LETTRES ^ É M I L I E SUR LA MYTHOLOGIE.   LETTRES A Ê M I L I E, SUR LA MYTHOLOGIE. Par M. de Moustier. Heureux ceux qui fe divertiflent en s'inliroifant J Télémaque, Liv. 2. PREMIÈRE PARTIE. A AMSTERD AM, Chez Gabriel Dufour, Libraire.   A È M I L I & ÏLchafpé des fers de The'mïs, Chez Pomone libre & tranquille J'étois au fein de mes amis; Mais mon coeur étoit a Ia Vllle. J'éprouvois , dirrant ces beaux jours Filés par la Mélancolie, Qu'il n'efl: avec vous, Emilie, Point de vacances en amours,* Et, pour calmer la violence Du.feu qiü brüloit dans mon fei». Je deffinois en votre abfence, A 3  6 E P 1 T R E. Attendant ma convalefcence, Le portrait de mon Médecin. Maïs , privé du modele aimable Dont je crayonnois les beautés, J'empruntai celles de la Fable, Pour peindre vos réalités: Or, a vos graces naturelles, En ajoutant les attributs Ou de Minerve, ou de Vénus, Ou bien des autres Immortelles, Je m'attribuois en retour, Prés d'elles, dans chaque aventure, Le role des Dieux tour-a-tour, Excepté celui de Mercure. Ainsi , j'avouerai qu'en fecret J'avois fouvent plus d'intérêt  E P I T R E. f Que vous dans la métamorphofe ; Car 1c premier bien des Amours, L'Illufion, étoit toujours Le prix de votre apothéofe. Des Amans tel eft le bonheur. L'amitié feule véritable Eft 1'hiftoire de notre coeur, Et 1'atnour n'en eft que la fable. Ah! de nos cooars, depuis long-temps, Si vous aviez voulu m'en croire, Nous aurions, par nos fentimens, Mêlé la Fable avec 1'Hiftoire. Cefendant, daignez accueillir Ces Ecrits que la Négligence A, fous les yeux de 1'Indulgencej GrifFonnés pour vous les oiFrir. A 4  | É F I T R E. Si, par un arrêt, la Satyre, Dès le berceau, vient a profcrire Ces Enfans de la Liberte', Qui vous ont déja fait fourira Des traits de leur naïveté, Loin que ce revers me corjfonde, Je dirai: 1'Amour m'abufoitj J'ai cru, lorfque 1'on vous plaifoit, Qu'on devoit plaire a tout Ie monde.  v P R E F A C E, jSexe aimable, qui protégez Les Talens, enfans du Génie, Et, d'un regard, donnez la vie Aux Arts que vous encouragez; Efprits heureux, qui mélangez La Toilette, la Politique, Les Vapeurs, la Métaphyfique, Et la Morale & les Chanfons? Dofteurs, qui donnez des lecons D'Amour, de Vertu, de Folie, De Mode & de Philofophie, Daignez accueillir les Effais D'une Mufe encore novice » A 5  meice qu'il avoit établi, & de 1'autre, un homme a deux têtes: q'étoit le portrait du Roi Janus. Ce Prince avoit accueilli Saturne, pendant fon exil, jufqu'a partager fon tróne avec lui. En récompenfe, le Dieu lui donna la connoüTance du paflé & même celle de 1'avenir. Voila pourquoi 1'on repréfentoit Janus avec deux vifages oppofés. Ovide a dit de lui qu'il étoit le feul de tous les Dieux qui vit fon derrière. C Le mois de Janvier lui fut confacré. II tenoit, de la main droite, une clef, pour marquer qu'il ouvroit 1'année, & de la ina/n gauche une baguette, comme préfidant aux Augures.  sur la Mythologie. 2^ Romulus, fondateur de Rome, & Tatius, Roi des Sabins, ayant fait enfemble un traité, lui batirent, a cette occafion, un Temple , dans lequel il y avoit doqze autels, un pour chaque mois de 1'année. Ce Temple étoit toujours ouvert durant la guerre, & fermé durant la paix. On dit que 1'Hyménée & le rils de Vénus, Depuis long-temps fe font la guerre; Mais qu*un jour vous devez leur faire Fermer le Temple de Janus, ■ B 3  3° Lettres L E T T R E IV. Jupiter, en naiffant,fut tranfportédans 1'ile de Crète. Les Nymphes aux foins defquelles on le confia, lui treiTerent un berceau de fieurs. Mollement elles y poferent Ces memtires délicats & ces débiles mains, Qui, dans la fuite, terrafferent Le peuple de Titans & fes fiers Souverains. Du jeune Dieu les Jeux & PInnocence, Et la Gaité, compngne de PEnfance, Compofoient la naiflante Cour. L'heureufe paix habitoit ce féjour; Les Aquilons en refpeftoient 1'afile. Au regne tranquille du jour Succédoit uije nuit tranquille. Les oifeaux gazouillant leurs aimables concerts, Le murmure des eaux, le doux calme des airs, Les Nymphes en filence & Ie tendre Zéphire, Dans ces paifibles lieux exerc^ant fon empire, Annoncoient le repos du Roi de 1'univers. Cependant, lorfque fes premières dents  sur la Mythologie. je commencerent a percer, il devint forc méchant, & fe ijiic a crier du matin au foir. Alors fes Prêtres, que 1'on appelloit Corybantes , inventerent une forte de danfe dans laquelle ils s'entre-frappoient avec des boucliers d'airain: ce cliquetis empêchoit Saturne & Titan d'entendre les cris du petit Jupiter; mais le meilleur moyen pour 1'appaifer, étoit de lui préfenter le fein de fa nourrice. C'étoit ia chewe Amalthée. On prétend, a ce propos, que le lait de chevrerend la tête légere. Jupiter me portea croire qu'il influe aufli fur le cocur: en effet, Jamais Petit-maitre, a Paris, Ne courtifa plus de Cloris, ne Grifettes & de Princefles, Que Jupin ne trompa, jadis, De Mortelles & de Déeffes. Je n'entreprendrai pas même de vous es faire la lifte. Les plus célebres furenC Antiope, Alcmene, Danaé, Léda, Sémélée, Europe, Egine & Calitïo. J'aurai, B 4  gs Lettres . dans la fuite, occafion de vous en parler. Eevenons a 1'ïle de Crète. Jupiter ayant été fevré, voulut récom> penfer la chcvre Amalthée fa nourrice, & ]a changea en conftellation; mais il retint ■one de fes cornes, dont il fit préfent aux Nymphes qui 1'élevoient. C'étoit la Corne d'abcndance, Qui pafla tant de main en main, Que 1'on ignore fon deftin. Gependant on la croit en France. Au greffe de '1 bémis, ou bien Entre les mains de la Finance; Mais ces Meffïeurs n'en difent rien. Au fortir de 1'enfance, Jupiter fut un héros. Le premier de fes exploits fut la guerre qu'il fouiint contre les Titans. Je vous ai dit qu'au moment décifif les Dieux i'abandonnerent; mais fon courage lui fuffir. II foudroya, lui feul, fes ennemis, & rénvérfa fur eux les montagnes qu'ils ^voient entallées pour efcalader le CieL  sur la Mythologie, 33 Encelade, malgré fon air rébarbatif, Deflbus le mont Ethna fut enterré tout vif. La, chaque fois qu'il éternue, Un volcan embrafe les airs; Et quand, par malheur, il remue» II met la Sicüe a 1'envers. Nous en avons un exemple encore tout récenr. Le fecond exploit de Jupiter n'eft pas auffi glorieux pour lui que le premier. C'eft la défaite & 1'exil de Saturne en Italië. II eft vrai que celui-ci avoit eu des torts ; mais fon fils lui devoit une retraite plus honorable. .Après s'être rendu maitre du Trone, Jupiter époufa Junon fa foeur, & vécut d'abord avec elle en bon marü U fe fit adorer au commencement de fon xegne. Alors commenja le fiecle qui fuccéda au fiecle d'Or: c'eft- a dire, que fa Vertci régnoit encore fur la terre ; mais avec: moins d'empire qu'au fiecle précédent. B 5  |4 Lettres De la Vertu le fecond age Fut appellé 1'age d'argent: Mais a cette époque, on prétend Qu'il s'y gliffa de 1'alliage. En effet, Ie crime commencoit a païoïtre, & Jupiter fut obligé de le punir d'une maniere terrible, en la perfonne de Licaon, Roi d'Arcadie. Ce Prince cruel maffacroit tous les Etrangers qui pafloient par fesEtats. Jupiter fe préfente chez lui,& demande 1'hofpitalité. Licaon, voulant braver la puisfance fuprême, fait fervir au maitre des Dieux les membres d'un Efclave. Jupiter indigné, réduit en cendres le palais du barbare, & le change lui - même en loup. Ce Roi, fous fa forme nouvelle, Fait encor friflonner d'horreur. De fa gueule le fang ruiflelle; Sa prunelle ardente étincelle De feu, de rage & de fureur. C'eft fans doute a cette occaflon que Jupiter fut adoré fous le nom de Jupiter-  sur la Mythologie. 3$ hofpitalier, comme ayant vengé 1'hofpitalité. Bientót après il fut appellé JupiterAmmon..,. Ecoutez bien : je vais vous parler grec: Ammon (mot grec} iignifie, en francois, arêne ou fable. Or, Bacchus fe promenant un jour dans les fables de 1'Arabie, fut pris d'une foif ardente, & le Dieu du vin ne put pas même trouver une goutte d'eau. Dans cette estrémite', Jupiter fe prefente a lui fous la forrne d'un bélier, frappe du pied la terre, Sc fait jaillir une fource abondante. Bacchus»' en reconnoi/Tance, éleva, dans cec endroit, un Temple fous 1'invocation de Jupiter-Ammon; e'eft-a-dire, Jupiter des arênes. Ce Dieu avoit un Temple plus célebre encore dans la forêt de Dodone; c'eft 14 qu'il rendoit fes oracles. Sous 1'ombrage facré de ces arbres antiques, Ü efl un antre obfcur. Jamais les pk,s beaux joas B 6  3<5 Lettres N'égayerent 1'horreur de fes fonibres coniours. Le Vcyageur tremblant attend fous fes ponkjues. La font 1'Efpoir au front ferein, L'Ambition au front d'airain, Avec Ia Cralnte au front finiftre, Les foupgons, 1'Intérêt; enfin C'eft 1'anticbambre d'un Miniftre. La porte s'ouvre; on entre en fiüTonnant: On efpere; on refpire a peine. Le- voütes ont tremblé! Le Dieu parle!.,. A 1'inftant Le Miniüre approche, & vous rend Votre deftin écrit tuk des feuilles de chêne, Que d'un fouffle emporte le vent. A Rome, on adoroit Jupiter - Stator. Ce furnom lui vient du mot \atin Jlare, qui figniöe s'arrêter, en mémoire de ce que Jupiter avoit tout - a-coup arrêté les Romains fuyant devant les Sabins. On adoroit, dans la même Ville, JupiterLapis, ou Jupiter-Pierre. Cette pierre étoit celle que Rhée avoit mife a la place 6e ce Dieu, & que Saturne apparemment n'avoit pas digérée. 11 y avoit auffi Jupiter -Capitolin, Jupiter-Tarpeïen, paree qa'il avoit un Temple fur le mont du Capi-  sur la Mythologie. 37 tole, & un.autre fnr la roche Tapeïenne. 11 y avoit enfin Jupiter-tonnant, Jupiter * fulminant, Jupicer vengeur, Jupiter Dieu du Jour, Jupiter Dieu des Mouches. Voici a quelle occafion: Hercule faifant un facrifice, fut aflailli par un eflaim de mouches qu'attiroit 1'odeur de la viótime: mais ayant aufil fiicrifié a Jupiter , les mouches s'envolerent ; ce qui fit tant d'honneur au Roi du Ciel, qu'il en conferva le nom. Mais le titre le plus illuftre de Jupiter eft celui d'Olympien, paree que le mont Olympe étoit fon féjour ordinaire. C'eft la qu'on célébroit en fon honneurlesjeux Olytrpiques , fi fameux autrefois dans 1'univers, & dont je dois vous entretenir» On repréfente le Roi des Dieux affis fur fon aigle ou fur un tröne d'or , au pied duquel font deux coupes qui verfent le bien & le mal. Son front eft chargé B 7  38 Lettres de fombres nuages; fes yeux menagans brillent fous de noirs fourcils; fon menton eft couvert d'une barbe majeflueufe. IJ tient Je fceptre d'une main; de 1'autre, il lance la foudre. Les Vertus fiégent k fes cötés. Les Dieux tremblent en fa préfence; Les Déeffes même, dit-on, Prés de lui gardent le filence; Mais ce n'eft qu'une fiftion; Ceci foit dit, ne vous déplaife, Entre nous deux par parenthefe. On le revêt aufli d'un manteau d'or. A ce propos, 1'on rapporte que Denis, le tyran, le lui fit óter , en difant qu'il étoit trop chaud pour 1'été, & trop froid pour 1'hiver. II lui fit préfent, a la place , d'un habit des quatre faifons..... Adieu. Pour un jour, c'eft trop babilier; Je fais qu'il n'appartient qu'aux Belles De pouvoir, fans nous ennuyer, Eternifer les bagatelles.  sur la Mythologie. 39, Je reconnois donc mon infuffifance a eet égard, & je finis. Cependant, Lorfqu'on finit de vous écrire, Le cceur dit toujours: c'eft trop tót; Car, avec vous il a beau dire, Ce n'eft jamais fon dernier mot.  4° Lettres LETTRE V. On vous a parlé quelquefois De css Joütes, de ces Tournois, Oü, la lance eaarrêt, la vifiere baifTée, Nos Chevaliers brülans & de gloire & d'amour, Combattoient pour faire la cour A la dame de leur penfée, Qui payoit ordinairement Un oeil, un bras de moins, une jambe cafTée, D'un braflelet ou d'un ruban. Tels étoient a peu prés les jeux Olympiques fi célebres autrefois; excepcé que Ia gloire feule y devoit animer les combattans, car les femmes en étoient exclues fous peine de la vie. Mais, malgré cette loi févere, quelqaes • unes s'y rendirent en babit d'homme. Plufieurs même oferent entrer en lice, & ayant remporté le prix , elles ouvrirent aux femmes Ia barrière des jeux Olympiques. Depuis ce temps, 1'Amour y fut aifocié avec la Gloire. La Religion s'y trouvoit aufïi intérelTée;  sur la Mythologie. 41 ®ar ces jeux étoient toujours précédés & fuivis d'un facrifice en 1'honneur des Dieux, & particulierement d'ApoIlon. On ouvroiü enfuite la carrière préparée pour la Courfe, la Lutte, le Cefte, le Difque & les différens tours de force & de fouplcffe. Dans le principe, la courfe n'étoit que d'une ftade, c'eft - a - dire, d'environ fix cents pas. Les prétendans couroient a pied, armés de toutes pieces Mais a la neuvieme Olympiade, la ftade fut doubiée. On établit alors Ia courfe des chevaux , & a la vingt-cinquieme, on y joignit celle des chars. Cynifque, rille d'Archidamas, Prince de Macédoine, en remporta le prix. Excitées par eet exemple, les autres femmes Macédoniennes femirent furlesrangs, & mériterent plufieurs fois la couronne de myrthe, de chêne ou d'olivier. Vos viftoires font plus paifibles; Elles ont fioins d'éclat, mais bien plus de douceur?Vous' demptez notie orgueil, vous neus rendez - - fuifibles;- ...  42 Lettres Vous infinuez dans nos cceurs La tendre bumanité, la conltance, les mceurs. Plus purs quand nous cédons aux pouvoirs de vos charmes, Et plus dignes de vous quand nous fommes vaincus, Prés de nous la candeur, 1'amitié font vos armes, Et vos triomphes nos vertus. Revenons aux jeux Olympiques. La Lutte fuccédoit a la Courfe. Les Lutteurs combattoient nuds. On leur frottoit d'huile les membres & le corps pour leur donner plus defouplelfe, & lailTer en même-temps moins de prife a leurs adverfaires. Alors ils entroient en lice, «Sc fe faififlant étroitement, ils effayoient, par force ou par adreiTe, de fe renverfer, jufqu'au moment oü 1'un des deux plioit & tomboit fur les reins. Le Cefte étoit de tous les exercices le plus pénible & le plus dangereux. Les combattans étoient armés de gantêlets, compofés de plufieurs cuirs plombés, appliqués 1'un fur 1'autre, & dont un feul  ÏUR IA MïTHOiÖGIE. 43 coup porté fur la tête, fuffifoit pour aiTommer. D'ailleurs, on fe permettoit les moyens les plus violens pour triompher de fes adverfaires. Arrachion ayant vaincu tous les fiens, a 1'exception d'un feul, celui-ci Ie jeta par terre& 1'étrangla. Mais, par un efFort de défefpoir & de rage, Arrachion, expirant a fes pieds, lui mordit 1'orteil, & le rompit. La douleur fut fi vive, que le vainqueur demanda grace, & 1'on pofa la couronne fur la tête d'Arrachion, qui n'étoit plus. Cette victoire eft noble & belle: Mais chez les Morts de quoi fert • elle 9 Le Difque étoit un palet de pierre ou de métal, dont la forme & la pefanteur varioient au gré des concurrens. L'avantage de eet exercice étoit de procurer en même-temps la force & 1'a-plomb. Le vainqueur étoit celui qui, d'un pied fe te-  44 Lettres nant en équilibre fur la pointe d'un cóne, jetoit fon difque a la plus grande diflance. Ces jeux fe terminoient ordinairement par quelques au tres, qui exercoient toura-tour la vigueur, 1'adreffe & la légéreté. Les Juges qui décernoient le prix, étoient au nombre dë neuf. Ils faifoient un noviciat de dix mois, avant de monter fur le Tribunal, & juroient folemnellement d'obferver les loix de 1'équité la plus ngoureufe. Mais lorfqu'une aimable Couriere Touchoit au bout de Ia carrière Au irêine irjftant que fon rival, Qae 1'arrêt étoit difficile ! Si i'efprit eft impartial, Le cceur n'eft-il jamais fragile? L'établiiTement des jeux Olympiques eft attribué a cinq freres, nomme's Daiïiles ,* mot qui défigne leur nombre & leur union. * b'affilos fnom grec) fignifïe doigr.  sür la. Mythologie. 45 Ces jeux fe célébroient tous les cinq ans; & ces intervalles ont fervi, durant plufieurs fiecles,d'époquespour laChronologie. Par leurs fêtes autrefois Nos peres datoient leurs années, Comme je date mes journées Par celles oü je vous vois. Ainfl, au lieu dedire, comme aujourd'hui 1'an mil fept cent, &c. on difoit: la première, la feconde année de la vingtieme, de la trentieme Olympiade. Par exemple, j'aurois dit alors de vous; Votre jeune cceur murmura Dès fa première Olympiade; A fa deuxieme^ il foupira; Dans fon cours, il tomba maladij La fievre enfin fe déclara Le premier jour de la troifieme: Mais 1'Hymen, par un Talifaian Qu'audoigt il vous mettra lui même, Doit vous guérir fubitement Deux ans avant la quatrieme. Cela fignifieroit, en ftyle moderne, que.  46 Lettres vous avez éprouvé a cinq ans lepenchant; a dix ans, le defir; atreize ans, lebefoin; a quinze ans, le tourment d'aimer, & que vous ferez mariée a dix-huit ans. J'en fouhaite autant a toutes vos contemporaines. Mais ce vceu que fïncérement Je forme pour leur hyménée, Reffemble, malheureufement, Aux vceux de la nouvelle année. Les Athletes qui fe diftinguerent le plus aux jeux Olympiques , furent Théagène, Euthyme, Milon & Polydamas. Théagène , né k Thafe, petite Ville voifme de Lacédémone, remporta douze fois le prix: fes compatriotes lui dreiTerent une ftatue. Mais un de fes envieux allant toutes les nuits la fuftiger, elle tombafur lui, & 1'écrafa. Les enfans du mort citerent la ftatue devant le juge; car la loi de Licurgue ordonnoit de punir, même les chofes inanimées, de tout crime attenta-:  sur la Mythologie. 47 toire k la vie & au repos des Citoyens. Ah! que cette loi n'eft • elle encore en vigueur! Je profcrirois ces voiles, cette gaze, Dont Ie perfide tranfparent Nous aiguillonne & nous embrêfe D'un feu toujours plus dévorantj Et ce corfet qui difïïmule Des charmes qu'il fait trop fentir, Et cette friponne de mule, Dont la forme nous fait mourir D'incertitude & de plaifir. Le Juge Lacédémonien condamna la ftatue a être jetée dans la mer; mais la famine ayant fuivi deprèsl'exécutionde eet arrêt, les Thafiensconfulterent 1'Oracle, qui leur ordonna de repêcher & de rétablir ce monument; & depuis ce temps, Théagène fut mis au rang des demi - Dieux. Euthyme mérita le même honneur voici a quelle occafion: UlyiTe, dans le cours de fes longs voyar  5 48 Lttt r e* s ges, étant abordé a ThémeiTe, ville d'Italië , un de fes compagnons, qui avoit violé une jeune fille, fut maJTacré par les habitans, & le Roi d'Itaque, inftruit de fon crime, le rembarqua fans lui rendre les devoirs funebres. Bientöt 1'Efprit du mort, privé de fépulture, porta le ravage & la défolation dans Ja campagne.... Je n'ofe cependant vous garantir ce fait, car tous les revenans me font fort fufpefts, Notre Efprit du rivage fombre Revient il après nous, revêtu de notre ombre ? . Je n'en crois rien; & même, fur ce point, De Dofteurs je fais un grand nombre Dont 1'Efprit ne reviendra point. Quoi qu'il en foit, 1'Oracle confulté promit aux habitans que 1'Efprit s'appaiferoit, pourvu que, chaque année, on lui abandonnat la plus belle fille du canton. Je foupconne qu'en ce myfiere L'Oracle avoit fes intérêtsl IJjje Vierge raïve, è I'ceil vif, au teint frais, Qufrougit en cachant fes timides attraits, Eft  sur La-.Mythologie.- 40 Comme Ia rofe printannlere, Efl une riche offrande! Mais Qu'eft- ce qu'un Efprit en peut faire ? Les Thémeffiens payoient pour la üroifieme fois ce fatal tribut, lofqu'Euthyme, déja célébre par un nombre fde vicloires remportées aux jeux Olyrapiques, arriva dans ces contrées. Ce héros combattic 1'Efprit, le fit évanouir & délivra 1'aimable viftime, dont il obtint enfuite le cceur & la main. Plus célébre encore, mais plus malheu. reux, Milon de Crotöne furpalTa tous les Athletes de fon temps. On le vit aux jeux Olympiques, charger fur fes épaules un taureau de deux ans, le porter au bout de la carrière fans reprendre haleine; raffommer d'un coup de poing, & le manger le même jour. Ce trait fuffit pour vous donner une idéé de fa force extraordinaire.' Mais ces faveurs particulieres, que I3 Nature nous accorde quelquefois, ne font. pas de longue durée. C  $0 Lettres Le Temps emporte, dans fon cours, Et nos forces & nos amours. Au moment oü 1'Homme commence, La Vieilleffe vient 1'avertir Qu'il eft déja temps de fioir, Et bientót de fon exiftence II n'a plus que le fouvenir. Milon, dans un age avancé, fe promenoit feul au milieu d'un bois écarté. II apper«cut un arbre que le vent avoit fendu en 1'agitant. Se rappellant alors fon ancienne vigueur, il ellaya d'en féparer les éclats; mais le bras de Milon avoit vieilli. L'arbre s'étant entr'ouvert a la première ftcomTe, fe referma. Tous les efforts de 1'Athlete ne purent le dégager de cette étreinte fatale, & le vainqueur des jeux OJympiques, attendant la mort dans un défert, y devint !a proie des bêtes féroces. Polydamas, fon rival & fon ami, périt d'une maniereauffi tragique. Cet Athlete, •èans fon enfance, avoit étouffé, fur le mont Oiympe, un lion monftrueux; d'un  sur la Mythologie. rj feul coup ilaifommoit unhomme; d'une main il arrêtoit un char attelé de fix courfiers. Un jour, tandis qu'il buvoit dans une grotte avec fes amis, la voute s'ébranla, & les convives prirent la fuite. Polydamas demeura feul; & comptant fur fes forces, il voulut foutenir cette maffe énorme. Mais le rocher, en s'écroulant, 1'écrafa de fa chüte. Telles font les fuites funeftes de Ia préfomption. Le fage évite le danger; le téméraire le brave & fuccombe. II y a déja quelques années que j'en ai fait I*ex3 périence. Bien prémuni contre fes traits, J'avois juré, dès mon enfance, D'agir avec tant de prudence, Qu'Amour ne me prendroit jamais. Je difois: „ C'eft une folie „ De s'amorcer a fes appas:" Mon ccEur n'en difconvenoit pas Avant de connoiue Emiüe. C 2  52 Lettres Ainfi, je n'avois pas quinze ans, Lorfque je déclarai la guerre Au pedt prince de Cythere : II en rit fort a mes dépens, Et dit aux Amours d'Idalie: „ S'il nous livre quelques combats, 4) Nous lui ferons mettre armes bass „ Par 1'entremife d'Emilie." Son plan étant ainfi dreffé, Jl me tenta par la Franchife, Et fe mit dans les yeux de Life; J'en fus légérement bleffé. Je la trouvois affez jolie; J'aimais fon ingénuité; J'admirois fa naïveté; Mais qu'étoit- ce au prix d'Emilie* L'Amour, comme on peut bien penfer, Ne fe rebutant pas encore, Sur les levres d'Eléonore Fut adroitement fe placer: II crut fa puiffance établie: 11 triomphoit!... II fe trompa; Mon cceur fit tant qu'il s'échappa; Mais il me gardoit Emilie. Cependant, fier de mes exploits, Moi même j'admirois ma gloire.  