42 Lettres des pieds de chevaux ou de bceufs, une barbe, des cornes & des oreilles de bouc, environnées d'une couronne de fapin, dont ils tenoient auffi une branche de la main droite. Fauna leur mere , après la mort de fon époux , s'enferma feule & mourut fans avoir parlé a un feul homme. Les Latins déifierent ce modele des veuves, qui devint 1'inimitable patrone des Dames Romaines. Elle avoit a Rome un Temple dont les prêtres diftribuoient au peuple des fimples pour toutes les maladies. Les Romains confondoient Fauna avec Cibele, ou la bonne Déeffe, & lui donnoient les mêmes attributs. Les Dames Romaines célébroient fes fêtes durant la nuit; & il étoit défendu aux hommes d'ofêr même regarder 1'afyle facré de ces myfteres, dontil faut avouer que les femmes n'ont jamais révélé le fecret. Je ne fais quel hiftorien Piqué de ce rare filence, Dit que, fuivant toute apparence,  sur la Mythologie. 43 Ces grands myfteres n'étoient rien. C'eft fon avis; chacun le fien; Mais je crains fort, lorfque j'y penfe, Que ce ne foit auffi le mien. Les Dieux qui feflemblent le plus aux enfans de Fauna, font les Satyres qui ne different des Faunes que paree qu'ils ont des pieds de chevre, & qu'ils portent tantöt un thyrfe, tantót une fiüte ou un tambourin , pour faire danfer les Nymphes auxquelles ces Meffieurs donnent fouvent le bal champêtre. Priape, qui marche a leur tête, quoïqne fils de Vénus & de Bacchus, n'étoit pas jadis en grande vénération. Cependant il avoit fon culte particulier: on lui facrifioit un ane, paree qu'ayant jadis cherché difpute a un ane & en ayant . triomphé, le vaincu s'étoit jetté fur le vainqueur & 1'avoit aiTommé. Ses fêtes fe célébroient particulierement a Lampfaque, d'oü il avoit été chaffé  44 Lettres autrefois pour y avoir fait, par fes noirs fourcils, fes cheveux crépus, fa bouche énorme , fon nez récourbe", fes larges épaules & fon énergique laideur, la conquête de toutes les jolies femmes» Nos belles, a ce que je croi, Ont hérité de ce caprice: Telle refufe encor d'adrnettre fous fa Ioi Un Apellon blondin , qui prend a fon fervice Un Priape aux crins noirs. Demandez-luipourquoi? Priape, piqué du procédé des Lampfaciens, les rendit furieux, & leurs femmes folies. C'étoient des batailles, des danfes, des ris, des hurlements continuels; & la ville de Lampfaque fembloit n'être peuplée que de convuljionairés. Enfin la Municipalité Lampfacienne rappella le Dieu exilé , & toutes les cervelles dérangées fe remirent fans bruit a leur place. C'eft au dieu Therme que Priape a l'obligation de ne pas être le plus laid de  SUR LA MYTHOLOGIE. 45 ■ tous les Dieux. Therme refFembletantota une tuile, tantót a un tronc d'arbre, plus -fouvent a une borne ronde ou quarrée. Malgré fa figure grotefque, i) étoit jadis en grande vénération. Le téméraire, dont la main facrilege le dérangeoit de fa place , étoit profcr it; auffi n'y a • t - il jamais eu de fentinelle plus ferme dans fon pofte que Ie dieu Therme. Lorfque tous les Dieux fe retirerent aux environs du Capitole pour le céder a Jupiter, Therme y demeura feul immobile,. & facrifia la politeffe a 1'efprit de fon-état. Sès fêtes fe célébroient, a Rome, le dernier jour de 1'année. On le couronnoit d'épis au tems de la moiffon , & de fleurs au moment oü je vous écris, c'eft-a-dire, a 1'arrivée du Printems. Mais tandis que je vous décris la marche de eet aimable Dieu , il paffe & emporte avec lui la Jeuneffe de 1'année. Ainfi s'envolent les inftantJ' Des plus beaux jours de nocre vie;  46 Lettres Quand ils font palTés, mon amie, On les regtette; il n'eft plus temps. Hatons d'être heureux, & fi la jouiflance Avec nosbeaux jours doit flnir, Nous en conferverons du moins le fouvenir. Le Souvenir, frere de 1'Efpérance, En nous retracant nos amours, Nous rendra leur première ivrefle, Et fera luire encor, fur le foir de nos jours, L'aurore de notre jeunefle.  sur la Mythologie. 47 L E T T R E XLVIII. Je me doutois, Emilie, qu'a-propos de la DeelTe des Fleurs, vous me demanderiez l'hiftoire de la DéefTe des Fruits. Je conviens que ces deux Divinités font, de tout tems, inféparables. Je fais qu'on dit: Flore & Pomone, Comme on dit; la Nuit & Ie Jour, Les Jeux & les Plaifirs, le Printemps &l'Automne, Les Graces & Vénus, Emilie & 1'Amour. D'ailleurs, je ne fuis pas étonné de 1'intérêt que vous témoignez pour Pomone. Car je vous connois, entre nous, Des fruits de la plus belle efpece, Que la Pudeur vous voile avec adrefie, Mais dont 1'éclat vif & doux Perce le voile... Eh bien! pourquoi rougiffez-vous De m'entendre vanter les fruits la Sageffe ? Pomone, Déeffe des Jardins, vivoxt cé-  48 "Lettres libataire, & ne concevoit pas au monde d autre plaifir que celui de cultiver les arDres qui portent les tréfors de 1'Automne.} En vain mille Arr.ans avoient effayé de lui plaire; elle dédaignoit leurs hommages. Vertumne, Dieu des Jardins, quoique fes plaifirs & fon emploi düffent natu■rellement le rapprocher de Pomone, n'en fut pas mieux accueilli que fes rivaux. Heureufement Vertumne (*) avoit le talent de changer de figure a fon gré. II prit d'abord celle d'un jeune Laboureur, on le recut mal; puis celle d'un jeune MoilTonneur, on le congédia; puis enfin celle d'une vieille Femme, on 1'écouta. La Vieille, appuyée fur fon baton, après avoir long- tems parcouru les Jardins de Pomone, alla fe repofer a 1'ombre d'une Vigne mariée a un jeune Ormeau. La , (*) Le nom de Vertumne dérive du mot latin verure, qui fign, He changer.  sur la Mythologie. 49 La , embraffant la Déeffe avec une ten-, dreffe raaternelle; elle lui dit d'un ton de confidence; Ma fille, j'applaudis a vos amufements. Des plaifirs que 1'on puife au fein de la Nature, La fource fut toujours intarifTable & pure. Ces efpaliers font beaux; ces vergers fontcharmans; Mais, de votre azile champêtre Pour rendre le féjour plus doux, Malgré vos foins, il y manque peut-être Le plus bel ornement. — Queleft-il? — Un époux. Oui, mon enfant; croyez a mon expérience: Sans amour, a votre age, il n'eft point de bonheur. On a beau s'impofer filence Etdonner le change è fon cffljr; Du célibat, plus qu'on ne penfe, Le fentier folitaire eft gliffant pour 1'honneur; L'Hytnen feul, accordant 1'Amour & la Pudeur, Peut mettre en süreté Ia fragile Innocence. Vous feule, de I'Hymen pourquoi braver les loix ? Mariez-vous; tout fe marie: L'Aigle au milieu des airs, le ïigre au fond des bois, Le Poiflbn fous les eaux, 1'Agneau dans la prairie. Les Arbres & les Fleurs ont auflï leur hymen; Et, du plus haut des cieux jufque dans la pouflïere], Quatr. fartie. C  5ö Lettres Tous les êtres unis par ce commun lien Forment une familie entiere Qui femble fe donner la main. Mais fi votre froideur vous rend inacceffible Aux plus purs fentiments de la fociété, Peut-être aux doux plaifirs de la maternité Ne férez-vous pas infenfible: Voyez cette vigne flexible Mariée a ce jeune ormeau: L'arbre étendant au loin chaque rameau Soutient fes foibles bras, & la vigne fidelle De fes tréfors naiflants couronne fon appai; Son époux s'embellit par elle, Elle fe féconde par lui. O Vigne, jeune & vierge encore, Je fais 1'ormeau qu'il vous faudroit. Vous connoiffez Vertumne; il eft tendre & difcret; Vous 1'eftimez; il vous adore. Sur vos goüts les plus chers il regie tous fes goats: Vous aimez les fruits; il les aime; 11 les cultive comme vous; Vertumne, aux graces prés, eft unautre vous même; L'Amour 1'a fait exprès pour être votre époux. ——Ah! fi je vous croyois! lui répondit Pomonne, Mais qui peut dsfon cceur merépondre, mabonne? — Lui, le voici. Conunent!... Oü donc?... =-*-— A vos genoux.  sint la Mythologie. 51 Et foudain reprenant fa figure naturelle, Vertumne tombe aux pieds de la Déefiê déconcertée ; qui, en lui reprochant fa trahifon, abandonne fa main au traitre. Ce mariage fut heureux. Vertumne, malgré fon caraftere changeant, fut toujours fidele a fon époufe. IJS vieillirent ainfi dans la conftance conjugale, jufqu'ati moment oü Vertumne, parle moyen d'une recette particuliere, rajeunit Pomone & fe rajeunit avec elle. C'eft bien dommage que Vertumne n'ait jamais publié fa recette. Femmes connois qui ns fint pas jtunettet, <1 qui cette eau de Jouvenen viendroit bien a propos! (*). Pomone a fouvent été confondue arec 1'Automne, Céres avec 1'Eté, Flore avec le Printemps. Cependant Ovide, en dé» O Carscteres de !a Bruyere. C 2  5» Lettres crivant la cour du Soleil, difüngue ainfi les quatre faifons de 1'année. „ Le Prin?, temps y paroilToit la tête couronnée de 5, fleurs; 1'Eté nud portoit une couronne „ d'épis; 1'Automne étoit vêtu d'une ro„ be rougie par la vendange; & 1'Hiver „ avoitunechevelureblanche& hériffée." En effet, on repréfcntoit 1'Hiver tantót fous la figure d'un vieillard couché dans une grotte , tantóc fous les traits d'une vieille femme enveloppée de peaux de xnouton, & tenant un réchaut. On mettoit quelquefois une faucille dans la main de 1'Eté , & un chien aux pieds de 1'Automne, pour indiquer que ces faifons amenent la moilTon & la chaffe. Sans le fecours de ces emblêmes, je retrpuve fans ce.ffe prés de vous, Emilie, toutes les faifons de 1'année : Quand je vois vos attraits, c'eft pour moi le Prin- temps.. v Quand je cutille un baifer,c'eft 1'Eté; jemoiffonne.  sur la Mythologie. 53 Quand vous rae prodiguez, dans vos difcours charmants, Les fruits de votre efprit, j'amafle; c'eft l'Automne, Mais fi dans vos yeux, dans votre air, Je vois de Ia froideur, je tremble; c'eft 1'Hyver, C 3  L e t t r e s LETTRE XLIX. R evenons au dieu Pan, auquel, pour vous plaire, Emilie, j'ai fait un paffe-drok en faveur „de Pomone. Les médifans pre'tendent que Pénélope, époufe d'Uliffe , perfécutée , en 1'abfence de fon mari, par une foule d'Amans, leur tint long-tems rigueur en apparence, mais qu'elle ne put s'empêcher de faire fecretement un heureux, qui la rendit mere d'un fils. Or, comme on ignoroit lequel des nombreux Amans de la Reine étoit vraiment le pere de 1'enfant anouyme, on en partagea 1'honneur entre tous, & 1'on nomma leur fils Pan, ce qui fignifie a-peu prés univerfel. Que de Pans a Paris! D'autres ont pouffë lamédifance encore plus loin: ils ont prétendu que Pan étoit fils de Pénelope & de Mercure qui avoit  sur la Mythologie. 55 pris la figure d'un bouc pour plaire a cette Princelfe. Voyez quelle étrange malice! Changer Mercure en animal, En animal cornu, pour fupplanter UlifT»! Ce pauvre TJlifle!... Ah! c'eft bien mal! Quel que fut Ie pere de Pan, il n'eut pas a fe vanter de la beauté de fon fils. Pan naquit avec une figure rubiconde, ornée de deux fourcils épais , d'un nez plat & bourgeonné , & d'une bouche riante jufqu'a fes oreilles, dont la largeur ombrageoit Ja racine d'une paire de cornes qui furmontoient fa chevelure rouffe & crépue. Son corps étoit vêtu d'une peau blanche tachetée de noir , & fon échine dégénéroit en une queue de bouc qui balayoit fes cuiffes & fes pieds de chevre. Avec ces avantages extérieurs, il fe mit en tête de fe faire homme a bonne fortune, & débuta, fuivant 1'ufage, par le genre fentimental. C 4  £6 Lettres Le voila donc aux genoux de Syrinx, fille du fleuve Ladon , filant le parfait amour, de maniere k faire peur a fa Nymphe qui fe fauve de fes proteftations. Le Dieu cornu, étoiané du peu de fuccès de fa génufltxion , fe redreffe fur fes pieds velus, & court, en fautillant, après la Belle fugitive, a laquelle il adreffe ces paroles: „ D'oii vient cette rigueur extiême? „ Pourquoi refufez-vous d'écouter mes fermens ? „ Je fuis laid; mais hélas! eft-on laid quand on „ aime! „ La beauté véritable eft dans les fentimens. „Vous craignez, dites vous, que ma laideur amere „ Ne pafte a tous nos fils? mais, depuis fort long,, temps, ,, Vous favez bies que les enfans „ Ne reflemblent plus a leur pere ". Les miens auront mon cceur & les traits de leur mere. Epoufez moi; le ciel femble m'avoir pétri Tout exprès pour faire un mari : Je fuis d'un fi bon caraélere! D'ailleurs, on fait que j'ai du bien;  sur la Mythologie.' 57 Je vous donnerai tout... Vous ne répondez rien? Oü courezvous, eruelle!... Eh bien! Vous vous jettez a la riviere?... Au moins, dites-moi donc pourquoi vous vous noyez! Nous ne fommes pas mariés. II dit & s'élance dans le fleuve Ladon ou Syrinx vient de fe précipiter; mais au lieu d'y retrouver fon inhumaine, il voit croitre des rofeaux qui , agités par le vent, femblent encore foupirer tendrement. Pan reconnoït Syrinx fous cette forme nouvelle, & coupant quelques rofeaux d'inégales longueurs , il les unit avec de la cire, & compofe aïnïi la mufette dont les Bergers fe fervent encore de nos jours. Cet inftrument Ie confoloit de fon veuvage précoce. II parcouroit les vallons & les bois folitaires, en exprimant, par des airs tendres, les regrets que lui caufoit fa chere Syrinx, lorfqu'il rencontra laNym-1 phe Pithys danfant avec fes compagnes» Malgré 1'invitation des Nymphes, ilreC 5  L E T T & E S fufa de prendrepart a leurs jeux, & Pithys lui ayant demandé la caufe de fon chagrin, il lui répondit en foupirant: Pardonnez ma peine fecrette: Plaifirs, bonheur, j'ai tout perdu! Vous Jouiffe^, moi je regrette; Vous vivez; & moi j'ai vécu. Syrinx avoit feu me cbarmer. Je lui dis; Syrinx, je t'adore. Car dans nos bois 1'on aime encore Et 1'on ne rougit pas d'aimer. Sa cruauté fe. fit un jeu D'éprouver ma perfévéranca. Je me nourn'flbis d'efpérance, Je vivois; 1'Amour vit de peu. A peine j'en pus obtenir, ;Pour prix de mon amour fidele, Un baifer; encor fembloit-elle, En le donnant, le retenir.... Ici ie Dieu corau >. paffant rnodeftement fur le dégoüt qu'il avoit eu 1'honneur d'infpirer a Syrinx, en vint a 1'événement de k métamörphofe, & attendrie teilemeat  sur la Mythologie, 59 Pithys, que cette Nymphe, trouvant dans fa laideurje ne faisquoi d'intérefTant, parut difpofee a le confoler. Ils gagnerent enfemble le fommet d'une montagne déferte, & de la le dieu Pan montrant k la Nymphe les vafles campagnes qui s'étendoient autour d'eux, lui dit tendre» ment: Contêmplez mes riants domaines; Admirez 'ces vergers, ces vallons, ces fontaitaes Et ces cótaaux déücieux; Voyez ces lacs & ces foiêts lointaines Et ces monts azurés fe perdre dans les cieux." Par-6out 1'Amour s'offre a vos yeux; L'Amour regne par-tout; le monde eft fon empire. C'eft un vafte tableau qu'il peut feul animer; Sans 1'amour tout eft mort, & par lui K>ut refpire. Tout aime autour de vous & tout vous dit d'aimer $ Moi feul je n'ofe vous le dire. Ici les regards timides de la Nymphe répondirent: ofez. Mais Pithys étoit aimée de Borée, qui avoit donné a Zéphir 1'inf. pe6tion de fa vertu. Ce léger Mercure la furprenant en tê«e-a-tête avec le dieu C t5  e5o Lettres • Pan, recueille Ie premier fuupir qui lui échappe, & va le porter a Borée comme piece de conviction. ■ A cette nouvelle, Borée s'échappe des antres d'Eole, vole au lieu du rendez - vous , & précipite , du haut de la montagne, la Nymphe infidele , qui, dans fa chüte , fut métamorphofée en Pin. Pan défefpéré, cueillit une branche de eet arbre, & s'en compofa une couronne, qa'il porta toujours en mémoire de fa chere Pithys. C'eft a cette occafion que le Pin lui fut confacré. 11 étoit écrit au livre des Deftinées amoureufes, que Pan feroit toujours ma'heureux dans fes avantures. Pour fe confoler de la mort de fa chere Pithys, il s'attacha a la Nymphe Echo, fille del'Air & de la Terre. Echo, dans les vallons, dans les bois, dans les champs, 1 . Après avoir jouï leng tems . ,  sur la Mythologie. <5i Du privilege heureux de parler Ia première, Put condamnée enfin, par un facheux retour, A ne parler que la derniere, Afin que chacun eüt fon tour. On prétend que Junon, piquée de ce que,, par fes difcours adroits , cette Nymphe 1'avoit empêchée de furprendre Jupiter au dénouement de plufieurs intrigues galantes, la condamna a ne plus répéter que les dernieres fyllabes de tout ce qu'elle entendroit dire. Pan fe trouva affez bien de ce nouvcl ordre de converfation. jufqu'alors la volubilité de fa Nymphe ne lui avoit jamais laiffé le temps de lui déclarer fa tendrelTe; mais depuis qu'elle étoit réduite a la néceffité de 1'écouter, il lui expliquoit Si lui détailloit la naiffance, les progrès & Ia nature de fon amour- Voila , lui difoit-il, comment je vous aime. Et auffi-töt, bon gré, malgré, Echo répétoit, je vous aime. Le roman tiroit a fa fin , lorfque la1 C 7  62 L E T T 11 E S jeune Echo rencontra, dans les bois, le beau Narciffe, fils de la Nymphe Lyriope & du Fleuve Céphife. L'oracle avoit prédit a fa mere qu'il vivroit long - tems, s'il pouvoit éviter de fe voir. Mais fi fa vue devoit lui être fatale, elle ne 1'étoit pas moins aux Nymphes, que fa beauté avoit rendues fenfibles. Echo en fit la trifte expérience. D'abord elle concut le défir de lui plaire. Or, Nymphe a qui 1'Amour infpire ce défir Se croit toujours füre de fon affaire. Echo, comptant y réuffir, Epioit Ie premier foupir, Le premier aveu de Narciffe. Mais le beau Jouvenceau, trop fier ou trop novice , Sans jetter un coup d'ceil, fans proférer un mot5 Dans une gravité fublime jouoit le róle ou d'un fage ou d'un fot, R61e, en amour, a peu prés fynonime. De eet objet filencieux Pour animer la froide indifférence,' Echo prend le parti de rompre Ie filence. Elle approche en baiffant les yeux ; Tremblante, interdite, confufe, Elle s'apprêtc h révéler  sdr la Mythologie. 63 Le fecret de fon cceur,.,. Sa bouche lui refufe La parole! aufll-tót fes Iarmes de couler. Narciffe, fans penfer même è la confoler, Voit fes yeux humides fe fondre En un ruiffeau de pleurs qu'un autre auroit féché, Et, d'un air a demi touché, Dit: vouspleurez, j'en fuisfaché, Mais vous ne dites rien; je n'ai rien è répondre. Rien a répondre! répete Ia Nymphe,• & le ChaiTeur, fans 1'écouter, va rejoindre fes compagnons occupés a pourfuivre les höces des forêrs. Echo, demeurée feule au pied d'un rocher, s'abïmoit dans fa douleur & dans fes regrets; puis fe tournant vers 1'endroit oü elle croyoit voir encore Narciffe , elle lui difoit intérieurement: Ah! fi le ciel t'eüt doué d'un cceur tendre, Mon trouble, ma rougeur, les pleurs que j'ai verfés Et mon filence, ingrat, t'en auroient dit affez. Le cceur entend toujours quand 'le coeur veut entendre! Pourfuivie par cespenfées, Echo parcourt au hazard les antres folitaires & les  , 04 • L E T T R E S grotfes profondes. La, confume'e par les feuxde famour, atténüée par la douleur, elle fe deffeche peu-a-peu. Ses os fe pétrifient & fe changent en rochers; öt de même qu'après le trépas, nous ne confervons plus que notre ame, principe effentiel de l'exiftence derhommè, Echo, en qualité de femme, ae conferva plus que la voix. Ses compagnes, touchées de fon fort, & viótimes elles-mêmes de 1'amour qu'elles avoient concu pour Narciffe, prierent 1'Amour de les venger de fon indifférence. L'Amour les exauca; non eet Amour aimable Qui, confondant !es feir.imens Des cosurs de deux jeunes amants, Rend leur bonheur inféparable; .Mais eet Amour trifte, ifolé, D'orgueil, de fotife gonflé, Qui rapporte tout a foi-même, Et dans le monde entier ne voit que lui qu'il aime. Amour qui fuit les Orateurs ' -A- la tribune, & va, fur les banquettes, • S'affeoir avec les auditeurs; .  sur la Mythologie. 6$ Qui martyrife les coquettes Et niagnétife les auteurs; Amour de tout pays ainfi que de tout age, Dont une foible part fut adjugée au fage, Et la plus forte dofe au fot; Amour-Propre... Je dis ce mot Bien bas.' car, tel que la Finance Qui s'efl: débatifée en prenant le blazon, Cet Amour orgueilieux s'offenfe Dès qu'on 1'appelie par fon nom. Ce Dieu, au retour de la chafle, conduifit Narcifle, tourmenté par la foif» au fond d'une vallée myftérieufe. La, fous un döme de verdure D'un jour voluptueux foiblement éclairé , Coule, fur un fable doré, Le criftal d'une fource pure. Incliné fur fes bords, Ie chaffeur altéré Voit fon image. A cette vue, Sa main fur le ruilTeau demeure fufpendue. Immobile d'extafe & d'amour enivré, II s'oublie. A la foif dont le feu le dévore Succéde un feu plus dévorant encore. Le corps penché, les yeux bailTés, Les bras tendus & les regards fixés Vers cette image qu'il adore.  