HISTOIRE D U BAS EMPIRE. TOME VINGT-DE UXIEME.   HISTOIRE D U B AS-EMPIRE, EN CO MME N CA NT a CONSTANTIN le Grand» Par Monfieur LE BEA£7, Pnl'^rUTrr Émér'-te m 1'U*iversit£ de Paris Profejfeur d'Eloquence au College Royal Secretaire ordinaire de Monseigneur leDvc dOrleans, & ancien Secretaire perpétuel de l Academie Royale des Jnscriptions et Belles-Lettres. Continuée par M. Ameilhon, D* U mimc Maiému BilliotUcaire & Hiftoriogrtphe A la Vdle de Paris , 6-c. TOME VINGT-DEUXIEME. 4 MAESTRICHT, Chez Jean-Edme Dufour & pHIU ■Roux, Imprimeurs-Libraires, afföciés.   SOMMAIRE d u LIVRE QUATRE-VINGT-DIX-NEUVIEME. I. Th éo d ore Lafcaris prodami Empereur. II. Arfene, Patriarche, couronne Lafcaris. lil. VEmpereur Grec marche contre les Bulgares. IV. Guerre contre Les Bulgares. V. Succes divers. VI. Rébellion de Dragotas. VII. Suite des exploits de Lafcaris. VIII. Incurfion. des Tartares. IX. Grande fortmie de George Mu^alon. X. Troifieme campagne en Bulgarie. XI. Paix avec les Bulgares. xil. Mariage de Marie, file de Lafcaris. XIII. Négociation inutile pour la rèunion des deux Eglifes. xiv. Michel Palèologue s'enfuit che^ les Turcs. XV. II combat pour les Turcs contre les Tartares. XVI. Nouvelle guerre de Michel d'Epire. XVII. Retour de Michel Palèologue. XVIII. Guerre du defpote d'Epire. XIX. Prilepe pris par le defpote. XX. Alliance de Lafcaris avec U Tome XXII. A I  1 SOMMAïRE Rol des Bulgares. XXI. Inaclion dt* Frangois. X X 11. NoUveaux foupgon* contre Palèologue. XXIII. Marthe/fozur de Palèologue, traitèe cruellement. XXIVPalèologue arrêtè & dèlivrè. XXV. Mort de Lafcaris. XXVI. Portrait de Lafcaris. XXVII. Murrnures contre Mu^alon. XXVIII. Harangue de Mu^alon. XXIX. Réponfe de Palèologue. XXX. Suite de la dèlibèration. XXXI. Sanglantes obfeques de Lafcaris. XXXII. Sèdition des foldats. XXXIII. Maffacre de Mu^alon & de fes freres. XXXIV. Terreur & fuite £un grand nombre de Seigneurs. XXXV. Dèlibèration fur la tutele du jeune Prince. xxxvi. Palèologue grand Duc. XXXVII. II eflnommè tuteur. XXXVIII. Palèologue defpote. XXXIX. Mouvements de Palèologue, pour fe faire èlire Empereur. XL. Prèparadons a tèleclion de Palèologue. XLI. Proclamation de Palèologue. XLII. Conduite de Palèologue. X L111. Couronnement de Palèologue. XLIV. Premières a&ions de Palèologue. XLV. Ambaffade des Frangois de Conftantinople. XLVI. Nouvelle guerre contre Michel <£Epire. XLVII. Palèologue envoye une armèe contre lui. XLVIII. Bataille dAchride, XLIX. Suites de la vic-  du Livre XCIXe. 3 toire. l. Aventures du Prince dAchaïe. LI. Nouveaux fuccès du defpote d'Epire. Lil. Palèologue prend la rèfiludon lat- laquer Confiantinople. LIH. Brouilkries dans CEglife Grecque. Liv. . fur pied une armée plus forte que la précédente ; èc pour la groffir en:" core, il y enröla cette foule de gens, n que les Empereurs employoient au • divertiffement de leur chaffe. L'arc' -deur du Prince, & les récompenfes dont il avoit payé les fervices des deux campagnes précédentes , attirerent fous fes enfeignes, tous ceux qui  du Bas-Empire. Liv. XCIX. 15 qui cherchoient la fortune. Avec cette armée, plus nombreufe que n'avoient jamais été celles de Vatace, il pafla 1'Hellefpont, & marcha droit a Didymotique , efpérant joindre a fes troupes, celles qu'il avoitlaifTées dans cette ville : mais il les trouva en trèsmauvais état. Dès qu'il avoit quitté le pays, le Roi Bulgare avoit pris a fa folde quatre mille Comans, qui portant^par-tout le fer & le feu, avoient pénétré jufqu'aux portes de Didymotique. Les Commandants Grecs , malgré 1'ordre qu'ils avoient de 1'Empereur , de ne rien hafarder, fortirent fur les Comans, & leurs troupes pefamment armées , furent bientot défaites par un ennemi armé a la légere, qui voltigeant autour deux, fans s'approcher de plus prés qu'a la portée du trait, percoit impunément hommes & chevaux. On prit la fuite; & Manuel Lafcaris ne dut fon falut qu'a la vïtefTe de fon chevaUl fe fauvadans Andrinople. Conftantin Margarite , autre Commandant, ne fut pas fi heureux. II fut pris, avec plufieurs autres Officiers, & vendu aux Bulgares. L'Empereur Tome XXII. B BaudouikII.Lasca- ris II. An. 12;$.  Bau- douin II, Lasca- ris II. An. 1258, XI. Paix avec les Bulgares. Acrop, c. 61. Greg. I, 3. 26 HlSTOIRZ n'étoit alors éloigné que de deux journées. Affligé de eet échec, & brülant d'ardeur de le réparer, il hata tellement fa marche , qu'en un jour il arriva au champ de bataille ; mais il n'y trouva plus les Comans. Au bruit de fon approche, ils s'étoient retirés vers Bizye, oü ils fe croyoient en fïïreté, ne craignant pas qu'une armée fatiguée d'une marche forcée, vïnt les y chercher. Ils fe tromperent. L'infatigable Lafcaris alla les y furprendre : mais il ne put atteindre que les plus lents a prendre la fuite , entre lefquels fe trouverent leurs Officiers les plus diftingués. Ilsfurent paffés au fil de 1'épée; & 1'Empereur, peu content de cette médiocre vengeance, campa fur le bord d'une riviere, nommée Régine, qui fe décharge dans 1'Hebre. Le Roi Bulgare, qui avoit cru 1'Empereur épuifé par deux fatigantes campagnes, effrayé de le voir reparoïtre fur la frontiere, avec une armée encore plus nombreufe, fit réflexion qu'il n'avoit pas des forces égales a lui oppofer. II prit le parti de lui demander la paix; & pour 1'ob-  nu Bas-Empitle. Liv. XCIX. 27 tenir, il employa 1'entremife de fon beau-pere, Urus, Roi de Rufïie, qu'il rendit arbitre des conditions. II prévint 1'arrivée du Prince RufTe, par une ambaffade, pour demander un fauf-conduit & une réception honorable. Ce Prince fut en efFet recu avec honneur , ainfi que ceux qui 1'accompagnoient; & la paix fut con> clue, a condition qu'on refKtueroit k PEtnpire la fortereffe de Zépene, la feule place qui reftoit encore au pouvoir des Bulgares. Urus s'en retourna fatisfait, & comblé de riches préfents. Après fon départ, quelques courtifans perfuaderent a 1'Empereur, que ce prétendu médiateur n'étoit qu'un fourbe, venu, fous un faux prétexte, pour gagner des préfents, &_que le Roi de Bulgare défavoueroit. L'Empereur avoit coutume de faire lui-même, furie foir, lavifite de fon camp , qui avoit plus d'une Iieue d'étendue. Un jour qu'il le traverfoit, accompagné d'un grand cortege de Seigneurs, entre lefquels étoit Acropolite , grand Logothete, après avoir demandé aux autres ce qu'ils penfoient delanégociation d'Urus, quetoutela Bij Baudouin II. Lascaris II. A.n. 1258,  Bav- S0U1N II. Lasca- ris II. An. 115S. 23 UlSTOIRE Cour traitoit d'impofteur, il adreffa la parole au grand Logothete : NPeJlil pas vrai, lui dit-il, que nous avons hè le jouet de cette comidie ? Le Logo* thete, peu courtifan, répondit un peu brufquement, qu'i/ nen pouvoit rien croire, & que ceux qui infpiroient ces foupqons a Sa Majeflê, koient eux-mêmes ceux qui la trompoient. La-deffus 1'Empereur, trop fiijet a s'emporter de colere, le fait defcendre de cheval, & battre outrageufementpar deux de fes gardes. Le Magiftrat, couvert de confufion , fe retire dans fa tente, d'oü il ne fort point pendant plufieurs jours. Le Prince, auffi prompt a revenir de fes emportements, qu'a s'y abandonner , fe repentit bientöt de cette incartade. II envoya inutilement au Logothete , plufieurs de fes amis, pourl'appaifer, &l'engagera reparoïtre devant le Prince. Enfin , ne pouvant rien gagner par cette voie, il ufa d'autorité, & lui envoya ordre de revenir au Confeil. Acropolite obéit; & comme il fe tenoit debout, la tête baiffée, fans proférer une parole : Ne voyeq-vous pas votre place, lui dit 1'Empereur , mette^-vous-y, & opi-  nu Bjs-Empire. Liv. XC1X. 29 he%_ a votre ordinaire. Etoit-ce donc ré- 1 parer 1'afFront fait a la plus haute magiftrature, que de faire raffeoir fur fon fiege le Magiftrat, avec les meurtriffures des coups qu'il avoit recus; Le fimple & fincere Acropolite, qui raconte lui-même cette ignominieufe aventure, paroït content de la fatiffadfion : tant les ames étoient alors abatardies. Vers la fin du moins d'Aoüt, on vit arriver au camp Théodora, femine de Michel d'Epire. Elle amenoit i fon fils Nicéphore, pour terminer 1 enfin fon mariage arrêté fix ans au- ( paravant, avec Marie, rille de Lafcaris. Vatace, qui avoit recu ce jeu- 5 ne Prince au camp d'Oftrobe, mé- l content de 1'infidélité de Michel, qui ne faifoit la paix que pour reprendre les armes, avoit, peu de temps après, renvoyé le fils a fon pere. Enfin , tout paroiflant tranquille du cöté de 1'Epire & de la ThefTalie, 1'Empereur recut avec honneur Théodora, & la conduifit k ThefTalonique pour y faire la cérémonie des noces. Pendant ce voyage, profitant de l'emprefTemen6 que Théodora témoignoit pour cette B iij Bau- >ouin II. Lasca- RIS II. In. 125S. XII. Mariage e Marie, ille de .afcaris. Acrop. c, 3 . 64. Gregor. I. .cl. Pachynt. , I. c 13.  BaudouinII.Lasca- xis II. An. 1258. XIII. Négociaïion inutile pour la réunion des deux Eglifes. Alen. IV. 1. 2. epifi. 3*J. Acrop, c. 67. Allat. ie confenfu, l. 2. c. 14. B^ovius, 30 &ISTOIRE alliance, il exigea d'elle de nouveiles conditions ; & comme elle avoit eu 1'imprudence de fe mettre entre fes mains fans aucune füreté pour fa perfonne, elle n'ofa rien refufer. Elle convint, fur fon ferment, que le chateau de Serbie & la ville de Duras feroient cédés a 1'Empire. Michel y confentit k grand regret, pour tirer des mains de Lafcaris fa femme & fon fils, qu'il aimoit tous deux avec tendreffe. Les noces furent célébrées k Theffalonique; & en échange de deux places-importantes , la jeune PrincefTe ne porta pour dot k Nicéphore, que la confirmation du titre de defpote. La négociation commencée pour la ^ réunion des deux Eglifes avoit été interrompue par la mort de Vatace & d'Innocent IV. AlexandrelV, fuccefTeur d'Innocent, entreprit de fuivre ce grand ouvrage. II envoya 1'Evêque d'Orviete avec une inftruction contenant les conditions propofées par les Grecs, & acceptées par Innocent. II chargea fon Légat d'apporter toutes les facilités convenables pour opérer la réunion, & de pro-  du ëas-Empire. Liv. XCIX. 31 mettre la convocation d'un Concile général dans un lieu commode aux deux partis, pour y décider des points de foi controverfés. II lui recommanda cependant d'ufer de toute fa prudence , pour rabattre de ces conditions tout ce qu'il pourroit en retrancher, fans rompre avec les Grecs, & pour y ajouter ce qui feroit conforme a 1'efprit de 1'Eglife latine ; que fi les demandes des Grecs étoient exorbitantes, il s'abftïnt d'y répondre; mais qu'il les invitat k venir k Rome par députés, avec plein pouvoir de 1'Empereur & du Clergé , pour trailer par-devant le Pape. Toutes ces précautions furent inutiles. Les guerres continuelles de Lafcaris, 6c la courte durée de fon regne ne lui permirent pas de s'occuper de cette affaire. D'ailleurs , il étoit obftiné dans le fchifme ; il fe piquoit même de théologie, felon 1'abfurde vanité de la plupart des Empereurs Grecs; & il compofa plufieurs ouvrages, deux entr'autres contre 1'opinion des Latins fur la Proceffion du Saint-Efprit. Le Légat étant arrivé k Bérée, y trouva George Acropolite , que 1'Empereur B iv BaudouinII.Lasca- kis II. An. 1258. Raynald. Du Cange, Kifi,l. 5.e. 7- Fleury, hifi. ccdéf. I. 84. art. 3»«  3au- »ouin II. Lasca- RISll. An. nj8. XIV. Michel Palèologue s'enfuit chez les Turcs. Acrop. e, 64. Se feq. Grcg. I, 3. c. 2. Pachym. 1.1. c. 9. Phran^a, 1. i. C. 2, $2 ^ HlSTOIRE avoit chargé de le recevoir & de le congédier. Les Auteurs Grecs ne parient d'aucune guerre entre les Grecs & les Latins, durant Ie regne de Lafcaris. On voit néanmoins, par une lettre du Pape Alexandre, datée du mois de Juillet de cette année, que les courfes & les ravages continuels des Grecs fur les terres des Latins, mettoient ceux - ci tellement k 1'étroit, que leur Patriarche Juftiniani fut obligé, pour fubfifter, d'avoir recours au Pape, qui fit contribuer les Evêques de Ia Morée. En pafTant en Occident, 1'Empereur avoit confié a Michel Palèologue le gouvernement de Nicée & de la Bithynie. Ce guerrier, auffi habile dans les affaires civiles que dans celles de la guerre, fe faifoit aimer des Grecs, & redouter des Francois, par les avantages qu'il remportoit fur eux ; mais il ne fe rendoit pas moins redoutable k 1'Empereur par 1'éclat de fes talents. Son humeur affable & en'ouée , fa familiarité noble & pleine 3e dignité, fes libéralités lui gagnoient tous les cceurs. Ses envieux ne manjuoient jamais 1'occafion d'enveni-  du Bas-Empire. Liv. XC1X. 33 mer & fes aftions & fes paroles, auprès de 1'Empereur naturellement jaloux. Un difcours féditieux & téméraire, échappé au grand Cartulaire, oncle de Michel, augmenta les foupcons de 1'Empereur. Un jour, dans un entretien oii 1'on parloit des titres qui donnoient droit a 1'Empire, il s'avifa de dire que c'étoit la Providence qui diftribuoit les couronnes, & que celui qui s'y fentoit appellé pouvoit s'en emparer fans crime. Ce difcours, vrai dans le principe, faux dans la conféquence , étant rapporté a 1'Empereur, lui parut une apologie des deneins de Michel. L'oncle fut arrêté. On réfolut de s'afTurer de la perfonne du neveu; & tandis que Michel brilloit a Nicée , on machinoit fa perte a Theflalonique. II en fut averti par un Officier du palais , fon ami, nommé Cotys, qui lui fit favoir que s'il vouloit fauver fa tête, ou du moins fes yeux, il ne devoit pas attendre le retour de 1'Empereur. Michel en fut d'autant plus allarmé^que les foupcons concus contre lui , n etoient pas fans fondement. II c'toit dévoré d'ambition ; & quoiB v BaudouinII,Lasca- RIS II. An. 1253.  BaudouinIILascaRis II. An. i2j8. 34 HlSTOIRE qu'il ne fut pas affez déterminé pour hafarder un forfait, il fe jugeoit luimême digne de la couronne, & la defiroit avec ardeur. L'avis qu'il recut lui caufa de cruelles agitations. Son ame étoit combattue, d'un cöté, par la crainte, de 1'autre, paria honte de céder le terrein a fes ennemis, & de perdre fes avantages pour aller mendier un afyle, & faire Ie perfonnage de fugitif. La crainte 1'emporta. II partit une nuit de Nicée , fuivi de fes amis & de fes domeftiques, emportant avec lui fes tréfors. II fut furpris en chemin par les Turcomans, ennemis irréconciliables des Grecs , & ne vivant que de pillage. Ils lui enleverent jufqua fes habits : ils fe partagerent fes dépouilles, & toutes les perfonnes qui 1'accompagnoient, dont ils firent des efclaves. Michel eut le bonheur de fe fauver de leurs mains; & nud, dépourvu de tout, il fe jetta dans Icöne. En eet état déplorable, il fut bien recu de Kaïkaous, inftruit de fa noblefle & de fes grandes qualités. Le Sultan voulant réparer fes pertes, manda aux Turcomans qu'ils euffent a lui renvoyer au plutöt tout ce  du Bjs-Empire. Liv. XCIX. 35 qu'ils lui avoient enlevé, hommes, argent, bagages; mais ces barbares qui n'obéiflbient qu'a volonté, ne tinrent compte de eet ordre. Les Seigneurs Turcs Pavoient d'abord vu avec compaffion.Bientöt, charmés de fa bonne mine , de 1'élévation de fes fentiments, & de fa fermeté d'ame au milieu de 1'infortune, ils en vinrent >a le refpeöer; & ce qu'ils apprenoient de fa valeur & de fes talents militaires, leur donna de grandes efpérances. L'Empereur , apprenant fon évafion, en concut de vives inquiétudes. 11 ne doutoit pas que Michel ne fe mït a la tête des Turcs pour attaquer les terres de 1'Empire. II ne fut raüuré que par une lettre qu'on lui mit entre les mains. Michel arrivé k Icöne, écrivoit en ces termes aux Commandants des troupes de Bithynie : » Allarmé des foupcons » injufles infpirés k 1'Empereur, & » des mauvais deffeins formés contre » moi, j'ai cru devoir fauver ma » vie. Continuez de fervir le Prince » en braves & fideles fujets. Veil» lez avec foin k la garde des villes » &c k la défenfe du pays; & loin B vj BaudouinII.Lasca- ris II. An. 1258.  Bau- DOUINlf. Lasca- KIS II. An. 1258. XV. II combat pour les Turcs contre les Tanares. 1 ( I 1 < 36 HlSTOIRÊ » de rien relacher de cette vigilance, » dont j'ai moi-même été témoin , » redoublez plutöt de diligence & de » zele pour fuppléer a mon abfen» ce ". Cette lettre, peut-être écrite a deffein qu'elle fut mife fous les yeux de 1'Empereur, le tranquillifa, & commenca d'ouvrir la voie a la juftifïcation de Palèologue. Les Tartares ravageoient 1'Afie. Le Sultan leva une armée; & comme il avoit dans fes Etats un grand nombre de Chrétiens , il en compofa un corps, dont il donna le commandement a Michel. On alla chercher les ennemis. Le bataillon de Michel donna avec tant de vigueMr, que les Tartares qu'il avoit en tête, furent rompus du premier choc, & prirent la fuite. Michel lui - même. perca d'un coup de lance le Général ennemi. C'en étoit fait de toute l'armée Barbare, fans un événement imprévu. Uti des principaux Officiers Turcs , ;ftimé par fa bravoure, ayant recu juelque mécontentement de la part lu Sultan , cherchoit depuis longemps 1'occafion de s'en venger, & rut 1'avoir trouvée. II paffa du cöté  du B'as-Empire. Liv. XCIX. 37 des Tartares, avec toutes les troupes qu'il commandoit. Cette trahifon changea le fort de la bataille. Les Turcs vainqueurs tournent le dos, & font pourfuivis des ennemis, qui les accablent d'une grêle de fleches. Michel, joint au Général Turc, fuivis d'une pe. titetroupe de cavaliers, continua de fuir pendant plufieurs jours , obligé fans ceffe de combattreungros deTartares, qui les pourfuivit fans relache jufqu'a Caftamone en Paphlagonie, oh. le Général avoit fa demeure. Les Tartares, maïtres de la campagne, coururent en liberté tout le pays, qu'ils couvrirënt de fang & de ruines. Ces ravages faifoient craindre a 1'Empereur pour fes Etats d'Orient; il courut a leur défenfe. En quittant Theffalonique, il en donna la garde a fon oncle Michel Lafcaris, auquel il laiflbit quelques troupes. II diftribua fes principaux Officiers dans les autres places, & chargea de 1'infpection générale le Logothete George Acropolite, voulant peut-être effacer par eet honneur le fouvenir de Paffront que George avoit recu, ou éloigner de fa perfonne un Confeil- Bau- DOUISlI. Lasca- ris II. An. i3$5. XVI. Nouvelle guerre de Michel d'Epire. Acrop. c. 66,67,68.  BaujouinII.Lasca- Ris II. Ln. 1258. 38 HlSTOlRE Ier trop fineere. Ce fut alors que Ie Logothete, étant a Bérée, congédia comme je 1'ai dit, le Légat du Pape. II fit enfuite la vifite de toutes les places jufqu'a Duras. II ne revint a. Prilepe qu'au bout de trois mois. A peine y étoit-il arrivé, qu'il apprit que Michel , defpote d'Epire , mécontent du mariage de fon fils, qui lui avoit fait perdre la ville de Duras, reprenoit les armes, Sc qu'il avoit mis dans fon parti la nation des Serves. L'Empereur avoit donné le gouvernement d'Albanopolis, place importante, capitale de 1'Albanie, k Conftantin Chabaron, brave guerrier, & capable de réfifter k une armée entiere, mais non pas k une belle femme. Ce fut cette machine que Michel fit jouer pour le furprendre. Une jeune veuve, belle-foeur de Michel, aulïi artificieufe que libertine , fe mit en tête d'infpirer de 1'amour a Chabaron , 8c n'eut pas de peine k le Faire donner dans le piege. Acropolite fut averti de ce manege, avant qu'il eüt eu fon effet par 1'abandon ie la place. II y courut aufli tot; mais trouvant les habitants déja gagnés,  du Bas-Empire. Liv. XCIX. 39 & la partie liée avéc le defpote d'Epire, il n'eut rien k faire de mieux que de fe retirer, pour ne pas fervir lui-même par furcroit, k payer les faveurs qu'on vendoit k Chabaron. Aufii-töt après fa retraite, Albanopolis fe rendit au defpote, Sc les amours de Chabaron le conduifirent dans un cachot oü Michel le fit enfermer. Acropolite, dans fon retour, trouva tout le pays en mouvement. II courut plufieurs fois rifque d'être pris ou tué par les troupes légeres qui voloient de toutes parts. Michel enlevoit fans peine toutes les places d'alentour; Sc lorfqu'Acropolite eut gagné Prilepe, il s'y vit bientót affiégé par Ie defpote, k la tête d'une armée. La ville étoit forte Sc de difficile accès; ce qui n'empêcha pas Michel de 1'attaquer. II comptojtfur les intelligences qu'il avoit dans la place; il fut cependant repouffé, Sc leva le fiege, mais fans s'éloigner, ravageant toute la contrée. Acropolite Sc la garnifon demeurerent renfermésdans Prilepe, fans ofer ouvrir les portes, fouffrant toutes lesincommodités d'un blocus. Bau- douin II Lasca- ris II. An. 1258  40 Histoi&z Ia t7iA/->J^a Ja. TV-.. _n BaudouinII. Lasca- Ris II. An. 1258. XVII. Retour de Michel Palèologue. Acrop, c. 69. Greg. 1, 3, c. 2. Pachym. I- 3 , 2. ; Phranyi , i A ^r. 2. » i i i 1 r c £ t f F 1 Empereur, & fit trembler le Sultan dans Icöne. L'Empereur, a la tête d'une armée, s'avanca en Lydie, & alla camper prés de Sardes. Le Sultan , fe croyant perdu, vint fe jetter entre fes bras. Lafcaris le recut avec bienveillance , le raffura, le régala de préfents, & le renvoya avec une sfcorte de quatre cents hommes, :ommandés par Jean Ducas Murzuihle. En reconnoifTance de ce bienrait, le Sultan abandonna a 1'Empire a. ville de Laodicée; mais les Grecs :tant trop fbibles pour la garder, elle etourna bientöt au pouvoir des Muulmans. Kaïkaous, ne comptantpas ifez fur les forces de 1'Empire pour edéfendre contre les Tartares, fit la iaix avec eux, & fe rendit tributaie. II avoit agi auprès de 1'Empereur, our Michel Palèologue. L'Evêque 'Icöne, car les Mufulmans avoient onfervé dans cette ville les Chréiens & leur Evêque , écrivit aufli en \ faveur, & acheva d'effacer les fiiftres impreflions que le Prince avoit rifes contre lui. Michel eut permifon de revenir k la Cour, après s'ê-  du Bas-Empire. Liv. XCIX. 41 treengagé, par les ferments les plus lerribles , a ne s'écarter jamais de la fidélité & de 1'attachement inviolable qu'il devoit a 1'Empereur, k Jean, fon fils, 8c k toute la familie Impériale. Lafcaris, perfuadé de fa fincérité, 1'accueillit avec tendreffe , 8c le rétablit dans fes biens Sc fes dignités. Michel, defpote d'Epire , continuoit la guerre ; & tandis qu'Acropolite fé tenoit enfermé dans Prilepe, 8c que Michel Lafcaris n'ofoitfortir de ThefTalonique, ce Prince aftif ravageoit le pays , & s'emparoit des places qu'il trouvoit mal gardées. II s etoit rendu maitre de Beree &C de Bodene. L'Empereur , déja attaqué d'une maladie mortelle, ne pouvoit fuivre fa valeur naturelle, & fe mettre lui-même en campagne. II avoit rendu fa confiance k Palèologue, dont il connoiffoit le mérite. II l'envoya donc pour garder Duras, nouvellement rendu a 1'Empire, &c s'oppofer aux progrès du defpote. Mais il ne lui donna que de mauvaifes troupes , ramaffées en Macédoine ,, fans. choix, 6c en petit nombre. Paléolo- Bau- doüinI'. Lasca- ris II. An. ii;S. XVIII. Guerre du defpote d'Epire. Acrop. e. 70,71,71. Pachym. I. i. c. IO,  Batj- 50uin II. Lascaris II ül. 1258. I ] 1 1 1 c 42 H I S T O I R E gue, trop fage pour aller affronrer 1'ennemi avec de pareilles forces, marcha a ThefTaionique, oü il fe joignit a Michel Lafcaris; &c tous deux enfemble, ayant paffé le Vardar, s'approcherent de Bérée, non pas a deffein de Pattaquer, ils n'étoient pas en état de Pentreprendre; mais pour faire fubfifter leurs troupes par le pillage des campagnes. Pendant ce tempsla , une bande de Serves , ligués avec le defpote, vint ravager les terres de Prilepe : ils n'étoient qu'au nombre de mille. Scutérius Xiléas, qui n'étoit pas loin , avec encore moins de troupes , guerrier novice & ignorant, mais préfomptueux , alla les attaquer, & fut battu. II laiffa fur la place ou dans les fers, prefque tous fes gens, content de fe fauver lui-même. Palèologue & Lafcaris, après avoir dérafté les environs de Bérée, allerent :amper prés de Bodene, dans une )laine fertile & abondante en four'ages. Le defpote, inftruit du petit ïombre & de la foibleffe de leurs roupes, tira de fon armée cinq cents avaliers d'élite, & mit h leur tête "héodore, un de fes fils naturels,  du Bas-Empire. Liv. XCIX. 43 avec ordre d'aller donner une lecon a ces nouvelles milices. Dans ce même temps arrivoit aux Grecs un nouveau renfort; mais ce n'étoient que des payfans , fans aucune connoiflance de la guerre, montés fur des chevaux de charrue. Manuel Lampardas, bien digne de les commander, qui ne venoit que pour le pillage , commenca par faire querelle aux Généraux, de ce qu'on ne 1'avoit pas attendu pour partager le butin; & murmurant de ce qu'on ne laiffoit k fa valeur que le péril & la peine, il paffa outre, pour aller le premier ravager d'autres campagnes, qu'il trouveroit encore entieres. II n'étoit pas fort eloigné, qu'il rencontra dans un défilé, les efcadrons deThéodore. En un moment, les Epirotes, bien armés & bien montés, firent difparoïtre ces mauvaifes troupes, comme un tourbillon de pouffiere. Quelquesuns fe fauvent dans le camp de Palèologue , &c Pinftruifent de 1'aventure. Auffi-töt ce guerrier prend avec lui cinquante cavaliers Paphlagoniens, les feuls de fon armée qui méritoient le nom de foldats: c'étoit une troupe Bau- dou1n II Lasca.- ris II. An. 12)3  Bau- SOUINlI. Lasca- ris II. Ln. I2j8. 44 HlSTOlRB qu'il avoit amenée avec lui, en revenant a la Cour; gens pleins de courage , & attachés a fa perfonne. II vole avec eux a 1'ennemi, malgré Michel Lafcaris, qui le taxe de témérité , & refufe de le fuivre. Palèologue , courant a la tête des fiens, abat d'un coup de lance le premier qu'il rencontre. Celui-ci s'étant relevé, embraffe les genoux de fon vainqueur, & lui demande la vie. Palèologue, qui ne le connoiffoit pas, le met entre les mains d'un de fes cavaliers, qui lui coupe la gorge : c'étoit le malheureux Théodore. Les Paphlagoniens , plus animés par eet exemple, donnent tête baiflée dans 1'efcadron ennemi; & quoiqu^l fut dix fois plus nombreux, ils le percent de toutes parts, renverfent tout devant eux, & le mettent en fuite avec grand carnage. Un fuccès fi brillant, quoique dans une rencontre fi peu conlidérable, auroit enivré un autre Capitaine. Palèologue, loin de fe laiffer prendre a eet appas, étoit trop habile & trop fage pour fe déguifer fa foiblelTe. Ce ne fut que fur de preffantes follicitations qu'il fe rendit dans  nu Bas-Empire. Liv. XC1X 45 Prilepe. La, après avoir examiné 1'état de la place, & confeillé ce qu'il penfa de meilleur dans la conjoncf ure, il prit le chemin de Duras, oü il avoit ordre de fe rendre. Le defpote n'ayant rien a redouter des troupes impériales , revint affiéger Prilepe. 11 étoit fecondé audedans par des traïtres ; il y en avoit même dans la garnifon. Quoiqu'Acropolite n'eüt que quarante hommes de fa maifon, fur la fidélité defquels il put compter, il fut cependant donner de fi bons ordres, que 1'ennemi fut repouffé dans trois affauts. Enfin , la trahifon trouva le moment de réuffir. Tandis qu'on diflribuoit le pain aux foldats, les habïtants ouvrirent les portes. Acropolite & fes gens fe fauverent dans la citadelle. Ce n'étoit qu'un rocher très-facile k efcalader, n'ayant pas dix pieds d'élévation. II s'y défendit pendant la nuit, contre les habitants acharnés a fa perte, pour profïter de fes dépouilles. Dès le point du jour, il fe rendit au defpote , fous la condition qu'il auroit la liberté de fe retirer, lui & les fiens, avec armes & bagages. Michel accorda tout, BaudouinII,Lasca- ris II. An. 125S, XIX. Prilepe pris par Ie defpote.  Bau- KOUIÏi II. LascaRIS II. An. 1258. XX. AUiance de Lafcaris avec le Roi des Bulgares. Acrop, c. 71. Grcg.l. 3. e, 2. Pachym. I. 5. c. 5. Du Cange,fam.p.320 , 321. 46 HlSTOTRS & ne tint rien. II fe faifit de tous leurs effets , & les traina chargés de chaïnes, a la fuite de fon armée. L'Empemir, mécontent de fes Généraux, n'étoit pas mieux difpofé a 1'égard d'Acropolite : il le foupgonnoit de trahiton , & imputoit la perte de Prilepe au reffentiment de 1'injure qu'il avojt recue. II ne lui rendit juftice que lorfqu'il eut appris que ce Magiftrat infbrtuné étoit enfermé dans un cachot, les fers aux pieds & aux mains. Ce fut alors que pour lui fauver d'autres dommages, il prit foin de lui conferver fes biens, & de protéger fa familie, Depuis la paix conclue avec les Bulgares, leur Roi Michel, dépouillé de toutes les conquêtes qu'il avoit faites fur 1'Empire, vivoit en bonne intelligence avec 1'Empereur fon beaufrere. II fut afTaffiné, prés de Ternove, par Ion coufin Calliman, fils d'A[exandre , & petit - fils du premier Afan, qui, par fa révolte, avoit détaché de 1'Empire le Royaume de Bulgarie. Pour s'affurer la couronne, :'ufurpateur avoit contraint la femme Je Michel a lepoufer. Mais Urus , Roi  du Bas-Empirb. Liv. XC1X. 47 de Ruffi", pere de la Princeffe, vint, avec une grande armée , venger la mort de fon gendre, 6c arracher fa rille des bras du tyran. Colüman fut défait 6c tué dans la fuite. Michel n'avoit pas taifTé d'enfants. On proclama Roi, Myzès, qui avoit pour fa femme la fceur de ce Prince, & qui étoit déja pofleffeur d'un grand pays, dans la partie de la Thrace, appartenante aux Bulgares. Son caractere lache_ & efféminé le rendit bientöt méprifable. Un Serve, nommé Conftantin Tech , s'étoit rendu célebre en Bulgarie, par les talents de fon efprit, & par la force de fon corps. Egalement eftimé du peuple & des grands, qu'il avoit fugagner, il fouleva les Bulgares, II. Lfscar)s II An. 1258.  Bau- 3dou1n II. Lasca- RIS II. An. 1158. XXI. Ina&ion «les Francois. Nangis, chr. Vu Cangt , hifi. I 5 ,c.4.& fuiv. 48 HlSTOIRE d'Hélene, fille du Roi des Bulgares Afan II. Mais a ce mariage s'oppofoit un obftacle, qui auroit été invincible, fi Pignorance & la corruption des mceurs de ce temps-la, ne 1'euffent pas rendu facile k rompre. Conftantin étoit rriarié. II répudia fa femme, & la fit tranfporter k Nicée, entre les mains de Lafcaris. L'Empereur , muni de ce gage de divorce , ne fit pas difficulté d'envoyer fa fille au nouveau Roi, avec lequel il renouvella le traité de paix fait avec Michel. L'indigence, & plus encore 1'indolence & 1'incapacité de 1'Empereur Baudouin, paroiffent, dans toutes ces années, avoir glacé le courage des Frangois, celui de tous les peuples du monde qui prend plus aifément le caraöere de fon Prince. Confiantinople difparoit alors dans 1'hiftoire: ce n'efi: plus qu'une retraite morne & filentieufe, d'oü on ne les voit jamais fortir, pour profiter des embarras & des guerres de 1'Empereur Grec. Cachés comme dans un terriër, ils laiflent Vatace, Lafcaris, le Roi Bulgare , le defpote d'Epire fe difputer,  »u jBas-Empire. Liv. XC1X. 49 & s'arracher mutiiellement les places de Thrace, de Macédoine, de Theffalie , que leurs deux premiers Empereurs Baudouin & Henri avoient conquifes avec tant de gloire. Baudouin II, & fa femme Marie, courent, tour-a-tour, par toute la Chrétienté mendier des fecours, dont on ne voit pas qu'ils tirent aucun avantage. Marie étoit alors en France, follicitant encore la générofité de Louis, & difputant k fes fujets révoltés , le Comté de Namur, qui appartenoit a Baudouin, du chef de 1'Impératrice Yolande, fa mere. Dépouillée enfin de ce riche héritage, elle vendit les droits de fon mari, k Gui, Comte de Flandre, qui en demeura pofTefTeur; & eet argent alla encore fe perdre dans Confiantinople, comme dans un abyme d'eaux dormantes. Quoique 1'Empereur Grec fut k la fleur de fon age, fa fanté s'affoibliffoit tous les jours. II étoit frappé de la même maladie que fon pere. De fréquents accès d'épilepfie le pion- 1 geoient dans une noire mélancolie : ; il s'étoit perfuadé que ce mal étoit J 1'efFet d'un maléfice; fes foupcons se- \ Torne XXII. C Baudouin II. Lasca- ris II. An. 12; S. 4.n. 1259. XXII. Nou?eauxbupcons :ontrePaéoiogue.7achym. /, . f. W, 2.  Baudouin II. Lascams II. An. 1259. Abutj'arage , Dy nafta IX. 50 ÏIlSTOIRE tendoient fur tous ceux qui approchoient de fa perfonne. Le champ étoit ouvert aux délateurs, pour faire périr ceux qu'ils vouloient perdre, &C la vie des gens de bien étoit a la merci des fcélérats. Sur la moindre indice, 1'Empereur, troublé , & tremblant de colere,faifoit arrêter , interroger, tourmenter des gens, qui ne favoient pas même qu'il y eüt au monde des fecrets magiques; ck Punique voie pour fe juftifier, étoit 1'épreuve du fer ardent. Le peuple , grand partifen de ces rêveries, & toujours ennemi des favoris , en accufoit les Muzalons. Peu contents de leur haute fortune, ils vouloient, difoit-on, s'élever fur le tröne, par la perte de leur bienfaiteur. Mais 1'amitié du Prince pour les Muzalons fermoit fesoreilles k cette calomnie. Ses foupcons tomboient principalement fur Palèologue. Les envieux de ce guerrier nourriffoient les allarmes de Lafcaris , & fes amis même lui nuifoient encore davantage, en prönant fes rares qualités. On publioit des prédictions, des révélations qui lui prorriettoient 1'Empire. Un caprice du Prin-  nu Èas-Empire. Lvo. XCIX. 51 ce, foutenu avec cruauté , acheva de le déterminer a faire arrêter Palèologue. L'Empereur récompenfoit fouvent les fervices des gens de balTe naiffance , en leur faifant époufer d'autorité des filles de maifons illuftres. Marthe , fceur de Palèologue, avoit eu deNicéphore Tarchaniote, grand Domefiique, une fille parfaitement belle, nommée Théodora. Lafcaris lui ordonna de la marier k un de fes Pages, nommé Balanidiote. La propofition ré volta d'abord toute la familie; mais Lafcaris parloit en maitre, & le jeune homme doux , infinuant, & d'une figure agréable, fut fi bien faire fa cour a la mere & a la fille, qu'il gagna entiérement leur cceur. Les parol es étoient données , & le jour pris pour le mariage. Les chofes en étoient k ce point, lorfque 1'Empereur, changeant d'avis, fans qu'on en fütlaraifon, déclara qu'il vouloit que la fille füt mariée è Bafile, fils de Caballaire, homme de naiffance. Les Monarques neregnent pas fur les amours, & les cceurs ne tournent pas k leur fouffle. Bafile triomphoit de fa conCij BaudouinII.Lasca» RIS II. An. iijtj. XXIII. Marthe, fceur de Palèologue , rraitèe cruellement.  BaudouinII.Lasca- RIS II. An. Ii;o. 5a II IS T O I R X quête : mais avec tous fes titres, il ne tiroit que des larmes ; tous les foupirs alloient a Balanidiote. II fallut cependant obéir, & les noces furent entrecoupées de regrets & de fanglots. Quelques jours après, 1'Empereur apprenant que fes ordres n'avoient été accomplis qu'a 1'Eglife, en demanda la caufe a Bafile, qui, après avoir fait quelque difficulté de répondre, s'excufa fur un prétendu fortilege. C'étoit pour Lafcaris la raifon la plus fatisfaifante. Perfuadé que tout 1'enfer étoit occupé a le contredire, il s'obftinaa découvrir 1'auteur du charme. II foupconnoit furtout la mere. Sans égard k fon rang & k fon age, il la fit enfermer jufqu'au cou dans un fac avec des chats, qu'on piquoit au travers du fac avec des aiguilles pour les mettre en fureur. Ce fupplice inhumain ne put tirer de Marthe que des proteftations, qu'elle n'avoit aucune part k la difgrace de Bafile; mais que fa fille, tendrement attachée a celui que 1'Empereur lui avoit d'abord deitiné pour époux, déteftoit ce mari époufé par force. Lafcaris ne fut pas défabufé;  du Bas-Empire. Liv. XCIX. 53 mais appréhendant que s'il !a faifoit tourmenter davantage, elle ne lancat fur lui le venin de fes maléfices, il la renvoya avec colere. Dans la fuite, Palèologue, devenu Empereur, caffa cette union qui étoit demeurée imparfaite , & rendit fa niece a fon premier amant. Déja prévenu contre Palèologue, 1'Empereur craignit bien davantage fon refTentiment, lorfqu'il apprendroit le traitement indigne fait a fa fceur, & il réfolut de s'alTurer de fa perfonne. Palèologue, après avoir mis le bon ordre dans fon Gouvernement de Duras, & pourvu a la füreté de la place, étoit retourné a ThefTalonique, que Michel menacoit d'attaquer. II demandoit a 1'Empereur un renfort de troupes, lorfqu'on vint lui dire que le Comte Chadene approchoit avec une nombreufe efcorte, non pas pourle fecourir, mais pour Parrêter & le conduire prifonnier a la Cour. Sa réconciliation récente avec 1'Empereur, les faveurs qu'il venoit d'en recevoir, & les fervices qu'il rendoit aftuellement, lui faifoient méprifer ces allarmes. Elles fe vérifierent bienC iij BaudouinII.Lasca- RIS U. An. 1159. XXIV. Palèologue arrêté &délivré.  BaudouinIILasca- R1S II. 54 H I S T O I R B ' tot. Chadene arrivé & montre fes ordres, qui portoient qu'on amenat Palèologue les fers auxpieds. Le Comte prévoyant que cette difgrace feroit paffagere, & voulant fe ménager un ami de cette importance, lui épargna la honte de palfer enchaïné fous les yeux du peuple de Theffalonique, prenant d'ailleurs toutes les précautions pour ne pas le laiffer échapper. Etant forti de la ville , il lui repréfenta qu'ils s'expofoient tous deux k Ja colere du Prince, fi fes ordres n'étoient pas exécutés a la lettre. Palèologue confentit, fans peine, k fe laiffer enchainer. Le voyage fe fit gaiement, avec une cordialité mutuelle» Chadene, homme d'efprit, flatta 1'amhition de fon prifonnier par Fendroit 3e plus fenfible, en lui faifant envifager la couronne comme fufpendue fur fa tête, & due k fes hautes deftinées. La Cour étoit alors a Magnéfie. Palèologue, a fon arrivée, fut mis en prifon, fans être préfenté a 1'Empereur, dont la maladie le fit oublier pendant quelques jours. Mais lorfqu'il eut la liberté de comparoitre devant le Prince, il fe juftifiaavec  nu Bas-Empirb. Liv. XCIX. 55 tant de force, & confondit tellement fes accufateurs par la fupériorité de fon génie, & par cette éloquence énergique qui lui étoit naturelle, que le Prince rembrafTant & verfant des larmes, déclara que s'il étoit coupable, il lui pardonnoit; mais que le croyant innocent, il lui rendoit, avec fa confiance, tous fes biens & fes honneurs. II ajouta même, qu'ayant a craindre que fa maladie n'abrégeat fes jours, il lui recommandoit fes enfants; & comme fi c'étoit un motif de reconnoifTance, il n'oublia pas de lui faire valoir tout ce qu'il ne lui avoit pas fait, du mal qu'il auroit pu lui faire. Epuifé par Ia maladie, & plus encore par la multitude des remedes, Lafcaris ne fongea plus qu'a fe préparer k la mort. Pénétré des plus vifs fentiments de pénitence, il prit 1'habit monaftique, diftribua d'abondantes aumönes, &ayant appellé auprès de lui 1'Archevêque de Mytilene, il fe jetta k fes pieds. La, arrofant la terre de fes larmes, il fe confeffa humblement de fes fautes. On Pentendit plufieurs fois élever la voix, & réC iv Bau- DOUlNlI. Lasca- ris II. An. 1259.' XXV. Mort ouin1I.Lasca- ris iL Lti. 125,9, 60 HlSTOlRS Un jour Vatace le voyant revenir de la chaffe avec un habit tout brillant de magnificence , le regarda d'un air de mépris; & comme le Prince 1'abordoit avec refpeft, il lui tourna le dos, Théodore, percé jufqu'au cceur d'une marqué fi fenfible de mécontentement, fe retira confus, examinant toute fa conduite , fans y trouver aucun fujet de reproche. Enfin , ne pouvant tenir contre fon inquiétude, il fe préfenta a fon pere , & lui demanda en tremblant, par quelle faute il avoit eu le malheur deperdre fa tendreffe. » Et depuis quand, » lui dit Vatace, par quels fervices » penfez-vous avoir acquis le droit » de prodiguer a vos divertiffements » les biens de nos Provinces ? Igno» rez-vous que eet or & ces pierre» ries , dont vous parez votre vani» té, font le plus pur fang de nos » peuples, & qu'il ne nous eft per» mis d'en faire ufage que quand leur » intérêt le demande ? Mais en quelle » occafion, me direz-vous, font-ils » intéreffés a notre parure ? C'eft lorf» qu'il eft queftion de donner a des » AmbafTadeurs ou a des Princes é-.  du Bas-Empire. Liv. XCIX. 61 » trangers, une haute idéé de notre « opulence Sc de nos forces. Les ri» cheffes des Souverains font celles » de leurs fujets; en abufer pour fes » plaifirs, c'eft agir en maitre, & les » regarder comme des efclaves. Mais » fongez-y, des efclaves ne favent » que maudire, & font toujours prêts » a fecouer le joug. Quelle folie d'al» Ier faire vifite aux bêtes des forêts » dans le même équipage, dans le» quel vous recevriez celle d'un Prin» ce ? " C'eft par ces inftru&ions Sc d'autres femblables, que ce fage Empereur favoit rabattre la vanité Sc la hauteur naturelle a 1'héritier d'un grand Empire, & qu'il en fit un Prince populaire. Sa trop vive amitié pour Muzalon verfa !e poifon fur la derniere partie de fon regne, & la jaloufie qu'il excita contre ce Miniftre, par 1'excès de fes faveurs, altéra fon caraftere, qui fut encore aigri par les fombres vapeurs de fa maladie, Extrêmement fenfible aux traits fatyriques lancés contre fon favori, ïl devint acceflible a Ia calomnie, prompt a s'irriter, quelquefois injufie Sc cruel, II eft vrai qu'il re- Bau- 30UIN II. Lasca- ris II. ^n, 1259.  BaubouinII.Lasca- ris II. An. 1259. XXVII. Murmures contre Muzalon. Greg. I. 3, c. 3. Pachim. I. ï, r. ij, 16 , 17. 62 HlSTOIRE venoit aifément, & qu'il s'emprcf- ' foit de réparer fes torts par de nouvelles graces. Mais ce combat continuel entre fa mélancolie & fa bonté naturelle Ie rendit inégal ; & ces retours de bienveillance n'effacoient pas le reffentiment dans ceux qu'il avoit maltraités. Ses acces de colere lui firent plus d'ennemis, que fes bienfaits ne lui gagnerent de cceurs. Sa derniere maladie fit éclore toutes ces haines. Le bas age de fon fucceffeur infpiroit de la confiance aux mal intentionnés, & de la crainte aux ferviteurs fideles. Les complots fe formoient. Ceux que la difgrace avoit éloignés de la Cour ,revenoient grofïir la troupe des mécontents. Cependant 1'orage grondoit encore fourdement. La vigilance & Tautorité de Muzalon enchainoit 1'efprit de révolte; & les plus mal difpofés affecfoient le plus de zele. Tandis qu'ils fe courboient humblement devant. Muzalon, ils le déchiroient en fecret. La mort du Prince les rendit plus hardis. C'étoit, difoient-i!s, un ambitieux fcélérat & perfide, qui, tiré de  du Bas-Empire. Liv. XCIX. 63 la pouffiere, par un caprice aveugle , avoit fait périr fon maitre, pour monter fur le tröne a fa place. C'étoit 1'auteur de toutes leurs difgraces, celui dont les pernicieux confeils avoient envenimé contre eux 1'efprit de 1'Empereur. Muzalon étoit encore affez bien fervi, pour être averti de ces difcours; mais trop peu affermi dans fon pouvoir pour ofer les punir. II prit le parti de ramener les efprits par la douceur; & pour conferver fa puiffance, il offrit de s'endépouiller. II convoqua au palais les Seigneurs, les Magiftrats, lesprincipaux Officiers de 1'armée. Tous s*y rendirent. On y voyoit les deux oncles du Prince, Manuel & Michel, freres du premier Lafcaris, qui, ayanf vieilli dans 1'exil, n'avoient pas trouvé, a leur retour, les diftinftions que defiroit leur jaloufie. Conftantin Stratégopule & Théodore Philès , auxquels 1'Empereur avoit fait crever les yeux, y apporterent leur reffentiment. En un mot, ce concours général de tous les Grands de 1 Empire, raffembloit tous les mécontenterne nt?> Muzalon, affez hardi pour s'y expo- Bau- dcu1n II. Jean Lascaris An. 12551.  BaudouinII. Jean Lascaris An. 1259. XXVIII. Harangue de Muzalon. 64 HlSTOI&Ë fer, & affez éloquent pour fufpendre tant de bras levés fur fa tête, revêtu de tous les ornements de fes dignités, fe placa fur un fiege élevé, pour être vu & entendu de toutes parts. Alors, élevant la voix : » Illufires » compagnons de mon zele & de mes » fervices, dit-il , vous favez tous » 1'origine de ma fortune. Né dans » le palais; appellé, dés mon en» fance , auprès de la perfonne du » Prince, je 1'ai aimé; je Pai fervi, » jufqu'a courir quelquefois le rifque » de lui déplaire. Je n'ai jamais cru » mériter les honneurs dont m'a com» blé fa bienveillance. Ce n'efï ni » la flatterie, ni la déteftable adreffe » k nuire aux autres, qui me les ont »> procurés. Je les ai acceptés de la » main du Prince , avec la même fou» miffion que les effets de fa colere, » qu'il m'a fouvent fait reffentir. Ja>> mais mon attachement a fes intérêts ne m'a fait trahir les vötres. » Je favois qu'ils font inféparables, » & ce n'eft pas aimer le Prince tout » entier, que de ne le pas aimer dans » fes fujets. Combien y en a t-il par0 mi vous, qui peuvent me rendre  du Bas-Empire. Liv. XCIX. 65 » témoignage, que je leur ai ména» gé la faveur, fouvent même aux » dépens de la mienne ? Déplorable » condition de ces hommes infortu» nés, qu'on appelle favoris! On » leur impute tous les maux qu'on » recoit de la Cour; tous les bien» faits ne font attribués qu'au Prince. » Soyons juftes : je ne fais mauvais » gré k perfonne de m'avoir accufé » de fes malheurs; c'eft le préjugé » ordinaire : mais que la réflexion » Ie corrige : que chacun rentre au» jourd'hui en foi-même, & s'il voit » que des. foupcons équivoques , des » conjonöures peu favorables k 1'in» nocence, peut-être même des fau» tes, des imprudences de fa part » lui ont attiré des déplaiiirs , qu'il » ne m'impute pas ce qu'il a fouf» fert. J'en appelle a eet ceil clair» voyant, qui perce les plus pro» fondes ténebres de la malignité hu» maine. Eft-il quelqu'injuftice que » je n'aie taché de détourner ? quel» que accès de colere que je ne me » fois efforcé d'appaifer ? Vous lé » favez, c'eft Punique tribut que » payoit k la foibleffe humaine le BaudouinII. Jean Lascaris An. 1159.  Bau- e0u1n II, Jean Lascaris An, 1259. 66 HlSTOIRE » grand Prince que nous pleurons. » Son regne, hélas! trop court, fut » le regne des vertus; mais ce beau » ciel, fi éclatant de lumiere, fe cou» vrit quelquefois de nuages, d'oü » partirent des foudres que nulle » précaution ne put parer. Tout eft » calme aujourd'hui fous le Prince » qui lui fuccede. C'eft un enfant » précieux; il a befoin de la vigi» lance & de 1'attention la plus fidel» le : c'eft k vous k le foutenir, k » affurer fes pas chancelants. La fim» plicité de fon age , jointe aux gra» ces de fon caraöere, le rend plus » aimable, mais 1'expofe davantage. w La crainte ne peut le défendre; il » n'a pour garde que notre amour. » C'eft a nos cceurs a veiller autour » de fon enfance. On le trouvera en» vironné de Miniftres toujours ac» ceflibles, toujours prêts k fecou» rir les befoins des peuples, k 011» vrir fes mains pour répandre les » graces & les bienfaits. Ne compa» rez pas le préfent avec le paffé. ►> lei, plus de craintes, plus de ma» neges de Cour, pour étouffer les » fervices, & opprimer 1'innocence.  su Bas-Empire. Liv. XCIX. 67 » Ceux même qui en ont été la vic» time formerontle Confeil du Prin» ce; ils écarteront les artifïces dont » ils ont éprouvé la noirceur. Le » bonheur du maitre fera le nötre; » nos biens Sc nos maux dépendent » de fa fortune ". Ici, prenant un ton de voix plus haut Sc plus ferme :» Ce » quej'aidit jufqu'a préfent, conti» nua-t-il, s'adreffe k ceux de mes » égaux , qui compofent cette affem» blée : c'eft k vous, Princes & Sei» gneurs, que je vais déformais par» Ier. Ce n'eft ni Pambition , ni 1'in» trigue qui m'ont procuré la bril» lante & dangereufe fonftion de tu» teur du Prince. Je 1'ai acceptée en » tremblant; & je déclare aujour» d'hui, avec beaucoup plus de har» diefle, que je ne la veux garder que » fous votre bon plaifir. Je la remets »> entre vos mains; conférez-la a celui » que vous en croirez le plus digne. » Je 1'abandonnerai avec joie, & je » defcendrai de bon cceur a la der» niere place ; trop content de voir » la perfonne du Prince, Sc le falut » de 1'Etat, en des mains plus ca*> pables de gouverner 1'un Sc 1'autre. Bau- DOUINir. Jean Lascaris An. 1259.  BaudouinII, Jean Lascaris An. 1159, 68 HlSTOIRE » N'eft-on pas plus heureux de fer» vir la patrie, en fimple foldat, que » de vivre dans les dignités au mi» lieu des foupcons & des allarmes ? » Grace aux foins de la Providence, » carje n'ofe rien attribuer aux miens, » les fujets repofent dans 1'obéiffan» ce, les foldats fe maintiennentdans » la difcipline, la Cour fleurit par » le nombre des Princes & des Sei» gneurs, & plus encore par 1'éclat » de leur mérite perfonnel. Choifif» fez entre eux un tuteur du jeune » Prince ; mon fuffrage fuivra le vö» tre. Si celui que vous chargerez de » eet important emploi, refufe par » modeftie, fon dévouement a vos » volontés & au falut de 1'Etat, vain» era fa répugnance. C'eft le fenti» ment qui m'anime moi-même,éga» lement difpofé a courber ma tête » fous le fardeau, fi vous 1'ordon» nez, & a le dépofer en d'autres » mains, fans regret,&fans être cu» rieux des raifons qui vous auront »> déterminés, quand même cette dé» mifiion devroit entrainer ma rui» ne. Je vous prie, je vous conju» re, d'opiner en toute liberté. Nulle  du Bas-Empire. Liv. XCIX. 69 » crainte ne peut fervir d'excufe a » quiconque déguiferoit fa penfée. » Nous n'avons point ici de fupé» rieur. Si ma charge me donne quel» que autorité, je m'en dépouille. » J'opinele premier pour ma démif» fion : c'eft la feule prérogative que » je conferve encore ; c'eft a vous » a me nommer un fucceffeur". La perte de Muzalon étoit réfolue : mais les noirs complots contre un homme puifTant, marchent dans les ténebres. La haine la plus meurtriere fe concentre & fe déguife fous les dehors de la plus vive affecfion ; jamais 1'alfaffin n'eft plus prêt a plonger le poignard, que quand il fe profterne aux genoux de fa viöime. Lorfque le Régent eut ceffé de parler, un fdence de quelques moments fut fuivi d'un murmure confus, qui éclata bientöt en acclamations. Les éloges de Muzalon retentiffoient de toutes parts; c étoit le gardien fidele du jeune Prince, le feul capable de lui apprendre a régner, le digne dépojitaire du diadême, qu'il eut lui-même mérité de porter. Les Seigneurs les plus diftingués opinerent en peu de mots; Bau- douin II. Jean Lascaris An. 1259. XXIX. RéponCe de Palèologue.  BaubouinII. Jean Lascaris An, 1259. ?0 HtSTOIRS Sc les plus envenimés contre le Régent , furent les plus empreffés a le iupplier de ne pas abandonner le foin du Prince & de 1'Empire. Dans quelques-uns, la foumiffion apparente eut I quelque chofe de menacant, & leur reffentiment profond fe trahiffoit en voulant fe déguifer. Ils s'échapperent a dire , qu'ils ne Jevoient point favoir au Prince dèfunt mauvais gré de Leurs difgraces; qu'ils Les avoient bien méritées, CV qu'ils étoient affe{ coupables , puif~ qu'ils avoient été ajfe^ laches pour les fouffrir. Le grand Connétable , le plus politique Sc le plus caché de tous, inftruit fans doute de la conjuration, mais trop habile pour en courir les rifques, en s'y engageant lui-même, fe préparoit k en recueillir le fruit : tel que ces demi-fcélérats, qui voyant mettre le feu a un palais, loin d'éteindre 1'incendie, fe réfervent a en piller les tréfors. Le Régent, devenu particulier & déchargé de la haine publique, auroit confervé affez de force pour arrêter fes deffeins, & fermer la voie k fon ambition. II falloit que Muzalon demeurat dans ce pofte odieux, afin qu'il y périt. Pa-  iro Bas-Empire. Liv. XCIX. 71 léologue fut donc le plus ardent a > le retenir. II le loua du choix que le défunt Empereur avoit fait de fa perfonne, pour 1'aider de fes confeils pendant fa vie , & pour lui confier , après fa morr, le foin de fon fils & | de 1'Empire. II feignit de le difculper ! de tout ce qui étoit arrivé de Scheto; 1 & après avoir montré, affez foiblei ment, que les préférences dont les | Princes honorent leurs favoris , ne doivent point exciter de jaloufie, il I adreffa la parole k Muzalon : » Ceffez, | » lui dit-il, de nous attrifter, en paj» roiffant vous défier de notre fouI» miffion. Pourrions-nous confentir » a vous voir defcendre d'une place I» que vous occupez avec tant d'honI» neur, vous, que nous irions cher\» cher pour la remplir, fi la Provi1» dencevous eut fait naitre dans une » terre étrangere ? Vous attendez, » dites-vous, notre jugement. Et qui \» de nous feroit affez préfomptueux » pour contredire celui de 1'Empe» reur ? Continuez de nous gouver»> ner; nous obéirons avec zele : conP tinuez de veiller a la confervation P de notre jeune Prince. Sa füreté Bav- douin II. Jean Lascaris An, 1259.  