2651 A.14   D A NT G E R $ uaire, le bon Louis Seize enfin a péri iür un échafaut; fes dernières paröles a. fon peuple étoient des parolfcs de bénédidtions & d'amour, & a 1'inftant oü la hache fatale termine le cours d'une fi belle vie, 1'air retentit de cris bruiants d allégrefie ; la France entière eft armee pour foutenir fes bourreauxj ils viennent au bout d'ün an fur le lieu du fupplice infulter a la mémoire de leur augufte vidtime, & 1'anniverfaire de eet exécrable aflaflinat a été célébré dans toute 1 'étendue du royaume par des réjouiffances & des hymnes patriotiques. Tant & de fi terribles exemples n'ont cependant produit^que des impreffions pafiagères, même fur les trönes. On diroit que 1'efprit d'aveuglement eft vef A nu  ( io ) nu rafiurer les vidtimes en même temps que 1'efprit de vertige excite les bourreaux ; au même inftanr, une force furnaturel & irréfiflible femble avoir armé les^ uns du glaive & entrainer les autres a grands pas vers leur perte inévitable. On compte fur des traités, fur une neutralité parfaite . . . comme s'il pouvoit exifter des traités folides avec le Tigre, comme s'il fuffifoit de ne pas le provoquer pour n'avoir rien a redouter des effets de la fureur; on fe raffme fur leloignement . . . comme s'il falloit beaucoup de temps a la foudre pour étendre au loin fes ravages, comme fi tous ceux qui forment une même chaine éleclrique n'éprouvoient pas en quelque forte au même inftant, la même commotion. On a 1'air de jouer avec une révolution qui menace de tout renverfer, de tout envahir, qui n'en cache pas le projet, & qui acquiert tous les jours de nouveaux moyens de le realifer. On n'a que des vues mefquines, on ne fait que les calculs rétrécis &  ( II ) & ifolés de 1'égoïfme lorfque les flanames dévorantes s'élèvent de toutes les parties du grand édifice focial, & que ce n'efl: pas trop du concours de toutes les volontés pour parvenir a s'oppofer a leurs progrès ménacants; lorfqu'il feroit d'un fi grand intérêt d'être jufte au dedans Se terrible au dehors , on n'em^ploye que des demi-moyens contre i'ennemi commun, & 1'on fe fert du refte de fa puifiance pour s'en créer de nouveaux. Dans un état de chofes fi étrange, il eft permis, il efl: ordonné a. tout amï de 1'ordre de faire entendre fa voix; lorfqu'un violent incendie fe déclare, tout le monde a mifiion pour en arrcter les ravages j profitons du moment ou il en efi: temps encore. Qu'on ne fe difllmule donc plus les forces des régicides j une grande partie de nos malheurs vient de les avoir trop méconnues ou trop méprifées : réfervons tous nos mépris pour ïeurs principes. Je vais partir des bafes los plus fimples & les plus inconteftaT f A 2 bles ;  ( 12 ) bles: un vafte royaume que la nature femble avoir comblé de toutes fes faveurs, herifie de places fortes ou. 1'art épuifa fes refiources ; un peuple immenfe & naturelkment belliqueux dont 1'activité dévorante balancera toujours la plupart des avantages de fes ennemis , diflingue des au tres peuples par une fougue impétueufe a laquelle on réfifta rarement; des arfenaux nombreux cc bien fournis ; des moyens d'induftrie & de profpérité incalculables/& qui le mettent toujours a même de réparer rapidement la plupart de fes pertes ; un corps d'ingénieurs . trés inftruit, 1'artillerie Ia plus confidérable & fans contredit la meilleure de 1'Europe tel eft le tableau fidéle des forces & des reflburces -de la France dans les circonfiances ordinaires. Ajoutons maintenant a tant d'avantages réunis ceux qui lui procure évidemment fon état de crife a&uel: 1'anéantiflement du commerce & de la navigation , de tous les arts de luxe, d'une foule  ( 13 ) foule de profeffions & de métiers, a d'a-, bord aigri ceux qui y trouvoient des movens de fubfiftance; dans ces premiers momens de déforganifation & de tyrannie, les puiffances étrangères auroient pu compter fur le tres grand nombre de cette foule de mécontents; mais depuis, efFrayés par des exemples de rigueur, convaincus du danger cc de 1'inutilitë de leurs efforts , égarés par toutes fortes d'illufions & preffés de la néceffité de vivre, ils fe font mis a la foMe de leurs bourreaux; ils fe font rendus les inftruments de leurs vengeancesj prefque tous ont pris parti ou dans ces légions de gens ftipendiés a Paris & dans les Provinces pour reproduire la terreur & les violences fous toutes les formes, pu dans ces hordes des frontières, femblables a celle des anciens Normands qui alloient por ter la défolation & chercher la mort au loin, paree que leur propre païs ne pouvoit fournir a leur fubfiftance. Ils n'avoient d'abord fuivi que la voix impérieufe de la fairn; mais 2 bien-  ( H ) bientot, réunis a tout ce qu'i] y a de plus dépravé, ils font eux-mêules devenus des modèles de corruption, 6c déformais tout retour°vers une vie paifible & laborieufe ne leur eft plus poiïïble j car il eft: a remarquer que la vie des camps & des armées , quelque pénible qu ' elle puifle être , quelque aöivité qu' elle exige, ne forme que des hommes inutiles ou dangereux enfuite pour la fociété. C'eft ainu que peu a peu 1'oifiveté & la faim ont couvert la France de fcélérats, que ce vafte royaume s'eft transformé en un camp hérifte de bayonnettes, que les fonderies & fabriques d'armes ont acquis une activité extrar ordinaire, que des armées innombrables ont bordé les frontières, & qu'il s'en eft formé de nouvelles , comme par enchantement, partout oü un événement imprévu eft venu tout a. coup exiger leur prélénce j nous n'avons eu que trop d'occalions de nous en convaincre dans les difFérentes époques de la guerre de la Vendée, a Lyon, Marfeilk, Bourdeaux, ïï"oukn, &c? Cettg  ( 15 ) Cette pspiniere d'hommes dont une génération nouvelle, élevée au milieu des alarmes, vient tous les jours répa-* rer les pertes , n'a plus d'autre exiftence que la guerre. Inftruits même par leurs revers , toujours expliqués par la trahifon & payés de la tête des ge'néraux } encouragé par des fuccès plus ou moins brillants contre tous leurs ennemis ; exeités parl'ardeur du pillage & les fugge£~ tions les plus iniidieufement atroces> enivrés par un fanatifme qui infpira toutes fes fureurs aux nations les plus calmes, qui produifit des traits multipliés d'beroïfme chez les peuples les moins belliqueux; dirigés par des chefs qui n'ont que 1'alternative de 1 echafaut ou du fuccès, & qui ne peuvent 1'obtenir ce fuccès effroyable que par le bouleverfement total des empires} tropprofondément coupables, trop entièrement abandonnés a la licence & a la débauche pour ne pas prévoir avec horreur le retour de 1'ordre; toujours bercés de 1'efpoir fédudteur de toucher au  ( i6 ) au moment de commencer une nouvelle carrière au fein de 1'opulence & de la paix , enrichis des dépouilles de leurs viótimes .... tout concourt a annoncer que les révoltés de la France ne cefTeront de réunir a la valeur ardente des anciens Francois, une férocité jufqu'alors inconnue , & cette redoutable conftance qui paroiffoit ne pas pouvoir fe concilier avec la fougue & la légèreté de leur caraclère. Chercheroit-on encore a fe raffurer, en 1794, avec cette foule de raifonneurs défceuvrés & de politiques ignorants qui ne ceffent de rabacher, comme dans les fix premiers mois de la révolution, que rien de violent ne fauroit êtrë durable, & qu'ainfi les efForts extraordinaires de la France en préfagent évidemment le terme prochain ? mais il eft trop clair que cette maxime générale ne peut avoir aucune appücation dans les circonftances actuelles. Pourquoi fe flatteroit-on de voir cefler 1'efFet quand les caufes acquièrent tous les  ( *7 ) les jours un