ANECDOTES DU MINISTÈRE d i M B A S T I E N-J O S E P H C A RVA L H O.   ANECDOTES DU MINISTÈRE D E SÈB ASTIEN-JOSEPH CARVALHO, Comte d'Oyeras, Marquis de pombal, Sous le Regne de JOSEP H I, Roi de Portugal. Quo magis focordiam eorura icridere libet, qui prïfenti pocentia credunt cxtingui poffe ctiam fequentis zri memoriam. TaCitvs. Annal. L. 4. n. 3^. M. DCC. LXXXIII. A VARS OV1E, Chez JANOS ROVICKï,   SOMM AIRES. SOMMAIRE DU LIVRE I. I. Dejfein de V ouyrage. page i. II. Mort de Jean V. 3. Jofeph I. lui fuccede. Promotion de Carvalho. III. On l'attribue fauffement au P. Moreïra. 4. IV. Carvalhoprend tout l'afcendant. 4. V. Projet du mariage de la Princeffe du Brejil avec D. Pedre. 5. VI. Artifices de Carvalho pour empé-. eher ce mariage. 5. VIL Infianess de la Reine-Mere. 6. VIII. Mort de la ReineMere. 8. IX. Invention de Carvalho. 8.' X. Les prifons quil fait confiruire. 9. XI. Ombrages & inquikudes du Roi. ' IO. XII. Ru/es de Carvaüw. 11. XIII, II rendles Jéfuites fufpecls. 12. XIV. Difpofitions du Roi a leur égard. 13. XV. Éffets des libelles que Carvalho met fous les yeux du Roi. 13. XVI. Monopok du Maragnon. 14. XVII. Calomnies contre les Jéfuites a ce fuiet. 15. XVIII. Exil du P. Ballifler & du P. Fonfeca. 15. XIX. Requéte du corps des marchands. 16. IIs font emprifonnés. XX. Difgracc de Mendonqa & autres. 16. XXI. Tremblement & incendie de Lisbonne. 17. XXII. Travauxdes Jéfuites. 17. XXIII. a üj  vj SOMMAIRES. Conduite du P. Malagrida. 18. XXIV. Martin Velhe accuj'e Carvalho. i8. XXV. Les Capucins fe joignent d Martin Velhe. 19. Le P. Malagrida ne veut point entrer dans leur projet. XXVI. Carvalho entreprend de perdre fes délateurs. 20. XXVII. Par quel artifice il sinjinue encore plus avant dans la confiance du Roi. 20. XXVIII. Les premiers Jéfuites tannis du Maragnon arrivent a Lisbonne. 21. XXIX. Mendo^a , frere du Minijlre , & Bulhoéns • perfécutent les Jéfuites du Maragnon. ai. XXX. Prétexte du bannifjement du P. Antoine ; duP. Hunderjfund; 22. tivlt frappant d cette occajion — du P. Crucius. XXXI. On les confine dans • des Réfidences. 26. XXXII. Le P. ■ Hunderjfund regagrx l'Allernagne. 1(5. XXXIÏI. Carvalho ne veut pas que le iremblement fok regardé comme un chdtiment du Ciel. 27.—- Le P. Malagrida ■ prouve le contraire. XXXIV. Carvalho lefait réleguerd Setubal. VJ. — Autrefujet de Vexil du P. Malagrida. XXXV. Son projet pour une maifon de retraite irrite Carvalho. 28. XXXVI. Negreffe aux gages du Minijlre. 29. XXXVII. Les PP. Antoine & Ribeïro chajfés du Maragnon. 31. XXXVIII. Exil de D. Didace Mendonca. 31. XXXIX. Nouveau motif de haine de Carvalho contre • les Jéfuites 31.' — II aigrit Vefprit  SOMMAJRES. vij du Roi contre eux. XL. Moreïra penfe d fe retirer de la Cour. 31. — On Ven dijfnade. XLI. Arrivèe du P. Hennquei Provincial — 31. Sa conduite . Wvers. Carvalho. ■— Plaintes de celuici contre les Jéfuites du Maragnon. XLII. Carvalho prévient Henrique^. 3 3. — 6- fait potter deux Efits contre ceux du Maragnon. XLIII. Le P. Mo-, reïra fe préfente pour en parler au Roi. 34. •— Mais cette nuit la-méme il efl exilé de la Cour avec fes Confrères. Dtfenfe a tout Jéfuite d'y pa-. rokre. 35. — Divers fentimens Jitr eet' . evenement. XLV. Maximes de Carvalho. 37. XLVI. Conduite des Communautés religieufes. jj. — Des Grands, & du Peuple a l égard des Jéjiikes. XLVIL Sentimens des Infantes. 38. XLVIII. Conduite des Jéfuites. 38. — Trak de modefiie. XLLX. Démonfiratións de roncle du Roi envers ces Peres. 3 9. L. Libelle fcandaleux. 40. — Abré^é de ce quïl contient. LI. Guerre prétendue. du Paraguay. 41. LIL Hiftoire fabukufe de la guerre du Maragnon. 41. LI II. Gomei s'imagine quil y a des mines d or dans fept Réduclions Efpagnoles , is fur fon rapport la Cour de Lisbonne propofe des échanges pour s'en emparer. 44. LIV. Ordre donné au P. Général des Jéfuites pour Véchange des Réductions. 47. LV. Les Jéfuites du Para^ a iv  ynj SOMMAIRES. guay reconnoiffent Vinconvénient de pareils ordres. 48. LVI. Changement de Provincial, & pourquoi. 49. LVII. Le P. Neydorffert eji chargé de faire effectuer la tranfmigration. 52. — LVIII. Tentatives des Réduïiions. 50. LIX. Le P. Barreda écrit au Roi. $4. LX. Lettres du Roi au P. Barreda. 5 5. LXI. Ordre du Marquis de Valdelyrios envoyé au P. Barreda. <^6. LXIL Sujet de tarrivée du P. Altamirano au Paraguay. 157. LXIIL Valdelyrios ajfemble un conj'eil. ff. Conditions du Traité. — Plaintes de Valdelyrios. — Repréfentations que lui fait le Provincial. — Réponfe étonnante de Valdelyrios. LXIV. Ordre de la Cour d'Ejpagne de ne pas brufquer Vévacuation. 60. — Conduite oppofée de Valdelyrios. LXV. Situation du P. Altamirano. 60. — Départ des Indiens de la Réduclion de St. MicheL —s Leur ajfligeante jltuation. — lis reviennent a leur Réduclion. — Lis y trouvent le feu de la fédition allumé. — lis maffdcrent le domejlique du Mifjionnaire. — Faux bruits contre les Jéfuites. LXVL Nouveau départ fans fuccks. 6z. LXVII. Ordres de Valdelyrios & de Gome^ au P. Altamirano. 64. — Mouvemens des Jéjuites. — Tentative fingu- liere. — Elle eut quelque fuccès. Ceux de St. Louis fe mirent en route i mais ils revinrent fur Uurs LXVIII>  $ O M M A I R E S, ti Les Indiens fe défient £ Altamirano & confpirent contre lui. 66. — II dokprendre la fuite. — Méchancetés des Dêputés P°^.J^rdficr fafoupgons de ces Peuples. LXIX. La guerre efi déclarêe aux Indiens. 68.- Et les Jéfuites doivent leur notifier cette déclaration. — Les Indiens fe difpofent d la réfiflance. — On s'oppo/e a ce que les Miffionnaires abandonnent les Réduclions. — Nouvelles tracafferies de Valdelyrios. LXX. Ordres etonnans donnés aux Miffionnaires. 70. — Avenues gardées, pour intercepter ces ordres. — Tentatives pour faire poffer ces ordres dans les Réduclions. — Eff'ets que ces ordres produifirent. LXXLLes Miffionnairesfontdetenus & gardés. 73,Entreprife contre le P. Alphonfe. LXXIL Nouveaux ordres de Valdelyrios. 76. LXXIIL Imputations de Carvalho. 77. —; Députés pour les Limites. — Conduite des Indiens. — lis obligcnt les Portugais defe retirer. LXXIV. Fort des Portugais placé au-de-ld des Limites. 80. "7" /r Il1^ens Mtrepnnnent de les en chaj/er, & ils font repouffés. — On les attire dans le Fort par Jurprife. — Trahifon & cruauté. — Violence fake d ces pnfonniers pour les faire dépofer contre les Miffionnaires. — Fauffes dépofitions txtorquees par la violence. LXXV. Progris des Indiens contre les Portugais. 84. — Embarras de Gome{. — Gomei & A v  x SOM M AIRES. Valdelyrios interceptent les lettres du Gouverneur & des Jéfuites. — Et ils les rendent odieux d leurs Cours. LXXVL Suites de la guerre. 86. — Précautions des Indiens a fégard des Miffionnaires. — Les Indiens font défaits. — lis nen deviennent que plus furieux. — Stratagême d'un Mijf.onnaire , qui calme la fédition. — Les Indiens meitent le feu d la Réduclion. --- LXXVII. Quinze mille Indiens fe retirent dans les bois. 88. — Pillages , meurtres & autres horreurs. — Miffionnaires faijïs & maltraités. LXXVIII. Gome^ en poffeffion des Réduclions y cherche en vaindes mines. 90. — Miffionnaires occupés d rallier leurs Indiens. — Ils prient d'Andonaeguye^ de ■ faire informer. — La crainte de Valdelyrios & de Gome\_ Varrête. — Dépofitions des Caciques devant Notaire. —■ Elles font favorables aux Miffionnaires. LXXIX. Mauvaife foi de Vianna. 92. — Elle efi découverte par D. Zevalos. LXXX. Dépofitions publiques devant Zevalos. 95. — Elles font a favantage des Jéfuites. — Anecdotes au fujet de ces dépofitions. LXXXI. Mort de Ferdinand VI. 98. — Gome^ en vient jufqud folliciter les Jéfuites de s*employer pour faire rompre le traité des Limites. •— Charles III rompt ce traité fi funejle aux Indiens & d la religion. — Libelle de Carvalho brülé d Madrid*  S O M M A I R E S. xj LXXXII. Hijloire du Maragnon. 100. — Découverte de, ce pays. — Ses ri- volutions. t— Partage des miffions. Erection recente & ridicule de villages en villes. LXXXIII. Les Jéfuites fodicitent une Bulie & des Edits contre les Portu- tugais oppreffeurs des Indiens. 102. Les Jéfuites chaffés du Maragnon. On les rétablit. — On leur ête le gouvernement temporel. — On le leur rend. --- Ils font chaffés de nouveau. ■— Enfuite rétablis & les féditieux punis de mort. — Nouvelles plaintes portées contre eux. — Ils font juftifiés. LXXXIV. Ce qu'ds retirent.de leur miffions. 105. '— 4u'ils y eJfuient- LXXXV. Fauffetédulibellede Carvalho. lOj.—Hiftoire de deux canons. — Villages que Pon veut faire poffer pour des villes. Nouveau menfonge. LXXXVI. Le P. Dayid Fay paffe pour criminel de le^e-majeflépourun traitéfait avec les Amanajo^. 109. — Articles de ce traité. LXXXVII. Carvalho en impofe en rapportant la révolte des Portugais & des Indiens. 112. D- Mendo{a en efl Vunique auteur. Sa fuite de Varmée & fon retour d Para. — Les foldats abandonnés fe réyoltent. a y|  x'»j SOMMAIRES. SOMMAIRE DU LIVRE H. I. Le Provincial du Portugal défend aux Jéfuites d'écrire & de parler contre le libelle. 115. — Le P. Général étendcette définfe d toutes les Provmces. ff. Carvalho fait traduire & diflribuer fon libelle dans toutes les cours. nó. Le Nonce en cfi ladupe. III. L'Hiftoire du Paragay paroit a. propos pour détruire Vimpoflure. 117. — hts paPuclns punis pour avoir dit la verité^ IV. Défenfe de rkn divulguer du Maragnon. 11S. — Sentimens deïE- vêqiie d'Evora — de Denis Bernardios de rUniverjité de Conimbre & a"un Inquifiteur. V. Réproduclion du libelle fous dijférens titres. 119.- Carvalho accufe les Jéfuites du Portugal d'avoir alarmê lepeuple. -Exempledu contraire. VI. Autre grief de Carvalho contre les Jéfuites. I2i.-// vante le bonheur de fon Mmiflere. — Tableau de Lifbonne. - VII. Nouveaux griefs contre les Jéfuites. - 124. VIII.^ Emeute de Porto injtiflement attribuéeaux Jéfuites. L27IX. Tnformations contre les Jéfuites. 129. —lis fontdécharges par les habitans de Porto. — Vaines imputations. X. Autres imputations de Carvalho. 130. -- II fait emprifonner le frand Inquijiteur. — Et compofe ce. nbunal de gen$ d fa difcrétion. XI. II  SOMMAIRES; xnj vouloit faire époufer la Princeffe du Brefil auDuc de Cumberland. j^.-MortdOeneral des Jéfuites. XII. Effort de-ce. Oeneral pour appaifer le Roi. I7 7.~£e du P. Timoni Vicaire - Général. XIII. Lettres du Roi probabkment contrefaites. 13 4 - Conférence du P. Henrique? avec Carvalho. IVX. Exil du P.Fon/eca& du r. lerrara. - Caufe de eet exil. 136. XV Lruaute de Carvalho envers fa propre' mere. 136. XVI. Dix-huit Jéfuite;ïviennent du Maragnon. 138. Congrégatlon provinciale , a quel fujet ? - Suinzt i/'rr" ahordmt du Maragnon. XVII. Miffions du Maragnon ótées aux Jéfuites. 139. — Lis ont défenfe de rien em~ porter — Injuflice d ce fujet. XVIII. JJejenje aux Religieux d'Europe de partirpour les mijlons dAfie. 141. XIX Bruust qui fe répandent de la Réforml des Jéfuites 141. — Le Nonet y avoit contnbue. XX. Saldahna e{l établi FiJiteur ty Réformateur des Jéfuites. 142. ^ H envoie Barberin leur notifier le Bref. XXI. Ce que le Card. Saldahna dit aux Jejmtes.144. — Faveur de ce Cardinal «uvres de Carvalho. XXII. Magallanet adjoint au Cafd. Vifiteur. t4t. l\ eas d'une Réforme n'exifloit point. Sentimens des Peupks. XXIII. Les Jéjuttes ne virent pas k Bref. 146. Llefi pt a ~- rePandu ^c fes altérations. -~ injtruclwns du Pape au Card. Saldahna.  xiv S O M M A I R E S. pour la Réforme. XXIV. Mort de Bénoit'KÏV. 148. Le Card. Saldahna s\inftalle che%_ les Jéfuites corame Réformateur. — La mort du Pape forme un erabarras pour le Card. Réformateur. — Dé- fon du Minijlre. — IndruBions quil me aux Sénateurs. XXV. mandement du Card. envoyé aux Jéfuites. 151. — II les y déclare convaincus de faire le commerce. — En quoi confifloit le prétendu commerce des Jéfuites. XXVI. Conduite de VEvêque de la Baye des Saints. 152. — Abfurdités du mandement du Card. Saldahna. XXVII. Henrique^ va trouyer le Cardinal. 154. — Embarras du Card. — Henrique^ lui préfente une Satyre faite contre les Jéfuites. — Au lieu de la condamner il l'approuve. XXVIII. Dénombrement des biens des Colleges. 1 \6. XXIX. Le Card. Patriarche publie un mandement peu favorable aux Jéfuites. 15 6.— Comment leMinifre obtint ce mandement. — Comment ce mandement fut regu. —Imprefjïon quil fait fur la Princeffe du Brejil. — Par une fitite de ce mandement les -Confeffions deviennent tres-rares. — Proteflation du Patriarche d la mort. — Sentiment de l'Evéque dEvora par rapport d ce mandement. XXX. Les lib elles fe multiplient 159. — Le Provincial des Capucins Auteur d'un de ces libelles efl nommé d CEvêché de , Para. -— Sa fin malheureufe. XXXI»  SOMMAIRES. xv Exil du P. Antoine Torris. 160. Raifons de eet exil. — Le Nonce ouvre lesyeux. — Carvalho s"en offenfe.XXXU. DeuxPeres arriventdu Brejii. 162. Ils font renfermés. — Le Card. Saldahna ejlfait Patriarche. XXXIII. Eleclion de Clém. XIII. 163. — Ce qu'en dit Carvalho. — Gouvernement des jéfuites. — Leurunion & leurfubordination. XXXIV. Le p. Cajetan appellé devant le Cardinal. 165. — Ce qu'il lui répondit. -Le P. Suarei efi auffi appellé. — Sa réponfe. XXXV. Le Cardinal va pour la feconde fois d la maifon profeffe. 166. — Plaintes contre le P. Camera. — LI va trouver le Cardinal. — Sainte liherté de ce Pere.^ XXXVI. Conduite fcandaleufe de VEvêque de Miranda. 169. — Election du P. Laurent Ricci , Général de la Compagnie. — IIpréfente un mémoire au Pape. — On en imprime un autre d Rome par ordre de Carvalho. — Lettre du Cardinal Torregiani au Nonce du Portugal. SOMMAIRE DU LIVRE III. I. Situation des Jéfuites. 172. — Vues de Carvalho. II. Mort de la Reine d"Efpagne & retraite du Roi. 173. -- Diffé- • rens^ bruits au fujet de fa maladie. III. ■II. Je répajid un. bruit fourd que le Roi  jcvj SOM M AIRES, a été attaqué par des ajfaffins. 171. IV. $alitude du Roi. 174. V. Variation fur le lieu de Caffaffnat. 17 5. — UAdminijiration du Royaume confiée a la Reine. VI. Contradiclions fur Vétat du Roi. 176 Situation critique des Jéfuites. VII. Soupgons par rapport au cadavre dune femme. 177. — Conduite des Tavora. VIII. Défenfe au Provincial de changer les Jéfuites de Lisbonne. 178. Malagrida rappellé d Lisbonne. IX. Prieres publiques pour la fanté du Roi. — 179. Edit du Roi. X. La familie de Tavora efl arrétée. 180. — Et le Duc dAveïro. XI. Traitement indigne que Von fait effuyer aux Dames , qui furent arrétées. 18?.. — Sort différent de la jeune Tavora. XII. Maifons des Jéfuites de Lisbonne invejlies. 183. -> Défenfe aux Jéfuites de Jortir de leurs maifons. XIII. Le Nonce demande raifon de cette détention. 184. -* On leur facilite le moyen de s'évader. XIV. On fait courir des bruits pour les allarmer. 185. — Ils tiennent ferme. XV. On intercepte leurs lettres. 185. XVI. Fifite tumuttueufe , pour trouver des marchandifes & des armes dans les maifons des Jéfuites. 186. XVII. Henrique^ va pour faluer le Patriarche. 188. — // Jiefl pas regu. — XVIII. On renouvetle la défenfe de fortir. 188. XIX. Le P. Malagrida mandé par U Cardinal. j88. —  SOMMAIRES. xvi; On le conduit che^ le Minijlre. — Son tntretien avec lui. XX. Les troupes défilent vers la capitale. 189. XXI. Sentence contre les Nobles accufis de haute trahifon. 190. XXII. Quels moyens de défenfe on leur accorde. 191. XXIII. La Marquife de Tavora efi trainee du couvent en prifon. 191. XXIV. On conduit dix Jéfuites en prifon. 193. XXV. Sentence rendue contre les prétendus criminels. 193. — Unfeul Juge réclame contre l injujhee. XXVI. Lieu de l'exécution. 194. — Et ce que faifoit le Roi pendant ce tems-ld. XXVIL Appareil formidable de cette terrible exécution. 195. — Divers genres de fupplices. XXVIII. Tr'aits d une cruattté raffinée. 200. XXIX. Etonnement, quecaufa cette fentence. 201. •— Le vrai crime du Duc & du Marquis vis-a-vis de Carvalho. XXX. L'avarice tut grande part d fes injuflices. 202. —Les bijoux des Dames profcrites , paffetitdfajille. XXXI. Tribunal dlncoifidence établi, Jugement de Ia Couronne aboli. 203. XXXII. Difaiffion de la fentence. 203. XXXIII. Traits hors de vraifemblance. 204. XXXIV. Nombre de contradiclions. 204. XXXV. Abfurdités. 205. XXXVI. Faits fuperflus & ndicules. 206. XXXVII. Impoftures. 207. XXXVIII. Trames contre D. Pc- dre. 208. Son confeffeur Cofta mis a la quefiion. XXXIX. Tours edieux  xviij SOMMAIRES. que Von donne aux exercices de la re~ traite.. 208. XL. Préfomptions de Droit infoutenables. 208. XLI. Caraclere de Carvalho. 210. XLII. Ce que Von penfoit dans les autres cours du prétendil affaffinat. 211. XLIII. A quoi fe ré- . duit eet affaffinat. 212. XLIV. Alarmes des Jéfuites. 214. — Bruits au fujet des PP. Malagrida, Mathos & Alexandre. XLV. Portrait du P. Malagrida. . 214. XLVI. Portrait du P. Jean de Mathos. 217. — Et du P. Jean Alexandre. XLVII. On faifit le P. J. Henrique^ Provincial. 218. — Le P. Jof. Moreïra, le P. de Cofla, le P. Oliveïra , le P. Perdigano , le P. Suare{ , le P. Edouard. XLVIH. Faux bruits de la fuite des Jéfuites. 221. XLIX. Le P. Etienne Lope^ trainé en prijen. 221. — Avec le P. Joj'eph Olveïra. L. Ma- . nutention de la dijcipline réguliere au milieu des vexations. 223. LI. Térnoi- ■ SnaSe d& Saldahna & de Magallaner, . au fujet du prétendu commerce des Jéfuites. 224. LIL UEvéque dAngra arrivé d Lisbonne avec le P. Louis Jcfepk. 224. LUI. Edit du Roi fous le nom de Carta Regia. 225. LIV. A quel deffein on le fit paroitre. 226. LV. Imputation contre les Jéfuites des Provinces. 227. LVI. Examen de la Lettre Royale. 228. LVII. Le Jugement des Jéfuites fondé fur un droit d'économie. 228. LV1II,  SOMMAIRES. xix Exil des Jéfuites projetté avant la conjuration. 229. LIX. Lettres du Roi aux Evêques. 230. LX. La plupart des Evêques plient. 231. LXI. Dévouement de l'Evêque de Leira aux ordres du Minijlre qui l'en récompenfe. 231. LXII. On envoie aux Evêques un recueil des propojitions erronnées atlribuêes aux Jéfuites. 232. LXIII. Proteclion accordée d Vimprimeur en dépit du Souverain Pontife. 233. LXIV. Lettres dun grand nombre d 'Evêques en faveur des Jéfuites. 234. LXV. Carvalho change les Iniptifiteurs. 534. LXVI. Mandement du grand Inquifiieur D. Jofeph. 235. LXVII. Carvalho en efi offenfé. 235. LXVI1I. II le fait trainer en prifon avec fon frere- D. Antoine. 236. LX1X. Illuifubjlitue fon frere Paul, contre les canons. 236. LXX. Saijie générale des Colleges de Provinces. 236. LXXI. Rêglement obfervê pour cette Jdijie. 237. LXXII. Inventaire & vente des effcts. 237. LXXUI. Garde continuelle. 238. — Vijite des chambres. LXXIV. Les Jéfuites ont recours d la priere. 239. LXXV. Defcente au Noviciat. 240. LXXVI. On conduit ceux du Noviciat au College de St. Antoine. 240. LXXVII. Trait fordide du Sénateur. 240. LXXVIII. Saijie du college des Irlandois. 241. LXXIX. Saijie du College de St. F. Xavier— & de l'koppue de St. F. de Rorgia. 241. LXXX,  xx SOMMAIRES. On tranfporte dans les prifons ceux qni s'y. trouvent. 242. LXXXI. Vifites & recherches excejjives. 243. LXXX1I. Vainement fe figure-t-on avoir découvert un tréfor. 243. LXXXIII. Feinte impofante pour faire croire le commerce des Jéfuites. 243. LXXXIV. Sentintlles dans l Eglife. 244. LXXXV. Charkés du Prince Emmanuel. 244. LXXXVI. On empêche de porter de feau d ces Peres. 24^. LXXXVII. Charité des citoyens. 245. LXXXVIII. Dureté de Magallane^ & fes aveux. 2415. LXXXIX. Bunveülance du Sénateur Moura. 245. XC. Scandak dans VEglife. 246. XCI. Vaines recherchespour trouver un tréfor. 246. XCII. Saijie du Noviciat. 247. XCIII. "Orage k jour de la Confêcration du nouveau Patriarche. 247. XCIV. Vente fake avec affeclation pour en impofer au peupk. 248. XCV. Le P. Cafeïro efl oublié dans une Réfidence. 248. — On le ramene au Noviciat. XCVI. Détention de ceux de Sétubal & d'Evora. 250. Bruits répandus. XCVII. Duretés exercées. 2« tó. A«*e. 258. CIX.' De Labru^e. 259. CX. Faux bruits. 259. CXI. Ze5 PP. Home{ Seyxios & Cajetan Jofeph conduits en prifon. 260. CXH. Saijie du college de Conimbre. 260. CX III. Saijie de Porto. 262. CXIV. Profananon. 262. CXV. Tranfport des Ré f dences d Porto. 262. CXVI. Saijie du college de Brague & mandement de CArchevéque. 263. CXVII. Eloge du Colonel Pinto , & dAntoine Leitie^ Campio. 264. CXVIII. Duretés d l'égard de queU ques-uns de ces Peres. 264. CXIX. Beau tra.it dun Frere. 264. — Et dun jeune Regent. CXX. conduite de Raymond Coelho Mello. 265. CXXI Prifon des PP, Torres & Ferreïra. 266. SOMMAIRE DU LIVRE IV, I. Carvalho feint d'avoir confulté le Pape. 267. II. Pourquoi il traitoit jï durement les JJJuites. 268. III. II cherche d décrier les Jéfuites étrangers. 268. IV. Faufetés contre le Pape. 268. V. Carvalho eftnomrne comte d'Oyéras & grandmaitre. 269. — Réjouijfances publiquts a ce fujct„  xxij SOM M' AIRES. VI. Nouveaux Régens, nouveau Jyflême d'éducation , & leur peu de fucces. 270. VII. Bref fuppofê. 271, VIII. Egards & patience admirable du Pape. 272. IX. Mortification qu il ejfuie. 272. X. Dépêches de Rome interceptées. 273. XI. Le Nonce fait part du contenu des dépêches d dA-Cunha. 274. XII. Audience promife au Nonce, d quelles conditions. irj4. XIII. Le Nonce riy veut pas entcndre. 275. XIV. Les dépêches ne font point remifes. 275. XV. Plaintes de Carvalho a ce fujet. 275. XVI. II attaque le Cardinal Torregiani. 276. XVII. Mauvaifes raifons quil fait valoir au fujet de lArch. de la Baie de Tous-les-Saints. 277. XVIII. Complaifances du Pape. 277. XIX. Rêponfe infultante de Carvalho. 278. XX. Ouvrage fchifmatique de Pereïra. 279. XXI. Sentence contre les Jéfuites preunduement complices. 284. — Elk ne(l publiêe ni exécutée. XXII. Décret du Card. Patriarche, ou il permet aux inférieurs de lui écrire, 6* accufe les Supérieurs de les avoir empêchês. 285. XXIII. Injuflice & fauffetè de cette accufation. 286. XXIV. Conduite de Pereira. 286. XXV. Arrivêe de deux miffionnaires dAfrique , faits prifonniers. 287. XXVL Vaiffeau de tranjport frêté par le Minjf tre. 287. XXVII. Conjeclures d ce fujet. 288. XXVIII. Départ du college d'Elvas. xSHr XXIX. Mauyaïs traitemtnt en route.  SOM M AIRES. xxiij 289. — Ils arrivent d Evora. XXX. Carvalho fe décide d les envoyer dans les etatsduPape. 289. — On fepare les Profes d'avec les au tres, & on les tranfporte dEvora. XXXI. Tri/ie aventure du P. Pereira. 290. XXXII. Défolation générale dans ce tranfport. 290. XXXIII. Embarquement & ce queurent d Jbuffrir ceux de Samaren. 291. XXXIV. Les Profis de Lisbonne font conduits d bord du vaif- feau. 292. XXXV. Enlevement de fix Peres. 293. XXXVI. Situation de ceux que Ion avoit embarqués. 294. XXXVII. Lis manquent de plufieurs chofes. 295 XXXVIII. Un vaiffeau defcorte les fiat. 295. XXXIX. Charité du Capitaine Brit- to. 296. XL. Crainte des corfaires. 296. XLI. Défenfe de reldcher nulle part. zyj. XLII. Le Capitaine fe rend d la néceffué t- mouille a Alicante. 297. — Réception charuable, & empreffement des habitans. XLIV. Difcrêtion des exilés. 298. XLV. On leve Vancre. 299. — Tempête. XLVI. Ils arrivent au Golfi de la Spe^ia. 300. XLVII. Ils arrivent d Civitta-Vecchia. 300". XLVIIL Charité des habitans d leur égard. 300. XLIX. Ils s'acquittent de leur vceu. 3 01. L. Ordre du Pape en faveur des exilés. 301. LI. nfite des Cardinaux & du Géneral. 301. LIL Nouvelle édltich de la vie de Simon Gome^, dit le St. Cordonnier. 302. --- Sa prediction. Oh impttte tette édition au P. Malagrida. Uil. Ma-  xxïv SOMMAIRES. negtpourféduire les jeunes Jéfuius. 304.' Mépris que Von fait des déferteurs. m— Quelques-uns vont d Rome reprendre deur premier kat. LIV. Prifons d'A^eïtan. 305, — Ony conduit ceux de Santaren , & fucceffivement ceux de Lisbonne. LV. Arrivée & dureté de Novaïo. 306. LVI. On cherche d débaucher les jeunes Jéfuites. 308. LVII. Prifonniers d Evora conduits d A^eïtan. 308. LVIII. Départ des Profes de €onimbre. 309. — Impojlures pour les décrier. — Beau trait des jeunes Jéfuites. — Zele du P. A^evedo. LIX. Les PP. Louis Oliveïra & Antoine Jofeph fortent de leurs cachots. 311. — Etat dans lequel ils font. —Les habitans témoignent leurs regrets au départ des Jéfuites. — On les embarqut pour VItalie. LX. Autre embarquement. 312. — On mouille a Marfeille. — On reldche d Gênes. — Défenfe de la part du Sénat de prendre terre. LXI. Un Jéfuite Hongrois a la permiffion de fe retirer en fon pays. 313. LXII. Arrivée d Livourne. 314. — Incommodités quils eurent a y fouffrir. LXIII. Ils fe refugient d Porto-Longone. 31 <;. — Tempêle. LXIV. Ils reldchent d Porto-Hercole. 316. — lis arrivent enfin d Civitta-Vecchia — d Rome — 6* d Caflel-Gandolfe. LXV. Edit de banniffement publié d Lisbonne. 316. — Fauffetés contenues dans eet Edit, — Refutation dt ces fauffetés. LXVI.  SOMMAIRES. xxv LXVI. Défenfe d entretcmr aucun commerce avec les Jéfuites. 319. LX VIL Lettre du Roi au Card. Patriarche. 320. LX VIII. Mandement du Card. 322. II efl exécuté avant fa pubücation. IXIX. Les jeunes gens y Jont invités d quitter leur état. 325. — Tentatives de Cajfro pour les y engager. — II leur accorde la liberté d'écrire. LXX. Dijcipline réguliere obfervée par les jeunes gens apre.s le départ des Prof h. 326". — Sitrprife d ce fujet. LXXI. Novices ccnvoqués. 329. — On tente de les Jeduire. — Réponfe d"un d'entre eux. — Cafiro leur montre trois lettres. — Promejfè'illufoire d'un tefton. LXXII. Conflance des Novices & des Philojbphes. 330. — Des Tliéologiens, & des nouveaux Prétres. LXXIII. Affatus, qui leur font livrés par leurs parens & leurs amis. 331. — Courage de ces jeunes gens, — Ils puifent des jorces dans la prierc, LXXIV. Bruit qui coürt quon feta violence aux Novices. 333. — LXXV. Jofeph Carvalho Jéfuite , écrit au Cardinal. 333. — Sa lettre efl cnvoyée au Minijlre. — Ordre de le mettre aux fers. Ses adieux. — II efi mis en prifon. LXXVI. Nouvelles tentatives de Cajlro. 235. ---Elles font fans fucces^ LXXVII. Trait du jeune Moni^. 336. LXX VIII. /oie de ces jeunes gens d la nouvelle de leur prochain départ. 337. Leur conduite édifiante dans ces derniers h  vvvj S O M M A I R E $. momens. LXXIX. Nombre de ccnx'qni q interent le college de Conimbre. 338. — Alarchi pénible & prolongci d dejfein. P récautions pour let Mcfjé un jour deDlmanche. — Leur arrivée d Porto pendant lanuit. LXXX. On evacué te college de Bragance. 340. — Onylit l'édit de banniffement, & le Mandement du Card. Saldahna. LXXXL Circonflances du départ de Bragance. 342. — Ordre de la marche. —• Sentimens de vénération de la part des peuples. — Dureté des conducteurs. —— Peu d'égard pour un dentre eux , qui étoit mourant.LXXXll. Ceux de Brague, font conduits d Porto,. 344. LXXXIII. Embarquement des Jéfuites rafjenlblés d Porto. 334. Leur êta-t dans les bateaux. LXXXl V. Requéte par (Wc prêfentézpour êtrê tranfponés ailleurs. 3 46. — On les tranfporte d la citadelle. — Lis fe figurent q^Cilsy doiventfinir leurs jours. LXXXW Embarquement fur une galiote. 348. Affreux dangers. — Ce qu'ilsy eurentd fouffrir. — LXXXVL Violence d l'égard' d'uriNovice. 3^0. -■-Défeclion d'un jeune 'Philofophe. LXXX VII. On part pour Geiles. 350. — Mort êdifiante de Jean Mon'iT. — Ils arrivent d Glnes. — Louis FAbeïra meun en rade. — Son éloge. LXXXV lil. Appréhsnfion du naufrage. 352. •-• On reldche d Livourne. — On arrivé d Civitta-Vezdüa. LXXXIX. Nouvelles tentatives d Evora, pour détacher les jeunes Jéj'uites. 354. — Vingt-trois  S O M M AIRES. xxvif fuimm leur état. XC. Préfomption pume. 355. XCI. On je prépare au départ. 3 \ 5 • —; Confiance d"un vieillard. XCII. Humanité des Sénateurs d'Evora. 356. — Fermeté du je^ne Félix de Villabob. — Démonjlrations des peuples. XCIII. On les embarque fur le Tage. 357. — On arrivé au vaijfeau. — Defection de deux Profes. XCIV". Incomrnodités d effuyer fur k vaijfeau, d defjan de dé taaier Ui jeunes gens. 358. — Danger, ou l'on !h trouva. XCV. Défenfe de débarquer''d Gaies. 360. — On arrivé d Civitta-Vecchia. XCVI. Traitement des colleges dei iïïes Agores. 361. — Conduite Jcandakufe d l'égard des Jéfuites. — On les embarque. XCVII. Gbiérofité de D. La- ■ iare Emm.. Camera Ejlrella. 362. — Nouvel ajfaut pour les féduire. — Èpiblcjfe de quelques-uns *~ Confance d'un • malade. XCVIIL Jéfuites étrangers corjfnés dans les prifons. 364. XCÏX. Horreurs de ces prifons. 365. C. Plu fairs y meurent. 366. Cl. Nouveau tnmbhmait de tare d Lisbonne. 367.— Mandement du Patriarche pour dij end re des prieres publiques. --- Onlonnancc du Mm'ifre pour prévenir la défertion de la vilh, en pareil cas. — CU. Arrivée des Jéjuitcs de Goa. 368. --- Leur dtfjnaticn. — Lis font embarqués fur un vdiffeauDanois. — Pris par les Algériens."Clll. Otages conduits cheiun 'Fure. 370. — II ksjeb ij  xxviij SOMMAIRES. gok avec humanité. ClV. Le confulI)anois réclame cette prije. 3.71. —Ils font reldchés. — Accueilque le Confulfait aux deux étages. CV. Le vaijfeau Danois continue fa route. 3.74. — Et arrivé d Civitta-Vecchia. SOMMAIRE DU LIVRE V. §. I. Para et Maragnon. I. VEvêque da F ara efl étahli Réformateur par le Cardinal Saldahna. 376. II. // commence par interdire les Jéfuites. III. Ilvient dire la Heffe dans leurEglifey & y fait une proctfjion Jtnguliere. 377. II commence fa vijite. IV. II défend d tous les Religieux de recevoir des Novices avant le terme de dix ans. 378. — II étend fes pouvoirs fur VEvêque du Maragnon- V. Conduite de celui-ci d Végard de ces Peres, & ce quil en penfe. 379. TE. VEvêque de Para arrivé au Maragnon. 379. — Sa conduite. — Surle bruit de la mort du Roi & de la chute du Minijlre, il fe radoucit. — Informé de la fauffetê de ces bruits, il fe dêchatne de nouveau contre ces Religieux. VII. Vêdk de leur banniffement arrivé au Maragnon , & deld d Para. 381. — La maniere dont il s'exécute. VIII. Les Jéfuites du Maragnon font cmbarquéspeur Para,  SOM M AIRES. xtrx $Si.—Ilsy abordent.ïK. Tentatives pour engager les jeunes gens a quitter kurétat. 383. X. Mort de troisPeres & leur enterrement. 383. XI. Arrivée dunouvel Evéque de Para. 384. — Nouvelle du mariage de D. Pedre. — Prkautions de PEvêque Bulhoëns pour Vembarquement. XII. Départ des Jéjuites de Para. 385.— Embarquement. — Souffrances. — Tempête.— XIII. Leur arrivée d Lisbonne. 386. XIV. Tentatives pour ébranler leur vocation. 386. — °n les fépare. — Une partie ejt embarquée & arrivé d Civitta-Vecchia. §. I I. B R E S I L. XV. UArchevêque de Baya établi Réformateur des Jéfuites. 387. — Trois Sénateurs envoyés par le Roi. — Phéno- mene XVI. Vceu des Sénateurs. 388. XVII. Délégation envoyée d lArchevêque & au Doyen. 388. XVIII. L'Edit du Cardinal intimi au College de Rahia. 389. XIX. Prétres jeculiers invites a remplacer ces Peres dans les miffions. 389. — Nombre des miffions qu ils dirigoient. XX. Informations contre les Jéjuites. 390. XXI. Villages énges en villes. 390. — Sentimens des Brefdiens d ce fujet. — Et leur conduite a Végard des nouveaux Miffionnaires. XXII. Réfolution prife parquelques Sauvages de fe défaire de leur nouveau Curl 391. XX'IU. On dépouiile  m SOMMAIRES. les Eglifis. 391. — Plaintes des In-* diens. — Sedition de quelques BrejiHens. XXIV. On deftine les Jéfuites étrangers aux prifons de Lisbonne. 395. XXV. Libelle répandu dans le Bréfil. 396. — Ordre d'envoyer trois Jéfuites d.Lisbonne. XXVI. UArchevêque de Bahia refufe d'interdire les Jéfuites. 397. XXVII. Rapport avantageux que Mafcarehnas fait de ces Peres. 397. — LI en c(l puni, & on Vemprifonne. XXVIII. Saijie des Colleges. y)3. XXIX. LArchev. ejl depofé pour avoir écrit au Roi en faveur des Jéfuites. 399. XXX. Le Doyen feportepour Réformateur. 400. — Crife ou fe trouverent les Peres. XXXI. Edit de banniffementpubliê. 401. XXXII. Embarquement de ces Pgw.401.XXXm. Conduite de VEvêque d'Olinde. 403. *-Infruclion de Carvalho d fes Ccmmiffaires. XXXIV. Incommodités du trajet. 405. Soif bruiante & fievres, dontpluJieurs meurent. — Ils entrent dans le Tage, & paffent fur un vaijfeau Gênois. XXXV. Saijie du College de Rio-Jancïro. 406. — Trait de cruautê. — Mort du Frere Pereyra, & d'un autre. XXXVI. E>. Mafcarehnas ejl mis en prifon. 407. XXXVII. Conduite finguliere de VEvêque de Rio-Janeïro. 407. — Emprifonnement de quelques Profis. — Violences faites d quelquesjeunes Jéfuites. XXXVII L Saijie de quelques Miffionnaires. 408. —  SOMMAIRE S. xxxi Les Curés, quon leur fubflittu, abandonnent leurs miffions. XXXIX. Sendmens de VEvêque de St! Paul. 409. On conduit les Jéfuites de St. Paul k Bahia , & en quelle compagnie ? XL. Conduite édifiante dun Abbé Bénêdictin. 410. XLI. Embarquement d Bahia. 4,11. XL1I. College de Paranaqua invefli. 412.. — Embarquement d Rio-Janeïro. — Sou frances. —- Vmgt fe retirent dans le dtfjein de rejoindre leurs confrères en Italië;. — mais on ne leuren laffe poïnt lesmoyens. XLIII. Humanité de Joachim. Alvelos. 413. — Témoignage- d'ztn Chirurgen. — Mort du F. Pacheco. XLIV„. Arrivée dans le Tage. 41^. — Pieges quon leur tend. —■ Quelques-uns y d'onneut Idchement. — Maladies. — Arrivée. * Gêues — & d Civitta-Vecchia. % Hl. Gok. XLV. Province de Goa.Aif. —Son éten*due. — Saferveur. XLVL Arrivée dun nouveau Vice-Roi. 417. - II intime aux Jéjuites certaines défenfes. — Répandjes libelles de Carvalho. — Fait drejfer un etat des biens de ces Peres. XL Vil. Leur jufhfication fur Vaccufation de commerce.. 41 o. XLVIII. De nouveaux ordres arrivent 419. XLIX. Les Jéjuites fint raffmbles a Goa. 420.— Ce quils foufxwi 1 TriLitement 1ue fon fait aux Projis. L. On difperfe ces Peres én divkr*.  xxxij SOM M AIRES. couvcnts. 411. LI. On veut faifir hs^ miffionnaires kramers. 422. — Fermztê du P. Zart. Lil Infiffifance des nouveaux miffionnaires & difcorde entre eux. 4x3. ... L Archevêque refufe de les approuyer. ... Sa réponfe au Vice-Roi. LUI. Efforts inudlespour fe faifir duP. Barrejro. 424. — Reffentiment du Roi de Calicut d ce fujet. L1V. Impofiure infigne de JeanLouis Vellofo. 425. — On maltraité en conféquence les Jéfuites. LV. On force le tombtau de S. Franc. Xav. 417. yWfl. Arrivée de trois catéchifles du Maiffure. 430. — Leurs demandes,& ce au ils répondent au Vice-Roi. — Leur venératwn pour les Jéfuites. LVII.Z.^ Jéfuites font rajfemblés dans le college de St. Paul. 432. — Deux y ineurent. — On leur refufe d'aller pour la derniere fois v'ifiter le tombeau du St. Apótre. LVill. On les entaffe dans le vaiffeau. 43 3. - Défenfe de s'entreteniravec eux.— Mauvaifenourriture.-- Maladies. — Mortalité. LIX. Etat pitoyable de ceux qui arrivent d Lisbonne. 434. LX. Tentatives pour en pervertir quelques-uns. 43 — Debarquement pénible des malades. — Djverfcs prifons , ou on les met. LXl. Démarche de la Princeffe du Bréfil en leur faveur. 436. -• Quinie non-Profes fe rendent aux follicitaüons & abandonnent la com: pasnie' §.iv.  SOMMAIRES. xxxhj §. IV. Prisons de'Lisbonne. LXII. Combien moururent dans les prifons de Lisbonne? 438. LXHI. Elargiffemcnt de trois Frangois. 438. Le P. Louis du Gat. — Le P. Jean-Bapt. du Ranceau. -•' Le F. Jacques Dei/art. — Et quelques Peres Alkmands. LXlV. Invention dom s avifent les .prifonniers pour commmiqucr entre eux. 441. LXV. Deux let' tres êcrites des prifons. 443. Lettres du P. Kaulen de la tour St. Julien. LXVL Lettre du P. Prnkwif de la même prifon. 450. LXVIl. Scène odieufe d la fuppref fion de la Société. 457. LXVI1I. Témoi» gnage autkentique de la tyrannie de Carvalho. 462. LXIX. Les prifons s'ouvrent. 465. — Nombre & kat des prifonniers. LXX. Cruauté inouie. 466. LXXI. On trouve l'Evêque de Conimbre. 467. — Sa prifon. LXXII. Cruelle anecdote. 468. LXXUl.Suppóts duMiniftre emprifonnés. 468. LXXI V. Les prifonsfont rafées. 469. LXXV. Procés de Carvalho. 470. LXXVL Sa mort. 471. — Décret defmitif& clé* mence de la Reine. — Réfiexion. .§. V. Supplice du P. Malagrida. LXXVII. Le Nonce fait des informations jecretes. 475. LXXVIII. Conduite du Minijlre d l'égard du P.Boxadors & des Dominicains. 476. LXXIX. Le P. Ma~ r lagnda ejl transféré dans les prifons de c  xxxiv 'SOMM AI.RES; f Inquijition., 476. On le condamnï fur deux ouvrages quon lui impute. — Extraks de ces deux ouvrages. — LXXX. Rlfutation de Vimpofure. 478. LXXXI. Réputation du Pere Malagrida. 479. LXXXII. Qualification de ce Pere. 479. LXXXIII. Difcuffion de la Sentence. 480. LXXXIV. Lettre du P. Malagrida au P. Ballifler. 481. LXXX V. Les préfotriptions de droit citées contre leP. Malagrida font fa jufl'ification. 481. LXXX VI. Le Tribunal de VInquijition nexiflok plus. 483. — Apologie de ce Tribunal. LXXXVII. Jugement quenporuD. Belde. 485. LXXXVIII. La naifince & la vie du P. Malagrida. 487. — II prédit fa mort. LXXXIX. LAbbé Platei. 488. XC. Relation calomnieufe, quil donne au fujet du P. Malagrida, & de fa mort. 489. XCI. Relation contradictoire envoyée d VEvêque de Bayonne. 490. XC1I. Autres circonjlances de. J'a mort. 492. Fin des Sommaires. ANECT50TES  ANECDOTES DU MINISTÈRE DU M A R Q ü 1 S DE POMBAL L I VR E PREMIER. J'entreprends un Recueil d'Anecdotes, qm étonneront la généïation pieiente , & qu, paroitront incroyables aux ages futurs. C'eft 1'oppreffion & la tyranme exercées en Portugal fous !e miraftere de Sébaffien-Jofeph Carvalho Comte dOyeras Marquis de Pombal! » Qui croiroit, ditl'Abbé Garnier, qu'un » feul homme, en abufant de la confiance »> & de i autorite d'un bon Roi, püt , duTl fi*Cf de vinSf ans> enchaïner * K f t " la^gl,es ' fermer tou^s les » boVhes , refferrer tous les coeurs te» nir la venté captive, mener le men. A r. DejTein de l'ouvi c  1 Anecdotes du Minijlen » fonge en triomphe , effacer tous les » traits de la juftice, faire refpeéter 1'i» niquité & la barbarie, dominer 1'opi» nion publique d'un bout de 1'Europe a » 1'autre ? Hélas! que les relïburces du » crime font recioutables, & fon pouvoir » étendu!. .. « Ainfi s'exprimoit eet Orateur Francois dans 1'Oraifon funebre de Jofeph I, prononcée k Lisbonne en 1777. En effet, on ne revient pas de fon étonnement, quand on confidere que eet homme , qui fe jouoit de la Religion, qui infultoit a fes Miniftres , qui répandit le fang,de la première Nobleffe, & qui extermina tout ce qui lui portoit ombrage, vjnt a bout de faire emprifonner dans un petit Royaume , neuf mille citoyens, dont, au moins, quatre mille font morts dans les fers & d'autres dans les tourmens (*z). L'innocence étoit opprimée , tandis que 1'iniuftice , la fourbe & la (d) Aujourd'hui ces horreurs ne font plus un myftere; les viftimes que ce nouveau Tartare a renvoyé en 1777, dans le féjourdes vivans, prouvent 1'énorme multitude de celles qu'il a devorées fans_ retour. 1. hiftoire de cette longue tragedie , éciite en italien , vienr d'ctre habillée en allemand , par M. Jagemann , avec ce titre : Leben Scbajhan-Jofcfh von Carvalho und Melo ; a Deflau , de rimprimerie des Savars, 17S3, 2 part. (2 tahlers). Malgré tous les changemens faits a fon original italien, par le traduaeur Allemand, il n'a pas préfenté le Marquis de Porabai fous un jour favorable. II impute a ce Miniftre cVaroir emprifonné, pendant fon adminiftration, ou. envoyé a Angola, a Goa ou au Bréfil, 9 la prifon la plus prochaine ; & le Juge de 1'endroit avoit injonérion de le faire tranfporter inceffamment a Lisbonne. Enfin , on promettoit aux clélateurs une récompenfe de vingt mille cruzades, (huif mille écus romains), & ceux qui n'auroient pas dénoncé, devoient ëtre punis eux-mêmes , comme criminels de lezemajefté. Dans cette affreufe inquifition-, oü Paccufateur pouvoit fatisfaire fa haine perfonnelle fans courir aucun rifque, &C oü 1'accufé , percé-d'un trait im ifible, fe yoyoit hors d'état de faifir la main d'oü partoit le coup & rinftrument qui le lui portoit, on fit une infinité de prifonniers , mais aucun délateur n'eut la récompeme promife. C'eft ainfi que ce nouveau Séjan abufoit de la confiance de fon rflaitre , ck difpofoit des biens , de la liberté, de 1'honneur & de la vie dés Grands & du Peuple. II fit conftruire un grand nombre de prifons fouterraines fans air & fans jour Ie long du Tage , dans Penceinte des ■ maifons royales; d'autres dans les forts baignés du flux de la mer; plufieurs prés des maifons des Sénateurs. Les plus affreufes étoient fous le fort de Junqueïra, oü Pon avoit placé des cages de fer, qui pouvoient fe tranfporter. Au moyen des efpions & des traitres que ce Miniftre avoit a fes gages, tk qui, par fon ordre, •ie repandirent aux quatre coins du RoyauA S x. Zes prifons quil feit conftruirt.  XI. (Jtnbrage. & inquiétu des du Roi 10 Amcdotcs du Minijitre me, ces prifons furent bientöt remplies de Séculiers, d'Eccléfiafliques & de Religieux, qui, fans favoir pourquoi, fe trouvoient tout-a-coup faifis tk jettés dans ces affreux cachots. Bientöt ils ne purent fuffire au nombre des prifonniers, tk il fallut fonger a en pratiquer d'autres. Pour peu qu'on eüt de biens, ou que l'on déplüt au Miniftre, on avoit lieu de craindre d'y être renfermé. Tout 'étoit d'abord confifqué & vendu a 1'encan. II lui en revint en fort peu de tems des fommes ïmmenfes, qu'il eut foin de faire paffer clandeftinement en des pays étrangers , pour s'affurer une reffource dans fa dif-. grace, fi l'on parvenoit a deffiller les yeux au Roi. Tandis que la Nobleffe tk le Peuple 1 trembloient a 1'afpect de ces horreurs , ' le Roi, de fon cóté, étoit dans de continuelles crifes au récit des prétendues corv jurations, dont Carvalho ne cefloit de lui figurer la réalité. Ne comptant plus fur la fidélité de les fuiets, il ne voyoit de füreté que dans le zele apparent de fon Miniftre. L'édit avoit établi le Sénateur Cordeïro & quelques autres pour découvrir les conjurés & faire leur procés;, mais bientöt Carvalho s'attribua a lui feul la commiflion, & décida de tout arbitrairement, enforte que fans délation, fans témoins tk fans preuves, il condamnoit qui il trouvoit bon, tk mettoit fous les  du Marquis de Pombal. LlV. ï. 11 yeux du Roi inquiet tk alarmé, la fentence qu'il avoit minutée , comme fi elle eüt été portée en jugement légitime. Ce hardi defpotifme lui fit enfin appréhender qye le Roi ne vint un jour a être inftruit tk détrompé. Pour y obvier, il affecta de craindre pour lui-même. II repréfenta a Sa Majefté , k combien de dangers il s'expofoit pour la confervation de fa facrée Perfonne; que les conjurés travailloient k le perdre; qu'ils ne ceffoient de le noircir par toute fbrte de récriminations, & qu'a la fin il fuccomberoit inévitablement aux traits de la haine tk de 1'envie. II ajouta adroitement , qu'après toutes les preuves qu'il lui avoit- données de fa fidélité tk de fon attachement, il efpéroit que Sa Majefté voudroit bien lui communiquer ce que les traitres pourroient inventer contre lui, foit de vive voix , foit par écrit, tk qu'il fe faifoit fort de réfuter toutes les calomnies. Par malheur le Roi ne démêla point 1'artifice, & il fe fit un principe de lui révéler tous les griefs dont on le chargeoit. Pafloit-ii. quelque Mémoire contre lui dans les mains du Roi ? fur le champ Carvalho trouvoif des raifons fpécieufes pour fe difculper. Venant enfuite k connoïtre ceux qui avoient la hardieffe de faire parvenir leurs plaintes au pied du Tróne , il lui étoit ailé de les enlever tk de les confiner dans les redoutables prifons. On fentit le dan'A 6 xir. Rujcs de Carvalho.  XITI. 11 rend les Jifuïte» Juf- il Amcdctes du Minijlerc ger qu'il y avoit de cenfurer fon Ministère. Faut-il s'étonner, fi la crainte s'empara de tous les cceurs, & fi perfonne n'oia plus 1'accufer ? Ce qui s'enfuivit dela , c'eft que dès-lors le Roi ignora parfaitement les atrocités qtt'exerqoit fon Miniffre. Celui-ci eependant n'étoit point touta-fa;; raffuré , il craignoit toujours que fa tyrannie ne tranfpirat tot ou tard par le canal des Jéfuites. 11 y en avoit cinq a la Cour. Jofeph Moreïra , Confeffeur du Roi & de la Reine ; Timothée Oliveïra , Inftruéteur des Séréniffirnes Infantes; Hyacinthe Cofta , Confeffeur de D. Pedre ; Emmanuel Campo, & Jofeph Aranjuez , dont 1'un dirigeoit ia confcience de D. Antoine , & 1'autre celle de D. Emmanuel, oncles du Roi. Tous étoient agréables & la Familie Royale & au Monarque même , qui leur faifoit fouvent Phonneur de les fconfulter. Carvalho ne 1'ignoroit pas. Auffi fon premier foin fut de les éloigner de la Cour, bien perfuadé qife, tandis qu'ils y 'feroient, il ne lui feroit pas facile d'affermir fon afcendant & fon defpotifme-, Comme ils étoient finguliérement aimés ■de D. Pedre, il fit entendre au Roi qu'ils abufoient de fa faveur pour lui infpirer des fentimens de révolte ; que leur crédit dans le Royaume les rendoit formidables , & que 1'obligation que prefque tous les Grandsleur avoient, enhardiroit ces Religieux k  du Marquis de PombaL LïV. I. 13 fout ofer. Puis il ne manquoit pas de lui fournir tous les libelles & toutes les fatyres, qui avoient paru contre la Société dès fa naiffance. II en avoit fait k ce deffein une ample collecfion. Le Roi naturellement crédule, étoit d'ailleurs affez porté k y ajouter foi, paree que depuis un certain temps , fon génie ombrageux lui avoit fait prendre contre eux de facheux préiugés, pour un fujet affez bas. Comme il étoit rhéritier préfomptif de ia Couronne , le Roi Jean fon pere, dans fes largeffes , avantageoit ordmairement D. Pedre fon cadet, & il ne s'en cachoit pas. Je ne puis , difoit-il, faire du bien a celui-ci que de mon vivant, & je laifferai ma Couronne a Uautre. On prétend que D. Joièph en concut quelque jaloufie, & les flaneurs, qui 1'enyironnoient, lui perfuaderent que les Jéfuites avoient plus d'affeétion pour D. Pedre que pour lui, & qu'ils infpiroient au Roi des fentimens de prédileciion en faveur de fon frere. Auffi , quoiqu'au commencement de fon regne, il leur témoignat de la bienveillance, qu'il diflinguat fur-tout le P. Moreïra, qu'il eiit même projetté 1'établifTement d'un college dans i'ifle de Sainte-Catherine, & quil eüt écrit a Rome plufleurs lettres très-honorables a la Société , on a lieu de croire qu'il conferva toujours fur le cceur un levain de reffentiment & de jaloufie , enforte que les libelles &C les difcours de Carvalho , ne xrv. _ Difpcfi. tion du Re: a leur egard, XV. £JJtts dt*  Libelles que Carvalho met fous les yeux du Roi. V. JMonopole di Maragnan. 14 Anecdotes du Minijlere firent que réveiller fes anciens foupcons. Ne fachant pas que toutes ces calomnies avoient été vi&orieufement réfutées , & même fouvent flétries par les deux Puiffances , il en fuca tout le venin , & dèslors il fe prêta fans peine aux vues de fon Miniftre, lequel profitant de fes difpofitions , fit imprimer &£ répandre dans le ïloyaume toutes les fauffetés inventées contre les Jéfuites, dans tous les pays, oü 1'héréfie & la dépravation des mceurs avoient fait du ravage. Ces Religieux ne tarderent pas a s'appercevoir du refroidiffement du Roi a leur égard. On croit qu'ils auroient encore pu alors réuflir k lui ouvrir les yeux; mais fe repofaut fur leur conduite irréprochable , & fur le témoignage de leur confcience, ils fe tinrent trop tranquilies. II eft vrai qu'on ne fe feroit jamais attendu aux triftes cataftrophes qui fuccéderent k ces artificieux maneges. Dans ce tems-la, c'eft-a-dire, en 1'année 1755 •> ^e a 1'inftigation de fon Miniftre , établit une compagnie marchande , k laquelle il donna le privilege exclufif dans le Maragnan. Cet établiffement avoit déja autrefois échoué, & ne devoit pas feulement être infruftueux , comme 1'événement 1'avoit fait connoïtre, mais préjudiciable même k 1'Etat & a la Religion. II effuyoit de nouveau de grandes contradiclions , & perfonne n'y vouloit conuer fes fonds. Carvalho en étoit  du Mdrquis de Pombal. LlV. I, i c outré, lorfque le hafard lui fournit un fpéoeux prétexte pour s'en venger fur les Jéfuites. Le P. Ballifter, prêchant dans 1'Eglife Patriarchale de Lisbonne furl'Evangile du jour : Facite vobis amicos de mammona iniquitatis * Ernployei •> vous faire des amis, les richejfes qui rendem injufles; il dit a fon auditoire, felon le génie de la langue Portugaife , qu'il venoit leur propofer une nouvelle compagnie de commerce, oü les fonds feroient appliqués dans le Gel, tk non fur la terre. Ce trafic célefte fit tout le fujet de fon difcours. II devoit rapporter cent pour un; les pauvres en étoient les agens. C'en fut affez pour Carvalho. II prétendit que le Prédicateur avoit voulu défigner la compagnie du Maragnan, & faire&entendre , que ceux qui y entreroient, feroient exclus de celle du Ciel. II infinua au Roi, que les Jéfuites , qui jufques-la avoient envahi tout le commerce de 1'Amérique , ne voyoient pas de bon ceil 1'éreftion de cette nouvelle compagnie; qu'ils détournoient les particuliers d'y placer leur argent, tk qu'ils en annoncoient la ruine. Balhfter devoit 1'avoir publié en chaire , tk les dépofitions contre lui étoient, difoit-il, unanimes. Le Prince ajouta foi a ces calommes, &, fans autre information, le Prédicateur fut relégué a Bragance. On ne lui donna qu'une heure pour fe préparer a ce voyage. Avant de partir , il re- * tuc. 16. ,ir 6. XVII. Calomnies contre les Jéfuites a cefujet. xvrrr. Exil du P. BalliJ/u:  Et du V. Fonfeca, XIX. Rcqucic du corps des Marehands. ifc font r nprij'onnét. XX. IJifirace ca &' uutres. 16 Antcdotes du Minifere mit au P. Provincial le fennon en queftion , avec ces mots écrits a la marge : Tattefle avec ferment, que ce fermon ejl exaclement tel que je Üai prêché, & qu il riy a pas un Jeul mot de cliangé. Cet exil fut fuivi de celui du P. Benoit Fonfeca, Procureur de la Miffion de Maragnan, a Lisbonne. II devoit avoir coopéré a une requête que le corps des Marchands avoit préfentée au Roi, après en avoir demandé & obtenu la permiffion. Ils y expofoient refpecliueufement les fuites funeftes qu'entraineroit infailliblement après foi Ia compagnie du Maragnan. Le Roi en fentit toute Ia force , & en fut un moment ébranlé; mais Carvalho fut le ramener a fon avis, & lui repréfenter les auteurs de la requête eomme des féditieux qui confpiroient contre 1'autorité royale. Ils furent jettés dans des cachots, & on traduifit, comme complices, tous ceux que -Carvalho vouloit perdre. De ce nombre étoit Didace Mendonqa , Sécretaire-d'Etat, ayant le département de la Marine; Antoine Cofta-Freyro , Tréforier-Général; Gonzalve-Jofeph Sylveïra, Confeiller du département des Indes, tous lesJéfuites en général, & en particulier Fonfeca. Ce qui paroitra mcroyable , & ce qui n'eff. cependant que trop véritable , c'eft qu'on informa même contre D. Pedre. Fonfeca, qui ne favoit pas un mot de cette requête, fut telégué a Braganee.  du Marquis de Pombal. LlV. I. 17 Le bruit fe répandit fur la fin d'Octobre , qu'on alloit chaffer les Jéfuites de la Cour. Le tremblement de terre , arrivé le premier de Novembre, ne fit qu'en retarder 1'exécution. L'incendieoccafionné par la chüte des édifices , dura fept jours entiers. Les fept maifons qu'avoient les Jéfuites a Lisbonne , furent fort endommagées, tk en partie renverfées par le tremblement, mais elles échapperent aux flammes. Le Frere Blaife fe fignala dans eet horrible bouleverfement. II fut perdu pendant quatre jours parmi les flammes tk les ruines; & il ne reparut qu'après qu'il fut parvenu , par un travail opiniatre, a détourner Pembrafement qui menacoit la Maifon Profeffe , tk qui de-la , auroit gagné la meilleure partie de la ville. Cette aftion fut rapportée au Roi tk mérita fon éloge. Les efforts apoftoliques des Jéfuites, pour le foulagement des infortunés habitans, ne I'édifierent pas moins, tk fufpendirest quelque tems les finiftres impreffions que fon Miniftre ne ceffoit de lui donner contre ces Peres. Les morts, les mourans, les malheureux réduits aux dernieres extrêmités, tous furent 1'objet de leur infatigable charité. La multitude confternée tk dénuée de toutes reffources , trouva un afyle dans leurs jardins fous des baraques dreffées a la hate. Ils y raffemblerent plus de trois cents bleffés, dont ils prirent foin , 8t qu'ils nourrirent. T75v XXI. Trtmiie. mmt & ïn.cendie de Lisbonne. XXTT. 11 ai aux des Jéjuites,  xxni. Conduit du P. Ma lagrida. XXIV. Martin Velhe ac- 18 Anecdotes du Minijiere Les Confeffeurs étoient occupés a ne pouvoir fuffire. II faut rappeller ici une circonftance mémorable; c'eft que le P. Ma- ' lagrida, qui difoit conftamment la Melïe a une certaine heure , la dit plus matin le jour du tremblement, & que par fes inftances redoublées, il arracha pour ainfï dire de fon lit, le P. Francois de Portogallo, qui étoit incommodé, & qu'il 1'engagea a fe rendre a fon confeffional. Tous deux auroient été écrafés, fi 1'un eüt gardé la chambre, & que 1'autre eüt dit la Meffe a fon heure ordinaire. Les travaux du P. Malagrida allerent jufqu'au prodige. II loua hors de la ville une maifon, oii il donna la retraite avec un fuccès furprenant. Le Roi parut revenir de fes préjugés. II rappella les Peres Ballifcer ck Fonfeca, & affigna une fomme d'argent pour relever la Maifon Profeffe. Le Patriarche écrivit aux Supérieurs pour les remercier des fervices importans qu'ils avoient rendus au public. Carvalho n'en fut que plus aigri. II critiqua les pratiques de dévotion, que fuggéroient les Jéfuites, & il imagina que le Crucifix, qu'ils portoient pendu au cou, felon 1'ufage des Miffionnaires, n'étoit propre qu'a infpirer de vaines terreurs, &' qu'a exciter du tuihulte parmi le peuple. On portoit de tems en tems k la puiffance du defpote des coups plus hardis ' qu'heureux. Martin Velhe d'Oldembourg  du Marquis de Pombal. LlV. I. 19 e'n fut la viéfime. Ce riche Négociant, qui s'étoit vu bien avant dans les graces du Roi; entreprit d'arracher ie bandeau qui lui couvroit les yeux. II lui fit un détail circonftancié des violences tk des injuftices de fon Miniftre. Le Roi, qui en fut étonné , le lui demanda par écrit. Cet homme d'un caraftere franc & droit étoit alors baraqué avec fa familie dans le jardin des Capucins. II s'ouvrit a deux de ces Peres, qui étoient connus du Roi, tk il les engagea a appuyer fes griefs. Ils demandent audience , ils 1'obtiennent, & ils. découvrent a S. M. une partie des noires manoeuvres du Miniftre & de fes fuppöts , prétendant que le tremblement tk les fuites font un chatiment manifefte du Ciel pour tant d'horreurs exercées impunément par 1'énorme abus de 1'autorité royale. Le Roi, indigné de ce que l'on ofoit ainfi furprendre fa religion, leur ordonne de lui préfenter, conjointementavec Velhe, unMémoire de tout ce qu'ils viennent d'alléguer. II eft certain qu'ils folliciterent fortement le P. Malagrida d'agir de concert avec eux, mais ce Pere qui prévoyoit qu'il n'en réfulteroitaucun bien s'y refufa conftamment, tk leur dit qu'il fe bornoit a gémir en fecret devant le Seigneur. Dès que le Mémoire' fut drefTé, ils le préfenterent au Roi, & comme ils connoiffoient fon foible pour Carvalho , ils le fupplierent de ne le lui pas communiquer, II le promit, tk il tint tuft Carvalha, XXV. Les Canucins fe 'oigncnt k Martin Velhe. Le P. Malagrida ne vcüt point Tntrer dans 'eur pro jeu  XXVI. Curvalh; entreprind de perdrc fes délateurs, XXVII. Par que* artifice il s'injinue en core plus avant dan. la confian du RoU 10 Anccdotes du Mini&cfe parole pendant quelque tems. Cependarit J comme il vouloit confulter fur cela un homme prudent, dont le nom n'efl pas venu a ma connoiffance, il chargea Antoine Oliveïra Machado, Juge de Belem, de lui porter ce Mémoire a. examiner. Machado , qui étoit dans les intéréts de Carvalho , n'eut rien de plus preffé que de lui faire confidence de fon fecret. Carvalho, 1 fur ces connoiffances , va troiwer le Roi, & après s'être entretenu quelque temps avec lui de chofes indifférentes, il ameneinfenfiblement le difcours a fon hut, & lui dit qu'il ne doute point qu'on ne cherche a le perdre dans 1'efprit de Sa Majefté ; que c'eft une fuite inféparahle de la eoniuration qui fe trame; que pour y parvenir il faut le facrifier lui-même , & que c'eft a quoi tendent tous les efforts des conjurés. Enfuite il fupplie le Roi, quoi qu'il puiffe arriver, de He pas condamnef un fidele ferviteur , fans lui accorder la grace de Pentendre. Le Roi, qu'il étoit sur d'ébranler au feul nom de conjuration, donne aVeuglément dans le piege, tx porte la foiblelTe jufqu'i lui révéler tout ce que ce Miniftre favoit déja. Le fourbe a ce ré* cit fait Pétonné, protefte de fon i'nnocence & de fon zele, & avoue qu'il feroit digne des plus affreux fupplices, s'il étoit coupablc du moinclre des forfaits dont on Paccufe. Entrant enfuite dans le détail de ces accufations»il nie les unes, fe difcvdpc  du Marquis de Pombal. Liv. I. 21 des autres , & s'engage d'y répondre par écrit, & de les réfuter toutes invinciblement. Le Roi le croit, & fe perfuade qu'en effet on en veut a fes jours & a ceux de fon Miniftre; que c'eft la le but de la conjuration; qu'il faut faire arrêter les auteurs du Mémoire, & les obliger de dénoncer leurs complices. En conféquence on faifit le brave Velhe d'Oldembourg , •& on le jette avec les deux Capucins &t leurs amis dans d'affreux cachots. Carvalho en publie le fujet, afin d'intimider quiconque auroit envie de hafarder de femblables démarches. Tout le monde tremble. On multiplie. les informations, qui roulent en grande partie fur le compte des Jéfuites, &£" même ouvertement fur celui de D. Pedre. Immédiatement après 1'horrible tremblement, le premier tranfport des Jéfuites chaffés du Maragnan arriva a Lisbonne. Francois - Xavier Mendoza, trop digne frere de Carvalho, avoit été envoyé dans cette contrée de PAmérique pour le malheur de la Religion & du bien public. II avoit exaétement adopté les fentimens de fon frere contre les Jéfuites, & Mgr. Bulhoëns, de 1'Ordre deSt. Dominique, Evêque de Para, ne fuivoit que trop aveu-' glémentleursimpreflions, dans 1'efpérance d'être transféré a un Evêché de Portugal. Pour fe conformer a leur génie & aux inuruétions qu'ils lui avoient données, eet Eyêque imagina que les Jéfuites avoient xxvni. Les premiers Jéfuites bannis iu Alaraqnarij arrivent a Lisbonne. XXIX. Meudr^a frei e du Mi. nijfre, O Bullwïns, lerfécutent les Jéfuites iu Mara»  XXX. Prétexte du bannif J'ement du Pere Antoine. 22 Anecdotts du Minifltrt trop de deux colleges dans le Maragnan \ que douze Peres au plus y fuffifoient , qu'il falloit en renvoyer une partie en Portugal ; qu'ils étoient inutiles & même pernicieux au progrès du Chriftianifme, que leur crédit étoit dangereux, tx leur fidélité fufpecle. Jufqu'a cette fatale époque, c'étoit un ordre établi, qui avoit continué d'être obfervé même fous le regne de Jofeph I , que chaque année les Jéfuites informeroient la Cour de 1'état de la Religion & de la République dans le Maragnan. Bulhoëns & Mendoza fe doutoient bien que les lettres de cette année ne leur feroient rien moins que favorables. Pour les prévenir, ils écrivirent eux-mêmes a la charge des Jéfuites, dont ils eurent la précaution d'intercepter les lettres. Ils en firent enfuite embarquer plufieurs pour Lisbonne, & ils en exilerent trois d'entr'eux, Roch Hunderffund, Théodore Crucius, &AntoineJofeph. Ce dernier avoit été nommé par la Cour, pour régler les limites avec les Commiflaires Efpagnols. L'Evêque Bulhoëns fe fit fubftituer a fa place. Voici de quels prétextes on fe fervit pour bannir ces trois Peres. Et d'abord, quant a ce qui concerne le P. Antoine, il étoit dans la maifon de Trocano , lorfqu'il requt un paquet du Dire&eur des mines pour le fairë remettre a Mendoza, avant que la flotte fit voile  du Marquis de Pombal. LlV. I. 23 pour le Portugal. La barque du canton étoit partie pour Para. Le P. Antoine , pour y fuppléer, fait équiper en diligence un bateau avec le plus de raraeurs qu'il peut trouver, tk il confie le paquet a un homme fur , pour le porter fans délai a Para, oü fe trouvoifalors Mendoza. Son exacütude devoit lui mériter des éloges; mais Mendoza affecta d'être ofFenfé de ce qu'il s'étoit fervi, non d'un domeftique , mais d'un étranger, pour cette commiffion. II en fit des plaintes au Provincial, tk exigea que ce Pere , qui, felon lui, ne convenoit ni au fervice de Dieu, ni a celui du Roi, fut renvoyé a Lisbonne tk relégué dans un coin de la Province. Ainfi, fans aucun délit, fut-il chaffé d'une Miffion, qu'il avoit raffemblée par de pénibles excurfions a travers les montagnes ck les forêts; tk c'étoit dans le fonds pour cela même qu'on 1'exiloit. Le P. Roch Hunderffund, Allemand, étoit venu autrefois du Maragnan en Por- J tugal par ordre de fes Supérieurs pour ' les intéréts de la Miffion. La ReineMere voulut le retenir a. Lisbonne, mais comme il n'afpiroit qu'a rejoindre fes chers néophytes, Jean V confentit k fon retour du Maragnan, k condition, que fans s'attacher k aucune Miffion en particulier, iï s'appliqueroit fur-tout a cultiver les Indiens, qui fe trouvoient dans les habitattons des Portugais, II le fit a la fatis- Bu Pere ïcch Hun'cijfund.  du Marquls de PombaL LlV. I. 29 : faire les fraix. Malheureufement le Roi tpar une ouverture de cceur, dont il n'é-T ttoit pas le maitre, en montra le plan &ï He privilége a Carvalho. A eet afpeót, le rfourbe s'écria , que c'étoit juftement ce : qu'il falloit pour autorifer les affemblces :clandeftines , & fomenter les confpira:tions. II nemanqua pas de s'emporter contre les exercices fpirituels , qu il qualifioit :de fanatifme & de momerie , & contre ;ïes Jéfuites, qu'il traitoit de perfides & de rebelles, qui entraïnoient D. Pedre vers fa ruine, & qui machinoient la perte du iRoyaume. Par ces difcours artiricieux il ;arrêta tout coürt le pro jet de batir, & fit :renaitre dans 1'efprit ombrageuxdu Prince les craintes & les fóupcons qui commen^oient a fe diffiper. Le peuple towjours extréme chercha dans des caufes furnaturelles le principe :d'une fi funefte docilité, & de cette efpece de fafcination extraordinaire & perlëvérante, il crut pouvoir n'attribuer qu'a la magie un empire fi fatal a la féiicité pubiique. Carvalho entretenoit chez lui une !Négreffe qui pafToit dans 1'efprit du vulcaire pour forciere. Le grand Inquifiteur, frere du Roi, voulut la faire conduire dans les prifons de I'Inquilïtion j mais Carvalho la mit a l'abri de fes pourfuites. Or on prétendoit que cette femme , par je ne fais quel maléiice, avoit entiérement fafciné le Roi, tx lui avoit infpiré une conB 3 xxxvr. ft/greji aux f-iagts du JfiiniJ* tte.  Tic. Lir. (a) Dm Courtifans jouant avec le Roi, 1'ont vu plufieurs fois fe troubler cout-a-coup, laiffer romber fes cartes des mains , & être commè hors de luimême , dès qu'il appercevoit CarvaUio qui ent roi» dans 1'appartement; tant ce Minilhe lui en impofoit! tant la fervitude d'eiprit afFoiblit l'homine, Sc lui fait airaer le joug, lors même qu'il efl cn conuafte avec le Sceptre Sc le Trène. 30 Anicdotts du Minijïere defcendance aveugls pour fon Miniftre, & une kaine plus que naturelle contre Malagrida tk fes confrères. Mais après tout il n'étoit pas befoin de charmes & de prefiiges; 1'idée feule des cabales tk des confpirations , ne fuffifoit que trop , pour fe jouer de la foibleffe d'un Prince, qui ne fè croyoit redevable de fa confervation, qu'aux foins affidus de fon Miniftre (a) : outre que ce fédufteur, fur qui il fe repofoit des embarras du Gouvernement ; alloit au devant de tout ce qui pouvoit flatter fa mollefle & 1'endormir dans le fein des plaifirs. Mais on fait que dans les calamités publiques la terreur renforce la crédulité, tk que 1'imagination des uns , comme dit un ancien, eft auffi ardente k faifir de faux rapports, que celle des autres k les inventer j fur-tout quand quelque mouvement religieux dirige les recherches vers les caufes invifibles; mouvement toujours refpeélable dans fon principe , mais quelquefois trompé dans fa marche & dans fon objet : Motis in religionem animis, multa nuntiata., multa umere credita.  du Marquis de Pombol. LlV. I. 3,1 Au commencement de 1'année 1757, les Peres Alexis-Antoine & Emmanuel Ribeïro , chaffés du Maragnon , aborderent a Lisbonne. Ainfi par le plus étrange renverfement, au-lieu d'envoyer chaqne année, felon qu'il fe pratiquoit, un ren. fort d'ouvriers évangéliques pour la converfion des Sauvages , on les voyoit, au' grand étonnement de tout le monde, chaffés & bannis de ces contrées , ramenés en Portugal, & renfèrmés, fans qu'on en fut laraifon, dans des réfidences écartées. Ce fut auffi vers ce même tems, que Didace Mendonca , ci-devant favori du Roi, & cher a toute la natron, mais trop redoutable rival de Carvalho ,. fut difgracié & envoyé en exil. On faifit tous fes papiers, on y trouva aifément de fpécieux prétextes, pour vexer ceux qui pouvoient don-ner quelque ombrage. Cette difgrace ötoit toute reffource aux Jéfuites. Ce qui accéléra leur perte , ce fut une lettre que le P. Francois Tolet, ) Provincial du Maragnon, venoit d'écrire ' au Roi & par fon ordre. II y réfutoit 1110- ' deftement toutes les calomnies, dont on " les avoit chargés; il y peignoit auffi, mais fans aigreur, les excès auxquels fe portoit Mendoza , frere de Carvalho , & la défolation générale oü il avoit plongé le ..Maragnon. II n'en parloit qu'autant que cela intéreffoit le bien de la Religion & le fervice du Prince, fans fc permettre d'y 13 4 xxxv ir. Les LP. Antoine & Ribeïro chajjés du Maragnon. xxxym, Exil de Didace Mendo-r.fa, XXXÏXV JS'ou veau lOtif de la aïnc de Mrvalke j ontre les 'éfuitcs,  tout Jéfuit, a"y pavol *ti. Divers fenx:mens Jui cpt événement. 