HISTOIRE D U BAS-EMPIRE. TOME VING T-UNIE ME.   HISTOIRE D U BASEMPIRE, EN COMMENCANT a GONSTANTIN le Grand. Par Monfieur LE BEAU, ProfeJJeur Émérite en FUn l vers1t£ de Paris, Profeffeur d'Éloquence au College Royal, Secretaire ordinaire de monseigneur le Duc n'0rléans , & ancien Secretaire perpétuel de 1'Académie Royale des Inscriptions et Belles-Lettres. tome vingt,unieme. A M A E S T R I C H T, Chez Jean-Edme Dufour & Phil, Roux, Imprimeurs-Libraires , aiïbciés. M. DCC. LX XXL   SOMMAIRE D V LIVRE QUATRE-VINGT-QU1NZIEME. i.C OMMENCEMENT de £ Empire Frangois a Conjlantinople. II. Baudouin couronnè par le Patriarche. Iir. Partage de t Empire entre les deux nations. IV. Troubles de F Empire. V. Punition de Mur^uphle. VI. Son fupplice. VII. Baudouin fe met en campagne. VIII. Brouillerie de Baudouin & de Boni/ace. IX. Cejfjion de Candie aux Vènitiens. X. Boni face ajffiege Andrinople. XI. Baudouin a Theffalonique. XII. Propojition d'accommodement. XIII. R%conciliation de VEmpereur & du Mar* quis. XIV. Mort de Marie, femme de Baudouin, XV. Etablijfemcnt de Michel fAnge Comnene en Epire. xvi. Boniface fubjugue la Theffalie. XVII. Guerre contre Lèon Sgure. XVIII. Conquête de la Beolie & de tAttique. XIX. Siege de t'Acrocorinthe & de Napoli de Tornt XXI. A t  ■■I i SOMMAIRE Romanie. xx. Entreprlfe fur la Morée. XXI. Succès de Centreprife. XXII. Empire de Lafcaris. XXIII. Succès des Frangois en Bithynie, XXIV. Suite de leurs fuccès. XXV. Guerre de Henri contre Lafcaris. XXVI. Commencement de la guerre des Bulgares. XXVII. Révolte des Grecs contre les Latins. XXVIII. Baudouin fe prépare au fiege ct Andrinople. XXIX. Renier de Trit abandonné. XXX. Baudouin niarche a Andrinople. XXXI. Siege £ Andrinople. XXXII. Bataille <£'Andrinople. XXXHI. Suites de la bataille, xxxiv. Retraite des Frangois. XXXV. Défertion de plufieurs Chevaliers. XXXVI. Arriviede Henri. XXXVII. Extrêmité oü font rêduits les Frangois. XXXVIII. Mort de Bandoio. XXXIX. Guerre de Joannice & de Boniface. XL. Prife de Serres par Joannice. XLI. Ruïne de Philippopolis. XLII. Expédition de Henri. XLIII. Henri affiege Andrinople. XLIV. Levée du fiege XLV. Divers mouvements des Frangois. XLVI. Nouvelle défaite des Frangois. XLVII. Horribles ravages de Joannice. XLVIII. Saccagement a"Athyras. XLIX. Efforts inutiles du Pape pour défarmer Joannice. L. Les Gras rentrent dans tobiif  DU LlVRE XCV«. 5 ^ance. Lt. Joannice ajjiege Didymotique. LU. Henri marche contre lui. LUI, Renier de Trit dêlivré. LIV. Mort de Bau* douin. LV. Portrait de Baudouin. LVI, Cruautés de Joannice. A i)   HISTOIRE D V BASEMPÏRE, L1VRE QVATRE.VWGT.QVItfZIEME, BAUDOUIN. THÉODORELASCARIS. LA conquête des Croifés faifoit naitre les plus heureufes efpérances. Conftantinople fortoit de fes cendres, & 1'Occident fe flattoit que la valeur de fes héros, couronnée par un fuccès fi brillant, alloit rendre la vie & la vigueur a eet ancien Empire, qui A iij 5 Bau- douiw. Lascaris An. 1204. L Commencementde1'Empire  Baudouin.Lascaris An. 1104. Franfoisè Conftanlinople. II. Baudouin souronr.é par !e Patriarche, 6 HlSTÓt&E depuis tant d'années s'afFoibliffoit de jour en jour. Mais ce grand événement fut une nouvelle legon, qui apprit encore au monde, que la fcience de gouverner eft plus rare que celle de conquérir; que la valeur eft plus éblouiffante, mais plus bornée que la fageffe; & qu'il eft plus aifé aux hommes de contrefaire 1'éclat rapide des éclairs & le fracas de la foudre, que d'imiter la lumiere vive & conftante de eet aftre bienfaifant, qui, dans fon cours uniforme & tranquille, éclaire , anime & féconde la nature. Tant d'efforts généreux n'enfanterent qu'une puiffance de cinquante - fept ans; encore peut-on dire qu'elle ne conferva de fanté & de vie que dans les douze premières années. Les Princes Grecs, chaffés de leur capitale, & cantonnés dans un coin de leur Empire, parurent plus grands qu'ils n'avoient été fur le tröne , & fe foutinrent dans leur infortune avec plus de gloire que les vainqueurs. Le Patriarche Morofini , de retour a Venife, après avoir re^u a Rome 1'ordination des mains du Pape, fut obligé par le Sénat de pro-  Da Bas-Empire. Liv. XCF. 7 mettre avec ferment qu'il ne nommeroit jamais pour Chanoine deSainte-Sophie qu'un Vénitien de naiffance, ou du moins un homme qui auroit habité a Venife dix ans de fuite; qu'il prendroit tous les moyens d'empêcher qu'il y eüt jamais d'autre Patriarche qu'un Vénitien. On lui fit encore donner parole , de ne faire dans tout 1'Empire aucun Archevêque qui ne fut Vénitien. Morofini ajouta cette reftri&ion , qu'il ne prenoit ces engagements qu'autant qu'ils ne préjudicieroient point a 1'autorité du Saint-Siege , ni au refpeft qu'il lui devoit. En efFet, deux ans après, le Pape ayant appris ces conventions, lui défendit d'y obéir, & le difpenfa du ferment, par la raifon qu'on n'entre point dans le fan&uaire du Seigneur par droit héréditaire, & que rxnir y être appellé , il ne faut qu'en etre digne fans diftin£tion de nation Sc de familie. Le Patriarche étant parti de Venife accompagné de quatre galeres, reprit en paffant Ragufe révoltée contre les Vénitiens. Arrivé au voifinage de Conftantinople, il en donna avis au Clergé & au peuA iv Baü- DOUIN. Lascaris An. 1204, Gefit lnnoc. t. 99. Du Cange, hifi. de C. P.l.lt c. 21. Meycr, Annal. Flandr. Sabellic, L 8.  Baudouin. I.ascar1s An. 1204, j J J < i t i t t F d c P 8 HlSTOlRB ple, quidevoient venir au-devantde lui, & le recevoir avec les honneurs etabhs par un ancien ufage. Ce fut alors que lemécontentement des Franeois eclata. Malgré ce qui étoit convenu entre eux &Ies Vénitiens, leur Uerge refufa de reconnoïtre le Patriarthe : il prétendit que 1'éleöion n'avoit pas été canonique; que fa promotion avoit été obtenue du Pape Wr un faux expofé, & il en appella au Saint-Siege. Pour étoufFer ces femences de difcorde, Innocent enroya un nouveau Légat; ce fut Beïoit, Cardinal Prêtre du titre de >ainte-Sufanne, qui, par de fages méïagements, fut réunir les efprits. Dans e couronnement du 23 Mai précélent, quelqu'un des Evêques avoit ans doute fuppléé a 1'abfence du Panarche. Baudouin regut une feconde ois la couronne des mains de Moofini, avec les cérémonies accouxmées. II fut conduit a Sainte-Sohié, habillé a la grecque, efcorté e tous les Barons & grands OfEiers de i'armée. Le Marquis Boniface ortoit devant lui le laticlave : c'é>it une robe de drap d'or dont il  du Bas-üMpire. Liv. xcv. 9 devoitêtrerevêtu ;le Comte deSaintPaul, 1'épée impériale. Les rues étoient parées de riches tapifferies. La cérémonie achevée , il fut reconduit avec la même pompe au palais de Bucoléon. Vingt-quatre Commiflaires, douze de chacune des deux nations , procéderent enfuite au partage des terres de PEmpire entre les Frangois & les Vénitiens. Ils confidérerent 1'Empire dans toute fon étendue , quoiqu'il y en eüt une grande partie a reconquérir. On affigna aux Frangois toutes les Provinces d'Afie, a 1'exception de Chalcédoine, de Cyzique 6c desCyanées,a 1'embouchure du Bofphore dans le Pont - Euxin; ces places furent cédées aux Vénitiens , comme des entrepots de leur commerce & de leurs forces maritimes. En donnant aux Frangois les contrées Afiatiques, on ne leur donnoit que des guerres a faire, les Turcs étant déja maitres de Ia plus grande partie, & les Grecs poffédant encore tout le refte : mais le génie de la nation comptoit comme des pofleffions préfentes les conquêtes a veiur, A y Baudouin.Lascaris A.n. 1204. IH. Partage ie 1'Empire entre les deux nations. VilUhard. \ 141,161. Gregoras, '.l,c. 2. Rhamnw fo, L4. Doutrem. 4, c. 2. Bi[ar. de •ello Vento,l. l.  Baudouin.Lascaris An. 1204. | 10 JflSTOlRS Du cóté de 1'Europe, ils eurent Ia Thrace, qu'on nommoit dès-lors Romanie , Ia Theffalie. Le Royaume de Theffalonique, qui comprenoit la Macédoine , accordé au Marquis de Montferrat, étoit cenfé appartenir aux Frangois; le Marquis en devoit hommage a 1'Empereur. Tout le pays depuis les Thermopyles , jufqu'au promontoire de Sunium, ce qui comprenoit la Béotie, la Mégaride & 1'Attique; les ifles de la Propontide, les plus grandes de 1'Archipel, telles que Lemnos, Lesbos, Chio, Samos, Rhodes & toutes. les autres depuis Andros jufqu'a la cöte de Thrace, entroient aufïï dans leur partage. Les autres nommées Cyclades & Sporades, furent cédées aux Vénitiens, qui furent bientöt encore maïtres de Candie, par la vente que leur en fit le Marquis Boniface. La politique Vénitienne, toujours trés-éclairée, eut foin de s'approprier deux fortes de pays ; ceux qui pouvoient donner Ia main a leurs Etats d'Italie, k former une puiffance continue; & :eux dont ils pouvoient aifément conerver la poffeffion par Je mqyen de  nu Bas-Empike. L'iv. XCF. n leurs flottes. Outre les ifles de 1'Ar- chipel que j'ai nommées, ils eurent : celles du golfe Adriatique, & toute l la cöte oriëntale de cette mer, qui A comprenoit les deux Epires; 1'Acarnanie, 1'Etolie, les nations Illyriennes jufqu'a Lychnide, & même jufqu'en Pélagonie & en Caftorie, la Morée, la Phocide , la Cherfonefe de Thrace, les cötes de la Propontide, jufqu'au-dela de Sélymbrie, celles du Pont-Euxin jufqu'a Méfembrie, celles de 1'Archipel en avancant dans les terres jufqu'a Pella & Berée. En Thrace, les bords de 1'Hebre, Cypfeles, Trajanople, Didymotique, Andrinople , les bords du Vardar, la Méfie inférieure oü ils pouvoient remonter par le Danube. On leur attribua même la Servië ; mais il en falloit faire la conquête. En Theffalie , on leur céda les contrées maritimes, favoir, la Pélafgie, la Perrhébie, la Magnéfie, la Phtiotide. Mais tous ces pays attribués aux Vénitiens , reconno'uToient la fouveraineté de 1'Empereur; & les Vénitiens, non plus que les Seigneurs particuliers, n'en itoient poffeffeurs qu'a titre de va{A yj Bau- )OUlN. ascaris n, 1104,  Baudouin, Ï.ASC» Ris An. 1204, IV. Troubles de 1'Empire. Vilhharl. e. 141 , I4J. !44- ' Nicct. c. j. ( Acrop.c.j. , Guntherus, Doutrcm. 1 l- 4c. 3. f •Da CW r , hifi. I. \ I , c, 24. 1 ii P P 12 HlSTOIKE faux de 1'Empire. Tel fut le premier partage : il fubfifta en grande partie; mais les diverfes conjonéhires qui dérangent fouvent les difpofitions pohtjques , y apporterent plufieurs changements, comme on le voit par la fuite de 1'hifioire. Tant de domaines qui fe croifoient en mille endroits exciterent de fréquentes querelles; & les Grecs, jaloux de voir leurs pofleffions entre les mains des étrangers, s'en vengeoient en les mettant aux pnfes par les chicanes qu'ils fufcitoient entre eux. Jandis que les Commiffaires travailloient a cette répartition, qui ne rut terminée qu'a la fin de Septemt>re, Baudouin prenoit des meiures xnir achever fa conquête. Au milieu 1'une révolution fi violente, 1'Em)ire ne pouvoit pafler en d'autres nains fans fe divifer. Quoiqu'entamé 'ar les Barbares, il avoit cependant 'lus d'étendue en furface que de fodité intérieure. Devenu fragile par 1 foibleffe iucceffive de fes Princes, devoit dans fa chüte fe brifer en lufieurs éclats, qui feroient enlevés ir Ies hommes les plus ambitieus  uu Bas-Empirs. Liv. XCF. 13 & les plus hardis. La confufion qui régnoit alors fe peint affez naïvement dans celle des hiftoriens de ce temps - la. Leurs récits fe croifent, fe contredifent, s'embarraflent de telle maniere, qu'il eft très-difficile de démêler & de fuivre le fil def cette hiftoire. Pour y jetter quelque c!arté, je féparerai de ce qui fe paffa en Occident d'avec ce qui arrivoit en même-temps en Oriënt, jufqu'a la guerre des Bulgares qui, après s etre long-temps préparée, éclata enfin au printemps de 1'année fuivante 1205, & attira de ce cöté-la toutes les forces de 1'Empire. Et pour commencer par 1'Occident, la pourfuite Si la punition de Murzuphle, 1'établiffement du Marquis de Montferrat, la guerre qu'il fit a Léon Sgure, & la conquête du Péloponnefe, formeront quatre événements princicipaux, & comme autant d'époques qui renfermeront les faits moins importants. Alexis, qui s'étoit d'abord fauvé a Zagora, avoit enfuite gagné Philippopolis , oii la force de la place lui donnoit efpérance de pouvoir fe Baudouin.Lascaris A.n. 1104. V. Punitios leMurzuihls.  Baudouin.Lascaris An. 1204. H II I S T 0 I & £ défendre: mais les habitants lui ayan€ fermé les portes , il s etoit retiré a Mofynople. Le lache & barbare Murzuphle, accompagné de fa nouvelle époufe Eudocie, & de fa belle-mere Euphrofyne, qui aimoit mieux fuivre fa fortune que celle de fon mari Alexis, ne s'étoit éloigné de Conftantinople que de quatre journées. II avoit pris & faccagé Zurule. La plupart des Seigneurs Grecs étoient paffes en Natolie, ou ils s'emprefïbient de recueillir les débris de 1'Empire , chacun fe faififfant des places qu'il trouvoit a fa bienféance. Au milieu de tant d'ennemis, Baudouin crut devoir d'abord s'affurer de la Thrace, oü les deux tyrans travailloient a relever leurs foibles efpérances. II fit partir fon frere Henri, avec cent Chevaliers, dont chacun , felon la coutume de ce temps-la, avoit a fa fuite un nombre de cavaliers & de fantaffins. Henri traverfa le pays jufqu'a Andrinople ; toutes les villes lui ouvrirent leurs portes. Andrinople , ville forte & puiffante, auroit pu arrêter une grande armee : elle jrecut le Prince avec joie, & prêta  nu Bas-Empire. Liv. XCV. 15 ferment de fidélité au nouvel Empereur. Henri s'y logea avec fes gens, pour y attendre fon frere. Murzuphle fe voyant menacé de li prés, ne crut avoir d'autre reffource que de joindre ce qui lui reftoit de forces a celles d'Alexis. II marcha a Mofynople, & lui envoya dire qu'il venoit lui faire hommage comme a fon Empereur , & 1'aider a combattre leurs communs ennemis. Alexis répondit qu'il étoit prêt a le recevoir comme fon fils, & a reconnoitre les foins qu'il avoit pris de fa femme & de fa fille. Murzuphle vint donc camper devant Mofynople, ou fon beau-pere le recut avec des démonftrations de la plus tendre amitié. Ils pafferent enfemble plufieurs jours è concerter les moyens de rétablir leurs affaires : mais 1'union entre deux fcélérats ne pouvoit être fincere. Alexis, perfuadé que 1'avantage refteroit I celui qui préviendroit 1'autre, inviti fon gendreaveniravec Eudocie prendre le bain dans fa maifon. Dès qu< Murzuphle fut entré dans la falie de: bains, les fatellites de fon beau-per» fe jettent fur lui, & lui arrachent le; Baudouin.Lascaris An. 1204,  Baudouin.Lascaris An, 1204, VI. Son fup. plice. VUlthard, r. 163. Jficet. c. 3. Cuntherui, ! C. 20 , 2T. J ■Da Cange, J --•33.' ' ' ï c V 16 II1 s t 0 1 a. e yeux, au milieu du défefpoir & des cris de fa femme , qui accabloit d'injures fon perfide pere , tandis que celui-ci reprochoit a fa fille 1'indigne alliance qu'elle n'avoit pas rougi de contrafter avec le meurtrier de fa familie. Murzuphle , tout fanglant & fans yeux, porta dans fon camp ce funefte fpeftacle, dont 1'horreur diffipa tout ce qu'il avoit de foldats: les unsprirent lafuite, les autres allerent fe joindre aux troupes d'Alexis. Pour lui, arraché des bras de fa femme, qu'Alexis retint par force auprès de lui, fuyant de retraite en retraite, abhorré de tous ceux dont il imploroit la pitié, il traina dans le mépris & dans la douleur le peu de jours qu'il vécut encore. Comme il fe difpofoit a paffer en Afie, il fut arrêté par Thierri de Los, :jui le conduifit k 1'Empereur. Baudouin confulta fes Barons fur le trai:ement que méritoit 1'afTaffin de fon Jeigneur. Ce fcélérat fut amené dans e confeil, & ofa entreprendre de fe ullifier, en difant que le jeune Alexis voit mérité la mort, comme trafre i» fa pafrie; que teute fa familie  vu Bas-Empire. Liv. XCV. 17 1'y avoit condamné, & que pour lui, il n'avoit fait que préfider k 1'exécution. On interrompit cette imprudente apologie. Nul fupplice ne fembloit être affez rigoureux. On s'accorda enfin k lui faire brifer les os. comme il les avoit brifés au jeune Alexis. On le fit monter furune haute colonne , élevée par Théodofe lt Grand dans la place du Taurus; & de-la , lié fur une planche , il fut précipité, en préfence de tout le peuple , qui le chargeoit de malédittions, II fe trouva par un hafard fwgulier, que fur cette colonne, oü étoiem repréfentés en bas-relief les exploiti du grand Théodofe, fe voyoit h figure d'un Roi tombant du ham d'une colonne, & une ville efcaladée du cöté de la mer. Cette doii' ble rencontre donna long-temps ma tiere a difcourir, & la fuperftitior populaire ne manqua pas de mettn cette colonne au nombre de celle: que le peuple de Conftantinople re gardoit comme prophétiques. Baudouin, élu Empereur, mais nor pas poffeffeur de 1'Empire , dont un< grande partie lui reftoit a conquérir Baudouin.Lascaris An. 1104. I l t VII. , Baudouic entre en 1 campagne»  Baudouin. I.ascari! An. 1204 VMthard, c. 142 , Hl, 146, 166. Nicet. c. 1, Gregoras, 1.1, e. 2. Guntherus. Du Cange, hifi. I. 1 , c. 2;. ï3 Histoijlê fe mit en compagne a Ia tête de fon armée. II Iaiffoit k Conftantinopïe Louis de Blois, k peine relevé de fa longue maladie, le Duc de Venife & Conon de Béthune, avec un nombre de troupes fuffifant pour garder Ia vil* Je, peuplée de Grecs, dont la fidéIite etoit très-fufpefte. II marcha droit k Andrinople , oü il fe joignit k fon jl' u- 7 laiffa Sarnifon » k Ia P"ere des habitants, qui craignoient une irruption du Roi des Bulgares. Ce Prince ambitieux, efpérant profiter de Ia revolution, faifoit de grands préparatifs de guerre. Pour lui fermer I'entree de la Thrace, Baudouin s'avanca jufqu'a Philippopolis, oii il laiffa des troupes fous les ordres de Renier de Tnt, auquel il avoit conféré la Seigneurie de cette ville, avec titre de Duché. Ce brave guerrier raffura les habitants, & fut fi bien défendre toute la contrée, que la terreur avoit déja foumife au Roi Bulgare, qu'elle revint èl'obéiffance de 1'Empereur. Baudouin , de retour a Andrinople , en fortit pour marcher contre Alexis. Dans la route, il s'affura de-Didymofique; & ayant diffipé une troupe  nu Bas-Empire. Liv. XCV. 19 de Grecs ennemis, qui lui avoient dreffé une embufcade prés de Xanthia, il arriva devant Mofynople , 011 il croyoit trouver Alexis. II fut agréablement furpris de la prompte foumiffion des habitants, qui lui apporterent les clefs de leur ville. Alexis n'avoit ofé 1'attendre ; il s'étoit retiré en Theffalie: & 1'Empereur fe préparoit a le pourfuivre , lorfque le Marquis de Montferrat vint le joindre. Ce Prince, qui alloit s'établir dans fon Royaume de Theffalonique, menant avec lui 1'Impératrice Marguerite de Hongrie fa nouvelle époufe , n'avoit pu fuivre les marches de 1'Empereur. II fit tendre fes pavillons hors de la ville. Le lendemain il alla faluer 1'Empereur , & le pria de lui permettre d'aller k Theffalonique, pour prendre poffefïion de fes nouveaux Etats. I: promettoit de revenir inceffamment. & d'apporter des provifions de vivres Sur ce que Baudouin déclaroit que fon deffein étoit d'y aller lui-même; pour s'y faire reconnoitre comme Seigneur fouverain, le Marquis, auquel on infpiroit des défiances, le fup Bau- douiw. Lascaris An. 1104, VIII. BrouilleriedeBaudouin & de Boniface.Vilhhari. , c. 146 Sf fuiv. Nicet. e. li Innocent. Rhamnuf. ' l. 4. ' Danduli  Baudouin.Lascaris An. 1204. Sabell. 1. 8. Bi^ar. de bello Vene'o . I. i. Doutnm. l-4,c. 2. J2u Cange, hifl.c.-ii , 15. J J J S ) ) ( l t r l t d 20 HlSTOIKE plia de ne pas commencer par gréver ion Royaume du paffage & du féjour d'une nombreufe armee: >» Prince, lui » dit-il, vos droits font en füreté : >> je vous ai juré fidélité, & mon fer» ment eft aufti public qu'il eft invio» lable : je me ferai toujours un de» voir d'obéir a vos ordres. Voulez» vous marcher contre le Roi des » Bulgares, qui infulte votre Empire ? » Quel que foit le befoin qui m'ap» pelle a Theffalonique, je vous fui- > vrai dans cette guerre, & je pré- > fererai toujours votre fervice a mes > interets. Mais le voyage que vous * projettez en Theffalie, ne peut que > vous occuper fans utilité. Je me > fens affez de forces pour m'établir > dans mon Royaume, & pour dé- • concerter les projets que peuvent ' former nos ennemis ". Baudouin , n cette occafion, parut oublier fa rudence naturelle: foit par une hautur mal-entendue, foit par les infiuations malignes des ennemis du larquis, il s'obftina; & comme le larquis , piqué de cette opiniatreté, ;moignoit fon mécontentement, &c ifoit hautement que ü 1'Empereur  du Bas-Empire. Liv. XCV. 21 perfiftoit dans fon deffein , il ne 1'accompagneroit pas : J'irai donc feul, repliqua 1'Empereur, & il donna fur Ie champ 1'ordre de marcher a Theffalonique. Le Marquis,ne difïimulant plus fa colere, fe fépara , & avec lui plufieurs Seigneurs de marqué, Jacques d'Avefnes, Guillaume de Champlite, Hugues de Colemy, Othon de Ia Roche, Berthold de Catzenelbogen, & la plupart des Seigneurs Allemands. Cette divifion pouvoit être funefte, & faire perdre une conquête qui avoit coüté tant de fang & de travaux. Tandis que Baudouin marchoit vers Theffalonique, Boniface remontoit vers Andrinople. Ils s'empara de Didymotique, qui lui fut livrée par un Grec. Ce fut pour tous les Grecs d'alentour, jufqu'a la diflance de deux journées , un fignal de venir a lui, comme a 1'ennemi des Latins, L'Impératrice fa femme, veuve d'Ifaac, fembloit porter fur fon front 1'image de leur ancien gouvernement, qu'ils ne regrettoient que paree qu'il ne fubfifloit plus. Elle les attiroit encore plus efficacement par 1'adrefTe qu'elle eut de profiter de la colere du Baudouiv.Lascaris An. H04,  aa IfisroiRB Marmiï* . nrair 1'pnoraopr a Annnpr \e BAUDOUIN. Lascaris An. 1204, ÏX. Ceffionde Candie aux Véni(tiens. * Livre XCIV, n. 48 6 } 2. titre d'Empereur a fon fils Manuel, qu'elle avoit eu d'Ifaac. Cette déclaration téméraire fembloit détruire toute apparence de réconciliation. Le Marquis, arrivé devant Andrinople , fe difpofa aufli-töt a en faire le fiege. Ce fut en ce lieu que fe termina la négociation, déja commencée entre le Marquis & les Vénitiens, au fujet de Candie. Cette ifle avoit été donnée au Marquis, comme nous 1'avons vu *, avec les Provinces d'Alie, en dédommagement de la dignité impériale , a laquelle il pouvoit prétendre. II avoit déja échangé le domaine d'Alie avec le Royaume de Theffalonique. Les Grecs étant encore maitres de Candie, cette conquête ne pouvoit s'exécuter qu'avec une flotte , & le Marquis n'avoit point de vahTeaux; d'ailleurs, il lui étoitplus avantageux de réunir enfemble toutes fes poffeflions, que de les tenir fépa-» rées par une fi longue diftance. Candie étoit au contraire a la bienféance des Vénitiens, maitres de la mer & de toutes les ifles voifines. Mare Sanudo, noble Vénitien, & Ravain  du Ujs-Empirb. Lh. XCr. 23 Carcerio , Gentilhomme Véronnis. députés par le Duc Henri Dandolo , conclurent le traité, le 12 d'Aoüt, devant Andrinople. Les Vénitiens payerent comptant mille marcs d'argent, & s'obligerent de fournir k Boniface, dans la partie occidentale de la Macédoine, autant de terre qu'il en faudroit pour former un revenu de dix mille pieces d'or, qui pafferoit k tous fes hoirs males & femelles , fous 1'hommage de 1'Empereur, & k condition des fervices qu'il devoit comme vaffal de 1'Empire. Le Marquis céda en même-temps aux Vénitiens les droits qu'il avoit fur Ia dette de cent mille pieces d'or, a\ quoi s'étoit engagé envers lui le jeune Empereur Alexis. Boniface promettoit de plus de fecourir les Vénitiens contre tous leurs ennemis. Andrinople étoit inveftie. Euftache de Sambruit, que Baudouin y avoit laiffé avec une garnifon, fe préparoit ' a fe bien défendre. Mais afin de pré- 1 yenir les fuites d'une guerre fi pernicieufe , il dépêcha des courriers k Conftantinople , pour en donner avis au Comje de Blois, au Duc de Ve- Bau- dou1n. Lascaris An, 1204» X. Bonifa:e affiege Lndrino>let  Baudouin.Lascaris An. 1204. 24 HlSTOIRE nife & aux autres Seigneurs chargés du gouvernement en 1'abfence de 1'Empereur. A la nouvelle d'un lï érrange événement, ils s'aflemblent au palais de Blaquernes; ils prient Villehardouin, ami du Marquis, de courir a Andrinople, pour appaifer cette dangereufe querelle. Villehardouin prend avec lui Manafsès de 1'Ifle , guerrier aufli fage que vaillant. Le Marquis les recoit avec honneur; il écoute, fans s'ofFenfer, les reproches que lui fait Villehardouin, avec la ïiberté d'un ami & d'un franc Chevalier. Boniface s'excufe fur 1'injuftice de 1'Empereur, fur Porgueilleux mépris qu'il a fait de fes juftes prieres , fur 1'invafion du Royaume de Theffalonique , contre la difpofition folemnelle & irrévocable des Seigneurs Croifés; il offre de s'en remettre a leur jugement. Villehardouin accepte la propofition, & en conféquence 1'armée fufpend les attaques. On s'embraffe avec arFeétion de part & d'autre; la treve eft déclarée; & tandis que les députés retournent a Conftantinople, pour confulter les Seigneurs, le Marquis leve le fiege, & fe retire a  du Bjs-Empire. Liv. XtV. 25 k Didymotiqae, oii il avoit laiffé 1'Impératrice fa femme. Ce ne fut pas fans chagrin, de la part des Grecs, qui fondant fur cette difcorde entre les deux plus grands Princes Latins, 1'efpérance de les détruire tous, s'oppofoient de toutes leurs forces k 1'accommodement. Louis de Blois, Dandolo & Conon de Béthune, ravis des difpofitions pacifiques du Marquis , envoyerent auffi-töt k Baudouin pour 1'en inftruire , &z le fupplier d'agréer la voie propofée , afin de terminer un différend dont la décifion ne pouvoit être confiée k des arbitres plus fürs, & plus intéreffés k maintenir la concorde. Pendant que la colere du Marquis allumoit le feu d'une guerre , & que la prudence des Seigneurs travailloit k 1'éteindre , 1'Empereur pourfuivoit fa marcbe a Theffalonique. II prit Chriftopolis fur la frontiere de Macédoine, au bord de la Propontide , visa-vis 1'ifle de Thafe : les habitants lui firent ferment de fidélité. II recut de même k fon obéiffance la ville nommée la Blache par Villehardouin, & que du Cange conjefture être Beüaa, Tome XXL B Baudouin.Lascabis An. 1104. XI. Baudouin a Theffalonique.  Baudouin.Lascaris An. 1204. 26 HlSTOIRB Evêché fufFragant de la métropole de" Philippes. II s'avanca enfuite a Citre , autres Evêché fufFragant de Theffalonique. Toutes ces places fortes & riches fe rendirent, a condition qu'on leur conferveroit les libertés, franchifes & privileges dont elles jouiffoient fous les Empereurs Grecs. Comme il approchoit de Theffalonique, les habitants vinrent a fa rencontre , témoignant, par leurs acclamations , qu'ils lui foumettoient avec joie leurs perfonnes & leur ville. Mais ils le fupplierent de n'y pas introduire fon armee , qui étant compofée de diverfes nations, & commandée par différents chefs , pourroit difficilement s'abftenir du pillage, malgré fes intentions bienfaifantes. Baudouin, autant par la crainte de donner de nouveaux partifans au Marquis, que par fa douceur naturelle, leur accorda leur demande: il confïrma leurs privileges & leurs coutumes, laiffa pour Gouverneur Renier de Monts , avec une garnifon ; & après avoir campé quelques jours aux portes de la ville, il reprit le chemin de Conftantinople. Dès la premierere journée, il ap-  bu Bas-Empirz. Liv. XCF. 27 prit a quel excès s'étoit porté le mécontentement de Boniface. Irrité d'une rébellion ii déclarée, il donne ordre de prendre la route d'Andrinople. Cependant fon armee n'étoit pas en bon état; 1'abondance des fruits de la faifon, dans un pays fertile, y avoit répandu les maladies. II fallut laiffer quantité de foldats dans les villes, dans les bourgades oh paffoit 1'armée. Tous les chemins étoient remplis de litieres & de brancards, qui portoient des malades. Jean deNoyon, Eccléfiaftique vertueux & éloquent, Chancelier de 1'Empereur , & en mêmetemps Prédicateur de 1'armée, mourut en la ville de Citre, au grand regret de tous les gens de bien , dit Villehardouin. Pierre d'Amiens, Girard de Machicourt, Gilles d'Aunoi, riches & puiffants Seigneurs, & quarante autres Chevaliers, moururent auffi dans ce voyage. L'Empereur, affligé de tant de pertes, continuoit fa marche, lorfqu'il rencontra les députés des Seigneurs , que le Marquis avoit pris pour arbitres. L'un d'entre eux, nommé Hugues de Franfures, vaffal du Comte de Blois, homB ij Baudouin.Lascaris \n. 1204. XIL Propoficion d'ac:oramolemeat.  Bao- doujn. Lascari: An. 1204 28 HlSTOIRE me fage, & qui paflbit pour difcrer adreffa la parole a 1'Empereur. Je ne ; changerai dans fon difcours que le langage , devenu aujourd'hui peu intelligible : on y verra la naïveté noble & hardie que le Souverain permettoit a ces bons Chevaliers. » Sire, » dit-il, le Duc de Venife, le Comte » Louis mon Seigneur, & les autres » Barons qui font a Conftantinople , » vous faluent comme leur Seigneur, » & fe plaignent a Dieu, & a vous, m deceux quiontfufcité cette querelle » entre vous & le Marquis de Mont» ferrat, de laquelle peu s'en eft fallu » que la deftruöion de la Chrétienté » ne fe foit enfuivie. Vous fites très» mal d'écouter ces gens-lè. Mainte» nant ils vous mandent que le Mar» quis s'en rapporte a leur jugement » pour le différend furvenu entre » vous & lui. Ils vous prient, com» me leur Seigneur, de vous en re» mettre auffi a eux, & de donner » parole de vous y tenir. Et fachez » qu'ils ne fouffriront pas que cette » guerre dure plus long-temps ". Baudouin leur répondit, qu'il fe confulteroit, & leur feroit favoir fes inten-  nv Bas-Empire. Liv. XCV. 29 tions. II avoit déja de ces flatteurs qui aigriffent les plus juftes remontrances, & dont le zele rampant & mercénaire fait d'autant plus d'impreffion fur la majefté fouveraine, qu'elle fe trouve dans unë ame plus délicate & plus foible. Ces Courtifans fe récrierent dans le Confeil, que de tels difcours étoient un outrage; qu'on ofoit même menacer le Prince, s'il ne confentoit pas a s'avilir, jufqu'a fe foumettre a 1'arbitrage de fes fujets. Par bonheur, Baudouin avoit affez de prudence pour voir le bon parti, & affez de fermeté pour le fuivre. II réfolut de ne pas révolter les efprits contre fon autorité naiffante; & pour concilier avec ce ménagement la majefté Impériale , il fit venir les députés, &z leur dit qu'il ne promettoit rien en ce moment; mais qu'il alloit retourner k Conftantinople, & que dans eet intervalle il vouloit bien ne rien entreprendre contre le Marquis. A fon approche, les Barons allerent audevant de lui, & le recurent avec tout le refpett qu'ils devoient k leur Souverain." B iij Baudouin.Lascaris An. 1204,  Baudouin.Lascakis An. 1204. XIII. Réconciliation de 1'Empereur & du Marquis, 30 HlSTOIRE Pendant quatre jours, 1'Empereur s'occupa du projet de réconciliation. II vit qu'il avoit fubi le fort ordinaire desPrinceS, & il eut le courage de reconnoïtre qu'il avoit été trompé. II accepta 1'arbitrage. On députa au Marquis; on lui promit fureté pour fa perfonne & pour ceux dont il fe teroït accompagner. Boniface fe rendit a Conftantinople avec cent Chevaliers, & fut honorablement regu. Le Confeil affemblé, on renouvella les premières conventions. Theffalonique fut rendue au Marquis, avec toutes fes dépendances. De fon cöté, il mit Didymotique entre les mains de Villehardouin, qui s'engagea a ne laremettre a 1'Empereur qu'après que Ie Marquis lui auroit certifié qu'il étoit rétabli dans la poffeffion paifible du Royaume de Theffalonique. Le jeune Manuel, Empereur de théatre, rentra dans fon obfcurité. On célébra , par des réjouiffances publiques, le retour d'une paix li intéreffante au falut de 1'Empire. Boniface partit avec fa femme & fes troupes. II étoit accompagné des Commiffaires de 1'Empereur, qui lui fai-  nu Bas-Empirb. Liv. XCV. 31 ibient reftituer les places fur fon paffage. A fon arrivée k ThefTalonique, la garnifon Impériale en fortit; mais fans Renier de Monts, qui, pendant le cours de cette négociation , étoit mort, fort regreté des deux partis. Boniface fut fuivi de plufieurs Chevaliers, qui s'étoient attachés k fa perfonne. Ils furent remplacés auprès de Baudouin par d'autres , qui arriverent de Paleftine. Après la prife de Conftantinople , les Frangois avoient envoyé aux Barons Chrétiens en Syrië, les portes de cette ville, & la chaine qui avoit fermé le port. A la vue de ces illuftres gages de viftoire , les Barons s'emprefferent d'aller a Conftantinople partager le triomphe de leufs compatriotes. C'étoient non-feulement ceux qui s'étoient féparés de 1'armée des Croifés avant 1'embarquement de Venife ; mais aufli un grand nombre de Chevaliers déja établis dans la TerreSainte. Les plus diftingués étoienl Etienne du Perche, Renaud deMontmirail, Thierri de Tenremonde, Hugues & Raoul de Tabarie. L'Empereur leur fit un accueil diftingué; il B iv Baudouin.Lascaris Kn. 1204. XIV. Mort de Marie , femme de Baudouin. VMehari', c. 169. Ramnuf. I. 4- Jacques de. Guife, ?. rol. c. 95. Du C.mge , hifi. I. i , c. 26, 27.  Baudouin.Lascaris An. 1204. 32 B/STOIRE donna au Comte du Perche leDuché de Philadelphie ; a Thierri la charge de Connétable de Romanie; aux Templiers & aux Hofpitaliers des höpitaux, des commanderies , des places qui les rendirent puiffants. Mais la joie de 1'Empereur fut cruellement balancée, par la douloureufè nouvelle ^que cette flotte lui apportoit en même temps. Son époufe, Marie de Champagne, avoit pris la croix avec lui; fa groffeffe 1'avoit obligée de demeurer en Flandre. Après fes :ouches, elle alla s'embarquer a Marfeille, efpérant rejoindre fon mari i Saint-Jean d'Acre. En y arrivant, -He apprit qu'il venoit d'être élu Emjerëur. Boëmond IV, Prince d'Anioche, vint la faluer en qualité d'Imjératrice, & lui fit hommage de fa Principauté, comme d'un fief de 1'Em)ire. Elle fe difpofoit a partir pour e rendre auprès de fon mari, & jouir le fa gloire, lorfqu'elle fut furprife 1'une maladie dont elle mourut le 19 d'Aoüt. Son corps fut porté a Conftantinople, & inhumé dans 1'E;life de Sainte-Sophie. Entre les Seigneurs qui fe détache-  du Bas-Empirb. Liv. XCK 33 rent de Baudouin pour fuivre Boniface, fe trouvoit Michel PAnge, Comnene, hls naturel de Jean PAnge , Sebaftocrator, & par Théodora fon aïeule, arriere-petit-fils de 1'Empereur Alexis, le premier des Comnenes. C'étoit lui que 1'Empereur Ifaac avoit donné en ötage a 1'Empereur Fréderic, lorfque ce Prince paffoit par les terres de 1'Empire Grec dans fon voyage de Palefline. II s'étoit révolté en 1201 contre Alexis IÏI, & étoit revenu a Conftantinople après laconquête desCroifés. Adroit, fouple, hardi, capable des plus grandes entreprifes , & joignant la valeur a ia moins fcrupuleufe politique , il s'étoit, en apparence, attaché au fervice de Boniface, & partit avec lui pour Theffalonique. Mais avant que d'y arriver, il fe déroba fecretement, gagna la ville de Duras; & s'étant bientöt infinué dans la bienveillance du Gouverneur Grec, il époufa fa fille, & chaffa enfuite fon beau-pere. Maitre de la ville, il s'empara de toute la contrée , & fe fit un Etat confidérable, qui s'étendoit depuis Duras jufqu'au golfe de Lépante,& B v Baudouin,Lascaris An. 1204. XV. Etabliffement de Michel 1'Atige Coraiene en Epire. Villehard, c. 160. Da Cange, Tam. Syj. f. ao8.  Baudouin.Lascari: An. 1204 XVI. Boniface fubjugue la TheffaIie. Villckard, e. 160 r 173 , 177. Nic. c. 1, 2, 9. Acrop, c.%, Du Cange, hifi. I. 1 , c 30,31, j2. 3} H 1 s r 0 r r e comprenoit 1'Epire, 1'Acarnanie, i'Etolie, & une partie de la Theffalie. II fut s'y mai|tenir , & le laiffa k fes fucceffeurs,' connus dans Phiftoire fous le nom de Defpotes d'Epire. Le Marquis de Montferrat, devenu Roi, ne conferva pas entiérement ce caraftere de douceur & de bonté , qui 1'avoit fait defirer pour Empereur p^r une grande partie des Croifes, & chérir de tous. L'ambition de s'agrandir 1'obligeoit d'augmenter fes finances , nom redoutable aux fujets. II les ehargea d'impóts. II eut une Cour, & par conféquent des ames avides, qui ne manquerent ni de prétextes, ni de moyens pour dépouiller des plus belles maifons & des plus belles terres les légitimes poffeffeurs. Bientöt il fe mit a la tête d'une armée confidérable; & ayant laiffé fa femme k Theffalonique avec une partie de fes troupes, il fe rendit maitre de toutes les places aux environs de Serres &C de Berée. Son deffein étoit de s'emparer de toute la Theffalie, de laBéotie, de 1'Attique, & de pénétrer dans la Morée; c'étoit le nom qu'on donnoit alors k 1'an-  du Bas-Empirb. Liv. XCV. 35 cien Péloponnefe, a caufe de 1'abondance des müriers qu'il produifoit. Le titrefrivole d'Empereur qu'il avoit donné k Manuel avant que de fe réconcilier avec Baudouin , quoiqu'il 1'eüt lui-même oublié , attiroit auprès de lui quantité de Seigneurs Grecs, dupes de cette farce paffagere. Ils lui concilioient le coeur des peuples : ils lui fervoient de guides dans les détours des montagnes, & lui facilitoient 1'entrée du pays. Avec ces connoiffances, il évita les paiTages dont les Grecs s'étoient faifis dans les gorges du mont Olympe, & arriva au bord du Pénée. Ce fleuve, refferré dans un lit très-profond entre le mont Olympe & le mont OlTa, dans 1'efpace de deux lieues, coule avec rapidité, & ne laiffe fur fes bords qu'un chemin étroit, dans lequel quatre ou cinq foldats peuvent a peine marcher de front : c'eft-la ce vallon de Tempé , dont la poéfie grecque a fait par fa magie un féjour fi délicieux. Boniface le paffa , vint k Lariffe, ovi il ne trouva point de réfiftance ; & ayant traverfé la Theffalie, il arriva au pas des Thermopyles, ou 1'atB vj' Baudouin,Lascaris An. 1104.  Baudouin. Lascari; An. 12.04 XVII. Guerre contre LéonSgu- 36 HIST01K.B tendoit Léon Sgure, qu'il eft temps de faire connoitre. Ce Seigneur Grec étoit né a Napoli de Romanie, qui eft 1'ancienne Nauplia. Son pere s'étoit rendu maïtre de fa patrie. Plus hardi encore que fon pere, après s'être affuré de eet héritage par le fang de fes compatriotes, il profita des troubles de 1 'Empire pour accroitre fon domaine ; & tel qu'un torrent grofii par les orages, il s'empara d'Argos & de Corinthe. Auffi cruel qu'entreprenant, il feignit de rendre fes bonnes graces a 1'Archevêque de Corinthe, qui s'étoit oppofé de tout fon pouvoir a fon invafion. II 1'invita a fa table; & pendant Ie repas lui ayant fait arracher les yeux, il le précipita enfuite du haut d'un rocher. Réfohi d'étendre fes conquêtes, il équipa une flotte; & s'emparant de proche en proche de toutes les places , il alla affiéger Athenes du cöté de la terre & de la mer. Cette ville, déja fort déchue de fon ancienne fplendeur, n'étoit défendue que par une foible garnifon. L'Archevêque Michel Coniate, frere de 1'Hiftorien Ni-  du Bas-Empire. Liv. XCF. 37 cétas , tenta d'adoucir Ie tyran par des raifons & des prieres. Léon demeura inflexible , a moins qu'on ne lui mit entre les mains un habitant, contre lequel il étoit irrité, & qu'il vouloit mettre a mort. C'étoit en effet un méchant homme, citoyen féditieux, perfécuteur acharné de tous les gens de bien, & en particulier de 1'Archevêque. Cependant le Prélat, rempli de la douceur évangélique , refufa conftamment de Ie livrer a fon ennemi; & voyant que les paroles étoient inutiles, il anima les habitants, borda les murailles de machines & de tout ce qu'il y avoit d'archers & de frondeurs. Le courage rit mieux que les prieres. Michel fut li bien le faire agir, que Sgure, défefpérant du fuccès, tourna fa colere contre les campagnes , brüla les métairies, enleva les beftiaux, & alla attaquer Thebes, qu'il emporta d'emblée. Ce fut-la qu'Alexis , errant en Theffalie, vint fe jetter entre fes bras, avec fa femme Euphrofine & fa fille Eudocie. Cette Princeffe, en perdant fa réputation par tant de facheufes aventures, n'avoit rien perdu de fa Baudouin.Lascaris An. 1104.  Baudouin.Lascaris An, 1204. XVIII. Coniquête de la Béotie & de 1'Attique. i 38 II I S T 0 I R E beauté. Lépn, moins fenfïble a 1'honneur qu'aux aiguillons de la volupte , en devint amoureux dès la première vue, & n'eut pas de peine k 1'obtenir de fon pere, qui efpéroit trouver enfin un afyle. Ils marcherenf enfemble aux Thermopyles, pour fermer le paffage au Marquis de Montferrat. Poftés k Pavantage avec une armée de plufieurs milliers d'hommes, dans un lieu 011 trois cents Spartiates avoient autrefois arrêté 1'armée innombrable de Xerxès, ils ne purent tenir contre une poignée d'ennemis. A la feule vue du Marquis, ils prirent la fuite; & Boniface entra dans les plaines au-dela du mont Oëta, non pas comme un vainqueur, mais comme un Souverain naturel, qui reviendroit d'un voyage au milieu des acclamations de fes fujets. Ihebes lui ouvrit les portes. L'Ar:hevêque Michel, perfuadé qu'après"» la prife de la capitale de 1'Empire, :e feroit lutter contre la Providence jue de réfifler aux Frangois , n'ar11a pas contre eux les habitants d'A:henes : mais k 1'exemple des autres  nu Bas-Empire. Liv. XCF. 39 Evêques, ne voulant pas être regardé comme traitre ï fa patrie, il abandonna fon Eglife, qu'il gouvernoit depuis trente ans, & fit place a un Archevêque Latin. II paroit qu'Othon de la Roche fut invefti par Boniface de la Seigneurie de Thebes & d'Athenes. Ses fucceffeurs prirent le titre de Ducs d'Athenes & de grands Sires de Thebes, & en cette derniere qualité, ils releverent dans la fuite du Prince d'Achaïe. Les députés de 1'ifle de Negrepont vinrent affurer le Marquis de leur foumifïion; il y envoya Ravain Carcerio, avec quelques troupes, pour en prendre poffeffion, & réduire les places qui feroient réfiftance. Carcerio en demeura Seigneur fous la fouveraineté du Marquis. Quoique Boniface ne fut pas fuivi d'une nombreufe armee, la terreur marchoit devant lui. II paffa 1'ifth' me , & fut regu dans Corinthe & dans Argos. II ne reftoit a Léon que fa ville de Napoli & la citadelle de Corinthe, élevée fur la pointe d'un rocher : on la nommoit 1'Acrocorinthe. II s'y renferma. Jacques d'Avefne Baudouin.Lascaris An. 1104. XIX. Siege de 1'Acrocorinthe & de Napoli de Romanie,  Baudouin.Lascaris An. 1204. 4° HlSTOlKE fut chargé de 1'y affiéger, tandis que le Marquis en perfonne alloit attaquer Napoli. Alexis, craignant de tomber entre les mains des Latins, n'ofa s'enfermer avec fon gendre; il s'enfuit avec fa femme, k deffein de fe réfugier auprès du defpote d'Epire. Mais arrêté dans fa fuité par les troupes du Marquis, il fut conduit a Theffalonique. Le fiege de 1'Acrocorinthe & celui de Napoli paroiffoient devoir durer long-temps. Napoli, défendue par de fortes murailles & par une garnifon nombreufe, ne pouvoit céder qu'a la famine. L'Acrocor rinthe étoit un fort inaccellible. Léon n'avoit befoin que de vigilance pour en défendre les approches. Un jour qu'il s'appergut que les Frangois n'étoient pas fur leurs gardes, il defcendit fur eux, les pouffa jufque dans leurs tentes, & en tua un grand nombre avant qu'ils euffent le temps de prendre leurs armes. Dreux de Struen, ' vaillant Chevalier, y perdit la vie : facques d'Avefne fut dangereufement bleffé ; mais enfin toute 1'armée s'étant raflemblée, on chargea les Grecs ivec tant de vigueur, qu'on les re-  du Bas-Empire. Liv. XCV. 41 poivfla dans la place. Boniface ne voulant pas perdre fes forces en efforts inutiles, envoya ordre de ceffer les attaques, 6c d'élever un fort vis-avis de 1'endroit le plus foible, pour tenir la place en échec. Cependant une autre troupe de Frangois faifoit la conquête de la Morée. Geoffroi de Villehardouin, neven du Maréchal de Champagne & de Romanie, dont nous avons déja parlé tant de fois, étoit parti de la Terre-Sainte avec les autres Seigneurs, qui s'étoient rendus auprès de Baudouin a Conftantinople. Son vaiffeau, féparé du refte de la flotte, fut jetté par une tempête au port de Modon en Morée, & tellement endommagé , qu'il ne put fe remettre en mer. Un Seigneur Grec, qui tenoit plufieurs places dans le voifinage, vint le trouver, & lui offrit de fe joindre a lui pour s'emparer de la contrée, dont ils partageroient la conquête, a condition que le Grec feroit hommage a Geoffroi de tout ce qui lui refteroit pour fa part. La propofition fut acceptée, & le traité exécuté de bonne foi. Ils étoient déja en poffefiion Baudouin.Lascaris An. 1204. XX. Entreprife fur la Morée. VdUhard. c. 173 & fuiv Nicet. c. 9. Sabellic. !. 8. Platina, in Innoc. 111. Du Cange, hifi. I. 1 , c. 32.  Baudouin,I.ascaris An, 1204. 42 HlSTOIRE de Modon & de quelques places, Iorfque Ie Grec mourut de maladie en peu de jours. Son flls rompit le traité, & fit révolter les places dont ils s'étoient rendus maitres. GeofFroi ne fe fentant pas affez fort pour les recouvrer feul, fongea a s'appuyer d'un autre fecours. II traverfa en fix jours, avec grand péril, toute la Morée, encore poffédée par les Grecs , & fe rendit devant Napoli, au camp du Marquis de Montferrat. II fut trèsbien regu de Boniface, qui connoiffant fa valeur, lui offrit un établiffement honorable, s'il vouloit s'attacher a fon fervice. GeofFroi 1'en ayant remercié, alla trouver Guillaume de Champlite fon ami, & lui propofa de venir, avec ce qu'il avoit de troupes, faire enfemble une conquête , dont il lui repréfenta la facilité & les avantages. Je ferai content , lui dit-il, de la part que vous voudre{ bien me faire, & je la tiendrai de vous en qualité de vajfal. Ce n'ejl pas pour moi que je veux faire la guerre, c'ejl pour thonneur & le profit de ma nation. Guillaume, aufli affuré de fa probité que de fon courage, va com-  du Bas-Empire. Llv. XCV. 43 municjuer au Marquis le projet de fon ami. Le Marquis 1'approuve; ils part/ent en menant avec eux cent Chevaliers fuivis de leur cortege ordinaire , Sc arrivent a Modon. Michel, defpote d'Epire, portoit fes vues fur la Morée, dont il n'étoit féparé que par le détroif de Lepante. Réfolu de chaffer les Frangois d'un pays qu'il regardoit comme une dépendance de fes Etats, il paffa le détroit avec fon armée, Sc les alla chercher, fe flattant de les détruire fans peine. Au bruit de fa marche, les Frangois fe hatent de mettre Modon en état de défenfe : ils y laiffent leurs bagages Sc les bras inutiles, Sc fortent en campagne pour combattre 1'ennemi. Ils n'avoient pas plus de cinq cents chevaux; Michel en avoit plus de fix mille. Ils* 1'attaquerent cependant avec tant de vigueur , qu'ils le défirent entiérement, lui enleverent hommes, chevaux,bagages, Sc retournerent k Modon chargés de butin. De-la ils marcherent a Coron, place importante fur le golfe Mefféniaque, Sc 1'obügerent bientöt a fe. rendre. Guillaume donna cette place. Baudouin.Lascaris An. 1204. XXI. Succès de 1'entreprife.  - Baudouin.Lascaris An, 1204. XXII. Empirede Lafcaris. Acrop.c.6. Gregor, l, , 1 , C. 2. 