Bau- bouin It. Jean Lascaris An. 1259. XXX. Suites d« la dèlibèration. ?2 H 1 S T 0 I R E » & notre efpérance ne peuvent» être confiées a des mains plus fidel» les & plus habiles. Si quelqu'un » penfe autrement, qu'il le déclare ; » la liberté eft entiere. Mais ce que » j'ai déja entendu, & ce quej'en» tends encore, me fait évidemment » connoïtre que les fentiments de » töute cette affemblée font parfai» tement conformes a ceux que je » trouve dans mon cceur ". Ce difcours fut univerfellement applaudi. On s'empreffoit autour de Muzalon ; on Faccabloit d'adulations; on lui faifoit de doux reproches de la défiance qu'il avoit de lui-même; cbacim proteftoit qu'il aimoit mieux lui obéir, que de commander. L'Hiftoriens Grégoras ajoute, que tous renouvellerent alors, dans une forme encore plus forte, le ferment d'obéiffance, qu'ils avoient déja prêté devant 1'Empereur mourant, & qu'ils y joignirent les plus terribles imprécations contre eux - mêmes & leur familie. Jamais on n'accumula tant de parjures ; & la nation Grecque , depuis long-temps décriée fur 1'article de la bonne foi, ne parut jamais plus  nu Bas-Empire. Liv. XC/X. 73 plus perfide. Quelque expérience que le Régent eut dü acquérir de la fincérité des courtifans, il fe laifla tromper par fon ambition & fon amourpropre; & comme Ia propofition qu'il avoit faite n'étoit pas plus fincere que les compliments qu'il recevoit, il crut aifément ce qu'il defiroit, & fe perfuada qu'il n'avoit rien k craindre. Afin d'affurer davantage le falut du jeune Prince, il le logea dans une fortereffe inattaquable, au bord de 1'Hermus, prés de Magnéfie, & lui donna, pour le garder & le fervir, les Officiers les plus attachés è la familie Impériale. Muzalon confia la garde du tréfor de Magnéfie, k des hommes qu'il crut fideles. Malgré fes inquiétudes perfonnelles, il n'avoit pas un moment perdu de vue les affaires du gouvernement. Les Secretaires d'Etat étoient employés k écrire a toutes les Provinces & a toutes les villes, pour notifier la mort du Prince, & 1'élévation de fon fucceffeur, &pour ordonner, felon 1'ufage, un nouveau ferment de fidéüté. La haine croifioit tous les jours; Tome XXII. D BaudouinII. Jean Lascaris An. I2J9,  74 HlSTOIRE on s'aigriffeit mutuellement; on fe B AUDCUlüII. Jean Lascaris An. 1259. XXXI. Sanglantes obfeques de Lafcaris. Acrop. c. Greg. U 3. c. 3. Pachym. 1.i.c. 18, 19 , 20. Phran\a , l. i.c 3. reprochoit trop de lenteur : fur-tout les déferteurs Latins, qui fe trouvoient dans 1'armée Grecque , en affez grand nombre pour compofer un corps confidérable, fous le commandement de Palèologue, bouilloient d'impatience de tremper leurs épées dans le fang de Muzalon. Ils 1'accufoient d'avoir détourné les largeffes, dont le Prince ayoit ordonné de récompenfer leurs fervices; de leur avoir fermé 1'entrée du palais; de les traiter avec mépris. On foupconna même Palèologue de les avoir fourdement animés, au-lieu de réprimer leurs murmures. Le neuvieme jour après la mort de Lafcaris, étoit le jour folemnel auquel on devoit, felon 1'ufage, célébrer fes obfeques. Toute la Cour, lesgrandsOfficiers, les Magiftrats, les Dames , fe rendent a 1'Eglife de Sofandre, oü le corps étoit inhumé. Les Seigneurs, & fur-tout ceux qui portoient dans leur perfonne les triftes marqués de la colere du défunt, principaux auteurs de la conjuration, Conftantin Stratégopule 8c Théodore Philès, tous  do Bas-Empire. Liv. XC1X. 75 deux aveuglés par fes ordres, Nicéphore Alyatte, auquel il avoit fait couper la langue, & plufieurs autres qu'il avoit dépouillés de leur dignité, ne refpirant que vengeance contre Muzalon, viennent a cette cérémonie , que leur rage fecrete alloit rendre cruellement funebre. On avoit laifle les foldats autour de la forterefle, a. la garde du Prince. Lorfqu'ils fe voyent feuls avec leurs Capitaines, fans Commandant fupérieur, ils courent en confufion aux portes du chateau, demandant k voir leur Prince. Ils crient qu'on en veut a fa vie. Sauvons notre Empereur; maffacrons les trailres; ils ont déja fait périr fon pere. On leur préfente Lafcaris. Ceux qui 1'accompagnoient lui font faire un figne de la main pour appaifer le tumulte. Quelques : conjurés mêlés parmi les foldats, leur c font prendre ce figne pour une perjmifiion; ils courent aufli-töt k 1'EIglife pour maflacrer Muzalon & fes ifreres. Le faint Sacrifice étoit comimencé, Iorfqu'on vint dire que toute ij'armée approchoit avec des cris memacants. A cette nouvelle, tout eft D ij BaudouinII. Jean Lascaris An. 1159. XXXII. Sédition des foldats.  BaudouinII. Jean Lascaris An. 1159. XXXIT1 Maffacr de Muza Ion & d fes frere 76 UlSTOIRË en trouble. Les amis de Muzalon veulent fermer les portes; les autres s'y oppofent, en criant que les foldats viennent prendre part aux prieres, & qu'on ne doit pas les en exclure. Pendant ce débat, les féditieux s'étoient déja faifis des portes. Théophyla&e, Secretaire de Muzalon, court a eux pour leur demander quel eft leur deffein. Comme il refTembloit a fon maitre , ils le prennent pour lui, & le mettent en pieces. Reconnoiffant leur méprife , ils fe jettent dans 1'Eglife les armes a la main, & affamés de carnage. Muzalon , entendant a leurs cris ï qu'il étoit la viöime qu'on chercboit, ~ fe fauve dans le fan&uaire, & fe cache fous 1'autel. Ses deux freres & fon gendre vont fe tapir dans les coins les plus retirés. Ils font les premiers découverts, & horriblement maffacrés. Les Miniftres de 1'autel , les Seigneurs, les Magiftrats , les Dames , en un mot, toute l'aflemblée fuit par toutes les portes. On fe preffe, ©n s'écrafe, on fe foule aux pieds, quoique les foldats ne s'oppofent point a leur fortie. Mais malheur a  du Bas-Empire. Liv. XCIX. 77 quiconque avoit avec Muzalon ou avec fes freres le moindre trait de reffemblance; pas un ne fut épargné. Enfin , les foldats reftent feuls , & toute 1'Eglife retentit de jurements, de blafphêmes, d'imprécations contre Muzalon. On le cherche de toutes parts; & ce qui eft remarquable , malgréleur rage facrilege, aucun n'avoit encore ofé mettre le pied dans le fancfuaire. Un d'entr'eux, nommé Charles, plus déterminé que les autres, y entre, & va fouiller fous 1'autel. II y appercoit Muzalon accroupi fur fes genoux; & fans fe laiffer fléchir par les prieres, les larmes, les promeffes, il lui plonge le poignard dans le cceur, & le traïne, palpitant, au milieu de 1'Eglife. Tous accourent k ce fpectacle; mille bras fe mêlent enfemble, & confondent leurs coups ; on en vit fucer le fang qui dégouttoit de leurs épées. Ils le hachent en morceaux , jettant fes membres ca & la, en forte qu'il fallut dans la fuite les chercher avec peine pour les réunir, & leur donner la fépulture. Les meurtriers courent a la maifon de Muzalon & de fes D iij BaudouinII. Jean Lascaris An. 1159*  BaubouinII. Jean Lascaris An. 1259. XXXIV. Terreur & fuite d'un grand nombre de Seigneurs, ?8 HlSTOIRS freres, & dans leurs bras tout fanglants, ils en emportent toutes les richeffes, en criant : Nos Princes font vengés ; les empoifonneurs, les tyrans (ont punis ; notre Prince efl libre, & nous allons le fervir en liberté. Les loix n'avoient plus de pouvoir fur cette multitude forcenée ; les Magiftrats trembloient pour eux - mêmes : & comme la femme de Muzalon, a la vue du fang de fon époux , & du pillage de fon palais, exhaloit fon défefpoir en cris lamentables , fon oncle Palèologue 1'avertit de renfermer fa douleur, pour ne pas irriter ces furieux contre elle-même. C'eft ainfi que fe termina la haute fortune de ce favori: exemple des plus terribles & des plus inutiles que donne rhiftoire. Non-feulement les domeftiques des Muzalons, tous ceux qui avoient été attachés a leur perfonne, mais même un grand nombre de Magiftrats & d'Officiers qui n'avoient pas trempé dans le complot, prirent 1'épouvante, & fe fauverent en différentes contrées. On craignoit la fougue des foldats , & leur avidité au pillage. On  dv Bas-Empire. Liv. XCIX. 79 craignoit la malignité de ceux qui favoient mettre en mouvement cette troupe brutale & effrénée. Ainli les plus honnêtes gens qui avoient des ennemis, ou, ce qui n'eftpas moins dangereux , de grandes richeffes, allerent chercher leur fïïreté hors de 1'Empire. Palèologue, dont la conduite fut fort équivoque en cette conjonfture, augmenta la garde du Prince , & fe mit lui-même a la tête avec fes deux freres Jean & Conftantin, qui commandoient chacun une brigade. Ces deux Seigneurs, complaifants affidus du jeune Empereur, paffoient auprès de lui des journées , fouvent des nuits entieres, Si le difputoient k tous en démonftrations de zele. Après le maffacre de Muzalon, Arfene portoit feul Ie titre de tuteur; mais eet emploi étoit fort audeffus de fes forces, & il le fentoit lui-même. II n'apportoit que beaucoup de zele pour fon pupille. La fituation oü fe trouvoit alors 1'Empire Grec demandoit un chef rempli de prudence, d'a&ivité & de vigueur. Les Tartares, ayant rompu la paix D iv Bau- DOUIN II. Jean Lascaris A.n. 1159. XXXV. Dèlibèration fur la tutelle du jeune Prince. Acrop. c. 76, 77. Gregoras % l. 3. ft 3 , 4. Pachym. I. I , ft il &  BaubouinII. Jean Lascaris An. 1259. Du Cange, fam. p, 209. 80 HlSTOIRE avec le Sultan d'Icöne, recommerï*coient leurs ravages. Michel d'Epire, toujours en armes, k moins qu'on ne les arrachat de fes mains, remuoit du cöté de 1'Occident. II étoit déja fur les bords du Vardar, & s'étoit emparé des villes & des chateaux de cette contrée. L'alliance de deux Princes puiffants, auxquels il venoit de marier deux de fes filles, le rendoit encore plus redoutable. II avoit donné Anne k Guillaume de Villehardouin, Prince d'Achaïe & de Morée; Hélene k Mainfroi, Roi de Sicile. Les Francois, encore maitres de Conftantinople, étoient, k la vérité, ceux dont on avoit le moins k craindre ; ils avoient peine k fe foutenir euxmêmes; cependant la volonté de nuire ne leur manquoit pas, & 1'on devoit s'attendre qu'ils en chercheroientl'occafion. Dans des conjonctures fi épineufes, les Seigneurs délibéroient fur le choix d'un Régent. II y en avoit grand nombre que les titres de naifiance & de dignités fembloient égaler. Les Lafcaris, les Tornices , les Stratégopules, les Philès, les Neftonges, les Tarchaniotes, les Cantacuzenes,  du Bas-Empire. Liv. XCIK. 81 & plufieurs autres encore avoient tous des prétentions qu'ils ne cachoient pas. Palèologue couvroit les fiennes, & les effacoit tous. Ses qualités fupérieures recevoient un nouvel éclat de 1'art qu'il avoit de les envelopper du voile tranfparent d'une ambition modefte. II laiflbit parler fes libéralités, dont 1'épuifement de fa fortune rehauflbit le prix. II fembloit ne s'être réfervé que ce qu'il donnoit encore. Du cöté de la naifiance , il ne le cédoit a perfonne. Son pere Andronic Palèologue, étoit d'une familie déja illuftre dès le temps de Romain Diogene. Sa mere, Irene, étoit petite-fille d'Alexis,le dernier Empereur de la maifon des Anges. Sa gaieté naturelle, fon affabilité, fa politefle, fa valeur guerriere, tout. jufqu'a fes difgraces, lui avoit gagné le cceur des foldats, du peuple, des Magiftrats, des Seigneurs même, qui. malgré leur ambition, n'ofoient lui difputer la préférence. Les Seigneur* aflemblés lui donnoient déja leur fuffrage. Palèologue , témoignant peu d'empreffement, les pria de différei la décifion jufqu'a 1'arrivée du PaD y Bau- douin II. Jean Lascaris An. 1259.  Bau©ouimIï. Jean Lascaris An. izj9, XXXVI. Patéolof.ue grand Due. 82 HlSTOIRE iriarche, qui étoit demeuré a Nicée. II reprélenta que comme il s'agiffoit de donner un collegue au Patriarche déja tuteur, on ne devoit pas procéder fans lui a cette élection , & que d'ailleurs le confentement de 1'Eglife, toujours refpe&able , étoit plus néceffaire que jamais dans une nomination fi importante. Ce n'eft pas que Palèologue fit grand cas d'Arfene, ni qu'il fut pénétré d'un profond refpect pour 1'Eglife. C'étoitune déférence politique pour fe conciïier le Clergé, alors trés - puiffant; & d'ailleurs il étoit bien-aife de diminuer 1'obligation qu'il auroit aux Seigneurs, pour s'affranchir des entraves de la reconnoiffance, qui arrache fouvent des injuftices, & pour fe conferver Ia liberté des refus. On écrivit donc k Arfene pour le prier de fe rendre k Magnéfie; & en attendant fon arrivée , on chargea Palèologue de fe mettre a ia tête des affaires, avec la qualité de grand Duc. Comme ce n'étoit qu'un premier pas pour monter au rang fuprême, il s'étudioit k multiplier fes créatures, & le dépot de  du Bas-Empire. Liv. XCIX. 83 Magnéfie étoit une fource abondante ou il puifoit de quoi en achèter. Mais ce tréfor étoit confié a une garde plus fure & plus impénétrable que des murs de fer ou d'airain. C'étoit une brigade de Varangues, dont le cara&ere aufli dur que fidele, étoit employé par les Empereurs k toutes les fonófions repouflantes. Les feuls Officiers du tréfor pouvoient y don» ner entrée, & 1'argent qu'on en tiroit fur un ordre du Prince, avec de grandes formalités, ne fe délivroit qu'en leur préfence. La qualité de grand Duc n'autorifoit encore que foiblement Palèologue. II trouva cependant moyen d'en tirer des fommes qu'il diftribuoit k propos ; & fur des prétextes plaufibles, il répandit des gratifications fur un affez grand nombre de perfonnes, dont il efpéroit des fervices. Ce qui le rendoit plus hardi a ouvrir cette fource de largefles, c'efl qu'il n'en détournoit rien pour lui-même. Son amé, élevée au - deflus des paffions vulgaires, méprifa les richeffes perfonnelles, & leur préféra toujours un noble détachement. Lors même D vj Bau- oouin II. Jean Lascaris Vn. 1259.  BatjBouinII. Jean Lascaris An. 1259. XXXVII. Ueftnomraé tuteur.Pachym. I, i, t. 26. 84. HISTOIR.E qu'il fut Empereur, dans une occa^ fion oü 11 voulut bien être appellé en juftice comme témoin , il protefta avec ferment, que Ia dépenfe journaliere pour fa perfonne n'alloit pas au - dela de trois pieces d'or , qui ne faifoient guere que quarantecinq francs de notre monnoie. Auffi-töt que le Patriarche eut recu la lettre des Seigneurs, il fe mit en chemin avec les chefs du Clergé, & les Prélats qui fe trouvoient a Nicée. A fon approche, Palèologue, accompagné de toute la Cour, alla a pied k fa rencontre; & 1'abordant avec toutes les marqués d'un profond refpect, il prit la bride de fa mule, & le conduifit ainfi a la tente impériale, ou 1'on avoit tranfporté le jeune Empereur. Palèologue, marchant devant les Prélats, écartant lui-même la foule fur leur paffage, leur préfenta le Prince, lemit entre les mains du Patriarche ; & expofant a leurs yeux les Drnements qui devoient diftinguer le ruteur du Prince , il protefta qu'il ne les recevroit que du Patriarche; que 1'Eglife pouvoit en difpofer k fon gré, Sc qu'il ne fe réfervoit que robéiffan-  du Bas-Empire. Liv. XCIX. 85 ce. Le Clergé le combla de louanges. Le Patriarche 1'admit pour collegue au titre de tuteur, dont il lui laiffa toutes les fon&ions. Pour le relever encore, on lui donna le nom de pere du Prince. Palèologue , qui portoit plus loin fes vues, redoubla d'attention & de déférence pour le Clergé. II n'oublia rien pour échauffer en fa faveur, un ordre délicat fur le point d'honneur, maitre de 1'efprit du peuple, & non moins puilTant que zélé pour ceux qui lui font dévoués. Tant de titres déja réunis fur la tête de Palèologue, ne fatisfaifoient point fon ambition. Renfermé dans les apparences de la modeftie, il fe difoit trop élevé a fon gré; mais fes amis publioient quil falloit le forcer d prendre encore le nom & le pouvoir de defpote , qui le rendroit maitre de rècompenfer & de punir; qu'il étoit de Fhonneur de VEmpire de décorer celui qui reprifentoit VEmpereur aux yeux des Princes etrangers & de leurs Ambaffadeurs. Dans les conjoncf ures préfentes, le nom de Defpote emportoit 1'autorité de Régent. Ces difcours rouloient parmi le peuple. Les Grecsnaturels, les La- BaudouinII. Jean Lascaris An. 1159. XXXVIII Palèologue defpote. Pachym* l. i. c. 27. Acrop. c. 76. u Bas-Emptre. Liv. XCIX. 99 *ile. Palèologue fut donc couronné, j avec fa femme Théodora. Ils marI cherent enfuite en cérémonie au paJ lais, le jeune Prince les fuivant, fans ) couronne, mais avec un diadême orné de perles & de pierreries, qui amufoient fon enfance. Tandis que eet enfant, encore in1 capable de fentir fon état, paffoit le temps dans les jeux de fon age, le : nouvel Empereur affermifToit fa puiffance, en préfentant la douce perfpeöive du gouvernement Ie plus heureux. II haranguoit fouvent le peuple, : & fon éloquence enchantereffe étoit < toujours ornée de diftributions matnuelles. Toutes les bouches étoient 1 ouvertes pour fes louanges. On avoit S déja oublié le ferment qui mettoit de jniyeau les deux Princes ; on oublioit bnême qu'il y eut un Lafcaris, Palèologue feul rempliifoit les efprits. II lamufoit le peuple par des fpeclacles; ss'exercant quelquefois en public avec ües Seigneurs, il difputoit le prix de ]la paume, de 1'efcrime, de la courfe :a cheval; & foit la complaifance des courtifans, foit fon agilité & fon adrefk9 lui laiffoient toujours Pavantage. Eij BaudouinIL Jean Lascaris Michel Palé»- iogue. A.n. 1260, XLIV. Premières ac:ions de Paleologie. ?achym. h  BaudouinII. Jean Lascaris Michel Palèologue.An. 1260. XLV. Ambaffade des Francois a Conftantinople. Acrop, c. 78. Pachyta. I, 2, c. 10, IOO HlSTOIRS C'étoit une allégreffe univerfeile. En vain quelques politiques, plus fombres & plus pénétrants, vouloientinfpirer de la défiance, on les rebutoit comme des rêveurs mélancoliques. Après quelques jours paffés k Nicée dans les fêtes & dans les plailirs , Paléogue ayant pris avec lui le jeune Prince , en renouvellant la promeffe de le traiter avec toute la tendreffe paternelle, partit pour Lampfaque, accompagné d'un grand nombre de Seigneurs & de toute 1'armèe. Au commencement du printemps, il fe rendit aNymphée, féjour ordinaire des Empereurs, depuis qu'ils avoient perdu Confiantinople. II refut k Nymphée des AmbafTadeurs & des préfents du Sultan d'Icöne, qui fe trouvoit de nouveau en grand péril de la part des Tartares. Palèologue , qui avoit autre chofe a faire que de courir a fon fecours, fe contenta de lui promettre de le recevoir k bras ouverts, s'il ètoit forcé k quitter fes Etats, & d'employer enfuite ce qu'il auroit de forces pour 1'y rétablir. Cependant Baudouin , qui regardoit de loin cette révolution,  du Bas-Empire. Liv. XCIX. 101 fans ofer en profiter par les armes, effaya den tireravantage par fa foible politique. Se flattant que le nouvel Empereur, encore mal affuré, fe relacheroit fur les conquêtes de fes prédécefTeurs, il lui envoya des députés, qui furent en effet bien recus. Palèologue leur fit des careffes, leur accorda une treve, & fe montra difpofé a traiter de paix. II leur infirmoit, k chacun en particulier, que s'il rentroit dans Confiantinople, il les combleroit de bienfaits, & que les Latins feroient traités comme fes fujets les plus chéris. Mais quand il fut queftion des demandes de leur maitre , ils ne le trouverent plus fi facile & fi complaifant. Baudouin demandoit la ceffion de Theffalonique, & de toute la contrée de Macédoine &z de Thrace, jufqu'a Confiantinople. II répondit en fouriant, qu'/7 ne pouvoit avec honneur abandonner une ville quil regardoit comme fa patrie; fon pere , grand Domejlique, y avoit commandè ; c étoit le lieu de fa fépulture. Le s députés ,%rabattant de leur prétention: Accorde^-nous donc, dirent-ils , la ville de Serres. Cef unt ville que je chéris E iij Baudouin II. Jean Lascaris Michel Palèologue.An. 126©,  BaudouinII, Jean Lascaris Michel Palèologue.As>. 1260. XLVÏ. Nouvelle guerre contre Michel «1'Epire. Acrep, c 79, & fej, 10a H X' S T O 1 K E reparfit Palèologue, c'efl-ld que fai fait mes premières armes ; c'eft le premier Gouvernement que /'ai recu de 1'Empereur mon oncle. II nommoit ainfi Vatace , dont fa femme Théodora étoit petite-niece. Les députés fe réduifirent k demander Bolere, fur les confins de la Macédoine. Pour cette place, dit le Prince, Je ne puls men défaire ; faime la chaffe, & c'efl le plus beau pays pour eet exercice. J'y ai chaffe plufieurs fois , cv j'efpere bien y prendre encorele même div.ertiffement. Que nous donne^vous donc ? reprirent les députés Rien , repartit-il. Mais fi vous voule^ la paix, paye^-moi un tribut d-peu-près égal au profit que votre maitre retire du, commerce de Confiantinople, finon , attende^vous d la guerre. Vous fave^ que je fais la faire; Dieu décidera du fucces. Après s'être ainfi jöué de ces députés & de leur maitre, il les renvoya k Confiantinople. Les affaires d'Occident luicaufoient beaucoup plus d'inquiétude. Dès avant qu'il fut parvenu k fe faire nommer Empereur, la guerre avoit commencé vivement en ThefTalie. J'ai différé jufqu'ici d'en rapporter les événerrtents,.  du Bas-3mpire. Liv. XCIX. 103 : pour ne pas interrompre le récit des ; progrès ambitieux de Palèologue. I Après la mort de Théodoré Lafca| ris, Michel, defpote d'Epire, voyant I un enfant fur le tröne, 1'Empire Grec ■ rempli de troubles, & la puifTance francoife expirante de foiblefTe, con: cut 1'efpèrance de fe faire lui-même ; Empereur, en s'emparant de Conftan' tinople. II comptoit fur le fecours de ! deux gendres puiffants, Mainfroi, Roi I de Sicile, & Guillaume de VilleharI douin, Prince d'Achaïe & de Morée. II pouvoit encore difpofer des forces I d'un nation belliqueufe, nommée les I Grands Valaques, ètablis dans le canj ton de la Theffalie , oü avoit autrei fois régné Achille. Jean, fils naturel de Michel, étoit devenu maitre de : ce pays par fon mariage avec la fille I de Taronas, qui en étoit fouverain. : Palèologue, averti du deffein de Michel , employa d'abord la douceur i pour le défarmer. II lui envoya ThéoI dore Philès, ce Seigneur que Laf; caris avoit fait aveugler. II lui cédoit plufieurs places, & lui en re, demandoit quelques autres de moinI dre importance, qu'il fembloit que Mi» E iv BaudouinII. Jean Lascaris Michel Palèologue. An. 1260. Greg. I. 3. c. 5. Pachym. /. 1. c 30, 3'- Phmn^a . I. I ,c. 4. Du. Cange , hifi. I. J , c. 26 , 17, 25.  BavbouinII. Jean Lascaris Michel Palèologue. An. 1260. XLVII. Palèologue envoye contre lui une ar; mée. I04 HlSTOIRE chel ne pouvoit refufer. Mais ce Prii> ce fier , qui le devenoit encore davantage par cette démarche, qu'il attribuoit a la crainte qu'on avoit de fes armes, recut fort mal cette ambaflade. II fe moqua des offres de Palèologue; il refufa également de rendre Chabaron & Acropolite, dont on lui demandoit la liberté, quoique Palèologue lui eut renvoyé, fans ran$on, plufieurs prifonniers illuftres, dont quelques-uns même étoient de fes parents. Le Prince Grec, choqué de ce mépris, réfolut de s'en venger par les armes; & pour.lui enlever fes reflburces, qui augmentoient fon audace, il entreprit, mais fans fu ccès, de détacher de fon parti le Roi deSicile. Nicéphore Alyatte, envoyé pour eet eflët en ambaflade vtrs ce Prince, loin de le gagner, fut arrêté comme ennemi,& détenu enprifon pendant deux années. Palèologue ne réuffit pas mieux auprès du Prince d'Achaïe. Dans le temps même qusil agiffoit auprès de ces deux Princes, ilfaifoit partir une armée fous la conduite de Jean Palèologue, fon frere , qu'il fit  bu Bas-Empire. Liv. XCIX. 105 accompagner de Conftantin, fon frere utérin , d'Alexis Stratégopule , de Conftantin Tornice , beau - pere de Jean Palèologue , tous connus par leur bravoure & leur fcience militaire. Ils avoient ordre de raffembler les milices de Thrace & de Macédoine, & de marcher droit k Caftorie, oü le defpote étoit alors campé avec fa Cour & quelques troupes. Ayant pafle 1'Hellefpont en diligence , ils approchoient déja de Caftorie, avant que le defpote fut inftruit de leur marche. La nouvelle en étant arrivée dans fon camp pendant la nuit, tout prend Pépouvante , tout fe difperfe en défordre. Théodore Pétraliphe , beau-frere du defpote, fuyant k toute bride au tinvers des rochers , tombe avec fon cheval dans un précipice oü il perd Ia vie. Les autres fe fauvent dans les montagnes qui féparent 1'Epire de la ThefTalie. Jean , profitant de cette terreur, fe rend maitre des pla» ees d'alentour, qu'il trouve abandonnées de leurs garnifons. 11 marche vers Achride, capitale du pays, qui s'étoit donnée k Michel. II étoit E. v Bau- douin II. Jean Lascaris Michel Palèologue. An. 1269.  Bau- bouin ir. Jean Ij ascaris Michel Palèologue. An. 12Ó0. XLVI1L Bataille d'Achri- dtv Kifr II'I S T 0 I R E accompagné de Cabafilas, Archeve* que de cette ville, que Théodore Lafcaris avoit fait Venir k fa Gour par défiance, fes deux freres ayant paffé au fervice du Defpote. Palèologue, moins foupconneax, 1'avoit renvoyé avec Jean, & il contribua; beaucoup a faire ouvrir les portes d'Achride. Jean s'en empara , & alla affiéger Déabolis, qui fe rendit aprèsquelque réfiftance. Michel , honteux de s'être laifle furprendre, eut bientöt formé une autre armèe, plus forte que la précédente. II demanda des fecours au Roi de Sicile, qui lui envoya quatre cents, d'autres difent trois mille cavaliers Allemands, des mieux armés & des mieux montés. Son autre gendre , le Prince d'Achaïe, vint le joindre en perfonne avec toutes fes forces. Michel alla chercher les Grecs,, qu'il rencontra dans une plaine bordée de montagnes, entre Achride & Déabolis. L'armée Grecque, beaucoup moins nombreufe, étoit en partie compofée d'auxiliaires Comans &C Turcs, fort habiles a tirer de 1'arc. Jean, qui favoit la guerre, tenoit fur  du Bas-Empire. Liv. XCIX. 107 les montagnes fa grolTe infanterie; les cavaliers 8c les troupes légeres voloient dans laplaine,harcelant fans cefTe 1'ennemi, enlevant fes chevaux 8c fes convois, 1'inquiétant jour 8c nuit par des attaques imprévues. Enfin , le Général Grec, après avoir , par diverfes efcarmouches, fatigué 8c affoibli les Epirotes , crut pouvoir, fans témérité , hafarder une aftion décifive. II defcend dans laplaine, 8c campe vis-a-vis des ennemis. On s'attendoit a une bataille, 8c tout y étoit difpofé, lorfqunne trahifon vint affurer la vicfoire aux Grecs. Le bètard du Defpote avoir amené avec lui fa femme, fille de Taronas ,dont la beauté couroit quelque rifque au milieu de la liberté militaire. Les jeunes Officiers la trouvant a leur gré , lui faifoient la cour, fans trop prendre garde fi leur galanterie offenfoit le mari. II en prit de 1'ombrage, fe plaignit, 6c s'attira la rifée. Sa mauvaife humeur excita de facheux débats ; 6c le Defpote en étant inftruit, s'en prit a fon fils comme a 1'auteur de ces querelles. II le traita avec dureté; 6c fur ce E vj Bau- DOUlNil. Jean Lascaris Michel Palèologue.in. 1260.  Baü- douin II Jean I.ascari! Wichel Palèologue. An. 1260 > ïo8 II I S T 0 I R. E que Jean lui clifoit, qu'il s'en rapportoit a fon frere Nicéphore : Tu ejl bien kardi, lui dit Michel, Rappeller Nicéphore ton frere ; tu ne mériterois que le nom de fon valei : as-tu oublié quelle efl ta mere ? Jean, piqué au vif, fe retire dans fa tente, & la nuit fuivante, il mande a Jean Palèologue , que les Grecs peuvent compter fur lui; qu'il eft tout pret a charger les Epirotes en queue, dés que les Grecs les attaqueront de front: il les prie feuiement d'épargner fon pere & fon frere, II leur envoye fa fbi, & recoit la leur par échange de reliques, felon 1'ufage de ce tempsla. On livre bataille. Le batard fe détache avec fes gens du gros de 1'armée, & tombe par-derriere fur les troupes de fon pere, qui, fe voyant prifes entre deux, fe débandent & prennent la fuite. Le Prince d'Achaïe fe fauve dans une métairie, & fe cache fous un monceau de pailles. Un foldat le feconnoit a fes dents de devant qu'il avoit fort longues. On le fait prifonnier , & on le conduit a Nicée. Plufieurs Seigneurs, entre lefquels fe trouyoient Anfeau de  nu Bjs-Empirb. Liv. XCIX. 109 Toucy,& le Seigneur de Caritaine, en Arcadie , eurent le même fort. Les cavaliers Allemands font enveloppés, & obligés de fe rendre. Un Capitaine Turc, nommé Nicéphore Rhimpfa, fe fignala dans cette bataille ; il s'étoit fait Chrétien, & fa converfion fut fincere & durable. Gette vicfoire releva 1'honneur des armes Grecques. Prefque toutes les villes de Theffalie fe foumirent a 1'Empereur. Jean Palèologue poufïa fes conquêtes jufqu'a Duras; & après avoir mis les places en état de défenfe, il alla : camper prés de Néopatras, c'eft-adire , Patras-la-neuve, en Theffalie. On nommoit ainfi cette ville, pour la diftinguer de Fancienne Patras, dans le Péloponnefe. II menoit avec lui le batard de Michel, qui lui avoit procuré une vicfoire facile. Alexis Stratégopule Iaiffa un corps de troupes devant Joannine ; & après avoir paflé les montagnes d'Epire, accompagné de Jean Raoul, il alla affiéger. Arta. Cette ville fut prife, & fort maltraitée par les foldats. C'étoit-la qu'Acropolite & Chabaron étoient Bau- DOUlNlI. Jean Lascaris Michel Palèologue. Kn. 1260, XLTX Juites de a viÖoise. Pachym. . I. c. 31. . 2. C. 11 , 13- Greg.l. J, I.  IIO H I S T O I R'R eardés en prifon; ils furent enfin dé- Bau- douin II Jean Lascarm Michel Palèologue.An. 1260, livrés. Jean le Batard, fatisfait de fa vengeance, ne cherchoit plus que 1'occafion de retourner auprès de fon pere, dont il efpéroit le pardon. II la trouva en 1'abfence du Général Grec, qui étoit allé ravager le territoire de Thebes. Etant parti de nuit avec fes gens, il rejoignit Michel, qui, n'ofant refter a terre, rödoit, avec quelques barques, autour des ifles de Céphalonie & de Leucade. Non-feulement fon pere lui pardonna; mais il reprit un nouveau courage, par le retour de ce brave guerrier. II s'approcha d'Arta, dont les habitants chaflerent la garnifon Grecque. II fit lever le fiege de Joannine. La négligence des chefs de 1'armée Grecque, & le défaut de fubordination , firent perdre prefque tous les fruits de la vicfoire. Stratégopule étoit déja repaffé en Afie , ou il aida Palèologue a fe faire nommer Empereur. Jean s'y rendit après lui, avec les autres Généraux; & Palèologue, déja Empereur, leur diftribua les plus grandes dignités de 1'Empire. II avoit nommé Jean, fon frere, Sébaftocra*  dv Bas-Empire. Liv. XCIX. rir tor, lorfqu'il étoit encore en Thefi falie : a fon arrivée, il lui conféra le i titre de Defpote, & fit paffer celui de ! Sébaftocrator a Tornice, beau - pere de Jean. II décora du même titre, mais i avec une diflïn&ion avantageufe, ! Conftantin, fon frere utérin, qui por| toit déja Ie nom de Céfar, & cette i derniere dignité fut donnée a Straté; gopule, alors grand Domeftique. Mi; chel Lafcaris, rappellé de Prufe, fut : fait grand Duc. Son frere Manuel, las de tant d'agitations, avoit pris 1'ha: bit de moine. Jean Raoul devintProtoveftiaire. II époufa Théodora, niece : de 1'Empereur, & veuve de Muzai Ion. Marie, fceur de Théodora, fut mariée a Alexis Philès, qui fut nommé grand Domeftique; c'étoit le fils de Philès 1'aveugle. Les Paléologues, ; les Anges, les Neflonges ,. les PhilantropeneSjlesCantacuzenes, furent honorés des premières charges de la. . Cour. Le plus illuftre des prifonniers qui furent mis entre les mains de 1'Empereur , fut le Prince d'Achaïe. Pour ] ne pas interrompre ce qui le concer- t ne, on me permettra de prévenir les Bau- DOUINir, Jean Lascaris Michel Palèologue. An. iaócv L. Avencu» es du 'rince 'Achaïe,  BaudouinII. Jean Lascaris Michel Palèologue.An. 1260, 112 'HïSTOIRE événements, & de rapporter icï ee qui ne fe pafTa que deux ans après. Ce Prince fier , Francois d'origine, & attaché a Baudouin, demeura en prifon, fans vouloirreconnoïtre 1'Empereur Grec, jufqu'au temps qu'il le vit maïtre de Confiantinople. Les affaires des Frangois étant alors perdues fans reflburce, il déclara qu'il étoit prêt a rendre hommage k 1'Empereur, que la Providence avoit placé fur le tröne; & il offrit pour fa rancon, les places qu'il poffédoit en Morée : c'étoient Monembafie , Maïna, Hiérace & Mifithra, 1'ancienne Sparte, avec la contrée de Ciufterne, très-étendue & très-fertile. Le refte étoit occupé par les Vénitiens, & par divers Seigneurs. II promit de tenir fes Etats en fief de 1'Empire, d'en prêter foi & hommage, & d'accepter pour gage de fon dévouement, telle charge de la Cour impériale , dont 1'Empereur voudroit 1'honorer. Palèologue fut fiatté de compter entre fes vaffauxun Prince de cette confidération. II accepta fes offres , le fit fortir de prifon, & le traita avec magnificence. II avoit déja, depuittrois  du Bas-Empire. Liv. XC1X. 113 ans, un fils , nommé Andronic. II voulut que Guillaume tïnt furies fonts de baptême, Conftantin , fon fecond fils, qui naquit alors. Les ferments de cette alliance furent faits de part & d'autre avec menace d'excommunication, qui fut prononcée k 1'extinótion des cierges ,felonla coutume des Latins. II fut enfuite renvoyé dans fes Etats d'Achaïe, avec la dignité de grand Domefticjue, qu'il partagea avec Philès. II etoit accompagné de Commiflaires, qui devoient prendre, pour 1'Empereur, pofleflïon des places cédées en Morée. Elles leur furent mifes entre les mains de bonne foi; & il auroit perfiflé dans ces engagements , fi le Pape, mécontent de cette foumifiïon k un Empereur Schifmatique, & follicité par le Roi de Naples, qui perdoit 1'alliance d'un Prince puiffant, n'eüt rompu ce traité, en déclarant illufoires &de nul effet, des ferments extorqués, difoit-il, par néceflïté, a un prifonnier dans les fers, & nullement maitre de fa parole. Villehardouin fe détacha de 1'Empire; ce qui alluma dans la fuite de grandes guerres. Les villes cédées BaudouinU. Jean Lascaris Michel Palèologue.\n. lïéo.  BausouinII. Jean Lascaris MiCHEL Palèologue.An. 1260, LI. Nouveauxiuccès du defpote d'Epire. Pachym. I, I, c. J-ï, LIL Paléolo gue prent 114 HlSTOlRR a 1'Empereur Grec, ne fortirent pas de fes mains, malgré la rupture du traité. Elles avoient pour Gouverneur, Conftantin Sébaftocrator, qui, loin de les rendre, y ajouta plufieurs conquêtes. Le defpote d'Epire , ayant reeu de nouveaux fecours de fon gendre Mainfroi, mit a la tête de fes troupes, fon fils Nicéphore, dont la valeur naiffante ne refpiroit que la guerre. Palèologue, informé de ces nouveaux efforts, renvoya promptement le Céfar Stratégopule, avec ordre de raffembler les troupes cantonnées dans le pays. Les deux armées furent bientöt en préfence. On combattit prés de Tricoryphe, en Theffalie; mais avec un fuccès tout contraire a celui de la bafaille d'Achride. Les Grecs furent taillés en pieces, & le Céfar fait prifonnier. 11 fut, peu de jours après , délivré par échange ; & revenu a la Cour, il ne perdit rien de I'eftime de fon maitre , qui eut apparemment des raifons pour ne pas lui imputer fa défaite. Cette guerre n'étoit point la plus ' grande occupation de Palèologue. 11  du Bas-Emmke. Liv. XCLX. 115 méditoit une entreprife bien plus importante ; c'étoit de chalTer les Francois de Confiantinople. II ne fe croyoit Empereur qu'a demi, tant qu'il ne feroit pas poffeffeur de cette ville fameufe, oü le tröne de 1'Empire étoit établi depuis prés de mille ans. La conjonfture favorifoit fon deffein. La vigueur francoife, femblable a ces feux du tonnerre , qui s'évaporent après 1'explolion, étoit prefque entiérement éteinte. Baudouin, qui avoit pafTé fa vie a mendier des fecours, dont il ne favoit pas faire ufage , n'avoit plus ni troupes, ni argent; il ne lui reftoit qu'un immenfe fardeau de dettes. Pour fournir aux dépenfes de fa maifon, & du peu de foldats qu'il entretenoit encore pour la garde de la ville, il fut obligé d'enlever le plomb qui couvroit les Eglifes & les palais, & d'en faire de la monnoie. Le bois vint a manquer il fallut, pour en trouver, démolir grand nombre de maifons. II fe vit réduit a une telle néceffité , que, pour tirer de 1'argent de quelques Vénitiens, il mit en gage entre leurs mains Pbiüppe, fon fils unique, qui fut con- BaudouinII. Jean Lascaris Michel Palèologue.An. 1260. la réfolution d'aitaquerConftantinoplei.  Batj- douin II. Jean Lascaris Michel Paléo logue. An. 1260. LIIL Brouilleries dans 1'Eglife Grecque. Acrop. c. Sa. Greg. 1.4. e. 1. Tachym. I. 3-, c. IJ, & ftqq. Il6 HlSTOIRL duit a Venife, oü il demeura longtemps, lors même que fon pere eut perdu Confiantinople. Inftruit du mauvais état des Francois, Palèologue réfolut de pafler en Thrace ; mais fon départ fut retardé de quelques jours, par les embarras que lui fufcita le Patriarche Arfene. Palèologue venoit d'envoyer Jean Lafcaris a Magnéfie, de crainte que fapréfence n'excitat les murmures des partifans de fa familie, indignés du mépris que 1'ufurpateur faifoit du Prince légitime. Arfene , toujours attaché k fon pupille , fe voyant méprifé lui-même, fortit un jour de fon palais; & traverfant apied la ville de Nicée, fuivi de tout le peuple, dont il étoit aimé, il arriva k la porte. La, fe tournant vers la multitude , il lui défendit de le fuivre ; & s'étant éloigné, fans dire la caufe de fon départ, jl alla s'enfermer dans un monaftere. En vain le Clergé & les Evêques, qui étoient k Nieée, lui envoyerent des remontrances fur 1'irrégularité de cette conduite; en vain ils le prefferent, par leurs lettres de revenir, ou du moins de leur faire connoï-  du Bas-Empirb. Liv. XCIX. 117 tre la raifon d'un procédé fi étonnant. Quelques jours s'étant panes, comme ils n'efpéroient plus le fléchir, ils s'adrefferent a 1'Empereur, Sc lui expoferent la difficulté de dépofer le Patriarche, Sc d'en trouver un autre i pour le remplacer. Palèologue, a qui , ia confcience dilbit affez ce qu'Arfe1 ne vouloit taire, fit affembler les Evêj que pour décider de ce qu'il y avoit j a faire. On convint d'envoyer Ni! cétas , Evêque d'Héraclée, pour fignij fier au Patriarche, que le Synodebla1 moit un procédé fi contraire aux canons de 1'Eglife, & qu'il le fommoit I de revenir prendre le foin de fon ! troupeau, ou de déclarer pour quelle I raifonil 1'avoit abandonné, afin qu'on ! y apportat le remede convenable. S'il i demeuroit obftiné dans le refus de s'expliquer, Nicétas devoit lui dei mander un afte d'abdication. Arfene ! répondit que le mal étoit fans remei de, Sc qu'il n'avoit d'autre parti k ] prendre que la retraite Sc le fdence. II confentit a donner par écrit fa démiffion : mais comme Nicétas, qui didloit Tacfe, vouloit y faire éerire qu'Arfene renoncoit au Patriarehat, Bau- douin II. Jean Lascaris Michel Palèologue.An. 1260.  BaudouinII. Jean Lascaris Michel Palèologue.An. 1260. Il8 HlSTOIRR paree qu'il s'en croyoit indigne: Voui prêtende^ donc, s'écria Arfene , que je figne mon dèshonneur avec ma dêmifJion ? En même-temps, il fe faifit de 1'atte, le déchire, & congédie brufquement Nicétas. On envoye lui redemander les marqués honorables de fa dignité; il les montre & les laiffe emporter. Palèologue, qui ne vouloit pas que la démifïion parut volontaire , étoit embarraffé fur le motif qu'on pourroit donner a la dépoiïtion. Mais il eut été fans exemple, que la volonté du Souverain n'eüt pas trouvé chez les courtifans quelque prétexte pour 1'autorifer. Nicéphore, Evêque d'Ephefe , qui, fous le mafque d'un auftere détachement, cachoit avec de grandes richeffes, le delir de fuccéder k Arfene, repréfenta au Prince, que 1'ordination d'Arfene n'avoit pas été canonique, at* tendu que les interftices prefcrits entre les différents ordres, n'avoient pas.été obfervés. Cette raifon jointe a la défertion du troupeau, parut plus que fufiifante. On ne fut pas longtemps k chercher un fucceffeur; prefatie tous les vceux fe réunirent en  9u Sas-Empire. Liv. XCIX. 119 faveur de Nicéphore. Le public devina aifément, que le chagrin d'Arfene venoit du repentir d'avoir confenti a couronner Palèologue, aupréjudice du Prince légitime, dont il prévoyoit Ie trifte fort. Palèologue, content d'être délivré d'Arfene, inftalla Nicéphore fur le fiege de Nicée, avec de grands honneurs, Mais cette éleöion, Ioin d'être univerfellement approuvée, caufa un fchifme dans 1'Eglife Grecque. Le Synode n'avoit été compofé que des Evêques qui fuivoient Ia Cour, dont le fuffrage n'entraïnoit pas toujours celui des Prélats qui réfidoient dans leurs Diocecefes. Plufieurs de ceux-ci demeurerent attachés a Arfene ; & le peuple, qui s'accorde rarement avec les courtifans , regrettoit fon Patriarche. Entre les Evêques, les chefs du parti oppofé k Nicéphore, furent Manuel de ThelTalonique, & Andronic de Sardes. Le premier s'exila lui - même; 1'autre fe fit Moine, malgré 1'Empereur. Lorfque Palèologue eut enfuite paffé en Thrace, k delTeinde reprendre Confiantinople , 1'humble Nicéphore crut fa préfence néceffaire, Baudouin ir. Jean Lascaris Michel Palèologue.An. 1160.  BauuouinII Jean Lascari: Michel Palèologue.An. 1260 LIV. Prife de dehors d Confiantinople. Acrop. 83, Greg. 1. i c. I. Pachym. 2, f. Ii 20, 21. Du Cang hifi. I 51 9 , 20. I20 H I $ T O I R B pour épargner k 1'Empereur la téntation d'en établir un autre que lui fur le fiege de cette grande capitale. II réfolut donc de 1'aller joindre; &C partant de Nicée, oü il n'étoit pas bien voulu du peuple, il fecoua, felon le précepte de 1'Evangile , la pouffiere de fes pieds ; & pour être en état d'entrer, avec le Prince, a Confiantinople , il fe rendit auprès de lui k Sélymbrie, felon les mouvements de fa dévote ambition. L'Empereur, ayant traverfé 1'Hels lefpont a Gallipoli, marcha vers Conf: tantinople. 11 commenga par lui enlever fes défenfes. Sélymbrie fut prife . d'emblée. On s'empara de toute la campagne d'alentour , excepté du fort ' d'Aphamée, qu'on trouva trop bien 1. défendu. Tout le contour de Conf' tantinople, depuis la Propontide jufs, qu'au Pont-Euxin, étoit habité par <• des Grecs, qui, bien que foumis en apparence aux Princes Latins, confervoient une forte de liberté. Les conquérants, qui ne s'étoient jamais trouvés en affez grand nombre pour peupler les campagnes , les ménageoient, de crainte qu'ils n'abandonS naffent  du Bas-Empire. Liv. XC/X. 121 naffent le pays dont ils étoient les cultivateurs, & d'oii les Latins tiroient leurs fubfiftances. On les appelloit les volontaires. Attachés dans le cceur a leurs anciens maïtres, c'étoient des ennemis naturels , toujours prêts a fecouer le jong. Les troupes de Palèologue n'eurent garde de les; maltraiter. La prife de Sélymbrie les réuniffoit enfemble ; ils fe rendoient mutuellement tous les fecours d'anciens compatriotes. Les Latins n'avoient prefque plus de propriété hors de Confiantinople. Palèologue fe voyant donc maitre de tous les déhors , attaqua vivement le fauxbourg de Galata, féparé de la ville par le golfe de Céras , qui formoit le port. C'étoit üne place très-forte, munie de tours & de remparts, en état, par elle-même, de foutenir un fiege contre une armée plus confidérable que n'étoit alors celle de Palèologue. Aufïï fit-il venir d'Afie un renfort de troupes : mais fa principale efpérance étoit fondée fur une trahifon. Anfeau de Tou- cy, seigneur rrangois de grande con- lideration , pris avec Villehardouin, Tome XXII. F BaudouinII. Jean Lascaris Michel Palèologue.kn, 1160, LV. Attaque le Galata,  BausouinII. Jean Lascaris Michel Palèologue.An. 1160. 122 HlSTOIRE dans la bataille d'Achride , avoit évité les mauvais traitements d'une prifon , en promettant a. 1'Empereur de le rendre maitre de Confiantinople, fans qu'il lui en coutat une goutte de fang. II avoit, difoit-il, fa maifon joignant les murs de la ville. Baudouin lui confioit la garde des clefs de la porte voifine, en forte qu'il lui feroit facile d'introduire les Grecs. Palèologue, malgré fa fagacité naturelle , fe laiffa tromper en cette occafion; & loin d'exiger une rancon, il renvoya ce Seigneur comblé de préfents , fous prétexte d'une prétendue affinité entre les deux families. Pendant le fiege de Galata, 1'Empereur ne ceffoit de folliciter Anfeau, par des meffages fecrets, qu'il trouvoit moyen de lui faire parvenir. Anfeau, tantöt pour une raifon, tantöt pour une autre, différoit toujours de tenir parole. Enfin,unetroupe de foldats s etant approchés de fa maifon, pendant une nuit obfcure, comme il 1'avoit demandé, lorfqu'on s'attendoit k yoir ouvrirla porte, on 1'entendit qui difoit du haut des murs : Retlre^-vous, ■mes amis ; l'Emptreur eji entré en dé-  du Bas-Empire. Lh. XCIX. 123 fance ; il s'ejl lui-même faifi des clefs , & il mefl impofjible d'exécuter ce que faipromis. Palèologue, confus de fa crédulité, ne s'obftina pas au fiege de Galata. L'attaque avoit été vive pendant plufieurs jours, & auflï vivement repouflee. Comme les Grecs manquoientde vaifleaux, ils n'avoient pn couper la communication avec Confiantinople , d'oü il partoit fans cefle des barques chargées de renforts. On y avoit perdu grand nombre de foldats. II ne reftoit pas de forces fuffifantes pour rien entreprendre contre le corps de Ia ville. Palèologue prit donc le parti de repaffer en Afie. Trois députés de Baudouin le joignignirent en chemin, pour lui demander la paix, qu'il refufa, felon Pachymere. Acropolite dit qu'il accorda une treve pour un an; & s'il dit vrai, elle fut rompue avant le terme. Pendant le fiege de Galata , quelques foldats qui couroient les campagnes , étoient entrés dans 1'Eglife ! de Saint Jean l'Evangélifte, fituée j dans 1'Hebdome. Elle étoit en ruine, j & réduite è n'être plus qu'une vafte 1 étable, oü les payfans des environs F ij Baudouin II. Jean Lascaris Michel Palèologue.An. 1260. LTI. On dé:ouvrees os de iafileBul;aro£Ioie. 7jchym. I, •■• C, 21.  BaudouinII. Jean Lascaris Michel Palèologue.An. 12.Ó0. I24 HlSTQIRE retiroient leurs troupeaux. Tandis que les foldats confidéroient avec admiration les reftes encore magnifiques de ce grand édifice, ils appercurent, dans un coin , un fquelette debout, dont les os, bien confervés, étoient réunis enfemble. Les patres, par un badinage groflier, lui avoient mis entre les machoires une fliïte de berger. Une infcription que ces patres ne favoient pas lire, gravée a coté fur le mur, faifoit connoïtre que la étoit le tombeau de 1'Empereur Bafile Bulgaroöone. Palèologue en étant averti, fit couvrir le fquelette d'une robe de foie brodée d'or : on 1'enferma dans un cercueil de bois précieux, & on le tranfporta en grande cérémonie, au camp devant Galata. L'Empereur en donna la garde k fon frere le Sébaftocrator. Lorfqu'il décampa, il le fit tranfporter avec lui a Sélymbrie, oü il fut inhumé dans le monaftere de Saint-Sauveur. II s'étoit fait quelque mouvement du cöté d'Andrinople : il ne fallut, pour 1'appaifer, que la proximité de 1'armée impériale. Le Patriarche Nicéphore, qui avoit  nu Bas-Empirb. Liv. XCIX. 125 efpéfé partager avec 1'Empereur la conquête de Confiantinople , retourna avec lui en Afie. Après avoir nommé des Evêques pour remplir les fieges de Theflalonique & de Sardes, vacants par le fchifme dont il étoit Poccafion , il fit apporter d'Ephefe les richeffes qu'il y avoit laiffées jufqu'alors. II fe préparoit a en jouir, lorfqu'il fut attaqué d'une maladie, qui 1'emporta en peu de jours. Un pieux Eccléfiaftique, commis par 1'Empereur a la garde des biens du Patriarche mourant, 1'exhortoit a fe reyêtir de 1'habit monaftique, comme il étoit d'ufage en ce temps-la. Nicéphore , ambitieux jufqu'au dernier foupir, le refufa, & voulut mourir Patriarche. II n'avoit pas fiégé un an, & n'étoit regardé que comme un intrus, par une grande partie de 1'Eglife Grecque. Palèologue gouvernoit avec intelligence, afiifté , dans les affaires , par les fages confeils de ïes aeux iceurs, plus agees que lui, qui lui tenoient lieu de Miniftres Marthe, 1'ainée, qui avoit été fi cruel jement traitee par Je défunt Empe reur, 1'avoit élevé dans fa maifon F iij Bau- DOUlNlI. Jean Lascaris Michel Palèologue. An. ii6o. LVII. L'Empereur de retour en A.fie. Fackym. I. 2. C. 22 ,  12.6 HlSTQIRB &C avoit eu pour lui les fentiments BaudouinII, Jean Lascaris Michel Palèologue.An. 1260, LVIH. Le Sultat d'Icöne f< retire a 1; Cour de Palèologue. Pachym /.i,».*4 d'une mere tendre. L'autre fceur, nommée Eulogie, avoit partagé les mêmes foins. Elle racontoit que Palèologue , étant encore au berceau , & bien loin de 1'efpérance du tröne, elle ne pouvoit appaifer fes cris enfantins, qu'en lui chantantune chanfon qu'elle avoit faite, oü elle difbit : Tais-toi, mon enfant; tu feras Empereur; tu entreras dans Confiantinople par la porte dorée, & tu feras de grandes chofes. II s'endormoit alors tranquillement. Ces Princeffes étoient le canal des graces ; 1'Empereur ne refufoit rien a leur requête. Mais elles n'étoient pas moins ambitieufes que leur frere , & elles le prefToient fans cefle de dépouiller le jeune Lafcaris de la pourpre impériale, que Palèologue lui avoit lahTée pour amufer fon enfance. Sur la fin de cette année , on vit arriver a Nymphée, le Sultan d'Icöne, qui venoit fe jetter entre les bras de Palèologue. Voici quelle en fut 1'occafion. A la nouvelle de 1'irrup, tion des Tartares, Vatace avoit tra1 vaillé a mettre en füreté fes fron-  su Bas-Empire. Liv. XCIX. 127 tieres, du cöté de 1'Orient, par toutes les précautions d'une fage prévoyance. Son fils,ThéodoreLafcaris, avoit réufli, par la rufe, k éloigner ces barbares. II avoit fait conduire leurs AmbalTadeurs dans fes Etats, par des chemins impraticables, & s'étoit montré k leurs yeux dans 1'appareil le plus impofant; enforte qu'ils étoient partis avec la perfuafion que 1'Empire Grec étoit inacceflible, & la nation invincible. Cette illufion ne pouvoit durer long-temps : mais les Tartares étoient occupés k faire la guerre contre le Calife de Bagdad. Ayant enfin détruit eet ancien & puiflant Empire, ils tomberent fur les Turcs Seljoucides, & s'emparerent de leurs Etats. Le Sultan d'Icöne, devenu leur efclave, voulut s'afFranchir de la dure tyrannie de ce peuple féroce. II prit le parti de s'enfuir, & d'aller implorer les fecours de 1'Empereur Grec. Plufieurs de fes fujets, & même de fes principaux Seigneurs , avoient déja pris la même route. Ils avoient trouvé auprès de Palèologue un afyle, quelques-uns même des emplois & des dignités. Le Sultan, lié d'amiF iv Bau- DOUINll. Jean Lascaris Michel Palèologue.An. 1260. Greg.l. 4, c. 1. De Guign.es , hifi. des Huns , /. II.  