65 Lettres „ Objet charmant, dit-il, qui que tu fois, „ Bergère, Nayade ou DéefTe, ,, Ne dédaigne pas ma tendreffe; „ J'aime ! j'en fais 1'aveu pour la première fois. „ Hélas! tu parots me fourire, *s, Et chaque fois que ma bouche foupire „ Tu fembles foupirer auffi. „ M'aimerois-tu?... Je vois tes Iarmes „ S'écbapper!..." En parlant ainfi, Ses pleurs tombent dans 1'ohde & fillonnent les charmes De Ja Nymphe qui tremble au milieu du criftal! „ Grands dieux!... quel changement fatal; „ Quel fort, ou quel caprice a mes yeux te déguife ? „ Ce n'eft plus toi!.." L'onde fe tranquillife Et la beauté renait. „ Enfin je te revois! „ Tu me parles? Pourquoi n'entends-je pasta voix? „ Ce que tu dis parolt fi tendre! „ II eft doux de fevoir, mais plus doux de s'entendre. „ Si prés de toi.' comment en fuis-je féparé? „ Viens appaifer 1'ardeur dont je fuis dévoré .' „ Viens; je brüle d'unir mon ame avec la tienne. „ Quoi! tu me tends les bras? Ah! vole dans „ mon fein. , Approche, appro:he encor, & donne-moi la ^ain.... », Tu fuis? Héias! ta main fembloit chercher la „ mienne,  sttr la Mythologie. 67 Et quand je vais, fous 1'eau, lafaifir, al'inftant, „ Elle s'évanouit & m'échappe en tremblant! „ Non, tu ne m'aimes pas; je le vois; tonfourire, „ Tes yeux, tes feupits font trompeurs. „ Je brille! je languis, je fuccombe, jemeursU, „ Hélas.' tu me donnés des pleurs? „ Tu m'aimes donc?.. & tu veux que j'expire!" II dit, & dé ja Ia paleur Décolore fon front. Ses graces fe flétrifTent, Son ceil s'appefantit & fes Iarmes rariüent. II dépérit comme la jeune fleur Qui, des feux du Printemps en nailTant défféchée, Prête a s'épanouir, meurt la tête penchée. Echo, témoin du fort de fon amant, Répond a fes foupirs jufqu'au dernier moment. Adieu! dit-il. ——Adieu! foupire-t-elle, 1 ■ Je t'aimois. — Je t'aimois, dit la Nymphe fidele. —— Et même, en ce moment oütucaufesmamort, Je faune encor! „ Echo répond: je t'aime encor. Le foir, en defcendant des montagnes, les Oréades appercurent le corps immobile de Narciffe. Sa tête Ie long du rivage Repofoit entre les rofeaux.  68 L E T T HES Ses yeux éteints, fixés fur le miroir- des eaux; Sembloient encor y chercher fon image. A cette vue, les Nymphes, vengées de fes mépris, verfent des Iarmes ameres, & accufent 1'Amour de les avoir trop exaucées. Elles fe difperfent dans toute la contrée , & ralTemblent, a grands cris, leurs compagnes pour célébrer les funérailles de Narciffe. Les Nymphes, couronées de cyprès , s'avancent lentement fur le rivage ; mais elles y cherchent en vain le corps de celui qu'elles regrettent; elles n'y trouvent a fa place qu'une fleur nouvelle, compofée de feuilles jaunes & blanches, a laquelle elles donnent le nom de Narciffe , nom qu'elle a depuis confervé. Les Anciens confacrerent cette fleur au Euménides, & en couronnerent les urnes & les tombeaux. Quelques Auteurs, qui, fans doute, avoient alors des correfpondances avec 1'autre monde, affurent qu'en entrant dans  sur la Mythologie. 69 la barque de Caron, 1'ombre de Narciffe fe pencha fur les bords pour s'admirer dans les eaux duStyx; ils ajoutent que, depuis fon paffage, elleparcourt fans ceffe les rivages de ce fleuve pour s'enivrer du plaifir de s'adorer. Ah ! fi 1'on confervé ce goüt chez les morts après 1'avoir eu chez les vivans. Sur les rives du Styx, que d'antiques Laïs, De Coquettes aux traits vernis, Aux fourcils peintsaneuf, aux tréfors reblanchis, Que d'Abbés rubiconds, que de courtifans blêmes, Idolitres de leur beauté, A deux genoux devant eux-mêmes, S'adorent pour 1'éternité! Depuis la mort de Narciffe, Echo s'eflretirée dans les vallées profondes & dans les grottes folitaires. La, dès qu'elle entend foupirer une Bergère trop tendre, elle fe plaït a répéter fes foupirs, qui lui rappellent fa trifte aventure. Mais fi, le moment d'après, elle entend des chants d'alégreffe, elle en répete gaïment le refrein, foit par  7b LettIes une fuite de I'inconftance naturelle a fon fexe, foit pour faire diverfon a fa douleur. Pan, toujours amoureux de cette Nymphe , crut fouvent reconnoïtre fa voix. II 1'appelloit en gémiffant, & attiré par fes réponfes plaintives, il la cherchoit nuit& jour au fond des bois. Enfin, laffe de pourfuivre eet objet invifible , inftruit d'ailleurs par fes infortunes amoureufes, il en conclut que 1'amour étoit la plus folie des vanités humaines , & finit par vivre en paix, c'eft>a-dire, fans femme & fans maitreffe. Ce Dieu adoré & redouté dans les campagnes, avoit, dit-on, la puiffance de femer a fon gré 1'épouvante. Les Gaulois, qui, fous la conduite de Brénus leur chef, avoient pénétré dans la Grece, étant fur le point de piller le temple de Delphes, furent tout- a-coup frappés d'une fi grande terreur, que fans être pourfuivis, ils prirent tous la fuite. Cette ter-  sur la Mythologie. 71 reur foudaine fut attribuée au dieu Pan , & 1'on appelle encore terreurs Paniques toutes celles dont la caufe eft inconnue. On prétend qu'au moment oü les Géants efcaladoient le ciel, Pan, voyant Tef* froyable Typhon prêta 1'emporter d'affaut, confeilla aux Dieux de fefauver en Egypte fous la figure de divers animaux; qu'il prit lui-même celle d'un Bouc, &qu'enrécompenfe d'un fi noble ftratagême, ilfuttranfporté au ciel, oü il forme le figne du Capricorne, figne affez analogue avec la nature de fes amours. Le culte de Pan n'enfanglantoit point fes autels; on luipréfentoit pour toute offrande, du lait & du miel» Les Auteurs s'accordent a croire que Pan étoit le Dieu de toute la nature. Les Anciens, après avoir divinifé tous les détails de 1'Univers, en déifierent 1'enfemble, & adorerent le grand Pan ou le grand Tout. Réfléchiffant enfuite que ce Tout ,étoit animé par un principe caché, ilsado-  72 Lettres'. rerent ce principe fous le nom de Pfiché óu Ame, & marierentcetteDivinitéavec Cupidon, c'eft a-dire, qu'ils unirent le moral & le phyfique de 1'amour, & que de cetté union ils firent naitre la Volupté. Cette allégorie me paroit auffi jufte qu'ingénieufe: Pour être heureux, il faut fentir. Si les fens nous donnent Ia vie, Le fentiment nous donne Ie plaifir. L'amour n'eft qu'une frénéfie Qui s'éteint avec le defir; Le vrai bonheur eft bien moins de jouir Que d'aimer toujours fon amie. LET-  sur la Mythologie. 73 LETTRE L. C onsole z- vous, belle Emilie, Confolez-vous fi, quelque jour, Votre coeur un moment s'oublie. Vertus, Pudeur & Moderne, N'étoufFent point la fympathie Qui regne au terreftre féjour. Chacun dok aimer a fon tour; Les uns au matin de la vie, Et les autres, fur le retour ; La loi d'aimer fut établie Pour les Dieux même: mon amie, Lifez 1'hiftoire de 1'Amour. Dans un royaume inconnu régnoit uu Prince tout-puiiTant, car il étoit aimé de tous fes fujet?. Son époufepartageoitavec lui leur amour; elle n'avoit point, a lavérité, donné d'héritier k la couronne, mais elle avoit mis au jour une fille qui, dans un age encore tendre, uniffoit a tous les tré'fors de la beauté naiffante, tous les char- Quatr. part ie. D  74 Lettres mes de 1'efprit & du coeur. On la n©mmoit Pfiché. Sa beauté n'écoit pas eficore Une beauté parfaite; mais, En la confidérant de prés, On fenfcit qu'elle alloit éclorc. Elle avoit a peine compté Quatorzé printemps. A eet age On fait, qü'en naiflant, la Beauté Kous préfente a Ia fois, fraicheur, timidité, Sourire ingénu, doux langage; Confiance, naïveté, Innocence, enfin tout; & promet davantage. Promettre eft un grand point lorfque 1'on tier.t déji. Sitót qu'une belle eomraence, On fe peint en fecret les charmes qu'elle aura, Et 1'on embeliit ceux qu'elle a Du coloris de l'Efpérance, Ainfi, en adrojrant Pfiché telle qu'elle étoit, & plus encore en imaginant ce qu'elle devoit être, on en vint au point de la comparer a Vénus elle-même. Je nevousdirai point que la DéelTe en fut outrée de dépit, car vous 1'avez déja deviné.  SUR LA M YTJÏOLOtf IE. 7$ Pfiché avoit deux fceurs ainées dont je dois vous parler. Fieres paf babitude & coquet'fes par gotït, D'efprit tres-ordinaire, & d'humeur très-jaloufe; C'étoient de ces beautés qu'on rencontre par t m, Qu'on n'aime point, mais qu'on époufs. On vantoit au loin leurs tréfors: Non ces tréfors dont Ia Nature Ome 1'efprit, pare le corps Et de Vénus enricbit la ceinture; Mais des tréfors de ce métal Auquei on donne, fur la terre, Une valeur imaginaire, Qui, pour uh peu de bien, y fait beaucoup de mtl. Cependant en formant a peu prés un total De leur age, de leur naiiTance, Item de leur dot; tout compris, Nos fceurs étoient pour des maris Dsux! figiwês de eonvenanee. Aufö eonviarent'elles a deux Seigneurs voifins qui, fuivant 1'ufage, les époufe. rent, de concert avec leurs créanciers. Cependant les graces de Pfiché fe daveloppoient de jour en jour. Après 1'aVoir D i  j6 Lettres comparée a Vénus, on ofa la préférer a la Déeffe. On lui éleva même un Temple ; & la fille de 1'Océan vit croitre 1'herbe dans fon fanétuaire , tandis que 1'encens deftiué a fon culte, fumoit fur les Autels de Pfiché. Elle en conjut une jaloufie dix fois plus ardente que celle qui dévore le cceur des mortelles; & prenant 1'Amour par la main, vois tu, mon Fils, dit-elle , 1'indigne rivale que ce peuple donne a ta Mere ? Mon cher Fils, venge mon outrage; perce la de tes traits ; qu'elle brüle d'un amour infenfé pour le plus vil de tous les êtres. L'orgueilleufe , fans doute, prétend me détröner. Abaiffe fa fierté, confonds fes projets, &fauve mon empire pour conferver le tien. Elle dit, s'envole fur fon char de nacre, & laiffe fon fils en préfence de 1'ennemi. A 1'inftant 1'Amour faifit fon are, tire de fon carquois un trait empoifonné, & le pofe fur la corde tendue; mais fon oeil, en le «lirigeant, rencontre un regard de Pfiché-;  sur ia Mythologie. 77 Regard vif, mais plein d'innocence; Regard qui va chercher le cceur, Regard voiié par la décence Et tempéré par la douceur. L'Amour frappé s'arrête, il foupire , il balance; L'arc & le trait, fans qu'il y penfe, Echappent de fes mains; il fe fent attendrir: Non, ma mere, dit-il, je ne puis t'obéir. Pardonne; eet effort furpaiTe ma puilTance. Si tu veux que nies traits exercent ta vengeance; Pais toi des ennemis que je puiiTe haïr! (*). -h'l .otibwq ïioih , alfjob zóbi' 16i.'^iict Aces mots, il détend fon are, remet le trait dans le carquois, s'éloigne lentement & retourne fouvent la tête pour confidérer Pfiché qui ne l'appergoit pas, & ne fe doute pas même qu'il exifte, Quoi! fe difoit-il, c'eft par moi feul que tout aime dans la nature, & je fuis le feul qui n'aime pas; je fuis la fource du bonheur, & le bonheur m'eft étranger! (*) Corneiüe, tragédie d'Horace, acte premier, fcene première. D 3  f g Lettres Moreels, ce doux ppifon dont 1'effet vous enebant» Vous eft préparé par rnes foins; Ah! de votre ivreffe touc.bante Puifque je fuis Pauteur, je veux goticer au inoins La -coupe que je vous préfente. Dès ce. moment, Cupidon s'abandonna. au fentimentque lqi infpirqit Pfiqhé» & con§ut 1'efpok d'être fon époux. Mais eet efpoir ne pouvoit fe réalifer qu'a 1'ombre du myftere; fi Vénus en étoit inftruite, Pfiché, fans doute , étoit perdue. 1'Amour crut done avoir befoin de confeil. - Sur fon projet, il confujta Non point la Déeffe Muta (*) , Quoïqu'il rendit juftice a fa délicateffè. Mais de fa part il craignoit un éclat; Car il foupconnoit la Déeffe ©e- n'avoir point 1'efprit de- fon état. L'Amour alla trouver le fage Harpocra- tes, fils, d'Ifis & d'Ofiris,, Sc dieu du S> 7. , .... lence: C*) Muta, óu Tacita, Déefl* du Glence.  sur la Mythologie. 79 11 lient les grands fecrets, les fublimes travauï, Renfermés dant les nobles anus Et des Sages & des Héios. D'un triple mur d'airain fon aatel eft enclos. Pour ne point profaner fon augufte repos, Dans Ia première enceinte on faitalleoirles Dames. Cependant la plupart ayant a eorjcerter Des projets de galanterie, De médifance ou de coquetterie, Jour &nuit, pour le confulter, Viennent en foule dans fon temple. Le Dieu ne leur répond qu'en les prêchant d'exemplé. Mais il s'agit de 1'imiter. L'Amour, en entrant danslefanctuaire, vit un Dieu jeune, mais d'une figure fevere , a!Tis fur un ' tröne ombrage' d'un arbre dont les feuilles reffemblent a la langue qui doit taire les fecrets, & les fruits au cceur qui les renferme. Le Silence tient de la main gauehe un cachet (*)', (*) II txiftok encore chez lesRomains une autre Déefie du Silence, nommée /Ing'.ranïor ; elle avoit la bouche «achetée; D 4  8 o Lettres & de la main droite, appuie un doigt fur fes levres fermées. Le front du Dieu eft couronné d'une mitre dont la pointe fe divife en deux parties égales. Devant lui s'éleye un autel couvert de légumes, dont la piété des habitans du Nil lui , Quel eft donc votre époux? que dit-il? que „ fait-il? j', Eft-il jeune? eft-fl beau, de face ou de profil ? „ Eft-il gr-and petit? eft-il froid?eft-il tendre? „ Vif ou lent? trifte ou gai? mamTade ou cora„ plaifant? „ Dites-nous tout enfin! voila, quant a préfent, „ Le peu que nous bruions d'apprendre " A tant de queftions, Pfiché, confufe de ne pouvoir répondre, dit a fes foeurs: mon époux eft un jeune prince qui paffe tout le jour a la chalTe. Puis elle les. combla de préfens, & Zéphir les reporta dans le palais de leur pere. La le cceur gonflé de rage & dépit, kelles fe répétoient fans celTe: „ Quoi! tandis que Pfiché , dans cet aimable lieti, „ Pour époux a peut-être un Dieu, ,, Nous, malheureufes que nous fommes, „ Avec nos princes pituiteux,  SUR LA MyTHOLOGTE. I03 „ Podagres, cathéreux, quinteux, „ Nous n'avons pas même des hommes! „ L'orgueilleufe! a travers fa perfide douceur, „ N'avez-vous pas démêlé fa noirceur? „ Elle rit de notre détrefie!.. „ Vengeons - nous 1 vengeons notre honneur, „ Et 1'afFront que le fort afait audroit d'ainefie!" La nuït fuivante, 1'époux de Pfiché rembraiTa tendrement & lui dit: ma chere époufe, bientót vous deviendrez mere d'un fils, qui, fi vous êtes difcrette, fera immortel, & mortel fi vous parlez. „ Eh! quel fecret par moi peut être répété ? „ Vous me les cachez tous! — C'eft par égard, „ madame: „ Un époux qui chérit fa femme, „ Ménage fa fragilité." Cette excufe, loin de fatisfaire Pfiché, ne fit qu'augmenter fon dépit, & le lendemain fes fceurs ayant remarqué fa triftefTe, elle leur en découvrit ainfi le modf: E 4  Ió4 Lettres „ J'adore mon époux & ne puis le ccnns-itre. „ 11 fecachea fe tait; c'eft, dit il, pour mon bien! „ De ma difcrétioa vous m'en vouliez peut-être; ,., Mais fi je n'ai rien dit, c'eft que je ne fais rien." Auffi- tot les deux fceurs profltant de cet inftant de défiance, prirent Pfiché par Ja main & lui dirent avec un ton de confidence perfide: „ Puisqu'il fe cache, il eft coupable. —— ,, Coupable? hélas! de quoi? — d'un projet „ exécrable s, Qui vous rr.enace.. Moi! ~— Laiflez-vous ,, éclairer: ,, Dès que vous ferez mere il doit vous dévorer. ,, II eft fi foible! il fort a peine de 1'enfance... — „ Le crime eft toujours fort auprès de 1'Inno- ,, cence. — „ II m'aime tam! —• L'amour eft un mafque „ trompeur; „ Etpuifqu'il vous carefle, il vous trahit, mafceur. — ,, Qui vous i'a dit? L'expérience." Voici, pourfuivirent-elles, le feul moyen de vous fauver, vous & votre enfant: cachez prés du lit nuptial, ce glaive & cette lampe nocturne. Dès que le  sur LA MytHOLOSIE. ÏOS monftre fera endormi prés de vous, levezvous fans bruic découvrez lalampe, prenez la d'une main, de Fautre faififfez le glaive , approchez du monftre & tranchez • lui la tete. A ces mots les deux charitables foeurs donnent tour • a - tour a Piïcné un baifer d'encouragement; puis retournant au palais de leur pere, elles fe difent confidemment: „ Quand on faura la chofe, on ne pourra la croirc. „ Quel fcandale! quel éclat! cornme on va clabauderl „ Quel plaifir pour nous de broder „ Et d'enrichir une fi beile hifloire!" Pfiché, feule chargée de tout le poids de la conjuration , attendit la nuit en tremblant. II fembloit qu'elle preffendt le trifte fuccès d'une efpece de complot que 1'Amour punit prefque toujours a l'inftant même du dénouement. Ah! fi elle eüc pu me confulter, comme je 1'auroisguérie de cette fauffe bravoure! car vous favez qu'a E S  ïoö Lettres cet égard je puis fervir d'exempk aux téméraires: Depuis un mois, je vous aimais, Lorfque de vos liens je voulus pour jamais Déiivrer mon ame affervie. J'allai, pourm'affranehir, vous braver, Emilie, Mais, tout fier quej'étois, un regard m'étonna;' Un fourire me dit: soyons amis, Cinka, Et je m'engageai pour la vie.  sur la Mythologie. 107 L E T T R E LIV. Vers le milieu de fa carrière La Nuit arrivé; tout s'endort: Le Dofteur fur un corrraientaire, Le Rentier fur un coffre-fort, Le Calculateur fur Barêtne, L'Entrepreneur fur un projet, Le Sermoneur fur un Carême, Le Miniftre fur un placet, L'Orateur fur un fillogifme , L'Hiftorien fur un anachronifme: Le Poëte, auprès d'un for.net, Ronfle fur un épithalame; L'Avare baille en comptant fes écus, L'Aftronome, en lorgnant Vénus, L'Epoux, en fouhaitant bonne nuit a fa femme. Celui de Pfiché fommeille, la tête penchée fur le fein de fon époufe. Alors celle- ci, dégageant peu - a- peu fes bras entrelacés avec ceux du Monftre, fe gliffë doucement hors du lit, & marche a tatons vers 1'endroit oü elle a caché la lampe & E 6  ioS Lettres le glaive. Elle découvre 1'une & faific 1'autre. Le glaive mal affuré édncelle dans fa main droite, a la lueur de la lampe qui tremble dans fa main gauche. En cetétat, le fein palpitant, 1'ceil fixe & les bras étendus, d'un pied craintif, elle s'approche dü lit nuptial. A chique pas, la figure du monftre varie & s'adoucit a fes yeux: Aquinze pas, c'eft un jeune cbaiTeur, Et fi ce n'eft Adonis ou Céphale, Ce doit être leur frere; a dix pas, c'eft leurfreur; A buit pas, c'eft une Veftale; A cinq, a fix pas, tour a tour, C'eft un Dieu, c'eft une DéeiTe: A quatre, c'eft Zéphir; a trois, c'eft Ia JeuneiTe; A deux, c'eft le Printemps & plus prés, c'eft 1'Amour. Peignez-vous de Pfiché Pextaie & le délire, Vous qui (avez tout ce qu'Amour infpire Au cceur qui Ie connoit pour la première fois, Pfiché, prés du Dieu qu'elle admirc, Appercoit un are , un carquois, En tire un trait avec adreiTe, Du bout du doigt veut l'eflayer, fe blefte,  sur la Mythologie. ioq Le 'a:(Te échapper, & foudain Biüle d*amour pour 1'Amour même. Quelle ivrefle! quel feu doit embrafer fon fein! Comme 1'on doit aimer le Dieu par qui 1'on aime! L'époufe de 1'Amour, fans troubler fon repos, En s'ihclinant fur lui, refpire fon baleine, Baife fes yeux fermés, mais les effleure a peine De peur d'en fouffler les pavots. Par malheur , de Ia lampe, entre fes mains tremblante, Sur Ie fein de 1'Epoux une goutte brülante Tombe!.. Le Dieu s'éveille & s'enfuit fans retour; Et voilé ce qu'on gagne a voir de prés 1'Amour. En vain, Pfiché, p xir le retenir, faifit fon pied au moment oü il s'envole, & fe laiffe enlever avec lui ; bientót elle retombe, & froiffée de fa chüte, anéantie de douleur , elle recoit ces funeftes adieux: „ Ingrate Pfiché , ma mere m'avoit ordonné de vous donner un monftre pour amant; je me fuis donné moi-même; &pourprixde ma tendreffe vous voulez m'öter le jour, avant même de me connoïtre. Adieu; je punirai  110 Lettres vos perfides fceurs; & vous, je vous abandonne". Revenue de fon accablement, Pfiché ouvre fes yeux baignés de pleurs, mais Ia lumiere lui eft odieufe & la vie infuportable. L'ceil égaré, les cheveux épars, elle court au rivage d'un fieuve voifin, s'élance & s'y précipite. Le Fieuve avec refpeéT: la regoit dans fes ondes. Les-Nayades, du fein de leurs grottes profondes, Soi tent pour 1'admirer. Dans fes bras amoureux Le Dieu la fouleve & Ia prefle, De fes flots argentés doucement la carefle, Et par cent détours finueux , Gent fois revenant fur lui-même, Prolonge le bonheur d'embrafler ce qu'il aime. Enfin au pied d'un faule, ornement de fes bords, Appercevant un lit de moufle & de verdure, II y vient lentement dépofer ces tréfors Dont s'enorgueillit la Nature. Sur ces bords enchantés, depuis cet heureux jour, Les Oifeaux carefiants, les Zéphirs, 1'onde pure, SembLent dire par leur murmure : lei fe repofa 1'époufe de 1'Amour.  