nouveau degré d'énergie ? le feu , qui eft 1'image de l'aótivité, s'éteint-il lorfqu'on 1'alimente fans cefie? Le Vefuve qui enfevelit, il y a plus de 1800 ahs , Herculanum 6c Pompeia fous des fleuves de lave, n'exerce-t-il pas encoré tous les jours de nouveaux ravages ? & pourquoi donc cette aótivité dévorante, qui eft de 1'efience de la crife actuelle & que tout concourt a entretenir, vous pfomettoit-elle le terme fi prochain de vos maux ? fans doute c'eft un état de fiévre ardente, qui fera fuivi d'une foiblefle mortellei mais fur quelles bafes calculez-vous la duréë de 1'accès ? fans doute 1'édifice monftrueux de la révolution franjoife finira par s'écrouler , paree qu'il eft bati fur un fable mouvant & que toutes les parties manquentde liaifons & d'enfemble; mais peut •■ être qu'une grande partie de k. génération préfente aura le temps de s'éteindre & qu'un deuil général couVrira toute 1'Europe , avant 1'épöque dont on ne eefiê de nous -fixer le termc % pré-  ( i8 ) précis, avec une afiurance prophétique fi ridicule. Paflbns a 1'état de leurs financec , a ce puiffant reffort des gouvernements qui finit toujours par fixer la Vidloire ; & que toute illufion ceffe enfin fi nous leur trouvons des reflburces capables de foutenir indéfiniment ce colofle de puitlance. Les fcélérats , qui font a la tête du gouvernement actuel de la France, fe font emparés des deux tiers du territoire de ce fuperbe royaume, & d'une maffe d'effets précieux d'une valeur incalculable, par la réunion des domaines de la Couronne, des biens du Clergé & de la Nobleffe j déja depuis longtemps, ils grofïiffent tous les jours ce fleuve de déprédations, des dépouilles de cette foule de victimes qu'ils im«ïolentj & pour peu qu'ils continuent encore avec le même acharnement la guerre qu'ils ont déclarée a tous les propriétaires, ils vont fe trouver en pofieffion de toutes les propriétés: la France en-  ( 19 ) entière fera 1'appanage da crime triomphant; c'eft dans fes mains enfanglantées que feront reünies toutes les richeües, tous les moyens de fubfiftance. Une mafie d'Aflignats énorme, dont 1 emiffion n'a point de bornes, & que la crainte fait admettre fans réelamations & fans difficultés dans toute 1 etcndue du royame , fournit au payement de tous les objets de 1'intérieur; c'eft a dire, en dernière analyfe, que la folde des troupes, leur nourriture, leur équipement , leurs marches, 6cc. enfin tout ce qui épuife les refiburces des puifiances étrangères, ne coute rien a la Convention depuis qu'elle a converti les papéteries en Hotels des monnoyes, 6c qu'elle a fubjugué la France au point de pouvoir tout ofer, fans ménagement 6c fans crainte. C'eft ainfi que 1'on dépenfe aujourd'hui , en fix femaines, plus que eet ancien régime fi décrié ne 1'a jamais fait dans une année entière, a 1 epoque de fes plus grandes dilapidatipns , & que nqanmoins on auroit tort B 2 de  ( «P ) de voir dans ce monftrueux gafpillage la plus légere caufe d'épuifement ; puifque 1'épuifement ne peut réfulter que de la difproportion des efForts & des reflburces, & qu'ici les reffources <é re» produifent, comme par enchantement, au gré des befoins. Heft, je le fais , telles dépenfes qui exigent jndifpenfablement du numéraire ; mais tous les fouverains enfemble en pofsèdent-ils autant que la Convention a dü s'en procurer par fa fpoliation de toutes les églifës, des tréfors de la couronne, 6c des efpèces monnoyées trouvées chez cette multitude de perfonnes que leurs richefies feules ont fait arrêter ou immoler comme fufpedtes; par le pillage des opulentes cités de iy?« 6c de Marfeille, 6c 1'enlèvement dés matières d'or 6c dargent partout ou on a pu en découvrir. C'eft au moyen de ce' numéraire yerlé a pleines mains qu'elle foudoye des émiffaires dans tous les païs, qu'elle recoit des puiflanees aeutres 6c de fes ennemis même, les grains  ( 21 3 grains & autres objets de confommatïon dont elle ne pourroit fe palTer ; car, je fuis loin d etre de l-'avis des perfonnes qui penfent que la plupart de ces cargaifons, qui ne cefient d'aborder dans les pprts de France, font autant de fecours gratuits envoyés par leurs dignes confrères , les patriotes étrangers j j'ai été affez a portee d'étudier cette claffe d?hommes pour pouvoir affurer que 1'iniéiêt eft la première de leurs paffions, avant même celle de faire le mal: les Francois ne doivent efpérer de leur part que des vceux fanguinaires & des manoeuvres fourdes, en attendant 1'époque des grands crimes s'ils parviennent jamais a pouvoir alfouvir leurs vengeances avec la certitude de 1'impunité. Qu'il eft accablant de fe conv2incre tous les jours davantage, qu'il ne manque a la plupart des hommes pour devenir atroces , que 1'occafion de fe livrer a toute leur perverfité naturelle!.mais reprenons 1 énuïnération des reflburces du gouvernement adtuel de la France, Les  ( 22 ) Les armées éprouvent-elles quelques befoins? I'envoi de quelques fourqitures, telles que fouliers ou chemifes , éprouve - t - il des retards ? ces objets font mis en réquifition dans toute Ia contrée; a 1'inftant tout le monde s'empreffe de fe dépouiller; & 1'homme le mieux penfant , par-la même plus en butte a la malveillance , fe fera remarquer par 1'étendue de fes dons foi-difant fatriotiques, trop heureux de fauvcr fa tête au prix de pareils facrinces. Ce qui a lieu pour les chofes les plus minutieufes , comme de la charpie ou du vieux linge pour panfer les blefles, s'étend généralement k tous les objets fans exception; il n'en faut pas davantage pour fe procurer les hommes & les chevaux; faire courir la pofte aux canons & aux armées; la fignature du premier fcélérat que la Convention a invefli de fes pleins pouvoirs ? opère comme par un charme magique, en deux fois vingtquatre heures, ce que les Souverains. ne peuvent efeétuer qu?au bout de plu- fieurs  ( 23 ) fieurs rnois , & en prodiguant leurs tréfors. Nous pourrions faire encore de nouveaux rapprochements, qui tous concourroient a démontrer jufqua l'évidence que les Francois réuniffent contre leurs ennemis une foule d'avantages, effentiellement dépendants de la crife affreufe qui les agite; car, quel eft le fouverain , quelque defpote qu'on le fuppofe , qui pourroit ofer une feule fois ce que les prétendus régéne'rateurs de la France ne celfent de faire depuis quatre ans ? un léger impöt, impérieufement exigé par les circonftances pour le maintien des propriétés & de 1'exiftence des contribuables, eft 1'objet -de mille plaintes & de mille réclamations , tandis qu'on difpofe arbitrairement de tout en France, & que le moindre murmure feroit 1'arrêt de mort du malheureux qu'on dépouille, pour avoir plus de moyens de 1'opprimer. II feroit aifé de faire fentir 1'importance inappréciable d'une confidératioa que  ( 24 ) cjüe rien ne fauroit balancer. Les régU cides combattent fur leurs propres foyers, «ntourés de forterefies qui facilitent leurs attaques, affurent leur retraite, 6c repofent leurs armées; ils ont la certitude de pouvoir aifément réparer leurs pertes. Les alliés, au contraire, font dans un païs ennemi, entourés de malveillants & d'efpions; leur territoire, ouvert de loutes parts, n'eft garanti que par les places dont ils peu vent fe rendre maitres; leurs pertes ne fe réparent qu'après beaucoup de temps, avec des difficultés 6c des dépenfes extraordinaires -$ enfin, il leur faut une longue fuite de fuccès brillants 6c non interrompus pour -en venir a leurs fins j 6c s'il arrivoit que la vicloire fe rangeat entièrement , pendant un feul jour , du cóté de la rage forcenée foutenue par une grande fupé- xiorité de nombre tout