44 HlSTOlitE k GeofFroi, qui lui en fit hommage. Ils allerent enfuite mettre le fiege devant Chalemate, autrefois Thalames, chateau très-fort fur la cöte du même golfe : il fe rendit après une réfiftance affez opiniatre. Ces fuccès défarmerent tous les Grecs de ce pays. Patras, ville archiépifcopale, ne tint pas devant les Frangois. Guillaume de Champlite, maïtre de prefque route la Morée, prit le titre de Prince d'Achaïe. Mais peu de temps après cette expédition, lorfque les Vénitiens fe furent rendus maitres de 1'ifle de Corfou, Modon, Coron & toute la Morée leur furent remifes, felon ce qui avoit été réglé dans le partage général. II ne reftoit aux Grecs que le canton de Lacédémone , poffédé par un Seigneur Grec, nommé Léon Chemarete. Tel étoit 1'état de 1'Oc:ident, lorfqu'une nation voifine vint aorter un coup terrible a cette puif[ance encore flottante , & mal afrermie. Avant que d'entrer dans le récit le ce grand événement, il faut un noment tourner nos regards du cöté ie 1'Orient, & voir quelle étoit dans  vu Bas-Empirb. Liv. XCF. 45 cette partie la fituation de PEmpi- : re. II n'y reftoit prefque rien dont Baudouin fut le maitre. Les Turcs j polfédoient des Provinces entieres , • & s'étendoient de jour en jour. La plupart des Seigneurs Grecs s'é- ' toient réfugiés en Natolie , oii ils s'emprefToient de recueillir les débris de 1'Empire, chacun fe faififfant des places qu'il trouvoit a fa bienféance. Mais celui qui fit le plus grand röle en Afie, & qui perpétua chez les Grecs la fucceflion impériale , fut Théodore Lafcaris. Au moment de la prife de Conftantinople, après la fuite de Murzuphle, lorlqu'on n'attendoit que le faccagement & le carnage , Théodore avoit ofé prétendre au nom d'Empereur, & fembloit ne 1'avoir recu de fes malheureux compatriotes, que comme un titre de funérailles. Echappé cependant au glaive & aux fers des Latins, il avoit paffe le Bofphore avec fa femme Anne Comnene, qui étant fille d'Alexis III, lui donnoit des droits a la fouveraineté. II fe préfenta avec elle aux portes de Nicée, ne s'annongant que fous le nom de defpote , & comme Lieu- Bau- douin. -ascar1s in. 1204. Doutnm*  Baudouin. LascARI: An. 1204 XXIII. Succès des Frangois en Bi thynie. VUUhard e. 162 , 167., 170 Nicet. c. 2 Acrop. c. 7 Ramnuf. I 4. Doutrem l. 4, c 5 6. Du Cange hifi. I. I t, 29, 46 HlSTOIZiB tenant de 1'Empereur Alexis fon beau* pere. Les Grecs, maitres de la ville , i refuferent d'abord de le recevoir; & ce ne fut qu'a force de prieres qu'il les engagea enfin k donner du moins afyle k fa femme, fille de leur Prince légitime. II la confia entre leurs mains, & partit pour raffembler les Grecs fugitifs. II forma une petite armee , avec laquelle il fit des courfes aux environs de Prufe , & s'empara de quelques chateaux. Trop foible pour ie foutenir long-temps, il eut recours au Sultan d'Icone, dont il étoit ami, & en obtint des fecours, qui le rendirent maitre de Nicée, de Prufe & de prefque toute la Bithynie. Louis, Comte de Blois, avoit été invefti du domaine de cette Provih- ' ce, fous le titre de Duc de Nicée. II fit partir vers la Touffaint Pierre de Bracheux & Payen d'Orléans, avec cent Chevaliers, qui s'étant rendus [ aGallipoli, pafferent 1'Hellefpont, & prirent port k Peges, ville maritime , poffédée par les Latins dès le temps ] des Empereurs Grecs. Ils fortifierent le chateau de Palorme fur la Pro- ' pontide; 6c après y ayoir mis garr  m Bas-Empire. Liv. XCF. 47 nifon, ils entrerent plus avant dans le pays. Cependant Théodore, avec ce qu'il avoit de Grecs raflemblés de toutes parts, & les fecours du Sultan d'Icone, fe mit en campagne pour arrêter leurs progrès. Les deux armées fe rencontrerent le 6 Décembre dans une plaine au-deffous de Pémanene , place très-forte fur les confins de la Myfie & de la Bithynie, Celle deThéodore,quoique plus nombreufe, fut défaite après un combat opiniatre, & cette viftoire rendit les Frangois maitres de Pémanene, de Lopade, une des nseilleures places de ces contrées,& de prefque toute la Bithynie, jufqu'a Nicomédie. Mais Prufe réfifta a leurs efforts. Cette ville , batie fur une hauteur prés du mont Olympe, environnée de fortes murailles, & bien fournie de provifions, réfolut de fe défendre. Les Frangois, arrivés au pied des murs, firent fignifier aux habitants, qu'on les traiteroit comme des amis, s'ils ouvroient leurs portes fur le champ; mais que s'ils attendoient le premier coup de bélier, ils éprouveroient toutes les rigueurs de la guerre. Les Grecs, loin Baudouin.Lascaris An. 1204,  Baudouin.Lascari An. 1104 XXIV. Suites d leurs fuc cis. 48 HlSTOIRE ■ de s'efFrayer de ces menaces, fortirent en armes, & abattirent k coups s de fleches plufieurs des principaux • Chevaliers. Cette hardieffe annongoit une vive réfiflance ; & les Frangois n'étant pas en état d'entreprendre un long fiege , prirent le parti de fe retirer. Les habitants devenus encore plus hardis, fe mirent a les pourfuivre : tous les Grecs des environs accoururent pour leur couper le chemin ; ils fe faifirent des paffages des montagnes. Ayant tué le porte-enfeigne d'une compagnie de coureurs qui devangoient 1'armée, ils planterent 1'enfeigne fur une éminence, pour y attirer les Frangois, & fe pofterent en embufcade; mais leur rufe tourna contre eux-mêmes : les Frangois s'en étant appergus, tomberent fur les troupes de Pembufcade, les taillerent en pieces, & les Grecs regagnerent Prufe avec une grande perte. Peu de jours après le départ de Pierre de Bracheux, deux autres corps partirent de Conftantinople. L'un avoit pour chef le Prince Henri, frere de 1'Empereur , qui defcendit dans 1'Hellefpont, &c s'empara d'Abyde , qu'il  nu Bas-Empire. Liv. XCV. 49 qu'il trouva bien fournie de provifions : il en fit fa place d'armes , pour étendre de-la fes conquêtes, & reent d'utiles fecours des Arméniens , difperfés en grand nombre aux environs de 1'ancienne Troye, & mortels ennemis des Grecs. L'autre corps d'armée palfa le Bofphore, vis-a-vis de Conftantinople., fous la conduite de Macaire de Sainte-Menehoud, accompagné de Matthieu de Valincourt & de Robert de Roncoy. Ils marchere'nt droit k Nicomédie , qu'ils trouverent abandonnée. Les Grecs , effrayés k leur approche, avoient déja pris la fuite. Ils en réparerent les fortifïcations, y mirent garnifon , & ürent de-la des courfes dans tout le pays d'alentour. Henri, par le confeil des Arméniens , partit d'Abyde , après avoir pourvu a fa défenfe , & traverfant la Troade , il arriva en deux jours a Adramytte, ville maritime, lïtuée au fond d'tin golfe auquel elle a donné fon : nom. Elle fe rendit aufïi-töt, & ce fut a la fois un magafin abondant & une place de füreté, qui le mit en ■ poffeffion de toute la contrée. Théo- ' Tome XXL C Baudouin.Lascaris An. 1104. ^.n. 1205. XXV. Guerre Je Henri, :ontre jafcaris. VilUhard. \ 171, 72. Viccf. c. 2. ' ïamnuf. /,  Bau- $0 HlSTOIRB dore, après fa défaite auprès de Pé- TrianPnp . avnit pn npn rlp innrc raf- douin. Lascaris An. 1205. />« Cangc, hift. I. % 1 f. 29. femblé une nouvelle armée , dont il donna la conduite k fon frere Conftantin , guerrier qui 1'égaloit en valeur. II ne manquoit k tous deux que de commander des Frangois. Conftantin prit le chemin d'Adramitte ; & fur la nouvelle de fon approche, Henri fe prépara k le bien recevoir. II affembla fon confeil, compofé d'un bon nombre de braves Chevaliers, & leur ayant déclaré qu'il n'étoit pas d'avis de fe laiffer enfermer entre des murailles, tandis qu'il avoit la campagne libre, il trouva dans tous une ardeur égale a la fienne. L'ennemi arriva devant Adramytte le 11 Mars. Dès qu'il parut, les Frangois fortirent en bataille, & chargerent avec tant de promptitude, que les Grecs n'eurent pas le temps de fe reconnoïtre. Henri, ala têtedetous, plus remarquable par les coups qu'il portoit que par la magnificence de fes vêtements & de fes armes, perga les efcadrons Grecs, qui, après quelque réliftance, abandonnerent leur infanterie : elle fut foulée au'x pieds des  bu Bas-Empirb. Liv. XCK 51 chevaux. On y gagna beaucoup de priibnniers & de butin de toute efpece ; mais ce qu'il y eut de plus avantageux, c'eft que tout le pays fe foumit aux vainqueurs. Les Frangois étoient déja maitres des cötes du Bofphore, de la Propontide, de 1'Hellefpont & de tout le pays jufqu'a Pancienne Eolide, lorfque les ordres de Baudouin rappellerent les troupes d'Alie, pour les oppofer aux Bulgares. La haine des 1 Grecs, la fierté des Latins, & 1'am- • bition de Joannice, Roi des Bulgares , animée par le dépit, & foute- > mie par la valeur, furènt les caufes de cette guerre, qui mit le tröne Fran- 1 fein d'écrafer les débris de 1'armée 3 vaincue; & ne la trouvant plu;», il t 1'avoit fuivie avec tant de hate, qu'il 1' n'en étoit plusqu'a deux lieues, lorft qu'au commencement de la nuit, VilÈ lehardouin partit de Charyople, faii fant toujours 1'avant-garde. Ils marï cherent toute la nuit, & au matin i ils arriverent a Rhédefte , au travers ij de beaucoup de difficultés. C'étoit 1 une ville f jrte, 6d peuplée de Grecs; raais la fuite des habitants épargna Baudouin.Lascaris A.n, 120;,  Bau- bouin Lascar An. 120 XXXV Défertion d( plufieur Chevaliers, 70 H 1 S T O I R E - aux Frangois ce nouveau danger. Ils s'y logerent, & fe crurent hors de ïs péril dans une place de bonne dé5- fenfe, a trois journées de Conftantinople. Tranquilles pour eux-mêmes, ils ne 1'étoient pas fur 1'état de trouble j & d'allarmes oh devoit être cette grande ville. Ils dépêcherent un expres en diligence, par la voie de la mer, pour raffurer les habitants, &c leur faire favoir qu'ils n'avoient rien a craindre ; que la plus grande partie de 1'armée étoit fauvée, & qu'elle feroit a eux au premier jour. Au moment que ce courier arriva, il y avoit dans le port cinq grands navires Vénitiens , chargés de Chevaliers & d'autres perfonnes de moindre condition, jufqu'au nombre de fept mille, prêts a mettre a la voile pour retourner dans leur patrie. Le Légat, qui en avoit retenu beaucoup d'autres, n'avoit pu les arrêter, ni par prieres, ni par les graces fpirituelles qu'il leur promettoit. II fe tranfporta même dans les vaifleaux, avec Conon de Béttnine, Milès de Brabant, & plufieurs autres perfonnes de eonfidération, les  nu Bas-Empire. Liv. XCK 71 fuppliant de ne pas ternir, par une dé- '■ fertion honteufe , la gloire qu'ils avoient acquife ; qu'abandonner Conftantinople dans de telles conjonclures, c'étoit manquer a leur Prince, d leurs Seigneurs, qui avoient couru d la mort pour la défendre, trahir la Chrétienté entiere, & par une lache défiance, outrager Dieu même, qui les avoit conduits par la main d la conquête de la ville impériale. Rien ne put les fléchir : ils partirent; 8c voguant a pleines voiles, ils furent conduits par le vent au port de Rhédefte, le lendemain de Parrivée de 1'armée Frangoife, qu'ils ne croyoient pas rencontrer. Le Maréchal 8c les autres Seigneurs renouvellerent les vives remontrances qu'on leur avoit déja faites a Conftantinople. Les fugitifs n'y furent pas plus fenfibles, Mais pour fe débarraffer de ces inftances, ils répondirent qu'ils fe confulteroient, 8c qu'ils leur feroient favoir leur réfolution le lendemain. La nuit fuivante , Pierre de Froiville, Chevalier de réputation , vaffal du Comte de Blois , s'étant dérobé fecretement, s'alla jetter dans un des vaiffeaux, fans rien emporter de fon Baudouin. j ASC ARTS h.n. 110},  Bau- BOIUN. JjASCARI An. 1205 XXXVI. Arrivée de Henri, 72 IIlSTOIRE équipage; & dès le point du jour, les cinq navires, fans faire de réponfe, i leverent Pancre , & s eloignerent a ■ toutes voiles. Ces laches déferteurs ne porterent dans leur patrie que la honte dont ils s'étoient couverts. Tous les fecours que Baudouin avoit appelles, & qu'il auroit du attendre, arrivoient lorfqu'il n'en pouvoit plus faire ufage. Henri, fon frere , parti d'Adramytte , marchoit k grandes journées vers Andrinople , fuivi de vingt mille de ces Arméniens qui s'étoient donnés aux Francois dans la Natolie. Devenus ennemis des Grecs, ils n'avoient ofé demeurer dansje pays, & avoient paffe, k la ;uite de Henri, ie canal de 1'Hellefpont, avec leurs femmes & leurs enfants. II apprit bientöt la défaite de fon frere, avec toutes les circonftances de ce dép'orable événement, & recut des conriers de Rhédefte, d'oü les Seigneurs lui manderent avec inftanCi- de venir les joindre au plutot. Pour avancer plus promptement, il laiffa derrière lui les Arméniens , qui étoient gens de pied , & dont la marche étoit rallentie par un grand attirail  du Bas-Empire. Liv. XCF. 7; attirail de chariots chargés de leui familie. Dans ce même temps, Anfeau de Courcelles, neveu de Villehardouin , étoit en marche avec cem Chevaliers & cinq cents chevaux légers. Renier de Trit les ayant rafTenv blés a Philippopolis, après la défertion dont nous avons parlé, les faifoit partir pour aller renforcer 1'Empereur devant Andrinople. Mais ayanl appris en chemin le malheureux état de 1'armée, ils continuerent leur marche pour la joindre a Rhédefte, & arriverent le foir k un bourg, oii le Prince Henri étoit déja logé. Ils fe mirent d'abord en défenfe de part & d'autre, fe prenant réciproquement pour des Grecs; & dans le foulevement général, c'étoit une erreur commune aux diverfes bandes de Frangois qui fe rencontroient. Mais lorfqu'ils fe reconnurent de plus prés, ce ne fut plus que cris de joie. Ayant paffé la nuit dans ce bourg, ils prirent enfemble la route de Rhédefte, oh ils arriverent fur le foir. II y eut alors beaucoup de larmes verfées fur la perte de 1'Empereur, de leurs parents, de leurs amis dans cette fuTome XXI. D BauDouiy.Lascaris An. 1205.  Baudouin.Lascaris An. iioj, xxxyn. Extrêmité oi font rcduitsles Frangois. 74 Histoire nefte bataille. Ils féjournerent en ce lieu les deux jours fuivants, pour régler la forme du gouvernement en 1'abfence de 1'Empereur, dont ils ignoroient Ie fort. On arrêta que le Prince Henri gouverneroit 1'Empire en qualité de Régent; & fon premier foin fut d'envoyer fecretement des perfonnes affidées en Thrace , en Macédoine & dans tous les Etats du Roi Bulgare, pour avoir des nouvelles de fon frere. Mais il fut plus d'un an fans en rien découvrir. Pendant ce féjour k Rhédefle, on apprit un nouveau défaftre, qui affligea fenfiblement Henri: ces Arméniens , qui s'étoient attachés a fa fuite, enveloppés par les Grecs, furent tous égorgés ou faits prifonniers. Le Régent prit le chemin de Conftantinople , & vint a Sélymbrie, qui n'en eft qu'a deux journées. II y laiffa quelques troupes pour Ia défendre, & continua fa marche. Son arrivée apportoit quelque confolation aux Seigneurs qui étoient demeurés, mais ne diflipoit pas leurs inquiétudes. Joannice fe rendoit maitre de tout le pays, & les Comans faifoient  du Bjs-Empikb. Liv. XCr. 75 des courfes jufqu'aux portes de Conftantinople. Du cöté de 1'Euphrate, les Frangois ne confervoient que Rhédefle & Sélymbrie; au-dela du Bofphore, il ne leur reftoit que le chateau de Peges. La retraite des troupes avoit mis Lafcaris en poffelïïon de tout le refte. Dans cette extrémité, ils envoyerent k Rome, en France, en Flandre & ailleurs, demander du fecours. Névelon , Evêque de SoifTons , Nicolas de Mailly , Jean de Bliaut, furent chargés de lettres preffantes. Le Pape étoit leur principale reffource. Foible par lui-même, il étoit 1'ame de la Chrétienté, & pouvoit mettre en mouvement tout ce grand corps. Henri lui rendoit compte de la défaite; il le prévenoit contre Joannice, dont on avoit intercepté des lettres, qui prouvoient fon alliance avec les ennemis du nom Chrétien. II lui repréfentoit que la conquête des Frangois étoit celle de 1'Eglife Romaine, dont ils étoient les vaffaux les plus fideles , & que la perte de Conftantinople ruineroit a jamais 1'efpérance de recouvrer la Terre-Sainte. Dij Batj- douin. Lascaris An. ixof.  Baudouin.Lascaris An. 1205. XXXVIII Mort de Dandolo. Villchard. c. 204 & riotes. Nicet. c. 4. Sabcllic. I. s. Ramnuf. I. 4, 5- Doutrem. I. 4, c. 2 , ii. Du Cange, hifi, l. l , 37. ] I i 3 ) ( 1 j 76 HlSTOIRB Dans ces triftes conjonftures, on perdit encore le perfonnage dont la fageffe & le courage pouvoient être du plus grand fecours. Henri Dandolo , le héros de cette expédition , dont 1'ame vigoureufe & ferme avoit été fervie par un tempérament digne d'elle, & qui, pendant une vie fi longue & ft exercée, n'avoit jamais effuyé de maladie, fuccombant enfin aux fatigues de cette funefte guerre, mourut, vers la Pentecöte, d'une defcente d'inteftins, a 1'age de 97 ans. tl en avoit 84 lorfqu'il fut élu Dcge ; & pendant les 13 ans qu'il gouverna, il fit, pour fa patrie , 1'ouvrage de plufieurs fiecles. II la rendit riche & floriffante au-dedans, glorieufe & puiffante au-dehors : il fit 5attre de meilleure monnoie; réforna les chicanes des procédures; com5ofa un code criminel, qu'on fuit mcore aujourd'hui; établit des ré>lement fages pour le maintien des nceurs &C de la tranquillité publique; )erfe£Honna la marine, qui fait la for:e & la füreté de eet Etat, & couonna tant de fervices par une im>ortante conquête, a laquelle il eut  du £as-Empire. Liv. XCK 77 plus de part que perfonne., & qui donnoit a fa nation plus de la quatrieme partie de 1'Empire. II mérita pour lui & pour fes fucceffeurs, le titre de defpote de Romanie, & Phonneur de porter la chaulTure de pourpre comme les Empereurs. Non-feulement le Doge, mais les Préteurs envoyés de Venife a Conftantinople , que Pon nomma Bayles, c'eft-a-dire , Défenfeurs de la nation, eurent droit de juftice fur la part cédée aux Véninitiens, & ce droit fubfifta cent feize ans. Dandolo fut magnifiquement inhumé dans Sainte-Sophie, & fon maufolée, en marbre, fubfifta jufqu'a la deftruction de 1'Empire Grec. Mahomet II le fit démoür, lorfqu'il changéa en mofquée 1'Eglife de Sainte-Sophe. Un Peintre Vénitien , qui avoit travaillé pendant plufieurs années a la Cour de Mahomet , retournant dans fa patrie, obtint de ce Sultan la cuiraffe, le cafque , les éperons &c 1'épée de Dandolo, dont il fit préfent a la familie de ce grand homme. II IaifTa deux fils : Rainerio, qui fut Procurateur de Saint Mare , & Fantino , fucceffeur de Morofini dans D iij Baudouin.Lascaris  Bau- - douin. Lascaris An. iioj. XXXIX. Guerre de Joannice & de Boniface. Villehard. €. 204 , 206, 208. Nicet. c. 5. Gregor, I. i , c. 2. AcTOp. C. 8. Alhéric, tkrvn. 73 filSTOlRB le Patriarchat. Après fa mort, les Vénitiens de Conftantinople choifirenv. pour Bayle Marin Zéno, qui avoit été attaché k Dandolo; mais ce fut k condition qu'il céderoit la place k celui qui feroit envoyé par la République. II fut dans la fuite confirmé dans cette dignité; & pour en témoigner fa reconnoiffance a fa patrie, il fit une loi qui portoit que jamais un Vénitien ne pourroit faire paffer fon fief qu'a un Vénitien. Garnier, Evêque de Troyes, qui, fuivant 1'efprit de chevalerie ,plus guerrier qu'eccléfiaftique, s'étoit fignalé dans les batailles, & fur-tout a 1'affaut de Conftantinople , y mourut aufïi dans ce temps-la. On trembloit dans la ville, & Joannice emportant tout fur fon paffage, paroiffoit avoir deffein de Pafïiéger, lorfqu'on apprit qu'il fe retiroit. Les Comans, plus capables de fupporter les frimats de 1'hyver que les chaleurs de 1'été , fe féparerent pour retourner dans leur pays, & il ne put les retenir. Ne fe croyant donc pas affez fort pour entreprendre un fiege fi difficile, & ne voulant pas  du Bas-Empïrb. Liv. XCV. 79 perdre dans l'ina&ion le refte de la campagne, il tourna fes armes contre le Marquis de Montferrat. Ce Prince, fur les avis qu'il recevoit de fa femme, avoit levé le fiege de Napoli. Alexis, qu'il avoit fait conduire è Theffalonique, lui fufcitoit de nouveaux embarras. Recu humainement par Marguerite, qui vouloit bien pardonner a fes infortunes 1'horrible traitement qu'il avoit fait a fon propre frere Ifaac, premier mari de la Princeffe , il paya cette rare bonté de la plus noire ingratitude. La Reine découvrit que ce méchant homme abufoit de la liberté qu'elle lui laiffoit, pour trainer des complots pernicieux. Elle le fit favoir a fon mari, qui donna ordre d'éloigner ce traitre, & de le tranfporter au Montferrat, Alexis trouva moyen de s'échapper de fes gardes, & de fe fauver dans les Etats de Michel d'Epire, d'ou il paffa en Afie, comme je le raconterai dans la fuite ; mais les fourdes intrigues qu'il avoit formées, éclaterent après fon départ de Theffalonique. Quelques habitants, portés k la révolte, ayant appellé un Bulgare nommé Ezyifme-D iv Baudouin.Lascaris An, 120}.  Baudouin. LaSCARI! An. 1205 XL. Vii(e de Serres , par Joannice. 80 BlSTOIRE ne, qui commandoit pour Joannice i dans la ville de Profaque, 1'avoient introduit dans leur ville, & la Reine , avec quelques troupes qui lui demeuroient fidelles, s'étoit refugiée dans la citadelle , que les Bulgares attaquoient. Boniface allarmé couroit au fecours de fa femme, lorfqu'il apprit qu'on avoit chalTé les ennemis, & que la tranquillité étoit rétablie dans Theffalonique. Sur cette affurance, il réfolut de fe venger de Joannice , & marcha vers Scopia , première ville de Bulgarie, a deffein de 1'affiéger; c'étoit l'ancienneS'cKpi. Mais ayant recu en chemin la nouvelle de la défaite de 1'armée Francoife , il craignit pour fes propres Etats, & reprit la route de Theffalonique. En effet, Joannice entroit déja fur fes terres, & attaquoit la ville de Serres. Boniface 1'avoit fortifiée , & y avoit jetté une partie de fes forces, fous le commandement de Hugues de Colemi, guerrier diftingué par fa naiffance & par fa valeur. La mort de ce brave Chevalier, qui fut tué dés la première attaque , rendit les Bulgares maitres de la ville. Les foldats de la  i>v Bas-Empire. Liv. XCF. 81 garnifon prirent 1'épouvante & fe renfermerent dans la citadelle ; mais dès qu'ils fe virent afïïégés & les machines en batterie, ils promirent de fe rendre , k condition qu'on les feroit conduire en toute füreté, avec chevaux , armes & bagage, ou ils voudroient fe retirer. Joannice accorda tout, & fit même jurer vingt-cinq de fes principaux Officiers. Au fortir de la citadelle , il fit loger les Grecs dans fon camp, & les traita pendant trois jours comme fes amis. Mais enfuite, quoiqu'ils ne lui euffent donné aucune occafion de manquer k fa parole , il les fit dépouiller, charger de chaïnes, &c conduire nuds en Valachie, ou les Officiers furent décapités, & les foldats tranfportés en Hongrie. Cette cruelle perfidie afïligea fenfiblement Boniface. Joannice ayant fait démanteler la ville & le chateau, marcha vers Theffalonique. Le Marquis s'y étoit renfermé , bien réfolu de Ia défendre jufqu'a 1'extrémité. La perte de Serres , le maffacre de fes foldats. le pillage de fes terres , que les Bulgares bridoient &c ravageoient a fes yeux , le défaftre de fon Seigneui D v Baudouin.Lascauis An. 120^.  Baudouin.Lascaris An. 1205. XLT. Ruine de PhilippoIis. Vitiehard. t. 208 , 209. Nicet. c, 7. g2 HlSTOIRE 1'Empereur Baudouin, lui faifoient même méprifer la vie. II montra une fi fiere contenance, que le Bulgare , défefpérant du fuccès, prit le chemin de fon pays. Ce qui fe paffoit alors W Philippopolis 1'attira du cöté de cette ville, Elle étoit peuplée d'un grand nombre de Pauliciens , qui, tranfplantés autrefois "en ce lieu , confervoient opiniatrement les infSmes erreurs de leurs peres. Perfuadés qu'après la défaite de Baudouin, après 1'invafion de tant de places, c'en étoit fait de la puiffance Frangoife, voyant d'ailleurs que Renier de Trit, abandonné de fes plus proches parents, reftoit fans efpérance de fecours, ils réfolurent de changer de maitre , & plufieurs d'entr'eux allerent offrir au Roi Bulgare de le mettre en poffeflion de la ville, s'il vouIoit y amener ou y envoyer fon armee. Renier, averti de leur complot, craignant d'être livré lui-même entre les mains du Buigare, réfolut de fe délivrer de ce danger; mais non pas fans fe venger auparavant de la perfidie de ces traitres. Les Pauliciens habitoient un grand fauxbourg de la  du Bas-Empize. Liv. XCK 83 ville. Après avoir ramaffé fes baga- ' ges, & ce qui lui reftoit de gens, il mit le feu au fauxbourg, qui fut ré- j duit en cendres, Sc s'alla jetter dans 1 le chateau de Sténimac, a trois lieues de-la, oii il y avoit garnifon. 11 y foutint enfuite un fiege de treize mois, & s'y maintint contre les Bulgares, malgré les fatigues continuelles, malgré la difette qui le réduifit a manger fes chevaux, fans recevoir ni fecours ni même nouvelles de Conftantinople, dont il étoit éloigné de neuf journées. La retraite de Renier ne laiffa pas les Pauliciens entiérement maitres de la ville. Un Seigneur Grec, nommé Alexis Afprete, y avoit un grand crédit. II confeilla a fes concitoyens de fe maintenir indépendants, fans s'affujettir au Roi Bulgare. Toute la ville, flattée du doux nom de liberté , fans mefurer les forces qu'elle avoit pour la foutenir, applaudit k fon avis. On le choifit pour chef, & Joannice s'étant préfenté devant les murailles, fut plufieurs fois répouffé. Enfin , fes intelligences avec les Pauliciens , lui ouvrirent les portes. II avoit promis le traitement le plus D vj Baudouin. .ascaris in. 1105.  Baudouin.Lascaris An. 1205. i I XL!I. Expédi- • tion de Henri. Villehari. j t. 20J , 207, 201. ' Nicet. c. 4, < Gejlaln- { noc.c.106. Du Cange, Jhifl. I. I , h t. 33, 84 IJ I $ T O I R S doux; toujours infidele a fa parole, dès qu'il fe vit en polTefïion , il fit maflacrerl'Archevêque,écorcher vifs ou décapiter les principaux habitants, & mettre le refte a la chaine. Afprete , qu'il traitoit de rebelle, fut pendu la tête en-bas, a une haute potence, par une corde qui lui traverfoit les talons, & expira dans eet affreux fupplice. Les murs & les tours furent démolis, les maifons & les palais confumés par les Hammes. On n'y laiffa qu'un monceau de cendres & de ruines. Telle fut la fin de Pancienne ville de Philippopolis, batie par le pere Ju grand Alexandre: cité long-temps loriffante, & qui tenoit le troifieme jang dans 1'Empire en Occident, après Conftantinople & Theffalonique. Henri profita de 1'éloignement de !oannice, pour recouvrer les placesfoifines, que la révolte des Grecs ivoit livrées aux Bulgares. Zurule lui mvrit fes portes, & lui prêta ferment le fidélité ; ce qui n'étoit alors de la »art des Grecs, qu'un aveu de leur aibleffe. II entra fans réfiftance dans Lrcadiopolis , abandonnée de fes haitants. Bizye, place forte & bien mu-  nu Bas-Empire. Liv. XCF. 85 nie , n'ofa cependant attendre le fiege , & fe rendit a la première fommation. On marcha enfuite k la ville d'Apres, qui ne vit pas plutöt les préparatifs de 1'attaque , qu'elle demanda a capituler : mais tandis que les députés travailloient avec le Régent a dreffer les articles , 1'armée efcalada les murailles; la ville fut faccagée, & les habitants la plupart maffacrés, malgré les ordres & les menaces de Henri & des Officiers, qui ne purent retenir la fureur du foldat. Une exécution fi cmielle donna aux Grecs une ample matiere d'inveöives contre les Frangois, qu'ils taxoient a leur tour de perfidie ; mais injuftement, puifque la capitulation n'étant pas fignée, on étoit en droit de les traiter encore en ennemis. La terreur fe répandit dans tout le pays; les Grecs abandonnoient les villes & les chateaux, pour s'aller renfermer dans Andrinople &C dans Didymotique , les plus fortes places des environs. Pendant ce temps\k, une flotte Vénitienne faifoit des defcentes fur les cötes de la Propontide : elle ravagea le territoire de Panium & de Gailipoli, qui avoient Baudouin.Lascaris An. 120;.  baudouin. Lascaris An. 1205. XLIJI. Henri affiege Andrinople, i I < < < i c a F f; f< c ai éi r< c< 86 Histciirb été forcés a fe rendre a Joannice» Ces heureux commencements encouragerent Henri a faire le fiege d'Andrinople : c'étoit une entreprife auffi hardie qu'importante, dont le fuccès effaceroit la honte de la défaite des Frangois, & termineroit glorieufement les travaux de cette campagne. fl ^} f'abord fignifier aux habitants , qu'il étoit réfolu de ne pas quitter la place, qu'elle ne fe fut rendue, & ju'alors elle recevroit le traitement e plus favorable, ou qu'elle n'eüt '■té réduite par la force, auquel cas 11e n'avoit point de grace a efpérer. [oute la haine, toute 1'animofité des ïrecs fe trouvoit raffemblée dans AnIrinople : aigris encore par le faccaement de la ville d'Apres , ils réponïrent que les Grecs ne pouvoient plus voir de confiance dans la parole des rancpis, ennemis barbares & fans )i, auffi cruels a 1'égard de ceux qui : rendoient, qu'è 1'égard des vainis. Sur cette réponfe, qui moritroit 1 Régent une opiniatreté du moins ;ale a la fienne, il employa pour fe trancher toutes les précautions que >nnoitToit alors 1'art de la guerre.  nu Bas-Empirz. Liv. XCF. 87 Comme il avoit autant a craindre les infultes des partis ennemis répandus dans Ia campagne, que les Ibrties d'une garnifonnombreufe, & d'une multitude d'habitants aguerris, il s'environna d'un foffé profond, bordé de barrières & de fortes paliffades. La ville, de fon cöté, étoit munie de tout ce qui pouvoit fervir aux affiégés, & nuire aux afliégeants. Outre deux larges & profonds foffés qui en défendoient 1'approche, on avoit rehaulfé les tours de plufieurs étages de charpente, tapilfés en-dehors de peaux de boeufs fraichement écorchés, pour couvrir les défenfeurs, & les garantir des feux que lanceroient les ennemis. Sur le haut des tours étoient plantées de grolTes & longues perches, qui portoient a leur extrémité de grands vafes remplis de matieres enflammées, & de feu grégeois, en forte qu'en s'abattant, elles pouvoient faire pleuvoir & répandre au loin 1'incendie. De diftance en diftance s'avangoient des échafauds en faillie, pour y placer des foldats, & pionger d'en-haut fur ceux qui approcheroient de la rmiraille: de-la tomboient Baudouin.Lascaris An. 1205.  Baudouin.Lascari: An, izoj 88 H I S T 0 I R B a plomb de groffes pierres fufpendues a des chaines , qu'on pouvoit lacher , ; remonter, tranfporter d'un lieu a un . autre. Sur les tours étoient placées en batterie quatorze machines propres k lancer des pierres énormes. Les Frangois combierent le premier foffé , & y établirent leurs machines : mais avant que le fecond foffé fut rempli, les pierres, les traits, les javelots qui voloient du haut des murs, abattirent tant de foldats, qu'en plufieurs endroits il fe trouva comblé de têtes, de membres, de cadavres, qui tinrent lieu de fafcines. On y fit avancer deux tours roulantes, dont 1'une s'enfongant dans un fol remué depuis peu , I femé de vuides , & mal affermi, s'inclina &c devint inutile. L'autre fut pouffée droit au mur; mais avant qu'on eut eu le temps d'y jetter le pont-tevis, elle fut fracaffée par les I maffes de pierres qu'on y langoit des ■ batteries. De ceux qui la montoient, les uns furent tués, les autres bleffés. Le vaillant Pierre de Bracheux fut at- 1 teint au front d'un coup de pierre, qui le mit en grand danger de la vie. f\près des efforts inutiles, pendant  nu Bas-Empib.£. Liv. XCV. S9 tout le jour, 1'armée fe retira dans fon camp. Le lendemain, on fit de nouveau avancer les tours d'un autre cöté de la ville, & les plus hardis y monterent. Les affiégés les laifferent approcher fort prés des murs ; & lorfque le pont-levis étoit prêt k s'abattre, ils fortent en foule, portant avec leurs armes tout ce qui eft propre a mettre le feu ,- & a étendre & accroitre 1'incendie. II y eut la un fanglant combat ; mais les machines furent embrafées , &C 1'armée rentra dans le camp. Pendant ces attaques, plufieurs troupes de Bulgares & de Comans, dont Joannice avoit femé le pays , couroient autour du camp, & coupoient les paffages des vivres. Les Frangois perdant courage, envoyerent k Conftantinople demander du fecours; mais il fembloit a ces milices qu'on les menoit k la mort, & il fallut que le Cardinal & le Patriarche s'armaffent d'exCommunications pour les faire partir. Malheureufement ces anathêmes fe trouverent fans force contre les Bulgares, qui les envelopperent dans leur route, & les maffacrerent prefque Baudouin. Lascaris An. 1105. XLIV. Levée du fiege.  Baudouin.Lascaris An. 1205. XLV. Divers mouvenents des Francois. . i 90 HlSTOlRE tous. Avant que les triftes refles de ces foibles renforts fuffent parvenus au camp, 1'infeftion des cadavres &c les nourritures mal-faines dont les affiégeants étoient forcésde fe repaitre, cauferent la pefte, qui les obligea de lever le fiege & de fe retirer de nuit. Ils s'arrêterent a Pamphyle, pour fe repofer de leurs fatigues, & y féjournerent 1'efpace de deux mois entiers. Cependant ils ne ceffoient de faire des courfes aux environs. Honteux d'avoir échoué devant Andrinople, ils réfolurent de s'en dédommager fur Didymotique. Après avoir conftruit de nouvelles machines, qu'ils revêtirent de lames de fer dans les endroits aü il en étoit befoin , pour les garandr de 1'incendie, ils allerent camper ievant cette ville, & fe difpoferent h i'attaquer. Mais k peine avoient-ils Dlanté leurs tentes, qu'un furieux ora?e de vent & de pluie enfla 1'Hebre , qui baigne les murs de cette ville , & e fit fortir de fon lit avec tant de vioence, qu'il entraina , hommes, chevaux , armes & machines. La fuperfition fe mêla a ce ravage. On crut 511e le Gel fe déclaroit en faveur de  nu Bas-Empire. Liv. XCP~. 91 Didymotique, & on regagna Pamphyle. Avant que de retourner a Conftantinople , Henri, de 1'avis de fes Barons, fbrtifia la ville de Rufium ou Roffa, prés de Rhédefte, dans une plaine fertile, & dans une fituation avantageufe. II y placa cent quarante Chevaliers, & bon nombre de chevaux légers, fous le commandement de Thierri de Los, grand Sénéchal, & de Thierri de Tenremonde, Connétable de Romanie; il leur enjoignit de faire la guerre aux Grecs du pays. II mit de même en défenfe la ville de Bizye, ou il laiffa Anfeau de Cahieu, avec fix-vingts Chevaliers. Les Vénitiens mirent garnifon dans Arcadiopolis; & la ville d'Apres fut renduc a Théodore Branas. Tous ces Capitaines ne donnoient point de repoi aux Grecs, n'en avoient pas eux-mêmes , étant fans ceffe agreffeurs ou attaqués. Joannice, de fon cöté , ne s'endormoit pas. 'Pour affurer Andrinople & Didymotique contre de nouvelles entreprifes, il fit marcher un grand corps de Valaques & de Comans , qui étoient revenus le joindre aux approches de l'hy ver. Ces barba- Bau- DOUIK. Lascaris An. iioj i  Baudouin.Lascaris An. 1206. XLVI. Nouvelle défaite des FranSo's. VilleUrd. c. 211 6fuiv. Nicet. c. 7, Gefla Innoccnt, c. 106. R'imnuf, l. ï- 1 1 I I I 92 MlSTOlRB res divifés en plufieurs troupes, couroientde toutes parts, pillantlês campagnes, & infultant les places de 1'Empire. ^ Les incommodités de 1'hy ver n'arrêtoient 1'aétivité ni des uns ni des autres. Le 29 Janvier, Thierri de Tenremonde laiffa quelques troupes dans Rufium, & après avoir marché toute la nuit a la tête de fix-vingts Chevaliers , il fe trouva au point du jour a une bourgade ou étoit logé un corps de Comans & de Valaques : il les furprit, en tua un grand nombre , & reprit le chemin de Rufium. Dans cette même nuit, un autre corps, tant de Grecs que de Valaques & de Comans, marchoit a la même ville , dans_ 1'efpérance de la furprenJre : mais trouvant la garnifon fur res gardes, ils fe retirerent fans 1'ataquer. Au bout d'une lieue & denie, ils rencontrerent Thierri, qui revenoit de fon expédition. On fe range uffi-töt en bataille; les Frangois fe 'artagent en quatre efcadrons. Les eniemis , beaucoup plus nombreux , 'iennent a toute bride charger 1'arriee-garde, commandée par Vilain, fre-  nu Bjs-Empire. Lh. XCV. 93 re de Thierri de Los : elle eft renverfée fur la troupe d'André d'Urboife, ce vaillant guerrier qui avoit monté le premier fur le mur, au dernier alTaut de Conftantinople. Après s'être foutenue quelque temps, elle eft enfin, obligée de fe replier fur l'efcadron de Thierri, qui eft lui-même pouffé par une attaque très-vive fur le quatrieme, conduit par Charles de Frefne. Ils faifoient retraite en bon ordre, combattant toujours: mais a une demi-lieue de la ville , les ennemis redoublant leurs efforts , ils furent rompus de toutes parts, & pourfuivis avec grand carnage. Ils fe fauverent dans Rufium , dont ils eurent k peine le temps de fermer les portes. Les Francois firent dans cette journée la plus grande perte qu'ils ayent effuyée dans cette guerre, après la bataille d'Andrinople. De fix-vingts Chevaliers, il n'en échappa que dix ; les Commandants des quatre efcadrons, Thierri de Tenremonde , André d'Urboife, Charles de Frefne, Vilain, frere du grand Sénéchal, refterent fur la place , avec plufieurs autres Seigneurs diftingués par leur courage. Les Co- Bau- DOUIN. Lascaris An, 1206.  Baudouin.Lascaris An, 1106. XL VII. Horribles ravages és Joannice. Villehard. e. 215 tf Juiv. Nicet. c. 7, 8. Acrop. c. 15. Ramnuf. I. Franfures, Chevalier du Beauvoifis, 94 HlSTOlRE mans & les Valaques s'en retournerent chargés de dépouilles. La terreur fut fi grande a Rufium, que dès la nuit fuivante, les Francois en fortirent, & gagnerent Rhédefte, oü ils étoient plus alfurés. La nouvelle en vint au Régent, comme il affiftoit k Ia proceflion du jour de la Purification, & Peffroi fe répandit dans Conftantinople. Henri, craignant d'avoir bientötfur les bras toute laBuIgarie, envoy a Macaire de Sainte-Menehoud, avec cinquante Chevaliers, a Sélymbrie , pour défendre cette place, regardée comme un des boulevards de la ville impériale. En effet, ce fuccès d'un fimple detachement anima Joannice , & lui fit efpérer qu'un plus grand effort acheveroit de rtiinerlapuiffance Frangoife. II affemble donc toutes fes forces, &c vient k la tête d'une puiffante armée fe jetter fur les terres de 1'Empire. Redoutable par fa cruauté, plus encore que par fa valeur, il répand par-tout 1'épouvante. Les Vénitiens abandonnent Arcadiopolis: Apres eft prife d'affaut : Husues de  nu Bjs-Empirb. Liv. XCF. 95 - qui commandoit la garnilbn, eft ame- 1 i né devant le Roi Bulgare, &r maf; facré inhumainement en fa préfence. '. On met le feu a la ville ; on abat les murs & les maifons ; les habitants font ou paffes au fil de 1'épée, ou ; envoyés captifs en Valachie , avec > leurs femmes & leurs enfants. Rhédefte, a huit ou dix lieues d'Apres, étoit défendue par une garnifon Vér nitienne : deux mille chevaux com: mandés par Théodore Branas, ali loient la renforcer; ils font attaqués 3 en chemin, & entiérement diffipés. 1 L'exemple des cruautés exercées dans I Apres, effraye les Vénitiens: la force | des murailles & le bon état de la plai ce ne les raffurent pas; ils fe jettent 1} dans les vaiffeaux & prennent la fuite. ) Cette nouvelle y attire Joannice, qui i regardant Rhédefte comme impren nable, n'avoit pas même deffein de I 1'attaquer. Dès qu'il fe préfente, les ) Grecs lui ouvrent les portes, & leur ] prompte foumiffion ne défarme point 1 le farouche vainqueur; il les fait tous i enchainer & conduire en Valachie. 1 Peu trouvent moyen de s'échapper, 5 & la ville eft détruite, au grand dom- Bau- DOUIN. Lascaris ka, ïaoó.  Baudouin.Lascaris An, 1206. i 96 HiSTOIRE mage de 1'Empire , dont elle étoit une des meilleures places & des mieux fituées. Pannium elTuie le même traitement II y avoit, dit-on, dans cette ville un ampithéatre de marbre d'une feule piece ; c'étoit une des merveilles du monde. Si le fait eft vrai, comme le rapporte Ramnufio, il faut qu'il ait été taillé dans la carrière même, & qu'elle fe trouvat a fleur deterre. Héraclée , autrefois Périnthe, eft emportée d'affaut. Daone, belle & forte place, entre Zurule & Sélymbrie, & Zurule enfuite fe rendent fans réfiftance; & malgré la capitulation , dont Joannice ne tenoit jamais aucun compte, les habitants fontréduits en fervitude, & tranfportés en Valachie , dont les montagnes & les Iieux incultes fe peuplent de ces prifonniers, Enivrées de fang , & devenues plus féroces par tant de deftruöions , les troupes du Roi Bulgare, & fur-tout les Comans, les dus barbares de tous, pouffent leurs ■avages jufqu'aux portes de Cónfantinople. Toutes les campagnes font léfolées, les bourgs & les chateaux ■ ■enverfés , les habitants, hommes , femmes,  nu Bas-Empire. Liv. XCP\ 97 femmes, enfants maffacrés ou emrnenés en efclavage. Tous les environs de Conftantinople font couverts de ruines & de cendres trempées de fang. Quelquefois même des partis ennemis, cachés pendant la nuit dans les environs, trouvant au matin les portes ouvertes, fe jettoient dans Conftantinople, pour faire montre de leur hardieffe, 8c maffacrant ou enlevant ceux qu'ils rencontroient a Fentrée, retournoient k leur camp avec leur butin. Henri, renfermé dans la ville, 6c trop foible pour en for=tir , entendoit, en frémiffant, les cris de fes malheureux fujets, qu'il n'é> toit pas en état de défendre. S'attendant a un fiege , il fe preffoit d'amaffer toutes les provifions néceffaires pour le foutenir; 6c ne craignant guere moins les habitants Grecs que les Bulgares, il leur permit de fe retirer ou ils voudroient. Athyras étoit fituée au bord de la Propontide , k Pembouchure d'un fleuve de même nom , a douze lieues de Conftantinople. Henri 1'avoit donnée pour récompenfe k Payen d'Orléans : elle étoit fort peuplée, 6c le Tornt XXL E Baudouin.Lascaris An, 12.06. XLVÏIL Saccage» mentd'A- thyras.  Baudouin.Lascaris An. 1206, 98 HlSTOÏXE nombre de fes habitants augmentoit encore tous les jours par les fugitifs qui s'y retiroient. La cavalerie de Branas, attaquée fur le chemin de Rhédefte, s'y étoit réfugiée, & avoit été regue avec joie , comme un renfort très-utile dans ces dangereufes conjon&ures : mais dés qu'elle apprit que les ennemis approchoient, elle s'enfuit, & fut punie de fa lacheté par les Bulgares même, qui la furprirent prés de Rhege, & la taillerent en pieces. Les habitants demanderent k capituler, & les Commiffaires de Joannice vinrent traiter des conditions : mais la nuit fuivante, tandis que les habitants dormoient fur la foi de la capitulation déja commencée, les envoyés jettent de deffus les murs des cordes a leurs camarades; les Bulgares montent, s'emparent des portes, fe répandent par toute la ville, qu'ils réveillent par leurs cris, tuent, égorgenr, affomment fans diftinftion dage, ni de fexe. De ceux qui fuyoient vers la mer , les uns y font précipités par les ennemis, les autres s'y précipitent eux-mêmes , en voulant lauter dans  nu Bas-Empirb. Liv. XCF. 99 :les vahTeaux. Entre tant de villes de ! Thrace fortes & opulentes, il ne refiïoit a 1'Empire queBizye, oü comimandoit Anfeau de Cahieu, Sélym1 brie, gardée par Macaire de SainteilMenehoud , & Conftantinople, ou le Régent, accompagné de fort peu ; de troupes, avoit a contenir un peuiple immenfe, plus difpofé a appellier les ennemis qu'il les combattre. Les vives follicitations qu'il avoit tedreffées aux nations Chrétiennes, cpour implorer leur fecours, n'avoient '■produit que des lettres de la part du üPape. Innocent écrivit k Joannice avec (douceur, le faifant fouvenir qu'il lui ]avoit envoyé le diadême , & 1'étenidard de Saint Pierre; il le traitoit de fon cher fis, & Pexhortoit a mettre , {Baudouin en liberté, & a fe réconIcilier avec les Latins; il lui faifoit enitendre que tout 1'Occident fe met- < ;toit en mouvement, & préparoit une : spuiflante armée pour le forcer k la paix. Joannice, qui n'avoit pour le Saint Siege qu'une déférence politique, répondit au Pape, que 1'intérêt de ion honneur & de fa füreté lui avoit mis les armes a ia mains E ij Baudouin'.Lascaris An, 1206, XLIX. Efforts inutiles iu Pape sour dé"armerJoannice. Gefla ln~ loc. c. 107, [08. Epifl. I. 8. p, 127, [32. Fleury , üfl. tccle/l . 76. art, ■ h  Baudouin.Lascari: An. 1206 »> la henne lmon de lui-meme r J ai » regu encore de votre Sainteté Pé» tendard de Saint Pierre, & c'eft » fous cette triomphantebanniere que » j'ai combattu, & que je vais com» battre encore des infideles , qui ne » reffemblent k des Chrétiens que ic® IIistoire & 1'obligeroit de continuer la guerre. » A la nouvelle de la prife de Conf» tantinople , j'ai envoyé , difoit-il, » féliciter les Latins , & je leur ai » offert mon amitié. Ces avances de » ma part n'ont été payées que d'un » mépris injurieux. Ils m'ontrépondu » avec infolence, que je n'avois de » paix a efpérer qu'en leur rendant » le pays que j'avois ufurpé fur 1'Em» pire. A quoi je leur ai déja repli» qué, & je leur répete encore, que » je poffede mon Royaume a mèil» leur droit, qu'ils n'en ont fur ce » qu'ils appellent leur Empire. J'ai » recouvré le pays qui fut le domai» ne de mes ancêtres : quand eft-ce » que 1'Etat qu'ils ont envahi, leur » a jamais appartenu ? Vous le fa» vez, Saint Pere; c'eft de vosmains »> que j'ai recu la couronne; & de » qui le prétendu Empereur tient-il  du Bas-Empirb. Liv. XCV. 101 r.if 1*>c pnanles de » fauffes croix. Dieu, qui refifte aux » fuperbes, & qui accorde fes graces » aux humbles, a déja donné la vic» toire a Saint Pierre; il ne lui refu» fera pas de nouvelles faveurs ". Quant a la liberté de Baudouin, il répondoit qu'il 1'auroit volontiers accordée k la recommahdation du Pape; mais que ce Prince étoit décédé en prifon : foit qu'en effet Baudouin ne fut déja plus, foit que ce fut un menfonge de Joannice, qui n'avoit pas deffein de le laiffer vivre longtemps. Nous raconterons dans la fuite ce qu'on rapporte de fa morL Innocent écrivoit en même-temps a Henri , & 1'exhortoit auffi a prendre les moyens d'appaifer Joannice, afin d'obtenir la délivrance de fon frere. II étoit plus facile au Saint Pere de donner ces fages confeils, qu'au Régent de les exécuter ; & tout étoil perdu, fans une heureufe révolution qui changea la face des affaires. Les Grecs , en fe révoltant, s'étoient flattés de trouver dans Joannice, nonfeulement un fecours pour exterminer eurs vainqueurs, mais encore ur E iij Baudouin.Lascaris Aa, 1206. L. Les Grecs rentrent dans l'obéïflance.Villehard. C. 221. Nicet. c, 3;  Baudouin.Lascaris An. i2o6. i j i 102 H 1 S T Q t R. £ gouvernement doux & favoraMe» qm les remettroit dans un état floriffant. Mais voyant qu'il détruifoit leurs vdles, qu'il faifoit de la Thrace un affreux défert, & que dans toutes les places dont il fe rendoit maitre, il maffacroit les habitants, fans difhnaion de Grecs & de Latins > ou les faifoit trainer en Valachie» pour défricher des forêts, & peupler fes propres Etats, ils comprirent que leur libérateur étoit un ty~ ran plus dur & plus infurportable que leurs conquérantsJIs apprenoient qu'il fe préparoit a venir prendre poffeffion d'Andrinople & de Didymotique, &ne doutoientpas qu'il ne traiT tat ces deux villes, les plus importantes de la Thrace, comme il avoit ïraité les autres; ce qui acheverok d aneantir les Grecs devenus de miférables efclaves des Bulgares. Ces réflexions les détacherent de Joanni:e, ils fe tournerent vers leurs premiers maitres, & dépêcherent fe:retement k Branas, qui étoit a Confantinople, pour le prier d'interpoer fon crédit en faveur de fes com>atriotes, & d'okenir leur pardoa  vu Bas-Empire. Liv. XCF. 103 du Régent & des Vénitiens. lis demandoient feulement qu'on laiflat a Branas le domaine d'Andrinople & de Didymotique ; a cette condition, ils promettoient de vivre en parfaite intelligence avec les Latins, & de demeurer fidélement attachés a 1'Empereur. Cette propofition rencontra dans le Confeit quelques difficultés. Mais comme on s'affuroit de la conftante fidélité de Branas, on confentit k lui céder les deux villes avec leurs dépendances, k la charge d'en faire hommage k 1'Empereur, & de les tenir en lief de 1'Empire. Ce traité rétablit la paix entre les Francois & les Grecs. Joannice, qui n'en avoit nulle connoiffance, après avoir ruiné tout le pays jufqu'a Conftantinople, revenoit- fur fes pas pour achever la deftruction de la Thrace, par celle d'Andrinople & de Didymotique. Si les Grecs avoient perdu leur ancien courage , ils avoient confervé la rufe & la diffimulation , qualités froides qui font la relTource des ames foibles. Inftruits du complot de leur nation, ceux qui faifoient partie de 1'armée E iv Baudouin.Lascaris An. 1206. Lï. Joannice affiege Didymotique. VilUhard. c. 222, 223 , 224. Nicet. e. 8. Acrop. e. 13.  Baubouin.Iascabis An. ise-6, i i 1 1 i ] 1 Ï04 HlSTOlRE de Joannice , voyant qu'il prenoit fa route de Didymotique, s'évadoient leerelement par bandes, en forte qu'a ion arnvée, il ne lui reftoit qu'un tres-petit nombre. II fit auffi-töt fommer les habitants de le recevoir. Ils lui répondirent en termes refpectueux, que lorfqu'ils s'étoient mis en~ tre fes mams , il leur avoit promis avec ferment de les conferver, & de les difendre contre les Frangois : que c'étoit a cette condition qu'ils l'avoient accepii pour maitre; mais qu'apparemment la varole qu'il leur avoit donnée, ne s'actordoit pas avec fes deffeins ; qu'au-lieu de les protéger comme fes fujets , il les ietruijoit comme des ennemis; quil ra~ rou leurs villes, & anéantijfoit leur na^ 'ion ; qu'il venoit fans doute dans l'i*. •ention de les trailer comme leurs comvatnotes, & qu'il ne devoit pas trouwer mauvais qu'ils ne vouluffent pas •onfentir d leur mine. Ces refus alluna la colere du Roi Bulgare. II fe >répara auffi-töt a les affiéger. On nrt les machines en batterie; on en abnqua de nouvelles; on ruina tout e pays d'alentour. Les Grecs, du «ut de leurs tours & de leurs mu-  vu Bas-Empire. Liv. XCV. 105 rallies, lui crioient miféricorde, le faluoient du nom d'Empereur, lui proteftoient qu'ils ne refufoient pas de lui obéir, pourvu qu'il ne les obhgeat pas de le recevoir dans leur ville. Ils prenoient en même-temps tous le moyens de fe défendre; & dès qu'on commengoit les attaques, ils repoufToient vivement tous les efforts. C'étoit fans doute un fingulier fpeftacle, de voir les Grecs foumis. & fuppliants, dès qu'on ceffoit de les combattre; ennemis tout-acoup , en pofture menagante, dès qu'on faifoit mine de les affaillir, & dans cette alternative de mouvement & de repos, varier leur aftion ht leur contenance. Ils envoyerent k Conftantinople demander du fecours. On tint confeil; & malgré les avis de piufieurs Seigneurs, qui ne croyoient pas qu'on dut dégarnir Conftantino ple pour le fervice de ces perfides. il fut décidé qu'on fe mettroit er campagne, & qu'on iroit jufqu'a Sé lymbrie. Le Légat fit trouver des fol dats en diftribuant des indulgence k ceux qui marcheroient, & abfolu tion pléniere a ceux qui mourroien E ^ Baudouin.Lascaris ka. 1206. i t  Baudouin, ïiASCAKIS ( ( J 1 1 X l tl 3EIt, v Henri marche y contre lui. at VilUhard. d( 125,, r\ ai6. ^ Nistt. c, 84 dans une ff Jouable entreprife. Hen* n, arrivé k Sélymbrie, y demeura campependant huit jours. La foibleffe de fon armee 1'empêchoit de hafarder une bataille, & la ville affiégée etoit affez forte pour tenir long-temps* iur-tout contre des Bulgares, peu entendus dans Tart des fieges. D'un au» tre cöté, les habitants d'AndrinopIe, qui craignoientpour eux-mêmes, ne zeüoient d'envoyer des courriers", Jour preffer Ie fecours.. On fut d'ans de marcher è Bizye, qui rapproshort des deux villes 1'armée Fran:oife, & 1'on y campa le xy Juin. ^ememe jour, on reeut nouvelle que didymotique étoit perdüe, fi on ne i fecouroirpromptement; que Joanice avoit détourné Ie cours de 1'He* re, qui fervoit de foffé a la ville. E qiu föurniffoit 1'eau aux habitants; ue la brêche étoit ouverte en quae endroits, & que les ennemis aoient dé/a donné deux affauts. On étoit trop avancé, pour pou3ir fe difpenfer fans honte d'allen ix ennemis. On fit Ia revue des trous. II ne s'y trouva que quatre cents ïevahersj ce qui ne faifoit pas trois.  nu Bas-Empis.e. Liv. XCV. 107 mille combattants : mais douze Seigneurs du premier rang avoient fans doute une fuite plus nombreufe. Les courriers d'Andrinople rapportoient que Joannice étoit fuivi de quarante mille chevaux; ils ignoroient le nombre des gens de pied. Une fi grande difproportion n'abattit pas le courage des Frangois. Le lendemain , jour de Saint Jean-Baptifte, ils fe préparent a la bataille par des aftes de Religion, dont la ferveur s'embrafe a 1'approche du péril. Le jour fuivant, ils fe mirent en marche. Geoffroi de Villehardouin, accompagné de Macaire de Sainte-Menehoud, commandoit 1'avant-garde; c'étoit le pofte du Maréchal de Romanie. Gauthier dTifcornai, & Thierri de Los, eiv rent la conduite de 1'arriere-garde. Le corps de bataille fut divifé en fept efcadrons, dont les Commandants étoient les plus vaillants guerriers de 1'Empire. Le Régent marchoit a la tête du feptieme. On avangoit en bon ordre ; mais avec un doublé danger: on avoit a craindre, & les ennemis s très-fupérieurs en nombre, & peutêtre plus encore les Grecs,,, nouveaux E vj Baudouin.Lascaris A.n. 1206»  Baudouin.Lascaris Ah, 1206. LIIL Renier de Trit délivré. Villehard. «. 227 & fuir. Nicet. c„ 10. *q8 H 1 s t 0 1 s. b arms, pen auparavant rebelles, & toujours portes a la trahifon. Mais trois jours après, comme on approchoit de la ville, on fut étonné d'apprendre que Joannice avoit levé Ie fiege , ^ 8c qu'il s'étoit promptement eloigné, après avoir mis le feu a fes machines. Une retraite fi inefpérée fembloit tenir du miracle. Branas prit poffeffion de Didymotique. Ce fut alors que mourut le Patriarche Jean Camatere, qui s'étoit tenu enfermé en cette ville depuis la prife de Conftantinople. Henri continua fa marche, Sc le quatrieme jour il campa devant Andrinople, au milieu d'une belle prairie, qui s'étendoit fur les bords de 1'Hebre^ A la vue de Tarmée Francoife, les habitants fortirent en proceflion ; Sc précédés de leurs croix, ils vinrent avec desacclamationsd'allégreffe recevoir leurs libérateurs. Dès le lendemain, on fe remit en marche, pour aller chercher Joannice campé a quelques lieues. Sa fuite redoubloit la hardieffe des Frangois ; on brüloit d'envie de lui livrer bataille. II 1'érita, Sc reprit en diligence le che-  du Bas-EmpirE. Liv. XCV. 109 min de fon pays. II eft vraifemblable que la caufe de cette retraite d'un Prince, d'ailleurs hardi & vaitlant, étoit que les Comans Pavoient quitté , felon leur coutume, pendant les chaleurs de 1'été. On le fuivit pendant cinq jours, fans pouvoir 1'atteindre , & 1'on s'arrêta dans une agréable campagne, ou 1'armée fe repofa trois jours. Pendant ce féjour, une querellé fépara du Régent, Baudouin de Beauvoir, Sc trois autres Seigneurs ; ils fe retirerent avec environ cinquante Chevaliers, perfuadés qu'ils alloient être fuivis du refte de 1'armée, qui n'oferoit s'expofer en fi petit nombre. Leur préfomption fut trompée. Henri marcha enavant vers la frontiere; il campa prés du chateau de Moniac, fur la riviere d'Arte, k la diftance de trois journées des ruines de Philippopolis, & réfolut de tirer enfin de péril le brave Renier de Trit. Ce guerrier, enfermé dans la fortereffe de Sténimac , y étoit fi étroitement refferré, que depuis treize mois il n'avoit pu recevoir de nouvelles, ni en donner des fiennes, Henri, retenant la plus grande partie Baudouin.Lascaris An. no63  Baudouin.Lascaris An. 1106, 1 1 1 IfO H I S T 0 I R E de fes troupes, y envoya Ie refte.: tous la conduite de Conon de Béthune & de Geoffroi de Villehardouin, fuivis des plus vaillants Chevaliers , & d'un détachement de Vénitiens. Ils traverferent avec beaucoup de nfque un pays femé de part« ennemis, & arriverent enfin a Stemmac. Renier, lesappercevant du nautde fes tours, douta d'abord fi tfe n etcnt pas un corps de troupes Crrecques qui venoient renforcer les Bulgares; mais a la retraite de ceuxci, qui s'enfuirent auffi - tót, il reconmit fes compatriotes, & courut au-devant d'eux. Ce fut une entrevue attendniTante. Des corps harrafies de fatigues, couverts de bleflures, attenués par une longue difettefe jettoient avec tranfport entre les bras de leurs anciens amis, qui étoient venus a leurs fecours, fans avoir encore s'ils étoient morts ou vi^ants; Ils partirent enfemble le lenlemain , & arriverent au camp Ie roifieme jour. Renier y fut recu avec outes les marqués de la joie la plus "ve comme un homme forti du omheau, après plus d'une année?  i>v Bas-Empire. Liv. XCK irr & fes libérateurs furent comblés d'éloges, Aux applaudiffements & aux cris de joie fuccéderent bientöt les gémiffements & la douleur la plus amere. On regut alors des nouyelles certaines de la mort de Baudouin. Malgré les plus diligentes recherches, fon frere Henri n'en avoit pu rien apprendre ; mais comme il favoit qu'il avoit été pris dans la bataille d'Andrinople, il avoit employé les plus vïves fbllicitations pour le tirer des mains de Joannice. Les offres d'une riche rancon , les prieres, les menaces avoient été. inutires. Le Roi Bulgare Ie retenoit prifonnier dans Ternove , lieu de fa réfidence ordinaire; & quoiqu'il le traitat d'abord affez humainement, il le tenoit caché avec foin , fans le laiffer voir a perfonne, qu'au conciërge de fa prifon : mais le foulevement d'Alèxis Afprete le mit en fi grande colere, qu'il étendit fa vengeance jufque fur ce Prince , qui n'y avoit cependant aucunepart. Baudouin fut renfermé dans un cachot, mourant prefque de faim , & n'ayant d'autre confolation que les vifites de BAtr. DOUIN. Lascaris An. 1206a LIV» Mort de Baudouin.Villehatd. c. 230. Nicet. c. rö. Acrop. 