LETTRES A È M I L I Et SUR. LA MYTHOLOGIE,   LETTRES A É M I L I E, SUR LA MYTHOLOGIE. P-ar CA. Demoustiur. Heureux ceux qui fe 'divertiflent en s'inftruifant l TÉLÉMAQUE, Liy, 2. CINQUIÈME PARTIE. A AMSTERDAM, Chez Gabriel Dufour, Libraire» " 1 7 9 $T   A É M 11 I M, Tout paffe, mon aimable ainie, Tout s'évanouit fous les cieux; Chaque inftant vatie a nos yeux Le tableau mouvant de la vie. Les Étres fur qui notre cceut Avoit concentré fa tendreiïè, Et fondé pour jamais 1'efpoir de fcn bonhétjr,j Nous font ravis dès leur jeuneffe ; Et le Temps jaloux ne nous lai la Que les regrets & la douleur. Mais quel homme fenfible peut fe perfus-* der qu'il ne fürvït rien de 1'Être qui laf fut cher? Notre cceur fe refufe k 1'idée défefpérance de ne retrouver jamais nos amis. Nous nous perfuadons, avec comCinq. Partie. A  é plaifance , qu'ils ne font qu'en voyage. Notre in:agiriation sènie de ffeurs le chemin qu'elle leur fait parcourir; puis el!e Jes fait repofer dans un féjour riant & champétre, oü,: fous de3 ombragis paifibles, ils boivent alongs traïts 1'oubli de leurs peines paflees , & nous attendent pour jouir avec eux d'un bonheur auflï pur que le jour qui les éclaire. Ainfi, c'eft è rAmitié peuc-être que nous devons le premier fenthtenc de notre im« mortalité. Heureux les vrais amis que 1'Éternité raffemble! Plus heureux encore ceux qui, par une vie innocente & une tendre intimité, anticipent fur le bonheur de 1'Elyfée!, lis jouhTent, dans cette vie, des délices que 1'on nous promet dans 1'autre , & n'ont pas befoin de mourir ,pour arriver a la félicité. Je fens que ce tableau charmant Me ramène infenfiblement A mon illufion chérie:  ün Jout, du fruit de mes travauxj ]'achéterai cêtte prairie; J'y planterai de jeunes arbriiTeaux, J'enlacerai leurs tétes en berceaus, ., Four ombrager le front de mon amie, J'éléverai, vers le midi, A peu de frals, ma fimple maifonnette Pour Emilie & fon ami. De notre paifible retraite, Nous verrons nos jeunes agneaux, Avec les fleurs épars fur la verdure, Se pourfuivre, bondir & franchir les ruiffeaux % Dont nous entendrons le niurmure. Ricb.es de vertus & d'amour, Nos enfans viendront tour-a-tour Accroitre encor notre opulence. Les doux loifirs de leur enfance De notte age virile embelliront le cours; Les jours brlllans de leur adolefcence Répandront leur éclat fur le foir de nos jours-, Contens de leur fort & du nótre, Sous notre tolt paifible , en rendant grace aux Dieux, Nous nous endormirons dans les bras 1'un de 1'autre, Et d'innocentes mains nous fermeiont les yeux. A %  jfónfi, par une roote aife'e , Au vrai bonheur nous parviendronsj If • nu- les morts quand nous arriverons, fiw B'aHTOJ» fajt que chaDger d'Elyfée» ' LET-  LETTRES A É M 1 L I E9 SUR LA MYTHOLOGIE. LE T T RE LVIII. «Te vous préviens, Émilie, que nous aU lons faire enfemble le tour des Enters» Toute autre que vous, en partant poua ce voyage, auroit bePoin de fe munir d'un» rameau d'or (i) pour fléchir ia reine des morts, ou d'un ga'eau pour endormirCerbere; mais ces précautiong vous font inu* tiles ; montrez - vous , voila votre pap* fe-port. (0 EnéïJe, Livre tf. A 3  g Lettres Cependant, avant de partir , couvrezvous d'uff voile léger; la prudence 1'exige plus encore que' la modeftie. En effet, Si Plutou, dans fon palais noir, Voyoit a découveit votre peau blanche & fine, En arrivant la-bas, nous pounions bien avoir Quelqu'affaire avec Proferpine. ^ : Or, c'eft ce qu'il faut éviter. Voilh donc vos artraits voilés; & nous partons. Ces champs & ces bois qui fe découvrent a votre. vue, font les terres de la Carop'anie. Au - dela, prés de cerce montagne, voyez-vous, du milieu de ce lac bordé de cyprès, fortir, par intervalles , une fumée noire mêlée d'étincelles? Ce lac eft le lac d'Averne; & Pouverture qui vomit ces flots de fumée, efl le foupirail par lequel on defcend aux enfers. - Remarquez ces arbres dépouillés de verdure , & ces oifeaux morts ou mourans, épars far ces rives brülantes. Tel eft 1'effet des exhalaifons du noir Tartare. L'être qui les refpire, refpire la mort,- &  sur ia Mythologie; f, les arbres qui en font atteints , couvrenC1 la terre de leurs feuilles defféchées; Maïs de cette forabre vapeur Les atteintes pour vous ne feron' point mortelles. Ne craignez rien; la vertu, la pudeur Épurent 1'air qui circule autour d'elles» Eh bien! ne vous l'avois*je pas dit? A •votre approche , la • vapeur infernale f* diffipe; le gouffre ceflè de vqmir des Hammes, & vous préfeme un chemin fa3 cile, quoiqu'un peu fombre. Dans ce chemin Pon ne voit goutte, Et nous allons voynger fans témoins. Soyez tranquille ne'anmoins: Nous ne trouverons pas de voleurs fur la route; Ne remarquez-vous pas , en defcendant, que le chemin tourne fur lui-mê■me, & qu'il devient infenfiblement plua incliné ? Entrelacez votre bras avec le mien , & approchez-vous fi prés de moi, que nous ne fallions qu'un pour mieux réfifter a la rapidité de la pente. Je ferj$ A 4  8 Lettr.es yotre haleine qui fe précipite, votre fein qui fe foulève, & votre cceur qui bat contre ma poitrine.... Arrêtons - nous un moment. Votre courage a befoin du mien; Cc, pour m'encourager, je fens qu'un baifer de voyage feroit un excellent fpécifique. A cette demande, votre rigueur fe «iet fur la défenfive; mais quel prétexte jaifonnable peut*elle alléguer pour me trefufer ? Ti'abord on n'y voit point; & fi, dans fon chemin, SEntre nous deux placé, quelqu'efprit féminin , Intercep:oit ce doux larpinj . Malgré fa fureur de médire, 11 faudroit qu'il füt bien malin, ;; S'il remomoit la-haut pour 1'aller dire. - ... Ah! ah! voila, je crois, le premier -qui ait été accordé a cette place, h moins rqu'Hercule n'en ait été gratifié de queljques-uns par Alcefte, quand il la rendit k .fon époux, ou qu'Orphée n'ait profité de ceua obfeurité pour embraffer fachèreEuridice qu'il lui étoit défendu de regar-  sur la Mythologie. 9 der. Je vous parlerai bientöc de 1'une & de 1'autre, mais avancons. J'entrevois lh-bas un jour faible & lugubre, & déjk je crois diftinguer les ri« vages de 1'Achéron bordé de peupliers. Hercule, avant de defcendre aux enfers, fe ceignit le front d'une branche de peuplier blanc. Mais la fumée du Tartare noircit 1'extérieur des feuilles;& le héros, après avoir repaffé le Styx, ayant plan té cette branche fur les bords de 1'Achéron, elle produifit ces peupliers, dont les feuilles blanchesd'un cöté, offrent de 1'autre, un verd fombre & noiratre. L'Achéron n'a pas toujours coulé dans le féjour des morts. Fils du Soleil & de la Terre , 11 promenoit le criftal de fes ondes au milieu des bois & des prairies. Éclairé des regards paternels , il parcouroit les plus rians domaines de fa rnère; mais il abufa de ces avantages, & désaltéra les Titans lorfqu'ils efcaladèrent le ciel. Pour le punir de cette perfidie, les dieux le précipitèrent aux enfers, oü il ne roule A5  io Lettres plus que des eaux fangeufes, qui vont fe' perdr„- dans le Styx. Ce fleuve environne neuf fois les enfers. Ses eaux font fi acres & fi mordantes, qu'elles rongent les plus durs métaux, & qu'aucun vafe ne peut les contenir. Styx fut, dit-on, fille de 1'Océan & de Théds. Elle eut de 1'Achéron une fille célèbre que 1'on nomme la Victoire, & ■ qui, depuis la naiffance du monde,. a fait la conquête de tous les pays & de tous les héros. Ses amans lui élevèrent plufieurs temples dans la Grèce & dans l'Italie. Voici les traits & les attributs qu'ils lui donnèrent, & avec lefquels on la repréfente encore aujourd'hui. Le front brillant d'une iioble gaieté, Le bout du pied pofé fur un globe mobile, La déeffe, d'une aile agile, Vole vers rimmortalité. D'une main, elle infcrit au temple de Mémoire Le nom de fes amans; 1'autre offie le laurier Ei la palme enlacée au paifible olivier, Pour nous prouver que )a folide gloire Efl le fruit de la Paix comme de la Viftoire. I K\ - ■ C **  sur la Mythologie, git La 'foudre ayant brifé les ailes de la ftatue qu'on lui avoit élevée a Rome, Pompée, afin de ralTurer le peuple fur eet événement, s'ecria : „ Rom ains , le dieux „ ont coupé les ailes a la Vidoire; elle ne „ peut plus nous échapper." Mais revenons a fa mère. Styx découvrit k Jupiter la conjuration de& Titars réunis pour le détröaer. Le roi du ciel prévint leur complot , & la Victoire le feconda fi bien, que les Titans furent terrafiés. Jupiter, pour récompenfer le ferviee de Styx & celui de fa fille, décréta éternellement que les dieux jureroient par fon nom, & que ceux qui violeroient ce ferment, leroient exiiés dix ans de la cour célefte, & privés du nectar & de 1'ambroifie. II paroic qu'il exifte une exception pour les fermens amoureux, a caufe du grand ufage qu'en font les dieux, & même les mortels. En tête-a-tête, les fermens Donnent un maintien aux amans Qui ne fauroient parler & n'oferoient fe taire.  12 Lettres Rien n'eft plus commun a la cour Que d'entendre jurer 1'Amöur, Sur-tout quand il n'a rien a faire. Prés de Junon Jupiter s'endormant, Jure, en baillant, d'êire fidéle. Le vieux Sasurne galsmwent Fait chaque foir a fa vieille Cybêle, Par maniére d'acquit, le même compliment. Mars a la reine d'Idalie, Pour nourrir 1'entretien , jure de 1'adorer. Pour moi, prés de vous, mon amie, Je n'ai pas le temps de jurer.  sur la Mythologie. LETTRE LIX. C £ vieux noeher qui, dans une frêle barque, vogue lür les ondes du Styx, & va fans ceffe d'un rivage a 1'aucre, eft 1'avare Caron, fils de 1'Érèbe & de la Nuit. Son front chauve & ridé, fa barbe blanche & hériffée, fes yeux creufés par le Temps, fes regards éuncelans d'un feu fombre, fes membres décharnés , mais nerveux , les noirs lambeaux épars fur les mufcles de ion corps deflëché , infpirent en même temps le dégout & 1'effroi. Le fioiftre vieiilard, avaut de tranfporter les morts fur le rivage des enfers, exige de cbacun d'eux une obole au moins pour fon paffage. Chaque paffager tire cette ob.ile de fa bouche, oü fes paiens 1'ont dépofée avant de 1'enfeveür, &. la préfente a 1'avare nocher,qui examine fi elle eft de poids. Quelques arrivans lui préfentent auffi un  J4 L E T T R E S paffe-port concu en ces termes: „ moi „ Touffigné... Pontife , attefte que Ie „ porteur a été de bonnes vie & moeurs ï „ que fes m£nes repofent en paix." Caron accueille volontiers ceux qui lui prér fentent 1'obole fans paflè-port; mais il ré» pond a ceux qui lui préfentent le paffe-port fans obole ; „ Vous êtes vertueux; moi, je luis obligeant: „ Payez-moi, finon je vous raye. Je voisli vos vertus; mais voyous votre argent; „ L'hounéte homme eft celui qui paye," La barque du nocher des enfers n'eft compofée que decorces d'arbres. Cette contexture fragile fuffit pour les paffagers auxquels elle eft deftinéc, car on fait que rien n'eft plus léger que les Efprits. Cependant il y a tel Efprit de philofophe, de héros, de prêtre de Plutus, & même d'adorateur des Mufes, qui feul pèfe autant que deux corps; ainfi nous pouvons tous deux paffer le Styx fans nul danger.  SUR LA MYTHOLOGIE. 15 Approchons... Mais quelle Oinbre, en long inanteau d'hermine» S'avance d'un air grave & doux? Le Doyan de Ia médecine!..... LaiiTons-le palier; j'ima^ine Qn'il döit avoir le pas fur nous. Paruii les arrïvans le Nocher le reraarque; 11 le falue & fappelle a grands ctls. „ Venez , Dofteur, venez, vous paiTerez gratis, „ Dit - il en préfentant fa barque. „ Ah ! combien vous avez foutni ,,De voyageurs a ma rnefiagerie! „Je vous rends grace, & veux de ce voyage-ci ,,Vous faire la galanterie." Le docteur s'embarque, & va joindre fes malades. Cependant j'appergois une Ombre plaintive & couverce de lambeaux, qui fe traïne vers nous en gémilfanc. C'eft un vieillard pauvre qui erre fur ce rivage, fans doute paree qu'il n'a pu payer a 1'avare Caron 1'obole qu'il exige de chaque ..paffager. Payons, avec notre paflage , celui de ce malheurenx, & invitons-le a nous raconter fes infortunes durant la tra* verfée. Hatons - nous; car je vois déja  i6 Lettres dans la barque un Egyptien, un Grec & un Roraain. Emparons - nous des plaees qui reftent; & faifons affeoir entre nous deux notre pauvre vieillard. La reconnoiiTance brille dans fes yeux; un long foupir annonce qu'il va parler; écoutons: le Vieillard. „ J'ai vu le jour prés de la fuperbe Memphis. Mes parens étoient pauvres & vertueux. Jeune encore, j'béritai de leurs vertus & de leur bonheur. Mais dans la fuite j'eus le malheur d'amaifer des tré-, fors. Les amis de mon opulence abufèrent de ma foiblefTe, &, par des emprunts qui flattoient ma vanité, me ré-duifirent bientöt & la mifère, J'étois r,é heureux & pauvre; je mourns pauvre & malheureux. Mes enfans m'embaurnèrent atec quelques parfums que des voifins charitables leur donrèrent par pitié, & mirent dans ma bouche la dernière obole qui leur res-  sur la Mythologie. 17 tok; puis ils me portèrent fur les bords du lac AcaÉRUSiB, ou crois juges intègres firent un examen fé/ère de toute ma vie. Ils n'y trouvèrent que de la foibleffe & de la probité, & me déclarèrent digne des honneurs de la fépulcure. Ainfi, tandis que 1'on jetcoit dans la foflè profonde du Tart are (i)le corps d'un -de mes faux amis, condaroné par les trots juges, le mien fut préfenté au batelier Qiterrou, qui, en traverfant le lac, tranfportoic les morts vertueux dans la plaine d'Elifou. LI je devois être dépoië dans un cercueil de pierre; & mes enfans, après avoir jetté trois fois du fable fur moi, devoient fermer ma tombe en me difanc trois fois adieu. Mais, au moment oü le nocher me recevoit dans fa barque, un créancier fe préfenté & demande (1) 11 efl aifé de reconnoitre dans ce rédt, le canevas hiftorique de la Fable des Enfers. On y retrouve le Tartare , VAchirufte ou 1'Achéron , Querrtu ou Caron , VMfiia 'ou 1'Elyfée, &c.  18 Lettres mon corps a mes juges, qui, fuivant ia loi, le lui abandonnenc pour gage de & créance. Auffi - töc eet homme impitoyable m'emporte , me dépouille des bandelettes parfumées qui m'environnoient, & m'arrache de la bouche 1'obole destinée a payer mon pafiage, Depuis ce temps, mon ombre, errante fur les bords [du Styx, a fubi le fort des criminels ou des infortunés, que Ia loi oir la mifère a privé des honneurs de la fépulture. l'Egvptien J'habitois, comme vous, le riant climat de 1'Egypre. Jeune encore, je me voyois carelfé par 1'Amour & favorifé par la Fortune. C'étóit trop de bonheur pour un mortel: la Parque trancha le fil brillant qui m'attachoit h la vie. Auffitöt ma jeune époufe, mes parens &, mes amis fe couvrirent i d'habits d'un jaune livide, pareil a celui de la feuille delTé-  sur la Mythologie. ïp chée, emblême de notre courte exiftence. Durant quarante jours, ils fe privé-1 rent du bain; ils s'abltinrent des plaifirs de la table & des faveurs de 1'hymenée. Quelques- uns de mes parens arrivèrent d'Ethiopie, vêtus de longs manteaux couleur de cendre. D'autres, qui habitoient les environs du mont Caucafe, accompagnèrent'ma pornpe funèbre, couronnés de guirlandes, revétus d'habits de fête & précédés d'inftrumens de mufique, au fon desquels ils danfoient & répétoïent des chants d'allégreiTe. A ma naisfance, ils avoient pris le deuil; ils feréjouiiToient, a ma mort, de me voir affranchi de la vie. Après 1'arrêt des trois juges qui me furent favorables, on acheva de m'embaumer; on me revêtit d'habits d'or & de foie, & je fusreporté en triomphe dans la maifon paternelle. Lk, mon corps placé debout dans un cercueii découvert, efl; expofé fans cehe aux yeux de ma familie. Heureux, fi cette vue ne lui rap-;  2© Lettr.es pelle que des fentimens de tendrelTe & det exemplesde vertus! L e G r e c. Pour moi, ma dépouille mortelle n'eft poinc expofée aux regards de mes parens; mais elle repofe honorablement dans la tombe commune des héros, & mon nom, gravé fur ie bronze, va devenir immortel. Je fuis mort fur mon bouclier en combattant pour mon pays. Lorsque mon corps entra dans les murs d'Athènes, ma patrie, mes concitoyens le couvrirent de parfums. Mes parens fe coupèrent lesche* veux & les jettèrent fur mon lit funèbre. Quelques-uns de mes amis, venus de Sparte, coupèrent auffi les crins de leurs chevaux, & les dispersèrent fur mon pasfage. Usne me pleuroient pas; ils répétoient mes louanges. Les femmes fuivoient, la tête couvene d'un voile blanc qui tomboit jusqu'a terre. Je fus ainfi porté fur un charde triomphe jusqu'au bout du faux- bourg  sur la Mythologie. m bourg Céramique, & dépofé dans Ie glorieux monument qui renferme ce que les demi-dieux eurent de mortel.. L e R o m a i n. Que votre fort efl: digne. d'envie! Athèncs révère votre, tombeau; Rome peut-être .eüt violé le miert, fi, pour prévenir ce(i) facrilége , je n'euffe ordonné , par mon teilament, que mon corps feroit brülé fur un büchcT. Hélas! fi le fort favorable m'eüt fait naitre dans 1'obfcurké, un fömmeil tranquille eüt terminé ma carrière, & ma more eüt été 1'image de ma vie. Mes parens & mes voifins, après m'avoir fermé les yeux, m'auroient expofé fur le feuil de maporte, vêtu d'une fimple robe blanche, & om- (1) Chez les premiers Romains on inhumofr les corps, & Ton prétend qu'on ne commen9a a les brüler qu'après que quelques tombeaux eurent été violés. Les citoyens obfeurs, moins expofês fc ces outrages, étoient presque toujours inhumés, Cinq. Partie, B  22 Lettrés bragé d'une branche de pin. Le troifième jour (0> ils m'auroient conduic, fans pompe, fur une bière découverte, jusqu'au lieu de ma fépulture. Lk, recueillant dans de petites fioles (2) les larmes fincères qu'on ne verfe que fur fes égaux, ils les auroient enfermées avec moi dans une tombe de pierre ou d'argile, & auroient placé a mes pieds une lampe allumée,emblême touchant de leur amitió qui 'ne ce fut pas éteinte k ma mort. C'eft ainfi que je repoferois dans une paifible obfcurité ; & lorsqu'un jour , ouvrant ma tombe modefte, nos néveux y verroient ces pieux monumens de 1'amitié, ils s'écrieroient en verfant des larmes: voici 'les cendres d'un heureux! ' Mais j'étois né pour les grandeurs; & Ja Fortune, en me placant tour-k-tour a (1) Les principaux citoyens étoient expofés fept jours; les autres beaucoup moins; j'ai fuppo. fe ici trois jours; on peut fuppofer moins encore. (i) Ces fioles s'appellent lacnmaiokes, da mot tecrjma, laime.  sur la Mythologie." &g 1a tête des armées & du fénat, me fic mille envieux & pas un ami. Quand je fus prés d'expirer, un de mes parens me donna, fuivant 1'ufage, le dernier baifer. Hélas! s'il eüt été fincère, mon dernier; foupir en eüt été plus doux. Dès que j'eus ceffé de refpirer, mes enfans me fer-: mèrent la bouche & les yeux pour donnet, a ma mort 1'apparence du fommeil. Bienlöt une foule nombreufe environna rnont lit; & tandis que des muficiens fonnoiend de Ia trompette, on m'appella trois fois a grands cris comme pour me réveiller; mais mon fommeil étoit éternel, & lerér veil n'étoit fincèrement défiré de pep» fonne. Dès qu'on fe fut aiTuré de ma mort; les Libitinaires (i) remirent mon corps entre les mains des Pollincteurs, qui Ie lavèrent, 1'embaumèrent & le revêttrenr, pour la dernière fois, des vains ornemens CO Officiers publics chargés de la direftio» & de 1'enweprife des funérailies. B 9  34; Lettres de mes dignités paflees. En eet état, je fus expofé , durant fept jours, ibus le veftibule de mon palais. On m'avoit en vironné de cyprès; & deux jeunes prêtres placés pres de mon corps, en chaffoient, avec un voile, les infectes attirés par les parfums ou par la corruption. Le fepüème jour, dès le matin, un héraut proclama.mon convoi dans les places publiques. Le peuple s'y rendic en foule. Les officiers & les fénateurs portèrent lentement mon lit funèbre, fur lequel je paroilfois couronné de narciffès. Les foldats & les liéleurs me précédoient, portant leurs armes & leurs faisceaux renverfés. A ma gauche marchoient deux (i) mimes, 1'un en habic de Conful, 1'autre en bibit de Général. lis repréfentoient mon air, ma démarche, mes geiles, & jusqu'a {i) Le nombre des mimes n'étoit pas fixé. j'en ai fuppofé deux ici, a caufe de la doublé 3igriité du pèrfonnage.  sur la Mythologie. 235 mes ridicules. Leur jeu, deftiné a exciter la fenfibilité de mes amis, faifoic fourire la malignité de mes envieux, A droite, une célèbre pleureufe, jouant au naturel tout ce que la douleur a de plus touchant, feignoit de s'arracher les che* veux, déchiroit fes vêtemens funèbres, pouffoit des cris lamentables & verfoit des larmes vénales , les feules , hélas ! qui coulent aux funérailles d'un Conful- Mes fi!s, en longs babits noirs, ma femme & mes filles en longs voiles blancs, fuivoient, environnés de mes affranchis portant le bonnet de la liberté, & de quelques diens que j'avois défendus dans ma jeuneiTe. Une mufique lügu&ré, accompagnée de chants funèbres, précédoit & fuivoit la marche. Environné de ce nombreux cortege, je fus dépofé dans la place romaine. Lk, un orateur prononca mon éloge, mêlé de quelques Jouanges ironiques, auxquelles le peuple applauditavec tranfport. Enfin ,mon eonvoi prit le chemin du champ de Mars» B 3  af> Lettres. La s'élevok un bücher carré, compr> fé d'ifs, de pins & de mélèze, fur lequel je fus couché le vifage courné vers le ciel. Mon corps étoit enveloppé d'une toile d'amiante deftinée a contenir mes cendres féparés de celles de mon bücher. Avant qu'on y mït le feu, le parcnt qui, a 1'instant de ma mort , m'avoit ferme les ycux, me les r'ouvrit, afin que je regardaife le ciel pour la dernicre fois, & me glaga fous la langue une obole deftinée au jiocher des enfers. Alors mes parens, mes amis & mes affranchis s'étant dé* tournés,, les PespUbns allumèrent le bücher. A peine vit ■ on la flamme s'élever, que 3es fanglots, les cris & la mufique forsnèrent un concert discordant & lugubre. X«es prêtres immolèrent un taureau & des agneaux noirs qu'ils je téren t fur mon bücher pour appaifer mes manes. On n'imjnola point d'esclaves comme au temps de nos pères, mais des gladiateurs com-  sur la Mythologie. 27 battirent, & firent couler en mon honneur queJques gouttes de fang qu'iis avoient vendues a mes héritiers. Quand le feu du bücher fut presqu'eteinr, les prêtres y jetèrent de 1'encens & d'autres parfums. Enfuite ils recueillirenc mes cendres & les débris de mes oflèmens que 1'amiante avoit confervés; ils les lavèrent avec du lait & du vin, & les refermèrent dans une urne d'or couronnée de cyprès. Aiuli-töt le grand-prêtre prenant un tifon fur 1'autel des facrifices , leteignit dans un vafe rempli d'eau (j). Puis il plongea une branche d'olivier dans cette eau, dont il aspergea raiTemblée, pour purifier tous ceux que mon attouchement, mon odeur ou mon afpecl avoient fouillés. Enfin, la première pleureufe ayant prononcé triilement ces mots: „ Vcus „ pouvez vous retirer ; mes parens s'é- (ï)C'eft ainfi que fe faifoit 1'eau Mrale, dans iaqutüe on jetoit quelquefois un peu de fel. B 4  s>8 Lettres crièrent trois fois: „ Adieu ! quand le „ Jort Vordonnera , mus ircns te re „ joifidre." Le jour fuivant, on éleva fur les cendres de mon bücher un petit autel de gazon, au-delTus duquel mon urne fut expofé. La, tra familie, conduite par fufage, vint jeter des fieurs & brüler de 1'encens. Quelques athlètes combattirenr, & mes parens formèrent des courfes de chars, dont le but étoit mon autel funèbre. Le peuple attiré, durant quelques jours, par ces fêtes, s'alTèmbla autour de mon urne & s'entretint encore de moi. Mais depuis que les fêtes ont ces« fé, le peuple s'eft éloigné, & mon nom dort, avec ma cendre, dans le tombeau de mes pères" Mais déjk nous touchons au rivage. J'entends le triple aboiement de Cerbère, & vois fortir de fon antre fes trois têtes hériiTées de ferpens. Ce monüre fruit des amours du' géant Thiphon & d'£- chid-  sur LA MyTHÖLÓGIE; S£ chidna (i), menace de fes trois gueules béantes les voyageurs qui abordent au palais de Pluton ; mais fes menaces n'ont rien d alarmant pour vous: Le gardien du royaume fombre Ne fauroit échapper aux traits de Ia Beauté. Approchons: vous verrez qu'il aboie après l'Ombres Et s'apprivoife aux pieds de la Re'alité. (O Ce nom fignifie kjdre ou reptile. Echidaa étoit , dit-on, moitié femme, moitié vipêre. On lui donne pour enfans les rnonilre* les plus célébres de 1'antiquité, tels que la ChU mère, fHydre de Lerne, &c. B 5  $Q L E T T R E S L E T T R E LX. Nous voici donc aux portes du palais de Pluton; & le terrible Cerbère, loin de vous menacer; baiflè refpeclueufement devant vous fes trois têtes & voudrqit lé« cher vos jolis pieds. Comme nous n'airaons pas Ia foule, lailfons palTer ces Ombres nobles & financières qui volent rapidement au palais infernal, & contemplons, fur le chemin , ces ames innocentes, qui, trop jeunes encore, voltigent fans pouvoir avancer. Chez les morts il en efl fans doute Comme chez les vivans: lesVices tour-ft-tour Font avec appareil leur entrée ft la cour; Et 1'Innocence relle en route. Plus loin, remnrquez ces Ombres pales & frémilTantes, qui femblent fuir les Remords attachés fur leurs pas;  sur la Mythologie. 31 Vous voyez ces mortels foibles &malheureur., Qui, s'affranchiflant de la vie, Ont oublié que la Patrie Et la Nature avoient des droits fur eux» En pleurant ils lèvent les yeux Vers le féjour de la lumière, Dont eux-même ils fe font bannis. On les confoloit fur la terre; lei, feuls avec leur mifère, Ils regrettem les lieux oü Ton a des amis* Mais quels gémifiemens plus doux fe prolongent fous 1'ombre mélancolique de ces myrthes amoureux! Quelle p&leur intéreifante fur ces figures penchées comme des fleurs fur leur tige! quelle mol* le Iangueur dans leurs regards! comme leur poitrine fe gonfle de foupirs, qui deffèchent leurs lèvres décolorées ! tous ces hommes morrs d'amour...— D'amour? dites. vous; je favois bien que 1'on en vivoic jadis, mais j'ignorois qu'on ei* " mourüt aujourd'hui. — Vous l'ignoriez?' Incrédule! il fauc des exemples pour vougconvertir. Conimencons par celui de PyB 6  Auffi, a 1'inftant même ou je vous parle , vous vois-je entourée de la foule des héros qui gardent le palais de Pluton. Ces guerriers, dont vous fixeg innocemment 1'attenüon,  sur la Mythologie. 37 font tous morts en combattant pour la patrie , & Pluton en a compofé fa garde d'honneur. A travers leurs rangs, vous appercevez, a gauche, les noires vapeurs du Tartare, a droüe, l'azur des champs Elyfées; mais avant de les parcourir , vifitons le palais du morarque des Enfers. Quel lilence morne! quel pale crépuscule éclaire ces ténébres éternelles! La fille du Cahos plane dans cette enceinte, La Nuit, que luit par-tout le Myftère & la Crainte; Qui des forabres complots dérobe les detours, Qui, fans tétnoins, lailTe le Vice Et 1'Innocence fans fecours. Cent fois le Ciel voulut la punir pour toujours Des crimes dont elle eft complice 5 Mais il a, ju^qu'ici, fufpendu fa juflice, A la requête des Amours. Tantöt la Nuit voyage fur un char d'ébène trainé par deux chevaux noirs; tantöt elle parcourc fon empire d'un vol rapide & filencicux. Ses bras étendus fous fes vastes ailes, préfentent, 1'un une poignée de  3^ Lettres pavots, 1'autre un flamheau renverfé, don? la flamme s'éteint. Le Sommeil & h Mort planent a fes cötés. Sous les plis flottans de fon crêpe parfemé d'étoilesles légers Fantómes & les Songes fugitifs voltige^ en fe jouant dans te fein de leur mère. Gependant vous ne voyez ici qu'une partie de fa nombreufe familie,, trop fouvent occupée fur la terre. Le plus redoutable de fes enfans , la Discorde, Je teint li vide, la bouche écu. mante, la tête héWóe de ferpens, le front ceint de bandelettes enfanglantées, vêtue de lambeaux couleur de feu ,. & portantdans fes mains décharnées desvipéres & des torches ardentes , chaiTe devant elle IaPeur, par laquelle les fept chefs Ai) jurèrent devant Thèbes la ruine de cette malheureufe cité ; la Peur, h. qui les Romains mis- en fuite, élevèrent des autcls-' & durent enfuite la viétoire (2). Sa. CO Efcbyie. (2). Tite LiVe, Liv. 2.  sur la Mythologie. 39 tête de lion fe hériffé au moindre bruit; fa robe , changeante comme fon coeur, flotte fur fa pokrine agicée, & les ailes at-tachées a fes pieds rendent leur fuite plus rapide. Sur fes- pas , 1'ceil hagard , les cheveux rabattus & les traics altcrés, fe trainc la Palcur, qui parage fon culte & fes aütels. A leur fuice le Menfonge a l'öeil louchesau fouriie perfide, conduit obiiquement la Fraude, dont la tête de femme s'élève fur un corps de ferpent armé d'une queue de fcorpion (1). Ces deux monftres ont cependantbeau»coup de reffemblance avec cette belle fem»me, qui, d'un air impofant & d'un pas affuré, s'avance derrière eux, en trainant par les cheveux une jeune fille éplorée.. Son art reffemble a la Nature, Sot) ford imiie la Beamé; Sa bouche embellit l'laipolrure. Des charmes de la V-érité. £1), rléiïode.  4° Lettres A fa voix Ie Soupcon s'éveille, L'Ignorance dreffe 1'oreille, L'Envie attentive fourit; La Raifon fe taic & foupire, L'Innocence fle'irie expire. On Japlainc, mais on applaudit. A ces traits vous reconnoiiTez Du mérite éclatant 1'mtpiacable ennemie; Car, quand on a connu deux humains, c'eft affez Pour connoitre la Calomnie. Le R?pentir en deinlla fait de loin, teKant par la main la Douleur ou la Tnitesfe, fa compagne ordinaire. Cette fombre Déïté , couverte d'un long voile , tienc quelquefois une urne funèbre. Les regards, tantót élevés vers le ciel, tantöt fïxés fur la terre, elle femble redemander a 1'un le bien qu'il lui a ravi, k 1'autre le tréfor dont elle eft dépofitaire. A quelques pas derrière elle, arrivé lentemenc fa jeune foeur, couverte d'un voileplus léger. Ses regards diftraits & rêveurs ne s'adreffent ni au ciel ni a Ia terre. C'eft dans fon propre cceur qu'elle puife fe  sur tA Mythologie. 