sur la Mythologie. SS Enflé de ma doublé viftoire, Je la prónois a haute voix. Qu'aifément un vainqueur s'oublie ï Je leve les yeux par malheur..,. Adieu ma gloire, adieu mon coeurj Adieu!... J'ai vu, j'aime Emilie. J'eufTe autrefois craintde la voirï Mon orgueil timide & rebelle, Méprifoit les yeux d'une belle: Mais il redoutoit leur pouvoir.... Comme a fon gré 1'Amour nous plie t Comme il change nos fentimens! Je regrette tous les momens Que j'ai paffé loin d'Emilie. Héros, modernes Scipions,* La conftance de votre rnaicre N'eftt pas tenu long-temps peut-être En pareilles occafions. Je fais tout ce qu'on en publie: C'étoit un cosur!... Je le veux bien; Mais il ne faut jurer de rien, Avant de connoitre Emilie. * Célébre par ft modefte retenue. C 3  Lettres LETTRE VI. No tre fexe fe plaint des caprices du vótre, Et fur - tout les Maris. Ont-ils tort ou raifon? Pour qui vous connoit bien, c'eft une queftion Qu'il eft bon de lattier décider par un autre. Ainfi, je ne me mêlerai point des querelles de Jupiter & de Junon. L'on accufe celle - ci d'aigreur , d'orgueil, & fur- tout de jaloufie. Je vais vous en citer un trait entre mille: Jupiter aimoit Io, fille d'Inachus. Io n'étoit pas ingrate; Jupiter étoit fidele. Cette fidélité-la étoit une infidélité pour Junon. Furieufe, elle defcend du Ciel, & s'approche furtivement de la retraite des amans. Mais Jupiter la prévient & change Io en vache. Junon, fe doutant de la métamorphofe, demande cette vache k fon mari, qui la lui confie a regret, &  sur la Mythologie, 55 la Reine en donne la garde a fon fidele Argus. Le fleur Argus avoit cent yeux: Leur fecours lui fut inutile; L'Amour en voit plus avec deux, j Que la Jaloufie avec mille. Argus ne dormoit jamais qu'a moitié. Mercure vint le trouver. Les uns difent qu'iï lui joua, fur fa fiute, plufieurs airs de Mufique ancienne; d'autres, qu'il fei lut un opéra nouveau; fi bien qu'enfin il 1'endormit tout-a-fait, &luicreva tous fes yeux. Junon, défefpérée, le changea en paon , & conferva fes yeux fur fon plumage. Depuis ce temps, elle attela deux paons k fon char. Cependant Io , tourmentée par les Furies , traverfa la Méditerranée, & arriva en Egypte, oü Jupiter lui rendit fa première forme. Ce fut la qu'elle mie au jour Epaphus: elle y fut depuis adorée fous le nom d'Ifis, & repréfentée fous C 4.  5°" Lettres. h forme d'une femme ayant une tête de vache. Junon bouda long-temps. Jupia n'en fit que rire, & publia qu'il alloit époufer Platée, fille d'Afope. A cette nouvelle, Junon, hors d'eliemême, accourt, fe jette fur la nouvelle fiancée, & lui arrache fes vêtemens, fous lefquels elle trouve un tronc d'arbre, avec une figure de poupée. Après un moment de dépit Dévorant fa honte fecrette, Elle rougit: Jupin fourit Un baifer, voila la paix faite. Vulcain, feul fruit de leur union, dut fa naiffance a ce raccommodement. C'eft avec raiion fans doute, que 1'on accufe Junon de jaloufie ; mais tout le m®nde rend juftice a fa fagelTe. Cependant,  sur la Mythologie. 57 Quoique d'une vertu févere Armée autrefois jufqu'aux dents, Elle fit deux petits enfans Dont Jupin ne fut pas le pere. Elle avoit toujours été ftérile; mais, fui vant 1'avis de fon Doéleur, ayant mangé, au banquet de Jupiter, un plat de lauwe fauvage, elle con^ut Hébé, dont elle accoucha fur - le - champ. Hébé fut l'aimable Déeffe De la frakheur, de Ia jeuneffe: Sa main, a la table des Dieux, Verfoit Ie neéter a Ia ronde; Mais elle favoit encore mieux, Par le doux éclat de fes yeux, Enivrer les Maltres du Monde. Non contente de ce miracle, Junon vonkt en effayer un autre. Jaloufe de ce que Jupiter avoit feul enfanté Minerve, elle confulta la Déeife Flore fur le moyen d'en faire autant. Celle - ci lui montra une fleur dont le fimple attouchement devoit eifecC 5  58 Lettres tuer fon projet. Junon la toucha, & Mars \vint au Monde. II exifte encor une fleur Qui renouvelle ce prodige. Des que 1'Hymen la touche, auiïï-töt elle meurt; Mais on voit naitre de fa tige Une Grace enfantine, aux yeux tendres& douXj ■Ou bien un jeune Amour fans carquois & fans alles. Ainfi les defcendans des Héros & des Belles, De fleur en fleur font venus jufqu'a nous. Quoi qu'il en foit, le lieu oü Junon jouiiToit de toute fa gloire, étoit la ville d'Argos. On y célébroit les fêtes par le facrifice d'une hécatombe, c'eft-a-dire, de cent taureaux. La DéeiTe étoit repréfentée fur un char brillant, trainé par deux paons. Elle avoit le fceptre en main, & Je front eouronné de lys & de rofes. Pres de fon Temple couloit une fontaine dont elle prenoit les eaux tous les ans. On nous vante beaucoup les eaux de Spa, de Forges & de Plombieres. Elles arenden!, dit-on la fanté; mais celles  sttr la Mythologie. 5^ d'Argos rendoient la jeunefle & la virginité. Comment cette fource ■ la s'effc - elle perdue! Si tu pouvois, merveilleufe fontaine, Reprendre un jour ta fource dans Paris, Que Je rainois ridés & défleuris Renonceroient aux ondes de Ia Seine! Que tes ruiffeaux bientöt feroient taris! Pour les Amours quelle agréable aubainei O Mahomet! mieux que ton Paradis, Paris feroit le féjour des Houris. Si, comme on dit, ta baguette efl certaine, Mon cher Bletton, au nom de ma Cloris, Quand nous aurons tous deux Ia cinquantaine» Découvres-nous cette heureufe fontaine. Revenons aJunon: ellepréfidoit furtous aux mariages & aux accouchemens, fous le nom de Lucine. Les fêtes que 1'on eélébrok a Rome en fon honneur, étoient ap^ pellées les Lupercales. Alors deux ou trois cents bandits, N'ayant que leur peau pour habits,! 'Couroient, avec des cris farouches9 Chez les époufes des Romains, C 6  Co Lettres t Leur fjappaut Ie ventre & les mains, Pour empêcher les faufles couches. L'inflrument avec lequel ils donnoient cette efpece de difcipline, étoiu une peau de chevre qu'on prétendoit avoir fervi de vêtement a Junon. J'oubliois de vous parler d'Iris, fa confidente & fa melTagere. La DéelTe, contente de fes fervices , la tranfporta aux Cieux. Elle lui donna des alles, & la revêtit d'une robe violette, dont 1'e'clat tracé, dans l'air, un fillon de lumiere,que 1'on appelle 1'Arc • en - Ciel. Ainfi, Vers la fin d'un beau jour, ou bien après l'orage, Lorfqu'il vous arrivé de voir Un are étincelant briller fur un nuage, N'en concevez jamais un finiftre préfage; Dites-vous feulement: C'eft Iris qui voyage: Junon apparemment donne a fouper ce foir. Quant a vous, Emilie, foyez aiTurée que,  sur la Mythologie. ci Si vous étiez Iris, & fi Dame Junon, Par caprice, daignoit me faire L'honneur de m'inviter a fouper fans facon, J'oublirois 1'invitation, Pour inviter la meffagere. C 7  Cl Lettres LETTRE VII. U N beau matin, Jupiter; accablé d'un violent mal de tête, ordonne a. Vulcain de lui fendre le cerveau, & Minerve en fort armee de pied en cap. Aujourd'hui le front des hommes n'ac» couche plus; mais on prétend qu'il indique fouvent, par de certains lignes, que leurs femmes font accouchées. Au refte , je tiens cette découverte de fort mauvais plaifans. Minerve, en nailTant, prit les Arts fous fa protecïion. Elle inventa 1'écriture, la peinture & la broderie. Vous dont la main tracé, dans le filence, Ces tendres riens, ces doux épanchemens, Ces petits foins & ces heureux fermens, Qui de robj'et dont vous pleurez 1'ablence, ■Secrétement voas rendent la préfence*  sur la Mythologie. 63 Et vous dont fait, variant les couleurs Dans une ovale, aux traits de votre amie Semble donner une feconde vie; Vous qui couvrez de baifers & de pleurs Ces traits chéris que Ie vélin conferve, Jeunes Amans rendez grace a Minerve. C'eft fur-tout pour la tapiflêrie que cette Déefle avoit une adrefle particuliere. Aufli en étoit • elle fort jaloufe. Arachné, habile ouvriere, ayant prétendu l'égaler3 recut un coup de navette fur les doigts, & fut changéeen araignée. Les talens qu'elle a confervés fous cette nouvelle forme, font regretter ceux qu'elle ent autrefois. Minerve étoit anfli Muficienne. Elle jouoit de la flüte; mais comme eet inftru. ment lui gatoit la bouche & la poitrine, elle le jeta dans une fontaine, a laquelle elle puifoit de 1'eau pour fe rafraichir.... Ah! que nos moeuxs font loin de celles denosperesj Le fexe, en ce temps-la, privé de nos lumieres, N'avoit pas Ie moindre foupcon De 1'éüquette & du bon ton.  é>4 Lettres Aujourd'hui, par la politefië, Nos ufages font embellis: Par exemple, la Déefle Des Arts & de la fagefle, Pour fa poitrine, jadis, Buvoit de 1'eau pure, tandis Qu'une Déefle, a Paris, Auroit pris le lait d'anefle. Vous penfez bien que Minerve ne resfembloit pas a nos Parifiennes. On la repréfente le calque en tête, la lance a la main, le fein couvert d'une cuirafle & Ie bras armé de fon égide, fur laquelle on voit la tête de Médufe. Médufe, pour fon malheur, étoit laplus belle des trois Gorgones qui régncient enfemble dans les ifies Gorgades. Neptune , épris de fes charmes, n'ayant pu la fléchir, la viola dans le Temple de Minerve. La Déefle outragée, changea les cheveux de Médufe en ferpens, & fit graver, dans la fuite, fa tête fur' fon égide.  sur la Mythologie. 6$ L'air menagant de la Gorgone,. Son front & fes yeux courroucés y Et fes ferpens entrelacés, Infpirent 1'effroi de Bellone. Quelquefois le cafque de Minerve efl; furmonté d'une chouette, &l'on place auprès" d'elle, tantötuncoq, fymbole du courage, & tantöt un hibou. C'efl en eet oifeau qu'elle changea Nióliriene, qui avoit eu un commerce inceftueux avec fon pere. Le malheur de Nictimene & de Médufe, attefre la pudeur de Minerve. Elle en donna une autre preuve aux dépens de Tyréfias qu'elle aveugla, paree qu'il 1'avoit vue au bain. Pour vsnger vos appas, 11 je perdois la vue, Eelle Emiiie, après les avoir vus, Je m'en confoleroïs. Je ne vous verrois plus; Mais je n'oublirois pas que je vous aurois vue. On fe perfuade aifément que Minerve refla toujours Vierge. Pour moi, je n'ofe afliirer ni combattre une opinionaufli déli-  66 Lettres cate. Tout ce que j'en fais, c'eft que Minerve, ainfi que Vefta, prélidoit a la virginité. Pour célébrer fes fêtes, les demoifelles de ce temps-la fe partageoient en difterentes brigades, armées de pierres & de batons; puis on fonnoit la charge, & elles fondoient avec fureur les unes fur les autres, La première qui périflbit dans l'a&ion, étoit regardée comme infame; & 1'on jetoic ion corps a 1'eau, tandis que 1'on reconduifoit en triomphe celle qui, fans avoir fuocombé, fortoit du combat avec le plus de bleflures; ainfi, les attraits les plus illuftres de ce pays, étoient fans doute les plus cicatrifés. Ces fêtes établiesdans la Libië, au bord du marais Tritonien, furent, a ce qu'on croit, transférées a Athènes lorfque Minerve donna fon nom a cette Ville. Neptune lui avoit difputé eet honneur. Pour terminer leur différend, ils convinrent  sur la Mythologie. 67 que le parrein de la Ville naiüante, feroit celui des deux qui produirok la chofe la plus utile a fes habitans. Neptune créa le cheval, Minerve 1'olivier. L'olivier eut le prix. Je le lui aurois auffi donné, car eet arbre efl; le fymbole de la paix. Lorfque 1'on vous aime, on préfere En fecret Ie myrtbe au laurier; Et le myrthe ne croit guere Qu'a 1'ombre de l'olivier. Minerve avoit un Temple dans la citadelle d'Athènes, & un autre dans celle de Troye. C'eft la qu'elle étoit adorée fous le nom de Pallas, comme préfidant aux combats. Les Troyens gardoient précieufement fa ftatue, qu'ils appelloient lePalladion. Cette petite figure étoit faite des os de Pelops, ancien Roi du Péloponefe; on la faifoit remuer comme un Pantin, en touchant un reflbrt caché , ce qui infpiroit beaucoup de vénération aux bonnes femmes Troyennes. Les Troyens euxmêmes la regardoient comme le gage de  „ pire. Par-tout on m'élevoit des Tem„ pies. Celui d'Ephèfe étoit digne de 4, moi. Jamais le génie des hommes ïf en» fanta un plus bel ouvrage. En Tan*  82 Lettres „ ride, les habitans faifoient fumer Ten„ eens, & couler le fang humain fur mes „ Autels. Les Athéniennes me confa„ croient leur virginité, J'étois au comble „ de ma gloire, & je defirois encore. J'en 9, ai connu depuis la véritable raifon : „ Des hommages, quoiqu'on foit femme, „ On fe fatigue au bout d'un jour: „ La Vanité chatouille 1'ame, „ Mais ne remp'ace pas 1'Amour. Prés de la ville d'Héraclée, je vis le „ Pafteur Endymion. II étoit jeune. Ses „ yeux étoient auffi tendres que les fen„ timens qu'ils infpiroient, II n'eüt ofé „ s'élever jufqua moi; je m'abaiffai juf. „ qua lui: car, mon enfant, lorfque ,} 1'on aime, „ C'eft en vain que 1'on fe prévaut „ De fon rang & de fa noblelTe; „ Du même trait quand il nous bleffe, „ Cupidon nous met de niveau. ?, Le Myftere préfidoit a notre bonheur;  eur la Mythologie. 83 „ mais le Myftere trahit quelquefois „ 1'Amour. Lorfque j'étois auprès d'En„ dymion, je trerhblois fouvént qu'on ne découvrit le motif de ma retraite. En„ fin, le Hafard me fervit heureufement. „ Apollon , mon frere, las d'éclairer „ le Monde, pendant lejour, déclaraau „ maitre des Dieux, qu'il ne pouvoic „ remplir le même miniftere pendant la „ nuit. Mon frere, pour ce refus, avoit „ fes raifons fecrettes: Thétis le retenoit „ auprès d'elle; mais ce qui nuifoit a fon „ amour, pouvoit être favorable au mien. „ Je me préfente donc, & demande 1'hon„ neur qu'Apollon venoit d'abdiquer. Ju3, piter me 1'accorde, me place un crois„ fant * fur la tête, & me donne le furj, nom de Phoebé. Auffi-tötje mon te fur „ le char de la Lune, faifis les rênes, & „ parcours ainfi 1'Univers, traïnée par mes deux courfiers, noirs & blancy» * Le croiffant eft 1'amïbut de Diane. D 6  84 Lettres Chaque nuit, leur courfe fe rallentiffbït „ vers le fommet du mont Lathma. C'eft „ la que je retrouvois mon cher Endy■j, mion. Alors je defcendois de mon char, „ Un nuage aux Moreels déroboit mon abfence. •3, Au milieu de la nuit , dans ces vaftes déferts, ;„ La Nature a l'Amour fembloit prêter filence : „ Tout dormoit; noscceurs feuls veilloient dans I'fJ„ nivers. .„ Jufqu'a préfent nous fommes heureux, „ & notre tendreflè n'a pas été ftérile. „ A nos vceiix le Dieu d'hyménée, ["' „ Tous les ans, accorde un enfant; -„ Et graces a lui cette année , „ J'ai completté le demi-cent. * ;„ Allez donc , continua Diane ; allez , „ ma chere fille. Ne redoutez plus ma „ colere. Gardez votre ceinture,& fervez-vous de ces fleurs pour couronner * Paufanias rapporte que Diane & Endymion eurertt -cinquante fiHes, & plufieurs fils.  STJK LA MYTHOLOGIE. 85 votre Endymion." A ces mots, elle difparut. Adieu. Diane eut aTAmour Ie temps de ré'fiéch'ir. Une Déefle eft toujours belle. Mais vous qu^a dix-huit ans ce Dieu ne peut fiéchir, Souvenez-vous que vous ête's mortelle. ©7  Lettres L E T T R E X. JliNFiN, renoncant aux Amours, Jupiter, devenu fidele, Pour fa moitié , depuis huit jours, Brüloit d'une ardeur éternelle. Sur le foir du huitieme jour ilfepromenoit prés d'un bois folitaire; la il admiroit, avec plaifir, la conflance prodigieufe que Junon lui avoit infpirée , lorfqu'il rencontra deux jolies pucelies. Pucelles? Je n'en fais rien; Mais elles en avoient 1'age, Les tréfors & le corifage, La frakheur & le maintien. C'étoientLatone & Aftérie, filles du Titan Cceüs. Jupin les falue & leur parle. Les deux fosurs rougiflent; mais comme les caracteres font dirférens, Aftérie s'enfuit, & Latone refta.  suu.la Mythologie. „ 87 Des deux partis, en pareil cas, Souvent le raeilleur eft funefte: Si 1'on fuit, gare les faux-pas! Mais c'eft encore pis, il 1'on refte. En effet, Aftérie tomba danslamer, & Latone devint enceinte. Junon outrée de dépit, fufcita contre celle - ci le ferpent Pithon, qui la pourfuivoit fans relache. Latone ne pouvoit trouver de refuge contre ce monflre, La Terre avoit juré a Junon de ne point donner d'afile a fa rivale. Mais depuis ce ferment, Aftérie, dont le corps erroit a la merci des fiots, avoit été changée en Ile par Neptune, qui lui avoit donné le nom de Délos. Cette ile étoit flottante. Cependant Latone arrivée au bord de la mer, ne pouvoit plus échapper aux pourfuites du Monflre, Alors file de Délos flotte vers elle, la recoit & s'éloigne du rivage, Durant cette nouvelle navi* gation,  83 L E T T 11 E S Neptune la confie au fouffle du Zéphire; II veut que les Amours en foient les Matelots.; Et le nis de Vénus vient au milieu des flots Prendre le gouvernail de fon nouvel Empire. Latone feule dans eet afile, fe fit une cabane de branches de palmier. Loin des hommes trompeurs, loin des femmes jalou» fes, elle y vivoit heureufe. Aux maïheureux la folitude eft chere; Elle eft pour eux 1'afile du bonheur. Mais au moment fatal oü la douleur, Des fruits d'hymen funefte avant-couriere, Vient avertir la Beauté qu'elle eft mere, Dins ce moment plein d'amour & d'horreurs Qu'il eft cruel de n'avoir, fur la terre, Pas une main pour efliiyer fes pleurs.' Telle' étoit la détrefie oü Latone fe trou■voit réduite. Mais la Nature lui fuggéra des forces. Elle s'appuya fortement contre un tronc d'arbre, & parvint a enfanter Diane. Celle-ci, comme fille de Jupiter, ayant la fcience infufe, aida fur-le champ ,fa mere a mettre au jour Apollon,  sur la Mythologie. 89 Epuifée par cette couche laborieufe, Latone s'endormit. Après ces douloureux travaux, Pour la première fois, quand la beauté fommeille, Avec combien de fentimens nouveaux Son cosur agité fe réveille! Durant le repos de Latone, file de Délos fe rapprocha du riVage, & la DéelTe, en s'éveiilant, fe mit en cherain pour rejoindre fon.pere Coeiis. Dans ce trajet pénible & foütaire, Ses deux enfans étoient entre fes bras. Ce doux fardeau ne la fatiguoit pas: L'on devient forte, alors qu'on devient mere. Cependant, pour fe fouftraire aux fureurs jaloufes de Junon, elle précipitoit fa marche; ce qui échauffoit un peu fon lait. Arrivée en Licie, auprès d'un marais, elle demanda de 1'eau aux Payfans qui travailloient fur fes bords. Ceux-ci refuferent de lui en donner. Vous me direz: Que n'en prenoit • elle ? Cela eft; vrai:  9° Lettres mais une femme ne fait point pardonner un refus. Auflj dit-on que Ia Déefle En grenouilles les changea, Pour apprendre la politefle Aux Meffieurs de ce pays-la. Echappée enfin a Ia colere de Junon, Latone élevoit paifiblement Apollon & Diane. Fiere de reconnoitre en eux le fang du Maitre du tonnerre, elle préféroit fes enfans a ceux de tous les Princes voifins. Cet orgueil étoit bien naturel. En effet, Eft-on jolie? a Page de quinze ans, L'on veut régner; c'eft Ia Ie bien fuprême. Devient-on mere, on a pour fes enfans La vanité qu'on avoit pour foi-même. Niobé, fille de Tantale, avoit la même foibleffe que Latone. Elle préféroit fes enfans a ceux de la DéefTe. Ses richeffes & fa puiffance la rendoient encore plus vaine. Latone, indignée de fes mépris,  sur la Mythologie. 91 arme de fes traits Apollon & Diane. „ Allez, leur dit-elle, vengez-moi; mon „ injure eft la votre." Anime's de la fureur de leur mere, ils pénétrent dans le palais de Niobé, & percent, fous fes yeux, fes fils, fes filles & fon époux. Niobé, fuccombant fous ie poids de fes douiuurs, fut changée en un marbre, fur lequel on voit encore couler des larmes. Telles furent les fuitesfuneftes de 1'aveu* glement maternel. Pour vous, aimable Emilie, tranquillifez - vous a eet égard: ; Si vos enfans, un jour, par droit héréditaire Ont vos traits, votre coeur & votre efprit heureux, Aimez-Ies, vantez-les; notre cenfure auftere N'ofera vous blamer d'idolatrer en eux, Ce que nous adorons aujouid hui chez leur mere»  pa Lettres L E T T R E XI. Je vais vous parler du fils de Latone, connu & adoré fous les noms d'Apollon, de Phoebus & du Soleil. H en eft de ce Dieu, comme de Ia Beauté: Sous mille noms divers qu'elle fe renouvelle, Qu'elle foit fur Ie tróne ou dans 1'obfcurité, On 1'adore; c'tft toujours elle. Apollon, dès fon enfance, fut préfenté a la Cour célefte. Jupiter le reconnut; Junon même 1'accueillit. II fut ménager adroitement cette faveur, & devint le Dieu de la lumiere. Apollon conduifoit ce char, Qui, du vafte fein d'Amphitrite, Lorfque je dois vous voir, fort toujours un peu tard, Et, lorfque je vous vois, y retourne un peu vite. Ce fut alors qu'il prit le nom de Phoebus. Mais bientöt,comme tous les Courti-  sur la. Mythologie. m fans heureux, ayant abufé de fon pouvoir, il fut chaifé par cabale, rappellé par intrigue, & devint fage par expérience. Voici a quelle occafion: Vous favez qu'ApolIon eft le Dieu des beaux Arts; & c'eft pour cette raifon que la Fable nous le repréfente fous la figure d'une jeune homme fans barbe. Jupin eft vieux; fonfils, delajeunefle, Malgré le Temps, a confervé les traits. Les Rois, les Dieux ont connu Ia Vieillefie j Les Talens feuls ne vieilliffent jamais. Apollon avoit inventé la Médecine. Efculape, fon éleve & fonfils, exercoit fur la terre eet art miraculeux dans fon principe. Cependant, eet Efculape, malgré fa fcience divine , auroit affez mal figuré parmi nos Doóteurs modernes. II ne marchoit point efcorté D'un lefte & brillant équipage; II ignoroit Ie doux langage Des Beaux-fils de Ia Faculté; ;  04 Lettres II parloit fans point, fans virgule: On comprenoit ce qu'il difoit; Et, pour comble de ridicule, Prefque toujours il guériffoit. I] fit plus; il reflufcita les morts. Mais ces prodiges lui coüterent la vie, On fit entendre a Jupiter qu'Efculape ufurpoit fon pouvoir fuprême, & le Roi des Dieux le frappa de la foudre. Sa colere fe fignala Par ce chatiment exemplaire. Nos Dofteurs, depuis ce temps - la, N'ont jamais eu peur du tonnerre. Apollon, défefpéré de la mort de fon fils, vole a 1'ile de Lemnos, pénétre dans les antres de Vulcain, & perce de fes traits les Cyclopes, qui forgeoient la foudre. Vulcain, quoique boiteux, accourt a 1'Olympe, fe plaint amérement de cette violence: Vénus met les Dieux de fon parti; & Jupiter cédant a leurs inftances, précipite Apollon fur la terre.  