sur la Mythologie. ui Pfiché, ne pouvant ni fupporter la vie, ni trouver la mort, s'abandonne a fa deftinée & fuit au hafard le premier chemin qui fe préfente devant elle. Après trois jours d'une marche pénible , ce chemin la conduita lapetite ville oü regne fa fceur ainée. Pfiché lui annonce que 1'Amour vient de 1'abandonner pour époufer fa fe. conde fceur. L'aïnée, furieufe de cette préférence, vole au palais pour en avoir raifon. Auffi-töt, Pfiché court. annoncer tout le contraire a la cadette, qui, pour fupplanter l'aïnée de la familie, vole au palais peu de temps après elle. Obfervez qu'en dépit de fa naïveté, L'innocente Pfiché, pour fuir Ia vérité, A pris deux fois un détour circonflexe. Je ne fais fi c'eft par oubli, Ou pour payer Ie tribut è fon fexe; Mais je fais bien qu'elle a menti. Déja fes fceurs font, 1'une & 1'autre, viélimes de ce doublé menfonge. En arrivant tour-a tour fur le rocher, elles ap-  h2 Lettres pellent le Zéphir jufqu'ici fidele a leurs ordres, & croyant s'abandonner dans fes bras. elles fe précipicent & difparoifTent au fond de 1'abime qui environne le jardin de 1'Amour. Cependant la Renommee va trouver Vénus chez Thétis, & lui apprend que fon fils eft malade. i Malade! lui, mon fils.' de quoi? — D'une brülure. ' Hélas! qui Pa brülé? — Son Epoufe.. — Comment! Mon fils eft marié? fans mon confentemeiit! Oui, fuivant Ie droit de Nature. Eh quelle eft fon époufe? ~— Un chef-d'os'> vre des Cieux, Que 1'on nomme Pfiché. —— Grands Dieux! Cette petite créature, Après avoir ufurpé mes autels, M'ofe enlever mon fils!.. Je fuis d'une colere!.. Tout le Tiers-Etatde la terre Va bientö: fupplanter Pordre des Jmmortels! En parlant ainfi, la mere de 1'Amour vole a 1'Olympe. La elle trouve fon fils  suu la Mythologie. 113 fouffrant & couché. Elle lui lance un regard févere, & après avoir examiné fa blelfure, je vous amene, dit-elle, un médecin qui, en peu de temps, faura vous guérir. A ces mots , 1'Amour levant les yeux, appercoit, auprès de fa mere , une figure béante fur un corps maigre & long Ce fantóne femelle , au teint blême, aux yeux creux, Eft frere de la Médecine. Le feul point fur lequel ils different entr'eux, C'eft que 1'un exténue & que 1'autre aflaffine. Plusl'Amourconfidere cette paleeffigie, moins il la reconnoit. En vain parcourt- il en idee tous les lieux qu'il habite ordiniirement: les boudoirs des Dieux & des Princes, les petites maisons des difcïples de Plutus . les cellules des prêtres de Jupiter, de Junon, & fur-tout de Cypris ; en aucun de ces féjours il n'a rencontré ce fpcétre inconnu. Enfin , Vénus , pour le tirer d'inquiétude, lui  H4 Lettres dit: mon fils, vous voyez la Diette ; fiezvous a fes foins; votre guérifon efl: infaillible. Vénus avoit tort: 1'abftinence Ne guérit point 1'Amour. Vous avez mis Ie mien Au régime de 1'Efpérance,- Ce régime-la n'y fait rien. Donnez-lui donc quelque fubftance; Puifqu'il ell décidé d'avance Que jamais je n'en guérirai, Qu'a fes deïïrs enfin votre amitié fe rende. Au malade défefpéré Refufe-t-on ce qu'il demande?  SUR LA M YTH OLOG IEé 115 LETTRE LV. 1?siché, veuve avant d'être mere, erroit au gré de fa douleur, & cherchoit fon époux dans tout 1'univers. Durant ce pénible voyage, elle apperjoit, au fommet d'une montagne, un temple dédié a Céres. Elle y porte fes pas &adreffefaprierea la DéelTe: ,, Souffrez, lui „ dit-elle, que, pour échapper aux per„ fécutions de Vénus, je me cache fous „ ces épis que la piété confacre fur vos „ autels". Céres lui répond en foupirant: „ Je voudrois vous fouftraire aux fureurs de Cyprine „ Et vous cacher a fes regards. „ Elle a tort , f en conviens: mais elle eft ma „ coufine, „ Et les couiins fe doivent des égards." Congédiée par Céres, la veuve de  n6 Lettres 1'Amour fe préfente chez Junon & lui fait la même priere. En écoutant les plaintes de Pfiché contre Vénus , Junon s'écrie: „ C'eft bien Ie cceur le plus vindicatif! „ C'eft Ie fléau de ma familie! „ Mais enfin c'eft ma belle-fille; „ 11 faut que je me püe a cet efprit rétif. «, La Ioi blême d'ailleurs quiconque favorife „ Aucun efclave fugitif; „ Ainfi, ma pauvre enfant, Jupiter vous conduife * Après ce fecond refus, Pfiché n'ofa plus fe préfenter chez aucune Déeffe. Elle ne voyoit dans tout 1'Olympe que des fceurs, des nieces, des tantes & descoufinés de Vénus, qui, tour-a-tour, la renverroient par des confidérationsd'alliance ou de parenté. Dans cette extrémité , elle prit le parti d'aller elle-même fe mettre a la difcrétion de Cypris , efpérant, paree trait de nobleffe, exciter fa générofité. Cependant Vénus, fatiguée de cher-  sur la Mythologie. 117 cher envain fa rivale, va trouver Mercure & lui dit: ,, Mon frere , j'ai gravé „ fur ces tablettes le fignalement d'une efclave fugitive, & la re'compenfe „ promife a celui qui me Ja ramenera. „ Allez, & publiez cet écrit". Aufli-tót Mercure parcourt les grands chemins , les carrefours, les ports, les marchés & les places publiques, qui, comme 1'on fait, compofent fes domaines, & lit a haute voix 1'Edit fuivant : Vénus, DéeïTe de Cythere, A tous les amants de la terre Salut ! favoir faifons que, depuis quelque tems, Certaine efclave afTez jolie, Que 1'on nomme Pfiché : beaux cheveux, belles dents, Petit minois de fantaifie, Agée de quatoize a quinze ans, A pris la fuite. S'il arrivé Qu'un Mortel, par hafard, Ia trouve en fon chemin , Et ramene a Paphos Ia jeune fugitive, En la recevant de fa main,  U8 Lettres De fept baifers ccmptant Vénus lui fait promeffe; Et fera le dernier de tous Affaifonné par la DéefTe De tout ce qu'un baifer peut avoir de plus doux. Soudain les mortels, avides d'une telle récompeïife, fe rnettent tous a la pourfuite de Pfiché. Trompés par fon fignalement, ils arrêtoient, fur les chemins & aux pórtes des villes lajeunefle& la beauté comme fufpectes. Tel fut, en ce temps-la, le caprice du fort, Qu'il devint dangereux d'être jeune & jolie, Et que vous n'auriez pu voyager, Emilie, Sans vous munir d'un paffe-port. Tandis que les hommes cherchoient Pfiché fur la terre , elle étoit aux 'genoux de Vénus & s'abandonnoit a fa générofité. Mais la Déeffe oubliant que le pardon eft la feule vengeance digne des Dieux , la faifoit charger de fers , & ordonnoit a fes Nymphes de la frapper de verges. Au milieu de fes tourments, Pfiché la conjuroit d'avoir au moins pi-  sur la Mythologie. 119 tié de fon état, & de confidérer qu'elle alloit être mere. A ces mots Vénus, outrée d'un nouveau dépit, s'écrioit avecfureur: Tu ne furvivras pas a ce nouvel outrage!.. „ Frappez ! frappez jufqu'a Ia mort! ,, C'eft peu d'aimer mon fils; 1'infolente ofe encor ,, Me rendre Grand' mere k mon age!" En parlant ainfi, elle la' frappoit ellemême au vifage & déchiroit fes vêtemens. Mais apprenant que 1'Amour, exténué par le régime de la Diette, venoit de tomber en foiblelTe, elle abandonne fa viólime, vole a 1'Olympe, prend fon fils dans fes bras, le ranime contre fon cceur 6c paffe la nuit auprès de lui, Le chagrin & 1'infomnie firent palir la mere de L'Amour. Au jour naiffant, elle s'en apperjut, 6c ayant fait venir Pfiché, allez, lui dit-elle, allez chez Proferpine, & dites-lui de ma part: Vénus vous demande une boè'te de Beauté pour réparer celle qu'elle a perdue pendant la maladie de fon fils.  !2o Lettres Pfiché devoit fuccomber dans ce meffage. Mais elle defcendit au fombre Averne avec cette fécurité qui accompagne l'mnocence , & tous les obftacles s'évanouirent fous fes pas. Les Ombres a 1'envi planerent autour d'elle, Cerbere, en murmurant, lécha fes jolis pieds, Et 1'avare Caron, deux fois dans fa nacelle, Lui fit pafler Ie Stix fans lui dire: payez. Proferpine, elle-même, touchée des graces naïves de Pfiché, lui dit, en lui remettant la boete de Beauté: „ Que Vénus eft heureufe d'avoir une fi aimable meffagere! J'en fuis' jaloufe; & fi ce n'étoit par égard pour elle, je ferois prefque tentée , mon enfant, de te recommander a mon premier médecin , qui , avec une feule ordonnance, te placeroit auprès de moi , pour toujours. Mais Vénus m'en voudroit, & elle auroit raifon. Adieu, portes lui cette boete, & garde-toi bien de 1'ouvrir; tu n'en as pas beföin ". La  sur la Mythologie. 121 La défenfe aiguiilonne la curiofité. Pfiché, en revenant des Enfers tournok, retournoit & fecouoit la boê'te pour foupconner au moins ce qu'elle pouvoit contenir; puis elle difoit en ellemême: En vérité ï je voudrois bien ftvoir Quelle figure peut avoir La Beauté renfermée ainfi dans une boete... Garde-toi de 1'ouvrir; tu n'en as pas befoin, M'a-t-elle dit. C'eft bien honnête!... Si pourtant je pouvois en voir un petit coin!.. Sur mainte table de toilette, J'ai vu du noir, du blanc & du rouge apprêté; Tout cela n'eft pas la Beauté. De celle que je tiens fi j'avois la recette, Combien j'obligerois mon fexe!.. il eft certain Que je puis, fans être indifcrette, Envier le fecret d'obliger mon prochain. Malgré cette apologie intérieure, Pfiché confervant un refte de fcrupule, n'ofoit ouvrir la boete; mais elle la lailToit tomber par diftraftion, afin qu'elle s'ouvrit par accident. Enfin 1'accident n'ar- Quatr. portie. F  122 Lettres rivant pas afTez tot, Pfiché innocemment ■ aida un peu la cataftrophe, en poufTant, fans le.vouloir, le couvercle de la boè'te en dehors ; mais au lieu d'y trouver la Beauté, elle en vit s'exhaler une vapeur infernale, qui, 1'enveloppanttout-a-coup, la plongea dans un fommeil léthargique. Heureüfement TAmoiir , alors conva-' lefcént, fepromenoit ce jour-la pour la première fois. Sans doute il exifte un Génie Qui conduit les amans: A chaque inftant du jour, C'eft lui qui, fur vos pas, me conduit, Emilie: Et ce fut lui, je parie, Qui vers, Pfiché guida 1'Amour. Ce Dieu, recueillant la vapeur mortelle dans la boè'te, la referme avec foin, éveille fon époufe, 1'embraffe tendrement & lui dit: hatez-vous, ma chere Pfiché , de porter cette boè'te a -ma mere jiiör. moi je vais fupplier Jupiter de confentir a notre hymen.  SUR LA MYT BüiO'C I &, 123 Déja Vénus, irritée de voir fa beauté flétrie, avoit 'orifé, dedépit, trois miroirs trop véridiques; elle en confultoit unquatrieme qui alloit fubir le même fort, lorfque Pfiché lui préfenta la boè'te myftérieufe. Jamais la reine de Cythere n'en avoit il bien reconnu tout le prix. Tandis qu'elle la recevoit des mains de Pfiché, 1'Amour foible & tremblant arrivoit au palais célefte, 8c fe jettant aux pieds de Jupiter: mon pere, s'écroit-il, ou accordez-moi Pfiché pour époufe, ou laiffez-moi mourir; car, fans elle, 1'immortalité m'eft infuportable! Le bon Jupiter attendri releve fon petit - fils avec amitié: je fais, dit - il, je fais oü en font les chofes. Allons, je veux bien accommoder tout cela, mais c'eft a condition qu'a 1'avenir... Oh! mon pere, je vous j ure une Sagefle a toute épreuve!... — A la bonne • heure; je compte la - defTus, entendez-vous? F 2  124 Lettres Auffi-tót le Roi du ciel aftembJe les Dieux & leur dit: „ Mon pedt-flts a fait des fiennes. ,, Malgré fon fourire enfantin, „ Tel que vous le voyez, c'eft un franc libertin 1.. Mais je veux que tu t'en fouviennes!.. „ Qu'il eüt formé la-bas une inclination, „ C'étoit bien ; mais dame Nature „ A pouffé fi loin 1'avanture, „ Qu'il y parolt un peu, dit-on. „ Or, mes enfans, Ie mariage F' ,„, Etant, dans la jeune Taifon, Le tombeau du libertinage, „Je fuis d'avis que, pour le corriger, „ Nous lui faflions époufer fa conquête. - „ Mais, mon pere, c'eft déroger! Reprit Venus. — Elle eft d'une familie honnête, Eépliqua Jupiter. — Oui, bon pour ces gensla, „ Maisc'eftune Mortelle, Ah! n'eft-ce que cela „ Qui s'oppofe a fon allianceV „ En füreté de confcience 5, Votre fils pourra 1'époufer, V, Et je me charge, moi, de 1'Immortalifer." A ces mots, les dieux applaudirent, &  sur la Mythologie. 125 Vénus, réduite au filence, confentit a devenir Grand'mere. Pfiché, les yeux bailTés, tenant fes deux maïns croifées fur fon petit fein maternel, fut préfentée aux Dieux qui admirerent en elle la réunion intéreflante des graces naïves de 1'enfance & des prémices de la ma~ ternité. Jupiter la prenant par la main, lui dit, en lui préfentant 1'ambroifie: „ Venez, Pfiché, foyez ma fille. „ Recevez 1'immortalité, „ Bientót 1'aimable Volupté „ Doit avec vous entrer dans ma familie." La prédiction de Jupiter ne tarda pas a s'accomplir. Peu de temps après, Pfiché mit au jour cette aimable DéefTe avec laquelle, Emilie, vous m'avez un peu familiarifé. D'après les traits que j'en vais tracer, décidez fi j'ai fu la connoïtre: F3  •120* Lettres Aimer pour Ie plaifir d;aimer; Ipancher librement fon ame toute entiere Dans un cteur qu'on fait eftimer; D'un adorable caraftere ïïprouver chaque jour la douce égih'té, N'y trouver de variété Que dans mille moyens de plaire; Entre les bras de Ia Pudeur S'abandonner a h téndreflei Goöter, avec délicateuV, Le prix de la moindre faveur; Au fein du plus tendre délire, Jouir de tout, ne perdre rien, Keureux du peu que 1'on obtient, Flus heureux de ce qu'on défire; Par la réiïftance irrité, Et retenti par la décence, Sn i'économifant, doubler Ia jouiflance; N'eft • ce pas la la Volupté ? Telie eil , Emilie , Ia fable de 1'Amour & de Pfiché. Vous faifirez aifément tous les traits de cette ingénieufe allégorie , dont je vous ai feulement extrait la fubftance. Apulée , qui paroit en être 1'auteur , vous offrira des  sur la Mythologie. 127 détails auffi mukipliés qu'agréables , & notre immortel Fabulifte (*) , qui a compofé un roman de ces avantures, vous intéreffera par ces graces naïves qui n'appartiennent qu'alui feul. Après le divin Lafontaifle, II étoit dangereux d'èiïayer ce tableau. Sans doute, j'aurois dü m'en épargner la peine, Pour ménager I'honneur de mon pinceau; Mais je vous aime! Amour nous mene Toujours trop loin, .& nous fait tout ofer. Ce Dieu m'excufera peut - être D'avoir, avec un fi grand maitre, Ofé prefque rivalifer. Sans ê;re, comme lui, favorifé des Graces, J'ai préfumé, je ne m'en défends pas, Qu'après avoir cueilli tant de fleurs fur vos pas, J'en pourrois gianer fur fes tracé», (*) Nous avons, tut le même fujet, un poïise, ioat j'aurois fait l'éloge, fi je ne m'aljltenoi? autaat üe !ou£ï 'es vivans q'.ie de uia.mer les ruortf..  ï2§ Letthes. LETTRE LVI. Qu o i! je vous auraiparlé de Ia naiffance, des exploits, du culte , & des amours même de 1'Amour, & je ne vous dirai pas un feul mot de 1'Amitié! Hélas! les frames & les temples du.fils de Vénus couvrent' encore h terre ; fes loix fe fontperpéiuées jufqu'a nous; nous ics avons recues de nos peres pour les tranfmeure a nos enfans , qui probablement les tranfmettronc aux leurs. Et 1'Amitié? oü font les débris de fes autels? qui nous a tranfmis fes loix? fes fujets, s'il en exifte, ofent a peine fe montrer. Le culte de 1'Amour eft aujourd'hui la religion dominante; & les adorateurs de 1'Amitié forment une fefte obfcure qui n'a ni temples ni facrificateurs. Cependant les Grecs 1'avoient divinifée.  132 Lettres buts avec ceux de la Bonne-foi, avoit a Rome, pres du Capitole, un temple qui, dit-on, lui fut confacré par NumaPompilius. La Déeffe étoit repréfentée les mains jointes & vêtue d'une longue draperie blanche. C'eft peut-être pour cette raifon que Virgile 1'appelle Cana Fides; d'autres prétendent qn'il a voulu, par cette épithete, défigner la vieilleffê de la Fidélité, blanchie par fon grand age; mais cette interprétation ne peut plus lui convenir aujoard'hui: Elle dure fi peu qu'on n'a pas le te:nps même De la nommer Fidélité; Si bien que c'eft en vérité Un enfant qai meurt fans baptême. On place ordinairement au pied de cette Déeffe un chien blanc; ce fymbole lui eft commun avec 1'Amitié; il doit 1'être en efFet, puifque le chien réunit 1'attachement & la fidélité. Les prêtres de la Fidélité, étoient vêtus  sur la Mythologie. 13J comme elle, d'une longue draperie blanche qui leur couvroit la tête & leur enveloppoit les mains; nos chevaliers d'induftrie doivent fentir la jufteffe & la force de ce dernier emblême. Ces prêtres préfentoient des offrandes dans le fancluaire de la Déeffe , mais ils ne fouilloient point fes autels du fang des vi£Hmes. Sur le frontifpice du temple on voyoit deux mains droites qui fe ferroient étroitement. C'eft encore ainfi que nos marchands peignent, au-deffus de leurporte, 1'enfeigne de 3aBoNNE-Foi, comme pour offrir au public le portrait au défaut de 1'original. Les Romains nous ont laiffé un autre emblême de la Fidélité; ce font deux Vierges qui, en fe tenant par la main, fe jurent une amitié fidelle. De ce fragile engagement Pour confolider Ia tendreffe,  13+ Lettres J'aurois fubordonné Ia foi de. leur ferment A Ia condition exprefle Qu'elles auroient a part, chacune leur amant. Mais a propos d'engagement, vous n'ignorez pas, Emilie, celui que j'ai contraéte avec le fils de Vénus: vous favez qu'au moment oü ce Dieu, détröné par fa mere, forma, commeHenri IV, lefiége de fa capitale, je tragai (*) le plan de cette expédition, & que je me trouvai au premier affaut & a la première fortie. Au milieu de ces opérations importantes, J'ai fouvent défiré vous revoir, Emilie; Pour fatisfaire a cette douce «nvie, L'Amour a bien voulu m'accorder un congé; Mais il expire & 1'honneur me rappeHe Devant le rempart affiégé. Adieu donc. A 1'Amour, a la gloire fidele; Je la quittai pour vous, je vous quitte pour elle, ije vais cueillir quelques lauriers, (*) Allufion au poëme du fiége de Cythere, dont les flx premiers chants viennent de paroitre.  Lettres sur la Mythologie. 135 Que vous m'échangerez pour nutant de baifers. Sur ce marché faites-moi quelqu'avance, Perte ou gain.. Mais, déjè jufqu'aupieddesrempaits Nos Héros marchent en fiience; L'Amourfait, devant eux, flotter fes étendarts, J'entends la trompette guerriere. Encore un a-compte!.. je pars Et je revole au fiége de Cythere, Fin de la quatrieme partic.   N     LETTRES A ÈM1LIE, SUR LA MYTHOLOGIE.   LETTRES A Ê M i n IE, SUR LA MYTHOLOGIE. Par M. de Moustier. Heureux ceux qui fe divertiflent en s'inftrnifant! TÉLÉMAQUE, LtV. 2. TROISIEME PARTIE. A AMSTERDAM, Chez Gabriel Dufour, Libraire. i 7 9   A E M l L IE. Au Chateau de L... Ie premier Oftobre 1788. Je voasecrisj Emilie, dans ce boudoir tranquille , oü vohs aimez fi fouvent k vous recueillir. Cet afylë devïent pourvous, Le Temple des vertus, des talents, de la gloire. Ah! qu'il me voye a vos genoux, Et ce fera mon oratoire. Quoiqu'il en foit, votre goüt pour cette aimable celluie, eft bien felon mon coeur. J'aimeun boudoir étroit, qu'un demi jour éclaire; La, moncfflureftchez lui.: Le premier demi Jour, Fut, par Ja Volupté, ménagé pour I'Amour. La difcrete Amitié veuc auflï du Myflere, Qüand de nos bons amis, dans un lieu limité, Le eerde peu combreux, prés de nous feraffemble; Le Sentiment, laPaix, Ia francbe Liberté, Préfïdent en commun au petit comité, Onert la. Qu'yfait-onï Rien; mais on eft enfemble. Dans un fallon froidement fpacieux, Que le luxe, a grands frais décore, Rien ne parle a mon cceur, quand tout parle a mes jen, II femble, dans ce« valles lieux. Que le fentiraent s'évapore. Troif.pank. A  '0 Dans un boudoir on s'airae mieux; Flus intimement on s'accueille. Rien ne le perd, tout devient précieux: Un.gefte, un mot, un rien; tout ferecueille. La, vérs la fin du jour, la fimple Vérité, Honteufe de paroitre nue, Pourcacherfa rougeur, cherche 1'obfcurité. La, la Confidence ingénue, Jlapproche deux amis; & fi quelque foupir A 1'un des deux fe laiffe entendre, Sentez-vous avec.quel plaifir II devineies pleurs, qu'a 1'autre il fait répandre! Heureux, Emilie, celuiqui, prèsdevpus, en feroit la douce expérience! Ah! fi les Dieux m'avoient réfervé ce bonheur, quel féjour enchanté vaudroit pour moi votre aïmable afyle! La, je voudrois paiTer ma vie; La, je voudrois, un jour, mourir Les yeux fixés fur mon amie. La, le nom cbéri d'Emilie, Seroit mon dernier mot & mon dernier foupir. La, s'échappant de 1'infernale rive, Sur 1'alle du Zépbir, mon ame fugitive Reviendroit foupirer. Ainfi, dans les beaux jours, JL'byrondelle franchit le vafte fein de 1'onde; JSt, fidele a fon nid, revient d'un autre Monde, .