13. Alben, thron. Aïinalr Benin. Chron. Nangis. jËgidiu? de Roya. Bu\elin j, Annal, GalloFlandr. L 6. Ramnu/l l. 5. Raynald* hifl. ecclef. Doutrcm* l. 4,c. 10, IJ. Du Cange, hift. L l ,.(. 41.  Baudouin.Lascaris An. 1206. 112 IIlSTOIRS la Reine, plus importune a ce Prince arfligé, qu'une entiere folitude. Cette Princeffe , Tartare de nation, mais adroite & artificieufe, avoit obtenu de fon mari, dont elle étoit trop aimée, la permiffion d'aller, fous prétexte de charité, porter quelque confolation au malheureux Prince. Baudouin étoit beau, & la Reine portée a Pamour : elle devint paflionnée pour fon prifonnier; & s'entretenant avec lui : Vous pouve{, lui dit-elle, fans rangon delivrer deux captifs. Et qui font-ils? dit Baudouin : Vous, répondit-elle , & moi, que vous tirert^ de la fervitude 011 je gemis fous la tyrannie d'un mari barbare. Si vous me prenei pour époufe , nous ferons libres tous deux. Laiffons a Joannice ce mifêrable Empire de Conftantinople, qui ne peut plus fubfijler, & retourne^ avec moi dans vos Etats. Je vous en procurerai les moyens. Baudouin frémit a cette dé:laration tartare, & veut lui faire sntendre qu'un pareil mariage feroit tin adultere criminel. Elle fort furieure , le menagant de la mort; elle revient le lendemain, & redouble fes tnenaces. Baudouin ne lui rend que  nv Bas-Empire. Liv. XCV. 113 des remontrances. Défefpérée, elle vatrouver Joannice ; elle accufe Baudouin du crime dont elle étoit coupable. Joannice, naturellement cruel, devenu encore plus féroce par la jaloufie, invite fes courtifans a un feftin y il y fait amener Baudouin, Sc le livre a. leurs infultes, lui reprochant fon infame audace. En vain Baudouin protefte de fon innocence; le Roi lui fait trancher en fa préfence les mains, les bras, les jambes, les cuiffes a divers intervalles , 6c envoye jetter le tronc avec les membres dans une grande folTe prés de Ternove, ou 1'on jettoit les chiens & les chevaux morts. Baudouin n'y mourut qu'au bout de trois jours, déchiré par les oifeaux de proie. Le Roi lui fit enlever le crane, qu'on enchaffa dans de Por; c'étoit, felon Pancien ufage des Scythes, la coupe ou il buvoit dans les repas de fête Une femme pieufe de Bourgogne qui revenoit du pélerinage des faint lieux, 8c qui paiToit alors par Ternove, recueillit les refles de fon ca davre, 8c lui donna fecretement 1; fépulture. 11 avoit vécu trente-cini Baudouin.Lascaris in. 1106. i t l  H4 Hl S T O I R E Baudouin.Lascaris An. 1206. LV. Portrait de Baudouin. ; i 1 i «.«-"i^» Ldpur qu tun- pereur, il n'avoit régné que onze mois depuis fon couronnement, jufqu a la bataille d'AndrinopIe. II ne laiflbitpoint d'enfantmile; mais deux Mies, qui furentfucceffivement Comteffes de Flandre. Ce Prince étoit de grande taille & d un air majeftueux. Sobre, il conferva dans les plusgrands travaux une fante vigoureufe. Affable, libéral , jufte, fimple, vrai, fans défiance, aimant mieux être trompé, que d'ufer lui-même de tromperie; chafte jufqu'a fe rendre vicïime de la chafteté; modefte, & fouffrant fans peine Ia contradiöion; qualité qui fe démenti une fois dans fa querelle avec e Marquis de Montferrat. II traitoit le peuple avec humanité , les grands avec honneur; ne faifant point de difrinchon entre les Latins & les Grecs depuis que ceux-ci étoient devenus' les fujets, mais expofé fans cefTe aux Jlaintes des uns & des autres animés 1 une mutuelle jaloufie. Pieux & afidu aux offices de 1'Eglife, il fréquenpit les Sacrements. Supérieur è fa ortune, il n'en fut pas ébloui; in-  do Bas-Empirb. Liv. XCV. 115 —: :U1~ An~c \* AXtctnrt* \\ fut unfïi grand dans la prifon que fur le tröne. Après le récit de les grandes actions, il n'eft pas befoin de parler de fa valeur, de fon intrépidité dans les dangers, de fa conftance dans les fatigues. II aimoit les Lettres: & avant fon départ de Flandre, il chargea plufieurs perfonnes inftruites de rechercher & de rédiger 1'hiftoire du pays. Le Moine Albéric prétend qu'il fe fit des miracles a fon tombeau. Sa mort prématurée fut un malheur irréparable pour 1'Empire de Conftantinople, & un pronoftic de fa courte durée , paree que Baudouin n'eut pai le temps de Paffermir fur de folide: fondements. Après avoir exercé fur 1'Empereui une li horrible cruauté, le Roi Bul gare, plus altéré de fang que jamais déchargea fa fureur fur les autres pri fonniers; il les fit mourir par diver fupplices. Conftantin Tornice, Inten dant des poftes de 1'Empire, s'étoi attaché a Baudouin, après la prife d Conftantinople, & 1'avoit fidélemen fervi. S'étant fauvé de la bataille d'An drinople , il étoit venu fe rendre au Baudouin.Lascaris An. 1206. • LVI. Cruautés de Joaat nice. ; t t  Baudouin.Lascaris An. 1206. 116 HlSTOIRX, &C. prés de Joannice, dont il efpéroit un traitement humain , ayant été plufieurs fois envoyé en ambalTade a fa Cour, par lesEmpereurs Grecs. Joannice , après une longue prifon , le fit percer de coups d'épée, & défendit de lui donner la fépulture.  ii7 SOMMAIRE D V L1VRE QUATRE-VINGT-SEIZIEME. EN RI couronné Empereur. II. Sages réglements. lil. Guerre de Henri & de Joannice. IV. Lafcaris proclamé Empereur en Afie. V. Divers tyrans en Afie. VI. Commencements de tEmpire de Trébi^onde. VII. Guerre de David contre Lafcaris. VIII. Guerre des Frangois contre Lafcaris. IX. Mariage de Henri. X. Ligue de Lafcaris & de Joannice contre tEmpire. XI. Lafcaris attaque les places cfAfie. XII. Henri va au fecours. XIII. Levée du fiege d''Andrinople. XIV. Diverfes emreprifes de Lafcaris. xv. Treve entre Henri & Lafcaris. XVI. Henri en Thrace. XVII. Entrevue de tEmpereur & du Marquis de Montferrat. XVIII. Mort du Marquis. XIX. Mort de Joannice. XX. Secours envoyés aOccident. XXI. Dijférend au fujet d'une image. XXII. Les Vénitiens ft mettent en poffef-  ïlS? SOMMAIRE DU LlV. XCVT. jion des ijles de leur partage. XXIII. DU vfrfes families Véni tiennes s'emparent des ijles de t Archipel. XXIV. Phrorilas fuccede d Joannice. XXV. Etat du Royaume de Theffalonique. XXVI. Révolte deBlandras. XXVII. Manoeuvres de Blandras. XXVIII. Opinidtreté des Lombards révoltés. XXIX. Blandras chaffé. XXX. Traité de Michel, defpote dEpire, avec ÜEmpereur. XXXI. Second mariage de Henri. XXXII. Geoffroi de Villehardouin prend Corinthe. XXXIII. Le Defpote d'Epire recommence la guerre. XXXIV. Suite des aventures d'Alexis. XXXV. LI fe reiire che{ le Sultan (Flcone. XXXVI. Guerre de Lafcaris contre Gaïatheddin. XXXVII. Affaires de ÜEglife d'Orient. XXXVIII. Conteflation fur l'éleclion du fucceffeur de Morofini. XXXIX. Théodore chaffi efArgos. XL. Violences exercées contre les Grecs par le Légat Pélage. XLI. Guerre de Henri & de Lafcaris. XLII. Paix avec Lafcaris. XLIII. Concile de Latran. XLIV. Mort de Michel, defpote cfEpire. XLV. Mort de Henri,  ii9 HISTOIRE D U BAS-EMPIRE. L1VRE Q_UATRE-V1NGT-SE1 Z1EME. HENRI. THÉODORE-LASCARIS. Depuis Ia funefte bataille d'Andrinople, Henri défendoit, avec un courage infatigable , 1'Empire ébranlé par les attaques des Bulgares, & par la révolte des Grecs. La mort de fon frere le placa fur le tröne. A cette trifie nouvelle , les Barons s'affemblerent. Baudouin, en quittant fes Henri. Lascaris An. 1206. i, Henri couronné Empereur. Nicet. t, 10.  129 HlSTOIRE Ftarc ir mr<-.it ]n'.CCA Am,*, ClUr . Henri. Lascaris An. néé. Villchari. t. 23I. Ramnuf. L 5- Doutrem. l.4,c. 11. Z?« Cange, /. 2 , *. 1. II. Sages réglements. Danduli ehron. Ramnuf. L 5- SabcU. 1. 8. Doutrem. I. 4, e. 11. 5 «'un ictiiiw u^ua nuia . lijctia elles étoient en bas age; & le befoin qu'avoit 1'Empire d'un chef plein de vigueur, ne permettoif pas de les appelier a une fucceffion auffi difficile a foutenir qu'elle étoit glorieufe & brillante. Jeanne demeura héritiere du Comté de Flandre, & Marguerite de celui de Hainaut. Henri, qui avoit partagé les travaux de fon frere, & qui, depuis fa mort, fe montroit digne de régner, fut proclamé Empereur, d'un confentement unanime. II /e mit en marche pour Conftantinople, ou il devoit recevoir la couronne avec la pompe accoutumée. II laiffa Branas a Didymotique, avec les Grecs du pays , & quarante Chevaliers , pour la füreté de cette contrée. Le dimanche vingtieme d'Aoüt, Henri fut couronné dans PEglife de SainteSophie, par le Patriarche Morofini. La joie publique éclatoit en fêtes ; mais le nouvel Empereur, d'un caraftere a&iföc" férieux, s'occupoit des affaires du gouvernement. II commenga par renouveller , entre les mains de Marin Zéno, les. premières conventions faites avec les Vénitiens ,  du Bas-Empire. Liv. XCF1. 121 nitiens, 6C bientot apres, 11 les confirma aux quatre députés qu'envoya la République , pour affurer le maintien de fes intéréts. Les agitations continuelles, 5c la courte durée du regne de fon frere , ne lui avoient pas laiffé le temps d'établir la füreté de 1'Etat fur des réglements utiles au Prince & aux fujets. Ce fut le premier foin de Henri. II ordonna que les vaffaus de 1'Empire, tant Frangois que Vénitiens , feroient obligés de marchet avec leurs troupes, & de les entretenir a leurs dépens, a la fuite dt 1'Empereur, lorfqu'il feroit en guer re , depuis le premier Juin jufqu'a h St. Michel; mais fenlement la moitié de cetemps-la, s'ils avoient poui vouin un Prince ennemi, & qu'il: en feroient tout-a-fait difpenfés, s'il étoient attaqués eux-mêmes; que dan le cas oü 1'ennemi feroit entré fu les terres de 1'Empire, ils ferviroien fans terme, tant qu'il plairoit au Con feil, & toujours a leurs dépens; mai que 1'Empereur demeureroit charg des dépenfes générales; que les Fran gois ou Vénitiens qui manqueroien a ces devoirs, feroient jufticiables de Tome XXL F Henri. Lascaris An. 1206. I ! r t s t  Henri. Lascarü An. 1206 III. Guerre de Henri ff de Joan* flice. Villckari. t. 231 & Ï2S II ƒ S T O l R R vant des juges choilis dans leur nation. II voulut lui-même, pour le , bien de fes peuples, reftreindre fon pouvoir & celui de fes fucceffeurs, en declarant que 1'Empereur feroit obligé de fe conformer aux avis du Confeil, pour les chofes qui concerrieroient 1'accroiffement ou la défenfe de 1'Empire ; qu'il ne feroit rien de contraire aux loix, ou qu'il feroit luimême foumis a la cenfure des tribunaux ; que pour foutenir le rang de fa dignité , il jouiroit en propre du quart de la Thrace , comme fes vaffaux avoient la jouifTance de leurs fiefs pour foutenir les dépenfes de la guerre; que jamaisonne changeroit rien a ces articles, foit pour y ajouter, foit pour en retrancher , que du confentement de 1'Empereur, du Préteur Vénitien , des Barons & du Roi de Theffalonique. Ce réglement fut figné de tous ceux qu'il concernoit. Ces opérations politiques furent inrerrompues par le bruit des armes. Joannice marchoit a Didymotique, Branas, qui en avoit pris poffeflion après la ret*aite du Prince, n'avoij  nu Bas-Empis.e. Liv. XCVL \i% pas eu le temps d'en réparer les breches, ni de la pourvoir de munitions : elle fut emportée du premier afTaut, & rafée. Tout le pays fut ravagé Sc réduit en folitude. Andrinople trembloit; elle envoya informer 1'Empereur de ce facheux événement, Sc du danger qui la menagoit elle-même. II partit fur le champ, Sc le bruit de fon approche arrêta le Roi Bulgare , qui reprit le chemin de fes Etats. Arrivé devant Andrinople, Henri apprit que Pennemi, chargé de butin, n'étoit éloigné que d'une journée, Sc qu'il emmenoit grand nombre de prifonniers. II réfolut dal* Ier les arracher de fes mains, Sc le pourfuivit pendant quatre jours jufqu'a Berrhée de Thrace, au pied du mont Hémus. Joannice étoit maitre de cette ville. A la vue de 1'armée impériale , les habitants s'enfuirent dans les montagnes, Sc 1'Empereur la trouvant garnie de toutes fortes de provifions , y paffa deux jours , tandis que fes partis portoient le ravage dans toutes les campagnes d'alentour. A une journée de Berrhée, il campa devant une place notrimée F ij Henri. Lascaris An. no6t  Henri. Lascaris An. 1.206. 124 HlSTOIRE Blifne, ou il trouva encore des vivres en abondance, fans nuls habitants. On lui rapporta que le Bulgare , qui^emmenoit les prifonniers, s'étoit arrêté dans un vallon, a trois lieues de-la. L'Empereur détacha la nuit fuivante deux efcadrons de cavalerie , fous la conduite d'Eufrache fon frere, & de Macaire de SainteMenehoud; il les fit fuivre des Grecs d'Andrinople & de Didymotique , avec ordre d'aller enlever les prifonniers. On arriva au point du jour, & il fallut combattre. L'efcorte Bulgare, qui étoit nombreufe, défendit fa proie avec vigueur, & ce ne fut pas fans perte que les Frangois délivrerent ces malheureux. On les ramena au camp, hommes, femmes , enfants, au nombre de vingt mille, avec trois mille chariots remplis de butin; ce qui tenoit de file deux grandes lieues de chemin. On les regut avec beaucoup de joie. On revint enfuite a Andrinople, ou 1'Empereur donna aux prifonniers délivrés ladiberté de s'en aller ou ils voudroient, après leur avoir fait rendre exa£te~ ment k chacun les biens qui leur a-  du Bas-Empïhe. Liv* XCVI. 125 voient été enlevés. Ce qui ne trouva point de maitre rut diftribué aux foldats. D'Andrinople, oü il s'arrêta einq jours, il paffa a Didymotique, qu'il avoit deffein de relever de fes ruines; mais il la trouva tellement détruite, qu'il eüt fallu beaucoup de temps & de travaux. La faifon n'étant pas encore affez avancée poui terminer la campagne , il rebrouffc chemin , entra fur les terres de Joan mee , prit d'emblée, & ruina de fonc en comble la ville de Thermes, fortf & avantageufement fituée, célebrt par fes bains d'eaux chaudes, les plu: beaux qui fuffent alt monde; & aprè: avoir encore détruit plufieurs places pillé &£ ravagé foute la contrée, i revint vers la ToulTaint a Andrino ple, qu'il laiffa en la garde des Grecs avec un de fes Capitaines , nomnv Pierre de Radingean, & vingt Cht valiers. Tandis que les Bulgares occupoien les armes Frangoifes, Théodore Laf caris , qui avoit paru jufqu'alors f contenterdu titre de defpote, appre nant que fon beau-pere Alexis avoi été nris nar le Marauis de Montfer — r- - 1 * _ ... , o F uj i. <• ^ Henri. Lascaris An. iao6. ï l | t i t IV. j Lafcaris couronné - Empereur . en Aiïe. ^ Nicet. c. 7. Acrop. c.6, * Greporas.  Henri. jL_ASCARlS An. 1206. Du Cange, hifi. I. 2, .!. i. Innoctnt. 1. ii , tp. Al- Fleury, hifi. Ecclef. I. 76, art. 26, Iü6 HlSTOIRE rat, penfa que c'en étoit fait de ce Prince, & qu'il étoit temps de prerrdre lui-même le nom d'Empereur. Depuis la retraite des troupes Frangoifes, il étoit rentré en poffefïion des places maritimes. II fe voyoit maitre de la Bithynie , de la Lydie, des cötes de 1'Archipel jufqu'a Ephefe, & d'une partie de la Phrygie. II réfolut de fe faire couronner avec eet appareil impofant, qui imprime le refpeft aux peuples. II convoqua donc a Nicée une affemblée de tous les Evêques qui eompofoient TEglife Grecque en Afie : mais le perfonnage le plus néceffaire manquoit a la cérémonie. Le Patriarche Camatere vivoit encore aux environs de Didymotique ; c'étoit a lui qu'appartenoit 1'honneur d'impofer la couronne fur Ia tête du Prince. Lafcaris le manda ; il refufa de venir; & pour fe délivrer de toutes les follicitations , il envoya par écrit la démiflion de fa dignité. On élut pour Patriarche a fa place , Michel Autorien , qui préfida au couronnement. Perfuadé de 1'autorité du Pontife Romain fur les nations Latines, Lafcaris écrivit au Pa-  nu Bas-Empirz> Liv. XCVI. 127 pe, pour fe plaindre des cruautés, des facrileges, des parjures dont il accufoit les conquérants : d le fupphoit d'engager les Latins a faire avec lui une paix perpétuelle , & a ne rien entreprendre au-dela du Bofphore, que Dieu fembloit avoir fixe pour bornes entre les deux Empires. Le Pape, fans approuver les ïnjuftices Sc les violences dont les Latins avoient pu fe rendre coupables, les excufoit fur la néceffité de fecourir un Prince opprimé , & de fe défendre eux-memes contre la perfidie & les deffems pernicieux des Grecs; fur leur pieule intention de délivrer la Terre-Sainte < & de rappeller a 1'obéilfance de 1'Eglife Romaine les Grecs révoltés con tre gette mere univerfelle des Chre tiens. II lui confeilloit de rentrer dan le fein de cette Eglife, & de fe fou mettre a 1'Empereur Henri ; a ce conditions, il lui promettoit fes bon offices, & de la part de Henri un tra: tement honorable. Ces deux lettrc ne produifirent réciproquement au cun effet. . L'Empereur Grec ne manquoit d a eune des qualités néceffaires pour fo F iv Henri. Lascaris An, ueó. t S s s 1- v. Divers tyrans en Afie,  Henri. Lascaris An. 1206, Acrop. c. 7. Ramnuf. I. 4- Leunclayius, Pandesi. p. 4*6 , 430. Dontrem, t 4 * C' 4 ' : 1 1 l i < t i2§ HlSTOI&E tenir ce nom avec honneur. Egal k 1 Empereur Frangois en valeur , en aöivité, en habileté politique & militaire , il ne lui étoit inférieur que par la différence des deux nations, que ces Princes gouvernoient. A la faveur de la révolution générale, plufieurs tyrans s'étoient établis en Afie fur les débris de 1'Empire. Pour avoir Je temps de les détruire, Lafcaris fit treve avec les Frangois, qui, de leur cote, crurent avoir befoin de toutes leurs forces contre Joannice. Un certain Théodore, auquel on donna le nom ele Morothéodore, c'eft-a-dire , Théodore 1'infenfé , s'étoit emparé de Philadelpbie; il en fut bientöt chaffé. Manuel Maurozome, appuyé de Gaïatheddin , Sultan d'Icoie, auquel il avoit donné fa fille en nariage, s'étoit établi dans un can:on de la Phrygie. Lafcaris ne fe fenant pas encore affez de forces pour >raver le Sultan , laiffa Manuel en joffefTion de Chones, de Laodicée, '< de plufieurs places fur le MéanIre. Aldobrandin, né en Italië , mais levé en Grece, s'étoit rendu maire d'Attalie; & pour fe défendre con-  nu Bas-Empire. Liv. XCV1. 129 tre Gaïatheddin, dont les Etats confinoient avec cette ville, il implora 1'affiftance des habitants de Cypre. Ceux-ei ne lui envoyerent que deux cents hommes; mais ce petit renfort hii fut d'un grand fecours. Le Sultan étant venu 1'affiéger, les Cypriots firent une fi vigoureufe fortie le feizieme jour du fiege , qu'il fut obligé de fe retireravec honte,après avoir perdu grand nombre de fes foldats. Sabbas, Gouverneur du Pont, fous les Empereurs Grecs, s'érigea en fouverain dans la ville de Sampfon , qui étoit de fon gouvernement: mais une foible puiffance fut bientöt engloutie par un nouvel Empire, qui prit naiffance dans ces contrées. Trébizonde , nommée autrefois Trapezonte , étoit une ville Grecque batie par une colonie de Sinope, fur les bords du Pont-Euxin, vers la Colchide. L'avantage de fa fituation, & la force de fes remparts 1'avoient défendue contre les efforts de; Turcs, lorfqu'ils avoient envahi cett< contrée. Elle s'étoit maintenue fou: le pouvoir des Empereurs de Conl tantinople, qui tous les ans y en F v Henri. Lascaris An. na6. VI. Gommencementde1'Empire de Trébizonde. Xenopharanab. i. 4. ; Nicet. c. 7, , I0- Acrop. c. '• 7. Hayton , hifi. oriënt, " c. 13.  Henri. Lascaris An. 1206. Doutreml.4,c. 12. Vu Cangc, Fam. By\. P- '9i. 192, I30 II I S T O I R E voyoient un Gouverneur avec Ie ti= tre de Duc. Manuel Comnene, ce Prince vertueux, qui, fans avoir participé aux crimes de fon pere Andronic, fut enveloppé dans fes malheurs , laiffa deux fils , Alexis & David. Ils fe retirerent dans le Pont, ou leur aïeul avoit long-temps vécu; &c k Paide des partifans de leur familie, ils fe firent un Etat indépendant. L'ainé Alexis, qui fut furnommé U Grand, s'empara de toute la cöte du Pont-Euxin, depuis Sinope jufqu'au-dela de Trébizonde, dont il fit fa capitale : David fe fit un domaine d'Héraclée & de la Paphlagonie, dont la poffeffion revint enfuite k Alexis, David étant mort avant lui fans poftérité. Telle.fut 1'origine de 1'Empire de Trébizonde , que le fon bruyant de fon nom a rendu plus fameux dans les récits romanefques de la chevalerie, que les exploits de fes Princes dans 1'hiffoire. Cet Empire, quoique plus foible, a furvécu de quelques années a celui de Conftantinople , n'ayant été détruit, par Mahomet II, qu'en 1461. Les deux fondateurs fe contenterent du titre de  na Bas-ëmpirb. Liv. XCM 131 ( Ducs : Jean Comnene, amere-petit- ■ fils d'Alexis, fut le premxer qui pnt ] le nom d'Empereur. - La confufion oü fe trouvoit la Natolie après la conquête des Latins , réveilla 1'ambition de David. Sontrere Alexis étoit refferré par les Turcs; il étoit plus facile a David de setendre aux dépens de Lafcaris, dont la puiffance étoit encore flottante. 11 leva des troupes en Paphlagome , §2 prit a fa folde un grand corps d Iberiens, qu'il fit venir des bords du Phafe. Le premier effai quil ht ne fes forces ne fut pas heureux. Ayant mis a la tête d'un corps de troupes un jeune Capitaine, nomme Synadene , il lui donna ordre de marcher aNicomédie. Lafcaris partit auflitot de Nicée pour aller a fa rencontre , le trompa par une fauffe marche, tomba fur lui fans être attendu , le fit prifonnier, & diffipa fe: troupes. Cet échec rabattit la tiert» de David; il eut recours aux Fran cois. Lafcaris, de fon cöte, fe nu en mouvement pour 1'aller chercher il entra dans rruuaue v«» - »— intelligence , & s'approcha d HeraF vj Henri. . a.scaris Ln. 1206. VU. Guerre le David :ontre Lafcaris» ! t e  Henri. Lascaris An, 1206, 1 < < I I F F d F c n S lc n P 132 // I S T & 1 X Z clée, C'en étoit fait de David , fi les Frangois ne fuffent promptement accounts a fonfecours. Lafcaris, averti qu'ils étoient déja a Nicomédie, rebrouffa chemin pour venir le combattre. Mais ceux-ci, contents de 1'avoir éloigné d'Héraclée, décampereni de nuit, & repafferent le Bofphore. David, pour reconnoïtre le fervice 711'ils lui avoient rendu, leur envoya 5uantité de vivres, & leur offrit de i'unir avec eux par une alliance per)étuelle; en forte que fes Etats, & :eux de fon frere, ne feroient qu'un :orps avec 1'Empire des Latins. La >ropofition fut acceptée. David ap•renant que Lafcaris, au-lieu de re'enir a Héraclée, s'en éloignoit daantage, & qu'il avoit quitté Nicée our fe retirer a Prufe, en devint lus hardi. Ayant regu des renforts e Conftantinople , il rentre dans rufiade, punit les partifans de Lafïris, prend des ötages pour s'affu?r de la fidélité des autres, paffe le mgar , & fait de grands ravages fur s terres de 1'Empereur Grec. Un 3uvel échec qu'il regut arrêta les ■ogrès. Un corps de trois cents Fran-  du Bas-Empirs- Llv. XCVl. 133 cois qui devancoient fon armee, & ' approchoient de Nicomédie, fut taille en pieces, dans une embufcade, par Andronic Gnide, un des Généraux de Lafcaris. La perte de ces braves gens, qui faifoient 1'élite de fes troupes , 1'obligea de regagner Héraclée. La treve entre les deux Empereurs ne pouvoit fubfifter , après les fecours donné au Paphlagonien. Lafcaris fe faifit de Peges, oh les Latins s'étoient maintenus jufqu'alors. Pour recouvrer ce pafTage important, Henri fit partir Pierre de Bracheux, Payen d'Orléans, Anfeau de Cahieu, & Euftache fon frere, avec cent quarante Chevaliers & une bonne partie de fes troupes. Pierre ayant débarqué dans le voifinage, fe préfenta devant la place, demandant a y être recu, comme dans un domaine qui lui avoit été affigné par 1'Empereur: il ne fut pas écouté, II avoit des intelligences dans la ville ; par leut moyen , il y fit couler quelques foldats , qui lui ouvrirent 1'entrée h nuit fuivante. La réfiftance des habitants ne fut pas opiniatre; le maffacre des plus hardis rendit les Fran- Henri. Lascaris An. 1106. VIII. Guerre des Frangois contre Lafcaris. Nicet. c. 10. Villehard.c. 136 , 137.  Henri. Lascaris An. 1206. An. 1207. IX. Mariage de Henri, VilUhard. 134 HlSTQIRE cois maitres de Ia place. Ils répandirent le ravage fur les terres des environs qui appartenoient a Lafcaris, & s'avancerent jufqu'a une ville que Villehardouin nomme Exquife, & dont il décrit la fituation comme celle de Cyzique. C'étoit, dit-il, une place forte, environnée de la mer, & ne tenant au continent que par une ouverture , gardée autrefois par une fortereiTe alors ruinée. Pierre de Bracheux y pénétra fans peine, & la ferma de nouveau par deux chateaux, qu'il fit conftruire è 1'entrée. II en fit fa place d'armes & fon magafin, ou il dépofoit le butin quil retiroit de fes ravages. Un autre corps de troupes, fous les ordres de Thierri de Los , reprit Nicomédie, rétablit le chateau que Lafcaris avoit abattu , & fit une nouvelle fortereffe de Ia grande Eglife de Sainte-Sophie, que Conflantin avoit fait batir fur le modele de celle de Conftantinople. Joannice en Europe, Lafcaris en Afie, avoient, pendant cette année, exercé l'a&ivité francoife. La diverfité des fuccès laiffoit ces deux ennemis avec toutes le,urs forces: mais  vu Bas-Empire. Liv. XCri. 15S c'étoit beaucoup k Henri de les avoir repouffés, même fans les abattre. Tandis qu'il travailloit en Thrace a reparer les ravages des Bulgares, le Mar. quis de Montferrat rétabliffoit en Ma. cédoine les villes détruites par leurs incurfions. La ville de Serres fe relevoit de fes ruines; celle de Drame , voifine de Philippes , qui avoit éprouvé le même fort, fut rebatie: & ces deux places ouvroient aux courfes des Frangois 1'entrée du pays ennemi. Rien n'étoit plus important au falut de 1'Etat, que la bonne ïntelhgence entre 1'Empereur & le Marquis. Pour en refferrer les nceuds, on avoit déja projetté le mariage d'Agnès , fille du Marquis, avec 1'Empereur; &dans.ce deffein, fon pere 1'avoit fait venir de Lombardie i Theffalonique. Othon de la Roche , Sire de Thebes & d'Athenes, qui s e toit attaché au fervice du Marquis étoit venu en faire la propofition ; Henri, pendant qu'il étoit devant Dl dymotique , & elle avoit été biej recue. A la fin de 1'année, la Prin ceffe fe rendit fur une galere au por d'Abydes 8c Henri en étant averl Henri. Lascari. Kn.1107. 138, 239. Ramnuf. I. 4. 6. Doutrem. I. 5 I. Du Cang', hift. !. 2 , C. i. I t 1 t i  Henri. Lascaris An. 1207, X. Ligue 1erns aes.tx en e, u e ns  Henri. Lascaris An. 1207. 1 j ] ( i I t É C ƒ 34© IIlSTOIRE qui le défendent, s'il n'eft promptement fecouru. A ce cri, tout fe met en mouvement. Tous les gens de marine, Frangois, Vénitiens, Pifans, les Chevaliers avec leurs armes, courent a 1'envi aux vaiffeaux : ils partent a mefure qu'ils arrivent, fans attendre leurs compagnons. Le refte du jour & la nuit fuivante, il font force de rames; & le matin, au lever du foleil, les premiers arrivés avec 1'Empereur découvrent Civitot & 1'armée ennemie, qui 1'affiégeoit du cöté de la mer & de la terre. Les afïiégés avoient paffé toute la nuit fous les armes, k fe remparer de toutes les défenfes qui pouvoient retarder 1'ennemi; car ils n'efjéroient pas le vaincre; mais ils vouoient mourir avec honneur. L'Em)ereur n'avoit encore avec lui que Villehardouin , Milès de Brabant , [iielques Pifans , & très-peu de Chevaliers, en dit-fept batiments, tant irands que petits. Attaquer avec fi >eu de forces la flotte ennemie , forte e foixante voiles, c'étoit courir un rand rifque. Mais Henri, confidérant ue s'il attendoit le refte de fes vaifïaux, & qu'il laiffat a 1'ennemi le  du Bas-Empire. Liv. XCPT. 141 temps de donner affaut, les affiégés feroient tués ou pris avant que d'être fecourus; animé d'ailleurs par 1'ardeur de fes gens , qui ne demandoient qu'a combattre, vogue de front, & fur une feule ligne, droit a la flotte ennemie. Les Grecs, prêts a monter k 1'affaut , les ayant reconnus, tournent vers eux; les vaiffeaux revirent de bord ; les troupes de terre , fantaffins & cavaliers, accourent au bord du rivage pour feconder les troupes de mer, en les aidant de leurs traits & des décharges de leurs machines. La hardieffe de Pattaque , & la fiere contenance des guerriers Frangois, tout éclatants de leurs armes fur le tillac des vaiffeaux , étonnerent tellement les Grecs, que la plus grande partie du jour fe paffa en évolutions inutiles. Les cris qui partoient des deux flottes, entendus de bien loin en mer, preffoient davantage ceux qui arrivoient k la file, & leur faifoient redoubler leurs efforts; en forte qu'avant la fin du jour , 1'Empereur fe trouvoit fupérieur, même en nombre de vaiffeaux. II tint toute la nuit fes troupes fous les armes, de crainte Henri. Lascaris An. 1107.  Henri. Lascaris An. H07. XIII. Levée du fiege d'Andri»ople. 1 1 I4S HlSTOIRE de furprife, en réfolution de fbndre fur 1'ennemi au point du jour , & de le forcer a combattre. Mais dès la nuit même, les Grecs tirerent leurs vaiffeaux a terre, y mirent le feu, & prirent la fuite. Le jour venu, les Francois ne voyant plus d'ennemis, remercierent Dieu d'une viöoire qui ne leur avoit coüté que la peine de fe montrer. Mais étant defcendus è Civitot, ils y trouverent de quoi s'affiiger, a la vue de leurs compatriotes couverts de bleffures. Henri ayant vifité la place, & reconnu qu'elle étoit trop foible pour pouvoir être confervée, Fabandönna, & emmena dans fes vaiffeaux toute la garnifon. Cependant le Roi Bulgare preffoit le fiege d'Andrinople. Ses pierriers avoient déja fort endommagé les tours & les remparts ; les mineurs, attachés au pied des murs, travailloient a la fappe ; on avoit donné plufieurs affauts, vivement repouffés: mais les habitants n'efpéroient pas telir long-temps fans être fecourus. L'Empereur, enfermé entre deux puifants ennemis, ne favoit a quoi fe •éfoudre : s'il fe tournoit du cöté  nu Sas-Empirs. Liv. XCVL 143 d'Andrinople, le bruit des armes de Lafcaris Pattiroit en Afie ; s'il faifoit face a Lafcaris, il étoit rappellé par les cris qu'il croyoit entendre d'Andrinople. La ville étoit aux abois; plufieurs tours, renverfées avec leurs courtines , avoient ouvert en deux endroits de larges brecheSj, oü 1'on combattoit fans ceffe a coups de main, & qui étoient tous les jours teintes de fang & couvertes de morts. Toute reflburce humaine manquoit aux af.fiégés, lorfque la Providence vint k leur fecours. Le mois de Mai approchoit. Les Comans,qui faifoient toute la force de 1'armée Bulgare, & qui fuyoient les ardeurs de 1'été, comme les armées des autres nations re- doutent les frimats de 1'hyver, partirent, felon leur coutume, aux premières chaleurs, qui fe firent fentir cette année plutöt que de coutume: ils ne prêtoient leurs armes qu'a cette condition, & il fut impoflible a Joannice de les arrêter un feul jour. Dénué de ce fecours, il perdit toute efpérance, & leva le fiege. Les habitants en donnerent auffi-töt avis k .'Empereur, fans ceffer cependant de Henri. Lascaris An. 123f.  Henri. Lascaris An. 1207. XIV. Diverfes entreprifes de Lafcaris. 144 HlSTOIRE Ie prier de venir k Andrinople, de crainte qu'il ne prït envie au Bulgare de revenir fur fes pas. La confervation de cette ville étoit importante, & 1'Empereur fe difpofoit a s'y tranfporter en perfonne, lorfqu'il apprit que Sturion, Amiral de Lafcaris, étoit entré par 1'Hellefpont dans la Propontide avec dix-fept galeres, Sc qu'il attaquoit Exquife par mer , tandis que Lafcaris 1'affiégeoit du cöté de la terre; que les habitants de cette ville, ainfi que ceux de 1'ifle de Marmora, s'étoient révoltés contre Pierre de Bracheux leur Seigneur, Sc lui avoient tué beaucoup de foldats. Un danger fi voifin jettoit 1'effroi dans Conftantinople; Sc 1'Empereur, perfuadé que la perte de cette place entraineroit celle de toute la cöte de Natolie, fit armer promptement quatorze galeres, dont il donna le commandement a fes meilleurs Capitaines : c'étoient fon frere Euftache, Conon de Béthune, Geoffroi de Villehardouin , Macaire de Sainte-Ménehoud, Milès de Brabant, Anfeau de Cahieu, Thierri de Los, Guillaume de Perchoy. II ne fallut que le dé-  du Bas-Empire. Liv. XCVI. 145 part de cette flotte, qui portoit Ia ■ fleur des guerriers de 1'Empire, pour j mettre en fuite Lafcaris & fon Ami- / ral. Lafcaris fe retira dans Pintérieur du pays; Sturion regagna 1'Archipel. On le pourfuivit inutilement deux jours & deux nuits, & la flotte revint a Conftantinople. A peine étoitelle rentree dans le port, qu'il vint nouvelle qu'un detachement des troupes de Lafcaris attaquoit Nicomédie, ou 1'on travailloit a fortifier 1'Eglife de Sainte-Sophie. La place manquoit de vivres, & demandoit du fecours. L'Empereur paffa le Bofphore , & marcha vers Nicomédie. Les Grecs ne 1'attendirent pas ; ils repafferent en diligence le mont Olympe , & regagnerent Nicée. Henri laiffa dans Nicomédie Thierri de Los & Guiliaume de Perchoy, avec des troupes pour la fureté de la ville, & reprit le chemin de fa capitale, dans le deflein de marcher a Andrinople. Pendant qu'il s'y préparoit, il fut encore arrêté par un nouveau malheur. Les deux Capitaines qu'il avoit laiffés a Nicomédie, en fortirent avee une partie de leurs troupes , pour Tornt XXI. G Henri. ascaris ,n. 1107.  Henri. Lascaris An. 1207, 146 HlSTOlRB faire des courfes dans le pays ennerm. Lafcaris en ayant eu avis, envoya un gros detachement fous la conduite de ion frere Conftantin, brave & habile guerrier, qui fe mit en embufcade pour les furprendre a leur retour. Ils donnerent dans le piege; & fe voyant attaqués par un nombre fort fupérieur, la plupart prirent 1'épouvante, & rendirent peu de combat. Les deux chefs, Thierri de Los & Guillaume de Perchoy, quoiqu'abandonnés des leurs, firent une courageufe réfiftance. Deux fois abattus de leurs chevaux, & remontés deux fois, ils ne céderent qu'a 1'extrêmité. Guillaume, tout bleffé qu'il étoit, fe fit jour au travers des ennemis, & fe fauva dans 1'Eglife de SainteSophie. Thierri, mis hors de combat par une bleffure plus dangereufe, fut trouvé entre les morts, & fait prifonnier. Guillaume, enfermé avec ceux qui avoient pu échapper, fit favoir a 1'Empereur ce facheux événement , & manda qu'ils étoient affiégés dans cette Eglife, oh ils n'avoient pas de vivres pour cinq jours, & qu'ils ne pouvoient éviter d'être.  bv BjS'Émpire. Liv. XCFI. 147 tués ou pris, s'ils n'étoient promp- tement fecourus. Ce contre-temps rompit pour la quatrieme fois le voyage d'Andrinople. AUarmé du danger de ces braves gens, Henri paffe le Bofphore, & marche en ordre de bataille a Nicomédie. Conftantin leve le fiege, & regagne Nicée. L'Empereur établit fon camp au-dela de Nicomédie, dans une fituation commode, au milieu d'une belle prairie, fur le bord d'une riviere. II envoye de-l& divers détachements, qui mettent a contribution tout le pays, & amenent au camp grand .nombre de prifonniers. II y féjournoit depuis cinq jours, lorfque Lafcaris lui envoya propofer une treve de deux ans, a condition qu'on lui abandonneroit les forts d'Exquife & de Sainte-Sophie, pour être démolis. II promettoit de fon cöté de rendre tous les prifonniers, dont il avoit un grand nombre. L'Empereur, de 1'avis de fes Barons, penfa qu'il valoit mieux perdre ces deux places, que de les conferver aux dépens d'Andrinople , que Joannice menacoit de souvean, & dont la prife le rendroiï G ij Henri. Lascaris An. 1207. XV. Treve entre Henri & Lafcai» ris.  Henri. Lascaris An. 1107. XVI. Henri en Thrace. 148 HistoirB maïtre de toute la Thrace entiere. II confidéroit que cette treve alloit rompre la ligue formée entre Lafcaris & Joannice, & que 1'Empire, tranquille du cöté de 1'Afie, pourroit tourner toutes fes forces contre les Bulgares. La treve fut conclue, & confirmée par ferment de part & d'autre. Les deux forts furent livrés k Lafcaris, Thierri de Los & les autres prifonniers renvoyés a 1'Empereur. Henri, de retour a Conftantinople , fe vit enfin en liberté d'aller en Thrace, & de mettre Andrinople en füreté. II donna rendez-vous k fes troupes k Sélymbrie, &c fe mit en marche vers la fin de Juin. Arrivé devant Ia ville, il fut recu avec de grands témoignages de joie. II paffa un jour a vifiter le dommage que le Bulgare avoit fait aux murailles & aux tours par fes mines & fes battenes, & a donner fes ordres pour le réparer. II partit le lendemain; & après une marche de quatre jours, il parvint au mont Hémus, qui fermoit la Thrace du cöté de la Bulgarie. Au pied de cette montagne étoit une ville , que Joannice avoit peuplée depuis  au Bjs-Empire. Liv. XCFI. 149 peu : Villehardouin la nomme Eului, nom inconnu d'ailleurs dans Phiftoire. On la trouva déferte, les habitants s'étant retirés dans les montagnes, dès qu'ils avoient appercu 1'armée Francoife. L'Empereur campa en ce lieu; & pendant les trois jours qu'il s'y arrêta , fes coureurs enleverent quantité de bétail & de vivres de toute efpece. Les habitants d'Andrinople , affamés par le fiege, avoient fuivi 1'armée avec un grand train de chariots vuides : ils trouverent affez de bied & d'autres grains pour les charger, & pour remplir encore les autres voitures qu'ils purent raffembler. II arriva cependant que quelques coureurs s'étant engagés térnérairement dans les défilés, furent affommés par les montagnards. Pour les mettre déformais a couvert, 1'Empereur les fit efcorter de quatre efcadrons, fous les ordres de fon frere & de quatre autres Seigneurs. Dans cette confiance, les coureurs fe hafarderent a pénétrer plus avant; mais a leur retour, les montagnards, qui s'étoient faifis des paffages, donnerent fur eux avec tant de vigueur, G iij Henki. Lascaris An. 1*07.  Henri. 1.ascari! An. 1207, XVII. Entrevue ■de 1'Empereur & «iu Marquis de Montferyat. 150 HlSTClRS leur tuant hommes & chevaux, que pas un n'en fut revenu, fi Ia cavalerie ne fut accourue a leurs cris. Ces heux étant impraticables aux chevaux , elle mit pied a terre, & les ayant tirés de danger, les ramena au camp, non fans beaucoup de perte. Le lendemain 1'Empereur reprit la route d'Andrinople, qu'il pourvut de vivres en abondance. II campa dans la prairie hors de la ville, & y demeura quinze jours. m Ce fut pendant ce féjour que Boniface vint lui faire hommage , comme il I'avoit fait a Baudouin en prenant poffemon du Royaume de Theffalonique. Le Marquis, après avoir rétabli Ia ville de Serres , étoit entré avec une armée dans le pays, dont s'étoit emparé le Roi Bulgare, & s'étoit avancé jufqu'a Mofynople, qui fe rendit a lui avec toute la contrée d'alentour. II envoye de-la une ambaiTade a 1'Empereur, pour lui demander 1'honneur d'une entrevue fur le bord de 1'Hebre, au-deffous de Cypfeles. Depuis le commencement du regne de Henri, ces deux Princes n'avoient pu conférer enfemble, les guer-  nu Bas-Empike. L4v. XCVI. 151 res de Joannice & de Lafcaris les ayant toujours féparés. L'Empereur convint du jour auquel ils fe trouveroient au rendez-vous. II laiffa Conon a la garde d'Andrinople, avec cent Chevaliers, & vint a Cypfeles avec fon armée. Le Marquis s'y rendit le même jour, & ces deux Princes fe donnerentréciproquement toutes les marqués de la plus tendre amitié. Boniface apprit avec joie que fa fille étoit enceinte: il rendit fón hommage a Henri; & pour lui témoigner qu'il comptoit pour feryices perfonnels ceux qu'on rendoit a 1'Empereur, il fit préfent a Villehardouin de la ville de Mofynople, ou de celle de Serres, a fon choix, avec toutes leurs appartenances, acondition qu'il les pofféderoit a titre de fon homme lige, fauf 1'hommage Sc la foi qu'il devoit k 1'Empereur, comme au Seigneur fouverain. Après avoir paflé deux jours enfemble, avec une fatisfaftion mutuelle , ils convinrent de fe raffembler avec leurs troupes fur la fin d'Oaobre, pour aller de compagnie attaquer le Roi Bulgare, S'étant enfuite féparés, Henri repril G iv Henri. Lascaris 4.n. ii°7-  Henri. x. ascaris An. 1207. XVIII. "Mort du. Marquis, Histoirz le chemin de fa capitale, & le Marquis celui de Mofynople. A peine y avoit-il demeuré cinq jours , qu'a la perfuafion des Grecs du pays, il en fortit pour aller nettoyer le mont Rhodope d'une troupe de brigands Bulgares, qui faifoient de grands ravages. Cette montagne n'étoit éloignée de Mofynople que d'une journée. Les Bulgares accoururent de toutes parts; & voyant le Marquis peu accompagné , ils approcherent fans bruit, & tomberent fur fon arriere-garde. A cette attaque imprévue, le Marquis, fans fe donner le temps de prendre d'autres armes que fa lance, faute fur fon cheval, court au fecours de fes gens, & ch'arge les ennemis , qu'il met en fuite. Dans I'ardeur de la pourfuite, il recoit dans Ie_ flanc un coup de lance, qui fait jaillir le fang a gros bouillons. Sa troupe prend 1'épouvante; & ceux qui 1'approchent de plus prés le foudennentdans fa défaillance ; les autres prennent lafuite. Le Marquis mourant, snvironné de fes plus fideles foldats, les voit tuer autour de lui. II refpiroit sncore, lorfque les Bulgares lui cou-  du Bas-Empire. Liv. XCVL 153 perent la tête, qu'ils envoyerent ajeur Roi. Telle fut la fin de eet illuftre Capitaine, élu chef des Croifés , 1'ame de la conquête, honoré comme Empereur tant qu'il n'y eut k recueillir que des dangers & des travaux ; grand par la gloire que lui acquit fon courage ; plus grand encore par le généreux facrifice qu'il fit au bien public , en voyant fans jaloufie , en foutenant lui-même fur la tête d'un autre la couronne impériale , dont il étoit digne. Et ce qui montre que fes vertus étoient vraies , & qu'elles fortoient d'une fouvee plus pure que la politique humaine, c'eft fon attachement'fincere k la Religion, qui ne fe démentit jamais, & le rendit aimable aux vaincus, au milieu même de leur défaftre. Cette perte irréparable caufa une douleur amere è 1'Empereur, & un deuil général dam 1'Empire. Nous parierons dans la fuite des troubles que fit naitre fa fuo ceflion. Ces guerres fanglantes, entre de: Chrétiens, affligeoient lecoeur pater nel du Pape Innocent. II écrivit en core a Joannice , pour lui infpire G v Henri. Lascaris A.n. 1107. i XIX. . Mort <\e Joannice, Acrop. e, r i j.  Henri. Lascaris An. 1107. Albéric. chron. Doutrem. I- 4, c. 1 jf. Du Cange t hifi. I. 1 , «. 4. 154 HlSTOIRE des penfées de paix. Mais ce Prince ambitieux & farouche, délivré d'un voifin redoutable, dévörant déja en efpérance les Etats du Marquis, alla mettre le fiege devant Theffalonique. II fe flattoit d'un prompt fuccès; & la ville trembloit a la vue d'un en* nemi, qui ne conquéroit que pour détruire. Un coup imprévu la fauva de ce danger. Joannice, couché dans fon lit, crut voir en fonge un cavalier monté fur un cheval blanc, qui couroit a lui la lance a la main, & lui perccüt le flanc de part en part. II s'éveille en criant que Manaftras raffaffine. C'étoit un des Généraux qui avoit fa tente prés celle du Roi. On accourt; on trouve le Prince baigné dans le fang qui jailliffoit de (bn flanc par une large bleffure. A peine eut-il le temps de raconter ce fonge funefte, qu'il tomba dans une défaillance qui le conduifit è 1'agonie. Manaftras, qui paroiffoit n'être pas forti de fa tente jufqu'a ce moment, étant account plus empreffé que les autres, s'efforgoit de fe jufïifier par toutes les marqués d'un exréme défefpoir. Voyant le Roiprè^  nu Bas-Empire. Liv. XCVL 155 de mourir, il leve le fiege, & fait : partir 1'armée, emportant le Prince, ] qui expira prefque auffi-töt. Au-lieu d'imputer ce coup a Manaftras, que le Roi avoit aecufé lui - même, on aima mieux croire que c'étoit un miracle de St. Démétrius, patron de Theffalonique , laquelle s'étoit _félicitée plufieurs fois de la protecYion redoutable de ce bienheureux guerrier ; & les merveilles véritables qui s'opéröient au tombeau du faint Martyr,accréditerent cette opinion, que Manaftras fans doute n'euf garde de contredire. Quelques Auteurs modernes , dépouillant eet événement de tout ce qu'il a de merveilleux , fe font contentés de dire que Joannice étoit mort de pleuréfie devant Theffalonique. Henri recut en même - temps un fecours de troupes. Après la défaite d'Andrinople, il avoit envoyé^ en France , en Flandre, en Italië, Né velen, Evêque de SoiiTons, avec deux Seigneurs, pour implorer 1'aftiftance de 1'Occident, dans le danger-ou cette funefte bataille réduifoit 1'Empire Frangois, LePape avoit employé toni G v} Henri. ..ascaris In, HO'. XX. Secout envoyé d'Occi-. dent.  Henri. Lascaris An. 1207. XXI. Différent! au fujet d'uncimage de la Sainte .Vierge. Innoc, 'P'A Du Cange. W. i. 2, *> h 3 j J 1 < r fi tl d u 25Ö H I S T O I B. B fon crédit pour feconder leurs follïcitations, & ils avoient enfin raffemblé un affez grand nombre de gens de guerre, qu'ils menerent en Italië au port de Bari, pour paffer a Conftantinople. Selon quelques Auteurs, Névelon mourut en ce lieu , comme on étoit pret a s'embarquer; felon d'autres, il conduifit le fecours è'Conftantinople, & ne mourut a Bari qu'a fon retour. Le Clergé Frangois avoit appréhende que 1'éleflion de Morofini ne donnat trop de pouvoir dans I'Eglife aux Vénitiens. Henri, content de leurs fervices, leur étoit encore plus favorable que le Patriarche. II Y avoit k Conftantinople une image :élebre de la Ste. Vierge, qu'on dioit peinte de la main de St. Luc. ^Impératrice Pulchérie lui avoit fait >atir une Eglife, fous le nom de Nore-Dame Hodégétrie, c'eft-k-dire la 'onduclrice, paree que les Empereurs e fe mettoient jamais en voyage, ms aller auparavant faire leur priere evant cette image révérée, A la prife 2 Conftantinople, elle avoit été pore dans la chapelle du palais de Bu-  du Bas-Empirz. Liv. XCrl. 157 coléon , d'oü 1'Empereur Henri la fit tranfporter dans 1'Eglife de Sainte-Sophie, & enfuite , a la priere du Baile de Venife , il en fit préfent aux Vénitiens. Ceux-ci s'étant mis en devoir de Penlever de Ste. Sophie, trouverent une forte oppofnion dans le Patriarche. Sur fon refus, ils forcerent les portes de 1'Eglife, fe faifirent de 1'image , & la porterent dans 1'Eglife du Pantocrator, dont ils étoient en poffeffion, a deffein de la faire tranfporter k Venife. Le Patriarche , irrité , excommunia le Baile, & les Vénitiens qui avoient eu part a cette violence, & fit confirmer fa fentence par le Légat & par le Pape même , auquel il adreffa fes plaintes. On ignore les fuites de cette affaire; ce qu'il y a de certain, c'eft que cette image étoit encore dans 1'Eglife du Pantocrator, lorfque Conftantinople fut prife par Michel Paléologue, qui la fit tranfporter dans la première Eglife batie par Pulchérie. Les fervices que les Vénitiens rendoient a 1'Empereur Frangois dans fe: expéditions, ne leur faifoient pas oublier leurs propres intéréts. La plu- Henri. Lascaris An. 1107. XXIL Les Vénitiens fe mettent en pofi'ef-  Henri, Lascaris An. 1207, fion des ifles de leur partage,Sanut. fetreta jidelium crucis ,1.1, part. 4, c. 7- Danduli thron. Ramnuf. I. 6. Saèellic. I. *> 9- j 1 4 I5S H I S T O I R E part des ifles & des places qui leur avoient été aflignées dans Ie partage général des terres de 1'Empire, étoient encore entre les mains des Grecs 011 en celles des pirates, qui s'étoient multipliés a la faveur de la révolution. Pour fe mettre en poffeflion d'un fi grand nombre d'ifles dans 1'Archipel & dans le Golfe Adriatique, il eüt fallu divifer en une infinité d'ef:adres la marine de 1'Etat, ou confumer un long temps & beaucoup de dépenfe, pour les aller attaquer 1'une après 1'autre avec une feule flotte. On prit un parti qui en confervoit la fouveraineté a la République, fans lui donner la peine de les conquérir: ce fut de donner par édit atout Vénitien la liberté d'armer pour s'emparer des ifles qui entroient dans le partage des Vénitiens; en forte que :hacun pofféderoit en propriété ce qu'il auroit conquis, en rendant foi Sc hommage a la République, comne celle-ci le rendoit a 1'Empereur. ^près une déclaration fi favorable a. 'avidité des particuliers , tous les Vélitiens qui fe trouvoient affez riches :quiperent & arnaerent des vaiffeaux  du Bas-Empire. Liv. XCV1. i$9 k leurs dépens, &; la République n'eut befoin que d'une feule flotte pour nettoyer la mer des pirates, & pour exécuter les expeditiotis les plus importantes. Mare Dandolo & Jacques . Viaro prirent Gallipoli, & 1'entrée de PHellefpont. Renier Dandolo , héritier du courage de fon pere Henri, & Roger Prémarino , les deux plus grands hommes de mer qu'eut alors la République, a la tête de 31 vaiffeaux, fe rendirent maitres de Corfou &C de Léon Vétrano, pirate Génois, qui s'en étoit emparé : ils le firent prendre avec foixante infulaires de fa faction. Corfou, peuplée d'une nouvelle colonie, devint le rempart de PEtat Vénitien a 1'entrée du golfe. Ils firent voile enfuite vers Modon & Coron, oh s'étoient établis les Génois, qu'ils chafferent de ces deux villes Une conquête encore plus important< fut celle de Candie. Le Marquis ^ d< Montferrat 1'avoit vendue aux Véni tiens : mais Henri le Pefcheur , Sei gneur Génois, y étant abordé fou apparence de trafic, s'en étoit faifi Ils y firent defcente, battirent les Gé nois, prirent la Kapitale & enfuite le Henri. Lascaris An. 1107. 9 5  Henri. Lascaris An. 1207, une leditioii, les Vénitiens envoyerent une colonie tirée de chaque quartier de Venife, & pour Gouverneur Jacques Tiepolo, avec le titre de Duc, qui paiTa a fes fucceiTeurs. Les ifles de Zante & de Céphalonie échap. perent alors aux Vénitiens. Un Seigneur Frangois , dont on ignore le nom, s'en étant faifi, prit Ie titre de Comte Palatin de Zante; & felon Albéric , au-lieu de reconnoitre 160 ff / s T O I R B autres places. Le Sénat de Venife, confulté fur le traitement qu'on feroit a ces villes, étoit d'avis de les ruiner toutes : Dandolo offrit de les garder è fes dépens, & Ia République eut honte de montrer moins de generofité & de courage qu'un feul de fes citoyens. La valeur de Dandolo conferva une feconde fois a fa patrie cette ifle renommée, qui valoit feule un grand Royaume. Le Genois y revint avec de plus grandes forces; & portam par - tout le ravage, il fouleva la plupart des infulaires. Dandolo marcha contre lui, tailla fes troupes en pieces, & le fit lui-même prifonnier. Cinq ans après,. ce brave guerrier ayant été tuédans  nu Das-Empire. Liv. XCFL 161 la fouveraineté des Vénitiens, aux- ■ quels ces ifles devoient appartenir par , le partage, il en fit hommage a Geof- t froi de Villehardouin, Prince d'Achaïe & de Morée, neveu du Maréchal dont nous avons parlé tant de fois. Les families les plus puiffantes de Venife fe répandirent dans 1'Archi- t pel. Chacune embraffant dans fa con- : quête plufieurs des ifles dont cette mer eft femée, s'en compofa, comme d'autant de Provinces, unEtatcjui devint patrimonial. Raban Carcério étoit déja maitre de Négrepont; fes defcendants n'étant pas affez forts pour la défendre, la remirent entre les mains de Ia République , & n]en conferverent que le domaine utile. Venife y envoyoit un Gouverneur, qui réfidoit a Chalcis. Mare Sanuto s'empara de Naxe, de Mélos, de Policandro, de Théra, nommée aujourd'hui Santorin : ce qui forma le Duché de Naxe, dont fes defcendants jouirent jufqu'au milieu du quatorzieme fiecle, que ce Duché paffa par mariage dans la familie de Crefpi. Ceux-ci en furent poffeffeurs jufque fous 1'Empire de Sultan Sé.Iim II, qui Henri. ■ ASCARIS m.1107. XXIII. Diverfes 'amilles V^énitienïes s'emjarentdesfles de 'Archipel.  Henri. Lascaris An. 1207. \ 1 ( I ( i An. 1208. j XXIV. ^ Phrorilas fuccede a ' Joannice. f Acrop. c. ^ 13Doutrem. I /. 