41^ qonfolations & qu'elle s'enivre avec délices, d'une lente & douce amertume. Tel eft le caractère de cette aimable Divinité, que vous m'avez fait connoitre , & que vous me faites adorer. Quand vous riez j'adore Ia Folie-, Mais, en auiomne, au déclin d'un beau jour, Quand vous baifféz vos yeax baignés d'amour, J'adore la Mélancolie. Le malhetireux évite Ia Folie, Fuit la Gaitté, repouile !e Plaiflr. Que veut-il donc? Ah 1 laiffez-le choifir; II faivra la Mélancolie. De temps en temps j'aime un jour de folie; Mais, prés de vous tendrement agité, Je donnerois un fiêcle de gaieté Pour un jour de Mélancolie.  %i Lettres L E T T R E LjO. Tournez les yeux vers ce tröne d'airain, dont les dégrés font couverts de tous les fléaux qui affligent 1'humanité. Entrevoyez-vous un vifage livide, de noirs fourcils, des yeux rouges & menacans? A ces traits, reconnoifiez Pluton, frère de Jupiter & de Neptune, & monarque des Enfers. Sa main droite efl; armée d'une longue fourche fj); 1'autre tient la clef qui ferme les portes de 1'Éternité. Ce tyran eft couronné d'ébène, de narcifies ou de cyprès. Quelquefois il fe couvre d'un casque qui le rend invifible, lorsque, trainé par fes deux chevaux noirs , fur fon char d'ébène, il s'élance du gouffre de 1'Averne, & parcourt, en vainqueur , Ie féjour des mortels. (i) Celle de Pluton a deux dents; celle de Neptune en a trois; de la lui vient le nom de Tridcnt,  sur la Mythologie. 43 Prés de lui, Proferpine, fille de Cérès, :fiége triftement , la eouronne & 1'ennui fur le front. Vous vous rappellez que Pluton 1'enleva jadis en Sicile (1), au moment oü elle cueilloit des fleurs dans le vallon d'Enna. Ce mariage, comme presque tous ceux de la cour, ne produifit ja»» mais d'héritier ; car vous obferverez qüe Proferpine fut toujours fidelle. Auffi 1'in» fortunée, fatiguée de fa trüle & folitaire •immortalité, fe dit-elle fouvent avec ua long foupij- : Prés d'un époux glacé, que fert 1'éclat flérile Des vains titres, des vains honneurs? Loin du prettige des grandeurs, La bergère obfcure & tranquille De 1'Hymen goüte les faveurs, De la maternité favoure les douceurs, Etreraplittous les jours que la Parque lui file.....; OVefi: devenu Ierempsoü jecueillois des fleurs Dans les campagnes de Sicile!" (1) Voyez la Lettre huitiéme, prem. panie.  44 Lettres La Cour dont vous la voyez entourée, eft peu propre a la diftraire de fa mélanco» lie. La Fureur, la Haine, rHypocrifie, la Vengeance & la Trahifon confpirent k fes cótés. Je fais bien que ces perfonna. ges habicent toutes les eours; mais du moins en prennent» ils' les mceurs & la politeilè. Lk, la Fureur fe concentre avec are, s'emporce avec méthode, & menace avec dignité; la Haine fe mord les lèvres avec un fourire perfide, mais gracieux; 1'Hypocrifie adapte, avec une jufteffè précieufe, le masqué de la Bienveillance & de l'Aménité; la Trahifon fe préfenté, 1'olivier k la main, 1'ingénuité fur les lèvres; & la Vengeance enfevelit fous les rofes fes flambeaux affoupis & fes ferpens apprivoifés. ' Mais ici, la Fureur fanglante déchire tout ce qui 1'environne; la Haine vomit, & travers un torrent de fiel, des milliers de traits empoifonnés; 1'Hypocrifie foulève fon masqué, & découvre fon vifage hideux; la Trahifon s'arme de feux, de poi-  sur la Mythologie. 45 poignards & de poifons; & la Vengeance faic fiffL-r fes ferpens a la lueur de fes noirs fümbeaux. Au milieu de ce groupe infernal, s'élève la Mort, favorite & minillre de Pluton. Une faulx fanglante arme fa main décharnée. Une robe noire , parfemée d'étoiles , couvre les os luifans de foa fquelette livide. Cette Divinité implacable eft, fuivant Orphée, la feule a qui la frayeur même n'ait jamais élevé de temr pies ni d'autels. Ehl pourquoi nous humilier Au point d'encenfer cette esclave? Qui la craint, vainement la prie;& qui la brave, N'a pas befoin de la prier (1). Mais revenons a fon maïtre. Pluton a, comme fes frères, une 'multitude de furnoms qui dérivent de fon caraétère ou de fes attributs. En voici les principaux: (O Elle eut dans la fuite des itatues ft Sparte & des autels ft Rome. Cinq. Parite, C:  46 Lettres Les Grecs 1'ont appellé Agssilaos(0, paree qu'il n'a jamais ri. Les Latins le furnommèrent Februus , du moe Februare, faire des libations fur les tombeaux. Ces cérémonies fe célébroient pendant le fecond mois de 1'année, qui en a confervé le nom de F ê- vr ier. Ils le nommoient auffi Summanus, Souverain des manes (a). On diftingue des Manes de trois espèces différentes: les Ames des morts vertueux \ les Larves ou les Génies malfaifans des fcélérats qui, condamnés a errer fur la terre, apparoiffent la nuit, fous des formes effrayantes, a 1'exemple de nos Re» venans; enfin , les Dieux - Manes, commis a la garde des tombeaux. Auffi trouvons-nous fouvent, fur les tombes des an- O) De y*l***> Tirii joint & 1'A privatif on négatif. (2) Le mot Manes femble denver du verbe latin Man are; &, dans ce fens, il figuifie ê m a n a t10 n.  sur. la Mythologie. 4^ ciens, cesdeux lettres initiales: D.M.Dus Manibus , aux Dieux-Manes, comme pour recommander a leurs foins la fépulture du mort. On immoloit des brebis hoires aux Dieux-Manes & aux Larves; & 1'on offroit aux Manes de fes amis du lait, dit. miel, du vin & des parfums. Cependant» mon arme , quand le fort aura terminé m* frêle exiftence, A roes Manes n'offrez jamais Ni parfums, ni vin, ni laitage; Mais auprés de ma tombe élevez un cyprés j Et venez quelquefois habiter fon ombrage. C 2  43 Lettres L E T T R E LXII. A. v a nc o n s vers eet antre fömbre creufé fous cette roche calcinée. Confidérez ces trois foeurs pales & maigres qui filenc en filence, au crépuscule d'une lampe bleua■tre. Ce font les trois Parques (i), ainfi nommées par antiphrafe, paree qu'elle ne font grace k perfonne. Elles font, fuivant quelques auteurs, fllles de Jupiter & de Thémis. D'autres leur donnent pour mère , la Néceffité, qui foumet k leur despotisme les habitans de 1'univers. Rien ne peut adoucir ni retarder 1'exécution de leurs décrets rigoureux, ni la beauté, ni la jeunelle,ni 1'amitié, pas même 1'amour; les malbeureufes ne 1'ont jamais connu. AuiTi les voyez • vous revêtues d'une tunique blanche pour attefter la pureté de leur éternel célibat. Cependent leur virginité, (i)Do veibep«re(re ipardenufr ou épargner.  sur la Mythologie. ^p quoiqu'elle foit aiTurement la doyenne de toutes les virginités connues, me paroïc fort peu méritoire, en la rédüifanta fa valeur intrinsèque. En effet, . Malgré Pantiquité de ce treTor unique, Quel feroic le triite amaceur, Qui fe füt avifé de ternir la blancbeur De leur vénérable tuuique? Une fingularité qui, felon moi, les rend bien plus recommandables, c'eft que, falies , fceurs & méchantes, elles font d'accord depuis le commencement des ilècles» Mais a cela quelques détracteurs répondent que, comme elles font fans ceffe occupées a faire le mal , leur accord parfait tient au genre de leur occupation. A mefure que nous approchons, remarquez - vous Clotho , 1'ainée des troia foeurs, qui tient une quenouilk de laine blanche & noire, mêlée d'un peu d'or & de foie ? LachéQs tourne le fufeau & conduit le fil , qu'Atropos tranche avec fes larges cifeaux. Vous avez fo^s les yeux C 3  5ö. Lettres la naiflance, la durée & le terme de fio» tre vie. Au refte, vous concevez aifément que ce fil ne peut fuffire pour tous les mortels; car fi nous tenions tous au même fil, un feul coup de cifeau trancheroit toute l'humanité. Auffi nos trois foeurs ontelles un atelier immenfe, dont elles dirigent les travanx, & dans lequel vous allez voir la filature univerfelle de nos deftirAs. Suivez des yeux, fous la profondeur de ces voütes éternelles, ces triples rangs de femmes , de quenouilles & de fufeaux. Chacune de ces fileufes innombrables eft chargée d'un fil particulier. Ainfi chaque moreel a fa Parque, a laquelle le Defiin remet une quenouille qu'elle file jufqu'au moment cü Atropos , en fe promenant parmi les rangs de fes fileufes, coupe, au hafard, les fils de toute couleur. Quelquefois le fil trop délié caffe entre les doigts de la Parque; quelquefois auffi elle ceffe de filer, foit paree qu'elle file depuis trop long-temps, foit paree qu'elle  sua la Mythologie. 51 a filé trop vïte; car les glacés de Page & le feu des paffions épuifent également fa quenouille, A 1'afpedt de tous ces fils noirs & grosfiers, vous vous croyez fans doute environnée des fufeaux deftinés au peuple; détrompez-vous ; vous êtes au milieu des grands & des riches de la terre. Ciotho, par un deftin bizarre , Mè!e de foie & d'or les jours qu'elle prépare A l'humble Médiocrité; Et pour confoudre la Fortune, File d'une laiiie commune Les jours de 1'Opulence & de la Pauvreté. C'eir. avec ces fufeaux innombrables que le Deftin ourdit la trame de la vie humaine, dans laquelle chaque homme fuic fon fil au hafard. Souvent le fil du fou croife celui du fagej L'ignorant croife le doéteur, Et le plaideur, 1'Aréopage, Et le fatyrique , 1'auteur. Le fier habitant de la ville Se méle aux habitans t*s bols 5 C 4  5* Lettres Le Berger s'entrelace aux Rois; Chez fes derniers fujets le Prince fe fauflle. Di ce titTu myilérieux Tous les fils féminins forment la broderie Dont les deffins capricieux, Inventés par PArnour, tracés par la Folie, Sous mille traits divers, préféntent a cos yeux Les magiques détours de ces Enchanterefles, Qui, s'armantcontrenous de nos propres foibleflej Par grace ou par pitié nous accordent des fers, Nous offrent le bonheur au milieu dts fupplices, t Et font a la fois les délices Et le tourment de funivers. Mais parmi ces Parques blêmes & févères, quelle eft celle dont la bouche fourit & dont le teint s'anime quand elle regarde fon ouvrage ? Le fil qui fort de fes doigts, eft en effet plus riche qu'il ne le paroïc au premier coup - d'teil: 1'or s'y cache fous la foie. Mon amie , cette Parque m'intérene ; abordons - la ; je veux 1'intexroger: „ O Divinité redoutable, Dites-moi, pour qui filez-vouf? — Je tiens le fil d'une mortelle aimable, Au cceur Jenfible, nu regard vif & doux.  sur la Mythologie. 5$ — Son age ? - Dix-huit ans.-Et fon nom ? -Emilie. — Ab! connoiffez - vous, je vous prie > La Parque qui file les jours Da fon ami? — C'eft mon amre Et ma voifine. Elle voudroit toujours Filer a la même quenouille, Elle mêle nos fils & fi bien les embrouille, Que j'ai peine a les débrouiller..» — Ah! gardez-vous-en blen! je tremble Que vous n'en caffiezun; filez plutót enfemble» Car nous ne voulons plus nou«Lajflerdémiler?'°  5=f Lettres LETTRE LXIII. Sous ces lambris éclatans d'or & de pierreries, quelle eft cette Divinité aveugle & boiteufe, qui repofe pefamraent fur un tröne d'or maffif? A fon embonpoint monacal, k fa ftupidité financière (i), je reconnois Plutus, Dieu des richeffes. Les uns le font defcendre de Rhée & du Temps, fans doute paree que le Temps jmürit lentement les tréfors dans le fein de la terre. D'autres prétendent qu'il eft fils de Cérès & de Jafion, célèbre agriculteur. Je préfère cette origine a la première ; car 1'agriculture me paroit être la fource des richtffes véritables. Cependant, lorsque les hommes furent réunis en fociété, la plupart d'entr'eux livrés aux arts & aux fciences n'eurent plus (i) Cette épithète mérite, de nos jours quet:%ues excepüons.  sur la Mythologie. 55 le loifir de cultiver les tréfors de Cérès. Aiors il fallut créer des richeffes fiélives, que les habitans des villes puflent échanger contre les richefiès réelles des habitans de Ja campagne. Pour opérer eet échange, on choifit, parmi les métaux, 1'or, 1'argent & 1'airain. Cérès continua do procurer aux humains les tréfors de la nature , & 1'aveugle Plutus fut chargé de leur diftribuer avec équité les métaux précieux qui les repréfentent. Jamais mis-» fion ne fut plus délicate, ni plus mai remplie. Pour guider fa marche pefante, Comme il n'a ui chicn ni béton, Le ftupide aveugle, dit- on, Suit le premier qui fe préfenté; Prefque toujours c'eft un fripon. Le Gulde remarquanr que fon aveugle boitt Du cóté gauche, range avec dextérité, Tous les fripons de ce cóté, Tous les honnêtes gens a droite. D'après quoi, vous préfumez biea Qu'ainfi poftés fur fon palTage, Les coquins ont du voifinage Tout le profit, les autres riefi* C 6  56 Lettres Nos aïeux lui pardonnèrent d'abord cette. injuftice, en faveur de l*utilité de fes fonclions. Mais bientöt ce Dieu entreprenant fe ièrvit fi adroitement de nos paffions pour étendre fon commerce , qu'il difpofa du fort des mortels, & balanca le pouvoir du Deftin: Bientot Ia vertu fut vénale; Le Juge vendit fes arréts, Le Libellifte fes pamphlets, Le Cafuifte fa morale. Les fots & les ambitieux Dans la fange fe foulevèrent; Ec, pour en fortir, achetèrent Des écuflbns & des aïeux. Chacun entretint fes finances; Le Miniflre avec des brevets, La Sorbonne avec des bonnets> Le Pontife avec des difpenfes. L'Orateur, de la vérité , L'-Avocat, de Ia confiance, Le Médecin , de la famé, Le ProfefTeur, de la fcience, L'Homme public, de fon crédit, Le Charlatan, de la fottife, Le Poète, de fon efprit, Ejrem métier & marchandife.  sur la Mythologie. 57 Enfin Ie Prince de Faphos, Avec la Reine d'Idalie', Ptit un comptoir & des bureaux, Pour enfeigne portant ces mots: AMOUR, ViNUS ET CoMPiCHlE. II traflqua de la pudeur, Vendit en détail la jeuneiTe, Et les fouplrs & la tendrefle WH Ah ! leur fixer une valeur, C'eft leur órer leur prix. Perfonne Na jamais pu payer un cceurj Voila pourquoi le cceur fe donne.  58 Lettres L E T T R E LXIV. Suivant un ancien proverbe qui dit qu'un aveugle conduit 1'autre, la conductrice la plus ordinaire de 1'aveugle Plutus eft 1'aveugle Fortune , conduite elle-même par 1'aveugle Deftin. Cette DéeiTe inconftante, le pied légérement pofé fur une roue rapide, ou placée debout fur un char traïné par quatre chevaux aveugles comme elle , écrafe fes adorateurs, ëcchange, cent fois par jour y de miniftres & de favoris. Le ciel pofe fur fa tête. Ses mains portent en même temps le feu & 1'eau, emblême du bien & du mal qu'elle répand fur la terre. Quelquefois elle tient, de la main droite, la corne d'abondance , & , de la main gauche, elle conduit 1'Occafion, dont la tête chauve ne préfenté , fur le front 9  sur la Mythologie. 59 qu'un léger toupet de cheveux, par Iequel il faut la faifir. Auffi, fous Pombrage discret Ou d'une grotte ou d'un bosquet, Dès que le tête • a - tête enhardit ma tendrefle , Et que POccafion parait, Vous la tournez fi bien, que toujours la Déeffe Me préfenté la nuque & jamais le toupet. Les furnoms de la Fortune varient autant que fes caprices. On 1'appelle partout bonne & mauvaise, fuivant les circonftances. Les Romalns la furnoramoient Aurea. Sa ftatue d'or étoit en effet placée dans 1'appaHement & prés du lic de 1'Empereur, & transférée , a 1'inftant de fa mort, dans 1'appartement de forKfuccelTeur. lis 1'adoroient encore fous lestitresde Confervatrice Q), de Nource, d'Aveugle, Favorable, PaiTagère,Familière, Privée, &c. Les aventuriers adoroient la Fortune (1) Cmfervatrix , wemmofa, cossa , obfequem, èrevis, privata.  6è Lettres aventüriere (i). Servius TulIIns avoit ékvé dans fon palais un autel a la Fortune Barbue Qi). J'ignore le fens de eet emblêtne. La Fortune (3) Virile avoit un temple placé prés du temple de Vértus. Rome fouftraite a la vengeance de Coriolan, par les larmes de fon époufe & de fa mère, éleva un temple a la Fortune fémininë (4), paree que deux Fem> mes avoient fauvé la patrie. Domitien, après quelques revers de Fortune , fuivis d'évéoemens heureux, dédia un autel a la Fortune de Retour (5}. Enfin, on lui frappa des médailles fous le titre de Fortune Stable (6} ou Constante. Mais ces médailles, peu communes dans tous les temps, font de» (1) Ftrs foriuns. (3) Piutarque. (3) Piutarque; Övide, LJv. 4 des Faff^» (4) Diodore, Liv. 8. (5) Fortuna Redt (6) Fortuna St.it  sur la Mythologie. 61 tenues, de nos jours, auffi rares que la pierre philofophale. II eft fingulier que la plus changeante des Divinités, foit' guidée par le moins changeant de tous les Dieux, car vous favez que le Deftin eft d'un caractère immuable. Affis fur un tröne de fer, il pofe le pied fur un globe, & ce globe eft le Monde dont il tient les deftinées, d'un cöré renfermées dans une urne , de 1'autre, gravées fur un livre d'airain. Toutes les puifiances céleftes s'évanouiffent devant la fienne. II parle ; fOiympe fe tait; les Déeflès pdhfïènt en filence, & fes décrets, plus prompts que la foudre, frappent également les hommes & les Dieux. Devant lui marche la Néceffité. Cette Déeffè inflexible partage fa tyrannie. Ses mains de bronze tiennent de longues chevilles & du plomb fondu, qui uniffent & lient tous les objets d'une manière indisfoluble. Llle porte auffi de longs coins  6z Lettres de fer, qui divifent les liaifons les plus fortes & les plus imimes. La Néceffité a fubi elle- même fes lois, en cédant a la voix irréfiftible de 1'Amour. ■ Mais la Souveraine des mortels ne foumic fon coeur qu'au Souverain des Dieux, qui la rendic mère de 1'Inflexible Néméïis , DéeiTe de la Juftice & de la Vengeance célefte. C'eft elle que vous appercevez prés de fa mère, le front calme, le regard févère & la démarche affurée. Remarquez cette couronne de narciffes furmontée d'une corne de cerf, qui couvre fa noire chevelure, ce vo'le léger qui gaze fes modeftes attraits, cette draperie blanche qui flotte fur fes épaules & defcend a longs plis jufqu'a terre. Vous voyez dans fes mains un frein & un compas; 1'un pour maitrifer la fougue de nos paffions, 1'autre pour mefurer, parmi les hommes les peines, les réeompenfes & J'égalité ; Non cette Egalité" barbare & ridicule, Qui fait d'un Pygmée un Herculej Mais cette fainte Egalité  sur la Mythologie. 63 Qui du folble opprimé protégé 1'inuocence Et fait fléchir 1'orgueil de ï'injufte Opulence Devant l'honnéte Pauvreté. Quelquefois Néméfis tient une Iance pour frapp-r le vice, & une coupe remp!ie d'une liqueur divine , pour fordfier la vertu contre le malheur. Les Grecs 1'adorèrent fous les noms de Némêsis, vengerelTe; Adrastée, inévitable; & Ancharie, formidable. Son temple le plus célèbre étoit fitué fur une éminence prés de Rhamnus, ville de 1'Attique; ce qui lui a fait donner le furnom de Rhamnusie. Les Athéniens inflituerent en fon honneur les fêtes Némêséss, & les Romains lui élevèrent, dans le Capicole,un autel fur leqael ils dépofoienc un glaive avan: de partir pour la guerre, en conjtirant 1'équitable Dcité de pr^téger la juftice de leurs arme?. C'eft fur Fautel de Néméfis que Ja jeune Amante délaiffée vient, les yeux gon-  64 Lettres fles de larmes & le cceur gros de foÜpirs, dépofer en tremblanc fon offrande, & former contre un ingrat , des vceux dont elle n'eft pas bien affiirée. Que fi la Déefie équitable, Sensible aux pleurs de la Beauté, Promet que Ion bras redoutable Punira Pinfidélité , Le jour, le foir, la nuit fuivante, Tout falarme, tout 1'épouvante. * Lejour, nn noir prefleniiment La fait trembler d'être exaucée. Du monflre le portrait charmant, Le foir, obfède fa penfee. La nuit, les fonges affligeans Offrent a fon ame craimive Les traits aimables, mais changeans, De fon image fugitive: lei le perfide la fuit Et lui lance un regard farouche. La, le Repentir le conduit Et le fourire efl fur fa bouehe. Tantót fur 1'ablme des mers, Tantót dans le fond des déferts,, Abandonné de la Nature j Taniót fur un lit de verdure, Se confolant de fes revers, De Vénus levanc la ceinture,  sur la Mythologie. 65 Charmant, parjure & presqu'heurenx.... Le perfide! Tonnez, grands Deux," Dit-elle en frémilTant. — La foudre Obéit: le Ciel s'obfeurcit, Un trait va le réduire en poudre Elle frilTonne, elle tranfit, D'amour, de trayeur tranfportée ; S'éveille de pleurs inondée, Court au temple, vole a 1'autel, Nomrae cent fois le criminel, Tombe a geooux, pleure, demande Son ch^timent fans le vouloir; Et revient fans s'appercevoir Qu'elle a retiré fon offrande.  66 Lettres LETTRE LXV. A pres avoir vifité le palais de Pluton & fes dépendances , traverfons , fur ce pont treroblant, les ondes enflammées du Phlégéton (i), & marchons vers le Tartare, en cötoyant les rivages du Cocyte, dont les ondes fe groffilTent des pleurs des coupables, & dont le murmure imite leurs gémifTèmens. Nous voici fous les vcütes brülantes du noir Tartare. C'eft ici que font précipitées a jamais les Ames criminelles. Cet abime oü tous les éïémens & tous les maux ie confondent, eft forti du fein du Ca hos (2). Autant la terre efl: placée au-deffous du ciel autant le Tartare eft creufé audeffous de la terre (3). (l) Du mot grec tey«, brükr. 00 Héfiode, en fa Tbèogonle. (3) Héfiode, ibid. — Homère , Iliade, Liv. 8.  sur la Mythologie. 67 Les bords fulfureux de ce gouffre immenfe font peuplés des fcéléracs les plus célèbres, foic par 1'atrocité de leurs crimes , foic par la févérké de leurs chacimens; cbatimens coujours juftes , quand Minos les prononce; & rarement mérités, quand les Dieux fe mettent a la place des Phlégias, roi des Lapythes, & père de Coronis, nous en offre un exemple. Coronis, amante d'lfchis, fut aimée d'Apollon. Le Dieu, irrité de fes refus, la vio* la pour en finir. La Nymphe défefpérée pleuroit fon dé^honneur dans les bras de fon amant, qui, par tendreflb ou par générofité, 1'excufoic & féchoit fes pleurs. Apollon , jaloux des confolations de ce couple infortuné , le perce de fes traits, tire du fein de Coronis , Efculape , qu'il confie au centaure Chiron, & la change en corneille. A cette nouvelle, Phlégias guidé par Ia Vengeance paternelle, s'arme d'un fl imbeau, vole au temple de Delphe, & le  68 Lettres réduit en cendres. Soudain un trait d'A» pollon Ie précipite dans le Tartare , ou cette roche énorme, fufptndue fur fa tête, lui fait éprouver le fupplice éternel de 1'attente & de la terreur. Efchyle (i) prétend que eet infortuné répète fans ceflè cette maxime: Apprenez, par mon. £xemple,a respecter LEsDlfcUX et la Justjce. Pour moi, voici ce que je lui ferois prononcer: „Dérobez votre fille aux regards de nos Dieux i „ Sinon vous devez vous attendre „Au déshonneur le plus bonteux; „Aux trahifons de votre gendre, „Qui, le roman fini, vous réduira tous deux, „ Elle, a s'enfuir, vous, a vous pendre." Le fupplice d'Ixion vous paroitra plus jufte. Ce prince, pour obtenir Dia, fille de Déidonée, promit a celui-ci des préfens coniidérables. Le père lui accorda ia fille, en le fommant de fa promefie. Ixion, (O Tragédie de Prométhée.  SUR LA MvTHOLOGIE. 6> Ixion, fous prétexte de 1'accomplir, attire chez lui Déidonée, & le fait tomber, pac une trappe , dans une fournaife arden te. Auffitöt les Reinords & les Furies vengereffts i'emparent du coupable, & le livrent a toutes les horreurs du plus affreux délire. Jupiter, touché de fon répentir, fachant d'ailleurs qu'il ëtoic homme de fociété & convive agréable, leconfole, le fait afTeoir a fa table, & 1'enivre de nectar. Ixion , qui avoic le neélar un peu tendre , careffe de 1'ceil les appas de la chafte Junon, boit (i) furtivement dans fa coupe, en prefie les bords de fes lèvres amoureufes, & fuivant la Déeffe dans un liou écarté, tombe a fes pieds, en attendant la main qui doit le relever. II 1'attendoic encore , & déjk Junon furieufe avoic porté fes plaintes a fon Époux. Jupiter gravement lui répondit: „Madame, Cela ne fe peut pas. — Pourquoi non? A fa femme Vous en avez conté jadis. (r) Lucien, Dialogue des' Dieux,. Cinq, Partic. D  L E T T R E S Son fils Pirithoüs n'eft- il pas votre fils? — Un peu; mais c'eft fans conféquence:: Des mortelles toujours nous revenons a vous Plus épris que jamais.—• Soit ; maisa la vengeance Vous autorifez leurs époux. Auprès de leurs moitiés quand vous faites les hommes, Ils font fi bien les Dieux auprès de nous, Que nous ne favons plus fouvent oü nous en fommes; Témoin eet - Ixion. — Eh bien, pour le punir Et connoltre a quel point fa tendrelTe m'outrage, A fes regards, ce foir, je veux qffiir Une Vapeur, ayant votre air, votre vifage, Et parlant votre doux langage. Entre fes bras il croira vous tenir, Et n'embraflera qu'un nuags. — Vous m'allez compromettre. — Eh! non...-— Moi dans fes bras! — Ce ne fera pas vous. — II ne le faura pas. S'il alloit s'en vanter! fi fa langue indiscrete !..... J'aimerois autant que.., la chofe fut... fecrète." Elle le fera, ma bien-aimée, elle le fera. II dit, fait venir Ixion, lui préfen* te 1'image de Junon, afin de fe convaincre \ & loudain le voila. convaincui Mais  sür la Mythologie. j$ comme la convidtion portoit a faux, le bon Jupin n'en fit que rire. Cependant Ixion, a 1'exemple de tous les courtifans, difoit a fes amis, avec une vanité myftérieufe: „ En honneur, depuis quelque temps, „ Je luis content de ma perfonne. j, — Quelque Nymphe de quatorïe ansf „ •• Un peu plus; mais belle, mais bonnel „ Des graces, de la dignité, ,*, De la raifon, de la tendrefle, „ Et fur.tout de la Majefté. ,, — De la majefté! laquelle eft-ce? „ Celle des attraits, ou du rang? „ - Mais... 1'une & 1'autre.--Apparremmenc Minerve recoit ton hommage? „ -- Fi donc! une prude, a mon 3ge! „ — La DéelTe de la Beauté...? „ — N'a que les graces en partage; „ Et j'ai cité la Majefté. „ — Junon!... mais Junon eft trop fage.« „ .- Auffi gardez-voos d'en parlerl „ Plus une conquête eft brillante, Plus il faut la diffimuler. < 1 D'ailleurs, jamais je ae me vante.** Enfin, les confidences d'Ixion furent ü D 2  y% Lettres discrètes & fi modeftes, que Jupiter en apprit, par la Renommée, beaucoup plus qu'il n'en avoit vu. Alors pour détromper fa cour, le Roi du ciel lui préfenta la conquête aërienne d'Ixion (i), & le pré-, cipita dans la Tartare. La les Furies 1'attachèrent avec leurs ferpens, fur cette roue, donc le mouvement éternel ne lui laifie pas un inftant de repo«. Tant qu'il ne fut que fourbe & parricide , Jupiter 1'admit a fa cour; dès qu'il fut indiscret , Jupiter créa pour lui un nouveau fupplice. Hélas! tous les Jupiter fe refiemblent: Auprès d'eux vous pouvez, avec impunité, Fouler aux pieds les lois, 1'amitié, la nature; Leur orgueil ne voit rien pourvu qu'il foit flatté.. Mais il n'eft point de gêne, il n'eft point de torture, Qui puifle expier la piqüre Qu'un mot fait a leur vanité. (i) On prétend que cettenuéeféconde enfama ksCentaures, qui, comme 1'onfait, étoientmoitié komnus, moitié cbevaux.  sur xa Mythologie. 73 Celle de Salmonée, roi d'Élide , fut pouffée jufqu'au délire. Non content de fe faire adorer le jour, il fe faifoit trainer, la nuit, fur un pont d'airain , dans un char, dont la rotation rapide imitoit le roulement du tonnerre. La, nouveau Jupiter-tonnant, il lancoit des torches enflammées fur quelques malheureux , que fes fatellites afTommoient fubitement, pour imiter la foudre au naturel. Mais tandis qu'il s'amufoit a foudroyer fes fbjets, Jupiter le foudroya lui-menie , & relégua fa Divinité dans cette tnfle demeure, ou le feu célelle le brüle fans le confumer. Prés de lui, confldérez , Sifyphe, fameux brigand mis k mort par Thé.ee. Voyez-vous ce fcélérat, le front couvert de fueur & les mufcles tendus, rouler péniblement une pierre énorme vers la citre de cette montagne efcarpée? Epuifé de fatigue, il approcbe du but; 1'efpoir du repos le ranime, &, par un dernier effort, il pouffe fon fardeau jufqu'au fommet. D 3  74 L e t t r e s„ La pierre immobile va prendre Ion aplomb!... ,11 palpite de joie, immobile comme elle Soudain elle chancel- le, roule, retombe avec fracas; &le fupplice du coupable recommence avec fon travail. Au pied de cette montagne, des rameaux. chargés de fruits ombragent le crillal d'une fource pure. C'eft la que ïantale , fils de Jupiter & roi de Phrygie, cprouve un fupplice affreux, mais trop doux encore pour fon crime. Ce père dénaturé ayant invité les Dieux a fa table, & voulant éprouver leur divinité; leur fervit les membres de fon fils Pélops. Les convives s'abftinrent tous de ce mets exécrable, excepté Minerve qui, par mégarde, man'gea, difon, une êpaule. Les Dieux. faifis d'horreur & de pitié , reffi.i!citèretit le jeune Pélops, lui rendirent uhe épaule d'ivoire, & ordonncrent a Mercure d'enchainer Tantale fous ces arbres fertiles, &. de le plonger jufqu'au inention daiis cette  sur la Mythologie. 