^ïfiteï 1c berceau de fes jeunes amours.  LETTRES A É M I L 1 E, SUR LA MYTHOLOGIE. [L E T T R E XXXV. S i 1'on vous racontoit, Emilie, qu'il exifle un aveugle, armé de traits empoifonnés, qui, par un inftinét cruel, choific a fon gré fes vi£Hmes, & les frappe tou«" jours droit au coeur; que eet aveugle porte fur les yeux un bandeau, lequel, fe mult-ipliant a 1'infini, va couvrir la vue de Ai  4 Lettres tqus ceux que.le trait fatal a blefle; vous ïraiteriez, fans doute, ce récit, de fable & de menfonge. Mais fi 1'on ajoutoit que 1'aveugle eft de votre connohTance, que fouvent même vous lui prêtez vos yeux, .& qu'en récompenfe il vous prête fon bandeau; votre incrédulité feroic place a 1'étonnement. ^Fnfin, fi 1'on vous affuroit, que, dès 1'age de quinze ans, vous avez conduit 1'aveugle par la main , & lancé. vous-même un de fes traits les p|us ardents; alors, avec un fourire, tendre pgut- être , vous vous rappelleriez 1'amï d'Emilie, & vous diriez: eet aveugle eft 1'Amour. Je vais vous en patier; car mon fort déformais, Prés de vous, mon aimableamie, Eft de jurer de n'en parler jamais, Et d'en parler teute ma vie. A peine Vénus eut- elle enfanté Cupidoa, que Jupiter lifant, fur fa phyfionomie dquee & perfide, tout le mal qu'il feroit un joar, le profcrivit dès le berceau.  sür LA MyTHOEOGIE. g Vénus, pour le fouftraire au courroux de Jupker , prit fon fils dans fes bras; & foible encore, elle fe traïna, avec ce doux fardeau, d,ans les forêts de rille de Cypre. La, elle oublia les plaifirs briljants de la Cour céleite, & s'enivra des délices de l'aaioür maternel. EIFe éprouvoit, cenrfois le jour, Ce mélange d'inquiétudes, D'iyreffös, de follicitudes, Inféparables de 1'amour; Ses foins étoient plaifirs pour ell«; Les foins "de mere- font fi doux! Son fils jouoit fur fes genoux, Ou bien, pendoit a fa mamelle. Repofoitil? „ Vents, taifez-vous; „ Zéphir, flattezle, difoitelle; „ Embaumez-Ie, rofe nouvelle. „ Sommeil, verfes-hii lespavots „ Que tu me deftinoi^;- je veille „ Si doucement quand il fomeilie! „ Comme il fourit! Que le repos i, Donne degrace è 1'Innocence! „ Du vainqueur des Rois, des Héros, ,, Voila donc la tendre efpérance! „ Voila celui dont la PuiflancSj A 3  tè Lettres „ Egale aux Anêts du Deftin, „ Donnera des loix a la terre, }, Enchainera le genre humain, ., Les Dieux même.' Et je fuis fa mere!.. „ Maïs festraits femblent s'altérer, „ 11 foufFre! S'il alloitpleurer!.. „ Non; fesyeux s'ouvrent, il foupire, „ Et s'éveille pour me fourire." Malgré Ta tendreffe pour fon fils, Vénus ne fut pas fa feule nourrice. Si 1'Amour n'eCit fucé que le lait de la Beauté, fon caraftere eut pris feulement une teinte de coquetterie, cequi, denos jours, netire plus a conféquence ; mais aufli-töt qu'il put marcher, il parcourut les bois, fuca le lait des bêtes fauvages, &, avec leur fubftance, il prit leur férocité. Bientöt il fe faconna un are de Frêne, desfleches de Cyprès, & les eflaya contre les animaux qui 1'avoient nourri. Sur de fon adreflè, il 1'exerga contre les hommes, & Vénus elle-même ne fut pas épargnée. Quelques-uns de festraits, légérement dorés, bleflbient les Amants heureux.  sur la Mythologie. j D'autres, armés d'une pointe de plomb', portoient au fond du cceur la froideur & 1'ingratitude. Mais la plupart, trempe's dans un poifon fubtil, frappoient, <5e frappent encore les Amants infortunés. Leur atteinte efi fouvent inévitable; Mais, en fe tenant a Pécart, Le fage, de leurs coups, n'a, dit-on, rienacraindre; Car ils ne portent pas plus loin, que le regard D'une Belle ne peut atteindre. Cependant 1'Amour cache par-tout fes traits avec tant d'adrefle; la Nature & les Arts confpirent tellement avec lui, que la défiance elle-même eft quelquefois prife en défaut. Sous le verre d'une tablette, Oü 1'art aura repréfenté, En racourci, les traits de la beauté; Que 1'oeil du Sage innocemments'arrête; Le trait part, le coup eft porté; L'illufion commence la défaite Qu'acheve la réalité. A 4  $ L E T TRES Souvent, dansunbois folkaire, Oü le Sage refpire en paix, L'écho des prés & des forêts Lui rend les doux aceents d'une jeune-bergère. S'il y prête 1'oreiile, auffi-töt dans fon creur Le trait s'infinue; & le Sage, Attiré pas-a-pas vers ce chant féducteur, Court au-devant de i'efclavage. Quelquefois, au bord d'un ruffleau, Etendu fur i'.berbe fleurie, Du fouvenir des fêtes du haraeaü l! entretient fa rêverie. Le fouvenir embeüit tout: Qu'aux fêtes de Cérès, Climene étoitjolie! O que fes grands yeux bleus avoient de modeftie! Que fa parure avoit de noblefTe & de goflt! Ce Temple de verdure eftdigne de Climene. Vïens, Climene, enceslieux, repofer tes appas; Viens baigner tes pieds délicats , Dans 1'onde de cette fontaine, Ces bois t'ombrageront dg leur feuillage épafS; Mos foins écarteront les regards indifcrsts. Ah! ne crains pas les mièns.^ Je devinetes charmes, Mais j'aime Ia vertu, j'adore la pudeur".... Lerêveur, a ces mots, dans fes yeux fent des Iarmes, Et le trait dAmour dans fon cceur. Enfin, les traits de i'Amour fe rencos-  suii la Mythologie. giffant. — Qui? Cetadolefcent, dont les. yeux ,.le fourire, Les propos, en deux jours, poufTent un creur a bout. .. Je ne veux rien favoir,- mais fi tu me dis tout, Je teprornets de.n'en.rien dire. Je n'ai rien a vous confier, répliqua Sé.mélé, puifqu'il n'y a rien. fa Rien ?. -Regardes - moi ?.. Quels regards abatus! Rien?.. Mon.,enfant, j'ai Ja-deflus ,Une fcience trop^ertaine. yd[ paffé par-la... Maïs... ta robe ferme apeine, Et ta ceinture ne joint plus! A..ces, mots , ma mere ne répondit que par des. Iarmes, ;& tomha dans les bras de  sïrr la;Mytholögie. la fauffe Béroé, qui, feignarit de la coïïfoler, s'écrioit: Ne* pleures pas, ma pauvre fille! On eft jeune, on eft foible... Eb! ne fais-jépas bien Ce qu'il en coü'te alors? Oh! le petit vaurien! Si je connoiflbis fa familie!.. — Vous larefpeéteriez, —Vraiment re fuborneuï, Ce fcélérat, ce fourbe infïgne, T'aura fait e.icor trbp d'honneur. * Tu verras^qu'il defcend au moins en droiteligne De Satorne! — il eft vrai. — Q uoi! ce jeune inconnu ?, — C'eft Jupiter... — Et tu 1'ascru? Ya, les Dieux gagnent trop a 1'être, Pour déJa:gner de le paroltre, Qui te 1'a dit enfin ? — Lui - mê.ne. — L'iinpofteurï . Abufer ainfi la candeur! Un Jupiter fans barbe! — Hélas, reprit ma mere, Si ce n'eft le Dieu du tonnere, C'eft au moins le Dieu du bonbeur. Eh bien, ajouta la perfide nourfice, pour1 te prouver fa Divinité, qu'il paroiffë devant toi dans 1'éclat de toute fa puiffanee. Cette propofition flatta la vanité de Se'mélé. Elle preffa fon Amant d'y condefcendre. En vain celui «ei lui reB 3  JO j , ,1, & J T R E S. j préfèmra (|ü'j.) y alloit pour elle de la. vie; elle lui répondit: Si par i'éciat br,üjant de ta gloire fuprêm.e, Ce foible corps eit dév.oré ; Si je meurs enfin, je. tnourra.i Dans les bras de celui .que j'aime. Jupiter trop tendre pour réfifter a fes defirs, parut dans un nuage de lumiere, tenant d'une main le feeptre, & de 1'autre la foudre. Sémélé, iv-re de gloire & d'amour , lui tendit les bras , & fe précipita dans les fiens; mais fes levres touchoient a peine les levres de fo.n Amant, que déja ia foudre 1'avoif con« funaée. Son ame , en gémiffant, s'envola dans rElifëe-; Junon fourit ; & Jupiter verfant des Iarmes , me recueillit parmi les cendres de ma mere, & me mit dans fa cuiffe, QÜ ij me porta jufqu'au terme de ma naifTance. Alors Mercure me confia fecretement aux Nymphes de la montagne de Nyfa, en tgyf difant:  sur la Mythologie. Eievez eet enfant a 1'ombre du myftere. li étoit orphelin avant de voir le jour. „ Que fon enfance vous foit cbere; Et, dans Ie fein de votre amour, ,, Puiffe-1-il ónblier qu'il a perdu fa mere!" Je la retroavai en effet prés de ces fldelles nourrices, qui, en récompenfe de leurs foins , brillent maintenant au milieu des aftres , fous le nom des Hyades. Quand je fortis de leurs bras, le bon Silene devint mon précepteur. II étoit toujours monté fur foa ane, & c'eft a lui que je dois mes premières lecons d'équitation_ Son caraftere itoit la bonhommie. IJ buvoit fee, mais il avoit le vin ■ joyeux & tendre; il eut, le verre en mam. Fait rire en ebeeur toute une Académie, Auprès de lui, jamais Ie noir chagrin N'ofa rider le front de la Folie. Si Ia Bacchante, avec un ris malin, Dans un repas, le barbouilloit de lie, 11 fe prêioit a la plaifanterie; Et fe vengeoit par un tendre Iarcin, Qu'il n'alloit pas racenter a fa mie. Nymphes, Bergers, Driades & Sylvains, B 4  3* L E T T a E S De fes chanfons répétant les refreins, L'environnoient dë leur bruyante Orgie," Et promenoient le meilleur des humains, Sur le meilleur des courfiers d'Arcadie. Formé par les lejons d'un Ci bon maitre*, je réfolus, dès ma jeuneffe, de marcher fur les traces des Heros, & de furpafler la gloire des plus illuftres Conquérants. Mais les idees de conquêtes que Silene ra'avoit données, n'avoit rien de fanguïnaire. Je voulois faire des heureux, & non pas des efclaves; & les peuples écbappés a ma puiffance, devoient envier le fort des vaincus Mon plan étant ainfi congu, je partis a la tête d'une armee innombrable. Les Dryades, Ie thyrfe en main , Ouvroientla marche. Aulieudemachinesdeguerre, Les Sylvains rouloient fur la terre Des milliers de tonnea ïx de vin. La Folie & 1'Amour, le front ceint de raifin, Remplacoient, parmi nous, la Fureur & Ia Gloire; Et quand 1'armée, au fon du tambourin, Faifoit halte, c'étoit pour boire.  sur la Mythologie. 33 J'étois monté fur un char, trainé par deux tigres; un thyrfe me fervoit de fceptre, & le pampre formoic mon diadême. Bientöt la Renommee annonca aux peuples de 1'Inde, qu'un fils de Jupiter s'avaneoit pour les eonquérir. Ces peuples me croyant héritier de la foudre , s'enfuirent a mon approche; mais revenus de leur première terreur, ils accoururent en foule au-devant de leur nouveau JVlaitre. Alors , au licu d'exiger d'eux des tributs & des ötages, je leurs dis: Enfemuncez ce champ fertüe , mais inculte. Plantez ces jeunes ceps le long de ces cóteaux; Dans ces riants vaüons ïaTernblez vos troupeaux. Voila mes loix, voila mon culte. . Je n'exerce point les horreurs Du Dieu de Thrace & de Bellone; Soyez libres; je veux n'enchainer que les cceurs. A vos Princes foumis, je laifle la Couronne; Mais a condition que de votre ,bonhe,ur Ils me rendront un pur hommage.' Je ne veuxdemesdroits, que votre amour pour gagei AJIez; foumettez-vous; & buvez au vainguenr. B 5  '34 Lettres En pen de temps, tous les. peuples voi* 'fins fubirent mes loix ; u-u.es les Villes m'ouvrirent leurs portes, & je comptai mes jours par mes vict.oires. Enfin, ayant achevé la conquête de 1'Arcad.ie,. de la Syrië , & des autres Provinces de 1'Inde; je quittai mes nouveaux fiyets, en leur difant ; „ Je confie t vos foins 'tout ce que j'ai foumis, *$ D'autres vainqueurs feront garder leurs diadémes. „ Je n'ai conquis que des amis, „ Et les creurs fe gardent eux -mêmes," Je revins alors triomphant, & traverfai toutes ces belles contrées , oü. je rencontrois k chaque pas les paifibles monuments de mes vi&oires. Je. voyois les moiffons dorer les champs fertiles les troupeaux bondir dans les vahées; les arbres & la vigne, couronner les ■cóteaux de fruits & de verdurej & com* parant ces campagnes a celles o\i tant n bien cruelle , dont Jes Dieux fembfent punir- aujourd'hui fa malheureüfe Ariane.' II exigea , que, durant neuf  , sur ifA-Mythologie." 45; r années coniécutives , les Athéniens lui en« voyaffent : annueliement fept jeunes gargons, & autant de jeunes filles, pour être déyorés.par le;Minotaure, qui habitoit le labyrinthe. Cet édifice immenfe , chef • d'oeuvre de 1'ingénieux Dédale, contenoit une infinité de circuits ménagés avec une adreffe perfide. . Helas! il refiembloit au eceur del'infidele, Dont 1'Innocence ignore les détours. Sans le favoir on s'engageoit comme elle; On fe perdoit, comme elle, póur toujours. Au fond de cette fatale retraite, habitoit le Minotaure. Ce monffcre, moitié homme, moitié taureau, devoroit les infortunés que Minos enfermoit dans le labyrinthe. Déja , pour Ia troifieme 'fois , les Athéniens nous envoyoient leur fatal tribut. Affife prés du port, je confidérois en filence leur vaiffeau couvert de deuil , qui approchoit lentement du ri-  40 Lettres vage. ïl abe-rde enfin, & j'en vois defcendre les triftes viótimes. Les jeunes filles marchoient les premières, le front pale, les yeux baiffés. Elles ne pleuroient plus; leurs Iarmes s'étoietft épui» fées dans les derniers embraffements de leurs meres. Après elles, marchoient les jeunes captifs, les maïns chargées de fers, & la tête abatue. Un feul ofolt lever les yeux, & fon regard noble &fierparoiflbit défier la Fortune. II femble que 1'ame des Héros fe communiqué a tout ce qui les environne. A la vne de celuici , je me fentis élever au-deffus de moimême, & je réfolus de le fecourir. Je faifis l'inftant oü, fans être entendue, je pouvois lui parler; & avec une furprife, mêlée de mille autres fentiments, je reconnus dans eet infortuné, le jeune & illuftre Théfée, fils d'Egée, Roi d'Athenes. J'appris avec admiration, que malgré fa familie , il avoit voulu être du nombre des viótimes deflinées au Mino-  sur la. Mythologie. 47 taure, afin de tuer le monftre, 011 de périr avec fes concitoyens. Son courage, fa jeuneffe, fes exploits déja célébres , 1'illuftre fang de Pélops , dont il étoit iffu par fa mere , tout m'infpira pour lui un intérêt... trop tendre peut-être. Je lui promis de le fauver, même au péril de mes jours; & il me jura, s'il étoit vainqueur, d'unir fon fort au mien. Hélas! J'ignorois qu'un Héros, dont jamais Ie ferment Ne doit être un ferment frivole, Pouvoit tromper 1'Amour innocemment; , Et, fans blefTer 1'honneur, manqiier a fa parole. Dès ce moment, regardant Théfée comme mon époux, je 1'armai de ma main pour combatre le monftre. Je lui fis tenir le bout d'un fil, dont je retins moimême 1'autre bout, afin de le guider dans les détours du labyrinthe. Je 1'y vis entrer, a la tête de fes compagnons. On eüt dit qu'ils defcendoient tous au tom-  L E T T R E S beau. T-héfée feul fembloit marcherala viftoire. Tremblante a la potte du labyrinthe, je fuivois de loin le bruit de fes pas, & le mouvement du fil qui les guidoit. Bientöt j'entends les hurleme-nts du Minotaure. Je frémis! le fil s'agitoit dans mes mains. & m'indiquoittous les mouvements de Théfée. Je le fentois combattre, reculer, fe détourner, pourfuivre. Touta-coup le bruit ceffe, & le fil refte immobile. Tbéfée étoit- il vainqueur ou vaincu? Quelle alternative!., „ Peu-a-peu je crois fejitir un mouvement imperceptible; je crois entendre des cris dans le lointain. Eft-ce une illufion ? Eïl-ce une vérité? Je friffonne, je palpite,- mon fang brüle & fe glacé tour- a*tour. J'écoute encore.... En effet, j'entends des cris. Mais, font-ce les cris de la joie ou de la douleur? Mon coour ne leur prête-t-il pas les accents qu'il defire ? Non; le brujt approche... ce font le5.chants.de la vic- toire!  sur la Mythologie. 4^ tpire! Le fil s'agite de nouveau, jefens le retour de mon époux , j'entends fes pas, je 1'entrevois; il eft vainqueur, il me tend les bras, il vole, il eft dans les miens. Ces moments-!a, n'ont ni foupirs, ni Iarmes; On jouit trop pour bien jouir. Je ne vous peindrai pas leur ivrefls, leurs charmes; Mais puiffiez vous, un jour, aimer & Ie fentir! Théfée , les yeux tendrement fixés fur les miens, & environné des victimes qu'il avoit délivrées des fureurs du Minotaure, fembloit me rendre hommage de leur reconnoiffance. La tête énorme du monftre étendu a nospieds, vomiffoit des flots d'un fang noir; & les compagnons de Théfée, la confidéroient encore avec terreur. En ce moment, feignant de vouloir dérober le vainqueur a leurs emprefTements, je le conduis, par des chemins détournés, fur le rivage de la mer. Un vaiffeau , préparé par mes ordres, nous attendoit. II nous rec:oit, Troif. Partie, C  0 Leitrm & les vents nous conduifent vers -cette Ifle fatale. Sa folitude , les ruiffeaux qui 1'arrofent, la verdure & les fleurs qui la couronnent, tout nous y préfentoit une j:etraite digne de vrais Amants. La, j'efpérois couler mes jours. J'y devois être époufe & mere. La, mon cceur, fixé pour toujours, £)evoit partager fes amours JEntre mes enfants & leur pere. Je me forgeois une chimère De tendrefTe & de volupté. Ah! d'une illufión fi chere Quand le charme nous eft öté, ^ue la vérité femble amerel JSur la mouffe qui tapiffe cette grotte, je jn'étois endormie prés de Théfée. En me livrant aux douceurs du fommeil, J'efpérois que 1'Amour, qui fermoit ma paupiere, Avec le Dieu de la lumiete Viendxoit le lendemain fourire a mon réveil. I^ain efpoir! je m'évéille ; mes: yeux, .^ncore chargés de pavotss fe toürnent  sur la Mythologie. gt dü cöté demon époux; mes bras s'étendent vers lui, & ma bouche cherche la fienne... II avoit difparu. Je 1'appele, mais en vain. Allarmëe & tremblante, je fors de Ja grotte, je parcours les bois, je gravis les rochers, je franchis les précipices. Je demande mon époux k tout ce que je vois. L'écho feul me re'pond , en gémiffant. Enfin , accablée de douleur & de laffitude, je me traïnois lentement vers le rivage, en répétant le nom de Théfée, quand tout-a-coup, promenanc mes regards fur le lointain des flots, je. vis fuir ce même vaiffeau fur lequel je 1'avois fauvé, le perfide!.. Le refte, vous 1'avez vu. Aces mots, continua Bacchus, Ariane verfa de nouveaux pleurs. — Que vous* effiiyates, reprit Vénus. - Vous 1'avez dit. - Mais pour guérir fon cojür* Le vótre propofoit un remede, Seigneur. Sans doute Ia malade ufa de ce régime ? *~ Et 1'Himen en rendit 1'ufage légitime» C a  £8, , r'Lj T T Tl E En époufant Ariane, je lui ceignis cette couronne immortelle, chef-d'ceuvre de fVulcain,.qui brille parmi les (*) aftres, öepuis .que la Parque rna ravi mon époufe. Hélas! il ne lui manquoit que J'immortalité. Pardonnez - moi, C je foupire. Nous fumes foixante ans Amants. Vipus jugez bien Q«e je lui fus fidele. - Oh! cela va. fans dire.... _ Aufli je ne vous en dis rien. ^» Vous conviendrez pourtant que les Amours finiuent, s —Mais l'Amitié les (uit. — De loin. /tinfi que les Amours, les Amitiés vieilliffent; — Oui,; mais le cceur ne vieillitpoint. A ces mots, ia difpute s'échauffa. Les Dieux & les Déeffes prirent parti ; les lins pour Cypris, les autres pour Bacchus. J'aurois été pour pelui-ci. Car je crois, # j'offre, Emilie, d'en faire avec vous J'épreuve: l*) La couronne d'Ariane fut changée en conftell*ti»n.  SUR LA MVTHOÏ.ÖGÏE. Je crois que deux tendres Amants Après avoir cueilli des rofes au Printemps, Moiflbnné dans 1'Eté, vendangé fous Pomon»*,' Savourent 1'amitié, dans 1'Hyver de leurs ans, eomrrre un excellent fruit confervé de rAütomnt,' C3  'm* Lettres LETTRE XL. O n vous a fouvent prévenue , Emilie contre la fidélité des maris. On vous a dit cent fois, & je vous le repete, Qu'un niari fidele eft cité Comme un prodige; ou bien, comme une rareté Qui va de pair avec une femme difcrete. 'L'aflertion paroït forte, & cependant elle eft vraie ; non pas abfoJument dans la clafle mitoyenne. J'y connois quelques bonnes ames, Qui, confervant les mosurs de 1'age d'or, Dans Paris affichent encor La fottife d'aimer leurs femmes; Et qui, d'un chafte Hymen refpectant le faint nceud, Prés d'une époufe tendre & fage, Trouvent 1'Amour dans leur ménage, Et le bonheur au coin du feu. Vous concevez bien, Emilie, que cette félicité bourgeoife n'eft pas faite pour les Demi-Dieux.  