feroit perdu fans refiburce. Que faut-il donc conclure de tant de triftes 6c inconteftables vérités ? lè •contraire de ce que vous confeillent de toutes  ( 25 ) toutes parts cette foule de malveillants qui vous entourent, paree qu'il eft en général d'une faine politique de tenir une conduite oppofée a celle que nous tracé 1'ennemi; ils veulent une paix impofïiblej faites une guerre a outrance, car on ne peut traiter qu'avec un ennemi généreux. Que diroit-on de navigatcurs paifibles qui, a la fuite d'une foule de provocations, d'outrages & de menaces, fe feroient enfin décidés a réunir leurs forces contre un Forban dont ils ne peuvent attendre que 1'efclavage ou la mort, fi bientöt après on les voyoit fe dévouer en victimes foumifes & chercher a traiter avec ce même pirate, paree qu'ils trouvent plus de réfiftance qu'ils ne s'y étoient d'abord attendus ? & cela, fans fonger que le peu denfemble & d'harmonie qu'ils ont mis dans leurs efrorts a été le premier obftacle a leurs fuccès, au moment ou un peu de conftance encore & le concours de tous les. moyens alloient purgcr les mers de ce C fieau  ( 26 ) fléau dévaftateur & devenir a jamais le gage de leur fureté. Suppofons un vaineau qui renferme un grand nombre de paflagers de tous les états, de toutes ks nations; les haines particulieres, les différences de langage, tout concourt a les rendre abfolument étrangers les uns aux autres, .peut-être même ennemis. Une voye d'eau fe déclare, & pendant longtemps perfonne ne s'alarme de fes progrès. On commence cependant a prévoir le danger; & ks uns fe mettent tout entiers a la befogne, tandis que les autres, pour colorer leur mauvaife volonté, prennent pour prétexte, ou leur foiblefle ou leur fécurité perfonnelle au milieu de 1'effroi général. Enfin, le péril devient imminent; le moment des illufions eft paffe, 1'image de la mort eft préfent a tous les cceurs; dans un clin d'ceil, elle a fufpendu toutes les haines s, a prefque fait difparoitre jufqu'a la différence du- langage; tout le mo;ide s'cntend,  ( 27 ) s'entend, tout le monde retrouve des forces pour concourir au même but; le voifinage des cötes donne une nouvelle ardeur & le vaifleau ne tarde pas a mouiller au port L'application n-'eft pas équivoque, le voile eft afiez léger; mais enfin c'eh eft un, quelque tranfparent qu'il puifie être, & déformais il faut que la vérité fe montre toute nue. L'Europe eft ce vaifieau menacé d'une fubmerfion prochaine; cette longue & funefte indifterence, tous les Souverains ont eu longtemps a fe la reprocher ; & encore aujourd'hui, pen» dant que quelques uns d'entr'eux fe confument en efForts pour le falut de tous, la voix publique en défigne d'autres qui refufent de les feconder & qui les traverfent peut-être. Dieu veuille du moins que l'exactitude du rapprochement ne fe borne pas la, & que 1'urgence du danger leur deflille enfin les yeux pendant qu'il en eft temps encore. Je ne doute pas du fuccès de leurs efforts réunisj Paris eft le but ou ils doivent C % ten»  ( 28 ) tendrc; mais, qu'ils ne perdent pas de vue que la Campagne de 1794 décidera irrévocablement de leurs deftinées. C'eft fans doute eet enfemble, cette précieufe harmonie qui doivent être 1'objet de nos vceux les plus ardents; mais fi nous avons jamais le bonheur de voir le concours de toutes les volontés & de tous les efForts vers un même but, il fera encore effentiel de mettre a profit les lecons falutaires de 1'expérience, & d'employer une tactique nouvelle contre un ennemi qui a tout bouleverfé. II eft trop évident qu'on a plus d'un reproche a fe faire dans 1'emploi des forces, pendant le cours de la Campagne de 1793. Je cherche a oublier celle qui 1'a précédée; je refpeéte le voile impénétrable qui en couvre les opérations, & je détourne les yeux des calamités inouïes qui en ont été la fuite, pour m'arrêter avec complaifance a cette époque fi glorieufe pour les armes Au trichiennes. Bréda étoit pris; Timportante place de  m ( 29 ) de Maëftricht, bombardée avec vigueur, étoit menacée d'une deftruclion prochaine; la Hollande alloit être envahie & afïurer a jamais le triomphe du crime; il falloit une efpèce de miracle pour conjurer 1'orage. Le Prince de Cobourg, quoique attendant encore de-s renforts confidérables, malgré les rl« gueurs de la faifon & la grand infériorité de fes forces, n'héüta pas a le tenter j il n'y avoit pas un inflant a perdre. Un fuccès, tel que les annales de 1'hiftoire n'en offrent pas d'exemple, couronna cette héroïque réfolution ; de toutes parts, les régicides épouvantés, difperfés, taillés en pièces, abandonnant magafms & artillerie, fuyoient en défordre devant une petite Armée, & dans ce même païs que la réunion de toutes leurs forces n'avoit pu conT quérir que pas a pas fur un corps de quinze mille hommes, harralfés de fatigue. Ils ne femblèrent fe rallier a Nerwinde, a la voix de 1'intrépide Du~ Piourkr, que pour donner un nouveau Juf-  ( 3° ) ïnüte au triomphe de leurs vainqueurs ; Ie nombre, 1'impe'tuofité, 1'acharnement du défefpoir, tout céda a 1'intrépïdste' au-deffus de tous les éloges des firaves Autrichiens & a 1'habileté de leurs dignes chefs; jamais la renommee n'eut k publier des exploits auffi rapides, auffi (éclatants ; chaque jour, chaque heure étoit le fignal d'un nouveau fuccès; oa »e peut comparer cette marche triomphale qu'aux flots irrités de 1'Océan qui reaverfent tout ce qui fe trouve fur leur paüage, &r rejettent au loin fur les cötes toutes les impurete's qui fouilloient fon f&m. De quels fuccès, ces premiers fuccès ne paroifïbient-ils pasTheureux préfage? La dïfgrace de Dumourier, eet homme moins dangereux encore par fes rares taients que par fa profonde fcélérateffe, arriva prefqu'au même inftant; le coup vïgoureux d'autorité qu'il frappa contre Bournonvilk & les quatre députe's qui vinrent lui fignifier les ordres fuprêmes du tripot Conventionnel, fa grande  ( 3* ) grande influence fur les troupes qu'il avoit prefque décide's a marcher vers Paris, tout fembloit annoncer que la dernière heure du crime étoit enfin venue. Une foule d'inconféquences puériles que les fureurs de la vengeance & le délire de 1'orgeuil peuvent a peine expliquer, firent entièrement avorter le vatte plan qui eüt brifé en un feul jour le fceptre de la Convention ; mais, da moins il düt en réfulter nécefTairement une déTorganifation totale, une confternation dont on pouvoit fe promettre les plus grands avantages. L'obfervateur éclairé & impartial vit avec un doraloureux étonnement l'inadtion des alliés, pendant que Dampitrre raffembloit avec activité autour de lui ks débris de 1'armée, & fe mettoit en état de venir bientót provoquer les vainqueurs. Plein de refpecr pour les intentions & les talents des généraux Autrichiens, je fuppofe que de grandes jaifons oa£ déterminé leur conduite } j' imaginc  ( 32 ) qu'ils ont voulu attendre des renforts en hommes & en artillerie pour être furs di pouvoir enfuite frapper de plus grands coups ; mais , en combattant furtout contre des Francois , ce fupplément de forces pouvoit-il balancer 1'avantage de profiter de la terreur générale qu'avoit infpiré le nom Autrichien ? depuis , toutes leurs tentatives n'ont cefle d'être couronnées par la Victoire, mais jamais on n'a paru fonger a tirer parti de ces fuccès j chaque coup de vigueur a été fignalé d'une longue ïnaclion qui en a fait perdre prefque tout le fruit. Les efprits , frappés de terreur, ont toujours eu le temps de fe raffeoir; 6c c'eft cependant cette falutaire terreur qui n'auroit pas dü cefter d'être un inftant a l'ordre du jour, pour iè fervir de 1'exprefllon que