75 fontaine. La fes lèvres & fes mains avides pourfuivent vainemenc cette onde & ces branches fugitives. La Soif le dévore au fein des eaux, & la Famine au fein de 1'abondance. Mais tandis que je vous parle, vcs regards fe détournent & s'arrêtent fur une multuude de femmes qui s'empreiTeni: di tirer de 1'eau d'un puits, & la verfent toura-tour dans un tonneau fans fond fj). Vous voyez les cinquante fiiles (2) de Danaüs, roi d'Argos. Comme Egyptus, fon frère , avoit précifément cinquante fils, les cinquante mariages furent propofés & célébrés en même» temps. Mais, le foir même de la célébration, Danaüs, auquel un Oracle avoit prédit qu'il feroit détröaé par un de fes geudres, affemble (1), D'aurres prétendent que leur fupplice confiftoit a tirer fans cefTe de 1'eau dans un crible. (2} On les appelle Danaïde'i,du nom de Danaüs, leur père; on Be/ides, du nom de Eélus, leur aïiul. D 4-  ?6' Lettresfes fiiles, & les arraanc chacune d'un poi« gnard,leur ordonne dWaillner leurs époux auifi - tot que le Sommeil 6c la Volupté auront fenné leur paupière. Cependant les jeunes Dcfirs De PHymen aiguifoient la tendre impatience. Enfiu, la Nuit tardive atrène les Plaifirs; Par.tout la méme ivrefle & lesmêmesfoupirs, Et ceue aimatle détaiüance, Dont le calme, dont la langueur Ne font plus le plaifir, mais font mieux le bonheur. Morphée arrivé alors. Mais la Mort en filence Suit fes pas, fiétrit fes pavots. Et, dsns un feul inllant, le tranchant de fafaulx A d'un fiècle d'amour moiflonné fespérance. A' Ia lueur du jour naiflant, De remords, de crainte agitée, La jeune époufe , en frémifiant, Fuit de fa couche enfanglantée; Et de pius prés confidérant ces yeux Qui lui difoient hier ce que la bouche o'ofe, Et cette bouche demi - clofe, Dont, cette nuit, la fiennea refpirélesfeux, Et cette couche tiède encore, Et ces voiles'épars, & cedéfordreheureux, Qui devoit angmenter peut-étre avec 1'aurore; Tout  sur la Mythologie* 77 Tout retiace a fes yeux 1'horreur de fon forfait. La Pitié dans fon fein allume un feufecret: Eüeplaint, elle embtalTe, elle aime fa victime. Son cceur tranfit, fe glacé & brüle tour-a-tour j Les Remords, pour punir le crime, Ont emprunté les traits & les foox de 1'Amour. Cependant Hypermneftre fuivoic a pas précpités le chemin de LarifTe, tandis que Lyncée arrivoit a Lyrce ,viile voifine d'Argos. La feule Hypermneftre avoit fauvé la vie a fon Epoux. La nuit fuivante, ils monterent 1'un & 1'autre fur une tour; & peur s'infiruire mutuellement de leur arrivée, ils allumèrent chacun un flambeau. A fa foible Iueur leurs deux cceurs treïïaillirent, Se psrlêrent & s'entendirenr. Le flambeau dans leur main tour- a-tour agitéj Leur trücoit ls frayeur qu'ils avoient éprouvée, Le moment de leur fuite & de leur arrivée, Le bonheur de fe voir tous deux en füreté, Et de le réunir la prochaine espérance j 11 exprimoit avec vivacké, D'un có;é la tendreiTe & la fidéüté, De 1'autre, la tsndrefle & ia reconnoiiTance»' D 5  ?8 E E' T f R E S Peu de temps après, 1'Oracle fut vérifié: Lyncée, vainqueur de Danaüs, monta fur le tröne d'Argos. Les Danaïdes furent condamnées par les Dieux au fupplice dont vous êtes témoin; & les Argiens inftituèrent la fète des flambeaux, pour célébrer la tendrefle conjugale d'Hypermncftre & de fön époux. Les Danaïdes, dans 1'eur trifte demeure , ont pour voifin Tityius, fils de Jupiter & de la Nymphe Elare. Sa mère êtafit morte, la Terre, dit-on, le nourrit. Sa taille gigantefque & ia force prodigieule, lui dönnèrent tant d'orgueil & d'audace, qu'il voulut attenter a 1'honneur de Lato» fie. Apollon & Diane, pour. vcngêr leur • mère, le percèrent de leurs traits, & le précipitèrent dans le Tartare , oü fon corps étendu couvre neuf arpens de terre. La ce miférable fent nuit & jour dans fon fein le bec tranchant d'un vautour, qui dévore fes entrailles fans ceflè renaisiantes»  sur la Mythologie. 79 Avant lui Prométhée , fils de Japet & père de Deucalion , éprouva le même fupplice fur le Monc-Caucafe. Voici a quelle occafion: Ayant décrempé un peu de terre & d'eau, il en forma 1'homme a 1'image des Dieux. Minerve, charmée de la perfection de fon ouvrage, lui offrit en récompenfe, 1'objet qui lui plaifoit le plus dans le Ciel. Mais Prométhée, modefte habitant de la terre, lui ayant répondu: On ne pent défirercequ'onneconnoitpas(0;" Minerve , pour le mettre en état de choifir, le tranfporte au féjour des Dieux. Prométhée , parmi les tréfors de 1'Olympe, choifit le feu célefte, & vient le dé* pofer au fein de 1'homme formé par fes mains. Soudain fon cceur palpite & fon ceil édncelle; II fe léve & déploie un corps fouple & neryeux. (i) Zaïre, Scène Première. D 6  8o Lettres I! fixe du Soleil Ia lumièré immortelle, Et fourit a 1'afpeét- de la terre & des cieux. II fent; fa voix 1'exptime, & fon front fe colore Du feu des paflïons qui couve dans fon fein. AhlpuilTe t-illong temps yfommeillerencore Pour le repos du genre humaiu I Cependant Jupiter, irrité du larcin de Prométhée, réfolut, h'Ia manière des Rois, d'en punir toute la terre, II ordonne a Vulcain de modeier une femme d'une beauté parfaite. 11 Tamme & la préfenté aux Dieux affèmblés, qui lui donnent chacun une grace ou une vertu, & la nomment Pandore (O, c'eft-a-dire,posfédant tous les dons. LeRoi du ciel envoie a Prométhée cette femme accomplie , chargée d'une boite myllérieure, qu'elle lui préfenté. Mais Prométhée fe défiant des préfens cachés de la Beauté, refufa celui-ci. Pandore le porta a fon frère Epiméthée , qui , fans examen, ouvrit la boite fatale. (i) TLav, tout; $°l>ovt don.  sur la Mythologie. 8i C'étoit alors 1'enfance de la terre. La Bonne foi, la Paix & la Santé a Chaque pas rencontroient Ia Gaieté. Tout s'entr'aimoit, tout étoit fceur & frère. On ignoroit le nom de la Vertu; Avant Ie mal, le bien fut inconnu. Soudain de la boite fatale S'échappent le Tien & le Mien, Les Lois, la Chicane infernale, Qui dispute a chacun le Hen; La Guerre, de qui 1'art funeste Fait de nous autant d'alTaUïns; La Douleur, la Fièvre, Ja Pelle, Et, qui pis efl, les Médecins. Effrayé de ce déluge de maux, Epiméthée, referma promptement la boite farale, & y rednt 1'Efpérance prcte a s'envoler. On allure, que depuis ce temps, elle ell demeurée au fond de la boite; cependant, De fa prifon, foit dit en confidence, Je Ia crois échappée; & dès 1'inftant flatteur, Qui vit entre nous deux naltre Ia confiance", Je la foupconnai dans mon coeur. Jupiter voyant que Prométhée étoit le plus fin, lui fic fendr qu'il étoit le plus fort, D 7  8* Lettres' 11 chargea Mercure & Vulcain de 1'attacher furie Mont-Caucafe , oü un vautour lui rongeoic le foie. Cet acte de despotisme & d'iniquité fit murmurer les hommes, & révolta toutes les femmes. Quel eft fon crime, s'écrioientelles, én s'appitoy.ant fut' fon fort? Sa main a formérhomme a l'image des Dieux Former 1'homme, eft-ce un mal? Son bias audacieux. Du feu célefte a dérobé la flamme, Et dans le corps humain fa iranfmife? Ah! tant micux!' Qu'euffions-nous fp.it d'un corps fans atne? Ceü par ce feu divin que 1'homme, chaque jour, Sent éclore Ia force & les fleurs du bel nge; 11 lui doit fa raifon, fa vertu, fon courage. Et fi c'étoit è lui qu'il dut auffi 1'Amour!... Dumoüls on iefoupconne...Ah! fi lachofe'efl füre, Jupiter a 1'ame bien dure! 'A ces plaintes affez fondées Jupiter reftoit muet; mais. Mercure , chargé d'avoir de 1'efprit pour lui, répondoit: Apprenez, Mesdames , que Prométhée eft moins puni (i) d'avoir animé 1'homme , que d'avoir (i) Loeien»  sur la Mythologie. 83 inventé la femme, fource de tous les maux qui attirent fur la terre la vengeance celeste. Mais, lui répliquoient - elles, Si les femraes des Dieux attirent le courroux, Pourquoi foir & matin font ils a nos genoux? Pourquoi les voyons-nous briguer notre conquête? Pourquoi le Monarque du Ciel Prend-il dans nos boudoy-s la forme d'un mortel, Et fouvent celle d'une béte? Eh quoi! nous me'prifer & ratnper fous nos lois!.. „. Dites a Jupiter qu'il eft de tous les Rois Le plus inconlequent & le plus malhonnête. Mercure fe difpsnfa de cette comrniffion; mais Hercule protecteur ne du beau fexe, dc-livra Bcomêchée, & le rend:t a fon ouvra^e. O ma tranquille amie, ó vous que le Deftin Du fouffle de 1'amour n'a jamais agitee, Si Cupidon dans votre fein, Par 1'entremiie d'un hümaïn , Tranfmet un jour le feu divin, ChoifiiTez*moi pour votre Piométhée..  Si Lettres LETTRE LXVI. I^'avez-vous pas vu queiquefoii De ces vieilles acaridtres Au maintien roide, a 1'ceil fournoig, Aux traks livides & jaunatres, Qui, nuit & jour, de leurs époux Ont éternifé le martyre, litfont, depuis trentesns, leur plaifir le plag doux De déchirer & de raédire ? Voila précifément Ie portrait des trois Fu« ries, Aledto, Tifiphone & Mégère , fil* les de 1'Achéron & de la Nuit. Les Furies que vous avez vues fur la terre,ont un air de familie que vous retrouvez iei; & la feule diiférence qui difiingue les Furies terrefires d'avec les Furies infernales , c'eft qite celles-ci ont la tête hériffée de ferpens ; & que'celles-Ik font prefque toujour6 aifublées d'une petite cocfie de dévote.  sur la Mythologie. §5 On affure que ces trois Soeurs font vierges, $t les amateurs préfument qu'elles le feront encore quelque temps. Leur robe, fouillée de fang, eft tantöt noire , tantót blancbe: noire quand elles font irritées, & alors on les appelle Néme ses CO ou E r 1 n n 1 d e s; blanches quand elles s'appaifent, & alors on les nomme Euménides (2). Leur miniftère ne fe borne pas & cbatier de leur fouet vengeur' les Ombres criminelles; fouvent elles volent au féjour des vivans, planent fur la tête de 1'homme coupable , & , portant dans fon fein leurs fhmbeaux dévcrans, elles commencent pour lui, fur la terre, les fupplices éternels du Tartare. De finiftres tableaus, de fonges effroyables Elles tourmensen! fon fommeil; De fouvenirs affreux, de fpeclres lamentables Elles entourent fon rêveil._ (1) Furieufes. (2) Bienfaifaates.  86 Ei e t t r e 3 Aux chsnts joyeux de l'AllégreOe, Aui ris de la Gaieté, aux accens du PiaiHr, Son cceur prêt a s'épanouir, Se refferre accablé du fardea.u qui l'opprefle} II voit, lans les goüter, levbieus qu'il a perdus, Ec le Rernords-lui dit: tu ne dormiras plus. Le parrieide Orefto oftric a Ia Grèce un exemple eiTrayant de ia fé>érité des Furies. Pour les appaifer , il bacic, au fond de 1'Arcadie , un temple dédié aux Furies noires. II couronua leurs llatues de faffran & de narcifies- ; il couvrit leurs autels de fruiis & de miel, leur immola une brebis noire, & confuma le corps de la viclime fur un bücher decyprès, d'aubépine, d'aulne & de genièvre.' Les Dé.sfes implacables, touchées enfin de fon re« per.tir, lui apparurent vêtues de blanc; & foudain Cre'ie é'eva un fecond temple en 1'honneur des Furies clan ca es ou Eumésides;. La il les couronna d'oli» vier, leur facrifia deux tourterelles, & fk ©n leur honneur une libation d'eau de fontaine,., contenue dans des vafes , dont les  sur la Mythologie, 87 -anfes étoient couvertes de laine d'agneau. II évita fcrupuleufement de leur offrir du vin ou d'autres liqueurs infiammables; carr d'après la connoiflance qu'il avoic acquife de leur caraclère, il crue devoir ne leur préfjiuer que des calmans.. 11 y a peu de Divinités dont le cuke ait été auffi écendu que celui des Furies. La. Crainte éiève plus de temples que i'AmourLes miniftres du temple qu'elles avoient a Athènes, prés de 1'Aréopage ,compofoienc un cribunal, devant leqael on ne pouvoic comparoitre qu'après avoir juré fur fautel des Euménides de dire Ia vérités Leur fanctuaire fervoit d'afile aux criniïnels; mais fouvenc ils y éprouvoienc un fupplice plus horrible que celui qu'ils vou* loienc éviter. Prés de Ia viile de Coryne, en Acha'te, a peine le coupabie avoit-ik pofé Ie pied fur le feuü du cemple des Furies, qu'un délire affreux s'emparoic de fesfens, & le faifoic paflèr, en un inftant, de la fureur au défefpoir & du défefpoir a Ia mort,. Auffi n'ofoic-on qu'en tremblant.  23 Lettres regarderle temple, ou prononcer le nora de ces Divinités redourables. Pour moi, fi j'avois un afile k propofer a quelque coupable, au lieu de le conduire au fancluaire des Furies, je lui dirois, en le guidant vers votre demeure : „ Si tu veux a ta conicience „ Rendre la paix & la férénité, „ Viens refpirer, auprès de la Beauté L'air épuré par Hnnocence, „ La Ccndeur & la Vérité. „ L4, chaquejour, tu verras naitre „ Au tact de vertus que d'atrraits. „ Un feul iriftant corjtemple-Jes, „ Et tu deviendras, pour jamais, „ Honnête homme, 11 tu peux rêtre,"  sur. la Mythologie. LETTRE LXVIL L A plus formidable des puiflances infernales, eft la terrible Hécate, dont le corps gigantesqiie, s'e'levanc a 1'entrée du Tartare, vous préfenté trois têtes menacantes (i> Une couronne de chêne s'entrelace aux vipères dont elle eft hériflee. A fes pieds, des chiens furieux , 1'ceii étincelant, lagueule béante, poufTen: des hurlemens latnentables. Sa main droice eft armée d'un flambeau , d'un fouet & d'un poignard; de 1'autre, elle tient une clef & une coupe funèbre pour les libations auxquelles elle préfide. Cette triple Divinité fe divife pour exercer, fous trois noms, trois pouvoirs différens, dans le Tartare, au ciel & fur la teire. CO On ld donne tantót une tête d'bornme, decheval &dechien, tantót uDe tête de chien, de" lion &. de taureau.  go L É T T R E « Hócate, au féjour des enfers, Elle tient les clefs de 1'abliue; D'un fouet fanglant frappe le crime, Et de fial, a longs traits, abreuve les pervers, Vnhé , pendant la nuit, elle règle Ie cours De eet aftre inconfrant, dont les métamorphofes Des Giaces, nous dit-on, féparent les Amours Par une barrière de rofes, Diane, a I'ombre des forêts, Elle pourfuit d'un pas rapide, Le daim léger, le faon timide, L'atteint, le perce de fes traits. Et fi quelque mortel, errant a 1'aventure, Rencontre fes regnrds, plus percans mille fois Que les flèches de fon earquois, II s'en va languiffant & meurt de la piqüre; £ Moins qu'une Émilie, agréant en pitié Les tourmens fecrets qu'il endute, Avec le beaume d'Araitié Ne cicatrife fa blelTure. On prétend que cette Déêfle prodigue les richeflës a fes adorateurs , qu'elle les accompagne dans leurs voyages, & qu'elle difpofe en leur faveur des fuifrages du peuple , & des lauriers de la Vicloire (i). (O Héfiode.  sur la Mythologie. q$ Quelquefois elle affifte aux confeils des Rois. Plus fouvent, errante fur les cöteaux ou dans les vallées , elle raultiplie les troupeaux ou les frappe de ftériliré. C'eft pour cette raifon que les Athéniens lui préfentoient des gateaux, fur lefquels étoic empreinte la fï,ure d'un boeuf ou d'un bélier. Au milieu des carrefours, oü fa ftatue étoit placée , ils lui fervoient, tous les mois., un foupé, que les pauvrcs mangeoient en fon honneur. Quelquefois on lui offïöit une Hécatombe ou le facrifice de cent taureaux. De la, fuivant quelques-uris, lui vient le nom d'HÉcATE (i). D'autres veulent qu'il lui foit donné, paree qu'elle retenoit cent ans fur les mes du Styx, les Ombres des morts privés de fépulture. A Rome, on lui facrifloic, pendant Ia nuit, des chiens dont les hurlémens plaintifs écartoient, difoic ■ on, les efprits malfaifans. Auffi les Romains 1'appelloientils Canicide. O) Du mot grec e«KTov7 cent.  <}2 L 15 T T R E S Les ,habitans de 1'Achaïe enfanglantèrent long-cemps fes aucels, pour expier le prétendu crime du jeune Ménalippe & de Cométho (ï). Ce couple qui s'adoroit, Au temple fe rencontroit Pour fe conter fon ruartyre. Mais on crut qu'il avoit fait Un peu plus que fe le dire; ' Et la-deffus, voila toutes ks 'confcien* ces alarmées. Par quel facrifice expiatoire appaifera-t*on la DéeiTe outragée? Le plus atroce efl: celui que le Fanatiime doic choifir. Eneffet, les Prêtres vont, cbaque année , arracher des bras paternels un jeune adolefcent & une vierge innocente , pour les trainer aux autels de la terri. ble Hécate, & les égorgeant avec le fer facré , ils puniflèht ces infortunés d'un crime, dont ils ne fauroient pas même devenir coupables. He- (i) Paufanias, Liv. 3.  ï'br. la Mythologie. $3 Hécate préfide aux myftères de la magie. Les Sorciers, ou ceux qui croienc lecre, vont furtivement, au milieu de la nuit, fe baigner dans un fleuve fur le rivage duquel ils creufent une fofle profonde. La, revêtus d'un long manteau couleur d'azur, ils immolent une brebis noire, brülent la viéïime, & préfentent du miel pour appaifer la Déeffé redoutable, qu'ils appellent fept fois a grands cris. Alors, (i le filence religieux du facrifice n'a été troublé par aucun bruit profane, du fond ^e la foffe s'étèvent des Hécatées, eCpèce de fantömes qui prédifent a volonté, fuivant les circonftances & les perfonnes, par exemple: Aux veuves de jeunes époux, Des Pénélopes aux jaloux, A Ia Nymphe des équipages, A la Grifette des atoure, A la Princefle des hommages, A la B.Tgère des amours; Au fage une verte prairie , Des faules au bord d'un ruiflèau. Cinq. Part. E  L E T T R E S Un toit de chautne ou de rofeais Habité par une Émilie ; Des balfers donnés & rendua Avec une égale tendrefle, Des enfans pour toute richefle,; Pour toute grandeur, des vertus; Chaque année, amitié nouvelle,; Chaque mois, amour plus fidéle ï Chaque nuit, un plaifir parfait; Chaque jour, au moins un bienfaltï Chaque foir, une rêverie; Chaque matin , une folie ; Et, chaque inflant, le vrai bonheur Dans la fimplicité du cceut Et finnocence de la vie.  sur la Mythologie. LETTRE LXVIII. Voici Ie tribunal incomiprible qui ne juge jamais les aétions par les hommes., mais toujours les hommes par leurs ao •dons. Ici Ia loi n'a point de commentaire s Les grands & les petits voleurs, Sans huilïïers & fans procureurs, Ne peuvent embrouiiler ni trainer leur affaire. Point de Solliciteur, point d'argent, point d'am'i J Point d'Orateur è brillante faconde; Point d'épices de Juge Auffi2 Que de gens ont gagné leur caufe en 1'autre monde* Qui la perdent en celui-ci! Les trois Juges qui compofent ce tribui nal, font Minos., Eacus & Rhadamante. Eacus juge les peuples d'Europe, Rhada* manceceuxdel'Afie (0, & Minos,Pré- (O Heftvraifemblableque, depuislong-temps; leur jurisdiétion s'eft étendue ea Afrique & en Amérique, • £ a  jj}fj; Lettres lident du tribunal, discute & concilie leura opinions. Pour vous les peindre tous trois tels qu'ils font, je vais vous dire ce qu'ils ont fait, & vous le dire en leur préfence. Que de Magiilrats redouteroient un pareil Jrommage! Sur les rives de la Phénicie , régnoit jadis le bon Prince Agénor, fils de Neptune & de L)bie. II n'avoit que deux enfans, Europe & Cadmus. Angélo, fille de Junon , avoit dérobé un petit pot du fard de fa mère pour le donner a la jeime Europe. Celle-ci, par 1'ufage de ce fard divin, avoit parfemé fon teint d'une blancheur d'autant plus précieufe, qu'elle efl: plus rare dans ces brulantes con* trées. Comme fa fraicheur étoit a 1'épreuve du foleil, elle fe promenoit fans voile fur le bord de la mer, & cueilloit des fleurs avec fes compagnes. Jupiter, qui fe trouve par-tout, ne manqua pas de fe trouver la. 11 vit Europe ,1'admira, 1'aima,;  sur la Mythologie. 97; Et, voulant faire fa conquète, Ne croyez pas qu'il 1'enireprit Sous les traits d'un homme d'efprtt. Beauté vaut mieux qu'efprit prés d'une jeune tétft Jupin , expert dans 1'art de féduire les coeurs, Prit, comme les trois quarts de nos adotateurs,. La forme d'une belle Béte. Europe appergoit fur le rivage un taureau (Tune blancheur éblouiflante; elle accourc avec fes compagnes. L'animal carefiant plie les genoux, fe couche, man ge dans la main, & felaiflè couronner de fleurs. Ainfi l'amant qui roédite De tytannilèr un cceur, Prend la main avec douceur» Puis la baife avec ardeur; Puis, Ia repofant bien vke, Feint de trouver fon bonheur Au - delTus de fon mérite, Et rougit..... Ah! i'hypocriie f Les compagnes d'Europe effayent tour» a* tour de monter fur la croupe du taureau. II fe prête a leurs jeux, & femble s'enorgueillir de ce doux fardeau. Enfin ,  08 L E f T R E 3 timide Europe, en hardie par leur exem ple, s'affied fur 1'animal docile. Soudain il fe redrefiè en bondiffant , & s'élance dans la mer.. Europe, d'une main, tient une de fes cornes, de 1'autre elle implore vainement le fecours de fes compagnes. Ses yeux obfcurcis par les larmes n'apper§oivent déja plus le rivage. Sa voix entrecoupée de fanglots fe perd dans les airs;, fon voile & fes cheveux en désordre, flot»tent au gré des vents. Les Tritons & les Néréïdes» Sillonnant les plaines liquides, Nageoient en foule aux pieds de eet objet charmant»- Les jeunes frères de Zéphire Autour d'elle a 1'envi murmuroient doucement, a~~m*v>a c'ilc ovnipnr pn rmplmip r*hnfp h ïni Hir(»_ Amphitrite la vit, & craignit un moment De voir ufurper fon Empire. Environné de ce nombreux cortége, Europe aborde a File de Crète. La fon raviffeur disparoit, & la belle affligée fe trouve dans les bras d'un confolaceur qui lui dit:  sur la Mythologie. 99 }j Vous voyez le coupable. Ab! faites - en juftice * „ A fubir fon arrêt d'avance il eft foumis. „ J'ai fait couler vospleurs: quel que foit moi „ fupplice, „ Je 1'aurai mérité. Prononcez} j'obéis." Europe indécife, cönfulta rAmour, qui, fuivant 1'ufage, ayant commué la peine ent plaifir, la rendic mère de Minos & de Rhadamante. Minos trouva les mceurs des Crétois auffi fauvages que les déferts qu'fls babi» toient. II leur enfeigna Tart de 1'agriculture, & joignit a ce bienfait le plus beau préfent qu'un homrae puifle faire a fes femblables: Trop beureux le mortel, qui tracé de fes mains .Les lois dont la SagefTe enchalne les humains! Tout s'anime- a fa voix. Le monde, en fa préfence, Semble fe réveiller du fommeil d$ 1'enfance. II a parlé; déja le désordre n'eft plus. Le Génie a fes pieds étouffe fignorance; L'age préfent lui doit la paix & 1'innocence, Ex la poftérité lui devra fes vertus. Minos eut ce bonheur & cette gloire en E4-  ïoo Lettrés partage. Cependant les Crétois lui refuserene long-temps la royauté. Enfin , pour confoadre iês envieux , il déclara qu'il étoit fils de Jupiter; & pour le prouver, il prédit qu'il alloit paroitre fur le rivage une vïclhne, qu'il fit ferment d'immoler a Neptune. II parloit eneore, lorsqu'on vit approcher un taureau d'une biancheur éclatante; & ce prodige lui fic décerner la couronne. Mais le nouveau» Roi prenant, avec le fceptre, 1'efprit de fon état, garda le taureau qu'il avoic promis a Neptune, & lui en facrifia un de moindre valeur. Hélas! •Tous ces fages fi grands aux yeux de 1'avenir, Vus de prés, font ce que nous fovnmes. Si leurs vertusnous font oublier qu'ils font hommes, Leurs foibleiïes bientót nous en font fouvenir. Mais quand leurs ennemis, ardens a les confondre, De la malignité fur eux lancent les traits, Voici ce qu'ils ont a repondre: „Fakes ce que je dis & non ce que je fais." Minos fut cruellement puni de ce moment d'oubli. Neptune irricé remplit fa  sur la. Mythologie, lor fhaifon de troubles & d'inceftes. Pafiphae fon éponfe, devint mèr/e da Minotaure, qui fur, dït-on , moitié bomme, moitié taureau. Ce monftre , fruit d'un infdme adultère , fut enfermé dans le labyrinthe? conftruit par 1'ingénieux Dédale. C'eft Ik qu'il dévoroit les malheureux égarés dansles détours de fa fombre demeure» Androgée, fils de Minos, péric viélimé de la jaloufie des Athéniens, & ce père mfortuné ne vengea fa mort qu'après un<^ guerre longue & fanglante. Pbèdre & Ariane, fes fiiles, devinrent Tune & 1'autre viftimes des fureurs de TAmour (i), Ariadne fut abandonnéê par Théfée fur les rochers déferts de 1'ile de Naxos; & Phèdre brulant d'une flamme criminelle pour le vertueux Hyppolite, s'empoifonna pour abréger des jours que* Ia honre & les remords lui rendoient infupportables. Rhadamante, fiére de Minos, porta en- .(i) Vbyez Ia troifiême partie, Lettre 3peia* E5 '  los Lettres Lycie les lois que ce Prince avoit étabbes dans la Crète. 11 fe rendit célèbre par fon équité & fa frugalicé.. Ges deux vertus, qui paroiffent d'abord aüez étrangères 1'une a 1'autre , font. cependant inféV parables. La Juftice a toujours été D'accord avec la Tempérance. Itourquoi Bacchus, qui dit fi bien la vérité t ÏJe peut-il de Thémis gagner la confiance? £'eft que fa main n'a pas aflez de fermeté Pour tenir jutte la balance. Éacus^collègue de Minos & de Rha-^ damante, dut le jour aux nmours de Jupiter & d'Ëgine, fille d'Afope. Comme Junon, de concert avec lé père, éloignoit, p;ar une vigilance continuelle, le dénouement de cette aventure , Jupiter , pour ménager fes momens, changea Afope en fieuve, & tranfporta fa fille dans 1'ile de Délos. La, feule avec 1'objet de fa ten-, dreffe, Egine vouloit s'en tenir aux épan€hemens:moraus.& aux extafes fentimen-  sur la Mythologie; 103 Kies , dont elle avoit acqnis la théorie dans les romans de ce temps-la. Tout-a-eoup , au moment le plus tendre de cette ivreflè Platonique, fon amant disparoit; une flamme pécillante tourbillonne k fes piedsj s'élance fur fon fein, 1'environ-ne & la péaècre d'une ardeur. inconnue» Ses foupirs bmlans, fes carefiès expirantesrappellent fon amant; mais il étoit caché fous cette flamme myftérieufe; & lorfquela Nymphe éperdue revit la lumière, elle ' étoit mère d'Êacus. Ce Prince donna le nom dé-fa mère k > 1'ile qui 1'avoit vu naitre, & gouverna fesr> habitans comme un bon père gouverne fa 1 familie. Cependant la vengeance couvoit dan§ cceur dé Junon; ji nnnob r;o e c-gtbct-j co emasb «ha» Car, chez le fexe rnafculin, De la Vengeance impatiente L'ardeur s'évapore & s'éteint; Mais, au fond d'un cceur féminla^ . La Rancune eft un vieux levain ï: Pias il s'aigtit? plus il ferm'eote» E 6  J04 Lettres Junon, aprèsun demi-fiècle, plus irritée que le premier jour , empoifonna toutes les fontaines de ftte d?Egine , & vengea fon affront fur les fujets innocens du fils da la. femme que Jupiter avoit féduite. II eft dönc vrai que, ie tout temps, 'les petits.ont pdti des fettifes des grands. (O Eacus, envïronné de fes fujets expiïans, fuppüa fon père de lui óter la vie & de la rendre a fon peuple. En lui adreffant cette prière, il fe tenoit appuyé. fur le tronc caverneüx d'un chêne antique, habké par une nombreufe fourmillière. Soudain chaque fourmi prend la forme & la figure hamaine , & le bon Eacus fe: ictrouve au milieu de fes enfans, auxquels, depuis ce prodige, on donna le nom de myrmidons (s> La fageffe & 1'équité avec lesquelles il les gouverBa jusqu'k: fa mort,Jui méritèient 1'bon» (i> Lafonrainei ^ Du mot grec > foutml*.  sur. la Mythologie. 105. neur de tenir ici la balance, qui pèfe éternellemenc le vice & la vertu. Tels font, Émilie, les trois Juges qui décideront un jour de votre fort & dit mien. Quand nous nous préfenterons enfemble devant leur tribunal , je kur dirai d'un ton & d'un air contrit: i,Des coupables mortelspour tourmenterlesames, ,,Vous les mettez, dil-on, pendant 1'éternité, „ En téte>a-tête avec leurs femtnes. „Ah! redoublez pour mol cette févérité: „ Rendez-moi, je vous en fupplie, „ Inféparable d'Emilie. Hélas! je 1'ai bien mérité Vy  20Ö li E T T R E g L E T T R E LXIX. FT * N fortant du tribaal des Enfers, quel objec fixfi votre attention.?. Ce font fans doute ces Ombres, qui vont y comparoïtre. Vous fouriez ? Ne feroit-ce pas de la figure de celui qui les guide!... Eh ! précifément!.... c'eft lui - même! • C'eft Mercure que nous n'avons encore pu trouver ni, dans le ciel, ni fur la terre,, tant il a d'occupations! Proficons de la rencontre; nous y fommes tous daix in— téreffés: ■ Si nous nous quittions pour long temps, Ce MeiTager noas ferviroic peut - ëtre. ■ Or, avant d'employer les gens, On eft charmé de les connoltre. Mercure dut le jour aux amours dé Jupiter & de Ma ia, en 1'honneur de laquelle le mois de Mai- lui fut confa  3-ur la Mythologie. jc/ cré.. II naquic en Arcadie fur le Mont- Gyllène.. Le jeune fils de Maïa, doué d'une intelli gence fubtile & d'une discrécion impénétrable, devint le Négociateur & le Meflager du ciel, de la terre, de la mer & des enfers,. Jupiter, pour accélérer fes opérations, lui attacha des ailes a la tête &. aux talons. II eüt dü, ce me femble, en ajouter aux mains, puisque Mercure. eft auflï le Pacron des voleurs.. Cette dernière dignicé ne fut point le iruit de rüurigue; il ne la duc qu'a fes talens naturels. Le jour même de fa naisfance. il lutta avec Cupidon, d'un crocen-jambe 1 etendit par terre & lui vola fon carquois.-. Au moment oü tous les Dieux le complimentoient fur fa vicloire, il escapota le trident de Neptune, Fépje de Mars, les tenailles de Vulcain , la ceinture de Vénus; & tandis que Jupiter rioit de ces larcins, il lui déroba fon feeptre: il eüc même enlevé fa foudre; mais en la touchanc , le fripon fe brüla.  io8 Lettres les doigts. Cette mal-adreffe Ie trahit & le fit exiler fur la terre. Ert arrivnn: dans ce féjour, 11 endodtrina tour - a tour Nos bons aïeux &: leurs compjgnesi L'exil d'un homme de la cour Ell un fléau pour les campagnes. Apollon, exilé dans Ie même temps, gardoit les bceufs du bon roi Admette. Mercure, devenu pafteur eomme lui, crut de< voir s'approprier un troupeau a peu de frais. Dans ce deflèin, il profita du mament oü, dans un tendre délire, Apollon célêbroic fur la flüte fes amours paftorales. Le temps d'une cadence & d'une tenue lui fuffic pour détourner & cacher les beeufs au fond d'un bois. Apollon, s'appercevant enfin du vol, veut pourfuivre Ie voleur, fafic fon are & fes traits; mais ils lui échappent, & disparoifiènt ainfi que Ie troupeau. Ces larcins n'avoient eu pour témoïn que le vieux berger Battus. Mercure  sur la Mythologie. 109 pour payer fa discretion , lui donna la plus belle vache du troupeau volé; car, dès ce temps la, les grands voleurs fou* doyoient les petitsu Un moment après, le Dieu, reparoiffant fous la figure d'Admettë, demande a Batcus des nouvelles de fon troupeau, & lui offre deux vaches pour récompenfe. Battus, calculant comme les Négociateur3, vend fon fecret le doublé de fon filence. Soudain, Mercure irrité reprend fa première forme, & change 1'indiscret en pierre de touche Par elle, de Tor vrai 1'on diftingue le faux. Si, pour les cceurs comme pour les métaux, Elle avoit ce rare avantage , Dans tous les procédés d'ufr.ge, Dans la folide intimité Di deux Vestales de méme Sge; Dans le défir preflant qu'on a de rendre hommage A la fupériorité Des talens d'un rival dont on ei. enchanté; D;ns 1'éblouiflant étalage Des propos fugitifs dont la raprdité Forme, en courant, Tefprit de Ia fociété, Ainfi que les vapeurs compofent un nuage j Dans 1'oubli de l'argent que 1'on nous a prêté>  110 Lettres Dans l'ofFre qu'on nous fait d'en prêter d'avantage, Et dans la part qu'on ptend a notre adverfité; Qu'elle découvriroit d'or faux & d'alliage! Cependant Apollon, ayant découverc 1-auteur du vol, ce brigandage fic d'abord beaucoup d'éciat; puis fe termina, comme entre les Puiffances, par des complimens & des préfens de parr & d'autre. Apollon recut de Mercure une écaillé de tortue, dans 1'intérieur de laquelle il avoic tendu quatre cordes, auxquelles le Dieu des Arts en ajouca trois. C'eft ainfi que la lyre fuc inventée par le fils de Maïa & perfetlionnée par le fils de Latone. Mercure recuc d'Apollon une baguecce de coudrier, qui avoic la vertu de concilier tous les Etres divifés par la haine. Mercure , pour éprouver le pouvoir de ce talisman, le jetca entre deux ferpens qui fe battoient. Soudain ils fe réunirent autour de la baguette, y demeurèrenc entrelacéi, & formèrent ainfi leCaducée5 prin.» cip.al attribut de- Mercure*.  