sür la. Mythologie. 55 Une époufe eft chez eux, meuble de compagnie^ Cela fait les honneurs, cela fert de maintien Dans les jours de cérémonie. Elle eft aimable, jeune & riche; c'eft fort bien. On ne 1'adore pas, ce feroit un délire. On 1'aime, cela va fans dire. Aufli jamais n'en dit-on rien. Je vais, Emilie, vous donner une idee de cette fidélité du haut flryle, parl'exemple de Bacchus. L'époux d'Ariane, qui s'abfentoit fouvent pour voyager, ayant été accueillï chez Icarius, y féjourna quelque-temps, moins pour enfeigner a fon höte Tart de cultiver Ja vigne, que .pour cultiver luimême 1'amitié de fafilleErigone. Erigone avoit quinze ans. Son jeune craur entretenu Dans une ignorance profonde, N'ayant jamais connu Ie monde, Connoiflbit encor Ia vertu. Auffi Bacchus trouva -1 - il de grands ©bftacles a fes projets. En vain il emC 4  56 Lettres ployoit prés d'elle tous les lieux communs de la galanterie; Erigone refufoit, ou de les e'couter, ou de les entendre. Enfin, le Dieu, après avoir long-temps étudié cette Place inexpugnable, découvrit un cóté' foible. II s'appercut qu'Erigone aimoit beaucoup le raifin , & qu'elle alloit fecretement a la vigne de fon pere pour en manger. Alors, sur de fa viótoire, il vole a la vigne d'Icarius, fe place fur le fentier par lequel arrivok Erigone, & prend la forme d'une grappe vermeille qui pendoit a un jeune ceps. Quelqu'adroite que fut cette métamorphcfe, . J'aimerois mieux accepter un congé, Que d'employer un pareil ftratagême; II eft trifte d'être obligê De ceffer d'être foi, pour plaire a ce qu'on afrne, Cependant, la grappe attendoit Erigone. Elle arrivé, l'appercjoit, pouffe un cri de joie, & la cueille. Mais a peine ena-t-elle mangé les premiers grains, qu'une ivreffe  sur la Mythologie. s? inconnue s'empare de fes fens. Sa poi-' trine fe gonfle & s'agite , fon oeil fe trouble ; fa bouche ardente carefTe la grappe fatale, la preffe & la dévore; Dieux! s'écrie-t-elle, quel brülant nectarf je meurs empoifonnée!.:. A ces mots," Bacchus reprenant fa première forme; raffurez-vous , lui dit-il, ce poifon n'effc pas mortel. Aimez-moi, je vous guérirai. Alors, Erigone bailTant les yeux, rougit, foupira , & abandonna fa main ; mais j'ignore fi ce fut au Médecin ou a I'empoifonneur. Cependant, le temps de la vendange arrivoit. Icarius y avoit invité les Pafteurs du territoire d'Athenes. Le nectar couloit des grappes vermeilles, au fon de leurs mufettes & de leurs voix. Icarius, pour les rafraichir, leur préfenta les pré* mices du jus de la treille. Mais, malheureufement, les Muficiens de ce tempsla, n'ayant, ni la capacité, ni le fangfroid des nótres, le neclar nouveau fit cs  58 L E T TR E S fermenter leurs têtes Athe'nienes; & comme ils avoient le vin mauvais, ils tuerent Icarius, & le jetterent dans un puits. A peine ce crime eut-il été commis., que les époufes des meurtriers furent failies d'un tranfport de fureur & dë rage que rien ne put calmer. L'Oracle confulté, ordonna, pour expier le crime de leurs époux, que 1'on inftituat des fêtes en 1'honneur d'Icarius. Ces fêtes furent nommées les jeux Icariens. On les célébroit, en fe balancant fur une corde attachée a deux arbres. C'eft ce que nous appellons aujourd'hui 1'Efcarpolette. Je ne regarde jamais eet exercice, fans me rapeller avec plaifir fancienneté de fon origine. Ainfi, lorrquedans un verger, Sur une corde balancée, Avec fflore & Zéphir vous femblez voltiger; Sur vos divins appas fi ma vue eft fixée, Si je fuis dans les airs votre taille élancée, Et ce pied, que Zéphir vient de me décéler, Et ce voile, qui va peut-être s'envoler!...  sur la Mythologie. 59 Ah.' que votre pudeur n'en foit pas offenfée, Je ne pénetre point des charmes inconnus; J'éleve vers le Ciel mes yeux & ma penfée Pour invoquer Icarius. Au moment oü ce Prïnce fut affaffiné par fes hötes, il étoit fiiivi d'une petite chienne nommée Méra. Cette chienne n'étoit connue, ni par les Chanfons, ni par les Epïtres -y ni par les Madrigaux, que les Poëtes du temps lui avoient adreffées; ni par les complaifances du jeune Prêtre de Jupiter , qui la portoit a la promenade; ni par les entretiens fpirituels, que les Dames avoient avec elle en fociétéj mais elle devint juftement célébre par fon inftinéfc & fa fidélité poyr fon. maïtre. Elle courut vers, Erigone, & la tira par fa robe, jufqu'au puit$ ou les affaflins avoient jetté le corps de fon pere. Erigone a cette vue, fe pendit de défefpoir; Méra mourut de douleur; & les Dieux les tranfporterent au Ciel. Icarius y devint la confteJlation d^ Bootési C 6  éo Lettres Erigone, le figne de la Vierge; & Méra, celui de la Canicule. Et Bacchus , croyez-vous qu'il fe pendit pour fuivre Erigone ? Point du tout. II choifit une autre route: il alfa vifiter Proferpine , efpérant retrouver dans fon Empire, 1'Ombre de celle qu'il pleuroit encore. Proferpine étoit un peu brune, mais elle rachetoit ce défaut par mille agrcments. Elle avoit une langueur intéreffante, une mélancolie douce, un regard tendre & mvftérieux. Ajoutez a cela que fon Palais n'étoit éclairé que d'un demijour; enforte que, fi le coeur n'yrefTentoit point d'abord les atteintes d'une paffion vive & foudaine, il s'y laifToit aller peu-a-peu a cette ivrefTe voluptueufe, dont les Amants délicats ne voudroient jamais fortir. Bacchus ea fit 1'heureufe expérience. II s'étoit arrêté chez Proferpine pour un inftant ; il y féjourna troisans.  suk la Mythologie. 6t Alors Pluton donna de fa difcrétion Un e^emple fameux, que dans 1'occafion, Nos époux fe piquent de fuivre. En galant homme, il s'abfenta. Vous voyez que, dès ce temps-Iè, Les maris de Cour favoient vivre. Bacchus enfin, fe fouvenantdefonépoufe, retourna prés d'ellej & pour calmer fes allarmes, il lui raconta, qu'en entrant chez Proferpine il s'étoit endormi. Qu'il attribuoit eet affoupiffement, foit a fa laffitude, foit a la pefanteur de 1'air, foit a 1'obfcurité du lieu ; qu'enfin, il avoit dormi trois ans , & s'étoit réveille au milieu des Nymphes , qui 1'avoient fait daufer, & avoient voulu le retenir: mais qu'il s'étoit échappé, pour voler dans les bras de fa chere Ariane. Ariane Ie crut. Prés d'un mari volage, Patience!, vertu, douceur, tendre Iangage, Sont de grands points. Mais, felonmoi, Tout cela n'elt rien fans Ia Foi. Ariane fut déförmais récompenfée de C 7  e» Lettres la fienne, par la fidélité de fon époux. II 1'aima tant qu'elle vécut, & le lui témoigna jufqu'a fon dernier foupir; car entre les époux bien unis, les témoignages de la tendreffe font de tous les temps. Lorsque les glacés de 1'age Ont refroidi les Amours, Prés du feu, dans fon ménage, En rappellant fes beaux jours, Souvent un couple fidele, Malgré fes cheveux grifons, Fait jaillir quelqu'étincelle En rapprochant fes tifons. Dans 1'hifloire mutuelle Qu'ils fe font de leurs foupirs, Chaque héritier leur rappelle L'époque de leurs plaifirs. Ainfi votre ame attendrie Croira voir, dans vos enfants, Vivre la chronologie Des jours de votre printemps. P. S. Mais retournons aux noces de Thétis & de Pélée, ou nous avons laiffé  sur la Mythologie. 63 Bacchus a table avec les Déeffes. Surtour, Emilie, gardez-moi le fecret fur les infidélités conjugales que je yiens de vous révéler! Que cela foit dit entre nous. Brulez ma lettre, je vous prie. Comme, un jour, je puis être époux. J'ai queiqu'intérét, voyez-vous, De ménager la Confrairie.  LETTRE XLI. L e récit des triomphes de Bacchus avoit échauffé lè génie conquérant des Déeffes, & le banquet Célefte étoit devenu un champ de bataille, dont leur adreffe & leurs charmes fe difputoient le terrein. La vicloire balancoit fur-tout, entre Junon , Minerve & Vénus; quand touta-coup la Difcorde, feule exclue de ce feftin, & brülant devenger.fon affront; 1'oeil couroucé, la bouche 'écumante , le front hériffé de ferpents, parut dans un nuage fombre; &, avec un fourire perfide, jetta fur la table une pomme d'or, portant cette infcription fatale : A la flus belle. Si la Difcorde avoit écrit; A la plus fage, a la plus tendre ; A celle, qui, fans y prétendre, A le plus de fens & d'efprit;  SÜR LA MYTHOLOGI 65 A Ia plus chafte époufe, a la plus digne mere. A 1'amante Ia plus fincere; On auroit partagé, fans procés & fans bruit? C'étoiti la plus belle; Iliion fut détruit. (*) Junon , Vénus & Pallas prétendirent exclufivement a la pomme, & demanderent un Juge impartial. Alors Mercure leur dit: „ Prés des murs facrés de Bergame, „ Je connois un Berger, beau, jeune, & fans détour. „ Pour conferver la candeur de fon atne, „ On Téleva loin de Ia Cour, „ Et loin du commerce des femmes. „ Ce Juge vous convient, Mefdames; „ Nul préjugé n'altérera „ Son innocence & fa droiturej „ Et 1'Arrêt qu'il prononcera ,. „ Sera le cri de la Nature." Ce jeune Pafteur étoit le beau Paris, fils dePriam, Roi d'IUion. Hécube, époufe du Roi, portant eet enfant dans fon fein, rêva qu'elle accouchoit d'un flambeau qui C*} On verra dans la fuite, que la pomme de la Dit. eerde caufa 1» ruine de Troye.  66 Lettres enflammpit toute 1'Afie. L'Oracle cpnfulté, répondit que la Reine mettroit au jour un fils qui embraferoit fon Empire,; Priam, allarmé de cette menace, chargea un de fes Officiers , nommé Archélaüs, de faire périr fon fils en naiflant. Hécube même foufcrivit a eet Arrêt. Hécube n'étoit pas mere encore, Car, dès le moment qu'il refpire, Dès qu'elle vient de I'embrafTer; Quelle mere peut baiancer Entre 1'amour d'un fils & celui d'un Empire. Hécube 1'éprouva bientöt, A la vue de fon fils, 1'orgueil fut facrifié & la Nature reprit fes droits. Elle employa , pour fléchir Archélaüs, ces regards maternels, & ces Iarmes viclorieufes, qui manquent encore au pouvoir de vos charmes. Exeufez cette franchife: Quimieux que mpi, fait, Emilie, Combien votre regard fut toujours éloquent ? Cependant, mon aimable amie, Vos yeux s'exprimeront bien plus éloquemment  sur la Mythologie. 6? Prés du berceau de votre enfant, Lorfqu'au plus léger accident, Vous tremblerez de voir ravir a Ia lumiere Ce tendre fruit de vos amours naiffants; Et verferez cespleurs intéreflants, Qui ne peuvent couler que des yeux d'une mere. Ces pleurs triompherent d'Archélaüs, Le fer tomba de fa main, & Ja grace da fils fut accordée aux Iarmes maternelles. Cependant , craignant de facrifier fon devoir a 1'humanité, Archélaüs portal'en* faut fur le mont Ida, & 1'expofa dans un lieu folitaire, Ageheureuxlfoible.feul, fansfecours, fansdéfenfe, Profcritdès Ie berceau, mais ignorant fon fortj Entre les bras de 1'Innocence, En fouriant, il attendoit Ia mort. Ce fut en eet état, queJes Pafteurs du mont Ida le rencontrerent. Sa beauté, fon malheur, les ornements dont il étoit couvert, tout les intéreffa. Ils 1'adopterent, & prirent foin de fon éducation. Le plus vénérable de ces Pafteurs, qui 1'ai-  68 Lettres moit d'une amitié tendre , le félicitott fouvent de 1'heureufe deftinée, qui, loin des tourments de la fortune & de la grandeur, avoit confié fon enfance a 1'afyle champêtre de 1'innocence & de la paix. Quelquefois ce vieillard le prenoit fur fes genoux; & le preffant de fes bras tremblants, il lui difoit: Mon fils, vous entrezdans lz vie ! Par un chemin femé de fleurs; . Vous n'avez pas encor veffé de pleurs, Perfonne a vos plaifirs ne porte encor enviej Vous n'éprouvez point les ardeurs De cette aïmabTe frénéfie Qui tyrannife tantde cceurs; Vous n'afpirez point aux honneurs;Vous ne redoutez point Ia vieillefTe ennemie. Mon fils, vous entrez dans la vie Par un chemin femé de fleurs. Je ne veux point troubler le repos de votre Sge, Mais hélas.' craignez tout du poifon de 1'Amoar. Mon fils, je vois venir le jour Oü ce cruel enfant, par un tendre langage, Va vous attirer a fa Cour. Vous cröirez vivre höureits dans ce charmant féjoar,  sur la Mythologie. 6g Et vous n'y tr-ouverez qu'un pénible efclavage. Fuyez alors, fuyez; voila le vrai courage. Oifeau foible & timide, évitez ce vautour, Sinon vous périrez vi&ime de fa rage. Je ne veux point troubler Ie repos de votre age, Mais hélas! craignez tout dupoifon de 1'Amour. Aimable enfant, qui dans vos yeux Portez Ia paix de Plnnocence, Puiffiez.vous n'être ambitieux Que dubonheur dont jouit votre enfance! Soyez pauvre, mais vertueux; Ne vous enchalnez point au char de 1'Opulence. N'allez pas habiter les Palais fomptueux; Gardgz-vous de ramper fous 1'oeil préfomptueux D'un Prote&eur enflé de fa puiffance. Tiemblez de pénétrer les fentiers ténébreux, Oii 1'intrigue marche en filence. Les Remords font Ia récompenfe Des attentats les plus heureux. Aimable enfant, qui dans vos yeux Portez la paix de 1'Innoceace; Puiffiez-vous n'être ambitieux Que du bonheur dont jouit votre enfance ! Quand le Temps .aura fillonné Ce front paré des fleurs de Ia jeuneffe; Votre cceur fe verra bientót environné Par les Ennuis, enfants de la TrinWe.  7 Lettres Vers fon déclin quand il s'abbaiffe, L'homme aux douleurs eft condainné. Foible au berceau, foible dans la vieillefle, II meurt, mon fils, comme il eftné. Faites-vous des amis. Secourez Ia détrefle De 1'bomme vertueux, du fort abandonné. Attachez-vous par la tendrelTe, L'enfant qu'a votre amour le Ciel aura donné. Ces appuif foutiendront un jour votre foiblefle Et vous feront goüter un refte d'allégrefle, Quand le Temps aura fillonné Ce front paré des fleurs de la jeuneffe. Bientót le jeune Paris devint le plus célébre & le plus beau des Pafteurs. La Nature le dédommageoit del'Empire dont 1'avoit privé la Fortune. II régnoit fur les prés, fur les fleurs des campagnes, Sur les moiffbns, fur les troupeaux, Et fur les cceurs des Nymphes des montagnes, Dont fa lyre faifoit foupirer les échos* C'eft la qu'il vit la tendre CEnone Brillante de fraicheur, de jeunefle & d'amoür. C'eft la, fur le gazon, qu'au déclin d'un beau jour, Elle vint partager, & fon lit, & fonTróne, Car lé gazon étoit Tióne & lit tour-i-tour.  süh la Mythologie. 71 Enfin, Paris vivoit heureux; mais, pour être durable, le bonheur veut être ignoré. La célébrité du Pafreur fit fon malheur & celui de fon époufe. II parut dans les jeux publics que Priam faifoit célébrer a Troye; & fa beauté attira tous les regards; Heftor, fils aïné de Priam, après avoir vaincu tous fes adverfaires, fut vaincupar fon frere, qu'il ne connoiffoit pas. Ce triomphe intéreffa toute la Cour. Le Roi lui-même interrogea le vainqueur , & le reconnut pour fon fils. Alors commene;a la fortune, & finit le bonheur de Paris. CEnone s'en apperjut la première. La grandeur, Pétïquette, & ia froide inconftance, De fon lit nuptial exilerent 1'Amour; La pauvre CEnone apprit, par fon expérience, Ce que c'eft qu'un mari de Cour. Le fien, d'une voix unanime, fut déclare Ybomme du jour, par le Comité de la coquetterie Troyenne. Los belles fe 1'arrachoient, ou fe le pafloient tour-a-tour. Ainfi, fans repos, & fans jouiffance,  =j2 Lettres Paris étoit emporté par le tourbillon des femmes a la mode. Cependant un fentiment fecret le ramenoit vers fa fidelle CEnone. II rendoit, malgré lui, juflice au mérite de fon époufe, & difoit avec un fourire négligé: „ Elle a 1'efprit, elle a le cceur. „ La Nature a paré fon ame „ De mille vertus. En honneur, „ C'eft un tréfor!.. Mais... c'eft ma femme." Bientöt la réputation de Paris s'étendit avec fes conquêtes. II lia un commerce ïntime avec le Dieu Mercure, qui devint fon confeil & fon Agent j & qui finit par le propofer a la Cour Célefte, pour juger le différend des trois DéefTes. Tel fut le chemin rapide qui conduifit Paris aux honneurs. On y parvient encor par le même canal. Et Paris ri'eft pas, je vous jure, Le dernier juge que Mercure i Ait placé fur le Tribunal. : A*  'STJR LA MtTHOLOGTE. 73 Au -refte, eet honneur eut pour lui des fuites bien funeftes, puifqu'il eaufa fa mort, & la ruine de fa Patrie. Mais, a demain. Pour favoir commt Le beau Paris prononcera, Je vous offre la main jufques au mont Ida. En attendant, gardez la pomme. Troif. partie. b  74 Lettres L E T T R E XLII. La Nuit filencieufe acheve paifiblement fa carrière; 1'Aurore fommeille encore fur Ton lit de rofes ; mais la Co« quetterie veille depuis long- temps. On ne dort point le matin d'une bataille. Déja Junon & Minerve préparent fecretement 'la victoire. L'art profond de la toilette vient au. fecours de la Nature , & même de la Divinité. Et Vénus, comment occupe-1-elle ces moments précieux? Je ne vous le dirai pas, Emilie. Tout ce qu'on en fait, c'eft qu'hier, après le banquet des Dieux , elle difparut avec Bacchus. Le Myftere les fuivoit. Le refte , on 1'ignore. Enfin le jour paroit, & 1'inftant fatal approche. Les Déeffes, guidées par la Jaloufie & la Curiolité, fe raffemblent m fouk dans 1'Olympe. Tous les  sur la Mythologie: 75 yeux font fixés fur le mont Ida. La, le beau Paris s'affied fous un chêne antigue. II tient la pomme; & Junon, la première, fe préfente devant lui! Elle defcend majeffcueufement de fon char , traïné par deux Paons. Sa taille divine, fon regard impofant, fa démarche noble & fiere, fa main tenant un fceptre d'or , fon front environné de 1'éclat du diadême, tout annonce la Reine des Immortelles ; & le Juge, immobile en 1'admirant, fe fent péné°ré d'un refpeareligieux. Mais, par malheur, Le RefpeÉt & 1'Amour s'accordent mal enfemble, Vous en devinez la raifon; L'un glacé 1'autre; & dès que 1'Amour tremble, c'en eft fait, il meurt du friflbn. Le Juge friffonnoit encore, lorfque Minerve s'offrit a fes yeux. Je ne fais quel charme fecret environnoit la DéelTe. Elle attiroit le coeur vers elle par un attrait doux, mais invincible. La férénité de fon front , tempéroit Mérité de fes D z  »J.(S 'L-E ."T T -R •■$ .regards. Si Minerve eüt fouri, la vicïoire -étoit a elle; mais après quelques inftans, fon férieux uniforme retint dans la main du Juge, la pomme prête a lui échapper. Je 1'avoue, Emilie, a la place de Paris, j'aurois fait; la même réticence. N'allez' pas imaginer cependant, que je cabale ; contre Minerve. Je ne dis pas que. la Sagefle Nuife au pouvoir de la Beauté; - Fous m'avez trop appris que la févétité Ne peut altérer la. tendrefie. Mais convenez que 1'affabilité, Avec un mot, un coup d'ceil, un foutire, , Exerce un plus puifiant empire, Que la plus auftere rigueur. _Je ne dis pas que la .Pudeur N'embellifle Ia Beauté même ; Maisavouez, qu'en tout bien, touthonseur, gaas blefler la vertu, 1'on peut donner fon co|ur Pour le cceur de 1'objet qu'on aime. Enfin, je ne dis pas que les mots mefurés, Les dédains, les froideurs, les aveux difFér,és, ; üéfolent, fans raifon, le cceur d'un honnête hommc. rj'approuve tout cela. Mais vous obferverez ..Que Minerve n'eut point la pomme.  sïnt la Mythologie, ff' Cependant Vénus arrivé. Elle avoie pfêfque oublié 1'heure du rendez - vorm1 Sës cheveux'blonds flottoient en defordre fur fon front, couvert des rofes du plaifhv Sa- ceinture divine étoit a moitié déta* chée. Ses yeux rriouroient dé langueur,1 fes levres bruloient de volupté. La Cour Célefte fe douta, qu'atnfi que Junon & Minerve, Vénus avoit veillé. Mais les Déeffes même convinrent que ce n'étoit pas pour fa toilette. Elles avoient raifon, Cypris quittoic Bacchus. A 1'ombre du myftere, Ce Dieu s'étoit, dit-on, permis'un doux larcin ; Trois fois Vénus fe trouvoit mere: Les Graces naiffoient dans fon fern. A pëine le Pafteur la voit, il foupire,, rf fe trouble ; la pomme lui échappe* Junon , Minerve , 1'Olympe affemblé * tout difparoït a fes yeux; il ne voit q^eVénus, & , la main étendue vers-elle, ft- veut Mpréfenter la pomme.,.. Elle étoit aux pieds de la Déeffe, & 1'Olympe applaudiffoit.' D 3  Lettres Je concois que la gravité D'un Juge de vingt ans, en ce moment, fuccombe. ha pomme, devant la Beauté, Ne skadjuge point; elle tombe.' je n'entreprendrai, pas, Emilie , de vous peindre le dépit des rivales de Vénus. Je ne connois point de peintre qui ne reftat au - deffous du fujet. Plufieurs Ecrivains rapportent, qu'aVant le jugement de Paris, les trois Déeffes tenterent leur Juge tour -a- tour. Junon lui promit la grandeur; Minerve, la fageffe ; & Vénus, la plus belle femme de 1'Unïvers. Vénus lui tint parole, puifque, fous fes aufpices, il ènleva dans la fuite la belle Hélene, époufe de Ménélas; mais cette odieufe conquêtefut vengée par la Grece affemblée. Les Grecs aCfiégerent, pendant dix ans, la ville de Troye , & la haine de Junon & de Minerve , confomma la ruine de eet Empire. Je vous parlerai bientót , Emilie,  sur la Mythologie. 