les bourreaux appliquent a leurs victimes ; c'eft elle qui a fait 6c maintenu la révolution ; 6c ft elle ne concourt puiflamment a détruire fon monftrueux ouvrage, il eft trop  ( 33 ) trop a craindre que les efiorts des puiffances ne faffent qVaggraver en pure perte les maux de 1'humanité. On en a vu 1'effet de cette terreur, lorfqu'après le fameux fiège de Valenciennes, fi longtemps différé, fi peu actif pendant quelques inftants, & fuivi, comme le refte des opérations, d'une inaction mortelle , on fe préfenta devant le camp de Ce/ar. Avec quel plai*. fir on fe reporte a. cette époque brillante oü rien ne put raflurer 1'armée Con~ ventionnelle, ni cette pofition que la nature femble avoir voulu rendre inexpugnable, ni ces travaux immenfes ou. ï'art avoit tout récemment épuifé fes reiTources, ni cette artillerie fi terrible dont les nombreufes redoutes étoient ■hérifiees. La terreur précédoit les armes ■des alliés jufqu'alors toujours victorieufes; leur intrépidité, dirigée par une -taétique fa van te, n'avoit pas encore connu d'obftacles. Le même fentiment agirte tous les coeurs des régicides ; tenter sUn nouveau combat, c'eft aux yeux de P tous  ( 34 ) tous. s'expofer a une nouvelle defaite, & 1'on voit abandonner fans coup férir, a la fimple approche de 1'ennemi, ce même camp que vingt mille bras venoient de mettre en état, difoit » on, de refifter vicïorieufement a tous fes efforts j qu'on repréfentoit naguères a la Convention comme le boulevard de la France, & qu'on s'étoit accoutumé a regarder affez généralement comme le plus grand obftacle pour parvenir jufqu'a Paris. Quel moment précieux pour frapper des coups aflurés & décififs , foït en pourfuivant a ou trance 1'armée fugitive , foit pour preffer la reddition des places oü cette retraite inattendue avoit répandu le découragement, & qui fe uouvoient livrées a leurs propres forces i quel augüre plus favorable pour le refte de. la campagne ! le Major o\'Afpre eft chargé d'aller fommer Cambrai; de toutes parts il entend dire dans cette ville que les habitans deurent de fe rendre ; qu'il n'y a prefque point de garnifon, & qu on faura bien triom- pher  ( 35 ) pher de fa réfiftance, paree qu'on ne veut pas s'expofer a fubir le fort de Valenciennes; que la place eft entièrement dépourvuede'moyens de défenfe, & qu'a peine quelques canons en défendent les ramparts, &c. .... (i) NéanmoinSj le Commandant fait la réponfe ufitée en pareil cas , a moins qu'on ne fe foit affaré d'avance de fes difpofitions ; il protefte qu'il fe défendra jufqua la dernière extrémité. Quelques boulets rouges, & deux cents bombes venues en pofte, eufTent aifément triomphe de ces prétendus projets de réfiftance & afturé la pofleftion de cette place importante } aujourd'hui , il faudroit confommer fous fes murs un temps précieux cc des munitions immenfes, traeer trois paralleles, facrifier beaucoup d'hommes dans les tranchées , avoir une armee nombreufe pour coUvrir le fiège, D 2 & rem- (i) On n'a pas tardé a avoir la preuve certaine du dénuement total de la place pav les rapport? rendus a la Convention. 2  ( 36 ) & remporter des vicloires flgnalces pOLijr pouvoir en continuer les opérations; c'eft furtout en guerreque 1'occafion perdue ne fe retrouve plus. La réponfe négative du Commandant, fans avoir égard aux circonftances oü fe trouvoient & la Ville & 1'Armée conventionnelle , fut ie fignal d'une marche retrograde. C'eft alors que cette fatalité qui femble prélider aux deftinées de la France & 1'entrainer rapidement vers fa pertè, fit prévaloir la rélblution de divifer les forces des alliées pour pouvoir mener de front les fièges de Dunkerque & du Qutfnoi; c'eft auffi de cette époque que datent tous leurs revers. Le Duc d'York prit la route de Dunkerque , a la tête d'une Armée de quarante mille hommes de bonnes troupes. La célérité de fa marche, fon arrivée fous les murs de cette ville fans groffe artillerie , long - temps avant le terme convenu avec 1'Amiral Macbride qui devoit preffer le fiège de cöté de la mer; 1'in-  ( 37 ) 1'ihtrépidité héroïque mais peu mc~ furée avec laquelle on pourfuivit les fuyards jufques fur le glacis de la place j la fuite en -Angleterre du Général Ir- landois qui y commandoit tout concourt a annoncer qu'on avoit des intelligences , & qu'on y compta au point de négliger les précautions de la prudence la plus commune. Si Ton 's'étoit feulement pourvu de quelque artillerie de fiège & qu'on eüt eu le foin de mettre 1'Amiral Macbride dans le fecret de cette marche prématurée, pour pouvoir employer la force au défaut de la perfuafion ; une place de la force de Dunkerque eüt été probablement emportée avant qu'on püt la fecourir. Peut-être même qu'il eüt fufH que les forces fuflent la pour être difpenfé -d'en faire ufage ; car le grand moyen de fe ménager des intelligences & d'en tirer parti, c'eft. d'être toujours en état de s'en paifer. Dès qu'on vit qu'il ne falloit plus compter fur des intelligences, malheu- reufement  ( 38 ) reufement trop regardées comme infaillibles, on fongea a recourir aux moyens de vigueur ordinaires, & 1'on attendit, dans une forte d'inaótion foreée, 1'arrivée de 1'artillerie de fiège. Pendant ce temps - la , quelques Chaloupes Canonnières & une ou deux carcaffes de batiment armées, renouvelloient fans ceffe leurs ravages dans le camp des alnés , & défoloient impunément la Cavalerie Autrichenne. La Garnifon, de foncöté, appréciant tous les jours davantage a leur jufte valeur les exprefiions menacantes de la fommation , voyant qu'on ne fongeoit pas même a 1'inveftir , recevant a chaque inftant par la voye de Gravelines des renforts de tous les genres & 1'aflurance d'être bientöt délivrée , faifoit de fréquentes forties & répugnoit plus que jamais a toute efpèce de Capitulation. Ces mêmes hordes Conventionnelles, qui avoient abandonné les pofitions les plus inexpugnables a la feule approche de la maffe impofante des alliés, fon- gerent  ( 39 ) gerent a leur tour a faire une guerre offenfive quand elles les virent fe divifer, & fe promirent d'avance un fuccès certain de la réunion de prefque toutes leurs forces contre une Armee de qua-, rante mille hommes , oblige'e de fe fubdivifer encore en Armée d'obfervation & de fiège , & de contenir une garnifon dont on pouvoit a tous momcnts augpienter le nombre & diriger les efforts. Le camp de Café/ fut défigné comme Je licu du rendez - vous des régicides} peu a peu fes Troupes y arriverent par petits Corps détachés fans qu'on ait tenté de troubler la marche d'unfeul Bataillon , ou de les inquiéter fur d'autres ' points. Enfin , après avoir rafTemblé leurs forces bien a loifir , puifque h place ne fut pas même inveftie un feul inftant; après avoir bien combine leur plan & s'être affuré de tous les moyens d'exécution, ils fe rcpandirent comme un torrent dans la plaine. Alors , 1'intrépide réfiftance des alliés ne fervit qua proionger le carnage, retarder de quelques  ( 4° ) quelques inftans leur défaite, & expofer a des dangers plus imminents la perfonne du Général en chef & d'un des fils du Roi d'Angleterre, tous les deux blefies & au moment d'être faits prifonniers. On connoit 1 enormité de leurs pertes en hommes , canons , magafins, &c. on fe fouvient de la cruelle déroute des Hollandois , a Men in 8c a Vervick , qui en fut la fuite immédiate; néanmoins , le Général Houcbard, que la Viéloire venoit de couronner d'une maniere fi éclatante, ne tardit' pas a porter fa tête. fur l'éc-hafaut; 6e de tous les généraux immolés par la hache de la Guillotine , c'eft peut-être le feul dont la mort ne puifie pas être regardée