Bau- DOUIN II. Jean Lascaris Michel Palèologue. An. 13.60. 428 HlSTOIRE tié depuis long-temps avec ce Prince , ayant raffemblé tout ce qu'il avoit de tréfors, partit d'Icöne avec toute fa familie, & fe rendit a Nymphée , oü 1'Empereur étoit alors. II en rectit Paccueil le plus honorable. Palèologue s'emprelTa de le confoler ; il lui promit d'employer toutes fes forces pour le rétablir fur le tröne, lorfque les conjonctures feroient favorables. II le traitoit comme fon égal; il lui donna une garde pareille a la fienne; illui fitporter les ornements impériaux. Le Sultan, qui n'avoit pas oublié les bienfaits dont il avoit comhlé Palèologue dans fa difgrace, fe perfuadoit aifément que toutes ces démonftrations étoient finceres , 6c que c'étoit un effet naturel de reconnoiffance. Mais ce Turc connoiffoitpeules hommes, & moins encore les Princes. Pendant qu'il s'endormoit entre les carelTes de Palèologue, celui-ci traitoit fecretement avec les Tartares, qui demandoient de lui qu'il retint le Sultan toute fa vie, afin de leur laifler la jouiflance tranquille de tes Etats d'Icöne. Pour s'affurer de la perfonne du Sultan, & lui  du Bas-Empire. Liv. XC1X. 129 öter la tentation qu'il pourroit avoir de s'échapper de fes mains, il fit tranfporter a Nicée fes femmes & fes enfants, comme dans le lieu le plus fur. Le Sultan lui en fut gré, & ne s'appercut nullement que c'étoient des ótages, & des chaines non moins fortes que celles qu'il avoit rompues en s eloignant des Tartares. II étoit ébloui des honneurs que lui faifoit rendre Palèologue , qu'il accompagnoit dans tous fes voyages. Pendant ce temps-la , les Tartares prenoient racine dans fes Etats. On peut faire ici a Palèologue un doublé reproche. Une fage politique eut exigé , fans doute, qu'il eut défendu le Sultan d'Icöne, voifin bien moins dangereux que les Tartares : ou s'il étoit hors d'état de le maintenir, la bonne foi demandoit-qu'il ne 1'amufat pas par des promeffes, tandis qu'il s'accordoit avec fes ennemis. Mais 1'Empire Grec étoit alors trop foible pour arrêterdans fon cours, & attirer fur lui-même un torrent impétueux , qui renverfoit toutes les digues qu'on ofoit lui oppofer ; & quant a la bonne foi, ce n'efi, dans la politique vulgaire, F v BaudouinII. Jean Lascaris Michel Paiéo- tOGUE. An. 126a.  BaudouinII. Jean Lascaris JMichel Palèologue.An. 1261. LIX. Alliance de Palèologue avec les Génois. SabeU.dcc. I. /. 10. Daniul. ; chr. Sancli An~ Jeu», chron. 1 B\ovïus. \ va établir fa demeure dans cette ville » voluptueufe: il y fera fuivi de nos » gucrriers, accoutumés depuis tant >> d'années k combattre les Turcs, » que les divifions des^Princes Chré>♦ tiens ont laiffé venir jufqu'ici; ils » vont vivre a la Cour & s'y amol» liront : les Turcs defcendront de » leurs montagnes; ils pafferont en » Europe, & s'empareront de Conf'm tantinople & de tout 1'Empire. Mal» heureux fort des Empires humains! » Tous les biens viennent des cam» pagnes; ils portent d'abord la fplen» deur dans la capitale; mais ils s'y » corrompent , & ne renvoyoient » que des vices §L des maux". La  du Bas-Empire. Liv. C. 149 fuite fera connoïtre s'il fut faux nro- phete, ou li la mort, commencant d'entr'ouvrir a notre ame les portes de la prifon corporelle, ne lui lailTe pas déja appercevoir quelque aurore du grand jour de 1'avenir. Quel que fut l'emprelTement de Michel pour rentrer en poffeffion de la capitale de 1'Empire, il ne voulut fe montrer a fes nouveaux fujets, qu'avec eet éclat refpeftabte qu'ajoute a la majeflé humaine 1'appareil de la Religion. II pafTa 1'Hellefpont, accompagné de fa femme, de fon fils en- ' core enfant, & de tous les Seigneurs de fa Cour. Faifant grande diligence, ilarriva, le quatorzieme d'Aoüt, a la vue de Confiantinople, & s'arrêta au monaflere de St. Cöme Sc de St. Damien, pour donner les ordres néceffaires. II fit apporter du monaflere de Pantocrator, cette image célebre de la Ste. Vierge, furnommée la Conduftrice, qu'on difoit peinte par St. Luc. II vouloit que la Ste. Vierge, patronne & gardienne de Confiantinople , parut lui ouvrir elle-même les portes de la ville. Comme il n'y avoit point de Patriarche, GeorG iij Jean Lascaris Michei; Palèologue. An. 1261,' II. Entree de Michel dansConf tantinople. Pachym. li t. e, 31. Greg. I. 4; ■. 1. Acrop. c,' 38. Du Cange, uft.l.^.c. |0.  Jean Lascaris Michel Palèologue.An, 1261, I5"0 HlSTOIRE ge, Archevêque de Cyzique, fut chargé d'en faire les fonftions. Tout étant préparé pour cette pompe folemnelle, le quinzieme d'Aoüt, jour de 1'Affomption, on marcha vers la Porte Dorée,fermée depuis long-temps.Elle s'ouvrit, & 1'Archevêque, revêtu de fes habits pontificaux, portant entre fes mains Pimage facrée, monta fur une des tours de la porte, & prononca a haute voix une formule d'actions de grace , a laquelle 1'Empereur & tout fon cortege, k genoux & profternés , répondirent par un pieux concert. S'étant enfuite relevés, ils fe mirent en marche k pied, d'un pas lent, tête nue, malgré 1'ardeur du foleil, qui fembloit vouloir éclairer cette entrée de fes rayons les plus briljants. C'eft ainfi que 1'Empereur, fans aucun ornement de la majefté impériale , entra dans fa conquête, comme dans un temple, au milieu d'une foule de peuple, que la dévotion du Prince tenoit dans un religieux filence, plus augufte que toutes les acclamations. Le palais le plus proche étoit celui deBlaquernes: mais, ace que difent les Grecs, la mal-pro-  nu Bas-Empire. Liv. C. 151 preté & la gourmandife des Latins, qui faifoient des cuiiines de tous les appartements, en avoient enfumé les plafonds & les murailles, Sc fouillé tous les meubles. D'ailleurs, le grand palais, fitué vers le Bofphore, paroilToit une demeure plus fure, dans une ville récemment foumife. En paffant par le monaftere de Stude, 1'Empereur y dépofa Pimage de la Ste. Vierge, & alors , montant a cheval, il fe rendit k 1'Eglife de Sainte-Sophie, oü ayant rendu graces k Dieu, il alla prendre fon logement dans le palais. Les anciens Grecs, triomphant de joie de fe voir rendus k leurs maitres naturels, ne donnoient aucun foupcon de leur fidélité. Les Latins même qui voyoient reluire dans Michel tout 1'éclat de la majefté impériale , fort obfcurcie dans Baudouin , paroiffoient difpofés k obéir k leur nouveau Souverain. Le jour fe paffa en réjouilTances , & la nuit fuivante, le repos du Prince fut afïïiré par une garde nombreufe. Si Pon en croit les Grecs, Michel trouva Confiantinople dans 1'état de délabrement oü un parti ennemi laifG iv Jean Lascabis Michel Palèologue.in. 1261. III. , Répara- dons de la ville.  Jean Lascaris Michel Palèologue.An. 1261, Pachym. 1. 1. c, 32 , 33 , 35Creg. I. 4, e, 2. Phran\a , l.T.c. 5. Si^ar. dt iell.Venet. 1-4. Poglieta , hifi. Gen, l. 4- 152 H I S T 0 I R E feroit un palais, qu'il auroit pris de force, & occupé quelques jours. Nonfeulement le nouvel incendie avoit détruit quantité d'édifices; mais les Latins, loin de rétablir ce que tant d'embrafements avoient dévoré, lorfqu'ils s'étoient rendus maitres de la ville, y avoient encore ajouté de nouvellesruines, en abattant ca & la,felon leur caprice, & en ne réparant rien de ce que Ie temps détruifoit, comme s'ils ne comptoient pas eux-mêmes conferver long-temps leur conquête ; en forte que le terrein étoit en grande partie couvert de cendres & de décombres : & il faut avouer que les embarras des deux premiers Empereurs Francois, toujours occupés de guerres périlleufes, & la négligence des deux derniers , rendent ce récit vraifemblable. Le premier foin de Michel , fut donc de nettoyer la ville, & de la faire fortir de fes ruines. II invita les families des anciens habitants, difperfées dans 1'Empire, a revenir dans leur patrie. II remit les enfants en poffeflion des maifons qui avoient appartenu a leurs peres, fi elles fubfiftoient encore : quant a cel-  du Éas-Empire. Liv. C. 15 les qui étoient détruites, il leur affigna des terreins pour y batir, &c les aida de fes propres deniers , a la charge d'une médiocre redevance. II accrut la population, en appellant ces Grecs volontaires répandus aux environs, & leur diftribua des habitations & des terres fertiles, en récompenfe du zele qu'ils avoient confervé pour leurs maitres légitimes. II rendit les terres d'alentour a ceux qui repréfentoient le titre de leur ancienne poiTeliion. II relevaa fes dépens les Eglifes, répara les brêches des murs, & les tours ruinées en plufieurs endroits. Les monafteres de Fintérieuf de Confiantinople fe trouvoient réduits a une grande pauvreté; leurs édifices, leurs métairies ayant été détruites , leurs arbres coupés, leurs terres tellement dévaflées, qu'elles ne pouvoient de long-temps être re mifes en valeur. II forma le deffein d'y réunir une partie de la menfe de tous les monafteres répandus en Oriënt, qui avoient confervé leurs richeffes , & dont plufieurs jouifloient d'un grand revenu. On ne dit pas fi ce projet fut exécuté. Perfuadé que les G v Jean Lascaris Michel Palèologue.An. ii6r<  Jean Lascaris Michel Palèologue.An, 1261. IV. Conduite deMichel k l'égard des nationscommercantes,ttablies a Confiantinople. 154 HlSTOlRE Latins ne tarderoient pas a faire de nouveaux efforts pour recouvrer ce qu'ils avoient perdu, & qu'ils mettroient en mouvement toutes leurs forces de mer, il travailla en diligence a conftruire une flotte. Une multitude de Grecs fans fortune, qui accouroient de toutes parts , lui fournit des matelots & des rameurs : il les clafTa, & les fit inftruire & exercer aux manoeuvres. Par ces préparatifs, il efpéroit, non-feulement fe mettre en état de défenfe contre les Latins ; mais même leur faire perdre 1'envie de venir 1'attaquer, en leur montrant qu'il avoit affez de forces pour repoufler leurs efforts. Trois nations commercantes étoient établies a Confiantinople , les Vénitiens, les Génois, les Pifans. Elles y avoient leurs comptoirs, & un grand nombre de facteurs & de négociants. C'étoient comme trois peuples féparés , & fouvent en querelle. Ils vivoient chacun fuivant leurs loix, avoient un tribunal & des Magiftrats, a Ja tête defquels fiégeoit un Juge fouverain , nommé Baile chez les Vénitiens, Podeftat chez les Génois,  du êas-Empire. Liv. C. 155 Conful chez les Pifans. Quoique Latins de naiffance, ils n'avoient pris aucune part dans la derniere révolution. Ils fembloient être détachés des intéréts politiques de leur république, & ne s'occuper que de leur commerce. A 1'abri de cette neutralité, ils avoient cru pouvoir demeurer tranquilles : mais Michel ne 1'étoit pas a leur égard. II fentoit ce que pouvoit produire 1'efprit patriotique, s'il étoit réveillé par le bruit des armes. II réfolut, non pas de chaffer ces trois nations ; elles contribuoient trop k la population, & même k la fplendeur de Confiantinople ; mais de les mettre hors d'état de nuire. Comme elles étoient mutuellement jaloufes, il les affembla féparément, les flatta de fa proteóïion, & de la promeffe de leur procurer de grands avantages. II leur déclara, que loin de rien déroger a leurs loix & a leur difcipline , qu'ils fuivroient toujours en liberté , il les maintiendroit dans leurs privileges & leurs franchifes, k l'égard de leur navigation & de leur commerce. Les Génois étoient en plus grand nombre; & malgré le G vj Jean Lascaris Michel Palèologue. An, 1261.  Jean Lascaris Michel Palèologue.An. 1261. HlSTOIRS traité fait avec eux , avant la prife de Confiantinople, Michel ne comptoit pas trop fur leur bonne foi. Leur fierté naturelle, & Pantipathie des Grecs, faifoient naitre de fréquentes querelles. Leur inimitié contre les Vénitiens étoit encore capable de caufer de grands troubles; & Pon venoit d'en faire Pépreuve. Les Empereurs Frangois avoient donné pour logement, au Baile des Vénitiens, un palais dans Peneeinte du monaftere de Pantocrator. Après Pexpulfion des Frangois , les Génois fe croyant tout permis , par leur alliance avec Michel , attaquerent ce palais avec furie, le ruinerent de fond en comble; & par repréfailles de ce qu'avoientfait les Vénitiens j après avoir détruit la tour des Génois, a SaintJean d'Acre, ils ehargerent un vaiffeau de démolitions du palais, & les firent porter a Genes, comme un trophée digne de leur haine, & du caprice barbare de ces temps-la. Michel, pour épargner k la ville le fpectacle de ces fanglantes divilions , prit le parti d'en faire fortir les Génois. U les transféra d'abord k Héraclée,  nv Bas-Empire. Liv. C. 157 port célebre fur Ia Propontide, en- ! viron k dix-huit lieues : mais bientöt après, pour veiller de plus prés fur leurs mouvements, il les fit revenir aux fauxbourg de Galata ou Péra , dont il détruifit les fortifïcations, afin qu'ils ne puffent s'y maintenir, en cas de rébellion. II ne leur fut plus permis d'habiter dans la ville. Les Vénitiens & les Pifans , dont on avoit moins k craindre, paree qu'ils étoient en plus petit nombre, eurent permifïïon d'y loger; mais dans des quartiers féparés , oü ils jouiffoient de leurs biens & de leurs privileges, fans être confondus ni enfemble, ni avec les Grecs. Depuis ce temps-la, les Vénitiens ont toujours demeuré a Confiantinople, fous 1'autorité de leur Baile, Ils n'en font pas même fortis pendant les guerres entre leur République & les Grecs. Ils eurent, par-deffus les Génois & les Pifans , 1'exemption des devoirs de vaflaux & de fujets. Leur Baile ne fut pas obligé de fléchir le genou devant 1'Empereur, finön lorfqu'il venoit le faluer pour la première fois, non plus que de lui baifer les mains & les pieds. Jean Lascaris Michel Palèologue.\.n. ii6i.  Jean Lascaris Michel Palèologue. An. 1261. V. Le Patriarche Arfene rétabli. Pachym. I. 2. C. 34. /. 3- c. 1 , 2. Greg. I. 4. (. 2. Acrop. c. 84 , 88. Teftamentum Arfe»ii apud Cotclcrium. Fleury , hifi. eccléf. I. Sj. art. 11. I58 HlSTQIRE ^ Pendant que Michel travailloit a rendre a Confiantinople fon ancien luflre, il s'occupoit encore d'un autre ouvrage, qui n'étoit pas moins difficile , quoiqu'il demandat moins de temps & de travaux. II s'agiffoit de remplir, a fon gré, la chaire patriarchale, vacante depuis la mort de Nicéphore. Tornice le Sébaflocrator le preffoit depuis long - temps, de rendre cette dignité k Arfene, dont il faifoit de grands éloges, jufqu'a lui attribuer des miracles. L'Empereur affembla les Evêques, qui étoient venus de toutes parts, pour afïifter a fon entrée. Ils fe trouverent divifés de fentiments. Les uns prétendoient qu'il falloit rappeller Arfene, dépofé fans avoir été condamné, ni même accufé : les autres foutenoient, au contraire, que la défertion de fon troupeau, & le refus opiniatre de revenir , malgré lés prieres du Synode , valoient bien une dépofition canonique. Michel, dont 1'objet principal étoit de refter feul Empereur , n'étoit pas moins partagé luimême que le Synode. D'un cöté, il confidéroit qu'il lui feroit avan-  du Bas-Empire. Liv. C. 159 tageux, de donner k une entreprife fi injufte, quelque couleur de juftice, par 1'approbation d'un Patriarche de grande autorité, dont le fuf1 frage pouvoit légitimer aux yeux du peuple les acfions les moins légitimes; de 1'autre, il craignoit de troui ver dans Arfene , Patriarche, une 1 oppolition invincible, qui fouleve: roit contre lui tout 1'Empire, & fe: roit échouer fon projet, en le per; dant peut-être lui-même avec toute 1 fa familie. Après une longue délibéIration, il réfolut de rappeller Arfene. Plufieurs raifons le détermine: rent k prendre ce parti. II efpéroit 1 que ce Prélat, ayant déja confenti a le couronner feul, fe laifleroit tromper encore une fois, d'autant plus aifément, que la couronne paroiffoit être due de préférence k celui qui avoit feul repris Confiantinople; & qu'après avoir fait ce premier pas, il n'apporteroit dans le refte aucun obftacle. II n'ignoroit pas d'ailleurs, qu'Arfene s'ennuyoit de fon exil, quoique volontaire ; qu'il verroit avec peine un autre que lui fur le fiege de la capitale de 1'Empire, & Jean Lascaris Michel Palèologue.An. 1261,  Jean Lascaris Michel Palèologue.ka. 12,61. ifo H I ,S T 0 I R 2 qu'il ne fe priveroit pas volontiers k jamais de la douce efpérance de revoir fa patrie. De plus, il penfoit que fi Arfene , invité au retour, s'obftinoit k refufer, le mécontentement public fe tourneroit contre lui, & qu'il partageroit le blame de tout ce qui arriveroit dans la fuite, contre le gré du peuple. II fe rendit donc au Synode, & fe déclarapour les Evêques qui opinoient en faveur d'Arfene. La voix de 1'Empereur entraina toutes les autres. Pour diffiper tous les nuages, on convint que le palTé feroit oublié; qu'on ne feroit un crime k perfonne , d'avoir contribué k la dépolition d'Arfene, ni a Péle&ion de Nicéphore, & que les Prélats & les Prêtres, ordonnés par Nicéphore, feroient confervés dans leur état. Le Synode envoya aufli-töt des députés a Arfene, pour 1'inviter a revenir. Ce Prélat, fiérement modeffe, trouva d'abord mauvais qu'on lui adreffat une invitation fans excufe : il fe laiffa néanmoins adoucir, par les humbles prieres des députés, & fe tranfporta dans le voifinage de Confiantinople, vers  sv Bas-Empire. Liv. C. 161 k fin du mois d'Aoüt, pour traiter, de plus prés, des conditions du rétabüflement. II y regut de nouveaux députés, tant de la part de 1'Empereur que du Synode; & il paroit qu'il y eut alors quelque conteftation. Arfene refufoit de reconnoïtre 1'éleöion de Nicéphore, & les ordinations qu'il avoit faites, apportant pour raifon, que ce feroit fe condamner lui - même, & avouer qu'il avoit été canoniquement dépofé. On ne fait pas avec certitude cornment fe termina cette difpute. En comparant le récit de 1'Hiftorien, qui donne le détail de cette affaire, avec le tefiament d'Arfene, il paroit que le Synode abandonna la mémoire de Nicéphore, & qu'Arfene fe relacha fur la valeur des ordinations, a condition cependant que les Eccléfiaftiques ordonnés par eet intrus, ne rafiifteroient pas dans la célébration du faint facrifice. Tout étant convenu, 1'Empereur, accompagné du Synode, de toute fa Cour, & d'un grand cortege de peuple , conduifit le Patriarche a Sainte-Sophie. Lk , Ie prenant par la main : Voila votre ahai- Jean Lascaris Michel Palèologue. An. ilói,  Jean Lascaris Michel Palèologue.An. 1261. VI. Triom- phe de Stratégopule. Gng. 1. 4. c. 1. Phran-^a , l. t. c. 5. Vu Congé, hifi.). 5 , c. 50. 162 HlSTOIRB re, Seigneur, lui dit-il, dont vous vous êtes privé depuis trop long-temps ; jouiffe^-en pour le falut des peuples confiés d votre vigilance. II le remit en mêmetemps en poffeflion des biens du patriarchat. II fit réparer & rétablir, dans le premier état, 1'Eglife de SainteSophie, dont les Latins avoient enlevé plufieurs ornements: il pourvut a la fubfiftance des Miniftres, & a la décence du culte divin. Michel, occupé de tant de foins, fe reprochoit d'avoir différé jufqu'alors les honneurs que méritoit Stratégopule. Un exploit fi important & fi promptement exécuté, valoit plufieurs viftoires. Une feule nuit avoit rendu aux Grecs, fans effufion de fang, la capitale de leur Empire, dont ils auroient volontiers racheté la poffeffion par les travaux & les dangers d'un long fiege. II n'étoit point de récompenfes égales a un tel fervice. L'Empereur en imagina de nouvelles. II lui décerna les honneurs réfervés jufqu'alors aux Souverains. Stratégopule, revêtu des ornements de Céfar, dont il portoit déjale titre, traverfa toute la ville, fur un char  du Bas-Empire. Liv. C. 165 brillant, au milieu des applaudiffements les plus flatteurs. Sa tête étoit ornée d'une couronne de pierreries, I femblable a celle de 1'Empereur : il 1 eut permiffion de la porter toute fa vie. II fut ordonné, que, pendant 1'efpace d'une année , dans toutes les expéditions, les acclamations, les : prieres publiques , fon nom feroit joint a celui des Empereurs. Tandis qu'il accordoit k un fujet : eet honneur paflager, qui ne piquoit : pas fa jaloufie, il employoit toutes '< fortes d'artifices pour écarter du ; tröne le légitime Souverain. Sa fceur i Eulogie ne ceffoit d'aiguillonner fon ambition. La vue de fon fils Andronic, qui étoit dans fa quatrieme année , attendriffoit fon cceur : il 1 plaignoit le fort futur de eet enfant, < qui feroit fujet, & peut-être victime i de Lafcaris, fi fon pere , enchainé 1 par un fcrupule vulgaire, fe piquoit d'être fidele k fes ferments. Sa diffimulation ne le couvroit pas tout entier; des yeux clairvoyants pénétroient fes deffeins. On s'apperceyoit qu'il s'étudioit a déprimer le jeune Prince. II ne 1'avoit pas fait Jean Lascaris Michel Palèologue.An. 1261. VIL Second couronnementde Michel. Pachym, l. a,c 35- /. 3. C. 2. & ibi Poffin. obferv. P"g- 5'3-  Iclj. HlSTOlRE entrer avec lui dans Confiantinople ; Jean Lascaris Michel Palèologue. An, 1261. il le tenoit éloigné, & avoit même difgracié , fans caufe, des courtifans, qui n'avoient d'autre crime, que de donner librement, a Lafcaris, le nora d'Empereur. Un ambitieux plus timide , fe voyant démafqué, auroit rallenti fa marche. Michel la hata d'avantage ; il crut devoir prévenir les obftacles qui ne commencoient qu'a. naïtre, & faire taire les foupcons, en confommant hardiment le crime. II commenca par fe faire couronner Empereur une feconde fois, fous prétexte que le recouvrement de Conftantinople étoit une renaiffance de 1'Empire. La fimplicité d'Arfene fut encore trompée , comme Palèologue 1'avoit efpéré. Ebloui par 1'éclat de fon rétabliffement, & par les déférences de Palèologue, le Prélat fe laiffa perfuader que ce nouveau couronnement n'étoit qu'une cérémonie, qui ne bleffoit en aucune forte les droits de fon pupille; que ce n'étoit qu'une récompenfe, telle que celle dont on venoit d'honorer Stratégopule. II ne fit donc aucune difficvilté de couronner une feconde fois Pa-  £>c/ Bas-Empire. Liv. C. 165 ïéologue, dans 1'Eglife de Sainte-Sophie; & cette fois encore, il ne fut fait nulle mention du jeune Empereur. Les deffeins de Palèologue, condüks avec tant de patience & de rufe, approchoient de la maturité. II avoit abaiffé, & prefque anéanti Lafcaris. Ce Prince , qui n'étoit encore que dans fa neuvieme année , entretenu, par fes Gouverneurs, dans une enfance perpétuelle , ne fe connoiffant pas lui-même, également incapable de crainte & de defir, ne s'oc- ' cupoit que des amufements de fon age. Mais dans Pefprit de Palèologue, c'étoit une étincelle, qui pourroit caufer dans la fuite un grand embrafement. II écarta d'abord tous les appuis que eet enfant pouvoit trouver dans fa familie. De cinq fceurs qui le précédoient en age, deux étoient déja placées dans des Cours étrangeres. II choifit pour les trois autres, des Seigneurs d'une noblelTe diftinguée ; mais trop foibles pour lui faire craindre leur vengeance. Ce fut alors que Théodora fut donnée en mariage a Mathieu de Vallaincourt; & Eu- Jean . l.ascahis Michel Palèologue. An. 1261. VIII. [1 fait ere* yer les yeux a 'ean Laf- :aris. Pachym, '. 3. c 6, 10, ii. Grtg. I, 4. . 4. Phranyi , . 1 5-  Jean Lascari Michel Palèologue.An. 1161 166 HlSTOIRE docie au Comte de Vintimille, com. me je 1'ai déja rapporté. La derniere,dont le nom ell ignoré, fut mariée a un Seigneur Bulgare, nommé Vinceilas, maitre de quelques chateaux fur le mont Hémus. Après avoir ainfi dépouillé le jeune Prince de toutes fes reffources, il attaqua fa perfonne;& par une perfidie facrilege, contre la foi jurée a Théodore mourant, contre les ferments tant de fois répétés aux pieds des autels, n'ofant lui öter la vie, il envoya ordre de le priver de 1'ufage de la vue. Les miniftres de cette barbarie crurent faire grace k eet enfant infortuné, de ne lui pas percer les yeux avec une pointe de fer rouge, mais de lui deffécher & brüler les membranes, par le moyen d'une lame ardente. Cette exécution inhumaine fut faite le propre jour de Noel. Dans eet état déplorable, Lafcaris fut tranfporté , fous bonne garde, au chateau de Dacybize, oü il ne lui refta de toute fa fortune que les aliments néceffaires k la vie. Ce crime étoit le dernier terme oü avoit tendu, par une marche infenfible, de degré en  du Bas-Empire. Liv. C. 167 degré, un ufiirpateur hypocrite, qui, ne facrifiant qu'a 1'ambition, vouloit paffer pour religieux. Un traitement fi cruel réveilla dans lout 1'Empire les fentiments de tendreflè pour le jeune Prince , qu'on avoit prefque oublié. Toute la-Cour en fut confternée. Chacun gémiflbit, mais en fecret. Des délateurs perfides recueilloient les foupirs & les larmes des ames fenfibles, Sc les rendoient a Palèologue, qui punifibit comme des crimes de leze-majefté, toutes les marqués de compafiion échappées en faveur de Lafcaris. Les uns furent difgraciés & privés d'efpérance de parvenir jamais è aucune charge; d'autres, fous divers prétex1 tes, furent punis d'exil ou de prifon. < Le plus maltraité de tous, fut celui ! qui le méritoit le moins. Holobole, i plusagé que le jeune Prince, 1'avoit 1 amufé dans fon enfance : il vivoit idans le palais, oü il faifoit fes étui des, fous les maitres de la jeune nobleflê attachée au fervice de 1'Empereur. II étoit déja en réputation par fes talents. L'Empereur apprit qu'il fe diftinguoit de tous les autres par Jean Lascaris Michel Palèologue. An. 1262, IX. Mécon- tente- ments & purii- ions. Pachym, . 3- c. ii.  Michel Palèologue.An. 1262. X. Arfene excomrnunie1'Empeïeur.Pachym. I 3. c. 14. Gng. L 4 c 4. Phtamfi , i. I.c 5. 168 HlSTOIRE 1'excès de fa douleur. Une fenfibilité fi raifonnable eut été digne de louanges & de bienveillance aux yeux d'un bon Prince, & pardonnable auprès d'un tyran. Michel en fut irrité : il fit couper le nez a Holobole; & ce jeune homme, ainfi défiguré, s'enfuit de la Cour, & s'alla refugier dans un monaftere, ou il trouva fa confolation dans la culture des lettres. Michel étoit naturellement doux; mais la paflïon féroce de 1'ambition le jettoit bien loin hors de fon caractere. Troublé par fes remords, il exercoit, fur ceux qui le blamoient, les punitions qu'il fentoit mériter luimême. La crainte retenoit 1'indignation publique; mais la douleur d'Arfene étoit trop violente, pour ne pas éclater. II chériflbit tendrement fon pupille : trompé par les artifices de Palèologue , il avoit cru ménager les intéréts de eet enfant, lors même qu'il fembloit les abandonner. A la nouvelle d'un traitement fi atroce, frappé de ce coup de foudre, il refta quelque temps immobile, & ne revint a lui que pour s'abandonner au plus vif  du Bas-Empire. Liv. C. 169 vif défefpoir. La compaffion & la cotere, foulevant a la fois toutes les puiffances de fon ame, il pleuroit, il rugiffoit comme un lion; & fe frappant la poitrine, s'arrachant les cheveux, il s'accufoit lui-même d'avoir, par une aveugle condefcendance aux volontés d'un tyran, creufé 1'abyme fous. les pieds de fon maitre. Ses premiers tranfports étant appaifés, il s'occupa de la vengeance. II manda les Evêques qui étoient k Confiantinople : il leur rappella le ferment qu'ils avoient fait avec tout 1'Empire , de s'élever de toutes leurs forces contre celui des deux Empereurs qui formeroit quelque entreprife contre fon collegue. » Ce feroit, dit-il, » le devoir des Princes, des Sei» gneurs, des Magiftrats, du peuple » entier, d'armer leurs bras, pour » tirer vengeance d'un forfait fi dé» teftable. Pour nous, miniftres des h autels, nous n'avons d'autres armes » que celles de la Religion : c'eft ici » le temps de les mettre en ufage. v> Nous nous rendrions coupables » nous-mêmes aux yeux de Dieu , de » 1'Empire & de la poftérité, fi nous Tornt XXIL H Michel Palèologue.An. 1162,  Michel Palèologue.An. 1162. i?o HlSTOlRZ » ne donnions pas des marqués d'exé» cration. Empêchons les hommes de » blafphémer contre la juftice divi» ne, qui,par desjugementsimpéné» trables, differe fouvent a 1'autre vie » la punition des plus grands crimes ". Les Evêques témoignoient la même horreur que le Patriarche; mais la crainte d'attirer fur eux la colere de 1'Empereur les tenoit dans le tremblement & dans le filence. Alors Arfene, jettant un profond foupir : Puifque perfonne , dit-il, na le courage d'exécuter le ferment terrible par lequel il s'ef engagé, je vais feul mafranchir du parjure. Je vais lever fur la tête du coupable, le feul glaive que JefusChrijl via mis entre les mains, pour féparer le jufte de Vimpie. En mêmetemps, il prononca la fentence d'excommunication contre Michel. Cependant, malgré 1'indignation dont il étoit embrafé, il retrancha de la formule ordinaire les parolesqui excluoient le coupable de participation aux prieres des fideles. Cette inconféquence , affez ordinaire dans fa conduite, étoit encore un ménagement politique, pour ne paspouffer le Prin-  du Bas-Empihe. Liv. C. 171 ce aux dernieres extrémités. Michel lui fut gré de cette modération : il parut courber la tête , & fe foumettre a 1'anathême fans murmurer. II s'efforca feulement d'excufer un crime qu'il favoit bien être inexcufable , & manda au Patriarche , qu'après avoir donné des marqués fenlibles d'un fincere repentir, il efpéroit obtenir le pardon, & rentrer en grace auprès de Dieu & de 1'Eglife. Ce fut alors que Michel envoya , pour la première fois, des AmbalTadeurs au Pape. C'étoit Urbain IV, qui avoit fuccédé, 1'année précédenten Alexandre IV. Si Pon confidere i le caractere de Michel, il y a toute apparence que la politique avoit plus de part a cette démarche , qu'un defir fincere de fe réunir a 1'Eglife Romaine. Excommunié par le Patriarche, il vouloit lui faire craindre que la foumiffion au fiege de Rome ne lui : enlevat les prérogatives ufurpées de- : puis fi long-temps par fes prédéceffeurs. De plus, les grands préparatifs : qu'on faifoit alors en Occidentpour le rétablilTement de Baudouin , lui donnoient de Pinquiétude. II favoit Hij Michel Palèologue.An, 126 2. XL Michel envoye des Am- baffa- deurs au Pape. Pachym, 1, 2 , c. 36. , Phran^. I, 1. c. 6. Du Can- %t, lift. I, h <•• 34.  Michel Palèologue.An. 1262, I?2 ■ H I S T 0 I R E que Te Pape, capable cle mettre en mouvement tous les Princes de la Chrétienté , les follicitoit avec ardeur, & faifoit prêcher une croifade. II fit donc partir des députés, dont le fuccès eft bien différemment raconté par les divers Hiftoriens. Pachymere les nomme Nicéphorize & Alubarde, qui, ayant été, dit-il, Secretaires de Baudouin , s'étoient mis, après fon expulfion , au fervice de Palèologue. Auffi, a leur arrivée en Italië, furent-ils recus comme des traitres: Nicéphorize fut écorché vif; Alubarde n'échappa au même fupplice quepar une prompte fuite, Selon les autres Auteurs, ces députés étoient au nombre de trois; Muzalon , Alubarde & Abalante. Ils arriverent a Rome, &c préfenterent au Pape la lettre de leur maitre, qui offroit de s'en rapporter au jugement de Sa Sainteté & de 1'Eglife Romaine, au fujet de 1'Empire de Confiantinople. Le Pape, difpofé i\ entrer dans toutes les voies qui pourroient conduire a la réunion, recut ces députés avec honneur, &C répondit a Palèologue, qu'il lui enverroit inceffamment des Nonces,  du Bas-Empire. Liv. C. 173 pour terminer avec lui cette irriDor- tante affaire. De ces deux récits contradicïoires, celui de Pachymere , quoique d'ailleurs Hiflorien très-grave, me paroit le moins vraifemblable. S'ils font vrais tous les deux, il faut que ces différents Auteurs parient de deux diverfes ambafïades, qu'ils ont mal-a-propos rapportées au mêmetemps. La prife de Confiantinople avoit fufpendu Pexpédition de Stratégopule, envoyé pour combattre le Defpote d'Epire. II avoit trouvé en paffant, 1'occafion d'un exploit beaucoup plus important, & il en avoit habilement profité. Pendant que Palèologue s'occupoit a rétablir Confiantinople , & a donner a fon nouveau fiege de folides fondements, le Defpote, ennemi du repos, continuoit fes ravages. II réparoit fes pertes paffées; il prenoit des villes & dévaftoit des campagnes. Palèologue, irrité d'apprendre, que, tandis qu'il regagnoit la capitale de fon Empire, un Prince qu'il méprifoit en entamoit fi hardiment les frontieres, envoya contre lui Stratégopule, pour H iij Palèologue.An. iióï» XH. Stratégopule vaineu & pris par le lefpote i'Epire. Grcgor. 4. t. 3-  Michel Palèologue.Aa. 1262. X1H. Anne, ■yeuve de Vatace , élude les pourfuites amoureufes de Palèologue. Pachym. I. 3» *. 7. 174 H 1 S T 0 I R Z achever le premier deffein, avec fes troupes qu'il avoit déja raffemblées. C'étoit la deftinée de Stratégopule de vaincre tout autre ennemi, mais d'être vaincu par le Defpote d'Epire. Après plufieurs combats, oü les avantages furent balancés, il fut battu; & ce guerrier, a peine defcendu du char de triomphe, fe vit prifonnier pour la feconde fois. Le Defpote en fit préfent a fon gendre Mainfroi, Roi de Sicile, qui le demandoit pour retirer, par échange, des mains de Palèologue , fa fceur Anne, veuve de 1'Empereur Vatace. La beauté de cette Princeffe, qui n'avoit encore que trente-deux outrentetrois ans, blefla le cceur de Palèologue, tropfacile a fe laiffer embrafer. II mit en oeuvre tous les artifices de la féduction ; & craignant qu'elle n'échappat a fes pourfuites, en fe retirant auprès de fon frere Mainfroi, il la fit garder a vue, lui prodiguant d'ailleurs tous les honneurs & tous les agréments qui pouvoient 1'attacher au féjour de Confiantinople. La Princeffe, refpecfée de tout 1'Empire pour la pureté &z la dignité de fes mceurs.,  nu Bas-Empire. Liv. C. 175 étoit infenfible a toutes fes complaifances, a tous fes foupirs. Elle voyoit même avec indignation, qu'un homme qu'elle avoit compté au nombre de fes fujets, ofat attenter a 1'honneur d'une fille, d'une veuve d'Empereur. Incapable d'une honteufe foiblefle ; mais trop foible pour réfifter aux efforts que pourroit employer un amant puifiant 8c audacieux , elle fe mit k 1'abri de fes violences, en lui promettant de confentir a une union légitime , s'il pouvoit fe dégager des liens de fon mariage. Elle demandoit k deffein une condition qu'elle favoit bien ne pouvoir s'accomplir. Mais la paffion trouve tout pofiible. Palèologue , abufé par les confeils de 1'amour, fe tourmente k chercher des caufes de divorce. II n'en peut trouver ni dans la naiffance, ni dans la conduite, ni dans la ftérilité de 1'Impératrice. Enfin , il croit avoir un prétexte dans 1'intérêt de 1'Etat. Les Latins, furieux de la perte de Confiantinople, fe préparoient a la guerre; ils avoient une flotte, une armée redoutable. Le Roi Bulgare, animé par fa femme, enneH iv " Michel Palèologue.An. iz6i.  Michel Palèologue. An, n6a. i 1?6 NlSTèlRE mie irréconciliable de Palèologue; étoit prêt d'entrer en Thrace; tout 1'Occident alloit fondre fur 1'Empire; iï fuccomberoit infailliblement a tant d'ennemis, fi 1'on ne venoit pas a bout de les défunir. Le moyen de détacher de cette ligue le Roi de Sicile , puiffant fur terre & fur mer, & de le mettre dans le parti des Grecs, étoit de placer fa fceur fur le tróne. Telles étoient les raifons que 1'amour rendoit plaufibles a Palèologue ; mais il s'en falloit bien qu'elles le paruffent a rimpératrice Théodora. Avertie de ce malheureux deffein, elle yoyoit avec la douleur la plus amere, qu'après avoir donné fept enfants a fon mari, après avoir rempli tous les devoirs d'une époufe tendre & fidelle, innocente & irréprochable, elle alloit être traitéa comme une femme criminelle, & perdre a la fois fon spoux, fon tröne & fon honneur. Dans fon défefpoir, elle s'adreffe au Patriarche; elle le fupplie de lui éparjner une fi cruelle infamie, & d'em)loyer fon autorité a s'oppofer a ce arojet adultere, qui bleffoit égalenent les loix divines & humaines.  du Bas-Empire. Liv. C. 177 Le Patriarche, étonné d'une li icandaleufe entreprife, va trouver le Prince. II lui reproche 1'excès de fa fureur, qui lui attireroit le mépris & 1'horreur de toute la terre; il détruit aifément tous les prétextes dont fe couvroit fa paffion; il le menace de la vengeance divine. Palèologue , qui travailloit alors k calmer le Patriarche fur le traitem ent fait k Lafcaris , &c k Pengager k lever 1'excommunication, craignit de le rendre implacable. Honteux de voir fa paffion découverte, & défefpérantdu ïïiccès, tantöt frémilTant de dépit, tantöt gémiffant de douleur, il réfolut d'éloigner de fes yeux 1'objet dont il étoit trop épris. II confentit k 1'échange propofé par Mainfroi. Dans ces conjonöures, Anne lui fut renvoyée, Sc Stratégopule revint k Confiantinople. Pour fe mettre a couvert du reffentiment des Latins, il prit un parti plus fage que celui que fa paffion avoit imaginé. II fe mit en état d'une bonne défenfe par des levées de troupes, & par toutes les précautions qui pouvoient affurer Confiantinople. On reli v Michel Paiéologuh.An. 1262. An. 1163. XIV. Précautions de Michel :ontre les uraques les Latins,  3WlCH£l Paléo- lOGUE. An. 1263. Pachym, /. ' 3-<. 8)9.; < 1 1 < t 2 1 c r h p n t< & d fc m Si a Ie fir le; 178 H I S T O I R E haulTa de trois coudées les murs St les tours de la ville, fur-tout du cö:c de la mer, oii elles étoient plus aaffes. On fit de grands magafins de sivres , de fourrages , de provifions le toute efpeee. Onrenferma dans Pen:einte de la ville quantité de beeufs, ion -feulement pour la nourriture nais pour labourer & enfemencer, n cas de fiege, les places & les ndroits vacants. II étoit depuis peu rnvé a Confiantinople grand nomre d'habitants de Morée , & fur-tout e Laconie, gens robuftes & laboleux: il s'en fervit ppur les travaux u'il prèfibit avec ardeur, & pour 1 conftruftion d'une flotte. II y emloya pour foldats , ceux qu'on nomipit Gafmoules. 011 Bafmoules : c'é)it des enfants de peres Francois : de meres Grecques. On préten)it que ce mélange d'origine réunifit en eux 1'audace que les Grecs : pouvoient refufer aux Frangois, 1'intelligence qu'ils s'attribuoient eux-mêmes. Cette flotte remit Pa3logue en poffefiion des ifles voies. Exafl a la paye, & libéral dans récompenfes, il réveilla dans les  du Bas-Empire. Liv. C. 179 troupes Grecques une partie de eet ancien courage qui bravoit les plus grands dangers. Perfuadé que les bienfaits faifoient plus de conquêtes que les armes, il étendoit fa générofité j jufque fur fes ennemis. II y avoit en Italië plufieurs perfonnes puiffantes qu'il s'attachoit par fes largelTes, & | ces penfionnaires fecrets payoient fes libéralités par des avis importants. La cruauté exercée fur Lafcaris affligeoit tout 1'Empire. Le peuple des | villes & des campagnes voifines de ; la Cour, ames timides, contenues par Pintérêt particulier & par les Ma: giffrats , & qui ne reffentoient les inj juftices de la Cour, que pour en difi courir, fe contentoient d'en murmu1 rer. Mais les montagnards des envii ronsdeNicée, gensfimples & agref| tes, dont 1'ufage eft de crier, quand ! les autres gémiffent, & de ne défap| prouver qu'en frappant, fe révolte1 rent ouvertement. Ayant rencontréun 1 enfant de huit ou neuf ans, devenu J aveugle par maladie, ils voulurent } fe perfuader que c'étoit Lafcaris ; & ]! fans 1'interroger, fans 1'écouter, ils le ; tranfporterent fur leurs montagnes Hvj Michel Palèologue.An. 126J. XV. Révolte les montagnards. Pachym. '. 3. C, 12, '3-  I Michel Paléo- ! logue.. ] Ln. 1263, ] ] ] 1 i ( 1 ï e \ v é r p a e li v Ci c; d tl r, & P d fSb MlSTOTRS :riant que e etoit le fils de PEmpe■eur Theodore, celui qu'ils avoient uré de défendre au péril de leur vie» ls Phabillerent le mieux qu'ils puent, k la maniere des Empereurs, ui donnerent une garde, lui rendirent ous les refpeös dus au Souverain , ÏC lui promirent de le venger,fans [u'il fut ce qu'ils vouloient dire. Paéologue, apprenant ce foulevement izarre, en craignit les fuites. Cet xemple, s'il reftoit impuni, pouoit fe communiquer aux autres Proinces. D'ailleurs, ces montagnards toient le principal boulevard de Empire contre les Turcs, qu'ilsreoufloient fans celTe; ce qui les avoit ïjuerris. II fit donc marcher contre jx des troupes ralTemblées en digence. C'étoit une guerre toute nouelle , oü les attaques brufques de ;s payfans , fans ordre & fans difpline, mais robuftes & déterminés, éconcertoient les mouvements des oupes réglées. Sanscafque, fanscuiifle, armés de fleches, demaflues, : des infiruments d'agriculture, qui Duvoient donner la mort, s'étant >nné pour mot du guet: Faincrcou  du Bas-Emptre. Liv. C. 181 mourir, ils couroient en foule fe jetter fur Pennemi. Recus a coups de traits & de lances, voyant leurs camarades tomber a cöré d'eux, ils n'en devenoient que plus furieux. Forces enfin a prendre la fuite, ils fe fauvoient de grande vitefle dans leurs forts, fur leurs rochers ; & dela , faifant pleuvoir une grêle de fleches, qu'ils tiroient avec beaucoup d^'adreflë , ils tuoient grand nombre d'aflaillants. La plupart grimpant aux arbres, & cachés dans 1'épaifleur des feuillages, choififfoient ceux qu'ils vouloient abattre. On mit Ie feu aux forêfs; mais chaffés d'un bois , ils fe fauvoient dans un autre; ces lieux en étoient couverts. Ils avoient retiré leurs femmes & leurs enfants dans 1'enfoncement des montagnes les plus efcarpées, & avoient environné ce repaire d'une forte paliflade de pieux entrelaffés. Toujours alertes, toujours fur leurs gardes , tantöt ils defcendoient en grofie troupe, comme un torrent; tantöt divifés en petites bandes, .ils voloient de toutes parts; & connoiflant mieux les détours de ces montagnes, ils furprenoient, acca- MlCHEt Palèologue.In. 1263.  MlCHEt Palèologue.An. 1263. l8l H 1 S T 0 I R & bloient, précipitoient les Grecs. On reconnnt enfin qu'il feroit impofïible de les dompter par la force ; mais comme ils n'avoient point de chef général, on ne favoit a qui s'adreffer pour les ramener k la raifon. On fit couler parmi eux, quelques foldats , qui en connoiffoient quelquesuns, & qui s'adreffant a eux, comme a leurs amis, leur repréfentoient, qu'ils avoient lort de fe facrifier pour une idole qu'ils s'étoient fabriquée euxmêmes; que eet enfant aveugle n'étoit point Lafcaris ; que ce jeune Prince étoit dans la fortereffe de Dacybiqe, ou ils pouvoient l'aller voir, fans aucun rifque pour eux / qu'on leur donneroit toute fureté; qu'ils feroient témoins du bon traitement qu'on lui faifoit : que 1'Empereur n'étoit pas irrité contre eux ; mais qu'il avoit compaffion de leur mèprife , & qu'il étoit tres-difpofê d leur ,pardonner. A rimpreffion que faifoient ces fréquents entretiens, on joignit des préfents, qui acheverent d'en gagner un affez grand nombre. Les autres plus opiniatres , regardant ceux\k comme des traitres, fe féparerent,! réfolus de ne pas abandonner un en-  du Bas-Empire. Liv. C. 1S3 ; fant qu'ils avoient reconnu pour leur 1 maitre. Mais eet enfant lui-même les [ difpenfa de mourir pour lui : il s'enfuit chez les Turcs. Alors tous fe réunirent pour demander grace. Les principaux avoient déja fait leur traité en particulier. Les autres refterent a la merci des Commandants de 1'armée , qui les condamnerent a des 1 amendes exorbitantes, & leur vendirent la vie aux dépens de tout ce 'l qu'ils pofledoient. Ce qui empêcha de t les exterminer, fut le befoin qu'on 1 avoit d'eux, pour défendrecette fronI tiere. L'armée retourna a Conftanti!j ple, oii les Officiers rapporterent un j grand butin, & les foldats beaucoup Ide bleiTures. ^ II s'en falloit beaucoup que cette révolte étouffée mit Palèologue hors ide danger. Baudouin appelloit tous s les Princes a fon fecours, & faifoit gronder les foudres de Rome. Le Prin■ ce d'Achaïe, malgré les ferments qu'il avoit faits en fortant de prifon , recommencoit la guerre en Morée. Les Vénitiens couvroient PArchipel de ileurs vaifièaux, pour défendre & refeouvrer leurs ifles. Le Defpote d'E- MlCHEt, Palèologue.An. izC>}. xvr. Embarra» de Palèologue.  Michel Palèologue.An, 1263. XVII. Sa conduite a l'égard du Pape. Pachym, /. 3,c i8. Phran\a , /. 1. c. 6. Urhain IV, l. 1. ep, 129. B\ovius. Raynald. 184. HlSTOIRB pire, fouvent vaincu, jamais dompté, troubloit de nouveau, & mettoit en feu la Theffalie. Le Roi des Bulgares armoit toutes fes forces pour venger fon beau-frere Lafcaris; &, au milieu de tant d'ennemis, Arfene , tenant la tête de Palèologue courbée fous Panathême, vouloit armer contre lui le Ciel même. Pour faire face a tant d'attaques diverfes, il falloit une vue aulfi nette, une ame auffi ferme que celle de Palèologue; & ce n'elt pas un petit travail pour un Hiliorien , de démêler & de fuivre avec ordre ce labyrinthe d'opérations diverfes , qui partagerent Pefprit du Prince, fans 1'embarraffer & fe confondre. Baudouin, échappé des mains des Grecs, promenoit fes infortunes dans tout POccident. Empereur, on Pa- \ voit déja vu a la Cour de tous les Rois, implorer leur affiftance; dépouillé & fugitif, il redoubloit fes plaintes & fes prieres. L'Italie, la France , 1'Angleterre , la Caftille retentiffoient de fes cris. 11 ne trouva nulle part plus de chaleur, que dans le cceur du Pape. Urbain IV, du haut  du Bas-Empire. Liv. C. 185 du CapitoJe, appelloit a la guerre tous les peuples Catholiques. II promettoit les indulgences de la croifade; il ordonnoit des levées de dixmes; il taxoit les Eccléiiaftiques; il excommunioit les Génois, amis du Prince fchifmatique, & ennemis des Vénitiens , qui offroient leurs vaifleaux, pour paffer gratuitement les Croifés. II preffoit Louis, Roi de France, de fe mettre a la tête de cette religieufe expédition. Le Saint Roi, quoique plein de zele pour la Religion, écouta en cette occalion, les intéréts de fon Royaume, qui le retenoient en France. Palèologue trouva moyen de ralentir 1'ardeur du Pape , en i'amufant par des propofitions de réunion avec 1'Eglife Romaine. II envoyoit des députés , & recevoit des Légats. II achetoit, par des préfents, la faveur des Cardinaux qui avoient le plus de crédit auprès de Sa Sainteté. On propofoit, on difcutoit des articles. II paroilToit accorder tout; mais il avoit dans fon Clergé & dans fon peuple, des difpolitions toutes prêtes pour rompre les conventions ; & par ces artifices, il amena le Pape, Michel Palèologue. An. 1263. Du Canget hifi. I. J.f. 36, 37.  Michel Palèologue.An. 1263. XVIII. Guerre du Prince d'Achaïe. Pachym. I. 3-c 16, 17. Danduli chr. Btovïus. Raynald. Du Cang', hifi. I. 5- c. 36 , 37. l86 II I S T 0 I R E non pas a fe détacher des intéréts de Baudouin, mais a les foumettre a ceux de 1'Eglife. Urbain, prefque défarmé, au-lieu de tonner & de foudroyer , en vint a chercher des moyens de conciliation entre les deux Princes , que leurs prétentions mutuelles rendoient irréconciliables. Cette adreffe a fufpendre 1'acfivité du Pape délivra encore Palèologue d'une guerre qu'il avoit k foutenir contre le Prince d'Achaïe. Guillaume de Villehardouin , étant de retour en Morée , après fa prifon , recut de vifs reproches du Pape , d'avoir, parun traité hönteux , abandonné les principales cités de fon domaine, k un Prince ennemi de 1'Eglife. Le Pape relevoit Guillaume de fon ferment, comme fait en prifon, & fans liberté. [1 lui ordonnoit de rompre le traité , & chargeoit PEvêque de Modon de 1'y contraindre, par 1'autorité apoftolique. Les Vénitiens , d'autre part, mécontents de la ceffion qui rappro:hoit les Grecs des polTeffions véni:iennes en Morée, offroient a Guillau11e une flotte, pour 1'aider a fe ré:ablir dans cette partie de fes Etats,  du Bas-Empire. Liv. C. 187 Les Evêques de Morée & d'Achaïe avoient ordre du Pape, de contribuer de leurs revenus. Le Prince, encouragé par ces fecours , leva des troupes, & entreprit la guerre. Conftantin Sébaftocrator, Gouverneur des places cédées, étoit a Monembafie , avec un affez bon nombre de troupes de terre. Plufieurs Seigneurs 1'accompagnoient, entre autres Alexis Phil és, grand Domeftique, ck Macrene, grand Chambellan , renommé pour Ion courage. L'Empereur avoit fait en même-temps partir une flotte, commandée par Philanthropene, grand Ecuyer , allié de la familie Impériale, par le mariage de fa fille avec un neveu de 1'Empereur, & déja honoré de la furvivance de Michel Lafcaris a la dignité de grand*. Duc. Ce Michel, dont j'ai tant de fois parlé, frere du premier Empereur du nom de Lafcaris, étoit alors fort avancé en age. Une longue vie, exercée de tant de diverfes aventures, lui avoit acquis une grande expérience; & fon age le rendant incapable de foutenir les fatigues de la guerre, il aidoit 1'Empereur de fes Michel Palèologue.A.n. 1263,  Michel Palèologue.An. 1163, XIX. Difgrace injufte de Macrene. 188 HlSTOIKE confeils clans le gouvernement de 1'Etat. II vécut jufqu'a une extréme vieilleffe. Pendant que Philanthropene battoit fur mer la flotte du Prince d'Achaïe, le Sébaftocrator, loin d'abandonner aucune des places cédées aux Grecs, en acquéroit de nouvelles. II faifoit des courfes dans toute la contrée, & fe vengeoit de la mauvaife foi du Prince , par le ravage & Pincendie. C'étoient tous les jours des combats, oü Macrene fignaloit fa valeur , & fon nom étoit devenu retoutable aux ennemis. Le Sébaftocrator, obligé, par quelques circonftances, de retourner a Confiantinople , Ie laiffa avec Philès, k la défenfe du Pays. Ils remporterent plufieurs avantages, & ne furent malheureux qu'une fois; mais il leur en coüta cher. Tous deux furent faits prifonniers. Philès, bieffé , mourut dans les fers. Eulogie, fceur de 1'Empereur, & belle-mere de Philès, qu'elleaimoit tendrement, inconfolable de fa mort, fe laiffa perfuader que fon gendre avoit été trahi , & que Macrene s'étoit entendu avec le Prince d'Achaïe pour le faire  nu Bas-Empire. Liv. C. 189 tomber dans une embuicade. Les ennemis de Macrene avoient eu foin de faire palier d'avance cette calomnie ) aux oreilles de 1'Empereur, & ils : avoient compofé une fable, pour don- i ner quelque vraifemblance a une action fi noire. Le Prince d'Achaïe de- i voit, difoient-ils, faire époufer a Macrene une des fceurs du jeune Laf- : cans, qui s'étoit retirée auprès de lui. i Cette impofture, foutenue des plaintes ameres d'Eulogie, met Paléolo- ; gue en fureur. II renvoye k Villehardouin, plufieurs prifonniers d'un rang diftingué, & ne demande en échange : que Macrene. Dès qu'il 1'a entre les mains , fans autre information , fans même 1'avoir entendu , il lui fait crever les yeux. Telle fut la récompenfe de tant d'acfions de valeur. Ce funefte exemple dut faire trembler tous les bons ferviteurs de Palèologue. II ne ralentit pas nèanmoins le zeiede Philanthropene , qui continua , le refte de 1'année , de parcourir , avec fa flotte, les ifles occupèespar le Prince d'Achaïe & par les Véni- i tiens. II fit de fréquentes defcentes, les ravagea prefque toutes, & rap- MlCHEt Palèologue.Ka. 126;.  Michel Palèologue.An. 1263, XX. Le Pape termine cette guerre. 