79 des effets terribles de leur reffentiment. Pour moi, il, comme Paris, je tenois aujourd'hui la pomme ; pour accorder Junon , Minerve & Vénus, je vous la donnerois; ainfi, En couronnant, chez vous, les graces naturelle*, Et la fageffe, & même la fierté; Je faurois partager, avec égalité, La pomme entre les Immortelles. D 4  ' fe Lettres L E T T R E XLIIf. Le triomphe de Vénus fut célébré dans tont fon Empire, avec une allégrèffe que Minerve & Junon fe difpenferent de psrtager. Ses adorateurs accoururent en foule de toutes les Contrées de 1'ünivers, & fe réunirent dans fon Teraple de Cythere. La Déeffe y avoit plufeurs Autels, devant lefquels elle étoit repréfentée fous différents attributs. Ici, elle paroiffoit fur un char, train é par des moineaux, le fein découvert, le front couronné de rofes, la langueur dans les yeux, & la volupté fur les levres. La , elle étoit affife fur une conque marine , attelée de deux colombes. Une draperie légere , dont les plis étoient retenus par fa myftérieufe ceinture, couvroit la moitié de fes charmes. Sans voile, elle n'étoit que belle; voilée, elle étoit  sur la Mythologie. gi divine. Elle tenoit un faifceau des traits (*) redoutables, dont elle emplit le carquois de fon fils. On prétend, qu'armée de ces traits, elle triomphoit de Jupiter armé de la foudre, & le forgoit de lui rerrdre hommage, Jupin, quoiqu'il fft't un pea fier, lux Autels de Vénus apportoit fon ofFrande. Le plus grand Potentat, quand la Beauté comaaade Eft ua bien pgtit Jupiter! Plus loin , on la vóyoit couronnée de myrthe, tenant un miroir; les pieds revêtus de fandales tiffues d'or & de foie, 8c Ie fein couvert de chaines d'or & de pierreries. Ces attributs rappelloient le culte honteux que les filles de Cypre rendoient a Vénus. Elles fe proftituoient en fon honneur, fur le rivage de la mer; & tiroient de cê commerce infame, des fommes confi* dérables, & des bijoux, dont elles fe (*) Théosrite. I>5  82 Lettres compofoient une dot, avec laquelle elles fe marioient. On aflure qu'elles devenoient alors honnêtes femmes, & que chez nous on en voit encore des exemples. Ainfi foit: il! On voyoit aufii Vénus, tenant d'une main la pomme de la Beauté , & de I'autre, une poignée de pavots; Sous ces pavots délicieux, Trop heureux 1'Arnant qui fommèille, S'il ne devoit jamais r'ouvrir les yeux! Mais tót ou tard il fe réveille. La Déeffe étoit encore repréfentée fous la figure d'une Vierge, ayant les yeux baiffés, & les pieds pofés fur une écaille de tortue: Pour montrer q»*une jeune fille Doit toujours renfermer, de crainte du foupcjon, Sa beauté dans fa maifon, Sa vertu dans fa coquille. Enfin , Vénus paroiffoit fur un char d'ivoire, traïné par des cygnes. Sa taille  < sur la Mythologie. 83 étoit majeftueufe, fon front calme & ferein, fa tête élevée, & fes yeux fixés vers le Ciel. L'Amour étoit a fes pieds, les yeux couverts d'un bandeau , les ailes déployées, & portant un carquois remplis de traits enflammés. Sous ces attributs, Vénus préfidoit a eet amour chafte &pur, a cette fiamme célefte, qui, fans jimais s'altérer, brüle les vrais Amants, & femble élever leurs ames reünies, vers le féjour de la Divinité. Mais ce culte particulier , qui, dès - lors , étoit moins obfervé que les autres, eft entiérement oublié de nos jours, & je n'en fhis pas étonné: Puifque de la Vénus modelïe On a même oublié le nomj Comment fe rappelleroit-on Qu'il eft une Vénus Célefle? On voyoit auprès d'elle la douca Per- La candeur fiégeoit fur fon front, la tjmidité tempéroit le feu de, fes regards., je D é  ?4 Lettres fourire animoit fes levres; & de fa bouche entr'ouverte, on croyoit entendre fortir cette éloquence enchantereffe, que les Rhéteurs enfeignent, mais qu'il n'apprennent point. L'éloqaence eft un don. Tous les graves Auteurs, Qui prétendent dicler 1'art d'enchatner les cceurs, Sont des fots avec leur fcience. • Voyez de la Beauté les regards enchanteurs, Ecoutez fes difcours doux, fïmples& flatteurs; Vous y trouverez mieux que chez les Orateurs, Les éléments de 1'éloquence. Vénus étoit encore accompagnée des trois Graces, qui fe tenoient par la main, pour marqucr qu'elles ne fe féparent jamais. Rien se peut défunir ramitié qui les joint; Chaque Grace a fes fceurs femble être néceflafre. ii faut les réunir pour plaire; Qui n'en a qu'une, n'en a point. Cependant, les Prêtreffes de Vénus, le front couronné de myrthe , s'avancerent vers le fanctuaire. Elles portoient du lait  sur ea Mythologie. gj" & du miel, qu'elles alïoient offrir a la DéeiTe. La grande Prêtreüe fe profterna la première aux pieds de Vénus Cékjle, & Jui préfenta deux colombes, en lui adreffant cette priere: Vénus, de ces oifeaux fïdeles Recois 1'offrande; & qwe chez nous Les Amants, mêms les Epoux, Les prennent enfin pour modeles! Enfuite, on fit des libations de vin en 1'honneur de Vénus Populaire. On immola une chevre (*) blanche; &fl'on brula les cuiflïs des viclimes fur fon Autel, oü 1'on entretenoit un feu de genievre & d'achante. Les Sacrificateurs préfenterent auffi un porc fauvage (f), mais il n entja point dans le fanótuaire,' (.*) Lueien. Ct) Straboti rapporte , (liv. o.j que vénus recefoic quelquefois des facrifices des porcs , pour venger Ia mon d'AJoms. J*ai. mis ce paflag» e„ acljon. j-en ufe 5m[i -dire canjugalis, conjugale. Cet mot détive du verbeGrec, pyw^, ™» jungen, joindie , unir. P os A N.  sur la Mythologie, 87 tantes; qu'elle fufpendit aux Autels de la DéelTe. Ce facrifice, quiplaifoit a Vénus, s'eft perpétiié autant que fon culte. Bérénice, Jong-temps après , voulant obtenir la viftoire pour fon époux, confacra fa chevelure a Vénus. Pour vous, Emilie, Heureufement vous cherchez peu la gloire; Et vous n'avez befoin d'ofFrande, ni de vceux, Lorfque vous voulez bien gagnerune viétoire;' Mais fi, pour obtenir un fort victorieux; Vous alliez quelque jour, nouvelle Bérénice, Aux Autels de Cypris fufpendre vos cheveux, Que Zéphir gémiroit d'un fi beau facrifice! Quant a ia chevelure de Bérénice Je ■ lendemain del'offrande, elle difparut du Temple. A cette nouvelle, Meffieurs les Courtifans s'étant raOemblés tous „ ^''^en'irdefamétamorphofe, Se dwritqurtque-teoips Ihé bien! Qu-3„ fer0ns-nou9? Cai 11 falJoit en faire quelque chofe.  L E T T R E- S - Enfin, fanstrop favoir pourquoi, A 1'aide d'un certain Poëte (*) , lis en firent un Aftre. Moi,. Jvèn auróis fait une Cometè. ïel étoit le cuke de Vénus. Elle ptiniffoit févérement les femmes qui manquoient envers elle de dévotion. Les Dames de Lemnos ayant quelque temps interrompu fes fêtes, la Déeffe les rendit odieufes a leurs maris, qui étant alors en guerre avec les Thraces, emmenerent des prifonnieres, qu'ils épouferent au lieu de leurs femmes. Celles ci, pour venger eet outrage, formerént, & exéciiterent le complot de maffacrer en une feule nuit tous leurs époux, avec leurs concubines. Craignant enfuite qu'un jour leur.^ enfants ne vengeaffent fur elles-mêmes la mort de leurs peres , elles les égor- (*) Callimaque compofa un Poëmeacefujet. I.esAftronomes avoienc, depuis peu , découvert une nouvelle étoilc Le Poëce, de cor.cert avec eux, la nomina ta Chevilure de Bérénice.  SÜ'R LA M-YTH-OLCGIE. #5 ge-rent air berceau. Vous voyez, Emilie', qu'on ne négligé pas impunément le culte de Vénus. Profitez d'un fi trifte exemplc,, Sacrifiez fouvent a Ia mere d'Amour; Et perrnettez-moi quelque jour ©3 vousdonner lamain quand vous irez auTempIe; Cependant, lorfque 1'on éprouvoit les fureurs de Vénus, il y avoit autrefois plufieurs moyens de s'en délivrer. Outre certaines herbes qui avoient la vertu d'appaifer les tranfports de 1'Amour, on avoit reeours aux ondes du fleuve Silemne; a peine s'y étoit-on baigné, qu'on oublioic 1'objet aimé. La róche de Leucade, qui s'éleve fur le rivage de la mer Ioniene, avoit la même propriété. On s'éianpoit du fommet de ce rocher dans la mer, & foudain 1'on étoit guéri. Beaucoup d'Amants, & meme quelques femmes, firent ce faut périlleux. L'illuftre Sapho fut de ce nombre. Elle «« le malheur d'aimer Phaon,. jeune Les»  po Lettres bien, 4 qui Vénus avoit donné un vafe d'eflences divines , avec lefqueiles i! s'étoit rendu le plus beau des hommes» Vous connöiflez les Phaons de nos jours, Honte de notré fexe, idoies de nos femmes; Qui font au défefpoir de chagriner ces Dames, Mais qui ne peuvent pas fuffire a tant d'amours! Tel étoit 1'Amant de Sapho. L'Amant qui s'aime, n'aime pas. Sapho en fit la erüelie expérience; & pour fe guérir dè fon fatal amour, elle eut recours a la roche de Leucade. Mais avant de fe précipiter dans les flots, elle pofa fur le rivage, fa Jyre couronnée de cyprès, & graya ces vers fur ie rocher; Je vais boire 1'onde glacée, Qui doit effacer pour toujours, De mon coeur & de ma penfée, Le fouvenir de mes amours. Enfin, je braverai les armes Du cruel enfant de Vénus. Je ne verferai plus de Iarmes... Mais, hélas! je n'aimerai plus. -  sur la Mythologie. 9 Je n'aimerai plus!... Quoi! fa vue Ne me fera plus treiTaillir. Je 1'entendrai fans être émue, Et fans friflbnner de plaifir.' Quoi! mon cceur ne pourra plus même Se figuter qu'il me fourit, Qu'il eft la, qu'il me dit je t'aime, Que je pleure, qu'il s'attendrit! Je ne pourra i plus, fur Ia rive, Les jours entiers, 1'attendre en rain ; Le lbir, in'en retourner penfive, Et me dire: il viendra demain! Adieu donc, efpoir, rêverie,' Illufions, dont la douceur M'aidoit k fupporter Ia vie, Et le veuvage de mon cceur. Et toi!.. malgré les injuftices Qu'a ce cceur tu fis efluyer, Perfide, de mes facrifices, Le plrs dur, c'eft de t'oublier!  9'a-'- L et f x'rr L E T T R E XLIV. Je vous ai crayonné lëgerement , Emilie , le tableau des fêtes de Vénus; voici, pour fervir de pendant a> cette efquiffe, celle des fêtes de Bacchus. Bacchus étoit repréfénté fur un" char trainé par des Tigres ou des Panthe* res, emblêmes de la fureur que rivreife infpire ; quelquefois auffi par des Lynx, & j'avoue que j'en ignore la raifon, car le Lynx n'a rien de particulier, que fa vue perc-antê.' Of, un homme ivre peut y voir doublé, mais non pas de loin. Le Dieu étoit couronné de pampre, & fa couronne étoit furmontée d'une paire de cornes; Mais il doit être. dépouillé De cette éminente parure, Depuis qu'Hymen s'eft affublé De la moitié de fa cosffure.  ■svk la Mythologie. 93 ! LVon donnoit des cornes a Bacchus, paree qu'il avoit Je premier accouplé les bceufs pour labourer la terre. On mettoit suprès de lui un tronc de chêne, en mémoire de-ce qu'il avoit fait quitter aux hommes la nourriture du gland, pour celle des fruits & du bied. On y plajoit aulfi un oeps de vigne ou un figuier, dont il avoit enfeigné la culture. De la main droite, il tenoit un tyrfe; c'étoit une. lance en» tourée de feuilles de vigne. On lui donnoit pour compagnes, les Mufes, qu'il infpire quelquefois , auffi-bien qu'Apollon. Le Dieu des Buveurs étoit encore repréfenté affis fur un tonneau, le front cou.ronné de lierre, dont lefeuillage abbaiffe, dit-on, les, fumées du vin. Sa large face étoit enluminée d'un rouge vermillon, & Ibn.nez couvert de rubis. D'une main, il tenoit une coupe; de 1'autre, un tyrfe .environné de lierre. On mettoi! "alors auprès de lui une Pie; eet oifeau lui étoit confacré , paree qu'il eft fort babillard;  f34. Lettres Aufll, j'ai lu, je crois, dans de vieux Commentaires, (Car ce Procés n'eft pas nouveau) Que les femmes avoient réclamé eet oifeau, En accufant Bacchus de chaffer fur leurs terres. Mais comme il fut prouvé que Bacchus faifoit babilier les hommes auffi-bien que les femmes, celles• ci perdirent leur procés. C'eft peut-être a cette occafion., que quelques favans ont prétendu que Bacchus étoit hermaphrodite. Les premiers Prêtres de Bacchus furent les Satyresj fes premières PrétrefTes, furent les Nayades. 11 faut avouer, Emilie, que vous leur confervez fcrupuleufement leur miniftere; Car fouvent je vous verfe a peine Quelques gouttes de ce doux jus, Dont s'enivroit le bon Silène, Qu'auffi-tót, par vos mains, la Nympbe de !s Seiue Change en rofes pour vous les rubis de Bacchus. **** Cependant, il eft des circonftarces ou vous vous relachez un peu de votre dévotion pour les Nayades.  sur zjl Mythologie. 95 Lorfque Bacchus, en nectar argenté, De fon cryflalétroit, part, pétille & s'élance, Votre bouche fourit è fa vivacité; Et votre main, avec prudence, De la Nayade alors fauve 1'alliance, Pour conferver la fleur de fa virginité. Dans la fuite, les Nayades furent remplacées par les Bacchantes, les Thyades & les Ménades. Ces différents noms, tirent leur étimologie de plufieurs mots qui expriment la rage, la folie & 1'emportement. Ces Prêtreffes parcouroient les villes & les campagnes, armé es d'un tyrfe, couronnées de pampre, & vêtues d'une peau de tygre. Leurs cheveux étoient épars , leur bouche écumante, leurs yeux rouges & étincellants. Quelques Auteurs ont vanté leurs charmes, peut-être avec raifon, mais je ri'aurois pas été leur rival.* Sans la vertu, je ne vois rien d'aimable; Ladécence, a mes yeux, embellit la laideur. II n'eft pour moi, de beauté véritable, -Que fur le front oü r-egne la pudeur. •  Cjr5 I, ITTtES Dès que la fête de Bacchus étoit arrivee, on ornoit fon Temple de pampres & de lierres. Les Prêtres promenoient fa ftatue au milieu des vignes, & chantoient des hymnes en fon honneur. Les Bacchantes les fuivoient en danfant, & en pouffant des cris de joie qui reffembloient aux cris «le la fureur. La marche s'arrêtoit ordinairement a 1'ombre d'un chêne ou d'un figuier. La, on repofoit le Dieu fur un Autel, au pied duquel on immoloit un bouc. Ce facrifice plaifoit a Bacchus, paree qu'en broutant les jeunes ceps , & les boutons de la vigne, eet animal détruit 1'efpoir de la vendange. Les prêtres rapportoient en pompe la viclime & le Dieu. Sur fon paffage, les habitants de la campagne immoloient un porc (*) devant la porte de leurs maifons. De retour au temple, les Sacrificateurs brüloient les entrailles de la viclime; O Cette coutume étoit fort nfitée chez les Athéniens.  ■svs. la Mythologie. 07 me; & du refte, ils préparoient un feftin pour 1'afTembIée. Chez les Athéniens, les vierges nubiles , xouvertes de longs voiles , préfentoient .alors a Bacchus , des corbeilles remplies des premiers fruits de la fkifon. . Ainfi, Sous le voile des facrifices, La Pudeur pouvoit, fans rougir, Exprime-r fon premier defir Par le langage des prémic.es. Après le feftin, 'les Prêtres fe rafTemtloient au fon du fifre & du tambourin, & fautoient en cadence fur des outres ou des veffies gonflées & enduites de graiffe ou d'huile. Vous préfumez bien, Emilie, que les danfeurs manquoient fouvent la mefure, & que les faux pas ' étoient fréquents. La chute de chaque figurant excitoit les huées & les battements de mains des fpectateurs; & 1'on décernoit un prix au fauteur qui avoit le moins perdu 1'équilibre. Ces jeux pafferent d'Athènes a Rome, Troif. partie. E  ■98 Lettres oü. 1'on célébroit les. principales fêtes de Bacchus, a trois époques de 1'année, La première fête fe célébroit au mois d'Aotit; on fufpendoit alors aux arbres vojfins des vignes , des petites figures de Bacchus , pour veiller fur Je raifin. La feconde fête avoit Jieu au mois de Janvier, Jorfque 1'on apportoit a Rome les vins d'Italie. Enfin, la troifieme & la plus folemnelle, arrivoit au mois de Février. C'é.toient les Baechanales , que nous fêtons encore dans le même temps, avec les mêmes extravagances, & que nous appellons le Carnaval. Quelques Savants ont prétendu que Bacchus étoit le même que ce Nemrod, que J'Ecriture appelle le grand Chaffeur. Jls fe fondent fur ce que les noms & furnoms de Bacchus & de Nemrod, fe refiemblent, difent-ils, en Grec & en Héh~en. Je crois qu'on doit fe défier de  sur la Mythologie. 99 cette opinion fcientifique, & ne po-m inférer de j'identité des noms , celle des perfonnages. Je connois beaucoup d'Emilies, Comme vous jeunes & joües. Ce fontprefque vos traits, & c'eft Wen votre nom; Mais font-ce vos vertus? Eft ce vous enfin? Non. Quelques - autres , appuyés fur dei faits, onc établi entre Bacchus & Moïfe, une comparaifon foutenue , qui rend leur identité plUs vraifemblable. Bacchus & Moïfe furent élevés dans 1'A, rabie. Ils furent fuo & 1'autre Conquérants, Légiflateurs & Bienfaiteurs des Peuples qu'ils avoient conquis. Bacchus eft repréfenté avec deux cornes; Moïfe, avec deux rayons fur la tête. (*) Le thyrfë de Bacchus fit couler des fontaines de vin , Ia verge de Moïfe fit jaillir une fource d'eau pure; & la comparaifoa ne pêche ici, que par la qualité de la boiffon. i') Orphée apê,Je Bacchus MiT;f, iM**Mti&} & lui donne pour attribut, deux tabies de Loix. E 2  j.G0 L E T T R E-S Enfin, Bacchus ayant touché de fon thyrfe, tes eaux de }'Oronte& de 1'Hydafpe, traverfa ces fteuves a pied fee. Moïfe en fit autant fur la mer rouge. Ces rapprochements prouvent, que fi Moïfe & Bacchus ne .font pas le même homme, au moins furent - ils deux hommes da même caraótere. Les noms des GrandsHommes, peuvent appartenir a des laches; mais leurs carafteres & leurs actions ne peuvent appartenir qu'a eux; & c'eft a ces traits feuls, qu'on reconnoït fürement la vertu. Par exemple, fi quelqu'un me difoit: Je cannois fille de vingtans, • ' Admirable par fes talents, Plus encore par- fa modeflie ; Négligear-t fes jeunes attraifs, Ne cultivant que fon géi ie; A ces traits - la, je me dirois i Voyons s'il parle ^'Emilie. S'il ajoutoit: de mille Amants Même en rejettant la tendreüe, Elle fait, de leurs fentimen»,  sur la Mythologie, ior Ménager la délicacefle. Cela fe fait fi poliment, Qu'on prendroit pour un complimeit, Le congé qu'elle leur adrefre. Qui 1'aime, la fuit forcément; Qui la fuit, jamais ne 1'oublie; Je me dirois: affurément C'eft, ou ce doit être Emilie. S'il ajoutoit.' fur fon chemin Appercoit-elle 1'indigence? Avec un air de négligence Elle fe détourne. Sa main, Joint la main vets elle tendue Furtivement; & puis foudain,' Craignant qu'on ne 1'ait appercue, Elleroug't de fon bienfait, Tremble que 1'on ne le publie, Et fe fauve.'.. A ce dernier trait, Je m'écrirois: c'eft Emilie.' A propos de refTemblance, vous me rappellez , Emilie, que je vous ai prédie la naiffance des Graces, Ie jour même du Jugemant de Paris , qui fut prononcé au Printemps. Or, nous venons de palier le Carnaval. Auflï, Vé£ 3  1<52 Lettres bus , fuivant vos calculs, devroit har avoir donné Ie jour, & vous commencez a craindre que je ne me fois trompé fur les époques. Votre cceurgémit en fecret, De ce que vos trois foeurs n'arrivenê point encore. Confolez vous, & tournez le feuillet; Sous vos yeux elles vont éclore.  