comme un affafiinat, car il eft certain qu'il devoit naturellement arriver pis encore. La valeur de 1'Armée Autrichienne Sc 1'habileté de fes Chefs ne tardere-nt pas a arrêter les progrès des régicides 6c a les faire rentrer fur leur territoire ; mais rien ne pouvoit réparer les pertes énormes •des alliés dans tous les genres , les anj- mofités  ( ii ) animofités qui en furent la fuite, le retard du fiège de Manbeuge dans une faifon fi avancée, & moins encore 1'effet redoutable de tant & de fi grands fuccès fur 1'opiniön , dans une guerre toute. d'opinion. Jufqu'ici les patriotes avoient combattü les alliés quoiqu'une funefte expérience dut en quelque forté les leur faire regardei comme invincibles ; la victoire de Dunkerquê leur infpira la même préfomption , ranima dans leurs cceurS les mêmes efpérances que chez les fauvages de TAmérique, lorfqu'ils virent pour la première fois tomber fous leurs coups ces Européens qu'ils avoient confidéré pendant fi longtemps , comme des êtres d'une clafTe fupérieure. Ils crurent qu'il ne s'agifibit plus que de bien diriger leurs effbrts; il n'en fallut pas davantage pour juftifier a leurs yeux les trahifons qui avoient été le prétexte de la difgrace ou du fupplice de tant de Généraux; On dut s'attendre a leur voir déployer dans E peu  ( 4* ) peu une audace nouvelle ; l'occauon s'én préfenta bientöt. Les Autrichiens qui étoient fur le point d'entourer Maubeuge , quand la déroute de leurs alliés les obligea a fe porter en toute hate du cöté de Menin, fentant combien la poffeftion de cette place aflureroit la tranquülité d'une grande étendue de leurs Frontières, fe décidèrent a eiïayer de 1'emporter avant la fin de la campagne. Toutes les redoutes qui en défendoient les approches furent attaquées & enlevées a la fois; déja, malgré la rigueur de la faifon, la ville étoit inveftie, & 1'on prefibit les travaux du fiège, lorfque les régicides qui avoient raflemblé, lentement & fans obftacles, toutes leurs forces du cöté de Landreci & d''Ave/nes, vinrent attaquer 1'armée d'obfervation. N'ayant pas pu parvenir a 1'entamer dans cette première affaire, ils livrèrent de nouveau une bataille générale le lendemain 5 c'eft alors qu'excités par Ie délire  ( 43 ) délire du fanatifme & 1'abondance des liqueurs enivrantes, on les vit fe précipiter a la bouche des canons qui moiffonnoient les rangs entiers, & ne cefTer de chanter leurs airs révolutionnaires au milieu des ruifieaux de fang, des cris des bleucs, & des cadavres des leurs entafles par monceaux. Rien fans doute ne pouvoit réfifter a tant d'acharnement , puifque les braves Autrichiens furent obligés d'abandonner leurs pofitions. Leur retraite fut celle du lion accablé par le nombre, 6c dont perfonne a'ofe approcher de trop prés, malgré la perte de fon fang & 1'épuifement de fes forces j mais enfin il fallut lever le fiège de Maubeuge, 6c ne plus s'occuper qu'a défendre fon propre territoire. Quelle confiance en fes forces ne dut pas infpirer a. la convention , ce grand fuccès contre les meilleurs troupes 6c les meilleurs Généraux de 1'Europe J Pendant que cela fe paflbit dans cette partie des frontières, les fameufes lignes de Weijjembourg , qu'on avoit -paru E 2 long-  t 44 ) long - temps regarder comme inexpugnables, furent forcées en moins d'une heure par 1'armée du Général de Wurmfer 8c 1'armée du Prince de Condé} les Pruffiens contribuèrent au fucpès de cette journée par des manoeuvres. On devoit s'attendre naturellement a beaucoup plus de réfiftancej mais la viétoire de WeïJJembourg fut une fuite de 1'échec de Maubeuge, car il paroit qu'on avoit fortement dégarni les lignes pour être plus fur de faire lever le fiège de cette place. Ne laiflbns pas paffer 1'pccafion de faire une remarque confolante : obfervons que ces tranfports continuels de troupes fi fatiguants & fi deftruéteurs. pour les hommes, & furtout pour les chevaux , ((YAIface en Flandres, & de FJandres en Alface, de 1'armée du Nord a celle de la Vendée, des gorges de la Savoye fous les murs de Lyon , de Lyon a toulon, & de Toulon a PerpignanJ 6c la longue inaöion des armées jusqu'au moment ou elles ont recu les ren- forts  ( 45 ) forts des autres points, prouvent d'une manière inconteftable que la Convention commence a. porter la peine de fes monftrueux excès, & qu'obligée de répartir fes partifans dans tous les coins du royaume pour contenir fes nombreux ennemis de 1'intérieur , elle ne peut pas envoyer contre ceux du dehors , autant d'hommes qu'elle a 1'air de le croire, & qu'elle eft parvenue a le perfuader; cela prouve encore que fa grande réftftance tient furtout a la manière dont elle a été attaquée, 5c a la liberté qu'elle a toujours eue de dégarnjr fans inconvénient tous les points, pour réunir des forces immenfes dans celqi qui étoit menacé. Revenons aux Lignes de Weiffembourg; après ce grand fuccès, le plus important fans doute de la guerre fi 1'on en eüt recueilli tout le fruit qu'il étoit naturel d'en attendre., Lauterbourg & Weïjembourg ouvrirent leurs portes; 1'armée vidïorieufe fit une marche de plufieurs heues fans rencontrer un feul ennemi; h  ( 46 ) fa ville de Haguenau, quoique couverte par une forêt confidérable qui pouvoit en retarder la prife, fe rendit fans réfiftance ; les habitans paroiffoient dans les difpofitions les plus favorables j 1'armée régicide étoit en quelque forte difperfée & frappée de confternation. Strajèourg même, s'il falloit en croire un bruit public qui a pris une bien grande confiftance, & que perfonne n'a cherché a démentir, Stra/bourg offrit au Général de Wurmjer de lui ouvrir fes portes Mais, je ne me permettrai pas d'établir mes réflexions fur des profeabilités ou de fimples conjeétures, & je me plais a croire que lorfqu'il ne s'agifloit de rien moins que de frapper un coup décifif qui devoit hater le terme des maux de 1'humanité, il n'auroit pas pu exifter de claufes capables, je ne dis pas de provoquer un refus., mais même de faire différer d'un inftant la conclufion d'un pareil traité. Ce qu'il y a du moins d'inconteflable, c'eft que les alliés avoient un parti nom- z m  ( 47 ) nombreux & puiffant dans les murs dc Strajbourg, & qu'on n'a pas fongé a profiter du premier moment de la confternation des patriotes &c de la déroute de leur armee, pour tacher de s'afturer de cette place importante ; ce qu'il y a de fur encore, c'eft qu'on a refté longtemps dans une ina&ion inexplicable, même par les rigueurs de la faifon 3 puifque 1'adivité des patriotes ne s'eft: pas un moment ralentie; c'eft que la feule tentative de vigueur qu'on ait faite s'eft réduite a 1'attaque du Fort-Loms, qui s'eft rendu dans la première femaine ; c'eft enfin , qu'après avoir jetté quelques bombes dans Landau, pendant trois ou quatrejours, on a entièrement abandonné la partie pour adopter le fyftême funefte & éternel du blocus, comme s'il eüt été fort extraordinaire d'éprouver, de la part de la place Ja plus forte du royaume & de 1'ouvrage le plus parfait de Mr-de Vauban, Ja réfiftance dont la moindre bicoque eft fufceptible, Pen-  ( 48 ) Pendant ce temps, la Conventie-rij dont le grand art confifte furtout a profiter des fautes nombreufes de fes ennemis, & a employer les longs &c mortels in ter valles qui ont toujours féparé leurs opérations, s'eft hatée d'envoyer • des commiffaires en Alface. La terreur , les exadtions & des flots de fang ont marqué leurs pas. Après avoir fait immoler comme fufpect, a la tête de 1'armée, tout ce qui ne portoit pas au dernier degré d'exaltation le délire révolutïonnaire, pour confirmer la prétendue trahifon qui avoit expliqué aux yeux de