sur la Mythologie. m On précend que le Caducée avoic Ia: propriécé d'affoupir, & même de pétrifier ceux a q#i Mercure le préfencoic. Ah! de nos jours, combien d'auteurs Au ftyie aride, a la pluine glacée, Eu prëTeritant leurs ceuvres aux ledteurs-, Leur préfenient le caducée! La vie pafbrale de Mercure le fic adorer comme Dieu.des Bergers, Ils le repréfentoient portanc un jeune bélier , & le placoienc devanc leur porce, ayanc a fes pieds un coq, fymbole de la vigilance. Ils fe perfuadoienc que les voleurs, par crainte ou par égard pour leur Patron refpefteroiènc 1'afile confié a fa garde. Peu fatisfaic de ces honneurs champêtres, Mercure emrepric une plus briilante carrière. II parcouruc les grandes villes, & s'établiflanc au milieu des places publiques, il y exerca 1'arc de Téloquence. Les Rhéteurs & les Charlatans /e aanrent fous fa proteélion... lis le repréfentoien: avec des chaines d'or, qui forcoienc de fes  na Lettres lèvres, & captivoient les affiftans par I«8 oreilles. Le fils de Latone rivalifoit a la tribune avec le fils de Maïa. Le geare du premier étoic plus noble; celui de fecond plus féduifant. On applaudifibit aux préceptes de 1'un; on fuivoit les maximes de 1'autre i Et voitè pour quelfes raifons Le Dieu des Arts & Ie Dieu des Larrons De 1'Eloquence ont partagé 1'empire. Mais, en parlant plus bas d'un ton, Mercure, dans 1'arc de bien dire, En fait, je crois, plus qu'ApolIon. Celui-ei tourmenté du démon qui 1'infpire, Trouble, entraine, ravit fes nombreux auditeur». L'autre, avec un mot, un fourire, Perfuade, amollit les cceurs, Et, comrae un airoant, les attire. L'Intocence atteniive a. fon début fktteur, Ivre de ce qu'il dit, dans fes yeux cherche a lire Ce qu'il ne dira pas, par crainte ou par pudeur; Et ie trouve, en fortant de ce tendre délire , Entre les bras de 1'Orateur. Mercure jouit quelque temps de ces  sur la Mythologie. triomphes; mais il étoit dans fon caraétère de vouloir joindre 1'utile a 1'agréable. Pour y parvenir, il fe mit dans le Commerce, & compofa, entre la Fraude & laBonne Foi,un traité mixte,que tous les Agïoteurs apprirent par cceur comme ouvrage élémentaire. En quatre mots, voici comment De la fonune il indique la route: II commence & 1'atermoiement, Et finit a la banqueroute. Bientót tous les Marchands, édifiés de fa morale, le repréfentèrent & 1'adorèrent tenant d'une main le caducée, de 1'autre , une bourfe pleine. Pour prix de la proteclion qu'il leur accorda, ils lui promirent d'abord tout 1'encens de 1'univers, dont ils lui offrirent enfuite un centième par arrangement. Cependant 1'abfence de Mercure faifoit nn vide confidérable a la cour célefte. D.'pm's fon exil, les Amoars  jH4 Lettres Dans ls ciel fembloient fe morfondts» Mars & Vénus reftoient huit jours Sans s'écrire & fans fe répondre» Les femmes, les maris n'ofoient Entamer la moindre aventure; Et 1'cn a 1'autre fe difoientJ Mais quand reviendra donc Mercure? Enfin Jupin le rappella Pour un melTage : eb ! le voila! „ Eft - ce bien lui! qu'il eftaimablej" Soudain on l'embraiTe, on 1'accable De baifers & de billets doux: „Mon frère, c'eft tin rendez-vous« „ Mon cher ami, c'eft une Iettre. „Mon coufin, ce font desbijoux; C'eft un portrait qu'il faut rernettre, „Ceci c'eft un petit Roman „ Dont j'ai promis un exemplairr^ „ Ceci, c'eft un préliminaire „ Pour amener un dénouement. „ Mon cher ami, chez un beau pera „ Tu devrois bien me préfenter. „Tu devrois me faire inviter „ A diner chez une grand'mêre. „Tu devrois endormir Junon. „Tu devrois, Iorsqu'a la fourdine „Je fouperai chez Proferpine, „Lite la Gazette a Pluton,  sur la Mythologie. ug „Tu devrois auprès d'Amphitrite, „ Quand fon mari fera... - fuffit. sj ~" Tu devrois chez Minerve... Eh vlce! „ Donnez - moi vos paquets," II dit Et vole aux enfers, fur Ia terre, Au fond des bois, au fein des eaux A Gnide , a Paphos, a Cythére, ' Dans les Palais , dans les.Hameanx, Aux bains, aux tables, aux toilettes; U fait tant enfin que 1'Amour, Par-tout, avant la fin du jour, Avoit trois fois payé fes dettes. L'aifan'ce avec laqöelle Mercure s'acquitcoic de fes miffions les plus épineufes, lui donnoit une certaine grace dont Vénus eut peine a fe défendre. On prétend même que dans une affaire importante, cette Déeffe 1'ayant choifl pour négociateur,mic tant d'intimité dans la négotiation, qu'au bout de neuf mois , le réfultat de leurs conférences fut un petit frère de 1'Amour, auquel on donna le nom d'Hermapbrodite (i). Cet enfant réuniffoit les talens CO Mercure eft furnommé Hermés, & Vénus Aphrodite. Hermaphrodite fignifie donc, fils «THermès & d'Aphrodite.  u$ Lettres de fon père & les graces de fa mère. Dès fa jeuneflè, il cultiva les fciences, & voyagea pour s'inftruire. Fatigué de fes courfes lointaines, il fe baignoit un jour dans une fontaine fituée au fond d'un riant bocage de 1'Afie. La jeune Saltnacis le vit & 1'aima, car le voir c'étoic 1'aimer. Soudain a fes regatds prodiguant fes tréfors, Elle vent lui prouver fa flamme ; Mais Hermaphrodite eft un corps Oa 1'Amour n'a pas mis une ame. II conjure les Dieux de le délivrer des embralTemens de fon amante; elle les fupplie de la rendre inféparable de ce qu'elle adore. Sa prière plus jufte eft exaucée: bientöt leurs deux corps n'en forment plus qu'un d'une beauté parfaite , mais d'un fexe un peu équivoque. Leurs charmes douteux réunis d'Amour excitent la furprife. Le Berger enflsmmé croit brüler pour Cypris; La Bergère pour Adonis, Et rougifltnt de leur méprife. Cette  sur la Mythologie. %\$ Cette Beauté ambiguë pric le nom cTAndrogyne (i), & fit mille conquêtes de part & d'autre. Mercure, chargé fans cefTe pour elle ou pour lui de meffages contradictoires, y renonca pour vaquer k fes nombreufes occupations. Elles varioienta chaque inftant, & fon nom varioit avec elles ; Mercure, il préfidoit au commerce ; Her més, aux ambaflades &, aux négociations; N o m i u s , aux Jois du commerce, de la mufique & de 1'éloquence; Argoiuus, aux places des marchés publics; Vialis. aux grands chemins, fur lesquels il éroit fouvent repréfenté fous la forme d'une pierre carrée; c'eft de lk que lui vient 1'épirhète de Q u a« dratus. Le furnom de Triceps lui fut donné, paree qu'il exerce en même temps fes talens au ciel, fur la terre & dans les enfers. : Au ciel, il convoque le confeii des Dieux, dont il eft 1'Huiffier & le Secré- (0 AvSpcj, Tvvog, houme & fémme. Cinq, Pan ie. F  ng Lettres taire. II préllde a leur banquet, & balaye? leur réfe&oire , ainfi que les principaux appartemens du palais de Jupiter. Sur la terre, il dirige le génie des Marchands, desVoleurs, des Orateurs , des Plaideurs, des Vendeurs d'orviétan ; il protégé & confeille les Pafteurs, les Amans, les Maïtreflès , Femmes , Fiiles & Veuves de tout age & de ttout état. Aux enfers, il eft rintrodudteur des ames. II arrivé précifément au dernier inftant de Fagonie pour recevoir FEfprit du moribond, & le conduire, la baguette a la main , jufqu'a la barque de Caron , qui s'en charge pour une obole, Après un certain nombre de fiècles, il ramène tour-a-tour les ames fur la terre, & les loge dans le corps des enfans que Fhymen va mettre au jour. Les Moraliftes demandent, depuis long-temps, comment il les introduit dans leur nouvelle demeure. Dès qu'ils auront recu réponfe, je vous en ferai part. C'elt fur cette transmigration des ames, qu'elt fondé le fyftême de la métempfy-  sur la Mythologie. ïï, cofe , dont je vais vous entretenir après vous avoir parlé du culte & des attributs de Mercure. On le repréfente jeune, lefte & riants prefque toujours nu; quelquefois a moitié couvert d'un petit manteau. Sa tête & fes talons portent toujours des ailes. II tient, fuivant Ia circonftance, un caducée, une boürfe, des chaines d'or, une lyre ou une baguette; & 1'on met a fes pieds un coq, une tortue ou un bélier. Les Grecs & les Romains célébroienc fes fêtes principalement au mois de mai. Ils adoffoient fouvcnt fa ftatue k celle de Minerve, & lui préfentoient, comme Dieu de 1'éloquence, les langues des victimes qu'ils immoloient a la DéeiTè. Comme il paroit prefqu'impoffible que ce Dieu infctigable ait toujours pu vaquer feul a tant d'occupations différentes ,. on a prétendu qu'il y avoit eu plufieurs Mercures. Cioéron lui - même en compce jufqu'a cinq. Mais pourquoi refufer de croi- F 3  .jafiT Lettres re chez les Dieux, ce que je vois fans ceffe fur la terre? Je fais quelqu'un qui, chaque jour, Au Ciel adrefle fa prière, Cultive enfuite tour-a-tour L'Amitié, les Arts & 1'Amour; De 1'indigent vifite la chaumière, Du rlche embellit le féjour; Et quittant fes lambris pour un dais de verdure, Seule > va contempler & fentir la Nature; Qui prête a la fociété Son efprit, fes graces briltantes, Et court verfer des larmes confolantes : Dans le fein de 1'adverfué; Qui donne un prix aux moindres bagatelles, Qui, fans mentir, embellit les nouvelles, Qui fiatte la laideur, fourit a la beauté, Plaide pour les abfens & pour la Vérités Qui lit, qui peint, qui chante, file, Médïte, brode & paffe, avec légéreté, De la philofophie a la frivolité, Et de 1'agréable a 1'utile. Comment, me direz- vous, cultiver, en un jour , L'Atniiié, la Nature, & les Arts & 1'Amour, t'Efprit, la Charité, la Vertu, la Folie? C\ft üD pro^ige!—,1 eft vrai;cependant Pour y fu'ffite, » eft conftant Qu'il cü & qu'il n » oulez-vous favoir, Êtnilie, Pourquoi vous avez de beaux yeuxs Des iraits nobles & grarieux, Golorés par- la modeflie? C'eft que vous fütes tmtrefois Bon citoyen, bon fils, bon père, bonne femmé3 Soumis aux Dieux, Ibumis aux Loi?. Pour en récompenfpr votre Ame, LeDeftin fa logée en ce charmant féjour, Eclairé par 1'Efprit, embelli par l'AmoirT Mais fi'vous abufez de ce rare avantage,. Si vous n'adouciffez 1'excés de vos rigueurs^- ■ Ciaignez qu'un jour le Sort ne venge l'esclavaga- Auquel vous foumettez nos cceurs» En quittant ces attraits, vous deviendrez peut" êtrSj, Durant vingt Gecles tour« a-tour, Sitige ou lVédicateur, Pantin ou Petit-rnaitre, Sangfue ou Financier, Procureur ou Vautout- Ce n'eft pas tout: vous tourbillonnerez enfuite de planète en planète ; vous irer vqus cpurer au centre brülant du foleil; E 3,  jsa Lettres puis, après eet immenfe circuit, vous jreviendrez au point oü vous êtes, pour recommencer un autre voyage. D'après ce fyftême, on a bien raifbn de dire que aious fommes des voyageurs dans cette vie; on pourroic même ajouter, & dans 1'autreé Au refte, le principe le plus univerfel de la Métempfycoie, c'eft que nos ames, après nous avoir quittés, paflent dans Je corps des Etres qui , par leurs inclinations, ont le plus de rapport avec notre cara&ère. Auffi,, lorsqu'autrefois je voyois mettre a mort. Le compagnon de faint Antoine, ' Je m'écriois, en déplorant fon fort: Jïarbares, arrêtezj vous égorgez un Moine! Les Indiens, les Perfes & tous les Orientaux, fe font foumis a la Métempfycofe,. fans aucune reftrielion ils ont confenti a ce que leur ame paffat du corps d'un homme dans celui d'un animal , & decelui-ei dans un arbre ou une plance  sub. la Mythologie. 123 paree que tout ce qui végète, vit, & que tout ce qui vit doit avoir une ame. Ce fyftême peut offrir quelquefois de tendres fouvenirs & d'agréables images : affis prés de vous a I'ombre d'un orme vénérable, je puis vous dire en ftyle de Métempfyeofe: Dans Ie corps caverneux de eet antique orraeau. Eft renfermé 1'Esprit d'un Nestor du hameau. Ces oifeaux qui, battant des ailes,. Se careffent fur ce rameau, Ont été deux époux fidèles. lis furent moifibnnés au printemps de leurs jours,Ils font devenus Tourterelles Et recommencent leurs amours.' Cette timide violette Fut une Bergère discretie, Qui des Amans craignant la trahifon^ Se cachoit dans la folitude; Et, par crainte ou par habltu'de, Se cache encor fous le gazon. Cette rofe fraiche & vermeille Fut une Belle du grand ton; F 4  544 Lettres Son Amant étoit eet Abeille, Et fon Abbé ce Papillon, Cet Aigle fut Ie Chantre d'IIion; Ce Cygne, celui d'Italie, Cette Fauvette étoit Delie, Ce Roflignol, Anactéon. Telle étoit, dans le principe, la marche de la Métcmpfycofe, Mais, quelques fièclesaptès, la Diè:.e générale des Métempfycoliiles décréta qu'a 1'avenir la transmigration des ames ne fe lèroit plus que dans des corps H.omogÈnës ; c'eft- a - dire, de même nature. Cette opinion néan« moins fut .toujours combatcue par les. zélés partifans de Pyihagore. Ce Philofophe fut Ie premier propagateur du fyftême de la Mé.tempfycofê; & il fe fouvenoit fi bitn. de tous les corps que ion ame avoit habités , qu'un jour ayant appertju un antique b .uclier fufpendu a la voute d'un temple , il s'écria: Voici le bouclier que je portois au fiége  sur la Mythologie. 13^ de Troye, lorfque j'y combattis fous le jiom d'Euphorbe. Le fylrême de la Métempfycofe a été confervé jufqu'a nos jours, dans toute fon étendue , par une partie des peuples de 1'lnde, & fur-tout par les Bramines, qui, dit-on , encetiennent des höpitaux pourtous les animaux malades , perfuadés qu'en les fecourant, ils foulagent peut-être leurs parens ou leurs amis. Cette folie,, je 1'avoue, me paroic fi intéreiTante que,, fi je perdois ce que j'ai de plus cher, je me trouverois trop heureux peut • être depouvoir 1'adopter. Si j'avols le malheur de vous furvivre un jour, La confolation du refte de ma vie Seroit d'aikr recueillir, tour-a-torr, Dans chaque objet les traits de mon Aaiie» Je trouverois dans le criftal des eaux La pureïé de votre ame paifible, Et dans la douceur des Agneaux, Ceile de votre coeur fenfible. La Chien me traceroit votre fiJéihé*. F 5  116 Lettres Je reconnoltrois chez l'Abeille Votre aimable indufirie & votre aftivité. Je reverrois votre beauté Dans les tréfors naiffans de la rofe vermeillev Dans les baifers de Foifeau de Vénus, Votre flamme innocente & pure: Ainfi vos charmes, vos venus, Me fembleroient épars dans toute la Nature.  sur la Mythologie. fa* LETÏRE LX XI. ^^u'o s s'égare a plaifir dans ce riant bocagef Quel calme on y refpire en refpirant le frais! Sans doute le Bonheur, 1'Innocence & la Paix, En renoncant au monde, ont ici pour jamals, Fixé leur tranquiüe hermitage. Nul fouci, nul chagrin n'oferoit de ces bols Troubler Theureufe folitudej Et,prés de vous,mon cceur,pour la première fois, Soupire fans inquiétude, Cependant une réflexion involontaire attiédit peu-a -peu le charme qu'infpire Fafpect de ces beaux lieux : cecte verdure naic toujours & ne meurt jamais; ce jour fans ceflè a fon aurore, ne décline jamais vers fon couchant; toujours le même Zéphir donne le même mouvement a ce même feuillage ; dans mille fiècles, ces ondes écernellement paifibles réfléchiront los mêmes objets-, & baigneronc ce mé\-  1,28 Lettres me rivage, oü les mêmes Ombres vien.dront goüter le même repos, A 1'aipecl fadguans de cette monotone félicité, ne fentez-vous pas votre imagination s'engourdir & votre cceur toraber en lethargie ? Quoi! fi. nous habitions ces Ileux ,. Nous nous venions toujours! toujours des mémes yeux! Nous n'éprouverions plus de craintes ni d'alarraesj Tanquilles Ie matin & tranquilles le foir,. Nous ne verferions plus de larmes, Et nous fèrions riduits a a'avoir plus d'efpoir I Quoi! jene ferois plus grondë! quoi? monamie, 11 faudioit renonctr aux raccomodemeris F Ah) gardons - nous - en bien! le bonheur des amans N'exifle qu'autant qu'il varie. L'hiver fait valoir le primenrps; L'azur du ciel plak mieux parfemé de nuages; Et qui n'a jamais vu d'orages, N'a jamais joui du beau temps. Voyez ces Ombres fil mcieufes errer paifiblement autour de nous. Eües goütent fans émotion ie plaifir d'être enfemble, & £ê réuniüent ou le fëparent avec la même  sur la Mythologie. i2p fërénité. Ce bonheur me paroic plus di» gne d'admiration que d'envie. Si pourtant vous en voulez connoitre la fource, approchons de ce rivage parfemé de pavots, & fuivez des yeux le cours infenfible du Léthé. Ce fleuve promène lentement, avec fes ondes , 1'infouciance des chofes de la vie. C'eft la que les morts vertueux, en en trant dans 1'Élysée par cette porte d'ivoire, boivent a longs traits 1'oubli des peines & des plaifirs qui ont rempli leur courte exiflence. Les malheureux! Püisqu'ils recourent a ce fatal remède, ils n'ont donc jamais aimé-! Quand on a connu Ia douceur Et le charme de la tendrefle, Comment peut • on renoncer au bonheur De s'en emretenir & d'y rêver fans ceffe! Ah! mieux que les eaux du Léthé, De ijoï jeunes amours la tendre rêverie Eteint le fouyeaiir des peines de la vie, En ranimant celui de la félicité. Crov' z moi , mon amie ; évitons cetrc «nde fatale,, fauvons-nous par la porte  130 Lettres d'ivoire , & retournons bien vite fur Ia terre avant 1'heure ou la nuit pourroit nous y furprendre. Ici, elle ne déplie jamais fes voiles, & c'eft encore un de mes griefs contre ce féjour bienheureuxi Elyfée, afile oü le Sage, Vainqueur du Temps & de la Mort, Goüte è jamais les délices du port, Après avoir long - temps lutté contre 1'orage, Chez vous jamais la nuit ne remplace le jour; Quel moment vos héros donnent-ils a 1'Amourl Sous ces ombrages frais ils difcutent fans celTe Sur Ia raifon, fur la fageffe, Sur les vrais plaifirs, les vraïs biens; Et dans ces éternels & graves entretiens, Pas un feul mot de la tendrefle! A quci donc fongenwls!.... Ochamps Elyfiensl Noire félicité n'eft qu'une ombre légere; Votre bonheur eft un bonheur fans fin, Et Ia raifon veut que je le préfère; Mais pour en bien jouirj'ai 1'efprit trop mondain,, Et je vais m'arranger avec mon médecin, Pour qu'il me lauTe encor cinquante ans fur la terre.  sur la Mythologie. 131 É P I L O G U E. Lorsqu'afïïs fur les bords de la Seine fanglante, J'ébauchois ces légers tableaux, Souvent j'ai fenti les pinceaux S'échapper de ma main tremblante. Avec tous mes amis je me fentois mourir; Le Ciel avoit au meurtre abandonné la terre. A 1'afpeft des bourreaux le jour femblait p4ijr, Et la vapeur du fang rougiffoit 1'atmosphére. Courbé fous la douleur, marchant a pas pefaus, Quelquefois j'élevois mes regards languiffans Vers ces fombres cachots, oü l'Aaiour, le Génie, Et les Vertus & les Talens Épuifoient lentement la coupe de Ia vie. Je reffentois les maux de tant de malheureux ; Et, me félicitant d'expirer avec eux, Au pied de leurs cyprès je dépofai ma lyre. Mais quand j'appris que la Beauté, Que 1'Innocence, au fein de la captivité, Pour charmer leurs ennuis, avoient daigoé me lire Je m'écriai, plein d'un nouveau délire: „ Êtres intéreff'ans, fi j'ai tarie vos pleurs, „ Si mes accens ont pu fuspendre vos douleurs, „Siméme, un feul inftant, ils vous ont fait „ fourire,  Ï3& Lettres &c. -„Jufqu'au dernier foupir pour vous je veuxécfire. „ Ranimez mes efprits, grands dieux; „Et que votre bonté m'infpire „ Le langage qui parle au cceur des malheureux." C'eft ainfl, mon aimable amie, •Que ces foibles eiTais verront encor le jour; J'écris pour les Vertus, les Graces & 1'Amour, En écrivant pour Emilie. Fin de la Cinqulhne Vartiet,  LETTRES A Ê M 1 L I E9 S U R- LA MYTHOLOGIE,   LETTRES A É M I L I E, SUR LA MYTHOLOGIE. Par CA. Demoustier. Heureux ceux qui fe divertiffent en s'inftruifantï TÉLÉMAQOEj liy. 2. SIXIÈME PARTIE. A' A M S T E R D A W± Chez Gabrikl Du?ouk, Libraire» i 7 9 9'   A E MI L IE. Villers-Cotterets * le so Brumaire au j> vous écris fous les yeux de ma mère, Sous un ciel pur, fous 1'ombrage enchanteur De la forêt profonde & folitaire, Vous feule ici manquez a mon bonheur. Je plains ces Dieux dont je tracé Hmage. Quoiqu'immortels, point ne voudrais contr'eus Changer mon fort: Ia vie eft un palTage; Mais y en pafiant, ici je fuis heureux. Plaifirs brlllams ne me font nulle envie. Peu de richefle & de luxe encor moins,, Paix & travail, voila toute ma vie, Qui coule & fuit fans trouble & fans témoins» Quoique 1'Aatomne ait vuidé fa corbeille, Quoiqu'a Paris tout femble m'inviter, Depuis qu'aux chimps la Nature fommeiile iMa mère eft la; je ne puis la quitter. Eh! qu'oppofer a ce nceud plein de charmes Quand, m'arrêtant avec un doux tranfport, Elle me dit, les yeux rempüs de larmes: „Tu pars, mon fils! ta rerarai-je encor.'-  „ Si ton amour, fur mon hiver moins fombre, „ Fait luire encor un rayon de printeuips, „ Di mts besux jours pourquoi bomer le norabre ? „ Refte! .. Demain fera-t-il encor temps! " -„Moi te quitter!.. Non, ma mère; j'oublie Mufes, beaux arts, plaifirs & tout Paris, „Tout... Mas, hélasi mais ma pauvre Emilie „Qui m'attendait!,. Ecrivons;"&j'écris. Ainll le fils qui vous devra ia vie, Vous confacrant fes foins & fes beaux jours, Oubiiera tout, excepté fon amie , Qai grondera. mais i'aimera loujosrs.  LETTRES A È M I L I E9 S U R LA MYTHOLOGIE. LET'TRE. LXXJL L'Océan-, fils Ciel & de Vefta, époufa Thétis, fa fceur, dont il eut trois mille enfants (i). Vous voyez , Emilie, qu'a cette époque le liquide empire ne manquait pas d'héritiers. Cependant, foir que le fouverain des ondes trouvat le par» tage difficile a faire entre tant. de prétenr CO Héfiode.. Sixiem. Pari. &  2 L E T T R E S dants , foic qu'en bon père , il voulnV épargner afes enfants les chagrins infépasables de la royauté, il- réfolm? de cédep fes valles états a Neptune, fils de Saturne, fon frère. A eecte nouvelle-, fes nombreux enfants s'allanrièrenc plusou moins, fuivanc leur dégré: de fageflè ou d'ambition. Mais 1'Océan les ayant convoqués dans fon pa* fois de cryftal, orné de perles & de corail, prit en main fon trident, s'affit fur fa conque royale, 6e leur die d'un ton affectueux & paternel:. „ Mes chers enfants,. ce n'eft rien que Ia vl&- „ Et la grandeur & rimtnortalité. „II c'eft de biens vrairaent digiles d'ënvle „ Que 1'innocence & ls tranquillité. „ Or 1'innocence avec 1'autorité, „ La paix du cceur avec la royauté , „ F^ont pu jamais aller de compagnie^ „ Vous étes tous tmis; vous vous chérifTez toos-y. „ Ce bien vaut mieux qn'un diadéme. ,rDemain, mes fils, s'il fallait entre von»' „ Partager l'eropire fuptême, „ Adieu  sur la Mythologie» 3 „ Adieu 1'amitié, le repos „ Et cette confiance & ces aveux fwcères, „ Kt ces rapports de goü s, de plaifirs, de travaux, Qui rendtntjtous lesjours,nos plaifirs fi nouveaux, ,, Et nos heures fi pafiagères! „ Dés que vous aurez des rivaux, Vous celTerez d'avoir des fiêres. „Ne quittez point ce bien pour 1'éclat menfonget „ D'un bonheur apparent qui n'eft rien en lui-même; ,, Quand on eft aimé , quand on aime ; ,, On ne peut que perdre a changer. „Retournez,croyez'moi,dans vosgrottesprofondes. „ La fous I'ombre des bois, ou le long des coteaux, „ Des fleuves dirigez les ondes, „Ou faites fous les fleurs ferpenter les ruifieaux. „ Le dieu d'un lac paifible ou d'une fource pure „Eft cent fois plus heureux au fond de fes rofeaux, „Etendu fur fon Iit de moufie & de verdure, „ Que le dieu fouverain de 1'empire des üo ts. „ Vous vous rencontrerez dans vos courfes tranquilles. „Enfemble vous féconderez „La culture des champs, le commerce des villes. „Utiles fans orgueil, en tous lieux défirés, „ Et faifant circuler le bonheur fur la terre, „ Heureux de vos bienfaits, mes fils, vous reviendrea „ Vous réunir chez votre pêre. Sixiem. Partie. B  4 ;L E T .T R E S „:Et vous qui prdtendez fous votre aimable lof 5lSoumettre tout ce qui refpire , Pour réguer fur les cceurs, mes Blies, croyez-moï, „Renoncez a tout autre empire j „II y va de votre bonheur, ., Et même un peu de votre honneur; „ .Car, comment pouvez vous vous flatter qu'oa vous sime, „Si fur vous la conronne attire tous les voèux? „ Et comment peut-on vivre heureux „,Quand on n'eft jamais fur d)être aimé pour foi-même ? „ Voila pourtant le fott des princes & des Dieux! „Je prétends vous fouftrairea ce malheur extréme. „ Le véritable amour n'eft point ambitieux : „ Un bon époux, fans diadéme, „ Vous refpe^tera moins, mais vous aimeta mieux." •II dit; foudain dans les antres déferts, A I'ombre des forêts, fur les rives de Tonde, Les fortunés enfants du fouverain des mers, Savourant leur bonheur dans une paix profonde, D'amour & d'amitié remplirent 1'univers. Ileureux fiècle, qui vis trois mille heureux au mondei De ces temps de félicité Nous avons tout perdu, jusques a la mémoire : Nos aïeux ont tranfmis a la poftérité Les monuments pompeux de leur chétive gloke  sur la Mythologie. 5 Et les récits enfanglantés De ces illuftres cruautés Que 1'orgueil décora du nom de Ia viétoire; Et dans tout ce cahos de crime, de grandeiw Et de faiblefle & de puhTance, Pas un veilige d'innocence, Pas un fouvenir de bonheur! L'Océan , après fon abdication , conferva, ainfi que Saturne , fon frère , Ie ticre de père des Dieux & des hommes, paree que 1'eau eft un des principes de 1'exiftence animale, & que, fans elle, Ia vie ceiTe de circuler dans nos veines. A ce ticre, touc ce qui végète eft foumis k fón empire, & Flore, au printemps, lui doic * hommage de fa couronne. Au refte, il exifte encre le Dieu des mers & la Déeffe des fleurs, une vieilleamitié & même d'anciens intéréts de famille : Nérée , fils de 1'Océan , ayant époufé fa fceur Doris, en eut cinquante hlles,quff Flore admit k fa cour. Les Né. réides,fous le nom de Naïades, de Dryades & de Napées, furent chargées, par B 2  é Lettres la Déeffe, d'entretenir 63c ds foigner les tréfors de fon empire. Les Naïades arrosèrent les fleurs naiflantes avec leurs urnes argentées ; les Dryades, aidées des Zéphyrs, confervèrent la fraicheur & 1'ornbre des bocages , & les Napées , affifes a I'ombre des faules , protégèrent, conire les Aquilons, la verdure & 1'émail des prairies. O mon amie! quand pourrai-je, fous les aufpices de ces Nymphes, me fixer avec vous dans leur afyle champêtre ! Comme 1'abeille théfaurife pour Traver le miel qu'elle recueille au printemps , j'épargne peu a peu les fruics légers du travail de ma Mufe , dans 1'efpoir de vous procurer un Elyfée & d'ajouter a notre automne quelques journées de 1'age d'or. Je veux un jour avoir une chaumière Dont un verger ombrage Ie contour, Pour y pafier la faifon printanière Avec ma mie & ma Mufe & 1'Amour, Le caveau frais, la cuifine petite, Salie a manger de dix pieds de longueur,  sur la Mythologie. f Oa les amis qui me rendront vifice Seront toujours mal traités de bon cceur. Chambre a coucher pour moi, pour mon amie, Toilette auprès, cabinet a cóté Pour le berceau d'une jeune Emilie; Plus loin, un lit pour 1'hofpitalité. Point de remife; & pour toute écurie, L'humble réduit d'un stne & d'un Snon, Qui ferviront de courfier a ma mie, Et de Pégïfe au fils de la maifon. Poulets, dindons & coqs grattant Ia terre» De mon fumier disputeront le bien, Et le chapon, heureux célibataiie r S'engraiffeia fans fe méler de rien. La Ia couveufe, élevant fa familie Avec tendrefle, avec févérité, A quatorze ans, fera rêver ma filie Sur les devoirs de la maternité. J'efpère auffi loger en même gtte Dame GéniiTe auptès de dom Pourcean. Puisqu'il fe pint avec un vieil ermite (i}, Il doit fe plaire avec la jeune Io (2). O) Saint-Antoine. (2^) Io changé en vacbe par Junon. (Voyez laf pi eraiére partie). B 3  8 Lettres Dans Je jardin, anprès da chèvre-feuille , Vigne, jasmin, pois, choux, rofe, navet, Laitue, ceillet: je veux que 1'on y cueille Une falade en cueillant un bouquec. Je voudrais bien encot qu'une onde pure Dans mon verger fuivit de longs détours, L'eau fur fes bords invite la verdure, Et la verdure invite les amours. Point de foiTés, point de murs; pour clóture,, L'humble fureau , 1'aulne on le coudrier. Que la bergère y détache la müre, Ou de noifette empliilè fon panier. Avec du tems & de 1'économie, Je pairai tout, quoique poètej mats La paix du cceur & 1'emploi de la vie , Pluius ni moi, ne les pairons jamais..  sur la Mythologie. 9 LET T R E LXXIII. Neptune, en prenant les rênes ds 1'erapire des rners, fic hommage de fa couronne au dieu de 1'Océan, qui, pour perpécuer fa fuzeraineté , donna fon nom a la plus vafte parcie dé fes anciens domaines. Le nouveau roi était fils de Saturne. Celui-ci, comme je vous j'ai dit, avaic contraclé i'habitude de manger fes enfants au berceau. Heureufement Cybelle, fon époufe , qui avoit adroitemenc fubftitué une pierre a Jupiter, fon fils ainé, mit un cheval a Ja place de Neptune. Si la première méprife du bon Saturne eft peu vraifemblable , la feconde eft au moins contradictoire. En effet, le cheval n'exiftaic pas encore a la naiflance de Neptune, fi , comme on 1'aflure , il naquic, dans la fuite, d'un coup de fon tridenc. B4  16 Lettres Or, a quoi bon rendre ce Dieu plus jeune qu'un êcre auquel il a donné le jour? paffe encare fi c'était une Déeffe. Ce qui ferait flatteur pour 1'une, devient prefque offenfant pour 1'autre. 