5 , c. 1. { Du Can- F, hift.l. 1 ï,f..7. ( 1 1 162 fllSTO/RS s'en faifit en ï 570. Paros & Andros tomberent au pouvoir de la familie de Sommerive , qui les poiTéda jufqu'au milieu du feizieme fiecle. Les Ghifi fe rendirent maitres de Tenos, Micone, Scyros, Scyathos, Scopelos : Pierre Juftiniani & Dominique Michieli, enfemble deCéa ; Philocole Navagieri, de Lemnos, dite aujour1'hui Stalimene : 1'Empereur Henri, ?ar eftime de fa valeur, lui conféra a dignité de grand Duc. Toutes :es petites Principautés furent autant le fiefs qui relevoient de la Républime; elle leur donnoit fa proteftion , 5c en tiroit des fecours & des redera n ces. Dans ces entreprifes, les Vénitiens ie rencontroient nul obftacle. Les inulaires, abandonnés, fe foumettoient ans réfifïance a ces nouveaux maires. Quoique Lafcaris eüt fait confruire quelques vaiiTeaux, il n'étoit lullement en état de difputer la pof?ffion de ces ifles, & les Bulgares 'avoient point de marine. La mort !e leur Roi ne terminoitpas laguere; mais elle donnoit aux Frangois m ennemi beaucoup moins redou-  vu Bas-Ëmpirë. Liv. XCFI. \6% table. Joannice n'ayanty point laiffé d'enfants males, fon neveu Phrorilas prit la couronne; & poin y acquérir un nouveau titre, il époufa fa tante Scythide, fceur de fa mere & de Joannice. Héritier de la haine de fon prédéceffeur contre les Frangois , mais non pas de fon habileté & de fon courage, il entra fur les terres de 1'Empire avec une grande armee , & fut entiérement défait dès la première bataille, qui fe donna le 30 Juillet. Henri profita de fa victoire , & conquit fur les Bulgares , dans 1'efpace d'un mois, quatre-vingts lieues de pays. Lafucceffion du Royaume de Theffalonique caufa de plus grands embarras a 1'Empereur. Boniface lailToit deux fils; il donnoit par fon teftament le Marquifat de Montferrat a Giullaume, né de fa première femme, & Theffalonique a Démétrius, encore enfant, qu'il avoit eu de fon fecond manage avec 1'Impératrice Marguerite de Hongrie. Le Comte Blandras , nommé tuteur du jeune Prince , & régent du Royaume , ne fe. vit pas plutöt maïtre des affaires, Henri. Lascaris A.n, nog. XXV. Etat du Royaume de Theffalonique. Gefia Innoemt. Cf tpifl. Doutrem. 1. 5 . 3 . 4- Du Cangi, 7 &/«".  Heuri. Lascaris An. iïoS. XXVI. Révolte de Blandras. 164 H I S T O I K E qu'il réfolut de détacher de 1'Empire la Theffalie, & d'en faire un Etat indépendant. Pour y réuffir plus aifément, il fe propofoit de dépouiller fon pupille, & de faire paffer la i couronne fur la tête de Guillaume, Marquis de Montferrat, plus capable par fon age de foutenir une fi hardie entreprife. Ce projet perfide parvint a la connoiffance de 1'Empereur, lorfqu'il revenoit de la guerre deBulgarie. Auffi-töt, quoiqu'en plein hyver, il marche vers la Theffalie, & arrivé fur la frontier e. Chriftopolis lui ferme les portes; & le Gouverneur, qui avoit déja regu les ordres de Blandras , empêche les habitants de porter des vivres a 1'armée impériale. Cette rébellion déclarée obligea 1'Empereur de paffer les fêtes de Noël hors de la ville. II s'avanca enfuite dans la vallée de Philippes; & diffimulant encore avec Blandras, il lui manda de venir le trouver, pour conférer enfemble fur 1'état préfent des affaires. Blandras, au-lieu d'obéir, ne s'occupa qu'a fe fortifier dans Theffalonique. II fit partir un Seigneur Lombard , nommé Aubertin , pour aller  du Bas-Empire. Liv. XCFI. 165 s'affurer de la ville de Serres. L'Empereur continua fa marche, & s'arrêta dans un monailere prés de Theffalonique. De-la il envoya Conon de Béthune , Pierre de Douay, Nicolas de Mailly, pour demander a Blandras raifon de fa conduite. II répondit avec arrogance, que ce pays avoit été conquis par la valeur des Lombards; qu'ils ne devoient l'obéiffance qu'a leur Roi, &c qu'ils fauroient bien s'affranchir de toute autre dépendance. Cependant les députés vinrent k bout de faire confentir Blandras a recevoir 1'Empereur, pourvu qu'il ne fut accompagné que de quarante Chevaliers. Cette condition fut acceptée , quoique peu honorable pour le Souverain. Mais au moment que Henri entra dans la ville, toute 1'armée s'y jetta de vive force. Blandras fut arrêté, pour demeur er en prifon jufqu'a ce qu'il eüt remis entre les mains de 1'Empereur les villes de Serres & de Chriftopolis. La Reine vint proteftei a TEmpereur , que c'étoit malgré elle que Blandras avoit été donné poui tuteur a fon fils, & que la crainti Henri. Lascaris An. iïoS.  165 HlSTÖIAE feule 1'aVOÏt PmnArhpp Af* c'nnnnC- Henri. Lascari' Ah. 1208 XXVIt. Manoeuvres de Blandras. voya offrir a Phrorilas de lui livrer fa place, 1'affurant que les Grecs f* a la révolte. Henri, pour lui faire connoitre qu'il n'avoit jamais eu intention d'enlever a fon fils le Royaume de Theffalonique, arma Chevalier le jeune Démétrius, & le couronna, le jour de 1'Epiphanie, avec grande folemnité. Le Comte, prifonnier, fe démït en apparence de la tutelle & de la régence; mais en effët il conferva toute 1'autorité auprès des Commandants qui étoient fes créatures. II promit de remettre les deux places a 1'Empereur, & il en envoya 1'ordre aux Gouverneurs; mais en même-temps il leur fit fecretement défendre d'y obéir. En conféquence, ils refuferent 1'entrée aux députés qui venoient en prendre poffeffion. Henri, irrité de cette mauvaife foi, refferra Blandras plus étroitement qu'auparavant, & le mit fous la garde de Conon de Béthune, d'Anfeau de Cahieu, & de Baudouin Soriel. Aubertin , Gouverneur de Serres, craignant de ne pouvoir tenir contre 1'EmDereur. en-  »o Bas-Empis.e. Liv. XCF7. 167 ■ rangeroient avec plaifir fous fon pouvoir, plutöt que d'obéir aux Frangois. Mais les habitants, indignés qu'il voulüt les rendre complices de fa trahifon, en avertirent 1'Empereur, qui fit partir des foldats, auxquels la ville fe livra fans réfiftance. Les Lombards, qui s'étoient fauvés dans le chateau ,1e rendirent quatre jours après. II ne reftoit qu'a s'afTurer de Chriflopolis. Blandras juroit qu'il ne tenoit pas a lui que cette place ne fe foumit k 1'Empereur; & dans le temps même qu'il proteftoit de fa fidélité, il envoyoit fon confident Pierre de Vins pour défendre au Gouverneur de fe rendre, quand il lui donneroit lui-même de vive voix ou par écrit un ordre contraire. Conon fut chargé de marcher a Chriflopolis, & d'y conduire Blandras, dont la préfence feroit fans doute ouvrir les portes : elle fit 1'efFet oppofé. Co? non n'ayant pas affez de forces pour afïiéger la place, convint d'une treve de quelques jours, & fe retira k Drame , ou les Lombards, maitres du chateau , vinrent 1'attaquer pendant la nuit, & lui enleverent quelques Henri. Lascaris A.n. 1208,  Henri. Lascaris An. izoS. XXVIII. Opiniatreté des Lombards révoltés. 168 IIistoirè foldats. Indigné de tant de perfidies, Henri fit mettre aux fers le traïtre Blandras, & le ramena a Theffalonique. II le mit entre les mains de Ia Reine, qui le fit jetter dans un cachot , en attendant qu'on inftruifït fon procés. Baudouin Soriel étoit refté a Drame avec quelques troupes. On vint l'avertir que la garnifon de Chriftopolis avoit rompu la treve, & qu'elle ravageoit les campagnes. II court k eux , les taille en pieces, fait prifonniers Pierre de Vins & le Gouverneur Raoul, qu'il envoye a 1'Empereur. Les autres, fuyant vers les montagnes, font affommés par les payfans. Ce n'étoit de toutes parts que révoltes & trahifons. Roland Pichi, Seigneur dePlatamone, ville voifine du golfe Thermaïque, fit favoir a 1'Empereur qu'il avoit befoin de fecours pour fe défendre contre les partifans de Blandras. Henri lui envoye Anfeau de Cahieu & Guillaume de Sains, avec trente Chevaliers. Ils apprirent en chemin que Pichi avoit fait fon accommodement avec les Lombards, & qu'il s'étoit joint a eux pour  du Bas-Empire. L'rv. XCV1. 169 pour combattre ceux qui venoient k fon fecours. Les Frangois fe voyant en trop petit nombre, fe retirerent k Citre. L'Empereur vint les joindre avec toutes fes troupes. II envoya de-la Anfeau de Cahieu avec quelques efcadrons au-devant des Lombards. Ceux-ci, intimidés par 1'arrivée de 1'Empereur, lui députerent Robert de Manchicourt, pour lui propofer un compromis entre les mains d'un nombre de CommilTaires Frangois &£ Lombards, qui décideroient fi Blandras devo;t refter prifonnier de 1'Empereur, ou être relaché Scrétabli dans fon premier état de tuteur du Prince & de Régent du Royaume. Henri, piqué d'une propofition fi infolente, marcha droit k Chriftopolis. Les Lombards fe préfenterent en bataille, féparés de 1'armée Frangoife par un pont fur le Neftus. On fe difputa le paffage : 1'Empereur en demeura le maïtre; mais ce ne fut qu'après un fanglant combat. Les ennemis fe retirerent dans la ville : on les aflïégea; &fans attendre'l'attaque, ils ferendirent, a condition qu'on leur laifferoit la vie. Henri fe retira k MyTornt XXL H Henri. Lascaris An, 120y.  Henri. Lascaris An. 1209. XXIX. Blandras chaffé. 170 II I S T O I R 2 ros. On paria de paix, & 1'on con» vint d'un jouf, oü les députés de part & d'autre fe rendroient dans la vallée de TheiTalonique pour la conclure. Les Lombards manquerent au rendez-vous. Pendant que les Lombards avoient été gouvernés par Blandras, homme auffi injufie qu'ambitieux, ils avoient envahi les polTeffions de plufieurs Seigneurs. Ils s'étoient faifis du chateau de Thebes fur Othon de la Roche, qui en étoit le maitre légitime. Othon vint trouver 1'Empereur a Myros. Villehardouin, qui avoit fon principal domaine dans le Royaume de Theffalonique, fe voyant a laveille d'en être dépouillépar les manoeuvres de Blandras, fe rendit auffi au camp de Henri avec quarante Chevaliers. Ils marcherent a Thebes, oh 1'Empereur fut regu avec honneur; mais les Lombards, maitres du chateau, lui fermerent les portes. La place étoit forte , elle fe défendit pendant plufieurs jours. Enfin, Aubertin & Rainaud, chefs de la garnifon, fe rendirent, a condition que Blandras feroit élargi, & auroit la liberté de fe  nu Bas-Empire. Liv. XCVI. 171 pureer des accufations dont on le chargeoit. L'Empereur y confentit; mais 1'accufé, qui comptoit peu fur fon innocence, s'échappa comme on 1'amenoit a Thebes, & fe fauva dans ï'ille de Négrepont, ou il recommenga fes fourdes pratiques. L'Empereur fe tranfporta dans cette ille, après avoir êiré parole de füreté de Ravain Carcerio, qui en étoit Seigneur. Ravain fe rendit même caution du Comte, & fe conduiiit de bonne foi. Mais Blandras, plein d'une haine envenimée contre 1'Empereur, ne projettoit rien moins que de le faire périr par Je fer ou par le poifon : ce qu'il auroit exécuté, fans les vives remontrances & les menaces même de Carcerio, qui, après 1'avoir détourné de eet exécrable deffein, ne réuffit pas moins auprès de 1'Empereur a obtenir fon pardon. Henri , fuivant le penchant de fa bonté naturelle , exigea feulement que Blandras fortiroit des terres de 1'Empire, & fe retireroit en Italië. Othon fut remis en polTeffion du chateau de Thebes. Tandis que 1'Empereur étoit a Thebes , Michel, defpote d'Epire, qui ne H ij Henri. Lascaris An. 1209. XXX. Traité de Michel „  172 II I S T O I M. E le voyoit pas fans crainte fi prés de Henri. Lascaris An. 1209. Defpote d'Epire , avec 1'Empereur. Innocent, tpifi. Doutrem. I. 5 , c. 4. Du Cange, hifi. 1. 2 , c. 10. Idem. fam. By\- P- 208. Idem. notf fur Vittekard. 77. 333. XXXI. Second manage de Henri. lnnoc. €Pifi. Chron. SanBi Ma- feS Etats, lui fit demander une entrevue pour traiter de paix. Ce Prince n'avoit ceiTé de traverfer les entreprifes des Latins; & les Vénitiens, toujours en guerre avec lui, venoient de lui enlever la ville de Duras. On convint du jour & du lieu de la conférence ; c'étoit la vallée de Theffalonique, & les deux Princes s'yrendirent au jour marqué. Ils traiterent par députés. Michel propofa le mariage de fa fille avec Euftache, Comte de Boulogne , frere de Henri: il offroit de céder pour la dot le tiers de fes Etats, & de prêter ferment de fidélité a 1'Empereur: ce qui fut accepté. Mais cette alliance fut bientöt rompue, tant par la mort d'Euftache, qui ne laiffa point d'enfants, que par le caraftere turbulent de Michel, qui s'ennuyade la paix, prefque auffitöt qu'elle fut conclue. Après 1'expulfion de Blandras, Ia régence du Royaume & la tutelle de Démétrius fut conférée par 1'Empereur a Marguerite de Hongrie, mere du jeune Prince. Elle obtint du Pape une proteöion déclarée pour  nu Bas-Empme. Liv. XCFI. 173 elle & fon fils, & de 1'Empereur une jouiïTance libre de fon douaire : c'étoient des terres & des places en Romanle, dont le Marquis lui avoit fait don pour caufe de noces. Mais pour refferrer fon pouvoir, 6cs'aiTurer de fa fidélité, 1'Empereur nomma un adjoint a la régence , qui partageroit fon autorité dans les Confeils fous le nom de Baile du Royaume de Theffalonique pour 1'Empereur de Conftantinople. Le Roi Bulgare fit alors la paix avec 1'Empereur, Sc voulut s'attacher fa bienveillance par une alliance domeftique. LTmpératrice Agnès étoit morte en ce temps-la, Sc 1'enfant dont elle avoit été ericeinte, ou avoit péri avant que de naitre, ou étoit mort avant elle.Phrorilas , qui n'avoit point d'enfants , fit époul'er a Henri la fille de fon prédéceffeur Joannice ; Sc les Frangois virent affife fur le tröne de leur Empire la fille de leur plus mortel ennemi. L'état de flu&uation oh fe trouvoil 1'Empire depuis la conquête , femblable a celui de la mer après un violenl orage, faifoit fouvent changer de H iij Henri. Lascaris An. 1209. rfZgidius de Roya , chron. Alberic, chron. SabM.l.?,. Du Cange, kift. I. a / C. ii. An. iiio. XXXII. Geofiroi de Ville-,  Henri. Lascari: An. 1210 hardouin prendCorinthe.Du Cange hifi. I. 2 i. 12. 174 HlSTOIAE maitres, fur-tout aux Provinces & aux villes les plus éloignées du cen. tre. L'hiftoire de ce temps, auffi confufe que 1'Empire, ne luit pas le fi! de toutes les révolutions. Souvent, lans en dire la caufe , elle nous montre un Prince dans un lieu, oü peu de temps auparavant elle en placoit un autre. Nous avons vu, fous 1'an 1204, Boniface maitre de Corinthe, qu'il'avoit prife fur Léon Sgure, Sc tenant la citadelle bloquée. Soit que Sgure fut mort depuis ce temps-la, foit par quelque autre événement, nous voyons, en 1210, un Prince Grec, nommé Théodore, maitre de Corinthe Sc d'Argos. Ce Géoffroi de Villehardouin, qui de concert avec Guillaume de Champlite , avoit conquis une partie de la Morée, ayant fuccédé a Thierri de Los dans la dignité de Sénéchal de Romanie, s'efforgoit de s'ilhifirer par de nouveaux exploits. Ses deiTeins fur Corinthe Ie mettoient fans ceffe aux prifes avec Théodore, qui ne pouvoit attendre du fecours que du defpote d'Epire, Sc la paix que celui-ci venoit de conclure avec les Francois , lui ötoit  nu Bas-Empirz. Lh. XCVL \1$ toute efpérance. Affiégé dans fa ville, & réduit k 1'extrémité par le défaut de vivres, il fut obligé d'en venir k une capitulation , par laquelle il cédoit Corinthe au Sénéchal, & demeuroit maitre d'Argos, mais feu-, lement k titre de vaflal. Guillaume de Champlite étant mort cette même année en Italië, GeofFroi hérita de fes domaines, & devint Prince d'Achaie & de Morée. Théodore n'auroitpas attendu longtemps pour être fecouru du Prince d'Epire. A peineles Frangois étoientils dans Corinthe, que Michelau mépris de fes ferments & de 1'alliance qu'il venoit de contrafter avec 1'Empereur par le manage de fa fille, fe porta aux plus grands excès. Sans déclarer la guerre, il fe faifit par furprife du Connétable de 1'Empire &c de cent autres Frangois, entre lefquels fe trouvoient plufieurs Chevaliers. II fit jetter les uns dans des cachots, fouetter ou même égorger les autres. Le Connétable fut pendu avec fon chapelain. Le defpote, fuiyi de plufieurs Latins traitres & déferteurs, porta le fer 8c le feu fur les H iy Henri. Lascaris tol. 1210. XXXIII. LeDefpote il'Epirc recommence Ia guerre. Innocent, epifi. DuCange, hifi.l,l,C »3'  Henri. Lascarij An. 1210, XXXIV. Suites des aventures d'Alexis. Acrop. c. S. & feqq. Gregor, l. i , u Bas-Empire. Liv. XCV1. 17? le chatier & le contenir. On ne s'occupoit alors a Conftantinople que de ce qui fe paffoit en Afie. L'ancien Empereur Alexis, échappé des mams du Marquis de Montferrat, comme je 1'ai raconté, s'étoit d'abord réfugié en Epire. Mais ne trouvant aucune reffource auprès du defpote, pour qui un Prince malheureux n'étoit qu'un höte incommode, il réfolut d'en aller chercher en Afie. II apprenoit que fon gendre Lafcaris s'étoit déja rendu puiffant, & qu'il étoit maitre d'une grande étendue de pays , depuis la Carie, jufqu'au Pont-Euxin. De fi heureufes nouvelles, loin de le remplir de joie, & de le porter a rendre a Dieu des aöions de graces. n'exeitoient, dans fon ame fombre & jaloufe, qu'un fentiment de dépit, & une noire amertume. II regardoit 1'élévation de fon gendre comme un< ufurpation fur fa propre perfonne Lafcaris , fauvant les débris de 1'Em pire, lui fembloit être un brigand qui pilloit fon palais au milieu d'ui incendie. S'étant donc embarqué dans ui vaiffeau qui faifoit voile en Afie H v Henri. Lascaris An. 1210. des Huns , /. ii. t l XXXV. II fe reti 1 re chez1  Henri. Lascaris An. iïio. Sultan dleöae. 1 j 1 4 1 f l i r d r ii r v I?8 HlSTOIRÊ au-lieu d'aller joindre fon gendre ; il alla fe jetter entre les bras de Gaïatheddin , Sultan d'Icöne, qui étoit pour lors a Attalie, dont il venoit de s'ernparer, & de traiter les habitants avee cruauté. Ce Sultan, que les Auteurs Grecs nomment Iathatine* étoit lié depuis long-temps d'amitié avec Alexis. Dépoffédé de fes Etats par un de fes freres, il s'étoit retiré a Conftantinople, & Alexis qui régnoit alors, I'avoit regu avec bien^eillance : il I'avoit même fait bapiifer, & I'avoit adopté pour fon fils £ brte d'adoption affez commune en ce emps - la entre les Princes, & qui i'étoit qu'un honneur, fans apporer aucun droit a la fuccefïion. Lorf[u'Alexis avoit quitté Conftantinople* e Prince Turc I'avoit accompagné lans fa fuite. Peu de temps après, yant appris la mort de fon frere, 1 étoit retotirné en Afie , déguifé en ïendiant, pour ne pas être reconnu e fon neveu, qui avoit fuccédé k ufurpateur. S'étant formé fecreteïent un parti dans Icöne, il étoit ïmonté fur le tröne. Lorfqu'il vioit dans le palais d'AIexis, il avoit  du èas-EmpirE. Liv. XCFI. i?y contraclé amitié avec Lafcaris. Depuis que ce Prince faifoit la guerre, Gaïatheddin 1'aidoit dans fes difgraces, & le fecondoit dans fes fuccès. L'arrivée d'Alexis changea ces difpofitions. Attendri par les infortunes & par les larmes de fon ancien bienfaiteur, plus animé encore de 1'efpérance de profiter pour lui-même des fervices qu'il lui rendroit , il commenqa par lever des troupes, & manda a Lafcaris : Que la fortune avoit amenê d la Cour d'Icóne le véritable Empereur; quil y trouvoit ce quil avoit mérité par fes bienfaits, du {ele & de la reconno'ïjfance; que Lafcaris ne pourroït, fans une criminelle injujlice, jouir de la dépouille de fcn beau-pere; que s'il sobflinoit d la retenir, le Sultan d'kóne fauroit bien tarracher de fes mains ; que Gaïatheddin devoit être Cennemi des ufurpateurs. Une lettre fi brufque & fi menacante de la part d'un Prince jufqu'alors fon allié , étonna Lafcaris fans 1'intimider. II affemble fes Officiers; & après leur avoir fait lecture de cette lettre infultante, il leur demande lequel des deux ils veulent avoir pour H vj Henri. Lascaris Ka. 12,10. XXXVI. Guerre de Lafcaris contre Gaïathedidin.  rÏEttRt. Lascari: An. ïaio ï8o H j s 7• o r r p. maitre, de Lafcaris ou d'Alexis : \H s'écriem tCut d'une voix, qu'ils veulent vivre & rnourir avec Lafcaris» Comme cette attaque étoit imprévue,. & que fes troupes étoient alors difperfées, il n'avoit avec lui que deux mille hommes, dont huit cents étoient des déferteurs Frangois, qu'il avoit attirés par une forte paye. Avec cette petite armée, il part de Nicéetraverfe en trois jours les défilés tor" tueux du mont Olympe; s'empare de Philadelphie, & paffe le Cayftre après onze jours de marche. Le Sultan , accompagné d'Alexis, qui lui fervoit comme d'appeau pour appeller les Grecs, aftaquoit déja Antioche fur le Méandre. Inftruit de la foibleffe de Lafcaris, il apprend avec furprife qu'il approche. II fe range en bataille, bien affuré d'écrafer fans peine, avec une armée de vingt mille hommes, une poignée de défefpérés r mais il étoit' pofté dans un terrein montueux, qui lui déroboit Pavantage que lui donnoit la grande fupériorité du nombre. Lafcaris s'avance hardiment. Les huit cents Latins, accoutumés a mé» prifer JesTurcs, s'élancent de furie;  dv Êas-Ëmpire. Liv. XCFI. ifh les files & les rangs ferrés, ils clonnent tête bailTée , renverfant tout devant eux , & percent 1'armée ennemie. Mais lorfqu'au retour ils reprennent le chemin qu'ils ont jonché de morts, 1'armée Turque fe rejoint fur eux, les enveloppe & les accable. Ils périffent tous en combattant fur des monceaux de Turcs couchés par terre , en plus grand nombre qu'ils n'étoient eux-mêmes. II ne reftoit que les troupes Grecques , qui firent a peine quelques moments de réfiftance. Tout fitit, hors Lafcaris, & un très< petit nombre de braves gens déterminés a mourir avec lui. Le Prince Turc le cherche des yeux; & 1'ayan appercu qui difputoit fa vie avec ur grand courage , il court a lui le fa bre haut, &c lui décharge fur le caf qué un coup terrible. Gaïatheddii étoit de grande taille, &: d'une fora extraordinaire. Lafcaris , qui dut 1; vie a la trempe de fon cafque, tré buche fur fon cheval, & tombe pa terre; & tandis que Gaïatheddin s'é crie : Quon le faijïjfe, il eft déja re levé. II tranche d'un coup de fabr les jarrets du cheval de fon ennemi < i ■ ii i ■ Henri. Lascariö An. iaiOj ï E r >  Henri. Lascaris An. i2io. 182 HlSTOJRE Sc Payant abattu k fon tour, il lui coupe la tête, & la plante au bout de fa lance. La vue de cette tête fanglante effraye les Turcs; ils fuyent, & les Grecs qui fuyoient fe rallient autour de leur Prince. II entre vainqueur dans Antioche. Mais cette victoire lui coüta plus cher qu'une défaite , oii il auroit perdu tous fes Grecs, en confervant ce peu de Frangois , qui faifoient toute la force de fes armées. Ce fut la réflexion de Henri, lorfqu'il apprit le fuccès de cette journée : Lafcaris, dit-il, rieli pas vainqueur, il êjl vaincu, Alexis fut pris dans fa fuite. Lafcaris le conduifit k Nicée; Sc fans lui faire d'autre mal que de lui enlever toute efpérance de remonter jamais fur le tröne, il Penferma dans un monaftere, dü ce mauvais Prince, dévoré de dépit , Sc malheureux paree; qu'il n'avoit plus le pouvoir de faire des miférables, mourut quelque temps après. Sa femme Euphrofyne, qui perdoit plus que lui, paree qu'elle avoit réjné fur fon mari même, paffa le refte ie fes jours dans 1'amertume, & mou•ut k Larta, dans les Etats du Prince  nu Bas-Empirb. Liv. XCVL 183 d'Epire , 011 Alexis I'avoit laiflee en s'embarquant pour 1'Afie. Le zele des Prélats, pour leurs conquêtes fpirituelles, en travaillant a faire rentrer les Grecs dans le fein de 1'Eglife Romaine, n'étoit pas moins ardent pour leurs intéréts temporels, & pour rentrer eux-mêmes en poffeffion des richeffes & des privilege; dont avoit joui 1'Eglife Grecque. Dè: le commencement du regne de Hen ri, 1'Empereur, les Barons, les Chevaliers , tant Francois que Vénitiens fur les remontrances du Cardinal Be noït, & du Patriarche Morollni, a voient confenti a céder a 1'Eglife, ei récompenfe des biens qu'elle avoi poffédés fous les Empereurs Grecs le quinzieme de toutes les acquifition d'immeubles faites & a faire, & 1 dixme de toute culture & du pre duit des animaux. On en excepto: feulement 1'intérieur de Conftant nople, & les fruits de fon comme ce. Les Eglifes & les perfonnes q\ leur appartenoient, étoient déclaré< exemptes de la jurifdiöion laïque. I Pape avoit confirmé ces conceffioi par fon autorité, & chargé les Ev Henri. Lascaris An. 1110. XXXVII. Affaires de 1'Eglife d'Orient. lnnoc. epijl. Gefta In' nocent. \ B\ovitis. Raynald. Fkury, ■ hifi. tccUf. I /. 76. n* . 57- t t y S 3 t ü :s .e is  Henri. Lascaris An. 1210, < i 1 1 i < J§4 // / s t o i • * s qiies de contraindre, par leurs cerifures, ceux qui refuferoient de s'y foumettre. En accordant ainfi k 1'Eghfe de quoi entretenir les Miniftres avec dignité, Henri fongeoit auffi k maintenir fes forces. Son Etat naiffant ne pouvoit fubfifter que par le nombre de vaffaux, qui, a raifon de leurs fiefs & de leurs mouvances, feroient obligés de fervir le Prince dans les guerres; de forte que ces fiefs tombant en main morte, par des donations aux Eglifes & aux Monafteres , le fervice militaire en fouftriroit, 1'Etat dépériroit faute de bras pour le défendre, -& 1'Eglife, membre de 1'Etat, croiffant tous les jours de plus en plus par les tréfors qu'elle iccumuloit, le refte du corps fe verrok enfin réduit a une forte de lan;ueur. Pour prévenir cette défaillance générale, Henri fit publier un édit, ïui défendoit a toute perfonne de lonner, foit entre vifs, foit par tefament, aucun immeuble ou héritage iux Eglifes & aux Monafteres, dans oute 1'étendue de 1'Empire. Cetédit, ondé fur des confidérations politip.es, produifit un doublé mal, tant  nu Bas-Empire. Liv. XCVL 185 par 1'avidité de ceux qui en abuferent, que par la rétiftance de ceux qui s'oppoferent a 1'exécution. D'un cöté, plufieurs Seigneurs & Barons en prirent occafions d'en vahir les biens des Eglifes , fous prétexte qu'ils avoient été donnés contre la difpofition de l'édit; de 1 autre, le Pape, fut les plaintes des Prélats, en demanda la révocation : il exigeoit de 1'Empereur qu'il empêchat les Barons d« toucher aux biens des Eglifes; qu'i les contraignit de reftituer ceux don ils s'étoient faifis : en cas de refus il chargeoit les Evêques de faire ton ner les foudres eccléfiaftiques. Voyan enfuite le peu de fuccès de fes me naces, il envoya commifiion a ce Evêques de déclarer de fa part, qu l'édit de 1'Empereur étoit nul ck d nul effet, & que pérfonne n'étoit te nu en confcience d'y obéir. Cepen dant 1'Empereur, par refpeft pour 1 Saint-Siege, mit fina cette querelle par une tranfaftion dont le Pape fi content, & qu'il confirma. On vo par les lettres d'Innocent, qu'il n'ei pas moins de peine k contenir les Pr< lats Latins, dont il avoit foin de ren Henri. Lascaris An. 1210. i t » t S e > .t x it  Henri. Lascaris An. 1210. An. 1211. XXXVIII Conteftations fur 1'éleflion du fucceffeur de Morofini. Innoc, tpijl. i Vu Cang' , hifl. I. 2,c. 16. Fleury , \ hifl. eccicf. j l- 77 , an. ■ ij. 1 1 1 ï86 II I S T 0 I R g plir le fiege des métropoles. Les trou-bles de 1'Empire ayant en partie erfacé les limites des Diocefes, les Evêques ne ceflbient d'entreprendre les uns fur les autres; &c plufieurs d'entr'eux, dans Faigreur de leur zde, employoient les vexations, pour trainer les Grecs k la communion de 1'Eglife Romaine , au-lieu de les y ratnener par les inftruöions, le bon exemple, & la douceur attrayante de la charité. La mort du Patriarche Morofini 2xcita de nouveaux troubles dans 1'Eglife de Conftantinople. II mourut l'année fuivante un , au mois de Fui.n. Quelque temps auparavant, il ïvoit eu un grand différend avec 1'Em3ereur, au fujet de la féance dans 1'E|life de Sainte-Sophie. Conftantin & es fucceffeurs s'étoient placés dans 'enceinte de 1'autel, que nous appelons le fan&uaire. Saint Ambroife, ugeant que ce lieu devoit être réferré aux Prêtres, qui font les premiers lans la maifon de Dieu, avoit fait ecuier le tröne de Théodofe, au-dea de la baluftrade; & ce Prince, auffi tumble devant Dieu qu'il étoit grand  du Bas-Empire. Liv. XCV1. 187 devant les hommes, avoit fans répugnance accepté cette place: c'étoit, depuis ce temps-la , celle des Empereurs. Les Princes Frangois, devenus maitres de Conftantinople , fuivirent 1'ufage regu dans 1'Eglife Latine; & non-feulement ils prirent féance dans 1'enceinte du fanauaire , mais ds firent même placer leur tröne au-deffus de celui du Patriarche. Morofini, voulant rappeller une coutume qui avoit fubfifté plus de huit cents ans, y trouva oppofition de la part de 1'Empereur, & s'adreffa au Pape. Innocent, jaloux des occafions de faire valoir fon autorité fur les Princes, en écrivit a 1'Empereur. Après avoir étalé, en ter mes emphatiques, la furéminence di facerdoce, fupérieur même l la dignité royale, il le réprimandoit, ave< aigreur , d'avoir mis h fa gauche & comme au pied de fon tröne, l Patriarche de Conftantinople, un de principaux membres de 1'Eglife. O; ne fait quel fut le fuccès de ces fiere remontrances; peut-être furent-elle rendues inutiles par la mort de Mo rofini, & par la longue vacance dor elle fut fu'rvie. Lorfqu'il fut queftio Henri. Lascaris An. iiiii I S 1 s s t  Henri. Lascaris An. ian, 18S Histoire de procéder k 1'éleftion du fucceffeur ; les Vénitiens , qui, malgré la décifion du Pape, prétendoient perpétuer cette dignité dans leur nation , s'affemblerent en armes , 5c en grand nombre , dans 1'Eglife de Sainte-Sophie, s emparerent des ftalles autour de 1'autel; & par des cris menacants, obligerent les Chanoines, Vénitiens euxmêmes, de nommer Patriarche leur Doyen. Les Frangois protefterent contre cette nomination : ils en appellerent au Pape, & le prierent de choifir entre trois perfonnes, dont ils lui envoyoientles noms. Innocent, après avoir entendu les procureurs des deux parties, caffa 1'éleftion du chapitre, rejetta les trois perfonnes qu'on lui préfentoit, Sc ordonna de procéder a une nouvelle éleftion libre Sc canonique; autrement, qu'il y pourvoiroit lui-même. On s'affemble une feconde fois a Conftantinople; une feconde fois les voix furent partagées, Sclesconteftations continuerentavec la même chaleur. Pour terminer ces Jiffentions, le Pape envoya k Conftantinople fon Secretaire Maxime : mais ce ne fut qu'après une vacance  du Bas-Empire. Liv. XCVL 189 de quatre ans & demi, que le Pape ayant déclaré nulles toutes les élections faites jufqu'alors, nomma luimême le Tofcan Gervais. Dans 1'état de foiblefle oü fe trouvoit alors 1'Empire , les Princes avoient fouvent befoin du crédit du Pape pour fe procurer des fecours; & les Papes en tiroient avantage , pour prendre avec eux le ton de GrégoireVIl. Ceil ce qui paroït par une lettre d'Innocent a Henri, datée du 3 Oftobre de cette année. Au fujet de quelques ordres de Henri, concernant les Templiers, Innocent lui écrit en ces termes : Quoique nous vous ayons plufieurs fois parlé de cette affaire, vous ave^ fait la fourde oreille , fans réféchir d la bonté que nous avons eue d'écouter vos requêtes , ni aux fecours que nous vous avonsprêtédans vos befoins. Si votre duretê nous oblige de vous les refufer dans la fuite, vous éprouvere^ combien ils vous ont été utiles, & ce que vous perdre^ a en être privé. ■ La nouvelle conquête avoit multiplié les foins du Pontife Romain : mais 1'aftivité d'Innocent s'étendoit a toutes les parties de la Chrétienté. Deux ans après que Théodore eut été Henri. Lascaris An. 1111. An. 1212; XXXIX. Théodore chaffé d'Argos.|  Henri. Lascaris An. i2i2, Innoc. epifi. Du Can* &, hifi. /. a. c, ij. 1 I i ( j An. 121;, , XL. * ViolenCes exer- C I§0 II I S T 0 I K E dépoulllé du domaine de Corinthe, & confervé en pofleffion d'Argos , a condition de le tenir comme vaffal du Prince d'Achaïe, on 1'accufa de tramer une confpiration contre les Frangois. GeofFroi de Villehardouin , fon Seigneur fuzerain, & Othon de la Roche, Prince d'Athenes, vinrent Pafïiéger, & Ie chafTerent d'Argos. Ils y trou verent le tréfor de 1'Eglife de Corinthe, que Théodore avoit emporté avec lui, lorfqu'il avoit été obligé de quitter cette ville. Au-lieu de le reftituer, :es Seigneurs, non moins avides que rhéodore, le partagerent entre eux. rfenri, Archevêque de Corinthe, élevé a cette dignité a la recommandaion du Pape, s'en plaignit a fon proetteur, qui^ehargea 1'Archevêque de rhebes, & deux de fes SufFragants, 1'employer les cenfures , pour arraher cette proie des mains de ces inuftes détenteurs, & pour faire rendre 1'Eglife de Corinthe le tréfor qui lui ppartenoit. Henri réuniffoit peu-a-peu les efrits par la douceur de fon gouvernement , & par les graces qu'il favoit iftribuer a propos j & déja plufieurs  &t/ BaS'Empirr. Liv. XCFI. 191 Grecs avoientabjuré le fchifme, lorfqu'un Prélat dur & fuperbe vint jetter le trouble dans les efprits, & renverfer , par fa violence, Pouvrage qu'il prétendoit avancer. Pour régler les différends, qui, dans une Eglife naiflante , s'élevoient fréquemment entre les Eccléliaftiques & les féculiers , le Cardinal Pélage , Evêque d'Albe , fut envoyé a Conftantinople , en qualité de Légat. Le Pape le recommanda par fes lettres a 1'Empereur , aux Archevêques & Evêques, aux Princes, aux Comtes, aux Barons , les priant de lui rendre les honneurs dus a un envoyé du Saint-Siege: mais Pélage , comme s'il eüt peu compté fur la recommandation du Pape , & fur la dignité de fon caraclere, afte&a de fe relever par un fafte, qui, dès fon entrée, révolta les Grecs qu'il vouloit éblouir. Pour montrer qu'il repréfentoit le fouverain Pontife, non-feulement toute fa perfonne étoit revêtue d'écarlate, mais les habits de fes domeftiques, les houffes, les harnois, les brides de fes chevaux brilloient de cette éclatante couleur ; ce qui frappoit d'autant plus les Henri. Lascaris An, 121;. cées contre les Grecs, par le Légat Pélage- Innoc. epifi. Acrop. c, 17- Sabell. I. 8. Du Cange, hifi. I. 1, c 18. Fleury , hifi. ecclef, 1. 7 > 31.  Henri. Lascaris An, 1213, * T02 HlSTOlRB Grecs, que la couleur d'écarlate étoit réfervée a 1'Empereur. C'étoit 1'annonce de la conduite hautaine que Pélage alloit tenir. II débuta par des menaces contre tous ceux qui oferoient refufer obéiffance a 1'Eglife Romaine , & fe montra armé de tous les foudres qu'allume un zele fougueux & précipité. Les Moines furent jettés dans des cachots , les Prêtres chargés de fers, les Eglifes interdites & fermées. II falloit, fous peine de mort, reconnoitre le Pape pour chef de 1'Eglife univerfelle, & faire mention de lui au faint facrifice. Ce procédé tyrannique , qui employoit, pour établir la vérité, les armes qui ne conviennent qu'au menfonge, mit en allarme tous les Grecs de Conftantinople'. Le Prince lui-même fembloit favorifer la :onduite du Légat, en lui prêtant fon ?ouvoir pour 1'exéciuion de fes orires fanguinaires. Cependant les prin:ipaux d'entre les Grecs, qui avoient Sprouvé plus d'une fois la bonté naurelle de 1'Empereur , vinrent fe jeter k fes pieds: » Seigneur, lui dirent> ils, en nousfoumettant a votre Ma■ jefté, nous vous avons rendu mai» tre  ov Bas-Empi&e. Liv. XCVI. 193 » tre de nos corps; mais nous n'avons » pu vous donner 1'empire fur nos » ames, ni fur les chofes fpirituelles ; » elles font dans la main de Dieu. » Nous avons changé d'Empereur, » mais non pas de nation , ni de Pa» triarche. Nous fommes obligés de » marcher fous vos enfeignes, dans » les guerres qu'il vous plaït cPentre» prendre ; mais il ne nous eft pas » permis de renoncer k nos loix re» ligieufes. Délivrez-nous donc des » maux dont on nous afflige, ou per» mettez-nous d'aller chercher un afy» le dans les lieux ou notre Eglife eft » en liberté ». L'Empereur, pere de tous fes fujets , a quelque Eglife qu'ils fuffent attachés, vouloit qu'ils fuffent également heureux fous fon regne, comme il en vouloit être également fervi. II fe repentit de fa condefcendance; & en dépit du Légat, il fit rouvrir les Eglifes, tirer des fers Sc des prifons les Prêtres & les Moines , & calma Porage dont Conftantinople étoit agitée. Mais dès les premières menaces de perfécution , un grand nombre de Prêtres Sc de Moines ayant pris l'allarme, s'étoient réfugiés au- Tornt XXI. I Henri. Lascaris An. iitf.  Henri. Lascaris An. 1213. An. 1114. XLI. Guerre ' de Henri I & de Laf- ^ ca ris. Acrop. c. I 15,16. ( Vu CanF , kift. 1. 1 11 t. 19. 1 t F F n d P a 8 *94 / S T O I H £ prés de Lafcaris, qui donna retraite aux Moines dans les monafteres de fa domination, & placa les Prêtres, les uns dans le Clergé de 1'Eglife patriarchale de Nicée, les autres dans i'autres Eglifes, ou ils trouverent la ubfiftance & la liberté. II y avoit long-remps que la treve :onclue avec Lafcaris, prés de Niumédie , étoit expirée ; & le Prince ^rec ne laifFoit pafFer aucune occaion d'attaquer les Francois répandus n Natolie. Ce n'étoient cependant [ue des rencontres de partis. La baadle d'Antioche, ou Lafcaris, déja 'aincu, avoit enfin, contre toute ef'érance, remporté la vidoire, I'avoit élement afFoibli, qu'il n'étoit pas en fat de tenir la campagne. L'animoté mutuelle tenoit lieu de déclaraon de guerre; & les Grecs, toujours lus cruels, paree qu'ils étoient les lus foibles , traitoient avec inhumaité ceux qu'ils pouvoient furprenre. Pour rabattre leur audace, Henri affa 1'Hellefpont avec une puifFante •mée; & ayant traverfé la Troade : la Myfie, fans trouver d'obffacle, marcha vers la frontiere de Bithy-  du Bas-Empire. Liv. XCVI. 195 nie. II s'empara fans peine de Pémanene ; mais Lentianes ibutint le fiege pendant quarante jours. Les canaux qui portoient l'eau a la ville, & tous les paffages des vivres ayant été coupés , les habitants & les foldats de la garnifon, réduits k une extréme famine , fe firent une miférable reffource des cuirs de leurs boucliers & de leurs vêtements. Lorfque les machines de 1'Empereur eurent ouvert une large breche , ils la boucherent d'une prodigieufe quantité de bois qu'ils enflammerent, & chacun en apportant, fans épargner ni les arbres de fes jardins, ni les meubles de fa maifon , eet incendie leur tint lieu de toute autre défenfe. Enfin , la ville fut forcée , & le vainqueur irrité d'une fi opiniatre réfiftance , fortit de fon caraöere : il fit mourir les trois hommes , qui, par leur valeur autant que par leur naiffance, méritoient le plus d'être épargnés. C'étoient un frere de Lafcaris, peut-être le brave Conftantin ; Dermocaite, Commandant de la garnifon , & Andronic Paléologue , qui avoit pour femme Irene, fille de Lafcaris, Revenu enfuite de fa colere, I ij Henri. Lascaris An. 1114.  Henri. Lascaris An. 1214. XLII. Paix avec Lafcaris. Acrop. c. 15. De Gui- ( pies , hifl. des Hum, 1 4 11. j i r d I; 196 HlSTOlRE non-feulement i! fit grace aux foldats de la garnifon, il les incorpora même a fes troupes , leur donnant pour chefs des Officiers de leur nation dont il avoit éprouvé la fidéhté, & mit k leur tête, pour Général, GeorgeThéophilopule, qu'il chargea de la défenfe de tout ce qui appartenoit en Oriënt a 1'Empire Francois. Content de s'être ainfi vengé des hoftilités de Lafcaris, qui n'ofa s'expofer a la rencontre d'une armée fi fupérieure^ a fes forces , 1'Empereur, après s'être avancé jufqu'a Nymphée, reprit le chemin de Conftantinople. Lafcaris demanda la paix, &n'eut pas de peine k 1'obtenir de Henri, qui fe reprochant d'avoir trop long:emps fouffert les fanglantes infultes le Michel d'Epire, fongeoit alors féïeufement a le réprimer. II paroït, >ar ce traité, que le Prince Grec ivoit 1'avantage fur le Francois, en ait de négociations politiques. L'Emereur Francois retenoit pour fa part i Myfie jufqu'a Calame,qui devoit emeurer inhabitée , pour marquer 1 frontiere des deux Empires. II laif-  nu Bas-Empire. Lhi XCFI. 197 foit a Lafcaris tout le pays, depuis laplaine de Cilbiane, prés de Sardes , jufqu'a Nicée; ce qui, outre cette grande cité , renfermoit Pergame , Prufe , & plufieurs villes confidérables : en forte que cette paix ne fut pas moins avantageufe au Prince Grec, qui n'avoit ofé combattre, que ne 1'auroit été une vidoire. II paroit qu'on doit rapporter au temps qui fuivit cette paix, un événement qui ne fe trouve que dans les Auteurs Arabes. Lafcaris, furpris par des Turcomans , fut conduit au Sultan d'Icöne. C'étoit alors Azzeddin Kaikaous, fils de Gaïatheddin. Le Turc, pour venger la mort de fon pere, tué par Lafcaris , dans la bataille d'Antioche, ordonna d'abord de lui öter la vie. Le Prince Grec fut fi bien Padoucir par la promeffe de lui payer une riche rangon , & de lui céder des villes &C des chateaux, qu'il obtint fa liberté: mais lorfqu'il 1'eut recouvrée, il s'embarraffa peu de tenir parole. L'année fuivante 1115 n'eft remarquable que par la célébration du quatrieme Concile de Latran, douzieme des Conciles généraux, oh fe trouI fij Henri. Lascaris Kn. 12.14. An. 1215. XLIII. Concile deLatran,  Henri. Lascaris An. 1215. Innocent. /.ii, epifi. 30. Godefridi , tnonachi, f/ir. Monttc. ( Mtijp.od. ] chron. Alberic. < «Ar. j Stero. chr. Rhamnuf. ' /.J. t Annal. j. .Seri. , Btfivius. J Doutrem. t l- ï', 4- I, js7/ar. us peine d'excommunication & de épofition. Pour fatisfaire les peuples e diverfes langues, qui ne s'accoroient pas enfemble fur les rites & ■s cérémonies , quoiqu'habitants du  du Bas-Empire. Liv. XCFl. 199 même diocefe & de la même ville, on ordonna que les Evêques établiroient en faveur de chaque nation, des perfonnes capables pour 1'inftruire, lui célébrer 1'ofïice divin, & lui adminiflrer les Sacrements, felon fon rite & dans fa langue; mais on défendit de mettre deux Evêques dans un même diocefe. Cette différence de langage 6c d'ufage religieux ne changeant rien dans Peffentiel de la croyance 6c du culte, tous les fideles d'un diocefe devoient compofer le même corps, & fe réunir fous une feule tête. Telles furent les décifions du Concile de Latran a 1'égard des Grecs unis a 1'Eglife Romaine. Quant aux fchifmatiques, dont les uns vivoient fous 1'Empire de Lafcaris, les autres dans les Etats de Henri, qui leur laiffoit liberté de confcience, ils continuerent de reconnoitre pour Patriarche celui qui réfidoit a Nicée. A Michel Autorien , mort en 1112. avoit fuccédé Théodore Irénique; & celui-ci n'ayant vécu jufqu'en 121 5 eut pour fucceffeur Maxime II. C'étoi un Moine, qui ne dut fon élévatioi qu'aux intrigues des femmes de L I iv Hebri. Lascaris An. 121$. » 1 l  Henri. Lascaris An. liij, An. 1216. XL1V. Mort de Wichel, Prince d'Epire. Acrop, c. Dti Canpe. W. Li, C 21. < 1 i i l I n n ei ti cl ni fa Cour dont il étoit devenu 1'idole a force de les adorer. Mais il ne jouit q«e peu de temps du fruit de fes Iongues complaifances; il mourut au mois de Decembre de Ja même année, & fut remplacé par Manuel Charitopule, furnommé le Philofophe. Pendant qu'Innocent s'occupoit du mamtien de la foi & de la difcipline, Henri, déüvré d'inquiétude de ^Part,>de,Lafcaris' {e Préparoit a chatier 1 infolence de Michel d'Epire, & Je Defpote, de fon cöté, fe dif30ioit a foutenir la guerre contre tou:es les forces de 1'Empire. Ce Prince ,faifant reflexion aux dangers qu'il iHoit counr, &portant fa haine conre les Frangois au-dela des bornes de a vie, voulut s'affurer d'un fuccef:ur capable de maintenir par fa vaïur la principauté qu'il avoit établie n avoit d'enfants malles qu'un fils aturel, auquel il avoit donné fon om. Mais foit que ce fils füt encore 1 bas age, foit que Michel ne compt pas affez fur fa capacité, il ne le 'Oiiit pas pour lui fuccéder; & Ce ■ fut pas fans doute a caufe du déM de fa naiffance , puifqu'il n'en  nu Bjs-Empjrb. Liv. XCVI. 201 avoit pas lui-même une plus honnête. 11 jetta les yeux fur fes propres freres, fils légitimes de fon pere Jean Sébaftocrator. Ils étoient trois, Théodore , Conftantin & Manuel. L'aïné lui donnoit de grandes efpérances. Ce jeune Prince s'étoit attaché au fervice de Lafcaris, & fe diftinguoit par fon génie & par fa bravoure. Michel le demanda a 1'Empereur Grec, qui confentit a regret a le laiffer partir, après en avoir tiré ferment de lui être fidele, ainfi qu'a fes fucceffeurs. Michel regut Théodore avec joie , & lui laiffa fes Etats plutót qu'ils ne s'y attendoient Fun & 1'autre. Le Defpote fut peu après affafïiné dans fon lit, a cóté de fa femme, par un de fes domeftiques ; & Théodore entra en poffeffion de 1'Epire & de 1'Etolie. Non moins hardi ni moins entreprenant que Michel, il y ajouta bientót de nouvelles conquêtes. Ennemi de tous fes voifms, il enlev^ aux Bulgares, Acride & Prilepe; aiu Vénitiens, Duras & Albanopolis. Ce: deux dernieres villes étoient fiefs d< 1'Empire ; & 1'Empereur , pour le arracher de fes mains, marchoit k l l v Henri. Lascaris !V,n. 1216. k  Henri. Lascahü An. 1216 XLV. Mort de Henri. Chron. Alüff. Chron. Agulfc. PhilMoufkes. Doutrem. ?- 4 , c. 4 , 5- Du Cange, hifi. I. 2, r. -'.I. j i 1 I 1 l t fl 202 II1 S T O I r e tête d'une armée, & étoit déja a Theffalonique, lorfqu'il fut arrêté par la mort, le n Juin, dans la quarantecinqmeme année de fon age, & Ia dixieme de fon regne. ' La plupart des Hiftoriens ont écrit qu il mourut de poifon. Les uns chargent de ce crime fa propre femme, qui, en 1'époufant, apporta, dit-on , dans fon cceur Ia haine mortelle que Ion pere Joannice lui avoit infpirée contre les Francois. D'autres en accuent les Grecs, qui, felon eux, ne fin pardonnoient pas d'avoir d'abord prete faveur aux procédures violentes du Légat Pélage. Cependant ce prince, auffi bon que vaillant, avoit durant tout fon regne, traité les Grecs avec Ia même douceur que fes au■res üijets. II les avoit affranchis de a perfécution du Légat. Plus indul;ent a leur égard que ni Baudouin ii Ie Marquis de Montferrat, il les voit admis dans fa Cour, dans les nagiftratures, dans les emplois mitaires. II écoutoit leurs plaintes avec onte , & leur rendoit jufiice. Ils 'ouvoient en lui un proteöeur afiré contre 1'oppreffion & 1'infolen-  du Bas-Empire. Liv. XCVL 203 ce , qui n'eft que trop naturelle a une nation conquérante ; en forte qu'on ne peut imputer ce crime aux Grecs , fans les accufer de la plus monflrueufe ingratitude. II eft vrai que 1'hiftoire nous montre, par de funeftes exemples, que les bienfaits des Princes ne les ont pas toujours mis a couvert de ces horribles attentats ; mais il n'eft pas moins vrai qu'il eft affez ordinaire de foupconner du crime dans Ia mort des grands Princes, comme s'ils devoient être immortels, paree qu'ils femblent avoir mérité de 1'être , 5c que la nature ne fe fut pas réfervé fur eux le même empire que fur le dernier de leur* fujets. Henri ne laiffoit point d'enfants de fes deux femmes. II eut un< fille naturelle , qu'il donna en maria ge a Sthlave, Prince de Mélénique öc parent d'Afan, Roi des Bulgares Mélénique étoit une forte place ei Bulgarie, oü Sthlave fe maintenoi dans 1'indépendance, fans reconnoi tre ni les Rois des Bulgares, ni les En pereurs de Conftantinople; redout des uns 8c des autres, qu'il favorifo ou qu'il combattoit tour-a-tour, ff I vj Henri. Lascaris An. 1116. • t l- é it  Henri Lascaris An. i2i6. 204 H 1 S T O I R E, &c. Ion fes intéréts. L'Empereur, en lui donnant fa fille, 1'honora du nom de Defpote, fans le rendre ni par ce titre ni par fon alliance, plus dépendant de 1'Empire,  20J S O M M A IRE d v L1VRE QUATRE-VINGT-D1X-SEPT1EME. I. Pierre de Courtenai, Empereur. u. Pierre couronnt par le Pape. III. Le nouvel Empereur prifonnier. IV. Mouvements du Pape, pour la délivrance du Légat & de 1'Empereur. V. Mort de Pierre de Courtenai. VI. Mort de l'Impératrice Yoland. Vil. Robert Empereur. VIII. Robert en Hongrie. IX. Affaires de 1'Eglife de Conftantinople. X. Premières aclions de Robert. XI. Paix avec Lafcaris. XII. Mort de Lafcaris. XIII. Vatace fuccede d Lafcaris. XIV. Mécontentement des freres de Lafcaris. XV. Le Defpote dÜEpire recommence la guerre. XVI. Lettre eTHonorius au Defpote d'Epire. XVII. Le Defpote prend le nom £ Empereur. xvm. Mouvements du Pape en faveur de Démétrius. XIX. Bataille de Pémanene. XX. Suites de la^ bataille. XXI. Andrinople fe livre d Théo-  iOÓ S O M M A I R E dore ctEpire. XXII. Conjuration contr* Vatace. XXlir. Démétrius tente en vain derecouvrer Theffalonique. xxiv. Im* po/leur qui fe dit Baudouin. xxv Succes de Cimpofture. xxvi. Dêcouverte de limpoflure. XXVII. Prifi & punition de Cimpofteur. XXVIII. Simon , Patriarche de Conftantinople. XXIX Amourfunefte de Robert. xxx. Hornble traitement fidt d la femme ou la concubine rLairy , hifi.eccl.1. C 78 , art. 1. £ r. ti term, fe trouvoit préfent: le nouvel Empereur lui donna des marqués de faveur, en lui conférant 1'irtveftiture du Royaume de Theffalonique , tant en fon nom, que comme ayant la garde & la tutelle de jon frere Démétrius. Le Pape, k 1 exemple de fon prédéceffeur Innocent, le déclara protefteur de ce jeune Pnnce, ainfi que de fa mere 1'Imperatnce Marguerite , k laquelle il donna le privilege de ne pouvoir être exeommuniée par aucun Evêque, fans I autorité du Saint-Siege. Honorius, des fon entrée au Pontificat, n'étant pas encoo-e inffruit de la mort de Henri, avoit écrit è ce Prince & au Patriarche Gervais. II exhortoit le Patriarche k conferver 1'union avec II Empereur, fans préjudice des droits de 1'Eghfe. Après le couronnement, il hu fit une forte d'excufe, & lui manda qu'il n'avoit nullement prétendu donner atteinte k fes droits; maïs qu'il n'avoit pu réfifter aux vrves inftances de 1'Empereur, & que  du-Bas-Empire. Liv. XCFIL 215 d'ailleurs il avoit penfé qu'il étoit expédient a la tranquillité de 1'Empire de ne pas différer le couronnement. Neuf jours après , Pierre partit de Rome avec fa femme, fes filles & toutes fes troupes. II envoya devant lui k Conftantinople fes enfants, & fa femme qui étoit enceinte. Arrivé a Brindes, il y trouva le Cardinal Jean Colonne, qui devoit 1'accompagner en qualité de Légaj du SaintSiege. Une flotte Vénitienne le tranfporta devant Duras, qu'il avoit promis de remettre aux Vénitiens, fur lefquels Théodore d'Epire venoit de s'en emparer. II tint cette ville affiégée plufieurs jours; mais fans fuccès, & avec beaucoup de perte. Selon quelques écrivains , il fut défait & pris dans une fortie ; felon d'autres, il fut tué dans le combat: d'autres enfin rapportent que Théodore ayant feint de fe rendre , 1'attira dans la ville peu accompagné, & i'affaffina au milieu d'un feflin. Ces deux dernieres opinions font démenties par les lettres d'Honorius, qui follicite les Rois & les Princes de s'intéreffer a la délivrance de Pierre. Je fui- Pierre de Cour* TEN AI. Lascaris An. 1217. III. Le nouvel Empereurprifonnier. Honor. cpifl. Acrop. c. 14. PA. Moufk:s. Monach. Altiff. Jordani chr. Chr. Foffape & des Francois. Les Vénitiens, ' rretes par les menaces des cenfures, irent avec Théodore une treve de inq ans; & le Cardinal, au fortir de ï pnlon , oü la confidération du Pae lui avoit procuré un traitement oux & humain , continua fon voyae a Conftantinople. II y réforma plueurS abus. Geoffroi, Prince d'Aiaie, Sc Othon , Seigneur d'Athees, accufés d'avoir envahi les biens is Eglifes , Sc frappés d'excommuication par Ie Patriarche , en avoient >pellé au Saint Siege. Le Légat fe dé-  nu Bas-Empire. Liv. XCVll. 221 elara d'abord en leur faveur, & prévint Honorius, qui en écrivit au Patriarche , & le menaga même de le dépofer, s'il continuoit d'abufer de fon autorité. Mais le Pape ayant enfuite reconnu qu'on I'avoit trompé , ainfi que le Légat , & que ces Seigneurs avoient été juftement excommuniés , confirma la fentence du Patriarche. Pendant Pabfence de Pierre, le gouvernement fe trouvoit entre les mains de 1'lmpératrice Yoland : il y demeura le peu de temps qu'elle lüi furvécüt. Prefque au moment de fon arr ivée, elle étoit accouchée d'un fils, qui fut nommé Baudouin , comme fon oncle maternél. On ne fait rien de la régence de cette Princeffe, finon qu'elle confirma 1'alliance faite cinq ans auparavant avec Lafcaris , & que pour la reflerrer par des nceuds plus étroits, elle lui donna en mariage Marie, la troifiemede fes filles. Yoland mourut peu après , laiflant de fon mari onze enfants : quatre garcons; favoir Philippe , Comte de Namur ; Robert, qui fuccéda a fon pere dans 1'Empire; Henri, qui fut Marquis de • K iij Pierre de Cour- tenai. Lascaris An. ia;S. An. 12.19. VI. Mort de rimpératrice Yoland. Honorii epifi. Acrop. c. 14 , 18. Gregor. /. I,e.4. Ph. Uoufkes:Alberic. chr. Monach. Altiff. Nar.gis :hr. Doutrcm, '■5,«.5. Du Can- r?, hifi. 1. l , c. 28. r 3. c. li  Pierre de Courten ai. Lascaris An. mg. VII. Robert Empereur, 222 H I S T 0 1 R £ Namur après fon ainé; & Baudouin au berceau, qui fuccéda dans la fuite a Robert fon frere. Les fept filles furent Yoland , femme d'André , Roi de Hongrie; Agnès, qui époufa Geoffroi, Prince d'Achaïe; Marie, donnee en mariage k Lafcaris; Marguente a Henri, Comte de Vianden ; Ifabelle , en premières noces a Gaucher, fils de Milon, Comte de Barfur-Seine; & en fecondes noces k Endes de Montaigu ; Sibylle , qui fut Rehgieufe; & une feptieme, dont le nom eft ignoré, qui époufa Raoul, Seigneur d'iffoudun : poftérité nombreufe, dont on ne raconte rien de plus mémorable que d'avoir furvécu toute entiere a ceux qui lui avoient donné le jour. La fuccefïion a 1'Empire regardoit Philippe, 1'aïné des fils du Prince défunt. Comme il réfidoit dans fon Comté de Namur, on lui députa une ambaffade. En attendant fon arrivée , les Seigneurs affemblés déférerent la régence k Conon de Béthune , que 1'Empereur Henri avoit coutume de laiffer k la tête des Confeils, lorfqu'il étoit obligé de s'abfenter de Conftan-  nu JBas-Emukë. Liv. XCV1L 223 tinople. Cet illuftre guerrier, refte précieux des héros de la conquête, auffi recommandable par fa conduite dans les affaires de 1'Etat, que par fon habileté & par fon courage dans la guerre, étoit peut-être le feul qui eüt pu foutenir 1'Empire Francois. Philippe, invité par les Ambaffadeurs a venir prendre poffeffion de fes droits, préférant la jouiffance affurée d'un domaine médiocre, a un Empire flottant & environné d'ennemis, s'excufa d'accepter la couronne : il leur offrit en fa place Robert, fon frere puiné; & fur Favis du Roi de France, Louis VIII, qu'ils confulterent, ils emmenerent avec eux ce jeune Prince. Pendant ce temps-la, il ne fe paffoit k Conftantinople rien qui fut digne d'un Gouverneur tel que Conon. II n'eut a exercer que fa patience & fon talent de concilier le< efprits. II s'étoit élevé de grands débats entre le Clergé & la Nobleffe Les Eccléfiaftiques, toujours mécontents des bornes dans lefquels on avoii refferré leurs droits & leurs pofTeffions au commencement de la conquête , faifoient fans ceffe effort poui K tv; Robert. Lascaris An, 1219.  