la multitude la prife des lignes , ils vin rent régénérer a leur' rnanière la Ville de Strajbourg; c'eft & dire , que toutes les piaees de 1'adminiftration furent confiées a des Sans - culottes éprouvés par leur énergie & leur perfévérance dans le crime, 1'exécration des races futures. On pourroit fe rendre fenfible par une comparaifon ces deux états fi différentes des régicides, lorfqu'ils fondent fur leurs ennemis ou qu'on les attaque a leur tour, en fe repréfehtant ces vieux chevaux , jadis 1'honneur du manége , qui, travaillés par un écuyer habile , fe rappellent encore leurs anciennes prouëffes, relevent leurs mouvements , reprennent toute leur fier té , & deviennent en état de fe mefurer avec les courfiers les plus généreux; mais ces reffources faftices difparoiflent avec la caufe qui les a fait naitre, & fi 1'on les furprendl'inftant d'après, on ne retrouve plus qu'une foibleffe, proportionné a 1'état violent auquel ils devoient leurs fuccès. Le même efprit d'impartialité qui me guide, & qui me fait former des vceux fi ardents pour 1'heur.eufe iflue des ! grands événement? qui balancent les b deftinécs  ( 59 ) deftinées de 1'Europe, m'oblige a hafarder encore quelques réflexions fur la conduite des alliés ; car la lenteur , qu'on paroit fondé a reprocher aux Généraux, s'eft étendue auffi aux opérations des Gouvernemens & a eu partout des fuites également funeftes. On difoit au commencement de la dernière guerre que la pendule de Monfieur de Sartine retardoit toujours fur celle du miniftère Anglois; avec quelle raifon ne pourroit - on pas en dire autant aujourd'hui des pendules de tous les Cabinets de 1'Europe fur celle du Comité de Salut Public ? Je ne choifirai que deux exemples a 1'appui d'une vérité, hélas trop évidente. Le premier eft cette malheureufe guerre de la Vendée, foutenue par des fujets d'une fldélité a. toute épreuve; parvenusa fe raflembler comme par miracle , a fe maintenir par une activité, une harmonie & une p^rfévérance fans exemple, a fe pourvoir d'armes, de munitions & d'artiillerie , en les' ènlevant fur les régicides a force de . G 2 réfo-  ( óo ) réfolution. Eft-il bien poffible que ce foit ces hommes généreux, profefiant hautement dans toute leur pureté les principes de la Religion 6c de la Monarchie j qu'on a laifies pendant fept ou huit mois , livrés a leurs propres forces, entourés d'ennemis de toutes parts, fans magafins , fans places fortes , n'ayant jamais que la même armee a oppofer, a des armées qui fe renforcoient 6c fe renouvelloient fans cefle ? Dieu veuille encore que tant d'indifférence n'ait pas été le réfultat des com- binaifons d'une politique auffi aveuglc qu'inhumaine. Enfin cependant, on a paru vouloir les fecourir, 6c 1'on a pris des mefures a eet efFet; mais, foit par la fatalité des circonftances ou la gaucherie des difpofitions , lorfque les Royalijïes fe font préfentés fur les cótes , ils n'ont appercu aucun des fecours qu'ils efpéroient y trouver. Dépourvus d'artillerie de fiège 6c de tous moyens d'attaque, ils font venus verfer des flots de fang en pure perte, fous les murs  ( «l ) tnurs d'une bicoque telle que Granvillè * la crainte d'être trahi, de manquer de vivres, & de fe trouver acculé contre 1'océan fans aucun moyen de falut, a engagé ces vi&imes généreufes a rentrer dans 1'intérieur des terres, & a fe frayer une route| au milieu d'une multttude innombrable d'ennemis , avec les feu les reflburces du défefpoir. L'arrnement des Anglois eft arrivé a Guernezay bien peu de temps après; mais ce retard a fuffi pour qu'il ne refte plus aux gens honnêtes que des larmes a répandre , fur 3e fort de tant demilliers de fujets fidèles, qui fans doute feroient maintenant 1'objet de nos plus chères efpérances, & des craintes les mieux fondées de Ia Convention. On ne peut pas calculer les conféquences d'une conduite auffi contraire aux intéréts d'une faine politique qua ceux de 1'humanité ; déja 1'édifice monftrueux de la Républiquc feroit tombé en ruines, ft 1'on avoit fenti a temps qu'on ne triomphera jamais de la Fran.ce, fkns aftbcier plus ou moins les 3 Francois  ( 62 ) Francois a fes efForts; que la contre-révolütion tenoit furtout aux fuccès des Royalijies; que la formation de leur armee étoit de nature a fe grofiir de cette foule de fujets fidèles , opprimés ou contraints de feindre le patriotifme j qu'enfin elle étoit établie dans un canton extrêmement abondant , entièrement dégarni de places fortes, oü le fuccès décifif d'un feul jour pouvoit déterminer la conquête de plufieurs départements, & conduire 1'armée triomphante fous les murs de Paris. Je paffe au fecond exemple, qui n'eft guères moins affligeant pour le cceur de 1'homme fenfible , ni moins décifif pour les progrès des alliés ; il fuffira malheureufement d'expofer les faits. Un bonheur infigne , & tel que les chances de la guerre n'en ont peut-être jamais fourni d'exemple, a mis Toulon entre les mains des Anglois, fans qu'il leur en ait coüté ni un feul homme ni un feul coup de canon; ils y ont trouvé vingt-trois vaiffeaux de ligne fuperbes, dont deux de  ( 63 ) de 12Ó, trois de 80, & tous les autrea de 74 pièces de canon, avec un nombre proportionné de frégates & autres batiments de guerre; trois mille canons appartenant a. la marine, fans compter une artillerie confidérable pour la terre j des munitions de tóute efpèce en abondance; toutes fortes d'approvirionnements pour 1'équipement des vailfeaux; & une population de vingt-cinq a. trente mille habitants , en général bien difpofés a foutenir vigoureufement la démarche décifive qu'ils avoient faite, en commencant par méconnoitre 1'autorité de la Convention & finilfant par fe livrer a fes ennemis. Tout concouroit a engager les alliés a. fe mettre le plus tot poffible en état de faire une guerre offenfive , (1) 6c la pofïtion géographique de Toulon offroit pour cela les (1) II n'auroit pas fallu beaucoup plus de forces que pour garder convenablement la ville & la rade de Toulon, oü 1'on étoit obligé de répartir les troupes en dix-fept poftes importants , dont les principaux , tels que la redoute de Balagu'ter & Ia montagne  ( 64 j ïes plus grands avantages, entr'autrei celui de ne rencontrer aucune place , dans quelque direction qu'on voulüt porter fes effbrts. Les régicides n'étoient pas en force dans cette partie , n'avoient prefque point de troupes de ligne, ne fe procuroient des munitions de guerre cc des vivres qu'avec une difficulté extreme. C'étoit le feul moyen de faire évacuer le' Comté de Nice, de rendre par^la a 1'Armée Piémontoife cc Autrichienne toute fon activité; de fe concerter avec les Efpagnols du Roujjil-* Ion , & de profiter du voifinage de quel» ques Départements , dont les difpofitions ne font pas équivoques , pour opérer la contre-ré vol ution dans le midi.