36 Anecdotes du Min ijlere de fon devoir de fe montrer dès le len■ demain a la Cour. Comme il étoit en chc' min pour s'y rendre au lever du Roi, il fe vit arrêté par un expres , que Carvalho avoit apofté, pour lui dire que ce Miniftre 1'attencloit chez lui, Si vouloit lui parler. Du plus loin qu'il le vit, il lui annonca que le Roi faifoit défendre a ft blique, revêtus de leurs dates, fans autre réflexion. Son deflein étoit de vérifier a fon retour a St. Laurent, fi les nouvelles, qui s'étoient répandnes dans ce grand éloignement, étoient réelles. Cependant ce journal trés - fimple en lui-même, ck qui pouvoit avoir fon utilité , devint funefte a fon auteur, ck lui attira un traitement auffi dur qu'il étoit ignominieux, de la part de Vianna, Commandant de Montevideo : tant les intéréts humains font fouvent en oppolition avec ceux de la vérité! Auffi-tót que Gomez fe vit en poffefifion des fept fameufes Réduftions , fon premier foin fut de faire fouiller par-tout ".pour découvrir les mines chimériques d'or i& d'argent, qui occafionnoient tous les malheurs de ces pauvres Indiens. II s'attendoit a remplir les flatteufes efpérances dont il avoit bercé fa Cour, mais il eut beau faire toutes les recherches imagina-  : du Marcfuïs de Pombal. Liv. I. ejï bles, fes efforts furent inutiles, & il ne fe trouva pas la moindre apparence de mines. Cependant les Miffionnaires fe don- J noient par-tout les plus grands mouve- \ mens pour ramaffer leurs brebis fugitives. i ■ Ils en conduifoient quelquefois deux ou « trois cents jufques fur les bords de 1'Uraguay, mais a la vue de ce fleuve, & au trifte fouvenir de leur patrie, ces pauvres malheureux perdoient courage & ne fongeoient plus qu'a fe difperfer. On les faifoit efcorter par des foldats Portugais; mais ils fe déroboient a. leur vigilance, & a la faveur de la nuit, ils s'enfoncoient dans les bois. Comment les Jéfuites par la feule perfuafion euffent-ils fait ce que des troupes réglées ne pouvoient exécuter par la force. A la fin de Pannée 1756 , on n'en avoit encore réduit que quatorze mille deux cents quatre ; tous les autres, au nombre de feize mille, vivoient dans les bois deffitués de toute reffource & k la veille de périr de faim & de mifere. Les Jéfuites, pour détruire 1'imputation d'avoir entretenu la réfiftance des Indiens, ' prierent le Gouverneur Efpagnol D. An- j donaeguiez, qui fe trouvoit alors k la Ré- 1 duftion de St. Jean, d'ordonner des informations a ce fujet ; mais il s'y refufa dans la crainte d'aigrir davantage le M. d de Valdelyrios & Gomez , qui 1'accu- r foient déja d'avoir re Anecdotes du Mini fiere les avoit obligés de contra&er des dettes affez confidérables. Or, fi ces Peres furent deux fois chaffés du Maragnon par la rapacité des Portugais, 8c deux fois rétablis par ordre de la Cour après d'exaftes informations; fi de tems-en-tems il s'étoit agi de réunir, de divifer , de fupprimer 8c de rétablir enfin 1'adminiftration; fi l'on nomina fi fouvent des CommifTaires pour éclairer leur conduite, 8c en dernier lieu fous Jean V, en 1'année 1736; comment eft-il arrivé* que, ni leur tyrannie, ni leur avidité, ni tous les crimes dont on les accufa, ne foient parvenus a la connoifTance d'aucun Roi, pas même de Jean V, qui ne pouvoit manquer d'en être informé ? Au contraire on les louoit 8c on leur rendoit la juftice que méritoient leur zele 8c leur courage, lorfqu'au rifque évident de leur propre vie ils alloient en quelque facon k la chaffe de ces peuples fauvages, pour les raffembler 8c les faire vivre en commun, fous la prote&ion du Roi Très-Fidele , 8c pour en former une barrière contre les incurfions des Nations barbares qui moleftoient les Portugais. Que de peines n'eurent-ils pas k effuyer pour faire travailler ce peuple naturellement indolent, qui tout vorace qu'il efl:, ne penfe qu'aux befoins du moment, fans s'mquiéter du lendemain, 8c qui pour un couteau, pour une hache, pour un miroir, donneroit la provifion d'une année?  du Marquis de Pombol. LlV. I. 107 De quelles précautions ne devoient - ils pas ufer pour les mettre a Pabïi de la mauvaife foi des Portugais, & pour empêcher ceux-ci de les enlever , ck d'en faire des efclaves, afin de profiter des fervices ck des travaux dont ils les accabloient fans pudeur ck fans ménagemenu Le libelle de Carvalho a Partiele du Maragnon ne préfente que des menfonges. II dénature ck interprete a fon gré les noms des Indiens ck de leurs Peuplades. II fait du P. Alexis Antonio un Chef deconjuration, un enróleur de foldats. II invente une alliance formée entre les habitans du Paraguay ck ceux du Maragnon quoique ces derniers n'aient pas eu Ia moindre part a la guerre des Réductions. II donne aux Peres Ekart ck Meifterburg, Allemands, deux canons avec lefquels ils s'emparent du pays de Trocana. Du refte, a la réiérve de ces deux fameux canons, on ne trouva chez les Jéfuites , ni poudre , ni armes , ni provifions, ni bagages; ni infanterie ni cavalerie , ni rien de tout ce qu'il leur fuppofe gratuitement , ck contre toute vraifemblance. Encore ne fera-t-il pas inutile de rapporter ce qu'étoient ces deux canons, pour faire voir comment Carvalho altéroit malignement les faits. Le P. Jean Sampayo, en 1724, avoit formé un villae.e pres de Pifle Jamary. Ses néophytes fe E 6 LXXXV. FauJJcté» iu libelleds CaryalAo. iHiJloïre «V leux c«-  du Marquis de Pomhal. Liv. I. 115 Peuplades pour s'enfoncer dans les forêts , Carvalho a beau dire que ce fut a 1'inftigation des Jéfuites; ce fut paree que tout homme fuit naturellement le travail & les dangers : comme fi les foldats parmi nous ne défertoïent jamais, & qu'a la vue de 1'ennemi, les poltrons attendiffent qu'on les exhortat a fuir. La fédition des foldats Portugais doit encore être uniquement imputée a la conduite de ce même Commandant. Les troupes de Para étoient éloignées de plus de quatre cents lieues du camp de Maragnon. Le village le plus prochain 1'étoit au moins de cent lieues. Aucun Jéfuite ne parut dans le camp ", aucun n'y lut des lettres aux foldats affemblés: c'eft donc a tort qu'on les accufe d'être les auteurs de la fédition. On a des preuves du contraire. Je les ai fous les yeux avec toutes les pieces juftificatives, & je les rapporterois, s'il le falloit. Voici en peu de mots a quoi fe réduit cette prétendue rebellion. D. Mendoza partit de Para le 28 Septembre 1754 avec un train nombreux , & alla camper a la tête des troupes affemblées au village Mariva , afin de fe concerter avec je ne fais quels Députés Efpagnols pour le réglement des limites. II fut la pendant prés de deux ans a les attendre; mais n'y pouvant tenir plus long-temps, il quitta fecrétement le camp & arriva a Para au commencement de Meriott tn efl l'uni' \ue auteur, Sa fuite ie Varmée & . fon retour i Para.  £m foldat, abandonnd, ftrévtlttnt 114 Anecdotes du Minijlere ,&>c. 1'an 1757, ^ans mite> &ns bagage, & darts; Ie plus grand défordre. Les foldats que Mendoza traitoit avec une extréme rigueur, , tk dont il retenoit même la paye, fe voyant ; abandonnés de leur Chef, & manquant de tout, fe débanderent tk ne prirent confeil que de leur défefpoir. Ce fut le premier Mars 1757,que leur révolte éclata. La plus grande partie, ayant a leur têfe Emmanuel Correa Cardoz, enfoncerent la caiffe militaire, que Mendoza avoit épuifée. Ils fe mirent enfuite a piller les magafins ; & ne trouvant pas encore de quoi fe payer de leurs appointements , ils fe jetterent fur les maifons des particuliers, ck s'en firent donner de groffes fommes. -Ils brulerent la Miffion de Dary , tk y commirent toute forte d'excès. Enfin , pour fe mettre a 1'abri du chatiment, ils fe retirerent dans les pays fournis a fa domination Efpagnole. Or comment ies Jéfuites, qui étoient fort éloignés de ces contrées , auroient-ils donné lieu a cette révolte; tk n'eft-il pas vifible qu'elle tiroit fon principe du feul éloignement de Mendoza, tk de 1'extfême mifere oü il avoit réduit les foldats, qui n'étoient qu'au nombre de cent vingt-deux ? Voila en racourci le tableau de ce qui concerne le Paraguay & le Maragnon. Après ce préliminaire tk cette digreffion néceffaire , il efl temps de revenir en Europe. Fin du premier Livre.  ANECDOTES DU MINISTÈRE DU MARQUIS D]E P O M B A L. L I VR E S E C O N D. ï-t E P. Henriquez, Provincial, avoit déFendu aux Jéfuites de la Province de Lisbonne de rien répondre, ni par éerit ni de vive voix , au Mémoire difFamatoire de Carvalho, entrevoyant qu'il n'en pouvoit réfulter aucun avantage. S'il eüt été poffible de pénétrer uifqu'au pied du Tróne, on auroit aifément réuffi a réfuter eet amas de calomnies; mais tout accès étoit fermé, & il ne reftoit que le parti de la réfignation & du filence. Le P. Général, a qui le Provincial rendit compte de Ia conduite qu'il avoit jugé devoir tenir, y donna fon approbation, & étendit cette même loi du filence a toutes les Provinces. Carvalho avoit pour principe de frapper fes grands coups fur les Jéfuites aux Fêtes de leurs Saints. Cefutdoncle 3 Xbre. 1756, t. Ze Provincial de Portugal défend aux Jifuites d'écrire Sr . de parler contre le libelle. Ze P. Gi- néral étend cette défenfe a toutes les Provinces,  II; Carvalho fait traduïrt & dlftribuerfon libelle dans toutes les Cours» Ze Nonce en ejl la dupe. (a) C'eft un fait généralement avoué en Portugal que Carvalho étoit 1'auteur & le compilateur de tous les libelles , qui circulerent dans ce Royaume contre les Jéfuites & contre tous ceux qu'il avoit deffein d'opprimer. Les voyageurs & obfervateurs étranjers, qui ont apjrofondi cette oiaticre , ont fenii la 116 Anecdotes du Minijïere jour deS.FrancoisXavier, qu'il fit diftribuer, les exemplaires de fon libelle aux Princes, aux Evêques, aux Supérieurs d'Ordre, ck a tout ce qu'il y avoit de diftingué a Lifbonne. II ordonna aux Ambaffadeurs Portugais auprès des Cours étrangeres de faire traduire le libelle dans la langue du pays oü ils réfidoient, & de lui donner le plus de cours qu'ils pourroient. C'eft un fait, qu il en fut imprimé a. Lisbonne vingt mille exemplaires en Latin, en Portugais ck en Italien. Plufieurs y ajouterent foi. Le Nonce Acciajoli y fut pris lui-même, ck dans une audience qu'il accorda au Pere Henriquez, il lui dit crüment qu'a la vérité les Jéfuites du Portugal étoient d'honnêtes gens; mais que ceux d'au - dela des mers méritoient tous le gibet ck la roue, II eft vrai qu'il revint de fon erreur; mais malheureufement ce ne fut qu'après s'être prêté aux menées de Carvalho. Pour ce qui eft du peuple, quoiqu'il foit naturellement crédule , il ne fut pas plutot informé que le Miniftre étoit 1'auteur de ce libelle , qu'il fut au jufte quel jugement l'on en devoit porter, paree qu'on connoiflbit déja de quoi il étoit capable. (a).  du Marquis dc P ombat. LlV. II. uj Vffijtoire du Paraguay par le P. Charlevoix qui parut a Lisbonne 'dans ces circonftances, contribua beaucoup i décéler le menfonge. Les Lettres édifiantes venoient auffi d'être imprimées en Efpagne avec le decret de Phijippe V, & la Lettre de Mgr. Peralta, Evêque du Paraguay. Elles acneverent de venger la vérité & de mettre en evidence 1'impudence du calomniateur. La Prmceffe du Bréfil lut ces ouvrages avec plaiiir, & les fiflire aux Infantes les loeurs; mais elle ne daigna pas même ouvnr la brochure que Carvalho lui avoit envoyee. Pour acheverde lui donner un démenti public , arriya dans ces entrefaites un na■ VireV"%efli' av?c grand nombre de lettres d Officiers & de Soldats, qui faifoient le plus magmfkjue éloge des Jéfuites C'éto.ent leurs Peres & leurs Confervateurs: ils leur devoient la vie & leur exiftence' Sans es fecours, qu'ils en avoient rees dans la guerre du Paraguay, ils auroient tous pens nuferablement. Tel étoit leur langage. II en etoit de même du Mangnon. Les Officiers & les Néeocians, qui vérité de cette artribution. «Les CWa«s, dit Ie « contte les malheureux qu'il avoit fatts , étoient 1* - Plupart de, produftion^de fa plun.e, du moi° * * Publ'c »« '«» a«ribue , & par-tour on y reconno t e -caraftere de fon «fpric, hifi. fur VHfr UsT, UI. L'liijloin du Paraguay paiott a propos pour détruïre l'in.pofture.  Ies Capu eins punis pour avoi dit la vérité IV. Défenfe d, rien divulguerdu Ma rtgnon. Sentitnen. de VEvêque d'Evora, Dt Denii Ettnardias De V Vnl i erfité de Conimbre 2 d'un Inqui fiteur. Ii8 Anecdotes du Minijtere en revenoient, ne pouvoient affez fe louer du zele & de la charité de ces Peres, & ils en parloieht ouvertement : car la terreur du tyran ne leur avoit pas encore fermé la bouche. Les Capucins, qui arrivoient de 1'Amérique, s'en expliquerent , avec trop de franchife ; ce qui fut caufe qu'on les difperfa d'abord, tk qu'on les renferma dans différens Couvens, oü le filence le plus rigoureux leur fut impofé. Depuis cette époque, nul vaiffeau n'aborda du Maragnon, qu'on ne fouillat jufqu'au dernier mouffe; qu'on ne lüt toutes les lettres, tk qu'on ne défendit fous peine de mort de rien divulguer de ce qui fe paffoit dans cette Colonie. II yx en eut même a qui Carvalho fit prêter ferment de fe taire; d'autres , a qui il donna de 1'argentj pour qu'ils chantafTent les louanges de fon frere, & qu'ils décriaffent les Jéfuites. II s'en trouva cependant qui tinrent ferme contre la féduftion. Michel Tavora, Evêque d'Evora, défendit a tous les fiens la leéïure du libelle de Carvalho.Denis Bernardios, Prélat de la Patriarchale, homme de poids* tk d'un mérite diftingué, foutint en préfence de fes collegues, qu'on ne pouvoit lire cette mauvaife production fans fe rendre coupable de pêché grief. L'Univerfité de Conimbre en porta auffi le même jugement, tk flétrit ce libelle , rempli de vieilles fatyres, tk qui dans ce qu'on y voyoit de nouveau, ne fauvoit  du Marquis dt Pombal. Liv. II. 119 pas même les apparences de la vraifemblance. L'Inquifiteur Francois - MendezFrigofos fit favoir aux Jéfuites qu'a la vérité il étoit du devoir de fa charge de condamner eet écrit fcandaleux , mais que les Inquifiteurs avoient les mains liées, rk qu'ils fe trouvoient expofés au même orage qu'eux; que du refte, fur la lefture feule du titre, il avoit jetté 1'ouvrage au feu. Pour lui acqué'rir des le&eur-s, on eut foin de le reproduire fous des titres diffé- t rens. II parut a Rome au mois d'Octobre 1 1757, fous celui de Lettre du Minijlre Por-1 tugals au Minijlre d'Efpagne fur l'Empire Jej'uitlque. Enfuite fous celui de Républlque du Maragnon & d'Hifioire du Roi Nicolas I. Sous tous ces noms il renfermoit a peu-près les mêmes impoftures. Ces trois titres étoient comme le Cerbere ou les trois têtes de la PuifTance Jéfuitique ; on y débitoit que ces Peres s'étoient fait un parti des mécontens de 1'adminiftration royale ; qu'ils avoient attaqué de vive yoix tk par écrit la fage conduite du Roi, tk que par leurs intrigues ils avoient tenté de troubler la bonne har-monie qui regnoit entre les deux Cours. ^ Le Miniftre n'accufoit que les Jéfuites répandus dans les Miffions. Ceux de Lif ) bonne venoient de rendre trop de fer- i vice au public, tk ils avoient donné des d preuves trop fignalées de leur zele tk de * v. Réprodut'on du lielle fous ifférens tj. 'tt> Carvalho :cuft les ifuites dt ortugal avoir larmé le tuple.  JE.remples da cnntmire, 120 Anecdotes du Mini fiere leur ficlélité, pour ofer les charger ouvertement. II fe contenta de blamer leur indifcrétion , en les taxant d'avoir mal a propos jetté 1'alarme dans les efprits par des prédictions effrayantes. II eftvrai qu'ils s'étoient fait un devoir de tonner eh chaire contre les débordemens publics, qui faifoient de Lisbonne une ville d'abomination , & qu'ils ne diffimuloient pas que eet horrible tremblement de terre étoit la jufte punition des crimes énormes qui s'y commettoient; mais ils avoient foin d'ajouter, qu'il reftoit un moyen d'appaifer le ciel irrité ; que les larmes de la pénitence & qu'un fincere retour a. Dieu défarmeroient infailliblement fa colere. Une preuve qui en fait foi, c'eft que ces Peres ayant appris que des fanatiques Sc de faux prophetes répandoient la confternation parmi le peuple, ils s'éleverent fortement contre eux, Sc s'étudierent k ranimer dans tous les cceurs une jufte confiance dans les miféricordes du Seigneur. Ils en agirent de même par rapport au bruit qui fe répanclit dans 1'incendie , qu'ils avoient abandonné leur maifon du noviciat k caufe des progrès que la flamme faifpit dans les environs; ce qui donnoit lieu d'appréhender que Pembrafement ne fe communiqirat k vin magatin de .poudre, qui n'en étoit pas éloigné. Ce n'étoit qu'un faux bruit; mais comme chacun prenoit la fuite, Sc fe retiroit dans la campagne pour s'y mettre  du Marquis de Tomtal. LlV. II. 14c dit au Provincial , mais a 1'oreille, qu'il avoit plus befoin d'étre réformé lui-même par la Société que de la réformer. Cela pouvoit être vrai; mais on verra par la fuite combien il parloit peu fincérement. Auffi Henriquez & fes confrères ne compterent pas tellement fur ces belles paroles, qu'ils ignoraffent ce qu'ils devoient attendre d'un homme , qui deftitué des biens de la fortune , & né 'avec 1'ambition de s'élever, ne manqueroit pas de refpecter plutót la volonté du tout-puiffant Carvalho que celle d'un pere mort. C'étoit dans le deffein d'en faire 1'inftrument de fon defpotifme, que ce Miniftre depuis deux ans accumuloit fur fa tête les plus riches Bénéfices du Royaume; qu'il 1'avoit fait promouvoir au Cardinalat ; qu'il avoit conféré a fon frere la Principale de 1'Eglife Patriarchale ; qu'il avoit décoré fon ainé du titre de Comte , & que celui, qui étoit revêtu de la Principale, avoit été nommé fucceffivement Ambaffadeur en France & en Efpagne. Le Cardinal favoit qu'il n'en refteroit point la, & on lui faifoit efpérer le Patriarchat, qui, vu la vieilleffe & la caducité du Patriarche acfuel, devoit bientöt être vacant. Le choix, que ce Cardinal venoit de faire d'Etienne-Louis Magallanez, avoit de la) C'eft une digniti affectée i un Chanoine de ü'Eglife Patriarchale. & Faveur de ce Cardinal auprès de Carvalho. xxn. Magallane{ adjoint au Cardinal Vifiteur,  les «is tune téfornn n'exijtoitm point, Sentimem des peuples XXIII. Hes Jéfuitei ne virent pas le Jlref, 146 Anecdotes du Minijlert quoi inquiéter les Jéfuites. C'étoit une afne rampante tk toute tlévouée aux volontés •du Miniftre. Si l'on s'en tenoit aux regies de la juftice , ces Peres avoient de quoi fe raffurer. La difcipline étoit chez eux dans fa première vigueur, tk leur zele pour la gloire de Dieu & pour le falut des ames éclatoit dans toutes les rencontres. Un Corps fi louable fembloit n'avoir pas befoin de réforme ; tk Pentreprendre , annoncoit quelque événement fmiftre. La véneration des peuples tk des Grands pour ces Peres augmentoit a proportion des efforts que l'on faifoit pour les rendre odieux. Leurs ennemis ne le leur pardonnoient pas; le Miniftre fur-tout, qui avoit juré leur perte, ne penfa plus qu'a les détruire , & l'on ne fut pas long-tems fans s'appercevoir de fes mauvais deffeins. Son frere Paul, Prélat de 1'Eglife de Lisbonne, en étoit bien informé , puifqu'il s'avifa de dire enpréfence de fes confrères, qui en parurent confternés, que les Jéfuites avoient beau faire ; que leur air patiënt & leur modeftie affeftée ne feroient qu'accélerer leur chüte. Aucun d'eux n'avoit eu communication du Bref, dont on leur avoit fait rapidement la leéture. Ils crurent avec affez de fondement qu'il devoit contenir certaines claufes & reftrieïions peu favorables aux deffeins de leurs ennemis. On n'ignoroit pas que le Miniftre fabriquoit des lettres  du Marquis de Pombal. Liv. II. 147 comme venant de la cour de Rome; qu'il les faifoit imprimer ck qu'il les répandoit. Ne lui étoit-il pas auffi facile d'ajouter au • Bref ck d'en retrancher a fon gré, d'au- ; tant plus, que contre 1'ufage ordinaire ck 1 comme il eft de ftyle, ce Bref n'avoit pas été enrégiftré a la Chancellerie Romaine ? On le vit néanmoins paroïtre imprimé en latin & en portugais; ck la traduéiion s'en fit fous la diftée du Miniftre , avec des variantes ck des infidélités palpables. On en diftribua des exemplaires a tous les Tribunaux, a tous les Evêques, aux Grands du Royaume , aux Officiers Royaux & aux Supérieurs d'Ordre. On les afficha, on les mit en vente , comme fi une commiffion, qui n'intéreffoit qu'un Corps en particulier , ck qui felon les ordres du Pape, devoit s'éxécuter fans éclat, étoit devenue une affaire publique ck de la plus férieufe importance pour la fftreté de 1'Etat. Mais c'eft qu'on cherchoit a diffamer plutöt qu'a réformer. La lettre , que le Pontife mourant écrivit au Cardinal Saldahna, en lui adreffant ce Bref, contenoit des inftructions ck des ordres pleins de fageffe ck de modération. II lui recommandoit d'agir avec prudence ck douceur; de garder fur tous les chefs d'accufation un profond filence, ck de 1'impofer a ceux qui lui feroient fubftitués; de bien vérifier les griefs, qui paroïtroient douteux; de ne point prêter 1'oreille aux G 2 7 tjt publié 't répandu '■vee fes aU ératians. ïnJlrucTwns iu Pape nu Card. Saliahna po,ur la reforme,  XXIV. Mort de Benoit XI F, 148 Anecdotes du Minijlere fuggeftions des ennemis de la Société, de difcuter mürement tous les faits, & furtout de ne rien laiffer tranfpirer chez les Miniftres, ou dans le public : enfin de ne rien décider par foi-même , mais de faire un fidele rapport au Sainte-Siege , qui fe réfervoit de prononcer, comme il jugeroit convenir. L'écrit qui contenoit le détail circonftancié de ces inftruétions, & de la conduite que le Cardinal auroit a tenir dans 1'exercice de fa commiffion, étoit de la main du Cardinal Archinto ; & il avoit pour titre : Benedïcli XIV Pontificis Maximi fecreüora mandata circa vijitationem ab Cardinali Saldahnia obfervanda. Ce qu'il y eut d'admirable, c'eft que dans des circonftances fi turbulentes & fi imprévues, parmi quinze cents Religieux de 1'Afliftance de Portugal , répandus dans les deux hémifpheres, pas un ne fe plaignit, ne murmura &£ n'allégua le moindre fuiet de mécontentement au Cardinal Réformateur. Cette parfaite conformité de conduite étoit un grand préjugé en faveur de leur innocence , & auroit dü faire ouvrir les yeux a leurs ennemis; mais il n'en devinrent que plus furieux. Dans ce même temps, on recut la nouvelle de la mort de Bénoit XIV , arrivée a Rome le troifieme de Mai 1758, trente deux jours après 1'expédition du Bref. On obferva- que ce fut le jour &  du Marquis de Pombal. LlV. II. 149 a 1'heure même de fa mort que le Sénateur Barberin étoit venu a. la maifon Profeffe , pour y faire la leéture des Lettres Apoftoliques. Cet événement déconcerta d'abord le Miniftre ck le Cardinal, qui jugerent enfin qu'il falloit agir fans délai ck précipiter les opérations. Le Cardinal Saldahna fit favoir au P. Henriquez, que le 30 Juin il viendroit au College de St. Roch. II y vint en effet k cinq heures du foir en cérémonie ck avec une fuite nombreufe. II fut introduit par le grand portail de 1'Eglife, ck conduit au MaitreAutel, oü on lui avoit dreffé un tröne. II y monta ayant Magallanez k fon cóté, ck il donna fa main k baifer k toute la Communauté. Le public parut touché en voyant ces hommes refpeétables, par leurs cheveux blancs , par leur favoir, ck furtout par leur vie édifiante ck leurs travaux Apoftoliques, fe prêter avec fimplicité ck avec une merveilleufe modeftie k ce que cette cérémonie pouvoit avoir d'humiliant. Le Cardinal ferra la main de Henriquez au moment qu'il baifoit la fienne , ck il lui dit de prendre courage ck d'être perfuadé qu'il en agiroit avec bonté. Enfuite il fe leva ck fortit précipitament par la grande porte de 1'Eglife , tandis que ces Peres fe mettoient en devoir de 1'efcorter ck de 1'introduire dans le College. Le lendemain il trouva mauvais qu'ils n'euffent point fait de feux de joie dans la nuit, ni donné G 3 Xe Cardinal Saldahna s'inftalle chef les Jéjuhes comme ütformateur*  du Marquis de Pombal. LlV. III. 179 1'exprès, qui avoit commifiion de ne le pas perdre de vue. II alla au College qui lui étoit déligné , d'oü il écrivit le foir même au Cardinal pour lui faire favoir fon arrivée. Cependant le Miniftre faifoit courir le bruit que le Roi étoit dans un grand danger. Pour en fortifier Pópiriiön, il obtint que l'on ordonneroit des prieres publiques dans toute Pétendue du Royaume pour la confervation des jours précieux de Sa Majefté. Le peuple & la Nobleffe n'y furent pas trompés, tk. l'on regarda ces prieres comme un artifice, dont on fe fervoit, pour faire intervenir la Religion a 1'appui de 1'impofture : car malgré les ténebres myftérieufes, oü l'on tenoit le Roi renfermé , on avoit découvert qu'il fe portoit parfaitement bien , tk que pendant teut le tems de fa retraite il n'avoit jamais été en danger. Le 9 Décembre , ce Prince avoit figné de fa main un Edit, qui fut affiché quatre jours après. II portoit que le Roi avoit été attaqué & bleffé par ure troupe d'affafTins, tk l'on y donnoit un détail circonftancié de cette fabuleufe aventure. On infiftoit en particulier fur les prédictions , qu'on prétendoit avoir été faites a defïein, difoit-on, de difpofer les efprlts : mais a quoi? On promettoit des récompenfes aux délateurs; tk par un feconcl Edit également figné de la main du Roi, tk qui fut affiche le même jour, défenfe H cS IX. Priei ts PuWiques pour 'a fanté du Roi, Edit du Roi.  X. Ta familie d?s Tavora tji' arrétéc. 1 ] I if?0 Anecdotes du Mïnijlere étoit faite fous de grieves peines aux habitans de Lisbonne, de fortir de la ville, fans être munis d'un paffe-port. Ces Edits ne furent que le développement des fcenes tragiques, que l'on avoit préparées. La nuit du 12 au 13 de Décembre, tous les Tavora furent faifis & mis en prifon avec un grand nombre de leurs gens, tant hommes que femmes. Ces Seigneurs étoient au nombre de fopt, favoir, le Marquis de Tavora pere, fon fils aïné &fon cadet; Emmanuel Tavora, pere du Comte de Villanova, & Jofeph-Marie Tavora , Chanoine de la Patriarchale , tous deux freres du vieux Marquis; le Marquis d'Alorno ck le Comte d'Atouguia, gendres du Marquis. Cet infortuné chef d'une illuftre familie étoit forti en carroffe avec la Marquife fon époufe, lorfque Jofeph-Marie, fon fecond fils, s'étant échappé dans le tumulte, vint 1'avertir que fon hotel étoit invefti. Le pere, fans s'émouvoir, lui ordonna de retourner fur les pas, ck de dire a ceux, qui le cherchoient, qu'il alloit a la Cour, & qu'on l'y trouveroit; il lui recommanda auffi de fe laiffer faifir fans réfiftance, fi l'on ivoit ordre de 1'arrêter. Après ce peu de nots, il defcendit fa femme chez la Comeffe de Ribeïro, & il alla droit au Palais. in y entrant il déclara d'un ton ferme & tffuré que lui & tous les flens étoient au lOuvoir du Roi, On ne lui permit pas d'en  du Marquis de Pombal. Lrv. III. i§i diredavantage. Louis d'A-Cunha, collegue de Carvalho , lui demanda de la part 'du Roi fon épée ck fa canne, qu'il avoit droit de porter a. la Cour, comme Général en chef de la Cavalerie & Grand -Maitre d'Ordre militaire. Dès qu'il fut défarmé, on le conduifit en prifon efcorté d'une garde nombreufe. Le Duc d'Aveïro étoit k fa campagne au-dela du Tage. On y envoya des Sénateurs, avec un gros détachement, pour fe faifir de fa perfonne. On dit, mais fans fondement, quil fit mine de réfifter. Ce qu'il y a de vrai, c'eft qu'il ne vouloit pas fortir fans être décemment vêtu , & qu'on Parracha de fon chateau n'ayant qu'un gillet fur le corps. Ceux de fa fuite furent également faifis ; mais on ne fut pas alors ce qu'ils devinrent. Ce fecret étoit réfervé k Carvalho, ainfi que le fort d'un millier d'autres perfonnes. La confternation fut générale dans la ville pendant toute cette nuit. Les fentinelles ck le guet que Pon trouvoit dans les rues , -y portoient la terreur. On vit le lendemain les hotels de ces Seigneurs tout remplis de foldats. C'étoit pour cette exécution que Carvalho avoit fait défiler des troupes des quatre coins du Royaume vers la Capitale. On n'y voyoit par-tout que des patrouilles; on n'y entendoit que le bruit des tambours, ck on n'y parl'oit que d'emprüoauemens. Et U Duc i'Avtïio.  I ] XI. Traitement indigne que Von fait effuyer aux JDames qui furent arrè- (a) Elle étoit enceinte. On 1'enferma dans le Couyent des Religieufes de Sachaventz, oü ell« j'accoücha ptivce de tom Cecours laumain, Antcdotts du Minljltre La Marquife de Tavora, mere, fut coniuite fur le foir au Couvent nommé Grilo, fous 1'efcorte d'un Sénateur ck d'un létachement. Ses deux filles, la Marquïfe 1'Alorna, ck la ComtefTe d'Atouguia (d) ïirenttransféréesendifférens Couvens fous a même efcorte. La Ducheffe d'Aveïro, [beur de la Marquïfe de Tavora, fut également arrachée d'auprès de fes filles qui furent toutes renfermées dans des Couvens féparés. Le fils du Duc fut confiné dans le Fort Borgio, baigné de tous cótés des eaux de la mer. On abandonna les petites-fïlles a leurs meres d'Alorna & d'Atouguia, mais leurs fils qui n'étoient que de jeunes enfans difparurent. La Marquife d'Alorna, qui, le jour du prétendu aflaffinat, fe trouvoit avec fon mari a la petite ville de Cintra, fut arrêtée quelques jours après ck conduite dans le même Couvent que la Marquife de Tavora. On la faifit au moment qu'elle alloit fe* mettre au lit, ck on ne lui permit point de s'habiller. On leur affigna a chaeune une penfion fort modique , encore ne leur fut-elle pas payée; ck fans le fecours des Religieufes, qui étoient ellesmêmes fort pauvres, elles feroient mortes  du Marquis de Pombal. Liv. III. 2.09 fbmptions peuvent & doivent en tenir lieu, a moins que 1'accufé ne parvienne a découvrir le vrai cöupable. Sur ce principe jufques-la inoui, on allegue les préfomptions les plus frivoles & les plus vagues \ par exemple , le deffein qu'avoient les régicides de renverfer la Monarchie & d'inftituer une nouvelle forme de gouvernement. Projet infenfé i qui n'étoit appuyé fur aucun fondement même apparent. En effet, qui fe feroit avifé de concevoir une telle-extravagance? L'héritiere du Tröne vivoit, & a fon défaut les Infantes fceurs , & les Princes leurs oncles avoient des droits imprefcriptibles, fur la fucceffion a la Couronne. Mais fi la préfomption devoit avoir lieu, n'étoit-ilpas plus raifonnable d'accufer Carvalho lui-même de travailler fourdement au renverfement de la Monarchie ? Cet homme, qui laiffoit flotter au gré du hafard les rênes du Gouvernement ; qui ne s'occupoit que de la perte des Jéfuites , que leur ficlélité lui rendoit odieux ; qui abattoit les premières têtes du Royaume ; qui envahifToit leurs biens ; qui jettoit dans tous les cceurs la terreur de fon nom j qui étoit parvenu a affervir le Roi a tous fes caprices, & a lui faire jouer les roles les plus finguliers , ne clonnoit - il pas plus qu'a préfumer qu'il n'afpiroit qu'a établir fon pouvoir fans bornes fur les ruines mêmes de la Monarchie?  XLT. Caracitre de Carvalho. HO 'Anecdotes du Miniftere II fonde la première préfomption de droit contre les Jéfuites fur une fuite non interrompue de crimes ck d'attentats contre 1'heureux Gouvernement de Jofeph I. Mais oü en font les témoins ck les preuves ? II étoit naturel de faire valoir ces importantes raifons , lorfqu'on les bannit de la Cour; ck n'y a-t-il pas de quoi s'étonner, que pendant fept ans de fon regne, le Roi auroit difïïmulé une conduite fi révoltante ck fi criminelle ? On y parle de leurs ufurpations en Afie ck en Afrique , ck de 1'hiftoire de leurs guerres en Amérique. Mais ces fables ne peuvent en impofer qu'a des imbécilles, ck ne méritent pas d'être réfutées. Autre préfomption de droit : 1'avantage que les Jéfuites devoient retirer de la mort du Roi. Mais c'eft ce qu'on ne peut comprendre. Par la même préfomption , la Princeffe du Bréfil, héritiere préfomptive , auroit dü tremper dans eet afTaflinat; car il lui en revenoit 1'avantage de monter fur le Tröne, ck d'affurer les jours de D. Pedre, fon futur époux, qui étoient ouvertement menacés. Si les Jéfuites euffent été les auteurs de tous ces noirs complots , la nouvelle Reine , au lieu de les protéger, ne les auroit-elle pas exterminés ? Pour rendre raifon de toutes ces inconféquences ck de tant de contradiétions, ilfuffira de faire attention au caraclere & au génie de celui qui en étoit Pmventeuf.  du Marquis dt Pombal. LlV. III. h Bouillant, précipité, variable , Carvalhc faififibit la fin avant que d'avoir examint les moyens : le préfent 1'occupoit fan: prévoir les conféquences , qui réfultoieni de fes réfolutions témérairement hafardées Engagé dans une infinité de difficulté: impréyues , il cherchoit de nouveau* expédiens pour en fortir ; foibles refTources qui ne remédioient qu'au befoin du moment! les embarras fe fuccédoient, & il falloit imaginer de nouveaux biais, fouvent en contradiétion avec les premiers , & toujours mlüffifans. La violence & Pinjuftice fuppléoient au défaut de raifons. On en a la preuve la plus complette dans cette fentence, qui n'eft qu'un tifiu de menfonges & de fables , de raifonnemens pitoyables & de faits abfurdes: oü la mauvaife foi , 1'ignorance & une noire méchanceté percent de toute part. Auffi les Cours de PEurope n'y furentpastrompées, eet aflaffinat prétendu n'y paffa que pour un myftere d'intrigue & d'iniquité. En fut-il de même lorfque le fcé)érat Damien ofa attenter contre la Perfonne facrée de Louis XV ? Toutes les Cours étrangeres s'emprefferent de faire a ce Monarque ^ les complimens de condoléance en cérémonie , & pas une ne s'intéreffa a. 1'affaffinat de Jofeph I, quoique publié avec tant d'emphafe & d'affecïation. Une conjuration auffi atroce & auffi préméditée que nous la repréfente Carvalho, t t xur. Ce que l'on penjbitdans les autres Cours du prétendu af. fajjinat.  XLIII. j4 quoi fe réduit eet ajjüjfinat. (d) Le Duc d'Aveiro s'étoit plufieurs fois plaint au Roi d'une injure que lui avoit faite Ie Comte Texeïta , & comme le Roi diflimuloit toujours, le Duc ofa lui dire que puifque Sa Maj. ne lui rendoit pas jultice, il fautoit lui-nième fe la faits» 212 Anecdotes du Minïjlere n'auroit-elle pas attiré Pattention de toutes les Puiffances , fi l'on eüt été perfuadé de fa réalité ? La trame de cette fanglante tragédie, comme la plupart de iniquités revêtues de la puiffance & de la tyrannie, eft reftée jufqu'ici fous le voile du myftere, & Pon ne fauroit pofitivement définir comment Carvalho • s'y prit pour 1'ourdir. Les uns difent que 1'aventure d'un mari outragé, qui déchargea fon reffentiment fur une perfonne qu'il ne connoiffoit pas dans 1'obfcurité , mais aux pieds de laquelle il fe jetta dès qu'il la reconnut, fervit d'occafion 8c de moyen au Miniftre pour arranger a loifir tout le fyfteme d'une conjuration oü il put envelopper ceux dont il voudroit fe défaire. Qu'en conféquence, ayant fuggéré au Roi d'aller feul fe diftraire en chaife dans Pobfcurité de la nuit, il avoit apofté lui-même des gens, pour tirer au moment de fon paffage quelques coups de moufquets en Pair ; qu'il avoit eu la précautions^ de faire percer le fonds de la voiture, pour faire accroire que les balles y étoient entrées. D'autres penfent que le Duc d'Aveïro , qui avoit a fe plaindre du Comte de Texeïra (d), s'étoit mis en  du Marquis de Pombal. LïV. III. 113 embufcade, & qu'il avoit fait feu fur la chaife, qui étoit celle de ce Comte, dans la perfuafion que c'étoit lui qui 1'occupoit,»& n'ayant aucun lieu de fe douter que le Roi püt y être. II en eft qui croyeut que c'eft contre le valet-de-chambre du Prince que les coups de feu furent lachés (a) ; mais de quelque faqon que les chofes aient été, il eft certain qu'il n'y eut jamais de conjuration; la chofe eft aujourd'hui reconnue par les Décrets les plus expreffifs émanés fous le regne aftuel. Cependant c'eft fur ce fantome d'attentat que Carvalho fit arrêter ceux qu'il haïffoit ck qu'il vouloit opprimer. On les condamna fans les entendre, 8c le Miniftre fit exécuter la fentence la plus injufte, (a) On peut rapporter ici ce que dit Ie Comtê d'AIbon dans fes Difcours fur Vhifloire , &c. écrits antérieuremenr aux décrets du Ccnfeil d'Etat du 8 Avtil 1781, Sc a ceux de la Reine du 16 Aofit 17S1. » Si le complot a» n'a jamais exifté, comme bien des gens Pont penfé »» ou même écric; li ce n'étoit point un attentat con» tre la perfonne du Roi; file valet-de chambre du 3» Monarque , qu'on croyoit s'en recourner feul dans » la voiture, étoit Ia victime que les prétendus con» jurés vouloient immoler a Ia vengeancc , Sc c'eft icï » Popinion d'une foule de Portugais; file crime n'a » rien de bien avéré, Sc qu'on puifle le regarder » comme un problème.que penfer du Miniftre? » Difc. fur Vhifloire. t. 3. Cette variété dans la maniere d'expliquer la prétendue conjuration n'a rien d'étonnant. Dès quelle eft fauffe & fuppofée, on 11'a pu que varier dans la maniere de 1'expiiquer. Le faux , dit J. J. Roufleau , efl fufceptible d'une infinilé de combinaiJbns ; le vrai n'a qu'une maniere d'être.  XLIV. Alarm' ies Jéfuite. Bruits a fujet des PP. Male grida, Ma tos & Ali scandre. XLV. 'Portrait « 2.14 Anecdotes dü Mini fiere avec un excès de barbarie dont 1'hiftoive ne nous fournit point d'exemples. Re venons aux Jéfuites. Ces Peres, a la t nouvelle de ces affreufes exécutions,»& a. • la leóture de la fentence, oü ils le voyoient impiiqués, furent faifis & conftemés. A quel fort ne devoient-ils pas s'attendre, voyant plufieurs des leurs emprifonnés, & trois déclarés complices par la fentence, les Peres Malagrida, Jean de Mattos, ck Jean-Alexandre. On débitoit déja dans le public que ces trois Peres feroient fuppliciés avant huit jours ; ck on ne fait pas ce qui empêcha Carvalho d'en venir a Pexécution. Nous rapporterons ce qu'il alléguoit pour les faire paroïtre criminels. " La Marquife de Tavora avoit fuivi les _ exercices fpirituels que donnoit le P. Mas lagrida. Le P. Mattos fréquentoit depuis - long-tems la maifon du Comte de Ribeïra, & il vit le Marquis dans le verger oü le Comte s'étoit barraqué après le tremblement. Jean-Alèxandre , envoyé de Goa a Rome en qualité de Procureur de la Province de Malabar, avoit fait le trajet dans le même vaiffeau que les Tavora. Voila fur quels prétextes Carvalho jugea a propos de les faire figurer dans la prétendue conjuration. Mais ces Jéfuites étoient - ils véritablement coupables ? Le leéfeur en jugera fur le précis de leur caraftere. u Et d'abord on ne trouve rien moins  du Marquis de Pombal-- LlV. III. 2.15 qu'un fuppót de cabale dans le P. Malagrida. Ce Jéfuite, Italien de nation , né d'une familie Noble du Milanez, fut recu dès fa première jeuneffe dans la Compagnie de Jefus; il s'y diftingua par fes talens; mais ne cherchant qu'a fe confacrer aux Miffions étrangeres, il en follicita la permiffion ck il 1'obtint. II débarqua d'abord au Maragnon : il paffa enfuite dans le Bréfil, ck fit partout des fruits merveilleux. II vint a bout par fes courfes k travers les bois ck les montagnes de rarr.affer un grand nombre de Sauvages, dont il compofa deux nouvelles Peuplades. Sa vie étoit des plus aufteres. II faifoit toutes fes courfes k pieds nuds fur un fol brülant, ck ne vivoit que cle racines, d'herbes , de feuilles d'arbre & de fruits fauvages. II conferva k peuprès la même fac,on de vivre a fon retour en Europe, ne fe nourriffant dans les Colleges que de pain ck de légumes. II affronta fouvent la mort, ck il portoit fur fon corps les marqués des fleches ck des morfures des Sauvages. Lorfqu'il féjournoit dans les villes , il embraffoit tous les genres de bonnes CEUvres ; fermons , confeffions, catéchifmes , vifites de malades, tout étoit de fon reffort. II s'appliquoit par préférence k donner les exercices fpirituels. II fonda au Bréfil ck au Maragnon des maifons pour les orphelins ck les filles en danger de fe perdre. Alors on le voyoit mêlé P. Mal*, grida.  11(5 Antcdotis du Minijlere fiarmi les macons, portant fur fes épaues des pierres* ck du mortier. Deux fois il repaffa les mers pour recourir a 1'autorité Royale contre les entreprifes continuelles des Portugais fur la liberté des malheureux Indiens; ce qui faifoit le grand obftacle a leur converfion. II remplit pendant vingt - neuf ans les pénibles fonctions de 1'Apoftolat dans ces contrées, ck il y auroit terminé fes jours, fi la Reine Marie-Anne d'Autriche ne 1'eüt retenu a. Lisbonne pour fe fervir de fes confeils. Jean V le regardoit comme un homme de Dieu-, il fit les exercices fpirituels fous fa direftion, ck voulut mourir entre fes bras. Benoit XIV, en annonqant fa mort au Sacré College, dit qu'il auguroit bien du falut de ce pieux Monarque , paree qu'il avoit fait les exercices fpirituels fous la direftion du P. Malagrida. Jofeph I, étant encore Prince du Bréfil, alla le recevoir en perfonne, lorfqu'il revint pour la première fois de 1'Amérique en 1749» ck il fe jetta a fes pieds pour lui demander fa bénédiftion ; tant il avoit une haute idéé de la fainteté de ce zélé Milfionnaire. Sa vie étoit des plus aufteres. II ne dormoit que trois heures fur le plancher ou fur la terre nue. II macéroit fon corps a diverfes reprifes durant la nuit par de fanglantes difciplines. II donnoit tous les jours quatorze heures a la ititditation ck aux autres exercices de Religion,  du Marquis de Pombal. LlV. III. 2,17 gion. II étoit fi amateur de la pauvreté qu'il ne^con-ïoiffoit pas même la valeur des efpeces. S'abandonnant fans réferve aux foins de la Providence , il ne prenoit ni argent ni provifions pour les plus longs voyages; fon bréviaire fous le bras, il ie jettoit dans le premier vaiffeau qu'il rencontroit, cky vivoit d'aumönes. Je ne feraipas mention d'une -multitude de chofes extraordinaires, que les Peuples Indiens ck Portugais lui attribuent. On fait que 1'admiration ck le refpeft religieux ne font pas toujours d'accord avec une critique févere dans 1'examen de ces fortes de faits : mais cette attribution prouve au moins combien Po-, pinion publique étoit favorable a la vertu de ce Miffionnaire célebre. Carvalho lui a imputé d'avoir écrit dans toute 1'Europe, que le Roi Jofeph ne pafferoit pas le mois de Septembre de Pan f758; mais on n'a pu produire aucune de ces prétendues lettres, ck ce fait eft une impofture manifefte. Le P. Jean de Mattos, feptuagénaire, étoit un Réligieux d'une fimplicité ck d'une modeftie admirable. II fe faifoit aimer de tout le monde. Sa tendreffe pour les pauvres, parmi lefquels on le voyoit fouvent, le rendoit induftrieux k leur procurer d'amples aumönes , qu'il affaifonnoit toujours de falutaires inftructions ; ce qu'il y avoit de fingulier en lui, c'eft que fa mémoire étoit devenue fi inndelle, qu'il n'étoit pas en état de K xLvr. "Portrait iu f. Jean de Mattos.  "Et du P. Jean AU. xandre. # xLvir. On faifit l P. Hcnrique' Provincial, li8 Anecdotes du Miniftere rapporter deux fois de fuite le même fait fans 1'altérer dans la plupart de fes circonftances. N'auroit-il pas été de la plus haute imprudence, d'affocier un tel homme a une corrjuration de régicide. Le P. Jean Alexandre s'étoit dévoué au falut des Sauvages , dont il baptifa plufieurs milliers. Sa vie fut traverfée par les plus rudes épreuves. II fit naufrage , tk après avoir long-tems lutté fur une planche contre les fiots, il gagna enfin une cöte a la nage. II avoit été condamné a la mort pour la défenfe de la Religion : on le conduifoit au fupplice, ck il alloit être facrifié , lorfqu'il échappa par un coup de la Providence. La Province de Goa 1'avoit député a Pvome en qualité de Procureur. Lorfqu'il repaffoit par Lisbonne pour retoumer aux Indes, il y fut retenu par les incommodités d'une goutte, qui ne lui permettoit pas de quitter la chambre ck de marcher fans appui. Ce fut dans ces circonftances que le Miniftre fit arrêter ce Pere fouffrant & hors d'état d'entrer dans un complot, & de fe trouver aux affemblées des prétendus conjurés? Pour en groffir le nombre, ck en im•■ pofer aux yeux du public, Carvalho fit faifir le P. Henriquez, Provincial de Lisbonne ; le P. Jofeph Moreïra, Confeffeur du Roi & de la Reine ; le P. Hyacinthe de Cofta, Confeffeur de D. Pedre ; Ie P. Timothée Olyveïra , Confeffeur ck  du Marquis de Pombal. Liv. III. uc ïnftituteur des Séréniffimes Infantes; I< P. Jofeph Perdigano, Procureur de Province , & le P. Ignace Suarez, qui profef foit la Théologie dans 1'Univerfité dt Conimbre. Le P. Jean Henriquez gouver noit la Province avec une prudence qu fit fouvent échouer les mefures de Carvalho. II étoit d'un caraétere doux, aimable, infmuant, plein de zele , parlant admirablement bien des chofes de Dieu, ck ayant la réputation d'un homme trèsfayant tk très-éclairé. Quoique d'une fanté foible, il étoit parvenu par une vie trèsfobre a la foixante-troifieme année de fon age. Sa conduite étoit irréprochable; mais fon emploi donnoit de 1'ombrage au Miniftre, qui pour fe faifir de fa perfonne fit beaucoup valoir des lettres trèsmnocentes, que le devoir de fa charge 1'avoit obligé d'écrire a Rome. Jofeph Moreïra , agé de foixante-treize ans , recut la récompenfe des bons offices qu'il avoit rendus a Carvalho dans fa difgrace. Cet ingrat le fit jetter dans un affreux cachot. Hyacinthe Cofta, favori de Jean V tk même de Jofeph I, tandis qu'il n'eut pas en téte le redoutable Miniftre, étoit un homme d'un caraélere tranquille , amateur de la folitude tk de la paix, & fort éloigné de prendre part aux intrigues de : la Cour. On le confina dans une horrible 1 prifon, & on lui fit fouffrir de cruelles K 2 i Ze P. Ja. feph Moreïra, P. Cofta,  Lt P. OU- WtTll*}» tx P. Ter u.gano. M Ie P^Sut rotït P. i luouard. 1X0 Anecdotes Iu Minijlere tortures', pour lui arracher les fecrets de" Dom Pedre. Timothée Oliveïra, agé de cinquantetrois ans, avoit mérité par fes connoiffances dans les fciences, les belles-lettres Sc 'les langues, d'être nommé ïnftituteur des Princefles. II joignoit a un naturel grave Sc férieux une extréme politefie. On lui fit efluyer dans les prifons les mêmes tourmens que le P. Cofta, Sc pour le même fujet. Le P. Jofepb Perdigano, Procureur de la Province, agé de cinquante-quatre ans, s'étoit diftingué dans le miniftere de la Prédication. II venoit d'être nommé a la Procure de Province , Sc fon emploi tout récent fit fon crime. Le Miniftre s'imaginoit qu'il avoit en manieinent des fommes immenfes, paree que fon prédeceffeur, le P. RaphaëlMendos, avoit eu la charité de 1'aflifter dans le tems de fa difgrace, Sc 1'avoit empêché de mounr de farm. - Le P. Ignace Suarez ne fut mis aux fers, que pour avoir pris avec une forte d'enthoufiafme , la défenfe de la Compagnie en préfence de Saldahna Sc de Carvalho. II étoit agé de quarante-fept ans. ? On y ajouta encore le P. Francois " Edouard , agé de trente-fept ans , qui rempliffoit les chaires facrées avec une vogue extraordinaire. II avoit écrit quelques apologies en faveur de la Compagnie, Sc elles avoient été favorablement accueilhes du  du Marquis dt Pombal. Liv. III. 21 ? public. Carvalho craignit qu'il n'employat ia plume a révéler les myfteres d'iniquité, ' qu'il alloit enfanter ,, tk il l'ajouta aux autres prifonniers. Tels étoient ceux que ce Miniftre jugea a propos d'affocier aux Peres Malagrida , Mattos tk Alexandre. Pour ce qui eft du lieu oü ils furent confinés, & du traitement qu'ils y efluyerent, ce fut pendant long-tems un myftere impénétrable. On les croyoit enterrés au Fort de Junquiera ; tk ce n'eft qu'avec le tems qu'on fut avec certitude 1'emplacement des cachots divers qui les renfermoient.. Pendant ce tems-la, on avoit environné de gardes toutes les maifons que les Jé- \ fuites avoient dans le Royaume; mais on < ■ avoit affecté de n'en pas fermer toutes les avenues , dans 1'efpérance que quelquesuns tenteroient de prendre la fuite. On fit même courir le bruit, que les principaux des différens Colleges de la Province s'étoient mis en liberté, tk on en donnoit la lifte aux Jéfuites de Lisbonne, tandis qu'ailleurs on voyoit les noms de ceux de Lisbonne, que l'on prétendoit s'être évadés. C'étoit pour engager ces Peres a s'échapper: mais la rufe étoit groffiere , & perfonne ne donna dans le piege. Pour y réuffir davantage, le Miniftre j crut devoir joindre la terreur a 1'artifice. j II ordonna que l'on faisit & que l'on con- 1 duisit en prifon le P. Etienne Lopez. Ce j K 3 xi.vrir. 'aux brurts 'e ia fuite es Jéfuites. XlïX, ;e P. itienne dite qu'il eft auffi facile de prouver que les Jéfuites •» «'ont point irempé dans cette conjuration , que de » démontrer les rellorts de i'accufation . . . J'ai d'ex» cellens Mémoires qui éclairciflenc cette affaire.... » Malheur aux Rois qui , dans des eas auffi graves, *> négligenc de voir tout par eux-mêmes. « Maupertuil, dans une réponfe a une lettre de M. de la Condamine, ou celui-ci avoit fait 1'apologie des Jéfuites relativejnent a cette affaire , dit: » Je vous ternercie de la _res» lation que vous m'avez envoyée de la coniuraiion is de Portugal. Pour ce qui concerne les Jéfuites, je a> jeule en tout comHie vous penfeï vous-msws, ü '226 'Anecdotes du Mlnijïere Le Miniftre dans la fentence portee contre les Seigneurs condamnés a mort, n'avoit exprimé que le nom de trois Jéfuites, ne citant les autres qu'en termes vagues, tbc n'y faifant aucune mention particuliere des Supérieurs. Cela lui parut infuffifant, & pour fuppléer a cette omiffion, il ju•gea a propos de faire paroïtre la Lettre Royale, ou il rend les Supérieurs auteurs & complices de tous les crimes inférés dans fon libelle de la République Jéfuüique, & il les implique dans la prétendue conjuration (a). Pour le prouver il renvoie a la fentence du 12 Janvier portée  du Marquis de Pombal. LlV. III. 227 contre les régicides. C'eft ainfi que dans ce jugement de mort, il fe vit obligé, pour déguifer fes impoftures, de s'attacher a des nouveaux incidens , que le befoin lui fuggéroit; " s. Les cachots , oü on les fit defcen-  du Marquis de Pombal. LlV. III. 243 dre , venoient d'être conftruits, & le cirnertt dégouttoit encore. On n'a ui ce qu'ils étoient devenus qu'après la mort du Roi. Apres Pévacuation de cet Hofpice, Pereïra fit toutes les recherches poffibles, ck elles furent portées k 1'excès. Nous avons déja dit que cette maifon fervoit de dépot pour les denrées qui provenoient du cru de ces Peres aux Indes, ck dont le prpduit devoit fournir a la fubfiftance des Miffionnaires ; mais le tremblement de terre ck 1'incendie avoient tout détruit ck coniümé. Néanmoins le Sénateur fureta par-tout, fit lever les" pavés, détacher les lambris , ck fouiller jufques dans les latrines. En frappant les murs d'une chambre , il s'apperc,ut qu'elle renvoyoit le fon : il en écrivit fur le champ au Miniftre , ck l'on ne douta pas que la découverte ne fut importante. Pour s'en affurer, on voulut avoir des témoins. Le Lieutenant de la -garde , un Notaire ck de fergens furent appellés. On arrêta les premiers macons qu'on put trouver. Le bruit s'étant répandu au dehors que l'on étoit parvenu k déterrer un grand tréfor, le peuple s'attroupa autour de la maifon. On perca la murailje , ck l'on fut bien confus d'avoir fait tant de fracas pour ne trouver qu'un creux. (II y avoit prés du port un magafin, ou fe dépofoient les effets qui venoient de 1'Afie ck de 1'Amériqne, ck qui étoient le produit des terres que les Jéfuites y pofL 2 ixxxr. Vtjucs O recherches txciffiyts, Lxxxir, Vtiintmeiit fe Jiguret on avoir déconvert Un U éjor'. Lxxxnr. i'einte impofantepuin faire craire le  tcommerec les Jéjuites, l XXXIV. Sentinelle. dons l'E- LXXXV Charités c 'Prince Eu manuel. 144 Anecdotes du Miniftere fédoient. On auroit pu les y mettre en vente, fans les tranfporter ailleurs. Mais pour accrédtter dans 1'efprit du peuple le bruit du commerce prétendu de ces Peres , le Miniftre ordonna que l'on chargeat toutes ces denrées fur des chariots '& des traïneaux efcortés par des foldats, tk que l'on traversat les rues les plus frequenties de la ville, avant que de les rejnettre a 1'Hofpice de St. Borgia. Ce trant port ne fe fit qu'avec une lenteur affectée., afin de groffir d'autant plus les objets aux yeux du Public, ck de faire regarder les Jéfuites comme de gros commerqans. Les ornemens précieux , les vafes fa1 erés ck les Reliques que Jean V avoit donnés a fa ehapelle de St. Jean-Baptifte dans 1'Eglife de la maifon ProfefTe , furent tranfportés au Palais. Les Prêtres de 1'Incarnation , a qui les Jéfuites, depuis le tremblement, avoient permis 1'ufage de cette Eglife pour y faire 1'office, étoient a chanter la Grand'meffe au maïtre-Autel, lorfque le Sénateur vint placer des fentinelles, afin d'empêcher la communication avec les féculiers ; ck 1'office en fut troublé ck interrompu. Le Prince Emmanuel, oncle du Koi , " envoya fes charités a 1'ordinaire aux Peres de la maifon ProfefTe , tout le tems que dura leur détention : maïs elles ne furent pas toujours fidélement rendues, Ce ne  du Marquis de Pombal. LlV. III. 251 dats craignant qu'on,ne voulïit leur faire violence, fe mirent en défenfe ; mais revenus de leur crainte, ils raffurerent euxmêmes le peuple , tk lui firent entendre qu'on avoit pour ces Peres tous les égards poflibles. II s'en falloit pourtant bien qu'ils éprouvaftent ces prétendus égards fous le Sénateur Novaïo , qui préfidoit a 1'exécution : car il n'étoit pas homme a les ménager beaucoup, fachant fur - tout que c'étoit faire fa cour au Miniftre, que d'ufer de rigueur. Un jour il eut 1'impitoyable bizarrerie de les faire tous enfermer dans une cour; de-la il les fit venir féparément pour être préfens a la vifite de leurs chambres ; après quoi on les conduifoit dans une falie qu'on avoit foin de fermer. Comme cette opérationavoit duré jufqu'amidi, tk qu'elle ne devoit finir que bien tard , on pria Novaïo d'avoir pitié de ces pauvres gens, qui étoient a jeun; tk qui fe morfondoient en plein air. II confentit qu'on les tirat de cette cour pour les enfermer fous bonne garde dans la" Chapelle domeftique ;.d'oü on vint lesprendre un-a-un pour aflifter a cette vifite. Ceux qu'on faifoit fortir ne reparoiflant plus , ceux qui reftoient,nefavoientce qu'ils en devoient penfer,^ck ils. ne furent raffurés que le foir, qu'ils fe trouverent enfin tous réunis dans une même falie , fans avoir pris aucune nourriture de toute la journée. En vifitant les chambres du College . L 6 * xcvn. Durctés txercées, XCVIIJ. £ijut des  XCÏX. fréventïvns répandues -cvrttre les iefuittS. [Anecdotes du Minijiere on avoit enlevé tous les papiers, & on les avoit mis pêle - mêle dans une même chambre. Le lendemain, on vint en faire la révifion , en préfence du Magiftrat; mais on ne trouva rien qui put donner prife k la plus maligne critique. On publia dans la ville 1'ordre de reproduire, fous peine de mort, tout ce qui avoit appartenu aux Jéfuites. La crainte fit remettre au Sénateur quelques bagatelles, images ou petits livres de piété , dont ces Peres avoient autrefois fait préfent aux perfonnes de la ville. Dans ce même tems , le régiment d'Olivenfana vint en garnifon k Evora. La plupart de ces foldats n'avoient jamais vu de Jéfuites , & on leur en faifoit un afrreux portrait, jufques - la qu'on leur dit de fe tenir fur leurs gardes, pour ne pas éprouver le fort de ceux qui les avoient précédés , tk qui avoient été , difoit-on, maffacrés par ces Peres. Mais ïls ne refterent pas longtems dans cette erreur, & ils furent fort mauvais gré k ceux qui avoient voulu leur en impofer. Les Jéfuites de ce College voyant que ces pauvres gens fouffroient beaucoup de la faim tk du froid, faute de paye tk d'habits, y fuppléerent de leur mieux tk s'oterent le pain de la bouche pour le leur donner. Ces foldats n'y furent pas infenfibles, ils permirent fans peine qu'on introduifit dans la maifon les charités du  du Marquis de Pombal. LlV. III. Ifj dehors, & ils n'eurent pas lieu cle s'en repentir: car ils en profïterent eux-mêmes'. Au lieu crue clans d'autres Colleges la dureté cles foldats leur fut auffi nuifible, qu'a leurs prifonniers. Tandis que la plupart des Couvens de filles faifoient des penitences & des prieres extraordinaires pour leur délivrance, & que les Chartreux, les Capucins & les Carmes fe fignaloient par leurs aumönes , quelques autres Religieux fembloient fe réjouir du défaftre de ces Peres , dans I'efpérance de les remplacer a 1'Univerfité. II y en eut qui fe permirent en chaire les plus violentes déclamations contre eux. On verra même plus bas un Oratorien ( Antoine Pereïra ) écrire en faveur d'un fchifme formé avec le S. Siege en vue d'encourager les opérations du Miniftre (a). (a) Un auteur moderne a remarqué que les grands «unemis de 1'Eglife , Sc fur-tout du St. Siége, font ptefque toujours fortis du Couvent. Un Neftorius a Moine d'Antioche , qui déchira tout 1'Orient par une héréfie, qui y fubfifte encore après 13 fiecles. Un Eutychès, Abbé d'un Monaftere de Conftantinople, qui défola les mêmes provinces par une héréfie toute oppofée. Un Nicolas Fabtiano , Auguftin , qui accufe devant Louis de Baviere , Jean XXII, qu'il appelle le prêtre de Cahors. Un Pierre Corbario , Frere-Mineur, qui monte fur le Tróne pontifical de ce même Jean XXII. Un Michel de Cefene, Cordelier, qui preffe 1'Empereur de dépofer le Pape, & entraïne prefque tout fon Ordre dans le fchifme. Un Luther , Auguftin, aureur des fatales divifions qui, en déchirant 1'Eglife, inonderent ,l'E«rope de C Religletrx liverfement iffe&es.  cr. Mand .men de l'Eyéqu. a'Evora, - Liv. n. N», XXIX. lang, Sec. Sec. Mais a quoi peut fervir cette rrifte enumération? Dans un ei'prit folide elle ri'afloibiira jamais le refpeft du a 1'état religieux ; elle ne fcra qu'öter 1'étonnement que poutroit donner un nouveau Jcandale. C'eft des états les plus faints que l'on voit fortir les hommes les plus pervers. Le divin fonriateur_ de 1'Eglife permcr qu'elle foit trahie par fes Miniftres, comme il l'.a été lui-même par un de fes plus chers dilciples. La corruption des chofes les plus exquifes eft la plus fêtide & la plus contagieufe : Corruptio optimi pejjima. A la lettre : 11 n'y a pas de pirt corruption que celle des melllcures chofes. 254 Anecdotes du Miniftere Une chofe qui leur fut infiniment fen; fible , ce^fut le Mandement peu favorable que l'Evêque d'Evora publia alors. Tout le monde en fut furpris, d'autant qu'il étoit fort éclairé & qu'il paffoit pour le Prélat le plus integre. On fe rappelloit encore qu'il avoit jufqües-la paru affectionné aux Jéfuites, & qu'ayant appris que le Patriarche de Lisbonne , après avoir cédé aux volontés du Miniftre, s'étoit reproché fa foiblefle en fondant en larmes * , cet Evêque avoit dit hautement que c'étoit par l'effufiön de fon fang qu'il auroit dü réfifter aux iniuftes & preffantes pourfuites de Carvalho. On crut que le fort tragique de la familie de Tavora, dont il étoit, lui avoit affoibli 1'efprit. S'étant fait lire la fentence de fes neveux, il fe jetta a genoux, demeura long-tems en prieres , & ne voulut plus entendre parler de ce lugubre événement. Au quatrieme jour de la maladie dont il mou-  du Marquis dt Pombal. Liv. III. 255 ruton lui paria du premier tranfport, qui fe faifoit alors des Jéfuites * en Italië; il leva les yeux au Ciel en foupirant, tk il s'écria : Hélas ! on bannit'les Jéfuites, tk moi je meurs! Que vont devenir les pauvres d'Evora ! Ce furent fes dernieres paroles. C'eft ce même Prélat, qui, le 15 Octobre 1758, dans le tems que l'on ne parloit que de la prétendue conjuration, crut devoir confoler le Géneral des Jéfuites , en lui envoyant le témoignage le plus honorable a la Société pour detruire les calomnies que leurs ennemis faifoient répandre dans Rome. Celui de fon Suffragant enchériffoit encore fur les louanges qu'il donnoit a une Compagnie au dcjfus de tout éloge. Tels étoient fës exprefFons. A treize lieues d'Evora étoit le College de Béja. Le Juge Rodrigue Coëiho fut chargé des ordres de la Cour, pour exécuter cette maifon. II s'en acquitta avec tous les ménagemens poffibles, perfuadé, difoit-il, que je Ciel puniroit tot ou tard les excès qui fe commettoient ailleurs. Deux Miffionnaires cle ce College étoient occupés fur la frontiere du Royaume , Ju Bref au cas préfent, quoiqu'on 1'eut lemandé généralement pour tous les cas ie même nature. Les prieres que le Pape Emploie auprès de S. M. , pour qu'elle épargne le' lang des Prêtres du Seigneur, forment le troifieme chef d'accufation contre un Pape , dit-il, qui a eu Vaudace d'écrire en ces termes a un Roi afftaffiné. Le quatrieme enfin eft d'avoir conjuré la Roi de ne pas chaffer tous les Jéfuites de fes Etats, comme fi, ajoute-t-il , ils n'étoient pas tous coupables , & que dans un corps corrompu- d'une maniere fi déplorable , on dut diftinguer entre criminels & innocens. Dans le même Manifefte , il attaque ^ le Cardinal Torrégiani, Secrétaire d'Etat, * pour avoir ofé marquer au Nonce dans un Mémoire, qui accompagnoit le paquet, que lesfentimens de Sa Sainteté-fur laprofcriptiond'un corps entier étoient invanables;. paree qu'ils étoient fondés fur l'équitt:., qui ne permet point de confondre les innocens avec les coupables. Ces paroles ,. felon' Carvalho , équivalent a une déclaration de guerre en bonne forme , puifque c'eft prendre ouvertement le partr des Jéfuites, & donner un démenti formel au Roi , dont les Edits fignés de fa main Royale, portent expreffément, que tous les Jéfuites font coupables. Le manifefte.  du Marquis de Pombal. Lrv. IV. 2,77 fe termine par une plainte auffi peu rai- } fonnable que le refte. C'étoit au fujet de r D. Jofeph Botelho de Mattos, Archevêque f de la Baye de Tous-les-Saints r qui avoit £ été dépofé de fon Siege , pour ne s'étre q pas conforme aux volontés de la Cour. \ Le Roi, en alléguant que ce Prélat avoit \ donné la démiffion de fon Archevêché , préfentoit a. Sa Sainteté D. Emmanuel de Ste. Agnès , pour lui fuccéder. Le Pape, qui dans le conflffoire , devoit attefter avoir vu l'afte juridique de cette démiffion, jugea k propos de fufpendre 1'expédition des Bulles , jufqu'a ce que cet aéte lui eut été remis. Mais comme il fe trouvoit écrit ■& figné par le Roi, que. PArchëvêque avoit fait la démiffion entre les mains de Sa Sainteté, le Miniftre prétendit dans fon Manifefte , que le Pape auroit dü le croire avec plus de certitude , que li 1'acTe eut été entre fes mains 8c dépofé. fous fes yeux ; quoiqu'eu effet cet aéte, qu'on annoncoit gratuitement, 8c qui devoit arriver aux premiers iours ,n'ait jamais exifté. Du refte, Sa Sainteté diffimula patiemment toutes ces injures, partlonna au cou- J rier infidele , qui s'étoit laifté fuborner par . Pémiflaire cP Almada , & ne voulut pas qu'on le pourfuivit pour éclaircir la vérité. Sa complaifance ne pouvoit aller plus loin k Pégard du Miniftre & de PAmbaffadeur, qui affeétoient d'être fort irriter,Le Bref reftreint au cas préfent, avoit dé.— XVI Tilauwifesüfonsqu'ifr lit valoir a fujet de Archevêic de la \aye de ~ous-les~aintu- XVITT. "".ompla:ances da>  xrx. Réponfe infultante de Carval ho. 178 , Antcdous du Minijlert plu a Carvalho , tk il 1'avoit renvoyé , clemanciant qu'il fut perpéruel. II s'attendoit a ua refus , &C c'eft ce qu'il cherchoit. Cependant Sa Sainteté le fit expédier tel , tk pour qu'Almada n'eut pas un nouveau fujet de fe pïquer, on lui en montra la minute. II y trouva quelques expreffions qui lui déplurent, tk les correéfions furent faites a fon gré. Non encore content de tant de condefcendance , il demanda qu'il lui füt permis d'envoyer cette minute a fa Cour, pour favoir s'il y auroit encore des changemens k faire : on y confentit, tk elle fut envoyée : mais . au lieu des remercimens qu'on étoit en droit d'attendre, on requt pour toute réponfe , que le Roi étoit acluellement occupé k des parties de chaffe , tk qu'on examineroit le Bref k loifir. La vraie raifon d'une conduite fi bizarre ckfioutrageante , étoit que Carvalho avoit fondé le prétexte de la rupture fur le refus d'un Bref perpétuel tk illimité ; mais que le Pape en bon Pafteur, ayant cru devoir tout facrifier k Péloignement du fchifme tk k la confervation de 1'union Catholique , les mefures du Miniftre fe trouvoient déconcertées par la conceflion du Bref. Malgré des mépris tk des dédainsfi marqués , la patience- du Pape fut inaltérable. Non-content d'avoir permis, par un exemple bien rare , mais qui devint trop commun. fous le Pontificat fuivant, a D. Antonio ,  du Marquis de Pombal. LlV. IV. 279 Secrétaire cl'Almada, de quitter 1'habit de St. Francois, il ordonna encore a la Daterie de lui expédier les Bulles d'un riche Canonicat de Conimbre, tellement que s'il donna des marqués de fon arfection pour les Jéfuites, & s'il les regarda toujours comme des innocens perfécutés , il montra du refte les plus grands égards pour la Cour de Portugal, & il eut pour fon Ambaffadeur a Rome , qui 1'infultoit a tout propos, une patience exceflive. Ces ménagemens n'arrêterent pas le Miniftre dans le projet qu'il avoit formé de féparer le Portugal de 1'Eglife Romaine, ck de rompre tous les liens qui attachoient les Chrétiens a leur Pere commun. II crut néceffaire de répandre dans le public une juftification du fchifme qu'il méditoit, & de préparer les efprits a une révolution a laquelle, par un long & vif attachement au Chef de 1'Eglife , ils ne paroiffoient nullement difpofés. En vain travailloit-il a engager des gens diftingués dans le Barreau & dans Ie Clergé a feconder fon deffein, lorfque par un de ces fcandales que la Providence permet par des vues, qu'il n'appartient pas a 1'hcmme d'approfondir, il s'éleva du fein d'une Congrégation refpeétable par la fcience & la piété de fes membres *, un homme armé de 1 tous les fophifmes de 1'erreur (le Pere ! Antonio Pereïra) pour anéantir les pré- 1 rogatives du premier Siege de la Chrétien- xx. Ouvrage fchijmatï]ue de fertïra, ' La Con- ;régatioD 'Oratoire,  \ ?} o Anecdotes du Miniftre té, tk faire du gouvernement général dè 1'Eglife la plus déplorable anarchie. Comme fon ouvrage, intitulé, Traité du pouvolr des Evêques ( qui ne fut impnmé qu'après le départ du Nonce Acciajoli, dont nous parierons plus bas ) a fait beaucoup de bruit, que les Pfeudo-Canoniftes en ont fait 1'éloge, qu'il en a paru une traduftion francoife, tk qu'en 178a on a tenté fans fuccès d'en faire une nouvelle édition, je fuis dans la néceffité de m'y arrêter un moment, tk fans entrer dans la difcuifion de ce que 1'auteur differte fur les droits des Evêques, ni releyer 1'ignorance ou la mauvaife foi qui lui fait atttibuer au Pape des réfervations, qui font 1'ouvrage de 1'Eglife univerfelle, vrai tk inconteftable Supérieur des Evêques (a) ; je me contenterai de remarquer que fon but n'eft point du tout de difcuter, lui- (o) Rien ne lui paroit plus raifonnable ni plus ineontellable que cette maxime de 1'Eglife GaUicane: Que le Cancile efi au-dejjus du Pape; que le Pape ejl fonmis aux Canons , &c. & en même tems il met chaque Evêque en particulier au-defius de 1'Eglife univerfelle. II leur donne des droits que les Conciles géncraux, ou 1'ufage de toute 1'Eglife ayant force de loi, ont réfervés au Pape. Par quelle raifon les Evêques feroient-ils au-dcflus de 1'Eglife univerfelle, & le Pape au-deffbus ? Mais indépendamment d'une contradidion fi revoltante, ou a-t-il vu que Yinférieur peut difpenfer dans la loi du fupérieur Le contraire n'efi-il pas aa axiome rei;u dans rous les corps de droit poiTtbles, & 1'Eglife univerfellea'eft-elle pas le Supérieur des Evêques?.  du Marquis de Pombal Lrv. IV. 2§T vant les principes de 1'Eglife catholiqüe, la matiere qu'il annonce. Si l'on excepte quelques Doéteurs dont il tronque tk défigure les paffages, il va ehercher fes garans tk fes preuves chez des gens dont le témoignage ne peut être d'aucune autorité , tk dont les noms n'auroient peutêtre point paffé jufqu'a nous, fans la guerre qu'ils ont fake au Siege de Rome. Chez un Fra-Paolo, Moine apoftat, que le grand Boffuet regardok comme un hérétique artificieux, déguifé fous le froc; que le grand Henri IV empêcha d'introduire le Luthéranifine aVenife. Chez unRicher, condamné par le Pape, par les Evêques de France, par fon Roi,. ck qui enfin s'eft rétrafté lui-même. Chez un Petrus AureLus (1'Abbé cle St. Cyran) emprifonné poiirfes opinions par ordre expres de Louis XIII ck dont le gros livredit Ladvocat, feroit bien peu de chofe , fi on- en retrancholt les injures contre les jéfuites. Enfin pour ne laiffer fubfifter aucun doute fur fon inteniion, il cite comme une preuve de ce qui peut tk dok fe faire, le fchifme de Frédéric Barberouffe ; fchifme que ce Prince , revenu de fes premiers mouvemens, condamna lui-même en fe réconciliant fincérement avec le Pape, & devenant un des plus zélés défenfeurs du St. Siege. 