sur la Mythologie. 95 Le fils de Latone, dépouillé de fes grandeurs, fut réduit a garder les troupeaux d'Admette, & trouva, dans cette vie douce & tranquille, le bonheur qu'il cherchoit en vain a la Cour célefte. Sur 1'émail de ces prés, oü, dès Ie point du jour II menait fes troupeaux, dans le fein de 1'étude II fut cultiver tour-a-tour Son génie & fon cceur. Les beaux Arts & 1'Amour Sont enfans du loifir & de Ia folitude. Mais le talent qui lui devint le plus cher9 fut celui de la mufique. 11 vit Daphné; bientót il inventa la lyre Pour chanter fes amours. Quand on fait bien aimer, C'eft encor peu, pour 1'exprimer, De le foupirer, de le dire, De le chanter & de 1'écrire. Cette lyre, compofée d'une écaille de tortue, & de fept cordes, rendoit & rend encore , fous les doigts d'Apollon, une harmonie enchanterelTe. Cependant,  po" Lettres Chaque fois qu'il me Fa prêtée» Pour chanter vos naiffans appas, J'ai trouvé qu'elle étoit montée Un peu trop bas. Ce fut pourtant au fon de ce divin inftrument que s'éleverent les murs de Troye. Apollon chantoit, & les pierres venoient d'elles - mêraes fe ranger a leur place. On raconte qu'une de ces pierres, fur laquelle Apollon avoit fouvent pofé fa lyre, rendoit un fon harmonieux auffitöt qu'on la touchoit. Si ce prodige vous femble fufpe£t, je vais effayer de vous en convaincre par un exemple qui vous eftperfonnel, Le Ciel ne m'a jamais fait part De votre efprit, de votre grace: Mais fi, par un heureux hafard, Je puis rn'affeoir a votre place, Soudain certain je ne fais quoi M'anime & s'empare de moi: Je fens éclore Ie fourire Sur mes levres, & les bons mots D'eux meines viennent a propos Embellir ce que je veux dire. Je  suk la. Mythologie. 97 je crois donc a la vérité Da fait que je vous ai cité, Perfuadé que la mufique, Tout aufli bien que Ia Beauté, Peut avoir la force éle&rique. Daphné fut infenfible a cette éleclricité. Elle dédaïgna les foupirs & les chants d'Apollon: les uns difent que ce fut par exces de vertu; d'autres foutiennenc qu'elle aimoit en fecret le beau Berger Leucippe; & je fuis allez de leur avis. A dix - huit tns, quand une belle Eft fcurde a Ia voix des Amours, Soyez füre qu'elle a toujours Des raifons pour être crueile. Suivez fa conduite en touslieux; Et de cette énigme nouvelle, Lorfque Lindor eft auprès d'elle, Vous lirez le mot dans fes yeux. D'après ce principe certain, Apollon auroit dü renoncer a fes prétentions; mais efpérant tout du temps & de laconftance, il pourfuivit, une année entiere, Daphné, E  98 Lettres qui fuyoit devant lui. Quelquefois, pour ralentir fa courfe, il lui difoit: „ Cruelle, arrêtez-vous, degrace! „ Je fuis le Régent du Parnafle; „ Je fuis le batard de Jupin, ■ „ Je fuis Poëte, Médecin, „ Apothicaire & Botanifte; „ Je fuis Peintre, Muficien, 9, Exécutant & Symphonifte; ! s, Je fuis Danfeur, Grammairien, ,, Aftrologue, Phyficien; „ Je fuis...." Pour flécbir une belle, Au lieu de lui parler de foi, 11 eft plus adroit, felon raoi, Et plus doux de lui parler d'elle. Apollon ne devoit pas ignorer cela, puifqu'il étoit le Prince & le Dieu des Oraseurs. Mais, hélas! Un pauvre Amant ditce qu'il penfe ,. Sans trop penfer a ce qu'il dit; Le défordre eft fon éloquence: Quand le cceur parle, adieu 1'efprit. AulTi Daphné fut-elle inexorable. Mais enfin, épuifée de laflitude, & fe voyant  sur la Mythologie. 0£> prête a fuccomber, e]le hnplora le fecours des Dieux, qui la changerent en laurier. Apollon détacha de eet arbre une branche , dont il fit Ja couronne qu'il porte encore aujourd'hui. IJ en diftribue quelquefois depareilles aux Talens & au Génie; Et c'eft a ce titre, dit-on, Que Ie jeune Dieu du PerimiTe Vous a déja de fa Maitrefte Mis a part un échantillon. Le laurier avoit deux vertus particulieres; 1'une étoit de préferver de la foudre; 1'autre de faire voir la Vérité en fonge a ceux qui en mettoientquelques feuilles fous leur oreiller. J'ai voulu moi - même éprouver cette propriété ; & voici ce qui m'efl; arrivé la nuit derniere: J'étois prés dè vous, Emilie; Votre teint brilloit des couleurs Dont Ia jeune Reine des fleurs Brille avant d etre épanouie. E 2  IOo Lettres Mes levres brtiloient: un foupir, Et vos yeux daignant m'enhardir, Je vous donne un baifer de flamme, Et j'en recois un dont mon ame Savoure encore le fouvenir. Mais 1'Amour ouvrant ma paupiere, S'envola.... Je fens qu'il n'eft guere Pour nous de falut fans la foi: Je veux 1'avoir; donnez-la moi. Surmontez un petit fcrupule Pour vaincre 1'incrédulité; La moitié de la Vérité Pourroit converttr 1'Incrédule.  sur lx Mythologie. lor LETTRE XII. A pollon pleuroit la per te de Daphné. 11 étoit aflis fous le laurier fatal qui la déroboit a fes yeux, lorfque Clitie vint de ce cöté promener fa mélancolie. Clitie, fille d'Orcharn, Roi de Babylone, n'étoit point régulierement belle. Mais el!e avoit cette paleur D'une jeune & mourante fleur, Qui languit fans être arrofée; Et, pour ranimer fa couleur, Implore, contre lachaleur, Quelques gouttes de la rofée. Elle vit Apollon, rougit & baiffa les yeux. Apollon en fit prefque autant. Ils s'admiroient furtivement tour-a-tour; mais, en s'évitant, leurs regards fe rencontrerent 9 & leur vue fe troubla. Après eet inftant de délire, Les aveux étoient fuperflus. E 3  102 Lettres Hs n'avoient plus rien a fe dire, Et leurs cosurs s'étoient entendus. Ces momens - la s'envolent rapidement. Bientöt la nuit furvint; il fallut fe féparer; mais on fe promit, pour le lendemain , une entrevue auprès du laurier. Quoi! direz - vous, prés de ce même laurier , fous 1'écorce duquel Daphné refpiroit encore! A cela je vous répondrai: Lorfque de la jouiffance Les doux momens font perdus, L'Amour ne fe foutient plus Que par la recounoiüance. C'efl: elle, après les faveurs, Qui rend les Amans fideles. Le fouvenir des cruelles, Et celui de leurs rigueurs, S'envole & meurt avec elles. Le jour fuivant, Clitie voulut tenir fa promeiTe ; mais, comme les premiers pas de 1'Amour font timides, elle fe fit accompagner par Leucothoé, fa fmur. Cette indifcrétion, qui eut des fuites, étoit  sur la Mythologie; 103 impardonnable en bonne coquetterie. En effet, on fait, de temps immémorial, que toutes les belles, Par un art qui n'eft pas nouveau, Choififfent, en femmes prudentes, Singes coëffés pour confidentes, Et pour fervir d'ombre au tableau. Clitie étoit plus tendre, Leucothoé plus vive : 1'une étoit blonde, 1'autre étoit brune. L'une fembloit bercer I'Amour; En foupirant il fommeilloit prés d'elle.: L'autre fémiliante pucelle, Le lutinoit & la nuit & le jour. Le Lutin brüla bientöt pour 1'Amant de fa fceur, &, plus hardi qu'elle, fe trouva feule au rendez-vous. Apollon fut d'abord un peu furpris; mais bientöt la furprife fit place au plaifir, & Daphné, témoin muet de ce tête-a-tête, Vit, avec horreur fans doute, Prouver cette vërité, E 4  loA Lettres Qu'en fait d'iniïdélité, II n'eil, prés de la beauté, Que le premier pas qui coüte. Clitie , qui cherchoit alors fa fceur, Ia troüva mal a propos— Soudain le dépit & la rage s'emparent de cette ame jufqu'alors li douce. Elle vole au palais de fon pere, lui révéle avec fureur le crime de Leucothoé, & le conduit lui - même vers 1'afile des deux Amans. Ils en étoient alors aux adieux. Leucothoé, rattachant fon voile, difoit, les larmes aux yeux: „ Pourquoi faut-il, lorfque 1'on s'aime, „ Mon doux ami, fe défunir „ Et fe féparer de foi-même! „ Jures • moi bien de revenir. „ Adieu.... Je fens que, pour te fuivre, „ Mon cosur s'en va!... Prens ce foupir.... „ Toute la nuit je vaismourir; ,, Mais demain j'efpere revivre." Un baifer termina ces "adieux. Leucothoé  sur la Mythologie. 105- promenant autour d'elle un regard timide, s'éloignoit avec une palpitation eaufee par la crainte & 1'émotion du plaifir, lorfqu'a 1'entrée du bois, elle rencontra fon pere. A cette vue , elle demeura muette, immobile; & le terrible Orcham, ayant pris fon défordre pour la preuve de fon de'shonneur, la fit enterrer toute vive auprès du laurier fatal. Clitie épouvante'e prit la fuite; Mais Ia plaintive Jouvencelle, En voyant creufer fon tombeau, Accufoit la lenteur de la Parque cruelle : „ 11 m'eüt été II doux, s'écrioït-elle, . , „ De mourir un moment plutót!" Le lendemain Apollon fe rendit au bocage," avec un trouble dont il fe demandoit le fujet. Ce n'étoit point ce trouble extréme, Ce friflbn brülant du defir, Heureux précurfeur du plaifir, Plus doux que le plaifir lui. même, E 5  $.g6 Lettres En arrivant, il ne voit perfonne, & foupire. II avance, & porte au loin fes regards dans répaüleur de ce bois défert & filencieux. 11 appelle enfin; 1'Echo feul lui répond. Mais a peinea-t-il pofé le pied fur la tombe de Leucothoé, qu'une voix lamentable, s'élevant du fein de la terre, lui adrefie ces triftes paroles: „ Arrête!... refpefte la cendre De celle qui périt pour t'avoir trop aimé. Tes piedspreflentcecceur tropfacile&trop tendre „ Que tes yeux avoient enflammé. „ Tu foules ces tréfors qu'hier, dans nos ivrefies, 3, Mon fein te prodiguoit avec tant de plaifir, „ Et qui n'ont connu les carefles „ Que de toi feul & du Zéphyr. Penfe a Leucothoé: pour adoucir fa peine, 3, Prés d'eile quelquefois viens nourrir ta douleur; „ Et que fon ame encor jufqu'au fond de ton cocur, „ S'infinue avec ton haleine." Je ne vous peindrai point 1'état d'Apollon. li étoit immobile, anéanti & tel qu'un fcomme frappé de la foudre; mais enfin  sur la Mythologie. ïo? fes pleurs s'ouvrant un paflage, adoucirent 1'amertume de fa douleur; Car après ce moment terrible, Oü des fanglots Ie cours eflrarrêté, Les larmes font, pour toute ame fenfible, Une bien douce volupté! Bientöt ces larmes humeftant la terre, pénétrerent jufqu'au corps de Leucothoé„ & le ranimerent. Ellereparut, mais fousune forme nouvelle , & fon Amant vic naitre 1'arbre qui porte 1'encens. Cependant, Clitie, toürmentée par fes remords, portoit fes pas errans vers le tombeau de fa foeur. A la vue d'Apollon, elle s'arrêta. La douleur & le dépit la déchiroient tour-a-tour; mais le Dieu s'étant éloigné d'elle avec dédain, ce dernier coup termina fon fupplice; Qu'une femme, de ceuxqu'elle a le plus chéris, Eprouve les fureurs, jufqu'au bord de la tombe Elle brave les traits de la haine, & fuccombe Sous les traits du mépris. E 6  'lo8 Lettres Clitie, en expirant, devint une plante fouple & frêle, dont la fleur, fans cefle tournée vers le foleil, femble encore fuivre fon Amant dans fa fuite; c'eft ce qui lui a fait donner le nom de Tourne - fol. Adieu. Je vous ménage, pour demain , d'autres aventures; car la matiere de nos entretiens efl; un tréfor dont je deviens économe. Du bouquet que je vous compofe Durant mes heures de loifirs, Je ne détache aujourd'hui qu'une rofe, Pour multiplier mes Plaifirs.  sur la Mythologie. 109 LETTRE XIIL Loin de nous quand 1'Amour s'envole, Heureux celui qui s'en confole, Entre les bras de l'Amitié! La tendre Déité partage Tous fes chagrins, & le foulage Encore de 1'autre inoitié. Apollon , prés du jeune Hyacinthe, éprouvoit cette douce confolation : fes larmes étoient moins ameres, & la férénité renaiifoit dans fon coeur. Mais Zéphyre, qui avoit été 1'ami d'Hyacinthe , fut bientöt jaloux de fa liaifon intime avec Apollon, & cette jaloufie devint fi violente, qu'un jour les nouveaux amis jouant enfemble au difque, Zéphyre, avec fon haleine, dirigea le difque d'Apollon fur la tête d'Hyacinthe, & le tua. Le fang qui coula de fa plaie produifit Ia E 7  110 Lettres. fleur qui porte fon nom, & qui naït a la fin de 1'hiver. Avant le retdur de Flore, Elle s'emprefle de fleurir, Pour éviter encore L'haleine du Zépbyr. Dégoüté de 1'Amitié , Apollon revint a 1'Amour, & foupira pour la Nymphe Perféïs. Elle étoit fille de 1'Océan; c'efl> a-dire, que 1'on ne connoiflbit point fon pere. Les Généalogiftes, de ce temps la faifoient defcendre de la Mer ou des Fleuves les Héros Sc les Nymphes dont 1'origine paroiflbit équivoque. Si cette généalogie étoit admife de nos jours, Ah! que la Seine, dans ces lieux Oü 1'humaine engeance fourraille, De Nymphes & de Demi-Dieux Axiroic une belle familie! La Nymphe de 1'Océan, comme celle de la Seine, ne fut pas long-temps cruelle, Sc devint mere de la célébre Circéj  sur la Mythologie. iu Circé qui rendit des oracles, Et qui, par fes enchantemens, En bêtes changea bien des gens, Sans opérer de grands miracles. Tous les foirs, en allans vifiter fon petit ménage, Apollon Iaifibit au jeune Cyparis le foin de fon troupeau. Cet aimable enfant occupoit dans fon coeur la place du malheureux Hyacinthe. Apollon lui parloit fans cefTe De fes chagrins, de fa Maitrefle, De ces p'aifirs qu'il eft- fi doux de raconter, De détailler, de répéter; Quand nos amis ont, par délicatefie, Le fang-froid de nous écouter. Aprèsces longuesconfidences, ilfembrasfoit & alloit revoir Perféïs : mais, par malheur, la Nymphe Bolina fe trouvoit fur fon paffage , & le Dieu n'étoit pas infe'nfible au defir de lui plaire. II lui parloit le doux langage Des yeux, des mines, du maintien, Que nos dames favent fi bien Comprendrs par le grand ufage?  ïia Lettres Mais la Nymphe, innocente encore, quoiquelle eüt quinze ans, n'entendoit rien a ces difcours muets. A la fin, Apollon, pour fe faire entendre, fe mit a la pourfuivre jufqu'au bord de 1'Oce'an, oü 1'infortunée fe précipita, pour lui échapper. Amphitrite , touchée de fon malheur & de fa vertu, la recut au nombre de fes Nymphes, & lui donna 1'irnmortalité. Apollon, défelpéré de ce malheur, dont il avoit été la caufe & le te'moin, rapportoit a fon ami fa douleur & fes remords, lorfqu'il le trouva lui-même expirant auprès de fa cabane. Cyparis aimoit tendrement un jeune cerf qu'il avoit élevé. Vers le déclin du jour, voulant écarter du troupeau de f©n ami quelques bêtes fauvages, il prend fon are & fes fieches: le trait fata! part, & va frapper le jeune cerf errant dans la campagne. Cyparis Ie voyant tom-  stm iia Mythologie. iij ber, poufie un cri , & tombe lui-même accablé de douleur. Son ame , prête a s'envoler, erroit fur fes levres décolorées. ii éprouvoit les douloureux combats Et les efforts de 1'Agonie, Lorfiju'elle difpute au Trépas Le dernier fouffle de la vie. Maïs au retour d'Apollon , ouvrant les yeux pour la derniere fois , d'une voix prefque éteinte, il lui adreffe cette trille priere: „ Que 1'Amitië de mes maux me délivre: „ Accordes-moi la faveur de mourir, „ Puifqu'un Mortel fans aimer ne peut vivre, Et ne peut aimer fans fouffrir." A ces mots, Apollon le ferrant dans fes bras, recueillit fon dernier foupir, & Ie changea en Cyprès. Dévoré de chagrins & d'ennuis, le fils de Latone invoquoit la mort, & fe plaignoit aux Dieux d'être immorte!; mais  ii4 Lettres TAmour lui offrit un nouveau confolateur. La Sybille de Cumes vint le trouver dans fa retraite, &, de ce ton de voix que les belles favent fi bien prendre, elle lui dit: ,, De nos vergers, de nos prairies „ Vous exilez-vous pour toujours ? „ Ne chanterez vous plus, fur ces rives fleuries, „ Nos jeux, nos fêtes, nos amours?" s' — Non, répondit Apollon. Je n'ai plus », d'autre plaifir que celui de la folitude." La Sybille reprit tendreraent: „ J'approuve vos douleurs, & mon cceur les par„ tage; „ Mais de tous mes amis loin de me féparer, „ Si j'avois vos chagrins, j'irois fouvent pleurer „ A 1'ombre de quelque bocage „ Oü je pourrois vous rencontrer." Elle fetut & bahTa les yeux. Apollon lui ferra la main; elle continua: „ Peut-on détefter la lumiere, „ Quand on a recu de 1'Amour „ Une ame pour aimer & des graces pour plaire! „ Hélas! fi nos Bergers vous perdoient fans retour,  sur la Mythologie. 115 „ Si les Nymphes de ce féjour, „ Comme une fleur, vous voyoient difparoltre, „ Leurs foupirs.... & les mieris peut-être, „ Vous feroient regretter le jour." Tandis qu'elle parloit ainfi , des pleurs fillonnoient fes joues, & le Dieu, pour mêler fes larmes a celles de fa confolatri» ce, la tenoit étroitement embraflee. Après un filence un peu long, mais expreffif, la Sybille lui dit avec une douce langueur: „ Ehbien, renoncez-vous encore „ Au bonheur de voir la clarté ? „ —«- Non, répondit Ie Dieu, depuisquejet'adore, Je reconnois le prix de 1'immortalité," Alors la Sybille ramalfant une poignée de fable, continua, en lui lailTant prendre un baifer: „ Je ne demande pas 1'honneur d'être immortelle; „ Mais je voudrois pouvoir vous confoler toujours. ,, —■ Hélas! je ne puis de tes jours „ Rendre la durée éternelle;  Ii  sur la Mythologie. 117 fandre, fille de Priam. Cette Princefië, après une petite guerre aflez longue, entra en accommodement, & promit a fon amant de conclure un traité, s'il vouloit lui communiquer le don de deviner. Le fils de Latone s'y engagea, enjurantpar le Styx. Mais a peine eut-il prononcé ce ferment irrévocable , que Caflandre fe moqua de fa crédulité. Le Dieu, pour la punir , ajouta au don qu'il lui avoit fait, qu'on ne croiroit jamais afesprédictïons. On aflure que, depuis la mort de cette Princefië , fon Efprit prophétique a parcouru les quatre parties du monde, & qu'il s'eft depuis peu fixé dans la Capitale du plus beau royaume de 1'Europe. Tous les jours ce puïflant Génie S'introduit daus les cabinets Des Gazetiers, des Faifeurs de projets Et des enfans de 1'Alchimie. II voltige auflï quelquefois Dans 1'un des jardins de nos Rois, Prés de 1'arbre de Cracovie.  uS Lettres C'eft la qu'il nous prédit les grands événemens, Les fiéges, les combats, la pluie & le beau temps, Par les oracles qu'il fait rendre. Mais fes prophêtes bien fouvent, Plus malheureux encore que la pauvreCaflandre, Que 1'on n'entendoit pas, ont le défagrément Eux-mêmes de ne pas s'entendre, Apollon, dupe de Caffandre, fe confola bientöt avec la Nymphe, dontileutPhaëton & fes foeurs.... Mais entre les bras de Clymene, Lailfons-le dormir jufqu'au jour. Bon foir. Vous faurez qu'en amour II eft bon de reprendre haleine.  sur la Mythologie. 119 LETTRE XIV. XJx jeune Epoux qu'Amour enflamme, A fa Moitié jure a j'amais De lui refter fidele: mais Arifte eft 1'Amant de fa Femme; Ils n'ont qu'un cceur, ils n'ont qu'une ame; Arifte 1'idolatre; mais La jeune Anette eft fa voiline. Elle eft folie, vive, mutine; Du refte, alTez mauffade; mais Madame Arifte a mille attraits, Des yeux, une taille divine, Que fon Epoux admire; mais La jeune Anette eft fa voifine. Clymene avoit, dans tous fes traits, Un charme, une grace enfantiue, Avec mille tréfors fecrets Qu'Apollon connoiflbit bien: mais Caftalie étoit fa voifine. Cette Nymphe plut a fon voiiïn. II foupira, elle feignit de ne pas rentenare; il fupplia, elle fut fevére; il la prefTa^  ï20 Lettres elle s'enfuit jufqu'au pied du rnont ParnalTe, oü les Dieux la changerent en fontaine. Son amant, couché fur fes bords, mêloit fes larmes a fon onde, lorfqu'il fut tiré de fa rêverie par une mélodie enchantereife qui venoit du haut de la montagne. Soudain il fe leve & monte par unfemier bordé de myrtes & de palmiers. Plus il approche, plus le charme de 1'harmonie s'empare de fes fens. 11 s'arrête enfin au coin d'un bois , a 1'ombre duquel il appergoit un grouppe de Nymphes affifes fur un amphithéatre de verdure. C'étoient elles qui formoient ce divin concert par le doux accord de leurs voix & de leurs inflrumens. Mais a la vue d'.Apollon , armé de fon are & de fes traits , la troupe craintive fe fauva dans répaiffeur du bois. Auffi-tötle Pafleur accordant fa lyre, leur chantaces couplets:  sur la Mythologie. 121 Nymphes, pourquoi me fuyez-vous? „ Regardez • moi, daignez m'entendre. „ La paix doit régner entre nous; „ Vous êtes belle; je fuis tendre. „ Nymphes, pourquoi me fuyez-vous? De 1'Amour quand on a les armes, „ Craint-on les armes des Mortels ? „ LaifTez-nous adorer vos charmes: „ On doit partager les autels „ De 1'Amour, quand on a fes armes." Vous jugez bien qu'Apollon étoit novice encore , quand il compofa ces couplets; mais, outre le mérite de 1'impromptu, ils avoient celui de louer la beauté, & ce mérite-la fait paiTer tous les jours bien des platitudes; ainfi, Ne demandes plus, Emilie, Pourquoi je peins fouvent vos traits; Car, plus on vous trouve jolie, Et plus aifément on oublie Si mes vers font bons ou mauvais. Cependant, les Nymphess'étoientarrêtées pour écouter Apollon. Celui ci, a Ja F  122 Lettres. fin de fa chanfon , fe trouvantprès d'elles: s, Je fuis, leur dit-il, fils de Jupiter & „ de Latone. Et nous , reprirent- „ elles, filles de Jupiter & de Mnémofine „ Je fuis donc votre frere!... M'eft-il permis d'embralTer mes foeurs ? Les Nymphes rougirent & donnerent le baifer fraternel. Apollon leur fit enfuite, fur leur mufique, des eomplimens vrais ou faux, qu'elles lui rendirent au fujet de la fienne: car vous favez qu'entre Artiftes, Tous ces éloges inot is Que 1'un a 1'autre on fe renvoie, Sont bien fouvent de faux louis Que 1'on rend en fauffe monnoie. Qüo'i qu'il en foit, la fraternité des Arts , jointe au lien du fang , fit naï.tre entre le fils & les filles de Jupiter une douce intimité ,• & malgré le fexe des neuf Sceurs , leur amitié fut toujours fincere. Jls réfolurent de vivre enfemble , & de jformer une Académie. Apollon en drefla le plan: il établit, pour bafe, la loi de  sux la Mythologie. 