— Qu'a-t-on fait pour conferver une conquête fi précieufe & fi inefpérée ? .on y a mis une afiez foible garnifon, com*pofée de quatre nations étrangères , par- montagne de Pharon , qui ont été forces par les patriotes, étoient éloignés de prés de deux lieues & féparés par la mer , de maniere a ne pcuvoir fe donner mutuelkment aucune efpèce de fecours. Jant  ( 65) lant autant de langues bien diftincles, Sc plus divifées encore par les vues & les animofités que par le langage. Sans doute, il a bien fallu dans le premier moment fe fervir de tout ce dont on pouvoit difpofer; mais, par quelle fatalité n'a-t-il été queftion que dans les gazettes, de ces fix mille Autrichiens qui devoient s'embarquer d'abord a Genes, enfuite a Livourne, & pour lefquels on avoit préparé depuis fi longtemps des batiments de tranfport ? qu'eft-ce qui a pu difierer 1'envoie d'un pareil nombre d'Anglois , rafiemblés a Cork en Irlande prefque dans les premiers moments, au point de les faire arriver un mois après 1'évacuation ? Un feul de ces renforts eüt probablement fuffi, pour défendre cette place importante contre les efforts d'un ramaflïs de vingt-cinq mille hommes , levés a la hate. Sa perte a dépendu de la prife d'une feule redoute, qu'on avoit eu le temps de fortifier bien a loifir & qui n'a pas tenu une heure, tandis qua Ca£el, vis-a-vis Mayence, H ou  ( 66 ) oh il n'exiftoit pas veftige de fortifications, les régicides avoient fait en un inftant des ouvrages en terre, fi formidables, que les Autri'chiens & Pruffiens réurtis n'ont pas paru croire a Ia poffibilité de les attaquer avec fuccès. Pénétré de la conduite, au deffus de tous les éloges, que tient maintenant le gouvernement- & le peuple Britannique, je rejette loin de moi tous les bruits outrageants pour la loyauté Angloife, auxquéls eet événement a donné Heu j je les regarde comme 1'enet de Ia rrtalveilknce, ou de 1'injuflice qu'infpire trop fouvent le malheur. Mais, avec le même efp-rit d'impartialité & de juflke, j'infifterai fur un objet qu'on n'a pas affez relevé, & qui ne pourroit être qu'une combinaifön de politique atfoce,, fi 1'on ne devoit 1'attribuer a une négligence fans exemple , comme fans excufe; je demanderai pourquoi on n'a pas du moins fbngé a mettre en fureté, en Italië ou en Efpagne, tous les vaiffeaux Francois , dès le moment ou.l'on'a commencé a avoir  ( 67 ) avoir des inquiétudes fondées fur la confervation de la place■ , le jour oü le commifTaire Britannique Gilbert Elliot faifoit part de fes vives craintes au gouvernement & fïniflbit par dire, qu'a moins d'un renfort prochain , on pourroit a peine fe flatter de pofféder Tou/on jufqu'au vingt - xinq Décembre,.... les bons Francois, réduits a regretter en quelque forte que tous les vaifleaux n'ayent pas été réduits en cendres, ne peuvent néanmoins s'empêcher de pleurer Ja perte dp-ceux qui. ont été la proye des flammes, & qu'on eüt peut fauver fi aifément. , Penfez-y bien , vous tous entre les mains de qui repofent les deftinées de 1'Europej il vaut incomparablement mieux n'avoir point de fuccès, que de faire fans ceffedes pas rétrogrades. Quelle confiance efpérez-vpus maintenant infpirer aux malheureux Francois, les plus ennemis même de la tyrannie actuelle ? les honnêtes gens de Longwi, de Verdun, & d'une partie de la Champagne, qui vous ont téH 2 moigné  ( 68 ) moigné quelque intérêt, Tont payé (teleur tête, ou bien ils expient, dans la mifère & dans 1'exil, leurs efforts pour favorifer les progrès de vos armesvingt mille habitants de Tou/on, de tout age, de tout fexe, & de toute condition, errent fur une terre étrangère en proie aux horreurs de 1'indigence & du défefpoirj & plufieurs centaines de ceux qui font reités dans les murs de cette ville inrbrtunée, condamnée a une deftruclion totale, ont maudit, au milieu des fupplices, votre cruelle vifite j les dignes habitants d'Haguenau & de toute la partiede 'Y Alface conquife, font immolés oufugitifs ; ceux du Fort Louis, ne fachant plus ou repofer leurs têtes, regrettent de n'avoir pas, a 1'exemple de Landau, cherché a. vous oppofer toute la réfiftance dont leur ville étoit fufceptible j lés ravages partiels de vos bombes n euffent fait qu'endommager plus ou moins leurs demeures, dont vos mines ont bouleverfé le fol de fond en comble ... Non, des batailles perdues ne vous  ( 69 ) vous auroient pas nui aufli enentiellement que vos fuccès éphémeres. Mais jettons un voile lugubre fur des calamités malheureufement irréparables, Sc ne rappellons les fautes du paffé que pour y puifer de falutaires lecons pour 1'avenir. Ce qui fait aujourd'hui 1 'objet de nos regrets, doit être en même temps le motif de nos plus vives efpérances; il eft évident que les Gouvernements de 1'Europe font loin d'avoir déployé tous les moyens qui font a leur difpofition, 6c d'en avoir toujours fait un emploi convenable, tandis qu'on peut défier le Comité de falut public de montrer plus d'enfemble, d'aclivité, de vigueur, & d energie. Que les Rois dépofent enfin (ou du moins qu'ils les ajournent É des momens plus calmes) ces vues d'intérêt, ces projets d'aggrandiffement, ces haines perfonnelles, ces calculs funeftes de 1'égoïfme qui fourniffent aux malveillants des armes fi dangereufes, qui refroidiiTent 6c découragent les fujets fidèles; qu'ils foient toujours juftes 6c grands, qu'ils fe mpn- trent  ( 7° > ] trent dignes de leurs hautes deftinées; que la clémence & la bonté préfident a leur gouvernement, Sc leur gagnent tous les cceurs honnêtes; mais en même temps, que la verge de fer foit. prête a frapper le premier perturbateur du repos public, qui feroit tenté de prendre cette bonté pour de la foibleflè. Que les Généraux fachent fe mettre au defius de ces calpuls miférables & rétrécis de 1'orgueuil, qui ont fi fouvent fait couIer les larmes de übumanité; qu'ils fe fon&ions auguftes s qu'ils ne perdent pas de vue qu'ils n'appartiennent plus a telle ou telle nation en particulier, mais que 1 burope entière les a charges de detendre fa gloire, fes intéréts, fon exiftence, contre des hordes Cannibales qui en ont juré la fubverfion &c 1'anéantifiement j que toutes ks facultés de leur ame foient dirigées vers ce but unique j qu'ils fe rappellent que c'en étoit fait de Rome, fi Annibal y eüt conduit fon armée viétorieufe immédiatement après la bataüle de Cannes,  ( ft ) Cünnes, & que Rome ne tarda pas \ détruire Carthage •> enfin, que 1'exemple du Maréchal de Boüjkrs allant fe ranger, a Malplaquety fous les ordres de Villars, qu'il avoit le droit de commander, & qui le preflbit d'accepter le commandement, leur apprenne .que la vraie gloire & le comble de l'héroïfme confiftent a faire Ie facrifice des confidérations perfonnelles, toutes les fois qu'il peut en réfulter quelque avantage pour 1'utilité publique.... Alors , fuccombant de toutes parts, le crime expiera fes trophées enfanglantés ; la Religion éplorée pourra efpérer de voir afïèrmir & relever fes autels j tarit de viciimes, qui gémifient dans 1'exil ou dans 1'opprefiion , fentiront renaitre un doux rayon d'efpoir dans leurs ames, flétries par la réunion de tous les maux qui peuvent afïïiger l'humanité; les propriétaires alarmés feiont furs de tranfmettre a leurs enfants, le patrimoine de leurs pères ou lesfruits de leur induftrie; le citoyen vertuenx , dans quelque clafie qu'il 5  ( 7* ) qu'il ait plu au ciel de le faire naïtre, verra luire encore quelques jours fereins* Maintenant que j'ai foulagé mon ceeur oppreffé , & rempli la tache , impofée a tout homme, de contribuer au bien public par les moyens qui font en fon pouvoir; maintenant que j'ai annoncé par mes cris la préfence du danger qui menace le Capitole, il feroit peut-être convenable de garder le filence $ mais je crois cependant devoir faire connoitre la grande opération, qui feroit la bafe du plan de Campagne que j'ai concu , & que je ne hafarderai pas de mettre au jour, par refpect pour les talents des habiles Généraux qui font a la tête des armées , & de crainte de me laiffer égarer par mon zèle. Pour débuter dignement dans la campagne de 1794, il me femble qu'il faudroit 1'ouvrir par le fiège de Lille. A ,1'inflant ou le drapeau tricolor ceffera de flotter fur fes ramparts, on aura fait un grand pas vers la Contre-révolution, & Ton commencera a y croire férieufement en  ( 73 ) en France j les Régicides feront confternés, les autres villes ouvriront plus aifément leurs