Robert. Lascaris An. 1219, < I 3 1 < i 1 i F f a —-— A An. 1220. f( VIII. Roberten 5 ïlongrie. " Acraf. c. n; 20. PA. Af™/- P' *«. gl Dandul. ij] eAr. ^ Sabelt. 1.9. S' 224 H I S T Q I R E lesétendre LesNobles, enrichis desdepouilles de 1'ancien Clergé , cherchoient phitöt a les accroïtre qu'a en nen relacher. De-la des chicanes , des conteftations, des entreprifes con' tinuelles. On s'afFembla de part & J autre pour mettre fin è ces quereles. Le Cardinal Jean Colonne , Lé?at du Samt-Siege, préfidoit au Cler;e; Conon étoit k la tête de la No>!effe On arrêta enfin des articles de onciliation, qui furent fignés de part * d autre. II parou que le Clereé y emporta 1'avantage , & qu'on y déogea en quelque partie au réglement nmitit. II fut convenu , que les Egü?s cathedrales rentreroient en pof?öion de tous les biens dont elles ijoient joui fous le regne du premier lexis Comnene. L'année fuiyante fe pafFa prefque mte entiere en apprêts pour le voya' de Robert. Dans les ames languifntes & frivoles, le temps des oréiratifs dévore celui des affaires. II trtit a la fin de l'année, accompa>e des Ambaffadeurs de Conffantino* e. II pnt fon chemin par 1'Allemaie, & arriva en Hongrie, oü il pafFa  du Bas-Empirb. Liv. XCFli. 225' i'hyver dans les fêtes que lui donna André fon beau-frere. Ce Prince avoit une fille d'Yoland, fceur de Robert: il en fit alors le mariage avec le Roi des Bulgares. C'étoit Jean Afan, fils \ du premier Afan, qui, conjointement 1 avec Pierre fon frere, avoit foulevé les Bulgares contre les Grecs. Les deux freres ayant régné enfemble, Pierre, qui ne furvécut que peu de temps, avoit eu pour fucceffeur fon troifieme frere Joannice. Quoiqu'Afan eüt laifTé un fils; cependant, comme il étoit encore en bas age , & que le nouveau Royaume , pour fe (outenir contre les Grecs, avoit befoin d'un maitre plein de vigueur, les Bulgares avoient préféré Joannice, égal en valeur a fes deux freres. Après la mort de ce dernier, qui ne laiffoit point de fils, la couronne appartenoit a Jean Afan , unique rejettön male de cette courageufe familie. Phrorilas, qui n'y tenoit que par fa mere , fceur des trois freres , s'en empara ; & Jean, alors agé de quinze ou feize ans, fe fauva chez les Ruffes , oir il trouva non-feulement un afyle , mais encore un puiffant fecours pour réK v Robert. i-ascaris \.a, 1220. Du Cange, ijl. I. 3 , . 2.  Robert Lascari An. 1220 An. 1221 IX. Affaires del'EgliiV de Conftantinople. Honor. •P'fi. Danduli chron. Albcric, chr. Sabell. I. 8. Raynald. Du Cange, hifi. 1. 3- 2.3- - FUury, hifi. ceclef. 1-7$, ttrt. 'O. ~ï6 HlSTOIRË ' couvrer 1'héritage de fon pere & de ; fes oncles. II rentra en Bulgarie a la , tête d'une armée, & défit Pufurpateur, qui fe renferma dans Ternove. C'étoit une place imprenable , s'il étoit rien qui put réfifter a une conftante opiniatreté. Ce ne fut qu'après fept ans de fiege que Phrorilas fut forcé de fe rendre. Afan lui fit crever les yeux. Par fon mariage il devenoit allié du nouvel Empereur. Robert, enfin arrivé k Conftantinople , fut couronné le 25 Mars par les mains du Patriarche Matthieu, qui venoit de fuccéder a Gervais. Après la mort de Gervais, le Clergé, auffi peu d'accord fur l'éleöion du fucceffeur, qu'd I'avoit été dans les deux élecfions précédentes, avoit tenu la même conduite. Après beaucoup de conteftations, il s'en étoit rapporté au Pape, qui avoit nommé Matthieu, alors Evêque ó?Equilium , dans 1'Etat de Venife. Le Pape n'avoit pas été content de Gervais, trop hardi k entreprendre fur fon autorité. II ne le fut pas davantage de Matthieu, dont la négligence de fes devoirs, le peu d'égards aux ordres du Pape & aux droits  du Bas-Empire. Liv. XCVU. a*f a,i <\i',nt.^\p S. t 1 t s t >ee ït t-  Robert. Lascaris An. 1222, 234 // I S T 0 r & E treditxm grand Prince , capable, par es efforts de fon courage, & par ies refforts de fa politique , d'arrêter au milieu de fon cours, le torrent qui venoit fubmerger la Grece; & la nation lui fut redevable de n'avoir pas été anéantie par la conquête. On lui reproche quelques défauts, trop de promptitude a la colere , trop de penchant a 1'amour, de précipitation dans les entreprifes, de profuiion dans fes übéralités. Mais il eft des vicesheureux dans certaines conjonctures , ainfi que des poifons dans certaines maladies. La témérité & 1 exces de générofité dans Lafcaris contnbuerent a fes fuccès. Outre fes trois filles , dont je viens de parler, Albénc lui en donne une quatrieme mariée au Duc dAutriche. II avoit eu d'Anne deux fils, qui moururent en bas %e, & de Philippa d'Arménieunfils, nommé Conftans, Wde huit ans au temps de la mort de fon pere , & dont 1'hiftoire ne parle plus. Marie, derniere femme de Lafcaris mourut peu de temps après lui, fans' ivoir eu d'enfants. Théodore Lafcaris laiflbit quatre  du Bas-Empire. Liv. XCF1I. 2.3$ freres, Alexis , Jean, Manuel, & Michel. Jean Ducas Vatace, mari d'Irene fa fille ainée, leur fut préféré, comme il le méritoit par le droit de fa femme , & par fes éminentes qualités. C'étoit un génie du premier ordre , qui joignoit a une valeur héroïque une prudence confommée. Grand homme d'Etat & grand homme de guerre , mefuré dans fes confeils, aftif dans 1'exécution, fans précipitation comme fans négligence, il appercevoit avec juftefle dans les affaires le point de maturité, qu'il favoitpréparer avec patience, & faifir avec promptitude. Marchant d'ur pas afiuré dans fes entreprifes, il er avoit prévu toutes les difficultés , & le moyen de les vaincre; & 1'on peu dire que la Providence , qui vouloi affliger la Grece fans la détruire en core , lui ménagea, dans fes deu: premiers Princes, les reffources né ceffaires pour fe conferver. II falloi d'abord de 1'audace', pour brufque la fougue Francoife, elle fe trouv dans Théodore Lafcaris. Vatace af porta la prudence & une vigueur fou tenue, propre a donner au nouvel En Robert. Vatace. An. mi. XIII. Vaiace fuccede a Lafcaris. Acrop. c. 14- Gregor. I. i, cl. Raynald. Du Cangs , hifi.l.l,'. 4 , /. 56. Idem. fam. Byx. p. 2x2. 1 t t c t r k »- ie -  Robert. Vatace. An. 1222. \ ] ( 3 j I < t t XIV. Mécon- i tente- ment des C freres de j Lafcaris. Acrop, c. 22 , 47. c Grcgor, l. y 2. c. I, ff3Ö H' I S T O I R E pire Grec une affiette ferme & foIide. II étoit originaire de Didymotique. Le nom de Ducas fait conjeo turer que s'il n'étoit pas de cette il iuiïre familie , au moins il y tenoit par les femmes : car , felon la remarque de M. Du Cange, c'étoit alors I'ufage des Grecs , de joindre a leurs noms paternels ceux des grandes families dont ils fortoient par def:endance féminine. Irene Ducas ,femne du premier Alexis Comnene, arolt fait palfer fon nom dans tour es defcendants de fon mariage. Or, fhéodore Vatace, qui paroit avoir :té trifaïeul de Jean , avoit reen pour ëmme une fceur de 1'Empereur Mamel, petit-fils d'Alexis, en récom>enfe de fes fervices, & c'étoit par e mariage que Ie nom de Ducas toit entré dans la maifon des Vaaces. Le couronnement de Vatace caufa eaucoup de joie aux Grecs , qui onnoiffoient fes talents fupérieurs ; iais il alluma une jaloufie mortelle ans les freres de Lafcaris. Les deux adets, d'un cara&ere plus doux, déorerent leur chagrin, & demeure-  du Bas-Empire. Liv, XCFII. 237 rent a la fuite du nouveau Prince. Mais Alexis &c Ifaac ne pouvant fouffrir pour maïtre un homme qu'ils regardoient comme au-deflbus d'eux , prirent le parti de quitter la Cour, & fe retirerent fecretement a Conftantinople , auprès de 1'Empereur Frangois, auquel ils infpirerent leurs fentiments de haine & de mépris. Ils avoient tenté d'enlever avec eux leur niece Eudoxie , pour la mettre entre les mains de Robert, k qui elle avoit été promife. Mais Vatace rompit leurs mefures , & retint la PrincefTe. II confentit dans la fuite k fon mariage avec un Seigneur Frangois , qui ne pouvoit lui donner d'ombrage. Ce fut Anfeau de Cahieu , Régent de 1'Empire Frangois après la mort de Jean de Brienne. L'animoiité des deux Princes fugitifs fe communiquoit k 1'Empereur Frangois , & le difpofoit k la guerre contre Vatace. Mais un ennemi plus voifin lui donnoit de plus vives inquiétudes. Dès que Théodore d'Epire eut détourné 1'orage dont il étoit menacé du cöté d'üccident , oubliant auffi-töt ce qu'il devoit au Pape, & Robert. Vatace. An. 1222. Raynald. Du Caage , hi(l. I. 3. c. 4. Idem. fam. 2lS. XV. Le Defpote d'Epire recommeiicela guerre. Honor. epifi. Acrop. r. 21. Gregor. h 2. c. 2*  Robert. Vatace. An. 1222. P.achym. I, i, c. 30. /. 2, c. 26. I?u Cange, hifi. I. 3, /Sm. 1 ƒ>. 207. Raynald. i I I 1 < 1 1 I t XVI. Lettre «THonorius au > Defpote , d'Epire, 23S II I 3 T 0 I R 3 le traité qu'il venoit de conclure avec les Vénitiens, il recommenga fes hoftilités; & n'épargnant ni 1'Empire, ni les Vénitiens , ni le Royaume de rheffalonique , il porta fes armes de ïoutes parts. Tout étoit en allarmes. Le jeune Démétrius, tremblant pour a perfonne , 6c mal confeillé , quitta rheffalonique, qu'il auroit du déendre, pour aller demander desfe:ours en Italië : Robert implora la >roteöion du Pape. Le Pape écrivit i Robert pour le raffurer; aux Barons tour les exhorter a la concorde, & l Théodore pour 1'engager a la paix. ia lettre a ce dernier Prince, datée lu 16 O&obre, mérite d'être rap>ortée : c'eft un modele de réprinande pleine de force; mais temtérée par une charité vraiment paforale. » Quoique vous nous ayez fait ^ > dit-il, un fanglant affront è nous ' & a 1'Eglife Romaine, en portant des mains facrileges fur un Cardinal Prêtre, le bon traitement qu'il a recu de vous dans fa captivité, & les honneurs que vous lui avez rendus en le mettant en liberté,  ru Bjs-Empire. Liv. XCVI1. a$ereurs; Robert a Conftantinople ; Vatace  du Bjs-Empire. Liv. XCFII. 241 Vatace a Nicée ; Théodore a Theffalonique ; fans compter Alexis Comnene, qui régnoit a Trébizonde avec la même autorité, & dont 1'arrierepetit-fiïs s'arrogea le même titre, fous le regne de Michel Paléologue. Théodore triomphoit en Theffalie, & Démétrius, dépouillé de fes Etats, imploroit a Rome la miféricorde du Pape. On fe préparoit alors a une croifade, & le Pape employoit tous fes efforts pour en faire tomber les premiers coups fur Pufurpateur. II écrivit dans tous les Royaumes, pour engager les Princes & les peuples a commencer par rétablir Démétrius & a fe ranger pour eet effet fous lei étendards du Marquis de Montferrat. qui armoit en faveur de fon frere, Cette conquête, difoit-il, devoit faciliter celle de la Paleftine, en délivrant 1'Empire de Conftantinople d'un ennemi qui 1'empêchoit de prêter fes forces a cette fainte entreprife. C'eft ainfi que 1'expédition dt h Terre-Sainte fervoit de prétexte ï toutes les autres; & toutes les guerres devenoient des croifades. Le Pape ouvroit fes tréfors au Marquis: i Tomé XXL L RüBERT„ Vatace. An. 1223. XVIII. Mouvements du Pjpe , en faveur dc Démétrius.  Robert. Vatace. An. 1223. An. 1224. XIX. Bataille ie Pémanene. Acrop, c. 22. Gregor, 1, . 2 > c. i. , Ph. Moufkcs. 1 Albcric. j thron. hifi. I. 3 , 1 e> 6. c i c f V 242 IIlSTOlRB exhortoit les Archevêques, les Evêques , le Clergé de Romanie, a contribuer de la moitié de leurs revenus, fur Ie ferment que donneroient les deux freres de reftituer ces avances après le fuccès. II n'épargnoit pas plus fes anathêmes a Théodore, que les indulgences aux Croifés. Toute l'année fe paffa en ces divers mouvements, tandis que 1'Empereur a Conftantinople fe préparoit a la guerre :ontre. Vatace. A la nouvelle de la prife de Theffalonique, Robert, allarmé des rapides progrès de Théodore, avoit envoyé de ce cöté-la un grand corps ie troupes, fous la conduite de Thier•i de Valincourt & de Nicolas de Wainvaut, Maréchal de Romanie. Ils nirent le fiege devant la ville de Seres. Mais 1'Empereur avoit réfervé fes dus grandes forces pour aller atta[uer Vatace. La mort avoit enlevé k Empire la plupart des héros de la onquête. Conon de Béthune pere &z Is, Payen d'Orléans, Pierre de Braheux, 1'honneur des armes Francoi;s, ne vivoient plus, & n'avoient oint laifle de fuccefleurs, Le mérite  nu Bas-Empire. Liv. XCFII. 24$ militaire étant évanoui ou méconnn, Fintrigue fit les Généraux. Robert mit k la tête de fon armée les deux Laf¬ caris, qui ne ceffoient depuis deux ans de Pexciter a la guerre. Ces Princes avoient plus d'animofité, mais beaucoup moins d'habileté & de courage que 1'ennemi qu'ils alloient combattre. Ils pafferent PHellefpont, &C ayant débarquéa Lampfaque, ils avancerent dans le pays dont 1'Empereur Henri avoit fait la conquête. Vatace , qui ne fe faifoit pas long-temps cbercher, vint a leur rencontre devant Pémanene. Les deux armées fe rangent en bataille; on fe choque avec fureur; la vi&oire eft opiniatrément difputée ; enfin, la valeur Frangoife renverfe les Grecs; la plupart prennent la fuite : tout étoit perdu pour eux, fi Vatace n'eüt arraché aux Francois la viöoire qu'ils avoient entre les mains. Suivi des plus braves de fes Officiers, il rallie les fuyards, leur fait tourner vifage; & marchant k leur tête, il fait fi bien leur prêter fon courage, que 1'épouvante paffe du cöté des Frangois. Les deux Lafcaris font pris; Macaire de Sainte-; L ij Robert. Vatace. An. 1224,  Robert. Vatace. An. 1224, XX. Suites de la bataille. 244 HISTOIR.E Menehoud meurt avec cette valeur qui s'étoit fignalée dans tant de combats; plufieurs autres Chevaliers tombent fous les coups de Vatace. L'armée Francoife eft entiérement rompue & taillée en pieces. Cette bataille porta un coup mortel a 1'Empire Frangois, & releva le courage des Grecs , en leur apprenant qu'ils pouvoient vaincre ceux dont jufqu'alors ils pouvoient a peine foutenir les regards. II eüt été digne de Vatace de faire graceaux vaincus. La colere le rendit crue], II fit égorger les prifonniers: mais il fe contenta de faire crever les yeux aux deux oncles de fa femme. Au bruit de cette défaite, la confternation fe répandit parmi tous les: Frangois. Ceux qui affiégeoient Ser- • r.es, déja fur le point de la prendre,, leverent le fiege; & dans cette retraite , Théodore d'Epire tomba fur. eux, les mit en déroute, & fit prifonnier Thierri de Valincourt & Nicolas de Mainvaut. Vatace profita de fa vicloire ; il reprit toutes les places que FEmpereur Henri avoit cónquifes en'Afie. Elles étoient fans efpé-  nu Bas-Empire. Liv. XCVU. 245 rance de fecours, & la plupart déaarnies de troupes Sc de vivres. 11 fe rendit maitre de Pémanene , de Lentianes, de la Troade, Sc de toute la cöte d'Alie. Quelques villes attendirent le fiege; il les forga en peu de jours. Les incommodités de 1'hyver n'arrêterent pas fes progrès. II avoit déja une flotte en mer; elle s'empara de Lesbos; Sc fans donner a 1'ennemi le temps de fe reconnoïtre, elle defcendit dans la Cherfonnefe, ravagea les environs de Gallipoli, de Madyte Sc les cötes de la Propontide, Tout annoncoit une nouvelle révolution. Andrinople appelloit le vain qyeur, Sc lui demandoit des fecoun pour 1'aider a fecouer le joug des Latins. II fit partir des troupes fous 1< commandement d'Ifès , fon grandEcuyer, Sc de Jean Camyze, qui ayan paffé 1'Hellefpont, marcherent a An drinople. Ils furent regus avec ]ov des habitants, qui chafferent les Fran gois & leur Gouverneur. Le recou vrement d'une place fi importante feu bloit promettre « PEmpereur Gre que la Thrace entiere alloit rentre fous fes loix. Mais Théodore d'Epi L» lij Robert. Vatace. An. 13,24- XXI. Andrinople fe livre a Théodor* , d'Epire. Acrop. c. 24. ; Gregor. I. 2, C. 2. Albéric. ■ chr. . Goiefrid. Monach, " chr. C r  Robert Vatace 246 Hl S T O 1 B. g re, prompt a faifir les occalïons de ; saggrandir, s'empreffoit k recueillir . pour lui-même les fruits du fuccès de Vatace. II étoit déja maitre de tout le pays k 1'occident de 1'Hebre. Mofynople, Xanthia, Graziane, Macra, Didymotique relevée de fes ruines, places ouvertes pour lors , ne lui avoient point réfifté. Arrivé devant Andrinople, il trouva les Généraux & les troupes de Vatace en poffeffion de Ia ville. Les attaquer k force ouverte, c'eüt été déclarer Ia guerre k 1'Empereur Grec, ce qu'il ne croyoit pas conforme k fes intéréts. II employa les fourdes pratiques, qui ne lui réulfilToient pas moins que les armes. Ses émilTaires fecrets perfuaderent aux habitants, qu'ils gagneroient beaucoup a fe donner a Théodore; & que ce Prince, plus généreux que Vatace, récompenferoit leur confiance, en les comblant de biens & d'honneurs. Eblouis par ces promeffes, ils fignifierent aux Généraux de Vatace qu'ils euffent k fortir de la ville, & ceux-ci, hors d'état de tenir tête k un peuple nombreux, qui feroit fecondé des forces de Théodore, con-  du Bas-Empirb. Liv. XCVI1. 247 _ fentirent a fe retirer, a condition qu'il : ne leur feroit fait aucun dommage, & qu'Ifès, le plus qualifié des deux Généraux, fortiroit par une porte oppofée, pour n'être pas obhge de laluer Théodore. Mais Camyze ne put obtenir la même grace; il lui fallut défiler avec les troupes devant les Epirotes, prêts a entrer dans la ville dès qu'il en feroit dehors. Camyze fe dédommagea de cette humiliation, par 1'affront qu'il fit a Théodore. II paffa devant lui fans defcendre de cheval, & même fans le faluer : ce qui piqua fi vivement ce Prince fier, qui prétendoit être reconnu &C honoré de tous comme Empereur , qu'il s'emportaen injures contre Camyze, & leva le baton pour le frapper. Vatace fut gré a Camyze d'avoir ainll foutenu i'honneur de fon maitre; i 1'en récompenfa peu après par la chaise de grand Hétériarque, c'eft-a-di re , Commandant de la garde étran gere. Théodore , maitre d'Andrino ple, fe trouva plus que jamais a porté d'inquiéter les Francois: il ravage tout le pays de leur domaine, éter dit fes courfes jufqu'a Bizye, dor L iv Robert. Vatace, ia, 1224, i a .t  Robert. Vatace. An. 1224, ] < 1 1 ( XXIT. Conji.ra- , tion con- * ïre Vata- e Acrop, c, ^ 23. c E e c £ d m C( fa le & m ec *4» H I S T O I R B ■ il pilla les dehors, & fe montra aux portes de Conftantinople, répandant par tout la terreur. Robert envoya contre lui plufieurs détachements, qui ne purent I'arrêter; & ce fut dans une le ces rencontres, qu'Anfeau de CaJieu , qui époufa dans la fuite Euloxie, cette fille de Lafcaris, aupa•avant deftinée a Robert, recut dans a gorge un coup de lance, dont il lemeura eftropié. Vatace , vainqueur dans Ia guerre ut fur le point de fuccomber k des nnemis domeftiques. Andronic Nefonge, fon proche parent, forma le eliein de lui öter la vie, & de fe lettre la couronne fur la tête. II fit ntrer dans ce noir complot les prinpaux Seigneurs de la Cour, Ifaac fon ere, Phlamule hétériarque, Syna;ne Tarchaniote, beau-frere de Phlaule , Stafene , Macrene , & grand ymbre d'autres , que Vatace avoit 'mblés de bienfaits. II étoit k Lampque ; une flotte Francoife bloquoit port oh la fienne étoit raffemblée, 1'on étoit k la veille d'une bataille vale, lorfque la conjuration fut déuverte, On peut foupconner que  ou Bas-Empire. Liv. XCFIÏ. 249 les conjurés agiffoient d'intelligence avec les ennemis, & qu'ils étoient maitres de la flotte , puifque Vatace, en quittant Lampfaque pour fe retirer dans une ville, que 1'hiftoire nom* me Achiroüs, fit mettre le feu k fes vaiffeaux. Lesinformationsjuridiques mirent au grand jour cette trame criminelle. Tous les coupables furent condamnés k mort; mais Vatace leur laiffa la vie. Ifaac eut les yeux crevés & le poing coupé : ce fut aufli le fupplice de Macrene , convaincu d'avoir plufieurs fois tiré 1'épée derrière 1'Empereur, k deffein de le tuer. On traita les autres avec plus d'indulgence : la plupart ne furent punis que de la prifon, encore ne fut-elle pas perpétuelle. Ce fut en cette occafion que Camyze fut revêtu de la charge de Phlamule. Le traitre Neftonge, auteur du complot, qui afpiroit k 1'Empire par un affafïinat, fut la plus grande preuve de la clémence de fon maitre, & parut encore plus criminel, lorfque Vatace fe fut contenté de lui donner pour prifon la citadelle de Magnéfie. Ón dit même que le Prince, ne pouvant oublies* L v Robert. Vatace. Aji. 1x24.  Robert Vatace An. 1224 2$0 HlSTOIRE qu'il I'avoit aimé, pour lui donner un ' moven de s'évader, ordonna qu'on , lui permit de fe promener librement. Neftonge ne manqua pas d'en profiter; il s'échappa de nuit, & s'enfuit chez les Mufulmans, oü il paffa le refte de fes jours. Cet attentat rendit 1'Empereur plus attentif a fa füreté. II ceffa de donner a tout le monde un libre accès auprès de lui, comme il avoit fait jufqu'alors: il prit des gardes pour veiller jour & nuit autour de fa perfonne. Mais fa garde la plus füre étoit dans la vigilance de 1'Impératrice. Cette PrincelTe, d'un efprit male, & d'une vertu qu'on n'eüt ofé foupgonner, avoit toujours les yeux ouverts, non-feulement fur Pintérieur du palais, mais même fur toutes les parties de 1'Empire. Soutenant avec dignrté la grandeur Impériale, elle favoit defcendre fans baffeffe a tous les détails des foins qui intéreflbient fon époux. La magnanimité de Vatace fit plus que n'avoit fait fa victoire; elle défarma fes ennemis. Les Frangois, naturellement fenfibles aux aclions nobles & généreufes, ne voulant pas être en guerre avec un Prin-  du Bjs-Empire. Liv. XCF1L 251 ce qui forcoit leur eftime, rechercherent fon amitié. Ils lui cederent la fottereffe de Peges, fi long-temps dilputée, & convinrent avec lui de le laiffer en poffeffion de tout le midi, fe réfervant feulement la prefqu uïe qui regarde Conftantinople , depuis la pointe du golfe de Nicomédie jufqu'au Pont-Euxin. Cette paix fe maintint entre les deux Empereurs pendant tout le refte du regne de Robert , & jufqu'a la cinquieme annee de ion fucceffeur. „ Auffi-töt après la bataille de Pe manene, avant que cette paix tu conclue, Robert s'étoit adreffe au fa pe, reffource ordinaire des Empe reurs Frangois. II lui avoit envoy des Ambaffadeurs, pour linftruir du f acheux état de fes affaires, c pour lui demander un prompt fecour Le Pape , qui travailloit depuis der ans a former une ligue de tous 1 Princes Chrétiens, pour recouvrer Royaume de Theffalonique , redo blafes inftances. llfoWicita vivemer par fes lettres , Blanche, Reine France, femme de Louis VIII, J lequelle génie & la vertu de ce ^ L vj Robert. Vatace. An. 1224. : An. 1225. . XX11T. Démé, trius ten- te en vain e de recoa, vrerTheC- faloni5* que. X RonoK -3 Richard de le SanBoGsrH- inano, Raynald. DuCanvc, de hifi l. ï ur 8-tte  Robert. Va ta ce. An, i22j, i ] j i ƒ ƒ c q d h P> Oj d< qi av tai pc La qu 252 HlSTOlRE Princeffe avoit un grand crédit. II I«| reprefentoit quel déshonneur ce feroit pour fon mari, de laiffer perdre lous fon regne cette nouvelle France , conqmfe fous le regne de fon pere. Pendant q„e le Pape fe donnoit cesmouvements, le Marquis de Montferrat etoit en Theffalie. Dès l'année precedente, ce Prince avoit mis fur Jied une puiffante armée pour réta>lir Ion frere fur le tröne de Thefalonique; & comme il fe difpofoit ' partir, il avoit été arrêté par une ongue maladie. Pendant ce temps-la es troupes s'étant diffipées, il avoit JJIu faire de nouvelles levées : & es contre-temps avoient été caufe u d n'avoit pu fe rendre a Brindes, ou d devoit paffer en Grece, qu'è nn de l'année. La faifon n'étant ispropreal'embarquement, on fut 'hge d'attendre au mois de Mars ' lannée fuivante. Dès que le Marlis fut en mer, le Pape en donna is a 1 Empereur Robert, 1 exhorit a profiter de cette diverfion, ur recouvrer fur Vatace ce que (cans avoit enlevé; & ce fut alors S fe donna la bataille de Pémane-  nu Bas-Empire. Lh. XCVIL 253 ne, dont le fuccès ne répondit pas aux efpérances du Pape. L'entreprife du Marquis ne fut pas plus heureufe. Nicolas , Evêque de Rhege, l'accompagnoit en qualité de Légat : les Princes d'Athenes , d'Achaïe , de Négrepont, avoient levé des troupes k la follicitation du Pape, pour 1'aller joindre en Theffalie. Mais la maladie qui avoit retardé fon expédition revint encore le traverfer, & Théodore n'eut pas befoin de le combattre. II mourut au mois de Septembre, laiffant fes troupes fans chef, & fon frere fans efpérance. Les troupes n'ayant nulle confïance en Démétrius , fe féparerent pour retourner en leur pays & le jeune Prince, en qui la capacité ne prévenoit pas les années, abandonna pour toujours le Royaume que lui avoit laiffé fon pere , &c fe retira en Italië. II y paffa triftement le refte de fes jours, & mourut a Meifes en 1130, fans poftérité. Dans le même temps parut un de ces impofteurs , qu'on a vu fi fouvent s'élever fur le théatre du monde : phénomenes trompeurs, qui, Robert. Vatace. \a. 122 5. XXIV. Impofteur qui fe dit Baudouin.  Robert. Vatace. An. 122;. Phil.Mouf. hes. Alberic, chr. Alben. Stad. chr. Godefrid. monac. chr. Monac. SanHi Juliani TuTon. chr. Chr.Fland. c iS. Jacques de Guife , t. ni,c.ii4 €r fea. JEgidius ie Roya , chron. Autarium AquicinB. Matth. Paris. Matth. de Wejlminfl. SanHi An■ton. chr. Paul.Emil. B\ovius. Doutrem. I. 4- c. 17. Du Can"e , hifi. I. 3 - <■ 9- 254 / H l $ T O I P. E après une courte ilkifion, ditparoïfient, laiffant encore Pimpreffion d'erreur dans les efprits crédules. Le bruit fe répandit en Flandres, que plufieurs Seigneurs qui avoient fuivi Baudouin en Grece, s'étoient difperfés après la bataille d'Andrinople , &c qu'ils erroient fous 1'habit de Francifcains ou d'Anachoretes. On difoit même que Baudouin , échappé de la défaite, avoit pris le froc, & qu'il demeuroit caché dans quelque folitude du Hainaut. On crut 1'avoir trouvé dans la forêt de Glangon , prés du bourg de Mortain. Un Gentilhomme du voifinage, prévenu de 1'opinion vulgaire, ayant rencontré un hermite chargé d'une beface, qui alloit a la quête, arrêta les yeux fur lui. II voit un perfonnage d'un air noble & bien fait de taille. II Ie foupconne homme de naiffance , & lui demande fon nom, fon pays, fa familie. II prend fes réponfes pour un déguifement, & veut abfolument que le mendiant foit un Seigneur qui revient de Grece. L'autre a beau protefler que non, & fe retirer a fon hermitage, Ja nouvelle s'accrédite dans le pays : on ne  nu Bas-Empirs- Lh. XCVtt. 155 doute pas que ce ne foit un des Seigneurs de la croifade. On va le vifiter en foule; on le queftionne cent fois; on fait paffer en revue dans les converfations le nom de tous les Seigneurs croifés, pour voir fi, en s'entendant nommer , quelque changement dans fa contenance ne trahira pas fon fecret. L'Anachorete rit de leut curiofité opiniatre. Mais neferur-voui pas Baudouin lui-même? dit un ïdioi de la compagnie. A une queftion i extravagante, 1'hermite change d< couleur , & ne fait quelle pofture te nir. II protefte , en bégayant, qu 1 n'eft ni Empereur , ni Comte ; mai un pauvre homme , fils d'un payia auffi pauvre que lui. On s'obftine croire qu'il eft Baudouin ; on lui trov ve une parfaite reffemblance, quo. qu'il foit d'un demi-pied plus petit & qu'il parle fort mal Frangois , qv Baudouin parloit mieux que perfoi ne. Mais la vieiUeffe avoit fans dou raccourci fa taille , & un long f jour parmi des barbares lui avoit h oublier fa langue maternelle. On p blie donc de toutes parts que Bai douin eft retrouvé. Quelques-uns d Robert. Vatace, An. n-5 l 1 S 1 a » e t- :e it :i1- es  Robert. Vatace. An. i22j. i < < r £ h fi P dt a d fi' ni le d XXV. Succès de j i'impoflu. e d'a nei 25Ó Ai st 01 A.£ Kem/-7S d! !? nobleffe ■ ««refou coumfans de Baudouin, maintenan IS?e, etnne/amie'm^ -e". contents d'obé.r k une femme, per- fuadenta l'hermite de prendre le per- fonnage de Baudouin; qu'il feroitfli;e faccreduerce menfonge; que bien des %*ns fouhattount que ce fut une vêrité- y qu il ne pourroit être démenti , les uns ^yant jamais vu Baudouin, les au- ressimagjnant qu'une longue fuite de jjgraces devou avoir altéré fon vifage. ;e™lfe"b^/e prête enfin a 45- ofture. Onl'inftruit de tout ce qu'il il'oit favoirpour bien jouer fon ro- Enfin, dmonte fur lafcene le Jeudiint, & declare devant un grand peu,e, quil eft leur Comte Baldouin;que fefperede la dêfaite d!Andrinople] il renonce a 1'Empire, & s'eft dêterminê Mdeguijementperpétuel; mais qu'en- nepouvant tenir contre les importul PeS %°Pfidd*sfujets, Ujette ™fque, & fe rend d hu-mêmt & la patrie. On le conduita Mortain. On pleure joie & de compaffion; on ne parle utrecho(eaTourna7,aValencien! * Vn accourt de toute la Fiandre  su Bas-Empire- Liv. XCFII. 257 pour lui faire la cour ; chacun lui offre fes fervices. Le Duc de Brabant A vient en perfonne lui rendre hom- a mage , comme k fon Seigneur. On lui fait une entree royale a Lille, a Courtray. Gand, Bruges, Valenciennes , fe paffionnent pour lui; c'eft chez eux un crime de félonie de ne le pas reconnoïtre. Le jour de la Pentecöte , il prend la couronne , convoque les Etats, fait dix Chevaliers, rend des édits, fcelle des graces , confere des fiefs; enfin, il remplit toutes les fonftions d'unSouverain. Tout eft en agitation : les partifans du prétendu Comte & ceux de la Comteffe Jeanne, fe font une guerre ouverte; on prend, on reprend des villes &C des chateaux. La Comteffe fe trouve en grand danger. Elle concut qu'il falloit ici plus d'adreffe que de force. Elle étoit alors au Quefnoi, oh Louis VIII, indruk de fon embarras, lui avoit envoyé pour confeil Matthieu de Montmorenci, Michel de Harmes, & Thomas de Lampreneffe. Elle députe a 1'impofteur, comme a fon pere retrouvé, & le prie de vouloir bien venir la voir au Quef- Lobert, 'ata ce. n. 12*5.  Robert. Vatace. ■A-d. 122$. : i 1 1 : ( 1 i c c XXVI. Décou- \ verte de c' 1'impoftu- £ ie. ƒ f i 253 // / S T 0 1 R £ noi, pour fe faire reconnoitre par elle & par toute fa Cour; quellefe dépouilhra avec jok de la fouverainetepour la remettre dfon pere. L'impofteur neut garde de s'expofer a eet examen : fous pretexte de craindre le poifon, ilrefufa 1'entrevue. La plupart des villes fe foumettent au nouveau Comte, &c leanne fe voit a la veille d'être abandonnée de toutes. Un Francifcain de Valenciennes, qui avoit fervi fous Baudouin, va trouver la Princeffe ; 1 la raffure, & lui raconte, en préence de toute fa Cour, les aventu■es de Baudouin dont il avoit été ténoin lui-même. S'étant joint a dixiiut autres, qui tous avoient affifié la bataille d'Andrinople, ils vont nfemble trouver 1'Evêque de $enjs, qui les préfente au Roi, auquel is proteftent avec ferment que Bauouin n'efl: plus , & que celui-ci n'eft ;u'un fourbe. Louis, pour le démafquer, 1'invita venir a Péronne ; il feignoit un rand defir de le voir & del'embraf;r. Le fourbe craignant que s'il reiifoit de fe montrer, on n'entrat en 3upcon, fe rendit a Péronne le 29  du Bas-Empire. Liv. XCV1L 259 Juin , accompagné d'un nombreux cortege de Gentilshommes de Flandres 8c de Hainaut. II alloit ordinairement en litiere , habillé a la grecque d'une longue tunique 8c d'un manteau de pourpre. Sa litiere étoit toujours précédée d'une croix, felon Pufage des Empereurs de Conftantinople. Ce fut dans eet équipage qu'il fe préfenta au Roi, affe&ant un ai» de dignité, qui ne trompa pas lei plus fins de la Cour. Après les civilités ordinaires , il commenca pai fe plaindre amérement de fes filles. ajfei dénaturées , difoit-il, pour fiacri fier d tintérét, d tambition un pere in fort-unit qu elles traitoient a"impofteur que pour lui, il avoit rlfolu de vivr inconnu; mais que la Providence l'a voit démafquê malgré lui ; qu'il fe re pentoit de nêtre pas demeuré caché en tre les rockers du mont Hémus , au-lie de revenirenFlandres, cuil trouvoit dan fa familie des emirs plus barbares qu les Bulgares & les Valaques. Le Rc lui répondit avec douceur, qu'il r. devoit pas s'en prendre d fes filles; qu'ei les étoient très-difipofiées d le reconnotl) pour leur pere , s'il pouvoit leur prou Robert. Vatace. An. 122;.' i S e i e ■e  Robert. Vatace, An. 1225. i t r I i c n r li 1; h H I S T 0 ƒ R £ ver qu'il lef/a, mais que la chofe étoit ajje[ importante pour être examinêe avec fow : & comme le fourbe débitoit avec confiance la fable qu'on lui avoit compofée, le Roi le fit interneer par lEvêque de Beauvais, fur plufieurs achons de Baudouin, è quoi il répondit pertinemment. II lui fit enfuite jui-meme trois queftions , auxquelles, non-feulement Baudouin , mais quiconque auroit été de fa Cour,auroit pu aifément fatisfaire. La premiere étoit, en quel lieu il avoit prêtêfoi & hommage d Philippe-Augufte, pour le Comtêde Flandres .■> La feconde, par ]ui & cn quel lieu il avoit été armé Che'alier? La troifieme , en quelle ville, en melle maifon, & quel jour il avoit êpoufé Marie de Champagne? Tout cela s'éoit pafle en public; mais le fourbe i'etoit pas préparé fur ces queftions. 1 demanda jufqu'au lendemain, pour ; rappeller au jufte ces circonftanes , dont fes longs travaux & fes mlheurs avoient obfeurci le fouveir. II n'en falloit pas davantage pour ! convaincre. Néanmoins, pour ne '"«er au peuple aucun fcrupule, on u accorda le déiai qu'il demandoitj  du. Bas-Empire. Liv. XCV1L 261 mais dès la nuit fuivante, ayant re- " cueilli tout ce qu'il avoit d'argent, • il fe déroba de Péronne; 6c ayant j changé d'habit, il s'enfuit en Bourgogne, oü il fe tint caché. Le Roi fit crier par toute la France grande récompenfe pour qui le découvriroit; peine de mort pour qui- ] conque lui donneroit retraite. II fe ] trahit lui-même quelque temps après. II s'étoit retiré dans un village nommé Rougemont; &c comme il y faifoit plus de dépenfe que n'en pouvoit faire un homme tel qu'il fe difoit, Erard de Chatenai, Seigneur du lieu, en concut du foupcon , comme d'un voleur ou d'un forcier, 6c le fit mettre en prifon. On alloit lui donner la queftion, pour tirer de fa bouche quelles étoient fes reffources : il n'attendit pas la torture , 6c fivoua qu'il étoit Bemand , dit de Raï^ , d caufe du lieu de fa naiffance ; que fon pere , quife nommoit Pierre Cordel, étoit vajfal de Clairembaut de Capes; qu'il avoit été d'abord ménêtrier, puis comédien , enfin hermite ; qu il s'étoit laijfé engager , par de mauvais confieils, a fe Jaire pafier pour Baudouin. Erard le Robert, /atace. .n. Hij. XXVII. Prife & lunition le 1'imlofteur.  Robert. Vatace. An. 122;. ! I i ( 1 An. 1226. ] XXVIII. ( Simon , Patriar- « 20*2 HlSTOlRB fit conduire au Roi avec cette infórmation, & le Roi le fit mettre entre les mains de la Comteffe. On Ie promena fur un ane au travers de plufieurs villes de Flandres, oh il confeffa publiquement fon impofture; enfuite de quoi il fut pendu a Lille. II y eut cependant des gens d'une crédulité opiniatre, qui ne furent pas détrompés par fes propres aveux ; Sc fon fupplicemême fut, pour le vulgaire infenfé , une preuve d'innocence. Quoique Jeanne eut envoyé exprés en Grece pour vérifier la mort Jefon pere, tous ces éclairciffements ti'ont pas empêché Matthieu Paris de iébiter a ce fujet une fable abfurde, 5c contraire a la vraifemblance. II :ft même des hiftoriens très-graves , els que Matthieu de Weftminfter & ybert de Stade, qui ont donné plus le crédit aux foupcons vagues & in:ertains de la multitude, qu'aux preures Sc aux informations les plus auhentiques. Conftantinople étoit en paix. La nort du Patriarche Matthieu caufa lans 1'Eglife le même trouble qu'y voit fait naitre fon éleftion. Une  du Bas-Empire. Liv. XCFII. 263 partie du Clergé, nommoit Milès de Manteuil, Evêque de Beauvais, recommandable par fa vertu; une autre le rejettoit. II fallut encore s'en rapporter au Pape. Honorius, de Pavis des Cardinaux, choifit Jean d'Abbeville , Archevêque de Befancon : mais ce Prélat, obfervateur rigide des anciens canons, refufa de quitter fon fiege, pour paffer a une autre Eglife. Honorius étant mort dans eet intervalle , Grégoire IX , qui lui fuccéda, ne trouva pas l'année fuivante, le même fcrupule dans Simon, Archevêque de Tyr. II accepta le patriarchat, qu'il géra jufqu'a fa mort, en 1233. Robert, tranquille du cöté de Vatace, fongeoit areconquérir le Royaume de Theffalonique. Mais, contre un ennemi tel que Théodore d'Epire, qui s'étoit rendu plus puiffant que les Empereurs de Conftantinople, il avoit befoin de fecours étrangers. II députa donc en France le chatelain d'Arras , qui obtint de Louis la promeffe d'envoyer deux ou trois cents Chevaliers au fervice de 1'Empereur; & le nouveau Pape lui permit de lever Robert. Vatace. An. 1226. che dé Conflantinople. Honor. epifi. Alberic. chr. Du Cange , hifi. I. 3 , c. to. Fleury , hifi. ecclef. 1. 79 , art. 23. /. 80, en. 10. VArt de vèrifier les dates , 2e. édit. p. An. 1227, XXIX. Amour funefte de Robert. Phil.Uouf- kes. Sanul. I. 2. part. 4. 28. Jacques de Guife. Alberic* tk.  Robert, Vatace An. 1227, Sabel!. /, 8. E^orius. JDoutrem. I. Ir'. 5Du Cange, hifi. I. 3. c. il 1 12. 1 * I 1 j 264 HlSTOIRE des fommes d'argent fur les Eglifes. Mais une paiTion malheureufe rendit inutiles ces préparatifs de guerre. Robert n'avoit point encore de femme légitime : fon goüt pour la volupté s'égaroit en amours de fantaifie. II fe laiffa prendre d'une violente paffion pour une jeune Demoifelle Francoife , fille de Baudouin de Neuville , Chevalier du pays d'Anois, qui s'étoit fignalé a la fuite de Baudouin. II étoit mort depuis la conquête, & faveuve venoit de fiancer fa fille è un Seigneur de laProvince de Bourgogne. Robert, qui, dans la fouveraineté, ne connoiffoit guere d'autre puiffance que celle de fatisfaire fes defirs, réfolut de fe rendre maitre de cette beauté. II s'adreffe a la mere; & cette femme éblouie de la pourpre impériale, ne diipute 1'honneur de fa parole, qu'autarïr qu'il falloit pour donner du prix a fa complaifance. Elle paffe avec fa fille dans le palais le 1'Empereur, foit après un mariage lans les formes, comme le difent quel- i mes Auteurs, foit, felon d'aurres, fur me eïpérance qui meurt prefque touours ayant que de s'accomplir. La  du Bas-Empire. Liv. XCF1I. 0.65 La vie molle & déréglée de Ro- : bert le faifoit méprifer de fes fujets; cette violence le rendit odieux. Le , cceur déchiré par un affront fi fenfible, le Seigneur Bourguignon paffa des tendreffes de 1'amour a l'excès de la fureur. 11 jura de tirer la plus terrible vengeance, & de la mere, Sc de la fille, & du tyran fuborneur. II communiqué fon deffein &c fa rage k fes parents, a fes vaffaux, k fes amis , qui étoient en grand nombre; & tous enfemble amain armée, forcent pendant la nuit les portes du palais ; la garde étoit trop foible pour leur réfifter. lis fe faififfent de la mere & de la fille, trainent la mere hors du palais, & la jettent dans un bateau , d'ou on la précipite dans le Bofphore. Ils coupent le nez Sc les levres k la fille; &c ces lions furieux la laiffent dans eet état horrible, 1'abandonnant avecinfulte , comme une proie fanglante, a fon raviffeur. Ils fe retirent enfuite, fans chercher le Prince timide, qui, au premier bruit de Fémeute, s'étoit fauvé tout tremblant dans le réduit le plus caché du palais. Tornt XXI. M Robert. Vatace. Ka. 1227. XXX. Horrible raite» nent fait i la femme ou concubine de 1'Empe» reur.  Robert. Vatace, An. i2i8, XXXI. Mort de Robert. i } 1 J i i aö bition dévorante, après avoir enlevé a 1'Empire le Royaume de Theffalonique , Andrinople & toutes les villes de Thrace, jufqu'au bord de PHebre, entreprit de pouffer fes conquêtes du cöté de la Bulgarie. L'amitié :ontraöée avec le Roi Bulgare, n'é:oit pour lui qu'un moyen de le déxmiller plus facilement. II mit fur lied une grande armée, tant de Grecs fue d'Allemands , envoyés a fon fer'ice par 1'Empereur Fréderic, depuis •eu fon allié; & dès le mois d'Avril, I pnt k leur tête la route d'Andri-  bu Bas-Empirz. Liv. XCF1L 17S nople. Au premier avis des mouve- 1 ments de Théodore, Afan s'étoit mis , fur fes gardes; &£ ayant raffemblé a 1 la hate ce qu'il avoit de troupes, aux- 1 quelles vinrentfe joindre environ mille Comans, il s'étoit campé au bord de 1'Hebre. A 1'approche de Théodore , il avance hardiment a fa rencontre , quoiqu'avec une armée très-inférieure; mais animé par la colere & par la confiance en la juftice de fa caufe. Pour infpirer a fes foldats la même indignation & le même mépris pour un ennemi fans foi, il fait porter au haut d'une piqué Poriginal du traité de paix figné de Théodore, & fous eet étendard, il charge vivement les Epirotes. Le combat fut fanglant; mais jamais viftoire ne fut plus complete. Théodore & tous fes Capitaxnes furent pris. Dans cette expédition, la modération d'Afan lui fit plu de conquêtes que la force de fes ar mes: entre les prifonniers, il ne re tint que les chefs, & renyoya fan rancon ious les foldats, qui, de re tour dans leur patrie, chantoient le louanges du Roi Bulgare, & le fai Jbient delirer pour maitre a leurs com Bau- >ouin II. EA.n DB. iRIENNI, v7atace. \.n. iijcit I s  Baudouin II. Jean de Brienne. Vatace. An. ijjo. i : ^ ( i c 1 1 e t; F v H1 _ H i s t o i R s patriotes, Jas du gouvernement tyranmque de Théodore. Cette douceur ui ouvnt les portes de toutes les vlies. Andrinople, Didymotique, Volere Serres, Prilep & Ja Pélag0nie Tnpohtaine, fe foumirent volontairemenr. II étendit fes courfes au travers de Ia Theffalie jufqu'en Epire, ou il fit un grand butin; mais toujours attentif a epargner le fang des peuples. Apressetre affuré des places par de lorres garnifons, il retourna en Bulgane avec la réputation d'un Prince Jurii bienfaifantque guerrier. Jufqu'alors la plupart des Rois Bulgares, tant ïe ,a première race que de la feconle_, avoient été barbares & fan2lIilaires: leur gouvernement étoit dur, ~ /eurs vidoires cruelles. Afan II :heri de fes fujets, craint & aimé des' 'anons etrangeres , apprit è fes fuceffeurs quel eft Ie vrai bonheur & ï vraie fureté des Monarques: mais ï caraftere de ce Prince, d'ailleurs fx ftimable, fut terni par fon inconf'nce. Flottant fans ceffe entre les rancois& les Grecs, il fut toute fa 'eauffi prompt k rompre fes alliances i a les contra&er,  du Bas-Empïze. Liv. XCVIL 277 Théodore, prifonnier avec fes parents & fes principaux Officiers , éprouvoit, de la part de fon vainqueur, le traitement le plus humain & même le plus honorable. Cependant fon cara&ere inquiet & turbulent ne put fe contenir. II trama des complots contre Afan, qui en étant informé, le punit de fon ingratitude , & lui öta l'efpérance de réuffir dans fes fourdes pratiques , en lui faifant crever les yeux. Son frere Manuel qui étoit échappé de la défaite, vint a Theffalonique, dont il prit le gouvernement fous le titre de Defpote, qu'il avoit regu de fon frere. II fe fortifia de 1'alliance des Princes voiiins, & entr'autres de Geoffroi de Villehardouin , Prince d'Achaïe. II tacha même, comme avoit d'abord fait fon frere, de s'appuyer de la pfotection du Pape. Plus lincere que Théodore, mais beaucoup moins politique, il ne fe contenta pas de fe foumettre a la jurifdiöion fpirituelle du Saint-Siege, en fe réuniffant avec 1'Eglife Romaine , comme Pexigeoit la Religion ; mais ce qu'elle n'exigeoit pas, &£ qu'elle ne permettoit peut-être qu'& Baudouin II. Jean de Bkienne. Vatace. An. 1230, XXXVI. Manuel fuccede a fon frere Théodore.  Baudouin II. Jean de Brienne. Vatace. An. 1230. An. 1231. XXXVII. Brienne arrire a Conftantinople.Greg. epifi. Rh. Moufkes. Acrop. c. *7- Dandali tbr. Richard. de SanHoGermano. Alberic. 4hr. M.aynald* *?S ff I S T 0 1 & B regret, il reconnut le Pape pour Seï= gneur temporel, & fe déclara fon vaffal, malgré les avis du Patriarche Germain, qui lui envoya le métropolitain d'Ancyre pour le détourner de ce deffein. Manuel régna tranquillement, tant que fon frere ne fut pas en état de troubler fon repos. Afan, en confidération de fa fille, oublia les droits que la viöoire lui donnoit fur Theffalonique ; & les Bulgares refpecïerent le gendre de leur Roi, dans un Prince qui n'avoit pas eu les mêmes égards pour fon beau-pere. Ces troubles qui agitoient 1'Hlyrie, la Theffalie, la Maeédoine, & qui s'étendoient dans une grande partie de la Thrace, n'en caufoient aucun a Conftantinople. On laiffoit le Bulgare & 1'Epirote fe difputer 1'ancien domaine de 1'Empire; on ne s'occupoit qu'a donner un tuteur au jeune Prince , fans fonger a lui conferver fon patrimoine. Brienne, après avoir re?u Papprobation du Pape, tant pour fa nouvelle dignité,que pourle mariage de fa fille, ne fe voyant pas affez de forces pour hafarder, par terre. Je voyage de Conftantiaople au  du Bas-Empire. Liv. XCVIL 279 travers des Etats du Prince d'Epire & du Roi Bulgare, envoya demander des vaiffeaux aux Vénitiens; & cette République qui partageoit alors tous les travaux & tous les fruits de 1'Empire Frangois, lui prêta quatorzc vaiffeaux de guerre & plufieurs autres batiments de tranfport, pour U paffage de douze cents chevaux & d« cinq cents hommes de pied, avec de; provifions pour trois mois. Le Pap( écrivit au Patriarche pour lui donnei avis du départ de Brienne, & poui 1'exhorter a le favorifer de tout foi pouvoir, & a difpofer en fa favem le coeur de fes nouveaux fujets. II ta cha même d'engager les Princes Chré tiens a le feconder dans fon établif fement. Enfin , Brienne s'étant embar qué a Venife vers le mois d'Aoüt o» de Septembre , arriva heureufemen a Conftantinople, oh il étoit attendi avec impatience. II fut auffi-töt cou fpnné avec 1'appareil ordinaire : & 1 joie qu'apportoit fa préfence, eonfol les habitants d'un défaftre qu'ils ve noient d'éprouver. Un furieux trem blement de terre, commencé a Cs poue au mois d'Avrü} s'étoit fait fer. Baudouin II.' Jean de Brienne.' Vatace. An. 1231. Du Cangt, 17, l l t t l f  Baudouin II. Jean de Brienne. Vatace. An. 1232. XXXVIII Conférences inuriles pour laréunion des deux Eglifes. Acrop. c. 27. Pk. Moufkss.Raynald. Du Cangt , kift. /. 3. f-17. FUury , /. 80 , art. 1 ZO&fuiY, , 1 j i C i n Ji f< ■ Ci an de vacance, le fiege fut'rempli par a«9 H * s t 0 1 r e tir a Rome pendant tout Ie mois de Juin, & s'étoit étendu jufqu'a Conftantinople, oü il avoit renverfé plufieurs maifons & plufieurs Eglifes. L'opinion avantageufe qui avoit procure 1'Empire k Brienne, s'affoibht lorfqu il fut Empereur. Après deux annees perdues en préparatifs, il en perdit encore deux autres fans rien entreprendre , foit qu'il craignit Vatace, dont il connoiffoit 1'habiletéor Ie courage, foit qu'après une vie fatiguee, il abandonnatfa vieilleffe aux tranquilles douceurs d'une fouverainete oifive. On excufoit fans doute un oflogénaire de s'endormir fur le J-one ; mais on ne lui pardonnoit pas je n y etre monté que pour prendre iu repos. On 1'accufe même d'un aure vice trop ordinaire a la vieilleffe : I congédia par avarice, ou laiffa dif>per, faute de payement, une partie es troupes, qui allerent s'engager au ?rvice du Roi Bulgare. Dès la preuere année de fon regne, la mort li enleva le Patriarche Simon , qui, 'Ion les intentions du Pape, le fe- )ndoit de tOUt fnn rré.A\t A„„A„  du Bas-Empïre. Liv. XCFII. 281 Nicolas de Plaifance , que le Pape transféra de PEvêché de Spolete, avec le confentement du Chapitre de SainteSophie, auquel appartenoit 1 'élettion. Dans ce même temps, Germain , Patriarche Grec, établi a Nicée, parut vouloir fe rapprocher de TEglife Romaine. II écrivit au Pape & aux Cardinaux pour fe plaindre du fchifme qui divifoit 1'Eglife. Vatace lui-même , qui s'attendant a une nouvelle guerre de la part des Latins , vouloit modérer Pardeur du Pape a leur procurer des fecours, lui témoigna par une lettre, le defir qu'il avoit de la réunion. Le Pape répondit a 1'un & a 1'autre avec douceur, rejettant la faute fur les Grecs. Cette ouverture eut des fuites. Le Pape crut devoir profiter des difpofitions que les Grecs faifoient paroitre ; il envoya des députés au Patriarche, & les points controverfés furent difcutés dans des conférences , d'abord a Nicée, enfuite è Nymphée, ou le Patriarche affembk un concile de 1'Eglife d'Orient. L'Empereur Grec fur-tout paroiffoit fon empreffé pour la réconciliation. Mai; ce qui prouve que ce n'étoit en lui Baudouin II. Jean de Brienne. Vatace. An. 1132.  Baudouin II. Jean de Brienne. Vatace. An, 1232. I . jg t 1 1 . a c An. 1233. p XXXIX. c Expédition de t Vatace b contre Gibalas, c' 282 IIlSTOIRS qu'un effet de politique, c'eft qu'il offroit d'admettre les Prêtres Latins a célébrer le faint Sacrifice, Sc de faire infcrire le Pape dans les diptyques, fi les Latins d'Occident ceflbient d'envoyer des fecours aux Latins de Conftantinople. On ne put s'accor&er> Sc les Grecs demeurerent obftinés fur les deux points principaux jui les féparoient de 1'Eglife Latine; avoir, la proceifion du Saint-Efprit, Sc la queftion des azymes. Ces deux meftions n'ayoient été, dans les Aueurs du fchifme, que le prétexte; dies furent dans la fuite, & font enwe aujourd'hui la matiere de fa félaration des Grecs. Les regnes fuirants font remplis de ces difputes, [ue je ne toucherai que très-légérelent, autant qu'elles fe trouvent mêïes aux intéréts temporels, laiiTant 1'hiftoire de 1'Eglife Ie détail de ces onteftations théologiques. L'Empereur Grec s'occupoit bien lus férieufement des foins de fon tat. II avoit élevé a la dignité de éfar,un Seigneur Grec, nommé Gadas, que les Hiftoriens ne nous font )nnoïtre que par ce titre. Ce point  nu Bas-Empire. Liv. XCFII. 283 d'hiltoire eft fort obfcur. Voici ce que George Acropolite, le feul Auteur qui en faffe mention , donne plutöt a deviner qu'fi connoitre clairement, dans un récit fort embarraffé. Ce favori ingrat prit les armes contre fon bienfaiteur, & s'empara de 1'ifle de Rhodes. Vatace chargea de cette guerre un de fes Généraux , dont il con-noiffoit les talents & la valeur. C'étoit Andronic Paléologue, grand Domeftique, déja illuftre par fes ancetres , & qui le devint plus encore par fa poftérité. II étoit fils de ce gendre de Lafcaris, que 1'Empereui Henri fit mourir après la prife de Len tianes. II fut pere de Michel, qui ar racha le fceptre aux Frangois, & 1 tranfmit a fes defcendants. Andronic a la tête d'une flotte & d'une armée paffa dans 1'ifle de Rhodes en plei hy ver, & combattit le rebelle. L'Hi: torien fe contente de dire que tov réuflit au gré de Vatace, fans entre dans aucun détail. Pour Gabalas, n'en eft parlé ni avant, ni après cetl guerre , a moins que ce ne foit ! même que ce Léon Gavalla, emplo) dans la fuite au fiege de Conftantin< Baudouin II. Jean de Brienne. Vatace. An. iï3J. Acrop. e. » » 1 t r il e e é  Baudouin II. Jean de Ebienne. Vatace. An. 1233. XL. Brienne paffe en Afie. Acrop. c. 27 , 28 , 30. Albcric. chr. Du Cangl, hifl. 1. 3 , «. 18 , 19. 