190 HlSTOIRE porta un riche butin a Conftantinople. Les Barons de la Morée, réduits a 1'extrémité , eurent recours au Pape , qui employa fa refTource ordinaire ; ce fut de publier une croifade. Les Génois, quoiqu'attachés a 1'Empire Grec , prirent cette occalion de faire lever Pexcommunication , dont ils étoient grevés, en renongant k 1'alliance de Michel, & en rappellant leurs vaiffeaux envoyés au fervice de 1'Empire. Tout fe préparoit a une fanglante guerre pour 1'année fuivante. La négociation de Michel fit encore avorter tous ces efforts. II preffa le Pape d'accepter enfin les propofitions de réunion. II lui prodiguoit, dans fes lettres , tous les témoignages de refpecl pour le faint Siege. II en reconnoiffoit la primauté. Saint Pere, difoit-il, fi vous refufe^ de m'ouvrir les bras de votre charité paternelle, je ferai jufiifié devant Dieu & devdnt les hommes ; tout Vodieux de nos divifions retombera fur vous. Commence^ par calmer les troubles; la paix étant rétablie^ les fujets de coritefiation entre les deux Eglifesferont bientót terminés. Le Pape  nu Bas-Empire. Liv. C. 191 lui répondit : Qu'il apprenoit avec joie de fi heureufes difpofitions; qu'il lui envoyoit fes Légats, & que ce qui les avoit retardés , c'étoit la guerre entre lui & Villehardouin. Si Palèologue tenoit parole , il lui promettoit de contribuer de toute la puiffance de 1'Eglife , au foutien de fon Empire, & de procurer un accommodement convenable entre lui & Baudouin. II le prioit de laïffer en paix le Prince d'Achaïe; & en ^ même - temps il défendoit k celui-ci de rien faire contre les Grecs. Ce Prince, qui n'avoit pris les armes qu'a la follicitation du Pape, les ) pofa aufTï-töt k fes ordres ; & Michel i fut délivré de cette guerre, par celui même qui favoit allumée. Les Vénitiens avoient fouvent fe: couru de toutes leurs forces le Prince ' d'Achaïe. Ennemis des Grecs qui leur • enlevoient de jour en jour les villes & les ifles dont ils avoient acquis la poffeffion par leur partage avec les tFrancois au temps de la conquête, . 23, »4 . 26. Greg. I. 4. r. 4. 1 212 HlSTOIRE. tique. Leurs domeftiques , en grand nombre, & gens de courage , recurent le baptême, & furent enrölés dans les troupes de 1'Empereur. Quoique Palèologue ne fut pas accoutumé k ces facheux revers, il en étoit moins affligé que de la fentence prononcée contre lui, par le Patriarche. C'étoit une épine qui ne cefToit de lui déchirer le cceur; & ce chagrin domeftique empoifonnoit toutes fes joies , & aigriffoit toutes fes peines. L'ambition , il eft vrai, parloit en lui plus haut que la Religion; mais elle n'en étouffoit pas les reproches : il ne péchoit pas fans remords; & d'ailleurs, ce qui fe paffoit en Occident, ne lui Iaiffoit pas ignorer, quels troubles peut exciter parmi les peuples, une excommunication, qui ofe attaquer la tête du Prince, & combien ce coup de ton« nere eft capable de remuer les humeurs de 1'Etat, & d'enhardir un fanatifme ignorant & féditieux. II fit donc tous fes efforts pour obtenir fon abfolution, par une humble patience, & par les follicitations desEc:léfiaftiques les plus pieux & les plus  nu Bas-Empire. Liv. C. suj agréables au Patriarche. II ne demandoit qu'une pénitence, a laquelle il promettoit de fe foumettre , quelque pénible qu'elle fut. II alla lui-même fe jetter aux pieds du Prélat; & mal- : gré les plus vives inftances, il n'en put tirer que ces paroles : Fakes ce qui peut effacer le crime que vous ave% commis. Comme le Prince le preffoit de lui prefcrire le genre de fatisfaction qu'il exigeoit, le Prélat refufa de s'expliquer davantage. Mais, dit Palèologue, qui fait, Ji, après tous mes efforts , vous fere^ fatisfait ? Pour de > grands forfaits, repliqua le Patriarche, ilfaut de grands facrifices. Faut-il donc, reprit Michel, que je renonce d CEm- < pire ? En difant ces mots , il tira fon épée; & pour fonder les intentions I d'Arfene, il la lui préfenta. Le Patriarche étendit la main pour la recevoir : mais Palèologue, qui n'étoit pas déterminé a payer fi chérement fon abfolution, remit 1'épée dans le fourreau, & continua fes inftances, fuivant pas k pas le Patriarche, qui lui tournoit le dos, & qui fe retirant dans un appartement intérieur, lui ferma la porte fur le vifage, Après MlCHEt Palèologue.An. 126;,  Michel Palèologue.An. 126J. XXIX. Nouvelle caufe de colere «ontre Arfene. 214 H/STOIX.E tant de tentatives humiliantes , Ia patience fit place a la colere. II» fe plaignit hautement de la dureté d'Arfene, difant, que puifque ce Prélat ne prétendoit rien moins que de le dépouiller de 1'Empire, & que par fon obftination, il méprifoit les faints Canons, qui accordent la pénitence aux plus grands criminels, il falloit recourir au Pape de Rome, auprès duquel il trouveroit 1'indulgence, qu'il demandoit vainement a un homme plus inflexible que 1'Eglife. 11 efpéroit que cette menace pourroit intimider Arfene. Lorfqu'il vit qu'elle ne faifoit pas plus d'imprefTion que fes prieres, il ne chercha plus que les moyens de fe délivrer de 1'implacable Patriarche. Dès le temps qu'il étoit a Xanthia , il avoit appelle auprès de lui plufieurs Evêques , pour délibérer avec eux fur le parti qu'il devoit prendre a l'égard d'Arfene. II les avoit trouvés très-difpofés k fervir fa colere. Ces Prélats avoient cité le Patriarche a comparoitre devant eux : il avoit répondu avec douceur , en s'excufant de quitter Confiantinople  du Bas-Empire. Liv. C. 215 pour des raifons qu'il expliqueroit en temps & lieu. D'ailleurs , il envoyoit è 1'Empereur des proteftations de refpect, & ce procédé avoit fufpendu . les effets du reffentiment de Palèologue- Mais cette paix avoit bientöt été troublée par un nouvel incident. Un Prêtre de la chapelle du palais avoit fait un mariage , fans en demander la permiffion au Patriarche, felon 1'ufage, & avoit été, par cette raifon , interdit par Veccus le Chartophylace, dignité a laquelle ce pouvoir appartenoit. L'Empereur, irrité comme d'une infulte faite a fa perfonne, chargea Tornice , Préfet de la ville, de punir la hardieffe de Veccus, en faifant abattre fes maifons, & arracher fes vignes; & comme il fe trouva que Veccus n'avoit ni vignes ni maifons, Tornice eut ordre de faifir fa perfonne, & de 1'amener a 1'Empereur, Veccus fe réfugia dans 1'Eglife deSainte-Sophie; & le Préfet etant venu a main armée, pour le tirer de eet afyle, le Patriarche accourut pour le défendre; & fans autres armes que fon autorité & la force de fes paroles, il intimida tellement Tornice^ Michel Palèologue.In. 126;,  Michel Palèologue.An. 1165 XXX. Zele ia difcret d'Arfene. eiö Histoi&z que celui-ci fut obligé de fe retirer. On auroit pu pardonner a Arfene cette fermeté k foutenir, même contre le Prince, les droits de fa dignité. Mais fon zele, plus ardent qu'éclairé dans les affaires de 1'Etat, qu'il n'entendoit guere, étoit inexcufable.' II ne voyoit dans le monde d'autre fociété que celle de 1'Eglife. Sur ce faux principe , il ne croyoit pas qu'il fut permis de combattre des Chrétiens, & il appelloit guerres civiles toutes celles qui fe faifoient entre des peuples baptifés. Quant aux nations infidelles, comme ce n'étoient que des hommes, il permettoit de répandre leur fang. II avoit fouvent débité ces maximes a 1'Empereur, mieux inftruit que lui de la diftintf ion établie par Dieu même , entre le fpirituel & le temporel. Lorfque 1'Empereur , échappé des mams des Tartares, fe fut rendu k Confiantinople, il alla d'abord a 1'Eglife de Sainte-Sophie , pour remercier Dieu de fa confervation, par des folemnelles atfions de graces. Le Patriarche , qui préfidoit k cette cérémonie , étant au pied de 1'autel, lui adreffa  du Bas-Empire. Liv. C. 217 adrefia la parole en ces termes:» Prin» ce , nous remercions la bonté di» vine de vous avoir confervé. Mais » vous fouvenez-vous des avis que » notre zele pour votre perfonne » vous a fouvent répétés, de ne point » tremper vos mains dans le fang de » vos freres, qui participent aux mê» mesSacrements; qui, rachetés comm mevousparlefangdeJefus-Chrift, m compofent la même familie? Pour » qui, vous difois-je alors, implo» rerons-nous le fecours de Dieu ? » a qui fouhaiterons-nous la viftoi»» re ? de qui demanderons-nous la » défaite ? Les uns 6c les autres font » également enfants de Dieu : dans >» les prieres du faint Sacrifice, en » priant pour tous les fideles, nous » prions pour les deux partis. Au» jourd'hui, béni foit le Seigneur, » qui vous a fauvé des mains d'une » nation infidelle. C'eft lui qui les » avoit fufcité contre vous; il vous » montroit vos vrais ennemis, ceux » qu'il vous eft permis de combat» tre. Mais il a voulu en même-temps » vous avertir, que, fans le fecours » de fon bras, vous ne pouviez les Tome XXJh K. Michel Palèologue.An. iiG$a  MlCHEl Paléo- iogue. .An. 1265, An. 1266. xxxr. 1'rocédé de 1'Empereur , pour faire dépofer Arfene. Pachym. 1. i.c. 1 , 2. 3- Oreg. I. 4. c. 4. SIS" BlSTOlRB » vaincre , & qu'il ne 1'accorde qu'a » ceux qui combattent fous les éten» darcis de 1'Eglife, qui n'ont pas » mérité d'être féparés de fon fein. » En épargnant votre vie, il s'eft » contenté de vous frapper de ter» reur. Rendez-la falutaire ; adorez » les jugements du fouverain difpen» fateur des fuccès", Cette remonïrance, fi mêlee de fauffes maximes, fi déplacée en préfence de tout le peuple, dut piquer vivement 1'Empereur ; mais plus fage que le Patriarche, il diflimula fon chagrin, & parut la recevoir avec foumiffion. Couvert de confufion, 8d le ceeur ylcéré d'une cenfure fi indifcrete, il réfolut de fe défaire d'un Patriarche incapable d'aucun ménagement. II manda les Evêques qui étoient alors a Confiantinople : il leur expofa fon fincere repentir, les démarches qu'il avoit faites pour obtenir le pardon, l'injuftice du Patriarche, qui lui refufoit même la pénitence, & qui Ie condamnoit a mort, en voulant l'o-, bliger a quitter le tröne au grand rif311e de fa vie. Si vous navei point de  nu Sas-Empire. Liv. C. 219 tanons, ajouta-t-il, pour la remijfion ■des crimes, je m'adrefferai d d'auires Eglifes, qui m'impoferont une pénitence je nen refufe au(. 3- 1 I ( 1 , ^ o viuii uidue piuneurs evé- nements, dont je vais rendre compte. Les Tartares, maitres d'Icöne, avoient de/a un traité d'alliance avec 1'Empereur. Le Sultan d'Egypte concut le même deffein. II étoit né dans le Captchac, & c'étoit un de ces enfants que les Tartares Mogols, mai-, tres de ce pays, vendoient k des marchands qui les tranfportoient en Egypte. Ils y furent nommés Mamelucs , c'eft-a-dire, efclaves ; mais ces efclaves devinrent bientöt les maitres. Leur tempérament endurci fous un del rigoureux, les rendoit fort fiipéneurs en force & en courage k une nation énervée par les délices, & amollie par Ie foleil du midi. Les Sultans en firent une milice vigoureufe ; ils les prirent pour leur garde ; ils les éleverent aux dignités, & les approcherent fi prés de leur perfonne, qu'ils leur firent naïtre 1'envie le^prendre la place de ces maitres, ïu'ils méprifoient. Devenus Sultans, j le peur que Ie climat ne vïnt a abaardir leur race, & k la réduire k eet tat de langueur ou ils avoient trou'é les Egyptiens, ils faifoient venir  du Bas-Empire. Liv. C. 229 du pays de leur origine de fréquentes colonies de jeunes enfants, qu'ils élévoient pour Ia guerre, & dont ils compofoient leurs armées. Comme les vaiffeaux qui les amenoient du Captchac & des contrées circonvoifines , partoient du Pont-Euxin pour arriver au Caire, il leur falloit traverfer le Bofphore; ce qu'ils ne pouvoient faire fans 1'agrément de 1'Empereur, fous les yeux duquel ils paffoient. Bibars, quatrieme Sultan de la race des Mamelucs, aufli habile politique que grand guerrier , n'épargna ni ambaffades ni préfents, Sc obtint de Michel un traité qui donnoit aux vaiffeaux Egyptiens liberté de paffage. Palèologue, environné de barbares, fe fervoit de leurs propres armes pour fe défendre contre eux. II fomentoit leurs divifions, & profitoit de leurs querelles. Nogaïa, Général des armées du Khan du Captchac, celui même qui, joint aux Bulgares , avoit mis Palèologue dans un fi grand danger, avoit fervi fon maitre avec fuccès. Brave & heureux, il lui avoit fourais tous les peuples qui Michel Palèologue.Ka, 1166, XXXVÏ. Autre alliance avee le Tartare Nogaïa. Pachym. I. }, e 6. I. 5- c 4' De Gui«nes , hifi. des Huns , IS.  Michel Palèologue.Ar. 1266. : 1 i ( 1 230 H I $ T 0 I R B bordent le Pont-Euxin. Fier de fes. conquêtes, il fe Jaffa d'obéir, & fe rendit fouverain indépendant dans les Provinces qu'il avoit conquifes. II defiroit 1'alliance de 1'Empereur, pour affurer fa nouvelle puiffance, & il n'eut pas de peine a 1'obtenir. C'étoit, par la fituation de fes Etats, une forte barrière a oppofer aux autres Tartares feptentrionaux. Le traité fut bientöt conelu; & pour fe 1'attacher davantage, Palèologue lui donna en mariage Euphrofyne , une de fes filles naturelles. II entretenoit de temps en temps, par des préfents, Pamitié- de ce Tartare , dont il efpéroit de grands- fervices. Nogaïa recevoit avec plaifir les viandes dé!icates, les vins exquis, les coupes d'or & d'argent que lui envoyoit 1'Empereur. Quant aux délices & au luxedela table, la légiflation auftere le Genghiskhan, ne tenoit pas contre 1'intempérance du barbare. Mais Uiant k Ia parure, fa morale étoit ncorruptible. Un jour Michel lui lyant fait porter une fuite complete 1'habülements magnifiques, le Tarare prenant en main chaque piece,  du Bas-Empire. Liv. C. 231 & la confidérant d'un air indifférent: ; Mon ami, dit-il a Fenvoyé , ce couvre-ckef garand t-il des coups defleches ou de pierres? préferve-t-il du mal de * tête ? Ces perles, ces pierredes dont il ejï enricki, ont-elles la vertu d'écarter le tonnerre ? Et ces belles étojfes , fi fines, fi douces au toucher, empêchtntelles la laffitude du corps qu elles enveloppent? Les députés répondant que ce n'étoit pas la leur ufage : Ek bien ! reprit-il, en les rejéttant, je nen ai donc que faire. On Fengagea cependant de fe vêtir de la robe, pour répondre a la civilité de 1'Empereur. Mais il ne la porta qu'un moment, & reprit bien vite fa tunique de peau de chien ou de brebis, dont il fe croyoit bien mieux paré. Depuis que Palèologue réfidoit a J Confiantinople, la prédiclion de Tor- ^ nice ne fe vérifioit que trop. Sépa- p ré de 1'Afie, il négligeoit le foin des c.< Provinces orientales, pour ne s'oc- n cuper que de FOccident; & ce que /. 1'Empire occupoit encore en Bithy- lnie, en Myfie, en Lydie, en Carie, \ en Phrygie, en Paphlagonie , étoit 1, Iivré a des Gouverneurs avides, qui MlCHEt Palèologue.n. 1266. xxvn. iférable at des ■ovins d'O;nt. Pachym. 3. c. 21, >ucas ,  Michel Palèologue.An. 116.6. 23* H x s t o i r r fe nourriffant du plus pur fang des peuples, par des exaöions arbitraire*, abandonnoient le refte aux Turcs. Ceux-ci, divifés en plufieurs corps j & répandus de toutes parts, venoient glaner oü les Magiftrats avoient moiffonné; ilss'emparoient des villes déja pillées. Toute cette frontiere étoit couverte de ruines. Ce Chadene, qui s'etoit acquis la bienveillance de Palèologue, par le fervice qu'il lui avoit rendu dans fa difgrace', fous le regne de Théodore Lafcaris , avoit achevé de ruinerce malheureuxpays, pardesopérationsplusquefinancieres. Après avoir dreffé un cadaftre de toutes les poffeffions , pour abréger la perception des fommes impofées, & applanir d'un feul trait de plume les embarras de la proportion, il avoit confeillé a 1'Empereur de fe rendre maitre de tous les fonds, & de faire a chaque nche propriéraire, une penfion de quarante pieces d'or; c'étoit a-peu-près fix cents francs de notre monnoie, & c'en étoit affez , diioit-il, pour une honnête fubfiftance; le refte étoit un luxe qu'il falloit cornger, enl'employant aux befoinsde  du Bas-Empirb. Li-o. C. 233 1'Etat. Le confeil de ce brigand parut admirable. Le Prince devint 1'nnique propriétaire, & mit dans fes mains la vie de fes fujets, qui, dans un Etat furchargé d'impöts , font du moins les fermiers du Prince. Palèologue ne pouvoit gagner è eet affreux fyftême. En prenant les biens de fes peuples, il perdoit leurs cceurs, & les défintéreflbit entiérement a fon égard. Ils devinrent Turcs, Tartares , autant que Grecs. De plus, Chadene, le grand Régifleur, & cette armée de commis& de gardes, néceflaires pour une exploitation fi étendue , ne laiffoient au maitre quelefurplus de leurs gages, de leurs profits & de leurs vols. Tous les habitants crioient, comme un voyageur quedesvoleursontlahT* nud dans une forêt; & ces cris appelloient les Turcs. II fallut, pour conferver ces Provinces, y envoyer le frere de 1'Empereur. Son équité les tira de 1'oppreflion. II chafla Chadene & fes commis; rétablit 1'ordre ancien dans la perception; enrichit fon frere, en diminuant les impöts, en faifant refleurir le commerce, en ranimant ragricultu-re. II réprima, par Michel Palèologue.An. 1266.  Michel Palèologue.^n. 1266. ] 1 1 ] 1 1 234 BlSTOIRE fon courage, Taüdace des Turcs, & les réduifit h demander la paix. II la leur accorda: & pour les retirer du bngandage, il les établit fur la frontiere, oü il leur donna des terres vacantes è cultiver. L'Hiftoire fait un grand éioge de ce Prince religieux, plein de droiture & d'humanité. II n'eftimoit les richeffes, que pour les verfer dans le fein des indigents , & 1'on remarque que fes pieufes profufions eurent befoin d'être modérées par de fages Moines, attentifs a reftreindre le cours de celles qui ne fe répandoient pas fur leurs monafteres. Aöif, vaillant, grand guerner, il eut été encore plus digne de régner que fon frere. Ce qui le rendoit invincible , c'étoit fon in:royable promptitude. Sans train, fans equipages , vivant comme un fimple foldat, toujours a cheval, courant ie nuit comme de jour, il devancoit 3ar-tout la nouvelle de fon appro-he; & 1'ennemi le fentoit fur fa ete, lorfqu'ille croyoit fort éloigné. ixact dans la difcipline, mais doux k humain dans les chatiments , libé'al avec difcernementil vivoit avec  vu Bas-Empire. Liv. C. 235 les foldats , comme avec fes freres , & fe faifoit obéir fans dureté ni hauteur. Un trait de fon caratf ere, non moins digne d'être obfervé, c'eft qu'il fut chafte avec une femme qui 1'étoit fi peu , qu'elle ofa bien avouer une fille, fruit de fes défordres. Elle la maria a David, Roi d'Ibérie. Cette femme étoit fille de Conftantin Tornice , honoré du titre de Sébaftocrator , en eonfidération de ce mariage, Elle avoit eu de fon mari, trois enfants , Andronic , Michel, & une fille , qui fut mariée a un Seigneur de Dalmatie , de la familie des Synadenes. Quoique la paix fut établie avec les Tartares d'Icöne, les cruautés de ces barbares avoient laiffé dans les efprits une telle imprefiion de crainte, que la ville de Nicée fut tout a-coup frappée d'une terreur panique. Le 14 Mars de 1'an 12,67 , vers les neufheures du matin, lorfque les habitants s'occupoient de leurs travaux, le bruit fe répand de toutes parts qu'un déluge ds Tartares inonde la ville; qu'ils ont égorgé les gardes des portes, & qu'ils maffacrent tous ceux MlCHEL PAIÉOIOGUE. An. n6d> An. 1267. XXXVIII Terreur panique a Nicée. Pachym. I, J. c. 28,  Michel Palèologue.Ka, 1267. 236 H 1 S T 0 I R E qu'ils rencontrent. A cette affreufe nouvelle, la terreur glacé tous les cceurs : on abandonne tous les ouvrages. Les hommes, a demi-nuds , les femmes emportant leurs enfants, & trainant le refte de leur familie, s elancent hors de leurs maifons, courent éperduement par toutes les rues, fe croifant dans leurs courfes oppofées, fe heurtant, fe renverfant les uns les autres. On crie de tous cötés: Ou eft Vennemi ? Oü porte-t-il fa fureur! & chacun le croit derrière foi; chacun courbe la tête fous le cimeterre, & fent déja le fer dans fes entrailles. Plufieurs aflurent qu'ils ont vu les Tartares; que le carnage eft horrible; que les autres quartiers nagent dans le fang. Sur ce rapport effrayant, on regagnoit les maifons avec épouvante ; on s'y barricadoit, on fe cachoit dans les plus fombres retraites; quelques-uns, dans les tombeaux, & dans les foffes les plus profondes. Le Commandant, nommé Nicolas Manuclite, homme fans cceur, plus propre a piller qu'a défendre la ville? n'ofoit donnar aucun ordre : mais il fe trouvoit a Nicée  ! au Bas-Empire. Liv. C. 157 tin certain nombre d'Officiers, qui, ayant vieilli dans le métier de la guer» re, étoient moins fufceptibles d'ef: froi. Ils prennent leurs armes, feréu1 niffent, courent de tous cötés pour ; ehercher les Tartares : ils font éton1 nés de n'en trouver mille part, & I d'entendre par-tout des hurlements i tels que ceux de gens qu'on égorj ge, dans une ville prife d'affaut. Au; lieu d'appaifer le tumulte , ils le reI doublent, par la vue de leurs arI mes. On les prend eux-mêmes pour I des Tartares; on fait devant eux; : on les tueroit comme des ennemis, ! fi Pon avoit d'autre force que pour fuir. A la faveur de cette confternai tion générale , les prifonniers forcent i les prifons , & augmentent le défor» ! dre. La ville avoit quatre portes. Les Officiers courent k toutes ces portes, ! & n'y trouvant aucun veilige d'ennemis, ils reviennent, en criant: Raffurt^vous, citoyens ; point £ ennemis ; 1 tout efi tranquille. Lorfqu'on fut re' venu de eet efFroi, on cherche qu'elle en peut être la caufe : on n'en trouve point d'autre qu'une cérémonie populaire. L'image de la Sainte Vierge, MlCHEl Palèologue.An. 1267*  MlCHEt, PALÈOLOGUE. An. 1267 XXXIX. Germair Patriarche. Pachym. I 4> c 12, '3- Gregor. I, 4. e. 4. agS IlrsTóiRB portee en procefliort, avöit été fuivie d'une troupe de femmes , qui chantoient dans leurs litanies: Grand Dieu ! , dèlivre^-nous des Tartares ;Jauve^-nous de leurs mains fanguinaires. Ces paroles animées de la ferveur d'une dévotion pathétique, avoient été un fignal de terreur, & jetté par-tout 1'allarme. L'Empereur 1'ayant appris , fit une forte réprimande aux Magiftrats, de ce qu'au premier bruit d'un événement fi incroyable, ils n'avoient pas fait les diligences néceffaires pour difïiper Terreur, & en faire voir le ridicule. Le fiege patriarchal vaquoit depuis un an : les partifans d'Arfene murmuroient hautement de Pinjuftice de fa condamnation , & demandoient fon retour. Afin de leur öter toute efpérance, 1'Empereur affembla les Evêques dans 1'Eglife de Blaquernes, pour lui nommer un fucceffeur. Plufieurs ayant été propofés, toutes les voix fe réunirent en faveur de Germain , Evêque d'Andrinople. C'étoit un hommes poli, inftruit dans les lettres, & d'un commerce facile & agréable. Sa vertu n'avoit rien d'auf-  bv Bas-Empirb. Liv. C. 2.39 ïere. Régulier dans fes mceurs, il avoit pour les fautes d'autrui plus d'indulgence que de févérité. II s'étoit fait aimer de Palèologue, dès le temps que fuyant chez les Turcs, Palèologue avoit pafTé par fon mo3 naftere. II avoit trouvé dans Germain beaucoup d'empreffement a le recevoir avec honneur. Aufli , dès qu'il fut Empereur , il 1'appella auprès de lui, & le fit Evêque d'Andrinople. Germain , élu Patriarche , n'accepta qu'ayec répugnance une place qui alloit Pexpofer k la haine d'un parti nombreux & pitiffant; il ne fe rendit qu'aux inftances de 1'Empereur. II fut inftallé dans la chaire patriarchale, le jour de Ia Pentecöte , qui tomboit cette année au 5 de Juin. Son premier foin fut d'élever aux dignités de 1'Eglife, & de combler de bienfaits , les perfonnes du Clergé qui fe diftinguoient par leur fcience & leur yertu. Indifférent pour les richefles, il faifoit ietter fur fon lit les préfents qu'on lui apportoit, & les diftribuoir aux pauvres avant la fin de la journée. Cette libéralité fi hative le fit taxer de profufions indifcretes, tk fa défé- MlCHEL Paieo- tOGUS. An. 1267.  MlCHEI Palèologue.An. 1167 XL. Nouve les écol ctablies Conftan ti'nople. Pachy X 4. e. 1 £40 HlSTOI&E rence pour PEmpereur, qu'il évitoit d'offenfer, de flatterie & de bafle complaifance. II faut avouer que ce mé- • nagementtimide afFoibliffoitfarecommandation k ceux qui employoient fon crédit pour obtenir quelque grace : fe voyant fruftrés de leur efpérance, ils en vinrent k le méprifer comme un politique froid & un courtifan inutile. On lui refufoit même le mérite qu'il avoit, & les mécontents joints aux partifans d'Arfene, le traitoient d'ignorant, qui, par des intrigues de Cour, s'étoit introduit dans une place dont il ne connoif» foit pas même les devoirs. II étoit cependant fort inftruit des matieres eccléfiaftiques ; & dans le peu de temps qu'il tint le fiege de Confian» tinople, il corrigea plufieurs abus qui avoient altéré la difcipline. L'Empereur voulant ranimer les études dans la capitale, & remédier "l k 1'ignorance oü les troubles pafTés . avoient fait tomber le Clergé, avoit fondé trois écoles, tant pour la Gram- 4' maire que pour les fciences fupérieures. II avoit pourvu k 1'entretien des maitres & des éleves. Son zele pour le  au Sas-Empire. Liv. C. 241 ïe fuccès de ces utiles établiffements, alloit jufqu'a fe faire rendre compte des progrès de ceux qu'on inftruifoit. Au milieu des affaires de 1'Empire, il trouvoit le temps, & ne dédaignoit pas d'afïifter quelquefois k leurs exercices, &c d'exciter 1'émulation par des récompenfes qu'il diftribuoit lui-même. Germain fe perfuada qu'il ne pouvoit mieux répondre aux vues de 1'Empereur, qu'en faifant mettre k la tête de cette efpece d'Univerfité ce même Holobole, qui avoit, cinq pnsauparavant, effuyé de 1'Empereur un traitement fi ignominieux. Retiré dans un monaftere, & féparé du commerce des hommes, Holobole s'étoit enfeveli dans 1'étude, & il devoit k fa difgrace 1'avantage d'être devenu, dansun age peu avancé, le plus habile homme de 1'Empire. Le Patriarche fit connoïtre fon mérite k 1'Empereur , qui lui pardonna de bon cceur une faute, fi c'en étoit une, qu'il avoit fi cruellement punie : il lui confia la direöion de la jeuneffe deftinée a faire renaitre le goüt des Scienr ces & des Lettres, pre:que éteintes alors dans la Grece, oü elles étu^eat Tome XXIl. L Michel Palèologue.  Michel Palèologue.An. 1267. XLI. Conjuration contre 1'Empereur. Pachym. I.A.C. 15, 16. 24a HlSTOIRE nées dans des temps plus heureux, Germain, naturellement doux & ami de la paix, fe rendit odieux au peuple par cette qualité même fi propre a concilier Famour. Bien différent de fes prédéceffeurs, il fouhaitoit la réunion des deux Eglifes, & ne cachoit pas fes fentiments k eet égard. Ces difpofitions pacifiques déplaifoient mortellement au commtm des Grecs, & augmentoient la faction du Patriarche dépofé. Mais dans ce temps-la même , Arfene courut le plus grand rifque de perdre la vie. Un certain Francopule , favori de 1'Empereur, concut, on ne fait pour quelle raifon ,1'horrible deffein d'öter la vie a fon maïrre , & fit entrer dans ce complot douze Officiers du palais. Ils choifirent, pour 1'exécution, un homme robufte &c hardi : c'étoit ce même Charles, qui avoit plongé le poignard dans le coeur de Muzalon. Cetaffaffin, tout déterminé qu'il étoit, eut horreur de porter la main fur fon Prince , dont il n'avoit recu aucun mal; il alla révéler la confpiration. Tous les conjurés furent arrêtés; on leur fit fouffrir la queftion  s>v Bas-Empire. Lm. C. 243 la plus cruelle , pour avoir connoiffance de leurs complices. Ils ne nommerent perfonne; mais ceux qui préfidoient k la torture, étant ennemis d'Arfene , les interrogerent a fon fujet. Forces par la rigueur des tourments, ils le chargerent comme ayant part a leur crime. Après leur fupplice, 1'Empereur , embrafé de colere contre Arfene, le déféra au Synode, demandant avec cbaleur la vengeance d'un fi noir attentat. Les Prélats convinrent unanimement d'envoyer interroger Arfene. S'il fe trouvoit coupable , on 1'abandonnoit k toute la févérité des loix ; fi les preuves n'étoient pas fufHfantes, on devoit délibérer fur le traitement qu'il faudroit lui faire. L'Empereur ne fut pas con-, tent de cette décifion : il demanda qu'Arfene fut excommunié fur le champ, comme légitimement fufpecf, par la dépofition des criminels , & que par provifion il demeurat fous 1'anathême,enattendant qu'il fut convaincu & puni, ou pleinement juflifié & déchargé de 1'acculation. Les Evêques y confentirent. On envoya au-lieu de fon exil L ij MlCIIEI. P IU.éo- i.ogue. A.n. 1267.  *44 Histosre quatre députés, dont deux étoienf Michel Palèologue.An. 1267. XLIÏ. Juftification d'Ap fene. Evêques. Entre les deux autres , étoit Pachymere, qui rapporte lui-même ce qui fe pafla en cette occafion. Ils partirentle 25 Juillet,& aborderent deux jours après k 1'ifle de Proconnefe. Ils allerent auffi-töt trouver Arfene , & lui voulurent expofer leur commiffion. Dès qu'il en eut entendu les premiers mots, percé de la plus vive douleur, il s'écria : Quel mal ai-je fait d (Empereur ? Je (ai placé fur le tróne ; il ma trouvéfur leJiegepatriarchal, & rrien a arraché fans raifon. Me voild fans afyle , fur un rocker Jlérile, dans (opprobre & dans texil, attendant pour fubfifler les aumónes de quelques Chrètiens miférables, qui partagent avec mei leur chétive nourriture. Je n'en murmure pas ;je nenvie pas d Germain la faveur du Prince, ni la bénédiclion d laquelle il doit fa fortune. C'étoit une équivoque maligne du bon Prélat. Bénédiclion , dans la langue Grecque , s'exprimoit par le mot Eulogie : Arfene haïffoit la Princeffe qui portoit ce nom, paree que c'étoit fur-tout par fes confeils inhumains que 1'Empereur ion frere avoit traité fl cruel-  su Bas-Empire. Liv. C. 245 lement le jeune Lafcaris. Comme on ouvroit la lettre du Synode, Arfene témoigna par fes mouvements 1'horreur que lui caufoit cette letf ure; & les députés commencant de lire, il s'enfuit pour ne pas entendre. On le ramena avec peine; il fe boucha les oreilles, prenant, a grands cris, le ciel Sc la terre a témoin des outrages qu'on lui faifoit fouffrir. II s'ef» forcoit de s'échapper de leurs mains. Tout ce qu'on put lui faire entendre , fut qu'on 1'accufoit d'avoir confpiré contre 1'Empereur, Sc que le Synode demandoit qu'il fe juftifiat. Voild donc, s'écria-t-il, la récompenfe d'un Patriarchat irrêprochable & laborieux ! on me charge d'avoir attente d la vie de tEmpereur. Interroge^ ces rockers dèferts, ils m'emendent tous les jours implorer pour lui la mifèricorde divine, tandis qu'il me fait mourir ici de faim & de foif, comme un infame fcélérat. Dans i'excès de fa douleur, il ajouta de fanglants reproches contre 1'Empereur , contre le Patriarche intrus, Sr congédia les députés, fans vouloir en? trer dans aucune juftification. Ils revinrent le lendemain; Sc n'ayant pit L iij MlCHEt Paléo- tOGUE. An. 1167,  Michel Palèologue. in, 1267, -H fous un extérieur fimple & mortifié dvoit toute la iouplelie d'un homme 248 Histoirb apparence, par ambition & par ja» loufie. A juger de ce Moine dévot, non par les louanges que lui prodiguent les Hifforiens , mais par le manege qu'ils lui font faire , il paroïf qu'il afpiroit lui-même au patriarchat, & qu'il avoit 1'adreffe d'intéreffer en fa faveur la confeience du Prince. Palèologue avoit un grand defir de fe faire relever de 1'excommunication qu'il avoit encourue. Jofeph lui perfuada que 1'abfolution qu'il recevroit de Germain ne feroit pas regardée comme valable, paree que la promotion de ce Patriarche avoit un vice tedical, Germain ayant été transféré d'un fiege k un autre, contre les loix :anoniques. Frappé de ce fcrupule, Empereur ne fonp-pa n1nc m>>, AA.  nu Bas-Empirë. Liv. C. 249 j ie cour. Jofeph va trouver Germain, | & lui repréfente d'un ton de fincere | amitié, qu'il craint fort pour lui les I fuites fdcheufes de Popinidtretè du parti 9 d'Arfene ; que le fchifme acquiert tous I les jours de nouvelles forces : qu'a la\ vèrité l'Empereur a rèpflèjufqiPici; mais I que voyant enfin Pinutilitê de fes efforts ^ 1 il fe laffera de fe roidir contre le tor| rent, & qu'il abandonnera fon PatriarI che : que de toute la Cour il n'avoit pour I lui qu'Eulogie ; que Mar the, & tout I le refle de la familie impériale étoit dé| elarée contre lui, & qu'une Ji puiffantt. } cabale ne pouvoit manquer de l'emporI ter : que par Pintérêt qu'il prenoit d fa I gloire, il lui confeilloit de fe dépouilI Ier lui même avec honneur <£.une dignité | Jiorageufe, qu'il fe verwit arracher avec | home ; qu'il n'y avoit pas de temps d I perdre, s'il ne vouloit effuyer un affront.. I Germain , étonné de cette ouverture I dé cceur , mais comptant beaucoup1 fur la bienveillance de 1'Empereur, 1 ne fe rendit pas. L'Empereur , de fon I eoté , déguifoit parfaitement fes intentions, par i'accueil le plus gracieux> i & par toutes les marqués d'une fai veur conftante,. Voyant que les avisL v Michel Palèologue. A.n. 1167,  MiCHEL Palèologue.An, 1267, xnv. Abdicalion de Gennain. 2^0 HlSTOlKB de Jofeph ne 1'avoient pas allarmé, il le fit attaquer par Chaluza , Archevêque de Sardes, fon intime ami. Comme ce Prélat partoit de Confiantinople pour retourner dans fon Diocefe, rËmpereur 1'engagea d'écrire a Germain, lorfqu'il auroit paffé Ie Bofphore, & de Pexhorter a prévenir Ia tempête, qui alloit infailliblement éclater. Germain, ayant recu cette lettre, prit la réfolution de la communiquer a 1'Empereur, pour s'affurer de fes difpofitions, & juger par cette épreuve, s'il devoit garder fa dignité, ou s'en démettre. Illa fïtdone porter au Prince , qui, 1'ayant lue , répondit : Qu'il avoit bien d'autres affaires que de s'embarraffer de p'areilles difcufjions; que Germain pouvoit confulter les Evêques, & prendre le parti qu'il jugeroit d propos Une réponfe fi feche détrompa Germain i il réfolut d'abdiquer. On étoit au mois de Septembre, & 1'on eélébroit la fête de 1'Exaltation de la Sainte-Croix. Germain, après avoir ofücié, pour la derniere fois, fortit, fur le foir , du palais patriarc'üalj & fe retira dans une pe-  ■ nu Bas-Empire. Liv. C. 251 the habitation, qu'il avoit fait batir au bord de la mer, réfolu d'y paffer en paix le refte de fes jours. L'Empereur ayant appris fa retraite , alla, le lendemain , a la tête du Sénat, des Evêques, & de tout le Clergé , le prier de revenir. II n'oublia rien des démonftrations les plus preffantes ; il le menara même d'ufer de la puiffance impériale. Germain, trop inftruit de fes véritables fentiments, pour appréhender aucune violence, ufa du même déguifement. II remer- cia 1'Empereur de ces témoignages de bienveillance : il ajouta que fa vieilleffe & fes infirmités le mettoient hors d'état de foutenir un fi pefant fardeau. II préfenta a 1'Empereur & aux Evêques , fa démiffion par écrit, proteftant qu'il ne remonteroit jamais fur U fiege patriarchal. L'Empereur ayan' en main eet écrit, continua encon quelques moments de jouer le rol< de 1'affliaion & du regret; & le voyan inexorable, comme il le fouhaitoit il fe rabattit a lui promettre qu'il n cefferoit jamais de 1'honorer; & pou commencer k tenir parole, il lui de manda fon avis fur le choix de foi L vj Michel Palèologue. An. 1167, t » f 1  252 Hts t o 1 r e Michel Palèologue.An. 1267, '1 fucceffeur. II fit fur le champ expëdier des lettres-patentes, par lefquelles il donnoit a Germain le titre de Perë de P Empereur, & il figna ces lettres du nom de nouveau Conflamim c'étoit un nom que Germain avoit le premier donné a 1'Empereur, & que tous fes fuccefieurs continueren! de prendre. Palèologue déclara encore , qu'il alloit lui afiigner d'amples revernis, afin que dans la vie privée , qu'il embrafloit de préférence , il ne perdit rien de la fplendeur de fa dignité. Le Prélat répondit, qu'il n'appartenoit qu'a Dieu de lui choifirun fucceffeur, & de rèpandre fur lui Üonilion de fa grace , & que c'étoit d lui qu'il falloit le. demander : que pour la qualité de Pere de (Empereur, elle étoit inÜmment au-defjus de fes mérites, & que c'étoit encore au fouverain Arbitre des Empires, de donner un pere d celui qu'il avoit,pour ainfi dire, adopté, en '■e faifant Empereur : que les penfions. lont 1'Empereur offroit de l'enrichir, rnéitoient fa reconnoiftance; mais qu'il ten avoit pas befoin ; quefafubfifiance wou un fond affurè dans la main de ■elui qui ncurrit les petits des oifeaux%,  nu Bjs-Empire. Liv. C. 253 6* que d'ailleurs 1'Eglife etAndrinople étoit ajfe^ riche pour fournir le néceffaire, tout d la fois, d celui qui la gouvernoit acluellement , & d fon ancien Evéque. CefEvêque atfuel d'Andrinople étoit Barlaam , heveu de Germain, qu'un aveugle tendrefie avoit porté a le prendre pour fuccefleur. Perfonne n'en étoit moins digne. Plus foldat qu'Eccléfiaftique , ne voyant dans ion Diocele, que les chevaux & fes armes, qui occupoient toute fa vigilance, il ne fongeoit qu'a courir le cafque en tête, & k combattre les ennemis. Ni les exemples , ni les réprimandes de fon oncle, ne pouvoient retenir ce caratlere pétulant 6c infenfé. Le bon vieillard excufoit ces emportements, fur la vivacité d'une bouillante jeuneffe. Après la mort de eet oncle indulgent, qu'on avoit refpeöé , ce Prélat militaire fut cité devant le Synode, pour rendre compte d'une conduite li irréguliere. II crut follement fe fouftraire au jugement, en contrefaifant le fou. II fut pris au mot, & dépofé. Cette fentence mit fin a fon déguifement. II s'adrefia a Michel Palèologue.An. 1267, XLV. Conduite extravagante de Barlaam Evéque dAndrinople. Packym. /„ 4,C, 22.  ' MlCH£L Paiéo- logue. An; 1267. XL VI. Jofeph Patriarche. Pachym. I. 4. c. 23 , Greg. I, 4. t. s. 254 HlSTOlRE 1'Empereur, pour le prier de luilaifferfuivre fon penchant, qui 1'entraïnoit a la guerre. II lui demandoit quelquecommandement dans fes troupes, oü il put fignaler fa valeur, & répandre pour le falut de 1'Empire, le fang qui lui bouillöit dans les veines. Cette requête extravagante fut rejettée avec mépris; mais elle donna des foupcons k 1'Empereur. II craignitque ce déterminébatailleur, plein de vigueur & d'audace, accoutumé k manier les armes, n'allat chercher de 1'emploi chez les ennemis, ou qu'il n'excitat quelque troubie dans 1'Etat. Pour s'affurer d'un efprit fi dangereux, il le condamna a une prifon perpétuelle. Après 1'avoir fait garder quelque temps, apprenant qu'il ne s'occupoit que des moyens de s'évader, il le fit conduire a Nicée, avec ordre de lui crever les yeux, & de l'enfermer dans une tour pour toute fa vie : ce qui fut exécuté. Après la démilfion de Germain, ['Empereur aflèmbla les Evêques, pour lui donner un fuccefleur. Jofeph itoit déja nommé dans fon cceur ; nais il cachoit avec grand foin cette  du Bas-Empib.e. Liv. C. 255 réfolution , pour ne pas paroïtre gêner les fuffrages : ce qui auroit rendu 1'éleótion moins réguliere. Les Prélats les moins habiles a pénétrer les fentiments du Prince , fe croyant libres dans le choix, nommoient ceux qu'ils connoifToient les plus dignes de cette place. Les autres, plus clairvoyants, fe réunirent en faveur de Jofeph; &C eomme ils faifoient le plus grand nombre , ils entrainerent leurs collegues. Jofeph fut donc élu Patriarche. Entre les éloges que lui donnent les Hifloriens, voici ceux qui me paroiffent pouvoir s'accorder avec 1'ambition ck 1'efprit de manege que dérnafque fa conduite. II avoit été marié. ck attaché a la chapelle de 1'Impératrice Irene, femme de Vatace, en qualité de Ledieur. Retiré enfuite dans le riche monaflere de Galefe, dont il devint Abbé , il avoit pris les mceurs de la vie monafiique, fans perdre celles de la Cour. Auftere & grav£ dans fon maintien , affidu a la pfalmodie , grand jeüneur dans le cloitre ; mais gai dans le commerce du monde, qu'il n'avoit pas abandonné: afFable & carelTant, fe prêtant volon- MlCHEL Palèologue.An. 1267,  MlCHEZ, Paléo- IOGÜE, ia, 1267. 1 1 j ] 256 HlSTQ-I&B tiers a la plaifanterie, adroit a faire fa cour aux grands Seigneurs, millement ennemi de la bonne chere, & lorfqu'il fut Evéque, traitant avec une délicateffe recherchée ceux qu'il recevoit a fa table, a laquelle il invitoit de préférence ceux que 1'état de leur fortune obligeoit k la frugalité dans leur domeftique , & fe plaifant k répéter les ades de cette efpece de charité peu épifcopale. C'eft ainfi que les Hiftoriens, qui ont vécu avec ce Prélat, nous le repréfentent;. & cependant ils 1'annoncent comme un homme firnple,. & comme un modele de yertu. Ne diroit-on pas qu'ils ent tracé ce portrait au fortir d'un de ces repas du Patriarche? C'étoit a i'Archevêqïie d'Héraclée, nommé Pinacas, qu'il appartenoit, felon un ?ncien ufage, de facrerle Patriarche t -nais Jofeph ne voulut pas recevoir ie lui 1'impofition des mains, paree 511e ce Prélat avoit été ordonné par Sermain, qu'il regardoit comme un _ntrus. L'Empereur eut la complaiance de fe prêter a ce caprice. II fit >affer Pinacas, de 1'Archevêché d'Héraclée , a la dignité de chef du Clergé  nu Bas-Empirb. Liv. C. 257 'du palais; & le Prélat accepta volontiers eet échange, paree que le revenu étoit plus confidérable. Par ce moyen , le fiege d'Héraclée, étant devenu vacant, Grégoire, Archevêque de Mitylene , fut choifi pour confécrateur, & Jofeph fut facré le premier jour de 1'année i%68. L'abfolution de 1'Empereur étant le principal objet de 1'éleöion de Jofeph, le Prince lui laiffa le mois tout entier, pour délibérer avec les Evêques, fur ce qu'il falloit faire pour donner è.cette aéiion laforme laplus authentique. Pendant ce temps-la, pour ne fufciter aucun obftacle, il eut grand foin d'entretenir la bonne volonté du Patriarche , en lui accordant fur le champ tout ce qu'il defiroit. A la priere du Patriarche, les prifons s'ouvrirent, la grace fut accordée a plufieurs criminels, déja condamnés a mort; les exilés furent rappellés. L'Empereur pardonna k ceux dont il avoit recu quelque offenfe. II fit même plus que le Prélat u'eüt ofé demander. On publia clans tout 1'Empire, un édit, qui enjoignoit a tous les Magiftrats , d'exécu- Michel Palèologue.An. 126S. XL VII. Abfolution de 1'Empereur. Pachym. ?. 4,c. 2;. Grttr.l 4, e. 8.  .Michel Palèologue.Ka. 1268. ï ! 258 HlSTOIRE ter les ordres du Patriarche comme ceux de 1'Empereur même, menacant d'une punition févere ceux qui refuferoient d'y obéir. Tout étant préparé pour cette augufte cérémonie , le deuxieme de Février, jour de la Purification, après qu'on eut paffélanuiten prieres , felon la coutume d'alors, a la lumiere d'une infinité de flambeaux, le matin, le Patriarche célébra la meffe, pendant laquelle 1'Empereur, accompagné de fes gardes, du Sénat & du peuple, demeura dans le veftibule de 1'Eglife ; les Evêques, revêtus de leurs habits pontificaux, étant dans le fanctuaire.^ Lorfque le faint facrifice fut achevé, 1'Empereur, tête nue , s'avanqa. vers la porte du fancfuaire, & profterné auxpieds du Patriarche, il fit fa confeffion a haute voix , & deman da humblement pardon. Le Patriarche , le lahTant profterné, lut d'a3ord un acte, dans lequel étoient dif:incf ement exprimés les crimes comnis par 1'Empereur, en violant tant le ferments, & en faifant crever les feux a Lafcaris. II prononca enfuite a formule d'abfolution. La même fer-  su Bas-Empire. Liv. C. 259 mule fut lue & prononcée par tous i les Evêques, Fun après 1'autre, 1'Empereur fe profternant devant chacun d'eux , & demandant le pardon. Toute l'affemblée fondoit en larmes, & i imploroit fur le Prince la miféricorde ; divine. Enfuite 1'Empereur s'ètant relevé, fut admis k la fainte communion. Après avoir fait fon aflion de graces , il falua toute l'affemblée , & fe retira au palais. II affigna k Lafcaris un riche revenu , pour vivre 1 avec opulence dans le chateau de I Dacybize , &z il eut dans la fuite wn : foin particulier de le confoler dans : fon malheur, en lui témoignant, par j des paroles & par des efFèts , les rei grets les plus vifs & la tendreffe la plus inutile. Michel Palèologue. A.n. 1268.   %6i S O M M A I R E D V LIVRE CENT-UNIE ME. ï. S C H I S M E entre les Grecs. 11. Précautions de Michel pour fe maintenir en paix. UI. Mauvais état de l'Orient. IV. Caufes de guerre entre Charles , Roi de Sicile, & Palèologue. V. Préparatifs des deux Princes. vi. Duras ruinè par un tremblement de terre. VII. Michel a recours d Saint Louis. VIII. 11 lui envoye des Amhaffadeurs devant Tunis. IX. Révolte c£Andronic Tarchaniote. X. Jean' defpote marche contre Jean le Bdtard. XI. Stratagême de Jean le Bdtard. Xli: Défaite des Grecs. XIII. Vicloire des Grecs fur mer. XIV. Mariage d'Andronic. XV. Andronic reqoit le titre d'Empereur. XVI. Indigne traitement de Jean, frere de l'Empereur. XVII. Mariage d'une fille d'Eulogie, avec le Roi des Bulgares. XVlll. Projet d'alhance avec le Cralt  %'6t SOMMAIRE de Servië, fans fuccès. XIX. ExpèdU tion dans l'ifle de Négreponi. Xx. Les Grecs battus par Jean le Bdtard. XXI. Mouvements de Palèologue pour la réunion. XXII. Premières démarches de Michel auprès de Grégoire X. XXIII Progris de Michel pour la réunion. XXIV. Mort de Baudouin & d'Arfene. XXV. Kéjijtance des Lveques. XXVI. Violences exercées contre Michel. XXVII. Députés envoyès au Pape. XXVIII. Cow cile de Lyon. XXIX. Dèpofaion de Jofeph. XXX. Veccus Patriarche. XXXI. Exil de Jofeph. XXXII. Puiffance des Génois fur mer. XXXIII. Piraterie des Génois punie. XXXIV. Colere de tEmpereur contre les Génois. xxxv. Lettres des deux Empereurs & de Veccus au Pape. XXXVI. Nouveaux troubles oc* tafinnnèspar les Schifmatiques. XXXVii; Jean le Bdtard fe révolte , 6* devient perfècuteur. Xxxvni. Marie, Reine de Bulgarie , adopte Vinceflas. XXXIX. Un porcher, nommê Lacanas , fe fait Roi de Bulgarie. XL. Palèologue reconnoit Afan , fils de Mifoi, pour Roi de Bulgarie. XLI. Afan èpoufe une fille de (Empereur. XLII. Difpenfe de mariage pour une autre fille de {Empereur, XLIH.  DU L I V R E CK 263 Marie , femme du feu Roi de Bulgarie tpoufe Lacanas , meurtrier de fon mari, XL iy. AWtfi /// re/„yj ,i <* ^«yo« la permiffion de faire la guerre a Palèologue. XLV. Infiruclion du Papt Nicolas d fes Nonces. xlvi. Les Bulgares abandonnent Lacanas pour Afan. XL VII. ^/in s'ailie d Ter ure qui le trahit. XLVlii. Lacanas eft tué dans un feflin par ordre du Roi des Tartares. XLIX. Afan abandonne le tróne de Bulgarie, &y eft remplacépar Tertere. L. L Empereur indifpofé contre Veccus. LI. Singulier chef d'accufation contre ce Prélat. Ui. L'Empereur réduit la jurifdiction du Patriarche. LUI. Veccus quitte fon fiege. LIV. Difcours de Palèologue, pour préparer les efprits d entendre les Ambaffadeurs du Pape. LV. Audience donnée aux Ambaffadeurs du Pape. LVI. lis vont aux prifens voir les Princes qui y font aux fers. LVII. Veccus rètabli. LVHI. 11 écrit en faveur de la réunion, & affemble un Synode, lix. Décifion du Synode fur une rature faite d un texte de St. Grégoire de Nyffe. lx. Difcours artificieux de Michel aux Schifmatiquts. LXI. Cotanyfe, chef des Serves révoltés , fifoumet &fefait moine, lxii, La ville  £04 SOMMAIRE DU LlV. CIe.. de Tralies prife par les Turcs. LXlir.' Mort & funérailles £ Anne, femme £ Andronic. LXIV. L'Empereur regie le cofsume de Porphyrogenete LXV. Le Pape Martin IV regoit mal les Ambaffadeurs Grecs. LXVI. Palèologue eft tentê de fe fèparer des Latins. Lxyil. II fait crever les yeux d Manuel & d Ifaac. LXV1II. Il maltraité les Moines. LXIX. Le Médecin Perdiccas a le ne{ coupé. LXX. Supplice de Caloïdas. LXXI. Muzalon regoit la baftonnade. LXXü. Ligue du Pape & des Princes Latins contre Palèologue. LXXili. Les troupes de Charles d'Anjou èchouent devant Bellegrade. LXX1V. Triomphe des Grecs. LXXV. Palèologue entre dans la confpiration des Siciliens contre Charles d'Anjou. LXXVI. Majft cre des Vêpres Siciliennes. L X X V11. Jean Commene, Prince des La^es, confent d quitter la pourpn impériale. LXXVIII. Palèologue part pour une expèdition contre le Prince de ThefCalie. LXXIX. 11 tombe malade, & meurt. HlS TOIRE  HISTOIRE D U BAS-EMPIRE. LIVRE CENT UNlEME. MICHEL PALÈOLOGUE. L'ÉlectïON de Jofeph, loin d'appaifer les troubles, comme 1'Empereur 1'avoit efpéré, en excita de nouveaux. Le parti d'Arfene prit de plus grandes forces. Les ames pacifiques, qui faifoient le plus petit nombre , reconnoiffoient fans répugnance le Patriarche actuel, & obéiffoient h Jofeph. Les Moines, pafTom* XXÏl. M Michel Palèologue. An. 1168. I. Schifmo entre les Grecs. Pa:hym. 1. 4. C. 18.  Michel Palèologue.An. 126S. 2fj<5 HlSTOI&E fionnéspour Arfene, crioient de rou» tes parts, que fa dèpofition étoit injufle; que l'umque remede des mauxde FEglife étoit de Le rappeller; que Jofeph. n'étoit qu un intrus, ci-devant dêclarêpour Arfene contre Germain, maintenant ennemi de Germain & d'Arfene, dont il avoit enlevéles dêpouilles ; qu'en relevant L'Empereur de l'excommunication contre la définfe du vrai Patriarche, il l'avoit luimême encourue ; & fur ce point ils débitoient avec triomphe des maximes de droit & de difcipline. Le ton d'au» torité , la gravité de leur maintien , 1'air de fainteté répandu fur leurs vifages, prêtoientl'évidence a leurs raifonnements. Les maifons étoient divifées. Les meres,les filles de familie, qui époufent avec chaleur tous les fentiments de leurs direöeurs fpirituels , ne ceffoient de difputer contre leurs maris & leurs peres. Les Moines même du monaflere de Galefe n'épargooient pas davantage leur ancien Abbé. Arfene étoit 1'unique Patriarche de toxis les cloitres. A la tête du parti tonnoit le Moine Hyacinthe, homme de haute taille & d'une voixforte,ardent, intriguant,  nu Bas-Empire. Liv. CL 267 ihardi, dévoué de tout temps au Pa; triarche Arfene. II étoit hautement protégé de Marthe, foeur de 1'Empereur , qui, après la mort de fon mari, avoit pris 1'habit monaftique, avec fes deux filles, veuves comme elle, Mais ces Princefies, en entrant dans Ie cloïtre, n'avoient pas pris tout-afait eet efprit de paix & de filence, qui doit régner dans ces faintes retraites. Jofeph employa d'abord les voies de douceur pour appaifer ce foulevement des efprits; mais s'en étant trop tot ennuyé , il eut recours è des moyens qui ne firent que 1'ac> croïtre. L'Empereur, a fa priere, vou{ kit ufer de fon pouvoir. George AcroI polite eut ordre de réprimer les rél fratfaires par des chatiments, des prifons, des exils. Jofeph n'y gagna [ qu'un furcroit de haine : plufieurs mêi me de ceux qui lui avoient été fa\ vorables, s'éloignerent de lui comme 1 d'un tyran, II apprit alors combiea ! avoit été plus fage la modération de Germain, ion prédécefleur, qui fermant 1'oreille aux difcours injurieux \ contre fa perfonne, n'avoit jamais montré de reifentiment: mais GerM ij Michel Palèologue.An. 126S.  