11 faut rajeunir 1'amour & vieillir la gloire. C'eft ainfi, pour flatter les belles & les Dieux, Qu'on étend ou reftreint 1'ordre des deftinées: Tous les jours font des ans pour eux, Et pour elles les ans a peine des journées. Neptune, comme Ia plupart des princes, partagea fa vie oifive entre 1'amour & 1'ambition; comme eux, il trompa impunément toutes les femmes, & ne put impunément tromper un roi. Jupiter, ayant découvert qu'il confpirait contre lui, 1'exila du ciel avec Apollon & les autres conjurés. Laomédon relevait alors les murs de Troye. Or , comme les princes & les Dieux favent toujours le mieux ce qu'ils ont le moins appris, il fe trouva que Nep-  sur la Mythologie. ïr tune érait un excellent architefte. Et Laoniédon le pria de relatir fes murailles» Durant ce travail , Apollon jouait de la lyre pour animer les ouvriers & récréer les princelTes Troyennes qui, le fufeau k Ia main, venaient fur le rivage filer ks vêtements de leurs époux. Cependant ks> pierres taillées par Neptune sTélevaienc & fe placaient d'elles - mêmes , tandisqu'Apollon chantait en s'accompagnent da fa lyre r Embelliflez ce bord tranquille, Croiflez, remparts majeftueux. Murs naiflants, protégez Tafyle D'un peuple aimable & vertueux. Loin d'ici le trouble & la crainte. Que le paifible voyageur Ne quitte jamais cette enceinte Sans avoir trouvé le bonheur. Que dans ces ports 1'heureux navire Vienne chercher la fureté. La régneront le doux zéphyre,, Le calme & fhospitalité. La les fiers habitans de 1'onde Viendront, après de longs travauxr B 5  I'S' E B T T R E s Echanger les tréfors du monde Pour 1'amitié, pour le repos. Sur cette enceinte fatble encore, Un jour en portant vos regards, Vous direz: Tbut ce que j'adore Efl: renfermé dans ces rernparts. Portes, qu'une garde févère Ferme aux cceurs froids, durs & jalou::3 Ouvrez-vous a la voix d'un père, D'un fils, d'un ami, d'un époux» Reflbuviens-toi, Dieu de la guerre, Que Vénus régne en ce féjour. Sur ces bords éteins ton tonnerre Avant de parattre a fa cour; Et fi le prince de Cythère Ofe le rallumer un jour, Epargne ■, en faveur de fa méie, Ces murs protégés par 1'Amour (i}. Laomédon, charmé des talents du chan— tre & de l'architecle, les combla i d'éloges; il les fatigua même d'égards & d'attentions; mais il eut le malheur d'oublier le prix dont il était convenu avec eux , (i) Allufion au fiège de Troye, dont j> pariet ai dans 1'hifloire des Héros de fantiquité»  sur la'-Mythologie. 13 & comme ils prirent la liberté de le lui rappeler, le roi , qui ne permettait pas que,-dans fon royaume , perfonne eüt> plus de mémoire que lui; leur enjoignit: d'un ton trés -perfuafif de quitter a-i'inftancfes états» Apollon, qui, en fa- qualité de princedisgracié, avait perdu le pouvoir de faire le bien, mais non pas celui de faire k*-* mal , infe&a 1'air d'une vapeur peftilena tielle , tandis que Neptune inondait les> champs Troyens & fufcitait un monftre-marin qui ravageait cette malheureufe con-trée. L'oracle confulté ordonna , pour appaifer les Dieux offenfés ,d'expofer tous les ans, une jeune fille a la- fureur dumonftre. ■ Bientót le fort défigna, pour cefacrifi.ee , Héfione , fille de Laomédon^Heureufement Hercule, le modèle & li» fleur de 1'antique chevalerie, arriva préci-fément pour délivrer la princeffe; ,&Lao* • médon, qui 1'avait promife a fon libéra*teur, trahit encore fa promeffe. C§-pa5*~ B 6  14 Lettres jure fut le dernier. Hercule , d'un coup de raaffue, vengea les Dieux, les hommes & les femmes peut-être que Laomédon avoit trompé?. Je vous parlerai, quelque jour, de ce liéros qui fut fi grand par fa vertu; reve- . nons k Neptune, qui ne le fut guère que par fa naiflance. II effaya de fe fignaler en difputant a Minerve 1'honneur de donner fon nom k la ville d'Athênes. A peine de fon tridenteut • il frappé la terre, que foudain , 1'ceil ardent , le erin hériffé, la bouche ■écumante, le cheval s'élanca du fein de Cybelle, en bondiflant au fon de la trompette guerrière. Flus modefle dans fes bienfaics, Minerve, préférant le bonheur a la gloire> Fit naftre 1'olivier, fymbole de la paix , Et Minerve obtint la victoire» Oeft a cette oecafion que Neptune filff fttrnonimé, Ii?bi o s, cavalier. To»s^ ceux qui, preflant un cheval vigoureux ou dlr  sur la Mythologie, 15 rigeaot uh char rapide , difputaient le prix dans la carrière Olympique , adresfaient des prières & prometcaient des offrandes a Neptune avant de tourner la borne fatale, fur laquelle s'élevait la figure d'un mauvais génie qui épouvantait les chevaux. Mais c'és que la force ou lradrefle Avalt fait décerner le prix, Le vaincu fe croyait libre de fa promefle; Le vainqueur n'avait rien promis. Les Romains célébraient fa fëte Ie premier jour du mois de Juillet, & lui confacraient le mois de Février, pendant Iequel ils tóchaient de fe rendre le Dieu favorable pour 1'époque prochaine de Ia nouvelle navigation. Les libations qui , pour les autres Dieux, étaient compofées de vin, de lait & de miel, fe faifaient, en honneur de Neptune, avec 1'eau de la mer, des fleuves & des fontaines. On immolaix ordinairement un taureau blanc fur fon autel j mais quelle que fut la vicïime B ?  l6 L E T T' R è S' amenée dans' fon tempte, les prêtres lui en préfencaient toujours le fiel par analogie avec 1'amertume dé la mer. Ces cérémonies attiraient un concours prodigieux k Rome, &. fur- tout k 1'ifthme de Corinthe, oü il avait un temple célèbre, dans lequel on lui avait érigé une ftatue d'airain haute de fepc coudées. Son culte était fi univerfel, qu'en parcourant les rivages de la Grèce, dé la Sicile & de 1'ftalie, on trouvair dans les moindres hameaux un tempie ou au moins un autel dédié au Dieu de la mer.- Au refte, quelle que fut la'pompe de fes fêtes , il paraïc qu'elles fe célébraient a pied, car les chevaux lui étant cónfacrés, on les couronnait alors de fleurs, & 1'on eüt cru* commettre un facrilège en les forcant au travail, tandis que 1'on fêtaic le Dieu auquel ils devaient 1'exiftence. Cette faveur s'étendait même alors jufque fur les JVJulets, comme on accorda depuis aux bÉtards des Nobles les privileges de la Nobleffe.  sur la Mythologie. i? Orr repréfentait Neptune fur un cbar,ayant la forme d'une vafte - coquille, & traïrópar quatre- chevaux marins, quelquefois -par quatre dauphins. ■ Les roues effleu? raient rapidement la furface de 1'onde couverte de Tritons & ée Néréides. Le front ceint du diadême, le foaverain des mers, d'une main calmait les flats agités, de 1'autre il tenait le trident, emblême de fa triple puiiïance, qui s'étend fur la mer,, les fieuves & les fontaines..- Les habitacts-de Trézènes avaient empreint fur leur monnaie, d'un cóté le trident de Neptune,, de 1'auire la tête de Minerve; ce qui femble indiquer le cora-merce dirigépar la Sageflèv Aujourd'hui, ©, a 1'exemple de Trézènes-, nous frappions une médaille en l'nonneur d» notre nouveau commeree,, Pour tranfmettre fa gloire a la race füture, Nous pourrions mettre encor le Trident d'un cótê% De 1'autre, 1'Avarice & la Stupidité, Avee les ailes de Mercure».  l* Lettres Les Dieux auxquels Neptune confiait le plus fouvent une porcion de fon autorité, étaient les Fleuves pour Iesquels on avait prefqu'autant de vénération que pour Neptune lui-même. On leur immolait des laureaux blancs, quelquefois même des chevaux, comme au Dieu de la mer. Ils étaient repréfenrés nuds , couronnés de rofeaux , le fein couvert d'une barbe vénérable & appuyés fur une urne qui verfait leur onde blanchiflante. Us tenaient un ancre ou un gouvernail, quand les vaiffeaux pouvaient voguer entre leurs rivages. La plupart s'étaient arrogé de trèsbeaux privileges. 11 y avait tel Fleuve qu'une vierge ne pouvait traverfer fans y plonger fes mains (i), & qui , grace a eet aéle religieux , careffait a tout moment les doigts les plus délicats & les bras les plus frais de toute la contrée. Les jeunes Grecques offraient leur chevelure au (O Héfiode.  sur la Mythologie. 19 Fleuve Néda (i),'Pélée confacra auFleuve Sperchius (2) la chevelure de fon fils Achille; & les Troyennes , la veille de leur hymenée, étaient obligées d'aller offrir leurs prémices au Fleuve Scamandre. Les voyageurs qui parcourent aujourd'hui fes rives défertes, fe rappèlent avec admiration les combats & la mort de tous les héros dont ils foulent peut-être la cendre & les trophées; & moi, fi jamais je me repofe fur cesbords myftérieux, J'interrogerai le feuillage ' t De ces antiques arbrifleaux >' Dont les vénérables rameaux, Depuis mille ans & plus, couronnent ce rivage. „Peut-être, leur diraije, avez-vous vu jadis „Les tributs qu'en ceslieuxapportaitl'Hymenée? „Vos racines peut-être embralTent les débtis „De 1'autel oü, le foir, Andromaque amenée ,, Peut- étre regretta la perte d'un tréfor, ,, Qu'elle avait dix-huit ans confervé pour H <5t )r!" Ainfi chaque rocher, chaque arbre ferait nattre De vertu, d'innocence un tendre fouvenir, (1) Paufanias, Arcadie. (a5 Homère, lliade.  Lettres Chaque fouvenir un foupir Et chaque^foupir un peut-être! Plufieurs dotfes commentateurs ont Ut de prof-ordes recherches fur Je nom de Neptune, qui, grace a leur érudition, a maintenant autant de fignifications diverfes qu'il y 3 de commentaires différents. Le procédé de ces doéteurs eft infailJible.* Vous prenez la moitié d'une racine grecque, vous yjoignez deux Tyllabes keines, entremêlées, feJon Je befoin, de caraclèreshébreux, fyriaques ou chaldéens; & dès que votre mot commence a prendre figure, en rftodifiant une finale, changeant une voyelle & fupprimant deux confónnes, vous renfermea , dans le nom le plus bref, les moeurs, la figure, Ie caractére & même les exploits d'un héros, fauf quelques anachroni/mes qui, dans ces calculs, ne comptent point. Si, par exemple, ces Meffieurs s'avifaient un jour de dilféquer votre nom,,  sur la Mythologie. 21 lis écriraienc; Emi; lifez Ami. Dü verbe Libr; prenez Lie; Et voila le Lie n chéri De 1'heureux Ami d'EMiLis^ — Vous vous ttoinpez, dirais-jc, en voici la raifon: On la nomma fi-tót qn'elle fut née; Je n'aimais pas alors! — Ileftvrai; mais fon nom • Préfageait votre deftinée • Quant aux furnoms de Neptune, ils va» ïiaienc fuivant les circonftances dans lesquelles on lui adreflaic des vceux ou des remerciements. C'eft ainfi que vous ave2 vu, chez nous, Notre-Dame de Liefiè, de Bon - fecours, de Bonne - nouvelle, &c 'lies- coureurs des jeux olympiques appelaient Neptune Ippodromos, intendant des chevaux; les Sénateurs R'omains le nommaient Consus, Dieu des bons confeilsi Les navigateurs invoquaient fouvenc & remerciaient quelquefois Neptune - favorable. Mais 1c nom fous kquel il re~cevait le plus d'cfTrandes , était celui de Poseidon , Brife - vaiffèaux ; car les Dieisx , ainfi que les hommes, règnent beaucoup plus par la crainte que par 1'a-  aa Lettres mour; auffi s'appercoit-on de leur erop!, re. Or, il n'y a de pouvoir réel & durable que celui dont on ne s'appercoitpas; & voila, monamie, cequirend.le vótre éternel. Vos défirs font les miens; vos plaifirs font les nótres, Vous vous trouvez heureufe ici ? Cetafyle, ames yeux, plaitmieux que tous les autres, Vous fongez a partir ? & j'y fongeais auffi. Mais les embarras du voyage!.. Je les ai prévus; tout eft prét. Mais au moins vouliez-vous, en quittantce bocage, Kmporter quelques fleurs... Voici votre bouquet, Quel plaifir c'eüt été de faire la ietfure D'un auteur favori L. Sterne(i) eft dans la voiture. Et votre ami, qui loge è cent pas du chemin , * Qu'il vous eöt été doux de le voir au paftagel Nous fommes a fa porte... Il eft forti, je gage., II vous attend; je 1'ai prévenu ce matin. Je ne fais fi c'eft obéir, Mais je fais bien que c'eft jouir Qu'étudier ainfi les vceux de ce qu'on atme; Je n'ai Ik nul mérite, & j'avoue, entre nous, Qu'en vous obéilTant pour vous, Je vous obéis pour moi-même. O) Auteur du Voyage fentimental.  sur la Mythologie. 33 LETTRE LXXIV. Neptune, louverain des ondes, po»« fefTeur des immenfes tréfors que renferme fon empire, environné des Nymphes & des Néréides qui fe difpucaient 1'honneur de lui plaire , comblé des faveurs de la Gloire, de 1'Amour & de la Fortune, poffédait tout, excepté le bonheur. N'eft-il pas vrai, ma tendre amie , Qu'il n'e3 de tréfors précieux, De triompbes flatteurs, de vrais plaifirs, que ceux Que 1'on partage avec fon Emilie? L'Amour a deux è deux enchalné 1'univers. Son joug eft le tQUtment & le befoin du monde: L'infortuné qui fuit dans le fond des déferts, . Cherche encor un Echo dont lavoix luiréponde. Au milieu du tumulte brillant de fa cour, Neptune éprouvak intérieurement le vuide aifreux de cette folitude. En promenant fes ennuis au pied du mont Atlas, il ap-  24 Lettres percut Amphitrite , fille de Doris & de 1'Océan. A cette vue„ les yeux humeétés de larmes & le cceur rempli d'une volupté nouvelle, il fentit avec ivreflè que, jufqu'a ce moment, il n'avait jamais connu I'^mour, quoiqu'il eut fouvent abufé de ce que 1'on appèle fes faveurs. . L'homme prend naturellement Le plaifir pour le fentiment, Quand fon but n'eft pas légitimej Mais il aime réellement Dès qu'il aime ce qu'il eftime. Neptune aima donc Amphitrite & fe préfenta chez elle. Son teint bazané, fes yeux verdatres , fa chevelure humide, fa barbe limpneufe., & fa couronne de rofeaux & fa fourche a trois dents , frappé» rent les regards de la Nymphe, mais ne la féduifirent point du tout. Le Dieu néanmoins fut congédié avec tant de grace & de politeflè, qu'il douta prefque que ce fut un congé; mais c'en était un. II s'en appereut bientöt daas fes viütes infruétueufes.  sur la Mythologie. 25 Tantöt Amphitrite était chez fon père; tantöt fa mère la retenait auprès d'elle toujours elle était fortie, & jamais elle ne devait revenir. Neptune , privé, par fa laideur, des faveurs de l'amour,& par fon rang des confolations de 1'amitié, ne trouj vait rien de fi miférable au monde que le fort des rois & des amants, lorfque deux de fes fujets , ayant obfervé fes démarches & deviraé la caufe de fes chagrins, vinrent fecrètement lui offrir leurs ferv:ices fans in tére t. Sans intérêt? on !e dit; je le croi, Un fimple citoven doit refpefrer l'hiftoire; Mais fi-tót que j'aurai le malheur d'être rot, Je fais feiment de n'y plus croire. Le roi des mers, de^enu confiant par faibleflè ou par néceffité , prit, les deux Dauphins pour confidents & fe repofa fur eux du foin de fon bonheur. De ces deux émiffaires, 1'un fe chargea de parler, 1'autre d'obferver & d'agir. lis nagent myftérieufement vers Ia grot»  z6 Lettres te d'Amphitrite, & choififfênt, pour Taborder, le moment oü Ia Nymphe rêvait, feule, affife fur le rivage. Elle était dans eet nge oü la tendre Innocence, D'un défir inquiet éprouvant la langueur, «Commence è foupconner que Ion indifférence Poutrait bien n'étre pas tout a fait le bonheur. A la vue des Dauphins qui fe jouent fur la plaine azurée, elle devient plus rêveufe encore. lis font deux, fe dit-elle! plus ils approchent, plus fon ceil les careffe. Enfin ils arrivent a fes pieds , & Tun des deux, élevant une voix tendre (que 1'Amour fans doute lui avait prêtée pour cette occafion) lui dit, tandis que Tautre Tobferve : „ Belle Nymphe, ces lieux ne feront pas long temps ,, Témoins de votre rêverie „ L'Amour a de vos jours marqué tous les inltants, „ Et dans une heure il vous marie." A ce mot, qu'une vierge n'entendit jamais fans treffailiir , Amphitrite prête Ia plus  sur la Mythologie. jjM "plus vive attention, 1'obfervateur s'approche & 1'oraceur concinue: Ce foir vous connaltrez ces nofturnes délicffs Que Vefta trop long temps fut vous diffimuler; „ Lucine veut vous révéler „ Le fecret de fes facrifices; „ De 1'Hymen, a vos yeux le flambeau va bróler, „ Et pour vous le Piaifir prépare fes prémicës/' Ici la Nymphe palpitante fe détourne en baiffant les yeux; mais moins elle regarde, plus elle écoute: „C'eft peu que 1'Hymen vous apprête •5, Les tributs qu'il fera fi doux de vous payer7 „ De fa main, ce jour même, il prétend eflayer „La couronne fur votre tête." Admirez, Emilie, la force de ces moyens: mariage, piaifir & couronne! & quel adreflè dans le choix des pafiions.'curiofité , défir & vanité ! Quelle Veftale eüc réfifté a de pareils arguments ? Amphitrite n'ofant les combattre, les éluda, & prit fagement le parti de ne répondre a rien de peur d'accorder quelque chofe» Sixièm. Part. C  2 g "L E T T R E S 'Maisfe taire, c'eft tout accorder. L'arsi du prince ne 1'ignorait pas. Auffi ajoutat-il avec affurance: Le rot qui vous adore eft le maltre de 1'onde, „De fon empire immeufe il embralfe le mendej „Vulcain, Eole & fes enfams Reconuaid'ent par-tout fa puifiance immortelle. „Ilrenouvèle, tous les ans, La couronne de Flore & celle du Printemps, „Et la ceinture de Cybelle." En ce moment 1'image fombre de Neptune fe préfentant au fouvenir d'Amphitrite, ternit a fes yeux tout. 1'éclat de la couronne. L'émiffaire s'en appercut & reprit d'un ton plus bas: # Ce 'prince eft né modefte, & de la royauté s, 11 hait le fafte & la magnificence. „II aime la Simplicité, „ Et fe préfenté même aux yeux de la beauté „Dans un état de négligence, ,,Qui cache de beaux traits, un air de dignité, De Ia fineffe & de 1'ailance; Car i! eft bien, très-bien •, & quand vous connaltrez „ Sou efprit, fes talents, fa jeunelTe & le refte , J'EUouie a 1'afpecl de css dons ignorés,  sur la Mythologie. 49 „Avec raifon vous vous étonnerez „Q.i'on puifie être a la fois fi grand & fimodefie. ,, Mais que font la beauté , les tréfors, la grandeur, Au prix des qualités de felprit & du coeur ? II n'eft dans tous fes traits pas un feul quin'annoncè „Son génie & fur-tout fa fenfibilité: „ Tout ce qu'il dit, la Raifon le prononce; ,, Ce qu'il écrit, les Graces font didïé; „Et dès que le malheur réclame fa bonté, „ Le bienfait accompagne ou prévient fa réponfé. „Mais voici 1'heureux jour oü, pour comblernos vceux, „Et fignaler fon augufte alliance, „ II confie a vos mains le dépót précieux „ Des tréfors de fa bienfaifance, „ Et vous coramec le foin de faire des heureux. „ Troroperiez-vous notre efpérance! ,, Sericz-vous infenfible! auriez-vous la rigueur „ D'éviter nos regards quand tout notre bonheur „ Ne dépend feulement que de votre préfence! „ Non, vous ramenerez 1'age d'or parmi nous „ Et vous juftifirez le choix de votre époux. Que tardez-vous? 1'Amour, les Plaifirs vous deraandent; „Votre peuple s'emprefTe au devant de vos pas. „ Le troneeit prépaté, 1'Hymen vous ten dies bras, „Et les malheureux vous attendeat." C 2  ga Lettres Ce jeune roi, cette cour briljante, ce peuple aflèmblé, ces chants d'amour, ces ïarmes de reconnaiffance, tout émeut, tout féduit Amphitrite. Elle ferait déja prés de fon époux , il la mobilité du chemin n'effrayait ia timidité. iVJa.is 1'adroit négociateur triomphe, en peu de mots, de ce dernier obftacle: „Ne craignez point ces flots dont rimpuilTaat courroux „ Semble rnenacer le rivage. „ Paraiflez , jeuneieine j ils vous rendront hommage ,, Et s'abaifleront devant vous. „Mon frére eft a vos pieds. Neptune lui confie „ Un fardeau dont lul-même eft en fecret jaloux. 5, Afleyez-vous fur lui. Déja 1'air eft plus doux, ,, Le ciel plus pur & Tonde plus unie. „ Ce fouffle eft le zéphyr qui vole fur vos pas. „La mer baigne vos pieds? Ne vousétonnezpas De la voir carefler fa jeune fouveraine. ,, Pourqujoi vos regards inquiets „ Se tournent-ils encor vers la rive lointaine? „Quandona, commevous, le cceur de fes fujets, „Quand on vole au devant d'un roi qui nous défire, Quand on fait mille heureux, fans crainte & fans regrets, „Ondoit traverfer fon empire."  sür ea Mythologie. 3.1 II parlaic encore , & déja la Nymphe était dans les bras de fon époux. J'ignore fi. la réalité répondit' a fon attente. Les promeflès des courtnans font toujours exagérées, & lesrois, qui font des dieux en» perfpedive, vu* de prés, quelquefois font, a peine des hommes. Quoi qu'il en foit, les deux. confiients. de Neptune , le voyant enivré des charmes, de fa nouvelle époufe,& fachant que 1'en-. thoufiafme de 1'amour & de la reconnaiffance dure peu , fur- tout a. la cour, fa hatèrent, dès le matin du premier jour, d'aller humblement le féliciter. Le prince, qui déja les avait oubliés, eut encore la bonté de les reconnaitre; il porta. même 1'excès de fa bienveillance jufqu'k fe rappeler qu'ils avaient eu le bonheur de ne pas être inutiles aux préüminaires de fon mariage; & proportionnant le prix auv fervice, il les tranfporta au ciel , oü ilsfurent changés en une conftellation voifine de celle du Capricorne. D'aucres Hiftoriens prétendent que Ie.C 3,  3» Lettres Dauphin fut placé parmi les aftres, nofe pour avoir fervi les amours de Neptune, mais pour avoir fauvé les jours du célèbre Arion. Cet iiluftre rival d'Amphion & d'Orphée était né a Méthymne, dans 1'ile de Lesbos. 11 fut accueilli a la cour de Périandre , roi de Corinthe. Après avoir joui long-temps de la faveur ftérile de ce prince , il obtint de lui la permifilon de parcourir la Sicile & lïtaHe, pour y cxercer fes talents d'une manière plus utife a fa fortune. II y réufïïc au dela de fes efpérances. Cet artifte joignait au talent de marier les accents de fa voix & les accords de fa lyre , celui de compofer Ie chant & les paroles ; & fa mufe , auffi' flexible que fa voix , changeaic naturellement de ton fuivant le lieu & la arCunftance. II débitait dans les hameaux La complainte & le vaudeville. La romance dans les ch^teaux A la cour les petits rondeaux ,, 1 L'air iialien a la, ville*  sur la Mythologie. 33- Pöur un vieil époux il croquait Un demi couplet a fa femme; Pour la femme il lui répliquait Refrains d\rleur, de cceur & d'ame, En même temps qu'il ébauchait Des madrigaux en traits de flamme, Qu'un jeune Adonis décochait Trente fois par jour a. madame. Enrichi des contributions de Tamour & de 1'hymenée, Arion s'embarqua au porc de Tarente pour retourner dans fa patrie. Et appereevant de loin ce rivage habité par fes amis, il éprouvait qu'on ne commence ajouir de ces richeiTes qu'au moment ou 1'on efpère les partager. Tout k coup le pilote & les matelots le faifiilènt,> s'cmparent de fes tréfors & lèvent un poignard fur fa tête. L'infortuné , efpéranc les attendrir , obtient d'eux » a force de prières, la permiffion de toucher fa lyre pour la dernière fois. Alors cherchant, au fond de leurs cceurs, la fource des plusdoux fentiments de la nature, il exprime tour-a-tour ce que 1'amour pup a d<£ C 4.  g4; Lettres pips enivrant, 1'araour filial de plus ten- dre, famour conjugat de plus touehanr. Ces chants firenc quelqu'impreffion fur 1'ame de ces fcélérats, car il y avait parmi eux des fils , des amants & des époux. Les premiers venèrent des larmes , quelques amants s'attendrirent; un époux même foupira. Mais la crainte d etre découverts 1'emportant fur tout autre fentiment, ils n'accordèrent au malheureux Arion quele choix de fe poignarder lui - même , ou de fe précipiter dans la mer. Arion, tour"nant fes derniers regards vers fa patrie, & lui adrefiant fes xlerniers accents, s'élar.ca au milieu des flöts, & le navire continua de voguer vers Corinthe. Cependanc après avoir plongé jufqu'aufond de la mer, Arion furnage & fe trouve entouré d'une multitude de Dauphins qu'avait attirés le charme de fa mélodie. Tous, s'empreffant autour- de lui, préffentent a 1'envi leur croupe recourbéei Arion , affis fur 1'un d'eux, efcorté par tous fes autres , recommence fes tendres ac-  SDR LA MYTH-OflOGI'e. mencer leurs feftins, nomtnaient le roi des conviveïi Souvent le fort le défignait, & cette royanté,ainll qua beaucoup d'autres, était le réfultat d'un coup de dés». c $  L E T T R É S' nieufe, a 1'endroit même oü Ie Dauphin venait de dépofer Arion. On ajoute que ce Dauphin s'étant trop: avancé fur Ie fable, ne put fe remettre b flot (i), & qu'Arion,. ingrat paree qu'ilétait homme, ayant négligé le falur dë 1'être auquel il devait le fien , laifTa fon libérateur expirer fur le rivage. Pour réparer cette ingratitude, Périandre éleva au Dauphin un magnifique tombeau, & 1€3 Dieux. le placèrent parmi les aftres. Hélas! tel eft fouvent le defiin des mortels, Qui confacrent leurs jours au bonheur de la 'erre ü Vlvants, on les délaiiTe au fein de ia mifère; Morts, on leur dreüe des autels. Au refte, on préfumait affez généraleïlient que le Dauphin était ami de 1'hom* me, & que les poiffons n'étaient pas infenfibles au charme de 1'harmonie. Or comme ce qui s'eft déja vu peut fe voir encore,& qu'en fait de miracles il n'y a de difficile que le premier, (i) Hygin, ehap.  sur la Mythologie. $r G'race au peuple amateur de 1'èmpire des flots, Ce prodige , qui nous étonne, Se renouvelerait fous les murs de Bordeaux (i),> Si Garat, en cbantant, tombait dans la Garonne. Les anciens avaient pour le Dauphintant de vénération, que fi, par malheur,, il en tombait quelqu'un dans leurs filets,ils s'empreflaient de le rejeter a la mer, perluadés qu'en le retenant ils violeraienc ltes droits de 1'amitié. Auffi les Dauphins, reconnaiffants de ces procédés , avaient-ilsgrand foin de fecourir tous les hommes qu'ils rencontraient luttants contre la tem-pête, & de ramener même les morts au rivage. C'eit ainfi qu'ils rapportèrent Ie' corps d'Héfiode, maffacré dans le temple de Neptune & jeté dans la mer. Ainfi fauvèrent-ils du naufrage Phalante, général Lacédémonien, & Télémaque, qui, jeune' encore, tomba dans les fiocs en jouant fur le rivage. Ulyfle , pour en éternifer le' fouvenir, fit peindre un Dauphin fur fom (i) Patrie du célèbre chanteur Garat.G 6  3$ Lettres bouclier.. Gupidon en eüt dü graver u» fur fon carquois, en mémoire de deux amants qui, le foir,céfébrant fes myfières fur les rives dê Lesbos, tombèrent , par diftradtion , dans la mer , en fe tenant embraffés; & furent, par un Dauphin , repofés fur le fable avec tant d'adrefle, que leurs bras demeurèrent enlacés , que leurs coeurs continuèrent de battre 1'un contre 1'autre, & que leurs lèvres immobiles ne perdirent pas un foupir.. Bon foir :1a nnit approche, & cet heureux naufrage, €ë Dauphin, ces baifers, vont,pendant mon fómmeiï, Me pourfuivre de leur image» Heureux fi, jufqu'i mon réveil,. Après un naufrage pareil, Je repofe avee vou$,ftr Ie bord du rivage!  SU R. LA MYTHOLOGIE. 39, LETTRE LXXV. Vous vous rappelez , mon amie , eer jour forcuné oü, pour le bonheur & le tourment de 1'univers, Vénus naquit du' fein de 1'on de (1). La fille ainée de 1'Océan ne pouvaic être étrangère a Neptune, auffi fut-elle invitéela première k la célébration de fon mariage. Elle y aififia avec 1'Amour, qui, jeune eneore, portair le flambeau de 1'Hymenée. Peu de jours après, la reine de Cythè* re prépara, dans fa capitale, une fête bril* lante pour les nouveaux époux. Ils s'y rendirent accompagnés de leur cour , & environnés de toute la pompe de 1'empire amaritime. Les tritons précédaient le cortége e» Ci) Voyez Iafeconde Pattie, Lettre XXI,  4&> Lettres formant de leurs conques recourbées. Leur chevelure verte tombait fur leurs joues gonflées & vermeilles. Le piaifir animait leurs yeux lascifs , leur teint'bazané, leurs lèvres épaiffes & colorées. Sous leurs brasnerveux, deux nageoires fillonnaient les flots bouillonnants autour de leur large poitrine. Leur corps, vers Ia ceinture , dégénérait en une queue de poiffon , qui tan tót fe perdait fous les eaux. tantöt recourbée au deffus de Ton» de, tracait en ferpentant un filion blanchi d'écume. Derrière eux , quatre chevaux marins, aux crins noirs , aux narines fumantes, trainaient, fur des roues dorées, Ia conque de Neptune. Le Dieu, couvert d'un mameau nuancé ce verd & d'azur, le front ceint du d;adème , d'une main tenait le redoutable trident, de 1'autre, impofait filence aux tempêtes. Aux deux cötés du char , on vo;.ait Phorcis commandant la troupe des tritons, la tendre. Ino, tenant dans fes bras fon jeune fils Mélicerte, Glaucus portalt fes filets,,  sur la Mythologie. 4* & tournanc de loin fes regards vers Taimable & malheureufe Sylla ; & Nérée ,. ehantant les louanges d'Arnphicrite, & Pro» thée, tour-a-tour lion, taureau,.courtier r pourfuivi, faifi, enchainé par les Tritons, & s'envolant en aigle fuperbe, ou s'échappant en flamme pétillante. Plus loin , les jeunes Néréides , couronnées des fleurs du rivage, préfentaienc aux flots amoureux. les contours de leur fein,& cachaient fous Tonde leur queue fouple & verdatre. Leurs bras, plus blancs que Tivoire , guidaient les rênes des Dauphins attelés au char d'Amphitrite. Sur ces roues d'argent , s'élevait une vafte coquille, dont la hlan-» eheur éclatante dégénérait, vers les extré» mités, en un tendre incarnat, qui Te confondait avec le teint de la Déeffe. Les perles & le corail couronnaient fa chevelure blonde & flottante. Sa robe & fa. eeinture reffemblaient a Técharpe d'lrisiSon fceptre d'or tombait négligemment a. fes pieds*  4^. L Er T T R E S Le fceptre, dans Ia main d'un roi , Semble dire: obéiflez-moi, Et reconnoiflez mi puiiïance. Mais quand,d'un feul regard, oa peut dire:aimez moiJ II eft inutile, je ctot, De commander f obeifTanee. Amphitrite, d'un fourire, attirait fur fes. traces la foule emprelfée de fes fujets. Les Nymphes nageaient a fes cötés , en lui préfentant leurs urnes & leurs guirlandes» Les Zéphirs, agitant leurs ailes de papillons, parfumaitnt 1'air. autour d'elle; les Syrênes, quittant leurs rochers fauvages,, planaient derrière le char, en uniflant a leurs voixenchantereffes les fons de la flüte & de Ja lyre;. & ]e peuple muet des habitants de l'onde,fortant de fes profonds abimes,.bondifTait de joie &.d'amour en fuivant fa jeune fouveraine.