1 < i ï t C t r 284 H 1 S T 0 I R E ple : ce qui n'a guere d'apparence. Ofi nous apprend feulement que cette expédition de Rhodes , quoique heureufe pour 1'événement, coüta grand nombre de foldats, qui périrent dans es combats, ou par la rigueur de 1 hy ver. Cette perte nuifit beaucoup a 1'Empereur Grec , dans une occafion oh d auroit eu befoin de toutes fes forces. II apprit que Jean de Brienne, fe reveillant enfin de fon affoupiffement, palToit en Afie avec une armée confidérable , & qu'il prenoit terre k Lampfaque. RafTemblant auffitöt ce qui lui refioit de troupes, il :ourut au-devant de 1'ennemi, & fe aorta a Sigrene, dans le voifinaee. ^.omme il n'étoit affez fort, ni pour ioppofer k la defcente, ni pour li'rer bataille , il ne fe propofa que empecher les Francois de s'étendre lans le pays. II fit enlever & tranfiorter dans les places fortes plus éloiinees, toutes les fubfifbnces qui fe rouvoient fur leur paffage; & les otoyant dans leur marche, fans quitïr le pied des montagnes, ou il au?it pns, en cas d'attaque, une po-  nu Bas-Empir.e. Liv. XCFII. 285 fition avantageufe, il les tenoit refferrés contre les rivages; en forte que harcelés fans ceffe, & ne pouvant re- ■ cueillir, ni vivres, ni fourrage qu'au ] prix de leur fang, ils firent en quatre mois fort peu de progrès, & ne prirent qu'un chateau prés de Cyzitme. Ils fongeoient a fe rembarquer, & feroient retournés A Conftantinople avec perte &c avec honte, fans la hardieffe d'un de leurs foldats, auffi agile que déterminé. L'armée étant arrivée a la vue du chateau de Peges, il s'en approcha; & graviflant entre les rochers , il découvrit une route par laquelle il fit monter, pendant la nuit, une partie de l'armée. Comme c'étoit un endroit qui fembloit être inacceffible, il étoit mal gardé & Pon n'eut pas de pei'ne a forcer 1'entrée. La prife de cette place importante allarma les Grecs, & affligea Vatace. Ses meilleurs foldats , & fes Officiers les plus diftingués par leur rang & par leur bravoure, s'y étoient renfermés. Cependant, loin de perdre courage , il redoubla de vigilance & d'a&ivité; & par fon habileté a prendre tous fes avantages, Baujouin 11. E AN DE illIENNE. /'ATA CE. ka. 1233.  Baudouin 1] Jean d Brienni Vatace An. 1233 XLI. Entrepri fe de Va «ace fut 1'ifle de Candie. Creg. U 2 Dandul. thr. Valuta, Ai/2. Gen l, 3. Bi\ar. di iell. Ventto , /. 3. Sabell.l.<), S.B6 HlSTOIRE &c a n'en laiffer aucun aux ennemis,"' il les réduiiit a ie rembarquer fans t avoir rien gagné qui fut digne d'une • expédition fatigante & difpendieufe. Tandis que 1'Empire Francois s'affoibüffoit par 1'inertie & 1'incapacité - de ceux qui le gouvernoient, les dé" bris de 1'Empire Grec fe relevoient de jour en jour. La vigueur & la bonne conduite de Vatace, avoient fait ' palTer dans les vaincus, 1 'ame de leurs conquérants, & il fembloit que les deux nations euffent changé enfemble de caraöere. Les flottes de Vatace 1'avoient déja rendu maitre de Lesbos, de Chio, de Samos, d'lcarie, de Cos, de Rhodes, & de plufieurs autres ifles de 1'Archipel. II fe préfenta une occalïon qui lui fit efpérer d'ajouter Candie a fes poffefiions, & il fit tout ce qu'il falloit pour en profiter. Depuis que les Vénitiens étoient maitres de cette ifle, leur domination étoit prefque continuellement troublée par les révoltes de ces infulaires féditieux. Efclaves mutins & perfides, il falloit les battre pour les faire obéir, & leur joumifTion ne duroit jamais plus long.  du Bjs-Empire. Liv. XCFII. 287 temps que le fentiment de leurs bleffures. Après plufieurs effbrts inutiles pour fecouer le joug de la Républi- ; que, ils s'adrefTerent a Vatace, & lui ] promirent la principauté de 1'ifle , s'il leur envoyoit des fecours capables de chaffer les Vénitiens. Vatace envoya trente-trois galeres. La République avoit fait paffer en Candie le Vénitien Mare Sanut , Seigneur de Naxe, pour s'oppofer aux rebelles. A 1'arrivée de la flotte Grecque, il fortit de 1'ifle avec ce qu'il avoit amené de troupes; & par cette prompte retraite, il donna lieu de foupconner qu'il s'étoit laiffé corrompre par argent. Le Général Grec afliégea , dans Retimo, Mare Quirino, qui s'y étoit renfermé, & le forga de fe rendre. Après la prife de plufieurs autres places , le chateau de Bonifacio fit une telle réfiftance, que Quirino eut le temps d'affembler des troupes fort fupérieures a celles des Grecs : il fit entrer dans la place un grand convoi, & les obligea enfin de lever le fiege. Le Général Grec voyant que les effets ne répondoient pas aux promeffes des infulaires, ne s'opiniatra BaujouinH. ean de !rienne. /atace. kn, 113?*'  238 HlSTOIRE Das au rifcue de oerdre fnn armpp : Baudouin II. Jean de Brienne. Vatace. An. 1233. XLIT. Seconde entreprife. 1 . 1 r — * oc remit en mer. Sa flotte, afTaillie d'une horrible tempête, fe brifa fur les cötes de Cithere. II ne s'en fauva que trois des moindres vaiffeaux. Deux Ambaffadeurs Vénitiens, qui s'y étoient embarqués pour aller demander la paix h Vatace , périrent dans ce naufrage. Peu de temps après, Vatace, n'ayant pas perdu toute efpérance de s'emparer de 1'ifle, a 1'aide des intelligences qu'il y entretenoit, fit partir douze galeres. Les Vénitiens affiégeoient alors une fortereffe maritime, nommée Sorbia. A 1'afpect de la flotte Grecque, 1'un des deux Généraux Vénitiens gagna promptement la ville de Candie, de crainte que les Grecs ne s'en emparaffent en fon abfence; 1'autre monta fur la flotte qui étoit a 1'ancre , fuivit celle de 1'ennemi, qui faifant force de rames & de voiles, arriva la première dans un port de Tifle. Les Vénitiens l'attaquerent avec furie; & les Grecs, n'ayant pas dans ce lieu étroit, affez d'efpace pour déployer leurs forces & faire les manoeuvres, défendoient 1'entrée du  »u Sas-Empirb. Liv. XCHl. 289 du port a coups de fleches , de ja" ! velots & de pierres lancées de leurs i machines. Les habitants d'alentour, J ennemis des Vénitiens, accouroient \ de toutes parts au rivage, & fecon- i doient les Grecs avec ardeur. La bleffure du Général Vénitien fit ceder le combat. Les Grecs s'appercurent, aux préparatifs des vaiffeaux ennemis, que leur intention étoit de recommencer 1'attaque le lendemain; & fentant leur foibleffe, ils fortirent du port pendant ia nuit, a 1'infu des Vénitiens, & prirent le large. L'Empereur Grec échoua dans ces deux entreprifes; mais il gagna de la réputation par la hardieffe feule du projet; ce qui n'eft pas de petite conféquence pour s'attirer des fecours étrangers. En même-temps qu'il attaquoit les Vénitiens, il ménageoit leurs rivaux. Les Génois, qui difputoient alors aux Vénitiens 1'empire de la mer, avoient, dans toutes les villes commergantes de la Grece & de 1'Afie, des immunités fi étendues, que Vatace réfolutde les reftreindre, comme préjudiciables a fes finances. Mais les Génois y réfifterent vivement, öc Tornt XXI, N BauiouinII. ean de irienni, Vatace. la. IÏ33,  Baudouin II. Jean de Brienne. Vatace. An. 1233, An. 1234. XL1II. Ligue entre Vatace & le Roi des Bulgares. Acrop. c, 3'. Greg.ep!/}. Sanut. I. 2. part. 4. ct ' 18. | Sabell. I. 9- \ Eiovius, J Raynald. 4 Du Cange , kift. 1. t 3- C 19- É r f 3 290 HlSTOIRB 1'Empereur fe défifta, par la crainte d'irnter contre lui cette puilTante République. Elle ne lui étoit pas cependant tellement attachée, qu'elle fe déclarat pour lui contre les Frangois. Arme ou ennemie des deux partis, fiuvant fes intéréts, elle ne s'étudioit qu'a conferver en paix & en tranquilhte fon commerce d'Orient, dont elle tiroit de grandes richeiTes. La conquête de Candie auroit rendu Vatace maitre de la mer. Déchu de cette efpérance , il chercha des fecours dans le continent de 1'Europe. Afan avoit le cceur ulcéré de 1'injure qu'il avoit recue. II ne pouvoit pardonner aux Frangois la rupture du mariage de fa fille, arrêté par un trai:e, & la préférence donnée a la fille le Brienne, dont le mariage fut conommé cette année. Le refpeft qu'il )ortoit a fon beau-pere, le Roi de iongrie, avoit néanmoins jufqu'alors ufpendu les effets de fon vif reffeniment. André, Roi de Hongrie, avoit poufé Yolande, fceur du jeune Emereur ; & Marie, leur fille, étoit ;mme d'Afan. C'étoit de ce mariage u'étoit née Hélene, recherchée d'a-  ï)u Bjs-Empiks, Liv. XCFÏI. t£>l bord oour Baudouin, & enfuitc rc- jettée. Vatace la demanda, 1'obtint auffi-töt pour fon fils Théodore, qui devoit être héritier de fes Etats, & de fa haine contre les Latins : c'étoit déja pour Afan un commencement de vengeance. Théodore n'avoit encore que onze ans; Hélene n'étoit que dans fa neuvieme année : mais 1'alliance entre les deux peres fe forma fans délai. Ils jurerent une ligue offenfive & défenfive, & fe donnerent parole de réunir l'année fuivante toutes leurs forces , pour pouffer la guerre a outrance, & détruire de fond en comble la puilTance Francoife. Cette nouvelle jetta 1'allarme dans Conftantinople. Brienne envoye des Ambaffadeurs de toutes parts : il implore furtout 1'affiftance du Pape & des Vénitiens. Le Pape écrit aux Princes , aux Evêques, & promet des indulgences. Les Vénitiens préparent un puiffant armement. Le Prince d'Achaïe & les autres vaffaux de 1'Empire font fommés de fe tenir prêts k repouffer les efforts des deux Princes ligués. Dès les premiers jours du priaN ij Baudouin II. BxlKNNF„ Vatacr. An, 1234.  Baudouin II. Jean de Brienne. Vatace. An. 123 5, XL1V. Vatace & Afan en Thrace. €reg. epifi, Th, Moufikes. Acrop, c, 33- Dand. chr. Alberic, chr. SabtUJ.cj. B{ovius. Raynald, Du Can- 1 S', «ifi. I. j 3 > 20, , 2x. I 1 1 C <] c 1) g ]( 3 2 9 2 // I S T O I R F. temps, Vatace, toujours prompt k le mettre en aöion, fit embarquer les troupes a Lampfaque, & defcendit a Gallipoli, poffédé alors par les Vemtiens. Le fiege ne fut pas long, malgré la réfiftance des affiégés. Tout fut palTé au fil de lepée. Les Grecs étoient déja maïtres de la ville, lorfqu'Afan y arriva avec fa femme, Marie de Hongrie, & fa fille Hélene. Les deux Princes ratifierent le traité de mariage conclu par les députés. Leur Roi Bulgare demeura a Gallipoli, & Vatace retourna a Lampfaque, oü il ivoit laiffé fa femme Irene & fon ïls Théodore. Ce fut la que le maiage fut célebré par le Patriarche Gernam , aflifté de 1'Evêque de Ternore, qui, en confidération d'Afan, & »our honorer cette illuftre cérémoiie, fut alors déclaré Patriarche de iulgarie. Après la célébration, les eux époux furent mis entre les mains 'Irene, Princeffe vertueufe, qui fe hargea de leur éducation, & les eraïena a Nicée. Marie retourna en Honne. Les deux Princes, a Ia tête de ur armée, entrerent en Thrace, pour 1 arracher la poffeffion au,x Fran-  du Bas-Empir.e. Liv. XCFH. 293 cois. Afin d'étendre plus promptement leurs conquêtes, ils diviferent leurs troupes en deux corps. Vatace fe porta fur les cötes de la Propontide, comme plus voifines de fes Etats. Tout le pays fut défolé, depuis Gallipoli jufqu'a 1'embouchure de 1'Hebre, qu'on nonirnoit alors, comme aujourd'hui, Mariza. On prit en peu de jours Madyte, Sefte, Cardie Sc toute la Cherfonefe. A 1'entrée de cette prefqu'ifle, Vatace fit batir un fort fur le mont Canos, & il en confïa la garde a Nicolas Coterze, guerrier vaillant & heureux, qui étendk fes courfes jufqu'a Zurule. Tandis que le Midi de la Thrace étoit en proie aux Grecs , Afan marchoit vers le Nord ; & fecondé des Comans , il portoit le ravage jufqu'au mont Hémus. Enfin, les deux Princes, chargés de butin , fe rejoignirent pour frapper le dernier coup par la prife de Conftantinople. Les Hiftoriens Grecs ont tout-afait fupprimé le récit de ce fiege, fans doute k deffein de ménager 1'honneur de Vatace, qui, malgré fes talents & fon grand courage, échoua dans cette N iij Baudouin IL Fean de Brienne. Vatace. An. 1135 = XLV. Ils affiegentConftantinople , & font défsits.  Baudouin II, Jean de Brienne, Vatace. An. lajj, ; 294 HlSTOIRB entreprife. Au contraire, les Auteurs occidentaux n'étalent ici que des prodiges. Ils font de Jean de Brienne un ^Godefroi de Bouillon, & rendent les Frangois de ce temps-la égaux en valeur aux anciens preux, & aux invincibles Chevaliers de la première croifade. Ils fuppriment même le fecours des Vénitiens, pour rendre plus miraculeufe la délivrance de Conftantinople. Faute d'autres mémoires, je me vois obligé de les fuivre, ajoutant cependant ce que je trouve dans les Hiftoriens de Venife, & laiiTant au Leöeur la libertc, qu'il prend toujours , de rabattre de ces merveilles ce qu'il jugera a propos. De tous les fecours que Jean de Brienne avoit demandés, il n'en étoit encore arrivé aucun, & toutes fes forces confiftoient en cent foixante Chevaliers, accompagnés de leurs gens d'armes , peu d'autres cavaliers , & moins encore de gens de pied. Les ennemis, au nombre de plus de cent mille, divifés en quarante-huit bataillons, atlaquoient la ville du cöté de la ter•e, & une flotte nombreufe, comnandéeparLéon Gavalla, Capitaine  nu Bas-Empire. Liv. XCPII. 295 expérimenté , s'approcha des murs, '■ & jetta 1'ancre au bord de la Pro- ] pontide, infultant la ville par les dé- 1 charges de fes machines, & toute prê- ] te a donner 1'affaut, lorfque les^ attaques des troupes de terres auroient facilité 1'efcalade. Jean de Bnenne joignit alors a 1'expérience que lui donnoit fon age, 1'activité de lajeuneffe. II défarma les habitants Grecs, dont on avoit prefque autant a craindre que des ennemis ; il diftribua leurs armes aux troupes Frangoifes, laiffa a la garde de la ville ce qu'il y avoit d'infanterie, & fortit avec fes Chevaliers, & les autres gens de cheval, dont il ne put former que trois efcadrons. Cette poignée de combattants attendit 1'ennemi, dont ils n'égaloient pas la trentieme partie, dans une contenance auffi fiere & auffi affurée que s'ils avoient eu 1'avantage du nombre. Ils le regurent de pied ferme, & le chargerent avec tant de vigueur, qu'ils le mirent entiérement en déroute. De quarante-huit bataillons, il n'en refta que trois, avec lefquels Afan & Vatace fe retirerent faifis d'effroi, comme s'ils euffent été N iv Bau>ouinII.ean de Srienne. /atace.  BAUDOUIN' II. Jean de Brienne. Vatace. An. 1235. XLVl. De faire 4e laflotte «r.nemie. =9<5 ff I S T 0 I k E frappés de Ia foudre. On attribue a Jean de Brienne le principal honneur d un fi glorieux exploit; il combattit en perfonne, infpirant le courage aux hens par fon exemple, la terreur aux Grecs 6e aux Bulgares, par les coups terribles qu'il portoit. Jean de Bethune, neveu du fameux Conon, ie fignala entre les autres Seigneurs, qui furent tous autant de héros. Pendant la bataille qui fe donnoit fur terre, il y eut fur mer une action , dont le fuccès ne feroit pas moins étonnant , fi 1'on n'étoit pas en droit de fuppofer aux Vénitiens autant qu'on voudra de fupériorité fur les Grecs dans la fcience de la marine. A la priere de Brienne, la République avoit mis en mer vingtcinq galeres, fous le commandement des Provéditeurs Léonard Quirini & Mare Guffoni. Quoiqu'ils euffent fait grande diligence, ils n'arriverent que lorfque les deux armées étoient déja aux prifes. Ayant auffi-tot appareillé pour le combat, ils vont de vive force heurter la flotte ennemie , forte de trois cents voiles. En même-temps les gens de pied, qui étoient reftés  nu Bas-Empirb. Liv. XCVIL 297 dans la ville, courent au rivage, oü les Grecs étoient ancrés , fe jettent . dans les vaiffeaux de Vatace, maffa- ; crent tous ceux qui s'y trouvent, & entraïnent vingt-quatre galeres dans le port de Conftantinople. Le reite des navires Grecs, maltraités, demidéfarmés, ayant perdu grande partie de leur équipage & de leurs ioldats, regagne avec peine le port da Lampfaque. Vatace & Afan , fuivis des triftes débris de leur armee , traverfoient, en fuyant cette contree , oü ils avoient auparavant repandu le ravage & la terreur. Sur leur paffage, les habitants des villes, inflruits de leur défaite, fortoient de leurs places, & tomboient fur eux, les pourfuivant avec infulte, ajoutant a leui malheur des nouvelles pertes & de nouvelles bleffures. C'eft ainfi que 1 or raconte cette incroyable viftoire dont toutes les circonftances ne s'ac cordent guere ni avec la force de deux armées, ni avec le carader des deux Princes, les plus habdes t les plus vaillants qui fuffent alor: Ce mauvais fuccès ne fit qu er flammer les deux Princes. Pleins d N v BaujouinII. E AN DE ÏRIENNEt Vatace. fcn. 113 j, > i w e  Baudouin II. Jean de Brienne. Vatace. An. 1236. XL VII. Seconde attaque de Conftantinople.Greg. epifi. Th. Moufkes. Alberic. chr. Sabell. I. 9- Ti\ovius. Raynald. Du dingt , hifi. I. 3. 23- i X 1 < 29S HlSTOlRB dépir, ils réfolurent d'effacer leurhonte par des efforts plus heureux : ils mirent fur pied de nouvelles troupes , & pafferent tout 1'hyver en préparatifs, pour tenter une feconde entreprife fur Conftantinople. Vatace fit radouber fes vaiiTeaux, Afan fit conftruire vingt-cinq galeres, & ce fut le premier armement des Bulgares qui parut fur la Mer-Noire. La viftoire de Jean de Brienne ne I'avoit pas rendu plus puiffant ni plus afiuré. Sauvé une fois du danger contre toute apparence, il n'ofoit compter fur un fecond miracle. Il.preffa de nouveau les Princes d'Occident. Le Pape étoit toujours fa première reffource. Brienne I'avoit inftruit de fon fuccès; il lui fit part de fes craintes, & trouva dans fon zele le même empreffement a le fecourir. Béla IV venoit de fuccéder a fon pere dans le Royaume de Hongrie. Voïfin des Frangois &c des Bulgares, il étoit plus a portée }ue tout autre Prince, de feconder es uns, & d'arrêter les mouvements les autres. Le Pape 1'exhorta vivenem, & le fit preffer par des Evêpes de fes Etats. L'hifloire ne dit  du Bas-Empir.e. Liv. XCFU. 299 pas quel fut 1'efFet dé fesfollicitations. II paroit que la guerre fut terminée avant qu'ils euffent produit leur effet, & ce qu'on raconte de 1'expédition de cette année a plus de vraifemblance que le récit des deux actions de l'année précédente. Vatace & Afan étoient déja devant Conftantinople , avec une flotte nombreufe, lorfque GeofFroi de Villehardouin y Prince d'Achaïe, parut fur la Propontide avec fix vaiffeaux de guerre montés de cent Chevaliers, de trois cents arbalêtriers, & de cinq cents archers. Ce guerrier intrépide, auffi éxpérimenté dans les combats fur mer que fur terre, donne en arrivant au traven de la flotte ennemie. A ce fignal, feize vaiffeaux Vénitiens qui fe trouvoiem dans le port, commandés par le Bayh Jean Michieli, viennent fondre fu: les Grecs par l'embouchure du Bof phore ; les Génois &£ les Pifans , na tions commergantes établies a Conl tantinople , fe joignent a eux ave tout ce qu'ils avoient de navires. L't' mulation de courage anime ces pev pies divers; les vaiffeaux Grecs t Bulgares font la plupart percés, br N vj. Baudouin II. Jean de Brienne. Vatace. Aa. ii}6. z'  Baudouin II, Jean de Brienne. Vatace. An. 1236. XL VIII. Baudouin en Italië. Grcg. epifl, Th. Mouf hes. Cornut. de fufcept. co'on. /pin. Du Cange W. I. 3 , i 23. j ] j 1 « ï I d t; Cl d; le a 300 Ui st 01 re fes, coulés k fond ; & les deux Princes prennent Ia fuite, lancant avec depit des regards furieux fur Conftantinople, comme fur I'écueil de leur punTance & de leur valeur. Dans la caducité & le dépériiTerijent des Etats, lesremedes font foibles ; il feut de ces prodiges, que les heros feuls font capables de feÜ re; mais tous les fiecles ne produifent pas des heros. Les Frangois, épuifes plutot que fortifiés par ces vicfoires, fe virent réduits a une telle indigence, que Ie Patriarche, ayant ?enereufement facrifié toute fa for:une aux befoins de 1'Etat, fe trouva ans fubfiftance & fens reffource de a part des Empereurs & de leurs fuets, devenus auffi miférables. II eut eco,uArs, au PaPe, qui exhorta le Prine d Achaie & les Evêques de la Moeë de pourvoir è 1'entretien du Pa-larche. Dans cette extrémité, Jean e Brienne implora , avec plus d'infnceque jamais, 1'affiftance des Prin!S Chretiens ; & pour les toucher ivantage, ü réfolut de leur envoyer jeune Empereur, qui d'ailleurs avoit repeter fon patrimoine fur ceux qui  nu Bas-Empire. Liv. XCVIL %oi 1'avoient envahi. II comptoit principalement iur le Pape Scfur Louis XI, Roi de France, dont toute la terre connoiflbit déja- la générolité. Baudouin étoit parent de Louis. II partit fous la conduite de Jean de Béthune, & fe rendit d'abord a Rome. Le Pape le recut avec d'autant plus d'honneur, qu'il le voyoit plus malheureux. Non content de renouveller les plus preffantes folücitations auprès des Princes & des Evêques de France , d'Angleterre & de Hongrie, il commua, en faveur de Conftantinople, les vo3ux faits pour la TerreSainte : il alla même jufqu'a s'adreifer k 1'ennemi de 1'Eglife Romaine ; il tacha d'engager Vatace a faire la paix, & k fe joindre aux autres Princes Chrétiens pour le recouvrement des faints lieux. II publia une croifade pour le fecours de Conftantinople , avec les indulgences & les privileges attachés au voyage de Paleftine. Comme le patrimoine de Baudouin fe trouvoit entre les mains de fes fceurs , & de quelques Seigneurs qui lui en difputoient Ia jouiffance, le Pape enjoignit aux Evê- BaudotjinILJean de Brienne. Vatace. An. 1236.  BaudouinI!Jean dj Brienne Vatace, An. 1237 XLIX. Baudouir en France. Acrop. c 37- Ph. Mouf hes. Alberic. chr. Jac. de Guife , t III, c. 170 Cornut. dt fufiep. coroti fpm. Nangis chr. Du Cange, hiji. I . 3 , 4- 24. 3^2 HlSTQIRE ques de France de forcer par les eenfures eccléfiaftiques ceux qui refufe- : roient de le reftituer. Les liens du fang & la recomman- ; dation du Pape agiiToientpuiffamment auprès du Roi de France en faveur du jeune Prince; mais plus encore la compallion de fes malheurs. Louis & fa mere lui ouvrirent les bras; ils s'empreflerent a le confoler, & lui promirent tout ce qui dépendoit de leur pouvoir. 11 fut remis fur le champ en poffeffion de Courtenai, & des Seigneuries qui lui appartenoient en France. La Comteffe de Flandres, fa coufine germaine, lui fit reftituer les terres de Flandres & de Hainaut. II ne trouva de réfiftance que dans fa propre fceur, Marguerite, qui avoit époufé le Comte de Vianden. Après la mort de fon frere Philippe, elle s'étoit approprié le Comté de Namur: elle en jouiffoit depuis onze ans; & pour ne pas le rendre a Baudouin, elle refufoit de le reconnoitre pour fon frere. II fallut employer contr'elle la force des armes, & répandre du fang. On convint enfin de s'en reme ttre a 1'arbitrage de la Comteffe  nu Bas-Empire. Liv. XCVli. 303 de Flandres. Elle décida en 'faveur de ; Baudouin , a condition qu'il payeroit a fa foeur une fomme de fept mille 1 livres, en dédommagement des fraix j de la guerre , Sc des dépenfes faires pour la garde des chateaux du Comté. Pendant que Baudouin s'occupoit en Flandres du recouvrement de fes biens patrimoniaux , les bulles de Grégoire, pour la publication d'une nouvelle croifade, réveilloient la piété militaire de lanoblelTeFraneoife. La tranquillité de 1'Empire de Conftantinople fembloit être un préliminaire indifpenfable pour la conquête de la Terre-Sainte; Sc felon la maniere de penfer de ce temps-la , la. caufe de Baudouin étoit devenue celle de Dieu même. Grand nombre de Barons Sc de Gentilshommes avoient déja pris la croix ; Sc a la tête de cette lifte brillante paroiffoient les plus grands noms de la nation : Pierre de Dreux, Comte de Bretagne; Hugues IV, Duc de Bourgogne; Henri li, Comte de Bar; Raoul de Nefle , Comte de Soiffons; Jean , Comte de Macon ; Jean ? Comte de Forêts 6c de Kevers; Ri- Bau- >ouin II. ean de ïrienne. /at ace» Ln, 1137. L. Mort de lean de Biienne. Acrop. c. 34- Alberic. chr. Richard dl San Ho Germauo.Cornut. de fufcept. coron. fpin. Matth. Pa- Btfivius. Raynetld. Du Cange , hifi. I. 3 , c 24,25, 26. Fhury , hifi. eccl. I. 81 , art, 9.  Baudouin II, Jean d~ Brienne. Vatace. An. 1237, 304 H I S T O I R z chard de Chaumont, Anfeau de 1'Ifle, Imbert de Beaujeu, & plufieurs autres Seigneurs des plus diftingués. On fe difpofoit a partir vers la SaintJean prochaine, ou du moins au mois de Mars de l'année fuivante, terme fixé par le Pape ; & on comptoit fur la prévoyance de Jean de Bnenne pour préparer le fuccès, lorfqu'on apprit fa mort. Le trifte état de Conftantinople , plus encore que fon grand age, I'avoit conduit au tombeau. La ville étoit environnée d'ennemis,& tellement refferrée par leurs courfes , qu'elle manquoit de vivres, & que la plupart de ceux qui étoient chargés de la défendre, fe déroboient de nuit, & fe fauvoient par terre ou par mer. Succombant enfin a tant de chagrins & de travaux, il mourut le 23 Mars, dans 1'habit de Saint Frangois, qu'il voulut porter les derniers jours de fa vie. II étoit agé de quatre-vingtneufans, & avoit porté huit ans Ie titre d'Empereur. Ce Prince n'avoit dü le Royaume de Jérufalem , & ne dut enfuite 1'Empire de Conftantinople qua la réputation de fes grandes gualités, Son pere Erard, Comte de  nu Bjs-Empiab. Liv. XCVll. 305 Brienne, I'avoit deftiné a 1'Eglife dans fon enfance; mais dès qu'il fut en age de fe connoitre lui-même, il fentit fi peu d'attraits pour ce genre de vie, qu'il sechappa de la maifon paternelle, & s'enfuit aClairvaux, oü il fut regu & élevé par un oncle, Religieux dans cette Abbaye. Un jour qu'il étoit fur la porte du monaftere , il fut reconnu par Simon de Broies, Seigneur de Chateauvilain, fon proche parent, qui conformément a fes defirs, Pemmena, lui donna une éducation militaire, & le fit Chevalier. Son pere, mécontent que la nature eut refufé de lui obéir , 1'ayant entiérement abandonné, il trouva dans fes autres parents & dans fes amis affez de reffources pour fe foutenir avec honneur, & fe fignaler même dans les tournois & dans la guerre. II prit la croix avec Gautier, fon frere, entre les Seigneurs qui marchoient a la conquête de Conftantinople. Mais Gautier ayant été alors appellé a la couronne de Sicile, Jean 1'accompagna dans fon voyage de Naples; & après fa mort, il prit la tutele de fes enfants. Amauri II, Baudouin il; Jean dë Brienne. Vatace. An. 1*37'  Baudouin II Jean di Brienne Vatace. An, 1237. 5° H 1 S T 0 I X. E Roi de Jérufalem, étant mort, les Barons de la Paleftine, inftruits de la yertu & de la valeur de Jean de Bnenne, députerent en France pour lui offrir la couronne avec Marie , fille de Conrad de Montferrat & de la Reine Ifabelle. II accepta des offres fi flatteufes , & de ce mariage naquit Yolande , qu'il donna pour femme a 1'Empereur Fréderic IL En ilpaffa en France, & dela en Efpagne, pour demander des fecours. Comme fa femme, Marie, étoit morte alors, il époufa, en fecondes noces, a 1'age de foixante-quatorze ans, Berengere, fille d'Alfonfe, Roi de Caftille, & il eut, de ce fecond mariage, trois fils, & une fille qui fut femme de 1'Empereur Baudouin. Ayant appris qu'en fon abfence fon gendre Fréderic avoit ufurpé le titre de Ros de Jérufalem, il demeura en Europe, & ce fut pendant qu'il commandoit les armées de Grégoire IX contre Fréderic, qu'il fut appellé a 1'Empire, ainfi que je 1'ai raconté. Quoiqu'il eut peut-être montré plus de fageffe en n'acceptant pas une couronne, qui, poUr être alors défendue9  du Bas-Empire. Liv. XCF1I. 307 avoit befoin de toute la force d'un héros en age viril, on peut dire néanmoins que Conftantinople perdit beaucoup a fa mort. Son grand age ne le rendoit pas incapable d'aöions de courage , &c fa réputation paffée rempliffoit encore mieux le tröne de ce foible Empire , & le foutenoit plus fortement, que la jeuneffede Baudouin , Prince fans talents & fans vigueur. Bau-1 DOUIN II. Jean de Brienne. Vatace. An, iï37«   jog S O M M A I R E D V L1VRE QUATRE-VINGT-D1X-HUITIEME. I. ./4 N s E A V de Cahieu Régent de Conjiantinople. II. Afan fe détache de Vatace. 11% 11 fe lie avec les Frangois, & s'en détache prefque aufji-tót. IV. Révolution d Theffalonique. V. Aventures de Manuel d'Epire. VI. Baudouin en Angleterre. VII. Empreffement du Pape pour la croifade de Conflantinople. vill. il engage le Roi de Hongrie d faire la guerre au Roi Bulgare. IX. Mauvais fucces du fecours envoyé d Conjiantinople. X. Baudouin fait don d St. Louis de la Couronne d'épines. XI. Elle ejl tranfportée d Paris. XII. Baudouin arrivé d Conftantinople. XIII. Alliance des Francois avec les Comans. XIV. Les Frangois reprennent Zurule. XV. Vatace dêfait fur mer. XVI. Comete. XVII. Mort de plufieurs perfonnes illufires. XVIII. Reliques données par Baudouin dSt. Louis,  310 SOMMAIRE XIX. Politique de Vatace pour s'emparer de la Bulgarie. XX. Guerre de Vatace en Theffalie. XXI. Vatace leve le fiege de Theffalonique. XXII. Commencement des Tartares Mogols. XXIII. Conquêtes de Genghi^can. XXIV. Exploits des Mogols en Europe. XXV. Conjlernation de toute Ü Europe. XXVI. Le Sultan d'Icone s'allie avec Vatace. XXVII. Sageffe du gouvernement de Vatace. XXVIII. Richejfes des Turcs apportées dans [Empire. XXIX. Edits fomptuaires. XXX. Froid excefjif. XXXI. Baudouin en Italië. XXXII. Marcéfine maitreffe de Vatace. XXXIII. Hardieffe de Blemmydas. XXXiv. Baudouin au Concile de Lyon. XXXV. Vatace en Bulgarie. XXXVI. Villes Bulgares qui fe donnent d Vatace. XXX vil. Complot contre Démétrius, Defpote de Theffalonique. XXXVIII. Vatace maitre de Theffalonique. XXXIX. Vatace prend Zurule. XL. Démarches de Baudouin en France & en Angleterre. XLi. L'Impératrice Marie en France. XLII. Démarches du Pape, pour la réunion de VEglife Grecque. XLIII. Guerre dans tifle de Rhodes. XLIV. Troifieme voyage de Baudouin en Occident, XLV, Conduite  du Livre XCV1IK 311 de Vatace d 1'égard de Michel d'Epire. XLVI. Guerre de Vatace en Theffalie. XL Vil. Michel Paléologue accufé. XL VIII. 11 refufe fépreuve du fer ardent. XLIX. Vatace lui rend fes bonnes gtaces. L. Ambaffade au Pape, pour la réunion des deux Eglifes. LI. Mort de Vatace, LU, Ses libéralités.  HiSTOIRE  HISTOIRE D U BASEMPIRE. LIVRE QUATRE-V1NGT-D1X-HUIT1EM.E. BAUDOUIN II. VATACE. CONSTANTiNOPLEne voyoit plus les ennemis au pied de fes murs ; mais elle foufFroit encore toutes les incommodités d'une ville affiégée. Afan ravageoit la Thrace; il étoit maitre des bords de 1'Hebre. Vatace, en fe retirant après fa défaite , avoit confervé Zurule ; il y avoit laiiTé garnifon fous le commandement de Nicéphore Tarchaniote, fon preTomt XXI. O 3i3 Baudouin IL Vatace. An. 1137. I. Anfeau de Cahieu régent de Conftantinople.Du Cange. hifi. I. 4, f. I.  Baudouin h; Vatace. An. 1237, Idcm.notes fur Villehardouin , 77. I 314 IIlSTOTRE mier maitre d'hötel , guerrier plein de valeur; & les courfes de cette garnifon infeftoient tout le pays jufqu'aux portes de Conftantinople. Le féjour de deux armées depuis deux ans avoit empêché la culture des terres, & celles qu'on avoit ofé enfemencer , ne promettoient de moiffons qu'aux ennemis. On n'avoit d'efpérance que dans les fecours que Baudouin follicitoit enOccident. Les Vénitiens , intéreffés autant que les Francois même a la confervation du nouvel Empire, agiffoient vivement auprès des Princes, & fur-tout auprès du Roi Louis, le plus puiffant & le plus zélé de tous. Le Pape avoit levé 1'étendard d'une nouvelle croifade ; mais ces pieufes expéditions, chargées de 1'appareil de la vanité & du luxe, fouvent traverfées par des défiances politiques, entraïnoient de longs préparatifs & des préliminaires épineux pour s'ouvrir des paflages, & s'affurer des fubfiftances. Pendant que Baudouin étaloit fes infortunes&fes dangers en Italië, en Fran:e, en Angleterre, Conftantinople itoit fans chef: en attendant fon re-  nu Bas-Empire. Liv. XCFII1. 315 tour, on nomma pour régent de 1'Etat, Anfeau de Cahieu. Ce Seigneur, dont nous avons déja fait mention, defcendoit d'une noble ëc ancienne familie de Picardie, qui poffédoit la terre Sc Seigneurie de Cahieu, iituée fur mer prés de Saint-Valery. C'étoit le plus renommé des Seigneurs vivant encore, qui avoient eu part k la conquête. Son age lui donnoit de Pexpérience , & fon mariage avec Eudocie, fille de Lafcaris, ajoutoit un nouveau luftre a fa réputation de valeur. II eft fort vraifemblable qu'il fit jouer de fecrets refforts pour détacher Ie Roi Bulgare de Palliance de Vatace, Sc que fes infinuations mirent en mouvement, auprès de ce Prince, fa femme Marie, niece de Baudouin, 8c fon beau-frere , Béla, Roi de Hongrie , qui, a Pexemple de fon pere, prenoit a cceur les intéréts de 1'Empire Francois. Peut-être auffi ne fallut-il, pour opérer cette défunion, que 1'inconftance politique du Roi des Bulgares. Maitre d'un Royaume ufurpé fur 1'Empire, il fe défioit également des Francois 8c des O ij Baudouin II. Vatace. An. nj7. II. Afan fe détache de Vatace. Acrop. c. 34. Du Cange, hifi. I. 4 , t. as  BaudouinVatac An. 113 3lS HlSTOïRB Grecs : il craignoit que celle des deux J. nations qui viendroit a hout de dée. truire 1'autre , ne tournat enfuite tou7' tes fcs forces contre lui. Cette inquiétude Ie rendoit flottant entre les partis; & felon les conjonaures, il devenoit tour-a-tour ami & ennemi des deux peuples. Voyant donc 1'extrémité a laquelle étoient réduits les Francois , il réfolut de rompre avec Vatace. Mais auparavant, il voulut tirer de fes mains fa fille Hélene, dont le mariage n'étoit pas encore confomméavec Théodore. Dans ce deffein, il vint a Andrinople , & députa vers Vatace, pour leprier de lm envoyer fa fille , promettant de la renvoyer lorfqu'il auroit rempli les defirs de la tendreffepaternelle. Quoique Vatace eut déja quelque foupgon du refroidiffement d'Afan, il n'ofa toutefois lui refufer une fatisfaéhon fi naturelle; mais il ne put s'empêcher de lui mander, que s'il retenoit fa fille & 1'enlevoit a fonépoux, d y avoit un Dieu qui fauroit bien pumr la rupture d'une alliance jurée & confacrée par fon nom. Dès que la Princeffe fijt arrivée, Afan  !>u Bas-Empire. Likt. XCVUI. 317 renvoya fon cortege, & prit le chemin de Ternove , emmenant avec lui fa fille, qui, malgré les menaces & les mauvais traitements de fon pere , pleuroit amérement, & regrettoit a grands cris fon jeune époux: & fa belle-mere Irene, a laquelle elle étoit tendrement attachée. Pour paroïtre s'unir de bonne foi aux Francois, il feignit de renoncer a la communion des Grecs, & de fe foumettre i\ 1'autorité de 1'Eglife Romaine. II écrivit au Pape, & lui demanda un légat pour ramener les Bulgares au fein de 1'ancienne Eglife , & pour 1'aider de fes confeils dans la conduite qu'il devoit fenir a 1'égard de 1'Empire. Grégoire, charmé de ces heureufes diipofitions, lui envoya l'Evêque de Péroufe, & 1'exhorta a fecourir de tout fon pouvoir Jean de Brienne , dont on n'avoit p.s encore appris la mort en Italië. 1! Faffuroit que fes bonnes intentions feroient bientöt fecondées par une puiffante armée d'Occidentaux , prête a paffer en Grece, pour affermir la domination francoife , & détruire jufcues dans les fondements un Empire O iij Baudouin II. Vatace. Am. 1237". Hl. II fe He avec les Francois , & s'en détacheprefque auffi-töt. Grtg. epifi. Acrop. c, 35 , 36Du Cange, '■4, 3 > 4-  Baudouin II. Vatace. Aji, U37, 1 i i i i < 1 1 I 1 c 3'§ Hl S T O 1 h E fchifmatique. Ce n'étoit pas fansdoute le vceu du Roi Bulgare; mais continuant dans fa difKmulation, il leva de fon cöté une grande armée, & la conduifit en Thrace. Les Frangois fe joignirent a lui, avec un nombre affez confidérable de troupes étrangeres , qu'une nouvelle révolution venoit de jetter fur les terres de 1'Empire. Une de ces terribles peuplades, que le nord de 1'Afie avoit déja plufieurs fois enfantées, connue depuis ?eu fous le nom de Tartares Mogols, nondoit de fang les bords de la mer Cafpienne , & étendoit fes épouvanables ravages jufqu'au Pont-Euxin. Les barbares de ces contrées , fuyant ivec_ leurs femmes & leurs enfants, i'étoient affemblés au bord du Danu)e; & ayant paffé ce grand fleuve 'ur des outres en dépit des Bulgares , Is s'étoient répandus dans la Macéloine & dans la Thrace, ou cesloups iffamés portoient la même défolaion, qui leur avoit fait abandonler leur pays. Les Frangois, pour ap^rivoifer ces bêtes féroces, en enölerent un grand nombre dans leur rmée; & réunis avec Afan, ils fe  du Bas-Empire. Liv. XCyiII. 3^9 mirent en marche pour aller combattre Vatace, qui s'étoit cantonne dansle Cherfonefe, & fur les bords de 1'Hellefpont, autant qu'on peut 1'entrevoir dans le récit obfcur 8c confus de 1'hiftorien de ce temps-tè. Mais pour foulager le befoin preffant de Conftantinople, défolée par la difette , ils crurent devoir commencer par chaffer les Grecs de Zurule. Ils environnerent la place, & 1'attaquerent avec grand nombre de machines. Ils trouverent dans Tarchaniote un ennemi auffi intelligent que brave &c déterminé, quiinfpirant fon courage a fa garnifon, repouflbit tous leürs efforts, & favoit, aux machines des affiégeants, en oppofer d'autres encore plus fortes & plus meurtrieres. Cependant Vatace, qui n'avoit pas affez de forces pour aller faire lever le fiege, étoit dans une inquiétude mêlée de contentement. D'ur cöté, il craignoit pour cette ville, dom la prife lui feroit perdre toutes fe! conquêtes de Thrace; de 1'aut-re, i étoit bien-aife que 1'ennemi ufat fe: forces & le temps de la campagm «levant une place dont il efpéroit urn O iv Baudouin II. Vatace. An. 1137-  Baudouin Iï Vatace, An, i%}7, 1 ] 3 I 1 g n ï P ÏV. Révolu- yrion a Theffalo- q nique. £ Acrop. 33,39» C< p© & I S T fj I K £ ■™uer^nce.Maisa n'enfutpas recu "i, R ffteS n°l,VeIles ^'A^recu de Bulgarie, 1'obligerent 4 le- venoit de lu, entever ï la fois , fa ?.mm^fo,ifiIs'&1,Evêquedefer*ove. Confterné de tant de pertes , Jinntle feu a fes machines, & reprit e chemin de Bulgarie. Les Frangois, ffoibhspar fa retraite, retournerend s Conftantinople. Afan, perfuadéque ie Uel le pumffoit d'avoir violé fes erments & romPule lien facré qui machoitfahlle 4Théodore, envoya aire a Vatace 1'humble aveu de fa faue , öc lui demanda la réconciliation. -Empereur Grec recut fes excufes; alhaneefutjurée de nouveau, &la rineeffe revint entre les bras de fa elle-mere&defon époux, Ce chanement üt echouer le proiet de réulon avec 1'Eglife Latine, auquel Ia ehgion avoit moins de part dans ces nnces, que les intéréts temporels. Aian tenoit prifonnier, depuis pluairs annees , Théodore d'Epire, auiel il avoit fait crever les yeux ependant il traitoit avec humanité : Pnnce malheureux, & Théodg.  nu Bas-Empire. Liv. XCF1I1. 321 fe, environné de fa familie, trou¬ voit auprès de fon vainqueur tous les adouciffements, s'il en eft au monde , qui pouvoient le confoler de la perte de la vue & de la liberté. II avoit de fa femme Pétraliphe, deux fils, Jean & Démétrius, & deux filles , Anne & Irene. Afan, après la mort de fa femme, Marie de Hongrie, devint éperdument amoureux d'Irene. II époufa fa captive; & pour préfent de noces, il donna la liberté afon beaupere & a toute la familie de fa nouvelle époufe. Manuel, frere de. Théodore , étoit, comme je 1'ai dit, en poffeffion du Royaume de Theffalonique , & avoit époufé une fille naturelle d'Afan; ce qui lui avoit proeuré jufqu'alors la proteftion du Roi Bulgare. Le nouveau mariage changea le cceur d'Afan. La tendreffe pouc fa fille cédant a la paffion dont il brüloit pour fa femme , il favorifa le deffein que concait auffi-töt Théodore , de rentrer dans fes Etats. Cependant , pour fauver les apparences de l'affettion paternelle, il ne voulut donner a fon beau-pere que des fecours fecrets, Théodore, déguifé en O v Baudouin II. Vatace. An. 1237. Du Cange, hifi. I. 4, c. 4>  Baudouin II. Vatace. An. 1237. V. AventuTes de Manuel d'E- i 1 1 322 HjSTOIRE mendiant, entra dans Theffalonique '„ & s'étant fait connoitre a ceux qu'il s'étoit autrefois attachés par des bienfaits, lorfqu'il crut avoir affez de partifans, il leva le mafque, s'empara de la ville & du refte de fon ancien domaine, fit jetter fon frere dans un yaiffeau, pour être conduit a Attalie, & livré aux Turcs. II remit la Princeffe, femme de Manuel, entre les mains de fon pere Afan. Son aveuglement le mettant hors d'état de paroitre a la tête des affaires, il donna Ie titre d'Empereur, & tout 1'extérieur de la dignité impériale a Jean fon fils, & fe réferva 1'autorité fur fon fils même, & tout 1'effentiel du commandement. Manuel, arrivé a Attalie, fut mieux traité que fon frere ne s'y étoit attendu. Le Sultan lui donna tous les fecours qu'il demanda pour fe rendre niprès de Vatace; & 1'Empereur Grec qui lui étoit allié par fa femme, après 'avoir fait jurer qu'il lui feroit touours fidele, lui fournit de 1'argent & 5x vaiffeaux, pour aller fe faire un Stabliffement dans la partie de la Ma:édoine& de la Theffalie, qu'on nom-  nu Bas-Empire. Liv. XCV11L 323 moit alors la grande Valachie, ou Conflantin, un de fes freres, avoit r déja un domaine avec le titre de Def- "\ pote. Manuel, ayant abordé k Démé- 1 triade, & fait favoir fon arrivée a fes amis, eut bientöt fur pied affez de troupes pour s'emparer de Pharfale, de Lariffe, de Platamon. MaiV tre de ce pays, il fe réconcilia avec fes deux freres, qui lui laifferent le domaine de ces villes; & fuivant le caraöere de ces ames viles, dont 1'intérêt fait toute la morale, par reconnoiffance pour eux, ü devint ingrat envers fon bienfaiteur. lis avoient alors embraffé 1'alliance des Latins contre Vatace; ils 1'entrainerent dans leur parti; & Manuel, malgré fes ferments, fe lia par un traité avec les Princes d'Achaïe & de Morée : mais bientöt méprifé de ceux même qu'il fervoit contre fa foi & fon honneur r il fe repentit de fa perfidie, & mourut avant que d'avoir eu le temps de la réparer. Les follicitations de Baudouin avoient eu en France le fuccès le plus heureux. Grand nombre de Seigneurs vendoient ou engageoient leurs terO vj Bau- OUIN If, rATACE. .n. Ii}7- An. 113S. VI. Baudouin en Angleterre.  Baü- douin IT. Vatace. An. 1238. Grtg. epifi. Matth. Paris. Matth. Wtfl. Du Cahg' , hifi. I. 4. e. 5,6. i 1 i I I l c e f 324 H I S T O l R £ res, pour voler au fecours d'un jeune Prince, iffu du fang de leurs Rois„ Le feul nom de Conftantinople leur retracoit les hauts faits de leurs peres; ils fe faifoient un devoir de conferver leur conquête, & 1 'ardeur d'une gloire pareille embrafoit leurs efprits, Déja le Comte de Bretagne avoit affemblé, pour fa part, dix mille hommes de pied, & deux mille chevaux; le Comte de Bar devoit marcher a la tête de cent Chevaliers choifis; & la Nobleffe venoit a 1'envi offrir aux divers Seigneurs, le généreux facrifice de fa fbrtune & de fa vie. Baudouin ïfpéroit trouver la même chaleur en ^ngleterre: mais lorfqu'ii débarqua a 3ouvres, Henri III, qui régnoit alorsr ui fit dire qu'un Prince de fon rang ï'auroit pas dü entrer dans fes Etats, ans en avoir donné avis, & reen la lermifiioG ; & qu'une démarche fi peu réparée, annoncoit la préfomption c le mépris. Le Prince, confus de e reproche, fe difpofoit a retourner n France, lorfqu'ii recut du Roi un ?cond meffage. Henri lui mandoit, ue puifqu'il étoit venu en ami, fans "mes, fans troupes , il lui permet-  bv Êas-Empikb, Liv. X€FIII. 325 toit d'achever ion voyage , & qu'on lui rendroit tous les honneurs dus a fa perfonne & a fa dignité. On croit que ce qui attiroit a Baudouin une réception fi dure, étoit le reffentiment des Anglois contre Jean de Brienne, fon beau-pere. II étoit autrefois venu en Angleterre demander des fecours pour la Terre-Sainte ; & aprèsles avoir obtenus, de retour en France , il s'étoit déclaré contre les Anglois, pour Philippe-Augufte. C'étoit un trait trop peu favorable, pour que les courtifans de Henri lui permiffent de 1'oublier. L'état oh fe trouvoit le jeune Prince, le rendoit peu délicat fur le point d'honneur. II fe rendit a la Cour de Henri, qui le recut honorablement le 22 Mai, & lui accorda environ fept cents marcs dargent, pour 1'aider dans fon entreprife. La recommandation du Pape n'avoit pas été inutile pour tirer cette fomme du Roi d'Angleterre. II travailloit avec autant d'ardeur que Baudouin même a lui procurer des fecours. Ses lettres prévenoient par-tout 1'arrivée du Prince, & alloient parler pour lui dans tous les lieux de la Chré- Baudouin II. Vatace. An. 123S. VII. Emprefle-* ment du Papepour la croifade da Conftantinople.  Baudouin II, Vatace, 3*6 HlSTOI&S tienté, oh il ne pouvoit porter fes pas. Par les ordres de Grégoire, on dépofoit en des mains füres, qu'il indiquoit lui-même, les fommes recueillies pour la levée & 1'entretien des troupes; & eet argent couloit en abon4ance.' Par.tous les canaux que la charité Chrétienne fait ouvrir dans les befoins de 1'Eglife & de 1'Etat. Ceux qui, après avoir pris la croix, étoient retenus par quelqu'empêchement légitime, achetoient la difpenfe de leur voeu: on levoit fur les Eccléfiaftiques le tiers des revenus de leurs bénéfices & de leurs Eglifes. Le Roi Louis appliquoit a eet ufage le produit des taxes extraordinaires qu'il tiroit des Juifs de fon Royaume. On détournoit, en faveur de la nouvelle croifade, une partie des deniers levés pour celle de la Terre-Sainte; c'étoient pour toutes les deux les mêmes indulgences. Le danger de Conftantinople devenoit une calamité commune k toute la Chrétienté; & comme cette ville manquoit également de vivres & de troupes , le Pape balancant ces deux belbins avec prudence, exhortoit les Princes a y envoyer abon-  du B.is-Empire. Liv. XCFIII. 327 dance de vivres;mais feulement autant de troupes qu'elle en pourroit faire fubfifter. Dans cette vue, il manda au Comte de Bretagne de n'y conduire que fix mille hommes de pied 8c quinze cents chevaux. C'étoit contre Vatace que fe faifoient de li grands préparatifs; mais Afan n'étoit guere moins redoutable a 1'Empire Francois, 8c il étoit encore plus odieux au Pape. Ce Prince s'étoit joué de 1'Eglife Romaine; 8c après avoir feint de vouloir rentrer dans fon fein, il s'étoit jetté de nouveau entre les bras de fon ennemi. Deplus, il étoit difficile de renverfer 1'Empire Grec, tant qu'il feroit foutenu par un ennemi fi aétif 8c fi belliqueux. Grégoire fongea donc a détruire eet appui, en fufcitant au Roi Bulgare un ennemi fupérieur en forces. II jetta les yeux fur Béla, Roi de Hongrie. Le voifinage des deux Etats ouvroit une entrée facile en Bulgarie, 8c le Hen qui avoit uni les deux Royaumes fembloit être rompu par la mort de la femme d'Afan, fceur de Béla. Le Pape engagea Baudouin & renoncer aux droits que les Empereurs de Conflan- BaüdouinII.Vatace. An. 1238, VIII. II engag» Ie Roi de Hongrie k faire la guerre au Roi Bulgare. üreg. epijl. Raynald. Du Cangc , hifi. I. 4. 7»  Baudouin II. Vatace. An. 1238. S 1 i i i i 1 I Sa8 II l S T 0 1 x £ tinople fe réfervoient fur la Bulgarie, depuis qu'elle s'étoit révoltée contre 1 Empire; & felon les pfétentions des Fapes de ce temps-la, qui s'attribuoient ouvertement le pouvoir de difpofer des couronnes, il déclara qu'il donnoit a Béla le Royaume de Bulgarie, & ordonna la publication d'une croiiade en Hongrie contre Afan, comme contre un Schifmatique relap*. Béla parut d'abord fe défendre d'accepter ce préfent. L'héritier préfomptif de la couronne de Bulgarie étoit fils de fa fceur, & il ne pouvoit attaquer Afan, fans rompre avec Vatace fon allié & fon beau-frere; fa femme, Marie Lafcaris ,■ étant fceur de 1'Imperatrice Irene, femme de Vatace: mais Pambition, fophifte adroit & peruafif, joignit fa voix a celle du Pape, ie d ne fut plus queffion que des conïtions. Béla demandoit que la qualité ie Legat du Saint-Siege fut unie en a perfonne a celle de Roi de Bulgare; en forte qu'on lui laiffat prendre ur le fpintuel le même pouvoir que e Pape s'arrogeoit fur le temporel: e qui n'étoit pas nouveau en Hon;ne , puifque le Roi Saint Etiejine  nu Bas-Empire. Liv. XCVlll. 329 avoit joui de cette prérogative : que " d'ailleurs ce feroit un moyen de ga- D gner plus facilement les Bulgares, qui 1 penfoient ne pouvoir fe foumettre a A 1'Eglife Romaine , fans en devenir les efclaves. 1! demandoit encore qu'il lui fut permis de faire porter la croix devant lui dans fes armées, & que pendant le cours de cette expédition , le Pape fe déclarat protefteur de fon Royaume, 6c qu'il le défendit par les armes de 1'excommunication contre ceux qui oferoient 1'attaquer. Ces deux dernieres demandes furent aifément accordées; mais la première fouffroit de grandes difficulrés. Les Papes, en étendant leurs bras fur la puiffance temporede des Rois, veilloient avec une forte de jaloufie très-légitime k ne point laiffer entamer leur autorité fpirituelle.. Pour fatisfaire le Roi de Hongrie , Grégoire imagina un tempérament ; ce fut que la dignité de Légat fut confiée par le Pape k tel Evêque de Hongrie que le Roi voudroit choifir; en forte que ce Prélat feroit fous la main du Prince, 6c n'agiroit que de concert avec lui. Après tous ces préliminaires de guerre, 1'hif- BauouinIL 'ata6e. n. 1138.  Baudouin II. Vatace. An. 1238, IX. Man vais fucces du fecours envoyé a Conftantinople.Gng. epift. Ph. Moufkts. Mati. Paris. Alberic. tbr. B-iovius. Du Cange, hifi. 1. 4 , 8.8,9,10. 350 HlSTOIRB toire ne dit rien de la guerre même. II femble que tant de machines dreffées contre le Roi Bulgare, refterent lans mouvement & fans effet, & que le Bulgare, intimidé par ces menaces, fit fa paix avec Béla & les Francois , au fecours defquels il ouvrit l'année fuivante un paffage dans fes Etats., Tous les préparatifs de Grégoire n'eurent pas de meilleur fuccès. Baudouin, qui croyoit fa préfence néceffaire pour entretenir 1'ardeur des Francois & preffer leurs préparatifs, ne pouvoit encore retourner a Conftantinople. Inftruit de 1'extrémité oh fe trouvoit cette ville, il fit partir dès le mois de Mars un fecours confidérable d'hommes & d'argent, fous la conduite de Jean de Béthune , que Brienne lui avoit donné pour guider fa jeuneffe & 1'aider de fes confeils; Ce fage & vaillant Chevalier prit la route d'Italie, a defTein de s'embarquer a Venife, & d'aller par mer a Conftantinople, les Bulgares & les Grecs de Vatace, répandus dans tout le pays, rendant le paffage impraticable du cöté de la terre. Mais il fut  dv Bas-Empiae. Liv. XCV1II. 331 arrêté par un autre obftacle non moins infurmontable. L'Empereur Fréderic, qui avoit été mortel ennemi de Jean de Brienne, ne 1'étoit pas moins de Baudouin , & plus encore du Pape , avec lequel il étoit en guerre ouverte. C'étoit pour lui un triomphe de faire échouer un projet que le Pape avoit tant k cceur. Afan &c Vatace, profitant de ces difpolitions, avoient recherché fon alliance; & afin d'intéreffer fon ambition , ils lui promettoient, que s'il vouloit fe joindre ï eux pour exterminer les Francois, il; lui feroient hommage de 1'Empire. & fe réuniroient a 1'Eglife Romaine Fréderic, alors en Lombardie , ü laiffa gagner par ces promeffes; & dès qu'il apprit que Béthune avoit paffé les Alpes, il lui fit iignifier une défenfe de mettre le pied dans fes Etats s'il ne vouloit reffentir les plus ter ribles effets de fa colere. Béthune étonné d'une menace fi peu attendue fe flatta d'engager Fréderic k la révo quer, s'il pouvoit traiter avec lui. I alla donc le trouver, & par fon adref fe, il obtint en effet la permiflion di faire paffer fes troupes k Venife; mai Baudouin II. Vatace. An. 113S. 1  BaubouinII.Vatace. An. 1238. 1 1 ) 1 ] i 1 1 1 3 33^ II I S T 0 I R Ê k condition qu'il refteroit lui-même auprès de Fréderic, pour garant de la conduite qu'ellestiendroient en traverfant fes Etats. En vain Béthune offrit a 1'Empereur une grande fomme pour obtenir la liberté d'accompagner fes troupes; il fallut les laiiTer partir fans leur chef. Les efprits s'aigrirent de plus en plus. Fréderic fe tenant déja pour Souverain de 1'Empire d'Orient, manda k Baudouin que s'il ne fe déclaroit fon valTal, il alloit 1'y forcer par les armes ; & fur le refus de Baudouin , il défendit k tous fes fujets de donner paffage k aucunes iroupes pour la Grece & la TerreSainte. Le Pape, vivement affligé de ês hoftilités, qui rendoient inutiles ant de mouvements & de travaux, ui repréfenta, par des lettres prefantes, 1'intérêt de toute la Chrétiené, dont Fréderic fembloit fe décla■er ennemi. Mais loin de rien gagner ur eet efprit opiniatre, plus il témoi;noit de chagrin, plus il flattoit la . saine invétérée de Fréderic. Baudouin voyant qu'avec Afan & Vatace, il ivoit encore Fréderic k combattre, ■etourna en Italië pour confulter le  du Bas-Empire. Liv. XCFIII. 