ïrllCHEL Palèologue.An. 1268, II. Précautions de Michel pour fe maintenir en paix. Pachym. I. 4. £. Jö. 268 H I S T 0 I it E main étoit un homme doux & patiënt , en qui 1'ufage du monde avoit corrigé 1'aigreur monaftique. Aufli conrinua-t-il, après fon abdication * d'être honoré du Prince , auprès duquel il conferva toujours le plus grand crédit, dont il ne fe fervit jamais que pour le bien des autres. Ces conteftations troublant la paix en-dedans, 1'Empereur tachoit du moins de fe la procurer au-dehors. Après la mort de Michel, defpote d'Epire,Nicéphore, fon fils légitime, régnoit tranquillement dans les Etats que lui avoit laillé fon pere.Mais Jean, que nous nommerons déformais le Batard, pour le diftinguer des autres Princes de ce nom , efprit inquiet & r,é pour la guerre, fe trouvant trop reflerré dans fon partage, empiétoit tous les jours fur les terres de 1'Empire , & y portoit le ravage., L'Empereur, qui connoiffoit fon audace, ne crut pas a propos de Fir-i riter, fur-tout dans la première ardeur d'un nouveau regne. II aima mieux fe 1'attacher par une alliance; & pour s'afTurer de fon amitié, il lui demanda fa fille pour fon neveu An-  bv BsIS-Empirx. Liv. CL 269 «Ironie Tarchaniote, fecond fils de fa fceur Marthe. Jean s'en trouva honoré. L'Empereur envoya chercher la jeune Princeffe, & la fit amener a Confiantinople avec un brillant cortege. Les préfents de noces furent ceux d'un Empereur. II donna a fon neveu la dignité de grand Connétable, & au pere le titre de Sébaftocrator. II étoit en repos du cöté de la Theffalie; il ne négligea pas les autres frontieres. II entretenoit de bons corps de troupes fur les limites de la Bulgarie Sc de la Servië, & contenoit en paix ces nations remuantes, en leur montrant qu'il étoit prêt a la guerre. Une flotte nombreufe, bien fournie de foldats Sc de matelots, 8c commandée par Philanthropene, gardoit les cötes Sc les ifles. II étoit perfuadé qu'il ne feroit pas en fureté fur terre, s'il n'étoit pas maitre de la mer. Jean, defpote, frere de 1'Empereur, étoit, par fa valeurSc fa fcience militaire, le défenfeur de 1'Empire, Sc la terreur des ennemis. Mais occupé fans ceffe, fur la frontiere occidentale , a tenir en refpecl; les Bulgares, M iij Michel Palèologue.An. izóS. III. Mauvais état de 1'Orienr. Pachym. U 4. (. 27i  MlCHEl Paléo- IOGUE. In. 126S. 1 < 1 1 I < < 1 t ,i 1 i I 4 I 270 HlSTOthE les Serves, les Dalmates, & les na*tions Latines encore maitreffes d'une partie de la Grece & de la Morée, il ne pouvoit étendre fon bras fur 1'Orient. Palèologue étoit retenu a Confiantinople par les mouvements féditieux des partifans d'Arfene, auxquels fe joignoient les Grecs fanatiques , qui le foupeonnoient de facrifier fa foi & la franchife de leur Eglife aux intéréts de la Cour Romaine. Pour conferver 1'Orient contre 'es progrès des Turcs, il auroit fallu in fecond Général égal a fon frere. Dénuées de ce fecours, ces Provinces étoient prefque abandonnées. Les roupes, en petit nombre & mal comnandées, n'étoient employées qu'è :xécuter les rapines & les brigandages le Gouverneurs avares & raviffeurs, jui trompoient le Prince par de faux apports, & lui diffimuloient fes peres. Les places les plus confidérables lont les Turcs fe rendoient maitres, i'étoient, a les entendre, que de miérables bicoques, qui ne valoient pas a perte d'un foldat, & qu'on reprenIroit fans peine. C'eft ce que reconnit 1'Empereur lui-même, lorfque  du Bas-Empirs. Liv. CL 271 Vers la fin de fa vie , s'étant tranfporté fur les lieux, il ne vit plus que des déferts, 011 il avoit vu de fertiles campagnes. Ce vafte contour qu'arrofe le Méandre, auparavant fi bien cultivé, & fi abondant en hommes &£ entroupeaux, qu'on pouvoit, dit un Hifiorien, 1'appeller une feconde Palefline, étoit devenu prefque fauvage. Les Monafteres, qui y fleuriffoient en grand nombre, & qui, par une culture aflidue, avoient enrichi la terre, & donné la vie a ces belles contrées, alors détruits & renverfés , ne fervoient plus que de repaires aux animaux féroces , & de campements aux barbres. Tout le pays, depuis le fond de la Carie, vis» a-vis 1'ifle de Rhodes, jufqu'a la mer de Bithynie, ne préfentoit que des ruines. Le Sagaris bornoit un Empire qui s'étoit étendu jufqu'au Tigre, 5c ce n'étoit plus que par mer qu'on confervoit une communication avec Héraclée, Amaftris & la cöte de Paphlagonie. Sans les fecours que les iflottes y portoient, ces villes , ainfi que leur voifinage , auroient depuislong-temps été la proie des Turcs, M iv MiCHEt Paléo- iogue. An. iz6S,  Wichel Palèologue.An. 1169. IV. Caufes de guerre entre Charles , Roi de Sicile, & Palèologue. Pachym. 1.4 c. 29. I. 5 e. 8 , 10. Greg. I. 4 , <■ 5 l. 5f. f. Phran\a , l. I. c 6. 5' . S . 48 , 49, 51Raynald. Histotrz Les menaces d'une nouvelle guerre en Occident, de la part d'un Prince plus redoutable que les autres ennemis de FEmpire, tournerent encore de ce cöté-lè toutes les précautions de Palèologue. Voici quelle en fut 1'occafion. Mainfroi, ufurpateur du Royaume de Sicile, gendre du defpote d'Epire, avoit aidé fon beau-pere dans les guerres continuelles qu'il faifoit a 1'Empereur. Cette inimitié déclarée avoit attiré Baudouin, fugitif, k la Cour de Sicile, oü il avoit été recu avec honneur ik bienveillance. Quelque temps après; le Pape Urbain IV avoit excommunié Mainfroi; & difpofant du Royaume de Sicile , comme d'un fief du Saint Siege, il en avoit invefti le frere de St. Louis, Charles, Comte d'Anjou , qui fe prépara auifitöt k s'en rendre maitre par les armes. Palèologue, qui n'avoit rien tant k cceurque d'enlever k Baudouin toutes fes refTources, offrit k Mainfroi fon fecours contre Charles; ce que le Sicilien embraffa avec empreffetnent, & Baudouin fut obligé d'aller :hercher un afyle dans la Cour du Pape, & peu de temps après dans  du Sas-Empirb. Liv. CL 273 celle de France, oü 1'on préparoit. pour le rétablir fur le tröne, une de ces expéditions que les bulles des Papesconfacroient fous le nom de Croifades. Cependant Charles d'Anjou, ra pide conquérant, gagna, prés de Bé" névent,une grandebataille, oü Mainfroi , malgré le fecours des Grecs ,per dit la couronne & la vie. Un fuccè' fi éclatant jetta la terreur dans le cceui de Michel; il craignit que ce Prince devenu Roi des deux Siciles, ne portat fes armes jufque dans la Grece , & n'entreprit de -lui arracher 1'Empire Pour prévenir ce danger, il s'adrefTi au Pape , arbitre fouverain de toute les démarches de Charles. II y avoi déja deux ou trois ans que 1'affain de la réunion des deux Eglifes rou loit entre la Cour de Rome & celli de Confiantinople. Mais les tergiver fations de Michel entretenoient le défiances des Papes. Clément IV avoi fuccédé a Urbain. Michel 1'envoya fé liciter de fon élévation fur la chair de St. Pierre; il lui demandoit 1; réumon, & lui promettoit obéiffance Clément, qui dtmêlolt aifément le motifs de cette foumilfion, lui répon M v MlCHEt Palèologue.An. 1269,' i L t t t S  Michel Palèologue.An. 1269. V. Préparatifs des deux Princes. ( ] I 274 HlSTOIRE dit qu'il s'y prenoit trop tard, après s'être ligué avec Mainfroi, & qu'il étoit aifé de voir que fon deffein n'étoit pas de fe foumetfre a 1'Eglife, mais de la détacher des intéréts de Baudouin. Celui-ci, de fon cöté, employoit avec plus de fuccès la faveur du Pape a fe concilier la pro» te£tion du nouveau Roi de Sicile. II fe fit entre ces deux Princes un traité, qui partageoit entr'eux les terres de 1'Empire, lorfque Charles en auroit fait la conquête ; & pour gage de cette alliance, Charles donna k Philippe, fils de Baudouin, fa fille Béatrix, qui n'étant pas encore nuhile, le mariage ne fut confommé que cinq ans après. Pendant que Baudouin travailloit en France k former une ligue en fa faveur, le R.oi de Sicile préparoit un armement formidable de terre & de mer. II avoit deffrin de faire paffer fes troupes de Brindes au port de Duras , dont la ville fut alors détruite par un tremblement de terre, ainfi jue je le raconterai tout-a-l'heure. Michel, de fon cöté, prenoit les meures les plus fages pour fe défendre.  du Bas-Empire. Liv. Cl. ifS II fit dans Confiantinople de grands magafins de vivres , d'armes & de machines de guerre. II mit fa flotte dans le meilleur état. II diftribua autour de la ville des poftes nombreux de gardes avancées. Au-lieu de deux ports qu'il avoit fur la Propontide, & qui, par leur fituation, s'ouvroient aux infultes d'une flotte ennemie, il en fit reconftruire un ancien beaucoup plus fur. On 1'entoura d'une forte muraille; on en creufa le baflin avec le vif-argent pour y donner plus de profondeur; on le ferma d'une groffe chaine. Pour s'affurer des Génois qui habitoient le fauxbourg de Péra, if s'attacha plus que jamais, par des bienfaits, les principaux d'entr'eux, & les engagea a lui jurer une fidélité inviolable. Mais de toutes les précautions que prenoit Palèologue, celle qui hii paroiffoit la plus importante & la plus capable de défarmer fes ennemis, étoit de mettre ls Pape dans fes intéréts. II ne fe rebuta pas du refus qu'il venoit d'effuyer de la part du Saint Pere.. II lui envoya en ambaffade des. Religieux de la Communion Romaine, qu'il faM v| Michel Palèologue.An. 1269»  Michel Palèologue,An, 1269. 1 I 1 é l I f e g ti V d rr q' dj s?6 H I $ T 0 I R E voit lui être agréables. II les chargea d'affurer le Pape de la fincérité de fes intentions. II n'oublia pas de ménager, par des préfents, la faveur des Cardinaux. Clément confentit enfin k écouter les propofitions de Palèologue , & devint bien moins ardent a feconder les vues ambitieufes de Charles d'Anjou. Comme Michel lui témoignoit beaucoup de douleur des vertes que les Arméniens , fideles k 'Eglife Romaine, effuyoient alors le la part des Sarrafins, le Pape lui 'épondit que le meilleur moyen de errafferces infideles, étoit de fe joinIre a Louis, Roi de France, qui aloit marcher contr'eux en perfonne vee fes trois fils, & que s'il appréendoit que, pendant fon abfence, les ■atins n'attaquaffent fon Empire, il ; mettroit k couvert de ce danger ti fe foumettant de bonne foi a FE* life Romaine ; que fous fa protecon, il n'auroit rien k craindre de Dccident, Pour écarter les obflacles amefliques, il fit part de fes déarches au Patriarche & aux Evêies; il leur en expofa Ia nécefïité ns les conjonciures préfentes, &  nu Bas-Empire. Liv. CL 277 les Prélats les plus oppofés parurent les approuver, dans 1'efpérance qu'elles n'auroient aucun fuccès, ou que fi elles réuffiffoient, ils trouveroient aifément, & dans le Clergé, & dans la haine nationale, de quoi rompre toutes ces memres. La ville de Duras, dont la poffeffïon avoit été tant de fois difputée entre les Empereurs & les Princes 1 d'Epire , & qui appartenoit alors au J Roi de Sicile, fut dans ces jours-la < renverfée de fond en comble, par un des plus horribles tremblements de terre dont 1'Hiftoire faffe mention. Au commencement de Mars 1269, on entendit pendant plufieurs jours des rughTements fouterreins, qui, croiffant de plus en plus, devinrent enfin li éclatants & fi continus, que quantité d'habitants, faifis d'épouvante, abandonnerent leurs demeures, & fe réfugierent dans les campagnes. Enfin, après tant de menaces, arriva une nuit affreufe, qui fut la derniere pour cette malheureufe ville. La terre, ébranlée jufque dans fes entrailles, renverfa tout ce qui s'élevoit fur fa furface. Ce n'étoit pas des fecoufles Michel Palèologue.\.a. 1269, Vï. Duras uiné par in trera* leraent e terre. Pachymi - 5- «• 7'  Michel Palèologue.ia. 1269, j j 1 1 1 278 H I S T 0 I R z direfles, mais des balancements ré** ciproques, & comme des convulüons horifontales . qui, détachant les pierres les unes des autres, & leur faifant perdre leur affife, les portoient avec violence en fens contraire, conv me fi elles euffent été frappées par des machines oppofées. Les édifices les plus élevés tomboient les premiers, $£ écrafoient leur voifinage. Des habitanfs , les uns périflbient enfevelis fous les ruines de leurs maifons; les autres fefauvant dans les rues, y trouvoient leur tombeau fous la chüte des batiments. Au fracas de ces bouleverfements, aux cris des malheureux , fe joignoit le mugiflêment des eaux de la mer, qui ,.s"élevant du fond de fes abymes, menacoit d'un nouveau déluge les débris épars fur fes rivages, Ceux qui s'étoient réfugiés dans les campagnes , frappés de tant d'hor-eurs, au milieu des ténebres d'une luit épaifie, pales d'effroi,& tremjlants pour eux-mêmes, attendoient ur leur tête la chüte du ciel même, k la deftruftion de 1'univers. Enfin, es premiers rayons du jour étant veiu éclairer ce défaftre, on ne vit de-  du Bjs-Empire. Lh. CL % 79 bout que la citadelle. La folidité de fa conftruöion avoit fetile réfifté. Tout ■ le refte reö'embloit a une immenfe fépulture, fi ce n'eft que d'efpace en efpace des cris lamentables & de lugubres hurlements, percoient au travers des ruines. Les habitants d'alentour accoururent en foule, s'empreffant de fouüler ces décombres, les uns pour fau ver ceux qui refpiroient encore; les autres, en beaucoup plus grand nombre , pour enlever les richeffes qui n'avoient plus de poffeffeurs. L'Evêque Nicétas futtrouvé encore vivant fous des monceaux de pierres, le corps brifé & couvert de bleffures,. dont les cicatricestémoignerent,pendant toute fa vie, le péril qu'il avoit couru, & Ia bonté divine qui Favoit fauvé. Les préparatifs que Louis, Roi de '■ France, faifoit alors pour la guerre ' contre les Sarrafins, donnoient a Michel de grandes inquiétudes. Ilcrai- , gnoit que ce Prince puiffant, après J avoir triomphé de ces infideles, ne fe 1 joignit a fon frere, le Roi de Sicile, ; pour rétablir Baudouin. II lui envoya donc des Ambaffadeurs, pour Faffurer Michel Palèologue.An. 12694 La. 1270, VU. Michel a ecours s >t. Louis. 'achym. l, . c. 9, Raynald.  Michel Palèologue.An. 1270. vin. II lui en- voye des Ambaffadeurs devant Tunis, ftgo HlSTOlRË qu'il étoit ctens la difpofition d'abjurer le fchifme , & qu'il Ie choififfoit pour arbitre de fes différends avec 1'Eglife Romaine. Louis refula eet honneur, mais il lui promit fes bons offices; & comme le Saint Siege vaquoit alors par la mort de Clément, il députa aux Cardinaux aflemblés pour 1'éleclion d'un nouveau Pape. Ceux-ci le féliciterent de fon zele, ck 1'exhorterent a continuer de travailler a la réunion a laquelle 1'Eglife Romaine fe porteroit avec joie, fi les Grecs s'y prêtoient plus fincérement qu'ils n'avoient fait jufqu'alors. Le faint Roi campoit devant Tunis , lorfqu'il vit arriver un Légat, envoyé par les Cardinaux. II venoit I 1'inftruire de tout ce qui avoit été faitl avec les Grecs fous les Pontificats des deux derniers Papes , &£ lui mettre entre les mains la formule de profeffion de foi, que Clément avoit dreffée, & fur laquelle il exigeoit le fer-i ment de 1'Empereur & du Clergé Grec. Ce Légat mourut de la peftei qui affhgeoit 1'armée Francoife. Michel comptoit fur 1'autorité que donnoit a Louis, fur 1'efprit de fon frere,  nu Bas-Empire. Liv. Cl. 281 ion age, & plus encore fon génie & fa fainteté. II fit de fon cöté partir des Ambaffadeurs ; c'ctoient le Chartophylax Veccus , & PArchidiacre Méliténiote. Ils avoient ordre d'aller par terre s'embarqner au port de la Valonne, &r de ranger les cötes de Sicile , pour paffer en France, oü 1'Empereur croyoit que le Roi étoit encore. Mais en touchant au cap Paffaro, ils apprirent que le Roi étoit déja en Afrique. Ils y firent voile, & elfuyerent fur la cöte une violente tempête qui les mit en grand péril. Ayant gagné le rivage avec peine, ils trouverent le Roi attaqué du même fléau que fes troupes. Ils furent témoins de la valeur des Francois , qui , prefque mourants , remportoient encore des vi&oires, & de Ia fainte fermeté de leur Prince, qui, tout-a-la-fois humble Chrétien & héros intrépide , attendoit la mort avec la même tranquillité qu'un triomphe. II leur donna audience la veille de fa mort, & écouta favorablement les lettres de Michel , qui le prioit de détourner fon frere de faire la guerre a 1'Empire. La vue édifiante de la Michel Palèologue. An. IZ70.  Michel Palèologue.An. 1270. IX. Revolte d'Andronic Tarchaniote.Paciym. I, 4- c 3°. 282 IIjrSTOIM.lt mort du faint Roi fut le feul fruit qu'ils retirerent de leur ambaffade. Mais le voyage que Charles d'Anjou fit a Tunis, & les fuites de la mort de Louis, fufpendirent les opérations de la guerre contre les Grecs. II s'étoit embarqué pour courir au fecours de fon frere , & ne trouva , en arrivant, d'autre foin a prendre que celui de fes funérailles. Cette diverfion, qui occupoit ailleurs le Roi de Sicile, devoit procurera 1'Empereur quelqvie intervalle derepos. II s'éleva, du fein de fa propre familie, un nouveau fujet de troubles. Son neveu Andronic Tarchaniote avoit, comme je 1'ai dit,époufé la fille de Jean le Batard. II gouvernoit la Province du 'mont Hémus , & pour cette raifon il avoit fixé fon féjour a Andrinople. II apprit que Michel, ion frere puiné, venoit d'être honoré de la charge de grand Domeftique, dignité fupérieure k celle de Connétable dont il étoit revêtu. Piqué de jaloufie , il réfolut de fe venger fur fon oncle & fur 1'Empire, de cette préférence, qu'il regardoit comme injurieufe. II appella les Tar-  nu Bas-Empire. Liv. CL 283 tares, qui firent d'horribles ravages. Abandonnant fon gouvernement, il fe fauva avec fa femme chez fon beaupere. II ne lui fut pas difficile d'engager a une guerre ouverte ce Prince remuant, qui, ne cherchant que des occafions de s'aggrandir, avoit déja envahi une partie de la Theffalie. Palèologue, irrité de cette trahifon, arma fur terre & fur mer. II mit fur pied quarante mille hommes Grecs, Turcs , Comans. II y joignit deux grands corps de cavalerie, tirée de Paphlagonie & de Bithynie, tk donna le commandement de cette armée a fon frere Jean , defpote, qui avoit or- ' dre de faire encore de nouvellps !evées en Thrace &c en Macédoine. Une • partie de ces forces étoit deflinée pour [ la flotte; elle étoit de foixante-treize ' voiles, fous le commandement de Philanthropene, qui devoit feconder les opérations de 1'armée de terre, en infeftant les cotes ennemies, & en arrêtant par fes defcentes & fes ravages les fecours qu'on pourroit envoyer a Jean le Batard. Ce plan, drefle par Palèologue, eut d'abord tout le fuccès qu'il efpéroit. Tandis MlCHEl Palèologue.An. 127e. An. I27J. X. Jean defpote mar:he con:re Jean e Batard. °achym. I, t. c. 31. Gregor. /. f. c. 9. Ou Cangty ifl.l. J.c, 9 1 4°.  Michel Palèologue.An. 1271, £84 HlSTOIRE que la flotte portoit le fer & la flamme fur tous les rivages de la Theffalie, le defpote, pénétrant dans 1'intérieur du pays, défoloit les campagnes , emportoit de vive force les places qui n'ofoient réfifter; la plupart fe rendoient a fon approche. Les Comans, nation infidelle , fignaloient leur impiété &c leur barbarie , en maffacrant, briïlant, détruifant le facré comme le profane , malgré les ordres du defpote , qui ne pouvoit les contenir. Le Batard , hors d'état de tenir tête a une armée fi fupérieure, voloit de toutes parts; il n'avoit d'efpérance que dans quelque furprife, dont la vigilancc du defpote ne lui donnoit nulle occafion. Fuyant de pofte en pofte, par-tout découvert, 1 par-tout pourfuivi, abandonné enfin de fes troupes, & ne confervant avec ' lui que fa maifon, il s'enferma dans Néopatras,fa capitale, qu'il avoit de- II puis peu fortifiée. Le defpote vient aufti-töt 1'y aftiéger. La fituation de cette ville, fur un tertre élevé, en rendoit 1'attaque difEcile; mais le defpote déterminé a ne pas quitter prife, battoit la place de toutes fes machi- |  du Bas-Empire. Liv. CL 285 nes, & fe flattoit que fa proie ne lui échapperoit pas. Cependant, pour abréger le temps, il travailloit a gagner les habitants ,leur propofant une capitulation avantageuie , & les menacant du traitement le plus rigoureux , s'ils attendoient 1'affaut. Sere^vous ajfe{ infenfès , leur difoit-il ,pour facrifier vos biens, votre vie, celle de vos femmes & de vos enfants, d l'interêt d'un homme fans foi, auteur de tous vos maux, CV qui vous plongera encore dans de nouveaux malheurs:' Les habitants, par le confeil même de Jean, répondoient, qu'ils étoient difpofés d fe rendre ; mais qu'ils ne pouvoient encore ex écuier ce qu'ils defiroient: qu ils demandoient en grace qu'on fufpendit les attaques, pour Leur laiffer le temps de fe défaire d'une garnifon qui les tenoit en bride ,&defc rendre maitres de la perfonne de leur tyran. Le defpote , dans 1'efpérance d'un fuccès complet, qui ne lui coüteroit point de fang , fit taire fes batteries, & fe contenta de tenir la place bloquée. Alors le Batard , qui voyoit fa perte inévitable, s'il s'obftinoit a défen- a dre une place, bien garnie de foldats J s Michel Paiéo- IOGUE, A.n. 12714 XT. StratagêN» ie de san le atard.  Michel Palèologue,An. 1271, ] 3 » I 1 1 1 f 1 I C E P 2ü6 HlSTOIRE k la vérité , mais mal pourvue de vivres, prend confeil de fon audace Sz de la nécefïité. N'ayant communiqué fon deffein qu'au Gouverneur, il choifit une nuit trés-noire, fe déguiie en valet d'écurie ; ck étant monté fur le mur, il en defcend le long d'une corde , & tenant en main une bride de cheval, il entre dans le camp ennemi, en demandant a grands cris , en Grec barbare, fi quelqu'un ne pouroit lui donner nouvelles du cheval le fon maitre qui s'étoit échappé. Les fentinelles le laiffent paffer, en "e moquant de lui. Les foldats , courhés dans leurs tentes, fe réveillant 1 fa voix, les uns rient, les autres juent, aucun ne 1'arrête. Ayant ainfi raverfe tout le camp, il arrivé k un ietit monaliere éloigné, & fe décou're a 1'Abbé, qui lui donne cinq cheraux & autant de domeftiques. Avec et équipage , il pafft kb Thermopy?s, ck vient k Thebes trouver le grand )uc, nom mé Jean de la Roche, qui toit aufli Duc d'Athenes. II lui delande du fecours dans un befbin fi reffant, ck lui offte une de fes filles a mariage. Le Duc acctpte ceite al-  nu Bjs-Empire. Liv. Cl. 287 j lïance, non pas pour lui-même , il | étoit accablé de maladies , mais pour I Guillaume fon frere. II lui donne cinq j cents cavaliers Athéniens, braves 6c expérimentés au fait de la guerre. Jean retourne aufïï-töt; 6c faiiaiit mie extréme diligence, après avoir donné a fa troupe quelques moroents de repos, avant que d'être appercu, il tombe tout- a-coup fur l'armée Grecque, qui environnoit la place , oü elle croyoit tenir Jean enrtrmé. Une attaque fi brufque jette le trouble & 1 epouvante. Dans 1'inattion oü fe tenoit alors l'armée, il n'en reftoit au camp qu'une partie; les uns s'étoient eloignés pour la chaffe; d'autres étoient allés faire du butin dans les campagnes d'alentour; le refte n'éI toit pas fur fes gardes, ne craignant fcaucun ennemi au-dehors. Tout fuif lïexcepté le brave Rhimpfa, qui comamandoit les Turcs, 6c le defpote, k la tete de fes plus vaillants Officiers. 3'Jean fond fur eux, tête baiffée,fans «leur donner le temps de fe recon«noitre; le défordre eft univedel. Ea ivain Ie defpote les rappel le , les ex*orte,lesréprimande,lesmenacemê- Michel Paiéoiogue.An. 1271, XLT. Défjite iesGrew,  Michel Palèologue.An. 1171. xiii. Viitoire des Grecs fur mer. Pachym l.&,c. 31 31./. 5.C. 1. Gregor. I, 4. c. 10. $88 HlSTOIRS me. II en faifit quelques-uns, & leur fait tourner vifage ; ils n'entendent rien ; la frayeur multiplie a leurs yeux : le nombre des ennemis. Le defpote eft ; entrainé par les fuyards, qui fe fau- | vent dans 1'épaiffeur des forêts, dans I les trous des rochers. On charge de I chaines, on dépouille ceux auxquels i on laiffe la vie. Toute la plaine eft 1 couverte decadavres d'hommes ck de ! chevaux, darmes brifées, de baga- I ges mis en pieces. Après la deftruc- \ tion de l'armée, les habitants fortent | en foule de la ville, ck vont piller le j camp, tandis que les vainqueurs pour- I iiiivent les Grecs difperles. La nuit I furvenue en fauve une partie. Ils fe | raffemblent auprès du defpote a Di- | miane, prés de Démétriade, fituée | fur le golfe Pélafgique, dit aujour-1 d'hui le golfe d'Almiro, entre le mont:. Offa & le mont Pelius. C'en étoit fait de 1'Empire, fi la 1 défaite de cette belle armée eut étdfi fuivie de la perte des forces de mer. | Phylanthropene, après avoir infefté ; , les cötes de Theffalie ck les ifles voh | fines, s'étoit retiré dans le port de i Démétriade pour y rafraichir fa flottej Les s  du Bas-Empire. Liv. CL 289 Les_ Vénitiens & les autres Latins, habitants de Candie & de Négrepont, pour fe défendre de fes infultes, avoient mis en mer trente vaiffeaux plus grands & plus forts que ceux de la flotte Grecque, chargés de tours, garnis de machines ; en forte que leur force fuppléoit avec avantage k 1'infériorité du nombre. La nouvelle de ce qui s'étoit paffé devant Néopatras enflamma leur courage. Cinq cents cavaliers, par une heureufe furprife, avoient taillé en pieces une armée de trente mille hommes; le fuccès leur étoit plus facile contre une flotte qui ne s'attendoit nullement k un combat, enferméedans un baffin d'une entrée étroite, plus foible par la forme des batiments. Ils penfoient que la furprife feroit la même, & le nombre encore plus inutile. Ils voguent k pleines voiles vers le golfe Pélafgique. Les vaiffeaux Grecs, prés du rivage, tranquilles fur leurs ancres, étoient la plupart dégarnis de leur équipage qui repofoit k terre. A la vue de la flotte ennemie, tout fe trouble & s'agite. Les matelots & les foldats fau£ent pêle-mêle dans leur bord; on leve Tome XXII. N Michel Palèologue.An, 1271,  Michel Palèologue.An. 12.71 290 H I S T 0 I K S les ancres, on fe range en bataille fur I fept lignes, chacune de dix vaiffeaux , la gorge , dont les Latins fermoient 1'iffue, n'en pouvant tenir davantage. C'étoit le foir : on demeure toute la nuit en préfence, pour combattre le II lendemain. Le defpote, averti de Papproche des Latins, accouroit en diligence avec ce qu'il avoit ramaffé de fes troupes. II arrivé, le combat étant déja cornmencé. La première ligne étoit aux prifes, & le vaiffeau amiral, qui portoit Pétendard de 1'Empire,' faifant la tête de cette ligne, étoit enveloppé des Latins. On attaquoit, on fe défendoit avec fureur. Philanthropene & ceux de fon bord fe battoient en défefpérés. Enfin, les ennemis abordent, fautent dans le vaiffeau, maffacrent, coupent en pieces, culbutent dans la mer une grande partie de 1'équipage. Philanthropene,la hache d'armes a la main, combat fans relache avec fes plus braves foldats. Les autres vaiffeaux de la ligne, attaqués avec rage, & fe défendant de même, après une longue réfiftance,perdoient courage, & viroient le cap pour prendre la fuite, Si aller échouer  nu Bas-Empire. Liv. Cl. spi h terre, lorfqu'ils appercoivent fur le rivage le defpote qui leur tend les bras, leur criant de toutes fes forces de tenir ferme, qu'il alloit les fecourir. II les encourage des yeux, de la main, de tous les mouvements de fon corps. Témoin du carnage, il fe défefpere : les genoux en terre, il implore 1'affiftance du Ciel, & fe relevant avec tranfport: Courage, amls ,s'écriet-il, Dieu vient a notre fecours. En même-temps les chaloupes des vaiffeaux abordent au rivage, & recoivent les foldats du defpote , & le defpote luimême, qui, jettant a terre fa tiare, & fe couvrant la tête de poufliere, continuant fes prieres les plus ardentes , vole a grande force vers les vaiffeaux. Les combattants fe raniment; ils s'élancent comme des lions fur la flotte Latine. Déja le vaiffeau amiral, Philanthropene,l'étendard impérial, 1'élite des foldats Grecs qui montoient ce navire, étoient entrainés par les ennemis. Les Grecs, couverts de fang & de carnage, fe précipitent fur eux, & leur arrachent cette glorieufe proie. Les chaloupes retournent & revienflent fans ceffe; elles portent h terre N ij Michel Palèologue.An. 1271,  Michel Palèologue.An. 1271, 1 1 t 292 & I S T 0 I R Ê les bleffés, & rapportent de nouveaux renforts. Tout fe mêle. On inveftit les Latins : on les chalfe du golfe, ils fe preffent & s'embarraffent eux-mêmes dans le paffage. De leurs trente batiments brifés ou pris, il n'en échap, pe que deux. Les autres font conduits avec leur équipage a Conftantinople.' La joie de ce triomphe, qui avoit coüte tant de fang, confola les foldats de leurs bleffures, & 1'Empereur, de la perte honteufe qu'on avoit efluyée fur terre. Le defpote fut le feul qui ne put fe la pardonner: jamais, le refte de fa vie, il ne reprit les ornements de fa dignité dont il s'étoit dépouillé dans fon défefpoir, fe puniffant luimeme par une dégradation volontaire , d'une faute qu'il avoit fi glorieufementréparée. Lorfqu'on lui demandoit, dans la fuite, pourquoi il s'étoit reduit au rang de fimple particulier, ü repondoit, que 1'Empereur ayant mamtenant des fils en age d'hommes, s etoit è eux feuls qu'appartenoit la econde dignité de 1'Empire. Mais fi a modeftie lui avoit fait dépofer le ure de defpote, fon mérite lui en onferva tout 1'honneur, & le peuple  du Bas-Empihe. Liv. CF. 293 continua de le qualifier de ce nom. Philanthropene avoit recu dans cette fanglantebataille de fi cruelles bleffures, qu'on défefpéra long-temps de fa vie, & le danger d'un fi brave Général affligeoit fenfiblement 1'Empereur. II eut la joie de le voir revenir en fanté. Dieu lui rendit la vie, & 1'Empereur le confola par la dignité de grand Duc. Le premier fils de Michel avoit porté le nom de Manuel, & étoit mort dans 1'enfance. Andronic, Painé \ de ceux qui lui refèoient, ayant at- J teint fa quinzieme année, Michel lui ' choifit pour époufe, la fille d'Etien- [ ne V, Roi de Hongrie. Cette Princeffe tiroit de la Grece une partie de fon origine. Elle étoit petite-fllle de Marie, que fon pere Théodore Lafcaris, Pr. du nom, avoit donnée en mariage a Béla, pere d'Etienne. Palèologue Penvoya demander par Panden Patriarche Germain , & le grand Duc Michel Lafcaris, alors dans une extreme vieilleffe,mais propre a cette ambaffade, comme frere de Théodore Lafcaris , bifaïeul de la Princeffe. Ils 1'amenerent a Confiantinople. L'EmN iij Michel Palèologue. in, 1171. XIV. Mariage 'Androic. 'achym. I. .. c. 29. ireg. I. 4. . 8.  Michel Palèologue.An. 1272, XV. Andronic recoit le titre d'Empereur. tv Bas-Empire. Liv. CL 207 1 tacles,opéroit cependant en fa faveur un effet avantageux. La Cour romaine arrêtoit le bras de Charles, I Roi de Sicile; & ce Prince, dépen• dant du Saint-Siege , n'ofoit faire ufar ge des forces qu'il avoit toutes prêtes | pour envahir 1'Empire , & rétablir \ Baudouin fur le tröne. Pendant ee I délai, Michel s'appuyoit de 1'alliance I des Princes voifins. Nicéphore, defI pote d'Epire, & Conftantin, Roi des I Bulgares, étoient ceux qui pouvoient I le fervir, ou lui nuire davantage, en i cas de guerre de la part de Charles. Ces deux Princes avoient d'abord | contrafté alliance avec la familie des I Lafcaris, en époufant les deux fceurs, l filles de Théodore II. Michel réfolut f de les attacher a la fienne ; & lorf) qu'ils furent devenus veufs , il leur I fit époufer fes deux nieces , filles de \ fa fceur Eulogie. II avoit déja donné i a Nicéphore, 1'ainée des deux, nom\ mée Anne. Conftantin, ayant perdu I fa femme Irene, qui lui avoit mis les ; armes a la main, pour venger fon i frere, le jeune Lafcaris, Michel lui offrit la feconde , nommée Marie , ' veuve de Philès. II promettoit pour N v MlCHEC Paiéo- iogue. An. 1272, Roi des Bulgare». Pachym. I. j. c. 3. dreg. I, 5. c 3.  MlCHEl Paléo- lOGUE. t 298 HlSTOIRE dot ,1a ceffion de Méfembrie & d'Anchiale. Ces deux villes avoient longtemps appartenu aux Bulgares. Conftantin, en s'emparant du Royaume de Bulgarie, les avoit données pour retraite a Myzès qu'il détrönoit, & eelui-ci les avoit cédées a 1'Empereur contre le gré du Roi Bulgare. Conftantin accepta la propofition; le traité fut conclu & afHrmé par les ferments réciproques. L'Empereur accompagna la nouvelle Reine jufqu'è Sélymbrie ; & Fayant fait conduire dela k Ternove, avec un magnifique cortege , il revint a Confiantinople: mais il ne fe preffoit pas de tenir parole. A mefure que le danger, du cöté de Charles, paroiffoit s'éloigner, il fe repentoit de plus en plus de fa promeffe; & ne pouvant, fans regret, abandonner deux places qui ouvroient 1'entrée de 1'Empire aux incurfions & aux ravages, il différoit fous différents prétextes. II faifoit entendre au Roi : Que les Grecs naturels , habitants de ces deux villes, ne fe foumettroient qu'avec peine d une lomination étrangere ; qu'il ne pouvoit 'ncore vaincre leur répugnance; qu'il  nu Bas-Empire. Liv.. Cl. aoo ■f/tlfnit minaerer avec. douceur ce chan¬ gement de maitre, & attendre que la Reine eut un fils ; qu alors ils pafferoient plus volontiers fous les loix d'un Prince ,.auquel ils verroiemt un héritier de race Grecque du cótè de fa mere. Conftantin s'appercevoit bien de la mauvaife foi de Michel : il ne fut pas long-temps a la démafquer. La Reine accoucha d'un fils ; & voyant que 1'Empereur n'étoit pas plus ditpofé a exécuter le traité, elle fut la première a exciter fon mari k fe faire rendre , k main armée ,. la juftice qu'on lui refufoit. Conftantin leva des troupes, & étoit prêt k fe mettre en campagne, fi Michel n'eüt eu 1'adrefTe de conjurer eet orage. II mit en mouvement fon gendre le Tartare Nogaïa, qui envoya fignifier au Roi Bulgare, que s'il mettoit le pied fur les terres de 1'Empire, il alloit entrer dans fes Etats avec des milliers de Tartares. Cette menace arrêta Conftantin , & fufpendit les effets de fon jufte reffentiment. L'alliance du Roi de Servië pouvoit encore être de quelques fecour; contre les entreprifes de Charles. Ce: N vj Michel Palèologue. An. 1272. XVTIÏ. Projet d'alliance i avec le  Soo Histoire Princes. MiCHEL Palèologue.An. ivfTÜ €rale de Servië fans fuccès. Pachym. 1. 1,c6. JDu Cangc, firn. p. 288. Idem. hïfl. 1.7.* 3* i i i 4 1 Ê | I 7 pcmidijis , pre- noient la qualité de Rois, ou Crales de Daknatie, de Croatie, de Dioelie, de Servië & de Rafcie. Crale figmfie Roi, en langue efclavonne. Etienne Urofc , Souverain de ces Etats , avoit ^deux fils du même nom que lui : I'un, furnommé Dragutin , étoit deja marié avec une Princeffe de Hongrie. On difoit a 1'Empereur que fes infirmités feroient tomber la fucceffion paternelle k fon frere piiïné, Urofc Melotin. Ce fut dans cette efpérance que Michel négocia Ie manage d'Anne^fa troifieme fille, avec ce fecond fils. On convint des articles, & 1'Empereur fit partir le Patriarche avec la jeune Princeffe, dans un équipage digne de fa naiflance. tls s'arrêterent a Berrhée, & envoye•entdevant eux le Chartophylax Veccus, & 1'Evêque de Trajanople, qui :toient du cortege , pour prendre lonnoiffance du caracïere de la naion, de fes ufages, & de fon gouvernement. L'fmpératrice ,.qui aimoit endrement fa fille, outre la magnicence de fon train & de fa parure, 'avoit équipée avec grand foin ? de  nu Bas-Empire. Liv. Cl. 301 tout 1'attirail du luxe & de la mollefle. Elle avoit chargé Veccus en particulier, de bien examiner fi fa fille trouveroit dans le palais de fon man tous les agrements & les com: modités de la vie , & de Fen infor: mer avant que d'introduire la Prin: cefTe dans fon nouveau féjour. Lorf[ que les envoyés furent fur les lieux, 1 ils ne trouverent qu'une nation bar( bare. Dans le palais, peu de domef: tiques , nulle richefle, nul ornement, 1 une malpropreté dégoutante. La mai: fon du Prince n'étoit ni mieux meu- blée, ni mieux fervie que la cabane : d'un payfan de Romanie. Le Roi, > confidérant d'un ceil curieux les tens tes, les bagages, les domeftiques des 1 envoyés, demandoit, tout étonné, a quoi fervoient tant de chofes ? Et : lorfqu'il apprit que ce n'étoit qu'une t ires-petite partie de 1 equipage de la ; Princefle : Que de folies .' s'écria-t-il, ; nous fommes bien heureux de ne les s pas connoüre. Et montrant fa bru , f affublée d'une méchante robe^& fi• ïant dans un coin : Foild, dit-il, la parure & tamufement de nos mêna:. geres. La table n'étoit pas mieux fer- I Michel Palèologue.An. liji.  MlCHEL Palèologue.An, 1272, 302 HlSTOlRË vie; on y mangeoit a la hate,. 8r fans aticun apprêt, les bêtes a demiróties, qu'on venoit de tuer a la chaffe. Ce rapport des envoyés jetta tout Ie cortege dans un étrange embarras. Ils continuerent cependant leur route jufqu'a Ia ville d'Achride, non pas fans craindre d'être détrouffés en chemin, au milieu d'une nation fi fauvage. Ils y laifferent la Princeffe avec fa maifon, & marcherent en avant, après avoir fait favoir a Urofc, qu'ils alloient fe rendre a Pologue, ville de Servië, pour y attendre fes ordres. Peu de temps après, arriva le Miniftre du Prince; il avoit été volé en chemin , & les Grecs jugerent par - la de ce qu'ils avoient droit d'attendre pour eux-mêmes. lis com* prirent, par les difcours obfcurs & embarrafies de eet Ambafladeur, que 1'Empereur avoit été trompé , fur Fefpérance qu'on lui avoit donnée, que fon gendre futur fuccéderoit a la couronne. L'infirmité prétendue du fils ainé étoit un menfonge; & le refte n'étoit pas plus afliiré. Cette découverte, jointe au récit de Veccus, leur fit conclure qu'ils n'avoient rien  nu Bas-Empire. Liv. Cl. ■ 303 de mieux a faire, que de ramener la Princeffe a fa mere. Ils voyoient, toute la journée, les habitants du pays roder autour de leurs tentes, & dès qu'ils étoient appercus, s'enfuir comme des gens qui viennent k mauvais deffein : ce qui ne fut pas long-temps équivoque. On leur enleva, pendant une nuit, tous leurs chevaux, & les recherches qu'ils firent k ce fujet furent inutiles; ils s'adreffoient k d'autres voleurs. Les Magiftrats , auxquels ils porterent leurs plaintes, ne purent leur offrir d'autre dédommagement que de mauvais chevaux du pays. Ils retournerent donc le plus vite qu'ils purent; & ayant repris la Princeffe en paffant par Achride, ils allerent la remettre entre les mains de fon pere, qui leur fut gré d'avoir fauvé fa fille d'un fi indigne efclavage. Michel & la Cour Romaine fe ménageoient depuis quelques années avec une attention réciproque, & 1'Empereur en tiroit tout 1'avantage. Les Papes, pour n'apporter aucun obftacle a la réunion, dont Michel leur donnoit de prochaines efpéran- MlCKEL Palèologue.An, 1171, An. 1173. XIX. Expédition dans 1'ifle de Négrepont?  Mtchel Palèologue.An. 1273. Pachym. I. $ , c. 27. Greg. 1.4. f. ;. Dandul, chr. Du Cang', hifi. I. S- 0. 45 , 46, 47. 3°4 HlSTOIRE ces, contenoient le Roi de Sicile, qui brüloit d'ardeur de porter la guerre dans 1'Empire; & Palèologue , délivré de ce redoutable ennemi, avoit le loilir de vaquer aux autres affaires. II lui furvint une occafion d'acquérirune partie de 1'ifle de Négrepont. Cette grande ifle étoit alors partagée entre les Vénitiens , les Génois & les fucceffeurs du Seigneur de Vérone Ravain Carcério , qui en poffédoient chacun le tiers. Le Génois Jaqueria, guerrier vaillant & expérimenté, s'empara de deux fortes places du domaine des Vénitiens. II leur fit pendant quelque temps une rude guerre avec le fecours des gens du pays : mais fe trouvant trop foible pour foutenir 1'entreprife, il eut recours a 1'Empereur; & après avoir jetté dans fes places ce qu'il avoit de troupes , il paffa lui-même a Confiantinople, promettant a 1'Empereur de le rendre maitre de 1'ifle, s'il vouloit lui donner une armée. L'Empereur avoit perdu depuis peu fes meilleurs Généraux : Jean, defpote, n'avoit pas furvécu aux traitements injurieux qu'il recevoit de  du Bas-Empirs. Liv. CL 305 fon indigne neveu. Conftantin, autre frere de Michel, étoit mort de maladie. Tornice & Stratégopule avoient fini leurs jours ; Philanthropene n'étoit pas encore guéri de fes bleffures. Jaqueria, connu pour fes talents militaires, eut bientót toute la confiance de 1'Empereur. II ful mis a la tête des troupes qui devoient être employées a cette expédition, Cependant les Vénitiens , pour fc défendre contre lui, avoient fait ve nir a leur fecours Jean de la. Roche, Sire de Thebes & d'Athenes , qui. malgré la goutte dont il étoit tourmenté, ne confultant que fon courage , s'étoit rendu dans 1'ifle ave( fes troupes. Jaqueria, aufïi-tötaprè: fon débarquement, marcha droit c 1'ennemi. II mit en embufcade unc partie de fon armée, & fe préfentc a la tête du refie. Le combat fe livra prés d'Orée, fur la cöte feptentrionale de 1'ifle. Les Vénitiens enveloppés , après s'être défendu quelque temps , perdirent courage pai la chüte de leur Général. C'étoit le Prince de Thebes, qui ne pouvant, a caufe de fa maladie, fe tenir fer- Michel Palèologue.An. 1273.  Michel Palèologue.Ui. 1173. 306 HlSTOlitB me fur fes étriers , fut abattu du premier coup de lanee, Sc fait prifonnier avec beaucoup d'Officiers, entre lefquels fe trouva le frere même de Jaqueria. Ils furent conduits a Conftantinople, & mis dans les fers avec cinq cents Vénitiens, que Michel rendit dans la fuite fans rancon, lorfqu'il voulutfaire trêve avec la République. Jaqueria fut récompenfé de la qualité de grand Duc; c'étoit le titre de 1'Amiral de Romanie. L'Empereur, confidérant qu'il lui feroit plus utile de fe faire un ami du Prince de Thebes, alors fort puiffant, que de le garder dans les prifons, le traita avec honneur, le mit en liberté, Sc lui promit même en mariage une de fes filles ; mais dès que ce Prince fut de retour a Thebes, il mourut de fa maladie. Son frere Guillaume lui fuccéda dans fa Principauté, mais non pas dans fon alliance avec les Grecs. II étoit gendre de Jean le Batard, 8c s'attacha a fon beau-pere, ennemi de 1'Empire : ce qui lui attira, de la part des Grecs, une guerre continuelle. Jaqueria, toujours en action ? ne cefloit de ravager les cötes  du Bjs-Empire. Liv. CL 307 de fes Etats, 8c de lui caufer de grands dommages. Pendant que Jaqueria battoit les Latins dans 1'ifle de Négrepont, les Grecs étoient battus en Theffalie. Jean le Batard menacoit d'afliéger Phar- \ fale , qui manquoit de vivres. L'Empereur y fit paffer une armée fous la conduite de Jean Synadene, grand \ Stratopédarque, 8c de Michel Cabal- i laire, grand Connétable. C'étoient ii de bonnes troupes, la plupart vieilles i milices, & bien exercées. On comp- toit beaucoup fur leur courage : mais elles avoient a faire a un ennemi intrépide, 8c qui favoit joindre la rufe a la valeur. Plus foible en nombre, il leur drefla une embufcade ; 8c tornbant fur eux fans être attendu, il le< chargea avec tant de vigueur, qu'i les défit entiérement. Synadene fui fait prifonnier. Caballairepourfuivi. 8c fuyant a toute bride, donna d( la tête contre un arbre fi rudement qu'ayant été conduit a Theffaloni que a demi-mort, il y expira pet après. Cette vicfoire fit une grandi réputation a Jean le Batard. La chargi de Connétable , devenue vacante pa Michel Palèologue.An, 1273. XX. Les Grecs battus par Jean le Batard. > 1  Michel Palèologue.An. 1273. XXI. Mouvements de Palèologue pour la réunion.Pachym. I. J , c. 11, & feqq. Gregor. I. $. c. 2. Danduli chr. Ptolem, JsUC. chron. Leo Allat. ie confenfione. I. 2, ] f» ij, i < i i i c r t h 3°8 II I S T 0 I R £ Ia mort de Caballaire, fut conférée a Jaqueria ; & eet étranger, feul heureux entre tous les Généraux , devint 1'honneur & la reffource de 1'Empire. Ces expéditions guerrieres, quelque importantes qu'elles paruffent, intéreffoient moins le cceur de Palèologue , que le projet qu'il avoit forme de réunir 1'Eglife Grecque avec 1'Eglife Romaine. Ce fut la principale occupation de fon regne, depuis qu'il eut recouvré Confiantinople. Etoit-ce la religion ou Ia politique qui le rendoit fi ardent fur eet obet ? A confidérer la route qu'il tint jour s'élever, & fa conduite fur le röne , on aura peine a lui faire honieur d'un zele pur & fincere : mais 1 vouloitconferver fa conquête. Baulouin, foutenu des forces de Chares, Roi de Sicile, & faifant fes eforts pour foulever les autres Prines, le menacoit d'une nouvelle réolution. Les Papes , dont dépenoient les Rois de Sicile, pouvoient ar leur autorité fpirituelle armer ou ;mr en bride tout 1'Occident, & leur ïenveillance étoit pour Michel le  nu Bas-Empire. Liv. CL 309 rempart le plus affuré. II prenoit donc tous les moyens de les mettre dans fes intéréts. De-la tant de députations réciproques, tant de fynodes tenus a Confiantinople ; de-la ces punitions féveres contre les fchifmatiques opiniatres , ces honneurs & ces récompenfes prodiguées a ceux qui fe prêtoient aux vues du Prince. Nous pafferons fur ces événements le plus briévement qu'il nous fera poffible, lajffant k 1'Hifioire de 1'Eglife tout le détail théologique. Après deux ans & neuf mois de vacance du faint Siege, le Cardinal Théalde, Légat en Palefline, fut nomi mé pour le remplir, & fon élévation I fur la chaire de St. Pierre donnoit a I Michel d'heureufes efpérances. Ce ; Pape, qui prit le nom de Grégoire X, favoit les intentions les plus pacifijques. Avant même que d'arriver k Rome , il prévint Michel de politefïfe, en lui faifant part de fon élecition, & en lui témoignant le plus ■grand defir de la réconciliation des deux Eglifes. Michel, de fon cöté, iPaffura des mêmes difpofitions, &c lui fit des reprochesobligeants de n'a- MlCHEt Paléo- , LOGUE. An. 1273, xxir. Premie*-' res démarchesde Michel auprès de Grégoire X.  Michel Palèologue.An, 1273, 31© NlSTOIRE voir pas, dans fon retour, paffe par Confiantinople, oü il auroit été accueilli avec le refpeft & 1'honneur dus au chef de 1'Eglife, Aufli, dès que Grégoire eut recu 1'ontfion facrée, fon premier foin fut d'envoyer a 1'Empereur des Légats, qui fe comporterent avec tant de fageffe & de fraternité, qu'ils mériterent 1'eflime & l'affe&ion des Grecs. L'Empereur combloit de louanges le nouveau Pape , & le repréfentoit comme ami de la concorde, & brülant de zele pour le bien & 1'honneur de 1'Eglife univerfelle : mais les Evêques ne pouvoient, difoient-ils, pardonner aux Latins 1'addition faite au fymbole, & protefloient a 1'Empereur qu'ils étoient prêts a tout fouffrir plutöt que de 1'accepter. Cette déclaration ne découragea pas 1'Empereur. II les affembla dans fon palais avec le Patriarche ; & après avoir expolé le danger oü fe trouveroit 1'Etat, s'il 11 • 1 • i-_ -1- auumoit contre iui les rouares ue Rome : Que prétendent donc les Romains? ajouta-t-il; que le Pape foit nommè dans le faint facrifice ? Et comhizn de verConnes aui ne lont Das même —€- j 2— ,s  nu Bas-Empire. Liv. CL %ïi Evêques nommons-nous tous les jours dans nos diptyques ? lis demandent encore que le Pape foit nommé le premier fes freres, titre purernent honorifique • &fans conféquence, Le mauvais riche de CEvangile, plongê au fond des abymest n'appelle-t-il pas Abraham du nom de pere, malgré l'immenfe chaos qui les fêpare? (Taverne que je n'appercois pas trop la jufteffe de eet exemple.) Quant aux appellations , qui font le troifieme article de nos conteflations, eflil a craindre que nos plaideurs veuillent paffer les mers pour porter leurs procés d Rome ? Nous ne perdons rien en facrifiant fi peu de chofe pour obtenir la. paix & la fureté de notre Empire. Le Patriarche, qui comptoit beaucoup fur le favoir & 1'éloquence de Veccus, lui faifoit figne de répondre;& comme celui-ci n'ofoit par'er, de crainte de déplaire a 1'Empereur, il le menara de 1'excommunier, s'il demeuroit en filence. Alors Veccus prenant la parole : Je me vois , dit-il, entre deux dangers ; la puiffance Jéculiere peut ajfligermon corps, l''autoritéfpirituelle peut agir fur mon ame. Comme monfxlut mefl plus précieux que la vie ? MlCHEt Palèologue.In. 1173*-  Michel Palèologue.An. 1273, XXIII. Progrès de Michel pour la réunion. 31* HlSTOIRS féleverai ma voix; je vais prouver que les Italiens font en effet hérétiques, quoiqu'ils n'en portent pas le nom. Plus fort en dialeöique que 1'Empereur , il ne lui eut pas été difficile de le combattre; mais Michel, irrité de ce début, congédia l'afTemblée, & Veccus eut è effuyer les reprocbes des Eccléfiaftiques courtifans. Dès le lendemain , il fut arrêté par ordre du Prince, & enfermé dans la tour d'Anémas. Ayant enlevé au parti fchifmatique fon plus habile défenfeur, 1'Empereur fe flattoit qu'il triornpheroit aifément des autres. Les Grecs, dans leur décadence , avoient confervé leurs anciennes prétentions, & les Empereurs de Confiantinople s'étoient regardés prefque tous comme puiflants en parole & grands théologiens. Michel eut la vanité d'entrer en lice avec les Prélats. Les Eccléfiafiiques de la Cour lui diftoient leurs penfées, qu'il adoptoit & prenoit en-, fuite pour les fiennes. I! compofa ainfi un écrit pour la défenfe des Latins, & 1'envoya au Patriarche. II fe perfuadoit qu'on ne répondroit pas a fes démonftrations. 11 fe trompa; tous les  nv Bjs-Empire. Lïd. CL 313 | ïes héros du parti réunirent leurs forj ees, & ménageant la perfonne du [ Prince, qu'ils craignoient, aflaifonI nant même la'réfutation de flatteries, 1 ils réduiiirent en poudre fes argui ments. Cependant Veccus s'occupoit, {dans fa prifon, a étudier a fonds la Iqueftion tant débattue fur la proceffion du Saint-Efprit. 11 étoit de bonne foi & de beaucoup d'efprit; mais plus I attaché jufqu'alors aux études profa3nes & aux affaires féculieres, qua la leóiure de 1'Ecriture-Sainte & des :Peres, il avoit donné dans 1'erreur. j Le loifir de fa prifon lui laiffa le temps ! de s'inftruire. II lut les ouvrages qu'a:voit compofés Blemmydas , pour apipuyer le fentiment des Latins fur la procefïion du Saint-Efprit. II en vint ja douter de la vérité de fon opinion. «On lui fournit, de la bibliotheque ade 1'Empereur, les livres des Peres eiBés par Blemmydas, qui acheverent jde lui ouvrir les yeux. Mais le Pa;kriarche, plus obftiné que jamais, fit npublier une Lettre pafiorale, adreffée a tous les fideles de fon Eglife, & iloufcrite de la plupart de fes Suffrakants, dans laquelle il s'engageoit par f Tome XXII. O Michel Palèologue.An. 1273.  MlCHEt PAtÉOLOGUE. An. 1273, XXIV. Mort de Baudouin & dArfene. Pachym. 1. 5. c. 20. DanduU chr. Teflamentum Arfenii apud Cotele- Raynald. Du Cange, kift.l. 5.c $6. Van dt virif. les dates , p, 3§6. 3H H I S T 0 I R E ferment k ne jamais confentir a Ia réunion, quelque violence qu'on put lui faire, & a ne jamais recevoir h fa communion ceux qui adhéroient aux Latins. L'Empereur aimoit le Patriarche ; il n'oublioit pas qu'il en avoit recu 1'abfolution des cenfures; fon opiniatreté 1'affligeoit; mais il étoit confolé par le changement de Veccus. II attendoit beaucoup des grands talents de eet homme illuftre pour ramener les efprits. Le Pape, habile politique , ne comptoit pas tellement fur les promeffes de Michel, qu'il ne prit des mefures pour le forcer a les accomplir. Comme la treve faite avec les Vénitiens étoit prête d'expirer, &C que Michel en defiroit la prolongation , le Pape demanda par plufieurs lettres au Doge Tiépolo, comme une chofe très-importante a la République chrétienne, de n'y pas confentir fans avoir confulté le Saint-Siege; Sc le Doge ne répondant pas, il employa les prieres, les cemmandements, les reproches. Baudouin & le Roi de Sicile faifoientles mêmes inftances. Michel, de fon cöté, mettoit tout en  au Bas-Empire. Liv. CL 315 •euvre pour obtenir des Vénitiens ce 1 qu'il demandoit. Ce fut en cette oc3 canon qu'il leur renvoya les cinq 3 cents prifonniers faits a Négrepont. 1, Le Doge promit de répondre aux >'deux partis par fes députés, & ren> voya honorablement ceux de Michel i fur deux galeres. En même-temps que :1e Pape tenoit en armes les Vénitiens 3& le Roi de Sicile, pour intimider 11'Empereur, il engageoit Charles a. laiffer le paffage libre aux députés que Michel envoyoit a Rome. Baudouin imourut en ce temps-la , h 1'age de licinquante-cinq ans, ne laiffant a Phijlippe, fon fils unique, que le vain j;titre d'Empereur de Confiantinople, !