11 citeavec la même confïance un décret furpris par le Miniftre a la religion du feu Roi de Portugal, décret que ce Prince  lf>i Anecdotes du Miniftere informé de 1'état des chofes, a pleinement révoqué. Mais pour avoir une idéé du bon efprit, de la faine logique , Sc fur-tout de la faine théologie de 1'auteur, il fuffit cle rapporter le raifonnement par lequel il prétend établir démonftrativement qu'on peut fe détacher du centre de 1'unité catholique, dès le moment que 1'autorité civile Pordonnera. Ce raifonnement eft parfaitement original, Sc l'on n'a point d'idée d'en avoir jamais entendu de cette efpece. » Selon la doéTrine des Apötres » Pierre Sc Paul, on doit obéir a des or» dres qui ne feroient pas juftes, comme » d'aller en exil, quand on ne 1'a pas mé» rité. Or, il n'eft pas jufte de faire un » fchifme avec le Pere commun des Fi» delles. Donc on eft obligé de le faire » quand la puiflance féculiere 1'ordonne.« C'eft ainfi que fe perdant dans fon verbiage , Sc par une inconféquence propre a des gens de ce genre, il ne veut pas que le fchifme foit une chofe jufti, qu'il avoue que Pierre a requ de J. C. la fol- licitude de toutes les Eglifes Qu 'il efl Infpecleur & Intendant général de tous les Evêques..... Qu'un feul eft Chef, afin de prêvenir le fchifme, 6fc. & qu'enfuite il déploie toute fon érudition Sc fon éloquence pour prouver qu'i/ faut obéir dans les chofes lnjuft.es, Sc que quand la puiffance terreftre ie voudra, 1'Eglife Catholique doit  iu Marquis de Pombal. Liv. IV. 283 dcvenir un afibrtiment de toutes fortes de petites ccmmunautés fans union tk fans chef; vu que I'exécution de ce projet feroit une chofe injufie. Quelle contradiction plus revoltante ! Pereïra ne devoit-il pas favoir ce que perfonne n'ignore, qu'il y a des chofes injufi.es de la part de celui qui ordonne, ck des chofes injufies de la part de celui qui exécute ? II dit que d'envoyer un homme de bien en exil, c'eft une chofe injufie de la part de celui qui Penvoie; mais que de la part de celui qui s'y rend, il n'y a rien du tout Ülnjufte, tk qu'il feroit injufie au contraire s'il ne s'y rendoit pas. Mais que ne prouvoit - il en bonne ck due forme qu'il n'y a pas plus de mal a faire un trifte fchifme dans 1'Eglife catholique, que d'aller en exil, tk que de regarder comme tel ou tel êtranger celui que Jefus-Chrift a hkVInjpeSeur des Evêques, qui feul efl Chef pour prêvenlr les J'chifmes; de n'avoir aucun recours d lui , aucun commerce avec lui, c'étoit exécuter la loi de Jefus-Chrlfi 6- de fes Apótrcs > Que ne prouvoit-il encore que fi le Proconfulpaïen, le Qiitüexir de la ville , ou l'imple Conftance avoient ordonné aux Athanafi, aux Melece , aux Cyrille, aux Eufebe de fe féparer du Succeffeur de Pierre, de n'avoir aucun commerce avec lui, de le regarder comme tel ou tel êtranger, &c. que ces grands Evêques auroient cru devoir confommer une divifion fi odieufe , fi con«  1 1 < ] I XXISenten:econtre les Jéfuites prétendiimentcomplices. Elle tl'efl ni publiée ni exécutée. ;84 'Anecdotes du M'in'ijïere raire a la conftitution de 1'Eglife, aux paoles expreffes de Jefus-Chrift, a la conluite conftante des premiers Fideles , a. 'enfeigilement de tous les Dofteurs chréiens (a) ? On fera fans doute furpris que :ette rhiférable producTion ait été revctue les plus magnifiques approbations des fa:rés Inquifiteurs : mais tout étonnement 3.oit ceffer, dès qu'on fe rappellera que le Viiniftre, qui fit rédiger P'ouvrage, avoit Jépofé tous les Membres du St. Office, k les avoit remplacés par des gens dont 1 étoit bien för. Après cette longue digreffion a laquelle rtous a obligé uii ouvrage trés-frivole, mais malheureufenient fameux , accrédité :hez les ignorans & ies gens de parti, revenons au trifte féjour des prifons, & a. la fituation effrayante de ceux qui fe trouvoientfousla main de fer qui donnoit k tout ce qu'elle frappoit 1'empreinte de Pautorité fouveraine. Les Jéfuites du Portugal ignoroient tout ce qui fc faifoit contre^le St. Siege, &fe voyoient k la veille de voir fondre fur eux les terribles effets du Bref fuppofé. Ens> conformant fans délai, on eut bientöt inftruit de nouveau le procés de Mala- . fa) Voyez. leTraité des deux Vuifl'znces , 3 vol. in-Svo. 17S0. Qucl contrafte que la froide & inro-> hérence rapfodie de i'éctïvain gagifte de Carvalho , & l'iinmortel ouvrage du théologien Francois..  du Marquis de Pombal. Liv. IV. 285 grida , de Mattos, d'A lexandre, de Henriquez & de Moreïra. La veille de Saint Ignace, on porta contre eux la même fentence que contre le Duc d'Aveïro & le Marquis de Tavora; le Miniftre affecta a. fon ordinaire , de choilir ce jour , pour que les enfans d'Ignace paffaffent dans les larmes la fête de leur Pere. Leur afflicrion étoit extréme, & ils furent deux jours fans prendre ni nourriture ni fommeil. Mais Dieu, contre toute attente , vint a. leur fecours, & ne permit pas que cette fentence fut exécutée,ni même publiée. L'orage fe diffipa par un de ces événemens , qu'on ne peut attribuer qu'aux refforts fècrets de la Providence. Echappés a ce danger, ils retomberent bientöt dans de nouvelles afflictions. Le Cardinal Saldahna, nommé au Patriarchat, venoit de recevoir les honneurs de la Confécration. Trois jours après cette augufte cérémonie , il porta un nouveau Decret contre eux. Le Miniftre 1'envoya aux Sénateurs commis a leur détention, afin qu'il leur fut intimé. Le Patriarche s'y plaint amérement des Supérieurs , qui, a 1'en croire, empêchent leurs inférieurs d'avoir leur recours vers lui , & il leur défend fous de grieves peines d'y apporter déformais aucun obftacle. Enfuite , faifant beaucoup valoir fa qualité &: fes pouvoirs fiftifs de Réformateur, il déclare que tous les individus pourront lui écrire en toute XXII. Décret i!u Ct.rdir.ai Patriarche t oii il permet aux inférieurs de lui écrire, 6" acevfe les Supérieuit de les en avoir empiché.  du Marquis de Pombal. Liv. IV. 10^ agréable furprife. Les Sénateurs, les foldats ck les matelots, étoient dans le dernier étonnement, en voyant ees Peres, fur le point de quitter leurs maifons, leurs proches ck leur patrie, eiïuyer leurs larmes, tk s'abandonner aux doux tranfportsd'une joie modefte. Le Miniftre, qui en fut informé après leur départ, reconnut fon erreur, mais il n'étoit plus temps de changer leur deftination. Le lendemain, qui étoit un Dimanche, quelques-uns d'entre eux dirent la meffe, ck les autres 1'entendirent. On les appella pour diner. Le repas confiftoit en une panade ck un morceau de bceuf fa lé. L'eau étoit déja corrompue ayant paffe tout 1'été dans les tonneaux. Comme ils manquoient de pots, ils étoient réduits a la recueillir dans le plat oü ils avoient mangé. LesOfEciersde garde, nepouvant. foutenir la vue d'une telle vilenie, fe retirerent dans leurs chambres ; POfficier Cabra, que eet article concernoit, leur fit lire 1'état des provifions qu'on leur deftinoit, ck qui étoient des plus dégoütantes. êk tout-a-fait infumfantes. Les Jéfuites crurent devoir faire leurs repréfentations au Sénateur: il conyintluimême qu'avec des vivres auffi gatés ck en fi petite quantité , ils courroient rifque cle mourir de faim ou de maladie. Comme on apperqut un vaiffeau cle guerre qui fortoit du port, ce Sénateur permit de metN 4 xxxvn. IU mcriyuent de plufeurt chofet. xxxvirr. Un vrnjjeaw d'efcorte Ltsfuu.  XXXIX. i baritJ du Capitaine Bchto. liv. 3. N°. XI. XL. Crainte des cvrfaires. 196 Anecdotes du Minijlere tre la chaloupe a la mer, ck on en "revint avec cles verres ck des plats de terre , mais avec fort peu de vivres. Ce vaiffeau de guerre, qui les fuivit de prés ck h une certaine diftance , étoit envoyé pour les efcorter. Arrivé au cinquieme pur au détroit de Gibraltar, il reent k fon bord les Officiers & les foldats , qui avoient été commandés dans le vaiffeau de tranfport pour la garde des exilés, ck il reprit la route de Lisbonne. Le Capitaine Antoine Britto, avant que de s'éloigner, envoya k ces Peres wn tonneau de vin, une caifle de fucre, une livre de thé avec un pannier de fruit, ck il leur fit dire que c'étoit du fien. II rifquoit beaucoup , & fa charité pouvoit lui attirer de facheufes affaires. L'empvifonnement des Comtes de Ribeïra ck d'Obidos fait affez voir k quoi il s'expofoit. Ces Peres , délivrés de leurs gardes , commencerent enfin k refpirer, ayant la liberté de monter fur le tillac ck d'y prendre Pair : mais ils n'étoient pas hors d'inquiétude , fe trouvant dans un navire fans défenfe, expofés a la merci des corfaires : car on avoit tout lieu de craindre que Carvalho n'eut concerté leur perte avec les Barbarefques. Cette crainte parut d'autant mieux fondée , qu'au fortir du détroit on entendit des décharges de canons , ck qu'on apprit enfuite que les Efpagnols s'étoient emparés de deux galeres  du Marquis de Pombal. Liv. IV. de Salé, qui croifoient le long des cötes, ck fembloient attendre les exilés au paffage. Les vents devenus contraires annonqoient une navigation longue ck dange- reufe. Les Jéfuites auroient fouhaité que-, le Capitaine relachat dans le premier portEfpagnol; mais il leur fit voir Pengagement par écrit qu'il avoit contraété avec le Miniftre de ne mouiller nulle part , hors le cas d'une extreme néceffité, ck d'aborder uniquement a Civitta-Vecchia , a peine d'une amende de quatre cents cruzades. Les Peres lui remontrerent que la néceffité étoit évidente, ck lui donnerent les plus fortes aflurances qu'aucun d'eux ne penfoit ni a defcendre , ni a s'enfuir. II fe laiffa perfuader ck fit voile vers le port d'Alicante. Ils n'arriverent a la vue de la ville que fur le foir. On jetta 1'ancre, ck le lendemain , vingt-huit de Septembre, lesConfervateurs de fanté vinrent vifiter le vaiffeau. Les exilés ramafférent le peu d'argent qu'ils pouvoientavoir, ck en chargerent le P. Jean Soarez , qui defcendit avec le Capitaine , pour donner avis de leur arrivée aux Jéfuites d'Alicante, ck les prier de leur acheter quelques provifions. Les perfonnes les plus diftinguées de la ville donnerent dans cette occafïon des s arques non évivoques de leur charité ck cU leurafièc'fion; ils allerent s'offrir au RecN exilés. zC)3 Anecdotes in Mbiijïert teur du College, pour exercer a leur égardles devpirs de 1'holpitalité, & pour en-1 loger chez eux le plus qu'ils pourroientv Le P. Soarez qui furvint avec le Capitaine, les en' remercia , Sc leur fit entendre qu'il ne leur étoit pas permis de quitter leur bord. Ne pouvant fatisfaire en cela leur bon cceur, ils tacherent au moins de leur procurer des-vivres, autant qu'il leur fut poffiblë. Les boulangers eurent Gommifiion de cuire toute la nuit-, Sc jufqu'au moirtent du départ on ne ceffa de porter au navire des prbvifions Sc les ra— iraichifïemens', que.fourniffóit la faifon,, dans le climat le plus fertile de 1'Efpagne. Sans les vents contraires qui retarderentië cours- de lëur navigation, ils avoienf amplement de quoi fubfifter le refte du tra-jet. Ils recurent a* leur bord la vifite d'une infinité de perfonnes Eccléfiaftiques Sc autres , qui leur paroiffoient prendre le plusvif 'intérét a leur trifte fort. Ils furent d'autant plus- fenfibles a ces marqués de bienfaifance , qu'ils venoient d'éprouver dans leur patrie des procédés bien difrérens. Cependant , parmf un fi grand nombre de malheureux, qui fortoient'de la fournarfe-ds tribulation, Sc dont la-fanté étoirruinée, la réputation flétrie Sc la vie e.T danger, il 'ne s'en trompa pas un feul,,. qui fe permit la momdfe plainte, ni -aucune exprefüon défavanta^eufe a la réputation de Jofeph I. Cette conduite.,,,.  du Marquis de Pombal LlV. IV. 2.99 qu'ils tinrent conüarament par-tout, excita 1'admiration générale ck redoubla 1'mdignation du public contre celui, qui les avoit fi cruellement iinmolés. Mais le Capitaine Ragufien étoit trop indigné pous le tenir dans les meines bornes; il dnoit a qui vouloit 1'entendre, qu'on les avoit traités avec barbarie, ck que le Roi de Maroc auroit mieux fourni de vivres ira batiment deftiné a porter des Maures. en. exil. Pour preuve de ce qu'ii avancoit il montroit le bifcuit, la viande ck les uf~ tenfïles dont on les avoit approvifionnés^ Cependant, comme il craignoit qu'on ne lui fit un crime d'avoir relaché a. Alicante, ck qu'on n'y trouvat un prétexte de le condamner a ramende pécuniaire, quiavoit été ftipulée, il profita d'un vent favorable qui s'éleva vers le milieu de la nuit, ck il fit lever 1'ancre fans- vouloir attendre les autres provifions ck les pains qui devoient êrre portés a bord de grand matin. Le 4 d'O&obre-, une violente te-mpête les affaillit dans, le golfa de Lyon. Elle dura deux. jours ck deux muls , ck ils fe virent plus d?une fois fur le point da périr. Le troifieme jour , la tempête cerrmencant a s'appaifer, ils fe trouverent a la vue de l?ifle de Corfemais il s'éleva un vent contraire ck violent, qui ks rejetta fur les ifles d'Hyeres (. magne, que des Relig eux refpeaables : Res Jacia =» mij'er. Vomis par leurs Souverains fut les bords » de 1'Italie, comme le fut amrefois Jonas fur ceux => de Ivf-inivê , ils font vrat ment réduits-a 1'état leplus » facheux. Confinés dans de petites villes- fans ref~ fource, fans fociété, avec 400 !. de penfion pouf «■ tout bien, ils n'ont pas même 1'avantage de pou^ » voir dire la mefle gratuitement-, encore moins d'en 5> retirer 1'honoraire comme- en Fiance. On les af- treint a payer a la factiftie les fraix du linge & w-des ornemens , Sc ils ne pafient pas un inftant de Ja journée fans Kgfcone de- la-mifere & de 1'enm Hui, « JOÏ Anecdotes du Mlnifetv Prélats de la Cour Romaine les honorerent de leur vifite, & le Général ne tarda pas a les aller embraffer. Depuis ce tems la ils n'ont ceffé, comme ceux qui les ont fuivis dans la même deftinée, de faire pour 1'Italie un objet d'édification, auffi-bien que de pitié & de commifération bien motivée {u). II eft temps de retourner en Portugal , pour y voir ce qui s'y paffoit : on y étoit occupé a chercher de nouveaux crimes aux Jéfuites, & fur.-tout a Malagrida._ On avoit donné'au public en 1Ó21 la vie de Simon Gome\, connu en Portugal fous le nom du Saint Cordonnier.. Les Rois , les  du Marquis de Pombal LlV. IV. $jm Princes & Princeffesde fon temps 1'avoient honoré de leur eftime : ils le vifitoient & i'écoutoient comme un oracle. II étoit devenu fameux par une infinité cle prédióhons , dont plufieurs fe vérifierent de fon vivant. L'hiffoire de fa vie étoit entre les mains de tout le monde, tk il en parut une nouvelle édition précifément dans le temps que les Jéfuites étoient en détention dans les- Colleges. Entre plufieurs chofes, qu'on lit dans cette hifloire a 1'avantage de la Société, il fe trouve une prediétion conque dans les termes fuivans , livre 2, chapitrell: » Dieu a voulu » venir au fecours du Portugal par le » moyen de la Société , en la rendanf » agréable a fes Princes-: mais lorfqu'il a » voulu chatier &' punir ce R-oyaume , il* % Perrnis rès du gouvernail, afin que tous réclamaffent fon afliftance. Comme le Sénateur Almaëftro grondoit ce pilote d'avoir fait caler les voiles & tourner la proue pour ranger Ia cête, celui - ci avoua qu'il reconnoiffoit 1'irrégularité de fa manoeuvre , mais qu'elle lui avoit fans doute été infpirée par. les prieres de ces innocens perfécutés % que mielcrae curecnon qu'ü  du Marquis de Pombal. Liv. TV. 349 prit , toutes les forces humaines n'euffent pu le fauver, ck qu'il ne comprenoit pas comment il avoit pu écbapper. Ont jetta donc les ancres , ck l'on fit remonter les foldats, qui étoient fortis du vaiffeau au moment du départ , ck qui ne faifoient que de quitter leurs ehaloupes, pour prendre terre. II feroit difEcile d'exprimer ce qu'eurent a fouffrir ces Religieux entaffés au nombre de deux cents ving-cinq. L'agitation de la galiote, au milieu des flots pendant cette furieufe tempête, leur caufa de violens vomiffemens , 8c on peut fe figurer leur embarras ck les fuites , lorfque le cceur venoit a fe foulever > n'ayant que 1'efpace de leurs pieds , ck fe portant , pour ainfi dire , les uns fur les autres. La nourriture qu'on leur donna n'étoit guere capable de les rétablir. Elle conSftoit en une foible ration de pain de pur fon. Les Seigneurs , qui virent ce pain aGênes ckaRome , enparurent extrémement touchés. Le 2 5 de Novembre fur Ie foir on rentra dans le Tage, 8c on jetta 1'ancre dans une efpece de baye, qui fe trouve a fon embouchure. Le 27 , la galiote s'avanca dans le fleuve pendant la nuit, Sc pour que les Jéfuites ne fuffent pas vus, il y avoit ordre de jetter dans l'eau quiconque d'entre eux paroitroit fur Ie iillac pour y prendre 1'air. Ou leur i&- Ce qu'ils jf eurent it [ou£ru+  LXXXVI Violenc h Végard d'un Novice. ' Défeclio, d'une jeun P/iiloJöp/it 1XXXVII. Un part pour Génes Mort e'difiante de Jean Monir. 3^0 Antcdotts du Mlnljlere manda de nouveau leurs noms, & on lés fouilla jufqu'a 1'indécence, avant que de les faire paffer dans les ehaloupes, qui les conduifoient au vaiffeau préparé pour . \e tranfport. Le Sénateur, qui préfidoit ' a 1'embarquement, enleva de force un Novice nommé Jofeph R.egis, & quoique ce jeune homme s'en défendit & jettat les hauts cris, on le fépara de fes Freres, & on 1'emporta fur le rivage. On croit que cela lë fit a la follicitation de fes parens. \ II fembloit que ces infortunés paffa; gers, fe voyant moins refferrés, alloient goüter quelque confolation. Mais la malheureufe déiëófion d'un d'entre eux leur fut un fujet d'affliéiion, k quoi ils ne s'attendoient pas. Jofeph Anchietta, jeune Philofophe, excédé par ce qu'il avoit eu k fouffrir dans la prifon & dans la route , devint la proie du fédufteur, & demanda fa démiffion. Ainfi le nombre de ce tranfport fe réduifit k deux cents vingt-trois. Le lendemain z8 de Novembre 1759, on appareiila & on fit voile vers Génes. Le Miniftre n'avoit pu engager le patron k remettre les profcrits dans le port de Civitta-Vecchia. Le 4 de Décembre on paffa le détroit de Gibraltar, & le 12 fuivant on fut accueilli d'une furieule tempête dans le golfe de Lyon. Le 17 Jean Moniz , dont nous avons parlé plus haut, termina fa carrière. On avoit bien  du Marquis de Pombal. LlV. IV. Jjf prévu qu'il mourroit avant que d'arriver au terme , mais il n'en fut pas moins décidé a fuivre fes Freres, pour avoir la confolation d'expirer dans leurs bras. Quoique le Capitaine ck tout fon équipage fuffent Luthériens, ils ne s'oppofe-. rent pas a ee que ces Peres diffent la Meffe ck célébraflent les fétes de Saint Franc,ois-Xavier & de Noël. La ponctualité avec laquelle ils les voyoient s'aequitter de leurs exercices fpirituels a des heures marquées , la douceur dé leur eonverfation, la modeftie ck l'air tranquille, qui accompagnoit toutes leurs actions , édifioient infiniment ces fecTaires, ck les faifoient revenir des préjuges finiftres qu'ils en avoient pris» Le 31 Décembre ils vinrenf mouiller devant Gênes. Le Sénat, fans s'expliquer fi on les y recevroit, ordonna qu'ils refteroient quinze jours a la rade. Le 2 de Janvier 1760 , Jean Pubera jeune Régent mourut a bord du vaiffeau d'une fievre maligne, ck faute de remedes. C'étoit le modele de la jeuneffe. II avok acquis la connoiffance des langues favantes, ck il parloit le Francois, I'Italien, ck 1'Efpagnol. Les médecins ayant faitj leur rapport de Ia vifite du corps, le Sénat permit qu'on 1'enterrat, ck que Ton tranfport&t les autres malades dans une maifon voifine du port. Les Jéfuites de Gênes s'attendoient de recevoir leurs Confrères, lorlque Ls v.sr*. LXXVlfr Th arrivent % Génes. Louis Ribera meurt •n rade.Sers doge.  1XXXVHI. slppréhenjicns de naufrage. 352 Anecdotes du Mlnijiere quinzaine feroit expirée. Mais le Sénat s'y oppofa, & 1'Agent cle Lisbonne auprès de la République notifia au Capitaine, qu'il eüt a conduire ces Peres a CivittaVecchia , ou qu'autrement on ne lui paieroit pas la fomme dont on étoit convenu. Cet homme, qui vit qu'on 1'avoit trompé, s'en plaignit hautement par toute la ville , ne parlant de Carvalho que comme d'un fourbe ck d'un tyran, qui immoloit a fa haine une multitude de Prêtres innocens. II fe rendit néanmoins a Pautorité du Sénat ik a une fomme qu'on lui cömpta* Les Jéfuites de Gênes fournirent cles vivres aux exilés, pour achever leur courfe, ck ils obtinrent la permiffion de retirer dans leur maifon de Noviciat trois malades avec deux Freres pour les fervir. Le foin qu'on en prit accélera leur convalefcence, ck ils profiterent du premier tranfport, pour aller rejoindre leurs compatriotes a. Rome. Ceux-ci étoient partis le 19 de Janvier, ck après cinq jours de la plus facheufe navigation, ils faillirent de périr pendant la nuit. Le gros tems & la crainte d'aller donner fur quelques ifles, avoient obligé de caler les voiles. Cependant le navire pouffé par les vagues alloit fe brifer dans i'obfcuritê contre 1'ifie Gorgone, fi un chien, qui étoit k la proue, ne fe fut mis k aboyer : on conjeftura de-la que l'on étoit prés des cótes, 6k on revira promp~  da Marquis dc Tombal. Liv. IV. 3 iement, quoiqu'avec peine. La tempête continua encore le lendemain , ck l'on dut chercher un abri a Livourne; mais pour ne pas échouer au port comme il arriva alors a plufieurs, on eut la précaution de fe tenir fur des ancres un peu au large, afin de fe garantir contre la furie des vents. Le calme étant furvenu, les profcrits fe fiatterent qu'on leur permettroit de mettre a terra; mais le Gouverneur leur en fit porter la défenfe. Leurs Confrères de Livourne tacherent de la leur adoucir en leur envoyant les vivres, que la charité des habitans leur fournit. Un contre-tems accablant pour eux vint de la part du Capitaine , qui jufques-la en avoit agi fort honnêtement : il leur déclara qu'il ne partiroit de-la qu'après les divertiffemens du Carnaval, ck il tint trop bjen paroie ; car laiffant ces triftes paitagers dans leur humide prifon, il alla fe loger en ville, ck ne revint a fon bord que le 2 de Février. On leva 1'ancre ; on remit a la voile, ck après de nouveaux dangers, on arriva enfin a Civitta-Vecchia, le quatre-vingt-quatorzieme jour depuis le départ de Porto. C'étoit le lendemain du débarquement des jeunes Jéfuites d'Evora, dont nous allons parler. Après la fortie des anciens du College d'Evora le 27 d'Oétobre, trois Profès laiffés malades avec Jean Carvalho prirent les rênes du gouvernement. Le même On rtlatht a Liyaarnc. On arrivé a CïvittO" Veechia.  LXXXIX Nouvelli tentatives Evora , pour déta cher les jei, nes Jéfuites. Vinpttrois guittent leur tut. 354 'Jntcdotts du Miniftere jour le Sénateur Jéröme Lomos-Mons teero, fubftitué a Novaïo , s'y rendit, i pour exécuter a 1'égard des jeunes gens, tout ce que nous avons rapporté en par_ lant de Conimbre. II leur fignifia féparément les intentions du Roi'ck les difpofitions du Cardinal Patriarche , dont il produifit les lettres. Pour ne point me répéter^, je ne parlerai ni des follicitation qu'on leur fit pour les engager a profker de ces faveurs, ni des bruits qu'on repandit, que , s'ils s'opiniatroient, on les jetteroit dans les prifons d'Azeytan pour n'en jamais fortir. Ce furent durant quatre mois les mêmes affauts que clans les autres Colleges, mais ils redoublerent a 1'arrivée des parens , que le Miniftre avoit menacés de fon indignation, s'ils ne fe tranfportoient pas fur les lieux, & s'ils ne faifoient les derniers efforts pour engager leurs fils a renoncer a leur état & a les fuivre. Cette épreuve fut terrible. A Conimbre elle n'avoit duré que trois jours ; mais a Evora, elle continua jufqu'a la fin de 1'année. Si les attaques furent plus violentes, qu'ailleurs, la défeéfion fut auffi plus confidérable. Un Novice, onze Philofophes , quatre Humaniftes , un Théologien & fix Freres, faifant en tout vingt-trois, ne tinrent pas contre les inftances & les artifices que l'on employa pour les dégouter de leur vocation. II y en eut qui ne céderent qu'a  du Marquis de Pombal. Liv. IV. 3^ Ia force ; un d'entre eux s'échappa depuis du Portugal, gagna 1'Efpaghe, ck vint a Rome fe jetter aux pieds du Général, qui le rétablit dans la Compagnie. II fe nommoit Gomez. Sylveftre Andrada avoit réfifté pendant deux mois avec une fermeté héroïque. Son pere y avoit employé inutilement toute fon autorité, ck fa mere toutes fes larmes. On lui reprochoit même fon exceffive dureté, tk les Officiers de la garde 1'appelloient le cceur de roche. Malheufement, il entretint un fréquent commerce de lettres avec fes fceurs. On lui repréfenta le danger auquelil s'expofoit : il ne fut pas en garde contre cette amorce. Sa conftance fut ébranlée, & venant enfin k fe dementtr , il laiffa un trifte exemple du peu de fonds qu'on doit faire fur fes propres forces, tk du befoin que l'on a du fecours du Ciel dans des occalions li délicates. La paille ayant été fêparêe du bon graïn, on obfervaa Evora, comme ailleurs, les formalités du tranfport. Ce fut le xi de Décembre , qu'on les avertit de fe tenir prêts pour le lendemain. II fè trouvoit parmi eux deux goutteux, deux jeunes Régens attaqués de la poitrine, tk un autre qui avoit a la jambe un ulcere envenimé. On ne les jugeoit point en état de faire Ie voyage. Mais ayant fupplié qu'on les fit voir aux Medecins, ils en obtinrent par leurs larmes une atteftation conforme a leurs defits» xc. Pré/cmp' ion vunie. XCT. Un fe prétere au di lart.  Conjïanci d'un vieillard, xcn. Humanité des Sénateur* d'E*ora. 3 5 6 Anecdotes du Mini fiere Le 23 les Prêtres ayant célébré la Meffe, tk les autres ayant communie , ils rëciterent en commun les Litanies de la fainte Vierge tk 1'Itinéraire, avec une ferveur & des fentimens de dévotion fi tendres, que les Sénateuis tk les Officiers ainfi que leurs gardes en furent attendris. Au premier fignai du départ, ils fe rendirent a la porte, laiffant dans le College Jean Carvalho , malgré toutes les inftances qu'il put faire pour leur être affocié. D'un autre cöté , le Sénateur tk le Colonel mirent tout en oeuvre pour retenir le Pere Louis Vafconcellos , qui, au départ des Profès , avoit été laiffé au College pour caufe de maladie. On eut beau dire a ce vénérable vieillard caffé d'années tk d'infirmités, que le Roi lui donnoit 1'option de fe retirer dans telle Maifon Religieufe cju'il choifiroit, tk qu'on lui accordoit meme la liberté de conferver fa robe. II perfifta a vouloir fiiivre fes Freres , tk il compléta le nombre de quatre-vingt dix-huit. II faut rendre juftice aux Magiftrats d'Evora. Ils eurent des égards que n'avoient pas eu ceux de Conimbre tk de Porto. Ils raffemblerent quarante - huit chaifes pour la commodité du tranfport. Le premier jour, on arriva a Monte-Major vers les trois heures du foir. Martin-Jofeph Liboreïro, qui s'étoit toujours montré affe&ionné a la Compagnie, fe fignala  du Marquis de Pombal. LlV. IV. 3 57 par une démarche que les circonftances rendoient indifcrete. II ofa, au rifque d'encourlr le reffentiment d'un Miniftre vindicatif, embraffer affeétueufement ces exilés , les accueillir dans fon hotel, ck leur donner a tous la table ck le couvert. Felix -t Villabolo, né dans cette ville de parens d diftingués , ne voulut pas profiter de la * permiflion que lui offroit le Sénateur rl'aller loger chez lui, & de dire un dernier adieu a fa mere ck a fes fceurs. Déja il avoit eu a fe roidir contre leur tendreffe dans le College d'Evora, oü elles étoient venuesle folliciter. II avoit devant les yeux le fatal exemple de ceux qui , après plufieurs viftoires, avoient eu le malheur de fuccomber, ck il craignit de ternir la gloire de fon triomphe par une honteufe défaite. Le lendemain, veille de Noël, on fe • mit en route avant le jour. Les peuples, ' qui accouroient fur leur paffage , dé- ' ploroient la calamité publique plutót que celle de ces infortunés. II leur fut permis de s'arrêter la matinée de la fête. Les Prêtres eurent la confolation de célébrer les faints Myfteres , ck les autres de communiën Après avoir fatisfait leur piété , ils fe mirent en marche , ck fur les trois heures, ils arriverent au bord du Tage. On attendit les ténebres de la nuit pour leur faire defcendre le fleuve dans trois barques. Une groffe pluie ck les vents contraires les empêcherent de gagner Lis- érmetê du une Felix 1 Villaoio. Demonjira' ions des teuples. XCIII. Un les embarque fur le l egt.  On drrivt au vaijfeau Defeclioi de deux Profes, XCIV. SncommO' mucs a ej 3 "ï 8 Anecdotes du Minijlere bonne avant minuit. On jetta 1'ancre eu attendant les ordres de Carvalho, ck ils effuyerent la pluie jufqu'au matin. Enfin , * le ió de Décembre , on les conduifit au navire deftiné a 1'embarquement. Deux Sénateurs y préfidoient , ck toute la journée y fut employée ; on redoubla les follicitations pour gagner la jeuneffe. Jean Macado fut le feul , que 1'amour de la patrie ck cle fes proches entraina au grand regret de la troupe , qui ne lui donnoit que des exemples d'héroïfme. Le jour fuivant, on amena a bord du même vaiffeau dix-neuf autres Jéfuites tirés des prifons d'Azeytan. On en avoit fait fortir cinq Freres ck deux Etudians, qui n'avoient pu tenir contre 1'horreur d'une prifon , ou ils languiffoient depuis trois mois, ni contre les inftances ck les mena- ; ces continuelles des Sénateurs. Leurs Freres témoins de leur défecrion, eurent encore la douleur de voir fuccomber deux Profès de Conimbre , Didace Vafconcellos ck Antoine Pimentel. Déia ils avoient demandé leur démiffion étant a Conimbre ; mais le Miniftre , par un raffinement de politique, leur fit fouffrir les rigueurs de la prifon d'Azeytan, ck les fit conduire jufqu'au vaifTeau pour y quitter leur robe en préfence de cette fervente jeuneffe , afin que ce mauvais exemple en engageat quelques-uns dans la même défeftion. A \ cje fpedacle de féduétion , il ajouta les  du Marquis dt Pombal. LiV. IV. 3 59 plus rudestraitemens : le jour, il leur étoit défendu de fortir de Pétage , oü on les avoit mis; ce n'étoit qu'a la nuit fermée, qu'il leur étoit libre de venir refpirer un air moins infec"t. Ils s'étonnoient que l'on ne profitat pas d'un vent favorable pour appareiller ; mais le Sénateur Ciabra développa le myftere , en leur avouant que cc n'étoit que pour aggraver leurs peines, dans Pefpoir de les laffer enfin, tk de les débaucher. Ce ftratagême eut malheureufement fon effet a 1'égard de deux nonProfès, qui fuccomberent a de fi rudes épreuves. Mais qu'étoit - ce en comparaifon de la multitude, que rien ne put ébranler ? On reconduifit aux prifons deux Peres du Maragnon , qu'on avoit embarqués par méprife. Un troifieme également du Maragnon fut confondu dans la foule tk il eut le bonheur d'échapper au fupplice de la prifon. C'étoit le P. Louis Oliveïra. On fut huk jours a ne faire que louvoyer aux environs de Pembouchure. Une ancre étant venue a fe rompre la nuit du 2 Janvier 1760, le vaiffeau fut entraïné par les courans, a la diftance d'une lieue, avant que les matelots s'en appercuffent. On jetta des ancres pour 1'arrêter ^ c'en étoit fait du navire, qui auroit été fe brifer contre des écueils, fi les courans n'avoient pas été plus forts que le vent. Enfin apres diverfes feintes fuyev fur le vaiffeau i dejjein de détacherles jeunes gent^ Danger oS. Vvnfe »re*« va.  Véfenfe d débarqucy , Génes. 4Jn arrïvt & CivittaVecchia. 3Ó0 Anecdotes iu Miniftere de partir, on mit férieufement a la voile le 5 de Janvier, ck ce jour-la même, on fut de nouveau fur le point de faire naufrage. Le 26 on arriva devant Gênes. ; Les Jéfuites trouverent dans les nobles 1 Genois ck dans leurs confrères une bienveillance ck une charité, dont ils ne doivent jamais perdre le fouvenir. On leur permit d'y débarquer un malade, ck ils reprirent deux convalefcens d'entre les trois malades que le tranfport précédent y avoit laiffé. Le 2 de Février, le patron que Carvalho avoit trompé comme les précéclens, eut ordre de fortir du port. Le refte de la navigation s'acheva heureufement, ck le 6 fuivant on aborda a Civitta-Vecchia , un jour avant ceux de Conimbre, quoiqu'on fut partis de Lisbonne plus de deux mois après eux On difpofa des bagages ck des provifions de ceux d'Evora , comme on avoit fait ci-deyant. Tout fut vandu au profit de Sa Majefté Très-Fidelle. Les vieillards furent diftribués dans quelques maifons de Rome ck a Tivoli. Les Philofophes occuperent la maifon cle campagne du Noviciat, ck les Novices furent incorporés avec ceux de St. André. Ce qu'il y avoit de plus diftingué dans Rome voulut voir cette fervente ck courageufe jeuneffe. Les Cardinaux Charles Rezzonico & Mare-Antoine Colonna les fervirent a table. II  du Marquis de Pombal. LlV. IV. 361 II ne me refte plus qu'a parler cles Colleges cle différehtes ifles , qui faifoient partie cle la Province de Portugal, Sc qui n'eurent pas un fort moins rigoureux que les autres, Le peuple cependant Sc les gens de bien portoient a ces triftes victimes une fincere compaffion; mais elle étoit tout-a-fait fterile : car il leur fut défendu fous peine cle mort, auffi-bien qu'aux fentinelles , cle les foulager , de leur parler, Sc même de les regarder. II y eut des Religieux , qui, oubliant la fainteté de leur état, femblerent triompher de leur malheur Sc donnerent un libre effor a leur aveugle paffion. On vit fortir de leur attelier des vers fatyriques, des libelles, des vaudevilles, des comédies Sc des farces bouffonnes : ils allerent même jufqu'a faire de la chaire de vérité le théatre de leurs fougueufes Sc indécentes déclamations; mais ce qu'il y avoit dans leurs divers Ordres de plus éclairé Sc de plus pieux condamna fortement ces exces, Sc il faut bien fe garder de faire de la faute de quelques particuliers égarés •, celle des Corps toujours refpeétables par la multitude des fages. Les Peres avoient quatre maifons ou Colleges dans ces ifles; 1'une a Funghal, capitale de 1'ifle Madere, une autre a Angra, une troilieme a Fayal , Sc la quatrieme a 1'ifle de St. Michel. Ces trois dernieres ifles compofent les Acores. On Q xcvr. T) aitem.'nt des Colleges des ifles Afores, Conduite fcandaleul't a régafd des JKjuite*.  On les emharjut, XCVII. Gtnérofitt êtD. Laia rt Em. Ca meraEJlrel la* 362 Anecdotes du Miniftere détenoit ces Religieux, prifonniers depuis un an, lorfque le 13 de Juillet 1760, un vaiffeau de guerre arriva a Madere, pour y recueillir ceux qui y étoient. On y trouva dix Prêtres, deux Régens & fix Freres, & on les mit dans un fond de navire, oü ils eurent beaucoup a fouffrir. Le vaiffeau parut enfuite devant Fayal le 31 du même mois, & l'on y prit buit Prêtres & trois Freres, qui y avoient déja éprouvé les traitemens les plus durs. De-la on alla a 1'ifle Tercere, pour enlever ceux du College d'Angra, au nombre de dixneuf, quatorze Prêtres, deux Régens, & trois Freres. Le Comte de St. Vincent avoit recu du Miniftre la commiifion de les raffembler tous , & il s'en acquitta d'une maniere dont Carvalho dut être fatisfait ; car il n'omit rien de ce qui pouvoit aggraver leurs peines & contribuer a leur humiliation. Le 13 Aoüt , on vint embarquer ceux qui réfidoient dans 1'ifle St. Michel, & il s'y trouva dix Prêtres, deux Régens , &C deux Freres. Un habitant de cette ifle ! fit alors une aftion qui mérite d'être rap■ portée. Sachant qu'on faifoit argent de ' tout, & qu'on ne payoit perfonne, il gagna les gardes, pour qu'ils remiffent a ces Peres un billet par lequel il les prioit de lui envoyer 1'état de leurs dettes, & s'engageoit généreufement a. les payer. Senfibles a cette offre, ils le remercierent comme il  du Marquis dt Pombal. Liv. IV. 363 convenoit, 8c lui firent dire qu'ils partoient fans dettes 8c fans argent. Le vaiffeau ayant raffemblé fur fon bord tout ce qui fe trouvoit de Jéfuites dans ces ifles, appareilla pour Lisbonne. Le P. Pierre Théodore mourut dans la traverfee. Le neuf de Septembre on parvint a Pembouchure du Tage, Sc on jetta 1'ancre vis-a-vis du Fort de Junqueïra. Pour que les prifonniers ne puffent ni voir ni être vus, le Comte de St. Vincent les tint rigoureufement reflerrés pendant toute la journée, Sc fit même fermer leurs fabords jufqu'a la nuit, au rifque de les étouffer. Alors on les fit fortir un a un de leurs cachots, tk on les préfenta a ce Comte, qui ne négligea rien de ce qui pouvoit les dégoüter de leur état. II les affuroit de la bienveillance du Roi, dès qu'ils auroient renoncé a la Compagnie : il flattoit les Profès de pouvoir choifir a. leur gré tout autre Ordre, oü on les recevroit a bras ouverts ; il leur ajoutoit, ce qui étoit faux , que le Cardinal Saldahna étoit autorifé par le Souverain Pontife a donner des démiflïons. II leur di! foit que leur opiniatreté auroit pour eux les fuites les plus funeftes tk les expofei tok aux dernieres calamités; qu'il dépen) doit d'eux de s'y fouftraire en acceptant le parti qu'on leur propofoit. Neuf fe laifferent perfuader, parmi lefquels on comptoit un Profès 8c quatre jeunes Prêtres. ' Q 2 Nouvel ajfaiit pvur les JMui.it, Fcibléjfi li quelque» ms, *  Confia.nct d'un malaie. CXVIT1. Jéfuites ctrangers confinés dans lespri foiLS, 3 64 Anecdotes du Miniftere On les mit clans une chambre a part. Les autres furent conduits fous bonne garde fur le tillac. Un jeune Prêtre étoit atteint d'une maladie, qui 1'avoit réduit a 1'extrêmité ; il fe nommoit Antoine Carvalho. On devoit lui adminiftrer le lendemain les derniers Sacremens. Ce fut en vain que le Comte effaya dans ces derniers momens d'ébranler fa conftance : elle fe foutint & réfifta aux promeflës les plus flatteufes. Dieu 1'en récompenfa par une guérifon fi fubite, que dès le lendemain il fe trouva en parfaite fanté. Le Miniftre avoit décidé qu'aucun Jéfuite de nation étrangere agrégé a ceux de Portugal, ne pafferoit en Italië. Dans les recenfemens fréquens de ceux qui venoient des ifles d'Amériq'ue, il fe rencontra deux Jéfuites Anglois & un Efpagnol. On les fépara cles autres pour les faire conduire aux prifons d'Azeytan. Les Portugais réduits au nombre de quaranteneuf, furent mis pendant la nuit fur un petit batiment hollandois, oü ils fe trouverent encore fort a 1'étroit. Leur navigation fut des plus heureufes. Partis de Lisbonne le 13 de Septembre, ils aborderent le ier. d'O&obre a Civitta-Vecchia , & après onze jour6 de quarantaine, ils furent recus dans le Palais Pontifical : les uns furent enfuite tranfportés a Rome, d'autres a Tivoli, & quelques-uns a Caftel-Gandolfe.  du Marquis de Pombal. LlV. IV. 36c; Tandis que ces nouveaux débarqués goütoient fous les aufpices du Pere com- \ mun des Fideles, les douceurs d'une liberté , dont ils avoient été fi long-tems privés, les prifonniers d'Azeytan languiffoient dans les fors au fond de leurs cachots. Les malades étoient fans fecours, les vieillards fans foulagement, & leur nourriture faifoit foulever le cceur. Souvent même on les laiffoit des jours entiers fans leur en donner. La mort du P. Xouis Albert fut attribuée a ces retranchemens inhumains. Au mois de Juin 1760, on amena dans ces prifons cinq Prêtres, un Philofophe & trois Freres qui venoient du Bréfil. Peu de tems après on y conduifit encore de la même Province cinq Prêtres & deux Freres. Le P. Antoine Paëz & le P. Jofeph Vivefro étoient du nombre. Le premier étoit aveugle & tous deux ocTogénaires. Au mois de Décembre huit autres Prêtres & deux Freres du Maragnon, & au mois de Janvier 1761 , trois Prétres & un Frere de la même Provincey furent enfermés. Sur la fin de Mai quinze Prêtres & un Frere amenés de Goa en augmenterent le nombre. Ces derniers étoient fi exténués par les maladies qu'ils avoient effuyées pendant une longue navigation, qu'on ne les jugea pas en état de foutenir le tranfport en Italië , & la plupart moururent dans cette prifon. TrenQ 3 XCIX. horreurs da es prifons.  c. Plufieurs j maurent. 366 Anecdotes du Minijlere te-un y trouverent leur tombeau. Le 27 Janvier 1761, Novaïo s'y tranfporta , _& il effaya de perfuader a chacun en particulier de demancler fa démiffion, j. laquelle étoit attachée la liberté; mais iHes trouva tous difpofés a mourir plutot dans leurs cachots, que de manquer a la fïdélité cle leurs engagemens. Le lendemain cle cette vifite, le P. Jean Lopez', Reef eur de Setubal, mourut d'apoplexie. Le P. Antoine Paëz le fuivit de prés; il y avoit trente ans qu'il étoit aveugle, ce qui ne Pempêcha pas d'être 1'inféparable compagnon du P. Malagrida dans fes courfes Apoftoliques. Tout aveugle qu'il étoit, il perca a travers les montagnes 6c les forêts , clans cles endroits oü jamais Portugais n'avoit pénétré. II fuivit fon zélé compagnon depuis Fernamboug jufqu'a Para par des déferts arides & brülants, tachant d'imiter le courage 6c la ferveur de ce grand Miffionnaire, & partageant avec lui les travaux ck les incommodités d'une fi pénible traite. Le P. Emmanuel Taborda termina pareillement fa carrière dans les prifons d'Azeytan. On 1'avoit tiré de celles du Maragnon, pour le tranfporter en Portugal. Le Frere Charles Corréa Braiilien , homme d'une grande lïmplicité , d'une dévotion tendre , ck d'une charité inépuifable pour les pauvres, fuccomba également a de fi exrêmes fouffrances.  du Marquis dt Pombal. Liv. IV. 367 Le 31 Mars 1761 , jour cle la naiffance de la Reine, il fnrvint un violent tremblement cle terre qui fit plus cle peur que de dégats. Le Miniftre ne permit pas qu'on fit a cette occafion des prieres publiques, pour appaifer la colere du Ciel. Le Mandement qu'il diéta au Card. Patriarche , enjoignoit d'annoncer en chaire tk a tous les prones, qu'il y avoit de la témérité tk de Pextravagance a attribuer ces fortes d'événemens a la juftice d'un Dieu irrité; qu'ils n'étoient produits que par des caufes purement naturelles, & que les péchés des hommes n'y entroient pour rien. Ainfi le Miniftre fè faifoit un point de politïque de détruire ce qu'il appelloit préjugés populaires , tk le Cardinal n'eut pas honte de lui prêter fon Miniftere pour exclure la Providence de ce terrible événement. II ne fe contenta point de répandre une fi pernicieufe doctrine dans Ion Diocefe : il voulut qu'elle fut adoptée dans tout le Royaume , tk quoiqu'il n'eüt aucune nirisdicrion fur les autres Evêques , il leur ordonna néanmoins de publier la même chofe dans leurs Diocefes refpeftifs, ckde faire bien comprendre a leurs peuples, que Dieu n'employoit point ces caufes naturelles pour exercer fes chatimens tk fes vengeances. Carvalho imprima le fceau de 1'autorité 1 Royale a cet inéligieux Mandement. Et « comme plufieurs avoient déja pourvu a ' Q.4 ci. tremblement de terre aLifbennc. Mandement du Patriarche pour défendre des prictes pübliquei. )rdonnanc du Miijire con-  tri ceux qui tuittoient la villt. Cïï. Arrivée des Jéfuite» de Gaa. Leur dejïinatien. Ca) Vayez Liv. I. N?. XXXIII, li. Liv. 1, NS. VI. 8c VII. Notes. 368 Anecdotes du Minijlere leur fureté , en s'éloignant de Ia ville ^ il porta une ordonnance qui condamnoit 111 carcan & aux galeres ceux qui ne reviendroient pas au terme qu'il leur fixoit, 11 infligeoit la même peine a ceux qui dans la fuite quitteroient leurs maifons , ou qiü' débiteroient que les tremblemens. de terre font des cMtimens du Ciel. Et pour qu'on ne l'ignorit point , & que toute 1'Europe fut informée de fa facon de penfer touchant ces événemens , les nouvelles publiques en firent une mention expreiïe. ( a ) . Sur la fin de Mai 1761, les Jéfuites de Goa que l'on avoit embarqués pour 1'Europe au mois de Décembre de la précédente année, arriverent a Lisbonne, ayant perdu vingt-quatre des leurs , qui moururent de fcorbut & de miferes. On en conduifit une parcie dans les prifons préparées fous différens Forts; feize furent deftinés. pour Azeytan, avec trois Portugais, que leur fanté ne permettoit pas d'embarquer pour 1'Italie. Le refte fut tranfporté au Fort de la Traferie , en attendant que les ordres du Miniftre fuffent expédiés au Capitaine d'un vaiffeau Danois. Ce Vaiffeau en pouvoit contenir davantage, c'eft pourquoi, comme il en étoit mort beaucoup dans la traverfée, on fit fortir  du Marquis de Pombal. LlV. IV. 369 quatorze prifonniers du chateau d'Azeytan , pour completter le nornbre de cinquante - neuf. Le 1 Juin 1761 , on les mit a bord du vaiffeau qui ne tarda pas a prendre le large. La quantité de ma* lades qui fe trouvoient parmi eux, leur ' fit fouhaiter d'avoir les Saintes - Huiles , . pour les adminiftrer dans le befoin. Mais le C. cle St Vincent ne jugea pas a propos de leur accorcler cette conlolation. I)cs Ie 8 du mois , ils avoient paffe le détroit de Gibraltar. Le 13 , Fête de St. Antoine de Padoue , en cótoyant les ifles de Majorque ck de Minorque , ils tomberent entre les mains cles pirates. Le Capitaine auroit pu fe défendre, mais le confiant dan» un paffe-port du GrandTurc ck du Dcy d'Alger, de qui dépendoient ces Barbarefques, il les laiffa approcher lans faire aucune réliftance. Les paffc-ports ne furent point refpefiés ck le navire fut déclaré de bonne prife, étant chargé de Portugais, leurs continuels ennemis.- Le patron eut beau protefter , ils exigerent deux Jéfuites pour ótages, mirent quatorze Maures fur leur prife, ck s'en firent fuivre. Ce fut pour ces Religieux un nouveau fujet de calamité. Echappés d'une captivité, ils alloient retomber dans une autre. Leur unique reffource fut de lever les yeux vers le Ciel. Ils redoublerent leurs prieres ck réclamerent fur-tout le fecours Q 5 'Is fent tm- 'argués fur in raifjtuu Vanois* Pr'u par les dlgérïens.  OH. O tage eonduits chez un Turc, 11 les recoi avec humanité. 370 Anecdotes du Miniftere de la Mere cle Dieu. Comme la Fête de St. Louis de Gonzague approchoit , ils en avoient commencé la neuvaine au moment cle leur captivité. Ils fe recommanderentparticuliérement a lui dans cestrifies conjonftures, & le prierent de leurobtenir du Gel leur délivrance. Ils aborderent a Alger le 19 Juin, cinq jours après la galere oü étoient les ötages. Ceux-ci avoient déja effuyé bien des ' outrages de la part de ces corfaires, qui fembloient triompherde leurcapture, paree qu'ils fe perfuadoient , je ne fais fur quel fondement, que le vaiffeau portoit quatrevingts dix-neuf coffres remplis d'or & de pierreries. Dès qu'ils furent a la vue cPAlger, ils arborerent pavillon verd en té moignage de leur prife. A ce fignal, le peuple accourut en foule fur le rivage. Le Général cles galeres vint au devant d'eux pour les reconnoitre , & alla enfuite faire fon rapport au Dey, qui lui ordonna cle conduire les deux ötages chez un Turc des plus diftingués d'Alger. Au moment de leur defcente , la populace s'appercevant qu'ils étoient Prêtres, leur fit toutes les avanies imaginables, & on les auroit mis en pieces, fi le Général des galeres ne s'y fut oppofé. : Le maitre du logis avoit la fievre. II envoya fon fils, agé cle huit ans, pour les recevoir , & recommanda qu'on en eüt grand foin. En effet, on fit fervir a ces  du Marquis de Pombal. Liv. IV. 37: deux Peres ce qu'il y avoit cle plus exqul en viandes , en vin & en fruits. Enchantes des belles maniéres de cet enfant , & de l*empreffement ingénu qu'il témoignoit a les bien traiter, ils lui recommanderent d'imiter le caraftere bienfaifant dc fon pere, & d'avoir toujours compaffior des efclaves Chrétiens. Cet aimable enfant le leur promit, & ajouta d'un aii charmant, que de jour en jour il fe fentoit plus d'inclination pour foulager ces pauvres malheureux. II y en avoit dans la même maifon une quarantaine au fervice de ce maïtre chantable. Les Peres qui n'omettoient aucune occafion de gagner des ames a J. C., leur propoferent de profiter de celle-ci pour ie confeffer. Mais a 1'exception de deux , les autres retenus par la crainte des baftonnades, ne voulurent pas y entendre. Les feuls, qui furent plus dociles , étoient deux jeunes hommes bien nés, 1'un Génois , 1'autre Portugais. Le premier fe retira dans une cave pour être hors de la yuesdeMaures, ckle Pere 1'y atcompagna. L'autre chercha en vain 1'occafion favorable pour fatisfaire fa df^otion. M. Jean-Jacques Ployart, Suiffe de Nation & Conful Danois , accourut de fa campagne au premier bruit de 1'arrivée du vaiffeau, & alla au palais du Dey fe plaindre de 1'infulte faite au pavillcn Danois. II redemanda les deux ötages ve06 civ. le Conful Danois re'dame cette orife.  jls font re lachét, AeCuell qu> le Conful fait aux deux ÖCU' 372 Anecdotes du Miniftere fius fur la galere, Sc les cinquante - fept autres , qui étoient fur le vaiffeau. II repréfenta qu'outre que ce vaiffeau étoit Danois, ces paffagers ne devoient plus être regardés comme des Portugais, puifqu'ils ceffoient de 1'être par le banniffement perpétuel, auquel ils étoient condamnés ; que d'ailleurs ils étoient dépouillés de tout, & la plupart caffés d'infirmité Sc de vieilleffe; que le Roi de Portugal, qui les avoit profcrits, ne penferoit pas a les racheter ; que le Pape n'en avoit pas le moyen ; enfin , que ce feroit fe charger d'un fardeau inutile, que de vouloir les retenir en efclavage. Ces repréfentations eurent leur effet, Le Dey demanda au corfaire, qui étoit préfent.fi ce quele Confulalléguoit, étoit ■vrai. Le corfaire en convint. Sur cet aven, le Dey en colere lui fit décharger fous fes yeux quarante coups de batons, Sc le condamna a en recevoir cinq cents les trois jours fuivans , Sc a être pendu, s'il furvivoit a ce chatiment. Le Conful conjura le Dey de lui faire grace, & il ne 1'obtïnt qu'avec peine. ■ Après une % prompte fatisfaftion , le Conful reprit les deux ötages & les condüiüt chez lui ; il les logea très-bien Sc leur fournit libéralement plufieurs chofes qiu leur manquoient, entre autres des fouliers, des bas Sc des chapeaux : car ils étoient dans le même équipage, qu'on les avoit  du Marquis de 'Pombal. Liv. IV. 373 tirés de leurs Miffions \ ou ils alloient pieds nuds; & ils fe trouvoient en bonnet quarré & fans chapeau , comme ils étoient au moment cle leur enlevement. Lorfque le vaiffeau Danois fe difpoipit a entrer clans la rade, le Général des galeres alla le joindre a 1'entrée du port, gronda les Algériens d'avoir inlulté un pavillon ami, confola le patron Danois, lui fit efpérer une bonne iffue , & lui dit que le Dey étoit informé de tout, que le corfaire avoit déja fübi fon chatiment , tk que tous ces prifonniers feroient déclarés libres. Le Conful Danois , en leur ramenant les deux ötages , leur confirma la sième chofe, tk ajouta que la conduite du Dey en cette occafion tenoit du merveilleux; qu'ils pouvoient publier par-tout que ce n'étoit point a fa proteclicn , mais a celle du Ciel, qu'ils étoient redevables d'avoir échappé a une dure captivité. Du refte, qu'il étoit k propos qu'ils partiffent inceffamment, cle crainte que le Dey, dont il connoiffoit le caraétere, ne vint k changer, en prétextant qu'en cela il ne faifoit aucune infulte au pavillon Danois , & qu'il n'ufoit que de fon droit envers les Portugais fes ennemis. Ces Peres le remercierent humblement du bon office, qu'il leur avoit rendu, tk profiterent fans retardement du charitable avis qu'il leur donnoit.  cv. Le vaijfea Danois continue J route, ,Et arrh i Civittal 'ecchia. Fin du quatrieme Livre, 374 Anecdotes du Minijlere, &c. ■ r On appareilla auffi-tót : mais a peine "étoient-ils fortis du port, que le vent ceffa i tout-a-fait, & qu'ils ne purent avancer de toute la nuit. Dans cette facheufe fituation , la peur de retomber entre les mains cle ces Barbarefques, les laifit étrangement : mais enfin un vent favorable, qui s'éleva a la pointe du jour, les éloigna e de la cöte. Ils emplcyerent le refte de la navigation a remercier le Seigneur de les avoir ainfi aftiftés , ck ils arriverent a Civitta-Vecchia le 8 cle Juillet 1761. Ceux de Goa ayant été en mer depuis le 19 Décembre 1760. Le Tribunal de Santé leur fit faire la quarantaine entiere , k 1'exception du dernier jour. On les en difpenfa en 1'honneur de la Ste. Vierge, dont on célébroit 1'Aftbmption. Aufli allerentils droit k 1'Eglife, rendre leurs hommages k cette Reine du Ciel. Peu de jours après leur débarquement, ils partirent tous fucceftivement pour Rome , oü ils furent diftribués en différens Colleges. Tel fut le fort de ces infortunées victïmes de la tyrannie. II nous refte k détailier fuccinélement ce que fouffrirent ceux qui étoient dans les Provinces de la domination Portugaife au-dela des mers, ck que l'on ramena en Europe.  ANECDOTES DU MINISTÈRE DE POMBAL. LIVRE CIN QU IE ME. T , A-i 'ABUS du pouvoir ck cle la force avoit fecondé les efforts de la fureur ck de la cruauté pour confommer le banniffement des Jéfuites du Portugal. La voix cle la raifon, de 1'humanité & de la religion réclamoit en vain leur confervation dans ce Royaume. La vérité ck 1'innocence ne purent approcher du Tróne, ck ils furent immolés , comme nous l'avon? vu, a la haine & a 1'impiété du tyran. C'étoit peu^pour lui de bannir ceux de Portugal; il eüt fouhaité d'exterminer tous ceux des autres Royaumes pour y répandre plus hbrement fa déteftable philofophie. En attendant cette révolution, qu'il follicitoit fi vivement auprès des autres Puiffances, ck -a laquelle il eut tant de part fous le ferheux Pontificat de Ganganelli, il s'appliqua a éteindre jufqu'au dernier germe DU MARQUIS  I. ie Para eji e'tabii Reformateurpar le Card Saldahna, ïr. 21 cominen te par interdire les Jéfuites, 376 Anecdotes du Mlnljlere de la Société dans les Provinces de la domination Portugaife au-dela des mers; ck c'eft ce que nous allons voir dans les Paragraphes fuiyarts, oü nous donnerons le précis des traitements qu'on fit féufmr a ces Religieux. i*. A Para fk au Maragnon. iQ. Au Bréfil. 30 A Goa. 40. Dansles prifons de Lisbonne. Enfin nous terminerons cette Hiftoire par le fuppiice du P. Malagrida. PARAGRAPHE T. Para & Maragnon. D OM Michel de Bulho'éns , Evêque cle Para, délégué par le Patriarche de Lisbonne pour exécuter la réfonne des Jéfuites de fon Diocefe, étoit 1'homme qui convenoit aux deffeins de Carvalhfy ck de ion frere Francois de Mendoza. Ce Prélat, qui afpiroit a être transferé a un Evêché en Portugal, accommodoit la conduite aux vues de fon ambition. Dès qu'il eut requ fa délégation , il en exerqa les pouvoirs avec un éclat ck une oftentation, qui décéloient ce qu'il avoit dans 1'ame contre des Religieux , qu'on [lui livroit entre les mains. _ - Le 6 de Décembre 1758, il leur infnna la défenfe d'exercer aucune fonétion du  du Marquis de Pombal. LlV. V. 37St. Miniftere dans fon Diocefe, & il eu foin de faire publier & afficher par-tou leur futpens. Pour donner plus de célébrité k cet aéte d'autorité, il en fit fair* 1'intimation par 1'Auditeur-Général revêtr de toutes les marqués de fa dignité, & accompagné de deux Officiers militaire; ck" d'une efcorte d'archers. Les chofes refterent fur ce pied jufqu'au 25 Avril 1759. Ce jour-la l'Evêque vint dire la meffe dans 1'Eglife des Jéfuites avec une troupe de foldats. Après la meffe s'étant revêtu d'une chappe violette ck ayant la mitre en tête, le baton paftoral k la main, ck une efcorte de foldats k fes cótés , il entonna le Libera ck fit la proceffion autour cle 1'Eglife. Les chantres de la Cathédrale qu'il avoit fait venir, pourfuivirent fur un ton lugubre au fon funebre des cloches , comme pour préluder k 1'agonie de ces Peres , qui dürent figurer dans cette marche avec leurs penfionnaires. La proceffion finie , le Prélat monta fur une haute eftrade , qu'il s'étoit fait préparer, ck il ordonna aux Jéfuites de lui baifer la main en tïgne d'hommage ck d'obéiffancé. Dela il entra dans le College, défendit au Provincial ck k tous les lïens, en vertu de la fainte obéifTance ck fous peine d'excommuuication, de réclamer contre ce qu'il trouveroit bon de ftatuer, ck les obligea fous ferment de répondre k fes queftions ni. 11 vïcnt dire la meffe dans leur Egl ij e Sr y faituneproseffivn finguliere. 11 cotvmcn- ce fa rifjte,  IV. II défend k tous ies Réligieux de recevoir de jNovlces avant leter. me de dix aat, 11 étend fes prouvoirs fur l'Evêque du Ma rugnon. 378 Amcious du Minijlert tk d'en garder le fecret. Les interrogatoi- res qu'il leur dreffa contenoient cent cinq articles, qui fe réduifoient au prétendu négoce, a 1'état des revenus du College tk a Pacceptation ou au refus de la ré- forme. Telle fut la première fonétion qu'exerca ce^ Prélat en fa qualité de Vifiteur & de Réformateur. Ce mélange d'appareil militaire & de cérémonies Pontifïcales préfageoit plutot une deftruétion qu'une réforme. II ne fe borna pas aux feuls Jéfuites. Les autres Religieux furent auffi 1'objet de fa haine, tk il leur défendit de recevoir des Novices avant le terme de dix ans. Cette défenfe étoit motivée fur les imputations les plus odieufes; ce qui convenoit d'autant moins, que cet Evêque ayant été Religieux lui-même, il laiffoit dans 1'efprit des fideles des impreffions très-fmiftres contre 1'état Religieux. Pour exécuter la commiffion aétuelle dont il étoit revêtu, il fomma l'Evêque du Maragnon d'interdire les Jéfuites de fon Diocefe : mais la réponfe de cet Evêque fut qu'il n'avoit aucune raifon de le faire, tk qu'il ne pouvoit en confcience fe priver de leur Miniftere. Le même Bulhoëns ordonna auffi au Vice-Provincial de rappeller de fa miffion le P. Louis Baretto, en le menacant qu'il iroit lui-même fur les lieux, pour y réprimer 1'infolence des Peres du Maragnon. II tint parole; ck s'étant embarque  du Marquis de Pombal. LlV. V. 379 avec Jean Caldas, fils du Gouverneur, que D. Mendoza lui avoit affocié , il y aborda le 2 du mois de Juin 1759. Le Gouverneur, qui du refte n'étoit pas afieétionné aux Jéfuites , lui fit entendre, que s'il les interdifoit, il pouvoit compter le Maragnon perdu ck 1'idolatrie rétablie. Cependant l'Evêque du Maragnon ne voulut pas être témoin de leur deftruction , ni avoir k contefter fa jurisdiétion, que l'Evêque de Para ufurpoit vifiblement: il partit pour aller faire la vifite de fon Diocefe, ck ne revint qu'après 1'expulfton de ces Peres. Ce vertueux Evêque ne tarda guere k être dépofé ck rappellé en Portugal, ou on le renferma dans un Monaftere, pour avoir entrepris leur défenfe ck écrit k Rome en leur faveur. L'Evêque Vifiteur, après avoir annoncé fa commiffion dans 1'Eglife du College, avec encore plus d'appareil qu'a Para, y reparut le 24 Juin en chaire. Son difcours ne contenoit que des inveóuves; ck fe comparant au Patriarche Jofeph, qui venoit vifiter fes Freres, il appuyoit fans ceffe fur ces exclamations des enfans de Jacob , dont il faifoit 1'application au Jéfuites : Merito hjec patimur : Cefiavecjuflice que nous fouffrons ces chofes. II célébra la fête de St. Dominique chez les Peres Capucins , ck y prononca le panégyrique de fon Saint Fondateur, que Dieu, dit-il, avoit fufcité pour réformer 1'Eglife dans v. Conduite dt celui-ei a Végard de ces Peres , & ce qu'il en penje. VI, L! Eréqrle de Para ar. rive au Maragnon.Sa Conduite.  Sur l; bruil de la men du Roi Er dt ia cliicc di sMinifirè , il fe radon tit. Informé dl la fauffeté de ces bruits, Uft déchaine di nouveau contre ces Religieux. 380 Anecdotes du Minijlere tous les temps , foit par lui-même ou par fes enfans. II termina fon difcours par conjurer le Saint de lui obtenir fon efprit dans la réforme Apoftolique, dont il étoit chargé. En ce tems-la, il fe répandit un bruit fourd de la mort tragique du Roi Jofeph ck de la chüte du Miniftre. C'en fut affez pour ralentir le zele du Prélat. II retourna a Para, renvoya le Miffionnaire Baretto a fa peuplade ck déclara qu'il n'avoit rien trouvé a réformer dans les Jéfuites du Maragnon. II en vint même jufqu'a louer leur zele , leur union ck leur régularité. Mais il ne perfifta pas long-tems dans ces difpofitions , ck la nouvelle qu'on avoit répandue s'étant trouvée fauffe , il reprit a 1'égard de ces Peres , les fentimens de haine dont il avoit donné des marqués auparavant : le détail de la prétendue conjuration de Portugal qu'il recut dans ce tems, lui fournit Foccafion de les molefter de nouveau. Le jour de la Purification, il célébra une Meffe folemnelle en aótion de graces, pour la confervation des jours du Roi échappé al'affaffinat du 3 de Septembre précédent. II y prêcha, ck fit entendre, au grand étonnement de fon auditoire , que les Jéfuites avoient trempé dans cet horrible complot. Enfuite prétextant que les Peres Jean de Souza ck Jofeph Tavarès avoient parlé contre fa réforme , il les fit renfermer , ck plufieurs  du Marquis dt Pombal. Liv. V. 3^1 autres furent menacés d'éprouver le même fort. Mais ce n'étoit la que le commencement des douleurs , qui continuerent jufqu'a Tarrivée de deux vaiffeaux au Maragnon, le 7 Juin 1760. Un cles Commandans defcendit avec une petite efcorte, tk alla porter au Gouverneur 1'Edit du banniffement des Jéfuifuites. De-la, fans s'arrêter , il remit a la voile , ck fit route vers Para , pour y exécuter la même commiffion. Le Gouverneur du Maragnon , ayant recu les dépêches , y donna toute fon attention. La garnifon fut commandée fous les armes, tk le College invefti , avec ordre de la part du Roi d'en ouvrir les portes. Des troupes s'y établirent, de même que dans les autres maifons tk réfidences. On eri tira les Pveligieux pour les conduire a Para. Leurs claffes furent fermées ; on rcnvoya les penfionnaires, tk défenfes furent faites aux habitans d'entretenir aucune relation avec ces Peres. Le 21 du même mois de Juin, 011 commenca a dreffer les inventaires tk k faire les recherches conformément k ce qui s'étoit pratiqué en Portugal. Le 1-2 de Juillet fut fixé pour leur départ. Une troupe de foldats efcorta ces Peres jufqu'au vaiffeau qui les attencloif. Ils s'y trouverent fort k 1'étroit au nombre de quatre-vingt-fix , dans le plus bas étage , fous un ciel tk dans un air épajs^ VII. 1'e'dit de leur bannif. Je ment arrivé au Ma. 'agnon & de-liaFa. 'a. Ta manie* re dont il s'exécute. ) VIII. Les Jéjuites du Ma. ragnon Jont embarqués pour Para.  Ils y dbordent. 382 Anecdotes du Miniftere fans qu'il leur fut permis cle fortir cle cette' fournaife, pour venir refpirer. Après avoir été a Pancre durant cleux jours, on mit a la voile. Le 19 le vaiffeau toucha fur un banc de fable ; les courants étoient rapides , les vents violens, la nuit fort obfcure : 1'épouvante fut générale ck le danger imminent; il y en eut qui demanderent a fe confeffer aux Prêtres prifonniers ; mais le Capitaine ne le permit pas. Enfin le lendemain on vint a bout de dégager le navire, ck le 26 de Juillet ils arriverent a Para. A peine étoient-ils dans le port que 1'Intendant du Roi vint au vaiffeau ck ht effuyer a ces Peres les formalités ck les rigueurs qu'on avoit exercées ailleurs avant de les débarquer. II y en avoit plufieurs qui étoient fi affoiblis, qu'ils ne pouvoient fe foutenir. On les conduifit au College, oü ils furent renfermés avec d'autres qu'on y avoit déja raffemblés. La étoit le P. Ignace Sanmartoni, Hongrois de la Province d'Autriche, qu'on avoit fait venir a la réquifition du Roi Très-Fidele ck fous le bon plaifir de l'Impératrice Reine, pour tracer en Amérique vers le fleuve cles Amazones , les limites entre les poffeffions de 1'Éfpagne ck du Portugal. II méritoit a plus d'un titre qu'on eüt pour lui quelques égards; cependant contre le droit des gens ck malgré les fervices qu'il venoit rendre , on le dépouilla, ck il eut a  du Marquis dt Pombal. LlV. V. 383 fouffiir les traitemens les plus durs. On affeéta enfuite de s'en repentir, & on lui préfenta un vaiffeau plus commode pour la traverfée. Mais il aima mieux partager comme Moyfe, le fort de fes Freres opprimés. II fut d'abord renfermé clans les prifons de St. Julien : au bout d'un an on le transféra clans le Chateau d'Azeytan , d'oü il n'eft forti qu'après dix-fept ans de foufFrances. L'Evêque de Para faifoit tous fes efforts, pour engager les jeunes Jéfuites k quitter leur robe. Les menaces & les pro- ] meffes étoient mifes en oeuvre pour vain- ' ere leur réfiftance. II y en eut fept qui [ fe rendirent, tk leur défeétion affligea fenfiblement leurs Freres. Ce fut en vain que l'on entreprit de réduire k une honteufe apoftafie le jeune Jean Tavarès. L'Evêque , PIntendant tk Dom Gomez de Souza uierent de tous les moyens imaginables pour y réuffir. II foutint ce rude affaut avec un courage tk une conftance inébranlable. C'étoit fur-tout fa mere, Dame d'une vertu exemplaire, qui 1'avoit prémuni contre la féduétion , en 1'exhortant elle-même k la perfévérance, avec une magnanimité peu commune. Tandis que celui-ci réfiftoit courageufement, trois Peres épuifés de peines tk de travaux terminerent leur trifte vie par | une mort édifiante ; & l'Evêque les fit 1 enterrer fans aucune cérémonie ecclé- IX. Tentatira 'aur enga>tr les jeuies gens a 'uitter leur, kat. X. Mart de ro'is Pere» V lew enerrement.  XI. Arrivée du nouvcl Jivejuede Para. Nouvelle du mariage de D. Pedre. Trieauv.ons de VEvêque Bul • ho'éns pour V embarquement 384 'Anecdotes dü Minijlere. fiaftique. II y avoit beaucoup cle malades , & leurs maladies ne provenoient que. des mauvais traitemens qü'on leur faifoit. Tous fouhaitoient d'être ernbarqués dans Pefpoir de voir abréger leurs fouffrances. C'étoient auffi les vceux du Commandant, qui fe plaignoit qu'on laifïat écouler la faifon pour le retour en Éurope. Ce retardement venoit de Mgr. Buihoëns. II attendoit fon fuccefleur a. 1'Evêché de Para, ck vouloit profiter du même vaiffeau pour repaffer en Portugal ck aller prendre poffeifion de 1'Evêché de Leïria, auquel le Miniftre 1'avoit fait nominer 'en récompenfe de fon dévouement fervile a fes volontés. Le vaiffeau fi long-tems attendu arriva enfin le 31 Aoüt , avec D. Jofeph de St. Antoine , Bénédicfin, qui venoit reinplacer D. Buihoëns. II apportoit l'heureufe nouvelle du mariage de D. Pedre, frere du Roi, avec la Princeffe du Bréfil fa fille. Six jours fe paflerent en réjouiffances publiques, tandis que les Jéfuites étoient dans la défolation. L'ancien Evêque de Para, qui n'afpiroit qu'au moment de fon départ, craignoit cependant que la contagion ne fe mit dans le yaiffëau deftiné a tranfporter les profcnts, parmi lefqueis il y avoit un affez grand nombre de malades. II fit examiner leur état par des médecins, qui déclarerent plufieurs d'entre-eux incapables de  'du Marquis dt PomhaLLw. V. 385 de foutenir une fi longue navigation : mais comme leurs maladies n'étoient pas contagieufes , ck qu'ils fouhaitoient de fuivre leurs Freres , les médecins déciderent, qu'on pourroit les embarquer fans rifque , pourvu qu'on ne les entaffat pas les uns fur les autres, ck qu'ils ne fuffent point renfermés avec les bêtes, comme ils 1'avoient été dans le tranfport du Maragnon. On convint donc de leur accorder une certaine aifance, ck ils n'en furent redevavables qu'a la crainte que l'on eut de la contagion. Le iz de Septembre , les Officiers du Roi vinrent fur le minuit au College, firent defcendre les Peres a. la porte, les fouillerent, ck enfuite les conduifirent a bord du batiment qui devoit les tranfporter. C'étoit un vaiffeau du premier rang : mais quelque fpacieux qu'il fut, il ne 1'étoit pas affez pour contenir quatre cents cinquante perfonnes , qui s'y embarquerent. Les Jéfuites furent placés au fecond pont, ck s'y trouverent bien a. 1'étroit, vu leur nombre, qui étoit de cent quinze. Ils eurent occafion d'y fouffrir de fort grandes incommodités caufées par les chaleurs exceffives, ck par la qualité des vivres qu'on leur diftribuoit. Dans la foif, qui les dévoroit, ils n'avoient que de l'eau pourrie , ck cette eau étoit pour eux un nouveau tourment. La faïfh y mettoit le comble. Pour furcroit de calamité, il furR xrr. TJJpart dts Jcjuites dc Pa,a. p'mhar^ut' ment. Souffrances, Tempitt,  XIII. Jeur arrii ét a Liflonne. XIV. Tentatives pour ébranier leur voca'.ion. On lts fcpait. (a) Cet Evêque vivoit encote en 17*0. Mais D. Mendoza fut euiportc fubitement peu après fon tetour , par un abcès qui vint a crever; on dut 1'enterrer furlecharap, a caufe de 1'infeftigD. bomble que ie cadavre exliaja. d'abord. 