123 la Concorde , & fit porter a fes Soeurs Je nom de Mufes*, pour marquer leur égalité. Mais graces a nos Ariftarques, Ridicules pédans érigés en Monarques, Dont la plnme va diflïllant Un fiel amer fur le talent, Viftime de leur haine ou de leur fot caprice; Du temple des beaux Arts Ia bafe s'écroulant, A fait crouler tout 1'édïfice. Son plan étant achevé, Apollon partagea entre fes Smurs, les Sciences & les Arts, fuivant leur godt & leurs difpofitions. II indiqua, peu de temps après, la première féance de leur Académie ; & voici ce qui s'y palfa: Par un difeours femé de fleurs, Caliiope ouvrit 1'aüemblée. Melpomèoe, triile & voilée, Des Héros plaignit les malheurs, * Srtvfcrt Caffiodore, le mot de Mufes dérive du «ot gres ^oimm, quilignifie égnles, pareilles, F 2  124 Lettres De 1'Amour déplora les charmes; Et, par fes aimables douleurs, Fit éclore , dans tous les cceurs, Le plaifir du fein des allarmes. Thalie, 2vec un air.malin, Des traits aigus de la Satyre, Cribla le pauvre genre humain; Mais, en le piquant, le fit rire. Polymnie enfuite étala Les faits, les vertus, l,a mémoire Des Turennes de x:e temps-la, Clio, fur 1'aile de la Gloire, Portam ces Héros vers les Cieux, J^es fit voler au rang des Dieux. TJranie ouvrit fes tableites, Et lut intelligiblement Le fyftême du Mouvement, ,Des Tourbillons & desPlanetes. Enfin, la champêtre Erato Chanta les amours du hameau Sur Pair plaintif de la Romance. Euterpe de fon flageolet L'accompagna; puis en cadence, Therpficore, par un ballet., Termina gaiment la féance. V»*™ .En peu de temps ces affemhlées devinjent célébxes ; la réputation des Mufes  sur la Mythologie. 123 s étendit au-dela des Royaumes de la Grece , & le fils de Latone, déchu du tröne de la Lumiere, monta fur le tröne du Génie. II n'étoit plus de fêtesbrillantes dont fes foeurs & lui ne fiffent 1'ornement» Mais, pour s'y tranfporter d'une maniere commode & décente, II eüt fallu faire les frais D'un char, de fix courfiers, d'une fuite coraplettej Or, perfonne ne fut jamais EclaboulTé par les Laquais Ou la voiture d'un Poëte. Les chars font faits pour les Amours; La fortune eft le fruit de leurs aimables rufes, Auffi les Graces toujours Ont éclabouffé les Mufes. Tandis que celles -ci délibéroient inutï-' lement fur la maniere de fe mettre en voyage, elles apperyurent au milieu des airs, un cheval aïlé. C'étoit le célébre Pégaze Ce courfier fougueux , né du fang de Médufe, dirigea fon vol vers le mont ParnaiTe. La, il s'abattit fur un re» F 3  I2ö Let t r e j cher , & d'un coup de pied fit jaillir J'Hypocréne; Cette poétique fontaine, Dont'quelques Ecrivains badauds Se vantent de boire les eaux, En buvant les eaux de la Seine. A la voix d'Apollon , Pégaze s'arrête: le Dieu fautant fur lui, fait placer les Mufes en croupe, ordonue au courfier de les tranfporter a la Cour de Bacchus. Pégaze déploie fes aïles, & foudain, On voit planer d'un vol agile, Par-dela le fommet des monts, Toutes les neuf Sceurs a la file, Comme les quatre fils Aymons. - Mais bientöt on les perd de vue, & Jeur courfier, rapide comme lapenfée, arrivé a la Cour .de Bacchus. Déja des Courtifans la troupe fe raflemble: On s'emprèfle, onadmire, on dévore des yeux, Chez les neuf Sceurs, les details précieux. Dont vous nous préfentez i'enfembie. :  suu la Mythologie. 127 Adieu. Ceci a 1'air d'un compliment, & je dois me les interdire avec vous; Les complimens n'ont pas coutume De paffer pour des vérités; i Ceux que vous traceroit ma plume Feroient tort aux réalités. F 4  iag Lettres LETTRE XV. Ba c chus, chez lequel les Mufes furent accueillies, étoit un Prince illuftre par fes victoires & par fon amour pour les beaux Arts. II régnoit a Nyfe, avec Ariane, qu'il avoit époufée dans 1'ile de Naxos, & raffembloit a fa cour les hommes les plus célébres de fon temps. A 1'arrivée des Mufes, le bal s'ouvrit. Therpficore y parut, & ravit tous les Courtifans. C'eft vous dire aifez qu'elle défefpéra toutes les femmes. Les Amours defllnoient fes pas, La Volupté fuivoit fes traces, Les Piaifirs animoient fes graces, Et s'entrelagoient dans fes bras. Le bal fut fuivi d'un concert. Euterpe & la jeune Erato s'y diftinguerent tour-a-  sur la Mythologie. 129 tour ; les applaudifTements redoublerent quand on vit paroïtre Marfyas. Cet habile mudden avoit trouvé laflutë de Minerve dans une fontaine oü cette Déeffe 1'avoit jetée autrefois; & s'étant exercé fur cet inftrument divin , il en tiroic des fons mélodieux. Au bruit des acclamarions, Apollon éprouva d'abord quelqu'inquiétude ; mais bientöt après il fe promitla vicloire. En effet, la flute dc Marfyas avoit charmé les auditeurs; la lyre d'Apollon les tranfporta. Piqué de cette fupériorité, Ie Phrygieti fe leve, &, d'un ton d'arrogance, défie fon rival, en préfence de toute la Cour. Le frere des Mufes. accepte le défi, & le vaincu fe foumet d'avance a la difcrécioa du vainqueur. Alors Marfyas invoqueMinerve ; & reprenaiit fa flüte. II modale Ia mélodie , j Des premiers concerts du printemps; F 5  13° Lettres Des,premiers defirs des amans fioupiie Ia mélancolie; Du gazouillenïent' des ruiiïeaux II cadence le doux murmure; Puis interrompant a propos, Ou précipitant Ia mefure, Du caprice de fes pipeaux, Semble lutiner les échos. Enfuite, au milieu de Ia p'.atne, II égare, parmi les flèurs, Les bergères & les buveurs Danfans autour du vieux Silene... Mais tout a-coup, au fond d'un bois, On croit ouir Ia voix plaiptiye D'une Driade fugjtive Qui foible & réduite aux abois, Pouffe une crü... La.peur, 1'efpérance Eontjpalpiter & treffaillir!... jufqu'au moment oü Ie Plaifir, Ünterrompu par un filence, Se réveille par un föupir. Marfyas avoit fini; on I'écoutoit encore. Mais lorfqu'il falua 1'aiTemblée, les acclamations s'éleverent avec la fureur de Tenthoufiafme.  sur la Mythologie. 131 C'étoitun bruit! un brouhahai... On s'écrioit: Bravo! merveiües! Et jamais on n'a vu de cabales pareilles Au parterre de 1'Opéra. Durant tout ce vacarme, Apollon ayanc accordé fa voix & fa lyre, impofa filence par un prélude ; & , fe Jivrant enfuite au délire de fon art, fit pafier, dans tous les coeurs, 1'ivreffe de la Volupté. Marfyas palit&reconnut, malgrélui, la fupériorité de lavoixfur lesinftrumens. Eneffet, Un chalumeau peut quelquefois Amufer, intérefler même; Mais il ne peut jamais dire, comme la voix| „ Vous êces belle; je vous aime." Lorfqu'Apollon ent difpofé 1'afTemblée en fa faveur, il fe tourna vers Ariane, & chanta les vers fuivans: » O Nymphes de Naxos! qu'elle vous parut belle „ Lorfqu'au milieu de fes douleurs, „ Son teint briiioit comme la fleur .nouvelle », Que 1'Aube matinale arrofe de fes pleurs! „ Aux accens de fa voix, fur les plaines humitfes , Amphitrite paroit avec les Néréïdes; F 6  ïj2 Lettres „ Neptune & les Tritons fortent du fein des eaux; „ La mer blanchit d'écumej on i'emprefle; on ,, admire. „ Amphitrite trembloit de perdre fon empire, „ En la voyant s'élancer vers les flots!... „ Mais un Confolateur, conduit par la Viftoire, „ Par 1'Hymen lui fut préfenté; „ Et ce Dieu rendit la Beauté |je „ Inféparable de la Gloire." Soit jaftïce, foitcabale, fok plutöt pour flatter la Reine, ces vers furent redemandés avec tranfport; & dès-lors Marfyas prévit fa défaite. Mais, fur 1'éloge d'une feule femme, Apollon fe fiant peu aux applaudiffemens de toutes les autres, voulut les mettre de bonne foi dans fon parti. La Vénus dePraxitèle, que 1'on adoroit a Gnide,& la Galathee de Pygmalion, que 1'Amour avoit animée, étoient alors célébres dans toute la Grece. Apollon faifant une doublé allufion a ces deuxchef-d'oBUvres, & promenant fes regards fur les femmes les plus aimables de la Cour, chanta', en s'acompagnant de fa lyre:  sur la Mythologie. 133 „ Autrefois de chaque Belle „ Empruntant le plas beau trait, „ De fa Vénus Praxitèle „ En compofa le portrait. „ Si j'avois une étincelle „ De fon talent précieux, „ Je ferois adorer celle „ Que je compofe en ces üeux, Je prendrois de Polixène ., Les yeux, Ia taille & le fein, „ Et la bouche d'Eroxène, „ Et 1'albatre de fon tein; „ De Chloé le front novice, „ La timide bonne foi; ., Le fourire d'Eucharifle, „ Qui femble dire: aimez moi. „ Ah! fi mon cifeau fidele , Pouvoit rendre les appas „ Qu'on voit fur chaque modele, „ Et ceux que 1'on ne voit pasj „ Sans voile repréfentée, „ Avec leurs proportions, „ Que bientöt ma Galathée „ Feroit de Pygmalions! F 7  J34 Lettres „ Si, pour lui donner la vie, „ L'Amour confultoit mes vceux, „ Ton enjouement, Euphrofie, „ Pétilleroit dans fes yeux : „ Aglaé, de ta malice „ Je lui donnerois un grain; ., Et ton cceur, tendre Euridice, „ Palpiteroit fous ma main. ., Mais pourquoi ma voix légere, „ Uniüant tant de beautés, .., Me fait-elle une chimère „ D'aimables réalités? „ Tandis que Je les ralTemble, „ Arnour rit de mon travail; ., Et j'abandonne 1'enfemble „ Pour adorer le détail." Je ne vous peindrai point la fureuravec laquelle cet éloge fut applaudi. II fuffira, pour vous en donner une idee, de v®us obferver que chaque femme y étoit intéreffée; car les yeux d'Apollon avoientdéiigné toutes celles que fa bouche n'avoit pa nommer. Auffi la vicloire lui fut-elle décernée d'une voix unanime. Mais la  suii la Mythologie. 135 barbarie avec laqueüe i) en ufa, tcrnic tout 1'éclat de fa gloire. Ayant attaché contre un pin ]e pauvre Marf\as , il fécorcha tout vif. Les pletirs & le fang dc cc malheureux formerent un fleuve auquel on donna fon nom. Vous voyez, Emilie, qu'il efl: fouvent plus aifé de vaincre que de pardonner. Souvenez-vous donc qu'il efl encore plus glorieux de pardonner que de vaincre. Vcus qui, de 1'enfant de Vénus, Etendez chaqne jour & 1'empire & la-gloire, Laiflez'nous a vos pieds chérir votre vicloire, - Et lire dans vos yeux la grace des vaincus.  13* Lettres LETTRE XVI. Vous connoiflez, Emilie, 1'eipece fertile de nos petits Mydas, qui fe vantent de pofféder un efprit & des connoiflances auxquels nous avons le malheur de ne pas ajouter foi. Ces Meflieurs pourroient lè yanter, avec plus de raifon, de la no~ blelfe & de 1'ancienneté de leur origine j car Mydas, leur premier pere, e'toit Roi de Lydie, & contemporain de Bacchus. C'elr, dommage pour notre fcene lyrique, que cet illuftre amateur foit né quelques miiliers d'années trop tot; Car, a Paris, il eüt fait des merveilles; II eüt été le chef de nos Cenfeurs, Pttitwnaitres, Abbés & Clercs de Procureurs, Auxquels il a tranfmis fon nom & fes oreilles. Ce Prince ayant entendu parler du talent fublime d'Apollon, die, en appuaynt le  sur la Mythologie. 137 poing fur la hanche: M Parbleulje ferois curieux de juger cet homrne la: qu'on „ me le fafle venir. „ Apollon fe préfente; & Mydas, be'gayant & grafTeyant tour-a-tour, du hauc de fa grandeur laiffe tomber cesparoles: „ Vous poffédez 1'art Chrornatique? „ Voyons un peu: je m'y connois; „ Non que je factie ia mufique: „ Jupiter m'en préferve! Mais ,, Je fais tout fans avoir jamais „ Rien appris. Deplus, je ms piqae, „ Lorfque je prononce un Arrêt, „ D'employer le terme Technique; „ Car je fuis, grace a Richelet,* „ Savant par ordre alphabétique. „Au refte, je vous avertis, ,, Mon cher, que, par tous mes amïs, „ Dans notre comité lyrique, ,, Vous fere'z loué comme un Dien , „ Ou lïfflé comme un miférable; ,, Car avec nous point de milieu: „ L'on eft Divin ou Déteftable." * Auteur d'un Di&ionnaire.  Ï38 Lettres Tandis que Mydas débitoit ces impertinences préliminaires , Pan , fon favori, vint affifter a fa toilette. Pan étoit un Seigneur voifln, Tel qu'on en voit encor, qui, dans leur territoire, Sont renomraés pour leurs chanfons a boire, Et leur talent pour chanter au lutrin. Le Roi le voyant entrer , eourut a fa rencontre , & prenant Apollon par la main: „ Vous voyez, dit-il, un rival que „ je vous préfente. C'elt. vous propofer „ une viéïoire de plus. Allons, meffieurs, „ le moment eft favorable: voici mon „ Barbier: je fuis a vous: commencez.c< Pan chanta le premier , & Mydas manqua vingt fois de pamer en 1'écoutant. II levoit le yeux au Ciel ; il frappoit des pieds & des mains, & crioit auffi fort que le Chanteur. Tel un ane, prés d'un buiflbn, Ecoutant Ia voix de fon frere, Enchanté de 1'entendre braire, Avec lui brait a TuniiTon.  sur la Mythologie. 139 Pan ayant heureufement fini, Apollon commencoit a peine, que Mydas 1'interrompit en s'écriant: „ Vous chantez comme on parle! Air mefquin, mauvais choix, „ Petit genre... Oü font donc ces cadencesperk-es, „ Ces grands éciats, ces ports de voix, „ Et ces roulades martelées?" [ Puis fe tournant vers fon Favori, il ajouta, avec un fourire proteóteur: „ C'eft un jeune homme encor: mais s'il veuj „ quelquc temps ,, Etudier votre méthode „ Et fuivre mes lecon's, avant peu je prétens 1, Lui faire un fort, & le mettre a la mode." Mydas parloit encore, lorfqu'il fentït éclore, fous fa chevelure, une paire d'oreilles longues & velues. Effrayé de ce prodige , Pan prit la fuite, & ne s'en vanta pas. Apollon fe retira vengé, & le Prince demeura feul avec fon Barbier,  140 Lettres dont le génie couvrit d'une perruque les oreilles miraeuleufes. Mydas exigea de lui la promefle d'un fecret inviolable: le Barbier lui en fit le ferment; mais, par malheur,• On tait le bien, même fe mal; Plufieurs femmes, dit-on, s'en font fait un fcrispule Dans les fiecles paffes; mais, par un fortfatal, L'bomme, qui faitle mieux cacher le Vice, brute' De dévoiler le Ridicule. Le Barbier, chargé du fecret de fon Maitre, ne put long-temps foutcnir ce fardeau. 11 alla creufer Ia terre dans un endroit écarté , & prononca ces mots en s'inclinant: „ Le Roi Mydas a des „ oreilles d'ane." Ayant enfuite enterré fon fecret, il s'éloigna. Mais, peu de temps après, la terre produifit en cet endroit des rofeaux, qui, étant agités par le vent, répétoient entr'eux: Le Roi Mydas a des oreilles d'ane. Vous voyez  sur. la Mythologie. 141 ■que, dans ce temps-la, les feerets enfouis germoient & croiflbient avec les plantes. S'il en étoit encor de même. Les rofes de votre jardin, Sous 1'diie du Zépbyr badin, Diroient en naiflant: Je vous aime. Mydas, défefpéré de ne pouvoir p'us garder Yincognitb , alla chercher un afile a la Cour de Bacchus. Celui-ci, pour le confoler, ofFrit de lui accorder la première grace qu'il paroitroit defirer. Le Prince aux longues oreilles demanda celle de changer en or tout ce qu'il toucheroit. Des modernes Mydas en France Tel efl: encore le grand mot : De 1'or.'.. ♦ Meflieurs, en confcience, Avec de 1'or eft-on moins fot? JSn a-t-on moins d'impertinence? Ell on moins dupe tous les jours De Cupidon & de fa mere ? A-t-on mieux Theureux don de plaire? Efl-on mieux fait pour les Arnours ?  142 Lettres A t-on les graces du bel age? A-t-on Peftime? a-t-on 1'honneur? A-ton de 1'efprit & du cceur La délicatefle en partage ? Et lorfque d'un limon groflïer Le Ciel nous a pétri le crane, Avec tout 1'or d'un Financier, A-t-on moins des oreilles d'ane ? Mydas, avant le fin du jour, fe repentit de fa demande indifcrete: les alimens, en approchant de fes levres , fe changeoient en or; & ce riche indrgent fe trouva bientöt menacé de la famine. Tel un richard par la goutte écloppé, Devant lui voit fervir un repas déleélable, Sans ofer y toucher; puis, fe levant de table, Bok un grand verre d'eau quand chacun a foupé. Bacchus , fatisfait de lui avoir donné cette legon , & touché de fon repentir, lui ordonna , pour fe délivrer de cette vertu fatale, de fe baigner dans les eaux du Paftole. Ce fleuve , qui traverfe la Lydie, roule, depuis ce temps, un fable d'or avec fes flots.  sur la Mythologie. 142 Au bord d' une fontaine arrivant 1'autre jour, Je vis nager, fur I'eau, deuxbeauxboutonsderofe, Quelques feuilles de lys, puis encore autre chofe, Reffemblant a deux fruits jumeaux; puis tour.atour Des plumes que je pris pour celles de 1'Amour. Me rappellant alors, belle Emilie, Que cette onde fouvent careffa vos tréfors, Dans une tendre rêverie, Je m'agenouillai fur fes bords , Songeant au fleuve de Lydie. P. S. J'efpérois vous parler des autres exploics d'Apollon , de fon rappel a la Cour célefte, de fon aventure dans file de Rhodes, de fes Temples, de fes Prêtrelfes, de fes Oracles; mais Ia fin des vacances amene celle de nos entretiens, & ie plaifir de vous revoir va fuccéder a celui de vous écrire. Le Sagittaire me rapelle Sous les étendards de Thémis: Heureux fi je puis être admis Dans le temple de 1'lmmortelle! Heureux fi je puis exhaler L'ardeur divine qui m'emflamme,  S44 ' Lettres Et du feu dont brüle mon ame, Voit tous mes Auditeurs brüler, Et tous les yeux étinceler! Armé du poids de 1'éloquence, Qu'il efl; glorieux d'étouffer Et 1'Impofture & la Licence! Et qu'il eft doux de triompher, Quand on combat pour 1'lnnocence! Rempli de cet efpoir flatteur, Ambitieux Admirateur, De Paris, de Rome & d'Atbènes, Je vais, Orateur écolier, Suivre, applaudir, étudier Gerbier, Target & Démoflhènes. Quand je confefle a vos genoux Ma défaite & votre vi&oire, Que n'ai-je leur talent, & vous, Le cceur de leur Auditoire.' Fin de la première Partie.  LETTRES A É M 1 L I E, SUR LA MYTHOLOGIE.   LETTRES sl EMILIE, sa e. LA MYTHOLOGIE. Par M. de Moustier. Heureux ceux qui fe diyertiflent en slnltroifant i TÉLÉMAtJUE, LH, 2. SECONDE PART IE. A AMSTERDAM, Chez Gabriel Düfour, Libraïre. i 7 9 i.  P R É F A C E. (^et Ouvrage a été accueilli avec indulgence ; cependant, on lui a reproché des négligences, & quelques liberte's. Je les ai fait difparoïtre, & j'ai écrit Ia fuite avec plus de foin. Je remercie MM. les Critiques de leurs obfervations , & les prie de rne les continuer. Le plus important fervice qu'on puiffe rendre a un jeune homme., deftiné par état a écrire & a parler en public , c'eft de 1'aider a fe corriger avant 1'age oü 1'on ne fe corrige plus.  A EMILIE. Au C'na;eau de L.... !e premier Septembre 1787» Adt'refois, dans ces prés fleuris, J'écrivois a celle quej'aime; J'y reviens; mon coeur eft le même: Je vous aime & je vous écris. J e reprends ces métamorphofes Dont le récit m'étoit fi doux! J'aba'ndonne Thémis pour vous, Et les Epines pour les Rofes. (1) Ne cherchez point dans ce récit L'efprit, lebrillant, 1'éloquence, Je fens bien plus que je ne penfe j Quand j'ai dit j'aime j'ai tout dit. (1) Allufion a, ut) Ouvrage dejuiifpiuder.ee, quel'At}" teur elfayc en ce moment. A 3  (5 Aimer elt toute ma fcienee; Je n'appris, en lui van t mon gont, Qu'amitié, qu'amour & conftance; On ne peut pas apprendre tout. Vous qui, par un artadorable, Uniflez la grace au favoir; Hélas! confolez vous d'avoir Un ami plus aimant qu'aimable. L'esprit fait tort au fentiment. Si j'avois 1'efprit, Emilie, Je ne ferois que votre Amant, Vous ne feriez pas mon Amie, Si je devois a la Nature, La beauté, 1'écla.t, la frakheur, Je pafferois comme une fleur; Ce ne feroit plus ma figure, Et ce fera toujours mon coeur.  LETTRES A ÉMÏL2E, SUR LA MYTHOLOGIE. LETTRE DIX-SEPTIEME. Tandis qu'Apollon étendoit au loiis I'Empire des beaux Ans, Ja terreur & la défolation régnoient au pied du moirc ParnafTe. Junon furieufe d'avoir vu Jupiter enfanter Minerve fans fon fecours9 avoit frappé la terre avec le poing, & de ce coup terrible étoit né le ferpent A 4.  8 Lettres Python. Ce monflre, depuis le départ d'Apollon, s'étoit établi au pied dumont ParnafTe, fur lesrivagesdufleuveCéphife, & ravageoit ces aimables Contrées. A cette nouvelle, ]e frere des Mufes quittant fes fours & Ja Cour de Bacchus, remonte fur fon fidele Pégaze, vole, arrivé, combat le monflre, & le' fait expirer fous fes traits. Cette vicloire fut célébrée dans toute ia Grece, & mk le combJe a Ja gloire d'Apollon. On inflitua en fon honneur les jeux Pythiens. Ils étoient a-peu prés femblables aux jeux Olympiques; mais Je Génie y partageoit les couronnes avec Ja force & 1'adreffe. Ces couronnes furent d'abord compofées de branches de chêne; mais depuis ia métamorphofe-de Daphné, elJes furer;t faites de branches de Jaurier. II y avoit un concours de danfe, de mufique & de poéfie. Ces paifibles combatsfe renouvelloient chaque jour. Le Dieu des  fsüR la Mythologie. 9 beaux Arts y préfidoit, affis fur un Tröne de verdure, II animoit les accents des Bergers, & les graces des Bergères; faifoit renaitre fous leurs pas, les fleurs & les plaifirs de 1'age d'or. En fortant de ces aimables aflemble'es, les couples heureux fe difperfoient dans les bois voifins, & fur le pencbant des montagnes. L'hymen les égaroit dans' ces doux labyrinthes; & durant le calme de la nuit, on entendoit les échos foupirer', & les antres murmurer tendrement. • Le bonheur n'eft fouvent durable, qu'autant qu'il eft ignoré; bientöt la Ilenommée publia celui d'Apollon & de fes Bergers, Les Dieux même en furent jaloux , & rappellerent Apollon dans l'Olympe. Le fils de Latone regretta fon exil, comme on regrette fa Patrie. Hélas! s'écrioit il, en verfant des larrhes ameres, „ Faut-il vous quitter pour toujours, „ Doux afyle, aimable verdure j A 5  10 Lettres „ Oü, loin du tumalte des Cours, „ La liberté filoit mes jours „ Entre les Arts & Ia Nature; „ Bois oü j'aimois a refpirer „ La paix & la fralcheur de 1'ombre; „ Antre myftérieux & fombre Oü mon cceur venoit foupirer, „ Oü je goütois avec yvreffe „ L'amertume de la tendrefle „ Et Ia volupté de pleurer! „ Nymphes de ces bois, de ces plaines s }, Oubliez mes jeunes erreurs; Vous, Nayades de ces fontaines, Vous, dont je fis couler les pleurs „ Sur les Beautés du voifinage, „ Pardonnez-moi! Je fus volage, Je makraitai de tendres cceurs; ,, La Cour avoit gaté mes meeurs; „ Mais, dans cet heureux coin du monde, ,, Loin des intrigues de la Cour, s, Belles Nayades, mon amour ,i Devenoit pur comme votre onde; & Et je vous dois la volupté n D'avoir goüté Ie bien fuprême w Au fein de la fldélité ?l3. Pont ie ne m'étois pas doaté.  