- Vénus, voyant, du rivage, approcher les deux époux, prit fon équipage maritime pour aller a leur rencontre. Elle s'affit fur fa conque trainée par deux Cygnes, & efcortée par 1'effaim des Plaifirs..'  SU* i A MïTHOL OiGIE. 4,3, Prés (felle , l'Hymen & l'Amour fe tenaient embraffés fur un char attelé de moineaux & de tourterelles. Ils étaient entourés de papillons qui affiègeaiene FHymecée & que Cupidon chalfait avec. des rofes. Les deux cours réunies abordèrent auxremparts de la capitale , fituée alors au^ midi de file de Cythère. La. Fidélité gaidait les portes de la ville, & la Pudeur commandait dans la citadelle. Elles furenfc invitées a la fête» La Décence y couduïfit les Plaifirs.. Le Myftère s'y rendit a. leur fuite. Mais & fon arrivée, il fut in« troduit dans le fancluaire de l'Hymenée, &. demeura,. jufqu'au lendemain , caché fousles rideaux d'Amphitritei Heureux fiècle •, oü l'Hymen, l'Amcur & Vénus, réunis dans un même iejour,. formaient, en fe donnant la main , la chaine des vruis plaifirs & du bonheur de la terre !. Mais bientö: après unelongue nuit, pendant laquelle Cupidons'é.tajt abfenté., Vénus, dit-on, houda.  44 Lettres 1'Hyinenée , & fe retira vers le norcf de Cythère, ou fon fils lui batit fecrètement une petite maifon. La, comme il allaic fouvent la vificer a 1'infu de l'Hymen , il fic confiruire un pied a terre pour lui & fa Mee. Ces voyajes mystdrieux devinrent bientöt a la mode , & les, voyageurs multiplièrent les petites maifons au point qu'elles formèrent, enpeu de temps , une nouvelle capitale y dans laquelle rous les babicants de fan-1 cienne féjournèrent d'abord par ton ou par défoeuvrement, & fe fixèrent enfuice par habitude. L'Hymen, refté feul dansla ville déferte, avec la Conftance & la Pudeur, vit, en moins d'un fiècle, fesremparts cachés fous 1'heibe. Cependant Philémon & Baucis y batirent leur cabane, Platon y tint fon école , les pasteurs d'Arcadie y éievèrent leurs ber'geries, & les preux chevaliers y ouvrirent leurs lices & leurs tournois. Vénus même & fon fils affiftèrent fouvent a ces affèmblées. Mais THonnear y prenant  sur la Mythologie. 45 toujours Ie pas fur les Plaifirs, ceux ci retournèrent a la nouvelle Cythère, & ramenèrent avec eux Vénus & fa familie. Depuis ce temps, les bergeries fone défenes, les écoles fermées, les tournois abandonnés; & I'ombre antique des myrthes & des Iauriers s'étend fur les ruines de cet empire, oü 1'on ne retrouve plus que les fouvenirs & les regrecs de la félicité. Cependant onaffure que, de nos jours,' deux jeunes époux ayanc entrepris un péterinage au temple de laFidélité, firene naufrage dès le lendemain, & échouèrent fur les rochers d'une ik, qui d'abord leur parut inhabitée. Bientöt, en avaneant a travers des monceaux de ruines couvertes de moufTe & d'arbruTeaux,. ils virent s elever, dans le lointain , des arcades & des colonnes mutilées, des vestiges de Temples & de palais , & des barrières dont les débris fermaient encore une vafte enceinte entourée de trophées,, que couvraient 1'ëpine & le lierre. Sur.  4# Lettres les dégrés d'un maufolée , oü on lififc le nom d'Arcémife , s'ëlevait une petite chaumière ornée de guirlandes deffé* ehées & de chiffres prefqu'effacés. La porte s'ouvrit,. & les voyageurs vU rent descendre vers eux une veuve plus qu'oétogénaire , vêtue exaftement comme au Cècle d'Amadis. D'une main elle tenait ia houlette,. ornée d'un ruban rofe, qui avait un peu jauni; de 1'autre, elle conduifait, avec un ruban bleu pale, fon ehien fidéle, dont le collier était orné d'une devife. Sur le corfet de la bergère pendaient une panetière &. un chalu» meau. Son chapeau de paille était entouré de lacs d'amour, & fes vétements brodés de lis, de rofes, de colombes&de tourterelles. Ses moindres discours confervaient encore la fineffe du madrigal r $ fa voix le ton plaintifde 1'élégie. Ses regards exprimaient la langueur, fes geiles 1'abandon d'une paffion éternelle & malIteureufe.. D'un air augulte & tendre,, Ia=  'sur la Mythologie. 47 •.pastourelle aborde les jeunes époux , les lalue & leur die: „ Amants infortuués, armez • vous de courage. -„ La Conftance triomphe & des Dieux & du Sort. „Sur ces liords dangereux vous avez fait naufrage, „ J'eus ce malheur jadis! qu.mJ vous aurez mon age, .„ Vous jouirez auffi des délices du port. „ La jeunefTe eft un temps d'épreuve, „ Bien dur, bien crue! a pafler!.... „Cependant, fe difaitla veuve, ,, Je voudrais bien recommencer." En parlant ainfi , elle les invite a partager fon afyle champêtre. La elle leur préfenté un repas de fruits, de lait & de miel, & leur montrant de loin tous ces monuments qui fixent leurs regards, elle leur dit, avec un profond foupir: Voyez fur ces bords enchantés Les murs de l'antique Cyrhère. La nouvelle a quelques beaurés, Mais vous en feriez peu flattës "Si vous eüffiez vu la première. Ces dómes, encor menafants, Som les débris du vieux portique Oü ré^nait 1'Amour PiatoDique, •  4$ Lettres Cet Amour banniflait les fens Da commerce de la tendrefle. A vingt ans, prés de fa mahrefle, Riche de grace & de fralcbeur, On s'en tenait aux yeux du cceur (i) . Sans ofer jamais fe rien dire, On fe lorgnait a qui mieux mieux. L'Amant, dans ce muet délire, Paflait des jours délicieux J Que fi, le foir, a la fenêtre Sa dame venait a paraitre, On risquait quatre mots au plus, Et 1'on fe couchait Ia - deflus Sans en demander davantage. L'lnnocence était de tout age: Une adolefcente , è trente ans, Ignorait qu'on fit des romans. Aujourd'hui, graces aux lumiêres De ce fiêcle, hélas! trop favant, Nos jouvencelles au couvent, Sont plus habiles que leurs mêres. Sous ces vénérables donjons, Bordés de piqués, d'écuflbns, L'Amour de la chevalerie Dictait aux Renauds, aux Rolands, (i) Extrait du flyle des romans de chevalerie. (Voyez Cyrus & compagnie).  sur la Mythologie. 49 Aux Tancrèdes, aux Azo inds, Les !ois de la Galanteriej Qu'tin chevalier levit les yeux Sur une gents Damoifelle, Et que le galant recüt d'elle Un (buris tendre & gracieux, Auffi-tót de cette éiincelle NaiiTait une flamme éternelle Qui les emb;arait tous les deux. La belle, poar cacher fes feux, Armait fon front d'un air févérej Et quand fon amant débonnaire Lui demandait d'un ton pireux, Comment il pouvait lui déplaire, La Damoifelle fe taifait; Par quoi le jeune téméraire, Soupconuant un grave fujet Pour forcer fa Dame a fe taire, S'en allait, par les grands chemins, Piquant des deux fa haquenée, Jufqu'au fond des pays lointains, Trainer fa chalne infortunée. La tous les jours bravant la mort, Combattant d'efioc & de taille, Il laiffait au champ de bataille Un membre au midi, 1'autre aunord, Une jambe dans 1'Amérlque (1), (O Je foupeooae ici la vénérabie d'un léger  'L E Ï T R E 3 Une main chez les Mufulmans, Un ceil dans les déferts d'Afrique, Ainfi du iefte. Au bout d'un temps-, Illuflré par mainte vifloire, Ce vaillant redrelTeur de torts S'en revenait pauvre de corps, Mais riche d'amour & de gloire. Sa Dame, pour le dénoümem, Se rendant enfin plus traiiable^; Dans un age bien raifonnable Époufait folemnellement Ce qui refiait de fon amant. Ce fiècle lè valait vraiment Bien mieux que le fiècle oü nous fommes. Nous n'avions pas, comme a préfent, Ces petits colifichets d'hommes, A fair fat, au ton fuffifant, Qui froidement femblent vous dire: Je fais ce que je vous infpire; „Je vois le trouble de vos fens: „ Vous m'aimez; allons, j'y confens, ,.Mais terminons, je fais ma ronde; „ D'avance mes moments font priss anachronisme: il n'eft pas conflant que les preux chevaliers ayent découvert 1'A m h it i q u e avant ChtiftopheColomb ,& Americ Vefpuce,qui lui donna fon nom a la fin de quinzième fiècle. ,>Ce  sub la Mythologie. 51 ,,Ce matin, la brune a le prix i „Ce foir appartient a la blonde. „ Sur ces principes-la je fuis ,, Três-fcrupuleux, &, fi je puis, „Je veux contenter tout le monde." Admirez le vafle contour De cette colonade immenfe. La fe tenait la C0uet d'Amode (O i Lafouvent, en pleine audience , Les jaloux & les inconftants Perdaient leur caufe avec dépens. La, pour terminer les querelles, L'augufte Sénat tour-a-tour Appointait les amants fidéles, Et, fur leurs plaintes mutuelles, Mettaic les époux hors de cour. Sous ces arcades le Myfiére, Des pafloureaux, des chevallers, Des troubadours, des romanciers, Formait le flyle épiftolaire. A I'ombre ce fanftuaire, Mercure, atix confidents discrets, Enfeignait trois fois par femaine , (1) Voyez Amadis & les autres romans de chevalerie. Sixiem. Part. t>  5$ Lettres - L'art de remettre lespoul'ets,Et de tromper les yeux furetsD'un tuteur ou d'une maraine. Plu's bas, contempfez ce vallon Oft fous les faules ie promêne .Une fottrce; c'eft le Lignon (t). C'eft Ia que ia bergère Ismèiie Et le beau bergir Céladon, Tour-a-tour, fur le mémeion, Contaient leur amoureufe peine A tous les: échos du canton. Clitandre, auteur de- ce vieux frêne, Ayant gravé fon teftatnent En faveur de fon inlsumaine, Pour elle-, au- bord d^afre^foiitain^i, Alla mourir tout doucement. Sar ce beau tspls de fougère, Le fagê' Alcandre, dérobant Un rubatr rofe a fa- Glicère, Donna vingt baifers au ruban,. Et pas un feuf a- la: bergère. Dans cet Hernritag» ifolé , Le doux Léandre, défolé Des rigueurs' de la jeune Hcttenfe, O) Voyez i'Afirée.  SUR Xi M V.TH OLOGIK. 53 Al'ait chanter une romance, Et puis revenait confolé. Tout Ia-bas, dans cette prairie, Voyez-vous ces vieux aüzters ? C'eft Ia que les preux chevaliers Goütaient , a I'ombre des Iauriers, Les plaifirs de la bergerie. C'eft fur 1'émai! de ces gazons, Qj'oubÜaut l'épée & la lance, lis laifiaient ia leurs bataiilons, Prenaient la houlette en cadence, Et venaient garder les moutons. Converfaient-ils avec leurs belles? C'étaient des discours innocents; lis parlaient des fleurs du printemps, Des agneaux & des tourterelles. Ils enrichiflaient ces tableaux De rbétorique, de morale, Et parfemaient la paftorale De cantiques, de madrigaux, Di pointes & d'aftrologie. Aujourd'hui 1'on a la manie De clouer fur tous les fujets Le mot pour rire è chaque phrafe. On gaze, dit-on, les objets, Mais on éclaitcit trop Ia gaze. On répaiffiflait autrefois Quand les plus refpeclablês Iois D a  54 Lettres Étaient les lois de 1'innocence. Le voile adroit de la Décence, Des charmes qu'il environnait Laiflait entrevoir la nailTance, Et Je refle fe devinait. Aujourd'hui 1'on fait étalage Du fuperflus de fes appas S'appauvri(f;nt - ils ? en ce cas, On voile ce que 1'on n'a pas, Pour en fuppofer davantage. A Cythère, comme a Paris, Tout eft fsclice: la peinture Et Ia mécanique, a tout prix, Font, pour le corps & la figure, Du teint, des traits, de la tournure, Des reins, des hanches, des tréfors. De ces masques, de ces reflbrts Chaque piéce avec art fe loge, Se joint, s'enlêve a volonté} Si bien qu'au befoin, Ia Beauté Se démonte comme une horloge.- Hélas! comme tout eft changél Au lieu de cet air négligé Qui véut imiter la Nature , De mon temps, tout dans la parure, Était bien lifTé , bien rangé. Le cpifet blanc, la colerette,  sur la Mythologie. $5 La jupe courte, le bas fin , Et la cherüifette de lia Paraient la fimple bergerette. Les Dames, en Vertugadin, Promenaient la robe balante, La Refpectueufe galante, Les gros nceuds, le petit chignon. Et le bennet en -papillon. La Bergère, les jours de fête, Mettait la jufte de bazin, Orné d'un bouquet de jasmin. C'ètait lit 1'babit de conquête. De ce modefte babillement , Un foir d'été, j'étais vêtue, Quand Tyrcis, m'ayant appereüe, Rougit refpeétueufement, Et me fii rougir a fa vue. Nous nous faluames, deux ans, Deux fois par jour, mais en filence. II ne faut pas aux jeunes geus Dire d'abord touc ce qu'on penfe. Enfin nous nous dimes, bonjour. Cela dura deux ans encore; Quand tout-a-coup brülant d'smoui, Tyrcis, fous ce vieux fycomore , S'ècria: Philis, je t'adore l D 3  5$ Lettres De cet aveu prérrsaturé ]ugez fi je fus courroucée! Cependant je vous avaürai Q.u'étant moi-même un peu bleflée, Je ne le boudai que tiois ans. II traina des jours languiffants. II devint fombre, maigre & b.'êmo. Quand je le vis prêt a mourir, Je crus devoir le prévenir En lui répondant: Je vous aimej Et puis réduite au défefpoir, Comme c'était alors 1'ufage, Je m'enfuis dès le rtême foir, Et me mis en pélerinage. Je traverfai de longs déferts; Je francbis les mouts & les mers; Je fus prife par un corfuire; Je fus vendue au Grand Seigneur, Mais je lui tins toujours rigueur, Et tirai mon honneur d'affaire. Enfin m'échappant de fes mains, Avec mon bourdon, mon rofaire Et mon chapeler a gros grains, Voyageant penfive & feulette, Après dix- huit mois de chemin, Je trouvai Tyrcis, un matia, A Notre»Dame de Lorette. „Cruelle! pour vous appaifer., j;Je cours, die il la terre & 1'oade,  sur la Mythologie. 5^ „ Et pour obtenir uu baifer,. „ j'ai fait deux fois ie tour du mo.iJe," II éprouva prefqu'un refus; Mais, par malheur, je n'avois plus Le courage d'être inhumaine» „ EmbratTezmoi donc pour la pelne» Lui -dis - je. Quand cela fut fait, 11 me pria, d'un air difcnet, D'unir enfin nos deftiuées; Mais je crus qu'il était prud.-n; l D'éprouver fon amoar con'.knr Encor deux petites années. CouïOie ils s'envolent nos beaux jocts! A peine en voyons-nous 1'aurore, Que 1'Eternité dans fon cours Les enfevelit pour toujours. Mes enfants, je crois être encore A la veille de notre hymen. Il me femble encor que demain, Tyrcis, le front paré de rofes , Recevra mon coeur & ma maia» Hélasl je les rappé!e en vain, Ces beaux jours! Tyrcis, tu repofes Sous ces berceaux oü le bonheur Si long-temps partagea ton cceur Etitre 1'amour & la nature! D 4,  Lettres Mes jeunes amis, voyez-vous Ce tettre ombragé de verdure? , C'eft la que m'attend mon époux ; I! u'a plus long-temps a m'attendre. Venez au pied de. cet ormeau Pleurer avec moi fur fa cendre. Ainfi dans Ia nuit du tombeau Quand 1'age vous fera defcendre, Peut étre.un couple jeune & tendre Sur votre cendre gémira, Et la piété vous rendra Les pleurs que vous allez répandre." A ce récit atteadriflant, Les deux époux, en s'embraffant, Pleurent avec leur bonne hoteiTe, Et pour aider fes faibles pas, Tous deux lui préfentant le bras, Servent d'appuis a fa vieilleffe. Parmi les débris précieux De ces temples, de ces portkjues, ^Sous ces arcades magnifiques, lis paflènt fans lever les yeux. Cette villa antique & fuperbe N'intéreffe plus leurs regards. Ils ont oublié fes remparts, Pour un tombeau caché fous 1'herbe. Ainfi 1'antique majefté  sur la Mythologie. 59 Des monuments que ia richefle Elève è la poftérité , Céde a 1'humble fimplicité Des monuments de la tendrefle. Que 1'on me dife: „ Sur ces bords „Brillait une ville opulente. „Ses murs, fes temples, fes tréfors» „ Sa jeunefle ïlluftre & vaillante „ Long-temps foutinrent fa fplendeur, „ Elle n'eft plus;" 1'ame abforbée Dans le néant de la grandeur, Jemerépète: elle eft tombée!.... Qu'on me dife alors: „Vers ces lieus „Habitait un couple fidéle, ,,Chéri des hommes & des Dieux. „Des amants il fut le modèle. „Voyez-vous ce chiffre amoureux „Sur 1'écorce de ce vieux hêtre? „ Jadis il fut gravé par eux. „Voyez-vous ce tombeau champêtre? „C'eft la qu'ils repofent tous deux.'* Auffi-tót oubliant la ville, Ses tours, fes palais faftueux, Je va is, d'un pas refpe&ueux, Vifitsr le dernier afyle Du couple tendre & vertueux. Sous ces arcades écroulées, D 5  fi® L E f X R E S Sur ces colonnes rntuilées, D'un ceil fee j'ai lu ces <*crits, Monuments de gloire & d'allarmes. Sur ce hétre en voyant unis. Les-cbiffres de ces vieux amis, 0$. feas nses yeux mouiljés de larmes,..  sur la Mythologie. 61 L E T T R E LXXVL Amphitrite & Neptune troiiverens 1'ancienne ville de Cyrhère fi agréable, qu'ils réfolurent de s'y fixer» Durant touc le iéjour qu'ils y firent, Neptune n'adora que fa chère Amphicrite. II ne concevak pas même qu'un mari put aimer une au~ tre femme que la fienne.. Cependant Vénus s'était retirée a Ia nouvelle Cythère, ou tous les courtifans de 1'ancienne ailaient , chaque jour, Ia vifiter incognito. Neptune crut qu'il ns pouvait feul fe difp^nfer de ce devoiiv Mais craignant , pour de bonnes raifons fans doute , que fon épöufe n'approuvat point cette démarche clandefüne, il réfolat de la faire fans 1'en prévenir. Ce voyage était fans conféquence; les audien* ces de Vénus étaient publiques. Un époux du bon ton ne pouvait fe difpenfer d'y paraure ; .ce ridicule n'était réfervé q i-'a ces maris exclufifs, efdaves enchai* D 6  6l i3 L K T T R E S nés & la ceinture de leurs femmes. De pareils motifs étaient plus que fuffifantspour déterminer FepouxSc même l'amant d'Amphitrite. Amour, c*efl valnernent qu'on vame ta puifTancg. L'orgueil efl la Divinité De tout ce peuple qui t'encenfe. Pêfe tes faveurs, d'un cóté, Et 1'attente & la j'ouiffance, Et les défirs & 1'efpérancé, Plus féduifants qöe la réalité, Et 1'eflime & l'intimité, Et la tendreffe & la reconnaiffance 5 De 1'autre, un grain de vanité. Le grain emporte la balance. Voilh donc Neptune fuivant, au déclin du jour, le fentier myftérieux de la nouvelle Cythère. Parvenu en un lieu oü le chemin fe pnrtageait, & ne fachant de quel cóté pourfuivre fa route, il eonfulta d'abord la Nymphe Salacie, qu'il apperc,u; a fa droite, puis la Nymphe Vénilie, qui parut a fa gauche. Toutes deux lui répondirent: Suivez - moi; & , foir penchant, foit habitude, Neptune fuivit Vé-  sur la Mythologie. nilie. On ignore dans quel dédale elle le conduific; mois au retour de 1'aurore , la paleur fur les lèvres, & la rougeur fur le front, il cherchait encore 1'ilTue du Jabyrinthe. II en fortit enfin, rêvant aux inquiétudes de fa chère Amphicrite. II retournait vers elle a grands pas lorsqu'il retrouva la Nymphe Salacie, & fe plastik a elle de la perfidie de fa compagne. Pourquoi 1'avez-vous préférée , reprit-elle? c'eft moi qu'il fallait fuivre. II la fuivit; &, le troifième jour, Amphitrite Pattendait encore. La honte du crime fait quelquefois plus de mal que le crime lui-même, quand elle empêche le criminel de revenir a la vertu. Comment, après trois jours , retourner dans les bras de fon époufe? De quel prétexte colorer une fi longue abfence ? Le menfonge eft embarraffant, 1'excufe humiliante.... Tandis que Neptune fe livraic a ces réflexions, la jeune Nym* phe Thoofa, égarée fur la même route, s'écriait en pleurant : Comment, après D 7  64 , Let t r e s trois jours entiers, oferai-je me préfenté!" a.ma familie? Que va croire Amphitrite, pourfuivait le Dieu? Que. dira ma mère, ajoutait la Nymphe? A ces mots , ils fe troui'èrent ft prés 1'un de 1'autre, qu'ils s'entendirent, s'arrêtèrent..... Et quand Pkebé eut neuf fois parcouru fa carrière inégale, elle appercut , fous les rochers de Lemnos, le jeune Polyphème, jouanc fur les genoux de fa mère Thoofa. Mais, h cette époque., Neptune , depuis long - temps, s'était encore égaré loio d'elle. On ignore en quels lieu» 1'Amour & le Hazard guidaient alors fes pas , & peut-être 1'ignore-t-il lui-même; Citr tous ces cotiquérants de 1'erhpiTe de Gnide? S'élancent d'un vo! fi rapide, Qu'ils n'ont jaraais.4e temps de laifler gamifon Duis les places qu'ils ont conquiies, A peine de leurs entreprifes Savent-iJs la daie & le nom, Le:ur gloire & leurs projets s'embrouillent dans IetTT tête* Le. yainqueur oublie en courant .  sur la Mythologie. 65 Le numéro de fa conquéte, Qui n'a jamais connu celui du conquéranr.. Peut-être Neptune était- il aux pieds de Ja Nymphe Phcem'ce. Peut-être pourfuivait-il BifaJtis fous la forme d'un bélier, ou Cérès fous celle d'un cheval, ou Mé-, dufe fous celle d'un oifeau. Peut • être encore féduifait-il Mélanthe fous la figure d'un dauphin. Admirez., Emilie, la variété de ces métamorphofes & furtout le penchant du fils de Vénus pour Ie déguifement. Quand 1'Efprit & 1'Amour allaient -de compagnie, De 1'embléme des fots Cupidon fe couvrit, Et depuis que les fots peuplèrsnt Idalie, Cupidon s,'affübla du mafque de 1'Efprit. Cependant Neptune reconnut bientöc 1'avantage de 1'efprit fur Ia* fottife. Danaüs, roi d'Argos, ayant envoyé fa fille Amimone puifer de 1'eau a une fontaine folitaire , un Satyre , qui 1'épiait, faifit l'inftant oü elle élevait- avec effort fon urne pleine fur fa tête , s'élance brusque-  66 Lettres ment, & veut lui faire violence. Neptune j qui heureufement paffait prés de Ia , fous fa forme naturelle, accourt aux cris d'Amimone, met en fuite 1'affreux Satyre, relève 1'urne d'une main, de 1'autre 1'adolefcente éperdue,& paflant doucement fon bras autour du fien, il lui dit en la reconduifant par le bocage: „Combien je rends graces aux Dieux „ D'avoir guidé mes pas vers ce bois folitaire „Pour vous fervir & vous fonftraire „A la brutaiité de ce mcnffre oditux! „ Je con^ois bien qu'on devienne idoMtre „D'un enfemble fi doux de graces, de beautés, „ Et qu'en voyant plonger dans les flots argentés ,,Ce bras & cette main auffi blancs que 1'albatre, „On fente fur fa bouche éclore le Baifer; „Mais fur ces beaux contours.s'il ofe „ Savourer Ie lis & Ia rofe, ,,Ce n'eft qu'avec refpt ft qu'il doits'y repofer." A ces mots, d'un baifer modefte Le Dieu couvre la main. Le bras fuit un moraent.j Mais on le rejoint doucemen;; II fe replace, & la main refle. „Je concois bien encor qu'après avoir goüté  sur la Mythologie. 67 „Tout le charme de ces prémices, s,Le Défir enhardi cherche d'autres délices, ,, Et cueilie fur ce front quelques rofes novices » Qu'y font naStre 1'amour & Ia timidité ; „ Mais foit qu'en paflant, ij fe joue „Sous les arcs de ces noirs fourcils, ,,Ou fur les contours adoucis „De ce menton, de cette joue, „ Soit qu'il effleure le corail „De cette bouche innocemment fetmée, „Soit qu'erifiu de ces dents il entre'ouvre 1'émaii, „Et refpire en fecret cette haleine embaumée; „GlhTant fur les attraits qu'il tremble d'cffenfer, „Comme un éclair il doit palTer „Plus rapide que la penfée.'' Et la Nymphe en eft'et de fes Ièvres preffée, Navait plus le temps d'y penfer. „Enfin, è dis fept ans, avec un ccenr fenfible, „ ii eft bien naturel, & même bien poffible „Que Ia Pudeur, au fond d'un bofquet écarté, „Dans un trouble mêlé de langueur & de crainte, Céde aux tendres efforts d'une douce contrainte. „ Mais fentez-vous comme la volupté „Ménage fa timidité?.,.. „ Ne craignez rien: le ciel eft couvettd'un nusgr, ,, Ombre, fralcheur, filence, iel tout eft piaifir Je ne vous verai pas rougir: „Nous attetdrons la nuit pour fortir dubocage"...*  6&: L E T T:-K E 3 Et Amphitrite? Elle attend. Ne frémiffez-votis pas, Emilie, de cet enchainement épouvantable d'embüches & d?erreurs qui égarent&retiennent les voyageurs ifolés ikr la nouvelle route de Cythère? Recevez, mon amie , le ferment que je fais, ou de ne jamais la connaitre ou de n'y voyager qti'avec vous. . Dans cette dangereufe enceinte Si- 1'on remarque un jour la tracé de roes pas, Prés d'eux, de vos pieds délieats En admitant la .douce empreinte, ^11 venait, dira-t-on, vifiter les détours „Du labyrinthe des Amours Et des bocages d'Idalie, „ Mais on voit qu'il marchait toujoBrs .- 3,Cóte a cóte avec Emilie."  sur Xta Mythologie. 69 L E T T R E LXXVIX. t^E plus redoutable & le plus hideux des enfants de Neptune fut le géant Polyphèr me, père des Cyclopes, felon Euripide, & felon d'autres, fils aïné de cette monf. trueufe familie. La hauteur de fa taille était telle, qu'en pleinemer, les flöts atteignaient a peine fa ceinture. Une tête énorme, bériffée de crins noirs , ombrageaït fes épaules larges & velues. Ses lèvres, couvertes d'une barbe épaiiTe, s'étendaient jufqu'a 1'ouverture de fes longues oreuies. Au milieu de fon front ridé, un oeil ror.d. s'enfoncjiit a I'ombre d'un fourcil rouiTatre, & dominait un nez applati & deux narines pendactes. Tantöt il gardait fes nombreux rmn. peaux fur le rivage, tantöt-il pourfuivaK, dans le fond des forêts, les tigres & les ours qu'il apprivoifait; plus fouvent il at-  7© Lettres tendait les voyageurs fur les chemins éca> tés, les attirait dans fon antre , les égorgeaic, durant leur fommeil , & dévorait leurs membres palpitants. Si je vous apprends, Emilie, qu'avec, cette figure & ce caraclère, Polyphème s'avifa d'aimer Galathée, la plus tendre & la plus belle des Néréides, De fon amour vous allez rire, Et vous aurez tort; en effet, Contre lui qu'autiez-vous a dire, Si la Nymphe vous reflemblait ? Sa taille était fvelte & fugitive, fes cheveux cbatains & bouclés, fes fourcils noirs, fes yeux bleus, fon nez un peu mu. tin, fa bouche fine, fes lèvres rofées, fes 'bras auffi ronds, auffi frais que fes joues, fon col blanc & veiné ; Et puis Tonde voilat mille attraits qu'Emilie Eafevelit toujours fous un triple linon; Ainfi difpenfez-moi, grace a la modeftie, D'achtver la comparaifon.  sur la Mythologie. 71 Cependant comme la Pudeur répand fur les beautés apparentes le charme fecret de celles qu'elle empêche de paraïtre , Polyphème , croyant n'admirer que ce qu'il voyait, devint épris de tout ce qu'il ne voyaic pas. L'Amour eft frère de 1'Efpérance , & celle-ci foeur de la Vanisé. Auffi le Cyclope, en aimant, ne délefpéra-1- il pas d'être aimé. 11 concut d'abord le projet, puis 1'efpoir, puis k certitude de plaire. Le voila donc, tout le jour, affis au bord d'une fontaine, négligeant le foin de fon troupeau , oubliant même d'infulter les voyageurs & de ppurfuivre les monftres des forêts. Tantöt, fur fa mufette a cent tuyaux, il murmure des airs tendres, tantöt, avec un rateau de fer, il peigne fa noire chevelure, & taille, avec une faul.v, fa barbe longue & touffue. Alors inclinant fa tête & fon ceil vers le cryftal de la fontaine, il s'admire, il rit & les antres retentiffent. En ce moment, Galathée s'élève au  fa =L E T 'T 'R E S dcflus des flors; fes longs ebevenx flottenc fur 1'onde tranfparente, qui découvre & caehe tour-a-tour fes épaules d'albatre & les tréfors furtifs de fon fein. A I'om¬ bre des faules & des rofeaux, elle gagne, fous un roeher , fa grotte myfiérieufe. Polyphème, le corps immobile & le cou tendu, ia fuit d'un regard avide. Voioi, fe difak-il , 1'heure oü Phoebus darde -tous ces feux. Les troupeaux, les pas* teurs repofent, & Galathée va repofer auffi.... Repcfer a feize ans! ce pauvre Polyphême, ^t'omtne il con;;aïiTait peu 1'Amour & la Beauté"! Qu'on eft crédule quand on aime! ■■Et que 1'on cü heureux de fa créduüté!' Sur un lit de mouffe, ombragé d'un dóme de verdure , le jeune Ads attendait Galathée. Acis, fils du Dieu Faune & de la Nymphe Symeeühis, ardent comme lui , tendre comme elle. faifait fans ccffe palier fa jeune amante des tranfports du piaifir a 1'ivreflè du fentiment.  su-b la Mythologie. 7.3 Scus un myrthe efteuillé dès qu'Amour s'aiToupir, Adieu piaifir d'airner, fi Ie cceur, il 1'efpric, Aiguifant de fes trairs chaque pointe émouiTee, Ne nous rendent'encore heureux par la penfée. Mais quand !e doüx pailer, quand Ie tendre propos, Les aveux délicats & la gaité piquarue Abrégent fheure trop fréquente >Que Ie Dieu du piaifir cadeau Dieu du repos, Le cceur toujours rempli ne fent plus de ditiance Entre Tinflant futur & le momenc paffe'. Dans le fein de la paix & de la confiuice, Cupidon, bercé, carelfé, -•Se réveille en riant; Ie piaifir recommence, Et le bonheur n'a point cefl'é. Tël était le bonheur de Galathee, tandis que Polyphème, eipérant 1'attendrir & charmer fa folitude, s'approchait furtivement de fa grotte, & chantait d'une voix terriblement tendre: „ D; mon èfprk & de mon cceur Galaihée eft la fouveraine. Plus lelie qu'uu cbevreuil & plus droïte qu'un chêne, Elle tffr.ee, au printemps, 1'éclat & la blancheur De 1'églantier & du troêne. Le lait per a moins de douceur,  74 Lettres Le verre (i) eft moins brillant, Ia pomme moins vermeille; Le raifin jauni fur Ia treille A moins d'efprk & de faveur; Le cédre eft moins fuperbe qu'elle, Ses regards font pit ir Ia lumière du jour. Elle ïèrait parfaite enfin, fi la cruelle Savait répondre a mon amour.' Mais plus inconftante que 1'onde, Plus dute que le roe, plus fouple que 1'ofier, Plus piquante que le rofier, Elle irrite, elle aigrit ma blelTure profonde. L'impéiueux torrent, le courfier indompté , La flamme du bücher qu'erabrafe une étincelle Sont moins fougueux,font moins emportés qu'elle. Le tigre a moins de cruauié, L'ours a moins de férocké, ,; Et le Paon moins de vanité. Ah! fi jamais, Nymphe trop inhumaine, De mes perfeclions vous connaiftiez le prix, Combien vous rougiriez de vos cruels mépris, Et qu'il vous ferait doux de partager ma chaine! Hier j'ai confulté le Lac & la fontaine, Et (i) Je doute que Ie verre exiflat alors. Ces comparaifons, qui caractérifent Polyphème, font, en partie, imitées d'Ovide.  