386 Anecdotes du Mlnijlerc vint un calme, qui dura plufieurs jours. A ce calme fuccéderent de violentes tempêtes. Celle du 31 Oétobre fut terrible. On s'attendoit a périr. Depuis le 11 Novembre jufqu'au 17, le Ciel fut obfcurci, ck les vents ne cefferent d'être déchainés. Les vieux mariniers avouoient n'avoir jamais rien effuyé de femblable. Quatre de ces Peres moururent dans cet intervalle. Les autres au nombre de cent onze arriverent enfin a Lisbonne tout épuifés ck a demi-morts. D. Buihoëns, qui étoit logé au-deffus d'eux, ne les vit point dans tout le traiet. II defcendit la veille de leur entree dans le port (a) pour aller h Oeïras s'aboucher avec le Miniftre ck D. Mendoza fon frere, qui étoit revenu des Indes. Le Comte de St. Vincent entroit trop bien dans leurs vues pour n'être point chargé du débarquement de ces Peres. II les fit comparoïtre fucceffivement devant lui, ckles exhorta a quitter la Compagnie. Pour les y déterminer, il leur faifoit lire un faux Bref du Pape, qui les y autorifoit, ck il n'épargnoit ni menaces ni promeffes. Tout étant inutile, il en fit cinq bandes, dont quatre étoient deftinées a différentes  du Marquis de Pombal. Lrv. V. 3S7 prifons. La cinquieme divifionfut embarquée durant la. nuit fur le vaiffeau Danois freté pour 1'Italie. Le tems leur fut fi j favorable , que leio Décembre ils en c'écouvrirent les cótes : mais le vent ayant 1 changé, ils n'entrerent dans le port cle ] Civitta-Vecchia, quele 17 Janvier 1762. P ARAGR APHE II. B R É S I X. T ' c Cardinal Patriarche avoit délégué en 1758 , 1'Archevêque de la Baye de Tous-les-Saints, pour la vifite Apofloü- ' que des Jéfuites du Bréiil, & vers la mi-Juin _ de cette même année, le Roi y envoya trois Sénateurs, pour compofer un nouveau Tribunal. Ces Officiers étoient Antoine Azevedo-Continho, Jofeph Mafca- 1 ■ renhas Pacheco , Emmanuel-Edenne de ' i Vafconcellos Barbarino. Leur navigation ' fut des plus périlleufes & fignalée par un » phénomene fmgulier. II parut autour du I vaiffeau un météore enflammé dont 1'exI plofion fit plus de bruit que n'auroit fait 1 une décharge de vingt canons. Cet événement , dont la phyfique donne des | exemples & des raifons (d), joint aux (3), On peut confulter lur cette mattere, la Mé» téorologie de Reinzet, p. 4+, R 2 rJne partlt fi cmtaijue'e & arivt a Ci•itta ]r'cchia, XV. V Archcvï' uehde Vtala ■tabli Rérormateur. Vroh 5élateurs envycn. 388 Anecdotes du Miniftere coups de vents qu'ils effuyerent, ne laiffa pas de leur caufer des inquiétudes fur la commiffion, dont on les avoit chargés, & ils commencerent a refpefter quelques Religieux paffagers, a qui, jufques-la ils n'avoient marqué que du mépris. Voulant même mettre ordre a leur confcience, ils fe confefferent a ces Peres, Sc promirent a Dieu de ne rien entreprendre d'injufte contre les Jéfuites, Sc de porter leurs. intéréts autant que la raifon Sc 1'équité le demanderoient. Arrivés heureufement au port, Mafcarenhas, celui-la rhême qui s'étoit comporté avec beaucoup de rigueur envers les Jéfuites de Porto, fut fidele a fon engagement; il tint une conduite toute oppofée, Sc eut pour ces Religieux tous les égards de 1'humanité Sc de la juftice. Auffi s'attira-t-il la difgrace du Miniftre , qui avoit compté fur lui, Sc qui fe vit trompé dans fon attente. Le 7de Septembre, dix jours après leur arrivée, ces trois Sénateurs commencerent leurs opérations. Ils remirent a 1'Archevêque les lettres du Patriarche Saldahna , qui le fubftituoit en fa place, pour la vifite Sc la réforme des Jéfuites de fon Diocefe, ou plutot pour leur deftruétion. Le Doyen de la Métropole étoit nommé fon adjoint, Sc il voulut d'abord exécuter fa commiffion , après s'être déporté de 1'emploi de Confervateur, qu'il avoit accepté auparavant. Mais PArchevêque lui fit en-  du Marquis de Pombal. LlV. V. 389 rendre, qu'il ne convenoit pas d'agir avec cette précipitation;St le Vice-Roi a qui le Doyen porta fes plaintes , décida en faveur de 1'Archevêque. Cependant ce Prélat chargé d'une délégation qu'il déteftoit, choïfit pour Secrétaire Gonfalve de Souza, qui vint au ; College le 9 de Septembre fignifier 1'Edit du Patriarche , dont il expédia des copies aux autres Maifons, Réfidences & Miffions du Diocefe , & fit procéder aux invenraires. En même-tems lës Jéfuites eurent défenfe d'approcher du Palais St de fe préfenter a 1'Archevêché ; & comme on travailloit alors au procés du vénérable P. Alexandre de Guzman, Jéfuite , pour confrater les preuves de 1'héroïcité de fes vertus, 1'Archevêque ordonna que la chambre établie a cet effet dans fon Palais , fut tranfportée ailleurs. Les trois Sénateurs, pendant ce tems, faifoient publier un Edit, qui invitoit les Prêtres féculiers a fe préfenter pour remplacer les Jéfuites dans leurs Miffions. II ne s'en trouvoit point qui entendiffent la langue des Brefiliens : maïs le Miniftre y avoit pourvu, en ordonnant qu'on ne parleroit aiix Indiens qu'en langue Portugaifè , quoique ces bonnes gens ne fuffent pas d'humeur a 1'apprendre, Sf témoignaffent fur cela une répugnance infurmontable. Les Jéfuites avoient neuf Miffions dans R 3 xvnr. L'Edit du Cardinal ntimé au College de Bahia. XIX. Frét.es f£culiers invités a rem. placer ces Perts dans UsmiJJions. JMoir.bre dis S/liJJions  qu'ils dirigeoient. xx. hiformti' tions contre les Jé, Juites. XXI. VUlageg érigés en villes. 390 'Anecdotes du Minijïere le Diocefe de Bahia, cinq dans celui*de Rio-Janeïro , fix dans celui de St. Paul, ck fept dans celui de Fernambouc. Chaque Evêque étoit délégué Vifiteur ck Réformateur dans 1'étendue de fon territoire. Leur commiffion tendoit vifiblement a la deftruétion de ces Chrétientés fondées au prix des fueurs ck du fang de ces hommes Apoftoliques. Ceux qu'on leur fubftitua, ignorant la langue , quels fervices pouvoient-ils rendre a ce pauvre peuple, ck quel fruit pouvoit-on s'en promettre ? Dès qu'on eut inftallé ces nouveaux Miffionnaires r on fit prendre des informations fur les lieux, pour favoir , 1 o. f les Jéfuites recevoient quelque honoraire des Brefiliens ? a°. S'ils les tenoient en efclavage ? 3 °. S'ils s'approprioient leurs biens. 4'. S'ils les empêchoient de communiquer avec les Européens? ^. S'ils leur refufóient leur falaire? óf. S'ils les jugeoient au civil ck au criminel ? 70. S'ils les obligeoient de travailler pour eux tous les jours de la femaine , a la réferve des Dimanches ck des Fétes ? A tous ces points les réponfes des Brefiliens furent entiérement a la décharge cles Jéfuites; ck ce pauvre peuple ne les vit partir qu'avec un extréme regret. Ils n'emportoient avec eux que leur bréviaire ck leur baton. Après leur départ, les Sénateurs érigerent les villages en autant de villes, avec droit de nobleffe pour les habitans, Cour  du Marquis de Pombal. Liv. V. 391 de Juftice ck Jurifdift ion a une lieue a la ronde. On afiigna aux nouveaux Curés cent vingt-cinq écus fur le tréfor royal, outre 1 "habitation ck les meubles, que les Jéfuites y avoient. On en dreffa 1'inventaire , auffi-bien que des ornemens ck de Pargenterie des Eglifes. Ces villages métamorphofés en villes, ck 1'ennobliuement de ces Sauvages, n'eurent d'autre efFet que d'indifpofer ces bonnes gens contre une nouveauté fi ridicule. On nous ennoblit, difoient-ils, ck on nous óte le pain de la main. Nos Miffionnaires nous adminiftroient gratuitement les fecours fpirituels , ck a préfent on nous impofe des droits pour le baptême, pour le mariage ck pour la fépulture. Qu'avons nous fait pour être traités de la forte ? Les Prêtres, qui furent placés auprès d'eux, n'y tinrent pas long-tems. Antoine Rodriguez, après avoir follicité la Miffion du St. Efprit, qui paffoit pour la plus opulente, n'y demeura pas un an , ck il ne la quitta, que paree qü'il n'y trouva point de quoi mbfifter. Celle de St. André fut remplie par le Prêtre Xavier Araci;o, mais il ne put s'accoutumer aux mceurs de fes paroiffiens, ck les abandonna prefqu'auffi-tót. Les Indiens de la nouvelle Miffion de la Conception , furent très-furpris , au retour de leur chaffe , de ne plus trouver chez eux leur ancien Miffionnaire ; cela R 4 Sentimens des Brefiliens a «• fujet. IZt leurron ■ dutte h l'égard des nouveaux MiJJiunnaires. XXIE. Rdjbluiion prife par quelques Sauvages de  ft dtfa'iredt leur nouveau Cuti. xxnr. Cu dépouille les Egliies. "P'-iintes des Indiens. 3$»i Anecdotes du Miniftere les irrita au point qu'ils prirent enfemble la refolution d'affommer le nouveau Curé. ïl pénétra leur deffein , & prit fagement la fuite. Cependant on vit les Miffions dégarnies par-tout : un des principaux foins des Jéfuites parmi les Indiens, pour les attirer a la Foi & leur infpirer du refpeét pour les chofes faintes, étoit de donner un air de fplendeur & de magnificence a leurs Eglifes , & aux cérémonies de la Religion. 11 y avoit fur cela une fainte émulation d'un village a 1'autre. C'étoit a qui auroit les plus riches ornemens & les plus beaux meubles. Tout cela leur fut enlevé&porté au tréfor royal. Les mêmes exécutions fe firent dans les Miffions de Rio-Janeïro & de Fernambouc. Ces dernieres avoient été prefque toutes détruites fous le gouvernement_ des Curés féculiers, & ce fut pour les rétablir qu'on les avoit rendues aux Jéfuites. Les habitans qui leur étoient attachés , & qui fe voyoient de nouveau expofés aux anciennes violences , propolèrent a ces Peres de s'enfoncer avec eux dans des lieux inacceffibles aux Portugais. » Nous nous fouvenons, leur di•> foient-ils , de ce que nous avons eu k >> fouffrir fous les Curés féculiers. On nous ■> enlevoit nos garcons & nos filles pour > les rendre efclaves , & cela a paffé en > coutume dans les Miffions , dont ils ont > la conduite. Depuis que nous vous avons  du Marquis de PombalPLiv. V. 393 » eu, on nous a refpe&és , ck l'on n'a ofé -» attenter a notre liberté «. Que pouvoient répondre les Jéfuites a de pareils propos , finon de plaindre leur fort ck de les exhorter a la patience ck a la foumiilion ? Enfin, fans parcourir en détail les autres Miffions, ce fut par-tout un cri général, ck des répugnances infurmontables. Les Sénateurs furent contrahits d'en venir aux menaces, ck de décerner la peine de mort contre ceux qui refuferoient de fe foumettre a la nouvelle forme de République. Les Indiens défolés difoient a ces Sénateurs ck aux nouveaux Curés. » A la vérité , nous » avions a travailler pour les Jéfuites, » mais nos travaüx fe réduifoient a 1'ef» pace de trois heures chaque matinée » pendant cinq jours confécutifs , au bout » defquels nous étions libres trois femai» nes entieres, que nous employions a cul>» tiver nos champs ck a vaquer a la pêche » ck a la chaffe pour nous nourrir. Ces Pe» res , contens du peu que nous faifions » pour eux, fubvenoient encore aux be» foins cle nos malades , de nos veuves » ck de nos pauvres; ils nous montroient » dans "nos Eglifes le produit de nos tra» vaux employé a la décoration de nos » Autels, aux ornemens ck aux répara» tions. Aujourd'hui le droit de ville ck » les titres de Nobleffe que vous nous don» nez, vont nous réduire a un véritable » efclavage, Nous n'aurons plus la liberté  394 An&dotts du Miniftere » de labourer nos terres, ni de recueil» lir nos moiffons , quand nous le vou» drons. Déja chaque jour, vous nous » faites abandonner nos travaux ordinai» res, pour batir ce que vous appellez » des éclifices publics , la maifon de ville , » celle du Sénateur, le presbytere, les » prifons, ck tout ce qu'il vous plaït de » nous commander. Qu'avons-nous be» foin de titre ck de nobleffe, fi nos ter» res reftent incultes, ck fi nous périffons » par la faim ?« Unevertueufe Brefilienne difoit en fe lamentant : » Mon mari » vient d'être fait Sénateur, ck je pré» vois qu'il ne fe paffera pas un an » qu'on me 1'enlevera pour le jetter » dans. les prifons, ou que par fa fuite, » je me verrai moi-même abandonnée ck » réduite au plus trifte fort : c'eft ce qui » arrivé tous les ans fous nos yeux dans » les Capitaineries du Bréfil (a) «. L'exemple du préfent , 1'expérience du paffé, ck le bons fens leur faifoient naturellement appréhender ces afHigeans revers ; ck ils ne tarderent pas a les éprouver. On vit bientöt ces pauvres Indiens, excédés cles travaux , dont on les furchargeoit, fe retirer dans les bois, en regrettant la douceur du gouvernement de leurs (*) Ces Capitaineries font fous le gouyernemejit «iyilc, Yoy« liv. ï, LXX,XHI.  du Marquis de Pombal/Liv. V. 395 anciens Miffionnaires. Les Miffions de Rio" Janeïro, Diocefe de St. Paul, furent oc- \ cupées par les nouveaux Curés au mois de Juin 1759. Une vieille Bretïlienne , époufe del'Alcade, anima fes compatriotes contre la nouvelle forme du gouvernement, tk les engagea a s'y oppofer, duflent-ils répandre pour cela la derniere goutte de leur fang. Ils fe cantonnerent avec elle dans des broffailles, tk y établirent leur magafin de fleches. On en faifit fept, qui furent conduits aux prifons de Fernambouc , tk le refte fe diffipa. II n'y eut point de Miffion qui ne fournit quelque fcene auffi trifte. II fuffit de dire, que tous ces changemens porterent parmi ces Chrétientés autrefois fi floriffantes , de terribles coups a la religion tk aux moeurs. L'enfer ne pouvoit y employer des moyens plus efficaces, pour en faper les fondemens. Dans ces entrefaites , on continuoit les opérationsalaBaie deTous-les-Saints. Le Tribunal de Confcience ordonna au Provincial de raffembler les Jéfuites étrangers, qui travailloient dans les Miffions de la domination Portugaife. C'étoit pour leur payer clans les prifons de Lisbonne la récompenfe due a leurs travaux, tk aux fervices rendus a la Couronne. On ofa tenter la conftance de deux Anglois, dont 1'un Ex-Provincial & fexagénaire vomiffoit le fang, tk 1'autre nouveau converti, faifoit fa philofophie , & n'étoit pas même JéfuiR 6 'idït'ion de uel-iues. iréjlliens. XXIV. On dejiine les Jéfuites étrangers eux prifans de ZUbedne.  XXV. Libelle répanda dam le Brejtt. Ordre d'en voyer troii Jéjuites a Lisbonne, 396 Anecdotes du Minijlere te. Un vieux Frere , Francois de nation , fut auffi follicité ; mais on n'y gagna rien. On difpenfa les deux vieillards du trajet de Lisbonne, mais la philofophe, qui réclamoit fon état & fa nation , pour fe retirer oü bon lui fembleroit, fut embarque pour Lisbonne avec quatorze Jéfuites le 4 Février 1759. Le jour de Paques de Ia même année arriva de Lisbonne a Bahia un grand nombre de vaiffeaux. Ils portoient entre autres une infmité d'exemplaires d'un libelle anonyme contre la Société. Cette brochure,. qui renfermoit un tas d'erreurs, que l'on imputoit aux Jéfuites , fit 1'édifiante occupation du public dans ces fêtes confacrées aux grands objets de la Religion. Par la même voie 011 recut 1'ordre du Miniftre de faire embarquer pour Lisbonne le P. Jean-Honoré Ex-Provincial, le P. Emmanuel Gonzague & le P. Alvarès. Le premier . pour avoir adminiftré le Sacrement de Confirmation aux néophites; mais il y étoit autorifé par une permiffion du Pape. Carvalho, qui ne pouvoit contefter cette permiffion , prétextoit qu'elle n'avoit pas été préfentée a la Chancellerie Royale ; quoïqu'il füt avéré que Didace Mendonza Feut vidimée. Le fecond étoit appellé a Lisbonne fur des calomnies, dont 1'avoit chargé Antoine Vaz, Clerc féculier, & dont la fauffeté étoit évidente. Le troifieme enfin étoit accufé de forfaits.  du Marquis de Pombal. LlV. V. 397 atroces qu'il devoit avoir commis au Maragnon , oü cependant il n'avoit jamais mis le pied. On leur affocia le P. Roger Canifius , Miffionnaire Allemand , fous le prétexte qu'il étoit de nation étrangere. Ils s'embarquerent le 17 Aoüt 1759, & furent conduits a Lisbonne. L'Archevêque de Bahia avoit ordre de Saldahna &: de Carvalho , d'interdire les ; Jéfuites; mais il répondit que leurs fervi- i ces lui étoient trop néceffaires, pour s?en ' priver, & que depuis dix-neuf ans qu'il occupoit fon Siege , il n'avoit jamais rien trouvé en eux que d'édifiant. II joignit a ce témoignage celui d'environ quatrevingts perfonnes des plus notables du pays, du nombre defquels étoit le frere de Saldahna, lui-même (a). Sur prés de quatre-vingts articles, auxquels ils eurent a. répondre , il ne fe trouva pas une feule dépofition a la charge des Jéfuites. D. Mafcarenhas fit auffi de ces Peres, le rapport le plus avantageux. II ne favoit pas qu'en rendant hommage a la vérité, il deviendroit fufpect a fes collegues Continho & Barberin. Ces deux Sénateurs avoient déja oubliés les promeffes qu'ils avoient faites en mer, de ne rien entreprendre d'injufte contre les enfans d'Ignace. La crainte de ruiner leur for- (a) Voyez liv, II, NJ. XXVI, XXVI. ' Are hé: euc de ïjaxa rcjufe l'interdire es Jéjuites* XXVU. Rapport ivamageux \ue Inajca-enhas fait le ces l f es.  11 en tj puni £• on l'emprifon ne. VIII. XXVIII. Saijie des Colleges. 398 Anecdotes du Miniftere tune, 1'avoit emporté fur la voix cle la confcience; ck comme la fidélité de Mafcarenhas, leur donnoit de Fombrage, ils proiiterent des momens de fon abiënce, pour porter a ces infortunés les coups les plus fenfibles. On préfuma qu'ils avoient déféré au Miniftre ce collegue confcierir} tieux, ck 1'événement parut vérifier la . conjecture ; car il ne tarda pas a être renyoyé par fon ordre a Rio-Janeïro , d'oü il fut transféré a 1'ifle Ste. Cathérine, ck mis en prifon dans la citadelle de Los Ratones. C'eft lui qui montra aux Jéfuites de Bahia la lettre que Carvalho avoit écrite a fon pere, Sénateur de Porto , pour lui enjoindre d'envelopper les Jéfuites dans . 1'accufation de la fédition, dont nous avons parlé dans le fecond livre. Le College de Bahia étoit en fequeftre, depuis fept mois , lorfque le 15 Décembre 1759, un navire marchand apporta Fordre du Roi d'en faire la laifie. Cet ordre étoit parvenu a Rio-Janeïro avant qu'on fut informé du décret pour la réforme , ck on ne tarda pas a le recevoir a Fernambouc. Auffi-töt, il fut mis en exécution , ck de tout cöcé l'on s'empara cles Colleges, des Séminaires , des R.éfidences, ck des biens qui en relevoient. Mais au lieu des tréibrs annoncés a Lisbonne , on ne trouva guere que des dettes. On fit la., pour féduire les jeunes gens,  du Marquis de Pombal. Liv. V. 3 99 les mêmes tentatives qu'en Portugal, & 1'Edit de Saldahna fut publié. Cependant 1'Archevêque, qui avoit trop de religion pour 1'appuyer, ne fulmina le décret de fufpenfe, que lorfque les Peres furent en détention. Ces ménagemens furent la caufe de fa difgrace. Sa lettre au Roi, oü il déclaroit que les Jéfuites étoient innocens, fut ce qui acheva de le perdre. Le 6 Janvier 1760, le Marquis de Laurados, nouveau Vice-Roi du Bréfil, arriva a. la Baye de Tous-les-Saints avec des lettres deS. M. pour cet Archevêque. Le Roi y acceptoit la prétendue démiffion, qu'il devoit avoir fait de fa dignité, il déclaroit' le Siege vacant, & donnoit 1'adminiftration du Diocefe au Chapitre, jufqu'a 1'arrivée d'un nouvel Archevêque. Onlui remit auffi une lettre du Cardinal Saldahna qui le remercioit, ironiquement fans doute, des peines qu'il s'étoit données pour Ia réforme des Jéfuites. II y difoit qu'il étoit charmé de ce qu'il les avoit trouvés fi innocens & fi recommandables; mais que l'on en jugeoit bien diftéremment k Lisbonne, & qu'on ne pouvoit fe difpenfer d'y croire que c'étoit un corps gaté & dépravé. II eft bon de favoir ce que c'étoit que cette démiffion dont la lettre faifoit méntion. Ce digue Archevêque avoit demandé il y avoit cinq ans, k fe démettre, mais k deux conditions, dont la première étoit qu'on lui permettroit de demeurer XXIX. VArchevejue ejt di7ofé pour woir écrit iu Roi en rtveur dt» Jéfuites,  liv. 4. N°. XVII. XXX. le Doytn Je porie po-ir Réformateur. Crlfe oü fi trouverent les PtttS, 400 Anecdotes du Miniftere au Bréfil, pour ne pas s'expofer a fon age de quatre-vingts ans aux incommodités d'une longue navigation; & la feconde, qu'il plut au Roi de lui affigner pour fa fubfiftance, la moitié de la penfion que le tréfor royal lui payoit. Le Roi ne voulut pas alors recevoir fon abdication. Mais les cinq ans écoulés , ck lorfqu'il s'y attendoit le moins, ce Prélat fe vit tout-a-coup dépofé. Son dais fut enkfvé de la Métropole , & la penfion qu'il tiroit du tréfor royal, ck dont il s'étoit réfervé la moitié , lui fut refufée ; enforte que cet illuftre vieillard dépouillé de tout, fe retira a une Chapelle a une lieue de la ville, pour y finir fes jours dans la retraite, n'ayant d'autre reffource que la charité des Fideles : mais du refte abondamment dédommagé par la confolatipn. qu'il goütoit de n'avoir trahi ni fa confcience ni la vérité. Que ne fit pas le Miniftre pour furprendre la religion du Pape a fon occafion, & pour lui donner un Succeffeur? Nous en avons fait mention ailleurs. Le Doyen du Chapitre qui avoit été nommé Adjoint a 1'Archevêque, fe vit par cette démiffion , feul chargé de la commiffion de Réformateur, & il s'en acquitta d'une maniere qui lui mérita les éloges du Card. Saldahna & cle Carvalho. Dès le 7 Janvier, on s'empara a main année des maifons des Jéfuites ; on les  du Marquis dt Pombal. LlV. V. 401 chaffa de leurs chambres , & on les enferma dans la Chapelle domeftique, pendant que l'on faifoit une vifite générale qui dura huit heures. Ils ne favoient pas fi dela on les conduiroit au fupplice ; car on le leur avoit fait craindre. Dans cette appréhenfion, ils ne penferent plus qu'a fe préparer a la mort. Ils crurent que le moment en étoit venu, quand ils' entendirent ouvrir brufquement la place oü on les avoit enfermés, & qu'ils lè fentirent entrainés dans les ténebres au milieu des gardes, qui avoient ordre de faire feu fur ceux qui chercheroient a s'enfuir. Ils furent conduits dans des barques a la maifon du Noviciat , qui n'en étoit éloignée que de deux milles. On venoit d'en chaffer les Novices, après leur avoir arraché 1'habit Jéfuitique lans leur en donner d'autre; tellement que les foldats dürent leur prêter leurs capottes pour gagner un Monaftere de Bénédiftins qui fe trouvoit dans le voifinage. Ce fut dans cette maifon du Noviciat que les Jéfuites eurent a effuyer plufieurs mauvais traitemens de la part de Ximenès. Ce Commandant ufa envers eux de tant de dureté, qu'il en fut vivement repris par le nouveau Vice - Roi. Celui-ci, pour premier aéle d'autorité , fit publier le 9 de Janvier l'Edit de banniffement. Le même jour , le Doyen , trouvant tout applani pour fes opérations-fe rendit au Noviciat, XXXI. Edit de tahnijfement pu* blié.  XXXII. Embarquemeit . Mafcarenhas ejf mis en prifen. » N\ XXVII. XXXVII. Conduite finguliere de l'Eréque de Rie Janeïro.  Emprifonncmtnt de quelques Profes. Violenees fdttes a q';cl.jues jeunes Jéjuites, xxxvnr. Scufie de quelques Miffionnaires. if>% 'Anecdotes du Minijlere Le 30 Janvier le Gouverneur fit conduire quatre Profès au Fort cles Anguilles clans une ifle peu diftante de la ville. On leur faifoit un crime d'avoir exhorté les jeunes gens a la perfévérance. L'Evêque fit faire des informations contre les Jéfuites, & les dépofitions de leurs ennemis ne furent pas rejettées. On fit violence par fon ordre a dix jeunes gens, qu'on arracha du College, en fe radiant d'eux , & leur difant qu'ils faifoient de 1'enfant a vouloir fe facrifier pour des chimères. Enfin on les tranfporta au Séminaire , oü ils eurent a efiuyer diverfes fortes d'incommodités. Le z 1 du même mois, on avoit amené de la ville du S. Efprit dix-fept Jéfuites pour être embarqués a Rio-Janeïro. Le College de la Baye de Tous-les-Saints fut abandonné a un féculier ( Daniël Rofe ) qui s'y établit avec fa femme , fes filles & fes fervantes. On en avoit tiré les Jéfuites , qui eurent beaucoup a fouffrir , pour fe rendre par mer au lieu de l'embarquement. On ufa des mêmes violenees a. la ville de St. Paul, & on y commit les mêmes profanations qu'ailleurs. Le peuple fut très-fcandalife de ce qu'on rappelloit deux Miffionnaires occupés a dix-huit lieues dela aux travaux Apoftoliques. Sur ce qu'on avoit fait entendre au Sénateur, qu'un autre, fixé dans un village, méditoit de s'enfuir  du Marquis de Pombal. LiV. V. 409 s'enfuir, on y envoya un detachement, ck 1'avis fe trouva faux. A vingt-cinq lieues plus lo.in , deux Miffionnaires furent pris dans leur lit. On les ramena a St. Paul, oü ils furent mis en prifon, Sc privés pendant trois jours de toute nournture. On faifir en même-tems les deux Miffionnaires de Ste. Anne. Ils furent tous remplacés par des Curés, auxquels on avoit affigné cent écus d'appointement fur le tréfor royal. Ils furent d'abord mal payés. On les réduifit enfuite a un tiers, en les autorifant a fe faire payer les deux autres tiers par les Brefiliens : mais c'étoit vouloir 1'impoffible. Auffi la penfion venant a manquer, ces nouveaux Curés abandonnerent leurs Miffions Sc laifferent ce pauvre peuple deftitué de tout fecours de Religion. Pour ce qui eft de l'Evêque de St. Paul, bien différent de celui de Rio-Janeïro , , il ne put diffimuler fon indignation a la < vue des profanations, qui fe commettoient ' fous fes yeux. II voyoit dépouiller les Autels , enlever les vafes facrés, Sc traiter indignement des Miniftres irréprochables, qui cultivoient avec le plus grand zele la vigne du Seigneur, 8c qui fe montroient dignes de toute fa confiance , en coopérant fidélement au falut des Indiens de fon Diocefe. II rejetta les libelles venus de Lisbonne, Sc en défendit la leef ure. II ofa même porter fes plaintes au GouverS tts Curia qu'on Uur fuhjïithc t ïbandonnent leur* MiJTiont. XXXIX. S entimens 'e l'Eve"* ue de St.  Vn eon- duit les Jéjuites de'St. Paul a Bahia, & en quellc compagnie i XL. Conduite édiftante d'un Abté Bénédiilih, 410 'Anecdotes du Miniftere neur , & lui prédire que 1'éloignement des Jéfuites entraineroit infailliblement dans le Brefil la ruine de la Religion & celle de PEtat. Tous les honnêtes gens penfoient comme lui. Malgré ces remontrances, le 21 Janvier 1760, on conduifit de St. Paul a Bahia, vingt-trois de ces Peres, qui avoient eu le tems de fe fortifier pendant leur détention par les exercices fpirituels, &'de fe difpofer dans une retraite de huit jours a boire le calice d'amertume qu'on leur préparoit. Ils furent confondus avec cinq métis, chargés de fers aux pieds & aux mains , & cohdamnés au dernier fupplice en punition de leurs crimes. II paroit affez qu'on vouloit aggraver 1'ignominie de ces Peres & les faire paffer pour criminels, en les affociant a une telle compagnie. Après quatre heures de chemin, ils logerent dans un Prieuré de Bénédiclins. L'Abbé du Monaftere, dont ce Prieuré reffcrtiffoit, y avoit invité le Sénateur Sc 1'Alcade, voulant fe donner la confolation d'embrafTer pour la derniere fois ces Religieux , qu'il affe&ionnoit particuliérement. Ces Officiers accepterent 1'invitation , a condition qu'on ne prendroit aucun foin des Jéfuites, & qu'on ne chercheroit point ?. les voir, ni a leur parler. Cependant 1'Abbé trouva le moyen d'éluder cette condition. II les vit, il les embraffa, les arrofa de fes larmes, & fut extrêmernent  'du Marquis dt Pombal. LrV. V. 411 't-ainé de leur réfignation & de leur tran•quillité. C'eft même ce qui augmenta de beaucoup en lui les regrets de leur perte. Ce vertueux Abbé s'étoit déja fïgnalé par un trait de zele & de charité. Quelque violentes que fuflent les vexations contre les Jéfuites, il ne pouvoit fe perfuader qu'on dut en venir jufqu'a les chaffer du Bréfil. Croyant qu'on fe contenteroit dé leur öter leurs biens, & de les réduire a ne vivre que d'aumónes, il avoit affemblé fon Chapitre, & 011 y étoit convenu d'un commun accord de leut abandonner un tiers des revenus de la Communauté pour les fuftenter dans leurs travaux Apoftoliques. Le Seigneur en difpofa autrement, & lui aura tenu compte de fa bonne volonté, Le lendemain, dès le grand matin , on fe remit en route. La pluie ne difcontinua point durant cinq jours d'une marche pénible. En arrivant a Bahia, on les fit embarquer fans leur donner le tems de fe remettre de leurs fatigues, & ils refterent deux jours a 1'ancre. Le 26 Janvier, on fortit du port; mais on n'avoit pas encore fait deux lieues, qu'on jetta 1'ancre; c'étoit pour attendre le Gouverneur, qui vint a bord remplir certaines formalités, & faire une derniere tentative fur 1'efprit des non-Profès. Ils demeurerent inébranlables, en forte que le jour fuivant, il fut permis de remettre S 2 JUT. Smbai y//pment a Bahia.  XLII. College de IParnaqua invejli, 'Embarque ment a Rio Janeïro, Seuffra* ets. 41 z Anecdotes du Mlnijlere k la volle, & que le z cle Février ils arriverent a Rio-Janéïro. Le 15 du même mois , le College de Parnaqua, fitué dans le Diocefe cle St. Paul, avoit été invefti, & après huit jours de détention, les Peres qui le compofoient, furent conduits a Rio-Janeïro , fous la direftion du Sénateur Séraphin de Angelis. Ils étoient au nombre de vingtcinq, & tous tinrent fermes contre les follicitations qu'on leur fit de quitter leur robe. Deux Miffionnaires fe trouvoient alors dans la Réfidence de Pitanqui. On envoya un détachement pour les faifir ; mais le trajet étoit confidérable, & le tems qu'on dut y mettre, ne permit pas de les réunir a la troupe. Dès qu'on les eut raffemblés a. Rio-Ja' neïro, 011 ne penfa plus qu'a les embarquer pour Lisbonne. Ils étoient au nombre de cent quai ante-cinq, & c'eft ce qui rendit leur fituation dans le vaiffeau affreufement incommode. Obligés de fe tenir debout dans Pétroite enceinte, qu'on leur avoit deftinée , ils pafferent la nuit fans fermer 1'ceil, &t fans prefque pouvoir refpirer. Le lendemain, il y en eut fix, qui fupplierent qu'on leur permit d'aller prendre Pair ailleurs. C'étoit Pimpie politique du tyran d'aggraver leurs peines pour en faire des apoftats. Le P. Dias, qui vomiffoit le fang, eut beau conjurer qu'on lui accordat un endroit moins meurtrier :  du Marquis dc Pombal. LlV. V. 413 on n'eut aucun égard a fa demande , & la dureté dont on ufa envers lui, fut caufe de fa mort. Cependant le Commandant & fon Lieutenant ne faifoient que folliciter les jeunes gens a la défeftion. On leur montra un écrit, felon lequel, s'ils fe refufoient a la clémence du Roi, ils feroient traités comme les Profès, & leur opiniatreté feroit prife pour un aveu du crime de leze-majefté. Mais ils préférerent de paffer pour tels, malgré leur innocence , plutöt que de s'attirer 1'inimitié de Dieu. Voyant qu'ils ne gagnoient rien fur cette jeuneffe, les deux Officiers firent déblayer une partie du bagage, afin de leur laiffer un peu plus d'efpace ; mais il ne s'en trouva pas fuffifamment pour fe coucher, ni même pour s'affeoir. Ce fut la le moment de la puiffance des tenebres. Le P. Almeïda, Vifiteur de Rio-Janeïro, voyant la multitude en danger d'être fuffoquée, engagea les jeunes gens de faire place par une défeétion fimulée. Vingt d'entre eux fe détacherent, après avoir protefté a leurs Confrères, qu'ils ne les abandonnoient que pour un tems; qu'ils ne cédoient qu'a la violence, & qu'ils alloient chercher ailleurs les moyens de s'embarquer pour les rejoindre en Italië. Le Miniftre ne leur en donna point le tems. Tous ceux qui quitterent la & ailleurs furent conduits en Portugal, & au lieu des S 3 Vingt je retirent dans le deffein de re. joindre leurs Confrères en halte. Mais on ne leur en laif. fe point les moyens:  XLiir. Humanii de Juachin Alvelos. Timoigna ge d'un Chiruigien. Mort iu P. T.Pachece. 414 'Anecdotes du Miniftere récompenfes & des avantages, qu'on leur avoit prornis, ils fe virent enfermés dans oifterens Couvens, jufqu'a la mort de Jo.eph 1. , he 1«ndemain » le vaiffeau remit a la ; voile. Ceux qui fe trouvoient dans cette prifon flottante, furent heureux d'être conhés a la garde de Joachim Alvelos. II n'étoit que Bas-Officier, mais il avoit des fentimens d'humanité tk de religion , & il deyint le confolateur de ces infortunés. C'étoit leur avocat auprès du Commandant ; tk fon caraftere doux & compatifiant le rendoit ingénieux a pourvoir de ion mieux a leurs befoins. Ceit a lui feul, qu'ils furent redevables de pouvoir de tems en tems fortir de leurs cachots, pour refpirer en liberté. Le Chirurgien étant defcendu dans Ie beu, oü étoient ces Peres, pour y avoir torn de quelques malades , s'écria qu'il luftoquoit, tk en fortit précipitamment. II dit au Commandant que , fi on ne leur donnoit pas plus d'air , il n'en refferoit pas un feul en vie a leur arrivée a Lisbonne , tk que la pefte fe mettroit immanquablement parmi 1'équipage. La crainte de la contagion procura a ces Peres un avan-tage qu'on n'auroit pas accordé a leurs dangers perfonnels; tk il leur fut permis de venir par bandes refpirer fur le tillac, Le 24 Mars le F. Pacheco fe fentant extraordinairement épuifé par la chaleur,  du Marquis dt Pombal. LlV. V. 41^ demanda en graces qu'on le portat a 1'air, & a peine y fut-il qu'il expira. On peut juger par-la de ce qu'ils eurent a fouffrir durant le cours de cette longue ck pénible navigation. II leur fut accordé de dire un certain nombre de Meftës, mais défenfe fut faite aux foldats de 1'entendre & même de fe mettre a genoux, quand on fonnoit 1'Elévation. Enfin le 6 de Juin, ils entrerent dans le Tage , oü un vaiffeau les attendoit pour les porter en Italië. On les y conduifit dans des ehaloupes, ck ils furent enfermés immédiatement au-deffus de la cale. On vint enfuite leur hgnifier un Indulte fuppofé, ciui oennettoit aux Pmfès de paffer dans un autre Ordre a leur choix. Ils demanderent a voir ce Refcrit papal : mais comme il n'exiftoit pas, on n'eut garde de le leur montrer. C'étoit un piege qu'on leur tendoit. On harcela les jeunes gens fans leur donner de relache. Enfin il fe trouva cinq Profès , qui donnerent le fatal exemple d'une lache défertion; elle fut malheureufement fuivie de celle d'un nouveau Prêtre, de troisEcoliers & d'un Frere. Ce dernier ayant faifi la première occafion de gagner Rome, alla fe jetter aux pieds du Général, qui le recut avec bonté & lui pardonna fa foiblefie. Les maladies venant z fe multiplier clans une ftation plus qu'ennuyeufe, feize malades furent tranfportés dans les prifons S 4 xi.iv. Arrivé» lans It Z*i Pieges ju'en hui, renasne- i-, .t . - Sur ces entrefaites, il arriva tout a propos, comme pour juftifier les Jéfuites de 1'imputation de commerce, un navire marchand de Macao. C'étoit principalement  du Marquis dt Pombal. LlV. V. 419 avec la Chine qu'on les accufoit a Goa de faire le commerce ; tandis qu'on débttoit en Portugal qu'ils avoient envahi tout le commerce du Bréfil tk des Indes ; la caiomnie tranfportant toujours dans des pays lointains la fcene de fes imputations, afin qu'on foit moins a portée d'en dévoiler les impoftures. Le Vice-Roi a qui l'on avoit écrit que ce vaiffeau étoit chargé de beaucoup de marchandifes pour le compte des Jéfuites, s'en fit donner la lifte * tk en ordonna la vifite : mais il n'y trouva point 1'ombre de négoce ; il en fut dans un tel étonnement, qu'il ne put s'empêeher de s'écrier : » O que ce Corps doit » être faint tk incorruptible, puifque fes » membres font fiintegres, tk que les bruits » de commerce qu'on affeéte de répan» dre fur leur compte, font calomnieux! « Après cet éclatant témoignage , il permit au Pere Perez , Procureur, de faire décharger librement tout ce qui fe trouvoit dans le vaiffeau a fon adreffe. L'année entiere fe paffa dans d'étranges inquiétudes , entre la crainte & quelque lueur d'efpérance. Un nuage impénétrable déroboit aux yeux des Jéfuites de ce continent 1'arFreux orage qui alloit crever fur leurs têtes. Enfin, on fut a quoi s'entenir par 1'arrivée d'un navire Anglois, qui apportoit la nouvelle de 1'affaffinat du Roi , & des ordres précis pour 1'invafion générale des Colleges , des Miffions tk S 6 XLVIIÏ. i>5 nouveaux orires arrivent,  XLIX.. I« Jé falies font raj Jhnlflés aGoa. Ce qu'ils ■ (ouffrtnt. 420 -Anecdotes du Mlnijlere des Paroiffes occupés par les Jéfuites cle la Province cle Goa. On comptoit dans cette Province deux Maifons Profeffes , plufieurs Colleges & différens domiciles, dans le Monomotapa, dans le Maiffure, le Malabar, Saifete , ck jufques parmi les Caffres , fans y comprendre les Colleges & les Réfidences détruits ou ufurpés par les Marates. L'obfefTion des Colleges & des Maifons s'exécuta avec tout 1'appareil , que l'on avoit obfervé dans le Portugal. On les vifita avec le même foin , & les individus furent traités avec la même dureté. Ce qu'on peut regarder comme une preuve manifefte cle leur innocence , c'eft que n'ayant qu'une petite riviere atraverfer, pour paffer de Goa dans les Etats du Roi de Fundo , pas un ne chercha a s'y réfugier. Comme le tranfport cle ces Peres s'exé: cutoit avec beaucoup cle célérité, ils te ' virent infenfiblement réunis de diverfes contrées dans le College de Goa. Tous, les jours on les convoquoit au fon de la ' cloche pour les compter. Chaque Prêtre étoit conduit a 1'Autel par deux fufiliers. La même efcorte les accompagnoit au réfeétoire, & on ne les perdoit pas de vue. Cette étroïte détention dans un ciimat, oü les chaleurs font exceffives, leur occafionna des fievres malignes. On cherchoit a les intimider par des menaces , & on ne parloit pas moins que de les précipiter dans  du Marquis de Pombal. LlV. V. 411 la mer , de les brüler a petit feu , ckc. Tandis que ces Peres fe fortifioient : contre tant d'allarmes, par la priere ck ' 1'ufage des Sacremens, on recut de nou- . veaux ordres de Lisbonne. Ces ordres portoient qu'on eüt a garotter les Profès , ck a les diftribuer en difrérens Couvens, oü ils feroient renfermés, jufqu'a la fin de leurs jours ; ck que l'on congédieroit les non - Profès ; 1'Archevêque de Goa étant autorifé a les fécularifer : mais lorfique le Vice-Roi lui en paria, ce digne Pafteur refufa de fe prêter a fes vues. Cependant les maifons que ces Peres alloient quitter furent données aux difrérens Ordres Religieux , établis dans les Indes. Les Dominicains occuperent les Colleges de Rachol ck de Daman ; les Recollets celui de St. Paul avec les domiciles d'Afrique ; les Auguftins, Pancien College de St. Paul, celui de Dion ck du Mofambique ckc. Les maifons de campagne furent données a des féculiers, ck les Paroiffes de 1'ifle demeurant privées de leurs Pafteurs, on laifla a 1'Archevéque le foin d'y pourvoir. On conduifit enfuite les Jéfuites en dif- i férens Couvens, &pour que rien ne man- è, quat a leur humiliation , on y joignit Pap- c pareil militaire ck le bruit des infrrumens ck des tambours. La lettre, que le ViceRoi écrivoit aux Supérieurs des Communautés, étoit conque en ces termes :» Vous Traiter&int ue Ven alt aux °rofès. I. )n difperces Peres 1 divers ouvcns.  li. On vtut Jaifir les mijjlonnailes étrangers. Fermeté du P. Zart. 411 Anecdotes du Miniftere » recevrez tels ck tels Freres de laci-de» vant Compagnie de Jesus ; vous les » tiendrez exaétement renfermés, ck vous » ne leur permettrez, fur-tout aux Profès, » aucune communication avec les fide» les fujets de S. M. Rendez-moi compte w inceffamment cle ceux qu'on aura con» fiés a votre garde, tk fachez que vous » en répondrez perfonnellement au Roi...» » Signé, le Comte d'Ega «. La haine de Carvalho contre les membres de la Société ne fe bornoit pas a ceux de la domination Portugaile , il auroit voulu les exterminer par-tout. II avoit envoyé 1'ordre au Vice-Roi cle faire arrêter par furprife ou par violence, les Miffionnaires étrangers, pour les conduire a Lisbonne ck les emprifonner avec les autres. La chofe n'étoit pas aifée. Cependant le Comte d'Ega forca le Provincial de mander a ces Miffionnaires en vertu de la fainte obéiffance, qu'ils euffent a fe rendre auprès de lui. Ces lettres cachetées du fceau royal furent portées au Royaume de Kitury par deux Religieux, que le ViceRoi y dépêcha. Le premier, a qui elles parvinrent fut le P. Albert Zart, Allemand. II répondit prudemment au Provincial, qu'il ne lui obéiroit pas, tandis qu'il le fauroit dépouillé de fa dignité, ck privé de la liberté. II fit en même-tems favoir au Vice-Roi, que n'étant point Portugais, que nen en-  du Marquis dt Pombal. LlV. V, 4x3 tendant pas même la langue, ck que fe trouvant fous une dominatiön étrangere, ïl fe croyoit difpenfe de fe rendre a fes ordres. Cette tentative n'ayant pas réuffi, le Vice-Roi s'adreffa aux Supérieurs des autres Ordres Religieux, pour avoir un bon nombre de Miffionnaires a fubftituer aux Jéfuites. Ils lui foumirent ceux dont ils pouvoient fe paffer, ck fur-tout des jeunes gens, dont 1'age, les lumieres ck I'expérience répondoient peu a cles fonctions li vaftes ck fi pénibles. On augmenta confidérablement la fomme, qui étoit affignée ci-devant aux Miffionnaires. Ils s'embarquerent, ck dans le trajet ils ' donnerent des fcenes, qui ne préludoient ■ guere aux travaux Apoftoliques. La di-j vifion fe mit parmi eux, ck ils fe fépare- ' rent. Cependant ils durent fe réunir pour fe préfenter a 1'Archevêque de Serran , Mgr. de Regibus. Ce vertueux Prélat les eut bientót appréciés a leur jufte valeur. II leur dit, qu'il ne feroit pas difficulté de recevoir les Miffionnaires , que le Roi lui ] enverroit a. la place des Jéfuites , dès qu'il; confteroit de leur capacité a exercer les fonótions cle leur Miniftere; mais que pour eux, qui ne favoiênt pas la langue du pays, ck dont Ia plupart n'avoient point encore étudié la Théologie. II ne les employeroit jamais; ajoutant que fi on lui retranchoit fa penfion annuelle, comme le * Vice-Roi 1'en menaqoit, il fe remettroit l iir. 'njuffifante 'eaux Mijl ïonnaires V dlfcvrdt ntre eux. VArch-. éque rtfifi 'e les 'rouvtr. 'a re'pfnfi U Vit!-  nir. Effbrts inu tiles pour fi faifir du P Barreïro, 424 Anecdotes du Miniftere a vivre d'herbes tk cle légumes, ainfi qu'il avoit fait dans le Maduré pendant plus de trente ans. C'eft ce qu'il marqua même au Vice-Roi dans la réponfe a fa lettre. Quel triomphe pour la Religion , fi le Miniftre eüt rencontré la même fermeté dans tous les Evêques. Son defpotifme deftrucreur n'eüt jamais pu forcer une digue auffi refpeftable. Arrêté par cet obftacle, ces nouveaux Miffionnaires fe retirerent a Calicut, tk fe mirent a apprendre la langue. Ce travail, qui leur parut pénible, les eut bientöt dégoütés. Ils 1'abandonnerent, tk ayant dépenfé les fommes , qu'on leur avoit données , ils n'eurent rien de mieux a faire, que de retourner a Goa, oü ils furent affez mal recus. La lettre de 1'Archevêque de Serran . irrita le Vice-Roi, tk il chercha a s'en ■ venger fur le P. Jean Barreïro, Jéfuite, ' Curé de Calicut. II envoya un Clerc des Canaries, pour occuper fa place, tk un féculier de Goa pour en aclminiftrer les revenus. Le vaiffeau qui les portoit aborda au port de Mangalor, tk on y difpofa les foldats tk les matelots, pour furprendre le P. Barreïro. Mais en ayant été averti, il eut le tems d'aller chercher un afyle chez le Conful cle Danemarck, qui le prit fous fa proteétion. En vain ufa-t-on de belles paroles pour 1'attirer dans le piege ; ce Pere ne s'en laiffa pas impofer»  du Marquis de Pombal. Li V. V. 41 e; Cependant le Roi de Calicut, informé de cet attentat, commis contre le droit des nations, entra dans une chaude colere, fit arrêter le Capitaine du vaiffeau , le. Clerc, & 1'Adminiftrateur avec tout 1'équipage , & ordonna que l'on mit le vaiffeau en pieces ; on fe difpofoit déja a exécuter cet ordre lorfque le Miffionnaire obtint qu'il fut revoqué. II fit d'ultérieures inftances, & le Roi voulant bienfe laiffer fléchir relacha les prifonniers & leur fit rendre le vaiffeau; mais en même tems il leur fit défenfe fous peine de mort, de remettre le pied dans fes Etats, & de tenter déformais de pareils enlevemens. Barreïro , pour être a. 1'abri de nouvelles entreprifes, regagna prudemment fa Miffion du Malabar. L'Archevêque de Serran refufa d'employer le mince fujet que 1'Archevêque cle Goa deftinoit pour fuccéder k ce Miffionnaire, & 1'avertit de ne pas étendre fa jurifcliclion fur le territoire d'autrui. Le Vice-Roi mécontent de ce fuccès manqué, déchargea fa mauvaife humeur fur les Jéfuites de Goa. Un trait de la plusinfigne fourberie contribua encore k 1'aigrir davantage. JeanLouis Vellofo , comblé des bienfaits cle ces 1 Peres , réunit la perfidie k la plus noire ingratitude. II forgea plufieurs lettres fous le nom de trois Jéfuites, des principaux de Goa, & même du Vice-Roi, pour fuppofer une prétendue intelligence avec les Francois Reffentbnent du Roi de Calicut a ee rujet. IIV. 'mpoflurt njigne de Uan-LoiHS Vellofo.  On mal traite en confequenc* les Jéfuites, 42.6 'Anecdotes du Minl/lere au préjudice de 1'Angleterre. L'impofteur feignant d'avoir trouvé ces lettres par haiard, vint les remettre au Gouverneur Angloisa Talicheri. Celui-ci ne tarda pas a en donner part au Gouverneur de Bombay, qui envoya ces lettres au Roi d'Angleterre , Sc écrivit fur le champ au Comte d'Ega, pour lui reprocher fa tra■ hifon. Ce Vice-Roi ne fe permit pas de , douter que les Jéfuites ne fuffent les auteurs de cette déteftable manoeuvre , & fans faire aucune information, il fit emprifonner non - feulement les trois prétendus coupables, aqui ces lettres étoient ïaüuêmérïr attriouees; mais encOre tous les Supérieurs , les Profès & les Procureurs. La veiile des Rois au milieu de la nuit, lorfqu'ils étoient au Cheeur avec les autres Religieux chez qui on les avoit répartis , & qu'ils fe préparoient a célébrer la fête & a renouveller leurs vceux, un coup de canon fe fit entendre. C'étoit le fignal ordinaire pour les expéditions militaires dirigées contre eux. On frappe rudement a la porte ; les foldats entrent tumultuairement, faififTent tous les Profès & les entrainent pour les réunir au College des Auguftins. Leur nombre étoit de cinquante-fept. On les mit dans un boyau de corridor, oü ils pafferent neuf mois dans laplus grande détreffe. Ils y étoient expofés la nuit k un froid très-piquant, 6k le jour  du Marquis de Pombal. LiV. V. 417 aux arcfeurs du foleil. Les vieillards y tomberent prefque tous malades. Trois d'entr'eux fuccomberent, ck on refufa de les enterrer dans le Couvent. Le 16 de Mars 1760, le Vice-Roi , fans y être légitimément autorifé, ordonna , qu'on fit 1'ouverture du tombeau de Saint ■ Francois-Xavier , malgré la défenfe expreffe de Rome , que Jofeph I lui-même avoit récemment ratifiée. Ce tombeau. précieux monument de la piété d'un GrandDuc de Tofcane , enrichi des libéralités des Rois de Portugal ck cle plufieurs Princes de .'Europ*. ck rslevé p»r éö»'* *•«: que l'art a de plus merveilleux, fait 1'objet de la vénération ck de 1'admiration de toutes les Indes. Mais ce qui eft précieux aux yeux de la Religion , irrite plus fouvent la cupidité qu'elle ne 1'amortit. Un Sénateur vint la nuit avec fes Adjoints pour ouvrir le précieux fépulchre. Des trois clefs qui étoient entre les mains des Jéfuites , ils ri'en avoient que deux, celle du Provincial , ck celle du Redfeur de Goa. II en manquoit une troifieme, qui fe trouvoit entre les' mains du Reef eur de Rachol (a). Euffent-ils eu cette clef, leurs (a) On a vu dans les nouvelles publiques, art. Lifhonne, 10 Février 17S3 , a 1'occalïon ile 1'ouvercure de ce tombeau faite depuis peu, qu'il y a fept clefs. 11 faut qu'on les ait multipiiées depuis 1'an 1760 , om 311*011 y cosoprenne let tcflotts cachés & les vis dons tv. 'Jnftrcc fe ombcau dt F. Franc, Kavitr.  4iS Anecdotes du Miniftere efforts auroient encore été inutiles, a caufe de certains refforts cachés qu'il étoit important de connoitre; ils furent donc obligé de renoncer pourle moment a. 1'entreprile; il faut avoir le fecret, & les écroux propres a les faire jouer. Peut-êtte auffi ne s'agit-il ici prccifément que des trois clefs qui étoient entre les mains des Jéfuites, fans y coniprendre celles que pouvoient avoir 1'Archevêque & le Gouverneur. Suivant cette derniere relation, qui a toutes les marqués d'authenticité, le corps du grand Apötre des Indes a toujours la mêm« mtégntc , qui le fait admirer depuis plus de deux fiec!es. Cette relation eft concue en ces termes. Le bruit s'étant accru de jour en jour, depuis la publiek™ Ji urcr, nii;:ir.: esviswiofl de la Compigiiie de Jefus, que le corps de Sc. Franijois-Xavier, Protefteur dudic Ordre, avoit été tranlpcrté ailleurs, le Gouvernement fe vit enfin obligé de faire ouvrir, fous la direétion d'un architefte de Rome établi dans' J'i!le, Ie fupetbe mau'olée, ou répofent les glorieufes «lépouilles du Parron des Indes, qui avoient toujours été gardées foigneufement dans une citatie fermée a fept ciefi. Lotfqu'on eut ouvett le tout, on vit avec une confolation generale, & au milieu des plus grands témoignages d'alégrefTe ; le corps de ce Saint revêtu de fes ornements facecdotaux , qui paroifibienc tout neufs,le vifage étant fi bien confervé, qu'on en diftinguoit parfaitement tous les traits; on voyoit a fa «iroite ie baton de Capitaine Général dont, par ordre du Souverain, il avo'it été décoré après fa mort «omme Pacron de ce Royaume. Le bras droit étant confervé i Rome , il paroifloit empoigner le fufdit baton de la ïwain gauche appuyée fur fa poitrine. Ce St. Corps refta expofé pendant trois jours de fuite a la vénération publique; le concours des fpe£tateurs de tour état & Rïiigion, qui s"y trouvoient, étoit immenl'e. Le frere d un Roi voifin , en contemplant ce corps, & n'y remarquant pas la moindre tracé de corruption, ne put s'empêcher de s'éctier: Nous n'avont point de monument pareil dans notre Religion, & il faut ayouer que celle ju'on profejfe ici ejl la ré-  du Marquis de Pombal. LlV. V. 429 mais la nuit fuivante, ils amenerent cles ouvriers Payens, qui firent en peu cle tems par la violence, ce que les clefs n'avoient pu faire. On fe flattoit d'y trouver cles trefors, il n'y en avoit point d'autre que le vénérable corps du grand Apötre des Indes & du Japon , & l'on s'en retourna les mains vuides, mais avec la confcience chargée de la trifte idee d'une profanation inutile (a). Le Vice - Roi fit enfuite réparer autant qu'il put le dégat fait par cette ritable. . . . Comme pour fatisfaite la curioficé d'un peuple innombrable il fslloit laifler 1'Eglife ouvene même pendant Ia nuit, on avoit invité a veiller pre» du dépöt facré , outre la garde militaire , les PP. Dominicains , les Récollets, &: fucceffivement tous les Religieux des Couvents de la ville. Pour terminer cette btillante fête , on fit une proceffion folcmnelle, 1'Archevêque., le Gouverneur !c d'autres Seigneurs y portetent Ia chaffe fur leurs épaules. La proceffion finie on revint a 1'Eglife pour y mettre ces faintes Reliques dans leur ancien tombeau. Sa Majefté la Reine ayant fait broder un nouveau voile pour couvrir la face de ce Saint , a otdonné qu'on lui envoyat Tanden , qu'el'e veut garder auprès d'elle par dévotion. k («) En .1779 arriva a Lisbonne un vaiffeau chargé de dix-neuf caiffes d'argenten'e, 5c de beaucoup de pierres précieufes , qu'on avoit (fnlevées du tréfor de ï'Eglile de St. Francois-Xavier, & toutes ces caiffes étoient a 1'adrefle de 1'ex-Miniftre alors difgracié. Li Reine en reffentit un vif déplaiflr, & fans permettre qu'on ouvrit ces caiffe.', e'le ordonna qu'on les repotcit a Goa , pour faire fervir a leur premier ufage les riches dépouilles qu'elles renfermoient, regardanc cette rapine non-feulement comme un facrilege, mais comme un vol fait aux peuples & a 1'Etat. Voltaire condamne & ridiculife ces ofFrandej , ces omemens précieux qui font confetvés dans les Eglifes ; il fait  LVT. 'Arrivée dt 7i qu Catécliifies du Maijfure. 43 O Anecdotes du Mlnijlere ©clieufe opération dans cc maufolée mperbe» Cependant Jean-Louis Vellofo , agité par cles remorcis, ouvrit les yeux fur fon crime , ck voulut le réparer par une rétractation authentique : il déclara clans les formes, que tout ce qu'il avoit dit ck fait étoit faux ck controuvé, ck qu'il n'y avoit été porté qu'en vue de faire fa fortune en perdant les Jéfuites. Le Gouverneur Anglois ne manqua pas de défabufer fa Cour au fujet des lettres contrefaites qu'il y avoit fait paffer. L'année s'écoula avant que les Jéfuites fuffent inftruits de cette déteftable intrigue ck de la vraie caufe des foufFrances qu'ils eurent a effuyer dans le corridor des Augufhns. Dans ce tems-la arriverent du Maiffure prononcer la-defTus de« oracles a Soctate. M21S ces tréfors, outte qu'ils font un monument refpectacle de la piété & de la gratitude des Chrétiens, font encore une refiource bien grande pour 1'Eglife, & pour 1'Etat dans des néceflités extrêmes. Dépofés dans un lieu moins facré, ils n'attendtoient pas lei grands befoins pour être employés, Sc diffipés. Un jour qu'un homme tfu fiecle fe plaignoit de la prétendue inutilité de cet tréfors confacrés a Dieu, 11 n fage lui dit: Psurquoï ces richejfes , qui brillent auteur du corps , St fur la toilette des Dames du grand monde i -— C'eft la mode -- Mais pourquoi la mode qui honore la mémoiré des Reliques ou les portraits des Saints eft* elle plus bldmable que celle qui nourrit la vanité des me'chantes femmes ? .. . Dans une mifere publique, 1'Eglife ouvre les dépots de la piété , Sr emploie au joulagement des hommes des richejfes fandifiées par l'acceptation de Dieu; mais les toilettes ne s'in* lereffcnt guere a ces fortes d'ajfaires.  du Marquis de Pombal. Liv. V. 431 trois Catéchiftes députés de la nation , pour fupplier le Vice-Roi de ne pas penter a. leur enlever leurs Miffionnaires. Ce Seigneur les recut avec hauteur, ck leur dit qu'il enverroit des troupes pour les faifir. Nous ne les craignons point, répondirent avec fermeté ces fervens Chrétiens. Nous fommes libres, ck on nous arrachera la vie, avant qu'on nous arrache nos Peres dans la Foi. Mais quand ceux-ci viendront a manquer, repartit le Vice-Roi; quand il n'y en aura plus en Portugal ni a Goa, d'oü en tirerezvous ? La France , reprirent-ils, ck les autres pays de PEurope nous en fourmront. Eh ! comment ck avec quoi les nourrirez-vous , repliqua le Vice-Roi ? Tandis que nos terres produiront du riz ck des légumes , répondirent-ils , nous aurons cle quoi les contenter. Quelqu'un qui étoit préfent, s'étant mis k décrier la doétrine des Jéfuites, ces Catéchiftes parfaitement inftruits des matieres de Religion , ck qui doivent 1'étre pour pouvoir réfuter les fubtilités des Bramins, dirent qu'ils étoient prêts k rendre compte de la doctrine de leurs Peres ck de ce qu'ils leur avoient enfeigné. Ils denunciëren* méme que l'on fit affembler des Théologiens , ck qu'ils fubiroient fur le champ leur examen. On ne jugea pas k propos d'en venir la , & ils furent congédiés. Avant de partir ils parcoururent les ; Teurs de- mandes & ce ju'ils répendent au Vice-Roi. rMtr ven/' at ion peur  les Jéfuites. tVII. Les Jéfuites font raffemblésdans le College de St, Paul. Deux y meurent. 43 2 Anecdotes dn Minijlere différens Couvens, oü on avoit difperfé les Jéfuites. Ils les virent a travers les grilles , qui les féparoient; mais ils ne purent leur parler. Ils fe profternerent devant eux, & arrofant le pavé de leurs larmes, ils les conjurerent de leur accorder leur bénédiétion. La vue de ces rideles difciples fut pour eux le fujet d'une grande confolation, & ils bénirent le Pere des Miféricordes, de s'être réfervé parmi la gentilité & au milieu des ombres de la mort, un troupeau choifï & éclairé des lumieres de fa divine fageffe. Sur la fin de Septembre 1760, les vaiffeaux que l'on attendoit de Portugal arriverent a Goa, & y apporterent de nouveaux ordres au Vice-Roi. En conféquence on tira les Jéfuites des Couvens, oü on les avoit transférés , & on les réunit dans le College de St. Paul. Ils étoient au nombre de cent vingt-un. On les enferma dans le corridor du plus haut étage, oü ils eurent beaucoup a fouffrir Un Pere & un Frere qui y moururent, furent bientöt remplacés par fept autres venus du Mofambique, & par trois encore , qui étoient de la Province du Japon. Ils refterent dans cette réclufion jufqu'au dix-neuf de Décembre, & ce jour-la même on les en tira pour les conduire au bord de la mer avec une efcorte militaire. Ils demandoient en grace qu'il leur fut permis, en quittant 1'Inde, d'aller  rdu Marquis de Pombal. LlV. V. 43 3 d'aller rendre leurs derniers devoirs a St. Francois - Xavier , & de fe profterner devant fon tombeau : mais on ne voulut pas leur accorder cette confolation. Tout ce que les foldats leur permiren^, ce fut de s'arrêter un moment dans la rue visa-vis de 1'endroit de 1'Eglife oü eft le tombeau du Saint, & d'y faire une courte priere, pour qu'il leur obtint la force de foufFrir conftamment les épreuves par oü on les faifoit paffer. Après quelques inftans donnés a leur vénération pour les faintes dépouilles de ce grand Apótre , on les conduifit au bord de la mer, oü on les diftribua fur une vingtaine de ehaloupes. Ils y demeurerent pendant deux heures dans un morne filence avec les gardes & 1'équipage, jufqu'a ce qu'on donna; lefignal de faire avancer ces ehaloupes vers le vaiffeau. Le Commandant étonné de leurnombre, fit voir au Vice-Roi les ordres qu'il avoit recus a. Lisbonne de ne prendre a fon , bord que quarante ou au plus cinquante de ces Religieux, d'autant qu'il fe trouvoit a peine un efpace fuffifant pour les y contenir. Mais le Vice - Roi n'eut aucun égard a fes remontrances, & perfifta a les faire tous paffer fur ce vaiffeau, laiffant au Capitaine le foin de les y arranger comme il pourroit. On les mit dans la feconde chambre , mais elle ne put en renfermer que cinquante - cinq. II fallut batir une efpece de chambre fur le tillac T On leur re* fufe d'aller pour la derniere fois vijiter le tombeau du St. Apótre. Lvm. On les en'affe dans'e vaifjeau.  Diftnje de i''cn.retenir mee eux. Mauvaïfc nuurriiure. ■Jvlaladies. * zi FéTiier 17S1. Mo.rtalitc. LIX. Etat pitoyable de ceux qui arriverent a Lisbonne. 434 Antcdotes du Minijtere pour y entafier les foixante & quatorze qui relfoient. L'Officier qui les avoit amenés, les voyant fi a 1'étroit, ne put s'empêcher cle s'écrier, les mains & les yeux levés vers le Ciel : » Grand Dieu ! qu'on » accorde peu d'efpace a vos Serviteurs, » & quel moyen d'y vivre! « Le 11 de Décembre, étoit la fête de S. Thomas, premier Apótre des Indes. Le canon ayant donné le fignal du départ, le vaiffeau appareilla. Le Capitaine, luivant les ordres du Roi, fit afficher au pied du grand mat, défenfe générale a tout Jéfuite de parler aux paffagers , & a ceux-ci de s'entretenir avec eux. L'incommodité du lieu, la mauvaife nourriture, la corruption des eaux avec 1'agitation de la mer avoient déja occafionné plufieurs maladies, & un grand nombre étoit attaqué de fcorbut avant qu'on eut doublé le Cap de BonneEfpérance *, On voyoit ces refpeéfables Miffionnaires tout languiffans , couchés les uns fur les autres , fans adouciffement & fans fecours, les fains confondus avec les mourans & les morts. Vingt - quatre furent enlevés en peu de jours, dix-neuf Portugais, trois Allemands & deux Italiens , la plupart Prêtres & Profès. Les autres, après cinq mois de traverfée, arriverent le 20 de Mai k la vue de Lisbonne, ayant prefque tous la mort fur les levres. Le Commandant fit informer la Cour du miférable état oü étoient  . du Marquis de Pombal. LlV. V. 431 ces Religieux. On envoya un chirurgiei a leur bord. Dès qu'il eut mis le piec dans la loge qu'on avoit pratiquée fur 1< tillac, & oü ils étoient étendus, pales . i décharnés , & prefque tous expirans , ï I en fut tellement frappé, que fans proférer un feul mot il ne penfa qu'a fe retii rer : mais ayant été prié de defcendre a ' la feconde chambre, il en trouva qui étoient dans un état encore plus pitoyable. A ce fpeftacle il ne put s'empêcher de laiffer couler des larmes, & de s'écrier hautement, que c'étoit faire périr ces malades que de les laiffer ainfi les unsfur les autres, & de leur refufer les alimens convena' bles a leur fituation. On y eut égard, & |on leur envoya une quantité d'oranges avec des rafraïchiflemens , tels qu'il en [faut contre le fcorbut. t Tandis qu'on rappelloit les uns a la vie du corps , on érigeoit un tribunal pour donner aux autres s'il étoit poffible la mort dï 1'ame , c'eft-a-dire , pour les rendre ' linfideles aux promeffes qu'ils avoient faites a Dieu dans la Compagnie. Le Comte de J St. Vincent fépara d'abord tous ceux qui | ftvoient été dans le Mofambique & en i Afrique. On exigea de tous une nouvelle lifte de leurs noms, furnoms, pays, Dio1 cefe & parens. Le Chirugien de fon cöté en dreffa une de 1'état des malades, ne 1 devant y avoir d'embarqués pour 1'Italie, lique ceux qu'on jugeroit pouvoir fupporter T x 1 1 L3f. Tentatives, lOUr cn pcr"trtir q;,eU 'ues-uns.  DébarqtlCrnent pénible des malades. Diverfes prifons oü on les mei. lxi. Démarchi de la Erin- 436 'Anecdotes du Miniftere e trajet. Vingt-fix Séculiers furent mis mx fers ck conduits aux prifons, pour ivoir témoigné quelque compaflion aux nalades, pendant la navigation. Le ChaDelain du vaiffeau étoit du nombre , ck \ la charité étoit un crime , il faudroit :onvenir que ce bon Prêtre avoit bien mérité ce chatiment par fes foins officieux Sk fon zele pour le foulagement de ces info rtunés. Après quatre jours, le Comte cle St. Vincent vint de grand matin les faire fortir du vaiffeau, qui> les avöit amenés, en attendant qu'on les embarquat pour 1'ltalie. Les malades prolongerent la defcente jufqu'après-midi. Ils étoient fi foibles, qu'on fut obligé de les faire gliffer fur des planches dans les barques, qui les attendoient. On fépara les Portugais au nombre de foixante-dix-fept, & fans leur donner la moindre nourriture, on les conduifit aux prifons de la Traferie, qui eft une efpece de lazaret ou de maifon forte fur le Tage vis-a-vis de Lisbonne. Ceux du Mofambique ck les étrangers, qui confiftoient en onze Italiens, trois Allemands , deux Efpagnols , un Francois, un Tunquinois St fept autres Portugais, furent tranfportés k la tour de S. Julien, dans les fouterrains , que le Miniftre y avoit fait pratiquer. A 1'arrivée du vaiffeau, la pieufe Princeffe du Brefil s'étoit aller jetter aux pieds du Roi fon pere pour le fupplier d'avoir  iu Mttrquis ic Pombal. LiV. IV. 437 quelque compaffion pour les Jéfuites, qui venoient des Indes. Mais les préventions que lui avoit infpiré le Miniftre, rendirent fes prieres inutiles. Le 26 de Mai , le même Comte de St. Vincent defcendit a la Traferie & fit paroïtre féparément tous les Jéfuites, pour les engager a profiter de la clémence du Roi ck a quitter la Compagnie. Le lendemain feize de ces Peres furent emmenés dans les prifons d'Azeytan. Ils étoient tous Profès ck de la Province de Goa , a la réferve d'un, qui étoit de la Province du Malabar , ck d'un Frere aveugle de la Province du Japon. II s'en trouva quinze non Profès, lefc.uels excédés par tant de violenees, eurent la foiblefle de fuccomber au moment qui alloit leur affurer la viótoire. Le 30 du même mois , quatorze du Portugal ck du Bréfil furent amenés des prifons d'Azeytan ck réunis a ceux cle Goa, qui étoient a la Traferie. Le ier. de Juin fe fit 1'embarquement. Leurs aventures d'Alger & leur arrivée a Civitta-Vecchia fe trouvent a la fin du 4e. Livre *. T 3 cejje du Brcfil en Uur ftreur, Quïn7e non Profis ft rendent aux follitïtalions Sr abandonent laCom vagnic, * Liv.4.N«'. CXXX1I.  ixn. Combien moururent dans lespri. J'ons de Lis, bonne, lxiii. Blargiji. ment de trois Franfois. ZeP. Louis du Gat, 438 Anecdotes du Minijlere PARAGRAPHE IV. P r 1 s o n s de Lisbonne. c V-j'est icile lieu de parler plus particuliéreinent des fameufes prifons cle Lisbonne , & de ce qu'eurent a fouffrir ceux que l'on y confina. Trente-un moururent dans le chateau d'Azeytan, un clans la citadelle d'Almeïda, trois dans la Traferie , trente-fept dans la tour de St. Julien, & différens endroits, oü ils furent étroitement renfermés, en tout, quatrevingt-huit. II feroit cüfficile de fe figurer ce qu'ils endurerent dans les fouterrains, qui furent leur tombeau. Ceux qu'on élargit après la mort de Jofeph I, ck qui pendant plus de dix-huit ans , avoient langui dans ces horribles cachots , étoient au nombre de cinquante-huit. Quelques-uns cependant furent mis en liberté durant le cours de cette longue captivité. Trois d'entre eux en furent redevables a la Reine de France , qui les fit réclamer par M. le Marquis de St. Prieft, Ambaffadeur de fa Cour auprès du Roi de Portugal. Le premier étoit le P. Louis du Gat de la Province de Lyon. II exercoit la charge cle Supérieur cle la Miffion Franqoife k Macao, lorfqu'il y fut arrêté avec les Jéfuites Portugais; on le conduifu a  du Marquis de Pombat. Liv. IV. 439 Goa, Sc de-la a Lisbonne oü il fut jetté dans les prifons. Cependant c'étoit en vertu d'un traité conclu entre Louis XV Sc Jean V, que les Miffionnaires Francois s'étoient refugiés a Macao, pour fe fouftraire a la perfécution qui- s'éleva fous 1'Empereur Kien-Long. Ce Pere eut beau en appelier a la foi de ce traité ; Carvalho ne voulut rien entendre, Sc le fit faifir. Non-content de cette infracïion, il pouffa ïa fureur jufqu'a envoyer a Pekin des libelles , qu'il fit traduire en langue chinoife, afin d'en faire chaffer les Jéfuites. La familie du P. du Gat, n'en recevant point cle nouvelles , foupconna qu'il pou-" voit être enfeveli dans les fouterrains de Lisbonne. On eut recours a la vertueufe Reine Epoufe de Louis XV. Cette charitable Princeffe chargea le Marquis de St. Prieft de faire les perquifitions néceffaires Sc de redemander ce Miffionnaire Francois. II fut enfin trouvé, St il fortit de Ion cachot le 8 Aout 1766, après trois ans de prifon depuis fon arrivée k Lisbonne , Sc environ cinq ans depuis fon enleVement de Macao. Ce Pere informa enfuite 1'Ambaffadeur, Ju'il y avoit encore dans la tour de St. ulien, deux autres prifonniers de fa nation. Sur cet avis, S. Ex. fit de nouvelles recherches, Sc obtint leur délivrance. L'un étoit le P. Jean-Baptifte duRanceau, né k St. Remo, mais agrégé aux Jéfuites T 4 le P. JeanBapt. Ju Raneeau.  