce difcours fit imprefTion fur les efprits. On approuva ce qu'il avoit propofé, & Pon ne fongea plus qu'a décider entre le Marquis & le Comte. Le choix fut long-temps balancé: il fembloit d'abord s'arrêter fur Boniface. Ce Prince tenoit le premier rang entre les Croifés qui Pavoient choifi pour leur Chef, & les Grecs eux- - mêmes le reconnoiiToient déja pour leur maitre. Les grandes qualités néceffaires a un Souverain, ne donnoient a Baudouin fur lui aucun avantage. La politique Vénitienne fixa enfin cette incertitudev Ces habiles républicains craignirent de rendre troppuiiTant un Prince, dont les Etats en Italië confinoient avec les leurs. Comment réfifteroient-ils aux prétentions du Montferrat, qüi deviendroit redoutable, s'il étoit armé des forces de 1'Empire ? Cette confidération les détermina en faveur de Baudouin, & ils entrainerent tous les fufTrages. La- délibération avoit duré tout le jour & la moitié de la nuit fuivante. Les Barons, qu'un ü grand: intérêt tenoit en inquiétude, Y vj Lascaris An. 1204. XLIX. Baudouin élu.  Lascaris An. 1204. 1 : I j i ) 1 5l6 H I S T O I R E n'avoient pas quitté le palais, ni fe peuple ia place & les environs, ou Pagitation des efprits & le choc des inclinations diverfès , excitoient ce raurmufe qu'on entend fur la mer aux approches d'un orage. Enfin, a 1'heure de minuit , Nevelon, Evêque de Soiffons , chargé d'annoncer le veelt des Elecf.eurs , s'avanca fur le veftibule ; & élevant la voix : Ce moment , s'écria - t - il, qui vit naitre le Sauvtur , donne aujourdhui la naiffance au nouyel Empire fous la protection du Tout-puifjant. Vous ave^pour Emnereur Baudouin , Comte de Flandr.es &■ ie Hainaut^ A ces mots il s'éleve un :ri unanime & des Grecs & des Croifés : Vive VEmpereur Baudouin 1 & ce :ri cent fois répété retentit par toute a ville. Les infrruraents militaires ac:ompagnent & animent 1'allégrefTe xiblique. On fe félicite d'avoir pour naïtre im defcendant de Chariema;ne, un parent de Philippe-Augufèe , in Prince renommé pour fa fageiTe k fa jufiice. Le Marquis de Montèrrat eft le premier rt lui baifer la nain, &fon empreffement généreux ;xcite les applaudiffements, & lui fait  ï>v Bjs-Empire. Lh. XC$V. $17 plus d'honneur que la Couronne. II fe joint aux autres Seigneurs pour élever Baudouin fur un bouclier felon la coutume, & le porter a 1'Eglife de Sainte-Sophie. On le place fur un tröne d'or a cöté du grand autel, & Fon redouble les acclamations, Pour donner aux Barons le temps de fe montrer avec un éclat convenable a la pompe du couronnement, on le différa au vingt-troifieme jour de Mai, quatrieme Dimanche après Paques. Cet intervalle de quinze jours ne fe pafla pas fans réjouiffances; ü y en eut de très-brillantes , & le mariage du Marquis de Montferrat augmenta encore la joie pubüque. II époufa Marguerite de Hongrie, veuve de 1'Empereur Ifaac. Cette PrincefTe engagée dans le fchifme par fon premier mariage , rentra par le fecond dans le fein de 1'Eglife Romaine. Ces fêtes furent mêlées de larmes» On pleura la mort cTEudes de Champlite, qui, après avoir affronté avec gloire tous les dangers de la guerre , mourut alors de maladie. II fut et> terré avec grand honneur dans TEglilè des Apötres, fépulture du grand Lascaris An. iics^j  L»SCARIS Baudouin.An. 1204. L. Couronneraentde Baudouin. 1 < ( i i 5*8 H I S T O I R E Conftantin & de fes fucceffeurs. ïl laifibit un frere, Guillaume de Champlrte, compagnon de fes exploits, qui réunit fur fa tête les récompenfes que tous deux avoient méritées. Le jour marqué pour le couronnement étant arrivé, cette augufte cérémonie fxit célébrée avec la magnificence en ufage dans 1'Empire Grec. Le LecTeur fera peut-être bienaife d'en trouver ici le détail. Au foir de la veille, 1'Empereur, accompagné de fa familie & de fes amis, fe tranfportoit au palais de Bucoléon , oü il palToit la nuit. Au point du jour, les Officiers de 1'armée & le peuple de la ville s'affembloient au:our du palais. Le nouvel Empereur :lonnoit au Patriarche fa profeffion ie foi écrite de fa main : le Patriarche [lamatere étant abfent, Baudouin la •ernit au Légat du Saint-Siege. Avant que lEmpereur fe fit voir , un Sénaeur jettoit au peuple du haut