333 Pape, & avifer avec lui aux moyens de forcer cette nouvelle barrière. Ceperidant les troupes affemblées k Venife , augmentées encore d'un grand nombre de croifés, qui étoient venus s'y joindre, fe dilfipoient faute de chef. Béthune ayant enfin obtenu fa liberté, & étant mort prefque en arrivant a Venife, elles fe débanderent tout-a-fait. il n'en refta qu'une petite partie, dont les uns paflerent en Morée, fans ofer pénétrer plus avant; les autres fe hafarderent a faire voile k Conftantinople , oü ils aborderent k travers d'une infinité de périls. Cette ville, enveloppée de toutes parts, & comme bloquée du cöté de la mer & de la terre, eut été contrainte de fe rendre , fi elle n'eüt reeu fort k propos, un fecours des Vénitiens & de GeofFroi, Prince d'Achaïe , qui s'étant réunis, forcerent 1'entrée du port avec une flotte de vingt-deux voiles. Malgré rempreffement de Baudouin pour fecourir Conftantinople, tant d'obftacles, tant de contre-temps & de délais, fatiguoient la patience des habitants. Toutes les fortunes é- Baudouin II. Vatace. An. 1238^ X. Baudouin fait préfent a St. Louis de la Cou-  Bav- bouin II. Vatace. An. 1238. ronne d'épines. Cornut. ie fufcept. Sancla CororiK Spitten. Th. Moufkes. IVangis chr. Dandul. thron. Alberic. chr. Matth. Pa. ris. Matth. Wefiminfi. Vincenlius Bellov. Doutrem. I. 5 , c. 6. Du Cange, hifi. I. 4 , e. ii, 12. Fleury , hifi. ecclef. I. 82, art. 37. 334 Histoirb toient épuifées. On avoit enlevé le plomb de la couverture des Eglifes, pour en faire de la monnoie. On en vint enfin k facrifier, a de fi preffants befoins, les plus faintes reliques, jufqu'aux inftruments vénéra* bles de la rédemption des hommes. La Couronne d'épines, encore teinte du fang du fils de Dieu , faifoit la principale richeffe de la chapelle des Empereurs. On 1'engagea pour une grande fomme aux Vénitiens, k condition que fi on ne la retiroit pas de leurs mains, dans un terme marqué, elle leur demeureroit en propriété. En attendant qu'elle fut tranfportée a Venife, on la mit en dépot dans 1'Eglife du Pantocrator, qui appartenoit aux Vénitiens. Baudouin étoit k la Cour de Louis , lorfqu'ii apprit cette afïligeante nouvelle. Percé de douleur, il en fit part au Roi & a fa mere , il leur déclara qu'il leur cédoit en pur don , tous les droits qu'il avoit fur ce tréfor, & cette offre fut acceptée avec tout 1'empreffement d'une piété aufïi tendre que folide 8c généreufe. Louis envoya aufïï*töt i Conftantinople, deux Religieux Do-  du Bas-Empire. Liv. XCV11I. 335 minicains, dont 1'un ayant été Prieur dans un Couvent de cette ville, avoit vu, plus d'une fois, cette Couronne révérée. Baudouin les fit accompagner d'un député, chargé d'un ordre au Régent & aux Barons de la délivrer aux envoyés du Roi. Les Barons convinrent avec les Vénitiens, que la Couronne feroit tranfportée a Venife, d'ou elle feroit envoyée en France après le rembourfement de la fomme portée par la République. On mit en ufage toutes les précautions propres a conftater 1'authenticité & la confervation de cette fainte relique. Vers la fête de Noël, elle fut dépofée dans un vaifEèau , qui mit a la voile, fuivi des regards de toute la ville affemblée fui: le riva< ge, &c fondant en larmes. Vatace, inflruit de ce tranfport; avoit mis en mer plufieurs galerei pour Fenlever au paffage. La mair qui la confervoit depuis tant de fie' cles, la fit paffer fans périil. Arrl vée a Venife, elle fut expo fée a 1; vénération des fideles, dans 1'Eglif de Saint-Marc, oh elle dem eura jul qu'au payement, Le Roi ai roit écri Baudouin II, Vatace. An. 1138, XI. Elle eft tranfportée a Pa' ris. I t  Baudouin II. Vatace. An, 1238, 336 HlSTOIRE a 1'Empereur Fréderic, pour 1'engager a favorifer le retour de fes envoyés, qui firent le chemin par terre. On remarqua que dans une faifón pluvieufe, il ne tomba jamais un goutte de pluie, tant qu'ils furent en route, quoiqu'il plüt très-fouvent ,lorfqu'ils étoient arrivés au gïte. Lorfque le Roi apprit qu'ils étoient a Troyes, il partit en diligence, pour aller au-devant. La Reine fa mere, fes freres, Gautier Cornut, Archevêque de Sens , qui nous a laiffé 1'hiftoire de cette tranflation, grand nombre d'autres Prélats, de Seigneurs, de Chevaliers, 1'accompagnerent dans ce pieux voyage. On rencontra la fainte Couronne a Villeneuve-l'Arcbevêque, a cinq lieues de Sens, Sc toute la Cour de France imita la dévotion Sc la fainte joie du Prince, qui regut ce préfent du Ciel comme la fauve-garde de fon Royaume. Le lendemain , fête de Saint-Laurent, elle fut portee a Sens. A 1'entrée de la ville, le Roi, le Comte d'Artois, fon frere, vêtus d'une fimple robe de Saine, Sc les pieds nuds, la prirent fur leun' épaules, fuivis des Prélats Sc  nu Bas-Empirb. Liv. XCFIII. 33* & des Seigneurs qui marchoient auffi nuds pieds. Le Clergé, les Moines portant leurs reliques, tous les habitants vinrent a la rencontre. La ville retentilToit de tranfports de joie, Sc brilloit de magnificence. On ladépofa dans 1'Eglife de Saint-Etienne, oh elle regut les hommages de tout le peuple. Dès le lendemain, leRoi partit chargé lui-même de ce préfent ineftimable, Sc huit jours après il arriva a Paris. On avoit dreffé hors des murs , prés de 1'Eglife de Saint-Antoine, au milieu de la plaine, une eftrade fort élevée, d'ou 1'on montra eet objet de vénération au peuple de cette grande ville. Le Roi Sc fon frere la porterent enfuite folemnellement a 1'Eglife de Notre-Dame, avec les mêmes marqués d'humiliation Sc de refpeö qu'on avoit fait a Sens; Sc après avoir chanté 1'office, on alla la dépofer dans la chapelle du palais, qui étoit alors fous 1'invocation de Saint Nicolas. Quelques années après, le faint Roi fit rétablir cette chapelle, telle que nous la voyons aujourd'hui; Sc nonfeulement cette fainte Couronne, mais même quelques épines que nos Rois Tornt XXL P BaüdouinII.Vatace. An, 12.38,  Bau- »ouim II Vatace. An. 1239, XII. Baudouin arrivé a Conftantinople.. Gregor, tpift, Vhil.Moufhes. Acrop. c. 37- Alberic. thr. JJrovius. Raynald. Du Cang' , kift. I. f"iy. S38 HlSTOIRE ont permis d'en détaeher, ont opéré plufieurs miracles très-authentiques, que la bonté toute-puiffante du Créateur accorde, quand il veut, aux prieres des Saints, dont il fe plaït k couronner la foi & les ceuvres. L'aliénation du plus précieux tréfor fpirituel que poffédat Conftantinople , ne montroit que trop combien étoient preffants les befoins temporels. Auffi Baudouin redoubla-t-il de diligence pour hater le départ des; troupes levées en France; & le Pa-' pe, de fon cöté , exhortoit, avec ardeur, les Seigneurs croifés pour lai Terre-Sainte, a tourner leurs armesi contre Vatace. II n'eut pas de peine: a y déterminer le Prince d'Achaïe;; mais il ne put le perfuader a plufieurs, des principaux Seigneurs , quoiqu'ils: fe tuffent auparavant engagés de pa- ■ role a Baudouin & au Pape. La dé- ■ fiance qu'ils concurent de Fréderic, qui, par haine du Pape, s'étoit d'abord déclaré contre les croifés, les; détourna de ce voyage , malgré la . promeffe que leur faifoit eet Empereur , de leur ouvrir un libre paffage par fes Etats. Thibaut, Roi de Na-  t)u Bas-Empire. Liv. XCV1IL 339 varre, les Comtes de Bretagne, de Bar, de Macon , de Forets & de Nevers , Richard de Chaumont, Anfeau de Lifle, abandonnerent Baudouin , & prirent la route de Marfeille , oü ils s'embarquerent pour la Paleftine. Cependant Baudouin ne perdit pas courage. Après un nouveau voyage en Italië pour conférer encore avec le Pape, de retour en France, il engagea au Roi le Comté de Namur , pour fournir aux dépenfes de 1'expédition; & ayant donné ordre k fes affaires domeftiques, il affigna un rendez-vous général a fes troupes. Louis, redouté de Fréderic,en avoit obtenu un fauf-conduit pour les croifés en Allemagne. Ils n'avoient que de bons traitements k attendre du Roi de Hongrie, de Caloman fon frere, Duc d'Efclavonie, & même d'Afan, Roi de Bulgarie, lié depuis peu avec ces Princes, par un traité folemnel: en forte que Baudouin, a la tête d'une nombreufe armée , qui feroit encore fortifiée en chemin par les Hongrois & les Bulgares , forceroit aifément le paffage des contrées occupées par Vatace , li celui-ci entreprenoit de s'y P ij Baudouin II. Vatace.; An. 1139.  Baudouin II, Vatace. An. 1230. 34° Hl S T 0 1 R Z oppofer. Baudouin comptoit a fa fuite foixante mille hommes, entre lefquels fept cents Chevaliers avec leurs écuyers, Sc trente mille arbalêtriers a cheval. Plufieurs Seigneurs de grande diftinöion , s'étoient joints a lui, tels que Thomas de Marie , frere d'Enguerrand de Couci, Imbert de Beaujeu, Jofferand de Brancion, qui mourut onze ans après, k la journée de: Maffoure, le Chatelain de Baumez ,, Guillaume de Cahieu, Varin de la 1 Haverie. Le Légat, Evêque d'Agna-. gnie , devoit 1'accompagner jufqu'ü1 Conftantinople avec 1'Evêque de Si-. nigallia, Sc Varin, Archevêque de: Theffalonique, chaffé de fon Eglife: par Théodore, Prince d'Epire. L'ar- ■ mée s'étant mife en campagne vers; le mois d'Aovit, prit fa route par les Alpes Noriques & par 1'Autriche. Elle traverfa, fans obftacle, la Hongrie & la Bulgarie. Son paffage fut favorifé par Narjot de Touci, qui s'étoit formé un établiffement dans cette Province. Vatace ne fe crut pas en état de réfifter k tant de troupes. Dès qu'il fut inftruit de leur marche, il fongea a fe retirer.  du Bas-Empire. Liv. XCV1II. 341 II propofa la paix au Roi de Hongrie; il feignitmême, comme il avoit déja fait, de vouloir abandonner le fchifme des Grecs. Baudouin, arrivé a Conftantinople vers le mois de Décembre , fe fit couronner folemnellement dans 1'Eglife de Sainte-Sophie. Quoiqu'il fut fucceffeur légitime de fon frere Robert, & que depuis la mort de ce Prince, 1'hiftoire lui donne le nom d'Empereur; cependant il n'avoit encore pris que le titre d'héritier de 1'Empire, & il ne compte dans fes aftes, les années de fon regne, que du jour de fon couronnement. Une fi belle armée fembloit promettre de grands fuccès. Pour relever 1'Empire Francois, & lui rendre fes premières conquêtes, il ne reftoit plus a combattre que Vatace. Le; Hongrois étoient attachés a Baudouii par des mariages; le Roi de Bulgarie fatigué de fa propre inconftance, pa roiffoit réfolu de régner en paix. Ui nouveau traité procura aux Frangoi Falliance d'une nation puiffante, don la farouche valeur faifoit le fléau d 1'Empire , & la principale force de P iij Baudouin II. Vatace. An. 1139. An. 1240. XIII. Alliance des FranI cois avec L les Comans.1 Alberic. ■ chr. . Joinville , hifi. de St. 5 Louis. t DuCange, hifi. I. 4 , " f. 19. S  Baudouin II. Vatace. An, 124a. ; i i S4i H 1 s t 0 1 & z armées ennemies. Prêts a fe voir fubmergés par une inondation de Tar* tares, qui, des bords de 1'Océan oriental, s'avancoient avec fracas au travers de 1'Afie, & rouloient des flots de fang jufque dans le nord de 1'Europe; les Comans venoient chercher un afyle dans ce pays, qu'ils avoient fi fouvent couvert de cendres & de carnage. Jonas & Soronius , leurs Princes, arriverent è Conftantinople avec leurs families, & propoferent aux Barons Frangois de fe liguer avec eux. Dans Fétat oü fe trouvoit 1'Empire, on n'avoit garde de négliger aucune refiource; & FhumanitcFrancoife ne fe rebuta pas de la forme barbare ufitée chez tous ces peuples fep» tentrionaux, lorfqu'ils contracïoient une alliance. Les deux partis fe tiroient du fang des veines, & fe le donnoientmutuellement a boire, pour faire entendre qu'ils formoient enfem}le une forte de confanguinité &une rraternité inviolable. A cette formaité fauvage, ils en ajoutoient une mtre non moins bifarre : c'étoit de 'aire paffer un chien entre les Comniffaires des deux parties, rangés en  vu Bas-Empire. Liv. X.CV11L 343 haie , & de le trancher k coups de fabre, en criant, qiiainfifoit hachee en pieces celle des deux nations qui violera la foi jurée. Afin même de retferrer la confédération publique paf des liaifons particulieres, on fit baptifer les filles de ces Princes. Soronius en avoit deux : 1'une fut donnée pour femme k Guillaume , fils de GeofFroi de Méri, Connétable de Romanie; & 1'autre k Baudouin de Haynaut. La fille de Jonas , le plus puiffant des deux Rois, fut époufée par Narjot de Touci, veuf de la fille de Branas. Les Comans ne tarderent pas a fervir leurs nouveaux alliés : ils vin rent en grand nombre fe joindn aux Frangois, pour faire le fiege d Zurule, dont Vatace étoit demeur maitre. Baudouin étoit parti de Conl tantinople avec fon armée, & cam poit prés de la ville, lorfqu'ii vit ai river Guillaume de Vérone, Seignei de Negrepont, fils de Ravain Cai cerio, dont nous avons parlé. II ami noit Hélene fa femme , niece de D métrius, Roi de Theffalonique, mo en Italië , depuis dix ans : 11 uemanP iv Bau- DOÜlNtt, Vatace. An. ii4"5« ; XIV. . Les Francois re• prennent ; Zurule. i Greg. epifi'. Acrop. c. " 37- - Albtriei chr. Raynald. r Du Can.' ge, hifi. c. , 20 , 21 , rt  Bau- souin II, Vatace. An, 1240. ] 1 ] 1 1 < 1 t i 344 H I S T 0 I R Z dok pour elle, 1'inveftiture de ce Royaume , dont elle étoit héritiere. L Empereur, qui n'avoit alors ni le temps ni le moyen d'examiner fi cette demande étoit légitime, 1'accorda, fanspréjudice aux droits d'autrui, & confirma enfuite cette conceffion, avec connoiffance de caufe ; mais ce ne fut qu'un titre fans réalite. Théodore d'Epire étoit alors avec Jean, fon fils, en poffeffion de Thefialonique. M. du Cange conjeaure qu Helene étoit niece de Démétrius, par fon pere Manuel, fils de 1'Empereur Ifaac , & de Marguerite de Hongrie, qui avoit épouié, en fecondes noces, le Marquis de Monterrat, dont elle avoit eu Démétrius. L armee arriva devant Zurule. La dace étoit défendue par Jean Petrajphe, un des principaux Officiers de Empereur Grec. Ce guerrier expéïmenté joignoit au courage une exrême force de corps : il defcendoit e ce Pierre d'Aups, Seigneur Proengal, qui avoit fuivi lefameuxRoert Guifcard dans fes expéditions, c s'étoit, après fa mort, attaché au ;ry1Ce de 1'Empereur Alexis, conv  bij 8as-Empïre. Ltv. XCV1IL 345 me nous 1'avons dit ailleurs. Attaqué avec violence par une infinité de machines , & fur-tout par les Comans, : qui s'efforgoient de fignaler leur zele en faveur de leurs nouveaux alliés, Pétraliphe découvrit encore un complot tramé dans la ville, pour ouvrir les portes aux Frangois. Prelfé par les ennemis du dehors , trahi par ceux de dedans, il fut obligé de fe rendre. On Ie chargea de chaines, ainfi que les foldats de la garnifon, & on le fit vendre avec eux, comme efclave , a Conftantinople. Vatace, retiréen Afie, ne fe fentant pas affez de forces pour marcher au fecours de Zurule, voulut fe dédommager de cette perte, en enlevantaux Frangois ce qui leur reftoit de places fur les cötes de la Propontide. Pour les attaquer k la fois du cöté de la mer & de la terre , il fe mit k la tête de fon armée de terre, & donna le commandement de fa flotte k un Seigneur Arménien, nommé GeofFroi, homme de peu d'expérience & de valeur; mais fanfaron, & fouple courtifan. Vatace, aveugle pour cette fois, I'avoit préP v BaujouinIL/atace. k.0, i2.40){ XV.' Vatace léfait fu-r ner.  Baudouin II. Vatace. ■An. 1240, -1 3 1 1 1 3 346 II I S T O I A S féré è Manuel, grand Capitaine, auffi expérimenté fur mer que fur terre , paree que quelques jours auparavant, dans une converfation avec 1'Empereur, il avoit dit hardiment, qu'il connoiffoit la marine des deux nations , Sc que les vaiffeaux Grecs, en quelque nombre qu'ils fuffent, ne tiendroient pas contre une flotte Francoife. Ce guerrier, plus inflruit aux batailles qu'au langage de cour, ignoroit que la vérité y eft étrangere Sc fauvage, & qu'elle ne peut guere entrer dans le cabinet, même des meilleurs Princes, fi elle ne prend du moins les livrées de la flatterie. Vatace étoit un grand homme ; mais il étoit Prince : choqué de cette franchife, il öta la charge a Manuel, Sc la donna au complaifant GeofFroi, qui fut battu, comme il devoit 1'êïre. Trente vaiffeaux de Vatace célerent a treize vaiffeaux Frangois, }ui en prirent un nombre égal au eur, chaque navire ramenant avec ni fa proie dans le port de Conftaninople. Vatace fut plus heureux par erre, oij il commandoit en perfonae. Etant parti de Nicomédie, ils'3»  Du Bas-EmpiM. Liv. XCFI1L 347 vanca au-dela du chateau de Charax, emporta d'emblée Dacibyze, Nicétiate , & nettoya toute la cöte, oii il ne refta aux Frangois que la fortereffe d'Efquilli. ; f Les temps les plus ftériles en eve nements heureux, font en récom penfe les plus féconds en prodiges Une comete chevelue fe montra cett année fur 1'horifon , au mois de Fé vrier, & y demeura pendant troi mois. Le peuple des hiftoriens, £ M. du Cange lui-même, attribuer aux malignes influences de eet aftr innocent, la mort de plufieurs pe fonnes illuftres , qui arriva 1'anns fuivante. De toutes ces pertes, nulle ne m rita plus de larmes que celle de 1'In pératrice Irene, femme de Vatac Cette vertueufe Princeffe, vraime digne de 1'Empire , par une magni cence fans luxe, & plus encore p 1'augufte fimplicité de fon carafter partageoit les foins de fon épou fans prétention a le dominer : e veilloit avec lui a maintenir la \ tice, & réprimer 1'avarice & les pines des tyrans iubalternes. Pro P vj Baudouin II Vatace. An. 1240. ■ XVI. . Comete.' Acrop. c. " ?9- ï Matth. Pa. ris. Vu Cangt, S hifi. I. 4, l c 25. t e è« e t- An. 1241. e. xvii. " Mort de plufieurs fi- perfonaj nes illuf-» tres. £ > PA. Moufi , ies. [le AcroP- ci ll~ Gregor, li ra- 2, c 7- i; Pachym. U w 1* * n°  Baudouin II. Vatace. An. 1241. Sanut. I. 3- part. 12. c. 20. Alberic. chr. Matth. Paris Du Canget HA L 4, «■.25, 26. Idem. fam. f. 208. Idem. fur Joinvillt F- 91. 1 i < 1 c \ F li q a P d fe gue feulement a 1'égard des malheu» reuX qm ne méritoient pas de 1'être, elle fe refufoit ces repas fomptueux, ces fetes brillantes, ces précieufes parures qm font la fplendeur d'une Cour %>erbe & la mifere des Provinces. ülle ne fe permettoit de dépenfes extraordinaires, que pour honorer le culte d1Vin , en faifant conftruire de magmfiques Eglifes , ou pour alimenter les pauvres, & les foulager dans leurs maladies, en bStiffant des höpitaux. Elle encourageoit les arts & les lciences, & fe plaifoit k entretemr lesSavants; mais avecmodeftie; >our s'initruire, & non pour paroïre inftriute. Elle infpiroit k fon mari es genéreux fentiments; & 1'on peut lire que Vatace, né lui-même avec me ame noble & droite, dut cepenant k fa femme une partie de fes ertus. II en perdit beaucoup en la erdant, comme nous verrons dans 1 fuite.( Elle n'eut de fon mariage, ue Théodore , qui naquit la prenere année du regne de fon pere. 2u de temps après, elle fut bleffée une chüte de cheval, dans une chafou elle accompagnoit fon mari. Les  nu Bas-Empire. Liv. XCF1II. 340 Francois ne regretterent pas le Roi Bulgare , qui mourut vers le mois de Juin, peu de jours après cette Princeffe. II venoit de fe liguer de nouveau contre eux , avec Vatace ; &C la mort feule fut fixer 1'inconftance d'Afan. Ce fut d'ailleurs un Prince eftimable, brave, aftif, libéral, gouvernant fes fujets avec bonté, traitant lesétrangers avec bienveillance, doux & humain dans la viöoire ; mais peu fidele dans 1'amitié; en forte qu'on couroit moins de rifque a être fon ennemi, que fon allié. II eut pour fucceffeur fon fils Caloman , qu'il avoit eu de fa première femme , Anne de Hongrie. Au mois d'Aoüt mourut Grégoire IX, agé de prés de cent ans : Pape vertueux & favant, qui auroit été plus univerfellement regretté, fi fes difFérends avec 1'Empereur Fréderic, n'euffent caufé de grands troubles dans 1'Eglife & dans 1'Etat; difcorde funefte & fcandaleufe , perpétuée fous Innocent IV, qui lui fuccéda au bout de prés de deux ans, après un très-court pontificat de Céleftin IV, & une longue vacance du Saint Siege, Narjot Baudouin II. Vatace. kn, 1241.  Baudouin II, Vatace. An. 1241. j j i 1 5 i 3 35® hr r s t 0 / r ê de Touci décéda auffi cette année* & prefque au même temps, fon beaupere Jonas, Roi des Comans , qui mourut fubitement, avant que d'être baptifé. Ce fut pour cette raifon qu'on 1'enterra comme Payen, hors de Conftantinople. On permit a fes Officiers de faire fes funérailles , feIon les pratiques barbares de leur nation. Son monument fut dreffé fur une éminence ; & dans la foffe, auteur de fon cadavre , on pendit a fa droite & k fa gauche, huit de fes ésuyers , qui s'offrirent volontairement a aller fervir leur maitre dans 1'autre monde : on y pendit auffi, pour le même ufage, vingt-fix chevaux vivants. La fille de Jonas, veuve le Narjot de Touci, fe fit religieufe lans un monaftere de Conftantinode. Les Frangois perdirent dans ce 3rince un allié puiffant & fidele : il ivoit contenu dans leur amitié fon rollegue Soronius, qui les abandonïa bientöt, pour fe jetter dans Ie >arti de Vatace. Ce fut auffi dans ce néme temps que mourut Manuel, Tere de Théodore d'Epire. Soit qu'il i'eüt pas laiffé d'enfants de Marie,  du Bas-Empirb. Liv. XCFIII. 35*i fille d'Afan, foit que la force les ait privés de leur héritage, il eut pour fucceffeur dans fon Etat de Theffalie , fon neveu Michel-Ange Comnene, fils naturel de ce Michel, qui^, dès la première année de la conquête , s'étoit fait un établiffement en Epire. Cette lifte mortuaire, répandue en France, s'accrut encore par la renommée. Le bruit courutque 1'Empereur Baudouin avoit été emporté, avec tant d'autres Princes, dans cette année funefte; & cette nouvelle s'accrédita tellement, que Geoffroi de Villehardouin, Prince d'Achaïe, vint a Conftantinople, avec des troupes, pour fe mettre en poffeffion de la régence , durant la minorité de Philippe, fils de Baudouin. 11 fondeit fon droit fur fon mariage avec Agnès, fceur de 1'Empereur, qu'il croyoit mort. Son voyage cependant ne lui auroit pas été inutile, fi Louis, Roi de France , ne fe fut oppofé è une acquifition nouvelle, déja conclue entre lui & 1'Empereur. Les revenus de Baudouin, ne fuffifant plus pour 1'entretien des troupes, il avoit em- BaudouinII.Vatace. A,n. 1141, XVDX' ReliqueS données par Baudouin a St. Louis. Ph. Moufkes.AlbcriCr  Baudouin II. Vatace. An. 1241. ■Ou Canget hifi. I. 4, * -3> H' 3 1 ( 1 1 r Ij il - f 1 Ti rr d: q XIX. Politique , de Vata- 'a *e pour fo 352 ƒƒ I S T 0 I RE prunfé de grandes fommes du Prince d'Achaïe; & pour les acquitter, d lui abandonna la terre de Courtenai. Mais Louis, dont 1'agrémentétoit néceffaire pour cette aliénation, refufa lVnveftiture è GeofFroi, & fit, par lettres, des reproches a Baudouin, de ce qu'il confentoit ainfi k fe dépoudler du titre primordial de fa familie. Baudouin s'excufa fur les preflants befoins de 1'Empire; & comme il nattendoit defoulagement que des iberalités du Roi, il intérefFa la nete de ce Prince, en lui en voyant ine portion confidérable de la vraie >oix; la Robe que le Sauveur poroit en allant au Calvaire, le Ferde J lance , 1'Eponge & d'autres inftrulents de la Paffion. Ces faintes reques arriverent k Paris le jour de Exaltation de la fainte Croix, & irent portées par le Roi & fes fre■s, avec la même révérence & les êmes cérémonies que la Couronne epines dans la chapelle du palais ie le Roi faifoit batir. Afan, qui, toujours les armes a main, n'avoit ceffé pendant tout n regne de les tourner tantöt con-  vu Bas-Empire. Liv. XCVUL 353 tre les Frangois, tantöt contre les Grecs, avoit rendu fa nation également odieufe aux deux partis; & la foibleffe de fon fucceffeur, qui n'étoit qu'un enfant de dix a douze ans, leur ouvroit une entrée facile pour s'emparer de la Bulgarie, &c fe délivrer de ces voifins incommodes & infideles. Mais ce projet étoit au-deffus des forces &c même des talents de Baudouin ; trop heureux s'il pouvoit conferver les débris de fon état défaillant, & qui ne fubfiftoit que par des affiftances étrangeres. Vatace avoit affez d'ambition pour le concevoir, &c de forces pour 1'exécuter, fi les Hongrois, les Frangois , & les Princes de Theffalonique ne fe mettoient pas de la partie, en faveur des Bulgares. II fongea dong a écarter ces trois obftacles. II fit, avec les Frangois, une treve de deux ans, qu'ils accepterent volontiers , ne demandant qu'a refpirer en paix. Les Hongrois étoient puiffants : il employa la rufe. II envoya faire a Béla des protefiations d'amitié; & pour lui en prouver la fincérité, il lui déelara, qu'en fa confidération, il vou° Baudouin ir.' Vatace. An. 1241. s'emparer de la Bulgarie. Raynald. Du Cauge , hifi. I. 4. c 17»  Baudouin II. Vatace. An. 1241. An. 1242, : XX. i Guerre de Varace en ! Theffalie. 1 Acrop. c. . 40. J Alberic. 1 chr. , Vu Cange, hifi. I. 4 , (. 27 , 28. < ( ] ] 1 1 1 i I 1 354 Uistoirb ïoit fe foumettre a 1'Eglife Romaine. Béla , charmé d'une médiation fi honorable, en écrivit k Grégoire, qui vivoit encore; & le Pape, moins facdeatromper, lui confeilla des'affurer davantage de la bonne foi de Vatace. Cette épreuve fit évanouir les efpérances ; mais elle tint Béla dans ['ïnaflion, & c'étoit tout 1'objet de la politique de Vatace. ( A 1'égard des Princes de Theflalouque, il fe crut en étatde faire nface le la force, & réfolut de les fubju;uer. II fouffroit avec impatience, ju'une Principauté fi récente, & fi )eu étendue, ofat décorer fes maitres lu nom d'Empereur : titre qu'il préendoit lui appartenir, k 1'exclufion le tout autre, étant fucceffeur de Laf:aris , & des légitimes Souverains le Conftantinople. Jean Comnene, ïmpereur titulaire, fous le gouverïement de fon pere Théodore, étoit in jeune homme fort dévot, mais ans expérience. On lui ötoit toutes es forces, en lui enlevant les con"eds de fon pere : c'étoit eet aveu;le , homme de courage & profond jolmque, qui dirigeoit toutes fes dé-  nu Bas-Empitlb. Liv. XCFHI. 355 tnarches. Vatace envoye a Théodore un homme affidé; & par les careffes les plus affe&ueufes, il 1'engage a venir conférer avec lui fur leurs intéréts communs : il lui fait 1'accueil le plus flatteur, le combled'honneurs, lui procure le féjour le plus agréable; mais il le retient a Nicée. fans lui permettre de fortir du palais, ni d'avoir aucune communication au-dehors. Cependant il avoit attire a lui,a force de préfents & de promefTes , grand nombre de fes Comans difperfés en Macédoine , qui s'étoienl donnés aux Francois, & qui les avoient fi bien fervis au fiege de Zu rule. Ces barbares , toujours prêt: a" fe vendre au plus offrant, étoien venus, fous la conduite de Soronius groffir l'armée de Vatace. II fe mi donc a leur tête, pour aller faire h conquête de Theffalonique. Aprè avoir paffé 1'Hellefpont, il cötoye le; bords de 1'Archipel. Sa flotte, commandée par le brave Manuel, auque il avoit rendu fa charge & fes bonnes graces , accompagne fa marche. & vogue a fa vue. II traverfe toute la cête de Thrace, entre en Macé- Baudouin II. Vatace. An. 1242.1 1 l l !  Bau- dovin II Vatace, Au. 1242, XXI. Vatace leve le fiege de Theffalonique, 356 HlSTOIRS , doine, paffe le Vardar , fe rend maitre des chateaux qu'il rencontre fur fon paffage, & dont les garnifons prennent la fuite, fans ofer 1'attendre : enfin, il arrivé a trois lieues de Theffalonique. On ne fait pour quelle raifon ce Prince, d'ailleurs fi prévoyant , manquoit des machines de guerre, néceffaires pour 1'attaque d'une place fi bien fortifiée. II réfolut donc de Ia prendre par famine. Sa flotte bloquoit 1'entrée du port : les Comans, toujours en courfes , ravageoient toute la campagne, jufqu'aux portes de la ville, & coupoient tous les paffages des vivres. Cependant le jeune Prince, pour lequel Vatace n'avoit que du mépris, montroit beaucoup de fageffe & de courage : il donnoit tous les ordres néceffaires pour une vigoureufe défenfe. La garnifon incommodoit lesaffiégeants, par de fréquentes forties, & il paroiffoit que le fiege feroit plus long & plus meurtrier que 1'Empereur Grec ne s'y étoit attendu. Vatace commengoit a fe repentir de fon entreprife, lorfqu'ii recut une lettre de fon fils Théodore, qu'il avoit  du Bas-Empirb. Liv. XCFIII. 357 laiffé a Peges, fur la cöte d'Afie. Ce Prince lui mandoit que les Tartares venoient de remporter une grande vi&oire fur le Sultan d'Icöne; qu'ils couvroient de leurs troupes toute 1'Afie entiere, & qu'il étoit a craindre qu'a fon retour il ne trouvat fes Etats envahis par cette nation barbare. Cet événement imprévu rompoit toutes les mefures de Vatace, & détruifoit fes projets fur la Bulgarie. II tint fecretes les dépêches de fon fils , & défendit au meffager, fur peine de la vie, de rien dire a perfonne de ce qui fe paffoit en Afie. II fait en mêmetemps venir de Nicée Théodore le pere, qui n'en avoit lui-même aucune connoiffance. Lorfqu'ii eft arrivé au camp, Vatace, qui ne cherchoit qu'a lever le fiege, en fauvant fon honneur, lui fait entendre que ce neft par aucun fentiment de haine, ni par ambition de conquête, qu'il attaque Theffalonique ; quilsfont tous de race Grecque , tous également ennemis de la nation Frangoife; qu'il eft. de leur intêrêi de fe réunir pour la défenfe commune ; mais qu'étant feul lêgitime Empereur. il ne doit ni ne peut en Jouffrir aucttiz Baudouin II. Vatace. An. 1241.  Baudouin II Vatace. An, 1242 XXII. Commeneements4es Tar> 358 HlSTQIKE autre ; qu'il ne s'agit que £ un titre honorifique, & que pour conferver un nom injujlement ufurpê, il nejl pas de la fageffe de Théodore de s'expof er d perdre un domaine rêel, dont on ne lui difpute pas la poffejfion. Théodore avoit déja le cceur fort amolli par les bons traitements de Vatace : il fe rendit a fesraifons, & y fit condefcendre fon fils. On entra en conférence. Jean confentit a fe contenter du titre de Defpote, k quitter les ornements de la dignité Impériale , & a prêter k Vatace ferment de fidélité. Pour donner a eet accord plus de ftabilité , 1'Empereur Grec, qui fayoit que les Miniftres des Princes foibles font les. vrais fouverains, n'oublia pas de mettre ceux de Jean dans fes intéréts, par fes libéralités; & après quarante jours de fiege, il fe retira, plus aflligé intérieurement d'avoir été troublé dans fes projets de conquêtes, que ne 1'étoient ni Jean, ni Théodore, d'avoir perdu un nom inutile, & un falie dangereux. Les Tartares Mogols, dont les progrès rappelloient Vatace au centre de fes Etats, déja maitres d'une grande  m Bas-Empire* Liv. XCFIII. 359 partie de PAfie, allarmoient PEurope entiere. Ces barbares n'étoient d'abord qu'une horde, defcendue des anciens Turcs, menant, fous des tentes , une vie prefque fauvage, fans loix & fans culte, quoiqu'ils reconnufTent un Dieu créateur. Ils habitoient au nord des Tartares Niutché, beaucoup plus puifTants & plus étendus en Tartarie, fitués a 1'extrémité oriëntale de 1'Afie. Les Mogols, d'abord leurs tributaires, s'accrurent peuè-peu, par la réunion des hordes voilines. Leur Prince n'étoit qu'un chef de patres, vivant, comme fes fujets, de la chair de fon bétail, & s'enivrant du lait fermenté de fes cavalles; mais fon autorité étoit abfolue dans la guerre. A fa voix, toutes les hordes dépendantes s'affembloient autour de lui, & marchoient aveuglément a\ fa fuite, ainfi que leurs troupeaux, dont ils ne différoient guere que par la figure & 1'indomptable courage. Ce fut d'un de ces Princes, nommé Yéfoukai Bahadour, que naquit, en 116 3 , la fameux Genghizcan, deftiné, comme autrefois Attila, a punir, par un déluge de fang, les cri- Bau- DOUINlJ. Vatace. An. 1242. tares Mogols. Vincent , Bellov. I. 3° , 31 » 32. Hayton , c. 17. Paul Venet. Chr. Patav. Appendix ad chr. Vrf- Perg- P250.Abulfarag' 1 Ayn> IX. Leunclav. Annal% Turc. Idem. Pandeel. hifi. Turc. c. 3. Vfierbelot, Bibl. oriënt. Peiis de la Croix, hijU de Genghizcan. Fleury , hifi.Ecclef,  360 HisTOirb mee At* li fo«o T~\^-..rt— t--l* » bau»ouin II. Vatace. An. 1242. /. 81, an, 48. De Guignes, hifi, des Huns, l. ij. Pathym. I. 3. c. 24 , £ j,<:.4. XXIII. Conquètes de Genghizcan, 1 1 i i 1 I I t r —.iv.iit, lycvam urpneun a 13 ans, il apprit a combattre par les viftoires qu'il remporta fur des hordes rebelles. Uni d'abord avec Unghcan, ce puifïant Prince Tartare, connu en Europe fous le nom de PrêtreJean, il en recut, & lui rendit de grands fervices ; mais une fanglante querelïe les ayant divifés, Genghizcan commenga fes conquêtes par 1'invafion des yaftes Etats d'Unghcan. Ayant fubjugué, en quatre ans , toutes les hordes Tartares, qui s'étendoient a 1'occidentjufqu'aupays deKafgar, & au midi, jufqu'au Royaume de Tangut, il tourna fes armes contre la Chine. Cette grande contrée étoit alors par:agée entre deux nations. Les Princes 3hinois, de ladynaftie des Song, rexnifTés dans les Provinces du midi, r polTédoient encore un affez grand ïmpire; mais les Tartares Niutché 'étoient emparés de la partie feptenrionale. Genghizcan, déja maitre de ant de peuples, trop fier pour coninuer de payertribut, entra dans leur ays, s'empara de leurs places en Taririe, forca les paffages de la longue uiraille, &pendantfept années, fou- mit  nu Bas-Empire. Liv. XCFlll. 361 mit une grande partie de la Chine, tant par lui-même que par fes Généraux. II avoit choifi pour capitale de fes immenfes Etats, la ville de Karacorom, que 1'on croit avoir été lituée dans le grand défert de Cobi, au nord du Royaume de Tangut, k quarantequatre degrés de latitude feptentrionale, Sc a cent quatre-vingts de longitude. Dans le cours de fes exploits, il apprend que Mohammed , Sultan de Kharifme, le plus puiffant Prince de l'Afie, avoit fait tuer fes Ambaffadeurs. Frémiffant de colere, il lahTe dans la Chine fes plus habiles Capi* taines, pour en achever la conquête, Sc court lui-même a la vengeance, avec une partie de fes innombrables armées. Toutes les terres qui obéiffoient au Sultan font inondées de fang, Sc couvertes de carnage. La Bukarie, le Kharifme, le Mawaralnahr, le Corafan, valles contrées, dont la population étoit immenfe en ce temps-la , ne font plus, après fon paffage, que d'affreux cimetieres. Les bords de 1'Oxus Sc du Jaxarte retentiffent de la chüte des villes puiffantes, lituées au voifinage de ces fleuves, qui faiTome XXI. Q Baudouin II. Vatace. ha. 1141.  BaudouinII.Vatace. An. 1142, 362 HlSTOIRE foient alors, vers le nord de l'Afie les bornes du monde connu. Jamais les venrts 8c les orages, nés fous les mêmes climats que Genghizcan, ne s'étoient déchaïnés avec plus de fureur, 8c n'avoient porté auffi loin le ravage 8c la deftruöion. Ce fut alors que les Corafmiens, chaffés de leur pays, s'enfuirent, au travers de l'Afie , jufque fur les terres du Soudan d'Egypte, qui les employa contre Jérufalem , oü ces barbares égorgerent tous les Chrétiens, 8c détruifirent le Saint Sépulcre. Tandis que Genghizcan tonne a 1'Orient de la Mer Cafpienne , fes Généraux , armés de fes foudres, traverfen t la Perfe, pénetrent dans 1'Aderbigiane, 8c fe repliant vers ïe nord, au travers des rochers 8c des glacés du Caucafe, ils portent la mort dans le Captchac, 8c la terreur dans la Ruffie. Kiovie, capitale pour lors de ce vafte pays , les voit en tremblant fur les bords du Boryflhene, k la pourfuite de fes troupes vaincues. Après avoir fixé dans le Captchac , le fiege d'une branche de leur Empire, les Mogols paflent le Volga; §c laifiant par-tout fur leur paffage  jsu Bas-Empir&. Liv. XCVIH. 36$ «les traces de fang, comme les titres de leur poffeffion, ils retournent, par le nord , rejoindre leur Souverain dans la Bukarie. Vainqueur de tant de nations , prêt a porter la guerre dans 1'Inde, il éprouve le même fort qu'Alexandre; mais dans le fens contraire. Les Macédoniens fe croyoient perdus, s'ils étoient trainésa 1'Orient du Gange : les Mogols regardoient comme un exil leur féjour a 1'occident de ce fleuve. Pendant que Mogli, le plus vaillant de fes Capitaines, étendoit, dans la Chine, 1'Empire de fon maitre, Genghizcan, retiré a Karacorom , méditoit de nouveaux dé» faftres. Le Royaume de Tangut, alors très-florhTant &c très-peuplé, fut le dernier théatre de fes cruelles vicloires. 11 n'avoit laiffé dans ce pays que des cadavres, & fe préparoit a retourner dans la Chine, pour achever d'exterminer les Niutché, fes anciens ennemis, lorfqu'ii fut furpris de la mort, en 1227. Ce conquérant, fondateur du plus vafte Empire qui ait jamais écrafé notre hémifphere, fit des loix, qu'il crut propres a confervei que d'habits & d'aliments. Si quel» qu'un manque de nou.rriture , que »> fon are & fes fleches lui en four» niffent, ou qu'il entire des veines » de fon cheval: s'il a befoin d'une » fubflance plus forte, qu'il remplifle  nu Bas-Empire. Liv. XCVIIl. 365 » de fang 1'inteftin d'une brebis, & » le faffe cuire fous la felle de fon » cheval; il y trouvera un repas fo» lide. Si vous rencontrez en ehemin » quelque piece de peau ou d'étoffe , » attachez-la è votre manteau; elle » fervira a le réparer, quand il en fera » befoin , & il durera autant que h .vousTel fut le code de Genghizcan, oh 1'onvoit quelques femences de la loi naturelle répandues entre des plantes fauvages, C'eüt été un bonheur pour 1'efpece humaine, d'être enfin délivré de ce fiéau de la terre ,. s'il n'eüt laiffé quatre héritiers de fa valeur meurtriere, nourris de fang entre fes bras. II leur partagea fes Etats-. Quoiqu'Oclai ne fut que le troifieme, il le nomma pour lui (üccéder dans le nom & la puiffance de grand Khan; & la volonté de ce pere, auffi refpefté de fes farouches enfants, que celle de Dieu même, loin d'allumer entre eux aucun fentiment de jaloufie , n'excita que leur zele pour 1'élévation d'Oftai & la profpérité de fon regne. Occupé des guerres de la Chine, 0£tai n'abandonna pas les conquêtes que fon Q »j Baudouin II. Vatace. An. 1241. XXIV. Exploits des Mogols en Europe,  Baudouin II Vatace. 38Ó H 1 S T 0 I R E pere avok faites en Occident. Il les poufla même beaucoup plus loin, Trois cents mille hommes fous le commandement deBatou fon neveu, petit-fils de Genghizcan, pénétrerent en Ruffie, pnrent Mofcou par capitulalion , & contre la foi du traité, pafgerent au fil de 1'épée une grande partie des habitants. Les Provinces voifines furent défolées, le grand Due defait & tué: fes fuccefTeurs fe rendirent tributaires des Mogols. Trois ans après, en 1239, Batou rentre en Ruffie, s'empare de Kiovie & de plufieurs autres villes, tandis qu'un de fes Généraux ravage la Pologne, la Sdéfie, laMoravie, brüle la citadelle de Lublin , met tout a feu Sc a fang jufqu'a la Viflule, & retourne en Ruffie, chargé de butin. Ils reviennent en Pologne pendant 1'hyver, palfent la Viftule fur les glacés, faccagent Sendomir, Sc s'avancent jufqu'a trois lieues de Cracovie. De retour en Ruffie, ils raflemblent de nouvelles troupes , Sc reviennent pour la quatrieme fois faire de nouveaux ravages. Les Polonois font un effort pour fe délivrer de ces cruels ennemis; ils font  »u Bas-Empike. Liv. XCVUL 367 taillés en pieces; Cracovie eft réduite en cendres. Les habitants d'Uratiflau mettent eux-mêmes le feu a leur ville, après en avoir enlevé leurs femmes, leurs enfants & tout ce qu'ils poffedent. Les Mogols, après avoir ravagé la Cujavie, marchent a Lignitz, oh ils gagnent une grande bataille fur les troupes de Pologne & de Siléfie, commandées par le Duc Henri, qui y pere! la vie. La Moravie fut, pendant un mois , le fanglant théatre de leur* cruautés. En 1x41, ils entrerent er Hongrie au nombre de cinq cents mille hommes, & battirent les troupes que le Roi Béla avoit envoyées pour fermer 1'entrée de fes Etats; il ne^ fu pas mieux les défendre lui-même Renfermé dans Pefth , lache témoit des défaftres de fes fujets, il les laif foit impunément en proie a ces con quérants féroceS, qui n'épargnoien niage, ni fexe. Enfin, ne craignan que pour lui-même, il s'enfuit en Ef clavonie. Coloman , fon frere , plu eourageux, raffembla toutes les for ces du Royaume; & malgré fa valeur a peine put-il fauver fa vie, laiffan .fur le champ de bataille un nombr< Q iv Baudouin II. Vatace. An. \l.\ï . I : i t  Baudouin I Vatao An. 124; XXV. Confternation de toutel'Europe. : infini de Hongrois. La terre demeura [. Jonchée de cadavres, de têtes, de . troncs mutilés, & de membres dif• perfes par 1'efpace de deux journées de chemin. Varadin, Ja plus grande ville & la plus peuplée du pays, fut pnfe & cruellement faccagée. Qu'on fe repréfente tous les exces de la rage Ja plus brutale, de 1'impiété la plus facnlege de la part d'un vainqueur alteré de fang, & ivre de débauche „ cette ville infortunée éprouva toutes ces horreurs. Perg, Agria, Strigonie, furent traitées avec la même barbarie , & cette furieufe tempête, après avoir défolé la Bofnie, la Servië , la Bulgarie, traverfa le Danube & les Palus Méotides, emportant dans fon chmat natal les dépouilles fanglantes. de la moitié de 1'Europe. Abulfarage termine cette invafion des Mogols d'une maniere toute différente. II rapporte que Batou, après avoir ravagé le pays des Slaves, fe mit en marche pour aller détruire 1'Empire de Conftantinople: mais que les Rois Francs s'étant réunis, vinrent a fa rencontre, fur la frontiere de Bulgarie; & qu'après plufieurs combats,  nu Bas-Empire. Liv. XCVIIL 365 les Mogols furent tellement défaits , 1 que jufqu'a fon temps ils n'oferent plus attaquer les Grecs & les Francs. \ Cet Auteur écrivoit trente ou qua- a rante ans après ces événements, k la fin du regne de Michel Paléologue, ou au commencement d'Andronic ; mais il vivoit a Matatie, au bord de 1'Euphrate; & la diflance des lieux peut produire dans 1'hifloire, autant d'erreur, que 1'éloignement des temps. Son récit ne s'accorde pas avec celui des autres hiftoriens, & paroit démenti par 1'impreffion de terreur que ces barbares laifferent après eux dans 1'Europe entiere. L'allarme univerfelle ajoutoit encore des fables a ce que cette nation avoit de terrible. On publioit que les Tartares n'avoient niles fentiments, ni même la fornre des autres hommes; qu'ils portoient une tête de chien, & fe nourriffoient de chair humaine. Tous les Princes craignant leur retour, travailloient a fe mettre en défenfe; quelques-uns leur députoient des Ambaffadeurs. On ordonnoit de toutes parts des prieres & des jeünes. Le Pape envoya des Moines dans leur pays, pour les. Q v BauouinII. atace. n. 1242.  Baudouin II Vatace, •An. 1242 *>« ni 1 — An. 1243. XXVI. Le Sultan d'Icö'ne s'aüie avec Vatace. Acrop. c. 4'. Du 'Cangc , hifi. I. 4- c. 29. De Guignes, hifi. des Hurts , i. II. $7° Tli s t O i ü e convertlr, & leur prêcher I'humanïrë , evangelique. L'Empereur Fréderic appel on toute 1'Europe au fecours de 1 Allemagne. Blanche, mere de Louis, trembloit pour la France ;& comme elle temoignoit fes frayeurs a fon fils ; Kaffurei-vous, ma mere , lui répondit ce Prince intrépide; efpérons au fecours du Ciel:fi ces barbares viennent nous -attaquer, nous les enverrons en enfer, ou ils nous enverront en paradis. Une autre armée de Mogols caufoit les mêmes allarmes au Sultan d'Icone. Après une bataille, ou fes troupes ne rendirent point de combat, ces barbares s'étoient répandus dans la Cappadoce, avoient pris Sivas , ruïne Céiarée, & menacoient d'envahir Je refte de fes Etats. D'un autre cöté, Baudouin, abandonné des Comans, dénué d'argent & de troupes , cherchoit du fecours pour fe foutenir contre Vatace. Le befoin mutuel les invitoit a fe réunir. Baudouin fut ie premier a propofer une ligue : elle fut acceptée par Kaikhofrou; & pour affermir cette alliance, le Sultan cjemandoit en mariage une des parentes de 1'Empereur, promettant  mv Bas-Empire. Liv. XCV1IL 371 de lui laifler le libre exercice de fa : Religion, & de faire batir une Eglife } Chrétienne dans toutes fes villes : il faifoit même entrevoir d'heureufes * difpofitions au baptême. Des conditions fi avantageufes furent favorablement écoutées. Baudouin envoya en France demander, pour le Sultan, fa niece, fille de fa fceur Elifabeth & d'Eudes de Montaigu. Vatace, qui étoit pour lors a Nymphée, plus vi•gilant & plus adroit que Baudouin, fut bientöt inftruit de fes démarches fecretes, & vint a bout de faire rompre le traité déja conclu. Le Sultan comprit aifément, qu'a Palliance d'un Prince foible & chancelant, il devoit préférer celle de 1'Empereur Grec, plus puiffant, plus voifin du péril, <& par conféquent plus intéreffé è ne pas laiffer forcer la barrière qui couvroit fes propres Etats. Les deux Prinses fe rendirent a Tripoli, fur le Méandre, ou le Sultan fit jetter un pont de bois, pour établir la communication entre les deux camps. La ils renouvellerent les traités déja faits auparavant, & jurerent enfemble une lieue offenfive & défenfive , qu'ils Bau>ouinII.Vatace. Ln. 1243.  Baudouin II. Vatace. An. 1243. j ] 1 1 ( XXVII. Sagefledu f gouvernement * «Ie Vata- t ce. „ Grtgoras , * /. 2,f.6. r Acrop, c, p AU h 4 3/4 JJlSTOIRg firent confirmer par le ferment de tous les Seigneurs de part & d'autre. Après s'être donné des marqués de bienveillance, par des préfents réciproques, ils fe retirerent, 1'Empereur a Philadelphie, le Sultan a Icöne. Cette confédération n'eüt pas, fans doute, arrêté les Mogols, fi Kaïkaous, fuccefleur de Kaikhofrou, ne les eut prévenu par fa foumifiion. II leur envoya des Ambafladeurs, pour Remander humblement la paix ; & ;lle lui fut accordée, k condition qu'il ?ayeroit un tribut annuel, & qu'oure 1'argent , il donneroit des chevaux , des chiens de chaffe , des ha)its, & d'autres fournitures convelables k une nation conquérante, qui ie portoit avec elle que fes armes '£ fon courage féroce. La nouvelle alliance avec Ie Sulan d'Icöne, mettoit en füreté la froniere oriëntale de 1'Empire. Vatace , ranquille de ce cöté-la, & craignant eu de la part des Frangois, paffa le ïfle de l'année k Lampfaque, occué de ces foins généreux, qui font 1 primitive & la vraie deftination es Princes, nommés autrefois les  bv Bas-Empirb. Liv. XCVUL 373. peres & les pafteurs des peuples. II prit les moyens de faire refleurir les 1 arts, & de rendre Pabondance a ces ■ campagnes fertiles & riches, deve- 1 mies pauvres & ftériles, par les ravages de tant de guerres. Un mal plus pernicieux encore que la guerre, qui paffe & ne détruit que les. furfaces, paree qu'il eft perpétuel,. pénetre jufqu'aux entrailles, & ruine jufqu'aux efpérances, c'étoit I'avidité cruelle des Empereurs précédents, qui, fous mille noms divers,, avoient tellement multiplié les impöts , que tous les efforts de 1'agriculture ne pouvoient fournir a leur dévorante rapacité. Auffi les terres étoient-elles abandonnées : plus de laboureurs , ni même de propriétaires : ce n'étoient que des landes incultes, hériffées de ronces & d'épines. Vatace , réfotu de vivre de fes propres domaines , fans que ni fa table, ni fes équipages, ni fes plaifirs, ni même fes libéralités , puffent pefer fur fes fujets, prit de ces terres défertes , autant qu'il en falloit pour uffire modeftement aux befoins de ja grandeur. II eut foin de les »et- BauióuinII.Vatace. m.1243,  Bau- »oxjin i; Vatace An. 124,3 374 H I S T % I R B ' tre en valeur; & felon la qualité'du . terroir, il y fit jetter des femences . ou planter des vignes. Les revenus • de fes récoltes firent toutes fes rieheffes, qui ne coütoient plus k fes peuples aucun foupir. Une partie de fes polTeflions fut réfervée pour les bois , ou mife en paturages, qu'on vit bientöt peuplés düne immenfe quantité de bétail& bordes de vaftes métairies, oii des volatiles de toutes efpeces ne ceffoient d'éclore au prpfit du Prince. II faifoit vendre ces produits de la terre & des animaux,: ne -rougiffant pas d'être marchand, plutöt que ravifleur. Qu'on me permette un trait qui feroit indigne de I'Hiftoire, fi 1'économie ruftique n'ennobliffoh pas des détails que 1'opulence avilit. En peu d'années, il revint a Vatace un profit fi confidérable des ceufs de fes métairies, qu'ayant mis k part 1'argent provenu de leur vente, il en fit faire pour 1'Impératrice une couronne d'or enrichie de pierreries d?un grand prix. II ne borna pas a fa feule maifon des difpofitions fi fages ; il voulut que fes patents , que toute la NoblelTe fiiiyit  t)u Bjs-Emmre. Liv. XCVUI. 375 fon exemple; que tous les Seigneurs devinffent agriculteurs, & qu'ils trouvaffent dans leur adminiftration domeftique de quoi vivre felon leur rang, fans fouler leurs vaffaux. Ces vues paternelles & vraiment royales,. auffi étendues qu'elles étoient bienifaifantes, defcendirent jufqu'a la derniere claffe de fes fujets. Ne fe flant pas a 'des aumönes cafuelles , pour la fubfiftance des indigents , il affigna des fonds de terre aux höpitaux eta~ blis pour les vieillards, les invalides <, les malades, & mit a leur tête, non pas des furveillants, dont la dignité immobile eft fi fouvent dupe des fubalternes; mais des adminiftrateurs aöifs & clairvoyants, connus pout leur probité & leur intelligence, qui, toujours en mouvement, veilloienl par eux-mêmes aux travaux, aux ré= coltes', aux exploitations, aux ventes, aux emplois, ne rendant compt< qu'au Prince , qui n'avoit d'autres mi niftres que fon infatigable vigilance ■Èn peu de temps, 1'Empire de Vataci fortit comme du tombeau , & repri \lne nouvelle vie. La terre ouvrit foi fein fécond; les campagnes furen Baudouin 11= Vatace. An. 1143. t 1 t  • Baudouin II. Vatace. An. 1243. XXVIII. Richefles desTtircs, apportées dans 1'Era- 37^ HlSTOlRE couvertes,. les greniers remplls. Uncommerce utile rouloit fur tous les chemins, & comme le fang dans les veines, portoit la nourriture a tous les membres de 1'Etat. Plus d'exactions, plus d'expédients de flnance,. plus de fortune qui ne vint lentement par le travail. Si la méchanceté des hommes ne s'éteignit pas dans leur coeur, du moins ne fut-elle pas agacée par la mifere, qui engendre tant de crimes : gouvernement toujours defiré , rarement obtenu, & trop heureux pour durer long-temps fur la terre. Cette paix aftive & laborieufe valut des conquêtes. Une extréme difette, dont les Turcs furent affligés, les forga de payer tribut a 1'induftrie des Grecs. Ils vinrent chercher les vivres que leurs terres leur refufoient, On voyoit les chemins de 1'Empire couverts d'une foule d'hommes, de femmes, d'enfants, qui venoient changer pour du bied ou de 1'orge, leur argent, leurs étoffes. Un bceiif, une brebis, un chevreau, une mefure de ;rains, étoient d'un plus grand prix jue les plus beaux ouvrages de leurs  nu Bas-Empire. Liv. XCVIIL 377 manufaftures. Toute l'opulence des palais de ces barbares couloit a grands flots aux cabanes des Grecs ; & le fïfc du Prince fe trouva bientöt enrichi de leurs tréfors. Après avoir ouvert k fes fujets cette nouvelle fource de richeffes, il fit réflexion qu'elle fe perdroit bientöt, s'il leur permettoit de s'épuifer en dépenfes ruineufes. Les malheureux Grecs , perdus de luxe & de molleffe au milieu de leur indigence, fe refufoient le néceflaire, pour fe vêtir d'étoffes précieufes, artiftement travaillées, que 1'Afiyrie, la Perfe . 1'Italie leur vendoient k grand prix, Vatace défendit par édit, a tous fes fujets , de quelque condition qu'il' fulfent, 1'ufage aes étoffes étrangeres , fous peine d'être déclarés infames , eux & toute leur familie. I ne permit d'employer que celles don la matiere feroit produite & mife et oeuvre dans fes Etats. Le Prince , difoit-il, ne peut changer tufage des cho^ fes néceffaires d la vie ; mais il a au tmtéfur celles qui font de mode & d fantaifie : il eft le maitre de leur don ner vogueou de les décrédher, Soumi DAUDOUIN II. Vatace» An. 1143. XXIX. Etlits fomptuaires. 1  Batj- souin II. Vatace. An. 1243, XXX. Froid exeeffif. i i 1 ] < 1 c I a I s e 378 H I S T 0 I R £ lui-même aux loix de la nature, il dolt régnerfurie caprice. La volonté de Vatace , mais une volonté conftante & fbutenue de 1'exécution, fit tomber toutes ces fuperfluités. Les Seigneurs, è fon exemple, furent les premiers a ne s'habiller que d'étofFes du pays; & Pór qui s'alloit perdre auparavant en des mains étrangeres, ne fortit plus des limites de 1'Empire, dont il encouragea Pinduftrie. Sur la fin de cette année, Vatace quitta Lampfaque avec fa Cour & fon armée, pour fe rendre è Peges. Dans :e voyage, le 18 Décembre, comme 1 etoit campé a Sigrene, il fut fur3ris tout-a-coup d'un froid excelTif. 