& la bienveillance de Charles fon beau-pere. Arfene mourut aufli dans fon exil, le 30 Septembre. Son teftement, qui eft parvenu jufqu'a nous, eft un trifte témoignage de la haine qui brula dans fon coeur jufqu'a la imort, contre Palèologue. Après avoir sexpofé avec la plus vive aigreur tout ïce qu'il a fouftert, implacable fchifj.matique, il finit en ces termes: » J'ef| » pérois toujours que Michel vien1 » droit a réfipifcence; mais puifqu'il O ij Michel Palèologue. An. 1273.  Michel Palèologue.An. 1273 XXV. Réfiftance des Evêques. Pachym. I. 5. c. 18, 19 , 20. Greg. 1, J , «. 2. 316 UlSTOIKZ » continue de fouiller 1'Eglife de Dieu »par fes profanations; qu'il a placé; » fur mon fiege un homme que j'a» vois excommunié; qu'il a fait tous » fes efforts pour amener 1'Eglife ra» chetée par le fang du Sauveur , a «1'impiété & a la perfidie des La» tins, je 1'excommunie de nouveau ; »je prononce fur lui 1'anathême qu'il » a voulu encourir; je le livre a fa»tan, comme il s'y eft livré lui» même, ainfi que tous ceux qui fe» condent fes pernicieux deffeins, oui » qui y confentent, de quelque qua- ■ » lité qu'ils foient. Je prie Dieu feu-' » lemert de pardonner au peuple qui \ «manque de connoiflance". II laiffei tout ce qu'il poffede a fes freres qui ont partagé fes difgraces, & défend, fous peine d'anathême, d'altérer cei teftament. Malgré les efforts redoublés del 1'Empereur, il trouvoit dans le Clergé une conftante oppofition. En vain il affembloit les Evêques, & mettoit en ufage, tantöt les doaces exhor-tations , tantöt les menaces. II leur : repréfentoit, qu'il n'étoit pas queftion < di la foi, & qu'il m fouffriroit jamais  nu Bas-Empire. Lh. CL 31? 1 qu'elle regüt la moindre attrinte; qu'il s ne leur demandoit que leur confentement : aux trois articles, fur la primauté du ■ Pape , fur les appels d Rome , fur '1'honneur d rendre au Pape, en le nommant dans les prieres de la Meffe; que \ dans les conjonclures préfentes , l'Etat f couroit le plus grand rijque, en refufant de fatisfaire l'Evêque de Rlome. \ Sur les deux premiers articles, plufieurs Prélats fe rendoient, les regarI dant comme de mille conféquence , ( paree qu'ils n'auroient jamais d'exé(jcution; mais ils rejettoient abfoluj ment le troifieme, difant : Que ce jferoit trahir la foi, reconnoüre authenïtiquement l'orthodoxie de 1'Eglife Ro~ I maine, & renverfer les fondements de iVEglife Grecque : quant au danger de 11'Empire , c'étoit au Prince d y pour3 voir par les moyens que Dieu lui metI toit entre les mains ; que pour eux ils n'étoient chargés de défendre l'Etat que ipar leurs prieres. Cependant quelques ,Eccléfiaftiques fe détachoient tous les ]jours, & fe prêtoient aux volontés de 1'Empereur; ce qui faifoit croïtre la divifion & 1'averfion mutuelle. 'L'Empereur crut réunir les efprits O iij Michel Palèologue.A.n, 1173.'  MlCHEL Palèologue.An. 1273 XXVI. Violences exercées par Michel, les meuDies les plus precieux. c^eux qui n'avoient nas de ouoi remolir Ja fomme impofée étoient bannis, s'ils: ,1' £ /"»' toit une délblation publique ; 1'ordre 338 Histoirb en faifant figner un écrit, par lequel ils lui juroient fidélité & obéiffance. Ils le fignerent en effet, & même avec empreffement; mais fans en eonclure, comme il 1'entendoit, qu'ils devoient fe foumettre k fes ordres contre leur confcience. Irrité de tant de réfiflance , il pafTa aux voies de fait. D'abord il mit la main fur les biens, & par un édit bifarre , il déclara : Ou'en entrant en pojfejfion de Confiantinople, il étoit de~ venu poffeffeur légitime de toutes les maifons de la ville; qu'il vouloit Men faire grace du loyer, d ceux qui lui rendoient obéiffance ; mais que les réfraciaires euffent d le payer fans dêlai, du jour de fon entrèe , felon la taxe qui leur feroit \ jzgnifiée de fa part, C'étoit le loyer de i treize ans k la fois. AufTi-töt des fol- ■ dats, difperfés par toute la ville,, coururent dans les maifons , pour 1 contraindre les habitants; & faute de i payer , ils emportoient les effets & i  du Bas-Empire. Liv. CL 319 'du Prince produifbit Peffet d'une invafion d'ennemis. II y en eut grand nombre qui aimerent mieux figner leur adhéfion, que d'être dépouillés ou exilés. Le Rhéteur Holobole, qui avoit déja éprouvé de 1'Empereur un fi fanglant outrage, fut encore, en cette occafion, le plus maltraité. II étoit depuis un an relégué dans un Monaftere a Nicée, & il ne 1'avoit que trop mérité. Dans une de ces affemblées , que 1'Empereur tenoit fouvent, fur 1'afFaire de la réunion, étant i interrogé, il répondit : Que la proj pojition lui paroiffbit contraire a tini térêt de tEglife. Sur quoi 1'Empereur , I en colere , lui reprocha que, par un ) effet de fa haine invétérée , il s'étoit toujours oppofé aux volontés de fon I maitre, & qu'il portoit fur fon vi1 fage les preuves honteüfes de fa ma1 lignité. Non, reprit brufquement Ho{ lobole , au contraire , ce font les preu1 ves honorables de mon attachement fi\ dele d un enfant innocent, qui étoit I mon maitre légitime. L'audace inconï fidérée de cette répartie, fit friffonj ner toute l'affemblée : on craignit de ; paroïtre complice , fi Pon ne témoiO iv Michel Palèologue.An. 1173.  Michel Palèologue. «ne mauvane. Mais ie peuple obiti- 320 Histoirb gnoit pas d'indignation; & on fe jettok déja fur lui, comme pour le mettre en pieces. L'Empereur arrêta cette fureur politique ; & par une modération affe&ée, il fe contenta de 1'envoyer dans un Monaftere k Nicée. Mais un an après, dans le temps de la mort d'Arfene, il le fit amener k Confiantinople , & promener , la corde au cou, enchainé k la tête de dix autres, entre lefquels étoit une niece d'Holobole, fauflement accufée de magie. Holobole & Jafite, qui marchoient les premiers, comme les plus coupables, recurent, de la part des bourreaux, les outrages les plus ignominieux. Enfin, k force de mauvais traitements, on arracha le confentement du Clergé aux trois articles. II en coüta k 1'Empereur beaucoup de cruautés, des confifcations, des exils, des prifons. Plufieurs furent aveuglés, d'autres déchirés k coups de temets, quelques-uns même eurent les mains coupées; en un mot, Palèologue employa, pour une bonne caufe, toutes les rigueurs qui font d'ufage pour en faire prévaloir  nu Bas-Empire. Liv. CL %i\ né , qui n'avoit rien a perdre, ne fe rendit pas. Un grand nombre allerent chercher afyle hors de 1'Empire , & porterent leur fanatifme dans la Morée , dans 1'Achaïe, dans la Theffalie , & jufqu'en Colchide. Divifés entre eux, les uns fous le nom d'Arfénites, les autres de Joféphites , trompés eux-mêmes, & trompant les autres, ils couroient les villes & les campagnes, fe donnant pour infpirés, & vivant aux dépens des imbécilles qu'ils infatuoient de leurs prétendus oracles : forte de charlatans qui fe perpétua, paree qxie Pefprit humain ne peut rien imaginer de li abfurde , qui ne trouve d'autres efprits propres a le recevoir. Les légats du Pape n'avoient différé leur départ, que dans 1'efpérance d'un mccès prochain. Ils ne furent que trop eonvaincus de la iincérité de 1'Empereur, en voyant qtie fon zele, contre les fchifmatiques, s'emportoit fort au-dela des bornes, & qu'il en faifoit des martyrs. Ils partirent donc, &c furent accompagnés de cinq députés, & la tête defquels étoit le Patriarche Germain, 11 O v Michel Palèologue.An, Iï7j, An. 1274, xxvir. Députés envoyés au Pape. Packym. /. 5- 21,  Michel Palèologue.^n. 1274, 3 J 322 HlSTOIRS avoit avec lui Théophane, Evéque de Nicée, le grand Logothete George Acropolite, Panarete, grand-Maitre de la garde robe, & le grand interprete Berrhéote. Michel les envoyoit pour faire fa foumiflion devant le Concile, que le Pape avoit convoqué a Lyon, pour le mois de Mai. Ils furent chargés de riches préfents pour fa Sainteté. L'Empereur, ne pouvant faire changer de penfée au Patriarche Jofeph, qui fe croyoit lié irrévocablement, par un ferment fait a la face de tout 1'Empire, convint avec lui, qu'il fortiroit du palais patriarchal, & fe retireroit au Monaflere de Periblepte , confervant tous fes revenus, & 1'honneur d'être nommé au faint Sacrifice; & que fi Pamhaflade ne réufliffoit pas, il reviendroit dans fon palais , & rentreroit dans tous fes droits, a condition de ne donner aucune marqué de reflentiment aux Evêques qui auroient confenti a la réunion : mais 511e fi la réconciliation s'accomplifbit, il abdiqueroit fa dignité , & feroit place a un fuccefleur. En conéquence de cette convention, Jofeph  vu Bas-Empire. Liv. Cl. 323 fe renferma dans le Monaftere de Periblepte. Les envoyés s'embarquerent pour Lyon , avec les Légats , dans deux vaiffeaux, au commencement de Mars ; ck étant arrivés le 19 a la hauteur du cap Malée, ils furent attaqués d'une horrible tempête, qui fépara les deux navires. Celui qui portoit Germain, Théophane 6k le Logothete, ayant pris le large, après avoir lutté avec beaucoup de peine & de dangers contre la violence des flots, eut le bonheur de gagner le port de Modon. L'autre vaiffeau , qu'une aveugle timidité retenoit prés de terre, fut brifé contre la cöte; ck de tout 1'équipage , il ne fe fauva qu'un feul homme, qui porta, quelques jours après, a Modon, cette funefte nouvelle. Avec les Légats du Pape , périrent dans les eaux, les magnifiques préfents deftinés au faint Pere. Après un féjour de plufieurs femaines, qui fut néceffaire pour radouber le vaiffeau maltraité par la tempête, les députés fe remirent en mer , ck arriverent a Lyon le jour de St. Jean. Le Concile, qui fut le quatorzieme O vj MlCHEI. Paléo^ LOGUE. An, 1274, XXVIIL Concile de Lyon. Fleury . hifi. eccléf. I. 86. art. 3 6,6* fuiy.  Michel Palèologue.An. 1274, // / S T 0 I H E Concile général, étoit commencé depuis le feptieme de Mai; ck Fon avoit déja tenu trois feflïons* II s'y trouvoit cinq cents Evêques. foixante- dix Abbés., ck mille autres Prélats aflemblés dans 1'Eglife de St. Jean. La réunion des Grecs faifoit un des principaux objetsde la convocation. A Farrivée des envoyés de 1'Empereur , tous les Prélats. allerent au-devant d'eux, & les conduifirent au palais du Pape, qui les recut avec grand honneur, ék leur donna le baifer de paix. Ils lui préfenterent les lettres de 1'Empereur , celles des Evêques & d'Andronic ,. fils ainé de 1'Empereur, èk aflbcié a 1'Empire; êk après avoir déclaré qu'ils venoient rendre obéiffance a 1'Eglife Romaine, ck s'unir de foi avec elle, ils fe retirerent au logement qui leur étoit préparé. Cinq jours après , fête de St. Pierre & St. Paul, le Pape célébra la Mefie, en préfence de tout le Concile. On y^ chanta , en Latin ck en Grec, FEpïtre, FEvangile ck le Symbole des Apötres, dans lequel les Grecs, ainfi que les Latins, répéterent, par trois fois , les paroles fi long-temps con-  du Bas-Empire. Lïv. CL 325 teftées : Qui procédé du Pere & du Fils. La quatrieme feffion fe tint le fixieme de Juillet; Sc les Ambaffadeurs Grecs y furent placés au cöté droit du Pape , après les Cardinaux. Le Pape expofa au Concile les trois articles qui faifoient le fujet de l'ambafTade ; c'étoit de s'unir de cceur Sc d'efprit k la foi de 1'Eglife Romaine; de lui promettre obéiffance, 8c de reconnoitre la primauté de fon chef fur toute 1'Eglife Chrétienne. II fit lire les lettres venues de Confiantinople ï tout y étoit conforme k ces trois articles. Après cette lecture, le grand Logothete fit le ferment au nom de 1'Empereur, Sc abjura le fchifme. On chanta le Te Deum ; Sc le Pape, après avoir témoigné, en peu de mots , la joie de 1'Eglife , qui emhraffoit enfin avec tendreffe tous fes enfants réunis dans fon fein , entonna le Symbole en latin. Après qu'il fut achevé, le Patriarche Germain le commenca en Grec, 8c chaque fois on répéta les paroles :: Qui procédé du Pere & du Fils. L'affaire de la réunion fut donc confommée dans cette quatrieme feffion. Dans les deux autres, qiri MlCHEt Palèologue.An. 1174.  Michel Palèologue. An. 1275. XXIX. Dépofi- tion de Jofeph. Pachym. I. }• t, 22. 326 HlSTOlRR terminerent le Concile, le 7 Juillef,' il ne fut queflion que de la réformation des mceurs. Le retour des députés, qui rapportoient a Confiantinople la réunion & la paix, caufa de nouveaux troubles. Le Patriarche Jofeph ne paroiffoit riullement difpofé a renoncer a fa dignité, comme il en étoit convenu avec 1'Empereur. On fut d'avis de ne lui pas demander 1'exécution de fa promeffe; mais d'agir en conféquence de celle qu'il avoit donnée. On affembla les Prélats, & 1'on prouva , par témoins, premiérement, qu'il avoit juré de ne jamais confentir a la réunion; en fecond lieu , qu'il avoit promis d'abdiquer, fi la réunion s'accompliffoit. Sur ces deux dépofitions, les Prélats déciderent que Jofeph ne pouvoit accepter la réunion, fans violer fon ferment, ni conferver fa dignité, fans manquer a fa parole ; d'oü il s'enfuivoit que la réunion étant faite, il étoit dépofé fans retour, & que le fiege de Confiantinople étoit aftuellement vacant. On ceffa donc le 11 de Janvier, de le nomraer comme Patriarche dans la  uu Bas-Empire. Liv. CL %ij célébration de la Maffe, & il fe retira dans un Monafi.ere hors de la ville, au bord du Bofphore. Le 16 du même mois, jour de St. Pierreaux - Hens, dans 1'Eglife Grecque, 1'Evêque de Chalcédoine célébra la Meffe dans la Chapelle du palais. L'Epïtre & PEvangile furent chantés dans les deux langues, & le Diacre fit hautement mémoire du Pape en ces termes : Grégoire, fouverain Pontife de PEglife Apojlolique , & Pape cecumênique. Ce fut comme le cri d'un héraut qui annoncoit la guerre. La divifion devint plus animée qu'auparavant. Tout fe partagea. Les uns, amis de la paix & de la concorde, embraffoient volontiers la Communion de 1'Eglife Romaine; les autres, plus obflinés que jamais, crioient a 1'efclavage , & refufoient 1'obéiffance au Pape, comme un joug infupportable qui alloit avilir 1'Eglife Grecque. Le peuple s'embrafoit de ces difputes; 1'efprit de parti divifoit les amis, déchiroit les communautés , éclatoit dans les places publiques ; &£ 1'animofité des uns contre les autres devint plus vive entre les Grecs, MlCHEt Palèologue.4.n. 1175,  Michel Palèologue.An. 1275 XXX. Veccus Patriarche. Pachym. I 5. c. 24, 2J. Greg. I. 5 *. 2. 325 HlSTÖlRB que n'avoit été auparavant celle de tous contre les Latins. Après la dépofition du Patriarche Jofeph, on fongeoit a lui donner un fuccefleur. Plufieurs Prélats appelloient a cette dignité un homme illuftre par fa naiflance, par fes emplois, par les vertus qu'il avoit enfuite pratiquées dans deux célebres Monafteres. II étoit alors Patriarche titulaire d'Antioche. II fe nommoit le Prince, & defcendoit d'une ancienne maifon du Péloponnefe. Les autres fe déclaroient pour Veccus, qui joignoit a la fcienee, a 1'éloquence , a la vertu, un extérieur propre a infpirer le refpect. Dans ce partage d'opinions,on s'en remit au jugement de 1'Empereur , qui prononca en faveur de Veccus : il le croyoit plus capable de réunir les efprits. Cette décifion emporta tous les fuffrages. Veccus fut nommé Patriarche le 16 Mai, & facré le 2 Juin, jour de la Pentecöte. La grande eftime de 1'Empereur pour le nouveau Patriarche, lui mit 1'efprit en repos ; il fe perfuada qu'il pouvoit abandonner, fans inquiétude, a un perfonnage de ü  du Bas-Empire. Liv. Cl. 329 grand mérite le gouvernement de 1'Eglife , pour fe livrer tout entier aux affaires de fon Etat: mais la vertu même & la charité paftorale de Veccus , ne donnoit pas moins d'embarras k 1'Empereur, que n'avoit fait 1'oppofition de fes prédéceffeurs. Se regardant comme chargé de tous les befoins des particuliers, il alloit les dépofer entre les mains du Prince; il follicitoit fans ceffe fon humanité pour les indigents, pour les innocents injuftement accufés, & même pour les criminels. Ses requêtes fe répétoient tous les jours jufqu'a 1'importunité ; car il ne quittoit prife qu'après avoir obtenu; & le refpecl: du a la majeflé impériale, ne 1'arrêtoit pas. Un jour qu'il demandoit opiniatrément une grace que 1'Empereur s'obffinoit a refufer, fe laiffant emporter k 1'impatience : Qjioi donc, Prince, dit-il, penfe^-vous ne devoir pas plus de faveur aux Evêques, qua vos valets de cuijzne ou d'êcurie? En parlant ainfi, il jetta fon baton pafloral aux pieds de 1'Empereur,& fe retira brufquement. L'Empereur fit en vain courir après lui pour le MlCHEÏ, Paléo- tOGUE. An, 12.7;,  Michel Palèologue.in, 127J. 330 H I S T 0 1 K E ram en er. II s'abfenta du palais plufieurs jours, & ne revint qu'aux prieres redoublées du Prince , qui ne pouvoit fe paffer de fes confeils. Mais voici un trait de cette chaleur indifcrete, qu'il pouffa même jufqu'a une audace fcandaleufe. II preffoit depuis long-temps le Prince de faire grace a un malheureux, fans pouvoir Pobtenir. Un jour que Michel fe préfentoit a la fainte table , & qu'il étendoit la main , felon 1'ufage , pour recevoir le pain confacré, le Patriarche tenant la fainte Hoftie , lui réitéra fa demande; & comme 1'Empereur lui repréfentoit que ce n'étoit .pas-la le moment : Et quel moment, repartit-il, plus propte d accorder une grace, que celui oü vous receve^ le Dieu des miféricordes ? L'Empereur infiftoit fur le fcandale du peuple, & fur fon propre déshonneur : Songe^ d Dieu plulót qu'au peuple , reprit le Prélat; vous recevriei votre condamnation, fi vous refufiei jujlice d un innocent. Enfin , 1'Ëmpereur indigné fe leva, en difant : Eh bien, nous avons donc fait la fête fans la célibrer, & fe retira  du Bas-Empire. Liv. CL 331 dans fon palais. On voit, par eet exemple , 1'ufage de 1'Eglife Grecque, de ne croire célébrer les fêtes qu'en recevant la fainte Communion. . Pour s'affranchir de la pieufe importunité du Patriarche, qui lui enlevoit tout le temps néceffaire aux autres affaires , il lui déclara qu'il ne lui donneroit déformais audience que le mardi de chaque femaine, & il lui * afïigna pour ce jour-la un logement dans un Monaftere voffin du palais, afin que le Prélat fut k portée de prendre les heures oü 1'Empereur feroit libre. _ Veccus, après une grande maladie, étant revenu en convalefcence, les Médecins jugeren.t qu'il avoit befoin de repos, & qu'il n'étoit point ' de féjour plus propre a lui rendre la : fanté , que le monafiere fitué au bord du Bofphore, oü Jofeph s'étoit retiré. L'Empereur, informé de eet avis, réfolut de faire fortir Jofeph de cette demeure, pour épargner k Vun Sc k Tautre une compagnie aufli mal affortie que celle de deux perfonnes, dont Tune jouiffoit des depouilles de 1'autre. Mais quoiqu'oppofés de fen- MlCHES. Palèologue.Ln. 1175. XXXT. Exil de ofeph. Pachym, , 5.c. 18, 9.  Michel Palèologue.Ka, 127 y 332 H I S T 0 I R E 1 timenrs', ils s'eftimoient mutuellement. Jofeph, confulté par 1'Empereur, lorfqu'il avoit été obligé de quitter fomfiege, lui avoit même confeille de lui donner pour fuccefleur Veccus, comme le plus favant, le plus propre aux affaires, & le caraöere leplus pacifique. Veccus pria donc 1'Empereur de ne pas déplacer Jofeph, & paffa avec lui le temps de fa convalefcence dans un commerce de politefle & d'amitié que ne troubla jamais la diverfitéd'opinions. Dans cette retraite du Patriarche, il lui tomba entre les mains plufieurs écrits ou 1'on combattoit avec beaucoup d'aigreur la doörine des Latins. II fut d'abord tenté d'y répondre; mais faifant réflexion que c'étoit remettre en quefiion une caufedéja jugée,& perpétuer des difputes qui n'avoient d'autre effet que d'aigrir les efprits fans les changer, il garda le filence, & eut fujet de fe répentir dans la fuite de n'avoir pas toujours tenu cette conduite. Après avoir recouvré fes forces , il fe fépara de Jofeph avec des marqués finceres de bienveillance mutuelle, & revint a Confiantinople,  du Bas-Empire. Liv. Cl. g*j Mais après fon départ, Jofeph ne jouit ! pas long-temps de cette agréable folitude Un air pur & parfumé, un calme déhcieux, les charmes d'une t vie paifible, avoient adouci fon humeur; il étoit en grande partie revenu de fes prejugés, & Ce n'étoit plus que Ion ferment qui Ie tenoit enchaïné a ion ancien parti. Ainfi il recevoit avec une égale complaifance les viütes des uns & des autres. L'Empereur trouva mauvais qu'il communiquat avec les ennémis de la réunion, & lui fit dire qu'il lui feroit plaifir de fe detacher de ces compagnies. Joieph repondit avec chagrin, que fi i Empereur jtrouvoit du crime dans des entretiens innocents,& qu'il voulut le pnver de la fociété de fes amis, il falloit qu'il 1'exilat dans un lieu 011 lIs ne pourroient approcher. 11 comptoit affez fur 1 ancienne amitié de 1 Empereur pour ne pas craindre d etre pris au mot; il fe trompa. L'Empereur s'étoit peu-è-peu détaché de Jm; d pubha que Jofeph demandoit iui-meme fon éloigneraent, & il le ht tranfporter au chateau de Chele, wue dans une ifle a 1'entrée du Bof- MlCHEL Palèologue.Ln, 127J,  Michel Palèologue.An. L27j. An. 1276. XXXII. Puiflance des Génois fur nier. Pachym. I. ' J. c. 30. 1 Pojjn.ob- ' ferrct. Greg. I. J, C 4. ] 1 1 i i 1 t c 1 a 334 H I S T 0 I R E phore, féjour affez agréable dans Ie printemps, mais expoféaux rigueurs du vent du nord, & inhabitable en hyver. Les moines attachés è Jofeph furent difperfés dans les ifles de 1'Archipel. Job Jafite , déja fi févérement puni, fut encore le plus maltraité; :et intriguant & opiniatre défenfeur Ju fchifme fut envoyé fous efcorte i Chabée, fortereffe fituée fur le bord Ju Sangaris (*). Les Génois, a la faveur de 1'allianceque Palèologue avoit faite avec ?ux, avant même la prife de Confiantinople, & qu'il avoit renouvelée depuis, s'étoient, pour ainfi dire, ;mparés du Pont-Euxin. II n'y avoit joint de faifon qui les empêchat de (*) lei finit le manufcrit de Mr. le Beau. 1 étoit peut - être inutile d'en prévenir. Le 'ublic ne s'en appercevra que trop de luiïême. Au refte, fi le Continuateur n'ofe pas ï flatter d'atteindre a la force &a 1'élégance u ftyle de fon iliuftro Prédéceffeur, du moins eut-il promettre qu'il mettra dans fes récits e 1'exaétitude & de la clarté, qui font les eux principales qualités de 1'Hiftoire. C'eft n engagement qu'il ne craint point de prendre vee fes Leüeurs.  du Bas-Empire. Liv. Cl. 335 parcourir tous les parages de cette iner, & ils y commercoient avec tous les peuples qui habitöient fur fes bords. C'étoient les plus habiles manns & les plus riches négociants qu'on connüt alors èn Europe. Enflés de leur profpérité , ils s'éleverent bientöt, non-feulement au-deffus des Vénitiens , leurs anciens rivaux , mais encore au-defTus des Grecs, leurs bienfaiteurs. Un noble Génois, nommé Manuel, de 1'illurtre maifon des Catani, avoit obtenu de 1'Empereur la propriété des montagnes fituées dans la Phoci- \ de, du cöté de 1'Orient. Ces mon- ' tagnes contenoient des mines d'alun, j que le nouveau concefïïonnaire fai- j foit exploiter,&quiIuirapportoient ' un revenu confidérable. L'Empereur, ' voulant le favorifer encore davantage , & fui procurer un plus grand debit d'une produtïion fi néceffaire pour la teinture des étoffes, lui accprda un diplome portantdéfenfeaux Genois de tirer d'ailleurs 1'alun dont ils auroient befoin. Les Génois qui relidoient a Confiantinople, furent les feuls qui fe conformerent k cette Michel Palèologue.An. 1276, xxxnr; Piraterie les Gélois puüe. 1achym. • c. 30. 'ojjln. ob':rvat.'reg. I. J , • 4,  MlCHEZ Palèologue.ia. 1276, 336 BlSTOIRS défenfe. Ceux qui étoient plus éloignés de la capitale, & fur-tout les commercants de Genes n'y eurent aucun égard. Elle infpira même a quelques-uns d'entr'eux 1'idée d'aller piller les batiments qui faifoient la traite de 1'alun. Dans cette vue, ils armerent un vaiffeau d'une grandeur & d'une force extraordinaires, traverferent audacieufement le Bofphore de Thrace , & entrerent dans le Pont-Euxin, fans daigner rendre k 1'Empereur les honneurs accoutumés. S'étant enfoncés vers le Septentrion , ils exercerent long-temps la piraterie fur cette mer. Après s'être failis d'un navire chargé de diverfes marchandifes précieufes ,& fur-tout d'une grande quantité d'alun, ils fe difpoferent a s'en retourner chez eux avec leur butin. Ils manceuvrerent fi habillement, & furent toujours fi bien prendre le vent, qu'ils trouverent le moyen d'éviter la rencontre des vaiffeaux Grecs qui étoient en croiliere dans la mer Noire. L'Empereur, inftruit qu'ils alloient traverfer le Bofphore pour rentrer dans la Méditerranée, donna ordre de s'oppofer k leur  nu Bas-Empire. Lh: Cl. 337 leur paffage. Mais avant de les faire attaquer, il voulut, par déférence, fans doute pour la République de Genes , tenter les voies de la conciliation. II envoya recommanderaux Génois qui habitoienta Péra, de faire des démarches auprès de leurs compatriotes , pour les engager k reflituer leurs prifes, & k réparer 1'outrage qu'ils avoient fait a la majefté Impériale. Leurs remontrances furent inutiles. Les pirates répondirent, qu'ils fe défendroient jufqu'a la derniere extrêmité,fi on les inquiétoit, 8c dès 1'inftant ils fe mirent fur leurs gardes. Ils couvrirent les flancs de leur navire, de peaux de bceufs, pour le garantir du feu Grégeois, Sc firent prendre les armes a tous ceux qui Ie montoient. D'un autre cöté, Alexis Alyate , Vefliaire , que 1'Empereur avoit chargé d'aller chatier ces mutins, raffembla tous les batiments qui étoient alorsaConfiantinople Sedans les ports voifins, Sc en forma une petite efcadre, avec laquelle il fondit fur les pirates. Ceux-ci le recurent avec beaucoup d'intrépidité. Les navires Grecs qui approchoient de Tome XXII. P MlCHEt Palèologue.  Michel Paléo-logue.\n, 117,6, 338 H 1 S T 0 I R E trop prés du vaiffeau Génois, ou venoient s'y briler comme fur un écueil, ou en étoient écartés avec une perte confidérable. Les Grecs commencoient a défefpérer du fuccès, & 1'on étoit fur le point d'abandonner la partie, lorfqu'un marin, plus expérimenté que les autres, confeilla de faire appareiller un grand navire Catalan qui fe trouvoit pour Ie moment dans la rade de Confiantinople, & de Penvoyer pour couper Ie vent au vaiffeau Génois, $c pour lui tenir tête, tandis que les autres 1'attaqueroient de tous cötés, Le combat recommenca avec une nouvelle fureur. Les Génois fe battirent en défefpérés; mais malgré leur vigoureufe défenfe & leur belle manoeuvre , ils furent obligés de céder •a la fupériorité du nombre. Leur vaiffeau fut pris, & 1'Empereur condamna plufieurs de ces corfaires k perdre les yeux; ce qui s'exécuta en leur enfoncant des batons pointus fous les paupieres, genre de fuppiicequi parut approprié au crime demalheureux qui avoient ofé traiter ou regarder avec mépris la majeflé Impériale»  du Bas-Empire. Liv. CL 339 Cette facheufe cataftrophe aigrit les deux nations Pune contre 1'autre, Sc depuis on vit fouvent s'élever, entre les Grecs Sc les Génois «tablis a Confiantinople , des rixes -qui fe terminoient quelquefois par des fcenes fort tragiques. Un jour, un matelot de la marine Impériale Sc un Génois, fe trouvant en concurrence pour 1'achat d'un panier de fruit, fe le difputerent avec chaleur. Le Génois eut 1'imprudence de dire au matelot : Nous pourrions bien entore être avant peu maitres de Confiantinople. Le Grec, que ce propos tranfporte de fureur, donne un violent foufflet au Génois, qui tire fon épée, Sc Pétend fur la place. A cette nouvelle, 1'Empereur jure d'exterminer tous les Génois. Auffi-töt Muzalon raiTemble, par fes ordres, les gens de guerre qui font dans la ville, entoure le quartier de ces étrangers, & attend que le Prince lui faffe donner le fignal pour les paffer au fil de 1'épée. Les Génois confternés fe mettent tous la corde au col, Sc viennent en pofture de criminels qui reconnoiffent avoir mérité la P ij Michel Palèologue.An. 1276. XXXIV. Colere de 1'Empereur contre les Génois. Pachym. !. J. c. 30. ■ Greg. I. 5, c. 4.  MlCHI Paléc 10GUJ An. 127 XXXV Eettre: des dei Empereurs & deVecci au Pape Hein. a 1277. JVaddin 1277. Alla!. Gonf, pf 738. 340 HlSTOIHB - mort., fe proflerner aux pieds de \ 1'Empereur, & implorer fa clémence. . Ce fpeclacle toucha Palèologue. II 6' fit grace aux Génois de la vie; mais il les condamna a lui payer, par for- me d'amende, une groffe fomme d'ar- gent. Jean XXI étoit monté fur le tröne i pontifical. Peu de temps après fon x exaltation , il avoit envoyé a Confiantinople des Nonces, pour favoir " de 1'Empereur, fi lui & fa nation a> étoient toujours difpofés a fe foumettre a 1'Eglife Romaine. Michel >• les recut avec de grands honneurs ., & leur fit une réponfe très-fatisfaifante, au moins enapparence. Pour ne laiffer aucun nuage dans 1'efprit du Pape fur la fincérité de fes intentions, il lui envoya plufieurs députés choifis parmi les dignitaires de ■TEglife de Confiantinople, & parmi les principaux Officiers de fon palais. Ces députés étoient chargés de remettre au fouverain Pontife plufieurs lettres, tant de la part des deux Empereurs, que de celle du Patriarche Veccus. Michel difoit en fubftance au Pape, qu'il avoit rec,u avec  nu Bas-Empme. Liv. Cl. 341 une révérence filiale des lettres de fon prédéceffeur; qu'après les avoir baifées très-dévotement, il les avoit lues avec toute Fattention poffible, pour en bien pénétrer Fefprit; qu'il avoit été tranfporté d'allégreffe en y apprenant qu'enfin la réunion des Grecs & des Latins étoit confommée ; qu'il s'étoit empreffé de re&ifier par un ferment folemnel dont il lui envoyoit la copie, celui que le grand Logothete avoit prêté en fon nom au Concile de Lyon. II déclaroit de la maniere la plus expreffe, qu'il acceptoit tous les dogmes profeffés par 1'Eglife Romaine ; qu'il reconnoiffoit, ainfi que les Princes fes enfants, le Patriarche & les autres Prélats de fon Empire, la primauté de cette Eglife fur toutes les autres. Enfin , il y donnoit a Jean les titres de très-faint, de irhs-heureux fouverairt Pontife, de Vicaire de Dieu, de Succtfleur du Prince des Apótres. Lalettre d'Andronic avoit une autre tournure : elle étoit concue en termes recherchés & captieux. Ce Prince y affetfoit en apparence un grand attachement a 1'Eglife Romaine, & beau. P iij Michel Palèologue.An, 1176^  Michel Palèologue.An. 1276, 34a BlSTOIRS coup de zele pour la paix. II y ra» contoit emphatiquement teut ce qu'il prétendoit avoir fait pour favorifer la réunion ; il s'excufoit fur une expédition contre les Turcs, s'il n'avoit pas fuivi cette grande affaire d'auffi prés qu'il 1'auroit defiré; il affuroit néanmoins, que jamais il n'avoit ceffé de folliciter, foit de vive voix, foit par écrit, 1'Empereur fon pere de mettre le fceau a une entreprife aufli glorieufe pour lui que profitable a la République Chrétienne. Du refte, fa lettre n'eft guere qu'un tiffu de compliments qui paroiffent d'autant moins finceres, que les exprefïions en font plus outrées. Tout y décele Pembarras de celui qui 1'écrit; & en examinant attentivement cette piece, on y reconnoit que la complaifance d'Andronic pour fon pere a feule conduit fa plume % & que fon cceur n'a point de part a ce qu'il dit. Jean Veccus, nouveau Patriarche, s'exprimoit d'une maniere plus franche & plus décidée. II béniffoit dans fa lettre la mémoire du Pape Grégoire X, qui avoit travaillé avec tant de zele au grand óuvrage  Du Bas-Empire. Liv. CL 343 de la réunion. II lui prodiguoit les ! plus pompeux éloges. II difoit que ce grand Pape avoit été fur la terre un Ange plutot qu'un homme. Après . ce préambule, il annoncoit a Jean XXI, que dans un Synode tenu k Confiantinople , & dont il lui adreffoit les aéfes, il avoit, avec tout fon Clergé , abjuré folemnellement, en préfence de Dieu & des faints Anges, le fchifme qui féparoit Pancienne Rome de la nouvelle , qui eft , diföit-il, la notre. II y faifoit fur la primauté du Pape , les déclarations les plus formelles-, &C s'y exprimoit d'une maniere qui ne pouvoit que flatter infiniment la Cour de Rome. Venoit enfuite une efpece de Symbole, dans lequel il expofoit tous les points de la croyance religieufe. II y infiftoit principalement fur les dogmes qui avoient divifé les deux Eglifes. II s'étendoit aufli beaucoup fur Partiele fi contefté de la ProcefiJion du St. Efprit. Quoique fa profefïion de foi fut jugée trés-orthodoxe par les Latins , cependant elle étoit enveloppée de tant de paroles, qu'elle donna par la fuite prife aux P iv Michel Palèologue.ia, 1176,  MlCHEt Pauéo- 10gui, An. JÏ76 An. 1277, XXXVI. Nouveauxtroubles «ccafionnés par les fchifmatiques. Raynald. »n. 1277. FUuryt lib. 97. 344 Histoire Grecs mal-intentionnés, & leur fout; nit 1'occafion d'élever de nouvelles difputes. Jean XXI n'eut point connoiffance de ces lettres. Quand les Ambaffadeurs Grecs arriverent k Viterbe, il venoit de mourir des fuites d'une bleffure occafionnée par 1'écrouiement d'un batiment qu'il y avoit fait conftruire depuis peu. Sa mort arriva le 16 Mai 1277. II s'en falloit beaucoup que la paix fut aufli avancée que 1'annoncoient les dépêches qui venoient de Conftaotinople k la Cour du fouverain Pontife. Le gros de la nation Grecque demeuroit toujours opiniatrément attaché au fchifme. II n'y avoit guere que les courtifans, qui, pour 1'ordinaire, n'ont d'autre religion que celle du Prince, quelques Prélats ambitieux, & un petit nombre d'Eccléfiafliques, dont les yeux s'étoient réelIement ouverts k la lumiere, qui paroiffoient foumis. Quant a la multitude, elle étoit très-fcandalifée de la conduite de Palèologue, & conti nuoit k faire éclater fon zele aveugle pour la croyance de fes peres, en fe livrant, comme on 1'a déja dit  na Bas-Empire. Liv. CL 345 ailleurs, aux excès les plus extravagants. Elle fortoit en foule de 1'Empire comme d'une terre maudite, & alloit fe réfugier dans les Etats de « ceux des Princes Grecs qui refufoient de s'unir k 1'Eglife Romaine, & même chez les Princes Latins, qui, par une politique peu conforme k Pefprit de leur religion, allumoient ou entretenoient le feu de Ia difcorde. D'autres erroient en troupes dans les diverfes Provinces de 1'Empire, menacant de tout mettre a feu & k fang, fi on perfiftoit k tourmenter leur confcience. Ces émigrations ck ces attroupements féditieux allarmoient 1'Empereur. Veccus crut qu'il fuffi» roit pour réprimer cette populace fanatique, de faire gronder fur fa tête les foudres de 1'Eglife. II afTembla un Synode, & y frappa d'anathême tous ceux qui ne reconnoifToient pas que la fainte Eglife Romaine efl la mere & le chef de toutes les autres Eglifes, & la maitreffe qui enfeigne la foi orthodoxe ; que fon fouverain Pontife efl le premier & le Pajleur de tous les Chrétiens , de quelque rang qu'ils foyent, Evêques 7 Prêtres ou Diacres. Le zélé P v Michel Palèologue.in. 1177,  34-6 HiSTóts.E Patriarche ne s'en tint pas la ;il ex- Michel Paléo- lo gue. An. 1277. XXXVII. Jean le Batard fe révolte.St devient perfécureur. Raynald. «re, 1278. Liiurtt Ogerii Prototio&ar. Mie. Palxologi, apud Wadding, t, V. r 65. communia nommément Nicéphore Ducas, fils de Michel Comnene, defpote d'Epire, & Jean, Duc de Patras, fon frere batard. Ces deux Princes s'étoient dévoués a la caufe des Schifmatiques ,& n'avoient pas craintj pour la défendre , de lever 1'étendard de la révolte. L'Empereur auroit bien voulu ne pas être obligé d'employer , pour les réduire,.. la force des armes ; il tenta toutes les voies de la douceur,, mais elles ne produifirent aucun effet. II s'avifa enfuite de leur envoyer une expédition de la fentence d'excommunication prononcée contre eux. Ce moyen ne réufllt pas mieux. Enfin , il lui fallut prendre malgré lui le parti de leur faire une guerre ouverte. Les troupes impériales étoient commandées par Andronic Palèologue , grand-Maréchal de 1'Empire, & coufin-germain de 1'Empereur, & par le grand Echanfon, gendre d'un autre de fes coufins. Michel leur avoit affocié, pour fervir fous leurs ordres, Comnene, Cantacuzene & Jean Palèologue fes neveux. Mais ces Sei-  du Bas-Empirb. Liv. CL 347 gneurs, au-lieu d'attaquer le Duc de Patras, lui firent dire qu'ils tenoient eux-mêmes 1'Empereur pour hérétique; qu'en conféquence ils 1'abandonnoient, & qu'il pouvoit profiter de 1'occafion pour le jetter fur les terres de 1'Empire. D'après eet avis, Jean le Batard s'empara de quelques villes impériales. Michel, inftruit de la perfidie de fes Capitaines, fe les fait amener chargés de chaines, & nomme pour les remplacer d'autres Officiers, a qui il recommande de fe tenir fur la défenfive , & de fe eontenter de couvrir les places de 1'Empire fans fe compromettre avec 1'ennemi. O'étoient de jeunes préfomptueux qui, remplis de leur propre mérite, & tout glorieux des talents qu'ils croyoient avoir , eurent 1'imprudence d'attaquer un pofte trop bien fortifié, & fe firent battre par Jean le Batard. L'Empereur avoit encore envoyé dans d'autres Provinces plufieurs de fes parents, pour y rétablir la tranquillité : favoir, Palèologue , fils de fa fceur, Jean Tarchaniote , Calojean, Lafcaris & IfaacRaoul Comnene fes coufins ; mais P vj Michel Palèologue.An, 1177.  Michel Paléo- lOGUE. An. n.77. { i < 1 i 1 i 1 c fi n I; u jC O p c< G Ie tc Ia V£ «11 34^ HlSTOIiXB loio de pourfuivre les rebelles, ils fe joignirent è eux. Lorfqu'après les avoir arrêtés, on les interrogea fur les raifbns qui les avoient engagés a nanquer ainfi a leur devoir; ils dé:1arerent tous qu'ils avoient mieux limé trahir 1'Empereur que leur Reigion. Cependant le Batard, devenu le plus en plus infolent par fes fuo :ès, ne fe contenta pas de faire Ia ;uerre a fon maitre, il eut encore a préfomption d'employer contre lui •ar repréfailles les armes fpirituelles. i convoqua une efpece de Concile, ompofé de huit Evêques, de plueurs Abbés , & d'ënviron cent Moies. On foumit dans cette afiemblée 1 croyance de 1'Eglife Romaine & n examen docfrinal; elle y fut déarée hérétique; & en conféquence il prononca anathême contre le Paï, 1'Empereur , le Patriarche, & >ntre les autres Prélats de I Eglife recque qui Pavoient embraflee. Jean Batard , après avoir fait retentir ut 1'Empire de fes plaintes contre perfécution , devint lui-même,fuint Pufage, le plus cruel des perféteurs. L'Evêque de Trica en Thef-  du Bas-Empjre. Liv. CL 349 falie, ayant refufé de participer a | fon conciliabule, fut arrêté par fes ordres, & jetté dans une étroite prifon, oü il éprouva toutes les horreurs de la plus affreufe captivité; il y auroit péri, fi, au bout de dixhuit mois , il n'eüt trouvé le moyen de rompre fes fers. L'Evêque de Pa- j tras, pour avoir refufé de rétraöer l'abjuration qu'il avoit faite du fchifme, fut traité encore plus indignement. Le Batard le condamna a être | expofé pendant plufieurs jours & pliK I fieurs nuits, nud en chemife, aux gêlées & aux frimats du mois de Décembre. Tandis que 1'Empire étoit agité par ces troubles domeftiques , il fe préparoit en Bulgarie une de ces révolutions, au milieu defquelles on voit quelquefois la fortune fe jouer avec les couronnes, & fe plaire a les pofer fur des têtes encore fouillées de la fange d'oü elles font forties. La fanté de Conftantin Tech, Roi : des Bulgares, dépériffoit chaque jour, & tout annoncoit qu'il n'avoit pas | ; encore long-temps a vivre. L'am- ; ; Mtieufe Marie, qui fe propofojt de Michel Palèologue.An. H77j «XXVIII Marie , leine de iulgarie » dopte 7 encef*  Michel ■Palèologue.An. 1277 Pachym. I 6 , c. 2. FamilaByJ fr. 321. 35a ff'-T S T 0 I R E > régner fous le nom & pendant fa minorité de Michel fon fils, s'empreffa de le faire proclamer Roi avant la mort' de fon époux. Uh proche parent de Conftantin , nommé Venceflas, qui avoit des prétentions a la Couronne , fut fort irrité de cette démarche. II jouiffoit d'un grand crédit, & étoit aimé de la nation. II avoit fu indifpofer fecretement contre la Reine les Bulgares, qui, d'ailleurs, redoutoient le gouvernement de cette Princeffe. Venceflas murmura. hautement, & fes plaintes parurent être écoutées. Marie en fut allarmée ; elle comprit qu'il étoit de la plus grande conféquence pour elle de calmer au plutót les inquiétudes d'un rival li-redoutable. Comme elle joignoit a toute 1'aftuce des Grecs, qu'elle avoit fucée avec le lait, eet art de perfuader li naturel aux perfonnes de fon fexe , elle n'eut pas de peine a féduire Venceflas. Elle Pinvita lous la föi des ferments a ven-ir la trouver aTernove, pourcon- i férer avec elle, fur 1'exécution d'un projet, dont il auroit, difoit-elle, tout lieu d'être content, Le crédule  du Ras-Empire. Lm. CL 351 Venceflas donna dans le piege , & fe rendit aux invitations de 1'artificieufe Princeffe. Marie le recut avec de grands témoignages d'amitié, & lui déclara qu'elle vouloit Padopter pour fon fils. Venceflas, flatté de cette offre, ne balanca pas a donner en fa perfonne le fpecfacle ridicule d'un vieillard qui confentoit a devenir le fils d'une jeune femme, 6c le frere cadet d'un enfant prefqu'encore au berceau. La cérémonie de cette finguliere adoption fe fit avec beaucoup d'appareil dans la Cathédrale de Ternove par le Patriarche de Bulgarie , afïiflé de tout fon Clergé , en préfence des Grands de la nation, & aux acclamations réitérées d'un peuple innombrable. L'Eglife étoit éclairée d'une quantité prodii" gieufe de lumieres, & paree de fes plus riches ornements. La Reine, pour terminer la cérémonie par une formalité qui fembloit y mettre le fceau, déve)i*ppe fon manteau royal, 1'étend, d'un cöté, fur le jeune Michel, & de 1'autre fur le vieux Venceflas. En même-temps elleJes embraffe tous dewx avec toutes. les dé- MlCHEE Palèologue.An. 1177,  MlCHEl Palèologue.A-arIoit avec une éloquence naturelle k impétueufe. touiours dIus oerfua-  nu Bas-Empirs. Liv. CL 353 & les patres fes camarades, il les entretenoit de fa grandeur future avec un enthoufiafme qui fe communiquoit aifément a ces efprits foibles. Pour acheverde les entraïner, il feignit d'être en correfpondance avec les intelligences céleftes. II racontoit des révélations, faifoit de longues prieres, & affecfoit un extérieur de fainteté. Les plus fages fe moquoient de lui, & le traitoient de fou; mais le plus grand nombre ajoutoit foi k fes paroles, & lui juroit une fidélité inviolable. Lorfqu'il crut avoir bien difpofé toutes fes batteries, lorfqu'il fe vit entouré d'une multkude de gens prêts a le fuivre, & d'autant plus déterminés k tout entreprendre , qu'ils n'avoient rien a perdre, il annonca, d'un ton de prophete, que le moment marqué pour remplir fes hautes deftinées, étoit enfin arrivé. Auffi-töt il quitte fon habit de porcher, prend le diadême,, ceint 1'épée royale, monte a cheval, & fe met en campagne fuivi de fes compagnons. Ses premières opérations furent dirigées contre les ennemis de l'Etat. Les Tartares, profïtant Michel PArÉo- LOGUE. An. 1277»;  Michel Palèologue.In. 1277. 354 H 1 s t 0 1 r e de la maladie de Conftantin, s'étoienf jettés fur la Myfie. Lacanas marche contre eux, attaque un de leurs partis, le taille en pieces, tombe fur un autre , lui fait effuyer le même fort. Bientöt Lacanas eut nettoyé de ces brigands tout le pays. Des actions fi brillantes éblouirent la multitude. Les Bulgares le regarderent comme leur fauveur : par-tout ou il paffoit,on le recevoit avec de grands cris de joie. Une foule de jeune3 aventuriers venoient ehaque jour fe ranger fous fes étendards. Conftantin , frappé du bruit de ces fuccès, concut de quelle importance il étoit pour lui d'en arrêter le cours. L'Empereur , de fon cöté, quoiqu'il n'eüt pas lieu d'être content du Roi des Bulgares, fentit en bon politique la néceffité de le feconder dans cette entreprife. Si on laiffoit Lacanas s'établir dans .la Bulgarie , 011 s'en rendre maitre, il y avoit a craindre qu'il ne devint pour 1'Empire un voifin trop dangereux. Palèologue partit donc en diligence pour prévenir les deffeins d'un guerrier fi aöif, & pour 1'écarter des frontieres de fes Etats;.  bv Bas-Empirtz. Liv. CL 355 mais ce voyage ne fut pas heureux pour lui. Quelques corps de troupes impériales qu'il avoit envoyées en avant, furent battus par les gens de Lacanas, & lui-même penfa perdre la vie par un facheux accident. Empreffé d'arriver k Andrinople, il couroit k toute bride. C'étoit en hy ver r les chemins fe trouvoient alors couverts de glacé, fon cheval s'abattit, & Michel , en tombant ,.fe bleffa griévement k la tête & aux mains» II fut plufieurs mois k fe rétablir de cette chüte, & long-temps après fa guérifon , il portoit encore les cicatrices de /es bleffures; ce qui le mit hors d'état d'agir aufli vigoureufement qu'il fe 1'étoit propofé. Au refte, k peine füt-il arrivé k Andrinople , qu'on vint lui annoncer la mort de Conftantin. Ce malheureux Prince, abandonné d'une partie de fes fujets, que Lacanas lui avoit débauchés, &£ haï de 1'autre , k caufe des vexations de la Reine, avoit eu beaucoup de peine a ramaffer quelques troupes, S'étant mis a leur tête, i! joint-fennemi, & 1'attaque d'abord avec affez de vigueur; la.vief oire paroiffoit mê- MlCHEt Paléo- 10GUE. An. 1277^  Michel Palèologue.An. 1277, An. 1278. XL. Palèologue reconnoltAfan, fils de Mifez , pour Roi de Bulgarie. Pachym. I, é.e.4, 5. Du Cant', W Confl. p, 193 . // portie. 35Ó HlSTOIRB me vouloir fe fixer de fon cöté; mals Lacanas Feut bientöt rappellée fous fes drapeaux. Les rebelles, excités par leur chef, font un dernier effort, s'élancent comme des furieux fur l'armée de Conftantin , & 1'enfoncent de toutes parts. Lacanas pénetre jufqu'au quartier du Roi, le combat corps a corps, & k perce de fon épée. Devenu maitre de la campagne, il eut bientöt emporté les plus fortes places de la Bulgarie ; alors la majeure partie de la nation ne fit plus difficulté de le reconnoitre pour fon Souverain. Lorfque FRmpereur eut appris qitfe Lacanas avoit été proclamé & couronné Roi des Bulgares, il envoya des gens afiïdés, pour fonder les difpofitions du nouveau Monarque, & pour examiner s'il étoit tellement affermi fur fon tröne, qu'il fut difficile de Fen précipiter fans de grands efforts \ car alors il n'étoit pas trop éloigné de Fhonorer de fon alliance, & de lui offrir en mariage Irene, 1'une de fes filles : mais réfléchiffant fur 1'inftabilité des chofes humaines, il craignit que la fortune de Lacanas ne  nu Bas-Empihe. Liv. CL 357 1'abandonnat, ou qu'il ne fut pas conferver fes faveurs. Dans cette perplexité , il affemble les meilleures têtës de fon Confeil; il leur expofe les circonftences dans lefquelles il fe trouve, & 1'embarras oü le jette la nécefïité d'opter entre Lacanas qui poffédoit la couronne de Bulgarie par droit de conquête, & Jean, fils de Mifez, aqui elle appartenoit par droit denaiffance. L'Empereurbalan?aluimême , en préfence de fes Officiers, les raifons pour & contre , & finit par déclarer qu'il penchoit davantage en faveur de Jean. Le Confeil n'eut garde d'être d'un aatre avis. II y fut décidé, d'une commune voix, que Jean devoit être préféré a Lacanas. C'étoit aufli le fentiment de 1'Impératrice, celui de Veccus & deThéodofe de Ville-Hardouin que Palèologue avoit fait élire nouvellement Patriarche d'Antioche, après s'être affuréque ce Prélat, qui avoit renonce dans fa jeuneffe a la religion Romaine , ne s'oppoferoit pas a la réunion des Grecs avec les Latins. Dès qu'il fut arrêté que Jean méritoit la préf érence fur Lacanas, 1'Empereur don- MlCHEL Palèologue.An. 1278,'  Michel Palèologue.An, 1278, 358 HlSTOIRS ' na des ordres pour qu'on le lui amenat promptement. Ce jeune Prince réfidoit alors fur les bords du Scamandre, dans la Troade. II y menoit une vie paifible & délicieufe. Les députés de Palèologue le conduifirent a Andrinople, & 1'y préfenterent a 1'Empereur, qui le recut avec toutes les marqués de la plus tendre affection. Palèologue le reconnut publiquement en qualité de Roi de Bulgarie , lui fit prendre les attributs de Ja dignité royale, le déclara fon gendre, & voulut qu'il quittat le nom de Jean, pour adopter celui d'Afan, fon aïeul , dont la mémoire étoit chere k la nation fur laquelle il alloit régner. Palèologue, pour affurer la couronne k fon protégé , fit venir fecretement k fa Cour les principaux d'entre les Bulgares, Sc les engagea a fe ranger du cóté du nonvel Afan. Parrni ces Seigneurs, les uns , ou fe rendirent de bonne grace, ou céderent a la force des repréfentations, & les autres ne purent réfifter a 1'appat des promeffes ókdes préfents. Auffi-töt que Michel fut de retour  nu Bas-Empire. Liv. Cl. 359 a Confiantinople , il s'emprefla de célébrer le mariage du Roi de Bulgarie avec Irene , fa fille. La cérémonie des noces répondit, par fa magnificence, a la dignité des deux époux. Afan y parut rayonnant de tout 1'éclat de la majefté royale, & environné du même appareil que 1'Empereur, excepté que les houffes Scles harnois de fes chevaux, au-lieu d'être de foie teinte en pourpre, n'étoient que de laine , 6c d'une autre couleur. Les articles du traité de manage furent, qu'Afan minirok fes troupes a l'armée de 1'Empire, pour faire de concert le fiege de Ternove capitaledela Bulgarie, Sc que, fuppofe qu'il lui fut impoflible de s'emparer de cette place , il feroit au moins revêtu de la dignité de Defpote. Afan promit avec ferment, que s'il pouvoit fixer fur fa tête la couv ronne que Michel y avoit pofée, il I entretiendroit avec 1'Empire une paix ; inviolable; finon qu'il auroit pour 1 Empereur la foumiflion Sc la fidélité que lui devoit tout Defpote. Dans le même temps, il fe fit a . Confiantinople un autre mariage, qui ■ MlCHEt PArÉo- tOGUE. An. 12.78, XL1. Afan époufe une fille de 1'Empereur. Pachym. 1. S. c. 6.. Grtg. I. 5, :. 3. XLIÏ. Difpenfe ; maria-  Michel Palèologue.An. 1278. ge pour une autre fille de 1'Empereur. Pachym. I. 6,c.6. Pojpnl ohJcrv. Famil. Byf. f. 209." 