jua la Mythologie- sa ,, Pafteurs, que je quitte & que j'airae,. „ En voyant mon char radieux „ Ouvrir ou finir fa carrière, „ Songez que j'ai fur vous les yeux „ Et que votre ami vous éclaire. „ Oui f plus que tous les autres lieuxCes lieux fauront toujours me plairsy » J'y prodiguerai ma lumiere .r Et mes dons les plus précieux; J'y ferai germer le génie; » Des Sages él des demi.Dieux „ la Grece fera la Patrie. ,,- Adieu, mes amis, je vous prie De veiller fur mes pauvres Sceurs.. „ Toujours plus jeunes & plus belles,. „ L'eflaim de leurs Adorateurs ,„ Fourmillera toujours prés d'elles. „ Qu'elles efiuieront de fadeurs, „ De dégoüts, d'ennuis, de froideurs! „ Que je les plains d'être immortelles!.,;. „ Adieu, de 1'Esnpire du jour „ Sur vous je veillerai fans cetTe, „ N'oubliez jamais ma tendrefle, „ Et confervez-moi votre amour." A ces mots, le fils de Latone s'éieva- Uur un nuage, & diiparut. Les. [pafteurs, qui avoient gouté ler> A 6.  12 Lettres charmes de fa fociété, en fentirent mieux tout le prix après 1'avoir perdue. & leurs regrets furent encore plus tendres que n'avoit été leur amitié. Bientöt ils adrefferent leurs hommages al'amiqu'ilsavoient dans 1'Olympe. Ils lui éleverent des Tem. pies, & s'y raffemblerent pour chanter fes louanges. Apollon n'étoit plus fur la terre; mais il étoit dans le coeur de tous ceux qui 1'avoient habitée avec lui. Cette idéé eft douce pour les vrais amis. Ne vous feroit-elle pas venue quelquefois, Emilie, & même en ce moment, Exüée au fein de Paris, Depuis l'esil de Pomone & de Flore; Ne fongeriez- vous pas qu'avecleplusfoumis Le plus tendre de vos amis, Secretement vous habitez encore La retraite ou je vous écris?  sur la Mythologie. i3 LETTRE XVIII. 33e tous les Dieux del'Antiquité, Apollon efl; peut-être celui dont le culte a été le plus étendu. On appelJoit Pceans, les Hymnes que 1'on chantoit en fon honneur, paree qu'iJs commencoient ordinairement par ces deux mots: (*) io Ttsan. Ces paroles étoient confacrées pour rappeller Ja viéïoire qu'ApoIlon avoit remporté fur Je monflre Pithon. Les témoins de ce terrible combat lui crioient fans cefle : k pman. Allons l frappe ! ou hnces tes traits / Et dans la fuite, après chaque viftoire , ce refrein devïht un cri d'allégrefle. On immoloit ordinairement fur les Autels d'Apollon un taureau blanc, ou un agneau. Le Dieu étoit repréfenté fous ]a fi.' gure d'un jeune hommes fans barbe, Jes cheveux blonds & flottans, & le front (*) Ou 'U Bmm. A 7  14 Lettres ceint de lauriers. II tenoit de la main gauche une lyre, & de la droite un are & des traits. Quelquefois il portoit un bouclier, comme Protecteur des humains, & préfentoit les trois Graces, qui animent le Génie & les Beaux-Arts. On mettoit un Cygne a fes pieds. Cet oifeau lui étoit confacré, a caufe de la maniere tendre & mélodieufe dont il chante fa mort prochaine , comme fi le terme de 1'exiftence étoit 1'époque du bonheur. Ainfiquelui, belle Emilie, Quand la fievfe brüloit la fleur de mes beaux joursr Loin de vous, je chantois d'une voix afFoiblie, Le moment oü j'allois épuifer pour toujours, La coupe amere de la vie. Mais quandje vous revis;quand,près des fombresbords,, Aux charmes de votre préfence, A vos doux entretiens, a vos tendres accords, Même eux tourments de votre abfence, Je comparai le froid filence Et Téternelle indifSërence, Et Ie bonheur glacé de 1'Empire des morts;. L'Amour fait avec quels tranfports Je chantai ma convalefcence!  sur la Mythologie. 25 Je ne vous parlerai point du nombre infini des Temples d'Apollon , & des fêtes multipliées qu'on célebroit en fon honneur. Remerciez-moi de vous fauver ces détails; car vous fgavez mieux qu'une autre, Que , d'un Peuple d'adorateurs, Si les hommages font flatteurs; En revanche, rien n'eft plus trifie Que la leclure de la lifte. Les Temples les plus célébres d'Apollon furent celui de Délos, lieu de fa nailTance, oü Théfée établit, dans la fuite, les Jeux Pithiens; celui du mont Sorafte, dont les Prètres traverfoient, nuds pieds, des braiiers ardensj & celui de Delphes, oü les adolefcens lui offroient leur chevelure. C'étoit-la, fur-tout, qu'Apollon rendoit fes Oracles par 1'organe de la Sibille, Beaucoup de Philofophes fe font creufé ïnutilement le cerveau pour expliquer les convulfions & les prétendues infpirations  ï6 Lettres. de cette PrêtreiTe. Ils ont épuifé, a ce fujet, toutes les conjeélures phyfiques & morales. Quelques-uns même, témoins de Taccompliffement de fes prédiófions, ont prétendu que le Diable étoit de la partie, qu'il s'introduifoit dans le corps de Ia DevinerelTe, & qu'après 1'avoir fait tomber en fyncope, il lui dévoiloit 1'avenir. Vous voyez, Emilie, que cesMeffieurs ont fait de la Sibille une Poffédée. Sans prétendre attaquer des opinions auffi refpeótables , voici la mienne , en peu de mots: ceux qui étoient intéreffés dans le produit des offrandes, avoient prudemment choifi une femme pour prononcer les oracles. Deux mctifs avoient déterminé ce choix ; le doublé fens nécelTaire. aux prédiftions , & les convulfions dont il falloit les accompagner. Cette efpece d'extafe , qui figuroit aux Speclateurs 1'infpiration du Dieu, étoit effentielle pour fortifier leur crédu« lité. Or,  svr la Mythologie. 17 Qui fait moun'r mieux qu'une Belle ? Qui fait reffufciter mieux qu'elle? Qui fait mieux fuffoquer, palir, Baifler fa mourante prunelle, Palpiter, chanceler, foiblir, ïombsr... Enfin, s'évanouïr? Le fexe de 1'Oracle explique donc fuffifamment les prétendus fymptömes de fes infpiratïons. Quant aux prédiétions, le merveilleux confiftoit a leur donner toujours un fens équivoque ; enforte que 1'événement fa« vorable ou contraire fe trouvat néceiTai. rement d'accord avec Ia prophétie. Or, qui jamais pofféda mieux Les équivoques, la magie, Et le dédale infidieux De i'adroite amphiboiogie? Qui jamais fut avec plus d'art, Pefer la crainte & 1'efpérance, Donner doublé face au hafard; Deguifer même 1'évidence, Et fur-tout fauver 1'apparence? Qui fut mieux, en dépit du fort, Avair raifon & donner tort,  ïS Lettres Que ces tendres Enchanterefles Qu'Amour fit pour nous obéir , Nous enforceler, nous trahir, Nous enivrer par leurs carelTes, Nous tromper au fein du bonheur, En prolonger la douce erreur Jufques au terme de Ia vie; Et, pourfinirla Comédie, En fanglottant, fermer les yeux De 1'homme abufé, mais heureux ? D'après ce raifonnemenc, fondé fur 1'expérience, II eft aifé de fe convaincre que toute la forcellerie de la Sibille, fe réduifoit au talent naturel de jouer les convullions & de modifier la vérité. Je pourrois, a ce propos , vous de'tailler les fuperftitions de la crédule antiquité. Je vous y tracerois de Ia Bonne aventure Chez nos premiers aïeux le regne florifiant; Et vous ririez de voir que Ia mere Nature A radoté prefqu'en naiflant. On devinoit alors par le feu, 1'eau, lesüraples, les entrailles desviclimes, les  sur la Mythologie. ij> eercles, les calculs, les lignes de la main, & par la phyfionomie. Cette derniere Science nous efl parvenue, & s'eft perfectionnée de nos jours. On a ceffé de lire, dans les traits du vifage, les événemens futurs, mais on s'efl appliqué a y démêler les nuances du caraêlere. Cette étude efl fouvent attachante., & j'ai remarqué qu'il y a des phyiionomies qu'on ne fe laffe point d'émdier; auffi la yötre m'a-t-elle rendu phyfionomifte: &, tous les jours, en la détaillant, je me dis, k peu-près dans le ftyle de Lavater (*): Je vois dans ce regard timide, Un cceur qui voudroit en aimant, Que fon Ami fut fon Amant, Et que fon Amant fut fon guide. (*) Auteur cétóbre, qui a écrit fur les phyrïonomies. La fienne, qui eft gravée daus fon recueil, porte 1'empreinte de 1'efprit & de Ia finefle que 1'on trouve a chaque ligne de 1'ouvrage. Cet argument eft, je croisjeplas favorable au fyftême de 1'Auteur.  2© Lettres Sur ce front fiége la candeur, Quand il rougit, la Modêftie Cache le tröne du génie Sous les rofcs de la pudeur. Cette bouche oü 1'amour fe joue Et femble appelier le Baifer, Lui défend de s'y repofer Etl'exile fur chaque joue, Sans qu'il ofe même approcher. Des folTettes que le Sourire • Creufe en jouant, pour fe nicher Sur les confins de fon Empire. Ce nez , qui refftmble fi bien Au nez divin de la Sultane, Qui donna, quoiqu'il füt Chrétien, Des loix « Ia Cour Ottomane, Fait reJire a plus d'un Amant „ Elle auroit été Roxelane, „ Si j'avois été Spliman!" Revenons a la Sibille: on 1'appelloit fouvent la PythonilTe, paree qu'elle s'afleyoit, pour rendre fes oracles fur la peau du Serpent Python. Cette peau couvroit un trépied d'or maflif qui avoit  sua la Mythologie. 21 été trouvé dans la Mer par'des pêcheurs. Ceux-ci, aprés s'en être difpucé lapoffefïion, convinrent de confulter 1'Oracle, qui leur ordonna d'oflrir le trépied a 1'homme le plus fage de toute la Grece. Les pêcheurs le préfenterent a Thalès, Ce Philofophe joignoit aux Sciences de la Geometrie, de la Phyfique & de 1'Aftronomie, une étude profonde de la morale , & difoit que, de toutes les connoiffances humaines, la plus difficile, étoit celle de foi même. Thalès envoya le trépied a Bias, qu'il regardoit conme plus fage que lui. Bias étoit en effet un tréfor de fciences & de vertus. Ce fut lui , qui, dans l'inftant oü les ennemis emportoient d'alTaut Prienne, fa Patrie, averti de fauver promptement fes richeffes , répondit, en s'éloignant: j'emporte tout avec moi. Milgré la vanité que vous trouverez , peut - étre , dans cette réponfe , Bias eut la modedie d'envoyer le trépied 3 Pittaeus, qui le fit pafier  22 Lettres a Cléobule , & celui-ci a Périandre. Je ne vous dirai rien de particulier fur ces trois Philofophes; ils furent fages , voila leur Hiftoire. Périandre offrit le trépied a Solon, qui faifoit confifter la vraie richeiTe dans la vertu , feul tréfor que le temps ni la fortune ne peuvent altérer. Solon refufa le trépied, & le fit offrir a Chilos , dont la Philofophie fe bornoit au fimple néceifaire, & dant la maxime étoit: rien de trop. Le trépied, après avoir ainfi pafie par les mains des fept Sages 'revint a Thalès, qui le dépofa dans le Temple d'Apollon, oü il fut confacré aufervice de. la Sibille. Telles étoient les moeurs des Sages de la Grece. Quand on fe rapelle les beaux fiécles oüfleuriflbit cette heureufe Contrée, 1'attendrifiement & 1'admiration fe partagent entre les vertus & les graces , qui germoient dan fon fein, & dont le temps n'a pu effacer la mémoire.  sur la Mythologie. 33 On rapporte a ce fujet, EmiJie , un Procés depuis long- temps in décis, & qu'il ne tiendroit qu'a vous de terminer: Minerve au Divin Comité, Plaide avec Ia Reine des belles; Car la Sageffe & la Beauté, Sont rarement d'accord entr'elles. Comme elles font femmes, jecrois Pouvoir me paffer de vous dire Qu'il s'agit entr'elles, des droits Et des bornes de leur Empire. Minerve préfente a - la. fois Sept Sages, que la Grece encenfe; Et Vénus met, pour contrepoids, Les trois Graces dans la balance. Ce nombre étant fort inégal, L'Amour, dit-on, craint pour fa mere, Qu'il vous préfente au Tribunal, Et je réponds de fon affaire. Prés d'un fi féduifant minois, Vénus va, dans fon apanage, Avoir mille Graces pour trois; Minerve n'aura plus ün Sage. '  Lettres LETTRE XIX. Je vous ai parlé, belle Emilie, desPhilofophes de 1'Antiquité; & comme vous ne voulez rien apprendre a demi, vous me demandez ce que c'eft que la Philofophie. La réponfe a cette queftion n'eft pas auffi facile que vous pouvez 1'imaginer; Et mon efprit, en ce moment, Auflibien que mon cceur, fent, par expérience, Qu'avec vous un engagement Mene plus loin que 1'on ne penfe. La Philofophie étoit autrefois 1'art de bien vivrej & le titre de Philofophe, étoit le fynonyme de fage & d'heureux. Cette Philofophie étoit générale & conftante. Elle varioit fouvent dans fa marche, mais elle marchoit toujours au but oü la fageffe & le bonheur 1'attendoient, Aujourd'hui nous avons changé tout cela: la  SUR LA MïïHOLüJIjJ. 25 Ia Philofophie a la mode efl: fondée fur des principes particuliers , que chacun fe forgea fon gré, avec la liberté d'en changer au moindre revers d'atnour ou de fortune; ou, du moins, au premier accès de vapeurs; (car, plus de Philofophes fans vapeurs) de maniere qu'il exifte autant de Philofophïes diverfes , que de Philofophes du bon ton; & que fouvent, chacun de ceux-ci adopte, réforme & rétablit la fienne deux 6c trois fois par jour; ce qui naturellement , nous fait tomber dans 1'infini. Telle eft, parmi nous, la Philofophie Pratique. Quant a la Philofophie Elementaire; habitante du pays Latin , depuis longtemps elle n'a pas change', & c'eft. tant pis pour elle. Ses noirs Se&ateurs la nourriüent de fubtilités 6c d'hypothéfes, aliments peu fubflantiels a tous égards. Auffi, devient-elle infenfiblement pareille a la nymphe Echo, dont il nenousrefte plus que la voix. Sec. fartie. B  2ë Lettres C'eft une femme a face blême, Qui, plus maigre qu'nn pénitent Vers les derniers jours de Carême, S'en va nuit & jour ergottant, Et fagottant quelque fyftême Q'u'on n'entend pas, & que fouvent Elle n'entend pas elle-même. L'ainé de fes triftes enfants, Le fymétrique Syllogifme Eft fuivi, la plupart du temps, De 1'indécbiffrabte Sophifme. Ces deux monftres argumeratants, Trainent longuement a leur fuite, Les éternels raitonnements, Et la Kirielle maudite Des axiómes des pédants, Capables feïiïs de mettre en fuite Ceux qui du goüt & du bon fens Sont un tant fok peu partifans. Vous connoiffez, belle Emilie, Ces grilles, ces fombres réduits, Oü 1'on facrifie aux ennuis Les plus beaux jours de notre vie; Oü 1'art rétrécit notre efprit, Oü 1'on martyrife 1'enfance, Oü la fervitude flétrit Les rofes de 1'adolefcenee  sur la Mythologie. $f La, dans un Temple ténébreux Tapifie de lambeaux poudreux, De longs arguments & de tbèfes, Dès que I'aube blanchit les Cieux, Siége un Pantife radieux, Fourré d'hermine & d'hypothèfes. Ilparie!... II fetait!... Qu'a.fil dit? On 1'ignore, & 1'on applaudit. Soudain Ia voüte retentit Des pointilleufes périphrafes De tous nos jeunes Preftolets, Et de tous nos Petits • Collets, Entortillés de grandes plirafes; De tous nos fades Damerets, Fabricateurs a peu de frais, De Calembourgs&d'Epigrammes; De nos importants Freluquets, Conffdenrs mufqués de nos Dames, Leurs Ecuyers & leurs Valets; Souvent auffi de ces vieux cranes, Qui, toujours parmi les tombeaux Des Auteurs anciens & nouveaux, Dont il vont évoquer les manes, ' Ont embarraffé leurs cerveaux De 1'immenfc & fombre cahos, Des écrits facrés & profanes; ' Enfin, de milles fots divers., Qui portant fur tout leur fentence Ba  Lettres D'un air bouffi de fuffifance, Jugent doclement de travers; Et prenant un ton d'Empirique Avec leur Grec & leur Latin, Prétendent prouver fans replique, Qu'il eftJbir quand il eft matin. Si, 1'un de ces jours oü vos charmes Après une douce langueur, Brillent comme la tendre.fleur jQu'Aurore baigne de fes larmes} Je difois,,en.vous préfentant A cette henorable afllflance; „ Meflleurs, parmi vous 1'on prétend, Qu'ici-bas tout n'eft qu'apparence.C*) „ Dmcques la beauté purement „ Eft un fonge, une bagatelle. „ Eh bien! je foutiens hardiment „ Qu'elle exifte réellement: „ Et vous voyez mon argument;" A ces mots la dofte féquelle Viendroit, avec fa Eirielle "D'atqui, d'ergo, i'et'catera, Argumenter in barbara (f) (*} Les Pirrhoniens, dont on difcwte encore ici les rêve.jries, doutoient de tout, même de leur exiftenee. £t) Eormule d'argument ridicule & pédantefque.  stfit la Mythologie. 00- Contre Vexi/Ienee réelle Et 1'éclat de votre beauté. En vain leur fophifme effronté, N'en foutiendroit pas la préfence. Tout en fe jettant a vos pieds Ils en nieroient la conféquence. Mais d'après cette expérience Leurs arguments eftropiés Tomberoient fort en décadence; Et vos Profélytes vainqueurs Par la raifon démonftrative, Craiadroient peu que ces noirs Lsgueurs; Se tinffentfur la défenfive; Car 1'Amour, de fes traits charmants, Cribleroit les raifonnements Et les cceurs de nos Philofophes; Qui bientót terraffés, vaincus, Et de fophifme convaincus Par leurs fréquentes cataftropbe;, Viendroient tous, ea moins de deux jours,'. Prendre 1'écharpe des Amours.(*) Ah! que notre fefte, Emilie, L'èmporteroit en peu d'inftants! Qu'elle brilleroit aux dépens De 1'antique Philofophie! C) On fait qu» Ies Ligucu-s & les Royalifles fe difeinguoient par des é'ch.irpes de différente» couleurs. B 3,  go Lettres Fleurs d'amours & fruks du génie S'y cueillercfcnt en même - temps. Ah.' de cette fecbe chérie Je voudiois être Ie Platon, Et 1'Ariflote, & le Soion. Vous feriez ma Philofophie; Et bientöt j'aurois furpaflé Les Socrates, les Ariftippes; Et les Bias & les Xantippes, Si célébres au temps paffé. Nous di£terïons une Morale, Que les cceurs fuivroient aifément. Kous poferions pour fondement, Concorde, humeur toujours égale» Profcrivant éternellement Tout fyftême, toute cabale; Permettant fans difficutóé, Comme ne pouvant la défendre Sans ofFenfer notre équité, Cette voix timide & li tendre, Qui, ne s'élevant qu'a moitié, Se fait pourtant bien mieux enteiidre Que les difcours de ramitié.... Vous le voyez, belle Emilie, Mes principes font affez doux, Adoptez-les; que rifquez-vous E'eflayei ma Philofophie?  sur la Mythologie. gj LETTRE XX. N ous avons laifle les Mufes a Ia Cour de Bacchus. Leur fort vous inquiete, fans doute; Votre crainte eft bien naturelle, Je foupconne entre vous un peu d'affimté, Et même de fraternité: Je vais donc raflurer 1'amitié fraternelle. A peine Apollon avoit-il quitté la Cour de Bacchus, que 1'on y vit arriver, au milieu d'un brillant cortege, les neuf filles de Piérus, Roi de Macédoine. Elles avoient traverfé toute Ja Theffalie & une partie de la Grece, pour venir difputer aux Mufes , le prix du chant. Si vous êtes. vaincues, leur dirent elles, vous nous céderez le mont Parnafle, & les bordy fleuris de 1'Hypocrêne ; fi Ja victoire eft a vous, nous vous abandonnerons les riantes vallées de la Theflalie, B 4  Lettres Sc nous fuirons fur les montagnes de fa Thrace. Les Mufes indignées accepterent le' défi, & leurs rivales commencerent. Elles chanterent d'abord le combat 'des Dieux contre les Titans , & attribuerent a ceux-ci la viaoire. Puis elles célébrerent, en équivoques, la Chronique galante des aventures du jour, & finirent par des Paltorales en Vaudevilles. Ce n'étoit poir-t. cette male harmonie, m ces nobles élans, ni cette majefté, Qui tranfportent 1'ame ravie Au fein de la Divinité. Ce n'étoit point cette vive galté, Qui feroe, en voltigeant, Ie fel de la fatyre; Ce n'étoit point cette ingénuité D'une Bergère qui foupire, Et dont les pleurs nous font fourire De tendreiTe & de volupté. C'étoientscomme aujourd'bui.des morceauxd'épinette, k" Découpés, brodés, précieux, Des Calembourgs délicieux, Et le combat des Dieux étoit une Ariette.  sur la Mythologie; 3$ Auflï les femmes a Ia mode trouve* rent-elles tou& cela d'un goüt exquis, & eurent-elles un plaifir inimaginabie a 1'entendre. Lorfque les filles de Piérus eurent fini leurs chants, Calliope fe chargea feule de leur répondre. Elle célébra d'abord la puiflance féconde du Maïtre de 1'Univers , qui,. d'un fouffle , anime tous les êtres; & d'un regard , les plonge dans le néant. Puis elle chanta 1'aventure de-Deucalion & de Pyrrha: „ Jupiter indigné des crimes deg; j, hommes, avoit changé la terre en ^ une mer immenfe, & le genre hu~ y, main n'étoit plus. Les plus hautes. „ montagnes avoient caché leur cime-|, „, une feule élevoit encore fa tête au„ deflus des flots. C'étoit le mont Par.' „. naffe , fitué entre 1'Attique & 1». „ Boeotie. „ Sur cette piaine vafte & liquide. „ parmi les hommes, les arbres, & les B 5  34 Lettres „ animaux flottants , voguoit une frêle barque, jouet des aquilons & des ondes. „ Elle portoit un couple heureux & re„ fpeótable, & la Vertu fe fauvoit du naufrage , avec Deucalion & Pyrrha. „ Le fouffle des vents , ou pkitöt celui de „ 1'Eternel, les porta vers le fommet du mont Parnaffe. Ce fut la qu'ils abor„ derent en tremblant; & que, prome„ nant au loin la vue, ils confidérerent 9, avec effroi le vafte tombeau du Genre 3, humain. „ Cependant les eaux décroiffoient, Sc ,, 1'on découvroit déja les montagnes, ■„ les collines & les plaines élevées; mais „ par-tout la Nature étoit mor te, & le 3, Silence habitoit feul dans l'Univers. „ Deucalion tendant les bras a fon s, époufe ; ö ma bien aimée, lui dit-il, „ qu'allons • nous devenir ! Nous voila „ feuls au monde ! Hélas! fi le flam„ beau de 1'amour brüloit encore pour S) nous, ce défert verroit un jour de nou-  sur la Mythologie. 35 „ veaux habitants, & nous aurions quel„ qu'un pour nous fermer les yeux. Mais „ la vieiileffe a glacé nos fens, & je ne „ prévois plus que la folitude & la mort. „ En parlant ainfi , les époux s'appro„ choient Jentement d'un Temple oü „ Thémis rendoit fes oracles ; la, s'ap., puyant fur les bras 1'un del'autre, ils jj fe proflernent enfemble , & courbent „ leurs têtes blanchies au pied du Sanc,, tuaire. Tout-a coup la voüte s'ébranle, „ & le couple vénérable frémken enten„ dant ces paroles : fartez du Temple, „ voikz'vous le vifage, &f jettez derriert „ vous les os de votre mere. A ces mots , „ Deucalion , 1'ami des Dieux , interprêtant leur volonté , couvre d'un voile fa tête , & celle de fon époufe. lis „ traverfent enfemble de valles déferts, „ & jettent derrière eux, les pierres qui • „ fortent du fein de la Terre, notre Mere commune. Soudaïn ces pierres, femhlables au marbre que rArtifte a B 6  gr5 Lettres „ dégroffi , prennent, par degré , une figure humaine. Bientöt leurs traits fe „ perfe&ionnent , leurs yeux brillent, leur tein s'anime, leurs membressagit„ tent, ils vont marcher— Ils mar„ chent! Jupiter leur dit, vivez; &ils „ vivent." Calliope eu» a peine fini, que la victoire lui fut décernée d'une voix unanime. Les filles de Piérus éclaterent alors en murmuresj maïs tout-a-coup leurs corps fe couvrit de plumes noires & blanches, & elles furent changées en Pies. Ce cha.' timent ne réprima, ni leurs plaintes, ni leur babil» Car depuis leur métamorphofe, Elles ont confervé leur volubilité , Etle talent, fi cher a la beauté, De dire, en bien des mots, rienoutrès-peudechofe. Les Mufes, après cette viftoire, retournerent fur le mont Parnaffe, & vécurent long - temps dans une paifible intimité. Souvent elles parcouroient enfemble  strn la Mythologie. 