Le F. Jeequ.es JJelJ'art, Cd) Ce Frere a fon retour en Fkndre demeura quel- êues années au College de Huy , & enfuite a celui de iinant fur Mcufe, Avant qu'il füt recu dans la Compagnie , il avoit étudié quelques années en Théologie dans l'univerfiré de Douay. Après la fuppreffion, il fut admis aux ordres facrés par l'Evêque - Prir.ce de licge. Ce nouvel état lui fit redoubler fa ferveur, & on la vit s'augmenter a mefure que (a fanté s'affoibliffoit. On ne pouvoit entendre le récit de ce qu'il avoit eu a fouSrir dans fa prifon, fans être touché jufqu'aux larmes: fon vifage cadavéreux ,fes pieds poutis d'hwnudicc U tongés par les rats, fa poitrine Sc 440 Anecdotes du Miniftere Francois. II étoit Miffionnaire en Afrique dans la contrée de Caya. II y fut pris Sc amené a Goa , oü on 1'embarqua avec ceux, qu'on tranfportoit a Lisbonne, pour être confiné dans le Fort de St. Juken. II en fortit au mois cle Décembre 1766,. après cinq ans quatre mois d'une ténébreufe prifon. L'aütre étoit un Frere employé au fervice du College de Rachol, capitale de la prefqu'ifle cle Sallëte, a fept lieues de Goa. Amené de 1'Afie en Portugal, on 1'avoit mis dans les prifons du Fort St. Julien. Son élargiflement précéda de deux mois celui du P. du Ranceau. Ce Frere, s'appelloit Jacques Delfart. II étoit né au Quesnoy dans le Haynaut Francois , 8c il revint dans les Pays-Bas édifier fes Freres par fes vertus , Sc fur - tout par une patience admirable a fouffrir les incommodités qu'il avoit. contradées dans fa. prifon. (a)  du Marquis de Pombal. LlV. V. 441 Quelque tems après 1'élargiffement de ces trois Francois, des Miffionnaires Allemands furent auffi relachés fur la demande qu'en fit 1'Impératrice- Reine. Ils aborderent k Oftende & diri gerent leur route vers 1'Allemagne. Ce fut un fpectacle attendriffant pour les peuples de voir ces hommes vertueux, après avoir quitté leurs pays, pour fe confacrer aux pénibles exercices des Miffions dans les domaines du Roi de Portugal , n'en rapporter pour toute récompenfe, que des corps exténués de fatigues, & affoiblis par les horreurs de la prifon. II étoit rare que les nouvelles publiques pénétraffent dans les profondeurs de leurs cachots. Cependant ils en apprenoient quelquefois, mais elles étoient tou'otfrs affligeantes. Le geolier fe fervoit de temsen-tems d'un petit garcpn pour leur porter a manger. C'eft par lui qu'ils furent informés du fupplice du P. Malagrida. II y avoit trois femaines que cet enfant n'a- fon eftomae ruinés, donnoient a fa voix un ton de vérité & de conviftion. Son témoignage ne fe démentit pas au moment de fa mort, non plus que fa piécé & ia Religion. En préfence de fon Dieu Sc de fort Juge qu'il alloit recevoir en viatique , il protefta qu'il n'avoit rien avancé fur ce qui concemoit fa détention, quin' futtrès-véritable ; durefte qu'il pardonnoit de tout fon cceur aux auteurs des maux qu'il avoit fouffert & qui avoient abrégé fes jours. II ne fuivccuc que trois ans a ia chüte de la Société. . T i Et quelques Peres AlleTtands.  LXIV. Invention dont s'avij ent les prifonnierspour communiquertntre-eux. 441 Anecdotes du, Miniftere voit paru au guichet. On lui demanda s'il ne favoit rien de nouveau. Rien d'autre , répondit - il , fi ce n'eft que depuis quinze jours le Saint eft mort. On 1'a condamné a être étranglé ck brülé. Quel eft ce Saint dont vous parlez , reprirent les prifonniers ? Je ne lui connois point d'autre nom, repliqua ce garcon. C'eft un Jéfuite , ck on ne 1'appelle pas autrement que le Saint. Telle étoit en effet 1'opinion générale du public fur la vertu de ce Pere fi indignement fupplicié. Les prifonniers, pour communiquer enfemble, fe fervirent d'un ftratagême affez fingulier. Ils avoient un tome de la Perfeciion chrétienne du P. Rodriguez. C'étoit le feul livre qu'on leur eut laiffé, on le faiffoit paffer fuccelfivement d'un cachot a I'autre, pour y faire leur leéture fpirituelle. Un de ces Peres avec un tuyau de paille ck du noir de la fumée de fa lampe, trac,a fur le feuillet blanc de ce livre la maniere qu'on obferveroit pour s'entretenir a travers les murailles. II colla ce feuillet avec la fahve, afin que le geolier, qui avoit ordre d'examiner le livre a chaque fois qu'il circuloit, ne s'appercüt de rien. On devoit donner un certain nombre de coups, pour défigner chaque lettre dePalphabet. L'inventeur ayant rendu le livre fit fon épreuve, & elle lui réuffit; mais ce ne fut qu'au bout de trois mois, lorfque le feuillet s'étant détaché ,  du Marquis de Pombal. LlV. V. 443 un cles prifonniers comprit ce que fïgnifioient ces coups li fouvent répétés. Infenfiblement cette invention perca d'un cachot a 1'autre ; & ces Peres s'en fervirent pour s'exhorter mutuellement a la patience, ck fe communiquer les divers accidents, qui leur furvenoient dans ce féjour d'horreurs. A fa fortie des prifons de Lisbonne, le F. Delfart, dont nous avons parlé, fut chargé de deux lettres latines, dont nous croyons devoir donner ici la traduéfion ; 1'une eft du P. Kaulen de Cologne, au Provincial du Bas-Rhin, ck 1'autre du P. Przikvil cle Prague, Profeffeur en Théogie ckChancelierde 1'Univeriité de Goa, au Provincial de Bohème. Elles édifieront autant le leéteur fur qui 1'humanité conferve fesdroits, qu'elles le frappeiont d'indignation contre ceux qui les violerent fi outrageufement. » Depuis prés de huit ans, que je fuis en prifon, mon Révérend Pere, je n'ai pu trouver le moyen de vous écrire. En voici un, qui fe préfente Sc je le faifis furtivement. C'eft 1'élargiffement d'un Frere, Francois de nation , que la pieufe Reine de France vient de réclamer. II s'eft chargé de vous faire parvenir cette lettre. « » Pour remonter a Porigine de nos tribulations, vous faurez qu'en 1759 •> nous fumes arrêtés au nombre de vingt & conduits a main armée k la fortereffe d'AlT 6 Lxvr. JJtux lettres écrites des F rifons. lettre du P. Kaulen de la Tour St. Julien.  444 Anecdotes du Miniftere meida fur les frontieres de Portugal. On nous jetta féparément clans d'horribles cachots. Cet endroit étoit fi infefté de rats, que nous en trouvions par-tout jufques fous nos habits, fans qu'il fut poffible de nous en délivrer, fur-tout a caulè de 1'obfcurité qui regnoit dans ces prifons. Les quatre premier mois, nous fümes paffablement nourris : mais enfuite on nous retrancha tellement les vivres, que nous crumes qu'on vouloit nous faire mourir cle faim. On en vint jufqu'a nous enlever de force nos bréviaires St nos chapelets, avec les reliquaires que nous avions fur nous. On voulut même nous arracher le Crucifix que nous portions pendu au cou , mais a force de repréfêntations St de réfiftance, on fe déïifla de cette violence. On nous rendit auffi nos bréviaires au bout d'un mois «. » La guerre qui s'éleva entre 1'Efpagne St le Portugal nous tira de ces ténébreux cachots, oü pendant trois ans nous avions fouffert de la faim St des autres incommodités , tout ce qu'on peut imaginer de plus accablant. On prit toujours a tache d'écarter de nous toutes les perfonnes qui auroient pu apporter quelque adouciffement a nos infirmités , St on nous refufa même la permiffion de nous prêter mutuellement du fecours dans nos maladies St même a la mort; comme il arriva a un d'entre nous qui y termina fa carrière. Réduits par cette perte au nombre de dix~  du Marquis de Pombal. Lrv. IV. 44^ neuf, on nous emmena des prifons d'Almeïda, cle peur que n'ous n'échapaffions i la faveur d'un fiege, dont on étoit mtnacé. L'ordre fut donné de nous transférer a. Lisbonne. Nous traverfames prefque tout le Royaume fous 1'efcorte d'une nombreufe cavalerie. Après bien des fatigues & des humiliations, nous arrivames a la Capitale fi épuifés de force, 'que deux Allemands & moi tombames en défaillance. On nous fit paffer la première nuit dans les prifons publiques, oü fe trouvent les malfaiteurs , ck on nous en tira le lendemain, pour nous conduire a la tour St. Julien a 1'embouchure du Tage «. » C'eft de cette prifon que je vous écris, mon Révérend Pere , elle eft encore plus affreufe que la première. Ce font des efpeces de cafemates profondes, obfeures & infeftes. L'air n'y pénetre qu'a. peine par quelques foupiraux larges de trois pouces : on nous donne un peu d'huile de lampe, qui nous fert a réciter notre office. Notre nourriture eft dégoutante & très-modique, & nous n'avons pour boiffon qu'une eau corrompue Scpleine d'inleétes. Qnne nous donne qu'une livre de pain par jour: ck s'il fe trouve entre nous quelque malade , on lui fert un petit morceau de volaille, fans fe foucier fi cela peut le foulager ou non. Qu'il vive ou qu'il meure, peu importe «. » Ce qu'il y a de pis encore que tout  446 Anecdotes du Miniftere cela, mon Révérend Pere, c'eft la privation des Sar cmens, excepté a 1'article de la mort. Encore faut-il qu'un chirurgien , qui nous fert de méclecin (d), attefte par ferment le danger extreme oü fe trouvé le malade. Comme il eft logé auffi bien que le Prêtre hors de 1'enceinte du Fort, nous nous voyons fruftrés pendant la nuit de tout fecours pour 1'ame ck pour le corps.« » Les prifons font pleines d'infeétes. II y regne une infeêtion infupportable occafionnée par les eaux de la mer, qui s'infinuent a travers les murailles. Aufli tout y eft d'abord corrompu , ck le peu que nous avons pour nous couvrir fe pourrit bientöt. C'eft ce qui fit dire derniérement au Commandant, qui venoit faire la vifite des prifons : Chofe étonnante ! tout fe corrompt, tout pourrit ici, hors ces Peres. Cela fe fait fans doute par une efpece de miracle , & afin que nous ayons 1'avantage de fouffrir plus long-tems pour 1'amour de Jefus-Chrift : autrement il ne feroit pas poflible cle tenir contre tant d'incommodités. Le chirurgien lui-même ne comprend pas comm§nt nous pouvons vivre; ck il avoue ingénuement que no- («5 C'étoit le jardinier du Miniffre. On lui avoit affigné cei ctuzadet d'appointemens pour les ('euls Jéfuites , au-deffus de la penfion .qu'il tiroit en fa qualité de chirurgien du Chateau.  du Marquis de Pombal. LlV. V. 447 tre guérifon dans nos maladies eft moins due a fon habileté , qu'a une vertu toute divine. En effet , on en voit fe guérir auffi-töt qu'ils ont adreffé quelques vceux au Seigneur. Un entre autres, fur le point de mourir, prit un peu cle cette farine miraculeufement multïpliée par 1'interceffion de St. Louis de Gonzague, ck fur le champ il fe fentit tout-a-fait guéri. Un autre tombé en frénéfie, pouffoit des cris affreux : mais des que fon compagnon eut récité fur lui une courte priere , il fe calma tout-a-coup, & infenfiblement fe rétablit. Un autre encore, que de fêcheufes maladies avoient fouvent conduit aux portes de la mort, fut fubitement guéri, après avoir recu la fainte Euchariftie; tkcemiracle s'eft renouvellé plufieurs fois : de forte que le chirurgien étant appellé auprès d'un malade a coutume de dire : Je connols le remede quil lui faut, quon lui donne le St. Viatique , pour lui rendre la vie. Nous en perdïmes un derniérement. Son vifage paroiffoit fi beau après fa mort que les foldats de la garde , qui devoient tranfporter le cadavre , en furent ravis d'admiration, & s'écrierent : Ah ! volld le vifage d'un Saint.« » A la vue de tant de merveilles & fortifïés par la grace du Seigneur, nous nous réjouiffons avec ceux, cjui font fur Ie point de partir de ce monde, & nous envions leur fort, non point tant paree qu'ils tou-  44? Anecdotes du Miniftere chent au terme de leurs fouffrances, que paree qu'ils vont recevoir la couronne de juftice, qui eft due a leur viétoire. Le croiriez-voi ■=, mon Révérend Pere, que la plupart d'entre nous demandent au Seigneur de finir ici leurs jours. Auffi avons-nous remarqué, que lorfqu'on annonca aux Francois leur élargiffement, ils en parurent afHigés, fans doute paree qu'ils croyoient notre fort plus heureux que le leur. II eft vrai que nous fommes fans ceffe danslafouffrance ,-ck néanmoins nous fommes toujours dans la joie. Tout nous manque, ck rien n'altere la férénité de notre ame. II en eft peu qui aient confervé quelques lambeaux de leur foutane. A peine pouvons-nous obtenir de quoi nous couvrir dans 1'exafte décence. La couverture qu'on nous donne eft une efpece de cilice, fait cle je ne fais quels poils roides ck piquans. La paille, qui nous fert de lit, eft bientöt changée en fumier, ck ce n'eft qu'après de longues inftances, qu'on la renouvelle.« » Voila notre état , mon Révérend Pere. Nous ne pouvons parler a qui que ce foit, ck perfonne n'ofe nous parler ni s'in'é efier en notre faveur. Legeolier eft un homme dur ck brutal, qui ne femble fait que pour aigrir nos peines. II n'ouvre la bouche que pour nous infulter. II ne nous accorde rien que de mauvaife grace; ck fouvent après nous avoir donné a force  du Marquis de Pombal. Lrv. V. 449 d'importunités les chofes même les plus néceffaires, il vient enfuite nous les arracher brufquement. Sans ceffe il nous répete que fi nous voulons renoncer a la Société , nous jouirons de la liberté , d'une penfion, ck de différens avantages. Nos Peres de Macao , dont plufieurs avoient déja fouffert chez les Gentils , les prifons, les fouets Sc d'autres tourmens , ont été enlevés de leur Miffions , Sc font ici les compagnons de nos chaïnes. II femble que Dieu foit plus glorifié des fouffrances qu'ils efïuient dans ces prifons, fans les avoir méritées, que du facrifice qu'ils auroient fait dc leur vie dans les pays idolatres. « » Avant que de finif:, je conjure les membres de ma Province, que je porte tous dans mon cceur, de me recommander dans leurs prieres. Qu'ils ne nous confiderent cependant point comme des infortunés; car nous nous eftimons heureux; Sc quelque-dcfir que j'aye de voir abréger les peines qu'endurent les compagnons de ma prifon , je ne voudrois pas changer de fort avec aucun de nctre Province. Je les falue tous en particulier, Sc fouhaite que le Ciel béniffe leurs travaux , afin que la gloire de Dieu s'accroiffe dans les pays, oü ils exercent leur zele , a mefure qu'elle s'affoiblit dans d'autres régions. J'ai Phonneur d'être, mon Révérend Pere, votre très-humble Sc trés-  txvi. lettre du T.I'rzikvAl de la même fifon. 450 Anecdotes du Miniftere obéiffant ferviteur en J. C. LAl/RENT KAULEN. Des prifons de St. Julien d r'embouchure du Tage , le 12 Décembre ij66. « La lettre du P. Przikwil n'eft pas moins mtéreffante, ck on enpeut juger par fa teneur. » Mon Révérend Pere. La paix de J. C. foit avec vous. Dans le tems de notre enlevement de Goa , qui fut fi fubit & fi imprévu , je trouvai, par un coup de Providence , une occafion favorable pouf écrire auR. P. Balthafar Lidner, Affiftant a Rome. Je le priai de vous faire paffer ma lettre, afin que vous euffiez la bo-té de la communiquer a notre chere Province cle Bohème. La même Providence me fournit aujourd'hui le moyen de vous écrire direétement par un compagnon de ma prifon. C'eft un de nos Freres, a qui l'on vient d'annoncer que 1'AmbafTaceur de France a obtenu fon élargiffemcr.t, paree qu'il eft fujet du Roi fon Maïtre, étant né dans les Pays-Bas Francois. Le Seigneur 1'avoit conduit a Goa quelques années avant nos malheurs, & il y avoit fait fes vceux. Cette occafion m'eft d'autant plus commode, qu'elle me donne ie tems d'écrire, & me fournit le moyen de tromper la vigilance de nos furveillans, qu'il eft fi difficile de furprendre. « » Je commence d'abord par vous demander part dans vos faints facrifices ck  du Marquis de Pombal. LiV. V. 4<[ ï dans ceux de toute'la Province, que je n'ai jamais oubliée en aucune circonftance. Voila prés de fix ans, que nous n'avons point eu le bonheur de célébrer ni même d'entendre la lainte Meffe. Je ne vous parlerai ici que de notre fïtuation préfente, fans remonter plus haut, car le papier me manque comme bien d'autres chofes. « » On nous embarqua a. Goa en 1761, tk nous fümes cinq mois en mer. Pendant cette navigation li trifte tk fi pénible nous perdirnes fucceffivement vingt- trois de nos compagnons (a), leur courage, leur réfignation , leur amour pour Dieu tk leur confiance , nous firent envifager leur mort moins comme un fujet de trifteffe, que comme un objet d'envie. Enfin le 20 Mai, veille de la Fête - Dieu , nous arrivames k 1'embouchure du Tage. La on nousretinttrois jours, tk le quatrieme on commenca k débarquer quelques - uns de nos Peres Portugais, avec des paffagers, tk ceux qui devoient être tranfportés ailleurs. Ils étoient au nombre de vingt-huit, nous ne refiions plus qu'a cent quatre. Mais il eft k obferver que nous en avions laiffé quelques-uns en Afie, paree qu'étant répandus bien avant chez les Sauva- (a) II ne coinptoit pas le vingt-quatrreme , qui mourut le jour de leur arrivée a 1'embouchure dn Tage,  451 Anecdotes du Miniftere ges, lors cle notre etilevement ,°il n'avoit pas été poffible aux émiffaires du Miniftre de s'en faifir a tems pour notre embarquement. Enfin notre tour vint, & on nous defcendit. Le port, qui d'aiileurs eft rrèsfréqüenté, fe trouvoit alors bordé d'une multitude innombrable de peuples raffemblés pour nous voir. Une garde renforcée nous requt & nous conduifit a la tour St. Julien. Elle eft a 1'entrée du port, du cöté oppofé a notre débarquement. Ce fut dans ce Fort qu'on nous confina. Les cachots oü l'on nous; renferma, étoient contigus a. ceux oü l'on avoit refferré fix mois auparavant nos Peres du Maragnon; ce que je ne fus néanmoins que quelque tems après. Le P. Woiff, né Silenen , mais de notre Province , eft du nombre de ces prifonniers. C'eft auffi en fon nom que j'écris. Le tems , la néceffité, ou plutöt la divine Providence, nous fournit enfuite les moyens de communiquer entre nous d'un cachot a 1'autre , ck de nous reconnoitre «. » La guerre étant furvenue entre les Efpagnols & les Portugais, on conduifit dans ces prifons d'autres Jéfuites qu'on avoit tiré de celles d'Almeïda. On y amena encore après environ deux ans , les Peres de Macao , entre lefquels s'eft trouvé le Pere Jean Koftler de Bohème, qui fe recommande auffi a votre pieux fouvenir. Dans Pefpace de cinq ans ck quatre mois,  du Marquis de Pombal. LlV. V. 45 f nous en avotis perdu treize , qui font allé recevoir la récompenfe de leur réfignation inaltérable a fouffrir pour Jefus-Chrifr.; tellement que de quatre-vingts douze que nous étions , nous ne fommes plus que foixante & dix-iept, en dédüifant avec les treize morts deux Francois qifon a élargis , le P. Superieur de Macao, & le Frere qui doit être porteur de cette lettre ( a). « » Je vais vous tracer le plan de mon réduit. C'eft un fouterrain femblable a une cave profonde, ou plutöt aux anciens caveaux de morts. Sa fituation au bord de la mer le rend conftamment humide. Les vers s'y engendrent prodigieufement, &£ nous en fouffrons beaucoup. On a pratiqué de hauts foupiraux dans la muraille , pour dirigér par la lueur obfcure , qui peut a peine y pénétrer, éeux quidefcendent pour nous apporter quelque nourritu^e ; maisni l'air ni le jour ne percent dans nos cachots, que dans les momens ou l'on ouvre la porte de fer a 1'entrée des prifons. Jugez de-la combien ces fouterrains font infeéts & malfains. La mauvaife huile de lampè, que nous brülohs, y répahd une odeur infupportable. « » Le cachot , oü je fois, eft long de feize pieds & large de treize. II en eft d'autres moins grands , ou l'on eft fort («) Le P. du Ranceau n'étoit pas encore élargi.  4^4 Anecdotes du Miniftere gêné a deux. C'eft cependant une confolation de fe trouver avec un compagnon ; & on ne nous 1'eüt point accordée , fi le nombre des prifonniers eüt été moins conftdérable. Je n'eus d'abord qu'un compagnon, c'étoit un Frere Florentin ,• parfait Sculpteur. On nous affocia enfuite un jeune étudiant Génois, qui au bout de deux ans a fini faintement fa carrière. II fut remplacé par le Frere, qui va me quitter. Cette combinaifon m'óte tout pouvoir de me confeffer. Nos furveillans pouffent 1'attention a 1'excès , pour nous empêcher toute communication avec qui que ce foit ; même avec ceux qui nous fervent, Sc qui n'oferoient ouvrir la bouche pour nous dire un mot. Cependant il a plü a la divine Providence de nous fuggérer un expediënt pour nous communiquer ce qui fe paffe dans nos cachots, foit maladies, foit d'autres peines, afin de nous aider mutuellement par la priere. « » Le premier jour de notre arrivée, je n'eus pour lit que la terre humide, ck que mon bréviaire pour oreiller. Ce fut la toute ma reffource dans une foibleffe de jambes , qui m'empêchoit cle me tenir debout. D'ailleurs j'avois perdu fur le vaiffeau une petite couverture de coton , qu'on m'avoit permis d'emporter de Goa. A la fin, on nous donna une paillaffe, qui fut bientöt pourrie par 1'humidité. Tel eft le  du Marquis dt Pombal. LlV. V. 455 Ut, oü je m'enclors tranquillement. Bènl foit Dieu, le Pere de Jesus-Chris t notre Seigneur , le Dieu de toute confolatlon, qui nous confole dans toute notre tribulatlon , ck qui nous fait goüter combien il eft doux de fouffrir pour fon faint nom. « » Peut-être que ceux, qui entendront ce récit, cüront que notre fort eft bien dur. II 1'eft en effet; mais que font nos maux en comparaifon de ceux que 1'Apötre des Gentils éprouvoit dans tous fes membres } Auffi, quand je les pefe au poids du Sanétuaire, j'ai honte d'endurer fi peu de chofes pour mon Dieu, fur-tout dès que j'oppofe fouffrances a fouffrances , les miemies a celles des premiers Peres de notre Compagnie ck de tant de généreux Martyrs de la Foi; a celles que J. C. même notre Sauveur ck notre modele a foutenues par amour pour nous. « » Nous n'avons proprement qu'une peine , mais elle eft bien grande; c'eft d'être privés du pain des Anges. Hélas! le croirez-vous , mon Révérend Pere , on ne veut 1'accorder qu'aux mourans. Ah! que nous reffemblons bien aux morts! Dieu veuille que nous foyons auffi parfaitement morts aumonde. Nous fommes ici comme dans des fépulchres; puiffions-nous y être enfevelis avec J. C., tellement que Dieu, feul témoin de nos maux, de notre foumiffion ck de notre amour, nous y fou- 2. Cor. VI.  456 Anecdotes du Miniftere tienne , jufqu'a ce qu'il lui plaife de dif- pofer de notre fort! « » Je ne vous ai encore rien dit de ma fanté, mon Révérend Pere , eh! bien , elle eft paffable; du refte, je puis vous affurer que je fuis parfaitement content dans mes fers. Graces foient rendues a Dieu, qui me fortihé. Je ne defire nen d'autre qve de vivre fur la cröix de J. C, d'y mourir avec lui, & d'accomplir en tout fa divine volonté.« » Je vous fupplie, mon Révérend Pere, de faire part de cette lettre a mes amis & a tous ceux de ma cohnoiffartce. Je les falue de tout mon cceur. Au moins qu'ils ne plaignent pas mon fort, mais plutor. qu'ils prient pour moi le Seigneur, comme je le prie nommément pour eux, afin qu'il lui plaife de me maintenir dans cette joie du cceur, qu'il a daigné m'accorder jufqu'a ce jour, tout indigne que je fuis d'une telle faveur. Ce que je demande ici, ce n'eft pas pour moi feul, c'eft auffi pour tous mes freres captifs pour J. C. Profterné en efpr: ivo. pi rl;, mon Révérend Pere , i'invoque humblement votre charité. Daignez c'. me, av< c tous les Peres & Freres de la Province , vous fouvenir de nous pauvres prifonniers. Daignez-vous en fouvenir tous les jours dans vos Sacrifices & oraifons; Quelque réfignés que nous foyoiis, nous fommes toujours des hommes foibles & fragiles, nous ne pouvons rien  du Marquis de Pombal. Liv. V. 4^7 rien de nous-mémes, ck nous avons continuellement befoin du fecours d'en haut. C'eft pourquoi, priez pour nous, afin que vos prieres moment jufqu'au tröne de Dieu, ck nous obtiennent la gracede combattre généreufement & conftamment jufqu'a la fin comme de vrais Enfans de notre Mere, la Compagnie de Jesus.« » II faut que je finiffe, mon Révérend Pere, car le papier me manque. Comptant fur votre charité ck fur vos bontés , je vous conjure tout de nouveau de ne nous oublier jamais devant Dieu. Je fuis, mon Révérend Pere, le plus petit de vos ferviteurs en Jefus - Chrift , CHARLES P RZIKV IL.De laprifon de St. Julien de Ls bonne, d t'embouchure du Tage. En Décembre ij66. << Autant qu'on efl édifié des fèntimens de piété ck de Religion , que ces lettres refpirent, autant doit-on frémir a la lecture de tant d'horreurs. Le tyran n'en demeura point-la. II fe donna encore le plaifir barbare d'ajouter les derniers traits d'ignominie a ceux de la cruauté. Ce n'étoit point affez pour lui de promener fes regards fur les cadavres de cent-trente Jéfuites, qu'il avoit fait périr de miferes ck dans les prifons; il lui fallut un autre fpeétacle, qui ne fait guere d'honneur i la philofophie moderne, dont il fe déclaroit 1'ardent proteéteur. II recoit le fameux Bref de fupprefïiüm, qu'il avoit foU V Lxvir. Scinc odiiujck '« IhppnJJion dt la Sociale.  '45^ Anecdotes du Miniftere licité avec tant dmftance, pour affouvir la haine perfonnelle, & pour s'unir a un certain parti. II lui auroit fuffi de faire fignirier ce Bref deftrucf eur aux individus qu'il tenoit renfermés dans les prifons du Fort St. Julien. II voulut aggraver leur confufion & y mettre le comble. Convoqués par fon ordre devant la prifon, il leur fit faire la leéture de ce Bref en préfence de deux Compagnies de foldats : mais comme le Clerc, qui accompagnoit le Magiftrat nommé pour 1'exécution , ne pouvoit fortir de cette leef ure , un des prifonniers dut s'en charger (d). Dès qu'elle fut finie , on leur arracha les lambeaux de 1'habit Jéfuitique, dont ils étoient couverts, & au milieu de la foldatefque, & d'une populace nombreufe, on les revêtit d'une efpece de farraux formés de tant de pieces de différentes couleurs, qu'on auroit pu les prendre pour des farceurs. Après leur avoir fait fubir cette indécente humiliation, qui devoit les plonger dans le deuil le plus profond, on n'eut pas honte de leur faire entendre, qu'il ne leur feroit pas féant de donner la moindre marqué de trifteffe, pendant que toute la ville, tout le Royaume & tout 1'Univers faifoit é.clater fon alégreffe au fujet de ce grand événement; que le bon plai- (a) C'eft ce qui eft encore arrivé ailleurs; tant on £cchoix degens capables, pour ccue epéraiion.  Au Marquis de Pombal. Liv. V. 459 fir cle S. M. étoit qu'ils en témoignaffent cle la joie , tk qu'une conduite différente ,ne pourroit que les faire paffer pour des criminels d'Etat. Ce fut avec des propos fi étranges qu'on les fit reconduire dans leurs antres ténébreux. Pour fe faire une idéé de la douleur profonde que cette fcene honteufe tk barbare produifit dans 1'ame de ces infortunés prifonniers, il faut fe rappeller quel étoit 1'extrême attachement des Jéfuites a leur état. On fait que plufieurs font tombés roides morts a la nouvelle de la deftruélion de la Société. Une lettre du célebre P. Charles de Neuville k un de fes Confrères, rend parfaitement l'imprefTion que cet événement fit fur les Enfans d'Ignace, tk les regies de conduite & de converfation qu'ils fe prefcriyirent k cet égard. Nous la tranfcrirons ici. » La So» ciété n'eft plus, le Bref deftruftif a été » prononcé. Pennettez que fur cette tra» gique révolution , qui fera 1'étonne» ment de la poftérité, ]e vous parle en » pere tk en ami. Pas un mot, un air, » un ton de plainte tk de murmure. Ref>» peft incapable de fe démentir k 1'égard •*> du Siege Apoftolique tk du Pontife qui » 1'occupe -, foumiflion parfaite aux vo» lontés rigoureufes, mais toujours ado» rables de la Providence, tk k 1'auto» rité qu'elle emploie a 1'exécution de fes » deffeins, dont il ne nous convient point V i  460 Anecdotes du Minijlert » cle fonder les profondeurs. N'épanchons » nos regrets , nos gémiffemens , nos lar» mes, que devant le Seigneur & dans fon » fanétüaire; que notre jufte douleur ne » s'exprime devant les hommes que par un » filence de paix, de modeftie, d'obéiflan» ce; n'oublions ni les inftrucfions, ni les » exemples de piété, dont nous fommes » redevables a la Société; montrons par t> notre conduite qu'elle étoit digne d'une » autre deftinée; que les difcours &£ les » procédés des enfans faffent 1'apologie >v de la mere; cette maniere de la juftitier » fera la plus éloquente, la plus perfüa» five; elle eft la feule convenable, la » feule permife & légitime. Nous avons » defiré de fervir la religion par notre zele » & par nos talens; tachons de la fervir *> par notre chüte même & par nos mal» heurs. Vous ne doutez point de la fitua» tion pénible de mon efprit & de mon f* cceur au fpecf acle de la deftruéf ion hu& miliantè de la Société, a laquelle je dois » tout, vertus, talens, réputation. Je puis *> dire qu'a chaque inftant, je bois le ca» lice d'amertume & d'opprobre; que je I » 1'épuife jufqu'a la lie : mais en jettant j » un coup-d'ceil fur Jefus-Chrift crucifié , » oferoit-on fe plaindre ? « Quatre jours après cette infultante cérémonie , le Bref fut publié dans Lisbonne & fucceftivement dans les autres villes du Royaume. Cette pubücation fe fit avec |  iu Marquis dt Pombal. LlV. V. 46" ï une foiemnité exceffivement affeétée. On fit expofer pendant trois jours le St. Sacrement dans toutes les Eglifes , en action de graces de Pextinétion de la Compagnie. Cet événement fut annoncé au peuple par une décharge générale des canons des tours ck des citadelles,. Tous les corps de 1'Etat ck du Clergé furent fommé d'affifter au Tt Deum, ck on ordonna j des ïiluminations publiques fous peine d'amende. A la colleéfe : Deus refugiurn I nojlrum qu'on récitoit auparavant ?. la I Meffe, on fubftitua celle pro gratiarttm I actione. Enfin il parut une défenfe de parler contre ce fameux Bref. La Bulle Apoftolicum de Clément XIII, follicitée par tant d'Evêques , &C reque dans tous les Etats Catholiques, n'avoit guere été accueillie de la forte en Portugal. Au con- ' trairedès qu'elle parut, 011 tacha de 1'étouffer par une infinité de libelles. Enfin arriva le moment qu'avoit marqué pour la fin du regne de Jofeph I, Ie grand maitre des R.ois de la terre, qui, pour me fervir de la penfée d'un ancien , imprime d'un clin d'oeil le mouvement k toute la machine politique , comme k la machine phyfique de ce variable globe ; décide le fort des plus puiffantes Monarchies; leur envoie l.a félicité , ou le malheur ; le trouble , ou le calme ; les agite , ou les pacifie. Ce moment arriva, ck fut 1'époque d'une révolution généraV 3  L XVIII. Xémoigna ■ ge authentique de la tjrannlt dt i aryalho. (fl) u Le regnede ce Miniftre , die un voyageur philo» fophe, dura trop pour une nation opprimée qui traï» notc avec douleur un joug de fer. Les années qui i> fuivirent, reflèmblerent toutes a celles qui avoient » précédé: il ne fe départit jamais de ce defpotifme =1 odieux dont il s'étoic fait un fyftème. Ce fut tou» jours le même mépris pour la nobleffe; 3c ce quï m ne patoit pas croyable , c'eft qu'il ne lui étoit pas » permis d'entrer au fervice. Cette permiffion conftam» ment refufée aux perfonnes de condition, n'eft ac" cordée qu'aux flatteurs ou aux amis du Miniftre: » fes créatures & les étrangers obtiennent feuls les dif" tinclions militaires. Si ie peuple jouit de quelque » apparence de liberté , c'eft qu'il fait concentrer fa »» douleur 8c fe tait. Sur les plus légeres indices, fur »• les moindres foupcons, plus fouvent encore fans •» foupcon, fans indices, par humeur , par antipathie, ii les profcriptions continuent ic frappent les têces U-s » plus refpeilables. Le Portugal eft couvert de deuil » & en ptoie a la défolation. Les prifons ne furfi- fent plus; les perfonnes que la force condamne a » être privées de leur liberté, ironc en Afrique ou dans " les Indes en pleurec la petce. Les plus dignes ej- 461 Anecdotes du Miniftere le. La chüte d'un homme, qui ne fe fervoit cle fon pouvoir que pour outrager Phumanité & la religion changea toute la face des affaires, & cette chüte trop lente pour le bonheur des peuples (a) leva le voile, qu'une faóhon affez connue avoit jetté fur tant d'excès, pour en cacher la réalité. Le difcours que les ordres cle 1'Etat adrefferent en 1777 a la Reine Très-Fidelle, le jour de fon heureufe acclamation, & que cette Princeffe envoya ellemême au Souverain Pontife, Pie VI, dépofé contre tant d'impoftures concertées , & imprime le fceau de la vérité fur tout  'du Marquis de Pombal. LlV. V. 465 ce que nous avons rapporté dans cette hiftoire. » La Providence » y eft-il dit entre autres chofes, » avoit deftiné V. M. a » être la rédemptrice de ce Royaume, en » 1'ornant de toutes les qualités néceffai» res pour remplir les devoirs d'une dignité » fi élevée ; le lang dégoutte encore de » ces plaies profondes qu'un defpotifme » aveugle & fans hornes a faites au cceur » du Portugal. Ce qui nous confole , c'eft » que nous en fommes aftuellement dé» livrés. C'étoit ce defpotifme affreux , » qui étoit par fyftême Pennemi de 1'hu» manité, de la religion, de la liberté, » du mérite & de la vertu. II peupla les » prifons , il les remplit de la fleur dn » Royaume; il défefpéra le peuple par fes » toyens couttnt les plus grands rifques & fonc plu* m expofés aux difgraces, s'ils ne fe jectent pas dans o le fein de 1'étranger pour y trouver un afyle. lis >• font tous les jouts brutalement renverfés par la n main qui devoit les foutenir. Ces hommes vertueux » qui rougiroient d'avoir a fe reprocher la foiblefle m des paffions Acres & puiflantes , s'ils ne cachenc » pas leurs fentimens généreux , ne tarderont pas £ »> tomber fous le glaive du petfccuteur. Une difgtace » abfolue vint fermer les cceurs a la crainte. A U >• mort du Roi Jofeph , le marquis de Pombal fut » exilé. La profpérité ne lui avoit donné que des » fiatteurs , Tadvetfité ne lui laifTa point d'amis. Le n peuple fe vengea fur ce qui reftoit de lui dans la » Capitale , je veux dire fur fon bufte qu'il avoit fait » orgueilleufement placer au-deffous de la ftatue de » fon maitre. « Difcours fur VHiJloirc Sri. par le Comte d'Albon, t. 3. V 4  464 Anecdotes du M'mijlere » vexations, en le réduifant a la mifere. » C'eft lui qui fit perdre de vue le refpeét » dü a 1'autorité du Souverain Pontife ck » a celle des Evêques. II opprima la No» bleffe , il infefta les mceurs, il renverfa » la légiflation, ck gouverna 1'Etat avec »> un fceptre de fer. Jamais le monde ne » vit une facon de gouverner fi lourde ck » fi cruelle. « » Eh ! que fait la Providence ? elle fait » difparoitre 1'illufion, qui tendit des pie» ges a la piété du Roi défunt, 6c oppofe » au grand nombre de ces défordres exé- » crables les vertus de V. M » C'eft de cette foutce , que dérivent les » difpofitions férieufes du gouvernement » aftuel L'élargifTement des prifon- >> niers, la jufhfication des innocens, la .» réintégration des dépofés & des exilés. « >> C'eft cette même Providence , qui » préferva miraculeufement V. M. contre » les chocs réitérés , qui réduifirent le Por» tugal a la confternation la plus déplo» rable. Son bras tout-puiffant anéantit de » puiifans ftratagêmes, afin que V. M. eüt » pour époux 1'augufte Monarque , qui » nousgouverne aétuellement Enfin, » la Providence préferva V. M. de plu» fteurs attentats & d'infames machina» tions formées contre la légitimité de fon » droit. Pour faire le coup d'état, qui pro» duifit notre bonheur , nous n'avions » d'autres armes, que les prieres des gens  du Marquis de Pombal. LlV. V. 465 » de bien Sc celles du Royaume , qui fie» chirent enfin le Ciel en notre faveur , » Sec. Sec. Sec. « A cette heureufe époque , les fatales prifons s'ouvrirent. On vit fortir de déffous terre, Sc reparoitre parmi les vivans, huit cents perfonnes, qui avoient difparu, Sc que l'on croyoit mortes depuis longtems. C'étoient les reffes d'environ neuf mille , que le Miniftre avoit enlevés a PEtat (a). Ils furent accueillis avec des tranfports de joie, qu'on fent mieux, qu'on ne peut les exprimer. Les Jéfuites étoient de ce nombre. Les Miniftre Impérial fut les voir. II y trouva des Autrichiens , des Hongrois , des Bavarois Sc des Italiens, qui avoient été enveleppés dans 1'enlevement général, Sc que Carvalho avoit retenus dans ces prifons , lorfque quelques Aliemands furent élargis fur les inftances de PImpératrice Reine. En lui renvoyant un petit nombre de fes fujets, il avoit eu recours a la calomnie pour retenir les (ji) Plaifante confpiration , unique a coup (ar dan» 1'hiiloittf dc tous les (ïec'es '. Ourdie tout a la-fois par des Capucins, des Marchands, des Nobles, de» Miiitaires, des Evêques , des Jéfuites eiiftans a Gea , au Bréfil, a Lisbonne , des Aliemands, des Hongrois, des Polonois, des Italiens, des Portugais, ckc. S'il ne fut jamais de menfonge plus atroce , & plus enfang'anté, il n'en fut pas non plus de plus gtoffier Sc de plus ridicule. Voltaire a bien eu raifon de dire;: Vexch de l'abfurdité fut joint a l'excis d'horreui: Siecie de Louis XV. chap. 33. V 5 LXIX. Les pujens s'ouvrent. Nombre Sr état desprifonniers.  LXX. Cruauté inouïe. 466 Anecdotes du Minijltrt autres ; le faux prétexte qu'il avoit allégué pour s'en excufer , c'eft qu'ils étoient dignes de mort & jugés tels; qu'ainfi l'on ne pouvoit les délivrer ; que cependant par égard pour S. M. I. R. A. on avoit commué la peine capitale, qu'ils auroient dü fubir , en une prifon perpétuelle, St que c'étoit tout ce qu'on pouvoit faire a fa confidération. Ils eurent enfin leur liberté avec les autres prifonniers. La Reine Très-Fidelle, St Sa Majefté Apoftolique fe chargerent des fraix du tranfport, St ils regagnerent leur pays avec le triompbe de leur innocence hautement atteftée par le témoignage de la Reine de Portugal St de toute la nation. On fournit aux autres Jéfuites un honnéte entretien par jour, avec la liberté de fe fixer dans le Royaume , oü bon leur fembleroit, St d'y exercer les fonftions du faint Miniftere. Les autres Religieux, compagnons de leurs chaines, furent traités avec les mêmes égards. On ne peut fe difpenfer de rapporter ici un trait, qui met le comble a. toutes les horreurs. C'eft la fureur que le Miniftre exerca fur deux Peres Auguftins, qu'il avoit fait enfermer dans un noir cachot. L'un d'eux y fut bientöt attaqué d'une fievre putride. Son compagnon eut beau demander du fecours, crier au geolier, qu'il fe mouroit..., qu'il étoit mort,... que le cadavre Pinfectoit... II dut le voir pourrir fous fes yeux St en  du Marquis dt Pombal. LiV. V. 467 dévorer la corruption, jufqu'a ce que pour s'en délivrer, il lui eüt creufé une foffe avec fes doigts. On vit ce Religieux fortir de fon cachot, tenant en main le crane de fon'infortuné compagnon , & le montrant k toute la ville. Ainfi s'eft retracé fous 1'empire de la philofophie , 1'affreux exemple de ce tyran , qui par la crtiauté la plus raflinée faifoit attacher des hommes vivans fur des cadavres infeéts, pour fe repaitre de 1'horrible fpeétacle d'un nouveau genre de mort. {a) On chercha dans toute les prifons le Comte d'Arganil, Evêque de Conimbre, mais comme on ne le trouvoit nulle part, il fallut interroger Carvalho fur le lieu oü ce Prélat étoit renfermé. II en indiqua 1'endroit. C'étoit le Fort Pedrouqa.entre Lisbonne &f le Fort St. Julien. II y étoit dans un fouterrain long de fept pieds & large de trois. On 1'y trouva avec une (a) Mortua , quin etiam jungebant corpora vivis, Component manibufq. manus atque orïbus ora • ZTormtnti genus ! Et fanie taboq. fiuentes, Complexu in miftre longü , Jïc morte necabant, V IRG../Eneid. L.t. O préten->u fiecle de douceur, d'humanité, de JTenJibilité, 4c de toltranct! jufqu'ou ne faut-il pa» retrograder, pour trouver des fcenes d'atrocité femblabies aux tiennes? Sans les fcarbaries du Paganifmè que l'Evangile avoit fi heureufement abolies , Sc que le Ciel , pour chatier les mortels laifle fe reproduire fous tes aufpices , Phiftoire des nations ne prcfea(croit rien d'égal a w forfaits! y 6 ixxr. On trouve l'Evêque de Conimbre. Sa prifon.  IXXII. CruelU Anecdote. V. liv. ?. N°. XII. LXXIII. SuppSts du Miniftre emprifannéf. 468 Anecdotes du Miniftre longue barbe & prefque nud. II avoua que lans la charité du geolier, qui lui donnoit quelques groffiers alimens , des fardines ck cles haricots, il feroit fouvent mort de faim. La nuit même du decès du Roi, arrivé le 24 Février 1777, Carvalho termina fon fanglant Miniftere par un dernier acte de cruauté. II envoya le bourreau dans les prifons trancher la tête a quatre perfonnes mafquées, entre lefquelles, on diftingua une femme , & le Comte d'Obidos, qui fe donna a connoitre, en difant a 1'exécuteur. Je fuis le Comte d'Obidos, ajjene bien ton coup. (a) Dans ces entrefaites, le Nonce (b) , (a) Quslle infatiabilité de fang dans un tyran qui touche au moment de fa chüte ! Quelle fureur dc carnage Sc de mort qui agite 8c inteteffe fon cceur, a rififtarit même ou il tombe dans Timpuiffance j, Ie mépris j Sc la vengeance publique. Un Philofophe impïe, qui connoiffbit bien fes colleguesj a dit excellemment: » Je ne voudrois pas avoir affaire a ua » Athée puiflant qui auroit envie de me faire piler » dans un mortier ; je fuis bien für , que je ferois » pilé. «. Volt. Dia. Philef. Art. Athéifme. (6) Dès le commencement du Pontificat de Clément XIV , Carvalho avoit paru fe prêter a une réconciliation avec Rome, pour obtenir le Bref de fupprefïion qu'il follicitoit depuis long-tems, & qui fut donné enfin en 1773. La correfpondance paruc s.'ouvrir entre le S fiege Sc le Portugal. Un Nm e y fut envoyé ; mais le ttibunal de la Nonciatu-.e n'en eut pas plus d'adttvité 3 Carvalho ayant foin de le retenir dans d'étroites enttaves. Ce ne fut qu'ai* moment de fa difgrace que ce tribunal reprit 1'exercice de fa jurifdiction.  du Marquis de Pombal. LlV. V. 469 fous 1'agrément de la Cour, fit arrêter & emprifonner le P. Emmanuel Mendoza de 1'Ordre de Citeaux, Général des Bernardins du Portugal. Ce Religieux d'une vie' fcandaleufe , étoit parent ck ami cle Carvalho, ck par fon crédit, il étoit parvenu a la charge de Grand-Aumónier. On faifit auffi dans la même nuit,le P. Jean Manfilha, Prieur-Général des Dominicains; c'étoit lui qui étoit chargé de la direélion ck du monopole exclufif des vins de Porto. On trouva chez lui plus de cent mille cruzades en efpeces. Une heure plus tard ces deux Religieux s'embarquoient avec leurs fecrétaires fur un vaiffeau êtranger qu'ils avoient freté. Le Tribunal de la Nonciature rendit une fentence humiliante contre le Général des Bernardins. Le PrieurGénéral des Dominicains fut mis entre les mains de 1'Inquifiteur avec le Supérieur des Hiéronymites ck celui du TiersOrdre de St. Francois. Une fceur du Miniftre , Abbefie du Couvent de Ste. Jeanne (a), fut dépofée, de même que plufieurs autres Supérieurs, qu'il avoit nommés ck placés a fon gré. On fit auffi rafer les fatales prifons, pour ne pas laiffer fub- W Ce Monaflere , que Carvalho avoit fait bitir aux frais de 1'Etat , fut réduit en cendret en 1781. 11 en avoir nommé Abbefie fa fceur , & il tira par for".d.e,différens Couvens de pauvres Religieufes, qu il lui fournit , & qui furent les viaimes de fon humeur impérieufe k quelqusfois ihhumaiae. LXXIV. Les prifons font refées.  txxv. Proces de Carvalho. X781. 470 Anecdotes du Mlnijlere lifter plus long-temps fous les yeux de la nation, ces odieux monumens d'un Miniftere barbare. Le geolier des prifons de 1'Inconfidence fut arrêté, a caufe de 1'ihhumanité dont il avoit ufé envers plufieurs perfonnes de diftinftion , & notamment du Comte de Ribeiro, dont il avoit avancé la mort. Le procés ne tarda pas a être fait a 1'auteur de tant de malheurs. Sa caufe fut long-tems examinée , ck l'on n'accufera certainement pas la Reine d'avoir ufé a fon égard de précipitation ou d'un exces de rigueur. Le Confeil d'Etat ck les Juges députés pour cet examen s'étant aflemblés le 7 Avril au Palais Royal pour la derniere fois, ck après avoir fait jufqu'a trois heures du matin la plus longue & la plus férieufe difcuffion de cette affaire , ils déciderent unanimement & déclarerent que les perjonnes tant vivantes que mortes, qui furent jufticiées ou exilees , ou emprifonnces en vertu de la Sentence du 12 Janvier ij5c) , étoient toutes innocentes du crime dont on les avoit accufées. On s'étonnera fans doute qu'on ait laifie vivre un tyran digne de 1'exécration du ciel & cle la terre, ck qu'on ne 1'ait pas facrifié a la vengeance publique. Mais on doit fe fouvenir de 1'afcendant qu'il avoit fur 1'efprit du Roi fon Maitre. On ne peut douter qu'il n'eut eu la précaution de fe munir de toutes les pieces capables de le  du Marquis dc Pombal. LlV. V. 471 juftifier & de faire retomber fur la perfonne feule de fon Souverain les cruautés dont il ne paroiffoit être que 1'inftrument & 1'exécuteur. Non-content de menacer qu'il fe juftifieroit a fes dépens , il ofa le faire en effet dans un mémoire civil qu'on a fupprimé. Ce n'eft donc pas fans raifon que par refpeér. pour la mémoire du Roi fon pere, la Reine a abandonné ce monftre a fes remords , & 1'a laiffé tranquillement defcendre dans le tombeau. A cette confidération , il faut joindre les efforts du parti philofophique & ceux d'un autre parti également intrigant & puiflant, pour intéreffer en faveur du Miniftre difgracié une Cour voifine, a qui du moins alors 1'excès de fes forfaits n'étoit pas fuffifamment connu , ou qui par des raifons politiques, croyoit devoir empêcher 1'éclat de fa punition. II mourut a fa terre le 8 Mai 1781, dans fa 85me. année , prés de neuf mois après le Décret définitif donné contre lui par la Reine reg- ^ nante le 16 Aout 1781 , qui portoit, / » qu'après avoir ufé de clémence a fon » égard , elle ne fe feroit pas attendue » qu'il eut ofé dans un procés civil entamé » contre lui, proauire au grand jour une » défenfe de fa conduite durant le cours » de fon miniftere; que 1'ayant fait in» terroger & entendre fur différens chefs >> d'accufations , loin de s'en purger , il » les avoit tellement agravés, qu'après un ixxvi. Sa mort. Décret dénitij & lémcnce de t Reine.  Kéflexions, («) Yoyei le nouveau Diclionnauc hifiorique. 472 Anecdotes du Miniftere » mitr examen , les Juges déciderent qu'il » étoit crimlnel, & meritoit une punition » exemplaire. Que cependant ayant égard >> a fon age fort avancé, fon bon plaifir » Royal étoit de 1'exempter de la punition » corporelle, qui lui devoit être infligée , » & de lui ordonnerde fe tenir éloigné » de 20 milles de la Cour; laiffant néan» moins dans leur entier toutes les pré» tentions légales & juftes contre la mai» fon dudit Marquis , Jolt durant Ju vie, » Jolt après fon décès «. Quoi qu'il en foit des caufes humaines qui ont concouru a laiffer mourir Carvalho dans fon lit, on ne peut qu'adorer celles de la Providence , qui punit quelquefois févérement des coupables ordinaires , tandis qu'elle tarde a frapper les monftres. Cromwel teint du fang de fon Roi, n'eft-il pas mort au faite de fa puiffance ? Mais pour cela, ces fcélerats ont-ils été heureux ? Ignore-t-on quel enfèr le premier porta avec foi(tf)? Et Carvalho put - il goüter au milieu des emprifonnemens & des maffacres, qui défoloient la Capitale & les Provinces, un moment de fécurité & de paix? Le glaiye de la vengeancedivine & humaine, n'étoitil pas fans ceffe préfent a fes yeux &fufpendu fur fa tête ? Ceux même qui au  du Marquis dt Pombal. LlV. V. 473 moment de fa difgrace , le dévouoient k la mort, conviennent, que fon fupplice a été mieux affortiafes délits. Quele glaive termine les excès d'un fcélerat ordinaire ; pour un tyran glorieux Fhumiliation eft le comble du chatiment. Aman fentit plus vivement que la mort, 1'cbligation de promener Mardochée en triomphe parmi les rues de la Capitale de 1'Empire de Perfe... Qu'on juge de 1'agitation de cette ame altiere Sc féroce, en voyant fes ennemis écrafés reparoitre par une efpece de réfurreélion, dans toute la gloire de 1'innocence ck de la confidération publique; publier les Arrêts prononcés en leur faveur , qui étoient autant de manifeftations de fes iniquités •. un peuple entier s'achamer k 1'abolition de fon médaillon; le charger d'ordure , Sc enfin, le détruire avec tous les traniports qu'infpire la délivrance après la plus morgante oppreffion. Ce genre de tourment fuivi d'une efpece de prifon perpétuelle Sc d'une longue infirmité , d'une lepre humiliante 6c dégoutante, eft bien propre a abfoudre la Providence des reproches que des hommes inconfidérés font a la lenteur &C au fecret de fes opérations, ck k rappeller a 1'efprit du Leéleur philofophe ces beaux vers de Claudien : Sitpc mihi dubiam trax'it fententia men'em, Curarent fupcri terras, an nullus ineJJ'et Rec/or , ti incerto fluetent matalia caj'u. Abjlulit hunc tandem Rufini pana tumultitn , Abfolvitque Degs. ClAUC. in Ruf,  474 Anecdotes du MiniJIere ni N«. XXIV XLIV. XLV. PARAGRAPHE V. Supplice du P. malagrida. J.^ O U S n'avons point perdu de vue le Pere Malagrida, a qui l'on prêta un des principaux röles dans 1'imputation du prétendu régicide. Nous avons remisa en parler ici pour ne point interrompre le fil de notre hiftoire , & afin de fatisfaire pius amplement la curiofité du Leéteur, fur le fort de cet homme célebre, dont le nom a retenti dans toutes les parties de 1'Europe. Nous avons vu que ce Pere fut arrêté le ti Janvier 1759, & que dès le# lendemain , fans autre formalité, il fut déclaré coupable de leze - majefté au premier chef, & auteur de 1'attentat commis la nuit du 3 Septembre précédent. On ne doutoit pas alors qu'il ne dut être la victime du Miniftre. Cependant ce ne fut qu'après trois ans de prifon qu'on le condamna au feu, non plus comme confpirateur, mais comme faux Prophete, comme hérétique, & même ( peut-on 1'écrire fans s'mdigner & rougir? ) comme impudique. » L'excès » du ridicule&de 1'abfurdité , dit 1'auteur » du Siècle de Louit XV, chap. 33,fut » joint a l'excès d'horreur. Malagrida ne  du Marquis dt Pombal. LlV. V. 475 y> fut mis en jugement que comme un » Prophete , tk ne fut brülé que pour avoir » été fou, ck non pas pour avoir été par» ricide «. En le fnppofant Auteur des ouvrages qu'on lui attribuoit, 011 devoit conclure qu'il étoit fou. Mais la fuppofition eft fauffe, tk il eft certain que le P. Malagrida conferva fon bon fens jufqu'a la mort. L'année d'après fon emprifonnement, c'eft-a-dire en 1760, le Cardinal Acciajoli, encore Nonce en Portugal, ayant eu ordre de Clément XIII d'informer fecrétement des vie tk mceurs des Peres Malagrida , Matthos tk Alexandre, avoit recu les dépofitions des perfonnes les plus diltinguées de Lisbonne ; mais Carvalho , qui en eut quelques foupcons, fe hata de chaffer le Nonce, qui depuis plus d'un an étoit équivalement prifonnier, le Miniftre ayant apofté une garde a cheval aux environs de fon hotel pour obferver toutes fes démarches tk le fuivre par-tout. Le Nonce s'en appercevoit affez ; mais a 1'exemple de Clément XIII, il tachoit de diffimuler tk d'avoir patience. A fon départ précipité, il laiffa un porte-feuille cacheté de fon fceau, tk qu'on ne lui auroit pas permis d'emporter, avec la menace d'excommunication ipfo faclo écrite tk fignée de fa main fur le revers, contre quiconque feroit fi téméraire que d'ouvrir ce porte-feuille, On peut juger com- Lxxvir. Le Hens* fait des infermationMfeeretes.  i.xxvm. Conduitt Ju Miniftre & l'égard du P. Box*dors St da Dominicains. IXXIX. Le t.M. 476 Anecdotes du Miniftere bien religieuièment cette défenfe fut refpeétée. Le P. Boxadors, depuis Général des Dorainicains ck enfuite Cardinal, vint quelque temps après en Efpagne pour y faire la vifite des Couvens de Ton Ordre. Carvalho fe douta bien que ce Vifiteur feroit chargé par Clément XIII de paffer jufqu'en Portugal, pour informer clandeftinement au fuiet de ces trois prifonniers. C'eft pourquoi, afin de 1'en empêcher, il fut réfolu d'y profcrire les Dominicains. Mais le Provincial Tarrago , qui avoit été Précepteur du fils ainé du Miniftre , Sc qui 1'avoit accompagné a Rome , en fut averti a tems Sc para le coup, en fe fouftrayant a. Fobéiffance du Général, Sc en rendant la Province de Portugal indépendante fous un Prieur-Général. Quoi qu'il en foit, le changement d'accufation , qui furvint dans la caufe du P. Malagrida , Sc le délai de fon fupplice , firent préfurner ce qui eft démontré aujourd'hui, que le premier crime étoit imaginaire , Sc que 1'inculpation de ce crime étoit une calomnie. Car fi ce religieux eut été 1'unique ou le principal auteur de 1'attentat , pour lequel les Grands du Royaume furent arrêtés, jugés, condamnés, exécutés en moins d'un mois, n'eft-il pas vifible que fon fupplice auroit du fuij. vre le leur de prés ? Cependant on le retint prés de trois ans comme criminèl  iu Mitrifiiis di Pombal. Liv. V. 477 d'Etat dans les prifons du Tribunal féculier, & ce ne fut qu'après ce long délai qu'on le transféra clandeftinement dans celles du Saint-Office , ou fans plus faire aucune mention de la prétendue conjuTation, il fut condamné fur deux ouvrages , qu'il devoit avoir compofés en prifon. L'un avoit pour titre : La vie héroique & admirabk de la glorleufe Ste. Anne, dictie par Jefus & fa Salnte Mere. L'autre étoit un Traite fur la vie & le regne de V Antêchrif. Voila le corps du délit, que perfonne n'a vu ni ne verra, puifque ces deux ouvrages n'ont iamais exiflé. Cependant les Inquifiteurs en donnerent des extraits avec leurs qualifications. On ne peut rien imaginer de plus extravagant. On y fait dire au P. Malagrida que Ste. Anne dans le fein de fa men pleuroit & faifoit pleurer de compaffion les Cherubins & les Séraphins qui fafp-ftoient.... Que Ste. Anne fit avant de nat tre les trois vceux de Religion, & qiiafir. qu'aucune des Perfonnes de la Ste. Triniti ne fut mécontente , elle ft vceu de pauvreté au Pere , celui d' obèiffanct au Fils , & celui de chafeté au St. Efprlt.... Qu'elL fe marla afin d'être plus Flerge.... Qui la Salnte-Trinitt, après une mure déllbêradon, déclara qu'elle feroit placêe au-deffus des Anges & des Saints.... Que li familie de Ste. Anne avoit fondé d Jerufalem un Couvent pour clnquante-trols De- lagrida efl transfer^ dans lespri. fons del'inquijition. On le eondamne fur deux 0 ui rages qu'on lui impute. Extraits de ees deux ouvrages.  LXXX. Réfutatio» dt l'impef 478 Anecdotes du Minijlere moifelles ; qu'une de ces DemolJ'elles allolt au marché acheter le polffon3 qu'elle revendolt enfuite avec profit; qu'une autre fe maria avec Nicodeme & une troijieme avec St. Mathieu.... Que lesparens de Ste. Anne avoient vingt efclaves pour les fervir, dou^e hommes & hult fommes.... Que Ste. Anne avoit une fceur , qui s'appelloit Batijline... Que la Ste. Vierge kant dans le Jein de Ste. Anne, lui annonqa fa future conception, CV lui dit; confole^-vous , ma Mere, vous concevre^ une file, de qui naitra le Fils de Dieu. ... Que lorfque l'Ange annonga d Marie les deffeins de Dieu, elle tomba évanouïe, & que l'Ange eut beaucoup de peine d la relever.... Que les Anges fufpendirent un feflln, qu'ils avoient 'préparé , jufqu'a ce que Marle eüt donné fon conj'entement aux paroles de l'Archange Gabrïél.... Que les Anges, fous lafigure de charpentiers, aidoient St. Jofeph dans fon travail, &c. Dans Phiftoire de PAntéchrift, on prête au P. Malagrida des extravagaiices analogues aux précédentes. Qu'il y aura trois Antéchrlft , le pere, le fils & le neveu; que VAntéchrifl neveu dolt naitre d Milan Van 2020 , d'un Moine & d'une Rellgleufe Quil époufera Profer- plne , &c... Si Pon en croit Pimpofture, telles font les héréfies. & les rêves , que Malagrida deftitué de force &C de fanté, écrivoit ou  du Marquis de Pombal. LiV, V. 479 diétoit fans plume ni encre, fans papier, fans lumiere & fans copifte dans un antre ténébreux, fréquemment ébranlé par les fecoufies du tremblement de terre. Jufques-la ce fameux Miffionnaire avoit été un zélé Défenfeur de la Foi. Tous fes ouvrages en faifoient preuve. II avoit enfeigné la Théologie, prêché dans les deux hémifpheres, dirigé & gagné a J. C. une infinité d'ames , fans que jamais il lui fut rien échappé de mal formant. Jufques-la, les Portugais 1'avoient honoré comme un homme d'une vertu éminente. Les Anglois eux-mêmes ne 1'appeüoient pas autrement que 1'Apötre du Bréfil & de Lisbonne. Les PP. Capucins de 1'Amérique Portugaife, avoient écrit dix ans auparavant k leur Procureur-Général k Rome, qu'ils étoient redevables de leurs fuccès aux prodiges opérés par cet homme puiffant en ceuvres & en paroles, le Xavier. de notre Jiecle, & ils lui appliquoient ce paffage des aéfes des Apötres : le Seigneur a envoyé fon Ange & m'a délivré des mains d'Hérodes. Malgré ce confentement unanime & univerfel, le P. Malagrida fut déclaré fuperbe , faux Prophete , impie, blafphémateur, auteur de livres hérétiques, héréfiarque, contumace, & par-deffus tout cela, impudique : car on imputa k ce vieillard de foixante & douze ans, & qui avoit toujours été la bonne odeur de J. C., LXXXI Reputaticn du P. MaXegrida, »Aa. c. ij. r. u. LXXXII. Qualificaüon de ee Pere.  Lxxxur. JÜiJcuJJioi rfr la fertttnti. 480 Anecdotes du Miniftere de s'être abandonné dans 1'horreur de fa prifon, a des abominations, que la phyfique n'attribua jamais a la décrépitude , ck que 1'Apótre ne permet pas même de nommer. Mais cette accufation dans un fiecle philofophique, avoit plus de graces dans la bouche des juges, qui ne devoient pas en connoitre, ck dans celle du public, qui ne devoit pas en parler. Dans le farrieux Décret de 1'Inquifition prononcé contre ce Pere, le 2.0 Septembre 1761 , on lit N°. 30. Que Malagrida a trompé les peuples des Domaines du Portugal, c'eft-a-dire, ceux de Lisbonne,oü il^avoit fait de fi prodigieufes converfions, ck ceux de 1'Amérique, oü il avoit raiTemblé par d'immenfes travaux, un li grand nombre de Sauvages, qui pour fe fouftraire a foppremon de Carvalho , font aftuellement retirés dans les bois, ck retombés dans leur première ignorance. D'ailleurs on auroit dü articuler en quoi il avoit trompé les peuples. Les témoignages des Evêques ck des Curés, qui pendant quarante ans, s'étoient fervis de fon miniftere en Portugal , ck dans les Poffeffions du nouveau Monde , 1'emportent fur une inculpation vague ck fans preuve. On lit dans le même article, que, Malagrida fous une feinte apparence de dévotion, en a impofe aux perfonnes pieufes, & leur a éxtorqué une grande quantité d"urgent.  du Marquis de PembaL Liv. V. 4K1 gent. Mais tout parle en faveur du défintéreffement de ce charitable Miffionnaire. Les Séminaires, les maifons de Refuge, les Couvens d'Urfulines, qu'il avoit fondés au Bréfil St au Maragnon, dépofbient manifeftement contre cette calomnie. On 1'accufe encore dans le même endroit, A'en être venu par fes artifices & fes impojlures jufqu'a fomenter de tout cóté des dlfcordes & des fédltlons, enfin d'avoir fait des prédictions dont les funefes ejfets ont plongé la Cour & le Royaume dans ttne. confiernation generale. II ne faut pour détruire cette groffiere imputation , que fe rappeller tout ce que ce Pere fit pour la converfion des mceurs , 1'extinétion des haines, la réconciliation des families St le foulagement des pauvres clans le défaftre de Lisbonne. II n'y a qu'a lire le difcours qu'il prononca dans ces fatales circonftances , St qui fut imprimé a Lisbonne avec les plus grands éloges des Révifeurs, St 1'approbation du St. - Office. C'eft tout a la fois le monument le plus décifif d'un zele felon la fcience, St d'une éloquence vraiment chrétienne. * La lettre qu'il écrivit au P. Ballifter , au moment de fon exil, nous peint au jufte fes fentimens. » On indifpofe contre moi, dit» il , notre bon Roi par cles impoftures » criminelles au fujet des exercices de St. , » Ignace. C'eft dans le cours de ces exer- ■ X t * V. (ir. r. XXXIV. LXXXIV. Lettre dit P. MalaXrida CU F.' VaUiJler*  ixxxv. Ut F.*. 482 Anecdotes du Miniftere » cices, que j'ai donnés avec tant de fruit. » environ quarante fois a Lisbonne, qu'on » m'arrête & qu'on me relégue a Sétubal. >> La vraie caufe de ce traitement c'eft » pour avoir eu le courage d'écrire con»' tre la pernicieufe doólrine qu'on a af-' f> feclé de répandre a la Cour ck en ville, » qu'il ne faut pas attribuer le tremble» ment de terre a 1'irréligion dominante » & aux crimes publics, qui ont provo» qué la colere d'un Dieu vengeur, mais » k des caufes purement phyfiques & na» turelles. Voila pourquoi je fuis accuié » & condamné fans avoir été entendu. « Ce même Décret de 1'Inquifition contient 1'aveu qu'a fait le P. Malagrida , d'avoir écrit au Roi, pour Vavertir du danger ou il expofoit le falut de fon ame, bien plus que la confervatlon de fa vie. Mais cette lettre prouve affez qu'il n'étoit point confpirateur, puifque 1'avis ref pecfueux qu'il donnoit a fon Souverain, devoit fervir a le mettre en garde conire toute conjuration. D'ailleurs en écrivant cette lettre le P. Malagrida ne penfoit a rien moins, qu'a des compiots irna-' ginaires ; il n'avoit en vue que d'arrêter les débordemens de la capitale, qui feuls menacoient le Prince ck 1'Etat de tout: ce que des fojees fans frein ck fans P.eligion font capables d'attirer fur une Nation entiere. Les préfomptions de droit for lefouelles  du Marquis de Pombal. Liv. V. 4S3 Ie Tribunal cle 1'Inquifition motive fa fentence , tournent auifi a ia décharge du P. Malagrida. La première porte fur ce qu'un grand crime ne fe ccnnmet pas, fans Vefpoir den voir refulter un grand avantagc. Or cette préfomption fait la juftification complette de ce Pere, puifqu'un crime qui 1'expofoit lui & le Corps dont il étoit membre, a une ruine inévitable , n'offroit aucune ombre d'utilité. La feconde préfomption qaenul ncflpréfumé mauvais, d moins quil ne foit prouve' tel, eft encore toute k 1'avantage cle ce Pere , qu'on n'avoit regardé jsfqu'alol^ que comme un Saint. On devoit donc le préfümer bon, puifqu'on ne le prouvoit pas méchant. Le refte de la fentence eft aftis fur un fonds tout auffi ruineux, & porte les caraéteres de 1'iniuftice la plus manifefte. On alléguera peut - être qu'une dccifion fi tranchante eft trop injurieufe k un Tribunal auffi refpectable que celui cle 1'Inquifition, & qu'elle femble accredi- • ter tout ce que les ennemis cle 1'Eglife, ' les libertins & les Philofophes ont dit ppur le décrier. Mais qu'on obferve que ce Tribunal étoit alors dégraclé & af- • fervi aux paffions du Tyran. L'Inquifiteur ' Général frere du Roi , ayant conftamment refufé avec ceux de fon Confeil de trouver le P. Malagrida coupable , ck n'ayant pas voulu s'aifocier Paul Mendoza X x fomptions de droit ei» técs contre ie P. Malagridafont fa juf tification. LXXXVI. te Tribw ial de Vln. wifitioa Sexijioit 'lus. Apologit '■e ce Tri'unal.  4?4 'Anecdotes du Miniftere frere du defpote , fe vit réduit a renvoyèr fa démiffion au Pape (a\ Mais le Souverain Pontife refufa de 1'admettre. Sur ce refus, le Prince renvoya au Roi fon frere la Bulle qui le conftituoit Inquifiteur. Peu de jours après le Miniftre le fit arrêter fous le faux prétexte d'être entré dans le prétendu complot du régicide, ck Mendoza exclus jufqu'alors le remplaca d'abord fous le frere d'Inquifiteur ordinaire, ck enfuite comme Inquifiteur-Général , fans autre iurifditf ion que celle que lui donna le PapeRoi-Miniftre fon frere. II lui affocia quatre députés dignes de fon choix , pour compofer avec lui le facre Tribunal du St. fa) L'Iuquifition de Portugal, qu'on regarde comme la plus terrible 8c la plus odieufe, fut établie a U fotlïcitation de Jean III par une Bulle de Paul III du 2j Mai i53«. Ie Roi nomme tous les juges, qui compofent ce Tribunal. & le Pape donne fa jutifdic tion fpirituelle au Grand Inquifiteur. II eft faux que ïa moindre dénonciation fufhle pour faire empnfonner 1'accufé, ni qtfon lui '.aifle igtiorer les chefs d accufation 8c les accufateurs, ni qu'on lui refufe des Avocat» pour défendre fa caufe , ni que les deUteur* demeurent inrpunis, s'ils Pont calomnie. Le Tribunal ne prononc* jamais fur la peine te.v.porelle, il dcclare feulement le coupable atteint Sc eonvaincu. C eft enfuite aux Juges féculiers a prononcer fur la peine conformément aux loix du Royaume. Les confifcations ne lont qu'au profit du Roi; 8c les Evêques diocefains des accufes, ont droit de connoitre du délit conjointement avec les Inquifiteurs — De quel front lesPmlofoshes & les libenins, ofent-ils encore dedamer conrel'InrmUïnon, Sc en impofer au pHblic' Voyez tslatrcijfemét fur la ToUrance , iinpriraé i Liegc _fous le Mia de Roucn , «7*2.  'iu Marquis ie Pombal. LiV. V. 485 Office , &c ce fut ce fantöme de Tribunal qui jugea le P. Malagrida. » Toutle monde » favoit, écrivoit D. Behie de Séville a M. Darche, Evêque de Bayonne, en date du 18 O&obre 1761 , » que le Grand» Inquifiteur avoit été mis en prifon , Sc » fon Tribunal envoyé en exil, pour nay> voir pas voulu adhérer aux idees du Ml» nifire, ck qu'ils ont été remplacés par » des Juges plus doclles & moins fcru» puleux. « Ce Tribunal fut donc femblable a celui, qui après deux ans de prifon abandonna au bras féculier le P. Antoine Vieyra, Jéfuite , pour être condamné a mort. Heureufement Rome avoit alors de 1'influence en Portugal, ck réforma ce jugement inique. Clément X, par fon Bref du 17 d'Ao&t 1675 , déclara le P. Vieyra parfaitement innocent, ck 1'arracha des priibns de 1'Inquifition (a). Qu'on fe rappelle a ce fujet la conduite des Evêques affemblés au fauxbourg de Calcédoine ck a Conffantinople pour procéder k la dépofition de St. Jean Chryfoftöme : celle des Peres du Conciie de Milan, qui condamnerent St. Athanafe comme hérétique, magicien, adultere, &c. ck l'on verra que malgré la fageffe ck 1'équité des loix, Ylmplétéfe trouve quelque- (a) V. le Bullaire de Clém. X. p. ai2. cdition de Jerórne Mainard, 1733, Sc la vie du P. Antoine Vieyra j Liv. 5. p. 6(i, N°. 263 j pat Battios. X 3 Lxxxvn, Jugement qu'en tortt D. Blh.e, * Ecdef. C. 3. v. 61,  'jf$6 Anecdotes du Miniftere fois afffe dans le lieu du jugement, & iï- niquité dans le fanituaire de la juf jee. Quoi qu'il en fok , ce Tribunal informé décïara le P. Malagrida, auteur d'héréj'ies , héréfiarque , déchu du Sacerdoce ,. St il le livra au bras féculier, qui fuppofant réels les crimes, dont les Inquifiteurs 1'avoient chargé, le condamna a être conduit au fupplice par les principales rues de Lisbonne , jufqu'a la place de Bofcio. On 1'avoit revêtu d'une robe fur laquelle étoient peints ces fpeótres affreux , pour le rendre ridicule. Un crieur le précédoit, Sc d'autres coupables le fuivoient au nombre de cinquante-deux. II y avoit quatorze Chrétiens condamnés pour avoir judaïfé; plufieurs matelots pour avoir époufé deux f .mines a la fois, deux Religieufes quiétiftes avec leurs Confeffeurs, le Prieur des Dominicains réformés del monte Junto, Sc un Cordelier, tous deux convaincus d'a* voir été follicitans % enfin un Eccléfiaftique arrêtoi pour avoir dit, ce qui étoit manifefte , que les Juges qui compofoient le Saint-Office, n'étoient que des intrus, Sc des Miniflres gages pour fervir les paffions de celui qui les avoit fubftïtués aux vrais Inquifiteurs. Le P. Malagrida fut le feul condamné au dernier fupplice. II avoit pour Confeffeur un Bénédictin de race Juive , Sc parent de Carvalho ; c'étoit ce Miniftre qui 1'avoit fait admettre dans 1'Ordre de St. fenciïr. La fentence portoit  du Marquis de Pombal. LlV. V. 4C7 d'être étranglé ck brulé. Elle s'exécuta le jour cle St. Matthieu 21 Septembre 1761, a la vue d'un grand peuple faifi d'indignatïon , ck confterné d'efrroi dans la conviétion intime oüils étoient^lel'innccence du vertueux patiënt. Le P. Malagrida étoit né le 18 Septembre 1689 , il avoit été recu dans la Compagnie a. Gênes le 28 Oclobre 1711. II partit pour les Miffions Portugaifes en 1722. II en revint la première fois en 1749 ; il y retourna en 17=51 , ck enfin il reparut a Lisbonne en 1754, ck y demeura jufqu'a fon exil de Setubal , qui fut fuivi de fon emprifonnement. La prédiéiion que ce Pere avoit faite du genre de fa mort ' étoit généralement connue parmi fes Fre- j res, ck même parmi les habitans du Brefil, a qui il dit plufieurs fois, qu'il mourroit de la mort la plus ignominieufe. Tous ceux a qui la paffion n'avoit pas troublé le jugement , ck que la crainte n'arrêtoit point, s'expliquerent ouvertement fur 1'injuftice de cette exécution. M. Shirley, dans le Magafin de Londres du mois de Mars 17^9 , avoit déja dit que la fentence des pretenclus conjurés devoit être rejettée , comme nullement fatisfsifante pour le public , ck comme injufte pour les accufés. Les Papiers Anglois dirent enfuite par rapport au P. Malagrida quil avoit été brtilé pour avoir raconté fes ■è&ts* Ainfi parloit-on a Londres même % Lxxxviir. La naif' "ance & la >ie du P. MalaS,ida. Liv. I. Ne. iXXIV. Liv. ÜXJV. XLIV Sr. 