360 fflSTOÏRE fut arrêté pendant quelques inftanrs | par des obffacles que n'avoit pas ren- I contré le premier. Michel, furnommé Cotrulas, le plus jeune des trois j fils légitimes de Michel-Ange Com- | nene, Defpote d'Epire , voyant que [ la part qu'il pouvoit prétendre des Etats de fon pere ne lui fuffiroit pas pour fe foutenir honorablement, avoit pris le parti de quitter fon pays, 5c de venir fe fixer a Confiantinople, pour y vivre au milieu des délices de la Cour, avec la Princeffe Anne, fille de 1'Empereur, qu'il devoit époufer. II étoit bien perfuadé que fon beau-pere lui donneroit un apanage qui vaudroit beaucoup mieux que tout ce qu'il pouvoit abandonner dans fa patrie. Lorfqu'on fut au moment de procéder a la célébration des noces , on obferva que la future époufe étoit coufine de la femme de Nicéphore , frere de Michel, d'oü réfultoit que les parties contractantes fe trouvoient être parentes d'un cöté au fecond degré, & de 1'autre au quatrieme ; ce qui établiffoit alors, fuivant le droit canon des Grecs, une caufe d'empêchement. Palèologue fit : affembler 1  du Bas-Empire. Liv. Cl. 36r affembler les Evêques, pour juger s'il n'y avoit pas lieu d'accorder une difpenfe. Ces Prélats déciderent que la paix, qui devoit être le prix de cette alliance, étoit une raifon affez puiffante pour faire relacher quelque chofe de la févérité des loix eccléfiaftiques. D'après cette décifion , les noces fe firent: Michel fut déclaré Defpote , & en cette qualité, il rendit hommage k 1'Empereur Sc a fon fils. Les fêtes données k 1'oceafion de ce doublé mariage ne furent pas plutot terminées, que les troupes de Palèologue & d'Afan fe mirent en marche pour fe rendre devant Ternove, ou Marie s'étoit renfermée avec Michel fon fils. Cette Princeffe fe trouvoit dans une pofition embarraffante; elle avoit k fe défendre tout k , la fois contre deux ennemis puiffants. Lacanas continuoit k faire des ' progrès, tout plioit devant lui , toutes les villes s'empreffoient de lui ouvrir leurs portes. D'un autre cöté, l'armée impériale, jointe k celle du nouveau Roi de Bulgarie, commencoit a s'approcher de la capitale, & le parti d'Afan fe fortifioit de plus en Tornt XXII. Q MlCIIEL Palèologue.An, 1178. XLIÏI. Marie , femme du feu Roi da Bulgarie , époufe Lacanas, ■neuTtrier ie fon nari. Sreg. I. 5. • 3- Vamil.Byf.  MlCHEL Palèologue.Ln. 1278. i i i 3 1 ] 1 1 1 I 1 1 l c $ n F r d 3^ II I S T 0 I R £ plus. Marie, fe voyant dans Pimpoffibilité de réfifter feule aux efforts de deux puiffances fi formidables, délibéra d'abord fi elle n'iroit pas fe jetter entre les bras de 1'Empereur fon pncle. C'étoit le parti le plus fage, Le plus honnête & le plus fur; mais lufli, c'étoit renoncer a la couronle : Marie ne pouvoit douter que 3aléoIogue ne feroit pas d'humeur a lépouiller fa propre fille & fon genIre de la royauté dont il venoit de es inveflir. Ces réflexions la firent )ientöt changer de deffein : ne preïant plus confeil que de Pambition k de 1'intérêt, elle réfolut de livrer 1 Lacanas, fon palais, fa ville capiale, fon Royaume, fa perfonne mêne. Cette malheureufe Princeffe n'eut >as honte d'envoyer offrir fa main k in barbare qui avoit encore les fienes toutes dégouttantes du fang de sn époux. Lacanas recut, avec un édain cruel, les Ambaffadeurs de larie : il leur répondit que 1'agréient de leur maïtreffe ne lui étoit as néceffaire pour pofféder une cou5nne qu'il avoit acquife a la pointe e 1'épée, & qui lui appartenoit déja  bv Bas-Emrire. Liv. CL 363 par droit de conquête; cependant, je veux bien , ajouta-t-il, pour ména ger la vie de mes fujets, lui faire l'konneur de la recevoir dans mon liu Cette humiliante réponfe n'arrêta pas Marie. Le traité ayant été figné de part & d'autre, on ouvrit les portes de Ternove a Lacanas, qui y entra eomme un triomphateur. La cérémonie de fon couronnement & de fon mariage avec la Reine fe fit fans différer. Quand Michel Paléologiie eut appris cette nouvelle, il en concut le plus grand dépit. Ce qui le fachoit davantage, étoit , difoit-il, de voir que Mark eut déshonoré fa noblefie par une alliance li infame. II oublioit donc alors qu'il avoit eu lui-même intention d'offrir a Lacanas une de fes filles. Les Ambafiadeurs Grecs, qui avoient trouvé le Pape mort en arri- ] vant a Viterbe, y refterent jufqu'a . ce qu'il y en eut un autre. Ce ne fut 1 qu'au bout de lix mois, vers la fin j de 1'année 1177, que les Cardinaux f s'accorderent a élever fur le tröne f pontifical , Jean Cajetan, Cardinal- 1 Diacre du titre de St. Nicolas. Ce i Michel Paiéo- IOGUE. Au. 127S. XLÏV. ^ NicoLis" II refufé Charlss 1'Anjou a permifion de aire la uerre a 'aleolo«e. Paehym,  Michel Palèologue. An. 1278. /. 5. e. 26. Wadding, I27S. 364 HlSTOliXE Pontife prit le nom de Nicolas III. Les Hiftoriens d'Italie lui attribuent, & de grands talents & de grandes vertus; mais en le jugeant d'après fes aclions, au moins depuis qu'il fe fut affis fur le fiege de St. Pierre, on ne peut s'empêcher de reconnoitre qu'il étoit plein d'ambition. Jamais Pontife Romain ne chercha a étendre plus que lui les prétentions ultramontaines; & paree que St. Francois d'Affife lui avoit prédit qu'il deviendroit un jour maitre du monde, il croyoit qu'il n'y avoit point fur la terré de puiflance qui dut réfifter k la fienne. Dès qu'il eut été proclamé Pape, les Ambaffadeurs Grecs s'empreflerent de lui rendre obédience, & de lui remettre les lettres qu'ils avoient apportées pour Jean XXI. Nicolas, après les avoir retenus affez longtemps a fa Cour, les congédia. Ils n'étoient pas encore partis, qu'on vit arriver de Confiantinople d'autres députés , qui venoient le féliciter de Ia part de 1 Empereur fur fa promotion. Ces envoyés étoient aufli d'honnêtes êfpions a qui leur maitre avoit recommandé de bien étudier le génie,  du Bas-Empire. Liv. Cl. 365 Je caraclere, les difpofitions du nouveau Pontife, & fur-tout de fuivre de prés les démarches deCharles d'Anjou, Roi de Sicile. Ce Prince donnoit toujours beaucoup d'inquiétude a Michel Palèologue. Charles, qui, d'après tout ce qui s'étoit pallé au Concile de Lyon , ne comptoit plus fur Grégoire X, avoit remis a des temps plus favorables 1'expédition qu'il méditoit contre 1'Empereur des Grecs. L'exaltation de Jean XXI , qui étoit prefque fon ouvrage, lui avoit faitefpérer qu'il trouveroit dans ce Pontife toutes les facilités néceffaires pour Pexécution de ce projet , ou qu'au moins il n'éprouveroit de fa part aucun obftacle. La mort précipitée & malheureufe de Jean fit évanouir fes efpérances. II crut les voir renaïtre fous lè' pontificat de Nicolas. II eft vrai qu'il s'étoit oppofé a fon éleéfion ; mais depuis il lui avoit fait de fi grands facrifices, qu'il croyoit que ce Pontife lui en fauroitgré, &qu'enfin il obtiendroit de lui la permifïion d'aller attaquer Confiantinople. II fut trompé. Le Pape répondit aux premières propoQ üj Michel Palèologue.An. 1178.  Michel Palèologue.l*. 127S 3Ó6 H I S T 0 1 Jt E fitions qu'il lui en fit, par un refiis abfolu. Charles ne fe rebuta pas; oubliant fa fierté naturelle , il prit la réfolution, oudegagner le Pontife par fes foumiflions tk fes larmes , ou de le fatiguer par fes importunités. Souvent on le voyoit affifter a 1'audience du Pape, confondu dans la foule, puis fe jettant tout-a-coup k fes genoux, lui demander en grace de ne point s'oppofer a une entreprife fi légitime. II lui expofoit, dans les termes les plus énergiques, d'un cöté, les droits de Philippe fon gendre fur 1'Empire d'Orient, & de 1'autre, les dépenfes énormes que lui-même avoit faites pour le mettre en poffelfion de 1'héritage de 1'Empereur Baudouin fon pere. Le Pape répondoit d'un air touché, qu'il n'étoit pas jufte de vouloir enlever aux Grecs des poffefiions qui leur étoient affurées par le droit de conquête. A cette raifon, il en ajoutoit une autre qui n'avoit pas toujours été la maxime de fes prédéceffeurs, c'eft qu'il ne falloit jamais faire la guerre a des Ckrétiens, de peur d'attirer fur foi les chdtiments de la vengeance divine. Cette réponle met-  nu Bas-Empire. Liv. Cl. 367 toit le Roi Charles en fureur. Concentrant en lui-même fon défefpoir, il gardoit le filence, & mordoit de rage le fceptre , que, fuivant la coutume des Rois de Sicile, il portoit toujours' a la main, comme une marqué de la fouveraineté. Les Ambaffadeurs des Grecs furent fouvent témoins de cette fcene peu décente. Le Pape n'en étoit pas faché, paree qu'il fentoit bien qu'ils ne manqueroient pas d'en inftruire Palèologue : d'ailleurs , il éprouvoit un fecret plaifir k voir s'humilier ainfi devant lui un Prince altier qui 1'avoit quelquefois traité avec mépris. II ne pouvoit oublier que Charles, en lui refufant une de fes petites-füles pour fon neveu , avoit dit publiquement & avec dérilion : Paree que Nicolas a les pieds rouges, croii-il que cela fuffife pour le rendre digne de sallier au fang de France ? Peu de temps après le départ des AmbalTadeurs qui étoient venus de Confiantinople pour compliraenter le Pape Nicolas III, ce Pontife envoya k Michel Palèologue quatre nouveaux Nonces, tous de Pordre des Freres Q iv MlCHEt Palèologue.An. 117?, XLW Inftruttion du Pape Ni colas afet Nonces. RaynaU\  MlCHEl Palèologue.An. 1278. Wadding. 1278. Allat. Conf.pag, 330 & fair. 3<ÏS Histoixz Mineurs. II les chargea de plufieurs lettres, dont deux étoient adreffées k 1'Empereur, & deux autres k Andronic fon fils & au Patriarche; mais en même-temps il leur remit une ample inftrucrion, dans laquelle étoit tracé le plan de conduite qu'ils devoient tenir. II leur recommandoit d'abord de donner, en arrivant, fa bénédiction apoftolique k 1'Empereur & k fon fils Andronic; puis de chercher k s'infinuer par de belles proin eff es dans leur efprit. » Vous les » affurerez , leur difoit-il, que I'R» glife Romaine, les regardant com» me jdes enfants rentrés dans fon » fein, veut les traiter plus favora» blement que tous le's autres Prin» ces Catholiques ". Enfuite il leur enjoignoit de repréfenter a Michel Palèologue que Charles d'Anjou & Philippe fon gendre, ainfi que plufieurs autres Princes Latins, avoient de grandes prétentions k faire valoir contre lui ; qu'ils les appuyoient de raifons très-fortes, & étoient difpofés a les foutenir par des armées qui [ > ■ * y lil » 370 HlSTOIXB qu'ils en fiffent faire plufieurs expé* ditions fcellées de fceaux authentiques, dont les unes refteroient entre leurs mains, les autres feroient envoyées au St. Siege par des couriers, & d'autres dépofées dans les arehives des principales Eglifes de 1'Empire Grec. Puis 1'inftruclion ajoutoit v •* En reeevant le ferment des Grecs, » vous leur direz que 1'Eglife Romai» ne voit avec la plus grande furprife » qu'ils n'ayent pas eu foin de mettre » leur confcience en füreté pour le •> paffe , c'eft-a-dire , de demander t 1'abfolution des cenfures qu'ils ont * encourues a caufe de leur fchifme, > & que le Patriarche & les autres > Prélats ayentjufqu'a préfent négligé > de fe faire confirmer par 1'Eglife > Romaine dans la poffelïïon de leurs i dignités. Vous pourrez partir de-la > pour inlinuer k 1'Empereur com> i bien la préfence d'un Cardinal-Lé1 gat, muni de pleins pouvoirs, fe- r.oit néceffaire k Confiantinople; car mon intention eft d'y en envoyer un; mais ne faites cette ouverture qu'avec beaucoup de réferve; tachez de conduire cette négociation  du Bas-Empire. Liv. Cl. 371 » avec tant de dextérité, que vous » puiffiez amenerinfenfiblement 1'Env » pereur k demander de lui-même h un Légat. Au refte , foit que vous » réuffiffiez k le perfuader, foit que » vous n'y réuffiffiez pas, vous ne » vous en informerez pas moins avec » le plus grand foin, par quelle voie » un Légat pourroit s'introduire dans » le pays, & y demeurer fans danw ger. Feut-être feroit-il plus k pro» pos de ne s'expliquer k ce fujet que » par forme de queftion. Cette tour» nure feroit moins fufpedf e que tou» te autre. Vous demanderiez, par » exemple, s'il n'exifteroit pasquel» que mémorial ou quelqu$ écrit qui » rappellat comment les Légats du » Saint-Siege ont été autrefois re^us » dans le pays; quels honneurs on » leur a faits, quelle obéiffance on » leur a rendue, le nombre de domef>> tiques qu'ils avoient k leur fuite ? » Si Ia réponfe de 1'Empereur étoit » favorable, il faudroit tacher de fe «5 la procurer par écrit; finon, vous » lui expoferiez ce qui s'obferve chez » les Latins a l'égard d'un Cardinal» Légat. Ici vous mefurerez bien vos Q vj Michel Palèologue.An. 127S;  Michel Palèologue.üi. 1178. ZL VI. res a- %7l H 1 S T 0 I R Ê » paroles , & vous n'en hafarderez » aucune qui puilTe porter ombrage » aux Grecs, ou leur faire craindre ti qu'un Légat doive leur être a char» ge ". Ce point étoit en effet trèsdélicat, & demandoit a être traité avec d'autant plus de circonfpecfion, que les Grecs pouvoient bien n'avoir pas encore oublié la conduite impérieufe qu'avoit tenue autrefois le Légat Pélage a Confiantinople, & le fafle orgueilleux que ce Prélat y avoit étalé. Le Pape déclara enfuite a fes Nonces qu'il leur donnoit la puiffance de frapper du glaive de 1'excommunication les perturbateurs de la paix, de quelque état qu'ils fuffent; mais en mêmetemps il les avertiffoit de n'ufer de cette arme qu'avec beaucoup de ménagement. Enfin, il finiffoit par les exhorter a ne point traiter cette grande affaire aufli légérement que quelques-uns avoient fait avant eux, II falloit que le Pape Nicolas fut bien peu inflruit des vraies difpofitions des Grecs, pour ofer charger fes Nonces de pareilles dépêches. Marie, Reine de Bulgarie, ne fut pas long-temps h fe repentir de foo  du Bas-Empire. Liv. CL 37; mariage ayec Lacanas. Ce barbare qui confervoit toujours fous le dia' dême la grofliéreté .de fon premiei état, la traitoit fans aucun égard: i ne ceffoit de lui reprocher la délicatelTe de fa maniere de vivre, & toutes les fois qu'elle entreprenoit de fe juftifïer fur eet article, il s'abandonnoit aux tranfports de la plus violente colere, fouvent même il s'emportoit contre elle jufqu'a la frapper. Lacanas regardoit la molleffe comme fon plus redoutable ennemi: il étoit perfuadé que fes conquêtes ne manqueroient pas de lui échapper dès qu'une fois il celferoit de mener une vie dure & agiffante ; aufli étoit-il toujours en aftion : ou il formoit lui-même fes troupes aux exercices militaires, ou il les conduifoit en perfonne au combat. Lacanas réuniffoit a la bravoure une férocité atroce. Dans les rencontres, il ne faifoit aucun quartier, aucune grace k Pennemi. Ceux que 1'épée de fes foldats avoit épargnés , périffoient fous le glaive de fes bourreaux. Cette barbarie avoit tellement répandu la terreur parmi les mi- uces imperiales, que iouvent elles . Michel Palèologue. [ An. 127S. ■ bandonnent Lacanaspour Afan. Greg. I. 5, c. 3. Famil.Byf. P- 3*«» 322.  MlCHEL Palèologue.Ajl>iz7S 374 H I S T 0 I R z refufoient de marcher contre lui. Tandis que d'un cöté les troupes de 1'Empire attaquoient Lacanas, del'autre, les Tartares le harceloient fans relache. Ils fe rappelloient, enfrémiffant de rage, les traitements cruels que ce barbare avoit fait a plufieurs d'entr'eux. Depuis long-temps, ils cherchoient Poccalïon de s'en venger; ils la trouverentenfin , & ne Ia laifferent pas échapper. Ayant rencontré fon armée dans un lieu oii ils pouvoient Fattaquer avantageufement, ils tombent fur elle avec leur impétuoüté ordinaire, la mettent en déroute,& obligent Lacanas lui-même k prendre la fuite. Cet événement parut aux habitants de Ternove une cïrconftance favorable pour reconnoitre Afan comme leur Souverain légitime, & pour le recevoir dans leurs murs. Aufli-töt ils fe faifüïent de Marie, qui étoit enceinte de fon nouvel époux, &t 1'envoyent avec Michel, qu'elle avoit eu de Conftantin, k Andrinople, oü elle eft livrée a 1'Empereur ; puis ils ouvrent les portes de leur ville a Afan & a Irene , qui y font leur entrée aux acclamations d'un peuple innombra-  r>u Bas-Empirb. Lh. Cl. 375 ble. A cette nouvelle , Lacanas ne fe poffede pas de colere, il s'avance en dil igence vers Ternove,. dans Ie deffein de 1'affiéger. II eut d'abord le bonheur de tailler en pieces deux corps de troupes Impériales, compofé,l'un de dix mille hommes,.& lautre de cinq mille , qui étoient venus au fecours de la place. Mais la fortune ceffant tout-a-coup de le favorifer, ü perdit bientöt Pefpérance de réduire la ville, qui d'ailleurs étoit vigoureufement défendue par les habitants. Lacanas prit donc le parti de fe retirer, ck d'aller fe réconcilier avec Nogaïa, chef des Tartares, dans Pefpoir de 1'engager a prendre fa défenfe. Afan, craignant toujours les entreprifes du redoutable Lacanas, cherchoit de 1'appui auprès de tous ceux qu'il croyoit capables de lui en donner. En conféquence, il ne crutpouvoir mieux faire que de s'attacher un des principaux Seigneurs de Bulgarie, nommé George Tertere. C'étoit un homme a qui fes grandes richeffes, un génie fupérieur, ck toutes les qualités brillantes qui impofent ordinairement a la multitude, donnoient un Michel Palèologue.An. 1278,, XLVIK Afan s'aïlie a Tertere , qui le trahit. Greg. I. j. c. 3. Famil Byf, p. j2i , 3"-.  Michel Palèologue.ia. 1278. 376 II I S T 0 I R E grand crédit parmi ceux cle fa nation; mais aufli c'étoit un efprit fourbe, diffimulé, Sc qui, fous les dehors d'un faux défirttéreffement, cachoit une ambition effrénée. Palèologue s'étoit luimême laiffé féduire par ces apparences trompeufes; il avoit pris Tertere en affe&ion, & fe propofoit de le décorer de quelqu'une des grandes charges de 1'Empire; mais en même-temps il vouloit que fon élévation fervit de foutien au tröne fur lequel il venoit de porter Afan. En conféquence, il fouhaitoit que Tertere s'alliat avec le nouveau Roi de Bulgarie: il lui fit donc dire qu'il 1'honoreroit de la dignité de Defpote, s'il vouloit répudier fa femme Sc époufer la fceur d'Afan. La facilité avec laquelle Tertere accepta une propofition fi contraire a tous les principes de la loi naturelle, de la Religion Sc de 1'honneur, auroit fuflï fans doute pour dévoiler le perfonnage aux yeux de tout autre que celui qui étoit capable de la faire. Tertere s'emprefla de renvoyer fa femme, qui fut conduite avec fon fils Venceflas , fous bonne efcorte, a Nicée ; il recut enfuite la main de la fosur  du Bjs-Empirb. Liv. CL 377 d'Afan ; & pour prix de cette criminelle complaifance, la dignité de Defpote. Cette nouvelle alliance , loin d'alfurer la fortune d'Afan, ne fervit au contraire qu'a en précipiter la ruïne. Ce Prince avoit un efprit borné, peu de fermeté dans 1'ame, & ne poffédoit aucun des talents néceffaires pour régner. Tertere, quoique fon beau-frere, s'en prévalut pour le rendre méprifable aux grands de la nation, & pour les préparer a une révolution en fa faveur; il acheta 1'affetfion des troupes & du peuple, en diflribuant a pleines mains l or & 1'argent. Par 1'effet de fes menées, 1'efprit de révolte s'étendit de proche en proche, &c 1'on ne tarda pas a voir paroïtre de toutes parts des fignes avant-coureurs d'un ïbulevement général. Afan, au-lieu de 1'étouffer dans fa nailfance par quelque coup de vigueur, prit 1'allarme, & fe retira précipitamment auprès de Nogaïa, Roi . des Tartares, pour y aller mendier fa protetf ion , laiffant aux rebelles, par cette retraite imprudente, & le temps & les moyens de fortifier leur parti. Afan, en arrivant a la Cour de No- MlCHEt Palèologue.An. 1278.  Michel Palèologue.An. 1279. XL. VIII. Lacanas eft mé dans un fcftin par ordre du Roi des Tartares. Packym. I. 6. c 8 , 19. Greg. I. 5 , c. 3. Pnmil.Byf. 37* FJlSTOlRS gaïa, fut fort étonné d'y trouver Lacanas , qui s'y étoit rendu aufli de fon cöté, pour folliciter auprès de ce Prince des fecours contre lui. Le Mönarque Tartare fe conduiiit, k l'égard de fes deux hötes , comme on pourroit faire aujourd'hui dans nos Cours les plus policées de 1'Europe. II les traita Pun & 1'autre avec beaucoup de diftinöion , leur promit a chacun en particulier de les rétablir fur le tröne de Bulgarie, & de les y maintenir de tout fon pouvoir; quelquefois auffiil cherchoit, par des préférences étudiées, a faire naitre entr'eux une forte de jaloufie qui tournoit a fon profit: c'étoit alors a qui lui prodigueroit les plus beaux préfents. Afan lui en faifoit de magnifiques , qu'il tiroit de Conftantinople. Nogaïa recevoit des deux mains, & payoit des mêmes promeffes la générolité des deux rivaux. Quand il vit qu'il n'avoit plus rien k attendre ni de Pun-, ni de 1'autre, & qu'ils commencoient è fedéfierde lui, il fe trouva un peu embarrafle; mais bientöt il fut fe tirer d'affaire par un expédient tout-a-fait digne d'un vrai Tartare. II invita Afan & Lacanas a  du Sas-Empire. Liv. CL 379 un grand feif in; on y fervit avec profuiïon les vins les "plus exquis: tous les convives s'enivrerent, & le Roi lui-même plus que les autres. Dans eet état, il prétendit juger le différend qui fubfiffoit entre les deux coneurrents au tröne de Bulgarie; mais avant de prononcer comme juge, il voulut faire le röle d'Avocat, & difcuter les droits de chacune des deux parties. Son plaidoyer ne fut pas long : après avoir balbutié quelques phrafes auxquelles perfonne ne comprit rien, il finit tout-a-coup par ces paroles qu'il n'articula que trop diftincfement: Lacanas ejl un ennemi déclaré de 1'Empereur mon pere, il eft- digne de mort. A peine eut-il prononcé cette terrible fentenee , que Lacanas tomba fous le glaive des fatellites de Nogaïa. A ce fpecfacle, Afan fut frappé de terreur; mais reprenant enfuite fes efprits, il commencoit a fe féliciter de fe voir délivré d'un de fes plus redoutables antagoniftes , lorfqu'une autre fcene non moins tragique que la première & plus menacante pour lui, vint le replonger dans de nouvelles angoiffes. Nogaïa, après quelques inftants d'un MlGHEL Palèologue.An, 127J,  MlCHEL Palèologue.An. 1279. XLIX. Afan afcandonnele tróne de Bulgarie , & y eft remplacé par Tertere. Grec. Nic. I. 5- c 3 Famil. Byf, p. 322, J15. 380 H I S T 0 I R B filence farouche, ordonna è les foldats de couper la tête a Tzafimpaxis, Protoftrator de 1'Empereur, qui étoit aufli du nombre des convives; ce qui fut exécuté fur le champ. Cet Officier avoit été placé par Michel Palèologue auprès d'Afan pour le diriger dans fa conduite , & il Pavoit accompagné a la Cour du Roi des Tartares. Afan ne douta plus que cette exécution ne fut un fignal de mort donné contre lui; mais fes fupplications & les prieres de la Reine Euphrofine le fauverent. Echappé a ce danger, il follicita avec inflance la permiflion de fe retirer: cette permiflion heureufement ne fe fit pas attendre, & lui-même n'eut rien de plus prefle que d'en profiter. Afan rentra en Bulgarie, dont la plus grande partie étoit tombée au pouvoir de Tertere. Ternove 6c le pays circonvoifin tenoient encore pour lui. II y trouva fa femme, qui, pendant fon abfence, avoit été en proie aux" plus cruelles inquiétudes. De quelque cöté qu'elle fe tournat, elle n'appercevoit qu'une perfpeftive facheufe. L'arrivée de fon mari ne la tranquillifoit pas. Elle le voyoit iét  ■ Du Bas-Empize. Liv. CL 381 duit k n'avoir plus d'autre reflburce que lui-même. Or, elle ne s'appercevoit que trop qu'il étoit fans talents & fans courage; il lui en donna encore une nouvelle preuve: Après avoit flotte pendant plufieurs jours entre differents projets, il prit tout-a-coup le parti défefpéré de s'enfuir; mais il ne voulut pas s'en aller les mains vuides. II lui parut plus aifé de voler lui. meme les tréfors des Rois fes prédeceffeurs, que d'empêcher fes ennemis de s'en mettre en poffeflion. II fit emballer fecretement les effets précieux qui s'y trouvoient raffemblés, fans oubher les magnifïques dépouilles enlevées autrefbis aux Romains par les Bulgares } fous le regne de 1 Empereur Ifaac, & qu'on gardoit k Ternove comme des trophées honorables k la nation. Ce riche bagage partit devant pendant la nuit. Le lendemain Afan & la Reine fon époufe fortirent de la ville accompagnés d'un nombreux & brillant cortege, compofe de ceux de leurs Officiers qui étoient dans la confidence. Suppofant qu'ils alloient faire une partie de plaifir a la campagné, ils s'avancerent en Wichel Paléo- . logue. An. 127^,  Michel Palèologue.An. 1179, 3$2 HlSTOlKB diligence jufqu'a Méfembrie, fur le Pont-Euxin ; la ils s'embarquerent, pour fe rendre par mer a Confiantinople, Ils aborderent au monaftere de St. Michel, dans les environs de cette capitale, & y refterent quelques jours pour fe repofer des fatigues du voyage. L'Empereur, informé de leur arrivée , leur défendit de paroïtre en fa préfence. II regardoit leur fuite comme une infigne lacheté, & il étoit indigné de yoir qu'ils euffent ainfi rendu inutile tout ce qu'il avoit fait pour eux; mais !e temps ayant calmé fa colere, & d'ailleurs leur faute étant irréparable , il leur permit de venir lui rendre leur hommage, & de fe montrer a la Cour. Les Bulgares , aufli-tot qu'ils furent infiruits de la fuite honteufe de leur Roi, déclarerent le tröne vacant, & y appellerent Tertere, qui s'y aflit feul & fans concurrent. Afan rentra dans la vie privée, & y retrouva une partie du bonheur qu'il avoit laiffé fur les bords du Scamandre ; il fentit alors renaitre le contentement dans fon ame, & on vit reparoitre fur fon front la férénité qui en avoit été bannie dès  du Bas-Empire. Liv. Cl. 3S3 rinftant qu'il eut ceint le diadêmeQuoiqueces derniers événementspuiffent appartenir a 1'année fuivante, nous n'avons pas voulu les féparer de ceux qui les précédent, & auxquels ils ont rapport, pour ne pas trop couper le fil de la narration. Les troubles de Bulgarie affligeoient fort 1'Empereur; il auroit bien defiré de pouvoir y remédier, & fur-tout de punir Tertere de fa perfidie; mais ni les forces de 1'Empire , ni les circonftances acluelles ne le lui permet- \ toient. D'un autre cöté, il étoit trop occupé des grandes affaires de 1'Eglife, pour porter fon attention ailleurs. II n'ignoroit pas que Nicolas lui envoyoit des A mbaffadeurs, & il avoit, comme nous allons voir, des raifons pour craindre leur préfence. Le zele quelquefois un peu trop ardent de Veccus, & fes follicitations perpétu elles en faveur des pauvres &: des malheureux , avoient aigri depuis longtemps 1'Empereur contre lui. Ce Prince auroit bien voulu 1'éloigner de fa perfonne, mais il manquoit de prétexte. La malignité de quelques Eccléfiaftiques, mécontents du Patriar- MlCHEL Palèologue.An. 1279, L. L'Empereur indif5ofé conre Vec:us. °achym. I. '1. C. ic»  384 HlSTOIRB che, lui en fournit un , qu'il faiilt Michel Palèologue.An. 1279 Ï.Ï. Singulié «hef d'ac cufation contre c Prélat. PachyK l.(>,c. 1: avec empreffement. Ils lui prélenterent tin écrit, dans lequel ils chargeoient Veccus de plufieurs faits trèsgraves. Ils 1'accufoient de déréglement dans les mceurs, d'avoir volé les chofes faintes, & enfin d'avoir prononcé en public des imprécations contre 1'Empereur. L'innocence de Veccus n'avoit pas de peine a triompher de ces imputations; mais fes ennemis eonfondus n'en devenoient que plus acharnés a fa perte. Chaque jour ils imaginoient contre lui de nouvelles accufations , dont la plupart fe réfutoient d'elles-mêmes par leur abfurdité. C'étoit la coutume a Conftantinor ple, de célebrer avec beaucoup de * folemnité la fête de la Préfentation, ; fur-tout depuis que 1'Empereur avoit été réconcilié, a pareil jour, avec l 1'Eglife, par le miniftere du Patriarche Jofeph. Pendant la célébration des faints myfteres, on offroit a 1'autel, du bied roti, pour y être béni; on en préfentoit enfuite une partie au deffert de 1'Empereur. Dans le nombre des plats qui, cette année, avoient fervi  du Bas-Empirb. Lh. CL 385 k cette cérémonie, il s'en trouvoit ■ un qui, par fa richeffe, 1'élégance de fa forme , & par la perfe&ion du travail, avoit attiré tous les regards. Le i Patriarche le deftina pour la table du Prince. Quelques curieux, en le conlidérant de prés, y appercurent le nom de Mahomet tracé en caraéferes arabes. AufTi-töt les ennemis de Veccus crierent a 1'impiété, & allerent dire k 1'Empereur que le Patriarche avoit choifi exprès ce plat pour profaner loffrande par 1'abomination de ce nom exéerable , au-lieu de la fanctifier par les bénédiftions de 1'Eglife. A cette nouvelle, 1'Empereur feignit d'être faifi d'horreur. Pour conffater la vérité de ce prétendu facrilege, il chargea Bafile, fon paracénomene, qui fe piquoit de favoir la langue Arabefque, d'aller examiner le plat. Le rapport de Cet expert fut conforme a la dénonciation. Alors 1'Empereur ordonna qu'on joignit ce nouveau chef d'accufation contre Veccus, k tous les autres; ce chef fut même regardé comme le plus grand de tous les crimes dont on vouloit que le Patriarche fe fut rendu coupable. L'inftrueTome XXII. R MlCHEl Palèologue.ji, 1270,  Michel Paléo- lOGUE. An. 1279. LIT. L'Empereur réduit la jurifdiction du Patriarche. Pachym. 1.6. c ii. 386 HlSTOlRS tion de ce procés ridicule occupa pendant deux mois entiers le Confeil de 1'Empereur, fans cependant qu'il ofat, malgré les follicitations des ennemis de Veccus , & les vceux du Prince, prononcer contre 1'accufé aucune efpece de condamnation. Pendant tout le cours de cette affaire , Michel, ufant de fa diffimulation ordinaire, avoit joué deux pertonnages oppofés. Tantöt il prenoit riautementla défenfe de Veccus, & fouvent il lui donnoit des marqués J'une fauffecompafïïon; tantöt il foutenoit ouvertement fes accufafeurs. II y étoit excité par les inftigations d'Ifaac, Evéque d'Ephefe, fon confeffeur. Cet intriguant abufoit de Pafcendant qu'il avoit fur 1'efprit & fur la confcience de Michel, pour fatisfaire fes animofités particulieres, & pour avancer fa fortune. II y a toute apparence que fon intention fecrete étoit de monter fur le fiege patriarchal de Confiantinople, fi Veccus étoit obligé d'en defcendre. II avoit 1'exemple récent de Jofeph, qui étoit paffé de la place de confeffeur de 1'Empereur a cette grande di-  iw Bas-Empire. Liv. CL 387 gnité. S'il neputréuflir complétement dans ce projet ambitieux, au moins eut-il 1'efpérance de profiter d'une partie des dépouilles de Veccus, en vertu d'une ordonnance Impériale dont il avoit été le promoteur. Michel reffentoit un fecret dépit d'avoir échoué dans une confpiration que lui-même avoit fait naïtre contre un de fes fujets: n ayant pu le convaincre d'aucun crime, il voulut le punir de fon innocence. II fit publier un édit, par Iequel ,1 ordonnoit que tous les lieux. ioit monafteres ou autres, qui anciennement avoient été détachés de chaque Evêché, pour en former un diocefe au Patriarche, retourneroient è leur Evéque diocéfain. Par cette opération, 1'autorité du Patriarche fe trouvoit refferrée dans des bornes trèsetroites , & fa jurifdiftion ne devoit pas s etendre au-dela de 1'enceinte de Confiantinople; de forte que celui qui portoit le titre de Patriarche cecumemque, £ Evéque de la ville Impériale, n auroit pas eu un territoire aufli étendu que le plus petit Evéque de 1'Empire. 1 Ce dernier coup fut très-fenfible h R ij MiCHEL Palèologue.An. 11794  MlCHEl Paléo- lOGUE, An. 1179- LUI. Veccus quitte fon fiege Vachym. /. 6. c. 13 , 14. 388 HlSTQZRZ Veccus, 6c acheva de le convaincre que 1'Empereur lui en vouloit perfonnellement. 11 crut qu'il feroit inutile de lutter plus long-temps contre un adverfaire li puiffant, 8c en conféquence il réfolut, pour fa propre tranquillité , 6c pour éviter un plus grand fcandale , d'abdiquer volontairement. Le Patriarche chargea Pachymere, celui-la même qui nous inftruit de tous ces détails, de dreffer l'afte de fa démilïion. Veccus alla lui-même préfenter eet acte a 1'Empereur. Palèologue refufa d'abord de 1'accepter, mais enfin il le prit 6c ne le rendit pas. Le Patriarche fe retira au monaftere de Panachrante, ou 1'Empereur, pouflant la diflimulationjufqu'au bout, envoya fon fils Andronic pour le confoler, 6c même pour 1'exhorter a revenir. Veccus étoit donc dans cette retraite lorfque les Envoyés du Pape Nicolas arriverent. Ce Prélat montroit le plus grand zele pour la réunion , 8c par conféquent, il ne pouvoit manquer d'être très-cher aux Latins. Palèologue fentoit que fi les Ambafladeurs venoient k être inftruits de la conduite qu'il avoit tenue a fon  m Bas-Empi&ê. Liv. CL 3S9 égard, ils pourroient bien le fbupconner de ne pas agir avec franchife; ce qui, dans les circonftances préfentes, pouvoit avoir des fiiites défagréables. Pour parer k eet inconvénient, il leur dit que Veccus, écrafé fous le poids immenfe des charges de fa place, s'étoit retiré dans la folitude pour raifon de fanté, & que cependant il ne tarderoit pas a fe rendre dans un monaftere de Confiantinople, afin d'y conférer aveceux. Auffi-töt Palèologue dépêche k Veccus des perfonnes de confiance, pourle conjurer d'oublier les traitements que le malheur des temps & 1'importunité de fes ennemis, plutöt qu'aucune mauvaife intention de fa part, 1'avoient mis dans la fatale nécefïïté de lui faire fouffrir. Ces députés 1'engagerent encore , de la part de 1'Empereur, k venir fans différer au monaftere de Mangane, pour y recevoir les Ambaffadeurs du Pape, &• ils lui recommanderent fur-tout de ne point leur parler de fa démiflion. Veccus promit tout ce qu'on voulut, & tint parole. D'un autre cöté, Michel favoit, ou fe doutoit que les dépêches des R iij Michel Palèologue.An. 1179, LIV. Difcours e Paléo-  S9° H I S T O I R E Ambaffadeurs du Pape étoient de na= Michel Palèologue.An. 1279, Iogue , pour préparer les efprits a enten dre les Ambaffadeurs du Pape. Pachym. I, 6. c, 14 , *$. ture a révolter les Grecs: c'eft pourquoi il ne les perdit point de vue un feul inftant, & il eut grand foin qu'ils n'euffent aucune relation avec les Prélats & le Clergé, avant de s'être entretenu avec eux en particulier. Quand ils fe furent expliqués, il vit bien que la précaution qu'il avoit prife n'étoit pas inutile; que s'ils alloient tenir le même langage au Clergé de 1'Eglife Grecque, il pourroit en réfulter beaucoup de trouble &l de défordre. II lui parut donc abfolument néceffaire de prévenir les efprits , avant de permettre aux Nonces d'expofer ce qu'ils avoient & dire. II fit convoquer, dans fon palais, tous les Eccléfiaftiques qui fe trouvoient alors a Confiantinople , & leur paria a-peu-près en ces termes : » Perfonne de vous n'ignore » quelles peines il a fallu fe donner, »> & quels obftacles il a fallu vaincre » pour parvenir a nous accorder avec » les Latins. Que de chagrins cuifants » il en a coüté k mon coeur, & quels » facrifices amers j'ai été obligé de » faire ! Je me fuis vu dans la trifte w néceffité d'abandonner les intéréts  du Bas-Empire. Liv. Cl. 391 »> du Patriarche Jofeph, que j'aime » aufli tendrement, & même plus » tendrement que mon pere ; car fi » j'ai recu de 1'un la vie du corps, » 1'autre m'a rendu la vie de 1'ame, » en me réconciliant avec Dieu, Sc » en me faifant rentrer dans le fein » de 1'Eglife. Je fais que j'ai attenté » a la liberté d'un grand nombre de » mes fujets, &que j'ai exercé con» tre les meilleurs de mes amis, & » contre plufieurs membres refpecla» bles de votre Corps, des violences » odieufes. Les prifons, remplies d'u»> ne multitude de citoyens qui n'ont » pas voulu confentir a 1'accommow dement avec les Latins, font des »> témoins qui ne dépofent que trop » contre moi, fans parler de toutes » les autres preuves que je vous ai » données de ma colere. Je croyois » cette affaire confommée, & je ne » m'imaginois pas qu'après tant de » complaifance de ma part pour les Ita» liens, ils feroient affez déraifonna»> bles pour en demander davantage. » Je vous avois promis que ces étran» gers ne porteroient pas plus loin » leurs prétentions, Si je m'en étois R iy Michel Palèologue.An. 1279.  Michel Palèologue.ia. 137a, 39i H 1 S T 0 I R E » rendu garant par des lettres fcel» lees de la bulle d'or: mais quelques» uns des nötres, qui ne cherchent » qu'a romprel'unitéde 1'Eglife, met» tent tout en oeuvre pour troubler » la paix, 8c pour jetter de 1'inquié» tude dans les efprits. Ils difent aux » Moines avec lefquels ils conferent » a Péra, que la paix qui a été con» clue avec les Latins, n'eft qu'il» lufion & que tromperie; que dans » une pareille affaire, il faut prendre » un parti plus décidé; enfin, que » lorfque les intéréts de la religion » fe trouvent en concurrence avec >> d'autres intéréts, il n'y a pas de » compofition a faire. Tous ces pro» pos , hors de faifon, ont donné » lieu aux Latins d'exiger plus qu'ils » n'avoientdemandéd'abord.J'aivou» lu vous prévenir fur 1'objet de leur r> ambaffade, afin que lorfque vous » entendrez les Miniflres du Pape, » vous ne foyez pas expofés a con» cevoir de facheux foupcons contre » moi. Je prends Dieu a témoin que »> je fuis dans la ferme réfolution de » né pas fouffrir qu'il foit changé un » feul 'ma a notre foi, 6c d'entre^  du Bas-Empire. Liv. Cl. 393» prendre la guerre, non-feulement » contre les Latins, mais contre tous » les peuples de 1'univers, plutöt que » de permettre cjue la fainte docfrine » de nos peres eprouve la moindre » altération. Si je fuis forcé d'ufer de » quelqu'artifice pour contenter les » Ambaffadeurs du Pape, ne vous en » formalifez pas; il n'en réfultera au» cun tort pour vous: mon intention » elf de les recevoir avec beaucoup » d'égard & de civilité. Vous favez » que quand on veut faire une chajfe » heureufe , il ne faut pas, comme on » dit, effaroucher les bêtes. II efl d'au» tant plus néceffaire que je me con» duife ainfi dans le moment aéluel, » que le nouveau Pape ne nous efl: » pas aufli favorable que 1'étoit Gré» goire. Je leur donnerai de belles » paroles; mais, je vous le répete, » je n'en fuis pas moins décidé a ne » faire aucun changement a 1'ancien» ne croyance ". Quelle idee doit-on fe faire d'une nation dont le chef ofoit faire ainfi Paveu de fa perfidie devant le corps le plus diflingué de l'Etat? On ne fait qui on doit méprifer davantage, ou de l'orateur,ou de Pauditoire. R v Michel Paléo- logwe. An, 12,79,  MlCHEI Palèologue.An. 1*79 LV. Audiene donnée aux Ambaffadeurs du Pape. Pachym, l (>, c. IJ i6. 3P4 HlSTOIRE ■ Cependant, les Ambaffadeurs du Saint-Siege allerent trouver Veccus au Monaftere de Mangane, oü 11 étoit • arrivé depuis peu. II eut avec eux une affez longue conférence fur les ! affaires de 1'Eglife. Ce fut dans ce même Couvent que 1'Empereur fit aflembler les Evêques & les principaux membres du Clergé avec le Patriarche , pour donner fon audience publique aux Nonces du Pape. Ces Miniflres parierent avec beaucoup de véhémence, & fe plaignirent amérement, au nom de leur maitre, des bruits qui couroient fur la réunion. Ils furent entendus avec beaucoup de tranquillité; ce qui certainement ne feroit pas arrivé, fans 1'attention que 1'Empereur avoit eue de préparer les efprits. Les Ambaffadeurs fe retirerent fort contents de la maniere dont on les avoit écoutés, & des compliments dont les Grecs les accabloient. II fut arrêté devant eux, dans cette même affemblée, qu'on feroit une réponfe au Pape, pour calmer fes inquiétudes. Cette réponfe fut dreffée avec beaucoup d'artifice, & ne contenoit rien de plus précis que toutes  nu Bas-Empire. Liv. CL 395 celles qui avoient déja été envoyées au Saint-Siege. On y avoit recueilli une multitude de paffages des Saints Peres, qui, fans dire bien clairement que le Saint-Efpritprocédé du Fils, fembloient cependant exprimer 1'équivalent, & en impofoient aux Latins, qui ne pouvoient pas imaginer que les Grecs, d'après toutes leurs proteftations, duffent les entendre autrement qu'eux. Pour donner plus de poids k eet écrit infidieux, on affecta de mettre au bas les noms d'un grand nombre de perfonnages illuftres, furtout d'Evêques, dont plufieurs , dit unHiftorien, n'exifterent jamais. Cette réponfe fut accompagnée de lettres trés-affectueufes de 1'Empereur au Pape, mais dans lefquelles il s'en tenoit toujours a ce qui avoit été fait fous Grégoire X. Andronic fon fils en écrivit aufli de fon cöté, qui étoient calquées fur celles de fon pere : elles font datées du mois de Septembre de 1'année 1280. Michel, pour ne laiffer aux Ambaffadeurs aucun doute fur la fincérité avec laquelleil defiroit la paix, or- j donna a Ifaac, Evéque d'Ephefe, de i R vj Michel Palèologue.An. 1179. Lvr. Ils vont lux pribns voir cs Prin-  Michel Palèologue. An. 12,79. ces qui y lont aux fers. Vachym. I. f>, c. 16, 396 H I S T O I R B les conduire aux prifons , & de leur faire voir fes plus proches parents qu'i! y avoit fait enfermer, pour avoir refufé de confentir a l'accommodement. En effet, ils y virent Andronic Palèologue, Protoflrator; Manuel Raoul, Echanfon ; Ifaac fon frere, Jean Palèologue , neveu du Protoflrator, ceux-la mêmes qui avoient refufé d'attaquer Jean le Batard : ils étoient tous dans les fers. Raoul, a la vue de 1'Evêque d'Ephefe, prit fa chaine, en rapprocha les anneaux , pour n'en faire qu'une maffe, & les lui lanca k Ia tête; mais il ne Patteignit pas, paree qu'étant lié très-étroitement, il n'avoit pas fes mouvements affez libres: alors, irrité d'avoir manqué fon coup, il chargea 1'Evêque d'Ephefe d'invectives, & luireprocha, dans les termes les plus injurieux, 1'infamie de ia commiflion dont il s'étoit chargé. Quoique ce langage ne fut pas trop féant dans la bouche d'un homme qui prétendoit fouffrir pour fa foi, il auroit pourtant dü couvrir de confufion le Prélat, fi les Grecs d'alors euffent fu rougir. Palèologue ne s'en tint pas la; il voulut que le Pape jugeat  DU Bas-Empire. Lh. CL 397 par lui-même de la févérité avec laquelle il traitoit les ennemis de la paix; il remit entre les mains de fes Ambaffadeurs, Ignace & Melece, deux des principaux réfractaires, afin qu'il les punït ainli qu'il lui plairoit. Le Saint Pere, fe conduifant alors fuivant le véritable efprit de Ia Religion, les recut avec bonté , fe contenta de les plaindre de ce qu'ils avoient voulu empêcher la réunion des deux Eglifes; & après quelques remontrances charitables, il les renvoya a 1'Empe? reur, en le priant de les traiter avec indulgence. Pachymere prétend même que le Pape écrivit k Michel Palèologue, qu'il avoit trouvé leur doctrine orthodoxe , & leurs perfonnes innocentes des faits dont on les chargeoit; mais en même-temps eet Hiftorien infinue que cette déclaration n'étoit, de Ia part du fouverain Pontife , qu'une pure complaifance, ou un trait de politique. L'Empereur s'applaudiffoit de la maniere dont il s'étoit tiré des deux écueils entre lefquels 1'arrivée des Ambaffadeurs du Pape 1'avoit jetté. Perfuadé que Veccus, témoin de tout MlCHEt Paléo- 10GUE. An, 1279. An. 1280. LVII. Veccus rétabli. Pachym. t. 6, c. 17,  Michel Palèologue.Ln. 1280. i < 3 'i i ] j i 1 393 fllSTOlSLE ce qui venoit de fe paffer, & du contentement que les députés du SaintSiege témoignoient de la maniere dont on les avoit recus, deviendroit plus traitable, il s'occupa férieufement de fon rétablilfement. Cette affaire n'étoit pas difficile. Quoique 1'Empereur eut recu la démiflion de Veccus, le Clergé ne 1'avoit point acceptée; d'ailleurs , elle étoit purement volontaire de la part du Patriarche, & Iqs termes dans lefquels 1'acte en étoit concu , n'annoncoit rien qui marquat que Veccus fut indigne de fa charge, ni incapable d'en remplir les foncnons. Les Prélats s'étant aflemblés, prononcerent tous d'une voix, qu'il falloit que le Patriarche reprit poffeffion du fiege de Confiantinople. Veccus déclara qu'il n'y remonteroit )as qu'on ne lui eut fait juftice de ceux jui 1'avoient fi indignement calomlié, L'Empereur s'excufa, fous différents prétextes , de lui donner cette atisfaclion. II rendit au Patriarche les geiles lecons qu'il lui avoit faites fi ouvent k lui-même fur le pardon des njures; puis alléguant ce qu'on ap>elle raifon d'Etat, & qui fouvent  nu Bas-Empire. Liv. CL 399 n'eft qu un renverfement total de la droite raifon, il lui repréfenta que fi on puniffoit les calomniateurs, alors perfonne ne voudroitplus faire le métier de délateurs, dont les fervices font cependant fi utiles a ceux qui gouyernent; politique odieufe , trop fuivie encore aujourd'hui dans les Cours, quoiqu'on ne 1'y avoue pas avec autant de franchife que dans celle de Confiantinople. Veccus, plus touché fans doute des pieufes remontrances que lui avoit faites 1'Empereur fur Ia néceflité de pardonner & fes ennemis, que de tout autre motif, fe rendit enfin aux follicitations de ce Prince & è celles de tout fon Clergé. Aufli-töt il fut conduit avec de grands honneurs, dans fon palais; une foule de perfonnes des plus quahfiées dans 1'ordre du Sénat & dans 1'Eglife, s'emprefla de lui faire cortege, & il marcha comme en triomphe au milieu d'une doublé haie de gardes. Sans doute que 1'Empereur révoqua en même-temps la fatale ordonnance qui reftreignoit dans des bornes fi étroites la jurifdiftion du Patriarche, & qui 1'avoit déterminé a quitter fon fiege. Michel Palèologue.An. 12,80,  Michel Palèologue.An. 1280, LVIIL 11 écrit en faveur de la réunion , & aflemble un fynode. Pachym. I. 6, e, 23. 400 BlSTOJRE Le Patriarche, fe voyant rétabli glorieufement, n'en devint que plus hardi a foutenir le parti de 1'union. II ne put retenir fa plume, malgréles promeffes qu'il avoit faites a Théodore Xiphilin, grand économe de 1'Eglife de Confiantinople, de ne plus écrire fur les matieres conteftées, pour ne pas rallumer le feu des guer* res théologiques, toujours fi préjudi- -? ciables k la foi, lors même que Ia vérité triomphe. II compofa plufieurs ouvrages dans lefquels il démontroit, par PEcriture & par les Saints Peres , qu'on ne pouvoit en confcience fe difpenfer d'adopter la doétrine de 1'Eglife Romaine, fur le dogme de Ia Proceffion du Saint-Efprit. Ces ouvrages étoient écrits avec chaleur, & Veccus n'y épargnoit par fes adverfaires. Les fchifmatiques , piqués, moins encore des traits offenfants qu'il y lancoit contre eux, que de la folidité de fes raifons, allerent porter leurs plaintes au pied du tröne : ils repréfenterent, que puifque 1'Empereur les avoit condamnés a un filence abfolu, il n'étoit pas jufte de permettre k Veccus de les harceler fans  du Bas-Empire. Liv. Cl. 401 ceffe par des libelles injurieux. Michel , pour les fatisfaire, rendit une de ces ordonnances ambiguës, qui ne donnent ni tort ni raifon a perfonne, & que chacun des deux partis ne manque jamais d'interpréter en fa faveur. Veccus, a qui cependant elle étoit un peu plus favorable qu'a fes ennemis , ne rabattit rien de fon zele. II voulut joindre, a la force invincible de fes arguments , Fautorité d'un concile. II alTembla k Confiantinople plufieurs Evêques , & y traita avec eux des moyens de confolider de plus en plus le grand ouvrage de la paix. Nous avons le décret de cette Affemblée, dreffé par Veccus lui-même. Après quelques obfervations fur le préjudice que peut caufer a la foi, la moindre altération dans le texte de FEcriture & des Saints Peres, le Prélat y rend compte d'un fait qui occupa beaucoup le fynode, & fur lequel il prononca un jugement défitif. Ce fait mérite d'être rapporté. » Penteclefiote, gendre du grand Eco» nome Xiphilin, avoit, dit Veccus, » en fa poffefiion , un livre d'une ref- MlCHEl, Palèologue.A.n. iïSo> LIX. Déciiion du Synode fur une rature faite a un texte de St. Gré»oire de ^fyile. Concil. tb Hard. torn. VU, p. S38. Coffart, ibfery,  Michel Palèologue.An. U80. « icuuoire s erant reunz dans Ia fuite »» au parti de la paix, avoua 1'atten** t-at,gAul1 avoit coramis. Nous dé» libérames, continue Veccus, avec » les Evêques nos confrères, com- 402 Hls T O I R E » pecïable antiquité, renfermant dl* » verfes compofitions de St. Grégoi» re de Nyffe. Dans un de ces écrits » qui eft une homélie fur le Pater, » il decouvrit un paffage qui favo» nfoit le dogme de la procejjion du » Saint-Efprit, dans le fens que 1'en» tend 1'Eglife Romaine. Xiphilin » ayant emprunté le volume, nous » bt voir ce paffage, ainfi que plu» lieurs autres perfonnes. Pentecle» fiote , qui étoit ennemi de la réu- ♦ nion, ne favoit que répondre a un * texte aufli clair. Son beau-frere, > grand Référendaire de 1'Eglife de > Confiantinople, qui penfoit com- > me lui, le tira bientöt d'embarras, > en effacant avec un canif Ia par- > ticule ex, qui, feule, établiffoit le ' dogme Catholique. Ce téméraire ' n> du texte. Cet avis fut généralement » adopté par le fynode, qui arrêta, » qu'on mettroit par écrit tout ce » qui s'étoit paffé dans cette affaire, » Sc que facie en feroit dépofé dans » les archives de 1'Eglife de Conf» tantinople, pour fervir de monu» » mentalapoftérité;cequifutponc» tuellement exécuté, après que le » grand Référendaire eut de nouveau » accufé fa faute, & en eut hum» blement demandé pardon II eft a remarquer qu'on ne retrouve plus, dans Phomélie de St. Grégoire de Nyffe, le'paffage cité par Veccus; fans doute que les Grecs, y voyant leur eondamnation, 1'auront fait difpa- Michel Palèologue.An. 1280.  Michel Palèologue.An, 1280, IX. Difcours artificieux de Michel aux fchifmatiques.Pachym. I. 6,e. lS. 4°4 fllSTOIRE roitre de tous les exemplaires oü il fe rencontroit. On fait , d'ailleurs, qu'ils ne fe font jamais fait fcrupule de commettre de pareilles infidéhtés, Perfonne n'ignore avec quelle hardieffe le trop célebre Photius a ofé falfifier un paffage de St. Jean Chryfoftöme, qui ne s'accordoit pas avec fa docfrine. Tandis que Veccus travailloit ainfi ; dans toute la fincérité de fon ame, k faire triompher la vérité, & a lui gagner des partifans, Michel, de fon cóté, employoit toutes les reffources de fa fauffe politique pour calmer les fchifmatiques, que le zele apoftolique du Patriarche irritoit. II affembla les principaux d'entr'eux, & déployant tous fes talents oratoires, il leur débita une trés-longue harangue, pour les engager k entrer dans fes vues pacifiques. Ufant de tournures artificieufes, il leur fit enten dre, fans néanmoins trop s'expliquer, qu'il ne prétendoit pas gêner leur confcience; que chacun d'eux pouvoit renfermer dans fon ame fes vrais fentiments; qu'il leur étoit libre de condamner intérieurement les  nu Bas-Empire. Liv. CL 405 Latins, pourvu qu'ils s'abftiniïent de les anathématifer publiquement, ainfi que ceux d'entre les Grecs qui s'étoient réunis a 1'Eglife Romaine; enfin , il les conjuroit de ne pas déchirer, par un fchifme fcandaleux, le fein de 1'Eglife; & cela, paree qu'il avoit été forcé de céder k une néceffité impérieufe , qui vouloit qu'on ufat de ménagement, & qu'on accordat, pour un plus grand bien, quelque chofe d'extraordinaire aux Latins. Ce difcours produifit, ou parut produire pour le moment, 1'effet que 1'Empereur s'en étoit promis. Plufieurs des fchifmatiques les plus emportés fe rendirent a fes raifons , ou montrerent moins de répugnance pour la paix. Cependant Michel, voulant donner k fon fils Conftantin, furnommé Porphyrogenete, paree qu'il 1'avoit eu depuis fon élévation k la pourpre Impériale, 1'occafion de fe former au métier de la guerre, 1'envoya en Occident, k la tête d'un corps de troupes, contre les Serves, qui s'étoient_ révoltés. Michel mit auprès de ce jeune Prince d'excellents Capi- MlCHEt Palèologue.An. izSo. Lxr. Cotanyfe,' chef des Serves révoltés „' fe foumet & fe fait Moine. Pachym. I. 6. c. li 3 27.  