sur la Mythologie, 73 Et les Naïdes m'ont appris Que je fuis le plus beau des enfants de la plaine. J'ai les traits de Bacchus, 1'embonpointdeSilène, La taille de Typhon, les épaules d'Atlas; Ma voix reiTemble a la voix du tonnerre, Et ce grand Jupiter, qui fait trembler la terre, Sans incliner le front paiferait fous mon bras. Mes traits éblouifTants du feu de la jeunefie, N'ont point de votre teint 'e tendre velouté, Mais chaque fexe a fa beauté: Elle brille chez vous par la délicatefle, Chez nous, par la virilité. Voyez ce large front tout rayonnant de gloire. Et cette barbe épailTe, & ce bois de cheveux. Ma bouche de mes denrs découvre tout 1'ivoire, Et fi je n'ai qu'un ceil, il en vaut au moins deux. Mon corps, ainfi que mon vifage, Eft couvert de duvets touffus, Et c'eft une beauté de plus: Qu'efUce qu'un arbre fans feuillage, Un agneau fans toifon, un oifeau fans plumage? Mais ma richeffe encor furpaffe ma beauté. Contemplez ces troupeaux errantsde tout cóté, Ces brebis, ces béliers paiffants dans mes prairies, Et ces chevaux épars le long de ce coteau, £t ces agneaux bêlants piés de leurs bjrgeries, Et ces bceurs ruminants au bord de ce iuifleau? Sixiem. Parite, £  j6 Lettrés ' Ces fleurs,ces fruits, ces bois & cette onde argentée 5 Tont eft a moi, tout eft pour Galathée; 9 Tout, arbres, fruits, prés & troupeaux, Mon lak, mes fleurs, mes chalumeaux, Mes bois & ma grotte & moi - même, Tout ce que je poffède enfin, tout Polyphème. Venez, Nymphe charmante, habiter dans nos bois. La le Daim, le chevreuil bondiront fous vos lois. La, dans un antre frais, j'élève pour vous plaire Deux petits Ours jumeaux qu'allake encore leur mère; Tous deux pareils, tous deux plus jolis chaque jour; On voit déja qu'ils font confacrés a 1'Amour. Venez!que tardez.vous?... mais 1'ingrate méprifa Mes foupirs, mes tréfors & mes foitis les plus doux. D'un indigne rival peut-être elle eft éprife. Ah! fi je le croyais!...je ne fuis point jaloux... Mais je difperfer&is fur les ondes fanglantes, J'écraferais fur ce rocher Ses membres, qu'a tes yeux je viendrais d'arracher, Ce cceur que dans fon fein ma main irait chercher, Et fes entrailles paipitantes"... II ce leve a ces mots, approche, & d'un regard furieux, découvre Acis tremblant dans les bras de Galathée. Le Cyclope poufle un cri; 1'Etna tremble; Ga-  sur la Mythologie. 77 lathée fuit fous les ondes, Acis entre les rofeaux. Polyphème, en le pourfuivant, faifit un écueil, & Ie foulève fur la tête de fon rival. Acis esquive cette maffe menacante ; mais la pointe du roe, en effleurant fa poitrine, fait jaillir tout fon fang aux pieds de fon amante éperdue. Polyphème vengé fe retire. Cependant le fang qui s'écoule commence a palir & fe change, par dégrés, en une onde limpide & tranfparente. A Ia place du corps fanglant couché fur Ie rivage, Galathée voit s'élever un rocher dont les flancs entr'ouverts fe couvrent de mouffë & de verdure. La, tout a coup , un Dieu, fous les traits du jeune Acis, s'étend majestueufement fur un lit de ro. feaux, & s'appuie avec grace fur fon urne inclinée. Galathée lui tend les bras & veut lui parler; mais les faules & les peupliers, s'élevant foudain autour de 1'onde naiflante, environnent le Dieu du Fleuve, & ferment a jamais fon fanc* tuaire impénétrable. E *  'j% Lettres La, chaque foir, pour charmer fon veuvage, . Elle venait pleurer fur le rivage , Et quand la nuit ramenait les Défirs, La nuit ja'dis fi féconde en délicesl L'Illufion, les ténêbres propices Jusques au jour lui rendaient fes plaifirs} Et fe ploageant, tant qu'arrivait 1'aurore, Dans fes flots carefiants & doux, Elle croyait fentir encore Les carefles de fon époux. La mort d'Acis fut vengée par Ulyffe, roi d'Itaque. Ce prince, revenant du fiège de Troye , fut jeté, par la tempete, fur les cötes de la Sicile. Polyphème, 1'ayant furpris fur le rivage , Penferma, lui & fes compagnons , dans 1'antre obfcur oü il gardait fes troupeaux. C'eft dans ce repaire affreux que le monftre s'enivrait chaque foir & fe repaiflait de fang humain. Cependant avant de dévorer ces étrangers, il eut la curiofité de les connaitre, & demanda a leur chef quel était ion nom. On me nomme Perfonne., reprit Ulyffe; & montant avec effort fur les genoux du Géant, il s"y affit &  sur la Mythologie. 79 lui raconta fenlèvement cFHélène. Le portrait détaillé de cette Princeffe fixa d'abord 1'attention de Polyphème. Êpris de cet objet divin, Il faifit un tonneau de Vin Kt le vuida tout d'une haleine En 1'honneur de la belle Helène. Ulyffe, avec une coupe beaucoup plus petite, feignit de parcager cette libatkm; puis il entama le récit du fiège de Troye. Polyphème , enthouiiasmé des exploits d'Achilie, but a la gloire de ce héros, puis a celle de Patrocle, d'Ajax, de Philoftète, de Pirrhus, de Neftor, d'Agamemnon, de Therfite même, qui ne lui parut pas fans mérite; & paffant du camp des Grecs dans la ville des Troyens, il multiplia fes ablutions en balbutiant les noms facrés de Priam , d'Hécube, d'Hector, d'Andromaque, de Caffandre, d'linée,,. II en était au père Anchife lorsqu'il tomba rempli d'une fainte ivreffé, qui fut fuivie d'un bruyant & profond fommeil. E 3  $0 Lettres Auffi-tót Ulyffe s'arme d'un pieu énorme, &, d'un bras vigoureux, le plonge dans 1'eeil fermé de Polyphème. Le Géant, appefanti par le vin, égaré par la douleur, parcourt en trébuchant fa caverne retentifiante. Au bruit de fes hurlements, fes voifins accourent a fon antre. Qui vous a bleffé, lui dit-on? Perfoune, répond le monitre en rugiifanc; & les voifins, perfuadés que,dans fon délire, il s'eft aveuglé lui-même, fe retirent pour éviter fa fureur. Cependant Ulyffe & fes compagnons, fuyant adroitement fes longs bras étendus, fe tenaient cacbés parmi fes moutons, qui, comme lëur maïtre, étaient beaucoup plus grands que les autres animaux de leur espèce. Ulyfie, ayant remarqué que fon hóte , en marchant a tatons, ne portait la main que fur le dos de fes brebis, attacha, fous le ventre de chacune, un de fes guerriers, & s'attacha lui-même fous le bélier. Dès le point du jour, le Cyclope, placé a  sur la Mythologie. gj Fouverture de fon antre, fit fortir, un a un, tout fon troupeau. Chaque mouton, en paflant entre fes jambes & fous fes mains, emporta un foldat Grec, & le chef paffa le dernier. Polyphème, rentré dans fa caverne avec la foif du carnage & 1'espoir de Ia vengeance, la trouve déferte & frémit de fureur en entendant de loin, dans la plaine, Ulyffe & fes compagnons qui couraient vers Ie rivage. Le monftre, écumant de rage, fe met a leur pourfuite. 11 heurte, il brife , il renverfe les arbres, les rochers, les collines; cc, d'un bras défespéré, arrachant le fommet d'une montagne, il le lance dans Ia vallée, oü 1'Echo répétait les cris des Grecs fugitifs. La maffe tombe, & le vallon disparate. Cependant Ulyfie voguait vers 1'ile d'Itaque. Le Géant, du haut de Ia montagne , avance un pied & descend dans la mer. II ouvre le circuit de fes bras im« menfes. Ulyffe baiffe les voiles, le naE 4  8a , Lettres vire échappe, & les mains du Cyclope ne renconcrent que des écueils, un promontoire & la grotte de Galathée. A cette rencontre , un foupir douloureux fortit de fa poitrine oppreffée. II fentic tout ce que perdait un amant en perdant la vue. Depuis la mort d'Acis il n'entendait plus les chants de Galathée; il n'ofait plus même lui parler; mais au moins la voyait-il encore! L'air morne, lentement il remonte au rivage. La le monflre étendu fur un rocher fauvage, Tantót, croyant du jour entrevoir la clarté, Fixait en foupirant, fon ceil enfangianté,. Vers 1'antre oü repofait peut-être la cruelle; Tantót, ne rencontrant par- tout qu'obfcurité, Retombait en pleurfnt dans la nuit étetnelle; Les antres mugiflaient de fes foupirs confus Et 1'écho murmurait: Je ne Ia verrai flus! Apollon délivra Polyphème de cette fombre & douloureufe exütence. Pluton, irrité de voir Esculape, fils d'Apollon & de Coronis, reculer le terme de la vie humaine & refierrer les limites de Pempire  sur la Mythologie. 83 des morts, s'en plaignit a Jupiter. Ce. lui-ci, pour obliger fon frère, ordonna aux Cyclopes, compagnons de Vulcain, de lui forger un nouveau foudre, qu'il lanca fur Ia tête du célèbre & malheureuxEsculape. Apollon , défespéré de fa mort, & n'ofant fe venger fur Jupiter lui-même, perca de fes traits tous les Cv-clopes, & rendit a jamais défertes les> forges de Vulcain. Le nom de Cyclopes leur vint, dir> 011, du mot grec Cyclos (1), cercle,feï caufe de la forme circulaire de 1'ceil qu'ils» avaient au milieu du front. Cet ceil fuppofé n'était autre chofe que 1'ouverture' ronde pratiquée au milieu d'un bouclier" dont ils fe couvraient le vifage, en tra-vaillant, pour fe garantir du feu & des-; étincelles. Ces especes d'ouvertures le-' remarquent encore quelquefois au milieu des boucliers antiques, &, a leuF occafion, voici ce qui m'eft arrivé;; (i) HUXhOg. E $  84 Lettres Appercevant, un jour, 1'égide de Minerve, Je voulus m'approcher pour admirer de prés Ce bouclier facré qui, dit-on, nous préferve De Cupidon & de fes traits. J'avance. Un éclair part du centre de 1'égide. „L'Amour eft caché Ia, me dis.je alors tout bas „Je reconnais fa flamme. II faut que le perfide >, Pour m'atteindre ait percé 1'égide de Pallas.'1 Auffi-tót d'une main hardie Brusquement je la foulevai: Or, devinez qui j'y trouvai; 1'Amour? non. Qui donc? Emilie.  sur la Mythologie. 85 LETÏRE LXXVIII. Quand vous affiftez, Émilie, k la célébration d'un mariage , vous obfervez en détail les phyfionomies étrangères & quelquefois étranges de tous les affistants. Plus les graces ou la nouveauté de leur extérieur vous furprènent ou vous intéreffent , plus vous êtes curieufe d'ap-, prendre Les amours de Ia fceur, du frêre , Les aventures du voifin, Les petits fecrets de la mère, Et 1'hiftoire du grand coufm. 11 eft probable qu'en voyant pafier Ie cortège (1) nutial de Neptune & d'Amphitrite, vous avez éprouvé la même curiofité; & moi, qui fuis a peu prés initié dansles fecrets de la familie, (1) Voyez la Lettre LXXV. E 6  85 Lettres Je vais vous dire, en Confcience, Sans furcharger la vérité, Tout ce qu'on dit, tout ce qu'on penfe De chaque Dieu, de chaque Déité. Si ce récit vous offra un peu de médifance, Ne me 1'imputez pas; maisfongez, s'il vousplait, Que c'eft la faute du fujet, Et que, tant ennemi qu'on foit de la Satyre, Quand il s'agit d'honneur, raconter c'eft médire, Dégageons d'abord nos principaux perfonnages de la foule des perfonnages ao ceifoires, & brochons légèrement fur les petites venus & les graces populaires decette mulritude de Divinirés maritimes & champêtres qui n'apportent a la cour de Neptune que. leur gaicé ruflique & leur fraicheur villageoife, & qui n'y font invitées que par égard pour le vieil Océan, chargé de cette nombreufe familie. Et eri effet, quel intérêt trouverez-vous a favoir que ces Napées, parées de fleurs champêtres, veillent a la confervation des praii ies; que ces Oréadès, couronnées dè mouife, de pin ou de genièvre, habitent les grottes des montagnes; que ces Drya*-  sur la Mythologie. des, ceintes d'une guirlande de violettes, gardent 1'afyle des faocag.es, que ces Ama.» dryades , le front ornbragé de verdure , préfervent de touce acteince 1'arbre auquel leur exiflence eft unie^ que 1'exiüence vénérable de ces chênes antiques eft confiée particulièrement a ces Querculanes , parées de leur feuillage? Vous dirai-je encore que la Nymphe Rufina, portant un foc ou t;n rateau, furvèille la culture des champs; que fes fccurs Vallonia & Collina confervent la verdure des vallons & des collines , & cueillent chaque jour leur parure au milieu de leurs riants domaines; que les Nymphes Buboua (1} & Hippona, un cornet ou un fouet a la main, pré/ident aux paturages , aux écuries, aux étables des bceufs & des chevaux; que la Nymphe Seïa, tenant une poignée de grains, prend foin du bied nouvellement femé fur la terre fécondée par le Dieu Sterculius, qui, armé d'une fourche, conduit & diftribue. les Qi) Apul. Afin. Aur. E 7  £8 Lettres engrais; que Ségétia (r), couronnée de verdure naifiante, fait éclore le froment;. que Volufia étend la tige & développe la feuille dont Patélina dégage 1'épi que Flora féconde & que La&ucina retnplit d'un lait fubftantiel, confolidé par Matuta, pulvérifé par Pilumna (2), & transformé par 1'ardente Fornax (3) en une pate légère & nourrilfante ? Ce ne font pas la les fecrets que vous êtes curieufe d'apprendre. D'ailleurs, en voyant ces Nymphes couronnées d'épis verds ou jauniflants, en remarquatn dans leurs mains les divers inftruments qui fervent a cultiver, recueillir, battre, broyer & cuire le froment, vous avez déja deviné 1'emploi de chacune d'elles. Si, ne fachant ni bien ni mal de ces Déités inconnues, je m'avife, fauf erreur, de vous en faire Féloge & de vous les citer comme les modèles de ia douceur, CO Pline. Liv. XVIII. (2) Ou Piluranus. Serv. £3) JFafles d'Ovide.  sur la Mythologie. 89 de 1'innocence & de toutes les vertus qui, dioon, régnent incognito dans les campagnes inhabitées, ces Faunes aux pieds de chèvres, ces Satyres a la barbe de bouc & ces Sylvains au corps velu , qui vous regardent & m'écoutent peut être, vont rire de ma bonne foi & de votre crédulité. Taifotis-nous donc. Croyons quren tout bien, tout honneur Ces Nymphes ont vécu comme ellesdevaientfaire,. Et, pour continuer d'adorer la Pudeur, Ne foulevons jamais le voile du Myflère. Paffons de cette nombreufe familie a celle des fiiles de Nérée. Mais que vous en dirai-je encore? Ces Tritons favent mieux que moi contre quel écueil échouèrent les vertueux projets de cette Néréide, k quel Fleuve la Naïade de ce ruiflèau porte, en ferpentant, fon amour auffi pur que fa fource; avec quel Dieu Ia Nymphe de ce beau lac renverfa cette toufi'e de rofeaux & troubla fon miroir*  9 inftruments dans la mer, & s'y précir pitèrent elles mêmes. Le Dieu de 1'humide féjour Les y recut en fouveraines. Elles firent depuis 1'omement de fa courr La cour fut de tout temps le pays des Sirenes^ On pourrait les repréfenter d'abordv fous la figure de jeunes Nymphes tenant: des inftruments de mufique; après l'en=; lèvement de Proferpine , on leur don-; nerait des ailes •, après leur recherche* infrudueufe, des plumes & des piedsrd'oifeau ; après leur arrivée chez, Neptune , des nageoires & une queue 4r poiflbn* F &  110 Lettres L'image de Circé varie également luivanc Ie temps & ]e iieu oü elle efl repréfentée. Accorde-t-elle fa main au jeune pnnce des Sarmates, c'eft Vénus montant fur Ie tröne de Paphos & de Gnide. Conjure-t-elle Ia perte de Scylla, la fureur ride fon fronr, la rage s'exhale de fa bouche écumante; les ferpents fifflent & s'éntrelacent dans fes cheveux héris. fés; 1'orage gronde fur fa tête;- Ia foudre obéiffante fillonne, a fes pieds, ie eerde magique qui 1'envïronne. Un jour pa!e & livide éclaire fon attitude terrible , fa baguette menacante, fon voile noir , fa robe étincellante, & les coupes empoifonnées dont Ia vapeur s'élève vers les cieux épouvantés. Mais accueille-1 elfë dans fon ik le roi d'itaque & Jes héros qui 1'accompagnent, les rofes couronnent fa chevelure blonde & parfumée. La pudeur eft fur fon front, la perfuafion fur fes lèvres. Son regard exprime la Jarï. gueur du défir, fon geile Ia moleffe de la réfiiïance. Sa robe tranfparente trahit  sur la Mythologie. nr les ccntours de fa taille flexible, 6c. 1'albatre mobile de fon fein agité. Les Zéphyrs fe jouent dans les plis de fon voile, autour de fes bras arrondis & de fes pieds délicats. D'une main elle tient fa baguette entourée de fleurs, de 1'autre elle préfenté , en fouriant, une coupe pareille a celle que je vous envoye par le porterade ce meffage. L'amour vous donna de Circé La taille enchanterefle, Son fourire, fon ceil baifie, Son efprit, fa fineiTe. Comme Circé vous nous charmez, Comme elle vous nous enflamoiez ;■. Mais pour qu'en tout vous fou;enieZ' Cet heureux paraliéle, Je veux encor que vous ayez Une coupe comme elle. Celui qui de ce vafe aura, Après vous, les prémices,. A longs traits y fsvouréra L'amour & fes délices. D'efpoir, de crainte , de défïr,. Son fein va brüler & tranfir, Et quand fa bouche aura d'abordF?  [2 L E T T R E S- Bien épuifé la coupe, Ses lèvres prefleronc encor Les bords de la foucoupe. Ah! fi dans votre Ite, a fon tour» Aborde ma nacelle, Faitesmoi, dés Ie premier jour, Devenir tourterelle. La, prés de vous, je veux gémir Et me coufumer de piaifir. Et quand je n'aurai plus enfin Que quelques étincelles, Je m'éteindrai fur votre feira; En étendant mes ailes.  sür la Mythologie. ,ng LE-TTRE- LXXXIL 1L/A m o ü ü, auteur de tant de maux , L'Aniour, qui jufqu'au fein des flots Pona le trouble & les aüarmes, • Fit pleurer Amphitrite & les. Nymphes des eaux-, Deux fois fur leur rivage a répandu ds larmes. Alcione & Gëlx lui coütérem des pleur», Son foufHe de Borée adoucit les rigueurs Pour protéger encor ce couple almable & tendre (i); Et fa voix gémiflante attendrit les échos ^uand lAquüon tougueux, aux rives deSestos. Éteignit le flambeau qui conduifait Léandre. Alcione, fille d'Eole , avait époufé Céix, roi de Trachine, fils de Chione & de Lu* cifer (2). Lucifer eft ce Dieu.qui, dès 1'aube du Jour,, Précède du foleil la jeune avant-courrière.. (1) Les Alcions. (2) On le nomme Lucifer avant le lever, & llisper après le coocher do .foleil»  114 L e t r r e s Quand Phcebus étincelle au bout de fa carrière , Lucifer de la nuit annonce ie retour; Et, fans trabir leurs pas, fa difctète Inmière Gonduit au rendez vous 1'Efpérance & 1'Amour.. Céix jouiffait, prés de fa chère Alcione, de cetce inaltérable félicité qu'on n'entreprendra jamais de peindre quand on, 1'aura bien fentie.- Ce n'était point ce délire amoureus Qui s'éteint avec la jeunefie, Et dont le fouvenir ne lailTe Que le néant d'un vuide affreux. Ce n'était le piaifir, 1'eflime, la confiance, L'amitié ni l'amour; mais c'en était l'eiTence j' Ntctar délicieux dont le Deflin jaloux Remplit fi rarement la coupe des époux f En épuifant, chaque jour, cette coupe célefle, Alcione était devenue mère. Céix partageoit, avec ivreflè , fes foins , fes peines & fes plaifirs. Quelquefois, pour lui renouvelèr le fentiment de leur félicité commune, il fe plaifait a lui en tracer la peinture, comme on aime a préfenter un Miroir a la- modeftie pour lui rappelör,  qu'elle eft belle. Appercovaic • il fur fon front quelque nuage de triftefle, il s'asfeyait prés d'elle, & lui dilait en Ja tenant embraflëe :. Je ne t'ai pas vu fonrire Depuis le lever du jour. J'entends ton cceur qai foupires: Est-ce de peine ou d'amour? Pour chiiïèr la rêverie Qui s'empare de tes fens, Rappèle-toi, mon amie, Ton époux & tes enfants. Au fein de notre familie, Le foir, f un & Fautre afiïs, Dans mes bras je tiens ta fille, Dans tes bras tu tiens mon fis». Sous les traits de leur jeunefie Je crois déraêler tes traits, Ec j'embrafle, avec ivreffe, Le inodèle & les portraits.. J'apperfois fur ton vifage Les traces de la douleur. J'en demande le partage Et j'en obtiens la faveur! EmbrafTe - moi; je t'adore Pour mon cceur c'eft un befoiri.....  li6 Let t r e s Notre baifer dure encorer La Douleur efl déja loin. • Tel fut le bonheur d'Alcione tant que Céix n'eut d'autre ambition que celle de lui plaire. Mais bientöt la Fortune, en étendant fon empire & fes richeiTes , al» luma dans fon fein la foif des grandeurs. Ébloui de fa nouvelle puilTance , il ofa prendre Ie nom de Jupiter (i) , & fon époufe s'appercut qu'il en prenait auffi le caraelère & 1'indiiïcrence conjugale. Riche d'honneurs & pauvre de plaifirs. Alcione , au fein de fa fterilè opulence regrétait, chaque foir, fa féconde médiocrité. La Grandeur & 1'Amour s'accordent ma! enfembler L'une cherche 1'éciat, 1'autre 1'obfcurité. L'une airae a découvrir toute fa majefté, Dêi qu'on appercoit l'autte, 11 tremble De laiffer vöir fa nudité. Auffi, je avoürai, jamais de la puilTance Je n'ai pu coucevoir le fuprême piaifir; (i) ApoJlodore ,- Liv. premier.  sur. la Mythologie. 117 Majs que je concois bien ia douce jouiflance De (avourer fon exiüence Dans un mo .lelie & vertueux loifirf Ah! que fambitic-ux, du bonheur de fa vie Trouble, è fon gré, le fond pour la fuperficie> j'ai befoin d'un bonheur moins brillanc mais plus für, Qui rell'emble , s'il eft poffible, A cette fource obfcure, mais paifible, Bont la furface eft calme & le fond toujours pur. Jupiter vit avec indignation un faible mortel ufurper le nom du Roi des Cieux., & depuis ce moment, ia vengeance célefte plana fur la tête de Pufbrpateur. Chione, funant quelques auteurs, mar re* de Céix ,. & felon pluficurs autres, nièce de ce prince, fiére d'avoir époofé, en même temps, Apollon & Mercure,. ofa fe préférer a Diane elle - même. Cette témétité demeura long-temps impunie. Diane, infenfible a 1'ambur n'était point encore jaloufe de fa beauté; mais elle vit Endymion . & Chione tomba fous fes traits. Dédalion,père de cette infortunée,. fe précipita d'un rocher du mont Parnaffe..  ïü§ Lettres Les Dieux eurent pitié de fon fort & fe changèrent en Epervier, Céix, effrayé des malheurs de fa familie, & les regardant comme un finiftre préfage pour lui-même, réfolut d'aller a Claros confulter 1'oracle d'ApoIIon. Ceux qui le prétendent fils de Chione, alTurent qu'il voulait y conjurer Ie Dieu de la médecine de rendre le jour a fa mère. Vous aimerez a penfer, mon arme, que ce fut la le motif de fon voyage ; Et d'aprés votre cceur jugeant le cceur d'un aotre, Vous croirez que Céix, en écoutant fa voix,: Pour f-s mére fit autrefois Ge qu'aujourd'bui vous feriez pour la \ótre. A la nouvelle de ce départ précipité, Alcione, faifie de douleur & dVifroi, vole au rivage, appercoit Céix , dont le pied touche Ja barque fatale, pouffe un cri, fe précipite , &, le vifage & le fein inondés de larmes , s'écrie en embraffant fes genoux  sur la Mythologie. u$ CjJüe t'a fait Ia trifte Alcione! Qjel crime a-1- elle donc commis Ponr que fon ami 1'abandonne! * Si pounanc mon époux 1'ordonne, A fes lois mon cceur efl foumis; Mais au moins, en quittant celle qui vous fut chère , Pourquoi d'un perfide élément Voulez-vous braver la colère? Si 1'Aqullon repofe en ce moment, Croyez-moi, fon repos prérage le tonnerre: Je fuis fiile d'Ejle & coiinais mieux que vous Les emportements, le courroux Et 1'inconfiance de mon Père. Cocfiez ce voyage a la Mère des Dieux ! „Voila donc ce retour que tu m'avaisprovnis!..." En prononcant ces mots, étoufies par la douleur, elle s'êlance au fommet d'un rocber, dont la voute menacante s'avascè au deffus des flots. Tout le peuple attentif la fuic d'un ceil inquiec, & poufte un eri de terreur en la voyant fe préeipiter vers fon époux. Mais bientöt le filëncé de 1'ctonnement étouffe le murmure de h. crainte. Des ailes étendues fufpeudentAlcione au milieu des airs. D'un vol paifible , elle plane fur le corps inanimé, le couvre de fes carefies, le réchainTi dé fes baifers, & lui communiquant fa 'nouvelle exiftence, elle voit du fein des flots s'élever fon époux , vêtu, comme elle-, d'un plumage nuancé d'or & d'azur. Sous cette forme nouvelle, échappés a 1'ambition & rendus a la nature , i!s fe retrouvent aux premiers jours de leur hymenée. Leur fidélité fe prolonge avec leurs anG 4  13° Lettres nées; & quand la vleillefle a détendu les ailes de Céix, Alcione, aidant encore fon époux, le foulève au deflus des on<3es, & fouu'ent fa courfe en volcïgeant a fes cotés. Eole, touché du fort de fa fille, fic asfembler fes enfants , & après leur avoir févérement reproché 1'infortune de leur foeur,il les retint fept jours enchaiués dans ion palais, Céix, profitant de 1'abfence de fes enneniis, conftruifit fur la mer tranquille, une demeure flottante , cü fon ■époufe fic éclore les premiers gages de leur nouvei hymenée. ^ Tous les ans, fous le Jègne de Borée, Éole pleure fa fille, bannit fes perfécuceurs, & le même exil favorffe les mêmes amours. Grace aux immuables décrets Du Dieu'qui tient les airs en fonpouvoir fuprérae, Les Alcions, objets de fes tendres regrets, Ont, tous les ans, fept jours de bonheur & de paix. C'eft peu ,me direz-v-ous. C'eft beaucoup quand on aime; Er fi des dieux la ce'lefle bonté, Des rspidej irjflants de ma félicité,  sur la Mythologie. 131. Des retours de votre tendrefle, Et des éclairs de notre ivrefle, Et de ces regards dont Ie trait Pénétre mon ame attendrie, Et de ces mots touchants que jamais je n'oublie, Et de tous ces moments oü l'Amour me diftrart Des amertumes de la vie, Tous les ans, auprès d'Emilie, Me compofaient fept jours de paix & de bonheur, Je n'exigerais d'eux, pour dernière faveur, Que de les ajouter aux jours de mon amie. G S  Lettres LETÏRE LXXXIV. Sur les bords de 1'Hellefporjt, au milieu des remparts de Seftos, s'élevait urn tempte eélébre , dédié a la mère des. Amours. C'eft Ia qu'une tendre Veftale, Prêtreffe confacrée a la chafle Vénus (i), Cachait, en rougiiTant, fes charmes ingénus^ Sons une gaze virginalePour calmer leurs tourments,quand les jeunes wortels Venaient par des préfents appaifer la DéeiTe , Leurs offrandes, avant d'arriver aux nutels, Tombaient aux pieds de la PrêxrefTe. Aces mots de Chaste Vénus',. il me femble, Emilie,que je vous vois malignemenc fourire. Ce nom peu ms'rité vous furprendra peut-étres: Apprenez donc qu'alors on adorait (O On adorair Vénus pudique s Horace.- ïapEèlè Fetitts decent»  sur la Mythologie. tH Vénus, non telle qu'elle était, Mais telle qu'elle devait être. Chaque armée,au retour du printemps, fes fètes atdraient a Se'ftós quelques amants heureux, une foule innombrable d'amants délefpérés, & la multitude de ceux que l'amour naiffant agite encóre entre hv crainte & 1'efpérance. Léandre, atteint de cette épidémie Qu'a dis huit ans on fe plait l fóumir, Aüa prier la reine d'ldalie De le foigner, mais non de le guérir. Le front couronné de myrthe,il fe pré> fente a la porte du temple, tra^erfe 1'asfemblée , les" yeux baifïes, pónétre jufqu'au fandluaire, & , avec cette timide, ferveur qui plait tant aux öéeöes, dépofe fur 1'autel un nid de tourterelles & un vale de parfums. L'Adolefcent , après unelongue & pieufe extafe , léve enfin les yeux, & croit voir Vénus elle - même qui le regarde, fougit & agrée fes préfents» G> 6  134 Lettres Sa méprife était naturelle: Héro fur Vénus même eüt emporté Ie prix, Puifqu'elle écait plus fage & n'était pas moins'belle. Tout ce qu'on eüt pu dire en faveur de Cypris,* C'eft que 1'autre Vénus était Vénus mort el ie. Mais eft-on mortelle h dix-huic ans! Les vceux de Léandre, en s'élevant vers Cythérée, s'égarent fur les pas de fa Prêtreife. Retiré a 1'écart, & cachant fon trouble derrière une des colonnes du temple , il admire furtivement, au milieu de la pompe des cérémonies, cette taille élevée, cette démarche majeftueufe, ces traits enchanteurs, ce tendre fourire, & ces voiles voluptueux & let plis de cette robe fiottante, que femblent fe difputer les Zéphyrs & les Amours. O fi fa ma;n pou. valt toucher cette main divine! s'il obtenait de ces yeux feulement un regard, de ces lèvres une parole feulement! & fi ja. mais il ofait leur répondre / mais elle eit fi belle ! & lui fi timide! Pour vous peindre fon embarras, rap* pelez-vous, mon amie, ce premier mo-  sur la Mythologie. 135 ment fi redouté & fi peu redoutable, oü, fans prononcer un feul mot, nous nous dimes tant & tant de chofes! Rappeïezvous ce cabinet, afyle de fétude & des arts, ce désordre du Génie, ces tableaux, ces deffins, ces pinceaux épars, & ce demi-jour donnant fur votre figure abattue & fur mon portrait commencé. Je vois encore ce petit ruban jauoe parfemé d'étoiles d'azur, qui s'emrelace dans vos che« vcux, autour de votre cou, & noue, fur votre fein, une tunique bhnche, dont les p!is myftérieux fe foulèvent par intervalle. Mes yeux, fixés vers la terre, n'ont ofé s'élever jufqu'a vous, & pourtant rien ne leur eft échappé. Et vous, dont les regards m'évitent fi fcrupuleufement , vous avez deviné ma paleur, mon trouble,mon incertitude mortelle , & votre main, en m'ordonnant faiblement de fonir, femble m'inviter a m'affëoir. Me voila tout prés de vous, me détournant toujours & me rapprochant encore. O mon amie ! le pénible filence! quoi! pas un feul mot fur 07  Lettres nies lèvres! & fur les vötres pas un foupir! du moins li vos regards..... mais vos larmes vous déroberaient les miennes. Le lendemain je vous revis, & il me fèmbla que nous nous étions dit touc eë qu'on peut fe dire. Votre front m'offrit ingénument & ma bouche prk de même le baifer de la confiance; & nos cceurs, ainfi rapprochés, treffaillirent eh recohnaifTant qu'ils s'étaient rencontrés la veille. Ces rencontres, quoiqu'elles ayent tou» jours les charmes de la nouveauté , ne font pourtant pas nouveiles, fur - tout a la cour de Cypris. Léandre, dans le temple de la Déeffe, attendit, vers le déclin du jour, 1'heure oü le peuple, en s'éloignant, laiffe la Prêtreffe au pied de 1'autel folitaire. D'un pas tretnblant, il pé*flétre dans 1'obfcurité du fanctuaire. Héröparaic émüe, mais non pas irritée. Elle fe détourne, mais elle ne s'éloigne pas; Elle fê tait, mais fans lui impofèr filence. II fe tait lui-même, & lé lendemain, a la même heure &dans le même lieu, il élè--  sur la Mythologie. v%? ve fainilièrement une voix profane. Envain la Prëtreffe employé , pour 1'interrompre, les prières, lesmenaces, & même le geile d'un prompt chatiment.. Les menaces d'amour reffemblent aux promefles, Et fes chatiments aux carelTts. Chaque non eft un ouij chaque larrne un aveui. Et pour exaucer fa ptière, II faut 1'interprêter fouvent en fens contraire, Car ce qu'il craint le plus, eft toujours ce qu'il veut» „ Au nom des Dieux, répétait la Prê„ trefTe d'une voix mal aflurée, retour„ nez, jeune étranger , aux bords qui „ vous ont vu naitre, quittez un efpoir au„ quel mille obftacles s'oppofenc: „Mavertu.... — La vertu qui conduit au bonheur, Ne peut être un obftacle a celui de vous plaire». —„ Mais le devoir facré de mon faint miniftère, „ Et Cythérée & fa rigueur. — „ Raffurez-vous: la reine de Cythère „N'exigera jamais, pour fon honneur, „ Qu'en vouant vos appas aux Iois de la pudeur, „ Chez elle vous faffiez ce qu'elle n'a pu faire. „ Craignez a tant d'attraits d'unir trop de venus ;< „ LesDieuxfontnésjalouxj lear haine eft éternella.  