portes; Ia Wejljlandre n'aura plus a redouter les incurfions continuelles qui la dévaftent; les alliés pourront s'avancer avec confiance dans 1'intérieur, laifTant derrière, eux une place auffi importante, & y porter plus de forces, puifqu'ils n'auront rien a craindre pour une grande étendue de leurs frontières. Cette mefure me paroxt indifpenfable, mais je fuis loin de men diffimuler les difficultés, & je commence par fuppofer une grande réunion de troupes, car avec des demi-moyens aucune efpèce de plan ne fera couronné par le fuccès. Quarante-cinq mille hommes au moins doivent être chargés des travaux & de la conduite du fiège; une armée de föixante-dix mille combattants , dont on fera toujours pret a réparer les pertes , fera deftinée a en couvrir les opérations; ün autre corps de neuf a. dix mille hommes , prefque entierement compofé de troupes légeres, fe portera fuccefilveJ mént  ( 74 ) ment en avant & fur les ailes, pour harceler 1'ennemi, 1'inquiéter fur différents points , diffiper les raffemblements dans leur origine, & éviter a la grande armee toutes les marches, tous les movemens qui la fatigueroient en pure perte. Qu'on ne fe flatte pas de procéder fans trouble au fiège de Lille comme a celui de Valenciennes j il faut au contraire compter fur les efförts les plus énergiquës & les plus multipliés. Qu'on fonge ettcore moins a en attendre paffivement 1'efFet dans les pofitions redoutables, ou derrière des Abbatis, comme a. Maubeuge; les Alliés doivent redouter les obftacles qui pourroient les empêcher un inftant de pourfuivre 1'ennemi. Il faut que cette armée foit toujours agiffante; il faüt qu'elle marche en tout ou en partie, pour diffoudre a. temps les raffemblements, de nature a ré lifter aux troupes légeres, qui pourroient fe former dans fon voifinage. Si une multitude innombrable fe réunit au loin pour venir fondre fur elle en maffe, qu'elle s'ébranle de bonne heure pour aller  ( 75 ) Ier lui préfenter le combat, fur le terrein le. plus découvert; c'eft la le dignc théatre de la yaleur invincible des Autrichiens 6c de leurs alliés; c'eft la que toutes les vertus militaires reünies feront fures de triompher de ces hordes pil— lardes, marchant fous les étendards du crime} c'eft la qu'une viótoire pourra être xhèrement achetée ; mais c'eft la auffi que rien n'empêchera d'en recueillir les fruits , d^'en pourfuivre a outrance tous les avantages, 6c de mettre pour long, temps 1'ennemi hors d'état de nuire; car, ft 1'on parvient a mettre de pareilles troupes en déroute dans la plaine, il leur fera impoffible de fe rallier. La conduite de 1'arme'e de fiège doit répbndre en tout \ celle de 1'arme'e d'obfervation , c'eft-a-dire, que leurs moindres démarches auront pour but de concilier la plus grande activité poffible, avec les régies indifpenfables de la prudence; 6c, en général, il faudra fouvent fe départir des anciens errements daqs des circonftances fi nouvelles, Que d'imI 2 menfes  ( 76 1 menfes munitions foient préparées d'ar vance pour être fur de ne pas fe voir obligé, je ne dis pas de fufpendre, mais même de ralentir un inftant fes efforts. Qu'on tranfporte fous les murs de Lille un grand nombre de bouches a. feu j qu'on ouvre la tranchée dès le jour même que les troupes fe préfenteront; qu'on ne négligé rien pour faire naitre 1'étonnement & la terreur par des coups de force & d'aétivité extraordinaires, car c'eft furtout d'une grande importance dans une ville , dont la population nombreufe doit avoir nécelTairement plus ou moins d'influence fur lagarnifon. Que les travaux du fiège foient fuivis d'après ce plan & les circonftances éventuelles qui pourront le modifier ; mais' que rien au monde ne puifie ralentir le feu des batteries j elles tirerpnt feulement de plus prés ou de plus loin felon le plus ou moins de progrès des ouvrages. Que jamais un feul bouletfroidne foit dirigéfur la ville; qu'on s'attache de préférence a 1'ufage des bombes, dont 1'efFet terrible eft fi propre a atteindre  f 77 ) atteïndre lebut propofé; que le noml_: coups que doit tirer chaque pièce foit invariablement fïxé d'avance, & qu'a la minute précife chacune d'elles lance 1'ef- froi, la dévaftation, & la mort le cceur me faigne en tracant ces lignes cruelles; eft-ce bien moi qui puis former de pareils vceux ? moi, fur qui les maux d'autrui font une impreffion fi profonde, moi qui chéris fi tendrement la France, & qui donnerois une partie de mon fang, pour mettre un terme aux calamités qui 1'afHigent ? hélas oui, & c'eft 1'humanité qui me les fuggère ces remèdes violents, car tout ce qu'il y a de fang pur en France s'écoule fans cefte par mille canaux; il faut fe hater, a quelque prix que ce foit, d'aller en arrêter le cours, & pour cela, il ne nous refte depuis longtemps a choihr qu'entre le mal & le pire. La pureté de mes intentions me raffure, 1'importance du but que je me propofe m'encourage. Dans une crife aufti arfrfufe, tout ménagement feroit un crime ; cette pitié funefte feroit celle de 1'homme cru- ellement  ( 78 > ellement fëqfible, qui, dans la vue d'éparguer quelques inftants de douleur a fqn malade, craindroit de tailler dans le vif pour arrêter les progrès de la cangrêne; toute cpniidération timide auroit le même effet que le zèle peu éelairé de ceux qui, au lieu de détruire a temps la rfcaifon voifine de Fincendie, fe cpnfument en efforts pour diriger de maigres filets d'eau au milieu de 1'embrafement, & donner par la une nouvelle adivité aux Hammes dévorantes II ne me refte plus, ainfi qu'aux ames honnêtes de tous les païs, qu'a tenir les maiiss élevées pendant le combat, a fupplier le Dieu des armées de bénir cette nouvelle croifade , entreprife pour la plus fainte des caufes , & vraiment digne d'un fiècle éelairé. Malheur aux infenfés dont ces jours de tribuiation n'ont pu deffiller les yeux, & qui, dans cette étonnante férie d'événemen's tout furnaturels, n ont pas reconnu •& adpré la main qui nous frappe ! mais , leur npmbre diminue fous. ks jours, & la Religion vpit avec atten-  ( 79 ) attendriiTement rentrer dans le bercail, une foule de brebis qui paroilToient éga* rees fans retour. Daignez, Dieu puhTant, actiever votre ouvrage, défarmer votre jufte colère, retirer votre bras vehgeur, foulever le bandeau funefte qui dérobe la vérité a cette foule d'ames rachetées par votre fang précieux, & qui s'obftinent a courir a leur perte ! Daignez veiller fur les. milliers de victimes au moment d'être immolées par le fer affaffin ; fauver les redes infortune's. de cette familie augufte qui nous ofFre un fi terrible exemple du nëant des grandeurs humaines, retenir tant de bras levés pour fe frapper, arrêter tant de flots de fang prêts afe répandre. En employant, comme vous nous 1'ordonnez, tous les moyens qui font a hotte difpofition, c'eft en vous feul que nous mettor,s toutes noö efpe'rances. Ne permettez p.;s plus longtemps le triomphe du crime ; brifez les inftrumens de vos vengeances • & que les impies apprennent enfin a le connoïtre, ce Dieu qu'ils ont tant outragé. 3 Toutes  ( 8o ) Toutes ces épreuves paifagères, quelque rigoureufes qu'elles nous paroiffent, fe~ ront autant de faveurs fignale'es , fi , par 1'effet de votre grace, elles peuvent apprendre aux Rois a. fe montrer vos dignes images fur la terre j aux peuples, a ne jamais s'écarter des bornes d'une foumiffion que leur véritable intérêt leur commande plus impérieufement encore que leur devoir; a nous tous, que ce monde n'eft qu'un féjour de douleur & d'exil, & qu'il faut fe hater de mettre a profit les rieines du temps, pour fe rendre digne de *^ur des jouifiances plus