37 ie facré vallon , oü ferpentent les eaux d'Hypocrêne. La , elles rencontroienc leurs jeunes Eleves, cueillants des fleurs,, & les encourageoient a gravir la doublé colline. Un jour , s'étant éloignées de leur demeure, la pluie les furprit , & elle* chercherent un afyle. Le Tyran Pyrénée, établi depuis peu dans la Phoeide, vint a leur rencontre, & leur offriü une retraite dans fon Palais. Les Mufes i'accepterent ,* mais a peine y furencelles entrees , que le Tyran fit fermer les portes, & voulut leur faire violénce. Aufli-töt les neuf Sceurs prirent des ailes. & s'envolerent. Pyrénée , pour les atteindre, monta fur une tour éleve'e; mais , en s'élancant après elles , il tomba , & fut brifé de fa chute. La Fable ne nous dit pas ce que devinrent alors les Mufes fugitives. On préfume qu'elles ont parcouru, depuis ce temps, les plus. belles Contre'es de l'Univers; & j'adopte B 7  Lettres volontiers cette opinion, car j'ai toujours foupconné que nous en avions plufieurs fur les rives de la Seine. II feroic même aflez plaifant, Que, vous parlant de ces docles Pucelles, Je racontafle innocemment, Leur Hiftoire a 1'une d'entre elles. Malgré la vie errante des Mufes, on alTure qu'elles conferverent précieufement leur virginité ; quelques détractenrs ont écrit, a la vérltê, que plufieurs avoient été meres. Ils ont avancé hardiment , que Rhsefus étoit fils de Therpfichore ; Linus, de Clio; & le divin Orphée, de Calliope. Ils ont ajouté , qu'Arion & Pindare étoient auffi enfants des.Mufes. Mais, ces prétendues filiations font purement morales. Un Poëte étoit-il infpiré par une Mufe? on difoit d'abord qu'elle 1'avoit adopté; puis on répétoit qu'il étoit fon fils; puis les femmes enaritables foupjonnoient que cela pouvoit être; puis les femmes difcretes publioient que cela étoit:  suil la Mythologie. 39 elles le tenoient de bonne part, elles en avoient des preuves: elles 1'avoient vu , elles 1'auroient juré ! . . Elles le juroient, & 1'on écrivoit fur leur paroie. Au refle, ces faux bruits porterent fi peu d'atteinte a la réputation des Mufes, qu'elles eurent toujours une foule d'Adorateurs. Plufieurs pafferent leur vie entiere a les chercher inutilement, & moururent d'amour pour ces Dames kmfihles. (*) D'autres, fans les connoïtrc, affronterent , pour leur plaire, les plus gr^nds périls, & poufferent 1'héroïfme jufqu'a la témérité. Plus d'un preux Chevalier, fans cafque, fans armure, Mais d'un triple orgueil cuirafle., Et d'un noble amour embrafé, Sur leur Courfier fougueux, tenta mainte aventure; Et depuis fa déconfiture, Métita d'être baptifé, Le Chsvalier de la trijle Figure. (*) (") Voyez nngïfüeux'Rdnian de Don -Quichjte.  4© Lettres Les Convives recherchoient auffi ies; faveurs & la foeiété des neuf Soeurs. Ils commengoient leurs feftins par une libation en 1'honneur des Graces , & les finiffoient en buvant aux Mufes. Par • tout on leur élevoit des Autels & des St-atuesi Elles étoient repréfentées affifes- a fombre d'un laurier, & fe tenant toutes par la main. Leur front étoit couronné de palme, & chacune d'elle portoit les attributs de 1'art auqud elle pKéfidoit. Les Romaïns leur avoient élevé un; Temple, oü les Poè'tes lifoient publiquement leurs Ouvrages. lis leur avoient aufficonfacré un autre monument; c'étoit la fontaine des Mufes. Mais , ce qui vous étonnera fans doute, cette fontaine étoit auprès du Temple de la Fortune. Quel contrafle dans ce voifinage ! Les voifms furent long-temps fans fe connoitre. Enfin, fous le regne d'Augufle y les Prêtres du Temple en ouvrirent les portes  sur la Mythologie. 4.1 aux Gardiens de la fontaine; & ceux-ci permirent aux Prêtres d'y venir puifer quelquefois. Depuis ce temps les Sceurs d^Apollon furent accueillies a la Cour, & leurs favoris devinrent les amis des Rois. Mais tandis que les Mufes brilloient auprès du Tröne, fouvent elles s'échappoient pour aller dans la retraite , confoler les affligés, La; elles plenroient avec Sapho, gémiffoient avec Ovide , & foupiroient avec Tibulle. Elles óntccnfervé jufqu'a nos jours cette fenfibilité fecourable, & quelquefois j'en fais moi- même la douceexpérience. Dans ces moments oü la Mélancolie Etend fon voile fur les jours Que je paffe loin d'Ennlie; Quand j'aime a m'égarer dans les fombres détours- Des bois oü gémit Pbilomele; Quand mon cce.ur gémit avec elle, Ma Mufe vient a mon fecours. „ Vous êtes loin de votre amie, »; Medit=elle, je viens foupirer vos douleurs; „ II eft doux de verfer des pleurs Quand on pleure par fympatMej."  42 Lettres. Ah! fi je Pencroyois!.... Mais fouvent PAmitiéj, Pour nous confoler, nous abufe. A qui donc fe fier? dites-moi par pitié; Dois-je me fier a ma Mufe?  sur l* Mythologie. 43 XjE Printems renaiiïbit pour Ia première fois» Tout fourioit dans Ia Niture. Zéphire couronnoit les bois Des prémices de la verdure; Tout fleuriiToit, tout languifioit; Le ccenr étonné balancoit Dans une douce incertirude, Et lui-même s'interrogeoit Sur la tendre follicitude Dont il cherchoit en vain 1'objet. Le feu d'amour couvoit encore; Nul delïr jufque-la ne I'avoit excité; II falloit, pour le faire éclore, Un fourire de la Beauté.... Tout-a-coup ]a terre fre'mit de plaifir; 1'air s'agite & s'embraTe , la mer bouillonne , blanchit d'écurne, &.Vénus s'éleve du fein des flots. Vierge, ter.dre & modefte alors, qu'elle étoit belle! L'onde fur fes replis, moltement la bercoit, lettre xxi.  44 Lettrés D'un regard careffant, 1'ceil du jour la fixoit j Autour de fes tréfors, Zéphir s'arrondilToit; Et les flots amoureux murmuroient auprès d'elle» La jeune Déité levant enfin les yeux, 1 Promene fes regards craintifs & curieux. Elle admire le Ciel & la Lumiere, Dont 1'éclat blefie encor fa timide paupiere. Sa bouche s'ouvre, & fon premier foupir, Son premier mot, eft 1'accent du plaifir: „ Oü fuis-je! Quel réveil! Quelle volupté pureE „ O que cet air eft doux, que ce jour eft fereint „ Que tout eft beau dans la Nature! „ Quelle douce chaleur circule dans mon fein!... „ Que fens-je battre fous ma main?...". Sur fon cceur palpitant alors baiflant la vue, Elle admire, fourit, & rougit d'étre nue. Ses mains volent.... Malgré ces mobiles remparts, Ses tréfors innocents percent de toutes parts. Quelle confuüonl... Sufpendant fes care(Tes> Zéphir de la vapeur des Cieux Forme un nuage officieux, Et fauve a fa pudeur 1'ambarras des richeiïes. Ce jeune Dieu la pofant enfuite fur une conque marine, la conduifit a 1'ifl'e de Cypre. Ce fut la que les Iieures fe char.~ gerent de fon éducation.  stjR la Mythologie. 45 "Les Heures étoient filles de jupiter & de Thémis; mais malgré leur fraternité, il y avoit auffi peu de relTemblance dans leurs caraSleres que dans leurs figures. Elles avoient toutes des aïles, & parcouroient fucceffivement le même efpace. Cependant, Leur courfe étoit plus rapide ou plus lente. L'Heure pénible de 1'attente Longuement fembloit parcourir Un fiecle entier. Mais du plaifir L'Heure toujours trop diligente, Difparoiffbit comme un éclair. L'Heure du repentir, le front d'ennuis couvert, -En pouffant des plaintes ameres, Des efpaces imaginaires La rappelloit en vain. Pour calmer fa douleur, L'Heure du fouvenir, lui retracant les charmes De cette aimable & fugitive Sceur, Avec plus de douceur faifoit couler fes larmes. Ainfi, quand loin de vous. il faut porter mes pas, D'un tendre fouvenir mon ame encore émue, Se rappellant 1'Heure oü je vous ai vue, Charme 1'ennui de celle oü je ne vous vois pas. Les Heures préfidoient alors, comme  46 Lettres aujourd'hui, aux plaifirs, aux peines, aux efpérances , aux rendez - vous, a ]'é:ude, aux arts naiiTants, & fur-tout aux qraatre faifons de 1'année. Vous voyez que rien ne fe faifoit fans elles. Mais auffi-tot que Vénus eutvulejour, elles laifferent aller le monde comme il put, volerent a 1'ifle de Cypre, y recurent la Beauté, & s'y fixerent pour fon éducation. II paroït qu'alors, ces Divinités légeres étoient capabies de conftance; mais aujourd'hui leur caraétere a bien changé! Le temps n'eft plus, oü prés des Belles, Les Heures fixoient leur féjour. Aujourd'hui, prés de vous, 1'Amoitt Semble multiplier leurs alles.  sur la Mythologie. 47 LETTRE XXI. Vous jugez bien, Emilie, qUe 1'éducation de Vénus ne reiTembla point a celle de nos Parifïennes. Etre belle fans orgueil , aimable fans coquetterie, inflruite fans prétentions; amie difcrete, atnante fidele, époufe vertueufe & tendre, ce fut la tout ce que 1'on exigea d'elle. Sur ces principes, qui valoient bien les nötres, fes Inftitutrices établirent leur plan d'inflruction, & 1'exécuterent a-peu-prés de la maniere fuivante. La- première Heirre 1'appelloit Quand Phcebus ouvroit fa carrière, Et la Beauté fe réveilloit Avec le Dieu de la lumiere. La deuxieme Heure entrelacoit Quelques fleurs, un peu de verdure Dans fes cheveux, & lui difoit: „ Méprifez 1'art de la parure,  4S Lettres „ II n'eft fait que pour la Laideur. „ Soyez modefte, la pudeur „ Fit le &rd qui fied a votre êge. „ Que le tréfor de vos attraits „ Soit toujours voilé d'un nuage; Que ce voile foit fort épais, „ Et qu'il tienrie, s'il eft poflible; „ Le fanftuaire des amours, „ Pour être refpeüé toujours, „ Doit toujours être inacceffible." La troifieme lui préfentoit Des fruits nouveaux & du laitage. La quaüieme lui difloit L'Art de parler fans verbiage: „Ne prétendez point a 1'efprit, „ Et fur-tout, gardez-vous d'en faire! „ Parlez peu, mais bien; ce qu'on dit „ Jamais ne peut manquerde plaire, „ Quand la raifon, quand la gaité, „ Quand le fentiment affaifonne „ Un mot, dont la fimplicité „ N'ofFenfe 1'orgueil de perfonne. " La cinquieme formoit fon cosur, Le diipofoit a la tendreffe, En chafloit la feinte & 1'adreflê, Y faifoit germer la candeur. „ Aimez  sur lx Mythologie. 4.5 „ Aimez un jour, lui difoit-elle, „ Aimez; gardez. vous d'abufer „ De I'avantage d'être belle. „ Choififfez bien, & fachez vous fixer. „ Noble & tendre, comme vous I'-étes, „ Ne préférez jamais le plaifir dangereux „ De Multiplier vos conquêtes, „ Au bonheur de faire un heureux." La fixieme ajoutoit: „ préférez Ia tendrefie v D'un ami véritable aux vceux de mille Amants^ „ L'amour eft fait pour la jeunefie, „ Et I'amitié pour tous les temps. „ Quoique femme, foyez difcrette. „ Songez qu'il eft cruel d'ofer facrifier „ Un jeune cceur qui vient nous confier ., Son efpoir, fon bonheur, ou fa peine fecrette; „ Et,qu*un fecret dont on prend Ia moitié, „ Eft un dépót facré qu'on ne peut fe permettre „ D'aller divulguer, fans commettre » Un facrilége en amitié." Les trois Heures fuivantes lui enfeignoïent les devoirs de i'humanité, de la foi con. jugale, de la maternité; & iui répétoient tour-a-tour: Sec. partie. C  .50 'L E T T :£ E -S „ A peine 1'Univers commence-; „ II eft déja des inalheureux. „ Ne dédaignez point 1'indigence-; „ Le plus noble attribut des Dieux., „ Ma fille, c'eft la bienfaifance. ,„ Si vous faviez comme il eft doux „ De vifiter fous leur cbaumiere, „ Des Mort.els que le fort jaloux, .3, A condarnnés a la misère; „ De compitir è leurs malheurs, „ De mêler nos foupirs aux leurs, „ D'entrer dans leur douleur profonde,; 3> De leur prouver, par nos foins réur.is, „ Qu'ils ne font pas feuls dans le monde, s, Et que les malheureux ont encor des amis! „ O que la main d'une belle a de graces, ,, Lorfqu'elle répand les bienfaits! "j, Au ljeu de mille Amants vaincus par vos attraits.» M Qu'il fera bien plus beau d'attirer fur vos traces, JS Les heureux que vous aurez faits! M Quand vous aurez prononcé Ie ferment De rendre heureux 1'époux qui vous aurachoifie, „ Semez de fleurs tous les jours de fa vie, „, Aimez en lui, votre Ami, votre Amant. ,, Que dans vos bras paifiblement ,9, j.1 repofe; foyez fon Ange tutélaire, s, .^eülez:loindefoncceur,chairezlesnoirschagrinj;  •sur la Mythologie. s% » Qu'il trouve.auprèsdevous,pluspurs &piusfereins „ L'air qu'il refpire & le jour qui 1'écJaire. * >, C'eft ainfi qu'en vos fers vous faurez 1'arréter „ Si, malgré tant de foins, il devient infidele ' „ En reproches amers gardez-vous d'éclater „ Mais offrez - lui des mceurs un fi parfait modele, ,, Qu'il foit forcé de 1'imiter ; „ Et fi votre exemple le touche, „ S'il revient a vós pieds abjurer fon erreur, „ Qu'il trouve, en arrivant, l'amour fur votre'bouch* „ Et le pardon dans votre cceur. „ L'homme ne fait aimer qu'autantqu'on fait lui pUim „ Etudiez fon caraclere, » Mf^gez-Iui le prix de Ia moindre faveur,, A 1'orgueil, è 1'humeur, oppofez le fourire-' „ L'innocence au foupeon, le calme a Ia fureuf • „ Régnez en fuppliant, & fondez votre .Empire' „ Sur l'amour & fur Ia douceur. " Un/°ur» Cypris, vous ferez mere„ N'abandonnez jamais le fruit de vos amou'rs „ Aux mains d'une mere étrangere „ Nourriflez votre fils; remplifiez vos bea'ux j0urs „ Des foins intéreffants de ce Saint miniftere „ Ces |ours pour ie plaifir ne feront pas perduv „ LaNature,auxbonscceurs,donnePourrécompen'fe§ „ Des devoirs les plusaffidus, „ Les plus douces des jouiffances, C 2  £2 fL-E T T -R E/* Vous les mériter,ez: de votre nourriüon 'fl Une autre n'aura.pas la première carefle; „ Vous jouirez avee yvreffe Des prémices de. fa tendreffe, «,, Et ,des éclairs ;de fa raifon. . Souvent, tandis que de fa mere Ses levres prefferont. le fein, "„ En admirant fcn ininois.enfantin, '„ Vous croirez démêler quelques traits de fon .pere. " -Alors vous fentirez palpiter votre cceur Z Du plaifir .de trouver 1'Auteur dans fon Ouvrage, " Etde l'efpoir .de voircrcltre, fous votre ombrage , Le fruit dont vous. aurez alimenté la fleur." ,-C'étoit ainfi que ces fages Inftkutrices formaient le cceur & 1'efprit de leur jeune Eleve, jufqu'au moment ou 1'Heure du facrifice la conduifoit au Temple: Cypiré, les yeuxbahTés, le front ceint de guirlandes^ Portoient au pied des Dieux, d'innocentesoffrandes; Bt, tandis que 1'encens fumoit fur leurs Autels, Offrok fon jeune cceur.au roi des Immortels. L'Heure fuïvante la ramenoit fous un feerceau de Myrthe. Lji.  sur la-Mythologie. $g Ün repas préparé des mains de Ia Nature Se préfentoit a rombre, au bord d'une onde pure5'.., Les fleurs fur les rameaux ferpentoient en feftons, Et la prairie offroit des fiéges de gazons. A ces heureux feftfns préfidöient 1'Innocence,, La folatre galté, la douce Tempérance; Et I'aimable franchife', & Ia Frugalité, Fille dé" la Raifon , mere dé la Santé. Bientöt 1'Heure de la promenade 6ecelle du travailj s'emparoient fuccetlim»ment de Vénus; • Quelquefois au milieu de fes jeunes Compagnes Elle alloit butiner fur les fleurs des Campagnes, Et les fleurs aufli-tót renaiflbient fous fes pas, A fon retour, prenant I'aiguille de Pallas, Son adrefle en faifoit un inftrument docile, Et meloit, avec Art, Pagréable 4 l'utüe. Les Heures Tuivantes dsnnoient Ié fii gflal des Danfes & des Concerts. Tandis; que Cypris danfoit, on lui répétoit fou* vent: Que vos graces foient naturelles > • Ne les contrefaites jamaisi Dès que 1'on veut courir après, ; On' commence-a s'éloigner d'dïes ■■ C 3.;  Lettres Quand la Déeiïe fe repofoit, quelquefois une de fes Inftitutrices venoic s'alTeoir auprès d'elle, & lui faifanc remarquer la joie qui animok 1'affemblée, elle lui difoit en 1' embralfant: Sous les lambris dorés des celeftgs portiques, „ Vous regretterez quelquefois „ Nos Danfes, nos Concerts ruftiques. s4 Ah! revenez alors habiter dans nos bois, „ Vous y retrouverez la paix de 1'innocence;. „ Venez cueillir des fleurs au bord de ce ruifleau,. „ Venez vous repofer fous ce même berceau, Témoin des jeux de votre enfance. „ La, vous rapellerez le fonge du bonheur „ La, voüs fentirez votre cceur Refpirer avec plus d'aifance; „ La, vos regards, autour de vous Multiplieront les fleurs fur la verdure; „ Le Ciel fera plus beau, La Nayade plus pure,, „ L'ombrage plus épais, & le zéphir plus doux. La, vous retrouverez la fource de ces larmes, „ Qu'on neverfeplus chez les Dieux; i, Et vous éprouverez ce qu'on goüte de charmes, „ A regretter le temps oü 1'on étoit heureux. L'Heure du Concert interrompoit ce&  sur la- Mythologie. 5*^ entretiens. II eft probable que 1'Art dw chant étoit encore loin de fa perfeflion 5; car Vénus fe contentoit d'exprimer avec ame , l'amour, le plaifir ou la trifteiTe;; elle ne joignoit a cette expreffion , ni; roulement d'yeux , ni contorfions ,'* nï coups de gofiers, ni tours deforce; ce qui paroitra fans doute incroyable, elle prononcoit avec foin , & daignott chanter pour ceux qui 1 ecoutoient, Vous préfamez bien, d'après ces petits ridiculesantiques , que fes Chanfons étoient fort fimples, & qu'elles ne valoient pas, s! beaucoup pres, le moindre deschef-d'ceu-vres de nos modernes Anacréons, En voici quelques fragments, que j'ai hafardé: de vous traduire, pour vous en donner une' légere idéé: Nymphes, que l'amour dans vo; yeuxt. Brille & s'appercoive fans peine; Gomme 1'on voit 1'azur des CieuxDans le. cryaal d'une fontaine, • G %  $6 L E T T R E' S . Ne trompez jamais; Ie ferment Qui fort de vos levres vermeilles,. Eft aufli doux pour votre Amant s. 'x Que Je miel des jeunes Abeilles. Mais la féduifante douceur,, D'un aveu di£lé par la feinte; Pour un crédule & tendre cceur, Eft plus amere que 1'abfynte. Recevez les pleurs de l'amour, Que vos charmes ont faitéclore; Comme la fleur, au point du jour,. Recoit les laniie.'. de 1'Aurore.. Gédez, mais a fes vqjux ardents N'accordez par tout ce qu'il of§; Des plaitirs de votre printemps, Craignez d'éparpiller la rofè. Le Concert étoit fuivi d'un repas frugal & champêtre; après lequel , la derniere Heure du jour , conduifoit yénus dans. une grotte tapiflee de ver-  S U'R" li A ' M YT H Ö L Q*G I Ë. ^ dure, >ou Morphée • lui fermoit la pais*1 piere,. Les Heures dö la-nuirrauembloient tour-a-taur.,', Les Songes légers auprès d'elle : Cypris, au milieu de fa Cour, , Jeune, fenfible, femme & belle„ ■ Sóngeoit alors innocemment Qu'elle n'avoit qu'un feul Amant; ~~Et -révoit qu'elle -étoit fidelle.- Ajprès quelques années de cette éducatioii füivie , 1'Eleve des Heures fe trouva ft" accomplie en' tóus points, que lés Dièux » voulurent la voir,, pour • s'aüurer euxmêmes de tout- ce que 'la Renommée en i publioit. Les envieux- afiurerent bien=tot qu'il y avoit plufieurs Vénus, dont; on attribuoit les graces & le mérite ai une feule j & cette erreur s'accrédita tellement alors, que>, cinq a fix■- mille i ans après , Cieéron nous Ta ; tranfmife, II faut la lui pardonner: les femmes; parfaites font, denos jours, -autant d'in* ■ Os,  ffi % E T T S E S crédules qu'eiles en faifoient de fon. 5.emps;, Car je vois, lorfque 1'on raifonne Sur vos attraits, vos talents réunis; ïieur nombre, a tout momept,.partager les avis. Sur. I'unité de la perfonne.  s-u.r va Mythologie.' vénus avoit a peine atteint fa quatorzieme année, lorfquelle fut demandée ai ia Cour Célefte. Sa préfentation ne reffembla point a celle de nos Ducheffes, & •les préparatifs en furent bien différents :;, ia Nature feule ypréfida; cheznous, 1'Art: feul y préfïde: A quatorze ans, Eglé, déja coquette, A pris le rouge, en fortant du Couvent, ■ Son jeune front, qui rougiffoit fouvent, Ne rougit plus, graces a fa toilette. Son ceil, hagard en fa vivacité, RelTemble a 1'oeil de la Lubricité. De fes fourcils, TArt a tracé 1'ébene; Et d'un bleu tendre imbibaat fon pinceau, A, d'une main fagement incertaine, Fait (ur le blanc circuler quelque veine, Pour animer ce vifage nouveau. Des Jeux, des Ris, voici 1'aimable Reinig Volez, Zéphirs; mais nel'approcbez pas». C 6- LETTRE XXIII.  Li T T K es; Difcrétement rere.nez votre. baleine,. Sinon, craignez de foufiier fes appas. Pour ménsger cette. Vénus nouvelle, Divin Soleil, tempereton ardeur;Voile ton front; finon je crains pour elle. Le. trifte fort des attraits.de. Sémelle. (*) Quand tes rayons,nous dardent ta chaleur,„ Souvent j'ai vu, (quelles métamorphofes!) Sur la paleur fe diflbudre les rofes, Et la beauté fondre fur. la laideur, Cet. Art impoft'eur n'exiftoit pas encore.: au premier fiecle du monde.. On fe préfentoit a la Cour Avec fes traits & fon vifage; On ne cbangeoit point en un jour, De teint, decheveux, decorfage*-, L'Art de plaire rajeuniffoit, C'étoit le feul fard en ufage; , II ne déguifoit aucun ège, , & tout age il embellilToit; Et'des qu'a la Cour de Cybelle,', Une Déefle paroilïbit, On étoit fur que c'étoit elle. C*J CpnfuBiée par Jupiter* .  