138 Lettres C'eft beaucoup pour une rrortelle „ D'étre auiïï belle que Venus; ,,C'efl trop d'étre p!u; fage qu'elle. - „ Mes fevères parents rn'ont ordonné ces vceux, ,, Et ne me permettront jamais de m'y foutlraire. -,,D; quel droit? le bonheur n'eft.ilfait que pour eux ? „Et fi votre père eft heureux, „ Peut - il vous reprocher d'imiter votre mère -„Léandre, c;oyez-moi , reuoncons a 1'efpoir „ De nous parler & méme de nous voir. „J'habite, au bord desflors, une tour fofitaire. ,„ La je confume mes beaux jours „Sous les lois d'une efclave affidée a mon père. Son cceur, depuistrenteansdélaifledes Amours , „Djr; éternellement; fes yeux veiilent toujours. -,,Et de cette retraite fombre „ Garde-t-elle 1'entrée ?- Oui. - J'y pénétrerai - „ Mais Ia mer nous fépare. - Oh! je la franchirat. - „ Si 1'on vous voit .'.. - La nuit me prétera fon ombre. *.„ Quoi! fansguide?-Et mon cceur!-Les vents. J'arriverai.. ♦-„Mais les écueils, mais Ia tempête, „La foudre.... —Épargneront l'amour, „ Et fi, pour vous, ma mort s'apprête, „Je ne mourrai qu'a mon retour." En parlant ainfi, leurs mains fe fonr  sur la Mythologie. 139 rencontrées & déja fe tiennent enchainées fur 1'autel, lorfque lefclave vienc avertir la Prêcreffë que 'a nuk Ia rappèle dans fa demeure. L'amant s'échappe dans I'ombre & rrouve, fur les dégrés du temple, fes amis prêts k s'embarquer pour retourner aux remparts d'Abidos , fituée fur 1'autre rive de l'Hellefpont. Léandre les fuit a regret & vogue triftement vers fa patrie, tandis qu'en foupirant, Héro regagne lentement la retraite efcarpée. Déja les jeunes habkanes d'Abidos s'élancent fur le rivage., fe difperfent & vont raconter a kurs families raflèmblées les merveilles & la pompe des fêtes de Seftos. Léandre, feul, affis fur un rocher déferr, mefure, & dévore, en filence , 1'efpacë qui le fépare de fon amante, & cherclie vainement, fur le rivage oppofé , cette tour qu'enveloppent déja les ténèbres. Cependant le vent s'éïève & les aflres de la nuit s'obfcurcifTcnt. Héro , palpitante d'efpoir & de crainte, léve un ceil timide vers fa févère compagne,& lui die, d'un air ingenu;  '740 Lettres „L'Aquilon ramêne 1'orage. „ Je ne fais quel preffentiment „ Semble m'annoncer le naufrage ,,De quelque malheureux amant» „ Je frémis en fongeant qu'une époufe craintivè, „lufqu'au foleil naifTant, attendant fon retour, „Le trouvera demain éendu fur Ia rive, „ Ou btifé fur 1'écueil qui borde cette tour. ,, Vénus au malheureux veut qu'on foit fecourable : ,,Sur ie haut de la tour allumons un flambeau „Peut-être cet astre nouveau -„ Saus/era qaelque miférable. Les Dieux nous fauront gré du bien qu'il nous devra, „Et, tót ou trad, 1'Amour nous Ierendra. — „L'Amour? lui répondit Ia viei'le cou nucée. ~.»HélSs! reprit la jeune, en fonpirant tout bas, „Si je médite un bienfait, ce n'eft pas „Pour en être récompenfée; Un fentiment plus pur occupe ma penfée,. „Vous le partagez avec moi: „Je vous estime & je vous croi „Le cce.ir trop délicat, 1'ame trop bien placée „ Pour laiffer échapper le piaifir d'un bienfait, „Et d'obliger 1'Amour même fans intérêt." Lorfque, dans le cceur d'une femme,, l'amour eft éteint ou endormi , 1'amourpSopre, dit - on, lui fuccède, ou plütót fl  suria Mytbglorie. tëgS .occupe feul un empire que, jufqu'aiors, il avait partagé. Moins tendre , mais auffi crédule que fon frère, on le gpuverne , comme lui, par la flatterie & les caresfe?. Héro en fic 1'heureufe expérience : l'amour-propre de fa furveillante , pour foutenir un éloge qu'elle ne méritaic pas, jyrannifa fon caraclère, & le dénatura au point de la rendre un--inftant généreufa. Elle fe léve, faifit un flambeau, 1'allüme,. &, d'un pas précipité, graviffant tous les dégrés de la tour, elle attaché entre les crénaux le fanal dont le vent excite & ■agrandit la fhmme; puis, d'un air fatisfait , elle revient s'afieoir auprès de la Prêtrelfe, qui lui dit, avec 1'accent de Ia reconnaiffance. Si vous faviez combien vous m'êces chère , & comme la bienfaifance vous rend aimable! je fkis affurée qu'il n'exifte pas un feul amant qui, dans cet inftant, put vous voir fans vous aimer — Sansm'aimer! répond-elle en rêvant. Heureux preftige de 1'imagination! aima.» ble & dangereufe magicienne 1  -4* Let t r e s Elle préte a 1'hiver tous les feux da primemps, Rend au jour paüiïant tout 1'éclat de 1'aurore, Et par elle, quand l'agi aura glacé mes lens', ' Je croirai vous aimer & le prouver encore» Tandis que, dans.ce trifte afyle , ]a jeunefTe efpère & que Ja vïeiJJefïe rêve'l'efpérance , au milieu du cumulte des vents & des vagues, un cri percant fe fait entendre.... Ah! s'écrie la vieille, en tresfaillant, c'eft la voix d'un jeune homme' - C^-vous, dit Héro, qui iWaït reconnue avant elle ? _ Si je le crois-l regardez a travers ces grilles , 1'appercevez-vous a la lueur de notre flambeau.? II n'eft plus qu'a vingt pas du rivage. Voyez comme il franchit les vagues,comme il pafte légérement entre les écueiis, comme il aborde au piedde Ia tour^m' me il efcalade le rocher qui nous fert de rempart! Quel inftinct 1'entraine fi raPidement vers notre demeure? On croirait qu'il vienty chercher.... - du fecours, interrompc ia PrêtreiTe iremblanre; & pi,isque vous avez déja fauvé fes jours, vous  sur. la Mythologie. 143' rfe laifierêz pas fa vie en danger, ni votre bienfaifance imparfaite. Nort , non , ma cbère fiile, reprit vivement la compagne, en defcendant précipitamment vers le rochor, & je jure, par Cupidon, de le rendre fain & fauf k fon époufe. — Hélas! que 1'Amour vous entende! A ces mots , tendant au malheureux une main fecourable, la furveillante 1'jntroduit dans 1'afyle de la Prêtreffe. Léandre , elTöUfflé de fatigue & palpitant de joie, tend les bras a fon amie, interdite & rauette comme lui. La vieille empreffée F-cccable de tendres foins , de queftions importunes & de réflexions indifcrètes: le beau jeune homme! que c'eut été dommage! D'oü veniez-vous?ou alliez- vods? quel eft votre nom ? votre dge ? quatre luftres au plus ? avez- vous encore vos parents ? êtes - vous riche ? aimez - vous ?... — Oui! s'écrie Léandre en recouvrant la voix. — Et vous aime-t-elle? Ici Léandre baiffè les yeux. Pourquoi vous taire, ajoute Héro? —Si elle ne m'aime pas..-—  i;44i Lettres II faudrait qu'elle füc bien ingrate. — Et ejle ne doit pas 1'être pourfuivit 1'efdave, car elle eft jeune & belle fans doute ? Léandre, pour toute réponfe, regarde fon amie» — Sera* t-ejle bientöt votre époufé.?.Hélas,' dit le jeune bomme, fi le ncejch de l'hymenée confifte dans. le ferment du; c#eur, j'ai recu le ilen...... — Elle eft votre époufe, s'écria la Prêtreffe Pas touta fait encore, interrompit lavieili*fc Ge- ferment eft.- il ancien ? — Nous; Ist prononcames hier dans le temple & fur 1'aurel de Vénus» — De. Vénus?;... Prenez garde , jeune étranger:! Connaiffezvous celle devant. qui vous.parlez? Vous voyez la Prêtreffe elle-mêma A-t-elIerecu vos ferments ? (Héro rougit.) Vous' ar-1-elle engagé le cjoeiur- de: votre épou*. fe ? (Héro baifü ks yeux.) Apprenez que, fans elle, votre hymen ne peut s'acccmplir, (Héro fë.couvrit de fon voile.) & que ce voile. & fon iilence vous accufent d'avoir trahi la vérité. — II ne 1'a poiut; trahie, dit la PrêtrefTe. d'une voix  sur la Mythologie, sroublée. — Eh ! comment, hier, affife tout ie jour au pied de 1'autel,. n'ai - je pas été- témoin de leurs ferments? —» L'univers les ignore. — Dieux vengeursi un. hymen clandeftin «-„EhJ qu'importe qu'il foit ignoré furla terre, ,,S'il ell ayoué par les Dieux? -: „ L'Oiytnpe, hier du faaut des.cieux „Defceadit,è ma voix, dans I'ombre du,myflêre, „Et nous enyirprina.de fa Divinité. „ C'eft fous les yeux de 1'antique Cybelie, ,, Mère de la Fidélité, ,.De Junon, qui foutient la conftance éterneile „Et 1' rJeur & les foins de la maternité, „De 1'auÜêre Paljas, qui donne lafageflé, „De Ve.fta, dont la flamme e'pure la tendrefle, „Da tous les Dieux enfin , immoreelsprotecteurs „De la félicité, des.vertus & des.mceurs, „Que conftant a. jamais, a jamais vertugufe, „ Au nom d'Hytnen , au nom. d'Amour, „Nous nous jurames tour-a«tour, „Moi de le rendre. heureux, lui de me readre heureufe... -,,Vous,!...ó crime.!..-Telle eft la rigueur de mon fort. „L'orgueil dufacerdoce &,.fonj'o;ig folitaire...  ï 4t> Lettres „Changeaient mes plus beaux jours en une lente mort. „Pour rompre ces Hens il eft vrai que mon pér« „ Me préfenté un époux, mais quel époux, gtands Dieux! „Toi qui le connais, toi dont le cceurgénéreux „ A mes vceux fut toujours propice, ï,Tu fais que, de 1'autel en paflant dans fesbras^ „Je n'aurais fait que changer de fupplice. „Si c'eft mourir, que de vivre, hélas! „Privé d'un objet qu'on adore, „Vi.re pour ce qu'on n'aime pas, „C'tft mourir cent fois plus encore. „Ah! puifqu'auxloisd'unmaltreilnousfautobéir> „N'eft-il pas naturel au moins de le choifir? „ Et peut-on exiger du devolr d'une fille „Qu'elle enchalne au hazard & fon cceur & fa main ? j,Trop de foumiffion compromet fon deflin „En expofant un jour 1'honneur dont elle brille. „ Si Vénus n'avait pas écouté fa familie, „ Aurait elle époulé Vulcain ? „ Et dans le fein d'un bon ménage, So.umife, par fon choix, aux défirs d'un époux , „ Plus digne d'elle & moins jaioux, „Ne feiait.elle pas plus heureufe & plus fage? „ Tu le vois, c'eft pour ma vertu ,, Que je te prefle, te fupplie „De céder i mes vceux. Lorfque j'aurai vécu, „N'aclorant  sur la Mythologie. 147, „N'adorant que 1'époux dont le cceur m'a chotGe. „J'en jure par les Dieux, jen'oublirai jamais „Qu'a tes foins j'aurai dü la pureté, la paix, „ Et 1'innocence de ma vie. „Mais le bonheur fe cache & veut étreignoré: „Sur lc mien garde le filence; „Et nous prierons tous deux 1'Amour, pour qu'Jk ton gré, „Sa mère ou lui te récompenfe." J'ignore ce que répondit la confidentie,' mais je fais que, les jours fuivants, elle alluma ,1e flambeau précifément a la même lieure; que bientöc même elle s'en fic un devoir, & puis une habitude. Cependant 1'hiver approchait; Fhiver, fi doux pour les amants réunis dans uil même afyle! fi cruel pour ceux dont lej? demeures font féparées. Un matin , Héro , trifte & penfive , embraflait fon époux en filence, & foupi-. rait en lui cachant fes larmes. -„Tu foupires, ma tendre amie? — „ Non. — Qu'as-tu donc? dis-le-moi, je t'eu prie! p>„Rien. „ Or, qui connait bien le cceur de Ia beauté, Sixiem. Parite. H  4.48 'Lettres »£t fa difcrétion & fa timidité, ' Sait que, fur fes lévres de rofes , » • Rien veut dire beaucoup de chofes. Léandre infifta dcnc, & a force de prières & de carefles, ü obtint enfin cette ré» sponfe emrecoupée de fanglots: „Si tu concois combien je t'aime, Juge quel eft mon défefpoir * Quand je fuis réduite moi même A te défendre de më voir! Jflais il lefaut! Borée a fermé la carrière Que tu franchiffais chaque fo*. Attendons, mon ami, la faifon printanière. Adieu. Séparons-nous; &, fi je te fuis chère, Pars, je le veux, pars, cher amant, Crains, fi tu tardes un moment, Que je ne veuilje Ie contraire, f Léandre réfifte long-temps. Héro lui reproche fa réfiftance,prie,preflè,ordonne, exige qu'il parte fans différer. II obéit énfin. Hélas!' dit -elle, il a bientöt obéi! Le foir, foit oubli de 1'époufe, foit habitude de la confidente, le flambeau bril'lait au fomraet de la tour. Léandre, des  sur la Mythologie. 149 rives d'Abidos, l'apperc;ut a travers la vapeur des frimats. Soudain, regardant ce fignal comme le rappel de fon exil , il vole au rivage; mais les vagues irritées oppofent a fes efforts leurs mobiles remparts <& leurs gouffres menacants. La mer fe gonfie, les nuages roulent, s'étendent, & le flambeau disparait. A cette vue , le malheureux amant , fe croyant exilé de nouveau, feul, au milieu des ténèbres & du deuil de la nature, gagne, a 1'abri d'un rocher,la cabane d'un Pêcheur. La,pour foulager fa douleur, il tracé, a la lueur d'une lampe ruftique, fes fouvenirs & fes regrets. Le Pêcheur, au lever du jour, devaic aller a Seftos. Léandre, que le jour n'avait jamais furpris fur ce rivage, dans les temps même de fon bonheur, n'ofa, dans le temps de fon adverfité, conceyoir même la penfée d'y voir 1'aurore. Un tel excès de délicateflè eft admirable fans doute ; aulïï vaut-il mieux , je crois, 1'admirer que 1'imiter. H 2  f;5® L E T T ;R ï S A l'amour trop fouvem le fcrupule eft funefte. Je fais qu'en 1'efquivant, pour un tel procédé, A toute omrance on eft gronde", Maltraité, chalTé; mais on refte. L'atnant fcrupuleux demeura fur Ie rivage , & après avoir couvert fa lettre de baifers, il la ferma & la remit au PalTager. Héro, depuis un jour, folitaire & déja ïepentante, appereoit la barque du haut de fa tour, & vole vers la rive en remerciant intérieurement fort ami de fa désobéiflance. O comme elle va fe plaindre & le récompenfej de fa témgrité! Mais en arrivant , elle n'appercoit qu'un matelot, chargé pour elle d'un billet qu'il lui préfenté. „Hélas! dit-elle en regardant triftement la barque , il pouvait venir, & il écrit!" Cependant elle ouvre la lettre & lil, en elfuyant fes pleurs: L'Aquilon gronde fur ma téte; Chargés d'écume & de frimats, Les flots mugiflent fous mes pas, Mais mon cceur franchit la tempête. En vaia Eorée ët les Autagi  sur la Mythologie. 13* Nous pourfuivent dans les ténèbres; Malgré I'ombre & leurs cris funèbres, Je te voitf & toi, tu m'entendj. Elle m'eft a jamais préfenté Cette filencieufe nuit Oü vets toi je nageai fans bruit Sur la mer calme & tranfparente.De Phcebé la pale clarté Blanchiflait 1'onde & le rivage: La j'entrevoyais ton vifage, Ta robe & ton voile argenté. Toi-même, non loin de la rive^? Dès que tu pus me découvrir, Vers moi je te vis accourir, D'amour palpitante & craintive. Déja les flots couvrent tes pieds Bientöt ils gagnent ta ceinturé:* Mais j'arrive, je te raflure, Et tes genoux feuls font mouillés. Dans ta demeufe folitaire, Prés de ton feu tous deux aflTs, De mes cheveux , de mes habits Tes mains expriment 1'onde amère. Quel fouper! quels doux entretiens! Que de baifers fur notre bouche! Que de voiupté fur ta couche ! Que de fois (.... mais tu t'en fouvieas. Hg  152 Lettres Réduit fombre, adorable afyle, .-Pe.it foyer, lit amoureux, Sièges, couffin» voluptueux, Lampe obfcure, alcove tranquille, Jufqu'au moment de mon retour, Au doux objet de ma tendreiTe Retraccz mes feux, mon ivreiTe Et les fonges de notre amour." Pendant cette leclure, Héro avait plus d'une fois pali de dépit & rougi de fouvenir. En proie aux fentitnents confus qui 1'agitent, elle referme la lettre , 1'ouvre encore, la relit, & d'une main égarée tracé rapidement fa réponfe: D'un inconnu j'ai recu ton mefTage. Je crois te voir luttant contre 1'orage. J'accours, je vole.... & c'eft un étranger I Et vousm'aimez! vous mes feux, mes allarmes, Mon abandon , mon défefpoir, mes larmes, Tu ne vois rien; & tu vois le danger ! Quand ma raifon t'interdit ma préfence, Mon cceur, croyant fupporter ton abfence> Bravait un mal qu'il ne connaifiait pas. II eft affreux ! il m'obfède, il me tue; Et de langueur ton amante abattue Meurt en baifant la tracé de tes pas.  sur la Mythologie. 153 Quand vous quittez celle qui vous fut chère , Les jeux , les arts, les honneurs & la guerie Viennent remplir le vuide tour-a-tour. Vous rêvez peu; mais une pauvre fille, En maniant les fufeaux & 1'aiguille, Rêve fans cefle & ne rêve qu'amour. Cruel! pourquoi retracer a mon ame Et nos tranfports & mes feux & ta flamme? En parle-t-on quand on peut les fentir 1 Pour te bomer a peindre notre ivrefle, Attends,- ingrat, attends que Ia vieillefle Kous ait tous deux réduits au fouvenir» Sortant des flots de la nier écumante, Comme il efl doux, auprès de fon amante, D'entendre au loin la tempête mugirï ■> De recevoir un baifer pour Torage, Deux pour la crainte, autant pour le «ouragey . Vingt pour la peine & cent pour le piaifir ! Ah I fi 1'honneur, fi la pudeur; auflère N'avaient befoin des ombres du myftére , Comme déja j'aurais volé vers toii Mais toi qui peux te paffer de fon ombre, Que .tardes-tu ?... Non.... dès que Ia nult-fombref Aura couvert le rivage, attends moi.- Que je t'attende! répétait Léandre em E4.  ï54 Lettres frémiffant de dépic & d'effroi; & déja la fluit déployait fes voiles,ck le fidéle flambeau brillait fur le haut de la tour. L'impétueux amant s'élance au milieu des vagues, lutte avec effort contre elles , les. furmonte & s'éloigne du rivage. Héro, fidelle a fa promelTe, fe difpofe a partir, mais la tempête s'oppofe a fon. pafiage, & fa compagne, embraffant fes genoux, 1'arrête au bord des abimes qui. s'ouvrent pour Pengloutir. Cependant les vents foufflent, le flambeau s'éteint, la mer s'élève, & le. défefpoir de la jeune époufe s'accroic avec 1'orage. „ Grands dieux! s?écriait-elle, épiorée, épetdue, „Moi qai jamais n'attendis vainement „Les promeiTes de mon amant, »,Serai-je donc par lui vainement attendue! " Telles furent fes plaintes jufqu'au retour de 1'aurore. Alors fa compagne , la Voyant pale & immobile ,. prit 1'abatteffient de la douleur pour le calme du repos, & crut pouvoir elle- même fe livser  sur la Mythologie. 155 au fommeil. Mais k' fon réveil fa mai-, trelTe écaic difparue. Elle la cherche vainement , 1'appele d'une voix tremblante , & preiïant fes pas tardifs, elle arrivé aa fommet de la tour. La, parcourant d'un regard inquiet la mer & fes rivages , au pied d'un rocher, entre les roièaux, elle appercoit quelques vêtements & reconnait le voile de la Prêtreffe; elle y vole, & ïa trouve pale & tiède encore fur le corps livide & glacé, de fon amant. En voyant moiffonner, è peine en fon printemps ,. Ce couple que l'amour euivrait de fes charmesr Ses yeux deiféchés par le temps Retrouverent encor des larmes. Le lendemain, les habitants de Seftos,. en longs habits de deuil, fe raffèmblèrenr fur le rivage. La Douleur y réunit tousles époux qui fentaient le prix du bonheur d'aimer, & les vieillards & les adolefcents qui foupiraient ou de n'aimer dé-;ja plus ou de n'aimer pas encore. Leursmains, après avoir couvert de fleurs & H5  156* Lettres de parfums ces deux viétimes de l'amour &de la fidélité, les déposèrent, au pied de la tour, dans un même tombeau; & ce Dieu qui m'infpire quand je vousécris, mon amie, leur dicta ces vers, qu'ils tracèrent fur un inarbre de Paros: Amants, puiiTentles Dieux vousréferver Ie fort Des fidèles époux que ce tombeau raiTemble! Ils s'aimerent jufqu'a Ia mort, Jéurënr l'un pout 1'autre, & repofent enfemble*  sur la Mythologie. 15? LETTRE LXXXV. V ous fouvient-il, mon aimable amiey de tous ces inftants de gaité fcientifique oü, pour nous rappeler nos vieilles leclures, nous prêtons aux moindres perfonna» ges & aux plus petites actions de nos contemporains le nom des héros les plus faHieux & des événements les plus mémorables de 1'antiquité ? Une jeune fille pasfe-t-elle un réchaud a la main, c'eft une Veftale, peut-être, portant le feu facré. Une autre nous offre-t-elle des pains 011 des gateaux, c'eft une jeune Prêtreffe préfentant les corbeilles de Cerès. Cette beauté matérielle qui marche entre deux guerriers, eft la belle Cléopatre qui trorar pe Céfar, trahit Antoine & périra viéiïmed'un ferpent caché fous les fleurs. Ainfi, dans ces entretiens oü la Gaïté rend 1'Efprit indulgent, oü tout ce qui fait rire eft bien, la Folie, parodiant 1'au-; tl d  158 Lettres gufte Antiquité, égaie, bien ou mal , ce que nous appelons nos journées Hifioriques. Or, pour nous rappeler également une partie des perfonnagés & dés événements fabuleux, j'ai projeté ce matin dé paffêr avec vous une jöurnée Mythológique , compofée dés événements lés plus fimples. Vous allez vous éveillêr; nous defcendrons au jardin, nöus dïnerons, puis hous traverferons la Ville pour aller dans la campagne. A notre retour, nous cauferons, vous me direz bon foir & je m'en irai feul ! Rien de plus commun que ces détails; mais entourés des preftiges de la Fable, ils vont prendre une teinte de fentiment & de grace, quelquefois même un appareil de grandeur & de dignité. Voici le jour; commencons: Déja la Nuit tranquilie , en repliant fes voiles Parfémés d'azur & d'étoiles, D'un vol lllencieux plane vers les enfers. Lucifer la pourfuit, ■ & la naiiTante Aurore En fouriant promet a 1'univers Le beau jour, les plaifirs, les feux qui vontéclore.  sur la Mythologie. 159 Mais, fi jeune, aurait-elle éprouvé des malheurs ? Pourquoi fes larmes for la terre Viennent-elles baigner le calice des fleurs?' Ah! la fouree en eft pure & doit plaire aux bons cceurs. Dws leur cryftal mouvant reconnaiflez les pleurs D'une fille annoncaut ie retour de fon père....- Que dis-je! fur le lin vos charmes êtendus Preflent en ce moment la plume dè Cygnusj Cependant que Phcebus dans fa vafte carrière S'avance en conquérant, & d'un trait radieux Percant autour de vous les voiles du Myftère, Effarouche Morphée. II s'enfuit, & vos yeux, Libres de fes pavots,. s'ouvrent a la lumière. La Pudeur aufll-tót vous offte un vêtemeat Donc la Simplicité forme votre parure. Comus trefle légérement Les tréfors ondoyants de votre chevelure. L'Amour frappe a la porte; elle s'ouvreamoitié, Mais iln'ofe entrer feul.Je prends fa main tremblante> Il me fuit; je vous le préfenté Comme frère de 1'Amitié. En admirant vos traits ce Dieu voudiait encore Qu'un bouquet omat votre fein; Et 1'heure du repas vous appele au jardin: Vifitons les tréfors de Pomone & de Flore»  i6o Lettres Minerve m'a donné ces jeunes olivier?. Ce font des rejetons de l'olivier d'Athéue. Cette vigne eft un don que ie père Silène M'apporta fur fon ane, escorté des guerriers Qui du vainqueur de 1'Inde adorantles merveilles-, Après avoir goüté le neclar de la treille Se rendirent tous prifonniers. Quel peuple intéreffant habite cette enceiuter Le jeyne Cyparis fur cette urne incliné, A fes pieds voit Zéphyr carefler Hyacinthe,, Et Narcifie y fleurit è I'ombre de Daphné. Ajax refpire ici fous la fleur azure'e Qui retrace fon nom. La Cliae éplorée, Vers le char du foleil fe tournant lent^ement., Oppofe fes rayons è ceux de fon amtlnt. L'anémone a fleuri, la rofe vient d'éijlore.. L'innocente rougeur dont elle fe colore Eft le fang de Venus verfé pour Adonis, Leur fang & leur deftin dans ces lieux font unis t Vénus rougit ia rofe , Adonis l'anémone. Mais quelle eft cette vieille apportant un panier ? C'eft fans doute Vertumne. II vous prend pour Pomone; Fuybns; je dois me défier De fes difcoufs flatteurs & de fon impoflure. II approche.... Ah! je me raflure: C'eft-la femme du jardinier. Elie vieut nous oftiir les trélors de 1'Automne  sur la Mythologie. 161 Dans 1'oller couronné des pampres de Bacchus; Les gateaux de Cérès, la.grappe d'Érigone, La pomme de Paris, Ia pêche de Vénus, La müre de Thisbé, le fruit qu'aux Hefpérides Le héros de Thébe enleva,; Avec les pommes d'or, dont 1'attrait captiva . t D'Atalante les pas rapides. Ce fruit n'a rien perdu de fon charme fatal. Atalante fuit-elle, Hippomène lui jete La pomme d'or, elle s'arrête, II 1'atteint; je 1'ai vu dans le palais royal. Mais 1'art captive ici les fleurs & la verdure , Allons dans la campagne admirer la Nature, Et fur fes gouds forgés par 1'époux de Vénus, Opvrons cette cloifon confacrée a Janus. Fions«nous a fesfoins, maisfermons la ferrure. Saluons, en fortant, ces Dieux Thermes poftés Pour protéger nos murs & nos propriétés. Héias! ces Dieux trop bons , pour prix de leurs. fervices, i Se laiflent entourer d'étranges facrifrces! Evitons leur encens. Devant ce forgeron, Quel efl ce ruitte armé d'un gros baton Qui momre 1'ours ? C'eft Mercure luwnéme' Qui chante au bruit du marteau, Ei fait danfer Califto Pour amuier Polyphème. C'eft encoi lui fur ce traitea»:  I6a Lettres Le voila médecin a quatre fois par tête; *» Qüels mortels infenfés voudraient a fi bas prix ,i Ne pas avoir la fièvre afin d'étre guéris. „ C'eft un marcbé tout d'or! „ on écoute, on s'arrétes „II Defcend de voiture & repart aujourd'hui, „Hipocrare vers nous 1'envoye en ambaflade; „Mais il expédie. Avec lui, „C'eft un piaifir d'étre maiade. „Son remède eft univerfel.- „ C'eft le chef-d'ceuvre d'EfcuIape. „Jëune ou vieux, qui leprend, lejourmémeen' réchappe „ Ou meurt... Mais dans ce cas, Ia volonté de ciel.'* Wen rifquonspas 1'éprenve, & gagnons la campagne. Mais, au bout du faubourg, prés de ce cabaret, Quel eft ce chanteur aigre, armé d'un maigre archet, Racianr un viölon qui grince & faccompagne? Approchons; c'eft peut-être Apollon déguifé. Appollon ! C'eft lui-méme. Un chanfonnier de place f Oui; le peuple rimeur a métamorphofé En chanfonnier' du coin le maltre du ParnaiTe. Voyez fur le rivage errer ce long troupeau* Le taureau pourfuit la géniffe ; Le ravilTeur d'Europe aime la jeune Io. Prés d'eux, je vois brouter les compagnons d'UlyfTe. La baguette a la main, un jeune paftoureau, Afrubié d'un petit manteau, Les fuit fur 'fon' baudet qui trote aTaventure.  güR la Mythologie. ijr% Le berger chante, & 1'ane, a chaque pas, March-3 a cóté de la mefure. Vous riez? C'eft encor Apollon ou Mercure Giimpé fur le roi Midas. Au fein de ce lac imraobile, Qui peitu le ciel & les oifeaux, Vous ne vayez qu'une eau tranquille. Moi, j'appercois fous les rofèaux Une Naiade fugitive Qui vous dit, d'une voix craintives ,.Sur ma fougère viens i'afTeoir. „Mes jönc's, mes faules, ma verdure .„ Couronneront ta chevelure, „Et mon fein fera ton miroir." Hatons-nous de fouier cette mouife légere. Le jour palit j Phoebus voile fon front ferein. Des Autans orageux le murmure lointain Aux Zéphyrs déclare la guerre. Leur elTaim prend ia fuite, & la pluie ,.a grands flots, De cercles .redoublés ya fillonner les eaux. Les Hyades pleurent leur frère Qu'un monftre dévorant ravit a leur amour. Le Roi des cieux, touché de leur douleur amêre, En vain les tranfporta dans fon brillant féjour. Les confolations qu'on recoit a la cour Jufques au cceur n'arrivent guère. Mettons- nous a 1'abri fous ce feuillage épais, Et de ce bofqoet fombre invoquons la Dryade.  164 Lettres L'orage continue ? Entrons chez 1'Oréade Qui préfide a cet antre frais. Cependant Ia nuit vient; 1'éclair part, le ciel gronde. Sur fes vieux fondements qui fait trembler le monde? Au moment oü Vulcain, des forges de Lemnos Apporte la foudre a fon pére, Mars vient prendre congé, car il part pour la guerre. Jupin , qui veut flatter & gaguer le heros, Le fait entrer au bruit de fon nouveau tonnerre. Tout 1'Olympe s'affemble, & tandis qu'en leurs coins Les trifles Hyades gémilTent, Jupiter parle, tonne, & les Dieux applaudiflent, D'autant plus qu'ils entendent moins. L'allégrefle fermente & les cieux retentiflent; D'un murmure confus; les courtifaus jamais Ne fe taifent quand ils jouiflent. Eole & fes enfants d'allégrefle fremiflent; Echo redit leur joie aux antres des foréts. Ainfi, ce qui chez nous produit une tempête, Dans 1'Olympe n'eft qu'une fête. Ce n'eft pas la première fois Que la terre a payé les fêtes de fes Rois. Mais le jour reparalt. Eole fe retire; II emmène les Aquilons, Et ne laifle que le Zéphyre Pour relever les fleurs & fécher les moiflbns. LVoyez«vous 1'écharpë d'Iris  sur la Mythologie. 165 De mille couleurs nuancée? La Déefle voyage, & fa courfe tracée En demi-eerde aboutit che2 Thétisi. Elle defcend au palais d'Amphitrite, De la part de Junon a la fête 1'invite. Amphitrite eft malade & ne peut y venir. Elle engage Neptune a faire le voyage; Le bon Neptune part. Phcebus dans un nuage, Defcend chez la malade afin de Ia guérir, Car il eft, comme on fait, Dieu de Ia médecine. Son char a 1'horizon baifle, & Ie jour décline.... Mais fur ce chapitre laiflbns Les commentaires inutiles. La nuit vient; rejoignons nos Pénates tranquilles, Nos Dieux-lares & nos tifons. Emprifonnons les Vents dans cet outre élaftique, Et qu'en s'échappant de fon fein, De leur fouffle irritant ils excitent Vulcain A dévorer ce chéne antique Qui couvrit les amours de Faune & de Sylvain.. Voici 1'heure oü Thalie~& Colin fur la fcène Dans un riant miroir nous montrent nos défauts. Irons-nous contempler leurs magiques tableaux? Irons - nous admirer Ducis & Melpoméne ? Ou.bien fur ce théacre oü les Arts réunis Obéifiènt enfemble a la voix du Génie, Applaudirons-nous Gluc, Sacchini , Polymnie, Veftris cc Terpfichore, Amphion & Lays ?  l£6 Lettres sur la Mytholosie. Kon; Ie Pafteur qui chante an milieu de ia plaine* La bergère qui rêve en tournant fon fufeau, Charment mieux vos loifirs. Eh bien! chez Erato Nous verrons Favart & Sédainej Et pour aflaifonner ce plaiftr innocent, Et joindre au fentiment une g;alté facüe, Chez Momus & Barré nous prendrons, en paiTant, Un grain de fel au Vaudeville. Mais l'efprit, la gal, valent-ils les foupirs, Les doux épanchements de deux amis fi^ies ï Demenrons: l'Arakie concentre fes.plaifirs. C'eft pour les vrais amis-que le Temps a des alles, Et déja fur ï'émail oü P-Art fut mefurer Le cercle de notre exifience, L'airain mobile qui s'avance Marqué 1'inftant fata! qui va nous féparer. Ah! du moins que ce front au nom de 1'Innocence, Avant de m'exilei de cet aimable lieu , M'accorde feulement un baifer pour adieu: Adieu! que le fommeil, que la Paix, le filence Régnent jufques au jour dans cei afyle... Adieu! Des Songes prés de vous que la troupe empreiTée Raffemble les Amours & les Plaifirs.... Adieu! Qu'en apportant aux fleurs la vie & la rofée, L'Aurore vous revoye encor plus fraiche... Adieu!,., Adieu charme, bonheur, délices de ma viel Adieu, ma bonne lceur& ma plus tendre amie..., Émilie! encor un adieu! Fin de la Sixième & derniire Partie.