3endant deux jours & deux nuits, in vent violent & glacé portant dans e yifage des tourbillons de neige, )toit la vue & la refpiration. Tout le amp demeura comme enfeveli, & rois cents perfonnes , tant hommes ue femmes, y perdirent la vie. Jaiais, au rapport des plus avancés en ge, on n'avoit fenti un froid ft rioureux. Au bout de deux jours, Pair etant un peu adouci, on fe remit n marche au travers des monceaux  su Bas-Empire. tiv. XCVHL 379 de neige, ou il falloit a grande peine s'ouvrir un paffage , Sc 1'on arriva enfin a Peges. L'Empereur y attendit que la faifon fut devenue plus traitable. II fe rendit alors a Nymphée, ou il féjourna jufqu'au printemps. La treve conclue pour deux an; entre Baudouin & Vatace, étoit pré; d'expirer ; Sc malgré les grands (ecours recus de France & d'Italie, 1'Em pereur Frangois, qui manquoit éga lement de valeur Sc d'intelligence n'étoit pas plus en état de réfifter; un ennemi fi habile & fi courageux II prit le parti de retourner en Ita lie, implorer encore 1'afïiftance d' Saint-Siege. Le Pape lui avoit déj montré fon zele, en appliquant au befoins de Conftantinople une par tie des deniers levés pour la Tern Sainte. II avoit exhorté les Prélal d'Orient a contribuer d'une portio de leurs revenus. II enjoignit aio) au Prince d'Achaïe , d'envoyer d« troupes a Conftantinople ; Sc poi 1'engager plus volontiers a fournir < renfort, il renouvella pour vingt ai la permiffion que le Pape Honorii Baudouin II, Vatace, An. 1144. ! XXXT, ; Baudouin en Italië, Innoc. - epifi. . Matth, Paris. 1 Raynali, i Du Cange, hifi.l. 4,f. ' 30, 31. 1 i t s 11 ■s :s ït re is is  BaubouinII.Vatace. An. 1144. t 1 1 ( ] 1 I i c F r fi P B fi P tj 3^0 HlSTOIRE lui avoit accordée , de lever une taxe fur les biens eccléfiaftiques de fa Principauté. II déclara le Patriarche de Conftantinople, fon Légat dans toute 1'etendue de 1'Empire; Sc ce Prélat manquant du revenu néceflaire pour Ie maintien de fa dignité, il obligea les Evêques de la Morée, de Négrepont, Sc des autres villes voilines, de fubvenir a fon entretien. Mais Bauiouin fentoit que le Pape ne pour'pit le fecourir que foiblement, tant ]u'il auroit lui-même la guerre avec ^éderic. Innocent, ami de Fréderic,. ant qu'il avoit été Cardinal, étoit levenu fon ennemi en montant fur e Saint-Siege, Sc les Papes fouteloient alors trois croifades a la fois: ;our la Terre-Sainte, pour Conftan'"ople, Sc contre Fréderic. Depuis u'ils étoient devenus Seigneurs temorels, ils confondoient leurs inté;ts particuliers avec ceux de 1'Egli!; leurs guerres fe prêchoient, & renoient le nom facré de Croifades.. audouin travailla donc de toutes fes 'rees a réconcilier le Pape avec 1'Em;reur ; Sc ayant joint fes follicitaons a celles, de Raymond, Comte  du BaS'Empirr. Liv. XCrilI. 381 de Touloufe, il vint & bout de pacifier leurs différends. Le traité fut tonclu k Rome le Vendredi-faint, &c le Pape s'en remit a Parbitrage de Baudouin, fur quelques articles conteftés. Fréderic, de fon cöté, voulut bien s'employer auprès de Vatace , pour obtenir , en faveur des Frangois, la prorogation de la treve pour un an. L'accord entre le Pape & Fréderic ayant été bientöt rompu, Baudouin, fans fe déclarer contre Fréderic , paffa en France avec le Pape, qui avoit convoqué a Lyon un Concile général. Quoique Fréderic parut tenir la balance égale entre 1'Empereur Francois & 1'Empereur Grec, fon cceur penchoit du cöté de Vatace, dont le caraftere vif & hardi s'accordoit davantage avec le fien. II écouta volontiers la demande de Vatace, qui, après avoir long temps pleuré 1'Impératrice Irene, cherchoit enfin a fe confoler dans un fecond mariage. Fréderic lui donna pour femme Anne, fa fille naturelle, fceur de Mainfroi, qui fut dans la fuite Roi de Sicile. Comme cette Princefle étoit encore Baudouin II. Vatace. An. 1144, xxxn. Marcéfine , mattrelïe de Vatace. Acrop. c. 52. & ibi Not. AlUt. Grcgoras , 1.1 , c. 7. Pachym. I. 5. c. 6. Allat. dt ccclef. or. & occïd. perp. ccnfcnfu,l. i. c 14. Du Cangc, hifi. I. 4 x  Baudouin II Vatace. An. 1244 f. 30./. 5 f. 6. Fleury , hift. ecclef l. 83 , ««, j4. 3§2 ffiSTOIRg fort jeune, fon pere, en compofant fa petite cour, mit a fa fuite, pour hnftruire & guider fa jeuneffe, une femme nommée Marcéfine, dont les agréments de 1'efprit & 1'éclatante beauté effacoient les qualités de fa maitreffe. Vatace, agé d'environ cinquante ans, n'étoit encore que trop fenfible. Marcéfine s'appergut de fa foibleffe; & n'ayant pas 1'ame affez haute pour préférer 1'honneur è la fortune, elle tendit tous les filets, & y attira le Prince par tous les appas de la coquetterie. De gouvernante de 1'Impératrice, elle devint fa rivale, & fe fit un point d'honneur de s'élever au-deffus d'elle. Vatace, aveuglé par fa paffion , fe prêta fans réferve a 1'ambition de fa concubine. II la revêtit des ornements impériaux : les plus briljants équipages, les pierreries les plus précieufes, furent le prix des faveurs de Marcéfine. Elle devint 1'idole des Courtifans profternés, & dans la Cour ainfi que dans Ie cceur de 1'Empereur, elle éclipfoit I'époufe légitime. Ce fol amour eut Ia récompenfe dont ces fortes de femmes peuvent payer 1'efclavage de leur mai-  dit Bas-Empire. Liv. KCF1II. 3S3 tre; les remords du Prince , Sc le mépris des fujets. La paffion de Vatace n'avoit pas étouffé dans fon ame tout fentiment de Religion. Les reproches de fa confcience jettoient dans fes plaifirs une mortelle amertume : il gémiffoit de fes fers, fans avoir la force de les rompre. C'eft. ce qui parut? évidemment dans une rencontre oü fa maitreffe recut un affront qu'il ne fe permit pas de venger. II y avoit au mont Athos un Eccléfiaftique célebre par fa fcience Sc par la fainteté de fes mceurs. Détaché de tout intérêt, élevé au-deffus des fens, ne craignant& n'efpérant rien que dans 1'autre vie, vrai philofophe, jugeant de tout fans haine Sc fans faveur, il étoit même exempt de la contagion du fchifme au milieu duquel il vivoit. Sa vertu suffere jufqu'a la dureté pourfuivoit levicefans ménagement, jufque fous le dais Sc la pourpre : défaut plus rare Sc moins dangereux pour les Princes que le vice oppofé. II avoit même fouvent ofé porter aux oreilles de Marcéfine de vives remontrances. II fe nommoit Nicéphore Blemmydas. Baudouin IT. Vatace. An. 1244. XXXIII. Hardiefie de Bieramydgs.  Baudouin II Vatace An. Ü44 384 H I 5 T O 1 X. E ■ Abbé d'un monaftere, il y avoit fait _ batir une Eglife en 1'honneur de Saint , Grégoire Thaumaturge, oü il paffoit • une partie du jour & de la nuit dans la priere & dans les exercices d'une fervente piété. Un jour, pendant qu'on célébroit le faint facrifke, il entend un grand bruit au-dehors. C'étoit Marcéfine, q\ii, par curiofité, venoit vifiter cette Eglife. Elle étoit environnée^ de la pompe impériale , & d'un effain de courtifans qui bourdonnoient autour d'elle. Au premier avis de fon approche, Blemmydas frémiffant d'horreur, & ne pouvant fouffrir qu'une corruptrice fcandaleufe vint profaner les faints myfteres par fes regards, & la maifon de Dieu par fa marche impure, fait fermer les portes ; & malgré les coups , les cris , le tumulte de 1'efcorte, il défend de les r'ouvrir. Marcéfine ne put paffer audela du veffibule. II fallut s'en retourner avec honte, & 1'on peut bien s'imaginer quelle fut la colere d'une femme hautaine & adorée. Toute la Cour étoit en agitation, les gens de bien, en petit nombre, .trembloient pour Blemmydas, &n'ofoient le défendre;  nu Bas-Empire. Liv. XCF1II. 385 fendre; les flatteurs s'exhaloient en invectives, & fouffloient a 1'envi le feu de la rage dans le cceur de leur divinité. Elle va fe jetter aux pieds de 1'Empereur, & lui demande vengeance, non pas tant pour elle-même, difoit-elle , que pour fa Majefté audacieufement outragée par cette infulte.' Tous les courtifans, de concert avec elle, s'écrioient qu'il n'étoit point de chatiment affez rigoureux pour ce fanatique infolent. Mais la voix de la confcience parloit plus haut qu'eux au cceur de Vatace. Les larmes coulerent de fes yeux; & pouffant un profond foupir: Cejfe^, dit-il, cefft\ de m 'exciter d punir un homme jujle. 11 me refpecleroit davantage ,fi je me refpectois moi-même. Je recueilie ce que j'ai femé. Ces paroles cauferent a Marcéfine une confufion plus grande que 1'affront même ; mais elle fut, apparemment par fes artifices, étouffer ces heureufes difpofitions; & 1'Hiftoire ne dit pas fi Dieu, par un jugement terrible, mais jufte, n'abandonna pas jufqu'a la mort ce Prince infortuné , quoique d'ailleurs fi eftimable, k fon habitude criminelle, Tome XXI, R BaüdouinII.Vatace. ka. 1244.  Baudouin II. Vatace. An, 1244. An. 1245. XXXIV. Baudouin au Concile de JLyon. Matth. Pa- ' ris. I Raynald. , Vu Cang', hifi. I. 1 4» 51. < Fkury , i hifi. ecclef. I. 82 , art. < 23 Sr fiiv, j 3S6* ff 1 s T 0 I S. B Blemmydas, pour junifier Ta conduite, pubha une lettre encyclique, dans laquelle, après avoir raconté ce fcandakux événement, il débite les fentiments les plus héroïques fur le zele dont une ame Chrétienne doit être embrafée, & fur le mépris qu'elle doit faire des plus grands périls & de tous es fupphces, lorfqu'ii s'agit d'arrêter les profanateurs. Les Auteurs Grecs & Latins rapportent avec admiration ces belles maximes. Pour moi, je 1'avouerai, dans les circonftances oü fe trouvoit Blemmydas, je ne verrois rien de plus beau ni de plus héroïque qu'un intrépide filence. Le Concile convoqué a Lyon s'ouvnt l'année fuivante, le 26 Juin. Baudouin y affifta, ainfi que le Patriarche de Conftantinople. L'Empereur ;toit affis a la droite du Pape, les mtres Princes a fagauche. LePatriar:he, qui tenoit le premier rang avant :eux d'Antioche & d'Aquilée, expoa 1'état déplorablê de fon Eglife, réluite a trois fuffragants, de trente [u'elle avoit eus auparavant; les Grecs nnemis de 1'Eglife Romaine ayant 'ouffé leurs conquêtes jufqu'aux por-  nu Bjs-Empire. Liv. XCVlll. 3S7 tes de la ville Impériale. L'Empereur Fréderic fut excommunié dans ce concile , avec tout 1'appareil de 1'indignation pontificale; & entre les reproches dont on le chargeoit, le Pape prétendit lui faire un crime du mariage de fa fille avec un fchifmatique. On s'occupa férieufement du fecours de Conftantinople, & jamais le Saint Siege n'avoit ouvert des fources d'argent fi fécondes, fi les fommes euffent été exa£tement recueillies, & fidélement adminiftrées. Les bénéficiers non réfidents , fans caufe légitime, devoient contribuer de la moitié de leurs revenus, du tiers ceux qui réfidoient, & dont le revenu excédoit cent marcs d'argent, 1'Eglife Romaine du dixieme. Quelque temps après le Concile, le Pape, non content de tant de fubventions, ordonna que les biens mal acquis, foit par ufure, foit par quelque fraude que ce fut, dont la reftitution ne pourroit fe faire aux perfonnes léfées; les legs pieux laiffés è la difcrétion des exécuteurs teftamentaires ; les aumönes exigées pour la rémiflion des péchés, feroient appliquées au foulagement de 1'Empire. R ij Baudouin II. Vatace. An. 1245.  Baudouin II. Vatace. An. 1245. An. 1246. XXXV. Vatace en Bulgarie. Acrop, c, 42, 43» 44. 3§8 // 1 S T 0 1 R È Frangois. II exhorta les Evêques a exciter pour eet important objet la cha- rité des fideles, & les Croifés k preffer leur voyage, les encourageant par les privileges affeöés aux Croifades. II déclara de plus, que tant que Baudouin feroit la guerre, nulle puiffance eccléfiaftique ne pourroit le frapper de cenfure, ni mettre en interdit les terres qu'il poffédoit en France & en Allemagne, a moins qu'elles n'y fuffent nommémentaffujetties par le Saint Siege. Tant de taxes pieufes, de réglements pécuniaires, d'encouragements de toute efpece, ne donnerent que des efpérances. Baudouin, plus propre a mendier des fecours qu'a les mettre en oeuvre, palTa toute cette année & la fuivante a la Cour du Roi de France, qui pouvoit bien lui donner des fubfides, mais non pas le courage néceffaire pour défendre fes Etats. Bien différent de ce Prince, qu'on voyoit fans ceffe trainer fes befoins & fes infortunes dans toutes les Cours de 1'Europe , Vatace trouvoit fes reffources en lui-même. Sa vigilance & fon attivité profïtoient de toutes les  du Bas-Empire. Liv. XCVUI. 389 rnnirinftiirps. Comme les Grecs n'a- voient pour lors rien k craindre des Tartares, Vatace laiffa en Oriënt fon fils Théodore, & paffa 1'Hellefpont, a deffein de vifiter fes domaines d'Occident, qui s'étendoient jufqu'a Zichna, prés de la ville de Serres. II apprit en chemin que le jeune Caloman , Roi des Bulgares, venoit de mourir, & qu'il ne laiffoit pourfucceffeur que fon frere Michel, encore en bas age. C'étoit une occafion d'exécuter enfin ce qu'il méditoit depuis long-temps. Arrivé k Philippes, il confulta fes prineipaux Officiers, fur le deffein qu'il avoit d'attaquer la Bulgarie , & de commencer par le fiege de Serres. Tous furent d'avis que l'entreprife étoit téméraire ; que ne s'étant mis en campagne que pour la vijite de fes Etats, il ne s'étoit fait fuivre ni des troupes, ni des machines néceffaires pour un fiege de cette importance ; qu'avec fi peu de forces, il rifquoit t'honneur de fes armes & la réputation acquife par tant de fuccls ; qu'il étoit dangereux de ré" veiller fi a contre-temps la valeur des Bulgares , que la fortune de PEmpire tenoit ttlors endormie, Mais le grand DomefR iij Baudouin II. Vatase. A.n. 1246. Raynald. Du Cange, hifi. I. 4 , f. 33.  Baudouin II Vatace .An. 1x46 39° HlSTOlRB tique, Andronic Paléologue, foutint , au contraire : Qu'il falloit prof ter de , la foibkffe oü fe trouvoit la nation Bul' g^re. fous le regne d'un enfant; qu'en attaquant Serres, on ne rifquoit que de lever le fiege ; ce qu'on pourroit faire fans home, en offrantaux Bulgares une paix, qu'ils nauroient garde de refufer, même avec des conditions honorables d [Empire. Cet avis étoit du goüt de Vatace. II marcha a Serres, & fit fes difpofitions pour 1'attaque. Serres, autrefois une des plus grandes villes de Ja Macédoine, n'étoit plus qu'une place tfuverte & fans défenfe , depuis qu'elle avoit été prife & démantelée par Joannice: mais il avoit laiffé fur pied la citadelle, affez forte pour foutenir un long fiege. Le Bulgare Dragotas y commandoit. Pour forcer les murs de Ia ville, dont les breches n'étoient rebouchées que düne maconnerie fort baffe, fans chaux ni ciment, Vatace n'employa que les vaIets de l'armée, qui ayant emprunté des épées & des fleches, fe couvrant de planches en fagon de botteliers , avancerent fïérementau fon destrompettes; & trouvant peu de réfiftan-  vu Bas-Empirs. Liv. XCFIII. 39* ce, s'acquitterent du pillage mieux que n'auroient pu faire leurs maitres, Les habitants qui n'avoient pu trouver place dans la citadelle, vinrem implorer la clémence de 1'Empereur. qui leur accorda la vie. Dragotas homme fans courage & fans expérience, voyant 1'ennemi fi prés di lui, prit 1'épouvante; & fans atten dre la fommation, rendit la place ; 1'Empereur. On le récompenfa d'un fomme d'argent. U promit de livre encore Mélénique, oh il faifoit fa ré fidence ordinaire, ck fe mit en devoi de tenir parole. Cette opération étoit d'autant plu facile, que le Commandant de la plac fe trouvoit alors, par une violent attaque de goutte, hors d'état mêm d'apprendre ce qui fe palfoit dans ! ville. Un habitant, nommé Nicol; Manclabite, inftruit du deffein de Dr gotas, & plus habile que lui, le pr vint; non pas pour traverfer fa tr; hifon, mais pour lui en enlever mérite, & la récompenfe de la pa de 1'Empereur Grec. Cet homme ha di, fans procéder par de lentes m ueeuvres, & des follieitations fecr R iy Baudouin IU Vatace. ; An. ip.46? 1 i f r - s xxxvi. e Villes Bulgares e quifedoö-, e nent a a VaPce' is 1- 1- le rt rï- ï-.  Baudouin II. Vatace. An. 1246, ! i > > > » » » » » M 39 a & I S T O I R E fes, éleva fa voix en pleine place pubhque, & d'un ton de harangueur: » Quefaifons-nous?s'écrioit-il; que * n avons-nous pas fouffert de 1'en- * fance de Caloman, & de 1'injuftke » de fes miniftres ? Nous efpérions > du moins qu'il guériroit nos plaies, > orfqu il feroit parvenu a l'3ge oh > Ihomme de bien & le méchant 1 homme commencent a prendre une route différente. Nous 1'avons perdu dans ce moment critique; & nous voila retombés fous la mais d un maitre encore plus jeune. Eftce donc notre deftinée, de paffer notre vie è fervir de jouet a des enfants, & a pleurer autour d'un berceau obfédé de tyrans fubalternes ? L'Empereur Grec approche : d nous tend les bras. Courons nous mettre fous la proteöion d'un maitre éclairé & bienfaifant. II a fur nous des droits imprefcriptibles. Ce pays appartint a ceux dont il' eft 1 héntier. Nous fommes Grecs; nos peres font fortis de Philippopolis: & s'il y a parmi nous des Bulgares, qu'ils tournent les yeux vers Nicée, ils y verront la fille de leur  du Bas-Empire. Liv. XCV1I1. 393 » Roi Afan, affife fur les degrés du » tröne, avec fon mari Théodore, » héritier préfomptif de 1'Empire. Un » Prince fage & expérimenté fait al» léger le joug fur la tête de fes peu» pies, qu'un enfant lahTe écrafer". Ainli parloit Manclabite; & il perfuada. Plus de cinq cents habitants fe rendirent au camp de Vatace, & lui porterent les hommages de toute la ville. Ce fut ainfi que, fans tirer 1'épée, Vatace fe trouva maitre de Mélénique, &c de grand nombre d'autres places, tant au voilinage du mont Rhodope, qu'au feptentrion de 1'Hebre, & même bien avant en Macédoine. Scopia, Profaque , la Pélagonie, tout le pays jufqu'è Prilape, fe foumit a lui comme de concert. Le Roi Bulgare fe tint heureux de convenir avec Vatace, que celui-ci fe contenteroit de ces acquifitions, fans faire aucune entreprife ultérieure. L'hiftorien George Acropolite, qui rapporte ces fuccès, dit qu'étant luimême Secretaire du Prince, il fut chargé de les mander a toutes lés villes de 1'Empire, par des lettres fceliées du fceau impérial, & que c'étoit R y Baudouin II. Vatace. An. 1246.  Baudouin II. Vatace. An. 1246. XXXVII, Complot formé contre Démétrius, Defpote de Theffalonique. Acrop. c, 45 , 46. Du Cange, hifi. I. 4 , <=■ 33» 394 // / S t 0 i r z une coutume établie cbez les Princes Grecs, d'inftruire eux-mêmes leurs peuples des heureux événements , pour leur en faire partager la joie. Par eet accroifTement de 1'Empire Grec, du cöté de 1'Occident & du Septentrion , Vatace, déja maitre de 1'Orient, tenoit 1'Empire Frangois enfermé dans fes Etats, & comme bloqué de toutes parts. On étoit a la mi-Novembre; & après un voyage plus fécond en conquêtes que la plus heureufe campagne, ce Prince ne fongeoit qu'a retourner a Nicée, lorfque fa bonne fortune lui offrit encore un Royaume. Une mort prématurée avoit enlevé Jean, defpote de Theffalonique , au grand regret de fes peuples, qui perdoient en fa perfonne tin Prince fage, jufle, vertueux, chafte au milieu de la jeuneffe. On dit ^u'il avoit delfein d'embraffer la vie monaftique, & que fous la pourpre il en faifoit le noviciat, par des exercices journaliers. C'étoit un excès de piété, dans lequel ne fut pas en danger de tomber fon frere Démétrius , qui lui fuccéda. Celui-ci, pour éviter ce prétendu ridicule, donna tête  dü Bas-Empire; Liv. XCVIII. 395 baiffée dans 1'excès oppofé. Toujours environné de libertins, il fe livra k toutes fortes de débauches. Surprïs un jour par un mari, & ne s'étant fauvé qu'en fautant par une fenêtre, il fut long-temps a guérir de fes bleffures. Vatace lui rendit peu après un bien meilleur fervice, en lui ötant un pouvoir auffi dangereux pour lui, que funefte a fes fujets. Les Seigneurs les plus diftingués, las d'obéir a un maitre qui favoit fi peu fe gouverner lui-même, confpirerent contre lui, en grand nombre. Spartene & Campan étoient k leur tête. Campan, pai commiffion de tous , va fecretemem trouver Vatace, & lui offre la poffeffion de ThefTaloaique, s'il veut renouveller k cette grande cité fes an ciens privileges. L'Empereur s'y en gage par ferment. Tout étant conve nu fur la maniere de 1'exécution, i marche vers Theffalonique, &c mand» a Démétrius de fe rendre auprès di lui, pour s'acquitter de i'hommag qu'il lui doit. Le jeune Prince, pa le confeil des conjurés même, qu'i confulta comme fes plus fideles amis réfolut de n'en rien faire. Ön lui pei R vj Baudouin II. Vatace. An. 1246. I r l »  Baü- BOUjnI] Vatace, An. iz4e t \ 4 S9<5 H i s t o i a e fuada que Vatace avoit de mauvais deffeins. Cependant Ia conférence de Campan avec Vatace tranfpira par ■ quelque endroit : on 1'accufa de trahifon. A cette nouvelle , Spartene appréhendant qu'on ne découvrit le complot, court au Prince, affefte la plus grande colere contre ce perfide , demande en grace qu'on le faffe venir devant lui; & dans la chaleur d'une violente invecfive, il s'emporte fufqu'a le frapper; 6c le prenant par la barbe: Prince, dit-il, mette^-moi entre^ les mains ce fcélérat; je faurai bien lui faire avouer fon crime, & je vous en rendraibon compte. Démétrius, charmé de ces démonftrations de zele, abandonne le criminel a Spartene, qui le traïne k fa maifon, 6c 1'enferme avec lui. La, tandis qu'ils fe divertiffoient enfemble, Spartene fait de temps en temps entendre de grands coups, qui, fans tomber fur fon ami, étoient accompagnés de fes cris, 6c Faifoient trembler tout le voifinage. ^près avoir donné a cette queftion ïffrayante le temps qui leur parut con'enable, Spartene ramene Campan I«vant Démétrius; 6c jurant par Ia  nu Bas-Emvi&z. Liv. XCPHI. 397 tête du Prince, il protefte que Campan eft aufli innocent que Spartene : Et vousfave\, Prince, ajouta-t-il, s'il ejl un homme au monde qui vous foit plus dévoué que moi. Démétrius fut pleinement fatisfait, & n'eut que des excufes a faire d'avoir été trop crédule. Pendant que cette comédiefejouoit dans le palais du defpote, Vatace avancoit, & arriva au pied des murs. II mande une feconde fois Démétrius, qui, fuivant toujours les mêmes confeils, refufe encore de fortir. L'Empereur demeure quelques jours campé devant la ville, attendant 1'effet de la promeffe des conjurés. Enfin, le moment arrivé, les portes s'ouvrent, toute Pefcorte de Vatace entre 1'épée a la main , & s'empare de toutes les rues. Démétrius fe fauve dans la citadelle. Sa fceur Irene, veuve d'Afan,Roi des Bulgares, vient fe jetter aux pieds de 1'Empereur; & fondant en larmes , elle le fupplie de pardonnera la jeuneffe de fon frere; & s'il veut le punir, du moins de ne pas le priver de la vue. L'Empereur, quï jeftimoit cette vertueufe Princeffe, lui Baudouin II. Vatace. An. 1246. XXXVIH Vatace maitre de Theffalo-, nique»  Bau- bouin II. Vatace. An. 1246. ( ] 1 1 1 i 1 i t 1 t \ t c 1; 1 "V p ]< h c n b t'c tc c< 39$ Histoirb accorda Ia grace qu'elle demandoit,' Sc la traita avec beaucoup d'honneur, Il fit venir devant lui le jeune Prin:e , qui portoit dans les graces de a figure tous les attraits de la voupté, fans avoir, ni dans fon ef>rit, ni dans fon ame, aucun frein ca»able de le retenir. Vatace le mépriant trop pour daigner lui faire des eproches, le fit conduire en Afie, c enfermer dans le chateau de Lenianes. II donna le Gouvernement de 'heffalonique, a fon grand Domeftiue, Andronic Paléologue. II ne pouoit mieux dédommager cette ville e ce qu'elle avoit fouffert fous fon ernier Prince. Andronic joignoit k 1 fcience de la guerre toutes les veris civiles. Son fils Michel, que nous errons dans la fuite relever 1'Emire Grec, fut chargé du foin de Méinique, de Serres, & du pays d'a:ntour. La défenfe des autres pla;s fut confiée a des Officiers d'un lérite reconnu; mais avec ordre d'o:ir au grand Domeftique, que Vace établiffoit comme Vice-Roi de ius fes domaines d'Occident. Ces mtrées perdirent bientöt eet ex cel-  nu Bas-Empire. Liv. XCP7II. 399 lent Gouverneur. Andronic tomba malade; & étant prêt de mourir, il fe fit couper les cheveux, pour expirer avec la tonfure monaftique, felon la dévotion a la mode de ce temps-la. Théodore Philes fut envoyé pour le remplacer. Après avoir pourvu k la füreté & au bon ordre de ces nouvelles Provinces , Vatace, couronne d'une gloire d'autant plus éclatante & plus pure, qu'elle n'avoit pas coüté une goutte de fang, ni aux vaincus, ni au vainqueur, retourna, au mois de Décembre , en Afie , ayant augmenté de moitié les domaines dont il jouiflbit k fon départ. II n'étoit cependant pas maitre de toute la partie occidentale de 1'Empire, entre 1'Archipel & le Golphe Adriatique. Outre Ia Morée & 1'Achaïe , partagées entre les Frangois & les Vénitiens , outre les montagnes de Theffalie & de la Macédoine, occupées par une peuplade de Valaques, deux Princes Grecs poffédoient encore une affez grande étendue de terre dans ces Provinces. Théodore PAveugle, perede Jean ik de Démétrius, en eédant Theffalonique k fes enfants, s'étoit ré- Bau- dou1n II. Vatace. An. 1146,  Bau- »ouin n. Vatace. An. 1246. ] ( < I i An. 1247. j XXXIX. f Vatace prend Zu- \ rule. r Acrop. c, 47. r DuCange, h kift. I. 4 34. j, n Z tt fc ti ta r< n< dl IK 40O H I S T O I R E fervé plufieurs villes, avec le titre de defpote; & Michel-Ange Comnene, fils naturel de ce defpote d'Epire, qui s'étoit rendu également fortnidable aux Empereurs Grecs & francois, avoit confervé une partie le la Theffalie. Ils avoient tous deux les traités avec Vatace, qui les regarloit comme fes vaffaux , 6c leur laifbit la jouiffance de leurs Etats. La treve de trois ans étoit expiée, 8c les forces des Frangois ne s'éoient point rétablies dans eet interalle de repos. Vatace, réfoluden'en oint prendre qu'il n'eüt entiérement scouvré 1'Empire de fes prédécefïurs, après avoir paffé 1'hy ver a Nymhée, raffemblafes troupes, traverfa Hellefpont, 8cmarcha aZurule pour :fferrer davantage Conftantinople. urule, aujourd'hui Chiorli a 1'enée de la prefqu'ifle de Thrace, au >nd de laquelle eft fituée Conftantiople, étoit alors une place impornte : c'étoit la clef de la prefqu'ifle, :ntrepöt des marchandifes qui ve)ient du refte de la Thrace, la route Andrinople*", le rendez-vous ordiüre des troupes, lorfqu'on les raf-  du Bas-Empihz. Liv. XCFIII. 401 fembloit pour entrer en campagne. Les Frangois & les Grecs fe difputoient fans ceffe la poffeffion de cette ville. Vatace s'en étoit rendu maitre ; les Frangois 1'avoient reprife avec le fecours des Comans; & Anfeau de Cahieu, le plus renommé pour lors d'entre les Seigneurs Frangois, en avoit le Gouvernement. Quoi qu'il eut travaillé a la mettre en état de défenfe , cependant , lorfqu'ii apprit Ia marche de Vatace , n'efpérant pas pouvoir y tenir long-tems, il n'ofa 1'attendre, & fe retira a Conftantinople , laiflant dans Ja place fa femme Eudocie. C'étoit , a fon avis, unefauve-gardeaffurée, Eudocie étant fceur de 1'Impératrice Irene, que Vatace avoit tendrement aimée; mais 1'Empereur Grec, peu fufceptible de ces confidérations domeftiques, fans croire manquer de refpefl: a fa défunte époufe, forma le fiege , fit jouer fes machines , ruina en peu de jours toutes les défenfes; & maitre de la ville , il fit monter fa belle-fceur fur un beau cheval, & la renvoya ainfi a Conftantinople. II laiffa fortir en liberté la garnifon ; & profitant de Baudouin II. Vatace. An. 1247.  Baudouin II. Vatace. An. 1247. XL. Démarches de Baudouin en France &. en Angleterre.Matth. Paris. Raynald. Du Cang', hift.l. 4, c, 3;. t\02. H I S T O I R E 1'ardeur de fes troupes, il alla attaquer Bizye,, qu'il prit fans beaucoup de peine. Vatace faifoit des conquêtes , &C Baudouin follicitoit des aumönes. Depuis le concile de Lyon, il étoit demeuré k la Cour de France, & ne celfoit d'intéreffer en fa faveur la piété du Roi &la compafïion de Blanche fa mere. Elle lui fit rendre libéralement le Comté de Namur fans exiger les cinquante mille livres de 1'engagement. Louis retira k fes dépens grand nombre de reliques, qui avoient décoré la chapelle du palais de Conftantinople, & que Baudouin avoit engagées a plufieurs particuliers, dans les befoins de 1'Etat. Elles furent apportés a Paris, Ó£ 1'Empereur en fit au Roi une donation authentique. II paffa une feconde fois en Angleterre, pour demander un nouveau fecours; &, pour 1'obtenir plus aifément, Mathieu Paris rapporte qu'il fe difoit parent de Henri III, qui régnoit alors. Pour rallentir la bonne volonté des Princes Catholiques en faveur de Baudouin, Vatace donnoit quelque efpérance de  nu Bas-Empirb. Liv. XCVUL 403 fe foumettre a 1'Eglife Romaine. La Reine de Hongrie, fa belle-fceur, y travailloit férieuferrient, & le Pape animoit, par fes lettres, le zele de cette PrincefTe : mais ce fut fans fuccès. Les foins religieux d'Innocent en eurent davantage auprès de Jaroflav , grand Duc de Ruffie, qui renonga vers ce temps-la au fchifme des Grecs. L'année fuivante 1248, lorfque Louis fe préparoit a cette expédition fameufe , qui fit tant d'honneur a fa perfonne, & tant de mal a fon Royaume, Baudouin retourna enfin a Conftantinople. II paroit qu'après tant de follicitations, il n'y rapporta que fon indigence. Dès le mois d'Ottobre de cette année, il renvoya en France 1'impératrice fa femme, avec pouvoir d'engager toutes les terres qu'il pofledoit dans le Royaume , pour acquitter des fommes empruntées a divers marchands. M. Du Cange dit que cette Princeffe fut envoyée alors pour continuer fes pourfuites auprès du Roi &c des autres Princes en faveur de 1'Empire. Mais c'eüt été bien mal prendre fon temps pour tirer de Baudouin II. Vatace. An. 1247. An. 1248, XLI. L'Impératrice Ma» rie en France. Du Cange , hifi. I. 4 , c. 35. L Art is ye'rifier let dates , p, 549.  Baudouin II, VATACEr An, 124S, An. 1249. XLII. Démarches du Papepour laréunion de 1'Eglife Grecque. Innoc. epifi. Acrop, c. Du Cange% h ifi. I. J , c. i. Fletiry, hifi. eed. I. 83 , art. 13- Viafi des 404 HlST&IRE 1'argent de Louis, épuifé en ce tempsla par les prodigieufes dépenfes d'une 1 nouvelle croifade. II eft même trèsvraifemblable que ce furent les préparatifs de cette entrepriie, qui avoient mis le Roi & le Royaume hors d'état de fournir a Baudouin de plus grands fecours. D'ailleurs , Louis n'étoit plus en France au mois d'Octobre ; il étoit parti d'Aigues-Mortes vers la fin du mois d'Aoüt, & féjournoit alors en 1'ifle de Cypre, oh il paffa 1'hyver. Tandis que Louis combattoient en Egypte pourfubjuguer lesSarafins, le Pape Innocent travailïoit a ramener les Grecs au fein de 1'Eglife; mais ces deux conquêtes fe refuferent également a leurs efforts. Deux ans auparavant, le Pape avoit envoyé en Oriënt, avec la qualité de Légat, Laurent, de 1'ordre des Freres mineurs, auquel il avoit recommandé d'attirer les Grecs par Ia douceur, en les prntcgeant contre Popprefüon, & en procurant par toutes fortes de voies canoniques la réparation des torts qu'ils auroient foufferts de la part des Latins, Laurent fut bien re§u  nv Bjs-Empire. Liv. XCVIIL 40* du Patriarche Grec , qui réfidoit \ Nicée. C'étoit Manuel II, que M. Fleury , dans fon Hiftoire Eccléfiaftique, confond avec Manuel premier, dii Charitopule , mort depuis vingt-huii ans. Manuel avoit fuccédé a Métho> dius, fucceffeur deGermainNauplius II étoit engagé dans le mariage, c< qui n'étoit pas contraire au loix d( 1'Eglife Grecque ; d'ailleurs pieux, refpecïable par fes mceurs, mais ignorant. II montroit des difpofitions af fez favorables a la réunion; & h Pape, fur les bonnes efpérances qiu Laurent lui en donnoit par fes let tres, envoya Jean de Parme , Géné ral des Freres mineurs, qui, par 1; faintété de fa vie, s'attira la véné ration des Grecs fans vaincre levti opiniatreté. II fe fit cependant écoutei de Vatace, qui, foit de bonne foi, foi par politique, fit partir des Ambai fadeurs pour traiter avec le Pape mais ces envoyés ayant été dépouilfe: en chemin par des brigands, furen obligés de retourner en Afie, fan: achever leur voyage, & la mort dt Pape & de Vatace rompit le cour; de cette négociation. Baudouin II. Vatace. An. 1249. dates , p, l • t t !  Baudouin II. Vatace. An. 1250. XLIII. Guerre dans 1'ifle de Rhodes. Acrop. c. 48. Du Cange, hifi. I. 5,0 2. 406 HlSTOIRS Les Francois de Conftantinople firent en ce temps-la une incurfion en Bithynie , & furent aifément repouffés par Vatace aux environs de Nicomédie. Jean Gabales, Gouverneur de Rhodes, frere de ce Léon, qui, vingtcinq ans auparavant, s'étoit révolté dans cette ifle, étoit alors & la Cour de 1'Empereur. Pendant fon abfence, une flotte Génoife, ayant abordé de nuit, furprit la ville de Rhodes, & s'empara de 1'ifle entiere. Aufli-töt, par ordre de 1'Empereur, Jean Cantacuïene, qui fe trouvoit au voifinage, étant Gouverneur de Lydie Sc de Carie , paffe dans 1'ifle avec le peu qu'il avoit de troupes, combat les Génois, Sc reprend plufieurs places. Ayant recu un renfort confidérable, il afSege la ville de Rhodes, ou les Génois , abondamment pourvus de vivres, étoient en état de foutenir un long fiege, ayant chaffé une partie ies habitants , Sc s'étant emparés des aiens de tous. Cependant la vigueur 3e Cantacuzene, fes attaques vives k continuelles les auroient bientöt •éduits, fans un fecours imprévu qui eur arriva. Guillaume de Villehar-  du Bas-Empïkz. Liv. XCFIII. 407 douin , Prince d'Achaïe , & Hngues , Duc de Bourgogne, qui alloient en Terre-Sainte avec une flotte bien garnie de troupes, pafferent par Rhodes , & confentirent volontiers a laiffer aux Génois plus de cent de leurs meilleurs cavaliers. Ceux-ci commencerent par une fortie , qui obligeales Grecs fort maltraités a lever le fiege & k fe retirer dans Philereme. Les cavaliers laiffant enfuite les Génois a la garde de la place, fe chargerent de battre la campagne , pour amener des convois, & enlever ceux des ennemis ; en forte qu'en peu de temps, les Grecs, comme afïiégés eux-mêmes, furent réduits a la difette. Cependant Vatace étant venu k Nymphée , fit en diligence équiper a Smyrne une grande flotte, & embarquer trois cents chevaux. II en donna le •commandement a Théodore Contoftéphane, revêtu de la dignité de Protofébafte; & non content de 1'inftruire de vive voix, il lui donna par écrit le détail des opérations qu'il devoit faire. La fidélité du Général a fuivre les legons d'un maitre fi expérimenté, le rendit vainqueur. Les cavaliers Baudouin II. Vatace, A.n. 1250,  BauDouinII.Vatace. An. 125 o, An. 1251. XL1V. Troifiesie voyage de Baudouin en Occident. Innoc. tpifi. Joinviïïe , hifi. de St. Louis. Du Cange , hifi. I. J , c. 2. VAit dt vérif. les dates , p, 298. 468 HlSTOIRB auxiliaires furent tous taillés en pieces. Les Génois, renfermés dans la place, s'y défendirent pendant quelques jours; mais enfin, perdant courage, ils fe rendirent, k condition d'avoir la vie fauve. On les conduifit k 1'Empereur , très-difpofé, par fon humanité naturelle, k leur faire grace, mais fans capitulation. L'ifle de Rhodes rentra ainfi fous la puiffance de Vatace. Deux voyages déja faits par Baudouin en Italië & en France n'avoient pas rétabli fes affaires, foit qu'il n'eüt pas tiré du Pape & des Princes d'affe2 grands fecours, foit qu'il ne fut pas en faire ufage. II y retourna en 1251 , faifant encore 1'humiliant perfonnage de Prince indigent. II y a apparence qu'il y fut accompagné de Nicolas de Plaifance, Patriarche de Conftantinople; car ce Prélat mourut cette année k Milan. Ce ne fut qu'après deux ans de vacance, caufée fans doute par les diffentions ordinaires du Chapitre de Sainte-Sophie, que le Pape Innocent nomma, pour remplir ce grand fiege, fon Chapelain Pantaléon Juftiniani, noble Vénitien, qu'il revêtit de la qua- lité  »i/ Bas-Empike. Liv. XCFUI. 409 lité de fon Légat. En 1'abfence de 1'Empereur , Philippe de Touci faifoit 1'office de Régent de 1'Empire. II étoit, par fa mere, petit - fils d'Agnès de France & de Théodore Branas. Ce Seigneur vint trouver le Roi Louis en Terre-Sainte, lorfqu'ii s'occupoit h fortifier la ville de Céfarée; & ce qui marqué Pextrême indigence a laquelle étoit alors réduite la Cour de Conftantinople, c'eft que le Régent eut befoin que le Roi répondit pour lui d'une fomme de cinq cents livres tournois a un marchand de Valenciennes. Louis le retint pendant un an auprès de lui, avec neuf autres Chevaliers. Les voyages de Vatace , bien differents de ceux de Baudouin, étoient des conquêtes. II s'étoit propofé d'a- ! chever ce qu'avoit commencé Laf- '< cans, & de regagner tout ce qu'a- ' vort fait perdre 1'incapacité de leurs predéceffeurs. Pour pouvoir tourner ' fans obftacle & fans diverfion tou- 1 tes fes forces contre les Frangois, \ \, v.olt fait la Paix ayec les Turcs ' d Icöne, détruit le Royaume de Theffalonique , fubjugué une partie de la i Tome XXL S Bau- bouin IK Vatace. An, i2ji. xxv. Conduite ie Vatace 1'égard e Michel ^'Epire. Acrop. c. •9- * fcq. Gregoras , a, c 8. 'ackym. I. • 7. & 2. Cantacu^ 1. c. 17. hnnt\U,  Baudouin II, Vatace, An. iij i, /. i., c. i, 2. 2?u CanSe, Ai/r- /. j. c. 5. XLVI. Guerre de Vatace en Theffalie. 410 H I S T O I R E Bulgarie, & forcé le Roi Bulgare & fe contenter de ce qu'il avoit bien voulu lui laiffer de fes Etats. II ne lui reftoit a craindre que la familie des Princes d'Epire : elle étoit réduite a deux têtes ; Théodore 1'Aveugle, maitre de quelques places en Theffalie, & Michel le Batard, qui avoit réuni tous les domaines de fon pere naturel & de fes oncles. Vatace efpéra d'abord s'attacher ce Prince par un mariage. Michel demandoit pour Nicéphore, fon fils aïné , la Princeffe Marie , petite-fille de Vatace, & 1'Empereur y confentit. Théodora, femme de Michel, vint k Peges, ou la Cour étoit alors, amenant avec elle fon fils, pour lui faire voir fa fiancée, & confirmer cette alliance par Ia préfence des contraöants. Elle regut de Vatace 1'accueil le plus honnête; & après avoir tiré parole que le mariage feroit célébré l'année fuivante, elle retourna en Theffalie avec fon fils. Le mariage ne fe fit que fix ans après. Ce traité , qui fembloit affurer la paix, ne tint pas long-temps contre les mauvais confeils de Théodore 1'A-  nu Bas EmpPhe. Liv. XCF1II. 411 veugle. Michel, entrainé par ce Prince , & par fon inconftance naturelle, attaque les villes qui appartenoient k 1'Empire, & ravage leur territoire. Cette nouvelle infidélité met Vatace en mouvement, II affemble une grande armée , & paffe 1'Hellefpont, accompagné de fes meilleurs Officiers , entre lefquels, celui qui tenoit le premier rang par fon mérite , étoit Nicéphore Tarchaniote, gendre du grand Domeftique Andronic Paléologue, & fon fucceffeur dans cette dignité. C'étoit lui qui, quinze ans auparavant,avoit fi bien défendu Zurule contre les Frangois ligués avec Ie Roi des Bulgares. L'Emperetir fe rendit a Theffalonique , & marcha vers Bodene, réfidence de Théodore FA veugle. A fon approche, celui-ci prenantPépouvante, abandonne cette ville , & va fe réfugier auprès de Michel, fon neveu. L'Empereur affiege la ville , & 1'oblige bientöt a fe rendre. II va camper au centre du pays fur Ie bord du lac d'Oftrobe; & comme Michel, a la tête d'un camp volant , ne s'arrêtoit nulle part, & qu'il étoit impoffible de 1'atteindre ayec 5 1] Baudouin ii. Vatace. An. i2ji„  Bau- BOUIN II. Vatace. -An, I2J.I. 4I£ // 1 S T O I R B une grande armée, il envoye fur les terres du defpote un détachement de fa cavalerie, fous le commandement d'Alexis Stratégopule, de Michel Paléölogue, fils d'Andronic, & de plufieurs autres Officiers , avec ordre de ravager le pays, de combattre Michel par-tout oh ils le rencontreroient, & de 1'afTiéger, fi n'ofant tenir la campagne , il fe renfermoit dans quelque place. Ces troupes pillant la con•trée, rapportoient leur burin au camp de 1'Empereur, qui le diftribuoit a toute l'armée. Mais l'ina&ion a laquelle il fe voyoit forcé , & qu'il regardoit comme contraire a fa gloire, 1'affligeoit fenfiblement, & fes foldats n'étoient pas moins impatients. Ils voyoient a regret que le temps de la campagne fe paffoit fans.aucune a£fion décifive. A ce mécontentement fe joignoit la crainte de manquer de vivres: 1'hyver approchoit, & tout Ie pays étoit dévafté. Pour prévenir la difette, Vatace fit apporter de Bérée, fur des muiets & des xhameaux, une abondance de provifions. Dans ces conjonftures embarraflantes, un feul homme caufa  du Bas-Èmpire. Liv. XCF1II. 413 une révolution favorable a 1'Empereur. Théodore Pétraliphe tenoit par fes alliances aux deux partis : fa foetir i étoit femme de Théodore FAveugle; 'i fa femme étoit fille de Démétrius Tornice , mort depuis quelque temps au fervice de 1'Empereur, dont il étoit 1'ami le plus zélé & le principal Miniftre. Pétraliphe avoit préféré le parti de fa fceur; il tenoit pour Michel la ville de Caftorie, 8c avoit le plus grand crédit dans cette partie de la Theffalie. II vint fe donner a 1'Empereur, & entraina avec lui tout Iê pays. Caftorie, Déabolis, 1'Albanie prefqu'entiere arborerent fur leurs murs les drapeaux de Vatace. Michel , allarmé de cette défertion foudaine, qui le dépouilloit d'une grande partie de fes Etats, fe détermina a fauver le refte, en fe réconciliant avec 1'Empereur. II lui envoya demander la paix, qui lui fut accordée a des conditions très-dures, que la néceffité le forga d'accepter. Outre les villes qui s'étoient déja données k 1'Empereur, il lui cédoit encore Prilepe, Belefe & Croie en Albanië ; il lui mettoit entre les mains le jeune S iij Bau(ouinIL ^atace. in. ii 5-1.  Bau»ouinII.Vatace. An. 1251, An. 1251. XLVH. Michel Pïléolopiie accu«é. 4*4 H 1 s T 0 1 r g Nicéphore & Théodore l'Aveugle. Ces deux Princes conduits au camp d'Oftrobe , y furent recus d'une maniere bien différente; Nicéphore avec Ie titre de defpote, & honoré comme gendre de 1'Empereur; Théodore, auteur de tous les troubles, chargé de fers comme un captif, dont on enchainoit enfin le génie turbulent & ennemi de la paix. L'Empereur ayant paffe 1'hyver k Bodene, y laiffa le gros de fon armée fous le commandement de plufieurs Officiers , entre lefquels étoit Michel Paléo'ogue. II partit après Paques avec. un détachement, pour aller faire la vifite des places qu'il venoit d'acquérir , les mettre en état de défenfe, & y établir le bon ordre. II employa fix mois k ces foins dignes d'un Monarque , & ne revint a Bodene qu'en automne. II reprit alors le chemin de 1'Hellefpont pour repaffer en Afie. Pendant qu'il étoit dans le camp d'Oftrobe, ce Nicolas Manclabite, qui s'étoit acquis fa confiance en lui livrant Mélénique, lui avoit déféré Michel Paléologue comme coupable de trahifon. Vatace, occupé alors de fon  nu Bjs-Empire. Liv. XCV11L 415 expédition contre le defpote, avoit remis a un autre temps une difcuffion fi importante, qui demandoit un long examen. II s'étoit contenté d'environner Michel de perfonnes affidées, qui obfervoient fecretement toutes fes démarches , avec ordre de Parrêter au* moindre foupcon. La conduite de 1'accufé ne leur avoit donné aucune occafion d'exécuter eet ordre. Vatace, a fon retour, étant arrivé a Philippes en Macédoine, fe voyant libre de tout autre foin, voulut éclaircir cette affaire , qui lui caufoit de 1'inquiétude. II fit affembler le Confeil en grand nombre , nomma des juges &c des affeffeurs , & revêtit ce jugement de la forme la plus authentique. Manclabite produifit deux Officiers, dont 1'un étoit venu lui révéler 1'entretien qu'il avoit eu avec fon camarade fur le compte de Michel Paléologue. On fit parler ces deux Officiers. Le premier accufoit 1'autre de lui avoir dit: Que les Paléologues étoient nés pour [Empire, & que la chofe n étoit rien moins qu'impojjïble; que Michel Paléologue épouferoit la fille du defpote Michel, & qu'il l'aideroit d monter fur le tróne, S iv Baudouin II. Vatace. An. 1252.'  BaubouinIVa ta ci An. J25; ^ 4l6 H I S T O I R E - dom le defpote lui afureroit la fucceffwn. L L autre, foit pour rendre juftice k Pa• \e?]oëne > {oh par attacbement pour ■ lui, fe facnfioit lui-même pour le fauver : il ne nioit pas qu'il n'eüt tenu ce difcours; mais il proteftoit que c'étoit un projet enfanté dans fon imagmation; que Paléologue 1'ignoroit aWoIument, & n'y avoit aucune part.. L. autre foutenoit au contraire que cedeffein lui avoit été communiqué comme for-mé par Paléologue. Faute detemoins qu'on püt produire, on remit la décifion a un combat fmgulier en champ dos, felon la coutume abfurde de ces temps-lè. Le défendeur fut vaincu & porté par terre avec plufieurs b'elTures. En eet état, on 1'interrogea de nouveau ; il perfifta dans la negative ; on le condamna k avoir la tête tranchée. Lorfqu'on lui eut bandéles yeux,.& qu'il attendoit le coup de la mort, on le preffa encore de dire la vérité; il répondit conftamment qu'il I'avoit dite, & qu'il aimoit mieux mourir que de fauver fa vie par une calomnie. Vatace arreta 1'exécution, & le fit conduire en prifon, oü il fut gardé dans les fers.  nu Bas-Empire. Liv. XCP7II. 417 Les 'mpes. dIus embarrafles mie ia- mais, propoferent a Michel de fe juftifier par 1'épreuve du fer ardent; c'étoit un globe de fer qu'on appelloit h faint. On fe fervit quelquefois d'un foc de charrue. Celui qui s'offroit a cette épreuve s'y préparoit trois jours par le jeune 8c la priere; il avoit la main droite enveloppée d'un fac cacheté du fceau du Prince, 8c on le gardoit a vue, de peur qu'il ne fit ufage de quelque friftion capable d'amortir Paftion du feu. Après ce temps, on Pamenoit k 1'Eglife; 6c Penveloppe étant levée, il empoignoit hardiment de la main , toute nue , le fer rouge, 8c le portoit trois fois depuis 1'autel jufqu'a la baluflrade du fanóïuaire. Pachymere, auteur grave, qui donne ce détail, témoigne qu'il a vu de fes propres yeux pratiquer plufieurs fois cette expérience, fans que le patiënt en regüt aucun mal, au grand étonnement des fpeftateurs. II eft auffi difficile de le contredire, que de le croire. Quoique cette maniere de tenter Dieu fut déja prohibée par plufieurs Conciles, une fauffe & aveugle politique la maintenoit enS v Baudouin II. Vatace. An. 1252. XL VIII. 11 refufe 1'épreuve du fer ardent.  Baudouin II. Vatace. Au. 1252.. J < I f t F v 1 418 HlSTOïRR core dans la Cour des Princes. Michel réponditfroidernent, quefiquelqu'un taccufoit perfonnellement, il étoit prêt d le démenür & d le combattre ; qu'il favoit attaquer & fe dêfendre, mais qu'il ne J'avoit pas faire de miracles; quil ignoroit le moyen de tenir dans fa main unfer ardent fans en être brülê, d moins qu'on neut le fecret de fe métamorphofer enftatue demarbre ou de bron^e. Phocas, métropolitain de Philadelphie , . Prélat courtifan , fe trouvoit alors auprès du Prince ; pour faire un röle. dans cette tragédie, il adreffa la parole a Michel : Votre naiffance, lui ditil, demande de vous plus de courage j vour votre. honneur & pour celui de votre familie, ilfaut écarter de vous tout foup',on, & montrer votre innocence aux yeux ie toute la terre. Juftifit^-vous par l'é>reuve facrêe qu'on vous propofe, puifjue vous ne pouve^ le faire par témoins. Mon maitre, lui répondit Michel avec lumilité, je n'ai pas les yeux affe^ bons our voir rien de facrê dans cette opêraon. Jefuis un pauvre pécheur qui rame dans la pouffiere de la terre. C'eft d. ous, homme célefte, qui converfe^ avec Tuu même , c'eft d vous d faire des pro-  du Bas-Empire. Liv, XCVIH. 419 d> ges. Prene^ le fer ardent dans vos mains facrees , & metten-Ie dans les miennes ; je le recevrai avec rèjlgnation. Une invitation fi honnête ne plut pas au métropolitain. Vatace rompit 1'affemblée, fans être convaincu de 1'innocence de Paléologue; mais tous les juges en furent perfuadés. On admiroit clans un homme de vingt-fept ans la préfence d'efprit, le fang-froid, la maturité d'un vieillard généreux , joints a Pintrépide courage de la jeuneffe. Auffi Paléologue avoit-il dèslors une grande réputation ; doux, affable, complaifant fans baffeffe, d'un commerce facile, également aimé des grands & des petits, des Grecs & des étrangers, chéri des jeunes gens, eflimé des vieillards, dont il recherchoit plus volontiers la compagnie. La Providence, qui le deftinoit a gouverner les hommes , le fit paffer par cette épreuve, pour lui apprendre h ne pas croire tróp aifément aux accufations, lorfqu'ii feroit le maitre de punir, & a ne s'écarter jamais des loix de la juftice, lorfqu'ii pourroit être injufteimpunément. L'Empereur lui rendit cependant peu de temps S vj Bau- DOUINH. Vatace. An. 1252.  Baudouin II. Vatace. An. 1252. An. 1253, XLIX. Vatace lui rend les bonnes graces. 420 II I S T O I R Z après toute fa confïance, & le fit grand Connétable. On dit même qu'il avoit eu deffein de lui faire époufer fa petite-fille Irene , & qu'il n'en fut détourné que par 1'afïinité des deux families. Michel époufa enfuiteThéodora, petite-niece de Vatace. Cette grande affaire étant terminée d'une maniere qui n'effacoit pas tous les foupgons dans Pefprit de 1'Empereur, il retourna en Afie. Mais voulant fe défaire de toute inquiétude k 1'égard d'un perfonnage, que fa nobleffe & fes liaifons de parenté & d'amitié avec les premiers de 1'Empire ,.. rendoient très-confidérable , il chargea le Patriarche Manuel de 1'examiner, de lui impofer la pénitence qu'il jugeroit convenable, & de lui faire prêter ferment, qu'il feroit déformais fidele k 1'Empereur, & ne s'écarteroit jamais du zele inviolable qu'il devoit a fon Prince. Après ce nouvel engagement, il lui permit de reparoitre a la Cour, & lui rendit fes bonnes graces. II lui fit époufer , peu après, Théodora, que Jean, fon neven , avoit eue d'Èudocie, fille du defpote Jean Comnene. Ce neveu,  du Bas-Empire. Liv. XCFIU. 421 qui mourut dans fa première jeuneffe , étoit né d'Ifaac, frere de Vatace , décoré du titre de Sébafrocrator. Eudocie , demeurée veuve encore fort jeune, fe confacraau fervice de Dieu, dans un monaftere, qu'elle enrichit de fes biens. Jean de Parme revint l'année fuivante a Rome, de fa légation en Afie. II étoit accompagné de deux Seigneurs de la Cour de Vatace, Sc des Evêques de Cyzique & de Sardes , députés de la part de 1'Eglife Grecque. Ces Ambafladeurs venoient propofer des conditions, fous lefquelles 1'Empereur Sc 1'Eglife Grecque confentoient a fe réunir a 1'Eglife Romaine. Voici ce qu'elles portoient en fubftance : Que le Pape feroit reconnu comme fouverain Pontife & fupérieur d tous les Patriarches j qu'on lui rendroit honneur & obiiffance; qu'il auroit la première place dans les affembües des Prélats ; que les Eccléjiaftiques qui auroient a fe plaindre des jugements de leurs fupérieurs , pourroient appeller au Saint Siege ; que le Pape en décideroit en dernier reffbrt, ainfi que des contejiations qui furviendroient entre les Prélats & les autres perfonnes attackées Baudouin H. Vatace. A.n. iij4. L. Ambafla» de auPape pour la réunion iles deux Eglifes. Du Cange, hifi. I. 5 , e. 4»  Baudouin II. J Vatace. 1 Af, 1154. ' 1 < i 1 1 i I t l » re, lui dit-il, que les aumönes que » je répands fur les befoins de mes » fujets , ne vous donnent point d'in« •> quiétude : foyez perfuadé fur ma •> parole d'Empereur, que je n'en ai •> rien pris fur les revenus de 1'Etat: » je n'y employé que ceux de mes ■> domaines, qui fourniflent a ma fub» fiftance, & a celle de mes pauvres » fujets, que je regarde comme ma » familie. Les produits de mes ter» res & de mes troupeaux fe mul■•> tiplient par la bonté divine, fous » la direftion des hommes intelli» gents & délintéreffés, qui fervent » Dieu & les pauvres , en fervant » fidélement leur Empereur ". Ce Prince , vertueux lui-même, croyoit a la vertu. Son ceil attentif & péné-  du Bas-Empire. Liv. XCFII1. 429 trant favoit la démêler au milieu de la corruption de fon lïecle. Ses regards fe portoient au-dela du cercle de fa Cour; & fa fermeté éclairée foutenoit un ferviteur utile, malgré les cabales qui cherchoient a 1'écarter. Mn du Tome vingt-umeme. Baudouin II. Vatace. An. 125$.