'uiv. 11 predit fa mort.  LXXXIX L'Abb, Vlatel. (a) Le Pape efpérant Ie rameaer de fes égarcmens, lui avoit accotdé un Bref de féculatifation, dont 1'effet ne juftifïa guere 1'indulgence du Pontife. (i) Ce font les exprefficms du R. P. Thomas de Poitiers, Supérieur Génétal des Miffionnaires Capucins de Madraft Sc de Pon.4ien.srjr , dans fts lentes a M.. 488 Anecdotes du Mlniftcrt en faveur des Jéfuites contre les' plus chers alliés cle la Grande-Bretagne. On fait que 1'Abbé Platei , appellé en ' Portugal par Carvalho, fit une relation du procés Se du fupplice du P. Malagrida , mais on fait auffi quelle foi l'on devoit ajouter a un impofieur. Ce Platei, Capucin, Miffionnaire , Aubergifte , Marchand, Tapiffier, Abbé 0), connu fueceffivement fous les noms ds P. Norbert, de Parifot, de Platei, de Piter ; d'abord Lorrain de Bar-le-Duc, puis Suifle, enfuite Hollandois , après cela Anglois Sc Prairiën, enfin Portugais, & toujours fcélérat,jdns foi & fans probité, felon le témoignage authentique de fes Supérieurs-, Miffionnaire indigne de ce nom, felon 1'exprefTion de l'Evêque de St. Thomé au Cardinal de Fleury. Un rebelle, un ejprit turbulent, un orgueilleux, un ctourdi, qui fait la honte de fes Freres : un indocile qui ne reconnoit aucun Supérieur ni Eccléfiaftique , ni Séculier : un emir doublé, qui na ni bonne-foi ni probité: un efprlt dangereux d qui il faut donner des gardes & des furveillans : un homme capable de tout , Sec. Sec. Sec. O) Ce Norbert,  du Marquis dt Pombal. LlV. V. 485 ■qui avoit été chaffé des Indes , & qui compofa contre les Jéfuites des Mémoires hijioriques que Benoit XIV condamna par un Décret du premier Avril 174 5 , & dont l'Evêque de Marfeille dévoila en partie les impoftures dans deux inftructions paftorales : ce Norbert qui eut fucceflivement différentes nleces avec lui dans fes caravanes, & qui en renvoya une un peu trop tard , lorfqu'il étoit a quatre lieues de Londres ; cet Hiftoriographe penfionné de Carvalho pour écrire des calomnies contre les Jéfuites , a donné comme témoin oculaire une relation circonftanciée de tout ce qui regarde le P. Malagrida ; & cette relation ayant été répandue dans toute 1'Europe, il n'eft pas hors de propos d'en relever les impoftures. L'Apoftat fécularifé déclare d'abord que Ie P. Malagrida étoit un Imple, un facrllege , un monjlre d'orgucll, un ange dc Satan , le bouc émiffalre de la Société. Mais par quelle fafcination la Nation Portugaife n'avoit-elle vu les fcandales de ce Jéfuite , que lorfque renfermé dans un cachot ténébreux, il ne pouvoit plus en donner ? Et comment cet Héréjtarque, qui avoit voulu pervertir la nation, ne commenca-t-il a. être Hérétique que dans fa prifon ? du Mas , Gouverneur du Pondichery , communiquées en orginal a M. Ie Cardinal Crefcenzy, lorfqu'il écoii Nonce en France. L'Evêque de Sifteron en adennc un extra-it dans un Mandement en 1745. XC. Relation ealomnienfe qu'il donne au fujet du P. Malagrida j Gr de fa mort.  SCI. Relation contradictoire en-JUye'eal'Ercjue. de iSayonne. (a) Carvalho , fous le nom de Jofeph I? déciara on 1774 cette terne de 1'Eyêque de Cochin téntéraire , fcandalcufe , écrite avec une précipitation Jéfuitique , tendant a infirmer la fentence de 1'Inquitition contre ï'héréfiarque Malagrida. Elle ctait cependant refplendifiante de toutes les lumietes „ dont la vérité d'un fait eft fufccpttble, & écnie avec toute la modération & la douceur d'un lJalle»r Clirénen: *a lieu que la diatribc du Miaiftté ponen 1'cmpreime 490 'Anecdotes du Miniftere Malagrida , pourfuit le calomniateuf, fut furpris plufieurs fois dans fa prifon par le St. Office , commettant des turpitudes, & les Peuples entendant parler de ce nouveau genre de crimes, furent convaincus que ce vieillard étoit un monftre d'iniquité. Ils fe rappellerent dors , qu'il n'avoit jamais impofé a fes pénitens qu'un Ave Maria pour les péchés qui rentrent dans cette categorie : mais D. Behie écrivant a l'Evêque de Bayonne , dit que ce Miffionnaire menoit une vie auftere, qu'il prêchoit une doctrine févere & conforme iï fa propre conduite. Ceft ce que confima l'Evêque de Cochin, Dom Clément-Jofeph Laitao; en 1767 , dans une lettre apologétique a 1'Archevêque de Cunganor , Dom Salvadore de Reis , en date du «5 avril 17Ó7. II y prouvoit invinciblement que la fentence de 1'Inquifition étoit un libelle diffamatoire , que le prétendu coupable étoit un yertueux & judicieux perfonnage, & qu'il n'étoit en aucune faëton 1'auteur des deux hvres qu'on lui fuppofoit. (aj  du Marquis de Pombal. LlV. V. 491- Auffi le P. Malagrida protefta-t-il cle fon innocence jufqu'au dernier fupplice. Mais Norbert, indigné de cette conftance, fe dédommagea, en clnant qu'il étoit mort plus endurcl qu' Antiockus, plus défefpére que Judas, par la ridicule vanlte' de foutenir l'honneur d'une Compagnie, qui pof ede le fecret d'enforctler tous ceux qui lui font dévoués. II dit enfuite pieufcment qu'il célébra la Meffe pour deraander d Dieu qu'il accorddt d ce malheüreux les graces qui lui étoient nécef/aires dans ce tript jour. II ajoute que Malagrida fortit de fa prifon un baillon a la bouche , ck cependant il le fait parler avec ce même baillon, ck il dit que ce criminel rentrant en lui-même , confeffapubllquement qu'il avoit abufé le monde, & qu'il demanda pardon du fcaridale qu'il avoit donné. Mais le moment d'après, cet Ecrivain auffi étourdi que fcélérat, dit qu'on demanda au coupable , s'il perfifloit dans la volcnté de foutenir fes erreurs, ck qu'il répondit difünguo (ei). de la palïïon 5c de Ia fureur , & que tout le monde Yy rcconnut , comme 1'a obfervé le Comte d'Albon. (a) Ce ttop fameux calomniateuc n'eut pas la, fatisfröion odieuft de voir l'extin£tion de la Société qui avoit fait 1'objer de fes vceux &c de fes criminels cfforts : il vint mourir a Paris fort miférablement en 1770. Peu avant fa mott, fes anciens Confrères de la rue St. Honoró , touchés de compaffion , le recueillirent chez eux , fans doute pour fe venger chréiiennemeht du' dcsbonaeur qu'il leur ayoiï fait par les fcandalcs.  XCII. Autres cirkonjiancesde fa mort 491 Anecdotes du Miniftre L'Auteur de Ia lettre a M. de Bayonne, s'explique tout autrement, il dit que » le » P. Malagrida fut exhorté a faire 1'aveu n de fes crimes, ck que 1'ayant refufé, on » ordonna aufïï-töt qu'il fut étranglé ck » brülé comme rebelle a 1'Eglife; qu'on »lui permit cependant cle fe confeffer ck » de le préparer a la mort; ce qu'il fit par » les acles les plus édifians, demandant » pardon a Dieu, au Roi, a 1'Inquifition, » au cas qu il eut fcandalifé quelquuti. « Voila comment meurent les Chrétiens, lors même qu'ils font intimément convaincus de leur innocence. Un Seigneur, qui faifoit tous les ans fa retraite fous le Pere Malagrida, fe trouva fur fon paffage, lorfqu'on le conduifoit au fupplice. Ce Religieux 1'ayant apper U le fais, répondit-il, & je » fais auffi qu'il eft écrit, qu'il jusera les »juflices. « Ce fut fur une réponfe fi fenfée qu'ils déciderent en füreté de confcience qu'il étoit le plus fourbe cles fcéïérats & que fes extravagances étoient le fruit d une méchanceté confommée. Ce vénérable vieillard eut beau protefter jufqu'au dernier foupir , qu'il n'avoit jamais eu en vue que la gloire de Dieu, & le falut des Portugais. Les Juges traiterent ces nroteftations cle blafphêmes, & pour phiire au tyran, ils dévouerent a. une mort infame un homme que le Portugal avoit fi lonctems admiré, & dont les vertus & le zele faifoient .fur tous les efprits des imprelfions , qui fubfiftent encore. F I AL X PC. 74.x. 3,    Trait frappant li cette uccaJivn, »4 "Amcdotes du Mlnijtirt facYion de toute 1'ifle. Ses courfes étoient continuelles d'un endroit a. 1'autre, & fa nourriture étoit exa&ement celle des efclaves. Mais oü la paffion ne trouve-t-elle point a. cenfurer? II arriva dans ces entrefaites, que Jean Furtado, homme opulent , donna un répas a fes amis. Tandis qu'ils s'entretenoient a table en liberté ck fans défiance, leur converfation roula fur plufieurs fujets différens , & tomba enfin, je ne ne fais comment, fur les malheurs du Maragnan. Un d'entr'eux avoit dit que l'on y feroit plus heureux fous la domination Francoife que fous celle du Portugal. Ces propos indifcrets, foit, qu'ils .euffent été réellement tenus, foit comme on le prétend, qu'ils fuffent fauffement imputés, furent rapportés a 1'Evêque Bulhoëns, qui gouvernoit alors dans 1'abfence de Mendoza, & ce Prélat, fans avoir rien vérifié ni approfondi, fit enlever tous les convives. Plufieurs citoyens de Para fe trouverent enveloppés dans leur difgrace. Le P. HunderfTund n'y étoit pour rien ; mais quelques mois auparavant, il avoit été dans le canton de Furtado pour y vifiter fa miffion. II n'en fallut pas davantage pour le faire exjler. D'autres ajoutent , que ce Pere % étoit odieux d'ailleurs, paree qu'on étoit mformé qu'il écrivoit fouvent k la ReineMere. II y eut k cette occafion un trait frappant "de la divine vengeance , qui merite  du Marquis de Pombal. LlV. I. 2^ mérite d'avoir ici fa place. Le Juge qui exécutoit les ordres iniques de l'Evêque contre des innocens, ofa dire que la conjuration, dont 011 les taxoit, tiroit fa fource des détejlabks exercices de S. Ignace. Ce blafphême ne demeura point impuni. Le jour même il tomba malade , & le mal fit un progrès fi rapide, que fe trouvant tout-a-coup en danger de mort, il fit brüler en fa préfence des paquets confidérables de lettres. Le feu prit au plancher de fon appartement, & tandis qu'on s'emprefToit de 1'éteindre, eet impie fut étouffé par la fumée & par la'flamme. Le prétexte qu'on employa contre Théodore Crucius , n'étoit pas moins frivole. Ce Pere gouvernoit la Miffion de Caaetea. Le jour de St. Ignace, après le Service divin, fes paroiffiens lui firent préfent d'une quantité de petits oifeaux. II les accepta avec bonté , & en envoya une partie a un Prêtre voifin qui étoit venu lui rendre fervice dans cette folemnité. Ce Prêtre , dès le lendemain, tomba malade , & mourut quatre jours après. On attribua fa mort a une indigeftion, pour avoir trop mangé de ces oifeaux, & l'on difoit par badinage , que le P. Crucius 1'avoit tué , fans ajouter que c'étoit en lui faifant faire trop bonne chere. Ce bruit s'étant répandu de proche en proche parvint jufqu'a Para. A 1'inftant l'Evêque fait faire des informations, On y dépofe tout B Vu Pere Crucius.  XXXT. On les confine dans des réjiden.' Ges, XXXII. Le V. Hunderffund re ga^ne V Al iemagnt. 2.6 Amcdotes du Miniflere uniment ce qu'on a om dure, que le Pere Crucius avoit tué un Prêtre , & fans hutre formalité, on ie tire de la Miffion 5c on le bannit. Ces trois exilés, tranfportés en Portugal , furent confinés & gardés dans des réfidences aux environs de Lisbonne, avec défenfe de les laiiTer parler a. perfonne , de peur, fans doute , qu'ils ne trouvafTent moyen de faire connoitre leur innocence , avant qu'on les jettat dans les cachots , qui leur étoient deftinés. Le P. Hunderffund obtint la permiffion . de retourner dans fa patrie, tk il échappa ■ heureufement a. la prifon , oü languirent pendant tant d'années ceux de fa nation. Cette permiffion lui fut accordée dans un moment de diftraftion cc de précipitation, dont Carvalho fe repentit plus d'une fois. Car , ayant trouvé dans la fuite , parmi les papiers de la Reine, la correfpondance de ce Pere, au fujet desviolentes entreprifes , que lui & fon frere faifoient dans le Maragnon contre les intéréts de 1'Eglife 6c de 1'Etat, il en eüt tiré la plus éclatante vengeance,.fi ceMiffionn üre eüt encore été en fa puiffance. Les commencemens de i'année 1756 furent affez tranquilles. Le Roi, k la vue des grands fervices que les Jéfuites venoient de rendre k la viile dans la cataftrophe du tremblement, parut moins difpolé a prêter 1'oreiUe aux calomnies. Ce  du Marquis de Pombol. LlV. I. 27 que les Peres Capucins lui avoient avancé, > la première , qui ait montré dans ces contrées 1'i» dée de Ia Religion jointe a celle de 1'humanité : « en réparant les dévaftations des Efpagnols, elle a » commencé a guétir une des plus grandes p'aies » qu'ait encore reiju le genre-humain. Un fentiment « exquis pour tout ce qu'elle appelle honneur, & » fon zele pour la Religion, lui ont fait entrepren3> dre de grar.des chofes; elle y a réuffi. « Montefquieu , dcVEfprit des Loix. chap. 6 , p. 40 &41.— ti Les Miffions, dit M. rie BuHon , ont formé plus » d'hommes dans les Natior.s baibares, que les ar» méés viöorieufes des Princes, qui les ont fubjum guées. Le Paraguay n'a été conquis que de cette *> fa^on. La douceur, le bon exemple , la charité , s> & 1'exerciee de la vertu conftamment pratiquée par *> ies MilTionnaires , ont touché les Sauvages & vaina» cu leur défiance 6: leur férocité : ils font venus » iouvent d'eux-mcmes demander a connoïtre la loï ai qui rendoit les hommes fi parfaits; ils fe font fouü mis a cette loi, & réunis en fociété. Rien ne fait s> plus d'honneur , que d'avoir civiüfé ces Nations, sa & jetté les fondemens d'un Empire fans auties ar» mes que celles de ïa verru. « Hifi. naturelle. Difcours fur les variétés de l'ejpece humaine. Vol. III, ïn-4to. pag. 306 & 307. » Les ennemis de la So» ciété, dit M. Halier, dépriment fes meilleures » inftitutions : on 1'accufe d'une anibition démefuai rée , en la voyant former une efpece d'Empire » dans des climarj éloignés; mais quel ptojet eft plus ■» beau & plus avantageux a 1'humanité , que de raai maffer des peuples difperfés dans 1'horreur des fo» réis de i'Améïique, &: de les virer de Tttar fau.  du Marquis de Pombal. Liv. I. 45 Réduét ions du Parana , prés de l'Ura-> guay (a). On en avoit même fait pafièr » vage qui efl un état malheureux; d'empccher leurs » guerres cruelles & dellruöives, de les éclairer des » lumieres de la vraie Religion, de les réunir dans » une fociété qui repréfenre I'age d'or par 1'égalité " tff „c,t°ycns & P" 11 communauté des biens» »> N eft-ce pas s'ériger en Léjpilatcur pour Ie bon» heur des hommes' Une ambition qui produit tant »> de biens, eft- une paflion louable. Aucune vertu » n arrivé a cette pureté qu'on veuc exiger; les paf» donsne la déparent point, fi elles fervent de moven »> pour obtemr le bonheur public. Traité fur divers - Jujets intérejjants de politique- & de morale. Pa"* "S- 3' P; J2C. — Je ne crains pas d'avancer, » du M Muratori que 1'Eglife Catholique n'a pas » de Mifhons auffi floriflantes que celles qui font fous » la conduite des PP. Jéfuites dans le Paraguay. La " croix Hiomphe dans ces pays aurrefois fi barbares » & aujourd'hui fi bien policcs. Un grand nombré » de Peuplades adoient le vraï Dieu , & jouiflent - dun fort Ie plus digne d'envie : elles goütenc le »• plus grand bonheur qu'on puifle goüter fur la *> terre , 1'mnocence 8c la paix. « Relation des Mif■» Jions du Paraguay , traduite de Vitalien, impri» mee a Pari,, chet Bordelet. — A ces témoignap."'. *>out°ns ce,ui de 1'ennccui le plus forten* du Cnnltiamfme , d'un homme chez qui Ia feule id-e xi inftitution Religieufe allume la bile , excite la fureur, & produit dans le cerveau des tranfporcs qui imitent 1 stat des énergumenes. La majefté des céré» mennes du 1'Abbé Raynal, attire les Indiens dans " le.s,^61'ff oQ ie pUlflr fe confoild poureux avccU " Cfft-laquela Re'igion eft aimable, & c'eft " d,rboM dans fes Miniftres qu'elle s'y fait aimer. Rien » n egale Ia pureié des mceurs, le zele doux & ten" 5.r.e > !es '°'ns Piemels des Jéfuites du Paraguay. « Chaquc Pafteur eft véritablement le pere comme (a) On appelle Réduclions oa Doarines les differente* Peuplades ou Bourgades. Voye, VHifiaire du Paraguay , pac U p, Charleroi*. " J  46 Amcdotcs du Miniftere quelques-uns déguifés en Jéfuites , pour découvrir les différentes mines d'or que l'on y fuppofoit. Ces efpions furent reconnus & chaffés k chaque fois. Gomez attribuoit ces mauvais fuccès a la défiance » le guide de fes paroifliens. On n'y fent point fon » autorité, paree qu'il n'ordonne, ne défend & ne m pttnit , que ce que punit, défend 5c oidonne la aa Religion qu'ils adorent 5c chcriflent tous comme a» lui-même..,. Gouvernement ou perfonne n'eft oia» fif, ou perfonne n'eft excédé de travail ; ou Ia a» nourritute eft faine , abondante , égale pour tous aa les citoyens qui font coromodément logés, com11 modément vêtus; oir les vieillards, les veuves, les » orphelins, les malades ont des fecours inconnus aa fur le refte de la tetre; oii tout le monde fe maai rie par choix, fans intécèt, & oü la multitude ai d'enfans eft une confolation fans pouvoir être une a« charge; oü la débauche inféparable de 1'oiliveté , » qui corrompt l'opulence & la mifere, ne hate ja>a mais le terme de la dégradatïon ou plutót de Ia .» décadence de la vie humaine ; ou rien n'irrite les a« paflions faotices, & ne contrarie les appétits biea ai ordonnés; oir 1 on jouit des avanrages du coma> merce fans être expofé a la contagion des vices du m luxe ; oü des magafins abondans, des fecours graaa tuits entre des Nations confédérées par la frater11 rité d'une même Reiigion , fonc une reflource af>a furée contre la difette qu'amenent 1'iaconftance ou st 1'incempécie des faifons; oi la vengeance publivjue aa n'a jamais été dans la ttifte uccellicé de coudain»a ner un fsul criminel & la mort, a 1'ignominie, i aa des peines de quelque durée ; ou l'on igiiore jufai qu'au nom d'impöt 8c de procés. « Hijf. phit. O pot. T. j. p. 25.2. édit. de 1772. O lïecle de dellruc tioa & de haine contre tous les genres de bien, c'eft contre de telles inftitutions que tu tournes tes efforts 5c res prétendues lumieres! Ruiner ce que les .fiecles précédens onc produic de beau 5c de grand, voiia ton travaii 8c ta gloite,  du Marquis de Pombal. Lrv. I. 4des Jéfuites, & a la crainte qu'on ne vin a _ découvrir- leurs mines. II en écrivit ; Lisbonne. On crut, ou plutöt on feigni de croire cette chimère, comme on 1'avoit cru autrefois a Madrid. Dans cett< fauffe perfuafion , on négocia pour fain des échanges avec la Cour d'Efpagne, S l'on parvint , par le crédit de ia "Reine qui étoit Portugaife ,.a obtenir ce que l'oi demandoit au préjudice de 1'Efpagne même. Mais on en devoit faire un myftert aux Jéfuites , fous le fpécieux prétexte , qu'étant tout puiffans en Amérique , il< s'oppoferoient a ces échanges. Par ce traité , les Portugais devoient céder a 1'Efpagne un Fort qu?ils avoient conftruit a rembouchure de la Plata, tk on leur abandonnoit les poffeffions fituées a 1'orient de 1'Uraguay, oü Gomez prétendoit qu'il y avoit des mines d'or. Le P. Général recut ordre des deux Cours d'en informer le Provincial du Paraguay , tk c'eft ce qu'il fit par une lettre du 13 Février 1750-, avec charge a lui tk a fes inférieurs de garder fur cela le plus grand fecret. II s'agiftoit de difpofer infenfiblement, tk de faire confentir les naturels du pays a quitter leurs Réduótions , & a s'approcher des cötes maritimes. Dans eet ordre donné au Général de la Compagnie , on alléguoit que le Roi d'Efpagne avoit jugé a propos d'en agir de la lotte, dans la craiiue que les Hérétiques T t l È Lrv. Ordre donné au P. 'Général des Jéfuites pour l'échange des Réduéliens.  LV. Les Jéfuites du Paraguay reconnoijfentVinconvénient de pa reïls ordres 48 Anudotes du MUufiere qui s'introduifoient chez eux par la voie du commerce , ne vinffent k les corrompre. Cette crainte n'avoit aucun fondement car il étoit de notonété que les Hérétiques n'avoient jamais pénetre chez ces peuples, & en les approchant des cotes de la mer, on les expofoit bien davantage au danger de la féducbon. f Ce trait feul prouve affez, que le P. General , qui étoit parfaitement inftruit de 1 etat des chofes, avoit recu fa lettre toute minutée par la Cour , & qu'il n'en expedia que la copie. . , Le Provincial du Paraguay decouvrit du premier coup-d'ceil , oü l'on en vouloit venir. Car pourquoi lui faire intimer les ordres de la Cour d'Efpagne par le canal de fon Général ? Quoi qu'il en fort, il ie ; mit auffi-tót en devoir de les executer, 6c fit une marche forcée de plufieurs cemaines de lieues pour arriver fans delai aux fept Réduftions. II y raffembla les Miifionnaires, & leur commumqua les ordres qui lui avoient été adreffés. Tous reconnurent les mauvais effets, qu ils ne manqueroient pas de produire. Mille obftacles iiifurmontables leur femblerent soppo er a la tranfmigration d'un peuple, qui, plutót que de quitter fon pays, fe diffiperoit k 1'inftant , & iroit fe repandre dans les bois. D'ailleurs le canton qu on leur deltinoit , étoit chimérique ; car toutes les terres du Paraguay fe trouvoient partagees  du Marquis dc Pombal. LlV. I. 49 Sc pofféclées, a la réferve de celles qui n'étoient pas habitables, faute d'eau, de bois &C de paturage. Les fept Réduclions comprenoient au moins trente mille ames , & étoient couvertes d'un nombre prodigieux de beftiaux de toute efpece. Le moyen de tranfporter une telle multitude dans des pays éloignés, déferts & incultes, a travers les bois, les montagnes, les lacs & les rivieres ? Le plus court étoit d'abandonner a la fois & les Réduclions & leurs habitans, avec tout ce qu'ils poffédoient, aux Portugais, leurs irréconcilfables ennemis. Cependant pour fe conformer aux volontés du Roi , quoiqu'ils ne comptaffent pas de réuffir , les Miffionnaires conclurent a tenir la chofe fecrete, &£ a faire fous main les préparatifs néceffaires pour ce tranfport , y engageant les Peuplades fans qu'elles s'en apperquffent, jufqu'au moment oü l'on ne pourroit fe difpenfer de leur notifier les ordres de la Cour. On n'oublia pas fur-tout d'ordonner des prieres pour le fuccès d'une entreprife, dont les obftacles ne pouvoient être levés que par un coup du Ciel. Comme le Miniftre de Portugal cherchoit k rendre les Jéfuites du Paraguay r tulpecis k la Cour d'Efpagne, il vint k i bout^ d'engager tette Cour k écrire au f Général, pour lui défendre d'établir aucun Provincial d'entre ceux qui compoC lvt. Changc» itnt de 'rov'incial. 'pourquoi^  t® Anecdotes du "Minifiere ibient la Province du Paraguay. Le Général ne put fe difpenfer d'exécuter des ordres fi finguliers , & nomma Provinciaux du Paraguay, quatre Peres tirés de la Province du Pérou, qui devoient, en cas de mort, être fucceffivement fubftitués i'un a 1'autre; & comme une feule lettre auroit pu s'égarer, on en expédia quatre copies. La défenfe rigoureufe de ■s'oppofer a 1'évacuation des fept Bourga«des ,' tk 1'ordre précis de la prefler au contraire, en favfant pour cela tous les efforts imJ.ginables, y étoient clairement cnoncés. En outre , on y enjoignoit au P. Barreda, ei - devant Compagnon du Provincial du Pérou, & nommé, en premier lieu , Provincial du Paraguay , de fe rendre inceffamment fur les lieux, afin d'accélerer le départ, ou, en cas d'eropêchement infurmontable , de déléguer a fa place quelqu'un, muni des plus amples póuvoirs; il ajoutoit que, tout Général qu'il étoit , il fe feroit un devoir de franchir, s'il étoit pomble, les obftacles qui le retenoient a Rome , & fe tranfporteroit de grand coeur dans ces vaftes Contrées, pour favorifer , par fa préiënee, la prompte exécution des volontés de la Cour ; tant il lui importoit de fatisfaire'les deux Puiffances ! II finiffoit par promettre de grandes récompenfes k ceux qui fe diftingueroient par leur diligence ck leur induftrie. Cët articLe des  du Marquis de P ombat. Liv. ï. ij'i récompenfes, étoit une chofe inouïe jufques-la dans la Compagnie , oü , pour animer les Membres , rarement on employoit le précepte , jamais ni -offres ni promeffes. Mais dans ces conjonélures , le Pere Général jugea devoir mettre tout en oeuvre pour détruire les injuftes défiances que la Cour de Portugal ne ceffoit d'infmuer a celle d'Efpagne , & pour que 1'ouvrage fe trouvat confommé avant Tarrivée des CornmifTaires pour le régiement des limites. Le P. Barreda, d'un age avancé & relevant de maladie , avoit déja fait quelques centaines de lieues, pour venir exercer fes fonclions de Provincial : mais n'étant pas en état de continuer fa marche & de fe rendre dans les Réduclions, il nomma pour le remplacer le P. Bernard Neydorffert, & 1'établit Supérieur'Général de ces Miflions. Ce Pere étoit 1'homme qu'il falloit pour cette commiffion. II avoit demeuré trente - cinq ans -dans ces Réduclions. II en parloit parfaitement la langue; il en favoit les ufages; il en connoiflbit prefque tous les habitans ■par leur nom , & avoit pleinement gagné leur confiance. Ces qualités le rendoient plus propres que perfonne a faire réufhr le proje-t de la Cour. II commenca par s'adrefler aux Caciques; ce font les Chefs des Peuplades. II leur expbfa 1'or•dre qu'il:- étoit chargé de leur intimer , C 2 ivn. Le P. Ney~ dorffert 'ejl chargé dc faire ejfectuer la tranfmïgrs~ tien.  tvnr. Tentativ'S des Réductions. 52 Anecclotes du Minijlerc de changer de pays , & il les conjura de ne pas s'y oppofér.-A la première ouverture de eet étrange projet, ce fut une défolation générale parmi ces Chefs, & un refus unanime d'obéir. Les Miffionnaires , de concert avec leur SupérieurGénéral, mirent tout en oeuvre pour les gagner; ils le confoloient &£ les animoient; il leur rappelioient fur-tout la fidélité & le zele de leurs aneêtres pour le fervice du Roi. Nous partagerons vos peines & vos travaux, leur difoient-ils; nous vous accompagnerons par - tout. Déja nous avons quitté nos pays , nos maifons & toutes les commodités de la vie pour votre falut; nous confentons encore de quitter nos habitations, & même d'abandonner nos Eglifes, pour vous conduire & nous fixer par-tout oü vous vous arrêterez. Pourquoi vous refuferiez-vous a fuivre notre exemple & a vous joindre k nous pour porter le peuple k Tobéiffance ? Ces difcours fouvent réitérés, du ton le plus engageant, déterminerent enfin les Caciques k s'unir k ces Peres pour perfuader le refte de la nation. Et, afin de profiter de ces favorables difpofitions , ou nomma dans les fept Réduclions un certain nombre de gens de bonne volonté pour aller k la découverte au-dela des fleuves Uraguay & Ibicuy, & pour examiner fi dans ces vaftes folitudes, on trouveroit quelques endroits  du Marquis de Pombal. LlV. I. 55 propres a y établir des habitations. On les fit accompagner par quelques Jéfuites en qui ils avoient le plus de confiance, & qui étoient.le plus en état de fupporter la fatigue. Après plufieurs mois employés a traverfer d'afrreux déferts , ils revinrent fur leurs pas , fans avoir rien trouvé, a 1'exception de ceux de la Réduction de St. Michel, qui avoient découvert un petit canton, affez commode, mais qui appartenoit, difoit-on, a un nomméValdéfio. Le projet ne pouvant donc réuffir dans ces contrées , ils tournerent au couchant de 1'Uraguay, oü il y avoit vingtquatre Réduclions de la domination Efpagnole. Les Jéfuites allerent trouver lesCaciques de ces Bourgades,'& les prierent inftamment de leur vendre ou de leur céder du terrein , pours'y établir. La propofition fouffroit bien des difficultés, paree que ces Indiens , n'ayant d'autre reffourcé que le paturage, a peine en avoient-ils füffifamment pour leur bétail; d'autant plus que conformément aux conventions des deux Cours, on venoit de leur enlever tout ce qu'ils poffédoient au-de-la du fleuve, pour le donner aux Portugais. Néanmoins les inftances des Jéfuites & la charité de ces bonnes gens applanirent les difficultés, Sc ils voulurent bien abandonner une portion de leur terrein en faveur de ces nouveaux hötes. Les Miffionnaires charmés du fuccès, cmC 3  11X U V. Bar reda éctï qu'il-veut prendreC 4 LX. Lettres dis; Rot au F, Barreda, -  Ordre d, «j6 Anudotts du Minijlere pour adoucir leurs peines & pour calmer leur chagrin; ck clans la troifieme, il 1'avertit qu'il ordonne au M. de Valdelyrios de chercher des emplacemens convenables aux émigrans; & au Gouverneur, d'envoyer des troupes pour s'afTurer des lieux défignés, ck les mettre k couvert des incurlions des autres Sauvages. La lettre du P. Barreda, qui avoit été fi bien accueillie en Efpagne, ck qui eft en efFet un monument de fon zele ck de fa fidélité, eft néanmoins cette piece-la même que Carvalho veut empoifonner, comme ti elle ne tendoit qu'a troubler 1'union ck 1'harmonie entre les deux Couronnes. Une chofe eft k remarquer; c'efi que fans 1'indifcrete précipitation de Valdelyrios ck de Gornez, contre les ordres expres que le premier avoit recus de fa Cour, la tranfmigration fe feroit faite , quoique le Gouverneur n'eüt encore envoyé aucun détachement pour mettre les nouveaux colons" k 1'abri des infultes des Sauvages : mais cette tranfmigration demandoit des préparatifs, qui entrainoient du temps, ckmême plufieurs années, tandis que Gomez & Valdelyrios prétendoient qu'elle fe fit fans le moindre délai, malgré tant d'obftacles, qui s'y rencontroient; & c'eft uniquement ce qui la fit échouer. Le Marquis de Valdelyrios fit fignifier ' au P. Barreda de fe rendre a la Capitale  du Marquis de Pombal. LlV. I. 57 (Buenos - Aires:) il en étoit alors éloigné de deux cent lieues. Le Pere fe mit auffi-töt en route : mais il rencontra en chemin Valdelyrios même accompagné du P. Louys Altamirano. Celui-ci s'ouvrit a lui fur le fujet de fon arrivée au Paraguay. Le P. Général voulant diiliper les ombrages, que les Portugais répandoient a la Cour d'Efpagne fur la conduite des Jéfuites du Paraguay, avoit prié le Roi de députer a fon choix le Pere qui lui feroit le plus agréable, pour confommer le grand ouvrage de la migration. Le choix étoit tombé fur le P. Altamirano, & en conféquence il étoit venu en Amérique, muni des pleins pouvoirs, que le Général lui avoit donnés, non-feulement pour le Paraguay , mais pour toutes les Provinces Efpagnoles dans ce Continent, avec faculté de les communiquer a ceux qu'il jugeroit convenir. Ainfi par un effet de la divine Providence le Général n'omit rien de ce qui pouvoit convaincre 1'Efpagne de fon parfait dévouement, & les Jéfuites du Paraguay eurent dans le P. Altamirano un témoin irréprochable de leur inviolable fidélité. Dans ces entrefaites on recut 1'agréable nouvelle du retour de ceux qu'on "avoit envoyés k la découverte, & des favorables difpofitions oü fe trouvoient les fept Peuplades. Sur ces avis, le M. de Valdelyrios aflembla un Confeil, & y admit le C 5 Jrl.de Valdelyrios , envoyé au F. Barreda. LXir. Sujet de Varrivée du P. Altamirano au Palaguay. ixnr. _ Valdelyrios ajfemtle un Confeil.  Caniitions du Traité Flaintts'd. Vatdclyfiet, Repréfe* tationt qu lui fait l Froyineiai ^8 Anecdotcs du Miniftefe Gouverneur,le P. Barreda 8c le P. Altamirano. On y lut les conditions du Traité des limites, 8c des échanges qui en réfultoient. Les habitans du Fort Portugais cédé a 1'Efpagne avoient la liberté de vendre tout ce qu'ils ne pourroient emporter, avec 1'option de demeurer fous la nouvelle domination, ou de fe retirer dans les pöffeffions Portugaifes. Au contraire , il n'étoit pas libre aux habitans des fept Réduclions d'y continuer leur demeure , 6c on ne leur permettoit de faire argent, que de leurs biens - meubles. Du refte, il étoit ffipulé qu'ils céderoient gratuitement aux Portugais , Eglifes , maifons , pofTeffions 6c' héritages. ' Dans ce Confeil, le- M. de Valdelyrios fe plaignit de la lenteur des Jéfuites. Le P. Barreda expofa modefiement ce qu'ils avoient fait pour amener les chofes au point oü elles étoient, 6c il le conjura d'obferver quelle entreprife c'étoit que de tranfporter trente mille ames avec leurs bagages 8c leur bétail k prés de trois cents lieues de-la. Valdelyrios lui repliqua brufquement, qu'il n'étoit point venu pour reeevoir des repréfentations , mais pour faire exécuter les ordres, qu'il avoit requs. Ainfi finit le Confeil. Le Provincial, fans fe rebuter d'une if' fue fi brufque , crut devoir mettre par ; écrit les raifons qu'il avoit alléguées de ' vive voix.' II préfenta ce Mémojre a Val *  du Marquis de Pombal. Lrv. ï. clelyrios en préfence de D. Juan Echvarias , fon adjoint pour les limites, 6c il le fupplia" de vouloir y faire attention. Le Marquis, après y avoir jetté un coupd'ceil, lui demanda combien de tems clemanderoit, felon lui Pentiere évacuation. Le Pere lui répondit, qu'il faudroit au moins trois ans. Sur quoi D. Echvarias, qui étoit originaire dü pays, & qut connoiffant le génie de ces peuples, prévoyoit les difficultés innombrables , qui fe rencontreroient dans Pexécution , prit la parole, 6c dit que, fi Pon en venoit about dans le terme de dix- ans, cela tiendroit du prodige. Mais Valdelyrios repartit en tournant le dos, qu'il n'accorderoit pas même 1'efpace de trois mois, II faut obferver que les inftruétions de ce Seigneur portoient, qu'il devoit fe prêter, autant que faire fepourroit, aux vues de Gomez, & comme il ne fongeoit qu'i fon avancement, il efpéra que le moyen efficace de parvenir a fon but, ce fcroit determinerpromptement cette affaire, qua le,Miniftre de Portugal avoit extréme-*ment a oceur. Auffi Gomez le preffoit continuellement de ne point donner de quartier au P..Barreda, que le tranfport ne fut achevé. Le Pere fe voyant harcelé fans relache , réfolut de fe. démettre de' fon emploi, tk de partir , fon baton 6c fon bréviaire a la main. Valdelyrios s'y oppofa, 6c le P. Altamirano le lui défend", G 6 Répoftfs honnante ie Valdelyrios,  LXIV. Ordre de la Cour d'F.fpaffne de ne pas brujquer Véva. cuation. Conduite eppcfce de Valdely. rios, txv. Situation du P. Altamirano, 60 Anecdotes du M'mijlere Cependant vers le mois de Décembre, on recut d'Efpagne 1'ordre d'accorder aux Peuplades le tems néceffaire pour la tranfmigration , avec défenfe exprefTe aux habitans de rien laiffer, en partant, qui put être de quelque ufage aux Portugais. Malgré une déclaration fi précife, Valdelyrios ne changea rien dans fon procédé , ck au mépris formel des dépêches de fa Cour, il prétendit qu'on vendroit généralement tout le bagage ck tout le bétail, pour n'être pas embarraffé dans la route, c'efta-dire , équivalemment, pour aller périr de mifere ck de faim au milieu des déferts ; ck ce Seigneur n'en voulut rien rabattre. Auffi dès que la guerre fut allumée avec les Réduclions, il s'empara de ces mêmes effets ck de tout le bétail, ck il en fit préfent a Gomez ck aux Portugais. II ne s'en tint pas la. II ofa intimer a ce pauvre peuple la défenfe cruelle de cultiver & d'enfemencer leurs terres. Altamirano faifoit-la un bien trifte perfonnage. II fe voyoit le jouet de tous les caprices du Marquis: on 1'avoit envoyé en Amérique pour obéir aveuglément a ce Seigneur, qui 1'obligeoit fans ceffe d'écrire aux Miffionnaires les lettres les moins raifonnables, pour leur ordonner de hater le tranfport. Cette précipitation gata tout. Ces pauvres malheureux, que l'on pouffoit a bout, entrerent en défiance contre leurs propres Miffionnaires, ck les foupconne-  du Marquis de Pombal. LlV. I. 6l . rent d'être d'intelligence avec les Officiers des deux Cours. Dès-lors ils ne les regarderent plus que comme autant de traitres, qui ne cherchoient qu'a les livrer a leurs anciens & mortels ennemis. Néanmoins, ceux de la Réduclion de St. i Michel étoient déja partis avec leurs fem- t mes & leurs enfans. Ils avoient cent cin- quantechariots chargés d'uftenfües ckd'inftrumens d'agriculture , pour fe batir des chaumieres & pour défricher les terres; ils s'étoient munis de provifions pour quelques mois, & conduifoient beaucoup de gros bétail, tant pour vivre en route, que pour s'en fervir dans leur nouveau domicile; mais ces quatre cents perfonnes étoient a peine la fixieme partie des habitans de la Bourgade. Un détachement précédoit d'une ïournée avec le P. Garcia, pour frayer le chemin a travers les bois, & leur marquer des lieux propjes a fervir d'abri pendant la nuit. Qu'on fe repréfente les pleurs & les gémiflemens de ces infortunés au moment j qu'ils quittoient leurs foyers, 1'héritage de leurs peres , & le lieu de leur naiffance , dans un tems de grêle & de pluie froide, qui détrempoit la terre; de forte que les hommes, les bêtes & les chariots y enfonqoient, & ne s'en retiroient qu'avec peine. Dé]a un veillard & quatre enfans avoient fuccombé. Ils ne purent tenir plus longtems contre tant de défaftres & de cala- ' Départ a's a Réducion de S9 Wichel. Zeur ajJVt. \eante ff uatien, IU rtvietient a leur léduclicn.  Ils y trou•vent le feu de la fédi. tion allume'. Ils tnaffaerent le domeftiqued'un Miffionnaire. Faux bruits contre les Jéfuites. txvr. Nouveau déyart fans fuccès. 6%. Anccdotts du. Minïfierc mités. Malgré les inftances clu P. Garcia-, tous fe débancler-ent ck regagnerent leur Réduclion. En y rentrant, ils trouverent le feu de la fédition allumé de toutes parts. Un de leurs Chefs, Chriftophe Payre , qui les exhortoit a partir, fut arraché de fa maifon, ck on étoit fur le point de 1'affommer, lorfque quelqu'un s'écria qu'il étoit moins coupable que le P. Michel Herrera. A ces mots la multitude effrénée lacha prife ck courut ala réfidence du Miffionnaire, dans le deffein de 1'affaffiner. Heureufement le vacarme, qu'ils faifoient en fe rendant a fa maifon, 1'avertit de fe retirer promptement, & lui en donna le tems, Ces furieux, n'y ayant trouvé qu'un infortuné domeftique, qui étoit revenu fur fes pas, pour reprendre le bréviaire du Pere, fe jetterent fur lui, ck. le mafiacrerent impitoyablement.. En même temps on faifoit courir le bruit dans toutes les Réduclions, que les Jéfuites , a 1'infu du Roi d'Efpagne, les avoient vendus aux Portugais, eux , leurs femmes ck leurs enfans. Quelques jours auparavant ceux de S. Borgia étoient partis en affez grand nombre. Après des peines ck des fatigues infinies , ils arriverent enfin aux montagnes de Quaynay: ils s'y arrêterent plus de fix mois, dans le deffein de s'y fixer. Déja ils y avoient conftruit quelques cabanes; mais les incurfions conti.-  du Marquis dc P ombol. LlV. I. 63 mielies des Sauvages, ne leur accordant pas un moment de paix 8c de füreté, ils décamperent , malgré toutes les repréfentations du P. Sotto-, Sc reprirent la route de leur Peuplade. Le P. Altamirano avoit fixé au troifieme Novembre la migration des Réduftionsde S. Laurent, de S. Louis, de S. Jean 8c des SS. Anges : mais aucune ne fe mettoit en devoir d'évacuer. Enfin, après bien des prieres Sc des follicitations, ils s'ébranlerent. Geux de S. Jean, étant arrivés au borddel'Uraguay,refuferent de le pafTer, tk ils répondirent aux Jéfuites., qui les en conjuroient, qu'ils avoient penétré leurs deffeins; qu'après avoir vendu leurs poffeffions aux Portugais, ils voulbient encore vendre leur liberté aux Efpagnols; que c'étoit a cette fin , qu'ils avoient fait tenir prêt un grand nombre de bateaux fur le Parana ; 8c fans vouloir rien entendre y ils rebroufferent tout court. En rentrant dans leur Réduclion, ils allerent droit affaillir les maifons de leurs Caciques, qui n'échaperent a leur fureur, que par une protechon fpéciale de la Providence. Ceux des SS. Anges, après une route de quarante lieues,regagnerent auffi leur Peuplade. Trois jours après,.leur Chef, qu'ils avoient menacé, mourut de peur & de chagrin. Ceux de S. Louis Sc de S. Laurent avoient paffé le fieuve ; mais les premiers, ayant rencontré lés Chariias , qui leur «753  lxvii. Ordres 6 Valdelyrios & t Gomei a F. AUam rene. 64 • Anecdotes du Minijlere avoient dreffé une embufcade, lacherent pied , fe difperferent , & regagnerent , comme ils purent, leur Rédu&ion. Les Laurentins furent plus conftans. Rendus a leur terme prés des montagnes Tuyanjuru, ils avoient déja commencé a batir , ck-ils euffent aclïfevé, fi leurs compatriotes, qui étoient demeuré a S. Laurent, (k qui s'étoient engagé a leur fournir des vivres , échauffés par la révolte, qui gagnoit infenfiblement, ne leur euffent mandé , qu'ils ne leur enverroient plus rien par la fuite, ck qu'ainfi ils n'avoient d'autre parti k prendre, que de venir les rejoindre. Cela fit ceffer les travaux commencés, ck ils ne penferent plus qu'au retour, qu'ils exécuterent divifés en plufieurs bandes. Le P. Miffionnaire réufïït cependant k en retenir une cinquantaine, qu'il conduifit k la Bourgade de S. Cöme , k laquelle il les incorpora. Pendant ce temps-la Altamirano ne e manquoit pas de rendre un compte exaél: e k Valdelyrios ck k Gomez de tout ce qui u fe paffoit dans les Peuphdes. Au premier " avis de la fédition, ils lui écrivirent des lettres pleines de reproches , de ce qu'il n'exécutoit pas plus promptement les ordres "qu'on lui avoit donnés. Ils lui commandoient de terminer incefTamment 1'émigration, fous peine de voir les Jéfuites chaffés de ces cantons. Ces menaces étoient férieufes, tk ils fe propofoient de  du Marquis de Pombal. LiV. I. 65 les effefhier , puifqu'ils avoient déja demandé a l'Evêque ck au Supérieur des Francifcains un nombre fuffifant de Miffionnaires pour les remplacer. On aura de la peine a fe figurer les mouvemens que fe donnerent les Jéfuites pour prévenir la guerre, ck combien ils eurent a. fouffrir k cette occafion de la part de leurs néophytes, qui fe voyant pouffés k bout ne gardoient plus aucune mefure. Altamirano, qui n'agiffoit que par 1'impulfion des deux Miniftres, imagina un moyen tout nouveau ck d'une fingularité fans exemple. Ce fut d'ordonner aux différens Mifiionnaires, qu'au même jour ck k la même heure , clans chaque Rédu&ion , ils auroient k convoquer le peuple pour les exhorter k Pobéiffance ; qu'ils les conjureroient le Crucifix k la inain de fe rendre enfin a ce qu'on exigeoit d'eux; ck qu'enfuite dans un mouvement impétueux de zele, faifant une derniere tentative pour les fiéchir, ils fe jetteroient foudain k leurs pieds, les leur baiferoient, les ferreroient tendrement ck s'obftineroient k ne point fe relever qu'ils n'euffent arraché leur confentement. Ce pieux ftratagême les attendrit. Tous, k 1'exception des habitans de S. Nicolas, fe rendirent , k condition néanmoins qu'on leur accorderoit un terme de deux ou trois ans. Le P. Laurent Balde, de la Réduction de S. Michel, exhorta les fiens avec Mouvement » ies Jéjuites, Tentative (ingulitre, Elle em quelque fuccis.  LXIX. Za guerre ejl déclarée aux Indiens. Et les Jéfuites doivent leut noüfier cette déclaratien. 68 Anecdotes du MiniJIere ticle de l'émigration, dont ils ne voulurent plus entendre parler. Le P. Altamirano, de retour a BuenosAires, eut beau dire qu'il n'avoit trouvé fon falut que dans la fuite, ck que les efprits étoient aigris a 1'excès; le Marquis de Valdelyrios s'obftina a ne vouloir fe relacher en rien de fes prétentions, ck il obligea le Gouverneur Jofeph Andronaeguiez de déclarer la guerre aux fept Réduétions. Cette déclaration fut envoyée aux Miffionnaires, avec ordre de la faire publier en langue Guaranis. Ces Peres dürent encore en courir tous les rifques. Les Chefs ou Caciques de chaque Réduction écrivirent au Gouverneur les lettres les plus refpectueufes, en leur repréfentant qu'on exigeoit d'eux 1'impoffible; que jufqu'alors, ils s'étoient fait un devoir d'obéir, ck qu'ils avoient donné dans tous les temps les preuves les plus authentiques de leur, foumiffion ; mais qu'ils fe promettoient que Xcaxfaint & jujte Monarque, ne voudroit leur commander que ce qui étoit humainement praticable. Ils rappelloient fes décrets & ceux des Rois fes prédéceiTeurs, ck ils démontroient avec évidence que fans une furprife manifefte de la religion du Prince, il n'étoit pas croyable qu'il les eüt ainfi facrifiés k leurs plus mortels ennemis. Du'refte, ils faifoient en-, tendre au Gou-verneur qu'ils ne le craignoient pas.  du Marquis "de Pombol. Liv. I. 69 En effet ces Indiens, autrefois fi fouples tk fi dociles, pouffés a bout par tant de yexations, perdirent infenfiblement eet efprit de fouiniflion ck de fimplicité, qui lesdiftinguoit, ck ils fe préparerent de toute part a une vigoureufe réfiftance. La fureur s'étoit communiquée aux fëmmes mêmes ck aux enfans. Le Provincial Barreda fe trouvoit alors a Cordoue. Voyant a quelles facheufes extrêmités les Miffionnaires étoient réduits , tk qu'il n'y avoit plus de remede, il les rappella de concert avec Altamirano , tk tous deux en donnerent avis k l'Evêque tk au Gouverneur , afin qu'ils pourvuffent k leur défaut. Mais malgré les menaces, que leur avoit fait le M. de Valdelyrios de les chafler de leurs Miffions, l'Evêque tk le Gouverneur leur ordonnerent de garder leurs poftes , tk de contir nuer 1'exercice de leurs fon&ions. Cependant ils n'en furent pas plus tranquilles; car le Marquis ne cherchant qu'a I les molefter, fe mit en tête d'exiger fans ceffe des changemens de Supérieurs tk de Miffionnaires. II rejettoit ceux qui n'étoient pas Efpagnols de nation; il refuibit même fous différens prétextes de fe fervir de plufieurs Efpagnols, & rien ne pouvoit le contenter. II fallut que les Peres Altamirano tk Barreda fe prêtafïent k tous fes caprices & s'efforcaffent de le fatisfaire, quoiqu'ils fentiffent parfaitement les inconvéniens, qui réfultoient de ces changemens Zes Indiens fe difpofent h la réfift tance, On s'oppofe a ce que lesMïffionnairesaban.donnent les Réduclions. Nouvelles tracafferies de Valdelytios.  IXX. OrMrel 70 Anecdous du Minijlcre continuels de Miffionnaires , dans 1'éta't ou étoient les chofes. Mais leur complaifance tut a pure perte. Ceux que l'on faifoit venir, pour remplacer les autres, fe trouvoient arrêtés au bord de 1'Uraguay. Car ce fleuve étoit exaftement barré par des piquets , que les Peuplades avoient établis de diftance en diftance pour fermer tous les paffages. D'un autre cöté, on fe préparoit férieufement a fe mettre en état de défenfe. •Les Miffionnaires avoient beau précher la paix, ck s'oppofer aux préparatifs de fleches ck de traits, auxquels on travailloit fans relache; on ne les écoutoit plus, ck on ne les regardoit que comme des traitres ck des perfides. Les Supérieurs, pour juftifier la conduite des Miffionnaires, ck engager ces peuples a évacuer leurs Bourgacfes , leur écrivirent de la maniere la plus preffante, leur expofant » qu'il' dépendoit d'eux » de fouftraire aux reproches ck a la venv> geance des Efpagnols ck des Portugais, » ceux qu'ils avoient jufqu'ici honorés com» me leurs peres dans la foi; qu'en fe fou»> mettant aux ordres ck aux volontés du » Roi, ils détruiroient a 1'inftant les calom» nies ck les imputations odieufes, dont on » ne ceffoit de les charger, ckc.« Outre cette lettre, Altamirano en écrivit de particulieres aux Miffionnaires; ck elles renfetmoient les ordres les plus abfolus ck d'un genre tout nouveau. D'abord il leuren]oignoit, fous peine d'excommunication, de  du Marquis dcPombal. LlV. I. ti piongés dans le fommeil de 1'ivreffe, on les défarma, on leur lia les mains derrière le dos , & on les attacha enfemble deux-a-deux. Qu'on juge de leur furprife a leur reveil! On les queftionna fur la conduite des Jéfuites , ck a force de menaces , on arracha d'eux des aveux, qu'ils retrafterent dès qu'ils furent en liberté. Après vingt jours de prifon, on les mit tout garottés fur un bateau pour les conduire a Gomez. Ils ne fe doutoient pas du trait perfide qu'on leur préparoit. Un des gardes defcend au fond du bateau, oü les prifonniers étoient entaffés les uns fur les autres; il leur dit qu'il vient les délier , 6k qu'il ne tient qu'a eux de tourner la barque a bord & de s'échaper pendant que les Portugais font endormis. II donne une hache a un d'entre eux ck un moufquet a 1'autre. Ces pauvres gens perfuadés qu'ils vont recouvrer leur liberté, gagnent le haut du bateau pour rnanoeuvrer , lorfque tout -i - coup, les gardes fe levent tenant leur ftifil bande. En vain ces infortunés fe jettent a genoux ck demandent grace. On n'écoute rien; il fe fait une décharge furieufe, ck treize tombent morts ; la plupart des autres étant bleffés, on leur laifTe la vie. On tranche les têtes aux morts; on les fale, ck on les porte dans des facs a Gomez, qui étoit alors a Rio-Grande. i Après eet exploit, qui révolte quicon- Trahifon & cruaatc.  Violence fitte a ces prifonniers pou r les faire dcpoj'er contre les Mijfionnai- *z 'Anecdotes du Minljlert que a de 1'humanité , le Fort, qui n'étoiff qu'une légere éminence de gazonfut appellé le Fort de la Viétoire. II méritoit mieux d'être nommé le Fort de la perfidie. On fit fonner bien haut ce bel avantage. Les feux de joie 1'annoncerent a. Lisbonne, ck 1'Europe entiere en retentit. Dès que ces prifonniers furent rendus au quartier de Gomez, on les mit fur la fellette, pour leur faire dire que les Jéfuites avoient traverfé le pro)et de 1'émigration , ck l'on y réuffit par les moyens iniques , dont on fit ufage. L'interprete de Gomez étoit bien afïorti a ce tribunal odieux : c'étoit un Métis , homme de néant ck tres-peu verfé dans la langue Guaranis. Les prifonniers comprirent aifément qu'ils n'obtiendroient leur grace qu'en dépofant contre les Jéfuites, & on en arracha les aveux les plus abfurdes ck les plus faux. On les interrogeoit deux-adeux en préfence des autres. Ceux, qui foutenoient que les Jéfuites n'étoient ni traitres ni rebelles , ck qu'au contraire ils. avoient mis tout en oeuvre pour. engager leurs Indiens a. évacuer les Peuplades, étoient regardés comme des menteurs ck des perfides, & par une cruelle fupercherie, on feignoit de les condamner au dernier fupplice; on faifoit même femblant de les y conduite fur le champ, afin d'intirnider leurs compagnons. Ceux au contraire , qui dépofoient contre ces Peres ,  du Marquis de Pombal. LlV. I. §3 étoient applaudis : on les qualifioit d'hcmmes finceres ck véridiques, ck on les renvoyoit avec des habits ck d'autres préfens. On peut aifément juger ce que la crainte de la mort , ck ce que Pamour de la liberté put faire dire a ces prifonniers excédés d'ailleurs de miferes ck de mauvais traitemens. Ils dépoferent tout ce qu'on voulut. Les queftions roulerent fur des objets ridicules, calomnieux, ck même impies. Celles que fit Gomez étoient pour la plupart obfcenes ck infames. II le fervirent a fon gré , ck ils lui dirent que dans la Peuplade de St. Michel, il y avoit quinze canons ; cependant Gomez n'en trouva qu'un d'un calibre ck d'une fabrique pareille a ceux dont j'ai parlé ci-deflus. Par ce feul trait, oli pigera du refte. Toutes ces dépofitions furent envoyées a Carvalho , qui les fit imprimer , en y ajoutant de nouvelles impoftures. II n'eut pas honte de communiquer cette miférable brochure a la Cour d'Efpagne, ck d'y inférer que les Jéfuites n'avoient jamais donné part a leurs Indiens des ordres tsnt de fois réitérés , pour les réfoudre a la tranfmigration. A Ia vérité , Gcmez le lui avoit mandé ; mais il fe contredifoit lui— même dans la lettre qu'il écrivit aux Caciques des fept Réduclions , pour arréter les hoftilités : car il y reconnoiffoit c,ue les Jéfuites ne pouvoient y avoir auci ne part, étant fi étroitement gardés. D 6 FaujTes de . jcjitiens extorque'es par la violence „  IXXV. Frogrès des Indiens contre Les Portugais, W.mharrai de Swrcej. I7S4. 84 Anecdotes du Miniflere En effet, cette guerre que les MiiTïonriaires s'étoient toujours efforcés de prévenir, fe faifoit uniquement par les Caciques, qui n'avoient en cela qu'a feconder 1'ardeur des Indiens. Déja ils étoient parvenus a tenir les Portugais affiégés dans leur camp , ck leurs fleches les incommodoient beaucoup. S'ils euffent fu profiter de leurs avantages, Sc joindre la prudence au courage , il eft certain qu'ils les auroient réduits i mettre bas les armes, ck a fe rendre a difcrétion. Mais ils avoient la fimplicité de leur vendre des bceufs St de leur fournir d'autres provifions de bouche pour quelques clincailleries Sc autres bagatelles. En vain Gomez appelloit a fon fecours les Efpagnols , qui étoient vers la riviere de la Plata. II apprit que, bien loin d'avancer , le défaut de fubfiftances les avoit contraints de retourner fur leurs pas. II fe voyoit donc dans une polition des plus embarraffantes, étant également dangereux pour lui de demeurer enfermé dans fon camp, ou d'en fortir. Dans cette extrêmité , il ne vit d'autre reffource que d'écrire au Supérieur de St. Michel, quj, étoit k plus de vingt-cinq lieues de-la, pour le conjurer de venir au plutot le fauver des mains de fes ennemis. La lettre eft du 1 o Décembre, Vene^, lui mande-t-il, vene^ fans delai, & foye{, je vous en conjTire, l'arc-en-ciel de cette tempête, Inutilement s'arrêteroit-on a relever la  du Marquis de PombaL LlV. I. 8^ conduite artificieufe de Gomez. tk toute; les fauffetés du libelle de Carvalho. II efl avéré qu'il fallutune année entiere pour approvifionner les deux armées combinées, quoique celle de Portugal ne fut compofée que de mille fantaffins, tk deux eens maïtres, ck que celle d'Efpagne n'allat pas au doublé. Les Réduclions, qui fe montoient a trente mille ames de tout age tk de tout fexe, n'avoient-elles pas befoin de trois ans au moins pour fe difpofer a un long voyage, tk pour aller s'établir dans des pays incultes ? Au commencement de 1'année 1755 » Gomez tk Valdelyrios fe concerterent pour écrire uniformément a leurs Cours refpectives. Leurs lettres étoient remplies d'impoftures. Gomez fe douta bien que D. Andonaeguiez, Gouverneur du Paraguay, tk le P. Altamirano, rendroient un compte exact a la Cour d'Efpagne de 1'état réel des chofes, tk des extrêmités, oü les Indiens tk les Miffionnaires étoient réduits. II réuffit a intercepter leurs lettres , qui ne préfentoient que la fimple vérité. Ainfi, ces lettres n'étant point parvenues a leur deftination , la calomnie triompha cette année. Cependant 1'Efpagne fufpendit fon jugement fur la prétèndue perfidie des Jéfuites , tant elle fe croyoit afiurée de leur droiture. En effet, s'ils trahifibient les intéréts de leur fouverain , comme Gomez le prétendoit, ils étoient b*en imbécilles Corner 6 Valdelyrivi interceptent let lettres du Gouverneur & des Jéfuites, » ils les rendent odtc.tx u leurs Cours,  ixxvr. Suite de le guerre. Précantion: des Indien, k Végard des MifJx»nnaïres. les Xndiem feittdéfaits %6 'Anecdotes du MlnlJIere de ne faire les chofes qu'a demi, en ne foulevant que fept Peuplades, tandis qu'en excitant, comme ils le pouvoient, une révolte générale parmi les Indiens , qui n'y étoient que trop difpofés dans une trentaine de Réduótions, ils auroient pu aifément mettre fur pied une année de cent mille hommes ; & c'étoit plus qu'il n'en falloit pour chaffer du Paraguay tous les Portugais &£ les Efpagnols qui s'y trouvoient alors. Les fuccès de 1'année précédente avoient cmcouragé les habitans des fept Réductions, & ils fe mirent de bonne heure en campagne. Cependant ils donnerent un peu plus de liberté a leurs Miffionnaires , & ils leur permirent de faire une courte promenade aux environs de leur presby■ tere, mais toujours fous bonne efcorte. Ils ibuffrirent auffi que le P. Paul Danertz allat faire fes derniers vceux k la Chandelliere, après lui avoir fait promettrè avec ferment qu'il reviendroit, & pour s'en affurer davantage, on lui donna une garde de douze hommes, qui avoient ordre de ne le perdre point un inftant de vue. Cependant 1'armée combinée étoit arrivée a Ste. Thecle, & conduifoit trente canons. Les Indiens réduits au défefpoir, &c n'écoutant plus que leur fureur, refuferent de fe prêter aux propolitions qui leur étoient fakes d'évacuer leurs Réductions. Ils donnerent fur 1'ennenü avec un  du Marquis de Pombal. LlV. I. 87 acharnement qui leur fut funefte. Carvalho fait monter leur perte a trois mille deux cents hommes, tandis que toute leur armee ne confiftoit qu'en fix cents quatrevingts fantaffins, ck cinquante chevaux, Julques-la ils n'avoient jamais marché fans fe faire aecompagner par leurs Miffionnaires : mais ce qui prouvoit que ces Peres défapprouvoient hautement leur conduite, ck qu'ils leur étoient fufpeös , c'eft qu'ils n'en prirent aucun avec eux; ck Dieu le permit ainfi pour mettre a couvert 1'innocence des Miffionnaires, ck pour réfuter les impoftures de Carvalho. La défaite des Indiens fut prefqu'entiere dès la première décharge; felon le calcul le plus exact, elle montoit a quatre cents morts. II en échappa fort peu; le refte fut fait prifonnier : mais leur perte ne les rendit que plus furieux. Ceux de St. Michel fe voyant fur le point d'être affaillis par 1'armée vf&orieufe, qui s'avancpit vers leur Peuplade, en donnerent avis a celles qui font au-dela de 1'Uraguay tx du Parana , & ils leur firent repréfenter qu'après leur défaite on ne manqueroit pas d'aller tomloer fur eux. II n'en fallut pas davantage pour les mettre tous en mouvement. Ceux de St. Charles furent les premiers a fe raffembler & a marcher; mais leur Miffionnaire étant furvenu, fut affez heureux pour les arrêter par. un pieux ftratagcm^ Le Bréviaire en main, il s'élance Ils n' tri liennent ]ue plus jibi ieux.  Stntagême d'un MifJionnaiieij-ui calmela Jedition. lts Indiem •mettent le jeu a la Ré txxvn. Q^uin^e mil le Indiens fe retirent dans les htis. 88 Anecdotes du Minijlire au milieu cl'eux ck leur dit : Partez ck allez oü votre témérité vous appelle. Marchez en dépit des conlëils de votre Pafteur, ck courez en aveugles a votre perte. Pour moi, je vais me renfermer dans la prifon, pour porter la peine de votre fureur. Ce peu de mots prononcés avec véhémence, les frappe. II les quitte brufquement & va droit a la prifon. Les Chefs confus &déconcertés courent a 1'envi pour 1'en retirer; toute la troupe le reconduit chez lui avec des cris d'alégreffe , ck la fédition eft appaifée. L'armée combinée n'étoit plus qu'a quelques milles de S. Michel, lorfque les habitans jugerent a propos de fe retirer, emportant avec eux ce qu'ils avoient de mieux , ck ils emmenerent auffi les deux Miffionnaires. Trois mille, qui s'étoient avancés pour arrêter 1'ennemi, décamperent pendant la nuit ck fe rendirent k la Réduclion. Surpris de n'y trouver perfonne , ils y mirent le feu, pour ne rien laifTer aux deux armées. Tout fut en un inftant la proie des flammes, k 1'exception de 1'Eglife qu'ils épargnerent. Les fix autres Réduclions ayant appris ■ Pincendie de St. Michel, ck la fuite de fes habitans, fe retirerent au nombre de quinze mille dans les bois ck fur les montagnes pour n'être pas contraints de fe tranfpianter. Un nombre k peu prés égal demeura k la perfuafion des Jéfuites, qui fe mirent  I0c§ Anecdotes du Mlnijfere trouvoient expoles aux incurfions des rvfur.is, peuple féroce & inhumain. Le Miffionnaire eut recours au Gouverneur MayaGama, qui jugea qu'il ne falloit pas tranfférer ce village , paree qu'il fervoit de boulevart aux poffeflions du Portugal en Amérique. Cependant pour mettre les habitans a 1'abri des violences de ces Barbares, il leur fit donner deux canons , dont 1'un avoit deux pieds & 1'autre deux pieds & demi en longueur, & les Jéfuites lui en payerent le prix : mais comme on ne prétendoit s'en fervir que pour faire du bruit, ils n'étoient chargés que de poudre & ne caufoient-aucun mal. Les Barbares ne furent pas long-temsas'en appercevoir, & ne s'en épouvantant plus,. il recommencerent leurs incurfions comme auparavant. Le P. Emmanuel Fernandez qui fuccéda a Sampayo, transférs cette Peuplade a quarante lieues de - la , pour la mettre a couvert, & il emporta les deux canons. Les Barbares qui découvrirent le lieu oü ils s'étoient retirés, y vinrent encore exercer leurs brigandages ordinaires. Pour fe mettre une bonne fois a 1'abri de leurs ravages, le P. Fernandez recula encore cette Peuplade le plus loin qu'il put vers Trocana. Le P. Ekart fuccéda en 1755 au P. Antoine Jofeph, qui avoit remplacé le P. Fernandez. Les canons les avoient fuivis, & l'on s'en fervoit aux fêtes folemnelles, pour faire des  iu Marquis dt Pombal. LlV. I. 109 décharges. Voila en peu de mots k quoi fe réduit Phiftoire des canons , dont, k en croire Carvalho, les Jéfuites s'étoient fervi pour fe mettre en pofieffion d'une nouvelle habitation ; comme fi , pour fixer leur demeure dans ces contrées défertes, les Indiens euffent eu befoin d'autre chofe, que de quelques pieux plantés en terre, avec quelques bois de traverfe pour dreffer leurs cabanes. Or ce font ces hameaux & ces villages de fi peu d'apprêt que Mendoza transforma en cité, en villes & en bourgades. Je ne puis entrer dans tous les détails du libelle. C'eft un chaos de fauffetés révoltantes , & pour s'en convaincre il ne faut que parcounr le récit fuppofé de la publication des loix , que l'Evêque Bullioëns devoit n'avoir ofé faire par la crainte des Jéiuires. Le fait eft contraire. L'Evêque, de concert avec Mendoza, les publia. Les Portugais en murmurerent hautement, choqués de ce qu'on leur défendoit de réduire les Indiens en fervitude; & on leur répondit, comme on Pa vu ci-deffus, que c'étoient les Jéfuites, qui avoient folli. cité ces nouvelles loix fi défavantageufes aux Portugais, mais qui étoient .par-la même favorables aux Indiens. On y lit encore un décret diffamatoire contre le P. David Fay. Mendoza le déclare criminel de leze-majefté au premier chef pour avoir ofé faire un traité, fédi- ■ Villagtt que Von veut faire pajjer pour des villes. Nouveau menjengc. LXXXVÏ. le P.D*. 'id Fay ;aJJ'e^ pour. ■.riminel dt  lete- majefté pour un traité fait ivec les Amanajo^, Jrticles d se traité. HO Anecdotes du Minijlert deux & abominable avec les Sauvages Amanajoz. Ce décret eft du 16 Oélobre 1757. Carvalho, qui interceptoit routesles lettres des Jéfuites, avoit été inftruit de ce traité par une lettre du P. Fay au P. Fonfeca, Procureur du Maragnon i Lisbonne ; ck il en avoit fait part a fon frere Mendoza qui étoit a Para. Le P. Fay dans cette lettre du premier Septembre 1755 , y rendoit compte de fes fuccès auprès des Indiens Amanajoz : il mandoit qu'ils avoient propofé eux-mêmes de fe réunir a la naftion Goajajara , pour ne former qu'une Peuplade; qu'ils s'engageoient a envoyer d'abord une vingtaine de families pour couper du bois tk cultiver des terres, afin que ceux qui fuivroient, trouvaffent a fe loger tk a fe nourrir. C'eft, ajoute ce Pere, le feul moyen de les raffembler; ce qui ne peut fe faire que fucceflivement tk par pelottons, paree que les fonds nous manquent, & qu'on n'eft pas dans des circonftances d rien obtenir du tréfor royal. II infere ' enfuite les articles, dont on eft convenu avec les Indiens : ils étoient tels, que nous allons les rapporter par demandes ck par reponfes. Demande, Etes-vous déterminés a embrafler notre Sainte Religion tk a venir tous les jours a 1'Eglife avec vos enfans, pour y être inftruits, imitant en cela 1'exemple des Goajajaras?