sur la Myt-hol-06ie. öfer li'Aurore ayant ouvert le jour ou Vé* ous devoit être préfentée, la Déefle.' s'éveilla paifiblement , s'affit au bord! d'une onde pure ; &, dévanr ce miroirr tranquille , elle ceignit d'une couronne : de Myrthe, les-boucles flottantes de fa chevelure. Plufieurs alTurent qu'elle étoit blonde, d'autres prétendent qu'elle éioit brune.. Pour moi, je fuis tenté de croire que ces, deux couleurs , rnêlangées fur fon front, y formoient une nuance, qui réuniflbit ce que les brunes ont de pluspiquant; les blondes, de plusyoluptueux,. Et qu'elle.infpiroit tour-a-tour,. Ainfi que vous, belle Emilie, Les tranfports brülants de l'amour, , E.t fa douce mélancolie. Gé fut en ce moment, que la Nature s lui fit préfent de cette ceinture divine & myftérieufe, qui bientöt tourna ia . tête. a tous les Dieux; & quj, depuis, 9z  ga L E t r u e s* a rendu tant de Grands - Hommes fi" petits. On y voyoit 1'Amour conduit par 1'Efpérance; Les timides aveux, la molle réfiftance; La Pudeur enfantine , & les jeunes Piaifirs, Qui fuyoient, agagoient, carelïbient les Defirs, Auprès d'eux paroifïbient la Volupté, fes charmes, Ses tranfports;la Langueur.les yeux baignés de larmes; La douce Intimité, les Soupirs, les Serments; Les Caprices, fuivis des Racomm-odements. Tel étoit le delTus de ce tifiu mylïérieux; mais fur le revers, La main des trifles Euménides Avoit tracé les noirs Soupcons, La Haine, les Baifers perfides, Les Vengeances, les Trahifons. Par de fombres détours, la pale Jaloufic Se trainant d'un pas chancelant, A 1'Amour infidele, arrachoit en tremblant, Le mafque de 1'Hypocrifie. je ne vous dirai pas Emilie, fi ce dangexeux talifman exifte encore aujourd'hui; cependant, comme la plupart des hommes  SUR LA MïïHOLOGIE. '6*3' fe plaignent de fes effets, il faut bien que,par. une tradition fatale, il nous foit parvenu.. Mais, entre nous, je conjefture, Que 1'A.mour, de 1'Hymen jaloux, Ne fait plus connoicre aux époux, Que le revers de ia ceinture. Quoiqu'il en foit, lorfque Vénus eut revêtu ce divin ornement, les Graces n'y voulurent plus rien ajouter ; perfuadées qu'a 1'age de la Déefle, Ja. parure la plus féduifante étoit la plus flrnple.» En effet; S'il efl un age oü la fimplicité Donne fur-tout un prix a la beauté, C'eft ce moment, qui n'étant plus 1'enfance.,. JNT'eft pourtant pas encor Padolefcence. Ce ton naïf de Tingénuité Cette pudeur fi rare & fi touchante, Ces yeux bahTés, cette bouche riante, Qui ne fait point trahir la vérité; Ce coloris de la rofe naiffante, Cette blancheur, & ce doux velouté; Tous nous féduit, nous ravit, nous enchante. lelie, a vingtans bien moins a redouter,. Ereaait alors les coeurs fans s'en douter.  {%i Lv.e 't' t mis %* Vous-, qui-fortez a peins de cet age, Dans ce tableau voysz vous votre image? ' Peintre novice, en tragant vos attraits, Tantót je-crains d'altérer- quelques-traits; Tantót jecrains, retouchant monOuvrager D'être accufé de flatter oie^portraits.... De les flatter!... Pardonnez a ma MufeCe mouvement de pure vanité. A ce tableau, depuis qu'elle s'amufe, S'il lui paroit que fa main 1'a flatté, Doriginal doit lui fer-vir d'excufe.--  3ïm la Myth-olggie. éÜ L E T T R E XXIV, La Cour célefté étoit afïêmblée pour re»eevoir la fille de 1'Océan. Les DéefTes3, avec un fourire mêlé d'inquiétude, rummuroient entre elles tout bas:. „ C'eft un enfant, a ce qu'on dit. „ Eft-elle bien ? _ Bien pour fon age: - „ Des yeux.... bleux, un teint de-vil[age9, „ Le cceur neuf, autant que 1'efprit; „ L'air agrefte,. le ton chanipêtre,. „ Le fourire plus qu'innocent. „ Mais avec nous, en grandiflant,, „ Cela fe formera peut-être." ' Elles parloient encore , lorfque Vénus fe'préfenta. Sa taille divine , fon mamtien. noble & décent, fes grands yeux bleux, ornés de fourcils d'ébene, fes blonds che-, veux, flottants fur 1'albatre;. ces. contours arrondis, chef. d'oeuvres de la Nature: ces lys,,couverts des rofes de la pudeur; ce modefte embarras , ces grikes naïves,,  66 Lettres cet abandon voluptueux, enchanterent tous les Dieux , & déconcerterent toutes les Déeffes. Commentdonc! difoient-elles,, en fe raordant les levres,, „ Malgré' fon air Provincial, „ C'efi une très-jolie ébauchej Elle a le maintien un peu gauche , Mais elle n'eft point du tout mal." Jupiter fouriant avec tendreife , lui dit en 1'embraffant: „ venez , ma chere fille,. „ venez ceindre la couronne qui vous eft „ deftinée. Junon partage avec moi le „ Tröne du Ciel; Pallas occupe celui de „ la Sagefle; celui de la Beauté vous „ attend. " A ces mots, vous euffiez vu le rouge monter au vifage de toutes les Déeffes. Elles fe regardoient avec un fourire amer,, levant a moitié 1'épaule, & fe tordant lesdoigts. Si 1'ön eüt alors porté des éventails , pas un feul n'en fut réchappé. Elle fe coudoyoient furtivement, & fe. difuient entre les dents.;..  stm la Mythologie. 6f- Que notre chere favorite 3, Doit avoir le cosur gros de. fon petit mérite!: ,, Jupin radote, en vérité! srCar fi la pauvré enfant a quelque connoiflanee,, Des graces & de la beauté, „ Ce n'efl: point par expérience." Cependant Jupiter pofa fur la tête dè Vénus une couronne de Myrthe> & alors, bon gr-é, mal gré, il fallut bier» applaudir. II fallut méme jouer 1'intérêt & la fatisfaclion. Les DéelTes s'en acquitterent a merveille ; car , dès ce temps-la., il y avoit a la Cour , des vifages trés - favants. Cypris confufe, fe voyoit environnée de femmes qui lui fourioient, & s'écrioient en lui tendanc les bras:. ,, Venez mon Cceur, venez ma Reine; „ Comme elle efl belle! Quel maintiériJ „ Quelle fraicheur. Vous rougiflez?.. F. h bien? „ La vérité vous fait donc de la peine ? 3, Qu'elle eft modefte! Que d'attraits! Que de noblelTe.' La friponne }, Sembie avoir le front tout expres „,Fait pour p.orter une couronne."  L E T T »• E 3: Puis elles ajöutoient a 1'oreille: 3a EJj ! mais en vérité, malgré fon air difcret» „ L'orgueil fe met de la partie. „ L'innocente fourit, fauvons-lui 1'ironiej „ La petite fotte -y croiröit. Vénus allarmée de' ces cenfidences ftn* pedtes, les fuivoit d'un regard inquiet;, mais auffi-tot les Déeffes lui donnoient Ie change, & • lui difoient en la caref* fant;- ,(i Ah! vous nous écoutez? Pour une bagatelle „ Nallez pas vous mettre en couroux: „Orinepeut vóus'fóufrrir!...Embrafrez-nous,mabelfe,' „ Nous difbns bien da-mal de vous 9" D'après le dépit marqué des Immortelles, vous devinez fans doute , Emilie , que bientöt Cypris leur enleva la conquête de tous les Dieux. En effet, elle devint en peu de temps , 1'unique objet de leurs amours & de leurs rivalités. Mars & Vulcain fe mirent fur les rangs. Ce der^  sur la Mythologie. $9 nier n'étoit pas ie plus aimable; mais il :Iiit le plus heureux .. Heureux ? Je m'a- bufe ; car, qu'eft-ce que la main, faas . ïe coeur de ce qu'on aime!  70 Lettres LETTRE XXV. Vulcain, feul enfant légitime dc Jupiter & de Junon, naquit fi difforme, que fon pere indigné de fa laideur , le précipita du Ciel. L'avorton Célefte, xoula un jour entier dans le vague des airs; & de tourbillons en tourbillons, 31 arriva le foir dans 1'ifle de Lemnos, dont les Habitants le reeurent fi a propos , qu'il ne fe caffa qu'une cuiffe. Les Nymphes de la Mer prirent foin de lui, & 1'éleverent; mais il refta boïteux de fa ehüte. La Nature, qui lui avoit refufé les graces extérieures, lui prodigua les dons du génie. Dès fa première jeuneffe , il établit dans les montagnes de Lemnos, des forges immenfes. Ce fut la, que 1'or, le fer, 1'airain, fe polirent pour la première foi&. Bientöt il conflruifit de nou-  sur la Mythologie. -73; veaux atteliers dans. les cavernes du mont Ëthna. II y travailloit fans relache, avec fes noirs Cyclopes. Les principaux étoient Brontes , Stérope, Pyracmon & Poliphême. Ces Géants, fils du Ciel & de la Terre, n'avoient qu'un oeilpercéau milieu du front, Leurs bras nerveux, foulevoient fans cefle de lourds marteaux; 1'Ethna retentilToit de leurs coups redoublés , & vomifioit., par fes vaftes foupiraux, une fumée noire & brülante. Enfin, le fils de Jupiter parvint a forger la foudre, & 1'on prétend que fon antre eft encore 1'arfénal du tonnerre. Aufli, j'ai quelquefois rendu grke a Vulcain. Quand votre cceur refufe de m'entendre, Qu'un éclair brille, alors la peur vous rend plus tendre," Et vous baiflez les yeux en me ferrant Ia main, Votre amour croït avec I'orage. Si Ia foudre pouvoit éclater a vos yeux, Je ne changerois pas mon fort avec les Dieux; Mais a peine Zéphir a chaffé Ie nuage, Que mon bonheur s'évanouit Comme 1'éclair qui 1'a produit.  72 Lettres Les taients de Vulcain étoient déja .célébres, lorfque les Titans entreprirent -d'efcalader le Xiel. Jupiter abandonns de tous les Dieux , eut alors recours a ■ fon fils. Celui-ci oub-liant la facon peu civile dont fon pere üavoit. congédié, lui forgea des foudres, & les Titans furent terrafles. En reconnoifiance de cet important fervice , Jupiter accueillit Vulcain dans fon Palais,. & le rétablit dans tous fes droits. Mais le Dieu bo£teux, voulant fe venger de Junon , qui 1'avoit fait un .peu trop laid , lui fit préfent d'un Tröne dor, fur lequel la Déefie en s'affeyant , fe trouva prife par des reflbrts invifibles. Elle fe plaignit vivement de-cette injufti.ce , - & 's'écria: „ Vous êtes laid, mon fils, & ]e fuis votre mere; „ J'en porte la peine; mais quoi.' ,, Si vous fütes doué d'une laideur amere, „ Eft-ce plutót ma faute,. a moi, „ Que la faute de votre pere?" Vul-  sur la Mythologie. 73 Vulcain frappé de la juftefle de cette remontrance, délivra Junon, & alla trouver Jupiter, auquel il demanda Minerve en mariage. Auffi - tot le Roi du Ciel appella Minerve; & lui préfentant fon héritier préfomptif, „ II eft temps, luidit-il, Déefle, „ De fubir les Ioix de I'Hymen; „ II eft temps de donner enfin, „ Des héritiers a Ia Sageile. „ Voici mon fils; vous connoiflèz „ Ses chef-d'cevres & fon génie; „ Cédez a fes vceux; uniffez „ Les Arts & Ia Philofophie." A la vue du prétendant, Minerve, qui jufqu'alors s'étoit promis de garder fa virginité , fe fentit, plus que jamais, réfolue de tenir fa promeffe; elle rappella donc k Jupiter, le ferment irrévocable qu'il lui avoit fait , de ne jamais difpofer de fa main. Jupiter lui répondit: Sec. partie. D  ■74 Lettres ,?, J'ai juré par le Styx., de re pas vous contraindie „ a former un engagement; s, Mais je n'ai répondu d'aucun événement, „ J'aurois tremblé de voir enfreindre „ Dix fois par heure mon ferment. „ Je fais qu'une Vierge difcrete, „ Qui fent foiblir fon pauvre cosur, „ Pour autorifer fa défaite, Donne la main a fon vainqueur. „ L'occafion vous eft offerte, „ Vous, ma fille, de refifter; „ Et vous mon fils de 1'emporter; „ Ainfi , mes enfans, guerre ouverte. Vulcain, pour triompher de Minerve, au lieu d'intérefler & de gagner fon cceur , s'y prit comme un Forgeron. Mais la. Déefle fe défendit courageufement de fes violences; & de cet amour infructueux, naquitEréfichton, qui, pour cacher fes jambes de ferpent, inventa les Chars , dont 1'ufage s'eft renouvellé de nos jours. Pour dédommager fon fils des difgraces .de l'amour , le Roi du Ciel le co.mbla d'honneur, & le fit Dieu du feu. On lui Mtk plufieurs Temples, oü il étoit re-  STJK la Mythologie. ^ préfente appuyé fur une enclume, & ayant a fes pieds 1'aigle de Jupiter, prêt a porter la foudre. Le plus célébre de ces Temples étoit élevé fur ie montEthna. II falloit, pour en approcher, être chafle & pur. La garde du Sanftuaire étoic confiée a des chiens, qui, par un inftincl: miraculeux , careffoient lesgens de bien, & dévoroient les hypocrites. Si ces gardiens fideles veilloient encore a la porte des Temples, Après nos longs péïerinages Et nos longues procefllons, Combien de dévots perfonnages Auxquels i!s mordroient les talons! Dans la fuite, on inftitua des Fêtes en 1'honneur de Vulcain. Les Athéniens les célébrerent avec beaucoup de pompe Us établirent des courfes appellées Lampadophores, & propoferent desprix auxvainqueurs. Les concurrents portoient des flambeaux allumés. Celui qui ïahToip D 3  76 Lettres éteindre le fien avant d'arriver au but, te cédoit a fon Emule, & fe retiroic. Même accident chez nous arrivé d'ordinaïre, Quand 1'Hymen & 1'Amour courent même carrière , Leflambeau de 1'Amour, a queloue pas, s'éteint, Alors ce Dieu s'envole, & le cede a 1'Hymen. Le culte de Vulcain s'étendoit fur toute la terre, & les chef-d'oeuvres fe mul» tiplioient fous fes mains. La vanité & l'amour des beaux Arts , 1'avoient enfin délivré des inquiétudes d'un fentimer, t plus tendre. 11 fe promettoit bien de ne plus écouter fon coeur; mais Vénus parut, & fes réfolutions s'évanouïrent. Tel efl, Emilie , le fort des hommes & des Dieux; & .tel eft le votre, peutêtre; Malgré 1'apparente froideur, Qui fur votre vifage eft peinte; La Nature djns votre cceur, De raaiour a gravé fempreinte; Vos yeux nageants dans la langueur, j]i ;¥jstre abandon, vos jêveries,  sur la Mythologie. jtjr Vos foupirs, vosregards baüTés, Vos graces a demi fiétries; Tout parle quand vous vous taifez. Vous cachez vos larmes furtives, Vous vous penchez comme une fleur; Du jafinin, la tendre paleur, Onaffe vos rofes fugitives. Ah', croyez-moi, les Arts charmants Que vous cultivez, Emilie, Ne peuvent remplir les moments Des plus beaux jours de votre vie. Votre coeur, privé d'aliment, Soupire après un fentiment Que votre fageffe appréhende; Vous eflayez de le nourir D'encens, de gloire, de plaifir..." Ge n'eft pas la ce qu'il demande! D 3  Y$ Let t r e' $, L.ETTRE XXVI. M ars, allarmé des difpofitions favorables de Jupiter pour Vulcain, chercha du moins a gagner par adrelfe, le coeur de celle qu'il ne pouvoit obtenir par fon crédit. Perfuadé -que la. vanité efl; fouvent le chemin du coeur d'une femme , & que 1'éclat flatte toujours la vanité, il s'offrit a Vénus, dans 1'appareil forrnidable ide toute fa puiffance. II étoit fur un char d'airain,, trainé par deux chevaux fougueux. Leurs crins hérifles, leurs yeux ardents, leur bouche écumante de fang , leurs narines ibufflant & refpirant. la vengeance , les. avoient fait nommer la Terreur & la Crainte. Debout, fur le devant du char, Bellone, le regard furieux , les cheveux épars, tenoit les rênes d'une main ; de I'autre, un fouet. enfanglanté. Le Dieu,  sur la Mythologie. 79» !e front couvert d'un cafque d'or, fur» snonté d'un panache _ s'appuyoit fiere= ment fur fa lance. Ses membres nerveuxj étoient revêtus d'une armure d'acier étincelant. Son bras gauche tomboit 'fur Is poignée d'un glaive , & préfentoit un vafle bouclier. La férocité , 1'orgueil, I'impatience & la rage, fe peignoient tour-a- tour fur fon vifage rude& bafanné, & faifoient froncer fes noirs fourcils. La Difcorde & la Fureur, 1'osil en feu, le front pale & livide, armées d'unpoignard & d'une torche brulante, accompagnoient lechar, & trainoient après elles 1'Innocence & la Foiblëffe chargées de chaines. Le Défefpoir, les Plaintes & la Misère,, les yeux baignés de larmes, les membres déchirés & couverts de triftes lambeaux,, fuivoient d'un pas chancelant, & fer-moient la marche. Vénus, plus effrayée que fiattée dé cet: appareil, prit la fuite, mais fon Amant: D 4.  L E T T K E S la lui vit; & dépofant a fes pieds fon crgueil & fes armes, il s'écria: ;, Eh quoi! vous détournez les yeux, D'un Dieu qui pour vous feule,eftfierdefapuiflance! Hélas! s'il vous eft odieux, „ Lahaine, de l'amour eftdonc la récompenfe?... '„ Mais, par un fentiment plus nobie que l'amour„ „ Vous devezm'être toujours chere: „ Une fleur (*) m'a donné Ie jour, Et vous reflemblez a ma mere." Vous voyez , Emilie , que les Héros amotsrenx faifoicnt alors des Madrigaux, teut auiTi-hkn que les Eolands & les Amadis. Vénus, enchantée de ces jolies chofes, prêta 1'oreille, & fourit. Mars foutint quelque temps fon ftyle douce* reux , & fut payé d'un regard tendre: alors, für de fa vi&oire, il reprit Je ton Militaire: „ On m'a rapporté que Vulcain „ Ofoit marcher fur mes brifées, „ Et même, afpiroit a la main „ De la Dame de mes penfées; (*j Voyez la Leure VI.  sur la Mythologie.' „ Qu'il fe préfente, jel'attend, „ Et le mene (*) tauibour-battant. „ Seul, je veux & je dois vous plaire,. T ,, Mais pourquoi ce regard févere? Je m'attends bien, le premier jour, „ A quelqu'efcarmouche légere; ,r Etes-vous de la vieille Cour ? „ Voulez-vous faire mon martyre? „ Soit; je meurs!,. Cela va fans dire.;r „ Allons, payez-moi deretour; „ Le Printemps ramene la guerre, ,, Je n'ai pas Ie temps néceflaire 3, Pour filer Ie parfait amour. „ Nous nous convenons 1'un & 1'autre, „ Je vous aime, vous m'adorez; „ Vous avez ma foi, j'ai Ia vótre; „ Nous finirons quand vous voudrez. '* Vénus déconcertée par Ie ton d'aflurance, Sc par la volubilité de fon Amant, fe irouvoit dans un état de crainte & d'incertitude inexprimable. Elle dégageoit avec peine fes mains tremblantes, que (*) Quelques Critiques judicieux, trouvent dans cette Btpreffion un anachronifmc, paree que, difent-ils, il n*y avoit point alors de Tambours. Je m'en rapporte, fur ce point capital, a la décifion du Dofleur Mathanafms,  BS L E ï TRES», Mars couvrok de baifers; & rattaehoit,, en; rouguTant, fes cheveux &fon voile en défordre. Enfin , elle le conjura dela laiffer feule pour refiéchir. Mars, torn-, bant a fes pieds, lui. répondit i: 3, Je Ie vols trop, vous voulez .que je meure. V», Eb bien! je me réfigne, & vais fubir mon fort: „ Pour me donner, ou la vie, ou la mort, „ Je vou& laiffe un demi-quart d'heure." A. ces mots , il fortit brufquement $ L'Aurore venoit de s'éveiller , & regardoit avec compaffion Vénus, qu'elle voyoic pleurer pour la première fois j les autres Déeffes fommeilloient encore, La Molefle & la Volupté, De pavots chargeoient leurs paupieres? Et femoient de rofes légeres, Leurs charmes brillants de fanté, Et couverts d'un doux velouté. Les Plaifirs, amis du Süence, Prés d'elles, fouloient le duvet, Et careflbient leur nonchalance. Leurs levres avoient la fraicheur D'une fleur qui s'entrouvre a peine; Et 1'on eüt dit, a leur haleine, Qu'un zéphir fortoit de Ia fleur. A leur réveil, les Immortelles apprirent deux nouvelles, qui leur furent également agréables: le mariage de Vénus, & le rappel d'Apollon. Ces deux évenements occuperent les heures rapides de la toilette , & firent éclore un doublé projet: Vénus s'étoit levée avant 1'Aurore; elle avoit pleuré, elle devoit avoir les yeux  9 „ jufte, & que vous connoiffez peu moi^ „ cosur!" „ Sans rien ofer, fans rien prétendre, „ Prés de vous je me trouve heureux* „ Un mot, un regard un peu tendre,. „• Un fourire comble mes vceux. E $  102 Le tt m „ L'Amour exigs qu'on Ie flïtte, „ Les faveurs font fes aliments; „ Mais L'Amitié, plus délicate, „ Vit de la flemr des Sentiments." 'Cette tendreffe Métaphyfique raffaroic Vénus; mais Ie piége n'en étoit que plus adroit. L'Amour, caché fbus le voile de 1'Amitié , efl un bouton de rofe renfermé dans fon enveloppe. II perce peu-a-peu ce tifïu léger. On 1'entrevoit avec plaifir. Ses progrès font rapides , mais ils paroiflent infenfibles a l'o&il qui les fuit & qui les defire. Apollon ., par une nuance délicate, faifoit ainfi paf? fer Vénus , de 1'inquiétude , a la confiance; & de la confiance, au defir. Ses regards devenoient encore plus expreflifs, ia voix plus tendre, fon criant plus affectueux & Cypris ne. fe laffoit pas de 1'entendre chanter. Un jour enfin, il héfita quelques inflants. Vénus infifla; alors, baiffant le* yeux , il chanta d'une voix tremblante:  soa la Mythologie. i©$ Depuis qu'aux genoux de Cyprins Je paffe mes plus doux raoments, C'eft en vain que je m'examine, Pour démêler mes fentiments. Je fais fort bien que je foupire, ' Que je fuis fou plus qu;è moitiéj Mais je ne fauiois trop lui dire Si c'eft d'amour ou d'amitié, Je crois qu'ils font d'intelligence Pour me tourmenter tou^a-tour? Dans les regards qu'elle me lance, L'Amitié contrefait 1'Amour. Mon coeur alprs plein d'efpérance, Palpite plus fort de moitié; Mais pres d'eile, fi je m'avance, L'Amour contrefait 1'Amitié. Par une erreur involontaire, Craignant fans ceffe que mon cceur Ne vole Ia fceur pour le frere, Ou bien Ie frere pour Ia fceur; Je tranche, de peur d'injufticas, Le différend par la moitié; Et je confonds les facrifices, De 1'Amour & de I'Amitié. Vénus ayant une fois agréé ce mélange; 1' Amitié ne fut plus long- temps de la partie 5 E 4  ic<$. Lettres & bientöt nos tendres AmisfurentAmants paffionnés. Mais les yeux de Vulcain,. mais les regards de tout 1'Olympe, interceptoient leur moindre coup- d'oeil. Un tête - a ■ tête eüt été fi doux ! Mais ils n'avoient , ni 1'un , ni 1'autre , aucun prétexte pour s'abfenter. Vénus foumiie encore aux bienféances, n'ofoit abandonner fon Epoux. Apollon , nouvellement rappellé , ne pouvoit quitter le Roi du Ciel. Enfin, les circonftances changerent: Vulcain devoit s'abfenter pour Lemnos. Vénus, durant cevoyage, avoit obtenu ja permifiion de vifiter fa planette (*). Apollon fupplia Jupiter rde lui accorder de nouveau le char de la lumiere. Jupiter y confentit Nos Amants fe rencontreront fans doute & vous prévoyez 1'infidélité de Vénus. Mais, fes jouiflances feront paifageres, & 1'Hymen fera vengé. i*j L'Etoile de Vénus.  S'UR la Mythologie', log" Depuis cette époque , Apollon ne quitta plus le Tröne du Jour. On affure: même , que c'eft encore lui- qui regie" Fordre des faifons , qui fait' éclore les; fruits & les fleurs; & qui, dans fa courfe' rapide, voit , a chaque pas, tout changer, excepté mon cceur , & lë votre,, peut - être.- Pbcebus, tous les ans, fur vos tracés"-,Trouve, en recommencant foncours,> Nouveaux Talens, nou velles Graces,; Mais toujours les mémes Amours.- Tandis que la folie jeunefle Court après la diverfité , Que je trouve dans ma tendrelTe? Une douce uniformité! Eh ! comment , loin ds ce qu'il aimej. Mon coeur iroit-il s'engager? Mon amour eft cömme vous-même II ne peut que perdre a cbanger.  io6 Lettres LETTRE XXX. .A. ü moment paifible oü Vefper (*) attelloit le char de la Nuit, le char dit Soleil s'arrêta fur 1'horifon. II étoit environné de nuages d*or & de pourpre, qui formoient dans le Ciel un cahos radieux. Les Aftronomes de ce tempsla, prirent ce phénomene pour un Météore , & palTerent la nuit a 1'admirer. Mais les Mortels ignorent les fecrets Hbs Dieux. Le phénomene étoit un voile brillant, fous lequel le Roi du Jour attendoit la Reine de la Beauté. Elle arrivoit au rendez-vous , portée fur 1'étoile du Berger. Les Amants defeendirent fecrétement dans 1'iile de Rhodes; &, a la faveur du Météore {.*) Ce Dieu préfidoic au matin , fous le nom de Lucifer;, & au foir, fous le nom de Vefper»,  sur la Mythologie. 