des legrés ce qu'on appelloit Epicombia ; :'étoient de petits nouets d'étoffe , j«i renfermoient chacun trois pieces 1'or, trois drachmes , trois oboles ; ;e q«i pouvoit faire de notre mon-  nu Has-Èmpirr. Liv. XCIV. 519 noie actuelle entre quarante & cinquante francs. On en jettoit autant qu'il plaifoit a 1'Empereur ; c'étoit ordinairement au nombre de dix mille. L'Empereur paroiiToit enfuite affis fur un bouclier élevé fur les épaules des principaux Seigneurs : ce furent pour Baudouin, le Marquis de Montferrat, le Doge , les Comtes de Blois & de Saint-Paul. A fa vue tout retentifToit d'acclamations. Defcendu du bouclier, on le conduifoit a Sainte - Sophie. La dans une petite ehapelle de charpente conftruite pour eet ufage , on le revêtoit de la pourpre & du diadême bénis auparavant par les Evêques. Son ornement de tête étoit a fa volonté, foit un voile , foit un bonnet orné d'or & de pierreries. On chantoit la Meffe, pendant laquelle il étoit affis fur un tróne d'or élevé fur une haute eftrade tapiffiée de drap d'écarlate. Pendant le faint facrifice, le Patriarche, accompagné de plufieurs Evêques , montoit fur 1'eftrade ; & après de longues prieres il oignoit du faint Crème la tête de 1'Empereur en forme de croix, tk entonnoit le Trifs- Lascaris Bav- ÖOUIN. An. ïzGAó  .ascaris Baubouin.Ln. 1204. -1 ■i < 520 HlSTOIRE gion que chantoit toute 1'alTemblée. Le Prince montoit enfuite au jubé, oü plufieurs Evêques avoient dépofé la couronne Impériale , qu'ils avoient prife dans le fancfuaire. Le Patriarche la mettoit fur la tête de 1'Empereur en chantant a haute voix afyts, il en eft digne ; ce qui étoit répété par les Evêques, & enfuite par le peuple. Pendant ces acclamations, un Officier lui préfentoit d'une main un petit vafe rempli de pouffiere & d'offements, de 1'autre un flocon d'étoupe auquel on mettoit. le feu , pour lui rappeller au milieu de cette pompe flatteufe la briéveté de la vie & le néant des grandeurs humaines. L'Empereur étant defcendu du jubé,. on e couvroit d'un manteau de drap 1'or par-deffus fa robe de pourpre. Dn lui mettoit dans la main droite ine croix, dans la gauche le Livre les Evangiles. II marchoit ainfi en >roceffion, efcorté a droite & a gau:he de fes Varangues armés de leurs laches, & fuivi d'environ cent Genilshommes fans armes. Les Diacres les Prêtres marchoient enfuite leux a deux. La proceffion finie, il  Du Bas-Empire. Liv. XCIV. 521 remontoit fur fon tröne. Au temps de la communion, il s'approchoit de 1'autel, & recevoit dans fa main la fainte Hoftie qu'il portoit a fa bouehe. II communioit fous les deux efpeces al'ufage des Grecs. II ne prenoit pas comme le peuple le vin confacré au travers d'un chalumeau d'or ou d'argent plongé dans le calice ; il le buvoit dans le calice même ainfi que les Prêtres. Après avoir recu le pain béni qui fe diftribuoit k la fin de la Mefle , & entendu la priere par laquelle 1'officiant la terminoit, il baifoit la main des Evêques, & montoit k la galerie de Cathécumenes pour fe faire voir au peuple , qui renouvelloit fes acclamations. II fortoit enfuite feul k cheval, tout fon cortege le fuivant k pied. Les rues par oü il pafibit étoient tendues de riches tapifièries. De retour au palais, il fe mettoit k table, oü il étoit fervi par le Defpote & le grand Domeflique. Les raifons de politique qui déterminerent les fuffrages en faveur de Baudouin, étoient appuyées de fes qualités perfonnelles. Aucun des Prin- Lascaris Baudouin.An. 1204. LT. Caradrere ie Ban-  LascarisBaudouin.Aai 1204. 1 1 I 1 1 1 1 t ie t 1 LIÏ. Partage r. des terres ^ & des dignités de 1 1'Empire. rj é &*> H I 3 T O I R B ces Croifés ne le furpaffoit en valeur guerriere, aucun ne 1'égaloit en vertus civiles. II étoit dans fa trentetroifieme année. Doux, affable , plein d'humanité, il ne pouvoit voir un malheureux fans le fecourir. 