MlCHEL Palèologue. Lil. I2S0, 406 HlSTOIRE ' taines, pour lui fervir de confeil, & pour le diriger dans 1'expédition qu'il lui avoit confiée. Les rebelles s'étoient avancés jufqu'a Serres , & avoient ravagé tout le pays. Conftantin fe mit en marche pour les aller attaquer. Cotanyfe, leur chef, voyant qu'il ne lui feroit pas pofïïble de réfifter a des forces trop fupérieures aux fiennes, crut ne pouvoir rien faire de plus fage que de venir implorer la clémence de Conftantin. Ce Prince le recut avec bonté , le prit fous fa protecïion, le conduifit a Confiantinople, & le préfenta a 1'Empereur fon pere. Michel, qui ne trouvoit jamais dans fon propre cceur de motif pour fe fier k autrui, ne pouvoit croire que Cotanyfe fut de bonne foi. II craignoit que, rnalgré les affurances qu'il avoit données d'une foumiffion parfaite & durable, il ne fe révoltat de nouveau ; c'eft pourquoi il vouloit lui faire crever les yeux. Cette réfolution affligea beaucoup Porphyrogenete, qu'elle compromettoit. II repréfenta a 1'Empereur, que Cotanyfe s'étant rendu fur la parole qu'il lui avoit donnée, fa per-  uu Jijs-UMPiRE. Liv. CL 407 fonne étoit inviolable; qu'il fe croiroit deshonoré pour jamais, a la face de 1'urnyers, fi ce malheureux effuyoit le iraitementdontilétoitmenacé;qu'une pareille conduite feroit d'ailleurs d'un tres-mauvais exemple pour 1'avenir puifqu'elle retiendroit la bonne volonté de ceux qui, après s'être engages témérairement dans la révolte voudroient rentrer dans le devoir! Palèologue fut fourd a toutes ces remontrances; il n'en perfifta que plus opimatrément dans fa première réiolution. Alors Conftantin ne vit plus d autre reffource pour Cotanyfe, s'il vouloit conferver fes yeux, & même ia tete, que de fe jetter dans un cloïtre. En fe faifant moine, il prenoit un habit que 1'Empereur étoit encore accoutumé a refpefter : & en renoncant au fiecle, il ne pouvoit Fius aonner aucun ombrage a ce Prince. Cotanyfe changea donc fa emralïe contre un vêtement de moine ; mais il ne fe revêtit d'aucune des vertus qui font ou qui devroient etre 1 apanage de ceux qui embraf- iami cidi. v.onitantin partit enfuite pour 1'Orient, oü les affaires de 1 Empire 1'appelloient. Michel Palèologue.An. 12S0.  Michel Palèologue.An. 1180 LXII. La ville de Tralies, prife par les Tures. Pachym. I 6, é. 20, ai. Pojfmi ohftrvat.dreg. I, 5, I. 5. 408 HlSTOIRS A-peu-près dans le même temps l Andronic s'étoit rendu, des contrées Afiatiques , a Confiantinople, après une campagne qui n'avoit pas été fort glorieufe pour lui. Les Turcs, ennemis naturels des Grecs, étoient vernis mettre le fiege devant Tralies. Andronic s'intéreffoit d'autant plus a Ia confervation de cette place, qu'il Pavoit rétablie depuis peu d'années, &en avoit fait une des plus belles villes qu'il y eut alors dans cette partie de 1'Empire; mais en la réconftruifant, on ne s'étoit occupé que de ce qui pouvoit fervir a fa décoration, fans confulter 1'utilité & la commodité des citoyens. II n'y avoit, dans 1'intérieur, ni fontaines, ni cïternes, ni puits, &£ il étoit impoffible aux habitants de fe procurer, pour les ufages de la vie, d'autre eau, que celle qu'ils tiroient du Méandre, fur le bord duquel la ville fe trouvoit fituée. Cette reffource leur manqua du moment que les Turcs eurent inveflila place. En peu de temps, les affiégés furent réduits, pour étancher la foif qui les dévoroit, a la malheureufe nécefïité de faigner les chevaux ,  nu Bas-Empixe. Liv. Cl. 409 vaux, & d'en recevoir, au iortir de la veine, le fang dans leurs bouches. La dilètte des vivres ne tarda pas non plus a fe faire fentir, au point qu'ils furent obligés de fe nourrir des aliments les plus immondes, & même de manger de la chair de cadavre humain. Cette boiffon dégoutante & cette horrible nourriture introduifirent dans leurs entrailles un germe de corruption, d'ou éolorent des maladies peftilentielles qui en emportoient chaque jour un grand nombre. Les rues étoient jonchées de corps morts; on ne voyoit, dans toutes les maifons, que deuil & funérailles. Plufieurs de ces infortunés fe traïnoient hors des murs, pour trouver, s'il étoit poffible, dans k compaflion de 1'ennemi quelqu'adoueiffement k leur mifere; mais les barbares les repouffoient impitoyablement dans leur ville k coups de fleches. On eut dit des fpecfres qu'on forcoit de rentrer dans leurs tombeaux. Malgré toutes ces horreurs, les Tralliens ne fongeoient point k capituler. Leur opiniatreré étoit foutenue par une -confiance flupide dans Tomc XXII. S Michel Palèologue.An, siSo,  Michel Palèologue.Ln. 1280. 1 i 410 HlSTÖlRK une infcription en ftyle d'oracle, gravée fur un marbre qu'on prétendoit avoir été découvert en creufant les fondations de la ville. Cette mfcription, que les gens fenfés regardoient comme une de ces fupercheries politiques dont on trouve tant d'exemples dans 1'hiftoire, annoncoit a la nouvelle Tralies les plus heureufes defhnées , pendant tout le regne de fon fecond fondateur; elle prédifoit encore que les barbares viendroient 1'attaquer après fa rellauration, mais qu'elle triompheroit de tous leurs efforts; d'ailleurs , les afiïégés comptoient beaucoup fur un fecours qu'Andronic devoit leur amener : ils furent doubletnent trompés dans leurs efpérances; :e jeune Empereur ne parut point, Jc les Turcs fe haterent de s'empa■er de la ville, avant qu'il put ariver. Ils s'approcherent donc des nurs, marchant en bon ordre, ferés les uns contre les autres, porant au-deffus de leurs têtes leurs >oucliers, & formant ce que dans e langage de 1'ancienne tactique on ppelle la tortue. Les affiégés lan-  nu Bas-Empire. Llv. CL 411 goient fur eux une grêle de traits, & faifoient partir du haut de leurs remparts des mafles énormes de pierres , qui, roulant avec fracas fur ce toït d'airain , alloient tomber derrière le dernier rang des foldats, fans avoir caufé a 1'ennemi aucun dommage. Cependant les Turcs étant parvenus au pied des murailles, comI mencerent a les faper avec violence; & après avoir fouillé les fondements en-deflbus, ils y établirent des étais, qu'ils entourerent de matieres combuftibles. Après cette opération , ils fommerent de nouveau Ja ville de fe rendre. Sur le refus du Gouverneur, ils mirent le feu k la charpente qui foutenoit les fortifications ; les murailles s'écroulerent tout-a-coup, & en un inffant la ville fut ouverte de toutes parts : les affiégeants s'y jetterent en foule , & égorgerent ou emmenerent en cap. tivité les refles infortunés de trentefix mille habitants, qui, avant le fiege , formoient toute la population de Tralies. Ce ne fut pas le feul avantage que les Turcs remporterent fur les Grecs : ils prirent aufli d'afSij Michel Palèologue.Ka. ii8s?  Michel Palèologue.An, 1280 LXIII. Mort 8 funérailles d'An ne, fem me d'An dronic, Pachym. I 6, 'c. 28 411 HlSTOIRE faut la ville de NylTe, malgré la vigoureufe réfiflance de Neflonge, Paracemonene & Garde du fceau fecret, qui commandoit dans cettte place. Ces deux échecs livrerent tout le pays è la difcrétion de 1'ennemi. II le parcourut en vainqueur, fuivi de la défolation & de la mort. Andronic étoit refté a Nymphée , ou il attendoit, dans le fein des plaiiirs, 1'iflue des événements. II fe contentoit de préfider, de ce féjour délicieux, aux opérations militaires, & d'envoyer a fes Généraux de ces beaux projets de viöoire tracés tranquillement dans le cabinet, & que 1'ennemi ne dérange que trop fouvent fur le champ de bataille. Andronic, après avoir fait quel; ques difpofitions pour empêcher les . Turcs de pénétrer plus avant, reprit ■ lechemin de Confiantinople. La Princeffe Anne, fa femme, qui 1'avoit ac, compagné dans ce voyage, ne put Ie fuivre. Elle fut arrêtée fur la route par une maladie qui l'emporta en peu de jours. Michel Palèologue, qui reent le premier la nouvelle de fa mort, en fut fort affligé : il fe chargea de  du Bas-Empire. Liv. CL 413 1'annoncer lui-même k fon fils, en '■ prenant tous les ménagements pofïïbles, pour qu'il ne fut pas trop frappé dece trifle événement. L'Empereur, 1 qui aimoit cette Princeffe , voulut lui faire de fuperbes funérailles. II fit tranfporter fon corps a Nicée, &c ordonna au Patriarche de Confiantinople de fe rendre avec fon Clergé, &£ un grand nombre d'Evêques , dans cette ville,'pour y célébrer les obfeques de la jeune Impératrice. Michel n'épargna ni foins ni dépenfe pour rendre cette pompe funebre la plus magnifique qu'on eut vue depuis long-temps. Tous les Eccléfiaftiques qui y affiflerent recurent de gros honoraires; Veccus toucha, pour fon droit de préfence , une iomme confidérable; mais ce Prélat généreux n'en emporta rien avec lui; il la diftribua toute entiere k ceux de fes amis qui réfidoient a Nicée. Jufqu'alors, Conftantin Porphyrogenete avoit porté des habits Sc des brodequins de couleur de pourpre : [, 1'Empereur craignoit qu'il n'en vou- n lüt tirer un jour avantage, pour dif- 1 puter a fon frere 1'autorité fouve- 1 S iij. 6 MlCHEt Paiêo- logue, in, 12$$. LXIV. L'Empï:ur regie : coftu1e de orphy>genere. achym. /r  Michel Palèologue.An. iaSo, < < < < 1 I c r e r c t 1 c • f An. 1281. LXV. F Le Pape M4 HlSTOlRE raine. Comme ce jeune Prince venoit ie quitter la pourpre a 1'occafion du ieuil de fa belle-fceur, Michel crut e moment favorable pour régler le jbftume, auquel il vouloit qu'il fe ronformat dorénavant dans fa maïiere de fe vêtir. II lui envoya, par Méliteniote, Chartophilax de 1'Eglife le Confiantinople, une robe rayée le pourpre & de blanc, & enrichie le broderie en or. Méliteniote fut :hargé de lui notifier en même-temps, jue 1'intention de 1'Empereur étoit [ue fa chauffure & les rênes de fon heval fuffent mélangées des mêmes ouleurs que le vêtement qu'il lui >réfentoit, paree qu'il n'y avoit que i dignité Impériale qui donnat Ie roit de porter des habits tout de ourpre. Cet Officier lui remit aufli, e la part de Palèologue, un ornelent de tête garni de perles entrelaées d'aigles , comme une marqué difn£five du haut rang qu'il tenoit dans Empire. Conftantin recut le préfent e fon pere avec refpecl;, mais il n'en it pas fort flatté. Lorfque les Ambaffadeurs que Ie ape Nicolas avoit envoyés a. Michel  du Bas-Empire. Liv. CF. 415 Palèologue revinrent de Conftantinople en Italië, ce Pontife ne vivoit déja plus. II étoit mort d'apoplexie le 18 Aoüt 1280. Après de longs débats , les Cardinaux fe réunirent pour élire Simon, Cardinal-Prêtre du titre de Ste. Cécile. Cette éleófion fe fit le 22 Février 1281. Simon, Francois de nation, étoit né k Montpincé en Brie, & avoit été long-temps Chanoine & Tréforier de 1'Eglife de St. Martin de Tours. C'étoit lui qui, étant Légat en France , fous le Pontificat d'Urbain IV, avoit travaillé k porter Charles d'Anjou fur le tröne de Sicile : aufli ce Prince, par reconnoiflance, s'étoit donné beaucoup de mouvement pour lui mettre la thiare fur la tête. Simon refufa d'abord de confentir a fon exaltation; il y eut même entre lui & les Cardinaux, une de ces luttes édifiantes dont on trouve plufieurs exemples dans les premiers liecles de 1'Eglife, mais qui, depuis, font devenues très-rares. II fallut lui déchirer fes vêtements pour Ie couvrir , malgré lui, de 1'habit pontifical. Forcé enfin de céder, il prit le nom du grand Saint au fervice duS iv, Michel Palèologue.An. 12.81.' Martin IV. recoit mal les AmbaffadeursGrecs. Raynali. an. 128). Pachym. I, 6. t, 30.  Michel Palèologue.Ln. 12.81. 4l6 HlSTOIRS quel il avoit été autrefbis attaché. II eft connu dans 1'Hifloire fous le nom de Martin IV. Aufli-tót que Palèologue fut informé de la promotion du nouveau Pape, il s'empreffa de lui envoyer Léon, Evéque d'Héraclée, Sc Théophane, Evéque de Nicée, pour 1'en féliciter. Martin avoit une trés - mauvaife opinion des Grecs : d'ailleurs, Charles d'Anjou, a qui il étoit tout dévoué, 1'avoit encore prévenu contre eux. En conféquence, il recut avec beaucoup de hauteur les; deuxAmbalTadeurs de Michel. A peine daigna-t-il leur accorder quelques audiences; & jamais il ne les voyoit, fans leur reprocher que la paix qu'ils prétendoient avoir faite avec 1'Eglife Romaine^ n'étoit, de leur part, qu'une paix fimulée, qu'une impofïure; enfin , ne gardant plus aucun ménagement, il finit par retrancher de la communion de 1'Eglife Romaine, Michel & fes adhérents, comme des trompeurs & des barbares, qui, pour mieux cacher leur artifice, avoient eu la cruauté de traiter impitoyablement des malheureux, qui, attachés k Terreur de bonne foi, n'avoient  du Bas-Empire. Lh. CL 417' pas voulu participer a leur perfidie; après quoi, il renvoya les Ambaffadeurs, fans permettre qu'on leur rendit le moindre honneur. Les députés de Michel fe refirerent couverts de confulion, & fe haterent de quitter une Cour oü ils ne recevoient que des humiliations. Léon étant mort en chemin, Théophane revint feul raconter a 1'Empereur tout ee qui s'étoit paffé. Michel en fut indigné; & dans les premiers mouvements de fa colere, il projetta de rompre tout-a-fait avec les Latins, de chaffer Veccus de fon fiege, &C d'y replacer le Patriarche Jofeph; ce qu'il eut exécuté, felon toute apparence, fans un de ces incidents qui prouvent combien il faut fouvent peu de chofe pour faire naïtre, ou pour faire avorter les plus grandes révolutions. Jofeph, fe voyant prés de fa fin,voulut dreffer fon tefiament : il y fit, fuivant la coutume, mention de Palèologue; mais il s'abflint, a 1'infii gation de certaïns Moines fanatiques dont il étoit entouré, de donner k ce Prince le titre de Saint r quoique ce fut 1'ufage de 1'accorder- Michel Paléo-t logue0 An. nSr. LXVI. Palèologue eft tenté de fe féparer des Latins. Pachym. I.6. C. 30, 3i.  ^ 4 MlCHEt Paiéo- * lOGTJE. 1 An, 1281. ( i 1 < c < 1 LXVII. ïlfait ere- j ver les yeux a c Manuel a & a Ifaac. e Pachym, l, 6» c, 24. c I f; 1( L d él fi m fc & Q l8 HlSTOIRE ux Empereurs, a caufe de l'onftion [u'ils recevoient a leur facre. Cette égere omiffion piqua 1'Empereur; :'en fut affez pour le déterminer a aiffer Jofeph dans fa retraite, & k ie pas fe détacher ouvertement de la ommunion de 1'Eglife Romaine. II e contenta, pour fe venger du Pape, 'ordonner, un jour de fête, au Diare , de ne pas le nommer dans les 'rieres publiques. Michel ne pouvoit, depuis longemps, fe diffimuler que la réunion es Grecs a 1'Eglife Latine ne fut une ffaire manquée. II voyoit que cette ntreprife n'avoit fervi qu'a le rendre dieux k fes fujets, Sc méprifable aux atins. Cette penfée le tourmentoit ins celTe, Sc verfoit dans fon ame : poifon d'une mélancolie fombre Sc rouche. Tout lui faifoit ombrage» 3 moindre réfilfance a 1'exécution ï fes volontés ou de fes caprices, oit punie avec une rigueur excef^e. Dans un accès de mauvaife hueur, il fe fit amener de leurs prins , les deux fils de Raoul, Manuel Ifaac, Sc Jean, de Ia familie des mtacuzenes; quant au Protoflrator  du B/is-Empire. Liv. CL 419 Andronic, il étoit mort dans les fers. Dès que ces illuftres prifonniers parurent devant lui, il les chargea d'injures groffieres , & leur ordonna, d'une voix menacante, de lui obéir. Jean Cantacuzene fut le feul qui fe laiffa ébranler : les deux autres lui rélïfterent en face; ils oferent même reprocher au Patriarche , qui étoit préfent, & qui les exhortoit a fe rendre , qu'ils fouffroieht perfécution pour la défenfe de la vérité que luimême leur avoit apprife , dans un temps oü il étoit difpofé a donner fa vie pour la foi de fes peres, & non depuis qu'il s'étoit laiffé aveugler par le faux éclat des grandeurs. L'Empereur , irrité de cette réponfe, com-, manda qu on leur crevat fur le champ les yeux , pour les punir, moins de leur défobéiffance a fes ordres, que de Pinfulte qu'ils avoient faite au Patriarche. Depuis quelque temps, Michel traitoit avec beaucoup d'égard ce Prélat, qui, de fon cöté, ne négligeoit rien pour lui plaire. Soit que Veccus , accoutumé aux honneurs, ne voulüt plus courir le rifque de les perdre , foit que 1'air contagieux de la S vj Michel Palèologue. A.n, 12,81.;  Michel Palèologue.An. 1281» LXVIIX. II maltraité les Moines. Pachym. I. 6.j. 24. 420 HlSTOIRE Cour eut affoibli dans Ion ame cette noble fermeté qui fied fi bien a un; Miniftre de la Religion, quand elle ne dégénéré pas en un zele aveugle &opiniatre, foit enfin qu'il crut devoir ménager davantage 1'efprit inquiet & maïade de 1'Empereur, on le vit changer tout-a-coup de ton <, & même jouer le röle de courtifan auprès de Michel. II ne le quittoit pref» que plus; il étoit de tous fes voyages & fouvent il s'abaifioit jufqu'a rechercher la faveur d'Ifaac d'Ephefe, dont il paroiflbit craindre le pouvoir. Cet Evéque jouiffoit en eifet d'un grand crédit a la Cour, & il y étoit devenu le canal des graces. Cependant l'humeur de Michel loin de s'adoucir , s'aigriflbit de plus en plus. Chaque jour il ordonnoit quelque nouvelle exécution contre fes proches ou contre fes fujets. II faifoit crever les yeux aux uns, arracher la tangue aux autres. Plufieurs étoient appliqués, par fes ordres , a la torture , pour les forcer d'avouer des :rimes dont il auroit voulu les trou^er coupables. C'eft- ainfi que fut traité le Moine Théodore Cotys, qu'il ac°  nu Bas-Empihz. Liv. CL 421 cufoit d'avoir entretenu des intelligences féditieufes avec Jean - Ange Comnene, fils de Michel, defpote d'Epire , & frere de Michel Cotrulas. Ce malheureux Moine, a la vue des inftruments préparés pour le tourmenter, mourut de frayeur. Cotys ,. avant d'entrer en Religion , avoit été Officier du palais; c'étoit le même qui, autrefois, avoit averti Michel que Théodore Lafcaris vouloit lui faire crever les yeux. Le fouvenir d'un fi grand fervice ne fut pas capable de lui faire trouver grace auprès de 1'Empereur. Quant a Jean, Palèologue commenca par le dégrader, en le privant du droit de porter l'ornement de tête , qui diftinguoit les grands de 1'Empire, puis il le relégua a Damatris, oü, peu de temps après, il le condamna k perdre la vue, fans aucun égard pour les fervices importants qu'il avoit rendus k 1'Empire par fes vicloires. C'étoit prinppalement fur les Moines que Michel déchargeoit fa colere. Autant il avoit aimé autrefois cette efpece d'hommes , autant elle lui étoit devenue odieufe. U les déteftoit, moins paree MlGHEZ, Palèologue.An. x2.8i0.  Michel Palèologue.An. 1281. LX1X. Le Médecin Perdiccasa Ie nez coupé. Pachym. 1. 0, c. 24. .422 HlSTOIRE qu'ils étoient les fchifmatiques les plus fougueux de 1'Empire , que paree qu'ils occupoient leur oifiveté a faire fon horofcope, & s'amufoient a calculer, d'après certaines prédictions forties de la tête de ceux d'entr'eux qui avoient le cerveau le plus exhalté, combien il lui reftoit encore de temps a vivre. Tant de cruautés avoient excité une indignation générale. Les efprits s'échauffoient, 6c dans toutes les fociétés, on ne parloit plus de 1'Empereur que comme d'un tyran 8c d'un fléau public. Michel donna des ordres trèsrigoureux, pour réprimer ces difcours téméraires : plufieurs furent viftimes de leur peu de retenue. Un Médecin, nommé Perdiccas, ofa dire, a 1'occafion d'un tremblement de terre qui avoit allarmé toute la ville , qu'il n'étoit point étonné de voir que la terre tremblat; mais qu'il 1'étoit bien davantage de ce que les montagnes voifines ne s'ébranloient pas d'elles-mêmes, pour écrafer ceux qui fe permettoient les cruautés dont il étoit tous les jours témoin. Ce propos indifcret fut rapporté a 1'Empereur} 6c  du Bas-Empire. Liv. Cl. 423 Perdiccas eut le nez coupé. Peu de > jours après, un particulier rencontre un jeune homme de la familie de Perdiccas , 1'aborde en Pembraffant, & lui i témoigne, par un air affligé , la part qu'il prend a 1'infortune de fon parent. II n'en fallut pas davantage pour attirer fur lui toute la colere de 1'Empereur. Ce Prince cruel voulut qu'il fubït le même fort que le malheureux Médecin qui avoit excité fa compafiion. La crainte de traitements fi rigoureux lia toutes les langues; mais elle ne put enchaïner toutes les plumes; d on n'ofoit plus parler, mais on écri- 1 voit. La Cour & la ville furent inon- i dés d'un déluge de fatyres contre le gouvernement, & fur-tout contre la perfonne de 1'Empereur. Michel fit faire les plus exafles perquifitions pour arrêter les auteurs de ces écrits, & pour les punir enfuite d'une maniere exemplaire. Mais malgré les recherches de ceux qui, k Confiantinople étoient chargés du trifte & vil emploi, de furprendre les fecrets de leurs concitoyens, & de violer les dépots domeftiques de leurs penfées, VIlCHEL Palèologue..n. 12S1, LXX. Supplice e Caloïas. 'achym. 1. . c. 24 , 5.  Michel Palèologue.ia, iaSi. 424 HlSTOIRB on ne put rien decouvrir. Alors 1'Empereur rendit, une ordonnance, portant peine de mort contre quiconque liroit un libelle diffamatoire, ou le communiqueroit a d'autres, au-lieu de le brüler fur le champ. Un perfonnage très-diftingué fournit un terrible exemple de Pextrême rigueur avec laquelle cette loi fut exécutée. Ils'appelloitCaloïdas. C'étoit un homme d'une rare piété , qui, par principe de Religion, vivoit dans le célibat, & difiribuoit tous fes biens aux pauvres. II étoit très-confidéré de 1'Impératrice , qui en avoit fait fon tréforier. Ni fes vertus, ni le crédit de fa MaitretTe, k qui il avoit même 1'honneur d'appartenir par le fang, ne furent capables de le fauver dufupplice. Tout ce qu'Irene put obtenir, c'eit qu'il ne perdroit pas la vie; du refte , Caloïdas fut traité avec beaucoup d'inhumanité. On le conduifit, dans 1'appareil le plus ignominieux, fur la place des bains de Conftance. La il fut lié k une colonne. On commenca par lui couper les cheveux, leur laiffant toutefois affez de longue ur pour qiTom put y atta>  du Bas-Empire. Liv. CL 425 crier des lanieres de parchemin trempees dans de la poix. On mit enfuite le feu a toutes ces lanieres 1 quand elles furent enflammées, le bourreau abattit le nez a Caloïdas , puis on le laiffa aller dans eet état déplorable. Palèologue, pour imprimer , par eet exemple, de la terreur aux perfonnes qu'il foupconnoit être les auteurs des écrits dont il vouloit arrêter le cours, avoit fait dire a un grand nombre d'Eccléfiaftiques, de fe trouver aux bains de Conflance. Ceux qui avoient eu vent de ce qui devoit s'y paffer, prirent la fuite; les autres, qui ne fe défioient de rien, s'y rendirent, & s'en retournerent enfuite indignés du fpeftacle horrible dont ils venoient d'être témoins,& encore plus de 1'outrage qu'on leur avoit fait, en les obligeant d'affifter, comme des complices , au tourment d'un malheureux qu'on prétendoit jufticier pour crime d'Etat. Palèologue, loin de fe reprocher une conduite il barbare , répondoit a ceux qui ofoient lui faire des repréfentations fur fon exceffive févéritè : Convkndroit-il qu'urt Empereur Romain gouyerndt fes fujets s, Michel Palèologue.A.n. izSs,  MlCHEI Paeéoeogue,An. 1281 LXXT. Muzaloi refoit I; baftonnade. Pachym. I 6« t, 26. 426 H I S T 0 1 R £ ■ comme un Abbè gouverne jes Me'mes l & que pour des fautes graves, il fe contentdt de les mettre en pénitence? Palèologue ne faifoit guere punir, fans mettre dans le chatiment, une | forte de recherche qui annoncoit de fa part une méchanceté réfléchie. Théodore Muzalon, ayant refufé d'aller en ambaffade a Rome , & blamant avec beaucoup de liberté le projet de réunion, 1'Empereur s'en trouva très-offenfé; & quoique eet Officier fut décoré de la charge de Logothete du tréfor royal, & qu'il eut 1'honneur d'avoir époufé la fille de Cantacuzene, il ne 1'en condamna pas moins a recevoir la baftonnade. Par un raffinement d'inhumanité, Michel voulut que le propre frere de Muzalon fut en perfonne Pexécuteur de ce chatiment : il le forca même de s'acquitter de cette odieufe fonftion avec tant de violence , que le baton fe rompit entre fes mains. Ce n'en fut pas affez pour fatisfaire Ia vengeance de Palèologue ; ce Prince lui ordonna de prendre un autre baton , & de continuer k frapper fon frere. 11 dépouilla enfuite Muzalon de fes  nu Bas-Empire. Liv. Cl. 427 emplois, & le bannit de fa préfence. Muzalon , ennuyé de fe voir ainlï éloigné des honneurs & de la Cour, employa toutes fortes de baffeiTes pour obtenir fon rappel. II offrit nonfeulement de confentir a la paix, mais encore de fe foumettre fans réferve a tout ce qu'on voudroit exiger de lui. L'Empereur, au-lieu des compliments auxquels Muzalon s'attendoit peut-être, lui fit une févere réprimande fur cette foumiffion aveugle ; il la lui reprocha, comme la preuve d'un refroidiffement dans. la piété , & d'une indifférence criminelle en matiere de Religion. II voulut bien néanmoins Ie recevoir en grace; mais il lui déclara qu'il devoit fe contenter d'accorder aux Latins ce qu'on leur avoit promis, fans aller au-dela. Cependant, il s'étoit formé, par 1'entremife & a Pinfligation de Mar- ] tin IV, une ligue contre Michel Pa- VA léologue, entre Philippe-, Empereur 0 titulaire de Confiantinople, Charles c' d'Anjou, Roi de Sicile, & les Vénitiens. Cette ligue fut conclue & fi- gc gnée a Orviette , le 3 de Juillet. c' MlCHfX Paleologu'e.An. 12S1, LXXII. -igue du ape & :s Prints Latins intrePaologue.~)u Can*> , hifi. ' mfl. ii, n. p.  Michel Palèologue. An. 1281. 196,197. Yoyz-{ Tuc. Jufi. ib. k Ia fin, ƒ>. 29 . 4.32 HlSTOIRE la prendre par famine, firent leurs difpofitions pour empêcher que cette tentative ne réuiïït. Ils paiTerent le fleuve, & tomberent fur le detachement qui étoit poflé de 1'autre cöté, pour protéger le convoi. Leur attaque fut fi brufque & fi impétueufe, que les Grecs lacherent d'abord le pied ; mais enfuite ils repoufferent k leur tour les ennemis. Soliman Rofïï fit tout ce qu'il put pour rétablir le combat, fes efforts furent fans fuccès; fon cheval, qui étoit déja bleffé, ayant mis le pied dans un de ces trous ou les habitants du pays avoient coutume d'enfouir leurs grains, pour les conferver, s'abattit, & le renverfa. Raoul, accablé fous le poids de fes armes, ne put fe relever, &C tomba entre les mains des Grecs. Le grand Domeftique, ne voulant pas donner aux ennemis le temps de fe reconnoitre, & defirant profiter de la confternation ou ce premier échec & la perte de leur Général, les avoit jettés, rangea , dès le point du jour, fes troupes en bataille, & les mena au combat. Chaque foldat tenoit a la main le papier trempé dans 1'huile fainte  }>u Bas-Empirb. Liv. CL 433 fainte qui lui avoit été remis. Mimi de cette arme d'un genre tout nouveau, il fe croyoit invincible; & plein d'enthoufiafme, il marchoit k Fennemi comme a une vi&oire affurée. Le choc fut terrible, l'armée des Italiens & des Illyriens ne put le foutenir long - temps; bientöt la deroute devint générale, & en un - mftant furent diffipés comme la pouffiere, ces fiers ennemis, qui f étoient vantés de s'cmparer de (Empire comme dun nid doifeaux. Les Grecs firent un butin immenfe, & une multitude incroyable de prifonniers; mais ils déshonorerent leur vi&oire, en maffacrant de fang froid un grand nombre de ces malheureux. La nouvelle de eet événement fut bientöt portée k 1'Empereur, k qui elle caufa la plus grande joie. Pour \ donner k fes troupes une marqué de Ia fatisfaÖion qu'il reiTentoit de leur * conduite , il voulut leur accorder les honneurs d'un triomphe folemnel. Les vainqueurs y parurent dans 1'appareil je plus pompeux, & les vaincus dans 1 etat le plus humiiiant. Les prifonniers, placés fur leurs chevaux, non Tome XXII. T Michel Palèologue.A.n. n8i. LXXïV. Triomhe des rrecs. Pachym. 6.c. 33.  434 HisTOt&E pas comme y font ordinairement des Michel Palèologue.An. 1281, cavaliers , mais affis comme des femmes, les deux jambes pendantes du même cöté, & les fers aux pieds , s'avancoient a la file les uns des autres. Chacun d'eux portoit, en figne de fa défaite, un épieu de carton ou d'autre matiere femblable. » C'étoit, » dit un Hiftorien qui avoit été té» moin de ce qu'il écrivoit, c'étoit » un fpetfacle fingulier, de voir un »> jeune homme qui venoit après ua » vieillard, un vieillard après un enr » fant, une perfonne prefque nue, » après une autre bien couverte, une » tête garnie d'un bonnet, après une » qui n'en avoit pas, un vifage fur » lequel étoient peints la trifleffe &C » 1'abattement, après une fïgure al>> tiere & infolente ". L'Empereur, environné de toute fa Cour, & vêtu magnifiquement, vit, du palais des Blaquernes, dénier ce long cortege, qui s'étendoit d'un bout de la ville a 1'autre. Chaque prifonnier étoit forcé de le faluer en paffant. Le peuple de Confiantinople & de fes environs s'étoit porté en fonle dans toutes les places & dans toutes les rues, pour.  nu Bas-Empire. Liv. Cl. 435 V jouir de ce fpeftacle. Les uns inlultoient au malheur des captifs, les autres leur chantoient des chanfons injuneufes; d'autres, plusfages,lesplaignoient; & 1'Empereur lui-même ne put retenir fes larmes, en voyant parmi eux des hommes du plus haut rang & de la plus haute nailTance, réduits a un etat fi déplorable. Michel, pour conferver è la poftérité un monument de cette viöoire, ordonna de la peindre fur les murs de fon palais, ainfi que tous les autres événements gloneux de fon regne. Cet ouvrage, commence par les plus habiles artiftes de 1'Empire, ne fut pas achevé. J~e Prince étant mort, Andronic fon hls le mit peu en peine de le faire continuer. f Si 1'affaire de Belgrade combla Pa- ■ leologue de joie, elleplongea Char- a les dAnjou dans le deuil le plus ac- ) cablant: ce n'étoit pas cependant en- 1 core la plus grande infortune qui de- f voit lui arriver. II ne fut pas long- « temps fans apprendre que Ia Sicile t!< etoit perdUe pour lui. Les Siciliens £ gemiffoient, depuis plufieurs années, Cl iouslepo1dsdesimpöts, &fousl'emTij Michel" Palèologue.An. 1281, n. 1281. •XXV. 'aléolo- ie entre ns la nfpira- >n des :tliens ; ntre arlesj Lnjou,  Michel Palèologue. An. nSi, NU. I. j c. 6. Hifi. de Sicile, pa, d'Egly, t 1. Raynald art. 12S1 436 HlSTOlRE pire des- Minifires de Charles d'Anjou , qui étoient prefque tous Francois. La nation murmuroit hautement, & fembloit n'attendre , pour fe foulever, qu'un chef qui ofat arborer 1'étendard de la révolte. Elle le trouva dans la perfonne de Procida, ainfi nommé, de la petiteifle de Procida, prés de Naples, dont il étoit Seigneur. II avoit été dans la plus haute faveur fous Panden gouvernement, & n'étoit plus rien fous le nouveau. Charles Favoit dépouillé, non-feulement de fes dignités &i de fes emplois, mais encore de prefque tous fes biens. Indigné d'un pareil traitement, il jura d'en faire repentir celui qui en étoit Fauteur. En conféquence de cette réfolution, il médita un fyftême de vengeance, & en conduifit la trame avec tout le flegme dont pouvoit être alors capable une ame Italienne. Procida fe rendit fecretement a Confiantinople, en 1279, & repréfenta k 1'Empereur, que les armements formidables dont Charles s'occupoit avec tant d'aöivité le regardoient perfonnellement; que 1'intention de ce Prince ambitieux étoit 3 comme il n'en pouvoit pas dou-  du Bas-Empire. Liv. CL 437 ter, de le renverfer de deffus le tröne impérial, pour y placer Philippe fon gendre. II lui découvrit enfuite le complot que lui-même avoit formé, avec les principaux Seigneurs de Sicile contre Charles, & finit par lui en tracer le plan dans le plus grand détail. Palèologue fut gré a Procida de cette confidence, &c écouta d'abord avec plaiiir les propofitions qu'il lui fit; mais y réfléchiffant enfuite plus mürement, il les trouva un peu téméraires. Pour n'avoir cependant rien k fe reprocher, il remit k Procida des lettres de créance, & le fit accompagner de gens furs & intelligents , qui pafferent avec lui en Sicile , pour y reconnoitre les vraies difpofitions des habitants de cette ifle. Les efpions de Michel trouverent que Procida n'en avoit pas impofé. Sur leur rapport, ce Prince ne fit plus difficulté d'entrer dans la confpiration. Procida fe tranfporta enfuite k Rome, déguifé en Cordelier. II inftruifit le Pape Nicolas de tout ce qui fe paffoit, & de la grande révolution qui alloit fe faire dans la Sicile; il lui rendit un compte exaft de fes négoT iij Michel Palèologue.An. nSï. LXXVT. Mafl'acre des Vêpres Sicïliennes. Raynald. an, 1281.,  Michel Palèologue.Ln, ïaSi. 43** H l $ T O I R B ciations auprès de 1'Empereur de Confiantinople. On prétend même que, pour donner plus de poids a fes raifons, il remit au Pontife une groiTe fomme d'argent, de la part de Palèologue. Nicolas, ou gagné par les préfents de 1'Empereur des Grecs, ou excité par la haine fecrete qu'il portoit k Charles d'Anjou , chargea Procida d'un bref, par lequel il abandonnoit k Pierre , Roi d'Arragon , le Royaume de Sicile, s'il vouloit en faire la conqüête. Procida partit donc en diligence pour la Catalogne, ou le Monarque Arragonois tenoit alors fa Cour. Pierre recut ce traitre avec smitié, accepta les offres qu'il lui faifoit de la part du Pape & des Siciliens, & promit de feconder de toute fa puiffance Pentreprife projettée. La mort de Nicolas III, furvenue au moment qu'on ne s'y attendoit pas, parut fufpendre pour quelques inffants 1'exécution du projet. Le Roi d'Arragon , qui voyoit le nouveau Pape dans des fentiments tout oppofés k ceux de fon prédéceiTeur, balancoit k fuivre 1'entreprife périlleufe dans laquelle on l'avoit engagé; mais la pré-  du Bas-Umpire. Liv. CL 439 fence des Ambaffadeurs de Palèologue , qui arriverent fort a propos, & encore plus, trente mille onces d'or, qu'ils lui compterent de la part de leur maitre, eurent bientöt diffipé toutes fes irréfolutions. Pierre, a la vue de cette fomme, reprit donc courage , & Pemploya a équiper une flotte formidable. Pour que eet armement ne donnat pas de jaloufie aux autres Princes, il fit répandre le bruit qu'il étoit defliné contre les Sarrafins. Philippe le Hardi, Roi de France, édifié de ce pieux projet, lui offrit des troupes , avec un préfent de quarante mille Jivres tournois. L'argent feul fut accepté. Le Pape Martin IV, moins crédule, envoya au Roi d'Arragon des Nonces, pour favoir de lui, quel étoit le véritable objet des grands préparatifs qu'il faifoit. Pierre répondit fiérement, qu'il n'avoit pas coutume de rendre compte de fes intentions: il ajouta, que s'il favoit que fa main droite révélat a fa main gauche fon fecret, il la couperoit fur le champ. Cette réponfe confirma le Pape dans fes défiances, & ouvrit les yeux a Philippe le Hardi, quife hata d'averT iv Michel Palèologue.An. nSi.  Michel Palèologue. ia. 1282. i t i < j ] 4 ] 1 ï 44» HlSTO/Rg tir Charles d'Anjou, fon oncle, de fe tenir fur fes gardes. Cet avertiiTement venoit trop tard. La confpiration éclata tout-a-coup avec une explofion terrible. II en coüta la vie k huit mille Frangois de tout age, de tout fexe, & de toute condition, qui furent égorgés par les perfides Sicihens, lelundidePaquesdel'an 1282, au premier coup de Vêpres. C'eft ce maiTacre trop connu dans 1'Hiftoire fous le nom funefte de Vêpres Sicihennes. Le foulevement fut général dans toute Fille. La nation appella, k grands cris, le Roi d'Arragon, qui sarut bientöt a Ia vue de Palerme: 1 y fut recu, & proclamé Roi fur Ie :hamp. Charles fit de vaines tentati/es pour remonter fur le tröne de Si:ile. Après avoir effuyé plufieurs déaites, il fe vit réduit k n'avoir plus 1'autre reffource que la proteftion le Martin IV, qui tacha d'effrayer ès ennemis, en les frappant de tous esfoudres de 1'Eglife. Palèologue fut nveloppé dans Fanathême général. ,e Pape le chargea nommément de Ia nalédiftion du Ciel, & déclara qu'il bandonnoit fes Etats au premier oc-  nu Bas-Empire. Liv. CL 441 cupant, fi, avant le premier Mai de 1'année fuivante, il ne fe foumettoit a tout ce qu'il jugeroit a propos de lui commander, & s'il ne réparoit les torts qu'il avoit faits a Charles d'Anjou. Selon toute apparence, il ne s'écoula pas un efpace de temps fuffifant entre la fulmination de ce décret & la mort de Palèologue, pour qu'il foit jamais venu a la connoiflance de ce Prince , ou , s'il lui fut notifié , certainement il ne s'en embarrafla guere. L'Empereur , délivré des inquiétudes que lui donnoit Charles d'Anjou , fe vit plus en état qu'il ne Favoit jamais été de faire la loi k ceux des Princes fes voifins, qui ofoient réfifter a fes volontés , ou qui lui déplaifpient. Depuis long-temps , il voyoit avec peine que le Prince des Lazes, qui tenoit fa Cour k Trébifonde , continuat k prendre le titre d'Empereur, &c k porter les marqties de la dignité impériale. II s'en étoit déja plaint plufieurs fois k Jean Comnene , petit-fils d'Alexis Comnene, qui régnoit alors. II lui avoit fait dire qu'il devoit fe contenter d'être un T y Michel Palèologue.An. 1282. LXXV1T. Jean Comnene , Prince des Lazes, confent a quitter la pourpre impériale. Pachym. h 6. c. 29 , 34- Greg. I. 5 o c. 7.  Michel Palèologue.>o. 1182, 442 HlSTOIRB des principaux membres de 1'Empire, fans vouloir en être le chef. Jean étoit fourd a fes remontrances, ou répondoit qu'il ne s'arrogoit aucun droit qui ne lui eut été tranfmis par fes ancêtres ; qu'en recevant d'eux la fouveraineté, il étoit obligé d'en conferver, a leur exemple, toutes les prérogatives ; que quand même il voudroit les abandonner, fes fujets ne le fouffriroient pas; qu'ils lui rendoient volontiers les honneurs de 1'adoration dont on prétendoit le priver, & que dans tous les traités qu'il avoit occafion de faire avec les plus grands potentats, aucun d'eux ne lui refufoit les titres que la Cour de Conftantinople lui difputoit. L'Empereur, voyant que fes repréfentations étoient inutiles, elTaya de fléchir 1'opiniatreté de Jean, en lui offrant pour époufe Eudocie fa troifieme fille. Jean, qui n'avoit pas grande confiance dans les promefles de Michel , ne fe laiffa pas encore prendre cette fois a eet appat. II déclara qu'il ne pouvoit confentir a ce mariage, & il fe fit appuyer dans fon refus par les Grands  du Bas-Empire. Liv. Cl. 443 de fon Royaume. En effet, les ayant affemblés pour délibérer fur cette affaire , ils répondirent d'un commun accord , que la coutume des Princes de leur nation étoit de ne s'allier qu'avec leurs voifins; & foit qu'ils parlaffent férieufement, foit que ce ne fut qu'une ironie de leur part, ils ajouterent qu'ils rcgardoicnt les families impériales avec le même refpecï que les hommes regardent le ciel & les ajlres , fans avoir la prèfomption d'en approcher. L'Empereur ne fe rebuta pas encore, il envoya une nouvelle ambalTade k Trébifonde pour faire un dernier effort. Iatropule, Logothete des domeftiques , & un Prêtre de 1'Eglife de Sainte-Sophie, furent chargés de cette commiflion. Ces deux députés affurerent le Prince des Lazes fous la foi d'un ferment folemnel, que Michel Palèologue étoit réellement décidé k lui donner fa fille Eudocie en mariage, que ce Prince le revêtiroit de la dignité de Defpote , Sc qu'enfuite il le renyerroit dans fes Etats comblé d'honneurs Sc chargé de préfents. Soit que Jean Comnene craignit de mefurer fes forT vj Michel Palèologue.An. ii%2;  Michel Palèologue.in. iiS2. i i i i J « I i 444 Histoirë ces avec celles de Palèologue, foit que Pautorité d'un ferment fait par un Prêtre lui eut infpiré plus de confiance, ce Prince fe laiffa enfin perfuader. II monta fur un vaiffeau avec les Envoyés de la Cour de Confiantinople , & fit voile pour fe rendre auprès de 1'Empereur. Lorfqu'il eut mis le pied fur les terres de 1'Empire , les deux Ambaffadeurs lui confeillerent de quitter les brodequins de pourpre, & d'en prendre de couleur noire, PaiTurant que cette complaifance feroit Ie plus grand plaifir k 1'Empereur, & qu'il Pen récompenferoit au-dela de fes efpérances. Jean fe conforma a leur avis, & alla trouwer Palèologue k Lopadion fur les sords du Sangaris. L'Empereur s'étoit *endu dans ces contrées pour apporer quelque remede aux maux dont :lles étoient accablées. Le pays étoit i dévafté par les Turcs, & les Gouverneurs plus cruels encore que ces nfideles, 1'avoient fi négligé, ou telement mis eux-mêmes au pillage, [u'on y voyoit régner par-tout Ia ilus affreufe mifere. L'Empereur y nanqua lui-même deschofes les plu»  nu Bas-Empire. Liv. Cl. 445 effentielles k la vie; plus d'une fois il fut obligé de boire de Peau bourbeufe &c de manger du pain bis, dont il envoyoit par fes couriers, des morceaux k fa mere, a fa belle-mere & au Patriarche , en" leur écrivant que c'étoient-la les mets les plus délicieux de fa table. Aprés avoir donné fes ordres pour fortifier les bords du Sangaris, & les mettre k Pabri des infultes des Turcs, Palèologue prit la route de Confiantinople avec Jean Comnene ; il y arriva au mois de Septembre ; il s'empreffa d'y faire célébrer les noces de fa fille avec ce jeune Prince. Après quoi on employa tour le mois d'Octobre aux préparatifs d'un nouveau voyage qu'il projettoit pour aller chatier un rebelle qui ofoit braver fes menaces & fa puiffance. Jean-Ange-Ducas Comnene, Prince ] de Theffalie & Sébaftocrator, s'étoit révolté de nouveau. L'Empereur, i pour rendre fa vengeance plus ter- < rible, projetta d'armer contre lui la 1 férocité des Tartares. II obtint de No- ; gaïa, fon gendre, ce chef des Scy- ' thes qui habitoient au-dela du Da- ' MlCHEt Paléo- IOGUE. \n. 1281. :xxvnr, Paléolo;ue part >our une :xpédiion conre le Mnce de rheffalie. yachym. I.  MlCHEt Paléo- IOGUE. An. 12S2. 6. e. 35 , 36. Greg. NU. I 5.C.7. Famil.Byf, J>> 210. 446 UlSTOlRE nube, un corps de troupes confidérable. II choifit pour cette expédition 1'hyver, paree que c'étoit lafaifon oü ces barbares faifoient plus volontiers la guerre. Quand tout fut prêt, il fe mit en route pour aller faire en perfonne la joncfion des troupes Impériales avec celles que lui envoyoit Nogaïa. II partit vers le milieu de Novembre , malgré les tendres remontrances de 1'Impératrice fa femme , qui étoit très-allarmée du mauvais état de fa fanté ; & malgré un fecret preffentiment qui fembloit 1'avertir lui-même que ce voyage lui feroit funefte. II alla k cheval, accompagné de fes fils & de fes gendres jufqu'a Sélivrée; mais un mal d'entrailles dont il étoit tourmenté depuis quelque temps, augmentant chaque jour, il fe vit bientöt hors d'état de fupporter les fatigues du cheval. II prit donc le parti de fe rendre par mer a Redofie. Mais è peine fut-il embarqué , qu'il s'éleva une furieufe tempête. Mille fois il fe vit fur le point d'être englouti avec fes fils au milieu des flots. Dans cette cruelle pofition, il exhortoit le pi-  du Bas-Emtire. Liv. CL 447 lote a faire les plus puiffants efforts pour conferver fon vaiffeau, qui portoit, difoit-il, Jinon le mondt , au moins (Empire. Cet homme, loin de lui donner de Pefpérance, 1'affuroit que leur perte étoit inévitable, & qu'il n'y avoit qu'un coup du Ciel qui put les fauver. Cependant après avoir lutté long-temps contre la fureur des ondes & des vents, ils aborderent comme par miracle a Redofte, excédés de fatigues, & k demimorts de frayeur. Après s'y être repofés pendant quelques jours, 1'Empereur & fa fuite remonterent k cheval , & s'approcherent du lieu défigné pour le rendez-vous général. On s'arrêta dans le voifinage de Lyfimachie proche un bourg nommé Pacome. Michel, entendant nommer ce bourg, fe rappella que c'étoit le nom d'un homme de Lettres, grammairien de profefiion, citoyen honnête & tranquille, comme le font ordinairement ceux qui s'occupent d'études férieufes, qu'il avoit condamné k perdre la vue, de peur qu'il ne lui fuccédat k 1'Empire; cette crainte lui avoit été infpirée par quelques-unes de ces Michel Palèologue.An. 1282. /  Wichel Palèologue.An. 12S1. LXXIX. II tombe malade,& meurt. Pachym, l. 6. c. 36. Greg. L 5. e. 7. Famil.Byf. p. 233- Burigny , rcvolut. de Conftant, t. II, p. $04. nou. 448 HlSTOIKB prédiftions frivoles , auxquelles ce Prince fuperftitieux ne prêtoit que trop Poreiile. Michel crut que c'étoit-la que la juftice divine 1'attendoit. Son imagination fut frappée de cette idee, & fon mal empira. II fut obligé de fe mettre au lit. Cependant, les Tartares s'impatientoient de ne le point voir paroïtre ; ils montroient de la défiance , & plufieurs s'avancant jufqu'au quartier de 1'Empereur, faifoient entendre des murmures allarmants. Michel auroit pourtant bien voulu ne fe montrer a ces barbares qu'environné de toute la pompe de la majefté Impériale , & non pas dans un état oü les Dieux de la terre ne paroiffent que ce qu'ils font réellement, de foibles mortels comme le refte des humains. Mais il n'y avoit plus moyen de différer ; le mécontentement des Tartares menacoit de dégénérer en fédition. Michel., pour les appaifer , fit répandre des largeffes parmi les foldats, & dire aux Officiers qu'il leur donneroit audience avec plaifir, 1'Empereur les recut dans fon lit environné de fes proches & de fes principaux  du Bas-Empire. Lh. CF. 449 Officiers. II fe mit fur fon féant; & élevant la voix autant que fa foibleffe pouvoit le lui permettre , il leur dit: Je fuis trhs-obligé d Nogaïa d'avoir eu la bonté de vous envoyer d mon fecours, & d vous d'avoir eu la gênérofité d'y venir. Je fuis fdchè de ce que mon état ne me permet pas de vous recevoir comme je l'aurois dejiré; mais fefpere recouvrer bientót la J'anté, & alors je vous traiterai comme le méritent des guerriers fi génèreux,& des amis fibienfaifants. Les Tartares répondirent a ce compliment dans leur ftyle & a. leur maniere. Ils témoignerent k 1'Empereur qu'ils étoient très-affligés de ia maladie; mais qu'ils efpéroient de le voir bientöt rétabli, pour rellentir les effets de fes promeiTes. Leurs vceux ne furent pas accomplis. Le mal fit de nouveaux progrès, ék bientöt les Médecins perdirent toute efpérance. Ils avertirent Andronic que 1'Empereur n'avoit plus que quelques inftants k vivre. Andronic craignoit d'annoncer direöement a fon pere cette trifte nouvelle ; mais ufant d'un pieux firatagême , pour faire entendre k Palèologue ce qu'il n'ofoit lui dire , il commanda de lui. MlCHEt Palèologue.An, 12S2,  MiCHEL Palèologue.An. 1282. 450 HlSTOlRE porter les marqués de la mort du Sauveur. A 1'heure même, le Prêtre du Clergé Impérialrevêtu de feshabits facerdotaux, s'approcha du lit de ce Prince tenant le laint Viatique. L'Empereur avoit alors le vifage tourné vers la muraille, & étoit plongé dans une profonde méditation , s'occupant des affaires du gouvernement; car la foibleffe de fon corps ne lui avoit rien fait perdre de la vigueur de fon efprit. Le Prêtre attendoit debout & en filence qu'il changeat de cöté. Palèologue enfin fe retourne , Pappercoit, & lui demande ce qu'il veut. Seigneur, répond le miniftre de la Religion , après avoir fait des prieres pour votre fantè, je vous apporte les Sacrements , qui peuvent contribuer plus qu aucun remede, d vous la rendre. L'Empereur comprit aifément le fens de ce difcours. Sur le champ, ü fe fit donner fa ceinture, fe leva fur fon lit, récita le fymbole, y ajouta ces paroles : Délivre^-moi , Seigneur, de cette heure ; fe recueillit un inflant, reent les Sacrements, fe recoucha, & rendit 1'efprit prefqu'aufii-töt. Sa mort arriva un Vendredi, le 11 Décefn-  du Bas-Empire. Liv. Cl. 451 bre 1281. II étoit agé de cinquantehuit ans; il en avoit régné vingt-trois moins vingt jours. Les Tartares furent, peut-être, les feuls qui le regretterent, paree que c'étoient prefque les feuls qui perdoient a fa mort. A peine eut-il fermé lesyeux, qu'Andronic donna des ordres pour qu'on tranfportat fon corps pendant la nuit en filence & fans cérémonie dans un terrein de la dépendance d'un monaftere voifin, ou il fut enfoui plutot qu'inhumé. C'eft ainfi que ce fils dénaturé traita les reftes d'un pere qui Favoit fi tendrement aimé, qui avoit eu pour lui tant de complaifance, tant de foibleffe , & qui pour le laiffer feul héritier de Ia couronne Impériale, s'étoit rendu coupable de Finiquité la plus odieufe. II ne paroit pas que eet outrage fait aux cendres de Michel Palèologue ait excité aucun murmure dans le camp ou il mourut. II n'en excita pas k Conftantinople, oü les Moines dont cette ville étoit inondée, publioient a haute voix qu'il ne méritoit pas les honneurs de la fépulture eccléfiaftique, Cet acharnement des Schifmatiques Michel Palèologue.An, 1282,'  Michel Palèologue.An. 1282. 45e HlSTOTRE contre ce Prince, même après fon trépas, a fait croire k quelques Ecrivains qu'il ètoit mort dans le fein de la Communion Catholique. Le regardant comme une conquête précieufe que la Vérité avoit faite fur 1'Erreur, ils paroiiTent'difpofés k tout lui pardonner; ils n'ofent en parler qu'avec une forte de refpeót. Cette facon de penfer eft fans doute eftimable k bien des égards; mais ce n'eft point ainfi qu'on juge les hommes au tribunal févere de 1'hiftoire. Nous avons rendu juftice k ce Prince toutes les fois que 1'équité nous en a fait un devoir. Nous avons reconnu qu'il avoit recu de la nature de grands talents, & toutes les qualités aimablesquiconcilient 1'eftime & Paffection des hommes; qu'il fe diftingna dans fa jeuneffe par une conduite & par des actions qui le rendoient digne du diadême; mais il ne fut pas plutöt monté fur le tröne, que toutes les vertus qui fembloient 1'y avoir appellé, commencerent a s'éloigner de lui, & ne tarderent pas k être remplacées par ces paffions violentes qu'enfante 1'ambition armée d'un grand pouvoir, &  au Bas-Empire. Liv. CL 453 en même-temps par tous les vices des ' petites ames, la rufe, la perfidie, la fuperftition. Bientöt ce Prince, qui étoit né pour faire le bonheur & les 1 délices de la nation, devint le bourreau de fon pupille & fon collegue, le perfécuteur de fes parents, & le tyran de fes fujets. La gloire qu'il eut d'enlever Confiantinople aux Latins n'effacera jamais aux yeux de la poftérité la tache imprimée fur fa mémoire par le traitement cruel qu'il fit au jeune & innocent Lafcaris. Ce n'étoit pas en fe trainant aux pieds du Patriarche Arfene, ni en tachant de furprendre a ce Prélat, par un ftratagême puéril, quelque figne équivoque de réconciliation qu'il pouvoit fe flatter de réparer un pareil crime. II falloit pour 1'expier d'autres moyens, plus conformes & k 1'équité & au véritable efprit de la Religion. Mais pouvoit-on les attendre d'un Prince qui fe jouoit de tous les principes, & pour qui la Religion ne fut jamais qu'un inftrument de politique? C'eft ce qu'il n'a que trop prouvé dans plus d'une circonftance, & fur-tout pendant tout le cours de fes négocia- MlCHEL PAtÉOLOGUE. m. 1182.  Michel Palèologue.An. 1281. Fin du Tornt yingt-deuxume, 454 H I 5 T 0 I R E, gfc. tions avec le Saint Siege pour la reunion. Si Ton peut reprocher aux Souverains Pontifes de s'être conduits, en traitant cette grande affaire, avec trop de hauteur & de prétentions, il faut convenir aufli que Michel Palèologue en agiffoit avec bien peu de franchife & de bonne foi. Tout ce qu'il faifoit, dit a ce fujet Pachymere, n'étoit que diffimulation, que deguifement, que fauffe dêmonjlration. Efl-il donc étonnant que le Ciel ne fe foit point intéreffé au fuccès de cette entreprife, & qu'il n'ait pas permis que des mains fi profanes euffent 1'honneur de faire tomber le mur de féparation qui divife encore les deux Eglifes ?  APPROBATION. Extrait des Regijlres de VAcadémie Royale des Infcriptions & BellesLettres. M^Effieurs de Sigrais & BfjOT, Commiflaires nommés par 1'Académie pour examiner les Tomes XXI & XXI1 de YHifloire du Bas-Empire, par M. L e B e a V, continuée par M. Ameilhon, ont fait leur rapport, & dit qu'ils les jugeoient dignes de 1'imprefjion. Sur leur atteftation laillée par écrit, 1'Académie a cédé k M. Ameilhon fon droit de privilege pour limpreffion defdits Volumes. En foi de quoi jai figné le préfent Certificat. - Au Louvre, ce 23 Mai 1781. Dupuy; Secret. perp. de tAcad. des Bellen Lettres.