107 ils échapperent aux lorgnettes des cu« rieux. Seuls dans cette ifle , couverte de bofquets & de collines , ils ne tarderenc pas a s'e'garer. Heureufetnent ils s'égaroient enfemble , & le Myftere qui les guidoit, connoiffoit le labyrinthe. Apollon , pour alTurer la raarche de Vénus,, La foutenoit doucement dans fes bras. De temps en temps, le gazon les invitoit 3 fe repofer; mais la prudence leur défendoit de dormir. Mon ami , difoit Vénus, „ que cette Nuit eft belle ! Vo„ tre regne ne vaut pas celui de votre „ fceur. Ah! pourquoi ferme- t-on les „ yeux, quand il eft fi doux de veiller'; „ Non, jamais les pavots de Morphée,. „ n'eurent pour moi la douceur des rofes „ qui peuplent ce féjour. Je ne fris quelle „ douce amertumej'y goüte, afoupirer „ avec vous. Je ne connoifibis pas le „ prix des larmes, & j'ignorois encore „ qu'il y edt une trifieffe préférable k E 6  io8 Lettres- „ roos lesplaifirs. Ne vous femble-1 - i!: 3, pas, mon ami , que ce vallon efl en* „ chanté , que lés oifeaux y redöu„ blent leurs carefTes, que les hommesy „ doivent refpirer l'amour.... Etqu'ici, 3, les Dieux font des hommes. " Je n'ofe vous tracer, Emilie, ce qu'Apollon lui répondoit. Le langage des Amants heureux, efl pour moi un langage étranger; cependant,, Depuis long - temps. jé pourrois Ie comprendfe: Et Ie parler , fi vous 1'aviez voulu; Car vous favez qn'iln'eut fallu Qu'ure leconpour me Tapprendre; Tous aurez donc la complaifance de fup*pléer ce que- vous ne m'avez par mis en état de vous écrire; Cette nuit trop courte , fut une heureufealternative de doux propos & de filence,. peut-être, plus doux encore; en effet,, Dans cesoioments dëlicieux, Cupidon lui-même balance, Pour décider lequel vaut mieux, Ou du parler ou du filence,  SUR L K' MYTHOLOGIE. iöjJP Phoebé , qui fouvent marche avec tant de lenteur, eut alors, en peu d'heures, parcouru fa carrière; & 1'Aurore importune , rappella Phoebus dans les Cieux. II fallut déja fe quitter !: Vénus en foupi' En pourfuivant les raonftres des forêts, il appercut Vénus, cc s'arrêta. Cypris étonnée, leva les yeux, & ne les baiflk plus.  1x3 Lettres Le Chafleur oublia fon are & fon carquoii. Vénus, du fein des pleurs, fentit naitre un fourire. Ils fe voyoient alors pour la première fois; Mais ils fembloient avoir quelque chofe a fe dire. Enfin , après avoir héfité long - temps, le timide Chafleur rompit ainfi le filence: „ Vénus vient quelquefois vifiterces beaux iieux; „ En vous voyant, j'ai cru... Mais fans doute mes yeux „ Ont été trompés par vos charmes: „ Si vous étiez Vénus, verferiez vous des larmes? " Hélas! répondit-elle, vóus ignorez donc que les Déeffes font fenfiblès, & les Dieux infideles V Mais vous, aimable Mortel, qui êtes-vous ? Quels font les Auteurs de vos jours ? A ces mots, 1'adolefcent rougit , & lui dit, en baiflant fes longues paupieres: „ ma naiflance efl: un fecret, „ & mon exiftence efl; un crime. Cyni„ ras, mon pere, régnoit dans cette ifle „ heureufe. II n'avoit alors qu'une fille, 's, qu'il chéiriflbit tendrement. Myrrha „ le payoit de retour j mais fon cocür  sur la Mythologie. n} „ aveugle s'égara, & la piété filiale fit „ bientöt place a l'amour. L'infortunée, „ pour éteindre cette flamme inceftueufe, ,, efTaya de terminer fes jours. Elle déta. „ cha fa ceinture, & voulut s'étrangler. „ Mais fa nourrice accourut, coupa le „ noeud fatal, la rendit a la vie , lui „ arracha fon fecret, & favorifa fon cri,, me. L'époufe de mon pere célébroit ,, alors, durant la nuit, les myfteres de „Cérès* Myrrha, conduite par fa nour,, rice, prend fa place dans le lit nuptial. „ Mais bientöt Cyniras s'appercoit de cette „ horrible méprife. II alloit venger la „ Nature; fa fille échappe afa vengeance. „ Durant huit mois entiers , elle erra jufques dans le pays des Sabéens, portant „ avec elle le remords & le fruit de fon „ crime. Enfin, les Dieux, a fa priere, „ la changerent en cet arbre d'oü dé,, coule la myrrhe. Hélas.' ces larmes „ précieufes, font les pleurs de ma mere. }) Sous cette forme nouvelle, elle me  i2o Lettres. nourriflbit encore dans fon fein. Enfin, le terme marqué par Lucine arriva; .„ 1'écorce de 1'arbre s'ouvrit, & je vis Ie „ jour. Les Nymphes, touchées de mon „ fort, me recurent dans leurs bras, & „ prirent foin de mes plus tendres an„ nées. Tant que vécut mon pere, je „• n'ofois paroitre dans le féjour qu'il ha„ bitoit; mais il n'eft plus, & j'ai cru 3, qu'il m'étoit du moins permis de venir „ pleurer fur fa cendre. Hélas! je mé„ ritois peut - être une autre origine. Le „ cceur d'Adonis eft pur ; plaignez-le, „ mais ne le haïffez pas." A ces mots, les foupirs étoufferent fa voix, & deux ruiffeaux de larmes , fillonnerent fes joues. "Vénus attendrie, les elfuyoit en foupirant. Confolez-vous, lui difoit-elle, tous les cceurs ne vous font pas fermés. Ne vous accufez point du crime de votre mere, car je ne voudrois pas aimer un coupable. Eh! qui m'aïmera, s'écrioit-il? Je n'ai plus. de fosur.— C'eft  sur la Mythologie. 121 C'eft moi qui la ferai. — Je n'ai plus de mere. — Eh bien! je vous enjfervirai. Et elle appliqua fur le front de 1'orphelin, un baifer. Je ne vous dirai pas, Emilie, fi cefut un baifer fraternel ou maternel ; vous en jugerez bientöt vous-même. Pour moi, j'imagine que 1'émotion de Vénus reiTembloit alors k celle que mon cceur éprouve auprès de vous: Le doux fentiment que Je goüte En vous revoyant chaque jour, Eft plus que 1'amitié, fans doute, Mais n'oferoit être l'amour. II eft de le faire connoitre, Plus rnal-aifé que d'en jouir; Je le fentirois moins, peut-être," Si je pomvois le définir. Sée, partie. S  aja Lettres LETTRE XXXII. Vous attendez impatiemment, Emilie, la feconde entrevue de Vénus & d'Adoïïis. Vous allez être fatisfaite; 1'Aurore entr'ouvre les portes du jour; voiei les Amants. Au bas de cette colline, n'appercevez-vous pas Adonis, les yeux baiffés, la tête penchée, la démarche incertaine, accourant, & craignant d'arriver au rendez-vous? Au détour de ce bofquet, ne découvrez-vous pas Vénus, quifecache derrière un buiffon de Myrthe ? A travers les branches qu'elle écarté, elle appercoit Adonis, elle jouit de fon embarras; elle 1'attend, & lui pardonne de fe faire at. tendre. II arrivé enfin. Vénus paroit. Voyez comme il efl confus de fon bonheur , & comme elle efl heureufe de fa confufion ! II fe tait, elle regarde , il leve les yeux; les voila tous deux imm©-  sur la Mythologie. 123 biles. II fe font tout dit, & le filence dure encore. Enfin, Cypris dépofe un baifer fur fa main, & la lui abandonne. Adonis recueille le baifer, en donne mille en échange; & Vénus retire fa main* pour les recueillir a fon tour. Alors, 1'Amant timide, un peu rafluré, lui dit a demi voix: „ Cette belle main doit vous dire, „ De quels feux je me fens brüler; ;, Mais hélas! pourquoi s'écrire, „ Tandt? qu'on peut fe parler? A ces mots, Vénüs lui fourit, lui tead les bras, & ils fe parient. Après cet entretien muet, mais délicieux, Vénus remarque que fon bien • aimé rêve & foupire. Elle veut en favoir la caufe* „ Hélas ! répond - il en rougifiant, de„ puis un infiant, je crains d'avoir ua „ luflre de plus. Jufqu'ici je n'ai point „ compté mes jours; mais pardonnez„ moi d'en devenir avare , depuis que „ je vous les ai confacrés. Hélas ! fi ce F 2  124 Lettres „ qu'on m'a raconté efl véritable , je „-fte jouirai pas long - temps de mon bon3, heur. „ Au Printemps dernier, la jeune Au'„.rore, fille de Titan & de Cybelle, ap„ perjut Titon,. frere dePriam; il étoit „ beau, pour fon malheur ; la Déefle 3i 1'aima. Elle defcendit de fon char de „ rofe, prit Titon par la main , & le s, conduifit dans l'ifle de Délos. La, 3, 1'Hymen les unit iècretement; & 1'Au- rore obtint des Parques, 1'irnmortalité j, pour fon époux. Mais fimmortalité ji'éloigne pas la vieillefle, & les Mor- tels vieilliflênt bientót auprès des Divi^ nités. Chaque faveur que Titon obteM noit de fon époufe, le vielliflbit d'un ?, luflre; & avant que 1'Aurore eüt douze fois éclairé I'Oriënt, elle vit fon époux p fe courber fous le pqids de la cadu- cité. .Titon fupplia ,les Dieux d'abréSs ger jcette vieillefle éternelle; & les j,, Dieux, touchés de fon fort, le chan-  sur la Mythologie. 125 „ gerent en Cigale. Sous cette forme „ nouvelle, il chante encore, d'une voix „ affoiblie, les plaifirs de fa jeuneffefur„ tive; & dans peu de jours, peut - être ,• „ je chanterai, comme lui, le fonge ra-. „ pide de mon bonheur." Adonis fe tut, & foupira. Vénus ,~ fembraflant avec tendrelfe , lui répondit: „ Ah! ne crains point cette tnétamorphofe. „ Adonis, dans mon fein, jamais ne vieillira. „ Mon Adonis eft une rofe, ,, Que mon fouffle rajeunira." Ces parölés, & quelques careffes, le raffurerent. Bientöt les allarmes s'éloignerent, & les plaifirs prirent leur place. Vénus ne quittoit plus Adonis. Armée, comme lui, d'un are & d'un carquois, elle le fuivoit a travers les bois & les précipices. La Reine de Gnide & de Paphos fe foumettoit aux loix de Diane, qui bravoit fa puiffance ; & l'amour étouffoit la vanité dans le coeur d'une Déefle! Si F 3  X&6 Lettres quelques-fois 1'ardeur de la chaffe féparok les Amants, ils fe raprochoient auffiröt, ne fut-ce que pour fe répéter : je t'aime ; car , je vous aimey n'étoit pas alors en ufage pour une feule perfonne. II étoit réfervé a notre Langue, de diftinguer par vous & ta, le refpeft & la tendreffe. Cependant, elle n'a pas £out pré vu ,- car, lorfque ces deux fentiments font réunis, quel mot faut • il employer? Je n'en fais rien; & je vous avouerai même , Emilie, que fouvent, tandis que ma bouche dit voust mon cceur vous tutoie in petto. Que cette liberté tacite ne vous alarme pas. Tu, ne peut vous être uifpect; Tu, s'adreffe a 1'Etre Suprêaie. ii peut dons, fans nuire au refpecl;, S'adreflfer a 1'être qu'on aime.  sür la Mythologie, isf LETTRE XXXIII. L-Tnis par 1'êge & par les fentiments, Quelle douceur, quelle volupté pure Doivent goüter deux fideles Amants! Leurs foupirs, font la voix de la Nature. » Tout leur fourit; les feux de leur amour Sont aufli doux que les rayons du jour. D'un feul regard, le couple aimable & tendre„ Sait fe parler, fe répondre & s'entendre. Sont-ils heureux? L'amour a leur bonheur, Par fes faveurs, prête de nouveaux charmes. Dans leurschagrins, 1'Amour, confolateur, A vingt fecrets pour efTuyer leurs larmes. C'eft un fourire, unmot, ungefte, unrien; C'eft un propos dicté par la tendrefle; C'eft un baifer, une main que 1'on prefle, Un cceur qu'on fent battre contre le fien. Dans ces moments, oü foi-même on s'oublie» Se fouvient-on des peines de la vie? Non, croyez - moi; de fon enchantement» Lorfque le cceur enivré fe réveille, Tout eft pafl"é; les plaifirs du moment Ont effacé les chagrins de la veille. F 4  128 Lettres. Vénus éprouvoit, depuis quelques jours, cette douce confolation ; Apollon étoit oublié; Adonis aimoit pour la première fois ; c'étoient la candeur & l'amour même. Cypris connoifibit, a fes dépends, tout le prix de ce tréfor. Elle en jouiffoit avec délices, & ne conccvoit pas au monde, un état plus heureux que le fien. Mais s'il eft un bonheur paflager , c'eft celui qui naït de l'amour. Déja le Printemps s'étoit réfugié dans l'ifle de Chypre , & 1'Automne cédoit a 1'Hyver 1'Empire du refte de la terre. Mars revenoit couvert delauriers, & fe flattoit de retrouver Cypris en quartier d'Hyver. En arrivant, il apprit la méfintelligence qui régnoit entre Vulcain & fon époufe ; cette nouvelle lui parut d'un favorable augure. Mais 1'accuei] glacé qu'il regut de Vénus, fit évanouir fes efpérances, & naïtre fes foupcons.  sur la Mythologie. 129 Ce Dieu favoic qu'une Belle Qui nous enleve fon coeur, Le reprend bien moins pour elle, Que pour notre fucceffeur. II en réfultoit , felon lui, que Cypris avoit une inclination fecrete ; & comme elle paflbit une partie de 1'Hyver dans l'ifle de Chypre, il y avoit la quelque myftere , ou bien Mars ne connoifibit pas les femmes. Or, il fe piquoit de les connoitre, «Sc de n'être jamais dupe de leur diflimulation. II épia donc Vénus dans fes fuites champêtres , & reconnut avec dépit , qu'il 1'avoit jugée d'après les vrais principes. Auffi - tot, le Dieu jaloux , jure la perte d'Adonis; il lui fouffie la fureur des combats, & allume dans fon cceur la foif du danger. Adonis ne refpire plus qae la guerre ; il brüle d'affronter les bêtes féroces. Cette belliqueufe audace brille dans fes yeux , anime foa teint, & lui donne une grace nouvelle. F 5  ^3° Lettres Jamais Venus ne 1'a tant aimé ; jamais ■elle n'a tant craint pour fes jours. „ Mon „ cher Adonis, lui dit-elle, d'oü vous „ vient cette folie témérité ? Préférez„ vous Diane a Vénus qui vous chérit ? 9, Ceffez de combattre les monftres; vous êtes fait pour de plus douces „ viéloires. Hélas ! mon rang m'appelle * aujourd'hui a la Cour de Jupiter. Je reviendrai bientöt; je ne vous quitte „ qu'en tremblant, Ah! fi je vous fuis „ chere, ménagez vos jours, & vivez •„ pour celle qui n'auroit pas même la „ confolation de mourir après vous." A ces' mots, elle Pernbraflë avec tendrefie. Mais a peine fon char s'envole vers 1'OJympe, que Mars lui-rnême fe préfente fous la forme d'un Sanglier. Ses crins hérifles, fa gueule menacante, fes yeux etincelants, réveillentl'ardeurimpétueufe «TAdonis; il oublie Vénus, s'oublie luimêrne, part comme la foudre, atteint le  sur la Mythologie. 131 monflre , & le perce d'un trait. Le monflre furieux , fe retourne , fond fur le jeune Chafleur, le terrafle, & lui enfonce dans 1'aine , fa dent meurtriere. Adonis tombe, baigné dans fon fang. Zéphir porte a Vénus, le dernier cri de fon cher Adonis. Vénus y répond; 8c foudain fes Colombes, d'un vol précipité, redefcendent. La Déefle éperdue, court a travers les rochers & les ronces, déchire fon fein d'albatre & fa belle ceinture , & fes pieds délicats. Elle fe jette fur fon bien-aimé , referme fa bleflure en~ tr'ouverte, arrache fon voile, bande fa plaie profonde, & s'eflbrce d'arrêter le fang qui s'échappe a gros bouillons, 8c ruiflelle entre fes doigts. Soins inutiles 8c tardifs! Adonis n'efl; plus. Ses yeux brillants s'éteignent, fon front palit, fes levres vermeilles fe décolorent, & reflem«i blent a la violette flétrie. En vain, fa malheureufe Amante, fouleve avec efforc ce corps immobile, le ferre dans fes bia»}  I32 Lettres appuie fon coeur fur Ie fien ; prefTe, de fa bouche de feu, cette bouche expirante, & cherche a la ranimer du foufBe de fa chaleur Divine; fon cher Adonis ne la fent plus, & fe glacé contre fon fein. Tout-a-coup ce froid mortel la faifit. La Déeffe frilfonne , recule, & tombe en invoquant la mort. Mais la mort, avare & fourde, emporte fa proie fans 1'entendre. Hélas!... En refpirant la vie & le dernier foupir Du Mortel chéri qui nous aime, Qu'il eft cruel de ne pouvoir mourir, Et de fe furvivre foi-même.' La malheureufe Cypris , déteflant fimmortalité, qu'elle pouvoit partager avec fon Amant, chercha du moins a ranimer de lui quelqu'étincelle. Elle recueilat le fang qui couloit encore de fa bleffure; & du relte de fa tiédeur, fit éclore 1'Ané(jnone.  sur la Mythologie. 13-3 Emblême de la vie, aimable & tendre fleur, Qui brille Ie matin, le foir perd fa couleur; Et paffant de nos prés fur 1'infernale rive, Nous préfente, en un jour, 1'image fugitive De Ia jeunefle & du bonheur. Après cette métamorphofe , Vénus fit éJever dans cet endroit même , un Temple a fon cher Adonis. La , fe renouvelloit tous les ans, la pompe de fes funérailles. Les habitans de la Syrië, & ceux de la Grece, adopterent dans la fuite cette fète annuelle. Le premier jour, ils fe couvroient de vêtements lugubres, s'arrachoient les cheveux , Sc fe frappoient la poitrine , en pleurant la mort d'Adonis. Le lendemain, ils célébroient avec allégrefïe, fa réfurreclion & fon apothéofe; ainfi dés ce temps-la, comme aujourd'hui , 1'on voyoit toutes les femmes, Du foir au lendemain, changeant de ton, d'humeur, Comme d'habit & de couleur, Et retournant leur phyfionomie, Pleurer de joie ou de douleur, Suivant la circonftance & Ia cérémonie.  134 Lettres Mais la vérité m'éloignede ia Fable; j'y reviens: Cypris , après avoir ren du les derniers devoirs a fon bien • aimé , fongea elle- même a foigner fes bleffures. En volant au fecours d'Adonis, elle n'avoit fenti, ni les rochers, ni les ronces qui 1'avoient déehirée. Les rofiers épineux étoient teints de fon fang. Plufieurs gouttes jaiilirent fur les rofes ; & ces fleurs, qui jufqu'alors avoient été blanches , conferverent, depuis cet accident, la couleur du fang de Vénus. Auffi, moi, qui jamais n'obtins d'autre faveur, Qui jamais n'eus d'autre reflburce, Que de vous préfenter quelques-fois cette fleur; Je crois, en Ia voyant briller fur votre cceur, Voir le fang de Vénus retoumer a fa fource. j  sur lk Mythologie. 135 L E T T R E XXXIV. V"o u s favez , Emilie , ou vous faurez un jour, que ce qui défole une femme , en confole fouvent une autre. La more d'Adonis fit le défefpoir de Cypris & la confolation de Proferpine. Cette Reine, qui s'ennuyoit beaucoup dans fon Empire, fut enchantée d'y recevoir le favori de Vénus ; &, ce qui la charmoit encore plus , c'eft que la Déefle ne pouvoit fuivre fon Amant dans 1'Elifée. .Proferpine fe flattoit donc de pofleder feule fOmbre d'Adonis. Ce bonheur vous parolt fans doute imaginaire: Qu'eft-ce qu'une Ombre pour un cceur! Mais apprenez qu'Amour, pour 1'ordinaire, Court apr.es 1'Ombre du bonheur. Vénus qui pleuroit encore fon cher Adonis, inftruite des projets de Proferpine, en concut une douleur amere. Mais bien-  136 Lettrestöt le dépit fuccéde a la douleur , & fe rage au dépit. Ses fanglots s'arrêtent, fes larmes fe féchent fur fes joues brülantes. La fille de 1'Océan vole a 1'Olympe, fraverfe la foule des Dieux , fe jette aux pieds de Jupiter, les prefie de fes mains tremblarttes; &, ne diflimulant plus rien : „ oui, mon pere, s'écrie-t-elle , oui, », j'aimois Adonis. Je 1'aimois , je 1'ai „ perdu! J'ai perdu la jeunelTe, les char„ mes, la tendrefie de mon Amant. Son „ ame encore me reffoit fidelle, & Pro„ ferpine prétend me la ravir. La cruel„ le veut m'enlever jufqu'a 1'Ombre de „ ce que j'aimois. O Jupiter , venges„ moi. Rends-moi mon Adonis. Qc?iï „ vive, pour que Proferpine ne triomphe „ pas de ta fille, & que fimmortalité ne „ me foit plus infupportable." Jupiter attendri , mais n'ofant décider une querelle dont le motif compromettoit les droits de 1'hymenée , ordonna aux  sur la Mythologie. s$j deux rivales de s'en rapporter au Juge. ment de Thémis. Cette vierge immortelle , fille du Ciel & de la Terre, & fceur de 1'aimable Astree , portoit un bandeau fur les yeux. D'une main elle tenpit un glaive, de 1'autre une balance, & le mirojr de la Veritée Son Temple étoit ouyert. Pour avoir audience, On ne parcouroit point Ie Dédale éterael Tracé par la Chicane & la Jurifprudence, E'encre ne couloit pas encor fur fon autel, Et lor ne faifoit point trébucher fa .balance. Thémis, .après avoir entendu Vénus & Proferpine, partagea leur différend par la moitié, & prononca qu'Adonis pafleroit fix mois fur la terre , & fix mois dans 1'Elifée. Cet expédient mit les rivales apeu-près d'accord. Refloit a décider laquelle des deux jouiroit Ja première de la préfence de fon Amant; & , comme Proferpine, depuis quelque-temps, étoit en poffeflion, elle.obtint pour elle ,la conti-  138 Lettres nuation du premier Sémeftre. Quei fiecle pour Vénus! mais Mars en adoucit la durée. Après une légere réfiftance, Elle fouffrit qu'il lui parlat, Qu'il partageat fa peine & plaignit fes allarmes; Puis, qu'il efluyat quelques larmes, Puis enfin, qu'il la confolat. Et lorfqu'après fix mois, encor tendre & fidele, Adonis pour Vénus quitta le fombre bord; L'innocent reconnut prés d'elle, Que les abfents ont toujours tort. Le pauvre Adonis pleura long - tems cette étrange perfidie. II gémiflbit la nuit, il fe plaignoit a TAurore; &l'Aqrore, touchée de fes plaintes, les répétoit au lever d'Apollon. Ce Dieu n'apprit qu'avec un dépit fecret , les amours & les infidélités de Vénus. II fe rappelloit des tems plus heureux, & bientöt ces fouvenirs enfanterent la jaloufie. Caché derrière un nuage, il épia les Amants, & trompa la vigilance de Gallus, gardien de leurs plaifirs. Aufli-töt il en avertit Vulcain, qui,  sur la Mythologie. 139 durant leur forameil voluptueux , enveloppa Mars & Vénus de filets impercep. tibles. L'Olympe affemblé , fut témoin de leur réveil 6c de leur confufion. J'ignore 11, dans cet inftant, Vulcain fit bonne contenance; Mais je fais bien qu'en éclatant, Un époux doit toujours rougir de fa vengearrce. Quand 1'Hymen fait un quiproquo, Le fage fe réfigne, il cede a fon étoilej Et fait, le front couvert d'un voile, Jouer fon róle incognito. Mars furieux , changea Gallus en coq, pour le punir de fa négügence. II paroït que fous cette forme nouvelle , Gallus devint plus vigilant, car tous les jours encore, avec la même exactitude, 1! annonce aux Amans le lever de Phcebus; Et Mars, en 1'écoutant, fort des bras de Vénus. Vulcain , a la priere des Dieux , ayant levé fes filets, Mars fe fauva dans les montagnes de Ia Thrace, oü il fut depuis adoré; & Vénus ferefugia dans l'ifle de  i^o Lettres sur la Mythologie. Cypre. ' La , par un prodige nouveau pour elle , elle crut voir de jour en jour décroitre fa ceinture ; peu - a - peu cette parure divine refufoit d'environner fon fein. Enfin, elle fut obligée d'y renoncer jufqu'a la naiflance de 1'Amour. Qjie de bien , que de mal j'aurois k vous dire de ce Dieu! Mais je m'impofe filence. 11 eft trop cruel pour en dire du bien, & trop puiflant pour en médire. D'ailleurs, quelle feroit 1'utilité , quel feroit le prix de mes lecons? Si votre cceur daignoit m'entendre, , Je vous parlerois de l'amour; Mais que puis-je vous en apprendre? Je ne faï vu qtfa votre Cour. Mieux que moi, dès long-temps, vous devez leconnoitre; Et fur ce chapitre, è fon tour , L'Ecoliere pourroit en remontrer au Maïtre. Fin de la Seconde Purtie.