11 fouffroit fans humeur les contradictions , & renoncoit fans réfiftance a fon propre avis, pour en embraffer un meilleur. II ne manquoit ni de lumieres ^our appercevoir la route qu'il falloit :enir dans les conjonclures les plus ïmbarralTantes, ni de conflance a la uivre. Sapiété trouvoit dans les plus ;randes occupations le temps de la »riere; & la pureté de fes mceurs lui nterdifoit même les regards qui auoientpu la ternir. Son averfion pour 3 débauche alloit jufqu'a la fingulaité. Deux fois par femaine, il faifoit rier le foir dans fon palais : Défenfe tout impüdiqut de. coucher fous le mêie toit que le Prince. Dès qu'il fut en poiTeffion de PEmire, le Marquis de Montferrat lui emanda Finveftiture du domaine de ifle de Candie & de tous les pays auela du Bofphore, comme il avoit té arrêté avant l'éleclion : cequi fut  nu Bas-Empire. Liv. XC1F. 523 exécutéfur le champ, fuivant les forines du droit féodal. Peu de temps après, Boniface, peu content de ce partage, propofa 1'échange des terres d'Afie avec le diftricf de ThelTalonique , qu'il demandoit k titre de Royaume. II regardoit comme plus avantageux eet établiffement qui le mettoit a portee d'être foutenu par le Roi de Hongrie, dontil venoit d'époufer Ia fceur. Cette propofition rencontra des difficultés dans le Confeil de 1'Empereur. On trouvoit du danger k former un Royaume dans le fein de 1'Empire : un Roi, maitre d'un afTez grand pays, pourroit de venir le rival de 1'Empereur ; ce qui feroit naitre la difcorde, & ruineroit les affaires générales. Cependant Ia probité de Boniface , fon attacheme£ nomma Thomas Morofmi, noble vénitien, digne de cette place éminente par fa vertu & fes lumieres. Jette éleftion cependant ne fe fit as fans conteftation. Quelques-uns lême en appellerent au Pape; mais ette oppofition n'eut pas de fuite; is fe défifterent de leur appel. Le ouvel Empereur en écrivit au Pape pour  du Bjs-Empiae. Liv. XCir. 529 pour demander fon confentement; ^ le Marquis de Montferrat, les Comtes de Blois & de Saint-Paul recommanderent auffi par leurs lettres i le Prélat élu. Le Pape , qui connoiffoit fon mérite , pour 1'avoir vu long-temps a Rome , lui rendoit luimême un témoignage très-honorable : mais il prétendoit qu'il n'appartenoit pas a des Laks de difpofer des affaires de 1'Eglife , & qu'ainiï eet article de la convention entre les Croifés étoit nul de plein droit; que d'ailleurs les Clercs de Sainte-Sophie n'ayant recu 1'inltitution ca«nonique ni du Pape, ni de fes Légats, n'avoient aucun pouvoir d'élire un Patriarche. En conféquence, il rejettoit leur éleétion. Cependant, pour ne pas troubler la paix de la nouvelle Eglife, par eftime pour le Prélat élu , & par confidération pour 1'Empereur & les Princes, il déclaroit qu'il nommoit lui-même Thomas Morofini , & qu'il exhortoit 1'Empereur a le refpeóter Sc le maintenir dans la jouiffance des droits de 1'Eglife , dont le gouvernement lui étoit confié. II blamoit les Francois Tornt XX. Z .ASCARIS Baudouin.in. 12.04.  Lascaris Baudouin.An. 1204. j 1 1 ( c l e Y E a d la ei d. V< ai lg 5jO H I S• T 0 I A S & les Vénitiens, de ce qu'ils prc*tendoient partager entre eux les revenus des Eglifes , lahTant feulement une fubfiitance honnête a ceux qui les déferviroient. C'étoit, difoit-il, contmuer 1'outrage fait a Dieu même dans le pillage des Eglifes; il n appartenoit pas a des mains profanes de toucher aux biens Eccléiiaf^iques. II refufoit donc de ratifier la :onvention faite entre les deux na:ions, & de prononcer , comme on en foilicitoit, la peine d'excommuïication contre ceux qiü en violeoient les articles. Après cette rélamation authentique en faveur des roits du Saint-Siege, & de ceux de Eghfe en général, Morifini n'étant ncore que fous - Diacre , le Pape ordonna lui-même Diacre, Prêtre vêque , & lui conféra le pallium' ?ec. tous les privileges attachés a Ja gmté Patriarchale. II déclara que par grace de Dieu , le fchifme étant ffin eteint a Condantinople, il ren)it a cette Eglife fes anciens pou)irs, & que déformais le Clergé roit droit d'élire un Patriarche fea les formes canoniques, en cas  du Bas-Empire. Liv. XCIV. 531 de vacance du fiege. La conquête des Latins ne mit pas fin au fchifme des Grecs généralement dans tout 1'Empire : les villes qui demeurerent attachées au parti de Lafcaris & de fes fucceffeurs, continuerent d'être féparées de communion d'avec 1'Eglife de Rome ; & tant que 1'Empire Francois fubfifta, il y eut deux Patriarches ainfi que deux Empereurs. Fin du Tornt vingtitme, Lascaris. Baüdouiw.An. 1204.