sur la Mythologie. IOg L E T T R E XLIV. Quoi que les Auteurs ayent varié fur forigine des Graces , j'opinion Ia plus commune eft, qu'elles font filles de Vénus & de Bacchus. Les uns les repréfentent niies , paree que, difent-ils, les Graces ne doivent pas être déguifées; lesautres les couvrent d'un voile léger. Je préfere ce coftume au premier. Point de Graces fans décence , & point de décence fans voile. En général, Ia Mythologie nous donne trés-peu de détails fut ce qui concerne Jes Graces. Pour y fuppléer, je vous envoye , Emilie , la relation du pélen'nage que j'ai fait, fous vos aufpices, au temple de ces trois Immortelles. LE TEMPLE DES GRACES. Le Temple des Graces n'eft point fitué dans un lieu confacré particulierement a leur culte. E 4  I©4 £ E T T' R E S3 Ce Temple eft le Palals des Fées. Que la Beauté paroifie; aufll - tót vers les Cieur L'édifice s'éléve, & prérente a nos yeux TJn fanÉtuaire orné de fleurs & de trophées. Eloignez vous; le charme fuit, Et le Temple s'évanou.it'. Depuis long ■ temps je cherchois ce Temple fugitif , qu'il eft' fi rare & fi' difficite d'aueindre, lorfqae j'appris qu'il' éioit, depüis huk jours, a*** j'entrepris a 1'inftant ce pélerinage. A chaq-ie pas , je rencontrois fur la route une muititude de Pëlefins, qui töurnoient le dos' au Temple auquel ilsprétendoientarriver. Au fond d'un carolTe doré, C'étoit une S'impiTernelle, Le vifage verni, platré, Roulant fa mourante prunelle;Et, de fes charmes dépéris, Pour gonfler la forrr.e jumelle, Enfermant, avec leurs débris, Le Zéphire fous fa-dentelle. Plus loin, fai voit Monfieur-1'Abbé Lifant, dans Sapho, fon bréviaire, Le dós voüté, le teint plombé, Lorgnant par devant, par derrière;  sur la Mythologie. 105 Complaifant, doux, mignard, poli, Perfifflmt, graffeyant, rempli D'amour, d'ambre & de fuffifance. En un mot, ayant/en tout point, Du jugement, de la fcience Et dugoüt comme on n'en a point. Dans une Diligence Anglaife, llouloit Milord Aliboron, Ledas, le ventre, 1'efpritrond; Quittant fon gros habit maron, Pour s'afFubler a la Francaife; Se plaignant du poumon, des ners, Avec la carure d'Hercule; Pefant trois cents; mais, par fes airs, Encor moins iourdque ridicule. Enfin, c'étoit une foule d'originaux de toute efpece ; des petits - maïtres, des femmes favantes , des muficiens , des coquettes, despeintres, des dévotes, des orateurs, despoëtes, des danfeurs & des philofophes. La plupart de ces derniers faifoient gaïment le voyage a pied, car ce n'étoit pour eux qu'une promenade. Mais les étrangers , & les femmes furtout, arrivoient au Temple avec une £ 5  xoó Lettres toilette de Cour qui les faifoit configner a la poite, La, étoic la foule. Les Efprits & les Beautés honoraires fe nommoient pour en impofer au peuple; & d'un ton d'autorité, crioient a la Sentinelle; Sergent, dites au Caporal Be nous ouvrir un peu la prefle; Je fuis Marquife, moi Comteffej Moi, je fuis Fermier-Général. Cependant les piétons arrivoient les premiers; je marchai derrière eux, &j'entrai d'abord en nommant Emilie. Arrivé fous le veftibule, j'appercus autour de moi plufieurs Autels particuliers, oü 1'on confultoit les demi-Dieux favot\s, & Miniftres des Graces. Chacun d'eux avoit fa Statue au-deflus de fon Autel. C'étoient Racine , Lafontaine, Sévigné, Deshoulieres, &c. Un Confeiller parfumé brüloit de 1'ambre fur 1'autel de Montefquieu, & luidifoit:  sur la Mythologie. 107 J'ai du jargon, de la fineffe, Les Calembourgs brülent dans mes écrits; J'ai feu donner è lagrave Thémis, Un perit air de gentilleffe. Je mets les Loix en Madrfgaax; Je fuis 1'oracle des toilettes; De tous les Ouvrages nouveaux, J'extrais 1'efprit fur mes tablettes; Je viens de compofer enfin, Un li we, avec mon Sécrétaire; Jel'ai fait, fur papier vélin, Imprimer en beau caraétere, Et relier en maro^juin. Auxtrois Déeffes, ce matia, J'en viens offrir un exemplaire; Et je refte, comme un faquin, a la porte du Sanftuaire! L'Oracle des Loix lui répondit: II faut que Tbémis en impofe, Et fourie avec dignité. Sa grace eft dans fa majsfté; Et les trois fasurs n'ont jamais adopté Les Magiftrats couleur de rofe. Au même inftant, une femme enfevelie fous la gaze, arriva au pied d'un grouppe E 6  ioB * Lettres qui repréfentoit Sévigné, Deshoulieres & Ninon, & s'écria d'une voix tremblante: J'a1 fu me faire de 1'efprit', Et me compofer un vifage. Depuis trente ans & davantage, J'en ai toujours quinze, en dépif Du Temps & de Ia Médifance: Je rajeunis chaque matin, Car j'ai découvert Ie chemin Qui ramene a 1'adolefcence. — Tremble, ditl'Oracle, qu'enfin 11 ne te ramene a 1'enfance. L'adolefcente fexagénaire fourit avee dédain, & fit place a une blonde languiffante, qui laifla tomber ces paroles: Vingt fois par jour, la force m'abandonne; Je puis me vanter que perfonne Me s'évanouit mieux que moi; Je range, en expirant, 1'Univers fous ma loi» Dans mes convulfions, j'étale un cou d'albatre, Unteintdelys, des youxmourans, baignésdepleurs, Un pied digne des connoiffeurs, Un bras d'ivoire... Enfin, a mes adorateurs, Je repréfente, en beau, la mort de Cléopatre .. L'Oracle 1'interrorr.pit, en lui difant :  sur la' Mythologie. 105 Q„o!que les Pamcifons, lesSpafme?, les Vapeurs Produifent a Paiis des effets admirables, Nous ne les iogeons point. Le Te.np.'e de nos fceuss N'eft point 1'Höiel des Incurables. La blonde aux yeux bleus, alla fe trouvei mal fur les degrés du Temple, cefutremplacée par une femme jeune & modefle, tjai dit en foupirant: Sur mes traits efFacés, d'un mal contagieux La Douleur a gravé les traces. Depuis que j'ai perdu ce qui charmoit les yeux, Puis - je me préfenter dans le Temple des Graces ? L'Oracle lui répondit: Si tu.rfas plus ta frakheur naturelle r Tu confei ves encor ton efprit- & ton cce^r. Ton Empire fera plus für & plus flatteur, Quand tu piairas fans être belle. A 1'aimable Laideur Ie Dieu d'amour fourit Pour la venger de la Nature. Ta Bgurefaifoit oublier ton efprit; Et ton efprit va faire oublier ta figure. A ces mots, la belle difgraciée fe préfenta a la porte du Temple , qui lui fut ou« verc a 1'in.iant. E 7  iio Lettres Au-devant de cette porte , étoit le célébre Marcel, Controleur des coftumes & du maintien j & fur le feuil, paroiffoit l'illuftre la Bruyere , dont 1'ceil pergant découvroit les moindres défauts du caractere & de 1'efprit. Marcel, dans fon ffcyle familier, s'écrioit a tout moment: Monfieur 1'Abbé, I on n'entre pas! Vous avez 1'air d'une poupée; Vous, Colonel du grand Pompée; Et vous, Mandor, duRoiMydas» Comte, pour courir en chenüle, Vous avez pris, dès le matin, La bigarure d'Arlequin; Vous, Duc, 1'habit de Mafcarillc, Avec le gilet deScapin. Ducbefle, de votre carmin, Avant d'entrer ici, de grace, Otez troiscouches feulement; Et pour refpirer un moment, Permettez que 1'on vous délace. Et vous, qui femblez trébucher Dans ces étuis, dont Ia ftructure A vos pieds donne la torture, Rofe, apprenez que Ia Nature Nous a fait des pieds pour marcheer.  sur la Mythologie, nr Plufieurs Pélerins échappoient aux traits de ce rigoureux Cenfeur , & obtenoient ]eur paffeport. Mais arrivés a 1'entrée du Sanétuaire, ils fubiflbient un examen encore plus rigoureux, puifque 1'on y fcrutoit les défauts cachés fous les agréments fuperficiels. Le Cenfeur pénétrant, leur répétoit d'une voix févere : ,, Damis, vous avez le cceur fee; „ Vous ne connoiffez point eet aimable délire, „ Qu'éprouvele Génie, & que 1'Amour infpire; „ Sortez d'ici. Baldus, vous croyez que le grec „ Tient lieu d'efprit & de fcience; „ Allez è Sparte. Argan, je le vois bien „ A votre aimable fufSfance, j, Vous favez tout, fïnon que vous ne favez rien; ,, Allez 1'apprendre. Et vous, Gernance, „ Vous qui dédaignez la fcience, „ Dans un Chapitre, ou bien dans un boudoir, „ Allez profefTer 1'ignorance. „ Cléon, vous raifonnez 1'amour très-favamment; „ Et, prés de celle qui vo«s aime, „ Vous calculez un fentiment „ Comme 1'on réfout un problême; }9 Ne vous offenfez pas d'un refus; récemment „ Nous avons refufé Barême.  112 Lettres „rPbUinte,; on vous trouve amufant Dans tous vos récits; mais vous êtes „ Comme trois femmes, médifant „ Et menteur comme fix gazettes. „ C'eft trop. Pour vous, Life, Hortenfe, Myrthé ; „ Vous, dont on vante la beauté, „ Frivole & ftérile a/antage; „ Vous qui poffédez, en partage, ,, Dubabil, fans raifonnement, De la raifon, fans agrément, „ Un efprit de pédmt, fous un mafque de femme; „ Un cceur de glacé, un corps fans ame; „ Quelques Epigrammes fans fel, „ Un feufolet fans étincelles; „ Fuyez ces lieux. Nos Immortelles „ Ne recoivent fur leur Autel, „ Que 1'offrande d'un cceur pur & tendre comme elles, Et d'un efprit folide & naturel." J'échappai a la profcription du Cenfeur. En vous voyant dans mon cceur, il fit grace a mon efprit, & le Temple me fut ouvert. La, je rendis hommage aux Graces; Des attraits de ces fceurs jumelles, Je fus plus charmé que furpris, Mon cceur fe trouvoit la comme chez fes amis. Avant de voyager chez elles, J'avois appris chez vous la Caite du pays.  sur la Mythologie. |*W Les trois foeurs, dans une attitude élégante & modèfte, entrelac:oient- leurs bras en fe donnant la main. Un voile négligé convroit heureufement la moitié de leurs charmes. Les formes cachées fe faifoienc fentir fous les plis du-voile. L'ceil admirott les beautés vifibles; le defir embellif-- nif tor, T . 1 r- auLito. jjcurs rcgaras , louvent' baiffés, ne fe Jevoient jamais impunément. Elles louriöient , mais en rougiffant; & qui lès avoi: vu fourire, n'en parloit plus qu'en rougiffint comme elles. Leur voix étoit douce & perfuafive. Elles parloient peu , mais elles parloient au coeur. On les regardoit, en efpérant de' les entendre ; on les écoutoit, en crainant de les voir finir. Ainfr, leur filênce & leurs difcours fe prêtoient un'charme mutuel ; &, quoique femmes, elles. exercoient, peut - être avec moins d'empire , 1'art de parler, que 1'art de fe taire. Malgré leur apparente fimplicité, les.  ii4 Lettres Graces me parurent trés • difficiles fur le choix de leurs favoris. Ils font en trèspetit nómbre , mais la moindre faveur fufït pour les rendre immortels; car, ce que les Graces ont touché , ne meurt point, Aüffi retrouvai-je dans leur Temple, plufieurs denos contemporains, dont nous pleurons encore la perte. J'y rencon&rai ce Pafteur vénérable, Qui nous peignit, avec candeur Les traits de Page d'or, confervés dans fon coeur; Innocent comine Abel, comme Daphnis aimable; Frais comme le Printemps, mênae dans fon Hiver. Vous vivez! m'écriaijé, b Mortel adorable! Et je pleurai de joie, en embralTant Gefrrer. /J'y reconnus eet Orateur, que Rome Eüt envié jadis au Sénat de Paris. II me parut baigné des pleurs de fes amis ; Car il étoit aimé, quoiqu'il füt un grand Homme. A cette vue, je ne pus retenir mes Iarmes; mais la première des Graces me dit en fouriant:  suu la Mythologie. 115 Pourquoi cette douleur amere f ©erbier, chez vous n'eft plus; mais il refpir&ici. Dans nos bras il s'efl endortni. Qu'eut-i; fait encor fur la tsrre? 11 étoit immortel; fon fort étci:remp!i. En achevantces mots, Ja DéefTe tendit Ia main a un vieillard qui s'avanjoit majestueufement vers Je Sanctuaire. Ses yeux, fous des fourcils blancs, brilloient du feu de la jeuneffe, & fon front confervoit 1'empreinte des co jronnes qu'il avoit portées. O DéefTe, m'écriai- je, quel eft ce vénérable Monarque ? Quel étoit fon Empire ? — L'Wnivers. Tu rois BufFon. II fuffit que je le nomme; Tout 1'éloge d'un grand Homrae Eftrenfermé dans fon nom. Elle dit, fit affeoir le vieillard fur un trone de verdure , & lui ceignit la couronne de 1'immortalité. Suivi des doux Plaifirs qui naifientfur fes traces, A ce couronnement, le Printernps affifta, Ei Ia Nature y préfida; Car la Nature efl toujows chez les Graces.  rl' roreeffc fille du Soleil&delaTerre. Quelqu.es.urw la font fille de Titan. Cette feconde opinion s'accorde avec la première, puifque Titan eft le même que ce fameus Géant (*) qui, dans fa marche brillante, éclaire & fertilife ie monde. Dès que le Soleil fort du lit de Thétis, J'Aurore monte für un char doré , attelé de deux chevaux plus blancs que la neige. Les roues du char tracent dans 1'air un léger fillon de pourpre & d'opale. La Déefle arrivé aux portes tranfparentes de 1'Oriënt & les ouvre avec fes doigt3 de rofe | (.*) L'um'vers, è fa préTence, Semble fortir du ndanr. 11 prend fa courfe, il s'avance Comme un fuperbe géanr. $. ü. Rwf&a, mk il, Uns >er, A 6  i\% Lettres la elle s'arrête fur un nuage azuré, & d'un ceil impatient elle attend le char de fan pere. Bientót, au milieu de Tharmonie des fpheres céleftes, elle croit en tendre lehennilTement de fesquatre courfiers; fon coeur palpite d'efpérance &dejoie. Elleregarde encore, & diftingue, a travers une vapeur enflammée, 1'ardentPyroïs, le léger Eoiis, •le fougueux Ethon & 1'indomptablePhlégon (*); puis elle appergoit fon pere luimême, qui, de fa main immortelle, tient les rênes étincelantes. A cette vue, la fille du Jour rougit de plaifir; fes yeux verfent des Iarmes de tendreffe. Les Zéphirs les recueillent fur leurs aïles & les répandent en rofee fur les fleurs. Ainfi, belle Emilie, Quand je viens, fous votre croifée, Vous offrir un bouquet cueilli dès le inatïn, Sur ce préfent, qui tremble dans ma main, Si vous voyez tremUer les pleurs de la rofée, (*) Noms iles quatrs Courfiers du Soleil.  sur la Mythologie. 13 Ne le refufez pas; fongez que chaque fleur Doit fon éclat, doit fa fraicheur Et les doux parfums qu'elle exhale, A la piété filiale. Depuis long-tems 1'Aurore, heureufe d'aimer fon pere, vivoit fans imaginer qu'il exiftat un autre amour, lorfqu'elle appercut dans les campagnes de Troye, le beau Tithon, fils de Laomédon & frere de Priam, roi des Troyens Je vous ai déja dit (*) qu'elle 1'enleva, 1'époufa, le rendit immortel, le vieillit en huit jours & le fit changer en cigale. Ainfi 1'Aurore ne connut que 1'éclair de l'amour, & fon boa* heur s'évanouit comme un fonge. Mais elle en fut bientót dédommagée: en ceffant d'être époufe, elle devint mere. Le fils qui lui rendit les traits de fon époux, fut le célebre Memnon. Ceue innocente & vive image ;De celui qui vécut trop peu pour fon banheur, En do'inant le change a fon cceur, Y remplilfoit le vuide du veuvage. '(.*) Voveï la 2c. partij, page...  1+ Lettres. Quand une femme, tour a tour Heureufe époufe, heureufe mere, Prefle contrê fon fein fes enfans & leur pere, Pour elle c'eft le même amour. Memnon , dès fes jeunes années, fut un héros; mais le chemin périlleux de la gloire le conduifk au trépas. Les Grecs s'étant réunis pour affiéger la ville de Troye, le fils de Tithon, neveu de Priam , cour ut avec une armée, au fecours de ce malheureuxprince; maisavant de pénétrerdans la ville affiégée, Memnon rencontral'invincibleAchille j lecombattit & tomba fous fes coups. Je ne vous peindrai point le défefpoir de 1'Aurore; Pour exprimer Ia douleur d'une mere , II faudroit éprouver 1'excès de fon amour. La fille brillante du Jour, D'un nuage lugubre, obfcurcit fa Jumiere; Par 1'amertume de fes pleurs Flétrit la verdure & les fleurs, Et répandit fon deuil fur la nature entiere. Enfin Jupiter, pour la confoler, lui  sur la Mythologie. 15 promit que fon fils renaïtrok fous une forme nouvelle. En effec , lorfque la flamrae confuma le -corps de Memnon, 1'on vit, dit-on, s'élever de fon bücher deux oifeaux blancs, que 1'on appella Memnonides. Ces oifeaux fe multiplierent en peu de tems & s'envolerent dans divers climats. Mais , fi 1'on en croit Pline & plufieurs écrivains de 1'antiquité, tous les ans ala même époque, le? Memnonides fe raffembloient fur le tombeau de Memnon, pour fe combattre & faire de leur fang une libatión en fon honneur. D'autres ont écrit que ces oifeaux venoient, chaque année , tondre avec leur bec le gazon qui couvroit la tombe de Memnon, & qu'ils 1'arrofoient enfuite avec leurs alles trempées dans le fieuve d'Afope. C'eft ainfi que dans tous les temps, Pour parvenir au bonheur de leur plaire, ■On a bercé la vanité des grands Avec des contes de grand' mere.  i6 Lettres On éleva dans la fuite une célebre ftatue de marbre noir , qui repréfentoit Memnon affis, les mains élevées & la bouche entr'ouverte comme s'il alloit parler. A peïne le premier rayon de 1'Aurore frappoit-il le corps de la ftatue , qu'elle prenoit un air riant & paroilToit s'animer ; mais auffi ■ tot que le rayon atteignoit la bouche, il en fortoit un fon harmonieus & tendre , qui fembloit dire : bon jour ma mere ! Le foir, au moment ou 1'Aurore alloit éclairer 1'autre hémifphere, un foupir foible & plaintif fembloit dire : ma mere, adieu! Telle étoit, Emilie, la fameufe ftatue de Memnon a laquelle vous me faites reffembler quelquefois. Par exemple,, J'ai, quand je dois vousvoir, cent chofes a vous dire. 1'aroiffez- vous ? foudaio j.'hélite, je foupire, Jedemeurea vos pieds, tremb'antcomme unpoltron, Et me voila pareil au bufte de Memnon.  sun la Mythologie. ir Sur ce marbre animé II vous portez la vue, Si votre bouche lui fotrrit; Un fourire, un regard fuffit Pour faire parler la ftatue.  18 L E T T RE S l e t t r e xlvi. jPille qui n'a connu Cythere Que fur la carte d'un roman , Avant de voyager dans ce pays charmant, Peut refter long • tems fédentaire. Mais veuve qui, foir & matin , Avec 1'Amour en a fait le voyage, Aime a fe promener encor fur le chemin. On a beau faire-, on veut en vain Oublier le pélerinagè Quand on connoit le pélerin. L'aurore, agitée par ce doux fouvenir, apper^ut un matin le jeune Céphale fur le mont Hymette. Céphale, fils de Déionée, roi de Phocide, avoit époufé Procris, fille d'Erechtée, roi d'Athenes. Ils étoient unis par cette tendrefle conjugale dont on s'ho • noroit autrefois & dont on rougit prefque aujourd'hui. En vain 1'Aurore, avec tous fes charmes, effaya-t-elle de rendre Céphale infidele; il fjutluiréfiffcer. Enfin,  sbk la Mythologie. 19 pour triompher de fa réfiftance, elle 1'enleva; mais les cceurs ne s'enlevent point: celui de Céphale demeura prés de fa chere Procris; & 1'Aurore, après 1'avoir inutilement retenu dans fes fers, le rendit a fon époufe, en lui difant: vous vous repentirez un jour d'avoir connu cette Procris qui vous eft fi chere! Ces paroles artificieufes firent éclore dansle cceur de Céphale les femences de la jaloufie. Auffi-töt il prend la figure & le eoftume d'un petit-maïtre de ce temps-la, réfolu d'aller épröuver lui • même la fidélité de fon époufe. La démarche étoit délicate. J'ignore, graces aux Dieux, ce qu'hymên me réferve; Cependant j'aime a me flatter Que, Céphale nouveau, j'irois en vain tenter L'honneurde ma Procris; mais le ciel in'en préfervei Les propofitions de 1'amant inconnu furent d'abord rejettées avec mépris. Malgré 1'abfence de Céphale, Procris le chériffbit plus que jamais! C'étoit beaucoupj  20 L E T T R E S & Céphale, plus heureux que fage, auroit dü s'en tenir a cette périlleufe tentative j mais il infifta en ces termes : „ Céphale vous trahit L'ingrat! ....lecroyez-vous? „ — J'en fuis für; & d'ailleurs-, n'eft - il pas votre époux ? ,. ri 11 étoit mon amant. ~ IlneTeftplus, madame. ~ Et moi, je 1'adore toujours. „ — Quoi! fa fi oideur ne peut éteindre votre flamme ? „ Quoi.' vous voulez confumer vos beaux jours ,, A pieurer un mari? c'eft un enfantillage „ qui n'eft plus permis è vofre age. „ Je fuis jeune, riché, en faveurj ,k Je vous offre ma main, ma fortune & mon cceur. „ Ne perdons point de tems; tous les préliminaires, „ De dédains affedtés, de refus, de rigueurs, „ Ne font qu'embiouiller les affaires. „ Pour être heureux, évitons ces longueurs. „ L'amour fuit, 1'heure échappe & Ie plaifir s'envole. „ Jevousaime; aimez-moi. Point de difcours frivole. „ Si j'attends a demain, dès aujourd'hui, je meurs. ~ n Mourirl... Vous m'effrayez, ditl'époufe craintive. „ Comment puis-je avec vous me tirer de ce pas ? ~ „ Votre cceur ou la mort: voila 1'alternative: „ Donnez moi 1'un ou 1'autre. — Allons, nemoarez pas."  sou la Mythologie. 