/ Rcponfe. Nous le voulons. Demande. Vom  du Marquis de P ombol. LlV. Lm foumettez-vous au Séréniffime Roi de Portugal , pour ie fervir tk lui obéir en hdeles fujets? Riponfe. Nous voulons être Les enfans du Roi de Portugal; (c'eft la facon dont les Sauvages ont coutume d exprimer leur parfaite obéifiance. ) D. Confentez-vous a vous laiffer conduire & gouverner par les Peres ? R. Nous en lommes contens, tk nous ne voulons pas taire comme les Gemellas, qui prétendent etre nourris fans travailler. D Permettrez-vous qu'on envoye vos enfans dans le Maragnon, pour y apprendre les metiers neceffaires a la Peuplade? R. Nous le voulons bien. D. Dites-nous auili ce que vous exigez de nous. R. Noiis voulons tout avoir. D. Serez-vous obeiüans aux Chefs blancs ou Marabixaoa goacu, quand ils vous ordonneront quelque ouvrage, ou qu'il faudra prendre les armes ? R. Nous ne voulons avoir rien a faire avec les Blancs. D. Mais s'il s'agifloit d une chofe grave, par exemple, d'une mvalion , refufenez-vous de vous joindre aux Goaiajaras ? R. Nous les affifterions mais ils doivent auffi nous affifter. II faut favoir , dit ce Pere , que les Amanajoz avoient été anciennement trèsafteétionnés aux Portugais ; mais depuis que ceux-ci en avoient enlevé quelquesuns, tk fur-tout la fille du Chef Général, ce peuple a concu une telle haine contre les Blancs, qu'il ne peut en en-  txxxvn. Carvalho en impofe en rapportant U révolte des Portugais Sr des indiens. HZ Anecdotes du Miniflert tendre prononcer le nom. Ce précis de la lettre du P. Fay, & ce traité , qui acquéroit de nouveaux {iijets au Roi de Portugal , offrent-ils la moindre apparence de crime de leze-maiefté ? Mais Carvalho femble fe furpaffer en racontant la révolte des Indiens & la fédition des foldats Portugais. II attribue la révolte des premiers fur les bords du fleuve Noir ( Rio - Négro , ) au Pere AntoineJofeph, & au Pere Roch Hunderffund. Rien n'eft plus mal imaginé. Ces deux Miffionnaires , felon lui, avoient arrêté Mendoza dans le cours de fes opérations touchant les limites, en faifant naitre divers obftacles, & en engageant les Sauvages a quitter leurs habitations & a s'enfuir. Ce qu'il y a de vrai, c'eft que fi Mendoza trouva les villages, non déferts, comme il 1'écrivit, mais moins habités qu'ils n'euffent dü 1'être, c'étoit lui-même qui les avoit dépeuplés, en obligeant les plus jeunes & les plus robuftes de fe rendre a Para pour fon fervice & celui des Portugais , tellement que les terres refterent en friche faute de bras , & que la famine ^n fut une fuite néceffaire. De plus, fi durant un voyage de fix cents lieues qu'il fallut faire tout entier en remontant le fleuve des Amazones, il défertabeaucoupde rameurs.Indiens, excé-. dés de fatigues ; fi a la vue du convoi Portugais, un grand, nombre difparut des  du Marquis dt Pomlal. LlV. ÏL m mettre en füreté, Hs firent tout ce qui dépendoit d'eux pour arrêter les fuyards & les défabufer. Une alarme a peu prés femblable fe reproduifit a Evora. Une troupe de bandits, qui profitoient du défaftre public , n'ofant plus exercerleur brigandage dans Lisbonne , ou l'on en exécutoit chaque jour, fe rabattirent fur cette ville : mais voyant que la tranquillité, qui y regnoit, ne leur permettroit pas d'y faire leur main, ils s'aviferent de fe partager dans les principaux quartiers de la ville, & au moment convenu entre eux, ils fe mirent a parcourir les rues, en criant de toutes leurs forces , que la ville alloit être abimée, que déja la terre frémiffoit, que la mer commencoit a mugir & a. s'élancer pour 1'engloutir ; ck ils ajoutoient que les Jéfuites 1'avoient ainfi prédit. On fe repréfente aifément 1'impreffion que dut faire un pareil bruit. De toute part on ne penfoit qu'a fe mettre en fureté, en fortant inceffamment de la ville. Les Jéfuites n'en furent pas plutót informés qu'ils coururent a toutes les portes pour arrêter la foule ck faire connoitre au peuple vainement alarmé, qu'on leur attribuoit fauffement ces prédiftions. Ces deux traits choifis entre plufieurs autres dépofentfuffifamment contre cette calomnieufe imputation. Carvalho ne fe rebutoit pas. II répétoit fans cefie au Roi que les Jéfuites fe plai- ' VI. iutre grief 'e Caryalha  contre les Jéjuites. (a) Jene fais comment Carvalho ne s'eftpas avifé d'une accufadon que je viens de lire dans un Auteur moderne, énoncée d'une maniere ingénieufe. >• Une » Dame d'efprit, ennemie de l'injuftice & de 1'efpric » de parti, entendant un homme palïiotiné raconrcr m des Jéfuites les atrocités les plus abfurdes -.Ah, dit» elle , ce n'ijl rien que tout cela. Je fais quelque chofe a» de plus horrible encore , ce font ces monjlres qui a> ont cauféle tremblement de terre qui a détruit Lifs« bonne. A ces mots tous les emportemens du narra» teur fe calmerent, & il demeura dans un parfait » filence." (£>) Dans :ous les défaftres de ce genre , les faux jjo'.itiques, les efprits profanes & afiervis aux efpérances du fiecle, tachent toujours d'affoiblir le tableau des malheurs publics, foit pour fe difpenfer plus aifément d'y reconnoitre le doigt de Dieu, foit pour re pas dïranger le tourbilion de paflïons & de prétentions qui les agite & les flatte. N'avons-nous pas vu durant le tremblement de terre qui a dévafté & qui dévafte encore les Deux-Siciles, des lettres écrires de Naples qui traitoient de contes & de fables toutes les telations de ce terrible paroxime? Voyez Ie Journal hijl, Sf littéraire, ij Ayrjl 178^, page óoj, 633, iiz Anecdotes du Minijiere foient a abufer de la fimplicité du peuple, & qué pour allumer le feu de la fédition, ils lui exagéroient les pertes, que le tremblement de terre avoit cauiees (,-z). Que ces pertes n'étoient pas auffi confidérables, qu'on les lui repréfentoit, & qu'il ne faudroit pas cinq ans pour les réparer (b). Ce fut en conféquence que le Roi par un édit ordonna de rebatir les Eglifes tx les maifons dans le terme de cinq années. La chofe étoit impoffible. Les ouvriers & les reffources manquoient, & au bout du tems prefcrit, a peine avoit-on touché aux fon-  du Marquis'de Pombal. LlV. TI. 113 demens. II y eut quelque chofe de plus : car au lieu de relever les édifices, Carvalho fit rafer la plupart de ceux que le tremblement & les flammes avoient épargnés, fous prétexte d'élargir les rues ck de les alligner au cordeau: & ce qu'il y eut en cela de plus injufte, c'eft que 1'eftimation des batimens ne fut point faite , & que les propriétaires ne requrent aucun dédommagement. Si l'on en croit Carvalho , jamais le Portugal n'avoit été fi heureux , ni fi fagement gouverné que fous fon Miniftere. Je rougirois d'en rapporter toutes les horreurs ck les infamies. La capitale étoit devenue le centre des plus honteux excès: le crime s'y commettoit fans pudeur, fans retenue , fans diftinftion des temps , ni des lieux, ck même fans aucun égard pour la fainteté des temples du Dieuvivant (d). Auffi l'on remarqua qu'ils furent prefque (<0 Les defordres de Lisbonne étoient-ils plus abommables aux yeux de Dieu.que ceux d'autres villes opulent» , commercantes & corrompues: (cette circonftance feinble le perfuader ) ? Étoient-ils moins: compcnfcs en quelque forte & balancés par de grandes vettus, par un chj iftianifme pur , folide & reHéchi ? C'elt ce qu'il n'importe en rien d'examiner, Voltaire simaginoit que fi Dieu puniffoit les horomes, il Frapperoit d'abotd les plus coupables. Erreur grofliere démentie par toute la fuite de 1'Hiftoire- Sainte. On peut voir fur certe mattere la Differtation fur les tremhlemens de terre , qui fe trouve a Ia fin des mfervat. philoj. fur les Syftc'mes. A Paris , chez iertcti, J77S ; pag. 22^. F 2 II vinte le bonheur de fon Miniftere,  Tableau dt Lisbonne. I VII. Nouveau grief contn * les Jéfuites [24 Anecdotes du Mlnijlere tous renverfés ou confumés par les flammes. Après ce défaftre, parmi les ruines, au milieu des débris encore fumans, a cöté de trente mille corps écrafés, brulés ou fubmergés , dans un air empefté par 1'infeftion des cadavres , fur un terrein mouvant & fans ceffe agité par de nouvelles fecouffes, les plus horribles defordres regnoient prefque par-tout, & la mifere publiqué ne fervoit qu'a enhardir la licence. Les femmes privées de leurs maris , que l'on exiloit; les filles de leurs parens , que l'on emprifonnoit ; les fervantes hors de fervice , les Religieufes même arrachées de leurs couvens , ne trouvoient a fubfifter qu'en fe déshonorant; celles qui vouloient mourir fur les ruines de leurs pieux afyles , étoient condamnées a un banniffement perpétuel. Un Miniftre qui voyoit tout cela, & qui loin d'y remédier , prétendoit s'en faire honneur, n'avoit-il pas bonne grace de fe donner pour un grand homme, & de prétendre k la reconnoiffance des peuples ck aux éloges de la poftérité? < Un nouveau crime des Jéfuites, c'étoit d'avoir retiré chez eu£ les Capucins de Gênes , qui ayant demandé 1'hofpitalité pour une nuit, furent obligés par les circonftances , d'y demeurer deux ans. Ce long féjour devoit embarraffer ; mais la charité fupporte tout. D'ailleurs, la chofe étoit arrivée fous le regne de Jean V ,  du Marquis de P ombol. Liv. II. n«j - avec 1'agrément du Monarque, long-tems avant le miniftere de Carvalho, & par conféquent antérieurement aux plaintes que les Capucins du Maragnon avoient portées contre lui, ck auxquelles le P. Malagrida , comme nous 1'avons dit ci-deflus , refufa de s'affocier. Un autre crime qu'il leur reprochoit férieufement, c'étoit d'avoir donné les exercices fpirituels de Saint Ignace. La Familie Royale &leRoi même avoient promis de les faire fous la direction du P. Malagrida ; ck plut k Dieu que cette promeffe fe fut effe&uée! II eft plus que probable que le Monarque auroit ouvert les yeux, ck qu'il auroit mis un frein aux défordres publics , en même tems qu'il auroit réformé fa conduite. Or, avoir perfuadé au Roi de faire une retraite ; avoir annoncé de vive voix ck par écrit que le tremblement de terre , étoit un effet feniibie du courroux du Ciel, étoit, felon le Miniftre, un délit impardonnable. Auffi, lorfqu'après Pexpulfion des Jéfuites , le 30 Mars 1761 , on reffentit k Lisbonne une fecouffe confidérable, il eut foin de faire publier , que ce n'étoit rien moins qu'un avertiffement du Ciel , ck qu'il n'y avoit en tout cela qu'un effet naturel des feux fouterrains , qui trouvqient une iflue dans un lieu plutöt que dans un autre. Pour établir ce fentiment fi injurieux k ia Providence divine F 3  ii6 Anekdotes du Miniflere (a), fi defolant pour 1'humanité (b), ck fi abfurde en bonne phyfique (c), il recom- ( ordres : votre Mandement a été Iu & » enrégiftré. Si nous n'avons pas encore » accompli tout ce que vous attendiez de »> nous , ce n'eft point par efprit de con» tumace, c'eft que notre innocence ne » nous lailfe rien a déclarer au - dela. » Si votre Éminence le fouhaite, nous » lui abandonnerons tous nos regiftres w depuis deux fiecles, & elle n'y trou»> vera pas 1'ömbre de commerce. On '» nous condamne fans nous entendre, & » l'on donne pour démontré, ce qui n'eft » appuyé fur aucune preuve. Qu'on nous » confronte nos délateurs , & nous nous » flattons de les confondre. De grace, » Mgr, füfpendez votre jugement : faites 5> précéder d'exaftes informations fur notre » conduite & fur nos mceurs : interrogez » les téraoins ; examinez leurs dépoli-  du Marquis de PombaL LlV. II. 155 » tions : ne vous laiffez pas prévenir; » pefez tout au poids du fanéhiaire, tk » fbuvenez-vous enfin, qu'il eft dans le » Ciel un Dieu vengeur de la juftice tk » de 1'innocence opprimée. « Henriquez fit violence a fa douleur tk étouffa fes fanglots, pour lui dire ees dernieres paroIes avec une refpectueufe fermere : Ie Cardinal en parut frappé , tk demeura quelque temps. fans pouvoir proférer un feul mot. S'étant un peu remis, il afTura le Provincial que fes procédés ne s'écarteroient en rien de 1'honnêteté ; qu'il n'avoit commandé a 1'Imprimeur que cent exemplaires de fon Mandement pour étre envoyés dans les Provinces; que c'étoit fans fon aveu qu'il' en avoit tiré un ft grand nombre, tk qu'il ne fe vanteroit pas de 1'avoir fait impuné'ment. Henriquez lui demanda s'il avoit lu une lettre 1 contre les Jéfuites faite a Lisbonne tk-> imprimée a Rome. Le Cardinal répondit ' qu'il en avoit enrendu parler, mais qu'il ne^ 1'avoit pas vue. Le Provincial la lui préfenta, tk le pria de faire attention au récit du tremblement de terre & de la fédition de Porto , tk d'examiner fans pafïïon ces deux traits, que la malignité avoit étrangement défigurés. Le Cardinal promit qu'il la liroit d'abord. Trois jours aprés Henriquez retourna au palais' du Cardinal , qui d'auffi loin qu'il l'appercjut lui dit qu'il avoit Iu la "P G 6 T.m.barras du Cardinal, llcnriguef 'ui préjentc 'Me Satyie aite contre es Jéjuites. lu lieu de 1 condam;r il Pap. rouv(.  KXVIII. Dénombr ment des biens des Colleges. XXIX. Ze Car. Tatriarch, publie un Mandemei peu favorc ble aux Ji 156 'Anecdotes du Minijlere brochure, & que Pirrégularité de la conduite des Jéfuites y étoit fi manifefte , qu'il ne lui fembloit pas qu'on put les juftifier. Henriquez, qu'une telle décifion étonna, n'eut plus lieu de douter que le Cardinal ne fiiivit aveuglément les impreffions du Miniftre. Avec de pareilles préventions que devoit-on en attendre, ck n'étoit - on pas en droit de le récufer comme Réformateur? Dans cette affligeante fituation , la reffource des Jéfuites fut d'aller répandre leur cceur devant le Seigneur, proteéteur de 1'innocence. Cependant on dreffoit dans tous les Colleges, par ordre du Cardinal, d'exaéts dénombremens des biens ck des revenus. Les Jéfuites y ajouterent 1'état des dettes & des obligations, dont la plupart des maifons étoient chargées. Chacun de ces états étoit envoyé a Magallanez , ck celui-ci les faifoit auffi-töt paffer au Miniftre, qui les retenoit; de forte que rien de tout cela ne fut renvoyé aux Jéfuites. Une nouvelle plaie , qu'ils recurent l' dans ces circonftances , leur vint de la part du Cardinal-Patriarche Jofeph-Em£ manuel. Auffi-töt qu'on les eut bannis de ' la Cour, & qu? le Miniftre leur eut interdit la prédication dans la Chapelle Royale, le Patriarche leur fit auffi défenfe de prêcher dans fon Eglife Patriarchale. Cependant , malgré le libelle de la République y  du Marquis dt Pombal. LlV. II. 157 qui parut en Décembre 1757, il nomma encore deux Jéfuites, Machado, tk Romano, pour Examinateurs Synodaux, tk il n'admettoit prefque perfonne aux Ordres , aux Confeifions tk aux Cures, qu'ils n'euffent été approuvés de ces deux Peres. Après que le Cardinal Saldahna eut publié fon Mandement, le Patriarche ne cef~ foit d'en relever les défauts; & néanmoins peu de jours après, c'eft-a-dire, le 7 Juin 1758, il fit afficher a toutes les Eglifes de Lisbonne un Décret, qui déclaroit les Jéfuites fufpens de la Prédication tk de la Confeifion, dans toute 1'étendue de fon Diocefe. Le jour qu'on Pafficha, il partit de grand matin pour fa campagne a vingt lieues de Lisbonne, oü il mourut peu de tems après. Voici de quelle maniere le Miniftre s'y prit pour faire porter ce Mandement. II alla trouver le Patriarche tk fe mit a. déclamer contre les Jéfuites, les accufant d'être des féditieux, des commercans, des loups déguifés, qui féduifoient tk pervertiffoient le peuple. Enfuite ü le preffa de les interdire. Le Patriarche s'en défendit affez long-tems; mais Carvalho , pour 1'intimider, emprunta le nom du Roi, tk lui dit que telle étoit la volonté de Sa Majefté. II ajoura que s'il refufoit de s'y foumettre, il fe verroit dépofé k fon age; qu'un Succeffeuroccuperoit fon fïege de fon viYant, tk qu'il auroit la douleur Comment le Minijtreab. tint ce mm* dement.  Comment c Mandemen jut re$u. ImprcJJioi qu'ilfaitfu la PnaceJ da Bréfil, f ar une fuit de ce Man dement le. eonjejjions dlviennent trtt-rares. l<;8 Anecdotes du Minifterc de voir toute fa familie enveloppée dans fa difgrace. Le Patriarche, qui connoiffoit Carvalho, homme capable d'en venir a I'exécution , fe fentit ébranlé & demanda du tems pour délibérer. Mais le Miniftre s'appercevant qu'il étoit a demi-rendu, n'eut garde de lui donner le moindre répit. II Pobligea de porter fon Ordonnance dés le foj,r même. Elle fut rédigée & imprimée dans la nuit, & le lendemain matin on la vk affichée par-tout Lisbonne. Après ce trait de foiblefle, le Patriarche ne foupa point, paffa toute la nuit fans fermer 1'ceil, & pleura beaucoup. De grand matin il partit pour fe retirer a fa campagne. Sa familie allure que pendant cinq heures entieres, il éluda les injuftes pourfuites de Carvalho. Heureux , li fa fermeté 1'eut foutenu jufqu'a la fm! 't Ce décret révolta & fcandalifa également le peuple & les Grands. La Princeffe du Bréfil tomba en foibleffe fitöt qu'on 1 lui en paria, & elle demeura li long-tems ". évanouie qu'on la crut motte. Ce qui irrita le peup-" , c'eft qu'enfuite de ce Man( dement , il y eut une grande difette de ' Confeffeurs. Elle fut telle que les Evêi ques fe virent réduits k faire Pannée fuivante ce qui ne s'étoit jamais pratiqué dans ce Royaume; ils dürent accorder aux fideIes le terme depuis le commencement du Carêmejufqu'ala Pentecöte, pour farisfaire au précepte de la Communion Pafchale.  du Marquis de Pombal. Liv. II. iy. Le Patriarche , fur le point de recevoii le Viatique , reconnut hautement 1'innocence des Jéfuites, & il en fit dreffer ui aéte authentique, pour détromper le public ck décharger fa confcience ; mais rien ne parut, & tout fut fupprimé. Le Miniftre enhardi par ce fuccès , ft flatta qu'il n'auroit pas de peine a obtenii de pareils Mandemens des autres Evêques: mais ils n'étoient pas encore fubjugués par la crainte , & il remit a un autre tems a y employer les menaces & la violence. L'Evêque d'Evora, apprenant que le Patriarche avoit verfé des larmes , lorfqu'on lui arrachoit fon Mandement, s'écria dans un faint tranfport de zele & d'indignation, que ce n'étoit point par des larmes qu'il falloit réfifter, mais par 1'effufion entiere de fon fang. Pendant que ces chofes ie paffoient, le public étoit inondé de fatyres contre les Jéfuites. Une de ces produétions fe fit remarquer par la qualité de fon auteur ; c'étoit le P. Francois de Ste. Rpfe, devenu Provincial des Capucins. II revenoit du Maragnon , oü fes Supérieurs Pavoient relégué a raifon d'inconduite. Pour fe faire rappeller de fon exil , il chercha a s'in-» finuer dans les bonnes graces du Miniftre , & le moyen dont il fe fervit, fut de calomnier fes Confrères auffi-bien que les Jéfuites. C'eft en effet ce qui lui valut fon retour a Lisbonne & le Provincialat', dont Trotejiation du Pr... triarcheala mort. Sentïmtnt de l'Evêque d'Evorap.?r rapport a ce. mandement, XXX. lts libelles fe multiplïent, le Provincial des Capucins , auteur d'un de ces libelles, eft nommé i l'Evcckc de Para,  Sa fin mal heureufe. XXXI. Exil du P Antoine Torris. Raifons dt eet exil. t6ö Anecdotes du Mlnijlere il fut redevable, non k la liberté des fuffrages du Chapitre ; mais au defpotifme de Carvalho , qui 1'exigea ainfi. Peu de tems après, ce Miniftre le nomma Evêque de Para, k la place de Bulhoëns, qui k force de complaifances , avoit obtenu 1'Evêché de Leïria. Mais la Providence en difpofa autrement : car, comme eet Evêque alloit s'embarquer pour Para, avec la commiffion de Réformateur des Jéfuites du Maragnon, une mort fubite le furprit dans un moment, oü il s'occupoit a forger de nouvelles calomnies contre ces Peres. II fut frappé d'apoplexie , & on le trouva tombé mort fur fes fcandaleux écrits , tenant encore la plume en main. Chaque jour amenoit de nouvelles vexations. Le Card. Saldahna fit appeller le P. Henriquez un matin , pour lui ordonner d'envoyer avant trois jours le Supérieur de la maifon ProfefTe en exil k Bragance, fans lui permettre de parler k perfonne. » Sachez-moi gré, ajouta-t-il, de ce que » j'en ufe ainfi : c'eft pour prévenir une » peine infamante. Le Roi eft fi irrité con» tre lui, qu'il eft a craindre qu'il ne le » faffe jetter dans les prifons publiques. « II s'agiffoit du P. Antoine Torrès. Voici, felon toute apparence , ce qui y donna occafion. Torrès avoit été vingt ans Pénitencier k Rome. De retour en Portugal il fut fait Supérieur de la maifon ProfefTe; enfuite,  dü Marquis de Pombal. Liv. II. 161 après avoir été Provincial , il redevint encore Supérieur de la même maifon. Comme il entendoit ck parloit parfaitement la langue italienne, il eut des liaifons particulieres avec le Nonce Acciapli, qui 1'honora de fon amitié & lui donnafa confiance en le choififfant pour fon Confeffeur. Ce Nonce voyoit encore volontiers plufieurs autres Jéfuites. Mais dès qu'il fe fut lié avec le Miniftre, 1'affeftion qu'il leur témoignoit fe refroidit infenfiblement, & il fe fervit plus rarement du P. Torrès. Cependant les Jéfuites, ayant fu que le Nonce venoit de défapprouver affez ouvertement les derniers Mandemens du Patriarche ck du Card. Saldahna , crurent retrouver en lui un Proteéteur. Le P. Henriquez alla le voir ck lui fit obferver les calomnies qu'on répandoit pour noircir la Société. Le Conclave fe tenoit alors pour l'éleftion d'un nouveau Pape. Le Nonce lui promit de le fervir de fon mieux auprès du Pontife, dès qu'il feroit intronifé , rien dit ou fait contre eux qui ne foit » trés - faux & d'une injuftice criante « ! A ce ferment imprévu, le Cardinal parut tout interdit & demeura muet; enfin s'étant un peu remis, il dit a Camera d'avoir bon courage, & le -congédia auflï-tót. Dans ces entrefaites, Alexandre Henriquez , Dominicain (a), fut facré Evêque de Miranda. Le jour même de fon inau- • guration , préfente une anecdote révol- (a) Ce Religieux pour raifon d'inconduite XYOÏt éte reUgué eu Afie fous le reine de Jea»" V, H Saintt li* 'ené de cc Pere. xxxvr. Conduite fcandaleuje ie l'Evêque UMirMidt.  JileSion ie Laurent Ricci , Général de la Compagnie, 11 préfentt un Méinoin au Pape. On en irnprime un autre a Romi par ordre dt Carvalho, \jo Anecdotes du Minijlere tante , & qui paroitroit incroyable, fi elle n'avoit pas un éclat, qui a porté plufieurs perfonnes a. la vérifier. Cette anecdote, aimoncoit tout ce qu'on devoit attendre de plus' amer durant fon Epifcopat. II fit habiller une femme en Evêque, lui mit la mitre fur la tête, &la croffe a la main, foupa avec elle dans ce facrilege traveftiffement, St lui donna la main pour ouvrir un bal qu'il donnoit a fes amis. Enfuite il figna 1'interdit des Jéfuites de Bragance, & il le fit mettre en exécution, avant même qu'il fut dans fon Diocefe, oü il n'y avoit qu'un feul College. Ce fut par eet a£fe odieux qu'il commenca 1'exercice de fa jurifdi&iön Epifcopale. Quelque tems après il portadeux autres ordonnances qui étoient auffi injurieufes aux Jéfuites, que contraires aux faints Canons. Nous aurons occafion d'en parler plus bas. L'éle&ion d'un nouveau Général de la Compagnie arriva dans ce même tems. Le choix tomba fur le P. Laurent Ricci, d'une familie noble de Florence. Dès les premiers jours de fon Généralat, il préfenta au Souverain Pontife un Mémoire fur les affaires de Portugal, & ce Mémoire fut agréé. Le Miniftre 1'ayant appris en devint furieux, Si pour s'en venger il fit imprimer a Rome même, un autre Mémoire, oü itoient raffemblées toutes les imputations calomnieufes inventées jufqu'alors po'ur noircir la Société, Un Car-  du Marquis de Pombal. LlV. II. 171 dinal, qui s'étoit laiffé prévenir contre les Jéfuites, ayant donné dans une Congrégation un avis qui leur étoit peu favorable, Ie Commandeur Almada, Miniftre de Portugal k la Cour de Rome, fit imprimer eet avis, comme s'il eüt été le jugement unanime de tous les Cardinaux, & 1'inféra k la fuite de fon libelle. On 1'envoya en Efpagne, mais il y fut brille par la main du bourreau, défendu par les •Evêques & condamné par Plnquifition. Le Cardinal Torregiani écrivit au nom du S. Pere au Nonce Acciajoli pour lui prefcrire la conduite qu'il devoit tenir dans ces circonftances, ck lui ordonner de . veiller k ce que le Cardinal Patriarche, n'excédat pas les bornes qui lui étoient marquées clans le Bref & dans fes inftructions particulieres. II écrivit auffi au Nonce Spinola en Efpagne, pour le prémunir contre ce qui fe débitoit fur le compte des Jéfuites. C'en étoit affez pour leur juftification, mais trop peu pour empêcher leur ruine, qui fut confommée par tout ce que 1'irréligion ck 1'inhumanité ont de plus affreux. Fin du Livre fecond. H a Lettre aa Car dl. Tor— ■cgiani ait Nonce de Portugal^  ANECDOTES DU MINISTÈRE DU MARQUIS DE POMBAL. i. Situation ies Jéfuites, Vues de Ctryalho, LIVRE TR O IS IE ME. L ES Jéfuites ferabloient avoir fufpendu les derniers efforts de la tempête par leur modeftie & leur patience. Mais le Miniftre , qui prévoyoit, que tandis qu'ils exifteroient en Portugal, il ne pourroit porter a la Religion ck a 1'Etat, les atteintes qu'il méditoit; efpérant d'ailleurs que leurs dépouilles rempliroient le Tréfor Royal, qu'il avoit épuifé; ck qu'étant le maitre de s'en approprier la meilleure partie , elles feroient capables d'aflouvir fon infatiable cupidité, il fe détermina enfin a frapper fon dernier coup. Ce ne fut donc plus par des menées fourdes, mais ouververtement ck fans ménagement, qu'il les attaqua déformais. Son plan de deftruction commenqa a fe développer d'une maniere auffi cruelle qu'elle étoit bizarre ck finguliere.  iu Marquis de PombaL LlV. III. 173 La Reine d'Efpagne, fceur de Jofeph I, mourut le 28 aoüt 1758. Le Roi de Portugal en portale deuil , tk fitdéclarer que pendant huit jours il ne donneroit au, dience a perfonne, tk que toutes les affaires cefferoient. On n'y foupconnoit aucun myftere : cependant ce fut cette efpece de folitude, qui fervit a ourdir les trames les plus funeftes. Le 4 Septembre , le bruit fe répandit que Sa Majefté étoit malade , tk qu'elle avoit été faignée plufieurs fois la nuit précédente. On varioit beaucoup fur la nature tk les caufes de fon mal. Les uns difoient que ce Prince defcendant au jardin pendant la nuit, avoit fait une chüte a 1'efcalier & s'étoit bleïïé a 1'épaule. Mais la chofe n'étoit pas vraifemblable ; le lieu, oü il faifoit fa réfidence ordinaire depuis le tremblement de terre, n'étant qu'un rez-de-chauffee, fans aucune marche ni en dedans ni au-dehors. Cependant cette chüte fut annoncée a tous les Miniftres étrangers par le bulletin de la Cour , & trois jours après la gazette de Lisbonne en fit mention. Un autre fujet de fa maladie fe répandoit parmi le peuple. II fe difoit que des gens apoftés par la familie des Tavora avoient tiré fur le Roi trois coups de' moufquet; tk l'on jugeoit les bleflures mortelles. On alloit même jufqu'a. fpécifier les raifons de ce prétendu affaifinat." Une circonftance remarquable , c'eft H 3 ir. Mort dc I4 Reint d'■pagml /;«, traite du Roi. Différent bruits au ju. jet de ja iiitt ladie, 717. 11 fe répeng 'in bruit fourd que le Roi a été tttaqué par les ajjaf'ins,  rv. Solitudt du Roi. 574 Anecdotes du Mlnijlere que le bruit de 1'affaflinat du Roi par les Tavora, ( car on ne nommoit pas encore le Duc d'Aveïro) fut répandu la nuit même, qu'on devoit l'avoir commis, ck que plufieurs perfonnes qui demeuroient au-dela du Tage , en furent informées , avant qu'il fit jour. C'eft encore un fait certain, que Jofeph Sanchez , Religieux Francifcain, qui s'étoit embarque le 4 au point du jour, en porta dès le lendemain la nouvelle a Béja, c'eft-a-dire, a 28 lieues de Lisbonne. Depuis cette époque jufqu'au 13 Décembre, aucun Seigneur ne fut admis a voir Sa Majefté. La Princeffe du Bréfil, les Infantes fes fceurs , ck les Infants freres ck oncles du Roi, furent recus , il eft vrai, dans fon appartement; mais ils ne le virent point pendant tout ce tems-la j ils n'eurent la liberté que de lui dire quelques mots a voix bafie, ck il ne leur répondit jamais, foit qu'il fe tint dans un cabinet voifm , foit qu'étant réellement au lit , les rideaux tirés, ck les volets fermés, fon Miniftre lui eut recommandé de ne rien dire, pour mieux cacher fon deffein. Un feul Chirurgien fut appellé , ck l'on croit même qu'il ne vit pas le Roi, qui pouvoit fe paffer de fon miniftere. Les Grands du Royaume , quoique perfuadés qu'il n'étoit pas bleffé, crurent neanmoins qu'il pouvoit être malade, ck ils fe plaignirent affez hautement du peu de foin  du Marquis de Pombal. Llv". III. 17^ que l'on avoit de fa fanté, puifqu'on ne laiffoit qu'un Chirurgien approcher de fa perfonne. Ces murmures engagerent Ie - Miniftre a en faire venir d'autres ; mais ils ne furent introduits que dans une chambre voifine de Tappartement du Roi; Sc on ne leur permit jamais de le voir. 1 On marquoit huit endroits différens , oü 1'affafiinat devoit avoir été commis. Dans celui, que défignoient les nouvelles publiques imprimées par ordre de Carvalho , on n'entendit pas le moindre bruit pendant toute la nuit. C'eft ce que déclarerent des perfonnes qui habitoient aux environs, & que différentes occupations avoient tenues fur piecl. Les premiers jours, chacun fe donnoit la liberté d'en parler felon fa penfée : mais quand on vit les uns difparoitre tout-a-coup, les autres trainés en prifon, toutes les langues devinrent muettes. Le 7 de Septembre, parut un Décret du Roi, par lequel 1'adminiftration du Royaume étoit confiée a la Reine, jufqu'a ce qu'il fut rétabli. Le peuple y applaudit, & cette PrincelTe fe fervit de fori pouvoir pour arrêter le cours des monopoles de grains, que le Miniftre avoit introduits. Elle fit auffi partir pour le Bréfil, la flotte qu'il arrêtoit depuis long-tems; & elle fignala fon gouvernement par d'autres difpofitions louables ck utiles au public. Cependant elle n'étoit pas tellement la maiH4 y; Variation fur le lieu de Vajjajfinat, Vidm'niftratien du Royaume tonfiét a la Reine.  VI. Contrediciion fur l' ü' tut du Rei* Situation crititjue des Jjfuitci, Ïj6 Anecdotes du Mlnijlerc treffe , qu'il ne parut de teras-en-tems certains ordres, dont la fignature étoit de la main du Roi, foit que cette fignature eüt été donnée au Miniftre fur des blancs fignés, foit qu'elle fut burinée. Car on a débité que Carvalho avoit fait graver le feing du Roi, pour en faire ufage au befoin felon fes deffeins. Les nouvelles qui venoient de la Cour au fujet de la fanté du Prince , fe contredifoient fans ceffe. Un jour il étoit mieux, le lendemain il étoit a la mort. Cette viciffitude & ces variations furent continuées pendant trois mois entiers. Perfonne n'y comprenoit rien : feulement on étoit perfuadé que dans ces ténebres impénétrables, ilfe formoit quelque gros orage. Les Jéfuites n'étoient pas fans allarmes. Quoiqu'ils n'euffent aucun rapport avec la familie des Tavora , ils fe fouvenoient qu'on leur avoit imputé la fédition de Porto , la révolte du Paraguay & le commerce dans le Maragnon. N'en étoit-ce pas affez pour juftifier 1'appréhenfion qu'ils avoient, qu'on ne les impliquat dans cette conjuration quelconque? Ils n'étoient pas les feuls frappés de cette crainte; car au premier bruit de Paffaffmat , l'Evêque d'Algarve s'écria, en gémiffant : Malheur aux Jéfuites ! Les voild perdus l Leurs craintes augmenterent dès le huitieme jour , ayant fu qu'Ignace FerreïraSoto , Confeiller de Carvalho, foutenoit  du Marquis de Pombal. Liv. III. 177 Iue les Jéfuites étoient les vrais auteurs e ce régicide. Quelques jours après , on commenca a nommer le Duc d'Aveïro, ck a 1'accufèr d'avoir attenté a. la vie de ion Souverain pour fe frayer un cheinin au Tróne. Ce bruit étoit une abfurdité , cl'autant plus que la Familie Royale étoit nombreufe & aimée du peuple , ck qu'au contraire le Duc s'étoit rendu odieux par fes hauteurs.. On venoit de trouver fur fes terres Ie cadavre d'une femme, dont on avoit enlevé la tête. On n'y fit pas d'abord attention; mais dès que le Duc fut arrêté, le Miniftre fit répandre dans le public que cette femme étoit au fervice de ce Seigneur , ck que s'étant trouvée par hafard ck fans qu'on s'en apperqut, dans 1'appartement, oü il s'entretenoit de 1'aüafiinat du Roi avec fes complices, il avoit cru clevoir s'en défaire , de peur qu'elle ne révélat fa conjuration. On ajoutoit qu'un de fes amans , qui fe trouvoit alors* caché avec elle, avoit reconnu fon cadavre , ck qu'il avoit difparu pour éviter le même fort* mais qu'avant de fe dérober, il avoit raconté eet étrange événement a. un Moine de Belem , & que ce Moine n'avoit pas tardé a en informer Carvalho. Cependant les Tavora, qui n'ignoroient pas ces bruits , ne cherchoient point a , s'éloigner. Ils fréquentoient la Cour comme auparavant, 5c méprifoient ce qui fe H 5- VII. Soupfons par rappurt au cadavre i'une ftrnme. Conduite Us Tavora,  vhi. Défenfe au Provincial de changer les Jéjuites de Lisbonse, . ê Malagrida rappellé a lisbenne. 178 Anecdotes du Minijlere répandoit fourdement dans le public. Non répondit Tavora, le pere, je n'ai aucune meiirre a. prendre , ni pour moi, ni pour les miens. L'on ne peut nous accuferavec fondement d'avoir commis aucun délit contre la Perfonne Royale. Ainfi s'exprimoit ce brave Officier raffuré fur le témoignage de fa confeience. Le Duc d'Aveïro tenoit le même langage & la même conduite. .A la fin de Novembre , le Cardinal Patriarche défendit au Provincial des Jéfuites de faire, fans fa permiffion, aucun changement dans les Colleges. Le Miniftre le vouloit ainfi pour avoir fous fa main tous les individus. Henriquez ayant repréfenté que ce nouvel ordre gêneroit étrangement toute la Province , on reftreignit la défenfe aux feules maifons de Lisbonne , ck on lui permit de faire ailleurs les changemens qu'il jugeroit néceffaires, pourvu qu'il en donnat avis. Le onziemeDécembre, le Cardinal dépêcha k Setubal un exprès chargé d'une lettre pour le P. Malagrida , qui y avoit été relégué comme nous 1'avons dit ailleurs. II lui étoit ordonné de fe rendre inceffamment par eau k la Capitale, & d'aller direéfement au College de St. Antoine , d'oü il informeroit de fon arrivée, en attendant des ordres ultérieurs. Dès que ce Pere eut requ cette le ttre , il prit fon bréviaire ck fon baton , partït fur le champ, &c arriva le même jour a Lisbonne avec  du Marquis de Pombal. LlV. III. ig} de faim ck de froid, n'étant pas fuffifamment vétues. Le Comte d'Obidos , leur parent, touché de compaffion demanda au Roi qu'il lui fut permis de leur faire paffer quelques fec'ours. II 1'obtint; mais peu de jours après il fut jetté dans les horribles prifons de Carvalho (eyu, SVIII. On renourelle la défenfe de fortir. XIX. le P. Ma- tagrida mandé par le Cardinal* On le con. duit chet le Miniftre, 188 Anecdotes du Minifiere de monter au haut de ces tours , que le tremblement de terre avoit ébranlées, Sc d'employer les macons a fonder les murailles , pour en dreffer fon rapport. Le réfultat fut qu'on n'avoit rien découvert.- Ala fête de Noël , le Provincial crut qu'il étoit de fon devoir d'aller faluer le . Cardinal Saldahna, & 1'OfHcier de la garde lui permit de fortir; il fe fit annoncer au Cardinal, mais ce Prélat refufa de 1'admettre a fon audience, &ii lui fit dire par un de fes gens , qu'il étoit fort étonné de favoir qu'il eüt otë mettre le pied hors du College, après la défenfe qui lui en avoit été faite. Henriquez eut beau repréfenter avec toute la modeftie poffible, que les lettres , qu'on lui avoit écrites a ce fujet , ne lecomprenoientpas dans cette défenfe : il requt pour réponfe une injonftion de regagner au plutót fon College, oü on lui enverroit des ordres plus clairs & plus précis. Ils ne tarderent pas en effet, car dès le lendemain , défenfes furent faites aux fentinelles de laiffer fortir aucun Jéfuite , a moins qu'il ne fut muni d'une permiffion de la main du Patriarche. Le jour des Saints Innocens, le Pere Malagrida fut mandé par le Cardinal. On le conduifit d'abord au Palais du Patriarche , oü perfonne ne lui paria : de-la, il fut emmené a 1'hótel du Miniftre , qui Pattendoit, On ne fait pas pofitivement  du Marquis dt Pombal. LiV. III. 189 ce qui s'y dit. Tout ce qui en a tranfpiré, • c'eft qu'il y fut queftion du Maragnon ; 1 &£ comme ce Pere connoiffoit parfaite- ' ment cette colonie , on prétend qu'il déclara au Miniftre, que la conduite qu'on tenoit depuis peu, ne manqueroit pas d'y tourner au défavantage de 1'Etat & a la ruine de la Religion. On croit aufli qu'il infifta pour obtenir la permiffion de parler au Roi, alléguant qu'il avoit des chofes «ffentielles a communiquer, & que le Miniftre lui répondit que 1'état aétuel du i Prince exigeoit qu'on le lailïat tranquille ; ! mais qu'il pourroit le voir & lui parler fitót qu'il feroit guéri. On dit que ce fut par cette défaite qu'il le congédia ; & la garde qui 1'avoit amené , le reconduifit au -College. Cependant le bruit fe répandoit qu'on alloit exécuter la Nobleffe, détenue dans les prifons. La garnifon ordinaire de Lifbonne étoit groffie par plufieurs Régi- . 1 mens , qui y arrivoient joumellement. Tous les Officiers , que l'on croyoit attachés aux Tavora, avoient été caffés ou ïncorporés en d'autres Régimens éloignés de la Capitale. Carvalho craignoit un foule- • vement de la part du peuple , qui étoit finguliérement affecüonné aux Tavora, & qui les regardoit comme des innocens perfécutés. C'eft pour cela que Pexécution ne fe fit pas a Lisbonne, mais au village t~ endus crlm 7n feul Jue léclamt vntre Vin*  ] XXVI. Lieu de i'exécution. F.t ce que faifoit le Roi pendant ce ttmps-la. 194 Anecdotes du Minijlere ans enfans, il avoit eu raifon de fe recrier :ontre cette injuftice, mais que pour eux ls avoient dü prendre des ménagemens, xioins par égard pour eux-mêmes que }Our leur familie. On tient ce trait d'in(igne prévarication, de la bouche d'un Prince a qui Buccalao 1'avoit conté. La fentence fut rédigée & écrite non par le Sénateur Cordeïro , mais par Carvalho même. Auffi fit-elle 1'étonnement de tous les Jurifconfultes de 1'Europe , qui n'y trouverent ni le ftyle ordinaire, ni les formalités effentiellement requifes. C'étoit plutöt une fatyre qu'une fentence , & on fut furpris d'y trouver des pages entieres extraites des libelles, que le Miniftre avoit déja fait paroïtre. Cependant on voyoit s'élever a une hauteur démefurée 1'échafaud, oü devoit fe confommer le dernier afte de cette fanglante tragédie. II étoit dreffé a une demi-lieue de Ia ville, vis-a-vis de Villaregia, appartenante au Duc d'Aveïro. On pouvoit aifément la découvrir du chateau,, oü le Roi tenoit aétuellement fa Cour, Sc l'on prétendit que ce Prince , pendant 1'exécution, regardoit a une de fes fenêtres a 1'aide d'un télefcope. Cette anecdote eft trop obfcure pour avoir quelque vraifemblance dans 1'hiftoire d'un Roi chrétien, & même dans celle des délits ordinaires de la foibleffe humaine , j'aünerois mieux adopter ce que  du Marquis de Pombal. Liv. III. 19^ d'autres ont dit, que le Roi paffa dans la folitude, & dans une impreffion profonde d'amertume & de douleur, le temps d'une i fi terrible exécution, eüt -elle eu même ! pour vrai but la confervation de fes jours. On peut croire ce que quelques - uns 1 ont écrit, que ce Prince a ignoré jufqu'a. fa mort les traits d'injuftice & de barbarie exercés contre tant d'illuftres têtes; mais pour cela , il faut fuppofer ce qui eft vraifemblable , que Carvalho étoit parvenu , par un tiffu de crimes, a. les lui figurer atteintes & convaincues de Pattentat fiêfif & fimulé, dont il étoit le feul inventeur. Le 13 Janvier, étoit le jour marqué pour cette effrayante fcene. Óutre les foldats diftribués dans tous les quartiers de la ville , on avoit tiré plufieurs compagnies de chaque régiment, pour former un large cordon autour du lieu de I'exécution. Elles devoient être k portée de voir ce qui fe pafloit, mais affez éloignées pour ne rien entendre. La cavalerie placée derrière le cordon , tenoit en reipecl: la populace & 1'empêchoit d'avancer. Le cceur palpitoit k tous les fpeftateurs dans 1'attente du fanglant fpeétacle qu'on leur préparoit. Les prifonniers ne devoient paroïtre que fucceffivement. Peut-être vouloiton leur öter la confolation de fe voir & de fe parler pour la derniere fois. L'infortunée Marquife fut la première victime I i xxvir. slppareil formidable de cette terrible exécution.  P vers gen' ies e jutflices, 196 "Anecdotes du Mlnifttrc que l'on immola. La fentence portoit rpa'eöe feroit décapitée, enfuite bridée après les autres exécutions, avec 1'échafaud fktous les fuppliciés morts ou encore palpitans. Le bourreau , lui ayant tranche la tete , jetta fur fon corps une toile cirée. Une demi - heure après, on amena fon fecond fils , & ainfi le; autres, laiflant entre chacan le même intervalle de tems. On finit par le Marquis de Tavora & le Duc d'Aveïro. La nature femble fe refufer au detail de tant de cruautés. La fentence du Duc , après 1'avoir dégradé de fa nobleffe & dépouillédes titres de 1'Ordre de St. Jacques , le condamnoit a être précédé du crieur public , & conduit la corde au cou fur 1'échafaud , pour y être rompu vif & exoofé fur la roue, jufqu'a ce que les exécutions finies , on le brülat vif avec tous les complices. L'échafaudage devoit fournir le bois de ce bücher , & les cendres réunies fe jetter dans la mer. Tous leurs biens furent confifqués. Le Marquis de Tavora fut condamné aux mêmes peines. La fentence d'Antoine Alvarez Ferreïra & de Jofeph-Polycarpe Azevedo , qui devoient avoir laché les coups de fufil fur le Roi, portoit d'être attachés a deux grands poteaux & brülés vifs , mais comme le dernier avoit pris la fuite , ou plutót que ce n'étoit qu'un perfonnage imaginaire &fuppofé, dont perfonne ne connoiffoit 1'exif-  du Marquis de Pombal. Lrv. III. 197 tence, il fut brule en effigie , ck l'on promit dix mille cruzades a quiconque !e faifiroit fur les terres de la dominaticm du Portugal, ck le doublé, fi on 1'arrêtoit chez 1'étranger ( a ). (aj Quelques Nouvelliftes ont prétendu retrouvet eet Azevcdo. On a vu dans différente* gazettes Partiele fuivant. » Dans les premiers jours de ce mois (Jan» vier 1783 ), le fameux Jofeph-Polycarpe de Aze» vedo , jadis valet-de-chambre du Duc d'Aveïro , sj eft mort a Lisbonne, a 1'Hopital-général; il avoit » pris la fuite au moment oü il apgtit que fon mal» tre étoit arrête. C'eft le même Jofeph - Polycarpe „ déclaré coupable d'avoir tiré fur le Roi. Ce parui ticulier fe voyant prés de mourir , a confelTé au » Prêtre , qui 1'a aflifté dans fes derniers momens, a> qu'il étoit vraiment coupable du délit dont il avoic » été accu ie , k 1'a fupplié de rendre après fa more » fa déclararion publique, de peur qu'on n'accufat » de fon crime quelqu'innocent; il a ajouté qu'il ne » s'étoit jamais éloigné de cette ville ( de Lisbonne), » & que pour fubfifter il avoit fait dans les mes le » commerce d'encre a écrire, fans que perfonne 1'aic » jamais reconnu «. Pour apprécicr ce conté il fufEt d'obferver que le prétendu Polycarpe apris la fuite, & que cependant il ne s'ejï jamais éloigné de I.ifbonne. Bilocation ou réproduftion dont jufqu'ici on avoit contefté la poffibilité aux Théologiens. Polycarpe refte a Lisbonne lors même qu'on le pe^d en effigie, que fon maitre eft exécuté , qu'on cherche pai-tout fa tête mife a prix. Quel courage Si quelle confiance! De plus, il ne fe cache pas, il ne garde «as même la maifon. C'eft dans les rucs qu'il fe tient, il aberde même tout le monde pour leur vendre de 1'encre. Mais .,0 metveille! 6 fafcination plus étonnante que toutes celles du Dofteur Fauft! Polycarpe n'eft reconnu de perfonne. Valet-de - chambre du Duc d'Aveïro, fon confident & 1'cxécuteut de fes defleins fecrets , il eft connu dans toute la ville de Lisbonne ou il y a plus de ico.ooo ames. Mais bxülé eu effigie il n'eft plus connu de perfonne; wut I 1  198 Anecdotes du Minijïere Louis Bernard de Tavora, dont 1'époule étoit traitée avec tant d'égards , Jéröme , Comte d'Atouguia , Jofeph-Marie de Tavora, agé de vingt- quatre ans, Akle-deCamp fous fon pere, Gouverneur de la Province de Beïra;Blaife-Jolèph Romeïro, &C Jean Miguel, tous deux attachés au les traits de fon vifage , toute la conformation de fon corps ont paffe dans la peinture patibulaire -r pour lui il devient parfsitement autre , Sc cela conftamment & perlévéramment, de maniere que depuis *7S9; jufqu'a fa morr 17S3 , perfonne n'a jamais, imaginé de 1'avoir rencontré, quoiqu'il ne ceffad'être un inftant au milieu de fes concitoyens, de fes connoill'ances, de fes amis.... Enfin il meurt, & déclare i un Prêtre que c'eft lui le malheureux Polycarpe. Pourquoi cette déclaration ? Sa Majefté la Reine regnante , après un raür examen & une caufe contradiftoirement difcurée , a reconnu innocenres toutes les petfonnes accufées de la prétendue confpiration ; elle a fait grace de la vie a Carvalho ep le declarant coupable. Carvalho n'a pas réclamé contre ia contlamnation. II n'y a donè plus d'innocent en danger d'être facrifié. La crainte du prétendu Polycarpe eft parfaitemeut Yaine....Le Prêtre dépoütaire de la déclaration a t-il engagé le malade a lui donner de 1'authenticité, a en drefler un afte , a 1'attefrer devant des témoins?.... Ce Prêtre qu'on ne nomme pas, eft-ce un homme de bien , digne de la confiance publique, incapable de fe prèter a quelque menée fourde , de fe lailTer foudoyer par un partï défefpéré de voir la prétendue confpiration s'en aller en fumée > Comme fon rapport eft la feule preuved'un fait iï extraordinaire, & même comme on vient de le voir, iï miraculeux, il mérite bien d'être connu. . . . D'après fa dépofition a-t-on du moins fait venir les gens attachés au .Duc d'Aveïro ou con«oiffant fa maifon, pour favoir s'ils reccnnoifloiene fur le cadavre quelques traits de Polycarpe ?.... N'eft-  du Marquis de Pombal. LiV. III. 199 feivice du Duc d'Aveïro , étoient condamnés a étre étranglés fur 1'échafaud , enfuite rompus & bndésli tous leurs biens pareillement confifqués. Les enfans & petitsenfans déclarés infames, leurs hotels (k chateaux rafés, leurs armes brifées partout oüellefe trouveroient. Ces deux der- ce pas infulter le public que de lui propofer a croire de teiles extravagances? N'eft-ce pas outrager la Religion que de chercher dans fes fecours , fes Sacreinens & fes Miniftres , les moyens d'accréditer les menfonges les plus mal-ourdis!.... A des raifonnemens péremproires quoiqu'inutiles contre de telles abfurditrs, ajoutons des preuves de fait. Un Seigneur des plus relpedïables du Portugal écrit a un Nonce du St. Siege,en date du 19 Avril 1783, ce qui fuir. »♦ Plus d'une fois on a répandu le bruit que Ie fa» meux Polycarpe vivoit, mais cela n'a jamais été » vérifié. Durant Ie Miniflere de Pombal on a con» duit a Lisbonne un homme chargé de fets qu'on » difoit être ce Polycarpe , mais la chofe n'ayant » pu fe foutenir , il ne rarda pas a être élargi. Vos =» gazettes n'ont donc parlé que d'après des relations »> romanefques Sc mêrue abfurdes. Car li Ie fameux » Polycarpe étoit mort dans 1'Hopital de cette ville , » on en auroit parlé comme de la chofe Ia plus » étonnanrej tqutes les rucs de Lisbonne eulTent ré» tenti de fon nom , chacun auroit voulu le voir, » même après fa mort; & pour un crime auflï atroce *> que celui qu'on lui a imputé, on n*auroit pas man» qué d'exécuter Ia fentence fur fon cadavre. Mais » rien ne s'eft dit, rien ne s'eft fair. Ainfi vos ga» zettiers font ou trop crédules ou peut-être de niau>• vaife foi. » II confte donc que ce Polycarpe n'a jamais exifté , qu'on ne 1'a jamais connu en Portugal, qti'oti ne 1'a pu conféquemment retrouver nulle part, & que ceux qui ont ptétendu Ie retrouver, ont dü dire nécefiairement toutes les abfur lités qu'on lit dans ces vcridiques gazettes. I 4  XXVIII. Ti^its d'une cruauti rafjinéc. ». V. Liv.V. N°. LXX & fuiy. 5.00 Anecdotes du Minijferc niers articles ne furent pas entiéremenc exécutés. Carvalho fe donna le plailïr barbare d'ajouter un raffinement de eruauté a 1'exécution de eet arrêt fanguinaire. II fit corrduire ces Seigneurs au lieu du fuppiice dans le déshabilié oü quelques-uns fe trouvoient nn mois auparavant lors de Penlevement... Quand le marquis de Tavora parut , la cavalerie , dont il étoit Général en chef r eut ordre de lui tourner le dos par trois fois en figne de mépris. Dès qu'un d'eux étoit monté fur 1'échafaud , on lui faifoit confidérer ceux qui palpitoient encore fur la roue , Sc on levoit le tapis qui couvroit le corps de la Marquife Sc de ceux qu'on venoit d'étrangler. Le bourreau avoit ordre de les expédier lentement y laiffant un affez long intervalle entre chaque coup de barre, fe fervant d'un gros marteau pour brifer Sc broyer en quelque facon les os des jambes Sc des bras dans toute leur étendue-*. Carvalho s'étoit placé dans une ferme voiline , pour être a portée de eet horrible fpeftacle , dont il efl tems que nous détournions les yeux pour nous livrer aux réflexions , qui fe préfentent naturellement a 1'efprit. Et d'abord il eft a remarquer que la fentence portée le 12 fe trouva imprimée Sc diftribuée le 13 : ce qui faifoit croire avec affez de fondement, qu'une piece auffi longue étoit fous preffe avant qu'elle  du Marquis de Pombal. LlV. III. aoi eut été.fignée par les Sénateurs, cl'autant plus que laHypographie eft mal fervie en Portugal, & que nommément les preffes de Rodriguez, qui imprimoit pour Carvalho , étoient peu fournies d'ouvriers ck de caraéteres. A la leéfure de cette fentence, dont 1'injuftice étoit fi palpable, la furprife & 1'indignation furent générales. C'eft un fait démontré aujourd'hui que les Seigneurs fuppliciés étoient innocens; que la coniuration n'eft qu'une chimère; que les Jéfuites y furent iinpliqués fans raifon ; que le Roi ne fut ni bleffé ni malade ; que la procédure eft un tiffu de fauffetés ck de calomnies, & que la fentence étoit 1'ouvrage de la haine & de la cruauté du Miniftre. II s'étoit vanté qu'il détruiroit trois fortes de perfonnes, les Nobles , les Jéfuites, & ceux qui blameroient fa conduite. Auffi Ie vrai crime du Duc & du Marquis , étoit de s'être expliqués librement fur fon adminiftration tyrannique, d'avoir parlé avec mépris de ce nouveau parvenu, & d'avoir témoigné leur indignation de ce qu'il ofoit prétendre faire épóufer fa belle-fceur au Duc de Cadavallos, dont la fceur étoit deftinée au Marquis de Govea, fils du Duc d'Aveïro. Une alliance fi bien affortie ne pouvoit être que ternie par celie du Duc de Cadavallos avec la belle-fceur de Carvalho. tCe Miniftre, pour s'en venger, , 1 S xxrx. Etonn jue caujk :ctte /entente. Le vrai crè» me du Vve & du Mm* quis vis-a— vis de Cosvaiho.  XXX. Uavarice eut grande part a fes injufiices. 'Ies hijoux ies Dames profcrites paffent a fa jille. 2.02 Anecdotes du Minijlere ck empêcher le mariage du Marquis de Govea, fit porter un Décret royal, qui défendoit a la fceur du Duc de le marier avant que fon frere eüt au moins deux enfans males d'un mariage légitime. II faut cependant obferver, que le Roi lui-même auparavant avoit figné le contrat de manage & approuvé les fianqailles. Mais le Miniftre abufant -de fa faveur, réformoit les Edits, commandoit les jugemens, minutoit les fentences, ck régloit tout avec un pouvoir abfolu. Ainfi pouffa-t-il fa vengeance jufqu'a. des excès, qui font horreur, ck dont fes ennemis devinrent les infortunées viétimes. II faut cependant convenir que 1'avarice eut grande part a fes cruautés. II commenqa par envahir la meilleure partie des biens confifqués. II fe fit nommer a la charge de Grand-Maitre, qu'avoit poffédé le Duc d'Aveïro , ck partagea entre fes créatures les emplois devenus vacans par la mort de ces illuftres fuppliciés. Sa fille, qui peu de tems après fut mariée a D. Emmanuel Sampayo, eut en partage tous les bijoux des Dames d'Aveïro, de Tavora, d'Alorno, d'Atouguia, & elle parut le jour de ies nóces chargée de ces fanguinaires dépouilles. C'eft ainfi que eet homme faifoit fervir fa cruauté a fon infatiable cupidité. Faut-il enc®re être furpris, que la haute Nobleffe, le Clergé &: même les Princes du Sang  du Marquis de Pombal. LlV. III. 203 pliaffent fous le joug de fa tyrannie, & qu après la barbare exécution, dont on venoit d'être témoin , chacun tremblat pour ioi, prmcipalement ceux qui avoient du bien ? car on favoit qu'il n'en falloit pas davantage pour être criminel a fes yeux. Afin que rien ne s'oppofat aux vues fecretes de fon ambition, & pour mieux cimenter fa puifïance, il avoit établi un nouveau Tribunal fous le nom Ülnconjïdence, & aboli celui qu'on nommoit le Jugement de la Couronne Royale. C'étoit a ce dernier Tribunal qu'étoient attribuées les caufes des Grands du Royaume. II étoit compofé de vingt-quatre Juges. Celui cle 1 lnconfidence, qu'on lui fubftitua , n'avoit que fix Sénateurs choifis par le Miniftre. Ce furent eux qui prononcerent 1'inuifte' fentence; aufli cette fentence ne préfente qu'un amas d'accufations vagues , oü la a vraifemblance n'eft pas même obfervée. ' ?,?. ny ,trouve pas le moindre veftige de delit mdiciairement prouvé. II n'y eft fait mention ni de défenfe, ni de confrontation, ni d'aveu, ni de conviftion. Les témoms, que l'on cite, étoient morts pour Ia plupart avar: '0 prétendu affafïinat; ceux qui vivoient, étoient des gens üniverfellement décriés & qui ne méritoient aucune créance. Toutes les circonftances qu'on releve, ont Pair d'une fable groffierement inventée ,& portent manifefI 6 xxxr. Tribunal i'Inconfiience éta'li. Jugenent de la -ouronne 'tvli. 3ïxxir. D'-J'cuJJion e la fcn?nce.  xxxrn. Faits hors de vraifemhlance. XXXIV. ISembre dt 104 'Anecdotes du Minijlere tement rempreinte de 1'impofture. Le tems choifi pour 1'aiïafïinat eft celui, oü le Roi avoit declaré qu'il ne fortiroit point & ne donneroit aucune audience , a raifon du deuil pris pour la Reine d'Efpagne. On ne voit perfonne a la fuite du Roi, fi ce n'eft le cocher qui Ie conduifoit. Ön avance que les Tavora fe préparoient depuis deux jours a exécuter leur attentat. Mais de qui tenoient-iis que le Roi devoit fe trouver feul pendant la nuit dans ce lieu écarté ? Le cocher en auroit-il été informé deux jours auparavant, pour le leur faire favoir? Et n'eft-ce pas au moment oü le Roi montoit en carroffe, qu'on lui défignoit oü il devoit aller? D'ailleurs comment un Roi timide 6k toujours tremblant, qui n'avoit dans 1'efprit que I'image des conjurations , aux' yeux de qui Carvalho faifoit fans cefte étinceller des poignards &des épées nr.es, ck qui croyoit voir par-tout des meurtriers apoftés pour 1'affaffiner, comment, prévenu de ces frayeurs, auroit-il ofé, fans autre efcorte que fon cocher, s'engager de nuit dans un chemin écarté pour fe rendre a une méchante ferme, dont les murailles étoient toutes crevaffées par le grand tremblement; car c'eft-la que le Miniftre le fait aller pour s'y diftraire ck calmer fa douleur. Ce réduit étoit-il bien propre a diftiper fon chagrin? Parmi plulieurs contradiftions qui ont  du Marquis dc Pombal. LlV. III. 10? été relevées dans cette fentence, je ne , m'arrête qu'a celles qui regardent Pafiai- « finat même , & qui fe fuccedent dans un petit nombre de lignes. On y fait menticn de deux carabines chargées de mitrail- les Peu après, chargées de gros plomb. Le coup 'glijjd , dit-on, & ne fit que percer le derrière du carroffe Enfuite fix coups pénétrercnt d la poitrine du Roi, & le Clururgien dut faire plufieurs incijians pour en retirer une quantité de plomb..... On lit plus bas. Le coup, tiré par derrière, pajfa entre les bras & les cótes , & ne fit qiCeffiiiirer légérement Vépaule droite pardevant... Cependant on ajoute , que le Roi perdit beaucoup de Sang.. • On dit encore affailli par tant de coups, il neut de blejfures qu'au bras Puis : // eut des blejfures confidérables & mortelles. Autant de propofitions & de faits, qui fe détruifent mutuellement. Les abfurdités ne ie bornent pas la. On continue & l'on ajoute que le Roi , fe voyant grlévement bleffc , & perdant beaucoup de Jarig, au lieu de retourner au Palais , qui étoit proche , ou a la maifon de Carvalho fituée clans le voifmage, fe fait conduire chez un petit chirurgien de campagne, qui demeuroit a plus d'un quart de lieue de-la. Que tout bleffé qu'il eft, il fouffre le cahos de fa voiture ; enmi, qu'il arrivé tout épuifé & qu'il veut fe confeffer , avant que l'on ïbnde fes plaies, & qu'on y applique 1'ap- ontradlc* lens, XXXV, Abfiiiditét,  XXXVI. Détails fu per flus & ri dicules. 2.0(5 Anecdotes du Miniftere pareil. On lui fait trouver fort a propos, fans dire d'oü ni comment un Miniftre Evangélique. C'eft par cette expreftion finguliere & qui fent le proteftantilme, que l'on prétend défigner un Confeffeur. Dès que le Roi a mis ordre a fa confcience, il s'abandonne au chirurgien , & après 1'appareil, il s'expofe de nouveau au mouvement du carroffe pour regagner fon Palais. Mais pendant tout ce temps - la que faifoient les conjurés , auxquels il étoit fi facile de fe défaire d'un homme feul & de fon cocher ? Oii étoient ces chevaux fameux, que la fentence défigne par leurs noms, tx que les affaffins s'étoient procurés avec tant de foin pour faire leur coup ? Oii étoit le fidele Carvalho lui-même, qui affeftoit tant de zele pour la confervation de la vie de fon Prince ? Oü étoient les autres courtifans, les Officiers , les Gardes-du-Corps ? & a quoi s'occupoit la Familie Royale, & la Reine elle-même ? Perfonne ne paroitToit s'inquiéter de la longue abfence du Prince. Que fignifïent encore dans une fentence ces difcours que l'on fait tenir aux conjurés , honteux d'avoir manqué leur coup ? D'Aveïro s'emporte contre fon fufil, qui 1'a mal fervi, & il le met en pieces. Tavora doute de la mort du Roi, mais on la lui confirme. Le jeune Tavora voudroit favoir ce qu'eft devenu Jean Mïguel, laquais du Duc d'Aveïro. On les fait s'aflembler  du Marquis de. Pombal. Lrv. III. 207 Ie lendemain chez ce Duc; ils y tiennent enfemble leur confeil tout a leur aife. Les femmes y font admifes. Les Jéfuites en font exclus. La on exhale fa bile contre la mal-adreffe d'Alvarez ck de Polycarpe ; c'étoient les deux aflaffins, qu'on difoit fubornés a prix d'argent, ck a qui l'on devoit avoir fait prendre des armes extraordinaires. La fentence fait encore remarquer qu'on leur avoit promis vingt piftoles par tête , ck que tous les conjurés fe cötiferent pour former cette fomme. Si l'on paffe aux impoftures , qui fe trouvent dans cette fentence , on y verra que le Duc d'Aveïro étoit lié d'une amitié intime avec les Jéfuites. Ce fait eft entiérement controuvé. Ce Seigneur n'entra jamais dans leurs maifons, ck on le vit rarement dans leurs Eglifes. Cependant , fi l'on s'en rapporte a la fentence, ce Duc fe mit k fréquenter les Jéfuites après qu'ils eurent été bannis de la Cour, ck c'eft dans leurs maifons de St. Antoine ck de St. Roch qu'il forma avec eux fon déteftable projet. En parlant de ces Peres, on ne les défigne ni par leurs noms, ni par leur nombre; ils vouloient, dit-on, qu'on fit périr le Roi pour changer le Miniftere , qui leur déplaifoit : mais pour cela ne fuffifoit-il pas de fe défaire du Miniftre ? Le Roi rendu a luimême, auroit fuivi dans fon gouvernement un autre fyfteme, ck ils auroient XXXVTT. Impojiurti,  XXXVIII. Tramei contre D. Pedre, Son ConfeJfeurCoflcmis a la aueftlon. XXXIX. Tour edïeux que l'on donn aux exerci ces de la rt traite, XL. Préfomp tions de droit infoi tenables. xo3 Anecdotes du Mlnijlert pu fe flatter d'être contens. II eft encore dit que les mêmes Peres avoient afiüré le Duc d'une entiere impunité; comme s'ils euffent ignoré que la Princeffe du P>réfil , en montant fur le Tróne , n'auroit pas manqué de pourfuivre les affaffms de fon Pere & de fon Roi. Le Miniftre cherchoit toujours a envelopper D. Pedre dans la prétendue conjuration, &£ il fit 'faire les plus exa&es informationsa ce fujet. Le P. Cofta, Confeffeur de ce Prince, fut mis a la queftion, ; & il lui fit fubir une cruelle torture, pour en arracher quelques aveux favorables a fes prétentions. Quelques jours après la fanglante exécution, le bruit courut clans Lisbonne que Dom Pedre feroit arrêté le jour même que le Roi avoit marqué pour fon voyage de Salvaterra. Mais Dieu, qui veilloit a la confervation de ce Prince, fit avorter ce nouvel attentat. On parle encore dans la fentence des i affemblées qui fe faifoient chez les Jéfuites ; mais elles s'y tenoient publiquei ment, & c'étoit pour les exercices de - la retraite. On y admettoit indifféremment tout le monde; & tout s'y paffoit a découvert. Ce n'eft pas ainfi que fe trament de noirs complots. On avance & on adopte une maxime • de la derniere fauffeté; favoir, que dans . un délit de cette nature, fi les preuves viennent a manquer, les fimples pré-  Iu Marquis de Pombal. LïV. III. 133? vérirïé au Parlement, & envoyé en 1761 a tous les Evêques de France. La fureur du Miniftre fut alors parfaitement fecondée par tous les ennemis de L'Eglife, ou comme le dit Clément XIII dans fon Bref au Card. Spinola, Nonce en Efpagne, par une infinité de libertins de tous lés pays. Chaque jour enfantoit de nouveaux libelles. Journaliftes tk gazettiers , tous étoient aux gages des émiffaires de la caba1'e anti-chrétienne pour les annoncer tk les répandre. Au milieu de Rome tk au mépris du St. Siege, l'impofture & la calomnie tenoient leur attellier dans 1'hotel du Commandeur Almada. Lefameux Pagliarini y préfidoit, tk le public étoit inondé de fatyres ck de farcafmes. Les chofes allerent fi loin que le Pape fe vit obligé de le bannirde 1'Etat Eccléfiafiique ; mais s'étant retiré a. Lisbonne, il y fut nommé Direfteur de 1'Imprimerie Royale. II obtint des lettres de nobleffe ck un fupplément a la fomme de douze cents écus romains d'appointemens , qui tui avoient dé]a été afiignés, lorfqu'il étoit a Rome C'étoit donc dans la Capitale du Monde chrétien, fous les aufpicesdu Miniftre de S. M. Très-Fidelle , tk prés du (a) Aprcs li difgrace du Miniftre, le Marquis d'Angeya lui fignifia de la parr de fa Souveraine, qu'il pouvoit tetourner dans fa patrie , d'aurant qu'o> a'avoit pas befain de lui a Lisbonne. LXITt. Froteöionv accordée h l'imprimeur en ddpit du.. Souverain jponuje.  LXIV. lettres d'tu grand nom. Pre d'Evc fues en faveur des Jéfuites. LXV. Carvalhc ciangt ies Inauifiteurs, 134 Anecdotes du Miniftere St. Siege, que fe forgoient tous les traits qu'on lancoit contre le St. Siege même ck contre les Jéfuites. On y porta la méchanceté jufqu'a faire paroïtre fous le nom de ces Religieux des fatyres fanglantes contre le Röi. On avoit foin cle les faire paffer en Portugal & de les mettre fous les yeux du Monarque , pour 1'aigrir de plus en plus. Ces arfreux libelles qui fe ; multiplioient a 1'infini, ck qui fe reproduiiirent en France , réveillerent le Corps Epifcopal. Plus de cent quatre - vingts Evêques de clifférentes nations, plufieurs Cardinaux, les trois Elecf eurs Eccléfiaftiques écrivirent a Clément XIII pour le conuirer de prendre en main la défenfe des Jéfuites , a qui ils rendoient le témoignage le plus avantageux. Le filence, la modeftie & 1'inaltérable patience de ces Peres lailfoient le champ libre k 1'animofité de Carvalho , qui ne ceffoit d'accumuler a leur charge les fauffetés, les plus abfurdes. Le public, témoin de eet acharnement, n'ignoroit pas ce qu'il en devoit penfer. Le Miniftre s'appercevant de 1'eftime générale dont ils jouiffoient,crut que le moyen le plus fürpour les décrier, feroit de les traduire au Tribunal de 1'Inquifition : mais il falloit y établir des juges qui entraffent dans fes vues, & qui fuffent k fa dévotion. La qualité cle Principal cle la Patriarchale étoit incompatible avec celle d'Inquifiteur, U il étoit  du Marquis de Pombal. Liv. III 23 "f fans exemple qu'on les eüt reünies fur une même tête. Carvalho, fans y avoir égard, nommalnquifiteur, fon frere Paul Carvalho Mendoza, & lui conferva fa dignité de Principal. Le point capital étoit d'écartër le Grand-Inquifiteur, Dom Jofeph frere du Roi, car il avoit trop de probité pour qu'on fe flattat de le gagner. Le Prince, a la vérité , venoit de donner un Mandement mais fans y faire mention des Jéfuites. II lë contentoit de dire , qu'ayant été informé par les lettres de S. M. que la derniere conjuration auroit été füfcitée par la doctrine perverfe de certaines perfonnes, il étoit de fon devoir d'en arrêter le cours. II y ajoutoit que celle, qui autorifoit des maximes capables de préjudicier a la füreté & a la confervation des Rois, avoit été déja depuis long-temps condamnée par les Souverains Pontifes , & qu'elle étoit aftuellement bannie de toutes les écoles, comme elle le méritoit. II finiffoit par enjoindre a. tous & chacun, fous peine d'excommunication , de venir déférer dans Pefpace de trente jours quiconque feroit connu pour avoir enfeigné ou débité des opinions fi juftement profcrites. Ce Mandement du 2 Mai 17^9, ne fe concilioit pas avec ceux des Evêques, qui adhéroient aux fentimens du Miniftre. II en fut indigné , & dans fa colere il concut le noir deffein d'envelopper fon illuftre lxvi. Mandement lu Grand'nquifiteurD. Jofeph, IXVII. "arvalho en fi offenjé.  ixvirt. 11 le fait trainer en prifon avec fon frere D. Antoine. ». Liv. n. N». XI. Note. LXIX. 11 lui fubf. titue fon frere Paul , tontre les Canons. LXX. Saijie gé u-ê ale des Colleg's de Frovinces. Anecdotes du Miniftere auteur avec D. Antoine, fon frere , clans le complot cle PalTaffinat ; & il 1'executa. Ces deux Princes furent ignominieufement faifis & confinés dans descachots*. Enfuite bravant 1'autorité du Souverain Pontife , qui devoit effentiellement intervenir dans la promotion du Grand-Inquifiteur , il conféra cette dignité a fon frere Paul, fans en donner avis au St. Siege. Avant cette entreprife, les Inquifiteurs s'étant répandus dans, tout le Royaume pour y prendre des informations , aucun Jéfuite ne fiat dénoncé, aucun ne fut cité devant les Inquifiteurs, aucun ne fut détenu dans leurs prifons, & il n'y eut ni fentence , ni peine décernée contre eux r ce qui, dans des circonftances auffi orageufes , peut être. regardé comme une preuve authentique de leur innocence. Après la faifie des biens & la détention des Jéfuites de Lisbonne, en vertu de la Lettre Royale , du 19 Janvier , les Sénateurs fe tranfporterent dans les Provinces pour 1'y mettre également en exécution. On tira des garnifonsun grand nombre de troupes pour inveftir les Colleges. Tout fe fit dans le plus grand fecret. Au même jour & a la même heure, tous les Colleges du Royaume devoient être occupés par les foldats. Le jour choifi pour cette opération étoit le 5 de Février, ce qui cependant ne put s'exécuter auffi ponftuellement qu'on 1'avoit projetté , paree que  du*Marquls dc Pombal. Liv. III. 2.37 les troupes ne purelit fe rendre tovites au jour marqué. Par ce retardement, les Jéfuites des maifons qui n'étoient pas invefties, furent avertis du fort auquel ils devoient s'attendre : mais la connoiffance qu'ils en eurent , ne leur fit faire aucune démarche pour fe mettre a 1'abri des pouriuites du Miniftre ; tant Pinnocence leur infpiroit de confiance & de fécurité! La feule chofe, qui leur parut mériter leur attention pendant qifils étoient en liberté , fut de payer les dettes de leurs maifons , afin que leurs créanciers ne fuffent pas fruftrés de ce qu'ils avoient a prétendre , comme il arriva ailleurs , pour n'avoir pas •eu le tems ou le moyen de les fatisfaire. Voici le réglement qui fut prefcrit pour rendre cette faifie uniforme. Un cordon de troupes devoit d'abord environner les Colleges, & un détachement fe répandre dans 1'intérieur & en garder foigneufement toutes les ifTues , fans permettre 1'entrée ni lafortie a perfonne. Le Sénateur, accompagné d'un Notaire, devoit fe tranfporter auffi-tot a la chambre du Procureur, fe faire préfenter les livres de ccmptes, tous les papiers , & 1'argent de la cailTe. Enfuite il fe faifoit ouvrir les archives & s'emparoit de la clef. De-la , on fe rendoit chez le Refteur & le Préfet de 1'Eglife. On leur défendoit tout rapport avec les perfonnes de dehors. On procédoit a 1'inventaire des meubles, dans le plus mi- txxr. Reglement obfenépour cette Jaijie. LXxri. Inventaire & rente des elfets.  Lxxni. Garde con tinuelle. 138 Antcdotes du Mlnijlert nutieux détail, Sc on mettoit tous les biens en fequeftre. On affignoit environ douze fois, monnoiede France, par jour achaque particulier. On faifoit paffer les domeftiques en revue , ck après leur avoir fait rendre un compte exact, on renvoyoit ceux qu'on ne jugeoit pas néceffaire au fervice du College. Leurs gages étoient affez mal payés. Le médecin, le chirurgien 8c le barbier n'étoient introduits dans la maifon qu'avec précaution, ck ils étoient fuivis par-tout d'une fentinelle, qui devoit obferver jufqu'a leurs geftes. On procédoit enfuite a la vente des provifions de bouche , qui fe trouvoient dans le College , ck elles fe livroient a vil prix aux étrangers , tandis que les Peres devoient fe nourrir chéreinent, fur la ration qui leur étoit accordée par jour ; les Sénateurs en tout cela n'étoient que les exécuteurs des inftructions qu'on leur avoit données , Sc ils n'auroient ofé prendre fur eux de s'en éloigner. La garde qui fe renouvelloit chaque jour, étoit compofée d'un Capitaine, d'un Lieutenant Sc d'un Enfeigne k la tête de foixante hommes. Chaque foldat étoit muni de douze cartouches k balie. Les fentinelles du dehors devoient empêcher qu'on ne pafLat fous les fenêtres Sc le long des murs des Colleges , Sc il leur étoit enjoint de faire feu fur quiconque feroit mine  iu Marquis dt Pombal. LiV. III. ±45 fnt cependant point la faute du Sénateur Albert Caftelbrancos , qui étoit trop humain pour demeurer chargé d'une ccmmiffion oü il entroit tant de dureté. L'eau vint a manquer dans cette maifon. Les Trinitaires & les Religieufes du Chrift eu* rent foin d'y pourvoir auffi long-tems que le Miniftre n'y mit point d'empêchement; car dès qu'il en fut informé il chargea le Cardinal de leur en intimer la défenfe. Un grand nombre de families diftiiïguées fe fignalerent dans ces triftes circonftances par des traits de commifération d'autant plus héroïques qu'ils pouvoient les expofer a la colere du Miniftre. Les honnêtes gens ne voyoient qu'avec la plus vive douleur tant de vexations qui venoient 1'une après 1'autre accabler des innocens. Quant a Magallanez , il avoit le cceur trop dur pour en être touché , & il fe refufoit a. tout ce qui auroit pu procurer quelque adouciffèment k ces Peres, quoique d'ailleurs il ne parut guere content de fa commiffion. II en fit luimême 1'aveu un jour que le Supérieur lui repréfentoit les befoins de fa Communauté. » Je ne puis rien, lui répondit-il d'un ton outré : » Je ne fais même quels font mes » pouvoirs. Je ne fuis ni Adjoint, ni Secré» taire; je fuis tout ce qu'il plait a ces Mef» fieurs ; quelquefois Secrétaire , quel» quefois Commiüaire, & fouvent rien. Le Sénateur Moura préfidovt a 1'exécuL ï lxxxv t. Un empccht de porter de l'eau a cet Peres, lxxxvii. Charité dtt citeyens, r.xx-xvm. Durett de Magalla- St fes tyeux. lxxxk. Biem'eil-  lanct du Si' "ateurMoure. XC. Scandal' dans l'E- XCT. Va l nes récherchesJ'aites pour trouver un tréjor. 