21 A ces mots, Céphale furieux de trouver enfin ce qu'il s'opiniarroit achercher, fe fait connoitre a Procris qui, accablée de honte & deremords, fort de fon palais, réfolue de n'y jamais rentrer. Mais bientót Céphale courut la chercher au fond des déferts. Soit vanité, 'foit indulgence maritale, il 1'excufa de n'-avoir pu lui ré? filter. Enfin , .après quelques reproches mêlés de pleurs& de carefles, Cette querelle de ménage Se termina, fuivant 1'ufage, Par un doux raccommodement. Nos époux, atteftant les Nymphes du bocage, Jurerent folemnellement De s'aimer déformais mille fois davantage ; Et la preuve furvint a I'appui du'ferment. Procris, après les premiers gages de reconciliation , donna a Céphale un traitqui jamais ne manquoit le but, &unchien, nommé Lélape , que Diane avoit élevé. Peu de temps après, Thémis, irritée!de  22 Lettres ce que les Thébains avoient déchiffré fes oracles, ayant fufcité contre eux un renard monftrueux qui dévoroit leurs troupeaux, tous les jeunes princes du pays fe réunirent pour 1'exterminer. Comme la nobleffe Thébaine, Si tous les chevaliers des rives de laSeïne S'uniffoient pour chaffer les renards que Thétnis Du fond de fon noir fanétuaire, Sufcice pour manger les moutons de Paris, Quelle chaffe ils auroient a faire! Le renard Thébain échappa long-temps a toutes les pourfuites des chaffeurs. Enfin, Céphale ayant laché Lélape contre lemonftre, le chien & le renard, au milieu de leur courfe rapide, furent 1'un & 1'autre changés en pierre, fans qu'on ait jamais Sgu. ni par qui, ni pourquoi. Céphale regretta fon fidele Lélape; mais le dard qui lui reftoit fuffifoit pour le rendre encore le plus redoutable de tous les chaffeurs. II parcouroit fans éeffe les  * sur la Mythologie. 23 bois &lesmontagnes, théatres defesnombreux exploits. La , quelquefois durant la chaleur du jour, il fe repofoit fur la terre brülante, & imploroit le fecours de cette vapeur rafraichiffante qui voltige au fond des grottes tapiffees de moulTe, & fous les ombrages touffus des arbres antiques. Viens, difoit-il, viens aitnabie Aure; Viens, jeune époufe du Zéphir; Accorde-moi feulement un foupir Pour appaifer I'ardeur qui me -dévore. Malheureufement quelques Thébaines charitables ayant entendu Céphale, en conclurent que cette Aure qu'il appelloit avec tant de langueur, étoit une Nymphe qu'il aimoit éperdument; & foudain , pleines des intentions les plus pacifiques, elles allerent le perfuader a Procris. Le lendemain, Procris, par un chemin détourné, va fe cacher dans un buiffon voifin du lieu que fes amies lui avoient  « 24 Lettres indiqué. Bientót Céphale, épuifé de fa-tigue, vient s'y repofer & appelle Aure -a fon fecours. A ce nom, Procris ne peut maltrifer les mouvemens de fa rage; Céphale croit entendre une béte fauvage remuer dans 1'épaiffeur du buiffon; il fe retourne & lance le trait fatal. Mais.uh cri douloureux & tendre 1'avertit de fa méprife & de fon malheur. II écarté les branches qui lui cachent fa viótime, & regoit dans fes bras fa chere Procris, qui, d'une voix mourante, lui dit: „ Céphale, s, au nom de eet amour fi tendre qui caufe „ ma mort, n'époufe point cette Aure „ dont le nom feul me fait frémir!" A ces mots, Céphale reconnoiffant fon er« reur, la défabufe, mais trop tard: Dans fes bras fon époufe expire , Et d'un regard femble lui dire: Pardonne moi de t'avoir foupconné! En mourant de ta main, le ciel veut que j'expie Mon injuftice & mon erreur; Mais je regrette peu la vie Si je me furvis dans ton cceur. L'Au-  sur la Mythologie. 25 L'Aurore ne fut pas infenfible au malheur de fon cher Céphale ; elle en eut même quelques remords; mais pour les effacer, elle fe livra a de nouvelles amours & enleva Orion. Orion différoit du refte des hommes en ce qu'il n'avoit point de mere, mais il en étoit amplement dédommagé, en ce qu'il avoit trois peres certains, fans compter celui dont il étoit 1'héricier préfomptif. Jupiter , Neptune & Mercure voyageant enfemble, furent un foir accueillis par un pauvre homme , nommé Hyrée. Les trois Dieux, en reconnoiffance de fa génereufe hofpitalité, lui offrirent la récompenfe qu'il choifiroit. Je fuis veuf, leur ditil, & d'un fecond hymen Je n'ofe tenter la fortune. Qttstr. partie. B  2f» Lettres Deux femmes, pour un pauvre humain, Ce feroit trop; peut-être eft-ce déja trop d'une. Cependant j'ai befoin du lien conjugal; Car pour jouir du bonheur d'être pere, La femme jufqu'ici fut un mal nécelTaire. Or, ne pourriez vous pas, pour me tirer d'afFaire, En ni'accordant le bien, me difpenfer du mal? Les Dieux touche's du bon fens & de la naïveté de leur höte, prirent la peau d'un bceuf qu'il avoit tué pour les rece* voir, la remplirent d'unefubftance divine, & recommanderent a Hyrée de la couvrir de terre jufqu'a une certaine époque , a laquelle il en fortit un fils qui fut nommé Orion. Orion devint le plus célebre & le plus beau des chaffeurs. Diane & 1'Aurore 1'aimerent en même temps, & la fille du Jour, s'ennuyant de rivalifer avec la DéefTe des forêts, brufqua 1'aventure en enlevant Orion. Cependant il paroit qu'il revint auprès de Diane , ce' qui eft naturel: 1'Aurore faifoit les avances; Diane réfiftoit; elle devoit être préférée. Peu a  sur la Mythologie. 27 peu elle répondit aux fentimens d'Orion • & concrut pour lui une flamme pure & célefte. Mais Orion, dont la flamme, étoit un peu terreftre, furprenant un jour Diane feule & penfive, a 1'ombre d'unbofquet miftérieux, lui dit, en fe précïpitant a fes pieds: Pour vous plaire, chafte Diane, Je me confume nuit & jour A fiier le parfait amour; Mais je vous avouerai qu'un fentiment profane, Quand je vois vos appas, fe glifTe dans mon cceur. Le moral eft, chez moi, tout voifin du phifique; Et malgré le refpecl de ma pudique ardeur. Je ne me fens.point fait pourl'amourPlatonique(*). L'argument étoit preffant. Diane, au lieu d'y répondre, fit piquer fon amant C*) Je crains bien qu'il n'y aft ici un petit anactironifme de quelques fiddes , & je prie MM. les anjoureux Platoniciens de vouloir bien m'éclairer for cette bagatelle. B 2  Lettres par un fcorpion caché fous une roche voifine, & transporta 1'amant & 1'anijnal dans le ciel , oü ils formerent deux conftellations difpofées de maniere que le fcorpion femble encore menacer Orion. Adieu, mon aimable Emilie; Demain, je vais revoir ces bois, cette prairie, Oü de mes plaifirs le plus doux Etoit de vous écrire & de penfer a vous. La, fur le haut des monts, quand j'irai voiréciore Le premier rayon de 1'Aurore, En admirant fes naïves couleurs Et 'fon fourire accompagné de pleurs, Je me dirai: celle que j'aime Rougit, pleure & fourit de même. Pour reflembler en tout a Ia Divinité, 11 ne lui manque hélas! que 1'immortalité. Mais fi Ie Temps, un jour, emporte Cur des aiies Et fa jeuneffe '& fa beauté, Ses vertus feront immortelles; Et nous irons, unis de chaines mutuelles, Nous perdre dans 1'éternité. Pardonnez moi, ma tendre amie: Ces finiftres penfées pourront vous afHiger;  suu la Mythologie. sp- Mais Ie plaifir d'aimer celle qu'on a choific Eft fi vif & fi paflager, Qu'il eft permis de prolonger L'efpöir de ce bonheur au - delè de la vie. B 3  30 Lei tkes LE TÏRE XLVII. Pourquoi demeurer a la ville, Quand tout reverdit dans nos champs, Quand Flore décore 1'azile Que 1'Amour deftine aux Amants? Ah! venez dans nos bois; ces berceaux vous attendent, Ce gazon vous appelle & ces rofes demandent Pourquoi vous les privez fi long-temps du bonheur De couronner le fein de Ia Pudeur. J'ignore ce qui fe paffe fur les bords tumultueux de la Seine; mais ici le fujec intéreffant de la nouvelle du jour eft 1'arrivée du Printemps, qui vient de faire fon entree dans nos plaines avec tout 1'appareil de fon antique magnifieence. Sur un nuage de rofée Doré des rayons du Soleil, 11 parcourt nos guérêts & prefle le réveil De Ia Nature repofée,,  sur la Mythologie. 3ï Qai, de mille feux embrafée , Le fein couvert de fleurs, fort des bras du SommeiJ. Une légere draperie, Pareille a l'écharpe d'Iris, Couvre le fein du Dieu. Son aimable fouris, Qu'un tendre regard accompagne, Ranime les vallons flétris Et fait fourir la campagne. A 1'afpect des coteaux qu'il vient de rajeunir, Le jeune amant de la Nature Rougit, comme une vierge pure De modeftie & de plaifir. Son front eft couronné de 1'herbe des prairies, Pour prouver que de la beauté Le premier ornement eft la fimplicité. L'Amour qui, fans étre invité, Afiïfle a toutes les parties, Vole auprès du Printems; & tandis que les fleurs Echappent de fes mains, le frippon lesramaffe, Puis, en riant, les entrelace Sör la pointe des traits qu'il deftine a nos cceurs. La mere du Printemps, jeune, fraiche &vermeilles Flore, dans fa rich11; corbeille, Affortit un tribut de rofes & de lis, Et Ie donne au Zéphir, pour 1'ofFrir a fon fils. B 4  32 Lettres. Les Plaifirs enfantins, les jeunes Amourettes Suivent en jouant du hautbois; Et cbaflent, vers le Nord, 1'Hiver au fond des bois, En lui jettant des violettes, La foule des courtifans, qui ferme le cortége, eft conduite par le dieu Pan, environné de Faunes&deSylvains. Priape marche a fa droite, efcorté parlesSatyres. Ceux-ci, d'un ocil lafcif, confide'rent les Driades, les Amadriades, les Oréades & les Napées, qui s'empreffent autour de Pales, Deeffe des prairies & proteclrice des Bergers. Le dieu Therme, qui les voit paffer , foupire de ne pouvoir les fuivre; mais 11 fe réjouit en voyant croitre la verdure qui bientót doit ombrager fa tête. Tel s font, Emilie , 1'ordre & la marche de cette entré qui, felon moi, vaut bien celle de nos ambaffadeurs. Or, quand vous voyez paffer ces fimulacres des Potentats au milieu de la magnificence roya-  sur ia Mythologie» 33 le, vous vous informez du nom & de 1'emploi des principaux officiers qui les environnent. Je crois donc devoir vous faire connoitre en détail les principaux miniftres du plus aimable Roi de 1'année. Le premier miniftre du Printems eft Ia déeffe Flore, qui, en fa qualité de reinemere, gouverne, durant le regne de fon fils, le peuple brillant des fleurs. Zéphire qui 1'accompagne, partage fes foins entre Flore, Cérès & Pomone. Ce Dieu léger eft fils d'Eole & de 1'Aurore. Son emploi. confifte a écarter les Aquilons & les noires tempêtes , & a nourrir des pleurs de fa mere les fleurs, les moiffons & les fruits. Les favants n'ofent décider li Zéphir eft 1'époux ou 1'amant de Flore; enforte que la légitimité du Printems eft encore un problême. Les médifans vont plus loin : s'il faut les en croire, la déefle Flore n'eft  34 'Lettrés =qu'nne Mortelle parvenue, qui vivoit autrefois a Rome aux dépens des jeunes citoyens. Chloris étoit alors fon nom de guerre. Enriehie par fes amants , elle iiomma pour fon héritier leSénat, qui, par reconnoiffance, fit fon apothéofe. Mais ne fachant trop quel domaine lui afligner, il lui donna celui des fleurs qui étoit alors vacant, & la maria au Zéphir, époux fans conféquênce, qui convenoit parfaitement au caracl;ere de la nouvelle DéefTe. II inftitua auffi en fon honneur les jeux Floraux , pü les femmes publiques, dépouillées de leurs vêtemêns, combattoient & courroient au fon des trompettes. Celles qui remportoient le prix de la lutte ou de la courfèrecevoientunecouxonne de fleurs. La ftatue de la DéefTe paroiffoit au milieu d'elles, couronnée de guirlandes &. couverte d'une draperie , qu'elle tenoit de la main droite. De autre, elle préfentoit une poignée depois & de fêves, parceque, durant les jeux  sur la Mythologie. Floraux, les Ediles jettoientces léguines au peuples de Rome. Si ces détails font véritables, vous préférerez a la déeffe Flore ladéeffe Féronie, autre miniftre du Printems, qui gouverne par interim les fruits naiffants, jufqu'aumo» ment ou Pomone vient prendre elle-même les rênes de fon empire. Le feu ayant confumé jadis un bois fitué fur le Mont* Soradte, & confacré a la déeffe Féronie,, les habitans voifins accoururent pour fauver fa ftatue; mais tout - a- coup le bois fe couronna d'une verdure nouvelle. Ce miracle accrédita tellement la Déeffe, que fes Prêtres oferent fe vanter de marcher fur des brafiers, & de tenir un fer ardent lans reffentir la plus légere impreffion. Pour éprourer ce pouvcir plus qu'numain, J'.iurois voulu les voir, ou vous djuner la mains Ou marcher fur vos pas; & je crois, mon amie, Que j'aurois fort déconcerté La feinte infenfibilité Dfis Chapelains de Féror.ie.. j B ö  36 Lettres Moins refpeér,ée , mais plus aimée que cette Déeffe, Palès régnoit fur les prés & fur les troupeaux. Sa parure eft auffi fimple que fon culte. Un voile couvre fes charmes innocents. Un peu de laurier & deromarin couronnent fachevelure, paree que , durant fes fêtes, les Bergers purgeoient leurs troupeaux en mêlant du romarin & du laurier dans leur paturage. Elle tient une poignée de paille (*), qui ferc de litiere aux beftiaux. Ses fêtes fe célébrpient au mois de Mai. Les Pafteurs lui offroient du lait & du xniel ; puis allumant, a des didances égales , trois grands feux de paille, ils fautoient par-deiTus, & le plus agile remportoit le prix, qui ordinairement étoit une jeune chevre ou un agneau. Ainfi, dans i'age d'or, quand la fimple innocense Rendoit hommage a laDivinité, „§es fêtes commencoient par Ia reconnoilTance Et finiffoient par la galté. (*j Le mot ïMes dériye ilu met latis Pa'.an, paille.  sur la Mythologie. 37 Les compagnes de Pales font les Nappees qni préfidoient aux plaines, & les Oréades aux montagnes. Ces Nymphes furent, dit-on , les nourrices de Cérès & de Bacchus, paree que les moiffons croiffent dans les campagnes , & les vendanges fur les cöteaux. C'eft aux Oréades que nous devons Ie miel. Une de ces Nymphes nommée Méliffe , ayant tronvé dans un arbre creux un rayon rempli de cette liqueur dorée , en fit goüter a fes compagnes , qui, enchantées de cette découverte, donnerent aux abeilles le nom de MêliJJe , & a leur neftar celui de Mei, que nous avons traduit par miel. Les Driades (*) avoient l'infpeétion des bocages; les Amadriades, auffi multipliées que les arbres , naiffoient & mouroienc avec celui auquel leur exiftence étoit inti- C') Driaie , dérive du irot grec Drs, arbre. Ama, figisifie arec ; ainfi Am: dr:a.'e, %ül'e qui eft unie avec l'erhe. B 7  38 Lettres. mement liée, Cette fi&ion ingénieufe, qui prodigue les Divinités airnables, & attaché des Nymphes a tous les objets qui nous environnent, a je ne fais quel charme attendriffant. Quand je me reporte au temps de la Fable, Les monts, les bois, les charaps, tout s'anime i mes yeux: A travers les épis de ces plaines dorécs Je crois voir courir les Nappées. Sur ces coteaux délicieux, J'écoute les foupirs des tendres Oréades; Sous ces bofquets myftérieux, Je chercbe les gazons foulés par les Driades; Et il, le foir, dans mon jardin, J'arrofe un arbuüe malade, En le baignant, je fonge que ma main Rafraichit une Amadriade. Parmi ces Nymphes, les plus révérées étoient les Querculanes (*), dont la vie étoit attachée a celle des chênes. Le célébre chalTeur Arcas, fe repofant au bord d'un ruilTeau qu'ombrageoit un chêne „ {*j Du mot Quercus, chêoe.  sur la Mythologie. 39 vit, dit-on, fortir de fon écorceuneNymphe qui lui dit: détourne, je t'en fupplie, le cours rapide de cette onde qui déracine 1'arbre auquei ma vie eft attachée. Arcas détourna Ie rüiffeau, & la Nymphe reconnoiffante le couronna fur le rivage. O fi !es Nymphes a prefent Récompenfoienc encor de même un bon office, Comme j'irois courir les bois , en leur difant: N'eft-il rien pour votre lervice! Les amans de ces Nymphes font les Sylvains, fils de Sylvain, dieu des Forêts, qui protégeoit auffi les troupeaux & partageoit avec le dieu Therme la garde des limites champêtres. Les Romains appelloient fes fêtes les Lupercales (*) ; foit paree qu'il écartoit les loupsdesbergeries, foit parceque fon temple, conftruit dans le lieu même oü Rémus & Romulus avoient été nourris par une iouve, en confervoit le nom de Lupercal. On raconte que Sylvain, amoureux d'Iole, i*j Voyez la lettre IV, ptemiefe psrae.  40 Lettres époufe d'Hercule , s'introduifit la .nuit dans une grotte oü les deux époux étoient couchés féparément. Hercule avoit enveloppé Iole dans la peau du lion de la fórêt de Némée. Sylvain , marchant a tatons & fentant la peau hérifféedu lion, prit Iole pour Hercule, & Hercule pour Iole. Mais Hercule, éveillé par fes carelTes, le faifit d'un bras vigoureux, & le lanca, hors de la caverne, contre un rocher qui fut 1'écueil de fes amours. Après cette chüte, Sylvain Renoncant aux profits de !a galanterie, Et dégoüté du bien de fon prochain, Se raaria Ie Iei;demain; C«r, dès qu'on ne veut plus aimer, 1'on fe marie. Sylvain eut un grand nombre d'enfans qui tous porterent fon nom. On les confond fouvent avec les faunes, paree que leur figure & leurs attributs font les meines; mais leur origine eft différente. ; Les Faunes font les pétits fils de Picus, roi des Latins, qui, pour avoir rélifté a 1'amour de Circé, fut métamorphofé en  sur la Mythologie. 41 pivert par cette enchantereffe. Canente, fa veuve, fut changée en voix a force de parler, comme plufieurs autres avoient été changées en fontaine a force de pleurer. Or, fi !e Ciel prer.oit encor la peine De confulter leurs difpofitions Pöur métamorphorer les veuves de la Seine, Sur nos rivages nous aurions Gent mille voix peut-êcre & pas une fontaine. Picus & Canente laifferent pourhéritier Faune, qui enfeigna 1'agrieulture aux La» tins vers le tems oü Pandion donnoit des loix au peuple d'Athenes. Faune époufa Fauna fa fceur; & en eut d'abord un fils nommé Sterculie (*), qui inventa 1'art de fertilifer la terre par des engrais. Ses autres enfans furent les Faunes que 1'on mit au rang des Dieux champêtres. On leur immoloit une chevre, & le pin leur étoit confacré. On les repréfentoit avec (_*) Sttrculum, fumie', engrais.  sur la Mythologie. 129 Ils 1'appelloient la Divinité des grandes ames. Mais ce titre étoit purement honorifique: Les Vices couronnés des graces du be! age, Méprifés, mais charmants, font 1'obief de nos foins; Tandis que les Vertus, avec un vieux vifage, En honneur parmi nous , languiffent fans témoins; On les adore d'autnt moins Qu'on les refpeéts davantsge. Telle eft. la différence qui a toujours exifté entre 1'Amour & 3'Amitié. II paroit que les Romains la confolerent un peu de 1'oubli des Grecs. Ils la repréfenterent fous la figure d'une jeune fille, & je trouve qu'ils eurent raifon: quoique 1 Amour préfide au printemps, & 1'Amitié a 1'hiver de notre vie, peut - être devroit- on quelquefois donner a 1'Amour les traits de 1'Hiver, & a 1'Amitié ceux du Printemps; car, comme nous 1'apprend 1'expérience, Souvent 1'Amour fait vieillir Ia jeunelTe, Et toujours 1'Amitié rajeunit Ia vieiilefle. F \5  130 Lettres L'Amitié étoit repréfentée vêtue d'une tunique, fur les bords de laquelle on avoit gravé cette légende: la mort et la vie. Le fens de ces paroles s'explique.de lui même au cceur des vrais amis: Le premier fentiment qui viert nous enflammer Jufques au tombeau doit nous fuivre." Quand on a cemmencé d'aimer, Ne pius aimer c'eft ne plus vivre. Sur le front de la Déeffe on lifoit cette infeription; l'Eté & l'Hyver , pour défigner fans doute que 1'Amitié n'appartient pas a la jeuneffe, mais qu'elle eft un fruit de la raifon qui mürit durant notre été, & dont nous jouiffons dans notre'hiver. Heureux, mon amie, ceux chez "qui cé fruit fe tröiïve prématuré! La ftatue de 1'Amitié , avoit le cóté gauche ouvert, & de 1'index de la main droite elle découvroit fon coeur, au milieu duquel étoient écrits ces mots : de ntès et de loin.  sur la Mythologie. 131 De 'loin comme de pres on s'ouvre a fon amie; Qui mieux que moi doit le favoir! En lui parlant, on ciroic la voir; On la mene, en rêvant, le long de la prairie; Prés d'un faule on ia fait affeoir. • On l'entretientlóngueaient,. jufqu'au foir, De fes défirs, de fes allarmes, De fes projets, de fon e'poir. Dans fes yeux fe peint-on des Iarmes f Ivre d'amour & de plaifir , On 1'embraflë ei idéé: & tandis que Zéphir Fmporte le baifer, avec de nouveaux charmes Le cceur acheve de s'ouvrir: Abfente, on lui dit comme on 1'aime; On lui dit comme on eft jaloux... Si la belle étoit la, ie diroit on de même? Oui, j'en réponds: tous les aveux font dous Quand ils nous font diclés par la tendreffe: J'irois tous les jours a confefle, Si je me confefTois a vous. La compagne ordinaire de 1'Amitié étoit autrefois la Fidélité qui, dit-on, accompagnoit même 1'Amour. Oue les tem: font changés ƒ La Fidélité, dont on confond lesattri-