7.46 Anecdotes du Minijlere tion du College de St. Antoine, tk cet Officier, qui n'avoit jamais pratiqué les Jéfuites , fut tellement touché de leur inaltérable patience au milieu de ces épreuves, qu'il devint leur plus zélé partifan , & qu'il s'appliqua a adoucir leur fort , en tempérant, autant qu'il étoit poffible, les ordres féveres qu'on lui donnoit, 8c ne les executant qu'avec tous les ménagemens imaginables. Dans leur embarquement pour PItalie, il regretta de ne pouvoir les fuivre. Les prieres de quarante heures, qui fe faifoient fucceffivement dans toutes les Eglifes de Lisbonne, fe célébroient le 5 Février dans celle du College de St. Antoine. Pendant que le peuple y affiftoit a 1'Office divin, on vit entrer tout-a-coup une troupe de foldats, qui fe mirent en devoir de faire fortir les Fideles, Sc de faifir les Jéfuites. On n'eut que le temps de defcendre le St. Sacrement Sc cle le renfermer précipitamment dans le Tabernacle. Ainfi la confufion Sc le tumulte fuccéderent a la dévotion. Quelque jours avant leur détention , les Jéfuites avoient fait préparer dans leur jardin un carré pour y planter des arbres fruitiers. Un forgeron qui avoit vue fur ce ]ardin, s'en étoit appercu fans fonner le moindre foupcon. Mais entendant parler de tréfors cachés que l'on difoit être dans le College, Sc voyant que pour les  du Marquis de PombaL Liv. III. 247 découvrir on faifoit d'exaétes recherches , il lui yint a 1'efprit que l'on pouvoit avoir enfoui de 1'argent dans le terrein qu'il avoit vu bêcher. La crainte du Miniftre & Pefpoir d'en être récompenfé Pengagerent a aller lui dénoncer 1'objet de fes conjectures. Celui-ci fait venir le Sénateur Moura, & lui commande de fuivre les indices que le forgeron lui donnera. C'étoit le jour même de la Pentecöte. Le lendemain on affembla une quarantaine d'ouvriers, que l'on fit travailler a 1'endroit indiqué. La populace ayant entendu dire que Pen cherchoit des tréfors, s'étoit affemhlée fur une éminence d'oü l'on découvroit le jardin, &y pouffoitde grands cris. On fouilla pendant deux jours entiers, & l'on parvint enfin a rencohtrer un canal, par lequel s'écouloient les immondices d'une maifon Reügieufe contigue au jardin. Cé fut la feule découverte que l'on fit, & cette rechercfie ïnutile , jointe a la profanation des deux fêtesdeia Pentecole, couvrit de confufion ceux qui y avoient donné lieu. Pereïra, dont nous avons parlé , avoit encore la furintendance des Peres du Noviciat, &ilne les traitapas avec moins de rigueur que les autres : illui échappa même des traits d'une fordide avarice, qu'il faut paffer fous filence, pour abréger. De fon ■ cöté le Cardinal Saldahna , devenu Patriarche , agiflbit de concert L 4 x<"ir. Saijie du ^oviciut, xeur. Uragt /»  jour de la cenfécratïon du nou' ttau Patriarche. xciv. Vjentefaite avec afj'cétation pour en impofer au peuple, xcv. l e ¥. Laeï' j> ejl oublié 148 Anecdotes du Minïjlere wee le Miniftre pour aggraver les peines de ces Religieux. Dès qu'il eut pris poffefnon du Patriarchat, il ne voulut pas permettre a quelques Monafteres de filles d'envoyer déformais des charités pour la fubfiftance de ces Peres. Le jour de fa confécration fut fignalé par un événement, dont le peuple déja troublé par tout ce qui s'étoit pafte, Sc prompt a trouver de nouveaux alimens a fes alarmes, tira de mauvais préfages. Cette cérémonie fut troublée par un orage affreux. La foudre gronda toute la journée, 8c le tonnerre tomba dans onze endroits différens de la ville. Le feftin, qui fuivit la cérémonie, & qui avoit été préparé avec foinptuofité , fut abandonné par les convives, qui ne fongerent tous qu'a fe difperfer, tant la confternation étoit générale. On avoit tranfporté nuitamment les plus beaux meubles de 1'hötel de Tavora au Noviciat, k deffein d'en faire la vente publique, & de donner k croire au peuple , qu'ils appartenoient k ces Peres. Mais perfonne n'y fut trompé. Les Officiers, les foldats , les porte-faix mêmes, qui avoient préfidé ou travaillé k ce tranfport, difoient ouvertement aux enchériffeurs, que ces meubles fi précieux venoient de 1'hötel de Tavora, Sc n'avoient jamais appartenu aux Jéfuites. II y avoit k portée de la ville une maifon de campagne du Noviciat. Le P. Jo-  du Marquis de Pombal. LïV. III. 149 feph Caeïro , Ecrivain de la Compagnie , s'y étoit retiré pour y travailler plusa loiiir. II y étoit feul au moment de 1'exécution, le Frere qui le fervoit , s'étant trouvé alors au Noviciat, ck ayant été enveloppé dans la déren rion commune. Dès les premières nouvelles de cet événement, Caeïro fe difpofoit i partir, pour fe rendre a Lisbonne ; mais le Provincial lui manda de la part de Saldahna de ne point quitter fa retraite. II y paffa feul cinquante-neuf jours dans de grandes inquiétudes. Cependant il n'y demeura pas oifif. II enrploya tous fes momens a ramafiër des mémoires fur les événemens qui agitoient le Royaume, ck a mettre par écrit les récks que des perfonnqs inftruites ck dignes de confiance venoient lui faire (a). C'eft une efpecedemerveille que cePere eutéchappé aux recherches du Miniftre. II n'étoit qu'a un mille de la ville; tout le monde le^favoit, & lui-même ne cherchoit pas a s'en cacher. Pereïra venant a prendre connoiffance de cette campagne , pour en favoir la valeur & le produit, apprit dü (aj Ces Mémoires, que }*ai cönfultés , fe trouvent yarfaitement d'accord avec rout ce que les Auceurs impartiaux ont écrit fut cette matiere; avec le témoignage des perfonnes exiftantes encore, & échappées a ia ftireur du Miniftre ; avec la conduite dc la Rtine cegnanie & les divers décrets émanés par fes ordres; enfin avec tous ies tvénemens qui ont fuivi la tnox't du- Roi, L 5 dans vr,el\sfidwe.  On le ra- ■mene au Noviciat. XCVI. Dit ention de ceux dt Setubal. Et (tEvora. liruits répandus. 2^0 Anecdotes du Minijiere Reéteur qu'il y avoit la un Religieux de la Compagnie, qui y demeuroit depuis quelques années , ck qu'il y étoit refté par 1'ordre de Saldahna. Au lieu d'en donner avis au Miniftre, comme le cas extraordinaire paroiffoit 1'exiger, il ne le dit qu'a Cordeïro. Celui-ci connoiffoit ce Pere ck lui étoit affeétionné : ce fut-la fon falut. Sansconfulterle Miniftre, qui n'auroit pas manqué de faire emprifonner Caeïro , il envoya un détachement pour le ramener fourdement au Noviciat , & le confondre fans bruit dans la détention commune. Mais fans nous arrêter plus long-tems aux maifons de la Capitale , ou nous aurons occafion de revenir, parcourons rapidement celles des Provinces, pour n'obferver que ce qui s'y fit de particulier. A commencer par celle de Setubal, que le tremblement de terre avoit prefqu'entiérement détruite ,il faut remarquer qu'après ce fatal événement, ces Peres furent obligés de conftruire desbaraques dans leur jardin pour s'y loger, ck que cette circonflance aggrava leur détention. Auffi regarderent-ils comme un adouciffement a leurs maux d'être enfuite transférés k Lisbonne. Dès qu'on fut entré dans le College d'Evora , le bruit fe répandit en ville qu'on les mafïacroit; les habitans conflernés s'attrouperent autourdu College ; ckles fol-  XXIII. Injujïice S fauffeté de cette accufation. * Liv. III. N'.CXIV. XXIV. Conduite de Pereïra. 2» Antcdotcs du Minifare liberté , ck que S. M. Très-Fidelle , touchée des prieres qu'il lui en a fakes , a donné ordre aux Sénateurs ck aux Officiers de garde , de recevoir ces lettres , pour les lui remettre fans délai , ck de leur faire paffer fa réponfe. Ce Patriarche oublioit fans doute, que peu de jours auparavant , il leur avoit fait fignirïer la défenfe expreffe, de la part du Roi-même, d'écrire a qui que ce fut, ck que les Officiers ck les foldats étoient chargés d'y veiller de prés. II y a plus encore : car a la faifie de la plupart des Colleges, on leur avoit enlevé plumes, en ere ck papier; ce qui rendoit illufoire la défenfe qu'on leur faifoit. Auffi ce Décret ayant été communiqué aux inférieurs , ils déclarerent aux Sénateurs ck aux Officiers, pour la décharge de leurs Supérieurs, que jamais ils ne les avoient gênés fur cet article. On peut fe rappeller ce que le Sénateur Gama répondit au P. Cajetan Jofeph, qui demandoit la permiffion d'écrire au Pvoi ck au Cardinal, ck ce qui lui arriva pour avoir ofé le faire *. Les Sénateurs fentirent parfaitement combien cette imputation fake aux Supérieurs étoit injufte. Péreïra feul, qui préfidok au Noviciat de Lisbonne, au lieu cle leur intimer le Décret, 1'avoit fait afficher a la porte cle 1'Eglife en dehors. Le public en eut connoifTance , ck les intéreffés n'en ilirent rien. On prétendoit par ce manége ag-  du Marquis de Pombal, LlV. IV. 287 graver leur ignominie. Celui du Cardinal Patriarche vifoit a détacher les jeunes gens de la Société. II y en eut deux qui' lui ecnvirent en effet, mais c'étoit pour qu'il leur fut permis d'aller prendre les bains que les Médecins avoient ordonnés, comme 1'umque remede a un relachement de nerfs , dont ils étoient atteints. Cependant cette permiffion leur fut refufée; on n'en accordoit que pour la ruine des ames & non pour la fanté du corps. Dans ces triftes circonftances, on amena d Af nque deux Peres garottés. Ils y avoient fubi une prifon de cinq mois dans le Fort de Mazagan, oü ils avoient eu beaucoup < a iouffnr , auffi-bien que dans la traver-J ies. Ces mauvais traitemens leur vinrent' de la part de Jofeph d'A-Cunha , Gouverneur Frere de Louis d'A-Cunha 1'ami du Miniftre. II eft certain que fans les ioins & les attentions charitables de Pierre Kodnguez Prêtre de 1'endroit, tk de Didace Mendonca Secrétaire d'Frat dit gracié par 1'intrigue de Carvalho & relegue depuis peu dans cette fortereffe * ils ' euffent été les viftimes de tant de dure- : tes. Ils refterent pendant trois jours dans le port fans aucun foulagement ,& de-la ris furent enfin conduits k la maifon du iNoviciat. Dès le mois de Mai, tk même avant que d eenre k Rome au nom de fon Prince * le Miniftre avoit loué un vaiffeau de tranf- { XXV. rirrhée de leux Mif'iannairesVAfrique "lts prifonilers. tiv.I.N» KXVIII. xxvr; '^ijT-au de -anj'port -été par le tonijirt.  XXVII. Conjeduret ■a ce fujet. XXVIII. Départ du College d'Elvas. (a) II y en a douze fur la cóte occidentale d'Afrique. L'air y eft chaud & mal-fain. ( b) Ifte d'Afrique dans le Golfe de Guinee. (*■) Ville d'Afrique dans la Nigritie. ( d) C'eft la principale des Ifles Acores, entre 1'Afrique & 1'Amérique. Les Portugais y teléguerenr leur Roi Alphonfe VI. Les ï88 Anecdotes du Minijierc port , tk il étoit convenu avec le patron de ce qu'on lui payeroit par mois, mais fans s'expliquer fur la deftination. Cela piqua la curiofité de quelques - uns, qui conjefturerent qu'on avoit deffein de fe fervir de ce vaiffeau pour embarquer les Jéfuites tk les jetter fur les cötes d'Afrique. Carvalho même , fans trop fe décider , fortifia ces foupqons. Dans fes débauches de table , il lui échappoit fouvent de parler des Ifles du Cap-Verd(a ), de SanThomé (é) , de Cacheo (c) , tk de Tercere (^). Comme il ne fe plaifoit qu'a augmenter la confternation de ces Peres, il avoit loin de leur faire parvenir indireftement des bruits propres a les alarmer. On leur avoit déja infmué qu'ils pourroient dans peu fe voir raffemblés a Lisbonne , tk ils ne douterent pas que ce ne fut pour être tranfportés dans ces Ifles. En effet, le premier de Septembre, le Juge d'Elvas annonqa aux Jéfuites cle ce College qu'ils devoient partir le foir du même jour. Ils étoient au nornbre de trente-huit, paree qu'on y avoit réuni ceux de Villa-Viciofa tk de Portalegre.  du Marquis dï Pombal. Liv. IV. 2.89 Les gardes furent redoublées, Sc tout contribua a rendre a ces Peres la route laborieufe & accablante. Ils ignoroient le terme oü on les conduifoit, Sc il étoit févérement défendü a ceux qui ies efcortoient de leur parler. Après une traite pénible pendant toute la nuit, on les entaffa le matin dans une chaumine, oü ils eurent beaucoup a fouffrir de la chaleur. La terre leur fervit de lits Sc de chaifes, Sc fans un certain Bernardios, que Pintérêt animoit plutot que la pitje, ils n'euffent pas eu un morceau de pain. C'étoit un Dimanche. Une Eglife fe trouvoit dans leur voifinage, mais il ne leur fut permis ni d'y dire la Meffe ni de 1'entendre. Ils fe remirent en chemin fur le foir, Sc vers minuit, on les refferra dansunréduit femblable au précédent, fans leur donner aucune nourriture. Le lendemain, troifieme jour de leur pénible marche, après avoir été expoiés a toute 1'ardeur du foleil, Sc n'avoir mangé a la hate qu'un morceau de pain, ils arriverent au College d'Evora a onze heures de nuit. Ceux de Faro traités avec tous les égards, que le Juge de cette ville ofa fe permettre , y arriverent au nombre de douze le cinq du même mois, un peu après minuit. Pendant ce tems-la , Carvalho, avoit changé d'avis, Sc il tranfpira dans le public, qu'il préparoit au S. Pere un préfent, qui, difoit-il, devoit lui être très-agréable. N XX LX. JMouvais traitemens en route. fis arrii ent i Evora. XXX. CaryatTÏ» fe iêcide a les mvoyer  dans les lltats du Pape. X)n fépar* les Profes d avec les ttutres,& 01 les tranfporte d'Evora, XXXI. Trifte a: enture d\ P. Pereïra XXXII. Defolatioi générale dans ce trinfportt 190 Anecdotes dn Minijlcrt On fentoit affez qu'il s'agiffoit de mettre le comble aux infultes déja faites au Souverain-Pontife, en déchargeant dans fes Etats plus cle quinze cents R.eligieux, y compris ceux des Indes, ck en lui laiffant , le foin de pourvoir a leur fubfiftance. Une nouvelle rufe, qu'il employa, pour exécuterle deffeinqu'il avoit de conferver dans le ' Royaume ceux qui n'avoient pas fait leurs derniers voeux, fut de les féparer d'avec les Profès. Cette féparationfe fit d'aborda Evora. Soixante-neuf Prêtres enpartirent, y laiffant une nombreufe jeuneffe dans une grande défolation. La route qu'on leur fit prendre étoit affreufe, les befoins extrêmes, ck la pnvation de fecours univerfelle. Le P. Antoine Péreïra, vieillard vénérable par fa doctrine ckpar fes emplois, ' ayant paffé trois jours ck trois nuits dans une agitation continuelle ck prefque fans nourriture, eut la tête fi épuifée , qu'il en devint frénétique. Dans fon tranfport, fe montant fur un ton de dëclamateur, il reprocha vivement a 1'impitoyable Novaïo 'la dureté avec laquelle il les traitoit. On vint cependant a bout de le calmer un peu, au moyen des fomentations qu'on lui appliqua. Les foldats, les payfans 1 ck les chartiers, rebutés eux-mêmes par 'les fatigues ck les c'hemins impraticables, avoient compaffion de ces pauvres Religieux , ck murmuroient hautement contre. les auteurs cle tant d'indignes traiteraens.  ■du Marquis dt Pombal. Liv. IV. 191 Enfin après fix jours cle fouffrances, de dangers tk de précipices fréquens dans une route malicieufèment alongée de moitié par les détours qu'on prenoit pour les donner en fpectacle, ils arriverent au bord du Tage, excédés de faim tk épuifés de 'fatigues. On les y rec-ut dans quatre bateaux, tk on les y laiffa un jour tk une nuit expofes en plein air, en y attendant les ordres du Miniftre. Ils y fouffrirent infmiment de 1'ardeur du foleil tk de la foif qui leur brüloit les entrailles. Le ié Septembre, au point du jour, vint 1'ordre de les embarquer a bord du vaifTeati •Ragufien, qui les attendoit. Ceux de Santaren les fuivirent de pres. Ils étoient partis le 11 de Septembre a -onze heures de nuit. Arrivés au bord du '■ Tage, on les mit fur trois chaloupes aux j .ordres d'Andrada; enfuite fur deux bar- « ques. Le Juge Nobrios avoit eu 1'attention de leur fournir tous les vivres néceffaires ■pour la joumée, ne fe doutant pas qu'on les arrêteroit dans leur courfe. Mais contre fon attente, il furvint des exprès coupfur-coup chargés des ordres du Miniftre-, pour qu'on ne defcendït le fleuve que très-lentement. Quoiqu'il fe trouvat plufieurs villages le long du Tage, oü l'on eüt pu fe procurer des vivres, les Sénateurs ne permirent a perfonne d'v abor- ■der; tellement que'les foldats eurent beau¬ coup a iounxir cie la faun aufli-bien que N 2 ■7ïV xxxrrr. E mbarque. 'ent, & ce u'eurcnt a ouff'nr ceux eóantarcn.  XXXIV. Ies Profetie Lisbonn fontconduits a bor du vaijfeau a-OA Anecdotes du Min ijlere les Peres , avec cetre différencc , qve i ceux-ci ne fe permettoient aucune plainte, &C que les premiers avec les Officiers s'a- j bandonnerent ouvertement aux murmures | contre des ordres fi oppofés a 1'hnmanité. Ces Jéfuites étoient au nombre de vingteinq. On mit trois jours ck quatre nuitsl a faire le trajet d'une petite journée, & On les conduifit directement au vaiffeau de tranfport. Cette même nuit furent raflemblés pour 1'embarquement les Profès de la maifon : ProfefTe , du College St. Antoine, &r. du i Noviciat. Ceux-ci, avertis depuis deux jours de fe tenir prêts , n'avoient pa fermé Tceil, dans 1'attente du dépai t. Au troifieme jour étant reftés fur pied jufqu'a minuit, & ne s'imaginant pas qu'on dut les faire partir le lendemain ió Septembre , paree que c'étoit un jour de Dimanche, ils étoient allé fe coucher : mais a peine furent-ils au lit que le Sénateur Pereïra, accompagné d'un Capitaine a la tête del ■fa compagnie, diftribua les foldats dansf chaque- chambre , ck ordonna qu'on fitj lever les Peres, & qu'on ne leur laiffai emporter que ce qu'ils devoient avoir fua le corps. Ce ne fut qu'après bien des infl tances qu'on leur permit d'aller faire unej courte priere k 1'Eglife avaut de partita • encore les foldats eurent-ils ordre de lel y fuivre. Quelques Freres Coadjuteura comptant de leur être affociés , s'étoient  du Marquis dt Pombal Liv.. I\ . Z93 joints k eux, mais ils furent comtraints cle s'en féparer, ck cette feparation occafionna une fcene cles plus touchantes. Le Capitaine ck les foldats en furent. attendris. Ils conjurerent ces Peres de leur donner leur bénédidion ck de leur pardonner ia rigueur, dont ils ufoient malgré eux. Ces Religieux du Noviciat étoient au nombre da lept. On les conduifit fur le feord du Tage, ck on les y laiffa pendant plufieurs heures, jufqu'a ce qu'un Officier, qui en eut compaflion, pria le Sénateur de leur permettre de fe retirer dans une maifon voifme, ckd'y attendrele moment de 1'embarquement. _ _ , A peine avoient-ils quitté le Noviciat qu'ils v furent remplacés par fept autres Peres 'de la maifon ProfefTe. Deux Officiers du Roi en avoient enlevé les Peres Veiga ck Jean deNorohna, fils du Comte d'Arcuez. On croit qu'ils furent tranfportés au loin dans cles maifons Religieufes, pour y être gardés ck renfermés le refle de leur vie; ck on en ufoit ainfi , clifoiton, en confidération de leur familie. Par la même raifon, le P. Camera, oncle du Comte de Ribeïra;le P. D'a-Cunha, frere du Comte Povolidez; le P. Francois de Portogallo , frere du Marquis de Valenqa, ck le P. Jpachim-Xavier, furent auffi emmenés en'différens couvens. Le refte, au nombre de clix, fut transféré au Noviciat, ck on les y fit paffer la nuit dans unc N 3 XXXV. Enlevdment Je Jix' Peres.  XXXVI. Situation ie ceux que Von avoit tmbarquts. 29^ Anecdotes du Miniftere chambre fi écroite, qu'ils ne purent ni le coucher, ni même fe retourner, tant ils étoient ferrés les uns contre les autres. Pereïra vint le matin , prendre lèurs noms, & les conduifit au vaifleau fousbonne garde. On avoit'eu foin d'écarter les chaloupes & les barques du port, afin que perfonne ne put ni les voir nileur parler. Le vaiffeau étoit bordé de fentinelles. Une chaloupe pfeine de lol— dats en faifoit fans ceffe la ronde. Trois Sénateurs & un écrivain fe tenoient a lapoupe pour recevoir le nom de ces exilés , a mefure qu'on les embarquoit; puis on les faifoit defcendre au plus bas étage. On leur permit néanmoins dans la fuite de prendre un peu Pair, mais non de monter jufqu'au tillac ni d'approcher des bords. Ce ne /ut pas une légere confolatioft pour eux après tant de traverfes, de fetrouver rëünis. lis étoient au nombre de cent trente-trois tous Prêtres & Profès, a r'exceptïon d'un petit nombre de Prêtresaon Profès, qui par une heureufe méprife trouverent joints aux autres. Ils s'embrafferent mutuellement, & témoignerent leur contentement, malgré 1'incommodité du Lieu. Ceux de Santaren & d'Evora, qu'onivoit menacés des prifons de Carvalho, k qui apprenoient dans ce moment qu'on illoit les tranfporter non en Afrique, maissn Italië, ne pouvoient revenu de cetts  On les embarque pour l'balie. LX. Autre embarquement, On mouïllt a AUrfeille itï Anecdotes du h'lnïjlire rent hors cle la ville, la cavalerie vint relever les foldats, qui les avoient efcortés, rk ceux-ci, en les quittant, fe jetterent i genoux pour leur demander pardon des mauvais traitemens qu'ils avoient été obligés de leur faire contre leur inclination. Leur marche fut retardée par les pluies ck par 1'obfcurité de la nuit. Ils n'arriverentque le 6 d'Oétobre a Vallada , d'oü ils defcendirent le Tage, pour aller joindre le navire deftiné a les conduire en Italië. Ils étoient au nombre de cinquante-huit; on en referva fix pour les prifons d'Azeytan, ck le refte fut embarqué. Le même jour on en avoit amené cinquante-neuftirés des autres prifons pour les mettre fur un fecond navire de tranfport, qui les attendoit k 1'embouchure du Tage. Parmi eux fe trouvoit le P. Jean-Népomucene Szluka, Jéfuite Hon.grois ck Miffionnaire du Brélil. 0a 1'avoit pris pour un Pere "Portugais, & cette méprife lui fauva la liberté. Le 7 d'Oftobre après minuit les cleux navires appareillerent, étant un peu mieux approvifionnés de vivres, que le premier. Six jours après, ils pafferent le détroit de Gibraltar. A la hauteur des Ifles d'Hieres, une violente tempête qui s'éleva la nuit les obligea d'entrer dans la rade de Marfeille , oü ils s'y tinrent fur. leurs ancres. Le lendemain 2.6 Octobre les patrons des deux vaiffeaux permirent k cleux Jéfuites dë chaque navire de defcendre avec  èu Marquis Je Pombal. LïV. IV. 313 avec eux pour fe procurer des rafraichiffemens ck cles remedes pour les malades. Ils trouverent dans les Jéfuites de Marfeïlle des entrailles fraternelles , ck le P. Bofcovich qui y étoit alors , fe fignala, en leur donnant des marqués cle la plus tendre ck de la plus généreufe charité. Le foir du x6 on remit a la voile, ck le 6 de Novembre, on parut a la hau teur 1 de Gênes. Les Jéfuites cle cette ville avoient ' mandé k ceux de Marfeille de dire aux exilés , en cas qu'ils y relachaffent, que le Sénat leur avoit accordé la permiffion de les recevoir dans leur College ; mais cette permiffion fut révoquée , ck on foup- ■ qonna le Miniftre de Portugal d'en avoir ' été la principale caufe. Selon la conven- 1 tion paffee avec les deux patrons, le débarqueraent devoit fe faire a Gênes paree qu'ils avoient refufé d'aller prendre terre a Civitta-Vecchia, a caufe que la route leur en étoit inconnue , ck qu'ils ne vouloient pas en courir les rifques; mais on a tout lieu de croire, 'que Carvalho fit requérir fecrétement le fénat de Gênes de s'oppofer au débarquement ftipulé , afin d'obliger les patrons de gré ou de force, a continuer la traverfée jufqu'a Civitta-Vecchia. On ne permit donc qu'au feul Miffionnaire Hongrois le P. Jean-Népomucene, de deficendre pour regagner fon pays. Du refte, pendant les dix jours que les batimens furent dans le port, plufieurs perfonnes de ?» reliiehe '. Gênes. Défenfe de ü. part du ïénat de f. endre erre. ixr. Un Jéfuitt Hengruis a,  fa permiffion de fe retirer en fon Pays. LXIT. Arrivée a Livourne. ïmcommod'v és qu'ils eu rent a y fouffrir. 314 Anecdotes du Miniftere la plus haute diftinftion vinrent vifiter ces exilés , tk leurs confrères cle Gênes leur fournirent tous les rafraichiffemens poffibles. Ils firent en outre intervenir 1'autorité du Sénat pour engager 1'un ou 1'autre de ces navires a tranfporter les Jéfuites Portugais a leur deftination , tk ils s'obligeoient a le défrayer. Les Capitaines y confentirent. En conféquence il fut réglé qu'on raffembleroit tous ces Peres fur un feul vaiffeau pour les débarquer dans 1'Etat Eccléfiaftique , a. condition qu'on mouilleroit a Livourne en paffant 'pour y décharger quelques marchandifes. Le 16 de Novembre on remit a la voile, & le 19 ils arriverent a Livourne. Le Gouverneur inftruit de la conduite des Génois, crut devoir s'y conformer : c'eft pourquoi il ne permit pas que les Jéfuites quittaffent leur bord. Cependant le fé jour fe prolongeoit dans le port, tk le maïtre du navire paroiffoit oublier fes conventions. L'incommodité, que foüffroient dans ce petit batiment les paffagers entaffés les uns fur les autres au nombre de cent feize, leur fit prendre le parti d'écrire a Florence au Gouverneur Général du Grand-Duché de Tofcane, pour le fupplier de leur accorderce qu'on ne refufe ni aux Juifs ni aux Maures. Mais leur lettre demeura fans réponfe, (kils pafferent prés d'un mois dans cette trifte fituation. Les vivres commenqoient k leur manquer  du Marquis dt Pombal. LlV. IV. 315 & les Jéfuites cle Livourne étoient trop pauvres pour y remédier. Mais ce qu'ils ne purent faire par eux meines, ils ticherent d'y fuppléer par les charités qu'ils folliciterent St qu'ils recueillirent. Enfin le Gouverneur ordonna lui-même au patron de fortir du port Sc de continuer fa route. Le 16 de Décembre on mit a. la voile avec peu de provifions Sc beaucoup de malades, A peine furent-ils au large qu'une violente tempête les affaiKit, cc ils fe virent deux jours entiers en grand danger. Heureufement ils trouverent k fe refugier a Porto-Longone, oü -le Gouverneur leur défendit de defcendre, jufqu'a ce qu'ils euffent fait la quarantaine. Cependant, pour leur adoucir Pamertume de fon refus , il fe fit conduire en chaloupe jufqu'a leur vaiffeau, Sc leuf dit les chofes les plus obligeantes , en s'excufant fur la néceffité de la loi. Ce que je puis vous permettre , leur ajouta-t-il en leur montrant un lieu écarté , c'eft cle prendre terre fur cette cöte voifine. Le défert 1c plus affreux devenoit pour eux un féjour délicieux, en comparaifon de cette demeure flottante , oü ils ne refpiroient qu'un air raal-fain. Ils profiterent avec empreffement de la condefcendance du Gouverneur, Sc allerent entre les rochers joüir d'un air pur. Mais ce foulagement fut bientöt après fuivi d'un nouveau danger , qui penfa les faire tous périr. La O % 1XIIT. lis fr réjh~ fient a Porto-Longoxe. Tetnp&eï  LXIV. lis reUchcnt'a Porto-Hercole. * 1760. lis arrivent enfin h Civitta- Veechia. A Rome ö i CajtelCandolfe. 1XV. Edit de bannijjementpublic aLiJbonne. 316 Anecdotes du Miniftere nuit , avant qu'ils fortiffent du port, ils effuyerent un coup cle vent, qui alloit porter le vaiffeau contre cles écueils, ck qui les menacoit d'un naufrage inévitable. Les Peres devenus matelots réunirent la force a 1'adreffe , ck firent fi bien que' le pilote avoua qu'on étoit redevable de la confervation du navire k 1'intelligence de leur manoeuvre. Ils partirent de Porto-Longone le 28 Décembre ; mais le gros tems , dès le lendemain, leur fit chercher un nouvel abri a Porto-Hercole, oü il leur fut pareillement défendu de prendre terre. Enfin le quatrieme de Janvier * ils aborderent fur le foir a Civitta-Vecchia, après une navigation de quatre-vingts-dix jours depuis leur- fortie de Lisbonne. Ils furent requs avec la même charité que ceux du premier débarquement. On prit grand foin des malades ck on les conduifit fucceffivement a Rome, ck de-la a CaftelGandolfe. Pendant que ceux-ci étoient tranfportés en Italië, on publioit a Lisbonne TEdit de banniffement. On affeda de le dater du 3 Septembre, qui étoit le jour anniverfaire du prétendu affaffmat du Roi, quoiqu'il ne fut enrégiftré que trente-un jours après, c'eft-a-dire, le 4 d'Odobre. On étoit perfuadé que Carvalho 1'avoit antidaté par une malice réfléchie, pour qu'on fe rappellat la mémoire du prétendu  du Marquis de Pombal. Liv. IV. 317 régicide. Au refte ce n'étoit, comme les autres de fa facon, qu'un amas de raifonnemens, d'imputations & de calomnies abfurdes & très-mal-adroitement prélentées. Les Portugais en le lifant , ne pouvoient s'empêcher de plaindre 1'ayeuglement du Roi, dont on furprenoit fi groffiérement la religion , ck que 1'bn déshonoroit a la face de 1'Europe, e\i proftituant fi indignement fon auguftenom. En effet, on y débute par un pompeux éloge de la clémence du Prince, tandis que tous fes fujets gémiffoient fous la pefanteur du joug, qu'on leur impofoit. Le Miniftre met enfuite dans la bouche de fon Souverain un détail de ce qui s'eft paffé dans Paffaire des limites eh Amérique, ck des trois armées, qu'il a fallu combattre. II appuie toutes ces fables fur de prétendues lettres du Marquis de Valdelyrios , que ce même Marquis, de retour a Madrid, défavoua folemnellement. H avance avec une confiance étonnante , que fi l'on ne fe fut haté de réprimer les ufurpations des Jéfuites du Bréfil, il ne leur auroit fallu qu'une dixaine d'années , ck même moins, pour fe mettre en état d'y réfifter aux forces réunies de toute 1'Éurope : ck il ne craignoit pas de faire figner k fon Roi une pareille extravagance ! Une nouvelle imputation aufli mal digérée vient k la fuite de tant d'abuirdités i c'eft d'alléguer que les Jéfuites, O 3 FaujTétés contemiest dans cet Edit.  ■ Rifutaiion de cesfaufj'etét. jiS Anecdotes du Miniftere qu'il traite de bandits, de fcélérats, d« confpirateurs contre la perfonne facrée du Roi, de perturbateurs de la paix publique , & d'ennemis de tout bien , ont porté 1'orgueil ck la témérité jufqu'a renifer de fe foumettre a 1'autorité du Cardinal Patriarche établi par le St. Siege pour les faire rentrer dans leurs devoirs & les réformer. Après ce merveilleux préambule , il fait dire au Roi qu'unc expérience de plu's de deux fiecles démontre éviclemment que la confervation d'entretenir avec les Jéfuites le moinclre rapport, n'étoit encore qu'un artifice pour faire illufion au peuple par Pefpece d'autorité facrée, que paroiffoit donner k cette lettre royale la publication qu'on en fit dans toutes les Eglifes a la fuite du Mandement du Patriarche. Mais cet artifice ne réuffit pas, perfonne n'en fut la dupe & l'on regarda ce Mandement du Cardinal comme Pouvrage du feul Miniftre. Les moins clairvoyans y reconnurent fans peine 1'enflure de fon ftyle ,. la hardieffe de fes affertions, 1'atro, cité de fes impoftures & de fes calomnies. * Ces Peres y étoient accufés d'avoir follicité des Princes étrangers , que l'on ne nomme pas, a. envahir les domaines de la Couronne. Les Jéfuites de Rome n'y étoient pas épargnés : on les chargeoit d'avoir encheri fur les crimes de ceux du Portugal ; on les déclaroit criminels de lezemajefté & complices de la conjuration. On leur imputoit d'horribles blafphêmes contre la.perfonne facrée du Roi, &£ d'en être venu k un tel excès de témérité, que de lui donner un démenti formel, en réfutant des pieces qui avoient été fïgnées de fa main & revêtues de fon fceau. On a déja vu que ces pieces calomnieuies étoient de la compofition du Miniftre, qui Jurprenoit la fignature de fon Maïtre , ou même comme on le croyoit a Lis-  du Marquis de Pombal. LlV. IV. 323 ■bonne , qui contrefaifoit d'ordinaire le feing du Roi, pour fe couvrir de fon au-gufte nom, & braver la cenfure» Mais en fuppofant pour un moment que les Jéfuites de Rome , qui voyoient leur Compagnie opprimée en Portugal, auroient laiffé échapper quelques plaintes de vive voix ; car il eft certain d'ailleurs qu'on n'en pouvoit produire aucune par écrit; devoient-ils donc paroïtre fi condamnables de s'être défendus d'une accufation injufie ? Carvalho auroit-il prétendu que tous baiffaffent humblement la tête & reconnuffent pour des vérités , ce qu'il avancoit contre leur Compagnie, qu'elle n'étoit qu'un affemblage de fcélérats ? Vouloit-il empêcher qu'on ne s'entretinr & chez eux & au dehors dans toute 1'Europe des violences & de la tyrannie de fon defpotifme ? Les Portugais en parloient eux-mêmes plus que les autres nations. A la vérité la terreur, qu'il répandoit dans tous les ceeurs, ne leur permettoit pas de ie faire ouvertement; mais ils s'en dédommageoient en fecret & dans le fein de leur familie Sc de leurs confidens. Le Cardinal, dans fon Mandement, fait: beaucoup valoir 1'obéiffance que tout fujet doit a fon Souverain, & il a foin de la bien prefcrire. Nul ne penfoit a s'y fouftraire ; mais les perfonnes timorées & inftruites n'entendoient pas devoir la porter auffi. loin que lui, en donnant tête baifTée O 6  Ce Mendeluentejjexé' 324 Anecdotes du Miniftere dans tout ce qu'il y avoit de plus injufie 8i de plus abfurde. Dans le même Mandement, il eft fait mention de la conjuration des Jéfuites Portugais , non contre la vie, mais contre fhonneur du Roi. En cela il paroiffoit s'éloigner du fens de la lettre royale, & par une méprife pardonnable dans un chaos de contradiclions, il appliquoit aux prétendus confpirateurs contre les jours du Prince, ce que la lettre attribuoit aux Jéfuites de Rome , qu'on accufoit d'avoir attente a fon honneur. Enfuite, fans dire un feul mot du commerce qu'il leur avoit fauflement fuppofé, ck dont il les avoit déclaré atteints & convaincus peu de jours après la réception du Bref de Benoit XIV, il fe plaint de ce que la commiffion, dont on 1'avoit chargé , n'avoit encore produit aucun effet. En cela il fe trompe ; car elle avoit déja eu tout le fuccès que Carvalho s'en promettoit; c'eft-a-dire, les ignominies , les vexations , les calomnies ,. les miferes de toute efpece , 1'exil, & même la mort de plufieurs. II finit en réitérant la défenfe de comjnuniquer avec ces Peres, qu'il traite de perturbateurs du repos public, ck il exhorte le peuple de prier Dieu, pour qu'il éclaire ces malheureux & leur faffe connoitre leur aveuglement & leurs crimes. Ce Mandement donné a Junqueira étoit daté du 5 Odobre 1759, & par les lettres  du Marquis de Pombal. LIV. IV. 315 de Sa Majefté , il étoit ordonné au Cardinal de le publier inceffamment. Mais il avoit déja été exécuté en partie, puifque dès le mois d'Aoüt de la même année, ce Patriarche follicitoit inftamment les jeunes Jéfuites , & même les Profès de fe parjurer, en acceptant la démiffion qu'il leur offroit. C'eft ce que l'on voit par la lettre qu'il écrivoit le 31 Aoüt au Sénateur Caftro, chargé de 1'exécution des Jéfuites de Conimbre. Celui-ci, muni de cette lettre , leur en manda le contenu par un billet, dont voici la teneur : » Malgré la décadente » du corps Jéfuitique , bien different des » autres Ordres Religieux , qui fe font » toujours maintenu dans une louable ré» gularité , il peut fe faire que plufieurs « d'entr'eux ne foient pas encore infeftés, » & pour cette confidération, le Grand » Cardinal Saldahna , en fa qnalité de Vi» fiteur ck de Réformateur Général, m'a » communiqué fes pouvoirs, ck m'a au» torifé a faire fortir les Novices ck les » non-Profès, qui le demanderont; a leur » fournir un habit décent, avec 1'atten» tion de ne les congédier que le foir, » pour les fouftraire aux infultes de la » populace , & de leur procurer un hon» nête logement, en attendant qu'ils re» coivent les lettres patentes de leur dé» miffion fignées de la main du Cardinal » Réformateur «. II ajoutoit a la fin de cuté avint 1'a public*tion. LXIX. Les jeunes Jéfuites y font invités h quitter leur état. Tentatives de Caftro peur les y engager.  11 leur acCorde lu liberté d'écrire. LXX. Dijupline réguliere ob fe.vée par les jeunes yi.6 Anecdotes du Minïjlere ze billet, qu'il y auroit toujours un foldat de la garde chargé de prendre les lettres qu'ils voudroient lui écrire. Or, ce billet étoit du 31 Aout, plus d'un mois avant la publication de la Lettre du Roi , & du Mandement du Cardinal. Caftro , qui- avoit défendu aux foldats de parler aux Jéfuites, leur permit alors de les entretenir t pour les engager a quitter la Compagnie. ïl promit même des récompenfes a ceux qui réuffiroient a en détacher quelques-uns. Ces foldats fe voyant autorités par le Sénateur, ne. garderent aucune borne dans leurs folïicitations; & oubliant toutes les bienféanees, ils s'attaquerent aux vieillards, qui eurent a effuyer leurs grofïïeres importunités. Caftro, de fon cofé y redoubloit fes efforts ; mats ils furent inutiles , même vis-a-vis de Bernard Nogueïra fon parent. S'imaginant que la honte les empêchoit de fe déclarer en préfence de leurs confrères, il les fonda en particulier & tacha de les ébranler. Cette tentative ne lui réuffit pas mieux. Tout, cela fe palfoit dans le courant du mois de Septembre , & ce ne fut que le 4 d'Oftobre, que parut 1'Edit du Roi ck le Mandement du Patriarche. Après le départ cles Profès de Conimbre, qui arriva le 30 Septembre, Caftro fe perfuada que fes pourfuites feroient plus efficaces a Pégard des jeunes Jéfuites; mais  du Marquis de Pombal. LlV. IV. 327 il fiat également trompé clans fon attente. J Les Prêtres non Profès qui étoient reftés " avec les autres Clercs , avoient clemandé j au Reóteur avant fon départ, de défigner celui qui le repréfenteroit. Francois Ta~ yeïra fut nommé Vice-Recteur , comme étant le plus ancien Prêtre d'entr'eux. Celui-cidiftribuales différens emplois, tk dès le moment du départ, ils continuerent leurs exercices, tk s'acquitterent a 1'ordinaire des fonctions clont ils étoient chargés ; enforte que le College conierva la même régularité & le même ordre que s'il n'y étoit furvenu aucune révolution. , Les foldats , qui s'attendoient a toute c autre chofe, furent ftappés d'un étonnement dont ils ne pouvoient revenir , tk ils en parlerent a toute Ia ville. Le Sénateur en fut déconeerté. Cependant il vint au College le 2 d'Odtobre, & affeftant un air de gaieté , il féiicita cette jeunefle d'être enfin féparée de ceux, qui par leur mauvaife conduite, s'étoient attirés la difgrace de Sa Majeflé & 1'indignation de tout le peuple. Son refrain continuel étoit, que pour eux on les fuppofoit innocens, tk qu'ils avoient tout a attendre de la bienveillance royale. II leur lut des lettres du Miniftre , qui les en affuroient, fitót qu'ils auroient recu kur démiffion du Cardinal Saldahna. Après ce difcours , oü il n'avoit rien omis de ce qui pouvoit lesamener a fon but, il voulut recueillir t'fuTtet yrès le di-~ xrt des. rejts. ïürprifi li ' fujet.  3*8 AïM&èés du MtntfiW les fentimens de chacun. Ik lui ré rent qvw ('affaire dpil til* '•- ::-ttoit, ck importante, pour méneer qu'on y r< mürement, ik q»'-.' #1 vouloit le U mettre, ils le retireroient qanstóilll bres pour y déllbéréf , &C Un ra.  du Marquis de Pombal. Liv. IV. 319 Caftro fit un paquet de tous ces billets ck les envoya au Miniftre. Celui-ci, lans fe rebuter, lui clonna une nouvelle commilfion, en conféquence de laquelle ce Sénateur leur fit favoir que le lendemain 5 d'Octobre , il fe rendroit au College , pour y expofer les nouveaux ordres qu'il avoit recus du Roi. Ils fe préparerent a cet affaut par une communion générale. A peine s'étoient - ils fortilïés dans ce facré banquet, que Caftro arriva au College. II convoqua d'abord les Novices , fe flattant qu'il réduiroit aifément ces jeunes gens, dont aucun ne paffoit feize ans. Ils avoient la vue modeftement baiffée : ce que le Sénateur regarda comme un effet de leur timidité. Pour les raffurer, il leur paria avec beaucoup de douceur. II s'a•dreffa fur - tout a celui qui lui fembla le plus jeune d'entre eux; 'mais fes careffes furent vnutiles, ck ne lui attirerent qu'une réponfe a laquelle il ne s'attendoit guere. Car lui ayant dit de ne pas craindre ck de lever hardiment les yeux, ce Novice lui épondit avec beaucoup d'ingénuité , que fans la permiffion de fon Supérieur, il ne pouvoit fixer fes regards fur lui. Vous êtes parfaitement libre , lui répartit le Sénateur, agiffez fans contrainte , votre Supérieur n'eft point ici. Dieu me voit, repliqua le Novice, cela me fuffit; je refpe£te fa prélënce, comme je le dois. Caftro confondu changea de difcours ck en LXXI. Novices tonvequés. On tenti ie les ƒ«'iuire. Réponfe Pun d'entre eux.  C&firo leur montre trois lettres. * Envircm n fob de France. Vromejfe ilTufoire d'un ttfion. LXXII. Conjlance its Novices & des Philofofhes. 530 Anecdotes du Mlnifiert «ott au fujet cle fa commiffion. II leur fit faire la leéhire cle trois lettres. La preniere lui étoit adreffée par le Cardinal Saliahna, qui lui marquoit fa fatisfacrion, de :e qu'il s'accjuittoit avec tant cle zele des jouvoirs qu'il lui avoit communiqués pour a démiffion des non - Profès. II ajoutoit :jue pour les engager davantage a 1'ac:epter, fachant que plufieurs étoient arrêtés par la crainte de manquer de pain, il avoit obtenu du Roi qu'on leur donrieroit a chacun un tefion * par jour jufqu'a ce qu'il y fut pourvu plus avantageufement. La feconde lettre étoit du Roi k Cordeïro pour lut enjoindre de payer ie tefion dont nous venons de parler. Enin la troifrcme étoit du Miniftre, qui lui recommandoit d'entrer dans les vues de 5. M. & d'employer les moyens les plus ïfficaces pour détacher ces jeunes gens :l'une Société li juftement décriée, en leur :lonnant les plus fortes affurances que, du moment même de leur fortie, il auroient. part aux bienfaits du Roi. Comme les Novices perfiftoient dans leur refus, le Sénateur les congédia & fit appeller les Philofophes avec ceux qui fe préparoient a enfeigner. On leur préfenta ces trois lettres, mais ils s'excuferent de les lire, paree qu'ils foupconnoient qu'elles étoient trop injurieufes a la Société. C'eftpourquoi Caftro leur en fit lui-même la kecture. La promefle d'un tefion fans autre  du Marquis dt Pombal. LiV. IV. 33 j. Cautionnement leur parut fort plaifanté, &£ ils ne purent s'empêcher d'en rire. Caftro leur en demanda la raifon, öals lui dirent que l'on rnettoit k un prix bien bas la récompenfe d'un crime auffi énorme, qu'étoit celui cle manquer de fidélité a Dieu; ils ajouterent qu'ils ne fe trompoient pas en demandant caution, en cas qu'ils euffent la lacheté d'accepter une pareille offre, puifqu'un Frere Coadiuteur, qui s'étoit laiffé féduire, avoit déja été fruftré de cette chetive piece d'argent. Le peu de fuccès que la négociation de Caftro venoit d'avoir auprès des Novices tk des Etudians en philofophie, ne lui en promettoit pas un meilleur de la part des Théologiens tk des Prétres. Les ayant fait venir, il leur dit qu'il avoit ordre de leur lire certaines lettres. La leeture achevée, ils lui firent la révérence & fortirent fans proférer un feul mot. Ce filence marquoit affez ce qu'ils penfoient, & Caftro en fentit toute 1'énergie, Dès que ce Sénateur fe fut retiré , ils allerent tous enfemble a 1'Oratoire rendre graces a Dieu de leur victoire, & implorer fon affiftance dans cle plus rudës combats. On ne tarda pas a leur en livrer : mais on changea cle batteries. Jufqu'alors on i leur avoit interdit tout commerce au 1 dehors. On leva cette défenfe,. & il leur j tut permis d'écrire tk de recevoir des <■ Vis ï'ifV logiins & des nouveaux Fritrts. Lxxnr. 4jfauts qui eurfont lires par eurs parelt! 'f leurs mis.  CcHrage dt ees jeunes gens. 'lis pu'ifen des farces 332 Anecdotes du Minijlcrc lettres , & cle parler aux perfonnes de dehors. Ce jour-la même plufieurs parens s'étoient rendus a Conimbre, tk fur 1'avis que Carvalho leur en avoit fait donner , il en étoit venu des extrêmités même du Royaume. Les jeunes Jéfuites étoient dans la difpofition de ne lire aucune lettre ck de ne voir aucun parent. Mais on ne tient pas contre la violence. On les obligea de lire leurs lettres tk de parler a tous ceux qui les demanderoient. Les attaques durerent trois jours. Ils eurent k réfifter aux larmes ck aux preffantes follicitations de leur familie, aux inftances ck aux reproches de leurs amis; tk, ce que l'on aura peine a croire, aux importunes pourfuites de quelques Religieux de différens Ordres, qui ayant perdu euxmêmes 1'efprit tk 1'amour de leur état, employerent les raifonnemens les plus captieux, pour lever les difficultés ck les fcrupules de ces jeunes gens. Pour fe foutenir contre les affauts qu'on alleit leur livrer, ils fe confulterent entre eux, tk voyant qu'on les y forcoit, ils prirent la réfolution de lire les lettres qu'on leur écriroit, ck d'y répondre avec une fermeté tk une modeftie convenables ; cie ne fe prêter que malgré eux aux vifites qu'on leur feroit, tk de les expédier auffi promptement , qu'ils le ■ pourroient; enfin que , tandis que quelqu'un d'entre eux feroit aux prifes, les  du Marquis de Pombal. LlV. IV. 333 autres fe mettroient en prieres , pour engager le Ciel a lui accorder les forces ck le courage néceffaires. On peut en effet regarder comme un prodige, que parmi ces jeunes gens , pas un ne fe laifïat ébranler. Un Profeffeur en Droit Canon de 1'Univerfité de Conimbre , penfant plus chrétiennement que tant d'autres , demanda a leur parler fous le prétexte apparent de triompher de leur réfiftance; mais c'étoit pour les affermir dans leurs faintes réfolutions. Un Avocat de la ville leur écrivit qu'il acheteroit volontiers, au prix de out font fang , la robe du lache, qui viendroit a la quitter par la crainte de 1'exil , ou par 1'efpérance d'un vil avantage. Après ces trois jours critiques, oü l'on avoit employé en vain les artifices les plus féduifans, on les remit au train ordinaire , c'eft-a-dire , qu'on les tintféparé; ck gardés comme auparavant, cc que tout commerce avec ceux du dehors fut fufpendu. Le bruit courut que comme les Novices ne vouloient point quitter de gré leur habit de Religion, on alloit le leur arracher de force. Ils en furent alarmés; ck a cette occafion un jeune Prêtre non Profès nommé Jofeph Carvalho , fit un coup hardi, dont le Miniftre fut fe venger. On 1'avoit choifi pour faire auprès d'eux les fonéTions de Miniftre, & il s'en acquittoit avec un grand zelê, ne ceffant dans lapriere, lxxiv. Bruit qui court qu'on fera violence aux i\cficcs. lxxv. Jojeph, Carvalho Jéfuite j écrit au Cardinal,  Sa lettre ejl envoye'c au Minijlre. Ordre de le mettre aux fert. Ses aiietx. U eg mis en prifon. 334 Anecdotes du Miniftere de les animer ck de les exhorter a la perfévérance. Sur le bruit, qui fe répandoit de la violence que l'on devoit faire aux Novices , il eut le courage d'écrire au Cardinal Saldahna, dans des termes refpeclueux, a la vérité, mais fi forts ck fi énergiques , que cette Éminence en fut ébranlée : néanmoins , peude tems après elle eut la foibleffe de renvoyer la lettre au Miniftre Carvalho. A la vue des remontrances d'un Jéfuite de fon nom, qui ofoit traverfer fes deffeins, il entra en fureur, ck envoya 1'ordre a Caftro de le mettre aux fers. A cette nouvelle , qui auroit été accablante pour tout autre , ce jeune Pere fit paroïtre fa joie, (k détachant un petit reliquaire d'argent qu'il portoit a fon cou, il en fit préfent au i'ubftitut qui lui avoit fignifié la fentence , & s'excufa de n'avoir rien de plus précieux a lui offrir en reconnoiffance, pour la bonne nouvelle qu'il lui annoncoit. Pendant que le commis va 'tout préparer pour 1'emprifonnement, Carvalho fe rend au réfecf oire oü la Communauté fe trouvoit alors ; il monte en chair, inftruit les confrères du fort qu'on lui réferve , les exhorte a la conftance, ck renouvelle en leur préfence le vceu qu'il avoit fait de verfer fon fang plutot que d'abandonner la Compagnie. 11 embrafle enfuite fes Freres affligés, ck les confole. Sur ces entrefaites on vint le preadre, ck il fut con-  du Marquis dt Pombal. LlV. IV. 33^ duit dans la chambre, qui avoit déja fervi de prifon au P. Tello , Profès. II y demeura quelque tems après 1'évacuation du College , de - la il fut transféré chez les Carrnes Déchauffés, ou l'on fit encore de vains efforts pour 1'engager a. quitter la Compagnie. , Caftro revint le lendemain tk les raffembla en différentes bandes. II leur fit faire la lecfure des nouvelles lettres du , Miniftre tk du Cardinal, qui condSmnoient au banniffement ceux qui s'obftineroient a refufèr leur démiffion. Novices , Philofophes, Théologiens tk Prêtres, tous préférerent 1'exil dans 1'alternative ■•qu'on leur propofoit. Caftro avoit chargé un de ces Philofophes de faire publiquement la lecTure de ces letttres. Quand ce jeune homme, qui étoit d'humeur gaie & plein de faillies, fut parvenu a 1'endroit, oü le Patriarche Réformateur fe fervoit de ï'autorité de 1'Ecriture & des SS. Peres, il s'arrêta tout court , tk Caftro lui cn ayant demandé la raifon; c'eft, Monfieur, lui dit-il , qu'il me furvient un fcrupule, & que je crois de bonne foi ne devoir pas continuer, paree que cette piece n'eft pas un Décret, mais un Sermon, tk que Son Éminence a défendu a tout Jéfuite de prêcher. Cette plaifanterie occafionna un éclat de rire, tk Caftro lui-même ne put s'en empêcher. Ce Sénateur voyant qu'il perdoit fes peines, tk .qu'ils étoient/ LXXVX. Nourelles entetivts le Ca/?,*. Elles fost 'ns fucsès,  LXXV1I. Trait dl jeune Menit.. 336 Anecdotes du Mimjiert plus attachés que jamais a leur vocation, il les avertit de fe tenir prêts pour le départ. C'eft ce qu'ils fouhaitoient ardemment, afin d'être une bonne fois a 1'abri de la féducuon. On peut juger de leurs difpofitions par la conduite de cinq d'entre eux, qui fe minoient d'une maladie de langueur. Cet état leur faifant appréhende/qu'on ne s'oppofat a leur départ, ils firent fi bien auprès des Médecins, qu'ils en obtinrent une atteftation, par laquelle on les jugeoit en état de fouffrir le tranfport. . Je ne puis rapporter tous les traits edi' fians, qui fmnalerent la conftance de cette fervente jeunefle. Je ne dois cependant pas omettre ce qui diftingua Jean Moniz.' Comme il lui étoit furvenu un dérangement dans le cerveau, Caftro fe fiattoit qu'il n'auroit pas de peine a 1'engager de retourner chez le Sénateur Moniz fon frere, qui defiroit de le retenir en Portugal. Mais'iTfut bien furpris de lui entendre dire, malgré fon affoibliflement d'efprit, que ce feroit commettre une infidelité envers Dieu de quitter une robe qu'il vouloit conferver aux dépens de fa vie. II fut enfuite trouver fes compagnons, & arrofant leurs pieds de fes larmes, il les conjura de ne point le deffervir auprès de Caftro, mais de déclarer au contraire, qu'il n'étoit pas affez dépourvu de bon fens pour être fouftrait a la peine de rexil. Enfin  'iu Marquis dt Pomba'. LiV. IV. 337 Enfin ils eurent avis, que leur détention dans le College finiroit le 24 d'Octobre ; Sc quoiqu'on leur laiflat ignorer le lieu de leur deftination, ils n'en témoignerent pas moins la joie qu'ils avoient de leur prochaine délivrance, Sc ils eurent foin d'intéreffer le ciel en leur faveur paf un redoublement de ferveur; cependant deux d'entre eux eurent la foibleffe de fe cacher au départ des autres; effrayés de 1'annonce qu'on leur fit, qu'on alloit les jetter dans quelques ifies d'Afrique. Ce fut alors qu'on vit la fcene la plus touchante. Sur le point de quitter ce College, qui avoit été le berceau de tant de' grands hommes recommandables par leur éminente fainteté Sc leur doétrine, ces jeunes gens profitant de leurs derniers momens , fe mirent a parcourir les corridors, s'inclinant devant tous les oh jets de piété, qui s'y rencontroient , Sc baifant affectueufement les portes Sc les murailles des chambres confacrées par la demeure de tant de Martyrs Sc de tant de perfonnages célebres. Ils leur fut permis d'embraffer pour la derniere fois un refpeétable vieillard. C'étoit le Frere Almeïda , que la maladie avoit mis hors d'état de les accompagner, Sc qui mourut peu de jours après a 1'hópital. Ils obtinrent pareillement du geolier la permiffion cle faire leur derniers adieux a leur Miniftre Carvalho , qui étoit chargé de fers. Leurs laiP Lxxvnr. Joie de ces jeunes gens a la nouvelle de leur prcchain dé' part. Zeur Cnniuite édi' lante.  1XXIX. Nombre de ceux qui quitterent le College de Conimbre. Jifarche pénible Sr prolongéeadeffein. 338 Anecdotes du Miniftere mes couloienten abondance, & les foldats qui en étoient témoins en furent vivement attendris. II étoit minuit quand on les raffembla au fon de la cloche pour fe mettre en chemin. Leur nombre montoit a cent quarante-cinq : favoir , trente - deux Prêtres non Profès •, trente-cinq Théologiens &C Régens; quarante - un Philofophes; fruit Ecoliers qu'on difpofoit a 1'enfeignement; quinze Freres, & quatorze Novices. Les malades & les infirmes furent mis fur feize carioles. Les autres étoient affez mal montés. Plufieurs cavaliers Sc fantaffins les efcortoient. Malgré 1'horreur de la nuit Sela violence de la pluie , un grand nombre d'habitans fe trouva fur leur paffage & les fuivit jufqu'aux portes cle la ville, faifant retentir les rues de leurs fanglots Sc de leurs plaintes. Lorfqu'ils furent hors de la ville, on leur apprit qu'on alloit les conduire z Porto. Deux jours auroient fuffi pour s'y rendre. On en employa quatre. Une pluie froide qui ne difcontinua point, les fit beaucoup fouffrir. Les Sénateurs entroient dans les auberges qui fe trouvoient fur la route pour s'y rafraichir , 8c laiffoient leurs prifonniers fe morfondre fur leurs montures ou fur leurs charettes. La nuit, on les renfermoit fans feu dans ce qu'on pouvoit trouver de granges &c d'écuries capables de contenir une telle multitude. Les foldats  du Marquis de Pombal. LiV. IV. 339 faifoient la garde autour de leurs logemens, tk avoient défenfe de leur parler & de fouffrirque d'autres leur parlaffent, Mais rien ne put les engager a exécuter de pareils ordres : » Ils font innocens, di» foient-ils ouvertement aux Sénateurs, » tk on ne les exileroit point, s'ils avoient » manqué de fidélité a Dieu, en renon*> cant a. leur état.« Le quatrieme jour du voyage tomboit un Dimanche , jour de la fête des SS. Apótres Simon & Jude. Ils n'obtinrent qu'avec' beaucoup de peine la permiffion d'aller entendre la meffe dans 1'Eglife voifine. On en fit fortir tout le peuple; tk après avoir mis des fentinelles a la porte , on les fit défïler entre deux rangs de foldats, fous 1'infpeclion des Sénateurs qui en faifoient la revue a mefure qu'ils entroient. Deux d'entr'eux furent choifis pour dire laMeffe , tk tous les autres eurent le bonheur d'y communier. On décampa enfin pour achever Ce pénible trajet. Mais au lieu de gagnerla ville tout d'un train, on s'arrêta a trois milles du Douro, pour y attendre que le jour fut tombé ; la pluie qui n'avoit pas ceffé de toute la route , redoubla avec une extréme violence. On mit quatre heures a paffer la riviere , & il . étoit plus de minuit quand on entra dans la ville ; on peut fe fïgurer en quel état? " Les habitans avoient défenfe, fous peine de mort, de paroitre dans les rues, 6* P x Précautnr.$ vour la mejl un jour ie Uiman'- ntr arri'e a Putte,  LXXX. On évacu\ le College de Bragan ct. T)n y li tEdit de 'bannifetncnt Cr lt Jritndemen 34a Anecdotes du Minljïert même a leurs portes ou a leurs fenêtres, & d'y avoir de la lumiere. Les Jéfuites de Porto n'avoient pas encore évacué le College , & ce dut être une confolation pour ces pauvres voyageurs de les y trouver. Mais avant que d'y être introduits, il leur fallut fubir des formalités , qui les incommoderent plus que la pluie , 'a laquelle ils demeuroient expofés au milieu de la cour. Le Sénateur Miranda les faifoit entrer un a un , pour prendre leurs noms , celui de leurs pareus & du lieu de leur naiffance. Cette opération longue par elle-même , le parut encore davantage a des gens excédés des fatigues précédentes &£ percés jufqu'aux os. Porto devoit encore être le rendezvous des Jéfuites de Bragance. Le Sénateur Joachim Moniz y étoit allé fe joindre a Raymond Coëlho-y-Mello, qui avoit été prépofé a la faifie de ce College. Ces deux Magiftrats ayant affemblé la Communauté , fe firent donner le nom de tous ceux qui la compofoient, avec celui de leurs pareus, du lieu de leur naiffance , de la paroiffe oü ils avoient été baptifés , leurs grades, leurs emplois, leur age & le jour de leur entrée en Religion. t Le 26 Oétobre, après-midi, les mêmes Sénateurs parurent de nouveau , & ayant raffemblé les Prêtres dans la bibliotheque, t ils les y renfermerent. Ils convoquerent  du Marquis de Pombal. Liv. IV. 341 enfuite les jeunes gens 8c les Freres, 8c on leur lut PEdit de banniffement, la lettre du Roi au Cardinal Saldahna , le Mandement de celui-ci, les lettres 8c inftruétions du Miniftre. Cette lefture dura une heure entiere. Un des Sénateurs leur demanda s'ils avoient bien compris ce qu'on venoit de leur lire. Ils répondirent qu'oui. Mais cet Officier ne fe contentant pas de cette réponfe générale , les interrogea chacun en particulier. Tous, a Pexception d'un Régent de grammaire 8c d'un Frere , déclarerent hautement qu'ils vouloient vivre 8c mourir dans la Compagnie, qui lts avoit élevés. Après cette longue féance, on conduifit ces jeunes gens k la bibliotheque , oü ils trouverent les Profès, 8c tous , comme de concert, réciterentenfemble le TeDeum en aétion de graces de ce qu'ils avoient eu le bonheur de demeurer fideles a leur vocation. Ils finiffoient leur priere, lorfque le Sénateur Raymond ouvrit la porte &C leur ordonna de fe retirer dans leurs chambres. Cette opération finie, il alla annoneer au Reéteur 8c aux Profès que le moment du départ étoit arrivé, qu'ils auroient k prendre leurs manteaux, 8c k fe rendre dans la Chapelle domeftique. Ils s'imaginoient que raffemblés dans cet Oratoire, ils partiroient incontinent. Mais Raymond les y enferma. fans égard pourles P 3 du Ccrd. Saldalir.il.  Ï.XXXÏ. Circonjlances du départ de Sra game, Vrdre de la taanke, Sentimens de vénérai im de la part des peufles. 342 Anecdotes du Miniftere infirmes & les vieillards, & il alla loge? chez lui, cl'oü il ne reparut que le lendemain après avoir fait paffer la plus trifte nuit a huit Prêtres , a. fix Freres Coadjuteurs 8c k- deux vieillards malades. Voici comment il difpofa la marche. Un trompette étoit k leur tête, & il devoit fonner d'un ton lugubre k 1'entrée des villages , qui fe trouveroient fur fa route. Des Cavaliers efcortoient les prifonniers montés fur de mauvais muiets , 8c fi mal équipés, que les pieds de ces pauvres Peres fraïnoient prefqu'a terre.. Les deux malades étoient dans une litiere. II y avoit ordre de marcher en filence 8c fans s'arrêter. Cependant il étoit difficile d'avancer dans un pays coupé de montagnes & dans des chemins inondés 8c rompus. Les bêtes fatiguées Sc fans nourriture bronchoient prefqu'a chaque pas &c fe eouchoient dans la beue. Ils partirent le 27 Oétobre. Ce jour-la on les fit di-. ner; mais ils jcunerent le lendemain jufqu'au foir. Ils pafferent auffi la première nuit dans. une petite chambre, oü ils ne purent trouver afiez de place pour s'affeoir 8c prendre un peu de repos. Tous ces mauvais traitemens ne firent qu'augmenter la vénération qu'avoient déja pour eux les gens de la campagne, qui fe trouverent fur leur paffage. Le fon de la trompette, qui les attiroit, fembloit préluder a un triomphe plutot qu'a un.  du Marquis de Pombal. LïV. IV. 343 exil. Les habitans des bourgades, oü ces Peres avoient fouvent diftribué le pain de la parol e, leur témoignoient leur refpeft tk leur compaffion. Ils les fuivoient fondant en larmes, les appelloient des faints perfécutés, fe recommandoient a leurs prieres, tk ne les quittoient qu'après avoir recu leur derniere bénédiófion. Ces démonftrations affeéhieufes condamnoient affez hautement les rigueurs qu'on leur faifoit éprouver. Mais elles ne ; firent qu'aigrir le Sénateur, qui ajouta de , nouvelles duretés aux précédentes. Le 29 Ó&obre on fe mit en chemin avant le jour, ck on marcha fans difcontinuer jufqu'a la nuit. A peine ces Religieux fatigués eurentils mis pied a terre, qu'on ne leur laiffa que le temps de manger un morceau a la hare, tk qu'on les fit auffi-töt remonter fur leurs bêtes. Le Reéreur eut beau fe jetter aux genoux de Raymond & lui demander une heure de temps pour reprendre haleine tk réciter leur office. Rien ne put le fléchir ni Pengager a avoir quelque égard a leur extréme laflitude. Le P. Mefquita, trop foible pour fe tenir plus long-temps fur ia monture , fut mis ■ dans une litiere. Après un court. trajet cette litiere s'êtant renverfée dans la boue, on s'appercut que le Pere étoit mourant. II ne fut pas poffible d'obtenir qu'un d'entre eux ie mit k fes cêtés pour Paffifter dans ces derniers momens. On continua P 4 Durcté it» onduc- eurs. Ven d'égard, lourund'en. tre eux qui étoit mourant.  ixxxn. Ceux de Brague fon conduits a Porto, Lxxxnr. Embarquement des Jéfuites rafjemblés a Eorto, 344 Anecdotes du Minijiere donc la marche par 1'ordre de Raymond» En arrivant au College de Porto, on n'eut rien de plus prefie que d'aller prendre les Saintes-Huiles , & ce Pere expira avant qu'on eüt achevé les onétions. A Brague, on obferva les mêmes formalités qu'a Conimbre. II y en eut trois qui demanderent leur démiffion. Un Frere nonagénaire qu'on laifla dans le College la refufa conftamment; & on le fit tranfporter chez les Carmes Déchauffés. Les autres eurent beaucoup a fouffirir dans la route, & n'entrerent a Porto que le troifieme jour vers minuit. Le College de cette ville qui n'étoit que pour trente perfonnes , en contint tout - a - coup deux cents, qui ne tarderent pas a être mis encore plus a 1'étroit. Le 5 de Novembre , Miranda leür ordonna de fe tenir prêts pour 1'embarquement. Cette nouvelle leur fit efpérer de voir bientöt finir une partie de leurs miferes; mais ils ne prévoyoient pas celles qui les attendoient, & qu'on alloit leur faire éprouver. Cependant leur premier foin fut de fe rendre a 1'Eglife, oü ils réciterent le Te Deum pour remercier Dieu de les avoir jugé dignes de partiqiper aux fouffrances & aux humiliations de fon Fils. A onze heures de nuit le Sénateur vint prendre leurs noms & les fit défiler fucceffivement deux a deux vers la porte au milieu des gardes. Lorfqu'il fut venu aux  iu Marquis dt Pombal. Liv. IV. 345; non-Profès , il les arrêta pour leur réitérer l'Edit de banniffement. Tous s'y foumirent avec conftance, malgré les remontrances de Miranda , qui voyant fes efforts inutiles, ordonna enfin d'avancer. On en excepta néanmoins quatre Peres ck un Frere, qui, pour caufe de caducité, furent tranfportés au Couvent des Carmes. Sept Miffionnaires du Maragnon furent auffi détachés de la troupe, ck on les conduifit garottés dans les prifons d'Almeïda. Le peuple avoit eu défenfe , fous peine de la vie, de paroïtre même aux fenêtres , & cette lugubre marche fe fit dans les ténebres. Ces Religieux portoient devant eux 1'image de la Sainte Vierge ck marchoient en récitant les Litanies. Ils arriverent ainfi fur le bord de la riviere, oü l'on avoit affemblé quelques barques. de pêcheurs qui devoient les tranfporter a bord de trois petits navires. Sur run furent embarqués les Prêtres, ck on chargea fur les deux autres, ceux qui ne 1'étoient pas. Ils parvinrent au point du jour a 1'embouchure du Douro , mais le vaiffeau qui devoit les attendre ne s'y trouva point , il s'étoit fait voir quelques jours auparavant, ck s'étoit annoncé par quelques coups de canon *, mais il avoit repris la route de Lisbonne fur un nouvet ordre du Miniftre, qui étoit bien aifè de laffer la patience des jeunes gens, ck de vaincre leur réfiftance. P 1  Zeur étt dans les bi teaux* MBECÏV. .Requête pat eux préj'cntée pour itn tranfportés ailleurs. J4C> Anecdotes du Miniftere * Dans cette extrêmité malignement corï" certée, on dut mettre a 1'ancre, & il fe£» roit difficile de retracer le frifte état oïï les exilés fe trouverent dans ces trois bateaux.. La place ou on les avoit entaffés au nombre de foixante tk quatorze dans 1'un, & de foixante tk feize dans chacutï des deux autres , n'avoit que dix-huit pieds de long. fur huit de large ; encore étoit-elle embarraffée par des tonneaux tk desballots qui en occupoient une partie. On fe fit beaucoup prier pour leur permettre de ven-ir refpirer tour-a-tour fur le tillac ,bien entendu qu'ik n'ouvriroient pas la> bouche pour parler. La mauvaife nourriture jointe a tant de miferes ne pouvoit' manquer de caufer des maladies, tk ellesne tarderent pas a fe manifefter parmi 1'équipage.. Les foldats murmuroient haurement de ce qu'on ne les relëvoit pas mais les- Peres ne fe démentirent pas, Sc ils firent toujours. paroïtre une patience tk une modeftie admirable. Ils s'étoient choifi dans chaque bateau un Supérieur,. & malgré 1'incommodïté du lieu tk le défaut de nourriture, ils s'acquitterent autant qu'ils le purent des exercices fpirituels ufités dans leurs Colleges. Cependant comme le vaiffeau dont on les avoit ftatté ne paroiffoif point, St que le nombre des malades augmentoit prefqu'a chaque moment, ils crurent devoir préfenter une humble requête au Préfident  du Marquis de Pombal. LlV. IV. 347 Craesbeckpour le conjurer de les faire tranfporter dans la citadelle voifme, ck de les mettre eux-mêmes un peu plus au large. Leur fupplique fut fans réponfe, ck ils crurent qu'on vouloit les laiffer périr dans ces prifons flottantes. Cependant quelques Officiers de ceux qui les gardoient, étant tombés malades, 1'équipage fe mutina, ck on fe décida a faire tranfporter les exilés dans la citadelle : on vint donc a 1'entrée de la nuit les prendre clans des chaloupes pour les y conduire. Les Prêtres y furent renfermés dans une chambre , qui pouvoit a peine les contenir. Les jeunes Jéfuites ckles Freres furent traités avec plus de ménagement. Ils étoient en différentes chambres, ck ils avoient la liberté de fe parler , mais non d'approcher des Prêtres. On ufoit a 1'égard de ceux-ci de la plus grande rigueur. Les foldats avoient défenfe , fous pein^ cle mort , de leur dire le moindre mot, ni de leur faire aucun ligne. Comme on ne parloit plus du vaiffeau deftiné au tranfport en Italië, ilscom. mencoient a fe regarder comme conflnés dans cette citadelle pour le refte cle leurs jours. On étoit bien aife qu'ils fe le perfuadafTent, dans 1'efpérance qi\e cette affreufe perfpeót ive feroit perdre courage aux jeunes gens, ck qu'ils demanderoient leur démiffion ; mais en cela , on ne rendoit pas juftice a. la générofïté de leurs fentimens; car ils étoient difpofés a tout ibuffrir plutöt P 6 On les tranfporte a la citadelle. I!s fi fi&>rent qu'ils y doivent finir leurs jours.